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in 2010 with funding from
Universityof Ottawa
http://www.archive.org/details/lescontesdrolaOObalz
LES CONTES
DROLATIQUES
218. — PARIS, TYPOGRAPHIE A. LAHURE
Rue de Fleurus, 9
LES CONTI'S
DROLATIQUES
COLLIGKZ nZ ABH.VYES DE TOLIIAINE
et mis eo lumière par le sienr
DE BALZAC
POUR I. ' K S D A T ï E M E N T DES P A N T A G P, U E 1. 1 S T E S
ET NON A U I. T R E S
N E i: V I C s M K EDITION
I 1. 1. r S T n K F DR 4 2 5 DESSINS
PAR GUSTAVE DORÉ
PARIS
r.ARMER FRÈRES. LIRR AIRES-ÉDITEURS
0, m F. iiEà SAiMS-rrnES, G
TABLE DES DESSINS
K'* Sujets. Ciaveurs.
2. I.c hodict (les liomnios ( Iront isjjico) Lavieille.
3. L;i victime de l'amour (titre) Jahijer. .
4. Cettiiy libraire (table des matières) Lavicilie.
PREMIER DIXAIN
5. Syml)o}c de l'iiyménéc (fronslispice) ...... Lavieille.
0. Les armes de la gayeté (Phologue) Jaltiol. .
7. Vrayc et l'ail Ise gayeté Hiaull. .
8. Le rire vainqueur de la mescIiarKOté Lavieille.
I.A BKLLE IMPKRIA.
^ -> . i^^^^T^é^
Le rendez-vous, gr;ivù par Ki,i;:iier.
10. La belle Imiiéria , I.avicille.
VIII TABLK DES DKSSINS
H. Madame Impt'fia rcnti'p clipz elle Lavieille .
12. Le lout ioly petit prehstre lonrang:e!iii (lérard. .
13. Ung lesve tie ioiine lioininc Lavieille .
\\. Contredanse gdtliieque id.
l.'i. Madame Imp'Tia su\ vie de sa rolie Jaltiol. .
10. Le tout ioly petit prebslic espiant ung icsguard. Lavieille
17. La partie de dez id.
18. Le tout ioly petit prcbstre esblouy d'amour . . Louis . .
VJ. Le tout ioly petit prehstre fourvoyé dans de niaul-
vaises rues Lavieille.
20. Le concours éc sérénades td . .
21. Visite à madame Iinpéria Pisan . .
22. Le gros évesquc de Coirc Jjavieille.
23. Arrivée du rardinal de Ragiisc id . .
24. Le cardinal <ie Raguse id , .
25. Ung mot à ranreiile id . .
2t'i jiisui(i''s de nioiisiciir le cardinal id . .
9
y
10
10
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11
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20
. E PLCIIi: VKMEL
Les ni.iiililicls p.'iiges, ginvù par Ciiépeu'ic.
28. Le cliastel du bonhomme Binyn Pl.tnn .
29. Fleur d'innocence de madame lirnvn Tli'iult.
30. Fascheuv dcsporlemens du icnne IJruyn .... LoviniUe
31. Exploits de messire Itriiyn en Terre-Saincle. . . Louis .
32. Aultrcs exjiloits Hiault.
33. Suyte <les e\|doits id .
34. L'assault Dunionl
3.'». Le vaiiupieur inlerroguc le vaincu Lavieille
30. Messire IJruyn en la Roclie-Corhnn Prcd/iomnie
37. Le n'-giine (éod.il Riaiilt . .
38. Idem id . .
39. Messire Hiiivn h'imIiiiI la iiislic(< Cnurliard
28
29
29
30
30
31
32
33
33
34
34
TABLE DES DESSINS.
40. Usuriers du temps Diimont .
41. Mcssirc Bruyn se [)i)iiriii''iic ilaiis ses Rstits, . , l'ianll. .
42. Les icu\ lie la troupe a);,-y|)tiac(iuc LaricUlr.
45. En avant deux (style liyziuitin). Solaiii, .
44. Mariafjc de niessire Itniyn Uiunlt .
45. Madame la senucsclialle court les ccrls lionrjrl. .
4G. Les troubadours. -.- Halle de chasse Roques. .
47. La Jeunesse d'aultrefois Iliaull. .
48. Madame Bruyn se rend à l'ermitaige ...... l'icrdou .
49. L'intendant <le messire Bruyn. Iliaull. .
50. Iluincs d'unj^ brave Ue Gliomj
51. Arrivée à l'ermitaige Iliaull. .
52. Mcssyrc Bruyn retrouve ses larrcts. id . .
53. Le dict bonhomme Predhomme
54. Le gros péché Iliaull. .
55. Punition (ju'il mérite Ro'/iics. .
50. Traict de pudeur A'"*. . .
57. Le paige Boulon. .
58. L'cschole du paige Iliaull. .
50. Le voile des convenances N'*' . .
60. Attai|ue du cocquaigc Iloulnn. .
Gl. Pèlerinage du beau René Lavicillc.
02. Ung temps de cloistre Iliaull. .
63. Le bon vieil abbé Gérard. .
64. Ciiolère du viculx Bruyn Lavirillr.
65. La meslée id . .
()G. Madame Bruyn en griet've mélancliuile Iliaull. .
07. Prière au bon Bruyn id . .
68. Le cavalier endoué .....' Louis . .
69. Retour de René ih; lallanges Gaucliard
55
56
37
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62
64
65
m
70
70
72
75
75
74
7t;
78
78
7!)
80
I. A MVK nu no Y
La cli.iise à porleurs, gravr par De Giiouv.
71. Le bonnet à cornes (inaulvais resvcj Gaurhard . . SI
X TAULE DES DESSINS.
72. Unjr iusticiartl I.avieille
73. \a myc du lloy "' •
74. Cin-uinhilivaginalions ilii Roy ;ni|ins ilo l:i icuno
fille ^d .
75. Le Uoy clicz ror]iliclivre Pisan .
70. Une niiitt ilo nopccs Lavieille
77. Maints iiisti.iiii-(ls Piedlwm
78. Le pourvoycMir du Roy lUaull .
79. L'aiivcH-at Kéitm alueuvé tic mocquerics Lavieille
80. L'advoral Féion niary trompé Piaud.
81. L'infortuiit' sieur de Riidon'' se tue pour clic. . . Riaull .
82. Le niary flia<;riii id .
8"». L'aeliat d'une conscience Lavieille
84. Folies que disent les l'cmmcs en soy vestant. . . id .
85. ? W"* . .
81
85
85
80
88
89
90
91
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93
95
97
98
L llKlUTIini DU DIABLE
La décollation, gravé p.ir Ddmont.
87. Le man-ciiifrc cl ras(jucretle . . .
88. Chiquon y vcoil double
89. Le chanoine
90. Le cliauoine n-lcvé par ses ncpvoux
91. Le niau-riufrc faisant son nicstier.
02. Le mau-cin^'e vacipiaut
93. Pillu-Cnic
94. Leguardicn de i)cste>
05. Ce paouvre Cliii|uiMi
90. Inciiiivériii-iit des cscilici-s en s|iiral(!
97 l.c retour du inarv
Itiaiil/ .
. . 100
Lavieillr
. 101
id
. 102
niaull. .
. . 104
Predlio iiiiii
. . 105
Lavieille.
. 100
id . .
. 10»
Itoiif/rl.
. 107
Lavieille ,
. 108
llinuU. .
. 111
Lavieille.
. 113
TABLE DES DESSINS.
9X. Coup (le picil entre deux gculillesses . . .
d'J. La cliolcrcilu iiiiu-fiiij;c. .
100. Le m.iu-ciiige s'excuse de sa cliolèrc. . . .
101. Bii-alellcs
1"2. Menus sulïraiffewiu cl.iir de lune ...
10 J. Instans d'yvrcsse Lavicille
lOi. Le décollage
lOÔ. La roue de la Koitune
Lavieillc.
. 114
id . .
. 110
(irrnrd. .
. 117
lUaull . .
118
l'iedhoininc
. 110
Lavieille.
. 120
id . .
121
id . .
. 125
LES lOYEULSETEZ DU UOÏ LOYS LE U-NZIESME
L'embuscade, gravé par Dtiio:i(T.
107. ^jcolc Bcaupcrluys
108. loyeulx devis
109. Loys uuzicsnie ilu nom. bon compaii^non. aymaiit
beaucoup à ioiipicler
110. Tristan l'Ermite
111. La pendaison
112. Les pfémonics du moync
113. Les frnardicns de la rue Quincangrogne ....
114. Tribulations d'un^ pendu . . •
115. Trois pcns avaricictix notez
IJG. Gestes l'amiliers du ciuilinal non permis pir les
canons
Confidences
Les troubles intestins
L'espoir/
L'évasion
117.
118.
119.
120.
121.
122.
125.
124.
125.
Espoir déçu , . .
Le mail, ou les espcrits satisfaicts.
Une e.\écution
Soins prodiguez au despeiidu. . .
L'amour iouantavcnjues l'arc. . .
niaii/f . .
Gauchard
m nuit. .
id .
Lavieillc .
fiiaull . .
I.arieillc.
Duiiiont .
Lavicille.
niaiill .
id .
id .
id .
Bouton.
id .
jMvieillc
id .
RiauU .
id .
124
125
125
1 2»)
127
127
128
129
129
l."l
îr.2
r.i
i.-..-)
155
150
158
159
lil
142
TABLE DES DESSINS.
LA CONKESTAIiLK
idu, yiavé par I)uiiu.\T.
127. L'cinbuscudc Lavicille ... 145
riS. La sortie de l'ccclise Lafij 144
129. Le toiincstablc d'Aiinigiiac Lavieille. . 145
150. Uiij^ coup de maislic Ilouton. . . . 145
151. Deau Ircspas de guallantcrie Jalliol . . . . 14G
152. L'cs|)L'c des marys Lavieille. . . 147
155. Clioière du l'onneslalile Pisaii .... 149
154. I,c conncslal)lc intenoguc ses gens Michel. . . . 150
155. La iiieurUière l.arieille . . 151
130. La messe attoniéc Iliaull. . . . 155
157. Le sieur de Boys-Uourredon Solain. . . . 156
158. Ecslase d'amour vray f-^'^U 158
15!). Itoys-Bourredon londuiil à sa inalc licurc . . . Rouf/rl. . , . 100
1 iO. Bcaulx distours de Boys-Buurredoii Jahijcr. . . . 105
lil. Fin dcs|iloiiraide de Savoisy Riatill. . . . 165
142. Le mai y vengé id . . . . 107
145. l'Iiilosojiliie de Boys-Bouriedon id . . . . 108
LA l'UCKLLE I) K TIMI.IIOUZE
Le IrvsLiiciic't, K'nvé |>;ii sutai.'t.
145. Le dii.id du seigneur. Ciiillfiume .
140. La lille iiicn guardée Carbonncau
147. Une séduclion liiauU . .
14«. Assaull de guullanlerie . l'redhomme
109
17»
171
171
TADLE DES DESSINS. xiii
149. Le. scijîiicur de Valcsuc Prcdhommc . 177)
150. L'IiDiiiiem- en dangicr Pdaull . . . . MJ*
IT)!. I.'espousi; déçue l-outs .... 175
152. Yiliiiii homme ... Gt'rard. . . 17G
LE F 11 È 11 E d' A II M E S
Déclaration d'amour, gravé par RiuNiEn.
154. Ung tendre testc-à-lc6lc Pi^an .
155. Déclaration d'amour. id .
15G. Ung coup mortel ■ • Louis .
157. Le cadet de Maillé /?'««/< •
158. La {^igue Bijchebus
159. L'amour maistrisé Riault .
160. Instaus de délire (n'rard
17.S
179
180
181
188
190
192
i.i: en; f ii' a / \ v- 1 i' - r, ini'AU
l.e clieiiiiii du presbylère, gravé par JAincR.
lt)2. L'aumosiic au predjytère LaviciUc,
105. Fasclieuse rencontre Jalliot.
loi. Le chanoine alléché Boulon
105. Cauchemar lliault ,
100. Chcvanlx ondiraij;eux LaviciUc
107. Agréable pourmenaide id .
108. Le curé liAzay Gciard.
109. Poignant désespoir id .
l!)i
111.')
197
198
199
201
201
202
TABLE DES DESSINS.
L APOSTIIOPHE
Le chagrin d'eslre bossu, grave par Crépeabx.
171. Uiij; csdaiiilre Lemairc
\'i. I.c viculx taimturier id .
175. Bossu pour toute sa vie et plein île iiiesciianteric. Gérard.
174. Eiicores un>< petit p.elistre id .
17j. Rue délicieuse à Tour» Solain .
-20i
204
205
209
210
176. Hilarité générale (Êpilocle)
Crc peaux
214
SECUND DIXAIN
177. Soleil rouillant (ïrontispue) Lavieille. . . 215
17S. l.e ilieu «les iieui-.s(PRoi.ocui;) Michel. . . . 217
17'J. Dalzac l'entomologiste liijckcluis. . . 221
I. K s T It 0 I s C I. E I( C s DE S A I N T - N I C H 0 L A S
Li'kliois cleris, gravé par Lalv.
1K1. Hilianl.lerie Poplulat. . . 223
1M2. I,c sUMiitl lioinuie, vienix rei><tre en >oii niestiei'. Jnlliot, . . . 224
iK.i. l'iif- >ieulx Mc à niaulvaisetez Prrdlioniiiic . 2!ï2
iKi. Liix homme nerveux Huiiluii. . . . 254
18J. billevesées ...... ... Gérard. . . . 255
TAi'.i.r; i>i:s dkssins.
LE I K U S S E I) K F R A N Ç O Y S p It E M ÎK li
Le |irisoniiiei', yi im |
187. La visite au |irisimiii(i Gauchard . . 238
188. FraïKjoys premior jjiiailaiiL lioriimc Gérard. . . . 258
189. Hiiosdc l.ara-y-Lopez Banu di Piiito Lavicille. . . 240
190. Ilcmcux instaiis Bouton. . . 241
191. Doulccur sans pareille De Ghouy . . 243
LES BON'S PROUI'OS IiES 11 E L I G I E U S ES DE POISSY
La ronde, gravé par Ubst ei C<^.
193. Mouvement stratégicqne Riaitll .
194. Sœur Ovide Lriv/eillc
195. I'iil)auldisscmens Dio/ol . .
196. Festin oxtraoïdinaiie I.avieillc .
C0M5IENT PEUT BA3TY LE G II ASIE AU d'aZAY
. 245
. 249
2r)6
. 258
La rocoiisullatioii. gravé par Sotaii».
198. Consultation I.cmanr . . . 259
XVI IWME DES DESSINS.
100. Rcsvcric dans IVcclisc. Pierdon . . . 2C0
200. Dos mes tlo pordilion Lavicillc. . . 261
201. Lo ni;ifîii('tisme (lu losfruanl id . . . , 202
202. ïonsioiirs los nu>s (le perdition id . . . . 262
20Ô. lue leçon (loiuK'e par le paigc id . . . . 262
204. Le lianly Ia((iiies de Beaunc id . . . . 263
205. Madame (le Deaiiien ?</.... 205
200. l'oi'lieqiie soiivo id . . . . 264
207. Morilwnd /V/ .... 265
208. Secours au moribond id . . . . 265
200. .Sorcvers, maislrcs myrcs Crépeaux . . 260
210. Idem Pisan .... 267
211. DtVIaralion d'amour LavieiUc. . . 267
212. Clémence jrf .... 268
215. .Anjïoisses id . . . . 268
214. Départ des myrcs Pisan .... 209
215. Séduction LavieiUc. . . 270
216. Les palefrois liiauU. ... 270
217. Les sentinelles au guet Prcdltommr . 271
2IS. Le coin du feu Jalliol. . . .271
21fl. Douleeurs Ln vieille . . . 272
220. Souvenirs de l'anticque. Gérard. . . . 275
221. Maffistrat zV/ .... 275
232. C.jup doul.le Diinionl ... 277
LA FAULSE COURTISANE
I.n fcnimo imprenable, gravé par Jattiot.
224. Parlo;nenlaircs l.riiiairr
22.J. La preude et chaste dame d'Iloopielonville. . . Lnvicillr .
220. l'anla-ruelislns, paiila};ruelisans j)i,,lot . .
227. Idrm. . pierdon .
2iH. Menus suiïrai-es d'amour f.avirille
229. Un^fcoup mortel /,„„,„„.
^•'" '■' ""••'''''• Pierdon .
279
280
281
288
290
201
292
TAlîLK l»i:s DKSSINS. xvir
L'escholc des .imours, gravé par Sotaix.
232. Iliiiiililo loqueste Gérard. . .
233. Ce hon I liou ! lion ! à barbe en pieds de niousc lie. (',rrpeau.r. .
23 i. Vieille morte à yeulx ouverts id . . .
294
300
501
LA cm ERE NIÎICTEE D AMOUR
Le mary jaloux, gravé par Best et C'.
236. L'embuscade Lavietlle.
237. La conspiration Ganchard
238. Cettuy procureur Predhomme
239. Vieille nieschine, doue-^na laide comme unjr pot. id . .
240. Cas de flagrant délict id . .
241. Monseigneur Sardini Lavieille.
242. Encores ung iusticiard id . .
243. Saulvé !!! . id . .
I.F. PROSNE DU lOYEULX C i: » É DE MEUDO.N
.504
504
505
505
311
512
512
514
Les armes de Rahclais, gravé par Best et C".
245. Ceste bonne pbilosopbie à laquelle JK'soing sera
de lousioiu's revenir Ja/iijc
IIG
XM„ TAULE DES DESSINS.
2it). EiiUvc !"( Paris du lioz-liorrifirqiio Garçrantua . .
247. llilli'vcs.Vs •.••.••
248. Le tioz-lioriilifiiiie Uaiffaiiftaiilua loinpissc aigrc-
iiKMil la jroiit jiarisieiiiic
240. AiiililouiN au i-onsi'il des rais
?r>0. Le ioyeulx lUié de Meiidou
2r>l. l'ivsidcul du conseil des rats
252. La liaraiifrue •
25."). I/ainmir au ilair de lune
2:>4. Hipaille
255. Le seiiïueur outre suididaiu
256. Une cxéiutiou •
257. Coulideuee
258. .\|M>tlié(ise
259. Monsieur le conncslahle, duquel \c iils, comme
un<r diascun sçayt, avoyt laissé madame de
Siennes
200. Le granl comicque
2G1. F.a farce de Paniujie
202. I.p fleuve de pensée
Crr peaux .
. 517
lUjckcbus. .
. 517
Crrpeaux .
. 519
Predhoiinne
. 524
niault. . .
. 52<)
l'rcdhomme
. 527
id . . .
. 528
id . . .
. 529
Lavieille. .
. 551)
Dumont . .
. 551
id . . .
. 552
Lavieille . .
. 552
id . . .
. 552
liiaull. . .
. 532
Lavieille. .
. 533
Boulon . . .
. 534
Dumont . .
. 534
LK SUCCUBE
Le succube ou déiiiuii Iciiielle, gravé par Best cl C»
204. \Kv'/.-/yn (rronlis|)ice) lalnjfr. . .
205. I,e <ié|)us(ule (l'itOLor.DC) Lavieille. .
200. La rue Cliaulde à Tours Dumont .
2ii7. Le démon Gauchard .
208. Ai'arlniide. Louis . . .
2tii(. liiérosme Cornille, <;ranl pénitencier ... • l'rcdhomme
270. Iiliaii Torteiii.is, iMHUffeoys de Tours id . . .
271. (iuill.iumi- TournelMiu-clie, ruhricqualeur du clia-
jiilre, lionune diM|r , , . , Kiriiilt.
557
539
540
541
5i2
545
544
TAULE DES DESSINS.
\\\
272. Vertige d'amour /> G/ioxy
273. Mille mort la/liol. .
27 i. Le (lict Cojfnefestu l'rcdhnmmc
275. B:it.iill(! en cli.imi) rlos Louis . .
27G. Dcsroiilictiiri' Lavieille.
277. Salomoii al Rastcliild, lequel, nmilfin'' l'inlamie
(le sa persoime, son iiidaïsnie, ha esté oiiy . . Gérard. .
278. Le dessus dict harou de Cmixinaro se meurt d'a-
mour vray Popliiint.
270. Estrainctes mortelles de cettuy démon femelle. . Lavieille.
280. Darreniers iours et (in des|il(iurablc du sire de
Croixmare eliez cestc fille d'enfer id . .
281. Idem /,/ .
282. L'inelyte dame en grand deuil id , .
283. I,a visionnocturnedclaequelte, dicte Vieulx-Oing. Michel. .
284. lacquette, diète Vieulx-Oing. souillarde deiiiisiiie. Lorieitle.
285. La troupe sogypliacque Rianlf . .
286. L'esehelette . Pisan . .
287. Les ieux de la Morisijue Louis . .
288. Ung lesfiuard sur la vie d'icy-lias Gérard. .
28<). Mélandioiie ." fUault . .
290. Treshufliement de sceiu' Claire id . .
2!>l. losepli, dict Lesclialopicr Ge'rard. .
292. Devotieuse ascension au mousticrduMont-Carmel. Predhomm
293. Fascinations du succuhe ou démon Pollet . .
29 i. Chimère lUau/l . .
295. C'est un succuhe ou démon femelle comme il
feut veu par les champs Pext et C*
296. Maie raige d'amour Lnrieille.
297. La question Gauchard
298. Combat singulier (singulier condiat) Michel. .
299. Le sire d'Amhoise féru d'ung grant amour . , . Predltuntmc
300. Ung duel Roiu/ef. .
301. Le cachot id . .
302. Bon le infernale Dio/ot . .
.303. lean (le la Haye, vicaire de l'eccliseSainct-Maurice. Piaud . .
504. La ilarrenicre confession Jatliol , .
305. lli(''rome induict en tentation Pisan . .
301). La deffensc Mic/ie/ . .
307. Trouilles civils De (Jhnuij
308. Souriicteux, gens de poine Gérard. .
309. Tempeste de giMis Lnrieille.
310. l'Ius d'espoir de salut Pisan . .
311. L'amour malade Kiaiill. .
346
348
349
349
351
353
354
355
356
357
358
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359
360
362
563
364
365
3!>5
366
368
369
370
372
374
379
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381
385
390
391
392
395
401
405
406
407
410
415
XX
TAIiLE DES DESSINS.
DESESPEnANCE D'AMOUn
Lliomiiie violent, gravé par Best cl C*.
513. Oui ou non?
314. Mcsscr .Viifrclo C:ipp.nra
315. Désespoir (i'nrtislo . .
316. RcsYcrios (lans los tours
517. Cliolrro du Florentin
Lavieille
. . 414
Sot ai n.
. 415
Pirrdon
. . 416
Pisati .
. 417
Lavieille
. . 421
318. Les bannières (Épilogoe) Bouton.
TROrSIESME DIXAIN
319. Uufr l)eau soir d'esté (frontispice) • . Lavieille.
520. Père et fils (PnoLOGUE) id . .
42Ô
425
427
PEKSEVEnAXCE DAMOPIl
i^|BK,^-it'
Allégresse de mnisirc Ansi<;iu, gravé p.ir Cri^.pe^dx.
322. Neuf nnljarras
323. Mai-Ire Anseoii treuve une esponse . .
324. Maistrc Anseau, fier morceau d'Iioinme
32.'). Monseipneur Ilupon de Senneelerre . .
Lavieille , .
. 43 i
Hrsl et C .
. 435
(iérard. . .
. 458
Lavieille. .
. 447
TABLE DES DESSINS.
D'rsT, ir?TTCiATin o''i >'t^ sr i:i:MrMrrnTT ies-h:hODSES
La chri cnière heure gravé par Best et C'.
327. I/nm])liilIn';istrc (lo (lisscclinii I.aririlfr
Z'-ÎH. Le rii-c du dicl pievo«t Grrartf.
529. Ce l)iin polit iustiLiard id .
330. L'horloge à fif;;iirines [.fuœillr
531. Monsieur Polit indnict en cocquaijre ..... lHaull
532. La lin du roman. . .■ Gérard.
333. Surju-isc non petite de madame Petit Jattiol .
455
4.^7
45X
4r)î)
404
403
SCU LE MOÏNE AMADOU, Q C I FEDT UNG GLORIECX ABCÉ DE TURPESAY
Le dangier de mort, gravé par Best et C*.
335. Les stalles du cloistre Rianll .
336. Le moyne Amador, qui t'eut un gloriou.t abbé de
Turpenay id .
337. Idem Laririllc
338. Le seigneur de Cando, homme de guerre. . . . lîifiu/l .
3.39. Le sanlt du movne Amador dcrard.
3i0. L'Iiospilalilé Laricillc
341. Le sire de Candé raliliroué jtar madame son
espouso id .
342. Menus devis du dessert id .
343. Le moyne sommeille ung petit lîouf/cl.
344. Les gens d'armes sont lesgalloz Diolol .
345. Espantemeiil honihle en l'ahliayo /?/</»//
4G7
. . . 468
. . . 409
. . . 470
. . . 472
. . 47i
. . . 47 i
. . . i77
. . . 477
. . . 487
. . . 488
xsii TADLE DES DESSINS.
540. La nios:<c <le luimiicl Riaulf .
7)17. Mem id .
488
489
DF.riTlIF. I.A KEPKNTIE
»>>,■. ■<■ • r>
Le darreiiier sosjiii'. ^lavù par Sûtai«i.
549. Triste iir-part (le iiiadainc de Bastarnay .... Lavieillc.
550. Le sire Imltert <lo Bastarnay, ung des plus grans
terriens de noslre jjays do Touraine id . .
551. Legiiallanl Imbert de Bastarnay Rijckehits.
35'2. Le beau cousin musse Bouton. .
5.'»5. Psanbnes d'amour Uiault . .
55t. Ung drame Boulon. .
555. Lamentalliins Lavicille.
556. Idem id . .
557. La Fallolte, l'emnie bossue, vcliemeiilemcnt soup-
çonnée de tralTicquer en nécromancie .... Vrrdhommc
358. Le sabliat Lavicille. .
550. Arrivce de la Falh.lle id . . .
360. (Irant ba4e de la Fallolte à se rendre sur le lieu
du sinistre Diofol . . .
3tjl. .\pollu''ose de la gentille diastclaine linvird. . .
3f)'2. Le baiser l'rcdliomme
305. Ung des gens d'armes de Monsieur Biaull . . .
504. Le repaiie nccromancien de la Fallolte. . . . Lavicille. .
5(i5. l'rii'-re sur ung mort Louis . . .
300. Madame de Bastarnay yssit en grant deuil . . .
507. l'riK-i'ssion et voix célestes dans les bois. . . .
308. Fng contre six « . . . .
300 L'nj: moment crilicf|ue
370. harrciiicr sospir du preux fils de Icliau ....
371. L'inconsolable llaslarnuy se meuil sur la tunibe
de son espouse
Carbonneau
(iauchard .
lAtuis . . .
Lavicille. .
Yerdcil . .
id . . .
491
492
490
498
501
507
508
508
509
510
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518
522
523
525
528
529
530
551
532
TABLE DES DESSINS.
XMIl
O.MMF.NT lA lil-.I.LK K r r, 1 r: liE^I'OIlTM.I.ON QIIN.MI.DA SON lUCE
l.e sejyiicur de 1 endrokt, giaMi pai UtoMtii.
ôl~). (lunllaiis i>()Uip,irl(M-s Piolol . . . 554
57i. Une lillc iiyriK'c. Caiichard . 555
375. Uiifj- iest;iiit (le vieille laveuse fU'nu/t. . . . 53t)
37(i. Rielie et |);i()ii\re Carbonncau . 5."7
377. I,ii lialiiiuedii ciieiir Bouton. . . . 542
CY i:sT iiiM (IN >ï li r (M i: I \ FiiiniNE r?r Tousiouns femelle
l'ourmcnaiilc à ilrnx, »iavé par Sotxim.
379. Amour tendre Pophihit.
5S0. Qui vive? lUaull . .
381. Causeries (lu s(jir . Solaiii. .
382. Serment d'amitié id . .
383. l'ourmeuaide Jaftiot. .
584. Unj^' vieulx e(ie(]uin de monarque Pophifaf .
385. Commeuccmeut d'amour I.aviei/le.
38(5. Conspirateurs Caurliard
387. Itistracliou . . lioiUon .
388. .MIaiiiU! de (-(«'(luaige id . .
389. La vengcanee du niary l.arirille.
590. Le inaistre myrc l'ophilat .
591. Secrètes recummiUKlatiuns Louis . .
543
O'It
. 547
. 548
. 5 {9
. 550
. 555
. 555
. 556
. 557
. 557
. 558
. 500
XMV TABLE i»ES DESSINS.
U'UXG P AOL' VUE QUI AVOÏT NOM LE V I E U LX -I' A 11 -C H EM I X ï
Le penseur, giavé pji" Cképlaix.
595. Le Viculx-par-diemins . RiauU. . .
5[)4. Une liouvaillc .... Predhommc
595. Le libertin Pierdon
590. Le rcsveiir Lavieillc
597. Tiiiandciic Rouget.
598. l'iig; cainicc Riau/I .
599. Exécuteurs des haultes œuvres Lavieille
DIllES IXCONGIIUS DE TROIS PÈLERINS
5G2
503
564
567
568
509
571
Los Irois pèlerins, gruvé p;ii' Sotain.
4<ll. Dires iucougrus Cérard. . . 574
402. Ijrigjuils en cuibuscaJc Jahtjer. . . . 575
N A I K V E T K
1\..W1V,
Les ioucla daii),";! (
404. La visite au tableau. . . .
licsl cl C"
580
TAiiLr: i)i:s dessins.
UT
LA BELLE I >l P K II I A U A H I K K
L'amour aux chanip<:, gravé pnr Jabyer-
400. Le boudoir de madame Impéria Jatllot . . . 583
407. Le gucrdoii de Dieu Lalij 584
408. Les assidus Louis .... 586
409. La grant courtizaue Rouget. , . . 588
410. Première picqucurc d'amour Jatliot. . . . 590
411. Esl)louissemcnt De Gliouy . . 592
412. Le coup de lance Jaltiot. . . . 596
415. L'amour dans les bois Pisan .... 598
414. Pastorale Lavieillc. . . 599
415. Le bonheur idéal Picnlon . , . OdO
410. Les ioycs (le la solitude Pisan .... 001
417. Béatitude des chastelains Riaull . . . . 003
418. Ciiagrin de madame Impéria Pierdon . . 006
419. Causeries Lalij 608
420. L'aurore Jahycr. . . . 010
421. Le poids des lettres (Épilogue) Lavieille. . . 613
422. La mort aux amours De Ghouy . . 614
425. .apothéose (Fin) Drevière . . . 015
424. Bonnes armes (couverture) De Ghouy .
VKiV- -X:;: .:
CT" , • L-^ A-'^ i^' ■
TAliLE DES MATIÈIIES
TaU.F. LtS DLSSI.NS VII
AVERTISSEHKNT DU LIUIIAIIIE -NMX
KOTICE BIIILIOCIIAnimiK ... WMI
rntSIIEK DIXAIN 1
Prologue 5
La belle Ini'ÉniA b
Le l'ÉciiÉ vÉ.tiEL 28
I. Coiniiicnl li> lioiiliciiiiiii(Mliiiyn prinl fcmiiu' '2J
II. Cuiiiinciil le .^ciiiicsrlial ^c liallil Mvoiqiics le |)ucclaigc de
sa rciiinic 47
TAnLi: DES MATIERES. xwii
III. Ce qui n'est f|iio poché véniel 58
IV. Comment ot par qui fout fiiift le (lict cnlanl 6G
V. Comment ilti diet péilié d'amour fcut faietc grictvc péiii-
tenec et mené "Tant deuil. . 7ô
La Mye du Roy . . 81
L'IlÉlUTIER DU DlABI.K 100
Les loYEULSETEZ DU BOY I.OYS LE LNZIESME .... 1"24
La Conxestable 143
La Pucelle de TiiiLiiorzE 109
Le Frère d'armes 178
Le Curé d'azay-le-rideau 194
L'Apostrophe 204
Épilogue 214
SECUND DIX.\1N 215
Prolooie 217
Les trois Clercs de Saixt-Nicholas 225
Le Ieusse de Françoys premier 238
Les bons Proopos des religieuses de Pois>y 245
Comment feut basty le ciiasteau d'Azay 259
La FAILSE COURTIZAN'E 279
Le Dangier d'estre trop cocquedix 294
La ciiiere Nuictke d'amour 304
Le Prosne du ioyeulx curé de Meudox 310
Le Succobe 535
Prologue 337
l. Ce que estoyt d'ung succujjc 341
II. Comment feut procédé en l'eiidioicl lie cetliiy démon fe-
melle 574
m. Ce que feit le succube pour siifrcer l'âme du vieil iuge, et
ce que advint de reste délectation diaholicqiic .... 390
IV. Comment virvouclia si dinriiiciil li Miiri-~iiiie de la rue
Cliauldc, que à graut poine feut-elle arsc et ciiictc vifvc
à rencontre de l'enfer 401
«Mil TABLE DES 5IATIKUES.
Desespérakcb ii'amoir 414
Épilogue 423
TROISIÈME DIXAIN 425
P»OLOcrE 427
PERSÉvÉnASCE d'amoli» 434
D'csc irsTicuiiD on nk se nEMEJinnoYT les choisis 4ri5
Sl'r le Motne AuADon, qui feut use glorieux abdé de Tur-
PENAT 407
Berthe la repentie 401
I. Comment IJcrllic ilcmoura pjiccllc en estât de mariaigc . . 401
II. Quels fourent les desporlomens de Dcrtlie, saiiliant les
chouscs de l'amour 400
III. Ilorrifirques castoywiicns de Bertlie et les expiations de la-
diclc, laquelle mourut pardonnéc 518
COMHEM LA BELLE FiLI.E DE PoilTILLOX (JUINAULDA SON lUGE 534
Ct est desionstré qle LA Fortune est toisioirs femelle 5S3
D'uxc Paoivre qui ayoyt nom le Yiellx-par-chemins 502
Dires inconchls de trois pèleiuns 574
Naïfveté 580
La dei.le Implria mariée 583
1. Comment se ])rint madame Impéria dans les lilcls que elle
avoyt accoutunit; tendre à ses pigeons d'amour .... 583
H. Comment fina celluy mariaige 599
tl'ILOCLE 013
AVERTISSEMENT DU LIBKAIHE
EM TKTE DK I.A mr.MIEnE EllTlON
Si ce livre u'rtail pas une œuvre d'art dans tonte l'acception de ce ,
mot, pent-être un peu trop prodigué de nos jours, l'éditeurne se serait
point hasardé h le publier ; mais il a pensé que les critiques conscien-
cieux et les lecteurs choisis entre les mains desqnels doivent aller les
Cent Contes drolatioues se souviendront des illustres précédents qui
autorisent cette hardie tentative, dont l'auteur ne s'est pas dissimulé
la t('uiéi'ité, dont il a calculé tous les périls.
Aucun de ceux à qui la littérature est encore chère ne voudra ri'|»U(Her
la reine de Navarre, Boccace, Rabelais, l'Arioste, Verville et la Fontaine,
génies rares dans les temps modernes, car ils ont presque tous été Mo-
lière, moins la scène. Au lieu de peindre une |)assioii, la plupart d'entre
eux peignaient leur époque : aussi, plus nous allons vers le terme auquel
meurent les littératures, uu'eux nous sentons le jirix de ces œuvres an-
tiques où on respire le parfum d'une naïveté jeune et où se trouve le
nerf comique dont iu)tre théâtre est privé, l'expression vive et drue qui
peint sans péri[)hrase et que personne n'ose plus oser.
L'intelligence est donc un devoir envers le conteur qui veut non |)as
accepter le vaste héritage de nos ancêtres, mais seulement reconnaître
la carrière que tant de beaux génies send)leut avoir fermée et dans
laquelle un succès a paru presque impossible le jour où notre langage
perdit sa naïveti'-. La Fontaine aurait-il pu écrire la Courtisane amou-
reuse n\ec le style de J.-J. Rousseau? L'éditeur a emprunté cette re-
marque à l'auteur pour justifier l'anachronisme de l'idiome emiiloyé
dans ces Contes : à tous les obstacles de cette entreprise il fallait encore
joindre celui de l'impopularité du style.
11 existe en France un grand nombre de personnes altaqui'es de ce
cant anglais dont lord Ryron s'est si souvent [ilaiut. Ces gens, dont le
ixx AVERTISSEMEiM.
front rougit des Imnnos fiandiises qui jadis faisai -ut rire les princesses
et les rois, ont mis en deuil notre ancienne physionomie et persuadé
au peuple le plus gai, le plus spiiituel du monde, qu'il fallait rire dé-
cenuiient et sous l'éventail, sans songer que le rire est un enfant nu,
un enfant habitué à jouer avec la tiare, l'épée et la couronne, sans
connaître le danger.
Aussi, par les mœurs qui courent, l'auteur des Contes drolatiques ne
peut è'.re absous que par son lalent ; el, justeuKMil effrayé de l'alternative,
il n'avait voulu donner que ses dix premiers Contes ; mais nous, croyant
beaucou|) au public et beaucoup en l'auteur, nous espérons en éditer
promptement dix nouveaux, ne redoutant ni le livre ni les reproches.
Ne. serait-ce pas une inconséquence que de blâmer en littérature les
essais encouragés au Salon et tentés par les E. Delacroix, lesE. Devéria,
les Cbenavard, et par tant d'artistes voués au moyen âge ? Si l'on accueille
la peinture, les vitraux, les meubles, la sculpture de la Renaissance, en
proscrira-t-ou les joyeux récils, les fabliaux comiques?
Si le début de cette muse insouciante de sa nudité doit avoir besoin
de chauds protecteurs et de bienveillants suffrages, peut-être ne nous
manqueront-ils pas chez les gens dont le bon goût et la vertu ne sau-
raient être soupçonnés.
Le libraire devait cet avertissement à tout le monde ; quant aux ré-
serves de l'auteur, elles font partie du livre.
JI;irs 187)2.
Nous avons cru devoir reproduire cette préface, que l'autem' a mise
en tète de la première édition du premier dixain sous le nom du libraire
et qui résume clairement son opinion personnelle sur la portée morale
de son ouvrage. L'auteur de la Comcdic humaine, dont le génie est
d'une si puissante moralité dans l'ensemble de ses idées et de ses œuvres,
s'était préoccupé des objections pharisaupies qu'on junivait élever contre
un livre qu'il regardait avec raiscui connue son chef-d'œuvre, et, connue
on le voit, il y avait répondu avec ce sens jirufoud et pcTcmptoire (|ui
met la lumière h la place de la discussion.
Le livre de Ualzac, en effet, n'est pas seulement un livre d'art à la
manière du Don Juan, du Pautaijruel, des pncmes de Pidci, etc., les-
quels biillcril an |)remier rang dans la bibliothèque des es|n'ils les plus
sévères ; c'est de plus, il ne faut pas l'nublier, un livre d'archéologie
littéi-aire. Ilans un temps (|ui fut mie t'poque de rénovation et que les
histiiricns de la liltc'ialnre auront à juger. l!al/ac, jeune, ardent, à cet
AVERTISSEMENT. «xi
âf,'C*oîi les liiiiniiies (rtiiif ]ipiisi'e exiilx'iaiilt' se firiseiit (l'enx-niêiiit's »'t
sont Cdiiiiiie les Baccli;iiilfs de leurs |ir()|ires l'aciiltés, lialzac, vmiliit
ressusciter une langue et une inspiration du ])assé. Il imita Habelais
conunc d'autres avaieut imité Ronsard, et il écrivit ses Contes drola-
tiques en celte lanj^ue merveilleuse du seizième siècle, touffue, feuillue,
verdissante et rayonnante dans ses obscurités, aurore du Corrége qui
se lève à travers les riches épaisseurs d'un bois sacré !
Telle fut la pensée de Ralzac et telle est son œuvre. C'est de l'archéo-
logie littéraire faite de bonne foi et sans recourir aux machiavé-
lismes des archéologues littéraires, les Mac]iherson, les Chatterton et
tant d'autres, Balzac, à un jour donné, a cru qu'il était bon, soit dans
l'intérêt de sa propre pensée, soit dans un intérêt [dus général et i)lus
élevé, d'imiter des modèles dont on s'était peut-être trop détourné dans
ces derniers temps, et il s'est trouvé que ce grand linguiste, qui aimait
la langue fiaiiçaise comme on aime une personne, a fait une œuvre
d'imitation prodigieuse qui vaut un livre original. Cet artiste désinté-
ressé de tout, excepté de la beauté possible, delà beauté cherchée après
laquelle il courait un flambeau à la main, connue le coureur antique, a
versé dans les moules vidés de Rabelais, de Montaigne, de Régnier, son
jeune sang tout bouillant de génie, et transfusé sa scve inspirée. Ni
ceux qui aiment l'esprit pour sa propre force, ni ceux qui l'aiment pour
les voluptés qu'il nous donne, ni enfin ceux qui l'aiment pour les ser-
vices rendus à la langue et à la forme littéraire, ne pouvaient laisser
dépérir les Contes drolatiques, et voilà pourquoi nous en avons offert
une édition nouvelle au public.
La première nous avait paru indigne et insuffisante, indigne du génie
de l'auteur, qui, nous le répétons, considérait ses Co/ift's et les choyait
comme son plus difficile chef-d'œuvre ; insuffisante avec le nombre crois-
sant de ses admirateurs et l'étendue de sa renonnnée. Œuvre à part de la
Comédie humaine, œn\re d'exception, nous l'avons traitée exceptionnel-
lement, et nous avons voulu que l'écrin fût digne delà perle. Pour cela
rien ne nous a coûté. Un jeune artiste, inventeur à sa manière, connue
Balzac l'est à la sienne dans ses Contes, M. Gustave Doré, s'est inspiré
de Ralzac, ainsi que Balzac s'était inspiré de Rabelais et de Boccace tout
ensemble, et il nous a donné, à son tour, les Contes drolatiques sous
une forme nouvelle, la forme plastique, (jui fait rentrer dans l'esprit,
par les yeux, l'image déjà évoquée. L'illustration, celte parure des
livres, donnera à celui-ci son luxe et devra en po] ulariser le succès.
Août ISoii.
NOTICE DES ÉDITIONS T>ES CONTES DROLATIQUES
l'I DMCATIONS DANS LES REVUES
KEVUE W. l'ARIS. — Juin 18S1.
L'EUROJ'E LlTrÉltAUlE. — Sc|>lenibic 1853.
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de Fain, à Paris. — A Paris, chez Souverain, 1859.
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A Paris, chez D. Giraud, 1853.
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Les Contes drAIntiques. — In-8 dc 27 feuilles 1/3. — Imprimerie de PiUel fils aine, 1
Paris. — A Paris, chez Alexandre Iloussiaux, 1855.
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SEPTIÈME ÉDITION
I>a Conte* drAIatiqnea. — ln-8 dc C5I pages. Imprimerie de Simon Ra^'on cl C' —
A Pari-<, chez Ganiier Irércs, 1807.
HUITIÈME ÉDITION
Les C'ontrK droinliqnes. — I11-8 dc 051 pages. Imprimerie dc Simon Rajon cl C*. —
A l'.iris, cliCi G 1 nier liéics, l^TS.
N E U V 1 È .M 1; ÉDITION
Les Contes drAIatiqnea. — Iii-H de 051 pages. Iiiiprimoriti de A. LaliurC — A Paris,
tlier Garni'T fiéies, IHSU.
HA KTl'; IMPRIMÉ POUR LA PRIME FOVS PAR ÉVERAT, RUE DU Ql'ADRAN
ef achevé en mars
M 1) c, c r, X \ X I
MATIKKKS nu l'HEMIKR DIXAIN
rrolognc.
La lii'lli- Iniicria.
Lo Péclié véniel.
h\ Myc (lu Roy.
L'Héritier ilti l)ial)le.
Les loyeiilsetez du l'oi Loys le unziesmc
Le Coiineslalile.
La l'ueello do Tliilhoiize.
Li> Frère d'aunes.
Le Curé d'Azay-le-Rideau.
L'AjiosIroplie.
Kpil(ifru(\
Cccy ost iing livre de haiilto digestion, plein de déduiots
de grant goiist, espicez pour ces goutteux Irez-illusties et
beuveurs trez-prétieux auxquels s'adressoyt nostrc digne
compatriote, éternel honneur de Touraine, P>an(;oys Rabe-
lais. Non (pie l'Autlieurayt l'oultre-euydance de vouloir esfre
aultrc chouse que bon Tourangeau, et entretenir en ioye les
amples lippces des gens fameux de ce mignon et |)lantureux
pays, aussy fertile en coequs, cocquards et raillards que pas
ung, et (pii lia fouiny sa grant j)art des lionimes de renom
à la France, avec(pies feu Courier, de pic(jiiante mémoire ;
Verville, autheur du Moyen de parvenir , et aullres bien co-
4 PROLOGUE.
gneus : dos(iiiols nous trions le sieur Dcscartos, j)oui' ce que
ce feut un génie mélancholicque, et (|ui ha plus célébré les
songeries creuses que le vin et la friandise, homme duquel
tous les j)astissiers et rostisseurs de Tours ont une saige
horreur, le mescognoissent, n'en veulent point entendre
parler, et disent : « Où demeure-t-il? si on le leur
nounne. l)onc(|ues, eeste œuvre est le produiet des heures
rieuses de i)ons vieulx moynes, et dont esloycnt maints ves-
tiges esj)ars en nostre pays; connue à la Grenadière-lez-
Sainct-Cyr, au hourg de Sacché-lez-Azay-le-Ridel, à Mar-
uu)ustiers, Yeretz, la Roche-Corbon, et dans aulcuns lypo-
thecques de bons récits, (jui sont chanoines anticques et
preudesfeuunes ayant cogncu le bon Iciiips où l'on iocque-
toyl encores sans resguarder s'il vous sortoyt ung cheval ou
de ioyeux poulains des costes à chaque risée, connue font
auiourd'huy les ieunes femmes qui vouldroyentsoyesbattre
gravement : cIkmisc (pii sied à nostre gaye France connue
une huillière sur la teste d'une royne. Aussy, comme le
lire est ung jirivilége octroyé seulement à l'hounne, et qu'il
y ha cause suffisante de larmes avecques les libériez public-
ques. sans en adiouxter |)ar les livres, ai-je cru chouse pa-
trioticque endiablé de publier un drachme de ioveulsetez,
par ce tem|»s où l'ennuy tondte connue une pluie fine qui
mouille, nous perce à h longue, et va dissolvant nos an-
ciennes coustumes (pu faisoycnt de la raye publique ung
aumsement pour le plusgrant nondue. Ains,de ces vieulx
pantagruelistes j^ui laissoyenl faire à Dieu et au Roy leur
mestier, sans mcllre la main à la paste plus (pie ne deb-
voyent,se contentant de rire, il y en lia peu, il en chel tous
les iours, en sorte (jue i'ay graiil |>aour de veoir ces notables
fragmens d'anciens bicviaires conspii(>z, couchiez, gallefie-
Irz, honnis, blasmez, ce dont ie ne me iiioc(piei(>vs point,
A iiiL'surc que nous voyageons, le rire s'cstiiiuct ol dcspcril
comme l'huile de la lampe.
6 .' PROLOGUE.
vcii (|iit' ic l'oiiserve et porU; beaucoii|) do rcspocf aux ro-
giioiiros (lo nos anticquitoz f>auloisos.
S()ul)vent'7.-vous aussy, critiques enraiyez, hallchotteius
de mots, harj)yos qui guastcz les intentions et inventions de
ung oliascun. que nous ne rions que cnlans, et, à mesure
(|ii(> nous voyageons, le rire s'estainct et despérit connue
riniile de la hunpe. ("ecy signifie ()ue. pour rire, hesoing
est d'estrc innocent et pur de cueur ; laulte de (juoy, vous
tortille/ vos lèvres, iouez des badigoinccs et Ironssez les
soiucijs en gens qui cachent des vices et iin|)ui'etez. Ores
donccpies, prenez cette œuvre comme ung groupe ou sta-
tue, des([uels ung artiste ne peut retraire certaines pour-
traicteures, et seroyt un sot à vingt-deux caratz, s'il y uiel-
toyt seulement des feuilles, pour ce que ces dictes œuvres,
non i)lus (|ue celtuy livi-e,ne sont faictes pour des convents.
Néantmoins, i'ay eu cure, à mon gi-and despit, de sarcler.
ez uiamisciipts, les vieulx mots, ung j)eu tro{) ieunes, qui
eussent descliiré les aureilles,esblouy les yeulx, rougy les
ioues, {h'sdiicqueté les lèvi-es des vierges à braguettes et des
vertus à trois amans: cai' il l'auf aussy l'aire aulcunes chouses
|M)ur les vices de son teiiqis, et la j)éri|»brase (>st bien plus
guallante (pie le mot! De l'aict, nous sommes vieulx ettreu-
vons les longues bagatelles meilleures (pie les briefves foil-
liesdenostrc icuncssc, veu (pie, alois, nous y goustons j)lus
long-bMups. lloncfpies, mcsnagez-moy dans vos uH'disances,
et lisez lecy plus tost à la iiuicl (pie pendant le ioui; et point
ne le donnez aux pucelles, s'il en est encores, pour ce que
ce lyvre |tnii(lr(iyl l'eu, le vous (juitte de moy. Mais ie ne
crains rien pour ce livre, veu (pi'il est exlraict d'iuig liaiilt
et genlil lieu, d'où tout ce (pii est vssu ha eu grant succez,
comme il esl bien pidiiv('' par les Ordres royaiilxdela Toy-
soii d'Or, du Sainct-Kspril.de, la Jarreti('re, duBain, ettant
l'uoijx.ri:. 7
de notables chouscs (jiii y IV'iuciit priiiscs, à l'uiiihic des-
quelles ie me mets.
OreSj esbaudisscz-vous, mes amours, el (jai/cnirnl lisez
toutyà raisedu corps et des reins, et que le maulubec vous
trousque, si vous me reniez après m'avoir lu . Os j)ai-olts
• sont de nostic Ixm iiiaistic ISahclais, ii!i(|ii('l nous debvoiis
tous ostci" nosirc Ixtiint'l en si^iic de ivvcrciiceot lionnoiii',
comme prince de toute sapicncc et de toute couiédie.
LA BELLE IMPÉRIA
L'archt'vos«|ue de Bonrdcaiix: avoyt mis do sa snitto, j)Our aller
au Concile de Constance, ung tout ioly petit piebstic tourangeau
dont les lassons et la j)arole cstoyent curieu-
sement mignonnes, d'autant qu'il passoyt
f''''*\iSHÉBi poil'' ^''^ f'*' '"' ^'ddée et du gouverneur. L'ar-
•^^^iJfffll^Wi clK'vesciue de Tours l'avoyt voulenliers baillé
à son confrère lors de son passaige en ceste
ville, pour ce que les arclievesques se lontdc
ces cadeaux entre eulx,cognoissant combien
sont cuisantes les desmangeaisons théologi-
(pu^s. Doncqnes, ce ieune prebstrc vint an
Concile et leul logit' dans la maison de son i»r('lat qui estoyt
honnue de bonnes mœurs et grant seieiu-o.
Pliilippe deMala, connue avoyt nom leprebsUe, se résolut à
10
CO.NÏKS l)HOL\TIOrKS.
hi(Mi fairocf servir di^iioim'ut sonproinok'ur ; mais il vcit (laiis ce
('.(iiicik'inystiy(»ric(|ui' forcerons menant uik" vie dissolue, et n'en
gaignant pas moins, et mcsnies plus d'indulgences, escuz d'or, bé-
néfices, que tous aultres saiges et bien rengez. Ores, pendant une
nuict aspre à sa vertu, le
diable lui souffla dansl'au-
leille et entendement (|n*il
eust à l'aire sa provision à
pannerées, puisque ung
cbascun puisoyt au giron de
nostresainete mère ri<]cclis(.
sans le tarir; miracle qui
jirouvo} t bien la présence de
Dieu. Et le |)rebslre touran-
geau ne faillit point au dia-
ble, il se promit debanequeler, de se ruer en rôtisseries el aultres
saulccs d'Allemaigue, (juand il le pourro\ t sans j)ayer, veu (pie il
estoyt paouvre tout son saoul. Connue il lestoyt fort continent,
en ce qu'il se niodeloyt sur son paouvre vieulx arclieves(|ue,
qui, par force, ne pécboyt plus et passoyt pour ung sainct,
il avoyt souvent à souCfrir ai'deurs intolérables suivies de
Iristilications, veu le nunibre de belles courtizanes bien gor-
giasées el griives au paouvre monde, lesquelles liabitoyenl
Constance pour éclaircir l'entendement des pères du Concile.
''hi^^k£i
5i»»^;îteBasÉ>t*T{Aïii»i • 'À-%ci-'^ — ^■^r.'^^-iit^ j.
11 enragroyt de ne |)as seavoir eonmicnl on al)oi"dovt ces pies
guallanles. (|ui rabbrouoyent les cardinaulx, abbez commenda-
taires, auditeurs dr rote, h-gats, éves(jues. princes, diu-s et margra-
ves, connue elles auioyenl [lU l'aire de sinqtles clercs desnuez d'ar-
genl. Le soir, après ses prières dictes, il cssayoyt de parler à elles.
i\ RKi.i,i; i\ii'i:i;i\.
il
en s'appi'pnant le beau bréviaire (l'iiinnm
respondre à tous cas os-
cliéants. ¥A, le lendemain,
si, vers coniplies, il rencoii-
troyt (|uel([u'nn(', dcsdictcs
princesses en bon poincf,
vautrée en sa lictière, es-
cortée de ses paiges bien ar-
mez, et ficre, il deniouroyt
béant, connue, eliien attra-
pant mousclies, à veoirceste]'iis(|iU' figure qui le brusloyt d'au tant.
Le secrétaire de Monseigneur, gentillioiunie périguurdin, luy
ayant apertement démonstré que les pères, procureurs et audi-
teurs de rote, aolieptoyent par force présents, non relicqucs on in-
dulgences, mais bien pierreries et or, la laveur d'eslre l'amiliers
cliez les j)lus liaultes de ces chattes cboyées (pii vivoyeiil sous la
protection des seigneurs du Concile, .alors le paouvie Tourangeau,
tout nice et cocquebin qu'il estoyt, tbezaurisoyt dans sa paillasse
les angelotz à luy donnez par le bon arcbevesque pour travaulx
d'escripture, espérant, un iour, en avoir sut'lisannnent, à ceste
lin de veoir un petit la courtizane d'ung cardinal, se liant à Dieu
pour le reste. Il estoyt descliaussé de la cervelle iusqu'aux talons,
et ressenibloyt autant à ung honnne qu'une cbièvre coëlïee de
nuict ressemble à une damoiselle ; mais, bridé par
son envie, il alloyt le soir par les rues de Con-
stance, peu soulcieux de sa vie : et , au risc^ue de se
taire pertuysanner le corps par les souldards, il es-
pionnoytlescardinaulx
entrant chez les leurs.
Lors il voyoyt les chan-
delles de cire s'allu-
mant aussytost ez maisons; et soub-
dain relnisoyent les huys et les croi-
sées. Puis il entendoyt les benoists
abbez ouaultres se rigolant, benvant,
prenant du meilleur, énamourez, chan-
tant VAlleluid secret, et douuaut de
menus sufl'raiges à la music({ue dont
on lesresgalloyt. Les cuisines faisoyent
de^ miracles, et si disoyt-on desOlTices de bonnes pottées grasses
12 CONTES DROLATIOITS.
cl lliianli^s. Matines (le iaiiihonneaux, Ye>|ires de goulées friandes
el Laudes de suereries. Et. après les beuvettes, ores, ces braves
prebstres se laisoyent. Leurs paigesioiioyent aux dez sur les de-
vrez, et les mules restives se battovent dans la rue. Tout allovt
bien ! Mais, aussy, il y avoyt de la l'oy et de la religion. Voilà
connnent le bonlionune llus leul ])ruslt' ! Et la cause? Il niettoyt
la main dans le plat, sans en esire prié. Kt donequespounjuoy
estoyt-il liugucnot avant les aultres?
Pour en revenir au j)etit gentil Philippe, souventes foys il receut
force horions et attrapa de lions coujis ; mais le diable le soustenoy t,
en l'incitant à eioire que, tost ou tard, ilauroyt son tour d'estrc
cardinal chez (juelque l'enmie d"ung. Sa convoitise lui donna de la
hardiesse comme à ung cerf en autonme, et si, qu'il se glissa ung
soir dans la plus belle maison de Constance, au montoir, d'oij il
avovt souvent veu des oilîciers, senneschaulx, varlcts et paigcs
attendant, avecques des llandjcaux, leurs maislres, ducs, roys,
cardinaulx et archevesques.
— Ah! se dit-il, elle doibt cstrc belle et guallante, celle-là !...
Ung souldard, bien armé, le laissa passer, cuidant qu'il appar-
tenovt à l'électeur de Bavière, sortant présentement dudict logiz,
et qu'il alloyt s'y accpiitter d'un juessaigc de ce dessusdict sei-
gneur. Philippe de Mala monta les degrez aussi lestement que Ic^
vrier possédé de maie raige d'amour, et feut mené par une délec-
table odeur de parfums iouxte la chambre où devisoyt avecques ses
femmes la maistresse du logiz en désagraphant ses atours. Il resta
tout esbahy, connue ung voleui- devant les sergens. La dame estoyt
sans cotte ni ciiapperon. Les chamberières et les meschiiies, oc-
cupées à la deschausser el déshabiller, metloyent son ioly corps
à nud si dextrement et francbenu'Ut, (jue le prebstre csméril-
lonné feit un Ah! qui sentoyt l'amour.
— Et que voulez-vous mon petit? lui dit la dame.
— Vous rendre mon àme, i'eil-il en la mangeant des yeulx.
— Vousjiouvez revenir (icniain, rcprinl-clle j)our se druemeni
gausser de luy.
A quoy Philippe, tout bordé de cramoisy, respondil gentemenl '
— le n'y fauldray.
Elle se print à rire comme une toile. Le Philippe, inlerdict,
resta pantois el tout aise, arrcsiant sniclle des veulx qui cupidon-
noycnl d'admirables mignardises d'amoui' : comme beaulx che-
veulx csp.Ms sur son dos ayant |inly d'ivoire, et monstranl des
11 resta tout eslialii, cuuiuic uii vulciii- devaiU le>
li CONTKS nnOLATIOlKS.
plans (li'licicux, blancs ot luysans, à travers mille boucles IVizo-
tantes. Elle avovtsur sont Iront de neige ung rubis-balay, moins,
lertile en vagues de feu que ses yeuk noirs bumectezde larmes
parsttn bon rire. Mesmos ellegecla son solier à la |)oulaine,doré
connue une ciiaasse, en se tordant, force de ribauder, et feit veoir
sou pii'd nud, plus petit que bec de cygne. Ce soir, elle cstoyt
de belle bunieur; aullrcnient, elle auroyt faiet bouter deliors
par la fenestre le petit tonsuré, sans en prendre plus de soulcy
que de son premier évesque.
— Il lia de beauk yeulx, madame! dit une des mescbines.
— D'où sort-il doncques? demanda l'aultre.
— Paouvrc enfant! s'escria Madame, sa mère le cherclieroyt.
Il liiut le remettre dans la bonne voye.
Le Tourangeau, ne perdant pas le sens, feit ung signe de
délectation, en mirant lelict de brocart d'or où alloyt reposer le
iolv corps de la galloise. Ceste œillade, pleiiu^ de suc et d'in-
telligence amoureuse, reveigla la pbanlaisie de la dame, qui, moi-
tié riant, moite férue dumygnon, luy répéta : « Demain 1 » et le
renvova par ung geste, auquel le pape leban luy-mesmes auroyt
obéi, d'autaul (ju'd estoyt connue ung limasson sans cocque, veu
que le Concile venoyt de le dépapiser.
— Ab ! madanu' voilà t'ucores ung vœu de cbasleli' nnié en
dezir d'amour, dit l'une des femelles.
Et les risées reconmiencèrent dru comme gresle. Pbilippe s'en
alla, donnant de la teste contre les bois, en vi-aye corneille coëffée,
tout estoiM'dy (ju'il estoyt d'avoir entrevu cesie créature plus
friaudcà croijucr (|ue syrène soitani de l'eaue... 11 remarqua les
(igures d'animaulxengravées au-dessus d(! la porte, et s'en revint
cbezsonbonbommcd'arcbevesque, avecfjues mille pannerées de
diables dans le cueur, et la fressure toute .sopliistic(|uée. Monté
dans sa cband)relle, il y com|)ta ses angelotz jiendanl toute la
imict, mais n'en treuva iamais (|ue tpiatre; el, comme ce estoyt
tout son saincl-frus()uin, il cuydoyt satisfaire la belle en luy
donnant ce qu'il avoyt à luy dans le monde.
— Qu'avez-vousdonc(|ues, Philippe? luy dil le bon ai'cbeves-
quc, incpiiet des tresmoussemens el des 0/< .' o/< .'... de son clerc.
— Ail! monseigneur! responditlepaouvre prebslre.iem'esbabis
conuMciil imcl'euunesilégiereetsidoulcepoisetantsurlecueur!...
— El (|urlle? reprint rarcbevcs(iue en posant son bréviaire,
(|ii'il lisoyl |ioui {(■•< aultres, le bonhomme.
LA ItKIJ.K IMI'KHIA. lô
— Ah ! l('siis, vous allez ino niaiiliin-or, mon bon inaislic il
piolocleur, poui* ce quo i'ay vou la daine tl'uii^^ eaidiiial au
moins... Et ie plouroj s, voyant qu'il me manqucroyt bien plus
d'ung paillard cscu pour elle, encore que me la laisseriez con-
vertir au bien...
L'arclieves({ue, lionssanl l'accent circonflexe qu'il avoyt au-
dessus du nez, ne souilla mot. Oies doncques, le Irez-bninble
prebslre trembloyt dans sa peau de s'cslre ainsy conl'essé à son
supérieur. Mais incontinent le sainct homme luy dit : — Vère,
elle est doncques bien chiero '!
— Ah! leit-il, elle ha desgressé bien des mitres et frippé
bien des crosses.
— Eh bien, Philippe, si tu veux renoncer à elle, ie te baille-
ray trente angeiotz du bien des paouvres.
— Ah ! monseigneur, i'y perdroys trop ! rcspondit le gars,
ardé par la rateh'e (juil se prometloyt.
— Oh ! Philippe, dit le bon Pourdeloys, lu veux donc(|nes
aller au diable et desplaire à Dieu, comme tous nos cardinaulx?
Et le maistre, navré de douleur, se mit à prier sainct Gatien,
patron des cocquebins, de saulver son serviteur. Il le feit age-
noiller, en luy disant de se recommander aussy à saint Philippe ;
mais le damné prebslre inipélra tout bas le sainct de rempes-
clier de faillir, si demain sa dame le recevoyt à mercy et misé-
ricorde ; et le bon archevesqiie, oyant la ferveur de son domes-
tique, luy crioyt : — Couraige, petit ! le Ciel t'exaulcera.
Lendemain, pcndaiiUiue .Monsieurdéblaléroytau Concile contre
le Irain im[)udic(jue desapostres de la chreslienlé, Philippe de
Mala des|)endit ses angeiotz, gaignez avecijues force labeur, en
parfumeries, baignades, estuveries et aullres friperies. Ores, il se
niugueta si bien, qu'auriez dict le mignon d'une linotte coëfl'ée. Il
dévalla ])ar la ville, pour y recognoislre le logiz de sa royne de
cueur ; eUpiaiid il demanda aux passansà (pii esloyl ladicte mai-
son, ils luyrioyeiit au nez, en disant : « D'où vient ce galeux (pii
n'ha entendu parler delabellelmpéria?(( lleutgrant paour d'avoir
despendu ses angelots pour le diable, en voyant, par le nom, dans
quel horriric(|ue tracipienard il estoyt tombé vouleiilaiiemenl.
luqx'ria estoyl la plus prétieuse et l'anlas(iu( lille du monde,
oullre qu'elle j)assovt j)our la |)lus lucidiliciiueinent l)elle, cl celle
qui mieulxs'entendoyl àpajielarder les cardinaulx, guallanliM'r
les plus rudes souldards et oppresseurs dépeuple. Elle possédoyt
10
CONTES DKOLATIOLES.
à flic d»' braves cajiilaiiios, airlicrs el seigneurs, curieux de la
servir en loul poincl. Klle n'avoyl qu'ung motà soulflcr, à ccste
lin doccire cenlx qui l'aisoyenl les faschez. Une dcsconficture
d'Iiomniesne Iny cousloyt qu'ung gentil soubrire ; et, souvcntes
loys, ung sire de Haudricourl, capitaine du Hoy de France, luy
deniandoyt s'il y avoyl, ce iour-là, (juel(|u'un à tuer pour elle,
par manière de railleiicà l'cncontrc desal)bez. Sauf les potentats
du liaull clergié, avecques lesquels madame hnpéria acconmio-
doyl llnement ses ires, elle menoyt tout à la baguette, en vertu
de son cac(|uet et de ses lassons d'amour, dont les plus vertueux
el insensibles estoyent enlasscz connue dans de la glue. Aussy
vivoyt-elle chérie el respectée autant cpio les vrayes dames et
princesses et raj»peloyl-on Madame. A cpioy le bon empereur
Sigismond respondoylà ime vraye el preude l'enune qui se plai-
gnoyl de ce : — One, elles, bonnes dames, conservoyent les
cosliimes saiges de la saincle verlii, el madame bnpi'-ria lestant
d()ul\ erremens de la déesse Vénus. Paroles cliresliennes dont
se cliocquèrenl les dames, bien à tort.
Une desconlicturc U i,v....i,.,_,- iic luy coll^lo)l qu'un;,' gentil ^ouiirire.
IS CONTES DROLATIQUES.
Philippe (loncijuos, repensanl à la franche lippee qu'il avoit
eue par les yeulx la veille, se doubla que ec serolt tout. Lors,
t'eut cliayrin ; et, sans niangier ne boire, se pourinena par la
ville. (Ml allcndaul l'iicure, d'aulant (|u'ii estoyt (;oe(|uet et gual-
lant assez pour eu trouver d'autres moins rudes au niontoir que
n'estoyt madame hupéria.
La nuict venue, le ioly petit Tourangeau, tout relevé d'orgueil,
eaparassonné de dczirs et fouetté par ses Hélas ! qui restoul-
fovL'uf, se coula connue un anguille au logiz de la véritable
royiu' du ('oneile : car devant elle s'abaissoyent toutes les au-
tborilez, sciences et jirndiionnnies de la cbrestienté. Le maistre
d'Iiostel le descoinuit et l'alloyt jecter dehors, quand la cliambe-
rière dit. du hault des degrez : — Eh! messire hubert, c'est le
petit de Madame. Kl le paouvre Pliilippe, rouge eonmu' une nuict
de nopci's, monta la vis en broucliant d'beur et d'aise. La cbam-
berièrc le print par la main et le mena dans la salle oii pialïoyt
désià Madame, lestement nippée en femme decouraige qui attend
mieulx. La lucidifique Lnpéria estoyt assise près une table cou-
verte de nappes pcluchées, garnies d'or, aveccjues loutTaltirail
de la incillenre beuverie. Tlacons devin, lianaps altérez, bouteilles
dliypocras, grez jileins de l)on vin de (".liyppre, drageoires com-
bles d'espices, paons rostis, saulces vertes, j)elits iambonneaux
salez, auroienl resiouy la veue du guallant, s'il n'avoyt pas tant
aymé madame Impéria. Elleveit bien que les yeulx de son petit
prebstre esloyenl tout àelle.nuoi(|ue couslumièredes parpaillotes
dt'votions des gens (rKcclise, elle feut bien contente, pour ce
(|u'elle s'esloyl affolée miiclannnenl du paonviv petit, (jui, toute
la iouriK-e, lui avoyl trotté dans le cueur. Les vitres avoyent esté
closes. Madame estoyt bien dispose et attournée conuue pour faire
honneur à ung |)rince de l'Empire. Aussi le fripon, béatifié par
la sacro-saincle beanlté d'Impi'ria, cogneul-il (pie enqxM'enr, bur-
grave, voire ung caidinal en train d'estre esleii pape, n'auioyt
raison ce soir contre luy, petit prebsire, (pii, dans sa bougette,
ne logeoyt que le diable et l'amour. 11 trencha du seigneur, et so
iacta, en la saluant avecques une courtoisie qui n'estoyt point dû
t(»ut sotte; et pour lors, la danu; lui dit, en le festovantpar ui>g
cuisant r( sguard : — Mettez-vous près de moy, (|ue ie voyc si
vous estes cliang(' d'Iiier.
— Oh oui!... feil-il.
— El d'où?... (lit-elle.
LA lîKI.LK IMPKI'.IA,
19
— Hier, i(>piiiil le iiuilois, io vous ayiiioys!.,. Ores, co soir,
nous nous a\ nions; cl, de paouvi-e sonlïrctcux, suis dr-vcini plus
riche (pTuni; r(tv.
— Oli! jK'lil ! [X'iil! s'esciia-l-cllc ioyc'ulsi-niOHl, oui, tues
olianyï', car, de loune piebstie. Lien vois-je que lu es devenu
vieulx diable.
Et ils s'accotèrent ensemble devant ungbon l'eu, (|ui allovt cs-
pandant esgalenienl parlout leur ivresse. Ils ri'sloient louiours
prêts à niangicr, veu ((u'ils ne pensoyent (j[u'à se pigeoinier des
20 COTES DROLATIQUES.
yculx, ft ne l(iiiili(»\('iit poiiil aiiv plats... ('ommo ils sesloyent
enfin cshiMis (laii> li'iir aise cl coiitontemL'iil, il se t'eil ung bruit
(lésajiivalilc à l'Iiiiv» de MadaïUf, eumiiie si yens s'y halloyent en
crianl.
— Madame, dit la iiK'seliinette liastée, en véey bien d'une
aultre !...
— Ouoy? s'esei'ia-t-elie d'un^ aif iianitain, eunnne tyran niaul-
gréant d'estie inteiionipu.
— I/éves(jne de (^oire veut parler à vous...
— (Jue le diable l'estrille ! resj)ondit-clle en lesguardant Plii-
lippe de i:entille l'asson.
— Madame, il lia veu la lumière par les lissures et l'aict granl
tapaige...
— l(is-luy (pie i'ay la liebvre, et |)oint nt' mentiras, pour ce
que le suis malade de ee petit prcbstre (pii nie lïétille dans la
cervelle.
Mais, eonnni' elle aelievoytson dire, en pressant déviilieusement
la main de l'Iiilippe, (|ui bouilloyt dans sa peau, le gros évesipie
de (".oire se monstra tout ])oussit' cl ebolèrc.
Ses cstal'fiers le suivoyenl portant une truite
(■annnie(]uement saumonée, IVesclie tirée
bors (lu Uliin, gizant dans ung plat d'or;
puis des espices eontenues ez drageoires
mirilic([ues, et mille friandises, comme li-
(pieurs et compotes laites par de sainclcs
nonues de ses abbayes.
— Ali ! ail ! feil-il de sa grosse voix, i'ay
le temj)s d'estre ave('(pies le diable, sans (jue
vous me lassiez escorebier par luy, ma mignonne.
— \oslr(! ventre l'cra (piebpie iour une belle gnaisne d'espée...
respondil-cllc eu lionssanl ses sourcils, (pii, de beaulx et plai-
saiis. dexiiircii! iiiesebans à iaire Iremliler.
— KteclfiiraiitdeclKinir, vieiil-il doiu^pies à l'oltiaiide desià?
dit iiis(deiiimeiit réves(pie eu touriiaiit sa lace large cl riil/ieoudc
vers le gentil l'bilippe.
— Monsfigiicur, iesui^ iey j)our conl'esser Madame.
— oli! (ili! sçays-lu pas les canons!... Conlesscr les dames à
cesle lieure de nuict est ung droict n-servé auxévesipies... Ores,
lire les grègncs, va peslurer av(>c(pies simpb's moyncs. et ne rc-
lomne iey, ^oubz peine d'excomniuniealion.
LA liKLLK IMIM'fUA.
21
— Ne bougez! cria la nigissaiilc liii|t('ria. plus licllc de cliolèic
qu'elle n'csloyt d'amour, pour ce qu'il y avoyt ensemble amour
ctcliolère. Restez, mon amy! Vous estes icy chez vous!...
Lors il cogncut qu'il estoyt le vray bien aymé.
— N'est-ce pas matière de bréviaire et euseignemeiif évange'-
lie(pie, que vous serez égaulx devant Dieu à la vallée de losapliat?
dcmanda-t-elle à l'evestpie.
— C'est une invention du dial)le (jui ha frclatté la Bible; mais
c'est escript, rcsponditlegros balourd d'éves»{ue deCoire, pressé
(le s'attabler.
— lié bien ! soyez (i()MC(pies égaulx devant moy, qui suis icy-bas
votre déesse, reprinl hnpéria; sinon ie vous l'eroys délicatement
eslrangler quel([uc iour entre la teste et les espaules ! le le iurc
par la toute-puissance de ma tonsure, qui vault bien celle du pape !
Et, voulant (|ue la truite feust du repas, voire le plat, les dra-
geoiresetleslriandises,elleadi()uxtadextrement : — Asseyez-vous
et beuvez. Mais la rusi'e linotte, (pii n'en estoyt à sa première
dauberie, cligna de l'œil |)our dire à son mignon (ju'il ne l'alloyt
'mMmmmm
avoir cuie de cet Allemand, dont le piot leur l'eroyt briefve jus-
lice.
La eiiandierière milet entortilla l'évescjueà table, pendant (|uc
i^i
CONTES IIROL.VTIOUES.
riiili|)|)(\ nttciiit d'uiît' laigo (jui luy Ifriiioyl lo bec, en ce qu'il
voyovl son heur s'en aller en l'uniée, donnoyt l'évesque ù plus de
diables qu'il n'y avoytde moines en vie. Ils estovent pieçà vers la
moitié du repas, que le ieune j)rebstre n'y avoyt point encores
loucliié, n'avant laiui (jue dlmpt'ria, près de lacpielle il se pelo-
tonnoyl sans mot dire, mais parlant de ce bon languaige auquel
les damesentendent, sans poincls, virgules, accens, lettres, ligures
nicharactères, notesouimaiges. Le grosévesque, assez sensuel et
soigneux du vestcment depeauecclésiasticque dans le(piel sa def-
iimcte mère l'avoyt cousu, se laissoyt amplement servir de l'iiypo-
cras par la main délicate de Madame ; et il en estoyt desià à son
jtremierliocquet, quand unggraiid bruit decavalcadeieit esclandre
dans la rue. Le numbre des clievaulx, les Ho ! ho ! des paiges,
démonstrèrent (ju'ilarrivoyt quebjue prince furieux d'amour. Et
de l'aict, tost après, le cardinal de Uaguse, îi(|ui les gens d'impé-
rian'avoyent osé barrer la porte, entra dans la salle. A ccste veue
triste, la paouvre courtizaneet son petit devinrent bonteux et des-
convenus comme des lépreux
d'biei', car c'estoyt tenter le
diable que vouloir évincer le
cardinal, d'autant (|u'alors on
ne sçavoyt ([ui seroyt pape,
h^ les trois prétendans s'estant
' desmis du bonnet pour le
proulïict delacbrestienté. Le
cardinal, (pii estoyt ung rusé
Ilalian, trez-barbu, grant so-
pliist ic(|ueur et boute-en-train
(hi (loucile, devina, par le
jilus l'oible iect de son enten-
dement, l'alplia et l'oméga
de ceste adventure. Il n'eut
(|u'ung petit j)ensier à peser
jtour s(^avoir comment il dcb-
voyt besongnerà ceste fin de
bien liy|)otbecquer ses IVes-
siiradcs. 11 arrivoyt poulsépar
tmg a|ipi'lit lit! moyne; cl, pour obtenir sa repeue, il csloyt
liommc à dagiicr deux moynes et vendre son morceau de vrayc
croix, ce <|ui eust est»' mal.
I. V r.Ki.i.i: iMi'Kitiv. iô
— Hé! mon amy, l'fil-il à Pliili|)|)i; en l'appr-Ianl à luv.
Le paouvro Tourangeau, plus niuit que vilCii s()ii|M;(iiinant (jue
le diable se mesloyt de ses alïaires, se leva,
et dit : — Plaist-il?au redoubfable cardinal.
Cettuv, l'eiiunenant par le bras sur les dcgrcz.
le resguanla dans le blanc dos yculx, et i. -
print sans lanterner : — Yentredieu, tu c^
ungbon petit compaignon, et ie ne vouldroys
pas cstre obligé de taire sçavoirà ton cbiefre
que ton ventre poise!... Mon coiilcnteniont
pourrovt me cousterdes Ibndalions pieuses en mes vieul.x jours...
Ainsy, cboisis : do te marier avewpies imo abbaye pour le de-
meurant de tes iours, ou avec Madame, ce soir, pour en mourir
demain...
Le paouvre Tourangeau, désespéré, luy dit : — Ktvostre ardeur
passée, monseigneur, pourray-je revenir?
Le cardinal eut poine à se lascber; pourtant, il ditgriervement :
— Choisis! le haultbois ou la mitre!
— Ah! feit le prebstre maliciousomenf, une bonne grosse ab-
baye...
Oyant cola, le cardinal rentra dans la salle, y priiil une oscrip-
toire etgrilTonna sur ung bout do obarte une (''dulepour l'envoyé
do France.
— Monseigneur, luy dit le Tourangeau pendant qu'il orthogra-
phioyt l'abbaye, l'évosque dcCoire ne s'en ira pas aussi bryelVe-
mentquo moy, car il lia autant d'abbayes que les souldardsont de
bouvettes en ville, et puis il est dans les ioies du Soigneur! Ores,
m'est advis que pour vous mercier de cette tant bonne abbaye, je
vous doibs ung bel advertissement... Vous sçavez, du reste, com-
bien est malivole et segaigne dru cestc damnée cocqueluchequi
lia cruellement mal té Paris? Ores, dictes-luy que vous venez
d'assister vosire bon vioulx amy l'arobevesijue de Hourdoaux...
Par ainsy, leloroz desguer[»ir comme leurre devant grant souille
d'aër.
— Oli! obi... s'escria le cardinal, tu nw'rilos mioulx qu'une
abbaye... Hé! ventredieu! mon petit amy, voilà cent escuz d'or
pour ton voyage à l'abbaye de Turponay, (jue i'ay gaignés au ion
hier et que ie le baille en pur don...
En entendant ces paroles et voyant disparoislio Philippe de
Mala sans qu'il luy despartist la chatouillante œillade pleine de
24 CONTES DROLATIOIJES.
(|ninlO!»sonce ainouitMisi' (niello on ospnoyl, lo Ironinc Impi'ria.
souillant connut' ungdaiilpliin, devina loulo la couardise du prcbs-
tre. Klle n'oslovt pas cncoros catholique assez pour |)ar(louner à
son amant de la gabcr en ne saicliant pas mourir pour sa plian-
taisie. Aussi la mort de Philijjpe l'eut-elle engravéedans le res-
iïuard de vipère (|u'clle luy lança pour luy faire insulte, ce qui
rendit le cardinal tout aisé, car le [)aillard Italien veit bien (ju'il
rentrerovt lost dans son abbaye. Le Tourangeau, n'ayant cure ni
soulcy de l'oraiye, s'évada en allant de costé, en silence et l'au-
reille basse, comme ung chien mouillé que l'on chasse des vcsprcs.
Madame ])0ulsa ung sospir de cueur! Elle auroyt singulièrement
accoustré le genre humain, pour peu qu'elhî l'eusl tenu, carie
l'eu (jui lu possédoyl luy estoyt monté dans la teste, et des pétil-
lons de llannnes sourdoyent dans l'aër autour d'elle. Il y avoyt
de quoy, pour ce que c'estoyt la première l'oys qu'im prebstre la
gabeloyt. Ores, le cardinal soubrioyt, cuydant qu'il n'en auroyt
que plus d'heur et d'aise, ^"estoyt-ce pas ung rusécompaignon?
aussi avoyi-il ung chapeau rouge!
— Ah! ah ! mon bon compère, dit-il à l'évesque, ic me félicite
d'estre en vostre compaignie, et suis aise d'avoir seu chasser ce
petit cuistre indigne de Madame, d'autant que, si vous l'aviez ap-
prouché, ma toute belle et fringnante bische, vous eussiez pu
trespasser indignenii'nf par le laid d'un simple prebstre...
— Hé'.' comment'.'...
— C'est le scribe à monsieur l'archevesque de Bourdeau\ !...
Ores, k' bonhomme ha esté prins ce matin de la contagion...
L'évesque ouvrit la bouche connue s'il vouloyt avaller ung
fouimaige...
— 11(' ! d'où •sçavez-vons cela'.'... demanda-l-il.
— Vère... dit le cardmal en prenant la main au bon Allemand,
ie viens de l'administrer et consoler... A ccste heure, le sainct
homme ha bon vent pour voguer en paradiz.
L'éves(|ue de Coire monstra condiien les gros honnues sont
légiers, pour ce (jue les gens bien pansus onl, pai' la graace de
Dieu, en récompense de leurs travaulx, les tubes intérieurs élas-
lictjues comme ballons. Ores, ce dict évesquc saulta d'un bond
en arrière, en suant d'ahan, toussant desià comme ung bœuf qui
Ireuve des plumes dans son mangier. Puis, ayant blesmy tout à
coup, il (le>gring(ila jiar les degré/, sans seulement dire adieu à
Madame, (jiind l'Inivs fciil rcnm'' >\\i l'i'vesque, et qu'il dévalla
L.\ P.FJ.Lr: IMPKRIA 25
par les nins, moiisionr do Rayuso se inint [\ riin ol à vouloir
gausser.
— Ali! m;i inignomii', siiis-jo pas digne d'être papo, et iiiifMilx
que cela, ton giiallanl co soir?...
Mais, voyant rini|it'ria soulcieust% il s'apiirondia d'elle [tour la
mijinardenient enlasser dans ses liras et la niinnotter ù la f'assoii
des cardinaulx, gens brindjallant mieulx que tous aultres, voire
niesme que les souldards, en ce qu'ils sont oisifs et ne guastent
point leurs es|)erils essentiels.
— lia! ha ! l'eil-elle en leculanl, tu veulx ma mort... lou ni('tro-
politain... Le principal pour vous est de vous gaudir, mescliant
ruiïian, et mon ioly cas, cliouse accessoire. Que la ioye me tue,
vous me canoniserez, est-ce pas?... Ah ! vous avez la coqueluclie,
et me voulez!... Tourne et vire ailleurs, moyne despourveu de
cervelle... Et ne nie touche aulcunemenf, i'eil-elle on le vovant
s'advancer, sinon ie te gourmande avecques ce poignard !
Et la fine commère tira de son aumosnière ung tout ioly petit
stylet, dont elle sçavoyt louer à merveille dans les cas opportuns.
— Mais, mon petit paradiz, ma mignonne, dit l'aultre en riant,
vois-tu ])as la ruse?... Ne l'alloyl-il \y,is Ibrhannir ce vieulv hœut
de Coire?...
— Ouida...si vous, m'aymez, bien le verray-je, rej)rint-elle...
ie veulx incontinent que vous sortiez... Si vous estes happé par la
maladie, ma mort vous chaille peu. le vous cognoys assez pour
sçavoir à quel denier vous mettriez ung instant de ioye, à l'heure
de vostre trespassement. Vous noyeriez la teri'o. Ah ! ah ! vous
vous en estes iaclé estant yvre. Ores, ie n'ayme que moy, mes
threzors et ma santé... Allez, si vous n'avez pas la fressure gelée
par le trousse-galant, vous me reviendrez veoir demain... Auiour-
d'huy, ie te hais, mon bon cardinal! dit-elle en souhriant.
— Impéria, s'écria le cardinal à genoilz, ma saincte Inqx-ria
allons, ne te ioue pas de moy?
— Non! Icit-elle, ie ne ioue jamais avecques les chouscs
sainctes et sacrées.
— Ah! vilaine ribaude, ie t'exconnnunieray... Demain!...
— MercyT)ieu! vous voilà hors de vostre sens car(linales(|ue.
— hnpéria! satanée fille du diable!... Hé! là! là! ma toute
belle!... ma iietite...
— Vous perdez le respect!... Ne vous agenoillez pas. l'y donc-
(lues!...
2G
CO.MKS liHOI.AÏlOrKS.
— Youx-tii quelque dispense in articulo mortis?... Veux-tu
ma fortune, ou, niieulx cncores, unij morceau de la véritable vrave
eioix?... Veux-tu?...
— Ce soii', toutes les richesses du ciel et de la terre ne saurovent
payer mon cueur!... (eit-elle eu riant. le seroys la darrenière des
pécheresses, indigne de recepvoir le corps de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, si ie n'avoys pas mes caprices.
— le mets le feu à ta maison ! . . . Sorcière, tu m'as envousté 1...
Tu périias sur ung buscher... Kscoute-moy. mon amour, ma
gentille galloise. le te promets la plus belle place dans le ciel!...
Hein?... Non!... A mort... à mort la sorcière!
— Oh ! oh ! ie vous tueray, monseigneur.
Et le cardinal escuma de maie raige.
— Vous devenez fou. dit-elle ; allez-vous-en... Cela vous fatigue.
— le seray })ape, et tu me payeras cet estrif...
— Alors vous n'en serez pas plus dispensé de m'obéir...
— Que faut-il donc(jues ce soir pour te plaire?
— Sortir!
l.Ile saulta légieremeut, connue ung hoscbe-(|ueue, dans sa
chambre, et s'y veirouilla, laissant tempester le caidinal, à qui
luire l'eut (le desguerpir. Quand la belle
lni|)('ria se treuva seule devant le feu,
;iltabl('c. et sans son petit prebstre, elle
dit, en biisaiil decholère toutes ses chais-
nettes dOr : — par la double triple corne
du diable, si le petit m'ba l'aict donner
cette bourde au cardinal, et m'expose à
estre enq>oisonnée demain, sans que je
(bevisse de luy... tout mon content! ie
ne monriay pas que ie ne l'ave veu es-
coichier vif devant moy... Ah! feit-elle en ])leuraut celte foys
avecques de véritables larmes, ie mène une vie bien malheureuse,
et le peu d'heur, par-ci, par-là, (jui m'eschet, me couste ung
mestier de chien, oultre mon salut...
Connue elle acbevoyl sa ratelét-, en reccapant connue veau
(|u'on tue, elle veit la figure rougeaude du petit prebstre, (jui
s'estoyl Irez-ilextrement mussi-, poindant de deirière elle dans
son mir(juer dt; Venise...
— Ah ! feit-elle, tu es le |)lus parfaict nioyne, le plus ioly petit
moyiie, muynant, moynillant, qui ayl iamais nioineaudé dans
l-,\ HKI,I.K IMI'KIIIA. 27
ccstc saincte et aiiiourcuse ville de (loiislaiice !... Ali ! ali ! viens,
mon gentil cavalier, mon (ils cliéiv, mon bedon, mon paradiz de
délectation ! le veulx l)oiie les yeulx, t<' inanjiiei', te tuer d'amour !
Oh! mon llorissant, mon verdoyant et seni|»iternel dieu!... Va,
de petit religieux, ie veulx te i'aire Hoy, Kmpereur, Pape, et j)lus
heureux qu'eulx tous!... Da! tu peux tout mettre léans à l'eu et à
sang! le suis tienne! et le monstreray bien, car tu seras tosl car-
dinal, quand pour rougir ta harette ie dehvroys verser tout le
sang de mon eueur !
Et, de ses mains trenddollatites, toule luuireuse, elle emplit
de vin grec ung hanap d'or apporté par le gros éves(jue de Coiie
et le présenta à son aniy, qu'elle voulut servir à genoilz, elle dont
les princes Ireuvoyent la |tantoplile de plus hault gousl que celle
du Pape.
Mais luy la resguardoyt en silence d'un œil si goulu d'amour,
qu'elle luy dit, tressaillant d'aise: — Allons! lais-toy, petit!...
Soupons.
L I. C II A M b L I) L 1) (I .\ U •) M M
LE PÉCHÉ VENIEL
COMME.NT LE BONHOMME BULY.\ PRIAT KEMME.
Mcssirc Hiiiyn, ci'liiy-Ià (jiii paiarlicva le cliaslcl de Ja HocIm'-
C()il)oii-l('Z-Vi»u\iay, sur la Loiiv, fl-iit uny rude (.•oinpaij^Mdii en
sa ieuii('ss(>. Toul pclil, il gi'ugeoyt desià los pucollcs, gecloyt les
maisons par les ienoslrcs et, tournoyt congruenient en farine de
diable, (juand il vint à calleutrcr son père, le baron de la Roclie-
Corbon. Lorsfeut niaistro défaire tous les iours fcste à sept elian-
dcdliers ; et, de faiet, il beson|,'na des deux mains à son plaizir. Ores,
forée de faire esternuer ses escnz, lousser sa luayuetle, saigner
les poinçons, resgaller les linottes coelïees et faire de la terre le
50
CONTES IiliOLVTKjUKï;.
Ibssc, so voit excommunié des gens de bien, n'ayant pour aniys
que les saeeayeurs de pays et les lombards. Mais les usuriers
devini'enl bien tost resehes connue des bogues de cbastaignier,
(|uand il n'eut plus à leur bailler d'aultres gaiges que sa dicte
seigneurie de la Hoelie-Corhon, veu (jue la /{///>es' Carbonis rele-
Yovt (lu Itov noire sire. Alors Hrnyn se Ireuva en belle bunieur
(le (leseli(|uer des coups à lors
età travers, casser les clavicules
aux aultres et chercbcr noise
à tous pour des vétilles. Ce que
voyant, l'abluMleMarmoustiers,
son voisin, lionnne libéral en
paroles, luy dit que ce estoyt
signe évident de perfection sei-
gneuriale, qu'il mardioyt dans
la bonne voye, mais que, s'il
alloit desconlire, à la gloire
de Dieu, les Malmmelisles qui
concliioyent la Terre-Sainele,
ce sero\t iniciilx cncdres, cl (juc il reviendroyt sans laulte, plein
de ricliesses et d'indulgences, en Touraine, ou en paradiz, d'où
lous les barons eslovenl sorlis iadis.
LedicI r.ruyn. admirant le grand sens du pr('lal, se des|)arlit
du pa\>, li;irnaclu' par le monast(*'re et bénv j)ar l'abl»', à la
idve de M's voisins et aniys. I,ors il mit à >ac l'oice villes d'Asie
cl d'AHiiciiiic, li;ttlil les mescrc'aiis sans crier gare, cscorcliia les
'0^e•
Lors il mit à sac force villes d'Asie et d'Affiicque, ballil les nicscrcans
sans crier gare.
5-2
CONTKS Dliol. VTIOUKS,
Siiirazins, los Gnrs. Aiiyldvs on aiillios. se souciant peu s'ils
cstovcnl anivs el d'où ils sourdoyent, veu qu'entre ses niéritos il
.1V{»\| (l'IiM (le n'csirc poinl cniicux, cl ne les inlciroiiuovl (ju'a-
])ivs les avoir occiz. A ce nicslier, nionlt a;^i(''al)lo à Ilicu, au Koy
et à Iny, Miiivn ^ai|j[na renom de Iton chresticii, loyal clievaliei',
et s anuiza Ijcaucoiip en |ta\s d'onllrc-nK r, \cu (juil donnt)yt plus
LK FÉCIIÉ VKNIEL.
voiilciitiers un;^ cscii aux ;:;iis('s (luo six doniers à unj: |taouvie,
quoifiu'il ivnconlrasl plus de liciiulx paouvies qiio di- parl'aictcs
coniiiK'ics: mais (Il lion
,-,^ Tourangeau il l'aisoyt
^ \ ^\\ soupe de tout pain. Fi-
'^ "^''î*' nalcnicnt,(|uand il fout
saoul de Tuieques, de
icjicquos et aullics l)é-
iiélices deTerre-Saiticle,
Hruyn, au grand cston-
nenient des Youvrillons,
retourna delà Croisade,
enenniliré d'escuz et i)ierierirs, au rebours d'auleuns qui, de ri-
ches au despart, rovindrenl lourds de lèpres et h'jiiers d'aigenf.
Au retourner de Tuniz, nostre seigneur le roy Phili|)pe le nomma
comte, et le feit son sennesclial
en nostre pays et en celuy de
Poietou. Lors il l'eut ayme gran-
lement et à bon escient considéré,
veu (|u'oultre toutes ses belles (pia-
lilez ilfundarecclise desCarmes-
l»escliaulx en la paroësse de l'Ks-
grignoUes, par manière d'acquit
envers le Ciel, en raison des des-
|)ortcmens de sa ieunesse. Aussy
l'eut-il cardinalementconfict dans
les bonnesgraaces dcl'Eccliseet de
l)ieu.De maulvais gars et lionnne
lie mescliiei's, devint bon lionmie,
saige et discrettement paillard, en
perdant ses clieveulx. Rarement
se choleroyt. à moins qu'on ne maulgreast Dieu devant luy, ce
(ju'il ne tolcroyt point, pour ce f|u'il l'avoyt niaulgréé pour
les auUres en sa folle ieunesse. Briei', il ne (|uereIloyt plus,
veu (pi'estant sennesclial, les gens lui cédoyent incontinent.
Yraydire aussy qu'il voyoyt lors ses dezirs accom[)lis; ce qui
rend, voire ung diablcteau, otieux et tranquille de lu cervelle
aux talons. Et donc(iues, il possédoyt ung cliaslel descliicipielc
sur toutes les coutures et tailladi' coninie ung pouipoinet lies-
paignol, assis sur ung costcau d'où il se niiroyt en Loire; dedans
.-,1 CONTKS DUOLATIOLKS.
les salles ostovont dos fapissciios ioyalos, meubles et hohans,
pompes ol inventions sanazines dont s'cslomiroyent ceuk de
Tours, et mesines ran-lievos(juc et les clercs de Sainct-Marfin,
auxquels il bailla, eu pur don, une bannière iVangéc dor fin.
A l'entour dudict chasleau four-
milloyent de beaulx domaines,
<<"-* moulins, fulaycs,aYec(jues mois-
sons de redevances de toutes
sortes, si qu'il estoyt nng des
loris bannerets de la province,
et pouvoyt bien mener en guerre
mille! Iiommes au Roy noslre
siic. Kn ses vieulx ionrs, si par
cas l'orluil, son baillif, liomme
diligent à pendre, luy amenoyt
ung paon vie paysan soubeonncdc
(|iicl(|iic iiiesclianlerie, il disoyt
en sonbii.inl : — Lasclic (•clliix-ci, Iticddilï, il coniiileia pour
LE l'KCIIK VKMKI.. 35
ceux quo i';iy inconsidéiviiiciil iimmcz I;i-Ii;k... Soiivciilcs loys
aussy les faisoyl-il hravoniciit Iji'iuicliicr à iiii;^ clicsiic ou accro-
chier à ses potences; mais c'esloyl miicijiii'mfiil pour (|ue iuslice
feust, et que la couslunie ne s'i-n |)ei(list point en ses ciiastel-
lenies. Aussy le populaire estoyt-il saij^e et rengé, comme non-
nettes d'hier, sur ses terroirs, et tranquille, veu qu'il le protégeoyt
(les routiers et malandrins, lesquels il n'esparynoyt iamais.
saichant par expertise coiiiliicii dr |)lay('s laisoyciit ces iiiauldicles
bestes de prove. Du icsto, Ibrt di'volieux, dospeseiiant Irez-hien
toute eliouso, les oriiccs ((mime h bon vin. il esmouclioyl les pio-
cez à la tunjue, di-
soyt mille ioyeulsctcz
à gens qui perdoyent,
et disnoyt avecques
eux jtour iceulx con-
soler. 11 faisoyt mettre les pendus en terre saincle, comme gens
appartenant à Dieu, les treuvant assez punis d'estre enqiescliez
de vivre. Enfin, ne pressoyt les luils (ju'à tenq)s et lors(iu'ils
36
CONTES DROLATIQUKS.
estoyent enflez d'usure el de deniers; il les laissoyt amasser leur
buttin comme niousches à niic:!, disant qu'ils estoyent les meilleurs
collecteurs dimpost. Et ne les despouilloyt iamais ([\\c pour le
prouliii't et usaig<; des gens d'Ecclise, du Roy, de la province, ou
pour son service à luy.
Geste débonnaireté luy attrayoyt l'aHeclion et l'est me de ung
cliascun, grants et petits. S'il revenoyt, soubriant, de son siège
iusticial, l'ablH' de Marmoustiers, vieil comme luy, disoyt : —
Ha! ba! messire, il y lia doiuMjuos des pondus, (jue vous riez
ainsy !... Kt quand, venant de la Hoclie-Corbon à Tours, il passoyt
à cbeval le long du raulxbourgSaiiict-Sympliorien, les petites garses
disoyent : — C'est iourde iustice, vécy le bon bonnncBruyn. El,
sans avoir ])aour, le resguardoyent clievaulcliant sur une grant
liacrpicuce blancbe qu'il avoyt ramence du Levant. Sur le pont,
les icunes gars s'interronq)oyent de iouer aux billes, et luy crioyent :
— Honiour, monsieur le sennescbal ! El luy respondoyt en gaus-
sant : — Amusez-vous bien, mes enfans, iusipi'à ce (ju'on vous
lout'llc. — Oui, monsieur le sennesclial.
Aussy l'cil-il le pays si c{(iil('nt et si bien balaye de voleurs,
que, l'an du ^raiid desbordeineut de la Loire, il n'y avoyt eu cpie
vingl-deuv iiiaHaictriiis de pendus dans Vbyver, sans compter ung
I.K l'Kf.llfi YÉMEL. .-7
luif bruslé on I.1 coniiinino de Cliasloau-ISVuf, pour avoir (h'robbé
iMu; hostie, ou a(h('|»lt', dict-on, car il estoyt riche.
Un iour do l'an suyvant, environ la Saincf-.joan dos foins, ou
la Sainct-Joan qui fauche, comme nous disons en Touraine, advint
des .Egypliacques, Bohémiens ou aultres troupes larronnesses,
qui l'eircnf ung vol de chouses sainctes à Sainct-Martin, et, au lieu
et place de madame la Vierge, laissèrent, et en guyse d'insulte et
mocquerie de nostre vraye foy, une infâme iolie fille de l'aage
d'un vieulx chien, toute nue, histrionne et mauricaulde comme
eulx. De ce forfaict sans nom feut également conclud par les
gens du Roy et ceulx de l'Ecclise que la Moresse payoroyt pour
le tout, seroyt arse et cin'cle vifve au qiiarrov Sainct-Martin,
5S CONTKS l)liOL\TIOlES.
jiroiuho la loiilaine, où est lo iiiarclu' aux Iloibos. Lors le boii-
lioiniMo Biiiyn apertemenl el doxlroiiu'iit (It-snionslra, à rencontro
des aultros, (jue ce seroj t chouse proulliotable et bien plaisanle à
Dieu de coïKjuester ceste aine alViequaine à la vraye religion; et
si le diable logié en celtuy corps l'éniinin loisoyt de l'entesté, que
les fagots ne lauldroyent point à le brnsler, connue disoyt ledict
arrest. Ce que l'arclievesque ti'euva saigeinent pense, nioull
canonic(pie, confonne à laeliarité cbrestienne et à l'Kvangile. Les
dames de la ville et aultres personnes d'aulliorité dirent à banlte
voix que on les Irustroyt d'une belle cérémonie, veu t[ue la
Moresse jilourovt sa vie en la geôle, dauioyl comme cliievre liée,
et se converliroyt seulement à Dieu pour continuer à vivre autant
(ju'ung corbeau, s'il estoyt loisil)le à elle. A quoy le sennescbal
responditque, si l'estrangiere vouloyl sainctementsoy commettre
en la religion cbrestienne, il y auroyt une cérémonie bien aultre-
ment guallante, et qu'il se iactoyt de la faire royalement magni-
ticque, pour ce (ju'il seroyt le parrain du liaptesme, et (pie pucelle
debvroyt estre sa commère, à ceste lui de plaire davanlaigc à
Dieu, veu que luy-mesme estoyt censé cocc^uebin. En nostre pays
de Touraine, ainsy dict-on des ieunes gars vierges, non mariez
ou estimez tels, affin de les distinguer emniy les espoux ou les
veuis; mais les garses sçavent bien les deviner sans le nom, pour
ce qu'ils sont légiers et ioyeulx plus (|ue tous aultres saulpouldrcz
de niariaige.
La Moresque n'iiésita point entre les fagots du feu et l'eaue du
baptesme. Elle ayma davanlaige estre cbrestienne et vivante que
brush'ê .Egypiiacque : par ainsy, |)Our ne point estre bouline ung
moment, clledcut ardre de ciicur pendant toute sa vie, veu que,
pour |>lus grant liance en sa religion, elle l'eut mise au moustier
des nonnes j)rouclie le Cbardonneret, on elle feit vœu de sainctelé.
Ladicte cén-monie feut jiaraclievéeau logiz de rarclieves(|ue, où,
pour ceste foys, il feut balle, daiicé, en rbonneur du Saulvcur
des lioiimies, par les dames et seigneurs de Touraine, pays ou
plus on (lance, balle, mange, belute et faict-on [dus de gras
baïupu'ts et plus de ioyeulsetez (pi'en aulcini du monde entier.
Le bon vieil sennescbal avoyt prins pour sa commère la (ille au
seigneur d'Azay-le-Ridel, ipii depuis feut Azay-le-Hruslé, lecjuel
.seigneur, s'estant croisi'. l'eut laissé devant Ascre, ville trez-esloi-
gni-e,aux mainsd'ungSarrazm <pii demaiidiivt uiieranssou rovale,
pour ce ipie ledict seigneur eslo\ t de belle preshuiee.
i,i; l'i'CiiK \ i;.mi:l. 3»
Lu tliiiiii" d'A/in , ;i\;iiil i);iill(' son (ici' cii fi.'iij^e ;iiix loinhiinls cl
Idi'ssoiiiiicrs, iilliii de Ifiiic la soiiiino, restoyt sans uw^ |iicslre
(Iciiicr, all('ii(laiil le ^iic dans iiii<r paouvre loyiz de la ville, sans
iiiij; la|)is j)()iir se seoir, mais (ière connue la royne de Saba, et
liiave comme un^' lévrier qui delieud les nippes de son maislre.
Voyant ceste <ii'ant destresse, l(! seimesclial s'en alla d('licatement
re(|uérir la damoiselle d'Azay d'estre la marraine de ladiete
yEgypliacipie, pour ce (pi'il aui(tyt le droicl de bien faire à la
dame d'Azay. Kl, de laicl, il ^ardoyt une lourde cliaisne d"or,
(•nddi'cà la |trinsede (]liv[)])re, (|u"il delilteroyl d'a^ra|)lier an eol
de sa genlille commère; ains il y j)endit son domaine et ses
clievenk blancs, ses besans et ses liacquenées ; brief, il y mit
loul, si tost qu'il eut veu Blanclie d'Azay dançant une pavant
jtarmv les dames de Tours. Quoi(pu^ la iMorcsque, f|ui s'en donnoyt
j)our sou dernier iour, eust eslomu' l'assendjlee par ses lourdious,
voiles, passes, brausies, ('b'valions et tours de force, lUauclie
['enq)orla sur elle, au dire de tous, tant elle dança virginalement
et mignonnement.
Ores, Bruyn, en admirant reste gente damoiselle, dont les clie-
villes avoyent paour du planeliier et (jui se diverfissoyt ingenue-
menl pour ses dix-sept ans, connue une cigale en Irain d'essayer
sa clianlerelle, l'eut bouclé par ung dezir de vieillai'd, dezirapoplec-
licque et vigoureux de foiblesse, qui le cliauffa de la semelle à
la nuijue seulemeni, car son cbief avoyt trop de neige pour que
l'amour s'y logeast. Lors le bonbonnne s'aperceut (pi'il luy man-
(pioyt une femme en son manoir, et si le veil-il plus triste (ju'il ne
l'esloyl. Kt (ju'est(»yt (lonc(|ues ung cbastel sans cbaslelaine?...
autant dire ung battant sans sa cloclie. Brief, une femme estoyt
la seule cliouse qu'il eust à dezirer : aussy la vouloyt-il promptc-
ment, veu (pie, si la dame d'Azay le faisoyt attendre, il avoyt le
teuq)s d'yssir de cettuy nioiule en l'aultrc. Mais, pendant le diver-
tissement baptismal, il songea peu à ses grielVes blessures, et
encores moins aux (ptatre-vingts ans bien sonnez qui luy avoient
desguarny la teste; il treuva ses yeulx clairs assez, pour ce (pi'il
voyoyt trez-apcrtement sa ieune commère, laquelle, suyvant les
conunandt'inens de la dame d'Azay, le fes(i«yoyl Irez-bien de l'œil
et du geste, cuydanl cpi'il n'y avoyt aulcun dangier près de ce
vieulx conq)ère. Va\ soile (luclMancbe, naïfve et niceiprelle estoyt,
au rebours de toutes les garses de Touraine, lesquelles sont
esveiglées comme ung matin de printenq)s, permit au bonhonmie
Ure>, Diuyn, vn ailmir.int cesle pente danioi>elli; , dont leii cli.villes uvujeol
panur du (ilaïK-hinr fl qui se di^el•li^soyt iii;;éiiiii'n)enl pour sos dix-sopt ans,
commp une cipali; on liiiin .l'issaycr sa tlianierollc, foui bouilr par un divir
de vieillard, de/,ir apoplt'clicque cl vigoureux do foiblesse.
I,K FKCIII-: VÉMEL. Il
(le lii\ li.iisci- l;i main d'ahoid, <■(, davaiitaige, le col nu^ \hu lias,
(lisovl rai(licV('S(|iic (lui les maria la sc|(maiiic d'apirs, et ce leii-
rent de belles es|)()iisailles, et une plus belle espousiîe !
La dicte lUauelie esloyt mince et rris(|ue connue |)as une, et,
inieulx (jue ça, pucelle connue ianiais pucellc ne l'eut; pucello
à ne point eognoisfre l'amour, ni seavoirconnnent et poun|uoy il
se faisoyt; pucelle à s'estoiuierqu'aulcuues l'ainéantassent dedans
le lict ; pucelle à croire (pie marmots estoyeut yssus d'uug chou
fiizé. Sa dicte mère lavovt aiiisy nourrie en toute innocence, sans
luy laisser seulement considérer tant soit peu eounjient elle en-
tonnoyt sa soupe entre ses dents. Aussy esloyt-ce une enfant
fleurieet intacte, loueuse et naïfve, ung ange auquel ne manquoyent
que des aësles |)0ur voler en paradiz. VA (piand elle; devalla du
paouvre logis (l(! sa mère epIourée,|)our consommer les (iançailles,
à la cathédrale de Sainct-Gatien et Saincl-Maurice, ceulx de la
canipaigne vindrent se repaistre la veue de la dicte mariée et des
tapisseries <(ui estoyeut mises le long de la rue de la Scellerie, et
dirent tous que iamais pieds |)lus mignons n'avoyeiit Ibulé terre
de Touraiue, plus iolys yeuix pers veu le ciel, plus belle leste
aorné la rue de tapis et de fleurs. Les garses de la ville, celles de
Sainct-Martin et du bourg de Cliasteauneuf, envioyent toutes les
longues et taulves tresses avecqncs lesquelles, sans doute. Blanche
avoyt pescbé ung comté; mais, aussy et plus, soubbailoyent-elles
la robbe dorée, les pierreries d"oultre-mer, lesdiamaus l)laucset
les cbaisnes, avec(jues «juoy la petite iouoyt et (jui la lioyeiit pour
lousiours au dict senneschal. Le vieulx souldard estoyt si raguail-
lai dyprès d'elle, que son heur crevoyt partons ses rides, resgnards
ou niouvemeus. Ouoicpie il l'eust à peu ))rès droict comme une
s;'rpe, il se dnuaiiovl aux coslez de Blanche, ([u'ou auroyt dict' ung
lansquenet à la parade, recevant sa monstre ; et il mettoyl la
main à son diaphragme, en honnne (jue le plaizir esloulïe et
géhenne. Oyant les closches en bransle, la procession, les pompes
et doreloteries dudicl mariaige, dont estoyt parlé depuis la leste
épisco[>ale, ces dictes filles deziroyent vendanges de Morisques,
pluyes de vieulx senneschaulx et pamierées de baptesmes a'gyp-
tiacques; niaiscettuy l'eut le seul qu'il y eust iamais en Touraiue,
veu que le pays est loing d'.Ugyptt' et de Bohesme. La dame d'Azay
récent une notable somme d'argent a[irès la cérémonie, dont elle
])rouflicta pour aller incontinent devers Ascre au devant de son
diri f>p()ux, en compaiguie du lieutenant et des gens d'armes thi
Geux de la (;iiiiii;ii;^iii' viiiilicnl se iiii;iislrr la \tiii,' t\r la (ticic iiiafiOu,
\A-: l'KCIIK VK.MKI.. 45
coiiilo (le la Itoclic-Cloilioii, (|iii les liiv loiiriiil de hml. Klle partit
le ioiir (les nopces, après avoii' iciiiis sa lillc aux mains du seiuies-
clial, en hiy lecoinniandaiilde lalticn inesiia;^ier; plus lard, revint
avecques le sire d'Azay, lc(juel estoyt lépreux, et leyuarrit, en le
soingnant elle-mesme, à tous ris(|ue d'eslre ladre coninic luy, ce
qui l'eut grantement admiré.
Les uopces {aides et j)arachev('('s, car elles durèrent trois iour-
iiées, au grant contentcmenl des gens, messirc Bruyn ennnena
en grant pompe la petite en son cliastel ; et, selon la coustume
des mariez, la concilia solennellement en sa couche, qui l'eut bénie
par l'abbé de Marmoustiers; puis il vint se mettre près d'elle,
dedans la giant cliauduesciimcuriale de Hoclic-Coibon, la(pielle
avoyt esté tendue de brocart vei'd, avecques des cannetilles d'or.
Quand le vieulxlJruyn, tout j)crl'umé, se veit chair à chair avecques
sa iolie cspousée, il la baisa d'abord au Iront, puis sur le tettin ron-
delet et blanc, au mesme endroict où elle luy avoyt permis de luy
cadenasser le fermail de la chaisne; mais ce l'eut tout. Le vieulx
roc(pientin avoyt trop cuydé de luy-mesme en croyant pouvoir
cscosser le reste; et lors, il feil chommer l'amour, maulgré les
chants ioyeulx et nuptiaulx, epilhalamcs et gaudriolles qui se
disoyent en bas dedans les salles, où l'on balloyt encores. Il se
resconforta d'ung coup de breuvaige des espoux, lequel, suyvant
les coustumes, avoyt esté bény, et qui estoit près d'eux dans une
coupe d'or ; lesdictes cs|)ices luy reschaufl'èrenl bien l'estomach,
mais non le cueur de sa dcl't'uncle braguette. Blanche ne s'estomira
point de la félonie de son espoux, veu qu'elle estoyt pucelle d'ame,
et (|uc, du mariage, elle voyoyt seulement ce qui en est visible
aux yeulx des ieunes tilles, connue robes, festes, chevaulx, eslre
danu^ et maistresse, avou' ung comté, se resiouir et conunander;
aussi reniant quelle estoyt, lolaslroyt-elle avecques les glands
d'or (lu rief,lesbobans,ets'esincrvergloytdesricbessesdupourpriz
oùdebvoyt estre enterrée sa (leur. Sentant inigpeu tard sa coulpe,
et se liant à l'advenir (pii cependant alloyt ruyner tous les iours
ung petit ce dont il t'aisoyt estai pour resgaller sa l'emnie, le
senneschal voulut siqipléer au l'aict par la parole. Ores, il entretint
sonespousée, de toutes sortes ; luy promit les clefs de ses dressoirs,
greniers et bahuts, le parfaict gouvernement de ses maisons et
domaines, sans coniroole aulcun; luy pendant au cou le chanteau
du pain, selon le populaire dicton de Touraine. Klle estoyt comme
ung ieune destrier, à plein l'oing, trouvoyt son bonhomme le plus
il COiMES DHOLATIOIKS.
^'uallant du monde ; et, se drossant sur son séant, elle se print à
soubrire, et voit avecqiics encores plus do ioye ce beau lict de
brocard vert, où dorcsnavant il luy estoyt loisible et sans faulte
de dormir toutes les nuicts. La voyant preste à iouer, le rusé sei-
gneur, (pii avoyt pou rencontré de puccllcs, et sçavoit, par mainte
expérience, coudtien les lénunes sont oingos sur la jdunie, vcu
qu'il s'estoyt tousiours esbattu avecqucs dos galloises, rodoutoyt
les ieux manuels, baisers de passaigc, et les menus sulîraiges
d'amour, auxquels iadis ne faisoyt dolTault, mais qui présente-
ment l'auroyeiit trouve froid comme Vobit d'ung pape. Doncques,
il se recula devi'rs le bord du licl, on craignant sonlieur, et dit à sa
trop délectable osjjouse : — lié bien ! ma myo, vous voilà ores sen-
ncsclialle,ot,defaict, très-bien sennoschaussée. — Ob!non,feit-elle.
— Comment, non? rcspondit-il en grant paour, n"estes-vous
pas dame?
— Non, feit-elle encores. Ne la seray que si i'ay ung enfant !
— Avez-vous veu les prées en venant? reprint le bon compère.
— Oui, feit-elle.
— Eli bien, elles sont à vous...
— Oh! oh! rcspondil-ellc en riant, ie m'anmseray bien à y
quérir des papillons.
— Voilà qui est saige, dit le seigneur. Et les bois?
— Ah ! ie ne sçauroys y estre seule, et vous m'y mènerez. Mais,
dit-elle, baillez-moy ung petit de ceste liqueur que laPonneuse ha
faicte avecques tant de soing pour nous.
— Et pourquoy, ma mye? Vous vous bouteriez le feu dedans
le corps.
— Oh ! si veulx-je, feit-elle en grignottant de despit, pour ce
([uc ie dezire vous donner au plus tost ung enfant ; et bien veois-jc
que ce breuvage y sert !
— Ouf! ma petite! dit le semieschal, cognoissant à cecyque
Rlanchc estoyt pucelle de la teste aux pieds, le bon vouloir de Dieu
est premièrement nécessaire pour cet oflico ; puis les femmes doib-
vent estre en estât de fenaison.
— Et quand seray-je en estât de fenaison? demanda-t-cllc eu
boubriant.
— Lors(pie la nature le vouldra, dit-il on cuydanl rire.
' — Va pour ce, que faul-il fairi^? i'e|iriiit-olle.
— Itah ! une op(;r;itioM (MbalMsiiecpie ol d al(|iienil<', l;n|nollt',
est pleine de dangier.s.
LK l'KCIIK VKMKI.. t.".
— Ah! Irit-cllc (rniic, iiiiiiP soiiL't'iisc, (fcsl (loiic(|iics l;i liiisoii
ii(»ui'(jU()vm;i iiiric |tlçui'n\l de hidich! iiK'liiinoi'iiliosc; iii;iis Ijcrllic
.le l^roiiillv, (|iii est si (h'votictisc (rrslic iiiinr en tciiiiiii', iii'lia
Jict (|iic lien ne cstoyt de plus l'acilc au muntlc.
— C'est selon l'aage, respondit le vieulx seigneur. Mais avez-
vous veu à rescuvcrio la belle li;tf(jucii(r hlaiiclie, dont on jtailc
tant en Touiaine?
— Oui, elle est bien doulce et plaisante.
— Eh bien, ie vous la donne; et vous j)ouriez la nionlciloiilcs
(;t (|uantes loys que vous en aurez la phantaisie.
— Oh! vous estes bien bon, et l'on ne i\u) ha [)as nienly en
me le disant.
— Icy, reprint-il, ma mye, le sommelier, leehajielain, le lhi('-
zorier, l'escuyer, le queux, le baillit', voire mesmele sire de Mont-
soreaUjCeieune varletqui ha nom Gaultier et porte ma bannière,
avecqucs ses honnnes d'armes. (•aj)ilaines, gens et bestes, tout est
à vous, et suyvra vos eonunandemens à grand erre, soub/ poine
d'estre inconmiodé de la hart.
— Mais, reprinl-elle, ceste opération d'abiuemic ne seauroyt-
elle se taire incontinent?
— Oh! non, reprint le semieschal. Pour ce. il faut ([ue, sur
toute eliouse, noussoyons l'un et l'aultri! en pari'aiet estatde graaee
devant Dieu ; sinon, nous aurions ung maulvais entant, couvert de
péchez ; ce qui est interdict par les canons de l'Ecclise. C'est la rai-
son de ce que se trouvent tant de garnemens incorrigibles dans le
monde. Leurs parens n'ont point saigement attendu d'avoir lame
saine, et ont l'aict de mescliantes âmes à leurs enlanls : les beaulx
et vertueux viennent de |)ères innnaculez... C'est pour ce (|ue,
nous aultres, faisons bénir nos licts, comme ha faict l'abbé de
Marmoustiers, de cettuy-cy... N'avez-vous pas transgressé les or-
donnances de rKcclis(!?
— Oh! non, dit-elle vivement : i'ay reçu, avant la nu'sse, lab-
solution de toutes mes l'aultes; et, depuis, suis restée sans com-
mettre le plus menu pc'ciié.
— Vous estes iiicu parl'aicLe!... s'escria le rusé seigneur, l't suis
ravy de vt)us avoir jtour espcuise; mais moy, i'ay iuré connne un
payen.
— Oh ! Kl pomqii(t\ ?
— I*(turc('(pi(' la (lance ne liuoyt point, cl ipic u' ne pouvoys
vous avdir à moy, pour vous emmener icy et vous baiser.
liî CONTES DliOLATlOlKS.
Lors, il liiy priiil l'oil i:u;ilhimniciil les m.iiiiscl les liiv iiiimiioa
(le carossos. en liiy (l(''liil;iiil de pctilcs iiiigiKiniicrios rt iiiijj;iiai-
dises suporliciolles qui la loiront tout aise et contente.
Puis, coninie elle estoyl fotiguée de la daneeel de toutes les cé-
réiuonies, elle se coucliia, en disant au sennesclial : — le veigleray
demain à ce ({uc vous ne prcliiez point.
Kt elle laissa son vieiilaid, tout espris de sa bhuiclie iM-aiillé,
amoureux de sa délicate nature, et aussy endjarrassé de sçavoir
connnent iirentretiendroytensanaïlVetéqued'e.\|)li(]ueri>ourquoy
les hœul's maschoyent deux l'oys leur mangier. Quoiqu'il n'augurast
rien de l)on. il s'enflanuna tant à veoir les ex(piises jtei fections de
Blanche pendant son innocent et gentil sommeil, (pie il se réso-
lut à garder et delfendre ce ioly ioyau d'amour... 11 luy haisoyt,
avecques larmes dans les yeulx, ses bons clieveulx dorez, ses
belles paupières, sa bouche rouge et Iresche, et bien doulcement,
de paour(prellene s'esveiglasl!... Cèlent toute sa ("mil ion, plaizirs
nniets quiluy bi'usloyent encores le cueur, sans cpie lilaiiclie s'en
rsmouvast. Aussy déploura-t-il les neiges de sa vieillesse clïeuillée,
le paouvre bonhomme, et il voit bien (pie Dieu s'estoyt amusé à
luy donner des noix (piand il navoyl plus de dents
COMMENT I.E SFNNESCHAL SE BATTIT AVEC I.E PUCEI-AIGE
DE SA FEMME.
Diiiiinl lt>s premiers ioiirs de son mariaige, le senneschal in-
venta tic notal)les bourdes à doniiei' à sa l'cinnie, de la(|ii{'lle il
aliusa la tant prisable iuiioceuoo. D'abord, il treuva, dans ses lune-
lions lie iuslicier, de valables excuses de la laisser parf'oys seule ;
puis il l'occupa de dédnietsoanipai^mards. l'emmena en vandanf^os
dedans ses closeries de Vouvra\ ; enliii, la dort'btta de milh.' pron-
|K)S sani;renns.
Taiilost disoyt (jue les seigneui-s ne se c((ni[M»rtoyenl point
connue les petites gens ; que les entans des comtes ne se semoyent
(pi'en certaines coniunctinns célestes, déduietes pardesavans as-
lrul(»i:ues; tanlost, (pie l'on debvoit s'abstenir de l'aire des cnfans
aux iunrsde leste, pour ce (pie c'esloyl nny grant travail ; et il ob-
servoyt les festes en bonnne (pii vonloyt entrer en j)aradiz sans
conteste. Aulcunes Ibys, pri'tendoyt (|ue si, par basard, les parens
n'estovent en estât de graace, les enfans commencez le iour de
Saincle-Claire estoyent aveugles ; do Sainct-Genou, avoyent la
AU CONTES nnOLATIOlFS.
goutte; de Saiiict-Aijiiian, la teis/ïne ; do Saiiil-Hoeh, la peslo ;
tantost, que oeiilx pondus en lehvrior estoyent frileux; en macs,
trop remuans ; en ajivi'il ne valloyent rien du tout, et que les i;en-
tils ^faisons estoyent yssus en niay. Biiel', il voulovtque le sien
feust paifaict, eust le poil de deux couleurs; et pour ce, estoyt
besoing (|ue toutes les conditions requises se rencontrassent. En
d'aultres temps, disoyt à Blanche que le droict de l'Iiomnie estoyt
«le bailler nn^' enfant à sa femme suyvant sa seule et unicque vou-
lenl('; et (jue, si elle l'aisoyt estât destre une femme vertueuse,
ell(^ debvoyl se confoiiner aux bons vouloirs de son espoux; enfin,
qu'il l'alloyl atteiulre que la dame d'Azay feust revenue, à ceste
lin qu'elle assistast aux couches. De tout cela feut conclud par
Blanclie (pie le scnneschal estoyt contrarié de ses requestes, et
avoyt peul-estre raison, veu qu'il estoyt vieil et ]ilein d'expérience :
doiu;(|ii('s, elle se soubmil, et ne s()iii,fea plus, qu'à [)arl elle, de ce
tant dcziiveid'ant, c'est-à-dire que elle y[)ensoyt tousiours. comme
(juand une fenmie ha ung vouloir en teste, sans se doubler qu3
elle faisoyt acte de galloise et villotière courant après la friandise.
Vn soir cpie. par cas fortuit, Biuyn densoyt d'enfans, discours
qu'il fiiyoyl comme les chats i'uyenl l'eaue, mais il se plaignovt
d'un gars condamné par luy le matin pour de grans meschiefs,
disant que, pour seur, celtuy-là j)ro('edoyt de gens chargez de
péchez moitels :
— Las! dit Mlanche, si vous voulez m'en donner ung, encores
que vous n'ayez point l'absolution, le le corrigeray si bien, que
vous serez content de luy...
Lors le comte veit que sa femme estoyt mordue par une phan-
taisiechaulde et qu'il estoyt temps de livrer bataille à son puce-
laige, afiin de s'en rendre maistre, l'exterminer, le muleter, le
haster, ou l'assoupir et l'estaindre.
— Comment, ma mye, voulez-vous estre mère? feit-il. Vous ne
sçavez pas encore le mestier de dame, et n'estes |>oint accons-
tumée à faire la maistresse de léans.
— Oh! oh! dit-elle. Pour estre j)aifaicte comtesse, et logier en
mes llangs ung petit comte, dois-je faire la dame? Si la feroys-je,
et druemenl.
Blanche doncques, pour obtenir lignaige, se mil à courre des
cerfs et des biches; saultant les fossez; chevatdcliant sur sa hac-
ipienée, à val et à mont, j)ar les bois et chanq)s ; j)renant grant
liesse à veoir v(der ses faulxcons, à les deschapperonner ; et les
LE l'KCHK VfiNIKI..
ifl
poiioyt gonfomcnt sur son i>oing niiiinon, loiisionis on rliassc.
(le que avoyt voulu Jo scnncschal. Mais, à ce jiourcliaz, lllanclic
gaignoyl ung appi'lil do nouuo cl de pivlat, c'cst-à-diiv, vuulanl
piocn'er, aiguizant ses forces, et no bridant guères sa faim,
quand, au icfour, elle se dogrossoyt les dents. Aussv, force de
lire les légendes oscripfes par les rliemins, et de dt'nouei- par la
mort les amours oommenct'es des oiseaulx et des IxMos laulves, elle
feit nng mystère d'alquemie naturelle, en coulorant son tainct
et superagitant ses esprits nutritifs ; ce qui pacifioyt peu sa nature
guerrière et cliatouilloyt fort son dezir, lequel rioyt, priovt et
frélilloyt de plus belle. Le senneselial avovl cuyd.- désarmer le
sédicieuK j»ueelaige de sa fenune, on le faisant s'eshadre aux
champs; mais sa l'raude tournovt à mal. cai- l'amour incogneu
qui eireulovt dans les veines de Blanolio sortovf de ces assaults
60 CONTKS DROI;\ TIQUES.
plus nourry, appelaiil les iousles et les lournoys, comme paige
arméclievalier. Le boa seigneur veil lors qu'il s'estoyl l'ourvoyé,
et qu'il n'y avoyt point de bonne place sur un gril. Aussy, plus
ne sçavoit ijuclle |)aslure donner à vertu de si griel've corpulence;
car plus la lassovt, tant plus elle regimboyl. De ce combat il deli-
Yoyt y avoir nng vaincu et une meurtrisseure, meurliisseure dia-
bolicque qu'il vouloyt esloigner de sa pliysionomie iusques après
son trespas, Dieu aydant. Le paouvre senneschal avoyt desià grant
poine à suvvre sa daine aux cbasses, sans cstrc désarçonne. 11 suoyt
d'alian suubz son liarnoys, et s'aclievoyl de vivre, là on sa frin-
guantesennescballe resconl'oi'loytsa vie et prenoyt ioye. Souvenles
l'oys, à la vesprée, elle vouloyt danser. Ores le l)on lionmie, enipa-
letocqué de ses grosses bardes, se trouvoyt tout estrippé de ces
exercitations aux(iuelles il estoyt contrainct de participer, ou pour
luy donner la main (|uaii(l elle l'aisoyl K-s bransles de la Morisipie,
ou pour luy tenir la lorclie allumée, (piaiid elle avoyt pbantaisie
de la (lance aucliandcllier ; et, maulgrésessciaticques.aposteumes
et rbcumatismes, il estoyt obligé de soubrire et luy dii'e quelques
gentillesses et guallanteries après tous les tourdions, niomeries,
pantomimes co)iiicqnes, qu'elle iouoyt pour soy divertir; car il
l'aymoyt si rollenieiil, (jue, elle luy auroyt demandé ungoriflant,
il l'eust été quérir à grant erre.
Néantmoins, un beau iour,il recogneutque ses reins estoyent
en trop grant débilité pour lucter avecques la frisque nature de
sa femme; et s'bumiliant avec ledict sieur Pucelaige, il se
résolut de laisser aller tout à trac, comptant ung petit sur la
pudictpie religion et bonne bonté de Blanclie; mais tousionrs ne
dormit (pie d'ung œil, car il se doubtoyt de reste que Dieu avoyt
l'aict les pucelaiges pour estre prins comme les perdreaux pour
estre embroscbez el rostis. Par ung malin mouilb-, (pi'il laisoyt ce
tenq)s (»fi les limassons frayent leurs cbemins, temps mélandio-
licque et propre aux resveries, HIanclie esloyt au logis, assize en
sa cliaire el songeuse, pour ce (pie rien ne |)i(>(luicl (le plus vifvcs
codions des essences substanlificcpies, et aulcune receptc, spéci-
lic(|uc ou philtre, n'est plus pénétrante, transperçante, oultrc-
})ercanleel (ringuanle, (pie la subtile clialeur ijni miiote entre le
duvel d'iiiiecbaire et celluy d'une piicelle size pendant ung certain
temps. Aussy sans le sçavoir, la comtesse esloyt-elle incommodée
de son pucelaige, rpii lui malagrabolisoyt la cervelle et la grignot-
t(i\l de [tartdut.
IJ-; l'KCIll'; VKMKI..
51'
Lors le l)oiili()imiic, grierveinent fasclir (\r l;i M)ii- laii^iiis-
siiiilc, voulut cliiissci- dos pcust'i'S (jui ostoyciil iniucipt' traiiiour
ullra-coujunal.
— |)'()ù vient votre soulcy, ma uiyc? dil-il.
— De lionfe.
— Qui (loncqucs vous aTlVoiile?
— De n'estre point ienime de bien, pour ce'cpie ic suis sans
ung enfant, et vous sans lignai^^e ! l']st-on dame sans progéniture?
.Nennv! Yovez!... Toutes mes voisines en ont; et ie me suis
uiari('e pour en avoir, comme vous pour m'en donner. Les sei-
gneurs de Touraine sont tous amplement l'ournys d'enfans ; et
leurs rcMuncs leur en l'ont par polti'es; vous seul n'en avez point !
On en rira da ! Que deviendi-a vosire nom? et vos fiefs, et vos
seigneuries? l'ng enl'ant est nosire eompaiguie naturelle; c'est
nostrc ioye à nous de le fagotler, end)obelincr, cmpacqueler, vcslir
etdcvcstir, amittonner, dodiner, Lerccr, lever, concilier, nourrir;
et ie sens que si en avoys seulement la moitié d'ung, ie le haise-
roys, esmunderoys, emmailloteroys, désliarnaelierovs, et le feroys
saulter et rire, tout le iour, comme l'ont les dames.
— N'esloytque, en les pondant, femmes meurent, et que, pour
ce, vous estes encore trop mince et trop bien close, vous seriez
desià mère!... respondit le seimcscbal, estourdy de ce icct de pa-
52 CO.MKS DIIOL.VTKJLKS.
rôles. Mais voulez-vous eu aeliepter uug tout venu? Il ne vous
oousfera ui poiue ni douleur.
— Yère, dit-elle, ie veux la poiue el la douleur; l'aulte de (juoy,
point ne seioyt nostre. le sçay hii'u <|iril doibt yssir de moy,
puisiju'à l'eeclisc on dict lésus estie le Ciuiel du ventre de la
Vierge.
— Adoueques, prions Ilieu (jue eela soit ainsy, s'écria le sen-
neselial, et interei'dous la Vierge de l'Es^riguolles. Bien des da-
mes ont conceu après des neulVaiues; il ne l'aut numquer à en
taire une.
Alors, le iour mesuie, Hlaueiie se dcsparlit vers Noslre-Dame
de l'Ksgriguolles, allournée connue une loyne, moulant sa belle
liacquenée, ayant sa robe de velours verd, lassée d'uug (in lasset
d'or, ouv(M"te à l'endroit des tel tins, ayant mancherons d'cscar-
lalte, petits paftins, ung hault chap|)eron guarny de pierreries et
une ceincture dorée ipii monslroyt sa taille iine conunc gaule.
Elle vouloit donner s(hi aiustement à maihuue la Vierge ; et, de
laid, le luy j)romit pour le iour de ses relevailles... Le sire de
Moutsoreau clievaulclioyt devant elle, l'œil vif comme celluy d'une
bondrée, iaisant renger le monde, et veiglant avec{|ues ses cava-
liers à la sécurité du voyaige. Proucbe Marnioustiers, le sennes-
cbal, endormy pai' la chaleur, veu (pi'on esloyt en aoust, tresbil-
loyt sur sou destrier, comme uug diadesuu' sur la leste d'une
vache, et, voyant si l'ollastre et si gentille dame près d'ung si
vieulx braguard, une de la campaigne, qui estoyt iiccropie au tronc
d'ung arbre et beuvoyt de l'eau en son grcz, s'encjuil d'une lar-
romiesse édentée, la(juelle gaignoyl misère en glanant, si cettuy
princesse s'en alloyt noyer la mort.
— Neimy! l'eitla vieille. C'est nostre dame de la Hoehe-t'orbon,
la sennesclialle de Poictou et de Touraine. en (juesli; d'uiig eul'aut.
— Ail ! ah ! dit la ieune garse en riant comme une mousche
di'lïeriée. Puis, uiousl raid le seigneiu' desgourd (|ui estoyt en hault
du coiivoy : — Cil ipii marche eu leste l'y boultc, elle fera l'es-
pargiie de la cire el du \(iu.
— Mail! ma mignomie,- reparlil la laiioimcsse, ie m'esbahis
lui I ipic clic iiillc à i\ostre-l)ame de l'Esgrignolles, veu que les
pichsircs n'y sont point beaulx. Elle j)ourroyt trez-bieu s'arrester
une aulne di! temps à l'umbre du cloehier de Marnioustiers, (die
M'r(tyl tost lécunde, tant sont vivaces les bons pères!...
— Eoiu'f des reliLMeux! dit une meslivière en se resvei"lant.
.Uoi>, if iuiic iiicsiiii^, F'.laiwhr si' tli'i|i;irlil vris No>lio-D.iii.i;
de l'Ësgrigiiolles,
5i TONTES imoi.ATlOllKS.
Voyez ! Losiro do Mdiilsori'iiu ost llaiiiliaiit ot mignon assez pour
ouvrir le cucur ilo cesie dame, d'autant qu"il est ià fendu.
Et toutes se priment à rire. Le sire de Montsoreau voulut aller
à elles et les brancliier à ung tilleul du chemin, en punition de
leurs maul vaiscs paroles ; mais Blanche s'écria vifvemeut : — Oh !
niessire, ne les pendez point encore ! Elles n'ont pas tout dict ; et
nous verrons au retour.
Elle rougit, et le sire de Montsoreau la resguarda iusrju'au vil",
comme pour lui darder les mysticques compréhensions de l'amour;
mais le déhurelt.'coci|uemcnt de son intelligence estoyt desià com-
mencé par les dires de ces paysannes, qui rruclifioyenl dans son
enteiulement. liCdict pucelaigc estoyt eouune amadou, et n'estoyt
besoing (jue d'ung mot pour l'enflaMuner.
Aussy Blanche voit-elle ores de notables et j»hysic(iues différences
entre les (|ualitez de son vieil mary et les perfections dudict Gaut-
tier, gentilhomme qui n'estoyt point trop affligé de ses vingt-trois
ans, se tenoyt droict comme quille en sa selle, et resveiglé connue
ung premier coup de matines, quand, au rebours, dormoyt le sen-
neschal ; ayant bon couraige et dextérité, là où sonmaistre def-
Aiilloyt. C'estoytung de ces tils goldronnez dont les fricqucnellcs
se coëffent de nuit plus voulentiers que d'un escoffion, pour ce,
qu'elles ne craignent plus les puces ; il y en ha aulcunes qui les en
vitupèrent ; mais ne faut blasmer personne, car ung chascun doibt
dormir à sa pliaiitaisie.
Tant fout songé par la sonneschallc et si impérialenient bien,-
que, on arrivant au pont de Tours, elle aynioyt Gaultier occulle-
ment et patepeluemonf, connue aymc une pucelle, sans se doub-
ler de ce (pie estoyt l'amour. Doncques, elle devint femme de bien,
c^esl-à-dire soubliaitant le bien d'aultruy, ce (pio les honnnes ont
de meilleur. Elle chcuton mal d'amour, allant i\c primo saull à
fund de ses mizères, veu que tout est feu entre la première con-
voitise et le darrenior dezir. Et ne sçavoyl pas, connue elle l'apprit
lors, que, par les yeulx, pouvoyt se couler ujie essence subtile
causant si fortes corrosions en toutes les veines du corps, replis
du cuour, nerfs dos nu'udires, racines dos ohoveulx, traiis[iira-
lionsde la substance, lindjes de la cervelle, jiortuys do l't'pidorme,
sinuositez de la fressure, tuyaux des hypocoudres ot aullres, (jui,
chez elle, feurenl soubdain dilatez, eschauldoz, chatouillez, enve-
nimez, graphignoz, herrissez et fringuans, connue si mille pan-
nerces d'osguilles se treuvoyenl en (die. Ce léut une envie de
M-: PÉCHÉ Vf: M KL. 55
])ii(cll(', cnvio hion coii(liliuiiii('(',t't i|ui liiy IrdiiMnyl lu vlmio, au
jioiiict {|ii(' elle ne voit plus son vieil osjioux, mais l)ien le iounc
(laullier, on <jui la nature estoyt ample eonune le glorieux menton
d'ung abbc. Quand le bonhomme entra dans Tours, les Ah! ah!
de la loulc le rosveiglèrcnt; et il vint on grant pompe avecques sa
suite en l'occlise de Nostie-Dame de riisgcignolles, nonunée iadis
la Grei(/ne7n\ comme si vous disiez : eelle qui lia le j)lusde mé-
rites. iJlanelie alla en la cliapelle où les enl'ans se demandoyent à
Dieu et à la Vierge, et y entra seule, comme c'estoyt la couslume,
en présence toutefois du sonnoschal,de sesvarletset des curieux,
l("S(|uels restèrent devant la grille. Quand la comtesse voit venir le
pri'b^tic (pii avoyt la cure dos mossos aux onlans et de recepvoir
déclaration dosdits vœux, elle luy demanda s'il estoyt beaucouj)
de fennnes brcliaignes, A quoy le bon prebslrc respondit que il
n'avoyt point à se plaindre, et (jue les enfans estoyenl d'un bon
rovoiHi pour lecclise.
— Kl voyez-vous souvent, ropritil lUanclio, de ieunos i'ennnes
avecques aussy vieulx espoulx <pio l'est Monseigneur'.'
— Rarement, l"eil-il.
— Mais celles-là ont-elles obtenu lignaige"?
— Tousiours! repartit le prebstrc en soubriant.
— Et les aulti'os qui ont moins vioils conqiaignons?
— Quoiquoiois...
— Oh ! oh 1 l'eit-elle. Il y ha doncques plus de sécurité' avecques
nng comme le senneschal?
— Certes, dit le prebstre.
— Pourijuoi? dit-elle.
— .Madame, respondit gravement le prebstre, avant cet aagc,
Dieu seul s'en mesle; après, ce sont les hommes.
Dans ce temps, c'estoyt chouse vraye que toute sapience estoyt
lelirée chez les clercs. DIanchefoit son vœu, qui t'eut dosplus con-
sidérables, veu que SOS atours valloyenl bien doux mille osou/ d'or.
— Vous estes bien ioyeuso ! lui dit le somiosolial. quand au re-
tour elle feit piai'for, saulter et l'ringuer sa hac(jUonéo.
— Oh! oui, l'eit-elle. le ne suis plus en double d'avoir ung en-
lanl, puiscjne aulcuns doibvent y travailler, comme ha dict le
preb>lro; io prendrai Gaultior. ..
Le sonne>clial vouloyl aller occir le nioyno; iuai>. il pon^a que ce
seroyt un crime qui luy cousteroyt trop, et il se résolut à finement
machiner sa vengeance avec(iues le secours de l'archevesque.
56
COMES nilOLATIOUES.
Puis, avant qu'il cusl it'vou les toicts de la Roche-Corbon, il avoyt
dict au sire de Monisoioau d'aller chercher en son |)avs une poi-
gnée d'unibre, ceque le ieune Gaultier leit,
cognoissant les erremens de son seigneur.
I.e senneschal se pourveut. au lieu et place
ihulicl fiautlier. du fils au sire de lallanges,
h'(lUfl ficrrelevoytde la Uoclic-t'orhon. C'es-
toyt un ieune gars ayant nom ilené, approu-
cliant quatorze ans, dont il leit son paige, en
attendant qu'il cust l'aage d'estre escuyer, et
donna le ooiuniandenient de ses hommes à
ung vieulx stropiat avce([U('s l('f|uel il avoyt
moult roulé en Palestine et aultres lieux, l'ar
ainsY, le bonhomme cuyda ne pi int chausser
le harnoys hranchu de cocquaigc, et pouvoir encores sangler, bri-
der et reflrenner le l'actieux pucelaige de sa l'enune, lequel se de-
menoyt comme uii<' mule j)rinse en sa cliorde.
Lt (luiina lo coiiiiiiaiuluiiient de ^cï> liomiiies ù uni: viculx 3tro|>iul uvecqiie>
l.'qiicl il avoyt moull rouln en P;ile-iino tt anlli'fS lii-ux.
CE QUI N EST QIK l'IXlii: VK.MKI..
Le (liiiiiiiiclie ciisiiyvanl de la venue de René au manoir de la
lioclie-Coibon, Hlanelie alla eliasser, sans son Itonlionnne; et,
quand ellelcul en la l'orest, pi'ouelie les Carneaux, veit ung niovne
ijui luy parut poulser une lilleplus que bcsoingn'estoyt, etpiequa
des deux, en disant à ses gens : « — Hau ! liau ! empeschez qu'il ne
la tue! Mais quand la sennesclialle arriva près d'culx. elle tomna
proniplenient liride, el la veue de ee que porloyt ce dict nio\ue
l'empesclia de eliasser. Klle revint pensive; et lors, la lanterne
ohseure de son iniclligeuee s'ouvrit et receut une vilVe lumière
qui csclaira mille cliouses comme tableaux d'ecclise ou aultres, fa-
bliaux et lays des trouvères, ou manèges des oyseaulx. Soubdain,
elle descouvrit le doulx mystère d'amour, escript en ton tes langues,
voire mesmeen celle des earpes. Ksl-ce pas loiie aussy de vouloir
celer ceste science aux pucelles? Tost se concilia Hlanelie, et tost
disl au sennescbal : — Bruyii, vous m'avez Irupliée, et vous debve/
lirson;:ner comme besongnoyt le iiioyne des Carneaux avec(pies la
(illr. !,(' vicnix IJruyn se doubla de l'adventure et veit bien (|ue sa
luale lieure estoyt venue. Il resgiiarda llianclie avec(jues trop de
l'eu dans les yeiilx |tour (|iie cesie ardeur l'eust contrebas, et luy
respondil doulcement: — Las, ma mye! en vous jirenant pour
leinme, i'ay |)lus eu d'aiiioiir que de l'orce, el i'ay l'aict estât de
voslre miséricorde el verlii. Le deuil de ma vie est de sentir tout
LK l'KCIir; VKMKI.. 59
mon pouvoir dans le cueur seulonuMit. Ce cliayrin me despesclieà
mourir, tant et tant, que vous serez lost libre!... AUenclez mou
décez de ce monde. C'est la seule re(jueste que vous fasse celjuv
qui est vosire maistre et (|ui pomroyt commander, mais (pii ne
veult esire (|ue vosire premier miuislre et serviteur. Ne trahissez
pas l'honneur de mes cheveulx blancs!... Dans ceste occurrence,
il y ha des seigneurs qui ont occis leurs fennues...
— Las! vous me tuerez doncques? di 1-e Ile.
— Non, reprint le vieuk bonune, ie tayme troj), mignonne.
Va, tu es la lleur (le ma vieillesse, la ioye de mon ame! Tu es ma
lille bien aymce. Ta veue resconlbrte ma vein ■, el de (ov. ie puis
tout endurer, l'eust-ce ung chagrin, comme ung jjonlieur... le le
donne pleine licence de tout, pourveu que tu ne maulgrées pas
trop le paouvre liruyn (pii l'Iia taictegrant dame, riche et honorée.
Ne seras-lu point une belle veulVe? Va, ton heur adoucira mon
trespas...
Et il Ireuva dans ses yeulx dcsseichez encore une larme, qui
coula tonte chaulde sur son lainct de pomme de pin, et cheut sur
la main de IMancbe, laquelle attendrie de veoir ce grant amour de
ce vieil espoux (jui soy mcltoyt en fosse pour luy plaire, dit en
riant: — Là! là! ne plourez |)oint, i'attendray !...
Là dessus, le seimeschal luy baisa les mains, et la resgalla de
petites pigeonneries, en disant d'une voix esmue : — Si tu sçavovs,
Blanche, ma mye, comme en ton sommeil ie te mangeoys de
caresses, ores cy, ores là!... El le vieulx ciiige la flaltovt de ses
deux mains, qui estoyenl de vrais ossuaires... — El, disovl-il
tousiours, ie n'osoys lesveigler ce chat (pii eust estranglé mon
honneur, veu qu'à ce meslier d'amour ie n'einbrasovs que mon
cuenr.
— Ali! re[)riiit-elle. vous pduvez me dodiner ainsv. mesmes
quand i'ay les yeulx ouverts, cela ne me laid rien.
Sur ce dire, le pa(nivre sennescbal, prenaril le' petit poignard
qui estoyt sur la table de lict, le luy bailla, disant aveccjues raige:
— Ma mye, lue-moy. ou laisse-moycuyder cpu' tu m'avmes ung
petit!
— Oui! oui! feit-elle (ont eifrayée, ie verrai à vous avmer
beaucoup.
Voilà comment ce ieune pucelaige s'enijiara de ce vieillard et
l'asservit, pour ce (pie, au nom de ce ioly champ de Vt'nus, (jui
esloyt en frische, Hlanche l'aisoyl, par la malice naturelle aux
fiO CONTFS DROLATIOIKS.
femmes, aller et venir son vieulx Bruyn comme ung mulet de
meusiiier. — l^lon bon Hruyn, ie vculx cecy! Bruyn, ie veulx
cela! Allons! Rnivn! Hiuvn! et tousiours Bruyn! Kn sorte que
Bruvn esfoyt plus mourdry par la clémence de sa femme qu'il ne
reusléti' par sa mescliancelt'. Elle lui tordoyf la cervelle, voulant
«lueloulleustencramoisy, luy faisant mellrelonl à sac au moindre
mouvement de ses sourcils ; et, quand elle estoyt Irisle, le sennes-
clial esperdu disoyt à tout, sur son siège iusticial : — Pcndez-le. .,
l'ng aultre eust crevé comme mousclie à cesle bataille pucelaiges-
ijue ; mais Bruyn estoyt de naluie si ferrugineuse, qu'il estoit mal
aisé de venir à bout de luy. L'ng soir que Blancbe avoyt mis au
logiz tout sens dessus dessoubz, lourbu bestes et gens, et eust, par
son bumeur navrante, désespéré le Pèie éternel qui lia des ibre-
zors de piitience, veu (ju'il nous endure, elle dit au seiuiesclial,en
se coucbiaiit : — Mou bon Bruyn, i'ay contrebas des pbanlaisies
qui me mordent et me [iicquenl ; île là vont à mon cneur, bruslent
ma cervelle, m'incitenl là des cbouses maulvaises; el, la nnict, ie
resve du moyne des Carneaux...
— Ma mye, respondit le senncscbal,ce sont diableries et tenta-
lions contre les(pielles sçavent sedelfendre les religieux et nonnes.
Uoiicipies. si vous voulez faire vostre salut, allez à confesse au di-
•Mieabbédf Marmoustiers, noslre voisin; il vous couseillera bien
et vous dirigera sainclement dedans la boime voye.
— Dès demain, i'iray, feil-elle.
Kl. de laict. dare darc, au iour, elle trottovt au moustier des
1,K i'KCIIK VE.MKI..
fil
Ijoiis l'clif^iciilx, lcs(|iifls, csmcivcii^lcz de vcoirciic/ ciilx une si
inigiiomic diiinc, l'eircnt plus d'iiri |i('('li(', le soir, et, j)our le pni-
scnt, la nicii('ront en grandi; lii-ssc à leur révérend ahbé.
iilanche Irenva ledict honliomnic cnungiardin secret, près dit
rocher, souhz une aicade IVesclie, et deniouia Irappée de ies|)e(l
à la contenance du sainct lionnnc, encoies et elle l'eust accous-
tuniée à ne point taire i;rant estât des clicveulx Idaiics.
— Dieu vous garde, niadanic! dil-il. Oiic venez-vous (|uerii' si
|urs de la mort, vous icune?
— \os advis pi'étieux, ieit-elle m le s;diiiiiil (riinc ri'vérence.
Kt, s'il vous plaist conduire uik^ onaille indocile, ie seray Itien
aise d'avoir ung si saige confesseur.
02
CONTES DUULATIOL'ES.
— Ma fille, lespomlit le inovnc, avecques lequel le vieulx Bruyn
avovt accordé cesto hypocrisie et les rooles à iouer, si ie n'avoys
pas la iVoidure de cent liyvers sur ce cliief descouroiuié, ie ne
sçaurovs escouler vos péchez; mais dictes, si vous allez en para-
diz, ce sera de ma iaulte.
Lors, la sennescliallc expédia le Irellin de sa provision, et,
ipian.d elle se l'eut puryée de
ses petites iniipiitez, élit' vint
au postcriptum de sa conlc's-
sioii.
— Ah ! mon père, feit-elle,
ie (loihs vous avouer que ie
suis iournellement travaillée
dudezirde l'aire ungenl'aut.
Kst-ce mal?
— Non, dit l'ahhé.
— Mais, reprint-elle, il
l'st, par nature, connnandé à
mon mary de ne point ouvrer
restolïe à l'aire la pauvreté, connue disoyent les vieilles sur le
chemin.
— Alui-s. ivparlit le prehsire, vous (leii\ez vivre saif^e et vous
ah^lenir de toiile |)ensée de ce i^cure.
— Mai> i'ay entendu professer, à la dame de lallim;j;es, (|uece
LK P fin II': VfiMKL. 65
n'estoyt jxiiiil pirlié, (|ii;iii(l, de ce, rmi iir liiovl ni |iMiiini(l m
plaizir.
— Il y lia toiisiours plaizir! dit l'ahlu'. Mais comptoz-vous point
reniant coiiinie uny proulHct? Oies, bouloz on vostrc ontondcnicnt
que ce sera toiisiours ung péché mortel dcvaulDicu, et ung crime
devant les hommes, (pie de se greffer iingenfanl par l'aceoinlancc
d'iing homme aïKpiel on n'est jtas ecclésiasliipiement marii'e...
Aussv, telles fenunes, (pii contreviennent aux sainctes lois du ina-
riaigc en reçoivent de grands donmiaiges en l'aultrc monde, et
sont en souhmission de monstres horribles, à griphes aguz et Iren-
chans (pii les flamhent dedans plusiems fournaises, en remem-
brance de ce (pi'elles ont icy-bas chauffé leurs ciieurs ung peu plus
qu'il n'estoyt licite.
Là-dessus, Blanche se gratta l'oreille; et après avoir pour[)ensé
ung petit, elle dit au prebstre : — Et conunent donc([ues ha iaict
la vierge Marie?...
— Ho! respondil l'abbé, cecy est ung mystère.
— Et (pi'est ung mystère?
— Une chousc qui ne s'exj)li([ue point et (jue l'on doibt croire
sans examen aulcun.
— Et vère, feit-elle, ne saui'oys-je faire ung mystère?
— Cetliii-cy, dit l'abbé, n'est arrivé (pi'unc foys, pour ce (pie
c'estoyt le Fils de Dieu.
— i^as! mon père, la voulenté de Dieu est-elle que ie meure?
ou (]ue, de saigc et saine compréhension, ie soys brouillée de
cervelle? De ce, il y ha grant dangier. Ores que, en moy, les
choses s'esincuvent et s'entrechauflent, ie ne suis plus en mon
sens, ne me soulcie de rien, et, pour aller à homme, saulleroys
par-dessus les murs, iroys à travers champs, sans vergongne, et
mettroys tout en descombres, pour seulement veoir ce qui ardoyt
si fort au moyiKî des (hameaux. El, pendant ces raiges (pii me
labourenl et pic(piotent l'àmeel le corps, il n'y ha Dieu, ni diables,
ni maiy ; ie trespigne, ie cours, ie romproys les buyes, les [loleries,
l'autrucherie, basse-court, mesnaige et tout, tant que ie ne sçau-
roys vous dire. Mais ie n'ose vous advouer tous mes meschiefs,
pour ce que en en parlant i'en ay l'eaue en la bouche, et la choiise,
(pie Dieu me maiildisse, me desmange trez-bien... Que la lollie
me ha|)j)e et me pic(pic, et occise ma vertu. Hein? Dieu, ipii
m'aura chevillé ceste grant amour au corps, me danmera-t-il?...
Sur ce proupos, ce leutle prebstre (pii se gratta l'aureille, tout
m
CO.NTKS hiiOl. AÏIOIKS.
t,'sl);iliy (les l;iiiiciil;itioiis, priiluiidcs s;i|iieiu-i'S, contruvi'iscs cl iii-
tclligeiiccs, (|u'uiii: inu-olai^c x'crt'tovl.
— Ma (illc, ilil-il, DiiMiiious liadisliiiiiiic/dcs bcstes.el laid ww^i
paradiz àgaigiier; ('t.])our ce, nous donna la raison, (jni est nng
iiouvcrnail à nous diiiiicr conlrc la Icinpcstc de nos andtilicux
dezirs... Et il y a manière de transborder son engin en sa cer-
velle, par ieusuc, labeurs excessils et aultres saigesses... VA au
lieu (le pétiller et IVeliller comme une marmotte descliaisnée, il
faut plier la Vierge, se concilier sur ia dure, raccoustrer vostre
mesnaige, et non l'aire de l'oysiveté...
— Eli! mon père, quand, à recclise, ie suis en ma cliaire,
ie ne vois ni prebstre, ni autel, ains l'enlant lesus, qui me re-
met la cliouse en goust. Mais, iionr finer, si la teste me touine
et (pie, mon entendoire dévallée, le soys dans les ginaux de
l'amour...
— Si telle vous estiez, dit inq)rudenmient l'abbé, vous seriez
dans le cas de saincte Lidoire, la(|nelle dormant un jour bien Tort,
les iambes de cy, de là, par ung moment de grant clialeur, et ves-
lue de légier, feut a|)procbée |)ar nng ieune bonnne, plein de
mauvaisetit', (pii.de pied coy, l'encbargea
d'mig enlant; et connue de ce maltalent
ladicte saincte l'eut (le tout point ignorante,
f ^ ^^ v^ ;j cl bien sui'prinsc d'accoucliier, croyant
Vît- _ J. CVVy. qmi l'enflure de sa bourse estoyt une
griefve maladie, elle en l'eit pénitence
connue d'un p('cbé véniel, veu qu'elle
n'avoyt perceu aulcune liesse de ce niaul-
vaiscoiqi.siiyvaiil la déclaration dumeschant lioiume, lequel dit,
sur rcsclialTaiidoîi il l'eut deriaicl, tpie la saincle n'avoyt auculne-
nicnt boug('...
— ()b ! mon |)èit', dit-elle, so\ez seur (pie ie ne bougeroys
pas |)lus (pi'elle !
Sur ce proupos,elle s'évada. Iriscpie et gentille, en soubrianl.et
pensant comme elle poiirroyt l'aire nng p('cli(' véniel. Au relonr-
iicrdii grant monslier, elle veit dedans la coiirl de son cliaslel le
|>clit lallanges, IimjiicI, sonbz le comm.iiideinciit du vieil escnver,
loiiiiinytcL viroyl sur iiiig beau clieval, en soy ployant aux mou-
veinens de la besle, descendant, remontant, par voiles et passes,
fort gentement, lenanl liault la cuisse, et si ioly, si dextrc, si des-
goiird, (pie cela ne sauroyt se dire; enlin, tant, qu'il auroyt l'aict
rT>«
^v/C
i,K l'KciiK \ i:.\ii;l.
65
L'iivicà la loyiie Liioivcc, la(|U(,'ll(^ s'occil pouiavoii- eslé cunlaini-
i\vc corilrc sou yit,'.
— Hi^! se dit Blanclio, si tant seulement cettuy |iaige avoyt
(juinze ans, iem'endormiroys bien, fort prèsdeluy.
Aussy, niaulgrc la tro|) jurant ieuuesse de ce
}j;entil serviteur, pendant la coUalion et le souper,
elle guiyua beaucoup bi toison noire, la blancbeur
de peau, la jj^iiace de René, surtout ses yeulx,où
estoyent en abundance une limpide ebaleur et
un^r grant feu de vie, qu'il avoyt paour de darder,
reniant!
Ores, à la vesprée. connue la seiniescballe resloyt songeuse en
sa chaire, au coin de l'aatre, le vieulx Bruyn linlerrogua sur son
soulcy.
— le pense, leil-elle, que vous avez deu faire des armes en
amour de bon matin, pour estre ainsy pieçà ruiné...
— Oh! respondit-ilén soubriaril, connue tous vieulx question-
nez sur leurs reniembrances amoureuses, à l'aage de treize ans et
demy, i'avoys engrossé la chambrière de ma mère...
Blanche, n'en soubbaitant pas davantaige, cuyda que le paige
Ilené debvoyt estre sui'iisanmienl guarnv ; de ce feut ioyeulse
beaucoup, l'eit des agaceries au bonhomme, et se roula dans son
dezir muet, comme ung gasteau qui s'enfarine.
COMMENT ET PAR QUI FEIT FAICT LEDICT E>FA>T.
La senneschalle ne resvaiioinl trop à la fasson d'esYcigliM' luisli-
vcmcnl l'amour du paige, et eut bienlost tivuvé renibuselR' na-
turelle où sont tousiours prins les plus rudes. Vécy connue : A
l'heure cjiaulde du iour, le bonhomme faisoyt sieste à la mode
sarrazine, usaige auquel il ne failloytianiais depuis son relouincr
de Terre-Sainctc. Pendant ce, niantlie csldyt seule au j)rez, ou
laboroyt à menus ouviaiges comme en lirodc ni et en pariilent les
femmes; et, le plus souvent, lesloyl en la salle àveoir aux buées,
à renger les nappes, ou courroyl à sa plianlaisie. Lors elle assigna
ceste heure silencieuse à parachever l'éducation du j)aige en luy
faisant liiecz livres, et soy dire ses j)rières. Ad(»nr(|ues, le lende-
main, (juaiid doimil, sur le coup de midy,le sennesclial, (pii siic-
comboyl au soleil, leqiiel eschaulle de ses rays les plus lumineux
le costeau de la Hochc-Corbon, tant et plus, que là force est de
sommeiller,;! moins rpie (l'eslrevenlillé.sacquebuté, freschement
M'] l'KCIIK VKMKI,. («7
cmoustillé par ung diable de pucL'Iai^f, Hlaiiclic (loncijncs >r per-
cha moult gcntomcnt dedans la grant chaire seigneuriale de son
bonhomme, lafpielle ne Ireuva point Irop haulte, veu qu'elle
comptovt sur les hazards de la perspective. La rusée commère s'y
acconniioda dexlrement comme une liirundelle en son nid, et pen-
cha sa lesle malicieuse sur le bras, en enfant (jui dort; mais, en
faisant ces pre'paratoires, elle ouvroyt desyenlx friands qui soul)-
rioycnt, s'esbauldissant, par advance, des menues et secret tes gau-
disseries,estcrnuemens, loucheriesettransesdecepaigequialloyt
gezir à ses pieds, séparé d'elle par le sault d'une vieille puce.
Kt, de faict, elle advança tant et si bien le cpiarreau de veloux où
debvoyt s'agenouiller le paouvre enlani dont elle iouoyt à pl.iizir
l'ame et la vie, que, quand il cust esté un sainct de pierre, son
resguard auroyt esté contrainct de suyvre les flexuositez de la
robbe, à ceste fin de mirer et admirer les perfections et bcaultez
de la fine ianibc qui mouloyt la chausse blanche de la sennes-
challe. Aussy, force csloyt (ju'ung l'odjle varlel se prinst à ung
piège oiî le plus vigoureux chevalier auroyt voulentiers succondjé.
Lorsqu'elle eut tourné, retourné, placé, desplacé son corps et ren-
contré la situation où ledict piège estoyt le miculx tendu, elle cria
doulcement : « Oh! René! » René, que elle sçavoyt bien estre en
la salle des gardes, n'eut faulte d'accourir, et nionstra soubdain
sa teste brune entre les tapisseries de Ihuys.
— Que plaist-il à vous? dit le paige. Et il tenoyt,en grant res-
pect, à la main, son tocquet de peluche cramoysie, moins rouge
que ses bonnes ioues à fossettes et bien fresches.
— Venez cà ! reprint-elle de sa petite voix, veu (]ue l'enfanl hiy
attrayoyt si fort, qu'elle en estoyt toute espanlée.
A vray dire, n'estoyent aulcunes pierreries si ilambantes (jue les
yculx de René, ni velin plus blanc que son tainct, ni fcnnne si
doulce de formes. Puis, si près du dezir, elle le trouvoyt encores
plus duvsanunent faict; et comptez (juc le ioly ieu d'amour relui-
sovt bien de toute cette ieunesse, du bon soleil, du silence, et de
tout.
— Lisez-moy les litanies de madamt; la Vierge, luy dit-elle en
luy poulsanlung livre ouvert sur son prie-Dieu. Que ie saiche si
vous estes bien enseigné par vostre maistre!...
Ne Ireuvez-vous point la Vierge belle? luy demanda-t-elle en
soubriant, ijuand il tint les Heures enluminées où csdatoycnt
l'azin- et l'or.
M COISTES 1)11(11. ATiOliKS.
— C'est uiiu painclure, rospondil-il liinideniciil cl yeclaiit iiiig
petit coup d'œil à sa tant gracieuse niaislresse.
— Lisez, lisez...
Lors René s'occupa de rccilerles si doulces et tant invstici|uos
litanies; mais croyez que les ora pro nobis de Blanche s'en
alloyent tousiours plus l'oibles, connue les sons du cor par la
canipaigne ; et ores (|ue le paige reprinl avecques ardeur: « 0 rose
mystérieuse ! »> la cliaslelaine, qui certes entendoyt bien, rcspondit
par ungléyier sospir. Sur ce, Hené se doubta quelasennescballe
donnoyt. Adoncques, se mit à la couvrir de son resguard, la
mirant à son aise et n'ayant pas envie de sonner alors aultre
antienne qu'une antienne d'amour. Son heur luy faisoyt bondir et
suisaulter le cœur iusques dans la gorge ; aussy, comme de raison,
ces deux iolys pucelaiges ardoyent à (jui mieulx, et, si les aviez
veus, iamais n'en bouteriez deux ensemble. René se resgalloyt
par les yeulx, en complotant en son ame mille IVuitions qui luy
donnoyent l'eaue en la bouche de ce beau l'ruict d'amour. Dans
ceste ecstase, il laissea cheoir le livre, ce dont devint penaud
comme moyne surprins en mal d'enfant; mais aussy, par là,
cogneut que Blanche sonnneilloyl bel et dur; car elle, point ne
s'esmeut, et la rusée n'auroy t pas ouvert les yeulx, mesmes à plus
grans dangiers, et comptoyt que tomberoyt aultre chouse que le
livre d'heures. Oyez connue il n'y ha pire envie que envie de
grossesse! Ores le paigc advisa le pied de sa dame, lequel esloyt
chaussé menu dans ung broiKupiiu mignon de couleur perse. Elle
l'avoyt singidièrement assis sur ung escabeau, veu i[u'elle estoyt
trop élevée dedans la chaire du senneschal. Ccttuy pied estoyt
de pioportions estroites, légierement recourbé, large de deux
doigts et long comme ung moyneau IVauc. conq)ris la queue, petit
du bout, vrai pied drcb'liccs, pied virginal (pii mériloyl ung baiser
c-(inmic ung larron la barl ; pied lutin, pied lascif à danincr ung
ai change, pied augurai, pied agaçant en diable et qui doimoyl
dezir d'en faire deux neuls tout pareils, pour perpétuer en ce bas
monde les beaulx ouvraiges de Dieu. Le paige feut tenté de
(Icn'errer ce pied persuasif, l'our ce faire, ses yeulx, allumez de
tout le feu de son aage, ailovcnl vilt-menl, connue battant de
cloche, de ce dict j)ied de délectation au visaigc endormy de sa
daniecl maistrcsse,escoulant son sonnneil,beuvanl sa respiration;
ot, de rechief, ne sçavoyt le(|uel seroyt plusdoulxde planter ung
baiser; ou sur les fresches et rouges lèvres de la seimeschalle, ou
I.K l'KCIH'; \ KM Kl.. 69
■sur <■(• |)i('(l pailiint. Brifl', jcir lespocl ou ciiiiiitc, ou pciil-cstro
|iai' j:i';inl aiiioui', il cslcut le j)ii'(l, et le baisa dru, coniiiic purcllt^
qui n'ose. I uis aussitost il lepiint le livre, sentant sa rou;,'eur
rougir cneores, et tout travaillé de son plaizii", il cria comme ung
aveugle : — Janua cœ/î,portedu ciel ! . . .Mais HIanclie ne s'esveigla
point, se fiant (|ue le jtai^c iroyldu j)ied an j^enoil et de là dans
le ciel, l'.lii' l'eut giantement despitir, (juand les litanies linèrf-nt
sans autre dommai^c, et (jue Hené, (jui croyoyt avoir eu troj)
d'heur jtour ung ioui', yssit de la salle, tout subtilizé, plus riche
de ce liardy baiser qu'ung voleur (jui ha robbé le tronc des
paouvres.
Quand la seinieschalle l'eut seule, elle pensa dans son ame que
le paige seiovt bien long ung peu en besongne, s'il s'amusoyt à
chanter Magnificat à matines. Lors, pour le lendemain, elle se
délibéra de lever le pied ung petit, et, par ainsy, de mettre en
lumière le nezdeceste beaultéque l'on nonmie parlaicte enTou-
raine, pour ce (ju'elle ne se guaste ianiais ù l'aër, et demeure aussy
lou.siours Iresche. l'ensez (pie le jiaige rosty dans son dezir et
tout eschaui'fé des imaginations de la veille, attendit impatiennnent
assez l'heure de lire dans ce bréviaire de guallanterie ; et feut
appelé, puis les menées de la litanie recommencèrent; et Blanche
point nelaillità dormir. A ceslc loys, ledict Hené l'rosla sa main
sur la iolie iambe et se bazarda iusques à vérifier si le genoil poly,
si aullrc chose, estoyt satin. A ceste veue, le paouvre cnlaut,
armé contre son dezir, tant grant paour il avoyt, n'osa l'aire que
de briefves dévotions et menues caresses ; et encore qu'il baisast,
mais doulcement, ceste bonne estolfe, il se tint coy. (le (|ue
sentant parles sens de l'ameet intelligences du coips, la sennes-
clialle, (|ui se tenoyt à (jualre de ne se mouvoir, luy cria : — Oua
donc(jues, Hené ! ie dors !
Oyant ce qu'il creut estre ung grave reprouchc, le paige espou-
vanté s'enl'uyt, laissant les livres, la besongne et tout. Sur ce, la
senneschalleadioiixta ceste prière aux litanies : — Saincle Vierge,
que les enlans sont dilliciles à l'aire!
A disner, le paige suoyl dans le dos; en arrivant servir sa dame
et son seigneur ; mais il l'eut bien surprins, en recevant de Blanche
la plus pule de toutes les œillades que iamais remme aytgeclée,
et bien plaisante et puissante elle esloyt, veu (lu'elle eonmmla cet
enfant en homme de couraiiie. Aussy, le soir mesnie, Bruyn
estant demouré un;: brin de temps de jdus ([u'il n'avovt coustuine
70
CONTES DROLATIOIES.
en sa sennoschaussée, le pai^o cliercha-l-il et trouva Blanche
endormie, et luy feit faire un beau resve.
Il luy tollyt ce qui si fort la geiiennovt,
et si planlureuscment luy liailla de la
graine aux enfans, que, du surplus, elle
eust parfaict deux aultres. Aussv, la
commère, saisissant le paige à la teste et
le serrant de court, s'escria : — ()|i! liené.
tu m'as esveiglée !
Et de faict, il n'y avoyt sommeil qui pust y tenir; et ils treuvc-
rent que les ^linctes debvoyent dormira
poings formez. Do ce coup, sans aultrc
mystère, et par une propriétô bénigne qui
est principe servatour des espoux, le doulx
et gracieux plumage séant aux cocqus se
plaça sur la teste du bon mary, sans qu'il
en ayt senti le moindre escbec.
Depuis ceste belle foste, la sennescballe
feit do grant cuour sa sieste à la françoyse,
pondant que Bruyn faisoyt la sienne à la
sarrazine. Mais, parles dictes siestes, elle
ex])érinionta comme la bonne ieunesse du
paige avoyt moillour goust que celle des
vieulx senneschaulx ; et, de nuict, elle s'onfouissoyl dedans les
toiles, loing de son mary, que elle trouvoy t rance et oi'd en diable.
Puis, force de dormir et de se resveigler le iour ; force de faire des
siestes et de dire des litanies, la sennescballe sentit florir dans ses
flancs mignons coslo gesine, après la(]uolle tant et tant avoyt esté
sospiré; mais ores elle aynioyt plus davanlaigc la fasson que le
demourant.
Faictcs estât que liené sçavoyt lire aussy, non plus soulomonl
dedans les livres, ains aux yeux de sa iolie seigneure pour laquelle
il se seroyt gocté en ung buscbor ardoiit, si folle avoysl esté son
vouloir,;! elle. Quand par oulx li'uiciit l'aiclos de i)()niios et amples
traisnéos, plus de cent au moins, la petite sennescballe eut cure
et soulcy de l'ame et do l'advenir de son amy le paige. Ores, ung
matin de pluye, qu'ils iouoyent à toucbe fer, comme deux enfans
innoceiisdola tostcaur pieds. Hlancbe. qui ostoyt toujours prinse,
luy dit :
— Viens <;à, IJencl S^ais-tu (pic, là oîi i'ay ronnnis des pé-
I.K l'KCIIK VKMKL. 71
(liez véniels, itour ce (jne ie doniioys, toi, tu en as faict de
jnoi'lels ?
— lia! niadanie, i'eit-il, où doncques Dieu boutera-t-il tous
ses danniez, si cela est peelier'.'
Blanche s'eselata de rire, et ie baisa au liont.
— Tais-tov, niesciiant, il s'en va du |)aradiz, et bcsoing est
que nous y vivions de compagnie, si tu veulx estrc avecques nioy
lousiours.
— Ob ! i'ay mon jiaradiz ici.
— Laissez cela, dil-elle. Vous estes ung mescréant, ung maul-
vais qui ne songez point à ce que i'ainie : c'est vous ! Tu ne sçays
pas que i'ay ung eni'ant, et que, dans peu, il ne se cèlera pas plus
que mon nez. Ores, que dira l'abbé? Que dira monseigneur? Il
peut le delTaire, s'il vient à se cbolérer. M'est advis, \)c[\l, que
tu ailles à l'abbe Mannoustiers pour luy advouer tes pécbez, en
luv donnant mandat de veoir ce qui est séant de faire à l'encontre
de mon sennescbal.
— Las ! dit le rusé paigc, si ie vends le secret de nos ioycs,
il mettra l'interdict sur nostre amour.
— lin da! leit-elle ; oui! Mais ton heur en l'aullre monde est
ung bien (|ui m'est si prétieux !
— Le voulez-vous doncques, ma mye?
— Oui, respondit-elle ung peu Ibible.
— Kh bien, i'iray ; mais dormez cncores, que ie luy dise
adieu !
El le gentil couple lécila des litanies d'adieux, comme s'ils
eussent, l'ung et l'aullre, préveu (jue leur amour debvoyt hnir
en son apvril. Puis, le lendemain, plus pour saulver sa chière
dame (jue pour soy, et aussy |)our obéir ii elle, René de lallanges
se desporla vers le grant moustier.
l'iiis, le nnlpiiiain , plus |iour .saiilvcr sa tliièrc dame i|iic jujur soy. cl aus^y
j>our obéir à clic, Hiiié de lallangos se dcsporla vcr> le (jraiit lllou^lit•^.
COMMMEiNT DU blCT l'tCHK D A MOU II FHUT FAKTK OItIKFVE
l'LMTEftC.i; ET MEKÉ GRAM DELIL
— Viay Dieu ! s'escria l'abbo, lorsque le jjaige eut accusé
la kyrielle de ses doulx péchés, lu es complice d'une énorme
félonie, et tuas traliy ton seigneur ISçays- „ liS^'^^^t.
tu, paige de maltalent, (|uc, pour ce, tu 'â^^K:^'''^^''
arseras pendant toute ri'ternité,tousioursV
et sçays-tu ce (jue c'est (jue de perdre à
iamais le ciel d'en haut pour ung mo-
ment périssable et changeant d'icy-bas?
Malheureux! ie te veois [trécipité pour
iamais dedans les goulï'res de l'enfer, à
moins de payer à Dieu, dès ce monde, ce (pic tu luy doibs pour
tel grief...
Là-dessus, le bon vieil abbé, (pii esloyt de la chair dont on faict
les saincts, et qui avoyt grant authorité au pays de Touiaine, es-
pouvanla le i<'uii(' hounne par ung monceau de représentations,
discours chrestiens, remembrances des commendemens de IKc-
cliseet mille chouscs esloquentes autant que ung diable en peut
direen six semaines pour séduire une pucelle, mais tant et tant,
que René, lequel estoyt dans la loyale ferveur de l'innocence, feit
sa soubmission au bon abbé. Oies, lediclabbé, voulant faire ung
saincl homme cl vertueux pour tou&ioursde cet enfant en train
74 CONTES DllOLATlULES.
d'estreraaulvais, luy comiiianda d'aller de prime abord se proster-
ner devant son seigneur, et luy advouer ses desportcniens ; puis,
s'il rescliappoyt de cesteconlession, de se croiser sur l'heure et
virer droict en Teire-Saincte, où il dcuioureroyt quinze ans de
ternie prélix à guerroyer contre les hdidèles.
— Las! mon révérend père, leit-il tout espanté, quinze ans se-
ront-ils assez pour ui'acquilter de tant de plaisirs? Ah! si vous
sçaviez, il y ha eu de la doulceur bien pour mille ans!
— Dieu sera bon homme. Allez! reprint le vieulx abbé; ne
péchez plus. A ce compte, ego te absotvo...
Le paouvre René retourna, là-dessus, en grant contrition, au
chastel de la lloche-Corbon ; et la prime rencontre qu'il y leit l'eut
le sennesclial, qui l'aisoyt l'ourbir ses armes, morions, brassards et
le reste, il estoyt sis iuz ung grant banc de marbre, à l'aëi', et se
complaisoyt à veoir soleiller ses beaulx harnoys qui luy ramente-
voyent ses ioyeulsetez de la Terre-Saincte, les bons coups, les
galloises, et cœtera. Quand René se leut mis à genoilz devant luy,
le bon seigneur feut bien eslonné.
— Qu'est cecy? dit-il.
— Mon seigneur, respondit René, commandez à ceulx-cy desoy
retirer.
Ce que les serviteurs ayant faict, le paige advoua sa faulte, en
racontant comment il avoyt assailly sa dame pendant le sonnneil,
et que, [)ourle seur, il debvoyt l'avoir enchargiée d'ung enl'ant,
l'imitation de l'hounne avecques la saincte, et venoyt, par ordre
de son confesseur, se remettre à la discrétion de l'offensé. Ayant
dicl, René de lallanges baissa ses beaulx yeulx, d'où procédoyt
tout le mescliief, et resta coy, prosterné sans paour, les bras pen-
dans, la teste nue, attendant la maie heure et soubmis à Dieu. Le
senneschal n'estoyt si blanc qu'il ne
pust blesmir encores; et doncques,
!|^('M?|îjii^ il paslit comme linge freschement
seiche, deniourant muet de cholèrc;
puis, ce vieil homme, qui n'avoyt
point en ses veines d'esperils vitaulx
assez pour procréer ungenfaiit, trouva,
dans ce moment ardent, plus de vi-
gueur (|ue besoing n'estoyt pour dell'aire ung homme. Il em-
poigna (le sa (lextn! velue sa lourde masse d'armes, la leva,
brandilla et aiusla si facilement, que vous eussiez dict une boule
LE i'KCHfi VfiNIEL. 75
à ieii (lo quilles, pour l;i (Icsfliarffici- sur le front pasie diulict
René, lequel, saicliant qu'il estoyl liien en (aulh^ à l'endroit de
son seigneur, demeura serain et tendit le col, en songeant (ju'il
allovt solder toute la coulpe pour sa uiye en ce monde et dans
l'aultre.
Mais si belle ieunesse et toutes les s('ductinns naturelles de ce
ioly crime trouvèrent graace au tribunal du cueur chez ce vieil
homme, encores que Bruyn feust sévère ; et lors, jectant sa masse
au loing sur ung chien qu'il escharholta : — Que mille millions de
gri[)hes mordent pendant l'éternité toutes les charnières de celle
(|ui ha l'aict ccluy qui sema lechesne dont feust construite la chaire
sur la(|uelle tu m'as cornifié! Et autant à ceulx qui t'engendrè-
rent, mauldict paige de malheur ! Ya-t'en au diable d'où tu viens !
Sors de devant moi, du chastel, du p.iys, et n'y reste un poulce
de temps plus que besoing est; sinon, ic sçauray te préparer une
mort à petit feu (pii h' fera mauldire, vingt foys par heure, ta
vilaine ribaude...
Kn entendant ce commencement des paroles du senneschal qui
avovt img retour de ieunesse sur les iuremens, le paige s'enfuvt
en le ((uittant du reste, et feit bien. Bruyn, tout flambant de maie
raige, gaigna les iardinsà grant renfort de pieds, maulgréant tout
sur son passage, frappant, iurant; mesmes qu'il renversa trois
poteries tenues par ungsien serviteur qui portoyt la paslée aux
chiens; et il se cognoissoyt si peu qu'il auroyt tué ung peigne pour
ung mercier. Brief, il aperceut sa despucelée, qui resguardoyt sur
la route du moustier, attendant le paige, et ne saichant point que
plus iamais ne le verroyt.
— Ha ! madame, par la rouge trqde fourche du diable, suis-je
ung mangeur de bourdes et ung enl'ant, pour croire que vous avez
si grant perluys qu'ung paige y entre sans vous esveiglcr? Par la
mort ! par la teste ! par le sang !
— 'Vère, respondit-elle, voyant que la mine estoyt esventée, ie
l'ay bien gracieusement senty ; mais comme vous ne m'aviez point
appris la chouse, i'ay cru lesver!
La grant ire du senneschal fondit comme neige au soleil ; car la
plus grosse cholère de Dieu luv-nicsme se feust esvanouie à ung
soubrire de Blanche.
— Qu(î mille Miillioiis de diables emportent cet enfant forain !
le iure (|ue...
— b;i, la ! lie iurcziidiiil, fril-cllc S"d n'est vostre, il est mien:
76
CONTES DHOl.VTIorFS.
ot, l'aultre soir, ne disicz-vous pas (|uo. vous a\ niorioz tout co (jui
viendroyt de nioy ?
Là-dossus, (dleenlila telle venelle d'arraisonnemens, de paroles
dorées, de plainctes, querelles, larmes et aultres patenostres de
femmes, comme, d'aliord. que les domaines ne ieroyeiil point
retour au roy ; ipie iamais enfant n'avoyt esté plus innocemment
ueeté en moule; que cecy, que cela; puis, mille cliouses. tant,
que le bon coequ s'apaisa; et Blanche, saisissant une pro|iice en-
treioincture, dit :
— Kt où est le pai^^e?
— 11 est au diable !
— Quov! l'avez-vous tU('''.Mit-clle. El toute [)asle, elle chancela.
Hruyn ne sceut que devenir, en voyant cheoir tout l'heur de
ses vieulx jours; et il auroyt, pour son salut, voulu luymonstrer
ce paige. Lors, il commanda de le quérir; mais René s'cnfuyoyt
à tire-d'aile, ayant paour d'estre descontict, et se départit pour
les pavs d'oultie-mer, à ceste lin daccomplir son vœu de religion.
Alors que Blanche eut apprins parl'abbtî dessusdict la pénitence
imposée à son bien-aymé, elle cheut en griel've mélancholie, disant
parfoys: — Où est-il, ce paouvre malheureux, qui est au milieu
des dangiers pour l'amour de moy?
Kl touiours le demandoyl, comme uiig ciiraiil (|iii ne laisse
aulcun repos à sa mère iusqu'à ce (|Ui' sa (picrimonie luy soyt
octroyée. A ces lamentalions, le vieiilv senneschal, se sentant en
faulte, se Iresnidiissdvt à l'aire mille cliouses. une seule hormis,
allin de rendic lllanche heureuse; mais rien ne valloyt les doulces
Iriaiidi^rs du pai^e...
Elle cheul en griefve mélancholie, disant parfoys : — Où est-il. ce paouvrc
malheureux qui est au milieu dos dangiers pour l'amour de moy?
78
CONTES imOLATIOUES.
Cependant ollo eut uiiii iour iV'nfaiit tant (k'ziré! Comptez (|ue
ce feut une belle fesle pour le bon eoc(iu, ear la resseml)lance du
père estant enyravi'een plein sur la l'ace deee ioly l'ruict d'amour,
hlanelie se consola beaucoup, etreprint ung petitceste tantbonne
ijayeté et fleur d'innocence quiresiouissoyt les vieilles heures du
senneselial. Force de veoir courir ce petit, force de resguarder les
rires correspondans de luy et de la comtesse, ilfma parl'aynier,
el se serovt coui loucé bien for! contre unt; (pii ne l'on anroyt pas
cru le père.
Ores, comme l'adventuic de Blanche et de son paige n'avoyt
point este' transvasée hors du chasteau, il consta, par tout le
pays de Touraine, (jue messire Rruyn s'estoyt encores Ireuvé on
l'onds d'unu onl'ant. Intacte demoura la vertu de Blanche, qui,
par la quintessence d'instruction par elle j)nisoe au réservoir
naturel des femmes, recojjneut combien besoing estoyt de taire
le péché véniel dont son enfant estoyt couvert. Aussi devint-elle
|ireude et saige, el citc'e connno luie vortueuso pei'sonne. Puis,
à l'user, elle expérimenta la bonté de son bonhomme: et, sans luy
dormi-r licence d'aller avecquos elle plus loing (pie le menton,
LE PÉCHÉ VÉNIEL.
79
ven qii Vil sov ollo so ivsgnnidoyt comme iicquise à Rem', Hlanclie,
en retour des lleurs de vieillesse que luy olïroyt Biuyn, le dorelo-
toyt, luy soubrioyt, le maintenoytenioyp, le|)apelardantavec(|ues
les manières et lassons gentilles dont usent les bonnes l'enimes
envers les marys (ju'elles truplient; et tout si bien, que le sennes-
chal ne vouloyt point mourir, se quarroyt dans sa cbaire, et, tant
plus vivovt, tant plus s'aceoustumoyt à la vie. Mais, brief, un^
soir, il trespassa, sans bien sçavoir où il alloyt; car il disoyt à
Blanche : — Ho! ho! ma niye, ie ne te veois plus! Est-ce qu'il
t'aict nuict?
C'estoyt la mort du iust(\ et il l'avoyt bien méritée pour loyei'
de ses travaulx eu Tei're-Sainete.
Blanche mena de cestemort ung granl et vray deuil, le plou-
rant comme on ploure ung père. KUe demoura mélancholicque,
sans vouloir prester l'aureille aux niusicques des secundes nopces;
ce dont elle ieut louée des gens de bien, lesquels ne sçavoyent
point (jue elle avoyt ung espoux du cueur, une vie en espérance;
mais elle estoyt la plus part du temps veufve de faict et veufve
de cueur, pour ce que, n'oyant aulcunes nouvelles de son aniy le
croisé, la paouvre comtesse le rejjutoyt mort; et, pendant cer-
taines nuicts, le voyant navré,
gisant au loing, elle se resvei-
gloyt toute en larmes. Elle ves-
cut ainsy quatorze armées dans
le soubvcnir d'ung seul iour de
bonheur. Finalement, ung ioui-
où elle avoit aveccjues elle aul-
cunes dames de Towr;iiui>,et (|ue
elles devisoyeiit après disner,vécy
son petit gars, lequel avoyt lors ,.,•.
environ treize ans et demy, et fe
ressembioytàUenc'piusque n'est -ov^
permis à ung entant de ressem-
bler à sou jière, et n'avoyt rien de l'eu Bruyii que le nom,
vëcy ce petit, loi et gentil comme sa mère, qui revint du iar-
din, tout courant, suant, eschaulTé, hallebotlant, graphignani
toutes chouses sur son passaige, suivant les us et couslumes
de l'enfance, et ipii court sus à sa mère bien avmée, se
gecte en son giron; puis, lompant les devis d'ung cbascun, luy
cria :
80
CONTES DROLATIQUES.
— Ho! ma mère, i'ay à vous parler. Tay veu en la court ung
pèlerin qui m'ha pris bien Ibrf.
— Ha ! s'escria la f liastelaine, en se virant devers ung sien
serviteur, qui avoyt cliarge de suyvre le ieunc comte et veigler sur
ses iours prétieux, ie vous avoys delTeiulu
à tout iamais de laisser mon fils aux mains
d'estrangiers, voire mesmes en celles du plus
sainct homme du inonde... Vous quitterez
mon service...
— Hélas! ma dame, respondit le vieil es-
cuyer tout pantois, celluy-là ne luv voulovt
jxiintde mal, pour ce qu'il ha })louré en le
liaisant bien fort...
— 11 ha i)louié'.' i'eit-clle. Ah ! c'est le père !
Ayant dict,elle pancha la teste sur la chaire
(»ii elle estoyt sise, et qui. pensez-le bien,estoyt
la chaire où elle avoyt péché.
Oyant ce mot incongreu, les daines feurent
si surprinses, (]ue, de prime l'ace, elles ne
"^ " veirent point que la paouvre senneschalle es-
tovl morte, sans que iamais il ayt esté sceu si son lirief trespas
advint par poine de la départie de son amant, (pii, fidelleàson
vien, ne la voulovt point veoir, ou j)ai- grant ioye de ce retourner
etdel'espoir de iaire lever rinlerdicl dont l'abbé de Marmonstier
avoyt frappé leurs amours. Et ce feut ung bien grant deuil, car le
sire de lallanges perdit l'esprit au spectacle de sa dame mise en
terre, et seleit religieux à Marmonstier, que, dans cettuy temps,
aulcuns nommoyent Maimoslier, comme qui diroyt ma'ms Mo-
nnaterinm, le j)lus granl moiislier, et. de jaict, il esloyl le plus
beau couvent de France.
L\ MYi: DU HOY
Il yavoyl en ce (ciiips uiig oqiliehvro loyiéaux foriics du l'oiil-
;ui-Clianj,f(\ (liii|iiil la lillo cstoyt ciléo dans Paris pour sa lirz-
iii'ant i)iMiill(', n'iKtiniiii't'siir lotito flionse pour sa iioutotô : aussy.
trcz-lut'ii la pourcliasstnrnl aulcuas par los lassons accoustuuK'Os
de l'amour; cl lanl (pic certains ani-ovent baillé do l'ar^i^nl au
|ièro poui- avoir sa dicio fillo conmii' vi'rilable cspouso, ce (jui le
rendoyt, aise t;iiil qui' ic u" sçiurnis dire.
Ung siiMi voisin, advocat au paidenienl, li'(|ir'l, forri' de vendre
son bagoust aux aultres, avoyt autant de
domaines (pie ung ebien ha de puces, s'ad-
visa d'olïrir audict père ung liostel en iceo-
j^noissance de son eonsenlenu'iit à ce nia-
liaiiicdonl il vouloyt s(! chausser. A (pioy
ne l'aillil |)iiiiit. l'orphebvre. Il octroya sa
lille, sans avoir soulcy de ce (|ue cettuy
(■lia|)peron l'ourri- avoyt une mine de cinge,
peu de dents en ses MiandilMilcs. encores
l(ransloy(>nt-elles, et sans mesnics le llairer, (pioi(pie il l'eusl ord cl
puant coMune tous iusiiciards (pii cr(»upissent de reste ez i'umiers
du Palais, parcli(^mins, Olim, et noires pi'oc('(lurcs.
Ores (pie la Ixdie lille bî vcit, elle dit de prime l'ace ; — Mercy
Dieu! ie n'en veulx point.
82 CONTES DROLATIQUES.
— Ce n'est mon compte! dit le père, qui avoyt dosià prins
riiostol en iiousl. le te le donne pour espoiix. Accordez vos
musiques. Cela maintenant le resguarde, et son office est de
t'apréer.
— Est-ce ainsy? leit-elle. Eh bien, devant (|ue de vous obéir,
ie luv dirav son laict.
Et ie soii' niesme, après souper, lorsque l'amoureux commença
de luy exposer son cas l)ruslant, luv desclairant comme il estoyt
leru d'elle, et luy promettant grant cbiere pour le demourant de
sa vie, elle luy respondit de brief :
— Mon |)ère vous lia vendu mon cor|)s ; mais, si le prenez, vous
lercz lie moy une gouge, veu (jue i'aymeroys mieulx estre aux
passansqu'à vous, le vousiure, au rebours des damoiselles, une
«lesloyauté qui ne finira (jue par mort, vostre ou mienne.
Puis se mil à plourer, connue font toutes les garses qui ne sont
j)oint encores ferrées ; car, après, elles ne plourent plus iamais par
les yeulx. Le bon advocat printces estianges lassons pour des go-
gues et appasts dont se servent les tilles affin d'aliumer davantaige
le feu <'t laire tourner les dévotions de leurs prétendusen douaires,
pn'cipul/ et autres droits d'espousée: aussy, le malin n'en tint
com|)te, et se rit des estouffades de l;i belle tille, en lui disant :
— A quand les nopces?
— Drez demain, feit-elle, pour ce que, plus fost ce sera, plus
tost scray libre d'avoir des guallans et de mener la ioyeulse vie de
celles qui ayment à leur choix.
Là-dessus, ce fol advocat, esprins c(»mme uug pinson dedans
la glue d'ung enfant, s'en va,faict ses prc'paratives, interlocute
au Palais, trotte à l'Oflicial, aciieple dispenses, et conduicl ce
pourcbaz })lus vitement cjue toutes ses aultres plaidoyeries, ne
rcsvant que de la belle fille. Pendant ce, le Roy, qui se trovoyt
du retourner d'ung voyaige, n'enfeiulant jiarler en sa court (jue
de la belle lille, la(|uelle avoyt refusi' mille cscuz de celluy-cy,
rabbroué eclluy-là, litiablemerit, (jui ne vouloyt estre soubmise
par personne et rclmltoyt tous les plus beaulx fils (|ui eussent
(juitté Dieu àc liui' p;nt de paradiz à seule fin de iouir de ce
dragon un seul ioiii ; (loiic(|ues, le bon lloy, leipiel estoyt friand
de tel giliicr, yssil en la ville, pjissa aux forges du pool, eiilia
chez roiplichvre, à ccstf lin d'aclicpter des iovaulx |iour la dame
de son (iii-ur, mais //em |)oin' marcliaiidcr le plus prt'lieux liiiou
lie la liiintii'(|iir. br lîo\ lie SI- lrouvo\l point de goust aux orplieh-
UA UTE DD ROY
84
CONTKS DUULATlULiES.
vieric^, ou les oiphebYreries ne se trouvoyciit point à son gousf,
tant que le bonhomme fouilla dans une layette cachée pour mons-
trer au Roy un gros diamant blanc
— Ma niye, dit-il alors à la belle (illc |irn(laiil (|iic le ncrc
avoyt le nez en la layette, vous n'esU'S pas faiele pour vendre
des pierreries, mais pour en recepvoii", et si, de toutes ces
bagues, vous me donnez le choix, i'en sçay une dont icy l'on
est all'olle, laciuelle me plaist, dont à tousiours seray subiectou
serviteur, et dont le royaulme de France ne pourra iamais payer
le prix.
— Ah! Sire, ri'|trinl la belle lilli', ie me marie denuiin. Mais,
si vous me baillez le poignard ijui est à votre ceincturc, je def-
lendray ma fleur et vous la reserveray pour observer l'Evangile,
oii il est dict : Donnez à César ce qui est à César.
Tost le Roy Iny donna la petite dague; et ccste vaillante res-
ponse l'enamoura de la (ille à en perdre le mangier. Il lait son
parlement, en intention de logier cesle nouvelle mye à la rue
de rilirimdelle. en inig sien lio^lei. NdiJà mon advocat, pressé
d(' soy biider, (jui, au giant (les|iil de sus coirivaulx, mène son
«'spousée au bruict des clochiers. axecipies musicques, l'aict des
j'e^tins à donner des diarrlu'es, et, le soir, après les daiices, vient
en la cliambre de son logiz où debvoyt estie couchiée la belle
(ille; non plus la belle lille, mais lutin processil', mais emaig('e
diablesse, (pii, sise en ung sien l'auteuil, n'avoyt voidn se mettre
Ma m\c, ilil-i\ alors ;i la lii-lle fille penilaiil que le père avoyt le nez en la layellr,
vous n'esles pas faitle pour vendre des pierreries, mais pour en recevoir.
se.
CONTES DKOLATKjUKS.
auMict de l'ad vocal et restoyt devant le foyer, chauffant son ire et
son cas. Le bon mary, tout estonné, vint ployer les genoilz devant
elle, en la ronviaiil à la iolie lialaillo des premières armes; mais
elle ne somia mol ; cl. (|uanil il lenloyt de lui lever la cotte, aflin
seulement de veoir uui; petit ce qui si eliier lui coustoyt, ellcluy
douuoyt ung coup de main à luy casser les os et se tenoyt muette.
Ce ieu plaisoyt à nuin dict advocat, lequel cuydoyt veoir la fin de
ce par la cliouse (pu; vous sçavez; et il iouoyt en bonne liance,
altrapant de bons coups de sa sournoyse. Mais tant débucher, tant
de liirt iller, tant de l'assaillir, il deffeit ores une manche, ores des-
cliira la iiippe, et coula sa main aubut mi-^uondcliscberie, forfaict
dont la belle fille gronda, se dressant en pieds, puis, tirant le poi-
gnard du Roy :
— Que voulez-vous do moy! lui ilil-cUe.
— le vcul* touti feit-il.
— lia! ie scroys une grant pute (pie de me donner à contre-
ciieur. Si vous avez cuydé trouver ma virgiiiil(' désarmée, vous
errez fort. Yécy le poignard du lloy, dont ie vous tue, si vous faictcs
)nine de m'approucber.
Cela dict, elle print ung charbon, en ayant tousiours l'œil au
procureur; puis, cscri|)vanl une raye sur le planchicr, elle adiouxta:
i.\ M VF nr nov. 87
— Icv seront les coiiliiis du (loinaiiic du lloy. N'y entrez; si le
passez, ie ne vous faulx!
L'advocat, qui ne pensoyt pas faire l'amour avecques ce poi-
gnard, lestovt tout desconfict, mais, ores (ju'il escoutoyt ce cruel
arresl dont il avovl dcsià piiyc- les dospens, ce bon mary voyoyf,
par l(>s (lescliirenres, si M cscliaiitilloii de cuisse rebondie, hlan-
clie et fresclie, puis si brillante doubleure de mesnage boucbant
les trous de la robbe, et cœtera, que la mort lui sembla doulce,
s'il y ironsloyl seulement nnj; ])etit; et alors se rua dedans le df)-
maincdu Roy, disant : « l'eu me cliauld de mourir! » Etdelaict,
s'y;,'ecta si dru, ipie la belle lille tomba l'oit mal sur leliet; mais,
ne perdant pas le sens, elle se detïendil si iiétillamment, (jue
l'advccat n'eut aultre licence que de touchier le poil de la beste ;
encores v gaigna-t-il ung coup de poignard, qui lui trencha ung
bon bout de lard sur l'escbine, sans fiop le blesser : en foy dequoy
il ne lui en cousta point trop ebier d'avuir lait inuplion dans le
bien du Uoy.
Mais, enyvré de ce chetif adventaige, il s'escria : — le ne sçau-
roys vivre sans avoir ce tant beau corps et ces merveilles d'amour !
Donc(pies, tuez-moy !
Et, de reebief , vint assaillir la réserve royale. La belle fille, qui
avoyt son Hoy en leste, ne l'eut point toucliiée de ce grant amoui-,
et dit grietVemen : — iSi vous menassez cela de vostre poursuite,
ce n'est pas vous, ains moy, que ie tueray...
Et son resguard estoyt laroucbe assez pour espouvanter le paou-
vrebonmie, (pii s'assit en d('|)|ourant ceste maie beure,et passa la
nuict, si tant ioyeulse àceuly (jui s'entr'ayment, en lamentations,
prières, interiections et aultres j>romesses : comment elle seioy
servie; pourroyt dissiper tout; mangier dans l'or; desimpie da-
moiselle en feroyt une dame, en acbeptant des seigneuries; et fi-
nablement, i\no, si elle luy j)ermett((yl de rompre une lance en
riionneur de l'amour, il bKpiitteioyt de toutet perdroyt la vie pu
la l'asson ([u'elle vouidroyt.
Mais elle, tousiours Iresche, lui dit, au malin, qu'elle luy per-
mettoyt de mourir, et que ce seroyt tout l'iieur qu'il pouvoyt luy
donner.
— le ne vous av point truplié, leit-eili-. Mesmes, à lenconlre
de mes promesses, ie me baille au Hoy, vous Taisant graac.e des
])assans, lourdiers et charretons, dont ie vous menassoys.
Fuis, quand le iour feut venu, elle se vestit de ses cottes et
Ses coi.f..-..'s l.iv r.'.r.'nl .-Milinit .le li.iil.-s .1 inocqu.Mi.'< .|im- s.
«Mil (riiniincurs m\ <",om|) Mi'We.
LA MVK IH' lUiV.
SO
aiustomons nupfiaulx, attendit |(aticiiiniciil (|ii(' Irhon marv.dniit
(îllc n'avoytricii voulu, scdcslouniast du lo^lz pour l'idlaiic d"uii^
client, et tost devallapai- la ville, elieiciiant Icl'ioy. Mais elle n'alla
point si ioing (juc le gcct d'une arbalesle, pour ce que ledict sei-
gneur Roy avoyt mis en guette ung sien serviteur qui tortilloyt
autour de l'Iiostcl, et, de prime abord, dit à la marii'e, qui estoyt
encores cadenassée :
— Ne querez-vous point le Rov"/
— Oui, l'eil-elle.
— Eli bien, ie suis vostn> meilleur amv, reprint le lin liouinio
et sul)lil eoinli/an; ie vous demande vosire ayde et [iroleetion,
comme ie vous donne mesbuy la mienne...
Là-dessus, il luy dit quel bomme estoyt le lloy; par quid
costé il debvoyt estre prins; qu'il laisoyt raige ung iour, l'aultre
ne sonnoytmot; et comme estoyt cecy, et connue cela; (ju'elle
seroyt bien appoinctée, bien Iburnie; mais qu'elle liust le Roy
en servaigc : briel', il cacquelta si bien durant le ciiemin, qu'il
en ieit une pute parlaicte pieçà qu'elle entrast dans l'bostel de
rilirundelle, où t'eut depuis madame d'Estampes. Le paouvre
mary ploura comme ung cerf aux aboys, lorsipu' plus ne veit sa
boime l'enmie en son logiz, et devint d'ordinaiic melancbolicque.
Ses confrères luy feirent autant de boutes et mocqueries que
9li
CONTES nUOLAÏIQUES.
saincl .laoquos ont d'honneurs on Composfcllc; mais ce rorquard
secuysovtot dcssiMclioyt dans son einniy, si tant, que les aullres
tinèient par vouloir l'alli'gier. Ces chapperons fouirez, par esperit
de cliio(juane, décrétèrent (|ue le dolent honlionnne n'estoyt point
eo((pi, veu que sa l'enmu' avoyl relïust' la iousterie; et si le
planteur de cornes avoyt esté aultre tpie le Uoy, ils eussent
entiepris la dissolution dudict nuiriage. Mais l'espoux estoyt
alTollé de ceste gouge à en mourir; et, par adventure, il la laissa
au llov, se fiant (pi'nng iour il la pourroyt avoir à luy, estimant
(pTunc iiuich'e avee(pies elle n'esloyl |)()int trop j)ayéc par la
lionte (le loiilc une vie. il i'aul aynier, dà! pour ce; et il y ha
heaueoiip de luaguards qui renilleroyeiit à ceste graiit amour.
Mais lii\ tdiisidurs pensoyt à elle, iu';;lii^('aiit ses |)hiids, ses
(•liens, ses V(dei'ies et tout. 11 alloyt par le palais connue ung
avare (|ui quert un bien perdu; soulcieiix, isoniie-creux; mesmes
(iniiiii: idiir il c(»nq)issa la l'ohhe d'ung conseillei', cuydaut estre
idiixlc le Miiir (lù les advocals vuydeiit leurs causes, f-ependant
l;i hclle lille estoyt aynii'e sdir et malin par h; Roy, qui ne pou-
vovt s'en assouvii-, pour ce (pTelle avoyt des manières espéciales et
gentes en amour, se cognoissaiit aussi hicn à allumer le l'eu (pi'à
rcslaiiidre. Me>liii\, ralihrouant le Itoy; di'main, le |)apelar(lant ;
iamais la mcsme, et ayant des pliaiilaisies plus de mille :
au dernouraiit, Irer-honne, ioiianl ilii liée cnunne aulcmie ne
-^ -
LAnVOCAT FLUlIN.
1>2 CONTES DROLATIQUES.
pouvoyt faire, rieuso et fertile en folastreries et priiles cdrcjnns-
series.
Ung sieur de Briilon' se tua |)our elle, de dcspit de ne pouviiir
eslie reeeu à nieicy d'amour, eneores qu'il ol't'rist sa terre de
Hridoré en Toui'aine. Mais, de
ces bons et anciens Tourangeaux
(|uidonnoyent ung domaine pour
ung coup de lance gave, il ne
s'enfaict])lus. Cesie mortattrista
la belle iille ; et, j)our ce que
son confesseur lui imputa ce
trespas à grief, elle iura,à part
soy, que, bien qu'elle feust la mye
(!u |{ov, à l'advenir elle accep-
leroyt les tlomaiues et l'eroyl secrettenient la ioye. pour saulver
son ame. Aussv commença-t-elle alors ceste grant Ibrtune qui
luy lia valu la considération par la ville. Mais aussy elle empesclia
beaiuoup de gentilshonunes dépérir, accordant si bien son luth
et treuvant de telles imaginations, (|ue le Uoy ne sçavoyt point
qu'elle l'avdovt à reiulre ses suliiects plus heureux. De i'aict, il
l'avovt si druement en goust, ipreili' luy auroyt I'aict croire que
les planchiers d'en hault estoyent ceulx d'en bas, ce qui luy estoyt
plus facile (ju'à aulcune autre, pour ce qu'en son logiz de l'Hi-
runde ledict Roy ne finoyt d'estre concilié, tant qu'il ne sçavoyt
faire la différence des planchiers; baguant tousiours, comme s'il
eust voulu veoir si ceste belle estolfe pouvoyt s'user; mais il n'usa
que luv, le chier honnne, V(;u (ju'il mourut par suite d'amour.
Quoique elle eust le soin de ne soy donner qu'à de beaulx honunes
les plus ancrez en court, et que ses faveurs fussent rares comme
miracles, ses envieux et corri va les disoyeuttjue pour dix mi Ile escuz
ung sinqtle geiililhonnne j)ouvovt gouster à la ioye du lloy, ceipii
eslovt faulx de toufi^ faulseté, veu (|ue, lors de sa noize avecqucs
ledict sire, ijuand elle l'eut par luy ie[»rouchée de ce, elle luy
respondit fièrement : — l'abomine, ie niauldis, ie trentemille
ceulx qui ont mis ceste bourde en vostre esperit. le n'en ay eu
aulcuii qu'il n'avt despeiulu pour moy plus de trente mille escuz
à la grille.
Ij' Uoy, tout faschié, ne put s'tMnpescbier de soubrire, et la
giiarda encore ung mois environ, pour faire taire les médisances.
Kniin la d.imoisfllc de F'isscleu uo. se creut dame et niaislresse
LA MVE î)l' riOV.
(jup sa rivale ruvni'c. Aiiis hcimcoiii» liissi'iiI ■,\\i\\r ccslc niyiic,
vcii qii'olle t'eut espousde par ung ieuue seigneur, qui t'eust encorcs
liciircnv avor(jues elle, tant elle avovt d'anioiir et de feu, à eu n;-
vciidre à celles (pii j)esclieiit par trop jurant IVcsclieur. le reprends.
Un<f iour que la nive du lioy se jxiiirnicnoyt |)ar la ville dedans s;i
lictiere, à ceste lin d'aeliepter des l'errets, lassels, patins, g()rj;c-
rettes et aultres munitions d'ainonr, et que tant belle et bien attor-
née cstoyt, que ung ebaseun, siiitoiit les eleics, la voyant, eussent
cru vcoir les cieulx ouverts, vecy son bon niary<pii vous la ren-
contre |)rouebe la Croix du Tialioir. Klle, qui lioutoyt son pied
niiynon hors la lictiere, rentiil viteiuenl la leste conuiie si elleeust
veu ung asj)ic. Elle esloyt bonne fennne, car i'en cognoys (pii eus-
sent passé fiei' [)()iu' allrniiler le leur, en yrant despect de sa sei-
gneurie coniugale.
— Kt qu'avez-vous? luv (li'iii;iii(l;i iiioii>ieiir de Ijiiiiiov. (pu p;i|-
révérence raceonq)agnoyl .
— Ce n'est rien, f'eit-elle tout bas. Maiscep.issaiit est mon iiiary.
Le paouvre lionuue (>st bien eliang(''! ladis il ressendibiyt à ung
einge, mais auiourd'buy ie cuyde (pi'il est l'imaige (K' lob.
(le des|)lourable advocal reslovt esbaliv, sentant son cueur se
tendre à la veue de ce pieti mince et de sa lemme tant avm('e.
()yantcela,le sire deLanudy liiy dit en vi'ay goguenard decoint:
— Est-ce raison, pour ce (jue vous estes son marv, ipie vous
l'enqiescbiex de j)asser?
A ce j)roupos, elle s'esclata de rire, et le bon maiy, au lieu de la
tuer bravement, [doura en escoutant ce rire (pii luv lendit la leste,
le cueur, l'ame et tout, si bien (juil faillit à tomber -iir mig vienh
bourgeoys occupé à se'rescliaul'fei- le cas en \iiv,ml l;i mve du iîov.
l/aspect de ceste belle fleur (pi'il ;ivoyl eue en bniilon, mais ([iii
lorsestovtespanouïe, odorante, vl ceste iiatuic blanche, bien gor-
giasi'e, taille de tee, tout cela l'cndit ladvorat plus malade et plus
fol d'ycelle (pie aulcnnes paroles poiind\eiil le
dire. Kt besoiug est d'avoir esté yvre dune luen
aymée (|ui se refuse à vous pour parfaictemeni
cognoistre la raige de cet lionnne. Kncores est-
il rare d'estre aussy cbauldemenl. eidourni' (pie
p(»ur lors il esloyt. Il iura (pu; vie, fortune, hon-
neur et tout y passeroyt, mais que, une fins
au moins, il scroyt chair à chair avecques elle, et lero\l >i grant,
resgal d'amour, ([ue il ylairi'oyt peut-estre sa fressure et ses reins.
Oi CONTES DROLATIQUES.
Il |)assa la nuict, disant : « Ho! oui! Ha! ie l'auray! Et sacre et
Dion! ie suis son niar\ ! Et diable!... » se frappant au front, et
ne restant jtoint en |)lare.
Il se forge en ce monde des liazards auxquels les jiens de petit
es|)erit n'accordent point de créance, pour ce que ces dictes ren-
contres sendjient supernaturelles ; mais les hommes deliaulte ima-
«iination les tiennent jjour vr;\yes, pour ce que l'on ne sçauroyt les
inventer; j)ar ainsy arriva-t-i; au paouvre advocat, le lendemain
inesinc de cesic «^riervc veillc'c oîi il avovt tant masclic' son amour
à Yuyde. Ung sien client, lionnne de grand nom et (jui enti'oyt à
ses heures chez le Hoy, vint de matin dire à ce bon mary qu'il luy
falloyt une grosse somme d'argent, sans aulcun délay, comme
douze mille escuz. A quoy le chat fourré responditque douze mille
escuz ne se rencontroyeiil ])oint au coin d inu' rue aussy souvent
que ce qu'on y rencontre, et (pie besoing eslovt, oultre les seuretez
et garanties de l'interest, d'avoir ung homme qui eust chez luy
douze mille escuz les bras croisés, et que de ces gens peu en estoyt
dans Paris, quoycpie grant il feust, et aultres bourdes que disent
les hommes de cliic(|uaiie.
— \ ère, ni(»iiseigneur, vous avez doiicques ung créancier oultre-
avide torssionnaire? feit-il.
— Oh! oui, respondit-il, veu que ce est la cliouse de la mye
duHoy! IN'en sonnez mot; mais, ce soir, moyennant vingt mille
escuz et ma terre de Ihie, ie luy prendray mesure.
Sur ce, l'advocal pasiit, et le courtizan s'aj)erceut (|u"il avovt
guasli- quelque clioiise. (lomnieil estoyt au retourner delà guerre,
il ne sçavoyl point (pie la belle bile aymc'e du Roy eust ung
mary. ^
— Vous blesmissez. l'eit-il.
— l'ay les liebvics.rijsjiondil lecliicquani'er. — Mais,repiint-il,
est-ce donc(pies à elle (pie vous domiez conlracts et ai'gent?
— Oui (la !
— Et qui (lonc(pies la marchande? est-ce elle aussy?
— Non, dit le seignem-, mais ces menus arrangeniens et solides
hagiialelles se frallicipienl par mie niescliin(^ (pii est bien lapins
adroiclecbambeiière (pie laniais lent ! |]lie e>t plus line<pie inons-
taide, et il luy reste bien (pielipn's ^ulïraiges aux doigts de ces
Mincli'es j)riiises au Hov.
— l'ay un mien londiani, icprint l'advocal, (pii pourra vous
a( idiiiMiodei': mais rien ne seia laiil. et. desdits douze mille
I.A MYK DU KOV. 1)5
escuz, vous iraïuez pas Uiiit sculciiiciit iiii;^ louj^i! liaiil, si ladictc;
cliainborière iic vient It-aiis ciisatclicr le [»iix do cocas ijui est si
graiit alqiK'iiiislo! il iiiiio le sang on or, viay Dion!
— Oh! (;e sera ung Itou tour, si liiy iaiclos signer un acMjuit,
lepai'lit le seigneur en lianl.
Lanieseliinc vint sans l'anlle au londoz-vous dos oscuz ciiez l'ad-
voeat, qui avoyl \nir le seigneur de la luy amener. VA faietos oslat
que sires ducats esloyent bel et ])ien r.uy^r/. connue iiomies allant
à vespres, couchiez iuz une fajjle, etauroyont desride ung asne eu
train d'cstro estrillé, tant hollcs et luysantes estoyent les braves,
les nobles, les ieunes piles. Le bon advocat u'advovt point ostably
cesteviseopourlesasnes. Aussy la nioschinelle se [»ourlescha-t-ello
trez-huniideiuent les badigoinces, di-
sant mille patenostres de cinge aux
dits escuz. Ce (jue voyant, le niary
luy souflla dedans l'aureille ces mots
(|ui snoyent l'or ; — Cocy esta vous!
— lia! dit-elle, ii' n'ay iamais este
payée si chier !
— Maniye,respartitlechierhonune,
vous les aurez sans estre grevée de
nioy... Et la destcuniiant ung polit :
— Vostre client lU' vous ha point dictcounnent ou nie noiinue,
hein? leit-il? non? Ores appreiu'z que ie suis le vrav marv
(l(! la dame que le Koy ha desbauchée de son oflice, et
([uc vous servez. Eniportez-Iuy ces escuz et revenez icv; ie
vous conipteray les vostrcs, à une condition qui sera de vostre
goust.
La mescliine ofTrayéo se raffermit, et feut moult curieuse de
sçavoir à quoy elle gaigiu'royt douze mille escuz sans touchier à
l'advocat : aussy ne faillit-elle point à test revenir.
— Ores çà, ma mye, luy dit le mary, vécy douze mille escuz;
mais avecques douze mille escuz on ac(piiert des donuiinos, des
hounncs,des lénunes et la conscieuc(Mli' trois piebsties au moins :
par ainsy, ie cuyde que, pour ces douze mille escuz, ie puis vous
avoir corps, ame, hypocondrilles et tout. Et i'auray créance eu
vous, comme ont les advocats : douuanl, donnant, le veulx que
vous alliez incontinent chez le soigneur (|ui croit estre aynu- cesle
nuict par ma fenune, et (jue vous le tartruphioz, en luy contant
comme quoy le Uoy vient souper chez elle, et que, pour ce soir,
1>(> CONTES DUoLATlglES.
il linit qu'il iiulto ordre à sa pliuntaisie aullrcuicnl. Puis, cela
(lict, ie seray au lieu de ce beau fils et du Roy.
— Et coiimioiil? fc^it-elle.
— Oh! rrs|)(>ii(lit-il, io t'ay achepti'o, toi et tes engins. Mais tu
n auras [ws rcsi^uardé deux l'oys les escuz (jue tu trouveras ung
moyen de uu^ faire avoir ma l'euune : car, en ceste conioncture, tu
ne pèches nullement ! Est-ce pas œuvre pie de s'employer à la
sainctc coniunction de deux espoux, dont les deux mains seule-
ment ont été mises l'une dans l'aultre de\ant le prehstre?
— Par ma lieque! venez, dit-elle. Après souper, les lumières
seront estainctes, et vous pouirez vous assouvir de ma dame, pour-
veu que vous ne sonniez mot. Heureusement, à ces heures ioyeul-
ses, elle crie plus qu'elle ne parle, et n'interroge que j)ar gestes,
car elle ha de la j)U(leur beaueou|), et n'ayme point à tenir de
vilains proupos, comme l'ont les dames de la court...
— Oh! feit l'advocat, tiens, prends les douze mille escuz, et
ie t'en promets deux Ibys autant, si i'ay en fraude le bien qui
m'appartient en loyaulté.
Là-dessus, ils convindrcnl de l'Iienre. delà porte, du signal, de
tout ; et la mesehine s'en alla, eiiqiortant à dos de mulet, et bi(>n
aceoiiq)aignée, les beaulx deniers [)rins ung à ung par le chicqua-
nous aux veul'ves, orphelins etaussy àd'aultres : lesquels alloveut
tons dans le petit creuset oiî tout se fond, voire nostre vie, (jui en
vient. Voilà mous l'advocat (jui s'esbarbe, se parfume, met son
beau linge, se passe d'oignons pour avoir ses halenées frcsches,
se reconforte, se snperfrisc et faiet tout ce qu'ung malotru de
Palais peut inventer pour se mettre soubz forme de guallant sei-
gneur. Il se doime les airs d'un ieune desgourd, s'esguise à estre
leste, et tasche à desguiser sa face immunde; mais il eut beau
faire, il sentoyt tousioins l'advocat. Il ne feut pas si avise que la
belle buandièie de Portillon, hicpielle ung dimanche, se voulant
mettre! en atours pour ung sien amant, lessivoyt son pertuys, et
glissant le pénultiesmc doigt ungpetit où vous savez, elle seflaira :
— Ah ! mon mignon ! feil-elle, tu t'advises de sentir encores ! La !
la! ie vais te lincer avecipies de l'eau bleue. Et tost et bien, l'cmit
au gu(' son cri/psimen rusti((|ue, ce qui l'eMuiicscha de se dilater.
Mais noslre cbiccpianous se cioyoit h- plus beau lils du monde, en-
cores que de toutes ses droguas il feusl la ])ire. Pour estre brief, il
se veslit de légier, quoique le froid pinçasl comme ung collier
de r|iauvre,et yssit dehors, gaignant au plus vile ladicle rue de
i,\ \\\\: m lt(l\.
97
riliriiiKli'llc. Il \ |t;ilii'iil;i iinii lioii tiiiiixiii de I('iii|)n. Miii^-, an
moment où il cuvdovt avoir csli' priiis pour un sot, lors que nuifl
l'eut, la clianibiMièrc viiil lin oiiviii' l'Inns, et le bon marv se
coula tout lieuifiix dedans IIionIcI du lîoy. Ceste mescliine le
serra pn'cieuscuient dans uiig icduicl (|ui se trouvoyt près du liet
où se courliovl sa dicte leunne, cl. |tai- les l'entes, il la veit dans
luiili- sa lieaulte, vi^n (|n'elle se dcspouillo} t de ses atours et
eliaussiivt, au l'over, ung liabit de cninhat à travers ducjuel on
apeieevovt loiil. (Ires, cuydaiit
estreseuleavecques sa nicscliiiic.
elle disoyt les l'ollics (pie disiiil
les l'enunes en soy vestant. — Ni-
vaulx-je pas bien vingt mille e—
cuz ce soir? Et cecy, ne sera-( >
pas bien payé par nng cliasleaii
de lirieV
En disant cela, elle relev(t\t
légièrement deux avant-[)osles,
durs comme bastions, les((uels
pouvoyent soutenir bien des as-
saults,veu (prilsavoyenlestt' lu-
rieusemenl altacpu^zsaus mollir.
— Mes espaules seules valent
ung royaulme ! dit-elle. le délie bien lelloy de les refaire. Mais,
vray Dieu, ic eonnneueeà m'eimuyei- de ce mestier. A tousiours
besougner,il n'y lia point de plaisir. Lamescbinettc soubriovt,et
la belle lillc luy dit : — le voudroys bien le veoireu ma place...
Kl la cliamberière se milà rire plus l'ort, en luy respondanl :
— Taisez-vous, mademoiselle. Il est là.
— Quy ?
— Yostre iiiai\.
— Leipiel'.'
— be vray.
— CJiiil ! l'eprit la belle Mlle.
Et sa cliamberière luy conta l'adventure, voulant conserver la
laveur de sa maistresse et anssy les douze mille escuz.
— Ob bien ! il en aura pour son argent, dit l'advocate. le vais
le laisser se morl'ondre Irez bien. S'il faste de mov, ie veulx
[)erdre mon lustre et devenir aussy layde cjue le marmouzet d'ung
cistre.Tule bouteras aulict en ma place, et lu verras à gaigner
9"
98
CONÏKS l)lU)|..VTl(jlKS.
tes douze mille eseiiz. Va luy dire qu'il lire ses giègues de bon
matin, affin (|iie ie resaielie tes tromperies el,ung[)eu avant le
iour, ie viendray me meslre à ses coslez.
Le paouvre marv gi'eslolloyt,et les dénis luy tlacciuoyent fort.
Anssv, la eliaudierière letonrna devers luy, sonbz le j)relextede
(juerir ung lini^e, et luy dit : — Knlielenez-vous cliauld dans
votre dezir. Madame l'aiet ce soir ses grans cérémonies, et vous
serez bien servy. Mais laictcs raige, sans souiller ! AuUrement
ie seroys perdue.
rin;il)lement, ([uaud le bon mary l'eut de tout ])oinct gelé, les
llambt'aux l'eurent eslaincis, la mescbine cria tout bas dans les
rideaux à la niye du Hoy (|ue le seigneur cstoyt là; puis elle se
mit au lict, et la belle lille sortit, connue si elle eust esté la
cbambcrière. L'advocat yssit de sa iroide cacliette, et se fourra
congruement entre les toiles, en pourpensant en luyMuesnie: « Ah!
(|ue c'est bon ! » De l'aiet, la cbandji'rière luy en donna j)Ourplus
de cent mille escuz, Kt le boidioinmecongneut bien la diriéience
qui est entre les profusions des maisons royales et la petite des-
pense des bourgeoyses. La mescbine, (|ui lioyt connue unepan-
topble, se tira de son roole à merveille, lesgallant le cliicquanous
décris passablement gentils, torsions, snrsaullsconvulsii's, comme
une carpe sur la paille, et faisant des ah! ah! ()ui la dispensoyent
daullres paroles. Kt tant par elle l'eut adressé de re(juestes, et
tant feurent-elles amplement respondues par l'adrocat, qu'il
s'endormit connue une pocbevuyde; mais,paravant de liner, cet
aman!, (jui voulovt conservi'r le soubvenir de cest(^ bonne nuictée
d'amour, espila sa l'ennne, à la favi'ur d'un soubresault, ie ne sais
on, veu (|ue ie n'y esloys j)oiul, et tint en sa main ce prt-cienx gaige
de la cbaulde vertu de la belle (ille. Vers
le matin, quand le coq chanta, la belle
lille se glissa près de son bon mary, el
feignit de dormir. Puis la cbandierière
vint lra|)peilegierementau Iront du bien-
heureux, en luy disant à l'aureillc : — Il
est temps. Pouilb'z vos chausses el tirez
d'icy ! Vécy le iom. Le bonhonnne, grief-
vement marry de laisser ce sien threzoï', voidul veoir la source
de sou bonheur esvanouy.
— (III! oh ! feil-il en procédant au rccolement des pièces, i'ay
du blond, el vécy i]ui est noir.
I. \ MVK m MOV. 99
— Qu'avez-vous faicl? Iiiy dit la iiicscliiiio. Madaiiif verra
(luCilo no lia j)oiiil son cuiiiijle.
— Oui, mais voyez.
— Mais, leit-elle, d'uii^air de niespris, ne sravez-voiis point,
vous (jui sçavez toul, (|ue ce (jui est desplanté meurt et se des-
colore?
Kt, là-dessus, elle le gecta dehors en s'esclalant de rire avecques
la lionne ^ouge. Cela l'eut cogneu. Ce paouvre advocat, nommé
IVron, en mourut de despit, voyant qu'il estoyt le seul qui n'eust
lioinl sa l'enniie, tandis (jue elle? qui, de ee, l'eut appelée la lielle
l'i-ronnière, espousa après avoii- laissi' le Uoy, ung ieune sei-
gneur comte de Buzançois.
Kt, sur ses vieulx iours, elle racontoyt ce bon lour. cl en riant,
veu (pi'elle n'avoyt iamais pu sentir l'odeur de ce cliicquanous.
(^eci nous ap[)rend à ne |toiiil nous attacher phis que jkhis ne
(lehvons à lémmes (pii relTusent de porlei' nosire ioug.
MAU-KINGK ET P A S Q U i: n F.TTE
L'iii:i{iTii:n du diahle
Il V avovt alors iiiiif lion viciik cliaiioiiu' de Nostre-Danie do
Paris, lequel demeuroyt en un bon logiz à luy, jirouclie Saiucl-
Pierro aux Bœufs, dans le Parvis. CeUuy elianuine estoyt venu
simple prebsfro à Paris, nud comme dai^uesaul' la guaisne. Mais,
veu qu'il se trouvoyl eslre ung bel lionnne, bien guarny de tout
et coniplexionné si plantureusement, que, par adventure, il pou-
voyt l'aireronvraige (lei)lusieurs sans trop s'esbrescher, il s'adonna
Irez fort à la couression des dames : baillant aux. m('lan(lioli(|nes
une doulce absolution ; aux maladilVes, une draebme de son
baume ; à toutes une petite friandise. 11 fent si bien cogneupour
sa discrétion, sa bienfaisance et aultre qualitez ecclésiasticques,
qu'il eut des praticipies à la court. Lors, pour ne point resveigler
la ialousie de l'oflieialité, celle des maryset aultres, brief, pour
enduire de saincleté ces bonnes et proufdctables menées, la
marescballe Desquerdes luy bailla ung os de sainct Nictor, en
vertu duquel os tous les miracles du cbanoine se parfaisoyent.
Kt aux curieux il estoit respnndn: — Il a ung os (pii guarrit de
102 CONTES DROLATIQUES.
tozt. Et à ce personne no Irouvoyl lion à lodiro, pour co cpi'il
uVslovt point si'ant do soubçonnor los relicquos. À l'unibro de
sa sontane, le bon prebstreent la moilloure des renommées, celle
d'nnii homme vaillant soubz les armes. Aussy vescut-il comme
mig roy : battant monnoye avecques son goupillon, et transmuant
l'oaiie benoisteon Imn vin. De plus, il osloyt rourhié parmyloiis
les et cœtera (]es notaires oz testamons, ou dans los oaudioiles,
que auleuns ont escript CODKIILE lanlsairement, \c\\ que le mot
est issu de cauda, comme si disiez la queue des legs. Finablement,
le bon frocquart eust esté faict archevesque, s'il eust seulement
dict par raillerie : — le vouldrovs bien mettre une mitre pour
couvrechiel', alfin d'avoir plus cbauld à la loslo. Ains, iV' tous les
bénéfices à luy oliorls, il n'oscloutcpi'ung simple canonicat, pour
se réserver les bons prouflicts de ses coniessades. Mais ung iour
le couraigéux chanoine se trouva foible des reins, veu qu'il avoyt
bien soixante buict ans ; et, de faict, avoyt usé bien des confes-
sionnanlx. Alors, se ramenlovant toutes ses bonnes œuvres, il
crut pouvoir cesser ses travaulx ap(»st()lic(jues, d'autant cpi'il
possédoyt environ cent niille escuz, gaigncz à la sueur de son
corps. Dès ce iour il ne confessa plus (juc les femmes de liault
lignaige, et trez bien. Aussy disoyt-on à la court (|ue, maulgré
leselTorts des meilleurs ieunes clers, il y n'y avoyt en(;ores tjue le
cliaïKiiiie de Sainct-Piorre aux Dœufs pour bien blanchir l'àiiir
L'IlKlilTIKl! m hl \i!l,i;. 10")
d'iinf Ccmnio do coiidilioii. l'uis, fiiliii, li- cliiiiioine dt-vint, par
loirc de iiatiinMjn^f l)Cau nonagi-nairc, bien iici<:rux do la teste;
Ii(imIiI;iiiI dos mains, mais quarré comnio iirio Umv ; ayant tant
ria(li('s;iiis tousser, (|iril loiissoyt loi-ssaiis pouvoir eiatlior; ne se
levant plus de sa chaire, Inyipii s'esloyt tant levé par liunianité;
mais heuvant Irais, inangeanl rude, ne S(uuianl mol, et ayant
tiiutes les apparenees dimg vivant chanoine de Nostre-Dame. \ eu
riinniohilité de ( vsusdict chanoine; veu les relations de sa vie
niaulvaise, (pii, depuis ung |)eu de temps, couroyent parmy le
menu peuple [nusiours ignare ; veu sa réclusion nmette, sa floris-
sante sanlt-, sa ieune vieillesse et aullreschouses longues à dire,
il V avovt aulcunes gens, lesipiels, ])onr l'aire du merveilleux et
miire à nostre saincte religion, s'en alloyenl disanl (pie le vray
chanoine ostoyt pieçà delTuiict, et (pie depuis |)lus de ciucjuante
ans le diable logeoyt au corps du diet l'rocciuard. De t'aict, il
send)loyt à ses anciennes piacliquesfpie le diahleseul avoyt|ui,
par sa grant chaleur, l'ournir aux distillations herméticjues
qu'elles se ramentevoycnt avoir obtenues, à leurs soubhaits, de
ce bon confesseur, qui tousionrs avoyt le diable au corps. Mais,
comme ce diable estoyt notablement cuyctet ruyné par elles, et
(pie pour une royne de vingt ans il n'auroyt pas bougit^, les bons
es|)erits et ceulx (|ui ne manquoient j)()inl dosons, ou les bour-
geoys qui arraisonnoyent sur toutes chouses, gens qui trouve-
royent des |)oulx: sur testes ehaiilves, demandoyent pourqnoi bî
diable restoyt soubz forme do chanoine, alloyt à rocclisoNostre-
Dame, aux heures où vont chanoines, et s'adventiu'oyt jus(pi'à
gobber les ))arfums de l'encens, goustor à l'eaiu' benoiste, puis
mille aultres cbosos.
A eosproujtos li('ri'lic(pi('s. les ungs disoyent que le diable vou-
loyt sans doidile se cuiivirlir, et les aultres que il demeuroyt en
fasson de chanoine, jiourse m()C(pu'i'dos trois ne|)veux et lu-ritiors
de ce susdict biave confesseur, et leur faire attendre ius(jues au
iour (le leur propre trespas la succession am|de de cet oncle vers
le(piel ils sedosportoyont tous les iours, allant resgnarder si le
bonhomme avoyt les yoiilx ouverts; et, de faict, le trouvoyent
tousionrs l'œil clair, vivant et aguassant comme œil de basilic,
C(! (pii les (livertissovt beaucoup, veu (pi'ils avmoyent Irez fort
leur oncle, en paroles. Ace subiect, ime vieille femme racontoyt
(pu' pour seur le chanoine ostoyt le diable, pitur ce (pie deux de
se^ liepveiix. le jiiiiciin'iiiet le cap! I aille, coiidllisaill à la niliel ItMir
104 CONTES DROLATIQUES.
oncle, sans fallot ni lantorno, au rcldiirncrfrung sou|icicliez lo
pt'nitcnrior, l'avoyi'iit laid, par inadvi-rk-iict', ticlmclicr dans ung
))(in las tli' picni's amassées pour élever la statue de sainet Christo-
phe. Dahord le vieillard avox t l'iiiel feu en lomhaul, |)uis s'estovt,
aux eris de ses ehiers nepveux et aux lueurs dedandjeaux (pi'ils
vindrent quérir chez elle, retreuvé debout, droiel coiouie une
quille et f,Miay comme ung esmerillon, disant (pie le hon vin du
pcniloncierluy avoyt donné lecouraige de soustcuii- ce choc, et (pie
ses os estoyent hicii durs et avoycnt endos assaillis plus i ndcs. Les
bons ne|tveux, lecuvdaiil mort, l'eurent bien cstoimcz, elveirent
que l(! temps ne viendroyt pas raciicment à bout de casser leur
oncle, yen qu'à ce mcslicr les pierres avoyent tort. Aussv ne l'ap-
pcloycnt-ils j(as leur bon oucleà l'aiilx, veu (pi'il estoyl de bonne
(jiialité. Aulcunes mescbantes langues disoycnt cpie le chanoine
avoyt Ireuvé tant de ces pierres sur son passage, ipTil restoit chez
luy, pour n'estre point malade de la pierre, et (pie la crainte du
pire csloyt la cause de sa réclusion.
L'IIlÎRITIKIi 1)1 IMM'.l.i:. 105
De tons ces diros et ruiiifiiis. il (•(iiistc (|iic le vii'iiK rluiiidiiic,
(li;il)lc (tu non, (IcrncMifoyl en son In-i/, ne \iinloyt poiiil trcs-
passcr, et avovt trois iK'rilii'isavccMiut's losipK'ls il vivoytt-c ii;
avec(|uessessciarK'(|U('s, inankdc reins et aultres dcspendances
de la vie humaine. Desdiets trois héritiers, ung estoyt le plus
maulvais souldard (|ui l'eust yssu d'ung ventre de fennne, et il
avoyt deu l)ien descliirer l'estoffe de sa mère en cassant sa coc-
quiile, yen qu'il eslnyt sorty delà aveeques des dents et du poil.
Aussy mangioyt-il aux deux tenq)s du verhe, le présent et l'adve-
nir, avant des garscs à luy, dont il payoyt les oscollions; tenant
de l'oncle pour la durée, la lorce et le bon usaiye de ce (jui est
souvent de service. Dans les grosses batailles, il taschoyt de donner
des lu.iidiis sans en i'(Hc|tvoir. ce i|ni est et sera fousiours le seul
lii'dhicsmc à resoiildiiMMi guerre ; Mi:iis il ne s"v espar^^noyt iamais;
et, de l'aict, comme il n'avoyt point d'aultre vertu, hormis sa bra-
voure, il l'eut capitaine d'une compaignie de gi'ans lances et fort
aynié du duc de Bourgongne, lequel s'enqueroyt fort peu de ce que
l'aisoyent r///V/s ses souldards. Cettuy nepveu du diable avoyt nom
le capitaine. Coeliegrue ; et ses créanciers, les lourdiers, bour-
geoys ou aulfres dont il ci-evovt les poches, l'appeloyent \o Mau-
cinge, veu qu'il estoyt malicieux autant que fort ; mais il avoyt
de plus le dos guasté par l'infirmité naturelle d'une bosse, et il
ne falloyt point faire mine de monter dessus poni' voir plus loing,
car il vous auroyt navn-, sans conteste.
Le secund avoyt estudit' les Coustumes, et, par la faveur de son
oncle, estoyt devenu bon procureur et plaidoyt au Palais, où il
faisoyt les affaires des dames que iadis le chanoine avoyt le mieulx
confessées. Cettnv-là senomniovf P///e-/7r//r,pour le railler siu*
106 CONTES DROLATIQUES.
son vraynoin,(im csloyt, Coclionriio. romnif colluy du capitaine
son iVôre. Pille-grue avoyt ung
ehestil' coi|)S. s(>nil)loyt lascliier
(le l'eaue Irez lioide, esloyl pasle
(le visaige et possédoyt une phy-
sionomie en manière de hec de
foiiyne. Ce néanlmoins, il valovl
bien ung denier de ])lus (pie ne
valoyt le capitaine, et porloyt à
son oncle une pinte d'alTection ;
mais, depuis environ deux ans,
son cueur s'estoyt ung peu feslé,
et, goutte à goutte, sa reeognois-
sancc avoyt fuy; de sorte (jue,
de temps à aullre, quand l'aër
esloyt humide, ilaimoytà metli'e
ses pieds dedans les chausses de
son oncle et à presser par avance
le ius de eeste tant bomie succes-
sion.
l.iiy et son l'rc're le soiildard
ti'euvoyent leurpartbien li^giere,
v(Mi ([\u\ loyaulment, en droict,
en faict, en iustice, en nature cl en r('alil(', hesoing estoyt de
domier la tierce partie du tout à iing
])aouvre cousin, (ils d'une aultre s(eiir
du chanoine, I(Mni(l li('ritier,peuaymé,
du honliomme, restoyt aux champs,
où il estoyt hergier pn^'s IVaiiterre.
Celtiiy gnardien de hestes, ])avs;ni
à l'ordinaire, vint en ville, sur l'advis
de ses deux cousins, (pii le mirent
en la maison de leur oncle, dans l'es-
poir (pie tant par ses asneries, loin--
dcries, tant |»ar son defraiilt d'engin,
tant jiar son maltalent, il sccdyl lifs-
])laisanlau chanoine, qui le iiiclliuyl
à la porte de son testament. l(oncipi(>^
ce paiuivre (lliiipion, ci»nnne avo\ t ihhii If licrgicr. Ii:iliilii\
seul. avrc(pi('s son vieil oncle, (lc|iins t\\\ii mois ciniidi
i^ss;:.
CcKuy guardiun du he^lc», pay?uii à l'ordiuaire, viut eu ville.
108 CO.M'KS IIIIOI.VTIQUES.
tiL'Uvanl jiliis (lo [nvniHicl un dç. iliverlissciUL'ul ù guaider un
abbé qu'à veigler sur des moulons, se ieit le chien du chanoine,
son scrvilcni-, son l)aston de vieil-
li'ssc, luy (lisant : « Dieu vous cou-
M'i vc ! (juand il |)elloyt : « Dieu vous
s;iulvL' ! » (|uan{l il esternuoyt, et
« Dieu vous garde ! » (juand il rotoyt ;
allant, veoir s'il pleuvoyt, où estoyt
la eliatfe, icslanl nuiel, eseoulaiit,
|iarlant, recevant les tousseries du
Ijoiihomme par le nez, l'admirant
conune le plus beau chanoine qui
fensl au monde, le tout de cueur,en
lionne IVanchise, ne saicliant point
qu'il le lescliast à la manière des chiennes (jui espoussetlent leurs
petits; et l'oncle, auquel ne l'alloyt point apprendre de quel costé
du pain estoyt lafrippe,rebuttoyt ce paouvre Chiquon, le faisoyt
virer comme un dez ; tousiours appelant Chicpion, et tousiours
disant à ses aultres nepveux (jue ce Chiquon l'aidoyt à mourir,
tant basiourd qu'il estoyt. Là-dessus, oyant cela Chiquon se
demenoyt à bien l'aire à son oncle, et s'esguisoyt l'entendement
à le mieulx servir; mais, comme il avoyt l'arrière-train formulé
comme une paire de citrouilles, estoyt large des espaules, gros
des nKMubres, peu desgourd, il ressembloyt davantaige au sieur
Silène (ju'à ung légier Zéphyrus. Au l'aict le j)aouvre beigier,
homnu' sinqtle, ne pouvoyt se iep(^strir : aussy restoyt-il gros
et gras, en attendant la succession pour se maigrir.
Ung soir, monsieur le chanoine discouroyt sur le conqjle du
diable et sur les griefves angoisses, supplices, tortures, etc., (jue
Dieu cliaufloyt |tour les dannii's; et le bon Cihi(|non, escoutant,
«l'ouvrir des yenlx gians comme la gueule d'ung four à ces devis,
sans en rien croire.
— Yère, feit le chanoine, n'cs-tu pas chrestien'.'
— En da ! oui, respondit Chiquon.
■ — Eh bien, il y ha ung paradiz |(our les bons : ne faut-il
point un enfer |)()ur les mcschans?
— Oui, monsieur h; chanoine; mais le diable n'est ])oiut
utile... Si vous avii-z céans ungmeschant qui vous n)etloyt tout
sens dessus dessoubz, ne le bouteriez-vous point dehors?
— Oui, (;hi(jnon...
L'HÉRITIER 1)1 DIAliLK. 109
— Ilobien! monsieur mon oncle, Dieu seroyt bien nij^aud de
laisser dans cettuy monde, (|u'il lia si curieusement basfy, ung
abominable diable espécialement occupé à luy guaster tout...
Foiny! ie ne recognoys po'wil le diable, s'il y lia ung bon Dieu...
Fiez-vous là-dessus. le vouldroys bien veoir le diable!... Ha! ie
n'ay point paour de ses grij)lies...
— Ab ! si i'cstoys dans ta liance , ie n'auroys nul soulcy
de mes ieunes ans où ie conlessoys bien di.\ foys par cbascun
iour.,.
— Confessez cncores,n)onsieui' l(;(liantiine!... le vous al'lirme
(|ue ce seront mérites prétieux là-bault.
— La! la! est-ce vray?...
— Oui, monsieur le cbanoine.
— Tu ne trend)les point, Clii(|uon, de nier le diable?...
— If m'en soulcie comme d'une gerbe de leurre!...
— Il t'advicndra du dcsplaisir de ceste doclrine.
— Nullement! Dieu medelïendra bien du diable, pour ce que
ie le croy plus docte et moins beste que le font les savans.
Là-dessus, les deux aullres nepvcux entrèrent, et, recognoissant
à la voix du elianoinc (ju'il ne liaïoyt point trop Cliiiiuon, et que
les (loléaiices(ju'il laisoyt à son endroict esloycnt de vrayes einge-
ries pour desguiser l'affection qu'il luy portoyt, se resguardèrent
bien estomiez.
Puis, voyant leur oncle en train de rire, ils luy dirent :
— Si vous veniez à tester, à (jui lairriez-vous la maison'?
— A Cbifiuon.
— Lt les censives de la rue Sainet-Denys'.'
— A Cbiquon.
— Et le lief de Ville-Parisis?
— A Cbiquon.
— Mais, feit le capitaine de sa grosse voix, tout sera doncques
à Cbiquon?
— Non, respondit lecbanoine en soubriant, pour ce que i'auray
beau lester en bonne forme, mon liéritaige sera au plus fin de
Vous trois. le suissi près de radvenir,que i'y veois lors clairement
vos destins.
Ll le rusé cbanoine gecta sur Cbiquon ung resguard mali-
cieux, connue auroyt pu faire une linotte coëfl'ée à ung mignon
pour l'attirer en son clappier. Le feu de cet œil llanibant
esclaira le bergier, qui, dès ce moment, eut renlendement, les
lu
110 CONTES DROLATIQUES.
aurcilles, fout dcshrouillé, et la cervelle ouverte, comme est uue
pucclle le lonilomaiii de ses nopces. Le procureur et le capitaine,
prenant ces dires pourproplic'lies d'Evangile, tirèrent leurs révé-
rences et sortirent du logiz, tout chicquanez des visées saugrenues
du chanoine.
— Que penses-tu de Clii({Uon? dit Pille-grue au Mau-cinge.
— le pense, ie pense, feit le souldard en grondant, que
ie pense à m'emljusquer dans la rue de Iliérusalem, jjour luy
mettre la teste en bas de ses pieds. 11 la recollera, si bon luy
semble.
— Oh! oh! feit le procureur, tu as une fasson de blessure qui
se recognoistroyt, et l'on diroyt : « C'est Cochegrue. » Moy, ie
songeoys à le convier d'ung disner, après lequel nous iouerions
à nous bouter dans ung sac, à cesle lin de veoir, connue chez
le Koy, à qui niarchoroyt mieulx ainsy accoustré. Puis, l'ayant
cousu, nous le proiecterions dans la Seyne, en le priant de
nager...
— Cecy veult estre bien meury, reprint le souldard.
— Oh! c'est tout nieur, ieil l'advocat. Le cousin estant au
diable, l'hoirie sera })0ur lors entre nous deux.
— le veulx bien, dit le batailleur. Mais besoing sera d'eslre
ensemble comme deux iambes d'ung mesme corps : car, si tu es
fin comme soye, ie suis fort comme acier, et les dagues valent
bien les lassets!... Oyez ça, mon bon frère...
— Oui!... feit l'advocat, la cause est entendue; maintenant,
sera-ce le fil ou le fer?
— Eh ! ventre de Dieu ! est-ce doncques ung roy que nous
avons à deffaire? Pour ung simple lourdaud de bergier, faut-il
tant de paroles?... Allons! vingt mille francs sur l'hoirie à celluy
de nous qui, premier, l'aura descoupé!... le luy diray de bon
foye : « llamasse ta teste! »
— Et moy : « Nage, mon amy!... » s'escria l'advocat en liant
conmie la fente d'ung pourpoinct.
Puis ils s'en allèrent souper, le capitaine chez sa gouge, et
l'advocat chez la fenuiie d'ung orpliebvre, de la(|uelle il esloyt
l'amant.
Qui feut esbaliy?... Chi(iuon ! Le paouvre bergier enlendoyt le
deviz desa mort,encores (juc ces deux cousins se pourmenassent
dans le j)arvizet se j)arlassent l'ung à l'aultre comme ungchascun
parle à l'ecclisc. en priant Dieu. Aussy, Cliiquon estoyt foit en
L'HERITIER DU DIARLE.
m
poine (Ifi sçavoir si les paroles mon lovent ou si ses aureillcs
estoyent dcseendues.
— Entendez-vous, monsieur le chanoine?
— Oui! IVil-il, i'enlcnds le bois qui sue dans le feu...
— Ho! Iio! lespondit Chiquon, si ie ne crois point au diable,
ic crois en sainct Michel, mon anye j^ardicii, cl ie cours là où il
m'appelle...
— Va, mon enfanl ! dit le chanoine, et prends guarde de te
mouiller ou de te faire trancher la teste, car ie crois entendr(=
ruisseler de l'eaue; et les truands de la rue ne sont pas tousiour;
les plus dangereux truaiuls...
A ces mots, Chiquon s'estomira bien fort, et, resguardant h
chanoine, luy treuva l'air bien guay, l'œil bien vif et les pied,
bien crochus; mais, comme il avoyt à mettre ordre au trespas
qui le menassoyt, il songea qu'il auroyt tousiours le loisir d'ad-
mirer le chanoine ou de luy rongner les ongles, et il devalla
vilement par la ville, comme fennne trollanl menu devers son
plaisir.
Ses deux cousins, n'ayant nulles presumi)lions de la science
divinatoire dont lesbergiers ont maintes bourrasquespassaigieres,
avoyent souventes foys devisé devant luy de leurs traisnées se-
creltes, le comptant pour rien.
Ores ung soir, pour divertir le chanoine. Pille-grue Iiiy avoyt
raconté comment s'y prenoyt, en
ainoiM', la femme de cet orphebvre
à la teste duijuel il aiustoyt Irez bien
des cornes ciselées, brunies, sculj)-
tées, historiées comme salières de
prince. La bonne damoiselle estoyt,
à l'entendre, ung vray moule à go-
guettes, hardie à la rencontre; des-
peschant une accolade pendant le
temps que son mary montoyt les de-
grez, sanss'esbahirderien ; dévorant
la denrée comme si elle gobboyt une
fraize ; ne songeant ipi'à butiner;
toujours V('tiliant, l'ri'lillant ; gaye
connue une hoimeste femme à (jui rien ne fault ; contentant son
bon mary, qui la chérissoyt aussy fort qu'il pouvoyt aymer son
gosier ; et luie comme ung perfum ; et tant que, depuis cinq ans,
112 CONTES DROLATIQUES.
elle aftustoyt si bien le train de son niesnaige et le train de ses
amours, qu'elle avoyt renom de preude fenuiie, la confiance de
son marv, les clefs du logiz, la bourse, et tout.
— Et quand doncques iouez-vous de la llusle doulce? demanda
le cbanoine.
— Tous les soirs. Et bien souvent ie couclie aveeques elle.
" — Et comment? feit le chanoine estonné.
— Vécy comme. Il y lia. dans ung réduict voisin, unggrant
bahut oîi ie me loge. Quand son bon mary rentre de chez son
compère le drapier, oii il va souper fous les soirs, pour ce qu'il
en faict souvent la besongne près de la drapière, ma maistresse
obiecte ung peu de maladie, le laisse concilier seul, et s'en vient
faire panser son mal dans la chand)re au bahut. Lendemain,
quan(l mon orphebvre est à sa forge, ie dévalle; et, connue la
maison ha une yssue sur le pont et l'aultre en la rue, ie suis
tonsiours venu par l'imys oiî le mary n'est pas, soubz prétexte
de luy parler de ses procez que i'entretiens tous en ioye et en
.santé, ne les laissant point finer. C'est un cocquaige à rentes,
veu que les menus frais et loyaulx cousts des procédures luy des-
pensent autant que chevaulx en l'escuyrie. 11 m'ayme beaucoup,
connue tout bon cocqu doibt aymer ccluy qui l'ayde à bescher,
arrouzer, cultiver, labourer le jardin naturel de Vénus, et il ne
l'aict rien sans moy.
Ores, ces practiques revindrent en mémoire dubergier, qui feut
illuminé par une lueur yssue de son dangier, et conseillé par
l'intelligence des mesures conservatoires dont chaque animal
possède une dose suffisante pour aller jusqu'au bout de son
peloton de vie. Aussy, Chicjuon gaigna,- de pied chauld, la rue
de la Calandre, où debvoyt estre l'orphebvre en train de souper
avec(jues sa commère ; et, aj)rès avoii- congné à l'huys, respondu à
l'interrogafoireà travers la j)efife giille, et s'esfre diet messaigier
de secrets d'Estat, il feul admis au logiz du drapiei'. Ores, venant
droict au l'ait, il feit lever de table le ioyeulx orphebvre, le
destourna dans ung coin de la salle, et là luy dit : — Si ung
de vos voisins vous planfoyt ung taillis sur le front, et (pi'il vous
feust livré pieds et poings liez, ne le bouferiez-vous point dans
l'eaue?
— Trez bien, feit l'orphebvre; mais si vous vous gaussez de
nioy, ie vous congneray dur.
— La! la! reprinf Cliiquon, ie suis de vos aniys, ef viens vous
L'HKRITIER DV DIABLE.
Mo
advortir (|iio, aiilaiit do ibys vous avoz j)ivconis(' la draj)in(' de
ci'aiis, aulaiil l'Iia csli' votre bonne t'eiiMne|iarradvo(;alI'ille-griic;
et, si vous voulez revenir à vostre foriic, vous y Ireuverez bon
l'eu. A vostre venue, celluy qui balaye gentemcnt ce que vous
sçavez, pour le tenir propre, se boutera dedans le grant bahut
aux bardes. Ores laides estât que ie vous aebe[)le ledictbabut, et
(jue ie seray sur le pont, avecques ung eliarrelon, à vostre eoni-
niandenient.
Lediet orphebvre print son manteau, son bonnet . laulsa eoni-
paignie à son compère, sans dire ung
mot, et courut à son trou, comme ung
rat enq)oisonnt'. 11 arrive et i'rappe ;
on ouvre, il entre, monte les degrez
en baste, trouve deux couverts, entend
fermer le babut, veoit sa femme reve-
nant de la cbambre aux amours, et
lors il luy dict : — Mamye, vécy deux
couverts.
— Hé bien, mon mignon, ne som-
mes-nous pas deux?
— Non, feit-il, nous sommes trois.
— Vostre compère vient? l'eit-elle en rosguardanl aussitôt par
les degrez avecques une parlaicte innocence.
— Non, ie parle du compère qui est dans le bahut.
— Quel bahut? feit-elle. Estes-vous en vostre bon sens? Où
vo\ez-vous ung bahut? Met-on des compères dans les bahuts?
Suis-jc femme à logier des bahuts pleins de compères ? Depuis
<juand lesconqières logent-ils dans des bahuts? Rentrez-vous fol,
poui- mesler vos conq)ères et vos bahuts? le ne vous cognoys de
compère que maistre Corneille le drapier, et de bahut que
celluy où sont nos bardes.
— Oh ! feit l'orpbobvre. Ma bonne fennne, il y ha ung maulvais
garson (jui est venu m'advortir que tu te laissovs chevaulcher par
noslre advocat, et (lu'il estoyt dans ton bahut.
— Moy! l'eit-elle, ie ne sam-oys sentir ces cbicciuanieis : ils
besongnent tout de travers.,.
— La! la! ma mye, reprint rorpbobvre.ie tecognoys pour une
bonne l'emme, et ne veulx point avoir de castille ave('(|ues toy
pour nng meschant bahut. Le dduneur d'adviz est ung lavetior,
auquel ie vais vendre ce mauldict Italiut, (|iif ie ne veulx j)lus
10.
Il
(.O.NTKS DIlOI.VTlorES.
iarnais veoir céans; et, pour celluy-là, il m'en vendra dcuxiolys
petits, où il n'y aura pas tant spuleiuent la place d'ung enfunt :
par ainsy, les niescliancetez et lialileries des envieux de ta vertu
seront estaincles, laullf d'aliment.
— Vous me laictes l)ien plaisir, dit-elle : ie ne tiens jxiiiit à
mon bahut, et, par adventure, il n'y ha rien dedans. Nostrc linge
est à la buanderie. 11 sera facile d'emporter dès demain matin ce
bahut de meschiel'. Voulez-vous souper?
— Xenny ! dit-il, ie soupei'ay de meilleur appétit sans ce
bahut.
— le veois, dit-elle, ({ue le bahut sortira plus facilement d'icy
(jue voire teste...
— lloià! hé! ci'ia rorpiicbvie à ses forgerons et apprentifs.
Descendez !
En ung clin (l\ril, ses gens feureut en jiiod. Puis, luy, le
maistre, leur ayant conuiiandébriefvement
la manutention dudicl bahut, le meuble
aux amours fcutsouhdainenient transh'oté
par la salle; mais, en passant, l'advocat,
se treuvant les pieds en l'aër, ce dont
il n'avoyt coustume, tresbuchia ung
|iclit.
— Allez, (lit la lenime, allez! C'est le
niontanl qui bouge.
— Non, ma niye, c'est la cheville.
Et, sans aultre conteste, le bahut glissa
irez gentenumt le long des degrez.
— Holà, lecharreton Ifeit l'orpbebvre.
EtCliiquon (le venir en sifflant ses mules, et bous apiMcntils
de bouler le Itahut processif dessus la charrette.
— lié! hé! feit l'ad vocal.
— Maislre, le bahut j)ark', dil ung aj)prentil'.
— En quelle langue? feil l'orpbebvre en luy donnant mig bon
(•ou|( de pied entre deux gentillesses qui heureusement n'estoyent
point de verre. L'ap|tit'nlif alla cheoir sur ung degré, de sorte
cpi'il disconliniui ses esludes en langue de bahut. Le bergier,
acc(»uq)aigné du bon orphebvre, enmieiia tout le bagaige au bord
do l'eaue, sans cscouter la baulte élo(juence du bois parlant; et,
luy ayant adiouvié (piclque^ pi(^ri("<, rorithchvi'c le gerla en la
Sovnt'.
L'IlfiRITIER nr DIARLE. Hb
— Nage, mon amij! cria le I)t'rgior d'uiic voix suffisamment
raillarde, au moment où le haliut s'Iiumecta ou faisant ung beau
petit plongeon de canard. Puis Ciiiipiou continua d'aller par le
quay iusques en la rue du port Sainct-Landry, près le cloistre
Nostrc-Dame. Là, il advisa ung logiz, recogneut la porte et y
frappa rudement.
— Ouvrez, dit-il, ouvrez de par le Roy!
Oyaut cela, ung vieil lionune, (|ui n'estoyt aultre que le fameux
lombard Versoris, accourut à l'Iinys.
— Qu'est cecy? feit-il.
— le suis envoyé par le prevost pour vous pn'venir de faire
bonne guette ccste nuict, respoiulitCliiquon, connue de son costé
il mettra sur pied ses archers. Le bossu qui vous lia volé est de
retour. Demourez ferme soubz les armes, car il pourroyt bien
vous deslivrer du restant.
Ayant dict, le bon bergier lascha pied et courut en la rue des
Marmouzets, à la maison on le capitaine Cocbegrue esfovt à
banqueter avecques la Past[ueretle, la plus iolie des villotières
et la plus mignonne en perversitez (|ui l'eust alors, au dire de
toutes les filles de ioye. Le resguard d'ycelle estoyt vif, perçant
comme ung coup de poignard. Son allure estoyt si chatouilleuse
à la veue, qu'elle eust mis le paradiz en rut. Knfin, elle estovt
hardie comme une femme qui n"ha plus d'aultre vertu que l'inso-
lence. Le paouvre Chiquon estoyt bien empesché, en allant au
quartier des Marmouzets. 11 avoyt grant paour de ne point des-
couvrir le logiz de la Pasquerette, ou detreuver les deux pigeons
couchiez; mais ung bon ange acconunodoyt espécialement les
chouses à sa guyse. Vécy connue. Kn entrant dans la rue des
Marmouzets, il veit force lumières aux croisées, testes coëflées
de nuict dehors, et bonnes gouges, villotières, femmes de
mesnaigc, marys, damoiselles, ung chascun freschement levé,
se resguardaut comme si l'on menoyt pendre ung voleur aux
flambeaux.
— Et (ju'y ba-t-il? feit le bergier à ung bourgeoys, lequel en
grant haste estoyt sur sa porte avecques une pertuysanne en la
main.
— Oh! ce n'est rien, rospondit le bon homme. Nous cuydions
que lesArmignacs dévalloyenl par la ville; mais c'est leMau-cinge
(|ui bat la Pas((uerette.
— Où est-ce? demanda le bcriiier.
no CONTES nROI.ATIOrES.
— Là-bas, à cesto belle iiiaismi dont les jiilieis ont on bault
des gueules do boaulx crapauds volans bien niignonnonient en-
gravéos. Entendez-vous les varlots et les cbaniberières?
Et, de l'aiet, ce n'estoyont que cris : — Au meurtre! au
secours ! Holà ! Venez ! Puis, dans la maison, pleuvoyent les
coups; et le Mau-cingo disoyt de sa grosse voix : — A mort
la garse ! Tu cliantes, ribaulde! Ah! tu veulx des escuz! en
voilà !
Et la Pasquerelte gemissoyt : « Hein! hein! ie meurs! à moy;!
Hein! hein!... » Lors, un grant oou[) de l'er, jiuis la lourde
chute du légier corps de la iolie lîlle, sonnèrent, et feuront
suyvis d'ung grant silence; après quoy, les lumières s'esteigni-
rent : servitaurs, chainberières, convives et aultres rentrèrent,
et le bergier, qui estoyt advenu à tenqjs, monta les degrez, <le
conq)aigni(! avecques eulx. ]\Iais, en voyant dedans la salle liaulte
les llaccons cassez, les tapisseries coui)ées, la nappe à terre
avecques les plats, ung chascun demoura coy.
Le bergier, hardy comme ung honnne adonné à ung seul
vouloir, ouvrit l'buys de la belle cliaiiibre où coucbiovt la
l'as<pierelte, et la trouva toute delTaicle, les eheveulx espars,
la gorge de travers, gisant sur son tapis ensanglanté ; puis, le
Mau-cinge, esbahy, qui avoyt le verbe bien bas, ne saicliant
plus sui- rpielle note chanter le reste de son aniierme
L'HÉRITIER DU DIABLE.
117
— Allons! ma petite F*as(juoi'otto, ne fais point la morte ! Viens
rà,quc ie te raccounnodc! Ah! sournoyse, delfuncle ou vivante,
tu es si iolift dans le sang, que ie vais t'accollcr!
Ayant dict, le ruse souldard la
printet la gectasur le lict; mais elle
y tomba tout d'une pièce et roid(^
comme le coij)s d'ung pendu. Ce q\u^
voyant, le compaignon erutcpi'il dclt-
voit tirer sa bosse du lieu ; cependant
le malicieux, avant de lever le pied,
dit : — Paouvre Pas(|uerelte! Com-
ment ay-je pu meunlrir unesi bonne
lille f[uc i'aymoys tant! Mais, oui, ie
l'av tuée, et la chouse est claire, car
de son vivant iamais son ioly tettin ne
se feust laissé clieoir conune il est !
Vrai Dieu! l'on diroyt ung escu au
fond d'ung bissac.
Sur ce, la Pasquerette ouvrit l'œil et imliria légieiement la
teste pour veoir à sa chair, qui estoyt blanche et ferme; lors,
elle revint h la vie par ung grant soulllet qu'elle bailla sur la inné
du capifaiiic.
— Voilà pour médire des morts. IVit-elle en soubriant.
— Et pouripiov doncques vous tuoyt-il, ma cousine? demanda
le bergier.
— Pourquov? demain les sergcns viennent tout saisir léans, et
luv, qui n'a pas j)lus de monnoye que de vertus, me reprouchoyt
de vouloir l'aire pbiisiràung ioly seigneur, lequel me doibtsaulver
de la main de iustice.
— Pasquerette, ie te rompray les os!
— La! la! dit Chiquon, que pour lors le Mau-cinge recogneut,
n'est-ce que cela? Oh bien, mon bon amy, ie vous apporte de
notables sommes!
— Et d'où? demanda le capitaine esbahy.
— Venez icy, que levons parle en l'aureille. Si quelque trente
mille escuz se pourmenoyent nuictannnent à l'umbre d'ung poi-
rier, ne vous baisseriez-vous pftint pour les serrer, altin qu'ils ne
se guastasseiit pas ?
— Clii(|iion, ie te tue comme ung chien, si tu te railles de moy.
ou ie te baisf là oii tu vouidras, si tu me mets en l';ice de trente
118
CONTKS DROLATIQUES.
mille csciiz, quand mcsmcs bcsoing seroyt de tuor trois hourgeoys
au coin d'unp; quay.
— Vous no tuoroz soulomcnt pas uni: bonnet. Vecy le faict.
l'ay pour amie, en toute loyaulté, la servante du lombard (jui
est en la Citlé, proucbe le logiz de nostre bon oncle. Ures, ie
viens de sçavoir, de science certaine, que ce chier homme est
party ce matin aux champs, après "avoir enfouy souhz un poirier
de son iardin ung bon boisseau d'or, cuydant n'estre veu que des
anges. Mais la fille, qui avoyl par adventure ung grant mal de
dents et prenoyt l'aër à sa lucarne, ha espié le vieulx torsonnier
sans le vouloir, et ha iasé avecques moy par mignardise. Si vous
voulez iurer de me faire bonne part, ie vous presteray mes es-
paules à ceste fin de grimper en la crcste du mur, et, de là, vous
gecterez sur le poirier (pii est iouxtant le mur. Ilein! direz-vous
que ie suis ung balourd, ung liestial?
— Nenny! tues ung bien loyal cousin, ung honnestc homme;
et, si tu as iamais à mettre ung ennemy à l'umbre, ie suis là,
prest à tuer mesmes ung de mes amys pour toy. le suis non plus
ton cousin, ains ton frère. — Holà! ma mye, cria le Mau-cinge
à la I'as(juerctte, redresse les tables; essuyé ton sang, il m'ap-
partient, ie te le paye et t'ei l)ailleray du mien cent ioys autant
(|ueiet'enayprins. Fais ti-
rer du meilleur ; raffermis
nos oyscaulx effarouchiez ;
raiuste tes iuppes ; ris , ie le
venlx ; veoisaux ragousts
et reprenons nos prières
(lu soir où nous les avons
laissées; demain ie te fays
plus brave (pie la royne.
N écy mon cousin que ie
veulx resgaller, quand
pour ce besoing seroyt de
^(•cter la maison par les fe-
iiestres; nous retrouverons
loiit demain dedans les ca-
ves. Sus! sus aux iambons!
Lors, et en moins de
tenqis qu'img prebslre n'en met à dire .son Doiyiinua vobis-
cum, tout le pigeoimier passa des larmes au rire, comme il
JJs allèrent (Icvis:int de mille chouses (héoiogicqucs qui
s'ombrouilloyenl Irez fort.
120
COTES DUOLATIUIES.
avoyt passe du rire aux larmes. 11 n'y ha que dans ces mai-
sons emputanées où se fasse ainsy l'amour à coups de da-
gue, et oii s'esmeuvent des tempestes ioyeulses entre ([uatre
nnu's; mais ce sont rliouses que n'entendent point les dames à
haulls collets. Lediet eaj)ilaine (^oelieiiiiie l'eut {^uay connue ung
cent d'esclioliers au desiucher de la classe, et l'eit bien boire son
bon cousin, lequel avaloyt tout rusticquement, et trencha de
riiomme ivre, en débagoulant mille sornettes : comme quoy,
demain il acliepteroyl Paris; presteroyt cent mille escuz au Roy;
pourroyt (innlcr dans l'or; enlin, dit tant de bourdes, que le
capitaine, redoublant quchpies l'asclieuxadveux.et l'estimant bien
desfoncé de cervelle, l'emmena dehors, en bonne intention, lors
du partaige, d'entamer Cliiquon, pour veoir s'il n'avoyt point une
esponne dans l'estoniacli, pour ce qu'il venoyt de humer ung"
^ grantissime (juartaud de bon vin de
Suresne. Us allèrent devisanlde mille
chouses théologic({ucs qui s'en)brouil-
loyent trez fort, et fmèrent par se
(•ouler d'ung pied muet iuz au mur
du iardin où estoyent les escuz du
londjard. Lediet Cochegrue, se faisant
ung planchier des larges espaules de
('hi(pion, saulta sur le poirier en
honnne expert ez assaulls des villes;
mais Vei'soris, qui le guettoyt, luy
feit une entaille à la nu(pie et la réitéra si drucment, que, en
trois coups, leciiiefdudict Cochegrue tondra, non sans (|u'il eust
entendu la voix claire du bergier, qui luy crioyt : Ramasse ta
teste, mon amy!
Là-dessus, le généreux Chiquon, en (pii la vertu reccvoyt su
récompense, cnyda (jn'il seroyt saige de retourner au logiz du
bon chanoine, dont rhi'ritaigc! estoyt, j)ar la graace de Dieu,
mélhodic(iuement sinq)lilié. iJoncques, il gaigna la rue Sainct-
Pierre-aux-Hœufs à grant renfort de jiieds, et bientost dormit
comme ung nouveau-né, ne saichani |)his ce que vouloyt dire le
mot cousin-germain, (hcs, le h'nch'niain, il se leva, suyvant la
conslnmi- des heigieis, av('C(pies le. soleil, et vint en la chambre
de son onch; pour s'enquérir s'il crachoyl blanc, s'il toussoyt, s'il
avoyt eu bon sonnneil ; mais la vieille meschinardc luy dict (juc le
chanoine, entendant sonner les matines de Sainct-Maurice, pro-
'- L-
Ha masse ta teslo, mon amyl
11
\±1 CONTKS DUUL.VTIQLES.
niier iialroii de Noslic-Damo, avoj t esté, par révérence, eu la ca-
thédrale, où tout le Chapitre debvoyt desieuncr chez l'cvesque de
Paris. Sur ce, Chicpiou res|)ondit : — Monsieur le clianoine ost-il
hors de sens d'aller se ralïeschir aiusy; ^aigner des rlieumes,
amasser froid aux pieds? veut-il crever? le vais luy allumer
ung graut feu pour le réconforter à sou retour.
El le bon bcrgier saillit en la salle où se tenoyt voulentiers
le chanoine, mais, à son grant csmoy, le veit sis en chaire.
— Ah ! ah ! (|ue dict-clle, ceste folle de Buyreltc? le vous sça-
voys trop ])ien advisé pour eslre à ceste heure iuchic en vostro
stalle du chœur.
Le clianoine ne sonna mot. Le bergier, qui esloyt, comme tous
les contemplateurs, homme de sens caché, n'ignoroyt point que
parfoys les vieillards ont des saiges lubies, conversent avesqucs
les essences des chouscs occultes et achèvent de niarmotler, en
dedans d'eulx, des discours aultres que ceuk dont s'agit; en
sorte que, par révérence et en grant respect des méditations
absconses du chanoine, il alla se seoir à distance et attendit la
lin de ces songeries, en vérifiant, sans mot dire, la longueur des
ongles du bonhomnie, les(niels iaisoyent mine de trouer les
soliers. Puis, considérant attentivement les pieds de son chier
oncle, il feut esbahy de veoir la chair de ses iainbes si cramoisie,
qu'elle rougissoyt les chausses et sembloyt tout en feu à travers
les mailles.
— Il est doncques mort ! pensoyt Chiquon.
En ce moment, l'huys de la salle s'ouvrit, et il veit encores
le chanoine, qui, le nez gelé, revenoyt de l'oflice.
— Uo ! ho! feit Chiquon, mon oncle, estcs-vous hors de sens?
Faictes doncques attention que vous ne debvez pas estre à la
porte, pour ce (jue vous estes désià sis en vostre chaire au coin du
feu, et qu'il ne peut pas y avoir deux chanoines comme vous
au monde!
— Ah! Chiquon, il y ha eu ung temps où i'auroys bien voulu
estre en deux endroicls à la foys ; mais cela n'est poinct du
faict de l'homme; il seroyt trop heureux! As-tu la berlue? ic
suis seul icy I
Lors Clii(iuon, destournant la teste vers la chaire, la trouva
vuyde, et, bien surprins, comme dcbvcz le croire, il s'en ap-
proucha et recogneul sur le carreau ung petit tas de cendres
d'où fumoyl une senteur de soulplire.
L'IIKRITIER nu DLVBLE.
125
— Ah! feit-il tout cspanlc, ie reco;;iuiys quo lo dialilo s'est
conduict à mon csguard en guallant homme ; ic prieiay Dieu
pour luy.
Et, là-dessus, il racconla naïfvenient au chanoine comment le
diable s'cstoyt diveity à l'aire de la providence, et l'avoyl aydé
à se desharrasser loyalement de ses maulvais cousins ; ce que
le bon chanoine admira fort et conceut trez bien, vcu qu'il avoyt
beaucoup de bon sens cncores, et souvcntes foys avoyt observé
des chouses qui estoyent à l'aclvantaige du diable. Aussy ce
vieulx bonhonmie de prebslre disoyt-il qu'il se rencontroyt tous-
iours autant de bien dans le mal que de mal
dans le bien, et, partant, qu'il l'alloit estrc
assez nonchalant de l'aultre vie : ce qui es-
toyt une griefvc hi'rczie, dont maint concile
ha faicl iustice.
Voilà connnonl les Chiciuon devindrent ri-
ches et puient, dans ces tomps-cy, par la for-
tune de leur ayeul, ayder à bastir le pont
Saincl-Michcl, où le diable fait trez bonne
ligure sous l'ange, en mémoire de ceste adventure consignée ez
histoires véridicques.
^-''JWf'i
NICOLE BKA lIPF.nTOTS.
LES lOYElîLSETEZ DU ROY
LOYS LK UNZIESME
Le roy Loys le nnziosme estoyt ung bon compaignon nvmant
beaucoup à iocqueter; et, borsmls les inlerests de son estât de
Roy et de ceulx de bi religion, il bancquetoyt
trez fort etdonnoyt aussy bien la cbasse aux
linottes coëfléestju'aux conils et baultgibiiM"
royal. Aussy, les griniaulds qui en ont taict
ung sournois nionstrent bien qu'ils ne l'ont
pas cogneu, vcu qu'il estoyt bon aniy, bon
bricolleur et rieur comme pas ung.
'^4!*^\^VW^''*'" C'est luy qui disoyt, quand il estoyt dans
ses lionnes, (jue (|uatre cbouses sont excellentes et opportunes en
la vie, ù sçavoir : lianter eliauld, boire frais, arresser dur et
avaler mou. Aulcuns l'ont vitupéré d'avoir margaudé des bour-
beteuses. Cccy est une insigne bourde, vcu que ses filles d'amour,
dont une feut légitimée , estoyent toutes yssues de grans
maisons et feirent des establissemens notables. 11 ne donnoyt
point dans les caimeliles et prol'usions ; mettoyt la main sur le
.solide ; et de ce que aulcuns mangeurs de peuple n'ont point
trouvé de miettes cbez luv, tous l'ont honnv. Mais les viavs
II.
126 CONTES DIIOLATIOUES.
collecteurs de vérilez sçavent (jue ledict Roy estoyl ung bon pelit
homme en son privé, mesmes trez aimable ; et, avant de l'aire
ooiipor la leste à ses amys, ou de les punir, ce dont il n'avoyt
cspargnc.besoingestoyt qu'ils l'eussent truplié beau-
cou]) ; tousiours sa vengeance l'eut iustice, len'ay veu
que dans nostrc ami Yerville que ce digne souverain
se soit trompe; mais une foys n'est pas coustume; et
encores y ha-t-ilplus de la faulte à Tristan, son com-
père, qu'à luy, Roy. Yécy le faict, tel que le relate
ledict Yerville, et ie soupçonne (ju'il ha voulu rire. le le rapporte
pour ce que aulcuns ne cognoyssent pas l'œuvre exquise de
mon parfaict compatriote. l'abrège, et n'en donne que la sub-
stance, les destails estant plus amples, comme les sçavans n'en
ignorent :
« Loys XI avoyt donne' l'abbaye de Turpenay (dont est ques-
(( tion dans Impéria) à ung gentilhomme qui, iouissant du re-
(( venu, se faisoyt nonuuer monsieur de Turpenay. Il advint que
« le Roy estant au Plessis-lez-Tours, le vray abbé, qui estoyt
« moyne, vint se présenter au Roy et luy feit sa requeste, luy re-
(( monstrant que canonicquement et innnaslic-(|ueinent il estoyt
« pourveu de l'abbaye, et (juc le genliihunnne usurpateur luy
.( faisoyt tort contre toute raison, et, partant, qu'il invocquoyt Sa
« Maiesté pour luy eslre l'aict droict. En secouant sa perrucjue, le
« Roy luy promit de le rendre content. Ce moyne, nnportun
(( connue tous animaulx portant cucuh', venoyt souvent aux yssues
« du repas du Roy, lequel, enniiyi- de l'eau benoiste du convent,
« appela mon compère Tristan et luy dit : — « Compère, il y ha
(( icy ung Turpenay qui me fasche, ostez-le-moy du monde. »
(( Tristan, prenant ung froc pour ung moyne ou ung moyne pour
« un froc, vint à ce genlilhonime (|ue toute la (^ourt nonnnoyt
« monsieur de Turpenay ; et, l'ayant accosté, feit tant (ju'il ledes-
« tourna ; puis, le tenant, lui feit comprendre que le Roy vouloyt
« qu'il mourust. Il voulnt résister en suppliant et supplier en ré-
« sistanl ; mais il n'y eut aulcun moyen d'eslre ouy. Il l'eut délica-
« tfnu-nt eslranglé eutn; la teste et les espaules, si qu'il expira ;
« et, trois hcuircs après, le compère dit au Roy qu'il estoyt distillé.
« Il advint cinq iours après, (pii est le terme auquel lésâmes re-
« viennent, (|ue le nu)yne vint en la salle où estoyt le Roy, lequel
« le voyant demoura fort eslonné. Tristan estoyt présent. Le Roy
« l'apiielle el lii\ soiildi' en r;iiiieille : « — Yous n'avez J)as faict
LES lOYEULSETEZ DU ROY.
127
« ce que ic vous ay dict. — Ne vous on déplaise, Siro, io l'ay
« faict. Tui'pcnay est mort. — II('! i'cnlcndoys de ce inoyiie. —
« l'ay entendu du'gentillionimc ! , . . — Quoy! c'est doncques faict?
« — Oui, Sire. — Ores, bien ! » Se tournant vers le moyne :
« — Venez icy, moyne. » Le moyne s'ap-
prouclie.Le Roy lui dit : (^ — Mettez-vous à
genoilz. » Le paouvre moyne avoyt paour. iMifcJffWMB^g^^ i
Mais le Roy luy dit : <( — Remerciez Dieu. BBaMW* -"1»=^
(( qui ne ha pas voulu que vous fcussiez tué,
« comme ie l'avoys commandé. Celluy qui
« prenoyt vostrc liicn l'Iia esté. Dieu vous lia
« faict iustice ! Allez, priez Dieu pour moy, et ne bougez de vostrc
« conveiit. »
Cecy prouve la bonté de Loys unzo. 11 auruyl pu trez bien faire
Dcndre ce movne, cause de l'erreur; car, pour ledictpentilhommo,
il estovt mort au service <lu Rov.
128 CONTES DROLATIQUES. ■
Dans les premiers temps de son séiour au Plessis-lez-Tours, le-
dict Loys, ne voulant faire ses l)euvettes et se donner ses bonnes
l'ateli'es en son chasteau, par révérence de Sa Maiesté (finesse de
roy que ses successeurs n'ont point eue), s'énamoura d'une dame
nonuuée Nicole Beaupcrtuys, hupielle ostoyt, pour vray dire, une
bourgeoise de la ville, dont il envoya le mary dans le Ponent, et
mit ladicte Nicole en ung logiz proucbe le Cbardonncret, en l'en-
droict où est la rue Quincangrogne, pour ce que c'cstoyt ung lieu
désert, loing des babitations. Le mary et la femme cstoyent ainsy
à sa dévotion, et il eut de la Beaupcrtuys une iille qui mourut
religieuse. Geste Nicole avoyt le bec affilé comme ung papegay,
se treuvoyt de belle corpulence, guarnie de deux grans, beaulx
et amples coussins de nature, fermes au déduict, blancs comme
les aëles d'ung ange, et cogueuc, du reste, pour estre fertile en
fassons péripatbéticqucs qui faisoycnt que iamais avecques elle
mesme cliouse ne se rencontroyt en amour, tant elle avoyt estudyé
les belles résolutions de la science, manières d'accommoder les
olives de Poissy, courroyeries des nerfs et doctrines absconses du
bréviaire, ce que aymoyt fort le Roy. Elle estoyt gaye connue ung
pinson, tousiourscbantoyt,rioyt, et iamais ne cbagrinoyt personne,
ce qui est le propre des fenmies de ceste nature ouverte et fran-
cbe, lesquelles ont tousiours une occupation... Équivocquez!...
Le Roy s'en alloyt souvent avecques de bons compaignons, ses
amys, en ladicte maison ; et, pour ne ])oint estre veu, s'y rendoyt
à la nuict, sans suite. Mais, connue il estoyt deffiant et craignoyt
des embusches, il donnoyt à Nicole tous les cbions do son chenil
MÎ#?!!<W^T^^^''^f''^"^'^^'-^^ ''"' cstoyent les plus hargneux,
ili!^'J.':.;V?/r'^r' • ^^v- -^8mI«m ''* g^'ns à mangier ung homme
'>anscriergare, lesquels chiens
royaux ne cognoissoient (jue
Nicole et le Roy. Quand le sire
Ycnovt, Nicole les laschioyl dans
le iaidiii ; cl la jioitedudict logiz estant suffisamment ferrée, bien
dose, le Roy en gardoyt les clefs, et, eu toute sécurité, s'adon-
iioyt avcc(pics les siens aux jdaisirs de mille sortes, ne redoublant
nulle trahison, rigolant à l'envy, se faisant des niches et montant
de bonnes parties. En ces nuicts-là, le conqjcre Tristan veilloyt
sur la campaigne, et ung(jui se seroyt pourmené sur le Mail du
(lliardomicrcl auroyl esté ung peu pr()nq)teinent mis en estât de
domicr aux passans sa bencîdiclion avccipics les pi(>(ls, à moins
LFS lOYEllLSKTEZ \)\] ROY. 129
qu'il n'enst la passe du Roy, veu que souvent Loys un/e envoyoyt
quérir des garses pour ses amys ou des gens pour soy divertir,
par des sublilitez deues à Nicole ou aux convives. Ceulx de
Tours estoyent là pour les menus plaisirs du Roy, ([ui leur
rccomniandoyt légierenient le silence : aussi ne lia-t-on
sceu ses passetenips rpie luy mort. La farce de Baise mon
cul tout,tlit-on, inventée j)ar ledict sire. le la rapporte,
bleu (pu; ce ne soit le suicide ce Conte, pour ce (pic elle
faict voir le natuicl comicque et lact^lieux du bon lioiiinie
Hoy. llyavoyt à Tours trois gcnsavaricieux notez. Le pre-
mier estoyt maistre Cornélius, (pii est suflisamment co-
gueu. Le second s'appeloyt Pec(;ard, et vciuloyt des doreloteries,
dominoteries et ioyaulx d'ccclise. Le tioi-
siesme avoyt nom Marchandcau, et estoyt
ung vigneron trez riche. Ces deux Touran-
geaulx ont faict souche d'honnestes gens,
nonobstant leurs ladreries. Ung soir que
le Roy se treuvoyt chez la Rcauiicrluys, en
belle humeur, ayant bcu du meilleur, dict des drosleries et faict
avant les vespres sa [)ri('^re à l'oratoire de Madame, il dit à Le Daim,
son compère, au cardinal La Balue et au vieulx Dunois, qui rous-
sinoyt encores : — Faut rire, mes amys ! ... Et ie crois que ce seroy t
bonne comtxlie à veoir que avare devant sac d'or sans pouvoir
y touchier... Holà!
Oyant ce, un sien varlet comparut. — Allez, dit-il, quérir mon
threzorier, et qu'il aj)porte céans six mille escuz d'or, et tost. Puis
vous irez appréhender au corps, d'abord mon com})ère Cornélius,
le dorelotier de la rue du Cygne, puis le vieulx Marchandeau,
en les amenant icy, de par le Roy.
Puis se remirent à boire et à iudicieusement grabeler de ce
que valoyt mieulx d'une femme faisandée ou d'une qui se savonne
glorieusement; d'une qui est maigre ou d'une qui est en bon
point; et, comme ce estoyt la fleur des sçavans, ils dirent ipie
la meilleure estoyt celle (pi'on avoyt à soy, connue ung plat de
moules toutes cliaiddes, au moment pr('cis oii Dieu envoyoit une
bonne pensée à ycelle communiquer. Le cardinal demanda qui
estoyt le plus prétieux pour une dame : ou le j)remier ou ledar-
renier baiser. A quoy la Reaupertuys respoiulit (pie c'estoyt le
darrenier, veu (|ue elle sçavoyt ce (pi'cllc perdoyt, et, au premiei',
ne sçavoyt iamais ce ({u'elle gagnoyt. Sur ces dires et d'aultres
iôO CONTES DROLATIQUES.
qui ont esté adhiroz par graiit nialluMii', vinront los six mille
esciizd'or, lesquels valoyent bien trois cent mille francs d'auiour-
d'huy, tant nous allons diminuant en toute chouse. Le Roy com-
manda que les escuz feussent mis sur une table et bien esclairez ;
aussy brillèrciit-ils comme les yeulx des convives, qui s'allu-
mèrent involontairement; ce dont ils rirent à contre-cueur. Ils
n'attendirent pas longtemps les trois avares, que le varlet
amena blesmes et pantois, hormis Cornélius, qui congnoissoyt
les phantasies du Roy.
— Oies çà ! mes amys, leur dit Loys, resguardez les escuz
qui sont dessus ceste table.
Et les trois bourgeoys les grignottèrent de l'œil. Comptez
endà que le diamant de la Bcaupertuys reluisoyt moins que
leurs petits yeulx vérons.
— Ceci est à vous, adiouxta le Roy.
Sur ce, ils ne mirèrent plus les escuz, mais commencèrent
à se toiser entre eulx, et les convives cogneurent bien que les
vieulx cinges sont plus experts en grimaces que tous aultres,
pour ce que les pbysionomies devindrent passablement curieuses,
comme celles des chats beuvant du laict ou de iilles chatouillées
de mariaige.
— l)a ! l'eit le Roy, ce sera tout à celuy de vous qui dira trois
foys aux deux aultres : — « Baise mon cul ! » en boutant la main
dans l'or; mais, s'il n'est pas sc'rieux comme une mousche qui
ha violé sa voisine, et s'il vient à soubrire en disant cette gogue,
il payera dix escuz à Madame. Néantmoins, il pourra recom-
mencer trois foys.
— Ce sera tost gaigné! feit Cornélius, lequel, en sa qualité
de Ilollandoys, avoyt la bouche aussy souvent close et sérieuse
que le caz de Madame estoyt souvent ouvert et riant. Aussy
mit-il bravement la main sur les escuz, pour veoir s'ils esloyent
de bonne forge, et les empoigna gravement; mais, comme il
resguardoyt les aultres pour leur dire civilement : « Baisez mon
cul!... » les deux avares, rcdoubtant sa gravité hollandoysc,luy
respondirent : « A vos souhaits! » conune s'il avoyt esternué.
Ce<jui feit rire tous les convives et Cornélius Ini-nu'sme. Lors(jue
le vigneron voulut ])ren(lie les escuz, il sentit telles déman-
geaisons dans ses badigoinccs, que son vieulx visaige d'escumoire
laissa passer le rire par toutes les crevasses, si bien que vous
eussiez dict une fumée sortant par les rides d'une cheminée, et
m: s invKirsKTKz dm liov.
131
ne put riuii dire. Lors, ce il-ul le lour du dorelolier, le(jii('l
estoyt iing petit bout d'homme goj^ucnard et (jui avoyt les lè-
vres serrées comme le col d'ung pendu, il se saisit d'une poi-
gnée d'escuz, rcsguarda les aullres, voire le IJoy, et dit avec-
qucs un grand air raillard : — Baisez mon cid !
— Est-il brencux? demanda le vigneron.
— Il vous sera loysible de le veoir, respondit gravement le
doreloticr.
Là-dessus, le Roy eut paour pour ses escuz, vcu que ledict Pec-
card recommença sans rire, et pour la troisième l'oys alloyt dire
le mot sacramentel, lorsque la Beaupcrtuys luy feit un signe
de consentement, ce qui luy feit perdre contenance, et sa bou-
che se fendit en esclats connue ung vray [)ucclaigc.
— Connnent as-tu faict, demanda Dunois, pour tenir ta face
grave devant six mille escuz?
— Oh 1 monseigneur, i'ay pensé en premier à ung de mes
proccz qui se iuge demain; et, en second, à ma femme, qui
est une brosse bien chagrinante.
L'envie de gaignerceste notable sonnne les feit essayer encorcs,
et le Uoy s'amusa, pendant environ une heure, des chiabrenas de
ces figures, des préparations, mines, grimaces et aultres pale-
nostres de cinge qu'ils l'eirent ; mais ils se frottoyent le ventre
d'ung panier; et, pour gens qui aymoyent mieulx la manche
que le bras, ce l'eut une douleur bien cramoisie que d'avoir à
compter chacun cent escuz à Madame.
Quand ils feurcnt partis, Nicole dit bravement au Roy : — Sire,
voulez-vous que l'essaye, moy?
— Pasques Dieu ! respartit Loys
unze, non ! le vous le baiseray bien
pour moins d'argent.
C'estoit d'ung honmie mcsnai-
gier, comme de i'aict il feut tous-
iours.
Ung soir, le gros cardinal La
Baluc pourchassa guallammcnt de
paroles et de gestes, ung peu plus
que les Canons ne le permettoyent,
ceste Beaupertuys, (pii, heureusement pour elle, estoyt une fine
counnère à la([uelle ne falloyt pas demander combien il y avoyt
de poincts à la chemise de sa mère.
152
CONTES DROLATiOUES.
— Vère, dit-elle, monsieur le cardinal, la cliousc que ayrae
le Roy n'en est point à rccepvoir les sainctes huiles.
Puis vint Olivier le Daim, au(iuel elle ne voulut entendre
non plus, et aux sornettes de qui elle dit (pi'elle demanderoyt
au Hoy s'il luy jilaisoyt (pi'elle se leist la barbe.
Ores, comme ledict barbier ne la supplia point de luy guarder le
secret sur ses ])oursuites, elle se doubta que ces menées cstoyent
des ruses praticjuées par le Roy, dont le suub(,'on avoyt peut-
estre esté resveiylé i)ar ses amys. Doncques, ne pouvant se
venger de Loys unze, elle voulut au moins se mocquer desdicts
seigneurs, les berner et amuser le Roy des tours qu'elle alloyt
leur iouer. Adoncques, ung soir qu'ils cstoyent venus souper,
elle eut une dame de la ville (pii vouloyt })arler au Roy. Geste
dame estoyt une personne d'aulborité, qui avoyt à demander la
graace de son mary, et que, par suite de ceste advcnture, elle ob-
tint. Nicole Reaupertuys, ayant destourné pendant ung moment
le Roy dedans ung cabinet, luy dit de faire hausser les coudes
à tous leurs convives, de les poulser en nourri-
ture ; et qu'il t'eust rieur, bien en train de ioc-
(luclcr ;mais que,lanappeostée,illcuroliercliast
Mulcuncs (juerelles d'Allemand, esplucbast leurs
ihres, les traictast à la fourche, et que, lors,
elle le divertiroyt, en luy nionslrant tout le foing
qu'ils auroyenl en leurs cornes ; enlm, (jue,sur
|i loiite cliouse, il leist amitié à ladicte dame, et
que ce parusteslje de boime l'oy, connue si elle
avoyt le j)erlum de sa faveur, ])Our ce que elle
s'estovt guallamment prestée à cette bonne ioyeulseté.
— Eh bien, messieurs, dit le Roy en rentrant, allons nous
mettre à table : la chasse ha esté longue et bonne.
Et barbier, le cardinal, ung gros évesque, le capiliiine de la
garde escossoisc et ung envoyé du parlement, homme de iustice,
aymé du Roy, suyvirent les deux dames dedans la salle oîi l'on
se descrotloyt les mandibulcîs.
Et lors ils secolonnèreiil le moule (h; leurs |)oiirpoincls. Qu'est
cela'/ (l'est se carreler l'estomach, l'aiie la chimie naturelle, com-
pulser les plats, lester ses trippes, creuser sa tumbe à coups de
maschoires, iouer de l'esjjéc de (laïn, enterrer les saulces, sous-
tenir ung coqcu; mais i)lus philosophicquemeiit, c'est faire du bran
avec(|ucs ses dents. Ores, conqjrenez-vous'.' De condjien est-il
I,KS KlYKILSETHZ 1)11 ROY. 13ô
bcsoing ilr mots [luiir vous dcsloncfr l\'ntciulcniont? l*oinl ne
laillovt !o Iloy de lairo (listillrr à ses lioslos co beau cl bon
souper. Il les l'aivissoyl de pois verds, l'clournant au lioscliepot,
vantant les pruneaulx, conuiientant les poissons, disant à l'ung:
« Pourquoi ne mangez-vous ? à l'aultre : « Buvons à Madame ! »
à tous : « Messieurs, goustons les oscrevisses ! mettons à mort
cettuv flaeeon ! Vous ne cognoissez pas reste andouillc ! Et eestc
lamprovc ! hein! ne luy direz-vous rien? Voilà, Pasijues Dieu ! le
plus beau barbeau de la Loire ! Allons ! crochetcz-moy ce paslc !
Cecy est gibier de ma chasse : cil qui n'en veut pas me l'croyt
affront ! « Puisoncores : « Beuvez, le Roy n'en sçayt rien ! Dictes
ungmot à ces conliclures, elles sont de Madame. Esgraj)pez ce
raisin, il est de ma vigne. Oh ! mangeons des neflles ! » Et, tout
enlesaydantà grossir leur principal aj)Ostcunie, le bon monar(|ue
rioyt avecques eulx, et on gaussoyt, disputoyt, cracliioyt, mou-
chioyt, rigoloyt, connue si le Roy n'y eust pas esté. Aussy, tant
l'eut cnd)arqué de victuailles, tant feut succède (laccons et ruyné
de ragousts, que les trongnes des convives se cardinalisèrent et
leurs pourpoincts feirent mine de crever, veu <jue tous estoyent
bourrez comme cervelas dcTroyes, depuis l'entonnoir iusques à
la bonde de leurs j)anses. Rentrez dedans la salle, ils tressuoyent
desià, soul'lloyent et connnençoyent à mauldire leurs franches
lippées. Le Roy feil le silencieux. Ung chascun se tut d'autant
plus voulentiers que toutes leurs forces estoyent bandées à faire
la décoction intestine de ces plate'es conlictes euleurestomacb,
lesquelles se tassoyent et gargouilloyent Irez fort. L'ung disoyt à
part luy : « l'ay esté dcsraisonnable de mangier de cette saulce. »
L'aultre se grondoyt d'avoir thezaurisé d'ung plat d'anguilles
arrangées avecques des caspres. Cettuy-là pensoyt en luy-mesnie :
(( Oh! oh! l'andouille me cherche chic(j[uane. » Le cardinal, qui
estoyt le plus ventru d'eulx tous, siftloyt par les narines connue
ung cheval effrayé. Ce feut luy qui, premier, feut contrainct de
donner yssueà ung notable rot ; et lors il eust bien voulu estre en
Allemaigne, où l'on vous salue à ce subiect ; car, entendant ce
langaige gastréiforme, le Roy resguarda le cardinal en fronssant
les sourcils.
— Qu'est-ce à dire?feit-il.Suis-je doncqucs ung simple clercq?
' Cecy feut entendu avec(|ues terreur, j)ource (juc d'ordinaire le
Roy faisoyt grand estât d'ung rot bien poulsé. Les aultres convi-
ves se délibérèrent de résoudre aultrcmcnt les vapeurs qui gre-
12
loi CONTES DROLATIQUES.
nouilloyciit dcs^ià dans leurs cornues pancreaticquos. El d'abord
ils tasclièrcnt de les maintenir. Pendant ung bout de teni[)s, ez
replis du mésentère. Ce feut alors que les voyant engraissez
commodes maltostiers, la Beaupertuys print à part le bon sire,
etluydit : — Saiclioz maintenant <|uei'ay l'aict faire par le dore-
lolier Peccard deux grans poupées sendjlablos à eesie dame et à
moy. Ores, quand ceux-cy, pressez j)ar les drogues (jue i'ay
mises en leurs goubelets, iront au siège présidial où nous allons
faire mire de nous rendre, ils trouveront tousiours la place prinse.
Par ainsy, amusez-vous de leurs lortillemens.
Ayant dict, la Beaupertuys disparut avec(iues la dame, pour aller
ployer le touret, suivant la coustume des femmes, ce dont ie vous
diray l'origine ailleurs. Puis, après ungbonneste laps d'eaue, la
Beaupertuys revint seule, en laissant croire qu'elle avoyl quitté la
dameàrofiicine d'abiuémienaturcllc. Là-dessus, le Roy, advisant
le cardinal, le feit lever et l'entretint sérieusement de ses affaires,
en le tenant ])arle gland de sonaïunusse. A toutcecjue disoytlc
Boy, La Balue resj)omloyt : u Oui, Sire, » pour estre dcsl ivre de
ceste faveur et tirer ses cliaus-
i\ ses, vcu que l'eaueesloyt dans
'■^ ses caves, et que il alloyl })er-
drclaclefde sa porte posté-
rieure. Tous les convives en
estoyent à ne sçavoir com-
ment arrester le mouvement
du bran, auquel la nature lia
donné, encore mieulx (ju'à
l'eaue, la vertu de tendre à ung certain niveau. Leurs dictes sub-
stances se modifioyent et couloyent en travaillant, comme ces
insectes qui demandent à yssir de leurs cocquons, faisant raigc,
tormenlant et mécognoissant la maicslé royale : car rien n'est
ignorant, insolent comme ces mauldiclsobiects, et sont inqwrtuns
comme tous les détenus auxquels on doibt la liberté. Aussyglis-
soyent-ils, à tous proupos, comme anguilles borsd'ung lilct;et
ung cbascun avoyt besoing de grans efforts et sciences pour ne
point se concilier devant le Boy. Loys unze print beaucoup de
plaisir à intenoguer ses liostes, et se pleut beaucoup aux vicissi-
tudes de leurs physionomies, sur lesquelles se rellétoyent les gri-
maces breneuscsde leurs fronssurcs.
Le conseiller de iustice dit à Olivier : — le donneroys bien
LES lOYEULSETEZ DU ROY.
135
mon offico pour csti-e au clos Brunoau cnviion un^j demi-septier
de mimilos.
— Oli ! il n'y ha pas de iouissance qui vaille ungbon caz.Et
d'auiourd'liuy ie ne suis plus estonné des sempiter-
nelles chieures de mouche, respondit le barbier.
Le cardinal, ciiydant cpie la dame avoyt obtenu
iliiittance en la Court des comptes, laissa le lloc-
ijuard de son cordon aux mains du Hoy en faisant
ung hault-lc-corps comme s'il avoyt oublié de dire
ses prières, et se dirigea vers la porte.
— Ou'avez-vous, monsieur le cardinal? dit le Roy.
— Pasques Dieu ! ce que i'ay. 11 paroistipic tout est de grant
mesure chez vous, Sire !
Le cardinal s'évada, laissant les aultrcsestonnez de sa subtilité.
Il marcha glorieusement vers la chambre basse, en laschant ung
petit les cordons de sa bourse; mais,
quand il ouvrit la benoiste huvsserie, il
treuva la dame en fonctions sur la chaire
comme ung pape en train d'estre sacré.
Lors, renguaisnant son fruict meur, il
descendit la vis pour aller au iardin. Ce-
pendant, aux darrenièrcs marches, l'a-
boyement des chiens le miten grant paour
d'estre mordu à ung de ses précieux hi;-
misphères ; et, ne saichantoùse délivrer
de ses produietscliimicqucs,il revint en
la salle, tout frissonnant comme ung
homme (jui ha esté à l'aër. Les aultres,
voyant rentrer ledict cardinal, cuydèrent
qu'il avoyt vuydé ses réservoirs naturels
et desgraissé ses boyaux ecclésiasticcpies,
et le cuydèrent bien heureux. Aussy le ^^^^ ^ _"^-
barbier se leva-t-il vitement, comme pour
inventorier les tapisseries et compter les solives, mais gaigna
avant qui que ce feust, la porte ; et, desserrant son sphincter
par advance, il fredonna ung refrain en allant au relraict.
Arrivé là, force luy feut, connue à La Haine, de murmurer
des paroles d'excuses à ceste breneuse éternelle, en fermant
l'huys avecques autant de pronqititude (|u'il l'avoyt ouvert.
Puis revint avec son arrière-faix de molt-cules agrégées qui
15G
CONTES DROLATIQUES.
encombrovent ses conduicts intimes. Ainsy feirent procession-
nelleinent les convives, sans pouvoir se délibérer du plus de leurs
saulces, et se retreuvèrent bientost tous en présence de Loys
imze, aussyomposclioz qu'auparavant,
et se resguardèrent avecques intelli-
gence, en se coniprenantdu cul mieulx
qu'ils ne se comprirent iamais de bou-
che ; car iamais il n'y ha d'équivocciue
dans les transactions des parties natu-
relles, et tout y est rationnel, de facile
entendement, veu que c'est une science
(|ne nous ajipronons en naissant.
— le cuyde, dit le cardinal au barbier, que ceste dame hantera
iusques à demain. Qu'ha doncqueseulaReaupertuys d'inviter icy
une telle diarrhétique?
— Voilà une lieure qu'elle travaille à ce que ie feroys en ung
poulce de temps. Que les fiebvres lapreiment ! s'écria Olivier le
l)aim.
Tous ces courtizans, entreprins decbolicques, piétinoyent pour
taire patienter leurs matières importunes, lorsque ladicte dame
l'epaïut en la salle. Crovez qu'ils la treuvèrent belle, gracieuse, et
l'auroyent bien baisée là où leur desmangioyt si tort ; et jamais ne
saluèientlejour avec(piesplus de faveur que ceste dame libéra-
trice de leurs paouvres ventres inl'ortunez. LaBalue se leva. Les
aultres cédèrent, par honneur, estime et révérence de l'Ecclise, la
place au clergié. Puis, prenant i)atience, ilscontinuèreni à faire
des grimaces, dont le Uuy riuyten luy-mesme avecques ^'icole,
(|ui l'aidoytà couper la respiration à ces desvoyez. Le bon capitaine
escossuis, qui avoyt plus (jue tous les aultres mangié d'ung melz
au(|uel le cuisinier mit une pouldre de vertu laxative, embrena
son liaidl-de-chausses, en cuydant ne laschier (ju'un légier pet. Il
s'en alla honteux dons ung coin, espéianl ipie, devant le Hoy, la
cliose seroyt assez «ige j)our ne rien sentir. En ce moment, le
cardinal revint horrilic()uementmatagrabolizé, pourcequ'ilavoyt
treuvé la Beaupertuys sur le siège épisco|)al. Ores, dans son tor-
ment, ne; saichanl si elle esloyt en la salle, il revint et feil ung :
Oli ! di;djolic(|ue en la voyant près de son maistre.
— Qu'est cecy? demanda le Uoyen resguardant le prebslre à
lu\ dnmicr la (icbvre.
— Sire, dit insolenjmcnt LaHalue, leschousesdu purgatoire
LKS lOYEFLSRTFZ DU ROY. 137
sont de mon niiiiislrio, cl ie doibs vous dire qu'il y ha de la sor-
cellerie dans ceste maison.
— Ah! petit prebstre, tu veuIxplaisanteravecquesmoi,<litIe
Roy.
A ces paroles, les assistans ne sceurent plus distinguer leurs
chausses de la doublure, et se conchièrent de paour, à se rompre
la gorge.
— Oh ! me manquez-vous de respect? dit le Roy, qui les feit
hlosmir. Holà, Tristan, mon compère ! cria Loysunzepar la ie-
neslrc en la levant soubdain, monte icy !
Le grand prevost de l'hostcl ne taida point à paroislre, et,
comme ces seigneurs estoyent tous gens de rien, eslevoz par la
faveur du Roy, Loysunze,paruntempsde cholicque,pouvoytles
dissoudre à son gré; de sorte que, hormis le cardinal, qui sefioyt
sur sa soutane, Tristan les treuva tous roides et pantois.
— Conduis ces messieurs au prétoire, sur le Mail, mon compère ;
ils se sont embrenés à trop mangier.
— Suis-je pas une bonne raillarde? luy dit Nicole.
— La farce est bonne, mais orde en diable, respondit-il en
riant.
Ce mot royal feit cognoistre aux courtizans queleRoyn'avoyt
pas voulu iouer ceste foys avecques leurs testes, ce dont ils béni-
rent le Ciel. Ce monarque aymoyt fort ces salauderies. Cenees-
toyt point d'ung meschant honmie, comme le dirent les convives
en se mettant à l'aise au bord du Mail, avecques Tristan, qui, en
bon Françoys leur tint compaignicet les escorta chez eulx. Voilà
pourquoy depuis uncques ne faillirent les bourgeoysde Tours à
concilier le Mail du Chardonneret, veu que les gens de la Court
y avoyent esté.
le ne quitterai point les chausses de ce grantRoy sans mettre
par escript la bonnecoyonnorie (|u'il feit à la Codegrand, hupielle
cstoyt une vieille lille, en grant despit de ne point avoir treuvéde
couvercle à son pot durant les quarante années qu'elle avoyt vi-
voté, enraigeant dans sa peau tannée d'ostre tousiours vierge
conmic ung mulet. Ladicle lille avoyt son logiz de l'aultre costé de
la inais()n(|uia|)partenoytàlal]eaupertuys, cnrondroictoùest la
rue de lliérusalem, si bien qu'en se iuchant à ung balcon iouxtant
le mur, il estoyt amplement facile deveoircequ'ellefaisoytetde
ouyr ce qu'elle disoyt dans une salle basse où elle demeuroyt ; et,
souventes l'ovs, le Rov prenoyt de bons divortissemens de ceste
12.
'■■' ■■■■ -Tr- ^T^rrï- i:^.'îx:;:::r ::: s::^. -
niellant à 1 aise au bora Uu Mdii, .ivi,i4u<-=>
Uni compaignic el les escorta cliez eulx.
LES lOYEULSETEZ DU ROY
159
vieille fille, qui no seavoit point estre nutnntsoiihz lacoiileuvrino
dudict seigneur. Doncqucs, un iour de marché l'ranc, il advint
que le Roy feit pendre iing ieune bourgeoys de Tours, lequel avoy t
\iolé une dame noble, ung peu aagée, cuydant que c'estoyt une
ieune fille. A ce, il n'y avoyt point demal, et c'eusteslécbouse
me'ritoire pour ladicte dame d'avoir esté prinso pour vierge ; mais
en rccoignoissant s'estre deceu, il l'avoyt abominée de mille in-
iures ; et, la soupçonnant de ruse, s'estoyt avisé de luy voler ung
beau goubelct d'argent vermeil, en loyer du prest qu'il venoytde
lui faire. Ce susdict ieune lionmie estoyt à touscrins,et si beau
(pie toute la ville le voulut vcoir pendir, parmanière de repief ,
et aussy par curiosité. Conqitez qu'il y avoyt à la pendaison,
plus de bonnets que de cliapeaulx. Do l'aict, ledict ieune liomme
brandilla Irez bien; et, suivautTus et coustumedes iicndusdeee
temps, mourut en guallant, la lance eu arrest, ce dont il l'ut grant
bruit dans la ville. Beaucoup de d.imes dirent, à ce subiect, que
c'estoyt ung mourfro de ne pas avoir conservé une si belle ame
de braguette.
— Que diiiez-vous si nous mettions le beau |ien(lu dedans le
lict de la Godegraud? demanda la Heaupcrtuys au Hoy.
— Nous l'espouvanterons, respondit Loys unze.
— Nenny ! Sire. Soyez ferme qu'elle accueillera bien ung
homme mort, tant elle ha un grant amour d'ung vivant. Hier, ie
140 CONTES DROLATIQUES.
l'ay veuc faisant des ioUios à uii^' boiiiu'l de ieiine homme, qu'elle
avoyt mis sur le hault d'unecliaire,et vous auriez Lien ry de ses
pai'oles et momcries.
Ores, pendant (|ue la vierge de quarante ans feutaux vespres,
le Roy envoya desj)i'ndre le ieune bourgeoys qui venoy t d'achever la
darrenière scène de sa l'arce lragic(iue, et, l'ayant veslu d'une che-
mise blanche, deux estal'liers montèrent par-dessus les murs du
iardinet de la Godegrand, et couchièrent ledict pendu dans le
lict, du costé de lamelle. Puis, cela faict, s'en allèrent, et le Roy
resta dans la salle au balcon, iouant avecques la Beaupertuys, en
attendant l'heure ducouchier delà vieille (ille. La Godegrand re-
vint bientost, ta, ta, belle, belle, comme disent les Tourangeaulx,
de l'ecclise de Sainct-Martin, dont elle n'estoyt point esloignée,
veu que la rue de Hiérusalem touche les murs du cloislre. Elle
entre chez elle, se descharge de son aumosnicre, chappclet,
rosaire et aultres magazins que portent les vieilles fdies ; puis
descouvre le l'eu, le souille, se chaulTe, se boutte en sa chaire,
caresse son chat à deffault d'aultre chose ; puis va au garde-
mangier, soupe en sospirant et sospire en soupant, avale toute
seule, en resguardant ses tapisseries ; et, a[>rès avoir beu, i'eit
ung gios pet que le Roy entendit.
— llein ! si le pendu luy disoyt : (( Dieu vous bénisse ! »
Sur ce prouposde la Beaupertuys, tous deux s'esclatèrent d'un
rire muet. Et, trez attentif, le Roy trez chrestien assista au des-
pouillcment de la vieille (ille, qui se desvestoyt en s'admirant,
s'espilant ou se grattant ung boulon malicieusement advenu sur
une narine, puis s'esplucliiant les dents et faisant mille menues
chouses que font, hélas! toutes les dames vierges ou non, dont
bien grantleur fasche ; mais, sans les légiersdeffaults de la natui-e,
elles seroyent trop fièreset l'on nepourroytplusen iouyr. Ayant
achevé son discours aquaticque et nuisical,la vieille lille se luit
entre ses toiles et gecta ung beau, gros, ample et curieux cry
alors qu'elle veit, qu'elle sentit la frescheur de ce pendu et sa
bonne odeur de ieunesse ; puis saulta loin de luy par corquot-
terie. Mais, comme elle ne le scavoyt point estre véritablement
deniinct, elle revint, cuydanlcju'il se mocquoyt d'elle et conlrc-
iaisoyl le mort.
— Allez-vous-en, meschant plaisant ! dit-elle.
Mais croyez qu'elle j)roferoyt ces paroles d'ung ton bien hum-
ble et bien gracieux. Puis, voyant qu'il ne bougeoyljellel'exa-
LES lOYKIJLSETKZ 1)1' ROY.
til
mina de plus près et s'cstoniiia l)i('ii lort de ('cslc taiiL Ik-IIc nature
humaine en recognoissant le ieunc bourgeoys, sur lequel la plian-
taisie la print défaire des expérinientalioiis purement seiciitific-
<jues dans l'iiiterest des pendus.
— Que faict-elle doncques? disait la Reaupertuys au Uoy.
— Elle essaye de le ranimei'. C'est une oeuvre d'humanité
chrestienne...
Et la vieille (ilK; houclioimnyt et rei)oistoyt ce beau ieune
homme, en suppliant saincle Maiie .Egyptienne de l'ayder à ravi-
tailler cemary qui luy tomboyt, tout amoureux, du ciel, lorsque
tout à coup, en resguardant le mort qu'elle rescliaul'foyt cliarita-
blement, elle creut veoir un légier mouvement d'yeulx : alors
mit la main au cueur de l'iionnue et le sentit l)attiiî foihiement.
Enfin, aux ehalcurs dulict, deraffeetion, et par la tenqx'ralure
des vieilles fdles, qui est bien la plus bruslantc de toutes les
boulïées parties des déserts al'ricquains, elle cutlaioye dcrcn(h'e
la vie à ce beau et bon braguard, qui, par cas fortuit, avoyt
esté trez mal pendu.
— Voilà comment les bourreaux me servent ! dit Lovs unze
en riant,
— lia ! (lit la lieaupertuys, vous ne le ferez j>as rependre ;
il est trop ioly.
— L'arrest ne diet pas (ju'il sera pendu deux foys, mais il
espousera la vieille...
Defaict, la bonne damoisellealla, d'ung pied |)ressé, quérir ung
maistre myre, bon barbier, (|ui demouroyt en l'abbaye, et le ra-
mena vitement. Aussytost il
])rint sa lancette, saigna le
ieune homme, et connue le
sang ne sortoyt point : — Ali !
dit-il, il est trop tard, le tians-
bordement du sang dans les
poumons estfaict?
Mais tout à coup ce bon
ieune sang goutta un petit,
puis vint en abundance, et
l'apoplexie chanvreuse, qui
n'estoyt (pi'esl)auelii('e, feutarresiéeen son cours. Le ieune lionune
remua, devint plus vivant ; puis il tondia, par le vœu de la nature,
dans unggrantalfaissementetprofundeattrition, prostration des
n2 CONTES DROLATIQUES.
chairs et llasfpiositoz du tout. Ores, la vieille fille, qui estoyt tout
yeulx et suivoyt les grans et notables changemens qui se faisoyent
en la personne de ce mal pendu, print le barbier parla manche, et,
luy montrant le piteux caz, par une œillade curieuse, luy dit :
— Est-ce que doresenavant il sera ainsy ?
— En da! bien souvent, respondit le véridicquc chirurgien.
— Oh! il estoyt bien plus gentil, pendu.
A ceste parole, le Hoy s'esclata de rire. Le voyant par la croisée
la fille et le chirurgien eurent grantpaour, veu que ce rire leur
senibloyt ung second arrest de mort pour leur paouvrc pendu.
Mais le Roy tint parole et les maria. Puis, pour que iustice feust,
il donna le nom de sieur deMortsauf à l'cspoux, en lieu et place
de celluv(ju'il avoyt perdu dessus l'cschauffaud. Comme la Gode-
grand avoyt une trezanq)le pannert'ed'escuz, ilsfeirent une bonne
famille de Touraine, laquelle sujjisle encorcs en grant honneur,
veu que M. de Mortsauf servit trez fidellement Loys unze en
diverses occurrences. Seulement il n'aimoyt à rencontrer ni
potences ni vieilles femmes, et iamais plus ne voulut recepvoir
d'assignations amoureuses pour la nuict.
Cecy nous apprend à bien vérifier et recognoistrc les femmes,
et ne point nous tromper sur la difiérence locale qui existe entre
les vieilles et les ieunes, veu que, si nous ne sommes pas pendus
pour nos erreurs d'amour, il y ha tousiours quelques larges
risques à courir.
|[|| TilUtilIliflÉli
LA CONNESTABLE
Le conncslabk' d'Ainiignao ospouso/par ambition de haute for-
tune, la comtesse Bonne, qui s'estovt (lesià trez proprement ena-
mouri'e du petit Savoisy, fils du chamberlan à Monseigneur le
Roy Charles sixiesme.
Le connestable estoyt ung rude homme de guerre, piteux âe
mine, vieulx de peau, grantement poilu, disant tousiours des pa-
roles noires, tousiours occupé de pendre, tousiours en sueur de
batailles, ou resvant à stratagesmcsaullres (|uc ceulx d'amour.
Aussy, cebonsouldard, peusouicicuxd'espicer le ragoustdu nja-
riaige, usoyt de sa gente fen)me en honune (jui pense à vise'es
LA CONNEsTjlIll. E.
L.V CO.N.NESTAbLt:.
115
[iliis liiinllcs; rc (iiic les dames ont en une saigc horreur, veii que
elles n'ayment point à avoir les solives
du lict pour seuls iiiges de leurs mi-
gnardises et bons coups.
Donrques, la belle comlcsse, drs
qu'elle l'eut conneslablL'e,n'en mordit
que mieulx à l'amour, dont elle avo\ t
le cueur encombré pour le susdict
Savoisy ; ce que veit bien le compai-
gnon.
Voulant tinis deux estudier niesme
musicque, ils eurent bientost accordé
leurs lucsou descbiiïré le grimoire ; et
ce l'eut chouse apertement démonstrée
à la royne Isabelle que les chevaulx de Savoisy cstoyent jdiis
souvent establez obcz son cousin d'Armignac qu'en l'iiostel
Sainct-Pol, oiî demouroyt le chandierlan, depuis la destruction
de son logiz, laicte par ordre de l'Université, comme ung chascun
sçayt.
Geste preude et saigc princesse, redoublant paradvancecpielque
fascheux estriipour Bonne, d'autant ([ue Icdict coiinestable ne
chailloyt pas plus à iouer de sa lame (jue jjicbstre à donner ses bé-
nédictions, ladicte royne, line à dorer comme une dague de plond),
dit ung iour en sortant de vespres à sa cousine, qui prenoyt de
l'eaue benoiste avec(jues Savoisy :
— Ma mye, ne voyez-vous point du sang dedans cesle eaue?
— Uab! l'eit Savoisy à la royne, l'amour ayme le sang, ma-
dame!...
Ce que la dicte royne treuva fort bieurespondu, et le mit en
escrijit, puis plus tard en
action, lors (puî son sei-
gneur Roy navra ung sien
amant, dont vous verrez
poindre la faveur dans cet-
tuy Conte.
Vous sçavez. par maintes
expérimentations, que du-
rant le prime vèrc de l'a-
mour, ung chascun des deux amans ha tonsiours en gran paour
de livicr le mystère de son cueur; et, tant par fleur de pru-
13
iiii (.(i.N i'i;s nuni.Ai i(jLi;s.
denco, (anl |iuiir raiiiuscmeiiL (iiic (loiiiu'iil les iloulccs tru-
pherii's tic lu guallaiiliso, ils iouont à (|iii mieulx se niusscra.
Puis, ung iour d'oubly sunict pour enlorrci' toutes les saigesscs
passées. La puDuvre reiniiie se piind ou sa ioye couuuc eu uug
lasset ; sou aniy sigue sa préseuee ou [jailoys uui; adieu par
quelques vestiges de braguettes, eseharpesou esperous laissez par
uug liazaid l'atal ; et vécy uug couj> de dague (jui trenclie la trame
si guallauHueut ouvraigée par leurs délices dorées. Mais, (piaud
pleius sout les iours, point ne l'aut l'aire la moue à la mort; et
l'tspée des marys est ung l)eau trespas de guallanterie, s'il y lia
de beaulx trespas! Aiusy debvoyent finer les belles amours de la
comiestable.
Uug matin ipie monsieur d'Ai-mignae avoyt uug moreeau de
bon teuq)s à prendie par la l'uite du due de hourgougue, Itupicl
quittoyt Lagny, le eonnestable doneques s'advisa de soubbaiter
boniour à sa dame, et la voulut lesveigler d'une fasson assez doulce
pour (pi'elle iw se l'asebast point; mais elle, eud)ourbée dans les
grasses souuueilleries de la matini'c, res|ion(iit au geste sans lever
les paupières :
— Laisse-moy doneques, Charles!
— ( Hi ! oh ! leit le eonnestable, oyant ung nom de sainct qui
n'cstoyt point de ses patrons, i'av du Charles dans la teste!
Lors, sans Idueliier à sa ienune, il saulta liors du liet l'I moula,
le visaige en llanune et l'espée nue. à l'eudioicl où doiuioyt la
cbaud)eiièi-e de la comtesse, se ddublaiit (pu' la dicte servante
mcllovl les mains à ceste besonyiie.
— Ali! ail! gouge d'enfer, luy cria-l-il |mui (•(Hiimeucer le
drduicl de sa cliolère, dis tes paleiioslres, car ie vais te tuer sur
riirurc à cause des menées du Charles (pii vient céans.
— Ali! Monseigneur, ii's|niii(lil la Icmmc. qui vous ha dict
cela?
— Sois j'eriiH- (pir ic le déliais sans rc'missioii. si lu n'advoues
les moindres assiguatiims (btum'es, el en (pulle manière elles
L'ositôe dos raarjs esl mig lioau trempas do guallanlerio, s'il y a di'
bcaulx trcspasi
lis CONTES PROLATIOrES.
s'acconloycnt ; si la langue se toitillc, si tu l)rûnrhcs, le te cloue
avecquos mon poignard. Parle!
• — Clouez-nioy, rcsparlit la fille : vous ne sçaurez rien !
Le connestable, ayant mal prins cesle excellente rcsponse. la
cloua net, lant le coui roux rescliauiroyt ; puis revint en la clianihre
di' sal'emnie, et dit à son escuyer qu'il rencontra par les degrez,
tout csveiglé aux aboys de la iille :
— Allez là-hault; i'ay corrigé ung peu fort la Billette.
Devant qu'il reparust en présence de Bonne, il alla prendre son
fils, lequel doruioyt comme ung enfant, et le traisna chez elle
avec((ues des lassons peu mignonnes. La mère ouvrit les veulx,
et bien grans. comme pensez, aux cris de son petit; puis feut
grantement esmeue en le voyant aux mains de son mary, lequel
avoyt la dextre cnsanglanti'o et gectoyt ung resguard rouge à la
mère et au fils.
— Qu'avez-vous? dil-elle.
— Madame, demanda Ihonnuc de briefvc exécution, cet en-
fant est-il Yssu de mes reins ou de ceulx à Savoisy, vostre
amy?
Sur ceproupos. Bonne devint pasle el saulfa sur son fils comme
une grenouille effrayée (pii se Jance à l'i^uie.
— Ah! il est bien à nous, feit-elle.
— Si vous voulez ne pas veoir rouler sa teste à vos pieds, con-
fessez-vous à nioy, et lespondez droict : vous m'avez adioinci ung
lieutenant?
— Oiiida!
— Quel est-il?
— Ce n'est point Savoisy, et ie ne diray iamais le nom d'ung
liomme que ie ne cognoys pas.
Là-dessus, le connestable se leva, piint sa fenune ])ar le bras
pour luy Irenclier la paiole d'ung coup d'espée; mais elle, luy
gcclant ung resguard impérial, s'écria :
— Oh bien, tuez-moy; mais ne me touchez plus!
— Vous vivrez, repartit le mary, pour ce que ic vous réseive
ung cliasliment |ilus anq)le (pie la mort.
Lf, ledonblanl les engins, pii'ges, ai'raisoimemens et artifices
familiers aux femmes en ces cas fortuits dont elles estudient,
niiict et i(iiir,les variantes, à part elles ou cuire elles, il se dé-
partit, sur cesle iiide et amère |)ar(de. Il alla incontinent inlerro-
guorses servilcius. leur nioii^liant une face divinement terrible :
Le conncslablc, ayant mal prins costo cxccllenic rospon^e. h. cloua iiw,
Uinl li^ fournuix r.-.<liaufloyl.
150
CONTES DROLATIOUES.
aussy, tonsluy rospondiirnt ooniiiio ù Dieu IcPèro au iour darre-
nicr, (juand ung cliascun de nous fera sou compte.
Nul d'iceulx ne sceut le sérieux meschief qui estoyt au tres-
funds do ees sommaires interroguatoires et astucieuses interlocu-
tions; mais, de tout ce qu'ils dirent, par le eoimestal)le l'eut con-
clud (|ue aulcun masie du loiiiz n'avoyt mis le doigt dedans la
saulce, liorsmis ung de ses chiens (|u'iltreuva muet, et auquel il
avdvt donne cdmiiiissioii de vrigicr ;ni\ iardins. Alors le prenant
dans ses mains, il l'estonl'la de raige. Ce l'aict l'incila pc-ripallu'-
lic(pu'menl à supposer(pie le soiis-connesl;d)le venovl en sonlioslel
p;ir le iardin, (pii avoyl ponr loiilc \ssue une poterne donnant sur
le liord de l'eane. IJesoing est de dire à cenix (pii en ignorent la
sitnalion de l'IiosleldArnii^nac, lecpud len<»yt ung enq)lacement
noialile pièsles maisons royales de Saincl-INd. Sni' ce lien l'eut de-
puis l);isl\ riiostel des Longneville. Ores, (piant à prc'sent, le logiz
d'Armigri;ic a\d\t ung porche de hclle |iierre en la rue Sainct-
Anlli()ine;esl(»vl l'orlilic' de ton! |ioincl ; et leshanlls murs du coslc"
dr la rivière, en lace l'isli' aux Vasches,en l'endroicl oîi est main-
tenanl le port île la (Iresve, esloveni gnarnis de lonrriles. Le (Iin-
sindecc s'est v{Mi longtenqis chez le sieur cardinal llnpial. chan-
celier du H(i\. Le cdiuic-liihle vu\da sa cervelle, et ;iu Imid, parmy
LA (;(»NNi:sT\i!i,i:. IM
SCS j)lus hcllcs ('iiil)iisflios, tini la iiicillciire cl ra|i|)rii|(ria si liini
au cas csclicanl, que luicc cstoyl. an i;iiallaiil de s'y jni'inlic
comme lièvre dans un;; collcl.
— Par la mort-Dieu! dit-il, imtn liaillcur dr cornes est prins,
et i'ay le temps de resver ù seavoir conmient ie racconinidderay.
Yéry l'ordre de lialaille (|ue ce lion capitaine p(»ihi, (jni i'aisoyt
si grosses guerres au duc Jeaii-sans-lVur, conmianda pour donner
l'assault à son ennemi secret. Il })rintlion numhre de ses pins al-
fcctionnez et adroits arcliei's, les aposta dedans les lours dn (piav,
en lenr nrdoinianl sduliz les pins i^rielVes |ieiiies de lii( r. sans
aulcune dislinclHin de ^ens, liorsinis la conneslalile. sur les |ier-
sonnes de sa niai'^on ipii rer(»yent mine de snriir des iardins et d y
laisser enlrer nuiclainnient on de lonr le i;enhllionnne a\nie.
Autant en lent l'aicL du cosli- dn porclie. en la rne Saincl-
Anllioine.
Les serviteurs, mesmes li^ chapelain, eurent consigne de ne
point yssir du logiz soidiz |)(»ine de mort, l'uis. la garde des deux
flancs de lliostel ayant esté connniseà des souldai'dsde sa coni-
paijinie d'ordonnance, lestpu'ls eurent charge (je l'aire home
1.V2 CONTES DHOLATIOI ES.
guette dans les rnos latt'ralcs, force estoyt que l'aiiiant incogncu,
auquel le conncstahh' ostoyt débiteur de sa paire de cornes, feust
saisy tout chauld, quand, ne saichant rien, il s'en viendroyt, à
l'heure accoustuméc de l'amour, planter insolemment son es-
tendard au cueur des appartenances légitimes dudict seigneur
comte.
C'estovt une chausse-trappe où dcbvoyt tomber le plus fin
homme, à moins d'estre aussy sérieusement protégé de Dieu
que le bon sainct Pierre le feut par le" Saulveur quand il l'em-
pescha d'aller au fund de l'eaue, le iour où ils eurent phantaisie
d'essaver si la mer estoyt aussy solide que le ])lancliier des
vasches.
Le connestable avoyt affaire à ceulx de Poissy, et debvoyt se
mettre en selle après disner, en sorte que, cognoissant ce dessein,
la paouvre comtesse Bonne s'estoyt advisée, dès la veille, de con-
vier son ieune serviteur à ce ioly duel où tousiours elle estoyt la
plus forte.
Pendant que le connestable faisoyt à son hostel une ceincture
d'yeulx et de mort, et embusquoyt des gens à luy, près la poterne,
pour happer le guallant à la sortie, ne saichant d'où il tomberoyt,
la connestable ne s'amusoyt point à lier des pois ou à veoir des
vasches noires dans les charbons.
D'abord, la chami)erière clouée se descloua, puis, se traisnant
chez sa maistresse, elle luy dit que le seigneur cocqu ne savoyt
rien ; et, devant que de rendre son ame, elle réconforta sa chiere
maistresse, en luy donnant pour seurque ellepourroytse fier en sa
sœur, laquelle estoyt lavandière en Ihostel, et d'acabit à se laisser
hacher menu comme; chair à saucisse pour complaire à Madame;
que elle estoyt la plus adroicte et miesvrc commère du (|uartier,et
renommée depuislesTournelles iusqu'à lacroix duTrahoir, parmy
les gens de menu, comme fertile en inventions pour les cas pressez
de l'amour.
Lors, tout en dcpldiiianl h- Ircspas de sa bonne cbandierière, la
comtesse manda la lavandièic, luy feit quitlei' ses buées et se mit
avecqueselleàrclnurnci' le bissac aux bons Idurs, voulant saulver
Savoisv au prix di' l(»iit son heur à venir.
Kt d'abord les deux femelles délibérèrent de luy faire sçavoir
les souprons du seigneur de c('ans, et de l'engaijii^'r à se tenir
coy.
ViVv (l(»nc(|ues la bonne lavandière (|ni s'encharge de buée
L.V CONNKSTAP.LE. 155
comme uny; iniilct, cl vciill yssii' de l'iioslcl, Mîiis, nu porclif, fllo
trouve un;^ lioiiiinc d'iiniics, l(M|iH'i Irit l;i sourde nurcille à toulcs
les controverses de la huandière. Alors elle se résolut, par ung
espe'cial dévouement, de prendiT le souldardpar son endroict l'oi-
ble, et l'esmoustilla partant de miifnardises, (ju'il ioua trez bien
avecques elle, (pioiipi'il l'ciisl liDuzt'comiiic |tom' aller en guiîrre;
mais, aj)rès le ieu, point ne voulut la laisser aller en la nie, et,
encores qu'elle essayast de se faire sceller luv^ passe-port par
qnelqucs-ungs des ])lus beaulx, les croyant plus guallans,
nul des arcliers. f^cns d'armes cl anlli'es, n'osn juv onvrir nng
seul des perluys les j)lus estroicls du logiz. — Vous estes des
meschanls et des ingrats, leur diel-elle, de ne p;is me rendre la
pareille !
Ileurensement, àee mestier, elle s'enipiil de loul, et revint en
grant liasti; près de sa maislresse, à qui elle raconta les estranges
maeliinalions du comte.
Les deux l'eimnes recommencèrent à l(>nir conseil, et n'eurent
pas tant seulement devisé le temps de chanter deux alléluia sur cet
appareil de guerre, de guettes, deflenses, ordres et dispositions
équivocijues, soui'des, spécieuses et diabolicques, que elles reco-
gneurcnt, par le sixiesme sens dont toute, lemelle est guarnie,
l'espi'cial dangier (|ui menassoyt le paonvrc amant.
Madame, ayant bientost sceu (jue elle seule avoyt licence de sor-
tir du logiz, se bazarda vilement à prouflicter de son droict ; mais
elle n'alla pas si loing que le gect d'un cranne({uin, veu que le
coimesl;iblcavovlcommandt'à(piMtredescspaigesd'cslretoTisiours
en debvoir dacconqiaigncr la conilcsse, cl à deux enseignes de sa
compaignie de ne la point quitter.
Lors la paouvre conneslable revint à sa cbambre, en plourant
autant que plourent ensendjle toutes les Magdeleines qu'on veoit ez
tableaux d'ceclisc.
— Las! disovt-elle, mon amiinl v;i doucrpics esire desconfict,
et plus ne le verrav!... liiv (pii rslo\l si doiiK de jiaroles, si
gracieux au déduicl! Cesle i)clle Icsle ipii lia si souvcnles Ibys
reposé sur mes genoilz sera donc(juesinenrdrie!... Comment! ie
ne sçauroys gecter à mon mary une teste vnyde et de nul [irix en
place de cesle teste pleine de charmes et de valeur!... une teste
orde pour une lesle perl'unK'e! nue lesle li;iïc pour nue teste
d'amour!...
— Ha! madnnie, s'cscria l;i iiiviindièicsi nous liiisions pou i lier
I.M CONTI'S l»KOI.\T|(jri:S.
(les vestomt'iis d'iiommo iiolde au lilsdu (lucux, lequel est fol de
moy et ni'eiinuye i)ien loit, puis, ([ue, l'ayant ainsy aeeoustré,
nous le boutions dehors par la poterne?
lii-dossus, les deuxleinmes s'eiitre-resguardèrent d'unijoeil as-
sassin en dialile.
— Ce f^uasle-saulee. )'e|)iint-elle, une l'oys oeeiz. tous ees soul-
(lards s'envoleroyent eoiniue des grues.
— Oui, mais le eomte ne recoignoistra-t-il pas le mannileux?
Et la eomtesse, se congnant au cueur, s'eseria en hranslant le
chief :
— Non! non! ma mye, iev, c'est du sang nolde (pi'il faut
verser, sans espai'gne auleune.
Puis elle pensa ung petit, et. sanllant de ioye, (die aeeolla tout
à eoup la lavandière en disant :
— Pour ee que i'ay saulv(' mon aniv par ton eonseil. ie te sol-
deray eeste vie iusques à ta mort. '
Sur ee, la eomtesse seieliia ses pleurs, se feit ung visaige de
rianc(^e, print son aumosnière, son livre d'Heures, et devalla vers
l'eeelise de Sainet-Pol, dont elle entendoyt sonner les cloches, veu
((ue la dai'renii'M-e messe alloyt se dii'e. Ores, à eeste belle (h'votion
ne l'ailloyl jamais laeonnesfable, enleimne noiseuse comme toutes
les dames de la Court. Aussy nomnioyl-on eeste messe la messe
attornée, pour ce (|iie il ne s'y reneontroyt que muguets, beaulx
lils, ieunes gentilshommes et l'enmies bien gorgiasc'es de haults
perl'ums; brief, il ne s'y voyoyt point de robbes ([ui ne l'eussent
armoirii'es, ni d'esperons (pii ne l'eussenl dorez.
l)oncques, la comtesse IJonne s'y (le|)ar(it, laissant à l'hostel la
buandière bien esbahie et enchargit-e d'avoir l'œil au grain ; puis,
vint en grant j)ompe à la paroisse, acc(»mpaigii('e d(> ses paiges,
de deux enseignes et gens d'armes.
Il est oceurient de dire que, j»army la bande de iolys chevaliers
(jiii IriUillovent dans l'eeelise autour des dames, la comtesse en
avoyt plus d'ung dont elle l'aisoyt la iov<', et (|iii s'esloyt a(lonn(!
(le cncur à elle, suivant la coustunu' du iemie aage, où nous en
coiielions tant et plus sur nos tablettes, seulement à cc^stc fin d'en
(•(•(Kpieslcr au moins une sur le grant nnudMC.
l)e ces oyseaulx de line proye, lesquels oiivrovent lousiours le
bec et resguardoyent ])lus souvent à trav(!rs les bancs et les
patenoslres (pie devers l'autel et les jirebstres, il yen avoyt ung
au(|uel la comtesse faisoytpar l'oys l'aumosnc d'ung coup d'œil.
Aus^y noiiimoyl-on rr<ii" mos^r
coiiiroyt quf iiiufruct-;. licaiil
gorgiasécs de luiults iiarluins.
;i mcssn nllorurc pour ci^ i\\xo, il ne -i'y rcii-
fih, ieimcs gt'iilihhoinmcs et reuiines bien
156
Cd.MKS 1)1101, ATIOL'ES.
pour ce qu'il cstoyl moins vôtillant et jibis ))rorun(l('mcnt entre-
prins que tous aultros.
Celluy-là se tenoj t coy, tousiouis collé au mesnic pilier, n'en
bougeant point, et vrayment ravy de la seule veue de la dame
qu'il avoyl esIeuej)our sienne. Son pasle visaigeestoytdoulccment
mi'laneliolisé.Sa physionomie
l'aisoyt ])reuve d'ung cueur
l)ien cstoffé, un de ceulxqui
se nourrissent d'ardentespas-
sions et s'abynient délieieu-
sement dans les désespéianees
d'un amour sans advenir. De
ces gens, il y en a peu, pour
ce que, d'ordinaire, on ayme
|)lus ceste chouse que vous
sçavez (jue les lelicités inco-
gneues gisant et llorissant au
tresl'unds de l'ame.
Ce dict gentilhomme, en-
core (jue ses vestemens l'eus-
sent de homie l'asson et pro-
jireset sini|»les, ayant mesmes
ung fcrlain goust respandu
dans les agencemens, sem-
liloyt à la connestable debvoir
csliv ung ]taouvre chevalier
(|ueranl iortune et venu de
loing avec(jues sa cappe et son
espécpourloutpotaige.Aussy,
tant par soupçon de sa sccrcllc misère, tant pour ce qu'elle en
c^ltivl bien avmce, ung ])cn pour ce (pi'il avoyl bonne conlcnance,
bcaiilx clicvculx noirs, bii'U longs, belle taille, et (|u"il reslctyt
hnndtle et soubmis à tout, la comicsiable liiy soiihhaitoyt la la-
veur des rennncs et de la Iortune. Puis, j)our ne point chommer
de guallans, et par uni; penser de bonne mesnaigiere, clic le
rescbauflovt, suivant ses pliaiilaisies, j)ar (picbpies menus sul-
Irai^es, |telits resguards, (pii serpeiilciyent devers luy c(»unne de
mordans asjtics; se nioc(pianl de Iniil IheiM' de cesie ieune vie, en
pi'incesse accoustinni'e à ioiier des obiels plus prctieux (pie n'estoyt
ung simple cliev a lier. IJi eHcrl,s()n mary le conncslahlc liasardoyt
LA CONNKSTAIiM;. i:.7
le royaulinc et loiit, {'oiuinc vous loiicz d'un lésion au |iic(|nct.
Final)lonionf, IIu'n avoyt |)as plus de trois iouis (|iu', au dcslui-
cliier dos vos|)r('s, la coiuiestalilc, iiioustiaut de l'œil à la Royiie
ce poursuivant d'amour, se priiil à dire en riant :
— Voilà ung homme de (pialité.
Ce mot resta dans le beau larigiiaij^e. Plus tard, il devint une
l'asson de désigner les gens de lallourt. Ce l'eut à la eonncstahle
d'Arniignac, et nonàd'aullres sources, que le Trançoys l'eut rede-
vable de ceste iolie expression.
Par cas iortuit, la comtesse avoyt rencontré vray à l'endroict
du geutillionnne. G'esloyt ung chevalier sans ])annière (|ui avoyt
uoui lulien de lîoys-lJourredon, le(juel, n'ayant pas hérité sur son
iiel' assez de bois pour se l'aiie niesmes ung cure-dent, et ne se co-
gnoissant pas de plus beaul\ biens que la riche nature dont sa
defunctc mère l'avoyt guarny fort à proupos, conceut d'en tirer
rente et proulllct à la Court, saichant condiien les dames y
ostoyent Iriandes de ces bons revenus, et les prisent hault et
chier, quand ils peuvent tousiours estrc perceus sans l'aulle entre
deu\ soleils, il y ha beaucou]) de ses pareils qui ontainsy prins
l'estroicle voye des femmes pour faire leur chemin ; mais, luy,
loiug de niellre son amour en coupes réglées, despensa le funds
et tout, si tosl que, venu à la messe attornée, il veil la triomphale
beaulté de la comtesse Bonne. Alors il cheut en ung amour vray,
lequel fcut grantementde mise pour ses escuz, veu qu'il en perdit
le boire et le mangier. Ceste amour est de la pire espèce, pour ce
qu'il vous incite à l'amour delà diette, pendant la dielte de l'amour;
double maladie dont une sullit à ostaiiulrc ung honnne.
^oilà quelestoytleieune sire auquel avoyt songié la bonne con-
iiestable, et vers lequel elle venoyt vite pour le conviera mourir.
En entrant, elle veit le paouvre chevalier qui, fidelle à son
plaisir, l'allendoyt, le dos au |iilier, comme ung souffreteux aspire
au soleil, au printenq)s, à l'aurore. Alors elle deslourna la veue
et voulut aller à la Royne pour en requérir assistance en ce cas
désespéré, car elle eut pitié de son amant; mais ung des capi-
taines luy dit avecques une grant teincte de respect : — Madame,
il y ha ordre de ne pas vous laisser la licence de parler à fennne
ou honnne, ipiand mesmes ce seroyt la IJoyne ou voslre conl'es-
seur. Kt conq)lez (|ue nostre vie à tous est en ieu.
— Vostre estât, respondit-elle, n"esl-ildonc(|uespasdc mourir?
— Et aussy d'obéir, repartit le souldard.
14
Alt r> il client en iiii^' ciiiuur Uray, Iimiik;! IihU giaiiU;iuciil du iiiisu jiour
SCS cicuz, vcu qu'il 011 purdil le huirc el le inuiigier. Cesle uiiiuur esl
lie la pire espèce.
LA CONNFSTAlilj:. 15!»
DoiiC([n(\s la comtesse se mit en oraison à sa jilare aeconstumi'f :
et, lesjiuaidaiit eneores son servitenr, elle luv Ireiiva la l'ace plus
jnaigi'e et plus erense (|ue iamais elle n'avoyt esti".
— Mali! se dit-elle, i'auiay moins de soulcy de son ticsjia-. Il
est qiiasy mort.
Surcesteparaphi'ascdc son idée, elle gecta andict pentilhomnie
une do ces (eilladi's clianldes (|ui ne sont jiermises (pi'anx piin-
ccssesetanx "alloises; el la l'anlscaMioMi' (l(jnt lesmoinnnèi'ent ses
beaulx yeulvleit ung l)on mal au ^nallant du pilier. Oui n'ayme
pas la clialoureusc atta(|ui^ de la \ie alors (pi'elle afllue ainsy au-
tour du cueur et y «^onlle tout? La i-onneslahle co^^neut, avecques
unir plaisir tousiours nenl' en l'ame des femmes, l'onmipotencede
son maynilitpie resguard, à la res|>oiisc (pie leit le chevalier
.sans lien dire. Kt, de i'aict, la rougeur dont ses imies s'empour-
prèrent parla niieuLx que les meilleures paroles des orateurs
grecs et latins, et feut bien entendue aussy. A ce doulx aspect, la
comtesse, pour estre seure que ce n'esfoyt point ung ieu de na-
ture, piinl plaisii' à expérimenlei' ius()u'où alloyt la vertu de ses
yeulx. Kl, apiès avoir bien cliaullit' plus de trente l'oys son servi-
teur, elle s'at'Iermit dans la créance qu'il pourroyt bravement
mourir pour elle. Cette id('e la toucliia si fort, que, par trois re-
prinses, entre ses oraisons, elle feut cliaslouillée du désir de luy
mettre en ung tas toutes les ioyes de l'Iiomme, et de les luy rt'-
souldre en ungseulgecl d'amour, ailin de ne point estre reprou-
cliée ungiour d'avoir dissipé non-seulement la vie, mais aussy le
bonlieur decegentillionnnc. Lors(|ue l'olficiant se retourna pour
chanter Vallez-voux-en à ce beau troupeau doré, la conuestable
sortit par le coslé du |)ilier où estoyt son conrtizan, passa devant
luy, tasclia de luy insiimer par ung bon coup dœil le dessein de
la suyvre, puis, pour l'alTeiniir dans l'intelligence etinterjuétation
signilicative de ce légier aj)pel, la fine commère se revira ung
petit après l'avoir dépassé, pour de rechief requérir saconipaignie.
Elle le veit (|ui avoyt niig [leu sailly de sa place et nosoyt s'ad-
vancer, tant modeste il estoyt; mais, sur ce darrenier signe, le
gentilhomme, seur de n'estre point oullre-cuydant, se mesla dans
le cortège, à })as nieuus et peu bruyaus, connue ung cocipiebin
qui ha paour de se produire en ung de ces bons lieux ((u'on dict
niaulvais. El, soit (pi'il maichasl arrière ou devant, à dextreou à
senesire, tousiours la comiestable lu\ lascliiovl ung luysaul res-
guard, pour l'appashMilavanlaigeet miculv l'alliicr à elle, comme
Il ijuil iiiiiiiliail iiirii'.Tc un ilcvaiit, ;i (l(i\lrc ou à .senolii', tllll^i^)Hl■;
la cuimuslulilj liiy luscliiuyl iiiig liiysaiil rosguard.
LA CONNESTARLE. 101
iing pcsclicnr qui (loulcomcntliaulso le filaffin do souljzpcsor le
gouion. Pour ostro liricf, la cointcsso feit si liion lo niostior dos
filles do ioyo, (|uaiid elles travaillent pour aiuouor l'eaue herioislo
en leurs moulins, (pi'enssiez diet (pio rien ne rossend)lo tant à une
pute qu'une l'einnie de lianlle naissanee. Kt, do laiot, on arrivant
au porche de son hostel, la conneslahle hésita d'y entrer ; puis,
de rechief, dostourna lo visaigo vers le i)aouvrc chevalier pour
l'inviter à racconi[iai;;iier, on lui desooohant une œillade si
dial)olie(jtie, ((u'il aecourut à la royno do son oueur. se cuvdant
appelh' par elle, Aussitost, laconitosso luy oiïrit la main, et tout
deux, bouillans et frissonnans par causes contraires, se trouvè-
rent en dedans du logiz. Aceste niale heure, madame d'Armignac
eut honte d'avoir faict toutes ces putainei'ies au j)rour(i(t de la
mort, et de ti'ahir Savoisy ])our le mioulx saulver ; mais ce légior
remords esloyt aussy boiteux que les gros, et vouovt taidivement.
Voyant tout mis au ieu, la connostahle s'ap|»uya bien tort sur le
bras de son serviteur et luy dict :
— Venez vite en ma chambre, car besoing est que io vous
parle...
Et luy, no saicbanl pdinl qu'il s'en alloytdo sa vie, ne trouva
point de voix pour respondro, tant l'espoir d'ung prochain bon-
heur l'estoufl'a. Quand la lavandière voit ce beau gentilhonuno si
vitenient pesché : « En da ! foit-elle, il n'y a que les dames de
la Couit pour de telles besongnos. >) Puis elle considéra ce cour-
tizan par une salutation prol'unde où se poignoyt le respect iro-
nicque deu à ceulx (pii ont le grant couraige de mourir j)our si
peu de chouse.
— Picarde, leit la connestable en attirant à elle la lavandière
jiar la cotte, io no mo sens point la tVtrce de luy advtjuor le lover
dont ie vais payer son nmel amour et sa belle croyance en la
loyaulté des l'onnuos...
— Bah ! madame, pourcjuoy luy dire? Ronvoyoz-lo bien content
par la poterne. Il meurt tant dlionmios à la guerre pour des riens,
colluy-làne sçauroyt-il mourir pour (juelque chonso? l'en roferay
ung aullrc, si cela jieul vous consol(>r.
— Allons! s'escria la comtesse, levais tout liiy dire. Ce sera la
punition de mon péché...
Cuydant que sa dame accordoyt avecques la meschine quelques
menues dispositions et chousos socrettes pour n'esire point trou-
blée dans le discouis qu'elle luy promeltovt, l'amant incognou se
U.
162 CONTES DROLATIQUES.
tcnoyt discret tomcnt à dislance on rcsguardant les moiisclics. Ce-
peiulant il pcnsovt t|iielaconitessi'esloytbiiMi liardif, niaisaussy,
coiiuiio aiiio\l laid mosnios un^ bossu, il liouva mille raisons
de la iustilier, et se orcut bien digne d'inspirer une telle Ibllie.
11 estoyt dans ces bonnes pensées (juand la connestable ouvrit
rhuvs de son pourpriz et convia son chevalier de l'y suivre. Là,
cestc puissante dame déposa tout ra[)pareil desabaulle fortune,
et devintsimpie l'enime en tombant au.vpieds de ce gentilhomme.
— Las ! beau sire, dit-elle, ie suis en grant l'aulte à votre
esguard. Ecoutez. A vostrc départie de ce logiz, vous trouverez
la mort... L'amour dont ie suis affolée pour ung uultre ni'ha e.s-
blouie ; et. sans (pie vous puissiez tenir sa place icy, vous avez la
sienne à prendre devant ses meurtriers. Vécy la ioye dont ie vous
ay prié.
— Ab ! respondit Hoys-Bourredon en enterrant au l'und de son
cueur ung sombre désespoir, ie vous rends graaces d'avoir usé de
moy comme d'ung bien à vous appartenant... Oui, ie vous ayn.e
tant, (|ue tous les ioursie resvoys avons offrir, à l'imitation des
dames, une cbouse (pii ne se puisse donner qu'une Ibys! Ores
doncques, prenez ma vie!
Et le paouvre chevalier, en ce disant, la rcsguardoyt d'ung
couj) pour tout le temps (ju'il auroyt eu à la veoir pendant de
longs iours. Knleiidant ces braves et amoureuses paroles, Bonne
se leva souldain.
— Ab ! n'estoyt Savuisy, que ie taymeroys! dit-elle.
— Las! mon sort est doncques accomply, repartit Boys-Bour-
redon. Mon horoscope prédictque ie monrrayjjar l'amour d'une
grant dame. Ab ! Bien! leil-il en empoignant sa ])onne espée, ie
vais vendre ebier ma vie; mais ie niourray content en songiar.t
(pie mon Irespas asseure l'heur de celle que i'avme! le vivray
iiiiciik en sa mémoire qu'en réalité.
Au veu du geste et de la face brillante de cet homme de cou-
raige, la connestable lent férue en plein dans le cueur. Mais bien-
tosl elle l'eut pie(pi('e au vif de ce tpi'il scndjloyt vouloir la quitter,
sans mcsmes re(pierir d'elle une légicrc l'aveui'.
— Venez, ipic if vous iiiine, Iny dit-elle en faisant mine de l'ac-
Culler.
— Il;i ! ma (liiiiie, i-es|)oii(lil-il en mouillant d'un b'gier pleur
le l'en de ses yciilx, vonlez-vous rendre ma mort impossible en
allachanl ung trop giaiit prix à ma vie'/
Au vcii (lu t'('^l(' Pl ili' lu (:\ci' liiilhuilc de ccl hnniim^ do cour
la conn("<lal>l(> frul IV^ruo ou i>loin dnns lo crrur.
|()i CONTES DROLATlorES.
— Allons! s'oscria-t-ellc domptée par costoanlenlo amour, io
110 sçav la fin dotont cccy! mais vions. Apivs nous irons prrirtous
à la j)ot('nu' !
Mcsnic Uammo enibrazant lours cnours, mosmo accord ayant
sonne pour tous deux, ils s'cntrc-accoUèront de la bonne lasson,
et, dans le délicieux accez de ceste folle fiebvre que vous cognois-
sez, i'es])ère, ils tombèrent en un^r profund oubly des dangiers de
Savoisv, des leurs, du comieslable, de la mint, de la vie et de tout.
Pendant ce. les gens de guetleau porclieestoyent allez iiifonner
le connestable de la venue du guallant, et luv dire comment len-
raigé gentilliomme n'avoyt tenu compte des œillades que, pendant
la messe et durant le chemin, la comtesse luy avoyt gectéos, à
ceste fin de rempescbier d'estredesconlict. Ils rencontrèrent leur
maistre en grant liaste d'arriver à la poleine. pour ce (pie, de leur
costé, ses archers du quay l'avoyent aussy huchié de loiiig, luy
disant :
— Vécy le sire de Saroisy qui entre.
Et, de fiiict, Savoisv estoyt venu à l'heure assignée ; et, comme
font tons les amans, ne pensant cpi'à sa dame, il n'avoyt point veu
les espies du comte, et s'estoyt coulé par la jJot<'riie. Ce conflict
d'amans feut cause que le connestable arresta tout court les pa-
roles de ceulx qui venoyent de la rue Sainct-Anthoine, en leur
disant avec ung geste d'authorité qu'ils ne s'advisèrent pas de
contredire :
— le sçav que la beste est prinse!...
Là-dessus, tous se gectèrent à grant bruit par la susdicte po-
terne en criant : k A mort ! à mort ! » Et gens d'armes, archers,
connestable, capitaines, tous coururent sus à Charles Savoisy, fil-
leul du Hoy, lequel ilsassailliient iouxte la croisée de la comtesse;
etparungcasiiol;il(le, lesgi'iiiissemeiis du paouvre ieuiie homme
s'exhalèrent douloureusement meslez aux hurlemens des soul-
dards, pendant les sospirs passionnez et les crisipie pouisnvent
les deux amans, les(|uels se hastèrent en grant |>aour.
— Ah ! feit la conif esse en blancliissaiil de teneur, Savoisv meurt
]>oui- moy !
— Mais ie vivray pour vous, respondit Hoys-Bourredon, et me
trouveray encorcs bien heureux en payant mon boidienr du prix
dont se paye le sien.
— Miissez-vous dedans ce b:dnif , cii.i In coiiitesse ; i'entends le
pas du coiMiestaide.
Ail! Ii'it l;i CDjiili's-»,'
l'ii l)l;ui(lii''>;iiil lie li'iic\ii'. S.ivni-y iiiiMirl
liour iniiy !
IGG CONTES DROL.VTinrES.
Et, de faict, monsiour d'Arniij;nac se monstra bien tost avec-
qiies une teste à la main, cl la j)nsaiit toute sanglante sur le haull
(le la cheminée :
— Vécv, madame, dit-il, ung tableau qui vous endoctrinera
surles debvoirs dune fenuue enveis son nuu'v.
— Vous avez tué ung innocent, respondit la comtesse sans pas-
lir. Savoisy n'estoyt pas mon amant.
Et, sur ce dire, elle resguaiila lièrement le connestable avec-
(|nes ung visaige mas(|ué de tant de dissinuilation et d'audace fé-
minines, ijue lemarv leslasotconnneunelilbMjui laisse écbaj)per
(juelque note d'en bas devant une nombreuse conipaigme, et il
lent en doubte d'avoir faiet ung malheur.
— A qui songiez-vous doncques ce matin? demanda-t-il.
— le resvoys du lloy, feit-elle.
— Et doncques, ma mye, pourcpioy ne pas me l'avoir dict.'
— M'auriez-vous crue, dans la bestiale cholère où vous estiez?
Le connestable se secoua Taureille et reprint :
— Mais eonuuent Savoisy avoyt-il une clef de nostre poterne ?
— Ah! ie ne seay|)as, dit-elle briefvement, si vous aurez pour
moy l'estinu' de ci'oiie ce (jue i'ay à vous respondre.
Et la connestable vira lestement sur ses talons, conune gi-
rouette tournée par lèvent, faisant mine d'aller vaccpier auxal-
faires du mesnaige. Pensez (pu^ monsieur d'Armignac feut gran-
lemenl embariassi' de la leste du paouvre Savoisy, el (jue, de son
costé, lioys-llouiredon u'avovl iinlle envie de tousser, en enten-
dant le comte (pii gi'onmu'loyt tout seul des paroles de toutes
sortes. Enfin, le connestable frappa deux grans coups sur la
table el dit : « le vais tomber sur ceul.v de Poissy! » Puis il se
départit, et, ipiand la nnict feut venue, Rovs-Bouiredon se saulva
(le 1 liostcl soubz ung dt'guisenient (picJconfpie.
L(> paduvre Savoisy l'eut moult plourc' de sa dame, (|ui avoyt
faict Idul le plus (pi'une fenuue j)eul faiie pourdélivrer ung amy;
et, plus laid, il feut mieulx que pbiuré, il feut regretté, veu (pie
la connestable ayant raconté ccste advenlure à la lovne jsabeau,
celje-cy desbiinclia lIoNs-Bourredon du service de sa cousine et le
mil au sien propre, la ni elle l'eut louchiée des ipia liiez et du leiiue
couraige de ce geiililhonmie.
Boys-IJoin-redon estoyt ung houuiie(Hie la Mort avovt bien re-
comniaii(l(' au\ dames. En elTecl, il se benda si lii''remeul contre
tout, dans la baulle foilunu cpic luj feil la llovne, qu'ayant mal
-... r.^^
«m-
V('cy, iii;i(l:iiiic, dil-il, iinj; (.ilili'im qui von»; piiloclriiiora sur :i'"- iiL'iivoii>"
(l'une Ii'uiuk; i'iiv<'rs sou uiary.
Ui8
r.OMKS nUOL.VTKjlKS.
traioté le roy Cliarlcs, ving iour où le iiaouvre homme estoyl dans
son bon sens, les coiufizans, ialoux de faveur, adverliient le
Roy de son coc(juaige. Alors, Boys-
liouircdon feut, en \iw^ moment,
cousu dans un sac et gccté en la Seyne,
piouilie le bac de Cliarenton, connue
uni! cliacun sçayt. le n'ay nul besoing
d'adiouxtcr que, depuis le iour où le
coiini'stal)les"advisa de ioucr inconsi-
dérément des couleaulx, sa bonne
l'ennueusa si bien desdenxjnorlsqu'il
avoyt faicts,et les luy gecta si souvent
au nez, ([u'elle le rendit doulxconunelc poil d'ungcliat et le mit
dans la bonne vove dumariaige. Luy la proclamoyt unej>reudeet
bonnesteconnestable, connue de l'aict elle estoyt. Comme ce livre
doibt, suivant les maximes des grans autheurs anticques, ioindre
aulcunes diouses utiles aux bons rires que vous y ferez et contenir
des préceptes de liault goust, ic vous diray la (jnintessence de
cettuy Conte cstrc cecy : (juc jamais Icsfennacs n'ont besoing de
perdre la teste dans les cas graves, ])our ce que le Dieu d'amour
iamais ne les abandonne, surtout ([uand elles sont belles, ieunes
et de bonne maison ; puis, que les guallans, en soy rciulant à des
assignations amoureuses, nedoibvcnt iamais y aller connue des
estounu'aulx, mais avec(jues mesure, et bien tout veoir autour des
clappiers, pour ne point tond)er en certaines end)uselies et soy
conserver; car, après une bonne fennne, la cliouse la plus pré-
tieusc est certes una iolv <fentillionnne.
LA PUCELLE IDE TllILllOlZE
F;0 scifjnour (le^YalcsiU's, lieu ])l;iisimt doiil, le cliastcau n'est
point loing du Ixmrg de Thilliouzo, avoyt prins une clK'tilVo
l'emmo, l;,(jiu'll(', par raison de goust ou de dcsgoust, plaisir ou
(Icsplaisir, maladie ou santé, laissoyt icusner son bon mary des
doulceurs et suereries sti|)ulées en tous conlracts de niariaige.
Pour eslre iuste, il faut dire (pie ec dessus diet seigneur estovt
ung niasle bien ord et sale, tousiours cliassant les bestes faulves^
et pas plus amusant (pie n'est hi fumée dans les salles, l'uis,
par appoinct de compte, le susdict cbasseur avoyt bien une
soixantaine d'années desquelles il ne sonnoyl mot, pas jdiis cpic
la veulVe d'ung pendu ne parle de eliordcs. Mais la Aature, (pii
les tortus, bancals, aveugles et laids, gecte à paimerées icv-bas,
sans en avoir plus d'estime ({ue des beaulx, veu que, comme les
ouvriers en tapisseries' elle ne sçayt ce qu'elle faict, donne
niesme appétit à tous, et à tous niesine goust au potaige. Aussv,
par adveninre, (■lia(pie beste treuve une escnverie ; de là le pii>-
verbe : « Il n'y lia si vilain |»ot ipii ne rencontre son couvercle. »
Ores doiKMpies, le seigneur de Valesnes cliercliovt jiarlout de ioivs
pots ù couvrir, et souvent, oultre la laulve, courrovt la petite
15
C«>CI0NHE kU. 5
Uiicorcs ne falloy-il i
oy-il point Uop ioiU' des mains avcc-inos la imcuHc
i.A v\:œ\aa: di: thiliiouze.
171
hosto; iiiiiis les icrns ol'iyciil Mcii (Ics^iiiiniics di; ce '^Wnci à
liiiiiltc i(tl»l)(\ cl uni; |)iic('I;iii:(' cousldyl liicn cliicr à (fcscoltci".
Copcndaiil. lorco de l'iii'iTlcr, lorco de s'orKiiicrir. il advint (jiie le
sieur de Valesnes t'eut adverty que, dans Thiliiouze, eslovt la
veulVc d'ung tisserand, Ia(|uelle avoyt ung vray throzor en la
jx'isonue d'une petite ^arse de seize ans, dont ianiais elle n'avoyt
(juitti' les îu|i|)es et (ju'elle nienoyt elle-uiesiiie taire de l'eaue,
par liaulte pivvoyanec lualeriielle ; puis la ooucliioyt dedans son
pi'opre licl ; la veiiiloyt, la l'aisoyt lever le matin, la laissoytà tels
travauJx, (|iie. à elles deux, elles <>aignoyent bien liuict sols par
oliaseun iuur; et, aux lestes, la lenoyt en laisse à l'ecelise; luv
donnant à grant [toine le loizir de linmlter ung mot de ioyeulseti'
avecques les ieunes gars : encores ne l'alloyl-il pdini trdp iduer
desmainsaveequeslapueelle.
Mais les temps, de ees lenip^-
là, estoyent si durs, <pu' la
vcul've et sa lille avoyent iusic
du pain assez pour ne poiiil
liourii' de faim ; cl, coninK
elles dcinoinoicfil chez un;,
de leurs [)ai('ns|»aouvi'es.S()i;-
veiit elles manquoyent de bois en hy ver cl de liardcsen este ; dcl)-
voyi'ul des loyers à cITrayer nng scigcnt de iuslicc, Icsijucls ne
s'clïrayent point l'acilement dos dehlcs d'aultruy. Hriel', si la (ille
croissoyt en bcaulté, la vculVe croissoyt on misère et s'endcbtoyt
Irez fort pour le pucelaige de sa garso, connue; ung al(|ueniisle
pour son creuset où il i'oud tout.
172 CONTES DROLATIOIIES.
L(trs(|uosos on(|uostos fciirciil l'jiictcs et parfaiclos, urifi ioiir de
jiliiif, li'(lii-l siir (le \aK'snc's vint, paicas l'oiltiil, dedans le taudis
dos deux lileuses, et, pour soy scicher, envoyé quérir des fagots
au Plessis voisin. Puis, en attendant, il s'assit sur ung eseabeau
entre les deux paouvres femmes, A la faveur des imihies grises et
demi-iour de la cabane, il veit le doulx minois de la pucelle de
Tliilliouze; ses bons bras rouges et fermes; ses avanl-[)iisles durs
comme bastionsqui delfendoyent son cueurdu froid; sa taille ronde
comme ung ieune cliesnc ; le tout bien frais et net et fringuant et
jiimpant comme une })remière gelec; verd et tendre comme une
pousse d'avril; enfin elle ressendjioyt à tout ce qu'il y lia de ioly
dans le monde. Elle avoyt les yeulx d'ung bleu modeste et saige et
le resguard encores plus coy que celuy de la Vierge, veu que elle
estovt moins advancée, n'ayant point eu d'enfiint.
Ung qui luv auroyt dict : « Voulez-vous faire la ioye? » elle au-
rovt respondu : « En da ! par où? » tant elle sembloyt nice et peu
ouverte aux conq)rt'bensi()ns de la cliousc. Aussy le bon vieulx sei-
gneur tortillovt-il sur son escabelle,llairoyt la fille et se desban-
cbioytle col comme ung cinge voulant attiaperdes noixgrollières.
Ce que voyoyt bien la mère et ne souflloyt mot, en paour du sei-
gneur qui avovt à luy tout le pays. Quand b; fagot feut mis à l'aatre
et flamba, le bon cbasseur dit à la vieille :
— Ab ! ail ! cela rescbaiilïe prcsipie autant que les yeulx d(!
vostre fille.
— Las ! mon seigneur, feit-elle, nous ne pouvons rien cuyrc à
ce feu-là...
— Si, respondit-il.
— Et comment ?
— Ali ! ma mye, prestez vuj^tre garsc à ma femme, qui lia be-
soing d'une chamberière ; nous vous payerons bien deux fagots
tous les iours.
— lia! mon seigneur, et que ouyioys-jedoncques à ce bon feu
de mesnaige?
— Eli bien, repriiit le vieulx braguanl, de bonnes bouillies, car
le vous bailleray à rente ung niinot de bled par saison.
— Et donc(pies, icprint la vieille, où les metfroys-je?
— Dans vostre mette, s'escria l'acMpiéreur de pui'elaiges.
— Mais ie n'ay point de mette, ni de baliul, ni rien.
— Eb bien, ie vous donneray des mettes, des babuts et des
poêles, (les huyes, ung bon lict avecqucs sa penle, et tout.
LA PUCELLK I)K TIIIMIOIJZE.
— Vère, (lit la Iioiiiic YOiifvc, la |tliiic losguaslora, ie ii'ay p^iiii
(lo maison.
— Vovcz-voiis |)as d'icv, rcspdiKJil lo soigneur, le logis do la
Tourbollièro, où domouroyt Jiionpaouvre picqueurPillograin, (]ui
ha esté esventré par ung sanglier?
— Oui, foit la vieille.
— Eh bien, vous vous bouterez là dedans insques à la fin de
vos iours.
— Par ma fy ! s'escria la mère en laissant tomber sa quenoille,
dictes-vous vray?
— Oui.
— Et doneques, quel loyer donnorez-vous à ma fille?
— Tout ce (lu'ollo vouldra gaigner à mon service, dit le sei-
gneur.
— Oh! mon seigneur, vous voulez gausser!
— Non, dit-il.
— Si, dit-elle.
— Paisainct Gation, sainol Eloulhère,ef])ar les mille millions
do saincts qui grouillent là-hault, io iurecpuv..
— Eh bien, si vous ne gaussez point, reprint la bonne mère, ie
vouidroysque ces fagots l'eussent, ung petit brin,])assezpardevant
le notaire.
15.
17-t CONTES DROL.VTIOIES.
— Par lo sanu du (llnist et \c plus niiiiiion do vostrc fille, ne
suis-jo, point ^onliliioiniiie? Ma parole vault lo iou.
— Ali bien, io ne dis non, mon soigneur ; mais, aussy vray (juc
ie suis une paouvrc lilandièreji'ayme trop ma fille pour la quitter.
Elle est trop ieuno et l'oible encores, elle se romproyt au service.
Hier, au prosne, le curé disoyt que nous rospondrons à Dieu de
nos enfans.
— La! la! foit le soigneur, allez quérir le notaire.
Ung vieulx buscheron courut au tabellion, lequel vint et dressa
bel et bien ung contract, auquel le siro do Valosnes mit sa croix,
no saicliant point oscribre : puis, (juand tout feut scelle, signé :
— Klibien, la mère, dit-il, ne respondez-vous donc(|uos plus du
pucelaige de vostre lillo à Dieu'.'
— Ah ! mon seigneur, le curé disoyt : « lusques à l'aage de
raison, » et ma fille est bien raisonnable.
Lors, se tournant vers elle : — Marie Ficipict, icpriiit la vieille,
ce (pio tu as do j)lus rbior est riionneur, et, là où lu vas, ung
chascun, sans compter mon seigneur, te le vouldra toUir; mais
tu veois tout ce qu'il vault!... Par ainsi, ne t'en déliais qu'à bon
escient et comme il faut. Oros,t){)ur no |)oint contaminer ta vertu
devant Dieu et les hommes (à moins do motils b-gitimes), ayc
bien soing. par advaiice, do fiiiro saupouldi'or ung petit ton cas de
mariaigo; aultremont, tu iroys à mal.
— Oui, ma mère, l'oit la puoollo.
Kt là dessus elle sortit du paouvro logiz do son paroiil.el vint
au cbastoau de Valosnes, pour y servir la dame, qui la lieu va Inrt
iolio et à son goust.
Quand ceulx de Valosnes, Saclié, Villaiiies et aullres lieux,
apprindront le bault prix donné de la jtucolle do Tliillionze, U's
bonnes l'ommos do niosnaigo, rocognoissant que rien n'osioyt jihis
jjroul'lictablo (pie la vertu, laschèrent d'élever et nourrir toutes
Il 1 IIS lilles|)ncollos; mais le moslior l'eiil aussychanceuxtpio celuv
d i'(lii»(pier les vers à sovo, si subiocis à crever, veu (|uolospuco-
laiges sont connue les iieines et meuiissent vile sur la paille, ('e-
pendant il y eut (pielques filles, pour ce, notées on Toui'aino, ol
qui passèrent pour vierges dans Imis les couvons do religieux, ce
donl io ne vouldrovs |i;mil lespoiidic, ne les avant point vi'iifiées
on la niaiiièreeiiseigiii'o par Veiville |tiiir rocoguoistic la |iail'aiclo
vertu (les (illes. l'iiiahleiiieiil, Marie liiipiel suwil le saigo advis
ilesamèro.el ni; voulut onlendre aulcune dos doulcesnHjucsles,
LA l'UCMLM'; l)H TIIILIIOUZE.
175
paroles (lon'os et cingcrics de son niaistre sans eslre inii^ peu trem-
pée de niariaijj'C.
Qnand le vioulx seigneur faisov Iniine de la vouloir margauder,
elle s'elïaroucliinyt, comnie une chatte à l'approuclie d'ung chien,
en criant : « le le dir:iv à Ma'la!n\ » Urid". nu hoiit de six niovs.
le sire n'avoyt pas encores seulement recouvré le prix d'un seul
1 /()
CONTES DROLATIOrES.
lagot. A toutes ses bosoiii^nos, la Ficijuol, lousiours jtlns ferme et
plus dure, une ioys respoudoyt à la gracieuse (jueste de sou sei-
gneur: « Quaud vous nie l'aurez esté, me le rendrez-vous, liein? »
Puis en d'aultres temps disoyt : « Quand i'auroys autant de peituvs
qu'en ont les cribles, il n'y en auroyt jjas ung seul pour vous, tant
laid ie vous treuve ! »
Ce bon vieulx |>renoyt ce proupos de villaige pour Heurs de
verlUjCt neebailloyt point à (lùre de petits signes, longues haran-
gues et cent mille sermens ; car, force de veoir les bons gros
avant-cueurs de ceste fille, ses cuisses rebondies, (pii se moulovent
en relief, à certains mouvemens, à travers ses cottes, et force
dadniirer aultres cbonses capables de brouiller l'entendement
d'ungsainct, ce bon chier lionmie s'estoyt énamoure d'elle avec-
ques une passion de vieillard, laquelle augmente en proportions
geométrales, au rebours des passions des
ieunes gens, pour ce que les vieulx avment
avec(jues leur foiblesse qui va croissant,
et les ieunes avecijues leurs forces qui s'en
vont diminuant. Pour ne donner aulcune
raison de refus à ceste lille endiablée, le
seigneur print à partie ung sien sommelier,
aag(' (le jdus de septante et quelques an-
nées, et luy feit entendre qu'il debvovt se
marier afiin de rescbautfersa peau, et que
Marie Ficquct seroyt bien son faict. Le vieulx
sonnnelier, (pii avoyt gagné trois cents livres
lournoys de rente à divers services dans la
maison, vouloyt vivre trancjuille sans ouvrir de nouveau les portes
de devant ; mais le bon seigneur, l'ayantprié de se marier ung peu
pour luv faire plaisir, l'asseura qu'il n'auroyt nul soulcy de sa
îemme. Alors le vieulx sonnnelier s'engarria par obligeance dans
ce maiiaige. Le iour des lianeailles, Mari(> Ficcjuet, desbridée de
toutes ses raisons, et ne pouvant obiecteraulcuu grief à son pour-
snvvant, se feil octroyer une giosscdot cl ung douayre pour le prix
de sa défloraison ; puis bailla licence au vieulx cocquard de venir
tant (pi'il pourroyt concilier avecfjues elb», luy i)r(»mettant autant
de bons coups (jue de grains de bled donnez à sa mère; mais, à
son aage, ung boisseau luy snt'Iisoyt.
Les nopces faictcs, point ne faillitleseigneur,aussyloslsa lemmc
mise en toile, de s'escpiicJier devers la chambre, bien verrée,
L\ ITCKMF, rtF, TIlfLIIOrZK. 177
natt'c et tii|)issr(', on il avo\t lo^ii' sa |)(»iil('lto, ses rciitcs, ses la-
gots, sa maison, son hlcd et son sommelier.
Pour estre liriet', saicliez(|u'il Ireuva la jjucclle dcTliilliouze la
plus lielJe lillc du inonde, iolie connue tout, à la doulc<' lumière
(lu feu qui petilloyt dans la cliemini'e.hien noiseuse en Ire les draps,
cherchant easlilles, sentant une honnc odeur de pueclaige,et, de
prime faict, n'eut nnlcun regret au grant prix de ce hiiou.Puis,ne
pouvant se tenir de despeselier les ju'eniières houclires de ee Iriant
morceau royal, le seigneur se mit en dehvoir de l'aidrcluelier, en
maistre passé, ce ieune formulaire. Vécy doncques le hieidicureux
qui,])ar trop grant gloutonnerie, vélille, glisse, enfin ne scaylplus
rien du ioly meslier d'amour. Ce que voyant, après ung moment,
lahonne fille dict innoeennnent à son vieulx cavalier: — Monsei-
gneur, si vous V estes, connue ie pense, donnez, s'il vous jilaist,
ung peu plus de volée à vos cloches.
Sur ce proupos, qui finit par se répandre, ie ne sçay comment,
Marie Ficquet devint fameuse, et l'on dict encores en nos pays:
« C'est une pucelle de Tliilliouze! » enmoc(|uerie d'une mariée,
et pour signifier une fricqneneUe.
Fricquenelle se dict d'une fille (pie ie ne vous souhhaile point de
treuver en vos draps la piemière miict de vos nopces, à moins que
vous ne soyez nourrydans la philosophie du Porticque, où l'on ne
s'estomiroyt d'aulcun meschief. Et il y ha l)eaucou|) de gens con-
Iraincts d'estre stoïciens en cesteconioncture(lrolatic(pi(%la(|uelle
se rencontre encore assez souvent, car la nature tourne, mais ne
change point, et tousiours il y aura de bonnes jtucelles deThilhouze
en Touraine et ailleurs. Que si vous me demandiez maintenant en
quoy consiste et où esdate la moralité de ce Conte, ie serovs bien
en droicl de l'cspondre aux dames •.{\\w les Cent Contes di'(datic-
ques sont plus faicts]toiM'appi'endre la morale du plaisii-.(|ii(' pnur
procurer le plaisir de l'aire de la morale.
Mais, si c'cstoyt un l>on \iculx braguard h\o\\ dcsreiné qui
m'interlocutast, ie luy diroys, avec((ues les gracieux mesnageniens
deus à ses perru(pu^s iaunesou grises : qu(^ Dieu ha voulu punir
le sieur de Valesnes d'avoir cssavi- d'achcplcr une danré(! l'aide
pour estre donnée.
Jo\, iiioii Sér;i|iliiiil
— Vous, mou Hiiic!
— Toy, mou bifu !
— Vous uioii csloilf du soir cl (lujin;iliiil
LE lllKUl- DAUMES
Auconimcncoiiioiit du ivgiio du roy llcniy socund du uoni, le-
quel ayma tant la belle Diane, il y avoyt encorcs une cérémonie
dont l'usaigo s'est depuis beaucoup aflbibly, et qui ba tout à l'aict
disparu, comme une inliuilé de bonnes ebouses des vieulx teuq)s.
Geste Ijeile et noble coustume estoyt le ciioix d'ung frère d'armes
que l'aisoyent tous les cbevaliers. l)one([ues, après s'estre eoyneus
pour deux bonnnes loyaulx et braves, ung cliascun de ce gentil
couple estoyt marié pour la vie à l'aultre ; tous deux devcnoyent
frères; l'nng debvoyt delTendre l'aullre à la bataille. j)arniy les
ennemys ([ui le meiiassoyent, et, à la Court, parmy les amys (jui
en médisoyent. Kn l'absence de son conq)aigiion, l'aullre estoyt
tenu de dire à nng qui auroyt accusé son bon frère de (|uel(juc
desloyaulté, mcscbantcrie ou noircenr l'cslonnc : « Vous en avez
mcnty par vostre gorge!... » et aller sur le pré, vilement, tant
seur on estoyt de l'Iioimeur l'ung de l'aullre. Il n'est pas besoing
d'adiouxlt-r (jue l'ung (îslovl tousiciurs le secund de l'aullre, en
toute affaire, mescbante ou boime, et ([u'ils parlageoyont tout bon
licur ou mal lieur. Ils ostoyentmieulx que les frères (|ui ne sn:it
ISO
CO.M'KS l)U(tl,.VTIOliKS.
conioinls (|iic par les hazanls de la nature, veii (lu'ils estoyent
fraternise/ jiar les liens d'iiiig sentiment esjxrial, involontaircet
mutuel. Aussy la fraternité des armes lia-t-elle {(nnluiet de beaulx
traiels, aussy braves que ccul.v des anciens Grecs, Humains ou
aultres... Mais cecy n'est pas mon subiect. Le récit de ces
cbousesse treuve cscripl par les historiens de nostre pays, et uny
chascun le sçayt.
Done^iues, en ce temps-là, deux ieunes genlilslionnnes de Tou-
raine, dont l'ung estoyt le cadet de Maillé, l'aultre le sieur^de
Lavallière, se l'eircnt hères d'armes le iour où ils gaignèrent leurs
espei'ons. Ussurlovenl de la niaison'de monsieur de Montmorency,
lffll'^^-JÉ^'^--w />^'''^'^ -
yi C'
p>^
oiiils l'eurent nourris des honiics doclrines dct-e grant cajtitainc,
et avoyent monstre coiiihirn la valciu' est contagieuse en ceste
belle compaignie, pour ce (jiie, à la bataille de Havennes, ils
méritèrent les louanges des jjIus vieulx clievaliei's. Ce l'eut dans
la nu'sb'e de ceste l'ude iouruée (pic Maillé, saulvé par le susdict
Lavallière, avec(|ues letpiel il avo\t eu (piebpies noises, veit (pic
ce gentilhomme estoyt ung noble cneur. (^oinmc ils avoyent rcceu
chascun des escbancreincs en Icni' pouipoinct, ils baptizèrent
ceste fraternité dans lein- sang cl ieuivul Iraicte/ ensemble, dans
ung jnesmu lict, soubz la tente tic monsieur do Montmorency,
L1-: ii;i;i;k i»\i;\ii;s. im
Irur inaistro. Il est liosniii^ de vous diic (juc, à rciicoiilic des
habitudes de sa lauiille, où il y ha tousionrs eu de iolis visaiycs,
le cadet de Maillé n'estoyt point de physioiioniic j)laisantc, et
n'avoyt {fuères pour luy cpic la heaullé du dia-
ble ; du reste, deseoiiplé connue un;^ levriei',
large des espaules et taillé en Inree connue le
roy Pépin, lecpiel tut uug terrible iouteur. Au
rebours, le sire de Cbateau-Lavallicre estoytunf;
fils goldronné, pour (pii seudiloyent avoir esté
inventez les belles dentelles, les lins lianlls-de-
cbausses et les soliers à leiu'stre. Ses btngs ehe-
veuk ceudrez estoyent iolis conune une cheve-
lure de daine ; et c'estoyt, pour estre court, ung
enlant aveccpies kvpiel toutes les iennnes au-
royent bien voulu iouer. Aussy, nng iour, la l)aul[»liiiie, nie|)ct! du
pape, dit en riant à la royne de Navarre, veu (ju'elle ne haïoyt
point ces bonnes drôleries : « (jue cetluy |)aige estoyt ung ein-
plastre à guarrir de tous les niaulx! » ce (pii l'eit rougir le ioly
petit Tourangeau, ])our ce que, n'ayant encores que seize ans, il
print ceste guallanteiie comme uug rej)rouche.
Lors, au retourner d'Italie, le cadet de Mailh- treuva ung b<in
chaussepied de niariaige.que luy avoyt trafflccpié sa mère en la
personne de madamoiselle d'Annebault, laquelle estoyt une gra-
cieuse fille, riche de mine et bien fournie de tout, avant ung bel
liostel en la rue Harbette, guarny de meubles et tableaux italians,
et force domaines coiisidt'rables à recueillir. Quelques iouis après
le trespassenienl du roy Kiancoys, adventure qui planta la terreur
au fund de tous les caz, pour ce que le dict seigneur estoyt mort
par suite du mal de iNaples, et que doresenavant il n'y avoyt
point de sécuritez,mesmes avecques les plus haultes princesses,
le dessus dict Mail!»' feul contrainct de (piilter la C.omi pour allei'
acconnnoder aulcunes alTaires de giiefve inq)ortance dans le
Piedmont. Comptez (pi'il luy desplaisoyt beaucoup de laisser sa
bonne fennnc,si ieunette, si friande, si noiseuse, au milieu des
dangiers, |)oursuites, embusches et surpiinses de ceste gualianle
conqiaiguie oii estoyent tant de b(>aulx (ils, hardis comme des
aigles, fiers de reguard et amoureux de femmes autant (pie les
gens sont affamez de iand)ons à Pasques. Dans ceste liaulte ialou-
sie, tout luy estoyt bien desplaisant; mais, force de songier, il
s'advisa de cadenasser sa fennne, ainsi (ju'il va estre dict. Il
IS'2 COMKS liKULATlniKS.
invita son bon frôrc d'armes à venir au jiclit iour. le matin de sa
départie. Ores, dès qu'il entendit le elieval def.avaliière dans sa
euurt, il saultahors de son lict, y laiss.ant sa doulre et blanche
moitii' sommeillant encores de ce petit sommeil brouïnant, tant
aymé de tous les iViands de paresses. Lavallière vint à luy, et les
deux compaiynons se mussant dans l'embrazure delà croisée, ils
s'accollèrenl i)ar une loyale poignée de main ; puis, de prime face,
Lavallière dit à Maillé : — le seroys venu ceste nuict sur ton
advis, mais i'avoys ung procez amoureux à vuyder avecques ma
dame qui me bailloyt assignation : doncques ie ne pouvoys aulcu-
nement faire deffault ; mais ie l'ay quittée de matin. . . Veux-tu que
ie t'accompaigne? le luy ay dict ton départ, elle m'a promis de
demourer, sans aulcun amour, sur la foy des traictez... Si elle
me trupbe, ung amy vault mieux (|u'une maistresse!...
— Oh ! mon bon frère, respondit Maillé tout esmeu de ces
paroles, ie veulx te demander une preuve plus haulte de ton
brave cucur... Yeux-lu avoir la charge de ma femme, la def-
fendre contre tous, estie son guide, la tenir en lesse et me
respondrc de l'intégrité de ma teste?... Tu demoureras icy pen-
dant le tenq)s de mon absence, dans la salle verde, et seras le
chevalier de ma femme...
Lavallière fronssa les sourcils et dit :
— Ce n'est ni tov, ni ta femme, ni moy, que ie redouble, mais
les meschans. (jui prouflicleront de cecy pour nous l)iouilirr
comme des escheveaux de soye...
— Ne sois point en deffiance de moy, reprint Maillé, serrant
Lavallière contre luy. Si tel estoyt le bon vouloir de Dieu que
l'eusse le malheur d'estre cocqu, ie seroys moins marry que ce
feust à ton advanlaige... Mais. })ai' ma foy! l'en mouiroys de
chagrin, car ie suis bien assollé de ma boime, fresche et vertueuse
femme.
Sur ce dire, il deslourna la teste pour ne point monstrer à
Lavallière l'eaue (jui lui venoyl aux veulx; mais le ioly courli-
zau vcit Cfste semence de jjleurs, et lf)rs, })renaut la juain de
Maillé :
— Mon lèrc, lii\ dil-il, ie te iur(> ma foy d'honnneque, para-
vanl (|u'uiigq'.u'l(|u ung touche à ta femme, il aura senly ma dague
au limd de sa fressure... Kt, à moins que ie ne meure, tu la
retrouveras intacte de eoiits, sinon de eneur, poiu' ce que la
pensée est hors du |)onv(Mr des gentiisjionnnes...
LE FRÈRE D'ARMES. \H7,
— llost(lnnrqiios(lictlà-li;mlf.,s'csrri:iM;iiII(',qiiojosoraytons-
iour's ton sci'vilciii' et Ion ol)li;^('...
Là-dessus, le coiiipaigMoii piniiU pour no |»oiiil mollir dans les
inlericctions, j)leiirs et aultres saulces que lespandent les daines
en adieux ; puis Lavallière, l'ayant conduict à la porte de la ville,
revint en l'Iiostel, attendit Marie d'Annehault au deshurliier du
lict, lui ap|)rint la deparlie de son hou mary, luy oITrit d'estre à
SCS ordres, et le tout avi'C(|ues des manières si j.fentilles, que la
plus vertueuse femme eust esté eliatouillée du dezir de guarder
à soy le chevalier. Mais de ces belles patenostres n'estoyt auletm
besoin:- pour endoctriner la dame, veu que elle avoyt preste l'au-
reille aux discours des deux amys et s'estoyt j,'rantement offensée
des doubles de son mai'v. Ib'das! comptez (pie Dieu seul est par-
faict! Dans toutes les idées de l'homme, il y aura tousiours ung
costé maulvais; et c'est, oui da, une belle science de vie, mais
science impossible, que de tout prendre, mesmes ung baston,^par
le bon bout. La cause de cestc grant dilTiculté de plaire^aux
(lames est qu'il y a cbez elles une cbouse qui estj)lus fennne
qu'elles, et n'estoyt le respect qui leur est deu, ie diroys un
aultre mot. Ores, nous ne debvons iamais resveigler les pban-
taisies de ceste cbouse malivole. Mais le parfaict gouvernement
des femmes est œuvre à navrer ung bomme, et nous fiuilt rester
en totale soubmission d'elles; c'est, ie cuyde, le meilleur sens
pour desnouer la trez-angoisseuse énigme du niariaige. Doncipies,
Marie d'Annehault se tint heureuse des bonnes lassons et offres
du guallant ; mais il y avoyt en son soubrire ung malicieux espe-
rit, et, pour aller rondenu^nt, l'intention de mettre son ieune
gai'de-chouse entre l'Iionneur et le plaisir; de si bien le requt'iir
d'amour, le tant testonnei' de bons soings, le pourchasser de les-
guards si chaulds, qu'il r('ii'<l iiilidflic à l'aniilié au prouflict de la
guallantise.
Tout estoyt en bon poincl pour les meni'es de son dessein,
veu les accointances (jue le sire de Lavallière estoyt tenu d'avoir
avec(pies elle |)ar son s('iour en l'Iioslid. Kt, comme il n'y ha
rien an monde <|ui puisse dcstoinlirr une femme de ses visées,
en toute occurrence la cingessc Icndovl à l'empii'ger dans ung
la((|s.
Tanlost le faisoyt rester sis ])iès d'elle, devant le feu, iuscjues
à douze heures de la nuict. luy ehantant des refrains, et, sur
toute cbouse, luy monstrant si-s bomies espaules, les tentations
I8i CONTES DROLATIOIKS.
blanches dnnt son cnrsaigc estoyt plein, enfin, luy ffoctant mille
rcsj.niar(ls enysans; le tout sans avoir la ]tli\si(tnonue des j)ensccs
qu'elle f^anliivl soul)Z son anreille.
Tanlost elle se pounnenoyt avecques luy, de malin, dans les
iaidins de son liostel, et s'appuyoyt bien l'oit sur son bras, le
pressoyt, sospiroyt, luy faisoyt nouer le lasset de son brodequin,
qui tousiours se destortilloyt à poinel nonnné.
Puis c'estoyenf mille iicntilles j)ar(des, et de ces cliouses aux-
quelles entendent si bien les dames : petits soings pour llioste,
comme venir venir s'il avoyt ses aises ; si le lict estoyt bon ; si la
chambre propre ; s'il y avoyt bon aër; si, la nnict, il sentovt aul-
cuns ve.nts coulis; si, le iour, avoyt trop de soleil ; lui demandant
de ne luy rien celer de ses pliantaisies et moindres voulentés,
disant :
— Avez-vouscoustnme de prendre quelque cliouse au matin,
dans le lict... soit de l'hydromel, du laid ou des esj)ices?
Mangez -vous bien à vos heures? le me conformeray à tous
vos dezirs... dictes... Vous avez pnoiir de me demander...
Allons!
Elle accompagnoyt ces bonnes doreloteries de cent mignardises,
comme de dire en entrant :
— le vous géhenne, renvovez-mov!... Allons! besoing est que
vous soyez libre... le m'en vais...
Et tousiours estoyt gracieusement invitée à rester.
Et tousiours la ruse'e venoyt vestue à la légiere, monstrant
des escbantillcns de sa beanlté à faire hennir ung patriarche aussy
ruyné j)ar le temps que debvoyt l'estre le sieui' de Mathusalem à
cent soixante ans.
Le bon compaignon. estant lin connue soye. laissoyt aller
toutes les menées de la dame, bien content de la veoir occupée
de luy, veu que c'estoyt autant de gaigné; mais, en frère loyal,
il remeltovt tousiours le mary absent soubz les yeulx de .son
hoslesse.
Ores, ung soir, la iournée ayant e>li' trez-chaidde. Lavallière,
redoublant les ieux de la dame, luy dit comme Maillé l'aymoyl
l'oit, qu'elle avovt à <'lle ung homme d'honneur, ung gentilhomme
bien ardent pour elh; et bien chatouilleux de son escu...
— Pourquov donc(pies. dif-<'ll<>. s'il en est chalonilleux, vous
ha-t-il mis icv?...
— N'est -ce p.is iiiir liiiiijli' 1 1 II i(l( 'MCI ■'.'.., respoiidit-il. N'es|ovl-il
LE FRKRE D'ARMES. ISr,
pas hosoin^f do vniis coiilicr m (|ii(I(|ii(' (IcITcnsoiir de voslrp voilii,
lion qu'il Iny en l'aille iiii|^-, mais [)oiir vous pi-olegor conlro les
niaulvais?...
— Doncques, vous estes mon pnanlien? fcif-elle.
— l'en suis fier! s'eseria Lavallière
— Vère! (lit-elle, il ha liien mal clioisv...
Ce proupos l'eut accompaigné d'une (eillade si itaillardemeiit
lascive, que le bon frère d'armes print, en manière de reprouche,
une contenance l'resche, et laissa la belle dame seule, la-
quelle l'eut pie(pu'e de ce reffus tacite d'entamer la bataille des
amours.
Elle demnura dans une liaulte medilaliun, et se mit à (juciir
l'obstacle véritable que elle avoyt rencontre' : car il ne sçauroyt
venir en l'esprit de aulcune dame qu'ung bon gentilliomme
puisse avoir du desdaing pour ceste bayuatelle (pii ha tant de
j)rix et si liaulte valeur. Ores, ces pcnsiers s'cnlrelilèrent cl s'ac-
cointèrent si bien, l'ung accrochant l'aultre, que, tie pièces en
morceaulx, elle attira toute l'estorfe à elle, et se treuva couchiée
au plus profund de l'amour; ce qui doibt enseigner aux dames à
ne iamais iouer avccrpies les armes de riionuue, ven qu'à manier
de la glue il en demeure tousiours aux doigts.
Par ainsy, Marie d'Annebault lina par où elle auioyt deu com-
mencer, à sçavoir : que, pour se saulver de ses pièges, le bon
chevalier debvoyt estre prins à celluy d'une dame; et, en bien
cherchant autour d'elle où son ieune hoste pouvoyt avoir treuvé
ungétuv de son goust, elle pensa (pie la belle Linuniil, l'une des
filles de la royne Catherine, mesdames de Nevers, d'Estiees et de
Giac, esfoyent les amyes desclairtîes de Lavallière, etque de toutes,
il debvoyt en aymer au moins une à la Ibllie.
De ce coup, ell(> adiouxta la raison de ialousie à toutes les
aultres qui la couviovenl de st'duire son messire Argus, dont elle
ne vouloyt point couper, mais peiTumer, itaiser la teste, et ne l'aire
aulcun tort au reste.
Elle estoyt cert(^s plus belle, plus ieune. plus appétissante et
mignonne tpie ses rivales; du moins, ce l'eut le nu'lodieux arrest
de sa cervelle. Aussy, mené par toutes les chordes, ressorts de
conscience et causes pbysic([ues (pii l'ont mouvoir les l'ennues.
elle revint à la charge pour domu r nouvel assault au cueur
du cbevaliei'. car les dames axmeiil à |)i'endi'e ce qui est bien
rorlili('.
iu.
180 CONTKS DliOl.ATlOIKS.
Alors l'Ile l'cil I;i cliiillc, et se roula si liicii |»ivs de luy, le clm-
louilla si seulement, l'apiJi'ivoisa si (loulceineiit, le jiatepeliia si
mijinottemont, qiio,ung soir où elle estoyl tombée en de noiros
luiinenrs, quoique bien rraye au l'uud de Taine, elle se leit deman-
der par son l'ivre gnardiiMi :
— Ou'avez-vons doneques?
A qnoy, sondeuse, ellelny respondit, en estant escontée jiar luy
comme la meilleure des mnsic((nes :
Qu'elle avoyt espousé Maillé à l'eneontre de son cueur, et
qu'elle en estoyt bien mallnHU-euse; (|n'elle i^^iioi-oyt les doulceui's
d'amoiu'; que son maiT ne s'y entendoyt indlenient. et que sa vie
seroyl j)leine de larmes. Hrief, elle se l'eil pueelle de cueur, et de
tout, veu qu'elle advoua n'avoir encore perceu de la cliouse que
des desplaizirs. Puis dit encores que, poui' le seur, ce manège
debvovt estre fertile en sucreries, friandises de tontes sortes, pour
ce que tontes les daines y couroyent. en voulovent, estovent
ialouses de ceulx qui leur en vendoyent, car, à aulcunes, cela
constoyt cbier ; (pie elle en estoyt si curieuse, que, pour nng seul
bon ionr ou une nuictée d'amour, elle bailleroyt sa vie et seroyt
tousi(nirs subiecle de son amy, sans aulcnn murnmre; mais (pie
cellnv avecques (pii la cliouse luy seroyt plus plaisante à faire ne
voulovt pas l'entendre; et (pie, cependant, le secret pouvoyt estre
éternellement guardé sur leurs coucberies, veu la fiance de son
mary en luy, lînablement, que, s'il la refusoyt encores, elle en
monrroyt.
Kt toutes ces j)arapbrases du petit caïUicqucqne sçavent toutes
les dames en venant au monde, feurciil desbagoulécs entre mille
silences entrecoupez de sospirs arracbiés du cueur, aornés de
force tortillemens, appels au ciel, yeulx en l'aër, petites rougeurs
subites, cbeveulx gra|>liin('s. . . Knfin , toutes les herbes de la Sainct-
.lean fciirent mises dans le lagoust. Kt. comme au fond de ces
|iaroles il vavovt nng pinçant deziripii eiiiiiellit mesmes les laide-
rons, le bon cbevalier tomba aux pieds de la dame, les luy print,
les luv baisa, fout plouraiil. Kaictes estât (juc la bonne femme
l'ciit bien Ih'MIi'IIsc de les liiv laisser à baiser; et mesmes,
sans tr(»p resguarder à ce (|u"il voulovt en faire, elle luy
abandonna sa robbe. saiebaiit bien (pie besoing estoyt de la
picndre par en bas pour la lever; mais il <'stoyt escript (|ue ce
soir elle seroyt saige, car le beau Lavallière luy dit avec(iues
désespoir :
LK V\\\:\\K Ii'MîMKS. 187
— Ali! inailamo. ic suis mit,' in.tlhcuroiix et iing indigno...
— Non, non, alloz!... foil-dli'.
— Ilôlas! le bonheur d'est ic à vous m'est inlenlict.
— Comment?... dit-elle.
— le n'ose vous advouei- mon c;is!...
— Est-ee (lone(jues bien mal?...
— lia! ie vous feray lionte!...
— Diètes, ie me cacheray le visaige dans mes mains.
Et la rus('e se mussa de manière à iiien venir son bien mviik' jiar
ses entre-doigts.
— Las!... l'eit-il, l'aullresoir. ipiand vous m'avez dict ceste si
gracieuse parole, i'estoys allumé si traistreusenient, que, ne cuy-
dant point mon bonheur ])rouehe et n'osant vous advouer ma
flamme, j'av eourn en un ('lai)pier on vont les gentilshonunes :
là, pour l'anioin- de vous, et pour saulver l'honneur de mon
frère dont i'avoys honte de salir l'eseu, i'ay esté pippé ferme en
sorte que ie suis en dangier de mourir du mal italian...
La dame, prinse de frayeur, gecfa ung cry d'aceouehiée, et,
toute esmeue, le reponlsa ])ar ung petit geste bien doidx; puis,
le paouvre Lavallière, se Ireuvanten trop jiiteuse oeeurrence, se
départit de la salle; mais il n'estoyt pas tant seulement aux ta-
pisseries do la porte, (pie Marie d'Anneliault l'avoyt derecbief
contem|)l('. disant à paît elle: m AIi! quel dommaige!... o Lors
ellereeheuteni;rant in('lanelinlie.|)l;ii^ii;int en soy le gentilhomme
et s'enamouraiit d'aulanl plus (pi'il estoyt fruict par trois ibis
det'Ièndu.
— N'estoyt Maillé, luy dit-elle ung soir qu'elle le trouvoyt plus
beau (pie de coustume, ie vouldroys gaigner vostre mal; nous
aurions ensend)le les mesmes affres...
— le vous ayme trop, dit le frère, pour ne pas estre saige.
Et il la (piitta pour aller ehez sa belle Linieuil. Conqitez (jue,
ne pouvant se rel'fiiser à r(M'e|»voir les llandjantes œillades de la
dame, il y avoyt, auv lienres du nian^ler et pendant les vesprécs,
ung feu nourry (pii les esehauftbyt beaucoup; mais elle estoyt
contraincte de vivre sans louehier au chevalier aullrement que
du resguanl. A ce mestier. Marie d'Annebanlt se Irouvoyt forti-
fiée de tout poinct contre les guallans de la Court : car il n'y ha
pas (le bornes plus infranchissables et UKulleur guardien cpie l'a-
mour; il est comme le diable : ce (pi'il lient, il renl(»ure de
llannnes. l nfj; soir. Lavallière, avant conduicl la dame de son ainv
ISS
rOM'KS DUOl. MKllKS.
à uni; lialict de lii loviio r,;itlioriiio, tlaucoyt avooqiits sa bollo
l.iiiH'iiil, dont il ostoyl al'lolô. Dans ce h'inps-là, los diovaliors
(•(indnisoyiMit biavoniont leurs anioui's doux pai' dmix, ot niosuios
])ar lioupes. Oros, toutes les dauios ostoyont ialouses do la
l.inieuil, qui délihoroyt en ce nionient de soy donner au beau
Lavallière. Avant do se mettre en (|uadrillo, file luy avoyt donné
la plus (loulcc des assignations pour lendemain pendant la eliasse.
Nostro grant royne Catherine, laquelle, par liaullo politio(pu\
ibnientovt ces amours et les romuovt comme pâtissiers l'ont
ilandier leurs l'ours en les l'oui'^onnant, ladiele royne dontMpies
(lonnovl son eoup dVeil à tous les j>oiitils eou|)los enlassez dedans
son quadrille de femelles, et disoyt à son mary :
— Pendant qu'ils bataillent iei, peuvent-ils l'aire des li;iues
contre vous?... Hein?
— Oui, mais les ceulv de la Heliiiion?
— Hall! Ufuis les y prendrons aussv! dit-elle en riant. Tenez,
vécy Lavallière, que l'on soupçonne esire des bugonneaulx, con-
verty à ma cliiere Limeuil, qui ne va ])as mal, pour une damoi-
selle de seize ans... Il l'aura bientost mise dans son greffe...
— - lia! madame, n'en croyez rien, foi t Marie d'Annebault. car
il est guasté i)ar le mal de Naples (pii vous lia l'aict royne!
A cestc bonne na'iveté, Catherine, la belle Diane et le Roy, qui
cslovent ensemble, s'esclattèrent de rire, et la chouso courut dans
toutes les anreilles. Alors ce fout pour Lavallière une honte et des
m(M(|ueriesqui ne linèrent plus. be|)aouvre gentilhonnno. mons-
ti'i' aux doij:ts, auiovt bien voulu d'uiig aullre dans ses chausses,
car la biiiu uil, à qui lescorrivaulx de bavallièi'o n'eurent rien de
phiv liasli" (pie de Tadveitir 011 riant de son dangier, feit une mine
de liiintiiir à s(hi aniaiil. tant grant osloyt respantomonl. et
griel\e^ esto\ont les appn'heiisioiis de ce mauvais mal. Aussy
Lasallièrc se voit, de loul poiiict, ahaiidouiK' comme img lt'>preux.
M- FfiKRF rCARMES. 180
ho, P.oy Iny dit uw^ mol Inil (lcsiil;ns;iiit, et, le l)on HicviilitT
quilla la IVsIc suivi de, la iiaonvic Maiic an di^sospoir de (-este
parole. Klle avovt de tout poiiict riiiiK' ccllny (|irelle aynioyl, liiy
avoyt tollu son lioiineur et yuasti' sa vie, veu que les pliysiciaiis et
maistres myrcs advaneoyent, comnie cliousc non é(juivoe({ue, (|ue
les f^ens italianisez par ce mal d'amour y debvoyent perdre leurs
meilleurs advantai^ics, n'estre plus de vertu ;^éni'rative, et noireis
dans leurs os.
En sorte que nulle l'eumie ne se voulo\l [dus laisser chausser en
légitime mariaige parle plus beau gentilhomme du royaulme, s'il
estoyt seulement soupçonné d'estre ung de ceulx que maistre
Françoys Rabelais nommoyt ses croustes-levez trez-pretieux.
Comme le beau chevalier se taisoyl beauc()U|> et restoyt eu im'-
lancholie, sa compaigne luy dit en retouiiiant de l'hostel dllci-
culcs, où se donnoyt la feste :
— Mon chier seigneur, ie vous ay faict ung grant dommaige ! . . .
— Ha! madame, respoudit Lavallière, le mien est réparable,
mais dans quel estriCestes-vous tomlx'eV... Oebviez-vous eslre au
laid du dangier de mou anutui'.'...
— Ah! t'eit-elle, ie suis doncques bien seure maintenant de
tousiours vous avoir à moy, pour ce (jue, en esehange de ce
grant blasme et deshonneur, ie doibs estre à iamais vostre amye,
voslre hostesse et vostre dame, mieulx eucores, vostre meschine.
Anssy ma voulenté est-elle de m'adonner à vous pour elïacei' les
traces de ceste lionte, et vous guarrir par mille soings, par mille
veilles; et, si les gens de Testât desclairent que le mal est trop
cntesté, qu'il y va pour vous de la mort comme au roy delTunct,
ie recjuiers vostre eonq)aignie, al'fin de mourir glorieuse-
ment en mourant de voslre mal. Kn da ! f(Ml-eIle en plouranf,
il n'y a pas de supplices pour ])ayer le tort dont ie vous ay en-
taché.
Ces paroles lurent accoMqtaigm'es de grosses larmes; son trez-
vertueux cueur s'esvanouil, elle toud)a vraiemeiit pasmée. La-
vallière, espouvanlé, la print et luy mil sa main sur le cueur au-
dessoubz d'ung sein d'une beaulté sans secunde. La dame revint
à la chaleur de cette main aymée, sentant de cuysantes délices à
en |)erdre la cognoissance de nouveeu.
— Las! dit-elle, cette caresse maligne et suitertlcielle sera
doresenavaut les seuh^s iouissances de nostre amour. Klles sont
eucores de mille pie(|ues au-dessus des ioves que le paouvre Maillé
ion CONTES DROLATIQUES.
cuvilovl me fairo... Laissez votiv main là. (lit-oll(\.. Vraiemont,
elle est sm" mon amo cl la touclio!...
A ce iliscours, \o cliovalicr, roslaiit trez-pilcux de mine, confessa
naïtVement à sa dame que il scntoyl tant de félicitez à ce touchicr,
que les douleurs de son mal croissoyent
beaucoup, et que la mort estoyt préfé-
rable à ce martyre.
— .Mourons donc(jues. dit-cdie.
Mais la lictière estoyt en la cour de
riiostel ; et comme il n'y avoit aulcun
moyen de mourir, ung chacun d'euk se
concilia loingde l'aultrcbien enconddé
(l'amour, bavallicre ayant perdn sa belle
Limeuil, et Marie d'Annebault ayant gai-
gné des iouissances sans pareilles.
Par cet estrif ([ui n'estoyt point préveu
Lavallière se treuva mis au ban de l'amour et du.mariaige; il
n'osa pins se monstrer nulle part, et il veit que bi guarde d'ung
caz de femme coustoyt bien cbier ; mais plus il despendoyt d'bon-
neur et de vertus, plus il rencontroyt de plaisir à ces haults sa-
crifices offerts à sa fraternité'. Cependant son debvoir luy feut trez-
ardu, trez-espineux et intolérable à foire aux derniers iours de sa
guette. Vécy comme.
L'adveu de son amour qu'elle cuydovt partagié. le tort advenu
])ar elle à son chevalier, la rencontre d'un j)laisir incogneu, com-
munic(|uèrent moulthardiesse à la belleMaiie, qui client en amour
])lat(tnic(|ue,légierement tempéré ])ar les menus suffraiges dont le
(lancier estoyt nul. De ce vindrent les (liabolic<|nes plaisirs de la
petite (tic, inventé(> par les dames qui, depuis la mort du roy Fran-
çoys, redoubtoyent de secontagionner, mais vouloyent estre à leurs
amans; et, à ces cruelles délices du touchier, j)our iouer son
roole, Lavallière ne pouvoyt aulcuncment se reffuser. Par ainsy,
tous les soirs, la dolente Marie attaclioyt son hosie à sa inp|)e, luy
tenoyt les mains, le bais(»\t pai' ses resguards, colloyt gentement
sa ioue à la sienne; et, dans ceste vertueuse accointance, où le
chevalier estoyt prins comme ung diable dans ung benoistier, elle
luy parloyl de son i^ianl amoni', lecjnel estoyt sans bornes, veu
(pi'il parconi'ovl les espaces infinis des dezirs inexaulcez. Tont le
leii ipie les dames boulent en leurs amours substantielles, l(HS(jue
la miicl n'ha point d'aullres Inniièics (jiie leurs yculx,cllelclrans-
LH Fi'.KUK ir.\i;Mi:s. un
fcrovl, (lctl;ins les gocts iiiyslic(|ii(S de s;i tt-sto, les cxiilliilioiis de
son anie et les ocstaccs de son cucnr. Alors niilurcllcniont, et avcc-
quosla iovc (h'Iiciouscdi' deux an^ios accouplez d'intelligence seu-
lement, ils entonnoyent de concert les doulces litanies que répé-
toyent les amans de ce temps en l'honneur de l'amour, antiennes
que l'abbé de Tliolesme lia ])ara;^raficquement saulvées de l'oujjly,
en les enyravanl aux murs de son abbaye, située, suyvant maisirc
Alcofribas, dans nostre jjays de (Ibinon, où ie les ay veues en latin
et translatées icy pour le proulïict des cbrestiens.
— Las! disoyt Marie d'Annebault, tu es ma force et ma vie,
mon bonbeur et mon tbrezor!
— Kt vous, respondoyi-il, vous estes une perle, ung ange!
— Toy, mon sérajtliin?
— Vous, mon ame !
— Toy, mon dieu!
— Vous, mon estoile du soir et du matin, mon honneur, ma
bcaulté, mon univers!
— Toy, mon grant, mon divin maistre!
— Vous, ma gloire, ma foy, ma religion!
— Toy, mon gentil, mon beau, mon courageux, mon noble,
mon chier, mon chevalier, mon (lel'enseur, mon rov, mon amour !
— Vous, ma fée, la Heur de mes i(jurs, le songe de mes nuicts!
— Toy, ma pensée de tous les niomens !
— Vous, la ioyc tic mes yeulx!
— Toy, la voix de mon ame!
— Vous, la lumière dans le iour!
— Toy, la lueur de mes nuicts !
— Vous, la mieulx aymée entre les femmes!
— Toy, le plus adoré des honnnes!
— Vous, mon sang, ung nioy iiicillcur (juc moy!
— Toy, mon cucur, mon lustre!
— Vous, ma saincte, ma seule ioye!
— le te (juitte la palme de l'amour, et, tant grant soit le mien,
le cuydc (|ue tu maynies plus encores, pour ce que tu es le sei-
gneur.
— Non, elle est à vous, ma déesse, ma vierge Marie!
— Non, ie suis ta servante, ta meschine, ung rien que tu peux
dissouidre !
— Non, non, c'est moy ({ui suis vuslre esclave. vo>li'e paige
lidelle, de (pii vous pouvez user connue d'ung souille d'aër, sur
I '.t>J
co.NTi-s iii;(»i,.vTi(ji i;s.
(jui vous (levL'z iiiiin'lici' coiiiuio sur uiig lapis. Mon mieur est
voslip throsno.
— Non. aiuy, i-ar la voix inc traiisligo.
— Yoslre i'osi.nianl inc brusle.
— le ne veois (jue j3ai" toy.
— le ne sens (|ue j)ar vous.
— Oli liien. mets ta main sur niou eueur, ta seule main, el lu
vas me vciiir paslir (piand mon sang aura prins la chaleur du tien.
Alors, en ces luctes, leurs yeulx, desià si
arden$,s'enllammoycnteneores;etlcbonclic-
valiei' estoyl niig pe»i oom|)liee du bonheur
ipie pienoyl Marie dAnnebaull à sentir cette
main sur son eueui-. Ores, comme dans cestc
legieie aeeointance se bendoyent toutes ses
forces, se tendoyent tous sesdozirs, seresol-
voyent toutes ses idées de la chouse, il luy
arrivoyt de sepasmer Irez-bien el tout à laict.
Leuis yeulx plouroyent des larmes bien
ehauldes, ils se saisissoyent l'ung de l'aultre
en plein, comme le feu prend aux maisons ;
mais c'estoyt tout ! De laiet. Lavallière avovt
promis de icudre sain et sauf à son amy le corps seulement et
non le eueur.
Lorsque Maillé feil seavoir son retourner, il estoyl grantement
temps, veu que nulle vertu ne pouvoyt tenir à ce mestier de gril ;
et, tant moins les deux amans avoyent de licence, tant plus ils
avoyent de iouissanee en leurs phantaisies.
Laissant Marie d'Annobaull, le bon compaignon alla au-dcvaiit
de son amy iusqucs au pays de Bondy, pour l'ayder à passer les
bois sans maie heure ; et, lors, les deux frères couchièrent en-
semble, suyvant la mode anticque, dans le bourg de Hondy.
Là, dedans leur lict, ils se racontèrent, l'ung ses adveulures de
voyaige, l'aultre les cacipu-ts de la Court, histoires guallanles, et
cœtcra. Mais la première reijueste de Maillé l'eut louchant Marie
(rAnnebault, que Lavallière iuraestre intacte en cet endroictpre-
ticux on est logi(' riionneur des marys, ce dont Maillé l'amoureux
fcul bien content.
Lendemain, ils l'i incnt tous trois it'unis, an grand (les|>it de
.Marie, qui, par la liaullr iinisprudence des femelles, festoya bien
son bon marv, mais du iloigt elle monstro\l son eueur à Laval-
I.K FUlilll': D'AHMKS. I;i;!
lièrc par do f^fitlillcs mi^iiardiscs, (•oiiiiiic pour dire : — Cocy
est ton l)ien !
Au souper, l.iividlit'i'o amioiira son |»;irtcni('nt |ioui'la guerre.
Maillé Ic'ut l)i('ii luariy dcM-oste grid'vc rc-solutiou, et vouloyt sui-
vre son frèrr ; mais Lavallière le refusa tout net.
— Madame, fcit-il à Marie d'AmiehauIt, ic vous aynie plus (j[ue
la vie, mais non plus (|uo llioniieiu'.
Et il paslit en ce disant, et madame de Mailh' paslil en l'es-
coulanl, pour ce (|uc iamais, dans leurs ieux de la j)elite oie, il
n'y avoyt eu autant d'amour vray que dans ceste pai'ole. Maillé
voulut lenir comj)aignie à son amy ius(|ues à Meaulx. Quand il
revint, il délibéroyt aveccjues sa lennne les raisons incoyneues et
causes absconses de ceste départie, lors(jue Marie, (jui se douhtoyt
des chagrins du paouvre Lavallière, dit : — le le scays, c'est (ju'il
est trop honteux icy, pour ce (|ue unycliascun coynoyt ({u'il lia
le mal de INaples.
— Luy ! l'eit Maillé tout i'sIoiuk'. le l'av veu, (|Maii(l nous nous
couchiasmes à IJondy, l'autre soir, et hier à Meaulx. Il n'en est
rien! Il est sain comme vostre œil.
La dame se Tondit en eaue, admirant ceste i:rant loyauté, ceste
sublime résignation en sa parole, et les haultes soulTrances de
ceste i)assion intérieure. Mais, connue elle aussv guarda son
amour au l'und de son cneui', elle mourut (piand mourut Laval-
lièie devant Metz, connue l'ha dict ailleurs messire Bourdeilles
de Brantosme en ses cac(|uetaiges.
i7
-^M^^^^^i^'ffif^^^^^^fl
l.iin.iis ceiili <|iii viiulroiil (|iirrir de la laitm en son pi'cshylèni un s'oii
iillôrcnl loiitliis, vou (|ii'il avoyl loiisiours ia main à In poclio.
LE CDRÉ 1)'AZAY-LE-RIDEAU
En ce tenii)s-là, les prcbstres ncpronoyont plus aulcuno foninio
en légitinir" mnriaigc, mais avoyent, à ciilx,(le bonnes concubi-
nes, ioiics, si r;iii(' scpouvoyt ; ce qui, depuis, leur l'eut interdicl
par les conciles, comme ung cbascun scayt, pour ce (|ue, de l'aicl,
il n'estoyt pas |»laisanl (jue li-s esju'ciales coulidences des gens
feussent raconU'es à une gouge (jui s'en rioyf, oultre les aullres
doclrines absconses, ménagemens ecclésiaslicques et s|i('culalions
qui abundèrent en ce cas de baultepolitic([UC romaine. I,c |iiili->lie
de nosire jiays qui, ibeologalement, enlceliut le daiicMiicr nue
femme dans son presbuèn*, en la resgallanlde son amour sclio-
lasticque, feut ung certain curé d'Azay-le-Kidel, eiidroict trez-
agréablc nommé plus tard Azay-le-Bruslé, maintenant Azav-Ie-
Rideau,dont le cbastel est une des merveilles de Touraine. Ores,
ce dict lemj)S oïl les (enunes ne baïoyeiit i)as l'odeur de j)rebstre
n'est i)oint aussy loiug {|ue aulcuns le |)ourrovent penser, car
encores estoyl sur le siège de Pai'is monsieur d'Oigemont, lils
du précédent évesque, et les grosses (pierelles d'Armignacs n'a-
voycnt lîné. Pour dire le vray, cetluv curé laisovt bien d'avoir
I% CONTES DnOL.VTIQlIES.
sa cure en ce sièclo, vou iju'il ostoyt fièrcnioiit iiiouli', liaiilt en
couleur, de belle corporenco, grant, fort, mangeant et heuvjjnt
eoniuie ung convalescent; et, de laict, relevovt tousiours d'une
(louice maladie, (jui le j)renoyt à ses heures : donccjues, plus
lard il eust este son propre bourreau, s'il eust voulu observer
la continence canonicque. Adiouxtez à ce qu'il estoyt Touran-
geau, id est, brim, et j)ortant dans les yeulx du feu pour allu-
mer et de l'eau pour eslaindre tous les l'ours de mesnaigc qui
vouloyent estre allumez ou estaincts. Aussy, iainais plus à Azay
ne s'est veu curé pareil ! ung beau curé, quurré, Irais, tous-
iours bénissant, hennissant ; aymant niieuix les nopces et bap-
tesnies que les trespassemens ; bon raillai'd, religieux en l'ecclise,
homme partout. Il y ha bien en des curés qui ont bien heu et
bien mangit' ; daultrcs. qui ont bien l)ény, et certains moult
henny ; mais, à eulx tous, ils laisoyent à grant poine endi-stail
la valiscence de ce cure susdict ; et lui seul ha dignement
remply sa cure de bénédictions, l'ha tenue en ioye et y ha con-
solé les affligées, tout si bien, que nul ne le voyoyt saillir de son
logiz sans le vouloir mettre en sa fressui-e, tant il estoyt aymé.
C'est luy qui, le premier, ha dict en ung prosne que le diable
n'estoyt pas si noir qu'on le faisoyt, et qui, pour madame de
Candé, transformoyt les perdrix en poissons, disant que les
perches de l'Indre estovent j)erdrix de rivière, et au rebours,
les jjerdrix, perches de l'aër. laniais ne feil de coups fourrez à
l'undjre de la morale ; elsouventes foys, railloyl en disant qu'il
préféroyt estre concilié en ung bon lict que sur ung testament;
que Dieu s'estoyt fourny de tout et n'avoyt besoing de rien.
Au resguard des j)aouvres et aullres, iamais ceulxcjui vindrent
(pierii- de la laine en son jiresbytère ne s'en allèrent tondus, veu
qu'il avoyt tousiours la main à la poche et mollissoyt (luy (jui,
(lu reste, esloyt si ferme !...) à la veue de toutes les misères, in-
firmitez, et se bendoyt à boucher toutes les playes. Aussy ha-
t-on dict longtemps de bons contes sur ce roy des curés!...
C'est luy qui feil tant rire aux nopces du seigneur de Valesnes,
près Sacch('. Connue la mère dudict seigneur se nu'sloyt ung
peu des victuailles, rostisseriesetaultres a|»piit/(|iii abundoyent
tant qut! du moins on eust faict le plusd'ung liDing, mais il est
vray, poui- tout dire, (pie l'on venoyt à ces espousailles de Monlba-
zon, (le. Tours, de Cliiiion. de Laiige;iis, de partout et pnor liiiicl
iours.
IV. CriiK ll'AZ \v
'.17
■ Ores, le lion ciiiv. i|iii icvciinvl en l;i ^.illcdù se gaudissoyt la
ct)iii])ai^iii(', tcil iciicuiilic (riiii [iclil |),iti'()nii('t, le({U('l voiildxt
advi'itir .Madame (juc huitcs les
substances l'It'iiioiitaiics ci ru- i - . ;\
dimcns gras, ius et saulces, es-
toycnt apprestez pour ung bou-
din de liaulte qualité dont elle
se iactoyt de surveiller les eom-
pil.ilioiis, eid'oneages et niani-
jiulalious seerettes, à oeste (in
de resgaller les parens de la
fdle. Mon dict curé donne un;;
petit coup sur l'aureille du
guaste-saulce, en luy disant
qu'il estoyt trop oi'd et sale
pour se faire veoir à gens de haultes ^conditions, et qu'il s'ae-
quitteroyt dudiet rnessaige. Et vécy le raillard (|ui ]>oulse
riuiys, (jui roule ses doigts gauches en manière de gaisne, et
dedans ce perluys fourre à plusieurs foys frez-gentement le doigt
du milieu de sa dexire ; puis, ce faisant, il regarda liiiemeut
la dame de Valesncs en lui disant: « Venez, tout est picsl ! »
Ceulx qui ne sçavoycnt pas la chouse s'esclaffèrent de riie, en
voyant Madame se lever et aller à curé, pour ce qu'elle sçavovt
qu'il retournoyt du l)0udin, et non de ce que cuvdovent les
aultres.
Mais ung vray conte est la manière dont ce digne pasteur perdit
sa femelle, à laquelle le promoteur mestropolitain ne souffrit point
d'héritière ; mais, pour ce, ledict curé ne faillit point d'ustensiles
de mesnaige. Dans la paroësse, toutes se feireut uni; honneur de
hiy prester les leurs; d'autant (pie c'esloyl ung lionnne à ne rien
guaster, et qui avoyt grant cure de bien les rincer, lechier hoimue !
Mais vécy le faict, L'ng soir, le bon curé revint souper, la face
toute mélancholisée, veu qu'il avoyt mis en pré ungbonmétaver,
mort d'une fasson esirange dont ceulx d'Azav parlent eiirores
souventes i'oys. Voyant (ju'ilne mangioyt que du bout des dents
et trouvoyt de l'amer dans ung bon plault' de trippes, dont la
coction s'estoyt saigement accomplie à sa veue, sa bonne femme
luy dit :
— Avez-vous doncques pass(' devant .le Lond)ard (voyez
Maitue Couneliuj:, />a.s'.s/m), rencontré deux corneilles, ou vcu
17.
108
CONTES DHOLATIOIES.
remuer le mort en sa fosse, que vous voilà tout ilesmanchie' ?
— Ho ! ho !
— Vous lia-t-on decou?
— Ha!... ha!...
— Dites dontniues !
— Ma mve, ic suis cncores toutcspanlé do la mort de cepaou-
vre Cochegrue, et il n'est en ce moment, à vingt lieues à la ronde,
langue de honne mesnaigière et lèvres de vertueux cocriu qui
n'en parlent...
— Et qu'est-ce ?
— Oyez. Ce bon Cochegrue retournoytdu marché, ayant vendu
son bled et deux cochons à lard. 11 revenoyt sur sa jolie iumcnt,
laquelle, depuis Azay, commençoyt à s'énamourer, sans que, de
ce, il eust le moindre vent; et paouvreCocheiiruo Iroltoyt, trol-
tinoyt, en comptant ses proultitcts. Vccy, audeslourner du vicuix
chemin des Landes de Charlemaigne, ung maistre cheval, que le
sieur de la Carte jioiirrit en ung clos, pour en avoir belle semonce
de chevaulx, pour ce que ce dict animal est trez-idoyno à la
course, beaucommo pont l'ostreung alibé, hault et puissant, tant
que monsieur l'admirai l'est venu veoir et dit qwo c'esloyt une
beste de haulte futaye; donctpies ce diable chevalin llaire ceste
iolie iumcnt, l'aict le sournoys, ne hennit ni ne dict aulcune
périphrase decheval, mais, quand elle est iouxle le chemin, sauitc
quarante chaisiu'es de vignes, couit dessus en ])ial'i'antdes(jualre
Icrs, entame l'escopetterie d'ung amoureux (pii clitimme d'accoin-
tance, déclicque des s(mneries à l'aire lascher vinaigre aux jtius
hardis, et si dru, que ceulx de Cluunpy l'ont entendu et ont eu
grant paour. Cochegrue se doubtantde l'estrif, enfile les Landes,
picque sa lascive iumcnt, .se lie sur .son rapide cours, et, de faict,
la bonne iument l'escoute, obéit et vole, voh; comme ungoyseaii ;
LE CriU': D'A /.AV.
109
mais, à porter do oranoo([iiin, Iciiiaiiil liiapuar do clifval snyvoyt,
ta]>|K)vt (le .SOS pieds la leire, oomiiio si ni;ii-osoliaulxciisseiil hiillii
iinfi l'or ; et, toutes ses foires hondc'es, Idiis crins espars, l'ospon-
dovt an iolv ti'ain du grant <,fal()p de la iiiiiieiil piif son oITroyalde
])atapan ! patajtan!... Lors, bon reriiiier, sentant accdiiiir hi mort
aveecjues j'iiniourdc" la Leste, d'esporonnei- sa innioiil, cl iuMieiil
de eourir ; enfin, Coc|ie>,M'iie, j)asle et niy-niort, alleiiil la ,i:tant
court de sa in(''lairie; mais, trouvant Li porte de ses esciiyeiies
fernii'e. il erie : a Au scconis ! ù iiioy ! ma femme !... » Puis il
tourne, ((iiiiiic Mutniir de s;! mare, cuvdant éviter le inauldiet
clipval auquel les iimoui'eltes hiaislovent, (pii laisoyt raif^e, et
croissoyt d'amour au griel' ])oureliaz de sa iumenl. Tous les siens,
cspouvantez de ce dangier, n'osovont aller (iiiMiilliuys de l'es-
cuyorie, rodoubtant l'estrange accollade ci les cnups de j)iod de
l'amoureux ferré. Hrief, la Cochegruc v va, mais, iouxto la porte
que I;i Lonne iumeiit avovt enfilée, le daiuué elieval l'assaille,
l'eslraiuel, lui donne sa sauv.iige venue, l'iMuLrasse des deux
iandies. In serre. I,i pinci'. I;i lienleniille. el,
pendant ee, j)esliil el mulcle si dur le ('.(iclie-
gnie, que dudici il n'Ii,! esU' lreuv(' (pTuii;:
desLris informe eoncassi' connue ung giisleim
de noix, apiès rimile distilL'c. C/estoyt |)iti('
de le voir escarbouillé tout vif et meslantses
plaincte.s àoesgranssospirs d'amourdeclieval.
— Oh! la iument ! s'escria la bonne gouge du cun-.
— Quoi? feit le bon pi-ebstie estonné...
— Mais oui ! Vous aultres ne fei'iez|)oint tant seulemiMil crever
une prune !
— En da ! respartit le cun', vous me i-e|)rnucliez i"! tort !
Le bon mary la gecta de eliolère sur le licl ; et , île son poinçon
l'cstanipa si rude, (prelles'escl;ill;i sur lecttup, hiuleescliarboltée ;
puis mourut, smus (pie ni cbirurgiims ni plivsicians ayeut eu
cognoissance de la fasson dont se leireut les s(dutions de conti-
nuité, tant furent violennnent desioinctes les cliarni(''i"es el cloi-
sons médiane.s. Comptez que c'estoyt ung fier bonuue, ungb(\iu
curé, comme lia est(' dessus dict.
Les bonnestes gens du |tavs, voire les femmes, convindrcnt
qu'il n'avoyt jioint eu tort et (pi'il estoyt dans s(»u dioict. he là
pcut-cstrc est venu le proverbe tant dict en ce temps : Qiieiaze
/e Srt///e .' Le((uel proverbe est encores plus deslmniK^sle de mots
'200 CONTFS T»i;0[,\TlnrES.
(|uo ie no lo dis par révt'ronco dos daiiios. Mais ce granl ot noblo
curé n'ostoyt |»as loil quo do là,ot paravant oo malliour, il l'oit
ung coup tol,(iuo nuls voleurs n'osoyentplus iamais luy demander
s'il avovt des anges dans sa pochette, cncores qu'ils eussent esté
vingt et quelques pour l'assaillii-. l'ng soir, il y avoyt tousiours
sa bonne l'onnne, après souper, (ju'il avoyt bien festoyé l'oie, la
gouge, le vin et tout, et resloyt vu saebairo à deviser où il l'eroit
construire une grange neufve pour les dixnies, vécy venir ung
niossaigo du soigneur de Sacdié (jui lendoyt l'ameet vouloyt se
réconcilier à l)iou, lo recojjvoir ot faire toutes les (juérénionioscpio
vous seavoz. « C'est ung bon bonuno et loyal soigneur, i'y vais ! )>
dit-il. Là-dessus, passe à son ecclisse, prend la boëte d'argent où
sont les pains sacrez, sonne luy-niesnie sa clocbette pour ne |)oint
esveigler son clerc, et va, de pied légier, trez-dispos, par les cbe-
mins. louxto le Gué-droit, (pii est ung rut qui se gecte dans l'In-
dre à travers la |iraiiio. iu(»m bon curé apercent ungnialandrin. Kt
(|u'est ungnialandiin? ("/est ung clerc dosainct ^iicllolas. Et quoy
encores cecy'?Kh bien, c'est ung qui vooit clair en pleine nuict,
s'instruit en compulsant et retournant les bourses, et prend ses
dogioz sur les routes. Y estes-vous?Donci|ues, ce malandiin al-
tendoyt la boële (|u'il sçavoyt estro do bien grant |)rix.
— ()b ! ob ! feit lo probstre en desposant lo cyboiro iuz la
pierre du pont, toy, reste là sans bougier.
Puis il niarcbe au voleur, luy donne ung croc-en-iambc, luy
arracbo son baston ferré, et alors que ce niaulvais gars se relève
pour Incloravfcipiosluy, il vousTostriiipo d'nniîcoupbicii adressé
dans les oscoutiilos du ventre.
Fuis il reprind le viatic(|uo en luy disant bravement : « Iloin!
si ie m'estoys lié à la providence, nous estions fondus!... «Mais
j)roférer ceste impiété sur le grant chemin de Sacché, c'estoyt
l'orror des cigales, von <|u"il la(lisoyt,non jtas à Dieu, mais bi<'n
à rarcbevosipu' de Tours, loquol l'avoyt duromont lancé, menasse
d'intordict ot admonesté au Chapilio, ponr avoir dict en chaire à
gens laschos (juo b s moissons ue vonoyonl point i)ar la graacede
Dieu, ains par bons labours et grant peine : ce qui sentoit le fagot.
Kt, de faict,il avoyt tort, ponr oo (|ue les fiiiicts de la terre ont
bcsoing th' l'un ot d(> l'anllro ; mais il mourut dans cotte hén-sie,
car il ncvoidnt iamaisroiiqiicndroipic moissons pussent vonirsans
la|iiocho, s'il plai•^ovl à |)iou ; doctrine (pic les savans ont jironvc'o
estrc vravo, fil (Iciiioiistnnil ipii' ia(hs je Idod cstovi bien poulsé
LE ninr; Tr\zvY.
•nu
sans los hommes... Point no laiiiay ce hoan inodMc de yiaslour,
sans enclore icy l'nng des Iraictsdesa vie. lecjuel prouve avec-
quos quelle faveur il imitoyl les saincts dans le partai^e de leurs
biens et manteaux, qu'ils doiinoicnt iadis à paouvres et passans.
Ung iour, il revenoyt de Tours tiici' sa rc-vri-ence à rotlicial,el
gaignoyt Azay, monté sur sa mule. Clicmin faisant, à ung pas de
Ballan, il renconlie une belle lille ipii alloyt à pied, et feut marry
de veoir ceslc l'cnune voyageant comme les chiens, d autant
qu'elle estoyt visihhMiient fatiguée et levoyt son arrière-train a
contre-cueur. Alors il la huchia doulccment,ct belle fille de soy
retourner et arrester. Le bon prehstre, qui s'entendoyt à ne point
effarouchier les fauvettes, surtout les coëffées, la requit si gente-
ment de se mettre en crou|ie sur la mule, et de si bonne manière,
que la gars(^ monta non sans faire (piehpies réserves et cnigeries,
comme elles en font toutes, quand on les convie à mangierou a
prendre ce qu'elles veulent. L'ouaille ap|>ai'eill('e avecfpies le
pasteur, la mule va son train de mule; et la garsie de glis<crde
cy, delà, vétillantsi mal, (pie le cuiéluyre-
monstra, au sortir de Hallan, que ce seioyt
mieux de se tenir àluy;et aussytost labelle
fille de croiser ses bras [jotelez sur le pectoral
de son cavalier, tout en n'osant.
— La! ballottez-vous encores ?Estes-vous
l)ien'.'(lit le cuié.
— Knda! oui, ie suis bien. Et vous?
— Moy, feit le jirehstre, ie suis mieulx.
Et, de fiiict, il estoyt à l'aise, et feut bien-
lost gracieusement rliauff(' dans le dos par
deux tangentes (pii le
froissoyent et linèrent
par vouloir s'empreindre ilans ses omo-
plates, ce qui eust esté donmiaige, vcuipu^
ce n'estoyt point le lieu de ceste bonne et
iilanch(! niaichandise. Peu à peu, le mou-
vement de la nulle mit en coniunclion la
clialenr interne de ces deux bons cavaliers,
et l'eil nuiuvdir leur sanguins vite, veti
(piil avovl le bransle de la mule avecques
le sien; et, ])ar ainsv, la bonne garse et le ciiié linèrent par
COTnoisIre leurs pensées, mais ikui celles delà mule. |'ui->,(pi;niil
202 CONTES DROLATIOTES.
iiiig cliasiiin sefi'ul jiciliiiiah', \o voisin clioz la voisine, et voisine
au voisin, ils stMilircnl ung ronnic-inesnaijie qui se résolut en
secrets dc/irs. — lleiii ! l'cil le curé, (jui se retourna devers sa
conipaigne, vécy une belle radiée de bois (jui lia poulsé bien cs-
paissc...
— Klle est trop jtrès de la ioute,reprint la fdle. Les maulvais
gars coupeidnt li's brandies, ou les vaelies mangeront les ieuncs
poulses.
— Ktn'esles-vous point mariée? demanda le curé reprenant le
trot.
— Non, feit-elle.
— Pas du tout?
— Ma ly! non.
— Et c'est iionteux à vostre aage.,.
— En da, oui, monsieur; mais, voyez-vous, une paouvre fdle
qui ha faict ung enfant est ung bien maulvais bestail.
Lors, le bon curé, ayant pitié de cesle ignorance, et saichant
que les canons disoyent, entre aultres cbouses, que les pasteurs
debvoyent endoctriner leurs ouailles et leur remonstrer leurs
debvoirs et charges en ceste vie, crut bien faire son office en
apprenant à cellc-cy le faix que elle auroyt ung iour à porter. Alors
il la j)iia doulcement ([u'elle ne feust point paresseuse, et que,
si elle vouloit se fier en sa loyauté, iamais ne seroyt sceu
de personne l'essay du chausse-pied de mariaige qu'il luy pro-
posoyt de faire incontinent; et comme, depuis JJallan, à ce
pensoyt la tille, que son envie avoyt esté soigneusement en-
treteneue et accreue par le chauld mouvement de la beste, elle
rcspondit (hircmeiit au ciin' : — Si vous parlez ainsy, ie vais
descendre.
Lors le bon curé continua ses doulces requestes, si bien qu'ils
atteignirent les bois d'Azay, et que la fille voulut descendre; et,
de faict, le jirebstre la descendit, car il estoyt besoing d'cstre à
chevalaiiltremeiit pour achever ce dcsbat. Alors la veitueuse fille
.se saulva dedans le plus cspais du bois pour fuir le curé, criant :
— rih! meschant, vous ne sçaurez point on ic suis.
La mule arrivée en une claiiière où la pelouze estoyt belle, la
fille Iresbuchia à l'encontre d'une herbe, et rougit. Le curé vint à
elle ; puis là, comme il avovt sonm' la messe, il la dil;el tous deux
piiiidirnt mig gros à-c(»m|)t(' sui' les ioycs du paradiz. Le bon
prebstrceul àcueiir de la bien iiislniiie, ettreuvasacalhéduunèno
LK CI'IJK D'AZAY.
205
bion docile, nussv doiilcc (rame (|iir de peau, vrai biioii. Aussy
feul-il bien eoiiliil d'avoir si l'orl abr('j,ù(' la leeon en la donnant si
près d'Azay, vcu qu'il scroyt bien peu aise de la rcconinicncer,
comme font tous les docteurs, qui disent souvent la mesmc cliousc
à leurs élèves.
— Ab ! niijj;noiHie, s'esciia le bonlionnne, pounpioy donc(|ues
as-tu tant frelinlVetailbsipie nous noussoyons accordez seulement
iouxtc Azay?
— Ab ! leit-elle, ic suis de lîallan.
Pour le faire de brief, ic vous diray que, lorsque ce bonhomme
mourut en sa cure, il y eut ung ^rant nurnltre de <,fens, enfans
et aullres. qui vindrent (b'solez, al'lligez, |iIoinant, cliayrins, et
tous dirent : i( Ab ! nous avons perdu nostre [tèrc. » Et les garses,
les veufves, les mariées, les garscttcs s'entre-rcsguardoycnt, en le
regrettant mieulx qu'ung amy, et toutes disoyent : — Ce cstoyt
i)ien plus qu'ung prebstre, c'estoyt nng bomme ! De ces curés, la
grayne en est au vent, et ne se pnxbiira plus, maulgré les se'-
minaircs.
Voire mesmes les paouvres, à ([ui son espargne feut laissée,
trouvèrent qu'ils y perdoient cncores. Et ung vieulx estropié dont
il avoyt soing beui;loyt dans la court, criant : « le ne niourray
point, moy! «cuydanl dire : « Pourquoy la mort ne m"ba-t-el!e
pasprinsen saplac(! ! » Gecjuifaisoytrire aulcuns;ce(lont l'undjre
du bon curé ne dent point estre faschée.
[L î ^'-^'
•M&ië^di
L'APOSTROPHE
La Ijl'IIc Imandièro de l'oililloii-lcz-Tours dont iinj,^ nioldro-
Iulic<iuc ha dcsià esté coiisigiu' dans ce livre, ostoyt une lillc
dotée de tant de malice, (|ii"('lle avoyt volé celle de six j)rebslres
ou de trois femmes au moins. Aussy les mignons ne iny man-
quoyent })oint, et tant en avoyt, qu'eussiez dict,
en les voyant autour d'elle, des mousclies voulant
l'entrer le soir dans leur lusclie. IJiig vieulxlainclii-
rier de soveiies ([ui demeuroil en la lueMonll'uniici-
et y possédoyt ung logis scandaleux de jicliessc,
venant de son clos de la Grenadière, situé sur le
ioly cosfeau de Sainct-Cyr, passoytà cheval devant
INirlilloii |ioiir gaigner le {xint dt^ Tours. Lors, par la ( liaiilde
soirée ipi'il raisoyt,il lent allumé |iar ung dezir l'on, en vo\aut
la ImIIc huaudièie, assise; sur le pas de sa i)ort<'. Ores, comme
diiiui^ iiin^lrnips il rcsvovldc k-vAv iiiyense lille, sa l'ésolulion
L'AlMlSTUdl'IlK.
•JOà
lent [iriiisf dCi! tiiirc sa femme; i-l bieiitust île Ijivaiulièrf clli-
devint taincluiièic, bonne hour^ieoysc de Toui's, ayant des
dentelles, du beau linge, des meubles à foison, et lent lieu-
rcuse, nonobstant le tainctnrier, veu ([u'ellc s'enh.'udit liez-bi-'O
à le |)cllaiid(i'. Le bon laiiirluiicravoyt poiii-
compère iing t'abi'icalciirdo iiircliani(|ii('s à
soyeries, lequel estoyt petit de taille, bossu
pour toute sa vie et plein de mescbantciie.
Aussy leiourdes nopces, ildisoyt antaine-
turier : « Tu as bien l'aicl de te marier, mon
compère, nous aurons une lolie l'ennue... »)
Puis mille gaudrioles matoises connue il est
coustunie d'en dire aux mariez.
De l'aict, ce dict bossu courtoisa lataincturière, qui, de sa na-
ture, aimant peu les gens mal bastis, se mit à rire desreipiesti'S
(lu nurbanieien. et le plaisanta trez bien sur ses ressorts, engins
et aultres bobines dont il avovl sa bouticque trop pleine, Kniin,
cestc grant amour dudict bossu ne se rebuta de rien, et devint
si fort poisante à la taincturicre, (pi'ellc se résolut de le guarrir
par mille maulvais tours. Ung soir, après de sempiternelles |)our-
suites, elle dit à son amoureux di; venir à la petite porte du logiz,
et que, vers minuict, elle luy ouvriroyt tous les pertuys. Ures
c'estoyt, notez, par une belle nuict d'hyver ; la rue Montfumier
aboutit à la Loire, et, dans ce pertuys citadin s'engounVent,
mesnies en esté, des vents picquans connue ung cent d'esguilles.
Le bonbossu, bien empapilloté dans son manteau, nefaillit jtoint
ii venir, et sepourmeiia [)our s(! tenir cbauld en alleiiclant l'beure.
Vers minuict, il estoyt à moitié gelé, tempestoyt comme tiente-
deux diidilesprinsdans une estole, et alloyt renoncer à son bon-
heur, (juant une foible lumière courut par les lentes des croisées
et descendit iusqu'à la jietite porte.
— Ah ! c'est elle !... ieit-il.
Et cet espoir le rcschauffa. Lors, il se colla sur la i)o»tc et
entendit une petite voix,
— Estes-vous là? lui dit la taincturière.
— Oui !
— Toussez ([ue ie vove...
Le bossu se mit à tousser,
— Ce n'est pas vous.
Alors le bossu dit à haulte voix,
18
206 (,o>ri:s DHoLMiiji i:s.
— Comniont ! ce n'est pas inoy ! Ne reeognoissez-vous jxiinl
ma voix ? Ouvrez !
— Qui est là? (leiuaiida le taiiioturicr en levant sa eroisée.
— Las ! vous avez resveiylé mon niaiy, (juiest revcini d'Am-
boise, ce soir, à l'iniproviste...
Là-dessus, voilà le taincturier qui, voyant au clair de la lune ung
homme à sa porte, lui gectc une bonne potée d'eau froide et
crie : « Au voleur ! » en sorte que force fent au bossu de s'enfuir ;
mais, dans sa paour, il saulta fort mal j)ar-(lessus la cliaisne ten-
due au bout de la rue, et tondia dans le trou punais, (jue lors
les eschevins n'avoyent point faict eneores remjilacer ])ar une
vanne à deschargier les boues en Loire. De ce bain pensa crever
le méchanicien, qui mauldit la l)elle Tascheretle, veuque,son
mary se nommant Tasebereau, les gens de Tours avoyent ainsy
désigné sa gentille femme, par mignonnerie.
Carandas, c'estoyt le fiicteur d'engins à tisser, liler. bubiner et
enrouler les soyes, n'cstoyt point assez entreprinspourcioire à
l'innocence de la tainctwrière, et luy iura une haine du diable.
Mais, quelques iours après, (piand il fcut remis de sa trenq)ette
dans l'esgoutdes taincturicrs, il vint souper chez son compère.
Alors, la taincturièrc l'arraisonna si bien, luy mit tant de miel
dans quelques paroles et l'entortilla de si belles promesses, (ju'il
n'eut plus de soupçons. Il demanda une nouvelle assignation, et
la belle Tascherelte, avec(pies le visaige d'une fennne occupée
de ces cbouses-là, luv dit : — Venez demain sitir. Mon mary res-
tera trois iours à Chenonceaux. La Uoyne veult faire taindre de
vieilles estoffes et délibérera des couleurs avecques luy ; cela sera
long...
Cai'andas se chaussa de ses plus belles nippes, ne feit point def-
fault, com])arut à riicure dicte, et Ireuva ung brave souper : la
lamproye, le vin de Vouvray, na|>|ies bien blanches, car il nel'al-
loyt point en remonstrer à la tainctuiicre sur le tainct îles buées ;
et tout estoyt si bien appreslé, <pi'il y avoyt plaisir à veoir les [)lats
d'eslain bien nets, à sentir la bonne odeur des metz, et mille
ifiuissances sans nom à mirer, au mihiii de la (•liaMd)re, la
Tascberettc leste, jiinqtanle et ap|)elissanle connue une pomme
par ung iour de grant chaleur. Ures, le méchanicien, oullre-
chauffé par ces ardentes perspectives, voulut, de prime sault,
assaillir la lainctinière, lors(|ue maistre Tasebereau frap|ia de
grands c(juj>s à la poile de la rue.
L'APOSTROPHE. 207
— \h ! fcit laPortillono. qu'csl-il ailvcna ? Mctlcz-vousdans
le lialiiil!... car i'ay osli' vitiiprivc à voslro cnilntict : ot, si
mon inarv vous troiivoyt, il poiinoyt vous (IcITairc, laiil vinlctit
il est dans sos niaulvaisctoz.
Et tost elle honte le bossu dcilanslr haliiit, en prend laclef et
va vile à son hon niary, (|u'elle scavoyt dehvoir revenir de Clie-
moneeanx poursouper. Lors le laincturier leutbaisécliauldenieiit
sur les deux yeulx, sur les deux aureilles ; et, luy de nicsnies,
accola sa bonne lennne par de yros baisers de nourrice qui ela-
quoycnt tant et plus, Puis, les deux espoux se mirent à table,
io('(pu'tèrent, fmèreul ]>ar se eoucbier, etle méebanicicn entendit
tout, cnnlraincl d'eslre desbout, de ne |)()inl l'aire de tousserie ni
mouvemeiil auleun. il estoyt parmi des linges, serré connue une
sardine dans ung [)oinçon, et n'avoyt de l'aër que comme les
barbeaulx ont du soleil au fund de l'eaue: mais il eut, pour
soy divertir, les musicques de l'amour, les sospirs du tainctu-
rier et les iolis prou[)os de la Tascberette. Enfin, quand il ciut
son compère endormy, le bossu l'eit jnine de crocheter le bahut.
— Qui est là ? dit le taincturier.
— Qu'as-tu, mon mignon? rcprint sa femme en levant le
nez au-dessus de la courte-poincte.
— l'entends gratter dit le bonhomme.
— Nous aurons de l'eaue demain, c'est la chatte, respondit
la l'ennne.
Le bon niary de remettre sa teste sur la plume, après avoir
esté papelarde légierement par la taincturière.
— La ! mon lils, vous avez le somme bien It'gier. Ah ! il ne faul-
droyl ])oiiil s'adviser di' vouloir laire de vous ungmary dehaulte
futaye. La, tiens-toy saige. Oh ! oh ! mon papa, ton bonnet est de
travers. Allons ! recoëfl'e-toy, mon petit bouchon, car il i'aut
estrcbeau, mcsmcs en donnant. La ! es-tu bien?
— Oui.
— Dors-tu ? feit-elle en le baisant.
— Oui.
Au matin, la belle taincturière vint, de pied coy, ouvrir au
méchanicien, (jui estoyt plus pasle qu'ung tn'passc-.
— Oh! de l'aër, de l'aër! l'eil-il.
Et ilsesaulva, guaiiy de sonamour. emportant autant dehainc
en son cueur (ju'uue pocbf^ peut contenir de bled noir. Le dict
bossu laissa Tours cl s'en alla dans la ville de Bruges, oîi aulcuns
2ns coMES nnoi. \Tiori:s.
iiiorclians l'avoyoïU convie' de venir ananj^ier des int'clianiques
à l'aire des liauberiieons. Pendant sa longue aljsence, Carandas,
qui avoyt du sang maure dans les veines, vcu «[u'il descendoyt
d'ung ancien Sarrasin (juitté quasv mort dans le grant comlial qui
se donna entre les Moricauds et les Francoys en la commune de
IJallan (dont est (|uestioii an Conte précédent ), auquel lieu sont
les landes dictes de Cliarlemaigne, oij il ne poulserien, iioui'ce
({ue des niauldicts, des mescréans, y sont ensevelis, et que l'Iierhe
y damne mcsmes les vasches ; doncques, ce Carandas ne se levoyt
ni ne se coucliioyt en pays estrange, sans songier comment il don-
neroyt pasture à ses dezirs de vengeance, et il ivsvoyttousiours
et ne vouloyt guères moins que le trespasde la bonne liuaudière
de Portillon, et souventes fovs se disoyt : « le mangeroysdes.i
chair, Da ! ie ferois cuire l'ung de sestettins et le crocqueroys,
niesmcs sans saulce ! » C'estoyt une haine cramoisie, de bon tainct
une haine cardinale, une haine de gnes|ie ou de vieille fille ; mais
r/estoyent tontes les haines cogneues. Tondues en une seule haine
laquellerebouilloyt, se concoctionnovt et se résolvoyt en ungélixir
deliel, desentimensmaulvais et diabolic(jues, chaufie au l'eu des
pi us flambans tisons de renfer;enfm, c'estoyt une maistresse haine.
Ures, nngbeau iour, ledict Carandas revint en Tou'raine avec-
(jues force deniers (piil rapjxirla des pavs de Flandres, où il avoit
IralTicqué de ses secrets méchaniipies. Il achepta un beau logiz
dans la rue Montl'umier, lequel se veoit encores et faict l'eston-
nementdes passans, pour ce que il ha des rondes-bosses bien plai-
santes |)ralic(piées sur les pierres des murs. Carandas le haineux
treuva de bien notables changemens chez son conqjère le tainclu-
rier, veu que le bonhoimne avoyt deux iolisenl'ans, les(juels, par
cas fortuit, ne présentoyent aulcune ressemblance ni aveccpies
la mère, ni avecques le père ; mais comme besoing est que les
enl'ans ayent une ressend)lance (|uelcon(pie, il y en ha de rusés
(pii vont chercher les traicts de Icins ayeulx, quand ils sont
1m;iiix, les petits flatteurs! Donc(jues, en revanche, il estoyt
Ik uv(' par le bon mary que ses deux gars ressembloyent à ung
sien oncle, iadis prebstrc à Nostre-Dame de rEsgrignolles ; mais
pour aidcuiis diseurs de gogues, ces deux marmots estoyent les
pou ri raid ures vivantes d'un gentil tonsuré, desservant de Nosti'C-
|)anie la |{iche,C('lèbre paroësse silu('e entre Tours et lelMessis.
Dres, cro\ez une chouse, et iiicubpiez-la dans voli'e esperit ; et
ipi;Miil, m cri lu v livre, vous ii';ui riez lir( Mille-, tiri'à vous, exiraici.
i/APosTrtni'iii;.
200
pro-
puisé que ce principe de toutn vi'ritc-, rosguanloz-vous cninnic
Wion hvxuvnx : à scavoir, (pu; jamais \u\<r
lioiniiio lie pciufia so jjasscr d'nw^ nez, id
est, ([HO loiisioiiis riioiiimo scia morveux,
c'cst-à-diic qu'il démoulera liommo, ot, par
.linsy, continuera dans tous les siècles futurs
à rire et boire, à setreuver en sa eliemise
sans y estie meilleur, ni pire, et aura mes-
mcsoocupatioiis : mais ces idées préparatoi-
res sont pour vous mieulx liclier eu rcntcn-
dement que ceste ame à deux j)attes croira
tousiours pour vraies les cliouses qui clia-
touillent ses passions, caressent ses haines
et servent ses amours : de là, la lojiiipie! Par ainsy, du
mier iour que le dessus dict Carandas voit les enfans de son
compère, veit le gentil prebstre, veit la belle taincturière, veit
le Tasclieri^au, tous assis à table, et veit, à son détriment, le
meilleur Iranson de la lam|)ro\edonnéd'ung certain air par la Tas-
cbcrelleà son am\ |irclisti(',lemécliaiiiciensedit : — Mon compère
est cocqu,saremme couche avecques le petit confesseur, leseiil'ans
ont esté faicts avecques son eauebenoiste, et ie leur demonstreray
que les bossus ont quelque chouse de plus que les aultres hommes.
Et cela estoyt vray, comme il est vray (jue Tours ha est»' et
sera tousiours les piedsdedaiis la Ldire, comme une iolie lille ipii
se baigne et ioueavoccpies l'eaue, faisant llicqilacij en fouettant
les ondes avecques ses mains blanches : car ceste ville est rieuse,
rigolleuse, amoureuse, fresche, fleurie, perfumée, mieulx que
toutes les aultres villes du monde, ([ui ne sont pas tant seulement
dignes de luypaigner ses cheveux, ni de luv nouer saceincture. Kt
comptez, si vous y allez, que vous luy Ireiiverez au milieu d'elle.
une iolic raye, qui est une rue délicieuse où le monde se pour-
mène, on tousiours il y ha du vent, de l'umbre et du soleil, de
la |duve et de l'amour, lia ! ha ! riez doncques, allez-y doiicques !
('/est une rue tousiours neufve, tousiouis royale, tousiours impé-
riale, une rue patrioticcpie, une rue à deux frottoirs, une rue
ouverte des deux bouts, bien percée, une rue si large que iamais
nul n'y ha crié : (lare ! une rue tpii ne s'use pas, une rue qui
mène à l'abbaye de Grant-Mont et à une tranchée qui s'emmanche
Irez bien avecipies le j)ont, et au bout di' laqui-lle est ung beau
champ de foire ; une ru<; bien pavée, bien bastie, bien lavée,
18.
tl ciiiiiiilcz , .«.j vous y allez, (|ui: vous lui liouvcrez , au iniliiii clfllc, une
iolie raye, qui est une nio (li'lioieuse où loul le monde se iiominéiie, où
loMsiiMir-, il y lia ,lu vrnl, (U- riiiiiliro cl du suit-il, de l.i plin.' et de
l'ainnur.
L'APOSTHOI'IIK. 2H
proj)ro cnmnKMinpmironor, |io|)iil('US(', silonriouso nsos liouros,
ro(.'(iu('llo, bien coclïre do miict j);ir ses iolis loicls bleus ; briof,
c'est une rue où ie suis ne, c'est la royno des rues, tousiours
entre lalene elleciel, une rue à lonlaine, une rueà la(|uelle licn
ne nian(|U(' pour eslrecéiébrc'c parmi les rues ! Et, de laid, c'est
la vraie rue, la seule rue de Tours. S'il y en lia d'aulties, elles
sont noires, tortueuses, eslroidcs. buui'ides, et viennent toutes
respectueuses saluer ccstc noble nie, (jui les coniniaiide. Oii en
suis-je ? car une foys dans ceste lue, nul n'en veult yssii\ tant
plaisanteelleest. Mais iedebvoys cette bouunai^edlial, bynuKMles-
criptive venue du cueur, à ma rue natale, aux coins de hupielle
manrpient seulement les braves figures de mon bon maistie Ha-
belaiset du sieurDescartes, incogneus aux naturels du pays. Donc-
ques, le dessus dict Carandas feut à son retour de Flandies,
festoyé par son compère et par tous ceux dont il estoyt aymi' |)our
.ses gognes, drôleries et facétieuses paroles. Le bon bossu parut
descbargié de son ancien amour, feil des amitiés à la Tascbcrelle,
au ])rebstre, embrassa lesenfans; et, quand il feut seul avccques
la tainclurière, luv ramenteva la nuict du babut, la nuict de I es-
goutenluvdisant : — Hein ! comme vous vousestesgausséedemoy !
— ('ela, vous estoyt deu, respondit-ell(MMi l'iant. Si vous vous
estiez laissé, par grant amour, turlupiner, truplier, goguenardcr ,
encorcs ung transon de temps, vous m'auriez peut-estrc l'au-
frelucbée comme tous les aultres !...
Là-dessus, Carandas se print à lireen enraigeant. Puis, voyant
ledict babut ofi il avoyt l'ailly crever, sa cliolère devint d'autant
plus cbaulde, pom- ce ([ue la lielle taincturière s'estoyt^ encores
embellie comme toutes celles qui s'cnraieunissent en soy trem-
pant dans les caues de louvence, lesquelles ne sont aultres que
les sources d'amour. Le mécbanicien estudia l'alleure du coc-
quaige cbez son conq)ère, alin de soy venger : car autant sont
de logiz, autant sont de variantes en ce genre ; et, quoicpie tous
les amours se ressend)leiit de la iiicsme manièreciucles bommes
ressemblent tous les uns aux aultres, il est prouvé aux abstrac-
teurs de cliouses vraies (pu', poui' le bonbeur des femmes, cluKpie
amour lia sa j)bvsionomie espi'ciale, et ipie, si rien ne resseudile
tant à ung bonune (|u'ung lionmie, il n'y a au>^sy rien ipii diffère
plus (l'ung homme qu'ungbomme. Voilà (jui confond tout, ou (pii
(•\|)li{pi(' les mille ])bantaisies des l'einines, les(pielles querrent
le iiicillcur des lioiumes avi'ci|ii('-^ iiiillc iniiirs et mille [ilaisirs.
'21-2 CONTES liliOLATlOlKS
|iliis (lo l'uni; (|ii(' (1(^ rniillic. Mais (•(nnmciit los vitnpéror do.
IcMirs ossavs.clianiicmi'ns el visées roiilia(licl()ir('s?Ouov ! la Na-
ture lirtillo tousidurs, vire, tourne, et vous voulez ([u'uue feinnie
reste en place ! Sçavez-vous si la glace est vraienienl i'roide 7N'on.
Eh bien, vous ne scavez pas non plus si le cocquaige n'est pas
ung bon hazanl, producteur de cervelles bien guarnies et niieulx
faictes que toutes aullres. Cliercbez douc(pu's niieul v (|ue des ven-
tositez sous le ciel. Cecy fera bien ronfler la réputation philoso-
])liie(pie de co livre concentrilîcijue. Oui, oui, allez ; celuyqui
(lie : Vécy la mort aux rats! est plus avancé que ceulx occu-
pez à trousser la Nature, veu ipie c'est une (ière pute, bien capri-
cieuse et qui ne se laisse veoircpi'à ses heures. Kii tendez-vous? Aussy
dans toutes les langues, elle apjiarlient au genre ri'Uiinin, connue
chouse essentiellenienl mobile, féconde et l'ertih^ en pipperies,
Aussy,bientost recogneul Carandas que, parmi les cocquaiges,
le mieulx entendu, le plus discret, estoyt le cocquaige ecclésias-
tic(pu'. De l'a ict, vécy conune la bonne taincturière avovt estably
ses traisnées. Elle se despartoyt tousiours devers sa closerie de la
rirenadière-lez-Saint-Cyr la veille du dimanche, laissant son bon
luai-y paracheverses travaulx, compter, V('ri(ier. ]iaver les labeuis
d'ouvriers ; puis, Taschereau venoit la rejoindre lendemain ma-
tin, et trouvoyt ung bon desieuner, sa bonne l'enmu' gave, et
lousioui-s amenoyt le i)rebstre avec luy. De l'aict, le danmé
j)rebslre li'aversoyt la Loire rn ung bateau la veille, pour aller
tenir chauld à la taincturière et lin calmer ses pliantaisies, allin
qu'elle dormist bien pendant lanuict. oiivraige au(picl s'enten-
dent bien les ieunes gars. Puis, le beau bridenr de jihantaisies
revenoyt au matin en son logiz, à l'heure oîi le Taschereau ad-
venoyl le ifupierir de se divertir à la drenadièi-e, et tousiours le
cociju trouvoyt le j)r(>l)stre en son lict. Ee batelier bien pavi', nul
ne sçavoyt ceste alleure, veu que ramant ne voxageovl la \ ci Ile
que de nuict, et ledimanclu! de graiil matin. Loisque Caïaiidas
eut bien vi'rilii' l'accord et constante praticipie de ces(lis|)ositioiis
gua Mail tes, il attendit ung ioiir où les deux amans se reioiiidroxeiit
bien alTaiiiez l'iiiig de l'aiillre, a|)rès ipielipie caresme t'oit iiil.
Celle reliront re eut lieu bicntost . et le eu lieux bossu \cil le iiia-
iir-r du biiteiier attendant au b;is de la giv\e, proiiehe le caii.il
S;iiii<tr-\iiiie. le susdiet piebslre, leipud estovt un ieiiiie blond,
bien ^le^Ie, ;;eiitil de l'oi-mes, comme le giiallant et couard Ik'I'os
d'anioiir tant (•('■h'bn' par messire Ariosle. Alors le méchauicien
i.'M'osTiioi'iir;. '-'I".
vint Irouvoi'Ic viciilx l;iiiicliiii('i',{|iii loiisiours aymoyt sa l'ciiiiiii;
cl se cmvovt s(Mi1 à iiictlic le doi^t dans son ioli Ix'noislicr.
« Hc ! bonsoir mon compère ! » leit Carandas à Taschercaii. Kt
Tascheroau d'oster son lionnot.
Puis, vécy lo méchanicien qui raeonte les sccrettes festes de
l'amour, dcsba^oiiie des paioh's de toutes sortes et pic([ue de
tous coslez le taiiielurier.
Enfin, le voyant [nvsl à liier sa femme et le prel)stre, Carandas
luy dict : — Mon bon voisin i'ay ra|)|)orté de Flandre uneespée
empoisonnée, laqueHc occit net (juiconque, pourveu ([u'elle luy
lasse une esyiatigneure ; ores, dès que vous en aurez tant seu-
lement touebi(' voslre gouye et son concubin, ils mourront.
— Allons la (juerir, s'escria le taincturicr...
Puis, les deux merchans d'aller grant erre au logiz du bossu,
de pi'cndre l'espiv et de courir en campaigne.
— Mais les trtuverons-nous conciliez ? disoyt Tascbereau.
— Vous attendiez, leit le bossu se gaussant de son compère.
De faict, le cocqu n'eut pas la griel've poine d'attendre la ioye
des deux amans. La iolie taincturière et son bien aymé estoyenl
occupez à prendre, dans ce ioly lac(|s (jue vous sçavez, cc^t
oyseau mignon qui tousioui's s'en esebappe : et rioyent, et tou-
siours essayoyent, et tousioui's rioyent.
— Ah! mon mignon, disoyt la Tascberette en restreignant
comme pour se l'engraver dessus l'estomach, ie t'ayme tant,
que ic vouldroys te crocqucr!... Non, encore mieulx, t'avoir en
ma peau, pour cpie tu ne me quittasses iamais.
— le le veulx bien, respondovt le prebslre ; mais je ne puis
y estrc tout entier, il faut se contenter de m'avoir en destail.
Ce feuten ce doulx moment que le mary entra, resjjée haulte
et nue. La belle taincturière, à qui le visaigedeson homme es-
toyt bien cogneu, veit (pu^ c'en estoU faict de sou bien ayuu' le
prel)str(\ Mais, tout à coup, elle s'élança vers le bourgeoys, demy-
nue, les cbeveulx espars, belle de boule, i)lns belle d'amour, et
luy dit : — Arrête, malheureux, tu vas tuer le père de les cnfans!
Sur ce, le bon taincturier, tout esblouy par la maiesté pater-
nelb^ du (]oc(piaigeet pent-estre aussy par la llainme des yeulx
de sa l'eunue, laissa toud)er l'espée sur le pied du bossu, (jui
le suivoyl, et, [)ar ainsy, le tua.
Cccy nous appreiul à n'estre point liaineux.
Cy fine lo proniicr dixain do cos Conlos, miosvrc oschaiilillon
des œuvres de la Muse diolalicque iadis née en nos])ays de Tou-
raine, laquelle est bonne fille et seayt ])ar eueui'ee beau dicton
de son aniy VervllK', esciipt dans i.v. moyen de parvenir : // ne
faut qu'eslre effronté pour obtenir des faveurs. Las! Inllc mi-
fj^nonne, recouelie-loy, dors, lu es essoul'IU'e de la course ; peut-
cslrc as-tu este plus loin-; (j4ie le préscul. l)onc(pu's, essuyé les
iolis pieds nus, bonsclie-tov les auredics cl reloinne à lanionr.
Si tu iTsves d'aultres[)oésies tissues de rires, pour en paiMcli(>ver
les coniicques inventions, lu ne doilis (^scouler les solles cla-
meures et iuiures de ceulx ipii, enleiidani cliauler uii^ iitveuk
pinson gauluys, diront : Ah ! le vilain oyseau !
IIA ESTt; IMl'UlMli l'DLi; LA l'IUMli l'OYS PAU l'.VlilJAT, liLL liU {JL:AD1;A.\
(;l atlicié on j;invi;M-
M D C C C \ \ X I 1 l
xiATii:iins nu sucoMt inwix
Piolo{fiic.
Les Imis Clercs de s.iiiicl Nidiolus.
Le leusnc de Frunç;oys Premier.
!.es lions Proupos des religieuses de Poissy.
r.ommciil lent kisti le chustcau d'Azay.
I.a laulso Coiniizane.
Le Dangicr d'eslrc tro)) iof<iiicbiu.
La iliirre Niiiclée d'amour.
Le l'rosiie du joyeulx euré de Meudon.
Le Suecidjc.
Désespérance d'amour.
Epilogue.
Aiikiiiis oui il rAiillu'iir lojnoiiclié de lu; pas plus sravoir
le lan<j;iiai<i(Mhivienlx ItMiipscpiolcs lièvres ne se coj>noisseiit
à lairc des l'a^dls. ladis ces jl;('iis eussent esl('' nouuuc /., à Ixm
escient, caiiiiihales, agelastes, s\T()[)liaiites, voii'e niesnies
iinypeu yssus de la bonne ville de Gouu)rilie. Mais rAutheur
consent à leur espargner ces iolies fleurs de la eiiticfiue
ancienne; il se raltal à ne point souhliaiteresire en Iciu' peau,
veu (jue il auroyl honte et uiesestiuie de luy-iuesiue, et se
cuydei'oyt le darivnier des cacogi'aplies de caluuinier ainsy
ung panuvre livre (pii n'est dedans la voye d'aulcun guaste-
[)apiei' de cclliis temps, lli' ! niaid\aises gens, vous gectez
par les l'enestres une pretieuse l)ile dont l'eriez uieilleur eui-
ploy entre vous! l/Autlieur s'est eonsid»' de ne point plaire
à tous en songiaiil (pie ung \ieid\ Toiuangeau. d'éternc
uiénioiic eut Irllc- nintuoM'Iio de gars de uiisiue eslorie,
ly
5lS lMiOL(KiLi:.
quo elles avoyent lassé sa patience, et s'sstoyt, dit-il en iing
de :ic»\n'o\ognc^,(h'ribcrchle ne phiscscribreinig iola. \u\lvc
aage, niesnies mœurs. Rien ne chet en inétanioipliose, ni
Dieu, là-liault, ni les lioninies, icy-bas. l)one(iues l'Autlieui'
s'est afl'eriny sur sa besclic en riant et se repousant, sur
/'advenir, du loyer de ses griefves peines. Et certes est-ce
bien ung grief labeur que d'excogiter cent contes drola-
TiCQUES, veu (pie, ajnès avoir essuyé le i'eu des rulïians
et envieux, celluy des amys ne luy ba point l'aict defiault,
lesquels sont venus à la niale lieure, disant : « Estes-vous
fol? y songicz-vous?iainais liomuieba-t-ileu dedans la bou-
gette de son imagination une centaine de contes pareils?
Quittez riiy|Hnl)olicque esti([uette de vos sacs, bon bonmie!
Au bout point n'iriez! » Ceux-là ne sont point des misan-
thropes, ni des cannibales; pour ruffians, ic ne sçays ; mais
sont, j)our le seiir, de bien bons amys, de ceulx qui ont le
couraige devons d('sl)agouler mille duretez tout le long de la
vie, sont aspres et reclies comme estrilles, soubz prétexte
que ils se donnent à vous de foye, de bourse ou de pieds, en
les énormes mcschicfs de la susdictc vie, et descouvrent tout
leur prix en rbeurc de l'extresme onction. Encore si tels
gens s'en tenoyent à ces tristes gentillesses ; mais point.
Quand sont démenties leurs terreurs, ils disent triumpbale-
nient : « Ha ! ba ! le le sçavoys ! Bienl'avoys-je propbéfisé. »
A cestefinde ne j)oint descouraiger lesbeaulx sentimens,
encore que ils soyent intolérables, l'Aullieiir lègue à ces
amys ses vieilles j)anto[)bles feneslrécs, et leur baille aseeu-
rance, }»our les reconforter, (pie il lui, en toute propriété
inobilic'rc, exempte de saisies de iuslicc. dedans le réservoir
dénature, ez rej)lis du cerveau, scplanic iolis Contes. Vray
Dieu! de beaulx fils d'enlendemcnl. bien ni()|i(7, de phrases,
soigneusement l'ouriiis de pc'ripélies, anqdement vestiis de
l'HOLOCIi:. 210
cninic((n(! ton! noiif, icvr sur la j)i('CO diiirno, noctnriio, ot
s:ms (IcITault (le Uam(',(jiio tisse lo «^'ciirchuiiiaiiicn cIkkjuo
iiiimifc, fha((ne liciirc, rhar|uo soiiiaiiic, mois ot an (\n forant
Compiit occl(''siasli('(ni(' (•(»iiiiii{'ii(('' en iiii^ Iciiips où le soleil
n'y voyoyt f^onftc «'ton la lunoattcndoyt (|u'()n lui nionstiasl
sonohouiin. Ces soptantosuhiects, qu'il vousoctroyoliocnco
(raj)p('l('r(l{Miiaulvaissul)io('ts, pleins (le {)ipporics,cffmntc'z,
paillards, pillards, raillards, iouenrs, rihleurs, estantioincts
aux deux Dixains j)i'ésenteuient escloz, sont, ventre Mahoni !
un lé^ior à-compte sur la dessusdicte eentaine. Et n'cstoyt
la maie heure des bibliopoles, l)il)lioj)hiles, hiiiliomanes,
hibliographes et hibliothecques, qui arreste la bibliophagie,
il les eust donnez d'une razade, etnon^outte;if;()utte, coiume
s'il estoyt al'llif^é d'une dysurie de eervelle. Ceste infirmité
n'est, per Brafiueltnm, nullement à redoubler en luy,Yeu
(pie souvent il laiet bon j)oids, boutant |)lus d'ung conte en
un\f seul connue il est aj)ertementdémonstré|)ar |)lusieurs
de ccDixain. domptez mesmes que il ha eslcu, ])our finor, les
meill(>urs et plus ribauds d'entre eulx, à cestelin de n'estre
point ac(us('' d'ung scnile décours. Doncquos, meslez plus
d'amitiez en vos haines, et moins de haines en vosamltiez.
Ores, mettant en oubly l'avaricieusc rareté de la Nature à
l'endroict des conteurs. les([uels ne sont pas plus de sept
paiTails en J'ociMn des cscripliu'cs lumiaincs; d'aullres,
tituioui's amys,onl estéd'adviscjue, en ung teuqis où chas-
cun va vestu de noir, connue en deuil de quehpie chouse,
besoing estoyt de concoctionner des ouvra iges enmiyeuse-
uu^nt graves ou gravement eniuiyeux : (pie ungscriptolastre
ne pouvoytvivr(ulésormais (ju'en logiant son csperit en do
grans édifices, et que ceux (pii ne sçavoyent point rebastir
les cathédralesct chasteaulx, dontaidcunc ])ierre ni ciment
ne bouge, mourroyeiit incogneuscomme les uudes do^ papes.
'2-jo pr.oLor.iK.
Ces ainys fcuront requis do dôclniror ce que niieulx ils
nyinoient, ou d'une pinte de boji vin ou d'uni,^ fouldre de
cei'voise ; d'un«i dianinnt de vingt-deux carats ou d'un caillou
décent livres : de l'anneau (ri[ansCarvelcont('' j)ar iJaltelais
ou d'un escript moderne piteusement e\j)ecloré par un
escliolier. Ceux-là demourant quinaulds et pantois, il leur
fcut dict sans cbolère : « Avez-vous entendu, honnes gens?
Ores dcnctpies retournez à vos vignes ! »
Mais Ijesoing est d'adiouxter cecy ])our tous aultres : — Le
bon lionune auquel nous dehvons des lahles et contes de sem-
piternelle autliorilé n'y ha mis que son outil, ayant ndthé la
matière à aullry: mais la main-d'œuvre desp(>ns(''e en ces
petites figures les lia revestues d'une liault(^ valem-; et encoi-es
qu'il l'eust, connue messei'LoysAriosto, vitupéréde songier
à miesvreries et vétilles, il y lia tel insecte, engravé par luy,
tourné depuis en momnnent de [jeiTunilé plus assenn'e que
n'est celle desouvraigeslesmieulxniassonnés.Knres|»éeiale
iurisprudence du (iay-Scavoir, la constume est d'existimer
j)lus elîierementurig feuillet extor(pié au gézierdela Nature
et de la \»''ri(('' (pie Ions les lièdes volumes doiil. laiil lieaulx
soyeiit-ils, ne seauriez extraire ny img lire ny nng |)leur.
L'Aullieurlia liceneede dire cecy sans aulcune incongruité,
veu (pie il n'iia point inleiilion desediesser en pieds, à ceste
lin d'olilenir mie taille snpernalmclle, mais pour ce (jii'il
s'en va de la maiesl('' de l'art et non d(Hiiy-iiiesme, paonvre
gi-ellierdont le UK-rite est d'avoirde l'encre en son galimart,
d'escouter Messieurs de la Coiiil cl ealligia|ilier les dires de
iiiig cliascun en ce \eilial. Il \ esl |)oiir la main-d'd'iivre, la
ISaliire |)om' le demoiiraiil, veu (|ue. depuis la Vénus du
seigneur l'iiidias Allu-iiiaii iiis(pies au petit bon liomme
(îodenot. nonniK' le sieur lireNxpie, curieusement (dahon''
par un (le> plus (■('•lelires aiillieiiis de ce leiiips. tout est
l'iioi.fM.ri:. )ii\
ostiulii' sur le iimiilf ('tcnicl (\v> iiiiil;iti(iiis Imiiiaiiics, ijiii à
l(Mis;i|)|);irliiNil. I'!ii(('l iKUiiicsIciiicslicr, liciii'ciix les Vdlciirs:
?^^f*?f5*i«ii[»fc:?si,,.j
ils ne soiil |,oiiit poiiûiis, aiiisosliiiicz et ciici-is ! Ahiiscsl iiiii^
li'iple sot, voire sol dix eors en la teste, cil qui se (niaire,
iacte et pavane d'un^ advantai^e deu au liazu'd des eoiu-
|tl('\i(tns. |)our ce (\\\v la gloire est seulcuicnl eu la culiure
des l'acullez et aussy dans la patienee et le eouraii^c.
(Juant aux |)elit(>s voix llustt'es etaux becs g(>ntils de celles
(|ui sont venues niiunoniKMUciit en laureille de lAulheur,
s'y plaignant d'avoir «^rapliinc' leurs clievcidxel guasté leurs
iupes en certains endi'oicts, il leur dira : « l'oui(pioy y esles-
vous allées? » A eescliouses il estcontiainel, par les insij;nes
maulvaisete/ d'aulciuis. d'adiouxterungadvertisseinenl aux
gens hénignes, à eesie lin (pi'ils en usent pour idore les
caluuuiies des dessusdicts eaeographcs en son emlroict.
(les Contes (lrolaticqu(>s sont escri|)ts, suyvant t(mte au-
tliorilé, durant le temps où la rovne(!atlii'rine,de la maison
19.
22^2 PROLOGUE.
des Médicis, fcut on pieds, hoii tiaiisou do rogne, veu qu'elle
se iiiosla touiours des affaires publicqiios à l'advantaige de
nostro sainote rolii(ion. Lequel temps ha piins beaucoup de
gens à la gorge, depuis nostre delTunct luaislre Franroys
premier du nom, ius(juo aux Estais de Blois, oîicheutmon-
sicur de Guyse. Ores les esclioliers qui iouent à la fossette
sçavenlque, en eeste période do prinses d'armes, pacifica-
tions et troubles, le languaige de France ieutung peu trouble
aussy, veu les inventions de ung chascun poète qui, en cettuy
temps, souloyt faire, comme en celuy-cy, ung françoys pour
lui seul, oultro les mots ])izarros, grecs, latins, italians, alle-
mands,souissos,j)lu'asesd'oultre-mer et iargonsbospaignols,
advenus par le faict des estrangiers, en sorte que ung
paouvre scriptopliile ha les coudées franches en ce languaige
babelificque, auquel ont pourveu depuis messieurs de Balzac
Biaise Pascal, Furotièro, Mesnage, Saint-Kvrcmond, de
Malherbe et aultres, (jui les premiers balyèrent \o Iran-
çoys, feiront honte aux mots estranges et donnèrent droict
de bourgooYsie aux pai'oles légitimes, de bon usaige et
sceues de tous, dont fout (piinauld le sieur Bonsard.
Ayant tout dict, l'Autheur retourne à sa dame, et soul)-
haitc mille ioyeulsotez à ceulx dont il est aymé; aux aultres,
doux noixgrollièros en leurs degrez. Quand leshirundes dos-
oaiiqx'iont, il reviendra, non sans le tiers et (juart Bixain
dont il baille ioy |)romesse aux pantagruolisles, aux bons
braguards et nn'gnons do tout ostaigo, auxcpiols ilesplai-
sent les trislifications méditations el mi-iaiRholios dos
cludéographos.
LES TROIS CLERCS DE SAINCT NÏCllOLAS
L'IiosU'l (IpsTrois-Baibciiulx osloyl iadis à Tours l'end roict do la
ville 011 so laisovl la moilU'uio cliioro, veu (juo l'iiostc réputé le
liault bonnet des rostisseurs, alloyt cuire les repas de nopees ius-
ques à Cliastelleiault, Loehes, Yendosiii(> et Blois. (le susdiet
lionuno, vieulx reistrc parl'aict en son nieslier, nalluinoyl ianiais
ses lampes de iour, sçavoyt tondre sur les œufs, vendoyt poil,
cuii' et plinue, avovt l'œil à tout, ne se laissoyt point faciloniont
paver eu nioinioye de einj^e, et. |)our un;^ denier de moins rai
com])le, eust alTninté quiconque, voire mosmes ung |)rinco. Au
demouraut, bon aausseur, beuvant et riant avecqucs les grans
avalleurs, lousiours le. buunet en main devant les gens munis
d'iudidgences |)lenières au titre du Sit No77ieii Domiiii henCilic-
tiim, 1(S poulsant en despense et leur prouvant, au besoing, par
de bons dires, (jue les vins estoyenl cliiers ; que, quoy ipie on list,
rien ne se donnaut en Touraine, l'orce estoyt d'y tout aclieptcr;
parlant d y loni payer. Rrief, s'il l'eust pu sans honte, auroyt
conq)l('' : tant |ionr le bon ai'r, et tant pour la veue du pays. Aussy
j'eit-il une bonne maison avcc(pu's l'argcMit d'aultruy, devint-il
roiul connue ung (juartaud, bard(' de lard, et i'appella-t-on Mon-
sieur. Lorsde ladarrenière l'ovre. trois quidanr^. le.scpiols estoyenl
L"ii«.sTEi I iKii DKs Tiini*-nAiinm rr.
i.Ks Tiiois ('.i.r.iics. 22:.
(les aj)i)rontirs 011 cliiciiiKiiic, (liiiis(jiii se troiivoyt iiIiisd'cslolTc à
lïiirc (les iair(tns(|ii(' des s.iiiicfs, cl sçavoyoïil l)i('M dcsia ins(|ue.s
où possible ost(»\t (I aller sans se ijrcndrccn la cliordc dos liaultes
œuvres, eurent iiilenhoiide sov divertir et vivre, en eondaniiiant
(|iiel(jiies ineichans lorains ou aidlies en tous les des|>eris.
Doneijues, ces escli(diers du dialde l'aulsèrcnt c()ni|)ai^nic à leurs
j)r(>curcurs, chez les(|uels ils e>lu(lii)\ent le ;j;rini(>ire en la ville
d'Angiers, et viiidrent de prime ahoj'd se Io},fier en llioslel des
Trois-Rarheaulx, où ils voulurent les chambres du h-gal, mirent
totit sens dessus dessoubz, leirent les desjioutez, relindrent les
lamproyes au marclK-, s'annoncèrent en f^ens de hault n<'^(ice,
qui ne ti'aisnoycnl point de nierciiandisesaveciiues eulx, et voya-
gooyent seuls de leur personne. L'iioste de trotter, de remuer
les broches, de tirer du meilleur, et d'apprester unp vray disner
d'advocalsà ces trois con^iie-restu, les(juels avoyent ià des|tens(^
du tapaijic |)our cent escuz. el (pii. bien pressurez, n"aur(»yent
pas tant seulement rendu douze sols tournoys (jue lun^^ d'eulx
laisoyt i'reliller en sa bougette. Mais, s'ils estoyent desnuez
d'argent, poiid ne mani|uoyent d'engin, et tous trois s'enten-
dirent à i(»uer leur roole comme larrons en l'oyre. Ce l'eut une
farce où il y eut à boire et à mangier, veu (pu; ils se ruèrent
peiulant cin(( iours tant et si bien sur les provisions de toute
sorte, (|u"ung parh de laiis(|iienets en eust moins guash' (ju'ils
n'en i'rippèrenl. Ces trois chats l'ourrez dt'valloyent en la l'oyre
après désieuner, bien abieuvez, pansez, pansus ; et là tailloyent
en plein drap sur les becsiaunes et aultres, robbant, |)renant,
iouant, |ter(lanl ; despendant les esciip'teaux ou enseignes el les
changeant, niellant celluy de bindielolier à Torplielivre el de
l'orphebvre au cordouanier; gectant de la pouidre ez boulic(pu's.
Taisant baltre les chiens, coupant la bride auxchevaulx attachez,
laschant des chats sur les gens assemblez ; criant an voleur *ni
disant à chascun : « Estes-vous pas monsieur (IKnlreresse d'An-
giers? » Puis ils donnoyent des poulséesau monde, laisoyent des
trouées aux sacs de bled, cherchoyent leui' niouschenez en l'au-
mosnière des dames, et en relevoyent les c(ille^. plourani, ipies-
tant ung ioyaii tombé, el leur disani :
— Mes dames, il est dans (iucl(|iu' Irou!
Ils esguarovent les enlans, se tap|)oyent en la ]»anse de eeulx
([uibéoyenl aux corneilles, ribloveni, escorchioyentet conchioyent
loul . I^rieÇ le diabb' eust este' saige eu comparaison de ces dam-
2l>(; CONïKS DHOI.ATIurES.
nez escholiers, qui se feussent pendus, s'il louravoyl fallu faire
acte d'honneste homme; mais autant auroytvalu demander de
la charité à (k'ux plaideurs eniaii^ez. Ils cpiittovent le champ de
foyre, non fati;^uez, mais lassez de malfaisanccs, puis s'en venoyent
disner iusques à la vesprée, où ils recommençoyent leurs lible-
ries aux flambeaux. Doncqucs, après les forains, ils s'en prenoyent
aux filles de ioye, auxquelles, par mille ruses, ils ne donnoyenf
que ce qu'ils en recevoyent, suyvant l'axiome de lustinian : Ciii-
cmn lus trihucre, à chascun son ius. Puis, en se gaussant aprrs
le coup, disoyent à ces paouvres garscs :
— Que le droict cstoyt à eulx et le* tort à elles.
Enfin, à leur souper, n'ayant point de suhiects à pistolander,
ils secongnoyent entre eulx, ou, pour se gaudir encores, se i)Iai-
gnoyent des mousches à l'iioste, en luv remonstrant (praillcurs les
hostelliers les faisoyent attacher, pour ipie les gens de eojidition
n'en feussent point incommodez. Cependant, vers _le cinquiesme
iour, qui est le iour criticque des fiel)vres, l'hoste n'ayant ia-
mais veu, encores (pi'il escaiNiuillast Irez bien ses yeidx, la royale
figure d'ung escu chez ses chalands, et saichant que, si tout ce
(pii resluit estoyt or, il cousteroyt moins chier, connuenea de
lenfroigner son muzcau et de n'aller que d'ung pied froid à ce
(pie vouloyent ces gens de hault négoce. Ores, redoublant de faii"c
ung maulvais traflicij avecques eulx, il entrepiint de sonder l'a-
])osteume de leurs bougettes. Ce tpu^ voyant, les trois clercs luy
dirent, avecques l'asseurance d'ung prevost jiendant son homme,
de vilement leur servir ung bon souper, attendu que ilsalloyent
partir incontinent. Leur ioyeulse contenance desgreva l'hoste
de ses soulcys. Ores, pensant que des drolles sans argent deb-
voyentestre graves, il a|)presla ung digne souper de chanoines,
sonbhaitant mesmes de les veoir yvres, al'lin de les serrer sans des-
bats en la geôle, le cas eschéant. Ne saichant comment tirer leurs
grègues de la salle où ils estovent autant à l'aise cpie sont les
poissons enla paille, lestrois compaignons mangièrcnt et beureiil
de raige, lesguardant la longitude iV'^ croisées, espiant le mo-
ment de deseamper, mais ne rencoiilr(»yeut ni ioinct ni desioinct.
Mauldissant tout, l'ung voulovt aller destacher ses chausses en
plein aër pour raison de cholicque; l'aultre quérir ung médecin
jtour le troisiesme ipii s'esvanouiroyt comnu' faire se |)ourroyl.
I.c mauldiel hoslellier baguenaudovt lousionrs de ses fourneaux
à la salle, et de la salle aux fourneaux, guettoyl les (juidams,
IJ;S TKOl.S CLKliCS. 'J27
avaiiçoit, ung j)as pour saulvcr son dru, et leculoU deux (lonr
iK! point ostrc coiigné de ces seigncui's, nu cas ou ce sciovctit
de vrays seigneurs, et alloyt en l)ravc lioslellier prudent, (pii
aynioyt les deniers et liaïoyt les coups. Mais, soubz und)ic
(le les bien servir, tousiours avoyl une aurcillc en la salle, uiiy
jùed eu la court; puis, se cuydoyl tousiours appelle par eulx,
venoyt au moindre esclat de rire, leur nionstrovt sa face en
guysc (lu compte et tousiours leur disoyt : « Messeiyneurs, que
vous plaist-il? » Interrofjjuat en l'csponsc duquel ils aurovent
voulu luy doiHier dix doij^ts de ses l)i-oclies dedans le gozier, pour
ce (pu» il laisoyl mine de bien sçavoir ce qui leur plaisovt en
ceste coniuncture, veu que, pour avoir vingt escuz Iresbu-
cliiants, ils eussent vendu cbascun le tiers de leur éternité.
Comptez que ils estoyent sur leurs bancs conmie sur des grilz,
(pu> les pieds leur desmangioyent Irez bien, et que le cl leur
l)rusloyt ung |)eu. Desià l'Iioste leur avoyt mis les poiix's, U\
l'ourmaige et les conqiotes soubz le nez; mais eulx, beuvant
à petits coups, mascbant de travers, s'entre-resguaidovent
pour veoir si l'un d'eulx trouveroyt en son sac ung l)on tour de
cbieipiane; et tousconnnençoyent à se divertir trez tristement. Le
jilus lusé des trois clercs, (jui estoyt un bourguignon, soubrit
et dit en voyant le quart d'beurc de Habelais arrive : « Besoing
est de remettre à huictaine, messieurs? » connue s'il eust esté
au Palais.
Et les deux nultres, nonobstant le dangier, se liastèrent de
rire.
— Que devons-nous? demanda celluy ([ui avoyt en sa ceinc-
lure les dcssusdicts douze sols. 11 les mouvoyt, comme s'il eust
cuydé leur faire engendrer des petits par cet enraigé mouve-
ment. Cettuy estoyt ung Picai'd, cliolère en diable et bonnnc à
s'offenser d'ung rien pour pouvoir bouler l'Iioste j)ar la croisée,
en touteseurelé de conscience. I)onc(jues, il dit ces paroles avec-
qucs ung air rogne, connue s'il eust eu dix mille doublons de
rente au soleil.
— Six escuz, messeigneurs!... respondit l'Iioste en tendant
la main.
— le ne soulTriray [>as, vicomte, ostrc lesgallé par vous seul...
fcit le tiers cstudiant, qui estoyt ung Angevin, rusé connue une
fennne énamourée.
— 'Ni mo\ ! dit le Bourguignon.
l'i'S CO.NTKS hUOL VÏKJI lis.
— Mossit'Uis, iiR'ssii'uis! rt-paiiit 11- l'icaid, vmis vdiiK'z i^uiis;-
ser. le suis voslro sorvilnir.
— Sainbrcjiiioy! s'cscria rAn<;('vin. vous ne nous lainr/ pas
pavor trois lois... Nostiv lioslc ne lo soulTiiiovt iiiic.
— Ili' ))i(Mi, t'cil lo Uouri^niiiiioii, cil de lums (|ui dira \c pire
conto salist'cia l'Iioslc.
— Oui sera lo iui;v? (icniaiida le l'icard, i'on;;uaisiiaiil ses
douze sols.
— Pardicu! uostic lioslc. Il doiht s'y cntcndic, vcu ipi'il est
uui: lioiunio de liault izoust, dit rAn^eviii. Allons ! niaisti'e queux,
boulez-vous là, beuvonselprestez-nous vos deux aureilles. L'au-
dienec est ouverte.
Là-dessus l'Iioste s'assit, non saiisse verseraniplcniciit à boire.
— A luov! (lit rAnj^cviu. ie coinnicnce.
« Kii nostre ducliié d'Aniou, les i^cns de la cani])aii;iie soui
trez lidelles servateui's de uoslre saincte reliyiou catliolicijue, i-l.
pas uii;i lie ipiitlcroyl sa pari du paradiz, laiilte Ao l'aire péni-
tence ou de tuer unii luMclicipie. l'ji da ! si 111154 ministre des lil't're-
lollres |)assovt parla, tosl il seroylniis en pré, sans seavoir d'oii
luv toniberoytla iiiale mort. DoiUMpu^s, unji bon liomnie delarzé,
revenant uii;i; soir de dire ses ves|)res en vuydant le piot à la
Pomiiie-de-l*in, on il avoyt laisse" son enleiidoir(> et sapience
niémorialc, tomba dedans la rigole d'eaiie de sa mare, euvdaiil
cstre en s(»ii lict. ling sien voisin, ipii lia nom (Jodenot, l'advisanL
desia ju'ins dans la gclt'c.veii ipi'il s'en allo\ t de l'Iivver. Iii\ dit
eu gaussant :
« — Hé! ipi'allendcz-voiis doncipics là?
« — Le desi^el, i'eil le Imii vvidiiNc. se vovaill empescbi' parla
glace.
« Lors Godenot, en bon ebrestien. le désencanclie de sa mor-
taise elluy ouvre l'imysclu logiz, |»arliaiilt respect du vin, (pTu'sl
seigneur de ce pays. Le bonlioiimie vint lors se concilier en
plein lict de sa servante, la(|iielle e^l(i\l ienne et génie lillaude.
l'iiis, le vieiilx mauonvricr, l'orl de \iii, en besongna le cliauld
sillon, cindant eslre en sa l'einme. el la iiiercia du restant de
piicelaii^e ipi'il luv treiivo\l. Ores, eiilendanl son bnmiiie, la
rennne se mil à crier comme mille, cl par ces cris lioriilic(|ues,
le laboureur lent adveiiv ipie il 11 csloyl point dedans la v(»\e du
salut, ce dont jiaouvn! laboureiii' de se navrer plus i|u'on no
S(,aiiiii\l le dire.
Li:S TI'.OIS CLKUCS. 'il'll
„ — lia! l'cil-il. Dieu iii'li.i |iiiii\ (II' n'iivoir |iniiit (-sic à
vl's|>ivs en l'cccli^c.
(( Puis s'c\('us;i (le son iiiiriil\ ^\w le |ii(tl i|iii ;iV(nL Itroiiillc
la iiU'Mioii'o (le sa Itiaiiiicllc. il. m icvciiaiil an licl. ra;:(>ttovl à
sa hoimc iiicsiiaifiicir (|iic, |i()iir sa iiicillciiic vaclic ilvoiildroyt
n'avoir |K)iiil ce mcscliii'l' sur la coiisciriicc.
« — (1(! ji'csl l'icii !... (lisoyt à son honnncla Irniinc, à ipii la
lille avant l'cspondu (juc ollc i('>\(i\l de son aiiianl. la baltoyt un^
pcMiiornie jxtnr hiv cnscii^ticr à ne |i(iint dorniir si l'orl. Mais le
chicr honniic. vcii ri'noiiinh'' du cas, se laniciiloxl dessus son
grabat et jdoinoxt des laiiiics de vin par ciaintc de Ilicii.
— « ^loH niiiiMoii, Iril-clle. (Irez ileniani \a en eonlessMui. it
n"on parlons plus.
(( Le lion lionnne trolU' an coni'essionnal et raconte en tonte
liuniilité son cas an recteur de la paroësso, lo(juel estoyl iing
lion vieulx prehstre capable d'ostre là-liaull la |)antopble di' Dieu.
(1 — Krreur n'est |)as compte, l'eil-il à son pénitent : vous
iensnere/ demain, et vous absous.
Il — leusner ! avecfpies plaisir ! dit le bon bomme. (la n'eni-
pescbe poMil de bone.
« — Ho ! respondit le cur(', vous boirez de l'eane, puis ne
mangerez rien anitre cliouse. sinoit nng ipiarteron de pain et
une ponnne.
(( Lors le bon lionnne.ipii n"av(t\t nulle liance en son enten-
dement, reviiil. n'iK'Ianl à part soy la pénitence ordonnée. Mais,
avant lovab'uient connnencé ])ar ung (piarteron de pain et une
pomme, il arriva cbez luy, disant : l ng (piarleion de pommes
et ung |>ain.
(( l'uis, poiu' se blancbir l'ame.se mil en debvoir d'accom[dir
son ieusne, el sa bonne mesuaii^iere luy ayanl tirt' ung pain d(!
la mettt' et (b'scrocbé les jtoimnesdu |)lancliier, il ioua tri'znié-
lancliolic(piemenl de res[)ée (b' (laïn. (lonune il t'aisoyt mig sos-
pir en arrivant an darrenier bonssin de pain, ne saebant où le
mettre, veu (pi'il eu avoyl ius(pies eu bi l'osselle du col. sa lennne
luy remonstra (|ue Kini ne \onlo\l [loint hi niml tlii pt'clieur,
et (pu), l'aulle de meltre uug rusieau de pain de moins en sa
panse, il ueluv si'ro\t poiid reprouclK- d'avoir mis uug petit son
cbousi' au verd.
« — Tais-lov, femme ! dit-il. (Juand iedebvroys crever, faut
(pie ie leusue. •<
20
^250 CONTES liUOL.VTKjlKS.
— l'ay payi" iiionoscot. A loy, vicoiiifc... adiouxla l'Angevin
on rcsguartlant lo Picard d'un air narcjuois.
— Los pots sont vuydcs, dit l'hosto. Holà! du vin...
— Bouvons ! s'osoria lo Picard. Los lollros niouilloos coulent
niioulx.
Là-dossus, il lanii)n son vorro ploin,sans y laisser une crotlc
do vin, et, après une belle petite tousserie de prosneur, dit cccy :
« Ores, vous sçavez que nos petites garses de Picardie, premier
que de se niellre en mesnaigo, ont accoustumé de gaignor sai-
gement leurs cottes, vaisselle, halnits. briof, tous ustensiles de
niariaigo. Et, pour co l'aire, vont on maison à Poronno, Abbovillo,
Amiens et aultros villes, où sont cliandjoriores, fouettent les
verres, torchent lesplats, ployent le linge, portent lo disnorol tout
co qu'elles })ouvent porter. Puis, sont tost espousocs dos (pio elles
scavcnt faire quohpio cliouse, outre co qu'elles apportent à leurs
niarys. Ce sont les nieillouros mesnaigleres du monde, ])Our co
que elles cognoissont le service, et tout troz bien. Une doAzon-
ville, qui est le pays dont ie suis seigneur par héritaige, ayant
ouy j)arler do Paris, où les gens ne se baissoyent point pouria-
masser six blancs, et où l'on se subslanloyt pour ung iour à
j)asser devant les rostissoui's, rien (pi'à bnmer l'aor, tant grais-
seux il cstoyt, s'ingénia d'y aller, espérant rapporter la valeur
d'un tronc d'ecclise. Elle marche à grant renfort de pieds, ar-
rive de sa personne, munie d'ung panier plein de vuydo. Là,
tond)e à la porte Sainct-Donys. on ung tas do bon souldards
plantez pour ung tonijjs en vedette, à cause des troubles, veu
(juo iceulx do la religion i'aisoyontinino do s'envoler à leurs pres-
clics. Le sergent, voyant venir coste danre'e coëffée, boute son
feutre sur lecosté,en secoue la plume, retrousse sa moustarhe,
haidsc la voix, affaroucho son œil, se mot la main sur la han-
che, et arrosto la Picarde, comme piMir veoir si elle est deiiiiieiit
percée, veu (pi'il est delTeiidu aux lilles d'ontroi' aulliemenl à
P.iris. Puis liiv (IciiKiiKJe, |)()iir raiic le plaisiiiil, mais de mine
giiel'vo, on (piel peiisier vieiil-elle, ciiydaut (pie elle voulovt
projidro d'assanlt les clefs dc^ Paris. A cpioy la naïfvc garse res-
pondit que elle v chorclioyt une bonne condition on la(piolIo
flic pust servir, et n'auroyl cure d'aulcun mal, jiourvi'u iprolle
gaignast cpichpie chousc.
" — Hieii vous en |U'ind, ma connnère,dil le raillard ; iesuis
Picard, cl vais noms faire entier ic\, où vous serez Iraicloecojniuc
LKS TIIOIS CLKHCS, iJÔI
uno rovno voiidiovl l'rslrc souvent, cl vous y gai^iioi-cz do
bonnes clionses.
« Lors il la mène au corps do garde, où il liiy diet de lialyer
les j)laneliicrs, bien escumer le pot, attiser le l'eu et veigler à
tout, adiouxtant que elle auroyt trente sols parisis par ungebas-
cun liommc, si leur service luv plaisoyt. Ores, veu que l'escouade
cstoyt là [)0ur ung mois, elle gaigneroyl bien dix escuz, puis à
leur départie trouveroyt les nouveaux venus, qui s'arrangeroyent
trez l'ort d'elle, et à ceste lionneste mestier emporteroyt l'orce
deniers et prcsensde Paris en son pays. La bonne fille de rendre
la cbainlire nette, de tout nettover, de si bienaj)prester le repas
et tout, cbantant, rossignolaiit, que, ce iour, les bons souldards
Ireuvèreut à leur taudis la mine d'ung rél'ectouèrc de b('n('dic-
tins. Aussy, tous contens, donnèrent-ils chascun ung sol à leur
bonne chamberière. Puis, bien repue, la coucbicrent au lict de
leur commandant, qui estoyt en ville cbez sa dame, et l'v dodi-
nèrentbicncoiigrucmentaveccjues mille gentillesses de souldards
pliilosoplics, idest, amoureux de ce (jui est saige. La voilà bien
atlilee en ses draj)S. Ores pour éviter les noises et querelles, nu's
gaule-bon-temps tirèrent au sort le tour de cbascun ; puis, se
mirentà la rengette, allant liez bien à la Picarde, tous cbaulds,
ne souillant mot, bons souldards, ung chascun en prenant au
moins pour six-vingts sols lournoys. Kncores (|ue ce l'eust service
ung peu durtiont elle n'avoyt coustume,lapaouvre fille s'v em-
ploya de son mieulx, et, par ainsy, ne ferma point l'œil ni i irn de
toute la nuict. Au matin, voyant les souldards bien endormis, elle
leva le pied, heureuse de n'avoir aulcune escorcheure au ventre
après avoir porté si lourde charge, et, quoique légierement fati-
guée, gaigna le large à travers clunnpsavecques ses trente sols.
Lors sur la route de Picardie, veoit une de ses amyes qui, à son
imitation, vouloyt taster du service de Paris, et venovt toute
alïriob'e, la(|uclle l'arreste et l'interrogue sur les conditions.
(1 — Ah! l'errine, n'y va pas; il y l'auldroyt ung c.l de 1er;
encores l'usercyt-on bientost, » luy dit-elle.
— A toy, grosse panse de Bourgogne, feit-il en rabattant
l'aposteume naturel de son voisin, par une la|>e de siMgent.
Crache ton conte, ou ])aye!...
— Parla royne des andouilles! respondil le liourguignoii,
j>ar ma ley ! par le morbey ! jtar Dieu ! jiar diable! ie ne sçavs
2.V2 COMF.S nnOLATIOITS.
que ili's liisidiivs de la couil do Ilniiriiopio. lrs(|ii('ll(s n'ont
cours qu'avt'C(|ii('s noslio nionnoyo...
— Kli! vontro dieu! soiniuos-noiis pas on la tcnc de lU-auf-
froniont? s'oscriu l'aultrc, nionstranl les j»ots vuvdcz.
(1 — II' vous diray doncques une adventure Men cogncuc à
niion. Iar|in>||e osl advenue au temps oîi i'v eoniinandovs, el lia
dru c-^lic mise |);ir csiript. Il y avo\l nn<; serficnl, de iiisliee
miiiiiiir I raur-Taiipiii, lequel est(i\l imi; \ienl\ sac à uiaidvai-
LKS TIIOIS CLE P, es. iJ")
sotoz, lonsionrs jj^ron fanant, tousioiiis l»;iltant, faisant à tout iino
niino (le vcrfilas, ne n'Cfdiloitaiit iainais par quelques j;au(liiollcs
cciilx (|u'il nienoyl pcndie, et, pourcstre brief, homme à treuvcr
(les poux en teste elianlvc et des toils à Dieu. Ce dict Taupin,
rebuté de tout poinct, s'encliaijica d'une femme, et, par gianl
Iiazar(l,il Iiiv (>n escliciil une doulee comnie pelure d'oif^inon, la-
quelle, voyant la defl'ectueuse complexion de son mary, se donna
plus de poine pour luy cuire de la ioyc au lof^iz qu'une aultre n'en
eust prins à l'encorner. Mais, encnres qu'elle se complust à luy
obéir en toutes cbouscs, et pouravoir l;i paix eust tasclié de luy
fiantei' de l'or, si Dieu l'eust voulu, ce maulvais bonnne reclii-
gnoyt i)erpéluellement, et n'espargnoyt pas })lus les coups à sa
femme qu'ung débiteur les promesses aux recors. Ce traiclement
ineonminde continuant niaulgré les soings et travail angélicque
(le la paouvre femme, elle l'eut contraincte, ne s'y accoustumant
])oint, à en référer à ses parens, lesipu^ls intervindrent à la
maison. Lors, eulx venus, leur feust par le mary dédain- (pie sa
mesnaigiere estoyt despourvue de sens, qu'il n'en recevoyt que
des desplaisirs, et que elle luy rendoyt la vie trez dure à passer :
tantost le resveigloyt dans son premier somme ; tantostne venoyt
point ouvrir la porte, et le laissoyt à la bruine ou à la gebr ; jiuis,
que iamais rien n'estoyt à prouj)os céans. Ses agrapbes man-
quoyent de boutons, cl ses aiguillettes de lerrets. Le linge se
cliamoussoyt, le vin se pic(pi()yt,le bois suoyt, le lietcrioyt tous-
iours intempestivement. Drief, tout estoyt mal. A ce dévoyement
(le faulses paroles, la fcnnne respondit en monstrant les bardes
et tout en bon cslaf de r('|)aralions localives. IjOrs le sergent dit
que il estoyt trez mal traicté; ne trouvoyt iamais sondisnerap-
presté, ou que, s'ill'estoyt, le bouillon n'avoyt point d'yenlx,ou
la souj)e estoyt froide; il failloyt du vin ou des verres à table; la
viande estoyt nue, sans saulce ni |)ersil ; la mouslarde estoyt
t()urn('(! ; il rencontroyt des cbeveulx sur le rost,oules nap|)cs
sentoyent le vieulx et luy ostoyent l'appétit; enfin de tout, elle
ne luy donnoyt iamais rien qui feust à son goust. La femme,
estonn('e, se contenloyt de nier le plus bonnestement que faire
se pouvoyt ces estranges griefs à elle inq)utez. — Ha ! feit-il, tu
dis non, robbc pleine de crotte! Kli bien, venez disner céans
vous-mesmes au iour d'bui, vous serez tesmoingsdcsesdespor-
lemens. Et, si elle j)eut me servir une foys selon mon vouloir,
iaurav tort en tout ce que i'avadvancé, ne leverayplus la main
20.
iî.-.i r.OMES DROLATIOIKS.
sur cllo, ains lui lairray ma liallcbarde, les braguettes, et luy
(|nittoray le commandoment icy.
• — Oh bien, dit-oilo toute gave, ie seray doncques dcsor-
uiais daiue et niaislresse.
K Lors lo niary, se liant on la nature ot les imperfections delà
l'emnie, voulut que le disner feust appresté sous la treilk\dans sa
court, pensant à crier après elle, si elle tardoyten trottant de la
table à la crédence. La bonne mesnaigiere s'employa de tous crins
à bien faire son office. Et si donna-t-elle des plats nets à s'y
mirer, delà moustarde frcsohe et du bnii faiseur, ung disner bien
eoncoctionni'. cliauld à eniporfer la gueule, appétissant comme
ungfruict desrobbé, les verres
\ ^ ~^^|- bienfringuez,levinrafrescby,
\Xur^^^ jfy''^!s^ >"^^^A ~ f t tout si bien, si blanc, si re-
luysant, (pu? son repas eust
fait honneur à la Margot d'ung
évcsque. Mais au moment où
elle se pourleschioyt devant sa table, en y gectant l'œillade su-
perflue que les bonnes mesnaigieres ayment adonner à tout, son
mary vient à heurtei- la j)orte. Lors, une inauldicte poule, qui avoyt
eu l'engin de monter sur letreillizpour se saouler de raizins, laissa
cheoir une anqile ordeure au plus bel endroict de la nappe. La
paouvre femme faillit à tomber quasi morte, tant grant feut son
désespoir, et ne sceut aultrement remédier à l'intenqiérance de
la pdule qu'en en couvrant le eas incongreu d'une assiette où elle
mil des fruicts qui se trouvoyent en trop dedans sa poche,
n'ayant plus aulcun soucy de la symétrie. Puis, à ccstc fin que
nul ne s'aperceust de la chouse, apporta promptement le potaige,
feit seoir ung chascun en son banc et les convia gayement tous
à se rigoller.
« Ores, tous voyant ceste belle ordonnance de l)onnes platées,
se rescrièrent, moins le diable de mary, lequel restoyt sombre,
refrongnoyt, iouoyt des sourcils, gronnneloyt, reguardoyt tout,
cherchant ung festu à veoir pour en assommer sa fennne. Lors,
elle se i)rint à luy dire, bien heureuse de pouvoir l'aguasser à
l'abry de ses |)r()nches : — Y(»ilà vosire repas bien chauld,
bien dresse', le lingi' bien blanc, les salièiTs pleines, les grcz
bini lifts, If vin liiiis, le pain Awv. Que manquc-t-ii ? (Jue
cpif lez-voiis 7 Que V(julcz-V(ius? Que vous faiit-ir.'
<( — I)u brun! dil-il par haulle clidlfif.
LES TROTS r.LERCS. 2:.:.
(( La mosnaigioro doscouvro vilciiioiil r;issicltf ot rospond :
« — Mon aiiiy, en voilà !
« Ce que voyant, le sergent (lemoiii;i i|iiiii;iiiliK |iriis:iiil (|ii('
le diable estoyt passe' du costé de su rcnniic Là-dessus il Icul
griefvement roproucli{' par les parens, qui luy donnèicnt tort,
luy eliantèreul mille pouilles, et luv dirent plus do gognes eu
une aulne de tcnqjs (ju'uiig gi-fllier ne l'aiet dCseriplures en sou
mois. Depuis ce iour le sergent vesquit Irez bien en paix avec-
ques sa femme, laquelle, à la moindre équivorque frousseure de
soureils, luy disoyt :
(( — Veux-tu du bran?... »
— Qui ha faict le pire! s'escria l'Angevin en frappant ung
petit coup de bourreau sur l'espaule de l'hoste.
— C'est luy! c'est luy ! dirent les deux aullres. Kt lors eom-
menccrent à disputer comme de beaulx l'ères en ung concile,
cbercbèientà s'eulrcbaltrr, à se gecter les pots à la teste, se lever,
et, par ung bazard de bataille, courir et gaigner les champs.
— le vais vous accorder ! s'escria l'hoste, voyant ()ue là où
il avoyt eu trois débiteurs de bonne voulenté, maintenant aulcun
ne pensoyt au vray compte.
Ils s'arrestèreut espouvantez.
— le vais vous en faire ung meilleur; par aiusy, vous me
donnerez dix sols par chaque panse.
— Eseoutons l'hoste! feit l'Angevin.
« Il y avoyt dans nostre faulxbourgdc Nosfre-Danu'-la-liiclie,
'27>G CONÏKS DltOI. MIOIKS.
(liupicl (lospond cisto lioslellciio, une licllc llllo (iiii, oultro sos
îulvaiiliiiiics (If iialiiiv. avoyl iiiic lioiiiic clKiiiic dtsciiz. Doiic-
(juos, aussilosi i|iii' elle l'eut l'iiaiigc ol loicc (l('|)(>rtc'r lo faixdii
mariaifio. oUo cul aiilaiit d'aïuaiis quil v a de sols au tronc de
Saim-t-Gaticii lo i(»ui' de Pas(|ui's. Geste lille on oslout ung qui,
sauf voslre resjurl, jxiuvovt laire de la liesoiifiue le iour et la
nuict autant (jue deux nioynes. Aussi l'euienl-ils Itientost accor-
dez et le mariaijic en bon train. Mais le i)()idieur de la ]>reniièrc
nuiclt'c ne s"a|)|)rouclioyl point sans causer une légiere appré-
iiensiiMi à laccordée, veu (pu' elle estoyt suliiecte, par infiriuilé
de ses conduicts soulilei'rains. à excoi^iler (K's vapeurs (pii se
résolvovent en manière de l)ond»e.
(( Ores, redoublant de lascliiei" la Iiride à ses folles ventositez,
pendant (pie elle })enseroyl à aullre chouse. en ceste première
nuict . elle lina par advouer son cas à sa mère, dont elle invocqua
l'assistance. Lors la bonne dame Inydc'clara (pu- ceste propriél(;
d'engendrer le vent estoyt en elle ung laMilaige de famille, et
que elle avovt estt' fort enqiescb('e en son temps; mais que, sur
le tard de la vie. Dieu liiy avoyt faict la graace de serrer sa
cropière, et (pic depuis sept ans ell(> n'avoyt rien évapon», sauf
une daircnièrc foys (lù, par fasson dadieu, elle avoyl notable-
ment csvent(' son desfuncl marv. — Mais, dit-elle à sa lille,
i'avovs une seure recepte, (\\u' mo b'gua ma bonne mèic, pcun'
amener à lien ces paroles de sur(»lus et les exhaler sans bruit.
Ores, veu (pie ces souilles n'ont point odeurs maulvaises, le
scandale est |):iifaiclement (^il(\Pour ce, donc(pies, besoing est
de laisser miioter la substance venteuse et la retenir à l'issue
du pertuvs, |iuis de poulser feiine : aloi's l'aër, s'estant amc^-
nnis(', coule connue ung sou|)(,on. Kt, en noslre famille, cecy
s'appelle estrangler les |»cts.
(( |ja lille, bien conlciilcdc sçavoir estrangler les pets, mercia
sa mère, danca de la bitunc fasson, tassant ses (latuositc/ au
fond de son luvau c(inmie mi sfuifllcm' d'orgue attendant le pre-
mier '.'oup de la messe, l'uis, \cuuc eu la cbanduc nuptiale,
elle se di'iibi'ra (l'ex|Mdsei' huit eu montant au lict ; mais le fan-
las(|ue éb-ment s'esloyt si bien cmct,(prii ne voulut point yssir.
Le marv vint ; ie vous laisse à penser connue ils s'escrimèrent
à la i(die bataille oii avecipus deux cIkmiscs on en faict mille,
si l'on peut. Au mitani de la iinicl, respous(r se leva, soul>/
ung |ietil prétexte menteur, piii^ icvint \itcnieul; mais, en
ij'S TiiOls (;lf.iu:s. 5.-7
oniaiiiliant à sa plaoc, son |icrluys ayant eu alors fantaisie d'cs-
tornuor, fcit une telle dcscliai'gc de (•(niieviiiie, que vous eussiez
creii comnio inoy que les lideaulx se desciiiioyeiit.
« — Ha ! i'ay inan(|ut' mon coup ! l'eit-elle.
(( — Indien ! lui dis-jc, ma myc, alors e.spargnoz-les. Vous
guignerez vostre vie à l'armée avee([uos reste artillerie.
« (Teslovl ma l'enmio. »
— Ho! Iio ! ho! l'eiront les olercs.
Et ils se rcspandiront en éclats, se tenant les costcs, louant
l'hoste.
— As-tu, vieomto, enlendii meilleur eontc?
— Ha ! (juel conte !
— C'est nng conte !
— C'est ung maistre conte !
— Le roy des contes !
— Ha! ha! il estrippe tous les contes! et il n'y ha di'sor-
mais contes que contes (riiostellerie !
— Foy de chrestien ! vi'-cv le meilleur conte que i'aye ony de
ma vie.
— Moy, i'enletids le pet.
— Moy, i(> vouldiovs haiser l'orchestre.
— Ha ! monsieur l'hoste, dit gravement l'Angevin, nous ne
seaurions sortir de h'ans sans avoir veu l'hostesse ; et, si nous ne
demandons pas à haiseï' son instrument, c'est par grant respect
|iour ung si hon conteur.
Là-dessus tous exaltèrent si liien l'hoste, son conte et le chonse
de sa femme, (pie le vieulx rostissem, avant liance en ces rires
naïfs et ponqieux éloges, huchia sa fennne. Mais, elle ne venant
point, les clercs dirent, non sans intention fruslialoire : —
Allons la veoir.
Donc(pies tous sortirent de la salle. Puis l'hoste piint la chan-
delle, monta, premier, par les degrez, pour leur monstrer le
ch(Miiin en les esclairanl ; mais, voyant la porte de la rue eii-
Irehayée, ]eschic(pianiers s'c'vadèreut, légiers connue des uud)res.
laissant à l'hoste licence de prendre pour solde ung aullre pet
de sa femme.
LE TEÏSNE DE FRANCOYS PlRKMIER
Uiiff cliascnn srayl |iar (|uclli' advoiUun' le l{oy Fi'ancoys pro-
micr (lu nom, fciit prinscommo ungoyseau niais et mené dedans
la ville de Madrid on lI('is])aifino. Là,
rciiipciciir (lliailcs oinquiesnic le sona
Irez estroicleniont, ainsi (jiie cliouse
d'ung liault |)iix,ennng sien cliasteau,
ec dont nostre delfunct maistie, d'é-
leine niénioii'e, conceiit ItoancoujMren-
nuy, veu (jn'ay niant le graiil ai'r, ses
aises et loiil, il ne s'enleiidovt pas |)liis
à deniouier en eaige qu'une elialle à
renger des dentelles. Aussy toniha-t-il
en des tristilioations si eslranges, (|ue,
ses lettres leues en ])lein eonseil, ma-
nière ; madame (latlieiine, la Daul-
jtliine ; le caidinal Ihiprat, monsieur de Montmorency et eeulx
<pii avovrnt en charge l'KsIat de Iraiic'. cognoissant tous la
dame d'Ariiioulesme
LK IKISNK IIK FHVNrOYS l'HKMIKIl. 'Jô'.i
liaullo piiillanlisc du Uox , Ifurciil, d'advis, a|)n's niouic di'li-
hôralion, de Iny (h'jditcr la Itoyiu' Mar^iiciitc, do lai[nclle il
l'occvrovt si'iiiciiKMil, all('j;oaiico eu ses soiilcys, la hoimc dame
estant bien ayiiKH'dc liiy, ioyculsocit docte en toute sapk'iicc. Mais,
elle, alléguant qu'il s'en alloyt de son ame, pour ce ({u'elle ne
sçauroyt sans grant dangier cstre seule avecques le Roy en sa
geôle, il l'eut despesclié devers la Court de Rome ung secrétaire
liahile, le sieur de Kizes,avec(jues mandat d'impi'trer du Poiilil'e
ung hrief d'esix-eiales indulgences, contenant valaldes absolu-
tions des légiers péchez que, veu la consanguinité, pourroyt l'aire
ladicte Royne en veue de guarrir la niélancbolie du Roy.
En ce temps, le Ratave Hadrien VII cbaussoyt encores la tiare,
le(|U(d, bon compagnon au (l(Mnourant, ne mit |)oint en ou1)ly,
maulgn- les lieus scliolastie(|ues (|iii l'unissoyent à l'Knqteifur,
que il s'agissovt du fils aisné de l'Ecclise catliolicque, et eut la
guallantise d'envoyer en llespaigne ung exprès légat juuny de
pleins pouvoirs àceste lin d'adviserà saulver, sans trop nuyre à
l)ieu, l'ame de la Royne et le corps du Roy. Teste affaire de
griefve urgence mit mailel en teste aux seigneurs de la Court et
desmangeaison entre les pieds des daiws, lescpielles, par grant
dévouement envers la couronne, se l'eussent j)res(|ue toutes offertes
d'aller à Madrid, n'estoyt la noire deftiance de (Charles-Quint, qui
ne laissovt point au Roy licence de veoir aulcunsde ses subiecls
ni mesmes les gens de sa famille. Aussy feut-il besoingde négo-
cier le départ de la Royne de Navarre. Doncques. il n'estoyt
bruit ({ue de ce ieusne desplouiable et du deffault d'exercice
amoureux si contraire à ung prince qui en estoyt si grant cous-
tumier. Rriel", de ])laincte en querimouie, les femmes fiiièrent
par j)lus pensera la braguette du Roy (pi'à luy-mesme. La Royne
l'eut première à dire (pie elle soubbaitoyt avoir des aësles. A ce
respondit Monseigneur Udet de Chastillon ([ucelle n'avoyt point
besoing de ce pour estreung ange. Une, ce l'eut madame l'Anii-
rale, s'en prenovt à Dieu de ne pouvoir envoyer en courrier ce
qui deffaillovt tant au paouvre siic, veu que cbascune d'elles
le presleroyt à son tour.
— Rien ha bien l'aict de les clouer, s'escria genlemenl la
Raulpbine, car nos marys nous lairroycnt, en leurs absences,
bien traislreusement despourveues.
Tant l'eut dicl, tant l'eut |)eiis(', (pie la Royne des Marguerites
l'eut, à sa dépari ie, encliargiée par ces bonnes clirestiennes de
240
CONTKS llUt)L VllOlKS.
hion baispi" lo caplit poui' toutes les dames du loyaulnic; et, s'il
leur cust esté lovsdtlc de l'aire |trovisioii (k' liesse comme do
moustarde, la Royne en eust esté eueonilirée à on vendre aux
deux Castilles.
Ce pendant ijuc madame Mar£;ueiile passoyt les monts, mani-
éré les neiges, à giant renfort de nndes, courant à ci's consola-
tions connnc au ieu, le Hoy se Irouvoyt airivé à la plus ardue
pesanteur de reins où il devoyt oslre en sa vie. Dans ceste ex-
tresme réverbération de nature, il s'ouvrit à lempereur Charles-
Quint, à ceste lin d'estre pourveu d'ungmiséricordieux spécilicque,
luv ohieclant ipie ce seroyt honte esternelle à ung Hoy d'en laisser
mourir ung aullre, l'aidtede guallanterie. Le Castillan se monstra
bon homme. Ures, pensant que il pourroyt se lecupéier de ses
ilespaignoles surla ransson de son hoste, il arraisonna brouilli-
lic(|uement les gens connnisà la guarde de son prisomiier, leur
hailianl licenci' occulte de luv complaire en cela. Donciiues, ung
certain don Iliius di' l.ara y Lopez Hara di Ponto, j)aouvre ca|ii-
taine, desnué d'escuz maulgré sa généalo-
t:i('. et qui songioyt dej)uis ung temps à que-
rii lin lime en la (iourt de France, cuyda
([n'en procurant au dict seigneur ung doux
cataplasme de chair vii'veil souvriroyt uni'
pdilc honnestement l'éconde, et, de l'aict,
ceux cpii cognoissoient et la Court et le bon
Uoy sçavent s'il se trompoyt.
(Jnaiid le dessus dict capitaine vint à son tour de roole en la
(•|iand)re du llov de France, il luy demanda respectueusement si
son bon plaisir cstovt de luy permettre une interrogation dont il
estovt cuiieux autant ijuc d'indulgences papales. A (|Uoy le prince,
(piitlant sa mine hypocondriaequeet se mouvant en la chaire où
il estovt sis, l'eit signe de consentement. Leca|)itaine luy dit de ne
point s'olfenserde la licence de son languaige; puis, luy advouant
(ju'ilavovt renom d'estre, luy Hoy, ung des plus gratis paillards
de France, il voulovl scavoii- de luy-mesme si les dames de sa
Court eslovent bien cxpi i les en annim'. I.e |ia(iuvre Hoy, se ra-
mentevant ses Ikuis coups, jascha ung s()s|(ir tiré- de creux et dit
milles i'ennnes d'aidcuns pays, y com|)ris celles de la lune, ne
co"unislr(' mienix ipie les dames de France les secrets de celte
alqué'mie, et (pie, au soiilnciiir des savoureuses, gracieuses et
vi"ourcuscs mignardises d'une seule, il se seiiidvt lidmiiir. sj elle
LK ii:i;sM' m: fiiancovs I'Iu;.mii-:ii.
'2\\
luv cstoyt lors ofTcitc, ;'i la Ifrici" avcc(jiK's lai^o, mii- uii;^ aiz
pouiTV, à cent iiicds au-dossus d'ung précipice...
En ce disant, ce bon Roy, ribanld si iamais il en l'eut, ^'ectoyt
la vie et la Ihunine par les yenix, si drnenieiit, (jue le capitaine,
(pioiipie brave, en sentit des tresnioiisseniens intimes dedans sa
fressure, taid lland)a la trez sacrt'e niaiesh' de l'anionr royal. Mais,
retreuvant son eouraiye, il print la dcITcnse des dames licspai-
gnoles, se iactanttpie, en Castille seuieincnt. rai>o\t-(jn bien l'a-
mour, pour ce (ju'il y avoyt |)lus de icli^^ion (pi'en aulcim lieu de
la cbreslieulé, et (pie, tant |)his les l'eunnes y avoyent paour de
se danmer en sadonnanl à uiif; anianf, tant mieux elles y
albtvent, saicliant que elles debvovent prendre plaisir en laeliouse
pour toute l'éternité. l'iiis il a(li((ii\la (pie, si le Seigneur Hoy
voul(i\lgaij;crunedesmeilleuresel pluspiouflictables seigneuries
teniennes de son royaulnu' de France, il luy donneroyt unt;
nuictée d'amour à l'Iiespaignole, en bKpudle une Uoyne lortuite
luy tireroyt l'ame par sa braguette, s'il n"v prenoyt guarde.
— Tosl, tost ! l'eit le Roy se levant de sa cliaire. le te bailleray,
de par Dieu, la terre de la Ville-aux-Dames, en ma j)rovince
de Touraiiu', avec(pu's les plus auij)les |)riviléges de cliasse et
de liaidte et basse instice.
Lois le capitaine, (pii cognoissovt la Donadii cardinal arclievcs-
(pie de Tolède, la iT(piit de rouer de tendresse le Roy de France,
et luv desmonstrer le bault advantaige des imaginations castil-
lanes sur le simple mouvement des Fiançoyses. A (pioy consen-
tit la maiïpieza d'Amaesguy pour l'Iiomteur de lllespaigne, et
aiissv pour le plaisir de s(av(tir de (pielle pasle |)ieu l'aisoyt les
rovs, veii (|iie elle i"ii;iioi'o\t, n'en estant encores qu'aux princes
(le rFccli>e. l)on(([ues, elle vint, fougueuse comme un lion qui
lia brisé sa caige, et l'eit cra(pier les os, la moelle du Roy et tout
si (liiieiiient,(prung aiillre eiiseroyt mort. Mais
le dessus dicl seigneur eslovl si liien gnarnv, si
bien airamé.si bien mordant, que il ne se sentit
poiiitmor(lre,el de ce duel liorri(ic(pie la mai-
(pu'za sortit (piinatilde.ciiMlaiil a\oir eu le dia-
ble ù confesser.
Le capitaine, coiiliaiit en sa ^uai>iie,s"eii vint
saluer son seigneur, pensant à luy faire lionnnaige de ce fief.
Lol.^ le Roy lui dit en mani(!'re de raillerie ipu' les Ijespaignoles
estovent d'assez bonne température, qu'elles vallovent druenient.
21
2lî2 CO.MKS DliUL.VTKjl KS.
mais fjuo ollos inclloyciil trop (1(> i)liii'iu'sio là oii hesding esloyt
(le gcntillosso. cl (ju'il ciiyc^»)! à cliiisiiuc gaiulissciiiMjuo ce leiist
ung cstcnuu'iuonl ou ung cas do viol, hricl', i\\w les accointances
i'rançoyscs y ranienoyent le beuveur plus altéré, no se lassant
iamais, et que avecques les dames de sa court rameur cstoyt
une doulceur sans pareille, et non labeur de inaistre mition en
son pestrin.
Le paouvre capitaine l'eut cslrangenient pic(iué de ce languaige.
Maulgré la belle Iby de gentilliomme dont le Iloy faisoyt estât, il
crut que le sire vouloyt le gaboler comme ung escbolier rol)bant
une Iranson d'amour en ung clappier de Paris. Néantmoins, ne
saichant. au deiuouraut, si la niarijueza navoyt jioint par trop
liespaignolé le Roy, il demanda revanebe au captif, luy baillant sa
parole que il auroyt, pour le seui', une vraye lée, et luy gaigne-
royt son fief. Le Roy cstoyt tro[) courtois et guallant chevalier
pour ne point octroyer ceste requeste, et adiouxta mesuics mie
gentille jiarole royale, en tesmoignant le dezir de pei'dre la ga-
geure. Doncques, aj)rès vespres. le guarde passa toute cliaulde, en
la cliand)re du Roy, la dame la plus blancbement reluysante, la
])lus iiiignonnemcnt folastre, à longs cbeveulx, à mains veloux-
l('es, eullant sa robbe au moindre geste, veu ipu' elle estovt ;:ra-
cieusement rel)ondie, ayant ime bouche lieuse et des yeulv hu-
mides j)ar advance, l'ennne à rendre l'enfer saige. et dont la prinu;
parole eut telle puissance chordiale, ipie la brayette du Roy en
cracqueta. Lendemain, alors que la belle fout évadée après le
désieuner du Roy. le bon caj)itaiue vint bien h('ureu\ et trium-
phant en la clnunbn».
A sa venue, le prisonnier de s'escrier :
— Raron de la Ville-aux-Dames, Dieu vous |irocure ioxcs
pareilles! l'aymc ma geolc! )»ar nostre Danu', ie ne veulx poinl
iuger entre l'amour de nos pays, mais paye la gageure.
— le le sçavoys bien ! dit le capitaine.
• — Lt coimuent? feit le Rov.
— Sire, c'est ma lennne.
Voilà l'origine des Larray de la Ville-aux-Dames en nostre ])ays,
veu que, par corruption de nom, celui de Lara y Lopez fina par
se dire Larray. (le l'eut une bonne famille, bien alïeclicnuKr au
service des Ro\s de France, et qui ha moult fravi'. Ilienlost la
Royne de Navarre, vint à tenq»s pour Ir |{o\, qui, se de^gouslant
de la manii'-K^ hespaiguole, \(iulo\t se i^andir à la IraMcoise ; mai<
^ff7Ti::fiiiijr'::JiAii|ili|],lii:|illi|:.;«I:ii,:iil,ir' V ■;.'" j::-T,j;jai|4i<ii||B|)i!;;L,:MLliiuiiim!f'
fV.;l^,,;^L::1:^!J!|iliwlll:ll:;kl'lM\,l!ll^^',,;;,,:l.i„■Ill ■vhlIiNim.LMiiJùjElim
Avecques les dames de s.i court l'nmour ostoyl une douiccur
>;ms pareille.
^2iï (.ONTF.S DROLVTlorES.
lo surplus u'ost |toiul lo sul>jorl de co ooufo. lo mo n'sorvo do diro
ailloui's c'oniuio s'y print lo lôgal pour cspougior los péchez do la
chouse, et le gentil mol de nostre Royne des Marguerites, laquelle
mérite une nielie de sainote on ces Dixains, elle tjui, première,
l'oit de si beaux oontos. Los moralités do oettuy sont de facile
entondomont.
En prime onsoignomont, los roys no doihvont |)()int se laisser
prendre en guerre plus que leur anliétypo au ion du sieur Pala-
niedes. Mais, do ce, il consto <pio co est une bien calamiteuso ol
borrificquo playe londjéo sur lo j)opulairo i\no la captivité do son
Roy. Si c'oust esté une rovno. ou mosinos une piincosso, cpiol pire
destin! Mais aussy ie cuydo que, voire chez los cannibales, la
chouse n'advindroyt point. Y ha-t-il iamais raison d'emprisonner
la fleur d'ung royaulme? le pense tro]) bonnes diableries de Asta-
rotb, Luciforol aullros. pour iniaginor que, oulx régnant, ils vou-
lussont mussor la ioio dr tous, la lumière bien i'aisanlo à (pioy
se cbaui'i'ont los paouvros sout'Irotoux. Et bosoing osloyt que lo
pire des diables, id est, une vieille meschante femme héréticque,
se rencontrast en ung throsno, pour détenir la iolio Mario d'Es-
cosse à la honte do tous los chovaliorsdo la chrestienté, lesquels
dobvroyont oslro advenus, tous sans assignation, aux pieds de
Fothoringay, n'en laissant aulcnno pierre.
^m"^
LES BONS PROIPOS
DES n F. I, 1 r, I E 1" S E S DE I' 0 I S S V
L'nhhavo (\o Poissv ha ost»' n'h'hrf'p pnr lo*; vipiilx autlionrs
coniino ung lion do liosso, on los dosporlomons dos nonnaini^.
prindrent conimoncement ot d'où tant de bonnes histoires pro-
cédèrent ponr approstor à riro anx laïoquos aux despons de
nostre saincfo religion. Aussv ha dessus (Hcto abbaye ost-olk^
dovonno niatièi'o à proverbes ipio aulcuns soavans ne compren-
nent phis de nos iours, quoi(|uo ils los vannent et concassent
de leur mieulx pour les digérer.
Si vous demandiez à ung d'eulx ce que sont les olives de
Poissy, gravement il respondroyt que ce est une périphrase on
l'endroict des trulTes, et (pie la manière de les accommoder, dont
on parloyt on se gaussant iadis de ces vertueuses lilles, dehvoyt
comporter une saulce espcrijile. Voilà comme ces plumigèros ren-
contrent vray une Ibys sur cent. Pour en revenir à ces bonnes
recluses, il ostoyt dict, on riant s'entend, que elles aymoyent
mieulx trouver une jiuto (|u'une l'emme de bien en leurs che-
mises. Aulcuns aullres raillards leur reprouchoyent d'imiter la
vie des sainctes à leur méthode, et disoyent-ils ([ue do la Marie
yEgyptiacque elles n'existimovont que sa fasson de payer les
bateliers. D'où la raillerie : Honorer les saincts à la mode de
21.
2ifi CONTES DROI.VTIornS.
Vûifisy. Il y lia cnoorcs le crucifix de Poissy. lequel tenoyt
c'haulil îi l'eslomach. Puis, les matines de Poissy, lesquelles
linovent par des enfans de chœur. Enfiu, dune brave gal-
loise bien entendue aux friandises de l'amour il estoyt diet : Ce
est une religieuse de Poissy. Ceste certaine ehouse (jue vous
sçavez et que l'Iionnue ne peut que prester, ee estoyt la clef de
l'abbaye de Poissy. Pour ee qui est du portail de la diète ab-
bavc, ung chascun le congnoyt de bon matin. Cettuy portail,
porte, buys, ouvrouere, baye, car tousiours reste entrebayé, est
plus facile à ouvrir (pi'à fermer, et eoustc moult en répara-
lions. Brief, il ne s'inventoyt pas, dans cettuy temps, une gen-
tillesse en amour, qu'elle ne vinst du bon couvent de Poissy.
Comptez qu'il y a beaucoup de menteries et d'emphases hyper-
bolic(pies dans ces proverbes, mocqueries, bourdes et eoq-à-
l'asne. Les nonnes dudicl Poissy estoyent de bonnes damol-
selles qui triclioyent bien, ores cy, ores là, Dieu au prouflicl du
diable, comme tant d'aultres, pour ce que nostre naturel est
fragile, et que, encores qu'elles feussent religieuses, elles avoyent
leurs imperfections. Kn elle force estoyt qu'il se rencontrast ung
endroict où l'estoffe jnanquoyt, et de là le niaulvais. Mais le
vray de cela est que ces maulvaisclez l'eurent le faict d'une
abbesse, laquelle eut quatorze enfans, tous vivans, veu (|u'ils
avoyent esté parfaits à loysir. Ores les amours phantasques
et les drôleries d'icelle, qui estoyt une fille de sang royal, mi-
rent à la mode le couvent de Poissy. Et lors il n'y eut histoire
plaisante advenue ez abbayes de France (pii ne fust vssue de
desmangeaisons de ces paouvres lilles, lesquelles auroyent bien
vouly y estre seulement pour la dixnie. Puis, l'abbaye feul r('-
formée, comme ung chascun sçayt, et l'on osta à ces sainctes
noimains le peu dlieur et de liberté dont elles iouissovent. En
ung vieulx cartulaiie de l'abbaye de Tui|ienay près CJiiuon, (pii,
par ces darreniers niaulvais lcm|ts. avoU trouvé azyle en la bi-
liliolhecque d'Azay, où bien Ir ifcciit 1(^ chastelain d'auiour-
d'huv, i'av renconti'é uw^ fiagnicnl soultz la rubrique de : les
Heures de Poissy, \n\\w\ ha (•vidcmmenl esté eomiiosé par ung
iovculz abbt- de Turpenay, j)our le divertissement de ses voisines
(ILssé, Azav, Mongauger, Saceliez.el aiillics lieux de ce j)avs. le
le donne soubz l'authorité du lidf. mais en raccommodant à ma
guvse, veu (pie i'ay esté conlraincl de le transvaser de latin en
IVaneo^s. le eommence. I)one(pies,à Poissy, les religieuses avoyent
LES RONS PROrPOS. 'JH
coiistumo, quand MjKlcinoisclIc, lillo du lioy, leur ahhfsso, os-
toyl, coucliiéc... (".(• Iciil clic (jui iioimiia faire la petite oie
s'en tenir en amour aux prcliniinaii'cs, j)rolc<^ï)nicncs, avaiit-
proupos, préfaces, protocolles, advertisscmens, notices, pro-
dromes, sommaires, prospectus, argumens, notes, prologues,
épigraphes, litres, faulx titres, titres courans, scliolics, re-
manpies marginales, rronlis|)ices, ojjservations, dorures sur
tranche, iolis signets, fcrmails, reigicts, roses, vignettes, culs-
dc-lampe, gravures, sans aulcunement ouvrir le livie ioyeulx,
pour lire, relire, estudier, appréliender et comprendre le con-
tenu. Et si rassemhia-t-clle en corps de doctrine toutes les me-
nues gaudisseries exlra-iudiciaires de ce beau languaige (pii pro-
cf'de bien des lèvres, mais ne laict aulcun bruit, et le practicqua
si saigement, qu'elle mourut vierge de lormes et point guastc'e.
Geste gaye science feut depuis grantement approi'undie par les
dames de la Court, lesquelles pienoyent des amans pour la jielile
oie, d'aultrcs pour l'hoimeur, et, parlbys aussy, aulcuns (pii
avovent sur elles droict de liaultc et basse iustice, estovent
maistres de tout, estât que beaucoup iiréi'èrent. le reprends.
Quand doncques ceste vertueuse princesse estoyt nue entre ses
draps sans avoir honte de rien, lesdictes filles, celles qui avovent
le menton sans rides cl le cueur gay, sortoyent à petits bruits de
leurs cellules et venoyent se musscr en celle d'une de Icuis
sœurs, laquelle estoyt fort affectionnée de toutes. Là, elles fai-
soyent de bonnes causettes entremcslées de confictures, dragi'cs,
beuvciics, noises de ieunes fdles, housj)illant les vieilles, les
conirelaisant en cingeries, s'en nioc(piant avcc(pu's imiocence,
disant des contes à |)l()urcr de rire, cl iouant à mille icux. Tantost
elles mesuroyent leurs j)ieds, cho'cbant les plus mignons; com-
paidvcnl les blanches rondeurs de leurs Inas; vérifiovent quel
nez avovt l'inlirmité de rougir après souper; conq)loyent leurs
grains de rousseur; se disoyent oti cstoycnt situez leurs signes;
eslimoycnl (pii avoyt le faincl pins net, les plus iolies coulcni's,
la tailk' plus belle. Faictes estai (|iic. parmy ces tailles appartenant
à Dieu, s'en rencontroyeiil de liiics. de rondes, de plates, de
creusées, de bombées, de sou])Ics, de gresles, de toutes sortes,
i'iiis elles se dispuloyent à qui falloyt moins d'estolïe pour la
ccini-lurc, et celle (|ui conqxirloyt le moins {l'enqjans estovt
conicnic sans scavoir pouripioy. Tanlosl se racontovent hnn's
resves cl ce cprcllcs y a\(i\('iil a|icrccii. Souvent une on deux.
218 rOMFS DROrvïiorKS.
aulcunos ibys (outos; avoyont soiiLiii' Iciiir l)i(^n foil Ips dois de
l'abbayo. Puis se oonsulloycnt jKiiir leurs petits inaulx. L'une
s'estoyt esoliaitl»' le doiijl; l'aultre avovt unir |taiiari/; eeste-ev
s'estoyt levée aveoques ung lilet de sang dedans le blanc de
l'œil ; ceste-là s'estoyt desmanchié l'index à dire son rosaire.
Toutes avoyent ung petit remuc-mesnaige.
— Ha vous avez nienty à nostre mère : vos ongles sont mar-
quez de blanc, disoyt l'une à sa voisine.
— Vous estes restée longtemps à confesse ce matin , ma
sœur, disoyt une aultre; vous aviez d(tiic(|ues bi(Mi des péchez
mignons à déclairer?
Puis, connue il n'y lia rien qui miciih (pi'uiie cballe ressemble
à ung chat, elles se preuoyenl en amitié, se querelloyent, se
boudoyent, disputoyent, saccordoyent. se recoiuilioveut. se
ialouzoyent, se pinçoyent pour rire, rioyeni {xinr se pincer, l'ai-
soyent des tours aux novices.
Puis souvent disoyent : — Si ung gendarme tomboyt icy par
ung temps (1(> ])luye. oîi donc le bouterions-nous?
— (liiez la suMir Ovide, sa cellub» est la plus grant : il pour-
royt y entrer avecques son penache.
— Qu'est-ce à dire? s'escria la soeur Ovide; nos cellules sont-
elles pas toutes pareilles?
Sur ce, mes filles de rire comme des figues mêmes. Ung
soir, elles approuvisionnèrenl leur petit concile d'une idlie no-
vice qui avoyt dix-sept ans, paroissoyt innocente comme enfant
qui naist, auroyt eu le bon Dieu sans confession, laquelle avoyt
l'eaue en la bouche de ces sccrettcs causeries, petites beuvettes
et iousteries jiar lesquelles les ieunes nonnes adoulcissoyent la
sacro-saincte captivité de leurs coips, cl jtlouroyl-elle de n'y
estre point admise.
— Hé bien, lui dit la sœur Ovide, avez-vous bien dnrmy, ma
petite bichette?
— Oh! non, feit-elle, i'ay esté mordue ]>ar des puces.
— Ha ! vous avez des puces dans vostre cciluleV Mais il faut
vous en d('livrer siu-le-cliani|). Sçavez-vous coiiiiiieiit la lègle
de nostre Ordre eiiioint de les chasser |Mtiir ipic iamais une
.sœin- n'en revove la queue d'une peiidiiiit lnul le ti'iiips de .sa
vit! coiiveiiluell(!?
— Non. respondit i;i novice.
— Ojcs bien, ie v;iis Miiis renseigner. Voyez-vous des puces?
LES liONS l'nOII'OS.
5i0
A|ioiTOVoz-voiis vosli^cs (le |mic('s? Sciilcz-Vdiis odeur de |iii('fs?
V li;i-l-il îiiilciiiic a|)|);iicn((' de piicos on ma rclliilc? Clicirhf/.
— lo n'en trouve point, dit la jietite novice, qui esloyt inada-
nioisellc de Ficniies, el ne sens aultic odeur que la nosire!
— Faictes ce ([lU» ie vais vous dire, el ne serez plus mordue.
Si lost (|ne vous serez |)i('(|U('e, ma (il le, liesoinj^ est de vous
desponiller, de lever vostre chemise el ne point jx-clier en
l'es^uardant vosire coips partout. Vous ne dehvez vous occuper
que de la mauldicte puce en la cherchant aveccjues bonne l'oy,
sans faire aulcunc attention aux aultres chouses, ne |)ensant
qu'à la puce et à la |)rendre, ce tpii est desià une œuvre dii'li-
cile, veu que vous pouvez vous tronqx'r à de ])etites tacher
noires naturelles, venues en vosire peau par héritai^c. Kn avez-
Yous, ma mignonne?
— (lui, l'eit-elle. l'ai deux lentilles violelles, une à l'espaule
et l'aulti'e dans le dos, uni;' |)eu lias; mais elle est caclur dans
la raye...
— Comment l'avez-vous veue? deniaiula la sœm' l'erpetue.
— le n'en sçavoys rien : c'est monsieur de .Montrezor qui
riia descouverte.
— lia! ha! dirent les sœurs, et n'ha-t-il veu (|ue cela?
— Il ha veu tout, l'eit-elle. l'estoys hien petite. I.uv avovt
(|U('l(|ue clionse de plus (pie ueul' ans, et nous nous amusions
à iouer...
Lors, les relii;ieuses cuydant s'estre trop pi'ossées de rii-e, la
sœur Ovide repriul : — La dessus dicte j)uce ha doncques l)eau
sanlter de vos iambes à vos yeid.v, vouloir se musser dans les
creux, dans les ibresis, dans les l'ossez, aller à val, à mont, s'en-
tester à vous eschapper, la rèj^le de la maison ordonne de la jtour-
suivrecouraigieusementen disant desave. D'or-
dinaiie, au Iroisiesmeave, laheste est prinse...
— La puce? demanda la novice.
— Tousiours la puce! respartit s(eur Ovide;
mais, pour éviter les (lani;iers de cesie chasse,
besoingesl, en ([uelipie lien (pie vous mettiez le
doigt surla heste.de ne |)ren(lre(prelle... .Mors,
sansavoir aulcun esguard à ses cris, à sesplaiuc-
tes, à ses g('niissemens, à s(^s efforts, à ses lorlillemens. si, par ad-
venture, elle se n-volte. ce (|ui est ung cas assez frcMpienf , vous la
pressezsouhz vostre pou I ce. ou tout aulti'edoi^t de la main occiqx'e
250 CONTFS lUIOI. ATIUIKS.
à la tonir, puis, tlo l'aulliv main, vous cluTilioz uiio guimpo pour
bouder lesyoulxile l'cslopuciM'l rciuposrlR'idesaulU'r, vcu (pic la
bosic, u'y voyant plus clair, ne sçayloîi aller. Cependant, comme
elle pdurroyt oncoros vous mordre et seroyt on cas de devenir en-
raig(''(' de rbolère, vous luy eulrouvrez léiiicreuieut le bec et y met-
tez d(''lieal('Mi('iil yinii biin du buys benoisl ipii est au petit lieuois-
tier pendu à vostre elievet. Alors la puee est coiitraiiiete de rester
saige. Mais songez que la discipline de nostre Ordre ne nous oc-
troyé la j)ropriété d'auleune cliousc sur terre, et que ceste beste
ne seauroyt vous a])])arteiiir. Ores, il vous faut penser que ce est
une créature de Dieu, et tascber de la luy rendre plus agréable.
Doneques, avant toute eliouse, besoing est de véiifier trois cas
graves, à seavoir : si la puce est masle, si elle est femelle, si elle
est vierge. Prenez que elle soit vierge, ce qui est trez rare, veu
que ces bestes n'ont point de mœurs, sont toutes des galloises
trez lascives, et se domient au premier venu : vous saisissez ses
])attes de derrière en les tirant de dessoubz son pelit caparasson,
vous les liez avecques ung de vos clicveulx, et la portez à la su-
périeure, qui décide de son sort après avoir consulte' le Cliapitre.
Si ce est une masle...
— A ([uoy peut-on veoir qu'une puce est pucelle? demanda
la curieuse novice.
— D'abord, reprint la sœur Ovide, elle est triste et mélancbo-
licque, ne lit pas conmie les aultres, ne mord pas si dru, lia la
gueule moins ouverte et rougit quand on la touclie vous seavez
(tÙ...
— Kn ce cas, repartit la novice, i'av esté mordue jiar des
niasles...
Sur ce, les sœurs s'esclafl'èrent de rire tant et tant, ([ue l'une
d'elles feit ung pet en la-dieze, si druement altacpié, qu'elle en
laissa cbeoir de l'eau, et la summ- Ovide la leur monslra sur le
plancbier, disant :
— Voyez il n'y lia point de vent sans pluye.
La novice en rit elle-mesme et cuyda que ces estoul'fades vc-
noyent de l'apostrojjbe escbappée à la sœur.
— Donc(pies, reprint la sceur Ovide, si c'est une puce masle,
vous prenez vos ciseaulx, ou la dague de vostre amant, si par
liazard il vous l'ba baillée en souvenir de luy avant vosire entrée
au couvent. Hriel", munie d'ung insirumeut trencbant, vous fen-
dez avecipies précaution le llauc de la puce. Allendez-vous à
LKS 150 N S l' KO 11' OS. yr,l
l'ontondrc iiipper, tousser, cracher, vous deuiandor pardon ; à la
vcoir se tordre, suer, i'aiie des yeulx tendres, et tout ce (|u'ello
auFti idée de faire pour se soustraire à cestc opération ; mais ne
vous en estonncz point. Raflermissez vostre couraifre on son^nant
que vous a;:issez ainsy pour mellie une créature |)ervertie dedans
la voyo du salut. Alors vous ])renez dextreuient la fressure, le
foye, les poumons, le cueur, le gezier, les ])arties nobles, puis
vous trempez le tout à plusieurs reprinses dedans l'eau henoiste
en les y lavant, les y purifiant, non sans implorer l'Esprit sainct
de sanctifier rint('iieur de ceste beste. Knfin, vous i-emettez
promptemenl toutes ces cliouses intestines dans le corps de la
puce impatiente de les recouvrer. Kstant. par ce moyen, baptizc-e,
l'ame de ceste ci'éaturc di'vient catliolicque. Aussitost vous allez
quérir une aiguille et du lil, et recousez le ventre de la puce
avecqucs les ])lus grans mesnagemens, avecques des esguai'ds,
des attentions, potu' ce que vous en debvez à vostre sœur en
iésus-Cbrist. Vous priez mesnies pour elle, soing au(juel vous
la verrez sensible par les génullexions et resguards attentifs que
la dame vous adressera. Brief, elle ne criera plus, n'aura plus
envie de vous mordre, et il s'en rencontre souvent qui meurent
de plaisir d'estre ainsy converties à nostre sainctc religion.
Vous vous comportez de mesmcs à l'csguard de toutes celles
que vous prenez; ce que voyant, les aultres s'en vont, après
s'estre estomirées de la convertie, tant elles sont perverses et
ont grant paour de devenir ainsy chrestiennes...
— Kt elles ont bien tort asseuremenl, dit la novice. Est-il
ung plus grant bonheur ([ue d'estre eu religion?
— Certes, rcprint la sœur Ursule, ici nous sommes à l'abry des
dangiers du monde, et de l'amour, où il s'en rencontre tant...
— Est-ce ([u'il y en ha d'aultres que celluy de faire intcm-
pestivement ung enfant? demanda une ieunc sœur.
— Depuis le nouveau règne, res[)ondit sœur Ursule en hochant
la teste, l'amour ha hérité de la lèpre, du feu Sainct-Antlioine. du
mal des Ardens, de la plicque rouge, et en ha pilé toutes les lieb-
vrcs, angoisses, drogues, souffrances, dans son ioly mortier, pour
en fiiire yssir ung effi-ovable mal dont le (lial)le ha domié la ivcepte
hcureusejucnt pour les couvons, pour ce ([u'il y entre ung numbro
infmy de dames espouvantéos, losquollos se font vertueuses par
paour de cet amour.
lià-dessus, toutes se serrèrent les unes contie les aultres.
202 COMES |1U0I..VT1(JLES.
elïiavoos dos |iiU()los , uiais voulant on stavoir davantaige.
— Ll il suflit daynier pour soulïrir? dit uno sœur.
— Oh! oui, mon doulx lésus, s'oscria la sœur Ovide.
— Vous aynioriez une paouvre petite i'oys ung ioly gontil-
lionnno, reprint la sœur Ursule, que vous auriez la chance de
vcoir vos dents s'en aller une à une, vos choveulx tomher ung à
ung, vos ioues bleuir, vos cils se des|tianter avi'c(|nes des dou-
leurs sans pareilles, et rndicii de \iis plus genlillos chduses
vous eouste bien obier. Il y a de paoïivros lenHaes auxipiolli's
vient une escrevisse au bout du ne/, daulhes ont uno beste à
inille pattes (pii lonrniille tousiours et ronge ce (pio nous avons
do plus londri'. Kniin. le |iapo a esté obligé d'exoonnnunier ceste
nature danioiu .
— .\h ! que ie .suis bourouso de navoir lieu ou do tout cela!
s'oscria bien gracieusement la novice.
Va\ entendant cesli' roniendiraiico d'ainoui', les sœurs sedonb-
tèrent (pie la snsdiole s'estoU unii pou dosgouidie à la clialonr
de quehiue crucilix do l'oissy, et avoyt truplié la sœur Ovide
en se gaudanl d'elle. Toutes se resiouirent d'avoir en elle une
bonne robbe, bien gayo; comme do l'aiol elle estoyt, ol luv de-
mandèrent à quelle adventmc elles debvoyent sa c()m|)aignie.
— Hélas! dit-elle, ie me suis laissé mordre par mie iirosse
puce (|ui avoyt ia esté ba|)ti/('o.
A ce mot, la sanir au la-dieze ne put retenir iing second sospir.
— Ab ! dit la sœur Ovide, vous estes tenue de nous nionstrer
le troisiesnie. Si vous parliez ce languaige au chœur, l'abbesse
vous mollroyt au r(';;ime i\v la sonir Polronille. Ainsy boutez
une sourdine à voslre nmsi((pio.
— Kst-il vray, vouscpii a\oz coi^iioii la so'iii' l'olronillo on son
vivant, ipio Itn'ii lui avo\l inipé-iii' le don de n'aller <|tio doux
j'(i\s l'an à la cbambro dos coinplos? demanda la sioiir I isiile.
— (lui, l'oit la swnv Ovide. Kt il luy arriva uiig soir de rester
;icciopio iuscpies à matines, disant : « le suis là. à la voiiIomIimIo
l)iou ! ») Mais au premier verset, elle l'oiil (b'Iivii'o. pour (ju'ollo ne
iiMinpiast point l'oriice. .\(-antmoins la loue abbesse ne vouloytpas
que oc-la vinst d'uiio espc'cialc fiivoiir octroyc'e d'en liault, et di-
sovt (pie la voue di' Ilii'U n'idloxl point si bas. Vécy le l'aict :
dcllunote iioslre s(eur, dont nostro Ordre |M)nrsnict à ceste lioure
1.1 cioionisatioii on la court du l'apc, ol r;iiiio\t obloimo, s'il pou-
vo\l jiavcr Icb lo\aulx cou>i.s du IIk 1. l'ctronillo doncipic> oui
LKS |!(I.\S IMKM |M»S. '2.j,j
riiiiil)ili(m diivoir son nom t'S(ii|)l an calciulrier ce qui ne imisoyt
j)oiiit à rOidiv. Oivs, (Ile se mil à vivre en |)rières, restoyl en ec-
stase devant l'autel de la Vierge; (jui est du costé des prez, et pré-
tendoyt entendre apertenient les anges voler en paradiz, si bien
que elle en ha pu noter la musicque. Ung chascun sçait (ju'elle y ha
prins le genlil chant i\r Adoremiis, dont anlcun homme n'auroyt
pu trouver un^ seul s(»s|)ir. Klle demouroyt des ioms entiers l'œil
ïixc comme une estoille, ieusnant l't ne mettant pas plus de nour-
riture en son corps ({u'il n'en peut tenir dedans mon œil. Klle
avoyt fait vœu de ne ianiais goustcr de viande, ni cuicte, ni vilVe,
ctnemangeiovt([U(' ung frusteau dcjiain pariour; mais, aux Testes
àdouhles hastons, elle ioignoyt à son ordinaire un peu de poisson
au sel, sans anlcun soupçon de saulee. A cestediette. elle devint
maigre elle-mesme, iaune comme saiïran, seiche comme ung osde
cimetière, veu que elle estoyt de complexion ardente, et ung qui
auroyt eu l'heur de la congnercn auroyt tiré du feu connncd'ung
caillou, dépendant, si |>eu qu'elle mangeast, elle n'avoyt point pu
se soustraire à une inîirmité de lai|uelle nous sommes jjIus ou
moins suhiectes pour nostre malheur ou pour nosfre honheur,
puisque, si ce n'estoyt pas, nous pourrions estrc bien cnd)ari'as-
sées. Ores.cestc cliouseest l'obligation d'expulser villainement, et
après le repas, comme Ions les animaulx, ung bran plus ou moins
gracieux selon les persomies. Ainsi, sœ'ur l'etronille dil'i'éroyt des
aullres en ce (ju'elle liantoyt sccet dur(iu'auriez dicldos crottes
de biche en amour, lesquelles sont bien les codions les mieulx
cimentées (|ue aulcuns geziers produisent, si, par adveuture,
vous en avez rencontré soubz vos pieds en ung sentier de forest.
Aussi, pour leur dureté, sont nonnntVs drs nouées en langaige
de haulle vénerie. Cecy de sœur l'etronille n'estoyt doncques
point surnaturel, veu ({ue les ieusncs entrelenoyent son teni-
pi'rament en cuisson permanente. Suyvant les vieilles sœurs, sa
nature estoyt si bruslante, que en la mettant dans de l'cauu
elle y faisoyt frist connue ung cliarlion. 11 y ha eu des sa'urs
(pii l'ont accusée de cuire secrettement des a'uls, la miict, entre
ses deux orteils, afin de supporter ses austeritez. .Mais c'es-
toyent des nuudvaisetez inventées pour ternir ceste granl sainc-
lelé dont les aultres moustiers concevoyent ialousie. Noslrc
sœur eslovt |iilolt('e en la voye du salut et ix-rfection divin
par l'abbé de Sainct-Gerniain-des-1'rez de Paris, saiuct hoiinne,
lc(piel lino\t lousiours ses advis p. a' ung darrenier, (jui disoyt
25i CONTES nUdl.MKjl i:S.
d'olTiir à Dion toutes nos peines et de nous soubmellrc à ses
voulontez, veu que rien n'arrivoyt sans son exprès conunande-
ment. Cette doctrine, saige en apparence, ha donné matière à
grosses controverses et a esté fiualjlt'iHeiit coiulamnée sur l'ad-
vis du cardinal de Cliastillou, l('(juel ha pn-lciKhicpralors il n'y
auroyt plus de péchez, ce qui pounoyt amoindrir les revenus
de l'Ecclise. Mais sœur l'etronille vivoyt imbue de ceste sen-
tence sans en cognoistre le dangier. Après le quaresme et les
ieusnes du granl iuhilé, jjour la première l'ovs depuis huict mois,
elle eust hesoing trailcr eu la cluunbre dorée, et, de l'aict, y alla.
Puis là, relevant honnestement ses cottes, elle se mit en debvoir
et posture de faire ce que nous paouvres i)échercsses Taisons ung
peu plus souvent. Ains la sœur Petronillc n'eut d'aultre valis-
cence que d'expectorer ung connnencementde la chouse, qui la
tint en haleine, sans que le reste voulusl yssir du réservoir. Eu-
cores qu'elle torlillast son bagonisier, jouast des sourcils et jH-es-
sast tous les ressorts de la machine, son hoste prei'eroyt demourer
dans ce benoist corps, mettant seulement la teste hors la fenestre
naturelle, comme grenouille prenant l'aër, et ne se sentoyt nulle
vocation de tomber en la vallée de misère, parmy les aultres,
alléguant qu'il n'y seroyt point en odeur de saincleté. Et il
avoyt du sens pour ung simj)le crottin (ju'il estoyt. La bouue
saincle, ayant use de toutes les voyes coërcitivcs iuscju'à enller
oultre mesure ses muscles buccinateurs et bender les nerfs de sa
l'ace maigre de manière à les faire saillir, recogueut ([ne milh'
soul'frauceau monde n'estoyt si griefve, et sa douleur alleignaiil
l'apogée des affres sphinclérielles : « Omonl)ieu ! dit-elle en poul-
sant de rechief, ic vous l'offre ! » Sur ceslc oraison, la nuitière
pierreuse se cassa net au razibus de l'orifice et choppa connue ung
caillou contre les murs du privé, faisant croc, croc, ci'oooc, ])af !
Vous comprenez, mes sœurs, qu'elle n'eut auh nu hesoing de
mouschecul, et remit le l'este à l'octave.
— Adonc(pics elle voyoyt les anges? dit une sieur.
— Ont-ils ung derrière? demanda une aultre.
— Maisnon, feit Ursule. Ne sçavez-vous p()iiil(|iir en mm ionr
d'asscmbb'e. Dieu leur ayaut ordonné de si- seoir, ils lii\ nspim-
dirent qu'ils n'avoyeut poiut de ipioy.
Là-dessus, elles allèrent se coMcliier, les iiiks ^^■lllt•s, 1rs aul-
IrcK pifscpie seul( s. C'esto\eill de bonnes (ilir-- (|iii ne laisuvriil de
lorl ijll'à rlles.
LES BONS l'IlOCCOS. 255
le ne les qiiitloiav point sans ni conter une advenlure fpii enl
lieu dans leur maison, quand la rôlonne y passa l'espongc et les
leit toutes sainctes, comme ha esté dessus dict. En cettuy temps,
donc(pies, il v avovt au siège de Paris un;,' vérilahle sainct qui
ne sonnovt point ses œuvres avecques des crécelles, et n'avoyt
de soulcy que des paouvres et soulTreteux, Icscjuels il logioyt
dans son cueur de bon vieulx évesque, se mettoyt en ouhly
pour les gens endoloris, estoyt en queste de toutes les misères
affin de les panser en paroles, en secours, en soings, en argent,
selon l'occurrence, advenant en la maie heure des riches comme
en celle des paouvres, raccoustrant leurs âmes, leur ramente-
vant Dieu, s'employant des quatre l'ers à veigler sur son trou-
peau, le chier bergier ! Doncques ce bon homme alloyt non-
chalant de ses soutanes, manteaulx, braguettes, pourveu que
les mendux'S nuds de son Kcclise leussent couverts. Et il estoyt
charitable à se boutter en gaige pour saulver mesmes ung mes-
créant de poine. Ses serviteurs estoyent contraincts de songier
à luy. Souvent il les rabbrouoyt quand iceulx luy changeoyent,
sans en estre requis, ses vestemens rongez pour des neufs, et il
souloyl les faire rapetasser iusques in extremis. Ores, ce bon
vieulx archevesque sceut que le feu sieur de Poissy laissoyt une
lille sans sou ne maille, après en avoir mangié et aussy beu,
voir ioué la légitime. Laquelle damoiselle dcmouroyt en ung
bouge, sans feu en hyver, sans cerizes au printenqis, labo-
rant ù menus ouvraiges, ne voulant point se mc'sallier ni vendre
sa vertu. En attendant qu'il rencontrast ung ieune espoux dont
il la pust fournir, le prélat conceut de luy en envoyer le moule
dans la personne de ses vieilles braguettes à raccommoder, ou-
vraige que la paouvre damoiselle feut moult heureuse d'avoir dans
son desnuement de tout. Doncipies. ung iour que rarcheves(iue
déliberoyt à paît luy se rendre au couvent de Poissy, |)0ur \eigler
auxdictes lilles réi'ormées, il bailloyt à ung si(!n serviteur le plus
vieulx de ses hault-de-chausses, qui inqjloroyt ung racoustraige.
« Portez cecy, Saintot, aux damoiselles de Poissy..., n dit-il. Not-
iez que il cuydoyt dire à mademoiselle de Poissy. Et, comme il
songioyt aux affaires du cloislre, il n'enseigna pointa son varlet
le logiz de ladicte damoiselle, dont il avoit discrettementceléla
situation désespérée.
Saintot prind le hault-de-chausses à braguette et s'achemine
vers Poissy, gay connue ung[hosche-({ueue, s'arrestant avecques
250
r.oNTKs iir.oLMiorr.s.
les amys qu'il ronooniro on cliemin, iVslaiit le plot chez les ca-
barotiors cl laisanl vooir bien dos cbousos à la braguofto de
rarobevosquo, laquollo put s'instruire en ce vovaige. hriel', il
arrive au niouslicr de Poissy, et dict à l'abbosse (juo son niaistre
Iba envoyé di'vers elle ])our luy remettre cccy. Puis, le varlel--
s'en va, laissant à la rév('roiule mère le vostenionl liabitué àl'
modeler en l'olief les proportions arcbiépisoopales de la conti-
nente nature du bon bonnne, selon la mode du temps, oultrc
l'imaige de cescliouses dont le Père (■tonid lia privé ses anges, et
qui ne |H'cbioyont point par ampleur clio/ le pn'-lat. Madame l'ab-
bosse ayant advisé les sœurs d'unj: ])rt'lieux inessaii;e du bon ar-
clievesqno, elles vindrent on liasto, curieuses et alTairées connue
fourmys en la respublicque desquelles tondje une bogue de cbas-
taigne. Lors, au despacquelcr de la braguette, qui s'entrebâilla
tres-liorrifictpiomont, elles s'esclamèrent, so voilant les yeulx
d'une main, on apprébension de venir yssir le diable, l'abbosse
ayant dict : « Mussez-vous, mes (ilios : ceev est la dcmeuic du pé-
ché mortel. »
La mère des novices, coulant ung resguaid entre ses doigts,
raffermit lecoiu'aigc du saincl clap|»ier en iurant par nngr/j'eque
aulcune beste vivante n'estoyt loi^iéc en coslo bragncllo. Lors,
toutes longirent à leur aise on considi'rant cet Ilabitavil, son-
giaut (jue pent-estre la voulent(î du |irélat estoyl <pie elles y dos-
• couvrissent quehiue saige admonition ou parabole évangélicquc.
Ores, encoies (jni? ceste veuc feist certains ravaiges au cucurdc
ces Irez-vortueuses (illes, elles ne liment auloun com|)le des Ires-
l,r,S IKINS l'iiol l'OS. 257
nioiissonuMisdc Iciii's IVcssiiros, el f^cchmtiiiig |ioii(r(';mc hiiioitc
au riind de cet abvsinc, niic y Ictiicliaiil, laullro y passant le doigt
on iing Irou, toutes s'ouliaidiiout à le vfoir. Mcsnics, lia-t-on
prétendu, l'abbcssc trouva, la priiiiti'sloMlïadc dissipôo. uno voix
non csniouo pour dire : — Qu'y lia-l-il au lund do cela? Kn cpiello
intention noslre père nous cnvoyo-t-il ce (jui oousornnie la ruyno
des l'ounnos?
— Voey quinze ans, ma mère, que ie ne avoys ou licence do
vcoir la bougotte au dt-nion.
— Taisez-vous, ma tille, vousni'(>mpesebez do songier raison-
nablement à ce qu'il est prudent de faire.
FiOrs tant l'eut tournée et retournée, llain'e, soubzpoisée. mirée
et admirt'o, tirée et destiréo, mise sens dessus de.^soubz, ladicle
braguette arcbiépiscopale; tant en lent ({('liix'ri-, parii'-. tant y
fout pensé, tant y fout resvé la nuict, le iour, t|ue le lende-
main uiu' petite sœur dit après avoir clianté los matines, en
les([uelies b' couvent obmit un vei'set et deux rospons : — Mes
sd'urs, i'ay Innivé la parabole do rarcliovos([ue. Il nous ba
baillé, par moitificalion, son lianll-do-cbaussos à racconnnodcr,
on sainct enseignement de fuir l'oisiveté, mère nbbosse do Ions
les vicias.
Là-dessus, ce font à qui metfroyt la main aux cliausses do l'ar-
cbeves(jue; mais l'abbesse usa do sa liaulte aullioiité ])our se ré-
server b^s méditations de ce ibabillage. Kt si s'omploya-t-elle
avecques la soubz-j)riouro, {)endant plus do dix iours, à parfder la-
dicto braguette, y passer des soyes, faire de doubles ourlets bien
cousus on toute bmnilité. Puis,le Cbapitre assemblé, foutconcliul
que le couvent tesnioigneroyt, par un gentil souvenir, son beur
audict arcbevosquo de ce que il songioyt à ses tilles en Dieu.
Doncquos toutes, iusquos à la plus novice, enta faire ung labour
en ces chausses de hault entendement, à cesto lui d'Iionoi'or la
vertu du bon bonnne.
Pendant ce, le prélat avoyt tant de pois à raniei', (jue il mil ses
chausses en oubly. Vécy comme. Il l'oit cognoissance d'ung soi-
gneur de la Court, lequel ayant })er(lu sa fennno, vicieuse on
diable et brehaigne, dit au bon prebstrc que il avoyt la grant am-
bition d'en vouloir une saige, conficte on I)i(>u, avec(jues laipiello
il oust la cbance de n'ostre jjoint branclieyc', d';ivoirde beaulx et
bons enfans, otdeziroyt la tenir do sa main, avant lianceon luv.
Ores, le sainct bomme luy feit si grant estât do mademoiselle de
258
CONTES DROLATIQUES.
Poissy, que ceste belle devint lost madame de Gcnoilhac. Les
nopces se céh'hrèn'iit en rarchevescJK' do Vims, où il v ont ung
festin de(jualitez et nne tahlo hordcc de dames de liault lii^naige,
beau monde de la (Aiurt, oii rcspousc-c ])aiiit la jiliis bclli', veu
que il estoyt seur que elle leust pucelle, rarclievesque se portant
guarani de sa fleur.
Lorsque les fruicls,eompotcsetpastisseries, feurent, aveeques
force ornemens, sur la nappe, Saintotdità rarclievesque : — Mon-
seigneur, vos bien-aymées filles de Poissy vous envoyent ung beau
plat pour le milieu.
— Plantez-le ! feit le bon homme en admirant unghaultédifice
develoux.dc satin, brode decannetilleset babans en manière de
vase anlicque, dont le couvoicle exlialoyt odeurs superfines.
Aussytost l'espousce, le descouvrant, treuva sucreries, dragées,
massepains et mille confictures délicieuses dont se resgallèrent
les dames. Puis une d'elles, quelque dévote curieuse, apercevant
une aureillette en soye et l'attirant à elli' feit veoir à l'aér l'habi-
tacle de la boussole humaine, à la graiit confusion du prt-lat, veu
que mille rires esdatèrent comme une esco]»ellerie sur tous les
bancs.
— Bien eu ha-l-ou faict le plat du milii'u. feit le marié. Ces
damoiselles sont de saige eiiti iidi'nn'iit. Là sout les siu-reries du
mariaige.
Y a-t-il meilleures moralilez (|ue ce (pie ha dicl luousieur de
OenoilliacV Aussy point n'en l'aiill aiiltre.
L^Ùi^-^iÉ^
COMMENT FEUT DASTY
LE CHASTE.VU D'AZAY
Ichan, lils do Simon Fournior, dict Simonin, bourgoovs do.
Tours, originaire du village do Moulinet, près de Beauno, dont, à
l'iniitalion do aulcuiis traitans, il |Hint le nom, alors quo il obtint
la oliargo d'argonlior du l'on ru\ Loys nnze s'onfiivl ung iour on
Languodoe avoc(jues sa fonuuo, estant tondx'en grantdisgraaco,
et laissa son fils lacques tout nud en Touraine. Cottuy, qui no
possédoyt rien au monde, fors sa personne, sa cappc et son espéo,
mais (pie les vioulx dont la braguette avoyt rendu l'amo eussent
cuvdé bien riclic, boula dedans sa cervello fornio intention de
saulvor son ])ère (>t faire sa fortune en la Court, latpudlo vint pour
lors on Touraine. Dès le matin, ce bon Tourangeau iaissoyt son
bostel.et, musse dans son manteau, fors le nez qu'il mettoytà l'es-
vent, le gezier vuyde, se pourmeiioyt par la ville, sans estro tro|t
encond)r(' de ses digeslioiis. Lors, enhoyt dans les eorlises, les
estiinoyt belles, invonlorioyt les cbapolles. osmoueliiovt les ta-
bleaux, numbroyt les nefs en curieux (pii de son lonq)s et argent
nesçayt que faire. A d'aullros loys, leignoyt de réciter des paie-
260
CONTKS nr.OLATKll i:s.
nostres, mais faisoytdc iniifttes prières aux dames, Icuroffroytà
leur despai'tiedei'oaueljtMKiiste, les suivoyl de loing et tascliioyt,
poureesinmiis services, de n'nooiUr('r(|uel(iue adveiilure où, au
péril de sa vie, il se seroyl Iburny d'ung protecteur ou d'une gia-
cieusc maistresse. 11 avoyt en sa ceincture doux doublons, les-
(|ucls il inesnagioyl pliis(|U(' sa pcau.ven (pic elle pouvovl se l'c-
l'aire, et les dessus dicis (lo\d)lons nullenienl. Par ung chascun
leur, il prenoyt sur ses deniers le prix d'une miche et de quelques
meschantes pommes avecques quoy il se sustantoyt, puis beu-
voyt, à son aise et discrétion, l'eaue de la Loire. Cest(> saige et
prudente diette. oultre que elle estoyt saine |iour ses doublons,
l'enlretenovt IVisqne et li'gier comme ung lévrier, luy j'aisovl ung
entendement clair et ung cueur cliauld, veu (pie l'eaue de la Loire
est de tous les sirops le plus escliauflant, pour ce (pic, yssue de
bting, elle s'est cscliaulTéc à courir sur les gri^ves j)aravaiit d'estre
à Tours. Aussv, comiilez (pie le ]taouvre lière ingenioyt mille et
une rortunes et bonnes rencontres aiixtpielles il ne s'en miimpioyt
que d'ung jioulce (pie vrayes elles reusscnl. Mo! le lion temps!
L'ng soir, lac(|ucsde ileaime, nom rpie il guarda, encorcs (pie il
ne fcusl point seigneur (Iel5eaiiiie. ,illo\l le long des lev('cs, occupé
Il se délil)era de la pourcliasser, à cesle lin de savoir où elle le meneroyt,
en paradiz ou cz limbes de l'enfer, au gihel ou dedans uu rcduict d'amours,
toul luy fcul espoir an fund de sa misère.
262
CONTES DROLATIQUES.
(lo inauldirc son ostoillo et tout, von quo le darrenier donblnn
faisovt mine de le quitter sans nul respect, alors que, au destonr-
ner d'une petite rue, il faillit ahcurter une dame voilée qui luy
donnaparles nazeaux une bourrasque superfine de bonne odeur
(le l'emnie.
Geste pournieneuse, bravement montée sur de iolys patins,
avoyt une belle i-obbe de veloux
ilalian, à grans manches dou-
blées en satin ; puis, pour eschan-
tillon de sa lortune, à travers le
voile, un diamant blane d'am-
pleur raisonnahlcbiilloytsnrson
Iront aux rais du soleil couchant,
entre des cheveux si bien mi-
gnonnement roulez, estagez, tressez et si nets, que ses femmes y
avovent deu passer trois heures. Elle marchioyt comme une dame
qui ha coustumc de n'aller qu'en lictière. Ung sienpaige bien
armé la snvvoyt. Ce estoyt aulcunelille folle de son corps appar-
tenant à quelque seigneur de hault rang ou aulcune dame de la
Court, veu que elle levoyt bien ung peu sa cotte et tortilloyt gen-
tement sa croupe en fenmie de hault mouvement. Dame ou gal-
loise, elle plut à lacques de Beaune, lequel ne feit
point le desgousté et print l'imagination désespérée
de s''attacher à elle et n'en (juitterque mort. Dans
cestc visée, il se délibéra de la pourchasser, àceste
fin de sçavoir oîi elle le menernyt, en paradiz ou ez
lind)es de l'enfer, au gibet ou dedans ung réduict
d'amour ; tout luy l'eut espoir au fond de sa misère.
La dame alla se jwurmener le long de la Loire, en
aval, devers le Plessis, et respiroyt, comme les carpes,
la bonne frescheur de l'eaue,
allant, bimbelottant, fagoltant
ensouriz (juilrottf, veult tout veoir et gouster
ùtoul. Lorsque ledict paigc s'apercent que Jac-
ques de Beaune faisoyt de l'enteslé, suyvoyt
la dame en toutes ses démarches, s'arrestoyt
à ses re|)Os et la resguardoyt niaiser, sans
verjiongne, comme si lacliouse luy estoyt loysihle, il se retourna
brustpiement et luy monstra une mine rogne et griesche, connue
celle d'ungcliien (pii dirt : «Arrière, messieurs! » Mais le bon
LK CIIASTKAI Ll'AZAV.
2(jô
Tourangeau avoyt ses raisons. Cuydant ([ue si ung chien vcoit, sans
conteste, passer ung Pape, luyl)a|>lisé pouvoyt veoir un^ niinon
(le femme, il allovt de l'avant, leignoU de sonhrire lui di(t|)aig<'
et se prélassoyt derrière on devant la dame. Ores, elle, nedisoyt
mot,resguardoytleeiel,4uisecoëlïoytdenuict,lesestoillesettont
pour son plaisir. Voilà qui va bien. Brief, venue en face de Por-
tillon, elle demonra debout; puis. |K)nrmieulx veoir, regecta son
dict voile sur son espaule, et, ce l'aisitnt, lanra sur le eompaignon
ung resguard de Une connnère, pour s'encpierir s'il y avoyt aulcun
dangier d'estre volée. Faictes estât que lacques de neaunejtouvoy t
l'aire l'ouvraige de trois marys, estre aux costez d'une princesse
sans luy causer déboute, avoyt l'air brave et résolu ({ui plaist aux
dames; et s'il estoyt uru
peu bruny par le soleil
l'urce de courir devant, son
tainctdebvoytapertemenl
seblanchirsoubz les cour-
tines d'un lict. Le res-
guard conlant comme an-
guille ({ue lui darda ceste
dame lui parut estre plus
animé que cclluy qu'elli;
auroytgeclé en ung livre de messe. Et doncques, il ^^^^^'^^
fonda l'espoir dune aubaine d'amour sur ce coup
(l'œil, et se résolut à [)oulser l'adventure insijues au bord
de la iu|)pe, risquant, pour aller encores plus loing, non pas
sa vie, veu([u'il y tenoyt peu, mais ses deuxaureilles et mesmes
encores quelque cbouse. Ores, le sire suyvit en ville la dame,
(pii rentra par la rue des Trois-Pucelles et mena le guallant,
par ung escbeveau nu-slé de petites ruelles, iusques an (pianoy
où est auiourd'buy l'Iiostel de la C.ronzille. Là, elle s'arresta
au porche d'ung beau logiz, au(iuel aheurla le paige. Puis ung
sien serviteur ouvrit, et, la dame rentrée, se ferma la porte,
laissant le sieur de Heiiune l)é;int, pantois et sot connue mon-
seigneur sainct Denys devant ([uil se leust ingénié de ramasser
sa leste. Il leva le nez en laër pour veoir s'il luy tond)eroyt
une goiille de faveur, et ne veit rien aultre chouse, si ce n'est
nue himière ipii montoyt par les degrez et c(turo\t par les
salles, puis s'arresta à une belle cioist'e où delivoUoIre la dame,
(lioyez que le paouvre amoureux demoura là tout mélancholilié,
Ort!
Kvi 1.. firl «i\ii SP cocffojl (ic mmi,
. ,.lle. ne di.oyl n.o,. r.s,Bnlo> . J^.^^^^
les tsloillcseï Kul |0u. ^ui. i.K'i.ii.
LK CliASTEAl ICAZVV.
'iGo
n'sviissciir, ne saicliantpliis à <|iioy se |)it;ii(ln.'. La croisée ^Toiif^na
soiihdain et, riiUt'iroiii|til dans ses |)liaiilaisics. Ores, cuydant (|iio
sa dame alldvt le liiicliior, il dressa de n'cliicf h; nez, ot sans lap-
puy de la dessus diflc croisée, (jiii le préserva en l'asson decouvre-
chicf, il eust rccipé fort amplement de l'eaue froide, plus le con-
tenant du tout, veu que l'anse resta aux mains de la personne en
train d'estnver l'amoureux. laecjues de Beaune, trez-heureux de
ce, ne [lerdil point l'esteuf et se «iccla en bas du nnn-, criant :
(( le meurs! » d'une voix trez-estaincte. Puis se roydit dans les
tessons et demeura mort, attendant le reste. Vécy les
serviteurs en grant romue-mesnaige,qui, encrainte
de la (hune à la((uelle ils advouèrent leur jaulte.
ouvrent liuivs, se clinrgent du navré, IcMjuel l'aillil
à rire alors (pu' il feut aiiisy convoyé par les devrez.
— 11 est froid, disoyt le paige.
— 11 ha bien du sang, disoyt le niaistre d'iiostel, lequel en le
tastant se concliioyt les mains dedans l'eaue.
— S'il en revient, ie fonde une messe à sainct Galien! s'escriu
le coupable en pleurs.
— Madame tient de son deffunct père, et, si elle fault à te faire
pendre, le moindre loyer de ta [)oinc sera d'estre bouté hors de sa
maison et de son service, repartit ung aultre. Oui, certes, il est
bien mort, il poise trop.
— Ah! ie suis chez une bi(;n grant dame, pensa lac(jues.
— Las! seut-il le mort? demanda le gentilhomme autheur du
meschief.
Lors, en hissant à grant j)oiiie l(> Tourangeau le long de la vis,
le pourpoinct d'icellny s'accrocha dans
une laïasijue de la rainjie, et le mort dicl :
— lia ! mon |tourpoiuct.
— Il ha geint! dit le coupable, sospi-
l'anl de ioye.
Les serviteurs de la Régente, car ce es-
loyt le logiz de la tille du l'eu Hoy Loys
le unziesme, de vertueuse mémoire, les
serviteurs doncques enlrèreiit lac([ucsdc
Beaune en la salle, et le laissèrent royde sur une table, ne cuy-
(laiit point (pi'il si' saulvast.
— Aile/ (|uerir ung maistrc myre, i'eit madame de Beauiou,
allez cv, allez là...
25
Puis la honiie R^S'"''!'! <les|iCM'iia s,'^ Iciiiriifs a I dii^miiiiI, a la toile à
beiiili^i les |ilayes à l'eau du Uuiihommc, à tanl du cliouses, quo elle ue-'
;iiuura bculc.
i,F. Cil asti: M H'azav.
267
Et on iingpa/ertmis les gens dcscendircnl les dri^rcz. Puis lu
î)onne Ri'f^onle (IosucscIki ses l'emmes à i'ongneiil, à la loi le à
hender les playes, à l'ejnie du
Bonhomme, à tant de cliouscs,
f)ue elle deniouia seule. Lors,
advisanteelxd homme pasmé,
dit à lianlle voix, admirant sa
prestance el sa dellïmcte homie
mine : — lia! Dieu veult me
rahhiouer. Pour une paouvrc
]ietiteroys(|ue, en jna vie, ung
maulvais vouloir s'est resveiglé
du l'und de ma nature et me
l'ha endiahlottée, ma saincte
patronne se i'asclie et m'enlève
le pins ioly gentilhomme que
i'aie iamais veu. Pas(pies Dieu !
par l'ame de mon père, ie Icray pendie tous eeulx (jui auront mis
la main à son trespas !
— Madame, feit lacques de Bcaune en saultant de l'ais où il
gizoyt aux pieds de la Uégente, ic vis pour vous servir et suis si
peu mcurdry, que, pour eestc nuict, ic
vous promets autant de ioyes que il y
ha de mois en l'année, à l'imitation du
sieur Hercules, baron [)aïen. Depuis
vingtiours, re])rint le bon conq)aignon,
se douhtanl que, là, hesoing estoyt de
mentir ung petit ]>our moyenner les
chouses, vécy ie ne sçays combien de
rencontres que ie fais de vous, dont ie
me suis alToUé, et n'osoys, par grant res-
|)ect de vostie persomu», m'advancerà
vous; mais conqilez (|U(! ie suis bien yvre de vos rovales beaul-
tcz, pour avoir invenlc- la bonrde à <|uov ie doilts riicin' d'eslre à
vos pieds.
Là-dessus, il h^s baisa biiMi aniourcuscment. et resgnarda la
bonne dame d'ungair à tout ruyner. La dicte Régente, par l'orce
de l'aage, lecpiel ne respecte [)oinl les royiies, estoyt, connue ung
chascun seayt, en lasecunde ieunesse des dames. Ores, en ceste
criticquc et rude saison, les lennnes iadis sages et desnuées
2fi8
CONTES DROLATIQLES.
(l";inKins convoitent, ores cy, oros là, de prondro, à l'insccn de
tout, lors Dion, aulcinie nuictée d'amour, ti coste fin de ne point
vssir en l'anllre inonde, les mains, le cueur et le tout vuydes,
huille d'avoir notaliienient eogneu les chouses espéciales (jue
vous S{,'av('z. l)oMC(jues ma (liclc dame de Beanieu.sans l'aire de
l'estonnée en eseoulant la promesse de ee ieune lionune, veu que
les personnes royales doibvent estre aecoustumées à tout avoir
par douzains, guarda ceste parole andiilieuse au fund de sa cer-
velle ou de son registre d'amour, (pii en grezilloyt d'advance. Puis
elle releva le ieune Tourangeau, (pii treuvoyt de-
dans sa misère le couraige de soulirire à sa mais-
Iresse, hicpielle avoyt la maiesté d'une vieille rose,
Ifs aureilles en escarpin et le tainct d'une chatte
malade, mais si bien attifée, si iolie de taille, et le
pied si loyal, la croupe tant alerte, que il pouvoyt se
l'encontrer, eu reste maulvaise i'oilune, des ressorts
incogneus pour l'ayder à parfaire le verbe qu'il avoyt lasclié.
— Qui estes-vous'? feit la Régente en })renant l'air rebaibatif
du feu Roy.
— le suisvoslre tiez-fidelle subiect lacfpies de Heaune, fils de
vostre argentier, lequel esttondié en disgraaee,maulgré ses téanlx
services.
— Hé bien, respondil la dame, reboulez-vous sur vostre ais.
l'entends venir, et il n'est point séant que les gens de ma maison
cnydent que ie suis vostre com|tlice en ceste farce et momerie.
Ce bon lils veit au doulx. son de la voix (|ue la boime dame
luy pardoimoyt bien gi'acieusement l'énormité d(^ son amour.
Iloneipies il se concilia sur la table et songia (pie
aulcuns seigneurs estoyent advenus à la Couit en
cliaussant ungvieil estiier ; pensier qui le laccom-
moda parfaiclemenl aveccpies son bon beur.
— Rien ! l'eit la Régente à ses mescbines. ne faut
rien. Ce gentilbomme est mieulx. (îiaaces soient
rendues à Dieu et à la saincte Vierge, il n'y aura
point eu de memlre en mon liostel.
Kn ce dysant, elle j)assoyt la main dedans les
cbeveidx de l'amant (pii luy esloyl à j)oint tombé du ciel;
]>uis, prenant de l'eaue du Roidionnne. elle luy en frotta
les lenqies, (leffcil le |)ourpoinct, el. soiibz l'imibre de veoir
au salut (In navri'. \(''iili;i, mieux (|iMnig i^reflier connuis :\
LE r.llASTEAI" D'AZAV
?09
niicnnc oxpcrlisc, coiiiliicii douci' cl iciiik; cslovt l;i peau do
ce 1)011 petit lioiiiino si diii ])ioiiieK('iii- de liesse. C(; (pie nng
chascun, gens et l'einiiies, s'esbaliiieiit de veoir liiirc à la lit'geiite.
Mais l'humanité ne niessied ianiais aux personnes royales,
laeqncs se dressa, feit le desconnu, inercia trez-humhlement la
Régente et congédia le jiliysician, inaistie inyre et aullres
diables noirs, si; dis;int revenu
du coup. Puis se nomma et vou-
lut s'évader, en saluant madame
de Beauieu, comme ayant paoïir
d'elle à cause de la disgiaacc
oïl estoyt son pcM-e, mais sans
double effrayé de son borrificipie
vœu.
— le ne sçauroys permettre,
feit-elle. Les gens qui viennciil
on mon logiz ne doibvent point
y recepvoir ce (pie vous avez
recen.
Le sieur de Bcaune soupera
céans, dit-elle à son maistre de
l'hostel. Cil qui le ha inducment congné sera à sa discrétion, s'il
se fait incontinent cognoislrc ; sinon, ie le fais rechercher et
branchier par le prevost de l'hostel.
Entendant ce, le paige qui avoyt suivy la dame à la pourmc-
nade s'advança.
— Ma (lame, feit Jacques, qu'il luv soit accordé à ma prière et
pardon et guerdon, veu (pie à luy doibs-jo l'heur de vous veoir,
la faveur de souper en vostrc compaignie et ])eut-estre celle de
faire restablir mon père en la charge (jue il ha plu à vostre glo-
rieux père luy commettre.
— Bien dicl, re[)arlit la Régente. D'Kstouteville, l'eit-elle en se
revirant devers le i)aig(', ie le baille une coinitaignie d'archers.
Mais à l'advenir ne gecle plus rien par les fenestres.
Puis la Régente, affriandt'e dudict Beaune, luy tendit la main,
et il la mena fort guallamment dedans sa chambre, où ils devisè-
rent trez-bien en attendant l'apprest du souper. Là, point ne
faillit le sieur Iao(pies à dcsbagouler son s('avoir, instiller son
père et se bien seoir en l'esprit de la dicte dame, bupielle, comme
ung chascun sçayt, pracli(pioyt bien Testai de son père et nienoyl
'25.
'270
CONTES DROLATIQUES.
tout en graiis volées. lacques de Beaune poiirpensoyl on luy-
niosnio (jiio h'ion dilTicilc estoyt quo. il coucliiast avec(juos la
[{l'iionto ; tols tralTiecjs no so parfaisoyont jioint
coniino le niaiiaige des ehatles, ({ui ont toiisiours
une gnuttièie ez toits des maisons pour y aller
uiargander à leur aise, Donequcs, il se gau-
dissoyt d'eslre cogneu de la Régente sans avoir
à lui compter ce douzaiu diaholirque, veu(pie,
pour ce, hesoing esloyl ipie mescliines et gens
l'eussent à rescarlet riionneursanf. Néantmoins,
redoutant Tenginde la bonne dame, parfoys il
'=^^— - se lastoyt, se dysant : « En auroys-je l'estolTe? «
Mais à i'undire de ses discours, à ce songioyt aussy la bonne
Régente, laquelle avovt aeeonunodé mainl(>alTaire moins croclnie.
Et de deviser trez-saigement. Elle l'eit venir ung sien secrétaire,
Jiomme au laict des imaginations idoynes au parfaict gouverne-
ment du royaulme, et luydonnaen commandementdcluy remettre
seercttement img faulx messaige pendant le souper. Puis vint le
repas, auquel point ne tonchia la dame, veu que son cueur estoyt
gonflé comme esponge et avoyt diminué l'estomach, car tousiours
elle pensoyt à ce bel et duysant bomme, n'ayant appétit que de luy.
lacques ne se feit faultc de mangier, pour raisons de toutes sortes.
Bon messaiger de venir, madame la Rt'gente de tempester, frons-
ser les sourcils à la mode du l'eu Roy, de dire : « N'aura-t-on
point la |)aixen cet Estât? PascpiesDieu ! nous nesçaurions avoir
une vesprée de bonne ! » Et Régente de se lever, de marclier.
« Holà ! ma bacquenée ! Où est monsieur de Vieillcville, mon
escuyer? Point. Il est on Picardie. D'Estouteville, vous allez me
reioindre avecques ma maison au cbastcau d'Amboise... » Et
advisant son lacques, elle dit : « Vous serez mon escuyer, si(>ur
de Beaune. Vous voulez servir le Roy? Bonne est l'occasion.
Pasques Dieu! venez. 11 y ha des
mescontens à rebattre, et besoing \^\''J/:-':-^^^7^^yÇ*t>^
est de fidelles serviteurs. » VM
Puis, le temps (juc ung vieulx (W,
paouvre eustmisàdire ung cent ^^7^'^^^^^^
lï'ave, clievaulx l'eurent bridez, ^é^=b8^y^^^
sanglez, presls. Madame, sur sa
bac(pienée, et h' Tourangeau à ses costez, courant daie, dare, aji
cliastcau d'Andjoise, suyvis de gens d'armiïs. J*our cstrc brielct
^/•^^^
LE CHASTE AU D'AZAY.
'J7I
venir an faiol sons coninionlairosjf! sicnr do, Roanno fontlogicîà
(lonzo lois(!s (loiiiadaiiic (le llcauion, loing des cspios. Lfscour-
lizans et Ions les gens, bien eslonnez, disconroyent s'enfjuérant
d'oîi vindioyt l'ennemy; mais le douzainier, |)rins an mol. sça-
vovl bien où il estoyt. La vertu de la l'ié;^entc, cbousc coyncue
dans le royauhnc, la saulvoytdes soupçons, vcn que elle passoyt
pour estrcaussy imprenable que le cbasleau de Péronne. A l'heure
du couvre-l'en, (piand tout lent clos, les aurcilles et les yeulx,
le cbasteau muet, madame de Beauieu renvoya sa meschinc et
manda son escuyer. Escuyer de venii'. Lors, la dame elLadven-
272
r.ONTFS DROLATIOIKS.
turier se voiront soubz lo manteau d'une haulte cheminée,
accotiez sur ung banc bien guarny de veloux; puis la curieuse
Régente de demander aussytost à lacques d'une voix mignarde :
— Estes-vous point meurdrv ! le suis bien maulvaise de avoir
laict cbevaulcbor pendant douze milles ung gentil serviteur
navré tout à l'Iiouri par ung des miens. l'ostoys tant en poine,
que je n'ay point voulu me couchier sans vous avoir veu. Ne
souflrcz-vous point?
— le souffre d'impatience, foit le sire audouzain, existimanl
que il l'alloyt ne point resnagler en ceste occurrence. — Hien
vois-je. r('|iriiil-il, ma noble et toute belle maislresse, que vos-
tre serviteur lia trouvé graace devant vous.
— La ! là ! rcspondit-elle, no menliez-vous pas alors que
vous me disiez...?
— Ouoy? feit-il.
— Mais, me avoir suyvie ceste douzaine do fois aux ecdises
ol anllios lieux où i'alloys do ma porsoiino.
— Certes, dit-il.
— Doncques, respondit la Régonto, io m'estoune de n'avoir
veu que auiourd'huy ung preux ieune homme dont le couraige
est si bien engravé dedans les traicts. le ne me dédis point de
ce que vous avez entendu quaiul ic vous cuydoys navré. Vous
m'agréez et vous veulx bien faire.
Lors, l'heure du sacrifice diabolicque estant sonnée, lacques
tomba aux genoilz de la Régente, luy baisa pieds, mains, tout,
dict-on. Puis, en baisant et faisant ses prépa-
ratoires, prou va par luaint aigunu'iit à la vieille
vertu de sa souveraine (jne une dame portant
le fait de l'Kslat cstoyt bien en droict de s'os-
lialtre ung petit. Licence que n'admit point
l:i(lifto Régonto, laquelle tenoyt à estre forcc'o,
.illin (l'oMoliargior son amant de tout lo péché.
Ce néantnu)ins, c(tnq)toz i\uo elle s'estoyt, })ar
advance, Irez-bien j)arfumée, attornée de nuict
ot leluisoyt de ses dezirsd'accointance,cfont la
hanllo couleur luy prosloyt ung fard de bon
(|ii(l liiy avo\t bien osclairoy lo fainct. VA, maulgré sa
molle delfeiise, l'eut, connue ung tendron, emportée d'assaull on
son liel royal, on la bonne (hune et le ienne donzainier s'ospou-
sèrent en conscience, ha.de ieiix en noi/e. de uoize en riottes,
al
LK CIIASTEAU li'AZW.
27."
(le riollos ou iil}iiii(lcri('s,(li; lil on csi^iiillc, la HiVf'riff» déclara
croire mieux en la virginité de la Hoyiie Marie qu'an douzain
promis. Oi'es, j)ar advcnture, Iac(juesde Heauiie ne trouvovl |)()int
d'aage îi cesle yrant dame, sous les toiles, veu que tout clieten
niolamorpliose à la lueur des lampes de nuict. Bien des fennncs
de cin(}uante ans au jour ont vinyt ans sur le minuict, comme
aulcunes ont vingt ans à niidy et cent après vespres. Donccpies
Jacques, plus heureux de c<'ste reiu'ontre que de celle du Hov (!n
ung iour de pendaison, tint derediiel' sa gageure. Ores, Madame,
estonnéc à part elle, y promit de son costé bonne assistance,
oultre la seigneurie d'Azay-le-Bruslé, hicnguarnie de mouvances,
dont elle s'engagioyt à ensaisincr son cavalier, oultre la graaee
du père, si de ce duel elle sortoyt vaincue.
Lors le bon lils de dire : — Vécy pour saulver mon pèie de
iustice! Cecy pour le fief! Cela pour les lods et ventes! Cettuy
pour la forest d'Azay ! Item pour le droit de pesche ! Encores
pour les isles de l'Indre ! Gaignons la prairie ! Desgageons des
mains de la iustice notre terre de la(!arte, si cliierement acliep-
tée par mon père ! Voilà poui' une charge en (^<ourl.
En arrivant sans encombre à cet à-compte, il crut la dignité
de sa braguette engagée, et songia que, tenant soubz luy la
France, il s'en alloyt de l'honneur de la couronne. Hrief moven-
nant ung \œn qu'il (eit à son pation monsieur saint lac(pies de
luy baslir une clia|)elle audict lieu dAzay, il ])résenta son hom-
maige-lige à la Régente en unze périphrases claires, nettes, lim-
pides et bien sonnantes. Pour ce qui est
du darrenier épilogue de ce discours en
bas lieu, le Tourangeau eut l'oultre-cuy-
dance d'en vouloir lestoyer largement la
Régente, luy guardanl, à son resveil,
ung salut d'honneste honnne, et comme
besoing estoyt an seigneur d'Azay de
mercier sa souveraine. Ce qui esloyt sai-
gement entendu. Mais ({uand la nature est l'ourhue, elle agit
comme ung vrai cheval, se couche, mourroyt soubz le fouet
paravant de bougier, et gist ius(iues à oe que il luy plaise de se
lever guarnie en ses magazins. Doncques, alors ([ue, an matin,
le faulxcoimeau du chasieau d'Azay enireprint de saluer la lille
du Roy Loys unze, il l'eut conirainci, maulgrt' ses bonnelades,
de la saluer comme se saluent les souverains, par des salves à
274 CONTES DROLATIQUES.
pouldro soulomont. Aussy la Régonfo. au di-sinolici' du lict, ce
jU'iulaiit qiio l'ili' tlositMinovl avoo([uos lacquos, loquet so disoyt
seigneur légitime d'Azay, print acte de cette insulTisancc pour
contredire son escuyer et prétendit que il n'avoyt point gaignéla
gageure, partant point de seigneurie.
— Ventre-Saincl-Paterne ! i'en ay esté bien près ! dit lacques de
Reaune: Mais, ma cliiere dameet noble souveraine, il n'est séant
ni à vous ni à nioy d'estre iuges en nostre cause. Ce cas, estant
iing cas allodial, doibt estre porté en vostre conseil veu que le
fiel' d'Azay relève de la couronne.
— Pasqucs Dieu! repartit la Régente en riant, ce qui ad-
venoyt potitenient, ie vous donne la charge du sieur de Vieille-
ville en ma maison, ne l'eray point recherduM' vostre père, ie
vous baille Azay, et vous bouteray en ung oITice royal, si vous
pouvez,' mon honneur sauf, exposer le cas en plein conseil.
Mais, si ung mot venoyt à entacher mon renom de preude
femme, ie...
— le veulx estre pendu, dit le douzainier, tournant la cliouse
en rii'e, pour ce que madame de Reauieu avoyl un soupçon de
cholère en son visaige.
De faict, la fille de Loys le unziesme se soulcioyt plus vou-
lenliers de la royaulté que de ces douzains de miesvi cries,
dont elle ne feit aulcun estât, veu que, cuydant avoir sa bonne
nuictée sans bourse deslier, elle ])réréia le récit ardu de la
chouseà ung aultre douzain dont le Tourangeau luy faisoyt offres
réelles.
— Doncques, ma dame, reprint lel)on compaignon, ie seray,
pour le seur, vosire escuyer.
Ung chascun des capitaines, secrétaires et aullres gens ayant
des offices en la régence, estonnez de la briefve despartie de ma-
dame de Reauieu, apprindrenl son esmoy, vindrent au chasteau
d'Andjoise, en liaste de sçiivoir d'oii piocédoyt le tumulte, et se
treuvèreiit jiri'sls à lenii' conseil au li-ver de la Régente. Klle les
convoc(pia, pour ne point être soubeonnée de l(>s avoir truphez,
et leur donna aulcunes bourdes à distiller ([ue ils distillèrent sai-
genient. Kn fin de ccsie séance vint le nouvel escuyer pour ac-
conqiaigner la dicte dame. Voyant les conseillers levez, le liardy
Tourangeau lein' demanda solution d'img litige qui inqtortoyl
à luy et au domaine du ISov.
— KscoMti'/.-le, Iril i;i lii'i^eiite. Il dici vrav.
LE ClIASTKAI hAZAV.
275
Lors, Iac(|ucs do Ik-auiie, sans s\'S])aiil( rdr rapiiaicil (\f ccslc
lianlto iustico, pfint la parole ainsy, on à pi^i pivs : — Ndhlrs
soi^'nciii's, ic vous supplio, encore que ic vais parler à vous de
ro('(piilles de noix, d'eslre atlentil's en eesie cause, et me par-
donner la vélillerie du lan{^uaigo. Lny seigneur se promenant
avecques ung aultrc seigneur on ung verger advizèient ungbeau
noyer de Dieu, bien planté, bien venu, bel àveoir, bel à garder,
quoique nng peu creux; un noyer tousioin's frais, sentant bon,
ung iiover dont vous ne vous lasser-iez point, si vous l'aviez veu ;
noyer d'anuturcjui scnddoyt l'arbre du bien et du mal, del'leiuhi
par le Seigneur Dieu, et pour lequel feurcnt bannis nostrc mère
Eve et le sieur son niary. Ores, niesseigneurs ce dict noyer feu t
le subiect d'une légiere noize entre les deux seigneurs, une de
ces ioveidses gageures (jue nous soûlons faii'e entre aniys. Le
plus ieune se iacta d'envoyer douze l'oys, à travers ce noyer
îcuilh],ung l)aston que, pour lors, il avoyt en la main connue
ung cbascun de nous en lia parfoys en la sienne quand il se
pourniène enuny son veiger, et, par chaque gect dudict baston,
iouxter par teric une noix...
— Ce est-il bien le nœud du procès?... l'eit lacques se vir;uit
ung i)etit devers la Régente,
— Oui, messieurs ! respondit-elle, surprinse de l'estocci de
son escuyer.
— li'aullre gagea le contre, reprint le idaideur. Vécy mon
beau parieur de gecter le baston avec(|ues adresse et couraige,
si gentement et si bien, (pie tous deux y avoyent plaisir. Puis,
par joyeulse protection des saincts qui soy divertissoyent sans
doubte à les veoir, en chaque coup tomboyt une noix; et, de
faict, en eurent douze. Mais, par cas for-
tuit, la darrenière des noix abattues se
tieuva creuze et n'avoir aulcune poulpe
nourricière d'où pust venir ung aultre
noyer, si iardinicr l'eust voulu mettre en
terre. L'honune au baston ba-t-il gaigné?
l'ai dict. lugez !
— Tout est dict, l'eit messire Adam Fu-
mée, l'oiuangeau ([ui lors avoyt les sceaulx en guarde. L'aidlre
n'lia([u'une manière de s'en tirer.
— Vax (pioy'.' dit la Uégente.
— En jiayant, madame.
276 CO.NTKS liUOL VTIOUES.
— Il est par trop subtil, i'eit-clle en donnant ung coup de iiniin
sur la iouc de son escuyer: il sera pendu quelque iour...
Elle cuydoyl gausser. Mais ce mot l'eut la réaile horoscope du
dict argentier. Ii'quel rencontra resclielle de Montlaucon au bout
de la laveur ro\ale, par la vengeance d'une aultre vieille lennne
et la trahison insigne d'ung homme de Ballan, sien secrétaire,
dont il avoyt laict la tortune, lequel ha nom Prévost, et non point
Uené Gentil, comme aulcuns l'ont à grant toit appelé. Cettuy
(lanelon el maulvais serviteur bailla, dict-on, à madame d'An-
goulesme la (piittance de l'argent (jue luy avoyt compté le dict
lacques de Beaune, alors devenu baron de Semblancay, seigneur
de la Carte, d'Azay, et ung des plus haults bonnets de l'Estat.
De ses deux fds, l'un estoyt archevesque de Tours; l'autre géné-
ral desliiianceset gouverneiu' de Tourainc. Mais cecy n'est point
le subiect des i)résenles.
Ores, pour ce qui est de cesle adventure de la ieunesse du bon
lionnne, madame de Beauieu, à (jui si beau ieu estoyt esclieu
ung peu tard, bien contente de rencontrer baulte sapience el
entendement des afl'aires publiccpies en son amant fortuit, luy
bailla en gar<le l'espargne du Boy, oii il se conqxirta si bien,
nHdli|)lia si curieusement les douzains royaulx, (pie sa grant
renonnnée lui acijuit ung iour le maniement des linances, dont
il feut superinti-ndant etcontroola iudicieusement l'eniploy.non
sans de bons iiroulficts pour luy, ce qui iustc estoyt. La bonne
Bégente paya la gageure et l'eit délivrer ;i son escuyer la sei-
gneurie d'Azay-le-Bruslé, dont le chasiel avoyt esté jtiéçà luyué
par les [»reniiers bond^ardieis (|ui vindrcnl en Touraine, connue
ung chascun sçayt. Et, pour ce miracle pulverin, sans l'inter-
vention du Bov, les dicts enginieurs eussent esté condamnez
comme fauteurs et héréticcpies du démon par le tribunal ecclé-
siasti(pie du Chapitre.
Lors se bastissoyl aux seings de messire Boliiei", général di's
finances, le chasteau de Chenonceaulx, lecpiel, par mignardise
et curiosit(', boutovl son basliment à cheval sur la livière du
Cher.
(Ires, le baron de Seiiddaiicav, voulant aller à l'encontre du-
dicl Bohier, se iacta d'i'dilier le sien an lund de l'Indre, où il est
encores debout, connue le ioyau de cesle belle vallée verde,
tant il y feut solidement assis ez pilotis. Aussy lacipies de Bcaune
y despeudil-il trente mille escnz, oullre les corvées des siens.
I.K CIIASTKM D'AZAV
277
(;()iii|ilr/ cikI;'! f|il(' ce cliiistc;!!! est iiii;^ des l)(';iiil\', (les gfillils,
des iiiiyiioii.s, (les )ni<'iilx claljoifz cliastraulx de la iiii;^iionne
Toiiraine, et se baigne tousiours en l'Indre comme une galloise
princière, bien affile de ses pavillons et croisées à dentelles,"
avcc([ues iolys soiildaids en ses giioiiettes, tournant au gi(' du
ventconunelous li's souldards. Mais l'eut pendu lebon Senildanray
paravantde le liner, en suite (pie nul du de|iuys ne
s'est rencontre assez pouiveu de deniers pour lepa-
racbevcr. Cependant son maislre le Roy Françoys,
premier du noiii, y avoit esté son lioste, et si eu
veoit-on encores la chaiiibres royale. Au concilier du
Roy, Seniblaneay, leipiel estoyt, ]>ar ledict siri",
noiuiué (( mon père » en riiouueur de ses cheveuh
blancs, ayant entendu dire à son maistre auipiel il
estoyt tant anectionné :
— Voilà douze lieiiies liien liappées en vostre
lidinloiie, iiKMi eliier père !
— lié ! Sire, reprint le superintendant des linaii-
ces, à douze cou|)S d'ung marteau, pour le présent
bien vieil, mais bien frappez iadis en ccstc mesme
beure, doibs-je ma seigneurie, l'argent despeiidii en ice
riieiir de vous servir...
Le bon Roy voulut scavoir ce (pie entendoyt son serviteur par
ces estranges paroles. l)onc(}ucs, ce pendant (pie le sire se bou-
toyt en son lict, lacques de Beaune luy raconta l'bistoire que vous
sçavez. Ledict Frauf'oys ])reniier, le(piel estoyt friand de ces mar-
ganderies, estima la rencontre bien (liolalic(pie, et v print d'au-
tant plus de divertissement que alors madame sa mère, ducbessc
d'Aiigoiilesmc, sur le retourner de la vie, poiircliassoyt iing petit
le connestable de Ronrbon, iioiir en ohleiiii qiiel(pie.s-uns de ces
douzains. Maulvais amour de mauivaise remme,-<-ar de ce vint en
péril le rovaulme, l'eut piins le Roy et mis à mort le paouvre
SembhuK'ay, comme lia est(î cy-dessus dict.
l'ay en cure de consigner icy commeiil l'eiil hash je cliasleau
d'Azay, pour ce ipiil (ieiiioiire coiislaiit (pie aiiisy print com-
niencenient la iiaiille rinhiiie de Seiiil»laii(;ay, lequel lia moult
laict pour sa ville iialale. (pie il amiia; et si employa-t-il bien
de notables sommes au paraelievemeiit des tours de la callié-
drale. Cesle bonne adveiiture s'est contée, de père à Mis et de
sei;:iieiir à ^ei;iiieiir. aiiiliil lieu d' \/.i\ li-lînli I. m'i ledict r('cit
■Ile et
278 CONTES DROLATIQUES.
Iriii;iiie cncoivs soubz los courtinos tlu lloy, losqucllcs ont esté
ciirioiisemcnl rospocti'os iusques aiiiourtl'huy. Donojiu's est
laulse de toute l'uulseté l'attribution de ce douzain tourangeau à
ung chevalier d'Alleniaigne, (jui, j)ar ce faict, aurovt con((uesté
les domaines irAuslrichc à la maison de IIapsl)our<i. L'autlieur
de noslre tenijis (jui lia mis en lumière ceste histoire, (pioique
bien seavant, s'est laissé tru|iher [)ar auleuns chronieijueurs, veu
que la chancellerie de l'empire roniain ne faict point mention de
ceste manière d'ac((uest. le luy en veulx d'avoir cuydé (|ue une
braguette nourrie de bierrc ayt pu fornir à ceste al(|uemie hon-
neur des braguettes cliinonnoises tant prisées de Ral)elais. Kt
i'ay, pour l'advantaige (hi pays, la gloire. d'Azav, la conscience du
chastel, le renom de la maison de Heaune, d'où sont yssus les
Sauves et les Noirmoustiers, restably le laict dans sa véritable,
historicque et mirificque gentillesse. Si les dames vont veoir le
chasteau, elles treuveront encores, dans le pays, (juelques dou-
zains, mais en deslail.
LA FAULSE COURTIZANE
Ce cfuc aulcuns no sravcnt point ost la vi'rité touchant le trcs-
passement du duc d'Orléans, frère du roy Charles sixiesme,
meurtre qui advint jiar hon nundire de causes, dont une sera le
suhiect de ce conte. Cettuy prince ha esié, pour le sour, le plus
grant et aspre paillard de toute la race royale de nionsei^^neur
sainct Loys, qui feut, en son vivant, roy de France, sans mettre
néantmoins hors de concours aulcun de ceux qui ont esté les plus
deshauchez de cestc lionne famille, laquelle est si concordante aux
vices et qualitez especialesde nostiehravc et ri;j:oIlcuse nation, que
vous inventeriez mieulx l'enfer sans monsieui' Satan que la Trance
sans ses valeureux, glorieux et rudes braguards de Hoys. Aussy
riez-vous autant des regrattiers de philosophie qui vont disant :
« Nos pères estoyent meilleurs ! » que des lionnes savattes ])hi-
laiilhropicqucs, les(piell('s jiirlendent les hommes esire en voye
(le pciffclioii. Ce sont tous aveugles. Icsfpiels n'ohscrvenl point
le plumaige des hnislres et le cocquillaige des oyseaulx. qui
I.A PllbUue ET CUASTK VI.'Uuc !>....
LA F.M'LSn COI iitis\.m:.
2SI
iamais ne changent, non plus que nos alleures. n(' doncques!
rejîoubillonncz ieune, beuvoz liais cl ne |tlouiv/ jioint, vcu que
ung quintal de mélancliolie ne sçauroyt payer uneonccdefiippe.
Les (lesportemens de ce seigneur, amant de la royne Isabeau,
laquelle aynioyt dru, comportèrent beaucoup d'adventures plai-
santes, veu que il estoyt goguenard, d'un naturel al(ibiad('S(pi(',
vray Françoys de la bonne rocbe. Ce l'eut luv qui, premier,
conceut d'avoir des relays de lenunes, en soite que, alors (|ue il
alla de Paris à Hourdeaux, treuvoyt tousiours, au desseller de sa
monture, ung bon repas et ung lict guarny de iolies doubleures
de chemises. Heureux prince! qui mourut à cheval, comme
tousiours il estoyt, voire mesmes entre ses draps. De ses comicques
ioyeulsetez nostre trez-excellent Roy Lovs le unziesme en ha
consigné une mirificque au livre des Cent Nouvelles nouvelles,
escriptes soubz ses yeulx, pendant son exil en la Court de Bour-
gongne, où pendant les vesprées, ])Our sov divertir, luv et son
cousin (^ihuiolois se racoutoyent les bons tours advenus en cettuy
temps. Puis, (juand dc'l'ailloyt les vrays, ung chascun de leurs
courtizans leur en inventoyent à qui mieulx. Mais, par respect
pour le sang royal, monseigneur le Daulphin ha mis la chousc
advenue à la dame de Cany sur le couq)te d'un bourgeois, et
sous le nom de la Médaille à revers, que ung chascun peut lire
au recueil dont il est ung des ioyaulx les mieulx ouvrez et com-
mence la centaine. Vécy le mien.
Le duc d'Orléans avoyt ung sien serviteur, soigneur de la pro-
vince de Picardie, nommé Haoul d'IIocquetonville, b^quel print
pour femme, au futur eslrif du prince, une damoiselle alliée de
24.
•282 CONTES DROLATIQUES.
la maison do Courgongno, riche on domaines. Mais, par exception
aux figures d'héritières, elle estoyt d'une heaulté si esclatante,
que, elle présente, toutes les dames de la Court, voire la Uoyne et
madame Valentine, semhloyent esirc dans runihro. Néanlmoins
ce ne estovt rien, en la dame d'iloctpictonville, (pie sa parente
hourguignotte, ses hoyeries, sa ioliesse et mignonne nature, pour
ce que ces rares advcntaiges recevoyent ung lustre religieux de
sa supresme innocence, belle modestie et chaste éducation. Aussy
le due ne llaira-t-il pas longtemps ceste fleur tomhét; du ciel sans
en estreentiebvré d'amour. 11 client en mélaneholie, ne se soulcia
plus d'aulcun clappier, ne donna qu'à regret, de temps à aultre,
ung coup de dent au friand morceau royal de son Allemamle
Isabeau, puis s'enraigea et iura de iouyr par sorcellerie, par force,
par trupherie ou bonne voulenté, de ceste tant gracieuse femme,
laquelle, par la vision de son mignon corps, le contraingnoyl à
s'appréhender luy-mesme pendant ses nuicts devenues tristes et
vuydes. D'abord la pourchassa trez-ibrt de paroles dorées; mais
bien tost cognent à son air gay que, à part elle, estoyt conclud
de demourer saige, veu que elle luy respondit, sans s'estomirer de
lachouse,ni soy fasclier connue l'ont h's Icmmes de court talon :
— Mon seigneur, ie vous diray que ie ne veulx point m'incom-
moder de l'amour d'aultruy, non par mespris des ioyes (jui s'y
rencontrent, car bien cuisantes doibvent-elles estre, pour ce que
si grant numbre de femmes s'y abysment, elles, leurs maisons,
gloire, advenir et tout, mais j)ar amour des enfans dont i'ay la
charge. Point ne veulx mettre la rougeur en mon front, alors ipie
ie rebattray mes filles de ce principe servatenr : que dans la
vertu sont pour nous les vrayes félicitez. De liiict, mon seigneur,
si nous avons plus de vieulx iours (jue de ieuncs, à ceulx-là
debvons-nous songier. De ceulx qui m'ont nourrie i'ai apprins à
existimer réallemenl la vie, et seays (jue tout en est Iransiloii'e,
fors la sécurité des affections natuielles. Aussy ie veulx l'estime
de tous, et par-dessus celle de mon espoux, leipiel est j)onr moy
le monde entier. Donccpics ay-jedezird'estre honnesle àsesyculx.
I'ay dict. Et vous suj)plie de me laisser vaquer en paix aux
clious(;s de mon mesnaige, aultrement i'en refereroys sans ver-
gongne à mon seigneur et maistre, (pii se relireroyt de vous.
Ceste brave response amomaclianl davantaige le frère du Kov,
il se délilx'ra d'enq)i('g('r reste n(»blc Iniinic, à ceste fin de la
posséder iiioilc nii vilVr, et ne di)iil)l;i jiniiil de |;i inctlre en son
LA FAULSF COURTISANE. 28Ô
greflc, se fiant à son sçavoir on ccslc clinsso, la pins inynilso do
toutes, où bosoing est d'usor dos engins d(;s aultros cliassos, von
que ce ioly gibier se print à courre, aux niirouers, aux flam-
boaulx, de nuict, do iour, à la ville, on canipaigno, oz fourre/,
aux bords d'oauc, aux filets, aux lanlxcons deseliapperonnez,
à l'arrest, à la trompe, au tir, à l'appeau, aux rots, aux toiles,
à la pippéc, au gistc, au vol, au cornet, à la glue, à l'appast, an
pippeau, enfin à tous pièges ingéniez depuis le bannissement
d'Adam. Puis se tue do mille manières, jiiais pros(pio tousiours à
la clievau!eli('e.
Doiioques le i)on sournoys ne somia jihis mol de ses dezirs, mais
l'oit donner à la dame d'iloeipietonvillo une charge on la maison
de la Royne. Ores, ung iour que ladicte Isabeau s'en alloyt à
Vincesnes venir le Roy malade, et le laissoyt maistre en l'Iiostol
Sainct-Paul, il ordonna le |)lus friand sou|)or royal au queux, luy
cnioingnant do le servir dedans les cliandjres âo la Pioyne. Puis
manda sa rostive dame })ar exprès oommandemont et par ung
paige de l'hostcl. La comtesse d'IIoc(|uetonvillo, cuydant estrc
deziréo par madame Isabelle pour aiïairo de sa charge, ou conviée
à (pu^bpie osbat soubdain, se liasta de venir. Ores, selon les
dispositions {)rinsosj)ai' le dosloyal amoureux, nul no put informer
la noble dame de la despartio do la i»rincosse; dono(|uos elle
accourut iusques en la belle salle qui est à l'hostel Sainot-Paul
avant la cbambre où couchioyt la Royne. Là voit le duc d'Orléans
seul. Lors redouta quelque traistre cmprinse, alla vitemont en
la chambre, ne rencontra point de Royne, mais entendit ung
bon franc rire de prince.
— le suis perdue, feit-elle. Puis voulut se enfuir.
Mais le bon cbasseur de femmes avoyt aposté des serviteurs
dévouez, lesquels, sans cognoistre ce dont il s'en alloyt, fermèrent
l'hostel, barricadèrent les portos, et dedans ce logiz, si grant que
faisoyt-il le (piait do Paiis, la dame d'ilocquolonvillo se trouva
comme en ung désert, sans aultre secours que coluy do sa pa-
tronne et Dieu. Lors, doubtantde tout, lapaouvredamo tressaillit
horrificquement et tomba sur une chaire, quand le travail de
ceste endjusche, si curieusement oxoogitée, Iny font démonsln'
entre mille bons rires par son amant. Alors (pie le duo l'oit mine
(1(^ s'approuchor, ceste l'ennne se lova, j)uis luy dit on s'ai'mant
de sa langue d'abord, et mettant mille malédictions on ses youlx :
. — Vous iouyrez de moy, mais morte! lia! mon seigneur, ne
284 CONTES DROLATIQUES.
niP contraignez point à uno liicte qui so sçanra sans double
aulcun. En ce niomont, io puis nio rotiror, ol le sieur (rilocquo-
tonville ignorera la iiiale heure que vous avez mise à lousiours
en ma vie. Duc. vous resguardez trop le visaige des dames pour
treuter le temps d'estudier en celluy des hommes, et vous ne
cognoissez point quel serviteur est à vous. Le sire d'Hocqueton-
ville se feroyt hascher pour vostre usaige, tant il est jjien lié à
vous, en mémoire de vos hienfaiets, et aussv pour ce que vous
luy plaisez. Mais autant il aynie, autant il hait. Et ie le cuyde
homme à vous deschargier, sans jiaour, ung coup de masse en
vostre teste, pour tirer vengeance d'ung seul cry que vous me
auriez contraincte à gecter. Souhhailez-vous ma mort et la vostre,
meschant? Soyez acertené que mon tainet dhonneste femme ne
sçait guarder ne taire mon bon ni maulvais heur. Ores bien,
ne me lairrez-vous point yssir?...
Et le braguard de sifller. Oyant ceste sifïlerie, la bonne femme
alla soubdain en la chambre de la Royne et v print, en ung lieu
que elle sçavoyt, ung ferrement agu. Puis, aloi's que le duc entra
pour s'enquérir de cequevouloyf dire ceste fuite : — Quand vous
passerez ceste raye, cria-t-elle en luy monstrant le planchier. je
me tueray.
Leduc, sans s'effrayer, print une chaire, se bouta iuz la solive,
et commença des arraisonnemens de négociateur, ayant espoir
d'eschauffer les esperits à ceste femme faulve, et la mettre au
poinctde n'y veoir goutte, en luy remuant la cervelle, le cueur et
le reste par les inuiiges de la chouse. lloncques. il luv vint dire,
avecques les fassons mignonnes dont les princes sont coustumiers,
que d'abord les femmes vertueuses acheptoyent bien obier la
vertu, veu que, en ceste fin de gaigner les chouses fort incertaines
de l'ad venir, elles perdoyent les plus belles iouyssancesdu jirésent,
pour ce que les marys estoyent contraiiicts, par liaullc j)()lili((pie
coniugale, de ne point leur descouvrir la boéte aux ioyaulx de
l'amour, veu que cesdicts ioyaulx resluisoyent tant dans le cueur,
avoyent si cbauldes délices, si chatouilleuses voluj)tez, que une
fennne ne sçavoyt jdus resterez froides régions du mesnaige;
que ceste abominalion maritale estoyt Irez-léslonne, en ce (jue,
j)our le moins, ung homme debvoyt-il, en recognoissance de la
saige vie d'une femme de bien et de ses tant cousteux mérites,
s'escbiner, se bender, s'exterminer à la bien servir en toutes
les fassons, pigeonneries, beccjuetaiges, rigolleries, beuvettes,
L\ l'AlLSK COI l'.TIZ \NK. 28 j
frian(lisos(^t goiilillcscoiificlincsdc r.iiiioiir; otqiiosi ollf^vouloyt
gouslcning |»('lil à la st'rii['liic(|iii' (loiilcciir de nos rni^noriiiciios
à elle iiicogiiucs, elle ne vorroyt le restant des rlionses de la vie
que comme lestus; et, si telle cstoyt sa voulenté, luy seroyt plus
muet que ne sont les trespasscz; par ainsy, nul scandale ne con-
chiornyt sa vertu. Puis, le nis(' paillard, voyant que la dame ne se
boneliioyt iiuUeiiionl les aiireillcs, entrepriut de luy descripri; en
manière de peintures arabescpu's, qui lors avoyent granl laveur,
les lascives inventions des deshancliez. Ores doncques, il gecta
des llamnies par les yeulx, bouta mille braziers dedans ses paroles,
musicqua sa voix, et prinl plaisii' ])our liiy-mesine à se ramon-
levoir les diverses nu'lbodesdeses aiuyes, les nonunant à madame
d'|[o('(|uelo[iville, et luy raeonlani lucsnie les lesbineries, cliat-
tonneries et doulees estrainetes de la Roync Isabelle, et feit usaige
d'une loquelle si gracieuse et si ardemment incitante, que il crut
veoir lasclier à la dame ung petit son redoutable fer agu et lors
leit mine d'a))pr(»iu'lier. Mais elle, bouleuse d'estre prinse à
resver, resguarda lièremenl le dial)olic(jue Levialban qui la ten-
toyt et lui dit : — Beau siic, ie vous mercie. Vous me l'aictes
davantaigc avmcr ni(»ii noble esj)oii\, jiour ceque, par ces cbouses
i'apprends (pi'il m'exislime moult, en ayant tel respect de moy,
(pi'il nedcsiionore point sa eouebe par les veautreries des ville-
lières et femmes de maulvaise vie. le me cuyderoys à iamais
honnie et seroys contaminée pour réternité, si ie metloys les
pieds en ces bourbiers on vont les postic(jueuses. Aultre est
i'esponse, aultre est la maistresse d'ung homme.
— le gaige, dit le duc en soubriant, (jue (b'sormais vous
presserez néantmoins ung peu plus le sire d'IIocquetonville au
déduiet.
A cccy, la bonne femme frémit et s'cscria : — Vous estes ung
maulvais. Maintenant ie vous mesprise et vous abomine! Quoy!
ne pouvant me tollir mon honneur, vous visez à souiller mon
ame! lia! mou seigneur, vous porterez griefve p)ine de eetiuy
moment.
Si je vous le pardoiiit.
Dieu ne l'oubliera point.
Ne est-ce pas vous (pii avez l'aie! ces versiculets?
— Madame, dit le duc paslis»;aut de cholère, ie puis vous
l'ain; lier...
286 CONTES DROLATIQUES.
— Ho ! non. ic mo suis faicto libre ! respondit-ello en bran-
dissant sonlVr ai;u.
Le braguard se print à rire.
— N'ayez pas paour, feit-il. le sçanray bien vousplongieren
les bourbiers où vont les portiequeuses et dont vous foignez.
— Jamais, nioy vivante !
— Vous irez en ])lein, reprint-il, et des deux pieds, des deux
mains, de vos deux tetlins d'ivoire, de vos deuxaultres cbouses
blanches comme neige, de vos dents, de voscbeveulx et de tout !...
Vous irez de bonne voulenté, bien lascivement et à briser
vostre cbevaulelieur comme fcroyt une liacquenée enraigée qui
casse sa cropière, pialliint, saullant et pélarradant ! le le iure
par sainct Caslud !
Et tost il sil'lla pour faire monter ung paigc. Puis, le paige
venu, secrettement luy commanda d'aller quérir le sire d'Hocque-
tonville, Savoisy, Tanneguy, Cypierrc et aidtres ruffians de sa
bande, les invitanlà souper céans, non sans, eulx conviez, requé-
rir aussy quebjues iolies cjiemises pleines de belle chair vifve.
Puis revint se seoir à la chaire, à dix pas de la dame, laquelle
il n'avoyt cessé de guigner, en faisant à voix muette ses com-
mandemens au paige.
— Raoul est ialoux, dit-il. Alors ie vous doihs ung bon advis...
En ce réduicl, l'eil-il monslrant ung huys secret, sont les huiles
et senteurs supeilines de la Royne. En cesteaullrej)etil bouge,
elle faict ses estuveries et vacque à ses obligations de femme. le
sçais, par mainte expérimentation, que ung chascun de vos gentils
becs ha son perfuni esjx'iial à quoy il se sent et est recogneu.
Lors, si Raoul ha, connne vous dictes, une ialousie esfran-
glante, ce qui est la pire de toutes, vous userez de ces senteurs
de hourbeteuse, puisque bourbier y ha.
— Ha ! mon seigneur, que prétendez- vous?
— Vous le sçaurez en l'heure où hesoing sera que vous en soyez
informée, le ne vous veulx nul jnal, et vous baille ma parohî
de lovai chevalier (jue ie vous res|)('(lt'ray trez-i'orl elme laiiay
sempiterncllement sui- ma descouliture. Rrief, vous cognoislrez
(pie le duc d'Orléans ha bon cueur et se venge noblement du
mespris des dames en leur donnant en main la clef du pai'adiz.
Seul('in»'n(, prestez l'aureillc aux |»arol»'s iovciilses (jui se dcsga-
boulciont en la pièce voisine, el sur toutes cliouses ne toussez
poiiil, >i vous avmcz vos ciilans.
LA I AI Lbi; COI llTlSAMi. 287
Vcii (jiii' aulcunc yssue iiV'sloyloii ccstc cliaiiibrc royale; (;t(|nG
la croix dos bayes laissoyt à «^raiil poinc' la place de passer la
teste, le braguai'd iernia l'imys de ceste chambre, acertené d'y
tenir la dame captive, et à huiuelle il commanda en dairenier
lieu de demeurer coite. Vécy mes ri}^olleurs venir en grant
baste, et treuvèrenl-ils ung Itel el bon souper (jui rioyt e/ plats
vermeils en la table, et lai)le l)ien dressue, bien esclairée, belle
de SCS pots d'argent et pots jdeins devin royal. Puis leur maislre
de dire :
— Sus, sus, aux bancs, uicsljons aniys! l'ay l'ailly m'ennuyer.
Ores, songiant à vous, i'ay voulu l'aiiv en vostre compaignie ung
bon traason de chère lie à la méthode anticquc, alors que les
Grecs et Romains disoyent leurs Paster nosterh. messer Priapus
et au dieu cornu ({ui ha nom Bacchus en tous pays. La fcste
sera, vère, à doubles basions, veu (|ue au serdeau viendront d<'
iolies corneilles à trois becs, dont ie ne sçays, depuis le granl
usaige que l'en iays, quel est le meilleur au becqueter.
Et tous, recognoissant leur maistre en toute chouse, s'csbau-
dirent à ce gay discours, fors llaoïil d'IIoc(iuetonville, qui s'ad-
vança pour dire au [jrince :
— lUau sire, ie vous ayderay mie à la bataille, mais non en
celle des iup|)es : en chanq) cioz, mais non en celluy des pots.
Mes bons compaignons que vécy sont sans femmes aux logiz,
ains non moy.Si ay-ie gentille es|)ouse à laquelle ie doibs ma
conq)aignie et conq)le de tous mes faicts et gestes.
— Don(;(iues, moy, (|ui suis chaussé de mariaige, ie suis en
faulteV feit le duc.
— IIo ! mon chier maistre, vous estes prince, et vous com-
portez à vostre mode...
Ces belles paroles feirent, connue bien vous pense/, cliauld
et fi'oid an cueur de la dame [)risomiière.
— lia! mon Uaoul, leitelb', tu es ung noble homme!
— Tu es, respondit le duc, ung homme ([ue i'aymc et tiens
pour le plus fidelle etprisable de mes serviteurs. — Nous aullres,
feit-il en resguardant les trois seigneurs, sonunes de maul-
vais! — Mais Haoul, reprinl-il, sieds-toy. Ouaiid viendront les
linottes, qui sont linoltesde haulleslaige, lu le (h-sparlirasdever.s
ta mesnaigiere. Parla mort de Dieu ! ie t'avo\^ Iraicli' en JnimiiK'
saige, qui desioyes de l'amour exlraconiugal, ne sçayl rien, et
t'avoys soigneusement mis, en ceste chambre, la royne des Les-
2S8 CONTES DROLATIQUES.
Ijines, une diablesse on qui s'est relire tout l'engin de lafenicllc,
le vouloys, une foys en ta vie, toy qui ne lias ianiais eu grant
goust aux saulces de l'amour et ne resves que de guerre, le
bailler àcognoistre les absconses merveilles du guallant déduict
veu que il est honteux à nng lionnne (juiestà inoy de mal servir
une gente fcnniie.
Sur ees dires, d'lloe(|uel()nvill«' s'attabla pour conq)laire au
prince en ce qui luy estoyt licite de faire. Doncques, tous de rire,
tenir ioyeux devis et lourraiger les dames en paroles. Puis,
suyvant leurs us, se coiil'essèi'ent leurs adveutures, boinies rcn-
conlres, n'espargnaiit aulcune l'eunne, lors les bien ayniees,
trahissant les lassons espécialesde chascunc ; d'oiis'cnsuyvitde
bonnes petites horribles confidences (jui croissoyent en traistrise
et j)aillardise à mesure (|ue descroissoyent les pots. Leduc, gay
connue nng K'gataire univeisel, de poulser ses compaignons,
disant l'aulx pour cognoislre le vray; et lesconq)aigii()ns dealler
au trot vers les plats, au galop vers les pois, cl d'enrouler leurs
ioyculx devis. Ores,- en les escoutant,en s'empourprant, le sire
d'Ilocquetonville se desliouza, brin à brin, de ses restivetez.
Maulgré ses veilus, il s'indulgea (juehjiies dezirs de ees chouses
et (icsboula dedans ces iiiipurclcz commuc nng saincl (|ui s'en-
glube en ses prières.
Ce que voyant, le prin(!e, attcntil'à satisfaire son ireel sa bile,
se juint à luy dire en ioi-(iuelant :
— Ml'! |)ar saiiict Ciaslud ! Ilaonl, nonssonniies tou^ mesmes
le-l<'s m un:: I;(iimii'I, I(»ii> di^ciil-- jniis tir liddc. Va. nniis n'fii
LA FALLSK coj in i/.am;. 2xy
dirons rirn à Madame! r)oiic(|ii(^s, vo(Uf<'-I)ien, ic vcmIx le l'îiiic
cognoistrc les ioycs du ciel. — l.à ! JV'il-il en tocqiuniiriiuys de
lu rliiimhre où cstoyt ladaine d'IIoequetonville, là est nne dame
de la Court et aniye de la Hoyne, mais la plus j:iaiif ]))('sticssc
de Venus qui l'eut oneques, et dont ne sauioyent n|i|)rou('lier
aul( Mines courtizanes, clapotières, bouiheteuses, villolières ni
poslie({ueuses... Klle lia <'sl(' engendrée en ung moment oii le
paradiz esloU en itiye, oii lu nature s'cntrefiloyt, où les plantes
praetiipioveiit li'iiis liymeiit'es. où les besles liannissoyent, bau-
douinnoveiit, et oîi tout llamboyt d'amour, (juoycpie l'eiiime à
prendre ung autel pour son lict,elle est néaiitmoins trop graiit
dame pour se laisser vcoir et trop eogneue pour proférer aultres
paroles que crys d'amour. Mais point n'est besoin de lumière,
veu (|ueses vcuk geotent des flammes ; et point n'est besoins de
diseoiiis, veu que elle parle par des inonveniens et torsions plus
rapides (jue celles des bestes faiilves snrpiinses en la feiiillée.
Seulement, mon lion Raoul, aveivjues monhire si gaillarde, fieiis-
toy mie aux crins de la beste, lucte en bon clicvaiilclicur et ne
quitte point la selle, veu (jue d'un seul geet elle te eloueidyt
aux solives, si tu avoys à rescbinc ung boussin de poix. Klle ne
veoit que sur la plume, brusb> tousiours et loiisiours aspire à
homme. Nostre jiaouvre amy deflunt. le ieiine sire de Giae, est mort
blesmypar son faiet; elle en ha frippé la mouelle en ung prin-
temps. Vray Dieu ! pour cognoistre leste pareille à celle dont elle
sonne les cloches et allume les ioyes, quel homme ne quittei'oyt
le tiers de son heur à venir ! et (jui riiacogneue donneroyt, pour
une seconde nuiclée, r('ternilé tout entière sans nul regret.
— Mais, feit Haoul. en cbonses si naturellement uiiil-s, com-
ment V ba-t-il doncques si lortes dissemblances?
— lia ! lia! lia!
Vécy mes bons coiii|)aignons de rir(\Puis anime/ |tar lesxiiis
et sur ung clignement d'yeulx du maislre. tous se |trindrenf à
laconter mille (inesses, mignardises, en criant, se démenant et
s'en pourlescbant. Ores, ne saichant point que une naïve escbo-
lière cstoyt là, ccsbraguards, qui avoyent nové leur vergongiic ez
])Ots, desniimbrèient des (bouses à faire rougir les ligures engra-
vées aux cbemiiiées, lambriz et boiseries. Puis le duc encbéril
sur tout, disant que la dame qui osloyf coucbiée en la chambre et
attendoyt ung guallant debvdvt eslic l'empérière de ces iinagiiia-
lioiis larl'allasques pour et' qu'elle en ;idiiiii\l(i\t en cliaque imiet
'25
Rostre p;iou\n; amy ilcduticl; le icuik' siiv ,lo Ciac, .>.st moil hlcsiny par
son laict; clic en a fiippù lu iiiouellu en 11%' luinleiiips.
L A F A U IrS-lv &0 1: P».T I S A N K .
201
(le (lial)()Iicquonionl chauldos. Sur ce, les pots estant vnydez, le duc
poulsa Raoul, (jui se laissa poulser à bon escient, tant il estoyt
(■ndi;d)I(',(|r(l;ins l:i cliainlircoù, pai' ainsy, le prince conlrain^Miovt
la (laine à dclilieicr de ([ucl poi^Miaid elle vouloyt ou vivre ou
niouiir. Sur le minuict, le sire (rilo(<|uetonvill('yssit tiez-ioveulx,
non sans remords d'avoir truplié sa bonne femme. Lors le duc
d'Orléans feit saulver madame d'ilocquetonvillc par une porte
desiardins, àcestefinque elle gaignast son liostel devant que son
espouxy arrivast,
— Cecy,luidit- .^ '-^-'7?/^^
elle en l'aureille
en passant la po-
terne, nous cous-
lera cliier à tous.
Un an ajirès,
en la vieille rue
du Temple, Raoul
dellocquetonville
rpii avoyt (juitlf' le service du (][ic pour celluy de lebau de Rour-
fiongne, descliargea, premier, ung,cou[) de liaclie en la teste
dudict seigneur, frère du Roy, et le navra, comme ung cliascun
sçayt. Dans l'année estoyt morte la dame d'Hocquetonville, ayant
despéry comme fleur sans aër ou rongée par ung taon. Son bon
mary feit engraVer au marbre de sa tumbe, qui est en ung
cloistre de Pérdnne, le devis ensuvvant :
CY CIST
BEP.TIIE DE ROURGONGNE
SOUr.E ET GF.NTn FEMUr
DE
RAOIL, SIUE DE IIOGQLETONVILLE
las! ne puiez point pour SOS AME
ELLE
HA REFLORI EZ CIEULX
LE UKZE JANVIER
DE l'as DE N. S. H CCCC VIII
ES l'aAGE de XXII ANS
LAISSANT DEfX FIF.DX ET SOS SIEUR ESPOIX EN CHANT
DEIII..
I... ius.c irespas .le ce braguard ha nêanlmoins rausé plusieurs gnnses
Kuenes que. finaM.-.nenl, l.oys le unziesine, impalicnlé, esla.ngn.l ù loups
(le hache.
LA FAILSE COURTISANE. 20Ô
Ce lumboaufciitoscript en hoan latin; mais, pour la commo-
dité (le tous, l)('soinp[ estoyt(l(! le iVauroyscr, oucorcs (\\ir le mot
de gente soit l'ovhlc pour cclluv de fonnosa, (\m sij^nilic (jra-
cieuse de formes. Monsfiyneur le duc dcBourgouyiiç, dict saiifi
paour, en qui, paravant de mourir, se descliargca le sire de
Hocquctonville de ses poines, cimentées à cliaulx et à sable en
son cueur, souloyt dire, maulyré sou aspre dureté en ces rliou-
ses, que ceste épitajdie le muoyt en mélaneholie pour ung mois,
et que parmy les abominations de son cousin d'Orléans s'en
lieuvoyt une pour laquelle il recommonceroyt à le menrdrii-, si
là ne l'estoyt, pour que ce maulvais liomme avoyt villainemenl
mis le vice en la plus divine vertu de ce monde, et prostitué
deux nobles cueurs l'ungpar l'aultre. Et ce disant, il songioyt
à lu dame de Hoccjuetonville et à la sienne, dont la pourlrayc-
ture avoyt esté induement placée au cabinet où son cousin
boutoyt les imaiges de ses gouges.
Geste adventure estoyt si griefvemeilt cspouvantablc, que,
alors que ell(> lent racontée par le comte de Cliarolois au Daul-
pbin, depuis le Roy boys uuziesme,celtuy ne voulut point que les
secrétaires la missent en lumière dedans son Recueil, par esguard
pour son grant uncle le duc d'Oi'léans et pour Dunois, son vieil
compaignon, fils d'icelluy. Mais le personnaige de la dame de
Hocquctonville est si rcluysant de vertus et beau de mélancbo-
lie, que, en sa faveur, sera pardonné à cetluy conte d'estre icy.
maulgré la diabolic(pie invention et vengeance de monseigneur
d'Orléans. Le iuste trespas de ce braguard lia néantmoins causé
plusieurs grosses guerres que, fînablement, Loys le unzicsme,
inq)atienté, estaingnit à coups de liacbe.
Cecy nous démonstre (jue dans toutes cbouses il y lia de la
fenmie, en France et ailleurs, puis nous enseigne ipie tost ou
tard il l'aut payer nos lollies.
25.
LE DANGIKR D'ESTRE TROP COCQUEBIN
Le sieur de Monoonloiirjion souldnid toinaiiiioaii, leijnel, on
riiouncurde la lialaillc iciiiportt'c par le due d'Anioii, de })resent
noslre Irez-j^lorieux sire, leil baslir lez Vouvray le eliasleauainsy
nommé, veu que il se estoyt fort vaillamment comporté en ceste
alTaire, où il defleit le plus i;ros des liéréticcjues, et, de ce,leut
aulliurisé à en prendre le nom, donecpies, eediet eapitaineavoyt
deux lils, bons calliolitMpies, dont l'aisué Irez-bien en Court.
Lors de la pa(iliealion,(pii lent iaielepar avant le stratagesme
dressé au iour de Saint-Barthelemy, le bonhomme revint en son
manoir, lequel n'estoyt point aorné eonuïie il est au iour do huy.
Mais là récent le triste; messaij;e du ti'es])as de son lils, oceisen
duel par le sieur dcN ill('(|ui('r. Lepaoïivic jière l'eut d'autant plus
navré de ee, (|U(;il avo\t movemic' nu<' bon estai de niariaiue à
ce dict lils, aveeques une damoiselle de la branche masIed'Am-
boise. Ores, parce décez trez-piteusemenl intempestif, s'en alloyt
tout riieur.et les advanlaiges de sa l'aniille dont il souloyt faire
uu<' ^'raiit cl miblr niaismi. Hans celle vizccavoyt mis son aullre
LE n.VNGIER DTSTRK TROP COCOri; l'.IN. 295
fils on ung monslier, soubz la coiuliiilc cl gouvoincinciil d'iing
lioiniiio roiioiuiué i)OUi' sa sainclclô, lequel le noiuTissoyt troz-
cliifst'KMincnu'iit selon le vœu du |)ère, rpii voulo\t,('ii veuedesa
liaullf audjilion, en taire ung eardiiial de ini'iitc. l'our ce, K; bon
abljc tenoyteii cliartre privée ledicl ieuiie homme, Icconcidoyl à
ses costcz en sa cellule, ne laissoyt j)0ulser aulcune niaulvaise
herbe en son esperit, réducquoyt en blancheur d'ame et vraye
conlrilion, cnmme debvroyent esire tous prebstres. Ce diclcleic,
à dix-iicul' ans sonnez, ne cognoissoyl aultre amour que l'amour
de Dieu; aultre nature que celle des anges, lesipiels n'ont point
nos chouses charnelles, j)our demourer en granl pureté, veucpie,
sinon, en iiseroyent-ils bien fort. Ce que ha redouté le Roy d'en
hault, (|ui vouloyt avoir ses paiges tousiours nels.lîien luy en ha
jirins, pour ce que ses petites bonnes gens ne pouvant poculer ez
cabarets et fousiller ez clappiers connue les nostres, il est divine-
ment servy ; mais aussy, comptez qu'il est seigneur de tout. Donc-
ques, en ce meschief, le sieur de Moncontour s'advisa de faire
yssir son secund fds du doistre, luy bailler la pour|)re soldates-
que et courtisanes(pie, au lieu et place de la ]K)urpre ecclésias-
tic(jue. Puis se délibéia de le donner en mariaigeà la dicte fille
promise au mort, ce (pii estoyl saigement pensé, pour ce que,
tout cotonné de continence et farcy de toutes sortes comme cstoyt
le moynillon, l'espousée en seroyt bien servie et plus heureuse
qu'elle n'auroyl esté avecques l'aisné, desià bien l'ourraigé, des-
conlict, llatry par les dames de la Court. Le frocquard desirocqué,
trez-moutonnièrement l'assonné, suyvit les sacres voulentez de
son père, et consentit au dict mariaige, sans sçavoir ce queestoyt
d'une femme, ni, 'cas plus ardu, d'une fille. Par adventure, son
voyaige ayant esté; empesché [)ar les troubles et marches desj»ar-
tis, ce coc(juebin, plus C(»ci[ucbin (jue n'est licite à ung homme
d'estre coc(j[uebin, ne vint au chasieau de .Moncontour que la veille
des nopces, qui s'y faisoyent avecques dispenses aciieptées en
l'archevesché de Tours. Resoing est de dire, en ce lieu, ce que
estoyt l'espousée. Sa mère, veul've depuis un long temps, habi-
toyt le logiz de monsieui- de Rniguelongne. lieutenant civil du
Chaslelet de Paris, dont la femme d'icelluy vivovl avec([ues le
sieur de Lignieres, au grant scandale de eettuy temps. Mais ung
chascun avoyt lors tant de solives en l'œil, que nul n'avoyt licence
de veoir les chevrons ez yeulx d'aultry. Doncques, en eha(|ue
fiiMilie, les Liens alloyent en la voye île iierdilion, sans s'i>slo-
i>îlO CO.MKS niiOLATIOUES.
iiiiivi' (lu vdisiii, 1rs uns à l'anihlcjes aultres au petit trot, beau-
coup au galop, 11' nioiudre nunibre au pas, vcu (jucci'sto voye est
fort déclive. Aussy, en ces moniens, le diable leit trez-bien ses
orges en toute cliousc, veu que les desportemens estoyent de
bon air. La paouvre antique dame Vertu s'estoyt, gi^elottantc,
réfugiée on ne sçait où, mais, de cy, delà, vivoltoyt en compai-
gnie de preudes femmes.
Dans la Irez-noble maison d'Amboisc, demouroyt encores en
pieds la douairière de Cbaumont, vieille vertu tiez-esprouvée, et
en qui s'estoyt retirée toute la religion et gentilbommic de ceste
lielle famille. La dicte dame avoyt prins, en son giron, dèsl'aage
de dix ans, la petite jiueelle dont s'agit en ceste advenlure, ce
dont madame d'Amboisc ne receut aulcun soulcy, en l'eut plus
libre de ses menées, et depuis, vint veoir sa fille une foys l'an,
quant la Court passoyt par là. Nonobstant ceste baulte réserve
de maternité, feut conviée madame d'Amboise aux nopcesdesa
damoisellc,et aussy le sieur de Braguelongne,par lebonbomme,
souldard qui sçavoyt son monde. Mais point ne vint à Moncon-
tour la cliiere douairière, pour ce que ne luy en octroya point
licence sa desplourablcsciaticque, sa catarrlie, ni Testât de ses
iambes, lesquelles ne gambilloyent plus. De ce moult ploura la
bonne femme. Si froingna-t-elle bien de lascher, ez dangiers de
la Court et de la vie, ceste gente pucelle, iolie autant ([ue iolie
peut eslre une iolie fille; mais si falloyt-il luy donner la volée.
Ains ce ne feut point sans luy promettre force messes et orai-
sons, dictes en cbasque vesprées pour son bonbeur. Et se recon-
forta ung petit la bonne dame, en songiant que son baston de
vieillesse iroyt aux mains d'ung quasi-sainct, dressé à bien faire
par le dessus dicl abbé, leijuel estoyt de sa cognoissance, ceiiui
ayda fort au prompt escbange des espoux. Knlinla baisant avec-
ques larmes, la vertueuse douairière luy feit les darrenières re-
conmiandations que font les dames aux espousées : comme quoy
debvoyt estre en respect devant madame sa mère, et bien obéir
CM tout au mary. Puis arrive en grant fracas la pucelle, soubz la
condiiicledes nu-scbines, cliamberières,escuyers, gentils bonuues
et gens de la maison de Cbaumont, (pie vous eussiez cuydé son
train estre celluy d'ung cardinal b-gat. Donc(|ues vindrent les
deux espoux, la veille de leurs espousailles. Puis, les festes faictes,
f«'ur(!nt mari('s en grant ponq)e, au ioui' de Dieu, à une messe
dicte aucliaste;iu par l'évesipie de blois, leipiel estoyt ung grant
IV. nANCrER D'KSTni' T[!n|> mCOIKniN. 207
ainy du sieur de Moncoiilcuir. Hiicf, se |)aiiiclievèrorit lus l'ostiiis,
(lances et lestoyeuieiis de toute sorte iusquos au matin. Mais,
par avant les coups de niiuuict, les lilles de nopccs allèrent cou-
cliier la mariée, selon la lasson de Touraine. Kt, pendant ce,
feit-on mille noises au paouvre cocijnchin j)0ur l'entraver de aller
à sa cocijueljine, le(|uel s'y presta Ibrt, par ignardise. Cepen-
dant le bon sieur do Moncontour airesta les ioc(jueteurs et dros-
leries, pour ce r{uo besoing estoyt que son fils s'occupast de bien
faire. Donctpies alla le cocqiiebin en la chambre de son espou-
sce, laquelle il estimoyt j)lus belle qne ne i'estoyent les vierges
Maries j)aini'fes ez tableaux italians, (laniands et aultres, aux
pieds des(|uels il avoyt dict ses palenostn.'s. Mais comptez que
bien enq)esclié se trouvoyt-il d'estre devenu sitost ung espoux,
pour ce que rien ne sçavoyt de la besongne, fors que une cer-
taine besongne estoyt à despescber, de laquelle par grantet pu-
dicque eslrif, il n'avoyt osé s'informer, mesmes à son père (|ui
luy dit sommairement :
— Tu sçays ce que tu bas à faire, et vas-y vaillamment.
Lors veit la gente lille qui luy estoyt baillée, bien coucbiéc
cz toiles de lict, curieuse en diable, la teste de costé, mais qui
couloyt ung resguard pic(iuant comme une pointe de hallebarde,
et se disoyt :
— le doibs luy obéir.
Et ne saichant rien, attendoyt le vouloir de ce gentilhomme,
ung peu ecclésiasticque, auquel, de faict, elle appartenoyt. Ce
que voyant, le chevalier de Moncontour vint auprès du lict,
se gratta l'am-eille, et s'y agenouilla, chose à quoy il esto\t
expert.
— Avez-vous dict vos prières? feit-il Irez-pati'peluement.
— Non, feit-ellc, ie lesay oubliées. Soubhaitez-vous les dire?
Doncques, les deux mariez commencèrent les chouses du mes-
naige par implorer Dieu, ce (jui n'esloyt |ioint malséant. Mais,
par cas fortuit, le diable ouyt et respondit seul ceste requesie,
l)i«^u s'occupanl lors de la nouvelle et abominable religion ré-
formée.
— Que ha-t-on commandé à vous ? dit le mary.
— De vous aymer, dit-elle en toute naïlVeté.
Cecy ne m'ha point esté prescri[»t, mais ie vous ayme, et,
i'en ay honte, mieux (|ue ie n'aymoys Dieu.
Ceste |)arole nelTarouchia point trop la mariée.
298 CONTES DROLATIQUES.
— le voulilioys bien, repartit le marié, me honter dedans
Yostre lict, sans trop vous gehenner.
— le vous ferav place voulentiers, pour ce cpie ie doiljs vous
estrc soumise.
— lié bien, l'eit-il, ne me resguardez point. le vais me des-
pouiller et venir.
A cestc vertueuse parole, la damoiselle se tourne vers lu ruelle,
en grant expectative, veu que ce estoj t bien la prime foys que
elle alloyt se treuver séparée d'ung bomme par les confins d'une
cbemisc seulement. Puis vint le (HKMjueljin, se glissa dedans le
lict, et, par ainsy, se trouvèrent unis de faict, mais bien loingde
la cbouse que vous sçavez. A'ites-vous iamais cinge advcim de
son pays d'oultre-mer auquel pour la prime foys est baillée noix
grollière? Ccttuy singe, sçaicbant, par baulte imagination cinges-
que, combien est délicieuse la vicluaille cacbée soubs ce brou,
flaire cl se tortille en mille cingeries, disant ie ne sçays quoy
entre ses badigoinces. lié ! de quelle alfectiou Testudie ; de
quelle estude. l'examine; en lequel examen la tient, puis la ta-
butte, la roule, la sacqueboute de cbolère, et souvent, quand ce
est ung cinge de petite extraction et intelligence, laisse la noix !
Autant en l'eit le paouvre cocquebin, leijuel devers le iour, l'eut
contrainct d'advouer à sa cbiere i'ennne que, ne saicbant com-
ment faire son office, ni quel estoyt ledict office, ni où se dé-
duisoyt l'office, besoing lui estoyt de s'entjuérir de ce, d'avoir
ayde et secours.
— Oui, feit-elle, veu que par mallieur ie ne vous l'enseigne-
ray point.
De laict, mavilgré leurs inventions, essays de toute sorte, maul-
gré mille cbous2s dont s'ingénient les cocquebius, et dont iamais
ne se doubteroyent les sçuvans en matière d'amour, les deux
cspoux s'endormirent, désolez de n'avoir point ouvert la noix
grollière du maiiaig(\ Mais convindrenl ]»ar sapieuce de se dire
tous deux trez-bieu partagiez. Lors(pic se leva la mariée, ton-
siours damoiselle, veu (jue elle n'avoyl point esté damée, se
vanta trcz-bien de sa nuictée, et dit avoir le roy des maris et y
alla, dans sescacquetaiges et reparties, dru connue ceux (|ui ne
sçavent rien de ces cbouses. Aussy, ung cbascun treuva la pu-
cclle ung jd'u bien desgourdie, veu que, |iar double railleiie,
une dame de la UoclKî-llorbou ayant incili' ime ieun(> |uu-elle de
la Doiirdaisière, la(|iielle ne seavoyt rien (U' la rliouse, à demander
IK DANGIER D'nSTliK TIKU' COCOlKniN. 299
à la iiiari('e : — ComljR'U de [tains vous lia piins voslrc mary
sur la l'ournce? — Viiifçt et (|ualr(', Icit-t-llc.
Ures, comme s'en alloyt triste le sieur marié, ce (lui l'aisoyt
grant poinc à sa femme, la(iucllc le suyvoyt de l'œil en espoir
de VL'oir linerson coc<|uel)iiiage, les dames cuydèren't que la ioye
de ceste nuict luycousioyl cliier, et (|ue ladielc niariéeavoyt ià
grant repeutance de l'avoir iiit'eà ruyné. Puis, au desieuner de
nopces, vindrent les Jiiaulvais brocards, qui, en ce temps, es-
toyent dégustez comme cxcellens. Ung disoyt que la mariée
avoyt l'air ouvert; ung aultrc, (juc il s'estoyt faict de bons coups
ceste nuict dans le cliasteau ; cetluy-cy, que le four avoyt bruslé;
cettuy-là, (|ue les deux i'amilles avoyent perdu ({uelque cliouse
ceste nuict que elles ne refrouveroyent point. Et mille autres
bourdes, coq-à-l"asne, contrepèteries, que, par maulvais lieur,
ne comprint point le mary. Mais, vcu la grant afllucnce de pa-
rens, voisines et aullres, nul ne s'estoyt coucliié, tous avoyenl
dancé, balle, rigollé, connue estcoustumeez nopces seigneuriales.
De ce feut content mon dicl sieur de Braguelongne, auquel
ma dame d'Amboise, vermillonnéc par le pensier des bonnes
cliouses qui advenoycnt à sa fdle, gcctoyt au lieutenant de son
cliaslelet des resguards d'esmerillon en matière d'assignations
guallaiites. Le paouvre lieutenant civil, se coguoissant en recors
et sergens, luy <|ui liajipovlles tirrclaines et maulvais garsons de
Paris, feignoytde ne point veoir sou bcur, encorcs que sa vieille
dame l'en requestast. Mais comjjtez que ceste amour de grant
dame luypoisoyt bien fort. Aussyne lenoyt-il plus à elle que por
esperit de iuslice, pour ce (jue il n'estoyl point séant à ung lieu-
tenant criminel de cliangier de maisiresse comme à ung bonnue
de r.ourt, veu (jue il avoyt en cbargc les mœurs, la police et la
religion. Ce néantmoins sa rébellion debvoyt (hier. Lendemain
des nopces, bon numbre de conviez se despartirent. Lors, nia-
dame d'Andjoise, monsieur de llraguelongnc et les grants parens
purent se coueliiei', leurs bosles descainpez. Doncques, apjirou-
cliiiut le sou[)er, le su'ur lieutenant alloyt recepvoir sommalions
à demy veibales aux((uelles il n'estoyt point séant, comme en
matière processive, d'opposer aulcunes raisons dilatoires.
Paravant de souper, la dicte dame; d'Amboise avoyt faict des
aguasseries, plus de cent, à cesle lin de tirer le bon Hr;iguelongnc
(le la salb; où il estoyt avcc(|ues la mariée. Mais yssit, au lieu et
pl;ne (lu li(,'ulenant, le marié, j»our se pourmener en la conqtai-
500
CONTES DROLATIQUES,
gnie de la mère de sa gcnlille femme. Ores, en l'esprit de ce
cooquebin esloyt poulsé comme champignon ung expédient, à
sçavoir : d'interroguer ceste bonne dame qu'il tenoyt pour
preude. Donccjues, se ramentevant les religieux préceptes de son
;il)l)é, lequel lui disoyt de s'enciuerir en toute cliouse ez vieils
gens experts de la vie, il euyda confier son cas à ma dicte dame
d'Amboise. Mais, en l'abord, i'eit, tout pantois et bien coy, aul-
cunes allées et venues, ne Ireuvant nul terme pour desgluber
son cas. et se laisoyt aussi trez-l)ien la dame, veu (|ue elle es-
toyt oulraigeusement lé rue de la cécité, surdité, paralysie vou-
lontaire du sieur de Braguolongne. Et disoyt, à part elle, che-
minant aux costés de ce friand à crocquer, coc(iuebin auqui-l
point nepensoyt, n'imaginant point que ce chat, si bien pour-
veu de ieune lard, songiast au vieulx :
— Ce lion ! lion ! lion !... à barbe en pieds de mousche ; barbe
molle, vieille, grise, ruynée,
ahannée ; barbe sans compré-
hension, sans vergongne, sans
nul respect féminin ; barbe qui
lcintdenei)ointsentir,niveoir,
ni entendre ; barbe esbarbée,
abattue, desbiffée ; barbe es-
reinée.Que le mal italian me dé-
livre de ce meschant braguard
à nez llatry, nez endjrené, nez
gelé, nez sans religion, nez sec
comme table de luth, nez pasle,
nez sans ame, nez qui ne ha
|»lus que de l'mubre, nez qui
n'y veoit goutte, nez grésillé
lonune feuilles de vigne, nez
(|ue ie hais! nez vieulx! nez
farcy de vent... nez mort ! Où
ay-je eu la veue de m'attacher
à ce nez en trullle, à ce vieil
verrouil (|ui ne cognoisl plus
sa voye ! le doime ma part au
(Habh- de ce vieulx nez sans
hnmieui', de ceste vieille barbe
ïrans suc, de ccsle vieille leste grise, di; ce visaigedemarniouzel,
LK DANGIEK D'KSTISI': TROP COCOUIUUN.
'.01
de ces vioillos giicnippcs, de ce vieil liailloii d'honmie, de; ce ie ne
sçays f|uoy. Et veiilx me fournir d'un ieunc espoux (jui m'es-
pouse liien... et beaucoup, et tous les iours. Et me...
En C(; sai;jfe pensieresloyt-clle quand s'inyénia le coc(juel)iri do
deshagoideison antienne àceslerenimesiaspremenl cliaslouillée,
laquelle à la prime périphrase i)rint l'eu en son entendement,
comme vieil amadou à l'escopcttc d'ung souldard. Puis, treuvant
saigc d'essayer son gendre, se dit en elle-mesme : — Ali ! barbe
ieunette, sentant l)on... Ali ! iolynez tout neul'!... IJarbc Iresclic,
nez coccpicbin, barbe pucelle, nez plein de iove, barbe priiita-
nière, bomie clavette d'amour !
Ellecul à en dire |ieiiil;iiil loiil le ((Uiis du i;inlin. leipiel eslo\t
long. Puis, convint a\icques le cocqiiebui (|iii . la iiiiiet Ncnue, il
'2(i
5(>2 CONTES IIROLATIUIES.
sçanroyl saillir »lo sa L-hambro et sanltcr on la sienne où elle se
iacloyt de le renilie plus sçavant que n'estoyt son père. Bien
l'eut content Tespoux et niereia madame d'Aniboise, la requé-
rant de ne sonnt'i' mot de ee traffie.
Pendant ce avoyt pesté le bon vieux l!rai.nu'loiii:ne, leipicl di-
soyt en son ame : — Vieille lia ! Ha ! vieilli- Ilou ! lion ! (piefes-
toulTe la eoequeluobe ! (juote ronge ung cancre ! vieille estrille es-
dentée ! vieille pantopldeoù le pied ne tient plus ! vieille arque-
blise ! vieille morue de dix ans ! vieille araignée qui ne renuu*plus
«|ue en s'entoilant le soir! vieille morte à yeulx ouverts! vieille
berci'usi- du diable ! vieille lanlerne du vieil crieur d'oubliés !
vit'ille de qui le resguard tue... vieille monstaclie du vieil tliéria-
cleur ! vieil à laire pleurer la mort!... vieille pédale d'orgue!
vieille guaisne à centcoulteaux ! vieulx ])orclied'ecclise usé par les
gonoilz ! vieulx tronc où tout le monde lia mis ! le doimeroys tout
mon lieur à venir pour estre (|uilte île lov !
(".omme il [)araclievoyt ce légierpensier, la iolie mariée, ([ui
songioyt au grant chagrin où cstoyt son ieune marydc ne point
sçavoir les erremens de ceste chousc essentielle en mariaige, et
ne se doublant nullement de ce ipie estoyt, cuyda luy saulver
(pu'lque grant eslrif, boutes et poines graves, en soy instruisant,
l'uis comptabien lestonneret lesiouir, en laprocbaine miictée,
alors que elle iuydiroyt en lui enseignant son debvoir : c Voilà
ce ((ue est de la cbouse, mon bon amv. » Doncques, nounùe, en
grant lespect des vieilles gens |iar sa cliière douairière, elle se
di'libéia d'arraisonner cettuv boubonnne avecipies des manières
gentilles, pour en distillei' le doulx myslèie de l'accoinlance.
(1res, le sieur de IJraguelongne, honteux de s'estre entortillé dans
les pensées navrantes de sa besongne du soir et de ne rien dire
à si Irisque conqiaignie, feit une interroguation sonmiaire à la
idiie mariée sur ce (|ue elle estovt bien heureuse, fournie d'ung
ieime mary, bien saige.
— (lui, bien saige, l'eit-elle.
— Trop saige... |»eut-i'slre, dit le lieutenant soubriant.
l'our eslre hriel', leschouses s'entrelilèrenl si bien entre eulx,
que, en entonnant ung aultre canticipie pétillant d'allaigresse, le
sieur de liragiieloiigiie s'engagea, de ce requis, à ne rieni'sjiar-
gner pour desendterluciHpier rentendenienl de la brn de ma-
dame d'And}oise, laquelle promit veuir esliidier la lesson chez
luy. Failles estât ipie la dicte dame d'.\mboise après souper,
lE DANGIFU D'F.STRF: TROP COCOIERIN. ÔOÔ
ioua leri'il)le imisic(|uci'ri Iiaullc ^aniiiio à inonsiciir de [5i':i;;ii('-
loiignc : Coniincquoy ii'uvoyt aulcunc recoynoissanco dos biens
(|uc clic lui avoyt apportez : son estât, ses finances, sa fidélité,
et cœtera. Enfin clic parla domy-lionrc sans avoii" évaporé
le (juart de son ire. De ce, mille coulteaiilx fcnrcnt entre eulx
tirez, mais en garduèrent les f,Miaisnes. Pendant ce, les mariez,
bien couchiez, se délibéroyent, uny cbascun à part luy, de soy
évader, pour faire plaisir à l'aultre. Et le cocquebin de se dire
tout tresmoussé de ne scavoyt (juoy, et de vouloir aller à l'aër.
Et femme non damée de l'inviter à prendre ung layon de lune.
Et bon eoctpiebinde [ilaiiulre sa jtetile de demourer senletle ung
moment. Hrief, tous deux en temps divers, yssirent de leur lict
coniugal, en grant hastc de quérir la sapience, et vindrent à leurs
docteurs, tous bien impatiens, comme vous debvez croire. xVussy
leur feuf-il baillé ung l)on enseignement. Comment ? Fe ne sçau-
roys le dire, pour ce (pie ung cbascun a sa mt'tb((d(>et praticque
et que, de toutes sciences, ceste-cyest la plus mouvante en prin-
cipes. Comptez seulement que iamais escholiers ne receurent plus
vifVement les préceptes de aulcunc langue, grammaire ou lessous
(pielconcjues. Puis reviiulrent les deux espoux en leur nid, bien
beureux de se comnnmiequer les descouvertes de leurs pi-ré-
grinations scient ilieijues.
— Ha! mon amy, l'eit la mariée, tu ensçays desià plus long
que mon maistrc.
De ces curieuses esprouvettcs vint leur ioyc en niesnaigc et
parlaicte tidt'lité, |)our ce que, dès leur entrée en mariaige,ils
cxpérimeiilèreiit condjien ung cbascun d'eulx avoyt des cbouses
meilleures pour les déduicts d'amour que ceux de tousaultres,
leurs maistres compiins. Doncqucs, pour le demourant de leurs
iours, s'en tindrent à la légitime estolle de leurs poisonnes. Aussy
le sieur de Moncontour disoyt-il en son vieil aage à ses amys :
— Faicles connue moy ; soyez cocqus en hei'be et non en
gerbe.
Ce qui est la vraye moralité des brayctlcs coniugales.
LA CIIIKHI- MICTKE D'AMOliR
Kn riivvrr où so onimnnclia la piiino prinso (r.n'mos diMciilx
(le la ii'lij,fion, et (jiii l'iMit a|iiH'l(' lo Inniullt' (rAnihoisc, iiiig
advocat nommé Avcncllos prcsla son loj;iz. sitm' en la nir des
Marmouzcls, pour les onlrovcuos et ronvcntioiis des lliii^oimcaiix.
oslaiil inifidos leurs, sans n('aiil moins
SI' donlilci' (pic If prince de Con(!('.
La lici:ii;uidiccl aidlrc^ dclilici'ovcnl
ià d'enlever le |{oy.
Ce dici AvcnellesesloyLuiU' inanl-
|inl\ cdiiiiiic uni: lii'in de i'('j.disse, jiaslc en
diable, ainsv cpu' sonl tous cliicipianoiis enlouis ez h'nèhrcs du
pailement, luiel', le plus inescliani ^aison d'advocal ipu; iamais
ayt vescii, liant aux pendaisons, vendanl tout, vray ludas. SuivanI
aulcuns anllieurs, en chai ronii(' de li;nil enleiKlemeiil, il esloyt
LA CilIKIiK NUICTKK D'AMOUR.
305
en ceste affaire moitié figue, nioili(' raisin, ainsy qu'il appert d'abun-
(liiiil j)arcepr('.'>('iilcuiit('.C('ltiiy iirocuri'uravoylespousi'uric Irc/-
gcnle l}(turgco\s(' de Paris dont il c^tojl
ialouxàlatuerpourunefronsseureenses
(lra|»s de lietdont elleneauroytpas sceu
iciidie raison; ee (juieustété mal, pour
ce (]ue souvent il s'y irncontie (I'Ikui-
nestes plis ; mais elle ployoyt trcz-hien
ses toiles, et voilà tout. Comptez que, co-
iiMoissantle naturel assassin et maulvais
deeet homme, estoyl-elle bien fidelle, la
bon i|;coyse,tousiours preste connue ung
chandelier, rangéeà son dehvoir comme
img bahut qui iamais ne bouge et s'ouvre
à commandement. Néantmoins l'advo-
eat l'avoyl mise soubz la tutelle et l'ceil
clair d'une vieille meschine, doue;^iia
laide connue un pot sans gueule, la-
quelle avoyt nourry le sieur Avenelles, et luy estoyt moult affection-
née. Paouvre bourgeoyse, pour tout licur en son froid mesnaigc,
souloyt aller à ses dé-
votions en l'ecclise de
Sainct-.lchan, sur la
place de Grève, où,
comme ung ciiascun
sçayt, le beau monde
se doimoyt rendez-
vous. Puis en disant
ses patenostres à Dieu,
elle se resgalloyt par
les yeulx de veoir tous
ces guallans frisez,
parez, ampoisez, al-
lans, venans, frin-
guans connue de vrays
papillons. Puis fina
par trier, parmy enlx tous, ung"gentilhomme amvdela Rovne-
mère, bel Italian.dontelles'alTola, ixuMceipi'il estovl dans le may
de l'aa^ie, noblement mis, deioly moiivemenl, brave de mine, et
cstoyl tout ce que ung amant doibtestre pour donner de l'amour
20.
ç§;- -rc-
106 CONTES DROLATIQUES.
jiU'iii locuour à uiio lioiuiosto fcinino Irop sonvc oz lions du ma-
riaigo,C(M[iii laiiclu'iiiu'i't tousioiirsliiicile à sodcsliai'iiaclicrdola
règle ooiiiiigalc. Ktl'aictos estât ([ues'aHoia bien le iemiegentil-
honimc île la bourgeoysc, dont raniour muet luy parla secrelte-
nient, sans que le diable ni eulx ayent iainais sccu comment.
Puis l'ung et l'aultre eurent de tacites correspondances d'amour.
D'abord l'advoeate ne s'atlorna })lus(pie pom' venir en l'ecelise,
et tousiours y venoyt en nouvelles som[)tuositez. Puis, au lieu de
songier à Dieu, ce dont Dieu se fasclia, ])ensoyt à son beau gen-
tilbommc et, laissant les prières, s'adonnoyt au l'eu qui luybrus-
loyt le cueur et lui liumectoyt les yculx, les lèvres et tout, veu
que ce feu se résould lousiours en eaue, et souvent disoyt-elle
en soy : « Ha ! ie donnorois ma vie pour une seule aecointance
avecques ce ioly amant qui m'ayme ! » Souvent encores, au lien
de dire ses litanies à madame la Vierge, pcnsoyt-ellc en son
eueur cccy : « Pour sentir la bonne ieunesse de cet amant gentil
et avoir ioyes pleines en amour, gouster tout en ung moment,
peu me cliault du l)uscliier où sont gectez les bérétieques. »
Puis le genliilinnimo, voyant les atours de ceste bonne iemmeet
ses supercouloralions alors que il l'advisoyt, revint tousiours près
de son banc et luy adressa de ces requestcs auxquelles entendent
bien les dames. Puis, à part luy, disoyt :
— Par la double corne de mon père ! ie iure d'avoir ceste
femme, encores (pic j'y lairroys la vie.
Et quand la douegna tournoyt la teste, les deux amans se
serroycnt, pressoyent, sentoyent, respiroycnt, mangioyent, dévo-
royent et baisoyent par un resguard à faire flamber la mesclie
d'ung arquebouzier, si ai(piebouzier oust esté là. Force estoyt
qu'ung amour enli'é si avant au cueur prist fin. Le gentillionnne
se veslit en escbolicr de Montaigu, se mit à resgaller les clercs
dudict Avenellcs et gausser en leur compaignie, à ceste fin de
cognoistre les alleures de ce mary, ses lieurcs d'absence, ses
voyaiges et tout, guettant un ioinct pour l'encorner. Et vécy
comme, à son dam, se renconlia le ioinct. l/advocat, contrainct
de suivre lecoursdeccsle coniuration, alm-s mcsmes qu'il estoyt,
à jiart luy, conclud, le cas cscbéant, de la déduire aux Guyses,
se (b'iibéra d'aller à Dloys où lors estoyt la Court en grant dangier
d'esli'e cnlevi'e. Saicliant cela, le gentilliomme vint jjremier en
la ville de Dloys, et y nd)ric(jua un maistre piège où dc^bvoyt
tond)er je sieur Avenell(;s maulgré sa ruse et n'en sortir (jue
LA CIIIKIÎK MICTKi: D'AMOCH. .'07
trompt' (l'un co((jii,iii;(' cranioisy. Ce ilicl Italiaii, yvrc d'amoiir',
convucfjiia Ions ses jiaigcs et serviteurs, et les embusqua de sorte
que, à l'arrivée dudiet advocat, de sa femme et de sa douegna,
il leur Icust déclairé, par toutes les hostcllcries en lesquelles ils
vouldroyent logier, que, l'iiostellerie estant pleine par le séjour
de la Court, ils allassent ailleurs. Puis le genlillioiiniie IVil tel
aeeord aveetpies l'hostelicr du Soleil royal, (|uc luy yentillionime
auroyt à luy toute sa maison et l'occuperoyt, sans que nul des
serviteurs aecoustumez dudiet logiz y demourast. Pour plus grant
fiance, le seigneur envoya lediet maistre rostisseur et ses gens
en eanipaigne, et aposta les siens à eeste (in «pie l'advocat ne
sceust rien de ce Iral'lic. Vécy mon l)on genlilliommc qui loge en
son .liostellerie ses siens amys venus à la Court, et, pour soy,
guardc une chambre située au-dessus de celles en lesquelles il
comptoyt mettre sa belle maistresse, son advocat et la douegna,
non sans faire pratiequer une trappe au jdancliier. Puis son
maistre (jueux ayant cbai'ge de iouer le roole de l'bostelier, ses
paiges dressez en fasson de patronnets, ses meschines, en ser-
vantes d'iiostellerie, il attendit que ses espies luy convoyassent
les personnaiges de ceste farce, à sçavoir : femme, marry, douegna
et tout, les({uels ne faillirent [)oint à venir, Veu la grant aflluencc
de gros seigneurs, men^lians, gens d'armes, gens de service et
aultres amenez par le séiour du ieune Roy, des deux Roynes,
des Guyses et de toute la Court, aulcune ame n'eut licence de
s'csbaliir ni deviser de la cbausse-trappe à chicquanier, et du
remue-mesnaigc advenu au Soleil royal. Vécy doncques le sieur
Avenelles, à son desbotté, rebutté, luy, sa femme et la cbandje-
rière douegna, d'hostellerie en liostellerie, lequel se cuyda trez-
heureux d'estre receuàce Soleil royal où se cbauffoyt le guallant
et cuisoyt l'amour. L'advocat logié, legentilbonimc se pourinena
dans la court, en guette et queste d'iing coup d'œil de sa dame, et
point trop n'attendit, veu que la damoiselle Avenelles resguarda
bien tost en la court, suyvant la coustume des dames, et y re-
cogncut, non sans ung tresmoussement de cueur, son guallant et
bien-aymé gentilliomme. Endà, feut-elle bien beureuse ! Et si,
par cas fortuit, tous deux eussent eslc* seul à seul pour une once
de temps, point n'auroyt attendu son beurle bon genlilbomme,
tant elle estoyt embrasée des pieds en la teste.
— Ilo, faict-il cliaud aux rais de ce seigneur ! dit-elle, cuydant
dire de ce soleil, veu que en reluysoyt ung bon rayon.
508 r.ONTKS DROLATIQIKS.
Oyant cela, l'advocat do saultor à la croisée et de vcoir mon
genlilhonimc.
— Ha ! il vous faut dos seigneurs, ma mye?feit l'advocaf on la
tirant par le bras et la gectant comme ung de ses sacssurlolict.
Songiez bien (juo, si i'ay ung galimart aux costos et non une
espée, si ay-je ung ganivot en ce galimart ; et ganivet ira bien à
vostre cueur, à la moindre undjro do pluniaige coniugal. le cuyde
avoir vcu ce genlilbonnne quelque part.
L'advocat estoit si aigrement mescliant <jno la damoiselle se
leva, puis luy dit: — Yère, tuez-moy. l'ai bonté de vous tru-
pber. lamais plus no me touclierez-vous, après m'avoir ainsy me-
nassée. Et ne songe plus, d'buy, qu'à coucbior avecques ung
amant plus gentil que vous n'estes.
— La! la! ma bicbette, f'eit l'advocat surprins, i'ay esté trop
loing. Baise-moy, mignonne, et qu'il me soit pardonné.
— le ne vous baise ni vous pardonne, feit-ello, vous estes ung
maulvais.
Avenellos enraigné voulut avoir par force ce que l'advccale luy
denioyt, et de ce s'ensuyvit ung combat d'où sortit le mary tout
grapbiné ; mais le pire estoyt que l'advec^at paraphé d'osgrati-
gneuros, estant attendu par les coniuroz qui tonoiont conseil, fout
contrainot de quitter sa bonne l'omme en la laissant à la guardc
de la vieille.
Le chicquanier dehors, gentilhomme de poser ung sien servi-
teur en guette, au coin de la rue, de monter à sa bienheureuse
trappe, de la lever sans bruit aulcun et de buchior la dame par
img : puit! p/sit ! li dc\n\ un\('[, lot|uol fout entendu par le cueur
qui d'ordinaire, enlond tout. La damoisidlo do haulser latoste et
(le veoir le gentil amant au-dessus d'elle à quatre saults de puce.
Sur ung signe, elle print deux lassets de grosse soye, auxquels
estoyont attachées des boucles par oii elle passa les bras, et, en
ung clind'œil, fout translatée, moyennant doux pitulios, do son
lict en la chambre supéiieuro. par le ciol, (|ui, s'ostant clos
comme il avoyt esté ouvert, laissa seule la vicilio moschino,
douegnardc en grant meschief, alors (pio, tournant la teste
ne veit plus ni robbe ni femme, et comprint que la fenniie
estoyt robhée. Connnout ? par(|iiy7 par quoy '.' où?... Pille, Nade,
Inccpic, i'"ore ! Autant on sravoymt los abjucniistes à leurs Ibur-
no.iux eu lisant lier Trippa. Seulement la vieille ro^noissoyt
bien le crouzet et le gi'ant œuvre : celluy estoyt le cocquaige, et
LA CIIIKP.F, NL'ICTKR D'AMOI [!. .".OO
l'anltro, lo gentil clioiisc do l'iKlvdciilc i;ilc (Irmonra (iiiinniildc,
aUciidiiMl K' sieur Aveiielles, anl;iiil dire la mort, veii (|iic,dans sa
raiye, il descoiiliroyt lout, cl ne |)(Mivoyl soy saulver, la paoïivro
doiiegna, car, par liaultc prudence, le ialoux avoyt eniportf' les
ciels. Eli prime veiie, Ircuva la deuioisclle Avenelles, uny gentil
souper, bon l'eu en la cheminée, mais ung meilleur aucueurde
son amant, leipiel la print, la baisa, avecques larmes de ioye,
sur les veulx d abord, pour lesmercierde leurs bonnes œilhub^s
pendant les dévolions de l'ecclise Sainct-.Ieban en Grève. Puis,
point ne refusa son bec à l'amour la bonne advocatc embrasée,
et se laissa bien adorer, presser, caresser, heureuse d'estre bien
adorée, bien pressée, bien caressée, à la mode des amans af-
famez. Puis, tous deux l'eurent d'accord d'estre l'ung à l'aultre,
durant toute la nuict, non clialans de ce qui pourroyt en ad-
vindre : elle, comptant l'advenir comme festu en comparaison des
ioyes de cette nuictée ; luy, se fiant sur son crédit et son espée
pour en avoir d'aultres. Brief, tous deux peu soulcieux de la
vie, pourveu qiu% en ung coup, ils consumassent mille vies,
prissent mille délices, en se rendant, ungcli;\seun à l'aultre, le
double, cuydant elle et luy tomber en ung abysme et voulant y
rouler bien accoliez, en boutant tout l'amour de leur ame avec-
ques raige en ung coup. Kndà, s'aymoyent-ilsbien ! Aussy, point
ne cognoissent l'amour les paouvres bourgeoys qui couchent
coitement avecques leurs mcsnaigieres, veu qu'ils ne sçavenl
point Cl! qu'il y ha d'aspres frestillemens de cueur, de chaulds
iects de vie, de vigoureuses emprinses, alors que deux ieunes
amans, blanebement unis et reluysans de dezirs, se couplent en
veued'ung dangier de mort. Doneques la damoiselle et le gen.
tilhonune loueiiièrent peu au sou|)er et se concilièrent tost. He-
soing est de les laisser à leur besongne, veu (jue nuls mots, fors
ceulx du paradiz à nous incogneus, ne diroyent leurs déli-
cieuses angoisses et leurs angoisseuscs fretillados. Pendant ce,
le sieur marv si bien cocquusé que tout souvenir de niariaigo
estoit balvé net par l'amouî-, ledict Avenelies se trouvoyt en
grant empescbement. Au conciliabule des Ihigoimeaux vint le
prince de Condé, accompaigné de tous les chiefs et hauts bon-
nets; et, là, feut résolu d'enlever la Royne-mère, les Guyses,
le ieune Roy, la ieune Royne, et changer l'Estat. Cecy devenu
grave, l'advocat, vovant sa teste au ion, ne sentit point le bois
qui s'y planloyl, et courut desbagoiiler la coniuration à mon-
310 CONTES DROLATIQUKS.
su'iir If (Miidinal île Lorraine, lequel emmena niondicl cliicqua-
nous clie/ le (luf son frère, où tous trois tlemourèrent à deviser,
faisant belles promesses au sieur Avonrlles, ([ue ils lasclièrentà
grant poine, vers minuict, heure à hujuelle il yssit seerettement
du cliasteau. tn celtuy moment, les paiges du gentilhomme et
tous ses gens faisoyent une medianoclie endiablée, en l'hon-
neur des nopces fortuites de leur maistre. Ores, advenant en
plein regouhillonner, au milieu de l'yvresse et hoeijucts ioyculx,
le dessus dict Avenelles l'eut jjerforaminé de railleries, brocards,
rires qui le feirent blesmir, alors que il advint en sa chambre où
ne veit que la douegna. Geste paouvre meschine voulut parler,
mais l'ailvocat lui mit promptement le poing sur le gozier, et luy
commanda silence par ung geste. Puis l'ouilla dedans sa malle et
y print ung bon poignard. Alors (jue il le desguainoyt et mer-
eyoit, ung franc, naïf, ioyeulx, amouieux, gentil, céleste esclat
de rire, suyvy d'aulcunes paroles de facile compréhension coula
par la trappe. Le rusé d'advocat, estaingnant sa chandelle, veit
ez fentes du planchicr, au deffault de cet liuys extra-iudiciaire,
une lumicre qui luy descouvrit vaguement le mystère, veu qu'il
recogneut la voix de sa fenmie et celle du combattant. Le mary
print la meschine par le bras, et vint par les degrez, à pas de
veloux, querant l'huys de la chambre où estoyent les amans, et
ne faillit point a le treuver. Entendez bien que d'une horriftcque
ruade d'advocat il gecta bas la porte, et feut en ung sault dessus
le licl oîi il sui'print sa fennne demy-nue aux bras du gentil-
homme.
— Ah ! feit-elle.
L'amant, ayant éviti' le coup, voulut arracher le poignard aux
mains du cliicquanier, qui le tenoyt mie. Ores, encesti; lucle de
vie et de niorl, le mary se sentant em|»esché par son lieuU'nant
(pii l'cnserroyl gricfvcmeiit dcscs doigis de fer, et mordu |)ai' sa
femme qui le deschiroyt à belles dents, le l'ongioyt connue ung
chien faict d'un os, il songia vifvcnient à niieulx assouvir sa
cholère. Donetpies ce diable nouvellement cornu commanda ma-
licieusement en son patois à la meschine de lier les amoureux
avecipies les cordes d(! soye d(! la trappe, et, geetanl le poignard
au loing, il ayda la douegna à les empiéi^ci'. l'uis, la elionse ainsy
faicte en ung tour de main, ii iir mil du linge en la bouche
j)oin' les enq)escher de crier et cournl à son bon poignard, sans
mot dire. Kn ce inonieni, entrèrent plusieurs olïiciei's du duc
LA cm HUE M'ICTKi: DWMol 11. •'^11
de Guvsc, (jiie, pcndaiil le cumhal, mil n'avoNl (iiIcikIus mcllrc
tout à sac dedans rhoslollcric en y fjuerant le sieur Avcnellcs.
Ces souldards, atlvertis soubdaiii {)ar ung cry des paigi's du S'.-i-
gneur enlassé, l)aiIlonné, quasi tué, se iectèrent entre l'Iiomnic
au poignard et les amans, le désarmèrent, puis accomplirent
leur charge en l'airestant et lemenantenla prison du cliasleau,
luy, sa leumie et la douegna. Sur ce, les gens de messieurs de
Guyse, recognoissant ung amy de leurs iiiaislrcs, dont en ce mo-
ment la Uoyne estoyt en peine pour délil)érer, et qu'il leur estoyt
enioinct de mander au Conseil, le convièrent ù venir avec(|ues
culx. Lors, en soy veslanf, le gentilhomme, lost délié, dit
à part au cliief de l'escorte: Oue sur sa teste, pour l'amom'
de luy, il eust soing de tenir le mary loing de la fonuMC, luy
promettant sa laveur, hou advanccment, et mcsmes l'oicc de-
niers, s'il y avoyt cure de luy en ce poiiut. Puis, pour i)lus
grant fiance, il luy descouvrit le p()ur(pu)y de cesle chouse,
adiouxiant (pic, si h' mary seiieuvoyt à portée de ceste gentille
fennne, il luy hailleroyf, pour le seur, une ruade au ventie. dont
elle ne rcviciidioyt iamais. Kn lin de loul, lui commanda de
bouler dedans la geosle du cliasteau la dame, en ung endroict
plaisant, au rez des iardins, et l'advocaten ung hon cachot; non
312
COMES DUOL.VTIQUES.
sans renehalsner bel et bien. Ce qne promit ledict oITicier et
l'oit les chouses selon le vouloir du <:enlilliomme, qui tint com-
l)aignic à la tlanie ius(|ucs en la couit du chasteau, l'acertcnant
(jue de ce coup elle seroyt veufve, et (pie lu\ l'espouseroyt peut-
estre en léi^ilinie niariaige. De faict, le sieur Avenelles feut
geclé en ung cul de fosse sans aër. et sagenlille l'eiiunoinisc en
ung petit bouge au-dessus de luy, à la considération de son
amant, lecpiel estoyt le sieur Scipion Sardini, noble Lucquois,
trez-ricbe, et, comme ha esté dessus dict, aniy de la royne Ca-
therine de Médicis, lacpielle nienoyt alors tout de concert avcc-
ques les Guyses. Puis monté vivement chez la Hoyne, où se tc-
noyt lors ung grant conseil secret, là, sceut l'ilalian ce dont il
s'en alloyt, et le dangier do la Court. Monseigneur Sardini
treuva les conseillers intimes bien empeschez et surprins de cet
estrif; mais il les accorda tous, en leur disant d'en tirera eulx
tout le proulïicl, cl à son advis feut deu le saige party de logier
le Roy au chasteau d'Audioise, pour y prendre les héréticques
connue renards en ung sac et les y occir tous. De faict, ung
cliascun sçayt que la Royne-mèrc et les Guyses se tindrent en
dissimulation et comment fma le Tumulte d'Âmboise. Cecy
n'est nullement l'ohieet des prt'sentes. Alors (pie, au matin,
ung cliascun (piitta la chambre de la Uoyne-mère, oii tout avoyt
esté moyeimé, monseigneur Sardini, ne meUant point l'amour
de sa bourgeoysc en oubly, (juoique lors il fcust féru griefve-
ment de la belle Limeuil, tille appartenant à la Royne-mc're,
et sa parente par la maison de la Tour de Turenne, demanda
pomfjiiov le bon Iiulas avoU e.sté mis en caige. Lors le cardinal
de L(trraine luy dit <jue son intention
n'estoyt miliement de faiic mal à ce
i-|iii'i|ii:ini('r ; mais (pie, redoutant son
I ('|Miil ir. iiii cil |ihis forant liaiice de son
silence iiis(jiies à la lin de l'affaire, il
l'avoyl mis à l'umlire, et le lilKicroyten
teiii|»s el lien.
— Le lilK-icr! feit le Luc(piois. Neimy !
bontez-le en iiiig sac et gectez-moy cette
riihhe noire dedans la Loire. D'abord ie le
cognoys, il n'ol point de ciieiir vous à pardonner sa geosie, el re-
loiirneraaii presclie. l'araiiisv, ee est (ciivre plaisaiit(N'i Dieu (pie
(le le déliai red'iing liérélic(|iie. l'iiis peisoiine nes('aiiia vosseci'cls
I.\ (.111 KRE Nlir.TKK D'AMOLR. .'j13
cl nul de ses iidliriciis ne s'udvisera de vous demander ce (|ui sera
de luy adveiui, pour ce (juc ce estiuig Iraistre. Laissez-nioy l'aire
saulversii l'eunne cl aeeoninioder le reste, ie vous en (h'iivreray.
— lia ! lia! fcit le cardinal, vous estes de bon conseil. Doncipies
ie vais, par avant de distiller vostreadvis, les faire tous deux plus
estroictcmcnt détenir. Holà !
Vintunjf iusticiard, au(iuel lent conimandcdc ne laisser ([ui que
ce leust coinniunic(pieravec(pies les
deux prisoiuiiers. Puis le cardinal
priaSardini de dircà sonhostelque
ledict advocat s'cstoyt esparty de
Bloys pour retourner à ses procez
de Paris. Les gens eiicliargiez d'ai-
rester l'advocat avoyenteu verbale-
ment ordre de le traicler en homme
d'importance : aussy jioint ne le des-
nuèrent ni le despouillèrent.Donc-
ques, le dict advocat conserva trente
escuz d'or en sa Ijourse, et se ré-
solut à tout perdre pour assouvir sa vengeance, et prouver par
de bons argumens aux geosliers qu'il debvoyt luy estre loysible
de veoir sa femme dont il raffoloyt et vouloyt la légitime aecoin-
tancc. Monseigneur Sardini, ledoutantpour sa maistresse le dan-
gier du voisinaigc de ce cliic(pianier à clieveulx roux, et, pour
elle, ayant grant paour d'auleunes niaulvaisetez, se délibéra de
l'enlever à la nuict et la mettre en ung lieu scur. Doncques il
fréta des bateliers, et aussy leur bateau, les embusqua près du
pont, et conmianda trois de ses plus agiles serviteurs pour limer
les barreaux du bouge, s'encliargier de la dame el la conduire
au mur des iardins où il l'attendrovt.
Ces préparatives estant fairtes, de bonnes limes aclieplt'i-s, il
obtint de parler de matin à la Hoync-mère, dont les cband)res
esloyent situées au-dessus des fossez, on gisoyent le dict advocat
et sa femme, se liant (jue la Hoyne se presteroyt voulentiers à
ceste fuite. De l'aiet, il feut receu par elle et la pria de ne point
treuvcr maulvais qu'à l'insceu du cardinal et de monsieur de
Guyse, il délivrast ceste dame. Puis l'engagea derechief Ircz-fort
à dire à monsieur de Lorraine de gecter l'iionnne à l'eaue. .\ (juoy
la lloyne dit : Amen. Alors l'amant envoya vitement à sa dame
ung billel en ung plal de concombres, pour l'adviser de son |iro-
27
M;ii<, il ciil lu (
!■■ . ,|iil|. I .Icil.rii-, l;i Imi'ijih; et
en h'ianl hastu.
L\ CHIÈRE NUICTÊE D'AMOUR. 515
cliaiii vonfvaif^e cl de l'iioiiiv do la fuilo, dont, du lonl, elle l'i-iil
bien coiitonlc, la hourgooyso. Ihiiic(|iics. à I.» liniiR', les souldards
degiiottc cscartez par la Uoyne, ({ui les onvoya veoii- un ravoii de
lune dont elle avoyt paour, vécy mes serviteurs de lever la grille
en haste, et de iuchier la dame, (jui vint sans faulte et feut ame-
née au nmr à monseigneur Sardini.
Mais la poterne dose et l'italian dehors avecfjues la dame, vécy
la dame de geeter sa niante, V('ey la dame de se changer en ung
advocat, et vécy mon dict advocal d'estraindre au col son coe(iuard
et de l'estrangler en le traisnant vers l'eaue pour le bouter au
fund de la Loire; et Sardini de se deftendre, crier, lucter, sans
pouvoir se dellaire, niaulgré son stylet, de ce diable en robbe.
Puis se tut en tondjant dedans ung bourbier, soul)z les pieds de
l'advocat, au(piel il veit, à travers les patincries de ce combat dia-
bolicqueetà la lueur de la lune, le visaige niousclieté du sang de
sa femme. L'advocat, enraigé, quitta l'italian, lecuvdant mort,
et aussy pour ce (pie aeeouroyent des serviteurs armez de llam-
beaux. Mais il eut le temps de saulter dedans la barque et de s'es-
loingner en granl liaste.
De ce, la paouvre damoiselle Avenelles mourut seule, veu que
monseigneur Sardini, mal estranglé, feut rencontré gizant, et re-
vint de ce meurtre. Puis plus tard, comme cliascun sçayt, espouza
la belle Limeuil, après que ceste iolie tille eut accouchié dedans le
cabinet de la Royne. Giaiit mescbief que, par amitié, voulut celer
la Royne-mère, et que, par grant amour, couvrit de mariaige
Sardini, auquel Catherine bailla la belle terre de Cbaumont-sur-
Loire et aussy le cbasteau. Mais il avoyt néantmoins esté si rai-
geusement estiainct, maltraicté, |)iétiné, cscharbotté par leinarv,
que il ne feit j)oint devieulx os, et feut veufve en son [irinlenips
la bell(> Limeuil. Maulgré son ire, l'advocat ne feut point recher-
ché. Rien au contraire, il eut l'engin de se faire comprendre au
darrenier Édict de pacification parniy ceulv (|ui uedebvoyent point
estre incpiiétez, estant retourné aux llugonneaux jiour lesquels il
s'employa en Allemaigne.
Paouvre dame Avenelles, priez pour son salut, pour ce que elle
feut gectée on ne sçayt où, point n'eut de prières d'EccIise ni sé-
pulture chrestienne. Las! songiez à elle, dames dont les amours
vont à bien.
Ile J)esoii>g sera de lousiours revenir.
LL rilOSNK 1)1 lOYElLX CIRK Di: MVADm
Quand vint on (lan'onicr lion ninislre Franoovs Ra1)olais à la
(lonrt (In loy Honry, socnnd dn nom, ce t'ont on l'Iiyvor oii dob-
voyl-il, par l'orcc do nature, qnittor son pourpoinct do chair pour
revivre oternellenient, en ses escripts rcsplendissans de ceste
bonne pbilosopbieà hujueile besoin^i; soia de tousiours revenir. Le
bon lionnno avoyl lors, ou pou s'en i'ault, compté septante cou-
vées d'Iiiruudollos. Son cbiof boniéri(pie csloyt bien dosituarny
de clievoulx, mais avoyt oncoros sa barbe particularisée en toute
niaicsléjCl respiroyt tousiours le printemps en son coy soubriro,
comme vivoyt toute sapience en son ample front. Ce estoyt ung:
beauvieulx bonnne, au dire do conlx(jui ont ou l'iieur de vooir
sa face où Soc rate et Aiistopliancs, iadys ennemys, mais là devenus
amys, mcsloyont leurs imaigos. Doncquos, oyanl son cxtresme
boure tintinnulor on ses aureilles, se déliliéra d'aller saluer le
27.
51S CONTES DROL.VTIOIES.
Rov (lo Franco, {Htiir ce qiio lodicl soigneur estant venu à son
cliasleau dos Tournollos, le bonliomnic avoyt la Court à ung goct
(lo |talol, von (jiio il doniouroyt en un loyiz sis ez iardins Saincl-
l'aul. Se lionvèicnl lors en la cliand)ro do la royiio Catherine:
madame Diane, (jue par haulte politicciue elle recevoyt vn sa
oonipaiynie; le Hoy ; jiuis monsieur le connestable, les cardinaul?:
iU' Lorraine et du Hollay, messieurs do Cuyso, le sieur de l>ira-
jiuo et aullros Italians. (|ui ià se melloyont bien avant on Court
souliz lo cduvort do la iloyne; l'admirai; Montgonnnery, les
lioiis iW service en leurs charges, et auleuns poêles connue
Melin de Saincl-Colays, Philibert de l'Orme et lo sieur Uran-
losine.
Apercevant lo bonliomme, lo Pioy. (pii roslimoyt l'acétieux, luy
dit en soubriani, après auIcuns devis: — llas-tu ianiais desgoizé
aulcnn prosne à tes pai'oissiens de Meudon?
Maislre Rabelais cuyda que le Roy vouloyt gausser, veu cpi'il
n'avoyt iamais perceu de sa cure aultre soulcy que les revenus
du iit'n('lico,ot (loiu'(|ues il rospondit : — Sire, mes ouailles sont
entons lieux, et mes prosnos bien entendus de la haulte chres-
tienté.
Puis, gectant ung rosgnard à tous ces gens de Court, lesquels,
fors messieurs du Rollay et de Cliastillon, souloyent veoir en luy
ung sçavant Tribonlot, alors (pie il ostdvt lo roy dos esporils ci
mioulx loy (pie n'estoyl cellny dont les couitisans veneroyonl la
bioniaisanto couronne seulement, il print au l)onh()nmio, paravant
de tirer ses chausses de ce monde, ung malicieux dezir de les
pliilosophicqucment compisser tous en la teste, comme bon Gar-
gantua se plut à estuvcr les Parisiens ez tours de Nostre-Damc.
Lors il adiouxta : — Si vous estes en V(ts bonnes. Sire, ie puis vous
rosgaller d'ung beau ])olit sermon de poipétuol usaige (jue i'ay
giiardiî soubz lo lym[)an de mon auroille senostro, àceste lin de le
dire en bon lieu, par manière de parabole aulicque.
— Messieurs, feit le Roy, la parole est à maistre François Ra-
belais, et il s'en va de nostre salut. Ores, faictos silence et prestez
l'aureille : il est lécond on droslorios ('vangelic(pies.
— Sire, dit le bonbonnno, ie conmionco.
Lors tous lescourtizans se turentelsei-angièrcnlen ung cercle,
souples comme ozier, devant le père de Pantagruel, (jui leurdos-
blidda loconto suyvant en parolosdont rion \n\ s(;auroyt aMpiiparor
rinclyie ('Idipioiice, Mais, |Mmr ce (pie colluy conte ne ha esté (pie
LE lOYELLX CURÉ DE MEL'DOX.
il9
verbalement conservé iusques à nous, il sera pardonné à l'autlicur
de l'escripre à sa guyse.
En SCS viouk iouis, riaciiantua estoyt coustumier de bigearries,
dont s'esloniiroycnt moiiU les gens de sa maison, mais luy es-
toyent bien panloniiéos, veu (jue il avoyt d'aage sept cents et
quatre ans, maulgrél'advisdesainct Clément d'Alexandrie en ses
Stromales, lecpiel veult que, en cettuy temps, il eust ung quart
de iour de moins, dont peu nous chault. Donc([ues, ce maistre
paterne, voyant ipie tout alloyt à trac en son logiz et (pic ung
ebascun tiroyt à soy la laine, tomba en grant paour dVsfrc des-
nué en ses darreniers momens et se résolut d'inventer une plus
parfaicte gubernation de ses domaines. Et il feit bien. Doncques,
en ung réduict du logiz gargantucsipu' enlouil ung beau tas de
Iromciit rouge, oultrc vingt pots de nidiislardcct ])lMsi(>urs friands
niorc(>aulx, connue pruncaulx et liallcbcrgcs de Touraiue, l'oua-
ces, rillons, rillettes, l'ourmaiges d'Olivel,de chicvre et aullres,
bien cogneus entre Langeais et Loebes, pots bcm licrs, pasiez de
lièvre, canards à la dodine, jucds de porc au son, navaux et po-
320 CO>^TES DROLATIQUES.
léos de pois pilez, iolies petites boëtes de coingtinact d'Orléans,
imiyds de lanipioye, hussards de saulcé verde, gibier do rivière:
ooniine l'rancolys, tyransons, tadourncs, pouacres, j)Iiéiiicoplères
conservez au sel marin, raisins cuits, langues fumées en la ma-
nière inventée par llappe-Mousclie, son célèbre ayeul; puis des
sucreries pour Gargamelle aux bons iours ; enfin mille aultres
cbouses dont le détail se lit au recueil des lois Ripuaires et de-
dans aulcuns feuillets saultez des Ca})itulaires, Pragmaticques,
Establisseniens royaulx, Ordonnances et Institutions du temps.
• Hrief, le bonhomme mettant ses besicles en son nez ou son nez
en ses bezicles, se mit à quérir ung beau dragon volant ou li-
corne, auquel pust estrc commis en guardece thrézor prétieulx.
Et, en ce grave pensier, se pourmena en ses iardins. Point ne
voulut d'ung Coc(juesigrue, pour ce que les .Egyptiens s'en es-
toyent mal Ireuvez.ainsycpril appert des IIieroglyphes.il rebuffa
les cohortes de Cauc(}uemarres, veu (pie les empereurs s'en des-
goustèrent, et aussy les Romains, au rapport de ce sournoys qui
ha nom Tacite. Puis regecta les Pichroclioliers unis en sénat; les
pellées de Mages, paimerées de Druides, la légion de Papimanie
et les Massoretz, lcs(piels poulsoyent comme chiendens et en-
vahissoyent tous les terrains, comme luy avoyt esté dict par son
fils Pantagruel au retourner de son voyaigc. Ores, le bon homme,
gaulant en Gauloys les anticques histoires, n'avoyt nulle fiance
à aulcunc race, et, s'il eust esté loysible, en auroyt impétré
une ipiasi neufve du Créateur de toutes cbouses; mais n'ozant le
rebattre de ses miesvreries, |)aouvre Gargantua ne sçavoyt qui
eslire, et se doutoyt d'estre empesché de tant de biens, alors (jue
rencontra en son chemin une petite gentille Muzaraigne de la
noble race des muzaraignes, lescjuels portent en ung champ d'a-
zur tout de gueules. Ventre Mahoni! comptez que ce estoyt ung
bran masle, le(|iiel avoyt lai)lus belle (jueiK! dt; sa famille, et se
jiavanovt au soleil en brave muzaraigne de Dii'u, lier d'estre en ce
monde depuis le renouveau du déluge, suivant lettres patentes
d'incontestable noblesse registrées au parlement univeisel, veu
(pi'il conste, au verbal œcumenic(pie, une muzaraigne cstre en
l'arche de Noë.
Là, maistre Alcofribas soubzleva ung petit son bonnet et dit re-
ligieusement : « Noë, mes seigneurs, lequel planta les vignes, et
premier eut l'heur de se saouler de vin. »
— Car, pour sciir, une muzaraij^ne estoyt iii la naiil, repiinl-il.
i,K lOYKii.x criii; [if^ \ir.riioN .-,21
(Voh nous sommes tous yssus : m;iis les liommcssc soiil mésallie/,
et point les mii/iiraiyiies, {)ourc(M[uc les miizaraignes sont ialoiiv
<lo leur blason |)liis que tous aultics animaulx.et ne l'eccvrovent
point nng mulot des champs parmy eulx, encores (jtie cetfuy mu-
lot auroyt l'cspecial don de transmuter les grains de sable on
iolies noisettes fVescbes. Geste belle vertu de ifcntilliomme ayant
plu au bon (larganlua, il eut rima^inaliitii de bailler à ce mu-
zaraigne la lieutenancc de ses ^rayniers, avectpies les plus amj)les
pouvoirs : la lustice, Committimus, Missi Dominici, Clorgii',
Gens d'armes, et tout. Lemuzaraigne promit de bien accomplir
sa charge et l'aire son debvoir en l'éal muzarai^iie, à la condition
de vivre an tas de bled, ce que bon llarf^antua Ireuva l('ij;itiiiie.
Vécy mon muzaraigne de capi'iolcr en son beau pourpriz, heureux
comme ung prince qui est heureux, allant recognoistre ses im-
menses pays de moutarde, contrées de sucreries, provinces de
iambous, duchiez de laisins, comtez d'andonilles, baronnies de
toutes soi'tes, gi'inq)anlez tas de bled.et balyanl tout de sa (|ueue.
ISrief, partout avecques honneur l'eut receu le muzaraigne par
les pots qui se ti-ndrent en ung respectueux silence, sauf ung ou
deux hanaps d'or qui s'entrc-chocquèrent comme cloches d'ec-
clise, en manière de toc sainct, ce dont il se monstra trez-con-
tent, et les mercia, de dextre à senestre, par ung hoschement de
teste, en se pourmenant dedans ung rais de lumière (jui soleilloyt
en son pour|)riz. Là resplendit si bien la couleur tannée de son
pellage, que vous eussiez cuydc ung roy du Nord en sa four-
reure de martre zibeline. Puis a])rès ses tours, retours, saults et
caprioles, croc([ua deux grains de bled, assis sur le tas, connue
ung roy en Couit plenière, et se crut le plus brave des muzarai-
cnes. Kn cettuv moment vindrent, en leurs trous accoustnuKV,
messieurs de la Court noctambule, veu (pie ils courent à petits
pieds ez planchiers, lescpiels sont les rais, soniiz, et ung chascun
des bestes rongeuses, pillardes, l'ainéanles, dont se plaignent les
bourgeoys et mesnaigieres. Ores tontes, voyant ce nnizaraigne,
eurent [>aour et se tindrcnt coys au seuil de leius taudiz. l'army
toutes ces testes menues, maulgré le dangiei", s'advança moult
ung vieult mescirant de la race trotteuse et grignotteuse des
souriz, lequel, mettant son museau à la croisée, eut le couraige
d'envisager ce sieur Muzaraigne, fièrement campt' sur son cul,
la (pieue en l'aër, et recogneut finablenient (pie ce estoyt ung
diable avec(|ues le(piel il n'va\(i\l (pie coups de grifl'es à gaigncr.
52'J CONTES DROLATIQUES.
Vt'cv ooniiuo. Roii (lariiantiw, |iom' que la liaullo autlioiité de
son lit'Ulouaiit loust uiiivcrst'Ui'ini'iit coi;iK'ue do tous inuzarai-
"ucs, cliats, belt'llcs, l'ouviios, mulots, souilz, rats et aultios
luaulvais faisons de mesnie Janue, luv avoyt trempe légierenient
son museau, pointu comme lardoire, dedans une huile de musc,
dont depuis ont hérité les muzarai<;ncs, pour ce que celtuy se
Trotta, mauliiré les saiges advis de (;ar<jianlua, aux aultres gens
louvnesques. De ce vindrent les troubles en Muzaraignoys, dont
vous rendrovs bon compte en nng livre d'histoire, si le tenq)s
ne me deiTailloyt. Lors ung vieulx souriz ou ung rat, les rabbins
du Talmud ne sont point encores d"ung mesme advis sur l'espèce,
reeognoissant à ce susdict pcrfuui que ce muzaraigne avoyt mis-
sion de veigler au grain des (Gargantua, et avoyt esté saupoudré
de vertus, investy de pouvoir sul'lisant, armé de tout poinct,cut
paonr de ne phis vivre, selon les coustumes souric(juoises,
de miettes, grignotteries, croustons, frusteaux, reliels, bous-
sins, morceaulx, l'ragmens, et des mille aultres chouses de ceste
terre promise des rats. Ores, en cet estrif, la bonne souriz,
rusée connue ung vieulx courtizan qui ha veu deux régences et
trois roys, se résolut de taster l'esperit du muzaraigne, et se
dévoua pour le salut de toutes les maschoires rataniorphes. Cecy
eust esté beau pour ung liomme, mais ce estoyt bien plus, eu
esguard à l'égoïsme des souriz, lesquelles vivent j)Our elles seules,
sans pudeur ne honte ; et, à ceste lin de [jasser plus vite, con-
chieroyent en uile liostie, rongeroyent une estole de prebstre,
sans vergongne, et boiroyent en img calice, peu soulcieuses
de Dieu. La souriz s'advança faisant de iolies courbettes, et le
muzaraigne la laissa venir ung peu près, pour ce que besoing
est de vous dire que, de li'ur nature, les muzaraignes y voyent
|)cii. Lors leCurtiusdes giignotteurs dit ces paroles, non en pa-
lovs de souriz, ains en bon toscan de muzaraignoys : — Seigneur,
i'ay entendu moult jjarlcr de vostre glorieuse famille, dont ie
suis ung des serviteurs les plus dévouez, et sçays toute la légende
de vos ancestres, (pii iadis ont esté rêverez des anciens yEgyp-
tiacipu's, lesijuels les avoyent en giant V('nération et les adoroyent
comme aultres oyseaulx sacrez. Néantmoins vostre robbe fourrée
est si royalement perfumée, et la couleur en est si superficoc-
qucncieusement tanncie, que ie double à vous recognoislrc
( iiiiHiir cslaiil de ceste race, veu que ie n'en ay iamais veu de
si InaMiiinil vrstu. CcpcudanI vous avez esgoussé le grain à la
I,K loVElIA CI l!K hK MKi ImiN. r.ti.l
modo anli('(|iu'; voslrc- Ironipc csl l:i Iroiiiiic lUi .s;i(»i('iic(' ; vous
avt'Z nu' comme ung soavaiiliinizaiaijiiic; mais, si viav iimzaiai-
gne vous estes, bien dclivcz-voiis avoir, ie ne srays en (jiicl cii-
droict de vostrc aureille, ic ne scays f|uel eondnict supcraiidilil',
que ie ne srays (juel Imys miiifin|n(' l'crme ie ne scavs lommrnl,
en ie ne srays (|uels momcns, à vos cnnnnandcmens set rcls, [loin-
vous donner, ie ne srays jxnnqiioy, lieence de ne |ioint esconlcr
ie ne seays quelles clionses ({ni vous sont (les|)laisaiiti'<, vcii la \Hr-
fection de vostreouyc sacro-sainck; et idoync à loul ii|i|iiclicmli'r
laquelle souvent vous Messe.
— Vère, i'eit le muzaiaigiie. Vecy l'imys lonilje, ie n'cnlcndrav
rien !
— Voyons, lesjjondit le vieulx drolle.
Et il alla en plein tas de Mcd, dont il se mit à convovrr la va-
liscencc de sa cuicle pour l'iiyver.
— Kutendez-vous? feit-il.
— l'i'nteiuls le va-et-vient de mon euenr....
— Kouik ! feirent toutes les souriz, nous le truplieions bien !
Le muzaraigne, euydant avoir rencontré uny hon serviteur,
ouvrit la trappe de l'orilice music(|nal, et entendit le trictac du
forain coulant au Irou. Lors, sans avoir recours à la honnc iuslice
des commissaires, il saulta sur le vieulx somiz i-t Feslranyla net.
Mort glorieuse! veu que ce héros mourut en ])lain grain, cl l'eul
canonisé comme martyr. Le muzaraignc le piint par les aureilles
et le bouta sur l'huys des grayniers, à la mélliode de la Porte
Ottomane, où faillit mon bon Panurge estie endjrosclK-. Au crv
du mourant, toutes les soiniz, les rais et la gent (lesguer|)it de
ses trous en grant paour. Puis, la nuict venue, vindrent tous en
la cave, convocquez |)our tenir ung conseil à grabeler les alTaires
publicques, auquel devis, en vertu de la loi Papiria et aultres,
l'eurent admises les esjjouses légitimes. Les rats vouliirenl passer
devant les souriz, et la grosse ((uerelle des pn'si'ances l'aillil à
guaster tout ; maisimg gros rai prinl soiibz son bras une somiz;
et conqières rats, commères souriz, s'estant couplez de la sorte,
tous feurent assis sur leur ciii, la (pieue en l'ai-r, le nmseau tendu,
les barbes frétillantes et les yeiilx brillans conunc ceuK des es-
merillons. Lors commencèreni ime di-lilM'ralion (joi lina par des
iniures et un brouillamini digne dim beau concile de Pères
cccunienicqiu\s. Les mis disoyeiit oui, daullics non, cl img chat
passant eut |»aour cl s'cnliiil, en ovanl ces Itruils esirangcs:
524
CO.NTES imOLATIQLES.
Hou, bon, iVoii, ou, ou, liouic, liouic, brilT, luilTiiac, nac, nac,
fouix, louix, trr, lir, trr, Irr, razza,za, za, zaaa, lue, birr, raaa,
, . _^^^_^ __.^^^^_ •■;>> iiij i';>> l'ii, louix ! si bien
àS^iîSjîÈi'^^v J<)iulus cnsonible en tapaigc
vocal, que des conseillers
n'oussont pas laict niiculx
eu nng lloslol-(le-Yillo. En
fostc tcmpostc, une petite
souriz qui ne avoyt point
l'aage d'entiei- au Parle-
ment vint à bouler par une
lente son curieux nniseau,
dont le poil eslo\ t lin connue
est celluy des souriz qui
n'ont point esté prinses.
Ores , à mesure que croyssoyt
le tuunilte, lecorps suyvoyt le museau; puis la garse tomba bien-
tost sur un cercle de liitaille et s"y accrocha si dextrenient, ({ue
vous eussiez cuydé nng gentil diiel-d'œuvrc engravé ez bas-
reliefs anticques. En levant les yeulx au ciel pour en perpétrer
ung saigc remède aux maulx de; l'Estat, ung vieulx rat, advisant
ceste gente souriz, si doulcc de l'orme, proclama l'Eslal debvoir
cstre saulvé par elle. Tous les nmseaux tournez devers ceste
dame de Bon Secours devindrent nuiets, s'accordèrent à la las-
clier au muzaraigne, et, mauigré le despit d'aulcunes souriz en-
vieuses, elle feut trionqjlialement pourmeuée en la cave, où la
voyant trotter menu, mouvoir mécbanic(piement les ressorts de
son Iraiu de derrière, dodeliner sa petite teste l'ustée, brandiller
ses aureillcs diaphanes, se pourlescher de sa |»etite langue rose
les babouines et la barbe naissante de son bagouisier, les vieulx
rats s'enamouroyent d'elle cl barytonoyenl, monocliordisoyent de
leurs badigoinces ridées et à poils blancs, conmic iadis leirent des
vieulx Tioyards en admirant la belle Hélène à son retourner du
bain. I)onc(|ues, la pucelle l'eul laschée ez grayniers avecques
mission d'enq)utaner le ciieiii' du nnizaraigne et saulver la gent
ronge-grayne coMune la belle llébrai(iue Eslbci' l'eil iadiz pour le
peuple «le Dieu près le s(Miilan Assuerus, ainsy qu'il estcscriptau
maistre livre, \eu ijue Uible est yssu «lu grec Biblos, connue si
disiez le seid livi'e. lia souriz promil de «lelivrer les giayniers,cai',
|»ar cas roiliiil, ce- estovt la i(i\Uf^ dt!s souii/, souriz «louillelle.
iK i(»vi;i i.\ cinK i>i; \ii;i !)(»>. .V25
l)lomlclcltc, grassouillette, la plus mignonne dame (|ni onc(|iies
eust trottine ioyenlsomentcz solives, allaigrcmenl cornu ez Irizes,
et geclé les plus gentils ervs en ti'euvanl noix, miettes et cliaplys
(le pain en ses iioniincnades ; vrave Ire, iolic, follette, à resguard
clair conune diamant hlanc, teste menue, poil lisse, corps lascif,
jiattes roses, queue de veloux, une souriz bien née, de beau lan-
guaige, aymantpar nature à vivre coucbiée, à ne rien l'aire, une
souriz ioneuse, plus ruzée que n'est un vieulx docteur de Sor-
bonnecognoissant à l'und les Dcsnvtalfs, vilVe, blanclie de ventre,
raye'e au dos, petits tetlins poinctans connue un soujxjon, dents
de perle, nature fresclie, jnorceau de roy.
Geste [)aincture estoyt sibardie, pour ce que la souriz sembloyt
à tous estre le vray pourtraict de madame Diane, lors présente,
que les conrtizans demourèrent pantois. La royneCatlierinesoub-
rioyt, mais le Roy n'avoyt mille envie de rire. Kl i)onUabelais de
continuer sans vouloir entendre aux œillades des cardinaulx
du Bellay et de Cbastillon, en grant paour du bonbomme.
— La iolie souriz, dit-il en allant son train, ne l'eit pas longues
circumbilivaginations, et, des la ])rinie vesprée oîi la courattière
trotta devant le nmzaraigne, elle l'engiponna pour touziours par
ses coquetteries, minauderies, cbaloimeries, lesbineiies, petits
reffuz allescbans, resguards coulans, ebiabrenas de pueelle qui
veult et n'ose, aiguillons d'amourettes, moitiez de caresses, ion-
gleries pn'paratoires, fiertez de souriz qui sçait son prix, noises
j)Our rire, rire pour noiser, vestilli'ries, et autres gentillesses,
Iraistriscs IVmiiiines, gentils <leviz engluans, tous j)ièges dont
usent d'abundant les femelles de cbaque pays. Alors que, après
bien des courbettes, coups de pattes, frosteries de museau, gual-
lanlises de muzaraigne amoureux, fronssemens de sourcilzjSospirs,
sérénades, gousteries, soupers, disncrs au las de bled et aultres
badineries, le superintendant des grainiers triunq)ba des scru-
pules de sa belle maislresse, ils prinrent goust à ceste inces-
tueuse et illicite amour, et la souriz devint, veu qu'elle tenoyt
le muzaraigne pai' sa braguette, la royne de tout, voulut emmous-
tardei" son IVonienl, mangier les sncieries et tout iourraiger. Ce
que i)ermit le nmzaraigne à l'emperièie de son cueur, encores
(jue il refrongiuist à ceste traliison envers ses debvoirs de nmza-
raigne et sermons faits à Gargantua. IJrief, poursuy vaut son évan-
gelicquc enq)rinsc avec(jues une pertinaeité de fenmie, par une
nuiclée où i's se gaudissoyent, la souriz eut en renKMnbrance
'28
LE JOYLULX CVHi 1) K MI^UDON.
LE lOYEliLX CURÉ DE MKUDON. 327
son vieuk honlioniinc de père, et voulut que il mangiast à ses
heures au grain, et nicnassa le nuizaraigne de le laisser seul à se
morfondre en son pourpriz, s'il ne donnoyt toute licence à la
pirlé liliide de s'espancliier. Doncques, en un tour de patte,
octroya le ilict nmzarai^iic des lettres patentes, rcvestues du grant
scel de cire verte, avecques les lassets de soye cramoisie, au jière
de sa gouge, à ceste lia que le palais garguantuesque lui feiist
ouvert à toute heure, et pust veoir sa honne vertueuse de lille, la
baiser au front et mangier à son apjxHit, mais dans ung coin.
Lors vint un vieillard à (jueue Manche, rat vi'nérahle, poisant
vingl-cin([ onces, allant connue ung pit-sident
à mortier, branslant le chief, et suyvy de quinze
ou vingt nepveux, tous endentez comme dos
scies, les(piels denionstrèrent au muzaraigne,
par de bons dires et interlocutoires de tonlc
sorte, que enlx, ses païens, lui seroyent féale-
ment attachiez et s'eschineroyent à luy comp-
ter les chouses dont il avoyt la charge, les no-
tablement renger, bel et bien esticquetter, à ceste fin que, alors
(|ue Gargantua viendroyt tout visiter, il Ireuvast les finances et
l'espargne des victuailles ordonnancées au mieulx. Cecy avoyt
une apparence de vérité. Cependant le paouvre muzaraigne estoyl ,
maulgré ceste morale géhenne par alcuns advis d'en hault et griefs
tracas de conscience nuizai'aignilblle. Voyant que il resnagloyt à
tout et n'allovt que d'une patte, soulcieuse du soulcy de son
maistre devenu son maiiniiortable, ung matin, en iocquetant, la
souriz, qui estoyt ià grosse de ses œuvres, eut l'imagination de
luv calmer ses doubles et apaiser l'espentpar ime consultation
sorbonicquemcnt faicte et manda les docteurs de la gent. Alors
dans la iournée, elle luy mena ung sieur Evegault, sorly d'ung
fourmai'fc, oii il vivovt en abstinence, vieulx confesseur rata-
conné de haulte gi-aisse, ungdiolle de bonne mine, belle robbe
noire, quarré connue une tour, légièiement tonsuré en la teste
par ung coup de grifl'e de chat. Ce estoyt ung rat grave, à bedaine
monaslic(pie, avant estudic' les authoritez cz science en mangiant
les parchemins Décrt'taliformes et jjaperasses Clémentines, livres
de toute sorte, dont aulcuns fragmens avoyent destamct sur sa
barbe grise. Aussy, par grant honneur et révérence de sa haulte
vertu, sapience et modeste vie fourmaigièrc, estoyt-ilaccompaigné
par ung troupeau noir de rats noirs couplezavecques de iolies mi-
328 CONTES DROLATIQITS.
gnonnes souriz privées, veu que les Canons du concile de Cliezit
n'avovcnt point encore esté adoptez, et (ju'il estoyt licite à eulx
d'avoir des ieinnies de bien pour concubines. Les({uels rats et
souriz à prébendes et bénétices estoyent à la rengette sur denx
files, que vous eussiez cru veoir une procession de ri'niversité
allant au Lendit. P^t tous de flairer les victuailles.
Alors que ung chascun feut placé pour la cérémonie, le vleulx
cardinal des rats preint la parole et l'eit une concion en lalinde
souriz pour demonstrcr ;iu nuizaraifinecjue nul, lors llieu,n'estoyl
an-dessus de luy; et que à Dieu seul il debvoyt obéissance; puis
l'orce belles péri pbrases ranfreluclK'es de citations évangélicques
pour destourner les principes et emberlucocquer les assistans ;
enfin beaulx arraisonneniens picquez de rouelles de bon sens.
La(]uelle concion fina j>ar une pt'roraison amplement taborinée de
mots ronllans en l'bomieur des muzaraignes, parniy lesquels
cettuy estoyt le plus inclyte et le meilleur qui iamais eust esté
soubz le soleil; dont du tout lent esblouy le guardien des grai-
niers.
Ce bon gcntilliomme eut de tout poinct la tourne testée ou la
teste tournée et installa ces rats si beaux diseurs en son pour|triz,
où se conclama nuict et iour des louanges dorées, et auenins
gentils canticqnes en son honneur, non sans célébrer sa dame
dont ung chacun baisoyt la patte et flairoyt la ioyeulse croujtpe.
Kn lin de tout, la maisiresse, sçaicliaiit (juede ieunes rats icus-
noycnt encores, vjiiiiiil piiraclii'vcr scm (ruvre. Iloncipics clic ioiia
M-; lOYKIILX CCIil'; l)K \|i;i lioN. .j2î)
Irez liicii ilil hoc en se |iI;iil;ii;iiiI ;i\('r(|iii's .iiirMir et r;ii--;iiil iiiillc
cJec-osniiiiMiidciics dont iiiicsetilc stillicl ,'i [n'idrc l'Aiiic do Ijcstcs,
et dit au iiiuziuaiyiic (jik; il pcidoyt le temps {dvtit'ux à leur
amour pour aller battre l'estraflc et veiller à sa charge; quetous-
iours il estoyt par voyes et par chemins, et que elle n'en iouis-
soyt ianiais son quotient; (jue alors que elle avoyt envie de luv.
il estoyt à cheval sur les goultières, chassant les chats; et (juc
elle le vouloyt tousiours ])rest connue une lance et gentil comme
ung oyseau. Puis elle s'arracha de douleur ung poil gris, se
cuydant la plus malheureuse souriz qui l'eust au monde, et
ploura. Là-dessus, le nmzaraigne luy remonstra que elle estoyt
maistr('ss(! de lout, et voulut rcgimher ; mais, a[)rès une averse de
jdeurs que lascha la dame, il im[dora une tresve et s'en(piit de
SCS dezirs. Lors se scichcrent tost les larmes; et, en luy donnant
sa patte à baiser, la souriz luy conseilla d'armer des souldards,
de bons rats es|)rouvez, anciens condottieri, gens seurs, (jui ie-
royent les londes et les guettes. Tout l'eut lors saigement onlomie.
Le muzaraigne eut le reste du iour à baller, (lancer, baudouiuer ;
entendre les rondeanlxetballadesque luy composèrent les poêles,
iouer du luth, de la maiulore, faire des acrostiches, tester le pot
et mangier. l jig iour, sa maistresse, relevant de ses couches a|uvs
avoir pondu le plus ioly nnizàraigne souiic(|uoizé, ou la jdus jolie
souriz muzaraignée, ie ne sçays de (juei nom l'eut appelé ce pro-
duict d'alquemie amoureuse, que bien vous pensez les chats
fourre's légitimèrent (le connestahle de Montmorency, lequel avovl
marié son fils avecques une bastarde h'gilimée du dicl seigneui-
28.
530 CONTES DROLATIQUKS.
Roy. mit la main sur son espre, el en sorrcyt la coquille à faire
paourj, il so l'cit une leste e/ grainiers à la(|uelle ne seauroyent
se comparer aulcuns lestoyeniens et gala de Court (jue vous
cognoissiez, voire mesmes celluy du Drap d'or. En tous les coins
se rigollovent les souriz. Partout ce cstoyent des dances de
toutes sortes, concerts, beuvettes, apprests, sarabandes, music-
ques, cliants ioyeulx, épitlialames. Les rats avoyent desfoncé les
pots, deseouvert les iarres, abattu les dames-ieannes. deffagotté
les réserves. Et si voyoyt-on des llcuves de luoustarde, des
iambons descbicquetez, des taz esparpillez. Toutcouloyt, lluoyt,
pissoyt, rouloyt, et les petits rats barbottoyent dedans les ruis-
se.iulx de saulce verde. Les souriz navignoyent sur des sucreries,
les vieulx convoyoyent les pastez. Il y avoyt des fouyncs à cbeval
ez langues de bœuf salées. Aulcuns mulots nageoycnt dedans les
pots, et les plus rusez voituroyent le bled en leurs trous espé-
ciaulx, proullictant du tracas de la leste pour se fournir ain-
plement. Personne ne passoyt devant lecoinglinaet d'Orléans sans
le saluer d'ung coup de dent, et souvent de' deux. Enfin ce estoyt
ung train de carnaval romain. Brief, qui eust eu l'aureille line
eust entendu le frifri des lescbefrites, les crys et clameurs des
cuisines, pestillemens des fourneaux, lepanpandes mortiers, le
glouglou des marmites, le liinliin dt's lourne-brosrbes, le lianec-
(juinaige des paniers et ((irlicilics, le l'iuntrou dcspaslisseries, le
cliquetis des broclies el les |)etits pieds trottant dru connue gresle
sur les plancbicrs. Ce cstoyent des nopces afi'airi'cs, des allées el
venues de tous les gens ayant cliarge en la maison, gens de
LE lOYEULX CURE DE MEUDON 551
boiiclie, pons de piod, gens dVsciiyoric, sans nunibrfr la mu-
sicijue, les lourdions (les baladins, conipliniens de nng cliascnn,
tabourins des milices et tintamarre des trois Ordres. Brief, si
grant l'eut la ioye, que tous se prindrent et menèrent ung bransle
général pour célébrer cosle belle nuieti'e. Mais si cntcndoyt-on
le pas borrili(;(|U(' de (iargantua, lequel monloyt les degrez de son
logiz pour venir en ses grainiers et l'aisoyt trembler les solives,
plancbieret tout. Aulcuns vieulx rats s'enquerroyent de ce bruit
et, veu que nul ne sçavoyt ce que estoyt de ce pas seigneurial,
en grant paour, aulcuns décampèrent, et feirent bien, veu que
le seigneur entra soubdain. Tires, advisant le remue-mesnaige de
ces messieuis rats, voyant ses conserves, ses pots avaliez, ses
moustardes deslayées, tout concbié, gallefretté, mit le pied sur
cette vermine rigolleuse pour l'escharbotter, sans seulement luy
laisser le loisir de crier; et par ainsy guasla lems biaulx li:d}its
salins, perles, veloux, guenilles, et desconiVil In feste.
CONTES IIIIOLATIOIES.
— Et qiio adviiil-il du luuzniaiiiiio? dit lo Rov (|uitlaiit sa
iniiio songeuse.
— Ha ! sire, respondit Rabelais, vécy en quoy fut iniuste la
gont gargantuesque. Il l'eut mis à mort, mais en sa (jualité de gen-
tillionnue il eut la leste treneliée. Ce estoyt
mal. vcu que il avoyt esté truplié.
— Tu vas bien loing, bonhonnue, feit le Roy.
— Non, sire, resparlit Rabelais, mais bien
liault. N'avez-vous pas bouté la cbaire au-
dessus de lu couronne ? Vous m'avez requis de
laire uiig ])rosne. Si l'ai-ie fait ('vangelieqne-
ment.
— Reau curé de Court, lui dit madame
Diane en l'aureille, bein, si iestoys mes-
cliante?
— Madame, feit Rabelais, u'esl-il donc-
(|ues pas besoing deprénumirle Roy, vo>tre
maistre, contre les Italians de la Royne,
qui abundent icy comme bamielons?
— Paouvre presclieur. luy dit le cardinal Odet en l'aureille,
gaignez le pays estrangier.
— lia! monseiiineur, respondit le bonlionnne, devant [leu, ie
seray en ung bien eslrange pays.
— Vertu-Dieu! monsieur l'escripfu-
ri( r, dit le counestable, dutpiel le (ils.
(•(•nune ung cbascun
sçayt,avoyllraistreii-
sement laissé made-
moisidle dePiennes,
à laipielle il estoyt
fiancé, pour espouser Diane de Fiaiu;e, lille
d'une dame en deçà des monts et du Roy,
(jui te ha faict si bardy de le prendre à si
baultes personnes? Ha! mauvais poêle, lu
aymes à t'élever! Ores bien, ie le baille ma parcde de le bouter
i-n baull lieu.
— Nous y viendrons; tons, monsieur le connolable, respondit
11' bnrdiomnie. Mais, si vous estes amy de l'Kstal cl du Roy,
vous me mi-rcierez de l'avoir adveily des menées des Jjorraius,
les(|uels sont rais ;"i tout ruyner.
LI-: lOYKIILX CriJK DE ME HT» ON. 5")
— Mon 1)011 lioiiimc, liiy (lil en rmircillt! le canliniil (llciilos
(le IjorraiiU!, si bcsoirij^ est de ([ii('l(|iii'.s cscnz d'ur [)oiir lucUrc
en lumière ton quint livre de l'anla;-rnel, ils te seront comptez
en mon espargne, veucjne tu lias bien dict le faictàccste vieille
lice qui lia envousb' le Roy, et aussy à sa meute.
— Hé bien, messieurs, feit le Roy, quel est voshe advis de
ce prosne?
— Sire, dit Mellin de Sainct-Gelais, voyant que tous estoyent
contons, oncques ie n'entendis meilleure pronosticquation pan-
tagrueline, Rien nous la debvoyt eelluy qui faict a ces cannes
léonins en l'abbaye de Tbelesme :
Cy vous entrez, qui le saincl évangile
En sens ayile annoncez, ijuoy qu'on gronde,
Céans aurez \\n^ refuge et bastille
Contre Vhoslile eiTcur qui tant postille
Par son laux slijle empoisonner le momie.
Tous les eourtizans estant accordez à plauder le voisin, ung
cbaseun eéb'bia Rabelais, (|ui lira ses gregues, aeeonqiaigné en
grant honneur par les paiges du Roy, lesquels, par ordre ex-
près, luy tindrent les ilaudieaux.
Aulcuns ontenebargié Ki-aiiniys Rabelais, impérial lionneiir de
nostre j»ays, de mesebanccteries et babouineries eingesques, in-
dignes de ce homérus pbil()soi)liicque, de ce prince de sapicnee, de
ce centre paterne d'où sont yssues, depuis le
lever desa lumière sublerranée,b(m innubre
d'oeuvres miriiieipies. Toing de ceulx (|ui oui
concilié sa teste divine! Treuvent eu loule
leur vie du gravier soubz leur dent ceux qui
ont dcscogneu sa saige et modieque nour-
riture !
Cliicr beiivi'ur d't'aiie claire, lidelle serva-
teur des abstinences luonaebales, seavaiit à
vingt-cinq caralz, de quel esteriiuemeiit
et rire sempiternel seroys-tu prins, si, reverdissant ungboussin de
temps en Chinnonnoys, licence l'eust à toy baillée de lire les
incongreus bobelinages, rataeoniiages et savalteiies des sots en
bémol et bécarre (|ui ont inlerpii'it', eommenti', discbirc', lionuv,
méseiileiidii, Irabv, eaïiié, ricsialé, brodi' Ion oiivraige sans
pareil! x\ulaiil Ramirge Ireiiva de ebieiis occupez à la roblx; de
50 i
CONTES DROLATIQUES.
>;.i (lamo on l'occliso. autant spsont rencontrez de chapons aca-
(léniicquos à deux pal tes, sans nieniniics en
teste, sans sursanlt an diaplnagme, poureni-
brenner ta hanlte pyramide niarniorine en la-
(pielle est à ianiais cimentée toute jiraine de
Tant aslieipies et comiecpies invent ions, (inltre les
maiiiiilicques enseijinemens en tonte cliouse.
Encores(piel)ien rares soyent les peleiins d'iia-
leine à suyvre ta nauf en sa pérégrination su-
blime en l'océan des idées, méthodes, fumées,
religions, sapiences et trupheries humaines,
pour le moins leui' encens est-il de bon aloy,
pur et sans meslangc, et ton omni|)otence, omniscienee, omni-
languaige, sont-ils par eulx bravement rccogneus. Doncquesha eu
cure ung paouvre fils
delà gave Touraine de
te faire iustice, quoy-
(|uepelitement,enma-
gniliant ton imaige et
glorifiant tes ouvraiges
d'éterne mémoire, tant
cliérisdeeenlxquiay-
menl les œuvres con-
centriecpies où l'uni-
vers moral est clouz,
où se rencontrent,
pressées comme sar-
dines IVcsclies en leurs buyssars, toutes les idées philosophic-
(pies (|uekonqnes, les sciences, arts, élotiuences, oultre les
niomerics llicastfales.
ÉiHis-
MATIÈhES DU SUCCUnii
l'BOLOCfE.
I. Ce que csloyl d'un Succube.
II. Comment l'eut procédé en rendroicl de colluy démon
lemollo.
III. Ce que feil le Succube pour sugccr l'ame du vieulxjugc,
et ce que advint de ceslc déloclalion diabolicquc.
V. Comment virvouclia si druement la Morisque de la rue
Cliauide, que à graml poinc feut-clle arsc cl cuictc vjfve
à l'cnconlrc de l'enler.
ulciiTisdiinolilcpiiysdc
Ti»ur;iiiie, Irjilili'incnt
édifiez de la chalou-
ivuse poursuite que faicl l'Au-
tliour des anliquitcz, adven-
Uii'os, bous coups et geutillesses
(l('<-oslc bcuoiste couslrt'e,cuY-
daut. ((ue, pour le scur,il dcli-
voil toutsçavoir,s'enquirentde
ny,ains après boire s'entend,
s'il avoyt doscouvert la raison
clymoloiiicMnic dont toutes les
daines de la ville estoyent bien
curieuses, et par laquelle une
rue de Tours se nonunoyt la
nie rJiaulde.Par luy feut res-
iiiiiilu (pic il s'estoniyroyt fort
i\v vcoir les anciens babitans
avoir mis en oubly le yrant
nunibre de convens sis en ceste
rue, on l'aspre continence des
moynesetdes nonnains avoyt dcu l'aire tant arser les murailles,
que aulcuucs fennnes de bien s'csioycnt veues engrossées ]»our
s'yestre pouruienccs img peu Iroji Iciilcmcnl à lavesprcc. l ng ho-
bereau, voulant trencber du sça\ant,(iil (pic iadis tous les clappiers
29
358 CONTES DnOL.VTIniT.S.
de la ville estoyent acculez en ce lieu, l'ng aullre se entortilla
dedans les menus sufl'raiges de la science et parla d'or, sans cstre
cominius, qualiliaiit les mots, accordant les mélodies de l'antic-
quaillc et iiouveautez, conyreageanl les usaiges, distillant les ver-
bes, alquciuisant IcslanyuaigeSjdudepuysledélugc, lesllébrieux,
Clialdéans, .Egyptiacques, Grecs, Latins, puis Turnus qui lunda
Tours; puis lîna le bon liomme par dire que Chauld, moins le H
et le L, venoyt dcCanda, et que il yavoyt de la queue en ceste
affaire; mais les dames n'y enlondirent rien aultrc chouse que
la fin.
l'ng vieil dit que dedans cestuy endroict estoyt iadis une source
d'eau thermale, de laquelle avoyt beu son tiisayeul. Brief, en
moins de temps que une mousche ne auroyt mis à colleter sa voi-
sine, il y eut une pochée d'étymologies où le vray de la chouse
eust esté moins tost treuvé que ung pou en la sorde barbe d'ung
capucin. Mais un homme docte et cogneu pour avoir mis ses
bottes en divers monastères, bien despendu de l'huile en ses
nuicts, desfoncé plus d'ung volume, et plus entassé de pièces,
moiceaulx dypticques, lavettes, charlriers ou registres sur l'his-
toire de Touraine qu'ung meslivier n'engrange de brins de leurre
au mois d'aoust, lc(|uel, vieuk, cassé, podagre, beuvoyt en son
coin sans mot dire, ieit ung soubrire de sçavant en IVonssanl ses
badigoinces, lequel soubrire se résolut en ung : Foing!... bien
articulé, que l'Autheur entendit et conq)rint debvoir estre gros
d'une adventure histoiialenienl bonne, dont il ])ourroyt œuvrer
les (l('licos en ce gentil Hccueil.
iJricI', lendemain, celtuy podagre luy dit : — Par vostre poesme
(jui a pour titre le Péché véniel, vous avez à iamais conquesté
mon estime, pour ce que tout y est vray de la teste aux pieds, ce
que ie cuyde estre une supcrabundaiice prétieuse en paieilles ma-
tières. Mais vous ne scavcz sans double ce (jui est advenu de la
mauricaulde, mise en religion par ledict sieur Hruyn de la Uociu!-
Corbon? Moy, bien sçay-ie. Doncques, si ceste étymologie de rue
vous poind, et aussy vostre nonne œgyptiacque, levons prcsteray
ung curieux et antieque pourchaz, par moy rencontré dedans les
Olim de rArch('ves(h(', dont les hibliollièqucs Icnrent ung peu
secouées en ung moment où ung ch.isi un de nous ne sçavoyt le
soir si sa teste luy denwureroyt lendemain. Urc\s, |)ar ainsy, ne
serez-vous |)oint en |)arfaict contentement?
— iJien! léil l'Autheur.
La rue C.liaulde, à Tours.
ôiO CONTKS lUiOl.Aïini T.S.
Ores ce iligiie eollecleur tic vérilez bailla auleuiis iolys, poiil-
(Ireuv parclieniiiis à rAutlieiir, (jue il ha, non sans granl jioine,
translatez en IVanroys. elcjni eslovent pièces de procednie ecclé-
siastic(jue hien vieilles. Il lia cru (|uc rien ne seroyt plus drola-
licque ijue la réalle résurreclion de cesle anliccjue allaire où
esclalte l'ignarde naïfvetë du bon vieulx temps. Adoncques, oyez.
Vécy en quel ordre estoyent ces escripfeures dont l'Aulheur lia
faict usaige à sa gnyse, })ource que le laniiuaige inesloyl diab:)-
liliciiuenienl ardu.
LK SllCClBI-
CE QUE ESTOYT I) U.vr. SUCCUBE.
j In nnnxine Patris, et Filii, et Spirilu^i Sa net i. Amen.
l/;iii (le nostre Seigneui- mil tlcux ct'iil sc|il;mlt' et uiig, panle-
vant niov, IIiEROSME Coh.mi.le, granl in'iiilciifirr. inj^c ('(rlt-sias-
lii'f|ne, à ce commis par mcssiciiis du cliaiiilic de Saiii(t-Mamic«\
catlii'dialc de Tours, avant de ce di'dilx'ri' l'ii pivsciice de iioslrt*
s(M|^iiL'ur leaii de Monsoreau, arclicvcsque, sur les douloirs et
(liiérimonics des habitansde la ville, dont la rcquesJe sera cy-des-
souh/ ioincte: sont comparus aulcuns liomnies nobles, hour^^eoys,
vilains du dioce/e, les(pi(ds ont dici les gestes ensuyvans sur les
(lesj)ortemfMs d'uni; dc'mon sou|)ninn(' d'avoir juins visaige de
lemme, le(juel alllige moult les âmes du dioceze, de prt'scnt riouz
en la geôle duCbapilre; et, pour arrivei' à la vt'rité ilesdiclsgriels,
29.
"V
V ::?<
i£iiipSP»ii/'
I K II I) s M K C 0 II N I L L R ,
Grant pénitencier, iuge ecclétiasticqiie.
LE SIICCUItE. 34r,
avons ouvert le pn'sont vorbal, co. lundy unzo décomhro, apn-s la
messe, à ceste (in de eoininuiiic(|uer les dires de iing chascun au
diet d('moM, en riiilerrognaiit sur lesdiets laids à luy imputez et
le iuger suyvanl les lois j)orlt't«s contra dœmonios.
En ceste enqueste, nie ha, pour escribre le tout, assisb' Guil-
laume Tournehousehe, rubriccpiateur du Chapitre, homme docte.
Premier, est venu devers nous lehan, ayant nom Tortebras,
bourgeoys de Tours, tenant, avecqucs licence, l'hostcllerie de la
Cigoygne en la |)lace du Pont, le-
quel ha iurésurlesalutdesoname,
la main enlessaincts Evangiles, ne
profiM-er aultre eliouse que ce que
par lui-mesmeha estcveu et ouy.
Puis ha diet ce (pii suit :
— ledeclaire que, environ deux
ans avant la Saint-Iehan on se
font les feux de ioye, ung gentil-
homme, en prime abord à moy
incogneu, mais appaitenant, |)our
le scur, à nostro seigneur le lloy,
et lors en nostro pays retourne
de la Terre Saincte, est venu chez
mov me prouposer de luy baillei-
à loyer une maison des cham|)s
par moy bastic en la censivc du
Chapitre, prouche le lieu diet de
Saiuct-Estienne, et que ie la luy ay laissée pour neuf ans mo\en-
naut trois bcsans d'or fin.
En ladictc maison, ha mis lodict seigneur une belle gouge à
luy, ayant apparence de femme, vestue à la mctliode estrangiere
des Sarrazineset Mahumetisches, laquelle il ne vouloytparaulcun
laisser veoir ne approucher plus d'ung gect d'arc, ains à laquelle
ay veu de nu's yeulx uug plumaige bigearre en la teste, ung tainct
supernalun'i et yeux plus lland)Mns (pic ir ne scauroys diic, des-
quels soui'doyt ung feu d'ciifcr.
Ledeffunct chevalier, ayant menacé de mort quiconque feroyt
mine de flairer ledict logiz, i'ay, par grant paour, livré ladicte
maison, et i'ay, iuscpi'à ce iour, sccrettement guardé en mon ame
aulcunes présumptions et doubles sur l'apparence maulvaise de
I, I 1 I, LAt M K TOI H .NKUOUsCIIK ,
lliiliiici|u;ili'ni- (lu ('.li.i|>itie, lioiiiiiic docte.
Ains à laquelle ay veu de mes yenlx ung pltimaige bitiearre en la tesle,
un taincl siipernatuiel et yeulx plus llambans que ie ne sçauryos dire
•lesquels sourdoyl ung feu d'enfer.
34G CONTES DUOL.VTIOnES.
ladicte estrangiero, laqiiollo esloyt si Irisiiuo, qun nulle femme
paioiiic n'avoyt ostô encores vcuo par niov.
Plusieurs gons do toute sorte, ayant lors réputé ledict sieur
chevalier pour mort, et disant luy demourer en ses pieds par la
vertu d'aulcuns cliarnies, philtres, envousterics et sorcelleries dia-
bolicquesdeeeste senihlance de l'enune, hupiolle voulovl se logier
en nostre pays, ie di'claire avoir tousioiirs veu le sieur clievalier
si tellement pasle, que ie souloys œquiparer son visaige à la cire
d'ung cierge paschal ; cl au sceu de tous les gens de l'hostellerie
de la Cigoygne, cettuy chevalier ha esté mis en terre neuf iours
après sa venue. Au dire de son escuyer, le deffunct se estoyt clia-
oureusementcoupléavec({ues ladicte moresque pendant sept iours
entiers, clouz en ma maison, sans estre sorty d'elle, ce que ie
luy ay entendu advoucr liorrilicquement en son lict de mort.
Aulcuns, en ce temps, ont dict cette diablesse avoir accollé sur
elle ledict gentilhomme par ses longs cheveux, les(|uels seroyent
guarnis de propriété/ chauldes par lesquelles sont communioquez
aux chresliens les feux de l'enfer souhz forme d'amour, et les faicl
besongner iusques à ce que leur ame soit, par ainsy, tirée de leur
corps et acquise à Satan. Mais ie déclaire de ce n'avoir rien veii.
si ce n'est Icdicl chevalier mort, esii'iin', llalry, i\o pouvant hou-
gier.soiihhailant, maulgrésonconfesseur, encores a lier à sa gouge,
et ha esté recogrieu pour estri; le seigneur de lUieii. leipiel s'es-
toyt croisé, et se Irouvoyt, au dire di' nuicunsde la ville, souhz le
LE SrCCllBE. 547
charme d'ung tk'mon duquel il avoyt faict la rencontre ez pays
asialicques de Damas, ou aullres lii-ux.
Ores doneciues, ay laissé ma maison à liKliclc dame inco^nciic
suyvant les clauses déduicles en laeliarlre du bail. I.edicl seigneur
du Bueii deflimct, ay neanlmoins este en ma maison à cesle fin
de sçavoir de ladicte cstrangiere si elle soubliaitoyt demeurer en
mon logiz; et, aveeqnes grant poine, devers elle l'eus mené j)ar
ungeslran^e lionnne my-nud, noirt'l à yeulx blancs. Lors ay veu
ladicte Morisiiue en ung pourpriz reluysant d"or et de pierreries,
esclairée par force lumières, iuz ung tapis d'Asie, où elle esloyl
vestue de legier, avecques ung aultre gentilbonmie qui ià per-
doyt son ame, et n'ay point eu le cueur assez i'erine pour la res-
guarder, veu que ses yeulx m'eussent incité à m'adonner à elle
aussytost, pour ce (pie desià savoixuic grezilloyt au ventre, me
remplissoyt la cervelle et me desbauchioyt l'ame. Oyant cela, par
crainte de Dieu, et aussy de l'enfer, ay lascliié pied soubdain, luy
quittant ma maison autant que elle la cuyderoyt guarder, tant
dangereux esloyt de veoir ce tainct moresque d'où sourdoyentdia-
bolicques clialeurs, oultre ung pied jikis menu (pie n'est licite à
femme vraye de l'avoir, et d'entendre sa voix qui virvoucliioytau
cueur; et, de ce iour, n'ay plus eu cure d'aller à ma maison, en
grant paour de cheoir en enfer, l'ay dict.
Au dicl Tortebnis avons lors représenté un sieur Abyssinien,
iEtbiojtien ou ÎNubien, le([ucl, noir de la teste aux pieds, s'est
treuvédesnué des choses viriles dont sont habituellement' fournis
tous cbrestiens, lequel ayant persévéré en son silence après avoir
esté tormentt', géhenne à [)lusieurs l'oys, non sans moult geindre,
ha esté convaincu de ne s(^-avoir parler le languaige de nostre pays.
Et ledict Torlebras ha recogneu ce dict Abyssinien hérélic(iue
pour avoir esté en sa maison, de compaignie avecques ledict
esperit démoniac(|ue, et soupçonné d'avoir [)resté son ayde aux
sortilèges.
Kt ha ledict Tortebras confessé sa grant foy calholic(iue et
déclairé ne sçavoir aultre chouse, si ce n'est aulcuns dires, les-
(piels cstoyent cogneus de tous aultres, et desquels il ne avoyt
esté nullement tesmoing, si ce n'est pour les avoir entendus.
Sur citation à luy donnée s'est approuché lors Mathieu, dict
Cognefcstu, iournalier, en la cultuie Sainct-Esticnne, lecjuel,
5i8
CONTES DIIOL.VTIOUES.
après avoir iiiré cz saiiiols Ëvaiij^ilcs; de dire viay, nous lia coii-
l'csàé avoir lousioiirs V(M1 graiil liiiniôroau logiz de ladite roiniiic
cslraiigicir, l'iiteiidii foiec
rires cxlravayaiis et diabo-
licqucs aux iours et nuicts
de lestes et de ieiisnes, no-
lainnieiil les iours delasep-
iiiaiue Saiuele et de .Nouël,
connue si hou uuuibre de
yens estoyent en ce logiz.
l*uis ha dict avoir vcu, ez
croisées dudict loi;iz, verdes
llouraisous de toute sorte,
en hyver, poulsées niagic-
quement, espéciaicmentdes
roses par un temps gelif,
et aullres chouscs j)ourles-
ipu'Ues estoyt hesoing de
grant chaleur ;inaisdece ne
s'estomyroit nullement, veu
que ardoyt si fort la dicte
eslraugierc, ([no, alors (|ue elle se pourinenoyt à la vesprée au
long de son mur, il treuvoyllciulcnuiin ses salades montées, et tpie,
aulcunes foys, elle avoyt, par le Iroslement de sa iu[)C, faict j)artir
la sève aux arbres et liasté les poulses. En fin de tout, nous ha ledict
Cogneft'stu déclairé ne rien sçavoir de plus, attendu (jue il laboroyt
de malin et se couchioyt eu l'heure oiî se iuchioyent les poules.
Puis la femme diulict Cognefestu ha par nous esté requise de
dire, ains après serment, les chouses vernies à sa cognoissance
en ce procez, et s'est bendée à ne rien advoner aultre cliouse que
louanges de ladidc esirangiere, pour ce ipie de{)uys sa venue
son honnni' la lr;iictovl mieiiK par suite du voisinaige de cesle
bonne dame (jui espancliii)yl lainour dedans l'aéi', connue le
soleil ses rais, et aultres bourdes incongreues (jue nous ne avons
point consigni'es icy.
Au dict (lognel'estu el à sa feumu' avons re|)r('seul(' iedirl Afi'ic-
ipiaiii iuciigiieu, Ie(juel ha esié veu pai' eulx, ez iardiiis de la
maison, cl rc'jtuté pur' eiil\, pour seur, eslre au dii't démon.
Iji troi^iesme lieu, s'e^t ad\aii(é messire Jlarduiu V, seigneur
LK suc(,i;iu;.
.49
(le, Muill(', lc()iiL'!, par nous irviTciiciciisoiiiciil |)ii(! (rcsclaiicr la
religion tic l'Ecitlisc, lia ivspnndii le hicn vouloir ot lia, tl aliiin-
ilaiit, cngaj^ic'^ sa lo\ de |ii(MU clicvalirr de ne lirii duc auitrc
cliousc (jut! c('(]uil ha vcii.
Lors, lia dict avoir cogiuni eu l 'aiiiit'c des Croisez le d('iiioii
dont s'agit. Puis, en la ville de Dainas, lia vcu lo sieur de Ikieil
delluiict se battre en elianniclouz jiour cncstrc l'uiiiajue tenant.
La dessus dicte gouge ou démon appartcnoyt en ccttuy temps au
sire Geol'lVoy IV, seigneur de la Hoelie-Pozay, lecpiel souloytdiic
l'avoir amenée deTouraiiie, cneores (jue elle l'eust Sarrazine ; ce
dont les clievaliers de France s'cstoniiroyent moult, autant (jue
de sa boaulté, qui faisoyt grand bruit et mille scandaleux ravaiges
au camp. Durant le voyaige, ceste gouge feut occasion de plusieurs
meurtres, veu (jue la Uoclie-l'ozay avoyt ià dcsconlict aulcuns
Croisez (pii soiibliailoyeiit la giiardcr à eidx seuls, pourc(M|ne elle
doiiiio\l, suyvanl certains seigneurs guerdonnez en secret par
ici'lle, des ioyesà nulles aiiltio pa ici lle>. M,ii> liii.ililenieiil le sire
350 CONTES HUOL.VTIQUES.
de Buell, ayant occis Geoffroy de la Roclie-Pozay, devint seigneur
et niaistre de ceste guaine meurtrière et la mussa dedans ung
convenl ou harem àlafasson sarrazine. Par avant ce, souloyt-on
la veoir et l'iMilondre desbagouler en ses fesloyemcns mille patoys
d'oiillre-mcr, arabes(jue, giec de l'empire latin, moresipic, et
d'abnndanl le françoys comme jias ung de ceulx qui sravoient au
mieul.v les languaiges de France en l'ost des christians, d'où
vint ceste créance que elle estoyt prou démoniacqne.
Le dict sire Hardtiin nous lia confessi' n'avoir point iouxté pour
elle en Terre Sainde, non par paour, nonclialoir, ou aullre
cause; ains il cuydoyt que cet heur luy estoyt advenu pour ce
qu'il })ortoyt un morceau de la vrayc Croix, et aussy avoyt à lui
une noble dame du jiays grec, laquelle le saulvoyt de ce dangier
en le desnuant d'amour, soir et matin, veu qu'elle lui prcnoyL
substanliollcmcnt tout, ne luy laissant rien au cueur, ni ailleurs
pour les aultres.
Et nous ha ledit! seigneur acerlené la fiîunne logiée en la
maison des champs de Torlebras estrc réallement la dicte Sarrazine
venue ez pays de Syrie, pour ce que il avoyt esté convie en ung
regoubillonner chez elle par le ieune sire de Croixinare, le(juel
trespassa le septiesme iour a[»rès, au dire de la dame de (Iroix-
niare, sa mère, ruyné de loutpoinct par la dicte gouge, dont les
accointances avoyent consumé tous ses esperilz vitaulx, et les
phanlaisies bigearres despendu ses escuz.
Puis, questionné, en sa ({ualité d'honnne plein (l(> prudlioniic
sapience et d'authorilé en ce pays, sur le pensier que il avoyt de
ladiclc fenuue, cl sommé par nous de se descouvrir la con-
science, veu que il s'en alloyt d'ung cas trcz-abominable, de la
foy chreslienne et de iuslice divine, ha esté respondu par ledicl
seigneur :
Oue par aulcuns en l'ost des Croisez luy avoyt este- diel (|uc
lousioiirs cette diablesse estoyt pucelle à ijui la chevaulcliioyt, et
que Manmiou estoyt, pour le scur, en elle, occupé îi luy l'aire
ung nouveau j)ucelaige pour ung chascun de ses amans, et mille
aultres follies(l(! gens yvres, lestjuellesn'esloyeut point de natine
à l'air(! un cini|uiesme Kvangile. Mais, pour le scur, Iny vieulx
chevalier sur le retour de la vie, et ne seaieliant plus rien du di;-
duict, se estoyt sentu ieune bomnic iii ce darrenier souper dont
l'avoyt resgallé le sire de Croixmare ; (jue la voix de cetluy démon
luy estojl advenue droict au cueur paravant de se couler parles
LE SIICCIBE.
351
aureillcs, et Iny avnyl l)oiit(' si cnysanio amoiirnn ror|is. (piosa
vie s'en alloyl lonlc en rciidi'oict par oii file so domic ; et f|iie
liiialiloiiiont, sans It; secours du vin de Cliyj)re donl il avovl heu
]ioui- se clore les ycuixelse coucliicr soubz les bancs, à ceslefin
(le ne plus venir les yeulx flanibans de l'Iiostesse dial)olic(jue, et
ne se|)oint navrer en elle, sans double aulcun eust-il descorifict
le ieune (',r()i\niai'(> à ct'ste lin de iouir une seule Ibys de cesle
IcniMie suj)ernalurelle. Depuis ce, avuvl eu cure de se confesser
de ccinaulvais pensier. l'uis, pai' advisd'en baull, avoyl reprins
à son espouse sarelic(iuc de vravc Cmix el csloyt demouré en son
manoir, oi"!, noiiobslant ces j)iévoyances cbresliennes, la dicle
voix Iny frclilloyl aulcunes Ibys en la cervelle, et, au matin,
avoyt souvent en remcmhrance cesle diabl(\ssc mammalement
ardente connue mesclie. Kl [)our ce que la veuc de cestc gouge
estoyt si cbaulde, <|ue elle le faisoyt arser comme ung honmie
ieune, luy (piasi mort, et pour ce cpi'il luy en cousloyt lors
force transbordcmens (res|)erifz vilauix, nous lia rc(|uis le dict
seigneur de ne point le conl'ionter avccipies ceste empcrière d'a-
mour, à la(juelle, si ce n'estoyt le diable, Dieu le Père avoyl oc-
troyé d'eslranges licences sur lescliouses de l'homme. Puis s'est
leliré après lecture de ces dires, non sans avoir recogneu le
dessus dit Africfpiain |)ourestre le serviteur et paige de la dame.
'M
V.n (jualricsnie lii'u, sur la fov bailler jcu' nous, au nom du
Chapitic cl (le iiiisl rc sci^iicni' larclicvcsfpic,
de n'esli'c lurmcnh-. gclicnné ne inqui('t(' en
aulcune cliouse, ni manière, ne estre plus
cilc après .ses dires, attendu les voyaigcsdc
son négoce, et sur l'asscuraïu'e de pou\(iir
soy retirer en Inuli' lilicrié, est advenu un
iuif, avant nomSiilomou al Hastchild, Icipicl,
maulgi'i' l'inlamie de sa personne et son iii-
(laïsmc, ha |tainous esté ouy, à cesle unic-
que lin de tout sçavoir concernant les dc'-
portemens du dessus dict dc-mou. Ains ne ha
esté re(piis de donner aulcun serment ledicl
Salomiui, veu que il est eu dehors de l'Kc-
clise, sépan' de nous par le sang de nostre
Saulveur [trucidalus Salvalor inter nos).
Interrogué sur ce que ilcomparoissoyt sans le bonnet verd en
552 r.ONTKS DIIOI. \TI0I1ES.
la Icsto cl la roiio iaiiiic en la ])lac(' du ciicm' a|i|)ar('iil(' cii son
Yostomont, suvvaiil les ordonnancos (rcl('siasti((|iu's et royales,
ledict al liasU'Iiild nous lia oxliib;' lollros patciitos de dispousos
octroyées par noslre seigneur le l»oy cl recogaeues par le sen-
neschal de Touraine et de Poiclon.
Puis nous lia déclairé le dict iuil" avoir, pour la dame logiée en
laniaisonde riioslclierTorlehras, l'aictgraiil nt'goce, àelle vendu
cliandelliers d'or à plusieurs branches inignonncnienlengravez ;
plats d'argent vermeil; lianaps enrichis de pierres, esmeraugdes
et rubiz; avoir pour elle tiré du Levant uuinbre d'cslolïes pré-
tieuses, tapis de Perse, soycries et toiles fines ; enfin, chouses si
magnillcipics, que aulcunc royne de la ohrcstienténe pouvoyt se
dire si bien l'ournic de ioyaulx et d'ustensiles de mesnaige ; et que
il y estoyf, pour sa part, de trois cent mille livres Icuirnoys
receues d'elles pour les raretez à l'achapt descpielles il se estoyt
employé, comme fleurs des Indes, papeguays, oyscaulx, j)lu-
maiges, espiees, vins de Ciièce et diamans.
He(|uis parlions iuge dédire s'il luyavoyl fouriiy aulcnns ingrt--
diens de conim'alioninagic(pie, sang de nouveau-nez, grimoires,
et toutes chouses gciK'ralciiicnt (|uelconqiies dont l'ont usaige les
sorcières, luvdomianl licence d'advoncrson cas, sans que, pour
ee, il soit iamais recherclu'' iw. iiKpiictt', IcdicI al Mastchild a iuré
sa lov lieluaïc(jucde ne laireaulcnnencnl ccltuv commerce. Puis
ha dict estre engarrit'' en trop liaults intcrests pour s'adonner à
telles miesvrcries, veu que il estoyt l'argentier de aulcuns sei-
gneurs Irez piiissans, comme les marquis de Montl'errat, roy
d'Angleterre, roy de Chypre et Iliérusalem, comte de Provence,
Messieurs de Vcnice et aultres gens d'Allemaigne ; avoiràluy des
galéasses nierchanlesde toutes soifes, allant en ,Egvple, soulizla
lov du Soudan, et estre en ung Irallicde chouses prêt ienses d'or
et d'argent, qui l'amenoyl souvent en la Moimove de Tours.
D'abundant, il ha dict tenir ladicfe dam<' dont s'agit pourliez-
léale, l'emme naturelle, la jdus donlcc de l'ormes et la pins mi-
gnonne (|ue il aytveiie. Oiie, sur son renom d'esperil(liabolic(|ue.
mu pai' imagiiiacion l'aifallesipie, et aiissy pour ce (|uc il estovl
h'ru d'elle, il luyavoyt,en ung iour où elle oIonI vciil've, pidii-
posé jl'estre son giiallant, ce qu'elle avovt bien vonhi.
Ores, quoi(pie decestenuiclc'e il se Iciisl ionglem|)s senlu iesos
disioiiicts et les reins coii(|uassez, il lie avoyt point expc-rimenté,
comme aulcuns disoyeiit, que ijiii tombo\t une ibys là n'eu
Li-: srrciiiF. 5:.:.
rovi'iiovl point, et s'y l'oiidiivl coiiiiih' |i|(iiiiI) en iiiiii ci'ousot
(r;il(|U('iiiisl(>.
l'iiisIcdiclSaloiiioii.aïKHicl miiisavoiis laissé la liliciti', siiyvaiit
le sauf-conduict, niauij^rt- ce diio, loqiiol prouve d'abondant ses
accointances avecqnes le diable, ponr ce que il ha esté sauf là on
tous Ivs chrestiens succonihoyent, nous lia souhniis uiif^ accord au
subiect (ludict (Irnion. A sçavoic : (|ue il faisoytoriVc au Chapitre
de la ea(b('(lrale de donner de ladiole ap[)arenoe de leiiune une
ransson telle, si elle estoyt condamnée à estrc cuicte vifve, que
la plus haulte des tours de l'ecclise Sainct-Maurice de présent
en eonslruclion pourroyt se j)arachever.
Ce que nous avons not(', pour, de ce, cstre en temps opportun
délibéré j)ar le Chapitre assemblé. Kt ha tiré le pied ledict Salo-
mon, sans vouloir indic<pier son logiz, et nous ha dict pouvoir
estrc inforiné de la délibération du Chapitre par ung iuil" de la
luiverie de Tours ayant nom Tobias Nalhaneus. Au dict iuil" ha,
])ai'avant son parlement, est(' leprésenti' rArric(piain, (|ue il ha
recogneu pour estre le paige du dénuin. Kt ha dict les Sariazins
avoir couslume dedesnuer ainsy leurs serl's pour les conuui'l-
Ire à la guette des lemmes, par ung anticque usaige, ainsy (ju'il
appert des historiens profanes enl'eiidroict do Narsez, général de
(iOnstantinopolis, et aullres,
Lendemain, apiès la mes^e, et pardevers nous comparue, en
cinquicsme lieu. Ire/ nobliMl iMclyledamedeCroixmare. Laquelle
3(t.
354
CONTES DROLAÏIorES.
h;i iuré sa Iby ez Saincts Évangiles, et nous lia dict, avecques
larmes, avoir mis en terre son fils aisné, mort par le faiot de ses
extravaguantos amours avecques ung démon iemelle. Lequel
homme nolile avovt d'ange vingt-trois ans, estoyl itarlaictement
comnlexionné, trez viril, nioidt barltu comme son (ii'ITunct père.
Nonobstant sa grant mouelle, en nouante iours, avoyt petitement
blesmv, ruvné par ses accointances avecques le succube de la
vove Cliaulde, snyvant le dire du menu populaire ; et que nulle
avovt esté sa materne autlioiité sur ce tils. Finablenient, en ses
darreuiers iours, seiiibbiyt-il (piasiuient ung paouvre ver seicbié
dont lesmesnaigieres l'ont la rencontre en ung coin alors (juc elles
balyent les salles du logiz. Et fousiours, tant qu'il eut force
d'aller, alloyt se parachever de vivre chez cestemauldicte où se
vuvdovt aussv son espargne. Puis, alors que, concilié en sonlicl
vcit advenir son extrcsine
heure, inra, sacra, menassa,
dit à tous, à sœur, rrère,et
à elle, la mère, mille iniu-
res; s'esmulit au nez du cha-
pelain ; renia Dieu etvoulut
mourir en damné ; ce dont,
du tout, renient jiavrez les
serviteurs de la famille, qui,
pour saulver son âme et la
tirer de l'eiilér, ont l'undé
deux messes annuelles en
la cathédrale. Puis, pour
avoir sépulture d'icelluy en
terre saincle, la maison de
Cioixmare s'est engagiée à
donner au Chapitre, duiiint
(•('lit ans, la cire des cha-
pelles et de l'ecdise, au
iour de Pasques Hernies. En
lin de tout, sauf les maul-
vaises paroles entend lies par
la rév('i-ende j>ersonne de
Dom EoysPot, religieux de
Marinoustiers, venu pour assister, en son extresme heure, le de.s-
.sus dictbiiron de Croixmare, ladicte damealTerme ne avoir onQ-
^^s^
• »\(ltlLIS7C,
Fina'lilemenI, en s«s darreiiiers ioiii's, sciiibloyl-il qunsiiiieni iiiig paoïivre
ver seichié, dont les incsnaigieres font la rencontre en nus coing alors
que elles balyent \es salWjs <ln logiz.
El lousiours. tant qu'il eut lorce d'allor. alloït sn parachever de vivre
ilK-î ce>;l.' maul.liclo où se vuy.loyl au-sy son osiiargne.
LK SUCniJHK. 557
qiios entendu proféi-ef iinlciims |i;ii(i|rs ;iu (Jeiïiinct loucluiiil lo
cic'mon (|iii le poi^iKnl.
Kt se est rcliii'!' I;i iinliîc cl iiiclvlc (hiiic en lii'aiil dciiil.
En sixiesme lieu, ii.irdfvcis nous est coiiiiiiiiiie, sur iidiouiiie-
ment, I;ic(iuelle, dicte \ icux-Oiii::, sduillardcde cuisine, ;dl;(ntez
loyiz loiclicr les plats, dcuiourant de |iit'S(Mit en la Poissonnerie,
laquelle, après avoir iure sa toy dene diiv aulcunccliouse que elle
ne tinst pour vrayc, ha déclaré ce qui suvl. A sçavoir (|ue, \\w^
iour,(dle, estant venue en la cuisine dudiet df'uion, dont elle ne
avoyt nullement paour, |)our ce (|ue il soulitvt ne se icpaislre que
de niasies, elle avdvl eu loisir de veoii- au iardiucettnv (h'nion
i'enielle superlienieiit veshi. inarcliant en la conipai;,'nie d'uni;
chevalier avecques {|ui elle ii(i\t connue l'enune naturelle. I.ors,
elle avoyt rccogneu en eeltuv démon la vrave ressendjlancediî la
Elle avoyl eui,Moisir de veoir au laitliii crliuy ilrmoii teinclle siiperuemeiit ,
veslu. marchant en la compaignie d'iing chevalier avecques qui elle
riiiyt comme Temme naturelle.
LE SUCCUBE.
559
Morisque mise en religion ;iu nioiislier de Noslre-Dame de l'Es-
grigiiolles |);u' le dcrruiict seiinesclial de Touraiiie et de Poictoii
niessiic IJiiiyri, coiiilc de
la l{(H-lie-C<»ri)oii, la(|iielle
moricaulde avoit esté lais-
sée au lieu et ])laee de
l'imaige de Noslie Itaiiic
la Vierge, nièr(> de mislie
benoisl Servalciir, inldiée
pardes .Egyi)li;i((ju('s, en-
viron dix-huit ansaii|);ir.;-
vaiit. Knee tenij)s du(|ii('l,
à cause des tioiddcs ad-
venus en Toiiiaiue, nid
ne est recoi'd, ccstc garse,
aagée de douze ans environ, leut saulvée du husrjiier oîi elle
debvoytcstre cuicte, en recepvant le haptesnie, et lesditsdell'unct
et delTunctc sennesclialle avoyent lors est(' j)arrain et marraine
deccste fille de l'enfer. En eettuy temps, estant lavandière au
couvent, elle (pii tesmoingne avoyl soulivenir de la fiiile ipu^ foit,
vmgt mois après son enlri'e en ndigion, ladictc .Egvpliacque,
si sul)lilemenl ipie iamais ne lia esté sceu par on ne comment
elle se estoytdéj)orlée. Lors par tous feut existimé((ue, avecipu^s
l'aydc du démon, elle avoyt volé en l'aër, veu ijue, obstant les
reclierclies, nulle trace de sa clievaulcliée ne se trouvoyt dedans
le moustier, 'ofi cliaipie cliouse cstoyt demourée en son ordre
accoustumé.
3G0
(.D-MKS lllUiLATlOLKS.
Losiour Alric'(jiiain, ayant esté représenté à ladictc souillarde,
elle, ha dict ne l'avoir point vcu, encorcs que elle en feust cu-
rieuse, pour ce »|ne il esloyt commis à la guarde de l'endroict
où s'esbattoyt la Moris([ue avccques ceulx que elle yruj^ioyt par
le douzil.
Kii sepliesmc lieu, par devers nous lia esté Iraduict Hugues du
l'on, iilsdu sieur de Bridoré, leipicl aagé de vingt ans ha esté mis
ez mains de messirc son père, souhz caution de sa seigneurie; et
par luy représenté en eeponrcliaz, (hujuel il despend, [)()nr eslre
(lenenienl alti'int et convaincu d'avoir, assisli' de plusieurs manl-
vais garsons incogneus, assiège' la geôle de Tarchevesque et du
("Jia|)itre. el de s'esfie hendez à destourher la force de laiustice
ecclésiasticqueenfaisant
évader le démon dont
s agit.Maulgiésonmaul-
vais vouloir, avons com-
mandé audict Hugues du
Fou de témoingner vé-
lidicipiement touchant
les chouses cpu' il doil)l
sçavoir dndict déuion,
avecques lecjuel il est
véhémentement réputé
d'avoir accointance, luy ohiectant (pu- il s'en va de son s;tlut et
de la viedeladictedt'moniacipie. Lcipiel, après sermeni, ha diet :
— leiure j)ar mon salut éternel et i)ar les Saincis Kvangiles,cy
présentez souhz ma main, tenir la l'enune soupçonnée d'estre
ung démon pour ung ange, pour femme parAiicte, et j)lus en-
cores d'ameque de corps; vivant en toute lionnesteté; pleinede
mignonneries et sn|)er(inesses d'amour; millement manlvaise,
ains gc'uéreuse, aydant moult les paouvres et soulTreleux. le
déclaire (jue ie l'ay vucplourant de véritables larmes an Irespas
de mon amy le sire de Croi.vmare. Et, pour ce (jue, en ce iour
elle avoyt faictvœu àNoslre Dame la Vierge de ne plus recepvoir
à mercy d'amour des ieunes hommes nohies, trop loyhles à son
service, elle me ha constaimnenl et avec giant comaige desnié
la iouissance de son corps, et ne me ha octroyé (|ue lamour
el possession Af son cmcim , donl cllr nu- ha faict suzerain. Jk'puis
fc don gracieux, ohsl.Mil ma llaiinin' ci(»i>sante, ha dcmouré- seu-
lE SI CCIIii:. 361
Icltc en son loyiz, où i"ay despciidu la |tlii> yiaiil [lail iU: mes
iourntrs, heuioux do la veoirol rciilcndiv. Ores, si inan^ioys-ie
bien près d'elle, partageant l'aër qui entroyt en songozier, la lu-
mière qui escloiroyt scsbeaulx yeulx, Ireuvant à ce niestier plus
de ioyeque n'en ont les seigneurs du paradiz. Esieue par nioy ])our
cstre à tousiours ma dame ; choisie pour eslre, ung iour esclieant,
ma colombe, ma remine et unii'(pioamye, moy, paouvre fol, n'ay
rcceu d'elle aulcun à-compte sur les ioyes advenir, ains, au con-
traire, mille vertueux advis : conunequoy debvoys acquérir renom
de bon chevalier, devenir ung honnue fort, beau, ne rien craindre,
lors Dieu ; honorer les dames, n'en servir que une, et les aymer
en mémoire d'icellc ; puis, alors ([ue scroys alTorty par les travaulx
de la guerre, si son cueur plaisoyt tousiours au mien, en ce tenqjs
seulement elle seroyt à moy, pour ce que elle sçauroyt m'attcndre
en m'aymant trez fort...
Kn ce disant, ha plouré le ieune sire Hugues, et ha, plourant,
adiouxté :
Que, pensant à ceste gracieuse et foyble fennne dont les bras
luy sembloyent naguères trop mignons pour soustenir le légier
poids de ses chaisncs d'or, il ne avoyt sceu se contenir en songiant
aux fers cpii la meurdrissoycnt et aux misères dont elle estoyt
Iraistreusement enchargiéc ; et que, de ce, estoyt venue sa rébel-
lion. Et que il avoyt licence de dire son douloir en face la lustice,
pour ce que sa vie estoyt si bien liée à celle de ceste délicieuse
maistresse et amye, que, le iour où il luy adviendroyt mal, il
mourroyt pour le seur.
Et ha lediet ieune hoimnc noble vociféré mille aullres louanires
dudicl démon, lesquels tesmoignent la véhémente envousterie
praticquée à son csguard et prouvent d'abundant la vie abomi-
nable, immunde, incurable, et les frauduleuses sorcelleries aux-
quelles il est j)résentement soubmis, ce dont iugera noslre sei-
gneur l'archevesquc, àcesle lin de saulvcr, par exorcismes et pé-
nitences, ceste ieune amc des pièges de l'enfer, si le diable ne ha
esté trop avant en icelle.
Puis avons remis lediet ieune honmic ez mains du noble sei-
gneur son père, après (jue par lediet Hugues ha esté recogncu
rAiVie(iuain estre le serviteur de l'accusée.
En huieliesme lieu, devant nous, ont les estafliers de nostrc
seigneur l'archevesciue, en grant honneur, amené Tr.EZ-HAur.TE
"l
502
CONTES DROLATIQUES.
ET RÉVÉRENDE DAME IaCQUELLNE DE ChAMPCIIEVRIER, ADRESSE DU
MODSTiER DE Nostre-Dame, soubz l'invocation du Mont-Carmel,
au gouvorncnicnt do lai[uello ha oslc sdubmise, par le feu sieur
senneschal de Touraino, père demonsoiyneur le comte delà Ro-
che-Corbon, pre'sentement avoué dudict couvent, l'iEgj'ptiacque,
nommée sur les fonts du baptesme Blanche Bruyn.
A ladicte dame abbesse avons argumenté sommairement la
présente cause, où il s'en va delà saincte Ecclise, de la gloire de
Dieu, de l'heur éternel des gens de ce dioceze aflligez d'ung dé-
mon, et aussy de la vie d'une créature qui, possible, seroyt du
tout innocente. Puis, la cause élaborée, avons requis ladicte
scigneurc abbesse de tesmoingner ce qui estoyt à sa cognois-
sance sur la disparition magicquc de sa fille en Dieu, Blanche
Bruyn, espouséc par nostre Saulveur soubz le nom de sœur
Claire.
Lors, ha dict la trez noble, trez haulteet trez puissante dame
abbesse, ce qui suit :
La sœur Claire, d'origine à elle mcogneue, ains soupçonnée
d'estre de père et de mère héréticques et gens ennemys de Dieu,
avoir esté vrayement mise en religion au mousticr dont le gouver-
nement luy estoyt canonicipnnient ('>clieu, maulgré son indi-
gnité; ladicte sœur avoir feriuoinent acconiply son noviciat et
LF SUCrUHF.
5(i.>
l'aict ses vœux suivant la saincle rèyle de l'Ordre. Puis, les
vœux dicts, eslre clieue en grant tristesse et avoir moult blesniy.
Par elle, abbcsse, intorroguc'e sur sa maladie mc'lancliolieuse,
avoyl esté rcspondu par ladicle sœur avec(juos lainios que elle
ne en sçavoyt aulcunoment la cause ; que en elle s'engendroyent
mille et ung pleurs de ne plus se sentir ses beaulx chevculx en
la teste; que, en oullrc de ce, avoyt soifd'aër, ne pouvoyt résister
à ses envies de saultor ez arbres, grimper, faire ses tourdions suy-
vant les usaiges de sa vie à plein ciel ; qiie elle passoyt ses nuicts
en larmes, resvant aux forests soubz la leuillée desquelles iadis
elle couchioyt ; et, en remembrance de ce, elle abborroyt la qua-
lité de l'aër claustral qui gobcnnoyt son respirouère ; que, en
dedans d'elle, sourdoyent des vapeurs maulvaises, et que par foys
elle estoyt inlériourement divertie en l'ecclisc par des pen-
siers qui lui faisoyent perdre contenance. Lors ay rebattu la
paouvrctte des saincts enseignemens de l'Ecclise, luy ay remis
en mémoire le bonbeur éterne dont les femmes sans pécbé iouis-
soyent en paradiz, et cond)ien estoyt transitoire la vie d'icy-bas
et certaine la bonté de Dieu, lequel, pouraulcunes liesses amères
perdues, nous gardoyt ung amour sans lin. Maulgré ces saiges
advis maternels, l'esprit maulvais lia persisté en ladietesœur. Et
tousiours regardoyt-elle le Iruillaige des arbres, les bcrbes des
En elle s'cnn(;n;lioyeiil mille el ung pleurs de ne plus se Sfiilii- ses btiiiilx
cheveulx en la teste ; que, en oultre de ce, avojl soif d'aër, n(! pouvoyl
résister à ses envies de saulter ez arbres, ^'riniper, faire ses tourdions suy-
vant l<!S usaiges de sa vie A plein ciel ; (|ueelle passoylses nuicts en larmes,
resvanl aux forests soubz la feuilléc desquelles ia>lis elle coucliioyt.
LK srcci'iU'
005
piL'OS par les l'cnostrcs de rcocliso |toii(laiit les ol'ficos et temps
(les prières ; puis s'obslinoyt à jiaslir comme lini:e par malice, à
ceste fin de demoiiroi- concliic-e en son lict, |)nis anicnncs l'ovs
couraltoyt par le cloislre connue cliievre desliée (lnpic(|uel. Fi-
nablement, lia maigry, penlu sa beaulté trez grant, et est
tournée en ung rien. Ores, en cet eslrif, nous l'abbesse, sa mère,
redoublant la veoir mourir, par nous l'eut mise en la salle aux ma-
lades. Par ung matin d'byver, ladicte sœur lia fuy sans laisser
aulcuns vestiges de ses pas, sans bris de portes, ni loc({uets des-
mancliiez, ni croisées ouvertes,
f^J": ni quoy (pu- ce soit oîi son pas-
'^''' siige leust attesté : advenlurc es-
pouvantable, l;i(|M(>lle léut exis-
liniéc avoii' eu ln'U |)ar le secours
du démon qui la gebennoyt cl lor-
mentoyt.Au demourant, l'eut cnn-
clud par les autlioritez de l'ec-
clisc métropolitaine cpu' ceslc lille
d'enTcr avoyt eu mission de di-
vertir les nonnes de leurs sainctes voyes, et, tout esblouie de leur
belle vie, estoyt retournée par les aërs au sabbat des sorciers qui
l'avoyent laissée, par mocquerie de nostre saincte religion, en la
place de la vierge Marie.
Ayant dict, la dame abbesse ba esté en grant bonneur, et, suy-
vant l'oiiloimance de N. S.
arcbevesque, accompaigiK'o
iusquesaumouslierduMonl-
Carmel.
Enneufvicsme lieu. devers
nous est venu,.losepb , dit Les-
cbalopier, cbangeui'. demou-
rant en amont du pont à
l'enseigne du Besaiit d'Or, ba-
quet, après avoir inré sa l'oy
catboliccjue de iw licn dire
aultrc cliousc (pic le viay,
sceu pal' lui loucli.Mil Icpro-
ce/ devant le Inliuiialcccb'siasticquc, lia tcsinoiiigné comme
51.
suyt:
Ayant^dicl, l.i d.iirie abbessc lia cslé en graiit lioiiiieur, et suyvaiit lurdoii-
nance de N. S. rarchevesque, accoinpaignt'e iusquis au iiiousiier du Moul-
Carmcl.
LE SnCCIIRE. 367
— le suis ung paouvre père, moult nl'lligé par la sacre voulentc
de Dieu. Paravaut la venue du sucrube de la voyeCliaulde, ieavoys
pour tout bien ung fils beau comme ung liomme noble, sçavant
comme ung clerc, ayant faict des voyaiges plus de douze en pays
cstranges ; au demeurant, bon catbolicque ; se tenant à l'escart des
aiguillons de l'amour, pour ce que il rel'rongnoyt au mariaige, se
voyant lebaston de mes vieulx iours, l'amour de mesyculxct la
resiouissancc constante de mon eueur. Ce cstoyt ung (ils dont ung
roy de France eustestt; lier, ung bon et couraigcux lionuni', la lu-
mière de mon négoce, la ioye de mon toict, et, en fin de tout, une
richesse inestimable, veu que ic suis seul en ce monde, ayant eu le
maulvais heur de perdrcmaconq)aigneetd'estre trop vieil pour
faire unganllre moy-mesme. Ores, monseigneur, ce Ihrezorsans
pair me baesté prins ei mis en l'enfer par le démon. Oui, seigneur
iuge, alors que par luy baesté veue ceste guaisneàmille coulteaulx,
ceste diablesse en qui tout est atelier de perdition, ioincture de
liesse, délectation, et que rien ne peut assouvir, mon paouvre en-
fant s'empestra dedans la glue de son amour, et depuis ne vesquit
qu'entre les columnes de Vénus, et n'y vesijuit pas un long
temps, pour ce que en ce lieu gist si grant chaleur, que rien ne
désaltère la soif de ce goulphre, quand mesmes vous y bouteriez
les germes du monde entier. Las ! doncques, mon paouvre gar-
son, son escarcelle, ses espérances génératifves, sonlieur éterne,
tout luy, plus que luy, s'est engoulphn* en ce pertuys comme
ung grain de mil en la gueule d'ung taure. Par ainsy, devenu
vieulx orphelin, moy qui [)arle, n'auray plus d'aullre ioye que de
veoir cuire ce démon nourry de sang et d'or, ceste Arachné qui
ha entortillé, sugcé plus d'Iiymenées, plus d(^ familles en herbe,
plus de cucurs, plus de chresliens (pi'il n'y ha de ladres en toutes
les ladreries de la chrestienté. Brusiez, tormentez ceste goule,
ce vampire qui paist des âmes ; ceste nature tigre qui boit du
sang ; ceste lampe amoureuse où bout le venin de toutes les vi-
pères. Fermez cet abysmeoùunghommenepeut trouverdefund...
l'offre mes deniers au Chapitre pour le biiselior, et mon bras
pour y bouter le feu. Veiglez, seigneur iuge, à bien détenir ce
diable, veu que elle ha feu plus llambant que tous aultres feux
terrestres : elle ha tout le feu de l'enfer en son giron, la force de
Samson en ses cheveulx et apparences de musieques célestes en
la voix. Elle charme j)oiir tuer le corps et l'ame en ungc(uq); elle
soubrit pour mordre; elle l)ais(^ pour dévorer; biief, elle enni-
E^ll(^ liu Icii plus Ibtnhunl que Ions aullres feux terrestres; elU; ha tout le
feu (Je l'ciiftT eu sou ;,'iron, la force de Samson en ses cheveulx et appa-
rences (Je niusic(|ues C(!'le8tes en la voix.
LK srccii'.K
r.09
ponnoroyt ung saincl el luy fcroyl ivnior Dieu ! Mon lil.s ! mon
fils! Où est, à cestc heure, la lleiir de ma vie, fleur coupée par
cet estuy féminin connue par ciscanlx ! lia, seigneur, pourqnov
m'avoir appelé? Qui me rendra UKtn lils, dontlame lia este' ab-
sorbée par ung ventre qui donne la mort à tous et la vie à aulcun?
Le diable seul fraye et n'engendre point. Cecyest mon tesmoin-
gnaige, que ie prie maistre TourneJjousclied'escribre sans omettre
ung iola, puis m'en baillei' cédnle pour que ie ledise à hieu tous
les soirs en lues prières en cesle linde tousiourslaiie crier à ses
aureilles le sang de l'innocence et obtenir de sa miséricorde inli-
nie le pardon de mon lils.
Suyvent vingt et sept aultres dires dont la transcription, en leur
vraye obiectivité et en toutes leurs (jualités d'espace, seroyt j)rou
fastidieuse, tireroyt moult en longueur et divertiroytle fil de ce
curieux pourcbaz ; histoire qui, selon les préceptes anticques,
doit aller droict au faict comme ung taureau en son oflice prin-
cipal. Kt doncques, vécy, en peu de mois, la mouelle de ces
tesmoingnaiges :
Par ung grant nombre de bons chrestiens, bourgeoys, bour-
geoyscs, habitans de la noble ville de Tours, l'eut dict : ce dé-
mon avoir faict tous les iours nopces et festins royaulx ; ne
iamais avoir esté veuc en auleune ecclise; avoir mauldi(;t Dieu;
s'estre mocquée de ses prcbstres , ne s'estre signée en aulcun lieu;
parler tous les languaiges de la terre, ce qui ne ha esté octroyé
par Dieu qu'aux saincts Apostres ; avoir esté maintes fois ren-
eonlrée |)ar les chamiis, nionh'c sur ung animal ineogneu, le-
lia Cblé maintes fois rcnconirce par les champs, montée sur ung animal
incogneu, lequel alloyt devant les nuées.
LE siT.rrBr. -,71
quel alloyt devant les nuées; ne poinl vieillie et avoir le visai;,'e
tousiours ieune ? avoir deslié sa ccinclure pour le père et le fils
en ung mesme iour, disant (pie sa porte ne jtrdioyt point;
avoir de visibles influences niali;:nes rjui Anoyenl d'elle, pour
ce que ung tahnellier, assis en son banc à sa porte, l'ayant aper-
ceue ung soir, reoeut telle halenée de chaulde amour, que, ren-
trant, s'estoyt mis au lict, avoyt, en grant raige, beliné sa
mesnaigiere et lent trouv(î mort lendemain, besongnant tous-
iours; que les vicnlx bommes de la ville alloyent despendre le
demourant de leurs iours et de leurs escuzà sonouvrouer, pour
gouster la ioye des pécbez de leur ieunessc, et qu'ils mouroyent
comme mouscbes, tous à contre-fil du ciel, et que aulcuns mou-
rans noircissoyent comme des Mores ; que ce démon ne se
laissoyt point veoir à disner, ni à desicuner, ni à souper, ains
mangioyt seule, pour ce qu'elle vivoyt de cervelle bumaine;
que plusieurs l'avoyent veuc, durant la nuict, aller ez cime-
tières, y gruger de ieunes morts, pour ce que elle ne pouvoyt
assouvir aultrcment le diable qui Irépignoyt dedans ses entrailles
et s'y demenoyt comme ung oraige ; et que de là venoyent les
bauracincnx, ascres, mordicans, nitreux, lancinans, j)rccipi-
tans et diabolicques niouvemens, estraintes, tourdions d'amour
et de voluptez, d'où plusieurs hommes revenoyent bleuis, tordus,
mordus, desbil'fez, conquassez ; et que, depuis la venue denostre
Saulveur, qui avoyt emprisonné le maistre diable au corps des
gorets, aulcune bcste maligne n'avoyt esté veueen aulcun lieu de
la terre si malfaisante, si vénéneuse, grypbanle, et tant <{ue, si
on gectoyt la ville de Tours en ce champ de Vénus, elle s'y trans-
muteroyt en graine de cités, et ccttuy démon l'avalloroyt comme
fraize.
Puis, mille aultres dires, proupos et dépositions d'où sourdoyt
en toute clairelé la génération infeinale de ceslc femme, fille,
sœur, ayculc, espouse, garsette ou frère du diable, oullre les
preuves abundantes de samalfaisance et descalamitez esjiandues
par elle en toutes les familles. Et, si licence estoyt donnée de les
mettre icy conformément au roole conservé par le boniiomme
auquel en est deue ladescouverle, sembleroyent ung esclianlillon
des cris borrificques que poulsèrent les .Egyptiacquesau iour de
la scptiesme playe. Aussy ce verbal ha-t-il faicl grant honneur à
messer Guillaume Tournebousche, par lequel en sont quolcz tous
les cavers.
l'luMeur> l'avoyiil vuu, diiKnil U i.uitt, ail' r >■/ t iim liiTO-, y j;rii,':.i .lo
it'unes inorls, pour ce que elle ne pouvoyl nssouvir nullrcment le diable
<|iij In'-pignoyt dedans ses entrailles et ^'y deinenoyt comme uiig "laigc,
I,E SUCCI un. 575
En ]a (lixiosine v;u:(jualioii, l'oiil .liiisy cluiizc casla t'iKjiiolo
arrivée en sa maluritc de preuves, guarnie de tesnioingnaigcs
antliontir(|iR\s, suHisaniniont engrossée de partieularilez, com-
[ilainctcs, iiiterdicis, conlredicts, charges, assignations, recole-
niens, conressioiis |)ni)lic(|iu's et particulières, inreniens, adiour-
ueuiens, conij)aritions, controverses, anxcpiels debvoyt respondre
le démon. Aussy dirent partout les bourgeoys (jue, l'eust-elle réal-
lement diablesse et munie des cornes intérieures mussées en sa
nature, avcccpiesles(juelleselle beuvoyt des lionimes et les brisoyt,
cesteJennnede])voylnagierlongleni|)senceste merd'escripleurcs,
paravant d'alleiudre, saine et saulve, l'enter.
32
COMMENT PEUT PROCKDE E.N L E.\DROICT DE CETTUY
DÉMON FEMELLE.
7 In nomine Patm, et Filii, et Spiritiis Sandl. Amen.
L'an de nostre Seigneur mil deux cent septante et ung, par-
devant nous, Hiérosme Cornille, grant pénitencier, iuge ecclé-
siasticqne, à ce commis canonicquomont, sont comparus :
Le sire IMiilippe d'Ydré, l);iillir de la ville, cité de Tours et
province de Tourainc, demourant en son lioslel, rue de la Ros-
tisseric, en Cliasteauneul'; maistre lelian Hibou, prevost de la
conCrairie et maistrise des Drapiers, demourant sur le (|uay de
l'retaingnc, à l'imaige de Sainct-Picrrc-ez-liens ; messirc Antoyne
lalian, eschevin, cliiel" de la conlVairie des Cliangeurs, demourant
sur la place du Pont, à l'imaige de Sainl-Maic-com|ilanl-des-
livres-tournoys;m.iistreMarlin-l{eauperluys,capilain(Ml('s archers
de la ville, demourant an ciiasleau ; lelian Habelais, goildronneur
de navires, faisant hateaulx, demourant au jiort de l'isle Sainct-
lac<pies, ihrezorier de la conl'rairie des Mariniers de la Loire;
Man^ lli('rosme, dict Mascliel'cr, cliaussetlier, à l'enseigne de
Saincle-Si'liastienne, président des i'reudlionunes, et lacques'
dict de Ville (liiMirr, maistre cabarelier, vigneron demourant en la
LK SUCCIJHE. -.75
grant rue, à la Pomme do Pin ; auquel sire (i'Vdré, jjaillil', et aux-
quels bourgcoys de Tours avons lu la Requeste suyvante, par
eulx esciipte, signée et délibérée pour estre mise soubz les yeulx
du tribunal ecclésiaslicque.
REQUESTE
Nous soubs signez, tous bourgeoys de Tours, sommes venus en
l'hostel de nostre seigneur le sire d'Vdré, baillif de Touraine, en
l'absence de nostre Maire, et l'avons requis d'entendre nos
plainctes et quérimonies sur les faicts ensuyvans, dont nous nous
portons forts devant le tribunal de l'arcbevesque, iuge des crimes
ccclésiasticques, auquel doibt estre deftbrréle pourohazdelacause
que nous exposons.
Depuis ung long temps est venu en ceste ville ung maulvais
démon soubz visaige de femme, laquelle demoure en la coulture
Sainct-Estienne, dedans la maison de l'bostelier Tortebras, sise
en la censive du Cbapitre, et soubz la iurisdiction temporelle du
domaine archit'piscopal. Laquelle femme estraiigiere faict lemes-
tierde lille de ioye en fasson proditoire, abusive, et en telle cmpi-
rance de nialfassons, que elle menasse de ruyner la foycatholicque
en ceste ville, pour ce que ceulx qui vont à elle en reviennent
l'ame perdue de tout poinct, refusent l'assistance de l'Ecclise avec-
ques mille scandaleux discours.
Ores, considérant que ung granl numbre de ceux qui s'adon-
nent à elle sont morts, et que, advenue en nostre ville sans
aultres biens que sa nature, elle lia, suyvant la clamour publique,
des ricbesses infinies, tbrezors royaulx dont rac(|uest est vébé-
mentemeiit soupçonné do sorcollerio ou smon do vols commis à
l'aydedos attraicts margicquesdo sa personne supcrnalurellement
amoureuse ;
Considérant que il s'en va de l'bonneur et sécurité de nos
familles; que iamais en ce pays ne s'est voue fommo folio do son
corps, ou lillo d'amour, faisant avocquos tel d('trimonl sa bosongne
de galloise, et menassant si apertemcnt et asprement la vie, les
espargnes, les mœurs, chasteté, religion, et le tout des habitans
de ceste ville ;
Considérant que besoing est d'une enquesto do sa personne, de
ses biens et de ses déportemens, à ceste fin de vérifier si ces
57G CONTES DROI.ATIOrES.
effocts de l'anionr sont Ic-gitimcs ot ne procèdent point, ainsv que
le dt'nionstrent ses gestes, d'ung nialelice de Satan, lequel vient
souvent visiter la chrestienté soubz forme femelle, ainsy qu'il
appert des livres saincls, où il est dictque nostrc benoist Saulveur
feut emporté iuz ung mont d'où Lucifer ou Astarotli luy monstra
des fertiles domaines en ludée, et que, en plusieurs endroicts,
ont esté veus des suoeulies ou démons, ayant visaige de fenune,
lesquels, ne voulant point retourner en enfer et guardaut en eulx
ung feu insatiable, tentent de se rafrescliir et substanter en aspi-
rant des âmes ;
Considérant (|ue au cas de ladicte femme se rencontrent mille
tesnjoingnaiges de diablerie, dont aulcuns liabitans parlent ouver-
tement, et que il est utile pour le repos de ladicte fenmie que la
ohouse soit vuydée, à ceste lin qu'il ne soit point couru sus par
aulcunes gens ruynez par le train de ses maulvaisetez ;
A ces causes, nous supplions que il vous plaise soubmettre à
notre seigneur spirituel, père de ce dioceze, le trez-noble et sainct
arclievesque lelian de Monsoreau, les douloirs de ses ouailles affli-
gées, à ceste fin qu'il y advise.
En ce faisant, vous remjdirez les delivdirs de vostre cliarge,
ainsy que nous celluyde servaleurs de la sécurité de ceste ville,
cliascun suyvant les cbouscs dont il lia cure en son (piartier.
Et avons signé le présent, l'an de nostre Seigneur mil deux cent
septante et ung, le iour de tous les Saincts, après la messe.
Maistre Touinebouscbe ayant paracbevéla lecture de ceste re-
queste, par nous, lliérosme Cornille, lia esté dict aux re((uérans :
— .Messires, auiourd'liuy, persistez-vous dans ces dires, avez-
vous preuves aultres que celles venues à nostre cognoissance, et
vous engaigez-vous à soustenir la vérité de cecy devant Dieu, de-
vant les hommes et devant l'accusée?
Tous, fors maistre lelian Rabelais, ont persévéré dans leur
cn'ancc, et le dessus dict liabelais lia soy relire' du ])ourcbaz, di-
sant tenir ladicte M(»iis(|ue pour l'eiiiiiie naturelle, pour une bonne
gouge (jui n'avuyt aultre deilault que de conserver une Irez-haulle
température d'amour.
l)onc(jues, nous, iuge commis, après meure délibération, avons
ticuv(' inalièie à suyvre sur la icepieste desdils bourgeoys, et or-
ilniiiions (ju'il sera proci'de' à l'encdiilre de la i'eiiime mise en la
ge(»l(' (In (Chapitre, jiar tinilcs voyes de droicl, escriples cz canons
et oidniinaiicrs vonlid (hniKiiiiox.
LE srcr.riiK. 377
Lndioto nnionnniiro conmiuttM' en assi;^nation sora pul)li('o par
le ciiour de la ville en tous les quarrojs, et à son de trompe, à
ceste fin d'estre cogneue de tous, et pour ce que ung chascun
tesmoingne suyvant sa conscionee, puisse eslre confronté avcc-
qucs ledicl (l('ni()n,cl en lin de tout ladiete accusée estn; pour-
veue d'ung dellenseur suyvant les usaii;es, puis les interrogua-
lions et le procez eslre eongrueinenl l'aicls.
Signé : IIiérosme ("iORKiLi.E.
Et plus bas :
TOURNEBOUSCHE.
f In nominc Palris, et Filii, et Spiritu^ Sancli. Amen.
L'an de nostre Seigneur mil deux cent septante oL ung. le
dixiesme iour de fehvrier, après la messe, par ordonnance de
nous IIiérosme (^ornille, iuge ecclésiasticque, ha esté tirée de la
geôle du Chapitre et amenée devers nous la femme prinse en la
maison de l'hostelier Toitehras, située sur le domaine du Cha-
pitre de la cathédrale Sainct-Maurice, et par ainsy subiecte de la
iustice temjiorelle et seigneuriale de l'archevesché de Tours,
oultre que, suyvant la nature des crimes à elle im|)ufez, elle
est soubmise au tiibunal et relève de la iustice ecclésiasticque,
ce que. nous luy avons fait cognoistre à ceste fin que elle n'en
ignore.
Puis, après lecture s('rieuse, entière et bien comprinse par elle :
en prime lieu,de la Hequestedela ville; puis, des dires, plainctes,
accusationset procédures qui se treuventescriptes en vingt-deux
cayers par maistre Tournebousche, et sont cy-dessus relatez, nous
avons, soubz l'invocation et l'assistance de Dieu et de rKcclise,
advisé à quérir la vc'rité, d'abord par interroguatoires faits à la-
diete accusée.
En jjrime inlerroguation, avons requis ladiete de nous dire en
quel pays ou ville avoyt |)rins naissance. i*ar elle qui parle ha
esté dict : En Mauritanie.
Puis nous sommes en([Mis si elle avovt ses jière et mère ou
aulcuns parens. Pai' elle (|ui parle ha esté res|)ondn que elle ne
les avoyt iamais cogneus.
Par nous ha esté rerpiise de declairer (pie! nom estoyt le sien.
Par elle qui parle ha esté dict : Zulma, en langue arabe.
578 CONTKS DROL ATIOIES.
Par nous ha esti' iloinamlô j)oiin|iioy parloyf-oUo nostre lan-
guaige. Par elle qui parle ha esté dicl : Pour ce que elle est venue
en ce pays.
Par nous ha esté demandé : En quel temps? Par elle qui parle
ha esté diet : Environ douze ans.
Par nous lia esté demandé en quel aage lors estoyt-elle. Par
elle qui parle a esté diet : Quinze ans, ou peu s'en t'ault.
Par nous ha esté diet : Doncques vous recognoissez avoir vingt
et sept années? Par elle qui parle ha esté diet : Oui.
Pâmons ha esté dicl à elle que elle esloyt doncques la Morisquc
trouvée en la niche de madame la Vierge, puis haplizée par l'ar-
chevesque, tenue sur les fonts par le feu seigneur de la Ro<'he-
Corbon et la damoiselle d'Azay son espouse; puis, mise par eulx
en religion au moustierdu Mont-Carmel,oîi par elleauroyent esté
faicls vœux de chasteté, paonvreté, silence et amour de Dieu,
soubz la divine assistance de saincte Claire. Par elle qui parle ha
esté diet : Cela est vray.
Par nous luy ha esté demandé si lors elle tenoyt pour évidentes
les déclarations de la trez noble et inclyte dame ahbesse du Mont-
Carmel, et aussy le dire de la Iacquette,dite Yieulz-Oing, souil-
larde ez cuisines. Par elle qui parle ha esté diet : Leurs paroles
estre vrayes j)our la plus grant part.
Lors, par nous luy ha esté diet ; Doncques vous estes chres-
tienne? Et par elle qui parle ha esté respondu : Oui, mo:n pi^re.
En ce moment, par nous ha esté requise de faire le signe de la
croix et de |)iendrc eaue benoiste en ung benoistier mis par
Cuillaume T<iiirnebouscii(> ionxle sa main; ce (pie ayant laict, et
par nous ayant esté veu, ha esté admis comme ung faict constant
(pie Zulma la Mauritaine, dicte en nostre pays Blanche Bruyn,
moynesse du moustier soubz l'invocation du Mont-Carmel, y
nommée sœur Claiie et soup('onn('e esire une faulse apparence de
femme soubz la(pieMe seroyt mig (b'inon, ha, en nostre prés(Mice,
faict acte de religion et rec(tgneu |iar ainsvia iustice du tribunal
ecclésiastic(jue.
Lors, par mtus luy ont esté dictes ces paroles : Ma fille, vous
estes vébémenlenienl soupçonn('(' d'avoir eu l'ecoin's au diable
eu la maiii("'re dont vous estes yssue du couvent, laipielle ha esté
siqiernalu relie de tout p(»iiicl. l'ar elle(pii paije liaesl('(iict : Avoir
en ce teMq>s natui'ellemeiit ;;ai;^m' les cliiinqis par l'huys de la
nie, ;q(ivs vespres, soilli/ la rohlie de doiil leliail de Marsilis, visi-
IV. SIJCCIJHK. 579
tour (lu mouslicr, lofjuel l'avoyt loglûp, rllo qui |)nilp, en ung
taudis à luy, sis en la ruelle de Cupidon, prouche une tour de la
ville. Puis, là, ce diot j)rol)slrc avoyt, à ollo qui pai'lo, longuement
et trez-l»ioii apprins les ddulcours dt" I ainoiu', dont, elle (pii pnrle,
cstoyt lors do tout poinct ignoianlo; auxcjuollos douioours elle
avoyt moult prins gousl, les trouvant de bel usaige. Puis le sire
d'Amboise, l'ayant aperceue, elle qui parle, à la croisée de ce
rotraict, avoyt esté féru pour elle (l'ung grant amour. Lors, elle
qui parle, l'ayant do bon cuour aymé j)his que le nioyne, s'estovt
onluio du bouge où la détonoyt, au proulfiot do son plaisir, dom
Marsilis. Et lors elle estoyt allée, en grant erre, à Andjoise,
chastel du dict seigneur, où elle avoit eu mille passe-temps, la
cbasse, les dances et boaulx vostcmens do royno. Ung iour,lc sire
de la Roclio-Pozay ayant esté convié j)ar le sire d'Audjoise à venir
gobololtor et se rosiouir, le baron d'Amboise l'avoyt laiot vooir,
elle qui parle, à son inscou, alors (juo elle sortoyt nue du bain.
Ores, à ceste veue, ledict sieur de la Roche-Pozay, estant tombé
de baultmal d'amour pour elle qui parle, avoyt lendemain des-
conlictcn cond)at singulier le sire d'Amboise; et, par grant vio-
lence, maulgré ses pleurs, l'avoyt, elle, oiimieuée en Terre Saincte
où elle qui parle avoyt mené la vie des tommes bien aymées
et tenues en grant respect à cause de leurs beaultez. Puis, après
force advonturos, estoyt, elle qui parle, revenue en ce pays,
maulgré ses apprébonsions do maulvais beur, pour ce que tel
cstovt le vouloir do son soigneur et maistre le baron de Bueil,
lequel se mouroyt de poine ez pays asiaticques et deziroyt reveoir
son manoir patrial. Ores, luy avoyt, à elle qui parle, promis de
la saulver do tout estrif. Lors, elle qui parle, avoyt eu foy et
créance en luy, d'anlanl ([uo elle l'aymoyt troz-foi't. Ains,
l'uii le sire d'Ainlioisc, l'-iyanirapiTcciie, elle qui parle, i la croisiiC de ce
retraict, avoyl oii^ léru pour olle d'iiiig giaiil amour.
Lcdict siour de la l!oi;lu-ro/.ay, i'jI.éiiI imiil é de liutill mal d'amour pour l'Ile
qui parle, avoyl lendemain de:>ronliel eu ronihat singulier le sire d'Amboisc.
582 CO>'TES DROLATIQUES.
à son arrivée en ce paj's, le sieur de Bueil feut prins de ma-
ladie et trespassa desplourableinent sans l'aire aulcuns remèdes,
maulgré les ferventes requestes que luy avoyt adressées elle qui
parle, ains sans succès, pour ce que il haïoyt les pliysicians,
maistres myres et apothicaires; et que cecy estoyt toute la
vérité.
Lors par nous ha esté dict à l'accusée que elle tenoyt par ainsy
pour vrays les dires du bon sire Ilarduin et de l'hostelier Torte-
bras. Par elle qui parle ha esté respondu que elle les recognois-
soyt pour évidens pour la plus grand part, et aussy pour maul-
vais, caluninieux et inibécillcs en aulcuns endroicts.
Lors par nous ha esté requise l'accusée de déclairer si elle
avoyt eu amour et copulation charnelle avecques tous les hommes
nobles, bourgeoys et aultres dont tesmoingnent les plaincles et
déclarations des habitans. A quoy par elle qui parle a esté
respondu trez effrontément : Amour, oui; mais copulation, ie ne
sçays.
Par nous lors luy ha esté dict que tous estoyent morts par
son faict. Par elle qui parle ha esté dict que leur mort ne sçau-
royt estre son faict, pour ce que tousiours se refusoyt à eulx, et
tant plus les fuyoyt, tant mieulx venoyent-ils, et la sailloyent,
elle qui parle, avecques raiges infinies; et alors que, elle qui
parle, estoyt par eulx prinse, bien y alloyt-elle de tout son
mouvement à la graace de Dieu, pour ce que elle sentoyt des
ioyes à nulles aultres pareilles en ceste chouse. Puis ha dict, elle
qui parle, advouer ses secrets sentimens unicquement pour ce
que par nous elle estoyt requise de dire la vérité de tout, et
que, elle qui parle, redoutoyt moult les gehennemens des tors-
sioimaires.
Lors par nous luy ha esté demandé de nous respondre, à poine
de torteures, en quel pensier estoyt-elle alors que ung homme
noble mouroyt par suite de ses accointances avecques elle. Lors
par elle qui jiarle ha esté lespoiidu que elle demeuroyt toute mé-
lancholieuse et vouloyt sedeflaiie; prioyt Dieu, la Vierge et les
Sainctsde la recepvoir en paradis, pour ce que iamais, elle qui
parle, n'avoyt faict rencontre que de beaulx et bons cueurs en
les(|uels n'estoyt nul vice, et (jue elle tomboyt, les voyant def-
iimcts, en giaiis liistilicatioiis, se ciiydoyt une ci'éatnre iiialfai-
sanlc ou siisjjicclc d'un maulvais sort (pic elle comniunicquoyt
coiiiiiic peste.
LE SUCCUBE. 383
Lors par nous ha estô re({uise de dire où se faisoyent ses
oraisons.
Par elle <|ui parle lia este- dirt que clic prioyt en son oratoire,
à genoiiz devant Dieu, qui, selon IKvani^ile, veoit, entend tout
et réside en tous lieux.
Lors par nous ha esté demandé pounjuoy elle ne fréciuentoyt
point les ecclises ni les oriioes et lestes. A ce par elle (jui parle
ha esté respondu (|ue ceulx qui venoyent pour l'aymer avoyent
esleu les iours feriez pour s'eshaltre, et que, elle qui parle, fai-
soyt tout à leurs voulentez.
Par nous luy ha esté remonstré chrestienncment que, par ainsy,
elle estoyt en soubniission des hommes plus que des connnande-
mens de Dieu.
Lors par elle qui parle ha esté dict que, pour ceulx qui la bien
aymoyent, elle qui parle se seroyt gectée en buschers ardens
n'ayant oncques suyvy en son amour aultre cours que celluy de sa
nature, et, pour le monde poisant dor, n'eust preste ny son corps
ny son amour à ung Pioy cpie elle n'eust point aymé de cueur, de
pieds, de teste, de chevculx, de front et de tout poinct. Bricl', et
d'abundant, elle qui parle n'avoyt iamais faict acte de galloise en
vendant ung seul brin d'amour à ung homme que elle n'eust
point esleu pour sien, et que cil qui l'avoyt tenue en ses bras une
heure, .ou l'avoyt baisée ung petit en la bouche, la possédoyt
pour le demourant de ses iours.
Lors par nous ha esté requise de dire d'où procédoyent les
ioyaulx, plats d'or, argent, pierres prétieuses, meubles royaulx,
tapis, et cœtera, valant deux cent mille doublons, suyvant exper-
tise trouvée en son logiz, et remis en guardc du threzorier du
Chapitre. Par elle qui parle ha esté dict que en nous elle j)laçoyt
tout son espoir, autant que en Dieu mesme, mais que elle n'osoyt
respondre à cecy, pour ce qu'il s'en alloyt des plus douces chouses
de l'amour, dont elle avoyt tousiours vescu.
Puis, interpellée de rocliief, ha dict elle qui parle (pie si, nous
iuge, coguoissions en (piclle l'erveur elle tenoyt celluy (pie elle
aymoyt, en quelle obédience le suyvoyt par toute voye bonne ou
maulvaise, en quelle estude luy estoyt soubmise, avecqucs quel
bonheur elle escoutoyt ses dezirs et aspiroyt les sacres paroles
desquelles sa bouche la gratifioyt, en quelle adoration avoyt
sa personne, nous-mesme, vieulx iuge, cuyderions, comme ses
bien-aymez, nulle somme ne pouvoir payer ceste grant affection
.ï8i CONTKS nilOL.VTKjl i:S.
apivs laiiucllo courent tous los hommes. Puis lia dict, elle qui
parle, n'avoir iamais de nul honune avmé par elle sollicité nul
présent ni guerdon, et que elle demouroyt parfaictement contente
de vivre en Icurcueur; que elle s'yrouloyt aveoques des plaisirs
intarissables et ineffables, se treuvanl riclie de ce cueur plus que
de tout, et ne songioyt à rien aultre cliouse qu'à leur rendre plus
de ioye et de bonheur que elle n'en recevoyt d'eulx. Mais, obstant
les delïenses itératives de elle (|ui parle, ses amoureux se
bendoyent à lousiours la gracieusement mercier. Tantost lung
venoyt, à elle qui parle, aveccpies ung l'ermail de perles, disant:
(( Vécy pour monstrer à ma mye que le satin de sa peau ne me
paioissoyt pas à faulx plus blanc que perles ! » Et le mettoyt au
cou de elle qui parle en le baisant bien fort. Elle qui parle se
choleroyt de ces l'ollies, ains ne pouvoyt reU'user de conserver ung
ioyau qui leur faisoyt plaisir à veoir là où ils le niettoyent sur
elle. Ing chascun avo\t pliantaisio diverse. Tantost ung aullie
aymoyt à deschirer les vesleniens prétieux dont elle qui parle
se couvroyt pour luy agréer : puis ung aultre à la vestir, elle qui
parle, de saphirs aux bras, aux iambes, au col ou en ses chcveulx ;
cettuy à lestendrc ez tapis, en de longs linceuls de soye ou
veloux noir, et demouroyt des iours entiers en ecstasc des per-
Icctions d'elle (jui parle, à (|ui les cliouses dezirées par ses
amoureux donnoyenl plaisirs inlinis pour ce que ces chouses les
faisoyent tout aises. Puis ha dict, elle qui parle, que, comme nous
ne aymons rien tant que nostre plaisir, et voulons (jue tout cs-
clatle en beault(', harmonie. au deliois connue en dedans du cueur,
alors loussoubliaitoyenl venir le pourpriz habité par elle qui parle
aorné des j)lus belles cliouses ; et en ce pcnsier tous ses amoureux
se plaisoycnl autant que elle à y respandrc l'or, la soye et les
Heurs. Ores, veu que ces belles chouses ne guastoycnt rien, elle
ipii parle n'avoyt nulle force ni commandement pour empescher
ung chevalier ou mesmes ung riche hourgeoys dont elle estoyt
ayiiK'i! (le l'aire à sa voulentc-; et, par ainsy, se trouvoyt con-
traincte d'en recepvoir jjerfums prétieux et aullres satisfactions
dont elle i|iii parle estoyt afl'ollt-e, et (|iie telle estoyt la source de
ces jilals d'nr, lapis et ioy.mix priiis chez elle jiar les gens de
iiistice.
(ly liiie la prime inleriogiialion laide à ladicle sœur Claire,
soupç.iiinée d'rslre uiig démon, pour ce que nous iuge et Guil-
i.iiiiiK' ÏhiiiiicImiiix lie avoveiit Ir.qi grant fatigue d'entendre la
LE SUCCUBE. 585
voix (le lailiclccii k'iiis iiiircilh-s, cl se treuvovnnt IVnteiKlciiient
brouillé de tout poiiict.
Par nous iuge a esté assigné le second intcnogualoire à trois
iours d'iiuy j)Our eslre elicrcliées les preuves de l'obsession et
présence du démon au corps de la dessus dicte; laquelle, sui-
vant le commandement du iuge, lia esté réintégrée en sa geôle
soubz la conduicte de inaistre Guillaume Tournebouscbe.
7 In nomine Patris, et Filil, et Sjiirilus Sancti. Amen.
Le trciziesme iour cnsuyvant dudict moys de fcbvrier, parde-
vers nous, Iliérosme (lornille, et cœtera, lia esté traduicte la sœur
Claire cy-dessus nonunée, à ceste (in d'estre interroguée sur ez
taicls'et gestes à elle imputez et d'iceulx convaincue.
Ç Par nous iuge lia esti' dicl à la eomparue que, veu les diverses
responses par elle données aux interioguats (pii précèdent, il eon-
stoyt(|ueonc(juesneleut au pouvoir d'une simple reiiime, encoi'es
qu'elle leust autborisée, si telles licences estoyent baillées, à mener
la vie de lemme folle de son corps faisant [daisir à tous, de prac-
ticquer tant de morts et aceoin|dir envousteries si jiarfaictes sans
l'assistance d'ung espéeial tiémoii logié eii son corps et auquel
l'ame auroyt esté vendue par 11114 pacte espéeial. Doncques, il
55
586 COMKS DROLATlOlES.
estoyt apei'teniont (k'nionstré que soubz son apparence gist et se
mouve ung démon autheur de ces maulx, et que elle estoyt pré-
sentement sommée de declairer en quel aagc elle avoyt receu cettuy
démon; advouer les conditions atermoyées entre elle et luy, puis
dire la vérité sur leurs communs maléfices. Par elle qui parle lia
esté reparty que elle vouloyt respondre, à nous honmie, connue à
Dieu, qui doibt estre nostre iuge à tous. Lors, lia prétendu, elle
qui parle, n'avoir iamais veu le démon, ne luy avoir point parlé,
ne aulcunement soubliaité leveoir; ne point avoir fa ict mestier
de courtizane, pour ce que oncques elle qui parle n'avoyt prac-
ticquc les délices de toute sorte qu'invente l'amour aultrement
que meue par le plaisir que le Créateur souverain avoyt mis en
ceste chouse, et y avoir tousiours esté incitée, elle qui parle, plus
pai' dezir d'estre doulce et bonne au cliier seigneur aviné par elle
que j)ar ung vouloir incessamment trépignant. Mais (juc, si tel
avoyt esté son vouloir, elle qui parle nous supplioyl de songier
que elle estoyt une paouvre fille al'ricquaine , en laquelle Dieu
avoyt mis ung sang trez-chauld, et, en son pensouère, si facile
entendement des délices amoureuses, que, alors que liomme la
resguardoyt, elle scnloytung grant esmoy en son cueur. Puis, si
jiar dezir d'accoiiitaiice ung amoureux seigneur la loucliioyt, elle
([ui parle, en aulcun endroict du corps, en y coulant la main, elle
estoyt, maulgré tout, soubz son pouvoir, pour ce que le cueur luy
lailloyt aussytost. Parce toucbier, l'appréliension et remembrance
de toutes les belles ioyes de l'amour se lesveigloyent en son centre
et y mouvoyenl une aspre ardeur, laquelle gaignoyt le liaull,
flamboyt ez veines et la l'aisoyt amour et ioye de la teste aux pieds.
Et du iour oiî, premier, dom Marsilis, en elle qui parle, avoyt
ouvert la compréhension de ces chouses, elle n'avoyt iamais eu
aultre pensier, et recogneut alors que l'amour estoyt chouse si
j)arfaictemeiil concordante à sa nature es|)éciale. (jue depuis avoyt
esté prouvé à elle qui parle que, par faulle d'hoiiinie et arrouze-
mcnt naturel, elle seroyt morte dcsseichiée au dict couvent. En
tesmoingnaige de cecy, elle (|ui parle nous afferme en toute cer-
tainelé cpie, après sa fuyte diidicl niouslier, onc(jucs n'eut ung
iour ni l'eut ung seul brin i.\o temps en mélancholie ne tristesse,
ains tousiours l'eut, elle qui parle, ioyeulse, et par ainsy suyvit la
sacre voulenté de Dieu à son esguai'd, de la(juelle se cuydoyt avoir
esté divertie en tout le temps jierdu pour elle en ce nioustier.
A cecy l'eut obieclé par nous liiérosme Cornille audict démon
LE SUCCrnE. 387
que, en ceste response, estoyt par luy apeiiement hlasphomé
contre Dieu, pour ce que nous avions esté faicts tous à sa j)lus
grant gloire, et mis en ce monde pour l'honorer et le servir ; avoir
soubz les yeulx ses benoists connnandeniens et vivre sainclemcnt
à ceste fin de gaigner l'heur éternel, et non estre couchiez à i'aire
tousiours ce que les hestes elles-mesmes ne font qu'en ung temps.
Lors par ladicte sœur a esté respondu (juc elle qui parle avoyt
moult honoré Dieu ; que, en tous les i)ays, avoyt eu cure des
paouvres et soulTreteux, leur donnant force deniers, vestemens,
et plourant au veu et au sceu de leurs misères ; et que, au iour du
iugement darrenier, elle qui parle souloyt espérer avoir autour
d'elle bonne compaignie des sainctes œuvres plaisantes à Dieu, qui
crieroyentmercyponrelle. l'uis, que, n'estoyt son huniiliti', crainte
d'estre reprouchée et paour des desplaire à messieurs du Chapitre,
elle eust avecques ioye despendu ses biens à parachever la cathé-
drale de Sainct-Maurice, et y establir des fundations pour le salut
de son ame, n'y espargnant point sa ioye ni sa personne; et que
en ce pensier, elle auroyt prins double plaisir en ses nuictées,
pour ce que chascun de ses amours auroyt bouté une pierre à
l'édification de ceste basiliccjue. Aussy, d'abundant, pour ceste
fin et pour l'heur éternel d'elle qui parle, tous ceulx qui l'ay-
moyent auroyenl-ils donné leurs biens à grant cueui'.
Lors, par nous ha esté dict à ce démon (jue elle ne sçauroyt se
iustifier d'estre brehaigne, pour ce que, maulgré tant de copula-
tions, nul enfant n'estoyt né d'elle; ce qui prouvoyt la présence
d'ung démon en son corps. D'abundant, Astaroth seul ou ung apo-
stre pouvoyt parler en tout languaige, et que elle parloytà la mode
de tout pays, ce ()ui tesmoignoyt la présence du diable en elle. A
ce par elle (jui })arle a esté dict, pour ce (jui est des diversitez de
languaige, (jue de grec elle nesçavoyt rien aultre chouse si ce
n'est : Kyrie eleison! dont elle faisoyt grant usaige ; de latin, rien
si ce n'est : Amen, et le disoyt à Dieu, soubhaitant en obtenir la
liberté. Puis que, pour le demourant, elle qui j)arle avoyt eu grant
douleur d'estre orbed'enfans ; et, si les mesnaigieresen faisoyent.
elle cuydoyt que ce estoyt pour ce que elles ne prenoyent que
petitement plaisir en la chouse, et elle qui parle, ung peu trop.
Mais que tel estoyt sans doubte le vouloir de Dieu, qui songioyt
que par trop grant bonheur le monde seroyt en dangier de périr.
Entendant ce et mille aullres raisons qui suflisannuent esla-
blissent la présence d'ung diable au corps ilc lasceur, pour ce (jue
5SS CONTES DROLATIOIKS.
le propre de Lucifer est de tousiours treuver ariaisonneniens
béréticques ayant vrayseniblance, avons ordonné que ladicte ac-
cusée serovl applicjuéo. en nostre présence, à la torleure et moult
gehennée, à ceste lin de réduire ledict démon par souffrance et
le souhmetlre à l'aulhorilé de l'Hcclise. Donccpies, avons lUaudé
pour nous faire assistance François de llangest, niaistrc niyreet
médecin du Chapitre, en l'enchargeant, par une cédule si dessoubz
transcripte, de recognoistre les qualitcz de la nature féminine
(virtulesviilvœ) de la dessus dicte femme, pour esclairer nostre
religion sur les modes mis en usaige par cettuy démon pour
happer lésâmes en ceste voye, et descouvrir si aulcnn artifice y
apparoist.
Lors ha moult plouré, geint paradvance ladicte Morisque, et,
nonobstant ses fers, se est agenouillée, implourant avecquescrys
et clameurs revocation de cesle ordonnance, oblectant ses mem-
bres estre en tel estât de foyblesse et ses os si tendres, que elle se
romproyt comme verre. Puis, en fin de tout, elle ha liiict offre
de se rachepter de ce par le don de ses biens au Chapitre et de
vuvder incontinent le pays.
Sur ce, par nous fut re(juise de déclairer voulentairement soy
estre et avoir tousiours ung démon de la nature dos succubes,
qui sont diables femelles, ayant charge de corrompre les chrcs-
tiens par les blandices et flagitioses délices de l'amour. A cecy
par elle qui parle ha esté dict (|ue ceste affirmation seroyt ung
mensonge abominable, veu (pie elle se estoyt tousiours sentie
trez bien femme naturelle.
Lors, ses fersluy ayant esté tollus par le (picstionnaire, la dicte
ha delfaict sa cotte et nous ha mcschamment et à dessein obscurcy,
brouillé, adhiré l'entendement par la vue de son corps, lequel
exerce de faict sur riioiiunc des coërtions supernatundles.
Maistre Cuillaunie Tournebousche ha, par force de nature,
(juilté la plume en cet endroicl et ha soy letiré, obieclantne pou-
voir, sans tentations incredibles qui luy labouroyent la cervelle,
estre temoing de ceste torteure, pour que il senloyt le diable
gaigner violenuu<'nt sa iiersonne.
Cv lina le secuiid inlerrogiiiiloire, et, vcii (pic par l'appariteur
et ianitcur du (chapitre ha eslt- dict maistre I i ançoys de Hangcst
estre en campaigne, la géhenne et interroguations sont assignées
à lendemain, berne de midy, :iprès In messe dicte.
Cecy ha esté «-scripl ;iii \eili;il p:ii iiii»y Hiérosme, en l'ab-
LE SlT.CCIiî:. 389
sencc (If niai«;trt' (iuilliiiitiH' Toiirnebousclie on f'ov de quov
avons s\<in6
lIlÉnOSME (]ORMI,I.K,
; Graiil pénitencier.
RFQf'ESTE
(^c ioiird'liiiy, quatorziesiiiP ioiii- du iikùs de fcbvrier, en pré-
sence de nioy Ijù'ro.snie Cornille sont comparus les dicts ninistres
loliiui Ilihou, Antoyne lalian, Martin IJcaupertuys, Hit'rosme
Masclieler, lac(|ues de ville d'Onier, et sire d'Hydre, au lieu et
j)lace du Maire de la citi; de Tours, lors alisent. Tous plaignans
désignez en l'acte du pourchaz faicten l'hostel delà ville, aux-
quels avons, sur la requeste de la HIancIie Bruyn, se recognoissant
présentement nioynesse au moustier du Mont-Carmel, soubz le
nom de sœur Tdaire, déclairé ra|)pel t'aict au iugenient de Dieu
par la dicte accusée de possession dt-moniacque et son offre de
passer par l'épreuve del'eaiieet du feu, en présence du Chapitre
et de la ville de Tours, à ceste fia df prouver ses réalilez de
fennne et son innocence.
A ceste recjueste ont adlK-ri' pour leur part les dicts accusa-
teurs; lesquels, attendit que la ville se porte fort, se sont en-
gaigiez à préparer la place et ung buscher convenable et ap-
prouvé des parrains de l'accusé.
Puis, par nous iuge ha esté assigné pour terme de l'épreuve
le prime iour de l'an neuf, (jui sera Pascjues prochain et avons
in(lic(jué l'heuie de midy, après la messe dicte, ung chascun
des parties ayant recogneu ce délay estre moult suffisant.
Doncques, sera le présent arrest crié à la diligence de ung
chascun, en toutes les villes, bourgs et chasteaulxdeTouraine et
du pays de P'rance à leurs soubhaits, à leurs cousts et diligence.
HlÉROSME CORMLLK.
33.
in
r.E QUE FEIT I,E SUCCUBE POUU SUGCER LAME DU VIEIL lUGE,
ET CE QUE ADVINT DE CESTE DÉLECTATION DUBOLICQUE.
Cenj eut Vocte de confession exlresme fnicle le premier ionr
(ht mois de mars de l'an mil deux cent septante et vng après
la venue de N. B. Saiilreur, par Uiérosme Cornille, prebstre
chanoine du Chapitre de la cathédrale de Sainvl-Maurice,
grant pénitencier, de tout se recognoissanl indigne. Lequel, se
treuvanl en sa darrenicre heure, et contrit de ses péchez, mal-
fassons, furfaictnres, meffails et maulvaisetez, ha souhhaité
sesadveux eslre mis en lumière pour servir à la préconimtion
de la vérité, gloire de Dieu, iuslice du tribunal, et luy eslre
une allégeance à ses punitions en ïaullrc monde. Ledict Ilié-
rosme Cornille estant en son liet de mort, ont esté convocquez
I i: Il A K U E LA II A V K ,
Vicaire de l'ecclise Sainct-Mauricâ.
50 î
CONTES DUOLATIOURS.
pour ouijr ses déclarations lehan de la Haye [deHaya) Vicaire
de Fecclise Saincl-Maurice ; Pierre Gtiyard Threzorier du
Chapitre, commis par nostre seigneur lehan de Monsoreau,
Archevesque, pour escrihre ses paroles ; puis Dom Louis Pot,
rcliyieu.r du m;iius inoiiaslcrium [Marnioustier) esleu par luy
pour père s])iritnel et confesseur ; tous trois assistez du yrant
et inclyte docteur Guillaume de Censoris, Archidiacre romain,
de présent en nostre dioceze envoyé (lo^atus) par N. S. P. le
Pape. Finablemetit en présence d'uny yrant nombre de chres-
tiens venus pour estre tesmoinys du trespassement dudict Hié-
rosme Cornille, sur son soubhait coyncu de faire acte de pu-
blicque repe72tance veu qu'il s'en va du quaresme, et que sa
parole pourra ouvrir les yeulx aux chrestiens en train de soy
loyier en enfer.
Va devaiil luy, llicrosiiio, (|ui pour causo i\c granl foyblosse,
no j)()uvoyl parler, ha Icu Doui Louis l'ol la couression ensuy-
vanle au «iranl esuiov do la (iictc assistance :
({ Aies l'rères, ius(jUos en l'an soplanle-m'ulde mon aage, lei^uol
est celjuy où le suis, saul'les menus péchez dont, tant sainct soit-
il, ung chroslien se icud roupahle envers Dieu, mais qu'il nous
est loysihle de iaclie|)ter par p(''niteueo, i(> cuydeavoii lueué une
vie chrestienne et mérité le los etienom (pii m'estoyt esoheuc^n
ce dioceze, où ie l'eus oslovi' à la trez-haulte charge de grant
pénitencier, doni suis indigne. Oies, saisy par l'appréhension de
LK SUCCUBE. 005
la gloire infinie de Dieu, esponvanté (Jes supplices qui attendent
les mesclians et prévaricateurs en enfer; i'aysongié d'atnoindiir
l'énormité de mes forl'aicls par la plus grant pénitence que ic
puisse faire en l'cxtresnie heure oii i'arrive. Loi's ay inipétré de
l'Ecciise, donti'ayniécoyneUjlraliy, vendu lesdroicts et le lenom
de iustiee, l'Iienr deni'accuseï' pnl)]ie(juenient en lamanièredes
anciens cin-esticns, le soubliaiteroys, pour tesmoingner plus
grant repentance, avoir encores en moy assez de vie pour estre,
au portail de lacathédrale, iniurié par tous mes frères, ydemourer
ung iour entier à genoiiz, tenant ung cierge, avant lacliorde au
col, les pieds nuds. veu que i'ay moult suyvy les erremens de
l'enfer à l'enconlie des sacres interests de Dieu. Mais, en ce grant
naufraige de ma fragile vertu, ce qui vous soit un enseignement
de fuir le vice, les pièges du démon, etvousrefugier en l'Ecciise
où sont tous secours, i'ay esté si tellement envousié par Lucifer,
que N. S. lésus-Christ jtrendra, par l'intercession de vous tous
dont ie réclame l'ayde et les prières, pitié de moy, paouvre chres-
tien abuzé, dont les yeulx fondent en eaue. Aussy vouldroys-ie
avoir une aultrevic à despendie entravaulx de pénitence. Ores
doncques, oyez et tremblez en grant paour ! Esleu par le Chapitre
assemblé à ceste fin (h; faire, instiuirc et grabeler leprocez en-
commencé à l'endroict du démon qui se est produict soubz la forme
féminine en la personne d'une religieuse relapse, abominable et
reniant Dieu, ayant nom Zulma au pays infidelle d'où est venue;
lequel diable est cogneu dans le dioceze soubz celluy de Claire du
Moustier du Mont-Carmel, et ha moult allligé la ville en soy met-
tant soubz ung nundjre iidiny d'hommes, jiour en conquesterles
âmes à Mammon, Astaroth et Satan, princes de l'enfer, en leur
faisant vuyder ce monde en estât de péché mortel, en leur don-
nant le trespas là où se prend la vie, ie suis, moy iuge, tombé
sur le tard de mes iours, en ce piège, et i'ay perdu le sens en
m'accjuittant pioditoirement des fonctions connnises en grant
fiance par le Chapitre à ma vieillesse froide. Oyez comme est
subtil le démon, et maintenez-vous contre ses artifices. En enten-
dant la prime response faicte par le susdict succube, ie veisavec-
qucs effroy que les fers mis en ses pieds et mains n'y laissoyent
aulcuiies traces; et, j)ar ainsy, feus esbiouy de sa force absconse
et de sa foyblesse apparente. Donc(|ues, mon esperit se troubla
soubdain au veu des perfections de nature desipielles s'estoyt
vestu le diable, l'escoutoys la nmsic(jue de sa voix, laquelle me
504 (OMKS DliOI. \TIOrES.
roschauflbvt ilo la teste aux pieils et me i'aisoyt soubhaiter estre
ieune pour m'adonner à ce démon, trcuvant que, pour une heure
passée en sa compaignie, mon heur éternel n'estoyt qu'une foyble
solde de plaisirs de 1 amour goustcz en ces bras mignons. Lors,
déposav la iVrnieté dont doivent demourer guarnis les iuges.
Cettuv démon, parnioy questionné, m'arraisonna do toiles paroles,
qu'en son secund intorroguatoire io feus en l'ermo persuasion que
ie ferovs ung crime en mulctant ettormentant une paouvre petite
créature, laquelle plouroyt comme ung enftmt innocent. Lors,
adverty par une voix d'en liault de faire mon dobvoir et que ces
paroles dorées, ceste musicque d'apparence céleste, estoyent mo-
meries diabolicques ; que cettuy corps si gent, si desgourd, se
transmuteroyt en beste horriblement poilue, à griphes aguz ; et
ses yeux si doulx, en tisons d'enfer; sa croupe, en queue squam-
meuse; et sa iolie bouche roze, à lèvres gracieuses, en gueule de
crocodile, ic revins en intention de faire torturer ledict succube
iusques à ce qu'il advouast sa mission, ainsyquedesià ceste prac-
ticque avoyt esté suyvie en la chrestienté. Doncques, alors que
cettuv démon se montra nud à moy, pour estre mis à la géhenne,
ie feus soubdainement soubmis à sa ])uissancc par coniurations
magicques. le sentis mes vieulx osciaquer; ma cervelle récent
lumière chaulde ; mon cueur transborda du sang ieune et bouillant ;
ie feus allaigre en moy-mesme ; et, par la vertu du philtre gecté
on mes veulx, se fondirent toutes les neiges de mon Iront. le per-
dis cognoissance de ma vie chrestienne, et me creusungescholier
virvoucliant en la campaigne, oschappé de la classe et robbant des
pommes. le n'eus aulcune force de faire ung seul signe de croix,
et ne me soubvins ne de l'Ecclise, ne de Dieu le Père, ne du doulx
Saulveur des hommes. En proye à ceste visée, i'alloys par les rues,
meramentevant les délices de ceste voix, l'abominable ioly corps
de cettuv démon, médisant niilleeliouses maulvaises. ]*uis, loru
et tiré par ung coup de lalourchedu diable qui se plantoytdesià
en ma teste comme serpe en ung chesne, ie feus condnict par ce
fer agu vers la geôle maulgré mon ange guardien, lequel de temps
à aultre me tiroyt par le bras et me delïendoyt contre ces tenta-
tions ; mais, obstant ses saincts advis et son assistance, i'estoys
tiraillé pardes millions de griphes enfoncez en mon cueur, etm'en
Irouvay tost en ceste geolc. Alors que l'huys m'en feut ouvert,
ie ne vis plus aulcune ap|)arencc de prison, pour ce que le suc-
cube y avoyt par le secoursdes maulvais génies ou pliées construicl
l'escouloys la musicque de sa voix, laquelle me re^tliaudovt de la icsle aux pieds
et me faisoyt soubhailer eslre ieunc pour rn'adoniier à ce démon.
59G CONTES DRdl. ATKjUES.
ung pavillon do pouipiv et île soyeries, plein de perfiuns et de
Heurs, où elle s'esbaiidissoyt vcstiie superbement, sans avoir ni
ferremens au col, ni cliaisne aux pieds. lemclaissay despnuiller
de mes vcstemens ecclésiastic(jues, et l'eus mis en ung bain de
senteur. Puis le démon me couvrit d'une robe sarrazine, me
servit ung lestin de metz rares, contenus ez vases prétieux, coupes
d'or, vms. d'Asie, cliants et musie(jues merveilleuses, et mille
louanges qui me cbatouillèient l'anic par les aureilles. \ mes
costez se tenovttousiours lediet succube, et sa doulce accointance
détestable me distilloyt nouvelles ardeurs ez membres. Mon ange
guardieii me quitta. Lors ie vivoys par la lueur espouvantable
des ycul.v delà Morisque, aspiroys à la cbauldc estraincte de ce
mignon corps, vouloys tousiours sentir ses lèvres rouges que ie
cuvdoys naturelles, et n'avoys nulle i)aour de la morsure de ses
dents qui attirent au plus profund de l'enter, le me plaisoys à
esprouver Li doulceur sans pareilles de ses mains, sans songier que
ce estoyent des griplies inniiundes. Dref, ie l'relilloys comme ung
espoux voulant aller à sa fiancée, sans songier que ceste espousée
estovt la mort éternelle. le n'avoys nul soucy des cbouses de ce
monde, ni des intcrests de Dieu, ne rcsvant que d'amour, des bons
tettins de ceste l'emniequime faisoyentarser, etdesa ported'en-
1er en laquelle ie cuysoys de me gecter. Las ! mes livres, durant
trois iours et trois nuicts, ic ("us ainsy contrainct de besongner,
sans pouvoir tarir la souice qui lluoytde mes reins, en lesquels
plongioyent comme deux picques les mains de ce succube, les
quelles conmiunicquoycnt à ma paouvre vieillesse, à mes osdes-
seicbiez, ie ne sais (juelle sueur d'aniuur. En prime abord, cettuy
dc'niôii, pour m'attirer à elle, fcit couler en moy comme une
doulceur de laict; puis vindrent des félicitez poignantes qui me
picquèrent, comme ung cent d'esguilles, les os, la mouelle, la
cervelle, les nerfs. Lors, à ce ieu s'enllaininèrent les cbouses
absconses de ma teste, mon sang, mes nerfs, ma cbair, mes os;
puis ie bruslay du vray feu de l'enfer, (pii me causa des tenail-
lons en mes ioinctures et une incrédible, intolérable, escueu-
rante volupté qui lascbioyt les liens de ma vie. Les cbevculx de
ci'tluy démon, des(|uels estoyt enveloppé mon ])aouvre corps, me
versovent une rouzée i\c llannne, et ii- senloys cliaque tresse
comme ung baston de gril ronge. Kn eole délectation mor-
telle, ie voyovs le visaige ardent dudict succube, ({ui rioyl, me
(lisovt mille paroles aguassantes : connue quoy i'esloys son cbe-
LK SLCCIBE. 3!t7
vîiiier, son scigïK'ur, sa lance, son iour,sa ioye, son louidre, sa
vie, son lion, soninoillcnrdievanlclKMn-; cl comme qnoyellcavoyt
dessein de s'unir à moy encore niiculx, sonl)liailant ('>tiv en ma
peau, ou ni'avoir en la sienne. Cc(iue entendant, souIjz raij,fui]lon
de cestc langue qui mcsugçoyt l'ameie m'enfonçoys et précipi-
toys plus avantdans l'enfer sans y rencontrer de fund. Puis, alors
que ie n'eus plus une goutte de sang en les veines, que l'ame ne
me battoyt plus au corps, que ie l'eus ruine de tout poinct, le dé-
mon me (lit, tousiours Irais, blanc, ruhescant, reluysantet riant :
— Paouvre fol, de mecuyder imgde'mon! Hein! si ie te re-
({ueroys de me vendre ton amc pour ung baiser, ne la donne-
roys-tu j)oint de grant cucur.
— Oui, feis-je.
— Et si, pour tousiours bcsongnerainsy, besoing estoyt de te
nourrir du sang de nouveaux-nez à ceste fin d'avoir tousiours
vie nouvelle à despendre en mon lict, n'en sugceroys-tu pas
voulentiers?
Oui, feis-je.
— Si, pour estrc tousiours en cavalier clievaulcliant, guay
comme ung homme en son prime temps, sentant la vie, beuvant
le plaisir, se plongiant au fund de la ioye, comme ung nageur
en Loire, ne renieroys-tu point Dieu, ne cracheroys-tu point au
visaige de lésus ?
— Oui, feis-je.
— Si vingt ans de vie monaslicque debvoyent t'estre encores
accordez, ne les cro((ueroys-tu point pour deux ans de ceste amour
<jui te brusle et pour estre en ce ioly mouvement?
— Oui, feis-je.
Lois, ie sentis cent griphes aguz, lesquels deschirèrent mon
diaphragme comme si mille becs d'oyseaulx de proye y prenoyent
leurs bec(juées en criant. Puis feus enlevé subitement au-dessus
de la terre sur ce dict succube, le(|uel avoyt desployé ses aësles
et me disoyt.
— Chevaolclie,clievaul(lie, monchevaulclieur ! Tiens-toy ferme
en la croupe ilc ta iuuient, en ses crins, en son col, et chevaul-
che, chevaulche, mon chevaulcheur ! Tout chevaulche I
Par ainsy, ie veis comme ung brouillard les villes de la terre,
où, par espécial don, i'apeneus ung cliascun couplé avec-
ques ung (h'inon fi'melle, et sacipiebutant, engendrant en grant
concupiscence, tous criant niillr paroles d'amour, exclamations
54
598 CONTES DROL.VTIOrES.
de toute sorte, et tous uuis, flievilloz, trihallant, Lors, ma cavale
à teste de Morisiiue nie monslra, volant tousiours et galopant à
travers les nuées, la terre couplée avecques le soleil, en une
coniunction d'où sourdoyt ung germe d'estoillcs; et là chaque
monde l'emelle laisant la ioye avec([ues ung monde masle. Ains
au lieu de paroles comme en disent les créatures, les mondes
suoyent d'ahan nos oraiges, lançoyent des esclairs et crioyent
des tonnerres. Puis, montant tousiours, ie veis au-dessus des
mondes la nature femelle de toutes chouses en amour avecques
le prince du mouvement. Ores, par mocquerie, le succidie, me
mit au cuourdeceste saillie horrilic(jue et perpétuelle où ie feus
perdu comme ung grain de sable en la mer. Là tousiours
me disoyt ma blanche cavale : « Chevaulchc, chevaulclie, mon
bon chevaulcheur, chevaulclie ! Tout chevaulche? » Ores,
advisant le peu que estoyt ung prebstre en cettuy torrent de
semences ne mondes, où tousiours s'accointoyent, se chevaul-
choyent avecques raige les métaulx, les pierres, les eaues, les
aërs, les tonnerres, les poissons, les plantes, les animaulx, les
hommes, les esperits, les mondes, lesplanettes, iereniay la foy
catholicque. Alors le succube, me monslrant ceste grant tache
d'estoilles qui se veoit ez cieulx, me dit : « Ceste voye estre une
goutte de semence céleste escjiappée d'un grand llux des mondes
en coniunction. » Là-dessus, ie chevaulchai derechief le succube
en raige, à la lueur de mille millions d'estoilles ; et i'auroys voulu,
chevaulchant, sentir la nature de ces mille millions de créatures.
Lors, par ce grant effort d'amour, ic tonil)ai peiclus de tout
poinct, en entendant ung grant rire infernal, l'ois ie me veis
en mon lict entouré de mes serviteurs, lesquels avoyent eu le
couraige de lucler avecques le démon en gectant dedans le lict
où i'estoys couchié ung plein seau d'eaue benoiste, et disant de
ferventes prières à Dieu. Lors, i'eus à soustenir, maulgré ceste
assistance, ung condjat horrible avec(pies ledict succube, du(|uel
les griphes me tenoyeiit le cueur, en me faisant endurer des
maulx inlinis. Encores (|ue, ranimé par lu voix de mes serviteurs,
parens et amys, ie me bendasse à faire le signe sacré de la croix,
le succube, posé en mon lict, au chevet, au pied, partout s'oc-
cupoyt à me desteudre les nerfs, rioyt, grima(,;o\t, me mettoyt
mille imaiges obscènes soubz les yeulx, et me donuoyt mille
dezirs maulvais. Cenéantmoins, ayant eu pitié demoy. inoiisei-
yneur rarclicves(juc feit venir les relicquesdc sainct (iatien, et
LE SUrClIBK. Ô99
lorsque la cliaassc eut loucliic' mon cliovet, lodict sT.ccuhr' icut
contrainct de fuir, laissant une odeur do soulphro et d'enfci, dont
mes serviteurs, amys et aultres,s'esgozillèrent durant ungiour.
Lors, la luniièro céleste de Dieu avant esclairé mon ame, ie
cognons (|uoi'estoys, par suite do mes péchez et de mon combat
avecfpies lo malin osporit, on grant dangior de mourir. Doncques,
i'imploray la graaceospéoialode vivre encores ungbout de temps
pour rendre gloire à Dieu et à son Ecclise, en obiectant les
mérites infinis de lésus sur la croix, mort pour le salut des
chrestions. Par cestc prière, i'oblins la faveur de recouvrer la
force de m'accuscr de mes péchez, d'impétror de tous les mem-
bres de l'Ecclise de Sainct-Maurice leur ayde et assistance pour
me tirer du purgatoire, où ie vais racheptermes faultes par des
maulx infinis. Kn fin de tout,ie déclaire quemon arrest,qui en
appelle pour lodict démon au iugement de Dieu et à l'espreuve
do l'eaue Ijonoisto et du fou, est ung subterfuge deu au meschant
vouloir suggéré par lodict démon, lequel auroyt par ainsy les
facultez d'eschapper à la iustice du tribunal de l'archevesqueet
du Chapitre, veu qu'il m'advoua secrettement avoir licence de
l'aire paroislre on sa place ung démon accoustumé à ceste es-
preuve. En fin do tout, ie donne et lègue au Chapitre de l'ecclise
Sainct-Maurice, mes biens de; toute sorte, pour fonder une cha-
pelle en ladicte ecclise, la bastir et l'aorner, et la mettre soubz
l'invocation du sainct Iliérosme et sainct Catien, dont l'ungest
mon patron et l'aultre lo saulveur de mon ame.
Cecy ouy do tous les assistans ha esté mis soubz les yeulx
du tribunal ecclésiasticque par lohan de la Haye (lohannes de
Haga).
Nous, lehan de la Haye (lohannes de Ilaga), esleu grant péni-
tencier do Sainct-Maurice par rassend)lée générale du Chapitre,
selon l'nsaigo et coustume de cestc ecclise, et commis à l'offect
de poursuvvro à nouveau le procez du démon succube, de pré-
sent en la geôle du Chapitie, avons ordonné une nouvelle on-
queste à laquelle seront entendus tous ceulx de ce dioceze
ayant eu cognoissance des faicts à ce relatifs. Déclarons nulles
losaullios proci'duros, inlerroguatoiros, arrosts, et les annihilons
au nom (les membres île rorclise assemblez en Chapitre général
et souverain, et disons qu'il n'y ha lieu à l'appel à Dieu jjrodi-
toiremenl faict par le démon, attendu l'insigne trahison du diable
en cestc occurrence. Et sera lodict iugement crié à sonde trompe
400 r.OMKS nilOLATIOrKS.
on tous les cndroicts du diocezc ez quels ont esté publiez les
iaulx édicts du mois précédent, tous notoirement dons aux
instigations du démon, suyvant les adveux de feu Hiérosmc
Cornille.
Que tous les chrestiens soient en aydeànostre sainctcEcclise
et à ses commandemens.
Iehan de la Haye.
IV
COMMENT VIRVOUf.HA SI DRUEMENT LA MORISQIE DE LA RUE
CHAULDE, QUE A GRAM TOINE FEUT-ELLE ARSE ET CIICTE
VIFVE A l'eNCO.NTRE DE l'e.NFER.
Cpcv feiil escript au mois de niay de l'an 1360, en inanir-ri' de ic-ilanient.
Mon Irez cliier ol bien aymi; fils, alors quo il le sera lovsiliic
lire cecv, ie scray, iiioy ton père, couchi(' dans la tombe, iniplon-
rant tes prières et te snppliant de te eonduire en la vie ainsy
qu'il te sera commandé par ce rescript léyué pour le saigc gou-
vernement de ta famille, ton heur et seureté; car i'ayfaietcecy
en ung temps on i'avoys mon sens et entendement eneores
frappez d'Iiier parla souveraine iniustiee des bomines. Kn mon
aage viiil. i'ens la graiif ambilion de m'élever dans IKeelise el
y atteindre aux plus baulles dignitez, pour ce que nulle vie ne
me sembloyt plus belle. Ores, en ce grave ponsier, i'apprins à
lire et à escribre ; puis, à grant poinc, devins en estât de me
mettre en clorgic. Mais, poureecpui ie n'avoys nulle protection,
ni saiges advis pour faire ma traisiK-e, i'ens l'cni^iu de me prou-
poser à ceste lin d'eslre escripvain, labellioii, inbrieipialeur du
34.
402 CONTKS UKOLATIOII-S.
Chapitre Sainct-Maiiin.nù cstoyonl les |tlns haiillosot riches per-
soniiai^os delà ( liiesliciilc'. viMi que le nty de rraiice yoslsiin])lc
fliaiioiiie. DoinMiucs (lel)voys-ie roiicoiitrcr là iiiioux (jue partout
ailKnirs, des services à rendre à aulcuns seigneurs, et, parainsy
Irouver des maistres, en estre patronné, puis par leur moyen
entrer en religion et arriver à estre mitre comme ung aultreet
(•(»lloc([ué en ung siège archiépiscopal, iene sçaysoîi. Mais ceste
])riine visée estovt oultre cuydante et ung i)etit trop and)itieuse,
ce que Dieu me leit bien veoir par l'événement. De iaict, messire
lehan de Yilledomer, qui du depuys devint cardinal, feut mis en
ceste place, et moy reiecté, desconfict. Lors, en ceste maie
heure, ie receus une allégeance à mes soulcys par l'advis du
hou vieulxHiérosme Coinille, pénitencier de la cathédrale, dont
ie vous av souvent parlé. Ce cliier honniu- me contraignit ]»ar
sa doulceur à venir tenii' la j)lume pour le Chapitre de Sain<'t-
Maurice et archevesché de Tours : ce que ie feis avecques hon-
neur, veu que ie estoys réputé grant escripvain. En l'année où
i'allovs entrer en prebstrise s'esmeut le fameux proce/ du diable
de la me Cbaulde, duquel parlent encores les anciens, et dont
ils disent aux ieunes à la vesprée l'histoire, qui, dans le temps, ha
esté racontée en tous les foyers de France. Ores, cuydant que
ce seroyt à l'advantaige de mon ambition et que, pour ceste
assistance, le Chapitre me poulseroyt en quelques dignitez, mon
bon maistre me feit commettre à l'effet d'escribie tout ce qui
debvovt estre, en ceste griufve affaiie, subiect à escriplures. De
prime abord, monseigneur Hiérosme Cornille, homme approu-
chant octante années, et de grant sens, iustice et bon entende-
ment soupçonna quehjues meschancetez en ceste cause. Encoivs
que il n'aymast ])oint les lilles folles de leurs corps et n'eust
iamais l'onciné de femme en sa vie, laquelle! estoyt sainctc et
vénérable, saincteté (jui l'avoyt faict eslire pour iuge, ce néant-
moins, aussytost (pie les dt-posi lions l'eurent achevées et la
paouvre garse enleiidue. il denidura elaii- que, bien cpie ceste
ioveulse galloise eust rom|)U le ban de son mouslier, elle estovt
innocente de toute diablerie, et (jue ses grans biens estovent
convoitez par sesennemysel aultres gens (pic le ncveuix point
te nonmier jiar prudence. Kn ce tenij)s, ung chascuii la cuydoyl
munie d'argent et ddi- si abundamment (|ue aulcuns disoyent
qu'elle pouvoyt achepler la comte'' de Toiiraine, si bon liiv plai-
soyt. Donc(jues, mille mensonges et calunmieuses paroles dictes
LE srcci I5K. 411:)
sur ceste lille, à liKjUL-lle les liuiiuoslos remiiiL'sjjorloyL'iil envie,
couroyent par le monde et devinrent créances d'Évangile. En
ceste coniiincture monseigneur Hiérosme Cornille, ayant recog-
neu que nul démon aultre que celluy de l'amour ne estoyt en
ceste lille, luy teit consentir à demourer en ung couvent pour le
restant de ses iours. Puis, acerteué par aulcuns braves chevaliers,
forts en guerre et riches en domaines, que ils feroyent tout pour
la saulver, il l'invita secrettement à requérir de ses accusateurs
le ingénient de Dieu, non sans donner ses biens au Chapitre, à
ceste lin de Taire taire les niaulvaises langues. Par ainsy, del>
voyt estre préservée du buscher la plus mignonne fleur que
oncques le ciel ayt laissée clieoir en nostre terre ; laquelle fleur de
femme ne failloyt que par une excessifve tendreur et compatis-
sance au mal d'amour iecté par ses yeulx au cueur de tous ses
poursuyvans. Mais le vray diable, soubz l'orme de moyne, se
niesla de ceste affaire ; vécy comme : ung grant ennemy de la
vertu, preudhomie et saincleté de monseigneur Hiérosme Cor-
nille, lequel avoyt nom lehan de la Haye, ayant sceu que en sa
geôle la paouvre fille estoyt traictée comme une royne, accusa
meschantement le grant pénitencier de connivence avecques elle
et d'estre son serviteur, pour ce que, disoyt ce maulvaisprebstre,
elle le faisoyt ieune, amoureux et heureux ; ce dont mourut de
chagrin en ung iour le paouvre vieillard, cognoissant à cecy que
lehan de la Haye avoyt iuré sa perte et vouloyt ses dignitez.
De fiiicl nostre seigneur archevesque visita la geôle et treuva la
Moresque en ung lieu plaisant, conciliée trez bien, sans fers,
pour ce que, ayant mis ung diamant en ung lieu où nul n'eust
cuvdé qu'il y pust tenir, elle avoyt achepté la clémence du geôlier.
En ce tenijis, aulcuns disent que cettuy geôlier estoyt féru d'elle,
et que par amour, ou mieulx, en grant paour des ieunes barons
amans de ceste femme, il en machinoyt la fuyte. Le bonhomme
Cornille estant en train de mourir, et, par le tracas de lehan de
la Haye, le Chapitre iugeant nécessaire de mettre au néant les
procédures faicles ])ar le pénitencier, et aussy ses arrests, ledict
lehan de la Haye, lors simple vicaire de la cathédrale, démonstra
que pour ce il suflisoyt d'ung adveu public du bonhomme en son
lict de mort. Lors feut géhenne, tormenté le iiioril)ond par les
messieurs du Chapitre, ceulx de Sainct-Martin, ceulx de Mar-
moustiers, par rarchevcsquc et aussy par le légat du pape, à
ceste fin que il se relraclast à l'advantaige de l'Ecclise, à quoy ne
40* GONTKS DROLATIQIKS.
vouloyt point conscnlir lo bonhomme. Mais, après mille maulx,
i'eut apprestée sa confession pnblicquo, à la(|uollc assistèrent les
plus considérables t;ens de la ville; laipK^lle rcspandit une hor-
reur et consternation qui lent telle, que ie ne sçauroys dire. Les
ecelises du dioceze l'eirent des prières publicques pourceste cala-
miteuse playe, et ung chascun redonbtoyt de veoir le diable
dévaller chez soy {)ar le foyer. Mais le vray de cela est que mon
bon maistre lliérosme avoyt les liebvres et voyoyt des vaches
en sa salle; alois que de Iny feut obtenue cesle rétractation.
L'accez liny, plonra grantement le paouvre sainct, en saicliant
de moy ce traffic. De faict, il mourut entre mes bras, assisté de
son médecin, désespéré de ceste momerie, nous disant qu'il s'en
alloyt aux pieds de Dieu le prier de ne point laisser consonniier
une iniquité déj)lourable. Ceste paouvre Moiisque l'avoyt moult
touchié par ses lariries et sa repentance, veu que, par avant de
luy faire requérir le iugement de Dieu, il l'avoyt particulièrement
confessée, et par ainsy s'ej toyt dégagiée l'ame divine qui demon-
royt en ce corps, et dont il nous parloyt comme d'ung diamant
digne d'aorner la saincte couronne de Dieu, alors que elle auroyt
quitté la vie après ses pénitences faictes. Lors, mon chier fds,
saichant par les paroles qui se disoyent par la ville et par les
naïl'ves responses de ceste paouvre misérable tout le trac de
ceste affaire, ie delibéray, par l'advis de maistre Françoys de
Ilangest, médecin du Cha|)itie, de feindre une maladie et quitter
le service de l'ecdise Sainet-Mauriee et de rarchevesché, ne
voulant point trenqier la main dans le sang innocent (jui crie
encores et criera iusques au iour du iugement darrenier devant
Dieu. Lors feut banny le geôlier; j)uis feut mis en sa place le
second fds du toissioimaire, lequel gecta la Moris(pie en ung
cachot, et luy mit inhumainement aux mains et aux jiieds des
fers poisant cin(juante livres, oultre une ceincturc de bois. Puys.
la geôle fut veiglée par les arbalestriers de la ville et les gens
d'armes de l'archevesque. La garse feut tormentée, gehenuée,
eut les os brisez; vaincue par la doidcur, fcit ses adveux aux
soubhaits de lelian de la llayi! et l'eut litst eondanniée à estrc
i)ruslée en la coullure Saincl-Kstienne, apiès avoir esté mise au
jiortail de l'ecdise, vestue d'une chemise de soulphre ; puisses
liions acquis au Chapitre, et cœtera. Cet arrest feut cause de
grans troubles et prinses d'aiinespar la ville, j)our ce (jut; trois
ieuijes clievaliers de Touraine iuièrent de mourir au service de
Cet arrest feut cause de grani troul)l(!s et prinses d'armes
par la ville.
400
C.O.NTES IlliOl.ATKjUKS.
la iiaoïivio lillo cl la dclivror p..;- toutes les voyos (jiielconquos.
Lors ils vindrent on ville accompaignezd'unji niilliordesoulTre-
toux, gens de peine, vieux souldards, gens do guerre, artisans
et auUres que ladicte lillc avoyt se-
courus, saulvez du mal, de la foim,
(le toute misère ; puis Ibuillèrcnt les
taudis de la ville oîi gisoyent ceulx
auxipiels elle avoyt bien i'aict. Lors,
tous s'estant esmeus et convocquez au
rez de Mont-Louis sous la protection
des gens d'armes desdicts seigneurs,
ils eurent pour comi)aignons tous les
maulvais garsons de vingt lieues à la
ronde et vindrent ung matin faire le
siège de la prison de l'archovesque,
en criant (pie la Morisque leur feust
livrée, connue s'ils vouloyeut la met-
tre à mort, mais dans le faict pour
la d(^livrer et la bouter secrettement
sur ung coursier pour lui faire gaigner le large, veu que elle
ebevaulchioyt comme ung escuyer. Lors, en ceste effroyable
tempestc de gens avons-nous veu entre les bastiniens de l'ar-
clicvescli(j et les ponts plus do dix mille liommes grouillans,
oultre tous ceux (jui cstoyent iuchiez sur les toicts des maisons
et grimpez en tous estaiges pour veoir la sédition. Briof, il estoyt
lacile d'entendre, par delà la Loire, de l'aultre costé de Sainct-
Symj)lioiion, les cris liorrilicquos dos cbrostieus qui y alloyent à
bon escient et de ceulx (jui sorroyont la geôle en intention de
faire évader la paouvre lillo. L'ostoulfade et oppression dos corps
fout si grande en ceste foule populaire altérée du sang de la
paouvre, aux genoilz de hujuoile ils seroyent tombez tous,
s'ils eussent eu l'Iieur de la vooir, (pu^ septeiifans, unze femmes
et lniicl bourgooys y l'eurent ('crasoz, pilez, sans (pio l'un ayt pu
les rocognoistre, veu (pi'ils osloyent comme des tas do boue.
Hriel', si ouverte ostoyl la grant gueule de ce L(!viatlian popu-
laire, monstre borrible, que les clameui"s en fenrent ouyes dos
M(tnlilz-los-Tours. Tous crioyent : (( A mort le succube ! —
Livrez-nous le (b'-mon ! lia ! i'eii veulx ung(piarti(!r! — l'en veulx
du |)(»il ! — A moy le pied ! — A toy les crins ! — A moy la teste !
— A mov la cliousc ! — Lst-il rouge'.' — Le vorra-l-on? — Le
^Mr^^'
Lors, en ceslc clïroyable lenipcstc do jeiis avoai-nou^ vcu enirc les
hasiiracns de l'urctievesché cl les pouls plus de dix mille hommes
;{roulllans.
408 CONTES DROLATIQUES.
cuvra-t-on? A iiiorl ! à niorl! » Cliasoun tlisoyt son mot. Mais
le ory : « Lariiosso à Dieu ! A mort le succube » cstoyt gocté en
un seul temps par la loulc si tlruement et si cruellement, que
les aureilles et les cueurs en saignoyent ; et les aultrcs criaille-
mcns s'entendoyent à peine ez logiz. L'archevesque eut l'ima-
gination, pour calmer cet oraige qui menassoyt de renverser tout,
(le sortir en grant j)oinpc de l'ecdise, en portant Dieu, ce qui
délivra le Chapitre de sa ruyne, veu que les maulvais garsons
et les seigneurs avoyent iuré de destruirc, brusler le cloistre et
tuer les chanoines. Doncqucs, par ce stratagesmc, ung chascun
feut contrainct de se dissouldre, et, l'aulte de vivres, revint chez
soy. Lors, les monstiers de Touraine, les seigneurs et les bour-
geoys, engrant a})préhension de quehjue pillaige pour lendemain,
Icirent ime assemblée nocturne, et se rangierent à l'advis du
Chapitre. Par leurs soings, les hommes d'armes, archers, che-
valiers et bourgcoys, en numbre infiny, feirent la guette et
tuèrent ung jjarly depastoureaux, routiers, malandrins, lesquels,
saichant le remuc-niosnaige de Tours, venoyent grossir les mes-
contens. Messire Ilarduin de Maillé, vieulx homme noble, ar-
raisonna les ieunes chevaliers (jui estoyent les tcnanç de la
Moristpie et devisa saigement avecques iceulx, leur demandant
si pour ung minon de fennne ils vouloyent mettre la Touraine
à l'eu et à sang ; si, eneores ipi'ils l'eussent victorieux, ils serovent
niaislres des maulvais garsons appelez par eulx ; (jue ces d.icts
pillards, après avoir ruyné les chasteaulx de leurs ennemys,
viendroyent àceulxde leurs chiefs ; mais que, la rébellion encom-
mencc'e n'ayant eii nul succez de prime sault, pour ce que quant
à présent la place estoyt nette, [)ouvoyent-ils avoir le dessus sur
l'Kcciise de Tours, (jui invoccpun-oyt l'aide du Roy? Puis mille
aultres proupos. A ces raisons, les ieunes chevaliers dirent (pie il
estoyt facile au Chapitre de faire évader nuictamment la lille, et
(jue par ainsy, la cause de la sédition seroyt lollue. A ceste saige
et humaine recpu'ste rcspondit monseigneur de Ccnsoris, K'gat
du pape, (|ue besoing estoyt (jue force demeurast à la icligionet
à rLcclise. Là-dessus la paouvre garse paya pour le tout, veu que
il feut convenu (jue nulles i-echerches ne seroyeiit faietes sur ceste
S('dition.
Lors, le Clia|)itre eut toute licence de jtrocéder au sujipliec de
la lille, auijuel acte elci'rc'monie ecclésiaslic(jue on vint de douze
lieues à la ronde. Aussv, le idiir ni'i, après les satisfarliim- divines,
LK SIICCLHF. 409
In siu'ciilx' doiil»! nslio livi'é à la iiislicc séculière, h coslo fin
d'cstrc j)uijlic(iiiciij('iit arsc en iing busclier, pour une livre d'or
ung villain, ne mcsmcs ungablx', n'eust-il treuvéde logiz eu la
ville (le Tours. La veille, beau('ou|) campèrent hors la ville souhz
des tentes o"ii couchiez en la paille. Les vivres manquèrent, et
plusieurs venus le ventre plein s'en retournèrent le ventre vuvd,
n'ayant rienveucjne fland)er le feu de loing. Puis les maulvais
garsons feirent de bons coups par les chemins.
La paouvre courtizanc estoyt quasi morte. Ses clieveulx avovent
blanchy. Ce ne estoyt à vray dire que ung squelette à poine cou-
vert de chair, et ses fers poisoyent plus (|u'elle. Si elle avoyt eu de
la ioyc en sa vie, elle le payoyt nioull en celtuy moment, ('eux
qui la veirent passer disent que elle piouroyt et cryoyt à faire j)ilié
aux plus acharnez après elle. Aussy, en l'ccclisc, feut-on con-
tiainctde luy mettre en la bouche ung haillon, que elle mordovt
comme ung lézard mord ung baston. Puis, le bourreau l'attacha
à ung pieu pour la souslenir, vcn ((ue elle se laissoyt couler par
niomens et tondjoyt faulte de force. Puis soubdain récuperoyt ung
vigoureux poignet : car, ce néantmoins, elle put, ha-t-on dit, se-
couer ses chordes et s'évader en l'ecclise, ôîi, en remembrance
de son ancien mestier, elle grimpa trez agilement ez galeries
d'en liault, en volant connue ung oyseau le long des colonnettes
et frizes menues. Elle alloyt se saulver ez toicts, alors que ung
souldard la visa de son arbalestre et luy planta sa fleschc dedans
la cheville du pied. Maulgré son pied demy-coupé, la paouvre
fille courut encores par l'ecclise lestement sans en avoir cure,
allant sur son os brisé, es|)andant son sang, tant grant paour elle
avoyt des flannnes du busclier. Kndu lent prinse et liée, et gectée
en ung tombereau et menée au busclier, sans que aulcun l'avt
depuis entendue crier. Le conte de sa course dans l'ecclise avdoyt
le menu populaire à croire que ce feust le diable, et aulcuiisdi-
soyent (pie elle avoyt volé par les aërs. Alors ([ue le bourreau
de la ville la gecla dedans le feu, elle jeit deux ou trois saults
horribles et tomba au fund des ilammes du busclier, qui brusia
le iour et la nuict. Lendemain soir, i'allay vcoir s'il demourovt
queltiue chouse de cest(> gente fille si doulce, si avmant(> ; mais
le ne trouvay plus (ju'ung paouvre fragment d'os slomachal, en
lequel, maulgré ce grant feu, estoyt resté quel([ue p(>u d'humide,
cl que aulcuns disoyent tressaillir encores comme femme au
déduict. le ne s(,auroys, mon cliier lil>, dire les lrislification>
35
bile |iiii, ha-l-oii (litl, secouer .*C3 tliordes el s'év.tilcr en l'ecclise, où, on
lemeinlirance de son ancien incstier, elle ijrimpa Irez at,'ilement ez galcr
ries d'en liaull, en volanl coniuic ung oysoau le long des colonncllcs t}t
fri/ct iT|cni;i'ï,
LK SUCCUBE. 411
sans niiiiil»ro ot sans ('i^alcsqui, durant environ dix ans, poisôronl
sur iMOV. Tousiours ostoys record de cesto anj:e IVdissi'e jiar de
niesclians lioninies. cl tousiours en voyoys les yeulx jileins d'a-
mour; briel", les dons supernalurels de ccste enfant nailVe es-
tovent ])nllans iour et iiuicl devant moy et ie prioys pour elle
en l'eeelise où elle avoyt esté martyrisée. Enfin, ie n'avoys
point la force ni le couraige de envisaiger, sans frémir, legrant
j)enitencier lelian di; la llay(\ (|ui mourut rongié par les j)0ux.
La lèpre feil iusliee du baillif. Le feu hrusla le logiz et la
femme de lehan, et tous ceulx (pii mirent la main en ce hus- ,
eher en retirèrent de la flamme.
Cecv, mon fils bien aym(', f(Mit cause de mille pensiers que
i'avmis icv par escri[it pour estie à iamais la règle de conduite
en nostre famille.
le quittay le service de rKcclise, et me mariay à vostre mère,
de laquelle ie receus des doulceurs infinies, et avecques elle ie
parlageav ma vie, mon bien, mon ame et tout. Aussy feut-ellc de
mon advis en ces préceptes suyvans. A sçavoir : premièiement,
pour vivre heureux, Lesoing est de demourer loing des gens
d'Ecclise, les honorer beaucoup sans leur bailler licence d'entrer
ez logiz, non plus qu'à tous ceulx qui, j)ar droict, iuste ou in-
iuste, sont censez cstre au-dessus de nous. Deuxiesmement,
prendre ung estât mo(Iic(|ue, et s'y tenir, sans iamais vouloir pa-
roistre aulcuuement riche. Avoir soing de n'exciter l'envie de
personne, ni férir qui que ce soit en aulcune sorte, pour ce que
besoing est d'estre fort comme ung chesne qui tue les plantes en
ses pieds, poui* briser les testes envieuses. Encores y succombe-
rovt-ou, veu que les chesnes humains sont espécialement rares,
et (|ue aulcun Touruebousche ne doibt se flatter den estre ung,
attendu qu'il sera Tournebousche. Troisiesmement, ne iamais
despendre que le quart de son revenu, taire son bien, muser sa
chevance, ne se mettre en aulcune charge : aller en l'eeelise
comme les aultres, et tousioms guarder ses pensiers en soy, veu
(]ue alors ils sont à vous, et non à daultres qui s'en revestent,
s'en font des chai»i)es et les tournent à leur guyse, eu forme de
calunmies. OuatriesnuMuent, tousiours demourer en la condition
des Tournebousches, lesquels sont à })résent et à tousiours dr.i-
jiiers. Marier ses tilles à bous dra|»iers, envo\er ses garsons estre
draj)iers eu d'aultics villes de France, munis de ces saiges |(ré-
ceptes, et les nouriir en Tliouneur de la draperie, sans leui' lais-
A\'i CONTRS HROLATIOIKS.
sor aulfuii songe jimliilicuv m l'espciil. Drapier comme iing
Toiirnebousche doibt cstre leur gloire, leurs armes, leur nom,
leur devise, leur vie. Ores, estant tousiours drapiers, par ainsy
seront tousiours les Tournebousches, incogneus, et vivotteront
comme de bons petits inseetes, lesquels une foys logiez en une
poultre, font leurs trous et vont en toute sécurité iusques au bout
de leur peloton de iil. Cinquiesmement, ne ianiais parler aultre
languaigc que le languaige de la draperie ; ne point disputer de
religion, de gouvernement. Et, eneores que le gouvernement de
l'Kstat, la province, la religion et Dieu virassent ou eussent
]ibanlaisie de aller à dextre ou à senestre, tousiours en qualité
de Tournebousclie demouror en son drap. Par ainsy, n'estant
aperceus d'aulcun en la ville, les Tournebousches vivront en calme
avecques leurs petits Tournebouscbons, payant bien les dixnies,
les imposts et fout ce qu'ils seront recpiis de donner })ar force,
soit à Dieu, soit au Roy, à la ville ou à la j)aroësse, avecques les-
quels ne fault oncipies se desbatlre. Aussy, besoing est de réserver
le patrimonial tbrezorpour avoir paix,acliepter la paix, ne iamais
rien debvoir, avoir du grain au logiz, et se rigoler les portes et
les croisées closes.
Par ainsy, nul n'aura prinse ez Tournebousclies, ny rEstat,ny
l'Ecclise, ny les seigneurs, auxquels, le cas éclic-ant, s'il y a lia
force, vous presterez quelques escuz sans iamais nourrir Pespé-
rance de les revoir, ie dis les escuz. Ainsy tous, en toute saison,
aymeront les Tournebousclies; se moc(pu'ront des Tournebous-
clies, gens de peu; des Tournebousclies à petits pieds; des
Tournebousclies de nul entendement. Laissez dire les ignares.
Les Tournebouscbes ne seront ni liruslez, ni pendus, à Padvan-
taige du Hoy, de l'Ecclise ou de tous aultres; et les saigas
Tournebouscbes auront secrettement argent en leurs fouillouzes
et i(»ye au logiz, à couvert de tout.
Doncipies, iiioncbicr (ils, suys ces adviz de médiocre et petite
vie. Maintiens cecy en ta famille, coimiie cbarte de province.
(Jue, toy mourant. Ion successeur le maintienne comme sacre
Évangile des Tournebousclies, iusqu'à ce que Dieu ne veuille
|)lus cpi'il V ayt de Toiniieboiisclie en ce monde.
Ceste lettre ha esté treuvcc lors de l'invenUtire faict en
la maison de Françoys Tournebonsrhe, sciç/nnir de Veretz-,
cliancdier de Monseigneur le Davpliin, et condamne, lors
de la rébellion dudict seiifnenr contre le Hoy, à perdre la teste
LK srccruK.
il 3
et veoir toua ses biens confisquer par an est du parlement de
Paris. Ladicle lettre a esté remise an (jonverneur de Touraine
par curiosité d'histoire, et ioincte aux jnèces du procoz^ en VAr-
chevesché de Tours, par moy Pierre Gaultier, Eschevin, Pré-
sident des Preudhommes.
L'Autlicur ayant achevé les lran.scri[)li()iis et dcscliiriVaiges de
CCS parclieniiiis en les resliluant de leur laiigiiaij^c cslraiiffc en
IVanroys, le donateur d'yeeuix luy lia dicl (|ue la rue Cliaiilde
de Toiiis estoyt, suyvaiil aidoims. aiiisy iionmiée pour ce (|ue
le soleil y demouroyt j)lus (|u'eii Ions aultics eiidroicls. Mais,
maulgré cestc version, les gens de liault cnlcndciiiciil Ireuve-
ront en la voye cliaulde dudici succiihe la vraye cause dudiit
nom. A 4Uoy ae([uiesce l'Autlieur. Cecy nous apprend à ne point
faire abus de nosli'c corps, ains à en uzer saii^enicnl en vcuc de
nostre salut.
9^.:^'^''''
DESESPERANCE D'AMOUR
En le toinps où lo roy Charles huicticsme out la phantaisie
d'aornor lo cliasloaii d'Aiiiboise, viiidront aveccjuos luy aulcuns
ouvriers ilalians, maistres sculpteurs, bons peinctres et mas-
sons, ou architectes, lesquels fcirent cz galeries de beaulx ou-
vraiges qui, par délaissement, ont esté pi'ou guastcz.
Kt (lon((iues, la Court esloyt lors en ee plaisant séiour, et,
comme ung chaseun seayl, le bon ieuue sire aymoyt moult à veoir
ces gens ('-laborer leurs inventions. Ksfoyt lors parmy ces sieurs
oslrangiers ung Florentin ayant nom messerAngelo Cappara, le-
(|uel avoyt ung grant mérite, laisoyt des seulpteures et engra-
venres connue pas ung, nonobstant son aage, veu (jue aulcuns
s'esbauldissoveut de le veoir en son a|»vril et dt'sià si sçavant. De
faicl, à peine iii/.oloyent en son guernon les poils (jui empreignent
DKSKSI'KUANCK D'AMOI li
fl5
iiiiii liommo (lo sa maicsli' viiili'. De cctliiy Aiiiit'Io los daiiit's
ostoyont viaynient toutes |)ic(jiu'os, pourceijue il ostoyt iolyroniiue
xiu'ji rosvc, niélaiU'lioli('(|uo conimo est la paluinbo seule en son
nid par mort ilu ooni|)aifinon. Kt veey eonnne. Cotluy sculpteur
av()\l le fri-ant mal de paouvreh', (jui yelienne la vie en ses mou-
vemens. De faiet, il vivoyt durement, inanf^Manl |)eu, honteux de
ne rien avoii', et s'adonnoyt à ses talens par granl desespoir, vou-
lant, à toute Ibree, gaigner la vie oysive, qui est la plus belle de
toutes pour ceulx dont l'ame est occupée. Par braverie, le Flo-
rentin venoyt à la Court guallamnient vestu; puis, par grant ti-
midiléde ieiinesscetd^ maie heur, n'osovt demander ses deniers
au |{;v, qui, le voyant ainsv vestu, le cuvdnyl bi(Mi fourny de tout.
Courlizans, dames, ung cliascun souloyl admirer ses beaux ou-
vraiges et aussy le faiseur; mais de earolus, nullement. Tous, et
416
CONTES DROLATIQUES.
les (lames surtout, lo trouvant rii-lie de nature, rcstimoyont suf-
iisamniejit guarny de sa belle icunesse, de ses longs cheveulx
noirs, yeulx clairs, et ne songioyent point à des carolus en son-
giant à ces ehouses et au deniourant. De faict, elles avovenl
grantement raison, veu que ces advantaiges donnoyent à maint
braguard de la Court Ijeaulx domaines, carolus et tout.
Maulgré sa semblance de ieunesse, messer Angelo avoyt vingt
années d'aage et n'estoyt point sot, avoyt ung grant cueur, de
belles poésies en la teste, et de plus esloyt bonuiie de liaulte ima-
gination. Mais en grant humililé en luy-mesme, et comme tous
paouvres et soulTreteux, restoyt esbaliy en voyant le succezdes
ignares. Puis se cuydoyt mal lassonné de corps ou d'amc, et guar-
doyt en luy-mesme ses pensiers : le faulx, veu que il les disoyt,
en ses fresclies nuictées, à l'umbre, à Dieu, au diable, à tout. Lors
se lamentoyt de poiter ung cueur si cliauld, (jue, sans doubte
aulcun, les fennnes s'en garoyent comme il'uug l'er rouge; j)uis
se racontoyt à luy-mesme, en quelle ferveur auroyt une belle
maistresse ; en quel lionneur seroyt-cUe en sa vie ; en quelle
lidélité il s'attacheroyt à elle; de quelle affection la serviroyl; en
quelle estude auroyt ses commandemens; de quels ieux dissipe-
royt les legiers nuages de sa tristesse mélancholiccpie aux iours
(tii le ciel s'embruneroyt. Drief, s'en pourtrayctant une par imagi-
nation figuline, il se rouloyt à ses pieds, les baisoyt, amignottoyt,
caressoyt, mangioyt, sugçoytaussyréallementque ung prisonnier
court à travers clianq)s, en voyant les prées par un trou. Puis
luy parloyt à l'atlciidiir ; ])uis, en gi'anl j)erj)rinse, la serrovl à
l't'stouffer, la viobivl ung petit maulgré son respect, et mordoyt
tout en son lict. de raige, querant ceste dame absente, plein de
coinaige à luy seul, et quinauld lendemain
alors ipi'il en passoyt une. Néantmoins, tout
ll;mibant de ses amours [)liaMlas(pu>s, il tapovt
(icrccliief SOI' ses ligures marmoriiies et eu-
Liravoyt de iolis testinsà l'aire venir l'eaue en
la bouche de ces beaulx fruicts d'amour, sans
conq)ter les aultres cbonses qu'il bomboyt,
imicmiizoyt, caicssoyl de son ciseau, purilioyt
de sa lime et coiitournoyt à faire couqtrendic
I usage parfaict de ces cbonses à un coccjue-
bin et le dnm qm biner dans 1(! iour. Kt les dames souloyentse
recngnoislre en ces beaullez, et de messer (lappara toutes s'en-
Puis se cuydoyl mal fassoiiiu: de corps ou d'.imn, et f;uartloyl en luy-niPstiii>
ses pensiers ; ic l'aiilx, veu que il les disoyi, rn ses fresches nuiclées, à
l'umlu-e, à Kievi, au diable, à tout.
IIS CONTES DROLATIQUES.
(•apj)arassonoyeiU. Elniesscr Cappaia les fiosloyt de l'oeil, iurant
(juc, le iour où l'une d'elles luy donneioyt son doigt à baiser,
il en auroyt tout.
Entre ces dames de hault liynaige, une s'enquit ung iour de
ce gentil Florentin ù luy-mesnie, luy deiuandant ponnjuoy se
faisovt-il si larouche, et si nulle femme do la Court ne le sçau-
royt apprivoiser. Puis l'invita gracieusement à venir chez elle à
la vesprée.
Messer Angelo de se perfumer, d'achepter ung manteau de
veloux à crépine doublé de satin, d'em})runter à ung amy une
save à grans manches, pourpoint tailladé, chausses de soye, et
de venir et de monter les degrez d'un pied chauld, respirant
l'espoir en plein gosier, ne saichant que faire de son cueur,
qui bondissoyt et sursaultoyt connue chievre ; et pour tout dire
d'ung coup, avant par advance de l'amour de la teste aux pieds
à en suer dedans le dos.
Faictes estât que la dame estoyt belle. Ores, messer Cappara le
sçavovt d'aultant mieulx que, en son meslier, il se cognoissoyt
aux emmancheniens des bras, lignes du corps, secrettes entour-
neures de la callipygie et aultres mystères. Doncques, ceste dame
satisfaisovt aux règles espéciales de l'ait, oultre que elle estoyt
blanche et uiince, avoyt une voix à remuer la vie là oiî elle est, à
fourgonner le cueur, la cervelle et le reste; brief, elle mettoyl en
l'imagination de délicieuses imaiges de la chouse, sans faire mine
d'y songier, ce qui est le propre de ces damnées femelles.
Le sculpteur la treuva sise au coin du feu, dedans une haulte
chaire, et vécy la dame de deviser à son aise, alors (pie messer
Angelo n'osoyt diie aultre françoys (jne oui et non, ne pouvoyt
rencontrer aulcunes paroles en son gozier, ne aulcune idée en
sa cervelle, et se scroyt brisé la teste en la cheminée, si n'avoyt
eu tant d'heur à veoir et ouyr sa belle maistresse, cpii se iouoyt
là comme ung mouscheron en ung rais de soleil.
Pour ce (jue, ohslant ceste muette admiration, tous deux
demourèrent iusques au mitan de la nuicl, en s'engluant à
petits pas dedans Icsvoyes fleuries de l'amour, le bon scul|)teur
s'en alla bien heureux. Chemin faisant, il conclud à part luy
(pie, si une Icmmc noble le guardoyt ung peu jirès de sa iujipe,
durant (piatre heures d(î nuict, il ne s'en i'alloyt pas d'ung l'estu
(pi'ellc ne le laissast là ius(jues au malin. Ores, tirant de ces
prémisses plusieurs iolys corollaires, il se résolut à la reipiérir
DESESPERANCE D'AMOUR. 4l0
(lo co (|iic vous sravoz, (;oiiimo siinplo rciniiio. Doncijiics, il so
(k'IilK'ra de tout tuer, le niaii, la rcniine nu luy, l'aullc de jilcr
une heure de ioye à l'aydo de su quenouille. De laict, il s'cstoyt
si sériouscmcnt cncliargié d'amour, que il cuydoyt la vie estre
un;^ foible eiiieu dans la partie de l'amour, vou que ung seul
iour y valoyt mille vies.
Le Florentin tailla sa pierre en pensant à sa soiiee, et, par
ainsy, guasta bien des nez en songiant à aultre cliouse. Voyant
ceste maie fasson, il laissa l'ouvraigc, puis se perfuma et vint
gouster aux gentils proupos de sa dame avecqiies espérance de
les l'aire tourner en actions. Mais, cpiand il l'eut en |)r('sence
de sa souveraine, la inaiesté féminine l'eit ses rayonneni(;ns, et
paouvrc Cappara, si tueur en la rue, se moutonna soubdain
en voyant sa victime.
Ce néanfmoins, devers l'Iieuie où les dezirs s'entrecliaul'rent,
il se esloyt coub' pres(|ue sur la dame et la tenoyt bien. Il avovt
niarebandé ung baiser, l'avoyt prins, bien à son beur : car, (|uand
elles le donnent, les dames guardent le droict de rcITuser; mais
alors qu'elles le laissent robber, l'amoureux peut en volej- mille.
Cecy est la raison pour laquelle sont accoustumées toutes de
se laisser prendre. Kt le Florentin en avoyt desroltbé uiig bon
compte et desià les cbouses s'entreliloycnt parlaictemenf, alors
que la dame, (pii avoyt mesnaigié l'estoffe, s'escria : — Vécy
mon mary
De laict, monseigneur revenoyt de iouer à la paulme; et scnl|)-
teur de (piiller la place, non sans recueillir la riclie œillade de
lennne interrompue en son beur. Cecy l'eut toute sa cbevance,
pitance et rcsiouissance durant ung mois, veu que, sur le bord
de sa ioye, tonsiours venoyt mondict sieur mary, et tousiours
advenoyt saigement entre ung refl'uz net et ces adoulcissemens
dont les fenmies assaisomient leuis relTuz ; memis suffiaiges (|ui
raniment l'amour et le rendent plusl'ort. Ft, alors (jue sculpteur
impatienté conunençoyt vitcment dès sa venue la bataille de lu
iu})pe, à ceste fin d'arriver à la victoire avant le mary, auquel sans
double ce rcmue-mesnaige proul'lictoyt, ma iolie dame, voyant ce
dezir escript ez yeulx de son sculpteur, entamnyf cpierellcs et
noises sans lin. D'abord, elle se l'aisoyt ialouse à l'aulx. jiourscn-
lendre dire de bonnes iniures d'amour; puis apaisoyt la cliolère
du [)etit par reaued'ung baiser; puis prenoyt la parole pour ne
lu point quitter; et alloyt disant comme (juoy son amant à elle
1-20 CONTES DHOLATKJI KS.
debvoyt se tenir saige; eslre à ses voulentez, faulte de qiioy elle
ne sçauroyl lui donner son anie et sa vie ; et que ce ostoyt peu de
chouse (jue d'ollVir à sa maistresse ungdezir; et que elle estoyt
plus eouraiiicusi-, pour ce ({uc, ayniant plus, elle sacrifioyt davan-
taigo; puis, à proupos, vous laschioyt ung : « Laissez cela ! » dict
d'un air de royiu\ Puis elle pronoyt à temps luig air fascliié pour
respondre aux reprouches de Cappara : — Si vous n'estes comme
ie veulx que vous soyez, ie ne vous aymeray plus.
Brief, ung pou tard, le paouvre Italian veit bien (pio ce ne
estovt point ung noble ainour, nng de coulx qui ne mesurent pas
la ioye comme ung avare ses escuz, et qjic enlin ceste dame pre-
noyt plaisir à le faire saulter sur la couverture et à le laisser
maistre de tout, pourveu que il ne touchiast point au ioly plessis
de l'amour. A c»; mestier, le (]appara devint furieux à tout tuer,
et print avcrcjnes luy de bons compaignons, ses amys, auxquels il
bailla la cbarged'allaquer le mary pondant le chemin (jue il l'aisoyt
pour venir se concilier en son logiz, après la partie de panlme du
iloy. Luy vint à sa dame en l'heure accoustumée. Quand les doulx
ioux de leur amour feui'cnt on bon train, lesquels ieux estoyent
baisersbion desgutoz, cbovculx bien enroulez, desrouloz, les mains
mordues de raigo, les aureilles aussy, ondn tout le tralïic, moins
ceste chouse espéciale que les bons autheurs trouvent abominable
avecques raison, vécy Florentin de dire entre deux baisers qui
allovont ung peu loing : — Ma mye, m'aymez-vous plus (jue tout'?
— Oui ! tcit-olle, — von (juo les paroles ne leur coustont iamais
rioii.
— Il(' bien, repartit ramoureux, soyez toute à moy.
— Mais, foit-elle, mon mari va venir.
— N'est-ce (pie cola?
— Oui.
— l'ay des amys (jni l'arresteront et ne le laisseront aller
que si ie mets ung tlambeaii on ceste ci'oisée. Puis, s'il se
plainct au Hoy, mes amys diront que ils cuydnii'iil. j'uiie le
loin- à nng des nostres.
— lia! mon amy, dit-elle, laissez-moy vooir si tout est bien
iréans muet et concilié.
Klle se leva et mit la iiMiiière -i la croisée, (le (jue voyant,
messer Cappara soufllo la chandelle, prend son ospée, et se
phujanl en face de cesle femme dont il cognent le mespris et
l'anie feslonne :
DESKSl'KHANCK ICAMOLU.
VJl
— le ne vous tueray pas, madame, fcit-il ; mais ie vais vous
estafiler le visaige, en sorte que vous ne cocquetterez plus avec-
qucs (le paouvres icunes amoureux dont vous ioucz la vie ! Vous
m'avez truplié honteusement, et n'estes point une i'emmc de
bien. Vous seaurez que ung baiser ne se peut essuyer iamaisen
Ja vie d'ung amant de cueur, et que bouche baisée vault le
reste. Vous m'avez rendu la viepoisanteet maulvaise à tousiours :
doncques ie veux vous faire éternellement songier à ma mort,
que vous causez. Et, de laict, vous ne vous mirerez oncques en
vostre nilioui'r sans y vcoir aussy ma face. Puis il leva le bras
et feit mouvoir l'espée pour tollirung bon morceau de ces belles
ioucs fresches en lesquelles il y avoyt trace de ses baisers. Lors
la dame luy dit qu'il estoyt ung desloyal.
— Taisez-vous ! fcit-il ; vous m'avez dict (|ue vous m'aymiez
plus que tout. Maintenant vous dictes aultre chouse. Vous me
avez attiré en chaque vcsprée ung peu plus hault dans le ciel,
vous me gectcz d'ung coup en enl'er, et vous cuydez que vostre
iuppc vous saulvera de la cholère d'ung amant... Non.
— Ha ! mon Angt'lo, ie suis à toy ! ftit-elle. esmerveiglée <le
cet huumip llambant de raigr.
56
42'2 CONTES DUOLATIOIES.
Mais luy, se tirant à trois pas : — lia ! robbe de Court et iiiaiil-
vais ciiciir, tu aynios niioulx ton visaigeque ton amant, tiens !
Elleblesniit cl tendit bnniblenienl le visaijjie, car elle eoinprint
que, à eeste licure. sa l'aulselé passée faisnvl tort à son amour
présent. Puis, d'ung seul coup, Augelo l'estalila, quitta la maison
et vuyda le pays. Le niary n'ayant point esté inquiété pour cause
de ceste lumière qui ieut veue des Florentins, treuva sa fcnnne
sans sa ioue scnestrc ; mais elle ne souffla mot, inaulgré la dou-
leur, veu que, depuis l'estafilade, elle aymoyt son Cappara plus
que la vie et tout. Nonobstant ce, le mary voulut sçavoir d'où
j)rocedoyt ceste blessure. Ores, nul n'estant venu, fors le Florentin,
il se plaignit au Roy, qui feit courir sus à son ouvrier etconnnanda
de le pendre, ce qui l'eut faictàBloys. Le iour de la pendaison,
une noble dame eut envie de saulver cet bonnne de couraige,
qu'elle cuydoyt eslre ung amant de bonne trempe; die pria le
Roy de le luv accorder, ce qu'il Icil voulentiers. Mais Cappara se
declaira de tout point acquis à sa dame, dont il ne pouvoyl cliasser
le soubvenir, se feit religieux, devint cardinal, grant sçavant, et
souloyt dire, en ses vieulx iours, que il avoyt vescu par la renjem-
brance des ioyes prinses en ces paouvresbeures souffreteuses où
il estoyt à la fois trcz-bien et trez-mal traicté de sa dame. Il y ha
des aulbcurs qui disent que depuys il alla plus loing quela iuppe
avecques sa dame, dont la ioue se refeit; mais ie ne seauroys
croire à cecy, veu (pie ce estoyt ung bonnne decueur ([ui avoyt
baulle imagination des sainctcs délices de l'amour.
Cecy ne nous enseigne rien de bon, si ce n'est (|ue il y lia
dans la vie de maulvaises rencontres, veu que ce Conte est vray
de tout poinct. Si, en d'aultres endroicts, l'Autbeur avo\t. par
cas fortuit, oultrepassé le vray, cettuy luy vauldra des indul-
gences près des amoureux conclaves.
^T^''(^%
EncorosquccesecundDixain ait en son frontispice inscription
qui le dise parachève en ung temps de neige et defroideure, il
vient au ioly mois de iuin, oii tout est verd, pour ce que la
paouvre muse de la(|ut'll(' rAutiieur est suljioct ha eu plus de
caprices (jue n'eu ha l'amour phaiilas(pie d'une royne, et ha
mystérieusement voulu gecter son fruict parmy les fleurs. Nul
ne peut se vanter d'estre maistrc de ceste phée. Tantost, alors que
ung grave pensier occupe l'esperit et griphe la cervelle, vécy la
garse rieuse qui deshagoule ses gentils proupos en l'aureille,
chatouille avec({ucs ses plumes les lèvres de l'Autheur, mène ses
sarahandes, et laict son tapaige dans la maison. Si par cas fortuit
l'escripturier abandonne la science pour noiser, luy dict : —
« Attends, ma mye, i'y vais! » et se lève en grant haste pour
iouer en la compaignie de ceste folle, plusdegarse ! Elle estrentrée
en son trou, s'y musse, s'y loule et geint. Prenez haston à feu.
haston d'ecclise, haston rusticcpie, haston de dames, levez-les,
frappez la garse, etdictes-luy mille iniures, elle geint. Despouil-
lez-la, elle geint. Caressez-la, mignottcz-la, elle geint. Baisez-la,
424 EPILOGUE.
(liolos-liiy : « Hé! mignonne! » pIIc geinl. Tantost clic lia froid,
tanlost elle va mourir; adieu l'amour, adieu les rires, adieu la
ioye, adieu les bons contes ! Menez bien le deuil de sa mort,
plourcz-la, cuydcz-la morte, j^cignez. Alors elle lève la teste,
esclalte de rire, déployé ses aësles blanches, revoie on ne sçait
oïl, tournoyé en l'aër, capriole, monstre sa queue diabolicquc,
ses tettins de femme, s(;s reins forts, son visaigc d'ange, secoue
sa chevelure pcrfumée, se roule aux rais du soleil, reluit en
toute beaulté, change de couleurs comme la gorge des columbes,
rit à en ])lourer, gccte les larmes de ses yeulx en la mer, où les
pescheurs les treuvent transmuées en iolies perles qui viennent
aorner le front des roynes, enfui faict mille tourdious comme ung
ieune cheval eschappé, laissant veoir sa croupe vierge et des
chouses si gentilles, (ju'à la seule veue d'icelles ung pape se dam-
nerovt. Durant ce renme-mesnaige de la beste indonq)tée, il se
rencontre des ignares et des bourgeoys qui disent au paouvre
poëte : — Où est vostre monture? Où est vostre DixainVYous estes
ung pronosticqueur payen. Oui, vous estes cogneu ! vous allez
aux nopces et ne faictes rien entre vos repas ? Ouest l'ouvraige!
Kncores que de mon naturel ie sois amy de la doulceur, ie
vouidrovs veoir ung de ces gens bardé d'ung pal de Tur(|uie et
leur diie d'aller en ceste équipaige à la chasse aux coimilz. Cy
fine le deuxiesme Dixain. Veuille le diable le poulser de ses
cornes, el il sera bien receu de la clirestienté rieuse.
HA ESTK iMi'ia.Mii. iMiu; i.A l'Hi.Mf- lins iv\i; i \i>, i.i !•; i;\ci.m;, n" iv
cl achevé en mnri
M DCCC \\\YI I
r.6.
MATItRCS nu TROISIllSME DIXALN
ProloEfiie.
Pcrscvcraiice il'iinmiir.
D'iing lusiiciard qui né se rcinciiihroyt les cliouscs.
Sur le Mdviie Ainiidor. qui tcul uiig glorieux abbé de
Turpenay.
Bertlic la Repentie.
Comment la belle lille de Parlillon quinaulda son iuçe.
Cy est déinonslré (jue la lorlune est tousiours femelle.
D'ung Paouvrc <pii avoyt nom le Yieulx-pai'-Clieinins.
Dires inconjîreus de trois l'èlerins.
Naïfvelé.
I.a belle hnpi'ria mariée.
Epilogue.
Anlciiiisoiit iiitorro-iiiô rAiitlioiirsurcc qiio il vavovttnnl
do l'iiiuo à fos Ilixaiiis, (juo nul an no [toiivoyl oscliooir sans
qnoil ononsldict sa i-atolôo, ot la raison do oo.otpour quoy
finabloniontosoiihiodcsvii'guloscnti'cineslôes dcmaulvaises
syllahos aux([ucllos rolVonfirinyont |)uldi('([noniont les dames,
puisiiiiiloaiilti'os hoj^iios viiydos ! l/Aiiliioiudc'M'lairoqiiooos
proditoiros paroles, semées coMiiiio pioiTos en sa voyo, l'ont
toiiehié dans le plus j)roron(l du cueur, et il co'inovst suffi-
samment son (lol)voir pour no point faillir de hailloi- à son
espôcialo audience, on ce l*i'<do<iue, aulouns ari'aisonnomens
aultres que les précédons, pour ce (pie liesojng est dr tous-
iours ai'i'aisonner les enfans iusipies à ce que ils soyent
grandelets, ooneoivent les chouses et se taisent, et que il
veoit bien des mesclians garsons en ce numbiv inlinv de gens
criards, lesquels ignorent à plaisir ce dont il s'en va dans ces
4'2S PROLOOFE,
Dixaiiis. Kii |ii'iiiio;il)Oi'd, saiclioz (|iio si ;iiiI(M1iios vorluoiises
dames, ie dis vertueuses pour ce que les truandes ou femmes
do petit pied ne lisent point ces feuillets, nyniant inieulx en
faire de inedicts, tandis cpie au retours les dames ou bour-
geoyses à doubles paires de manches, pleines de religion,
estant desgoustées sans double aulcun de ce dont s'agit, les
lisent pieusement pour contenter le nialinesperit, etparainsy
se tiennent saiges. Entendez-vous, mes bons vendangeurs
de cornes? Mieulx vault esfre coux par le conte d'ung livre
quecoux par l'histoire d'ung gentil homme. Vous ygaignez
le desguast, paouvres braguards, oultre que souvent vostre
dame énamourée s'en prend à vostre mercerie des fécunds
iriballemens esmeus en icelle par le présent livre. Et par
ainsy cesDixainsadiouxtent de belles graines àlagésine du
pays et le maintiennent en ioye, honneur et santé. le dis
ioye pour ce que vous en prenez moult en ces Contes, le
dis honneur, pour ce que vous saulvez vostre nid des griphes
de ce démon, touiours ieune, nounné Kockuaige en langue
celtique. le dis santé, pource que ce livre incite à lachou-
selte prescriple par l'Ecclise de Salerne soubz poine de
pléthore cérébrale. Trouvez proufficts pareils aiix aultres
cayers noircis typogiapliicquemenl. lia! ha! où sont les
livres qui font des enl'ans?(lliercbez, |)oint. Ains vous ren-
contrerez par razières enfans faisant des livres dont est
conccu force ennuy. le rciticiids h |»luase. Doncquessaichiez
(pie si aulcunes dames vcrliiciiscs de nature, coc(piardcs
en esperit, se livrent publiccpiement à des (pierimonies au
subiect de cesDixains, ungnumbre assez plaisant d'icclles
loing de semondre l'autlieur, a(l\(»n(^iil (pi'elles l'ayment
bien fort, l'estiment vaillant lionmic, digne d'estre moyne
en l'abbaye de Tlielesme, et que, pour autant de raisons cpie
il y a d'esloillcs aux cienlv, il ne (|iiillc l;i lluslc à bec avec-
PROLOGUE. 429
qiios liiqiiollc i I d/'cliiict ros dossiis dicf s Coiilos, aiiis so laisse
blasiiioi", aille lousioiirs à ses lins, vou que la noble France
est une femelle qui se refuse à ce que vous sçavez, criant,
se tordant, disant : «Non, non, iainais! lié! monsieur,
que allez-vous faire? le ne scaurois, vous moguaslciiez. »
Puis, alors que le Dixain est faict et parfaict en toute gentil-
lesse, reprend : «lié! mon maistre, y en aura-t-il encpres
d'aultres! » Couq)tez-en dà rAutlicm- pour imgboncoinpai-
gnon, (pii ne s'effarouche mie des ci ys, jtlcurs et tortillemens
delà dame i[uo vous nommez (iloire, Mode ou Faveur pu-
blicque, veu que il la sçait très-pute et dénature às'accoui-
moder d'ung beau viol. Il scayt qu'en France sou cry de
guerre est : Monl-Ioije! Un beau cry, cuydez-le, mais que
aulcuns escripturiers ont défiguré et qui signifie : La ioyc
n'est pas à terre, elle est là : faictes vivement, sinon adieu !
L'Autheur tient ceste signifiance de Habelais, qui la luy ha
dicte. Si vous fouillotezriiisloiie, la France ha-t-elle iamais
souftlé mot alors que elle esloyt ioyculsement montée, bra-
vement montée, raigeusement montée, esraument montée?
Elle est furieuse à tout et se plaist aux chevaulchées |)ar-
dessus le boire. Hein ! ne voyez-vous point (pie ces Dixains
sontfrançoys par la ioye, françoyspar la chevaulchée, fran-
çoys devant, françoys derrière, françoys partout? Arrière
doncques, mastins; sonnez lesmusicques; silence, cagots ;
advancez, messieurs les libaidds ! mes mignons paigcs.
baillez vostrc doulcemainen la main des dames, et giatlez-
les au mitan, ie dis la main ! Ha ! ha ! cecy sont raisons ron-
flantes et péripatheticiennes, ou l'Autlieur ne se cognoyst
])oinl enronlIeuKMis ne aristolelismc. Il lia pour luy l'escu
de France, rorillamme du lîoy et Monsieur sainct Denys,
lequel estant sans teste ha dict : « Monte-ma-loye. » Direz-
vous, ipiadriipèdes, quecelliiy mol est faiilx?Non. Il ha esté
.i.>0 • C.OMKS DliOLATIOlIES.
certes bien oiiy par plnsiours dans \o temps ; mais, en ces
ioiirs de profunile inisrio, vous ne croyez plus h rien des
bons religieux !
L'Autheur n'a pas tout dict.Doncquessaichez, vous tous
qui lisez ces Dixains des yeulx et des mains, les sentez par
la teste seulenient et les ayuicz pour la ioyo(pio ilsdonnent
et qui vous monte au cueur, saiclicz que l'Autheur, ayant,
en la maie heure, esguarésaeoignée, ù/es/, son héritaige,
qui ne se est plus retreuvé, se veit desnué de tout poinct.
Lors il cria en la manière du busclioron, dans le prologue
du livre de son cliieriuaistre Haholais, à ccste lin de se l'aire
ouyr par le genlillionmio d'en liault, suzerain de toutes
chouses, et en obtenir quelque autre coignée. Ce dictTrez
Ilault, encores occupe avecques les congrès du temj)s, luy
feit gecter par Mercure ung escriptoire à double godet, sur
lequel estoyent engravées, en f'asson de devise, ces trois
lettres : Ave. Lors le paouvrc enfant, ne percevant aulcun
aultre secours, eut grant cure de remuer cedictgalimart,
en chercher le sens abs(Muis, en couuuenter les mystérieuses
paroles et leurticuvci' une ame. Oies, veit en j)riuîe -abord
que Dieu estoyt poly, coumie ung grant seigneur qucil est,
pour ce que il ha le monde et ne i-elève de personne. Mais
veu que, en se reuiemorant les choses desaieunesse, il n'y
rencontroyt nulh- guallanterie i'aicte à Dieu, l'Autheur estoyt
en doubte sur cesle civilité creuse, etsongioyt moult, sans
tirer aulcuneréale chevance de cet outil céleste. Lorsj/orce
de tourner, retourner ce diet escriptoire, l'estudier, le veoir,
reuq)lir, le vuydci-, le l.ipcr eu lassou interroguative, le
l'aire net, le metti'c droict, le mettre de costé, le bouler à
contre-sens, il lutà (•ontrelil£'^)rt. Oue est Kva, sinon toutes
lesleuuues en mu; seule! Donccpiespai- la voix divine estoyt
dict à l'Autheur : — Pense à la l'emiue : la i'eruiue guarrira
I' 150 loi; ri:. 4r>i
ta playc, IxiuclR'i'a le vuydc de ta ^ihcssièic ; la femme est
ton bien ; n'aye qu'une l'ennne: lial)ille et desliahille, dore-
lotte ccstefcnune ; debitle la rciiiiiic; la remiiu' est tout. la
femiric ha son galimart : [tuise en ce galiniart sans fund;
la fennue ayme l'amour, l'ais-luy l'ainour avecrjues le gali-
mart seulement; cliatouille ses phantaisies et |)ourti'ais-luy
ioyeulsementles mille poiiiliaiclmes de ramom-enccs mil-
lions de gentilles lassons; la l'enune est généreuse, et toutes
pour une, une pour toutes, soldei-a le peinetrc et fournira
leplumaige du pinceau. Knfin, équivocffue sur ce qui est
escript \li;Ave, salue; Eva, la femme Ou bien : Eva, la
femme ; ave, salue, ou saulve. Eh ! oui, elle faict et deffaict.
Doncques, à moy le galimart! Que ayme le plus la femme :
que veult la feunue : toutes les cliouses espéciales de l'amour
et ha raison la femme. Enfanter, produire, est imitation de
nature, qui tousiours est en gésine! Doncjpu^s à moi la
femme! à moy Eva! Sur ce, l'Autheur se print à puiser en
ce fécund galimart où estoyt une purée cérébrale, concoc-
tionnée par les vertus d'en liault, en fasson talismanicque.
D'ung godet sourdoyent ebouses graves qui s'escripvoyent
en encre brune ; et de l'aulti'e ebouses frétillantes qui rubric-
quoyent ioyeulsement les feuillets du cayer. Paouvre Autheur
ha souvent, faultc de cure, mcslangc les encres, ores cy, ores
là. Mais, dès (pie les lourdes phrases ardues à rabotter, ver-
nir et polir, de (juebjue ouvraige au goust du iour, estoyent
parachevées, l'Aulbeur, curieux de s'esbattre, maulgré le
peu d'encre rieuse ((ui est au godet s nesUe, en robboyt
ardcumient aulcune plumée avccfpics mille (bdices. Ces
dictes plumées sont, vère, ces dessus dicls Contes drola-
licques dont l'authorité ne peut estre soupçonnée, pour ce
que elle est cscoulée de sourc^î divine, ainsy que il appert
de ce naïf adveu de l'Aiilli'ur.
iô-2 l'HOLOCUE.
Aiilcunes inaulvaises gens erieiont oiicores do cecy. Mais
treuvez ung tronsson d'honune paifaictement content sur
ccste miette de bouc. Est-ce pas une honte? En cecy l'Au-
tlieur se est saigcnient comporté à l'instar de Dieu. Et il le
prouve \M\i' atqul. Oyez, est-il point dénionstré en toute clai-
reté aux sravans que le souverain Seigneur des mondes ha
faict ung noudjrc infîny de machines lourdes, poisantes,
graves, à grosses roues, grans chaisnes, terribles détentes,
et affreux tournoyemens complicquez de vis et de poids en
la fasson des tourne-broches, maisaussy seestdivertyende
petites mignonneries et chouses grotesques, légicres comme
le vent, que il ha faict encores créations naïfves et plaisantes
dont vous riez, les voyant? Est-ce pas vray? l)onc({ucs, en
toute œuvre concentricquc, connue est la troz-spacieusebas-
iisse emprinse par l'Autheur, besoing est, pour se modeler
sur les lois de ce dessus dict Seigneur, de fassonncr aul-
cuiH's lleurs mignonnes. ])laisaiis insectes, beaulx draccons
bien tortillez, imbricquez, supercoulorcz, voire mesmes
dorez, encores que l'or luyfault souvent, et delesgecter aux
pieds de ses monts neigeux, piles de roches et aultres sour-
cilleuses ))hilosopliios, longs et terribles ouvraiges, colum-
nades marnioiines, vrays pensioi'ssculj)l('zen {)orpliyi'e. lia
çaîbostes inummdes qui honnissez et répudiez les fugues,
phantaisies, contrepèteries, musicques et roulades de la iolie
muse drolaticque, ne rongerez-vous pas vos griphes, pour
ne [>lus escorchici" sa peau blanclic, azurée de veines, ses
reins amoureux, ses flancs de toute élégance, ses pieds qui
restent saigement au lict, son visaige de satin, ses formes lus-
trées, son cueur sans lied? Ha! testes cliop])cs, que direz-
vous en voyant cy (jue ceste bonne lille est yssiie du cueur
(le la I iMiicc, concorde aux natincs de la l'eiuiiic, lia esté
Riduéi; film (irr gfnlil par b^s anges, en la pcrMiune du
IM;uI,(>GUE. i53
(lonntciir Mercure, et liii.iljlcnient est la plus claire quintes-
sence de l'Art! En ccsle œuvre se rencontrent nécessité,
vertu, pliantaisie, vœu de l'ennue, va'U d'un pantagrue-
liste quarré, il y ha tout. Taisez-vous, festez l'Autheur, et
laissez son galiuiartà double godet doter la Gayc Science des
cent glorieux Contes drolaticcpies.
l)onc(jU('sarii('re,iiiastiiis! soiniezlesinusicques! silence,
cagots! hors d'icy les ignares! advancez, messieurs les ri-
baulds ! mes mignons paiges, baillez vostre doulce main aux
dames, et grattezla leur au mitan, de la gentille fasson, en
leur disant : « Lisez jjour rire. » Après, vous leur direz
quelque auUio mot j)lus [)l;iisiint, pour les faire esclatter, veu
([ue, quand sont rieuses, elles ont les lèvres descloses cL
sont de petite résistance à l'amour.
liscrii)l à Genève en l'Iiuslel île l'Arccj. aux Eaux Vil'ves. f'ebvrier 1831.
37
ppfWf;JJ||^|^||
El le cul'ur liiy ï-:iulti)\| jusqii(>> d.ins la gor;^'C.
— Vous avci une belle vache, fcil-il.
— Soubluilcz-vous unp peu de laict ? n;s|)Oiiilil-cllc.
PERSEVERANCE D'AMOUR
Environ les premières anne'es du treiziesme siècle après la
venue (le nostre divin Saulveur. advint en la cité de Paris une
adventure amoureuse par le laict d'ung homme de Tours, de
la(|uelie s'csiomira la ville et aussy la Court du Rov. Quant au
cleryit', vous verrez, par ce qui sera cy-dessoubz dict, la part
qu'il en eut en ceste histoire, dont par luy feut conservé le
tesmoin^maige.
Ce (lift homme, appelë le Tourangeau par les gens du menu,
pour ce qu'il avoyt prins naissance en nostre ioyoulse Tourainc,
43C COiNTES DROLATIQUES.
cstovl on son vray nom dict Ansoan. En ses vionx ionrs.co bon
honnnc retourna on son pays et lent maire de Sainet-M;irtin,
suyvant la Cdironieijiie de l'alihaye et de la ville ; mais à Paris
cstoyt ung nuhle oridiehvre. Ures doncques, en son prime aage,
par sagrant honnesteté, ses labeurs ou aultrement, devint bour-
geoys de Paris, et snbiect du Pioy, dont il aebepta la protection
suyvant l'usaige de cettuy temps. Il avoyt une maison par Inv
bastie bors de toute censive, proucbe recclisc Sainet-Leu, en la
rue Sainct-Denys, où sa forge estoyt bien cogneuc de ceulx qui
cbcrchoyent les beaux ioyaulx. Encores que ce feust ung Tou-
rangeau et que il eust de la vie à revendre, il estovt demouré saige
connue ung vray sainct, nonobstant les blandiees de ceste ville,
et avovt elïouillé les iours de sa verde saison sans avoir oiuMpies
laissé traisner ses cbausses en ungclap|)ier. Beaucoup diront (jnc
cecy passe les facultezde croire que Dieu lia mises en nous pour
ay<ler à la foy deue aux mystères de la saincte religion : aussy
besoing est-il de démonstrer abundamment la cause absconse de
ceste cbasteté d"or|)liebvre. Et (ral)ord prenez que il estoyt venu
de son pied en la ville; paouvre plus que lob, au diie des vieulx
compaignons, et que, à l'encontro des gens de nostre pays,
lesquels n'ont que ung prime feu, il avoyt ung cliaractère de
métail, et persistoyt en ses voycs comme une vengeance de
movne. Ouvrier, tousiours laboroyt; devenu maistre, laboroyt
encores; tousiours apprenoyt secrets nouveaulx, cbercboyt non-
telles receptes, et en cbercbant rencontroyt des inventions de
toute sorte. Les passans attardez, gens de guette ou maulvais
garsons, voyoyent tousiouis une saige lampe allumée à travers
les croisées de rorpbebvre, et bon orpbebvre tapjiant, scul|itanl.
rongnant. cizaillant. limant, t()r(piaut, en conqiaignie de aulcun
apprentif, portes closes, anreilles ouvertes. La misère engendra
le labeur, le labeur engendra sa notable saigesse, et la saigesse
engendra de grans biens. Entendez cecy, enfans de Gain, (pii
mangez des doublons et j)issez de l'eaue! Si le bon orj)liebvrc
avovt en luy-mesme de ces ](liantas(pies dezirs, cpii, de cy, de là,
tenaillent ung |)aouvie bonniie seul, (piand le diable faict mine
de renq)orler sur ung signe de croix, le Tourangeau rebattoyt
son métail, atliroyt les csperits séditieux à sa cervelle en se
bendant à faire des délicatesses (b'Iicieiises, mignonnes engra-
veincs, (igiuines d'or, belles lormes d'argent ;ive((|iies les(pielles
il lidVescliissovt l:i cliolère de sa Vi'inis. .\dioii\lez à ces cliouses
PERSEVERANCF, D'A MOI II. r.7
que ce Toiiranj^oau ostovt lioimiu' à sim|)los soniollos, de naïf
entondomont, craifinant Dion dahoid, puis Ips volcuis, les soi-
gneurs après, le luniulto |)ai-di'ssiis tout. Quoique il eusl deux
mains, iamais no faisoyt que une seule cliouse. 11 avoyt uny
parler doulx comme est celluy d'une espouséc avant les nopces.
Encores que le clergié, les gens d'armes et aultres ne le répu-
tassent point seavant, il seavoyt liien le latin de sa mère et le
parlovt correetement, sans se laiie prier. Sulisécutivenient eeux
de Paris luy avoyent apprins à marcher droict, à ne point hatlre
les buissons pour aultruy, à mesurer ses passions à l'aulne de ses
revenus, à ne bailler à personne licence de luy prendre de son
cuir pour se faire des cordons, à veigler au grain, à ne point se
fier aux dessus de boëte, ne point dire ce que il faisoyt et faire
ce que il disoyt, à ne laisser cheoir que de l'eaue, avoir plus de
mémoire que n'en ont habituellement les mousches, à guarder
sa poine pour luy seul et aussy son escarcelle, à ne point s'oc-
cuper des nuées par les rues, et vendre ses ioyaulx plus
chier que ils ne luy coustoyent ; toutes ehouses dont la saige
observance luy donnoyt autant de sapience (jue besoing estoyt
pour vendre à son aise et contentement. î^insy faisoyt-il, sans
gehenner personne. Et, advisant ce bon petit homme en son
privé, beaucoup disoyent le voyant : « Par ma foy ! ie vouldroys
estre cet opbiibvre, encores (pie l'on m'oblirreast à boiter iusques
au genoil les crottes de Paris durant uik! centaine d'années. »
Autant auroyt valu soubhaiter estre rov de France, pour ce que
l'orphcbvre avoyt des bras quarrez, nerveux, poilus, et si mer-
veilleusement durs, que, alors que il serroyt les poings, des
tenailles manouvrées par le plus rude compaignon ne luy eussent
ouvert la main. Comptez que ce que il teiiovt eslovt bien à luy.
De plus, avoyt des dénis à maschier du fer, ung eslomaeh à le
dissouldre, une fressure à le digérer, ung sphincter à l'expec-
torer sans deschireure, puis des espaules à soustenir le monde
à l'instar de ce seigneur payen auquel eslovt iadis commis ce
soing et que la venue de b'sus-CJuisl en ha, l)ien à teuqis,
dcschargié. (a; estoyt, à vray dire, ung de ces honnnes l'aicts
d'ung seul coup, et qui sont meilleurs, veu que ceulx auxquels
besoing est de retouchier ne valent rien ainsy rapiécez et bastis
en ])lusieurs foys. Brief, maistre Anseau estoyt un niasle taitu-t
en graine, à visaige de lion et soubz les sourcilz duipud sourdoyl
ung rcsguard à fondre l'or, si le l'eu de sa for^c liiy avoyt faict
458
CONTES DROLATIQUES.
(lolTanlt ; mais uik' i-auo linijiide mise en ses yculx par le
Modérateur de toute cliouse tempéroyt ceste grant ardeur, sans
quoy il eust tout bruslé. Estoyt-ce point un lier morceau
d'homme?
Sur l'escliantillon de ses vertus cardinales, aulcuns persévé-
reront à s'en({ucrir pourcpioy le bon orplicbvre estovt deniouré
garson comme une huistre, veu tpie ces proprit'lez de nature
sont de i)el usaigc en tous lieux. Mais ces opiniastres criticijues
sçavent-ils ce que est d'aymer? Ho ! ho ! Foing! Le mestier d'ung
amoureux est d'aller, venir, escouter, guetter, se taire, parler,
se blottir, se l'aire grant, se faire ])etit, se l'aire l'ien du tout;
agréer, niusicquer, pastir, (juerir le diable où il est, compter des
pois gris sur img volet, trouver des Heurs soubz la neige, dire
des patenostres à la lune, caresser le chat et le chien du logiz,
saluer les amys, flatter la goutte ou la catarrhe de la tante, et
luy dire en temps opportun : « Vous avez bon visaigc et Tairez
l'épilaplie du geni'e hiniiain. » Puis flairer ce qui plaist à tous les
pareils, ne m;y»'lier sur les ]ti('ds de personne, ne point casser
les verres, ferrer des cigales, laver des bricques, dire des riens,
tenir de la glace en sa main, s'esbahir des aflicijuets, s'escrier :
« Cecy est bien! » ou : « Yrayment, madame, vous estes bien
belii! ainsy. » Kt varier cela de cent mille fassons. Puis se fraizer,
s'ein|»()iser coiiiiiie iiiig seigneur, avoir la langue leste et saige,
eiidiiier en riant |(nis les iiiaulx ipie JaiiM le diabk, enterrer
l'KItSKVI'KANCK D'.VMOrn. 459
toutes SOS cliolôics, tenir sa nature en laisse, avoir le doigt de
Dieu et la (jueue du diable, guerdonner la mère, guenlonner la
cousine, guerdonnor la nieschinc; briof, tousiours se l'aire une
trongne plaisante, fiiulte de i[uoy la l'cnielle s'escliappc et vous
plante là, sans dire une seule raison chrestienne. En lin de tout,
l'amoureux de la plus eh'meiite garse (|ue Dieu avt faiete en ung
moment de lielK' humeur auroyt-il parlé connue ung bon livre,
saulté connue une puce, viré comme ung dcz, musicqué comme
le roy David, faict les cent mille tourdions de renier, et basty
pour eeste dessus dicte femme l'ordre corinthien des colunmes
du diable, s'il fault à la chouse esj)éciale et tenue scciette qui
plaist enti'e touti^s à sa dame, que souvent elle ne sçavt elle-
niesme, et que il est besoing de sçavoir, la garse le quitte comme
une lèpre rouge. Elle est dans son droict. Nul ne sçauroyt y
treuver maille à reprendre. En ceste occurrence, aulcuns honmies
deviennent grin)aulds, faseliiez, affoliez plus que vous ne jtour-
riez imaginer. Voire mesmes, jilusieurs se sont occiz jiour ce
revirement de iujipe. En cecy, l'honmie se distingue de la beste,
veu que aulcun animal ne ha perdu l'esperit par desespoir d'amour;
ce (jui prouve d'abundant que les bestes n'ont point d'ame. Le
nieslier d'amoureux est donc ung mestier de batteleur, de
souldard, (le charlatan, de baladin, d(> prince, de niais, de l'ov,
d'oisil', de moyne, de du|>pe, de traisne-chausses,dc menteui', de
vanlaid,de sycophanle,de teste vuyde, de chasse-vent, de gaule-
festu, de congne-rien, de drolle; ung mestier dont s'est abstenu
lesus, et que, en son imitation, desdaignent les gens de hault
entendement; mestier auquel ung honnne de valeur est recjuis de
despendre, avant toute chouse, son temps, sa vie, son sang, ses
meilleures paroles, oultre son cueur, son amc et sa cervelle, don*
toutes les femelles sont cruellement affriandées, pour ce que, dès
que leur langue va et vient, elles se disent l'une à l'aultrc que,
si elles n'ont pas tout d'ung homme, elles n'en ont rien. Conq)tez
mesmes rpie il se rencontre des cingesses (|ui fronssenl leurs sonr-
cilz et grondent encores (pie ung honnne faict les cent coups pour
elles, a ceste fin de s'en(juerir s'il y en ha cent et ung, veu que,
en tout, elles veulent le pins, par espcrit de conqueste et tyrannie.
Et ceste haulteiurisprudence ha esté tousiours en vigueur soubz
lacoustume de Paris, nù les femmes re(;oivent plus de sel au bap-
tesnuMpi'en aulcun lieu du monde, et par ninsy sont malicieuses
(|e naissance.
4i0 CONTES l)!;OL\T|n| KS.
Eldoncquos, rnrpliol)vro,tousiours ostaMyà sonmivrmier,hni-
nissant l'or, cliaulTant l'argent no ponvoyt anlcnnoinent cliaun'or
l'amour, ne brunir et faire resplendir ses pliantaisies, ne lanfre-
lucliier, parader, se dissiper en cini^cries, ne se niellreen (piesto
d'ungmoule àaureillos. Ores, veu que àParispuoellesne tondxMit
pas plus au lictdesgarsonsquoil ne j)leut des paons rostisezrnes,
cncores que ces garsonssoyentorpliebvres royaux, le Tourangeau
eut l'advantaige d'avoir, comme ha esté dessus dict, ung coque-
bin dans sa chemise. Cependant le bourgeoys ne pouvovt avoir les
yeulx clos sur les advantaigesdo nature dont i'aisovcnt estât et se
treuvoyent amplement fournies les dames et aussy les bourgooyses
avccques lesquelles il dcbattoyt la valeur de ses ioyaulx. Aussy,
souvent, en escoutant les gentils proupos des femmes qui vou-
loyent l'emboizer et le mignottoyent pour en obtenir quelque
doulceur, bon Tourangeau s'en retournoyt-il par les rues, resveur
comme ung poëtc, plus désespéré que ung coucou sans nid, et se
disoyt lors en luy-niesme : — le debvroys me munir d'une l'enunc.
Elle balyeroyt le logiz, me tiendroyt les plats chaulds, ployeroyt
les toiles, me racousteroyt, chantcroyt ioyeulsement dedans la
maison, me tourmenteroyt pour me faire faire tout à son gousl
léans, me diroyt comme elles disent toutes à leurs marys, quand
elles veulent ung ioyau : a Hé bien, mon mignon, vois donc(jues
cecy, n'est-ce pas gentil?» Et ung chascun, de par le quarliei-,
songeroyt à ma femme et penseroyt de moy : « Voilà ung honnne
heureux. » Puis se marioyt, faisoyt les nopces,dodinoyt madanioi-
scllerorphebvrc, la vesfoyt superbement, luy donnoytunecliaisne
d'or, l'aymoyt de la teste aux pieds, luy quiltovt le parl'aict gou-
vernement du mesnaige, sauf l'espargne, la metlovt en sa chandire
d'en bault, bien verrée, nattée, tendue de tapisseries, avecques
ung bahut mirificque, dedans ung lict oultre large, à columnes
torses, à rideaulx de contai cylrin; luy aclieptuyt f(»rce boaulx
mirouëres, etavoyt tousiours ungdixain d'cnrans d'elle et de liiv
(piarid il airivoyt à son logiz. Ains là, fonnno et enfans s'eva|t()-
loyentenmartelaiges ; il transdguroytses imaginations melanclio-
lieuses en dessins phanlasques, fassonnoyt ses pensiers d'amour
en ioyaulx di'olatic(pies (pii plaisoyent moult à ses achopleurs,
lcs{picls igiioroyenl condiieii il y avciyt de femmes et d'enfanls
jtcrdns dans les pièces d'oipliebvrerie du bon lionnne, (pii, tant
|tlns avrtyt de lalenl en son art, lant plus se (icsbiflovt. (lies, si
ilicn ne l'avoxl piin^ rn pilii-, siidxl forNssii de ce monde sans
PERSEVERANCE D'AMOUR. 4il
cognoistrc ce qun oslnyt do l'amour, mais l'anroyt cognoii on
l'aultresans la môlaïuorplioso do la oliair qui le guaslo, suyvant
mcssire IMato, liomino d aullioiilr, luais (|ui, pour ce que il n'os-
tovtchrostion, ha oriô. Lasîcospri'paratoirosdiscours s(iril digres-
sions oisives et fostidioux ooiiiiiirulaires, desquels les moscreans
obligent ung homme d'enlnrliller ung conte, conmie ung enfant
dedans ses langes, alors qu'il dehvroyt courir toutnud. Le grant
diable leur donne ung dysfèrc avecques sa foureho triple rouge !
le vais tout dire sans and)aiges.
Ores, vécy ce qui advint à rorj»hoi)vre dans la quarante et
uniesme année de son aage. Ung iour de Dieu, se pourmenant en
la rive gauche de la Seyne,il s'adventura, ]iar suite d'ung pon-
sier de niariaige, iusipies en la pi'airie qui (lc])uis fcut nonniu'o la
Préc aux Clercs, bujucUe osloyt lors dans le doniainc do l'abbaye
de iSainct-Gormain, et non on celluy de rijniversilé. Là, tousiours
marchant, le Tourangeau se voit en pleins champs, et y feit la
rencontre d'une paouvre fille, laquelle, l'advisant bien guarny, le
salua, disant: « Dieu vous sanlvo, monsoigneur! » En ce disant,
sa voix eut telles douloeurs cordiales, rptc ror[)l!obvre sentit ses
csporils ravis par cesto mélodie léininine, et concout do l'amour
pour la fille, d'autant que, chatouillé de mariaige comme il estoyl,
tout concordoyt à la chouse. Néantmoins, comme il avoyt ià dé-
passé la garse, point n'osoyt revenir, pour ce que; il estoyt timide
connnc une (illo ([ui mouroyt dedans ses cottes par avant de les
lever pour son plaisir; ains, quand il l'eut à ung got d'arc, il
pensa que ung bomme receu depuis dix ans maistro orphobvre,
devenu bourgeoys et qui avoyt deux fois l'aage d'ung chien, pou-
voyt bien venir ung devant de lennne, s'il en avoyt pbanfaisie,
d'autant (pio son imagination luy trepignoyt bien l'orl. I)(>nc(|ues
il vira net comme s'il changiovl de vis('e pour sa |iourmonado,
puis revoit ceste fille qui tenoyt ])ar une vieille eliordo sa paouvie
vache, laquelle broutoyt l'herbe venue en la lizière verde d img
fossé iouxtant le chemin.
— Ah! ma mignonne, feit-il, vous estes bien peu gnarnie do
bien, que vous iaictes ainsv O7uvi'o de vos doigts li' iour de Dieu.
Ne redoubt<'z-vous point d'estre mise en piison?
— Monseigneur,repartit la fille en abaissant lesyeulx,ie n'ay
rien à craindre, pour ce que ie appartiens à l'abbaye. Le sei-
gneur abbé nous ha baillé licence de |)ourmener la vac-lie après
vespres.
.i42 CONTES DROL.VTKjrES.
— Vous aymoz (Ukknhu's vnstio vaclio niieulx (jiio le salut de
vostre âme?
— Yère, monseigneur, noslrebeste est quasiment la moitié de
nostre paouvrc vie.
— lem'csljaliis, ma lillo, de vous sçavoir paouvre cl ainsyhail-
lonnée, liouzôe cnniinc ung fagot, pieds nuds par les champs ung
dimanche, alors que vous portez plus de threzors que vous n'en
foulez au parcours du domaine abbatial. Ceulz de la ville vous
doibvent poursuyvre et tormenter d'amour.
— Xenny, monseigneur, ie appartiens à l'abbaye, feit-elle en
monstrant à l'orphelnre ung collier à son bras senestre, comme
en ont les bestes cz chamj)S,mais sans clochette. Puis gecta ung
tant desplourablc rcsguard au bourgeoys, que il en demoura
tristifié, veu que par les yeulx se communiquent les contagions
du cueur, quand fortes elles sont.
— Ile! que est de cecy? reprint-il, voulant s'enquérir de tout.
El il toucha le collier où csloycnt engravées les armes de l'ab-
baye moult apparentes, mais que il ne voulut point veoir.
— Monseigneur, ie suis fdlc d'ung homme de corps. Par ainsy,
quicon(}ue s'uniroyl à moy par mariaige tomberoyt en servaige,
l'cusl-il bourgeoys de Paris, et apparliendroyt corps et biens à
l'abbaye. S'il m'aymoyt aultrement, ses enfans seroyent encores
au domaine. A cause de ce, suis délaissée d'ung chascun, aban-
donnée comme une paouvre beste des champs. Mais, dont bien n\c
fasche, seroys-je, selon lei)laisirde monseigneur l'abbé, couplée
en temps et lieu avec ung homme de corps. Et ie seroys moins
laide que ie ne suis, que, au veu de mon collier, le jjIus amou-
leux me fuyroyt coiume la peste noire.
En ce disant, elle tiroyl sa vache par la chorde pour la con-
traindre à les suyvre.
— En quel aage estes-vous? demanda l'orphebvre.
— le ne seavs, monseigneur; mais nostre sii"e abbé le ha en
notte.
Geste granl misère touchia le cueur du bon honune, qui avoyl
pour ung long temps mangié le pain du malheur. 11 conformoyt
son pas à celluv de la tille, et ils alloyent ainsy devers l'eaue en
ung silence bien eslol'lé. Le bourgeoys resguardoyl le beau front,
les bons bras rouges, la taille de loyne, les pieds poiildrenx, mais
faicls connue ceulx d'une Vierge Marie, et la douice physionomie
de ceste fdlc, laquelle estoyt le vray pourtraict de saincteGene-
PERSEVERANCE D'AMOIR. 41.-
vicfvc, la patronne de Paris et des lilles (jui vivent cz eliainps. Kt
comptez que ce cocqnebin tout neuf de la teste aux pieds soup-
çonnoyl la i(jlie damée lilanclie des tellins de eeste fille, lesipiels
estoyent,|)ar graaee pudicquc, bien soigneusement couverts d'ung
maulvais drapeau, et les appetoyt comme ungeseliolier appète une
pomme rou^^e |)our ung iour de chaleur. Aussy, comptez (jue ces
bons brins de naturance denotoyent une garsc complectionnée en
perfection di'licieuse, comme tout ce (pie ])ossédoyent les movnes.
Ores, tant plus il cstoyt dei'fendn an bourgcovs d'y loncliiei', tant
plus l'eaue luy venoyt en la Ijoncbe de ce liiiicl diimour, et le
cueur luy saultoyt iuscjucs dans la j,^orge.
— Vous avez une belle vache, feit-il.
— Soubhaitez-vous ung peu delaict? respondit-elle. Il faictsi
chauld en ces premiers iours de may ! Vous estes bien esluingné
de la ville.
De faict, le ciel estoyt })ers,sans nuées, et ardoyt connue une
forge; tout reluisoyt de ieunessc, les feuilles, Taër, les filles, les
cocquebins ; tout brusloyt, estoyt verd et sentoyt comme baulme.
('este ofirenaïfve, sans espoir de retour, veu (pie ung i)esant n'enst
{loint sold(' la graace esjK'ciale de reste parole, puis la modestie de
geste par le(piel se vira la paouvre garse, estraingnit le cueur de
l'orphebvre, qui eust voulu pouvoir mettre ceste lille serfve en
la peau d'une royne et Paris à ses pieds.
— Nenny, ma mye, ie n'ay point soif de laict, mais de vous,
que ie vouldroys avoir licence d'aflrancliir.
— Cecy ne se j)eut, et ie monrray appaitenant à l'abbave. Vécv
ung bi(^n long temps que nous y vivons de pt;'re en (ils, de mère
en lille. Comme mes paouvres ayeulx, ie passcray mes iours sur
ceste teire, et aussy mes enfims, pour ce que l'abbé ne nous laisse
j)oint sans gesine.
— Quoy! leit le Tourangeau, iniilc gnallanl ne ha tenté pour
vosbeaulx yeulx de vous achepter la liberté, comme i'ay achepté
la mienne au Roy!
— Yèrc, elle cousteroyt trop chier! Aussy ceulx aux(piels ie
plais à la prime veue s'en vont-ils connue ils viennent.
— Et vous n'avez point songié à gaigner ung aullre pavs en
compaignie d'ung amant à cheval sur ung bon coursier?
— Uh! bien. Mais, monseigneur, si ie estoys prinse, ie serovs
au moins pendue, et mon guallant,feust-il ung seigneur, y per-
droytplus d'un domaine, oultre le reste. le ne vaulx |)as tant de
4it CONTES lillOLATinUES.
biens. Puis ralibayo lia les bras plus lonys (jne ic n'ay les pieds
prompts. Kt donoijues ic vis en parlaicte obéissance de Dieu, qui
nie lia plantée ainsy.
— Fa (|ue faict vostre père?
— Il fassonne les vignes des iardins en l'abbaye.
— Et vostre mère!
— Klle y l'aict les buées?
— Kt quel est vostre nom?
le n'ay point de nom, mon cliier seigneur. Mon père lia
esté baptisé Kstienne, ma mère est la Estienne, et moy ie suis
Ticnnette, pour vous servir. .
— Ma mye, t'eit l'orpliebvre, iamais femme ne me ha plu au-
tant que vous me plaisez, et ie vous cuyde le cueur plein de seurcs
richesses. Donccjues, pour ce que vous vous estes offerte à mes
yeulx en l'instant où ie me déliberoys fermement de prendre une
coiiipaigne, ic crois veoir en cecy ung advis du Ciel, et, si ic ne
vous suis point desplaisant, ie vous prie de m'agréer pour vostre
amy.
La lille baissa dercchief les yeulx. Ces paroles feurent proférées
de telle sorte, en ton si grave et manière si pénétrante, (jue ladicte
Ticnnette ploura.
— Aon, monseigneur, respoiidit-elie, ie seroys cause de mille
desjilaisirs et de vostre mauvais heur. Pour une paouvre fille de
corps, ce est assez d'une causette.
— Ho! feit Anscau, vous ne cognoissez point, mon enfant, à
quel maislre vous avez affaire.
Le Tourangeau se signa, ioignil les mains et dit : — le fais vœu
à monsieur sainct Eloy, souliz l'invocation de (jui sont les or-
phebvres, de fabric(|uer deux niches d'argent vermeil, du plus
beau travail (ju'il me sera licite de les aorner. L'une sera pour
une statue de madame la Vierge, à ceste fin de la mercier de la
liberté de ma chière femme, et l'aullre pour mon dict ,patron,
si i'ay bon sucrez en l'empriiise de raJfraMchissement de Tien-
nette, lillc de corps, cy présente, et pour la(|uelleiemelie en son
assistance. iJ'abundant, ie iure par mon salut éternc de persévérer
avec(|ucs couraige en ceste affaire, y despendre tout ce que ic
|)ossède, et ne la ([uitter ((u'aveccpies la vie. Dieu me ha bien
entendu, l'eit-il, et loy, mignonne? ilil-il en se virant vers la
lillc.
— Ibi! ii)oii>cigiiem', vo\ez!.... ma vache couit les champs,
PERSEVERANCE D'AMOUR. i\h
sVscria-l-cUo on ])loiirant aux fj;cnoilz do son lioiiimo. lo vous
avinorav loulo ma vio, mais loprciicz voslrc vœu.
— Allons (|U('rii" la vaclio, r('|)arlit roi|»lii'l)vrt' vn la lolo-
vant sans osor la baiser oncoros, iiuoitiuo la lillo y loust bien
disposo.
— Oui, loil-ollc, car ie soroys batluo.
Et vccy ror|)lK'bvro do saullor après la danuK-o vaclic, (|iii
se soulciovl mio dos amours ; ains ollo loust tost priiiso aux
cornos ot lonuo connue en ung ostau par les mains du Tou-
rangeau, ([iii |iniii' nu rien leust gectéc par les aërs, connue
fcstu.
— Adieu! ma myo. Si vous allez en la ville, venez à mon lo-
giz, piouclio Sainot-Lcu. le me noimno maislrc Ansoau cl suis
or|tbebvre de noslio soigneur lo lloy de Franco, à l'imaige de
sainct Eloy. Faicles-moy promesse d'cstre en ce champ au |uou-
chain iour do l)ie\i; point ne l'auldray à venir, encore qu'il tom-
bast dos hallebardes,
— Oui, mon bon soigneur. Pour ce saulleroys-ie aussy bien
par-dessus les bayes, ot, en rocognoissance, vouidrovs-ie cslrc à
vous sans moschioi', ot no vous causer aulcun dommaigo, an prix
do mon hour à venir. En attendant la bonne heure, ie [)ricray
Dieu pour vous bien fort.
Puis elle demoura en pieds comme ung sainct de pierre, ne
bougeant j)oinl, iusipies à ce (juc elle ne voit plus le bourgeoys,
qui s'en alloyl à pas lents, se virant par momens devers elle pour
la resguarder. Et quand le bourgeoys l'eut loing et hors de ses
yculx, elle se tint là iusqucs à la nuictée, perdue en ses médita-
tions, no saichant pas si elle n'avoyt |»oint resvé ce «pii Iny cs-
toyt advenu. Puis revint surlo tard au logiz, oîi elle l'eut battue
[)Ours'oslro(leslieuréo, mais no sentit point les coups. Le hou bour-
geoys perdit lo boire et le mangier, l'crma son ouvrouer, ioru de
ceste (ille, ne songiant que de ccste lillc, voyant partout ceste lille,
et tout luyestoyt ccste fdle. Orosdoncqnos, dès lendemain devalla
vers l'abbaye en grant appréhension de parler au soigneur abbé.
Puis, en chemin, pensa piudemmenl do soy mettre sdubz la pro-
tection d'ung honmio duU(ty,ot, dansée j)onsicr, retourna ou la
Court, qui lors cstoyt en la ville. Ores, vcu que il estoyt existimé
de tous pour sa proudhomie, aymé pour ses œuvres mignonnes
et ses conq)laisances, lo chamberlan du l{(»v, autpiel il avovt
csraumont i'aictpour une dame decueur ung drageoir d'or ctdo
58
446 CONTES DROLATIQUES.
pioiTcries unic(|uo en sa Hisson, liiY])roiiiil assistance, foit seller
son cheval el nne liacqnenée ponr rorpiiebvre, avcc(iues leqnel
il vint aussylost en l'abbaye, et demanda l'abbé, qui estoyt mon-
seigneur Ilugon de Sennecterre, lequel avoyt d'aage nouante et
trois années. Lors estant venu en la salle avecques ror|tliebvre
bien estoulïé d'attendre sa sentence, le cbamiierlan pria rai)l)é
Ilugon de luy octroyer par advance une cbouse facile à oetroyer
qui luy seroyt plaisante. A cpioy le sire abbé lespondit en bran-
lant le chiel'quelcs Canons lui laisoyent inhibitions el detïenscs
d'engagier ainsy sa foy.
— Vécy, mon chier jtère, dit le cliamberlan, l'orphebyrc delà
Court (jui ha conceu ung grant amour j)()ur une lille de corps
appartenant à voslre abbaye, cl ie vous recjuiers, à charge de
vous com})lairc en celluy de vos dezirs que vous vouldrez veoir
accomply, de franchir ceste liUe.
— ()uelle est-elle ? demanda l'abbé au bourgeoys.
— Klle ha nom Tiennette, dit timidenuMil rorphebvre.
— Ilo! ho! l'eitlebon vieil Ilugon en souriant. L'aj)past nous
ha doncques tiré ung beau poisson. Cecy est ung cas grave, etie
ne sçauroys le résouldre seul.
— le sçays, mon père, ce que vault ceste parole, l'eit le cliam-
berlan en i'ronssant les sourcils.
— lUau sire, teil l'abbé, sçavez-vous ce que vault la tille'.'
L'abbé connnanda (pie l'on allasl (|ucrir Ticnnellc, en disant
à son clerc de la vestir de bcaulx babils cl de la l'aire la plus
lu'avc que il se pourroyt.
— Voslre amour est en (l;iiiuiir, IVil le cliamberlan à ror-
phebvre en le tirant à pari. Quittez ceste phanlaisie. Vous ren-
coutrerez partout, mesmes en la Court, des l'cmmes de bien,
ieunes et iolies, (jiii vous esponseront voulcntiers. Pour ce, si
bcsoing est, le Uoy vous aydera dans (pielquo accjnest de sei-
gneurie (jui, par force de temps, vous feroyt faire une bonne
maison. Kstcs-vous pas assez bien guarny d'cscuz jidur devenir
souche (le(jiielque noble lignée'/
— I(! ne sçauroys, iiKuiseigneur, resp^ndil Aiiseau. le ay faict
une enqirinse.
— Iloneques vovez lors à ache|)ter la niaimiiiission de ceste
lille, ie cognoys les moynes. Aveecpies eii\ nidiinoye faict tout.
— Monseigtienr feil l'drphebvre à l'ahbt' revenant vers hiy,
vous avez charge et cure de représeiilei' ici-bas la bunti'de Dieu,
Uonseigneur Ilugon ilc Sennecterre, lequel avoyl d'nagc nouante
cl trois années.
448 CONTES DROLATIQUES.
qui souvent use tic cicnionce envers nous et ha des Ihrezors infinis
de miséricorde pour nos misères. Ores ie vous meltrav, durant
le restant de mes iours, chaque soir et chaque matin, en mes
prières, et n'ouljlieraviamais avoir tenu mon licurde vostro cha-
rité, si vous vouk^z m'aydci' à iouyr de cesle liHc en h'gilime ma-
riaige, sans guarderen servaigeles enlansànaistrcdeceste union.
Et pour ce, j)uis-je vous faire une boëtc à mettre la saincte Eucha-
ristie, si bien éhiborée, enrichie d'or, pierreries et figures d'an-
ges aeslez, que anh^nne aultrc ne sera iamais ainsy dans la
chreslienté, laquelle demoureia nnicque, vous resiouvra la
veue et sera si bien la gloire de vostre autel, (pie les gens de la
ville, les seigneurs cstrangiers, tous accourront la veoir, tant
magnificque sera-t-elle.
— Mon fils, respondit l'abbé, perdez-vous le sens? Si vous
estes résolu d'avoir cesle fille pour légitime espouse, vos biens
et vostre personne seront acquestez au Chapitre de l'alibave.
— Oui, monseigneur, ic suis afi'olcz de cesle paouvre fille, et
plus touchiez de sa misère et de son cueur tout chrestien que ïe
ne le suis de ses perfections ; mais ie suis, dit-il avecques larmes
aux yeulx, encores plusestonnéde vos durelez, et ie le dis quoi-
que ie saiche mon sort entre vos mains. Oui, monseigneur, ie
cognoys la loy, Ains, si mes biens doibvent tond)er en vostre do-
maine, si ie deviens honune de corps, si ic perds ma maison et
ma hourgc*oysie, ie guarderay l'eiigin conquestépar mes labeurs
et mes estudes, et qui gist là, feil-il en se cognant le front, en
ung lieu où md, fors Ifieu, ne peut eslre seigneur cpie moy, l',l
vostre abbaye entière ne sçauroyt l)ayer les esjx'ciales création^
qui en so"\irdent. Vous aurez mon corps, ma fenmie, mes cnfans:
mais rien ne vous baillera mon engin, pas mesmes les torteures,
veu que ic suis plus fort que le fer n'est dur cl plus palienl
que la douleur n'est grant.
Ayant dict, TijrplKdjvre, ein;iig(' par le caliiii' de l'iibbi', (pii
sembloyt ré'solii d'ac(piesler à l'abbaye les diuddnns d<> ce bon-
honniie, deschargia son poing sur une chair en cliesnt», et la mit
par- petites eschardes, veu (pie elle s'esclatta comme soubz ung
coup de massue,
— Voilà, monseigneor, ipid scrvilciir vous iiurez, et d'nng
ouviier d(! cboiises divines ferez niig cbtwal de Iraicl.
— Mon fils, i'(>sp(iii(lil l'abl»', V(M1s avez à lorl brist- ma clciire
et l&iereiiieni iii^ié mon unie. Cesle fille est à l'abbave, et non
PERSEVERANCE D'AMOUR. MO
mionno. lo suis lo lidollo sorvaloiir dos droicls et iisai^^os do ro
glorioux monaslôro. Kucoros quo io puisse donner à co ventre de
l'emnic licence de faire des onl'ans libres, ie doihs coni|»lo de ce à
Dieu et à l'abbaye. Ores, depuis que il est icy un;,^ aulel, des gens
de corps et des moynes, id est, depuis ung temps imniéniorial,
iamais il ne se est renconlré ung cas de bourgeoys devenant la
propriété de l'abbaye par nuuiaige avcc(pios une fille do corps.
Doncques besoing est d'exercer le droict d'en faire usaige, pour
que il ne soit oncques perdu, débilité, caduc, et vienne en dé-
suétude, ce qui occasionne mille troul)los. Etcecyest d'ungplus
liault advantaigo pour PEstat et l'abbaye que vos boëtes, tant
belles sovenl-elles, veu que nous avons »ing Ibrezor qui nous
permettra d'acheptor de beaux ioyaulx, et que nul tbrezor ne
sçauroyt establir descoustumcs et des loys. l'en appelle à mon-
seigneur le cliamberlan du Roy, tesmoing des poynes infinies que
nostre Sire prend, cbaipie inur de batailler pour restablissemont
de ses ordonnances.
— Cecy est pour me clore le bec, feil lo ebambeilan.
L'orpliebvre, quin'ostoyt point unggrant clerc, domoura pen-
sif. Puis vint Tiennettc, nette comme ung plat d'cslain nouvel-
lement frosté par une mesnaigièro, les cheveulx relevez, ves-
tue d'une robbe de laine blanclie à ceincture perse, cbausséede
soliers mignons et de cliausses blancbos, enlin si royalloment
belle, si noble on son maintien, (jue l'orplielivre se pétrifia d'ec-
staze, et le cliamberlan confessa n'avoir oncques veu si parfaicte
créature. Puis il existimaque il y avoyt trop de dangierpour le
paouvreorphebvreencesteveuc, leramona daredaroenla ville, et
l'engagea de moult penser à coste affaire, veu ([ue l'abbé n'af-
francbiroyl point ung si bon bamosson à prendre bourgeoys ci
seigneurs, en la banso parisienne. De faict, leCbai)itre feitsça-
voir au paouvre amoureux que, s'il espousoyt ceste fille, il deb-
voyt se résouldre à quitter ses biens et sa maison à l'abbaye, se
recognoistre lionnne de corps, luy et les onfans à provenir dndicl
mariaigc; ains (|ue, j)ar graaco espéciale, l'abbé le lairroyt en
son logiz, à la condition do bailler ung estât de ses meubles, do
payer par chascun an une redevance, et venir, pendant une buic-
taine, demoureren ung bouge despendant du domaine, à ceste fin
defaii'o acte de sorvaige. L'or|»liobvre, auquel ung cbaseun par-
loyt de l'opiniaslretc' dos moynes, voit bioncpio l'abbé niaintien-
droyt inconunutablemont col arresl, et se desespéra à pi'nhe
38.
450 CONTES DROLATIQUES.
l'anio. Tantost vouloyt l)nntcr le fou oz cinq coins du monastère;
tantost se prouposoyt d'altiror l'abbé on unj; liou où il ponst le
tonnenler iusques à ce qu'il luy eust signé quelque chartre d'af-
franchissoniont pour Tionnolte ; enfin mille rosvos (jui s'évapo-
royont. Mais, après bien dos lamonlalions, se dolibôra d'enlever
la (ille et s'enfouir dans un;,^ liou sour d'où rien ne le sçanrovl
tirer, et feitses préparatives en conséquence, veu que, foryssu du
royaulme, ses amys ou le Roy pourroyent mieulx chevir des
moynes et les arraisonner. Le bonhomme comptoytsans son abbé,
veu que, en allant à la prée, il no voit plus Tionnetto et apprint
que elle ostoyt serrée on l'abbaye en si i^rant rigueur que, pour
l'avoir bosoingsoroytde faire le siège du monastère. Lors maistrc
Anseau se ros|)andit en plainctes, esclats et querimonies. Puys
par toute la cité, les bourgeoys et mesnaigieres parloyent de ceste
advenlure, dont le bruict fout tel que le Roy, advisant le vieil
abbé on sa Court, s'onquil de luvpour([uov il ne cedoyt point en
ceste occurrence à la grant amour do son orpbobvro et ne mot-
toyt point en pratieque la charité chrestienne.
— Pour ce que, monseigneur, respondit le prebstre, tous les
droictssont unis ensemble comme les pièces d'une armem'e, cl,
si l'une faict deffaidt, tout tombe. Si ceste fille nous estoyt,
contre nostre gré, ])rinsc, elsi l'usaigo n'estoyt observé, bientost
vos subiects vous osteroyent vostre couronne, et s'esmouveroyent
en tous lieux grosses séditions à ceste fin d'abolir les tailles et
péages qui gehcnnent le populaire.
Le Roy eut la bouche close. IJng chascun donequos estoyt en
appréhension de sçavoir la fin de ceste advonture. Si grant feut
la curiosité (pio aulcuns soigneuis gaigièrcnt que le Tourangeau
se désislcroyt de son amour, et les dames gaigièrent le contre.
L'orphebvre s'estant plainct avecques larmes à la Royne que les
moynes luy avoyent ravy la voue de sa bien aymée, elle treuva
la cbousodélostable (^t torssionnaire. Puis, sur ce (|ue elle manda
au soigneur abbé, il l'eut licite au Tourangeau d'aller tous les
iours au parlouër de l'abbaye ou vonoyl Tiennotto, mais soubz
la gouverne d'ung vieulx nioyne, et lousiours venoyt-elle attor-
née en vraye magnificence comme une dame. Les deux amans
n'avoyent lors aullro licMMici; (pie i\v so veoir et se parler, sans
poiivfm- happer nng paouvre boussin de ioyo, et lousiours leur
anioin' eroissovt d'autant. IJng iour, Tioimotte tint (•(• discours Ik
son amv : — Mon (hier seigruiU', i'av dolilx'n'do vous ikùrv le
PERSEVERANCE D'AMorU. \M
guerdon (]o ma vio ])oiir vous osier de poyne. Vécy comme. En
m'onf|ii('i;ml(lo tout, i'ny lieu V('ungioinct pour frauder los droicts
de l'abbaye et vous (b)nner toutes h>s lelieilez (jue vous atteudez
de ma IVuition. Le iuge ccclésiastic(|ue ba dictque, ne devenant
homme de corps que par accession, et pour ce que vous n'estiez
pas né homme de corps, vostre scrvaige cesseroyt avecques la
cause qui vous faisoyt serf. Ores donoques, si vous m'aymcz plus
que tout, perdez vos biens pour acquérir nostre bonheur, etm'es-
pousez. Puis, quand vous aurez i(»uy(lenioy, et (pie vous m'au-
rez accollèc tant et plus, par avant (jue ie n'aye de lignée, ie
m'occiray voulentairement, et par ainsy redeviendrez Iil)re. Au
moins ce seraung pourchaz pour lequel vous aurez le Roy nostre
Sire, qui vous veult. dit-on, mille biens. VA. sans doubte aulcun,
par Dieu me sera pardoint ceste mort que i'auray faicte en veue
de délivrer mon seigneur espoux.
— Ma chiere Tiennette, s'escria l'orphebyre, tout est dict. le
scray homme de corps, et tu vivras pour faire mon heur aussy
long que mes iours. En taeompaignie, les |)lus dureschaisnesne
me seront iamais poisantes, et peu me chault d'estre sans de-
niers à moy, pour ce que toutes mes ricliesses sont en ton cueur,
et mon plaisir unicque en ta doulce corporencc. le me fie en
monsieur sainctEloy, qui daignera dans ceste misère gecter des
yeulx pitoyables sur nous, et nous guarantira de tous maulx.
Ores, ie vais de ce pas chez ung escripvain pour faire dresser
les Chartres et contrats. Au moins, chiere fleur de mes iours,
seras-tu bravement vestue, bien logiée et servie comme une
royne pendant la vie, veu que le sieur abbé nous laisse la
iouissance de mes acquests.
Tiennette, plourant, riant, se deffeiulit desonheur, ctvouloyl
mourir pour ne point n'duire en scrvaige ung homme libre ; mais
le bonAnseau luv dit de si doulees paroles et lamenassasi bien
de la suyvre en la tumbe, (jue elle s'accorda pour ce dict mariaige,
songiant que elle pourroyt tousiours se tuer après avoir gouslé
aux ioyes de l'amour. Alors ([ue feut scène ])ar la ville la soub-
mission du Tourangeau, (pii jiour sa mye cpiiltoyl son avoir et
sa liberté, ung chascun le vouloyt veoir. Les dames de la Court
s'encnndîroyent de ioyaulx pour parlera luy ; et il luy tond)oyt
des nuées force femmes pour le temps jx-ndant lequel il en avoyt
esté privé. Mais si auIeunesap|»rou(hoyent Tiennette en beaulté.
nulle n'avovt son cueur. Uricf, en entendant sonner l'Iieure du
4:2 CONTES DROLATIQUKS.
sorvai<To ot de ramour, Anscau loiidil loul son or en une cou-
ronne rovalle. en la(|iiello il esniailla les perles et diamans que
il avovt à luv, puis vint secrellement la remettre à laUoync, en
luv (lisant : — Madame, ie ne seays en (jnelle iby mettre ma
l'ortune que vécy. Demain, tout eequi se treuveradans monlogiz
sera la chevance des damnez moynes qui n'ont point eu pitié de
moy. Doneques daignez me guarder cecy. Ce est ung Ibible mer-
ciement de la ioye que par vous i'ay eue de veoir celle que
i'ayme, veu (pie mille somme ne vault ung de ses resguards. le
nesçays ce qui adviendra de moy. Mais, si img ionr mes enfans
cstoyent délivrez, i'ay Iby en vostrc générosité de royne,
— Bien dict, bon liomme, l'eit le Roy. L'abbaye aura quebpie
iour besoing de mon ayde, et ie ne perdray point le soubv(Miir
de cecy.
11 y eut ung monde exorbitant en l'abbaye pour les espousailles
de Tiennette, à la([uelle la Hoyne donna en présent des veste-
mens de nopces et à qui le Roy bailla licence de porter tous lés
iours des annels d'or en ses aureilles. Quand vint le ioly couple
de l'aljbave au logiz d'Anseau, qui serf estoyt devenu, prouclie
Sainot-Leu, il v eut des ibunbeaux aux l'enestres pour le veoir
passer, et dans la rue, deux bayes comme à une enlive royalle.
Le paouvrc mary s'estoyt Ibrgié ung collier d'argent qu'il avoyt en
son bras senestre en foydc son appartenance à l'abbaye Sainct-
ficrmain. Ains, maulgré son servaige, luy crioyt-on : Noël!
Noël! coimne à ung nouveau roy. Kt lelmn lionnnesaluoyt tre/-
bien, beureux eouune ung amoureux et trez-ioyeulx des bom-
maiges que ung cbaseun rendoyt à la giaace et modestie de
Tiennette. Puis treuva le bon Tourangeau des rameaux verds et
des bluets en couronne en sa potence, et les principaulx du
(piartier estoventlà tous, qui, par grantbonneur lui leireiit des
musieques et luy eii('r('nt ; <( Vous serez tousiom's ung noble
lionnne maulgré l'alibaye ! » domptez (pie les deux es|)oux s'es-
crimèrent à en lendre l'amc cl «pic le liourgeoys deut poiilser de
liers coups en l'escu de sa mye, (pii, en bonne pucelle de cam-
]»aigne, estoyt de natui-e ù les luy rendre, et ils ves(iuirentbicn
uug mois cutiei-, allaigres comme d(>s eolumbes (pii au prime
li'm|is massouueut leui- nid briu à brin. Tifmiell(î estoyt toute
aise de son beau logiz v.\ des |)raLic(pu's tpii venoyent et s'en
all(»vcnt esrucrvcilK'i's d'elle. Ce luois de (leurs |tassé, vint ung
iour eu ^iiaiil | ipe le ln'ii \ieil .mIiIm' jjui^dii. leur seigneur et
p E n s K V !■; [\ A N c F. I ) • A M f ) r II . 4r.r)
maislro, loqnol cnli;! dans sa ni;iison, qui l(»rs n'csioyi. pins à l'or-
plichvrc, airis au Cliapitic ; piiys, là, dit aux deux cspoux : a >[(N
enfans, vous cst(*s libros, Irancs et quiltos do. tout. Kl, \r ddihs
vous dire quo, do primo, abord, ay ^M'antcmont osté loru de
l'amour (pii vous ioiugnoyt l'ungà l'aidlrc Aussy, les droicts de
l'abbaye rooognous, ostoys-jo, à j>art uioy, dôlibéi'i' vous faire
une ioye eutièro, aj)r('s avoir osprouvi' vostro loaultoon bi cou-
pelle de Dieu, Et coste nianuuiission ne vous coustcra rien. »
Ayant dict, il leur bailla ung bon |)otit coup de main en la ioue
et ils toml)(Mont à ses genoilz en |)lourant de ioye pour raisons
valables. Le Touiangoauapprintà conlx duipiaitior, cpii s'amas-
soyent en la rue, la largesse ot bt'iH'dictioii du i»on ai)!»- llugon.
Puis, en grant bonnonr, maistro Ansoau luy tint la bride de sa
iument, iusques en la porte de Bussy. Durant ce voyaige, l'or-
pbebvre, qui avoyt prins ung sae d'argent, en gectoyt les pièces
aux paouvres et soulTrotoux criant : « Lai'gosse ! largesse à Dieu ?
Dieu saulvo et guardo l'ajjbé ! Vive le bon soigneur llugon ! »
Puis, (\c retour on sa maison, rosgualla sosamysot l'oit dos nnpcos
nouvelles (pii durèi'ont une pleine sopnutinc. Cuvdozquo l'altbé
feut bien reproucbédc sa clémence par son Chapitre, qui ouvroyt
ià la gueule pour digérer coste bonne proye. Aussy, ung an après
ce, le 1)011 lionnno llugon estant malade, son prieur luy disoyi-il
que ce ostoyt une punition du ('iol de ce que il avoyt caïné les
sacrez interests du Cbapitro ot do Dieu. — Si iay bien iugé de cet
homme, fcit l'abbé, il aura souvenir de ce que il nous doibt.
De faict, ce iour estant par adventure l'anniversaire de ccttuy
mariaige, ungmoyne vint annoncer (pu^ l'orpboljvro supplioyt son
bienfaictour do le ro(;(>pvoii'. Lors il apparut on la salle où ostovt
l'abbé, auquel il dospouilla doux cbaassos morvoillousos (pio de-
puis ce temps nul ouvrier n'a surpassées en aulcun lion du monde
chi'estien, et (pii, pour ce, l'eurent dictes le vœude la persévé-
rance d'amour. Ces doux tbrezors sont, comme ung cliascun
sçayt, placozau maistro autel iU' reccliso, et sont esliniez estre
d'ung travail inosliniai)lo, von quo l'orpbobvi'oy avoyt dosptMidu
tout son bien. Neanlmoins cet ouvraige, loing d'amoimiser son
escarcelle, la remplit à pleins bords, pour co (pio si bien creust
son renom et .ses prouflicts, que il dut a(li(|il( i la noidosse, force
terres, et lia fondé la maison dos Ansoau. (pii dopiixs I'cmiI imi
grant bonnour dans la gonlo Touiaino.
Cocy nous ondooliin<' à lousiowrs recourir aux saiiicls ol à
454 CONTES DROLATIQUES.
Dieu dans los omprinsos de la vie, ot à ])('r.scvercr on toutos les
cliouscs rocogneuos lionnes; puis, d'aliundant, (lu'uny yrant
amour triuinplic de tout, ce qui est une vieille sentence ; mais
l'Autlieur l'iia csciipte, pour ce que elle est moult plaisante.
D'UNG lUSTlCIARl)
un NU SE KLMEMIÎUOYT LES CIIOUSES
En la honiKMillcdo Bonrgos, jm Icnips quos'y lijioloyl nosfrc
Sire qui, du dcpiiys laissa la (jucsle des contciilcniciis pour coii-
quester le royauliue, et de l'aict le eon(|U('sta, dciuouroyl uiig
sieur prevost enchargié par luy de tenir main à l'ordre, et qui l'eut
dict Prevost Royal. D'où vint, sous le glorieux lils dudictroy, la
charge du Prévost de l'IIoslel, en laquelle se comporta ung petit
456
CONTKS DKOL.VTIOUES.
trop druoiiu'iil le !?eigiieur di' Mérc, dict Tristan, de qui ces
Contes ontià l'aict menliou, cncores que il ne leust point ioyeulx.
le dis cecyaiix ainys qui butinent czvieukcaycrs pour pisser du
neul" et déinonstrer en quoy sont scavans ces Dixains sans en
avoir la mine. Ile doneques! ee dict l'revost estoyt nonuné Picot
ou ricault, d'oîi l'eut laict picotin, incoter et picorer; i)ar
aulcuns, Pitot ou Pilant, d'où est yssu intance; par d'aultres,
comme en langue d'oc, Picliot d'où ne est rien venu qui vaille;
})ar ceulx-cy, i*eliotou Petiel, comme en langue d'oyl ; par ceulx-
là, Pelitol et Petinault ou Peliniaud, qui l'eut l'appellation limou-
zine ; mais à Bourges estoyt appelé Petit, nom (pii liriablenient
l'eut celluy de la l'amille, la([uelle ha moult frayé, vcu que partout
vous verrez des Petit et par ainsy sera dict Petit en cesle adven-
ture. le fais cesle étymologie à cesle fin d'esclairer noslrc lan-
guaige el enseigner connnent les bourgeoys cl aultres llnèrent
par acquérir îles noms. Mais laissons la science. Ce dict Prévost
(pii avoyt autant de noms que de pais ez
ipiels alloyt la Court, estoyt en réalité de
nalurance ung brin d'homme assez mal
("pousseté par sa mère, de telle fasson que,
alors (ju'il cuydoyt rire, il fendoyl ses ba-
(ligoinces en la manière dont se troussent
les vaches pour laschier de l'eauc ; lequel
soubrire estoyt dict à la Court ung soubrirc
(le Prévost. Mais ung iour le lloy, enten-
dant proférer ce mot })roverbial par aulcuns
seigneurs, leur dit en gaussant : « Vous
errez. Messieurs, Petit ne rit point, il luy
laull du cuir en bas du visaige. » Ains,
avecquesson l'aulxrire, ce Petit n'en estoyt que mieulx advenant
pour faire la jiolice el ha|)i)er les maulvaiscs graines. En sonnnc, il
valovl le ban cpi'il avovl couslé. Pour toute malice, il estoyt
ung peu conpi; pour tout vice, alloyt à vesi)res ; pour toute sa-
piencc, obéissoyt à Dieu quand il pouvoyl ; \m\\v toute ioye il avoyt
une femme en son logiz; pour tout divertissement de sa ioye,
cherrhoytun^^hounneàpendre,alorsqu'iiesloytrcquisd'en bailler
ung, et ne failloyt iamais à en reneonlrer ; mais, quand il donno\ t
soubzsescomlines,nesesoulcioytmie(leslarions.Treuvezentoule
lacbreslientéiusticiarde ungi»revostnioiiis malfaisant ! Non, tous
lesprevosts i»en(lenl Uopou trop peu, landisque celluy-làpendoyt
D'UNO lUSTICIAHI).
ihl
iiislo co (|iril fiilloyl pour («slic dicl prcvosl. C(! lien ptlit iiisli-
ciard, ou ce hoii iusiiciaid iV'lil, avoylà luy l'une des plus IjcIIcs
J 5c
bourgcoyses de Bourges, à luy en légitime niariaige, ce dont il
esloyt oshaliy comme tous les aultres. Aussy, souvent, en allant à
ses pendaisons, iiileriecloyl-il à l)ieu ung inlerroguat (lueaulcims
i'aisoyent maintes l'oys en ville. A seavoir : poun{uoy, luy l'etit,
luy iusticiai'd, luy prevost royal, avoyt à luy Petit, royal prevost,
iusticiard, une l'emelle si bien alignée, si parfiùctement cotonnéc
de graaces, que ung asne brayoyt d'ayse à la vcoir passer. A
cecy I>ieu ne respondoyt point, et sans double aulcun avovt ses
raisons. Mais les mesebanles langues de la ville re|);n(ovent
pour Dieu qu'il s'en manijuoyt d'ung empan (juepueelle l'eust la
lille alors que elle devint la femme du dict l'élit. D'aultres di-
soyent (pi'elle ne estoyt point seulement à luy. Les gausscurs
respondoyent (|ue souvent les asnesentroyent ez belles escuveries.
Cliascun lascliiovt uni: broccard, ce (pii en l'aiso\t pour le moins
39
ir)8
CONTES DROL.VTIQUKS.
une razièrc à qui se seroyt mis en debvoir de les ramasser. Du
tout besoing estoyt d'en osier cjuasi les ijuaUe (|narts, alleiidii (lUC
la Pelit esloyl une saige bourgeoyse, laifuelle n'avoyt (ju^ung
amant pour le plaisir, et son mary pour le debvoir. Treuvez-en
moult par la ville qui soycnt aussy réservées de cueur et de
bouebe I Si vous m'en aflerrez une, ie vous baille ung sol ou ung
fol, à vostre soubbait. Vous en lencontrerez ([ui n'ont ni espoux
ni amant. Anlcunes l'emelles ont ung amant, et d'i'sjioux, [)oinl.
Des laideronasses ont ung espoux, et point d'amant. Mais, vère,
rencontrer femmes qui, ayant ung espoux et ung amant, se
tiennent à l'ambe sous poulser au terne, là est le miracle, enten-
dez-vous, nigauds, becs-iannes, ignares ! Doncipies, boutez la
Petit sur vos tablettes en style récognitif, et allez vostre pas, ii;
reprends le mien. La bonne dame Petit ne estoyt point de la
bande de celles qui tousiours remuent, devallent, nesyauroyenl
se tenir en place, fouillottent, bouillottent, trottent, crottent, se
desportent, et n'ont rien en elles (jui les lixe ou attaclie, et sont si
legieres, que elles courent à de folles venlositez comme après leur
quintessence. Aon, au rebours, la Petit estoyt une saige niesnai-
giere tousiours sise en'sa cliaire ou coucbiée en son lict, preste
comme ung cbandclier, attendant son dicl amant (juand sorloyt
le |>rev(»sl, icccvant le |iifVosl qiianil parluU Ijinanl. Cesle
cbiere i'vuuw ne songyoyt nullement à s'attifer pour faire bouc-
qiKT 1rs .iidlrcs bourgeoyses. Foin-! elleavo\l ticuvé pluscom-
D'UNG IIJSTICIAUI). 459
mode nsaigo du ioly fomps de 1m ioniiosso, ot mcttoyt de la
vie en ses ioincleures pour aller plus loing. Ores, bien, vous
cognoyssez le prevost et sa bonne femme.
Le lieutenant du prevost Petit, pour la be-
songue du mariaige, bujuclle est si lourde
que elle ne se laid bien (|uo par deux lioin-
mes, estoyl ung grant seigneur terrien (juc
liaïoyt fort le Koy. Notez cecy, qui est ung
point niaicur en eesie adventure. Le con-
neslable, b'(ju('l esloyt un rudcicompaignon
escossoys, veit, par cas Ibrtuit, la iennne
de ce Petit et voulut la veoii-, auleuns disent l'avoir, devers le
malin, à son aise, durant le temps de dire ung cbappelet, ce qui
est cbrestiennementbonneste, oubonnestementcbrestien, à ceste
fin de deviser avecques elle sur des cbouses de la science ou sur
la science des cbouses. Verisiniilement se cuydant bien sçavante,
point ne voulut entendre à mondictconueslable la damoisellc Petit,
qui estoyt, connue est dict cy-dessus, une bonneste, saige et ver-
tueuse bourgeoyse. Ajjrès auleuns devis, arraisonnemens, tours,
retours, messaiges et messaigiers, qui feurent connue non advenus,
le corniestable iura sa grant coc(|iu^(louille noire qu'il eslripperoyt
le gnallanl, encores que ce feusl ung lioninie considérable. Ains
ne iura rien sur la damoiselle. Ce(jui dénote ung bon Françoys,
veu (pie en ccstc occurrence auleuns gens alTrontez se ruent sur
toute la mercerie et de trois personnes en tuent quatre. Ce mon-
sieur le connestable cngaigia sa grant cocquedouille noire devant
le Roy et la dame deSorel, qui brelandoyenlparavant de souper,
ce dont le bon sire lent content, voyant que il seroyt deffaict de
ce seigneur qui luydesplaisoyt fort, et ce sans qu'il luy en cous-
last ung Pater.
— Et connncnt vuyderez-vous co procez ? feit d'ung air mi-
gnon la dame de Sorel.
— llo ! bo ! responditle connestable, cuydez, madame, que ie
ne veulx perdre ma grant cocquedouille noire.
Que estoyt en ce temps ceste grant cocquedouille? Ha! ha! ce
poinct est ténébreux à ruyner les yeux ez livres anticques; mais
ce estoyt celles aulcune cbouse consid('rable. Ce néantmoins,
mettons nos bezicles.et elierelions. Douille signilie en Rrelaigne
une lille, et cocque vent dire une poisle de queux, coqiiu)^ en
patois de latinité. Du(iuel mot est advenu en France celluy de
■ifiO CONTKS l)HOI,\TlorKS.
cocquin. unij drollc (|iii iVipiio, liclio, Irousso, fiil, Inppo, lippe,
fric([uasso, riio(|noto, se clialrinlc tmisiours ot maiiiie liuil ; jiar-
taiit, 110 sçaiirovt rien l'aire onlro ses repas, ot co faisant, doviont
maulvais, devient jjaonvro, ce qui l'incite à voler ou mendier. De
cecv doibt estre conclud par les sçavans que la granl coccjuedoui lie
cstoyt ung ustensile de mcsnaii,^e on forme do oooquomard , idoync
à frire les fdlcs.
— Hé donccjues, roprint le connestablo, (|ui ostoyt le sieur de
lUclicinondo, levais faire direàce iusticiard d'aller on campaigne
])<)ur ung iour et une nuict récolter ez champs, pour le service du
l{oy, auleuns paysans soupçonnez de machiner des traistrisos
avecques l'Angloys. Là-dessus, mes doux pigeons, saichant l'ah-
sence do leur homme, seront ioyouh comme ung souldard au(piel
on baille la monstre, et, s'ils font aulcune repaissaille, ie desguais-
neray le prevost, en l'envoyant au nom du Roy fouiller le logiz oi'i
sera le couple, pour occir à teiups nostre amy. f|ui prétend avoir
à luy seul ce bon cordelior.
— Que est cecy'?dit la dame de Hoanlh'.
— E([uivoe(|uez, dit le Roy en souhiiaiil.
— Allons souper, dit madame Agnès. Vous estes dos maulvais
qui d'ung seul coup mampioz do respect aux bourgeoyses et aux
religieux.
O faict, depuis ung long lonqis, la bonne Petit soubliaitoyt se
aisier durant une [doino nuict, et cabrioler au logiz dodict soi-
gneur, où possible ostoyt de crier à gozier franc sans osv»'igler les
voisins, pour ce que au logiz du prevost elle redoubloyt le biuit et
n'avovt que picorées d'amour, lichettes prinses à l'estroict, mies-
vres lippées, n'osovt au plus aller à rand)le ot vouloyt sçavoir le
galo]» à sabots l'abattus. I)omc(|uos, la moscliin(Mlt; la i(dieb()Ui-
geoyse trotta Icndoniaiii, devers iadouziosmo heure, au logiz du
seigneur, pour l'adviser de la dosj)artie du bon jtrevost, et dit à ce
sieur amant dont elle recepvoyt force guerdons, et (lue pour ce elle
no baïoyt aulcunomonl, do faire ses |)réparatoires pour le dédnict
o( le sfmpcr-, atloiidii(|ue, ]>our le seur. legrolfe ])rovoslal scMoyt
chez luv le soir avant faim et soif.
— Ron ! foit le soigneur, dis à ta niaislresso (juo ieno laferay
ieusner d'aulcune fasson.
Les paigos du damné connestablo, qui faisoyent la guette autour
du l(»giz, vovanl «pic l'amant se giiallanlissityl, se guaruissoyt de
llaccons et s'a\ iandovl, viudniit aiiridiicorà li'MrmaisIro condtion
OTNC iiisTicivni). ir.i
tout rnnconlnyt à son iro. Oy.tiil co, hou ronnrstnlilo doso fini tel-
les mains, on sonyianl, au conp (pic l'ciovl le jncvosl. Oies liicii,
il liiy manda, par exprès commandiiiiciit du Hov rtMoniiicr en |;i
ville, pour saisir au loj^iz diidicl scimicnr niig mylourd aii^loys
aveoipics Iccpielil esloylvehcmcntcnicnl son] iconiu' d'accorder iin;,^
complot de trez-espajsses Iciièhrcs. Mais pjtravant de nictlrc à lin
ledict ordre, venir en l'Iioslel du Uoy s'enlendie siirla courloisie
nécessaire en ce pourcliaz. Le prevost, ioyeulx comme un roy de
parler au Roy, leit telle dilijience, qu'il lent en ville à l'iieuie où
les deux amans sonnoyent le premier cou|) de leurs vcsprcs. Le
sire du Cocquaif^e et pays environnans, (pii est iinj^ seigneur iar-
iallesqne, accorda si bien les cliouses, ipie la l'élit parloyt de la
bonne t'asson avec([ues son seijineur aymé alors (pie son sieur
espoux parloyt au connestahie et an Uoy, ce qui le laisoyt Irez
content, et sa l'ennne aussy, cas rare en mariaif,'e.
— le (lisoys à monseigneur, feit le connestaltle an prevost,
alors que le iusticiard entra dedans la clianilire du lîoy, (pie tout
lioinme a droict dans restcndiie du royaulme de delïaire sa
Icmmc et sou amant, s'il les .stir|)ien(l chevaulcliant. .Vins nostre
Sire, qui est ch'nicnf, argue (pTil n'est licilequede nieiirdiir le
chevaulclieur, et non la liac(pien('c. Ores ça (|ue feriez vous, bon
prevost, si par adventure vous rencontriez ung seigneur se
pourmenant dedans le gentil jnvaii dont les loys bumaiiu^s et
divines vous enioingnent d'arrouser et cultiver, à vous seul, la
flouraison ?
— le occiioys tout, feit le prevost, i'cscarboilleroys les cinq
cent mille diables de uatiii-e, lleiirs et graiiK^s, le sac et les (piilles
et les boules, les pépins cl l;i poiiiiiie, l'Iieilteel la pi('e, la l'einine
et le masle.
— Vous seriez en vostre tort, feit le Roy. Cecy est contraire
aux lois de l'Ecclise et du royaulme : du royaulme, pour ce que
vous pourriez m'osler un subject ; de l'Kcdise, pour ce que vous
enverriez ung innocent ez limbes sans baptesine.
— Sire, i'admire vostre profunde sapieiicc, et bien veois-je
que vous estes le centre de toute iusiice.
— Nous ne pouvons donc occùr (pie le clievalier '.' Ameii, leit
le connestable, tuez le cbevaulcbeur. Allez vilement chez le
seigneur soupcomu', mais ayez soing, sans vous laisser mettre
du l'oing aux cornes, de ne point faillir à ce (pii est deu à ce
seigneur.
r.o.
4fi2 CONTES DROLATIQUES.
Mon prevost, se oiiydaiil pour le seurchancelior de France, s'il
faisovt bien sa chai'ge, devalle du eliasleau dans la ville, prend
ses gens, arrive à Ihoslel du seigneur, y plante ses cslalïiers,
bouche de sergens les yssues du logiz, l'ouvre de par lo Roy à
petit bruit, grimpe les dcgrez, demande aux serviteurs où se tient
le seigneur, les met en arrest, y monte seul et frappe à l'iuiys de
la eluunbre oii les deux amans s'eserimoyent des armes que vous
sçavez et leur dict :
— Ouvrez ! de par le Roy nostre sire !
La bourgeoyse recogneut son espoux et se print à soubrire, veu
que elle ne avoyt point attendu l'ordre du Roy pour faire ce qui
esloyt dict. Ains après le riie vint la frayeur. Le seigneur prend
son manteau, se couvre et vient à l'buysserie. Là, ne sçaicbant
point que il s'en alloyt de sa vie, se dict de la Court et de la maison
de Monseigneur.
— Dah ! feit le prevost, i'ay des commandemens exprès de mon-
seigneur le Roy, et, soubz peine de rébellion, vous estes tenu de
me recepvoir incontinent.
Lors, le seigneur de sortir, en tenant l'buys :
— Que querez-vous céans ?
— Ung ennemy du Roy nosire sire, que nous vous comman-
dons nous livrer, oultre ([U(! vous debvez me suyvre avecipu^s luy
au chasteau.
— Cecy, songia le bon seigneur, est une Iraistrise de monsieur
le connestable, auquel s'est reffuse'e ma chiere myc. Bcsoing est
de nous tirer de ce guespier.
Lors, se virant devers le prevost, il risipia (piittc ou double, en
arraisonnant ainsy son sieur coc(pi :
— Mon amy, vous sçavez que ie vous tiens pour guallant
homme, autant que peut l'estre ung prevost en sa charge. Ores
bien, puis-je me fier à vous. I'ay céans couchiee avecques moy
la plus iolie dame de la Court. Quant à des Angloys, ie n'en ay
l)as seulement de (pioi faire; le desieuner de monsieur de Riche-
monde, (pii NOUS envoyé en mon hoslel. Cecy est (pour vous dire
le lin) le (h'diiict d'une gageure faicte entre moy et le sieur
connestable, leepiel est de moitié avecqiies le Rov. Tous deux
ont gaigié cognoistrc quelle esloyt la dame de mon cueur. et
i'ay gaigi(' le coiilre. Nul pins (pic moy ne hait les A?iglovs, (pii
oril prinsmesdomaiiiesde l'icardic. Kst-cepiis ung coup lésion (pie
de ni<«(lic cil jeu la iiislicc coiilic moy? Ilo! ho! monsei'Mieur
D'UNG irSTir.I.Mtl). 4Gr,
COnncsl;il)l(>, niiii cliMmhcrlnii vous vimlt, ft levais vous fiiirc qui-
nauld. Mon cliicr J'clit, ic vous l»;iillo liccnct' de louillcià vostro
aise pcnihiiil la imict et le ionrtous les coins et recoins démon
liostcl. Mais, entrez seul icy, queslez par ma chambre, remuez le
lict, faictes-y à vos soubliaicts. Seulement, laissez-moy couvrir
d'ung drapeau on d'nng mousclicnez reste belle dame (pii est
vestue en arebange, àceste lin que vous ne saiebiez point à quel
espoux elle appailient.
— Youlentiers, l'eit le jjrevost. Ains ie suis ung vieulx regnard,
auquel point ne faut soublever la queue, et vculx estreseurque
ce est léallement une dame de la Court, et non ung Angloys,
attendu (juc ces diets Angloys ont le cuir blanc et lisse comme
est celluy des Jemeli.es, et bien le seays-ic pour en avoir iikmiII
brancbié,
— Ile bien, l'eil le seigneur, attendu le forl'aict dont ie suis
mesebanlement soupçonné, et dont ie doii)s me laver, ie vais sup-
plier ma dame et amye de consentir à se passer |)0ur ung moment
de sa pudeur; elle me porte trop grant amour pour se relï'user à
me saulver de tout reproucbe, Doncques, ie la requerray de soy
retourner et vous montrer une physionomie qui ne la compro-
mettra nullement et vous sufHra pour recognoistre une femme
noble, eneores (pie elle sera sens dessus dessoubz.
— Bien, feit le prevost.
La dame, ayant entendu de ses trois aureilles, avoyt i)loyé et
mis soubz l'aureiller ses hardes, s'cstoyt despouillée de sa chemise
de laquelle son mary pouvoyttaster le grain, s'estoyt entortillé la
teste en ung linge, et avoyt mis à l'aër ses charnosités bombées
que séparoyt la iolie raie de son escbine rose.
— Entrez, mon bon amy, feit le seigneur.
Le iusticiard resguarda par la cheminée, ouvrit l'armoire, le
bahut, fouilla le dessoubz du lict, les toiles, tout. Puis se mita
estudier le dessus.
— Monseigneur, feit-il en guignant ses It'gitimes appartenances,
i'ay veu de iennes gars angloys ainsy rablez, el, pardonnez-moy
de faire ma charge, besoing est que ie voye aultremenl.
— Qn'appelez-vons aultrement? feit le seigneur.
— Il('' bien, l'aullre physionomie, ou, si vous voulez, la pliv-
11.1 «
siononne de 1 auilre.
— Alors, triMivez bon ([ne Madame se couvre et s'affusie pour
ne vous monstrer (pic le moins de ce (pii est noslreheur, dit le
iCi CONTES DROLATinHES.
soitrneur, sçaicliant quo la l)oiii-grovso avovt quolqnos lontillos fa-
cilos à recogiioisUv. DdiUMjucs, tournez-vous uiii^ |it'lil. à costc
lin quo ma rliiere daniP satisfasse aux convenances.
La bonne leninie soubrit à son aniy, le baisa pour sa dextérité,
s'attifa dextrement, et le niary, voyant en plein ce que sa gouge
ne luy laissoyt ianiais vcoir, l'eut entière-
^|# ment convaincu que mil Angloys ne j>ou-
Sv'HlSffiiW "iïéWmê voyt estre ainsy contourné, soubz poine
d'estre une délicieuse Angloyse.
— Oui, seigneur, dit-il à l'aureillc de son lieutenant, ce est
bien une dame de la (>)urt, veu queceulx de nos bourgeoyses ne
sont pas de si liaulte futaye, ni de si bon goust.
Puis, la maison l'ouillée, nul Angloys ne s'y treuvaiil, le bon
prevost revint, connue le luy avoyt ilict le eonnestable, en l^iostel
du Roy.
— Est-il occis? feil le eonnestable.
— Qui ?
— Celluy qui vous ])rovignoyt des cornes au front,
— le n'ay veu qu'une femme au lict de ce seigneur, lequel
estoyl fort en tiain de se resiouyr avecques elle.
— Tu bas bien vende tesyeulx ceste fenune, matddictcornard,
et tu ne lias point defl'aict ton corrival".'
— Non pas une femme, mais une dame de la Cou ri.
— Vtni 7
— Et scnlu dans les deux caz.
— Qu'entendez-vous par ces paroles ? l'cit le Pioy. qui s'esclatta
de rire.
— le dis, sauf le respect deu à VostreMaiesli', (picj'ay vt'rifié
le dessus et le dessoubz.
— Tu ne cognoys doncques pas la |)bysionomie des ebouscs de
ta femme, vieil outil sans mémoire ? Tu mérites d'estre pendu!
— le tiens en tro|) grant rc'vi'rence ce dont vous parlez cliez ma
fenune |)om' le veoii'. |)'ailleurs,elle estsi religieuse deson esloffe,
(pu' elle mouii'oyt plustost ipie d'en monstrer' niig fesln.
— Vère, dit le l{ov, ce ne est point faict |»our eslie monstre.
— Vieille coc(piedonill(!,ceesloytlal'emme! feit lecoimeslable.
— Sire eonnestable, elle dort, la j)aouvrelte.
— Sus, sus donc^pu's! A cbeval ! hélallons, et si elle esten ta
maison, ie ne te donne (pie cent coups de nerf de bœuf.
Et le conneslable, suvvy du prevost, vint au logizdii iiisti<'iard
D'IlNii irSTICI \1!I),
Kiô
on moins do loinps riirinif; ])aon\ro n'inimyl viiydi' un<^ fronc.
Ilnlà ! Ii(' ! Sur ce. iiii lapaii^o des ^^ciis (|iii incnitssoymld'offon-
(Iror les nnirs, la inoscliiiic ouvrit la poilo en liaillanl. de la
bouclu; otso dt'Iicollanl, loshras. I.o ooniicstaltlc elle iusiiciaid se
nirrcnl, en la clianihi'O, où ils csvciulrrciil à ;;raiit jioiiic la hdur-
gcoisc, qui feit de l'el-
frayéeet dormoyt si dicti-
ment, (|U0 elle avoyt des
bouriieis do chassie oz
yeulx. De cecy t!iuni|tlia
moult le prevost, disant
audict seigneur que, pour
le seur, on l'avoyt truplié,
quesalemme cstoyt saige,
et de faict elle se nionstra
oslonnee eoninie pas un(\
Le connestable vuyda la
place. Bon prevost de soy
despouiller pour se eoii-
rhier tost, veu (pie cesie
adventnre Iny avoyt rejnis
sa bonne femme en nn'-
moire. Pendant que il os-
toyt son liarnoys et quil-
toyt ses chausses, la honi-
geoyse, tousiours esl(jii-
née, lui disoyt :
— lié ! mon ejiier mi-
gnon, d'où sort ce bruit,
ce monseigneur le con-
nestable et sespaiges?Kt
pourquoy venir veoir si ie
dors! Sera-ce désormais en la charge des eomieshi
comment sont eslablis nos...
— le ne sçays, feit le prevost, (pii l'inlerrompil
conter ce (pii luy cstoyt advenu.
— Kt tu lias veu, sans en avoir licence de moy, di
d'ime dame de la Court, lia! ha! heu! heu! hein!
Lors se mit i\ geindre, se plaindre, crier si despl
et si Inrt, ipie le prevost deiMoiiia pantois.
hies (l(^ veon'
pour luy ra-
l-elle, eelluy
ouralili-Mieut
■466 CONTES DROLATIQUES.
— 11(5 ! qu'as-tu ma mye? que voulx-tu? que te f;uit-il?
— Ilein? tunom'aynicrasplus après avoir veu comment sont
les dames de la Court !
— Tais-toy, ma mye. ce sont de grans dames. le te le dis à toy
seulement, tout est grant en diable chez elles.
— Yère, foit-elle en soubriant, suis-jc mieulx?
— Ha ! feit-il tout esblouy, il y a iuste un grant empan de
moins.
— Elles ont doncquesplus de ioye, feit-elle en soupirant, veu
que i'y en ai tant })our si peu.
Sur ce, le prevost cbercbia ung meilleur raisonnement pour
arraisonner sa bonne femme et l'an-aisonna, veu que elle se laissa
linablement convaincre du grant plaisir que Dieu ba mis ez petites
cliouses.
Cecy nous demonstre que rien icy-bas ne prévauldra contre
l'Ecclise des cocqus.
SUR LE MOYi^E AMADOU
cm lElT UNG GLOUIEUX ABBÉ DE TIIU'E.NAY
Par ung iour de fine plnyo, tonips auquol les danios (lemourcnt
ioyeulscs au loyiz, pour ce qu'elles aynient l'Iiiuuide et vovent
lors près de leurs iuppes les lioniincs que elles ne liaient point,
la Royne estoyt en sa rluunbre au cliasfel d'Andjoisc, sous les
drapeaux de la croisi'e. Là, sise en sa chaire, laliorovt ung tapis
par aniusenieut, mais liroyt son esguille à l'cstourdie, resguar-
doyt prouTeancqui toniboytcnla Loire, ne sonnoyt mot, estoyt
songicusc, et ses dames faisoyent à son imitation. Le bon Roy
devisoyt avecqucs ceulx de sa Court qui l'avoyent acconipaignc
de la chapelle, veu (jiie il s'en alloyt du l'etourner des vcspres
dominicales. Ses tours, retours et arraisonnemens j)arachevez, il
advisa la Royne, la veit embrunée, vcit les dames embrunees
aussy, et nota que toutes estoyent en cognoissancc des chouscs
du mariaigc.
— Ores ça, fcil-il, ne ay-je point veu léans mons l'abbc de
Turpcnay?
Oyant ce, s'advança vers le Roy le moyne qui, parscsrequestes
deiustice, fcutiadis tant importun au royLoyslcunzicsme, que
ledict roy avoyt commandé griefvement à son prevost de l'hostel
de l'oster de sa veue, et ha este' dict au Conte de ce Roy, dans le
prime Rixain, comment se saiilva le iiiovne pai- la coul[ie du sieur
Tristan. Ce moyne estoyt lors img honnne dont les (lualiléz avoyent
poulsé trez vertement en espaisseur, et tant, que son esperit s'es-
toyt respandu en supcrcoulorationssur sa face. Aussy plaisoyt-il
-e inoyuu Aiiiudor, cjui fcut uiig glorieux «M..; .le ■rur|,i;iiay.
SUR LE MOYNE AMADOU.
/m'j
loil aux (laines, (|ui l'cmbiicfjuoyenl do vins, paslisserios et plats
choisis en leurs disncrs, soupers cl gaudisseries desquelles elles
le convioyent, pour ce fjue cha-
que liostc avilie ces lions convives
(le Dieu, à niaschoiies blanches,
qui disent autant de paroles (|ue
ils tordent de niorceaulx. Ce dict
abbé estoyt ung pernicieux com-
père qui soubz le l'rocq couloyl
aux daines force contes ioyeiilx
auxquels elles ne relrongnoycnt
qu'a|)rès les avoir entendus, veu
que, pour iuger, besoing est de
ouyr les chouses.
— Mon révérend jière, leit le
Roy, vécy l'heure brune en la-
quelle les aiireilles féminines peuvent cstrc resgallécs de aulcune
plaisante advcnture, veu (pie les dames rient sans rougir ou rou-
gissent en riant, à leur aise. Faictes-nous ung bon conte, ie dis
ung conte de moyne. le l'ouyray, par ma foy, voiileiitiers, pour
ce que ie vouldroys nie divertir et aussy les dames.
— Nous nous soubmettons à ce, en veue de complaire à vostro
Seigneurie, feit la Koyne, pour ce que le sieur abbé va loingung
peu.
— Done([ues, respondit le Roy, se virant devers le moyne, lisez-
nous (piel([ue admonition chrestienne, mon père, pour amuser
Madame.
— Sire, i'ay la veue foible, et le iour chet.
— Faictes doncques ung conte qui s'arreste en la ceincteure.
— Ha! Sire, feit le moyne en soubriant, cettuy dont ie suis
record s'arreste là, mais en jiartant des pieds.
Les seigneurs présens feirent des remonstrances et supplica-
tions à la Royne et aux dames si guallantement, que, en bonne
Bretonne que elle estoyt, elle gecta ung soubris de graace au
moyne.
— Allez voslre train, mon père, feit-elle, vous respondrez de
nos péchez à Dieu.
— Youlentiers, madame; si voslre bon plaisir est de prendre
les miens, vous y gaignerez !
Chascunde rire, et la Rovnc aussy. Le Roy vint auprès de sa
40
170
CONTES DUOLATIorES.
cliièro femnio hitMi-iiyméo, comme img chascun sçfiyl. Puis los
courlizans receuronl licence de se seoir, les vieulx seigneurs s'en-
tend,veii que les ieunes s'accostèrent, avecipios licence des dames,
au coin de leurs chaires, pour rire, à petit hruit. de coin|):iijinie.
Lors l'alibc de Turpenay leur accouslra <zenteM)cut le conte ensuy-
vant,dont il passa les endroicts croltez encoulant sa voix comme
le vent d"uuc lluste.
Environ une centaine d'années pour le moins, il s'esmeut de
grosses ijucrelles en la chreslienté, pour ce que deux [lapes se
rencontrèrent à Rome se prctendant ung cliascun légitimement
esleu, ce qui feut au grant donmiaige des moustiers, abbayes et
sièges épiscopaulx, veu que, pour estre recogneu à qui mieulx
ung chascun des deux papes concédoyt des droicts à ses adhérens,
ce qui l'aisoyt des doubleures partout. Kn ceste conioncture, les
monastères ou abbayes (pii csloyent en procez avecques les
voisins ne pouvoyent recognoistre les deux papes, et se voyoyent
lors bien empescbiez par l'aultre qui donnoytgaing de cause aux
enncmys du Chapitre. Ce maulvais schisme ha engendré des
niaulx infinis, et prouve d'a-
bundant que mdie peste ne
est plus nuUivole en la chres-
tienté (jue ne l'est l'adultère
de l'Ecclise. Doncques, en
ccttuy temps où le diable fai-
soyt raige contre nos paou-
vres biens, la trez-inclyte ab-
baye de Turpenay, dont ie
suis à ceste heure le guberna-
leur indigne, avoyt ung grief
pour(liaz])Ouraulcuns droicts
à dcsbrouillcr avcccpies le
trez-rcdoubté sire de Candé,
mescréant idolaslre, héré-
tic(jue, relaps et fort maulvais seigneur. Ce diable, venu sur
terre soubz forme de seigneur, estoyt, à vray dire, ung bon
sfuddard, bien eu Couit, cl amv du sieur iJuieau de la lUvière,
(|ui estoyt ung serviteur dont se estoyt moult al'l'eclionué le roy
Charles Ouitit, de glorieuse mémoire. Soubz l'undjre de la
laveur de ce sieur de la Mivière, mon dicl seigneur de Candé
SUR LR MOYNE AMADOR. i71
prennyt licence de tout faire à sa pliaiitaisie, sans jiaour de
chastiinent, en la paouvic vallrc de l'Indie, où il souloyt avoir
tout à luy de|)uis Montha/on ius(|ues à Lssé. Comptez enda
que ses voisins estoycnt en teneur de luy, et, pour n'estre
point desconficts, le laissoycnt aller son train, mais l'auroyent
mieulx aynié en terre (pi'en prée, et luy soubliaitoyent mille
maulx, ce dont il se soulcioyt mie. En toute la vallée, la noble
abbaye cstoyt seule à tenir teste à ce diable, veu que l'Ecclise
lia tousiours eu pour doctrine de ramasser en son giron les
foibles, les souffreteux, et se bender à deffendrc les opprimez,
surtout alors (pie ses droicts et privilèges sont menassez. I)onc(jues,
ce rude batailleur liaïoyt nidiilt les moyncs, et par-dessus tout
ceulxdo Turpeiiay,(pii ne votiloyént se laisser robbei- leurs dioirls
par force, ni ruzeou aullrenient. Coin]:)lez que il feut moult con-
tent du schisme ecclésiasticque, et attendoyt nostre abbaye au
choix du pape, pour la destrousser, prcst à recognoistrc cclluy
auquel l'abbé de Tur[)enay refuscroyt son obédience. Depuis son
retourner en son chasteau, il avoyt accoustumé de tormenter,
gehenner les prebslres dont il faisoyt la rencontre sur ses do-
maines, de telle sorte que ung paouvre religieux, surprins par ce
dict seigneur dedans le chemin de sa seigneurie qui va le long
de l'caue, ne conccut aultre mode de salut que de soy gecter en
la rivière, où par un miracle espécial de Dieu, (pie le bon homme
invocqua (ort ardenniient, sa robbe le souslinl sur l'Indre, et il
vogua trez-bicn à l'aultre bord, que il atteignit en veue du sei-
gneur de Candé, lequel n'eut aulcune honte de se gaudir des
affres d'ung serviteur de Dieu. Voilà de (pielle estoffe estoyt vestu
ce maudict pèlerin. L'abbé auquel estoyt lors commise nostre
glorieuse abbaye meiioyt une vie trez-saincte, prioyt Dieu dévo-
tieusement, mais eust sauvé dix fois son anie, tant estoyt de bon
aloy sa religion, paravant de treuver chance à saulver l'abbaye des
griphesdeccniauldict.Kncores que le vieil abbé feust trez-perplexe
et veist venir la maie heure, il se (ioyt à Dieu pour le secours adve-
nir, disant (pie il ne lairroyt point entamer les biens de son Kcclise;
puis, ([uccelluyipii avoyt suscité la princesse ludilh auxllébrieux
et laroyneLucrelia aux {{oinainsbailleroyt ung secours à sa Irez-
illustre abbaye de Turpenay, et aullres proiipos tirz-saigcs. Ains
ses moynes, (pii, ie dois l'advouer à nostre dam, estovent des
mesciéans, le repiouclKiyenl de son nonchaloir, et, au rebours,
disoyent que besoing csIonI d'attelor tous les bœufs de la province
Ung |i.ioiivrc religieux, siir|)i°ins |);ir eu dicl si<i;:nciir ilod.iiis V\ clit-niiii de >;■
sci};iiuurie qui vu le loii^ du l'eauc, ne cuutcul aullic niude de &alul '|Ue de
soy îj'eclcr en la rivière.
SIR LK MOYNE AM.VDOR. i75
au ('liai' (le la l'iovideiico, à cestc lin que elle airivasl de Iton
malin; que les trompes de lerielio ne se ral)ric<[U()y('nt plus en
aulcun lieu du monde, et que Dieu avoyt eu tant de desplaisirs de
sa création, (jue il n'y soiigiovt plus; brief, m\\\c et unj,' devis
mondains (pii estoyent doubtes et contumélies contre Dieu. Kn
ccste deplourable conioneture, s'csmcut estrangierement uny
moyne ayant nom Amador. Ce dict nom luy avoyt étt- ini[)os('. par
raillerie, veu que sa personne olïroyt ung vray pourtraict du faulx
dieu Kj^ipan. il estoyt connue luy ventripotent, comme luy avoyt
lesiand)es tortes, de bons bras poilus connue ceulxd'ungbourrel,
un;^ dos Wirl à porter besace, un^"^ visaige rouge connue une
trongne d'ivrongne, les yeulx allumez, la barbe mal peignée, le
Iront nud, et se treuvoytsi bondjé de lard et de cuisine que vous
l'auriez cuidé encbargié d'ung enfant. Faictes estât que il clian-
toyt matines sur les degrez de la cave, et disoyt vcspres dedans
les vignes du Seigneur. Le|)lus souvent domouroyt concilié comme
ung gueux à playt's,alloyt par la vallée l'ouziller, niaizer, bénir
les nopces, secouer les grappes, veoir esgoutter les filles maulgré
les delTenses du sieur abbé. Finablement, ce estoyt ung pillard,
uug traisnard, ungmaulvais sonldard de la milice ecclésiastic(pie,
duquel nul en l'abbave ne avovt cure, et (pie laissoyt-on oisilpar
cbarité cliresticnne, existimant cpie il estoyt loi. Amador, saicliant
que il s'en alloyt de la ruyne de l'abbaye en laipielle il se rouloyt
comme ung verrat en son tect, arressa son poil, se déporta de cy,
delà, vint en clia(pie cellule, escouta dedans le refectouere, frémit
en ses babouines et dit (pie il se iactoyt de saulver l'abbaye. Il
print eognoissance des poincts contestez, récent du sieur abbé
licence d'aleinioyer le procez, et par tout le llliapilre lui lent
promise la vac(iuancc du soubz-prieuré, s'il linoyt le litige. Puis
s'en alla par la campaignc sans avoir nul soulcy des cruaullez et
maulvais traictenieiis du sieur de Candé, disant que il portoyt en
sarobbe de ([uoy le réduire. De l'aict, Amador s'en alla de son |)ied
avec(|ues sa robbe pour tout viatic(pie, mais aussy comptez (pie
elle estoyt grasse à nourrir ung Minime. Il esleut pour aller de-
vers le cbastelain ung iour où il tomboyt de l'caue à remplir les
seillcs de toutes les mesnaigieres, et arriva sans rencontrer qui-
con(|ue,en veu (1(! (laïuh', l'aict comme ung cliien noyé, se coula
braviMiienl en la court, s'abrita soiibz ung tect pour attendre ([ue
riiilciiip('rance du ciel se l'enst caliiur, et se mil sans paoïir
devant la salle (m'i (l(i)vovt estre le sire de Candé. IJig serviteur
40.
474 CONTES DROLATIQUES.
radvisnnt.voM que il s'en alloyt du sou])or,cn eut pitié, luy dit
do sortir, sans (]uoy le sire luy haillfioyt ung cent de coups de
fouet pour entamer le discours, et luy de-
manda qui le faisoyt si osé d'entrer dedans
wu'^ logiz oïl Ton liaïoyt les moynes plus que
la lèpre rouue.
— Ha ! l'i'il Amador, ie vais à Tours, en-
\oyé par mon seigneur abbé. Si le seigneur
de Candé n'estoyt pas si maulvais pour les
paouvres serviteurs de Dieu, ie ne debvroys
cslre |tar ung tel déluge en sa court, mais
en sa maison, le luv soubhailc de trouver miséricorde en son
lieurc supresnie.
Le serviteur reporta ces paroles au soigneur de Candé, ipii, de
prime abord, vouloyt faire gecler le moyne en la grant douve du
cliasti'K au milan dos imnnmdices, connue cliouse immunde. Mais
la damo de Candé, bupiello avoyt authorilé sur son sieur espoux,
et en estoyt redoubtée pour ce que il on altendoyt granl liioii on
liéritaigc, et(jueelle semonstroyt de petite tyrannie, lerabbroua,
disant que possible estoyt que ce dict moyne feust ung clirestien ;
(juc par ce temps diluvial les voleurs
rolirerovont unusor"enl; (lue d'ailleurs
il l'ailoyl le ])ion traictor |Jour sçavoir
(juolle décision avoyent prinse les reli-
gieux de Turpenay en l'alTaire du
scliisme, et que son advis estoyt de finor
par doulceur et non par force les dii-
licultoz survenues entre l'abbayc et le
domaine do Candé, pour ce «juc nul soigneur depuis la venue de
Christ ne avoyt este plus fort que l'Ecclise, et que tost ou tard
l'abbaye ruyneroyt le cliastel ; en fin de tout, desbagoula mille
arraisonnonu'ns saiges, comme on disent les dames au fort des
tomjiostos de la vi(!, quand ollos on reçoivent trop giaiit onnuy.
Amador avoyt visaigc; si tant piteux, aj>paronco si cbetivt! et tant
bonne à dauber, que le seigneur tristilié pai- la piuve conccut de
s'en gaudir, le toi'menlor, luy rincer son vi'rro avecipies du
vinaigre, et luy bailler rude souvenir de son accueil au cbasloau.
II<»nc(pios ce dict soigneur, qui avoyt dos accoinlancos secroltes
avci-qurs la moscbinc! de sa fonnno, onobargia costo lille, ayant
nom l'rirolte, do moltro à (in ses maulvais vouloirs à l'encontre
SUR LE MOYNK AMADOR. 475
(lu paoïivro Aiiiador. Alors (jnc les mioik'os Aniront praticquccs
(Mitre oulxja bonne (illaii(l(',(|iii liaïovl les reli^ieiilx ])our faire
plaisir à son niaistrc, vint an dicl, inovne, (pii eslo\ I, sonliz le tect
aux gorels, en s(\ lardant la mine d'aecortise, à ceste lin de le
trupher en toute ix'rl'ection.
— Mon père,leit-ellc, le scignem' de h'ans lia honte de l,iiss(M'
à laplnye nng servitenr de Dien (jnand il y lia plaee en la salKî,
bon l'eu sonhz le manteau de Paatic, elqne la tabb; est preste. le
vous convie, en son nom et en celliiv de la dame au eliaslel,à
entrer céans.
— le merei(ï la dame et le sei;4nenr, non de leur hospice, qui
est chonse ehrestiemie, mais bien d'avoir pour légat devers moy,
paouvre p(riieur,nng ange de beaulte/ si mignoimes, (pieiecuyde
veoir la vierge de nostre autel.
En disant ce, Aniador leva le nez et tizonua, }tar deux llani-
nicsclics (jui pétillèrent de ses yeulx allumez, la iolie mescliine,
laquelle ne b; treuva ny tant laid, ny tant ord, ny tant bestial. En
grinqtant le perron aveccpies la Perrotte. Amador récent ez
Jiez, badigoinces et anities lieux de son visaige, un coup de
fouet (pii luy l'eit veoir tous les cierges du Magnilicat, tant feut-il
bien appliqu(j au rnoyne par le seigneur de Candé, en train
de cbastier ses lévriers et (pii feignit de ne pas veoir le moyne.
Il re(piit Aniador de luy ]iardonner ce mal, el poursnyvit les
chiens, lesipiels avoient l'aict cbeoir son hosle. La rieuse mes-
cliine, qui s(;avoyt la chonse, se estoyt dextrement rengi-e.
Voyant ce traffic, Aniador soup(;onna l'accointance du chevalier
à Perrotte et de i'errotte au chevalier, desipiels possible estoyt
que les garses de la vallée luy eussent gazouilb' quebiue cliousi;
aux lavoueres. Des gens (pii estoyent lors en la salle, aiilcnn ne
feit place à riiomme de Dieu, liMjiitd démolira dans les ventositez
de la porte et de la croisée, où il gela iiis(iues en l'instant
que le sire de Candi', madame sa femme et sa vieille sœur la
damoisellle de Candé, qui gouvernoyt la ienne héritière de la
maison, laipielle avoyt d'aage seize aniu'es environ, vindrent se
seoir sur leurs chaires en hault de la table, loing des gens,
suyvanl la méthode anticque, de la([U(dle en ce temps se di-por-
lent les seigneurs, bien à tort, he sire de ('andé, nullement
record du inovne, le laissa s'attabler an bas bout, en ung coin
où deux nieschans garsonsavoyeiit charge de le presser horrible-
ment. De faicl, lesdits serviteurs luy gehennèrent les pieds, le
.iîtî CONTKS liUlM.VTlolKS.
corps, les bras, on vrays (|U('slionnaiirs, liiv miiciil du vin blanc
on son i;oul)ol('t on i^nyso d'oano ponr Inv l)i(»nill('r ronlondouore
et mieulxiouyr do luy; mais ils luy foirent boire sept brocs sans
que il hoschast, rostast, hocquestat, pissast ou pétast, ce qui les
espouvanta nionlt. von (|uo son œil denioura clair conimo mv^ nii-
rouoro. Cu'pcndant. sonstonus par ung res;^nard do leur soigneur,
ils allèrent leur train, luy gectoront, on luy taisant la révérence,
dos sauleos vn la barbe, et les luy essuyèrent à ceste seule fin
de la luy violemment tirer. Puis le marmiteux qui scrvoyt ung
obaudoau luy on baptiza le chief, eut cure de faire dégouliner
le bruslemont le long de rescbino du jtaouvre Amador, lo([uoI
endura ceste passion avecquos douloeu!'. von ([uo l'osperit de
Dieu ostoyt en luy, et aussv, cuydoz-lo, l'ospéraïu^o de tiner le
litige en tenant bon dedans le chastel. Ce neantmoins, la gent
malivole s'esclatta si druement en rires et cocquassories lors du
bajitesme graisseux baillé par le fils du queux au moync beuvard,
dont le sommelier dit avoir tascbié de boncbier ainsy l'onten-
douoro, (pu- force font à la dame de Candé do veoir an bas bout
(juelles cliouses se traficquoyont. Lors la cbastelainc apercent
Amador, lequel .ivecques un resguard de résignation parfaicte
osmondoyt son visaigc et voyoyt à tirer prouffict des gros os de
bœuf (pu luy avoyent esté mis en son jilal d'ostain. Kn oottiiy
moment, le bon moyno, qui avoyt doxlromont baillé ung coup
de coultel on ung gi'os vilain os, le print de ses deux mains
poilues, le rompit net, et sugoa la mouelle cbaulde et la treava
de bon goust. « Vère, se dit en ello-mesme la dame de Candé,
Dion lia mis sa force en ce movno. » Sur ce pensier, elle dit
giiolVomont aux paigos, serviteurs et aultres, de ne point tor-
montor le icligioux, auquel par moccpierie on servoyt force
j)oinmes brouies et aulcuues noix véreuses. Luy, voyant que la
vieille damoisclle et son cscbolliere, que la dame et les meschines
l'avoyont veumanouvrant l'os, rebroussa sa mancbo, leur monstra
la triple ncrvcurc (W son bras, v posa les noix au poignet sur la
bilin(pialioM dos veines, et les escrasa une à une, en les y foc-
(piant do la paulme de sa main si vigoureusement, (pu' il sembloyt
que ce feussent nelfles meures, j'uis les croc(pu)yt-iI soub/ ses
dents blanclies comme dents lU' cliii-n, brou, bois, fiuicl et tout,
dont il faisoyloii moins de lion une pincV (pic il avalloyt comme
livdidiinl. (jiiaiid il ne eut |iliis devant luy (pie les pominos, il
les oiumortaiza outre deux doigts, des(piels il se servit connue
SUR LE MOYNE AMADO».
177
(le ci/;iilIos pour les ooiipor net, sans l),iii;iiiiincr. C()iii|ilcz ijuc
l:i gciil rcmcllo se, taisoyt, tjiie les servilcuis ciiydèrent le dialilc
eslre en ce nioyne, et que, n'esloyenl sa l'enune et les ténèbres
cspaisses de la nuict, le siie de
Candé voiiloyt le bouter bors, en
giant paour de Dieu. là uiig cbas-
cun se disoyt (|ue le nioync esloyl
de froc à geelerle eliastel par les
douves. ])onc(jues, alors que uny
chascun se feut torcbié le bec,
le sire de Candé eut cure d'em-
prisonner ce diable de (jui la Ibrci!
estoyt nioult dangereuse à veoir, et le feit^mener au niaulvais
bouiic puant oi'i la l'crrotte avoyt pralieijué ses cuiiins à ceste lin
de le jicbenner durant la nuict. IjCs niat(»ns du manoir avovent
est(' requis de se l'aire ouvr par luv en eonl'ession, conviez à liiv
dire leurs péclu'Z par l'herbe aux ebals (pii les énamoure, et aussy
178 CONTES DROLATIQUES.
les gorets pour les(juels de bonnes platées de trippes avoyent esté
mises souliz le liel, à reste lin de les enipesciiier de se faire
nio\ nés, ce dont ils avoyent envie, en les en desgoustant au moyen
du libéra (jue leur chanteroyt le moyne. Puis coni|)tez ([uc en
clKKpic mouvement du paouvre Amador, qui avoyt crins coupez
cz toiles, il debvoyt faire clieoir de l'eaue froide en son lict, et
mille aultres maulvaisetcz desquelles sont eouslumiers les gaus-
seurs en les cliasteaulx. Yécy ung cliascun coucliié, attendant le
sabbat du moyne, certain que il ne leur i'auldroyl point, veu que
le dict moyne avoyt este logié soubz les toicts en liault d'une
tourelle dont l'huys d'en bas feut soingneusement connuis à la
guarde des cliiens ijui beurloyent a|)rès ce dicl moyne. A cestc
lin de vérifier en (piel languaige se feroyt l'enti^elieii du moyne
avecqucs les cbats et les gorets, le sire vint coucliier avec([ues sa
mye la Perrottc, qui cstoyt voisine. Alors que il se veit ainsy
Iraicté, bon Amador tira de son sac ung coultel et se desverouilla
dextrement.
Puis se mit en guette pour estudier le train du chasteau, et
ouyt le sire de léans se couler en riant avecques sa mescbinc.
Ores, soupçonnant leurs beaudouinerics, il attendit l'instant où la
dame du logiz seroyt seulctte en ses toiles, et devalla dedans la
ciiambre d'icelle, pieds nus, à cesle lin que ses sandales ne
l'eussent point en ses secrets. Il luy apjiarut, à la lueur de la
lampe, en la manière dont apj)aroissent les nioynes en la nuict,
qui est ung estât mirificque, dilïicile à soustenir long temps chez
les laïques, veu que ce est ung el'fect du froc, leipud magnifie
tout. Puis, luy ayant laissé veoir (jue il estoyt bien moyne, luy
tint doulcement ce languaige :
— Ores ça, madame, que Dieu saulve, sçaichez (pie ie suis
envoyé par lésus et la Vierge Marie pour vous advertir de mettre
lin aux trez-immundes pcrversitez qui se parfont au donnnaige de
vostre vertu, bupielleest traistreusement frustrée de ce (pie vostrc
marv lia de meilleur et dont il gratifie votre iricscbiiie. A quoy
bon eslre dame, si les redevances seigiiciiiiales s'engrangent ail-
leurs? A ce compte, votre mescliine est la dame, et vous estes
la niescliine. Ne vous est-il point deu tous les plaisirs percens
par cesle mescliine? Aussy bien les treuverez-vous amassez en
iKtstre K((dise, (jiii est la consolation des alïligez. Voyez en moy
le incssaigier prest à payer ces dcbles, si vous n'y renoncez
point.
SUR LE MOYNE AMADOR. M'.)
En co (lisant, lo bon moyno dt'norqna lo^nt^Tomont sa rcinclnro,
en laqnelle il csloyt gclienné, tant il jiarut esnuni de veoir les
belles elionses que desdairii^noyl le sei^nieur de Candé.
— Si vous dieles viav, mou père, ie me remellray souhz vostrc
conduicte,feit-elle en saullant l(\iiieiement liors du licl. Vous estes,
pour le seur, ung mossaigier de Dieu, pour ce que vous avez veu
en ung ionr ce que ie n'ay point veu céans depuys un long temps.
Lors vint en conq>aignie dudiet Amador, duquel point ne faillit
à frosler ung |>etil la trez-saincte rohhe, et lent si grantenienl
férue de la treuver véridi('(pie,(pie elle souhliaila rencontrer son
espoux en laulte. De l'aict, elle l'entendit (jui devisoytdu nioyne
en plein lict de sa nicscliine. Voyant ceste feslonie, elle entra
dedans une cliolèie furieuse et ouvrit le bec pour la resouldre en
parole, ce qui est une fasson j)ropre aux fenunes, et voulut faire
ung train de diable paravant de livrer la fille à la iustice. Ains
Amador luy dit <pie il seroyt plus saige de soy venger d'abord et
de crier apri^s.
— Vengez-moy doncqucs vitement, mon père, dit-elle, pour
que ie puisse crier.
Sur ce, le moync la vengea trez-monasticquement j)ar une
bonne grosse vengeance que elle s'indulgca coulamment comme
ung ivrongne qui se met les lèvres à la clianipleure d'ung ton-
neau, veu (jue, quand une dame se venge, elle doibt s'enivrer
de vengeance ou ne pas y gouster. Et l'eut vengée la cbastelainc
à ne pouvoir remuer, veu (pie rien ne sup(M'agite, ne faict baleter,
ne brise autant (pie la cliolère et la vengeance. x\ins, encores que
elle feust vengée, arcbivengée et multiplivengée, point ne voulut
pardonner, à ceste fin de guarder le droict de se venger, ores cy,
ores là, avec(pies ce moyne. Voyant ceste amour pour la ven-
geance, Amador luy promit de l'ayder à se revenger autant que
durerovt son iic, veu (pie il luy advoua cognoistre, en sa qualité
de religieux contraiiicl à méditer sur la nature descbouses, ung
numbre infini de modes, nK'tliodes et fassons do j)ratic(pier la
vengeance. Puis luy enseigna caiioniiupiement combien il (>stoyt
cbreslien de soy venger, pour ce (pie, tout le long des Sainctes
Escriptures, Dieu se iactoyt, supérieurement à toutes aultres (pia-
illez, d'estre ung Dieu vengeur, et d'abundant nous denionstroyt,
en l'endroict de l'enfer, combien est cliouse royallement divine
la vengeance, veu (pie sa vengeance est éterne. D'où suyvovt ipie
doibveut seveuger les femmes et les religieux, soubz pointe de no
*80 CONTES DROLATIQUES.
point oslro cfiivslions et fidellos sorvatours des doctrines célestes.
Ce dogme plut inliiiiiiient à la dame, qni advoua n'avoir encores
rien entendu aux conunandemens de IKeclise et convia le hien-
aymé nioyne de les luy venir enseigner à fond. Puis, la chaste-
laine, de laquelle les csperits vitauk s'cstoyent esmcus par suyle
de ceste vengeance, qui les luy avoyt rafreschis, vint en lacliambre
où s'esbattoyt la gouge, que elle treuva par adventure ayant la
main là où bonne chastelaine avoyt souvent l'œil, comme ont les
niercliands sur leurs précieuses denrées, à ceste fin que elles ne
soyent point robbées. Ce l'eut, selon le dire du président Lizet
quand il estoyt en ses bonnes, ung couple prins llagrant au lict
et qui l'eut (juinauld, j)enauld et nigauld. Ceste vene lent desplai-
sante à la dame plus que on ne sçauroyt dire, ce qui ajij)arut en
son discours, dont l'aspreté feut senddable à celle de l'eaue de
son grant estang, alors que la bonde en estoyt lascliiée. Ce feut
ung sermon en trois poincts, accompaignié de musicque en
baulte gamme, variée sur tous les tons, avecques force dieze aux
clefs.
— Mercy de la vertu ! mon seigneur, i'en ay mon comptant.
Vous me demonstrez ({ue la religion en la foy coniugale est un
abus. Yécy doncques la raison pourquoy ie n'ay point de fils.
Combien d'enfans avez-vous mis en ce four banal, en ce tronc
d'ecclise, en ceste aumosnière sans fond, en ceste escucUe de
léjneux, le vray cimetière de la maison de Candé ! leme veulx sça-
voir si ie suis brebaignepar ung vice de ma nature ou par vostrc
coulpe. le vous lairray les mescbines. De mon costé, ie prendray
de iolys chevaliers, à ceste fin que nous ayons ung héritier. Vous
ferez les bastards, et moy les légitimes.
— Ma mye, dit le seigneur pantois, ne criez j)oint.
— Vère, repartit la dame, ie veulx crier, et crieray de manière
à estre bien entendue, entendue de l'archevescjue, entendue du
b'gat, du Iloy, de mes frères, (pii tous me vengeront de cesle
infamie.
— Ne deshonorez point vostrc mai y!
— Cecv estdonc(pies ung déshonneur? Vous avez raison. Mais,
mon seigneur, il ne sçauroyt venir de vous, ains de ceste gouge
que ie vais faire coudre en ung sac et gecter en l'Indre; par ainsy,
vosire deshonneur sera lavé. Ihdà ! feit-elle.
— Taisez-vous, madame! dit le sire, honteux comme leeliien
d'ung aveugle, poureequecc granf linnurie de guerre, si jirompt
SUR LE MOYNE AMADOR. 481
à nicunlrii' aullruy, cstoyt comme ung enlansson an rosgunnl
(le sa dame; cas dont sont coustumiers les souldanls, |K)nr ce
qne en onix j^ist la force et se rencontrent les espaisses cliarno-
silez de la matière, tandis qne, an n-bonrs, se treuve en la
femme nng esperit snbtil et nng brin de la flanniie perfumée
qui csclaire le paradiz, ce qni esbaliit moult les bommes. Cecy
est la raison pourqnoy aulcnnes femmes mènent leurs époux,
veu que l'esjierit est le roy de la matière.
Sur ce, les dames se prindrcnt à rire et anssy le Hoy.
— le me tairay point, feit la dame de Candi' (dit l'ai)!»' en conli-
nnant le conte), ic suis tro}) onltraigiée : cecyestdoncqiies le lover
de mes grans biens, de ma saige condniele! Vous av-ie jamais
reffeusé de vous obéir, voire maulgré le quaresme et les iours de
ieusne? Suis-je fresche à geler le soleil ? cuydez-vous que ie fasse
les chouses par force, debvoir ou pure complaisance? Ay-ieung
caz bénit? Suis-ie une cbaasse saincte? Kstovt-il besoins d'une
bref du pajjc pour y entrer? Vertu de Dieu! y estes-vous si Ibrt
accoustumé, que vous en soyez las? ay-ie pas faict tout à vostre
goust? les mescbines en sçavent-elles plus que les dames? lia!
cecy sans doubte est vray, pour ce que elle vous ba laissé fasson-
ner son cbamp sans le semer. Enseignez-moi cettuy mestier, ie
le praclicqueray aveccjues ceulx que ie prendray |)0ur mon service :
car, voilà ^\u^ est dict, ie suis libre. Cela est bien. Vostre compai-
gnie estoyt grevée de trop d'ennuy, et vous me vendiez trop cliier
ung maulvais boussin de liesse. Mercy Dieu ! ie suis quitte de vous
et de vos pliantaisies, pour ce (jue ie me retireray en ung mons-
tier de religieux...
Elle cuydoyl dire de religieuses, mais ce moyne vengeur luv
avoyt perverty la langue.
— ... Et ie seray mieulx avecques ma fille en ce moustier
qu'en ce lieu d'abominables perversitez. Vous bérilercz de vostre
mescbine. lia! ba ! la belle dame de Candé que vécv !
— (Mieest-ila(lvenul('ans?leit.\ma(lor,(pusemonstrasoubdain.
— Il advient, mon j)ère, respondit-elle, que vécy qui crie V(M1-
geance. Pour commencer, ie vais faire gecter à l'eaue ceste villo-
tière, cousue en ung sac, |)our avoir destourbé la graine de la
maison de Candé à son i)rouffict : ce sera espargner de la besongnc
au bourreau. Pour le demouranf, ie veulx...
41
4S2 CONTKS DROLATIOUES.
— Ahandoniioz voslio ire, ma fillo, IVit le ninync. Il est com-
niaiulc par l'Ecclise, au Pater nosler, de pardonner les ollenses
daullrny enveis nous, si nous avons cure du eiel, pour ce (jue
Dieu j)ardoint eeulx (|iii ont aussy pardonné les aullres. Dieu ne
se venge ('leriiellenienl ({ue des maulvais qui se sont vengez,
ains guarde en son paradiz ceulx (jui ont pardonné. De là vient le
iubilé qui est ung grant iour de ioye, pour ce que les debtes et
ollenses sont remises. Aussy est-ce ung bon licur que de pardon-
ner. Pardonnez, pardonnez! le pardon est œuvre sacrosaincte.
Pardonnez à monseigneur de Gandé, qui vous bénira de vostre
gracieuse miséricorde et vous aymera moult désormais. Geste
pardonnance vous restituera les fleurs de la ieunesse. Et cuydez,
ma cbiere belle ieune dame, que le pardon est par aulcunes
l'oys une manière de soy venger. Pardomiez à vostre mescliine,
qui priera Dieu pour vous. Ainsy, Dieu, supplié par tous, vous
aui'a soubz sa guarde et vous octroyera ([uelque brave lignée
(le masles pour ce pardon.
Ayant dict, le moyne print la main du sire, la boula dedans
celle de la dame en adiouxtant :
— Allez deviser sur ce pardon!
i'uis coula dans l'aureille du seigneur ceste saige parole :
— Monseigneur, tirez vostre grant argument, et vous la Agirez
taire en le luy obieetant, pour ce que la bouche d'une femme ne
est pleine de paroles cpie quand son pertuys est vuyde. Argu-
mentez d()nc(pi('s, et par ainsy vous aurez tousiours raison sur
la lémme.
— Par le corps de Dieu ! il y ha du bon en ce moyne, feit le
seigneur en soy retirant.
Alors que Amador se veit seul avecques la Perrolte, il luy
tint ce discouis :
— Vous estes en coulpe, ma mye, pour avoir voulu eaïner ung
paonvre serviteur de Dieu : aussy estes-voys soubz l'esclat de l'ire
c('leste qui tombera sur vous ; en quelque lieu que vous vous
bouliez, elle vous suyvra tousiours et vous empoignera dans toutes
vos ioincteures, mesmes ajirès vostre mort, et vous cuii-a comme
|»aslez dedans le tour de l'enler, où vous bouillonnerez éter-
nellement, et, par ung chascun iour, recevrez sept cent mille
millions de coujjs de louet pour celluy (pie i'ay receu par vostre
advis.
— Ibi ! mon \\rir, feit la mescliine, la(iuelle se gecta au rez du
SUR LE MOYNR AMADOR. 183
moync, vous seul pouvez m'en saulvcr, vcu ([ue, si ic cliaussoys
vostrc bon Troc, ie scroys à l'ubry de la cliolèrc de Dieu.
En ce disant, elle soubleva la robbe, comme pourveoir à s'y
placer, et s'esclama :
— Par ma lic(pic! les inoynes sont plus bcaulx (juc les die-
valiers.
— Par le roussy du diable! ne bas-tu point vcu ni scnlu de
moyne?
— Non, dit la moscliine.
— Et tu ne cognoys nullement le service que cbantcnt les
moynes sans dire mot?
— Non, feit Perrotle.
Adoncques le moyne le luy monstrade la bonne fasson, comme
auxfestos à doubles bastons, avec(|ues lesgrans sonneries en usa igc
dans les mousticrs, psaulmes bien cbantcz en fa maieur, cierges
llambans, onfansdc cbœur, et luy cxjtliqua Vlntroilcl aussy Vite
missa est, jiour ce ([ue il s'en alla, la laissant si sanctilire, (pic la
cholère de Dieu n'eust sceu rencontrer aulcun endroict de la lille
qui ne feust trcz-amplement monasticque. Par son commande-
ment, Perrotte le mena en la cliambre où estbyt la damoiselle de
Candc, sœur du sire, à laipidle il ap[iarut pour sçavoir si son bon
plaisir cstoyt de soy confesser à luy, pour ce que les moynes
venoyent rarement en ce cbastcau. La damoiselle l'eut contente,
comme l'eustesté toute bonne clirestienne,de pouvoir s'esplucbier
la conscience. Amador la requit de luy monstrer sa conscience, et
la paouvre damoiselle luy ayant laissé veoir ce (jue le moyne de-
monstra estre la conscience des lilles, il la Ireuva trez-noire, et luy
dit que tous les péchez des lenunes se parfaisoyent là; ({lu- pour
estre en l'advenir sans pécbcz, besoing estoyt de se boucbier la
conscience par une indulgence de moyne. Sur ce que la bonne
damoiselle ignarde luy repartit (pie elle ne sçavoyt où se conques-
toventces indulgences, le moyne luy dit (pie il ]»()rl(tyt un tlirezor
d'indulgence, veu (juo rien au monde ne estoyt jtlus indulgent (pie
cela, pour ce que cela ne disoyt mot et produisoyt des douleeiirs
infinies, ce qui est le vray, l'éterne et prime charactère de l'indul-
gence. La paouvre demoiselle eut la vue si fort esblouye par ce
tlirezor dont elle estoyt de tout poinet sevrée, (pie elle eut la cer-
velle brouilb'e et voulut de si bon cueur croire en la reli(pie du
moy ne, que elle s'indulgea religieusement des iiidiilgenees, comme
la dame de Candé se estoyt indulgé des vengeances. Geste confes-
484 CONTES DROLATIQUES.
s;uloosvoii;la la petite danioiselle de Candé, qui vint veoir. Prenez
note (|ue le nioyne avoyt espéré oesle reneontre, veu que l'eauc
luy estnvt venue en la bouche de ce ioly IVuict (|ue il Liobbn, pour
ce que la bonne damoiselle ne put en)|>esebier que il baillast à la
])etite, qui le voulut, ung restant d'indulj^'enoes. Ains comptez
(|ue ceste love lui estovt deue pour ses poiiies. Le matin estant
advenu, les gorets ayant mangié leurs platées, les chats s'estant
desenamourez, force de compisser les endroicts frostez d'herbes,
Amadoralla soy reposer en son lict,que la Perrottc avoyt dcsen-
ginié. Ung chascun dormit, par la graace du moyne, ung si long
temps, que aulcun ne se leva dedans le chasteau paravant midy,
qui estoyt l'heure du disner. Les serviteurs cuydoyent tous le
moyne estre ung diable qui avoyt emporté les chats, les gorets
et aussy les maistres. Nonobstant leurs dires, ung chascun fcut
en la salle pour le repas.
— Venez, mon père, feit la chaslelaine en doiuiant le bras au
moyne, que elle mit à ses coslez dedans la chaire du baron, au
grant esbabissenieiit de tous les serviteurs, veu que le sire de
Candé ne soul'lhi mot. — Paige, donnez de cecy au pèrcAruador,
disoyt Madame. — Le père Amador ha besoing de cela, disoyt la
bonne damoiselle de Caiulé. — Remplissez le hanap du ])ère Ama-
ilor, disovt le sire. — 11 faut du pain au père Amador, disoyt la
jietite de Candé. — Que soubhaitez-vous , père Amador, disoyt
la Perrotte.
Ce estoyt, à tous proupos, Amador par cy, Amador par là. Bon
Amador estoyt festoyé connnc ung minon de pucellc en une prime
uuict de nopces.
— Mangiez, mon père, laisovt la dame, car vous fcites hier au
soir maigre chère. — Deuvez, mon père, disoyt le seigneur : vous
estes, pas le sang de Dieu! le plus brave moyne (jue ie veis onc-
ques. — Le père Amador est ung beau moyne, feit Perrotte. —
l'ng indulgent moyne, feit la damoiselle. — Inii bienfaisant
moyne, feit la petite de Candé. — Un grant moyne, feit la dame. —
l ug moyne qui ha ung nom vray de tout i)oinct, feit le clerc
du chasteau.
Amador paissoyt, repaissoyt, se veautroytez platz, lappoyt l'hy-
pocras, se ))ourleschiovt, esliMimoyt, se gorgiasoyt, se (|uarroyl,
s'i'sliarboxt connue ung taureau dans sa pré(>. F^es aultres le res-
guardovcut eu gi'ant paour, cxistimant (pie il estovt iicgroman-
cifu. Le disurr liné, la (lame di' Candi', la damoiselle de Candi',
su II LE MOYNE A MA DO H. 485
lîi pclilodc Candi', eiiiorlillèicnt lesirodc, Candi' ])ai inillo hoaulx
discouis pour Iciinincr le piociîz. Il luy en lent inoull dicl |)ar
Madame, (jui luy icnionstmvt coinhicn estoyt ul.ilc ung nioyno
en ung cliasloan; par Madcnioiscllo qui vouloyt dorescnavant
faire l'ourbir sa conscience tous les iours; parla Damoiselle, (jui
lirovt son jièie en la barbe et luy deniandoyt que celtuy moyui;
demourasl à Candi'. Si iainais ung dillrrcnd se vuydoyl, ce siMoyt
par le moync; le nioyne estoyt de bon entendement, trez-douk
et saigc comme ung sainct; ce estoyt ung malheur ({ue de eslrc
enncmy d'ung mousticr où se trcuvoycnt pareils moynes; si tous
les moynes esloyent comme cettuy-là, l'abbaye l'emporteroyl
tousiours en tous lieux sur le cbaslel et le ruyneroyt, pour ce ipie
le moync estoyt trez-lbrt; en lin de tout, elles estalèrent mille
raisons qui estoyent comme ung déluge de paroles, lesquelles
feurent si pluvialement déversées, que le sire céda, voyant que il
ne auroyt point la paix léans tant que ceste alTaire ne seroyt
linée au dezir de ses femmes. Lors il manda le clerc qui escrip-
voyt pour luy, et aussy le moyue. Adoncques Amador le surprint
eslrangièrement en luy nionstrant les cbartres et lettres de
créance (jui empeschièrent le sire et son clerc de dilayer cet ac-
cord. Quand la dame de Candé les veit en train d'atermoyer le
pourebaz, elle s'en alla dans la lingerie ebercber ung beau drap
lin pour en faire une robbe neufve pour le cbier Amador. Ung
chascun dans la maison avoyt veu condjien estoyt usée sa robbe,
et ce eust esté grant dommaige de laisser si bel outil de ven-
geance en si vilain sac. Ce feut à (|ui laboreroyt ce froc. Madame
de Candé le conj)a, la mescbine feit le capuche, la damoiselle de
Candé le voulut coudre, la petite damoiselle en print les manches.
Puis toutes se mirent à la parl'aire en si grant dezir de parer
le moyne, que sa robbe feut preste pour le souper, comme
aussy feut dressée la ehartre de bon accord et scellée par le sire
de Candé.
— Ha ! mon père, feit la dame, si vous nous aymez, vous vous
rcpouscrez de ce grant travail, en vous cstuvant dedans ung bain
que i'ay faict chauffer par Perrotte.
Amador feut donciiues baingné en une eaue de senteur. Quand
il en vssil, treuva sa robbe neufve de fine laine et de belles san-
dales, ce (pii le monstra aux yeux de tons le plus glorieux moync
du monde.
Pendant ce les religieux de Turpenav,en grant paourd'Amador,
41.
iSG
CONTES DROL.VTIOUES.
avovont oncliaî'iii(' doux iiioyiios (1(> lairi' la guolto ommv le chas-
lol. Ces cspies vindrtMil autour dos douves, connue la l*eriolte y
gectoyt la vieille robbe grasse d'Amador avccques force tessons
dedans; ce que vovant, ils creurent que ce estoyt fine du paouvre
fol. Lors refoui'uèreut disant que, pour le scur, Aniador eiulu-
ro\t pour l'abbave unii cruel martyre. Ce que seaiciiant, l'abbé
ordonna venir en la cliaiielle prier Dieu, à ceste (In (pie il assis-
tast ce dévoué serviteur en ses tormens. Le nioyne, ayant soupe,
mit sa chartrc en sa ceinclure et voulut retourner eu Turpenay.
Lors il trouva au rez des devrez la liaccpu'née de Madame, bridée,
sellée, que luy tcnoyl preste l'escuyer : puis, le seij^iieur avoyt
commandé à .ses gens d'armes d'accompaigner le bon moyne,
pour ipie niilli! maie enconsire ne luy adviusl. Ce que voyant,
Amador pardonna les mescliieis de la veille, et bailla sa béné-
diction à tous, paravaiil de tiri'i' ses sandales de ce lion convcrty.
SUR lE MOYNE AMADOR.
487
Coniploz que il fout suyw des yonlx par Madaino, (pii le, prncla-
iiiovt bon rlicvanicliciir, Pcrnttli! disoyt (|ii(' ])(tiir uii^^ iiioync
il se tciioyt plus niidc, à clicval que aulcim des gfiis d'aniics.
MadamoiscUc de (lande sospiroyl. La petite le vouloyt pour con-
fesseur.
— 11 lia sancti(i(; le cliastel, feircnt-clles toutes quand elles
feurent en la salie.
Alors (pic la clicvaulcliii'c d'Amador vint à l'entrc'e de l'abbaye,
ce l'eut espantenient liorrible, veu que le j,aiardian crut ({ue le
sire de Candé, mis en appétit de nioyne par le trespas du paouvie
Aniador, vouloyt saccaiyer l'abbaye de Turpenay. Ains Ainador
cria de sa bonne grosse voix, l'eut recoj^neu, l'eut iniroduict de-
dans la court, et, (piand il descendit de <lessus la baciiiienéede
Madame, ce l'eust uny esclat à rendre les moynes effarez comme
lunes rousses. Aussy gectèrcnt-ils ung beau cry dedans le refec-
touere, et vindrent tous congratuler Amador, qui brandilloyt la
cliartre. Les gens d'armes feurent resgallez du meilleur vin de la
:4y^
cave, qui estovt ung pri'sent faict à ceulx do Tinpenay par ceulx
de Marmousticrs, auxquels appartiennent les clouseries deVou-
vray. Le bon abbé, s'estant faict lire l'escript du sii-e de Candé,
s'en alloyt disant :
— Kn ces diverses conioncliu'es esclallc \v doii:t de lùeu, au-
quel besoini: est de rendre ^raaces.
IV I J ^\_ r*yri l^^ \^^l/ ».IV' iviiniv> te.ici»»vv.T.
Comme le bon al)bé revenoyt tousiours à ce doigt de Dieu en
Quand il descendit de dessus la liaciucnéc do Madame, ce «cul uug cstlat à
rendre l.-s moyncs effarez comme lunes rousscs. '
SUR LE MOWNE AMADOU,
4S'J
nicrciîiiil Aniador, le iiioync nianlj^fica de vcoir tant anioiiuliir
son dodianlal et luy dit :
— Prenez que ce soyt le bras, mon père, et n'en sonnons plus
mot.
La vuydan^c du pioeès entre le sieur de Candé et l'abbave de
Turpenay feut suyvie d'un-: lieui' ipii le rendit fort dévotieux à
noslre Ecclise, pour ce (jue il eust ung fils à l'eschéance du neuf-
viesnie mois. Deux ans après, Amador feut esleu pour abbé par
les uioynes, (|iii coniploycut sur un^ ioveulx gouvernement avec-
ques ung fol. Aius Amador, abl»; devemi, devint saif,'e et trez-
austère, pour ce que il avoyt donq)té ses maulvais vouloirs par
ses exercitations, et refondu sa nature à la forge femelle, en
laquelle est ung feu à clarifier toute cbouse, veu que ce feu est
le plus pcrdorable, perseveiant, j)ersistant, perfectissime, jx'ri-
nant, pc iprinsaiit, perscrulaut et péiinéal (pii soyt en ce monde.
Aussy est-ce ung feu à tout ruyner, et (pu' ruyna si bien le
nuiulvais en Amador, (pie il ne laissa que ce que il ne pouvoyt
mordre, asçavoir son csperit, lecjuel feut clair comme diamant,
(|ui est, comme ung cbascun sçayt, ung résidu du grant feu par
leipu'l feut carltoiié iadis nostre globe. Amador l'eut doncipics
rin-^lriiiiiciit csicii p.'ir l:i l'iii\ idciicc pnur l'éini'iiicr noslre iiichle
abbaye, vcii (pic il y rcdicssu loiil, vcigla miiet et iour sur ses
nioyncs, les leit tous lever aux beures dictes j>ourles offices, les
400 CONTES^DROLATIQUES.
oonii)ta on la chapelle ooinmo ung bergier faict de ses brebis, les
tint en laisse et punit si giiofvement les l'aultes, que il en feit
de trez-saiges religieux.
Cecy nous enseigne à nous adonner à la femme plus en veuc
de nous oasloyer que pour y prendre de la ioye. D'abiindant,
coste advenlure nous apprend que nous ne devons ianiais lucter
avccques les gens d'Ecclisc.
Le Hoy et la Roync treuvèrent ce Conte de hault goust, les
courtizans advouèrent alors n'en avoir onc([ues entendu de plus
plaisant, et les dames eussent voulu toutes l'avoir faict.
BEUTJIl-: LV ^tEPE^TI
COMMENT BERTHE DEMOUR.V PUCKM.E EN ESTAT DE M.VRIAIGE
Kiiviion le tomps de la piiino fiiilo do nionsoijïncur lo Danl-
pliiii, (1(> la(iiicll(M'on('('iit mitiilt (rciiiiuy nostrc lioii sire ('liarlos
lo. Victorieux, advint iing inoscliicr en iino maison nnl)l(' i\o la
Touraine, depuis estaincte de tout poinct; et, pour ce, peut en
cstre mise on lumière la trez-despl()ura])le histoire. En l'ayde de
l'Autlieur soyont |>ource travail les Saincts Conlcsseurs, Martyrs
et aultrcs Dominalions célestes, qui, par les coinmandemcns
492
CONTES DROLATIQUES.
du Seijïnoiir Dit'u. fouionl les promolouis du bion ou ceslc
advoutuiv.
Par uuy dcltaull de son ('liaraflt'Mc, lo sieur IinlxMldo Hastar-
nav, iing d»^s plus graus tenions seigneurs de nostre pays de
Touraine, ne avoyt nulle fiance en l'esperit de la lenielle de
l'homme, la(|uelle il cujdoyt cstrc trop mouvante, parsuyte de
SOS circumbilivaginations ; et possible estoyt que il eust raison.
Doncques en ee maulvais pensior vint en grant aage sans coni-
pai'^ie, ce qui ne estoyt nullement à son advantaige. Tousiours
seul, ce dict homme ne sçavoyt aulounement se tiiiro giMitil pour
aultniv, n'avant oncques été qu'en voyaiges de guerre et remuc-
mesnaiges de garsons avecques lesquels il ne se gehennoyt point.
Parainsv, demouroyt ord en ses chausses, suant en sonliarnoys,
avovt les mains noires, la face cingesque, et, pour estre brief,
paroissoyt le plus vilain masio de la chrestienlé en ce qui estoyt
de sa |)orsonne, vou que, pour ce qui estoyt du cueur, de la leste
et aultres chouses absconses, il avoyt dos propriétez qui le fai-
soyent moult i)risablo. Vu mossaigier do Dieu oust (cuvdez cocy)
cheminé loing sans rencontrer ung balaiihird plus lerme on son
]«>sto, ung seign<'ur guarny do |ilus d'IionMour sans tache, de
parole plus briol'vo cl (\v j)lus iiailaictc léaultt'.
Aulcuns disent, pour l'avoir entendu, (juo il estoyt saige en ses
d<'\ is cl inoull prourficlablo à conseiller. KsIovI-co point ung laici
BERTHE LA REPENTIE. 403
cxpiTS (lo Dion, qui so gausse (1(M10us, d'avoirmislant (1p poiToo
tions clu'Z img Iioinmo si mal liouzi'? Co seigneur s'estaiit l'aicl
sexagénaire de tout |K)inet,ene()res (jue il n'eust que cin(juantc
ansd'aagc, se résolut à s'enchargier d'une femme, à ceste lin d'en
avoir lignée. Lors, en s'cnquestant de l'endroict où se pouvovt
treuver ung moule à sa convenance, entendit vanter lesgrans mé-
rites et perfeclions d'une lille de l'inclyte l'amille deUolian, (pii
lors tenovt des fiefs en ceste jjrovince, hupielle damoiselle estovt
dicte Bertlie en son petit nom. Hubert, estant venu la veoirau chas-
teau de Montbazon, feut,parla ioliesseet la vertu trez-innoccnte
de ceste dicte Herthe de Rolian, coëffé d'ung tel dezird'en iouvr,
que il se deliht-ra de la prendre pour espouse. cuydanl ipie ia-
mais lille de si liault lignaige ne fauldroyt à son debvoir. Cema-
riaige se leittost, pour ce que le sire deUoban avoyt sejjt filles
et ne sçavoyt comment les pourvoir toutes, par ung temps où ung
chascun se refaisoyt des guerres et raccommodoyt ses affairesguas-
tées. De faict, lebonbommeBastarnay treuva, pour prime bcui',
Bertlie réallement pucelle, ce qui tesmoingnoyt de sa bonne nour-
riture et d'ung parfaict castoycment maternel. Aussy, dès la nuic-
tée où il lui feut loysibledc l'accoller, l'encliargia-t-il d'ung enfant
si rudement, que il en eut preuve suffisante à l'escbéance du
deuxiesme mois des nopces, ce dont feut trez-ioyeulx le sire Imbert.
A ceste fin d'en finersurce i)rime poinct de l'advenlure, disons
cy que de ceste graine légitinu^ nacquit le sire de Hastai-nay, qui
feut duc par la graace du Roy Loys le unziesme, son cbamberlan,
de plus son ambassadeur ez pays d'Europe, et bien aymé de ce
trez-redoubté seigneur, auc[uel il ne faillit oncques. Ceste léaulté
luv l'eut ung li('ritaige de son père, l('(piel de trez-matin s'estoyt
affectionné de monseigneur le l)aul|»liin, (bupiel il suyvit toutes
les fortunes, voire niesme les rebellions, veu que il en estoyt amy
à remettre le Cbrist en croix, s'il en avoyt esté j)ar luy requis ; fleur
d'amitiez trez-rare à l'entour des princes et grans. En prime abord
se compoita si léaulment la gentille dame deBastarnay, que sa
compaignie feil esvanouyr les vapeurs espaisses et nuées noires(jui
concliioyent en l'esperit du bon bomme lesclairelez de la gloire
femelle. Ores, suyvant l'us des niescréans, il passa de deffianco
en fiance si esraument, que il quitta le gouvernement de sa mai-
son à la dicte Bertlie, la feilmaistressede ses faictset gestes, sou-
veraine de toutes cbouses, roynede son bonneur, guardienne de
ses cbeveulx blancs, et aurovt desconlicl sans conteste ung qui
42
l'.U CONTES DROLATIQUES.
sorovl ndvonu luv dlio nng maulvais mot do co mironoro do vertu,
en IcMjiit'l nul sourilfiravoylcsU' aullitMjiic le souille yssii de ses
lèvres coiiiugales et niarlialos, cncores (jue elles l'eiissent fresches
et flatries. Pour estre vray de tout poincl, besoing de dire qu'à
ceste saigesse ayda moult le petit gars, du({uel s'occupa nuict et
iour durant six amu'es la iolie mère, hujuelle ou primi! soiu le
nourrit de sou laictet on l'eil pour elle le lieutenant d'ung amant,
luv quittant ses mignons tettins, auxquels il mordoyt ferme, au-
tantcjue il vouloyt, et il cstoyt tousiours comme ungauu\nt. ('.este
bonne mère ne cogneutaultreslosbineries que celles de ses lèvres
roses, n'eut aultres caresses que cellesde ses petites menues mains
qui couroyeut sur elle comme patios de souriz ioyeulsos, no lut
aultro livre que sesmignonsveulx clairs où se miroyt leciel Idou,
n'entendit aultre musicqu»!; que celle de ses crys qui luy entroyont
en l'aureille comme paroles d'ange. Comptez que elle le dodeli-
novt tousiours, avoyt dès le matin envie de le baiser, le baisoyt le
soir, et ce dict-on, se levoyt la nuict i)ourlemangior de b;>imes
caresses, se faisovt petite connue il estoyt petit, l'educquoyt en
parfaicte religion de maternité ; linablement,secomporloyt connue
la meilleure et la plus heureuse mère qui leust au monde, sans
faire tort à Nostre-Dame la Vierge, lacjuelle dut avoir peud'esteuf
à l)ien élever nostic Saulvour, veu que il estoyt Dieu. Ceste nour-
riture et le peu de goust de Horthe aux cliouses du mariaige res-
iouissoyt fort le bon lionune, veu que il n'auroyt sceu comment
fournir à ung grant estât de lict, et s'adonnoyt à l'économie pour
avoir l'estofl'e d'ung deuxicsme enfant. Ces six années cscheues,
force feutà la mère de laschler son (ils aux mains des escuyerset
aultres gens auxquels messiic de Bastarnay commit le soin de le
fassonner rudement, à ceste lin (juo son héritier eust l'héritaigodes
vertus, qualitez, noblesses, couraige de la maison avecquos les do-
maines et le nom. Lors moult |)louraBerthe, à laquelle feutemblé
son heur. De faict |)ourcogranl cueur do nu'M'o, ce neestoyl rien
avoir (pie de avoir ce (ils bien aymi' après les aultres. et durant
aul(;unes moschanles petites l'uyaidos heures. Aussy choul-elle en
grant mélancholie. Oyantces pleurs, le bonhomme se bendoytà
luy en faire ung aultro, et u'n\ pouvoyt mais, ce (pii faschioyl la
paouvnî dame, j)our ce tjuo, dit-elle, la fasson d'ung enfant l'on-
iniyoyt fort et luy cousioyt cliier. Kt cocy est vi'ay, ou mille doc-
trine ne oslvrayo, et Ix-soingest dobruslerlos Kvangilos comme
faiilsctez, si vous ii'adiouxte/ fov à ce dii'o naïf. Ce neantuioins,
BERTHE L.V REPENTIE. 405
comme pour |)lusicur.sfcniiiips, io nedis p.as les hommes, vi'U(|uc
ils ont (le la science, cecy tournero\ t en lasson de menteiies, l'es-
cri})tiiricr lia eu cure dediMuirc les raisons muettes de ceste bi-
gearrie, ie entends le desgoust de Rerllie j)0ur ce que aynient les
dames par-dessus tout, sans que ce deffault de liesse luy vieillist
la figure et luy tormentast le cueur. Rencontrerez-vous ung scribe
autant complaisant et aymant les dames que ie suis? Non, est-ce
pas? Aussylesaymay-ie bii-n foit et pas autant que ievduJdroys
veu que i'ay plus souvent ez mains le l)ecdema plume d'oye que
ie n'ay les barbes avécques lesquelles on leur chatouille les lèvres
pour les rendre rieuses et iocqucter en toute innocence, i'cn-
tcnds avécques elles. Donc(jues vécy comme.
Le bon homme IJastarnay ne estoyt point ung (ils gorgiasé, de
nature pute, se cognoissant aux miesvreries de la cliouse. Il se
soulcioyt peu delà i'asson d'occir ung souldard,pourveu([ueiI feust
occiz. et l'eust-il bien occiz de tous costcz sans luy dire ung mot,
en la mesiée s'entend. Ceste parlaicte incurie en faict de mortcon-
cordoyt î\ son noncjialoiren faict de vie, naissance et manière de
cuire ung enfanten cegenlil Tour que vous sçavez. Le bon sirène
cognoissoyt aulcunement les mille exploits processifs, dilatoires,
interlocutoires, préparatoires, gentillesses, petits fagots mis au
four pour l'eschauffer, branchaiges llairant come baulme et amas-
•sez brin à brin ez forests de l'amour, fagoteries, bimbeloteries,
doreloteries, mignardises, devis, conlictures mangiées à deux,
pourlescheries de coupe, ainsy que font les chats, et aultrcs me-
nus suffraiges et traflics de l'amour que sçavent les rulïians, que
confisent les amoureux, et que ayment les dames par-dessus leur
salut, pour ce; ({ue elle sont plus chattes que femmes. Cecy esclattc
en toute évidence; dedans leurs mœurs femelles. Si vous prestez
aulcune attention à les veoir, examinez-les curieusement alors
que elles mangent. Nulle d'elles, ie dis les femmes nobles et
bien éduquécs, ne boutera son coultel à lafrippc et l'engoulera
soubdain ainsy (pie font brutalement les masles, ains fouillotteia
son mangier, triera comme pois gris sur ung vollel les brins f[ui
luy agréent, sugcera les saulces et lairra les grosses bouchées,
iouera de sa cuiller et du coultel comme si elle ne mangioytque
par authorité de iustice, tant elles liaient aller de droict fil, et
d'abundant usent de destours, finesse, mignonneries en toute
chouse. C('(pii est le propre de ces créatures, et la raison pour-
quoy les lilh d'Adam en raffolent, veu que elles font les chouses
496 CONTES DROLATIQUES.
aultromciit (lu'oulx ot rontbioii. Dictes oui. Hion ! ic voiisavmc.
Ores donc(]ue>, liiiberl ilo Uastaniay, vieux souldanl ij,mare on
balanogaudisseries, entra dedans le ioly iaidiii diet de Vénus
connue en ung endroict prins d'as-
sault, sans avoir nul esguard aux
clameurs de paouvres liabitans en
lai mes. et planta l'enduit comme il
eustlaict d'une arbalestie dedans le
noir. Encores (jue la gentille Ikrlhc
n'eust accouslumé d'cstre ainsy
traictéo, l'enfant ! cllcavoyt quinze
ans soimez, elle crut en sa vierge
foyquc riicur d'estro mère vouloyt ceste teirible, aflVeusc, con-
(juassante et maulvaise bcsongnc. Aussy, j)endant ce dur traflic
pria-t-ellebien fort Dieu de l'assister, récita des Areà Nostre Dame
on la treuvant bien partagiée de n'avoir eu que sapalumlieà en-
durer. Par ainsy, n'ayant perceu que desplaisir au mariaige, ne
re(piit iamaisson maryde se marier à elle. Ores,veu cpie le bon
bomnie n'estovtîjuèresbastant connue lia esté dessus dict, elle vos-
quit en parfaicte solitude, comme moyncsse. Elleliaïoytlaconipai-
gnie de l'iiommeet ne soupçonnoyt pointquerautlieur du monde
eust bouté tant de ioyeà soyer en ceste cliousede bupielle n'avovt
receu ipie niaulx infinis. Ains en avmoyl davantaigeson petit ,(pii
luy avoyt tant cousié paravant de naistre. Ne vous cstomirez donc-
ques jioint que elle rcfrongnast à ce ioly tournoy où c'est la hac-
quenéequi a raison ducliovaulcliour, et le mène elle lasse et luy
chante pouille, s'il bronche. Cecy est l'histoire vraye de aulcuns
]iaouviesbyméné(^s, au dire des \wn\\ et vieilles, et la raison cer-
taine des follies d'aulcunes l'emmes, lescpielles sur le tard vovont
ie ne sçays comment (pie elles ont esté truphécs, et se bendent à
mettre dedans ung iour plus de temps (pie il n'en peut tenir, pour
avoir leur compte de la vie. Voilà (pii est i>bilos()phic(pie, mes
amys ! Aussy esludiez (;este |)aige, à ceste fin de saigement veigler
au gouvernement de vos femmes, de vos mves, et toutes femelles
g('n('raleinenl(pielc()n(pies(pii,parcas fortuict.vousserovenl bail-
lées en guarde, dont Dieu vous guarde. Ainsy, pucelle de faicl,
qu()i(|ue m(''re, Dcrtlie fout on la vingt et uniosme année de son
aa;:e ime fleur dechaslel, la gloire de son bon bonime et l'hoti-
iiiurdr la province. Eedict Dastarnay prenoyt plaisir à veoir ceste
enfant \ciiir, aller, liiscpie conuneiiaule de saule, agile comme
BERTIII-: LA REPENTIE. 197
iinif|i(iiss()ii, n;iïrv(M'()iiini(' son petit, ce in aiilmoiiis dogriiiilscns,
de |>;ii faicl cnlcndcniciit , et tant, (pic iaiiiais il ne faisox t aidciinc
eiiiprinscsaiis rcquci'ir iin^f advis d'elle, vcu (\uo, si res|terit do
cesanyesrie lia pointestédeslourhc de ses claiietez, il donneiiny
son franc, en tonte rencontre, si on l'en requiert. En ce temps
la dicte Beitlie vivovt piès la ville de Loscîlies, dedans le cliastel
de son seigneur, et y d(Mnonroyt sans nul soulcy de cogiujistre
aultre aflaire (jue les ehouses de son niesnaigeàla niétliode an-
ticiiuc des preudes ienuucs, dont Icurcnt desvoyecs les dames de
France alors que vint la royne Catherine et les Italians, grans
donneurs de festovemens. A ce prestèrent les mains le roy Fran-
ooys premier du nom et ses successeurs, dont les hauchniineries
perdirent l'Estat de France autant que les maulvaisclez de ceux
de la Religion. Cecy n'est poinct mon faict. Devers ce temps, le
sire et la dame de Bastarnay feurent conviez par le Roy de venir
en sa ville de Losclies, oîi [)0ur lo présent il estoyt avec la Court,
en laquelle esclatloyt lo bruit de la beaullé de la dame Bas-
tarnay. Doncques Bertlio vint à Losclies, y récent force lau-
datifves gentillesses du Roy, fcut le centre des hommaiges de
tout ieunes sires, qui se repaissoyent par les yetilx le ceste ponmie
d'amour, et des vieulx, qui se reschauffoyent à ce soleil. Ains
conqUcz que tous, vieulx et ieunes, eussent souffert mille morts
pour user de ces heaulx outils à faire la ioye (pii esblouissoyent la
voue et brouilloycnt la cervelle. 11 estoyt parlé de Berllie en
Loschois plus au long que de Dieu en l'Fvangile, ce dont en-
raigèrent ung nondjre infinv de dames qui ne se treuvèrent pas
si abnndaniment fournies de cbouses plaisantes, et, jiour dix
nuictées à donner au plus laid seigneur, eussent voulu renvoyer
en son cliastel ceste belle cucilleuse de soubiircs. Une ieune
dame, ayant trcz-apertemcnt veu que ung sien amy s'affolloyt
doBertlie, en conceut tel despit, que de ce vindrent les meschiefs
de la dame de Bastarnay; mais aussy de là vint son lieur et la
(fescouverte despavs caressans de l'amour dont elle estoyt igno-
rante. Ceste maulvaise dame avoyt ung parent, le(iuel de prime
abord luy confia, à la veue de Bertlie, que pour iouyr d'elle il
feroyt l'accord de mourir après ung mois jiassé à s'en gaudir.
Notez que ce cousin estovt beau connue une lille est belle,
n'avoyt nul [>oil au nion, eust gaigné son pardon d'ung
ennemy à luy crier meirv, tant méloilieuse csloyl sa v(»ix ieune,
et uvovt d'aagc vingt ans à poine.
42.
498
CONTES DROLATIQUES.
— Biau cousin, luy dit-cUo, quittez la salle et allez en vostrc
hostel, ic m'eflbrceray tle vous donner ceste ioye. Mais ayez cure
de ne vous ])oint monstrcr à elle, ni à ce babouin
greflc i)ar erreur de nature sur une tige chresticnnc,
et auquel appartient ceste plu'e de beaulté.
Le beau cousin musse, vint la dame frotter son
Iraistre muzeau à l'encontre de Berthe, et l'appela
mon amye, mon thresor, estoile de beaultez, se
benda de mille lassons à luy agréer pour mieulx
acertener sa vengeance sur cette paouvrctte, qui, sans
i^^iNnpr H| en rien sçavoir, luy avoyt rendu son amant inlidcUe de
j,|\|m\^J cueur, ce qui, pour les femmes ambitieuses en amour,
est la pire des inlidélitez. Après aulcuns devis, ladicte
dame feslonnesoupronna que la paouvreBertlie esloyt
])ucelle d'amour, en luy voyant ez yeulx abundancc
d'eaue limpide, mil ply ez tempes, nul petit poinct
"^^^ noir sur le gentil cap de son nez blanc comme neige,
où d'ordinaire se signent les Iresmoussemens du déduict, nulle
ride en son front, brief, nulle aceousLumance de ioye apparente
en son visaige, net connue visaigc de pucclle ignarde. Puis, ceste
traistresse luy feit aulcunesinterrogualionsde fcnnneet récent la
parfaicte asseurancc par les réponses de Berthe que, si clic avoyt
eu le proufTiet des mères, le plaisir des amours luy avoyt bien
réallement failly. De ce feut moult contente j)0ur son cousin, la
boime fenmie que elle esloyt. Lors elle luv dit (|ue en la ville de
Losclies demouioyt une iouiie danutiselle iiol)le de la famille de
Bolian, à la(|uelle besoing estoyl de l'assistance dune femme de
bien, pour estrc receueà mercy de messire Loys de B()han;quc
si elle avoyt autant de boutez que Dieu luy avoyt departy de
beaultez, elle debvoyt la retirer en son cliastel, vérifier la sainc-
teté de sa vie et faire cet accord avec(jues le sire de Holian, «pii
refrongnoytà la prendre en son manoir. A quoy consentit Berthe
sans aulcune hezitation, veu que les infortunes de ceste lille
cstoyent cogneues d'elle, mais non la paouvrc damoiselle, qui
avovt nom Sylvie et que elle cuydoyt estrc en jjays estrangier.
Cv besoing est de dt-claiicr |iour(jUoy le seigneur roy avoyt faict
ceste leste au dict sire de Baslarriay. Le sire soui)eonnoyl la j)rime
fuite (lu Daul|)hin ez Estats de Bourgongne, elluy vouloyl tollir
ungsi bon conseiller (|ue estoyl lediclBaslaruay. Ains le vieillard,
(idelle à monseigneur Loys, avoyt, ià, sans mot dire accordé ses
BERTIIE LA REPENTIE. 499
flustes. Doncqncs il ramena Bortlie en sonchasteau, laquelle luy
dit avoir prins uneconipaij,fni(!et la luymonstra. Ce cstoyt ledict
seigneur dcsguisé en fille par le sttin de sa cousine, ialouse de
Berllic, et qui la voulovlciiquilaiier, en raige de saverlu. Imbert
relVongna un;^ brin, saiehant que ce estoyt Sylvie de Rolian ;
mais aussy, trcz-esmcu de la bonté de Bertlic, il la mercia de
s'entremettre à ramener au bercail une brcbiette esg.irée. Il fes-
tova bien sa bonne fenunc enceste darrenièrenuictée, laissa des
gens d'armes au cliaslel, puis se départit avecques le Daulpliin
pour laBoui'gonyne, ayant un cruel eimemy en son giron, sans en
avoir nul soupçon. La face dudict mignon luy estoyt incogneue,
pour ce que ce estoyt ung ieimepaige venu jiour veoir la Court du
Hoy, et que nourrissoyt monseigneur de Dunois, cliez Icipiel il
scrvoyt comme baclielier. Le vieulx 'seigneur, en fiance que ce
estoyt une iille, la treuva moult pieuse et craintifve, veu que le
gars, redoubtant le languaige de ses yeulx, les tint tousiours
baissez ; puis, se sentant baisé en la bouclie par Bertlie, il Irem-
bloyt que sa iuppc ne feust pas discrette et s'esloingnoyt aux
croisées tant il avoyt paour d'estre recogneu pour liomme par
Bastarnay, et desconfict paravant d'avoir iouy de sa mye. Aussi
feut-il ioyeulx comme tout amant l'cust esté en sa place quand,
la herse baissée, le vieulx seigneur chevaulchia dans la campaigne.
Il avoyt eu telles al'fres, (pu- ilfeitvœudebastirungpillieràsesdes-
jiens en la cathédrale de Tours, pour ce ipi'il avoyt eschappé au
dangier de sa folle emprinse. De faict, donna cinquante marcs
d'argent pour payer sa ioye à Dieu. Mais, par adventure, il la
paya derechief au diable, ce qui appert des faicts ensuyvans, si
le Conte vous duit tant que vous ayez phantaisie d'en suyvre le
narré, lequel sera succinct connue doibt estre tout bon discours.
II
QUELS FEDRENT LES DEPORTEMENS DE BERTIIE, SÇAICHAM LES
CHODSES DE l'aMOUR.
Ce dict bachelier estoyt le ieunesire lehande Sacchcz, cousin
du sieur de Montmorency, auquel, jiar la mort du dict Ichan,
ÔOO CONTES DROLATIOLES.
lolouriiÎTont les fiefs de Sacohczet aultres lieux, suyvanl le trac
(le la mouvance. Il avoyt d'aage vinj^t années et ardoyt comme
braize. Aussy, comptez (|ue la prime iournée luy feut ardeue à
passer. Alors que le vieulx Imhert clievaulchia par la campai-
gne, les deux cousines se incinèrent sur la lanterne de la herse,
à ceste fin de le veoir ung plus long temps et luy ieirent mille
signaulx d'adieux. Puis, alors (pie le nuaige de pouldre soubIev(î
par les chcvaulx ne fuma plus en l'horizon, elles descendirent
et soy retirèrent en la salle.
— Qu'allons-nous faire belle cousine? dit Berthe à la faulsc
Sylvie. Aynicz-vous la musicciue? nous music(juerons à nous
deux. Chantons ung lay de aulcun gentil ménestrel ancien.
Hein ! dictes, est-ce vostre phantaisie? Venez à mon orgue, venez !
Faictes cela, si vous m'aymez! chantons!
Puis, elle print lehan par la main et l'attira au claviin- des
orgues, où le bon compaignon s'assit gentement en la manière
des femmes. — Ha! belle cousine, s'escria Berthe, alors que,
les primes notes interroguées, le bachelier vira la leste vers
elle, à ceste fin de chanter cnsemblcment ; ha 1 belle cousine,
vous avez ung œil de teri'ible resguardeurc ! vous me mouvez
ic ne sçays quoy au cueur.
— Ha ! cousine, feit la maulvaise Sylvie, bien est ce qui me
ha perdue. Ung gentil mylourd du pays d'oultre-mer me ha dict
que ie avoys dcbeaulx yenix et les baisa si bien, (jue iay f'ailly,
tant i'ay prins de liesse à les laisser baiser.
— Cousine, l'amour se prend (lonc(jues ez yeulx ?
— Là est la forge des traicts de Cupido, mu chière Berthe,
feit l'amant en luy gectant feu et flainnics.
— Chantons, cousine!
De faict ilschanlèreiit, au gn; de lehan, ung lensoii de Chris-
tine de l'isan, dans hvpii'l il estoyl violennnenl pail(5 d'amour.
— Ha! cousine, quelle prol'undeur et volume de voix est en
la vostre! elle me cherche la vie.
— Où? feit la danuKje Sylvie.
— Là,res|i(iii(lit Bcrihe en nioiistrant son mignon diaphragme
par où s'enlendenl les consoiMiaiices de l'amour niieulx cpie par
les aureill('s,pour ce (pie le diaphragme gist plus près du cueur
et (le ce (pie vous sçavez, (pii csl sans double aulcun la prime
cervelle, le second cueur et la Iroisiesmeaureille des dames, le dis
cecy en tout bien tdut honneur, p(tur raison physicaleelnon aullrc.
De fuicl, ils cliaiiti-iciit au t;ic de leliaii, img teuson ilo Chiislini de l'isan,
dans lequel il cbloyl violcminoiil parle d'amourt
502 CONTES DROLATIQUES.
— Quittons le chant, repartit Bortlic, il nie faict tout es-
nicuc. Venez à la croisée, nous laborerons de menus ouvraigcs
iusquos à la vespréc.
— Ha! cliièro cousine do mon ame, ie ne sçays point tenir
resguillc en mes doigts, ayant eu pour ma perdition coustume
de l'aire aullre chouse d'iceulx.
— lié! quelle occupation aviez-vous doncques tout le long du
iour?
— lia? ie me laissoys aller au couiant de l'amour, qui faict
que les iours sont des instans, que les mois sont des iours et
les ans sont des mois ; et, s'il duroyt, leroyt gobber l'éternité
comme une fraize, veu que tout en est l'rescheur et perfum,
doulceur et ioye infinie.
Puis, le bon compaignon abattit ses belles paupières sur ses
veulx, etdemouramélancliolieux comme uncpaouvre dame aban-
donnée de son guallant et ([ui le ploure, et le vouldroyt tenir, et
luy pardonneroyt ses traistrises, s'il avoyt le cueiu" de chercher
la doiilce voye de son beicail iadis aymé.
— Cousine, l'amour esclot-il en estât de mariaige?
— Oh ! non, feit Sylvie, pour ce que en estât de mariaige tout
est debvoir, ains en amour tout est l'aict en liberté de cueur.
Geste diversité communicque ie ne sçays quel baulme souef aux
caresses qui sont les fleurs de l'amour.
— Cousine, laissons ce devis ; il est de pire mouvance que ne
"estoyt la nuisicque.
Kllc siflla Yilvement ung serviteur, luy commanda d'amener
son fils, ({ui vint, et, le voyant, Sylvie de s'esclamer :
— Ha ! il est beau comme l'Amour!
Puis le baisa bien au front.
— Viens, mon enfant mignon, dit la mère, au giron de laquelle
se gecta lejietit. Viens, toy, le plaisir de tanière, tout son heur
sans meslange, sa liesse de toute heure, sa couronne, son ioyau,
sa perle pure, son ame blanche, son Ihrezor, sa lumière du soir
et du matin, sa flamme unicque au cueur. Donne les mains,
que ie les mange; donne les aureilles, (juc ie les jnorde ung
|)elit; donne ta teste (jue ie baise les cheveulx. Sois heureux,
petite fleur de moy, si tu veulx (jue ie sois heunsuso.
— lia! cousine, l'eil Sylvie, vous luy parlez en languaigc
d'amour.
— L'Amour est donc(jues une enfance '!
BERTllK LA REPENTIE. 503
— Oui, cousine : aussi les povons l'nnt-ils tousiours pour-
liaict entant.
Kn faisant mille anltrcs devis pareils oîi fuisonnoyt l'amour,
les deux iolies cousines se mirent à iouer avee([nes reniant
iusques au souper.
— N'en soubliaitez-vous point ung aultrc? dit lehan en ung
moment ojjportun dedans l'aureille senestre de sa cousine, que
il fiosla (lèses lèvres cliauldes.
— lia ! Sylvie, pour ce, oui, Lien feroys-ie cent années d'enfer,
s'il plaisoyt au Seigneur Dieu m'oclroyer cestc liesse. Mais, maul-
gré les besongnes, travanlx et labours de mon sieur espoux, les-
quels sont moult navrans [)()urmoy, ma ceincture ne varie point.
Las! ce n'est rien avoir (pie de avoir ung seul enfasson. Si ung
cry se poulse dans lecliastel, ilm'esmeut àmetollir le cucur. le
redouble bestes et gens pour cestc innocente amom-; ay paonr
des voltes, passes, maniemçns d'armes, enfin de toute cliouse. le
ne vis point en moy, pour trop vivre en luy. Et, las! i'ayme ces
misères pour ce (pie, tant que ie suis enpaour, ce est signe que
ma gesine demonre saine et saufve. le ne prie les saincts et les
apostres que pour luy. VA, pour estre briefve en cecy dont ie
pcrleroys iusques à demain, ie cuyde que mon souflle est en
luy, non en moy.
Ce disant elb; le serra sur ses tettins comme mèivs seavent
serrer enfans, avee(pics une spirituelle force ({ui n'escarbouille
aulcune aultre cliouse que le cueur d'icelles. Et si vous doubtez
de cecy, resguardez une cbatte em[)ortant ses petits en sa gueule,
aulcun ne dira ung seul mot. Le bon compaignon, lequel avovt
paour de mal faire en arrousant de ioye cestc; iolie prée inl'é-
cunde, l'eut moult reconl'oité par ces dires. Adoncques, il pensa
que ce seroyt snyvrelescommandemens deDieu, s'il conquestoyt
cestc ame à l'amour et pensa bien. A la vesprée Bertlie requit
la cousine, suyvant ranlie(|ue mode de laquelle se dc^portent les
dames aux iours d'Iiuy, de eoiicliier en sa compaignie dedans
son grantlict seigneui'iai. A (piny res|)ondit la dicte Sylvie (pièce
seroyt j)our elle grant cliière, à cestelin de ne point faillir à son
roolle de lille de liault lieu. Vcicy le couvre-feu sonnt', les deux
cousines dedans leur pour|)riz guarnyde tapis, bobans, tapisse-
ries royalles, et Hertlie(lese(les|)i)uiller geiitemeiit ay(l(r par ses
mescbines. Comptez (pie le bachelier retioiigiia |)ii(lic(pieinent à
se laisser toucbier, l'eil de i;i belle IkimIc cranidisie, disant à sa
504 CONTKS nnOLATIOUES.
cousino (|no olle so osloyt iioroustuni('o so dosvostir soulotto du
dcpuys quo cllo n'osloyl plus scrvio \yM- sou Mcn-ayuu', Icquol
l'avoyt mise en tlesgoust des mains Irminincs |)ar ses souet'ves
fassons ; que ces préparalivcs Iny ramentevoyent les délicieuses
paroles que iuy disoyt son amy et toutes ses follies en la mettant
à nud, ce qui Iuy t'aisoyt venir l'eaue à la bouche, à son dam.
Celluy discours estomira moult la dame Bertlie, qui laissa sa
cousine l'aire ses oremus et aultres pour la nuicL soubz les
courtines du lict, dedans lequel mon dict sieur, enflammé de
hault dezir, se mussa tost,en granthaste, bien heureux de pou-
voir guetter au passaigc les beaultez merveilleuses de la chas-
Iclaine qui n'estoyt point guastée. lierthe, en sa Iby d'estre
aveccpies une fille damée, ne laillil point à aulcune de ses accous-
lumances; elle se lava les pieds, sans se soulcier de les lever
peu ou prou, monstra ses espaules mignonnes et feitainsy que
l'ont les dames alors que elles se couchent. En fin de tout, vint
au lict, et s'y estcndit de la bonne l'asson en baisant sa cou-
sine ez lèvres, que elle trouva trez cliauldcs.
— Auriez-vous doncques mal, iSvlvie, que vous ardez si i'orl'/
dit-elle.
— le brusle tousiours ainsy, alors que ie me couche, res-
pondit-elle, pour ce que en cestc heure m'adviennent en la
mémoire les gentiMcs mignonneries <jue il inventoyt pour me
faire plaisir (jui me brusloyent encores davanlaige.
— lia cousine, racontez ce que est de ce il. Dictes le bon de
l'amitur à moy qui vis soubz l'umbre d'une teste chenue de la-
(juelle les neiges me guardent contre telles ardeurs. Dictes,
vous (|ui en estes guarrie. Ce me sera de bon casiovcment, et
par ainsy vos meschiefs auront à deux paouvres nmlicbres na-
tures esté de salutaires advis.
— le ne sçays si ie doibs vous obéir, belle cousine, l'eit le
compaignon.
— Dictes pour(piov non.
— lia! vaullmiculx le laiic i\\u' le diic! l'i'il-cllc en lascliant
ung sospir gros comme ung ut des oignes, l'uis i'ay j)aour (pie
ce mylourd m'ayt tant encombrée de ioye, (|ue ie n'en boule
ung brin à vous, ce qui seroyt suffisant à vous bailb i une lillc,
vcu (pic, ce (pii l'aicl enfans se seroyt all'oibly en nioy.
— Nt'ic, l'cil Dcrllie, entre nous, serovt-ce pt'ché?
— 11 y auroxt bien, an ((Hilrairc, leste icv et dans le ciel ; les
BKUTIIE L.V UEPENTIE. 505
an"cs cspantIrovcMil en vous leurs pcil'unis et rcroyeiil leurs niu-
sic(jues.
— Dicles (loiiC(|ues esriiuincnt, cousine, leit Bcrtlie.
— Doncques véey eonnnenl me l'aisoyl devenir toute ioye mon
bel Jiniy.
En ce disant, lelian prinl Herllie en ses bras, et l'estrain^ïnit
avecques des dezirs sans pareils, pour ce (|ue, au clair de la
lampe et vestue de blanches toiles, elle estoyt en ce damne lict
connue les iolies chouses nuptiales des lys au l'und de leur calice
virj^iual.
— Alors (pie il me teuoyl comme ie vous tiens, il nie disoyt
d'une voix plus douice (jue ne est la mienne : « Ha ! Sylvie, lu
es mon amour éterne , mes mille tlne/ors, ma ioye de iour vX de
nuict; lu es jjIus blanche que le iour ne est iour, plus gentille que
tout ; ie l'ayme plus que Dieu, et vouldroys soulïVir mille morts
pour l'heur que ie requiers de toy. » Puis, me baisoyt non en la
manière des espoux, qui est brute, mais columbcllcment.
Pour d('monstrer incontinent combien estoyt meilleure la mé-
thode des amans, il sugra tout le miel des lèvres de Bertlie, et luy
apprint comment, de sa iolie langue menue et rose conmie lan-
gue de chatte, elle pouvoyt moult {)arler au cueur sans dire ung
seul mot ; puis, s'cmbrasantdavantaigc à ce icu, lelian espandit le
l'eu de ses baisers de la bouche au col, et du col aux plus mignons
rruicts(jue l'emme ayt onccpu's l'ait mordre à son enlant pour en
tirer laict. Et i[uiconque eust esté en sa place se seroyt exislimé
tmg maulvais honmie de ne pas l'imiter.
— lia ! l'eil Bcrlhc engluée d'amour sans le sçavoir, cecy est
mieulx: il me chault de le dire à bubert.
— Estes-vous en vostrescns, cousine? .Ne dictes rien à vostrc
vieulx mary, veu que il ne peut faire doub-eset plaisantes comme
les niieimes ses mains, (pii sont rudes connue battoirs à laver et
ccste barbe pie doibt bien mal nuMier ce centre de délices, cesle
rose en la(|uelle gist tout nosire esperit, noslre bien, nostre che-
vance, nos amours, nosire i'ortune. Sçavez-vous que ce est une
Heur aniuK'e (pii veult estre amiguoltéeainsy, etnon sacquebutée,
connue si ce estoyt une cata|)ulte de guerre ?Ures, vécy la gente
manière de mon aymé l'Angloys.
En ce disant, le iolv conq)aiguon se comi»orta si biavement,
(|u'il advint une escopetterie où la [iaou\re iguarde Berthc s'es-
clamu :
43
506 COUTES DROLATIQUES.
— lia ! cousine, les anges sont advenus ! mais tant belle est
leur musicque, que ie n'entends plus, et tant llanibent leurs gects
lumineux, que mes yeux se closent !
De faict, elle se pasmasoultz le faix des ioyes de l'amour qui
esclaltèrent en elle comme les plus haultes gammes de l'orgue, qui
soleillèrent comme la plus magnilicquc aurore , qui se coulèrent
en ses veines comme le plus fin musc, et lascliièrent les liens de
la vie en la baillant à ung eiilanL d'amour, Ie(juel en se logianl
faict un certain tapaige plus remuant (juc tout aultre. En fin de
tout, Bertbe cuyda cstre à mesmc des cieulx du paradis, tant bien
elle se treuvoyt, et se rcsveigla de ce beau resvc dedans les bras
de lehan disant :
— Que n'ayc esté mariée en Angleterre !
— Ma belle maistresse, feit lelian, qui oneijues ne perceut tant
liesse, tu es mariée à moy en France, où les cliouscs vont encorcs
mieulx, veu que ie suis ung lionnue qui pour toy donneroyt mille
vies, s'il les avoyt I
La paouvre Bertbe gecla ung cry si vif, que il perça les murs, et
saulta liors de son licl comme eust faict une sauterelle de la playe
d'iEgypte. Elle se laissa tomber sur ses genoilz à son prie-Dieu
ioingnit les mains et ploura plus de perles que iamais n'en porta
la Marie-Magdeleine : — Ha ! ie suis morte, disoyt-elle. le suis
trupliéc par img diable qui a prins visaige d'ange. le suis per-
due, ie suis mère, pour le seur, d'ung bel enfant, sans estre plus
coulpable (|ue vous, madame la Vierge. Implorez ma graace de
Dieu, si ie n'ay celle des honnnes sur la terre, ou faictes-moy
mourir, à ceste fin ({ue iu ne rougisse point devant monseigneur
et maistre.
Oyant(|ucellene disoyt rien de maulvais contre luy, lehan se
leva tout [)anlois de voir Derllu' prendre airisy ceste belle dance
à deux. Ains, premier que elle entendit son Gabriel se mouvoir,
elle se dressa en pieds vifvemcnt, le resguarda d'un visaige en
pleurs et les yeulx allumez de sainctc cbolère, ce (|ui les feit moult
bi'aulx à veoir : — Si vous advancez ung seul i)as devers moy,
leil-elle, ie en feray ung vers la mort!
Et elle print ung poignard à dames.
Sur ce, tant navrante estoyt la Iragicquc voue de sa polnc, que
leban luy respondil : — Ce ne est point à toy, ains à moy, do
mourir, ma cbière belle niye, plus aymée que femme le sera onc-
ques sur ceste terre.
RERTHE LA REPENTIE.
507
— Si vous m'aviez bien aynxV, vous no nio auriez |ias (IcCraicte
comme ie le suis, veu(jac ieniourraiplulostque de cslreieprou-
cliéc i>ar mon cspoux.
— Mourrez-vous? l'eit-il.
— Pour le scur feit-ollc.
— Doncques, si ic suis icy percé de mille coups, vous aurez la
"•raace de vostre mary, auquel vous direz (jue, si voslre innocence
l'eut surprinse,vous aurez veny»' son honneur en tuant cil (jui vous
lia trompée. Et ce sera pour moy riieur lejjlus yranl qui me puisse
advenir de mourir pour vous, dès que vous refrongnez à vivre
pour moy.
En ovant ce tendre discours diet avectjues larmes, Berthe las-
cliia le ier ; lelian courut
sus, et se donna du poi- /
gnard dedans le sein,
disant : — Tel lieur se
doibt payer par la mort !
Et tomba roide.
Bcrllie appel la sa mes-
chine, tant elle fut ef-
frayée.La mcscbine vint,
et fout notablement ef-
frayée aussy la mescbine
de veoir ung homme na-
vre dedans la chambre
de Madame et Madame qui le soustenoyt, disant : « Que avez-
vous faict, mon aniy? » pour ce (jue elle le cuydoyt mort, et se
ramentcvoyt sa ioye cxcessifve, et cond)ien dehvoyt estie beau
lehan pour que ung chascun, veoirc Imbert, l'existimast fille.
Dans sa douleur, elle racontoyt tout à sa mescbine, plourant et
cryant que ce estoyt bien assez d'avoir sur le cueur la vie d'ung
enfant, sans avoir aussy le trespas d'ung homme. Oyant cecy, le
paouvre amoureux se benda d'ouvrir l'œil et n'en nionstra que le
blanc, encores petitement.
— Ha ! madame, ne cryons point, dit la mescbine, ne perdons
point le sens, et saulvons ce iolv chevalier. le vais quérir la Fai-
lotte pour ne mettre aulenn phycisian ni maistre myre en cettuy
secret, et, veu que elle est sorcière, elle lera poin- plaire à Ma-
dame le miracle de boucher cesle blessure sans que il y pa-
roisse.
508 TONTES DROLATIOUES.
— Cours! feil Boitlio ; ic l'ayinoray ol lo foray du hiou pour
ceste assistance.
En avant de tout, la dame et la mesoliine convindrent do se
taire sur ccstc adventure et musser lelian à tous yeulx. Puis, la
nieschine alla nuictamment chercher la Fallotte, et leut couduicle
par sa niaistresse ius(|ues eu la poterne, pour ce que la 'niarde
ne pouvoyt lever la herse sans ung exprès conunandeuienl de
Bertlie. Berllie trouva sou bel aniy esvanouy par la force du mal,
veu que le sang s'espandoyt par la blessure sans tarir. A ceste
veue, elle but ung petit de ce sang, en songiant que lelinn
l'avoyt espandu pour elle. Ksnicue par ce grant amour et i)ar ce
dangier, elle baisoyl ce ioly varlct de plaisir au visaige, liendovl
sa jilaye en l'esluvant de ses
larmes, luy disant de ne pas
mourir,et que pour le faire vivre
elle l'aymeroyt bien fort. Cuy-
dez (|ue la chastelainc s'espre-
noyt moult en obseivant (juelle
divei'sité estoyt entre ung ieune
seigneur comme lehan, blanc,
dnvet(',fleury,et ung vieuh comme Imbert, poilu, iaune, ridé. Ceste
différence lui lamenlevoyt celle que elleavoyt Ireuvt-e au plaisir
d'amour. Snpci'line/ i)ar ce souvenir, ses baisers se faisovent si
mielleux, <juelt'lian reprint ses sens, son resguard
s'amelieura, et il put veoir Bertlie, de la(|U('lle il
requit son ])ardon d'une voix loible. Aius BerlIic
hiy dcITendit depailcr, ius([uesà ce (juela Kallollc
j'eust venue. I)onc(|ues, tous deux consumèreni
le teuq)s à s'aymer par les yeulx, veu (jue en ceulx
de Berthe il n'y avoytque compassion, et que la
conq)assion est en ces conionctures trez germaine de l'amour.
La Fallotle estoyt une femme bossue, véhémentement soup-
çoniK'e (If trafli<'qufr en nécromancie, de couraller au sabbat eu
clH'vaulcIiiaiil ung balay suyvani la coustume des sorcières. Aul-
cuns l'avoyent veue baruachiant son balay en l'escuysrie qui,
comme cbascun sçayt, est située ez gouttières des maisons. Pour
le vray dire, elle avoyt des arcanes de guarrison, et rendoyt si
bous oftices aux dames eu certaines chouses et aux seigneurs,
(juc cllf vcsipiit ses inurs en ])ail"aicle lran(|iiilili', sans rciidic
l'amr sue ung cciil de fai^dU, ains sur im^ licl de plimics, veu
LA FA I. I. (J r 1 L.
43.
La Fallollc oloyt uni' l'emiiic Ijossuc, vrlKwiicniuiiioiil soupçoniioo
de Irufliciiucr cii uccromancio.
BERTIIK LV HKI'KNTIK.
511
que elle amassa do j»loinos jjaiiiicn'cs d'escnz, encore quo les
])livsicians la lornionlassont, disant (\no oWo vondoyt jioisons, ce
((ni ostoyt vrav, oonnnoil appert de (•cslo liis|r»iro. Fia niescliino et
la Fallolte vindrcnt sur inie niosino hounique en faisant telles
diligences, que le iour ne estoyt point clair lorsque elles arrivèrent
au cliasteau. La vieille bossue dit, en entrant dedans le pourpriz :
(( Ores eà, qu'y lia-t-il, mes enfans'.' » Ce estoyt sa manière, (jui
estoyt pleine de familiarilez aveeipies les iirans (jue ellcvoyoyl
trez-petits. Elle mil ses hczieles et visita trez-dextrenient la plave,
en disant ; « Voilà du beau sang, ma mye, vous y avez gousté.
Cela va bien, il ba saigné en
deliors. » Vax ce disant, elle
lavoyt la blessure, d'une es-
ponge fine, au nez de la dame
et de la mescbine, qui bale-
toyent. Rrief, la Fallotte pro-
nonça doctoralement que le
sire ne mourroyl pas de ce
coup, encores, dit-elle à l'as-
pect de sa main, que il deusi
périr violentement par lerai( l
de ceste nuietée. Cettuy ai-
rest de cbiromancie espou-
vanta moult Rertlie et sa suy-
vante. La Fallotte prescrivii
l(!s remèdes in-gens et promil
revenir la nuict ensuyvanle.
De faiet, elle soingna la bles-
sure durant une quinzaine de
iours, venant les nuictsen se-
cret. H feut dict aux gens du -_=^ _
cliasteau, par la mescbine que
ceste damoiselle Sylvie de Hoban estoyt en dangier de mort par
suite d'une eiilleure de ventre, ce {|iii debvovl rester ung mvs-
tère pour l'Iionneur de Madanu», hupielle estovt sa cousine. Ing
cbascun l'eut satisfait par ceste bourde, de laquelle il eut la
bouclie tant pleine, (pie il en rendit aux aultres.
Les bonnes g(>ns cuyderoyenl (pie ce l'eut la maladie qui estoyt
pleine de dangier : vU bien,|)()int ! ce l'eut la convaleseenee, veu
ipie plus leiian devenoyl l'ort. plus l'ieillie devenovt Inibli^, et
L:i rnc>cliiric cl lu Fullolie viudront aur uiio iiicsiiic bourrique.
RERTHK LA REPENTIR.
tant foihle, que ollo se laissa clipoir dedînis le |)ara(li/ on l'avoyt
l'aict monter lelian. Pour eslrc briel', elle l'aynia tant et [)lns.
Ains, au courant de ses ioyes,
tousiours assassinre par l'ap-
preliension des parnlos nieiias-
santes de la !■ al lot le, .4 Inr-
mentée par sa grant religion,
elle avoyt en paour sire Iniberl ,
auquel elle l'eut coiUraincte
d'escrihreipie il ravoylencliar-
giée d'ung ciifanl, (liu|ucl elle
leresgalleroyt à son retourner;
mais elle faisoyt là ung men-
songe plus gros que l'enfant.
Kapa()Uviv.l)erllie('vitason aniy
lelian, durant le iour où (llf
eseripvit eeste lettre l'onrhe,
veu que elle ploura à mouiller son mouclienez. Se voyant ('vili-,
car ils ne se laissoyenl pas pins que le feu ne laisse le l)ois une
foys que il le happe, lelian crut (pu^ elle le haïoyt, et ploura de
son costé. A la vesprée, Hertlie esmene des larmes de lelian.
desquelles il y eut niarque en ses yeulx, encores que il les es-
suyast, luy dit la raison de sa douleur, en y meslant l'adveu de ses
terreurs en l'endroict de l'advenir, luy remonstrant combien ils
cstoyent tousdeuven faulte, et luy tint des discours tant Iteaulx.
tantclirestiens, tant ornez de larmes divines et oraisons eonlriles,
que lelian l'eut toucliic' au [)lus [iroluiid de son cueur par la foy de
sa mye. Geste amour naïfvement unie à la repentance, cesie no-
blesse dedans la eoulpe, cctluy meslange de foiblesse et de force,
eussent, comme disent les anciens autlieurs, muté le cliaractère
des tigres, en les attendrissant. \e vous estomin-z point deceque
leban l'eut conlrainct à iurersa j)arole de bachelier de luy obi'ii
en quoy que ce soyt ({ue elle luy commanderoyt pour lasaulver
en cettuy monde et dans l'aultre.
Oyant ceste fiance en elle et cesIe non-maulvaisel('. IJeilhe se
gecta aux pieds de lelian en les luy baisant: — 0 amy ! (|ue iesuis
contraincle d'aymer, encore que ce soit ung péché mortel, tov
qui es tant bon, tant jiitoyable à ta paouvre IJerthe, si tu veulx
que elle songe tousiours à toy en toute doulcenr, et arresler le
torrent de ses pleurs, duquel est si genlille et si plaisante la source ;
(:<'>le nmoiir naïrvcir.eiil unie 5 la loi'cnlan.n, ccslc nol)lessc dedans la
coulpe. celluy meslaiige de foiblesse el de force, cussenl, comino di-
sent les anciens aulheurs, mule le cliaractèru des tigies, en les allcn-
drissant.
BERTUE LA REPENTIE. oI5
— cl, ponrlii Iiivmonslror, luy laissa lobhoriingbaisor: — Ichan,
roiiriiil-cllc a[nvs, si lu voulx (|iio le souvenir de nos ioyes cé-
lestes, niusicijues d'anges et perlïuns d'amour, ne me soit point
poisant, et, au contraire, me console aux maulvais iours, lais ce
(jue la Vierge me lia commandé d'orilonner à toy en ung resve
où ie la supplioys m'esclairer pour le cas prcsent vcu (jue ic
i'avoys reipiisc de venir à nioy, et elle esloyt advenue. Ores, ieluy
remonstroys le supplice liorriMemcnt ardent où ie seroys en
tremblant pour ce petit (jui ià se mouvoyt, cl pour le vray père,
qui scroyt à la mercy de l'aultre, et j)ouvoyl expier sa paternité
pai- une mort violente veu que la Fallotle pouvoyt avoir veu clair
dedans la vie l'ulure. Lors la belle Vierge me dit en soubriant
([ue l'Lcclise nous olïroyt le pardon de nos faultes en suyvant
ses commandemens ; que besoing estoyt de faire soy-mesme la
part au l'eu des enfers en s'amendant de bonne beure, avant que
le Ciel ne se fascliiast. Puis, de son doigt, elle me lia monstre
un lelian pareil à toy, ains comme tu dcbvroys l'estre, et comme
tu le seras, si tu aymes liertlie d'ung amour éterne.
Lors lelian luy confirma sa parfaicte obéissance, en la relevant,
l'asseyant sur ses genoilz et la baisant bien. La paouvre Berthc
luy dit alors que ccltuy vestement estoyt un froc de moyne, et
le rc([uit, en tremblant moult d'esprouver ung refus, de soy
mellre en religion et retirer en Marnioustier, au delà de Tours,
luy iurant sa foy ([ue elle luy bailleroyt une darrenière nuiclée,
après laquelle elle ne seroyt plus oncques à luy ni à nul aultre
en ce monde. Kt par cliascun an, en recompense de ce, le
lairroyt venir cbez elle ung iour, à ceste fin que il veist son en-
fanl. lelian, lié par son serment, promit de soy mettre en reli-
gion au gré de sa mye, en luy disant (jue au moyen de ce il
luy seroyt fidelle, et n'auroyt aultres iouissances d'amour que
celles goustées en sa divine accointance, et vivroyt sur leur
cliiere remembrance. Oyant ces doulces paroles Herllie luy dit
que, pour grant (pie feust sou pcclié, ijuoy que luy réservasl
Dieu, ceste beure luy feroyt tout supporter vcu ([ue elle ne cuydoyt
point avoir esté a ung homme, ains à ung ange.
Doncfjuesilssecoucbièrent dedans le nid oîi leur amour estoyt
esclos, aiiis pour dire img adieu suprcsmc à toutes ses belles
Heurs. IJesoing est de croire (pie le seigneur Cupido se mesla de
ceste feste, vcu que iamais femme ne percent ioye pareille en
aulcuii lieu dumonde, et «pie iamais liomme n'en luiiit autant.
MG CONTES DROLATIQUES.
Le propre du véritable amour est une certaine concordance qui
laict que tant plus l'unpj donne, tant plus l'aullre nroit, et réci-
proquement, conuue dans certains cas de la matlu'nialicque où
les cliouses se nuilti|)lienl par elles-mesmes à rinliny. Cettuy
problesme n'est explicable aux gens de petite science que par ce
(jue ils voycnt ez glaces de Venise, où s'aperçoivent des milliers
de figures produictes par une mesme. Ainsy, dans les cueurs de
deux amans, se multiplient les roses du plaisir en une prokmdeur
caressante, (pii les laict s'estomirer que tant de ioye y tienne,
sans que rien ne crève. Bertlie et lehan auroyent voulu queccslc
nuict feust la darrenière de leurs iours, et cuydèrent, à la dé-
raillante langueur (|ui se coula en leurs veines, que l'amour
avoyt résolu de les enqiorter sur les ai'sli-s d'un baiser morti-
fère: ains ils tinrent bon, maulgré ces multi[)lications inlinies.
Lendemain, vru que le retourner de messire Imbert de Bas-
tarnay estoyt proucbe, la damoisclle Sylvie dent se départir. La
paouvre fille laissa sa cousine, en l'arrouzant de pleurs et de
baisers : ce estoyt tousiours son darrcniei", et le darrenier alla
iusqu'à la vesprée. Puis, force l'eut delà laisser, et il la laissa,
(juoique le sang de son cucur se figeast comme cire tombée
d'ung cierge pasclial. Suyvant sa promesse, il se déporta vers
Marmoustier, où il entra vers la unziesme heure du iour, et feut
mis avecques les novices. Il feutdict à monseigneur de Bastar-
nay (jue Sylvie estoyt retournée aveccpies b; mylourd, ce qui
signifie le seigneur en languaige d'Angleterre et par ainsy
Bertbe ne mentit jjoint en cecy.
lia ioye de son mary cpiand il veitBerthe sans ceincturc, veu
que elle ne pouvoyt la porter, tant elle estoyt bien engrossée,
comiuença le martyre de ceste paouvre fenune, qui ne sçavoyt
j)oint truplier, et (jui, pour chaque j)arole faulse, alloyt à son
jtri(!-I)icu, [ilouroyt son sang en eaue par les yenlx, se fondoyt
en prières et serecoinmandoytà messieurs les sainctsdu paradiz.
Il advint (]ue elleciia si fort à Dieu,([ue le Seigneur l'entendit,
pour ce (jiie il entend toiil, il entend et les pierres qui roulent
sous les eaux, et les paouvres(pii geingrienl et les monsclies (pii
volent par les ac'irs. Il est bon (|Ui! vous sçaicbiez cecy, aultrement
vous n'adioMxtcriez point fov à C(M|iii advint. Dieu conunandaà
l'archange Michel de fain; l'aire à ceste pénitente son enfer sur
leire, à ceste lin quiM'Ilc cntrasl sans conteste dans lc|)aradiz.
Adoncques saincl Miclici dcMcndit (le> cieidx sui' le porche des
BERTIIE LA REPENTIE. 517
enleis, et livra cosU; Iriplc aino au diahk', en luy (lisant (|uc il
luycstovt licite de la toriiienterduiaiilledeiiiourant de ses iours,
en luy nionslranl Meitlie, lelian et l'entant. Le dialdr, ijui, Ital-
ie bon vouloir de Dieu, est sire de tout mal, dit à rarelianj^etjue
il s'act|uitteioyl dudict nicssaige. Durant ceste ordonnance du
Ciel la vie alloyt son train ey-bas. La gentille dame deBastarnay
bailla le jtiusbel enl'anldu niondeausire Imbert, ung garson de
lys et de roses, deliaulle eomprc'liensioneoiiinie ung petit lesus,
riant et malicieux comme ung Amour payen, devenant plus beau
de iour en iour, tandis que l'aisné tournoyt au cinge comme son
père, auquel il ressembloyt à l'aire paour. Le darrenicr estoyt
brillant comme une estoile, semblable au père et à lanière, des-
quels les perfections corporelles et spirituelles avoyentproduiet
ung meslange de graacesinclytes et d'entendement merveilleux.
Voyant ce perpétuel miracle de cbairetd'esperitmeslezen condi-
tions (piiditatifves, Bastarnay disoytqus pour son salut éterne,
il vouldroyt pouvoir faire du cadetTaisné: qu'ily adviseroytpar
la protection du Uoy. Kertbe ne sçavoyt comment se comporter,
veu que elle adoroyt l'i'nl'ant de lelian et ne pouvoyt (ju'aymer
foiblement l'aultrc, que neanlmoins elle protégeoyt contre les
intentions maulvaises de ce bonliomme de Bastarnay. Bertlie,
contente du cbemin ([ue prenoycnt les cbouses, se chaussa la
conscience de meiilerie, etcrut(juetout estoyt liné, veu (pie douze
anni'es s'escoulèrent sans antre meslange que le doubte qui, par
anicune, foys, empoisonnoyt sa ioye. Parcbascunan, suyvantia
foy bailltîe, le moyne de Marmoustier, lequel estoyt incogneu de
tous, liorsmis la meschine, venoyt passer ung iour plein au
chastcau pour veoir son enfant, encores que Bertlie eust à plu-
sieurs fovs suppli(' frère lelian, son amy, de lenoncer àsondroict.
Ains lelian luy monsti'oyt l'enfant, en luy disant : — Tu le vois
tous les iours de l'an, et moy ie n'en ay qu'ung seul !
Lors la jiaouvre mère ne treuvoyt aulcun mot à respondie à
ceste ])arole.
()uel([ues mois avant la daiionière rébellion de monseigneur
Loys contre son père, l'enfant marclioyt sur les talons de sa dnu-
ziesme annexe, et jjaraissoyt debvoir estre un granl clerc, tant il
estoyt sçavant sur toute science. Oncques le vieux Bastarnay ne
se estoyt sentu plus ioyculx d'estre père, et se résolvoyt d'em-
mener avec(iues luy son lils à laC<»uit de Bomgongne, on le duc
Charles prometlo^jt faire à ce bien-a\iu(i hls ung estai à estre
44
518 CONTES DROLATIQUES.
envié des princes veu que il ne haioyt point les gens de liault
entendement. Voyant les chouses accordées ainsy, le diable
iuiiea le temps venu de mal taire ; il print sa (jueue et la bouta
en plein dans ce bon heur, de la belle manière, à cestc lin de
le remuer à sa pbantaisie.
III
HORRIFICQDES CASTOYEMENS DE BERTIIE ET LES EXPIATIONS DE
LA DICTE, LAQUELLE MOCnUT l'ARDONNÉE.
La mesebinc de la dame de Bastarnay, laquelle avoyt lors trente-
cinq ans d'aage, s'amouracha d'ung des gens d'armes de Mon-
sieur, et feut assez niaise pour luy laisser prendre
i) quel(|ues pains sur sa fournée, en sorte que il y eut
en elle une enfleure naturelle (juc aulcuns playsans
nomment en ces provinces une liydropisie de neuf
mois. Celte paouvre femme supplia sa bonne mais-
Wi tresse de s'entremettre auprès du sire, à cestc fin que
il contraingnist ce maulvais homme à parachever
devant l'autel ce que il avoyt connnencé dedans le lict. Madame
de Bastarnay n'eut point de poine à obtenir cesle graace du
sire, et la meschine feut bien ayse. Ains le vieil homme de
guerre, qui tousiours estoyt rude en diable, feit venir en son
prétoire son lieutenant, auquel il chanta pouille, en luy com-
jiiandant soubz })oine de la liart, d'espouser la meschine, ce
(pic le souldard ayma mieulx, tenant pins à son col (pi'à sa
Iraniiuililé. bastarnay manda aussy la femelle, à huiuelle il crut
devoir, pour l'honncurdesa maison, chanter une litanie remuée
d'éiiithètes, aornéc de fanfreluches horriblement sonnantes, en
luy faisant redoubter, en manière tie punilion, de n'estre point
maric'c, mais gectée en une fosse de la geôle. La nieschine cuyda
(pie Madame se vouloyt deffaire d'elle, à ceste lin d'enterrer les
secrets sur la naissance de son chier lils. Dans ce pensier, alors
ipic ce vieulx cinge luy dilces oultraigeuses |)aroles, à sçavoir,
ipic il falloyt estre fol pour avoir une pute chezsoy, elle luy res-
poiidil ipi'il estoyt aichifol |)our le seur, veu (pie depuis ung
BERTUE L\ REPENTIE. 519
long temps sa femme avoyl esU' emputanée, et par ung moyne
encores, ce qui pour ung liomme de guerre est le pire destin.
Clierchez le plus grant oraige (juc vous ayez veu en vostre vie,
et vous au)'ez une l'oihle imaige de la cliolère vcrde en laquelle
tomba le vieillard assailly on ung cndroict do son cueur où estoyt
une trij)le vie. 11 priiit la mescliinc à la gorge, et vouloyt l'orcire
incontinent. AinscUe, pour avoir raison, déduisit le pourquoy, le
comment, et dit que, s'il n'avoyt nulle fiance en elle, il pouvoyt
se reposer sur ses aureilles, en se mussant au iour où viondroyt
don lelian de Sacclicz, prieur de Marniousticr : il enlendroyt lors
les devis du père, qui se solacioyt de son (piaresme annuel, et hai-
soyt en ung iour son lils pour ung an. Imbcrt dit à ceste renunc
de desguerpir du chasteau, veu que, si elle accusoyt vray, il la
tueroyt aussy bien que si elle avoyl inventt' des menteries. Lors,
en ung brief moment, il luy iiailla cent eseuz oultre son bomme,
leur enioingnant à tous deux de ne se point coucbier en Touraine,
et, pour plus de seureté, l'eurent eonduicts en Bourgongne par
ung officier de mon dict sieur de Bastarnay. Il advisa sa femme
de leur des])artie, en luy disant que ceste mescbine estoyt ung
l'ruict guasté, et avoyt iugé saige la gecter liors, ains luy avoyt
donne' cent escuz et trouvé ung employ pour le gars en la Court
de Bourgongne. Bcrtbe l'eut cstonnée do sçavoir sa mescbine bors
du cliasteau, sans avoir receu congé d'elle qui estoyt sa mais-
tresse ; ains elle ne souna mot. Puis tost après elle eut aultres pois
à lier, veu que elle entra en de vifves apprebensions, pour ce (jue
le sire cbangea de lassons, commença de comparer les ressem-
blances de son aisné, avccques luy-mesme, et no trouva rien
de son nez, ni de son front, ni de cecy, ni de cela, cbez celtuy
cadet, que il aymoyt tant.
— Il est tout moy-mesmc, respondit Bortbo en ung iour que il
faisoyt (h ces é(juivocques : ne sçavoz-vous point (pie, dans les
bons mesnaigos, les lieux se font parles marys et par les femmes,
ung cbascun sa voltc, ou souvent de compaignie, pour ce que la
mère fond ses osperits avec(pios les esperits vilaulx du père? et
aulcMins myres se iactont d'avoir vou moull enl'ans j)roduicts
sans nulle pourtraycleuro do l'uiig ni do l'auUro, disant ces
mystères estre à la pbantaisie de Dieu.
— Vous estes devenue sçavante, ma mye, respondit Bastarnay.
Ains, moy qui suis ung ignare, ie cuyde que ung enfant qui
ressemblcroyt à ung moyne...
520 CONTFS DROLATIQUES.
— Scroyt fiùct par cettuy moyne? tlil Berlho en le resgiiardant
sans paoïir au visaigo, ciicoros que il courust glace en ses veines
au lieu de sang.
Le bonhomme crut errer et mauldit sa mescliine, ains ne feut
que plus ardent à vt'rifier le cas. Comme le iour deu à dom lelian
se l'aisoyt prouclie, lierlhe, mise en delliance par ceste parole, luy
escripvit sen bon vouloir eslre que il ne vinstpas ceste année, se
réservant de luy dire le pourquoy ; puis, elle alla reiiuerir la Fal-
lotte à Losi'lies de remettre sa lettre à don lelian, cuydant tout
saui' pour l'heure pn-sente. Elle feut d'autant plus ayse d'avoir
escriptà son amy le prieur, que sire Imbert, qui, vers le temps as-
signé pour la feste annuelle du paouvrc moyne, avoyt accoustumé
voyaiger en la province de Maine, oii il possédoyt grans biens, y
faillit ceste foys, en obieclant les j)réparatifves de la sédition que
souloyt fau'e nionseigneur Loys à son paouvre père, qui feut si
luarry de ceste prinse d'armes, que il en mourut, comme ung
chascun sçayt. Geste raison estoyt tant bonne, que la paouvre
Berthe donna dans les toiles et se tint en repos. Au iour dict,
le prieur advint sans fiiulte. Berthe, le voyant, blesmit et luy
demanda s'il u'avoyt point receu son messaige.
— Quel messaige'? dit lelian.
— .Nous sonnues doncques perdus, l'enfant, loy et moy, l'cs-
pondit Berthe.
— Pourquoy? fcit le prieur.
— le ne sçays, dit-elle, mais vécy nostre iour extresme advenu.
Klle s'enquit de son bieu-aynu' lils où estoyt Bastaiiiay. Le ieune
honnne luy dit que sou père avoyt esté mandé par ung exjjrès à
Losches et ne debvoyt retourner qu'à la vesprée. Sur ce, lehan
voulut, maulgré sa mye, demourer avecques elle et son chier en-
fant, l'acertenaut (ju'auh'un mesehief ne j)ouvoyt advenir après
douze années escheufs depuis la Not'i de leur lieu. Kn ces iours où
estoyt feslée la nnictéeaux advenlurescjue vous sçavez, la |)aouvre
Berthe demouroyt en sa chambre avecques le paouvre moyne,
iusques au souper. Ains, en ceste coniuncture, les deux amans,
basiez jtar les appréhensions de Berllie. lescjiielles l'eurent espou-
.sées par dom lehan dès (|ue sa mye les luy grabela, disnèrent
lost. eneores (pie le pri(!Ur de Marmousiier ralTermisl le eueur à
Berihe en luy remonslraiit les |)riviléges de l'Kiclise, et combien
Basiarnay. desià mal enCfturl, auroyl paour de faire ung attentat
sm- ung dignitaire de Marmousiier. .Vlors que ils se placèrent à la
lîI'HTIIf' l.\ FII'l'F.NTIi:. î)-21
t;il)lo, lonr |icliL ioiioyl par iHlvciitiin', et, iiiaul^Tc' los itriatUVos
priôros tic sa mère, ne voulut laissoi'lc ieu, vou(|U(' il tounioyoyt
par la court du chastcl, cla'vaulcliiant un lin gcncst criIespai|,M)P,
duquel monseigneur Cliailcs do Bourgnngne avoyt guordonné
Bastarnay. Kt pour co (|uo 1rs iouncs gars aynicnt à so vieillir,
que les varlets l'ont les bacheliers, que les baclieliers soûlent
l'aire les chevaliers, ce petit se coniplaisoyt à monstrer à son
amy le nioync combien il estoyt devenu grant : il faisoyt sauller
le genest comme puce ez toiles, et ne bougioyt ne plus ne
moins que s'il n'eust esté vieulx soubz le barnoys.
— Laisse-le faire à sa gnyse, ma cliière mve, disoyt le
moync à lîertlie. Les enfaiis indociles se tournent sauvent en
grans charactèrcs.
Bcrtlie mangioyt petitement, rai- \o cueur s'enfloyt comme
csponge en l'eaue. Aux jirimes morceaulx, le moyne, qui estoyt
grant clerc, sentit eu son eslomach ung trouble et en son ])alais
une ascie pic(|ùre de vojiin (|ui luv leit sonpçomier (|ue le sire de
Bastarnay leur avoyt à tous baillé le bouccon. Paiavant (|U(! il
eust cet acertcncment , Bertlie avoyt ià niangié. Soubdain le
moyne renversa la nappe et gccta le tout dedans l'aatre, disant
à Berthc son soupçon. Berthc mercia la Vierge de ce que son lils
avoyt esté tant iV-ru de iouer. Ne perdant point le sens, doui
lelian se remembra son prime mestier de paige, saulta dedans la
court, osia son fils de dessus le genest, l'enfourcha tost, vola par
la campaignc avec([ues telle diligence, que vous auriez cuytié
veoir une estoile filante, si vous l'eussiez veu donnant du talon
dedans le flanc dudict genest à l'esventrer, et feut à Losclies chez
la Fallolte en ung temps (jue le diable seul auroyt pu meltre à
aller dudict chastel à Losches. Le moyne feit le couqitc de son
cas à la Fallotte en deux mots, veu ({ue desià le poison luy gre-
zilloyt en la fressure, et la requit luy baillei" ung contre-j)oison.
— Las! dit ceste sorcière, si ie avoys sceu (|ue ce feusl pour
vous que ie livroys mon j)oison, i'auroys receu dedans le goziei'
la lame du poignard (hnpiel ie estoys menassée, et auroys laissé
ma j)aouvre vie pour saulver celle d'ung lionnne de Dieu, et la
plus gente femme qui oncques lia llory sur ceste terre, veu (|ue.
mon chier amy, ie n'av (pie ce demourani de contre-poison en
ceste fiole.
— V en ha-t-il pour elle?
— Oui; aius allez lost, i'eil la vieille.
44.
l.i! Mioynn leil le comnte de son ca> l\ la l'allolte en ilciu mots.
BERTHE L\ REPENTIE.
525
Le moyne revint plus osraumont cncorcs que il nVstoyl vomi,
si l)ion que lo fronost creva sdiiitz luy dedans la conrl. Il arriva
en la eliandjrt- où l>t'itlie, cuydani son heure exlrcsnie advenue,
haisoyl son enl'ant en se tordant comme ung lézard au l'eu, et ne
gectoyt pas ung cry sur elle, ai us sur cettny enfant abandonné
à la cliolèrc de Dastarnay, oubliant ses tortourcs à la veue de ce
cruel advenir.
— Prends ieit le nioyne ; inoy, i'ay la vie saulve.
Dom lelian eut le fier couraige de dire ceste parole d'ung
visaige ferme, cncorcs que il sentist les griplies de la mort luy
saisir le cueur. Si tost que Berllie eut bu, prieur de eheoir mort,
non sans baiser son tils et resguarder sa niye d'ung œil (pii ne
varia plus mesmes après son dai-renier sospir. Geste veui; la
glassa comme marbre et l'espouvanta tant, ([ne elle demoura
roidc devant ce mort estendu au rez de ses pieds, serrant la main
à son enfant qui plouroyt, tandis que elle avoyt au contraire ung
œil sec connue la mer Ronge alors que les Hébreux la pas-
sèrent conduiets par le baron Moïse, veu que elle cuydoit y
avoir sables aguz roulant soubz les paupières. Pliez ptun- elle,
âmes cbaritables, ,])our ce <pie aulcune fenune ne lent autant
gchennée, eu devinant que sou aiiiv lui saiiJvoxl la \ie à ses
despens. Avdée pai- son lils, elle boula elle-niesme le Tnoync en
Ô2l r.ONTKS DROLATIQUES.
|ilain lict, ot si' dressa on pieds aiipiès. piiaiU avocques son fils,
aut|iiel elle dit lors (juc eettny prienr estovt son vray jière. Kn
cet estai, attendit la maie heure, et la maie heure ne lui laillit
point, veu que, vers la unzicsmc heure, Ikstarnay vint et luy
l'eut dict, à la herse, que le moync estovt mort, et point Madtime
ne l'entant, et voit son, beau gencst crevé. Lors esnieu par ung
i'urieux dezir d'oecir Herthe et le lils au moync, il l'ranchit les
deyrez d'un sault; ains, à la veue de cettuy mort pour (jui sa
l'emme et le fils récitoyent des litanies sans les interrompre,
n'ayant point d'aurcilles pour ses véhémentes querimonies,
n'ayant point d'yeulx pour veoir ses tourdions et menasses, il
n'eut plus le couraige de j)erpetrer ce noir l'ortaict. Après son
prime l'eu gecté, ne s(;eut que l'ésouldre et alloyt par la salle
comme ung homme couard et prins en l'aulte, léru par ces
prières tousiouis dictes sur cettuy moyne. La nuict Tout consu-
mée en pleurs, gémissemens et oraisons. Par ung exprès com-
mandement de Madame, la meschine avoyt esté lui achepler à
Losches ung veslement de damoiselle noble, et pour son paouvre
petit ung cheval et des armes d'escuyer; ce <jue voyant le sieur
lie Haslarnay feut trez-estonné ; lors il envoya quérir Madame et
le fils au moyne, ains ne l'enfant ne la mère ne donnèrent de
response, et |)0uillèrent les veslemens acheptez parla meschine.
Pai- ordre de Berllie, ceste meschine i'aisoyt le compte de la
maiscin de Madame, disposoyt ses habits, jterles, ioyaulx, dia-
mans, comme se disposent ces chouses pour le renoncement
d'une veul've à ses droicts. Berthe ordonna mesmes de placer,
sur le tout, son aumosnière, à ceste lin que la cérémonie leust
parl'aicle. Le bruict de ces préparatifves couiut par la maison ;
ung chascun veil alors (jne Madame alloyt la laisser, ce qui en-
gendra la mariisson dans tous les cueurs, veoir nu^smcs en l'ame
d'ung petit marmileux venu ceste sepmaine, lequel plouroyt
pour ce que Madame luy avoyt ià dict ung mot gracieux. Espou-
vaiitédeces apj)iests, le vieux Bastarnay vint en la chambre de
Madame, et la trcuva plouranf auprès du cor|)s de lehan, car
les larmes cstoventadveinies ; ains elle lesseiclia, voyant son sieur
es|i()ux. A ses intcrroguations sans numbre elle respondil brief-
venient par l'aveu de sa coul|)e, disant comment elle avoyt esté
truph('e; (•(innncnl le |)aonvre paige avoyt est(' navré, monstrant
sur le mort la lilessurc du poignard : condtien avoyl esti- longue
sa gnarri--(Mi ; |iiii>i ((iinnK ni, par iilii-issaMce pour elle cl pai'
Ayant «lict noblement cl d'un vi.-aige jiasle ces belles parole-, elle print
son enfant par la main et y>sit en grand deuil, plus luagnilicquement
belle (jue ne feul la damoisellc Ai;ar.
526 CONTES DROLATIQUKS.
pL-nitence envers los hoininos ol Diou, avoyt psté soy mettre en
religion en abandonnant sa belle vie de chevalier, laissant llner
son nom, ce qui certes estoyt pire que la mort ; comment elle, en
venjïeant son honneur, avoyt songié (juc Dieu mesmes n'auroyt
reflust" ung iour par an à ce moyne pour veolr le fils auquel il
sacrifioyt tout; conmient, ne voulant vivre avecipies ung nieur-
drier, elle quittoyt sa maison en y laissant ses biens ; puis que,
si l'honneur des Bastarnayse treuvoyt maculé, ce estoyt luy, non
elle, qui taisoyt la honte, pour ce que en cottuy mesclnef elle
avoyt accommodé les chouses au mieulx ; linablement, adiouxla
le vœu d'aller par monts et par vaulx, elle et son fils, iusques à ce
que tout l'eust expié, veu que elle sravoyt comment expier le
tout.
Ayant dict nol)lement et d'un visaigepasle ces belles paroles,
elle prinl son enfant par la main et yssit en grant deuil, plus
magnificquement belle que ne feut la damoiselle Agar à sa des-
partie (l(M'hez le patriarche Abraham, et si fière, que tous les gens
de la maison se genoillèrent à son passaigc en l'implourant à
mains ioinctes comme Nosf re-Dame de la Riche. Ce l'eut pitoyable
de veoir aller (piinauld à sa suite le sieur de Hastarnay j)lourant,
recognoissant sa coulpe et desespéré comme ung homme conduict
en l'eschalTaud ])our y estrc delïaict.
l?(Mthe ne voulut entendieà rien. La désolation estoyt si grant,
que elle treuva la herse baissée et hasta le pas pour yssir du
cliaslel, en redoublant ipie elle ne l'eust soubdain levée; ains nul
n'avoyt ne raison ne cueur. Berthe s'assit à la margelle des
douves, en veue de tout le chastel, qui la prioyt avecques larmes
y demourer. Lepaouvre sire estoyt debout, la main sur la chaisne
de sa herse, muet comme ung des saincts de pierre engravez au-
dessus du porche ; il veitBerlhe commander à son fils de secouer
la pouidre de sa chaussure sur la voye du pont, à cestefiii dcne
l'ien avoir aux Bastarnay, et clic l'cit pareillement. Puis monstra
du doigt à son fils kv sire, par ung geste grave, et luy tint ce
languaige :
— Enfant, vécy le meiirdrier de ton père, lequel estoyt, comme
tu sçays, le paouvre prieiu*; ains tu lias prins le nom de cet
horiime. Oies doncipies tu veriasà le luy rendre, de mesmes qui;
lu laisses cy la poudre prinse avec(jues tes soliers en son chastel.
l'oiu- ce qui est de ta nourriluie en sa maison, nous solderons
aussy le < itmjdi', Dieu aydant.
15KRTI1Ë L.V RKPF.MIK. r.27
Oyant ccslo ({uprimonie, le viculx Baslarnay oust laisse tout uiig
mousticr de inoynes à sa fciiinio pour no point cstro abandonné
p;ii: cllo- et par uny osciiycr capable d'cstre lelos de sa maison,
et denionra la leste penebi('e aux cliaisnes.
— Démon ! l'eit Bertlie, sans sçavoir quelle estoyt sa part en
cccy, cs-lu content? Advienne lors enceste ruyne l'assistance de
Dieu, des saincts et arcbanges, que i'ay tant prie/ !
Bertbe eut sonljdîiiii le cucur eniply de sainctes consolations,
veu que la l)annière(lu grant nioustier torna la route d'ungcbanip
et apparut accompaiynéc des chants de l'Ecclise, qui esclattèrcnt
connue voix célestes. Les moynes, inl'ormez du meurtre perpétré
sur leur bien-aymé prieur, venoyent cbcrclicr son corjis proces-
sionnellement, assistez delà iustice ecdésiasticque. Voyant ce, le
sire de Bastarnay eut à grant poine le temps d'issyr par la poteine
avecques son monde et se départit vers monseigneur Loys, lais-
sant tout à trac.
La paouvre Bcrthc, en croupe derrière son fils, vint à Mont-
bazon l'aire ses adieux à son père, luy disant que elle mourroyt
de ce coup, et l'eut reconrortéo par ceulx de sa gent, (jui se
bendèrcnt à luy remettie le cucur en estât, ains sans le pou-
voir. Le vieulx sire de Bolian guerdonna son petit-lils d'une
belle armeure, luy disant de si bien conquester gloire et hon-
neur par ses hauits faicts, que il tornast ceste coulpe maternelle
en los éternc. Ains madame de Bastarnay n'avoyt bouté dedans
l'esperit de son cliier fils aultre pensicr que celluy de réparer
le dommaige, à cestc fin de la saulvcr, clic et Ichan, de la
damnation ctcrne. Tous deux allèrent doncqucs ez lieux où se
laisoyt la rébellion, en dezir de rendre tel service à mondict
sieur de Bastarnay (jue il receust d'eux plus que la vie. Ores
le l'eu de la sédition estoyt, connue ung cbascun sçayt, aux
environs d'Engoulcsmc et de Bourdcaux en Guyenne, et aultres
endroicts du royaulme où dcbvoyent avoir lieu grosses ba-
tailles et rencontres entre les séditieux et les armées royales.
La principale qui fina la guerre l'eut livrée entre BulTec et
Engoulesme, où l'eurent pendus et iusticiez les gens prins.
Cestc bataille, commandée par le viculx Bastarnay, se bailla
environ le mois de novembre, sept mois après le meurtre de doni
lelian. Ores, le baron se sçavoyt reconnnandé au prosne poiu-
avoir la teste trenchée connue prime conseiller de monseigneur
Loys. Donajues, alors (juc les siens l'eurent aval de roule,
l'illiC cul .«oubli. lin le; (iKMir cmiily de. saiiictcs l■OM^ul.ltioMS, vru i|ui' l.i
Ijjiiiiii Tc ilu Kr.iiU niousticr loriia l:i roule d'uuf,' cliainp ot apparut ac-
coinpaijjuée dci cliaiils de l'Ecclisc, (jui csclaléreui cuimiie voix cclesles.
liKIlTIlM LA REI'KNTll'. U^^
\v hoii lioiiitiic se voit sorn- entre six hommes (rannes (lélerinincz
à le saisir. Lors il comprint que on le vouloyt vivant pour procé-
der à rencontre de sa maison, rnyner son nom et confisquer ses
biens. Le paouvresire avnia miciilx périr jiour saiilver sa f,'ent et
f,'Mardrr les doinaincs à son lils ; il se delï'endit connue un^^ vrav
lion (jue il estoyt. Manli^ni leur numhre, ces dicts souldards,
voyant tombez trois des leurs, feurentconlraincts d'assaillir Has-
tarnay au risque de l'occire, et se geclèrent ensemblenient sur
luy, après avoir mis ses deux escnyers et ung paiije à lias. En
cet extresme danyier, ung escuyer aux armes de Hohan fondit
sur les assaillans comme ung fouldre, en tua deux, criant :
«( Dicn siijilve les Bastarnay! » Le troisiesme homme d'armes,
qui ià tenoyt le vieulx Hastarnay, feust si bien féru par cettuy es-
cuyer, (pie force luy feut de laschicr, et se retourna contre l'cs-
cuyer, aucjuci il donna de son ])()ignard au dcffault du goriicrin.
Rastarnay estoyt trop bon conipaignon pour s'enfuir sans baillci'
secours au libérateur de sa maison, (jue il veit navré en se retour-
nant. Lors, il deflit d'un coup de masse l'homme d'armes, print
l'escuyer en travers son cheval et gaigna les champs, con-
(hiicl |)ar un guide (jni le mena dedans le casiel de la Koclie-
l'oueauld, oii il entra nuiclannnent, et treuva iierllie de Itolian
dans la grant salle, qui luy avoyt moyenne ce leliaict. Ains, en
40
Lors il rompripl que on Ir \ - i .'
du SI iiiui»uii, riiyiicr son nom el conlis<|U('r ^is hicns.
Le flls lie lelian, lequel nypira iiiz la talili\ en liaisatit ?a mère par uiig
darrenier i-fforl, eC luy dicl à haulie voix : < Ma mère, nous somme»
quittes envers luy I »
Il plaça dedans la niCsinc tuinl)c In rii> et la iniVre avccqims ung grant
tiiiiiliuau ebCi'i|>l cji IuIid, où Irur vie e^l inotilt lioiiorùe.
r.r.IlTIlE LA IIKPENTIE. 533
(lesliouzant son saiilvciir, recognciit le (ils (!t* Idian, loqiu'l o\-
|tira iuz latablo.on baisant sa iiièro par ung (larrf'iiicrr'rfort, et luy
(lit à haultc voix : « Ma mère, nous sonnncs (juittos envers luy ! />
Oyant ceste parole, la mère accolla le corps de son enfant d'a-
mour et s'y conioinf,niit poiu' ung ianiais, veu que elle trespassa
(le douleur sans avoir cuie ne souley du pardon et repentance du
Mastarnay.
Ce meschief estrange advança tant le darrenier iour du paouvre
sire, que il ne veit point l'advènement du bon sire Loys le un-
ziesmo. Il fonda une messe quotidienne à l'eccliso de la Roelie-
Foueauld.en lacpiclleil plaça dedans lamesme lumbe le (ils et la
mère aveeques mv^ grant tumbeau escript en latin, oîi leur vie
est moult bonorée.
Les moralitez que ung chascun peut sugcer de ceste histoire
sont moult proufîietables pour le train de la vie, veu quececy dé-
monstre combien les genlilsbommes doibvent estre cortoys avec-
(pies les bien aymez de leurs femmes. iJ'abundant, eecy nous en-
seigne (|uc tous enfans sont des biens envoyez par l)ieu mesmeet
sur lesquels les pères, faulx ouvrays, ne sçauroyent avoir droict
de meurtre, comme iadisà Rome par une loy payenne et abomi-
nable, laquelle ne sied point à la cbrestienté, où nous sommes
tous fds (le l)i(îu.
Ccsle rencontre fcil la hrllc lille tant lieurciisp, que (.'Ile cul le bec
plein de ce Duni.
COMMENT
LA BELLE FILLE DE 1»01{TILL0N
Q tl I \ A U I. D A SON I U C K
TiH Porlilloiiiic, l;i(|U('llt' dcv inl, coniiiio unu diascun sçavl, la
Tasclicii'tU', ('sto\l liiiaiidirrL' paiavant d'cslrc taiiiotuiii'i'c, au
(licl liou do Poilillfdi, d'où son nom. Si aulcuns n('('ojj;noissont
Tours, bosoing est dédire que Portillon est en aval de la Loire
du costé de Sainct-Cyr, loin du pont qui mène à la cathédrale
de Tours, autant que ce dict i>ont est loin de Maimoustier veu
que le ponlcst au mitan delà levée entre le dict lien de l'orlillon
et Maimoustier. V cstes-vous? — Oui. — Hon ! Adoncqucs, la lille
avoyt là sa buanderie, d'où elle devalloyt en ung rien de temps
pour laver en la Loire, et passoyt sur une toue pour aller à Sainct-
Martin, qui se treuvoyt de l'aultre costé de l'eaue où elle rendoyt
la plus ^lanl part de ses buées en (^liastcauneufet aullrcs lieux.
ùôr, CONTES nnOLATIQUES.
Environ la Sainol-Iran. sopl anm'os avant do marior lo bon-
lionnno Tasoliorcau, oUt' cul l'aayo trostrc ayniôc. Comme ello,
csloyt rieuse, elle se laissa aymer sans eslire aulrun des gars qui
la poursnyvoYcnt (ramour. Encoros que elle oust à son banc
soubz sa cioisce le fils à Rabelais, (jui avoyt sept bateaiilx navi-
i^uantcn Loiio. l'aisnc des lalian, Maicliandcan le cousturier et
Peccard le dorciotier, i-llc en l'aisoyt mille moccjucric^s, pour ce que
elle vouloyt estre menée à l'ecclise paravant de s'enchargier d'ung
homme, ce qui preuve que ce feut une garse honneste, tant que
sa vertu ne l'eut point embouzée. Elle estoyt de ces filles qui se
gnardent moult d'estre contaminées, ains qui, prinses par ad-
veiiture, laissent aller tout à trac, en ce pensier que, pour une
tache ou j)0ur mille, il est tousiours nécessaire de se fourbir.
Besoing est d'user d'indulgence à l'encontre de ces charactères.
Ung ieune seigneur de la Court la veit ung iour que elle passoyl
l'caue sur le coup de midy par ung soleil tre/ ardent qui iaisoyt
reluire ses amples beaultez, et la voyant demanda qui'Ile estoyt.
Ung vieulx honmie, (}ui laboroyt en la grève, luy nomma la belle
fille de Portillon, buandière cogneue pour ses bons rires et sa
saigesse. Ce ieune seigneur, pourvu de Iraizes à empoiser, avoyt
l'orce toiles et drajjoaux tre/ prélienx; il se résolut adonner la
pratic(jue de sa maison à la belle de Portillon, que il arresta
au passaige. Il l'eut mercié i)ar elle et grantement, veu i[ue il
estoyt le sire duFou, chamberlan du Roy. Geste rencontre leit la
belle fille tant heureuse, que elle eut le bec plein de ce nom.
Elle en parla moult à ceux de Sainct-Martin, et, au retourner en
sa buanderie, en dit ung septier de par(des ; j)uis, leiidenuiin, en
desbagoula tout aulant en lavant à l'eaue;
par ainsy il l'eut j)lus parlé de mon seigneur
du Fou en Portillon que de Dieu au prosne,
ce (jui estoyt trop.
— Si elle batainsy àfroid, (jue fera-l-ell(>
à cliauld '.Mit ung restant de vieille laveuse;
elle en veult, il luy eu cuyra, du Eou !
Pour la prime foys que ceste folle à langue
pleine de monsieur du Eou eut à livrer les
linges en l'iioslel, le chamberlan la voulut
veoir et luy elianla laudes et complies sur
ses gcildroiiiienes, el liii;i p;ir lin dire ( pie elle ii'eslo\ I poilil sotte
d'eslre lirjjcet. pour ce, la p:i\('ro\l lauee sur l';iulre. Le l'iiiet
El h voyaiU demanda qucdlc esloyl. Uii^' vieiilx lioniiiic, «iiii l.ilioioyl
eu la grève, luy iioiiiina la liello lille de l'uilillou.
Ô58 CONTKS DUOLAÏiniKS.
siiyvit la parolo. von t\nc, en \uv^ moment où ses gens les lais-
sèrent, il aniignolta la hoUc lillo, qui cuydoyt liiy vcoir tirer
beaulx deniers de sa bougëttc et n'osoyt rcsguarder à la bou-
gotte enfdle bonteuso de reoepvoir salaire, disant : Ce sera pour
la prime loys.
— Ce sera tost. feit-il.
Aulcuns disent que il eut mille poines ;\ la forcer et la força
])etitement ; aulcuns la tinrent pour mal forcée, pour ce que
elle yssit comme une armée aval de route, se respandit en
plainctcs et (pierimonies, et vint cliez le iuge. Par advcnture,
mon diet iuge esloyt ez clianq)s. La Portillone attendit son re-
tourner en la salle, plouraiit, disant à la servante que elle
avoytesté volée, pour ce que monseigneur du Fou ne luy avoyt
rien baillé aultre (jue sa mesclianceti», tandis (pie ung clianoine
du Cbapitre souloyl luy donner grosses sommes de ce que luy
avort robhé monseigneur du Fou ; si elle aynioyt ung liomme,
elle cxistimeroyl saige de luy bailler ceste ioye pour ce que elle
y prendroyt plaisir; uins le cbamberlan l'avoyt lio(lée,lioguinée,
et non mignoltéc gentcment comme elle cuydoyt l'estre, partant
il luv debvoyt les mille escnz du chanoine. Le iuge rentre, venil
la belle fille et vcult noiscr, ains elle se met en guarde et dicl
(pie elle est venue pour faire une j)laincte. Le iuge luy respond
(jue pour le seur, il y aura ung pendu de sa fasson, si elle le
soubbaite, p6ur ce que il est en raigc de faire les cent ung
couj)S pour elle. La belle fille luy dict que elle ne veult point
(pie son liomme meure, ains (pie il luy paye mille escuz d'or,
pour ce (pie elle est contre son gré forcée.
— Ha ! lia ! feit le iuge, ceste Heur vault davantaige.
. — A mille escuz, feit-elle, ie le quitte, pour ce que ie vivrav
sans foire mes buées.
— Cil (pii lia prins ceste ioye csl-il fourny de deniers? de-
manda le iuge.
— Oli! bien.
— Doncques il payera cbier. Qui est-ce?
— Monseigneur du Fou.
— Voilà (pii change la cause, dit le iuge.
— Ft la iusiice? feit-elle.
— l'ay dict la cause, et non la' iusiice, re|)artil le iuge. He-
.soing est de bien sçavoir conunenl eut lieu le (ms.
Ixirs la belle fille raconta naïfveincnt comment elle rangioyt
LA BELLE FILLE DE PORTILLON. ^30
les fraizcs dedans le bahut de iiionseignein-, alors que il avuyl loué
avec sa iuppc à elle et que elle se estoyt retournée, disant :
— Finez, monseigneur !
— Tout est dirl, l'cit le iu^e, veu «[lie |iar eeste [cnole il lia
cuydé que tu lui hailloys eonyé de liner vitVeinent. Ha! lia!
La belle fille dit que elU; se estoyt deilendue en plouiaiit et
criant, ce qui laisoyt le viol.
— Chiabreiias de puccile pour ineilci! icit le iuye.
tu (in de tout, la l'orlilloiinc dit que, inaiilyrt- son vouloir, elle
se estoyt sentuc prinsc par la eeineteure, et acculée au lict, après
que elle avoyt moult saulté, moult crié, ains (jue, ne voyant nul
secours advenir, elle; avoit perdu couraii^e.
— Bon! bon! ieit le iuge, avez-voiis eu i)laisir?
— Non, leit-elle. Mon dominaigc! ne sraiiroyt se payer (jue i>ar
mille escuz d'or.
— Ma mye feit le iuge, ie ne reçois point vostre [)lainclc, veu
que ie cuyde nulle fille ne estre violée que de grand cucur.
— Ha ! ha? monsieur, leit-elle en ploiiraiit, inleriogU(!Z vostre
servante, et oyez ce que elle vous eu dira.
La servante atïera ipuî il y avoyt des viols plaisans et des viols
tiez maulvais; que si la i'ortillonne n'avoyt perceu ny deniers ny
plaisir, il lui estoyt deu plaisir ou deniers. Ce saigc advis gecta le
iuge en trez grande perplexité.
— lacqueline ! teil-il, paravant (jûe ie soupe, ie veux grabeler
cecy. Ores çà, va (juerir mon l'erret avecques un fil rouge à lier
les sacs à procez.
lacqueline vint avec ung ferret troué d'ung ioly chaz en toute
perfection et ung gros lil rouge comme en usent gens de iusticc.
Puis, la servante demeura en pieds, à veoir iuger la re(|ueste, trez-
esmeuc,ainsy que la belle fille', de ces })répai'atoiresmystigoriequcs.
— Ma niye, ieit le iuge, ie vais tenir le passe-filet, dont le chaz
est grant assez pour y enfiler sans peine ce bout. Si vous l'y bou-
tez, ie me charge de vostre cause et feray cracher Monseigneur
au bassinet par ung compromis.
— Que est de cecy? leit-elle. le ne veiilx. point le proinellrc.
— Ce est ung mot de iustice pour signifier ung accord.
— Ung compromis est donccjues les accordailles de la iustice?
dit la Porlillonne,
— Ma mye, le viol vous ha aussy ouvertl'esperit. Vestes-vous ?
— Oui, ieit-elle.
540 CONTES DROLATIOUKS,
Le malicieux iugc feit beau icu à la viok'o on luy tendant
bellement le trou : ains, quand elle voulut y bouter le fil tjue elle
avoyt tordu pour le faire droicl,le iu»o bougea uny petit et la (ille
en feut pour son prime coup. Elle soupçoima l'argument que luy
poulsoyt le iuge, mouilla le fil, le tendit et revint. Bon iuge de
bougicr, votillcr et lietinfretailler comme pucelle (pii n'ose.
Adoncques le damne fil n'entroyt point. Ikdic fille de s'appliquer
au trou, et bon iugc de barguigner. La nopce du fil ne se par-
faisoyt point ; le cbaz demouroyt vierge, et la servante de rire,
disant à la Portillonne que elle sçavoyt mieulx ostre violée (pic
violer. Puis, bon iuge de rire, et la belle Portillonne de plourer ses
escuz d'or.
— Si vous ne restez point en place, luy dit la belle fille perdant
patience, et que vous bougiez tousiours, ie ne sçauroyts enfiler ce
dcstroict.
— Doncqucs, ma fille, si tu avoytsfaicl ainsy. Monseigneur ne
te auioyt point delïaicte. Encores considère combien est facile
ceste entrée et combien doibt estre close une pucelle !
La belle fille, qui se iactoyt d'estre forcée, demeura songeuse et
cbercba à faire le iuge quinauld en lui remonstrant comment elle
avoyt esté contrainctc à céder, veu que il s'enalloyt de l'Iionneur
de toutes les paouvres filles idoynes à estre violées.
— Monseigneur, pour cjue la cliouse soit iusle, besoing est que
ie fasse connne lia faict Monseigneur. Si ie n'avoys eu qu'à
bougier, ie bougeroys encores, ains il ha faict aultres cérémo-
nies.
— Oyons, respondit le iuge.
Yécy doncques la Portillonne qui arreste le fil et le froste en
la cire de la chandelle, à ceste fin que il demeure ferme et droiet.
Puis, le fil aressé, j)icque sur le cbaz que lui tendoyt leiuge en
vctillant tousiours à dextre, à senestre. Ores la belle fille luy di-
soyt mille gaudisseries comme : « lia! le ioly cbaz ! Quel mignon
but de fisclierie ! Onc(|ues n'ay veu tel biiou! Quel bel eiilre-
deux!Laissez-mo\boulei-ce fil persuasif! Ha ! lia ! lia! voiisallcz
blesser mon paouvre fil, mon mignon fil ! tenez-vous coy ! Allons
mon amour de iuge, iuge de mon amour! Hein ! le fil ne ira-t-il
pas bien dedans ceste porte de fer (pii useia bien du fil, veu(jue
le fil en sort bien desbill'é. » Et de rire, veu (|ueelleen scavoy
ià plus long àceieuqiic le iu;;e ,(pii rioyl, laiit eileesldyt lall(»lle,
cingesseet mignardeà teiidreel retirer le fil. Elle lint mon diel
L.V lîKLLK Fil.LR HK l'OnilLLON. 541
sieur iuyo, le c.iz au |M»iuy, ius(|ucs à ccsici heures, lousiours
Yclillant, frétillant conune niannultedeschaisnce; ains, vcu (jue
la P(»rlili(»Mtie se bciidnyt tousiours à faire entrer le fil, il n'en
pouvoyl mais, d'aulaul (|ue son roslbiusloyt, et eulle |ioiny tant
fatigué, (juc il feut c.ontrainct soy reposer ung petit au bord de la
table ; lors bien dextrenient la lidlc fille de Portillon fourra le lil,
disant :
— Yéey comme lia eu lieu la cbouse.
— Ains mon rost bru'sloyt, léil-il.
— Et aussy le mien, feit-elle.
Le iuge, devenu quinauld, dità la l'urlillonneciue il V(;rroyt à
parler à monseigneur du Fou, et se cbargioyt du pourcliaz, veu
que il constoyt que le ieune seigneur l'avoyt forcée contre son
gré, ains cpie, jiour raisons valables, il atermoyerox lies cliouses
à l'umbre. Lendemain le iuge alla en Court et veit monseigneur
du Fou, au(|ucl il déduisit la plaincte de la belle fille, et com-
ment elle luy avoyt raconté le cas. Geste plaincte de iustice plut
moult au Hoy. Le ieune du Fou ayant dict (|ue il v avovt du
vray, le Roy luy demanda s'il l'avoyt treuvée de difficile accez,
et, comme le sieur du Fou respondit naïfvcment que non, le
Roy repartit que ceste pertuysade valoyt bien cent escuz d'or, et
le cliandjerlan les bailla au iuge pour n'estre point taxé de la-
drerie, ains dit ipie l'enqxjys seroyt de bonne rente à la Por-
tillonne. Le iugt- relouina dans Portillon, et dit ensoubiiant à la
belle fille (jue il avoyt soublevé cent escuz d'or pour elle. Ains,
si elle soubbailoyt le demeurant des mille eseuz, il y avoyt,
en cettuy moment, dedans la cliand)re du Roy, aulcuns seigneurs
qui, sçaiclianl le cas, s'olf'royent à les luy |)ari'aii'e à son gré. La
belle fille ne se rell'usa point à cecy, disant (pie, pour ne [>lus
faire ses buandei'ies, elle buanderoyt voulentiers son caz ung
petit. File recogneut largement la jioine du bon iuge, puisgaigna
ses mille escuz d'or en ung mois. De là vindrent les menteries
et bourdes sur sonconq)le, veu(|iie, pour ci' dixain deseigni'urs,
les ialouses en mirent cent, tandis (|ue, au rebours desgarses, la
Portillonne devint saige dès cpie elle eut ses mille escuz d'or.
Voire ung (lue (|ui n'aurovl point coniplécin(| cents escuz auroyt
treuvi- la tille rebelle à son dezir, ce (|ui prouve (pu' elle esloyt
cbicbe de son eslolie. Il est vray que le Roy la leit venir en son
retraict de la rue (Jnin(piangrogne, au mail du ("Jiardonneret, la
trouva Irez-belle, moult noiseuse, s'en gaudil, etdelfendit (pie elle
40
bi-2
CONTKS l»r,(»L\Tlol"KS.
lousl iiKjuit'ti'C on anicuno nianièro par les serinons. La voyant
si belle, Mcolle BeauiieiUiis, la niyc du Roy, lui bailla cent escuz
d'or pour aller à Orléans vé-
rifier si la couleur de la Loire
estoyt la mesme tjue soubz
Portillon. La belle fille y alla
d'autant plus voulentiers que
elle ne se soulcioyt mie du
Roy. Quand vint le sainet
bonhomme qui confessa le
Roy en ses iours extresmes et
fout canonisé depuys, la belle
lille alla f()url)ir sa conscience
à luy,feit pénitence et fonda
ung lict en la léproserie
de Sainct-Lazare-lcz-Tours.
Kunibre de dames que vous cognoissez ont esté violées de bon gré
par plus de dix seigneurs sans fonder aultres licts ([ue ceulx de
leurs maisons. Cesoing est de relater ce faict pour laver l'iionnour
deceste bonne fille, qui lavoyt les ordeures d'aultruy, et (jui de-
puys eut tant de renom pour sa gentillesse et son esperit; elle
bailla la preuve de ses mérites en mariant Tascliercau, que elle
ieil trez-bien cocqu, à leur grant cueurà tous deux, coiiuue lia
esté dict cy-dossus au Conte de l'Apostrophe.
Cecy nous démonstre en toute évidence que avecques force et
patience on peut aussy violer la iuslice.
al^ ;! .
îïMi^
CY EST DEMONSTRE
LA FORTl'XE EST TOIJOURS FEMELLE
Au temps où les clievaliers se prestoyent courtoisement secours
et assistance en qiiorant Ibrtuno, il advint que dedans la Sicile,
laquelle est, si vous ne le seavez, une islc sitiu'e en ungcoinde
la mer Méditerrane et crièhre iadis, ung chevalier leit en ung bois
rencontre d'ungaultre chevalier qui avoyt mine d'estrcFrançoys.
Vérisimilementcc Françoys estoyt, par adventure, desnucdetout
poinct, pour ce que il alloyt à pied, sans escuyer ne suite, et
avoyt ung si paouvre accoustreinent, (pie, sans son air de prince,
il eust este prins pour ung vilain. Possihic cstovt i[ue le cheval
i'eust crevé de faim ou l'aligne au débanpu'r d'oultre-mer, d'où
advenoyt le sire sur la loi des bomies rencontres que faisoyent
les gens de France en ladicte Sicile, ce qui eslovt vrai d'une et
d aullie j)ait. Le clicvalicr de Sicile, (pii avovt nom l'ezare, estoyt
ungYenifim rurys><u delari'puhlicipR' do Vcniscdepuys ung long
'^.j:^:^
Ing (lii-viili.T fc-il «Ml mig liois nMicoiilro d'ims i'ulln-, chevalier
qui avoyt mine d'cslrc Fiiuiçoys.
LA FORTUNE EST TOISIOIRS FEMELLE. 545
temps, loquol se soulciovl mie d'y icloiiincr, vni (juc il avoyt
priiis ]»ic(l cil la Couit du roy do Sicile. Ores, estant dcsimé de
biens en Venise pour ce que il eslovt cadet, ne concepvoyt point
le néyocc, et linaWenient avovt esté j)Ourceste raison ahaiidonné
de sa lamille, laquelle cstoyt ncantnioins trcz illustre; il deniou-
royt en ceste Court, où il agréoyt moult au Roy. Ce dict Vénitien
se pourmenoyt sur ung beau genest d'IIespaigne, et songioyt à
part luy combien il estoyt seul dedans ceste Court estrange, sans
amys seurs, et condiien en cetluy cas la fortune s'arrudoyt à gens
sans ayde et devenoyt traistrcssc, alors que il vcit ce paouvre
chevalier françoys, lequel paroissoyt encores plus desnué que
luy, qui avoyt belles armes, beau cheval et des serviteurs en
une bostellerie où ils préparoyent ung ample souper.
— Besoing est que vous veniez de loing pour avoir tant de
pouldrc ez pieds, feit le seigneur de Venise.
— Mes pieds n'ont pas celle de tout le (chemin, feit le Fran-
çoys.
— Si vous avez tant voyagé, repartit le Vénitien, vous debvez
estre docte.
— l'ays apprins, rcspondit le Françoys, à ne prendre aulcun
soulcy de ceulx qui ne s'inquiètent point de moy. l'ay apprins
que, tant hault allast la teste d'ung homme, il avoyt tousiours
les pieds au niveau des miens; d'abundant, i"ay encores apprins
- ne point avoir fiance au temps chauld en hyver, au sommeil
uj mes enncmys et aux paroles de mes amys.
— Vous estes doncques plus riche que ic ne suis, feit le
Vénitien Irez estonné, veu que vous me dictes des sentences
aux(|uelles ie ne pensoys point.
— Besoing est de penser cliascim à son compte, dit le Françoys,
et pour ce (|ue vous m'avez interrogué, ie puis requérir de vous
le bon office de m'indiquer la route de Païenne ou quelque
hostellerie, car vécy la nuict.
— Cognoissez-vous doncques aulcun Françoys ou seigneur
sicilien à Païenne?
— Non.
— Par ainsy, vous n'estes point acertené d'y estre receu?
— le suis disposé à pardonner à coulx qui me regecleront.
Seigneur, le chemin?
— le suis esguaré comme vous, feit le Vénitien, cherchons
de bonne compaignie.
46.
546 CONTES DROLATIOUES.
— Pour ce faire, l>osoiiig ost quo nous allions ensoniblement ;
ains vous oslos à c-lioval, et luoy suis à jjied.
Lo Vonilien print lo clicvalicr françoys en croupe et luv dit :
— Devinez-vous avccques qui vous estes?
— Avccques ung lioniinc a])parenimcnt.
— Pensez-vous cstre en seurclé?
— Si vous estiez larron, il fuuldroyt avoir paour pour vous,
feit le Françoys en boutant la coci|uille d'ung poignard au
cueur du Vénitien.
— Ores bien, seigneur Françoys. vous me seniblez unglionime
de hault sçavoir et grant sens : saiebez que ie suis ung seigneur
estably en la Court de Sicile, ains seul, et que iecbercbe ungainv.
Vous me semblez esire en niesnie occurrence, pour ce (pie, à veoir
les apparences, vous n'estes pas cousin de vostre sort et paroissez
avoir besoing de tout le monde.
— Scroys-ie plus beurcux, si (oui le monde avoyt affaire à
moy ?
— Vous estes ung dialjjc qui me l'aides (piinauld à cliascun do
mes mots. Par saint Marc! seigneur cbevalier, peut-on se fier à
vous ?
— Plus que en vous-mesme, qui commencez nostre fédérale
amitié jiarme trupber, veu (pie vous conduisez vostre cbeval eu
bomme (jui s(.ayl son cliemin, et vous disiez esguaié.
— Et ne me trupbez-vous point, dit le Vénitien, en faisant
aller à pied ung saige de vostre ieunessc, et donnant à ung noble
cbevalier l'alleure d'ung vilain? Vécy riiostellerie : mes serviteurs
ont faict nostre soupe.
Le Françovs saulta de dessus le cbeval, et vint en l'Iiostellerie
avccques le clievalic^r vénitien, en agréant son souper. Adonc(pies
tous deux s'attablèrent. Le Françoys s'escrima si délibérément
des mascboires, tordit les morceaux avecques tant de bastiveté,
(pie il moiislia bien cstre également docte en soupers, et le re-
nionstra en vu\(lant les potz Irez dcxirement sans (pie son d'il fcust
moins clair ni son entendoiiere (b-vallé. Aussy conqilez (pie le
Vénitien se dit avoir faici irnconire d'ung i'icv enfant d'Ad un,
yssii de la bonne cosie cl non (h' la faulsc. En copinanl. le che-
valier vénitien se bendoyt à treuvcr aulcun ioinct |)our sonder
les scci'cls aposleumes des cogitations de son nouvel arny. Lors
il l'ccogneiit (pie il luy fero\l (piiltersa cliemise |»his loshpic sa
[iriidence, v\ iugea op|)orlim d^uMpiesler son cslinie en Iny ouvrant
LA FORTUNE EST TOUSIOURS FEMELLE.
547
son pourpoinct. Adonrquos il liiy dit on rpu-l estai osfovf la Sicile,
où regnoyt le prince LeulVoid et sa yenle femme; combirn o^iinl-
lante esto\ t lenr Court, (juelle
courtoisie y Uourissoyt ; que
il y abundoyt d'IIespaigne,
de France, d'Italie et anltres
pays, des seigneurs à liault
pennaige, moult appanaigez,
lorce princesses autant riches
que nobles et autant belle-
que riches; (jue ce prince a--
piroyt aux plus haulles vis('i'-..
comme de coiicpiester la M(i-
rée, Constanlinopolis, Ilieiu-
salem, terres du Soudan et
aultres lieux afrricquains;aid-
cuns hommes de haulte com-
préhension tenoyent la main
à ses alï'aires, convocquoyenl
le ban et arrière ban dvs
fleurs de la chevalerie chres-
tienne et soubstenoyent cesle
splendeur avecipies intention de faircdominer sur la Méditerranée
cestc Sicile tant opulente aux temps anticques, et ruyner Venise,
laquelle n'avoyt pas ung poulce de terre. Ces desseins avoyent
estez boutez en l'esperit du Roy j)ar luv Pezare ; ains, encores
que il leust bien en la faveur du prince, il se senfoyt foible,
n'avoyt aulcun ayde ])army les court izans, et soubhaitoyt faire
ung amy. En ceste exlrcsme poine, il estoyt venu se résouldre à
ung sort quelconque en se pourmenant. Doncques pour ce que,
en cetluy pciisier, il avoyt faict rencontre d'ung homme de sens
comme le chevalier luy avoyt prouvé estre, il luy prouposoyt de
s'unir en frères, lui ouvroyt sa bourse, luy bailloyt son palais
pour séiour; ils iroyent tous deux de compaignie aux honneurs
à travers les plaisirs sans se réserver aulcun pensier, et s'entre-
ayderoyent en toute occunence conmie fières d'armes en la croi-
sade; ores, veu que luv Fiaiiçoys (jncioU fortune et recpieroyt
assistance, luv Vénitien cuydoyt ne jtoiul estre rebuté en ceste
offre de mutuel resconforl.
r — Encores que ie n'aye nul hesding d aulcun ayde, feit le
M8
CONTES DROLATIQUES.
Françoys, pour ce (|iu' io me fie en uii|i jioinct qui me baillera
loul ce que ie soubliaile, ie veul.v lecoiiiioistre voslre courtoisie,
cliier clievalier Pc/are. Vous verrez que vous serez tosl l'obligé
du chevalier Gautlier de Montsoreau, gentilhomme du doulx
pays de Touraine.
— Possédez-vous aulcune reli((|ue en laquelle réside vostre
heur? feil le Vénitien.
— l'ng talisman baillé par ma bonne mère, l'eit le Tourangeau,
avecques lequel se bastissentetse desmolissent aussy leschasteaulx
et citez, ung martel à battre monnoyes, ung remède à guarrir tous
maulx, ung baston de voyaige qui se met en gaige et vault moult
au jirest, ung maisirc oulil ([ni opère des merveilleuses cizeleures
en toutes foiges sans v l'aire aulcun bruict.
— Hé! par sainct Marc! vous avez ung mystère en vostre
haubert.
— Non, l'eit le chevalier l'i'ançoys, ce est une chouse trez natu-
relle, et que vécy.
Soubdain, en ?e levant de table pour soy mettre au lict, Gaul-
tier monstra le plus bel oulil à l'aire la ioye que le Vénitien
eusl oncques veu.
— Cecy^ dit le Françoys alors que tous deux se concilièrent de-
dans le lict suyvanl les coustumcs de cetluy temps, aplanit tous
obstacles, en se re'idant maistre des cueurs léminins, et, veu
que les dames sont roynes en ceslc Court, vostre amy Gaultier
y régnera tost.
Le Vénitien demoura dans ung maieur estomirement à la vcue
des beaullez absconc(ïs dudict Gaultier, qui de l'aict avoyt esté
merveilleusement bien estably pai' sa mère et peut-estre aussy
par son père, et debvoyt par ainsy triunq)her de tout, veu que
se ioingnoyt à ceste perl'ection de cor-
porence ung esperit de ieune paige et
une saigessede viculx diable. Adoncques
ils se iurèrent ung parlaicl conlpaignon-
naige, y comptant jKtnr rien ung cueur
de l'emme, se iurant d'estre ung seul et
mesme j)ensier, comme si leurs testes
l'eussent chaussées d'ung mesme mor-
tier, et (Idrmiicnt dessus le mesme aureiller. trcz-eiirliantez de
ceste Iratei-nité. Ce estoyl ainsv cpie se passovent les chouses en
celluy temps.
LA FORTINK EST TOrsiOIIlS FI-MI'I.f,E.
r.iO
Lendemain, le Vénitien linilla nng beau genest à son amy
Gaultier, item une auinosnière j)l<'ine de hezans, fines chausses
de soye, pourpoinct de veloux pavfilé d'or, mantel brodé, lesquels
vestemens reliaulsèrent sa bonne mine et mirent ses beaulto/
tant en lumière, (pie le, Veiiilieii iugea que il emboiseroyt toutes
les dames. Ses serviteurs reeenrent l'ordre d'obi-ir à ce riaiitti<'r
comme à luy-mesme, si bien (jne ces dicts serviteurs cuydèrent
leur maistre avoir esté à la pesche et avoir prius ce Françoys.
Pais les deux amys feirent leur entrée au dict Palerme, à l'heure
où le prince et la princesse se pourmenoyent. Pezare présenta
glorieusement son amy le Françoys en vantant ses nK-rites, et
luy moyenna si gracieux accueil, que LeulVoid le retint à souper.
Le chevalier françoys observa la Court d'ung preude œil, et v
descouvrit ung nombre infiny de curieuses menées. Si le Rov
estoyt ung vaillant et beau jjriiu-e, la princesse estovt une Iles-
paignole de haulte tempi'ialure la })lusl)elle et la plus digne de
sa Court, ains ung petit nit-lancholisée. A ceste veue, le Touran-
geau existima que elle es-
toyt petitement servie par
le Uoy, pour ce (pie la
loy de Touraine est que
la ioye du visaige vient
de la ioye de i'aultre.
Pezare indicqua Irez es-
raument à son amy Gaut-
tier plusieurs dames aux-
(juelles Leulroid se [)res-
tovtcomplaisamment,les-
{pielles ialousoyent fort et
faisoyent assault à ([ui l'au-
l'dvt, en ung touriioy di;
guallanteries et merveil-
leuses inventions femel-
les. De tout cecy l'eut con-
clud par Gaultier que le
prince paillardoyt moult
eu sa Court, eiicores (pie
il eiist la [)lus belle femme
du monde, et s'occupoyt à douaner toutes les dames de Sicile,
à ceste fin de placer son cheval en leurs escuyeries, luy varier
loO
CONTINS DROLATIOCFS.
son foiirraigo, ol co^^noislro les lassons t]o cliovanlcliior de
tont pays. Voyant «piel train nienoyt LeulVoid, le sire de Mont-
soreau, seur que nul en ceste Court n'avoyt eu le eueur d'es-
clairer ceste Royne, se délibéra planter déprime volte sa hampe
dedans le champ de la belle llespaignole parung maistrecoup.
Vécv comme. Au souper, pour l'aire la courtoisie au chevalier
estrange, le Roy eut cure de le placer auj)rès de la Royne, à
hujuelle preux Gaultier bailla le jioing pour aller en la salle, et
la mena irez esraument pour prendre du champ sur ceulx qui
suvvovent, à ceste fin de luy dire en prime abord ung mot des
matières qui plaisent tousiours aux daines, en quelque condi-
tion que elles sovent. Imaginez (juel l'eut ce proupus et combien
il allovt roide à travers les choux dedans le buisson ardent de
l'amour.
— le sçays, madame la Royne, la raison pour la(juelle blesmit
Yostre tainct.
— Quelle? feit-elle.
Vous estes si belle à chevaulchier, que le Roy vous chevaul-
che nuict et iour : par ainsy, vous abusez de vos advantaiges,
car il mourra d'amour.
— Que doibs-ie l'aire pour le juaintenir en vie? feit la Royne.
— Luv delTeiulie l'adoration de vostie autel au delà de trois
orcmus par iour.
— Vous voulez rire selon la méthode l'rançovse, sire chevalier,
vcii (pic Ir liov me lia dicl qm- le plus de ces oraisonscsloyt ung
sinqilr l*(iler par scpmaine souliz pdiiic dr iiioit.
LA FORTIJNI'] EST TOISIOCUS FlvMELLK. TmI
— Vous estes lni|)li('e l'cil (iiiiilticr en S(; séant à taolo ; ic
puis vous déinoiistier ([ue l'amour (loil)t dire la messe, les ves-
pres et coniplies, puis un Ave de temps à aultre pour les roynes
conmie pour les simples femmes, et faire cet office par uiig
chascun iour comme religieux en leurs mousticrs, avecques fer-
veur; ains, pour vous, ces belles litanies ne sçauroyent finer.
LaRoynegecta sur le beau elievalier l'ianroys ung coup d'oeil
non irrité, luy soubrit et boscba la teste.
— En cecy, feit-elle, les bommes sont des grans menteurs.
— le porte une grant vérité que ie vous monstreray à vos
.soubhaits, respondit le cbi'valier. le me iactc de vous bailler
cbicre de royne et vous mettre à plein foin dedans la ioye; par
ainsy, vous réparerez le temps perdu, d'autant (|ue le Roy se
est ruync pour d'aultres dames, tandis (jue ie réserveray mes
advantaiges pour vostre service.
— Et si le Roy seayt nostre accord, il vous mettra la teste
au rez de vos pieds.
— Encores (juc ceste maie beure m'advinst apiès une prime
nuictée, ie cuyderoys avoir vescu cent années pour la ioye que
ie auroys prinse, pour ce que oncques n'ay veu, après avoir veu
toutes les Courts, nulle }»rinc.esse qui })uisse vous estre équi-
poUée en beaullé. Pour estre brief en cecy, si ie ne meurs par
l'espée, ie mourray par vostre faict, V(!U que ie suis résolu de
despendre ma vie en nostre amoui', si la vie s'en va par oii elle
se donne.
Oncques ceste Royne n'avoyt entendu pareil discours, et en
feut aise plus (jue d'escouter la messe la mieulx cbantée; il y
parut à son visaige, qui devint pourpre, pour ce que ces paroles
luy feirent bouillonner le sangez veines, tant que les cbordesde
son luth s'en esmeurent et luy sonnèrent ung accord de liaulte
gamme iuscjues en ses aureilles, veu que ce lutli emplit de ses
sons l'entendement et le corps des dames par un Irez gentil arti-
lice de leur résonnante nature. Quelle raige d'estre ieune, belle,
loyne, Ilespaignole et abusée ! ElleConceut ung mortel desdaing
pour ceulx de sa Court qui avoyent eu les lèvres closes sur ceste
traislriseen paour du Roy, et délibéia soy venger à l'aydede ce
beau Franeoys (pii avoyt tel noncbaloir de la vie, que en son
Itrime discours il la iouoyt sans md soulcy en tenant à une rovne
ung proupos (jui valoyt la moit, si elle faisoU S(»n debvoir. Au
contraire, elle luy opprima le pied en y boutant le sien d'une
552 CONTES DROLATIQUES.
fassoii non L'uuivoctjuc el liiy disant à liaultc voix : — Sire (-lic-
valier, changeons de matière, veu (jiie ce est mal à vons d'atta-
quer mie paouvre Royne en son endroict foijjlo. Dictes-nous les
usaiges des dames de la Court de France.
Par ainsy, le sire receut le mignon advis que l'alVaire estoyt
dans le sac. Lors il commença nng déduict de chouses folles et
plaisantes, fjui durant le souper tindrent la l^.ourt, le Roy, la
Rovne, tous les courlizans, en gayelé do cueur, si bien (jue, en
levant le siège, LeulVoid dit ne avoir oncques tant ioqueté. Puis
dévallèrent ez iardins qui esloycnt les plus bcaulx du monde, et
où la Royne prétexta des dires du chevalier estrangc pour se
pourmener souljz un hos(j d'orangiers lloris qui sentoyent ung
haulme souef.
— Belle et noble Royne, dit dès l'abord le bon Gaultier, i'ay
veu en tout pays la cause des perditions amoureuses gésir dedans
les primes soings que nous nommons la (courtoisie ; si vous avez
fiance en moy, accordons-nous en gens de haulte compréhension
à nous aynier sans y bouler tant de maies fassons ; par ainsy,
nul soupçon n'en esclatlera dehors, nous serons heureux sans
dangier et long-temps. Ainsy doibvent laire les roynes soubz poine
d'estre empeschiées.
— Rien dict, l'eit-elle. Ains, comme ie suis iieulVe en cettuy
mestiei', ie ne sçays a[>presler les Ihistes.
— Avez-vous entre vos ienimes une en la(jiieile vous pouvez
avoir grant iiance?
— Oui, l'eit-clle. I'ay mie lemme advenue d'IIespaigne avec-
ques moy, hujuelle se bouteroyt sur ung gril pour moi, comme
sainct Laurent l'ha faiel jiour Dieu, ains est tousioms maladilVe.
— Bon, l'eit le gentil eonipagnon, pour ce (jUc vous l'allez
veoir.
— Oui, dit la Royne. el auleunes lois la nuiet.
— lia! leit (îauttier, ie lais vœu à suincte Rosalie palmmie
(le la Sicile, de ung autel d'or j»our ccsic l'ortune.
— lésus, l'eit la Royiic, ie suis doiiitleiiicnl heureuse de ce
que si gentil amant ayt huit de religion.
— Haï ma chière dame, i'en ay deux auioiird'hui, pour co
que i'ay h aymer une royne dedans h^s cieux et une aultre icy-
has, lesquels amoins ne se InnI, par heur, nul lort l'img à
l'aultre.
Ce proupos si doux attendrit la Rowie oultrc inesuie, et pour
Puis dévallèrcnt cz jardins (pii estoyeiit les plus boauix du mondn, pt où
la lioync prélcxla des dires du ihovalicr e^llauJ;e pour se pourmener
£uu|jz uiig bosq d'orangiers lloris «jui scnloyenl uug bauliuc souef.
47
iiiji CONTES DROLATIQUES.
ung lion se reust enfuie avcc({ues ce Franeoys si desgourd.
— La Yierge Marie est bien puissante au ciel, l'eil la Uoyne;
lasse raniour que ie le sois comme elle !
— Bah! ils devisent de la Vierge Marie, l'eit le Roy, (jui par
adventure estovt venu les espier, esmeu par un ti-aict de ialousic
gecté en son cueur par ung courtizan de Sicile, furieux de la
faveur subite de ce dannié Franeoys.
La Rovne et le chevalier prindrent leurs mesures, et tout feut
subtilement estably i)our emplumaiger le morion du lloy d'orne-
niens invisibles. Le Franeoys reioignit la Court, plut à tous et
retourna dedans le palais de Pezare, auquel il dit que leurs for-
tunes estoyent faicles, pour ce (jue lendemain, en la nuict, il
coucheroyt avecques la Royne. Geste traisnée si rapide esblônyt le
Vénitien, lequel en bon amy s'inquiéta des senteurs fines, toiles
de Brabant et aultres vestemens prétieux à l'usaige des roynes,
desquels il arma son chier Gaultier, à ceste fin que la boële feust
digne de la drogue.
— 0 amy ! dis-tu, es-tu seur de ne point broncbier, d'y aller
dru, de bien servir la Royne et luy donner de telles festes en son
chasteau de Gallardin, que elle s'accroche à iamais à cettuy
maistre baston, comme naufiagiez à leurs ])lanclies?
— Ores çà, ne crains rien, cliier Pezare, pour ce que i'ay les
arrérages de voyaige, et ie la ({uenouilleray à chiens renfermez,
comme simple servante, en luy monstrant tous les usaiges des
dames de ïouraine, qui seavent l'amour mieulx que toutes aul-
tres, pour ce que elles le font, le refont et le deffont pour le
refaire, et, l'ayant refaicl, le font lousiours, et n'ont aultie cliouse
à faire que ceste cliouse, (jui veut tousiours estre faicte. Ores,
accordons-nous. Yécy connue nous aurons le gouvernement de
ceste islc, le tiendray la Royne, et toy le Roy ; nous louerons la
comédie d'estre grans ennemys aux yeulx des courtizans, à ceste
lin (le les diviser en deux parts soubz noslre connnandement, et
à l'insceu de tous, nous demourerons ainys ; par ainsy nous seau-
rons leurs trames, et les désiouerons, toy en prestant l'aureilic
à mai ennemys, et moy aux tiens. Doncqucs, à quelques iours
d'huy, nous sinnderons une noise |)onr nous bender l'ung contre
l'aullre. Celle castillc aura |)our cause la faveur en hupielle ie
tf bouteray dedans l'esjjerit du Roy [lar le canal de la Uoyne,
ln|ucl le baillera le su|)resme pouvoir, à mon dam.
Lendemain, le bon Gaultier se coula chez la dame hespaignolc,
l\ FORTUNE EST TOrsiOURS FEMELLE. i\:\ii
que dovani los coiuiizans il rocognonlpoiir l'avoir veiio nioiill. on
llosj)aigno, et il y deiiiouni sept iours entiers, Coiunie ung (^liascun
pense, le Tourangeau servit la Royne en feinnie ayniéc et luy
îeit veoir tant de pays ineoyneus en amours, lassons Iranrovses,
tourdions, gonlillesses, rescord'orts, (pie elle jaillit en devenir folle
et lura que les Franeoys s(,'avoyent seuls laire l'amour. Voilà com-
ment l'eut puny le Roy, (pii, pour la maintenir saigc, avoytiaict
des gerbes de leurre dedans cesle iolie grange d'amour. Ce fes-
lovenient supernalurel toucliia si loi'l la ISoyne, (pie elIeCeit vœu
d'amour ('terne au Iton Montsoreaii, (pii l'avoit esvcigh-e, en luy
descouviaiit les Iriandisesdu (h-duict. H l'eut convenu (pie la dame
liespaignole auroyt cuied'estrc tousiours malade, et (pie le seul
liommc à ([ui les deux amans se fieroyent seroyt le niaistre myre
de la Court, qui aimoyt moult la Royne. Par adventure, ce myre
posst'doyt en sa glotte cliordes pareilles en tout poinctà celles de
Gauttier, en sorte que par ung ieu de nature ils avoyent mesme
voix, ce dont s'estomiroit la Royne. Le maistre myre l'eit serment
sur sa vie de servir fidellement ce ioly couple, veu que il dé-
j)louroyt le triste abandon de ceste belle femme, et feut aise de
la sçavoir servie en Royne ; cîis rare.
Le mois esclieu, les eliouses all^u'ent au soubliait des deux
amys, qui fabricquoyent les engins tendus par la Royne, à ceste
fin de remettre le gouvernement de Sicile ez mains de Pezare
h rencontre de Montsoreau, que aymoit le Roy pour sa grant
science ; ains la Royne s'y reffusoyt en disant le liaïr moult, pour
ce que il n'estoyt nullement guallant. Leufioid congt-dia le duc
de Cataneo, son principal serviteur, et mit à sa place le che-
valier Pezare. Le Vénitien n'eut cure de son amy le Françoys.
Lors Gauttier esclatta, criant à latraistrise et à la saincte amitié
mescogneue, et du })rime coup eut à sa di'votion Cataneo et ses
amys,avec(pies les(juels il l'eit ung pacte pour renverser Pezare.
Aussytosten sa charge, le Vénitien, (jui estoyt un homme subtil
et trez-idoyne au gouvernement des Estais, ce ipii est le propre
de messieurs de Venise, o|i('ra
merveilles en Si(ùle, raccom-
moda les ports, y convia les
merchans par franchises de
son invention et par aulcunes
facilitez, feit gaigner la vie à
numbre depaouvres gens, attira des artizans de tout meslier, pour
5o6
COMFS riP.OLATIOUES.
ce que les Testes abiindèrent , et aiissy les oizifs et riches de tous
oostez, voire d'Orient. Par aiusv, les moissons, l)iens de la terre et
auitres merceries fenrent en vogue, les galères et naufs vindrent
d'Asie, ce qui feit le Roy trez envie et le plus heureux roy du
monde chrestien, pour ce(piepai' ce train des ehouses sa Court
l'eut la plus en renom ez pays d'Europe. Geste belle politicque l'eut
engendrée par l'accord parfaict de deux hommes (jui s'enten-
doyent moult. L'ung avoyt cure des plaisirs et faisoyt luy-mesme
les (l('lices de la Royne, laquelle se produisoyt touiours le visaige
guay, pour ce que elle estoyt servie à la
méthode de Touraine et animoyt tout du
feu de son heur; puis il veigloyt à tenir
aussy le Roy en ioye en luy cherchant
iiiaisti esses nouvelles et le gectant en
inilh- amusemens ; aussy le Roy s'esto-
mirovl-il île la complaisance de la Royne,
à laquelle, depuis l'abord en cesle isle du
siic de Monlsoreau, il ne touchioyt pas
jiius (|u'un iuiC ne touche à lard. Ainsy
occupez, la Royne et le Royahandonnoyent
lesoing de leur royaulme à l'aultreamy,
qui l'aisoyt lesatïaires du gouvernement,
oidonnoyt lesestablissemens, tailloyt les
hnances, menant roide les gens de guerre
et tout Irez-bien, saichantoîi esloyent les
deniers, les amenant au threzor, et pré-
parant les grans enqjrinses dessus dicls.
Ce bel nccoi'd dura trois années, aulcuns disent quatre, ains
les moynes de Sainct-Renoist ne grabelèrent j)oint cesle date,
la(|uelle demoure obscure autant que les laisons de la noise des
deux amys. Verisimilement le Vénitien eut la baulle and)ili()ii
de régner sans aulcun controole ne contc^ste, et n'eut j)uinl la
remembrance des services que luy rendoyt leFrançoys. Ainsy se
comportent lez hommes ez Courts, veu que, suyvani ungdirede
messire Arislotidcs en ses (ciivres, ce (pii vieillit le plus esrau-
mcnt en ce monde est ung biciMaicI, (|Uoi(pie l'amour estaincl
soit aulcunes l'ois bien rance. Doncipies, se liant en la parl'aicte
amilié de Leufroid, (|ui le iu)mmoyt son compère et l'custhouli'
en sa chemise, s'il l'eiist voulu, h- Vénitien conceut de se delfaire
de son amy en livrant au Rov le nusière de son coc(|uaige et
LA FORTUNE EST TOIISIOURS FEMELLE.
oiyj
luy (lescouviaiil coimm'iil se piiifiloyl le lionliciii- de lu Rovno,
nfi (loiiljtant |ioiiil (\\w LciitVoid ne loiimiciiçast jjar trcii(li<!r la
teste an siie de Moiilsoieau, siiyvant une pru-
licqucen usai;2e dedans la Sicile j)ourcesprocez.
Parainsy bon Pezare auroyt tous les deniers que
Gauttier et luy convoyoyent sans bruit en la
maison d'ung Lonibanlde Gesnes, lesquels de-
niers estoyent en eoniniun par suytc de leur
iVaternité. Ce tbrezor "rossissovt moult d'unii
costé par les présens de la Koyne, trez magni-
fique avec le sire de Montsoreau, ayant à
elle de grans domaines en Ilespaigne et aulenns
par liéritaige en Italie, de l'aullre [)ar les giier-
dons du Hoy à son bon ministre, au(|uel il
bailloyt aulcuns droicts sur les merclians et
aultres menus suflraiges. Le traistre amy délibéré d'estrc lésion,
eut cure de bien viser ce garrot au cueur de Gauttier, pour ce
que le Tourangeau cstoyt ung liomnie à vendre le plus fin.
Doncqucs, en une nuiel où j'ezarc sçavoyt la Hovne couebiée
avecques son amant, lecpiel l'aymoyt comme si cbaque nuictée
feust une prime nuict de iiopces, tant elle estoyt babile au
déduict, le traistre promit au Roy luy faire veoir l'évidence du
cas par ung trou mesnaigié dans ung buys de la guarde-
robe de la dame liespaignole, laquelle laisoyt estât d'estre tous-
iours en dangier de mourir, i'onr mieulx y veoir. Pezare
attendit le lever du soleil. La dame bespaignole, laquelle avoyt
bon pied, bon œil et bouche à sentir le mors, escouta des pas,
tendit son museau, et veit le Roy, suyvy du Vénitien, par ung
croisillon du bouge où elle dormoyt durant les nuiets que la
Uuyne avoyt son amy entre deux toiles, ce qui est la meilleuie
méthode d'avoir ung amy. Elle accourut atlverlir le couple de
47.
5o8 CONTES DROIATIQUES.
ceste trahison. Ains le Uoy avoyt ià l'œil au inauldict trou. Lcii-
IVoid voit, ({uoi? coste hcllo ol divine lanloi'no (|ui hnislo tant
d'Iniiloctosciairc loinondo.lanlornoaorni'c dos plus inaj^riilicijuos
fanlVoluclies et froz Ihunbante, la(juoilo il trouva plus plaisante
quo toutes les aulties. pour ce que il l'avoyt si bien jiordue de
voue, que ollo luv parut noufve: ains le trou luy delïondit veoir
aulfre cliouso (ju'uno main dlionnno cpii oloistroyt pudiequement
ceslo lanterne, et enlondil la voix do Moiilsoroau disant : « Com-
ment va ce mignon ce matin? » Parole ibiastre, connne en
disent les amans en ioc(juetant, pour ce que ceste lantei'nc est,
vère, HU tous pavs, le soleil de l'amour, et pour ce luy donnent
mille nom^wntilsonrcMiuiparant aux plus hollos cliouses, comme
ma grenade, nia loso, ma coquille, mon hérisson, mou yolphe
d'amour, mon threzor, mon maistre, mon petiot : aulcuns osent
dire trez hereticquement: mon dieu! hdbrmez-vous à plusieurs
si vous ne croyez.
— Kn ceste coniuncture, la dame i'eil entendre par ung signe
(pie le Roy esloyt là.
— Escoule-t-il? l'oit la Royne.
— Oui.
— Veoit-il ?
— Oui.
— Qui l'a conduict'?
— Pczare.
— FaismonterlemyreetmusscGanttierchezluy, feit la Royne.
Durant le temps que ung
paouvre auroyt dit sa chanson,
la Royne ond)eholiua la lanterne
d(! linges et onduiets coulourez,
on sorte (pic vous eussiez cnydcî
(pie il y oust playe horrible et
grielVos inllammalions. Lors que
le {{oy, mis eu rai^e par ceste
parole, et'Iondra la porte, il trouva
la Royne esteiidue sur le lict au
iiiesme cndioict oi'i il l'avovt
\(iie par le Iroii, |)uis le maistre
myre, le nez et la main dessus
la lanterne ondx^ixdim'e (h; itandottes, disant ; (( (a)umicnl va eo
mignon, ce malin 7 » en mesme note de voix que le bon Roy avoyt
LA FORTUNE EST TOUSIOURS FEMELLE. 5o9
ouye. Parole monlt plaisante cl. riouse, pour ce que les pliysicians
et maistres myres usent de paroles byssines avpcques les dames,
et, en traictant ceste lumineuse ileur, florissent leurs mots. Geste
veue leit le Roy quinauld eonime ung regnanl piins au |»i<'ge. La
Hoyne se dressa toute rouge de honte, eiiant (jucl lioninic estovt
assez osé pour venir à ceste heure; ains, voyant k' l'ioy, elle
tint ce languaige :
— lia ! mon sieur, vous descouvrez ce cpie ie avoys cure de
vous cacher, feit-elle, à sçavoir, que ie suis si pefitenient servie
par vous, que ie suis affligée d'ung ardent mal duijucl ie n'ose me
plaindre par dignité, ains (jui veult de secrets pansements à ceste
find'estaindre la vive alfluence des esperits vitaulx. Poursaulver
mon honneur et le vostre, ie suis conti'aincte à venir chez ma
bonne doua Miraflor, (pii se preste à mes douleurs.
Sur ce, le myrc feit à Leui'roy une coneion lardée de citations
latines, triées comme graines prétieusos dans Hi|)pocrate, Galien,
l'eschole de Salerne et aultres, en laquelle il luy d(?monstra com-
bien grave estoyt chez la femme la iachère du champ de Vénus,
et que il y avoyt dangier de mort pour les roynescompicxionnées
à l'hespaignole, les(|uelles avoyent le sang trez amoureux. 11
déduisit ces raisons avec solemnité, tenant sa barbe droite et sa
langue trez longue, a ceste fin de laisser au sire de Montsoreau le
loisir de gaigner son lict. Puis la lloyne print ce texte pour des-
gluber au Roy des discours longs d'une palme, et requit son bras,
soubz prétexte de laisser la paouvre malade, qui d'ordinaiii! la
reconduisoyt pour éviter les calumnies. Alors que ils feurent
dans la gallerie où le sire de Montsoreau logioyt, la Royne dit
en iocquetant : — Vous debvriez iouer quelque bon tour à ce
Françovs, qui, ie gaige, est sans doubte aulcun avecques une
dame et non chez luy. Toutes celles de la Court en ratTolent, et
il y aura des castilles pour luy. Si vous aviez suyvy mon advis,
il eust esté hors la Sicile.
Ijcufroid entra soubdain chez Gauttier, qu'il treuva dedans
ungprofund sonuneil, etronflantcomme ung religieux au cIkimm'.
La Royne revint aveccjues le Roy, (jue ell(> tint chez elle, et dit
ung mot à ung guarde pour mander le seignenr de ([ui i'ezare
occupoyt la place. Ores, pendant que elle amignottoyt le Roy
en desieunant avecques luy, elle print à part ce seigneur quaiul
il feut venu en la salle voisine.
— Klevez une potence sur un bastion, dit-elle ; allez saisir
5 GO
CONTES DROLATIOliES.
le seigneur Pezaro, ot laicles en telle sorte, (jne il soit pendu
ineontinent. sans luv laisser le loisir d'escribre un mot, ne dire
quoy que ce soit. Tel est nosire bon plaisir et commandement
suprcsme.
Cataneone l'eli ;iiil(iiii (•onnnentaire. Pendant (}ue le chevalier
Pezaro pensoU -i paît luv (pie son aniy Gauttier se voyoyt tren-
clicr la teste, le duc Cataneo vint le saisir et le nu'ua sur le
bastion, d'où il veit à la croisée de la Koyno le sire de Montso-
reau en compaignic du Moy, de la Uoyne et des courlizans, et
iugea lors que cil (pii occupoyl la Uoyne estoyt miculx partagié
(pio cil qui avovt le lloy.
— .Mitii amy, l'cil la llovne à son espoux en lanicnant à la
croisi'c, vécy ung Iraislre qui iiiacliinoyt de vous oster co cpie
vous possédez de plus chier au monde, cl ie vous en bailleray
les preuves à vos soubhaits quand vous aurez le loisir de les
estudier.
Montsoreau, voyant les apprcsis de rexliesnie ci'ii'nionie, se
gecla aux jtieds du l'i()v |i(uu' (ildeiiir la graace de celluy (jui
estoyt son emu'my moi ici, ce (Iniil le Hoy l'eut moult esmcu.
— Sire de Montsoreau, icil la Koyne en luy monstrant ung
visaige cliolèic, estes-voiis si liardv de vous opposer à nostre
bon plaisir?
LA FORTUNE EST TOI SiniRS FEMELLE. oCI
— Vous estes ung noble chevalier, (eit le Roy en relevant le
sire de Montsoreau, ains vous ne sravez point combien le Yen i lien
vous estoyt contraire.
Pezare feut Irez délicatement estranglé entre la leste et les
espaules, ven (|ii(' la l'ioviic dcinonstra ses trahisons au lh)y en
luv l'aisanl vi'rilicr par les drclarations d'uiig Loinbaid de la ville
rénorniité des sommes que Pezare avoyt en la bancque deGesnes,
et qui l'eurent abandonnées à Montsoreau.
Geste belle et noble Royne mourut en la manière escripte en
l'histoire de Sicile, à sçavoir, des suytes d'une couche laborieuse
oîi elle donna le iour à ung fils qui IV-ulaussy grant homiueque
malheureux en ses emprinses. Le Roy cuyda, sur l'adveu du
myre, que les meschiel's causez par le sang en ceste couche pro-
venoyent de la trop chaste vie de la Royne, et, s'imputant à crime
la mort de ceste vertueuse Hoyiie, en leit pénitence et fonda
l'ecclise à la Madone, cpii est une des plus belles de la ville de
Palerme. Le sire de Montsoreau, tesmoing de la douleur du Roy,
luy dit que alors qu'ung roy faisoyt venir sa royne d'Hespaigne,
il debvovt sçavoir que ceste Royne vouloyt estre mieulx servie
que toute aullre, pour ce ([no les llespaignoles estoyent si vifves,
que elles comptoyent pour dix femmes, et que, s'il vouloyt une
femme pour la monstre seulement, il debvoyt la tirer du nord
d'Allemaigne, où les fennnes sont Iresches. Le bon chevalier
revint en Touraine encombré de biens, et y vesquit de longs
iours, se taisant sur son heur de Sicile. Il y retourna pour ayder
le fils du Roy en sa principale (Muprinse sur Naples, et laissa
l'Italie, quand ce ioli prince feul navré, connue il est dit en la
Ghronicque.
Oultre les haultes moialilcz contenues en la rubricque decetluy
Gonte, oîi il est dict (pit> la fortune, estant femelle, se renge
tousiours du cosié des dames, et (pie les honnncs ont bien laisou
de les bien servir, il nous démonstre (pie le silence entre pour
les neufdixiesmes dans lasaigesse. .Neantmoins le Moyne aullieur
decerécitinclineroytàen tirer cet aullre enseignement non moins
docle, (pie rinterest, (pii faict lant d'amilicz. les delïaict aussy.
Ains vous eslirez entre ces trois versions celle (pii concorde à
voslrc enleiidenienl et besoin" du inonienl.
LE VIEUL\-l'All - CIIEMIMS.
D'UNG PAOUVRE QUJ AVoYT NOM
LE VIEULX-PAII-CIIEMINS
Le vieulx chronicfiueur qui ha fourny le chanvre pour tisser le
présent Conte dict avoir esté du temps où se passa le faict en hi
cité de Rouen, hupielle l'a consigné en ses layettes. Ez environs
de ceste belle ville où denieuroyt lors le duc Richard, souloyt
gueuzer nng bon honnne ayant nom Tryballol, ainsau<[ui'l l'eut
baillé le snrnom de Vieulx-[)ar-chemins, non pour ce ((ue il cstoyt
iaune et sec connue velin, ainspource que il estoyttousiours par
voyes et roules, monts et vaulx, couchioyt souhz le tectduciel,
et alloyt houzé connue ung paouvrc. Ce neanlmoins, il estovt
aymé moult en la duchit-, oùungchascuu se esloyt accoustumé
à luy, si bien que, si le mois cscheoyt sans ({uc il feust venu
tendre son escuelle, on disoyt : « Où est le Yieulx?» Et on res-
pondoyt : « Par chemins. »
('(! du"t h(»mme avoyt eu pour père ung Trvhallot, (]ui l'eut,
en son vivant, preud'honnne, (rouonic et si reugié, que il laissa
force biens à ce dict fds. Ains le ieune gars les desamassa bien
tost en gaudisscries, veu (|ue il feit au contraire du bonhonnne,
51)1
CO.Mi:S URUL.VTKjLES.
lequel, au retourner, des champs en sa maison, amassoyt de cy, de
là, forces buschclles ou bois laissez à dextre et à senestre, disant
en toute conscience que il ne faut iamais arriver au logiz les
mains vuydes. Par ainsy se chauffioyt en hyver aux despens des
oublieux, et faisoyt bien, ling cbascun rccogneut (|uel bon ensei-
gnement ce estoyt i)our le pays, veu (jue, ung an devant sa mort,
aulcun ne laissoyt plus de bois par les routes ; il avoyt contrainct
les plus dissipez à estremcsnaigiers et rengez. Ains son fds bouta
tout par escuelles et ne suyvit point ces saiges exemples. Son père
avoyl prédict la chouse. Dès le bas aage de ce gars, quand le bon
lionnne Tryballot le mettoyt à la guette des oyseaulx qui ve-
noyent mangier les pois, les fèves et aultres graines, àcestclin
de chasser ces larrons, surtout les geays, qui conchioyent tout, luy
les estudioyt et prenoyt plaisir à considérer en quelle graace ils
alloyent, venoyent, s'en retOurnoyent chargiez et revenoyent en
espiant d'ung œil esmerillonné les tresbuchets ou lacs fendus, et
rioyt moult, voyant leur adresse à les éviter. Le père Tryballot se
choleroyt, trouvant deux et souvent trois seplerées de la bonne
mesure en moins. Ains, encores qu'il lirast les aureilles à son
gars en le |irfiiaiil ;"i niaiscr s()ul)z ung (-(Mildrc, le diollc s'eslomi-
ro\l tou>iours cl rcvenoyt estudier l'industrie des merles, passe-
LE viKi i.\-I'Ai;-(;iii:mi.ns. 50;;
rons et aullrcs picorcurs lie/, dm-Jcs. l ii^ iuiir, son pt-re luy
(lit qno il taisoyt saige de se inodelcr sur culx, pour <•<' (pie, s'il
continuoyt ce trac de vie, il seroyt sur ses viculx ans contrainct à
picorer comme eulx, et eonimeeulx seroyt pouicliass('pai' les gens
deiusticc. Ce (pii rcul vray, vcu que, comme il ha est(j dessus dict,
il desamassa en peu de iours les escuz que son mesnaigier père
avoyt ac(juis durant sa vie : il i'eit avec(pies les hommes comme
avccques les passereaux, laissant ung ehascun bouter la main
en son sac, et contemplant en (juelle graacc et quelles lassons
doulccs on luv demandoyt à y puiser. Par ainsy, il en veit tost
la (in. Quand le diable feut seul dedans le sac, Tryballot ne se
monstra j)oint soulcicux, disant (pu; il ne vouloyt point se dam-
ner pour les biens de ce monde, et avoyt eslu(li(' la philoso-
phie en l'eschole des oyseaulx.
Après s'cslre amplement gaudy, il luy dcmoura de tous ses
biens ung goubelet achejjté au Landict et trois dcz, mesnaige
suffisant pour boire et iouer, d'autant que il alloyt sans estre cn-
condirtî de meubles, comme sont les grans, qui ne sçavenl che-
miner sans charroys, tappis, Icschefiiltes et numbre infiny de
varlels. Tryballot voulut veoir ses bons amis, ains ne rencontra
plusaulcundecognoissance, ce qui luy bailla congie' de ne plus
recognoistre personne. Quoy voyant, comme la faim luy aiguysoyt
les dents, ildc-libi-ra prendre ung estât oii il (,'ust rien à laire et
moultàgaigner. En y pensant, se remembra la graace des merles
et passereaux. Lors le bon Triballot esleut pour sien le mestier de
requérir argent ez maisons eu picorant. Dès le prime iour, les
gens pitoyables luy en baillèrent, et Tryballot feut content, trou-
vant le mestier bon, sans advances ne chances maulvaises, au
contraire, plein decommodilcz. Ilfeit son estât de si grant cueur,
que il agréa partout et receul mille consolations reff usées k gens
riches. Le bon homme i-eguardoyt les gens de canq)aigne planter,
semer, moissomier, vendanger, etsedisoyt(pieilslaboroyent prou
pour luv. Cil (pii avovt ung porc en son eharnier luy endebvoyt
ung lopin, sans que cettuy gardien de porc sen donblast. T(d cuy-
soyt ung pain en son four le cuisoyt poui- Triballot et ne le pen-
soyt nullement. Il ne prenoyt rien de foice, au contraire, les
gens luy disoyenl des gracieusetez en le guerdonnanl : — Te-
nez, mon Vieulx-par-chemins, leconfortez-vous. Ça va-t-ilbien?
Allons! prenez çecv, le chat Iha entamé, vous l'achèverez.
Le Vieulx-par-chemins esldvldes nopces, baptesnies et aussv
48
566 COiNTES DUO LA Tl MUES.
(les ontcrrciiions, jJOurceijiuMl alloyl partout où il y avoyt aper-
tement ou occullonient ioyo et festins. Il guardoyl rdij^neusenient
les statuts et ordonnances de son mestier, à sç^-avoir : ne rien
faire, vcu que, s'il avoyt pu laborer le plus legiercment que ce
fcust.aulcun no luy auroyt plus rien baillé. Après s'estre lepeu,
ce saige homme s'esti'udoyt le long des fossez ou contre ung
pilier (recclisc en resvant aux affaires publicques ; finablement
il pliilosophoyt, comme ses gentils maistres les merles, geays,
passerons, et songioyt moult on gueuzant; car, pour ce que son
vestement ostoyt paouvre, ostoyt-ee raison que son entendement
ne foust riche? Sa philosophie divertissoyt moult ses praticcpies,
auxquelles il alloyt disant, en forme de merciement, les plus
beaulx aphorismes de sa science. A l'ouyr, les pantophles produi-
soyent la goutte aux riches : il se iactoyt d'avoir les |)ieds allai-
gres, pour ce ipio son cordouannier luy bailloyt des soliers venus
dans les aulnayes. 11 y avoyt des maulx de teste soubz les dia-
desmes, qui ne l'atteingnoyont point, pour ce que sa teste estoyt
serrée ne par soulcys, ne par aulcun chappelet. Puis encores les
bagues à pierreries gehennoyent le mouvement du sang. Encores
que il s'enchargiast de playes suyvant les lois de la gueuzcrie,
cuydezqueil estoyt plus sain qu'ung enfant (pii arrivoyt au bap-
tistère. Le bon hoimnese rigoiloyl avec<juos les aultres gueux, en
iouant avecques ses trois doz, que il conservoyt pour se soubvonir
de despendre ses deniers, à ccste lin d'estre tousiours pciouvro.
Neantmoins son vœu, il estoyt, comme les Ordres Mendians, si
bien rente, (pi'niig iour de Pasquos, ung aultre gueux voulant
luvafiermersongaiiigdudieliour,le\ieulx-par-clieminsenreffusa
dix escuz. De faict, à la vesprée, il despendit ({uatorze escuz en
ioye pour fester les aumosniers, veu cpie il estoyt dictez statuts
de gueuserie de se monstrcrrecognoissant envers les donataires.
Quoicpie il se descliargiast avorcpies soing de tout ce (|ui faisovt
les soulcys des aullres, (jui, trop chargiez de bien, quèi'ont le
mal, il l'eut jibis heureux n'ayant rien au monde (pie lorsque il
avovt les escuz de son père. Et pour ce qui est des conditions de
noblesse, il estoyt tousiours en bon poinct d'estre anobly, pour ce
que il ne faisovt rien cpi'à sa phanlaisie, et vivoyl noblement sans
aulcun labeur. Trente escuz ne l'auioyenl faict lever cpiand il
estoyt concilié. Il anivalousioursà lendemain connue les aultres,
en menant cestebcllc vie,la<pielle, au direde messire Plato, du-
quel ià raulhoriléfcut invoc<j[uée en cesescripts, aulcuns antic-
Ce saigfi liommc s'esleiuloyt le Ion;,' des tossez ou contre iing pilii-r
d'ecclisc earciivant aux aiTuiics publicques.
I r liiiii Ikiiiiiiii' M' ri^jcillint ;i\(( (|iicv lo ;iiillri'S milieux, cm juimuI
.•)VOC(nic> SCS Irois dcz.
LE VIEULX-PAR-CHKMINS. 5G9
qucs saiges ont nienr iadis. Fiiiablfiiiorit, le Yieuk-par-chemins
advint en l'aage de quatre-vingt et deux années, n'ayant iainais
esté ung seul iour sans attraper nionnoye, et avoyt lors la plus
belle couleur de tainct que vous puissiez imaginer. Aussy cuy-
doyt-il que, s'il avoyt persévéré dedans la voye des richesses, il
se feust guasté et seroyt lors enterré depuis ung long temps.
Possible estoyt qu'il eust raison.
Durant sa prime ieunesse, le Viculx-par-chcmins avoyt pour
inclyte vertu de trez fort aymer les femmes, et son abundance
d'amour estoyt, dict-on, ung fruict de ses estudes avec(jues les
moyneaulx ou fricquets. Doncques il estoyt tousiours dispos à
prester aux femmes son ayde pour compter les solives, et ceste
générosité treuve sa raison physicale en ce que, ne faisant rien
il estoyt tousiours prest à faire. Les buandièrcs, qui dans ce pays
sont nommées lavandières, disoyent que elles avoyent beau
savonner les dames, le Yieulx-par-chemins s'y entendoyt encores
niieulx. Ses vertus absconses engendrèrent, dict-on, ceste faveur
dont il iouyssoyt en la province. Aulcuns disent que la dame de
Caumont le feit venir en son cbasteau pour
sçavoir la vérité sur ces qualitcz et le mussa
durant une huictaine, à ceste fin de l'em-
])escliier de gueuzer, aiiis le bon homnu! se
saulva par les bayes en grant paour d'eslic
riche. En advançant en aage, ce grant quin-
tessencier, se veit desdaingné, quoi(jue ses
notables Aicultez d'aymer n'esprouvassenl
aucun donmiaige. Cet injuste revirement
de la gent lémelle causa la prime poine du Vieulx-par-chemins
et le célèbre procez de Rouen auquel il est temps d'arriver.
En ceste quatre-vingt-deuxiesme année, le Yieulx-par-chemins
feut par force en continence environ sept mois, durant lesquels
il ne feit la rencontre d'aulcune femme de bon vouloir, et dit
devant le iuge que ce feut le plus grant estonnement de sa
longue et honorable vie. En cet estât trez-douloureux, il veit ez
champs, au loly moys de may, une fille, laquelle par adventure
estoyt pucelle ctguardoyt les vaches. La chaleur tomboyt si drue,
que ceste vascliiere s'estendit à l'umbre d'ung fousleau, le visaige
contre l'herbe, à la fasson des gens qui laborent ez cluunps pour
faire ung somme durant le temps que son bestial ruminoyt et
se resveigla par le faict du vieulx, qui luv avovt robbé ce que
48.
570 CONTES DROLATIQUES.
une paouvre garse ne peut doinicr que une foys. Se voyant dof-
flourée sans en recepvoir aulcun advis ne plaisir, elle cria si
fort, que les gens ocrupez ez champs vindrent et feurent prins
en tesmoingnaiue par la i^arse, au moment où se voyoyt en elle
le desiiuast l'aict ez nuicts de nopces chez une nouvelle mariée ;
elle plouroyt, se plaingnoyt, disant que ce vieulx cinge intem-
pérant pouvoyt aller violer sa mère à elle, qui n'auroyt rien
iict. Le vieulx feit responsc aux gens de la campaigne, qui le-
voyent ià leurs serfouettes pour le meurdrir, que il avoyt esté
poulsé à se divertir. Ces gens luy obiectèreut aveccpies raison
qucung homme pourroytbien sedivertir sans forcer une pucelle,
cas prevostal quilcmenoyt droict à la potence, et l'eut conduict
en "rant rumeur à la seole de Rouen.
La fille, interroguée par le prevost déclara que elle dormoyt
pour faire quelque chouse, et que elle avoyt creu songier de son
amant, avecques lequel elle estoyt en dispute, pour ce que avant
le mariaige il soubhaitoyt mesurer sa besongne, et iocquetant
en ce rcsve, elle luy laissoyt veoir si les chouses estoyent bien
accomparaigées, à ce s te fin (jue nul mal ne leur advinst à l'ung
ou à l'aultre, et maulgré sa deffense, il alloyt plus loing que
elle ne luy bailloyt licence d'aller, et, y treuvant plus de mal
(pie de plaisir, elle s'estoyt esveiglée soubz la puissance du
Vieulx-par-chemins, qui se estoyt gecté sur elle comme ung
cordelier sur ung iamhon au dcsiucliicr du (piairsme.
Ce poui'chaz leit si grant bruit eu la ville de Rouen, ipie le pre-
vost lent mandé par monseigneur le duc, eu qui vint ung véhé-
ment dezir de sçavoir si le faict estoyt véritable. Sur l'affirmation
du prevost, il commanda que le Vieulx-jiar-chemins feust con-
duict en son palais, à ceste fin d'oyr (pielle deffense il ])ouvoyt
faire. Le paouvre bon homme comparut devant le prince et luy
desbagoula naïfvement le maulvais heur qui luy advenoyt par
la lorce et le vœu de la nature, disant que il estoyt comme
ung vray iouvencel poulsé par des dezirs Irez im|)érieux ; (pic
ius(pies en ceste amit-e il avoyt eu des femmes à luv, ains (pic il
ieusnoyt (l('|uiis huict mois : (pie il estoyt trop paouvre pour
s'adonner aux filles de ioye; (pie les lionueslcs femmes qui luy
faisoyciit ceste aumosne avoyeiil |U'ius en desgout S(!s cheveulx,
les(|uels avoyent la feslonie de blanchir maulgré la verdeur do
son amour, et que il av(»yt esté contiaiiict à saisir la iov(M)ù elle
esloU par la veue de ceste damnée pucelle, laipielje en s'eblcu-»
LE VIEULX-PAR-CHEMINS.
571
dant le long (lu licslro avoyl l;iissi' vfoirla iolye doubloureile sa
robbc ot (Icuv iK'iiiisplit'rcs Idaiics comme neige qui luv avoyent
tollu sa raison; que la eoulpe esloyt à reste fille, et non à luv,
pour ce que il doibt cstre delTendu aux pucelles d'alTriander les
passans en leur nionstrant ce qui f'eit nommer Vénus Callipyge;
(inablement , le piince debvoyt scavoir (juelle pi^ine lia uiig lionune
sur le cou[» de niidy de tenir sou cliieu en laisse, pour ce (jue ce
l'eut à cestc lieure que le roy David l'eut féru par la femme du
sieur Urie ; que là où ung roy liébrcîu aymé de Dieu avoyt failly,
un paouvre desnué de ioye et rcduict à robbcr sa vie avoyt bien
pu se trcuver en faulte ; cpie d'ailleurs il estoyt consentant à clian-
ter des psaulmes le deniourant de ses iours sur ung lutli en ma-
nière de pénitence, à l'imitation du dict roy, lequel avovt eu le
tort grief d'occire ung mary, là où, luy, avoyl tant soit peu en-
dommaigé une fille de campaigne. Le duc
gousta les raisons du Vieulx-par-cbemins,
et dit que ce estoyt ung bonnne de bonne
c Puis, il rendit ce mémorable ar-
rest, que si, comme le disoyt cetluv men-
diant, il avoyt si grant besoingde follieu-
ses à son aage, il luy bailloyt licence de
le démonstrer au rez de l'escbelle où il
montcroyt pour estre pendu, ce à quoy
l'avoyt simplement condamné le prevost ;
si, la cborde au col, entre le prebstre et
le bourrel, |)areille pliantaisie lepicquoyt,
il auroyt sa giaace.
Cet arrest cogneu, il y eut ung monde
fol pour veoir conduire le bon bonnne à
la potence. Ce fcut une haye comme à
une riilri'e ducale, et cy voyoyt-on plus
(le bonnets (pie de cbapeaulx. Le Yieulx
par-cliemins l'eut sauvé i)ar une dame
curieuse de veoir comment fineroyt ceti iiy
violeur trez prétieux, laquelle dit au (\nr
(pie la religion commaiidoyl de l'aire beau
ieu au bon liomme et se para coimne pour
wm lesle à baller; elle mit en évidence
et avecqucs intention deux ballottes de
cbuir vil've si blancbes, (jiie le plus lin lin de la gorgerette y
572 CONTES DROLATIQUES.
palissoyt; de faict, ces beaulx fruicls d'amour se pioduisoyent
sans plys au-dessus de sou corselet, couuue deux grosses
pommes, et faisoyent venir l'eaue en la bouche, tant mignons
ils estoycnt. Geste noble dame, qui estoyt de celles qui font
que ung chascun se sent niasle à les veoir, se plaça sur les
lèvres ung soubriz pour le bon bonnne. Le Vieulx-par-cliemins,
vestu d'un sayon de grosse toile, plus seur d'estre en pos-
teure de viol après la pendaison que paravant, venoyt entre
les gens de iustice. Irez tristifié, gectant l'œil de cy, de là, sans
veoir aultre chouse que des coëffes; et auroyt, disoyt-il, donné
cent escuz d'une fille troussée comme estoyt la vacbière de
laquelle il se remembroyt les bonnes grosses blanches columnes
de Vénus qui l'avoyent perdu, et pouvoyent encores le saulver;
mais, connue il estoyt vieulx, la rcmembrance n'estoyt point
fresche assez. Ores, quand au rez de l'eschelle il veit les deux
mignotises de la dame et le ioly delta (pu' produisoyent leurs
confiuentes rondeurs, son maistre lean Cliouait l'eut en ung tel
estât de raige, que le sayon parla Irez aperlement par ung soub-
levement maieur.
— Et doncques, vériliez tost, l'eit-il aux gens de iustice, i'ay
gaigné ma graace, ains ie ne res[)Oii(ls point du drolle,
La dame l'eut trez aise de cet hommaige, (jue elle dit estre jjIus
foit (pie le viol. Les sergens qui avoyent charge de soublevcr
reslolTe cuydèrent cettuy vieulx estre le diable, pour ce ipie
oncques en leurs escriptures ne s'estoyt rencontré ung I autant
droict (|ue se tri'uvoyt le dressoir du bon bomriie. Aussy leiit-il
pounuciié tiiumplialemcnt par la ville iusijuesc'ii l'Iiosleldu duc,
au(piel les sergens et aultres tesmoingnèrent du faict. Ln cettuy
temps d'ignorance, ceste instrumentation iudiciairc feut prinse
en si grant honneur, que la ville vota l'érection d'ung pilier en
Tcndroict où le l>on homme avoyt gaigné sa graace, et il y feut
])ourtraict eu pierre, comme il estoyt à la veue de ceste honneste
et vertueuse dame. La statue se voyoyt encores au temps où la cité
de Houen feut prinse par les Angloys, et les autheurs du temps
escripvirent tous ceste histoiie parmi les chouscs notables du
Sur ce (pie il feut offcrl par la ville de l'ouruir des garses au
bon houune, de veigicr à son vivre, vestement et couvert, le bon
duc y mil ordre vn baillant à la despucellée ung millier d'escuz et
la mariant au bonhomme, lequel y perdit son nom de Vieulx-par-
IJ- VIKLLX-PAR-CIIEMINS. 573
chemins. Il fcut nommé p;ir le duc sieur de Bonne-C Sa femme
accoucha apivs neul' mois d'ung maslc parliiictenjcut faict, hicn
vivant, lefjiicl nacquit avi'C(|U('sd{Mix dcnls. Ile ce niaiiaigc vint la
maison de I{oiino-C , laquelle, parpudcuictlnen à ttut, recpiit
de nostie hieii-aynié roy Loys le unziesnie lettres patentes pour
muter son nom en celuy de IJonne-Chose. Le bon roy Loys re-
monstra lors au sieurdeBonnc-C que il yavoyt enl'Estatde
Messieurs de Venise une inclyte famille des Coglioni, lesquels
portoyent trois c au naturel en leur blazon. Mcsdicts sieurs
de Ik)nne-C obiectèrent au Hoy que leurs femmes avoyent
grant honte d'estre ainsy nommées ez salles de compaignie; le
Roy repartit que elles y perdroyent moult, pour ce que avecques
les noms s'en alloyent les cbouses. Ce neantmoins octrova les
lettres. Depuis ce temps cestc geut feut cogneue soubz ce nom,
et se respandit en plusieurs provinces. Le premier sieur de Bonne-
C vesquit encores vingt-sept années et eut ung aultre fils et
deux filles. Ains il se douloyt de fmer riche et de ne plus quester
sa vie par les chemins.
De cecy vous tirerez ung des j)lus beaulx. enseigueniens et plus
cspaisses moralitez de tous les contes que vous lirez en vostre vie,
horsmis bien seur ces dicts cent glorieux Contes drolaticques.
Asçavoir que iamais adventure de cet acabit ne seroyt escheue aux
natures molles et flétries des gueux de Court, gens riches et aultres
qui creusent leur tumbe avecijues leurs dents en mangiant oultre
mesure et beuvant force vins qui guastent les outils à faire la iove,
lesquels gens trez-pansus belutent sur de cousteuses merceries et
licts de plumes, tandis que le sieur de Bonne-Chose couchioyt sur
la dure. En semblable occurrence, s'ils avoyent mangié des choux,
moult eussent chiez pourrées. Cecy peut inciter plusieurs de ceulx
(|ui liiont cettuy Conte à changer de vie, à cestc lin d'imiter le
Vieulx-par-ehemins en son aage.
DiiiKS lAcoM.nrs im: trois pklkrins
Alors que lo p;i|)(' laissa sa boiino villiMlAvignoii j)oiir doniou-
rer en Ronio, aiilciiiis pèlerins fiMii'ciiliinaboK'z, (|iii so osloycnl
arroutoz ponr la CiOinlat ci dciinMit passer les liaiilles Alpes, à
cestc fin (le |,fai|,nier eesie diète ville de ironie oii ils alloyenl (jue-
rir le remitlimiis de péchez bigearrcs. Lors voyoyt-on, par les
chemins cl hoslelleries, ceulx ijui portoyent le collier de l'ordre
des frères Caïn, aultrenient la ileur des repentirs, tous maulvais
garsnns enchargiez d'âmes lépreuses (pii avoyent soif de se bain-
gner en la j)iseine papale et porloyent or ou ehouses piélieuses
pour rachepter leurs maulvaisetez, payer les bulles et guerdon-
ner les saincts. Comptez (|ue ceidx (pii beuvoyenl de l'eaue à
l'aller, au retouiiK r, si les boslclicis leiu- bailloyent eaue, vou-
loyent eaue benoisle de cave.
Kn eelluy tem|)s, trois j)èlerins vindreut en cesle dicte ville
d'Avignon à leur dam. veu (pie elle estoyt veulVe du ]ia|)e. Aloi's
<jiu' ils dévallèrenl le Hhodane pour gaigner la cosle Mediterrane,
des trois pèlerins, ung ([ui nienoyt en laisse son fils en l'aage de
dix ans au |ilus, leur faulsa eom|)aiguie; ])uis devers la ville de
Milan, ce compaignon seremousira soubdain sans garson. Adonc-
niUKs iNcoNcnrs hk thois i'ki,ki;i.\s 075
ques à la vesprée et au s()ii|ifi' ils IjiiiMjiiclirciil à cesto lin de
l'ester le ictournor du iiMcriii (|U(! ils cHydoycut avoir ostr mis
en dcsgoust do jx-nitcncc, l'aullc [de ])ii|)i! eu Avij^qion. 1)(! ces
trois Honiipèlos, ungcstoyt vouu de la cité de Paris, l'antro ad-
venoyt d'AUemalyno, et le tiers, qui sans doubte aiilcun vou-
loyt enseigner son lils par cotluy voyaige, estoyt dévallc de la
duchié de liour^ongne, en laquelle il teuoyt aulcuns liel's et es-
toyt ung cadet de la maison de Villiers-la-l'ayc ( ['///a in Ftigo),
ayant nom de la Vaugreuaud. Le baron alli'uiaïul avoyt l'aict ren-
contre du boui-geoys de Paris en deçà Lyon ; puis tous deux
avnyent accosté le sire de la Vaugrenand en voue d'Avignon.
Adonc([ues, en ceste hostellerie, les trois |)èlerins deslièrent
prou leurs langues, et convindrenl gaigner Itome de coiiserve, à
ceste lin de se bender
contre les destrous-
seursdegens, oyseaulx
de nuict et autres pis-
tolandiers (jui laisoyent estât de descliargier lesdicts pèleiins
de ce qui leur poisoyt sur le corps paravant que le jjape leur
ostast ce qui leur poisoyt sur la conscience. Après boire, les
trois compaignons devisèrent, veu que le pot est la clef du
discours, et tous leirent cet adveu que la cause de leur départie
estoyt ung caz de fennne. La servante, qui les resguardovt
boire, leur dit que sur ung cent de pèleiins (jui s'arrestovent
en ceste locande, nonante-neul' estoyent en roule pour ce l'aict.
Ces trois saiges considérèrent lors combien la lenniie estoyt
pernicieuse à l'iiomme. Le baron monstra la poisante cbaisne
d'or <{ue il avoyt en son liaubcrt pour guerdonner monsieur
sainct Pierre, et dit que son ca/ esloyt tel, i{ue il ne s'accpiitte-
royt point avecques la valeur de dix j)areilles cbaisnes. Le
Parisien defl'cit son guanl et mil en lumière ung annel à diamant
blanc, disant que il portoyt au pape cent loys autant. Ia- Bour-
guignon delTeil son boimel, exliiba deux perles niirilie(|ues (pii
estoyent beaulx pendans d'aureilles pour Nostre-Danie de Lorelle,
et feit cet adveu ipie il aymeroyl mieulx les laisser au col dosa
femme.
Lit-dessus, la servante dit (jiie leurs pecliez debvoyent avoir
esté gros conune ceulx des Visconli.
Lors les pèlerins respondirent (pie ils estoyent tels que ils
uvoyent cbascun en leur aine l'aict vœu de ne plusonc(|ues mar-
570 CO.MES iiKUL.VTlOlES.
gaiuler pour le deinourant de leurs iours, tant belles seroyent
les Icmmes, et ce en oultre de la pénitence qui leur seroyt im-
posée par le pape.
Lors la servante s'estoniira que tous eussent laict mesmevœu.
Le Bourguignon adioiixla que cclluy vœu avoyt esté cause de son
attardcnient depuis leur entrée en Avignon, pour ce que il avoyt
eu en paour cxtrcsme que son fieu, maulgré son aage, ne mar-
gaudast, et que il avoyt faict serment d'empescliier besles et
gens de margauder dans sa maison et sur ses domaines. Le
baron s'eslant enquis de l'adventurc, le sire leur dit la chouse
ainsy :
— Vous sçavez que la bonne comtesse leanne d'Avignon feit
iadis une ordonnance pour les putes, que elle contraingnit à
dcmourcr en mig l'aulxbourg, cz maisons boi'dcllières, à volets
painots on rouge et fermez. Oi'es, passant en vostre conipaignic
par cettuy damné l'aulxbourg, mon gars feit remarcjue des dictes
maisons à volets fermez et painots en rouge, et sa curiosité se
estant csveiglée, comme vous sçavez que ces diables de dix ans
ont l'œil à tout, il me tira par la manche, et ne fina de me tu'er
ius(|ues à ce que il eust sceu de moy (juellcs estoyent ces dictes
maisons. Lors, pour fmer, ie luy dis (jue les ieunes garsons
n'avoyent que faire en ces lieux et ne debvoyent y entrer soubz
poine de la vie, pour ce que ce estoyt l'endroict où se labric-
quoyent les hommes et les femmes, et ({ue le dangier estoyt tel
pour cil (jui ne sravoyt cettuy mestier, (jue, si ung ignare y
entroyt, il luy saultoyt au visaige des cancres volants et aultres
besles saulvaiges. La paour saisit le gars, qui lors me suyvit en
riiostellerie engrant esmoy et n'osoyt gecter la veuc sur lesdicts
bordeaulx. IViulant que ie estoys en l'escuyerie pour veoir à
l'establissement des chcvaulx, mon gars dt'taila comme ung
maraudeur, et la servante ne put me dire où il estoyt. Lors ie
feus en grant paour des putes, ains eus fiance aux ordonnances
qui deffendent d'y laisser y venir tels enfans. Au souper, le drolle
me revint, [)as plus honteux que notre divin Saulveur au tenq)le
cmmv les docteurs ; « D'oii vieiis-lu? hii l'cis-je. — Des maisons
à volets rouges, feit-il. — Petit liriiclone, l'cis-je, ie le baille le
louet. » Lors se mit à geindre et plourer. le luy dis que, s'il
advouoyt ce (|uiluy estoyt advenu, il auroyt graace des coups.
(( lia ! ieit-il, i';iy eu cure de ne point entrer, à cause des cancres
volansct bestes saulvaiges, et mesuistemi aux grilles des crui-
DIKKS INCONGRUS DE TROIS PELERINS. 577
séesàccste lin de vooir comiuontsc fabricfjuoyont les liommos.
— Et que as-tu vcu? fcis-je. — Ay vou, dit-il. une belle
femme en train d'estre achevée, pour ce que il luy falloyt une
seule cheville (|ue ung ieune labricquant luy boutoyt en grant
ardeur. Aussilost l'aictc, elle ha viré, parlé et baisé son manu-
facturier. — Soupoz, » feis-je. Puis, durant la nuiot, ie rc-
tournaycn Bourgongne et le laissay à sa mère, en grant paour
que rt la prime ville il ne voulust bouter sa cheville en qnebjue tille.
— Ces dicts enfans font souvent telles reparties, fcitle Pari-
sien. Cclluy de mon voisin découvrit le cocquaige de son père
par ung mot que vécy. Ung soir ic luy dis, pour sçavoir s'il es-
loyt bien apprins en l'cscliole ez chouses de la religion : « Que
est-ce que l'espérance? — Ung gros arbalestrier du Roy, qui
entre céans quand mon père en sort, » feit-il. De faict, le sergent
des arbalcstriers du Hoy cstoyl ainsy surnommé en sa compai-
gnie. Le voisin feut quinauld d'ouyr ce mot, et, encores que par
contenance il se contemplast au miroucr, il ne put y vcoir ses
cornes.
Le baron feit ceste remanjuc que le dire de ccttuy gars estoyt
bel en cecy : (|ue, de faict, l'Espérance est une garse qui vient
couchier avecques nous, alors que les réalitez de la vie font
deffaull.
— Ung oocqu est-il faiol à l'imaige de Dieu? dit le Bourgui-
gnon.
— Non, feit le Parisien, pour ce que Dieu feutsaige en cecy
que il ne ha point prins femme ; aussy est-il heureux durant
l'éternité.
— Ains, dit la servante, les cocqus sont faicts à l'imaige de
Dieu paravant d'estre escornez.
Sur ce, les trois pèlerins mauldirent les femmes, en disant
que j)ar elles se faisoyonl tous maulx en ce monde.
— Leurs caz sont creux connue heaulmes, dit le Bourgui-
gnon.
— Leurcueur est droict comme serpe, foit le Parisien.
— Pourquoy veoit-on tant de pèlerins et si peu de pèlerines?
feit le baron allemand.
— Lcui's damnez caz ni> |)èciu'iil point, rcspondil le Pari'^icn.
Le caz ne cognoist ni père ni mère, ni les conmiandemens de
Dieu ni ceulx derEccliso. ni loys divines, ni loys humaines ; le
caz ne syavt aulcune doctrine, n'entend point les hérésies, ne
4!)
578 CONTES DROLATIQUES.
sçauroit estre reprouclR' ; il est innocent do tout et rit tousiours,
son entendement est nul, et pour ce l'ay-ie en horreur et détes-
tation profunde.
— Aussy nioy, feit le Bourguignon, et ie commence à concep-
voir la variante faicle par un soavant ez versets de la Bible, en
lesquels il est rendu compte de la Création. En ce counnentaire,
que nous nonnnons ung Noël en nostre pays, gist la raison de
l'imperfection du caz des femmes, duquel, au rebours des aul-
tres femelles, aulcun homme ne sçauroit estanchier la soif, tant
s'y rencontre ardeur diabolicquc. En ce ISoel, il est dict que le
Seigneur Dieu ayant torné la teste pour resguarder ung asne,
lequel brayoyt pour la prime foys en son paradiz, durant que il
fabricquoyt Eve, le diable print ce temps pour bouter. son doigt
en ceste trop parfaicte créature et feit unechaulde blessure que
le Seigneur eut cure de bouchier par ung poynct : d'où les pu-
celles. Au moyen de ceste bride, la femme debvoyt demourer
close et les enfans se fabi'icquer à la manièie dont le Seigneur
avoyt faict les anges, par ung plaisir autant au-dessus du charnel
que le ciel estoyt au-dessus de la terre. Advisant ceste closture,
le diable, marry d'estrc quinauld, tira par la peau le sieur Adam,
qui dormoyt, et l'eslendit en imitation de sa queue diabolicque;
ains, pour ce que le père des honnnes estoyt sur le dos, cet
appendice se trouva devant. Par ainsy, ces deux diableries eu-
rent la passion de soy réunir par la loi des similaires que Dieu
avovt faicte pour le train de ses mondes. De là vint le prime
péché, et les douleurs du genre humain, jtour ce que Dieu,
voyant l'ouvraige du diable, se complut à sçavoir ce qui en ad-
viendroyt.
La servante dit lors que ils avoycnt raison en leurs dires,
pour ce que la femme estoyt ung maulvais bestail, et que elle
en cognoissoyt que elle aymeroyt mieulx en terre (prcn prez.
Les pèlerins voyant lors (pic ceste lîlle estoyt belle, eurent paour
de faillir à leurs vœux, et s'allèrent couchier. La lille vint dire
à sa maistresse que elle logioyt des mescréans et luy raconta
leurs dires en l'endroict des femmes.
— Ht; ! feit riioslelière, peu me chault des peiisiers que les
chalands ont en leurs cervelles, pourveu que leurs bougettes
soyeiit moult garnies.
Ains, lors(|ue la servante eut parb; des ioyaulx :
■— Vécy qui resguarde toutes les femmes, dil-elle Ircst-esmuc.
DIRES INCONGRUS 01-: TROIS PELERINS. 579
Allons los arraisonner; ie prends les nobles et ie te baille le
bouryeoys.
L'Iiostelicro, qui cstoyt la plus pute bourgeoyso de la ducliie'
de Milan, dévalla en la cbanibrc où couchioyent le sire de la
Vaugrenand et le baron allemand, et les congratula sur leurs
vœux, en leur disant que les femmes n'y pcrdoyent pas grant
cliousc ; ains que, pour accomplir ces dicts vœux, besoing estoyt
de sçavoir s'ils rcsisteroyent à la plus miesvre des tentations.
Lors, elle s'offrit à couchier près d'eulx, tant elle cstoyt cu-
rieuse devt'rilicr si elle ncseroyt point cbevaulcbic'e, ce qui ne
luy cstoyt advenu dedans aulcun lict ofi elle avoyt eu compai-
gnie d'bomme.
Lendemain, au desieuner, la servante avoyt l'annel au doigt;
la maistresse avoyt la cliaisne d'or au col et les perles aux au-
reilles. Les trois pèlerins dcmourèrent en ceste dicte ville en-
viron ung mois, y despeiidiront l'argent que ils portoyent en
leurs bougettcs, et convindrent que, s'ils avoyent faict telles
mauldissons sur les femmes, ce estoyt pour ce que ils ne avoyent
point gousté aux Milanaises.
A son retourner en Allemaigne, le baron feit ceste observation
que il ne estoyt coulpable que d'ung peclié, ce estoyt d'estre en
son chaslel. Le bourgeoys de Paris revint avecques force coc-
quilles et treuva sa bourgeoyse avecques l'Espérance. Le sire
Bourguignon veit la dame de la Vaugrenand tant marrie, que
il faillit crever des consolations qu'il luy bailla, nonobstant
ses dires.
Cccy jirouve que nous debvons nous taire ez bostelleries.
NAIFVETI-
Par la double rouge creste do mon cooq, et par la doubU-ure
rose de la panlophle noire de ma mye ! |)ar toutes les cornes
des bien-aymez cocqus et par la vertu de leurs sacrosainctes
femmes! la plus belle œuvre que font les hommes n'est ny les
poëmes,nyles toilespainctes, ny les musicques,nv leschasteaulx,
ny les statues, tant bien sculptées soyonl-elles.ny les gallères à
voiles ou à rames, ains les enl'aiis. Knleiidez les oiifans ius(jues
en l'aage de dix années pour ce que après ils deviennent lioinmes
ou femmes, et, prenant de la raison, ne valent pas ce que ils ont
cousté : les pires sont lesmeilleui's. Considérez-les louant avcc-
qiies tout naïlVcment, avccipies soliers, surtout les fenestrez,
avecqucs les outils de mesnaii^c, laissant ce «pii leur (l('S|)laisl,
criant après ce qui leur plaist, liallebolant les doulceurset con-
lictureries en la maison, grignottant les réserves, et tousiours
riant, alors que les dents sont poulsées hors, vous serez de cet
advisipieils sont délicieux de tout |)oynct,V)ullrequeils sont fleur
etliiiicl, liiiicl d'amniir cl llciir di- vie. Ilonccpies tant ipic li'ur
NAIFVETK. 581
entendement n'est point desvoyc' parles remue-nie.sniii;:cs de la
vie, il n'est rien en ce inonde de plus saiiicl ne de plus |»iaisaiit
que leurs dires, lesipiels tiennent le liault bout en nailVclc'. Cecy
est vray comme la double ircssure d'ung bœuf. Uncques n'ouvrez
ung homme estrc naïf à la méthode des enfans, veu que il se
rencontre on ne sçayt quel ingrédient de raison en la naïfveté
d'ung homme, tandis (pie la naïfveté des enfans est candide,
immaculée, et sent la linesse de la mère, ce (pii esclatte en
cettuy conte.
La Royne Catherine estoyt en cettuy temps Danlphine, et pour
se faire bien venir du Roy son beau-père, lequel alloytlors jiiètre-
nient, le guerdoimoyf, de temps à anllre, de tableaux ilalians,
saichant que il lesaymoyt moult, estant amy du sieur liapliat-l
d'Urbin, des sieurs Primatice et Leonardo da Vinci, auxquels il
envoyoyt de notables sommes. Adoncques elle obtint de sa famille,
laquelle avoyt la fleur de ses travaulx, pour ce que leducMedici
gouvernoyt lors la Tosquane ung prétieux (piadre painct par
ung Venitian ayant nom Tilian, ])ainclre de l'enqiereui- Charles
et trez en faveur, où il avoyt pourtraicl Adam et Eve au moment
oïl Dieu les laissoyt deviser dedans le paradis terrestre, et es-
toyent de grandeur naturelle dans le costume de leur temps,
sur lequel il est difficile d'errer, veu que ils estoyent vestus de
leur ignorance et caparassonez de la graace divine qui lesenve-
loppoyt, cliouscs ardues à peindre à cause de la couleur et ce
en quoy avoyt excellé mon dict sieur Titian. Le tableau feut
mis en la chambre du paouvre Roy, (jui lors souffroyt moult du
mal dont il mourut. Ceste paincture eut unu graut succez à la
Court de France, oîichascun souloyt la veoir ; ains aulcun n'eut
ceste licence avant la mort du Roy, veu que, sur son dezir, ce
dict quadre feut laissé dedans sa chambre autant que il ves(juil.
Ung iour madame Catherine mena chez le Roy son fils Fran-
çoys et la petite Margot, lesquels commençoyent à parlera tort
et à travers, comme font tous enl'aiis. Ores cy, ores là, cesdicls
enfans avoyent entendu causer de ce pourtraict d'Adam et
d'Eve, et avoyent tormenté leur mère à ceste fin que elle les y
menast. Veu que ces deux petits esgayoient parfoys le vieulx
Roy, madame la Danlphine les y conduisit.
— Vous avez voulu veoir Adam et Kve, (jui sont nos premiers
parens ; les vécy, feit-elle.
Adoncques elle les laissa |en [grant estomirement devant le
582 CONTES DROL.VTIOUES.
tableau du sieur Titian, et s'assit au chevet du Roy, lequel
print plaisir à resguarder les enl'ans.
— Lequel des deux est Adam ? feit Françovs en poussant le
coude à sa sœur Marguerite.
— Ignare, repartit la fdle, pour le sçavoir fauldroyt que ils
feussent vestus.
Ceslc response, qui ravit le paouvrc Roy et la mère, feut con-
signée en une lettre escripte à Florence par la royne Catherine.
Nul escripvain ne l'ayant mise en lumière, elle demourera
comme fleur en ung coin de ces dicts Contes, encores que elle
ne soyt [nullement drolaticque, et que il n'y ayt aultre ensei-
gnement à en tirer que, pour ouvr de ces iolys mots d'enfance,
besoins est défaire des enl'ans.
LA BELLE IMPÉRLV MARIÉE
COMMENT SE PRINT MADAME IMPERI.V DANS LES FILETS QUE ELLE
AVOYT ACCOUSTUMÉ TENDRE A SES PIGEONS d'aMOUR.
La lu'llc madame ImjK'iia, laquolle ouvre glorieusement ces
(licts Contes, i)onr ce ([uc elle ha esté la gloire de son temps, l'eut
contrainctc à venir en la ville de Home, ajnès la tenue du Con-
cile, veu que le cardinal de Raguse l'aymoyt à en perdre sa
barette et voulut la guarder près de luy. Ce braguard estoyt tant
magnificfjue, (jue il la guerdonna du beau j)alais(|ue elle eut en
cesle dicte ville de Home. Vers ce temps elle é|>rouva le malheur
d'estre engrossée par cettuy cardinal. Connue ungchascun sçavt,
ceste grossesse lina par une belle lille de laquelle le Pape dit, en
gaussant, que besoing estoyt la nommer Théodore, comme si
vous disiez Giierdon de Dieu. La lille l'eut nonmiécainsy et l'eut
lir>o\uf; osloyl la iioniiniT Tlmodore, coiiimc.si^vous disiez Giterdon
de Uii'.u.
i,\ PFM.E IMPKRIA M\r;ii:r:. r>sr,
|j('ll(^ |»;ii' :i(liniriili()ii. I.c caidiiuil laissa son iK-iilai^o ;'i tnadanii;
Tlu'odore, que la hcllc liiii)tiia cslablil en s(tn lioslcl, vcu (jucfllc
s'enluit de cestc ville de Home connue d'nn;j; endroict pernicienx
où se faisoyent enfans, oii elle avoN t iailly guaster sa taille amou-
reuse et ses inclytes poiTcctions, lignes de corps, courbeurcsdu
dos, plans délicieux, mignonnerics serpentines, (jui la boutoyent
au-dessus des anltres femmes de la clnesticnté autant que le sainct
Père est au-dessus des anltres chrestiens. Ains tous ses amans
sceurent que par l'ayde de onze docteurs de l'adouc, de sept
maistres myres de Pavie et de cinq chirurgians venus de toutes
parts, qui l'assistèrent en ses conciles, elle feut saulvée de tout
donnnaige. Aulcuns dirent que elle y avoyt gaingnc en superfi-
nesse et blanclieur de taincl. l'ng illustre de THscliole de Saleine
escripvit à ce proupos ung livre, pour demonslrer ro[)portunité
d'une couche pour la frcscheur, santé, conservation et beaulté des
dames. En ce livre trez docte, il feut clair pour les lecteurs que ce
qui cstoyt plus bel à veoir en madame Impéria estoyt ce (pie il
n'estoyt licite qu'à ses amans resguarder ; cas rare, veu que elle ne
se despouilloyt point pour les princes d'Alleniaigne ; que elle
appelloyt ses margraves, burgravcs, électeurs ôt ducs, comme ung
capitaine faict de ses souldards.
Ung eliascun seayt encores (|ue, advenue en l'aage de dix-liiiicL
ans, la belle Théodore, pour rachejjter la folle vie de sa mère,
voulut soy mettre en religion en laissant tons ses biens an couvent
des Ciairistes. En ceste visée, s'adonna à ung cardinal qui la dis-
posoyt à faire ses dévotions. Ce maulvais bergier tronvason onaille
si magnilic(}uemenl belle, ([ue il tenta la ioreer. La Théodore se
tua lorsd'ung coup de stylet, j)Our ne point estre contamint'e par
ce dessus dict prebstrc. (]este adventure, consignée ez histoires
du temps, effraya moult la dicte ville de Home et feut ung deuil
pour tous, tant cstoyt aym('(> la fille de madame Impéria.
Alors ceste noble courtizane affligée retourna en ceste ville de
Rome pour yplonier sa paouvre lille; elle dévalloyt en la trente-
neulviesme année de son aage, qui feut, suyvant les aullieurs, la
saison la plus verde de sa magnilicque beaulté, pour ce que tout
en elle se treuvoyt lors en poinct de perfection, connue en ung
fruict meur. La donlemla l'eit Irez auguste et tiezaspre j)ourcenlx
<|ui liiy ])arloyent d'amour à ceste lin de seicher ses larmes. liC
Pape luy-mesme vint en son palais luy bailler aulcunes paroles
d'admonition. Ains elle demoura dedans le deuil, disant (ine elle
586
CONTES DROLATIQUES.
s'adonneroyt à Dion, veu que ollc n'avovt oncques este satisfaicte
d'aulcun lioniinc, encores que elle en eust veu moult, pour ce que
tous, voire ung petit prebstre que elle avoyt adoré comme
cliaase, l'avoyent truphee, tandis que Dieu ne la trupherovt
point. Geste résolution l'eit trembler ung cliaseun, car elle estovt
la ioye d'ung nombre infiny de seigneurs. Aussy s'abordovt-on de-
dans les rues de Home, se disant : « Où en est madame Impéria?
va-t-elle desnucr le monde d'amour? » Aulcuns ambassadeurs en
escripvirent à leurs maistres. L'empereur des Romains feut
moult marry, pour ce que il avoyt baudouiné, comme ung fol,
durant unzc semaines, avecques madame Impéria, ne l'avoyt
laissée que pour aller en guerre, et Taymoyt encores comme son
plusprétieux membre, qui, pour luy, maulgrél'advis de sescour-
tizans, estoyt l'œil, pour ce que, suyvant son dire, il estreingnoyt
toute sa cliière Impéria. En cesle extresmité, le Pape feit venir
ung médecin liespaignol et le conduisit à la belle Impi'ria, lequel
prouva foil babilemenl, par raisons déduictes et aornécs de cita-
I.A HELLE IMPERIV MARIEE. 587
lions grccqups ot latines, (juo la lioaiillr s'amnindrissoyt par lois
pleurs et niarrisson, ctqno par la porte des chagrins se glissoyent
les rides. Geste proposition, confirmée par les docteurs en con-
troverse du Sacré Collège, eut pour ef'fect de l'aire ouvrir le palais
dès la vesprée de ce iour. Les ieunes cardinaulx, les envoyez des
pays estranges, ceulx qui avoyent de grans biens, et les pririci-
pauk de cestc dicte ville de Rome vindrcnt, encombrèrent les
salles et menèrent une maistresse feste; le menu populaire al-
luma feux de ioye ; par ainsy, tout célébra le retourner de la
Royne des plaisirs à son ouvraige, car elle estoyt en celtuy temps
la souveraine des amours. Les manouvriers en tout art l'aymoyent
moult, pour ce que elle dcsj)endoyt do notables sommes pour édi-
fier une ecclise en ladicte ville, où se voyoyt le tumbeau de la
Théodore, lequel l'eut destruict au sac de Rome, lorsque mourut
le traistre connestable de Bourbon, pour ce que ceste saincte fille
y feut mise en ung cercueil d'argent massif et doré, que voulurent
avoir les damnez souldards. Ceste basilicquc cousta, dict-on, plus
que la pyramide bastie iadis par la dame Rhodopa, courtizane
aîgyptiacque, dix-huict cents ans avant la venue de nostre divin
Saulvcur, laquelle tesmoingne de l'anlicquité de ce plaisant mes-
ticr, condjien chier payoycnt la ioye les saiges .'Egyptiac([ues, et
combien tout s'en va diminuant, veu (jue pour ung testoii vous
avez une chemisée de chair blanche en la rue du Pelit-IIeuleu, à
Paris. Est-ce pas une abomination ?
Oncques ne apparut si belle madame Imj)éria (|ue durant ceste
prime leste après son deuil. Tous les princes, cardinaulx et aul-
tres disoyent (jue elle estoyt digne des hommaiges de la terre
entière, la(juclle se treuvoyt représentée auprès d'elle par ung
seigneur de chascun des pays cognons, et, par ainsy, feust am-
plement demonstré ([ue la bcaulté estoyt en tous lieux la royne
de toutes cliouses. L'envoyé du roy de France, leipiel estoyt ung
cadet de la maison de l'Isle-Adani, vint, sur le tard, encores (jue
il n'eust oncques veu madame Impéria, et l'eust trez curieux de
la veoir. Ce estoyt ung ioly ieune chevalier, qui avoyt plu moult
au roy de France, en la Court ducpiel il avoyt une myc que il
aymoyt avecijues une tendresse infinie, la([uelle estoyt une fille de
monsieur de Montmoienc^y, seigneur de (jui les domaines avoi-
sinoyentcenlx de la maison de l'Isle-Adam. A cettuy cadet desnné
de tout poinct le Roy avoyt baillé aulcuncs missions en la duchic
de Milan, dcs({uelles il s'estoyt tant prudemment acquitté, que
-.i^^m^^^sH^^!^^^^^^^ >
Les priucii)aulx do cosle ville «le liomu \iuilicul, ciicomlnùruul
k'S s;illcs.
LA BELLE IMl'EHIA MAUlÉi:. 589
pour ce vcnoyt d'eslrc envoyé à Uoine à cesle lin dadvancer les
négociations niaieures dont les historiens ont amplement escript
en leurs livres. Ores, s'il n'avoyt rien à luy, 1(^ paouvre mignon
risle-Adatn se (ioyt sur ung si bon commencement. Il estoyt
miesvre de taille, ains torné droict comme une cohnnne, brun'
avecques des yeulx noirs (jui soleilloyent et une vraye barbe
de vieulxlégatàquil'on ne pouvoyt rien vendre; ains, par-dessus
sa finesse, il avoyt ung air d'enfant naïf (jui le faisoyt ayniabb;
et gentil comme petite lille rieuse. Dès que cettuy genlillionmie
se pourmena chez elle, et (ju'elle le veit, madame Impéria se
sentit mordue i)ar une phantaisie supérieure ({ui luy pinça véhé-
mentement son luth, et y feit rendre ung son que elle n'avoyt
point entendu de long temps. Aussy feut-elle tant enivrée d'a-
mour vraye à la vcue de ceste fresclieur de ieuncsse, que, n'estoyt
son impériale maieslé, elle eust esté baiser ces bonnes ioucs qui
reluysoycnt comme petites pommes. Ores, sraicliez cecy : que les
femmes dictes })reudes et dames à cottes armoriées ignorent de
tout poynct la nature de riiomme, pour ce que elles se tiennent
à ung seul, connue la royne de Fiance, (jui cuydoit tous les
bonnnes estre punays, le lloy l'estant; ains une liaultecourlizane
commeesloyt madame Impéria cognoyssoyt riiommeà l'und, pour
ce que elle en avoyt manié un grant nundjre. En son r('duict,
img chascun n'estoyt pas plus honteux que ung chien qui rous-
secaille sa mère, etsemonstroyt connue il estoyt, se disant (pie
il ne la verroyt point ung long tcnq)s. Ayant souvent di'plouré
cette subieclion, j)ar aulcunes foys elle disoyt (pic elle estoyt
plus tost ung souffre-plaisir que ung souffre- douleur. Là estoyt
l'envers de sa vie. Faictes estât (jue besoing estoyt souvent à ung
amoureux de la charge d'ung mulet en escuz pour s'annuicter en
son lict, eiicoies que le braguard feust réduict à se couper la
gorge [)Our ungieifuz. Doncques, pour elle, la leste feut d'esprou-
ver phantaisie de ieunesse pareille à celle que elle eut pour ce
petit prebstre, dont le Conte est en teste de ces Dixaiiis; mais,
pour ce que son aage estoyt plus advancé (pie dans ce ioly
temps, l'amour léut aussy plus asju'cment esfably en elle, et veit
bien que il estoyt de la nature du feu, veii (pie il ne tarda point
à se faire sentir; de faict, elle souffrit en sa peau comme chat
qu'on cscorche, et tant, (jue elle eut envie de sauller à ce gentil-
homme et l'empoiter en son lict comme faict ung milan d'une
pio\e ; ains m' cuiilinl en ses iuppes, et à grant poine. Alors que
JAITîjT,
Dès que calluy (,'()iilillioiiimc so |hiiiriiioiiii chez clic, et que dlo lo Toil,
luudumc linpci'ia &c sculil luurduu |iur uiio phuiilaisie supcncuro.
LA BELLE IMl'EIU.V MARIEE. 591
il vint la saluer, elle s'acrosta, se liarnaclia do sa maiesli'la plus
escailalle, comme l'ont celles qui ont ung engonnage d'amour au
cueur. Geste gravité à l'encontre de ce icune ambassadeur estoyt
tant gricfve, que aulcuns cuydèrent que elle avoyt une occupa-
tion pour luv: ('(jnivoc(piant sur ce mot, suyvant la l'asson de
ce temps. l/Islc-Adam, se sçaicliant bien aymé tle sa mye, se
soulcyoyt peu de madame Impéria grave ou l'allotte, et se rigolla
conmie cliicsvre desliée. Lacourtizane,enliaultdespitdece, muta
ses flustes : de maussade, se l'eil sade et sadinette ; vint à luy,
agresla sa voix, aguiza son resguard, dodelina de la teste, le
l'rosla de sa manche, luy dit Monseigneui', restreignit de paroles
byssines, ioua des iloigts en samain ctlinaparluysoubrirc trez
accortemcnt. Luy, ne songiant point que si petit compaignon luy
allast, vcu que il estoyt desnué de deniers et ne sçavoyt point
que sa beaulté valoyt pour elle tous les tbrezors du monde, ne
donna point dans ces filets et demoura sur ses ergots, le poing en
la liancbe. Cesto, mescognoissance de sa pliantaisie irrita le cueur
de Madame, qui par ceste estincelle feut mis en fou. Si vous
doublez de cecv, ce est pour ce (pic vous ne soavoz ce que estoyt
du mosticr de madame Impéria, hi(|uollo, par Ibrcc de le faire,
pouvoyt lors estre accomparée à une cliominée en laquelle il se
estoyt allumé numdrc inliny de feux ioyeulx qui l'avoyent en-
cond)rée de suyes ; en cet estât, une allumette suffit à tout
brusler là où cent fagots ont fnnié à l'aise. Doncques elle flamboyt
en elle-mosmc du liault on bas d'une manière horrible, et ne
pouvoyt estre estaincte que par l'eaue de l'amour. Le cadot.dc
i'Isle-Adam yssit sans rien veoir de ccstc ardeur. Madame déses-
péréedesadopartie,perditlesens,delatesteaux talons, et si bien
que elle l'envoya quorir par les gallorios, en le conviant à cou-
chier avocquos elle. (;onq)lez que en aulcun tonqis de sa vie elle
ne avoyt eu ceste couardise, ne poui- roy, ne pour pape, ne pour
enqiereur, veu que le hault'prixdosoucorps venoyt du sorvaige
où elle tenoytTliomme, que tant plus elle abaissoyt, tant plus elle
s'élovoyt. 11 l'eut jorsdictàcodosdaiiigiicux jiarla [)rinuMnoschine,
qui estoyt finaude, (pu> vérisimilouiont il auroyt une boUo outrée
do lict, car sans double aulcun Madame le rosgualloroyt do ses
plusmignoimes inventions d'amour. L'isle-Adam retourna dedans
les salles, trez heureux de ce cas fortuit. Alors que l'envoyé de
France se romonstra, comnu^ ung cbascun avoyt veu blosmir
Madame de sa départie, ce l'eut ung tiain de ioye œcumenicque
Alors que il vint la saluer, elle s'acrestn, sp lianiacha de sa inaieslé.la
plus escarlalte, comme font celles qui ont iiiif,' engonnape d'amour
au rucur.
LA BELLE IMPÉRIA MARifiE. 503
pour ce que ung chascun fcul aiso de Iiiy veoir reprendre sa belle
vie d'amour. IIii^ eai'dinal aiif^loys, (jui avoytlium('[)liis d'uiit: |iot
ventru et vouloyl tasler de la belle Impéria, vint à Ilsle-Adaïu.
et luy dit à l'aurcille : « Quenouillez-la dru, à ceste fin que
oncques elle ne nous escbappe. » L'bistoire de ceste nuich'c
l'eut dicte au Pape à son lever, lequel respondit : Lœtamini,
gente^, quoniam siurre.rit Dominns. Citation que les vieulx car-
dinaux abominèrent comme profanation d<'s textes sacrez. Ce que
voyant, le Pape les rabbrona moult et print occasion de les se-
mondre en leur disant que, s'ils estoyent bons cbrestiens, ils
estoyent maulvais ])oliti(ques. De faict, il comptoyt sur la belle
Impéria pour apprivoiser l'Empereur, et dans ceste vizee il la
seringuoyt de flatteries.
Le palais estainct, les flacons d'or à terre, les gens yvrcs
sommeillant au rez des tapis, Madame rentra dedans la salle où
elle coucbioyt, en tenant par la main son cliier amy esleu, bien
aise et advouant du depuys que elle eut pliantaisic si roide, que
elle avoyt failly se coucbier à terre comme beste de somme, en
luy disant de l'escraser, si faire se pouvoyt. L'Isle-Adam dellcit
ses vestemens et secoucbia comme cbez luy ; ce que vovant, Ma-
dame saulta l'estrade en piaffant sur ses iuppes à peine deffaicles,
et vint au deduict avec(pies une brutalité de la(iuelle s'estomirè-
rent ses femmes, qui la sçavoyent autant preude femme au lict
que pas une. Cet estonnement gaigna tout le pays, veu que les
deux amans demourèrent dedans ce lict durant neuf iours, beu-
vant, mangiant et faisant cricquon cricquette d'une fasson ma-
gistrale et superlatifve. Madame disoyt à ses femmes avoir mis la
main sur ung pbenice d'amour, veu que il renaissoyt à tous coujjs.
11 ne fcut bruit dedans Rome et l'Italie que de ceste victoire
remportée sur Impéria, qui se iactoyt de ne le céder à aulcun
homme, et cracliioyt sur tous, voire sur les ducs : car pour ce
qui est des dessusdicts burgraves et margraves, elle leur bailloyt
la queue de sa robbe à tenir, et disoyt (jue, si elle ne marcliioyt
sur eulx, ils marcberoyent sur elle. Madame advouoyt à ses mes-
chines que, au rebours des aultrcs bonnnes que elle avoyt sup-
portez, tant plus elle mignottoyt cettuy enfant d'amour, tant ])lus
elle souloyt le niignolter, et ne seauroyt onwpiessc passer de luy,
ne de ses beaulx yeulx (pii l'aveugloyent, ne de sa branche de
corail de laquelle avoyt lousiours faim et soif. Elle dit encores
que, s'il avoyt tel dezir, elle luy lairrovt sugcer son sang, man-
50."
504 CONTES DROLATIQUES.
gier ses tettins, ((ui estoycnt les plusbeaulx du monde, et couper
ses cheveuh, desquels clic n'avoyt donné que ung soûl à son bon
Empereur des Romains (jui le guardoyt en son col eonmie pré-
lieuse relicque ; llnablenicnt, elle advoua que de ceste nuictée
seulement commençoyt sa vraye vie, pour ce que ce Yilliers de
lisle-Adam la faisoyt esmeuc au déduict et luy mouvoyt le sang
par trois voltes au cueur durant une IVostée de moucbes. Ces
dires estant cogneus feirent ung cliascun moult many. Dès sa
jtriine sortie, madame bnpéria dit aux dames de Home que elle
mourroyt de maie mort, si elle estoyt laissée par cettuy gentil-
bomme, et se fairoyt picquer comme la royneCléopastrapar ung
scorpion ou aspic; en fin de tout, elle déclaira Irez aj)ertement
que elle disoyt ung éterne adieu à ses folles imaginations et
monstreroyl au monde entier ce que estoyt de la vertu, en aban-
donnant son bel empire pour cettuy Yilliers de l'Isle-Adam, du-
quel elle aymoyt mieulx estre la servante que régner sur la
cbrestieijté. Le cardinal angloys remonstra au Pape que ce estoyt
une inl'ame dépravation que ceste amour vraye pour ung seul au
cueur d'une femme qui estoyt la ioye de tous, et que il debvoyt
frapper de quatre nuUitez par ung bref in partibus ce mariaige
qui mulctoyt le beau monde. Ains l'amour de ceste paouvre fille
qui lors confessoyt les misères de sa vie, estoyt chouse si iolie
et rcnmoyt tant la fressure au plus inanlvais garson, que elle feit
taire tous les dires, et ung cliascun luy pardonna son lieur. Ung
iour de quaresme, la boime Impéria feit ieuner ses gens, leur
commanda de soy confesser et revenir à Dieu ; puis elle-mesme
alla se gecter aux rez des pieds du Pape, et y feit tel repentir
d'amour, que elle obtint de luy rémission de tous ses pecliez, cuy-
dant que l'absolution de mon dict Pape comnumicqueroyl à son
ame le pucelaige (jue elle se doubtoyt de ne pouvoir offrir à son
amy. Besoing est de croire que la piscine ecclésiasticque eut aul-
cune vertu, veu que le paouvre cadet fent enveloppé de rets si
bien engluez, que il se cuydoyt ez cieulx, et laissa les négocia-
tions du roy de France, laissa son amoui' |)oui- la demoiselle de
Montmorency, linablement laissa tout pour marier madame Im-
p('ria, à ceste fin de vivre et mourir avecqueselle. Voilii quel l'eut
l'eficct des savantes manières de ceste grant dame de jilaisir, une
fois (pie sa science torna au proufllct d'ung amour de bon aloy.
.Madame Inqx'ria feit ses adieux à ses mignons et |tig('ons j)ar
une Icsti' royale donnée pour ses nojjces, qui l'eurent nicrveij-
L\ liKLLE IMPKRI.V MAniKI-]. 595
leusos ot auxquelles vindront les princes italians. Elle avoyt, ce
dicl-on, ung million d'cscuz d'or. Veurénorniilédcccslc somme,
ung cliascun, loing de blasmer l'Islc-Adam, luy feit force compli-
mens, i)our ce que il l'eut apertement demonslié cpie ne ma-
dame hnpéria, ne son ieune espoux, ne songioycnt ne l'ung ne
l'aultre à ces grans biens, tant la cliousctte estovl leur unieque
pensier. Le Pape bénit leur mariaige et dit que ce cstoyt bel à
veoir ceste fin d'une vierge folle, laquelle faisoyt retour à Dieu par
voye de mariaige. Ains, pendant eeste extresme nuict où il fcut
licite à tous veoir la loyne de beaulté qui alloyt devenir simjjle
cbastelaine au pays de France, il y eut bon nund)re de gens qui
déplourèrent les nuictées de bons rires, les médianoclies, Testes
mas(|uées, iolys tours, et ces heures molles où cliascun luy vuy-
doyt son cueur; enfin, eurent regret de toutes les aises qui se
trouvoyent chez eesle superfine créature, laquelle pai'ut plus alles-
cliante qu'en aulcun prinlenq)s de sa vie, veufpie son extresme
ardeur cbordialc la faisoyt reluire comme soleil. Moult se lamen-
toyent sur ce qu'elle avoyt la tristifiante pbantaisie de finer en
femme de bien : à ceulx-ci madame de l'Isle-Adam disoyt en
ioc([uetant que, après vingt-quafre années employées à faire le
bien public, elle avoyt bien gaingné de soy reposer; aulcunsluy
rcmonstrèrent que, pour loing que feust le soleil, ung cliascun
s'y chauffioyt, tandis que elle ne se monstreroyt plus à eulx : à
ceulx-là elle respondit que elle auroyt encore des soubrires pour
les seigneurs qui viendroycnt veoir comment elle ioueroyt le
roolc de femme de bien. A ce, l'envoyé angloys dit que elle
cstoyt capable de tout, mesmes de pousser la vertu au poynct su-
presme. Elle laissa ung présent à ung chascun de ses amys, de
notables sommes aux paouvres et souffreteux de Rome ; puis feit
abandon au couvent oii debvoyt cstrc sa lille etàl'ecclise (jue elle
bastissoyt des deniers que elle avoyt héritez de la Théodore et qui
vcnoyent dudict cardinal de Raguse.
Alors que les deux espoux s'arroutèrent,ils feurentaccompai-
gnez iusques à ung grant bout de chemin par des chevaliers en
deuil et voire par le peuple, (|ui leur feit mille soubhailsde bon
heur, pour ce que madame Impéria n'avoyt do liguenr que pour
les grans et se nionstroyt uuiverselleinenl douloc aux paouviHîs.
Ceste belle royne des amours feust festée ainsy sur son passaige
en toutes les villes d'Italie où le bruit de sa conversion se cstoyt
rcspandu, et où ung chacun cstoyt curieux de veoir ces deux
500
CONTES DROLYTIQUES.
espoux si amans, cas rare. Plusieurs princes receurent à leur
Court ce ioly couple, disant que besoing estoyt de l'aire honneur
à ceste femme qui avoyt le couraige de renoncer à son empire
sur tous pour devenir femme de bien, Ains il y eut ung mauhais
garson, qui estoyl monseigneur le duc de Fcrrare, lequel dit au
cadet de Tlsle-Adam que sa grant l'ortune neluy coustoytpas cliier.
A ceste |prinie offense madame hnpéria monstra combien elle
avoyt le cueur liault, veu que elle abandonna tous les escuz ve-
nant de ses pigeons d'amour pour l'aornement du diiome do
Sancta Maria del Fiore en la ville de Florence, ce qui feit rire aux
dcsprii> tlii sire diisle, lequel >ie latlojt de baslir une ecchse
manlgn' la n)iesvreric de ses revenus; cl comptez (jue il fout
LA T!FJ,IF: IMPÉRIA MARIEE. r>07
moult Ijlasnirdocc mol par son frèro le cardinal. La bollc Im|ti'ria
ne conserva que SOS biens à cllool ceuh (pic rEmi)ercui- lu\ avovt
accordez par pure amitié depuis sa de|»arlie, les([uels csloyent
considérables. Le cadet de l'Islc-Adam eut une rencontre avccques
ce duc, en laquelle il le blessa. Par ainsy, madame de l'Isle-Adam
ne son mary ne purent estre reprouclioz en aulcune manière. Ce
Iraictde cbevallerie la feit ^glorieusement accueillir par tous les
lieux (le son passaij^e, et surtout en Piedmont, où les festes l'eu-
rent trezguallantes. Les vers, commesonnets.epitbalameset odes,
que composèrent lors les poètes, ont esté misenaulcuns recueils;
ains toute poésie estoyt piètre auprès d'elle, qui, suyvant ung
mot de messer Boccacio, estoyt la poésie mesme.
Le prix en ce tournoy defestes etguallanteries l'eut au bon Em-
pereur des Romains, lequel, saichant la sottie du duc de Ferrare,
despescbaung envoyé à sa mye, encliargié de lettres manuscriptes
latines, en lesi|uelles il luv disoyt l'avnier tant j)our ellc-mesme,
que il estoyt tout ioyeulx de la scavoir heureuse, ains triste que
tout son heur ne vinst pas de luy ; que il pcrdoyt le droict de la
guerdonner, ains que, si le royde France luy laisoyt Iresche mine,
il tiendroyt à honneur d'acquérir ung Yilliérs au sainct Empire,
et luy donneroyt telles principanlez que il vouldroyl choisir en ses
domaines. La belle Inqx'ria l'eit response que elle sçavoit l'Empe-
reur trez grant, ains que, deust-elle souffrir en France mille af-
fronts, elle délibérovt v fmer ses iours.
i'oiiil lie voulut aller ii la Court la ilainc de l'Islc-Aihun, aiiis vcsquit
cz cliaMi|)S.
II
COMMENT Fl.N.V CETIUY MARIAIGE.
Dans le lioubte tl'ostrc ou non accueillie, point ne voulut aller
à la Court la dame de l'Isle-Adani, ains vesquit cz champs, on son
dict sieur espoux luy leit ung bel establissenient en aciieptant la
seigneurie de Bcauinont-le-Vicomte, ce (pii donna lieu à IV'qui-
vocque sur ce nom relatée par nostre bien aynié Rabelais dans
son trez-magni(ic(pie livre. Le cadet acquit encores la seigneurie
de Nointel,la forest de Carenellc, Sainct-Martin et aultres lieux
voisins de risle-.\(lain,oîi demouroyt son frère Villiers. Ces dicts
acquests lel'eirent le[)lus [)uissant seigneur en l'Isle-de-Franceet
vicomte de Paris. 11 eut cure de bastir ung merveilleux cbastel
lez Beaumont, qui l'eut ruyné pieçà par l'AngloySjCt l'aorna des
meubles, bobans, tajjis estranges, bahuts, tableaulx, statues ci
curiositez de sa femme, laquelle estoyt bonne cngnoisseuse, ce
qui accomparaigea celtny manoir aux plus magnilîc(pies chas-
tcaulx cognens. Les deux espoux menèrent une vie tant enviée
de tous, que il n'estoyt bruit en la vil'c dei'arisct en la Court
que de cclluy niariaige, de Theur du sire de Dcaumout et par-
ii\ cli.É-icl (lu (..kIci ilu llsk-Ailiim.
Les il.'ux r-|..Hu lurii- iviil Mil.' M.' l.nil cuMo: ,1,' t.m,, .[u,- il ncstoyl
bruit eu la ville Je l'aiii cl en la Cauit nuo do cotluy mariaigo.
51
GO'2 CONTES DROLATIQUES.
dessus tout de la parlaicto, Icalo, gracieuse et religieuse vie de sa
femme, que, par coustume prinsc, aulcuns nommoyent tousiours
madame Impéria; lacjuellc ne estoyt plus ne fière ne trencliantc
comme acier, ains avoyt les vertus et qualitcz d'une femme de
bien, à en remonstrer à une royne. Elle estoyt bien ayméc de
l'Ecclise pour sa grant religion, veu que elle n'avoyt oncques
oublié Dieu, ayant, comme elle disoyt iadis, moult margaudé
avecques les gens d'Ecclise, abbez, évesques, cardinaulx, lesquels
luy bailloyent eaue benoistc en sa cocquillc, et entre deux cour-
tines luy ramentevoyent son salut éternel. Les louanges faictes
de ceste dame eurent tel eflcct, que le Roy vint en Beauvoisis
pour avoir subiect de veoir ceste merveille, et feit au sire la
graace de couchier à Beaumont,'!y demoura trois iours et y mena
une chasse royale avecques la Royne et toute la Court. Comptez
que il feut esmerveiglé, connue aussy la Royne, les dames et la
Court, des Hissons de ceste belle, qui feut proclamée dame de
courtoisie et de beaulté. Le Roy en prime abord, puis la Royne,
et ung chascun soula conq)limenter l'Isle-Adam d'avoir esleu
pareille femme. La modestie de la chastelaine feit plus que n'eust
faict la fierté, veu ({uc elle feut conviée à aller en la Court et
partout, tant estoyt impérieux son grant cueur, tant estoyt tyran-
nic([uc son violent amour pour son espoux ! Comptez que ses
appas, mussez soubz les drapeaux de la vei'tu, n'en l'eurent que
plus gentils. Le Roy bailla la charge vacquantedesalieutenance
en risle-de-Francc et prévostc de Paris à son ancien envoyé,
luy donnant le tiltre de vicomte de Reaumont, ce (|ui l'cstablit
gouverneur de toute la province, et le mil sur ung grant jtied à
la Court. Ains de ce séiour vint une playe au cueur de uiadanK»,
de Reaumont, pour ce que ung maulvais ialoux de cet heur
sans nieslangc luy demanda en manière de ien si Reaumont luy
avoyt parlé de ses primes amours avecipies la demoiselle de
Moiilmorciicy, laquelle avoyt lors vingt-deux ans, veu que elle
en avoyt seize lors du inariaige faict à Rome, laquelle damoi-
selle l'aymoyt tant, (juc elle dcmouroyt pucelle, n'entciuloyt à
aulcnn mariaige et se mouroyt de desespoir en ses cottes, ne
[)ouvant perdre souvenir de son amant endih", et vouloyt soy
niellre au couvent de Chelles. Madame hnpi'ria, depuis six années
(|U(; duroyt son heur, n'avoyt onccjues ouy ce nom, et recogneut
à ce (jue elle estoyt bien aymée. Eaictes estât que cettuy tenq)s
avoyt este consumé comme ung seul iour, (|uc tous deux se
Faitles estai que ceUuy toiniis avoyl eslû tonsuiuo connue
uiig seul iour.
GOi CONTES DROLATIQUES.
cuydovonl niaiioz de la vcillo, (jiie chasciinedes nuicts cstoyt une
nuift (le nopces, et (|iio si, pour aller vooir à uiig soing (IcIkhs,
le vicointo s'esloingnoyt do sa romine, il fstoyt mc'lancliolicquc, ne
pouvant la perdre de veue, ne elle non plus luy. Le Roy, qui
avnioyt moult le vicomte, luyditaussy ung mot (|ui luy dcmoura
comme espine au cueur, en luy disant: « Tune lias poinct d'en-
lans? » A (jnoi Beaumoiit resjiondit on homme sur la playe
duquel on boutoyt le doigt : « Monseigneur, mon rrcroon ha; par
ainsy, nostre lignaige est alîermy. » Ores, il advint que les deux
enfans de son frère moururent de maie mort, l'ung à ung tour-
nov par chute de cheval, et l'aullre de maladie. Monsieur de
risle-Adam concout toile douleur de ces deux morts, que il périt
de ce, tant il aymoyt ses doux iils. Par ainsy, le vicomte de lleau-
mont, les acquests de Carenelle, de Sainct-Marlin, de Nointel et
les domaines à l'entour feurent réunis à la seigneurie de l'isle-
Adam, aux iorests voisines, et le cadet devint chiel'de maison.
En cettuy temps. Madame comptoyt ()uarante-cinq ans d'aage, et
estovt tousiouis idoyno à l'aire enfans, tant bonne estoyt sa mem-
breure ; ains elle ne concepvoyt point. Alors que elle voit le
lignaige de l'Islc-Adam fine, elle se iacta de produire une lignée.
Ores, comme dej)uis sept années esclieues elle n'avoyt oncques eu
lo j)lus logior soupçon d'enfaiifcMiiont, ollecuyda, d'après l'advis
d'un saige phvsician que ollo manda de Paris et l'oit venir ca|)iet-
temcnt, que ceste non-fécundalion provenoyt de ce que tous doux
elle et son espoux, tousiours plus amans (jue espoux, prenoyenl
tant de ioye au déduict, que l'engeiulreure en estoyt empeschiée.
Adnnc<pios dm-anl ung tonqis ollo s'appliijua, la bonne fennne, à
demouror calme comme une galline sous lo cocij, [)our ce que le
physician luy avoyt remonstré (|uo, dans Testât de nature, onc-
ques ne failloyent les bestes à produire, veu que les femelles ne
usoyent d'aulcuns artifices, ne mignotleries, ne lesbinaiges et
mille lassons avocques lesciuollos les femmes accominodoyent les
olives do Poissy ; etpour ce, l'eit-elle, esloyent à hou lillre dictes
hedea: ains elle foil promesse» de nv, plus iouer avoc(jUos sa
cliière branche coralline, el mettre en oubly toutes les conlîc-
lureries que elle avoyt enginiées. Las! encores que elle se tinst
saigement eslouduo counni; oesto Allemande. la(|uelle font cause
pai' sa coite alleoro cpieson espoux la chovauleliia morte otalla,
le pa(Mivre baron, demander lalisoliitioii de c(! cas au Pape, (jui
rendit son célèbre br(!f 011 il piioyt les dames de Franconie do se
LA BELLE IMPÉRIA MAHlfiE. 605
'légieremcnt mouvoir an dôdiiict, pour que ce péché n'advinst
plus, madame de risle-Adam ne conceut point, ot cheut en grant
mélancholie. Puis, elle commença ià d'observer condiicn eslovt
songeur par momens l'Isle-Adam, que elle espia lorsque il cuv-
doytn'estre [)oint veu et qui plouroyt de ne avoir aulcun l'ruict
de son amour. Bientost les deux espoux meslèrent leurs pleurs,
veu que tout estoyt commun en ce beau mariaige, et que, ne se
laissant point, i'orce estoyt que le pensierde l'ung leust le pensier
de l'aullre. Quand Madame voyoyt l'enlant d'ungpaouvre, elle se
mouroyt de douleur et en avoyt pour ung iour à se reconforter.
Voyant ceste grant poine, l'Isle-Adam ordonna que tous enfans
se tinssent esloingnez de sa femme, et luy dit les plus doulces
paroles, comme que les enfans souvent tornovent à mal ; à quoy
elle respondit (jue ung enfant laict par eulx, qui s'aymoyent tant,
seroyt le plus bel enfant du monde; il dit que leurs lieulx pou-
voyent périr comme ceulx à son paouvre frère, à quoy elle res-
pondit que elle ne les lairroyt point s'esloingner de sa iuppe plus
(lu'une galline faict de ses poussins, tousiours à la ronde de son
œil; enfin avoyt response à tout. Madame feit venir une femme
soupçonnée de magie et qui passoyt pour avoir observé ces mvs-
tères, laquelle luy dit que elle avoyt veu souvent femmes, qui ne
concepvoyent point, maulgré leurs études à bien faire la ioye,
concepvoir en la manière des bestes laquelle estoyt la plus simple.
Lors Madame se mit en debvoir de faire à l'imitation du bestial,
et de ce n'obtint aulcune enfleure de ventre, lequel demourovt
ferme et blanc comme marbre. Klle revint à la science phvsicale
des maistres docteurs de Paiis et envoya quérir ung célèbre mé-
dicin arabe, lequel estoyt venu lors en France y produire une
nouvelle science. Adoncques cettuy médicin, élevé en l'escbole
d'ung sieur Averroës, luy dit ceste cruelle sentence : que pour
avoir receu trop d'bommes en sa nauf, et s'estre adonnée à leurs
])bantaisics connue elle avoyt coustume en faisant le ioly mestier
d'amour, elle avoyt à tout iamays ruyné certaines grappes où Dame
Nature avoyt accroché aulcuns œufs , les(juels, fécunde/ par les
masles, estoyent couvez à couveit et descpiels esdosoyent on l'ac-
couchemont les petits de toute fomelle portant mamelles, ce qui
estoyt prouvé par la coëffe traisnée par aulcuns enfans. Cesteargu-
nientation parut si mamallement sotte, beste, niaise, à contre-sens
des Livies saincls, où est establie la maiesté de l'homme faict à
l'imaige de Dieu, et tout au rebours des svstèmes suyvis de la
Ouund iM;iJjiiiu vuyuyl I'i'mI^iiiI il'uii^ |i:iiiuvi'C, ulKt so inoul'uyt du
douleur cl en avo^ l pour ung iuui' ù &o rucuafortcr.
LA BELLE IMPÉRIA MARifiE. 607
saine raison et l)onnc(lootrino, que les tlocteursde Paris en feirent
mille bourdes. Le niétlecin arabe laissa l'Eschole où one(jues ne
fc'ul question du sieur Averroës, son maistre. Les nivres dirent à
Madame, qui estoyt venue souricquoisement à Paris, (pio olicalliist
son train, veu que elle avoyt eu, durant sa vie d'amour, la belle
Tbéodore, du cardinal de Raguse ; que le droict de faire enfans
demouroyt aux femmes tant que duroyt la marée du sang, et que
elle eust cure de multii>lier les cas d'enfantement. Cet advisluy
parut tant saige, que elle multiplia ses victoires, ainsce feut mul-
tijjlier ses deffaictes, veu que elle n'obtint que fleurs sans fruict.
La paouvre affligée escripvit lors au Pape, qui l'avmovt moult, et
luy manda ses douloirs. Le bon Pape luy respondit, par une gra-
cieuse bomelie escripte de sa main, que là où la science humaine
et les cbouses terrestres faisoyent deffault, besoingestovtde soy
tourner vers le ciel et implourer la graace de Dieu. Lors feut
conclud par elle d'aller pieds nus, en compaignie de son espoux,
devers Nostre Dame de Liesse, célèbre par son intervention en
pareil cas, et feit vœu d'y bastir xme magnificque cathédrale en
merciement d'ung enfant. Ains elle se meurdrit et guasta ses
iolys pieds, puis ne conceut aultre chouse que le plus violent cha-
grin, et qui feut tel, queaulcunsdc sesbeaulxcheveulx tombèrent
et aulcuns blanchirent. Finablement, les facullez de faire enfans
luy feurent retirées, d'où vindrent aulcunes espaisses vapeurs
yssucs des hypocondres, lesquelles luy iaunirent le tainct. Elle
comptoyt lors quarante-neuf années, et habitoytson chastelde
l'Isle-Adam, où elle maigrissoyt comme lépreux en l'IIostel-Dieu.
Lapaouvrette se désespéroyt d'autant plus que l'Isle-Adam estoyt
tousiours amoureux et bon comme pain pour elle, qui faillovtà
son debvoir pour avoir iadis esté trop congnée par les hommes,
et ne estoyt plus, suivant son desdaingneux dire, que ungchaul-
dron à cuire andouilles. « Ha ! feit-elle par une vesprée où ces
pensiers tourmentoyent le cueur, maulgré l'Ecclise, maulgré le
Roy, maulgré tout, madame de l'Isle-Adam est tousiours la maul-
vaiselmpéria. » De faict, elle tomboyt en maies raiges quand elle
voyoyt ce florissant gentilhomme avoir tout à soubhail, grans
biens, faveur rovale, amour sans pair, femme sans secunde, plai-
sirs comme aulcunen'en donnoyt, et faillir parle poynct le plus
chier à ung chief de haulte maison, à sçavoir, la lignée. En ce
pensitM", elh; soubhaitoyl mourir ensougiantcombli'u il avoyt esté
noblcetgraut à l'encontrc d'elle et combien elle mancjuoyl à son
cm
CONTES DROlVTIOrES.
debvoir en ne luy baillant point enfans, et ne pouvant désormais
luv en bailler. Elle nuissa sa douleur au plus profund de son
cueur, et conccut une dévotion digne de son grant amour. Pour
mettre à fin ceste béroïque visée, elle se feitencores plus amou-
reuse, pi'int des soins exlrcsmes de ses beaullez, et usa de pré-
ceptes savans pour maintenir en estât sa corporence, quigectovt
ung esclat incrediblc.
Vers ce temps, le sieur de Montmorency vainquit la répulsion
de sa fille pour le mariaige, et il l'eut moult parlé de son alliance
avecques ung sieur de Cliastillon. Madame bnpéria, laquelle
estovt voisine de trois lieues de Montmorency, envoya ung iour
son niary chasser en forest, et se déporta vers le chastel où
dcmciuoU lors la damoisclle de MoiiIiihmciicn . Vciiiic au plcssis,
elle s'y pourniena, disant à uttyserviteurd'inlninK rl;i (huioiscllc
L.\ BELLE IMl'fiRIA MARIÉE. fi09
que iincMlamo iivoyt iiiifr advis tro/-prossant poiirollo, ot rpio elle
vinsl liiy haillcr aiidicnce. Ticz-oliturhée par le discours ([iii liiy
l'eut l'aii't des boaultcz, wuutoisic et suite de la dame incognouc,
la damoisellc de Montmorency alla en grant erre cz jardins, et
f'eit la rencontre de sa rivale, que elle ne cognoissoyt point.
— Ma mye, IV\\ la paouvre femme pleurant de veoir la damoi-
sellc autant hclle (pic elle estoyt, ie sçays (juc l'on vous contrainct
à marier monsieur de Cliastillon, encoresque vous aymez mon-
sieur de risle-Adam ; ayez fiance en la prophétie que ie vous fais
icy, que celluy que vous avez aymé, et qui ne vous ha failly que
par des embusclics en lesipiellcs ung ange serovt tombé, sera
délivré de sa vieille fcnnne paravant que les feuilles soycnt cheues.
Par ainsy, vostre constante amour aura sa couronne de fleurs.
I)onc(|ues, ayez le cueur de vous reffuscr au dict mariaige qui se
moyenne, et vous iouyrez de vostre bien-aymé, Donnez-moy vostre
foy de bien aymer l'Isle-Adam, qui est le plus gracieux des
hommes, de ne iamais luy faire poine, et luy dire de vous des-
couvrir tous les secrets d'amour inventez par madame Imi)éria,
veu (}ue, en les praticquant, vous ieune, il vous sera facile
d'oblilérer la remembrance d'icelle en son esperit.
La damoisellë de Montmorency cheut en ung tel estonncment,
que elle ne scout faire aulcune response, et laissa cestc royne de
bcaultez s'esloingner, et la print pour une phée, iusquos à ce
que ung manouvrier luy dit que ceste phée estoyt madame de
l'Isle-Adam. Encores que ceste adventure feust inexplicable,
ceste damoisellë de Montmorency dit à son père que elle ne
respondroyt sur l'alliance prouposéo qu'après l'automne, tant il
est de la nature de l'Amour de se marier à l'Espérance, inaulgré
les absurdes happclourdes que luy baille à gobber comme gas-
teaux de miel ceste fallacieuse et gracieuse compaigne. Durant
le mois où se cueillent les vignes, madame Impéria ne voulut
point que l'Isle-Adam la laissasl et usa de ses plus flambantes
ioyes, en telle sorte que vous eussiez cuydé que elle le vouloyt
ruyner, veu que, à part luy, l'Isle-Adam crut que il avoyt affaire
à une femme neufve par chaque nuictée. Au resveigler, la bonne
femme le requestoyt de guardcr mémoire de ceste amour l'aide
en tonte perfection. Puis, pour sçavoir le vrai du cueur de son
amv, luy disoyt : « Paouvre l'Isle-Adam, nous ne avons pas faict
saige de marier ungiouvencel comme toy, (jui prcnoyst ving-trois
ans, avccques une vieille qui couroyt sus à quarante. » Luy
010
CONTKS DKOL.VTIOUES.
ros|ion{]oyt que son liour esluyl Ici, (|in' il l'aisoyl mllli' t'iivicux,
ijiie à son aage elle ne avo\ l })oint sa pareille parniy les damoi-
selles, et que, si iamais elle vicillissoyt, il aymeroyt ses rides, cuy-
daiitquf^dans la tundie elle seroyt iolie et son s(|uelcttc aymablc.
A telles rcsponses(|ui liiy faisoycnt venir l'eaue ez youlx, elle
respondit nialicieusenieiit, ung malin, (jue la dainoisolle de
Montmorency cstoyt bien belii' et trez-lidelle. Ce mot leit dire
à risle-Adam que elle le mettoyt à mal, en luy reeordant le
seul tort que il avoyt eu en sa vie, en faulsant la parole donnée
à sa première mye, de laquelle elle avoyt estainct l'amour en
son cucur. Teste candide |iarole feit que elle le saisit et le serra
Irez-estroictement, esmeue de cestc leanll<! de discours là où
plusieurs auroycnl blezc'.
— (lliier amy, l'eil-elle, V('ey ]»iusieurs ioiiis (jiie ie suis aflectée
d'une rétraction au eueur, de hupielle ie l'eus dès le ieunc aage
LA lîELLI-: IMPKRIA MARIKK. 611
menasst'c de mourir, jurost ^\ne li:i conliniK' le |)|iysi(iim ;ir;il)c.
Si ic meurs, ie veulx (|uc lu fasses le plus liant sernicnt de
clievali<'r de prendre la danioisflle deMouliMoieucvpour Icuniie.
l'ay telles scuretcz de mourir, (juc ie laisse mes biens ù ta
maison soubz la condition de cettuy niariaigc.
En entendant cecy, l'Isle-Adam blesniil et se sentit foible au
seul pensier d'une séparation élerne avecques sa bonne femme.
— Oui, cbier ibrezor d'amour, feit-elle, ie suis punie jiar I)ieii
là où se foirent mes pecliez, pour ce que les grans plaisirs que
ie esprouve me dilatent le cueur et ont, suivant la myre arabe,
amoindry les vaisseaux, qui, par ung temps de Sénégal, crève-
ront ; ains i'ay tousiours prié Dieu de m'osler ainsy la vi<3 en
l'aage où ie suis, pour ce que ie ne veulx point veoir mes
beaullez ruynées par le temps.
Geste grant et noble femme veit lors combien elle csloyt
aymée. Yccy comme elle obtint le plus grant sacrifice d'amour
qui oncques eust esté faict sur ceste terre. Klle seule sravoyt
quels attraicts estoyent dans les baudoiiineries, balanogaudisse-
ries et pourlesclieries du lictconiugal, qui estoyent telles, que le
paouvre l'IsIe-Adam auroytmieulx aymé mourir que de se laisser
sevrer des friandises amoureuses que elle confisoyt. Acetadveu
faict par elle que dans une raige d'amour son cueur se brise-
royt, le cbevalier se gecta à ses genoilz, et luy dit que pour la
conserver il ne la re(juerroyt iamais d'amour, que il vivioyt
heureux de la veoir et la sentir à ses costez, se contenteroyt de
baiser ses cocffes et de se froster à ses iuppes. Lors elle res-
pondif, en fondant en eaue, que elle préféroyt mourir plus tost
que perdre ung seul boulon de son buisson d'esglanlines, (|ue
elle periroyt connue elle avoyt vescu, veu que pour beur elle
sçavoyt comment faire à cesle fin que ung homme la chevaul-
chiast quand tel estoyt son vouloir, sans (juc besoiiig luy feust
de dire ung mot.
Cy est urgent de faire seavoir que elle avoyt eu du dessus
dict cardinal de Uaguse ung prétieux guerdon, cpie ce braguard
nommoyt bref in articula mortis. Pardonnez ces trois mots
latins qui proviennent du cardinal. Ce estoyt ung flaccon de
verre mince, faict à Venise, gros comme une febve, contenant
poison si sulttil, (pfen le brisant entre ses dents la mort ad-
venoyt soubdain sans mille doiilciir, et il avovt eu ce dict
bouccon de la siguora Tophana la bonne faiseuse de poisons en
012 CONTES DROLATIQUES.
la ville (le Rome. Ores, celluy verre estoyt soubz uni; cliaston
(le bague, préservé de tout ohiert couluiulant |)ar aulcuiios plac-
ques d'or. La paouvre Inipéria mit aulcunes Ibys le verre en
sa bouche, sans se résouldre à y mordre, tant elle prenoyt
plaisir à la venue que elle cuydoyt astre la darrenière. Lors
elle se plut à repasser toutes ses fassons de cliouser paravant
de mordre au verre, puis elle se dit que, alors que elle scntiroyt
la plus parl'aicte de toutes les ioyes, elle creveroyt le bouccon.
La paouvre créature laissa la vie en la nuict du prime iour
d'octobre. Lors feut entendue grant clameur ez forests et nuées,
comme si les amours eussent crié : Le grant Noc est mort ! à
l'imitation des dieux payens, lesquels à l'advènement du Saulveur
des hommes s'enfuyrent ez cieux, disant : Le grant Pan est
crevé ! Parole qui lent ouye par aulcuns naviguant en la mer
eubéenne, et conservée par ung Père de l'Ecclise.
Madame Impéria décéda sans estre guastée, tant Dieu avoyt eu
cure de faire ung modèle irréprouchable de fennne. Elle avoyt,
dict-on, une magnificque couloration de tainct causée par le
voisinaige des aësles llamblaules du Plaisir qui plouroyt et
gizoyt près d'elle. Son espoux mena ung deuil incomparable,
ne se doubtant point que elle estoyt morte pour le libérer
d'une femme brehaigne, veu que le myre qui l'embaulma ne
dit mot sur la cause de ceste mort. Geste belle œuvre se des-
couvrit, six années après le mariaige du sireavecques ladamoi-
selle de Montmorency, pour ce que ceste nice luy raconta la
visite de Madame hnpéria. Le paouvre gentilhomme traisnadcs
lors des iours mélancholieux et fma par mourir, ne pouvant
forbannir la remembrance des ioyes d'amour (|ue il n'estoyt au
pouvoir d'une nigaulde luy restituer : par ainsy, donna la
preuve d'une vérité qui se disoyt en-ce tenqis, que ceste fenmie
ne mouroyt iamais dans ung cueur où elle avoyt régné.
Cecy nous apprend (|ue la vertu n'est bien cogneue que par
celles qui ont practiwjué le vice, pour ce (jue, j)armi les plus
prcudes femmes, j)eu onssont ainsy laissé la vie, en quel(iue
li:iiilt liiiiil de religion (jiie vous les Itoulic/.
lia ! Ibllc inignoiinc, loy (lui es cncliargu'c dVsgaycr la maison,
tu lias esk', maulgn' m'iWc dofïcnses iteratifvcs, te vautrer dedans
ce bourhior de nit'ianclioiie, où tu lias ià pesclu' Berllic, et re-
viens, cheveulx desnouez, comme fille qui lia lorcr ung partv de
lansquenets ! Où sont tes iolies esguilles<roi-à grelols, tes fleurs
filigranres en plianlaisies arabesques ? où lias-tu laisse ta marotte
incarnadine, aornée debobanspréticux, (|ui coustc ung minot de
perles? Pourquoy guaster par des larmes pernicieuses tes yeulx
noirs, si plaisans quand y jx'tiile le sel d'ung conte, que les papes
te pardonnent tes dires à l'oiidjre de tes rires, sentent leur aine
prinse entre l'ivoire de tes dents, ont leur cueur tiré parla line rose
que darde ta langue, et troequeroyent leur pantoplile contre ung
cent des soubnres qui broycnt sur tes lèvres le vermillon du bon
sang ? Garse rieuse, si tu veulx demonrer tousiours (Vesclie et
ieune, ne ploure iamais plus. Songe à clicvaulcliier les mousclies
sans brides, à brider avecques de belles nm'es tes cliimères camé-
leonesques, à métamorpboser les réalitez vil'ves en ligures vestues
d'iris, caparassonnées de resv(;s cramoisis, emmanchiées d'aësles
pcrs à yeulx de perdrix. Par le Corps et le Sang, pai rKneensoir
et le Sceau, par le Livre et l'Kspée, par la Guenilit^ et lOr, par le
Son et la Couleur, si tu retournes en ce bouge d'éb-gies où les
52
Cli
EPILOGUE.
cuinu|ues raccollonl dos laiderons pour des sullans inibi'ciles, ic
to inauldis, ie le treiileiiiille, ie te lais ieiisiier de iniesvivrios cl
d'amour, ie te...
Broui' ! La vécy à cheval sur ung rays de soleil eu couipaignie
d'ung Dixain qui s'esclaffe en météores aëriformes. Elle se loue
dedans leurs prismes, en courant si dru, si liault, si liardy, si à
contre-sens, à conlre-lil, à contre-tout, que besoing est de la
cognoislre de longues plumes pour suyvre sa (jueue de syrène
aux facettes d'argent, laquelle frétille emmy les artilices de ces
rires nouveaulx. Vray Dieu ! elle s'y est ruée comme ung cent
d'escholiers dans une liaye pleine de murons, au dcsbotler des
vespres. Au diable le magister! le Dixain est parachevé. Foing du
travail! à moy, compaignons!
~/y^.
l.l cilles esl-cc bien ung giiof hiheur que d'cxcogiler
CENT CONTKS llIlOI ATII^UKS.
IIP 4
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