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Full text of "Les contes drolatiques colligez ez abbayes de Touraine et mis en lumière"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

Universityof  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lescontesdrolaOObalz 


LES    CONTES 


DROLATIQUES 


218.  —  PARIS,  TYPOGRAPHIE  A.  LAHURE 
Rue  de  Fleurus,  9 


LES   CONTI'S 

DROLATIQUES 

COLLIGKZ   nZ   ABH.VYES   DE    TOLIIAINE 

et  mis  eo  lumière  par  le  sienr 

DE   BALZAC 

POUR     I.  '  K  S  D  A  T  ï  E  M  E  N  T     DES     P  A  N  T  A  G  P,  U  E  1. 1  S  T  E  S 
ET     NON     A  U  I.  T  R  E  S 


N  E  i:  V  I  C  s  M  K     EDITION 

I  1. 1.  r  S  T  n  K  F  DR   4  2  5  DESSINS 
PAR  GUSTAVE  DORÉ 


PARIS 

r.ARMER    FRÈRES.   LIRR AIRES-ÉDITEURS 

0,  m  F.  iiEà  SAiMS-rrnES,  G 


TABLE  DES  DESSINS 


K'*  Sujets.  Ciaveurs. 

2.  I.c  hodict  (les  liomnios  ( Iront isjjico) Lavieille. 

3.  L;i  victime  de  l'amour  (titre) Jahijer.    . 

4.  Cettiiy  libraire  (table  des  matières) Lavicilie. 


PREMIER    DIXAIN 

5.  Syml)o}c  de  l'iiyménéc  (fronslispice)  ......  Lavieille. 

0.  Les  armes  de  la  gayeté  (Phologue) Jaltiol.    . 

7.  Vrayc  et  l'ail Ise  gayeté Hiaull.    . 

8.  Le  rire  vainqueur  de  la  mescIiarKOté Lavieille. 


I.A     BKLLE    IMPKRIA. 


^ -> .  i^^^^T^é^ 


Le  rendez-vous,  gr;ivù  par  Ki,i;:iier. 
10.  La  belle  Imiiéria , I.avicille. 


VIII  TABLK  DES   DKSSINS 

H.  Madame  Impt'fia  rcnti'p  clipz  elle Lavieille . 

12.  Le  lout  ioly  petit  prehstre  lonrang:e!iii (lérard.   . 

13.  Ung  lesve  tie  ioiine  lioininc Lavieille  . 

\\.   Contredanse   gdtliieque id. 

l.'i.  Madame  Imp'Tia  su\ vie  de  sa  rolie Jaltiol.    . 

10.  Le  tout  ioly  petit  prebslic  espiant  ung  icsguard.  Lavieille 

17.  La  partie  de  dez id. 

18.  Le  tout  ioly  petit  prcbstre  esblouy  d'amour     .    .  Louis  .    . 
VJ.  Le  tout  ioly  petit  prehstre  fourvoyé  dans  de  niaul- 

vaises  rues Lavieille. 

20.  Le  concours  éc  sérénades td  .    . 

21.  Visite  à  madame  Iinpéria Pisan  .    . 

22.  Le  gros  évesquc  de  Coirc Jjavieille. 

23.  Arrivée  du  rardinal  de  Ragiisc id  .    . 

24.  Le  cardinal  <ie  Raguse id  ,    . 

25.  Ung  mot  à  ranreiile id    .    . 

2t'i    jiisui(i''s  de  nioiisiciir  le  cardinal id  .    . 


9 

y 

10 
10 

11 
11 
11 

13 

10 
17 
19 
20 
21 
22 
23 
20 


.  E     PLCIIi:     VKMEL 


Les  ni.iiililicls  p.'iiges,  ginvù  par  Ciiépeu'ic. 


28.  Le  cliastel  du  bonhomme  Binyn Pl.tnn  . 

29.  Fleur  d'innocence  de  madame  lirnvn Tli'iult. 

30.  Fascheuv  dcsporlemens  du  icnne  IJruyn    ....  LoviniUe 

31.  Exploits  de  messire  Itriiyn  en  Terre-Saincle.    .    .  Louis   . 

32.  Aultrcs  exjiloits Hiault. 

33.  Suyte  <les  e\|doits id  . 

34.  L'assault Dunionl 

3.'».  Le  vaiiupieur  inlerroguc  le  vaincu Lavieille 

30.  Messire  IJruyn  en  la  Roclie-Corhnn Prcd/iomnie 

37.  Le  n'-giine  (éod.il Riaiilt .    . 

38.  Idem id  .    . 

39.  Messire  Hiiivn  h'imIiiiI  la  iiislic(< Cnurliard 


28 
29 
29 
30 
30 
31 
32 
33 
33 
34 
34 


TABLE  DES   DESSINS. 


40.  Usuriers    du  temps Diimont  . 

41.  Mcssirc  Bruyn  se  [)i)iiriii''iic  ilaiis  ses  Rstits,    .    ,  l'ianll.    . 

42.  Les  icu\  lie  la  troupe  a);,-y|)tiac(iuc LaricUlr. 

45.  En  avant  deux  (style  liyziuitin).       Solaiii,    . 

44.  Mariafjc  de  niessire  Itniyn Uiunlt . 

45.  Madame  la  senucsclialle  court  les  ccrls lionrjrl.    . 

4G.  Les  troubadours.  -.-  Halle  de  chasse Roques.    . 

47.  La  Jeunesse  d'aultrefois Iliaull.    . 

48.  Madame  Bruyn  se  rend  à  l'ermitaige  ......  l'icrdou   . 

49.  L'intendant  <le  messire  Bruyn. Iliaull.    . 

50.  Iluincs  d'unj^   brave Ue  Gliomj 

51.  Arrivée  à  l'ermitaige Iliaull.    . 

52.  Mcssyrc  Bruyn  retrouve  ses  larrcts. id  .    . 

53.  Le  dict  bonhomme Predhomme 

54.  Le  gros  péché Iliaull.    . 

55.  Punition  (ju'il  mérite Ro'/iics.    . 

50.  Traict  de  pudeur A'"*.    .    . 

57.  Le  paige Boulon.   . 

58.  L'cschole  du  paige Iliaull.    . 

50.  Le  voile  des  convenances N'*'       .    . 

60.  Attai|ue  du    cocquaigc Iloulnn.    . 

Gl.  Pèlerinage  du  beau  René Lavicillc. 

02.  Ung  temps  de  cloistre Iliaull.    . 

63.  Le  bon  vieil  abbé Gérard.   . 

64.  Ciiolère  du  viculx  Bruyn Lavirillr. 

65.  La  meslée id  .    . 

()G.  Madame  Bruyn  en  griet've  mélancliuile Iliaull.    . 

07.  Prière  au  bon  Bruyn id  .    . 

68.  Le  cavalier  endoué   .....' Louis  .    . 

69.  Retour  de  René  ih;  lallanges Gaucliard 


55 
56 
37 
40 
42 
47 
49 
51 
53 
56 
57 
58 
60 
61 
62 
62 
64 
65 

m 

70 
70 

72 
75 
75 
74 

7t; 

78 
78 
7!) 
80 


I.  A    MVK   nu   no  Y 


La  cli.iise  à  porleurs,  gravr  par  De  Giiouv. 
71.   Le  bonnet  à  cornes  (inaulvais  resvcj Gaurhard   .    .     SI 


X  TAULE  DES  DESSINS. 

72.  Unjr  iusticiartl I.avieille 

73.  \a  myc  du  lloy "'  • 

74.  Cin-uinhilivaginalions  ilii  Roy  ;ni|ins  ilo  l:i  icuno 

fille      ^d   . 

75.  Le  Uoy  clicz    ror]iliclivre Pisan  . 

70.  Une  niiitt  ilo  nopccs Lavieille 

77.  Maints  iiisti.iiii-(ls Piedlwm 

78.  Le  pourvoycMir  du  Roy lUaull . 

79.  L'aiivcH-at  Kéitm  alueuvé  tic  mocquerics Lavieille 

80.  L'advoral  Féion  niary    trompé Piaud. 

81.  L'infortuiit' sieur  de  Riidon''  se  tue  pour  clic.   .    .  Riaull . 

82.  Le  niary  flia<;riii id   . 

8"».  L'aeliat  d'une  conscience Lavieille 

84.  Folies  que  disent  les  l'cmmcs  en  soy  vestant.    .   .  id  . 

85.  ? W"* .  . 


81 
85 


85 
80 
88 
89 
90 
91 
92 
93 
95 
97 
98 


L  llKlUTIini     DU     DIABLE 


La  décollation,  gravé  p.ir  Ddmont. 


87.  Le  man-ciiifrc  cl  ras(jucretle  .    .    . 

88.  Chiquon  y  vcoil  double 

89.  Le  chanoine 

90.  Le  cliauoine  n-lcvé  par  ses  ncpvoux 

91.  Le  niau-riufrc  faisant  son  nicstier. 
02.  Le  mau-cin^'e  vacipiaut 

93.  Pillu-Cnic 

94.  Leguardicn  de  i)cste> 

05.  Ce  paouvre  Cliii|uiMi 

90.  Inciiiivériii-iit  des  cscilici-s  en  s|iiral(! 

97  l.c  retour  du  inarv 


Itiaiil/ . 

.    .  100 

Lavieillr 

.  101 

id 

.  102 

niaull.    . 

.    .  104 

Predlio  iiiiii 

.   .   105 

Lavieille. 

.  100 

id  .    . 

.  10» 

Itoiif/rl. 

.  107 

Lavieille , 

.  108 

llinuU.     . 

.  111 

Lavieille. 

.   113 

TABLE  DES  DESSINS. 


9X.  Coup  (le  picil  entre  deux  gculillesses   .    .    . 

d'J.  La  cliolcrcilu  iiiiu-fiiij;c.    . 

100.  Le  m.iu-ciiige  s'excuse  de  sa  cliolèrc.    .    .    . 

101.  Bii-alellcs 

1"2.  Menus  sulïraiffewiu  cl.iir  de  lune   ... 

10 J.  Instans  d'yvrcsse Lavicille 

lOi.  Le  décollage 

lOÔ.  La  roue  de  la  Koitune 


Lavieillc. 

.    114 

id  .    . 

.    110 

(irrnrd.    . 

.    117 

lUaull .    . 

118 

l'iedhoininc 

.    110 

Lavieille. 

.    120 

id  .    . 

121 

id  .    . 

.   125 

LES    lOYEULSETEZ    DU     UOÏ    LOYS     LE    U-NZIESME 


L'embuscade,  gravé  par  Dtiio:i(T. 


107.  ^jcolc  Bcaupcrluys 

108.  loyeulx  devis 

109.  Loys  uuzicsnie  ilu  nom.  bon  compaii^non.  aymaiit 

beaucoup  à  ioiipicler 

110.  Tristan  l'Ermite 

111.  La  pendaison 

112.  Les  pfémonics  du  moync 

113.  Les  frnardicns  de  la  rue  Quincangrogne  .... 

114.  Tribulations  d'un^  pendu   .    .    • 

115.  Trois  pcns  avaricictix  notez 

IJG.  Gestes  l'amiliers   du  ciuilinal   non  permis  pir  les 

canons 

Confidences 

Les  troubles  intestins 

L'espoir/ 

L'évasion 


117. 
118. 
119. 
120. 
121. 
122. 
125. 
124. 
125. 


Espoir    déçu , .    . 

Le  mail,  ou  les  espcrits  satisfaicts. 

Une  e.\écution 

Soins  prodiguez  au  despeiidu.    .    . 
L'amour  iouantavcnjues  l'arc.    .    . 


niaii/f  .    . 
Gauchard 

m  nuit.    . 

id  . 
Lavieillc . 
fiiaull .  . 
I.arieillc. 
Duiiiont  . 
Lavicille. 

niaiill  . 

id  . 

id  . 

id  . 
Bouton. 

id  . 
jMvieillc 

id  . 
RiauU  . 

id  . 


124 
125 

125 
1 2») 
127 
127 
128 
129 
129 

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155 
150 
158 
159 
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142 


TABLE  DES  DESSINS. 


LA    CONKESTAIiLK 


idu,  yiavé  par   I)uiiu.\T. 

127.  L'cinbuscudc Lavicille  ...  145 

riS.  La  sortie  de  l'ccclise Lafij 144 

129.  Le  toiincstablc  d'Aiinigiiac Lavieille.        .  145 

150.  Uiij^  coup  de  maislic Ilouton.   .    .    .  145 

151.  Deau  Ircspas  de  guallantcrie Jalliol .    .    .    .  14G 

152.  L'cs|)L'c  des  marys Lavieille.    .    .  147 

155.  Clioière  du  l'onneslalile Pisaii  ....  149 

154.  I,c  conncslal)lc  intenoguc  ses  gens Michel.    .    .    .  150 

155.  La  iiieurUière l.arieille      .   .  151 

130.  La   messe   attoniéc Iliaull.    .    .    .  155 

157.  Le  sieur  de  Boys-Uourredon Solain.    .    .   .  156 

158.  Ecslase  d'amour  vray f-^'^U 158 

15!).   Itoys-Bourredon  londuiil  à  sa  inalc  licurc   .    .    .  Rouf/rl.    .    ,    .  100 

1  iO.  Bcaulx  distours  de  Boys-Buurredoii Jahijcr.   .    .    .  105 

lil.  Fin  dcs|iloiiraide  de  Savoisy Riatill.    .    .    .  165 

142.  Le  mai  y  vengé id   .    .    .    .  107 

145.  l'Iiilosojiliie  de  Boys-Bouriedon id  .    .    .    .  108 

LA    l'UCKLLE     I)  K     TIMI.IIOUZE 


Le  IrvsLiiciic't,  K'nvé  |>;ii  sutai.'t. 

145.  Le  dii.id  du  seigneur. Ciiillfiume  . 

140.  La  lille    iiicn  guardée Carbonncau 

147.  Une  séduclion liiauU .    . 

14«.  Assaull  de  guullanlerie  .       l'redhomme 


109 
17» 
171 
171 


TADLE   DES   DESSINS.  xiii 

149.  Le.  scijîiicur  de  Valcsuc Prcdhommc    .  177) 

150.  L'IiDiiiiem- en  dangicr Pdaull  .    .    .    .  MJ* 

IT)!.  I.'espousi;  déçue l-outs    ....  175 

152.  Yiliiiii  homme ...  Gt'rard.  .    .  17G 

LE    F  11  È  11  E    d'  A  II  M  E  S 


Déclaration  d'amour,  gravé  par  RiuNiEn. 


154.  Ung  tendre  testc-à-lc6lc Pi^an  . 

155.  Déclaration  d'amour. id   . 

15G.  Ung  coup  mortel ■    •  Louis   . 

157.  Le  cadet  de  Maillé /?'««/<  • 

158.  La  {^igue Bijchebus 

159.  L'amour  maistrisé Riault . 

160.  Instaus  de  délire (n'rard 


17.S 
179 
180 
181 
188 
190 
192 


i.i:   en;  f    ii' a  /  \  v- 1  i' -  r,  ini'AU 


l.e  clieiiiiii  du  presbylère,  gravé  par  JAincR. 

lt)2.  L'aumosiic  au  predjytère LaviciUc, 

105.  Fasclieuse  rencontre Jalliot. 

loi.  Le  chanoine  alléché Boulon 

105.  Cauchemar lliault , 

100.  Chcvanlx    ondiraij;eux LaviciUc 

107.  Agréable  pourmenaide id  . 

108.  Le  curé  liAzay Gciard. 

109.  Poignant  désespoir id  . 


l!)i 
111.') 
197 
198 
199 
201 
201 
202 


TABLE  DES  DESSINS. 


L    APOSTIIOPHE 


Le  chagrin  d'eslre  bossu,  grave  par  Crépeabx. 

171.  Uiij;  csdaiiilre Lemairc 

\'i.  I.c  viculx  taimturier id   . 

175.  Bossu  pour  toute  sa  vie  et  plein  île  iiiesciianteric.  Gérard. 

174.  Eiicores  un><  petit  p.elistre id  . 

17j.  Rue  délicieuse  à  Tour» Solain  . 


-20i 
204 
205 
209 
210 


176.  Hilarité  générale  (Êpilocle) 


Crc peaux 


214 


SECUND  DIXAIN 

177.  Soleil    rouillant  (ïrontispue) Lavieille.    .    .    215 

17S.  l.e  ilieu  «les  iieui-.s(PRoi.ocui;) Michel.    .    .    .    217 

17'J.  Dalzac  l'entomologiste liijckcluis.    .    .    221 

I.  K  s    T  It  0  I  s    C  I.  E  I(  C  s    DE    S  A  I  N  T  -  N  I  C  H  0  L  A  S 


Li'kliois  cleris,  gravé  par  Lalv. 

1K1.  Hilianl.lerie Poplulat.    .  .  223 

1M2.  I,c  sUMiitl  lioinuie,  vienix  rei><tre  en  >oii  niestiei'.  Jnlliot,    .    .  .  224 

iK.i.   l'iif-  >ieulx  Mc  à  niaulvaisetez Prrdlioniiiic  .  2!ï2 

iKi.   Liix    homme  nerveux Huiiluii.    .    .  .  254 

18J.  billevesées   ......  ...  Gérard.   .    .  .  255 


TAi'.i.r;  i>i:s  dkssins. 

LE    I  K  U  S  S  E     I)  K     F  R  A  N  Ç  O  Y  S     p  It  E  M  ÎK  li 


Le  |irisoniiiei',  yi  im    | 


187.  La  visite  au  |irisimiii(i Gauchard  .  .  238 

188.  FraïKjoys  premior  jjiiailaiiL  lioriimc Gérard.    .  .  .  258 

189.  Hiiosdc  l.ara-y-Lopez  Banu  di  Piiito Lavicille.  .  .  240 

190.  Ilcmcux  instaiis Bouton.  .  .  241 

191.  Doulccur  sans  pareille De  Ghouy  .  .  243 

LES    BON'S    PROUI'OS     IiES    11  E  L  I  G  I  E  U  S  ES     DE     POISSY 


La  ronde,  gravé  par  Ubst  ei  C<^. 

193.  Mouvement  stratégicqne Riaitll . 

194.  Sœur  Ovide Lriv/eillc 

195.  I'iil)auldisscmens Dio/ol  .    . 

196.  Festin  oxtraoïdinaiie I.avieillc . 

C0M5IENT    PEUT    BA3TY    LE     G  II  ASIE  AU     d'aZAY 


.   245 

.   249 

2r)6 

.    258 


La  rocoiisullatioii.  gravé  par  Sotaii». 
198.  Consultation I.cmanr  .    .    .   259 


XVI  IWME  DES  DESSINS. 

100.  Rcsvcric  dans  IVcclisc. Pierdon  .    .    .  2C0 

200.  Dos  mes  tlo  pordilion Lavicillc.    .    .  261 

201.  Lo  ni;ifîii('tisme  (lu  losfruanl id  .    .    .    ,  202 

202.  ïonsioiirs  los  nu>s  (le  perdition id  .    .    .    .  262 

20Ô.   lue  leçon  (loiuK'e  par  le  paigc id   .    .    .    .  262 

204.  Le  lianly  Ia((iiies  de  Beaunc id   .    .    .   .  263 

205.  Madame  (le  Deaiiien ?</....  205 

200.  l'oi'lieqiie  soiivo id  .    .    .    .  264 

207.  Morilwnd /V/  ....  265 

208.  Secours  au  moribond id  .    .    .    .  265 

200.  .Sorcvers,  maislrcs  myrcs Crépeaux    .    .  260 

210.  Idem Pisan  ....  267 

211.  DtVIaralion  d'amour LavieiUc.    .    .  267 

212.  Clémence jrf  ....  268 

215.  .Anjïoisses id   .    .    .    .  268 

214.  Départ  des  myrcs Pisan  ....  209 

215.  Séduction LavieiUc.    .    .  270 

216.  Les  palefrois liiauU.    ...  270 

217.  Les  sentinelles  au  guet Prcdltommr    .  271 

2IS.  Le  coin  du  feu Jalliol.    .    .    .271 

21fl.  Douleeurs Ln vieille .   .    .  272 

220.  Souvenirs  de  l'anticque. Gérard.   .    .    .  275 

221.  Maffistrat zV/  ....  275 

232.  C.jup  doul.le Diinionl  ...  277 


LA     FAULSE    COURTISANE 


I.n  fcnimo  imprenable,  gravé  par  Jattiot. 


224.  Parlo;nenlaircs l.riiiairr 

22.J.  La  preude  et  chaste  dame  d'Iloopielonville.    .    .  Lnvicillr . 

220.  l'anla-ruelislns,  paiila};ruelisans j)i,,lot .    . 

227.  Idrm.    . pierdon  . 

2iH.  Menus  suiïrai-es  d'amour f.avirille 

229.  Un^fcoup  mortel /,„„,„„. 

^•'"  '■'  ""••'''''• Pierdon  . 


279 
280 
281 
288 
290 
201 
292 


TAlîLK    l»i:s    DKSSINS.  xvir 


L'escholc  des  .imours,  gravé  par  Sotaix. 

232.  Iliiiiililo  loqueste Gérard.   .  . 

233.  Ce  hon  I  liou  !  lion  !  à  barbe  en  pieds  de  niousc  lie.  (',rrpeau.r.  . 
23 i.  Vieille  morte  à  yeulx  ouverts id  .    .  . 


294 
300 
501 


LA    cm  ERE    NIÎICTEE    D  AMOUR 


Le  mary  jaloux,  gravé  par  Best  et  C'. 

236.  L'embuscade Lavietlle. 

237.  La  conspiration Ganchard 

238.  Cettuy  procureur Predhomme 

239.  Vieille  nieschine,  doue-^na  laide  comme  unjr  pot.  id  .    . 

240.  Cas  de  flagrant  délict id  .    . 

241.  Monseigneur  Sardini Lavieille. 

242.  Encores  ung  iusticiard id   .    . 

243.  Saulvé  !!! .  id  .    . 

I.F.    PROSNE     DU    lOYEULX    C  i:  »  É    DE    MEUDO.N 


.504 
504 
505 
505 
311 
512 
512 
514 


Les  armes  de  Rahclais,  gravé  par  Best  et  C". 

245.   Ceste  bonne   pbilosopbie  à  laquelle  JK'soing  sera 

de  lousioiu's  revenir Ja/iijc 


IIG 


XM„  TAULE  DES    DESSINS. 

2it).  EiiUvc  !"(  Paris  du  lioz-liorrifirqiio  Garçrantua   .    . 

247.  llilli'vcs.Vs •.••.•• 

248.  Le  tioz-lioriilifiiiie  Uaiffaiiftaiilua  loinpissc  aigrc- 

iiKMil  la  jroiit  jiarisieiiiic 

240.  AiiililouiN  au  i-onsi'il  des  rais 

?r>0.   Le  ioyeulx  lUié  de  Meiidou 

2r>l.  l'ivsidcul  du  conseil  des  rats 

252.   La  liaraiifrue • 

25.").  I/ainmir  au  ilair  de  lune 

2:>4.  Hipaille 

255.  Le  seiiïueur  outre   suididaiu 

256.  Une  cxéiutiou • 

257.  Coulideuee 

258.  .\|M>tlié(ise 

259.  Monsieur  le  conncslahle,   duquel   \c  iils,  comme 

un<r    diascun  sçayt,  avoyt    laissé   madame    de 
Siennes 

200.   Le  granl  comicque 

2G1.   F.a  farce  de  Paniujie 

202.  I.p  fleuve  de  pensée 


Crr peaux    . 

.    517 

lUjckcbus.   . 

.    517 

Crrpeaux . 

.  519 

Predhoiinne 

.    524 

niault.    .    . 

.    52<) 

l'rcdhomme 

.    527 

id  .    .   . 

.   528 

id  .   .    . 

.   529 

Lavieille.    . 

.   551) 

Dumont  .    . 

.   551 

id  .   .    . 

.    552 

Lavieille .    . 

.   552 

id  .    .    . 

.    552 

liiaull.    .    . 

.    532 

Lavieille.    . 

.   533 

Boulon .  .    . 

.   534 

Dumont   .    . 

.    534 

LK     SUCCUBE 


Le  succube  ou  déiiiuii  Iciiielle,  gravé  par  Best  cl  C» 


204.  \Kv'/.-/yn  (rronlis|)ice) lalnjfr.   .  . 

205.  I,e  <ié|)us(ule  (l'itOLor.DC) Lavieille.  . 

200.  La   rue  Cliaulde  à  Tours Dumont   . 

2ii7.  Le  démon Gauchard  . 

208.  Ai'arlniide. Louis   .    .  . 

2tii(.  liiérosme  Cornille,    <;ranl  pénitencier   ...        •  l'rcdhomme 

270.  Iiliaii  Torteiii.is,  iMHUffeoys  de  Tours id   .    .  . 

271.  (iuill.iumi-  TournelMiu-clie,  ruhricqualeur  du  clia- 

jiilre,  lionune  diM|r ,    ,    .    ,  Kiriiilt. 


557 
539 
540 
541 

5i2 
545 

544 


TAULE  DES  DESSINS. 


\\\ 


272.  Vertige  d'amour />  G/ioxy 

273.  Mille  mort la/liol.    . 

27  i.   Le  (lict  Cojfnefestu l'rcdhnmmc 

275.  B:it.iill(!  en  cli.imi)  rlos Louis  .    . 

27G.  Dcsroiilictiiri' Lavieille. 

277.  Salomoii  al  Rastcliild,  lequel,  nmilfin''  l'inlamie 

(le  sa  persoime,  son  iiidaïsnie,  ha  esté  oiiy  .    .  Gérard.   . 

278.  Le  dessus  dict  harou  de  Cmixinaro  se  meurt  d'a- 

mour vray Popliiint. 

270.  Estrainctes  mortelles  de  cettuy  démon  femelle.    .  Lavieille. 

280.  Darreniers  iours  et  (in  des|il(iurablc  du  sire  de 

Croixmare  eliez  cestc  fille  d'enfer id  .    . 

281.  Idem /,/   . 

282.  L'inelyte  dame  en  grand  deuil id  ,    . 

283.  I,a  visionnocturnedclaequelte, dicte  Vieulx-Oing.  Michel.    . 

284.  lacquette,  diète  Vieulx-Oing.  souillarde  deiiiisiiie.  Lorieitle. 

285.  La  troupe  sogypliacque Rianlf .   . 

286.  L'esehelette  . Pisan  .    . 

287.  Les  ieux  de  la  Morisijue Louis  .    . 

288.  Ung  lesfiuard  sur  la  vie  d'icy-lias Gérard.    . 

28<).  Mélandioiie ." fUault .    . 

290.  Treshufliement  de  sceiu'  Claire id   .    . 

2!>l.  losepli,  dict  Lesclialopicr Ge'rard.  . 

292.  Devotieuse  ascension  au  mousticrduMont-Carmel.  Predhomm 

293.  Fascinations  du  succuhe  ou  démon Pollet  .    . 

29  i.  Chimère lUau/l .    . 

295.  C'est  un  succuhe  ou  démon   femelle  comme    il 

feut  veu  par  les  champs Pext  et  C* 

296.  Maie  raige  d'amour Lnrieille. 

297.  La   question Gauchard 

298.  Combat  singulier  (singulier  condiat) Michel.    . 

299.  Le  sire  d'Amhoise  féru  d'ung  grant  amour   .    ,    .  Predltuntmc 

300.  Ung  duel Roiu/ef.    . 

301.  Le  cachot id  .    . 

302.  Bon  le  infernale Dio/ot  .    . 

.303.   lean  (le  la  Haye,  vicaire  de  l'eccliseSainct-Maurice.  Piaud  .    . 

504.  La  ilarrenicre  confession Jatliol ,    . 

305.   lli(''rome  induict  en  tentation Pisan  .    . 

301).  La  deffensc Mic/ie/ .    . 

307.  Trouilles  civils De  (Jhnuij 

308.  Souriicteux,  gens  de  poine Gérard.   . 

309.  Tempeste  de  giMis Lnrieille. 

310.  l'Ius  d'espoir  de  salut Pisan  .    . 

311.  L'amour   malade Kiaiill.     . 


346 
348 
349 
349 

351 

353 
354 


355 
356 
357 
358 
359 
359 
360 
362 
563 
364 
365 
3!>5 
366 
368 
369 

370 
372 
374 
379 
380 
381 
385 
390 
391 
392 
395 
401 
405 
406 
407 
410 
415 


XX 


TAIiLE   DES  DESSINS. 


DESESPEnANCE     D'AMOUn 


Lliomiiie  violent,  gravé  par  Best  cl  C*. 


513.  Oui  ou  non? 

314.  Mcsscr  .Viifrclo  C:ipp.nra 

315.  Désespoir  (i'nrtislo   .    . 

316.  RcsYcrios  (lans  los  tours 
517.  Cliolrro  du  Florentin 


Lavieille 

.    .    414 

Sot  ai n. 

.    415 

Pirrdon 

.   .    416 

Pisati  . 

.    417 

Lavieille 

.    .    421 

318.  Les  bannières  (Épilogoe) Bouton. 


TROrSIESME    DIXAIN 

319.  Uufr  l)eau  soir  d'esté  (frontispice) •    .     Lavieille. 

520.  Père  et  fils  (PnoLOGUE) id  .    . 


42Ô 


425 
427 


PEKSEVEnAXCE    DAMOPIl 


i^|BK,^-it' 


Allégresse  de  mnisirc  Ansi<;iu,  gravé  p.ir  Cri^.pe^dx. 


322.  Neuf  nnljarras 

323.  Mai-Ire  Anseoii  treuve  une  esponse   .    . 

324.  Maistrc  Anseau,  fier  morceau  d'Iioinme 
32.').  Monseipneur  Ilupon  de  Senneelerre  .    . 


Lavieille ,    . 

.  43  i 

Hrsl  et  C   . 

.    435 

(iérard.   .    . 

.    458 

Lavieille.    . 

.   447 

TABLE   DES  DESSINS. 


D'rsT,   ir?TTCiATin    o''i   >'t^   sr   i:i:MrMrrnTT    ies-h:hODSES 


La  chri  cnière  heure   gravé  par  Best  et  C'. 

327.   I/nm])liilIn';istrc  (lo  (lisscclinii I.aririlfr 

Z'-ÎH.  Le  rii-c  du  dicl  pievo«t Grrartf. 

529.  Ce  l)iin  polit  iustiLiard id  . 

330.  L'horloge  à  fif;;iirines [.fuœillr 

531.  Monsieur  Polit  indnict  en  cocquaijre     .....  lHaull 

532.  La  lin  du  roman.    .    .■ Gérard. 

333.  Surju-isc  non  petite  de  madame  Petit Jattiol . 


455 

4.^7 
45X 
4r)î) 
404 
403 


SCU  LE  MOÏNE  AMADOU,  Q  C I  FEDT  UNG  GLORIECX  ABCÉ  DE  TURPESAY 


Le  dangier  de  mort,  gravé  par  Best  et  C*. 

335.  Les  stalles  du  cloistre Rianll . 

336.  Le  moyne  Amador,  qui  t'eut  un  gloriou.t  abbé  de 

Turpenay id  . 

337.  Idem Laririllc 

338.  Le  seigneur  de  Cando,  homme  de  guerre.    .    .    .  lîifiu/l . 

3.39.  Le  sanlt  du  movne  Amador dcrard. 

3i0.  L'Iiospilalilé Laricillc 

341.  Le   sire    de   Candé    raliliroué   jtar   madame    son 

espouso id  . 

342.  Menus  devis  du  dessert id   . 

343.  Le  moyne  sommeille  ung  petit lîouf/cl. 

344.  Les  gens  d'armes  sont  lesgalloz Diolol  . 

345.  Espantemeiil  honihle  en  l'ahliayo /?/</»// 


4G7 


.  .  .  468 

.  .  .  409 

.  .  .  470 

.  .  .  472 

.  .  47i 

.  .  .  47 i 

.  .  .  i77 

.  .  .  477 

.  .  .  487 

.  .  .  488 

xsii  TADLE  DES  DESSINS. 

540.  La  nios:<c  <le  luimiicl Riaulf . 

7)17.  Mem id   . 


488 
489 


DF.riTlIF.     I.A     KEPKNTIE 


»>>,■.    ■<■  •  r> 


Le  darreiiier  sosjiii'.  ^lavù  par  Sûtai«i. 


549.  Triste  iir-part  (le  iiiadainc  de  Bastarnay  ....     Lavieillc. 

550.  Le  sire  Imltert  <lo  Bastarnay,  ung  des  plus  grans 

terriens  de  noslre  jjays  do  Touraine id  .    . 

551.  Legiiallanl  Imbert  de  Bastarnay Rijckehits. 

35'2.  Le  beau  cousin  musse Bouton.   . 

5.'»5.  Psanbnes  d'amour Uiault  .    . 

55t.  Ung  drame Boulon.   . 

555.  Lamentalliins Lavicille. 

556.  Idem id  .    . 

557.  La  Fallolte,  l'emnie  bossue,  vcliemeiilemcnt  soup- 

çonnée de  tralTicquer  en  nécromancie     ....     Vrrdhommc 

358.  Le    sabliat Lavicille.    . 

550.   Arrivce  de  la  Falh.lle id  .    .    . 

360.   (Irant  ba4e  de  la  Fallolte  à  se  rendre  sur  le  lieu 

du  sinistre Diofol .    .    . 

3tjl.  .\pollu''ose  de  la  gentille  diastclaine linvird.   .    . 

3f)'2.  Le  baiser l'rcdliomme 

305.  Ung  des  gens  d'armes  de  Monsieur Biaull .    .    . 

504.  Le  repaiie  nccromancien  de  la  Fallolte.    .        .    .     Lavicille.    . 

5(i5.  l'rii'-re  sur  ung  mort Louis   .    .    . 

300.  Madame  de  Bastarnay  yssit  en  grant  deuil    .    .    . 
507.  l'riK-i'ssion  et  voix  célestes  dans  les  bois.    .    .    . 

308.  Fng  contre  six «    .    .   .    . 

300    L'nj:  moment  crilicf|ue 

370.  harrciiicr  sospir  du  preux  fils  de  Icliau    .... 

371.  L'inconsolable  llaslarnuy  se  meuil  sur  la  tunibe 

de  son  espouse 


Carbonneau 
(iauchard  . 
lAtuis  .  .  . 
Lavicille.  . 
Yerdcil    .    . 

id  .    .    . 


491 

492 
490 
498 
501 
507 
508 
508 

509 
510 
511 

512 
513 
514 
518 
522 
523 
525 
528 
529 
530 
551 

532 


TABLE  DES  DESSINS. 


XMIl 


O.MMF.NT     lA    lil-.I.LK    K  r  r,  1  r:    liE^I'OIlTM.I.ON     QIIN.MI.DA    SON     lUCE 


l.e  sejyiicur  de  1  endrokt,  giaMi  pai  UtoMtii. 

ôl~).  (lunllaiis  i>()Uip,irl(M-s Piolol      .    .  .  554 

57i.  Une  lillc  iiyriK'c. Caiichard   .  555 

375.  Uiifj-  iest;iiit  (le  vieille  laveuse fU'nu/t.    .    .  .  53t) 

37(i.  Rielie  et  |);i()ii\re Carbonncau  .  5."7 

377.  I,ii  lialiiiuedii  ciieiir Bouton.   .   .  .  542 

CY   i:sT   iiiM  (IN  >ï  li  r    (M  i:   I  \    FiiiniNE   r?r   Tousiouns  femelle 


l'ourmcnaiilc  à  ilrnx,  »iavé  par  Sotxim. 

379.  Amour  tendre Pophihit. 

5S0.  Qui  vive? lUaull .    . 

381.  Causeries  (lu  s(jir .  Solaiii.    . 

382.  Serment  d'amitié id  .    . 

383.  l'ourmeuaide Jaftiot.    . 

584.  Unj^'  vieulx  e(ie(]uin  de  monarque Pophifaf . 

385.  Commeuccmeut  d'amour I.aviei/le. 

38(5.  Conspirateurs Caurliard 

387.  Itistracliou .    .  lioiUon    . 

388.  .MIaiiiU!  de  (-(«'(luaige id   .    . 

389.  La  vengcanee  du  niary l.arirille. 

590.  Le  inaistre  myrc l'ophilat . 

591.  Secrètes  recummiUKlatiuns Louis  .    . 


543 


O'It 

.  547 

.  548 

.  5  {9 

.  550 

.  555 

.  555 

.  556 

.  557 

.  557 

.  558 

.  500 


XMV  TABLE  i»ES  DESSINS. 

U'UXG    P  AOL' VUE     QUI    AVOÏT    NOM    LE     V  I  E  U  LX -I' A  11 -C  H  EM  I  X  ï 


Le  penseur,  giavé  pji"  Cképlaix. 

595.  Le  Viculx-par-diemins .  RiauU.    .    . 

5[)4.  Une  liouvaillc ....  Predhommc 

595.  Le  libertin Pierdon 

590.  Le   rcsveiir Lavieillc 

597.  Tiiiandciic Rouget. 

598.  l'iig;  cainicc Riau/I . 

599.  Exécuteurs  des  haultes  œuvres Lavieille 

DIllES    IXCONGIIUS    DE    TROIS    PÈLERINS 


5G2 
503 
564 
567 
568 
509 
571 


Los  Irois  pèlerins,  gruvé  p;ii'  Sotain. 

4<ll.  Dires  iucougrus Cérard.    .       .    574 

402.  Ijrigjuils  en  cuibuscaJc Jahtjer.  .    .    .    575 


N  A  I  K  V  E  T  K 


1\..W1V, 


Les  ioucla  daii),";!  ( 
404.  La  visite  au  tableau.        .    .    . 


licsl  cl  C" 


580 


TAiiLr:  i)i:s  dessins. 


UT 


LA    BELLE    I  >l  P  K  II  I  A     U  A  H  I  K  K 


L'amour  aux  chanip<:,  gravé  pnr  Jabyer- 


400.  Le  boudoir  de  madame  Impéria Jatllot     .    .    .  583 

407.  Le  gucrdoii  de  Dieu Lalij 584 

408.  Les  assidus Louis  ....  586 

409.  La  grant  courtizaue Rouget.  ,    .   .  588 

410.  Première  picqucurc  d'amour Jatliot.    .    .    .  590 

411.  Esl)louissemcnt De  Gliouy   .    .  592 

412.  Le  coup  de  lance Jaltiot.    .    .    .  596 

415.  L'amour  dans  les  bois Pisan  ....  598 

414.  Pastorale Lavieillc.    .    .  599 

415.  Le  bonheur  idéal Picnlon  .    ,    .  OdO 

410.  Les  ioycs  (le  la  solitude Pisan  ....  001 

417.  Béatitude  des  chastelains Riaull .    .    .    .  003 

418.  Ciiagrin  de  madame  Impéria Pierdon       .    .  006 

419.  Causeries Lalij 608 

420.  L'aurore Jahycr.   .    .    .  010 


421.  Le  poids  des  lettres  (Épilogue) Lavieille.   .  .  613 

422.  La  mort  aux  amours De  Ghouy    .  .  614 

425.  .apothéose  (Fin) Drevière .    .  .  015 

424.  Bonnes  armes  (couverture) De  Ghouy . 


VKiV-  -X:;:  .: 


CT"  ,    •  L-^  A-'^ i^'  ■ 


TAliLE  DES  MATIÈIIES 


TaU.F.    LtS    DLSSI.NS VII 

AVERTISSEHKNT    DU    LIUIIAIIIE -NMX 

KOTICE   BIIILIOCIIAnimiK    ...           WMI 

rntSIIEK  DIXAIN 1 

Prologue 5 

La  belle  Ini'ÉniA b 

Le  l'ÉciiÉ  vÉ.tiEL 28 

I.  Coiniiicnl  li>  lioiiliciiiiiii(Mliiiyn  prinl  fcmiiu' '2J 

II.  Cuiiiinciil   le  .^ciiiicsrlial  ^c  liallil  Mvoiqiics   le   |)ucclaigc  de 

sa  rciiinic 47 


TAnLi:  DES    MATIERES.  xwii 

III.  Ce  qui  n'est  f|iio  poché  véniel 58 

IV.  Comment  ot  par  qui  fout  fiiift  le  (lict  cnlanl 6G 

V.  Comment  ilti  diet  péilié  d'amour  fcut  faietc  grictvc  péiii- 

tenec  et  mené  "Tant  deuil.   . 7ô 

La  Mye  du  Roy .       .  81 

L'IlÉlUTIER   DU   DlABI.K 100 

Les  loYEULSETEZ  DU   BOY  I.OYS  LE  LNZIESME ....  1"24 

La   Conxestable 143 

La  Pucelle  de  TiiiLiiorzE 109 

Le  Frère  d'armes 178 

Le  Curé  d'azay-le-rideau 194 

L'Apostrophe 204 

Épilogue 214 

SECUND  DIX.\1N 215 

Prolooie 217 

Les  trois  Clercs  de  Saixt-Nicholas 225 

Le  Ieusse  de  Françoys  premier 238 

Les  bons  Proopos  des  religieuses  de  Pois>y 245 

Comment  feut  basty  le  ciiasteau  d'Azay 259 

La    FAILSE    COURTIZAN'E 279 

Le  Dangier  d'estre  trop  cocquedix 294 

La  ciiiere  Nuictke  d'amour 304 

Le  Prosne  du  ioyeulx  curé  de  Meudox 310 

Le  Succobe 535 

Prologue 337 

l.  Ce  que  estoyt  d'ung  succujjc 341 

II.  Comment  feut   procédé  en  l'eiidioicl  lie   cetliiy  démon    fe- 
melle    574 

m.  Ce  que  feit  le  succube  pour  siifrcer  l'âme  du  vieil  iuge,  et 

ce  que  advint  de  reste  délectation  diaholicqiic    ....  390 

IV.  Comment    virvouclia    si   dinriiiciil    li    Miiri-~iiiie    de    la    rue 

Cliauldc,  que  à  graut  poine  feut-elle  arsc  et  ciiictc  vifvc 

à  rencontre  de  l'enfer 401 


«Mil  TABLE  DES  5IATIKUES. 

Desespérakcb  ii'amoir 414 

Épilogue 423 

TROISIÈME  DIXAIN 425 

P»OLOcrE 427 

PERSÉvÉnASCE  d'amoli» 434 

D'csc  irsTicuiiD  on  nk  se  nEMEJinnoYT  les  choisis 4ri5 

Sl'r    le    Motne    AuADon,    qui    feut    use    glorieux    abdé    de    Tur- 

PENAT 407 

Berthe  la  repentie 401 

I.  Comment  IJcrllic  ilcmoura  pjiccllc  en  estât  de  mariaigc   .    .  401 

II.  Quels    fourent  les  desporlomens   de    Dcrtlie,  saiiliant  les 

chouscs  de  l'amour 400 

III.  Ilorrifirques    castoywiicns  de  Bertlie  et  les  expiations  de  la- 

diclc,  laquelle  mourut  pardonnéc 518 

COMHEM   LA    BELLE    FiLI.E  DE    PoilTILLOX    (JUINAULDA  SON    lUGE 534 

Ct  est  desionstré  qle  LA  Fortune  est  toisioirs  femelle 5S3 

D'uxc  Paoivre  qui  ayoyt  nom  le  Yiellx-par-chemins 502 

Dires  inconchls  de  trois  pèleiuns 574 

Naïfveté 580 

La  dei.le  Implria  mariée 583 

1.  Comment  se  ])rint  madame  Impéria  dans  les  lilcls  que  elle 

avoyt  accoutunit;  tendre  à  ses  pigeons  d'amour  ....  583 

H.  Comment  fina  celluy  mariaige 599 

tl'ILOCLE 013 


AVERTISSEMENT  DU  LIBKAIHE 


EM    TKTE   DK    I.A    mr.MIEnE    EllTlON 


Si  ce  livre  u'rtail  pas  une  œuvre  d'art  dans  tonte  l'acception  de  ce  , 
mot,  pent-être  un  peu  trop  prodigué  de  nos  jours,  l'éditeurne  se  serait 
point  hasardé  h  le  publier  ;  mais  il  a  pensé  que  les  critiques  conscien- 
cieux et  les  lecteurs  choisis  entre  les  mains  desqnels  doivent  aller  les 
Cent  Contes  drolatioues  se  souviendront  des  illustres  précédents  qui 
autorisent  cette  hardie  tentative,  dont  l'auteur  ne  s'est  pas  dissimulé 
la  t('uiéi'ité,  dont  il  a  calculé  tous  les  périls. 

Aucun  de  ceux  à  qui  la  littérature  est  encore  chère  ne  voudra  ri'|»U(Her 
la  reine  de  Navarre,  Boccace,  Rabelais,  l'Arioste,  Verville  et  la  Fontaine, 
génies  rares  dans  les  temps  modernes,  car  ils  ont  presque  tous  été  Mo- 
lière, moins  la  scène.  Au  lieu  de  peindre  une  |)assioii,  la  plupart  d'entre 
eux  peignaient  leur  époque  :  aussi,  plus  nous  allons  vers  le  terme  auquel 
meurent  les  littératures,  uu'eux  nous  sentons  le  jirix  de  ces  œuvres  an- 
tiques où  on  respire  le  parfum  d'une  naïveté  jeune  et  où  se  trouve  le 
nerf  comique  dont  iu)tre  théâtre  est  privé,  l'expression  vive  et  drue  qui 
peint  sans  péri[)hrase  et  que  personne  n'ose  plus  oser. 

L'intelligence  est  donc  un  devoir  envers  le  conteur  qui  veut  non  |)as 
accepter  le  vaste  héritage  de  nos  ancêtres,  mais  seulement  reconnaître 
la  carrière  que  tant  de  beaux  génies  send)leut  avoir  fermée  et  dans 
laquelle  un  succès  a  paru  presque  impossible  le  jour  où  notre  langage 
perdit  sa  naïveti'-.  La  Fontaine  aurait-il  pu  écrire  la  Courtisane  amou- 
reuse n\ec  le  style  de  J.-J.  Rousseau?  L'éditeur  a  emprunté  cette  re- 
marque à  l'auteur  pour  justifier  l'anachronisme  de  l'idiome  emiiloyé 
dans  ces  Contes  :  à  tous  les  obstacles  de  cette  entreprise  il  fallait  encore 
joindre  celui  de  l'impopularité  du  style. 

11  existe  en  France  un  grand  nombre  de  personnes  altaqui'es  de  ce 
cant  anglais  dont  lord  Ryron  s'est  si  souvent  [ilaiut.  Ces  gens,  dont  le 


ixx  AVERTISSEMEiM. 

front  rougit  des  Imnnos  fiandiises  qui  jadis  faisai  -ut  rire  les  princesses 
et  les  rois,  ont  mis  en  deuil  notre  ancienne  physionomie  et  persuadé 
au  peuple  le  plus  gai,  le  plus  spiiituel  du  monde,  qu'il  fallait  rire  dé- 
cenuiient  et  sous  l'éventail,  sans  songer  que  le  rire  est  un  enfant  nu, 
un  enfant  habitué  à  jouer  avec  la  tiare,  l'épée  et  la  couronne,  sans 
connaître  le  danger. 

Aussi,  par  les  mœurs  qui  courent,  l'auteur  des  Contes  drolatiques  ne 
peut  è'.re  absous  que  par  son  lalent  ;  el,  justeuKMil  effrayé  de  l'alternative, 
il  n'avait  voulu  donner  que  ses  dix  premiers  Contes  ;  mais  nous,  croyant 
beaucou|)  au  public  et  beaucoup  en  l'auteur,  nous  espérons  en  éditer 
promptement  dix  nouveaux,  ne  redoutant  ni  le  livre  ni  les  reproches. 

Ne.  serait-ce  pas  une  inconséquence  que  de  blâmer  en  littérature  les 
essais  encouragés  au  Salon  et  tentés  par  les  E.  Delacroix,  lesE.  Devéria, 
les  Cbenavard,  et  par  tant  d'artistes  voués  au  moyen  âge  ?  Si  l'on  accueille 
la  peinture,  les  vitraux,  les  meubles,  la  sculpture  de  la  Renaissance,  en 
proscrira-t-ou  les  joyeux  récils,  les  fabliaux  comiques? 

Si  le  début  de  cette  muse  insouciante  de  sa  nudité  doit  avoir  besoin 
de  chauds  protecteurs  et  de  bienveillants  suffrages,  peut-être  ne  nous 
manqueront-ils  pas  chez  les  gens  dont  le  bon  goût  et  la  vertu  ne  sau- 
raient être  soupçonnés. 

Le  libraire  devait  cet  avertissement  à  tout  le  monde  ;  quant  aux  ré- 
serves de  l'auteur,  elles  font  partie  du  livre. 

JI;irs  187)2. 


Nous  avons  cru  devoir  reproduire  cette  préface,  que  l'autem'  a  mise 
en  tète  de  la  première  édition  du  premier  dixain  sous  le  nom  du  libraire 
et  qui  résume  clairement  son  opinion  personnelle  sur  la  portée  morale 
de  son  ouvrage.  L'auteur  de  la  Comcdic  humaine,  dont  le  génie  est 
d'une  si  puissante  moralité  dans  l'ensemble  de  ses  idées  et  de  ses  œuvres, 
s'était  préoccupé  des  objections  pharisaupies  qu'on  junivait  élever  contre 
un  livre  qu'il  regardait  avec  raiscui  connue  son  chef-d'œuvre,  et,  connue 
on  le  voit,  il  y  avait  répondu  avec  ce  sens  jirufoud  et  pcTcmptoire  (|ui 
met  la  lumière  h  la  place  de  la  discussion. 

Le  livre  de  Ualzac,  en  effet,  n'est  pas  seulement  un  livre  d'art  à  la 
manière  du  Don  Juan,  du  Pautaijruel,  des  pncmes  de  Pidci,  etc.,  les- 
quels biillcril  an  |)remier  rang  dans  la  bibliothèque  des  es|n'ils  les  plus 
sévères  ;  c'est  de  plus,  il  ne  faut  pas  l'nublier,  un  livre  d'archéologie 
littéi-aire.  Ilans  un  temps  (|ui  fut  mie  t'poque  de  rénovation  et  que  les 
histiiricns  de  la  liltc'ialnre  auront  à  juger.  l!al/ac,  jeune,  ardent,  à  cet 


AVERTISSEMENT.  «xi 

âf,'C*oîi  les  liiiiniiies  (rtiiif  ]ipiisi'e  exiilx'iaiilt'  se  firiseiit  (l'enx-niêiiit's  »'t 
sont  Cdiiiiiie  les  Baccli;iiilfs  de  leurs  |ir()|ires  l'aciiltés,  lialzac,  vmiliit 
ressusciter  une  langue  et  une  inspiration  du  ])assé.  Il  imita  Habelais 
conunc  d'autres  avaieut  imité  Ronsard,  et  il  écrivit  ses  Contes  drola- 
tiques en  celte  lanj^ue  merveilleuse  du  seizième  siècle,  touffue,  feuillue, 
verdissante  et  rayonnante  dans  ses  obscurités,  aurore  du  Corrége  qui 
se  lève  à  travers  les  riches  épaisseurs  d'un  bois  sacré  ! 

Telle  fut  la  pensée  de  Ralzac  et  telle  est  son  œuvre.  C'est  de  l'archéo- 
logie littéraire  faite  de  bonne  foi  et  sans  recourir  aux  machiavé- 
lismes  des  archéologues  littéraires,  les  Mac]iherson,  les  Chatterton  et 
tant  d'autres,  Balzac,  à  un  jour  donné,  a  cru  qu'il  était  bon,  soit  dans 
l'intérêt  de  sa  propre  pensée,  soit  dans  un  intérêt  [dus  général  et  i)lus 
élevé,  d'imiter  des  modèles  dont  on  s'était  peut-être  trop  détourné  dans 
ces  derniers  temps,  et  il  s'est  trouvé  que  ce  grand  linguiste,  qui  aimait 
la  langue  fiaiiçaise  comme  on  aime  une  personne,  a  fait  une  œuvre 
d'imitation  prodigieuse  qui  vaut  un  livre  original.  Cet  artiste  désinté- 
ressé de  tout,  excepté  de  la  beauté  possible,  delà  beauté  cherchée  après 
laquelle  il  courait  un  flambeau  à  la  main,  connue  le  coureur  antique,  a 
versé  dans  les  moules  vidés  de  Rabelais,  de  Montaigne,  de  Régnier,  son 
jeune  sang  tout  bouillant  de  génie,  et  transfusé  sa  scve  inspirée.  Ni 
ceux  qui  aiment  l'esprit  pour  sa  propre  force,  ni  ceux  qui  l'aiment  pour 
les  voluptés  qu'il  nous  donne,  ni  enfin  ceux  qui  l'aiment  pour  les  ser- 
vices rendus  à  la  langue  et  à  la  forme  littéraire,  ne  pouvaient  laisser 
dépérir  les  Contes  drolatiques,  et  voilà  pourquoi  nous  en  avons  offert 
une  édition  nouvelle  au  public. 

La  première  nous  avait  paru  indigne  et  insuffisante,  indigne  du  génie 
de  l'auteur,  qui,  nous  le  répétons,  considérait  ses  Co/ift's  et  les  choyait 
comme  son  plus  difficile  chef-d'œuvre  ;  insuffisante  avec  le  nombre  crois- 
sant de  ses  admirateurs  et  l'étendue  de  sa  renonnnée.  Œuvre  à  part  de  la 
Comédie  humaine,  œn\re  d'exception,  nous  l'avons  traitée  exceptionnel- 
lement, et  nous  avons  voulu  que  l'écrin  fût  digne  delà  perle.  Pour  cela 
rien  ne  nous  a  coûté.  Un  jeune  artiste,  inventeur  à  sa  manière,  connue 
Balzac  l'est  à  la  sienne  dans  ses  Contes,  M.  Gustave  Doré,  s'est  inspiré 
de  Ralzac,  ainsi  que  Balzac  s'était  inspiré  de  Rabelais  et  de  Boccace  tout 
ensemble,  et  il  nous  a  donné,  à  son  tour,  les  Contes  drolatiques  sous 
une  forme  nouvelle,  la  forme  plastique,  (jui  fait  rentrer  dans  l'esprit, 
par  les  yeux,  l'image  déjà  évoquée.  L'illustration,  celte  parure  des 
livres,  donnera   à  celui-ci  son  luxe   et  devra  en  po]  ulariser  le  succès. 

Août  ISoii. 


NOTICE  DES  ÉDITIONS  T>ES  CONTES  DROLATIQUES 


l'I  DMCATIONS   DANS  LES   REVUES 


KEVUE  W.  l'ARIS.  —  Juin  18S1. 

L'EUROJ'E  LlTrÉltAUlE.  —  Sc|>lenibic  1853. 

LE  CABINET  HE  I.ECTlIîE.  -  Fciier  183*. 


PIBI.ICATIUNS  LN   LIBRAIRIE 

r  R  E  M  I  K  II  E    ÉDITION 

Lca    Cent   Contes    drAIatîqnes.  rRi:MiER    DIX. IN.  —    I11-8  de    S5    feuilles.    Imprimerie 
d'Éveral,  :i  Taris.  —  A  Paris,  chez  Gosselin,  1832. 
D"  Tirage  avec  tilre  roiipc  el  noir. 
K.es  Cent  Contes  drâlatiqucs.  Decxiëme  dixxin.  —  In-8  de  26  feuilles.   Imprimerie 
d'Éveral,  à  Paris.  —  A  Paris,  chez  Charles  Gosselin,  1833. 
b*  Tinij;c  avec  litre  roiige  et  noir. 
E^ea  Cent  Contes  drAIatiqnea.  'InoisiËUE  DixxiN.  —  In-S  de  Î3  feuilles  1/2.  Imprimerie 
de  Fain.  à  Pans.  —  A  Paris,  chez  Werdct,  1837. 
D°  Tirage  avec  titre  ronge  et  noir. 

D*  Tirage  avec  litre  de  Berthe  h  repentie.—  In-8  de  !3  feuilles  1/î.  Imprimerie 
de  Fain,  à  Paris.  —  A  Paris,  chez  Souverain,  1859. 

DEUXIÈME    ÉDITION 

le»  Cent  Contes  drAlatiqncs.  Ppremier    pixain.  —  In-8   de  2i  feuilles.  Imprimerie 
d'Éveral,  à  Paris.  —  A  Pans,  chez  Gosselin,  1852. 

TDOISIÈME     ÉDITION 

Le»  Contes  drAlatiqnes.  —  In-8  de  is feuilles  l'î.  —  Imprimerie  d'Arbicu,  à  Poissy.  — 
A  Paris,  chez  D.  Giraud,  1853. 

QDATIIIÈME     ÉDITION 

Les  Contes  drAIntiques.  —  In-8  dc  27  feuilles  1/3.  —  Imprimerie  de  PiUel  fils  aine,  1 
Paris.  —  A  Paris,  chez  Alexandre  Iloussiaux,  1855. 

CONTREFAÇON    A     l'ÉTRASGER 

I.cs  Cent  Contes  drAlatlqnes.  —  5  volumes  in-18  de  35  fcuilIcs.  Imprimerie  de  Héline 
Cans  et  C:  —  A  Bruxelles,  chez  Méline,  Cans  et  C«,  [1838. 

CINQUIÈHE    ÉDITION 

BeTue  sur  la  copie  de  r.nuleur  et  contenant  ses  corrections  inédites.  —  In-8  de  65ï  pages. 
Imprimerie  de Béiiard  el  C.  —  A  Paris,  es  Bureaux  dc  la  Sociêtégénérale  de  librairie, 1855. 

SIXIÈHE    ÉDITION 

L.es  Contes  drAIatiqnea.  —  tn-8  de  652  piges.  Imprimerie  de  Simon  Ra^on  et  C'.  — 
A  Paris,  chez  Gai  mer  frères.  18C1. 

SEPTIÈME    ÉDITION 

I>a  Conte*  drAIatiqnea.  —  ln-8  dc    C5I  pages.   Imprimerie  de  Simon  Ra^'on  cl  C'   — 
A  Pari-<,  chez  Ganiier  Irércs,  1807. 

HUITIÈME     ÉDITION 

Les  C'ontrK  droinliqnes.  —  I11-8  dc  051  pages.  Imprimerie  dc  Simon  Rajon  cl  C*.  — 
A  l'.iris,  cliCi  G  1  nier  liéics,  l^TS. 

N  E  U  V  1  È  .M  1;     ÉDITION 

Les  Contes  drAIatiqnea.  —  Iii-H  de  051  pages.    Iiiiprimoriti   de  A.  LaliurC    —  A  Paris, 
tlier  Garni'T  fiéies,  IHSU. 


HA    KTl';    IMPRIMÉ    POUR    LA    PRIME    FOVS    PAR    ÉVERAT,    RUE   DU    Ql'ADRAN 
ef  achevé  en  mars 

M  1)  c,  c  r,   X  \  X  I 


MATIKKKS   nu   l'HEMIKR   DIXAIN 


rrolognc. 

La  lii'lli-  Iniicria. 

Lo  Péclié  véniel. 

h\  Myc  (lu  Roy. 

L'Héritier  ilti  l)ial)le. 

Les  loyeiilsetez  du  l'oi  Loys  le  unziesmc 

Le  Coiineslalile. 

La  l'ueello  do  Tliilhoiize. 

Li>  Frère  d'aunes. 

Le  Curé  d'Azay-le-Rideau. 

L'AjiosIroplie. 

Kpil(ifru(\ 


Cccy  ost  iing  livre  de  haiilto  digestion,  plein  de  déduiots 
de  grant  goiist,  espicez  pour  ces  goutteux  Irez-illusties  et 
beuveurs  trez-prétieux  auxquels  s'adressoyt  nostrc  digne 
compatriote,  éternel  honneur  de  Touraine,  P>an(;oys  Rabe- 
lais. Non  (pie  l'Autlieurayt  l'oultre-euydance  de  vouloir  esfre 
aultrc  chouse  que  bon  Tourangeau,  et  entretenir  en  ioye  les 
amples  lippces  des  gens  fameux  de  ce  mignon  et  |)lantureux 
pays,  aussy  fertile  en  coequs,  cocquards  et  raillards  que  pas 
ung,  et  (pii  lia  fouiny  sa  grant  j)art  des  lionimes  de  renom 
à  la  France,  avec(pies  feu  Courier,  de  pic(jiiante  mémoire  ; 
Verville,  autheur  du  Moyen  de  parvenir ,  et  aullres  bien  co- 


4  PROLOGUE. 

gneus  :  dos(iiiols  nous  trions  le  sieur Dcscartos,  j)oui'  ce  que 
ce  feut  un  génie  mélancholicque,  et  (|ui  ha  plus  célébré  les 
songeries  creuses  que  le  vin  et  la  friandise,  homme  duquel 
tous  les  j)astissiers  et  rostisseurs  de  Tours  ont  une  saige 
horreur,  le  mescognoissent,  n'en  veulent   point  entendre 
parler,    et   disent    :    «    Où  demeure-t-il?    si    on    le   leur 
nounne.  l)onc(|ues,  eeste  œuvre  est  le  produiet  des  heures 
rieuses  de  i)ons  vieulx  moynes,  et  dont  esloycnt  maints  ves- 
tiges esj)ars  en  nostre  pays;   connue  à  la  Grenadière-lez- 
Sainct-Cyr,  au  hourg  de   Sacché-lez-Azay-le-Ridel,  à  Mar- 
uu)ustiers,  Yeretz,  la  Roche-Corbon,  et  dans  aulcuns  lypo- 
thecques  de  bons  récits,  (jui  sont  chanoines  anticques  et 
preudesfeuunes  ayant  cogncu  le  bon  Iciiips  où  l'on  iocque- 
toyl  encores  sans  resguarder  s'il  vous  sortoyt  ung  cheval  ou 
de  ioyeux  poulains  des  costes  à  chaque  risée,  connue  font 
auiourd'huy  les  ieunes  femmes  qui  vouldroyentsoyesbattre 
gravement  :  cIkmisc  (pii  sied  à  nostre  gaye  France  connue 
une  huillière  sur  la  teste  d'une  royne.   Aussy,  comme  le 
lire  est  ung  jirivilége  octroyé  seulement  à  l'hounne,  et  qu'il 
y  ha  cause  suffisante  de  larmes  avecques  les  libériez  public- 
ques.  sans  en  adiouxter  |)ar  les  livres,  ai-je  cru  chouse  pa- 
trioticque  endiablé  de  publier  un  drachme  de  ioveulsetez, 
par  ce  tem|»s  où  l'ennuy  tondte  connue  une  pluie  fine  qui 
mouille,  nous  perce  à  h  longue,  et  va  dissolvant  nos  an- 
ciennes coustumes  (pu  faisoycnt  de  la  raye  publique  ung 
aumsement  pour  le  plusgrant  nondue.  Ains,de  ces  vieulx 
pantagruelistes  j^ui   laissoyenl  faire  à  Dieu  et  au  Roy  leur 
mestier,  sans   mcllre  la   main  à  la  paste  plus  (pie  ne  deb- 
voyent,se  contentant  de  rire,  il  y  en  lia  peu,  il  en  chel  tous 
les  iours,  en  sorte  (jue  i'ay  graiil  |>aour  de  veoir  ces  notables 
fragmens  d'anciens  bicviaires  conspii(>z,  couchiez,  gallefie- 
Irz,  honnis,  blasmez,  ce  dont  ie  ne  me  iiioc(piei(>vs  point, 


A  iiiL'surc  que  nous  voyageons,  le  rire  s'cstiiiuct  ol  dcspcril 
comme  l'huile  de  la  lampe. 


6    .'  PROLOGUE. 

vcii  (|iit'  ic  l'oiiserve  et  porU;  beaucoii|)  do  rcspocf  aux  ro- 
giioiiros  (lo  nos  anticquitoz  f>auloisos. 

S()ul)vent'7.-vous  aussy,  critiques  enraiyez,  hallchotteius 
de  mots,  harj)yos  qui  guastcz  les  intentions  et  inventions  de 
ung  oliascun.  que  nous  ne  rions  que  cnlans,  et,  à  mesure 
(|ii(>  nous  voyageons,  le  rire  s'estainct  et  despérit  connue 
riniile  de  la  hunpe.  ("ecy  signifie  ()ue.  pour  rire,  hesoing 
est  d'estrc  innocent  et  pur  de  cueur  ;  laulte  de  (juoy,  vous 
tortille/  vos  lèvres,  iouez  des  badigoinccs  et  Ironssez  les 
soiucijs  en  gens  qui  cachent  des  vices  et  iin|)ui'etez.  Ores 
donccpies,  prenez  cette  œuvre  comme  ung  groupe  ou  sta- 
tue, des([uels  ung  artiste  ne  peut  retraire  certaines  pour- 
traicteures,  et  seroyt  un  sot  à  vingt-deux  caratz,  s'il  y  uiel- 
toyt  seulement  des  feuilles,  pour  ce  que  ces  dictes  œuvres, 
non  i)lus  (|ue  celtuy  livi-e,ne  sont  faictes  pour  des  convents. 
Néantmoins,  i'ay  eu  cure,  à  mon  gi-and  despit,  de  sarcler. 
ez  uiamisciipts,  les  vieulx  mots,  ung  j)eu  tro{)  ieunes,  qui 
eussent  descliiré  les  aureilles,esblouy  les  yeulx,  rougy  les 
ioues,  {h'sdiicqueté  les  lèvi-es  des  vierges  à  braguettes  et  des 
vertus  à  trois  amans:  cai'  il  l'auf  aussy  l'aire  aulcunes  chouses 
|M)ur  les  vices  de  son  teiiqis,  et  la  j)éri|»brase  (>st  bien  plus 
guallante  (pie  le  mot!  De  l'aict,  nous  sommes  vieulx  ettreu- 
vons  les  longues  bagatelles  meilleures  (pie  les  briefves  foil- 
liesdenostrc  icuncssc,  veu  (pie,  alois,  nous  y  goustons  j)lus 
long-bMups.  lloncfpies,  mcsnagez-moy  dans  vos  uH'disances, 
et  lisez  lecy  plus  tost  à  la  iiuicl  (pie  pendant  le  ioui;  et  point 
ne  le  donnez  aux  pucelles,  s'il  en  est  encores,  pour  ce  que 
ce  lyvre  |tnii(lr(iyl  l'eu,  le  vous  (juitte  de  moy.  Mais  ie  ne 
crains  rien  pour  ce  livre,  veu  (pi'il  est  exlraict  d'iuig  liaiilt 
et  genlil  lieu,  d'où  tout  ce  (pii  est  vssu  ha  eu  grant  succez, 
comme  il  esl  bien  pidiiv(''  par  les  Ordres  royaiilxdela  Toy- 
soii  d'Or,  du  Sainct-Kspril.de,  la  Jarreti('re,  duBain,  ettant 


l'uoijx.ri:.  7 

de  notables  chouscs  (jiii  y  IV'iuciit  priiiscs,  à  l'uiiihic  des- 
quelles ie  me  mets. 

OreSj  esbaudisscz-vous,  mes  amours, el  (jai/cnirnl lisez 
toutyà  raisedu  corps  et  des  reins,  et  que  le  maulubec  vous 
trousque,  si  vous  me  reniez  après  m'avoir  lu .  Os  j)ai-olts 
•  sont  de  nostic  Ixm  iiiaistic  ISahclais,  ii!i(|ii('l  nous  debvoiis 
tous  ostci"  nosirc  Ixtiint'l  en  si^iic  de  ivvcrciiceot  lionnoiii', 
comme  prince  de  toute  sapicncc  et  de  toute  couiédie. 


LA  BELLE  IMPÉRIA 


L'archt'vos«|ue  de  Bonrdcaiix:  avoyt  mis  do  sa  snitto,  j)Our  aller 
au  Concile  de  Constance,  ung  tout  ioly  petit  piebstic  tourangeau 
dont  les  lassons  et  la  j)arole  cstoyent  curieu- 
sement mignonnes,  d'autant  qu'il  passoyt 
f''''*\iSHÉBi  poil''  ^''^  f'*'  '"'  ^'ddée  et  du  gouverneur.  L'ar- 
•^^^iJfffll^Wi  clK'vesciue  de  Tours  l'avoyt  voulenliers  baillé 
à  son  confrère  lors  de  son  passaige  en  ceste 
ville,  pour  ce  que  les  arclievesques  se  lontdc 
ces  cadeaux  entre  eulx,cognoissant  combien 
sont  cuisantes  les  desmangeaisons  théologi- 
(pu^s.  Doncqnes,  ce  ieune  prebstrc  vint  an 
Concile  et  leul  logit'  dans  la  maison  de  son  i»r('lat  qui  estoyt 
honnue  de  bonnes  mœurs  et  grant  seieiu-o. 

Pliilippe  deMala,  connue  avoyt  nom  leprebsUe,  se  résolut  à 


10 


CO.NÏKS    l)HOL\TIOrKS. 


hi(Mi  fairocf  servir  di^iioim'ut  sonproinok'ur  ;  mais  il  vcit  (laiis  ce 
('.(iiicik'inystiy(»ric(|ui'  forcerons  menant  uik"  vie  dissolue,  et  n'en 
gaignant  pas  moins,  et  mcsnies  plus  d'indulgences,  escuz  d'or,  bé- 
néfices, que  tous  aultres  saiges  et  bien  rengez.  Ores,  pendant  une 

nuict  aspre  à  sa  vertu,  le 
diable  lui  souffla  dansl'au- 
leille  et  entendement  (|n*il 
eust  à  l'aire  sa  provision  à 
pannerées,  puisque  ung 
cbascun  puisoyt  au  giron  de 
nostresainete  mère  ri<]cclis(. 
sans  le  tarir;  miracle  qui 
jirouvo}  t  bien  la  présence  de 
Dieu.  Et  le  |)rebslre  touran- 
geau ne  faillit  point  au  dia- 
ble, il  se  promit  debanequeler,  de  se  ruer  en  rôtisseries  el  aultres 
saulccs  d'Allemaigue,  (juand  il  le  pourro\  t  sans  j)ayer,  veu  (pie  il 
estoyt  paouvre  tout  son  saoul.  Connue  il  lestoyt  fort  continent, 
en  ce  qu'il  se  niodeloyt  sur  son  paouvre  vieulx  arclieves(|ue, 
qui,  par  force,  ne  pécboyt  plus  et  passoyt  pour  ung  sainct, 
il  avoyt  souvent  à  souCfrir  ai'deurs  intolérables  suivies  de 
Iristilications,  veu  le  nunibre  de  belles  courtizanes  bien  gor- 
giasées  el  griives  au  paouvre  monde,  lesquelles  liabitoyenl 
Constance  pour  éclaircir  l'entendement  des  pères  du  Concile. 


''hi^^k£i 


5i»»^;îteBasÉ>t*T{Aïii»i  •  'À-%ci-'^  — ^■^r.'^^-iit^ j. 


11  enragroyt  de  ne  |)as  seavoir  eonmicnl  on  al)oi"dovt  ces  pies 
guallanles.  (|ui  rabbrouoyent  les  cardinaulx,  abbez  commenda- 
taires,  auditeurs  dr  rote,  h-gats,  éves(jues.  princes,  diu-s  et  margra- 
ves, connue  elles  auioyenl  [lU  l'aire  de  sinqtles clercs desnuez  d'ar- 
genl.  Le  soir,  après  ses  prières  dictes,  il  cssayoyt  de  parler  à  elles. 


i\  RKi.i,i;  i\ii'i:i;i\. 


il 


en  s'appi'pnant  le  beau  bréviaire  (l'iiinnm 
respondre  à  tous  cas  os- 
cliéants.  ¥A,  le  lendemain, 
si,  vers  coniplies,  il  rencoii- 
troyt  (|uel([u'nn(',  dcsdictcs 
princesses  en  bon  poincf, 
vautrée  en  sa  lictière,  es- 
cortée de  ses  paiges  bien  ar- 
mez, et  ficre,  il  deniouroyt 
béant,  connue,  eliien  attra- 
pant mousclies,  à  veoirceste]'iis(|iU' figure  qui  le  brusloyt  d'au  tant. 
Le  secrétaire  de  Monseigneur,  gentillioiunie  périguurdin,  luy 
ayant  apertement  démonstré  que  les  pères,  procureurs  et  audi- 
teurs de  rote,  aolieptoyent  par  force  présents,  non  relicqucs  on  in- 
dulgences, mais  bien  pierreries  et  or,  la  laveur  d'eslre  l'amiliers 
cliez  les  j)lus  liaultes  de  ces  chattes  cboyées  (pii  vivoyeiil  sous  la 
protection  des  seigneurs  du  Concile, .alors  le  paouvie  Tourangeau, 
tout  nice  et  cocquebin  qu'il  estoyt,  tbezaurisoyt  dans  sa  paillasse 
les  angelotz  à  luy  donnez  par  le  bon  arcbevesque  pour  travaulx 
d'escripture,  espérant,  un  iour,  en  avoir  sut'lisannnent,  à  ceste 
lin  de  veoir  un  petit  la  courtizane  d'ung  cardinal,  se  liant  à  Dieu 
pour  le  reste.  Il  estoyt  descliaussé  de  la  cervelle  iusqu'aux  talons, 
et  ressenibloyt  autant  à  ung  honnne  qu'une  cbièvre  coëlïee  de 
nuict  ressemble  à  une  damoiselle  ;  mais,  bridé  par 
son  envie,  il  alloyt  le  soir  par  les  rues  de  Con- 
stance, peu  soulcieux  de  sa  vie  :  et ,  au  risc^ue  de  se 
taire  pertuysanner  le  corps  par  les  souldards,  il  es- 
pionnoytlescardinaulx 
entrant  chez  les  leurs. 
Lors  il  voyoyt  les  chan- 
delles de  cire  s'allu- 
mant  aussytost  ez  maisons;  et  soub- 
dain  relnisoyent  les  huys  et  les  croi- 
sées. Puis  il  entendoyt  les  benoists 
abbez  ouaultres  se  rigolant,  benvant, 
prenant  du  meilleur, énamourez, chan- 
tant VAlleluid  secret,  et  douuaut  de 
menus  sufl'raiges  à  la  music({ue  dont 
on  lesresgalloyt.  Les  cuisines  faisoyent 
de^  miracles,  et  si  disoyt-on  desOlTices  de  bonnes  pottées  grasses 


12  CONTES  DROLATIOITS. 

cl  lliianli^s.  Matines  (le  iaiiihonneaux,  Ye>|ires  de  goulées  friandes 
el  Laudes  de  suereries.  Et.  après  les  beuvettes,  ores,  ces  braves 
prebstres  se  laisoyent.  Leurs  paigesioiioyent  aux  dez  sur  les  de- 
vrez, et  les  mules  restives  se  battovent  dans  la  rue.  Tout  allovt 
bien  !  Mais,  aussy,  il  y  avoyt  de  la  l'oy  et  de  la  religion.  Voilà 
connnent  le  bonlionune  llus  leul  ])ruslt' !  Et  la  cause?  Il  niettoyt 
la  main  dans  le  plat,  sans  en  esire  prié.  Kt  donequespounjuoy 
estoyt-il  liugucnot  avant  les  aultres? 

Pour  en  revenir  au  j)etit  gentil  Philippe,  souventes  foys  il  receut 
force  horions  et  attrapa  de  lions  coujis  ;  mais  le  diable  le  soustenoy t, 
en  l'incitant  à  eioire  que,  tost  ou  tard,  ilauroyt  son  tour  d'estrc 
cardinal  chez  (juelque  l'enmie  d"ung.  Sa  convoitise  lui  donna  de  la 
hardiesse  comme  à  ung  cerf  en  autonme,  et  si,  qu'il  se  glissa  ung 
soir  dans  la  plus  belle  maison  de  Constance,  au  montoir,  d'oij  il 
avovt  souvent  veu  des  oilîciers,  senneschaulx,  varlcts  et  paigcs 
attendant,  avecques  des  llandjcaux,  leurs  maislres,  ducs,  roys, 
cardinaulx  et  archevesques. 

—  Ah!  se  dit-il,  elle  doibt  cstrc  belle  et  guallante,  celle-là  !... 
Ung  souldard,  bien  armé,  le  laissa  passer,  cuidant  qu'il  appar- 

tenovt  à  l'électeur  de  Bavière,  sortant  présentement  dudict  logiz, 
et  qu'il  alloyt  s'y  accpiitter  d'un  juessaigc  de  ce  dessusdict  sei- 
gneur. Philippe  de  Mala  monta  les  degrez  aussi  lestement  que  Ic^ 
vrier  possédé  de  maie  raige  d'amour,  et  feut  mené  par  une  délec- 
table odeur  de  parfums  iouxte  la  chambre  où  devisoyt  avecques  ses 
femmes  la  maistresse  du  logiz  en  désagraphant  ses  atours.  Il  resta 
tout  esbahy,  connue  ung  voleui-  devant  les  sergens.  La  dame  estoyt 
sans  cotte  ni  ciiapperon.  Les  chamberières  et  les  meschiiies,  oc- 
cupées à  la  deschausser  el  déshabiller,  metloyent  son  ioly  corps 
à  nud  si  dextrement  et  francbenu'Ut,  (jue  le  prebstre  csméril- 
lonné  feit  un  Ah!  qui  sentoyt  l'amour. 

—  Et  que  voulez-vous  mon  petit?  lui  dit  la  dame. 

—  Vous  rendre  mon  àme,  i'eil-il   en  la  mangeant  des  yeulx. 

—  Vousjiouvez  revenir  (icniain,  rcprinl-clle  j)our  se  druemeni 
gausser  de  luy. 

A  quoy  Philippe,  tout  bordé  de  cramoisy,  respondil  gentemenl  ' 

—  le  n'y  fauldray. 

Elle  se  print  à  rire  comme  une  toile.  Le  Philippe,  inlerdict, 
resta  pantois  el  tout  aise,  arrcsiant  sniclle  des  veulx  qui  cupidon- 
noycnl  d'admirables  mignardises  d'amoui'  :  comme  beaulx  che- 
veulx  csp.Ms  sur  son  dos  ayant  |inly  d'ivoire,  et  monstranl  des 


11  resta  tout  eslialii,  cuuiuic  uii  vulciii-  devaiU  le> 


li  CONTKS  nnOLATIOlKS. 

plans  (li'licicux,  blancs  ot  luysans,  à  travers  mille  boucles  IVizo- 
tantes.  Elle  avovtsur  sont  Iront  de  neige  ung  rubis-balay,  moins, 
lertile  en  vagues  de  feu  que  ses  yeuk  noirs  bumectezde  larmes 
parsttn  bon  rire.  Mesmos  ellegecla  son  solier  à  la  |)oulaine,doré 
connue  une  ciiaasse,  en  se  tordant,  force  de  ribauder,  et  feit  veoir 
sou  pii'd  nud,  plus  petit  que  bec  de  cygne.  Ce  soir,  elle  cstoyt 
de  belle  bunieur;  aullrcnient,  elle  auroyt  faiet  bouter  deliors 
par  la  fenestre  le  petit  tonsuré,  sans  en  prendre  plus  de  soulcy 
que  de  son  premier  évesque. 

—  Il  lia  de  beauk  yeulx,  madame!  dit  une  des  mescbines. 

—  D'où  sort-il  doncques?  demanda  l'aultre. 

—  Paouvrc  enfant!  s'escria  Madame, sa  mère  le  cherclieroyt. 
Il  liiut  le  remettre  dans  la  bonne  voye. 

Le  Tourangeau,  ne  perdant  pas  le  sens,  feit  ung  signe  de 
délectation,  en  mirant  lelict  de  brocart  d'or  où  alloyt  reposer  le 
iolv  corps  de  la  galloise.  Ceste  œillade,  pleiiu^  de  suc  et  d'in- 
telligence amoureuse,  reveigla  la  pbanlaisie  de  la  dame,  qui, moi- 
tié riant,  moite  férue  dumygnon,  luy  répéta  :  «  Demain  1  »  et  le 
renvova  par  ung  geste,  auquel  le  pape  leban  luy-mesmes  auroyt 
obéi,  d'autaul  (ju'd  estoyt  connue  ung  limasson  sans  cocque,  veu 
que  le  Concile  venoyt  de  le  dépapiser. 

—  Ab  !  madanu'  voilà  t'ucores  ung  vœu  de  cbasleli'  nnié  en 
dezir  d'amour,  dit  l'une  des  femelles. 

Et  les  risées  reconmiencèrent  dru  comme  gresle.  Pbilippe  s'en 
alla,  donnant  de  la  teste  contre  les  bois,  en  vi-aye  corneille  coëffée, 
tout  estoiM'dy  (ju'il  estoyt  d'avoir  entrevu  cesie  créature  plus 
friaudcà  croijucr  (|ue  syrène  soitani  de  l'eaue...  11  remarqua  les 
(igures  d'animaulxengravées  au-dessus  d(!  la  porte,  et  s'en  revint 
cbezsonbonbommcd'arcbevesque,  avecfjues  mille  pannerées  de 
diables  dans  le  cueur,  et  la  fressure  toute  .sopliistic(|uée.  Monté 
dans  sa  cband)relle,  il  y  com|)ta  ses  angelotz  jiendanl  toute  la 
imict,  mais  n'en  treuva  iamais  (|ue  tpiatre;  el,  comme  ce  estoyt 
tout  son  saincl-frus()uin,  il  cuydoyt  satisfaire  la  belle  en  luy 
donnant  ce  qu'il  avoyt  à  luy  dans  le  monde. 

—  Qu'avez-vousdonc(|ues,  Philippe?  luy  dil  le  bon  ai'cbeves- 
quc,  incpiiet  des  tresmoussemens  el  des  0/< .' o/< .'...  de  son  clerc. 

—  Ail!  monseigneur!  responditlepaouvre  prebslre.iem'esbabis 
conuMciil  imcl'euunesilégiereetsidoulcepoisetantsurlecueur!... 

—  El  (|urlle?  reprint  rarcbevcs(iue  en  posant  son  bréviaire, 
(|ii'il  lisoyl  |ioui   {(■•<  aultres,  le  bonhomme. 


LA    ItKIJ.K    IMI'KHIA.  lô 

—  Ah  !  l('siis,  vous  allez  ino  niaiiliin-or,  mon  bon  inaislic  il 
piolocleur,  poui*  ce  quo  i'ay  vou  la  daine  tl'uii^^  eaidiiial  au 
moins...  Et  ie  plouroj s,  voyant  qu'il  me  manqucroyt  bien  plus 
d'ung  paillard  cscu  pour  elle,  encore  que  me  la  laisseriez  con- 
vertir au  bien... 

L'arclieves({ue,  lionssanl  l'accent  circonflexe  qu'il  avoyt  au- 
dessus  du  nez,  ne  souilla  mot.  Oies  doncques,  le  Irez-bninble 
prebslre  trembloyt  dans  sa  peau  de  s'cslre  ainsy  conl'essé  à  son 
supérieur.  Mais  incontinent  le  sainct  homme  luy  dit  : — Vère, 
elle  est  doncques  bien  chiero  '! 

—  Ah!  leit-il,  elle  ha  desgressé  bien  des  mitres  et  frippé 
bien  des  crosses. 

—  Eh  bien,  Philippe,  si  tu  veux  renoncer  à  elle,  ie  te  baille- 
ray  trente  angeiotz  du  bien  des  paouvres. 

—  Ah  !  monseigneur,  i'y  perdroys  trop  !  rcspondit  le  gars, 
ardé  par  la  rateh'e  (juil  se  prometloyt. 

—  Oh  !  Philippe,  dit  le  bon  Pourdeloys,  lu  veux  donc(|nes 
aller  au  diable  et  desplaire  à  Dieu,  comme  tous  nos  cardinaulx? 

Et  le  maistre,  navré  de  douleur,  se  mit  à  prier  sainct  Gatien, 
patron  des  cocquebins,  de  saulver  son  serviteur.  Il  le  feit  age- 
noiller,  en  luy  disant  de  se  recommander  aussy  à  saint  Philippe  ; 
mais  le  damné  prebslre  inipélra  tout  bas  le  sainct  de  rempes- 
clier  de  faillir,  si  demain  sa  dame  le  recevoyt  à  mercy  et  misé- 
ricorde ;  et  le  bon  archevesqiie,  oyant  la  ferveur  de  son  domes- 
tique, luy  crioyt  :  —  Couraige,  petit  !  le  Ciel  t'exaulcera. 

Lendemain,  pcndaiiUiue  .Monsieurdéblaléroytau  Concile  contre 
le  Irain  im[)udic(jue  desapostres  de  la  chreslienlé,  Philippe  de 
Mala  des|)endit  ses  angeiotz,  gaignez  avecijues  force  labeur,  en 
parfumeries,  baignades,  estuveries  et  aullres  friperies.  Ores,  il  se 
niugueta  si  bien,  qu'auriez  dict  le  mignon  d'une  linotte  coëfl'ée.  Il 
dévalla  ])ar  la  ville,  pour  y  recognoislre  le  logiz  de  sa  royne  de 
cueur  ;  eUpiaiid  il  demanda  aux  passansà  (pii  esloyl  ladicte  mai- 
son, ils  luyrioyeiit  au  nez,  en  disant  :  «  D'où  vient  ce  galeux  (pii 
n'ha  entendu  parler  delabellelmpéria?((  lleutgrant  paour  d'avoir 
despendu  ses  angelots  pour  le  diable,  en  voyant,  par  le  nom,  dans 
quel  horriric(|ue  tracipienard  il  estoyt   tombé  vouleiilaiiemenl. 

luqx'ria  estoyl  la  plus  prétieuse  et  l'anlas(iu(  lille  du  monde, 
oullre  qu'elle  j)assovt  j)our  la  |)lus  lucidiliciiueinent  l)elle,  cl  celle 
qui  mieulxs'entendoyl  àpajielarder  les  cardinaulx,  guallanliM'r 
les  plus  rudes  souldards  et  oppresseurs  dépeuple.  Elle  possédoyt 


10 


CONTES  DKOLATIOLES. 


à  flic  d»'  braves  cajiilaiiios,  airlicrs  el  seigneurs,  curieux  de  la 
servir  en  loul  poincl.  Klle  n'avoyl  qu'ung  motà  soulflcr,  à  ccste 
lin  doccire  cenlx  qui  l'aisoyenl  les  faschez.   Une  dcsconficture 


d'Iiomniesne  Iny  cousloyt  qu'ung  gentil  soubrire  ;  et,  souvcntes 
loys,  ung  sire  de  Haudricourl,  capitaine  du  Hoy  de  France,  luy 
deniandoyt  s'il  y  avoyl,  ce  iour-là,  (juel(|u'un  à  tuer  pour  elle, 
par  manière  de  railleiicà  l'cncontrc  desal)bez.  Sauf  les  potentats 
du  liaull  clergié,  avecques  lesquels  madame  hnpéria  acconmio- 
doyl  llnement  ses  ires,  elle  menoyt  tout  à  la  baguette,  en  vertu 
de  son  cac(|uet  et  de  ses  lassons  d'amour,  dont  les  plus  vertueux 
el  insensibles  estoyent  enlasscz  connue  dans  de  la  glue.  Aussy 
vivoyt-elle  chérie  el  respectée  autant  cpio  les  vrayes  dames  et 
princesses  et  raj»peloyl-on  Madame.  A  cpioy  le  bon  empereur 
Sigismond  respondoylà  ime  vraye  el  preude  l'enune  qui  se  plai- 
gnoyl  de  ce  :  —  One,  elles,  bonnes  dames,  conservoyent  les 
cosliimes  saiges  de  la  saincle  verlii,  el  madame  bnpi'-ria  lestant 
d()ul\  erremens  de  la  déesse  Vénus.  Paroles  cliresliennes  dont 
se  cliocquèrenl  les  dames,  bien  à  tort. 


Une  desconlicturc  U  i,v....i,.,_,-  iic  luy  coll^lo)l  qu'un;,'  gentil  ^ouiirire. 


IS  CONTES  DROLATIQUES. 

Philippe  (loncijuos,  repensanl  à  la  franche  lippee  qu'il  avoit 
eue  par  les  yeulx  la  veille,  se  doubla  que  ec  serolt  tout.  Lors, 
t'eut  cliayrin  ;  et,  sans  niangier  ne  boire,  se  pourinena  par  la 
ville.  (Ml  allcndaul  l'iicure,  d'aulant  (|u'ii  estoyt  (;oe(|uet  et  gual- 
lant  assez  pour  eu  trouver  d'autres  moins  rudes  au  niontoir  que 
n'estoyt  madame  hupéria. 

La  nuict  venue,  le  ioly  petit  Tourangeau,  tout  relevé  d'orgueil, 
eaparassonné  de  dczirs  et  fouetté  par  ses  Hélas  !  qui  restoul- 
fovL'uf,  se  coula  connue  un  anguille  au  logiz  de  la  véritable 
royiu'  du  ('oneile  :  car  devant  elle  s'abaissoyent  toutes  les  au- 
tborilez,  sciences  et  jirndiionnnies  de  la  cbrestienté.  Le  maistre 
d'Iiostel  le  descoinuit  et  l'alloyt  jecter  dehors,  quand  la  cliambe- 
rière  dit.  du  hault  des  degrez  :  —  Eh!  messire  hubert,  c'est  le 
petit  de  Madame.  Kl  le  paouvre  Pliilippe,  rouge  eonmu'  une  nuict 
de  nopci's,  monta  la  vis  en  broucliant  d'beur  et  d'aise.  La  cbam- 
berièrc  le  print  par  la  main  et  le  mena  dans  la  salle  oii  pialïoyt 
désià  Madame,  lestement  nippée  en  femme  decouraige  qui  attend 
mieulx.  La  lucidifique  Lnpéria  estoyt  assise  près  une  table  cou- 
verte de  nappes  pcluchées,  garnies  d'or,  aveccjues  loutTaltirail 
de  la  incillenre  beuverie.  Tlacons  devin,  lianaps  altérez,  bouteilles 
dliypocras,  grez  jileins  de  l)on  vin  de  (".liyppre,  drageoires  com- 
bles d'espices,  paons  rostis,  saulces  vertes,  j)elits  iambonneaux 
salez,  auroienl  resiouy  la  veue  du  guallant,  s'il  n'avoyt  pas  tant 
aymé  madame  Impéria.  Elleveit  bien  que  les  yeulx  de  son  petit 
prebstre  esloyenl  tout  àelle.nuoi(|ue  couslumièredes  parpaillotes 
dt'votions  des  gens  (rKcclise,  elle  feut  bien  contente,  pour  ce 
(|u'elle  s'esloyl  affolée  miiclannnenl  du  paonviv  petit,  (jui,  toute 
la  iouriK-e,  lui  avoyl  trotté  dans  le  cueur.  Les  vitres  avoyent  esté 
closes.  Madame  estoyt  bien  dispose  et  attournée  conuue  pour  faire 
honneur  à  ung  |)rince  de  l'Empire.  Aussi  le  fripon,  béatifié  par 
la  sacro-saincle  beanlté  d'Impi'ria,  cogneul-il  (pie  enqxM'enr,  bur- 
grave,  voire  ung  caidinal  en  train  d'estre  esleii  pape,  n'auioyt 
raison  ce  soir  contre  luy,  petit  prebsire,  (pii,  dans  sa  bougette, 
ne  logeoyt  que  le  diable  et  l'amour.  11  trencha  du  seigneur,  et  so 
iacta,  en  la  saluant  avecques  une  courtoisie  qui  n'estoyt  point  dû 
t(»ut  sotte;  et  pour  lors,  la  danu;  lui  dit,  en  le  festovantpar  ui>g 
cuisant  r(  sguard  :  —  Mettez-vous  près  de  moy,  (|ue  ie  voyc  si 
vous  estes  cliang('  d'Iiier. 

—  Oh  oui!...  feil-il. 

—  El  d'où?...  (lit-elle. 


LA   lîKI.LK   IMPKI'.IA, 


19 


—  Hier,  i(>piiiil  le  iiuilois,  io  vous  ayiiioys!.,.  Ores,  co  soir, 
nous  nous  a\ nions;  cl,  de  paouvi-e  sonlïrctcux,  suis  dr-vcini  plus 
riche  (pTuni;  r(tv. 

—  Oli!   jK'lil  !   [X'iil!  s'esciia-l-cllc  ioyc'ulsi-niOHl,  oui,  tues 


olianyï',   car,   de  loune  piebstie.  Lien  vois-je  que  lu  es  devenu 
vieulx  diable. 

Et  ils  s'accotèrent  ensemble  devant  ungbon  l'eu,  (|ui  allovt  cs- 
pandant  esgalenienl  parlout  leur  ivresse.  Ils  ri'sloient  louiours 
prêts  à  niangicr,  veu  ((u'ils  ne  pensoyent  (j[u'à  se  pigeoinier  des 


20  COTES  DROLATIQUES. 

yculx,  ft  ne  l(iiiili(»\('iit  poiiil  aiiv  plats...  ('ommo  ils  sesloyent 
enfin  cshiMis  (laii>  li'iir  aise  cl  coiitontemL'iil,  il  se  t'eil  ung  bruit 
(lésajiivalilc  à  l'Iiiiv»  de  MadaïUf,  eumiiie  si  yens  s'y  halloyent  en 
crianl. 

—  Madame,  dit  la  iiK'seliinette  liastée,  en  véey  bien  d'une 
aultre  !... 

—  Ouoy?  s'esei'ia-t-elie  d'un^  aif  iianitain,  eunnne  tyran  niaul- 
gréant  d'estie  inteiionipu. 

—  I/éves(jne  de  (^oire  veut  parler  à  vous... 

—  (Jue  le  diable  l'estrille  !  resj)ondit-clle  en  lesguardant  Plii- 
lippe  de  i:entille  l'asson. 

—  Madame,  il  lia  veu  la  lumière  par  les  lissures  et  l'aict  granl 
tapaige... 

—  l(is-luy  (pie  i'ay  la  liebvre,  et  |)oint  nt'  mentiras,  pour  ce 
que  le  suis  malade  de  ee  petit  prcbstre  (pii  nie  lïétille  dans  la 
cervelle. 

Mais,  eonnni'  elle  aelievoytson  dire,  en  pressant  déviilieusement 
la  main  de  l'Iiilippe,  (|ui  bouilloyt  dans  sa  peau,  le  gros  évesipie 
de  (".oire  se  monstra  tout  ])oussit'  cl  ebolèrc. 
Ses  cstal'fiers  le  suivoyenl  portant  une  truite 
(■annnie(]uement  saumonée,  IVesclie  tirée 
bors  (lu  Uliin,  gizant  dans  ung  plat  d'or; 
puis  des  espices  eontenues  ez  drageoires 
mirilic([ues,  et  mille  friandises,  comme  li- 
(pieurs  et  compotes  laites  par  de  sainclcs 
nonues  de  ses  abbayes. 

—  Ali  !  ail  !  feil-il  de  sa  grosse  voix,  i'ay 
le  temj)s  d'estre  ave('(pies  le  diable,  sans  (jue 
vous  me  lassiez  escorebier  par  luy,  ma  mignonne. 

—  \oslr(!  ventre  l'cra  (piebpie  iour  une  belle  gnaisne  d'espée... 
respondil-cllc  eu  lionssanl  ses  sourcils,  (pii,  de  beaulx  et  plai- 
saiis.  dexiiircii!  iiiesebans  à  iaire  Iremliler. 

—  KteclfiiraiitdeclKinir,  vieiil-il  doiu^pies  à  l'oltiaiide  desià? 
dit  iiis(deiiimeiit  réves(pie  eu  touriiaiit  sa  lace  large  cl  riil/ieoudc 
vers  le  gentil  l'bilippe. 

—  Monsfigiicur,  iesui^  iey  j)our  conl'esser  Madame. 

—  oli!  (ili!  sçays-lu  pas  les  canons!...  Conlesscr  les  dames  à 
cesle  lieure  de  nuict  est  ung  droict  n-servé  auxévesipies...  Ores, 
lire  les grègncs,  va  peslurer  av(>c(pies  simpb's  moyncs.  et  ne  rc- 
lomne  iey,  ^oubz  peine  d'excomniuniealion. 


LA   liKLLK   IMIM'fUA. 


21 


—  Ne  bougez!  cria  la  nigissaiilc  liii|t('ria.  plus  licllc  de  cliolèic 
qu'elle  n'csloyt  d'amour,  pour  ce  qu'il  y  avoyt  ensemble  amour 
ctcliolère.  Restez,  mon  amy!  Vous  estes  icy  chez  vous!... 

Lors  il  cogncut  qu'il  estoyt  le  vray  bien  aymé. 

—  N'est-ce  pas  matière  de  bréviaire  et  euseignemeiif  évange'- 
lie(pie,  que  vous  serez  égaulx  devant  Dieu  à  la  vallée  de  losapliat? 
dcmanda-t-elle  à  l'evestpie. 

—  C'est  une  invention  du  dial)le  (jui  ha  frclatté  la  Bible;  mais 
c'est  escript,  rcsponditlegros  balourd  d'éves»{ue  deCoire,  pressé 
(le  s'attabler. 

—  lié  bien  !  soyez  (i()MC(pies  égaulx  devant  moy,  qui  suis  icy-bas 
votre  déesse,  reprinl  hnpéria;  sinon  ie  vous  l'eroys  délicatement 
eslrangler  quel([uc  iour  entre  la  teste  et  les  espaules  !  le  le  iurc 
par  la  toute-puissance  de  ma  tonsure,  qui  vault  bien  celle  du  pape  ! 

Et,  voulant  (|ue  la  truite  feust  du  repas,  voire  le  plat,  les  dra- 
geoiresetleslriandises,elleadi()uxtadextrement  : — Asseyez-vous 
et  beuvez.  Mais  la  rusi'e  linotte,  (pii  n'en  estoyt  à  sa  première 
dauberie,  cligna  de  l'œil  |)our  dire  à  son  mignon  (ju'il  ne  l'alloyt 


'mMmmmm 


avoir  cuie  de  cet  Allemand,  dont  le  piot  leur  l'eroyt  briefve  jus- 
lice. 

La  eiiandierière  milet  entortilla  l'évescjueà  table,  pendant  (|uc 


i^i 


CONTES  IIROL.VTIOUES. 


riiili|)|)(\  nttciiit  d'uiît'  laigo  (jui  luy  Ifriiioyl  lo  bec,  en  ce  qu'il 
voyovl  son  heur  s'en  aller  en  l'uniée,  donnoyt  l'évesque  ù  plus  de 
diables  qu'il  n'y  avoytde  moines  en  vie.  Ils  estovent  pieçà  vers  la 
moitié  du  repas,  que  le  ieune  j)rebstre  n'y  avoyt  point  encores 
loucliié,  n'avant  laiui  (jue  dlmpt'ria,  près  de  lacpielle  il  se  pelo- 
tonnoyl  sans  mot  dire,  mais  parlant  de  ce  bon  languaige  auquel 
les damesentendent,  sans poincls,  virgules, accens,  lettres,  ligures 
nicharactères,  notesouimaiges.  Le  grosévesque,  assez  sensuel  et 
soigneux  du  vestcment  depeauecclésiasticque  dans  le(piel  sa  def- 
iimcte  mère  l'avoyt  cousu,  se  laissoyt  amplement  servir  de  l'iiypo- 
cras  par  la  main  délicate  de  Madame  ;  et  il  en  estoyt  desià  à  son 
jtremierliocquet,  quand  unggraiid  bruit  decavalcadeieit  esclandre 
dans  la  rue.  Le  numbre  des  clievaulx,  les  Ho  !  ho  !  des  paiges, 
démonstrèrent  (ju'ilarrivoyt  quebjue  prince  furieux  d'amour.  Et 
de  l'aict,  tost  après,  le  cardinal  de  Uaguse,  îi(|ui  les  gens  d'impé- 
rian'avoyent  osé  barrer  la  porte,  entra  dans  la  salle.  A  ccste  veue 
triste,  la  paouvre  courtizaneet  son  petit  devinrent  bonteux  et  des- 
convenus comme  des  lépreux 
d'biei',  car  c'estoyt  tenter  le 
diable  que  vouloir  évincer  le 
cardinal,  d'autant  (|u'alors  on 
ne  sçavoyt  ([ui  seroyt  pape, 
h^  les  trois  prétendans  s'estant 
'  desmis  du  bonnet  pour  le 
proulïict  delacbrestienté.  Le 
cardinal,  (pii  estoyt  ung  rusé 
Ilalian,  trez-barbu,  grant  so- 
pliist  ic(|ueur  et  boute-en-train 
(hi  (loucile,  devina,  par  le 
jilus  l'oible  iect  de  son  enten- 
dement, l'alplia  et  l'oméga 
de  ceste  adventure.  Il  n'eut 
(|u'ung  petit  j)ensier  à  peser 
jtour  s(^avoir  comment  il  dcb- 
voyt  besongnerà  ceste  fin  de 
bien  liy|)otbecquer  ses  IVes- 
siiradcs.  11  arrivoyt  poulsépar 
tmg  a|ipi'lit  lit!  moyne;  cl,  pour  obtenir  sa  repeue,  il  csloyt 
liommc  à  dagiicr  deux  moynes  et  vendre  son  morceau  de  vrayc 
croix,  ce  <|ui  eust  est»'  mal. 


I.  V  r.Ki.i.i:  iMi'Kitiv.  iô 

—  Hé!  mon  amy,  l'fil-il  à  Pliili|)|)i;  en  l'appr-Ianl  à  luv. 

Le  paouvro  Tourangeau,  plus  niuit  que  vilCii  s()ii|M;(iiinant  (jue 
le  diable  se  mesloyt  de  ses  alïaires,  se  leva, 
et  dit  : —  Plaist-il?au  redoubfable  cardinal. 
Cettuv,  l'eiiunenant  par  le  bras  sur  les  dcgrcz. 
le  resguanla  dans  le  blanc  dos  yculx,  et  i.  - 
print  sans  lanterner  :  —  Yentredieu,  tu  c^ 
ungbon  petit  compaignon,  et  ie  ne  vouldroys 
pas  cstre  obligé  de  taire  sçavoirà  ton  cbiefre 
que  ton  ventre  poise!...  Mon  coiilcnteniont 
pourrovt  me  cousterdes  Ibndalions  pieuses  en  mes  vieul.x  jours... 
Ainsy,  cboisis  :  do  te  marier  avewpies  imo  abbaye  pour  le  de- 
meurant de  tes  iours,  ou  avec  Madame,  ce  soir,  pour  en  mourir 
demain... 

Le  paouvre Tourangeau,  désespéré,  luy  dit  :  —  Ktvostre  ardeur 
passée,  monseigneur,  pourray-je  revenir? 

Le  cardinal  eut  poine  à  se  lascber;  pourtant,  il  ditgriervement  : 
—  Choisis!  le  haultbois  ou  la  mitre! 

—  Ah!  feit  le  prebstre  maliciousomenf,  une  bonne  grosse  ab- 
baye... 

Oyant  cola,  le  cardinal  rentra  dans  la  salle,  y  priiil  une  oscrip- 
toire  etgrilTonna  sur  ung  bout  do  obarte  une  (''dulepour  l'envoyé 
do  France. 

—  Monseigneur,  luy  dit  le  Tourangeau  pendant  qu'il  orthogra- 
phioyt  l'abbaye,  l'évosque  dcCoire  ne  s'en  ira  pas  aussi  bryelVe- 
mentquo  moy,  car  il  lia  autant  d'abbayes  que  les  souldardsont  de 
bouvettes  en  ville,  et  puis  il  est  dans  les  ioies  du  Soigneur!  Ores, 
m'est  advis  que  pour  vous  mercier  de  cette  tant  bonne  abbaye,  je 
vous  doibs  ung  bel  advertissement...  Vous  sçavez,  du  reste,  com- 
bien est  malivole  et  segaigne  dru  cestc  damnée  cocqueluchequi 
lia  cruellement  mal  té  Paris?  Ores,  dictes-luy  que  vous  venez 
d'assister  vosire  bon  vioulx  amy  l'arobevesijue  de  Hourdoaux... 
Par  ainsy,  leloroz  desguer[»ir  comme  leurre  devant  grant  souille 
d'aër. 

—  Oli!  obi...  s'escria  le  cardinal,  tu  nw'rilos  mioulx  qu'une 
abbaye...  Hé!  ventredieu!  mon  petit  amy,  voilà  cent  escuz  d'or 
pour  ton  voyage  à  l'abbaye  de  Turponay,  (jue  i'ay  gaignés  au  ion 
hier  et  que  ie  le  baille  en  pur  don... 

En  entendant  ces  paroles  et  voyant  disparoislio  Philippe  de 
Mala  sans  qu'il  luy  despartist  la  chatouillante  œillade  pleine  de 


24  CONTES  DROLATIOIJES. 

(|ninlO!»sonce  ainouitMisi'  (niello  on  ospnoyl,  lo  Ironinc  Impi'ria. 
souillant  connut' ungdaiilpliin,  devina  loulo  la  couardise  du  prcbs- 
tre.  Klle  n'oslovt  pas  cncoros  catholique  assez  pour  |)ar(louner  à 
son  amant  de  la  gabcr  en  ne  saicliant  pas  mourir  pour  sa  plian- 
taisie.  Aussi  la  mort  de  Philijjpe  l'eut-elle  engravéedans  le  res- 
iïuard  de  vipère  (|u'clle  luy  lança  pour  luy  faire  insulte,  ce  qui 
rendit  le  cardinal  tout  aisé,  car  le  [)aillard  Italien  veit  bien  (ju'il 
rentrerovt  lost  dans  son  abbaye.  Le  Tourangeau,  n'ayant  cure  ni 
soulcy  de  l'oraiye,  s'évada  en  allant  de  costé,  en  silence  et  l'au- 
reille  basse,  comme  ung  chien  mouillé  que  l'on  chasse  des  vcsprcs. 
Madame  ])0ulsa  ung  sospir  de  cueur!  Elle  auroyt  singulièrement 
accoustré  le  genre  humain,  pour  peu  qu'elhî  l'eusl  tenu,  carie 
l'eu  (jui  lu  possédoyl  luy  estoyt  monté  dans  la  teste,  et  des  pétil- 
lons de  llannnes  sourdoyent  dans  l'aër  autour  d'elle.  Il  y  avoyt 
de  quoy,  pour  ce  que  c'estoyt  la  première  l'oys  qu'im  prebstre  la 
gabeloyt.  Ores,  le  cardinal  soubrioyt,  cuydant  qu'il  n'en  auroyt 
que  plus  d'heur  et  d'aise,  ^"estoyt-ce  pas  ung  rusécompaignon? 
aussi  avoyi-il  ung  chapeau  rouge! 

—  Ah!  ah  !  mon  bon  compère,  dit-il  à  l'évesque,  ic  me  félicite 
d'estre  en  vostre  compaignie,  et  suis  aise  d'avoir  seu  chasser  ce 
petit  cuistre  indigne  de  Madame,  d'autant  que,  si  vous  l'aviez  ap- 
prouché,  ma  toute  belle  et  fringnante  bische,  vous  eussiez  pu 
trespasser  indignenii'nf  par  le  laid  d'un  simple  prebstre... 

—  Hé'.'  comment'.'... 

—  C'est  le  scribe  à  monsieur  l'archevesque  de  Bourdeau\  !... 
Ores,  k'  bonhomme  ha  esté  prins  ce  matin  de  la  contagion... 

L'évesque  ouvrit  la  bouche  connue  s'il  vouloyt  avaller  ung 
fouimaige... 

—  11(' !  d'où  •sçavez-vons  cela'.'...  demanda-l-il. 

—  Vère...  dit  le  cardmal  en  prenant  la  main  au  bon  Allemand, 
ie  viens  de  l'administrer  et  consoler...  A  ccste  heure,  le  sainct 
homme  ha  bon  vent  pour  voguer  en  paradiz. 

L'éves(|ue  de  Coire  monstra  condiien  les  gros  honnues  sont 
légiers,  pour  ce  (jue  les  gens  bien  pansus  onl,  pai'  la  graace  de 
Dieu,  en  récompense  de  leurs  travaulx,  les  tubes  intérieurs  élas- 
lictjues  comme  ballons.  Ores,  ce  dict  évesquc  saulta  d'un  bond 
en  arrière,  en  suant  d'ahan,  toussant  desià  comme  ung  bœuf  qui 
Ireuve  des  plumes  dans  son  mangier.  Puis,  ayant  blesmy  tout  à 
coup,  il  (le>gring(ila  jiar  les  degré/,  sans  seulement  dire  adieu  à 
Madame,  (jiind  l'Inivs  fciil  rcnm''  >\\i  l'i'vesque,  et  qu'il  dévalla 


L.\  P.FJ.Lr:   IMPKRIA  25 

par  les  nins,  moiisionr  do  Rayuso  se  inint  [\  riin  ol  à  vouloir 
gausser. 

—  Ali!  m;i  inignomii',  siiis-jo  pas  digne  d'être  papo,  et  iiiifMilx 
que  cela,  ton  giiallanl  co  soir?... 

Mais,  voyant  rini|it'ria  soulcieust%  il  s'apiirondia  d'elle  [tour  la 
mijinardenient  enlasser  dans  ses  liras  et  la  niinnotter  ù  la  f'assoii 
des  cardinaulx,  gens  brindjallant  mieulx  que  tous  aultres,  voire 
niesme  que  les  souldards,  en  ce  qu'ils  sont  oisifs  et  ne  guastent 
point  leurs  es|)erils  essentiels. 

—  lia!  ha  !  l'eil-elle  en  leculanl,  tu  veulx  ma  mort...  lou  ni('tro- 
politain...  Le  principal  pour  vous  est  de  vous  gaudir,  mescliant 
ruiïian,  et  mon  ioly  cas,  cliouse  accessoire.  Que  la  ioye  me  tue, 
vous  me  canoniserez,  est-ce  pas?...  Ah  !  vous  avez  la  coqueluclie, 
et  me  voulez!...  Tourne  et  vire  ailleurs,  moyne  despourveu  de 
cervelle...  Et  ne  nie  touche  aulcunemenf,  i'eil-elle  on  le  vovant 
s'advancer,  sinon  ie  te  gourmande  avecques  ce  poignard  ! 

Et  la  fine  commère  tira  de  son  aumosnière  ung  tout  ioly  petit 
stylet,  dont  elle  sçavoyt  louer  à  merveille  dans  les  cas  opportuns. 

—  Mais,  mon  petit  paradiz,  ma  mignonne,  dit  l'aultre  en  riant, 
vois-tu  ])as  la  ruse?...  Ne  l'alloyl-il  \y,is  Ibrhannir  ce  vieulv  hœut 
de  Coire?... 

—  Ouida...si  vous,  m'aymez,  bien  le  verray-je,  rej)rint-elle... 
ie  veulx  incontinent  que  vous  sortiez...  Si  vous  estes  happé  par  la 
maladie,  ma  mort  vous  chaille  peu.  le  vous  cognoys  assez  pour 
sçavoir  à  quel  denier  vous  mettriez  ung  instant  de  ioye,  à  l'heure 
de  vostre  trespassement.  Vous  noyeriez  la  teri'o.  Ah  !  ah  !  vous 
vous  en  estes  iaclé  estant  yvre.  Ores,  ie  n'ayme  que  moy,  mes 
threzors  et  ma  santé...  Allez,  si  vous  n'avez  pas  la  fressure  gelée 
par  le  trousse-galant,  vous  me  reviendrez  veoir  demain...  Auiour- 
d'huy,  ie  te  hais,  mon  bon  cardinal!  dit-elle  en  souhriant. 

—  Impéria,  s'écria  le  cardinal  à  genoilz,  ma  saincte  Inqx-ria 
allons,  ne  te  ioue  pas  de  moy? 

—  Non!  Icit-elle,  ie  ne  ioue  jamais  avecques  les  chouscs 
sainctes  et  sacrées. 

—  Ah!  vilaine  ribaude,  ie  t'exconnnunieray...  Demain!... 

—  MercyT)ieu!  vous  voilà  hors  de  vostre  sens  car(linales(|ue. 

—  hnpéria!  satanée  fille  du  diable!...  Hé!  là!  là!  ma  toute 
belle!...  ma  iietite... 

—  Vous  perdez  le  respect!...  Ne  vous  agenoillez  pas.  l'y  donc- 
(lues!... 


2G 


CO.MKS   liHOI.AÏlOrKS. 


—  Youx-tii  quelque  dispense  in  articulo  mortis?...  Veux-tu 
ma  fortune,  ou,  niieulx  cncores,  unij  morceau  de  la  véritable  vrave 
eioix?...  Veux-tu?... 

—  Ce  soii',  toutes  les  richesses  du  ciel  et  de  la  terre  ne  saurovent 
payer  mon  cueur!...  (eit-elle  eu  riant.  le  seroys  la  darrenière  des 
pécheresses,  indigne  de  recepvoir  le  corps  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  si  ie  n'avoys  pas  mes  caprices. 

—  le  mets  le  feu  à  ta  maison  ! . . .  Sorcière,  tu  m'as  envousté  1... 
Tu  périias  sur  ung  buscher...  Kscoute-moy.  mon  amour,  ma 
gentille  galloise.  le  te  promets  la  plus  belle  place  dans  le  ciel!... 
Hein?...  Non!...  A  mort...  à  mort  la  sorcière! 

—  Oh  !  oh  !  ie  vous  tueray,  monseigneur. 
Et  le  cardinal  escuma  de  maie  raige. 

—  Vous  devenez  fou.  dit-elle  ;  allez-vous-en...  Cela  vous  fatigue. 

—  le  seray  })ape,  et  tu  me  payeras  cet  estrif... 

—  Alors  vous  n'en  serez  pas  plus  dispensé  de  m'obéir... 

—  Que  faut-il  donc(jues  ce  soir  pour  te  plaire? 

—  Sortir! 

l.Ile  saulta  légieremeut,  connue  ung  hoscbe-(|ueue,  dans  sa 
chambre,  et  s'y  veirouilla,  laissant  tempester  le  caidinal,  à  qui 
luire  l'eut  (le  desguerpir.  Quand  la  belle 
lni|)('ria  se  treuva  seule  devant  le  feu, 
;iltabl('c.  et  sans  son  petit  prebstre,  elle 
dit,  en  biisaiil  decholère  toutes  ses  chais- 
nettes  dOr  :  — par  la  double  triple  corne 
du  diable,  si  le  petit  m'ba  l'aict  donner 
cette  bourde  au  cardinal,  et  m'expose  à 
estre  enq>oisonnée  demain,  sans  que  je 
(bevisse  de  luy...  tout  mon  content!  ie 
ne  monriay  pas  que  ie  ne  l'ave  veu  es- 
coichier  vif  devant  moy...  Ah!  feit-elle  en  ])leuraut  celte  foys 
avecques  de  véritables  larmes,  ie  mène  une  vie  bien  malheureuse, 
et  le  peu  d'heur,  par-ci,  par-là,  (jui  m'eschet,  me  couste  ung 
mestier  de  chien,  oultre  mon  salut... 

Connue  elle  acbevoyl  sa  ratelét-,  en  reccapant  connue  veau 
(|u'on  tue,  elle  veit  la  figure  rougeaude  du  petit  prebstre,  (jui 
s'estoyl  Irez-ilextrement  mussi-,  poindant  de  deirière  elle  dans 
son  mir(juer  dt;  Venise... 

—  Ah  !  feit-elle,  tu  es  le  |)lus  parfaict  nioyne,  le  plus  ioly  petit 
moyiie,  muynant,  moynillant,  qui  ayl   iamais  nioineaudé  dans 


l-,\  HKI,I.K   IMI'KIIIA.  27 

ccstc  saincte  et  aiiiourcuse  ville  de  (loiislaiice  !...  Ali  !  ali  !  viens, 
mon  gentil  cavalier,  mon  (ils  cliéiv,  mon  bedon,  mon  paradiz  de 
délectation  !  le  veulx  l)oiie  les  yeulx,  t<'  inanjiiei',  te  tuer  d'amour  ! 
Oh!  mon  llorissant,  mon  verdoyant  et  seni|»iternel  dieu!...  Va, 
de  petit  religieux,  ie  veulx  te  i'aire  Hoy,  Kmpereur,  Pape,  et  j)lus 
heureux  qu'eulx  tous!...  Da!  tu  peux  tout  mettre  léans  à  l'eu  et  à 
sang!  le  suis  tienne!  et  le  monstreray  bien,  car  tu  seras  tosl  car- 
dinal, quand  pour  rougir  ta  harette  ie  dehvroys  verser  tout  le 
sang  de  mon  eueur  ! 

Et,  de  ses  mains  trenddollatites,  toule  luuireuse,  elle  emplit 
de  vin  grec  ung  hanap  d'or  apporté  par  le  gros  éves(jue  de  Coiie 
et  le  présenta  à  son  aniy,  qu'elle  voulut  servir  à  genoilz,  elle  dont 
les  princes  Ireuvoyent  la  |tantoplile  de  plus  hault  gousl  que  celle 
du  Pape. 

Mais  luy  la  resguardoyt  en  silence  d'un  œil  si  goulu  d'amour, 
qu'elle  luy  dit,  tressaillant  d'aise: — Allons!  lais-toy,  petit!... 
Soupons. 


L  I.      C  II  A   M    b  L     I)  L      1)  (I   .\  U  •)   M   M 


LE  PÉCHÉ  VENIEL 


COMME.NT    LE    BONHOMME    BULY.\    PRIAT    KEMME. 

Mcssirc  Hiiiyn,  ci'liiy-Ià  (jiii  paiarlicva  le  cliaslcl  de  Ja  HocIm'- 
C()il)oii-l('Z-Vi»u\iay,  sur  la  Loiiv,  fl-iit  uny  rude  (.•oinpaij^Mdii  en 
sa  ieuii('ss(>.  Toul  pclil,  il  gi'ugeoyt  desià  los  pucollcs,  gecloyt  les 
maisons  par  les  ienoslrcs  et,  tournoyt  congruenient  en  farine  de 
diable,  (juand  il  vint  à  calleutrcr  son  père,  le  baron  de  la  Roclie- 


Corbon.  Lorsfeut  niaistro  défaire  tous  les  iours  fcste  à  sept  elian- 
dcdliers  ;  et,  de  faiet,  il  beson|,'na  des  deux  mains  à  son  plaizir.  Ores, 
forée  de  faire  esternuer  ses  escnz,  lousser  sa  luayuetle,  saigner 
les  poinçons,  resgaller  les  linottes  coelïees  et  faire  de  la  terre  le 


50 


CONTES  IiliOLVTKjUKï;. 


Ibssc,  so  voit  excommunié  des  gens  de  bien,  n'ayant  pour  aniys 
que  les  saeeayeurs  de  pays  et  les  lombards.  Mais  les  usuriers 
devini'enl  bien  tost  resehes  connue  des  bogues  de  cbastaignier, 
(|uand  il  n'eut  plus  à  leur  bailler  d'aultres  gaiges  que  sa  dicte 
seigneurie  de  la  Hoelie-Corhon,  veu  (jue  la  /{///>es'  Carbonis  rele- 
Yovt  (lu  Itov  noire  sire.  Alors  Hrnyn  se  Ireuva  en  belle  bunieur 

(le  (leseli(|uer  des  coups  à  lors 
età  travers,  casser  les  clavicules 
aux  aultres  et  chercbcr  noise 
à  tous  pour  des  vétilles.  Ce  que 
voyant,  l'abluMleMarmoustiers, 
son  voisin,  lionnne  libéral  en 
paroles,  luy  dit  que  ce  estoyt 
signe  évident  de  perfection  sei- 
gneuriale, qu'il  mardioyt  dans 
la  bonne  voye,  mais  que,  s'il 
alloit  desconlire,  à  la  gloire 
de  Dieu,  les  Malmmelisles  qui 
concliioyent  la  Terre-Sainele, 
ce  sero\t  iniciilx  cncdres,  cl  (juc  il  reviendroyt  sans  laulte,  plein 
de  ricliesses  et  d'indulgences,  en  Touraine,  ou  en  paradiz,  d'où 
lous  les  barons  eslovenl  sorlis  iadis. 


LedicI  r.ruyn.  admirant  le  grand  sens  du  pr('lal,  se  des|)arlit 
du  pa\>,  li;irnaclu'  par  le  monast(*'re  et  bénv  j)ar  l'abl»',  à  la 
idve  de  M's  voisins  et  aniys.  I,ors  il  mit  à  >ac  l'oice  villes  d'Asie 
cl  d'AHiiciiiic,  li;ttlil  les  mescrc'aiis  sans  crier  gare,  cscorcliia  les 


'0^e• 


Lors  il  mit  à  sac   force  villes  d'Asie  et  d'Affiicque,  ballil  les  nicscrcans 
sans  crier  gare. 


5-2 


CONTKS   Dliol.  VTIOUKS, 


Siiirazins,  los  Gnrs.  Aiiyldvs  on  aiillios.  se   souciant  peu   s'ils 
cstovcnl  anivs  el  d'où  ils  sourdoyent,  veu  qu'entre  ses  niéritos  il 


.1V{»\|  (l'IiM  (le  n'csirc  poinl  cniicux,  cl  ne  les  inlciroiiuovl  (ju'a- 
])ivs  les  avoir  occiz.  A  ce  nicslier,  nionlt  a;^i(''al)lo  à  Ilicu,  au  Koy 
et  à  Iny,  Miiivn  ^ai|j[na  renom  de  Iton  chresticii,  loyal  clievaliei', 
et  s  anuiza  Ijcaucoiip  en  |ta\s  d'onllrc-nK  r,  \cu  (juil  donnt)yt  plus 


LK   FÉCIIÉ   VKNIEL. 


voiilciitiers  un;^  cscii  aux  ;:;iis('s  (luo  six  doniers  à  unj:  |taouvie, 
quoifiu'il  ivnconlrasl  plus  de  liciiulx  paouvies  qiio  di-  parl'aictcs 

coniiiK'ics: mais  (Il  lion 
,-,^  Tourangeau    il    l'aisoyt 

^  \  ^\\  soupe  de  tout  pain.  Fi- 

'^  "^''î*'  nalcnicnt,(|uand  il  fout 

saoul  de  Tuieques,  de 
icjicquos  et  aullics  l)é- 
iiélices  deTerre-Saiticle, 
Hruyn,  au  grand  cston- 
nenient  des  Youvrillons, 
retourna  delà  Croisade, 
enenniliré  d'escuz  et  i)ierierirs,  au  rebours  d'auleuns  qui,  de  ri- 
ches au  despart,  rovindrenl  lourds  de  lèpres  et  h'jiiers  d'aigenf. 
Au  retourner  de  Tuniz,  nostre  seigneur  le  roy  Phili|)pe  le  nomma 
comte,  et  le  feit  son  sennesclial 
en  nostre  pays  et  en  celuy  de 
Poietou.  Lors  il  l'eut  ayme  gran- 
lement  et  à  bon  escient  considéré, 
veu  (|u'oultre  toutes  ses  belles  (pia- 
lilez  ilfundarecclise  desCarmes- 
l»escliaulx  en  la  paroësse  de  l'Ks- 
grignoUes,  par  manière  d'acquit 
envers  le  Ciel,  en  raison  des  des- 
|)ortcmens  de  sa  ieunesse.  Aussy 
l'eut-il  cardinalementconfict  dans 
les  bonnesgraaces  dcl'Eccliseet  de 
l)ieu.De  maulvais  gars  et  lionnne 
lie  mescliiei's, devint  bon  lionmie, 
saige  et  discrettement  paillard,  en 
perdant  ses  clieveulx.  Rarement 
se  choleroyt.  à  moins  qu'on  ne  maulgreast  Dieu  devant  luy,  ce 
(ju'il  ne  tolcroyt  point,  pour  ce  f|u'il  l'avoyt  niaulgréé  pour 
les  auUres  en  sa  folle  ieunesse.  Briei',  il  ne  (|uereIloyt  plus, 
veu  (pi'estant  sennesclial,  les  gens  lui  cédoyent  incontinent. 
Yraydire  aussy  qu'il  voyoyt  lors  ses  dezirs  accom[)lis;  ce  qui 
rend,  voire  ung  diablcteau,  otieux  et  tranquille  de  lu  cervelle 
aux  talons.  Et  donc(iues,  il  possédoyt  ung  cliaslel  descliicipielc 
sur  toutes  les  coutures  et  tailladi'  coninie  ung  pouipoinet  lies- 
paignol,  assis  sur  ung  costcau  d'où  il  se  niiroyt  en  Loire;  dedans 


.-,1  CONTKS   DUOLATIOLKS. 

les  salles  ostovont  dos  fapissciios  ioyalos,  meubles  et  hohans, 
pompes  ol  inventions  sanazines  dont  s'cslomiroyent  ceuk  de 


Tours,  et  mesines  ran-lievos(juc  et  les  clercs  de  Sainct-Marfin, 
auxquels  il  bailla,  eu  pur  don,  une  bannière  iVangéc  dor  fin. 

A  l'entour  dudict  chasleau  four- 
milloyent  de  beaulx  domaines, 
<<"-*  moulins,  fulaycs,aYec(jues  mois- 
sons de  redevances  de  toutes 
sortes,  si  qu'il  estoyt  nng  des 
loris  bannerets  de  la  province, 
et  pouvoyt  bien  mener  en  guerre 
mille!  Iiommes  au  Roy  noslre 
siic.  Kn  ses  vieulx  ionrs,  si  par 
cas  l'orluil,  son  baillif,  liomme 
diligent  à  pendre,  luy  amenoyt 
ung  paon  vie  paysan  soubeonncdc 
(|iicl(|iic  iiiesclianlerie,  il  disoyt 
en  sonbii.inl  :  —  Lasclic  (•clliix-ci,   Iticddilï,  il  coniiileia  pour 


LE  l'KCIIK   VKMKI..  35 

ceux  quo  i';iy  inconsidéiviiiciil  iimmcz  I;i-Ii;k...  Soiivciilcs  loys 
aussy  les  faisoyl-il  hravoniciit  Iji'iuicliicr  à  iiii;^  clicsiic  ou  accro- 
chier  à  ses  potences;  mais  c'esloyl  miicijiii'mfiil  pour  (|ue  iuslice 
feust,  et  que  la  couslunie  ne  s'i-n  |)ei(list  point  en  ses  ciiastel- 
lenies.  Aussy  le  populaire  estoyt-il  saij^e  et  rengé,  comme  non- 
nettes  d'hier,  sur  ses  terroirs,  et  tranquille,  veu  qu'il  le  protégeoyt 
(les  routiers    et  malandrins,   lesquels  il  n'esparynoyt  iamais. 


saichant  par  expertise  coiiiliicii  dr  |)lay('s  laisoyciit  ces  iiiauldicles 
bestes  de  prove.  Du  icsto,  Ibrt  di'volieux,  dospeseiiant  Irez-hien 
toute  eliouso,  les  oriiccs  ((mime  h  bon  vin.  il  esmouclioyl  les  pio- 
cez  à  la  tunjue,  di- 
soyt  mille  ioyeulsctcz 
à  gens  qui perdoyent, 
et  disnoyt  avecques 
eux  jtour  iceulx  con- 
soler. 11  faisoyt  mettre  les  pendus  en  terre  saincle,  comme  gens 
appartenant  à  Dieu,  les  treuvant  assez  punis  d'estre  enqiescliez 
de  vivre.  Enfin,  ne  pressoyt  les  luils  (ju'à  tenq)s  et  lors(iu'ils 


36 


CONTES  DROLATIQUKS. 


estoyent  enflez  d'usure  el  de  deniers;  il  les  laissoyt  amasser  leur 
buttin  comme  niousches  à  niic:!,  disant  qu'ils  estoyent  les  meilleurs 
collecteurs  dimpost.  Et  ne  les  despouilloyt  iamais  ([\\c  pour  le 
prouliii't  et  usaig<;  des  gens  d'Ecclise,  du  Roy,  de  la  province,  ou 
pour  son  service  à  luy. 

Geste  débonnaireté  luy  attrayoyt  l'aHeclion  et  l'est  me  de  ung 
cliascun,  grants  et  petits.  S'il  revenoyt,  soubriant,  de  son  siège 
iusticial,  l'ablH'  de  Marmoustiers,  vieil  comme  luy,  disoyt  :  — 
Ha!  ba!  messire,  il  y  lia  doiuMjuos  des  pondus,  (jue  vous  riez 
ainsy  !...  Kt  quand,  venant  de  la  Hoclie-Corbon  à  Tours,  il  passoyt 
à  cbeval  le  long  du  raulxbourgSaiiict-Sympliorien,  les  petites  garses 
disoyent  : — C'est  iourde  iustice,  vécy  le  bon  bonnncBruyn.  El, 
sans  avoir  ])aour,  le  resguardoyent  clievaulcliant  sur  une  grant 


liacrpicuce  blancbe  qu'il  avoyt  ramence  du  Levant.  Sur  le  pont, 
les  icunes  gars  s'interronq)oyent  de  iouer  aux  billes,  et  luy  crioyent  : 
—  Honiour,  monsieur  le  sennescbal  !  El  luy  respondoyt  en  gaus- 
sant :  —  Amusez-vous  bien,  mes  enfans,  iusipi'à  ce  (ju'on  vous 
lout'llc.  — Oui,  monsieur  le  sennesclial. 

Aussy  l'cil-il  le  pays  si  c{(iil('nt  et  si  bien  balaye  de  voleurs, 
que,  l'an  du  ^raiid  desbordeineut  de  la  Loire,  il  n'y  avoyt  eu  cpie 
vingl-deuv  iiiaHaictriiis  de  pendus  dans  Vbyver,  sans  compter  ung 


I.K   l'Kf.llfi   YÉMEL.  .-7 

luif  bruslé  on  I.1  coniiinino  de  Cliasloau-ISVuf,  pour  avoir  (h'robbé 
iMu;  hostie,  ou  a(h('|»lt',  dict-on,  car  il  estoyt  riche. 

Un  iour  do  l'an  suyvant,  environ  la  Saincf-.joan  dos  foins,  ou 
la  Sainct-Joan  qui  fauche,  comme  nous  disons  en  Touraine,  advint 


des  .Egypliacques,  Bohémiens  ou  aultres  troupes  larronnesses, 
qui  l'eircnf  ung  vol  de  chouses  sainctes  à  Sainct-Martin,  et,  au  lieu 
et  place  de  madame  la  Vierge,  laissèrent,  et  en  guyse  d'insulte  et 
mocquerie  de  nostre  vraye  foy,  une  infâme  iolie  fille  de  l'aage 
d'un  vieulx  chien,  toute  nue,  histrionne  et  mauricaulde  comme 
eulx.  De  ce  forfaict  sans  nom  feut  également  conclud  par  les 
gens  du  Roy  et  ceulx  de  l'Ecclise  que  la  Moresse  payoroyt  pour 
le  tout,  seroyt  arse   et  cin'cle    vifve   au  qiiarrov   Sainct-Martin, 


5S  CONTKS   l)liOL\TIOlES. 

jiroiuho  la  loiilaine,  où  est  lo  iiiarclu'  aux  Iloibos.  Lors  le  boii- 
lioiniMo  Biiiyn  apertemenl  el  doxlroiiu'iit  (It-snionslra,  à  rencontro 
des  aultros,  (jue  ce  seroj  t  chouse  proulliotable  et  bien  plaisanle  à 
Dieu  de  coïKjuester  ceste  aine  alViequaine  à  la  vraye  religion;  et 
si  le  diable  logié  en  celtuy  corps  l'éniinin  loisoyt  de  l'entesté,  que 
les  fagots  ne  lauldroyent  point  à  le  brnsler,  connue  disoyt  ledict 
arrest.  Ce  que  l'arclievesque  ti'euva  saigeinent  pense,  nioull 
canonic(pie,  confonne  à  laeliarité  cbrestienne  et  à  l'Kvangile.  Les 
dames  de  la  ville  et  aultres  personnes  d'aulliorité  dirent  à  banlte 
voix  que  on  les  Irustroyt  d'une  belle  cérémonie,  veu  t[ue  la 
Moresse  jilourovt  sa  vie  en  la  geôle,  dauioyl  comme  cliievre  liée, 
et  se  converliroyt  seulement  à  Dieu  pour  continuer  à  vivre  autant 
(ju'ung  corbeau,  s'il  estoyt  loisil)le  à  elle.  A  quoy  le  sennescbal 
responditque,  si  l'estrangiere  vouloyl  sainctementsoy  commettre 
en  la  religion  cbrestienne,  il  y  auroyt  une  cérémonie  bien  aultre- 
ment  guallante,  et  qu'il  se  iactoyt  de  la  faire  royalement  magni- 
ticque,  pour  ce  (ju'il  seroyt  le  parrain  du  liaptesme,  et  (pie  pucelle 
debvroyt  estre  sa  commère,  à  ceste  lui  de  plaire  davanlaigc  à 
Dieu,  veu  que  luy-mesme  estoyt  censé  cocc^uebin.  En  nostre  pays 
de  Touraine,  ainsy  dict-on  des  ieunes  gars  vierges,  non  mariez 
ou  estimez  tels,  affin  de  les  distinguer  emniy  les  espoux  ou  les 
veuis;  mais  les  garses  sçavent  bien  les  deviner  sans  le  nom,  pour 
ce  qu'ils  sont  légiers  et  ioyeulx  plus  (|ue  tous  aultres  saulpouldrcz 
de  niariaige. 

La  Moresque  n'iiésita  point  entre  les  fagots  du  feu  et  l'eaue  du 
baptesme.  Elle  ayma  davanlaige  estre  cbrestienne  et  vivante  que 
brush'ê  .Egypiiacque  :  par  ainsy,  |)Our  ne  point  estre  bouline  ung 
moment,  clledcut  ardre  de  ciicur  pendant  toute  sa  vie,  veu  que, 
pour  |>lus  grant  liance  en  sa  religion,  elle  l'eut  mise  au  moustier 
des  nonnes  j)rouclie  le  Cbardonneret,  on  elle  feit  vœu  de  sainctelé. 
Ladicte  cén-monie  feut  jiaraclievéeau  logiz  de  rarclieves(|ue,  où, 
pour  ceste  foys,  il  feut  balle,  daiicé,  en  rbonneur  du  Saulvcur 
des  lioiimies,  par  les  dames  et  seigneurs  de  Touraine,  pays  ou 
plus  on  (lance,  balle,  mange,  belute  et  faict-on  [dus  de  gras 
baïupu'ts  et  plus  de  ioyeulsetez  (pi'en  aulcini  du  monde  entier. 
Le  bon  vieil  sennescbal  avoyt  prins  pour  sa  commère  la  (ille  au 
seigneur  d'Azay-le-Ridel,  ipii  depuis  feut  Azay-le-Hruslé,  lecjuel 
.seigneur,  s'estant  croisi'.  l'eut  laissé  devant  Ascre,  ville  trez-esloi- 
gni-e,aux  mainsd'ungSarrazm  <pii  demaiidiivt  uiieranssou  rovale, 
pour  ce  ipie  ledict  seigneur  eslo\  t  de  belle  preshuiee. 


i,i;  l'i'CiiK  \  i;.mi:l.  3» 

Lu  tliiiiii"  d'A/in ,  ;i\;iiil  i);iill('  son  (ici'  cii  fi.'iij^e  ;iiix  loinhiinls  cl 
Idi'ssoiiiiicrs,  iilliii  de  Ifiiic  la  soiiiino,  restoyt  sans  uw^  |iicslre 
(Iciiicr,  all('ii(laiil  le  ^iic  dans  iiii<r  paouvre  loyiz  de  la  ville,  sans 
iiiij;  la|)is  j)()iir  se  seoir,  mais  (ière  connue  la  royne  de  Saba,  et 
liiave  comme  un^'  lévrier  qui  delieud  les  nippes  de  son  maislre. 
Voyant  ceste  <ii'ant  destresse,  l(!  seimesclial  s'en  alla  d('licatement 
re(|uérir  la  damoiselle  d'Azay  d'estre  la  marraine  de  ladiete 
yEgypliacipie,  pour  ce  (pi'il  aui(tyt  le  droicl  de  bien  faire  à  la 
dame  d'Azay.  Kl,  de  laicl,  il  ^ardoyt  une  lourde  cliaisne  d"or, 
(•nddi'cà  la  |trinsede  (]liv[)])re,  (|u"il  delilteroyl  d'a^ra|)lier  an  eol 
de  sa  genlille  commère;  ains  il  y  j)endit  son  domaine  et  ses 
clievenk  blancs,  ses  besans  et  ses  liacquenées  ;  brief,  il  y  mit 
loul,  si  tost  qu'il  eut  veu  Blanclie  d'Azay  dançant  une  pavant 
jtarmv  les  dames  de  Tours.  Quoi(pu^  la  iMorcsque,  f|ui  s'en  donnoyt 
j)our  sou  dernier  iour,  eust  eslomu'  l'assendjlee  par  ses  lourdious, 
voiles,  passes,  brausies,  ('b'valions  et  tours  de  force,  lUauclie 
['enq)orla  sur  elle,  au  dire  de  tous,  tant  elle  dança  virginalement 
et  mignonnement. 

Ores,  Bruyn,  en  admirant  reste  gente  damoiselle,  dont  les  clie- 
villes  avoyent  paour  du  planeliier  et  (jui  se  diverfissoyt  ingenue- 
menl  pour  ses  dix-sept  ans,  connue  une  cigale  en  Irain  d'essayer 
sa  clianlerelle,  l'eut  bouclé  par  ung  dezir  de  vieillai'd,  dezirapoplec- 
licque  et  vigoureux  de  foiblesse,  qui  le  cliauffa  de  la  semelle  à 
la  nuijue  seulemeni,  car  son  cbief  avoyt  trop  de  neige  pour  que 
l'amour  s'y  logeast.  Lors  le  bonbonnne  s'aperceut  (pi'il  luy  man- 
(pioyt  une  femme  en  son  manoir,  et  si  le  veil-il  plus  triste  (ju'il  ne 
l'esloyl.  Kt  (ju'est(»yt  (lonc(|ues  ung  cbastel  sans  cbaslelaine?... 
autant  dire  ung  battant  sans  sa  cloclie.  Brief,  une  femme  estoyt 
la  seule  cliouse  qu'il  eust  à  dezirer  :  aussy  la  vouloyt-il  promptc- 
ment,  veu  (pie,  si  la  dame  d'Azay  le  faisoyt  attendre,  il  avoyt  le 
teuq)s  d'yssir  de  cettuy  nioiule  en  l'aultrc.  Mais,  pendant  le  diver- 
tissement baptismal,  il  songea  peu  à  ses  grielVes  blessures,  et 
encores  moins  aux  (ptatre-vingts  ans  bien  sonnez  qui  luy  avoient 
desguarny  la  teste;  il  treuva  ses  yeulx  clairs  assez,  pour  ce  (pi'il 
voyoyt  trez-apcrtement  sa  ieune  commère,  laquelle,  suyvant  les 
conunandt'inens  de  la  dame  d'Azay,  le  fes(i«yoyl  Irez-bien  de  l'œil 
et  du  geste,  cuydanl  cpi'il  n'y  avoyt  aulcun  dangier  près  de  ce 
vieulx conq)ère.  Va\  soile (luclMancbe,  naïfve  et  niceiprelle estoyt, 
au  rebours  de  toutes  les  garses  de  Touraine,  lesquelles  sont 
esveiglées  comme  ung  matin  de  printenq)s,  permit  au  bonhonmie 


Ure>,  Diuyn,  vn  ailmir.int  cesle  pente  danioi>elli; ,  dont  leii  cli.villes  uvujeol 
panur  du  (ilaïK-hinr  fl  qui  se  di^el•li^soyt  iii;;éiiiii'n)enl  pour  sos  dix-sopt  ans, 
commp  une  cipali;  on  liiiin  .l'issaycr  sa  tlianierollc,  foui  bouilr  par  un  divir 
de  vieillard,  de/,ir  apoplt'clicque  cl  vigoureux  do  foiblesse. 


I,K   FKCIII-:    VÉMEL.  Il 

(le  lii\  li.iisci-  l;i  main  d'ahoid,  <■(,  davaiitaige,  le  col  nu^  \hu  lias, 
(lisovl  rai(licV('S(|iic  (lui  les  maria  la  sc|(maiiic  d'apirs,  et  ce  leii- 
rent  de  belles  es|)()iisailles,  et  une  plus  belle  espousiîe  ! 

La  dicte  lUauelie  esloyt  mince  et  rris(|ue  connue  |)as  une,  et, 
inieulx  (jue  ça,  pucelle  connue  ianiais  pucellc  ne  l'eut;  pucello 
à  ne  point  eognoisfre  l'amour,  ni  seavoirconnnent  et  poun|uoy  il 
se  faisoyt;  pucelle  à  s'estoiuierqu'aulcuues  l'ainéantassent  dedans 
le  lict  ;  pucelle  à  croire  (pie  marmots  estoyeut  yssus  d'uug  chou 
fiizé.  Sa  dicte  mère  lavovt  aiiisy  nourrie  en  toute  innocence,  sans 
luy  laisser  seulement  considérer  tant  soit  peu  eounjient  elle  en- 
tonnoyt  sa  soupe  entre  ses  dents.  Aussy  esloyt-ce  une  enfant 
fleurieet  intacte,  loueuse  et  naïfve,  ung  ange  auquel  ne  manquoyent 
que  des  aësles  |)0ur  voler  en  paradiz.  VA  (piand  elle;  devalla  du 
paouvre  logis  (l(!  sa  mère  epIourée,|)our consommer  les  (iançailles, 
à  la  cathédrale  de  Sainct-Gatien  et  Saincl-Maurice,  ceulx  de  la 
canipaigne  vindrent  se  repaistre  la  veue  de  la  dicte  mariée  et  des 
tapisseries  <(ui  estoyeut  mises  le  long  de  la  rue  de  la  Scellerie,  et 
dirent  tous  que  iamais  pieds  |)lus  mignons  n'avoyeiit  Ibulé  terre 
de  Touraiue,  plus  iolys  yeuix  pers  veu  le  ciel,  plus  belle  leste 
aorné  la  rue  de  tapis  et  de  fleurs.  Les  garses  de  la  ville,  celles  de 
Sainct-Martin  et  du  bourg  de  Cliasteauneuf,  envioyent  toutes  les 
longues  et  taulves  tresses  avecqncs  lesquelles,  sans  doute.  Blanche 
avoyt  pescbé  ung  comté;  mais,  aussy  et  plus,  soubbailoyent-elles 
la  robbe  dorée,  les  pierreries  d"oultre-mer,  lesdiamaus  l)laucset 
les  cbaisnes,  avec(jues  «juoy  la  petite  iouoyt  et  (jui  la  lioyeiit  pour 
lousiours  au  dict  senneschal.  Le  vieulx  souldard  estoyt  si  raguail- 
lai  dyprès  d'elle,  que  son  heur  crevoyt  partons  ses  rides,  resgnards 
ou  niouvemeus.  Ouoicpie  il  l'eust  à  peu  ))rès  droict  comme  une 
s;'rpe,  il  se  dnuaiiovl  aux  coslez  de  Blanche,  ([u'ou  auroyt  dict' ung 
lansquenet  à  la  parade,  recevant  sa  monstre  ;  et  il  mettoyl  la 
main  à  son  diaphragme,  en  honnne  (jue  le  plaizir  esloulïe  et 
géhenne.  Oyant  les  closches  en  bransle,  la  procession,  les  pompes 
et  doreloteries  dudicl  mariaige,  dont  estoyt  parlé  depuis  la  leste 
épisco[>ale,  ces  dictes  filles  deziroyent  vendanges  de  Morisques, 
pluyes  de  vieulx  senneschaulx  et  pamierées  de  baptesmes  a'gyp- 
tiacques;  niaiscettuy  l'eut  le  seul  qu'il  y  eust  iamais  en  Touraiue, 
veu  que  le  pays  est  loing  d'.Ugyptt'  et  de  Bohesme.  La  dame  d'Azay 
récent  une  notable  somme  d'argent  a[irès  la  cérémonie,  dont  elle 
])rouflicta  pour  aller  incontinent  devers  Ascre  au  devant  de  son 
diri  f>p()ux,  en  compaiguie  du  lieutenant  et  des  gens  d'armes  thi 


Geux  de  la  (;iiiiii;ii;^iii'  viiiilicnl  se    iiii;iislrr  la  \tiii,'  t\r  la  (ticic  iiiafiOu, 


\A-:   l'KCIIK    VK.MKI..  45 

coiiilo  (le  la  Itoclic-Cloilioii,  (|iii  les  liiv  loiiriiil  de  hml.  Klle  partit 
le  ioiir  (les  nopces,  après  avoii'  iciiiis  sa  lillc  aux  mains  du  seiuies- 
clial,  en  hiy  lecoinniandaiilde  lalticn  inesiia;^ier;  plus  lard,  revint 
avecques  le  sire  d'Azay,  lc(juel  estoyt  lépreux,  et  leyuarrit,  en  le 
soingnant  elle-mesme,  à  tous  ris(|ue  d'eslre  ladre  coninic  luy,  ce 
qui  l'eut  grantement  admiré. 

Les  uopces  {aides  et  j)arachev('('s,  car  elles  durèrent  trois  iour- 
iiées,  au  grant  contentcmenl  des  gens,  messirc  Bruyn  ennnena 
en  grant  pompe  la  petite  en  son  cliastel  ;  et,  selon  la  coustume 
des  mariez,  la  concilia  solennellement  en  sa  couche,  qui  l'eut  bénie 
par  l'abbé  de  Marmoustiers;  puis  il  vint  se  mettre  près  d'elle, 
dedans  la  giant  cliauduesciimcuriale  de  Hoclic-Coibon,  la(pielle 
avoyt  esté  tendue  de  brocart  vei'd,  avecques  des  cannetilles  d'or. 
Quand  le  vieulxlJruyn,  tout  j)crl'umé,  se  veit  chair  à  chair  avecques 
sa  iolie  cspousée,  il  la  baisa  d'abord  au  Iront,  puis  sur  le  tettin  ron- 
delet et  blanc,  au  mesme  endroict  où  elle  luy  avoyt  permis  de  luy 
cadenasser  le  fermail  de  la  chaisne;  mais  ce  l'eut  tout.  Le  vieulx 
roc(pientin  avoyt  trop  cuydé  de  luy-mesme  en  croyant  pouvoir 
cscosser  le  reste;  et  lors,  il  feil  chommer  l'amour,  maulgré  les 
chants  ioyeulx  et  nuptiaulx,  epilhalamcs  et  gaudriolles  qui  se 
disoyent  en  bas  dedans  les  salles,  où  l'on  balloyt  encores.  Il  se 
resconforta  d'ung  coup  de  breuvaige  des  espoux,  lequel,  suyvant 
les  coustumes,  avoyt  esté  bény,  et  qui  estoit  près  d'eux  dans  une 
coupe  d'or  ;  lesdictes  cs|)ices  luy  reschaufl'èrenl  bien  l'estomach, 
mais  non  le  cueur  de  sa  dcl't'uncle  braguette.  Blanche  ne  s'estomira 
point  de  la  félonie  de  son  espoux,  veu  qu'elle  estoyt  pucelle  d'ame, 
et  (|uc,  du  mariage,  elle  voyoyt  seulement  ce  qui  en  est  visible 
aux  yeulx  des  ieunes  tilles,  connue  robes,  festes,  chevaulx,  eslre 
danu^  et  maistresse,  avou' ung  comté,  se  resiouir  et  conunander; 
aussi  reniant  quelle  estoyt,  lolaslroyt-elle  avecques  les  glands 
d'or  (lu  rief,lesbobans,ets'esincrvergloytdesricbessesdupourpriz 
oùdebvoyt  estre  enterrée  sa  (leur.  Sentant  inigpeu  tard  sa  coulpe, 
et  se  liant  à  l'advenir  (pii  cependant  alloyt  ruyner  tous  les  iours 
ung  petit  ce  dont  il  t'aisoyt  estai  pour  resgaller  sa  l'emnie,  le 
senneschal  voulut  siqipléer  au  l'aict  par  la  parole.  Ores,  il  entretint 
sonespousée,  de  toutes  sortes  ;  luy  promit  les  clefs  de  ses  dressoirs, 
greniers  et  bahuts,  le  parfaict  gouvernement  de  ses  maisons  et 
domaines,  sans  coniroole  aulcun;  luy  pendant  au  cou  le  chanteau 
du  pain,  selon  le  populaire  dicton  de  Touraine.  Klle  estoyt  comme 
ung  ieune  destrier,  à  plein  l'oing,  trouvoyt  son  bonhomme  le  plus 


il  COiMES  DHOLATIOIKS. 

^'uallant  du  monde  ;  et,  se  drossant  sur  son  séant,  elle  se  print  à 
soubrire,  et  voit  avecqiics  encores  plus  do  ioye  ce  beau  lict  de 
brocard  vert,  où  dorcsnavant  il  luy  estoyt  loisible  et  sans  faulte 
de  dormir  toutes  les  nuicts.  La  voyant  preste  à  iouer,  le  rusé  sei- 
gneur, (pii  avoyt  pou  rencontré  de  puccllcs,  et  sçavoit,  par  mainte 
expérience,  coudtien  les  lénunes  sont  oingos  sur  la  jdunie,  vcu 
qu'il  s'estoyt  tousiours  esbattu  avecqucs  dos  galloises,  rodoutoyt 
les  ieux  manuels,  baisers  de  passaigc,  et  les  menus  sulîraiges 
d'amour,  auxquels  iadis  ne  faisoyt  dolTault,  mais  qui  présente- 
ment l'auroyeiit  trouve  froid  comme  Vobit  d'ung  pape.  Doncques, 
il  se  recula  devi'rs  le  bord  du  licl,  on  craignant  sonlieur,  et  dit  à  sa 
trop  délectable  osjjouse  :  —  lié  bien  !  ma  myo,  vous  voilà  ores  sen- 
ncsclialle,ot,defaict,  très-bien  sennoschaussée. — Ob!non,feit-elle. 

—  Comment,  non?  rcspondit-il  en  grant  paour,  n"estes-vous 
pas  dame? 

—  Non,  feit-elle  encores.  Ne  la  seray  que  si  i'ay  ung  enfant  ! 

—  Avez-vous  veu  les  prées  en  venant?  reprint  le  bon  compère. 

—  Oui,  feit-elle. 

—  Eli  bien,  elles  sont  à  vous... 

—  Oh!  oh!  rcspondil-ellc  en  riant,  ie  m'anmseray  bien  à  y 
quérir  des  papillons. 

—  Voilà  qui  est  saige,  dit  le  seigneur.  Et  les  bois? 

—  Ah  !  ie  ne  sçauroys  y  estre  seule,  et  vous  m'y  mènerez.  Mais, 
dit-elle,  baillez-moy  ung  petit  de  ceste  liqueur  que  laPonneuse  ha 
faicte  avecques  tant  de  soing  pour  nous. 

—  Et  pourquoy,  ma  mye?  Vous  vous  bouteriez  le  feu  dedans 
le  corps. 

—  Oh  !  si  veulx-je,  feit-elle  en  grignottant  de  despit,  pour  ce 
([uc  ie  dezire  vous  donner  au  plus  tost  ung  enfant  ;  et  bien  veois-jc 
que  ce  breuvage  y  sert  ! 

—  Ouf!  ma  petite!  dit  le  semieschal,  cognoissant  à  cecyque 
Rlanchc  estoyt  pucelle  de  la  teste  aux  pieds,  le  bon  vouloir  de  Dieu 
est  premièrement  nécessaire  pour  cet  oflico  ;  puis  les  femmes  doib- 
vent  estre  en  estât  de  fenaison. 

—  Et  quand  seray-je  en  estât  de  fenaison?  demanda-t-cllc  eu 
boubriant. 

—  Lors(pie  la  nature  le  vouldra,  dit-il  on  cuydanl  rire. 
' —  Va  pour  ce,  que  faul-il  fairi^?  i'e|iriiit-olle. 

—  Itah  !  une  op(;r;itioM  (MbalMsiiecpie  ol  d  al(|iienil<',  l;n|nollt', 
est  pleine  de  dangier.s. 


LK   l'KCIIK    VKMKI..  t.". 

—  Ah!  Irit-cllc  (rniic,  iiiiiiP  soiiL't'iisc,  (fcsl  (loiic(|iics  l;i  liiisoii 
ii(»ui'(jU()vm;i  iiiric  |tlçui'n\l  de  hidich!  iiK'liiinoi'iiliosc;  iii;iis  Ijcrllic 
.le  l^roiiillv,  (|iii  est  si  (h'votictisc  (rrslic  iiiinr  en  tciiiiiii',  iii'lia 
Jict  (|iic  lien  ne  cstoyt  de  plus  l'acilc  au  muntlc. 

—  C'est  selon  l'aage,  respondit  le  vieulx  seigneur.  Mais  avez- 
vous  veu  à  rescuvcrio  la  belle  li;tf(jucii(r  hlaiiclie,  dont  on  jtailc 
tant  en  Touiaine? 

—  Oui,  elle  est  bien  doulce  et  plaisante. 

—  Eh  bien,  ie  vous  la  donne;  et  vous  j)ouriez  la  nionlciloiilcs 
(;t  (|uantes  loys  que  vous  en  aurez  la  phantaisie. 

—  Oh!  vous  estes  bien  bon,  et  l'on  ne  i\u)  ha  [)as  nienly  en 
me  le  disant. 

—  Icy,  reprint-il,  ma  mye,  le  sommelier,  leehajielain,  le  lhi('- 
zorier,  l'escuyer,  le  queux,  le  baillit',  voire  mesmele  sire  de  Mont- 
soreaUjCeieune  varletqui  ha  nom  Gaultier  et  porte  ma  bannière, 
avecqucs  ses  honnnes  d'armes.  (•aj)ilaines,  gens  et  bestes,  tout  est 
à  vous,  et  suyvra  vos  eonunandemens  à  grand  erre,  soub/  poine 
d'estre  inconmiodé  de  la  hart. 

—  Mais,  reprinl-elle,  ceste  opération  d'abiuemic  ne  seauroyt- 
elle  se  taire  incontinent? 

—  Oh!  non,  reprint  le  semieschal.  Pour  ce.  il  faut  ([ue,  sur 
toute  eliouse,  noussoyons  l'un  et  l'aultri!  en  pari'aiet  estatde  graaee 
devant  Dieu  ;  sinon,  nous  aurions  ung  maulvais  entant,  couvert  de 
péchez  ;  ce  qui  est  interdict  par  les  canons  de  l'Ecclise.  C'est  la  rai- 
son de  ce  que  se  trouvent  tant  de  garnemens  incorrigibles  dans  le 
monde.  Leurs  parens  n'ont  point  saigement  attendu  d'avoir  lame 
saine,  et  ont  l'aict  de  mescliantes  âmes  à  leurs  enlanls  :  les  beaulx 
et  vertueux  viennent  de  |)ères  innnaculez...  C'est  pour  ce  (|ue, 
nous  aultres,  faisons  bénir  nos  licts,  comme  ha  faict  l'abbé  de 
Marmoustiers,  de  cettuy-cy...  N'avez-vous  pas  transgressé  les  or- 
donnances de  rKcclis(!? 

—  Oh!  non,  dit-elle  vivement  :  i'ay  reçu,  avant  la  nu'sse,  lab- 
solution  de  toutes  mes  l'aultes;  et,  depuis,  suis  restée  sans  com- 
mettre le  plus  menu  pc'ciié. 

—  Vous  estes  iiicu  parl'aicLe!...  s'escria  le  rusé  seigneur,  l't  suis 
ravy  de  vt)us  avoir  jtour  espcuise;  mais  moy,  i'ay  iuré  connne  un 
payen. 

—  Oh  !   Kl   pomqii(t\  ? 

—  I*(turc('(pi('  la  (lance  ne  liuoyt  point,  cl  ipic  u'  ne  pouvoys 
vous  avdir  à  moy,  pour  vous  emmener  icy  et  vous  baiser. 


liî  CONTES   DliOLATlOlKS. 

Lors,  il  liiy  priiil  l'oil  i:u;ilhimniciil  les  m.iiiiscl  les  liiv  iiiimiioa 
(le  carossos.  en  liiy  (l(''liil;iiil  de  pctilcs  iiiigiKiniicrios  rt  iiiijj;iiai- 
dises  suporliciolles  qui  la  loiront  tout  aise  et  contente. 

Puis,  coninie  elle  estoyl  fotiguée  de  la  daneeel  de  toutes  les  cé- 
réiuonies,  elle  se  coucliia,  en  disant  au  sennesclial  :  —  le  veigleray 
demain  à  ce  ({uc  vous  ne  prcliiez  point. 

Kt  elle  laissa  son  vieiilaid,  tout  espris  de  sa  bhuiclie  iM-aiillé, 
amoureux  de  sa  délicate  nature,  et  aussy  endjarrassé  de  sçavoir 
connnent  iirentretiendroytensanaïlVetéqued'e.\|)li(]ueri>ourquoy 
les  hœul's  maschoyent  deux  l'oys  leur  mangier.  Quoiqu'il  n'augurast 
rien  de  l)on.  il  s'enflanuna  tant  à  veoir  les  ex(piises  jtei fections  de 
Blanche  pendant  son  innocent  et  gentil  sommeil,  (pie  il  se  réso- 
lut à  garder  et  delfendre  ce  ioly  ioyau  d'amour...  11  luy  haisoyt, 
avecques  larmes  dans  les  yeulx,  ses  bons  clieveulx  dorez,  ses 
belles  paupières,  sa  bouche  rouge  et  Iresche,  et  bien  doulcement, 
de  paour(prellene  s'esveiglasl!...  Cèlent  toute  sa  ("mil ion,  plaizirs 
nniets  quiluy  bi'usloyent  encores  le  cueur,  sans  cpie  lilaiiclie  s'en 
rsmouvast.  Aussy  déploura-t-il  les  neiges  de  sa  vieillesse  clïeuillée, 
le  paouvre  bonhomme,  et  il  voit  bien  (pie  Dieu  s'estoyt  amusé  à 
luy  donner  des  noix  (piand  il  navoyl  plus  de  dents 


COMMENT  I.E  SFNNESCHAL  SE  BATTIT  AVEC   I.E  PUCEI-AIGE 
DE   SA    FEMME. 


Diiiiinl  lt>s  premiers  ioiirs  de  son  mariaige,  le  senneschal  in- 
venta tic  notal)les  bourdes  à  doniiei'  à  sa  l'cinnie,  de  la(|ii{'lle  il 
aliusa  la  tant  prisable  iuiioceuoo.  D'abord,  il  treuva,  dans  ses  lune- 
lions  lie  iuslicier,  de  valables  excuses  de  la  laisser  parf'oys  seule  ; 
puis  il  l'occupa  de  dédnietsoanipai^mards.  l'emmena  en  vandanf^os 
dedans  ses  closeries  de  Vouvra\  ;  enliii,  la  dort'btta  de  milh.' pron- 
|K)S  sani;renns. 

Taiilost  disoyt  (jue  les  seigneui-s  ne  se  c((ni[M»rtoyenl  point 
connue  les  petites  gens  ;  que  les  entans  des  comtes  ne  se  semoyent 
(pi'en  certaines  coniunctinns  célestes,  déduietes  pardesavans  as- 
lrul(»i:ues;  tanlost,  (pie  l'on  debvoit  s'abstenir  de  l'aire  des  cnfans 
aux  iunrsde  leste,  pour  ce  (pie  c'esloyl  nny  grant  travail  ;  et  il  ob- 
servoyt  les  festes  en  bonnne  (pii  vonloyt  entrer  en  j)aradiz  sans 
conteste.  Aulcunes  Ibys,  pri'tendoyt  (|ue  si,  par  basard,  les  parens 
n'estovent  en  estât  de  graace,  les  enfans  commencez  le  iour  de 
Saincle-Claire  estoyent  aveugles  ;  do  Sainct-Genou,  avoyent  la 


AU  CONTES   nnOLATIOlFS. 

goutte;  de  Saiiict-Aijiiian,  la  teis/ïne  ;  do  Saiiil-Hoeh,  la  peslo  ; 
tantost,  que  oeiilx  pondus  en  lehvrior  estoyent  frileux;  en  macs, 
trop  remuans  ;  en  ajivi'il  ne  valloyent  rien  du  tout,  et  que  les  i;en- 
tils  ^faisons  estoyent  yssus  en  niay.  Biiel',  il  voulovtque  le  sien 
feust  paifaict,  eust  le  poil  de  deux  couleurs;  et  pour  ce,  estoyt 
besoing  (|ue  toutes  les  conditions  requises  se  rencontrassent.  En 
d'aultres  temps,  disoyt  à  Blanche  que  le  droict  de  l'Iiomnie  estoyt 
«le  bailler  nn^'  enfant  à  sa  femme  suyvant  sa  seule  et  unicque  vou- 
lenl(';  et  (jue,  si  elle  l'aisoyt  estât  destre  une  femme  vertueuse, 
ell(^  debvoyl  se  confoiiner  aux  bons  vouloirs  de  son  espoux;  enfin, 
qu'il  l'alloyl  atteiulre  que  la  dame  d'Azay  feust  revenue,  à  ceste 
lin  qu'elle  assistast  aux  couches.  De  tout  cela  feut  conclud  par 
Blanclie  (pie  le  scnneschal  estoyt  contrarié  de  ses  requestes,  et 
avoyt  peul-estre  raison,  veu  qu'il  estoyt  vieil  et  ]ilein  d'expérience  : 
doiu;(|ii('s,  elle  se  soubmil,  et  ne  s()iii,fea  plus,  qu'à  [)arl  elle,  de  ce 
tant  dcziiveid'ant,  c'est-à-dire  que  elle  y[)ensoyt  tousiours.  comme 
(juand  une  fenmie  ha  ung  vouloir  en  teste,  sans  se  doubler  qu3 
elle  faisoyt  acte  de  galloise  et  villotière  courant  après  la  friandise. 
Vn  soir  cpie.  par  cas  fortuit,  Biuyn  densoyt  d'enfans,  discours 
qu'il  fiiyoyl  comme  les  chats  i'uyenl  l'eaue,  mais  il  se  plaignovt 
d'un  gars  condamné  par  luy  le  matin  pour  de  grans  meschiefs, 
disant  que,  pour  seur,  celtuy-là  j)ro('edoyt  de  gens  chargez  de 
péchez  moitels  : 

—  Las!  dit  Mlanche,  si  vous  voulez  m'en  donner  ung,  encores 
que  vous  n'ayez  point  l'absolution,  le  le  corrigeray  si  bien,  que 
vous  serez  content  de  luy... 

Lors  le  comte  veit  que  sa  femme  estoyt  mordue  par  une  phan- 
taisiechaulde  et  qu'il  estoyt  temps  de  livrer  bataille  à  son  puce- 
laige,  afiin  de  s'en  rendre  maistre,  l'exterminer,  le  muleter,  le 
haster,  ou  l'assoupir  et  l'estaindre. 

— Comment,  ma  mye,  voulez-vous  estre  mère?  feit-il.  Vous  ne 
sçavez  pas  encore  le  mestier  de  dame,  et  n'estes  |>oint  accons- 
tumée  à  faire  la  maistresse  de  léans. 

—  Oh!  oh!  dit-elle.  Pour  estre  j)aifaicte  comtesse,  et  logier  en 
mes  llangs  ung  petit  comte,  dois-je  faire  la  dame?  Si  la  feroys-je, 
et  druemenl. 

Blanche  doncques,  pour  obtenir  lignaige,  se  mil  à  courre  des 
cerfs  et  des  biches;  saultant  les  fossez;  chevatdcliant  sur  sa  hac- 
ipienée,  à  val  et  à  mont,  j)ar  les  bois  et  chanq)s  ;  j)renant  grant 
liesse  à  veoir  v(der  ses  faulxcons,  à  les  deschapperonner  ;  et  les 


LE  l'KCHK  VfiNIKI.. 


ifl 


poiioyt  gonfomcnt  sur  son  i>oing  niiiinon,  loiisionis  on  rliassc. 
(le  que  avoyt  voulu  Jo  scnncschal.  Mais,  à  ce  jiourcliaz,  lllanclic 


gaignoyl  ung  appi'lil  do  nouuo  cl  de  pivlat,  c'cst-à-diiv,  vuulanl 
piocn'er,  aiguizant  ses  forces,  et  no  bridant  guères  sa  faim, 
quand,  au  icfour,  elle  se  dogrossoyt  les  dents.  Aussv,  force  de 
lire  les  légendes  oscripfes  par  les  rliemins,  et  de  dt'nouei-  par  la 
mort  les  amours  oommenct'es  des  oiseaulx  et  des  IxMos  laulves,  elle 
feit  nng  mystère  d'alquemie  naturelle,  en  coulorant  son  tainct 
et  superagitant  ses  esprits  nutritifs  ;  ce  qui  pacifioyt  peu  sa  nature 
guerrière  et  cliatouilloyt  fort  son  dezir,  lequel  rioyt,  priovt  et 
frélilloyt  de  plus  belle.  Le  senneselial  avovl  cuyd.-  désarmer  le 
sédicieuK  j»ueelaige  de  sa  fenune,  on  le  faisant  s'eshadre  aux 
champs;  mais  sa  l'raude  tournovt  à  mal.  cai-  l'amour  incogneu 
qui  eireulovt  dans  les  veines  de  Blanolio  sortovf  de  ces  assaults 


60  CONTKS  DROI;\ TIQUES. 

plus  nourry,  appelaiil  les  iousles  et  les  lournoys,  comme  paige 
arméclievalier.  Le  boa  seigneur  veil  lors  qu'il  s'estoyl  l'ourvoyé, 
et  qu'il  n'y  avoyt  point  de  bonne  place  sur  un  gril.  Aussy,  plus 
ne  sçavoit  ijuclle  |)aslure  donner  à  vertu  de  si  griel've  corpulence; 
car  plus  la  lassovt,  tant  plus  elle  regimboyl.  De  ce  combat  il  deli- 
Yoyt  y  avoir  nng  vaincu  et  une  meurtrisseure,  meurliisseure  dia- 
bolicque  qu'il  vouloyt  esloigner  de  sa  pliysionomie  iusques  après 
son  trespas,  Dieu  aydant.  Le  paouvre  senneschal  avoyt  desià  grant 
poine  à  suvvre  sa  daine  aux  cbasses,  sans  cstrc  désarçonne.  11  suoyt 
d'alian  suubz  son  liarnoys,  et  s'aclievoyl  de  vivre,  là  on  sa  frin- 
guantesennescballe  resconl'oi'loytsa  vie  et  prenoyt  ioye.  Souvenles 
l'oys,  à  la  vesprée,  elle  vouloyt  danser.  Ores  le  l)on  lionmie,  enipa- 
letocqué  de  ses  grosses  bardes,  se  trouvoyt  tout  estrippé  de  ces 
exercitations  aux(iuelles  il  estoyt  contrainct  de  participer,  ou  pour 
luy  donner  la  main  (|uaii(l  elle  l'aisoyl  K-s  bransles  de  la  Morisipie, 
ou  pour  luy  tenir  la  lorclie  allumée,  (piaiid  elle  avoyt  pbantaisie 
de  la  (lance  aucliandcllier  ;  et,  maulgrésessciaticques.aposteumes 
et  rbcumatismes,  il  estoyt  obligé  de  soubrire  et  luy  dii'e  quelques 
gentillesses  et  guallanteries  après  tous  les  tourdions,  niomeries, 
pantomimes  co)iiicqnes,  qu'elle  iouoyt  pour  soy  divertir;  car  il 
l'aymoyt  si  rollenieiil,  (jue,  elle  luy  auroyt  demandé  ungoriflant, 
il  l'eust  été  quérir  à  grant  erre. 

Néantmoins,  un  beau  iour,il  recogneutque  ses  reins  estoyent 
en  trop  grant  débilité  pour  lucter  avecques  la  frisque  nature  de 
sa  femme;  et  s'bumiliant  avec  ledict  sieur  Pucelaige,  il  se 
résolut  de  laisser  aller  tout  à  trac,  comptant  ung  petit  sur  la 
pudictpie  religion  et  bonne  bonté  de  Blanclie;  mais  tousionrs  ne 
dormit  (pie  d'ung  œil,  car  il  se  doubtoyt  de  reste  que  Dieu  avoyt 
l'aict  les  pucelaiges  pour  estre  prins  comme  les  perdreaux  pour 
estre  embroscbez  el  rostis.  Par  ung  malin  mouilb-,  (pi'il  laisoyt  ce 
tenq)s  (»fi  les  limassons  frayent  leurs  cbemins,  temps  mélandio- 
licque  et  propre  aux  resveries,  HIanclie  esloyt  au  logis,  assize  en 
sa  cliaire  el  songeuse,  pour  ce  (pie  rien  ne  |)i(>(luicl  (le  plus  vifvcs 
codions  des  essences  substanlificcpies,  et  aulcune  receptc,  spéci- 
lic(|uc  ou  philtre,  n'est  plus  pénétrante,  transperçante,  oultrc- 
})ercanleel  (ringuanle,  (pie  la  subtile  clialeur  ijni  miiote  entre  le 
duvel  d'iiiiecbaire  et  celluy  d'une  piicelle  size  pendant  ung  certain 
temps.  Aussy  sans  le  sçavoir,  la  comtesse  esloyt-elle  incommodée 
de  son  pucelaige,  rpii  lui  malagrabolisoyt  la  cervelle  et  la  grignot- 
t(i\l  de  [tartdut. 


IJ-;   l'KCIll';    VKMKI.. 


51' 


Lors  le  l)oiili()imiic,  grierveinent  fasclir  (\r  l;i  M)ii-  laii^iiis- 
siiiilc,  voulut  cliiissci-  dos  pcust'i'S  (jui  ostoyciil  iniucipt'  traiiiour 
ullra-coujunal. 

—  |)'()ù  vient  votre  soulcy,  ma  uiyc?  dil-il. 

—  De  lionfe. 

—  Qui  (loncqucs  vous  aTlVoiile? 

—  De  n'estre  point  ienime  de  bien,  pour  ce'cpie  ic  suis  sans 
ung  enfant,  et  vous  sans  lignai^^e  !  l']st-on  dame  sans  progéniture? 
.Nennv!  Yovez!...  Toutes  mes  voisines  en  ont;  et  ie  me  suis 
uiari('e  pour  en  avoir,  comme  vous  pour  m'en  donner.  Les  sei- 
gneurs de  Touraine  sont  tous  amplement  l'ournys  d'enfans  ;  et 
leurs  rcMuncs  leur  en  l'ont  par  polti'es;  vous  seul  n'en  avez  point  ! 


On  en  rira  da  !  Que  deviendi-a  vosire  nom?  et  vos  fiefs,  et  vos 
seigneuries?  l'ng  enl'ant  est  nosire  eompaiguie  naturelle;  c'est 
nostrc  ioye  à  nous  de  le  fagotler,  end)obelincr,  cmpacqueler,  vcslir 
etdcvcstir,  amittonner,  dodiner,  Lerccr,  lever,  concilier,  nourrir; 
et  ie  sens  que  si  en  avoys  seulement  la  moitié  d'ung,  ie  le  haise- 
roys,  esmunderoys,  emmailloteroys,  désliarnaelierovs,  et  le  feroys 
saulter  et  rire,  tout  le  iour,  comme  l'ont  les  dames. 

—  N'esloytque,  en  les  pondant,  femmes  meurent,  et  que, pour 
ce,  vous  estes  encore  trop  mince  et  trop  bien  close,  vous  seriez 
desià  mère!...  respondit  le  seimcscbal,  estourdy  de  ce  icct  de  pa- 


52  CO.MKS  DIIOL.VTKJLKS. 

rôles.  Mais  voulez-vous  eu  aeliepter  uug  tout  venu?  Il  ne  vous 
oousfera  ui  poiue  ni  douleur. 

—  Yère,  dit-elle,  ie  veux  la  poiue  el  la  douleur;  l'aulte  de  (juoy, 
point  ne  seioyt  nostre.  le  sçay  hii'u  <|iril  doibt  yssir  de  moy, 
puisiju'à  l'eeclisc  on  dict  lésus  estie  le  Ciuiel  du  ventre  de  la 
Vierge. 

—  Adoueques,  prions  Ilieu  (jue  eela  soit  ainsy,  s'écria  le  sen- 
neselial,  et  interei'dous  la  Vierge  de  l'Es^riguolles.  Bien  des  da- 
mes ont  conceu  après  des  neulVaiues;  il  ne  l'aut  numquer  à  en 
taire  une. 

Alors,  le  iour  mesuie,  Hlaueiie  se  dcsparlit  vers  Noslre-Dame 
de  l'Ksgriguolles,  allournée  connue  une  loyne,  moulant  sa  belle 
liacquenée,  ayant  sa  robe  de  velours  verd,  lassée  d'uug  (in  lasset 
d'or,  ouv(M"te  à  l'endroit  des  tel  tins,  ayant  mancherons  d'cscar- 
lalte,  petits  paftins,  ung  hault  chap|)eron  guarny  de  pierreries  et 
une  ceincture  dorée  ipii  monslroyt  sa  taille  iine  conunc  gaule. 
Elle  vouloit  donner  s(hi  aiustement  à  maihuue  la  Vierge  ;  et,  de 
laid,  le  luy  j)romit  pour  le  iour  de  ses  relevailles...  Le  sire  de 
Moutsoreau  clievaulclioyt  devant  elle,  l'œil  vif  comme  celluy  d'une 
bondrée,  iaisant  renger  le  monde,  et  veiglant  avec{|ues  ses  cava- 
liers à  la  sécurité  du  voyaige.  Proucbe  Marnioustiers,  le  sennes- 
cbal,  endormy  pai'  la  chaleur,  veu  (pi'on  esloyt  en  aoust,  tresbil- 
loyt  sur  sou  destrier,  comme  uug  diadesuu'  sur  la  leste  d'une 
vache,  et,  voyant  si  l'ollastre  et  si  gentille  dame  près  d'ung  si 
vieulx  braguard,  une  de  la  campaigne,  qui  estoyt  iiccropie  au  tronc 
d'ung  arbre  et  beuvoyt  de  l'eau  en  son  grcz,  s'encjuil  d'une  lar- 
romiesse  édentée,  la(juelle  gaignoyl  misère  en  glanant,  si  cettuy 
princesse  s'en  alloyt  noyer  la  mort. 

—  Neimy!  l'eitla  vieille.  C'est  nostre  dame  de  la  Hoehe-t'orbon, 
la  sennesclialle  de  Poictou  et  de  Touraine.  en  (juesli;  d'uiig  eul'aut. 

—  Ail  !  ah  !  dit  la  ieune  garse  en  riant  comme  une  mousche 
di'lïeriée.  Puis,  uiousl raid  le  seigneiu' desgourd  (|ui  estoyt  en  hault 
du  coiivoy  :  —  Cil  ipii  marche  eu  leste  l'y  boultc,  elle  fera  l'es- 
pargiie  de  la  cire  el  du  \(iu. 

—  Mail!  ma  mignomie,- reparlil  la  laiioimcsse,  ie  m'esbahis 
lui  I  ipic  clic  iiillc  à  i\ostre-l)ame  de  l'Esgrignolles,  veu  que  les 
pichsircs  n'y  sont  point  beaulx.  Elle  j)ourroyt  trez-bieu  s'arrester 
une  aulne  di!  temps  à  l'umbre  du  cloehier  de  Marnioustiers,  (die 
M'r(tyl  tost  lécunde,  tant  sont  vivaces  les  bons  pères!... 

—  Eoiu'f  des  reliLMeux!  dit  une  meslivière  en  se  resvei"lant. 


.Uoi>,  if  iuiic  iiicsiiii^,  F'.laiwhr  si'  tli'i|i;irlil  vris  No>lio-D.iii.i; 
de  l'Ësgrigiiolles, 


5i  TONTES   imoi.ATlOllKS. 

Voyez  !  Losiro  do  Mdiilsori'iiu  ost  llaiiiliaiit  ot  mignon  assez  pour 
ouvrir  le  cucur  ilo  cesie  dame,  d'autant  qu"il  est  ià  fendu. 

Et  toutes  se  priment  à  rire.  Le  sire  de  Montsoreau  voulut  aller 
à  elles  et  les  brancliier  à  ung  tilleul  du  chemin,  en  punition  de 
leurs  maul  vaiscs  paroles  ;  mais  Blanche  s'écria  vifvemeut  :  —  Oh  ! 
niessire,  ne  les  pendez  point  encore  !  Elles  n'ont  pas  tout  dict  ;  et 
nous  verrons  au  retour. 

Elle  rougit,  et  le  sire  de  Montsoreau  la  resguarda  iusrju'au  vil", 
comme  pour  lui  darder  les  mysticques  compréhensions  de  l'amour; 
mais  le  déhurelt.'coci|uemcnt  de  son  intelligence  estoyt  desià  com- 
mencé par  les  dires  de  ces  paysannes,  qui  rruclifioyenl  dans  son 
enteiulement.  liCdict  pucelaigc  estoyt  eouune  amadou,  et  n'estoyt 
besoing  (jue  d'ung  mot  pour  l'enflaMuner. 

Aussy  Blanche  voit-elle  ores  de  notables  et  j»hysic(iues  différences 
entre  les  (|ualitez  de  son  vieil  mary  et  les  perfections  dudict  Gaut- 
tier,  gentilhomme  qui  n'estoyt  point  trop  affligé  de  ses  vingt-trois 
ans,  se  tenoyt  droict  comme  quille  en  sa  selle,  et  resveiglé  connue 
ung  premier  coup  de  matines,  quand,  au  rebours,  dormoyt  le  sen- 
neschal  ;  ayant  bon  couraige  et  dextérité,  là  où  sonmaistre  def- 
Aiilloyt.  C'estoytung  de  ces  tils  goldronnez  dont  les  fricqucnellcs 
se  coëffent  de  nuit  plus  voulentiers  que  d'un  escoffion,  pour  ce, 
qu'elles  ne  craignent  plus  les  puces  ;  il  y  en  ha  aulcunes  qui  les  en 
vitupèrent  ;  mais  ne  faut  blasmer  personne,  car  ung  chascun  doibt 
dormir  à  sa  pliaiitaisie. 

Tant  fout  songé  par  la  sonneschallc  et  si  impérialenient  bien,- 
que,  on  arrivant  au  pont  de  Tours,  elle  aynioyt  Gaultier  occulle- 
ment  et  patepeluemonf,  connue  aymc  une  pucelle,  sans  se  doub- 
ler de  ce  (pie  estoyt  l'amour.  Doncques,  elle  devint  femme  de  bien, 
c^esl-à-dire  soubliaitant  le  bien  d'aultruy,  ce  (pio  les  honnnes  ont 
de  meilleur.  Elle  chcuton  mal  d'amour,  allant  i\c  primo  saull  à 
fund  de  ses  mizères,  veu  que  tout  est  feu  entre  la  première  con- 
voitise et  le  darrenior  dezir.  Et  ne  sçavoyl  pas,  connue  elle  l'apprit 
lors,  que,  par  les  yeulx,  pouvoyt  se  couler  ujie  essence  subtile 
causant  si  fortes  corrosions  en  toutes  les  veines  du  corps,  replis 
du  cuour,  nerfs  dos  nu'udires,  racines  dos  ohoveulx,  traiis[iira- 
lionsde  la  substance,  lindjes  de  la  cervelle,  jiortuys  do  l't'pidorme, 
sinuositez  de  la  fressure,  tuyaux  des  hypocoudres  ot  aullres,  (jui, 
chez  elle,  feurenl  soubdain  dilatez,  eschauldoz,  chatouillez,  enve- 
nimez, graphignoz,  herrissez  et  fringuans,  connue  si  mille  pan- 
nerces  d'osguilles  se  treuvoyenl  en  (die.  Ce  léut  une  envie  de 


M-:  PÉCHÉ  Vf:  M  KL.  55 

])ii(cll(',  cnvio  hion  coii(liliuiiii('(',t't  i|ui  liiy  IrdiiMnyl  lu  vlmio,  au 
jioiiict  {|ii('  elle  ne  voit  plus  son  vieil  osjioux,  mais  l)ien  le  iounc 
(laullier,  on  <jui  la  nature  estoyt  ample  eonune  le  glorieux  menton 
d'ung  abbc.  Quand  le  bonhomme  entra  dans  Tours,  les  Ah!  ah! 
de  la  loulc  le  rosveiglèrcnt;  et  il  vint  on  grant  pompe  avecques  sa 
suite  en  l'occlise  de  Nostie-Dame  de  riisgcignolles,  nonunée  iadis 
la  Grei(/ne7n\  comme  si  vous  disiez  :  eelle  qui  lia  le  j)lusde  mé- 
rites. iJlanelie  alla  en  la  cliapelle  où  les  enl'ans  se  demandoyent  à 
Dieu  et  à  la  Vierge,  et  y  entra  seule,  comme  c'estoyt  la  couslume, 
en  présence  toutefois  du  sonnoschal,de  sesvarletset  des  curieux, 
l("S(|uels  restèrent  devant  la  grille.  Quand  la  comtesse  voit  venir  le 
pri'b^tic  (pii  avoyt  la  cure  dos  mossos  aux  onlans  et  de  recepvoir 
déclaration  dosdits  vœux,  elle  luy  demanda  s'il  estoyt  beaucouj) 
de  fennnes  brcliaignes,  A  quoy  le  bon  prebslrc  respondit  que  il 
n'avoyt  point  à  se  plaindre,  et  (jue  les  enfans  estoyenl  d'un  bon 
rovoiHi  pour  lecclise. 

—  Kl  voyez-vous  souvent,  ropritil  lUanclio,  de  ieunos  i'ennnes 
avecques  aussy  vieulx  espoulx  <pio  l'est  Monseigneur'.' 

—  Rarement,  l"eil-il. 

—  Mais  celles-là  ont-elles  obtenu  lignaige"? 

—  Tousiours!  repartit  le  prebstrc  en  soubriant. 

—  Et  les  aulti'os  qui  ont  moins  vioils  conqiaignons? 

—  Quoiquoiois... 

—  Oh  !  oh  1  l'eit-elle.  Il  y  ha  doncques  plus  de  sécurité'  avecques 
nng  comme  le  senneschal? 

—  Certes,  dit  le  prebstre. 

—  Pourijuoi?  dit-elle. 

—  .Madame,  respondit  gravement  le  prebstre,  avant  cet  aagc, 
Dieu  seul  s'en  mesle;  après,  ce  sont  les  hommes. 

Dans  ce  temps,  c'estoyt  chouse  vraye  que  toute  sapience  estoyt 
lelirée  chez  les  clercs.  DIanchefoit  son  vœu,  qui  t'eut  dosplus  con- 
sidérables, veu  que  SOS  atours  valloyenl  bien  doux  mille  osou/  d'or. 

—  Vous  estes  bien  ioyeuso  !  lui  dit  le  somiosolial.  quand  au  re- 
tour elle  feit  piai'for,  saulter  et  l'ringuer  sa  hac(jUonéo. 

—  Oh!  oui,  l'eit-elle.  le  ne  suis  plus  en  double  d'avoir  ung  en- 
lanl,  puiscjne  aulcuns  doibvent  y  travailler,  comme  ha  dict  le 
preb>lro;  io  prendrai  Gaultior. .. 

Le  sonne>clial  vouloyl  aller  occir  le  nioyno;  iuai>.  il  pon^a  que  ce 
seroyt  un  crime  qui  luy  cousteroyt  trop,  et  il  se  résolut  à  finement 
machiner  sa  vengeance  avec(iues  le  secours  de  l'archevesque. 


56 


COMES   nilOLATIOUES. 


Puis,  avant  qu'il  cusl  it'vou  les  toicts  de  la  Roche-Corbon,  il  avoyt 
dict  au  sire  de  Monisoioau  d'aller  chercher  en  son  |)avs  une  poi- 
gnée d'unibre,  ceque  le  ieune  Gaultier  leit, 
cognoissant  les  erremens  de  son  seigneur. 
I.e  senneschal  se  pourveut.  au  lieu  et  place 
ihulicl  fiautlier.  du  fils  au  sire  de  lallanges, 
h'(lUfl  ficrrelevoytde  la  Uoclic-t'orhon.  C'es- 
toyt  un  ieune  gars  ayant  nom  ilené,  approu- 
cliant  quatorze  ans,  dont  il  leit  son  paige,  en 
attendant  qu'il  cust  l'aage  d'estre  escuyer,  et 
donna  le  ooiuniandenient  de  ses  hommes  à 
ung  vieulx  stropiat  avce([U('s  l('f|uel  il  avoyt 
moult  roulé  en  Palestine  et  aultres  lieux,  l'ar 
ainsY,  le  bonhomme  cuyda  ne  pi  int  chausser 
le  harnoys  hranchu  de  cocquaigc,  et  pouvoir  encores  sangler,  bri- 
der et  reflrenner  le  l'actieux  pucelaige  de  sa  l'enune,  lequel  se  de- 
menoyt  comme  uii<'  mule  j)rinse  en  sa  cliorde. 


Lt  (luiina  lo  coiiiiiiaiuluiiient  de  ^cï>   liomiiies  ù  uni:  viculx  3tro|>iul  uvecqiie> 
l.'qiicl  il  avoyt  moull  rouln  en  P;ile-iino  tt  anlli'fS  lii-ux. 


CE    QUI    N  EST    QIK    l'IXlii:    VK.MKI.. 


Le  (liiiiiiiiclie  ciisiiyvanl  de  la  venue  de  René  au  manoir  de  la 
lioclie-Coibon,  Hlanelie  alla  eliasser,  sans  son  Itonlionnne;  et, 
quand  ellelcul  en  la  l'orest,  pi'ouelie  les  Carneaux,  veit  ung  niovne 
ijui  luy  parut poulser  une  lilleplus  que  bcsoingn'estoyt,  etpiequa 
des  deux,  en  disant  à  ses  gens  :  «  —  Hau  !  liau  !  empeschez  qu'il  ne 
la  tue!  Mais  quand  la  sennesclialle  arriva  près  d'culx.  elle  tomna 
proniplenient  liride,  el  la  veue  de  ee  que  porloyt  ce  dict  nio\ue 
l'empesclia  de  eliasser.  Klle  revint  pensive;  et  lors,  la  lanterne 
ohseure  de  son  iniclligeuee  s'ouvrit  et  receut  une  vilVe  lumière 
qui  csclaira  mille  cliouses  comme  tableaux  d'ecclise  ou  aultres,  fa- 
bliaux et  lays  des  trouvères,  ou  manèges  des  oyseaulx.  Soubdain, 
elle  descouvrit  le  doulx  mystère  d'amour,  escript  en  ton  tes  langues, 
voire  mesmeen  celle  des  earpes.  Ksl-ce  pas  loiie  aussy  de  vouloir 
celer  ceste  science  aux  pucelles?  Tost  se  concilia  Hlanelie,  et  tost 
disl  au  sennescbal  :  —  Bruyii,  vous  m'avez  Irupliée,  et  vous  debve/ 
lirson;:ner  comme  besongnoyt  le  iiioyne  des  Carneaux  avec(pies  la 
(illr.  !,('  vicnix  IJruyn  se  doubla  de  l'adventure  et  veit  bien  (|ue  sa 
luale  lieure  estoyt  venue.  Il  resgiiarda  llianclie  avec(jues  trop  de 
l'eu  dans  les  yeiilx  |tour  (|iie  cesie  ardeur  l'eust  contrebas,  et  luy 
respondil  doulcement:  —  Las,  ma  mye!  en  vous  jirenant  pour 
leinme,  i'ay  |)lus  eu  d'aiiioiir  que  de  l'orce,  el  i'ay  l'aict  estât  de 
voslre  miséricorde  el  verlii.  Le  deuil  de  ma  vie  est  de  sentir  tout 


LK   l'KCIir;    VKMKI..  59 

mon  pouvoir  dans  le  cueur  seulonuMit.  Ce  cliayrin  me  despesclieà 
mourir,  tant  et  tant,  que  vous  serez  lost  libre!...  AUenclez  mou 
décez  de  ce  monde.  C'est  la  seule  re(jueste  que  vous  fasse  celjuv 
qui  est  vosire  maistre  et  (|ui  pomroyt  commander,  mais  (pii  ne 
veult  esire  (|ue  vosire  premier  miuislre  et  serviteur.  Ne  trahissez 
pas  l'honneur  de  mes  cheveulx  blancs!...  Dans  ceste  occurrence, 
il  y  ha  des  seigneurs  qui  ont  occis  leurs  fennues... 

—  Las!  vous  me  tuerez  doncques?  di  1-e  Ile. 

—  Non,  reprint  le  vieuk  bonune,  ie  tayme  troj),  mignonne. 
Va,  tu  es  la  lleur  (le  ma  vieillesse,  la  ioye  de  mon  ame!  Tu  es  ma 
lille  bien  aymce.  Ta  veue  resconlbrte  ma  vein  ■,  el  de  (ov.  ie  puis 
tout  endurer,  l'eust-ce  ung  chagrin,  comme  ung  jjonlieur...  le  le 
donne  pleine  licence  de  tout,  pourveu  que  tu  ne  maulgrées  pas 
trop  le  paouvre  liruyn  (pii  l'Iia  taictegrant  dame,  riche  et  honorée. 
Ne  seras-lu  point  une  belle  veulVe?  Va,  ton  heur  adoucira  mon 
trespas... 

Et  il  Ireuva  dans  ses  yeulx  dcsseichez  encore  une  larme,  qui 
coula  tonte  chaulde  sur  son  lainct  de  pomme  de  pin,  et  cheut  sur 
la  main  de  IMancbe,  laquelle  attendrie  de  veoir  ce  grant  amour  de 
ce  vieil  espoux  (jui  soy  mcltoyt  en  fosse  pour  luy  plaire,  dit  en 
riant:  —  Là!  là!  ne  plourez  |)oint,  i'attendray !... 

Là  dessus,  le  seimeschal  luy  baisa  les  mains,  et  la  resgalla  de 
petites  pigeonneries,  en  disant  d'une  voix  esmue  :  —  Si  tu  sçavovs, 
Blanche,  ma  mye,  comme  en  ton  sommeil  ie  te  mangeoys  de 
caresses,  ores  cy,  ores  là!...  El  le  vieulx  ciiige  la  flaltovt  de  ses 
deux  mains,  qui  estoyenl  de  vrais  ossuaires... —  El,  disovl-il 
tousiours,  ie  n'osoys  lesveigler  ce  chat  (pii  eust  estranglé  mon 
honneur,  veu  qu'à  ce  meslier  d'amour  ie  n'einbrasovs  que  mon 
cuenr. 

—  Ali!  re[)riiit-elle.  vous  pduvez  me  dodiner  ainsv.  mesmes 
quand  i'ay  les  yeulx  ouverts,  cela  ne  me  laid  rien. 

Sur  ce  dire,  le  pa(nivre  sennescbal,  prenaril  le'  petit  poignard 
qui  estoyt  sur  la  table  de  lict,  le  luy  bailla,  disant  aveccjues  raige: 

—  Ma  mye,  lue-moy.  ou  laisse-moycuyder  cpu'  tu  m'avmes  ung 
petit! 

—  Oui!  oui!  feit-elle  (ont  eifrayée,  ie  verrai  à  vous  avmer 
beaucoup. 

Voilà  comment  ce  ieune  pucelaige  s'enijiara  de  ce  vieillard  et 
l'asservit,  pour  ce  (pie,  au  nom  de  ce  ioly  champ  de  Vt'nus,  (jui 
esloyt  en  frische,  Hlanche  l'aisoyl,  par  la  malice  naturelle  aux 


fiO  CONTFS   DROLATIOIKS. 

femmes,  aller  et  venir  son  vieulx  Bruyn  comme  ung  mulet  de 
meusiiier.  —  l^lon  bon  Hruyn,  ie  vculx  cecy!  Bruyn,  ie  veulx 
cela!  Allons!  Rnivn!  Hiuvn!  et  tousiours  Bruyn!  Kn  sorte  que 


Bruvn  esfoyt  plus  mourdry  par  la  clémence  de  sa  femme  qu'il  ne 
reusléti'  par  sa  mescliancelt'.  Elle  lui  tordoyf  la  cervelle,  voulant 
«lueloulleustencramoisy,  luy  faisant  mellrelonl  à  sac  au  moindre 
mouvement  de  ses  sourcils  ;  et,  quand  elle  estoyt  Irisle,  le  sennes- 
clial  esperdu  disoyt  à  tout,  sur  son  siège  iusticial  :  —  Pcndez-le. ., 
l'ng  aultre  eust  crevé  comme  mousclie  à  cesle  bataille  pucelaiges- 
ijue  ;  mais  Bruyn  estoyt  de  naluie  si  ferrugineuse,  qu'il  estoit  mal 
aisé  de  venir  à  bout  de  luy.  L'ng  soir  que  Blancbe  avoyt  mis  au 
logiz  tout  sens  dessus  dessoubz,  lourbu  bestes  et  gens,  et  eust,  par 
son  bumeur  navrante,  désespéré  le  Pèie  éternel  qui  lia  des  ibre- 
zors  de  piitience,  veu  (ju'il  nous  endure, elle  dit  au  seiuiesclial,en 
se  coucbiaiit  :  —  Mou  bon  Bruyn,  i'ay  contrebas  des  pbanlaisies 
qui  me  mordent  et  me  [iicquenl  ;  île  là  vont  à  mon  cneur,  bruslent 
ma  cervelle,  m'incitenl  là  des  cbouses  maulvaises;  el,  la  nnict,  ie 
resve  du  moyne  des  Carneaux... 

—  Ma  mye,  respondit  le  senncscbal,ce  sont  diableries  et  tenta- 
lions  contre  les(pielles  sçavent  sedelfendre  les  religieux  et  nonnes. 
Uoiicipies.  si  vous  voulez  faire  vostre  salut,  allez  à  confesse  au  di- 
•Mieabbédf  Marmoustiers,  noslre  voisin;  il  vous  couseillera  bien 
et  vous  dirigera  sainclement  dedans  la  boime  voye. 

—  Dès  demain,  i'iray,  feil-elle. 

Kl.  de  laict.  dare  darc,  au  iour,  elle  trottovt  au  moustier  des 


1,K  i'KCIIK    VE.MKI.. 


fil 


Ijoiis  l'clif^iciilx,  lcs(|iifls,  csmcivcii^lcz  de  vcoirciic/  ciilx  une  si 
inigiiomic  diiinc,  l'eircnt  plus  d'iiri  |i('('li(',  le  soir,  et,  j)our  le  pni- 
scnt,  la  nicii('ront  en  grandi;  lii-ssc  à  leur  révérend  ahbé. 

iilanche  Irenva  ledict  honliomnic  cnungiardin  secret,  près  dit 
rocher,  souhz  une  aicade  IVesclie,  et  deniouia  Irappée  de  ies|)e(l 
à  la  contenance  du  sainct  lionnnc,  encoies  et  elle  l'eust  accous- 
tuniée  à  ne  point  taire  i;rant  estât  des  clicveulx  Idaiics. 


—  Dieu  vous  garde,  niadanic!  dil-il.  Oiic  venez-vous  (|uerii'  si 
|urs  de  la  mort,  vous  icune? 

—  \os  advis  pi'étieux,  ieit-elle  m  le  s;diiiiiil  (riinc  ri'vérence. 
Kt,  s'il  vous  plaist  conduire  uik^  onaille  indocile,  ie  seray  Itien 
aise  d'avoir  ung  si  saige  confesseur. 


02 


CONTES  DUULATIOL'ES. 


—  Ma  fille,  lespomlit  le  inovnc,  avecques  lequel  le  vieulx Bruyn 
avovt  accordé  cesto  hypocrisie  et  les  rooles  à  iouer,  si  ie  n'avoys 
pas  la  iVoidure  de  cent  liyvers  sur  ce  cliief  descouroiuié,  ie  ne 
sçaurovs  escouler  vos  péchez;  mais  dictes,  si  vous  allez  en  para- 
diz,  ce  sera  de  ma  iaulte. 

Lors,  la  sennescliallc  expédia  le  Irellin  de  sa  provision,  et, 

ipian.d  elle  se  l'eut  puryée  de 
ses  petites  iniipiitez,  élit'  vint 
au  postcriptum  de  sa  conlc's- 
sioii. 

—  Ah  !  mon  père,  feit-elle, 
ie  (loihs  vous  avouer  que  ie 
suis  iournellement  travaillée 
dudezirde  l'aire  ungenl'aut. 
Kst-ce  mal? 

—  Non,  dit  l'ahhé. 

—  Mais,  reprint-elle,  il 
l'st,  par  nature,  connnandé  à 
mon  mary  de  ne  point  ouvrer 

restolïe  à  l'aire  la  pauvreté,  connue  disoyent  les  vieilles  sur  le 
chemin. 


—  Alui-s.  ivparlit  le  prehsire,  vous  (leii\ez  vivre  saif^e  et  vous 
ah^lenir  de  toiile  |)ensée  de  ce  i^cure. 

—  Mai>  i'ay  entendu  professer,  à  la  dame  de  lallim;j;es,  (|uece 


LK   P  fin  II':    VfiMKL.  65 

n'estoyt  jxiiiil  pirlié,  (|ii;iii(l,  de  ce,  rmi  iir  liiovl  ni  |iMiiini(l  m 
plaizir. 

—  Il  y  lia  toiisiours  plaizir!  dit  l'ahlu'.  Mais  comptoz-vous  point 
reniant coiiinie  uny  proulHct?  Oies,  bouloz  on  vostrc  ontondcnicnt 
que  ce  sera  toiisiours  ung  péché  mortel  dcvaulDicu,  et  ung  crime 
devant  les  hommes,  (pie  de  se  greffer  iingenfanl  par  l'aceoinlancc 
d'iing  homme  aïKpiel  on  n'est  jtas  ecclésiasliipiement  marii'e... 
Aussv,  telles  fenunes,  (pii  contreviennent  aux  sainctes  lois  du  ina- 
riaigc  en  reçoivent  de  grands  donmiaiges  en  l'aultrc  monde,  et 
sont  en  souhmission  de  monstres  horribles,  à  griphes  aguz  et  Iren- 
chans  (pii  les  flamhent  dedans  plusiems  fournaises,  en  remem- 
brance  de  ce  (pi'elles  ont  icy-bas  chauffé  leurs  ciieurs  ung  peu  plus 
qu'il  n'estoyt  licite. 

Là-dessus,  Blanche  se  gratta  l'oreille;  et  après  avoir  pour[)ensé 
ung  petit,  elle  dit  au  prebstre  :  —  Et  conunent  donc([ues  ha  iaict 
la  vierge  Marie?... 

—  Ho!  respondil  l'abbé,  cecy  est  ung  mystère. 

—  Et  (pi'est  ung  mystère? 

—  Une  chousc  qui  ne  s'exj)li([ue  point  et  (jue  l'on  doibt  croire 
sans  examen  aulcun. 

—  Et  vère,  feit-elle,  ne  saui'oys-je  faire  ung  mystère? 

—  Cetliii-cy,  dit  l'abbé,  n'est  arrivé  (pi'unc  foys,  pour  ce  (pie 
c'estoyt  le  Fils  de  Dieu. 

—  i^as!  mon  père,  la  voulenté  de  Dieu  est-elle  que  ie  meure? 
ou  (]ue,  de  saigc  et  saine  compréhension,  ie  soys  brouillée  de 
cervelle?  De  ce,  il  y  ha  grant  dangier.  Ores  que,  en  moy,  les 
choses  s'esincuvent  et  s'entrechauflent,  ie  ne  suis  plus  en  mon 
sens,  ne  me  soulcie  de  rien,  et,  pour  aller  à  homme,  saulleroys 
par-dessus  les  murs,  iroys  à  travers  champs,  sans  vergongne,  et 
mettroys  tout  en  descombres,  pour  seulement  veoir  ce  qui  ardoyt 
si  fort  au  moyiKî  des  (hameaux.  El,  pendant  ces  raiges  (pii  me 
labourenl  et  pic(piotent  l'àmeel  le  corps,  il  n'y  ha  Dieu,  ni  diables, 
ni  maiy  ;  ie  trespigne,  ie  cours,  ie  romproys  les  buyes,  les  [loleries, 
l'autrucherie,  basse-court,  mesnaige  et  tout,  tant  que  ie  ne  sçau- 
roys  vous  dire.  Mais  ie  n'ose  vous  advouer  tous  mes  meschiefs, 
pour  ce  que  en  en  parlant  i'en  ay  l'eaue  en  la  bouche,  et  la  choiise, 
(pie  Dieu  me  maiildisse,  me  desmange  trez-bien...  Que  la  lollie 
me  ha|)j)e  et  me  pic(pic,  et  occise  ma  vertu.  Hein?  Dieu,  ipii 
m'aura  chevillé  ceste  grant  amour  au  corps,  me  danmera-t-il?... 

Sur  ce  proupos,  ce  leutle  prebstre  (pii  se  gratta  l'aureille,  tout 


m 


CO.NTKS    hiiOl. AÏIOIKS. 


t,'sl);iliy  (les  l;iiiiciil;itioiis,  priiluiidcs  s;i|iieiu-i'S,  contruvi'iscs  cl  iii- 
tclligeiiccs,  (|u'uiii:  inu-olai^c  x'crt'tovl. 

—  Ma  (illc,  ilil-il,  DiiMiiious  liadisliiiiiiic/dcs  bcstes.el  laid  ww^i 
paradiz  àgaigiier;  ('t.])our  ce,  nous  donna  la  raison,  (jni  est  nng 
iiouvcrnail  à  nous  diiiiicr  conlrc  la  Icinpcstc  de  nos  andtilicux 
dezirs...  Et  il  y  a  manière  de  transborder  son  engin  en  sa  cer- 
velle, par  ieusuc,  labeurs  excessils  et  aultres  saigesses...  VA  au 
lieu  (le  pétiller  et  IVeliller  comme  une  marmotte  descliaisnée,  il 
faut  plier  la  Vierge,  se  concilier  sur  ia  dure,  raccoustrer  vostre 
mesnaige,  et  non  l'aire  de  l'oysiveté... 

—  Eli!  mon  père,  quand,  à  recclise,  ie  suis  en  ma  cliaire, 
ie  ne  vois  ni  prebstre,  ni  autel,  ains  l'enlant  lesus,  qui  me  re- 
met la  cliouse  en  goust.  Mais,  iionr  finer,  si  la  teste  me  touine 
et  (pie,  mon  entendoire  dévallée,  le  soys  dans  les  ginaux  de 
l'amour... 

—  Si  telle  vous  estiez,  dit  inq)rudenmient  l'abbé,  vous  seriez 
dans  le  cas  de  saincte  Lidoire,  la(|nelle  dormant  un  jour  bien  Tort, 
les  iambes  de  cy,  de  là,  par  ung  moment  de  grant  clialeur,  et  ves- 
lue  de  légier,  feut  a|)procbée  |)ar  nng  ieune  bonnne,  plein   de 

mauvaisetit',  (pii.de  pied  coy,  l'encbargea 

d'mig  enlant;  et  connue  de  ce  maltalent 

ladicte  saincte  l'eut  (le  tout  point  ignorante, 

f    ^    ^^    v^ ;j  cl  bien  sui'prinsc  d'accoucliier,  croyant 

Vît-  _  J.  CVVy.        qmi  l'enflure  de  sa  bourse  estoyt  une 

griefve   maladie,  elle  en  l'eit  pénitence 

connue  d'un  p('cbé  véniel,  veu   qu'elle 

n'avoyt  perceu  aulcune  liesse  de  ce  niaul- 

vaiscoiqi.siiyvaiil  la  déclaration  dumeschant  lioiume,  lequel  dit, 

sur  rcsclialTaiidoîi  il  l'eut  deriaicl,  tpie  la  saincle  n'avoyt  auculne- 

nicnt  boug('... 

—  ()b  !  mon  |)èit',  dit-elle,  so\ez  seur  (pie  ie  ne  bougeroys 
pas  |)lus  (pi'elle  ! 

Sur  ce  proupos,elle  s'évada.  Iriscpie  et  gentille,  en  soubrianl.et 
pensant  comme  elle  poiirroyt  l'aire  nng  p('cli('  véniel.  Au  relonr- 
iicrdii  grant  monslier,  elle  veit  dedans  la  coiirl  de  son  cliaslel  le 
|>clit  lallanges,  IimjiicI,  sonbz  le  comm.iiideinciit  du  vieil  escnver, 
loiiiiinytcL  viroyl  sur  iiiig  beau  clieval,  en  soy  ployant  aux  mou- 
veinens  de  la  besle,  descendant,  remontant,  par  voiles  et  passes, 
fort  gentement,  lenanl  liault  la  cuisse,  et  si  ioly,  si  dextrc,  si  des- 
goiird,  (pie  cela  ne  sauroyt  se  dire;  enlin,  tant,  qu'il  auroyt  l'aict 


rT>« 


^v/C 


i,K  l'KciiK  \  i:.\ii;l. 


65 


L'iivicà  la  loyiie  Liioivcc,  la(|U(,'ll(^  s'occil  pouiavoii-  eslé  cunlaini- 
i\vc  corilrc  sou  yit,'. 

—  Hi^!  se  dit  Blanclio,  si  tant  seulement  cettuy  |iaige  avoyt 
(juinze  ans,  iem'endormiroys  bien,  fort  prèsdeluy. 

Aussy,  niaulgrc  la  tro|)  jurant  ieuuesse  de  ce 
}j;entil  serviteur,  pendant  la  coUalion  et  le  souper, 
elle  guiyua  beaucoup  bi  toison  noire,  la  blancbeur 
de  peau,  la  jj^iiace  de  René,  surtout  ses  yeulx,où 
estoyent  en  abundance  une  limpide  ebaleur  et 
un^r  grant  feu  de  vie,  qu'il  avoyt  paour  de  darder, 
reniant! 

Ores,  à  la  vesprée.  connue  la  seiniescballe  resloyt  songeuse  en 
sa  chaire,  au  coin  de  l'aatre,  le  vieulx  Bruyn  linlerrogua  sur  son 
soulcy. 

—  le  pense,  leil-elle,  que  vous  avez  deu  faire  des  armes  en 
amour  de  bon  matin,  pour  estre  ainsy  pieçà  ruiné... 

—  Oh!  respondit-ilén  soubriaril,  connue  tous  vieulx  question- 
nez sur  leurs  reniembrances  amoureuses,  à  l'aage  de  treize  ans  et 
demy,  i'avoys  engrossé  la  chambrière  de  ma  mère... 

Blanche,  n'en  soubbaitant  pas  davantaige,  cuyda  que  le  paige 
Ilené  debvoyt  estre  sui'iisanmienl  guarnv  ;  de  ce  feut  ioyeulse 
beaucoup,  l'eit  des  agaceries  au  bonhomme,  et  se  roula  dans  son 
dezir  muet,  comme  ung  gasteau  qui  s'enfarine. 


COMMENT    ET    PAR    QUI    FEIT    FAICT    LEDICT    E>FA>T. 


La  senneschalle  ne  resvaiioinl  trop  à  la  fasson  d'esYcigliM'  luisli- 
vcmcnl  l'amour  du  paige,  et  eut  bienlost  tivuvé  renibuselR'  na- 
turelle où  sont  tousiours  prins  les  plus  rudes.  Vécy  connue  :  A 
l'heure  cjiaulde  du  iour,  le  bonhomme  faisoyt  sieste  à  la  mode 
sarrazine,  usaige  auquel  il  ne  failloytianiais  depuis  son  relouincr 
de  Terre-Sainctc.  Pendant  ce,  niantlie  csldyt  seule  au  j)rez,  ou 
laboroyt  à  menus  ouviaiges  comme  en  lirodc  ni  et  en  pariilent  les 
femmes;  et,  le  plus  souvent,  lesloyl  en  la  salle  àveoir  aux  buées, 
à  renger  les  nappes,  ou  courroyl  à  sa  plianlaisie.  Lors  elle  assigna 
ceste  heure  silencieuse  à  parachever  l'éducation  du  j)aige  en  luy 
faisant  liiecz  livres,  et  soy  dire  ses  j)rières.  Ad(»nr(|ues,  le  lende- 
main, (juaiid  doimil,  sur  le  coup  de  midy,le  sennesclial,  (pii  siic- 
comboyl  au  soleil,  leqiiel  eschaulle  de  ses  rays  les  plus  lumineux 
le  costeau  de  la  Hochc-Corbon,  tant  et  plus,  que  là  force  est  de 
sommeiller,;!  moins  rpie  (l'eslrevenlillé.sacquebuté,  freschement 


M']   l'KCIIK    VKMKI,.  («7 

cmoustillé  par  ung  diable  de  pucL'Iai^f,  Hlaiiclic  (loncijncs  >r  per- 
cha moult  gcntomcnt  dedans  la  grant  chaire  seigneuriale  de  son 
bonhomme,  lafpielle  ne  Ireuva  point  Irop  haulte,  veu  qu'elle 
comptovt  sur  les  hazards  de  la  perspective.  La  rusée  commère  s'y 
acconniioda  dexlrement  comme  une  liirundelle  en  son  nid,  et  pen- 
cha sa  lesle  malicieuse  sur  le  bras,  en  enfant  (jui  dort;  mais,  en 
faisant  ces  pre'paratoires,  elle  ouvroyt  desyenlx  friands  qui  soul)- 
rioycnt,  s'esbauldissant,  par  advance,  des  menues  et  secret  tes  gau- 
disseries,estcrnuemens,  loucheriesettransesdecepaigequialloyt 
gezir  à  ses  pieds,  séparé  d'elle  par  le  sault  d'une  vieille  puce. 
Kt,  de  faict,  elle  advança  tant  et  si  bien  le  cpiarreau  de  veloux  où 
debvoyt  s'agenouiller  le  paouvre  enlani  dont  elle  iouoyt  à  pl.iizir 
l'ame  et  la  vie,  que,  quand  il  cust  esté  un  sainct  de  pierre,  son 
resguard  auroyt  esté  contrainct  de  suyvre  les  flexuositez  de  la 
robbe,  à  ceste  fin  de  mirer  et  admirer  les  perfections  et  bcaultez 
de  la  fine  ianibc  qui  mouloyt  la  chausse  blanche  de  la  sennes- 
challe.  Aussy,  force  csloyt  (ju'ung  l'odjle  varlel  se  prinst  à  ung 
piège  oiî  le  plus  vigoureux  chevalier  auroyt  voulentiers  succondjé. 
Lorsqu'elle  eut  tourné,  retourné,  placé,  desplacé  son  corps  et  ren- 
contré la  situation  où  ledict  piège  estoyt  le  miculx  tendu,  elle  cria 
doulcement  :  «  Oh!  René!  »  René,  que  elle  sçavoyt  bien  estre  en 
la  salle  des  gardes,  n'eut  faulte  d'accourir,  et  nionstra  soubdain 
sa  teste  brune  entre  les  tapisseries  de  Ihuys. 

—  Que  plaist-il  à  vous?  dit  le  paige.  Et  il  tenoyt,en  grant  res- 
pect, à  la  main,  son  tocquet  de  peluche  cramoysie,  moins  rouge 
que  ses  bonnes  ioues  à  fossettes  et  bien  fresches. 

—  Venez  cà  !  reprint-elle  de  sa  petite  voix,  veu  (]ue  l'enfanl  hiy 
attrayoyt  si  fort,  qu'elle  en  estoyt  toute  espanlée. 

A  vray  dire,  n'estoyent  aulcunes  pierreries  si  ilambantes  (jue  les 
yculx  de  René,  ni  velin  plus  blanc  que  son  tainct,  ni  fcnnne  si 
doulce  de  formes.  Puis,  si  près  du  dezir,  elle  le  trouvoyt  encores 
plus  duvsanunent  faict;  et  comptez  (juc  le  ioly  ieu d'amour  relui- 
sovt  bien  de  toute  cette  ieunesse,  du  bon  soleil,  du  silence,  et  de 
tout. 

—  Lisez-moy  les  litanies  de  madamt;  la  Vierge,  luy  dit-elle  en 
luy  poulsanlung  livre  ouvert  sur  son  prie-Dieu.  Que  ie  saiche  si 
vous  estes  bien  enseigné  par  vostre  maistre!... 

Ne  Ireuvez-vous  point  la  Vierge  belle?  luy  demanda-t-elle  en 
soubriant,  ijuand  il  tint  les  Heures  enluminées  où  csdatoycnt 
l'azin-  et  l'or. 


M  COISTES   1)11(11. ATiOliKS. 

—  C'est  uiiu  painclure,  rospondil-il  liinideniciil  cl  yeclaiit  iiiig 
petit  coup  d'œil  à  sa  tant  gracieuse  niaislresse. 

—  Lisez,  lisez... 

Lors  René  s'occupa  de  rccilerles  si  doulces  et  tant  invstici|uos 
litanies;  mais  croyez  que  les  ora  pro  nobis  de  Blanche  s'en 
alloyent  tousiours  plus  l'oibles,  connue  les  sons  du  cor  par  la 
canipaigne  ;  et  ores  (|ue  le  paige  reprinl  avecques  ardeur:  «  0  rose 
mystérieuse  !  »>  la  cliaslelaine,  qui  certes  entendoyt  bien,  rcspondit 
par  ungléyier  sospir.  Sur  ce,  Hené  se  doubta  quelasennescballe 
donnoyt.  Adoncques,  se  mit  à  la  couvrir  de  son  resguard,  la 
mirant  à  son  aise  et  n'ayant  pas  envie  de  sonner  alors  aultre 
antienne  qu'une  antienne  d'amour.  Son  heur  luy  faisoyt  bondir  et 
suisaulter  le  cœur  iusques  dans  la  gorge  ;  aussy,  comme  de  raison, 
ces  deux  iolys  pucelaiges  ardoyent  à  (jui  mieulx,  et,  si  les  aviez 
veus,  iamais  n'en  bouteriez  deux  ensemble.  René  se  resgalloyt 
par  les  yeulx,  en  complotant  en  son  ame  mille  IVuitions  qui  luy 
donnoyent  l'eaue  en  la  bouche  de  ce  beau  l'ruict  d'amour.  Dans 
ceste  ecstase,  il  laissea  cheoir  le  livre,  ce  dont  devint  penaud 
comme  moyne  surprins  en  mal  d'enfant;  mais  aussy,  par  là, 
cogneut  que  Blanche  sonnneilloyl  bel  et  dur;  car  elle,  point  ne 
s'esmeut,  et  la  rusée  n'auroy  t  pas  ouvert  les  yeulx,  mesmes  à  plus 
grans  dangiers,  et  comptoyt  que  tomberoyt  aultre  chouse  que  le 
livre  d'heures.  Oyez  connue  il  n'y  ha  pire  envie  que  envie  de 
grossesse!  Ores  le  paigc  advisa  le  pied  de  sa  dame,  lequel  esloyt 
chaussé  menu  dans  ung  broiKupiiu  mignon  de  couleur  perse.  Elle 
l'avoyt  singidièrement  assis  sur  ung  escabeau,  veu  i[u'elle  estoyt 
trop  élevée  dedans  la  chaire  du  senneschal.  Ccttuy  pied  estoyt 
de  pioportions  estroites,  légierement  recourbé,  large  de  deux 
doigts  et  long  comme  ung  moyneau  IVauc.  conq)ris  la  queue,  petit 
du  bout,  vrai  pied  drcb'liccs,  pied  virginal  (pii  mériloyl  ung  baiser 
c-(inmic  ung  larron  la  barl  ;  pied  lutin,  pied  lascif  à  danincr  ung 
ai  change,  pied  augurai,  pied  agaçant  en  diable  et  qui  doimoyl 
dezir  d'en  faire  deux  neuls  tout  pareils,  pour  perpétuer  en  ce  bas 
monde  les  beaulx  ouvraiges  de  Dieu.  Le  paige  feut  tenté  de 
(Icn'errer  ce  pied  persuasif,  l'our  ce  faire,  ses  yeulx,  allumez  de 
tout  le  feu  de  son  aage,  ailovcnl  vilt-menl,  connue  battant  de 
cloche,  de  ce  dict  j)ied  de  délectation  au  visaigc  endormy  de  sa 
daniecl  maistrcsse,escoulant  son  sonnneil,beuvanl  sa  respiration; 
ot,  de  rechief,  ne  sçavoyt  le(|uel  seroyt  plusdoulxde  planter  ung 
baiser;  ou  sur  les  fresches  et  rouges  lèvres  de  la  seimeschalle,  ou 


I.K   l'KCIH';    \  KM  Kl..  69 

■sur  <■(•  |)i('(l  pailiint.  Brifl',  jcir  lespocl  ou  ciiiiiitc,  ou  pciil-cstro 
|iai'  j:i';inl  aiiioui',  il  cslcut  le  j)ii'(l,  et  le  baisa  dru,  coniiiic  purcllt^ 
qui  n'ose.  I  uis  aussitost  il  lepiint  le  livre,  sentant  sa  rou;,'eur 
rougir  cneores,  et  tout  travaillé  de  son  plaizii",  il  cria  comme  ung 
aveugle  :  — Janua cœ/î,portedu  ciel  ! . .  .Mais  HIanclie  ne  s'esveigla 
point,  se  fiant  (|ue  le  jtai^c  iroyldu  j)ied  an  j^enoil  et  de  là  dans 
le  ciel,  l'.lii'  l'eut  giantement  despitir,  (juand  les  litanies  linèrf-nt 
sans  autre  dommai^c,  et  (jue  Hené,  (jui  croyoyt  avoir  eu  troj) 
d'heur  jtour  ung  ioui',  yssit  de  la  salle,  tout  subtilizé,  plus  riche 
de  ce  liardy  baiser  qu'ung  voleur  (jui  ha  robbé  le  tronc  des 
paouvres. 

Quand  la  seinieschalle  l'eut  seule,  elle  pensa  dans  son  ame  que 
le  paige  seiovt  bien  long  ung  peu  en  besongne,  s'il  s'amusoyt  à 
chanter  Magnificat  à  matines.  Lors,  pour  le  lendemain,  elle  se 
délibéra  de  lever  le  pied  ung  petit,  et,  par  ainsy,  de  mettre  en 
lumière  le  nezdeceste  beaultéque  l'on  nonmie  parlaicte  enTou- 
raine,  pour  ce  (ju'elle  ne  se  guaste  ianiais  ù  l'aër,  et  demeure  aussy 
lou.siours  Iresche.  l'ensez  (pie  le  jiaige  rosty  dans  son  dezir  et 
tout  eschaui'fé  des  imaginations  de  la  veille, attendit  impatiennnent 
assez  l'heure  de  lire  dans  ce  bréviaire  de  guallanterie  ;  et  feut 
appelé,  puis  les  menées  de  la  litanie  recommencèrent;  et  Blanche 
point  nelaillità  dormir.  A  ceslc  loys,  ledict  Hené  l'rosla  sa  main 
sur  la  iolie  iambe  et  se  bazarda  iusques  à  vérifier  si  le  genoil  poly, 
si  aullrc  chose,  estoyt  satin.  A  ceste  veue,  le  paouvre  cnlaut, 
armé  contre  son  dezir,  tant  grant  paour  il  avoyt,  n'osa  l'aire  que 
de  briefves  dévotions  et  menues  caresses  ;  et  encore  qu'il  baisast, 
mais  doulcement,  ceste  bonne  estolfe,  il  se  tint  coy.  (le  (|ue 
sentant  parles  sens  de  l'ameet  intelligences  du  coips,  la  sennes- 
clialle,  (|ui  se  tenoyt  à  (jualre  de  ne  se  mouvoir,  luy  cria  :  —  Oua 
donc(jues,  Hené  !  ie  dors  ! 

Oyant  ce  qu'il  creut  estre  ung  grave  reprouchc,  le  paige  espou- 
vanté  s'enl'uyt,  laissant  les  livres,  la  besongne  et  tout.  Sur  ce,  la 
senneschalleadioiixta  ceste  prière  aux  litanies  :  —  Saincle  Vierge, 
que  les  enlans  sont  dilliciles  à  l'aire! 

A  disner,  le  paige  suoyl  dans  le  dos;  en  arrivant  servir  sa  dame 
et  son  seigneur  ;  mais  il  l'eut  bien  surprins,  en  recevant  de  Blanche 
la  plus  pule  de  toutes  les  œillades  que  iamais  remme  aytgeclée, 
et  bien  plaisante  et  puissante  elle  esloyt,  veu  (lu'elle  eonmmla  cet 
enfant  en  homme  de  couraiiie.  Aussy,  le  soir  mesnie,  Bruyn 
estant  demouré  un;:  brin  de  temps  de  jdus  ([u'il  n'avovt  coustuine 


70 


CONTES  DROLATIOIES. 


en  sa  sennoschaussée,  le  pai^o  cliercha-l-il  et  trouva   Blanche 

endormie,  et  luy  feit  faire  un  beau  resve. 

Il  luy  tollyt  ce  qui  si  fort  la  geiiennovt, 

et  si  planlureuscment  luy  liailla  de  la 

graine  aux  enfans,  que,  du  surplus,  elle 

eust    parfaict  deux    aultres.   Aussv,  la 

commère,  saisissant  le  paige  à  la  teste  et 

le  serrant  de  court,  s'escria  :  —  ()|i!  liené. 

tu  m'as  esveiglée  ! 

Et  de  faict,  il  n'y  avoyt  sommeil  qui  pust  y  tenir;  et  ils  treuvc- 
rent  que  les  ^linctes  debvoyent  dormira 
poings  formez.  Do  ce  coup,  sans  aultrc 
mystère,  et  par  une  propriétô  bénigne  qui 
est  principe servatour  des  espoux,  le  doulx 
et  gracieux  plumage  séant  aux  cocqus  se 
plaça  sur  la  teste  du  bon  mary,  sans  qu'il 
en  ayt  senti  le  moindre  escbec. 

Depuis  ceste  belle  foste,  la  sennescballe 
feit  do  grant  cuour  sa  sieste  à  la  françoyse, 
pondant  que  Bruyn  faisoyt  la  sienne  à  la 
sarrazine.  Mais,  parles  dictes  siestes,  elle 
ex])érinionta  comme  la  bonne  ieunesse  du 
paige  avoyt  moillour  goust  que  celle  des 
vieulx  senneschaulx  ;  et,  de  nuict,  elle  s'onfouissoyl  dedans  les 
toiles,  loing  de  son  mary,  que  elle  trouvoy t  rance  et  oi'd  en  diable. 
Puis,  force  de  dormir  et  de  se  resveigler  le  iour  ;  force  de  faire  des 
siestes  et  de  dire  des  litanies,  la  sennescballe  sentit  florir  dans  ses 
flancs  mignons  coslo  gesine,  après  la(]uolle  tant  et  tant  avoyt  esté 
sospiré;  mais  ores  elle  aynioyt  plus  davanlaigc  la  fasson  que  le 
demourant. 

Faictcs  estât  que  liené  sçavoyt  lire  aussy,  non  plus  soulomonl 
dedans  les  livres,  ains  aux  yeux  de  sa  iolie  seigneure  pour  laquelle 
il  se  seroyt  gocté  en  ung  buscbor  ardoiit,  si  folle  avoysl  esté  son 
vouloir,;!  elle.  Quand  par  oulx  li'uiciit  l'aiclos  de  i)()niios  et  amples 
traisnéos,  plus  de  cent  au  moins,  la  petite  sennescballe  eut  cure 
et  soulcy  de  l'ame  et  do  l'advenir  de  son  amy  le  paige.  Ores,  ung 
matin  de  pluye,  qu'ils  iouoyent  à  toucbe  fer,  comme  deux  enfans 
innoceiisdola  tostcaur  pieds.  Hlancbe.  qui  ostoyt  toujours  prinse, 
luy  dit  : 

—  Viens  <;à,  IJencl  S^ais-tu  (pic,  là  oîi  i'ay  ronnnis  des  pé- 


I.K  l'KCIIK   VKMKL.  71 

(liez  véniels,  itour  ce  (jne  ie  doniioys,   toi,  tu   en  as  faict  de 
jnoi'lels  ? 

—  lia!  niadanie,  i'eit-il,  où  doncques  Dieu  boutera-t-il  tous 
ses  danniez,  si  cela  est  peelier'.' 

Blanche  s'eselata  de  rire,  et  ie  baisa  au  liont. 

—  Tais-tov,  niesciiant,  il  s'en  va  du  |)aradiz,  et  bcsoing  est 
que  nous  y  vivions  de  compagnie,  si  tu  veulx  estrc  avecques  nioy 
lousiours. 

—  Ob  !  i'ay  mon  jiaradiz  ici. 

—  Laissez  cela,  dil-elle.  Vous  estes  ung  mescréant,  ung  maul- 
vais  qui  ne  songez  point  à  ce  que  i'ainie  :  c'est  vous  !  Tu  ne  sçays 
pas  que  i'ay  ung  eni'ant,  et  que,  dans  peu,  il  ne  se  cèlera  pas  plus 
que  mon  nez.  Ores,  que  dira  l'abbé?  Que  dira  monseigneur?  Il 
peut  le  delTaire,  s'il  vient  à  se  cbolérer.  M'est  advis,  \)c[\l,  que 
tu  ailles  à  l'abbe  Mannoustiers  pour  luy  advouer  tes  pécbez,  en 
luv  donnant  mandat  de  veoir  ce  qui  est  séant  de  faire  à  l'encontre 
de  mon  sennescbal. 

—  Las  !  dit  le  rusé  paigc,  si  ie  vends  le  secret  de  nos  ioycs, 
il  mettra  l'interdict  sur  nostre  amour. 

—  lin  da!  leit-elle  ;  oui!  Mais  ton  heur  en  l'aullre  monde  est 
ung  bien  (|ui  m'est  si  prétieux  ! 

—  Le  voulez-vous  doncques,  ma  mye? 

—  Oui,  respondit-elle  ung  peu  Ibible. 

—  Kh  bien,  i'iray  ;  mais  dormez  cncores,  que  ie  luy  dise 
adieu  ! 

El  le  gentil  couple  lécila  des  litanies  d'adieux,  comme  s'ils 
eussent,  l'ung  et  l'aullre,  préveu  (jue  leur  amour  debvoyt  hnir 
en  son  apvril.  Puis,  le  lendemain,  plus  pour  saulver  sa  chière 
dame  (jue  pour  soy,  et  aussy  |)our  obéir  ii  elle,  René  de  lallanges 
se  desporla  vers  le  grant  moustier. 


l'iiis,  le    nnlpiiiain ,  plus  |iour  .saiilvcr  sa  tliièrc  dame  i|iic  jujur  soy.  cl  aus^y 
j>our  obéir  à  clic,  Hiiié  de  lallangos  se  dcsporla  vcr>  le  (jraiit  lllou^lit•^. 


COMMMEiNT    DU    blCT    l'tCHK    D  A  MOU  II    FHUT    FAKTK    OItIKFVE 
l'LMTEftC.i;    ET    MEKÉ    GRAM    DELIL 


—  Viay  Dieu  !  s'escria  l'abbo,  lorsque  le  jjaige  eut  accusé 
la  kyrielle  de  ses  doulx  péchés,  lu  es  complice  d'une  énorme 
félonie,  et  tuas  traliy  ton  seigneur  ISçays-     „  liS^'^^^t. 

tu,  paige  de  maltalent,  (|uc,  pour  ce,  tu  'â^^K:^'''^^'' 
arseras  pendant  toute  ri'ternité,tousioursV 
et  sçays-tu  ce  (jue  c'est  (jue  de  perdre  à 
iamais  le  ciel  d'en  haut  pour  ung  mo- 
ment périssable  et  changeant  d'icy-bas? 
Malheureux!  ie  te  veois  [trécipité  pour 
iamais  dedans  les  goulï'res  de  l'enfer,  à 
moins  de  payer  à  Dieu,  dès  ce  monde,  ce  (pic  tu  luy  doibs  pour 
tel  grief... 

Là-dessus,  le  bon  vieil  abbé,  (pii  esloyt  de  la  chair  dont  on  faict 
les  saincts,  et  qui  avoyt  grant  authorité  au  pays  de  Touiaine,  es- 
pouvanla  le  i<'uii('  hounne  par  ung  monceau  de  représentations, 
discours  chrestiens,  remembrances  des  commendemens  de  IKc- 
cliseet  mille  chouscs  esloquentes  autant  que  ung  diable  en  peut 
direen  six  semaines  pour  séduire  une  pucelle,  mais  tant  et  tant, 
que  René,  lequel  estoyt  dans  la  loyale  ferveur  de  l'innocence,  feit 
sa  soubmission  au  bon  abbé.  Oies,  lediclabbé,  voulant  faire  ung 
saincl  homme  cl  vertueux  pour  tou&ioursde  cet  enfant  en  train 


74  CONTES    DllOLATlULES. 

d'estreraaulvais,  luy  comiiianda  d'aller  de  prime  abord  se  proster- 
ner devant  son  seigneur,  et  luy  advouer  ses  desportcniens  ;  puis, 
s'il  rescliappoyt  de  cesteconlession,  de  se  croiser  sur  l'heure  et 
virer  droict  en  Teire-Saincte,  où  il  dcuioureroyt  quinze  ans  de 
ternie  prélix  à  guerroyer  contre  les  hdidèles. 

—  Las!  mon  révérend  père,  leit-il  tout  espanté,  quinze  ans  se- 
ront-ils assez  pour  ui'acquilter  de  tant  de  plaisirs?  Ah!  si  vous 
sçaviez,  il  y  ha  eu  de  la  doulceur  bien  pour  mille  ans! 

—  Dieu  sera  bon  homme.  Allez!  reprint  le  vieulx  abbé;  ne 
péchez  plus.  A  ce  compte,  ego  te  absotvo... 

Le  paouvre  René  retourna,  là-dessus,  en  grant  contrition,  au 
chastel  de  la  lloche-Corbon  ;  et  la  prime  rencontre  qu'il  y  leit  l'eut 
le  sennesclial,  qui  l'aisoyt  l'ourbir  ses  armes,  morions,  brassards  et 
le  reste,  il  estoyt  sis  iuz  ung  grant  banc  de  marbre,  à  l'aëi',  et  se 
complaisoyt  à  veoir  soleiller  ses  beaulx  harnoys  qui  luy  ramente- 
voyent  ses  ioyeulsetez  de  la  Terre-Saincte,  les  bons  coups,  les 
galloises,  et  cœtera.  Quand  René  se  leut  mis  à  genoilz  devant  luy, 
le  bon  seigneur  feut  bien  eslonné. 

—  Qu'est  cecy?  dit-il. 

—  Mon  seigneur,  respondit  René,  commandez  à  ceulx-cy  desoy 
retirer. 

Ce  que  les  serviteurs  ayant  faict,  le  paige  advoua  sa  faulte,  en 
racontant  comment  il  avoyt  assailly  sa  dame  pendant  le  sonnneil, 
et  que,  [)ourle  seur,  il  debvoyt  l'avoir  enchargiée  d'ung  enl'ant, 
l'imitation  de  l'hounne  avecques  la  saincte,  et  venoyt,  par  ordre 
de  son  confesseur,  se  remettre  à  la  discrétion  de  l'offensé.  Ayant 
dicl,  René  de  lallanges  baissa  ses  beaulx  yeulx,  d'où  procédoyt 
tout  le  mescliief,  et  resta  coy,  prosterné  sans  paour,  les  bras  pen- 
dans,  la  teste  nue,  attendant  la  maie  heure  et  soubmis  à  Dieu.  Le 
senneschal  n'estoyt  si  blanc  qu'il  ne 
pust  blesmir  encores;  et  doncques, 
!|^('M?|îjii^  il   paslit  comme   linge  freschement 

seiche,  deniourant  muet  de  cholèrc; 
puis,  ce  vieil  homme,  qui  n'avoyt 
point  en  ses  veines  d'esperils  vitaulx 
assez  pour  procréer  ungenfaiit,  trouva, 
dans  ce  moment  ardent,  plus  de  vi- 
gueur (|ue  besoing  n'estoyt  pour  dell'aire  ung  homme.  Il  em- 
poigna (le  sa  (lextn!  velue  sa  lourde  masse  d'armes,  la  leva, 
brandilla  et  aiusla  si  facilement,  que  vous  eussiez  dict  une  boule 


LE   i'KCHfi    VfiNIEL.  75 

à  ieii  (lo  quilles,  pour  l;i  (Icsfliarffici-  sur  le  front  pasie  diulict 
René,  lequel,  saicliant  qu'il  estoyl  liien  en  (aulh^  à  l'endroit  de 
son  seigneur,  demeura  serain  et  tendit  le  col,  en  songeant  (ju'il 
allovt  solder  toute  la  coulpe  pour  sa  uiye  en  ce  monde  et  dans 
l'aultre. 

Mais  si  belle  ieunesse  et  toutes  les  s('ductinns  naturelles  de  ce 
ioly  crime  trouvèrent  graace  au  tribunal  du  cueur  chez  ce  vieil 
homme,  encores  que  Bruyn  feust  sévère  ;  et  lors,  jectant  sa  masse 
au  loing  sur  ung  chien  qu'il  escharholta  : — Que  mille  millions  de 
gri[)hes  mordent  pendant  l'éternité  toutes  les  charnières  de  celle 
(|ui  ha  l'aict  ccluy  qui  sema  lechesne  dont  feust  construite  la  chaire 
sur  la(|uelle  tu  m'as  cornifié!  Et  autant  à  ceulx  qui  t'engendrè- 
rent, mauldict  paige  de  malheur  !  Ya-t'en  au  diable  d'où  tu  viens  ! 
Sors  de  devant  moi,  du  chastel,  du  p.iys,  et  n'y  reste  un  poulce 
de  temps  plus  que  besoing  est;  sinon,  ic  sçauray  te  préparer  une 
mort  à  petit  feu  (pii  h'  fera  mauldire,  vingt  foys  par  heure,  ta 
vilaine  ribaude... 

Kn  entendant  ce  commencement  des  paroles  du  senneschal  qui 
avovt  img  retour  de  ieunesse  sur  les  iuremens,  le  paige  s'enfuvt 
en  le  ((uittant  du  reste,  et  feit  bien.  Bruyn,  tout  flambant  de  maie 
raige,  gaigna  les  iardinsà  grant  renfort  de  pieds,  maulgréant  tout 
sur  son  passage,  frappant,  iurant;  mesmes  qu'il  renversa  trois 
poteries  tenues  par  ungsien  serviteur  qui  portoyt  la  paslée  aux 
chiens;  et  il  se  cognoissoyt  si  peu  qu'il  auroyt  tué  ung  peigne  pour 
ung  mercier.  Brief,  il  aperceut  sa despucelée, qui  resguardoyt sur 
la  route  du  moustier,  attendant  le  paige,  et  ne  saichant  point  que 
plus  iamais  ne  le  verroyt. 

—  Ha  !  madame,  par  la  rouge  trqde  fourche  du  diable,  suis-je 
ung  mangeur  de  bourdes  et  ung  enl'ant,  pour  croire  que  vous  avez 
si  grant  perluys  qu'ung  paige  y  entre  sans  vous  esveiglcr?  Par  la 
mort  !  par  la  teste  !  par  le  sang  ! 

—  'Vère,  respondit-elle,  voyant  que  la  mine  estoyt  esventée,  ie 
l'ay  bien  gracieusement  senty  ;  mais  comme  vous  ne  m'aviez  point 
appris  la  chouse,  i'ay  cru  lesver! 

La  grant  ire  du  senneschal  fondit  comme  neige  au  soleil  ;  car  la 
plus  grosse  cholère  de  Dieu  luv-nicsme  se  feust  esvanouie  à  ung 
soubrire  de  Blanche. 

—  Qu(î  mille  Miillioiis  de  diables  emportent  cet  enfant  forain  ! 
le  iure  (|ue... 

—  b;i,  la  !  lie  iurcziidiiil,  fril-cllc  S"d  n'est  vostre,  il  est  mien: 


76 


CONTES   DHOl.VTIorFS. 


ot,  l'aultre  soir,  ne  disicz-vous  pas  (|uo.  vous  a\  niorioz  tout  co  (jui 
viendroyt  de  nioy  ? 

Là-dossus,  (dleenlila  telle  venelle  d'arraisonnemens,  de  paroles 
dorées,  de  plainctes,  querelles,  larmes  et  aultres  patenostres  de 
femmes,  comme,  d'aliord.  que  les  domaines  ne  ieroyeiil  point 
retour  au  roy  ;  ipie  iamais  enfant  n'avoyt  esté  plus  innocemment 
ueeté  en  moule;  que  cecy,  que  cela;  puis,  mille  cliouses.  tant, 
que  le  bon  coequ  s'apaisa;  et  Blanche,  saisissant  une  pro|iice  en- 
treioincture,  dit  : 

—  Kt  où  est  le  pai^^e? 

—  11  est  au  diable  ! 

—  Quov!  l'avez-vous  tU('''.Mit-clle.  El  toute  [)asle,  elle  chancela. 
Hruyn  ne  sceut  que  devenir,  en  voyant  cheoir  tout  l'heur  de 

ses  vieulx jours; et  il  auroyt,  pour  son  salut,  voulu  luymonstrer 
ce  paige.  Lors,  il  commanda  de  le  quérir;  mais  René  s'cnfuyoyt 
à  tire-d'aile,  ayant  paour  d'estre  descontict,  et  se  départit  pour 
les  pavs  d'oultie-mer,  à  ceste  lin  daccomplir  son  vœu  de  religion. 
Alors  que  Blanche  eut  apprins  parl'abbtî  dessusdict  la  pénitence 
imposée  à  son  bien-aymé,  elle  cheut  en  griel've  mélancholie,  disant 
parfoys:  —  Où  est-il,  ce  paouvre  malheureux,  qui  est  au  milieu 
des  dangiers  pour  l'amour  de  moy? 


Kl  touiours  le  demandoyl,  comme  uiig  ciiraiil  (|iii  ne  laisse 
aulcun  repos  à  sa  mère  iusqu'à  ce  (|Ui'  sa  (picrimonie  luy  soyt 
octroyée.  A  ces  lamentalions,  le  vieiilv  senneschal,  se  sentant  en 
faulte,  se  Iresnidiissdvt  à  l'aire  mille  cliouses.  une  seule  hormis, 
allin  de  rendic  lllanche  heureuse;  mais  rien  ne  valloyt  les  doulces 
Iriaiidi^rs  du  pai^e... 


Elle  cheul  en  griefve  mélancholie,  disant  parfoys  :  —  Où  est-il.  ce  paouvrc 
malheureux  qui  est  au  milieu  dos  dangiers  pour  l'amour  de  moy? 


78 


CONTES  imOLATIOUES. 


Cependant  ollo  eut  uiiii  iour  iV'nfaiit  tant  (k'ziré!  Comptez  (|ue 
ce  feut  une  belle  fesle  pour  le  bon  eoc(iu,  ear  la  resseml)lance  du 
père  estant  enyravi'een  plein  sur  la  l'ace  deee  ioly  l'ruict  d'amour, 
hlanelie  se  consola  beaucoup,  etreprint  ung  petitceste  tantbonne 
ijayeté  et  fleur  d'innocence  quiresiouissoyt  les  vieilles  heures  du 
senneselial.  Force  de  veoir  courir  ce  petit,  force  de  resguarder  les 
rires correspondans  de  luy  et  de  la  comtesse,  ilfma  parl'aynier, 
el  se  serovt  coui  loucé  bien  for!  contre  unt;  (pii  ne  l'on  anroyt  pas 
cru  le  père. 

Ores,  comme  l'adventuic  de  Blanche  et  de  son  paige  n'avoyt 
point  este'  transvasée  hors  du  chasteau,  il  consta,  par  tout  le 
pays  de  Touraine,  (jue  messire  Rruyn  s'estoyt  encores  Ireuvé  on 
l'onds  d'unu  onl'ant.  Intacte  demoura  la  vertu  de  Blanche,  qui, 
par  la  quintessence  d'instruction  par  elle  j)nisoe  au  réservoir 
naturel  des  femmes,  recojjneut  combien  besoing  estoyt  de  taire 
le  péché  véniel  dont  son  enfant  estoyt  couvert.  Aussi  devint-elle 
|ireude  et  saige,  el  citc'e  connno  luie  vortueuso  pei'sonne.  Puis, 


à  l'user,  elle  expérimenta  la  bonté  de  son  bonhomme:  et,  sans  luy 
dormi-r  licence  d'aller  avecquos  elle  plus  loing  (pie  le  menton, 


LE  PÉCHÉ  VÉNIEL. 


79 


ven  qii  Vil  sov  ollo  so  ivsgnnidoyt  comme  iicquise  à  Rem',  Hlanclie, 
en  retour  des  lleurs  de  vieillesse  que  luy  olïroyt  Biuyn,  le  dorelo- 
toyt,  luy  soubrioyt,  le  maintenoytenioyp,  le|)apelardantavec(|ues 
les  manières  et  lassons  gentilles  dont  usent  les  bonnes  l'enimes 
envers  les  marys  (ju'elles  truplient;  et  tout  si  bien,  que  le  sennes- 
chal  ne  vouloyt  point  mourir,  se  quarroyt  dans  sa  cbaire,  et,  tant 
plus  vivovt,  tant  plus  s'aceoustumoyt  à  la  vie.  Mais,  brief,  un^ 
soir,  il  trespassa,  sans  bien  sçavoir  où  il  alloyt;  car  il  disoyt  à 
Blanche  :  —  Ho!  ho!  ma  niye,  ie  ne  te  veois  plus!  Est-ce  qu'il 
t'aict  nuict? 

C'estoyt  la  mort  du  iust(\  et  il  l'avoyt  bien  méritée  pour  loyei' 
de  ses  travaulx  eu  Tei're-Sainete. 

Blanche  mena  de  cestemort  ung  granl  et  vray  deuil,  le  plou- 
rant  comme  on  ploure  ung  père.  KUe  demoura  mélancholicque, 
sans  vouloir  prester  l'aureille  aux  niusicques  des  secundes  nopces; 
ce  dont  elle  ieut  louée  des  gens  de  bien,  lesquels  ne  sçavoyent 
point (jue  elle  avoyt  ung  espoux  du  cueur,  une  vie  en  espérance; 
mais  elle  estoyt  la  plus  part  du  temps  veufve  de  faict  et  veufve 
de  cueur,  pour  ce  que,  n'oyant  aulcunes  nouvelles  de  son  aniy  le 
croisé,  la  paouvre  comtesse  le  rejjutoyt  mort;  et,  pendant  cer- 
taines nuicts,  le  voyant  navré, 
gisant  au  loing,  elle  se  resvei- 
gloyt  toute  en  larmes.  Elle  ves- 
cut  ainsy  quatorze  armées  dans 
le  soubvcnir  d'ung  seul  iour  de 
bonheur.  Finalement,  ung  ioui- 
où  elle  avoit  aveccjues  elle  aul- 
cunes dames  de  Towr;iiui>,et  (|ue 
elles  devisoyeiit  après  disner,vécy 
son  petit  gars,  lequel  avoyt  lors  ,.,•. 
environ  treize  ans  et  demy,  et  fe 
ressembioytàUenc'piusque  n'est  -ov^ 
permis  à  ung  entant  de  ressem- 
bler à  sou  jière,  et  n'avoyt  rien  de  l'eu  Bruyii  que  le  nom, 
vëcy  ce  petit,  loi  et  gentil  comme  sa  mère,  qui  revint  du  iar- 
din,  tout  courant,  suant,  eschaulTé,  hallebotlant,  graphignani 
toutes  chouses  sur  son  passaige,  suivant  les  us  et  couslumes 
de  l'enfance,  et  ipii  court  sus  à  sa  mère  bien  avmée,  se 
gecte  en  son  giron;  puis,  lompant  les  devis  d'ung  cbascun,  luy 
cria  : 


80 


CONTES  DROLATIQUES. 


—  Ho!  ma  mère,  i'ay  à  vous  parler.  Tay  veu  en  la  court  ung 
pèlerin  qui  m'ha  pris  bien  Ibrf. 

—  Ha  !  s'escria  la  f  liastelaine,  en  se  virant  devers  ung  sien 
serviteur,  qui  avoyt  cliarge  de  suyvre  le  ieunc  comte  et  veigler  sur 

ses  iours  prétieux,  ie  vous  avoys  delTeiulu 
à  tout  iamais  de  laisser  mon  fils  aux  mains 
d'estrangiers,  voire  mesmes  en  celles  du  plus 
sainct  homme  du  inonde...  Vous  quitterez 
mon  service... 

—  Hélas!  ma  dame,  respondit  le  vieil  es- 
cuyer  tout  pantois,  celluy-là  ne  luv  voulovt 
jxiintde  mal,  pour  ce  qu'il  ha  })louré  en  le 
liaisant  bien  fort... 

—  11  ha  i)louié'.'  i'eit-clle.  Ah  !  c'est  le  père  ! 
Ayant  dict,elle  pancha  la  teste  sur  la  chaire 

(»ii  elle  estoyt  sise,  et  qui.  pensez-le  bien,estoyt 
la  chaire  où  elle  avoyt  péché. 

Oyant  ce  mot  incongreu,  les  daines  feurent 
si  surprinses,  (]ue,  de  prime  l'ace,  elles  ne 
"^  "  veirent  point  que  la  paouvre  senneschalle  es- 
tovl  morte,  sans  que  iamais  il  ayt  esté  sceu  si  son  lirief  trespas 
advint  par  poine  de  la  départie  de  son  amant,  (pii,  fidelleàson 
vien,  ne  la  voulovt  point  veoir,  ou  j)ai-  grant  ioye  de  ce  retourner 
etdel'espoir  de  iaire  lever  rinlerdicl  dont  l'abbé  de  Marmonstier 
avoyt  frappé  leurs  amours.  Et  ce  feut  ung  bien  grant  deuil,  car  le 
sire  de  lallanges  perdit  l'esprit  au  spectacle  de  sa  dame  mise  en 
terre,  et  seleit  religieux  à  Marmonstier,  que,  dans  cettuy  temps, 
aulcuns  nommoyent  Maimoslier,  comme  qui  diroyt  ma'ms  Mo- 
nnaterinm,  le  j)lus  granl  moiislier,  et.  de  jaict,  il  esloyl  le  plus 
beau  couvent  de  France. 


L\    MYi:    DU    HOY 


Il  yavoyl  en  ce  (ciiips  uiig  oqiliehvro  loyiéaux  foriics  du  l'oiil- 
;ui-Clianj,f(\  (liii|iiil  la  lillo  cstoyt  ciléo  dans  Paris  pour  sa  lirz- 
iii'ant  i)iMiill(',  n'iKtiniiii't'siir  lotito  flionse  pour  sa  iioutotô  :  aussy. 
trcz-lut'ii  la  pourcliasstnrnl  aulcuas  par  los  lassons  accoustuuK'Os 
de  l'amour;  cl  lanl  (pic  certains  ani-ovent  baillé  do  l'ar^i^nl  au 
|ièro  poui- avoir  sa  dicio  fillo  conmii'  vi'rilable  cspouso,  ce  (jui  le 
rendoyt,  aise  t;iiil  qui'  ic  u"  sçiurnis  dire. 

Ung  siiMi  voisin,  advocat  au  paidenienl,  li'(|ir'l,  forri'  de  vendre 
son  bagoust  aux  aultres,  avoyt  autant  de 
domaines  (pie  ung  ebien  ha  de  puces,  s'ad- 
visa  d'olïrir  audict  père  ung  liostel  en  iceo- 
j^noissance  de  son  eonsenlenu'iit  à  ce  nia- 
liaiiicdonl  il  vouloyt  s(!  chausser. A  (pioy 
ne  l'aillil  |)iiiiit.  l'orphebvre.  Il  octroya  sa 
lille,  sans  avoir  soulcy  de  ce  (|ue  cettuy 
(■lia|)peron  l'ourri-  avoyt  une  mine  de  cinge, 
peu  de  dents  en  ses  MiandilMilcs.  encores 
l(ransloy(>nt-elles,  et  sans  mesnics  le  llairer,  (pioi(pie  il  l'eusl  ord  cl 
puant  coMune  tous  iusiiciards  (pii  cr(»upissent  de  reste  ez  i'umiers 
du  Palais,  parcli(^mins,  Olim,  et  noires  pi'oc('(lurcs. 

Ores  (pie  la  Ixdie  lille  bî  vcit,  elle  dit  de  prime  l'ace  ;  —  Mercy 
Dieu!  ie  n'en  veulx  point. 


82  CONTES  DROLATIQUES. 

—  Ce  n'est  mon  compte!  dit  le  père,  qui  avoyt  dosià  prins 
riiostol  en  iiousl.  le  te  le  donne  pour  espoiix.  Accordez  vos 
musiques.  Cela  maintenant  le  resguarde,  et  son  office  est  de 
t'apréer. 

—  Est-ce  ainsy?  leit-elle.  Eh  bien,  devant  (|ue  de  vous  obéir, 
ie  luv  dirav  son  laict. 

Et  ie  soii'  niesme,  après  souper,  lorsque  l'amoureux  commença 
de  luy  exposer  son  cas  l)ruslant,  luv  desclairant  comme  il  estoyt 
leru  d'elle,  et  luy  promettant  grant  cbiere  pour  le  demourant  de 
sa  vie,  elle  luy  respondit  de  brief  : 

—  Mon  |)ère  vous  lia  vendu  mon  cor|)s  ;  mais,  si  le  prenez,  vous 
lercz  lie  moy  une  gouge,  veu  (jue  i'aymeroys  mieulx  estre  aux 
passansqu'à  vous,  le  vousiure,  au  rebours  des  damoiselles,  une 
«lesloyauté  qui  ne  finira  (jue  par  mort,  vostre  ou  mienne. 

Puis  se  mil  à  plourer,  connue  font  toutes  les  garses  qui  ne  sont 
j)oint  encores  ferrées  ;  car,  après,  elles  ne  plourent  plus  iamais  par 
les  yeulx.  Le  bon  advocat  printces  estianges  lassons  pour  des  go- 
gues  et  appasts  dont  se  servent  les  tilles  affin  d'aliumer  davantaige 
le  feu  <'t  laire  tourner  les  dévotions  de  leurs  prétendusen  douaires, 
pn'cipul/  et  autres  droits  d'espousée:  aussy,  le  malin  n'en  tint 
com|)te,  et  se  rit  des  estouffades  de  l;i  belle  tille,  en  lui  disant  : 

—  A  quand  les  nopces? 

—  Drez  demain,  feit-elle,  pour  ce  que,  plus  fost  ce  sera,  plus 
tost  scray  libre  d'avoir  des  guallans  et  de  mener  la  ioyeulse  vie  de 
celles  qui  ayment  à  leur  choix. 

Là-dessus,  ce  fol  advocat,  esprins  c(»mme  uug  pinson  dedans 
la  glue  d'ung  enfant,  s'en  va,faict  ses  prc'paratives,  interlocute 
au  Palais,  trotte  à  l'Oflicial,  aciieple  dispenses,  et  conduicl  ce 
pourcbaz  })lus  vitement  cjue  toutes  ses  aultres  plaidoyeries,  ne 
rcsvant  que  de  la  belle  fille.  Pendant  ce,  le  Roy,  qui  se  trovoyt 
du  retourner  d'ung  voyaige,  n'enfeiulant  jiarler  en  sa  court  (jue 
de  la  belle  lille,  la(|uelle  avoyt  refusi'  mille  cscuz  de  celluy-cy, 
rabbroué  eclluy-là,  litiablemerit,  (jui  ne  vouloyt  estre  soubmise 
par  personne  et  rclmltoyt  tous  les  plus  beaulx  fils  (|ui  eussent 
(juitté  Dieu  àc  liui'  p;nt  de  paradiz  à  seule  fin  de  iouir  de  ce 
dragon  un  seul  ioiii  ;  (loiic(|ues,  le  bon  lloy,  leipiel  estoyt  friand 
de  tel  giliicr,  yssil  en  la  ville,  pjissa  aux  forges  du  pool,  eiilia 
chez  roiplichvre,  à  ccstf  lin  d'aclicpter des  iovaulx  |iour  la  dame 
de  son  (iii-ur,  mais  //em  |)oin' marcliaiidcr  le  plus  prt'lieux  liiiou 
lie  la  liiintii'(|iir.  br  lîo\  lie  SI-  lrouvo\l  point  de  goust  aux  orplieh- 


UA   UTE    DD    ROY 


84 


CONTKS    DUULATlULiES. 


vieric^,  ou  les  oiphebYreries  ne  se  trouvoyciit  point  à  son  gousf, 
tant  que  le  bonhomme  fouilla  dans  une  layette  cachée  pour  mons- 
trer  au  Roy  un  gros  diamant  blanc 

—  Ma  niye,  dit-il  alors  à  la  belle   (illc  |irn(laiil   (|iic   le  ncrc 


avoyt  le  nez  en  la  layette,  vous  n'esU'S  pas  faiele  pour  vendre 
des  pierreries,  mais  pour  en  recepvoii",  et  si,  de  toutes  ces 
bagues,  vous  me  donnez  le  choix,  i'en  sçay  une  dont  icy  l'on 
est  all'olle,  laciuelle  me  plaist,  dont  à  tousiours  seray  subiectou 
serviteur,  et  dont  le  royaulme  de  France  ne  pourra  iamais  payer 
le  prix. 

—  Ah!  Sire,  ri'|trinl  la  belle  lilli',  ie  me  marie  denuiin.  Mais, 
si  vous  me  baillez  le  poignard  ijui  est  à  votre  ceincturc,  je  def- 
lendray  ma  fleur  et  vous  la  reserveray  pour  observer  l'Evangile, 
oii  il  est  dict  :  Donnez  à  César  ce  qui  est  à  César. 

Tost  le  Roy  Iny  donna  la  petite  dague;  et  ccste  vaillante  res- 
ponse  l'enamoura  de  la  (ille  à  en  perdre  le  mangier.  Il  lait  son 
parlement,  en  intention  de  logier  cesle  nouvelle  mye  à  la  rue 
de  rilirimdelle.  en  inig  sien  lio^lei.  NdiJà  mon  advocat,  pressé 
d('  soy  biider,  (jui,  au  giant  (les|iil  de  sus  coirivaulx,  mène  son 
«'spousée  au  bruict  des  clochiers.  axecipies  musicques,  l'aict  des 
j'e^tins  à  donner  des  diarrlu'es,  et,  le  soir,  après  les  daiices,  vient 
en  la  cliambre  de  son  logiz  où  debvoyt  estie  couchiée  la  belle 
(ille;  non  plus  la  belle  lille,  mais  lutin  processil',  mais  emaig('e 
diablesse,  (pii,  sise  en  ung  sien  l'auteuil,  n'avoyt  voidn  se  mettre 


Ma  m\c,   ilil-i\  alors  ;i  la  lii-lle  fille  penilaiil  que  le  père  avoyt  le  nez  en  la  layellr, 
vous  n'esles  pas  faitle  pour  vendre  des  pierreries,  mais  pour  en  recevoir. 


se. 


CONTES   DKOLATKjUKS. 


auMict  de  l'ad vocal  et  restoyt  devant  le  foyer,  chauffant  son  ire  et 
son  cas.  Le  bon  mary,  tout  estonné,  vint  ployer  les  genoilz  devant 
elle,  en  la  ronviaiil  à  la  iolie  lialaillo  des  premières  armes;  mais 
elle  ne  somia  mol  ;  cl.  (|uanil  il  lenloyt  de  lui  lever  la  cotte,  aflin 
seulement  de  veoir  uui;  petit  ce  qui  si  eliier  lui  coustoyt,  ellcluy 
douuoyt  ung  coup  de  main  à  luy  casser  les  os  et  se  tenoyt  muette. 
Ce  ieu  plaisoyt  à  nuin  dict  advocat,  lequel  cuydoyt  veoir  la  fin  de 
ce  par  la  cliouse  (pu;  vous  sçavez;  et  il  iouoyt  en  bonne  liance, 
altrapant  de  bons  coups  de  sa  sournoyse.  Mais  tant  débucher,  tant 


de  liirt  iller,  tant  de  l'assaillir,  il  deffeit  ores  une  manche,  ores  des- 
cliira  la  iiippe,  et  coula  sa  main  aubut  mi-^uondcliscberie,  forfaict 
dont  la  belle  fille  gronda,  se  dressant  en  pieds,  puis,  tirant  le  poi- 
gnard du  Roy  : 

—  Que  voulez-vous  do  moy!  lui  ilil-cUe. 

—  le  vcul*  touti  feit-il. 

—  lia!  ie  scroys  une  grant  pute  (pie  de  me  donner  à  contre- 
ciieur.  Si  vous  avez  cuydé  trouver  ma  virgiiiil('  désarmée,  vous 
errez  fort.  Yécy  le  poignard  du  lloy,  dont  ie  vous  tue,  si  vous  faictcs 
)nine  de  m'approucber. 

Cela  dict,  elle  print  ung  charbon,  en  ayant  tousiours  l'œil  au 
procureur;  puis, cscri|)vanl  une  raye  sur  le  planchicr, elle  adiouxta: 


i.\  M  VF  nr  nov.  87 

—  Icv  seront  les  coiiliiis  du  (loinaiiic  du  lloy.  N'y  entrez;  si  le 
passez,  ie  ne  vous  faulx! 

L'advocat,  qui  ne  pensoyt  pas  faire  l'amour  avecques  ce  poi- 
gnard, lestovt  tout  desconfict,  mais,  ores  (ju'il  escoutoyt  ce  cruel 
arresl  dont  il  avovl  dcsià  piiyc-  les  dospens,  ce  bon  mary  voyoyf, 
par  l(>s  (lescliirenres,  si  M  cscliaiitilloii  de  cuisse  rebondie,  hlan- 
clie  et  fresclie,  puis  si  brillante  doubleure  de  mesnage  boucbant 
les  trous  de  la  robbe,  et  cœtera,  que  la  mort  lui  sembla  doulce, 
s'il  y  ironsloyl  seulement  nnj;  ])etit;  et  alors  se  rua  dedans  le  df)- 
maincdu  Roy,  disant  :  «  l'eu  me  cliauld  de  mourir!  »  Etdelaict, 
s'y;,'ecta  si  dru,  ipie  la  belle  lille  tomba  l'oit  mal  sur  leliet;  mais, 
ne  perdant  pas  le  sens,  elle  se  detïendil  si  iiétillamment,  (jue 
l'advccat  n'eut  aultre  licence  que  de  touchier  le  poil  de  la  beste  ; 
encores  v  gaigna-t-il  ung  coup  de  poignard,  qui  lui  trencha  ung 
bon  bout  de  lard  sur  l'escbine,  sans  fiop  le  blesser  :  en  foy  dequoy 
il  ne  lui  en  cousta  point  trop  ebier  d'avuir  lait  inuplion  dans  le 
bien  du  Uoy. 

Mais,  enyvré  de  ce  chetif  adventaige,  il  s'escria  :  —  le  ne  sçau- 
roys  vivre  sans  avoir  ce  tant  beau  corps  et  ces  merveilles  d'amour  ! 
Donc(pies,  tuez-moy  ! 

Et,  de  reebief ,  vint  assaillir  la  réserve  royale.  La  belle  fille,  qui 
avoyt  son  Hoy  en  leste,  ne  l'eut  point  toucliiée  de  ce  grant  amoui-, 
et  dit  grietVemen  :  —  iSi  vous  menassez  cela  de  vostre  poursuite, 
ce  n'est  pas  vous,  ains  moy,  que  ie  tueray... 

Et  son  resguard  estoyt  laroucbe  assez  pour  espouvanter  le  paou- 
vrebonmie,  (pii  s'assit  en  d('|)|ourant  ceste  maie  beure,et  passa  la 
nuict,  si  tant  ioyeulse  àceuly  (jui  s'entr'ayment,  en  lamentations, 
prières,  interiections  et  aultres  j>romesses  :  comment  elle  seioy 
servie;  pourroyt  dissiper  tout;  mangier  dans  l'or;  desimpie  da- 
moiselle  en  feroyt  une  dame,  en  acbeptant  des  seigneuries;  et  fi- 
nablement,  i\no,  si  elle  luy  j)ermett((yl  de  rompre  une  lance  en 
riionneur  de  l'amour,  il  bKpiitteioyt  de  toutet  perdroyt  la  vie  pu 
la  l'asson  ([u'elle  vouidroyt. 

Mais  elle,  tousiours  Iresche,  lui  dit,  au  malin,  qu'elle  luy  per- 
mettoyt  de  mourir,  et  que  ce  seroyt  tout  l'iieur  qu'il  pouvoyt  luy 
donner. 

—  le  ne  vous  av  point  truplié,  leit-eili-.  Mesmes,  à  lenconlre 
de  mes  promesses,  ie  me  baille  au  Hoy,  vous  Taisant  graac.e  des 
])assans,  lourdiers  et  charretons,  dont  ie  vous  menassoys. 

Fuis,  quand  le  iour  feut  venu,  elle  se  vestit  de  ses  cottes  et 


Ses  coi.f..-..'s  l.iv   r.'.r.'nl  .-Milinit  .le  li.iil.-s  .1  inocqu.Mi.'<  .|im-  s. 
«Mil  (riiniincurs  m\  <",om|)  Mi'We. 


LA   MVK   IH'   lUiV. 


SO 


aiustomons  nupfiaulx, attendit  |(aticiiiniciil  (|ii('  Irhon  marv.dniit 
(îllc  n'avoytricii  voulu,  scdcslouniast  du  lo^lz  pour  l'idlaiic  d"uii^ 
client,  et  tost  devallapai- la  ville,  elieiciiant  Icl'ioy.  Mais  elle  n'alla 
point  si  ioing  (juc  le  gcct  d'une  arbalesle,  pour  ce  que  ledict  sei- 
gneur Roy  avoyt  mis  en  guette  ung  sien  serviteur  qui  tortilloyt 
autour  de  l'Iiostcl,  et,  de  prime  abord,  dit  à  la  marii'e,  qui  estoyt 
encores  cadenassée  : 

—  Ne  querez-vous  point  le  Rov"/ 

—  Oui,  l'eil-elle. 

—  Eli  bien,  ie  suis  vostn>  meilleur  amv,  reprint  le  lin  liouinio 


et  sul)lil  eoinli/an;  ie  vous  demande  vosire  ayde  et  [iroleetion, 
comme  ie  vous  donne  mesbuy  la  mienne... 

Là-dessus,  il  luy  dit  quel  bomme  estoyt  le  lloy;  par  quid 
costé  il  debvoyt  estre  prins;  qu'il  laisoyt  raige  ung  iour,  l'aultre 
ne  sonnoytmot;  et  comme  estoyt  cecy,  et  connue  cela;  (ju'elle 
seroyt  bien  appoinctée,  bien  Iburnie;  mais  qu'elle  liust  le  Roy 
en  servaigc  :  briel',  il  cacquelta  si  bien  durant  le  ciiemin,  qu'il 
en  ieit  une  pute  parlaicte  pieçà  qu'elle  entrast  dans  l'bostel  de 
rilirundelle,  où  t'eut  depuis  madame  d'Estampes.  Le  paouvre 
mary  ploura  comme  ung  cerf  aux  aboys,  lorsipu'  plus  ne  veit  sa 
boime  l'enmie  en  son  logiz,  et  devint  d'ordinaiic  melancbolicque. 
Ses  confrères  luy  feirent  autant  de  boutes  et  mocqueries  que 


9li 


CONTES   nUOLAÏIQUES. 


saincl  .laoquos  ont  d'honneurs  on  Composfcllc;  mais  ce  rorquard 
secuysovtot  dcssiMclioyt  dans  son  einniy,  si  tant,  que  les  aullres 


tinèient  par  vouloir  l'alli'gier. Ces  chapperons  fouirez,  par  esperit 
de  cliio(juane,  décrétèrent  (|ue  le  dolent  honlionnne  n'estoyt  point 
eo((pi,  veu  que  sa  l'enmu'  avoyl  relïust'  la  iousterie;  et  si  le 
planteur  de  cornes  avoyt  esté  aultre  tpie  le  Uoy,  ils  eussent 
entiepris  la  dissolution  dudict  nuiriage.  Mais  l'espoux  estoyt 
alTollé  de  ceste  gouge  à  en  mourir;  et,  par  adventure,  il  la  laissa 
au  llov,  se  fiant  (pi'nng  iour  il  la  pourroyt  avoir  à  luy,  estimant 
(pTunc  iiuich'e  avee(pies  elle  n'esloyl  |)()int  trop  j)ayéc  par  la 
lionte  (le  loiilc  une  vie.  il  i'aul  aynier,  dà!  pour  ce;  et  il  y  ha 
heaueoiip  de  luaguards  qui  renilleroyeiit  à  ceste  graiit  amour. 
Mais  lii\  tdiisidurs  pensoyt  à  elle,  iu';;lii^('aiit  ses  |)hiids,  ses 
(•liens,  ses  V(dei'ies  et  tout.  11  alloyt  par  le  palais  connue  ung 
avare  (|ui  quert  un  bien  perdu;  soulcieiix,  isoniie-creux;  mesmes 
(iniiiii:  idiir  il  c(»nq)issa  la  l'ohhe  d'ung  conseillei',  cuydaut  estre 
idiixlc  le  Miiir  (lù  les  advocals  vuydeiit  leurs  causes,  f-ependant 
l;i  hclle  lille  estoyt  aynii'e  sdir  et  malin  par  h;  Roy,  qui  ne  pou- 
vovt  s'en  assouvii-,  pour  ce  (pTelle  avoyt  des  manières  espéciales  et 
gentes  en  amour,  se  cognoissaiit  aussi  hicn  à  allumer  le  l'eu  (pi'à 
rcslaiiidre.  Me>liii\,  ralihrouant  le  Itoy;  di'main,  le  |)apelar(lant  ; 
iamais  la  mcsme,  et  ayant  des  pliaiilaisies  plus  de  mille  : 
au   dernouraiit,  Irer-honne,  ioiianl   ilii   liée  cnunne  aulcmie  ne 


-^  - 


LAnVOCAT      FLUlIN. 


1>2  CONTES  DROLATIQUES. 

pouvoyt  faire,  rieuso  et  fertile  en  folastreries  et  priiles  cdrcjnns- 
series. 

Ung  sieur  de  Briilon'  se  tua  |)our  elle,  de  dcspit  de  ne  pouviiir 
eslie  reeeu   à  nieicy  d'amour,  eneores  qu'il  ol't'rist  sa  terre  de 

Hridoré  en  Toui'aine.  Mais,  de 
ces  bons  et  anciens  Tourangeaux 
(|uidonnoyent  ung domaine  pour 
ung  coup  de  lance  gave,  il  ne 
s'enfaict])lus.  Cesie  mortattrista 
la  belle  iille  ;  et,  j)our  ce  que 
son  confesseur  lui  imputa  ce 
trespas  à  grief,  elle  iura,à  part 
soy,  que,  bien  qu'elle  feust  la  mye 
(!u  |{ov,  à  l'advenir  elle  accep- 
leroyt  les  tlomaiues  et  l'eroyl  secrettenient  la  ioye.  pour  saulver 
son  ame.  Aussv  commença-t-elle  alors  ceste  grant  Ibrtune  qui 
luy  lia  valu  la  considération  par  la  ville.  Mais  aussy  elle  empesclia 
beaiuoup  de  gentilshonunes  dépérir,  accordant  si  bien  son  luth 
et  treuvant  de  telles  imaginations,  (|ue  le  Uoy  ne  sçavoyt  point 
qu'elle  l'avdovt  à  reiulre  ses  suliiects  plus  heureux.  De  i'aict,  il 
l'avovt  si  druement  en  goust,  ipreili'  luy  auroyt  I'aict  croire  que 
les  planchiers  d'en  hault  estoyent  ceulx  d'en  bas,  ce  qui  luy  estoyt 
plus  facile  (ju'à  aulcune  autre,  pour  ce  qu'en  son  logiz  de  l'Hi- 
runde  ledict  Roy  ne  finoyt  d'estre  concilié,  tant  qu'il  ne  sçavoyt 
faire  la  différence  des  planchiers;  baguant  tousiours,  comme  s'il 
eust  voulu  veoir  si  ceste  belle  estolfe  pouvoyt  s'user;  mais  il  n'usa 
que  luv,  le  chier  honnne,  V(;u  (ju'il  mourut  par  suite  d'amour. 
Quoique  elle  eust  le  soin  de  ne  soy  donner  qu'à  de  beaulx  honunes 
les  plus  ancrez  en  court,  et  que  ses  faveurs  fussent  rares  comme 
miracles,  ses  envieux  et  corri  va  les  disoyeuttjue  pour  dix  mi  Ile  escuz 
ung  sinqtle  geiililhonnne  j)ouvovt  gouster  à  la  ioye  du  lloy,  ceipii 
eslovt  faulx  de  toufi^  faulseté,  veu  (|ue,  lors  de  sa  noize  avecqucs 
ledict  sire,  ijuand  elle  l'eut  par  luy  ie[»rouchée  de  ce,  elle  luy 
respondit  fièrement  :  —  l'abomine,  ie  niauldis,  ie  trentemille 
ceulx  qui  ont  mis  ceste  bourde  en  vostre  esperit.  le  n'en  ay  eu 
aulcuii  qu'il  n'avt  despeiulu  pour  moy  plus  de  trente  mille  escuz 
à  la  grille. 

Ij'  Uoy,  tout  faschié,  ne  put  s'tMnpescbier  de  soubrire,  et  la 
giiarda  encore  ung  mois  environ,  pour  faire  taire  les  médisances. 
Kniin  la  d.imoisfllc  de  F'isscleu  uo.  se  creut  dame  et  niaislresse 


LA    MVE   î)l'   riOV. 


(jup  sa  rivale  ruvni'c.  Aiiis  hcimcoiii»  liissi'iiI  ■,\\i\\r  ccslc  niyiic, 
vcii  qii'olle  t'eut  espousde  par  ung  ieuue  seigneur,  qui  t'eust  encorcs 
liciircnv  avor(jues  elle,  tant  elle  avovt  d'anioiir  et  de  feu,  à  eu  n;- 
vciidre  à  celles  (pii  j)esclieiit  par  trop  jurant  IVcsclieur.  le  reprends. 
Un<f  iour  que  la  nive  du  lioy  se  jxiiirnicnoyt  |)ar  la  ville  dedans  s;i 
lictiere,  à  ceste  lin  d'aeliepter  des  l'errets,  lassels,  patins,  g()rj;c- 
rettes  et  aultres  munitions  d'ainonr,  et  que  tant  belle  et  bien  attor- 
née  cstoyt,  que  ung  ebaseun,  siiitoiit  les  eleics,  la  voyant,  eussent 
cru  vcoir  les  cieulx  ouverts,  vecy  son  bon  niary<pii  vous  la  ren- 
contre |)rouebe  la  Croix  du  Tialioir.  Klle,  qui  lioutoyt  son  pied 
niiynon  hors  la  lictiere,  rentiil  viteiuenl  la  leste  conuiie  si  elleeust 
veu  ung  asj)ic.  Elle  esloyt  bonne  fennne,  car  i'en  cognoys  (pii  eus- 
sent passé  fiei'  [)()iu'  allrniiler  le  leur,  en  yrant  despect  de  sa  sei- 
gneurie coniugale. 

—  Kt  qu'avez-vous?  luv  (li'iii;iii(l;i  iiioii>ieiir  de  Ijiiiiiov.  (pu  p;i|- 
révérence  raceonq)agnoyl . 

—  Ce  n'est  rien,  f'eit-elle  tout  bas.  Maiscep.issaiit  est  mon  iiiary. 
Le  paouvre  lionuue  (>st  bien  eliang(''!  ladis  il  ressendibiyt  à  ung 
einge,  mais  auiourd'buy  ie  cuyde  (pi'il  est  l'imaige  (K'  lob. 

(le  des|)lourable  advocal  reslovt  esbaliv,  sentant  son  cueur  se 

tendre  à  la  veue  de  ce  pieti  mince  et  de  sa  lemme  tant  avm('e. 

()yantcela,le  sire  deLanudy  liiy  dit  en  vi'ay goguenard  decoint: 

—  Est-ce  raison,  pour  ce  (jue  vous  estes  son  marv,  ipie  vous 
l'enqiescbiex  de  j)asser? 

A  ce  j)roupos,  elle  s'esclata  de  rire,  et  le  bon  maiy,  au  lieu  de  la 
tuer  bravement,  [doura  en  escoutant  ce  rire  (pii  luv  lendit  la  leste, 
le  cueur,  l'ame  et  tout,  si  bien  (juil  faillit  à  tomber -iir  mig  vienh 
bourgeoys  occupé  à  se'rescliaul'fei- le  cas  en  \iiv,ml  l;i  mve  du  iîov. 
l/aspect  de  ceste  belle  fleur  (pi'il  ;ivoyl  eue  en  bniilon,  mais  ([iii 
lorsestovtespanouïe,  odorante,  vl  ceste  iiatuic  blanche,  bien  gor- 
giasi'e,  taille  de  tee,  tout  cela  l'cndit  ladvorat  plus  malade  et  plus 
fol  d'ycelle  (pie  aulcnnes  paroles  poiind\eiil  le 
dire.  Kt  besoiug  est  d'avoir  esté  yvre  dune  luen 
aymée  (|ui  se  refuse  à  vous  pour  parfaictemeni 
cognoistre  la  raige  de  cet  lionnne.  Kncores  est- 
il  rare  d'estre  aussy  cbauldemenl.  eidourni'  (pie 
p(»ur  lors  il  esloyt.  Il  iura  (pu;  vie,  fortune,  hon- 
neur et  tout  y  passeroyt,  mais  que,  une  fins 
au  moins,  il  scroyt  chair  à  chair  avecques  elle,  et  lero\l  >i  grant, 
resgal  d'amour,  ([ue  il  ylairi'oyt  peut-estre  sa  fressure  et  ses  reins. 


Oi  CONTES  DROLATIQUES. 

Il  |)assa  la  nuict,  disant  :  «  Ho!  oui!  Ha!  ie  l'auray!  Et  sacre  et 
Dion!  ie  suis  son  niar\  !  Et  diable!...  »  se  frappant  au  front,  et 
ne  restant  jtoint  en  |)lare. 

Il  se  forge  en  ce  monde  des  liazards  auxquels  les  jiens  de  petit 
es|)erit  n'accordent  point  de  créance,  pour  ce  que  ces  dictes  ren- 
contres sendjient  supernaturelles  ;  mais  les  hommes  deliaulte  ima- 
«iination  les  tiennent  jjour  vr;\yes,  pour  ce  que  l'on  ne  sçauroyt  les 
inventer;  j)ar  ainsy  arriva-t-i;  au  paouvre  advocat,  le  lendemain 
inesinc  de  cesic  «^riervc  veillc'c  oîi  il  avovt  tant  masclic'  son  amour 
à  Yuyde.  Ung  sien  client,  lionnne  de  grand  nom  et  (jui  enti'oyt  à 
ses  heures  chez  le  Hoy,  vint  de  matin  dire  à  ce  bon  mary  qu'il  luy 
falloyt  une  grosse  somme  d'argent,  sans  aulcun  délay,  comme 
douze  mille  escuz.  A  quoy  le  chat  fourré  responditque  douze  mille 
escuz  ne  se  rencontroyeiil  ])oint  au  coin  d  inu'  rue  aussy  souvent 
que  ce  qu'on  y  rencontre,  et  (pie  besoing  eslovt,  oultre  les  seuretez 
et  garanties  de  l'interest,  d'avoir  ung  homme  qui  eust  chez  luy 
douze  mille  escuz  les  bras  croisés,  et  que  de  ces  gens  peu  en  estoyt 
dans  Paris,  quoycpie  grant  il  feust,  et  aultres  bourdes  que  disent 
les  hommes  de  cliic(|uaiie. 

— \  ère,  ni(»iiseigneur,  vous  avez  doiicques  ung  créancier  oultre- 
avide  torssionnaire?  feit-il. 

—  Oh!  oui,  respondit-il,  veu  que  ce  est  la  cliouse  de  la  mye 
duHoy!  IN'en  sonnez  mot;  mais,  ce  soir,  moyennant  vingt  mille 
escuz  et  ma  terre  de  Ihie,  ie  luy  prendray  mesure. 

Sur  ce,  l'advocal  pasiit,  et  le  courtizan  s'aj)erceut  (|u"il  avovt 
guasli- quelque clioiise.  (lomnieil  estoyt  au  retourner  delà  guerre, 
il  ne  sçavoyl  point  (pie  la  belle  bile  aymc'e  du  Roy  eust  ung 
mary.  ^ 

—  Vous  blesmissez.  l'eit-il. 

—  l'ay  les  liebvics.rijsjiondil  lecliicquani'er. — Mais,repiint-il, 
est-ce  donc(pies  à  elle  (pie  vous  domiez  conlracts  et  ai'gent? 

—  Oui  (la  ! 

—  Et  qui  (lonc(pies  la  marchande?  est-ce  elle  aussy? 

—  Non,  dit  le  seignem-,  mais  ces  menus  arrangeniens  et  solides 
hagiialelles  se  frallicipienl  par  mie  niescliin(^  (pii  est  bien  lapins 
adroiclecbambeiière  (pie  laniais  lent  !  |]lie  e>t  plus line<pie inons- 
taide,  et  il  luy  reste  bien  (pielipn's  ^ulïraiges  aux  doigts  de  ces 
Mincli'es  j)riiises  au  Hov. 

—  l'ay  un  mien  londiani,  icprint  l'advocal,  (pii  pourra  vous 
a(  idiiiMiodei':    mais   rien   ne  seia  laiil.  et.   desdits  douze  mille 


I.A   MYK   DU   KOV.  1)5 

escuz,  vous  iraïuez  pas  Uiiit  sculciiiciit  iiii;^  louj^i!  liaiil,  si  ladictc; 
cliainborière  iic  vient  It-aiis  ciisatclicr  le  [»iix  do  cocas  ijui  est  si 
graiit  alqiK'iiiislo!  il  iiiiio  le  sang  on  or,  viay  Dion! 

—  Oh!  (;e  sera  ung  Itou  tour,  si  liiy  iaiclos  signer  un  acMjuit, 
lepai'lit  le  seigneur  en  lianl. 

Lanieseliinc  vint  sans  l'anlle  au  londoz-vous  dos  oscuz  ciiez  l'ad- 
voeat,  qui  avoyl  \nir  le  seigneur  de  la  luy  amener.  VA  faietos  oslat 
que  sires  ducats  esloyent  bel  et  ])ien  r.uy^r/.  connue  iiomies  allant 
à  vespres,  couchiez  iuz  une  fajjle,  etauroyont  desride  ung  asne  eu 
train  d'cstro  estrillé,  tant  hollcs  et  luysantes  estoyent  les  braves, 
les  nobles,  les  ieunes  piles.  Le  bon  advocat  u'advovt  point  ostably 
cesteviseopourlesasnes.  Aussy  la  nioschinelle  se  [»ourlescha-t-ello 
trez-huniideiuent  les  badigoinces, di- 
sant mille  patenostres  de  cinge  aux 
dits  escuz.  Ce  (jue  voyant,  le  niary 
luy  souflla  dedans  l'aureille  ces  mots 
(|ui  snoyent  l'or  ; — Cocy  esta  vous! 

—  lia!  dit-elle,  ii'  n'ay  iamais  este 
payée  si  chier  ! 

— Maniye,respartitlechierhonune, 
vous  les  aurez  sans  estre  grevée  de 
nioy...  Et  la  destcuniiant  ung  polit  : 

—  Vostre  client  lU'  vous  ha  point  dictcounnent  ou  nie  noiinue, 
hein?  leit-il?  non?  Ores  appreiu'z  que  ie  suis  le  vrav  marv 
(l(!  la  dame  que  le  Koy  ha  desbauchée  de  son  oflice,  et 
([uc  vous  servez.  Eniportez-Iuy  ces  escuz  et  revenez  icv;  ie 
vous  conipteray  les  vostrcs,  à  une  condition  qui  sera  de  vostre 
goust. 

La  mescliine  ofTrayéo  se  raffermit,  et  feut  moult  curieuse  de 
sçavoir  à  quoy  elle  gaigiu'royt  douze  mille  escuz  sans  touchier  à 
l'advocat  :  aussy  ne  faillit-elle  point  à  test  revenir. 

—  Ores  çà,  ma  mye,  luy  dit  le  mary,  vécy  douze  mille  escuz; 
mais  avecques  douze  mille  escuz  on  ac(piiert  des  donuiinos,  des 
hounncs,des  lénunes  et  la  conscieuc(Mli'  trois  piebsties  au  moins  : 
par  ainsy,  ie  cuyde  que,  pour  ces  douze  mille  escuz,  ie  puis  vous 
avoir  corps,  ame,  hypocondrilles  et  tout.  Et  i'auray  créance  eu 
vous,  comme  ont  les  advocats  :  douuanl,  donnant,  le  veulx  que 
vous  alliez  incontinent  chez  le  soigneur  (|ui  croit  estre  aynu-  cesle 
nuict  par  ma  fenune,  et  (jue  vous  le  tartruphioz,  en  luy  contant 
comme  quoy  le  Uoy  vient  souper  chez  elle,  et  que,  pour  ce  soir, 


1>(>  CONTES   DUoLATlglES. 

il  linit  qu'il  iiulto  ordre  à  sa  pliuntaisie  aullrcuicnl.  Puis,  cela 
(lict,  ie  seray  au  lieu  de  ce  beau  fils  et  du  Roy. 

—  Et  coiimioiil?  fc^it-elle. 

—  Oh!  rrs|)(>ii(lit-il,  io  t'ay  achepti'o,  toi  et  tes  engins.  Mais  tu 
n  auras  [ws  rcsi^uardé  deux  l'oys  les  escuz  (jue  tu  trouveras  ung 
moyen  de  uu^  faire  avoir  ma  l'euune  :  car,  en  ceste  conioncture,  tu 
ne  pèches  nullement  !  Est-ce  pas  œuvre  pie  de  s'employer  à  la 
sainctc  coniunction  de  deux  espoux,  dont  les  deux  mains  seule- 
ment ont  été  mises  l'une  dans  l'aultre  de\ant  le  prehstre? 

—  Par  ma  lieque!  venez,  dit-elle.  Après  souper,  les  lumières 
seront  estainctes,  et  vous  pouirez  vous  assouvir  de  ma  dame,  pour- 
veu  que  vous  ne  sonniez  mot.  Heureusement,  à  ces  heures  ioyeul- 
ses,  elle  crie  plus  qu'elle  ne  parle,  et  n'interroge  que  j)ar  gestes, 
car  elle  ha  de  la  j)U(leur  beaueou|),  et  n'ayme  point  à  tenir  de 
vilains  proupos,  comme  l'ont  les  dames  de  la  court... 

—  Oh!  feit  l'advocat,  tiens,  prends  les  douze  mille  escuz,  et 
ie  t'en  promets  deux  Ibys  autant,  si  i'ay  en  fraude  le  bien  qui 
m'appartient  en  loyaulté. 

Là-dessus,  ils  convindrcnl  de  l'Iienre.  delà  porte,  du  signal,  de 
tout  ;  et  la  mesehine  s'en  alla,  eiiqiortant  à  dos  de  mulet,  et  bi(>n 
aceoiiq)aignée,  les  beaulx  deniers  [)rins  ung  à  ung  par  le  chicqua- 
nous  aux  veul'ves,  orphelins  etaussy  àd'aultres  :  lesquels  alloveut 
tons  dans  le  petit  creuset  oiî  tout  se  fond,  voire  nostre  vie,  (jui  en 
vient.  Voilà  mous  l'advocat  (jui  s'esbarbe,  se  parfume,  met  son 
beau  linge,  se  passe  d'oignons  pour  avoir  ses  halenées  frcsches, 
se  reconforte,  se  snperfrisc  et  faiet  tout  ce  qu'ung  malotru  de 
Palais  peut  inventer  pour  se  mettre  soubz  forme  de  guallant  sei- 
gneur. Il  se  doime  les  airs  d'un  ieune  desgourd,  s'esguise  à  estre 
leste,  et  tasche  à  desguiser  sa  face  immunde;  mais  il  eut  beau 
faire,  il  sentoyt  tousioins  l'advocat.  Il  ne  feut  pas  si  avise  que  la 
belle  buandièie  de  Portillon,  hicpielle  ung  dimanche,  se  voulant 
mettre!  en  atours  pour  ung  sien  amant,  lessivoyt  son  pertuys,  et 
glissant  le  pénultiesmc  doigt  ungpetit  où  vous  savez,  elle  seflaira  : 
—  Ah  !  mon  mignon  !  feil-elle,  tu  t'advises  de  sentir  encores  !  La  ! 
la!  ie  vais  te  lincer  avecipies  de  l'eau  bleue.  Et  tost  et  bien,  l'cmit 
au  gu('  son  cri/psimen  rusti((|ue,  ce  qui  l'eMuiicscha  de  se  dilater. 
Mais  noslre  cbiccpianous  se  cioyoit  h-  plus  beau  lils  du  monde,  en- 
cores que  de  toutes  ses  droguas  il  feusl  la  ])ire.  Pour  estre  brief,  il 
se  veslit  de  légier,  quoique  le  froid  pinçasl  comme  ung  collier 
de  r|iauvre,et  yssit  dehors,  gaignant  au  plus  vile  ladicle  rue  de 


i,\   \\\\:  m    lt(l\. 


97 


riliriiiKli'llc.  Il  \  |t;ilii'iil;i  iinii  lioii  tiiiiixiii  de  I('iii|)n.  Miii^-,  an 
moment  où  il  cuvdovt  avoir  csli' priiis  pour  un  sot,  lors  que  nuifl 
l'eut,  la  clianibiMièrc  viiil  lin  oiiviii'  l'Inns,  et  le  bon  marv  se 
coula  tout  lieuifiix  dedans  IIionIcI  du  lîoy.  Ceste  mescliine  le 
serra  pn'cieuscuient  dans  uiig  icduicl  (|ui  se  trouvoyt  près  du  liet 
où  se  courliovl  sa  dicte  leunne,  cl.  |tai-  les  l'entes,  il  la  veit  dans 
luiili-  sa  lieaulte,  vi^n  (|n'elle  se  dcspouillo}  t  de  ses  atours  et 
eliaussiivt,  au  l'over,  ung  liabit  de  cninhat  à  travers  ducjuel  on 
apeieevovt   loiil.  (Ires,    cuydaiit 


estreseuleavecques  sa  nicscliiiic. 
elle  disoyt  les  l'ollics  (pie  disiiil 
les  l'enunes  en  soy  vestant.  —  Ni- 
vaulx-je  pas  bien  vingt  mille  e— 
cuz  ce  soir?  Et  cecy,  ne  sera-(  > 
pas  bien  payé  par  nng  cliasleaii 
de  lirieV 

En  disant  cela,  elle  relev(t\t 
légièrement  deux  avant-[)osles, 
durs  comme  bastions,  les((uels 
pouvoyent  soutenir  bien  des  as- 
saults,veu  (prilsavoyenlestt'  lu- 
rieusemenl  altacpu^zsaus  mollir. 

—  Mes  espaules  seules  valent 
ung  royaulme  !  dit-elle.  le  délie  bien  lelloy  de  les  refaire.  Mais, 
vray  Dieu,  ic  eonnneueeà  m'eimuyei-  de  ce  mestier.  A  tousiours 
besougner,il  n'y  lia  point  de  plaisir.  Lamescbinettc  soubriovt,et 
la  belle  lillc  luy  dit  :  — le  voudroys  bien  le  veoireu  ma  place... 

Kl  la  cliamberière  se  milà  rire  plus  l'ort,  en  luy  respondanl  : 

—  Taisez-vous,  mademoiselle.  Il  est  là. 

—  Quy  ? 

—  Yostre  iiiai\. 

—  Leipiel'.' 

—  be  vray. 

—  CJiiil  !  l'eprit  la  belle  Mlle. 

Et  sa  cliamberière  luy  conta  l'adventure,  voulant  conserver  la 
laveur  de  sa  maistresse  et  anssy  les  douze  mille  escuz. 

—  Ob  bien  !  il  en  aura  pour  son  argent,  dit  l'advocate.  le  vais 
le  laisser  se  morl'ondre  Irez  bien.  S'il  faste  de  mov,  ie  veulx 
[)erdre  mon  lustre  et  devenir  aussy  layde  cjue  le  marmouzet  d'ung 
cistre.Tule  bouteras  aulict  en  ma  place,  et  lu  verras  à  gaigner 

9" 


98 


CONÏKS    l)lU)|..VTl(jlKS. 


tes  douze  mille  eseiiz.  Va  luy  dire  qu'il  lire  ses  giègues  de  bon 
matin,  affin  (|iie  ie  resaielie  tes  tromperies  el,ung[)eu  avant  le 
iour,  ie  viendray  me  meslre  à  ses  coslez. 

Le  paouvre  marv  gi'eslolloyt,et  les  dénis  luy  tlacciuoyent  fort. 
Anssv,  la  eliaudierière  letonrna  devers  luy,  sonbz  le  j)relextede 
(juerir  ung  lini^e,  et  luy  dit  :  —  Knlielenez-vous  cliauld  dans 
votre  dezir.  Madame  l'aiet  ce  soir  ses  grans  cérémonies,  et  vous 
serez  bien  servy.  Mais  laictcs  raige,  sans  souiller  !  AuUrement 
ie  seroys  perdue. 

rin;il)lement,  ([uaud  le  bon  mary  l'eut  de  tout  ])oinct  gelé,  les 
llambt'aux  l'eurent  eslaincis,  la  mescbine  cria  tout  bas  dans  les 
rideaux  à  la  niye  du  Hoy  (|ue  le  seigneur  cstoyt  là;  puis  elle  se 
mit  au  lict,  et  la  belle  lille  sortit,  connue  si  elle  eust  esté  la 
cbambcrière.  L'advocat  yssit  de  sa  iroide  cacliette,  et  se  fourra 
congruement entre  les  toiles, en pourpensant en  luyMuesnie:  «  Ah! 
(|ue  c'est  bon  !  »  De  l'aiet,  la  cbandji'rière  luy  en  donna  j)Ourplus 
de  cent  mille  escuz,  Kt  le  boidioinmecongneut  bien  la  diriéience 
qui  est  entre  les  profusions  des  maisons  royales  et  la  petite  des- 
pense des  bourgeoyses.  La  mescbine,  (|ui  lioyt  connue  unepan- 
topble,  se  tira  de  son  roole  à  merveille,  lesgallant  le  cliicquanous 
décris  passablement  gentils,  torsions,  snrsaullsconvulsii's,  comme 
une  carpe  sur  la  paille,  et  faisant  des  ah!  ah!  ()ui  la  dispensoyent 
daullres  paroles.  Kt  tant  par  elle  l'eut  adressé  de  re(juestes,  et 
tant  feurent-elles  amplement  respondues  par  l'adrocat,  qu'il 
s'endormit  connue  une  pocbevuyde;  mais,paravant  de  liner,  cet 
aman!,  (jui  voulovt  conservi'r  le  soubvenir  de  cest(^  bonne  nuictée 
d'amour,  espila  sa  l'ennne,  à  la  favi'ur  d'un  soubresault,  ie  ne  sais 
on,  veu  (|ue  ie  n'y  esloys  j)oiul,  et  tint  en  sa  main  ce  prt-cienx  gaige 

de  la  cbaulde  vertu  de  la  belle  (ille.  Vers 

le  matin,  quand  le  coq  chanta,  la  belle 
lille  se  glissa  près  de  son  bon  mary,  el 
feignit  de  dormir.  Puis  la  cbandierière 
vint  lra|)peilegierementau  Iront  du  bien- 
heureux, en  luy  disant  à  l'aureillc  :  —  Il 
est  temps.  Pouilb'z  vos  chausses  el  tirez 
d'icy !  Vécy  le  iom.  Le  bonhonnne,  grief- 
vement  marry  de  laisser  ce  sien  threzoï',  voidul  veoir  la  source 
de  sou  bonheur  esvanouy. 

—  (III!  oh  !  feil-il  en  procédant  au  rccolement  des  pièces,  i'ay 
du  blond,  el  vécy  i]ui  est  noir. 


I.  \    MVK   m     MOV.  99 

—  Qu'avez-vous  faicl?  Iiiy  dit  la  iiicscliiiio.  Madaiiif  verra 
(luCilo  no  lia  j)oiiil  son  cuiiiijle. 

—  Oui,  mais  voyez. 

—  Mais,  leit-elle,  d'uii^air  de  niespris,  ne  sravez-voiis point, 
vous  (jui  sçavez  toul,  (|ue  ce  (jui  est  desplanté  meurt  et  se  des- 
colore? 

Kt,  là-dessus,  elle  le  gecta  dehors  en  s'esclalant  de  rire  avecques 
la  lionne  ^ouge.  Cela  l'eut  cogneu.  Ce  paouvre  advocat,  nommé 
IVron,  en  mourut  de  despit,  voyant  qu'il  estoyt  le  seul  qui  n'eust 
lioinl  sa  l'enniie,  tandis  (jue  elle?  qui,  de  ee,  l'eut  appelée  la  lielle 
l'i-ronnière,  espousa  après  avoii-  laissi'  le  Uoy,  ung  ieune  sei- 
gneur comte  de  Buzançois. 

Kt,  sur  ses  vieulx  iours,  elle  racontoyt  ce  bon  lour.  cl  en  riant, 
veu  (pi'elle  n'avoyt  iamais  pu  sentir  l'odeur  de  ce  cliicquanous. 

(^eci  nous  ap[)rend  à  ne  |toiiil  nous  attacher  phis  que  jkhis  ne 
(lehvons  à  lémmes  (pii  relTusent  de  porlei'  nosire  ioug. 


MAU-KINGK     ET    P  A  S  Q  U  i:  n  F.TTE 


L'iii:i{iTii:n  du  diahle 


Il  V  avovt  alors  iiiiif  lion  viciik  cliaiioiiu'  de  Nostre-Danie  do 
Paris,  lequel  demeuroyt  en  un  bon  logiz  à  luy,  jirouclie  Saiucl- 
Pierro  aux  Bœufs,  dans  le  Parvis.  CeUuy  elianuine  estoyt  venu 
simple  prebsfro  à  Paris,  nud  comme  dai^uesaul'  la  guaisne.  Mais, 
veu  qu'il  se  trouvoyl  eslre  ung  bel  lionnne,  bien  guarny  de  tout 
et  coniplexionné  si  plantureusement,  que,  par  adventure,  il  pou- 
voyt  l'aireronvraige  (lei)lusieurs  sans  trop  s'esbrescher,  il  s'adonna 
Irez  fort  à  la  couression  des  dames  :  baillant  aux.  m('lan(lioli(|nes 
une  doulce  absolution  ;  aux  maladilVes,  une  draebme  de  son 
baume  ;  à  toutes  une  petite  friandise.  11  fent  si  bien  cogneupour 
sa  discrétion,  sa  bienfaisance  et  aultre  qualitez  ecclésiasticques, 
qu'il  eut  des  praticipies  à  la  court.  Lors,  pour  ne  point  resveigler 
la  ialousie  de  l'oflieialité,  celle  des  maryset  aultres,  brief,  pour 
enduire  de  saincleté  ces  bonnes  et  proufdctables  menées,  la 
marescballe  Desquerdes  luy  bailla  ung  os  de  sainct  Nictor,  en 
vertu  duquel  os  tous  les  miracles  du  cbanoine  se  parfaisoyent. 
Kt  aux  curieux  il  estoit  respnndn:  —  Il  a  ung  os  (pii  guarrit  de 


102  CONTES  DROLATIQUES. 

tozt.  Et  à  ce  personne  no  Irouvoyl  lion  à  lodiro,  pour  co  cpi'il 
uVslovt  point  si'ant  do  soubçonnor  los  relicquos.  À  l'unibro  de 
sa  sontane,  le  bon  prebstreent  la  moilloure  des  renommées,  celle 
d'nnii  homme  vaillant  soubz  les  armes.  Aussy  vescut-il  comme 
mig  roy  :  battant  monnoye  avecques  son  goupillon,  et  transmuant 
l'oaiie  benoisteon  Imn  vin.  De  plus,  il  osloyt  rourhié  parmyloiis 


les  et  cœtera  (]es  notaires  oz  testamons,  ou  dans  los  oaudioiles, 
que  auleuns  ont  escript  CODKIILE  lanlsairement,  \c\\  que  le  mot 
est  issu  de  cauda,  comme  si  disiez  la  queue  des  legs.  Finablement, 
le  bon  frocquart  eust  esté  faict  archevesque,  s'il  eust  seulement 
dict  par  raillerie  :  — le  vouldrovs  bien  mettre  une  mitre  pour 
couvrechiel',  alfin  d'avoir  plus  cbauld  à  la  loslo.  Ains,  iV'  tous  les 
bénéfices  à  luy  oliorls,  il  n'oscloutcpi'ung  simple  canonicat,  pour 
se  réserver  les  bons  prouflicts  de  ses  coniessades.  Mais  ung  iour 
le  couraigéux  chanoine  se  trouva  foible  des  reins,  veu  qu'il  avoyt 
bien  soixante  buict  ans  ;  et,  de  faict,  avoyt  usé  bien  des  confes- 
sionnanlx.  Alors,  se  ramenlovant  toutes  ses  bonnes  œuvres, il 
crut  pouvoir  cesser  ses  travaulx  ap(»st()lic(jues,  d'autant  cpi'il 
possédoyt  environ  cent  niille  escuz,  gaigncz  à  la  sueur  de  son 
corps.  Dès  ce  iour  il  ne  confessa  plus  (juc  les  femmes  de  liault 
lignaige,  et  trez  bien.  Aussy  disoyt-on  à  la  court  (|ue,  maulgré 
leselTorts  des  meilleurs  ieunes  clers,  il  y  n'y  avoyt  en(;ores  tjue  le 
cliaïKiiiie  de  Sainct-Piorre  aux  Dœufs  pour  bien  blanchir  l'àiiir 


L'IlKlilTIKl!    m     hl  \i!l,i;.  10") 

d'iinf  Ccmnio  do  coiidilioii.  l'uis,  fiiliii,  li-  cliiiiioine  dt-vint,  par 
loirc  de  iiatiinMjn^f  l)Cau  nonagi-nairc,  bien  iici<:rux  do  la  teste; 
Ii(imIiI;iiiI  dos  mains,  mais  quarré  comnio  iirio  Umv  ;  ayant  tant 
ria(li('s;iiis  tousser,  (|iril  loiissoyt  loi-ssaiis  pouvoir  eiatlior;  ne  se 
levant  plus  de  sa  chaire,  Inyipii  s'esloyt  tant  levé  par  liunianité; 
mais  heuvant  Irais,  inangeanl  rude,  ne  S(uuianl  mol,  et  ayant 
tiiutes  les  apparenees  dimg  vivant  chanoine  de  Nostre-Dame.  \  eu 
riinniohilité  de  (  vsusdict  chanoine;  veu  les  relations  de  sa  vie 
niaulvaise,  (pii,  depuis  ung  |)eu  de  temps,  couroyent  parmy  le 
menu  peuple  [nusiours  ignare  ;  veu  sa  réclusion  nmette,  sa  floris- 
sante sanlt-,  sa  ieune  vieillesse  et  aullreschouses  longues  à  dire, 
il  V  avovt  aulcunes  gens,  lesipiels,  ])onr  l'aire  du  merveilleux  et 
miire  à  nostre  saincte  religion,  s'en  alloyenl  disanl  (pie  le  vray 
chanoine  ostoyt  pieçà  delTuiict,  et  (pie  depuis  |)lus  de  ciucjuante 
ans  le  diable  logeoyt  au  corps  du  diet  l'rocciuard.  De  t'aict,  il 
send)loyt  à  ses  anciennes  piacliquesfpie  le  diahleseul  avoyt|ui, 
par  sa  grant  chaleur,  l'ournir  aux  distillations  herméticjues 
qu'elles  se  ramentevoycnt  avoir  obtenues,  à  leurs  soubhaits,  de 
ce  bon  confesseur,  qui  tousionrs  avoyt  le  diable  au  corps.  Mais, 
comme  ce  diable  estoyt  notablement  cuyctet  ruyné  par  elles,  et 
(pie  pour  une  royne  de  vingt  ans  il  n'auroyt  pas  bougit^,  les  bons 
es|)erits  et  ceulx  (|ui  ne  manquoient  j)()inl  dosons,  ou  les  bour- 
geoys  qui  arraisonnoyent  sur  toutes  chouses,  gens  qui  trouve- 
royent  des  |)oulx:  sur  testes  ehaiilves,  demandoyent  pourqnoi  bî 
diable  restoyt  soubz  forme  do  chanoine,  alloyt  à  rocclisoNostre- 
Dame,  aux  heures  où  vont  chanoines,  et  s'adventiu'oyt  jus(pi'à 
gobber  les  ))arfums  de  l'encens,  goustor  à  l'eaiu'  benoiste,  puis 
mille  aultres  cbosos. 

A  eosproujtos  li('ri'lic(pi('s.  les  ungs  disoyent  que  le  diable  vou- 
loyt  sans  doidile  se  cuiivirlir,  et  les  aultres  que  il  demeuroyt  en 
fasson  de  chanoine,  jiourse  m()C(pu'i'dos  trois  ne|)veux  et  lu-ritiors 
de  ce  susdict  biave  confesseur,  et  leur  faire  attendre  ius(jues  au 
iour  (le  leur  propre  trespas  la  succession  am|de  de  cet  oncle  vers 
le(piel  ils  sedosportoyont  tous  les  iours,  allant  resgnarder  si  le 
bonhomme  avoyt  les  yoiilx  ouverts;  et,  de  faict,  le  trouvoyent 
tousionrs  l'œil  clair,  vivant  et  aguassant  comme  œil  de  basilic, 
C(!  (pii  les  (livertissovt  beaucoup,  veu  (pi'ils  avmoyent  Irez  fort 
leur  oncle,  en  paroles.  Ace  subiect,  ime  vieille  femme  racontoyt 
(pu'  pour  seur  le  chanoine  ostoyt  le  diable,  pitur  ce  (pie  deux  de 
se^  liepveiix.  le  jiiiiciin'iiiet  le  cap!  I  aille,  coiidllisaill  à  la  niliel  ItMir 


104  CONTES  DROLATIQUES. 

oncle,  sans  fallot  ni  lantorno,  au  rcldiirncrfrung  sou|icicliez  lo 
pt'nitcnrior,  l'avoyi'iit  laid,  par  inadvi-rk-iict',  ticlmclicr  dans  ung 
))(in  las  tli'  picni's  amassées  pour  élever  la  statue  de  sainet  Christo- 
phe. Dahord  le  vieillard  avox  t  l'iiiel  feu  en  lomhaul,  |)uis  s'estovt, 


aux  eris  de  ses  ehiers  nepveux  et  aux  lueurs  dedandjeaux  (pi'ils 
vindrent  quérir  chez  elle,  retreuvé  debout,  droiel  coiouie  une 
quille  et  f,Miay  comme  ung  esmerillon,  disant  (pie  le  hon  vin  du 
pcniloncierluy  avoyt  donné  lecouraige de  soustcuii-  ce  choc,  et  (pie 
ses  os  estoyent  hicii  durs  et  avoycnt  endos  assaillis  plus  i  ndcs.  Les 
bons  ne|tveux,  lecuvdaiil  mort,  l'eurent  bien  cstoimcz,  elveirent 
que  l(!  temps  ne  viendroyt  pas  raciicment  à  bout  de  casser  leur 
oncle,  yen  qu'à  ce  mcslicr  les  pierres  avoyent  tort.  Aussv  ne  l'ap- 
pcloycnt-ils  j(as  leur  bon  oucleà  l'aiilx,  veu  (pi'il  estoyl  de  bonne 
(jiialité.  Aulcunes  mescbantes  langues  disoycnt  cpie  le  chanoine 
avoyt  Ireuvé  tant  de  ces  pierres  sur  son  passage,  ipTil  restoit  chez 
luy,  pour  n'estre  point  malade  de  la  pierre,  et  (pie  la  crainte  du 
pire  csloyt  la  cause  de  sa  réclusion. 


L'IIlÎRITIKIi    1)1     IMM'.l.i:.  105 

De  tons  ces  diros  et  ruiiifiiis.  il  (•(iiistc  (|iic  le  vii'iiK  rluiiidiiic, 
(li;il)lc  (tu  non,  (IcrncMifoyl  en  son  In-i/,  ne   \iinloyt    poiiil  trcs- 

passcr,  et  avovt  trois  iK'rilii'isavccMiut's  losipK'ls  il  vivoytt-c ii; 

avec(|uessessciarK'(|U('s,  inankdc  reins  et  aultres  dcspendances 
de  la  vie  humaine.  Desdiets  trois  héritiers,  ung  estoyt  le  plus 
maulvais  souldard  (|ui  l'eust  yssu  d'ung  ventre  de  fennne,  et  il 
avoyt  deu  l)ien  descliirer  l'estoffe  de  sa  mère  en  cassant  sa  coc- 
quiile,  yen  qu'il  eslnyt  sorty  delà  aveeques  des  dents  et  du  poil. 
Aussy  mangioyt-il  aux  deux  tenq)s  du  verhe,  le  présent  et  l'adve- 
nir,  avant  des  garscs  à  luy,  dont  il  payoyt  les  oscollions;  tenant 
de  l'oncle  pour  la  durée,  la  lorce  et  le  bon  usaiye  de  ce  (jui  est 
souvent  de  service.  Dans  les  grosses  batailles,  il  taschoyt  de  donner 
des  lu.iidiis  sans  en  i'(Hc|tvoir.  ce  i|ni  est  et  sera  fousiours  le  seul 


lii'dhicsmc  à  resoiildiiMMi  guerre  ;  Mi:iis  il  ne  s"v  espar^^noyt  iamais; 
et,  de  l'aict,  comme  il  n'avoyt  point  d'aultre  vertu,  hormis  sa  bra- 
voure, il  l'eut  capitaine  d'une  compaignie  de  gi'ans  lances  et  fort 
aynié  du  duc  de  Bourgongne,  lequel  s'enqueroyt  fort  peu  de  ce  que 
l'aisoyent  r///V/s  ses  souldards.  Cettuy  nepveu  du  diable  avoyt  nom 
le  capitaine.  Coeliegrue  ;  et  ses  créanciers,  les  lourdiers,  bour- 
geoys  ou  aulfres  dont  il  ci-evovt  les  poches,  l'appeloyent  \o  Mau- 
cinge,  veu  qu'il  estoyt  malicieux  autant  que  fort  ;  mais  il  avoyt 
de  plus  le  dos  guasté  par  l'infirmité  naturelle  d'une  bosse,  et  il 
ne  falloyt  point  faire  mine  de  monter  dessus  poni'  voir  plus  loing, 
car  il  vous  auroyt  navn-,  sans  conteste. 

Le  secund  avoyt  estudit'  les  Coustumes,  et,  par  la  faveur  de  son 
oncle,  estoyt  devenu  bon  procureur  et  plaidoyt  au  Palais,  où  il 
faisoyt  les  affaires  des  dames  que  iadis  le  chanoine  avoyt  le  mieulx 
confessées.  Cettnv-là  senomniovf  P///e-/7r//r,pour  le  railler  siu* 


106  CONTES  DROLATIQUES. 

son  vraynoin,(im  csloyt,  Coclionriio.  romnif  colluy  du  capitaine 

son  iVôre.  Pille-grue  avoyt  ung 
ehestil'  coi|)S.  s(>nil)loyt  lascliier 
(le  l'eaue  Irez  lioide,  esloyl  pasle 
(le  visaige  et  possédoyt  une  phy- 
sionomie en  manière  de  hec  de 
foiiyne.  Ce  néanlmoins,  il  valovl 
bien  ung  denier  de  ])lus  (pie  ne 
valoyt  le  capitaine,  et  porloyt  à 
son  oncle  une  pinte  d'alTection  ; 
mais,  depuis  environ  deux  ans, 
son  cueur  s'estoyt  ung  peu  feslé, 
et,  goutte  à  goutte,  sa  reeognois- 
sancc  avoyt  fuy;  de  sorte  (jue, 
de  temps  à  aullre,  quand  l'aër 
esloyt  humide,  ilaimoytà  metli'e 
ses  pieds  dedans  les  chausses  de 
son  oncle  et  à  presser  par  avance 
le  ius  de  eeste  tant  bomie  succes- 
sion. 

l.iiy  et  son  l'rc're  le  soiildard 
ti'euvoyent  leurpartbien  li^giere, 
v(Mi  ([\u\  loyaulment,  en  droict, 

en  faict,  en  iustice,  en  nature  cl  en  r('alil(',   hesoing  estoyt  de 

domier  la  tierce  partie  du  tout  à  iing 

])aouvre  cousin,  (ils  d'une  aultre  s(eiir 

du  chanoine,  I(Mni(l  li('ritier,peuaymé, 

du   honliomme,  restoyt  aux  champs, 

où  il  estoyt  hergier  pn^'s  IVaiiterre. 
Celtiiy  gnardien  de  hestes,  ])avs;ni 

à  l'ordinaire,  vint  en  ville,  sur  l'advis 

de  ses  deux  cousins,  (pii  le  mirent 

en  la  maison  de  leur  oncle,  dans  l'es- 
poir (pie  tant  par  ses  asneries,  loin-- 

dcries,  tant  |»ar  son  defraiilt  d'engin, 

tant  jiar  son  maltalent,  il  sccdyl  lifs- 

])laisanlau  chanoine,  qui  le  iiiclliuyl 

à  la  porte  de  son  testament.  l(oncipi(>^ 

ce  paiuivre  (lliiipion,  ci»nnne  avo\  t  ihhii  If  licrgicr.  Ii:iliilii\ 

seul.  avrc(pi('s  son   vieil  oncle,  (lc|iins    t\\\ii    mois    ciniidi 


i^ss;:. 


CcKuy  guardiun  du  he^lc»,  pay?uii  à  l'ordiuaire,  viut  eu  ville. 


108  CO.M'KS  IIIIOI.VTIQUES. 

tiL'Uvanl  jiliis  (lo  [nvniHicl  un  dç.  iliverlissciUL'ul  ù  guaider  un 
abbé  qu'à  veigler  sur  des  moulons,  se  ieit  le  chien  du  chanoine, 

son  scrvilcni-,  son  l)aston  de  vieil- 
li'ssc,  luy  (lisant  :  «  Dieu  vous  cou- 
M'i  vc  !  (juand  il  |)elloyt  :  «  Dieu  vous 
s;iulvL'  !  »  (|uan{l  il  esternuoyt,  et 
«  Dieu  vous  garde  !  »  (juand  il  rotoyt  ; 
allant,  veoir  s'il  pleuvoyt,  où  estoyt 
la  eliatfe,  icslanl  nuiel,  eseoulaiit, 
|iarlant,  recevant  les  tousseries  du 
Ijoiihomme  par  le  nez,  l'admirant 
conune  le  plus  beau  chanoine  qui 
fensl  au  monde,  le  tout  de  cueur,en 
lionne  IVanchise,  ne  saicliant  point 
qu'il  le  lescliast  à  la  manière  des  chiennes  (jui  espoussetlent  leurs 
petits;  et  l'oncle,  auquel  ne  l'alloyt  point  apprendre  de  quel  costé 
du  pain  estoyt  lafrippe,rebuttoyt  ce  paouvre  Chiquon,  le  faisoyt 
virer  comme  un  dez  ;  tousiours  appelant  Chicpion,  et  tousiours 
disant  à  ses  aultres  nepveux  (jue  ce  Chiquon  l'aidoyt  à  mourir, 
tant  basiourd  qu'il  estoyt.  Là-dessus,  oyant  cela  Chiquon  se 
demenoyt  à  bien  l'aire  à  son  oncle,  et  s'esguisoyt  l'entendement 
à  le  mieulx  servir;  mais,  comme  il  avoyt  l'arrière-train  formulé 
comme  une  paire  de  citrouilles,  estoyt  large  des  espaules,  gros 
des  nKMubres,  peu  desgourd,  il  ressembloyt  davantaige  au  sieur 
Silène  (ju'à  ung  légier  Zéphyrus.  Au  l'aict  le  j)aouvre  beigier, 
homnu'  sinqtle,  ne  pouvoyt  se  iep(^strir  :  aussy  restoyt-il  gros 
et  gras,  en  attendant  la  succession  pour  se  maigrir. 

Ung  soir,  monsieur  le  chanoine  discouroyt  sur  le  conqjle  du 
diable  et  sur  les  griefves  angoisses,  supplices,  tortures,  etc.,  (jue 
Dieu  cliaufloyt  |tour  les  dannii's;  et  le  bon  Cihi(|non,  escoutant, 
«l'ouvrir  des  yenlx  gians  comme  la  gueule  d'ung  four  à  ces  devis, 
sans  en  rien  croire. 

—  Yère,  feit  le  chanoine,  n'cs-tu  pas  chrestien'.' 

—  En  da  !  oui,  respondit  Chiquon. 

■    —  Eh  bien,  il  y  ha   ung  paradiz  |(our  les  bons  :  ne  faut-il 
point  un  enfer  |)()ur  les  mcschans? 

—  Oui,  monsieur  h;  chanoine;  mais  le  diable  n'est  ])oiut 
utile...  Si  vous  avii-z  céans  ungmeschant  qui  vous  n)etloyt  tout 
sens  dessus  dessoubz,  ne  le  bouteriez-vous  point  dehors? 

—  Oui,  (;hi(jnon... 


L'HÉRITIER  1)1    DIAliLK.  109 

—  Ilobien!  monsieur  mon  oncle,  Dieu  seroyt  bien  nij^aud  de 
laisser  dans  cettuy  monde,  (|u'il  lia  si  curieusement  basfy,  ung 
abominable  diable  espécialement  occupé  à  luy  guaster  tout... 
Foiny!  ie  ne  recognoys  po'wil  le  diable,  s'il  y  lia  ung  bon  Dieu... 
Fiez-vous  là-dessus.  le  vouldroys  bien  veoir  le  diable!...  Ha!  ie 
n'ay  point  paour  de  ses  grij)lies... 

—  Ab  !  si  i'cstoys  dans  ta  liance ,  ie  n'auroys  nul  soulcy 
de  mes  ieunes  ans  où  ie  conlessoys  bien  di.\  foys  par  cbascun 
iour.,. 

—  Confessez  cncores,n)onsieui' l(;(liantiine!...  le  vous  al'lirme 
(|ue  ce  seront  mérites  prétieux  là-bault. 

—  La!  la!  est-ce  vray?... 

—  Oui,  monsieur  le  cbanoine. 

—  Tu  ne  trend)les  point,  Clii(|uon,  de  nier  le  diable?... 

—  If  m'en  soulcie  comme  d'une  gerbe  de  leurre!... 

—  Il  t'advicndra  du  dcsplaisir  de  ceste  doclrine. 

—  Nullement!  Dieu  medelïendra  bien  du  diable, pour  ce  que 
ie  le  croy  plus  docte  et  moins  beste  que  le  font  les  savans. 

Là-dessus,  les  deux  aullres  nepvcux  entrèrent,  et,  recognoissant 
à  la  voix  du  elianoinc  (ju'il  ne  liaïoyt  point  trop  Cliiiiuon,  et  que 
les  (loléaiices(ju'il  laisoyt  à  son  endroict  esloycnt  de  vrayes  einge- 
ries  pour  desguiser  l'affection  qu'il  luy  portoyt,  se  resguardèrent 
bien  estomiez. 

Puis,  voyant  leur  oncle  en  train  de  rire,  ils  luy  dirent  : 

—  Si  vous  veniez  à  tester,  à  (jui  lairriez-vous  la  maison'? 

—  A  Cbifiuon. 

—  Lt  les  censives  de  la  rue  Sainet-Denys'.' 

—  A  Cbiquon. 

—  Et  le  lief  de  Ville-Parisis? 

—  A  Cbiquon. 

—  Mais,  feit  le  capitaine  de  sa  grosse  voix,  tout  sera  doncques 
à  Cbiquon? 

—  Non,  respondit  lecbanoine  en  soubriant,  pour  ce  que  i'auray 
beau  lester  en  bonne  forme,  mon  liéritaige  sera  au  plus  fin  de 
Vous  trois.  le  suissi  près  de  radvenir,que  i'y  veois  lors  clairement 
vos  destins. 

Ll  le  rusé  cbanoine  gecta  sur  Cbiquon  ung  resguard  mali- 
cieux, connue  auroyt  pu  faire  une  linotte  coëfl'ée  à  ung  mignon 
pour  l'attirer  en  son  clappier.  Le  feu  de  cet  œil  llanibant 
esclaira  le  bergier,  qui,  dès  ce  moment,  eut  renlendement,  les 

lu 


110  CONTES  DROLATIQUES. 

aurcilles,  fout  dcshrouillé,  et  la  cervelle  ouverte,  comme  est  uue 
pucclle  le  lonilomaiii  de  ses  nopces.  Le  procureur  et  le  capitaine, 
prenant  ces  dires  pourproplic'lies  d'Evangile,  tirèrent  leurs  révé- 
rences et  sortirent  du  logiz,  tout  chicquanez  des  visées  saugrenues 
du  chanoine. 

—  Que  penses-tu  de  Clii({Uon?  dit  Pille-grue  au  Mau-cinge. 

—  le  pense,  ie  pense,  feit  le  souldard  en  grondant,  que 
ie  pense  à  m'emljusquer  dans  la  rue  de  Iliérusalem,  jjour  luy 
mettre  la  teste  en  bas  de  ses  pieds.  11  la  recollera,  si  bon  luy 
semble. 

—  Oh!  oh!  feit  le  procureur,  tu  as  une  fasson  de  blessure  qui 
se  recognoistroyt,  et  l'on  diroyt  :  «  C'est  Cochegrue.  »  Moy,  ie 
songeoys  à  le  convier  d'ung  disner,  après  lequel  nous  iouerions 
à  nous  bouter  dans  ung  sac,  à  cesle  lin  de  veoir,  connue  chez 
le  Koy,  à  qui  niarchoroyt  mieulx  ainsy  accoustré.  Puis,  l'ayant 
cousu,  nous  le  proiecterions  dans  la  Seyne,  en  le  priant  de 
nager... 

—  Cecy  veult  estre  bien  meury,  reprint  le  souldard. 

—  Oh!  c'est  tout  nieur,  ieil  l'advocat.  Le  cousin  estant  au 
diable,  l'hoirie  sera  })0ur  lors  entre  nous  deux. 

—  le  veulx  bien,  dit  le  batailleur.  Mais  besoing  sera  d'eslre 
ensemble  comme  deux  iambes  d'ung  mesme  corps  :  car,  si  tu  es 
fin  comme  soye,  ie  suis  fort  comme  acier,  et  les  dagues  valent 
bien  les  lassets!...  Oyez  ça,  mon  bon  frère... 

—  Oui!...  feit  l'advocat,  la  cause  est  entendue;  maintenant, 
sera-ce  le  fil  ou  le  fer? 

—  Eh  !  ventre  de  Dieu  !  est-ce  doncques  ung  roy  que  nous 
avons  à  deffaire?  Pour  ung  simple  lourdaud  de  bergier,  faut-il 
tant  de  paroles?...  Allons!  vingt  mille  francs  sur  l'hoirie  à  celluy 
de  nous  qui,  premier,  l'aura  descoupé!...  le  luy  diray  de  bon 
foye  :  «  llamasse  ta  teste!  » 

—  Et  moy  :  «  Nage,  mon  amy!...  »  s'escria  l'advocat  en  liant 
conmie  la  fente  d'ung  pourpoinct. 

Puis  ils  s'en  allèrent  souper,  le  capitaine  chez  sa  gouge,  et 
l'advocat  chez  la  fenuiie  d'ung  orpliebvre,  de  la(|uelle  il  esloyt 
l'amant. 

Qui  feut  esbaliy?...  Chi(iuon  !  Le  paouvre  bergier  enlendoyt  le 
deviz  desa  mort,encores  (juc  ces  deux  cousins  se  pourmenassent 
dans  le  j)arvizet  se  j)arlassent  l'ung  à  l'aultre  comme  ungchascun 
parle  à  l'ecclisc.  en  priant  Dieu.  Aussy,  Cliiquon  estoyt  foit  en 


L'HERITIER  DU  DIARLE. 


m 


poine  (Ifi  sçavoir  si  les  paroles  mon  lovent  ou  si  ses  aureillcs 
estoyent  dcseendues. 

—  Entendez-vous,  monsieur  le  chanoine? 

—  Oui!  IVil-il,  i'enlcnds  le  bois  qui  sue  dans  le  feu... 

—  Ho!  Iio!  lespondit  Chiquon,  si  ie  ne  crois  point  au  diable, 
ic  crois  en  sainct  Michel,  mon  anye  j^ardicii,  cl  ie  cours  là  où  il 
m'appelle... 

—  Va,  mon  enfanl  !  dit  le  chanoine,  et  prends  guarde  de  te 
mouiller  ou  de  te  faire  trancher  la  teste,  car  ie  crois  entendr(= 
ruisseler  de  l'eaue;  et  les  truands  de  la  rue  ne  sont  pas  tousiour; 
les  plus  dangereux  truaiuls... 

A  ces  mots,  Chiquon  s'estomira  bien  fort,  et,  resguardant  h 
chanoine,  luy  treuva  l'air  bien  guay,  l'œil  bien  vif  et  les  pied, 
bien  crochus;  mais,  comme  il  avoyt  à  mettre  ordre  au  trespas 
qui  le  menassoyt,  il  songea  qu'il  auroyt  tousiours  le  loisir  d'ad- 
mirer le  chanoine  ou  de  luy  rongner  les  ongles,  et  il  devalla 
vilement  par  la  ville,  comme  fennne  trollanl  menu  devers  son 
plaisir. 

Ses  deux  cousins,  n'ayant  nulles  presumi)lions  de  la  science 
divinatoire  dont  lesbergiers  ont  maintes  bourrasquespassaigieres, 
avoyent  souventes  foys  devisé  devant  luy  de  leurs  traisnées  se- 
creltes,  le  comptant  pour  rien. 

Ores  ung  soir,  pour  divertir  le  chanoine.  Pille-grue  Iiiy  avoyt 
raconté  comment  s'y  prenoyt,  en 
ainoiM',  la  femme  de  cet  orphebvre 
à  la  teste  duijuel  il  aiustoyt  Irez  bien 
des  cornes  ciselées,  brunies,  sculj)- 
tées,  historiées  comme  salières  de 
prince.  La  bonne  damoiselle  estoyt, 
à  l'entendre,  ung  vray  moule  à  go- 
guettes, hardie  à  la  rencontre;  des- 
peschant  une  accolade  pendant  le 
temps  que  son  mary  montoyt  les  de- 
grez,  sanss'esbahirderien  ;  dévorant 
la  denrée  comme  si  elle  gobboyt  une 
fraize  ;  ne  songeant  ipi'à  butiner; 
toujours  V('tiliant,  l'ri'lillant  ;  gaye 
connue  une  hoimeste  femme  à  (jui  rien  ne  fault  ;  contentant  son 
bon  mary,  qui  la  chérissoyt  aussy  fort  qu'il  pouvoyt  aymer  son 
gosier  ;  et  luie  comme  ung  perfum  ;  et  tant  que,  depuis  cinq  ans, 


112  CONTES  DROLATIQUES. 

elle  aftustoyt  si  bien  le  train  de  son  niesnaige  et  le  train  de  ses 
amours,  qu'elle  avoyt  renom  de  preude  fenuiie,  la  confiance  de 
son  marv,  les  clefs  du  logiz,  la  bourse,  et  tout. 

—  Et  quand  doncques  iouez-vous  de  la  llusle  doulce?  demanda 
le  cbanoine. 

—  Tous  les  soirs.  Et  bien  souvent  ie  couclie  aveeques  elle. 
"  —  Et  comment?  feit  le  chanoine  estonné. 

—  Vécy  comme.  Il  y  lia.  dans  ung  réduict  voisin,  unggrant 
bahut  oîi  ie  me  loge.  Quand  son  bon  mary  rentre  de  chez  son 
compère  le  drapier,  oii  il  va  souper  fous  les  soirs,  pour  ce  qu'il 
en  faict  souvent  la  besongne  près  de  la  drapière,  ma  maistresse 
obiecte  ung  peu  de  maladie,  le  laisse  concilier  seul,  et  s'en  vient 
faire  panser  son  mal  dans  la  chand)re  au  bahut.  Lendemain, 
quan(l  mon  orphebvre  est  à  sa  forge,  ie  dévalle;  et,  connue  la 
maison  ha  une  yssue  sur  le  pont  et  l'aultre  en  la  rue,  ie  suis 
tonsiours  venu  par  l'imys  oiî  le  mary  n'est  pas,  soubz  prétexte 
de  luy  parler  de  ses  procez  que  i'entretiens  tous  en  ioye  et  en 
.santé,  ne  les  laissant  point  finer.  C'est  un  cocquaige  à  rentes, 
veu  que  les  menus  frais  et  loyaulx  cousts  des  procédures  luy  des- 
pensent autant  que  chevaulx  en  l'escuyrie.  11  m'ayme  beaucoup, 
connue  tout  bon  cocqu  doibt  aymer  ccluy  qui  l'ayde  à  bescher, 
arrouzer,  cultiver,  labourer  le  jardin  naturel  de  Vénus,  et  il  ne 
l'aict  rien  sans  moy. 

Ores,  ces  practiques  revindrent  en  mémoire  dubergier,  qui  feut 
illuminé  par  une  lueur  yssue  de  son  dangier,  et  conseillé  par 
l'intelligence  des  mesures  conservatoires  dont  chaque  animal 
possède  une  dose  suffisante  pour  aller  jusqu'au  bout  de  son 
peloton  de  vie.  Aussy,  Chicjuon  gaigna,-  de  pied  chauld,  la  rue 
de  la  Calandre,  où  debvoyt  estre  l'orphebvre  en  train  de  souper 
avec(jues  sa  commère  ;  et,  aj)rès  avoii-  congné  à  l'huys,  respondu  à 
l'interrogafoireà  travers  la  j)efife  giille,  et  s'esfre  diet  messaigier 
de  secrets  d'Estat,  il  feul  admis  au  logiz  du  drapiei'.  Ores,  venant 
droict  au  l'ait,  il  feit  lever  de  table  le  ioyeulx  orphebvre,  le 
destourna  dans  ung  coin  de  la  salle,  et  là  luy  dit  :  —  Si  ung 
de  vos  voisins  vous  planfoyt  ung  taillis  sur  le  front,  et  (pi'il  vous 
feust  livré  pieds  et  poings  liez,  ne  le  bouferiez-vous  point  dans 
l'eaue? 

—  Trez  bien,  feit  l'orphebvre;  mais  si  vous  vous  gaussez  de 
nioy,  ie  vous  congneray  dur. 

—  La!  la!  reprinf  Cliiquon,  ie  suis  de  vos  aniys,  ef  viens  vous 


L'HKRITIER   DV  DIABLE. 


Mo 


advortir  (|iio,  aiilaiit  do  ibys  vous  avoz  j)ivconis('  la  draj)in('  de 
ci'aiis,  aulaiil  l'Iia  csli' votre  bonne  t'eiiMne|iarradvo(;alI'ille-griic; 
et,  si  vous  voulez  revenir  à  vostre  foriic,  vous  y  Ireuverez  bon 
l'eu.  A  vostre  venue,  celluy  qui  balaye  gentemcnt  ce  que  vous 
sçavez,  pour  le  tenir  propre,  se  boutera  dedans  le  grant  bahut 
aux  bardes.  Ores  laides  estât  que  ie  vous  aebe[)le  ledictbabut,  et 
(jue  ie  seray  sur  le  pont,  avecques  ung  eliarrelon,  à  vostre  eoni- 
niandenient. 

Lediet  orphebvre  print  son  manteau,  son  bonnet .  laulsa  eoni- 
paignie  à  son  compère,  sans  dire  ung 
mot,  et  courut  à  son  trou,  comme  ung 
rat  enq)oisonnt'.  11  arrive  et  i'rappe  ; 
on  ouvre,  il  entre,  monte  les  degrez 
en  baste,  trouve  deux  couverts,  entend 
fermer  le  babut,  veoit  sa  femme  reve- 
nant de  la  cbambre  aux  amours,  et 
lors  il  luy  dict  :  —  Mamye,  vécy  deux 
couverts. 

—  Hé  bien,  mon  mignon,  ne  som- 
mes-nous pas  deux? 

—  Non,  feit-il,  nous  sommes  trois. 

—  Vostre  compère  vient?  l'eit-elle  en  rosguardanl  aussitôt  par 
les  degrez  avecques  une  parlaicte  innocence. 

—  Non,  ie  parle  du  compère  qui  est  dans  le  bahut. 

—  Quel  bahut?  feit-elle.  Estes-vous  en  vostre  bon  sens?  Où 
vo\ez-vous  ung  bahut?  Met-on  des  compères  dans  les  bahuts? 
Suis-jc  femme  à  logier  des  bahuts  pleins  de  compères  ?  Depuis 
<juand  lesconqières  logent-ils  dans  des  bahuts?  Rentrez-vous  fol, 
poui-  mesler  vos  conq)ères  et  vos  bahuts?  le  ne  vous  cognoys  de 
compère  que  maistre  Corneille  le  drapier,  et  de  bahut  que 
celluy  où  sont  nos  bardes. 

—  Oh  !  feit  l'orpbobvre.  Ma  bonne  fennne,  il  y  ha  ung  maulvais 
garson  (jui  est  venu  m'advortir  que  tu  te  laissovs  chevaulcher  par 
noslre  advocat,  et  (lu'il  estoyt  dans  ton  bahut. 

—  Moy!  l'eit-elle,  ie  ne  sam-oys  sentir  ces  cbicciuanieis  :  ils 
besongnent  tout  de  travers.,. 

—  La!  la!  ma  mye,  reprint  rorpbobvre.ie  tecognoys  pour  une 
bonne  l'emme,  et  ne  veulx  point  avoir  de  castille  ave('(|ues  toy 
pour  nng  meschant  bahut.  Le  dduneur  d'adviz  est  ung  lavetior, 
auquel  ie  vais  vendre  ce  mauldict  Italiut,  (|iif  ie  ne  veulx  j)lus 

10. 


Il 


(.O.NTKS   DIlOI.VTlorES. 


iarnais  veoir  céans;  et,  pour  celluy-là,  il  m'en  vendra  dcuxiolys 
petits,  où  il  n'y  aura  pas  tant  spuleiuent  la  place  d'ung  enfunt  : 
par  ainsy,  les  niescliancetez  et  lialileries  des  envieux  de  ta  vertu 
seront  estaincles,  laullf  d'aliment. 

—  Vous  me  laictes  l)ien  plaisir,  dit-elle  :  ie  ne  tiens  jxiiiit  à 
mon  bahut,  et,  par  adventure,  il  n'y  ha  rien  dedans.  Nostrc  linge 
est  à  la  buanderie.  11  sera  facile  d'emporter  dès  demain  matin  ce 
bahut  de  meschiel'.  Voulez-vous  souper? 

—  Xenny  !  dit-il,  ie  soupei'ay  de  meilleur  appétit  sans  ce 
bahut. 

—  le  veois,  dit-elle,  ({ue  le  bahut  sortira  plus  facilement  d'icy 
(jue  voire  teste... 

—  lloià!  hé!  ci'ia  rorpiicbvie  à  ses  forgerons  et  apprentifs. 
Descendez  ! 

En  ung  clin  (l\ril,  ses  gens  feureut  en  jiiod.  Puis,  luy,  le 
maistre, leur  ayant  conuiiandébriefvement 
la  manutention  dudicl  bahut,  le  meuble 
aux  amours fcutsouhdainenient  transh'oté 
par  la  salle;  mais,  en  passant,  l'advocat, 
se  treuvant  les  pieds  en  l'aër,  ce  dont 
il  n'avoyt  coustume,  tresbuchia  ung 
|iclit. 

—  Allez,  (lit  la  lenime,  allez!  C'est  le 
niontanl  qui  bouge. 

—  Non,  ma  niye,  c'est  la  cheville. 
Et,  sans  aultre  conteste,  le  bahut  glissa 

irez  gentenumt  le  long  des  degrez. 

—  Holà,  lecharreton  Ifeit  l'orpbebvre. 
EtCliiquon  (le  venir  en  sifflant  ses  mules,  et  bous  apiMcntils 

de  bouler  le  Itahut  processif  dessus  la  charrette. 

—  lié!   hé!  feit  l'ad vocal. 

—  Maislre,  le  bahut  j)ark',  dil  ung  aj)prentil'. 

—  En  quelle  langue?  feil  l'orpbebvre  en  luy  donnant  mig  bon 
(•ou|(  de  pied  entre  deux  gentillesses  qui  heureusement  n'estoyent 
point  de  verre.  L'ap|tit'nlif  alla  cheoir  sur  ung  degré,  de  sorte 
cpi'il  disconliniui  ses  esludes  en  langue  de  bahut.  Le  bergier, 
acc(»uq)aigné  du  bon  orphebvre,  enmieiia  tout  le  bagaige  au  bord 
do  l'eaue,  sans  cscouter  la  baulte  élo(juence  du  bois  parlant;  et, 
luy  ayant  adiouvié  (piclque^  pi(^ri("<,  rorithchvi'c  le  gerla  en  la 
Sovnt'. 


L'IlfiRITIER  nr  DIARLE.  Hb 

—  Nage,  mon  amij!  cria  le  I)t'rgior  d'uiic  voix  suffisamment 
raillarde,  au  moment  où  le  haliut  s'Iiumecta  ou  faisant  ung  beau 
petit  plongeon  de  canard.  Puis  Ciiiipiou  continua  d'aller  par  le 
quay  iusques  en  la  rue  du  port  Sainct-Landry,  près  le  cloistre 
Nostrc-Dame.  Là,  il  advisa  ung  logiz,  recogneut  la  porte  et  y 
frappa  rudement. 

—  Ouvrez,  dit-il,  ouvrez  de  par  le  Roy! 

Oyaut  cela,  ung  vieil  lionune,  (|ui  n'estoyt  aultre  que  le  fameux 
lombard  Versoris,  accourut  à  l'Iinys. 

—  Qu'est  cecy?  feit-il. 

—  le  suis  envoyé  par  le  prevost  pour  vous  pn'venir  de  faire 
bonne  guette  ccste  nuict,  respoiulitCliiquon,  connue  de  son  costé 
il  mettra  sur  pied  ses  archers.  Le  bossu  qui  vous  lia  volé  est  de 
retour.  Demourez  ferme  soubz  les  armes,  car  il  pourroyt  bien 
vous  deslivrer  du  restant. 

Ayant  dict,  le  bon  bergier  lascha  pied  et  courut  en  la  rue  des 
Marmouzets,  à  la  maison  on  le  capitaine  Cocbegrue  esfovt  à 
banqueter  avecques  la  Past[ueretle,  la  plus  iolie  des  villotières 
et  la  plus  mignonne  en  perversitez  (|ui  l'eust  alors,  au  dire  de 
toutes  les  filles  de  ioye.  Le  resguard  d'ycelle  estoyt  vif,  perçant 
comme  ung  coup  de  poignard.  Son  allure  estoyt  si  chatouilleuse 
à  la  veue,  qu'elle  eust  mis  le  paradiz  en  rut.  Knfin,  elle  estovt 
hardie  comme  une  femme  qui  n"ha  plus  d'aultre  vertu  que  l'inso- 
lence. Le  paouvre  Chiquon  estoyt  bien  empesché,  en  allant  au 
quartier  des  Marmouzets.  11  avoyt  grant  paour  de  ne  point  des- 
couvrir le  logiz  de  la  Pasquerette,  ou  detreuver  les  deux  pigeons 
couchiez;  mais  ung  bon  ange  acconunodoyt  espécialement  les 
chouses  à  sa  guyse.  Vécy  connue.  Kn  entrant  dans  la  rue  des 
Marmouzets,  il  veit  force  lumières  aux  croisées,  testes  coëflées 
de  nuict  dehors,  et  bonnes  gouges,  villotières,  femmes  de 
mesnaigc,  marys,  damoiselles,  ung  chascun  freschement  levé, 
se  resguardaut  comme  si  l'on  menoyt  pendre  ung  voleur  aux 
flambeaux. 

—  Et  (ju'y  ba-t-il?  feit  le  bergier  à  ung  bourgeoys,  lequel  en 
grant  haste  estoyt  sur  sa  porte  avecques  une  pertuysanne  en  la 
main. 

—  Oh!  ce  n'est  rien,  rospondit  le  bon  homme.  Nous  cuydions 
que  lesArmignacs  dévalloyenl  par  la  ville;  mais  c'est  leMau-cinge 
(|ui  bat  la  Pas((uerette. 

—  Où  est-ce?  demanda  le  bcriiier. 


no  CONTES  nROI.ATIOrES. 

—  Là-bas,  à  cesto  belle  iiiaismi  dont  les  jiilieis  ont  on  bault 
des  gueules  do  boaulx  crapauds  volans  bien  niignonnonient  en- 
gravéos.  Entendez-vous  les  varlots  et  les  cbaniberières? 

Et,  de  l'aiet,  ce  n'estoyont  que  cris  :  —  Au  meurtre!  au 
secours  !  Holà  !  Venez  !  Puis,  dans  la  maison,  pleuvoyent  les 
coups;  et  le  Mau-cingo  disoyt  de  sa  grosse  voix  :  — A  mort 
la  garse  !  Tu  cliantes,  ribaulde!  Ah!  tu  veulx  des  escuz!  en 
voilà  ! 

Et  la  Pasquerelte  gemissoyt  :  «  Hein!  hein!  ie  meurs!  à  moy;! 
Hein!   hein!...  »  Lors,  un  grant  oou[)  de  l'er,   jiuis  la  lourde 


chute  du  légier  corps  de  la  iolie  lîlle,  sonnèrent,  et  feuront 
suyvis  d'ung  grant  silence;  après  quoy,  les  lumières  s'esteigni- 
rent  :  servitaurs,  chainberières,  convives  et  aultres  rentrèrent, 
et  le  bergier,  qui  estoyt  advenu  à  tenqjs,  monta  les  degrez,  <le 
conq)aigni(!  avecques  eulx.  ]\Iais,  en  voyant  dedans  la  salle  liaulte 
les  llaccons  cassez,  les  tapisseries  coui)ées,  la  nappe  à  terre 
avecques  les  plats,  ung  chascun  demoura  coy. 

Le  bergier,  hardy  comme  ung  honnne  adonné  à  ung  seul 
vouloir,  ouvrit  l'buys  de  la  belle  cliaiiibre  où  coucbiovt  la 
l'as<pierelte,  et  la  trouva  toute  delTaicle,  les  eheveulx  espars, 
la  gorge  de  travers,  gisant  sur  son  tapis  ensanglanté  ;  puis,  le 
Mau-cinge,  esbahy,  qui  avoyt  le  verbe  bien  bas,  ne  saicliant 
plus  sui-  rpielle  note  chanter  le  reste  de  son  aniierme 


L'HÉRITIER  DU  DIABLE. 


117 


—  Allons!  ma  petite  F*as(juoi'otto,  ne  fais  point  la  morte  !  Viens 
rà,quc  ie  te  raccounnodc!  Ah!  sournoyse,  delfuncle  ou  vivante, 
tu  es  si  iolift  dans  le  sang,  que  ie  vais  t'accollcr! 

Ayant  dict,  le  ruse  souldard  la 
printet  la  gectasur  le  lict;  mais  elle 
y  tomba  tout  d'une  pièce  et  roid(^ 
comme  le  coij)s  d'ung  pendu.  Ce  q\u^ 
voyant,  le  compaignon  erutcpi'il  dclt- 
voit  tirer  sa  bosse  du  lieu  ;  cependant 
le  malicieux,  avant  de  lever  le  pied, 
dit  :  —  Paouvre  Pas(|uerelte!  Com- 
ment ay-je  pu  meunlrir  unesi  bonne 
lille  f[uc  i'aymoys  tant!  Mais,  oui,  ie 
l'av  tuée,  et  la  chouse  est  claire,  car 
de  son  vivant  iamais  son  ioly  tettin  ne 
se  feust  laissé  clieoir  conune  il  est  ! 
Vrai  Dieu!  l'on  diroyt  ung  escu  au 
fond  d'ung  bissac. 

Sur  ce,  la  Pasquerette  ouvrit  l'œil  et  imliria  légieiement  la 
teste  pour  veoir  à  sa  chair,  qui  estoyt  blanche  et  ferme;  lors, 
elle  revint  h  la  vie  par  ung  grant  soulllet  qu'elle  bailla  sur  la  inné 
du  capifaiiic. 

—  Voilà  pour  médire  des  morts.  IVit-elle  en  soubriant. 

—  Et  pouripiov  doncques  vous  tuoyt-il,  ma  cousine?  demanda 
le  bergier. 

—  Pourquov?  demain  les  sergcns  viennent  tout  saisir  léans,  et 
luv,  qui  n'a  pas  j)lus  de  monnoye  que  de  vertus,  me  reprouchoyt 
de  vouloir  l'aire  pbiisiràung  ioly  seigneur,  lequel  me  doibtsaulver 
de  la  main  de  iustice. 

—  Pasquerette,  ie  te  rompray  les  os! 

—  La!  la!  dit  Chiquon,  que  pour  lors  le Mau-cinge  recogneut, 
n'est-ce  que  cela?  Oh  bien,  mon  bon  amy,  ie  vous  apporte  de 
notables  sommes! 

—  Et  d'où?  demanda  le  capitaine  esbahy. 

—  Venez  icy,  que  levons  parle  en  l'aureille.  Si  quelque  trente 
mille  escuz  se  pourmenoyent  nuictannnent  à  l'umbre  d'ung  poi- 
rier, ne  vous  baisseriez-vous  pftint  pour  les  serrer,  altin  qu'ils  ne 
se  guastasseiit  pas  ? 

—  Clii(|iion,  ie  te  tue  comme  ung  chien,  si  tu  te  railles  de  moy. 
ou  ie  te  baisf  là  oii  tu  vouidras,  si  tu  me  mets  en  l';ice  de  trente 


118 


CONTKS  DROLATIQUES. 


mille  csciiz,  quand  mcsmcs  bcsoing  seroyt  de  tuor  trois  hourgeoys 
au  coin  d'unp;  quay. 

—  Vous  no  tuoroz  soulomcnt  pas  uni:  bonnet.  Vecy  le  faict. 
l'ay  pour  amie,  en  toute  loyaulté,  la  servante  du  lombard  (jui 
est  en  la  Citlé,  proucbe  le  logiz  de  nostre  bon  oncle.  Ures,  ie 
viens  de  sçavoir,  de  science  certaine,  que  ce  chier  homme  est 
party  ce  matin  aux  champs,  après  "avoir  enfouy  souhz  un  poirier 
de  son  iardin  ung  bon  boisseau  d'or,  cuydant  n'estre  veu  que  des 
anges.  Mais  la  fille,  qui  avoyl  par  adventure  ung  grant  mal  de 
dents  et  prenoyt  l'aër  à  sa  lucarne,  ha  espié  le  vieulx  torsonnier 
sans  le  vouloir,  et  ha  iasé  avecques  moy  par  mignardise.  Si  vous 
voulez  iurer  de  me  faire  bonne  part,  ie  vous  presteray  mes  es- 
paules  à  ceste  fin  de  grimper  en  la  crcste  du  mur,  et,  de  là,  vous 
gecterez  sur  le  poirier  (pii  est  iouxtant  le  mur.  Ilein!  direz-vous 
que  ie  suis  ung  balourd,  ung  liestial? 

—  Nenny!  tues  ung  bien  loyal  cousin,  ung  honnestc  homme; 
et,  si  tu  as  iamais  à  mettre  ung  ennemy  à  l'umbre,  ie  suis  là, 
prest  à  tuer  mesmes  ung  de  mes  amys  pour  toy.  le  suis  non  plus 
ton  cousin,  ains  ton  frère.  —  Holà!  ma  mye,  cria  le  Mau-cinge 
à  la  I'as(juerctte,  redresse  les  tables;  essuyé  ton  sang,  il  m'ap- 
partient, ie  te  le  paye  et  t'ei    l)ailleray  du  mien  cent  ioys  autant 

(|ueiet'enayprins.  Fais  ti- 
rer du  meilleur  ;  raffermis 
nos  oyscaulx  effarouchiez  ; 
raiuste  tes  iuppes  ;  ris ,  ie  le 
venlx  ;  veoisaux  ragousts 
et  reprenons  nos  prières 
(lu  soir  où  nous  les  avons 
laissées;  demain  ie  te  fays 
plus  brave  (pie  la  royne. 
N  écy  mon  cousin  que  ie 
veulx  resgaller,  quand 
pour  ce  besoing  seroyt  de 
^(•cter  la  maison  par  les  fe- 
iiestres;  nous  retrouverons 
loiit  demain  dedans  les  ca- 
ves. Sus!  sus  aux  iambons! 
Lors,  et  en  moins  de 
tenqis  qu'img  prebslre  n'en  met  à  dire  .son  Doiyiinua  vobis- 
cum,  tout  le  pigeoimier  passa  des  larmes  au  rire,  comme  il 


JJs  allèrent   (Icvis:int   de   mille  chouses  (héoiogicqucs  qui 
s'ombrouilloyenl  Irez  fort. 


120 


COTES   DUOLATIUIES. 


avoyt  passe  du  rire  aux  larmes.  11  n'y  ha  que  dans  ces  mai- 
sons emputanées  où  se  fasse  ainsy  l'amour  à  coups  de  da- 
gue, et  oii  s'esmeuvent  des  tempestes  ioyeulses  entre  ([uatre 
nnu's;  mais  ce  sont  rliouses  que  n'entendent  point  les  dames  à 
haulls  collets.  Lediet  eaj)ilaine  (^oelieiiiiie  l'eut  {^uay  connue  ung 
cent  d'esclioliers  au  desiucher  de  la  classe,  et  l'eit  bien  boire  son 
bon  cousin,  lequel  avaloyt  tout  rusticquement,  et  trencha  de 
riiomme  ivre,  en  débagoulant  mille  sornettes  :  comme  quoy, 
demain  il  acliepteroyl  Paris;  presteroyt  cent  mille  escuz  au  Roy; 
pourroyt  (innlcr  dans  l'or;  enlin,  dit  tant  de  bourdes,  que  le 
capitaine,  redoublant  quchpies  l'asclieuxadveux.et  l'estimant  bien 
desfoncé  de  cervelle,  l'emmena  dehors,  en  bonne  intention,  lors 
du  partaige,  d'entamer  Cliiquon,  pour  veoir  s'il  n'avoyt  point  une 
esponne  dans  l'estoniacli,  pour  ce  qu'il  venoyt  de  humer  ung" 
^  grantissime  (juartaud  de  bon  vin  de 
Suresne.  Us  allèrent  devisanlde mille 
chouses  théologic({ucs  qui  s'en)brouil- 
loyent  trez  fort,  et  fmèrent  par  se 
(•ouler  d'ung  pied  muet  iuz  au  mur 
du  iardin  où  estoyent  les  escuz  du 
londjard.  Lediet  Cochegrue,  se  faisant 
ung  planchier  des  larges  espaules  de 
('hi(pion,  saulta  sur  le  poirier  en 
honnne  expert  ez  assaulls  des  villes; 
mais  Vei'soris,  qui  le  guettoyt,  luy 
feit  une  entaille  à  la  nu(pie  et  la  réitéra  si  drucment,  que,  en 
trois  coups,  leciiiefdudict  Cochegrue  tondra,  non  sans  (|u'il  eust 
entendu  la  voix  claire  du  bergier,  qui  luy  crioyt  :  Ramasse  ta 
teste,  mon  amy! 

Là-dessus,  le  généreux  Chiquon,  en  (pii  la  vertu  reccvoyt  su 
récompense,  cnyda  (jn'il  seroyt  saige  de  retourner  au  logiz  du 
bon  chanoine,  dont  rhi'ritaigc!  estoyt,  j)ar  la  graace  de  Dieu, 
mélhodic(iuement  sinq)lilié.  iJoncques,  il  gaigna  la  rue  Sainct- 
Pierre-aux-Hœufs  à  grant  renfort  de  jiieds,  et  bientost  dormit 
comme  ung  nouveau-né,  ne  saichani  |)his  ce  que  vouloyt  dire  le 
mot  cousin-germain,  (hcs,  le  h'nch'niain,  il  se  leva,  suyvant  la 
conslnmi-  des  heigieis,  av('C(pies  le.  soleil,  et  vint  en  la  chambre 
de  son  onch;  pour  s'enquérir  s'il  crachoyl  blanc,  s'il  toussoyt,  s'il 
avoyt  eu  bon  sonnneil  ;  mais  la  vieille  meschinardc  luy  dict  (juc  le 
chanoine,  entendant  sonner  les  matines  de  Sainct-Maurice,  pro- 


'-  L- 


Ha  masse  ta  teslo,  mon  amyl 


11 


\±1  CONTKS  DUUL.VTIQLES. 

niier  iialroii  de  Noslic-Damo,  avoj  t  esté,  par  révérence,  eu  la  ca- 
thédrale, où  tout  le  Chapitre  debvoyt  desieuncr  chez  l'cvesque  de 
Paris.  Sur  ce,  Chicpiou  res|)ondit  :  —  Monsieur  le  clianoine  ost-il 
hors  de  sens  d'aller  se  ralïeschir  aiusy;  ^aigner  des  rlieumes, 
amasser  froid  aux  pieds?  veut-il  crever?  le  vais  luy  allumer 
ung  graut  feu  pour  le  réconforter  à  sou  retour. 

El  le  bon  bcrgier  saillit  en  la  salle  où  se  tenoyt  voulentiers 
le  chanoine,  mais,  à  son  grant  csmoy,  le  veit  sis  en  chaire. 

—  Ah  !  ah  !  (|ue  dict-clle,  ceste  folle  de  Buyreltc?  le  vous  sça- 
voys  trop  ])ien  advisé  pour  eslre  à  ceste  heure  iuchic  en  vostro 
stalle  du  chœur. 

Le  clianoine  ne  sonna  mot.  Le  bergier,  qui  esloyt,  comme  tous 
les  contemplateurs,  homme  de  sens  caché,  n'ignoroyt  point  que 
parfoys  les  vieillards  ont  des  saiges  lubies,  conversent  avesqucs 
les  essences  des  chouscs  occultes  et  achèvent  de  niarmotler,  en 
dedans  d'eulx,  des  discours  aultres  que  ceuk  dont  s'agit;  en 
sorte  que,  par  révérence  et  en  grant  respect  des  méditations 
absconses  du  chanoine,  il  alla  se  seoir  à  distance  et  attendit  la 
lin  de  ces  songeries,  en  vérifiant,  sans  mot  dire,  la  longueur  des 
ongles  du  bonhomnie,  les(niels  iaisoyent  mine  de  trouer  les 
soliers.  Puis,  considérant  attentivement  les  pieds  de  son  chier 
oncle,  il  feut  esbahy  de  veoir  la  chair  de  ses  iainbes  si  cramoisie, 
qu'elle  rougissoyt  les  chausses  et  sembloyt  tout  en  feu  à  travers 
les  mailles. 

—  Il  est  doncques  mort  !  pensoyt  Chiquon. 

En  ce  moment,  l'huys  de  la  salle  s'ouvrit,  et  il  veit  encores 
le  chanoine,  qui,  le  nez  gelé,  revenoyt  de  l'oflice. 

—  Uo  !  ho!  feit  Chiquon,  mon  oncle,  estcs-vous  hors  de  sens? 
Faictes  doncques  attention  que  vous  ne  debvez  pas  estre  à  la 
porte,  pour  ce  (jue  vous  estes  désià  sis  en  vostre  chaire  au  coin  du 
feu,  et  qu'il  ne  peut  pas  y  avoir  deux  chanoines  comme  vous 
au  monde! 

—  Ah!  Chiquon,  il  y  ha  eu  ung  temps  où  i'auroys  bien  voulu 
estre  en  deux  endroicls  à  la  foys  ;  mais  cela  n'est  poinct  du 
faict  de  l'homme;  il  seroyt  trop  heureux!  As-tu  la  berlue?  ic 
suis  seul  icy  I 

Lors  Clii(iuon,  destournant  la  teste  vers  la  chaire,  la  trouva 
vuyde,  et,  bien  surprins,  comme  dcbvcz  le  croire,  il  s'en  ap- 
proucha  et  recogneul  sur  le  carreau  ung  petit  tas  de  cendres 
d'où  fumoyl  une  senteur  de  soulplire. 


L'IIKRITIER  nu  DLVBLE. 


125 


—  Ah!  feit-il  tout  cspanlc,  ie  reco;;iuiys  quo  lo  dialilo  s'est 
conduict  à  mon  csguard  en  guallant  homme  ;  ic  prieiay  Dieu 
pour  luy. 

Et,  là-dessus,  il  racconla  naïfvenient  au  chanoine  comment  le 
diable  s'cstoyt  diveity  à  l'aire  de  la  providence,  et  l'avoyl  aydé 
à  se  desharrasser  loyalement  de  ses  maulvais  cousins  ;  ce  que 
le  bon  chanoine  admira  fort  et  conceut  trez  bien,  vcu  qu'il  avoyt 
beaucoup  de  bon  sens  cncores,  et  souvcntes  foys  avoyt  observé 
des  chouses  qui  estoyent  à  l'aclvantaige  du  diable.  Aussy  ce 
vieulx  bonhonmie  de  prebslre  disoyt-il  qu'il  se  rencontroyt  tous- 
iours  autant  de  bien  dans  le  mal  que  de  mal 
dans  le  bien,  et,  partant,  qu'il  l'alloit  estrc 
assez  nonchalant  de  l'aultre  vie  :  ce  qui  es- 
toyt  une  griefvc  hi'rczie,  dont  maint  concile 
ha  faicl  iustice. 

Voilà  connnonl  les  Chiciuon  devindrent  ri- 
ches et  puient,  dans  ces  tomps-cy,  par  la  for- 
tune de  leur  ayeul,  ayder  à  bastir  le  pont 
Saincl-Michcl,  où  le  diable  fait  trez  bonne 
ligure  sous  l'ange,  en  mémoire  de  ceste  adventure  consignée  ez 
histoires  véridicques. 


^-''JWf'i 

NICOLE     BKA  lIPF.nTOTS. 


LES  lOYElîLSETEZ   DU  ROY 

LOYS   LK    UNZIESME 


Le  roy  Loys  le  nnziosme  estoyt  ung  bon  compaignon  nvmant 
beaucoup  à  iocqueter;  et,  borsmls  les  inlerests  de  son  estât  de 
Roy  et  de  ceulx  de  bi  religion,  il  bancquetoyt 
trez  fort  etdonnoyt  aussy  bien  la  cbasse  aux 
linottes coëfléestju'aux  conils  et  baultgibiiM" 
royal.  Aussy,  les  griniaulds  qui  en  ont  taict 
ung  sournois  nionstrent  bien  qu'ils  ne  l'ont 
pas  cogneu,  vcu  qu'il  estoyt  bon  aniy,  bon 
bricolleur  et  rieur  comme  pas  ung. 
'^4!*^\^VW^''*'"  C'est  luy  qui  disoyt,  quand  il  estoyt  dans 

ses  lionnes,  (jue  (|uatre  cbouses  sont  excellentes  et  opportunes  en 
la  vie,  ù  sçavoir  :  lianter  eliauld,  boire  frais,  arresser  dur  et 
avaler  mou.  Aulcuns  l'ont  vitupéré  d'avoir  margaudé  des  bour- 
beteuses.  Cccy  est  une  insigne  bourde,  vcu  que  ses  filles  d'amour, 
dont  une  feut  légitimée ,  estoyent  toutes  yssues  de  grans 
maisons  et  feirent  des  establissemens  notables.  11  ne  donnoyt 
point  dans  les  caimeliles  et  prol'usions  ;  mettoyt  la  main  sur  le 
.solide  ;  et  de  ce  que  aulcuns  mangeurs  de  peuple  n'ont  point 
trouvé  de  miettes  cbez  luv,  tous  l'ont  honnv.  Mais  les  viavs 

II. 


126  CONTES  DIIOLATIOUES. 

collecteurs  de  vérilez  sçavent  (jue  ledict  Roy  estoyl  ung  bon  pelit 
homme  en  son  privé,  mesmes  trez  aimable  ;  et,  avant  de  l'aire 
ooiipor  la  leste  à  ses  amys,  ou  de  les  punir,  ce  dont  il  n'avoyt 
cspargnc.besoingestoyt  qu'ils  l'eussent  truplié  beau- 
cou])  ;  tousiours  sa  vengeance  l'eut  iustice,  len'ay  veu 
que  dans  nostrc  ami  Yerville  que  ce  digne  souverain 
se  soit  trompe;  mais  une foys n'est  pas  coustume; et 
encores  y  ha-t-ilplus  de  la  faulte  à  Tristan,  son  com- 
père, qu'à  luy,  Roy.  Yécy  le  faict,  tel  que  le  relate 
ledict  Yerville,  et  ie  soupçonne  (ju'il  ha  voulu  rire.  le  le  rapporte 
pour  ce  que  aulcuns  ne  cognoyssent  pas  l'œuvre  exquise  de 
mon  parfaict  compatriote.  l'abrège,  et  n'en  donne  que  la  sub- 
stance, les  destails  estant  plus  amples,  comme  les  sçavans  n'en 
ignorent  : 

«  Loys  XI  avoyt  donne'  l'abbaye  de  Turpenay  (dont  est  ques- 
((  tion  dans  Impéria)  à  ung  gentilhomme  qui,  iouissant  du  re- 
((  venu,  se  faisoyt  nonuuer  monsieur  de  Turpenay.  Il  advint  que 
«  le  Roy  estant  au  Plessis-lez-Tours,  le  vray  abbé,  qui  estoyt 
«  moyne,  vint  se  présenter  au  Roy  et  luy  feit  sa  requeste,  luy  re- 
((  monstrant  que  canonicquement  et  innnaslic-(|ueinent  il  estoyt 
«  pourveu  de  l'abbaye,  et  (juc  le  genliihunnne  usurpateur  luy 
.(  faisoyt  tort  contre  toute  raison,  et,  partant,  qu'il  invocquoyt  Sa 
«  Maiesté  pour  luy  eslre  l'aict  droict.  En  secouant  sa  perrucjue,  le 
«  Roy  luy  promit  de  le  rendre  content.  Ce  moyne,  nnportun 
((  connue  tous  animaulx  portant  cucuh',  venoyt  souvent  aux  yssues 
«  du  repas  du  Roy,  lequel,  enniiyi-  de  l'eau  benoiste  du  convent, 
«  appela  mon  compère  Tristan  et  luy  dit  :  —  «  Compère,  il  y  ha 
((  icy  ung  Turpenay  qui  me  fasche,  ostez-le-moy  du  monde.  » 
((  Tristan,  prenant  ung  froc  pour  ung  moyne  ou  ung  moyne  pour 
«  un  froc,  vint  à  ce  genlilhonime  (|ue  toute  la  (^ourt  nonnnoyt 
«  monsieur  de  Turpenay  ;  et,  l'ayant  accosté,  feit  tant  (ju'il  ledes- 
«  tourna  ;  puis,  le  tenant,  lui  feit  comprendre  que  le  Roy  vouloyt 
«  qu'il  mourust.  Il  voulnt  résister  en  suppliant  et  supplier  en  ré- 
«  sistanl  ;  mais  il  n'y  eut  aulcun  moyen  d'eslre  ouy.  Il  l'eut  délica- 
«  tfnu-nt  eslranglé  eutn;  la  teste  et  les  espaules,  si  qu'il  expira  ; 
«  et,  trois  hcuircs  après,  le  compère  dit  au  Roy  qu'il  estoyt  distillé. 
«  Il  advint  cinq  iours  après,  (pii  est  le  terme  auquel  lésâmes  re- 
«  viennent,  (|ue  le  nu)yne  vint  en  la  salle  où  estoyt  le  Roy,  lequel 
«  le  voyant  demoura  fort  eslonné.  Tristan  estoyt  présent.  Le  Roy 
«  l'apiielle  el  lii\  soiildi' en  r;iiiieille  :  « — Yous  n'avez  J)as  faict 


LES  lOYEULSETEZ   DU  ROY. 


127 


«  ce  que  ic  vous  ay  dict.  —  Ne  vous  on  déplaise,  Siro,  io  l'ay 
«  faict.  Tui'pcnay  est  mort. — II('!  i'cnlcndoys  de  ce  inoyiie. — 


«  l'ay  entendu  du'gentillionimc  ! , . .  — Quoy!  c'est  doncques  faict? 

«  —  Oui,  Sire.  —  Ores,  bien  !  »  Se  tournant  vers  le  moyne  : 

«  —  Venez  icy,  moyne.  »  Le  moyne  s'ap- 

prouclie.Le  Roy  lui  dit  :  (^  —  Mettez-vous  à 

genoilz.  »  Le  paouvre  moyne  avoyt  paour.    iMifcJffWMB^g^^  i 

Mais  le  Roy  luy  dit  :  <(  —  Remerciez  Dieu.   BBaMW*  -"1»=^ 

((  qui  ne  ha  pas  voulu  que  vous  fcussiez  tué, 

«  comme  ie  l'avoys  commandé.  Celluy  qui 

«  prenoyt  vostrc  liicn  l'Iia  esté.  Dieu  vous  lia 

«  faict  iustice  !  Allez,  priez  Dieu  pour  moy,  et  ne  bougez  de  vostrc 

«  conveiit.  » 

Cecy  prouve  la  bonté  de  Loys  unzo.  11  auruyl  pu  trez  bien  faire 
Dcndre  ce  movne,  cause  de  l'erreur;  car,  pour  ledictpentilhommo, 
il  estovt  mort  au  service  <lu  Rov. 


128  CONTES  DROLATIQUES.     ■ 

Dans  les  premiers  temps  de  son  séiour  au  Plessis-lez-Tours,  le- 
dict  Loys,  ne  voulant  faire  ses  l)euvettes  et  se  donner  ses  bonnes 
l'ateli'es  en  son  chasteau,  par  révérence  de  Sa  Maiesté  (finesse  de 
roy  que  ses  successeurs  n'ont  point  eue),  s'énamoura  d'une  dame 
nonuuée  Nicole  Beaupcrtuys,  hupielle  ostoyt,  pour  vray  dire,  une 
bourgeoise  de  la  ville,  dont  il  envoya  le  mary  dans  le  Ponent,  et 
mit  ladicte  Nicole  en  ung  logiz  proucbe  le  Cbardonncret,  en  l'en- 
droict  où  est  la  rue  Quincangrogne,  pour  ce  que  c'cstoyt  ung  lieu 
désert,  loing  des  babitations.  Le  mary  et  la  femme  cstoyent  ainsy 
à  sa  dévotion,  et  il  eut  de  la  Beaupcrtuys  une  iille  qui  mourut 
religieuse.  Geste  Nicole  avoyt  le  bec  affilé  comme  ung  papegay, 
se  treuvoyt  de  belle  corpulence,  guarnie  de  deux  grans,  beaulx 
et  amples  coussins  de  nature,  fermes  au  déduict,  blancs  comme 
les  aëles  d'ung  ange,  et  cogueuc,  du  reste,  pour  estre  fertile  en 
fassons  péripatbéticqucs  qui  faisoycnt  que  iamais  avecques  elle 
mesme  cliouse  ne  se  rencontroyt  en  amour,  tant  elle  avoyt  estudyé 
les  belles  résolutions  de  la  science,  manières  d'accommoder  les 
olives  de  Poissy,  courroyeries  des  nerfs  et  doctrines  absconses  du 
bréviaire,  ce  que  aymoyt  fort  le  Roy.  Elle  estoyt  gaye  connue  ung 
pinson,  tousiourscbantoyt,rioyt,  et  iamais  ne  cbagrinoyt  personne, 
ce  qui  est  le  propre  des  fenmies  de  ceste  nature  ouverte  et  fran- 
cbe,  lesquelles  ont  tousiours  une  occupation...  Équivocquez!... 
Le  Roy  s'en  alloyt  souvent  avecques  de  bons  compaignons,  ses 
amys,  en  ladicte  maison  ;  et,  pour  ne  ])oint  estre  veu,  s'y  rendoyt 
à  la  nuict,  sans  suite.  Mais,  connue  il  estoyt  deffiant  et  craignoyt 
des  embusches,  il  donnoyt  à  Nicole  tous  les  cbions  do  son  chenil 

MÎ#?!!<W^T^^^''^f''^"^'^^'-^^  ''"'  cstoyent  les  plus  hargneux, 

ili!^'J.':.;V?/r'^r'  •  ^^v-  -^8mI«m   ''*  g^'ns  à  mangier  ung  homme 

'>anscriergare,  lesquels  chiens 
royaux  ne  cognoissoient  (jue 
Nicole  et  le  Roy.  Quand  le  sire 
Ycnovt,  Nicole  les  laschioyl  dans 
le  iaidiii  ;  cl  la  jioitedudict  logiz  estant  suffisamment  ferrée,  bien 
dose,  le  Roy  en  gardoyt  les  clefs,  et,  eu  toute  sécurité,  s'adon- 
iioyt  avcc(pics  les  siens  aux  jdaisirs  de  mille  sortes,  ne  redoublant 
nulle  trahison,  rigolant  à  l'envy,  se  faisant  des  niches  et  montant 
de  bonnes  parties.  En  ces  nuicts-là,  le  conqjcre  Tristan  veilloyt 
sur  la  campaigne,  et  ung(jui  se  seroyt  pourmené  sur  le  Mail  du 
(lliardomicrcl  auroyl  esté  ung  peu  pr()nq)teinent  mis  en  estât  de 
domicr  aux  passans  sa  bencîdiclion  avccipics  les  pi(>(ls,  à  moins 


LFS  lOYEllLSKTEZ  \)\]  ROY.  129 

qu'il  n'enst  la  passe  du  Roy,  veu  que  souvent  Loys  un/e  envoyoyt 
quérir  des  garses  pour  ses  amys  ou  des  gens  pour  soy  divertir, 
par  des  sublilitez  deues  à  Nicole  ou  aux  convives.  Ceulx  de 
Tours  estoyent  là  pour  les  menus  plaisirs  du  Roy,  ([ui  leur 
rccomniandoyt  légierenient  le  silence  :  aussi  ne  lia-t-on 
sceu  ses  passetenips  rpie  luy  mort.  La  farce  de  Baise  mon 
cul  tout,tlit-on,  inventée  j)ar  ledict  sire.  le  la  rapporte, 
bleu  (pu;  ce  ne  soit  le  suicide  ce  Conte,  pour  ce  (pic  elle 
faict  voir  le  natuicl  comicque  et  lact^lieux  du  bon  lioiiinie 
Hoy.  llyavoyt  à  Tours  trois  gcnsavaricieux  notez.  Le  pre- 
mier estoyt  maistre  Cornélius,  (pii  est  suflisamment  co- 
gueu.  Le  second  s'appeloyt  Pec(;ard,  et  vciuloyt  des  doreloteries, 
dominoteries  et  ioyaulx  d'ccclise.  Le  tioi- 
siesme  avoyt  nom  Marchandcau,  et  estoyt 
ung  vigneron  trez  riche.  Ces  deux  Touran- 
geaulx  ont  faict  souche  d'honnestes  gens, 
nonobstant  leurs  ladreries.  Ung  soir  que 
le  Roy  se  treuvoyt  chez  la  Rcauiicrluys,  en 
belle  humeur,  ayant  bcu  du  meilleur,  dict  des  drosleries  et  faict 
avant  les  vespres  sa  [)ri('^re  à  l'oratoire  de  Madame,  il  dit  à  Le  Daim, 
son  compère,  au  cardinal  La  Balue  et  au  vieulx  Dunois,  qui  rous- 
sinoyt  encores  :  —  Faut  rire,  mes  amys  ! ...  Et  ie  crois  que  ce  seroy  t 
bonne  comtxlie  à  veoir  que  avare  devant  sac  d'or  sans  pouvoir 
y  touchier...  Holà! 

Oyant  ce,  un  sien  varlet  comparut.  — Allez,  dit-il,  quérir  mon 
threzorier,  et  qu'il  aj)porte  céans  six  mille  escuz  d'or,  et  tost.  Puis 
vous  irez  appréhender  au  corps,  d'abord  mon  com})ère  Cornélius, 
le  dorelotier  de  la  rue  du  Cygne,  puis  le  vieulx  Marchandeau, 
en  les  amenant  icy,  de  par  le  Roy. 

Puis  se  remirent  à  boire  et  à  iudicieusement  grabeler  de  ce 
que  valoyt  mieulx  d'une  femme  faisandée  ou  d'une  qui  se  savonne 
glorieusement;  d'une  qui  est  maigre  ou  d'une  qui  est  en  bon 
point;  et,  comme  ce  estoyt  la  fleur  des  sçavans,  ils  dirent  ipie 
la  meilleure  estoyt  celle  (pi'on  avoyt  à  soy,  connue  ung  plat  de 
moules  toutes  cliaiddes,  au  moment  pr('cis  oii  Dieu  envoyoit  une 
bonne  pensée  à  ycelle  communiquer.  Le  cardinal  demanda  qui 
estoyt  le  plus  prétieux  pour  une  dame  :  ou  le  j)remier  ou  ledar- 
renier  baiser.  A  quoy  la  Reaupertuys  respoiulit  (pie  c'estoyt  le 
darrenier,  veu  (|ue  elle  sçavoyt  ce  (pi'cllc  perdoyt,  et,  au  premiei', 
ne  sçavoyt  iamais  ce  ({u'elle  gagnoyt.  Sur  ces  dires  et  d'aultres 


iôO  CONTES  DROLATIQUES. 

qui  ont  esté  adhiroz  par  graiit  nialluMii',  vinront  los  six  mille 
esciizd'or,  lesquels  valoyent  bien  trois  cent  mille  francs  d'auiour- 
d'huy,  tant  nous  allons  diminuant  en  toute  chouse.  Le  Roy  com- 
manda que  les  escuz  feussent  mis  sur  une  table  et  bien  esclairez  ; 
aussy  brillèrciit-ils  comme  les  yeulx  des  convives,  qui  s'allu- 
mèrent involontairement;  ce  dont  ils  rirent  à  contre-cueur.  Ils 
n'attendirent  pas  longtemps  les  trois  avares,  que  le  varlet 
amena  blesmes  et  pantois,  hormis  Cornélius,  qui  congnoissoyt 
les  phantasies  du  Roy. 

—  Oies  çà  !  mes  amys,  leur  dit  Loys,  resguardez  les  escuz 
qui  sont  dessus  ceste  table. 

Et  les  trois  bourgeoys  les  grignottèrent  de  l'œil.  Comptez 
endà  que  le  diamant  de  la  Bcaupertuys  reluisoyt  moins  que 
leurs  petits  yeulx  vérons. 

—  Ceci  est  à  vous,  adiouxta  le  Roy. 

Sur  ce,  ils  ne  mirèrent  plus  les  escuz,  mais  commencèrent 
à  se  toiser  entre  eulx,  et  les  convives  cogneurent  bien  que  les 
vieulx  cinges  sont  plus  experts  en  grimaces  que  tous  aultres, 
pour  ce  que  les  pbysionomies  devindrent  passablement  curieuses, 
comme  celles  des  chats  beuvant  du  laict  ou  de  iilles  chatouillées 
de  mariaige. 

—  l)a  !  l'eit  le  Roy,  ce  sera  tout  à  celuy  de  vous  qui  dira  trois 
foys  aux  deux  aultres  :  —  «  Baise  mon  cul  !  »  en  boutant  la  main 
dans  l'or;  mais,  s'il  n'est  pas  sc'rieux  comme  une  mousche  qui 
ha  violé  sa  voisine,  et  s'il  vient  à  soubrire  en  disant  cette  gogue, 
il  payera  dix  escuz  à  Madame.  Néantmoins,  il  pourra  recom- 
mencer trois  foys. 

—  Ce  sera  tost  gaigné!  feit  Cornélius,  lequel,  en  sa  qualité 
de  Ilollandoys,  avoyt  la  bouche  aussy  souvent  close  et  sérieuse 
que  le  caz  de  Madame  estoyt  souvent  ouvert  et  riant.  Aussy 
mit-il  bravement  la  main  sur  les  escuz,  pour  veoir  s'ils  esloyent 
de  bonne  forge,  et  les  empoigna  gravement;  mais,  comme  il 
resguardoyt  les  aultres  pour  leur  dire  civilement  :  «  Baisez  mon 
cul!...  »  les  deux  avares,  rcdoubtant  sa  gravité hollandoysc,luy 
respondirent  :  «  A  vos  souhaits!  »  conune  s'il  avoyt  esternué. 
Ce<jui  feit  rire  tous  les  convives  et  Cornélius  Ini-nu'sme.  Lors(jue 
le  vigneron  voulut  ])ren(lie  les  escuz,  il  sentit  telles  déman- 
geaisons dans  ses  badigoinccs,  que  son  vieulx  visaige  d'escumoire 
laissa  passer  le  rire  par  toutes  les  crevasses,  si  bien  que  vous 
eussiez  dict  une  fumée  sortant  par  les  rides  d'une  cheminée,  et 


m: s  invKirsKTKz  dm  liov. 


131 


ne  put  riuii  dire.  Lors,  ce  il-ul  le  lour  du  dorelolier,  le(jii('l 
estoyt  iing  petit  bout  d'homme  goj^ucnard  et  (jui  avoyt  les  lè- 
vres serrées  comme  le  col  d'ung  pendu,  il  se  saisit  d'une  poi- 
gnée d'escuz,  rcsguarda  les  aullres,  voire  le  IJoy,  et  dit  avec- 
qucs  un  grand  air  raillard  :  —  Baisez  mon  cid  ! 

—  Est-il  brencux?  demanda  le  vigneron. 

—  Il  vous  sera  loysible  de  le  veoir,  respondit  gravement  le 
doreloticr. 

Là-dessus,  le  Roy  eut  paour  pour  ses  escuz,  vcu  que  ledict  Pec- 
card  recommença  sans  rire,  et  pour  la  troisième  l'oys  alloyt  dire 
le  mot  sacramentel,  lorsque  la  Beaupcrtuys  luy  feit  un  signe 
de  consentement,  ce  qui  luy  feit  perdre  contenance,  et  sa  bou- 
che se  fendit  en  esclats  connue  ung  vray  [)ucclaigc. 

—  Connnent  as-tu  faict,  demanda  Dunois,  pour  tenir  ta  face 
grave  devant  six  mille  escuz? 

—  Oh  1  monseigneur,  i'ay  pensé  en  premier  à  ung  de  mes 
proccz  qui  se  iuge  demain;  et,  en  second,  à  ma  femme,  qui 
est  une  brosse  bien  chagrinante. 

L'envie  de  gaignerceste  notable  sonnne  les  feit  essayer  encorcs, 
et  le  Uoy  s'amusa,  pendant  environ  une  heure,  des  chiabrenas  de 
ces  figures,  des  préparations,  mines,  grimaces  et  aultres  pale- 
nostres  de  cinge  qu'ils  l'eirent  ;  mais  ils  se  frottoyent  le  ventre 
d'ung  panier;  et,  pour  gens  qui  aymoyent  mieulx  la  manche 
que  le  bras,  ce  l'eut  une  douleur  bien  cramoisie  que  d'avoir  à 
compter  chacun  cent  escuz  à  Madame. 

Quand  ils  feurcnt  partis,  Nicole  dit  bravement  au  Roy  :  —  Sire, 
voulez-vous  que  l'essaye,  moy? 

—  Pasques  Dieu  !  respartit  Loys 
unze,  non  !  le  vous  le  baiseray  bien 
pour  moins  d'argent. 

C'estoit  d'ung  honmie  mcsnai- 
gier,  comme  de  i'aict  il  feut  tous- 
iours. 

Ung  soir,  le  gros  cardinal  La 
Baluc  pourchassa  guallammcnt  de 
paroles  et  de  gestes,  ung  peu  plus 
que  les  Canons  ne  le  permettoyent, 
ceste  Beaupertuys,  (pii,  heureusement  pour  elle,  estoyt  une  fine 
counnère  à  la([uelle  ne  falloyt  pas  demander  combien  il  y  avoyt 
de  poincts  à  la  chemise  de  sa  mère. 


152 


CONTES  DROLATiOUES. 


—  Vère,  dit-elle,  monsieur  le  cardinal,  la  cliousc  que  ayrae 
le  Roy  n'en  est  point  à  rccepvoir  les  sainctes  huiles. 

Puis  vint  Olivier  le  Daim,  au(iuel  elle  ne  voulut  entendre 
non  plus,  et  aux  sornettes  de  qui  elle  dit  (pi'elle  demanderoyt 
au  Hoy  s'il  luy  jilaisoyt  (pi'elle  se  leist  la  barbe. 

Ores,  comme  ledict  barbier  ne  la  supplia  point  de  luy  guarder  le 
secret  sur  ses  ])oursuites,  elle  se  doubta  que  ces  menées  cstoyent 
des  ruses  praticjuées  par  le  Roy,  dont  le  suub(,'on  avoyt  peut- 
estre  esté  resveiylé  i)ar  ses  amys.  Doncques,  ne  pouvant  se 
venger  de  Loys  unze,  elle  voulut  au  moins  se  mocquer  desdicts 
seigneurs,  les  berner  et  amuser  le  Roy  des  tours  qu'elle  alloyt 
leur  iouer.  Adoncques,  ung  soir  qu'ils  cstoyent  venus  souper, 
elle  eut  une  dame  de  la  ville  (pii  vouloyt  })arler  au  Roy.  Geste 
dame  estoyt  une  personne  d'aulborité,  qui  avoyt  à  demander  la 
graace  de  son  mary,  et  que,  par  suite  de  ceste  advcnture,  elle  ob- 
tint. Nicole  Reaupertuys,  ayant  destourné  pendant  ung  moment 
le  Roy  dedans  ung  cabinet,  luy  dit  de  faire  hausser  les  coudes 
à  tous  leurs  convives,  de  les  poulser  en  nourri- 
ture ;  et  qu'il  t'eust  rieur,  bien  en  train  de  ioc- 
(luclcr  ;mais  que,lanappeostée,illcuroliercliast 
Mulcuncs  (juerelles  d'Allemand,  esplucbast  leurs 
ihres,  les  traictast  à  la  fourche,  et  que,  lors, 
elle  le  divertiroyt,  en  luy  nionslrant  tout  le  foing 
qu'ils  auroyenl  en  leurs  cornes  ;  enlm,  (jue,sur 
|i  loiite  cliouse,  il  leist  amitié  à  ladicte  dame,  et 
que  ce  parusteslje  de  boime  l'oy,  connue  si  elle 
avoyt  le  j)erlum  de  sa  faveur,  ])Our  ce  que  elle 
s'estovt  guallamment  prestée  à  cette  bonne  ioyeulseté. 

—  Eh  bien,  messieurs,  dit  le  Roy  en  rentrant,  allons  nous 
mettre  à  table  :  la  chasse  ha  esté  longue  et  bonne. 

Et  barbier,  le  cardinal,  ung  gros  évesque,  le  capiliiine  de  la 
garde  escossoisc  et  ung  envoyé  du  parlement,  homme  de  iustice, 
aymé  du  Roy,  suyvirent  les  deux  dames  dedans  la  salle  oîi  l'on 
se  descrotloyt  les  mandibulcîs. 

Et  lors  ils  secolonnèreiil  le  moule  (h;  leurs  |)oiirpoincls.  Qu'est 
cela'/ (l'est  se  carreler  l'estomach,  l'aiie  la  chimie  naturelle,  com- 
pulser les  plats,  lester  ses  trippes,  creuser  sa  tumbe  à  coups  de 
maschoires,  iouer  de  l'esjjéc  de  (laïn,  enterrer  les  saulces,  sous- 
tenir  ung  coqcu;  mais  i)lus  philosophicquemeiit,  c'est  faire  du  bran 
avec(|ucs  ses  dents.  Ores,  conqjrenez-vous'.'  De  condjien  est-il 


I,KS   KlYKILSETHZ   1)11   ROY.  13ô 

bcsoing  ilr  mots  [luiir  vous  dcsloncfr  l\'ntciulcniont?  l*oinl  ne 
laillovt  !o  Iloy  de  lairo  (listillrr  à  ses  lioslos  co  beau  cl  bon 
souper.  Il  les  l'aivissoyl  de  pois  verds,  l'clournant  au  lioscliepot, 
vantant  les  pruneaulx,  conuiientant  les  poissons,  disant  à  l'ung: 
«  Pourquoi  ne  mangez-vous  ?  à  l'aultre  :  «  Buvons  à  Madame  !  » 
à  tous  :  «  Messieurs,  goustons  les  oscrevisses  !  mettons  à  mort 
cettuv  flaeeon  !  Vous  ne  cognoissez  pas  reste  andouillc  !  Et  eestc 
lamprovc  !  hein!  ne  luy  direz-vous  rien?  Voilà,  Pasijues  Dieu  !  le 
plus  beau  barbeau  de  la  Loire  !  Allons  !  crochetcz-moy  ce  paslc  ! 
Cecy  est  gibier  de  ma  chasse  :  cil  qui  n'en  veut  pas  me  l'croyt 
affront  !  «  Puisoncores  :  «  Beuvez,  le  Roy  n'en  sçayt  rien  !  Dictes 
ungmot  à  ces  conliclures,  elles  sont  de  Madame.  Esgraj)pez  ce 
raisin,  il  est  de  ma  vigne.  Oh  !  mangeons  des  neflles  !  »  Et,  tout 
enlesaydantà  grossir  leur  principal  aj)Ostcunie,  le  bon  monar(|ue 
rioyt  avecques  eulx,  et  on  gaussoyt,  disputoyt,  cracliioyt,  mou- 
chioyt,  rigoloyt,  connue  si  le  Roy  n'y  eust  pas  esté.  Aussy,  tant 
l'eut cnd)arqué  de  victuailles,  tant  feut  succède  (laccons  et  ruyné 
de  ragousts,  que  les  trongnes  des  convives  se  cardinalisèrent  et 
leurs  pourpoincts  feirent  mine  de  crever,  veu  <jue  tous  estoyent 
bourrez  comme  cervelas  dcTroyes,  depuis  l'entonnoir  iusques  à 
la  bonde  de  leurs  j)anses.  Rentrez  dedans  la  salle,  ils  tressuoyent 
desià,  soul'lloyent  et  connnençoyent  à  mauldire  leurs  franches 
lippées.  Le  Roy  feil  le  silencieux.  Ung  chascun  se  tut  d'autant 
plus  voulentiers  que  toutes  leurs  forces  estoyent  bandées  à  faire 
la  décoction  intestine  de  ces  plate'es  conlictes  euleurestomacb, 
lesquelles  se  tassoyent  et  gargouilloyent  Irez  fort.  L'ung  disoyt  à 
part  luy  :  «  l'ay  esté  dcsraisonnable  de  mangier  de  cette  saulce.  » 
L'aultre  se  grondoyt  d'avoir  thezaurisé  d'ung  plat  d'anguilles 
arrangées  avecques  des  caspres.  Cettuy-là  pensoyt  en  luy-mesnie  : 
((  Oh!  oh!  l'andouille  me  cherche  chic(j[uane.  »  Le  cardinal,  qui 
estoyt  le  plus  ventru  d'eulx  tous,  siftloyt  par  les  narines  connue 
ung  cheval  effrayé.  Ce  feut  luy  qui,  premier, feut contrainct  de 
donner  yssueà  ung  notable  rot  ;  et  lors  il  eust  bien  voulu  estre  en 
Allemaigne,  où  l'on  vous  salue  à  ce  subiect  ;  car,  entendant  ce 
langaige  gastréiforme,  le  Roy  resguarda  le  cardinal  en  fronssant 
les  sourcils. 

—  Qu'est-ce  à  dire?feit-il.Suis-je  doncqucs  ung  simple  clercq? 
'  Cecy  feut  entendu  avec(|ues  terreur,  j)ource  (juc  d'ordinaire  le 
Roy  faisoyt  grand  estât  d'ung  rot  bien  poulsé.  Les  aultres  convi- 
ves se  délibérèrent  de  résoudre  aultrcmcnt  les  vapeurs  qui  gre- 

12 


loi  CONTES  DROLATIQUES. 

nouilloyciit  dcs^ià  dans  leurs  cornues  pancreaticquos.  El  d'abord 
ils  tasclièrcnt  de  les  maintenir.  Pendant  ung  bout  de  teni[)s,  ez 
replis  du  mésentère.  Ce  feut  alors  que  les  voyant  engraissez 
commodes  maltostiers,  la  Beaupertuys  print  à  part  le  bon  sire, 
etluydit  :  —  Saiclioz  maintenant  <|uei'ay  l'aict  faire  par  le  dore- 
lolier  Peccard  deux  grans  poupées  sendjlablos  à  eesie  dame  et  à 
moy.  Ores,  quand  ceux-cy,  pressez  j)ar  les  drogues  (jue  i'ay 
mises  en  leurs  goubelets,  iront  au  siège  présidial  où  nous  allons 
faire  mire  de  nous  rendre,  ils  trouveront  tousiours  la  place  prinse. 
Par  ainsy,  amusez-vous  de  leurs  lortillemens. 

Ayant  dict,  la  Beaupertuys  disparut  avec(iues  la  dame,  pour  aller 
ployer  le  touret,  suivant  la  coustume  des  femmes,  ce  dont  ie  vous 
diray  l'origine  ailleurs.  Puis,  après  ungbonneste  laps  d'eaue,  la 
Beaupertuys  revint  seule,  en  laissant  croire  qu'elle  avoyl  quitté  la 
dameàrofiicine  d'abiuémienaturcllc.  Là-dessus,  le  Roy,  advisant 
le  cardinal,  le  feit  lever  et  l'entretint  sérieusement  de  ses  affaires, 
en  le  tenant  ])arle  gland  de  sonaïunusse.  A  toutcecjue  disoytlc 
Boy,  La  Balue  resj)omloyt  :  u  Oui,  Sire,  »  pour  estre  dcsl ivre  de 

ceste  faveur  et  tirer  ses  cliaus- 
i\  ses, vcu  que  l'eaueesloyt  dans 
'■^  ses  caves,  et  que  il  alloyl  })er- 
drclaclefde  sa  porte  posté- 
rieure. Tous  les  convives  en 
estoyent  à  ne  sçavoir  com- 
ment arrester  le  mouvement 
du  bran,  auquel  la  nature  lia 
donné,  encore  mieulx  (ju'à 
l'eaue,  la  vertu  de  tendre  à  ung  certain  niveau.  Leurs  dictes  sub- 
stances se  modifioyent  et  couloyent  en  travaillant,  comme  ces 
insectes  qui  demandent  à  yssir  de  leurs  cocquons,  faisant  raigc, 
tormenlant  et  mécognoissant  la  maicslé  royale  :  car  rien  n'est 
ignorant,  insolent  comme  ces  mauldiclsobiects,  et  sont  inqwrtuns 
comme  tous  les  détenus  auxquels  on  doibt  la  liberté.  Aussyglis- 
soyent-ils,  à  tous  proupos,  comme  anguilles  borsd'ung  lilct;et 
ung  cbascun  avoyt  besoing  de  grans  efforts  et  sciences  pour  ne 
point  se  concilier  devant  le  Boy.  Loys  unze  print  beaucoup  de 
plaisir  à  intenoguer  ses  liostes,  et  se  pleut  beaucoup  aux  vicissi- 
tudes de  leurs  physionomies,  sur  lesquelles  se  rellétoyent  les  gri- 
maces breneuscsde  leurs  fronssurcs. 

Le  conseiller  de  iustice  dit  à  Olivier  :  —  le  donneroys  bien 


LES  lOYEULSETEZ  DU  ROY. 


135 


mon  offico  pour  csti-e  au  clos  Brunoau  cnviion  un^j  demi-septier 
de  mimilos. 

—  Oli  !  il  n'y  ha  pas  de  iouissance  qui  vaille  ungbon  caz.Et 
d'auiourd'liuy  ie  ne  suis  plus  estonné  des  sempiter- 
nelles chieures  de  mouche,  respondit  le  barbier. 

Le  cardinal,  ciiydant  cpie  la  dame  avoyt  obtenu 
iliiittance  en  la  Court  des  comptes,  laissa  le  lloc- 
ijuard  de  son  cordon  aux  mains  du  Hoy  en  faisant 
ung  hault-lc-corps  comme  s'il  avoyt  oublié  de  dire 
ses  prières,  et  se  dirigea  vers  la  porte. 

—  Ou'avez-vous,  monsieur  le  cardinal?  dit  le  Roy. 

—  Pasques  Dieu  !  ce  que  i'ay.  11  paroistipic  tout  est  de  grant 
mesure  chez  vous,  Sire  ! 

Le  cardinal  s'évada,  laissant  les  aultrcsestonnez  de  sa  subtilité. 
Il  marcha  glorieusement  vers  la  chambre  basse,  en  laschant  ung 
petit  les  cordons  de  sa  bourse;  mais, 
quand  il  ouvrit  la  benoiste  huvsserie,  il 
treuva  la  dame  en  fonctions  sur  la  chaire 
comme  ung  pape  en  train  d'estre  sacré. 
Lors,  renguaisnant  son  fruict  meur,  il 
descendit  la  vis  pour  aller  au  iardin.  Ce- 
pendant, aux   darrenièrcs  marches,  l'a- 
boyement  des  chiens  le  miten  grant  paour 
d'estre  mordu  à  ung  de  ses  précieux  hi;- 
misphères  ;  et,  ne  saichantoùse  délivrer 
de  ses  produietscliimicqucs,il  revint  en 
la  salle,   tout  frissonnant  comme   ung 
homme  (jui  ha  esté  à  l'aër.  Les  aultres, 
voyant  rentrer  ledict  cardinal,  cuydèrent 
qu'il  avoyt  vuydé  ses  réservoirs  naturels 
et  desgraissé  ses  boyaux  ecclésiasticcpies, 
et  le  cuydèrent  bien  heureux.  Aussy  le        ^^^^  ^  _"^- 
barbier  se  leva-t-il  vitement,  comme  pour 
inventorier  les  tapisseries  et  compter  les  solives,  mais  gaigna 
avant  qui  que  ce  feust,  la  porte  ;   et,  desserrant  son  sphincter 
par  advance,  il  fredonna  ung   refrain  en  allant   au  relraict. 

Arrivé  là,  force  luy  feut,  connue  à  La  Haine,  de  murmurer 
des  paroles  d'excuses  à  ceste  breneuse  éternelle,  en  fermant 
l'huys  avecques  autant  de  pronqititude  (|u'il  l'avoyt  ouvert. 
Puis  revint  avec  son  arrière-faix  de  molt-cules  agrégées  qui 


15G 


CONTES  DROLATIQUES. 


encombrovent  ses  conduicts  intimes.  Ainsy  feirent  procession- 
nelleinent  les  convives,  sans  pouvoir  se  délibérer  du  plus  de  leurs 
saulces,  et  se  retreuvèrent  bientost  tous  en  présence  de  Loys 
imze,  aussyomposclioz qu'auparavant, 
et  se  resguardèrent  avecques  intelli- 
gence, en  se  coniprenantdu  cul  mieulx 
qu'ils  ne  se  comprirent  iamais  de  bou- 
che ;  car  iamais  il  n'y  ha  d'équivocciue 
dans  les  transactions  des  parties  natu- 
relles, et  tout  y  est  rationnel,  de  facile 
entendement,  veu  que  c'est  une  science 
(|ne  nous  ajipronons  en  naissant. 

—  le  cuyde,  dit  le  cardinal  au  barbier,  que  ceste  dame  hantera 
iusques  à  demain.  Qu'ha  doncqueseulaReaupertuys  d'inviter  icy 
une  telle  diarrhétique? 

—  Voilà  une  lieure  qu'elle  travaille  à  ce  que  ie  feroys  en  ung 
poulce  de  temps.  Que  les  fiebvres  lapreiment  !  s'écria  Olivier  le 
l)aim. 

Tous  ces  courtizans,  entreprins  decbolicques,  piétinoyent  pour 
taire  patienter  leurs  matières  importunes,  lorsque  ladicte  dame 
l'epaïut  en  la  salle.  Crovez  qu'ils  la  treuvèrent  belle,  gracieuse,  et 
l'auroyent  bien  baisée  là  où  leur  desmangioyt  si  tort  ;  et  jamais  ne 
saluèientlejour  avec(piesplus  de  faveur  que  ceste  dame  libéra- 
trice de  leurs  paouvres  ventres  inl'ortunez.  LaBalue  se  leva.  Les 
aultres  cédèrent,  par  honneur,  estime  et  révérence  de  l'Ecclise,  la 
place  au  clergié.  Puis,  prenant  i)atience,  ilscontinuèreni  à  faire 
des  grimaces,  dont  le  Uuy  riuyten  luy-mesme  avecques  ^'icole, 
(|ui  l'aidoytà  couper  la  respiration  à  ces  desvoyez.  Le  bon  capitaine 
escossuis,  qui  avoyt  plus  (jue  tous  les  aultres  mangié  d'ung  melz 
au(|uel  le  cuisinier  mit  une  pouldre  de  vertu  laxative,  embrena 
son  liaidl-de-chausses,  en  cuydant  ne  laschier  (ju'un  légier  pet.  Il 
s'en  alla  honteux  dons  ung  coin,  espéianl  ipie,  devant  le  Hoy,  la 
cliose  seroyt  assez  «ige  j)our  ne  rien  sentir.  En  ce  moment,  le 
cardinal  revint horrilic()uementmatagrabolizé,  pourcequ'ilavoyt 
treuvé  la  Beaupertuys  sur  le  siège  épisco|)al.  Ores,  dans  son  tor- 
ment,  ne;  saichanl  si  elle  esloyt  en  la  salle,  il  revint  et  feil  ung  : 
Oli  !  di;djolic(|ue  en  la  voyant  près  de  son  maistre. 

—  Qu'est  cecy?  demanda  le  Uoyen  resguardant  le  prebslre  à 
lu\  dnmicr  la  (icbvre. 

—  Sire,  dit  insolenjmcnt  LaHalue,  leschousesdu  purgatoire 


LKS  lOYEFLSRTFZ  DU  ROY.  137 

sont  de  mon  niiiiislrio,  cl  ie  doibs  vous  dire  qu'il  y  ha  de  la  sor- 
cellerie dans  ceste  maison. 

—  Ah!  petit  prebstre,  tu  veuIxplaisanteravecquesmoi,<litIe 
Roy. 

A  ces  paroles,  les  assistans  ne  sceurent  plus  distinguer  leurs 
chausses  de  la  doublure,  et  se  conchièrent  de  paour,  à  se  rompre 
la  gorge. 

—  Oh  !  me  manquez-vous  de  respect?  dit  le  Roy,  qui  les  feit 
hlosmir.  Holà,  Tristan,  mon  compère  !  cria  Loysunzepar  la  ie- 
neslrc  en  la  levant  soubdain,  monte  icy  ! 

Le  grand  prevost  de  l'hostcl  ne  taida  point  à  paroislre,  et, 
comme  ces  seigneurs  estoyent  tous  gens  de  rien,  eslevoz  par  la 
faveur  du  Roy,  Loysunze,paruntempsde  cholicque,pouvoytles 
dissoudre  à  son  gré;  de  sorte  que,  hormis  le  cardinal,  qui  sefioyt 
sur  sa  soutane,  Tristan  les  treuva  tous  roides  et  pantois. 

— Conduis  ces  messieurs  au  prétoire,  sur  le  Mail,  mon  compère  ; 
ils  se  sont  embrenés  à  trop  mangier. 

—  Suis-je  pas  une  bonne  raillarde?  luy  dit  Nicole. 

—  La  farce  est  bonne,  mais  orde  en  diable,  respondit-il  en 
riant. 

Ce  mot  royal  feit  cognoistre  aux  courtizans  queleRoyn'avoyt 
pas  voulu  iouer  ceste  foys  avecques  leurs  testes,  ce  dont  ils  béni- 
rent le  Ciel.  Ce  monarque  aymoyt  fort  ces  salauderies.  Cenees- 
toyt  point  d'ung  meschant  honmie,  comme  le  dirent  les  convives 
en  se  mettant  à  l'aise  au  bord  du  Mail,  avecques  Tristan,  qui,  en 
bon  Françoys  leur  tint  compaignicet  les  escorta  chez  eulx.  Voilà 
pourquoy  depuis  uncques  ne  faillirent  les  bourgeoysde  Tours  à 
concilier  le  Mail  du  Chardonneret,  veu  que  les  gens  de  la  Court 
y  avoyent  esté. 

le  ne  quitterai  point  les  chausses  de  ce  grantRoy  sans  mettre 
par  escript  la  bonnecoyonnorie  (|u'il  feit  à  la  Codegrand,  hupielle 
cstoyt  une  vieille  lille,  en  grant  despit  de  ne  point  avoir  treuvéde 
couvercle  à  son  pot  durant  les  quarante  années  qu'elle  avoyt  vi- 
voté, enraigeant  dans  sa  peau  tannée  d'ostre  tousiours  vierge 
conmic  ung  mulet.  Ladicle  lille  avoyt  son  logiz  de  l'aultre  costé  de 
la  inais()n(|uia|)partenoytàlal]eaupertuys,  cnrondroictoùest  la 
rue  de  lliérusalem,  si  bien  qu'en  se  iuchant  à  ung  balcon  iouxtant 
le  mur,  il  estoyt  amplement  facile  deveoircequ'ellefaisoytetde 
ouyr  ce  qu'elle  disoyt  dans  une  salle  basse  où  elle  demeuroyt  ;  et, 
souventes  l'ovs,  le  Rov  prenoyt  de  bons  divortissemens  de  ceste 

12. 


'■■'  ■■■■  -Tr-  ^T^rrï-  i:^.'îx:;:::r  :::  s::^.  - 

niellant  à  1  aise  au  bora  Uu  Mdii,  .ivi,i4u<-=> 
Uni  compaignic  el  les  escorta  cliez  eulx. 


LES  lOYEULSETEZ    DU  ROY 


159 


vieille  fille,  qui  no  seavoit  point  estre  nutnntsoiihz  lacoiileuvrino 
dudict  seigneur.  Doncqucs,  un  iour  de  marché  l'ranc,  il  advint 
que  le  Roy  feit  pendre  iing  ieune  bourgeoys  de  Tours,  lequel  avoy  t 
\iolé  une  dame  noble,  ung  peu  aagée,  cuydant  que  c'estoyt  une 
ieune  fille.  A  ce,  il  n'y  avoyt  point  demal,  et  c'eusteslécbouse 
me'ritoire  pour  ladicte  dame  d'avoir  esté  prinso  pour  vierge  ;  mais 
en  rccoignoissant  s'estre  deceu,  il  l'avoyt  abominée  de  mille  in- 
iures  ;  et,  la  soupçonnant  de  ruse,  s'estoyt  avisé  de  luy  voler  ung 
beau  goubelct  d'argent  vermeil,  en  loyer  du  prest  qu'il  venoytde 
lui  faire.  Ce  susdict  ieune  lionmie  estoyt  à  touscrins,et  si  beau 
(pie  toute  la  ville  le  voulut  vcoir  pendir,  parmanière  de  repief , 


et  aussy  par  curiosité.  Conqitez  qu'il  y  avoyt  à  la  pendaison, 
plus  de  bonnets  que  de  cliapeaulx.  Do  l'aict,  ledict  ieune  liomme 
brandilla  Irez  bien;  et,  suivautTus  et  coustumedes  iicndusdeee 
temps,  mourut  en  guallant,  la  lance  eu  arrest,  ce  dont  il  l'ut  grant 
bruit  dans  la  ville.  Beaucoup  de  d.imes  dirent,  à  ce  subiect,  que 
c'estoyt  ung  mourfro  de  ne  pas  avoir  conservé  une  si  belle  ame 
de  braguette. 

—  Que  diiiez-vous  si  nous  mettions  le  beau  |ien(lu  dedans  le 
lict  de  la  Godegraud?  demanda  la  Heaupcrtuys  au  Hoy. 

—  Nous  l'espouvanterons,  respondit  Loys  unze. 

—  Nenny  !  Sire.   Soyez  ferme  qu'elle  accueillera   bien   ung 
homme  mort,  tant  elle  ha  un  grant  amour  d'ung  vivant.  Hier,  ie 


140  CONTES  DROLATIQUES. 

l'ay  veuc  faisant  des  ioUios  à  uii^'  boiiiu'l  de  ieiine  homme,  qu'elle 
avoyt  mis  sur  le  hault  d'unecliaire,et  vous  auriez  Lien  ry  de  ses 
pai'oles  et  momcries. 

Ores,  pendant  (|ue  la  vierge  de  quarante  ans  feutaux  vespres, 
le  Roy  envoya  desj)i'ndre  le  ieune  bourgeoys  qui  venoy t  d'achever  la 
darrenière  scène  de  sa  l'arce  lragic(iue,  et,  l'ayant  veslu  d'une  che- 
mise blanche,  deux  estal'liers  montèrent  par-dessus  les  murs  du 
iardinet  de  la  Godegrand,  et  couchièrent  ledict  pendu  dans  le 
lict,  du  costé  de  lamelle.  Puis,  cela  faict,  s'en  allèrent,  et  le  Roy 
resta  dans  la  salle  au  balcon,  iouant  avecques  la  Beaupertuys,  en 
attendant  l'heure  ducouchier  delà  vieille  (ille.  La  Godegrand  re- 
vint bientost,  ta,  ta,  belle,  belle,  comme  disent  les  Tourangeaulx, 
de  l'ecclise  de  Sainct-Martin,  dont  elle  n'estoyt  point  esloignée, 
veu  que  la  rue  de  Hiérusalem  touche  les  murs  du  cloislre.  Elle 
entre  chez  elle,  se  descharge  de  son  aumosnicre,  chappclet, 
rosaire  et  aultres  magazins  que  portent  les  vieilles  fdies  ;  puis 
descouvre  le  l'eu,  le  souille,  se  chaulTe,  se  boutte  en  sa  chaire, 
caresse  son  chat  à  deffault  d'aultre  chose  ;  puis  va  au  garde- 
mangier,  soupe  en  sospirant  et  sospire  en  soupant,  avale  toute 
seule,  en  resguardant  ses  tapisseries  ;  et,  a[>rès  avoir  beu,  i'eit 
ung  gios  pet  que  le  Roy  entendit. 

—  llein  !  si  le  pendu  luy  disoyt  :  ((  Dieu  vous  bénisse  !  » 
Sur  ce  prouposde  la  Beaupertuys,  tous  deux  s'esclatèrent  d'un 

rire  muet.  Et,  trez  attentif,  le  Roy  trez  chrestien  assista  au  des- 
pouillcment  de  la  vieille  (ille,  qui  se  desvestoyt  en  s'admirant, 
s'espilant  ou  se  grattant  ung  boulon  malicieusement  advenu  sur 
une  narine,  puis  s'esplucliiant  les  dents  et  faisant  mille  menues 
chouses  que  font,  hélas!  toutes  les  dames  vierges  ou  non,  dont 
bien  grantleur  fasche  ;  mais,  sans  les  légiersdeffaults  de  la  natui-e, 
elles  seroyent  trop  fièreset  l'on  nepourroytplusen  iouyr.  Ayant 
achevé  son  discours  aquaticque  et  nuisical,la  vieille  lille se luit 
entre  ses  toiles  et  gecta  ung  beau,  gros,  ample  et  curieux  cry 
alors  qu'elle  veit,  qu'elle  sentit  la  frescheur  de  ce  pendu  et  sa 
bonne  odeur  de  ieunesse  ;  puis  saulta  loin  de  luy  par  corquot- 
terie.  Mais,  comme  elle  ne  le  scavoyt  point  estre  véritablement 
deniinct,  elle  revint,  cuydanlcju'il  se  mocquoyt  d'elle  et  conlrc- 
iaisoyl  le  mort. 

—  Allez-vous-en,  meschant  plaisant  !  dit-elle. 

Mais  croyez  qu'elle  j)roferoyt  ces  paroles  d'ung  ton  bien  hum- 
ble et  bien  gracieux.  Puis,  voyant  qu'il  ne  bougeoyljellel'exa- 


LES  lOYKIJLSETKZ    1)1'   ROY. 


til 


mina  de  plus  près  et  s'cstoniiia  l)i('ii  lort  de  ('cslc  taiiL  Ik-IIc  nature 
humaine  en  recognoissant  le  ieunc  bourgeoys,  sur  lequel  la  plian- 
taisie  la  print  défaire  des  expérinientalioiis  purement  seiciitific- 
<jues  dans  l'iiiterest  des  pendus. 

—  Que  faict-elle  doncques?  disait  la  Reaupertuys  au  Uoy. 

—  Elle  essaye  de  le  ranimei'.  C'est  une  oeuvre  d'humanité 
chrestienne... 

Et  la  vieille  (ilK;  houclioimnyt  et  rei)oistoyt  ce  beau  ieune 
homme,  en  suppliant  saincle  Maiie  .Egyptienne de l'ayder  à  ravi- 
tailler cemary  qui  luy  tomboyt,  tout  amoureux,  du  ciel,  lorsque 
tout  à  coup,  en  resguardant  le  mort  qu'elle  rescliaul'foyt  cliarita- 
blement,  elle  creut  veoir  un  légier  mouvement  d'yeulx  :  alors 
mit  la  main  au  cueur  de  l'iionnue  et  le  sentit  l)attiiî  foihiement. 
Enfin,  aux  ehalcurs  dulict,  deraffeetion,  et  par  la  tenqx'ralure 
des  vieilles  fdles,  qui  est  bien  la  plus  bruslantc  de  toutes  les 
boulïées  parties  des  déserts  al'ricquains,  elle  cutlaioye  dcrcn(h'e 
la  vie  à  ce  beau  et  bon  braguard,  qui,  par  cas  fortuit,  avoyt 
esté  trez  mal  pendu. 

—  Voilà  comment  les  bourreaux  me  servent  !  dit  Lovs  unze 
en  riant, 

—  lia  !  (lit  la  lieaupertuys,  vous  ne  le  ferez  j>as  rependre  ; 
il  est  trop  ioly. 

—  L'arrest  ne  diet  pas  (ju'il  sera  pendu  deux  foys,  mais  il 
espousera  la  vieille... 

Defaict,  la  bonne  damoisellealla,  d'ung  pied  |)ressé,  quérir  ung 
maistre  myre,  bon  barbier,  (|ui  demouroyt  en  l'abbaye,  et  le  ra- 
mena vitement.  Aussytost  il 
])rint  sa  lancette,  saigna  le 
ieune  homme,  et  connue  le 
sang  ne  sortoyt  point  :  — Ali  ! 
dit-il, il  est  trop  tard, le  tians- 
bordement  du  sang  dans  les 
poumons  estfaict? 

Mais  tout  à  coup  ce  bon 
ieune  sang  goutta  un  petit, 
puis  vint  en  abundance,  et 
l'apoplexie  chanvreuse,  qui 
n'estoyt  (pi'esl)auelii('e,  feutarresiéeen  son  cours.  Le  ieune  lionune 
remua,  devint  plus  vivant  ;  puis  il  tondia,  par  le  vœu  de  la  nature, 
dans  unggrantalfaissementetprofundeattrition,  prostration  des 


n2  CONTES  DROLATIQUES. 

chairs  et  llasfpiositoz  du  tout.  Ores,  la  vieille  fille,  qui  estoyt  tout 
yeulx  et  suivoyt  les  grans  et  notables  changemens  qui  se  faisoyent 
en  la  personne  de  ce  mal  pendu,  print  le  barbier  parla  manche,  et, 
luy  montrant  le  piteux  caz,  par  une  œillade  curieuse,  luy  dit  : 
—  Est-ce  que  doresenavant  il  sera  ainsy  ? 

—  En  da!  bien  souvent,  respondit  le  véridicquc  chirurgien. 

—  Oh!  il  estoyt  bien  plus  gentil, pendu. 

A  ceste  parole,  le  Hoy  s'esclata  de  rire.  Le  voyant  par  la  croisée 
la  fille  et  le  chirurgien  eurent  grantpaour,  veu  que  ce  rire  leur 
senibloyt  ung  second  arrest  de  mort  pour  leur  paouvrc  pendu. 
Mais  le  Roy  tint  parole  et  les  maria.  Puis,  pour  que  iustice  feust, 
il  donna  le  nom  de  sieur  deMortsauf  à  l'cspoux,  en  lieu  et  place 
de  celluv(ju'il  avoyt  perdu  dessus  l'cschauffaud.  Comme  la  Gode- 
grand  avoyt  une  trezanq)le  pannert'ed'escuz,  ilsfeirent  une  bonne 
famille  de  Touraine,  laquelle  sujjisle  encorcs  en  grant  honneur, 
veu  que  M.  de  Mortsauf  servit  trez  fidellement  Loys  unze  en 
diverses  occurrences.  Seulement  il  n'aimoyt  à  rencontrer  ni 
potences  ni  vieilles  femmes,  et  iamais  plus  ne  voulut  recepvoir 
d'assignations  amoureuses  pour  la  nuict. 

Cecy  nous  apprend  à  bien  vérifier  et  recognoistrc  les  femmes, 
et  ne  point  nous  tromper  sur  la  difiérence  locale  qui  existe  entre 
les  vieilles  et  les  ieunes,  veu  que,  si  nous  ne  sommes  pas  pendus 
pour  nos  erreurs  d'amour,  il  y  ha  tousiours  quelques  larges 
risques  à  courir. 


|[||  TilUtilIliflÉli 


LA    CONNESTABLE 


Le  conncslabk'  d'Ainiignao  ospouso/par  ambition  de  haute  for- 
tune, la  comtesse  Bonne,  qui  s'estovt  (lesià  trez  proprement  ena- 
mouri'e  du  petit  Savoisy,  fils  du  chamberlan  à  Monseigneur  le 
Roy  Charles  sixiesme. 

Le  connestable  estoyt  ung  rude  homme  de  guerre,  piteux  âe 
mine,  vieulx  de  peau,  grantement  poilu,  disant  tousiours  des  pa- 
roles noires,  tousiours  occupé  de  pendre,  tousiours  en  sueur  de 
batailles,  ou  resvant  à  stratagesmcsaullres  (|uc  ceulx  d'amour. 
Aussy,  cebonsouldard,  peusouicicuxd'espicer  le  ragoustdu  nja- 
riaige,  usoyt  de  sa  gente  fen)me  en  honune  (jui  pense  à  vise'es 


LA     CONNEsTjlIll.  E. 


L.V   CO.N.NESTAbLt:. 


115 


[iliis  liiinllcs;  rc  (iiic  les  dames  ont  en  une  saigc  horreur,  veii  que 
elles  n'ayment  point  à  avoir  les  solives 
du  lict  pour  seuls  iiiges  de  leurs  mi- 
gnardises et  bons  coups. 

Donrques,  la  belle  comlcsse,  drs 
qu'elle  l'eut  conneslablL'e,n'en  mordit 
que  mieulx  à  l'amour,  dont  elle  avo\  t 
le  cueur  encombré  pour  le  susdict 
Savoisy  ;  ce  que  veit  bien  le  compai- 
gnon. 

Voulant  tinis  deux  estudier  niesme 
musicque,  ils  eurent  bientost  accordé 
leurs  lucsou  descbiiïré  le  grimoire  ;  et 
ce  l'eut  chouse  apertement  démonstrée 
à  la  royne  Isabelle  que  les  chevaulx  de  Savoisy  cstoyent  jdiis 
souvent  establez  obcz  son  cousin  d'Armignac  qu'en  l'iiostel 
Sainct-Pol,  oiî  demouroyt  le  chandierlan,  depuis  la  destruction 
de  son  logiz,  laicte  par  ordre  de  l'Université,  comme  ung  chascun 
sçayt. 

Geste  preude  et  saigc  princesse,  redoublant  paradvancecpielque 
fascheux  estriipour  Bonne,  d'autant  ([ue  Icdict  coiinestable  ne 
chailloyt  pas  plus  à  iouer  de  sa  lame  (jue  jjicbstre  à  donner  ses  bé- 
nédictions, ladicte  royne,  line  à  dorer  comme  une  dague  de  plond), 
dit  ung  iour  en  sortant  de  vespres  à  sa  cousine,  qui  prenoyt  de 
l'eaue  benoiste  avec(jues  Savoisy  : 

—  Ma  mye,  ne  voyez-vous  point  du  sang  dedans  cesle  eaue? 

—  Uab!  l'eit  Savoisy  à  la  royne,  l'amour  ayme  le  sang,  ma- 
dame!... 

Ce  que  la  dicte  royne  treuva  fort  bieurespondu,  et  le  mit  en 

escrijit,  puis  plus  tard  en 
action,  lors  (puî  son  sei- 
gneur Roy  navra  ung  sien 
amant,  dont  vous  verrez 
poindre  la  faveur  dans  cet- 
tuy  Conte. 

Vous  sçavez.  par  maintes 
expérimentations,  que  du- 
rant le  prime  vèrc  de  l'a- 
mour, ung  chascun  des  deux  amans  ha  tonsiours  en  gran  paour 
de  livicr  le  mystère  de  son  cueur;  et,  tant  par  fleur  de  pru- 

13 


iiii  (.(i.N  i'i;s  nuni.Ai  i(jLi;s. 

denco,  (anl  |iuiir  raiiiuscmeiiL  (iiic  (loiiiu'iil  les  iloulccs  tru- 
pherii's  tic  lu  guallaiiliso,  ils  iouont  à  (|iii  mieulx  se  niusscra. 
Puis,  ung  iour  d'oubly  sunict  pour  enlorrci'  toutes  les  saigesscs 
passées.  La  puDuvre  reiniiie  se  piind  ou  sa  ioye  couuuc  eu  uug 
lasset  ;  sou  aniy  sigue  sa  préseuee  ou  [jailoys  uui;  adieu  par 
quelques  vestiges  de  braguettes,  eseharpesou  esperous  laissez  par 
uug  liazaid  l'atal  ;  et  vécy  uug  couj>  de  dague  (jui  trenclie  la  trame 
si  guallauHueut  ouvraigée  par  leurs  délices  dorées.  Mais,  (piaud 
pleius  sout  les  iours,  point  ne  l'aut  l'aire  la  moue  à  la  mort;  et 
l'tspée  des  marys  est  ung  l)eau  trespas  de  guallanterie,  s'il  y  lia 


de  beaulx  trespas!  Aiusy  debvoyent  finer  les  belles  amours  de  la 
comiestable. 

Uug  matin  ipie  monsieur  d'Ai-mignae  avoyt  uug  moreeau  de 
bon  teuq)s  à  prendie  par  la  l'uite  du  due  de  hourgougue,  Itupicl 
quittoyt  Lagny,  le  eonnestable  doneques  s'advisa  de  soubbaiter 
boniour  à  sa  dame,  et  la  voulut  lesveigler  d'une  fasson  assez  doulce 
pour  (pi'elle  iw  se  l'asebast  point;  mais  elle,  eud)ourbée  dans  les 
grasses  souuueilleries  de  la  matini'c,  res|ion(iit  au  geste  sans  lever 
les  paupières  : 

—  Laisse-moy  doneques,  Charles! 

—  (  Hi  !  oh  !  leit  le  eonnestable,  oyant  ung  nom  de  sainct  qui 
n'cstoyt  point  de  ses  patrons,  i'av  du  Charles  dans  la  teste! 

Lors,  sans  Idueliier  à  sa  ienune,  il  saulta  liors  du  liet  l'I  moula, 
le  visaige  en  llanune  et  l'espée  nue.  à  l'eudioicl  où  doiuioyt  la 
cbaud)eiièi-e  de  la  comtesse,  se  ddublaiit  (pu'  la  dicte  servante 
mcllovl  les  mains  à  ceste  besonyiie. 

—  Ali!  ail!  gouge  d'enfer,  luy  cria-l-il  |mui  (•(Hiimeucer  le 
drduicl  de  sa  cliolère,  dis  tes  paleiioslres,  car  ie  vais  te  tuer  sur 
riirurc  à  cause  des  menées  du  Charles  (pii  vient  céans. 

—  Ali!  Monseigneur,  ii's|niii(lil  la  Icmmc.  qui  vous  ha  dict 
cela? 

—  Sois  j'eriiH-  (pir  ic  le  déliais  sans  rc'missioii.  si  lu  n'advoues 
les  moindres  assiguatiims  (btum'es,  el  en  (pulle  manière  elles 


L'ositôe  dos  raarjs  esl  mig  lioau  trempas  do  guallanlerio,  s'il  y  a  di' 
bcaulx  trcspasi 


lis  CONTES   PROLATIOrES. 

s'acconloycnt ;  si  la  langue  se  toitillc,  si  tu  l)rûnrhcs,  le  te  cloue 
avecquos  mon  poignard.  Parle! 

• —  Clouez-nioy,  rcsparlit  la  fille  :  vous  ne  sçaurez  rien  ! 

Le  connestable,  ayant  mal  prins  cesle  excellente  rcsponse.  la 
cloua  net,  lant  le  coui  roux  rescliauiroyt  ;  puis  revint  en  la  clianihre 
di'  sal'emnie,  et  dit  à  son  escuyer  qu'il  rencontra  par  les  degrez, 
tout  csveiglé  aux  aboys  de  la  iille  : 

—  Allez  là-hault;  i'ay  corrigé  ung  peu  fort  la  Billette. 
Devant  qu'il  reparust  en  présence  de  Bonne,  il  alla  prendre  son 

fils,  lequel  doruioyt  comme  ung  enfant,  et  le  traisna  chez  elle 
avec((ues  des  lassons  peu  mignonnes.  La  mère  ouvrit  les  veulx, 
et  bien  grans.  comme  pensez,  aux  cris  de  son  petit;  puis  feut 
grantement  esmeue  en  le  voyant  aux  mains  de  son  mary,  lequel 
avoyt  la  dextre  cnsanglanti'o  et  gectoyt  ung  resguard  rouge  à  la 
mère  et  au  fils. 

—  Qu'avez-vous?  dil-elle. 

—  Madame,  demanda  Ihonnuc  de  briefvc  exécution,  cet  en- 
fant est-il  Yssu  de  mes  reins  ou  de  ceulx  à  Savoisy,  vostre 
amy? 

Sur  ceproupos.  Bonne  devint  pasle  el  saulfa  sur  son  fils  comme 
une  grenouille  effrayée  (pii  se  Jance  à  l'i^uie. 

—  Ah!  il  est  bien  à  nous,  feit-elle. 

—  Si  vous  voulez  ne  pas  veoir  rouler  sa  teste  à  vos  pieds,  con- 
fessez-vous à  nioy,  et  lespondez  droict  :  vous  m'avez  adioinci  ung 
lieutenant? 

—  Oiiida! 

—  Quel  est-il? 

—  Ce  n'est  point  Savoisy,  et  ie  ne  diray  iamais  le  nom  d'ung 
liomme  que  ie  ne  cognoys  pas. 

Là-dessus,  le  connestable  se  leva,  piint  sa  fenune  ])ar  le  bras 
pour  luy  Irenclier  la  paiole  d'ung  coup  d'espée;  mais  elle,  luy 
gcclant  ung  resguard  impérial,  s'écria  : 

—  Oh  bien,  tuez-moy;  mais  ne  me  touchez  plus! 

—  Vous  vivrez,  repartit  le  mary,  pour  ce  que  ic  vous  réseive 
ung  cliasliment  |ilus  anq)le  (pie  la  mort. 

Lf,  ledonblanl  les  engins,  pii'ges,  ai'raisoimemens  et  artifices 
familiers  aux  femmes  en  ces  cas  fortuits  dont  elles  estudient, 
niiict  et  i(iiir,les  variantes,  à  part  elles  ou  cuire  elles,  il  se  dé- 
partit, sur  cesle  iiide  et  amère  |)ar(de.  Il  alla  incontinent  inlerro- 
guorses  servilcius.  leur  nioii^liant  une  face  divinement  terrible  : 


Le  conncslablc,  ayant  mal  prins  costo  cxccllenic  rospon^e.  h.  cloua  iiw, 
Uinl  li^  fournuix  r.-.<liaufloyl. 


150 


CONTES  DROLATIOUES. 


aussy,  tonsluy  rospondiirnt  ooniiiio  ù  Dieu  IcPèro  au  iour  darre- 
nicr,  (juand  ung  cliascun  de  nous  fera  sou  compte. 

Nul  d'iceulx  ne  sceut  le  sérieux  meschief  qui  estoyt  au  tres- 
funds  do  ees  sommaires  interroguatoires  et  astucieuses  interlocu- 
tions; mais,  de  tout  ce  qu'ils  dirent,  par  le  eoimestal)le  l'eut  con- 
clud  (|ue  aulcun  masie  du  loiiiz  n'avoyt  mis  le  doigt  dedans  la 
saulce,  liorsmis  ung  de  ses  chiens  (|u'iltreuva  muet,  et  auquel  il 


avdvt  donne  cdmiiiissioii  de  vrigicr  ;ni\  iardins.  Alors  le  prenant 
dans  ses  mains,  il  l'estonl'la  de  raige.  Ce  l'aict  l'incila  pc-ripallu'- 
lic(pu'menl  à  supposer(pie  le  soiis-connesl;d)le venovl  en  sonlioslel 
p;ir  le  iardin,  (pii  avoyl  ponr  loiilc  \ssue  une  poterne  donnant  sur 
le  liord  de  l'eane.  IJesoing  est  de  dire  à  cenix  (pii  en  ignorent  la 
sitnalion  de  l'IiosleldArnii^nac,  lecpud  len<»yt  ung  enq)lacement 
noialile  pièsles  maisons  royales  de  Saincl-INd.  Sni'  ce  lien  l'eut  de- 
puis l);isl\  riiostel  des  Longneville.  Ores,  (piant  à  prc'sent,  le  logiz 
d'Armigri;ic  a\d\t  ung  porche  de  hclle  |iierre  en  la  rue  Sainct- 
Anlli()ine;esl(»vl  l'orlilic'  de  ton!  |ioincl  ;  et  leshanlls  murs  du  coslc" 
dr  la  rivière,  en  lace  l'isli'  aux  Vasches,en  l'endroicl  oîi  est  main- 
tenanl  le  port  île  la  (Iresve,  esloveni  gnarnis  de  lonrriles.  Le  (Iin- 
sindecc  s'est  v{Mi  longtenqis  chez  le  sieur  cardinal  llnpial.  chan- 
celier du  H(i\.  Le  cdiuic-liihle  vu\da  sa  cervelle,  et  ;iu  Imid,  parmy 


LA  (;(»NNi:sT\i!i,i:.  IM 

SCS  j)lus  hcllcs  ('iiil)iisflios,  tini  la  iiicillciire  cl  ra|i|)rii|(ria  si  liini 
au  cas  csclicanl,  que  luicc  cstoyl.  an  i;iiallaiil  de  s'y  jni'inlic 
comme  lièvre  dans  un;;  collcl. 

—  Par  la  mort-Dieu!  dit-il,  imtn  liaillcur  dr  cornes  est  prins, 
et  i'ay  le  temps  de  resver  ù  seavoir  conmient  ie  racconinidderay. 

Yéry  l'ordre  de  lialaille  (|ue  ce  lion  capitaine  p(»ihi,  (jni  i'aisoyt 
si  grosses  guerres  au  duc  Jeaii-sans-lVur,  conmianda  pour  donner 
l'assault  à  son  ennemi  secret.  Il  })rintlion  numhre  de  ses  pins  al- 
fcctionnez  et  adroits  arcliei's,  les  aposta  dedans  les  lours  dn  (piav, 
en  lenr  nrdoinianl   sduliz  les  pins  i^rielVes  |ieiiies  de  lii(  r.  sans 


aulcune  dislinclHin  de  ^ens,  liorsinis  la  conneslalile.  sur  les  |ier- 
sonnes  de  sa  niai'^on  ipii  rer(»yent  mine  de  snriir  des  iardins  et  d  y 
laisser  enlrer  nuiclainnient  on  de  lonr  le  i;enhllionnne  a\nie. 
Autant  en  lent  l'aicL  du  cosli-  dn  porclie.  en  la  rne  Saincl- 
Anllioine. 

Les  serviteurs,  mesmes  li^  chapelain,  eurent  consigne  de  ne 
point  yssir  du  logiz  soidiz  |)(»ine  de  mort,  l'uis.  la  garde  des  deux 
flancs  de  lliostel  ayant  esté  connniseà  des  souldai'dsde  sa  coni- 
paijinie  d'ordonnance,  lestpu'ls  eurent   charge  (je  l'aire  home 


1.V2  CONTES   DHOLATIOI  ES. 

guette  dans  les  rnos  latt'ralcs,  force  estoyt  que  l'aiiiant  incogncu, 
auquel  le  conncstahh'  ostoyt  débiteur  de  sa  paire  de  cornes,  feust 
saisy  tout  chauld,  quand,  ne  saichant  rien,  il  s'en  viendroyt,  à 
l'heure  accoustuméc  de  l'amour,  planter  insolemment  son  es- 
tendard  au  cueur  des  appartenances  légitimes  dudict  seigneur 
comte. 

C'estovt  une  chausse-trappe  où  dcbvoyt  tomber  le  plus  fin 
homme,  à  moins  d'estre  aussy  sérieusement  protégé  de  Dieu 
que  le  bon  sainct  Pierre  le  feut  par  le"  Saulveur  quand  il  l'em- 
pescha  d'aller  au  fund  de  l'eaue,  le  iour  où  ils  eurent  phantaisie 
d'essaver  si  la  mer  estoyt  aussy  solide  que  le  ])lancliier  des 
vasches. 

Le  connestable  avoyt  affaire  à  ceulx  de  Poissy,  et  debvoyt  se 
mettre  en  selle  après  disner,  en  sorte  que,  cognoissant  ce  dessein, 
la  paouvre  comtesse  Bonne  s'estoyt  advisée,  dès  la  veille,  de  con- 
vier son  ieune  serviteur  à  ce  ioly  duel  où  tousiours  elle  estoyt  la 
plus  forte. 

Pendant  que  le  connestable  faisoyt  à  son  hostel  une  ceincture 
d'yeulx  et  de  mort,  et  embusquoyt  des  gens  à  luy,  près  la  poterne, 
pour  happer  le  guallant  à  la  sortie,  ne  saichant  d'où  il  tomberoyt, 
la  connestable  ne  s'amusoyt  point  à  lier  des  pois  ou  à  veoir  des 
vasches  noires  dans  les  charbons. 

D'abord,  la  chami)erière  clouée  se  descloua,  puis,  se  traisnant 
chez  sa  maistresse,  elle  luy  dit  que  le  seigneur  cocqu  ne  savoyt 
rien  ;  et,  devant  que  de  rendre  son  ame,  elle  réconforta  sa  chiere 
maistresse,  en  luy  donnant  pour  seurque  ellepourroytse  fier  en  sa 
sœur,  laquelle  estoyt  lavandière  en  Ihostel,  et  d'acabit  à  se  laisser 
hacher  menu  comme;  chair  à  saucisse  pour  complaire  à  Madame; 
que  elle  estoyt  la  plus  adroicte  et  miesvrc  commère  du  (|uartier,et 
renommée  depuislesTournelles iusqu'à lacroix  duTrahoir,  parmy 
les  gens  de  menu,  comme  fertile  en  inventions  pour  les  cas  pressez 
de  l'amour. 

Lors,  tout  en  dcpldiiianl  h-  Ircspas  de  sa  bonne  cbandierière,  la 
comtesse  manda  la  lavandièic,  luy  feit  quitlei'  ses  buées  et  se  mit 
avecqueselleàrclnurnci'  le  bissac  aux  bons  Idurs,  voulant  saulver 
Savoisv  au  prix  di'  l(»iit  son  heur  à  venir. 

Kt  d'abord  les  deux  femelles  délibérèrent  de  luy  faire  sçavoir 
les  souprons  du  seigneur  de  c('ans,  et  de  l'engaijii^'r  à  se  tenir 
coy. 

ViVv  (l(»nc(|ues  la  bonne  lavandière  (|ni  s'encharge  de  buée 


L.V  CONNKSTAP.LE.  155 

comme  uny;  iniilct,  cl  vciill  yssii'  de  l'iioslcl,  Mîiis,  nu  porclif,  fllo 
trouve  un;^  lioiiiinc  d'iiniics,  l(M|iH'i  Irit  l;i  sourde  nurcille  à  toulcs 
les  controverses  de  la  huandière.  Alors  elle  se  résolut,  par  ung 
espe'cial  dévouement,  de  prendiT  le  souldardpar  son  endroict  l'oi- 
ble,  et  l'esmoustilla  partant  de  miifnardises,  (ju'il  ioua  trez  bien 
avecques  elle,  (pioiipi'il  l'ciisl  liDuzt'comiiic  |tom'  aller  en  guiîrre; 
mais,  aj)rès  le  ieu,  point  ne  voulut  la  laisser  aller  en  la  nie,  et, 
encores  qu'elle  essayast  de  se  faire  sceller  luv^  passe-port  par 
qnelqucs-ungs  des  ])lus  beaulx,  les  croyant  plus  guallans, 
nul  des  arcliers.  f^cns  d'armes  cl  anlli'es,  n'osn  juv  onvrir  nng 
seul  des  perluys  les  j)lus  estroicls  du  logiz.  —  Vous  estes  des 
meschanls  et  des  ingrats,  leur  diel-elle,  de  ne  p;is  me  rendre  la 
pareille  ! 

Ileurensement,  àee  mestier,  elle  s'enipiil  de  loul,  et  revint  en 
grant  liasti;  près  de  sa  maislresse,  à  qui  elle  raconta  les  estranges 
maeliinalions  du  comte. 

Les  deux  l'eimnes  recommencèrent  à  l(>nir  conseil,  et  n'eurent 
pas  tant  seulement  devisé  le  temps  de  chanter  deux  alléluia  sur  cet 
appareil  de  guerre,  de  guettes,  deflenses,  ordres  et  dispositions 
équivocijues,  soui'des,  spécieuses  et  diabolicques,  que  elles  reco- 
gneurcnt,  par  le  sixiesme  sens  dont  toute,  lemelle  est  guarnie, 
l'espi'cial  dangier  (|ui  menassoyt  le  paonvrc  amant. 

Madame,  ayant  bientost  sceu  (jue  elle  seule  avoyt  licence  de  sor- 
tir du  logiz,  se  bazarda  vilement  à  prouflicter  de  son  droict  ;  mais 
elle  n'alla  pas  si  loing  que  le  gect  d'un  cranne({uin,  veu  que  le 
coimesl;iblcavovlcommandt'à(piMtredescspaigesd'cslretoTisiours 
en  debvoir  dacconqiaigncr  la  conilcsse,  cl  à  deux  enseignes  de  sa 
compaignie  de  ne  la  point  quitter. 

Lors  la  paouvre  conneslable  revint  à  sa  cbambre,  en  plourant 
autant  que  plourent  ensendjle  toutes  les  Magdeleines  qu'on  veoit  ez 
tableaux  d'ceclisc. 

—  Las!  disovt-elle,  mon  amiinl  v;i  doucrpics  esire  desconfict, 
et  plus  ne  le  verrav!...  liiv  (pii  rslo\l  si  doiiK  de  jiaroles,  si 
gracieux  au  déduicl!  Cesle  i)clle  Icsle  ipii  lia  si  souvcnles  Ibys 
reposé  sur  mes  genoilz  sera  donc(juesinenrdrie!...  Comment!  ie 
ne  sçauroys  gecter  à  mon  mary  une  teste  vnyde  et  de  nul  [irix  en 
place  de  cesle  teste  pleine  de  charmes  et  de  valeur!...  une  teste 
orde  pour  une  lesle  perl'unK'e!  nue  lesle  li;iïc  pour  nue  teste 
d'amour!... 

—  Ha!  madnnie,  s'cscria  l;i  iiiviindièicsi  nous  liiisions  pou i lier 


I.M  CONTI'S   l»KOI.\T|(jri:S. 

(les  vestomt'iis  d'iiommo  iiolde  au  lilsdu  (lucux,  lequel  est  fol  de 
moy  et  ni'eiinuye  i)ien  loit,  puis,  ([ue,  l'ayant  ainsy  aeeoustré, 
nous  le  boutions  dehors  par  la  poterne? 

lii-dossus,  les  deuxleinmes  s'eiitre-resguardèrent  d'unijoeil  as- 
sassin en  dialile. 

—  Ce  f^uasle-saulee.  )'e|)iint-elle,  une  l'oys  oeeiz.  tous  ees  soul- 
(lards  s'envoleroyent  eoiniue  des  grues. 

—  Oui,  mais  le  eomte  ne  recoignoistra-t-il  pas  le  mannileux? 
Et  la  eomtesse,  se  congnant  au  cueur,  s'eseria  en  hranslant  le 

chief : 

—  Non!  non!  ma  mye,  iev,  c'est  du  sang  nolde  (pi'il  faut 
verser,  sans  espai'gne  auleune. 

Puis  elle  pensa  ung petit,  et.  sanllant  de  ioye,  (die  aeeolla  tout 
à  eoup  la  lavandière  en  disant  : 

—  Pour  ee  que  i'ay  saulv('  mon  aniv  par  ton  eonseil.  ie  te  sol- 
deray  eeste  vie  iusques  à  ta  mort.  ' 

Sur  ee,  la  eomtesse  seieliia  ses  pleurs,  se  feit  ung  visaige  de 
rianc(^e,  print  son  aumosnière,  son  livre  d'Heures,  et  devalla  vers 
l'eeelise  de  Sainet-Pol,  dont  elle  entendoyt  sonner  les  cloches,  veu 
((ue  la  dai'renii'M-e  messe  alloyt  se  dii'e.  Ores,  à  eeste  belle  (h'votion 
ne  l'ailloyl  jamais  laeonnesfable,  enleimne  noiseuse  comme  toutes 
les  dames  de  la  Court.  Aussy  nomnioyl-on  eeste  messe  la  messe 
attornée,  pour  ce  (|iie  il  ne  s'y  reneontroyt  que  muguets,  beaulx 
lils,  ieunes  gentilshommes  et  l'enmies  bien  gorgiasc'es  de  haults 
perl'ums;  brief,  il  ne  s'y  voyoyt  point  de  robbes  ([ui  ne  l'eussent 
armoirii'es,  ni  d'esperons  (pii  ne  l'eussenl  dorez. 

l)oncques,  la  comtesse  IJonne  s'y  (le|)ar(it,  laissant  à  l'hostel  la 
buandière  bien  esbahie  et  enchargit-e  d'avoir  l'œil  au  grain  ;  puis, 
vint  en  grant  j)ompe  à  la  paroisse,  acc(»mpaigii('e  d(>  ses  paiges, 
de  deux  enseignes  et  gens  d'armes. 

Il  est  oceurient  de  dire  que,  j»army  la  bande  de  iolys  chevaliers 
(jiii  IriUillovent  dans  l'eeelise  autour  des  dames,  la  comtesse  en 
avoyt  plus  d'ung  dont  elle  l'aisoyt  la  iov<',  et  (|iii  s'esloyt  a(lonn(! 
(le  cncur  à  elle,  suivant  la  coustunu'  du  iemie  aage,  où  nous  en 
coiielions  tant  et  plus  sur  nos  tablettes,  seulement  à  cc^stc  fin  d'en 
(•(•(Kpieslcr  au  moins  une  sur  le  grant  nnudMC. 

l)e  ces  oyseaulx  de  line  proye,  lesquels  oiivrovent  lousiours  le 
bec  et  resguardoyent  ])lus  souvent  à  trav(!rs  les  bancs  et  les 
patenoslres  (pie  devers  l'autel  et  les  jirebstres,  il  yen  avoyt  ung 
au(|uel  la  comtesse  faisoytpar  l'oys  l'aumosnc  d'ung  coup  d'œil. 


Aus^y  noiiimoyl-on  rr<ii"  mos^r 
coiiiroyt  quf  iiiufruct-;.  licaiil 
gorgiasécs  de  luiults  iiarluins. 


;i  mcssn  nllorurc  pour  ci^  i\\xo,  il  ne  -i'y  rcii- 
fih,  ieimcs  gt'iilihhoinmcs  et   reuiines   bien 


156 


Cd.MKS    1)1101, ATIOL'ES. 


pour  ce  qu'il  cstoyl  moins  vôtillant  et  jibis  ))rorun(l('mcnt  entre- 
prins  que  tous  aultros. 

Celluy-là  se  tenoj t  coy,  tousiouis  collé  au  mesnic  pilier,  n'en 
bougeant  point,  et  vrayment  ravy  de  la  seule  veue  de  la  dame 
qu'il  avoyl  esIeuej)our  sienne.  Son  pasle  visaigeestoytdoulccment 

mi'laneliolisé.Sa  physionomie 
l'aisoyt  ])reuve  d'ung  cueur 
l)ien  cstoffé,  un  de  ceulxqui 
se  nourrissent  d'ardentespas- 
sions  et  s'abynient  délieieu- 
sement  dans  les  désespéianees 
d'un  amour  sans  advenir.  De 
ces  gens,  il  y  en  a  peu,  pour 
ce  que,  d'ordinaire,  on  ayme 
|)lus  ceste  chouse  que  vous 
sçavez  (jue  les  lelicités  inco- 
gneues  gisant  et  llorissant  au 
tresl'unds  de  l'ame. 

Ce  dict  gentilhomme,  en- 
core (jue  ses  vestemens  l'eus- 
sent de  homie  l'asson  et  pro- 
jireset  sini|»les,  ayant  mesmes 
ung  fcrlain  goust  respandu 
dans  les  agencemens,  sem- 
liloyt  à  la  connestable  debvoir 
csliv  ung  ]taouvre  chevalier 
(|ueranl  iortune  et  venu  de 
loing  avec(jues  sa  cappe  et  son 
espécpourloutpotaige.Aussy, 
tant  par  soupçon  de  sa  sccrcllc  misère,  tant  pour  ce  qu'elle  en 
c^ltivl  bien  avmce,  ung  ])cn  pour  ce  (pi'il  avoyl  bonne  conlcnance, 
bcaiilx  clicvculx  noirs,  bii'U  longs,  belle  taille,  et  (|u"il  reslctyt 
hnndtle  et  soubmis  à  tout,  la  comicsiable  liiy  soiihhaitoyt  la  la- 
veur des  rennncs  et  de  la  Iortune.  Puis,  j)our  ne  point  chommer 
de  guallans,  et  par  uni;  penser  de  bonne  mesnaigiere,  clic  le 
rescbauflovt,  suivant  ses  pliaiilaisies,  j)ar  (picbpies  menus  sul- 
Irai^es,  |telits  resguards,  (pii  serpeiilciyent  devers  luy  c(»unne  de 
mordans  asjtics;  se  nioc(pianl  de  Iniil  IheiM'  de  cesie  ieune  vie,  en 
pi'incesse  accoustinni'e  à  ioiier  des  obiels  plus  prctieux  (pie  n'estoyt 
ung  simple  cliev  a  lier.  IJi  eHcrl,s()n  mary  le  conncslahlc  liasardoyt 


LA   CONNKSTAIiM;.  i:.7 

le  royaulinc  et  loiit,  {'oiuinc  vous  loiicz  d'un  lésion  au  |iic(|nct. 
Final)lonionf,  IIu'n  avoyt  |)as  plus  de  trois  iouis  (|iu',  au  dcslui- 
cliier  dos  vos|)r('s,  la  coiuiestalilc,  iiioustiaut  de  l'œil  à  la  Royiie 
ce  poursuivant  d'amour,  se  priiil  à  dire  en  riant  : 

—  Voilà  ung  homme  de  (pialité. 

Ce  mot  resta  dans  le  beau  larigiiaij^e.  Plus  tard,  il  devint  une 
l'asson  de  désigner  les  gens  de  lallourt.  Ce  l'eut  à  la  eonncstahle 
d'Arniignac,  et  nonàd'aullres  sources,  que  le  Trançoys  l'eut  rede- 
vable de  ceste  iolie  expression. 

Par  cas  iortuit,  la  comtesse  avoyt  rencontré  vray  à  l'endroict 
du  geutillionnne.  G'esloyt  ung  chevalier  sans  ])annière  (|ui  avoyt 
uoui  lulien  de  lîoys-lJourredon,  le(juel,  n'ayant  pas  hérité  sur  son 
iiel'  assez  de  bois  pour  se  l'aiie  niesmes  ung  cure-dent,  et  ne  se  co- 
gnoissant  pas  de  plus  beaul\  biens  que  la  riche  nature  dont  sa 
defunctc  mère  l'avoyt  guarny  fort  à  proupos,  conceut  d'en  tirer 
rente  et  proulllct  à  la  Court,  saichant  condiien  les  dames  y 
ostoyent  Iriandes  de  ces  bons  revenus,  et  les  prisent  hault  et 
chier,  quand  ils  peuvent  tousiours  estrc  perceus  sans  l'aulle  entre 
deu\  soleils,  il  y  ha  beaucou])  de  ses  pareils  qui  ontainsy  prins 
l'estroicle  voye  des  femmes  pour  faire  leur  chemin  ;  mais,  luy, 
loiug  de  niellre  son  amour  en  coupes  réglées,  despensa  le  funds 
et  tout,  si  tosl  que,  venu  à  la  messe  attornée,  il  veil  la  triomphale 
beaulté  de  la  comtesse  Bonne.  Alors  il  cheut  en  ung  amour  vray, 
lequel  fcut  grantementde  mise  pour  ses  escuz,  veu  qu'il  en  perdit 
le  boire  et  le  mangier.  Ceste  amour  est  de  la  pire  espèce,  pour  ce 
qu'il  vous  incite  à  l'amour  delà  diette,  pendant  la  dielte  de  l'amour; 
double  maladie  dont  une  sullit  à  ostaiiulrc  ung  honnne. 

^oilà  quelestoytleieune  sire  auquel  avoyt  songié  la  bonne  con- 
iiestable,  et  vers  lequel  elle  venoyt  vite  pour  le  conviera  mourir. 

En  entrant,  elle  veit  le  paouvre  chevalier  qui,  fidelle  à  son 
plaisir,  l'allendoyt,  le  dos  au  |iilier,  comme  ung  souffreteux  aspire 
au  soleil,  au  printenq)s,  à  l'aurore.  Alors  elle  deslourna  la  veue 
et  voulut  aller  à  la  Royne  pour  en  requérir  assistance  en  ce  cas 
désespéré,  car  elle  eut  pitié  de  son  amant;  mais  ung  des  capi- 
taines luy  dit  avecques  une  grant  teincte  de  respect  :  —  Madame, 
il  y  ha  ordre  de  ne  pas  vous  laisser  la  licence  de  parler  à  fennne 
ou  honnne,  ipiand  mesmes  ce  seroyt  la  IJoyne  ou  voslre  conl'es- 
seur.  Kt  conq)lez  (|ue  nostre  vie  à  tous  est  en  ieu. 

—  Vostre estât,  respondit-elle,  n"esl-ildonc(|uespasdc  mourir? 

—  Et  aussy  d'obéir,  repartit  le  souldard. 

14 


Alt  r>  il  client  en  iiii^'  ciiiuur  Uray,  Iimiik;!  IihU  giaiiU;iuciil  du  iiiisu  jiour 
SCS  cicuz,  vcu  qu'il  011  purdil  le  huirc  el  le  inuiigier.  Cesle  uiiiuur  esl 
lie  la  pire  espèce. 


LA   CONNFSTAlilj:.  15!» 

DoiiC([n(\s  la  comtesse  se  mit  en  oraison  à  sa  jilare  aeconstumi'f  : 
et,  lesjiuaidaiit  eneores  son  servitenr,  elle  luv  Ireiiva  la  l'ace  plus 
jnaigi'e  et  plus  erense  (|ue  iamais  elle  n'avoyt  esti". 

—  Mali!  se  dit-elle,  i'auiay  moins  de  soulcy  de  son  ticsjia-.  Il 
est  qiiasy  mort. 

Surcesteparaphi'ascdc  son  idée,  elle  gecta  andict  pentilhomnie 
une  do  ces  (eilladi's  clianldes  (|ui  ne  sont  jiermises  (pi'anx  piin- 
ccssesetanx  "alloises;  el  la  l'anlscaMioMi'  (l(jnt  lesmoinnnèi'ent  ses 
beaulx  yeulvleit  ung  l)on  mal  au  ^nallant  du  pilier.  Oui  n'ayme 
pas  la  clialoureusc  atta(|ui^  de  la  \ie  alors  (pi'elle  afllue  ainsy  au- 
tour du  cueur  et  y  «^onlle  tout?  La  i-onneslahle  co^^neut,  avecques 
unir  plaisir  tousiours  nenl' en  l'ame  des  femmes,  l'onmipotencede 
son  maynilitpie  resguard,  à  la  res|>oiisc  (pie  leit  le  chevalier 
.sans  lien  dire.  Kt,  de  i'aict,  la  rougeur  dont  ses  imies  s'empour- 
prèrent parla  niieuLx  que  les  meilleures  paroles  des  orateurs 
grecs  et  latins,  et  feut  bien  entendue  aussy.  A  ce  doulx  aspect,  la 
comtesse,  pour  estre  seure  que  ce  n'esfoyt  point  ung  ieu  de  na- 
ture, piinl  plaisii'  à  expérimenlei'  ius()u'où  alloyt  la  vertu  de  ses 
yeulx.  Kl,  apiès  avoir  bien  cliaullit'  plus  de  trente  l'oys  son  servi- 
teur, elle  s'at'Iermit  dans  la  créance  qu'il  pourroyt  bravement 
mourir  pour  elle.  Cette  id('e  la  toucliia  si  fort,  que,  par  trois  re- 
prinses,  entre  ses  oraisons,  elle  feut  cliaslouillée  du  désir  de  luy 
mettre  en  ung  tas  toutes  les  ioyes  de  l'Iiomme,  et  de  les  luy  rt'- 
souldre  en  ungseulgecl  d'amour,  ailin  de  ne  point  estre  reprou- 
cliée  ungiour  d'avoir  dissipé  non-seulement  la  vie,  mais  aussy  le 
bonlieur  decegentillionnnc.  Lors(|ue  l'olficiant  se  retourna  pour 
chanter  Vallez-voux-en  à  ce  beau  troupeau  doré,  la  conuestable 
sortit  par  le  coslé  du  |)ilier  où  estoyt  son  conrtizan,  passa  devant 
luy,  tasclia  de  luy  insiimer  par  ung  bon  coup  dœil  le  dessein  de 
la  suyvre,  puis,  pour  l'alTeiniir  dans  l'intelligence  etinterjuétation 
signilicative  de  ce  légier  aj)pel,  la  fine  commère  se  revira  ung 
petit  après  l'avoir  dépassé,  pour  de rechief  requérir  saconipaignie. 
Elle  le  veit  (|ui  avoyt  niig  [leu  sailly  de  sa  place  et  nosoyt  s'ad- 
vancer,  tant  modeste  il  estoyt;  mais,  sur  ce  darrenier  signe,  le 
gentilhomme,  seur  de  n'estre  point  oullre-cuydant,  se  mesla  dans 
le  cortège,  à  })as  nieuus  et  peu  bruyaus,  connue  ung  cocipiebin 
qui  ha  paour  de  se  produire  en  ung  de  ces  bons  lieux  ((u'on  dict 
niaulvais.  El,  soit  (pi'il  maichasl  arrière  ou  devant,  à  dextreou  à 
senesire,  tousiours  la  comiestable  lu\  lascliiovl  ung  luysaul  res- 
guard,  pour  l'appashMilavanlaigeet  miculv  l'alliicr  à  elle,  comme 


Il  ijuil  iiiiiiiliail  iiirii'.Tc  un  ilcvaiit,  ;i  (l(i\lrc  ou  à  .senolii',  tllll^i^)Hl■; 
la  cuimuslulilj  liiy  luscliiuyl  iiiig  liiysaiil  rosguard. 


LA  CONNESTARLE.  101 

iing  pcsclicnr  qui  (loulcomcntliaulso  le  filaffin  do  souljzpcsor  le 
gouion.  Pour  ostro  liricf,  la  cointcsso  feit  si  liion  lo  niostior  dos 
filles  do  ioyo,  (|uaiid  elles  travaillent  pour  aiuouor  l'eaue  herioislo 
en  leurs  moulins,  (pi'enssiez  diet  (pio  rien  ne  rossend)lo  tant  à  une 
pute  qu'une  l'einnie  de  lianlle  naissanee.  Kt,  do  laiot,  on  arrivant 
au  porche  de  son  hostel,  la  conneslahle  hésita  d'y  entrer  ;  puis, 
de  rechief,  dostourna  lo  visaigo  vers  le  i)aouvrc  chevalier  pour 
l'inviter  à  racconi[iai;;iier,  on  lui  desooohant  une  œillade  si 
dial)olie(jtie,  ((u'il  aecourut  à  la  royno  do  son  oueur.  se  cuvdant 
appelh'  par  elle,  Aussitost,  laconitosso  luy  oiïrit  la  main,  et  tout 
deux,  bouillans  et  frissonnans  par  causes  contraires,  se  trouvè- 
rent en  dedans  du  logiz.  Aceste  niale  heure,  madame  d'Armignac 
eut  honte  d'avoir  faict  toutes  ces  putainei'ies  au  j)rour(i(t  de  la 
mort,  et  de  ti'ahir  Savoisy  ])our  le  mioulx  saulver  ;  mais  ce  légior 
remords  esloyt  aussy  boiteux  que  les  gros,  et  vouovt  taidivement. 
Voyant  tout  mis  au  ieu,  la  connostahle  s'ap|»uya  bien  tort  sur  le 
bras  de  son  serviteur  et  luy  dict  : 

—  Venez  vite  en  ma  chambre,  car  besoing  est  que  io  vous 
parle... 

Et  luy,  no  saicbanl  pdinl  qu'il  s'en  alloytdo  sa  vie,  ne  trouva 
point  de  voix  pour  respondro,  tant  l'espoir  d'ung  prochain  bon- 
heur l'estoufl'a.  Quand  la  lavandière  voit  ce  beau  gentilhonuno  si 
vitenient  pesché  :  «  En  da  !  foit-elle,  il  n'y  a  que  les  dames  de 
la  Couit  pour  de  telles  besongnos.  >)  Puis  elle  considéra  ce  cour- 
tizan  par  une  salutation  prol'unde  où  se  poignoyt  le  respect  iro- 
nicque  deu  à  ceulx  (pii  ont  le  grant  couraige  de  mourir  j)our  si 
peu  de  chouse. 

—  Picarde,  leit  la  connestable  en  attirant  à  elle  la  lavandière 
jiar  la  cotte,  io  no  mo  sens  point  la  tVtrce  de  luy  advtjuor  le  lover 
dont  ie  vais  payer  son  nmel  amour  et  sa  belle  croyance  en  la 
loyaulté  des  l'onnuos... 

—  Bah  !  madame,  pourcjuoy  luy  dire?  Ronvoyoz-lo  bien  content 
par  la  poterne.  Il  meurt  tant  dlionmios  à  la  guerre  pour  des  riens, 
colluy-làne  sçauroyt-il  mourir  pour  (juelque  chonso?  l'en  roferay 
ung  aullrc,  si  cela  jieul  vous  consol(>r. 

—  Allons!  s'escria  la  comtesse,  levais  tout  liiy  dire.  Ce  sera  la 
punition  de  mon  péché... 

Cuydant  que  sa  dame  accordoyt  avecques  la  meschine  quelques 
menues  dispositions  et  chousos  socrettes  pour  n'esire  point  trou- 
blée dans  le  discouis  qu'elle  luy  promeltovt,  l'amant  incognou  se 

U. 


162  CONTES  DROLATIQUES. 

tcnoyt  discret tomcnt  à  dislance  on  rcsguardant  les  moiisclics.  Ce- 
peiulant  il  pcnsovt  t|iielaconitessi'esloytbiiMi  liardif,  niaisaussy, 
coiiuiio  aiiio\l  laid  mosnios  un^  bossu,  il  liouva  mille  raisons 
de  la  iustilier,  et  se  orcut  bien  digne  d'inspirer  une  telle  Ibllie. 
11  estoyt  dans  ces  bonnes  pensées  (juand  la  connestable  ouvrit 
rhuvs  de  son  pourpriz  et  convia  son  chevalier  de  l'y  suivre.  Là, 
cestc  puissante  dame  déposa  tout  ra[)pareil  desabaulle  fortune, 
et  devintsimpie  l'enime  en  tombant  au.vpieds  de  ce  gentilhomme. 

—  Las  !  beau  sire,  dit-elle,  ie  suis  en  grant  l'aulte  à  votre 
esguard.  Ecoutez.  A  vostrc  départie  de  ce  logiz,  vous  trouverez 
la  mort...  L'amour  dont  ie  suis  affolée  pour  ung  uultre  ni'ha  e.s- 
blouie  ;  et.  sans  (pie  vous  puissiez  tenir  sa  place  icy,  vous  avez  la 
sienne  à  prendre  devant  ses  meurtriers.  Vécy  la  ioye  dont  ie  vous 
ay  prié. 

—  Ab  !  respondit  Hoys-Bourredon  en  enterrant  au  l'und  de  son 
cueur  ung  sombre  désespoir,  ie  vous  rends  graaces  d'avoir  usé  de 
moy  comme  d'ung  bien  à  vous  appartenant...  Oui,  ie  vous  ayn.e 
tant,  (|ue  tous  les  ioursie  resvoys  avons  offrir,  à  l'imitation  des 
dames,  une  cbouse  (pii  ne  se  puisse  donner  qu'une  Ibys!  Ores 
doncques,  prenez  ma  vie! 

Et  le  paouvre  chevalier,  en  ce  disant,  la  rcsguardoyt  d'ung 
couj)  pour  tout  le  temps  (ju'il  auroyt  eu  à  la  veoir  pendant  de 
longs  iours.  Knleiidant  ces  braves  et  amoureuses  paroles,  Bonne 
se  leva  souldain. 

—  Ab  !  n'estoyt  Savuisy,  que  ie  taymeroys!  dit-elle. 

—  Las!  mon  sort  est  doncques  accomply,  repartit  Boys-Bour- 
redon.  Mon  horoscope  prédictque  ie  monrrayjjar  l'amour  d'une 
grant  dame.  Ab  !  Bien!  leil-il  en  empoignant  sa  ])onne  espée,  ie 
vais  vendre  ebier  ma  vie;  mais  ie  niourray  content  en  songiar.t 
(pie  mon  Irespas  asseure  l'heur  de  celle  que  i'avme!  le  vivray 
iiiiciik  en  sa  mémoire  qu'en  réalité. 

Au  veu  du  geste  et  de  la  face  brillante  de  cet  homme  de  cou- 
raige,  la  connestable  lent  férue  en  plein  dans  le  cueur.  Mais  bien- 
tosl  elle  l'eut  pie(pi('e  au  vif  de  ce  tpi'il  scndjloyt  vouloir  la  quitter, 
sans  mcsmes  re(pierir  d'elle  une  légicrc  l'aveui'. 

—  Venez,  ipic  if  vous  iiiine,  Iny  dit-elle  en  faisant  mine  de  l'ac- 

Culler. 

—  Il;i  !  ma  (liiiiie,  i-es|)oii(lil-il  en  mouillant  d'un  b'gier  pleur 
le  l'en  de  ses  yciilx,  vonlez-vous  rendre  ma  mort  impossible  en 
allachanl  ung  trop  giaiit  prix  à  ma  vie'/ 


Au  vcii  (lu  t'('^l('  Pl   ili'  lu  (:\ci'  liiilhuilc  de  ccl  hnniim^   do  cour 
la  conn("<lal>l(>  frul  IV^ruo  ou  i>loin  dnns  lo  crrur. 


|()i  CONTES  DROLATlorES. 

—  Allons!  s'oscria-t-ellc  domptée  par  costoanlenlo  amour,  io 
110  sçav  la  fin  dotont  cccy!  mais  vions.  Apivs  nous  irons  prrirtous 
à  la  j)ot('nu'  ! 

Mcsnic  Uammo  enibrazant  lours  cnours,  mosmo  accord  ayant 
sonne  pour  tous  deux,  ils  s'cntrc-accoUèront  de  la  bonne  lasson, 
et,  dans  le  délicieux  accez  de  ceste  folle  fiebvre  que  vous  cognois- 
sez,  i'es])ère,  ils  tombèrent  en  un^r  profund  oubly  des  dangiers  de 
Savoisv,  des  leurs,  du  comieslable,  de  la  mint,  de  la  vie  et  de  tout. 

Pendant  ce.  les  gens  de  guetleau  porclieestoyent  allez  iiifonner 
le  connestable  de  la  venue  du  guallant,  et  luv  dire  comment  len- 
raigé  gentilliomme  n'avoyt  tenu  compte  des  œillades  que,  pendant 
la  messe  et  durant  le  chemin,  la  comtesse  luy  avoyt  gectéos,  à 
ceste  fin  de  rempescbier  d'estredesconlict.  Ils  rencontrèrent  leur 
maistre  en  grant  liaste  d'arriver  à  la  poleine.  pour  ce  (pie,  de  leur 
costé,  ses  archers  du  quay  l'avoyent  aussy  huchié  de  loiiig,  luy 
disant  : 

—  Vécy  le  sire  de  Saroisy  qui  entre. 

Et,  de  fiiict,  Savoisv  estoyt  venu  à  l'heure  assignée  ;  et,  comme 
font  tons  les  amans,  ne  pensant  cpi'à  sa  dame,  il  n'avoyt  point  veu 
les  espies  du  comte,  et  s'estoyt  coulé  par  la  jJot<'riie.  Ce  conflict 
d'amans  feut  cause  que  le  connestable  arresta  tout  court  les  pa- 
roles de  ceulx  qui  venoyent  de  la  rue  Sainct-Anthoine,  en  leur 
disant  avec  ung  geste  d'authorité  qu'ils  ne  s'advisèrent  pas  de 
contredire  : 

—  le  sçav  que  la  beste  est  prinse!... 

Là-dessus,  tous  se  gectèrent  à  grant  bruit  par  la  susdicte  po- 
terne en  criant  :  k  A  mort  !  à  mort  !  »  Et  gens  d'armes,  archers, 
connestable,  capitaines,  tous  coururent  sus  à  Charles  Savoisy,  fil- 
leul du  Hoy,  lequel  ilsassailliient  iouxte  la  croisée  de  la  comtesse; 
etparungcasiiol;il(le,  lesgi'iiiissemeiis  du  paouvre  ieuiie  homme 
s'exhalèrent  douloureusement  meslez  aux  hurlemens  des  soul- 
dards,  pendant  les  sospirs  passionnez  et  les  crisipie  pouisnvent 
les  deux  amans,  les(|uels  se  hastèrent  en  grant  |>aour. 

— Ah  !  feit  la  conif  esse  en  blancliissaiil  de  teneur,  Savoisv  meurt 
]>oui-  moy  ! 

—  Mais  ie  vivray  pour  vous,  respondit  Hoys-Bourredon,  et  me 
trouveray  encorcs  bien  heureux  en  payant  mon  boidienr  du  prix 
dont  se  paye  le  sien. 

—  Miissez-vous  dedans  ce  b:dnif ,  cii.i  In  coiiitesse  ;  i'entends  le 
pas  du  coiMiestaide. 


Ail!   Ii'it   l;i  CDjiili's-»,' 


l'ii   l)l;ui(lii''>;iiil   lie   li'iic\ii'.   S.ivni-y  iiiiMirl 
liour  iniiy  ! 


IGG  CONTES  DROL.VTinrES. 

Et,  de  faict,  monsiour  d'Arniij;nac  se  monstra  bien  tost  avec- 
qiies  une  teste  à  la  main,  cl  la  j)nsaiit  toute  sanglante  sur  le  haull 
(le  la  cheminée  : 

—  Vécv,  madame,  dit-il,  ung  tableau  qui  vous  endoctrinera 
surles  debvoirs  dune  fenuue  enveis  son  nuu'v. 

—  Vous  avez  tué  ung  innocent,  respondit  la  comtesse  sans  pas- 
lir.  Savoisy  n'estoyt  pas  mon  amant. 

Et,  sur  ce  dire,  elle resguaiila  lièrement  le  connestable  avec- 
(|nes  ung  visaige  mas(|ué  de  tant  de  dissinuilation  et  d'audace  fé- 
minines, ijue  lemarv  leslasotconnneunelilbMjui  laisse  écbaj)per 
(juelque  note  d'en  bas  devant  une  nombreuse  conipaigme,  et  il 
lent  en  doubte  d'avoir  faiet  ung  malheur. 

—  A  qui  songiez-vous  doncques  ce  matin?  demanda-t-il. 

—  le  resvoys  du  lloy,  feit-elle. 

—  Et  doncques,  ma  mye,  pourcpioy  ne  pas  me  l'avoir  dict.' 

—  M'auriez-vous  crue,  dans  la  bestiale  cholère  où  vous  estiez? 
Le  connestable  se  secoua  Taureille  et  reprint  : 

—  Mais  eonuuent  Savoisy  avoyt-il  une  clef  de  nostre  poterne  ? 

—  Ah!  ie  ne  seay|)as,  dit-elle  briefvement,  si  vous  aurez  pour 
moy  l'estinu'  de  ci'oiie  ce  (jue  i'ay  à  vous  respondre. 

Et  la  connestable  vira  lestement  sur  ses  talons,  conune  gi- 
rouette tournée  par  lèvent,  faisant  mine  d'aller  vaccpier  auxal- 
faires  du  mesnaige.  Pensez  (pu^  monsieur  d'Armignac  feut  gran- 
lemenl  embariassi'  de  la  leste  du  paouvre  Savoisy,  el  (jue,  de  son 
costé,  lioys-llouiredon  u'avovl  iinlle  envie  de  tousser,  en  enten- 
dant le  comte  (pii  gi'onmu'loyt  tout  seul  des  paroles  de  toutes 
sortes.  Enfin,  le  connestable  frappa  deux  grans  coups  sur  la 
table  el  dit  :  «  le  vais  tomber  sur  ceul.v  de  Poissy!  »  Puis  il  se 
départit,  et,  ipiand  la  nnict  feut  venue,  Rovs-Bouiredon  se  saulva 
(le  1  liostcl  soubz  ung  dt'guisenient  (picJconfpie. 

L(>  paduvre  Savoisy  l'eut  moult  plourc'  de  sa  dame,  (|ui  avoyt 
faict  Idul  le  plus  (pi'une  fenuue  j)eul  faiie  pourdélivrer  ung  amy; 
et,  plus  laid,  il  feut  mieulx  que  pbiuré,  il  feut  regretté,  veu  (pie 
la  connestable  ayant  raconté  ccste  advenlure  à  la  lovne  jsabeau, 
celje-cy  desbiinclia  lIoNs-Bourredon  du  service  de  sa  cousine  et  le 
mil  au  sien  propre,  la  ni  elle  l'eut  louchiée  des  ipia  liiez  et  du  leiiue 
couraige  de  ce  geiililhonmie. 

Boys-IJoin-redon  estoyt  ung  houuiie(Hie  la  Mort  avovt  bien  re- 
comniaii(l(' au\  dames.  En  elTecl,  il  se  benda  si  lii''remeul  contre 
tout,  dans  la  baulle  foilunu  cpic  luj  feil  la  llovne,  qu'ayant  mal 


-...  r.^^ 


«m- 


V('cy,  iii;i(l:iiiic,  dil-il,  iinj;  (.ilili'im  qui  von»;  piiloclriiiora  sur  :i'"-  iiL'iivoii>" 
(l'une  Ii'uiuk;  i'iiv<'rs  sou  uiary. 


Ui8 


r.OMKS   nUOL.VTKjlKS. 


traioté  le  roy  Cliarlcs,  ving  iour  où  le  iiaouvre  homme  estoyl  dans 
son  bon  sens,  les  coiufizans,  ialoux  de  faveur,  adverliient  le 
Roy  de  son  coc(juaige.  Alors,  Boys- 
liouircdon  feut,  en  \iw^  moment, 
cousu  dans  un  sac  et  gccté  en  la  Seyne, 
piouilie  le  bac  de  Cliarenton,  connue 
uni!  cliacun  sçayt.  le  n'ay  nul  besoing 
d'adiouxtcr  que,  depuis  le  iour  où  le 
coiini'stal)les"advisa  de  ioucr  inconsi- 
dérément des  couleaulx,  sa  bonne 
l'ennueusa  si  bien  desdenxjnorlsqu'il 
avoyt  faicts,et  les  luy  gecta  si  souvent 
au  nez,  ([u'elle  le  rendit  doulxconunelc  poil  d'ungcliat  et  le  mit 
dans  la  bonne  vove  dumariaige.  Luy  la  proclamoyt unej>reudeet 
bonnesteconnestable,  connue  de  l'aict  elle  estoyt.  Comme  ce  livre 
doibt,  suivant  les  maximes  des  grans  autheurs  anticques,  ioindre 
aulcunes  diouses  utiles  aux  bons  rires  que  vous  y  ferez  et  contenir 
des  préceptes  de  liault  goust,  ic  vous  diray  la  (jnintessence  de 
cettuy  Conte  cstrc  cecy  :  (juc  jamais  Icsfennacs  n'ont  besoing  de 
perdre  la  teste  dans  les  cas  graves,  ])our  ce  que  le  Dieu  d'amour 
iamais  ne  les  abandonne,  surtout  ([uand  elles  sont  belles,  ieunes 
et  de  bonne  maison  ;  puis,  que  les  guallans,  en  soy  rciulant  à  des 
assignations  amoureuses,  nedoibvcnt  iamais  y  aller  connue  des 
estounu'aulx,  mais  avec(jues  mesure,  et  bien  tout  veoir  autour  des 
clappiers,  pour  ne  point  tond)er  en  certaines  end)uselies  et  soy 
conserver;  car,  après  une  bonne  fennne,  la  cliouse  la  plus  pré- 
tieusc  est  certes  una  iolv  <fentillionnne. 


LA  PUCELLE  IDE  TllILllOlZE 


F;0  scifjnour  (le^YalcsiU's,  lieu  ])l;iisimt  doiil,  le  cliastcau  n'est 
point  loing  du  Ixmrg  de  Thilliouzo,  avoyt  prins  une  clK'tilVo 
l'emmo,  l;,(jiu'll(',  par  raison  de  goust  ou  de  dcsgoust,  plaisir  ou 
(Icsplaisir,  maladie  ou  santé,  laissoyt  icusner  son  bon  mary  des 
doulceurs  et  suereries  sti|)ulées  en  tous  conlracts  de  niariaige. 
Pour  eslre  iuste,  il  faut  dire  (pie  ec  dessus  diet  seigneur  estovt 
ung  niasle  bien  ord  et  sale,  tousiours  cliassant  les  bestes  faulves^ 
et  pas  plus  amusant  (pie  n'est  hi  fumée  dans  les  salles,  l'uis, 
par  appoinct  de  compte,  le  susdict  cbasseur  avoyt  bien  une 
soixantaine  d'années  desquelles  il  ne  sonnoyl  mot,  pas  jdiis  cpic 
la  veulVe  d'ung  pendu  ne  parle  de  eliordcs.  Mais  la  Aature,  (pii 
les  tortus,  bancals,  aveugles  et  laids,  gecte  à  paimerées  icv-bas, 
sans  en  avoir  plus  d'estime  ({ue  des  beaulx,  veu  que,  comme  les 
ouvriers  en  tapisseries'  elle  ne  sçayt  ce  qu'elle  faict,  donne 
niesme  appétit  à  tous,  et  à  tous  niesine  goust  au  potaige.  Aussv, 
par  adveninre,  (■lia(pie  beste  treuve  une  escnverie  ;  de  là  le  pii>- 
verbe  :  «  Il  n'y  lia  si  vilain  |»ot  ipii  ne  rencontre  son  couvercle.  » 
Ores  doiKMpies,  le  seigneur  de  Valesnes  cliercliovt  jiarlout  de  ioivs 
pots  ù  couvrir,  et  souvent,  oultre  la  laulve,  courrovt  la  petite 

15 


C«>CI0NHE  kU.  5 


Uiicorcs  ne  falloy-il  i 


oy-il  point  Uop  ioiU'  des  mains  avcc-inos  la  imcuHc 


i.A  v\:œ\aa:  di:  thiliiouze. 


171 


hosto;  iiiiiis  les  icrns  ol'iyciil  Mcii  (Ics^iiiiniics  di;  ce  '^Wnci  à 


liiiiiltc  i(tl»l)(\  cl  uni;  |)iic('I;iii:('  cousldyl  liicn  cliicr  à  (fcscoltci". 
Copcndaiil.  lorco  de  l'iii'iTlcr,  lorco  de  s'orKiiicrir.  il  advint  (jiie  le 
sieur  de  Valesnes  t'eut  adverty  que,  dans  Thiliiouze,  eslovt  la 
veulVc  d'ung  tisserand,  Ia(|uelle  avoyt  ung  vray  throzor  en  la 
jx'isonue  d'une  petite  ^arse  de  seize  ans,  dont  ianiais  elle  n'avoyt 
(juitti'  les  îu|i|)es  et  (ju'elle  nienoyt  elle-uiesiiie  taire  de  l'eaue, 
par  liaulte  pivvoyanec  lualeriielle  ;  puis  la  ooucliioyt  dedans  son 
pi'opre  licl  ;  la  veiiiloyt,  la  l'aisoyt  lever  le  matin,  la  laissoytà  tels 
travauJx,  (|iie.  à  elles  deux,  elles  <>aignoyent  bien  liuict  sols  par 
oliaseun  iuur;  et,  aux  lestes,  la  lenoyt  en  laisse  à  l'ecelise;  luv 
donnant  à  grant  [toine  le  loizir  de  linmlter  ung  mot  de  ioyeulseti' 
avecques  les  ieunes  gars  :  encores  ne  l'alloyl-il  pdini  trdp  iduer 
desmainsaveequeslapueelle. 
Mais  les  temps, de  ees  lenip^- 
là,  estoyent  si  durs,  <pu'  la 
vcul've  et  sa  lille  avoyent  iusic 
du  pain  assez  pour  ne  poiiil 
liourii'  de  faim  ;  cl,  coninK 
elles  dcinoinoicfil  chez  un;, 
de  leurs  [)ai('ns|»aouvi'es.S()i;- 
veiit  elles  manquoyent  de  bois  en  hy ver  cl  de  liardcsen  este  ;  dcl)- 
voyi'ul  des  loyers  à  cITrayer  nng  scigcnt  de  iuslicc,  Icsijucls  ne 
s'clïrayent  point  l'acilement  dos  dehlcs  d'aultruy.  Hriel',  si  la  (ille 
croissoyt  en  bcaulté,  la  vculVe  croissoyt  on  misère  et  s'endcbtoyt 
Irez  fort  pour  le  pucelaige  de  sa  garso,  connue;  ung  al(|ueniisle 
pour  son  creuset  où  il  i'oud  tout. 


172  CONTES  DROLATIOIIES. 

L(trs(|uosos  on(|uostos  fciirciil  l'jiictcs  et  parfaiclos,  urifi  ioiir  de 
jiliiif,  li'(lii-l  siir  (le  \aK'snc's  vint,  paicas  l'oiltiil,  dedans  le  taudis 
dos  deux  lileuses,  et,  pour  soy  scicher,  envoyé  quérir  des  fagots 
au  Plessis  voisin.  Puis,  en  attendant,  il  s'assit  sur  ung  eseabeau 
entre  les  deux  paouvres  femmes,  A  la  faveur  des  imihies  grises  et 
demi-iour  de  la  cabane,  il  veit  le  doulx  minois  de  la  pucelle  de 
Tliilliouze;  ses  bons  bras  rouges  et  fermes;  ses  avanl-[)iisles  durs 
comme  bastionsqui  delfendoyent  son  cueurdu  froid;  sa  taille  ronde 
comme  ung  ieune  cliesnc  ;  le  tout  bien  frais  et  net  et  fringuant  et 
jiimpant  comme  une  })remière  gelec;  verd  et  tendre  comme  une 
pousse  d'avril;  enfin  elle  ressendjioyt  à  tout  ce  qu'il  y  lia  de  ioly 
dans  le  monde.  Elle  avoyt  les  yeulx  d'ung  bleu  modeste  et  saige  et 
le  resguard  encores  plus  coy  que  celuy  de  la  Vierge,  veu  que  elle 
estovt  moins  advancée,  n'ayant  point  eu  d'enfiint. 

Ung  qui  luv  auroyt  dict  :  «  Voulez-vous  faire  la  ioye?  »  elle  au- 
rovt  respondu  :  «  En  da  !  par  où?  »  tant  elle  sembloyt  nice  et  peu 
ouverte  aux  conq)rt'bensi()ns  de  la  cliousc.  Aussy  le  bon  vieulx  sei- 
gneur tortillovt-il  sur  son  escabelle,llairoyt  la  fille  et  se  desban- 
cbioytle  col  comme  ung  cinge  voulant  attiaperdes  noixgrollières. 
Ce  que  voyoyt  bien  la  mère  et  ne  souflloyt  mot,  en  paour  du  sei- 
gneur qui  avovt  à  luy  tout  le  pays.  Quand  b;  fagot  feut  mis  à  l'aatre 
et  flamba,  le  bon  cbasseur  dit  à  la  vieille  : 

—  Ab  !  ail  !  cela  rescbaiilïe  prcsipie  autant  que  les  yeulx  d(! 
vostre  fille. 

—  Las  !  mon  seigneur,  feit-elle,  nous  ne  pouvons  rien  cuyrc  à 
ce  feu-là... 

—  Si,  respondit-il. 

—  Et  comment  ? 

—  Ali  !  ma  mye,  prestez  vuj^tre  garsc  à  ma  femme,  qui  lia  be- 
soing  d'une  chamberière  ;  nous  vous  payerons  bien  deux  fagots 
tous  les  iours. 

—  lia!  mon  seigneur,  et  que  ouyioys-jedoncques  à  ce  bon  feu 
de  mesnaige? 

—  Eli  bien,  repriiit  le  vieulx  braguanl,  de  bonnes  bouillies,  car 
le  vous  bailleray  à  rente  ung  niinot  de  bled  par  saison. 

—  Et  donc(pies,  icprint  la  vieille,  où  les  metfroys-je? 

—  Dans  vostre  mette,  s'escria  l'acMpiéreur  de  pui'elaiges. 

—  Mais  ie  n'ay  point  de  mette,  ni  de  baliul,  ni  rien. 

—  Eb  bien,  ie  vous  donneray  des  mettes,  des  babuts  et  des 
poêles,  (les  huyes,  ung  bon  lict  avecqucs  sa  penle,  et  tout. 


LA  PUCELLK  I)K  TIIIMIOIJZE. 


—  Vère,  (lit  la  Iioiiiic  YOiifvc,  la  |tliiic  losguaslora,  ie  ii'ay  p^iiii 
(lo  maison. 


—  Vovcz-voiis  |)as  d'icv,  rcspdiKJil  lo  soigneur,  le  logis  do  la 
Tourbollièro,  où  domouroyt  Jiionpaouvre  picqueurPillograin,  (]ui 
ha  esté  esventré  par  ung  sanglier? 

—  Oui,  foit  la  vieille. 

—  Eh  bien,  vous  vous  bouterez  là  dedans  insques  à  la  fin  de 
vos  iours. 

—  Par  ma  fy  !  s'escria  la  mère  en  laissant  tomber  sa  quenoille, 
dictes-vous  vray? 

—  Oui. 

—  Et  doneques,  quel  loyer  donnorez-vous  à  ma  fille? 

—  Tout  ce  (lu'ollo  vouldra  gaigner  à  mon  service,  dit  le  sei- 
gneur. 

—  Oh!  mon  seigneur,  vous  voulez  gausser! 

—  Non,  dit-il. 

—  Si,  dit-elle. 

—  Paisainct  Gation,  sainol  Eloulhère,ef])ar  les  mille  millions 
do  saincts  qui  grouillent  là-hault,  io  iurecpuv.. 

—  Eh  bien, si  vous  ne  gaussez  point,  reprint  la  bonne  mère,  ie 
vouidroysque  ces  fagots  l'eussent,  ung  petit  brin,])assezpardevant 
le  notaire. 

15. 


17-t  CONTES  DROL.VTIOIES. 

—  Par  lo  sanu  du  (llnist  et  \c  plus  niiiiiion  do  vostrc  fille, ne 
suis-jo,  point  ^onliliioiniiie?  Ma  parole  vault  lo  iou. 

—  Ali  bien,  io  ne  dis  non,  mon  soigneur  ;  mais,  aussy  vray  (juc 
ie  suis  une  paouvrc  lilandièreji'ayme  trop  ma  fille  pour  la  quitter. 
Elle  est  trop  ieuno  et  l'oible  encores,  elle  se  romproyt  au  service. 
Hier,  au  prosne,  le  curé  disoyt  que  nous  rospondrons  à  Dieu  de 
nos  enfans. 

—  La!  la!  foit  le  soigneur,  allez  quérir  le  notaire. 

Ung  vieulx  buscheron  courut  au  tabellion,  lequel  vint  et  dressa 
bel  et  bien  ung  contract,  auquel  le  siro  do  Valosnes  mit  sa  croix, 
no  saicliant  point  oscribre  :  puis,  (juand  tout  feut  scelle,  signé  : 

—  Klibien,  la  mère,  dit-il,  ne  respondez-vous  donc(|uos  plus  du 
pucelaige  de  vostre  lillo  à  Dieu'.' 

—  Ah  !  mon  seigneur,  le  curé  disoyt  :  «  lusques  à  l'aage  de 
raison,  »  et  ma  fille  est  bien  raisonnable. 

Lors,  se  tournant  vers  elle  : —  Marie  Ficipict,  icpriiit  la  vieille, 
ce  (pio  tu  as  do  j)lus  rbior  est  riionneur,  et,  là  où  lu  vas,  ung 
chascun,  sans  compter  mon  seigneur,  te  le  vouldra  toUir;  mais 
tu  veois  tout  ce  qu'il  vault!...  Par  ainsi,  ne  t'en  déliais  qu'à  bon 
escient  et  comme  il  faut.  Oros,t){)ur  no  |)oint  contaminer  ta  vertu 
devant  Dieu  et  les  hommes  (à  moins  do  motils  b-gitimes),  ayc 
bien  soing.  par  advaiice,  do  fiiiro  saupouldi'or  ung  petit  ton  cas  de 
mariaigo;  aultremont,  tu  iroys  à  mal. 

—  Oui,  ma  mère,  l'oit  la  puoollo. 

Kt  là  dessus  elle  sortit  du  paouvro  logiz  do  son  paroiil.el  vint 
au  cbastoau  de  Valosnes,  pour  y  servir  la  dame,  qui  la  lieu  va  Inrt 
iolio  et  à  son  goust. 

Quand  ceulx  de  Valosnes,  Saclié,  Villaiiies  et  aullres  lieux, 
apprindront  le  bault  prix  donné  de  la  jtucolle  do  Tliillionze,  U's 
bonnes  l'ommos  do  niosnaigo,  rocognoissant  que  rien  n'osioyt  jihis 
jjroul'lictablo  (pie  la  vertu,  laschèrent  d'élever  et  nourrir  toutes 
Il  1  IIS  lilles|)ncollos; mais  le  moslior  l'eiil  aussychanceuxtpio  celuv 
d  i'(lii»(pier  les  vers  à  sovo,  si  subiocis  à  crever,  veu  (|uolospuco- 
laiges  sont  connue  les  iieines  et  meuiissent  vile  sur  la  paille,  ('e- 
pendant  il  y  eut  (pielques  filles,  pour  ce,  notées  on  Toui'aino,  ol 
qui  passèrent  pour  vierges  dans  Imis  les  couvons  do  religieux,  ce 
donl  io  ne  vouldrovs  |i;mil  lespoiidic,  ne  les  avant  point  vi'iifiées 
on  la  niaiiièreeiiseigiii'o  par  Veiville  |tiiir  rocoguoistic  la  |iail'aiclo 
vertu  (les  (illes.  l'iiiahleiiieiil,  Marie  liiipiel  suwil  le  saigo  advis 
ilesamèro.el  ni;  voulut  onlendre  aulcune  dos  doulcesnHjucsles, 


LA  l'UCMLM';   l)H  TIIILIIOUZE. 


175 


paroles (lon'os  et  cingcrics de  son  niaistre  sans  eslre  inii^ peu  trem- 
pée de  niariaijj'C. 


Qnand  le  vioulx  seigneur  faisov  Iniine  de  la  vouloir  margauder, 
elle  s'elïaroucliinyt,  comnie  une  chatte  à  l'approuclie  d'ung  chien, 
en  criant  :  «  le  le  dir:iv  à  Ma'la!n\  »  Urid".  nu  hoiit  de  six  niovs. 


le  sire  n'avoyt  pas  encores  seulement  recouvré  le  prix  d'un  seul 


1  /() 


CONTES  DROLATIOrES. 


lagot.  A  toutes  ses  bosoiii^nos,  la  Ficijuol,  lousiours  jtlns  ferme  et 
plus  dure,  une  ioys  respoudoyt  à  la  gracieuse  (jueste  de  sou  sei- 
gneur: «  Quaud  vous  nie  l'aurez  esté,  me  le  rendrez-vous,  liein?  » 
Puis  en  d'aultres  temps  disoyt  :  «  Quand  i'auroys  autant  de  peituvs 
qu'en  ont  les  cribles,  il  n'y  en  auroyt  jjas  ung  seul  pour  vous,  tant 
laid  ie  vous  treuve  !  » 

Ce  bon  vieulx  |>renoyt  ce  proupos  de  villaige  pour  Heurs  de 
verlUjCt  neebailloyt  point  à  (lùre  de  petits  signes,  longues  haran- 
gues et  cent  mille  sermens  ;  car,  force  de  veoir  les  bons  gros 
avant-cueurs  de  ceste  fille,  ses  cuisses  rebondies,  (pii  se  moulovent 
en  relief,  à  certains  mouvemens,  à  travers  ses  cottes,  et  force 
dadniirer  aultres  cbonses  capables  de  brouiller  l'entendement 
d'ungsainct,  ce  bon  chier  lionmie  s'estoyt  énamoure  d'elle  avec- 
ques  une  passion  de  vieillard,  laquelle  augmente  en  proportions 
geométrales,  au  rebours  des  passions  des 
ieunes  gens,  pour  ce  que  les  vieulx  avment 
avec(jues  leur  foiblesse  qui  va  croissant, 
et  les  ieunes  avecijues  leurs  forces  qui  s'en 
vont  diminuant.  Pour  ne  donner  aulcune 
raison  de  refus  à  ceste  lille  endiablée,  le 
seigneur  print  à  partie  ung  sien  sommelier, 
aag('  (le  jdus  de  septante  et  quelques  an- 
nées, et  luy  feit  entendre  qu'il  debvovt  se 
marier  afiin  de  rescbautfersa  peau,  et  que 
Marie  Ficquct  seroyt  bien  son  faict.  Le  vieulx 
sonnnelier,  (pii  avoyt  gagné  trois  cents  livres 
lournoys  de  rente  à  divers  services  dans  la 
maison,  vouloyt  vivre  trancjuille  sans  ouvrir  de  nouveau  les  portes 
de  devant  ;  mais  le  bon  seigneur,  l'ayantprié  de  se  marier  ung  peu 
pour  luv  faire  plaisir,  l'asseura  qu'il  n'auroyt  nul  soulcy  de  sa 
îemme.  Alors  le  vieulx  sonnnelier  s'engarria  par  obligeance  dans 
ce  maiiaige.  Le  iour  des  lianeailles,  Mari(>  Ficcjuet,  desbridée  de 
toutes  ses  raisons,  et  ne  pouvant  obiecteraulcuu  grief  à  son  pour- 
snvvant,  se  feil  octroyer  une  giosscdot  cl  ung  douayre  pour  le  prix 
de  sa  défloraison  ;  puis  bailla  licence  au  vieulx  cocquard  de  venir 
tant  (pi'il  pourroyt  concilier  avecfjues  elb»,  luy  i)r(»mettant  autant 
de  bons  coups  (jue  de  grains  de  bled  donnez  à  sa  mère;  mais,  à 
son  aage,  ung  boisseau  luy  snt'Iisoyt. 

Les  nopces  faictcs, point  ne  faillitleseigneur,aussyloslsa  lemmc 
mise  en  toile,  de  s'escpiicJier  devers  la  chambre,  bien  verrée, 


L\   ITCKMF,   rtF,   TIlfLIIOrZK.  177 

natt'c  et  tii|)issr(',  on  il  avo\t  lo^ii'  sa  |)(»iil('lto,  ses  rciitcs,  ses  la- 
gots,  sa  maison,  son  hlcd  et  son  sommelier. 

Pour  estre  liriet',  saicliez(|u'il  Ireuva  la  jjucclle  dcTliilliouze  la 
plus  lielJe  lillc  du  inonde,  iolie  connue  tout,  à  la  doulc<'  lumière 
(lu  feu  qui  petilloyt  dans  la  cliemini'e.hien  noiseuse  en  Ire  les  draps, 
cherchant  easlilles,  sentant  une  honnc  odeur  de  pueclaige,et,  de 
prime  faict,  n'eut  nnlcun  regret  au  grant  prix  de  ce  hiiou.Puis,ne 
pouvant  se  tenir  de  despeselier  les  ju'eniières  houclires  de  ee  Iriant 
morceau  royal,  le  seigneur  se  mit  en  dehvoir  de  l'aidrcluelier,  en 
maistre  passé,  ce  ieune  formulaire.  Vécy  doncques  le  hieidicureux 
qui,])ar  trop  grant  gloutonnerie,  vélille,  glisse,  enfin  ne  scaylplus 
rien  du  ioly  meslier  d'amour.  Ce  que  voyant,  après  ung  moment, 
lahonne  fille  dict  innoeennnent  à  son  vieulx  cavalier:  —  Monsei- 
gneur, si  vous  V  estes,  connue  ie  pense,  donnez,  s'il  vous  jilaist, 
ung  peu  plus  de  volée  à  vos  cloches. 

Sur  ce  proupos,  qui  finit  par  se  répandre,  ie  ne  sçay  comment, 
Marie  Ficquet  devint  fameuse,  et  l'on  dict  encores  en  nos  pays: 
«  C'est  une  pucelle  de  Tliilliouze!  »  enmoc(|uerie  d'une  mariée, 
et  pour  signifier  une  fricqneneUe. 

Fricquenelle  se  dict  d'une  fille  (pie  ie  ne  vous  souhhaile  point  de 
treuver  en  vos  draps  la  piemière  miict  de  vos  nopces,  à  moins  que 
vous  ne  soyez  nourrydans  la  philosophie  du  Porticque,  où  l'on  ne 
s'estomiroyt  d'aulcun  meschief.  Et  il  y  ha  l)eaucou|)  de  gens  con- 
Iraincts  d'estre  stoïciens  en  cesteconioncture(lrolatic(pi(%la(|uelle 
se  rencontre  encore  assez  souvent,  car  la  nature  tourne,  mais  ne 
change  point, et  tousiours  il  y  aura  de  bonnes  jtucelles  deThilhouze 
en  Touraine  et  ailleurs.  Que  si  vous  me  demandiez  maintenant  en 
quoy  consiste  et  où  esdate  la  moralité  de  ce  Conte,  ie  serovs  bien 
en  droicl  de  l'cspondre  aux  dames  •.{\\w  les  Cent  Contes  di'(datic- 
ques  sont  plus  faicts]toiM'appi'endre  la  morale  du  plaisii-.(|ii('  pnur 
procurer  le  plaisir  de  l'aire  de  la  morale. 

Mais,  si  c'cstoyt  un  l>on  \iculx  braguard  h\o\\  dcsreiné  qui 
m'interlocutast,  ie  luy  diroys,  avec((ues  les  gracieux  mesnageniens 
deus  à  ses  perru(pu^s  iaunesou  grises  :  qu(^  Dieu  ha  voulu  punir 
le  sieur  de  Valesnes  d'avoir  cssavi-  d'achcplcr  une  danré(!  l'aide 
pour  estre  donnée. 


Jo\,  iiioii  Sér;i|iliiiil 

—  Vous,  mou  Hiiic! 

—  Toy,  mou  bifu  ! 

—  Vous  uioii  csloilf  du  soir  cl  (lujin;iliiil 


LE   lllKUl-    DAUMES 


Auconimcncoiiioiit  du  ivgiio  du  roy  llcniy  socund  du  uoni,  le- 
quel ayma  tant  la  belle  Diane,  il  y  avoyt  encorcs  une  cérémonie 
dont  l'usaigo  s'est  depuis  beaucoup  aflbibly,  et  qui  ba  tout  à  l'aict 
disparu,  comme  une  inliuilé  de  bonnes  ebouses  des  vieulx  teuq)s. 
Geste  Ijeile  et  noble  coustume  estoyt  le  ciioix  d'ung  frère  d'armes 
que  l'aisoyent  tous  les  cbevaliers.  l)one([ues,  après  s'estre  eoyneus 
pour  deux  bonnnes  loyaulx  et  braves,  ung  cliascun  de  ce  gentil 
couple  estoyt  marié  pour  la  vie  à  l'aultre  ;  tous  deux  devcnoyent 
frères;  l'nng  debvoyt  delTendre  l'aullre  à  la  bataille.  j)arniy  les 
ennemys  ([ui  le  meiiassoyent,  et,  à  la  Court,  parmy  les  amys  (jui 
en  médisoyent.  Kn  l'absence  de  son  conq)aigiion,  l'aullre  estoyt 
tenu  de  dire  à  nng  qui  auroyt  accusé  son  bon  frère  de  (|uel(juc 
desloyaulté,  mcscbantcrie  ou  noircenr  l'cslonnc  :  «  Vous  en  avez 
mcnty  par  vostre  gorge!...  »  et  aller  sur  le  pré,  vilement,  tant 
seur  on  estoyt  de  l'Iioimeur  l'ung  de  l'aullre.  Il  n'est  pas  besoing 
d'adiouxlt-r  (jue  l'ung  (îslovl  tousiciurs  le  secund  de  l'aullre,  en 
toute  affaire,  mescbante  ou  boime,  et  ([u'ils  parlageoyont  tout  bon 
licur  ou  mal  lieur.  Ils  ostoyentmieulx  que  les  frères  (|ui  ne  sn:it 


ISO 


CO.M'KS   l)U(tl,.VTIOliKS. 


conioinls  (|iic  par  les  hazanls  de  la  nature,  veii  (lu'ils  estoyent 
fraternise/  jiar  les  liens  d'iiiig sentiment  esjxrial,  involontaircet 
mutuel.  Aussy  la  fraternité  des  armes  lia-t-elle  {(nnluiet  de  beaulx 
traiels,  aussy  braves  que  ccul.v  des  anciens  Grecs,  Humains  ou 
aultres...  Mais  cecy  n'est  pas  mon  subiect.  Le  récit  de  ces 
cbousesse  treuve  cscripl  par  les  historiens  de  nostre  pays,  et  uny 
chascun  le  sçayt. 

Done^iues,  en  ce  temps-là,  deux  ieunes  genlilslionnnes  de  Tou- 
raine,  dont  l'ung  estoyt  le  cadet  de  Maillé,  l'aultre  le  sieur^de 
Lavallière,  se  l'eircnt  hères  d'armes  le  iour  où  ils  gaignèrent  leurs 
espei'ons.  Ussurlovenl  de  la  niaison'de  monsieur  de  Montmorency, 


lffll'^^-JÉ^'^--w  />^'''^'^  - 


yi  C' 


p>^ 


oiiils  l'eurent  nourris  des  honiics  doclrines  dct-e  grant  cajtitainc, 
et  avoyent  monstre  coiiihirn  la  valciu'  est  contagieuse  en  ceste 
belle  compaignie,  pour  ce  (jiie,  à  la  bataille  de  Havennes,  ils 
méritèrent  les  louanges  des  jjIus  vieulx  clievaliei's.  Ce  l'eut  dans 
la  nu'sb'e  de  ceste  l'ude  iouruée  (pic  Maillé,  saulvé  par  le  susdict 
Lavallière,  avec(|ues  letpiel  il  avo\t  eu  (piebpies  noises,  veit  (pic 
ce  gentilhomme  estoyt  ung  noble  cneur.  (^oinmc  ils  avoyent  rcceu 
chascun  des  escbancreincs  en  Icni'  pouipoinct,  ils  baptizèrent 
ceste  fraternité  dans  lein- sang  cl  ieuivul  Iraicte/ ensemble,  dans 
ung  jnesmu  lict,  soubz  la  tente  tic  monsieur  do  Montmorency, 


L1-:  ii;i;i;k  i»\i;\ii;s.  im 

Irur  inaistro.  Il  est  liosniii^  de  vous  diic  (juc,  à  rciicoiilic  des 
habitudes  de  sa  lauiille,  où  il  y  ha  tousionrs  eu  de  iolis  visaiycs, 
le  cadet  de  Maillé  n'estoyt  point  de  physioiioniic  j)laisantc,  et 
n'avoyt  {fuères  pour  luy  cpic  la  heaullé  du  dia- 
ble ;  du  reste,  deseoiiplé  connue  un;^  levriei', 
large  des  espaules  et  taillé  en  Inree  connue  le 
roy  Pépin,  lecpiel  tut  uug  terrible  iouteur.  Au 
rebours,  le  sire  de  Cbateau-Lavallicre  estoytunf; 
fils  goldronné,  pour  (pii  seudiloyent  avoir  esté 
inventez  les  belles  dentelles,  les  lins  lianlls-de- 
cbausses  et  les  soliers  à  leiu'stre.  Ses  btngs  ehe- 
veuk  ceudrez  estoyent  iolis  conune  une  cheve- 
lure de  daine  ;  et  c'estoyt,  pour  estre  court,  ung 
enlant  aveccpies  kvpiel  toutes  les  iennnes  au- 
royent  bien  voulu  iouer.  Aussy,  nng  iour,  la  l)aul[»liiiie,  nie|)ct!  du 
pape,  dit  en  riant  à  la  royne  de  Navarre,  veu  (ju'elle  ne  haïoyt 
point  ces  bonnes  drôleries  :  «  (jue  cetluy  |)aige  estoyt  ung  ein- 
plastre  à  guarrir  de  tous  les  niaulx!  »  ce  (pii  l'eit  rougir  le  ioly 
petit  Tourangeau,  ])our  ce  que,  n'ayant  encores  que  seize  ans,  il 
print  ceste  guallanteiie  comme  uug  rej)rouche. 

Lors,  au  retourner  d'Italie,  le  cadet  de  Mailh-  treuva  ung  b<in 
chaussepied  de  niariaige.que  luy  avoyt  trafflccpié  sa  mère  en  la 
personne  de  madamoiselle  d'Annebault,  laquelle  estoyt  une  gra- 
cieuse fille,  riche  de  mine  et  bien  fournie  de  tout,  avant  ung  bel 
liostel  en  la  rue  Harbette,  guarny  de  meubles  et  tableaux  italians, 
et  force  domaines  coiisidt'rables  à  recueillir.  Quelques  iouis  après 
le  trespassenienl  du  roy  Kiancoys,  adventure  qui  planta  la  terreur 
au  fund  de  tous  les  caz,  pour  ce  que  le  dict  seigneur  estoyt  mort 
par  suite  du  mal  de  iNaples,  et  que  doresenavant  il  n'y  avoyt 
point  de  sécuritez,mesmes  avecques  les  plus  haultes  princesses, 
le  dessus  dict  Mail!»'  feul  contrainct  de  (piilter  la  C.omi  pour  allei' 
acconnnoder  aulcunes  alTaires  de  giiefve  inq)ortance  dans  le 
Piedmont.  Comptez  (pi'il  luy  desplaisoyt  beaucoup  de  laisser  sa 
bonne  fennnc,si  ieunette,  si  friande,  si  noiseuse,  au  milieu  des 
dangiers,  |)oursuites,  embusches  et  surpiinses  de  ceste  gualianle 
conqiaiguie  oii  estoyent  tant  de  b(>aulx  (ils,  hardis  comme  des 
aigles,  fiers  de  reguard  et  amoureux  de  femmes  autant  (pie  les 
gens  sont  affamez  de  iand)ons  à  Pasques.  Dans  ceste  liaulte  ialou- 
sie,  tout  luy  estoyt  bien  desplaisant;  mais,  force  de  songier,  il 
s'advisa  de  cadenasser  sa  fennne,  ainsi  (ju'il  va  estre  dict.  Il 


IS'2  COMKS  liKULATlniKS. 

invita  son  bon  frôrc  d'armes  à  venir  au  jiclit  iour.  le  matin  de  sa 
départie.  Ores,  dès  qu'il  entendit  le  elieval  def.avaliière  dans  sa 
euurt,  il  saultahors  de  son  lict,  y  laiss.ant  sa  doulre  et  blanche 
moitii'  sommeillant  encores  de  ce  petit  sommeil  brouïnant,  tant 
aymé  de  tous  les  iViands  de  paresses.  Lavallière  vint  à  luy,  et  les 
deux compaiynons  se  mussant  dans  l'embrazure  delà  croisée,  ils 
s'accollèrenl  i)ar  une  loyale  poignée  de  main  ;  puis,  de  prime  face, 
Lavallière  dit  à  Maillé  :  —  le  seroys  venu  ceste  nuict  sur  ton 
advis,  mais  i'avoys  ung  procez  amoureux  à  vuyder  avecques  ma 
dame  qui  me  bailloyt  assignation  :  doncques  ie  ne  pouvoys  aulcu- 
nement  faire  deffault  ;  mais  ie  l'ay  quittée  de  matin. . .  Veux-tu  que 
ie  t'accompaigne?  le  luy  ay  dict  ton  départ,  elle  m'a  promis  de 
demourer,  sans  aulcun  amour,  sur  la  foy  des  traictez...  Si  elle 
me  trupbe,  ung  amy  vault  mieux  (|u'une  maistresse!... 

—  Oh  !  mon  bon  frère,  respondit  Maillé  tout  esmeu  de  ces 
paroles,  ie  veulx  te  demander  une  preuve  plus  haulte  de  ton 
brave  cucur...  Yeux-lu  avoir  la  charge  de  ma  femme,  la  def- 
fendre  contre  tous,  estie  son  guide,  la  tenir  en  lesse  et  me 
respondrc  de  l'intégrité  de  ma  teste?...  Tu  demoureras  icy  pen- 
dant le  tenq)s  de  mon  absence,  dans  la  salle  verde,  et  seras  le 
chevalier  de  ma  femme... 

Lavallière  fronssa  les  sourcils  et  dit  : 

—  Ce  n'est  ni  tov,  ni  ta  femme,  ni  moy,  que  ie  redouble,  mais 
les  meschans.  (jui  prouflicleront  de  cecy  pour  nous  l)iouilirr 
comme  des  escheveaux  de  soye... 

—  Ne  sois  point  en  deffiance  de  moy,  reprint  Maillé,  serrant 
Lavallière  contre  luy.  Si  tel  estoyt  le  bon  vouloir  de  Dieu  que 
l'eusse  le  malheur  d'estre  cocqu,  ie  seroys  moins  marry  que  ce 
feust  à  ton  advanlaige...  Mais.  })ai'  ma  foy!  l'en  mouiroys  de 
chagrin,  car  ie  suis  bien  assollé  de  ma  boime,  fresche  et  vertueuse 
femme. 

Sur  ce  dire,  il  deslourna  la  teste  pour  ne  point  monstrer  à 
Lavallière  l'eaue  (jui  lui  venoyl  aux  veulx;  mais  le  ioly  courli- 
zau  vcit  Cfste  semence  de  jjleurs,  et  lf)rs,  })renaut  la  juain  de 
Maillé  : 

—  Mon  lèrc,  lii\  dil-il,  ie  te  iur(>  ma  foy  d'honnneque,  para- 
vanl  (|u'uiigq'.u'l(|u  ung  touche  à  ta  femme,  il  aura  senly  ma  dague 
au  limd  de  sa  fressure...  Kt,  à  moins  que  ie  ne  meure,  tu  la 
retrouveras  intacte  de  eoiits,  sinon  de  eneur,  poiu'  ce  que  la 
pensée  est  hors  du  |)onv(Mr  des  gentiisjionnnes... 


LE  FRÈRE  D'ARMES.  \H7, 

—  llost(lnnrqiios(lictlà-li;mlf.,s'csrri:iM;iiII(',qiiojosoraytons- 
iour's  ton  sci'vilciii'  et  Ion  ol)li;^('... 

Là-dessus,  le  coiiipaigMoii  piniiU  pour  no  |»oiiil  mollir  dans  les 
inlericctions,  j)leiirs  et  aultres  saulces  que  lespandent  les  daines 
en  adieux  ;  puis  Lavallière,  l'ayant  conduict  à  la  porte  de  la  ville, 
revint  en  l'Iiostel,  attendit  Marie  d'Annehault  au  deshurliier  du 
lict,  lui  ap|)rint  la  deparlie  de  son  hou  mary,  luy  oITrit  d'estre  à 
SCS  ordres,  et  le  tout  avi'C(|ues  des  manières  si  j.fentilles,  que  la 
plus  vertueuse  femme  eust  esté  eliatouillée  du  dezir  de  guarder 
à  soy  le  chevalier.  Mais  de  ces  belles  patenostres  n'estoyt  auletm 
besoin:- pour  endoctriner  la  dame,  veu  que  elle  avoyt  preste  l'au- 
reille  aux  discours  des  deux  amys  et  s'estoyt  j,'rantement  offensée 
des  doubles  de  son  mai'v.  Ib'das!  comptez  (pie  Dieu  seul  est  par- 
faict!  Dans  toutes  les  idées  de  l'homme,  il  y  aura  tousiours  ung 
costé  maulvais;  et  c'est,  oui  da,  une  belle  science  de  vie,  mais 
science  impossible,  que  de  tout  prendre,  mesmes  ung  baston,^par 
le  bon  bout.  La  cause  de  cestc  grant  dilTiculté  de  plaire^aux 
(lames  est  qu'il  y  a  cbez  elles  une  cbouse  qui  estj)lus  fennne 
qu'elles,  et  n'estoyt  le  respect  qui  leur  est  deu,  ie  diroys  un 
aultre  mot.  Ores,  nous  ne  debvons  iamais  resveigler  les  pban- 
taisies  de  ceste  cbouse  malivole.  Mais  le  parfaict  gouvernement 
des  femmes  est  œuvre  à  navrer  ung  bomme,  et  nous  fiuilt  rester 
en  totale  soubmission  d'elles;  c'est,  ie  cuyde,  le  meilleur  sens 
pour  desnouer  la  trez-angoisseuse  énigme  du  niariaige.  Doncipies, 
Marie  d'Annehault  se  tint  heureuse  des  bonnes  lassons  et  offres 
du  guallant  ;  mais  il  y  avoyt  en  son  soubrire  ung  malicieux  espe- 
rit,  et,  pour  aller  rondenu^nt,  l'intention  de  mettre  son  ieune 
gai'de-chouse  entre  l'Iionneur  et  le  plaisir;  de  si  bien  le  requt'iir 
d'amour,  le  tant  testonnei'  de  bons  soings,  le  pourchasser  de  les- 
guards  si  chaulds,  qu'il  r('ii'<l  iiilidflic  à  l'aniilié  au  prouflict  de  la 
guallantise. 

Tout  estoyt  en  bon  poincl  pour  les  meni'es  de  son  dessein, 
veu  les  accointances  (jue  le  sire  de  Lavallière  estoyt  tenu  d'avoir 
avec(pies  elle  |)ar  son  s('iour  en  l'Iioslid.  Kt,  comme  il  n'y  ha 
rien  an  monde  <|ui  puisse  dcstoinlirr  une  femme  de  ses  visées, 
en  toute  occurrence  la  cingessc  Icndovl  à  l'empii'ger  dans  ung 
la((|s. 

Tanlost  le  faisoyt  rester  sis  ])iès  d'elle,  devant  le  feu,  iuscjues 
à  douze  heures  de  la  nuict.  luy  ehantant  des  refrains,  et,  sur 
toute  cbouse,  luy  monstrant  si-s  bomies  espaules,  les  tentations 


I8i  CONTES  DROLATIOIKS. 

blanches  dnnt  son  cnrsaigc  estoyt  plein,  enfin,  luy  ffoctant  mille 
rcsj.niar(ls  enysans;  le  tout  sans  avoir  la  ]tli\si(tnonue  des  j)ensccs 
qu'elle  f^anliivl  soul)Z  son  anreille. 

Tanlost  elle  se  pounnenoyt  avecques  luy,  de  malin,  dans  les 
iaidins  de  son  liostel,  et  s'appuyoyt  bien  l'oit  sur  son  bras,  le 
pressoyt,  sospiroyt,  luy  faisoyt  nouer  le  lasset  de  son  brodequin, 
qui  tousiours  se  destortilloyt  à  poinel  nonnné. 

Puis  c'estoyenf  mille  iicntilles  j)ar(des,  et  de  ces  cliouses  aux- 
quelles entendent  si  bien  les  dames  :  petits  soings  pour  llioste, 
comme  venir  venir  s'il  avoyt  ses  aises  ;  si  le  lict  estoyt  bon  ;  si  la 
chambre  propre  ;  s'il  y  avoyt  bon  aër;  si,  la  nnict,  il  sentovt  aul- 
cuns  ve.nts  coulis;  si,  le  iour,  avoyt  trop  de  soleil  ;  lui  demandant 
de  ne  luy  rien  celer  de  ses  pliantaisies  et  moindres  voulentés, 
disant  : 

—  Avez-vouscoustnme  de  prendre  quelque  cliouse  au  matin, 
dans  le  lict...  soit  de  l'hydromel,  du  laid  ou  des  esj)ices? 
Mangez -vous  bien  à  vos  heures?  le  me  conformeray  à  tous 
vos  dezirs...  dictes...  Vous  avez  pnoiir  de  me  demander... 
Allons! 

Elle  accompagnoyt  ces  bonnes  doreloteries  de  cent  mignardises, 
comme  de  dire  en  entrant  : 

—  le  vous  géhenne,  renvovez-mov!...  Allons!  besoing  est  que 
vous  soyez  libre...  le  m'en  vais... 

Et  tousiours  estoyt  gracieusement  invitée  à  rester. 

Et  tousiours  la  ruse'e  venoyt  vestue  à  la  légiere,  monstrant 
des  escbantillcns  de  sa  beanlté  à  faire  hennir  ung  patriarche  aussy 
ruyné  j)ar  le  temps  que  debvoyt  l'estre  le  sieui'  de  Mathusalem  à 
cent  soixante  ans. 

Le  bon  compaignon.  estant  lin  connue  soye.  laissoyt  aller 
toutes  les  menées  de  la  dame,  bien  content  de  la  veoir  occupée 
de  luy,  veu  que  c'estoyt  autant  de  gaigné;  mais,  en  frère  loyal, 
il  remeltovt  tousiours  le  mary  absent  soubz  les  yeulx  de  .son 
hoslesse. 

Ores,  ung  soir,  la  iournée  ayant  e>li'  trez-chaidde.  Lavallière, 
redoublant  les  ieux  de  la  dame,  luy  dit  comme  Maillé  l'aymoyl 
l'oit,  qu'elle  avovt  à  <'lle  ung  homme  d'honneur,  ung  gentilhomme 
bien  ardent  pour  elh;  et  bien  chatouilleux  de  son  escu... 

—  Pourquov  donc(pies.  dif-<'ll<>.  s'il  en  est  chalonilleux,  vous 
ha-t-il  mis  icv?... 

—  N'est -ce  p.is  iiiir  liiiiijli'  1 1  II  i(l( 'MCI  ■'.'..,  respoiidit-il.  N'es|ovl-il 


LE   FRKRE   D'ARMES.  ISr, 

pas  hosoin^f  do  vniis  coiilicr  m  (|ii(I(|ii('  (IcITcnsoiir  de  voslrp  voilii, 
lion  qu'il  Iny  en  l'aille  iiii|^-,  mais  [)oiir  vous  pi-olegor  conlro  les 
niaulvais?... 

—  Doncques,  vous  estes  mon  pnanlien?  fcif-elle. 

—  l'en  suis  fier!  s'eseria  Lavallière 

—  Vère!  (lit-elle,  il  ha  liien  mal  clioisv... 

Ce  proupos  l'eut  accompaigné  d'une  (eillade  si  itaillardemeiit 
lascive,  que  le  bon  frère  d'armes  print,  en  manière  de  reprouche, 
une  contenance  l'resche,  et  laissa  la  belle  dame  seule,  la- 
quelle l'eut  pie(pu'e  de  ce  reffus  tacite  d'entamer  la  bataille  des 
amours. 

Elle  demnura  dans  une  liaulte  medilaliun,  et  se  mit  à  (juciir 
l'obstacle  véritable  que  elle  avoyt  rencontre'  :  car  il  ne  sçauroyt 
venir  en  l'esprit  de  aulcune  dame  qu'ung  bon  gentilliomme 
puisse  avoir  du  desdaing  pour  ceste  bayuatelle  (pii  ha  tant  de 
j)rix  et  si  liaulte  valeur.  Ores,  ces  pcnsiers  s'cnlrelilèrent  cl  s'ac- 
cointèrent si  bien,  l'ung  accrochant  l'aultre,  que,  tie  pièces  en 
morceaulx,  elle  attira  toute  l'estorfe  à  elle,  et  se  treuva  couchiée 
au  plus  profund  de  l'amour;  ce  qui  doibt enseigner  aux  dames  à 
ne  iamais  iouer  avccrpies  les  armes  de  riionuue,  ven  qu'à  manier 
de  la  glue  il  en  demeure  tousiours  aux  doigts. 

Par  ainsy,  Marie  d'Annebault  lina  par  où  elle  auioyt  deu  com- 
mencer, à  sçavoir  :  que,  pour  se  saulver  de  ses  pièges,  le  bon 
chevalier  debvoyt  estre  prins  à  celluy  d'une  dame;  et,  en  bien 
cherchant  autour  d'elle  où  son  ieune  hoste  pouvoyt  avoir  treuvé 
ungétuv  de  son  goust,  elle  pensa  (pie  la  belle  Linuniil,  l'une  des 
filles  de  la  royne  Catherine,  mesdames  de  Nevers,  d'Estiees  et  de 
Giac,  esfoyent  les  amyes  desclairtîes  de  Lavallière,  etque  de  toutes, 
il  debvoyt  en  aymer  au  moins  une  à  la  Ibllie. 

De  ce  coup,  ell(>  adiouxta  la  raison  de  ialousie  à  toutes  les 
aultres  qui  la  couviovenl  de  st'duire  son  messire  Argus,  dont  elle 
ne  vouloyt  point  couper,  mais  peiTumer,  itaiser  la  teste,  et  ne  l'aire 
aulcun  tort  au  reste. 

Elle  estoyt  cert(^s  plus  belle,  plus  ieune.  plus  appétissante  et 
mignonne  tpie  ses  rivales;  du  moins,  ce  l'eut  le  nu'lodieux  arrest 
de  sa  cervelle.  Aussy,  mené  par  toutes  les  chordes,  ressorts  de 
conscience  et  causes  pbysic([ues  (pii  l'ont  mouvoir  les  l'ennues. 
elle  revint  à  la  charge  pour  domu  r  nouvel  assault  au  cueur 
du  cbevaliei'.  car  les  dames  axmeiil  à  |)i'endi'e  ce  qui  est  bien 
rorlili('. 

iu. 


180  CONTKS   DliOl.ATlOIKS. 

Alors  l'Ile  l'cil  I;i  cliiillc,  et  se  roula  si  liicii  |»ivs  de  luy,  le  clm- 
louilla  si  seulement,  l'apiJi'ivoisa  si  (loulceineiit,  le  jiatepeliia  si 
mijinottemont,  qiio,ung  soir  où  elle  estoyl  tombée  en  de  noiros 
luiinenrs,  quoique  bien  rraye  au  l'uud  de  Taine,  elle  se  leit  deman- 
der par  son  l'ivre  gnardiiMi  : 
—  Ou'avez-vons  doneques? 

A  qnoy,  sondeuse,  ellelny  respondit,  en  estant  escontée  jiar  luy 
comme  la  meilleure  des  mnsic((nes  : 

Qu'elle  avoyt  espousé  Maillé  à  l'eneontre  de  son  cueur,  et 
qu'elle  en  estoyt  bien  mallnHU-euse;  (|n'elle  i^^iioi-oyt  les  doulceui's 
d'amoiu';  que  son  maiT  ne  s'y  entendoyt  indlenient.  et  que  sa  vie 
seroyl  j)leine  de  larmes.  Hrief,  elle  se  l'eil  pueelle  de  cueur,  et  de 
tout,  veu  qu'elle  advoua  n'avoir  encore  perceu  de  la  cliouse  que 
des  desplaizirs.  Puis  dit  encores  que,  poui'  le  seur,  ce  manège 
debvovt  estre  fertile  en  sucreries,  friandises  de  tontes  sortes,  pour 
ce  que  tontes  les  daines  y  couroyent.  en  voulovent,  estovent 
ialouses  de  ceulx  qui  leur  en  vendoyent,  car,  à  aulcunes,  cela 
constoyt  cbier  ;  (pie  elle  en  estoyt  si  curieuse,  que,  pour  nng  seul 
bon  ionr  ou  une  nuictée  d'amour,  elle  bailleroyt  sa  vie  et  seroyt 
tousi(nirs  subiecle  de  son  amy,  sans  aulcnn  murnmre;  mais  (pie 
cellnv  avecques  (pii  la  cliouse  luy  seroyt  plus  plaisante  à  faire  ne 
voulovt  pas  l'entendre;  et  (pie,  cependant,  le  secret  pouvoyt  estre 
éternellement  guardé  sur  leurs  coucberies,  veu  la  fiance  de  son 
mary  en  luy,  lînablement,  que,  s'il  la  refusoyt  encores,  elle  en 
monrroyt. 

Kt  toutes  ces  j)arapbrases  du  petit  caïUicqucqne  sçavent  toutes 
les  dames  en  venant  au  monde,  feurciil  desbagoulécs  entre  mille 
silences  entrecoupez  de  sospirs  arracbiés  du  cueur,  aornés  de 
force  tortillemens,  appels  au  ciel,  yeulx  en  l'aër,  petites  rougeurs 
subites,  cbeveulx  gra|>liin('s. . .  Knfin ,  toutes  les  herbes  de  la  Sainct- 
.lean  fciirent  mises  dans  le  lagoust.  Kt.  comme  au  fond  de  ces 
|iaroles  il  vavovt  nng  pinçant  deziripii  eiiiiiellit  mesmes  les  laide- 
rons, le  bon  cbevalier  tomba  aux  pieds  de  la  dame,  les  luy  print, 
les  luv  baisa,  fout  plouraiil.  Kaictes  estât  (juc  la  bonne  femme 
l'ciit  bien  Ih'MIi'IIsc  de  les  liiv  laisser  à  baiser;  et  mesmes, 
sans  tr(»p  resguarder  à  ce  (|u"il  voulovt  en  faire,  elle  luy 
abandonna  sa  robbe.  saiebaiit  bien  (pie  besoing  estoyt  de  la 
picndre  par  en  bas  pour  la  lever;  mais  il  <'stoyt  escript  (|ue  ce 
soir  elle  seroyt  saige,  car  le  beau  Lavallière  luy  dit  avec(iues 
désespoir  : 


LK   V\\\:\\K   Ii'MîMKS.  187 

—  Ali!  inailamo.  ic  suis  mit,'  in.tlhcuroiix  et  iing  indigno... 

—  Non,  non,  alloz!...  foil-dli'. 

—  Ilôlas!  le  bonheur  d'est ic  à  vous  m'est  inlenlict. 

—  Comment?...  dit-elle. 

—  le  n'ose  vous  advouei-  mon  c;is!... 

—  Est-ee  (lone(jues  bien  mal?... 

—  lia!  ie  vous  feray  lionte!... 

—  Diètes,  ie  me  cacheray  le  visaige  dans  mes  mains. 

Et  la  rus('e  se  mussa  de  manière  à  iiien  venir  son  bien  mviik'  jiar 
ses  entre-doigts. 

—  Las!...  l'eit-il,  l'aullresoir.  ipiand  vous  m'avez  dict  ceste  si 
gracieuse  parole,  i'estoys  allumé  si  traistreusenient,  que,  ne  cuy- 
dant  point  mon  bonheur  ])rouehe  et  n'osant  vous  advouer  ma 
flamme,  j'av  eourn  en  un  ('lai)pier  on  vont  les  gentilshonunes  : 
là,  pour  l'anioin-  de  vous,  et  pour  saulver  l'honneur  de  mon 
frère  dont  i'avoys  honte  de  salir  l'eseu,  i'ay  esté  pippé  ferme  en 
sorte  que  ie  suis  en  dangier  de  mourir  du  mal  italian... 

La  dame,  prinse  de  frayeur,  gecfa  ung  cry  d'aceouehiée,  et, 
toute  esmeue,  le  reponlsa  ])ar  ung  petit  geste  bien  doidx;  puis, 
le  paouvre  Lavallière,  se  Ireuvanten  trop  jiiteuse  oeeurrence,  se 
départit  de  la  salle;  mais  il  n'estoyt  pas  tant  seulement  aux  ta- 
pisseries do  la  porte,  (pie  Marie  d'Anneliault  l'avoyt  derecbief 
contem|)l('.  disant  à  paît  elle:  m  AIi!  quel  dommaige!...  o  Lors 
ellereeheuteni;rant  in('lanelinlie.|)l;ii^ii;int  en  soy  le  gentilhomme 
et  s'enamouraiit  d'aulanl  plus  (pi'il  estoyt  fruict  par  trois  ibis 
det'Ièndu. 

—  N'estoyt  Maillé,  luy  dit-elle  ung  soir  qu'elle  le  trouvoyt  plus 
beau  (pie  de  coustume,  ie  vouldroys  gaigner  vostre  mal;  nous 
aurions  ensend)le  les  mesmes  affres... 

—  le  vous  ayme  trop,  dit  le  frère,  pour  ne  pas  estre  saige. 
Et  il  la  (piitta  pour  aller  ehez  sa  belle  Linieuil.  Conqitez  (jue, 

ne  pouvant  se  rel'fiiser  à  r(M'e|»voir  les  llandjantes  œillades  de  la 
dame,  il  y  avoyt,  auv  lienres  du  nian^ler  et  pendant  les  vesprécs, 
ung  feu  nourry  (pii  les  esehauftbyt  beaucoup;  mais  elle  estoyt 
contraincte  de  vivre  sans  louehier  au  chevalier  aullrement  que 
du  resguanl.  A  ce  mestier.  Marie  d'Annebanlt  se  Irouvoyt  forti- 
fiée de  tout  poinct  contre  les  guallans  de  la  Court  :  car  il  n'y  ha 
pas  (le  bornes  plus  infranchissables  et  UKulleur  guardien  cpie  l'a- 
mour; il  est  comme  le  diable  :  ce  (pi'il  lient,  il  renl(»ure  de 
llannnes.  l  nfj;  soir.  Lavallière,  avant  conduicl  la  dame  de  son  ainv 


ISS 


rOM'KS   DUOl.  MKllKS. 


à  uni;  lialict  de  lii  loviio  r,;itlioriiio,  tlaucoyt  avooqiits  sa  bollo 
l.iiiH'iiil,  dont  il  ostoyl  al'lolô.  Dans  ce  h'inps-là,  los  diovaliors 
(•(indnisoyiMit  biavoniont  leurs  anioui's  doux  pai'  dmix,  ot  niosuios 
])ar  lioupes.  Oros,  toutes  les  dauios  ostoyont  ialouses  do  la 
l.inieuil,  qui  délihoroyt  en  ce  nionient  de  soy  donner  au  beau 
Lavallière.  Avant  do  se  mettre  en  (|uadrillo,  file  luy  avoyt  donné 


la  plus  (loulcc  des  assignations  pour  lendemain  pendant  la  eliasse. 
Nostro  grant  royne  Catherine,  laquelle,  par  liaullo  politio(pu\ 
ibnientovt  ces  amours  et  les  romuovt  comme  pâtissiers  l'ont 
ilandier  leurs  l'ours  en  les  l'oui'^onnant,  ladiele  royne  dontMpies 
(lonnovl  son  eoup  dVeil  à  tous  les  j>oiitils  eou|)los  enlassez  dedans 
son  quadrille  de  femelles,  et  disoyt  à  son  mary  : 

—  Pendant  qu'ils  bataillent  iei,  peuvent-ils  l'aire  des  li;iues 
contre  vous?...  Hein? 

—  Oui,  mais  les  ceulv  de  la  Heliiiion? 

—  Hall!  Ufuis  les  y  prendrons  aussv!  dit-elle  en  riant.  Tenez, 
vécy  Lavallière,  que  l'on  soupçonne  esire  des  bugonneaulx,  con- 
verty  à  ma  cliiere  Limeuil,  qui  ne  va  ])as  mal,  pour  une  damoi- 
selle  de  seize  ans...  Il  l'aura  bientost  mise  dans  son  greffe... 

— -  lia!  madame,  n'en  croyez  rien,  foi t  Marie  d'Annebault.  car 
il  est  guasté  i)ar  le  mal  de  Naples  (pii  vous  lia  l'aict  royne! 

A  cestc  bonne  na'iveté,  Catherine,  la  belle  Diane  et  le  Roy,  qui 
cslovent  ensemble,  s'esclattèrent  de  rire,  et  la  chouso  courut  dans 
toutes  les  anreilles.  Alors  ce  fout  pour  Lavallière  une  honte  et  des 
m(M(|ueriesqui  ne  linèrent  plus.  be|)aouvre  gentilhonnno.  mons- 
ti'i' aux  doij:ts,  auiovt  bien  voulu  d'uiig  aullre  dans  ses  chausses, 
car  la  biiiu  uil,  à  qui  lescorrivaulx  de  bavallièi'o  n'eurent  rien  de 
phiv  liasli"  (pie  de  Tadveitir  011  riant  de  son  dangier,  feit  une  mine 
de  liiintiiir  à  s(hi  aniaiil.  tant  grant  osloyt  respantomonl.  et 
griel\e^  esto\ont  les  appn'heiisioiis  de  ce  mauvais  mal.  Aussy 
Lasallièrc  se  voit,  de  loul  poiiict,  ahaiidouiK'  comme  img  lt'>preux. 


M-    FfiKRF  rCARMES.  180 

ho,  P.oy  Iny  dit  uw^  mol  Inil  (lcsiil;ns;iiit,  et,  le  l)on  HicviilitT 
quilla  la  IVsIc  suivi  de,  la  iiaonvic  Maiic  an  di^sospoir  de  (-este 
parole.  Klle  avovt  de  tout  poiiict  riiiiK'  ccllny  (|irelle  aynioyl,  liiy 
avoyt  tollu  son  lioiineur  et  yuasti'  sa  vie,  veu  que  les  pliysiciaiis  et 
maistres  myrcs  advaneoyent,  comnie  cliousc  non  é(juivoe({ue,  (|ue 
les  f^ens  italianisez  par  ce  mal  d'amour  y  debvoyent  perdre  leurs 
meilleurs  advantai^ics,  n'estre  plus  de  vertu  ;^éni'rative,  et  noireis 
dans  leurs  os. 

En  sorte  que  nulle  l'eumie  ne  se  voulo\l  [dus  laisser  chausser  en 
légitime  mariaige  parle  plus  beau  gentilhomme  du  royaulme,  s'il 
estoyt  seulement  soupçonné  d'estre  ung  de  ceulx  que  maistre 
Françoys  Rabelais  nommoyt  ses  croustes-levez  trez-pretieux. 

Comme  le  beau  chevalier  se  taisoyl  beauc()U|>  et  restoyt  eu  im'- 
lancholie,  sa  compaigne  luy  dit  en  retouiiiant  de  l'hostel  dllci- 
culcs,  où  se  donnoyt  la  feste  : 

—  Mon  chier  seigneur,  ie  vous  ay  faict  ung  grant  dommaige  ! . . . 

—  Ha!  madame,  respoudit  Lavallière,  le  mien  est  réparable, 
mais  dans  quel  estriCestes-vous  tomlx'eV...  Oebviez-vous  eslre  au 
laid  du  dangier  de  mou  anutui'.'... 

—  Ah!  t'eit-elle,  ie  suis  doncques  bien  seure  maintenant  de 
tousiours  vous  avoir  à  moy,  pour  ce  (jue,  en  esehange  de  ce 
grant  blasme  et  deshonneur,  ie  doibs  estre  à  iamais  vostre  amye, 
voslre  hostesse  et  vostre  dame,  mieulx  eucores,  vostre  meschine. 
Anssy  ma  voulenté  est-elle  de  m'adonner  à  vous  pour  elïacei'  les 
traces  de  ceste  lionte,  et  vous  guarrir  par  mille  soings,  par  mille 
veilles;  et,  si  les  gens  de  Testât  desclairent  que  le  mal  est  trop 
cntesté,  qu'il  y  va  pour  vous  de  la  mort  comme  au  roy  delTunct, 
ie  recjuiers  vostre  eonq)aignie,  al'fin  de  mourir  glorieuse- 
ment en  mourant  de  voslre  mal.  Kn  da  !  f(Ml-eIle  en  plouranf, 
il  n'y  a  pas  de  supplices  pour  ])ayer  le  tort  dont  ie  vous  ay  en- 
taché. 

Ces  paroles  lurent  accoMqtaigm'es  de  grosses  larmes;  son  trez- 
vertueux  cueur  s'esvanouil,  elle  toud)a  vraiemeiit  pasmée.  La- 
vallière, espouvanlé,  la  print  et  luy  mil  sa  main  sur  le  cueur  au- 
dessoubz  d'ung  sein  d'une  beaulté  sans  secunde.  La  dame  revint 
à  la  chaleur  de  cette  main  aymée,  sentant  de  cuysantes  délices  à 
en  |)erdre  la  cognoissance  de  nouveeu. 

—  Las!  dit-elle,  cette  caresse  maligne  et  suitertlcielle  sera 
doresenavaut  les  seuh^s  iouissances  de  nostre  amour.  Klles  sont 
eucores  de  mille  pie(|ues  au-dessus  des  ioves  que  le  paouvre  Maillé 


ion  CONTES  DROLATIQUES. 

cuvilovl  me  fairo...  Laissez  votiv  main  là.  (lit-oll(\..  Vraiemont, 
elle  est  sm"  mon  amo  cl  la  touclio!... 

A  ce  iliscours,  \o  cliovalicr,  roslaiit  trez-pilcux  de  mine,  confessa 
naïtVement  à  sa  dame  que  il  scntoyl  tant  de  félicitez  à  ce  touchicr, 
que  les  douleurs  de  son  mal  croissoyent 
beaucoup,  et  que  la  mort  estoyt  préfé- 
rable à  ce  martyre. 

—  .Mourons  donc(jues.  dit-cdie. 
Mais  la  lictière  estoyt  en  la  cour  de 
riiostel  ;  et  comme  il  n'y  avoit  aulcun 
moyen  de  mourir,  ung  chacun  d'euk  se 
concilia  loingde  l'aultrcbien  enconddé 
(l'amour,  bavallicre  ayant  perdn  sa  belle 
Limeuil,  et  Marie  d'Annebault  ayant  gai- 
gné  des  iouissances  sans  pareilles. 
Par  cet  estrif  ([ui  n'estoyt  point  préveu 
Lavallière  se  treuva  mis  au  ban  de  l'amour  et  du.mariaige;  il 
n'osa  pins  se  monstrer  nulle  part,  et  il  veit  que  bi  guarde  d'ung 
caz  de  femme  coustoyt  bien  cbier  ;  mais  plus  il  despendoyt  d'bon- 
neur  et  de  vertus,  plus  il  rencontroyt  de  plaisir  à  ces  haults  sa- 
crifices offerts  à  sa  fraternité'.  Cependant  son  debvoir  luy  feut  trez- 
ardu,  trez-espineux  et  intolérable  à  foire  aux  derniers  iours  de  sa 
guette.  Vécy  comme. 

L'adveu  de  son  amour  qu'elle  cuydovt  partagié.  le  tort  advenu 
])ar  elle  à  son  chevalier,  la  rencontre  d'un  j)laisir  incogneu,  com- 
munic(|uèrent  moulthardiesse  à  la  belleMaiie,  qui  client  en  amour 
])lat(tnic(|ue,légierement  tempéré  ])ar  les  menus  suffraiges  dont  le 
(lancier  estoyt  nul.  De  ce  vindrent  les  (liabolic<|nes  plaisirs  de  la 
petite  (tic,  inventé(>  par  les  dames  qui,  depuis  la  mort  du  roy  Fran- 
çoys,  redoubtoyent  de  secontagionner,  mais  vouloyent  estre  à  leurs 
amans;  et,  à  ces  cruelles  délices  du  touchier,  j)our  iouer  son 
roole,  Lavallière  ne  pouvoyt  aulcuncment  se  reffuser.  Par  ainsy, 
tous  les  soirs,  la  dolente  Marie  attaclioyt  son  hosie  à  sa  inp|)e,  luy 
tenoyt  les  mains,  le  bais(»\t  pai' ses  resguards,  colloyt  gentement 
sa  ioue  à  la  sienne;  et,  dans  ceste  vertueuse  accointance,  où  le 
chevalier  estoyt  prins  comme  ung  diable  dans  ung  benoistier,  elle 
luy  parloyl  de  son  i^ianl  amoni',  lecjnel  estoyt  sans  bornes,  veu 
(pi'il  parconi'ovl  les  espaces  infinis  des  dezirs  inexaulcez.  Tont  le 
leii  ipie  les  dames  boulent  en  leurs  amours  substantielles,  l(HS(jue 
la  miicl  n'ha  point  d'aullres  Inniièics  (jiie  leurs  yculx,cllelclrans- 


LH  Fi'.KUK  ir.\i;Mi:s.  un 

fcrovl,  (lctl;ins  les  gocts  iiiyslic(|ii(S  de  s;i  tt-sto,  les  cxiilliilioiis  de 
son  anie  et  les  ocstaccs  de  son  cucnr.  Alors  niilurcllcniont,  et  avcc- 
quosla  iovc  (h'Iiciouscdi'  deux  an^ios  accouplez  d'intelligence  seu- 
lement, ils  entonnoyent  de  concert  les  doulces  litanies  que  répé- 
toyent  les  amans  de  ce  temps  en  l'honneur  de  l'amour,  antiennes 
que  l'abbé  de  Tliolesme  lia  ])ara;^raficquement  saulvées  de  l'oujjly, 
en  les  enyravanl  aux  murs  de  son  abbaye,  située,  suyvant  maisirc 
Alcofribas,  dans  nostre  jjays  de  (Ibinon,  où  ie  les  ay  veues  en  latin 
et  translatées  icy  pour  le  proulïict  des  cbrestiens. 

—  Las!  disoyt  Marie  d'Annebault,  tu  es  ma  force  et  ma  vie, 
mon  bonbeur  et  mon  tbrezor! 

—  Kt  vous,  respondoyi-il,  vous  estes  une  perle,  ung  ange! 

—  Toy,  mon  sérajtliin? 

—  Vous,  mon  ame  ! 

—  Toy,  mon  dieu! 

—  Vous,  mon  estoile  du  soir  et  du  matin,  mon  honneur,  ma 
bcaulté,  mon  univers! 

—  Toy,  mon  grant,  mon  divin  maistre! 

—  Vous,  ma  gloire,  ma  foy,  ma  religion! 

—  Toy,  mon  gentil,  mon  beau,  mon  courageux,  mon  noble, 
mon  chier,  mon  chevalier,  mon  (lel'enseur,  mon  rov,  mon  amour  ! 

—  Vous,  ma  fée,  la  Heur  de  mes  i(jurs,  le  songe  de  mes  nuicts! 

—  Toy,  ma  pensée  de  tous  les  niomens  ! 

—  Vous,  la  ioyc  tic  mes  yeulx! 

—  Toy,  la  voix  de  mon  ame! 

—  Vous,  la  lumière  dans  le  iour! 

—  Toy,  la  lueur  de  mes  nuicts  ! 

—  Vous,  la  mieulx  aymée  entre  les  femmes! 

—  Toy,  le  plus  adoré  des  honnnes! 

—  Vous,  mon  sang,  ung  nioy  iiicillcur  (juc  moy! 

—  Toy,  mon  cucur,  mon  lustre! 

—  Vous,  ma  saincte,  ma  seule  ioye! 

—  le  te  (juitte  la  palme  de  l'amour,  et,  tant  grant  soit  le  mien, 
le  cuydc  (|ue  tu  maynies  plus  encores,  pour  ce  que  tu  es  le  sei- 
gneur. 

—  Non,  elle  est  à  vous,  ma  déesse,  ma  vierge  Marie! 

—  Non,  ie  suis  ta  servante,  ta  meschine,  ung  rien  que  tu  peux 
dissouidre  ! 

—  Non,  non,  c'est  moy  ({ui  suis  vuslre  esclave.  vo>li'e  paige 
lidelle,  de  (pii  vous  pouvez  user  connue  d'ung  souille  d'aër,  sur 


I  '.t>J 


co.NTi-s  iii;(»i,.vTi(ji  i;s. 


(jui  vous  (levL'z  iiiiin'lici'  coiiiuio  sur  uiig  lapis.  Mon  mieur  est 
voslip  throsno. 

—  Non.  aiuy,  i-ar  la  voix  inc  traiisligo. 

—  Yoslre  i'osi.nianl  inc  brusle. 

—  le  ne  veois  (jue  j3ai"  toy. 

—  le  ne  sens  (|ue  j)ar  vous. 

—  Oli  liien.  mets  ta  main  sur  niou  eueur,  ta  seule  main,  el  lu 
vas  me  vciiir  paslir  (piand  mon  sang  aura  prins  la  chaleur  du  tien. 

Alors,  en  ces  luctes,  leurs  yeulx,  desià  si 
arden$,s'enllammoycnteneores;etlcbonclic- 
valiei'  estoyl  niig  pe»i  oom|)liee  du  bonheur 
ipie  pienoyl  Marie  dAnnebaull  à  sentir  cette 
main  sur  son  eueui-.  Ores,  comme  dans  cestc 
legieie  aeeointance  se  bendoyent  toutes  ses 
forces,  se  tendoyent  tous  sesdozirs,  seresol- 
voyent  toutes  ses  idées  de  la  chouse,  il  luy 
arrivoyt  de  sepasmer Irez-bien  el  tout  à  laict. 
Leuis  yeulx  plouroyent  des  larmes  bien 
ehauldes,  ils  se  saisissoyent  l'ung  de  l'aultre 
en  plein,  comme  le  feu  prend  aux  maisons  ; 
mais  c'estoyt  tout  !  De  laiet.  Lavallière  avovt 
promis  de  icudre  sain  et  sauf  à  son  amy  le  corps  seulement  et 
non  le  eueur. 

Lorsque  Maillé  feil  seavoir  son  retourner,  il  estoyl  grantement 
temps,  veu  que  nulle  vertu  ne  pouvoyt  tenir  à  ce  mestier  de  gril  ; 
et,  tant  moins  les  deux  amans  avoyent  de  licence,  tant  plus  ils 
avoyent  de  iouissanee  en  leurs  phantaisies. 

Laissant  Marie  d'Annobaull,  le  bon  compaignon  alla  au-dcvaiit 
de  son  amy  iusqucs  au  pays  de  Bondy,  pour  l'ayder  à  passer  les 
bois  sans  maie  heure  ;  et,  lors,  les  deux  frères  couchièrent  en- 
semble, suyvant  la  mode  anticque,  dans  le  bourg  de  Hondy. 

Là,  dedans  leur  lict,  ils  se  racontèrent,  l'ung  ses  adveulures  de 
voyaige,  l'aultre  les  cacipu-ts  de  la  Court,  histoires  guallanles,  et 
cœtcra.  Mais  la  première  reijueste  de  Maillé  l'eut  louchant  Marie 
(rAnnebault,  que  Lavallière  iuraestre  intacte  en  cet  endroictpre- 
ticux  on  est  logi('  riionneur  des  marys,  ce  dont  Maillé  l'amoureux 
fcul  bien  content. 

Lendemain,  ils  l'i  incnt  tous  trois  it'unis,  an  grand  (les|>it  de 
.Marie,  qui,  par  la  liaullr  iinisprudence  des  femelles,  festoya  bien 
son  bon  marv,  mais  du  iloigt  elle  monstro\l  son  eueur  à  Laval- 


I.K   FUlilll':  D'AHMKS.  I;i;! 

lièrc  par  do  f^fitlillcs  mi^iiardiscs,  (•oiiiiiic  pour  dire  :  —  Cocy 
est  ton  l)ien  ! 

Au  souper,  l.iividlit'i'o  amioiira  son  |»;irtcni('nt  |ioui'la  guerre. 
Maillé  Ic'ut  l)i('ii  luariy  dcM-oste  grid'vc  rc-solutiou,  et  vouloyt  sui- 
vre son  frèrr  ;  mais  Lavallière  le  refusa  tout  net. 

—  Madame,  fcit-il  à  Marie  d'AmiehauIt,  ic  vous  aynie  plus  (j[ue 
la  vie,  mais  non  plus  (|uo  llioniieiu'. 

Et  il  paslit  en  ce  disant,  et  madame  de  Mailh'  paslil  en  l'es- 
coulanl,  pour  ce  (|uc  iamais,  dans  leurs  ieux  de  la  j)elite  oie,  il 
n'y  avoyt  eu  autant  d'amour  vray  que  dans  ceste  pai'ole.  Maillé 
voulut  lenir  comj)aignie  à  son  amy  ius(|ues  à  Meaulx.  Quand  il 
revint,  il  délibéroyt  aveccjues  sa  lennne  les  raisons  incoyneues  et 
causes  absconses  de  ceste  départie,  lors(jue  Marie,  (jui  se  douhtoyt 
des  chagrins  du  paouvre  Lavallière,  dit  :  —  le  le  scays,  c'est  (ju'il 
est  trop  honteux  icy,  pour  ce  (|ue  unycliascun  coynoyt  ({u'il  lia 
le  mal  de  INaples. 

—  Luy  !  l'eit  Maillé  tout  i'sIoiuk'.  le  l'av  veu,  (|Maii(l  nous  nous 
couchiasmes  à  IJondy,  l'autre  soir,  et  hier  à  Meaulx.  Il  n'en  est 
rien!  Il  est  sain  comme  vostre  œil. 

La  dame  se  Tondit  en  eaue,  admirant  ceste  i:rant  loyauté,  ceste 
sublime  résignation  en  sa  parole,  et  les  haultes  soulTrances  de 
ceste  i)assion  intérieure.  Mais,  connue  elle  aussv  guarda  son 
amour  au  l'und  de  son  cneui',  elle  mourut  (piand  mourut  Laval- 
lièie  devant  Metz,  connue  l'ha  dict  ailleurs  messire  Bourdeilles 
de  Brantosme  en  ses  cac(|uetaiges. 


i7 


-^M^^^^^i^'ffif^^^^^^fl 


l.iin.iis  ceiili  <|iii  viiulroiil    (|iirrir  de  la  laitm  en  son  pi'cshylèni  un  s'oii 
iillôrcnl  loiitliis,  vou  (|ii'il  avoyl  loiisiours  ia  main  à  In  poclio. 


LE  CDRÉ  1)'AZAY-LE-RIDEAU 


En  ce  tenii)s-là,  les  prcbstres  ncpronoyont  plus  aulcuno  foninio 
en  légitinir"  mnriaigc,  mais  avoyent,  à  ciilx,(le  bonnes  concubi- 
nes, ioiics,  si  r;iii(' scpouvoyt  ;  ce  qui,  depuis,  leur  l'eut  interdicl 
par  les  conciles,  comme  ung  cbascun  scayt,  pour  ce  (|ue,  de  l'aicl, 
il  n'estoyt  pas  |»laisanl  (jue  li-s  esju'ciales  coulidences  des  gens 
feussent  raconU'es  à  une  gouge  (jui  s'en  rioyf,  oultre  les  aullres 
doclrines  absconses,  ménagemens  ecclésiaslicques  et  s|i('culalions 
qui  abundèrent  en  ce  cas  de  baultepolitic([UC  romaine.  I,c  |iiili->lie 
de  nosire  jiays  qui,  ibeologalement,  enlceliut  le  daiicMiicr  nue 
femme  dans  son  presbuèn*,  en  la  resgallanlde  son  amour  sclio- 
lasticque,  feut  ung  certain  curé  d'Azay-le-Kidel,  eiidroict  trez- 
agréablc  nommé  plus  tard  Azay-le-Bruslé,  maintenant  Azav-Ie- 
Rideau,dont  le  cbastel  est  une  des  merveilles  de  Touraine.  Ores, 
ce  dict  lemj)S  oïl  les  (enunes  ne  baïoyeiit  i)as  l'odeur  de  j)rebstre 
n'est  i)oint  aussy  loiug  {|ue  aulcuns  le  |)ourrovent  penser,  car 
encores  estoyl  sur  le  siège  de  Pai'is  monsieur  d'Oigemont,  lils 
du  précédent  évesque,  et  les  grosses  (pierelles  d'Armignacs  n'a- 
voycnt  lîné.  Pour  dire  le  vray,  cetluv  curé  laisovt  bien  d'avoir 


I%  CONTES  DnOL.VTIQlIES. 

sa  cure  en  ce  sièclo,  vou  iju'il  ostoyt  fièrcnioiit  iiiouli',  liaiilt  en 
couleur,  de  belle  corporenco,  grant,  fort,  mangeant  et  heuvjjnt 
eoniuie  ung  convalescent;  et,  de  laict,  relevovt  tousiours  d'une 
(louice  maladie,  (jui  le  j)renoyt  à  ses  heures  :  donccjues,   plus 
lard  il  eust  este  son  propre  bourreau,  s'il  eust  voulu  observer 
la  continence  canonicque.  Adiouxtez  à  ce  qu'il  estoyt  Touran- 
geau, id  est,  brim,  et  j)ortant  dans  les  yeulx  du  feu  pour  allu- 
mer et  de  l'eau  pour  eslaindre  tous  les  l'ours  de  mesnaigc  qui 
vouloyent  estre  allumez  ou  estaincts.  Aussy,  iainais  plus  à  Azay 
ne  s'est  veu  curé  pareil  !   ung  beau  curé,  quurré,   Irais,  tous- 
iours bénissant,  hennissant  ;  aymant  niieuix  les  nopces  et  bap- 
tesnies  que  les  trespassemens  ;  bon  raillai'd,  religieux  en  l'ecclise, 
homme  partout.  Il  y  ha  bien  en  des  curés  qui  ont  bien  heu  et 
bien  mangit' ;  daultrcs.  qui  ont  bien   l)ény,   et  certains  moult 
henny  ;  mais,  à  eulx  tous,  ils  laisoyent  à  grant  poine  endi-stail 
la  valiscence  de  ce  cure  susdict  ;  et  lui  seul  ha  dignement 
remply  sa  cure  de  bénédictions,  l'ha  tenue  en  ioye  et  y  ha  con- 
solé les  affligées,  tout  si  bien,  que  nul  ne  le  voyoyt  saillir  de  son 
logiz  sans  le  vouloir  mettre  en  sa  fressui-e,  tant  il  estoyt  aymé. 
C'est  luy  qui,  le  premier,  ha  dict  en  ung  prosne  que  le  diable 
n'estoyt  pas  si  noir  qu'on  le  faisoyt,  et  qui,  pour  madame  de 
Candé,  transformoyt  les  perdrix  en  poissons,  disant  que  les 
perches  de  l'Indre  estovent  j)erdrix  de  rivière,  et  au  rebours, 
les  jjerdrix,   perches  de  l'aër.  laniais  ne  feil  de  coups  fourrez  à 
l'undjre  de  la  morale  ;  elsouventes  foys,  railloyl  en  disant  qu'il 
préféroyt estre  concilié  en  ung  bon  lict  que  sur  ung  testament; 
que  Dieu  s'estoyt  fourny   de   tout  et  n'avoyt  besoing  de  rien. 
Au  resguard  des  j)aouvres  et  aullres,  iamais  ceulxcjui  vindrent 
(pierii-  de  la  laine  en  son  jiresbytère  ne  s'en  allèrent  tondus,  veu 
qu'il  avoyt  tousiours  la  main  à  la  poche  et  mollissoyt  (luy  (jui, 
(lu  reste,  esloyt  si  ferme  !...)  à  la  veue  de  toutes  les  misères,  in- 
firmitez,  et  se  bendoyt  à  boucher  toutes  les  playes.  Aussy  ha- 
t-on   dict  longtemps  de  bons  contes  sur  ce  roy  des  curés!... 
C'est  luy  qui  feil  tant  rire  aux  nopces  du  seigneur  de  Valesnes, 
près  Sacch('.  Connue   la  mère  dudict  seigneur   se  nu'sloyt  ung 
peu  des  victuailles,  rostisseriesetaultres  a|»piit/(|iii  abundoyent 
tant  qut!  du  moins  on  eust  faict  le  plusd'ung  liDing,  mais  il  est 
vray,  poui- tout  dire,  (pie  l'on  venoyt  à  ces  espousailles  de  Monlba- 
zon,  (le.  Tours,  de  Cliiiion.  de  Laiige;iis,  de  partout  et  pnor  liiiicl 
iours. 


IV.   CriiK   ll'AZ  \v 


'.17 


■  Ores,  le  lion  ciiiv.  i|iii  icvciinvl  en  l;i  ^.illcdù  se  gaudissoyt  la 
ct)iii])ai^iii(',  tcil  iciicuiilic  (riiii  [iclil  |),iti'()nii('t,  le({U('l  voiildxt 
advi'itir  .Madame  (juc  huitcs  les 

substances  l'It'iiioiitaiics  ci  ru-  i  -     .  ;\ 

dimcns  gras,  ius  et  saulces,  es- 
toycnt  apprestez  pour  ung  bou- 
din de  liaulte  qualité  dont  elle 
se  iactoyt  de  surveiller  les  eom- 
pil.ilioiis,  eid'oneages  et  niani- 
jiulalious  seerettes,  à  oeste  (in 
de  resgaller  les  parens  de  la 
fdle.  Mon  dict  curé  donne  un;; 
petit  coup  sur  l'aureille  du 
guaste-saulce,  en  luy  disant 
qu'il  estoyt  trop  oi'd  et  sale 
pour  se  faire  veoir  à  gens  de  haultes ^conditions,  et  qu'il  s'ae- 
quitteroyt  dudiet  rnessaige.  Et  vécy  le  raillard  (|ui  ]>oulse 
riuiys,  (jui  roule  ses  doigts  gauches  en  manière  de  gaisne,  et 
dedans  ce  perluys  fourre  à  plusieurs  foys  frez-gentement  le  doigt 
du  milieu  de  sa  dexire  ;  puis,  ce  faisant,  il  regarda  liiiemeut 
la  dame  de  Valesncs  en  lui  disant:  «  Venez,  tout  est  picsl  !  » 
Ceulx  qui  ne  sçavoycnt  pas  la  chouse  s'esclaffèrent  de  riie,  en 
voyant  Madame  se  lever  et  aller  à  curé,  pour  ce  qu'elle  sçavovt 
qu'il  retournoyt  du  l)0udin,  et  non  de  ce  que  cuvdovent  les 
aultres. 

Mais  ung  vray  conte  est  la  manière  dont  ce  digne  pasteur  perdit 
sa  femelle, à  laquelle  le  promoteur  mestropolitain  ne  souffrit  point 
d'héritière  ;  mais,  pour  ce,  ledict  curé  ne  faillit  point  d'ustensiles 
de  mesnaige.  Dans  la  paroësse,  toutes  se  feireut  uni; honneur  de 
hiy  prester  les  leurs;  d'autant  (pie  c'esloyl  ung  lionnne  à  ne  rien 
guaster,  et  qui  avoyt  grant  cure  de  bien  les  rincer,  lechier  hoimue  ! 
Mais  vécy  le  faict,  L'ng  soir,  le  bon  curé  revint  souper,  la  face 
toute  mélancholisée,  veu  qu'il  avoyt  mis  en  pré  ungbonmétaver, 
mort  d'une  fasson  esirange  dont  ceulx  d'Azav  parlent  eiirores 
souventes  i'oys.  Voyant  (ju'ilne  mangioyt  que  du  bout  des  dents 
et  trouvoyt  de  l'amer  dans  ung  bon  plault'  de  trippes,  dont  la 
coction  s'estoyt  saigement  accomplie  à  sa  veue,  sa  bonne  femme 
luy  dit  : 

—  Avez-vous  doncques  pass('  devant  .le  Lond)ard  (voyez 
Maitue  Couneliuj:,  />a.s'.s/m),  rencontré  deux   corneilles,  ou  vcu 

17. 


108 


CONTES  DHOLATIOIES. 


remuer  le  mort  en  sa  fosse,  que  vous  voilà  tout  ilesmanchie' ? 

—  Ho  !  ho  ! 

—  Vous  lia-t-on  decou? 

—  Ha!...  ha!... 

—  Dites  dontniues  ! 

—  Ma  mve,  ic  suis  cncores  toutcspanlé  do  la  mort  de  cepaou- 
vre  Cochegrue,  et  il  n'est  en  ce  moment,  à  vingt  lieues  à  la  ronde, 
langue  de  honne  mesnaigière  et  lèvres  de  vertueux  cocriu  qui 
n'en  parlent... 

—  Et  qu'est-ce  ? 

—  Oyez.  Ce  bon  Cochegrue  retournoytdu  marché,  ayant  vendu 
son  bled  et  deux  cochons  à  lard.  11  revenoyt  sur  sa  jolie  iumcnt, 
laquelle,  depuis  Azay,  commençoyt  à  s'énamourer,  sans  que,  de 
ce,  il  eust  le  moindre  vent;  et  paouvreCocheiiruo  Iroltoyt,  trol- 
tinoyt,  en  comptant  ses  proultitcts.  Vccy,  audeslourner  du  vicuix 
chemin  des  Landes  de  Charlemaigne,  ung  maistre  cheval,  que  le 
sieur  de  la  Carte  jioiirrit  en  ung  clos,  pour  en  avoir  belle  semonce 
de  chevaulx,  pour  ce  que  ce  dict  animal  est  trez-idoyno  à  la 
course,  beaucommo  pont  l'ostreung  alibé,  hault  et  puissant,  tant 
que  monsieur  l'admirai  l'est  venu  veoir  et  dit  qwo  c'esloyt  une 
beste  de  haulte  futaye;  donctpies  ce  diable  chevalin  llaire  ceste 
iolie  iumcnt,  l'aict  le  sournoys,  ne  hennit  ni  ne  dict  aulcune 
périphrase  decheval,  mais,  quand  elle  est  iouxle  le  chemin,  sauitc 
quarante  chaisiu'es  de  vignes,  couit  dessus  en  ])ial'i'antdes(jualre 
Icrs,  entame  l'escopetterie  d'ung  amoureux  (pii  clitimme  d'accoin- 
tance,  déclicque  des  s(mneries  à  l'aire  lascher  vinaigre  aux  jtius 
hardis,  et  si  dru,  que  ceulx  de  Cluunpy  l'ont  entendu  et  ont  eu 
grant  paour.  Cochegrue  se  doubtantde  l'estrif,  enfile  les  Landes, 


picque  sa  lascive  iumcnt,  .se  lie  sur  .son  rapide  cours,  et,  de  faict, 
la  bonne  iument  l'escoute,  obéit  et  vole,  voh;  comme  ungoyseaii  ; 


LE  CriU':   D'A /.AV. 


109 


mais,  à  porter  do  oranoo([iiin,  Iciiiaiiil  liiapuar  do  clifval  snyvoyt, 
ta]>|K)vt  (le  .SOS  pieds  la  leire,  oomiiio  si  ni;ii-osoliaulxciisseiil  hiillii 
iinfi  l'or  ;  et,  toutes  ses  foires  hondc'es,  Idiis  crins  espars,  l'ospon- 
dovt  an  iolv  ti'ain  du  grant  <,fal()p  de  la  iiiiiieiil  piif  son  oITroyalde 
])atapan  !  patajtan!...  Lors,  bon  reriiiier,  sentant  accdiiiir  hi  mort 
aveecjues  j'iiniourdc"  la  Leste,  d'esporonnei- sa  innioiil,  cl  iuMieiil 
de  eourir  ;  enfin,  Coc|ie>,M'iie,  j)asle  et  niy-niort,  alleiiil  la  ,i:tant 
court  de  sa  in(''lairie;  mais,  trouvant  Li  porte  de  ses  esciiyeiies 
fernii'e.  il  erie  :  a  Au  scconis  !  ù  iiioy  !  ma  femme  !...  »  Puis  il 
tourne,  ((iiiiiic  Mutniir  de  s;!  mare,  cuvdant  éviter  le  inauldiet 
clipval  auquel  les  iimoui'eltes  hiaislovent,  (pii  laisoyt  raif^e,  et 
croissoyt  d'amour  au  griel'  ])oureliaz  de  sa  iumenl.  Tous  les  siens, 
cspouvantez  de  ce  dangier,  n'osovont  aller  (iiiMiilliuys  de  l'es- 
cuyorie,  rodoubtant  l'estrange  accollade  ci  les  cnups  de  j)iod  de 
l'amoureux  ferré.  Hrief,  la  Cochegruc  v  va,  mais,  iouxto  la  porte 
que  I;i  Lonne  iumeiit  avovt  enfilée,  le  daiuué  elieval  l'assaille, 
l'eslraiuel,  lui  donne  sa  sauv.iige  venue,  l'iMuLrasse  des  deux 
iandies.  In  serre.  I,i  pinci'.  I;i  lienleniille.  el, 
pendant  ee,  j)esliil  el  mulcle  si  dur  le  ('.(iclie- 
gnie,  que  dudici  il  n'Ii,!  esU'  lreuv('  (pTuii;: 
desLris  informe  eoncassi' connue  ung  giisleim 
de  noix,  apiès  rimile  distilL'c.  C/estoyt  |)iti(' 
de  le  voir  escarbouillé  tout  vif  et  meslantses 
plaincte.s  àoesgranssospirs  d'amourdeclieval. 

—  Oh!  la  iument  !  s'escria  la  bonne  gouge  du  cun-. 

—  Quoi?  feit  le  bon  pi-ebstie  estonné... 

—  Mais  oui  !  Vous  aultres  ne  fei'iez|)oint  tant  seulemiMil  crever 
une  prune  ! 

—  En  da  !  respartit  le  cun',  vous  me  i-e|)rnucliez  i"!  tort  ! 

Le  bon  mary  la  gecta  de  eliolère  sur  le  licl  ;  et ,  île  son  poinçon 
l'cstanipa  si  rude,  (prelles'escl;ill;i  sur  lecttup,  hiuleescliarboltée  ; 
puis  mourut,  smus  (pie  ni  cbirurgiims  ni  plivsicians  ayeut  eu 
cognoissance  de  la  fasson  dont  se  leireut  les  s(dutions  de  conti- 
nuité, tant  furent  violennnent  desioinctes  les  cliarni(''i"es  el  cloi- 
sons médiane.s.  Comptez  que  c'estoyt  ung  fier  bonuue,  ungb(\iu 
curé,  comme  lia  est('  dessus  dict. 

Les  bonnestes  gens  du  |tavs,  voire  les  femmes,  convindrcnt 
qu'il  n'avoyt  jioint  eu  tort  et  (pi'il  estoyt  dans  s(»u  dioict.  he  là 
pcut-cstrc  est  venu  le  proverbe  tant  dict  en  ce  temps  :  Qiieiaze 
/e  Srt///e .' Le((uel  proverbe  est  encores  plus  deslmniK^sle  de  mots 


'200  CONTFS  T»i;0[,\TlnrES. 

(|uo  ie  no  lo  dis  par  révt'ronco  dos  daiiios.  Mais  ce  granl  ot  noblo 
curé  n'ostoyt  |»as  loil  quo  do  là,ot  paravant  oo  malliour,  il  l'oit 
ung  coup  tol,(iuo  nuls  voleurs  n'osoyentplus  iamais  luy  demander 
s'il  avovt  des  anges  dans  sa  pochette,  cncores  qu'ils  eussent  esté 
vingt  et  quelques  pour  l'assaillii-.  l'ng  soir,  il  y  avoyt  tousiours 
sa  bonne  l'onnne,  après  souper,  (ju'il  avoyt  bien  festoyé  l'oie,  la 
gouge,  le  vin  et  tout,  et  resloyt  vu  saebairo  à  deviser  où  il  l'eroit 
construire  une  grange  neufve  pour  les  dixnies,  vécy  venir  ung 
niossaigo  du  soigneur  de  Sacdié  (jui  lendoyt  l'ameet  vouloyt  se 
réconcilier  à  l)iou,  lo  recojjvoir  ot  faire  toutes  les  (juérénionioscpio 
vous  seavoz.  «  C'est  ung  bon  bonuno  et  loyal  soigneur,  i'y  vais  !  )> 
dit-il.  Là-dessus,  passe  à  son  ecclisse,  prend  la  boëte  d'argent  où 
sont  les  pains  sacrez,  sonne  luy-niesnie  sa  clocbette  pour  ne  |)oint 
esveigler  son  clerc,  et  va,  de  pied  légier,  trez-dispos,  par  les  cbe- 
mins.  louxto  le  Gué-droit,  (pii  est  ung  rut  qui  se  gecte  dans  l'In- 
dre à  travers  la  |iraiiio.  iu(»m  bon  curé  apercent  ungnialandrin.  Kt 
(|u'est  ungnialandiin?  ("/est  ung  clerc  dosainct  ^iicllolas.  Et  quoy 
encores  cecy'?Kh  bien, c'est  ung  qui  vooit  clair  en  pleine  nuict, 
s'instruit  en  compulsant  et  retournant  les  bourses,  et  prend  ses 
dogioz  sur  les  routes.  Y  estes-vous?Donci|ues,  ce  malandiin  al- 
tendoyt  la  boële  (|u'il  sçavoyt  estro  do  bien  grant  |)rix. 

—  ()b  !  ob  !  feit  lo  probstre  en  desposant  lo  cyboiro  iuz  la 
pierre  du  pont,  toy,  reste  là  sans  bougier. 

Puis  il  niarcbe  au  voleur,  luy  donne  ung  croc-en-iambc,  luy 
arracbo  son  baston  ferré,  et  alors  que  ce  niaulvais  gars  se  relève 
pour  Incloravfcipiosluy,  il  vousTostriiipo  d'nniîcoupbicii  adressé 
dans  les  oscoutiilos  du  ventre. 

Fuis  il  reprind  le  viatic(|uo  en  luy  disant  bravement  :  «  Iloin! 
si  ie  m'estoys  lié  à  la  providence,  nous  estions  fondus!...  «Mais 
j)roférer  ceste  impiété  sur  le  grant  chemin  de  Sacché,  c'estoyt 
l'orror  des  cigales,  von  <|u"il  la(lisoyt,non  jtas  à  Dieu,  mais  bi<'n 
à  rarcbevosipu'  de  Tours,  loquol  l'avoyt  duromont  lancé,  menasse 
d'intordict  ot  admonesté  au  Chapilio,  ponr  avoir  dict  en  chaire  à 
gens  laschos  (juo  b  s  moissons  ue  vonoyonl  point  i)ar  la  graacede 
Dieu,  ains  par  bons  labours  et  grant  peine  :  ce  qui  sentoit  le  fagot. 
Kt,  de  faict,il  avoyt  tort,  ponr  oo  (|ue  les  fiiiicts  de  la  terre  ont 
bcsoing  th'  l'un  ot  d(>  l'anllro  ;  mais  il  mourut  dans  cotte  hén-sie, 
car  il  ncvoidnt  iamaisroiiqiicndroipic  moissons  pussent  vonirsans 
la|iiocho,  s'il  plai•^ovl  à  |)iou  ;  doctrine  (pic  les  savans  ont  jironvc'o 
estrc  vravo,  fil  (Iciiioiistnnil  ipii'  ia(hs  je  Idod  cstovi  bien  poulsé 


LE  ninr;  Tr\zvY. 


•nu 


sans  los  hommes...  Point  no  laiiiay  ce  hoan  inodMc  de  yiaslour, 
sans  enclore  icy  l'nng  des  Iraictsdesa  vie.  lecjuel  prouve  avec- 
quos  quelle  faveur  il  imitoyl  les  saincts  dans  le  partai^e  de  leurs 
biens  et  manteaux,  qu'ils  doiinoicnt  iadis  à  paouvres  et  passans. 
Ung  iour,  il  revenoyt  de  Tours  tiici'  sa  rc-vri-ence  à  rotlicial,el 
gaignoyt  Azay,  monté  sur  sa  mule.  Clicmin  faisant,  à  ung  pas  de 
Ballan,  il  renconlie  une  belle  lille  ipii  alloyt  à  pied,  et  feut  marry 
de  veoir  ceslc   l'cnune  voyageant  comme   les  chiens,  d  autant 
qu'elle  estoyt  visihhMiient  fatiguée  et  levoyt  son  arrière-train  a 
contre-cueur.  Alors  il  la  huchia  doulccment,ct  belle  fille  de  soy 
retourner  et  arrester.  Le  bon  prehstre,  qui  s'entendoyt  à  ne  point 
effarouchier  les  fauvettes,  surtout  les  coëffées,  la  requit  si  gente- 
ment  de  se  mettre  en  crou|ie  sur  la  mule,  et  de  si  bonne  manière, 
que  la  gars(^  monta  non  sans  faire  (piehpies  réserves  et  cnigeries, 
comme  elles  en  font  toutes,  quand  on  les  convie  à  mangierou  a 
prendre  ce  qu'elles  veulent.  L'ouaille  ap|>ai'eill('e  avecfpies  le 
pasteur,  la  mule  va  son  train  de  mule;  et  la  garsie  de  glis<crde 
cy,  delà,  vétillantsi  mal,  (pie  le  cuiéluyre- 
monstra,  au  sortir  de  Hallan,  que  ce  seioyt 
mieux  de  se  tenir  àluy;et  aussytost  labelle 
fille  de  croiser  ses  bras  [jotelez  sur  le  pectoral 
de  son  cavalier,  tout  en  n'osant. 

—  La!  ballottez-vous  encores  ?Estes-vous 
l)ien'.'(lit  le  cuié. 

—  Knda!  oui,  ie  suis  bien.  Et  vous? 

—  Moy,  feit  le  jirehstre,  ie  suis  mieulx. 
Et,  de  fiiict,  il  estoyt  à  l'aise,  et  feut  bien- 

lost  gracieusement  rliauff('  dans  le  dos  par 
deux  tangentes  (pii  le 
froissoyent  et  linèrent 
par  vouloir  s'empreindre  ilans  ses  omo- 
plates, ce  qui  eust  esté  donmiaige,  vcuipu^ 
ce  n'estoyt  point  le  lieu  de  ceste bonne  et 
iilanch(!  niaichandise.  Peu  à  peu,  le  mou- 
vement de  la  nulle  mit  en  coniunclion  la 
clialenr  interne  de  ces  deux  bons  cavaliers, 
et  l'eil  nuiuvdir  leur  sanguins  vite,  veti 
(piil  avovl  le  bransle  de  la  mule  avecques 
le  sien;  et,  ])ar  ainsv,  la  bonne  garse  et  le  ciiié  linèrent  par 
COTnoisIre  leurs  pensées,  mais  ikui  celles  delà  mule.  |'ui->,(pi;niil 


202  CONTES  DROLATIOTES. 

iiiig cliasiiin sefi'ul  jiciliiiiah',  \o  voisin  clioz  la  voisine, et  voisine 
au  voisin,  ils  stMilircnl  ung  ronnic-inesnaijie  qui  se  résolut  en 
secrets  dc/irs.  —  lleiii  !  l'cil  le  curé,  (jui  se  retourna  devers  sa 
conipaigne,  vécy  une  belle  radiée  de  bois  (jui  lia  poulsé  bien  cs- 
paissc... 

—  Klle  est  trop  jtrès  de  la  ioute,reprint  la  fdle.  Les  maulvais 
gars  coupeidnt  li's  brandies,  ou  les  vaelies  mangeront  les  ieuncs 
poulses. 

—  Ktn'esles-vous  point  mariée?  demanda  le  curé  reprenant  le 
trot. 

—  Non,  feit-elle. 

—  Pas  du  tout? 

—  Ma  ly!  non. 

—  Et  c'est  iionteux  à  vostre  aage.,. 

—  En  da,  oui,  monsieur;  mais,  voyez-vous, une  paouvre  fdle 
qui  ha  faict  ung  enfant  est  ung  bien  maulvais  bestail. 

Lors,  le  bon  curé,  ayant  pitié  de  cesle  ignorance,  et  saichant 
que  les  canons  disoyent,  entre  aultres  cbouses,  que  les  pasteurs 
debvoyent  endoctriner  leurs  ouailles  et  leur  remonstrer  leurs 
debvoirs  et  charges  en  ceste  vie,  crut  bien  faire  son  office  en 
apprenant  à  cellc-cy  le  faix  que  elle  auroyt  ung  iour  à  porter.  Alors 
il  la  j)iia  doulcement  ([u'elle  ne  feust  point  paresseuse, et  que, 
si  elle  vouloit  se  fier  en  sa  loyauté,  iamais  ne  seroyt  sceu 
de  personne  l'essay  du  chausse-pied  de  mariaige  qu'il  luy  pro- 
posoyt  de  faire  incontinent;  et  comme,  depuis  JJallan,  à  ce 
pensoyt  la  tille,  que  son  envie  avoyt  esté  soigneusement  en- 
treteneue  et  accreue  par  le  chauld  mouvement  de  la  beste,  elle 
rcspondit  (hircmeiit  au  ciin'  :  —  Si  vous  parlez  ainsy,  ie  vais 
descendre. 

Lors  le  bon  curé  continua  ses  doulces  requestes,  si  bien  qu'ils 
atteignirent  les  bois  d'Azay,  et  que  la  fille  voulut  descendre;  et, 
de  faict,  le  jirebstre  la  descendit,  car  il  estoyt  besoing  d'cstre  à 
chevalaiiltremeiit  pour  achever  ce  dcsbat.  Alors  la  veitueuse  fille 
.se  saulva  dedans  le  plus  cspais  du  bois  pour  fuir  le  curé,  criant  : 
—  rih!  meschant,  vous  ne  sçaurez  point  on  ic  suis. 

La  mule  arrivée  en  une  claiiière  où  la  pelouze estoyt  belle,  la 
fille  Iresbuchia  à  l'encontre  d'une  herbe,  et  rougit.  Le  curé  vint  à 
elle  ;  puis  là,  comme  il  avovt  sonm'  la  messe,  il  la  dil;el  tous  deux 
piiiidirnt  mig  gros  à-c(»m|)t('  sui'  les  ioycs  du  paradiz.  Le  bon 
prebstrceul  àcueiir  de  la  bien  iiislniiie,  ettreuvasacalhéduunèno 


LK   CI'IJK    D'AZAY. 


205 


bion  docile,  nussv  doiilcc  (rame  (|iir  de  peau,  vrai  biioii.  Aussy 
feul-il  bien  eoiiliil  d'avoir  si  l'orl  abr('j,ù(' la  leeon  en  la  donnant  si 
près  d'Azay,  vcu  qu'il  scroyt  bien  peu  aise  de  la  rcconinicncer, 
comme  font  tous  les  docteurs,  qui  disent  souvent  la  mesmc  cliousc 
à  leurs  élèves. 

—  Ab  !  niijj;noiHie,  s'esciia  le  bonlionnne,  pounpioy donc(|ues 
as-tu  tant  frelinlVetailbsipie  nous  noussoyons  accordez  seulement 
iouxtc  Azay? 

—  Ab  !  leit-elle,  ic  suis  de  lîallan. 

Pour  le  faire  de  brief,  ic  vous  diray  que,  lorsque  ce  bonhomme 
mourut  en  sa  cure,  il  y  eut  ung  ^rant  nurnltre  de  <,fens,  enfans 
et  aullres.  qui  vindrent  (b'solez,  al'lligez,  |iIoinant,  cliayrins,  et 
tous  dirent  :  i(  Ab  !  nous  avons  perdu  nostre  [tèrc.  »  Et  les  garses, 
les  veufves,  les  mariées,  les  garscttcs  s'entre-rcsguardoycnt,  en  le 
regrettant  mieulx  qu'ung  amy,  et  toutes  disoyent  : — Ce  cstoyt 
i)ien  plus  qu'ung  prebstre,  c'estoyt  nng  bomme  !  De  ces  curés,  la 
grayne  en  est  au  vent,  et  ne  se  pnxbiira  plus,  maulgré  les  se'- 
minaircs. 

Voire  mesmes  les  paouvres,  à  ([ui  son  espargne  feut  laissée, 
trouvèrent  qu'ils  y  perdoient  cncores.  Et  ung  vieulx  estropié  dont 
il  avoyt  soing  beui;loyt  dans  la  court,  criant  :  «  le  ne  niourray 
point,  moy!  «cuydanl  dire  :  «  Pourquoy  la  mort  ne  m"ba-t-el!e 
pasprinsen  saplac(!  !  »  Gecjuifaisoytrire  aulcuns;ce(lont  l'undjre 
du  bon  curé  ne  dent  point  estre  faschée. 


[L  î    ^'-^' 


•M&ië^di 


L'APOSTROPHE 


La  Ijl'IIc  Imandièro  de  l'oililloii-lcz-Tours  dont  iinj,^  nioldro- 
Iulic<iuc  ha  dcsià  esté  coiisigiu'  dans  ce  livre,  ostoyt  une  lillc 
dotée  de  tant  de  malice,  (|ii"('lle  avoyt  volé  celle  de  six  j)rebslres 
ou  de  trois  femmes  au  moins.  Aussy  les  mignons  ne  iny  man- 
quoyent  })oint,  et  tant  en  avoyt,  qu'eussiez  dict, 
en  les  voyant  autour  d'elle,  des  mousclies  voulant 
l'entrer  le  soir  dans  leur  lusclie.  IJiig  vieulxlainclii- 
rier  de  soveiies  ([ui  demeuroil  en  la  lueMonll'uniici- 
et  y  possédoyt  ung  logis  scandaleux  de  jicliessc, 
venant  de  son  clos  de  la  Grenadière,  situé  sur  le 
ioly  cosfeau  de  Sainct-Cyr,  passoytà  cheval  devant 
INirlilloii  |ioiir  gaigner  le  {xint  dt^  Tours.  Lors,  par  la  (  liaiilde 
soirée  ipi'il  raisoyt,il  lent  allumé  |iar  ung  dezir  l'on,  en  vo\aut 
la  ImIIc  huaudièie,  assise;  sur  le  pas  de  sa  i)ort<'.  Ores,  comme 
diiiui^  iiin^lrnips  il  rcsvovldc  k-vAv  iiiyense  lille,  sa  l'ésolulion 


L'AlMlSTUdl'IlK. 


•JOà 


lent  [iriiisf  dCi!  tiiirc  sa  femme;  i-l  bieiitust  île  Ijivaiulièrf  clli- 

devint   taincluiièic,    bonne   hour^ieoysc    de  Toui's,   ayant   des 

dentelles,  du  beau  linge,  des  meubles  à  foison,  et  lent  lieu- 

rcuse,  nonobstant  le  tainctnrier,  veu  ([u'ellc  s'enh.'udit  liez-bi-'O 

à  le  |)cllaiid(i'.  Le  bon  laiiirluiicravoyt  poiii- 

compère  iing  t'abi'icalciirdo  iiircliani(|ii('s  à 

soyeries,  lequel  estoyt  petit  de  taille,  bossu 

pour  toute  sa  vie  et  plein  de  mescbantciie. 

Aussy  leiourdes  nopces,  ildisoyt  antaine- 

turier  :  «  Tu  as  bien  l'aicl  de  te  marier,  mon 

compère,  nous  aurons  une  lolie  l'ennue...  ») 

Puis  mille  gaudrioles  matoises  connue  il  est 

coustunie  d'en  dire  aux  mariez. 

De  l'aict,  ce  dict  bossu  courtoisa  lataincturière,  qui,  de  sa  na- 
ture, aimant  peu  les  gens  mal  bastis,  se  mit  à  rire  desreipiesti'S 
(lu  nurbanieien.  et  le  plaisanta  trez  bien  sur  ses  ressorts,  engins 
et  aultres  bobines  dont  il  avovl  sa  bouticque  trop  pleine,  Kniin, 
cestc  grant  amour  dudict  bossu  ne  se  rebuta  de  rien,  et  devint 
si  fort  poisante  à  la  taincturicre,  (pi'ellc  se  résolut  de  le  guarrir 
par  mille  maulvais  tours.  Ung  soir,  après  de  sempiternelles  |)our- 
suites,  elle  dit  à  son  amoureux  di;  venir  à  la  petite  porte  du  logiz, 
et  que,  vers  minuict,  elle  luy  ouvriroyt  tous  les  pertuys.  Ures 
c'estoyt,  notez,  par  une  belle  nuict  d'hyver  ;  la  rue  Montfumier 
aboutit  à  la  Loire,  et,  dans  ce  pertuys  citadin  s'engounVent, 
mesnies  en  esté,  des  vents  picquans  connue  ung  cent  d'esguilles. 
Le  bonbossu,  bien empapilloté dans  son  manteau,  nefaillit  jtoint 
ii  venir,  et  sepourmeiia  [)our  s(!  tenir  cbauld  en  alleiiclant  l'beure. 
Vers  minuict,  il  estoyt  à  moitié  gelé,  tempestoyt  comme  tiente- 
deux  diidilesprinsdans  une  estole,  et  alloyt  renoncer  à  son  bon- 
heur, (juant  une  foible  lumière  courut  par  les  lentes  des  croisées 
et  descendit  iusqu'à  la  jietite  porte. 

—  Ah  !  c'est  elle  !...  ieit-il. 

Et  cet  espoir  le  rcschauffa.  Lors,  il  se  colla  sur  la  i)o»tc  et 
entendit  une  petite  voix, 

—  Estes-vous  là?  lui  dit  la  taincturière. 

—  Oui  ! 

—  Toussez  ([ue  ie  vove... 
Le  bossu  se  mit  à  tousser, 

—  Ce  n'est  pas  vous. 

Alors  le  bossu  dit  à  haulte  voix, 

18 


206  (,o>ri:s  DHoLMiiji  i:s. 

—  Comniont  !  ce  n'est  pas  inoy  !  Ne  reeognoissez-vous  jxiinl 
ma  voix  ?  Ouvrez  ! 

—  Qui  est  là?  (leiuaiida  le  taiiioturicr  en  levant  sa  eroisée. 

—  Las  !  vous  avez  resveiylé  mon  niaiy,  (juiest  revcini  d'Am- 
boise,  ce  soir,  à  l'iniproviste... 

Là-dessus,  voilà  le  taincturier  qui,  voyant  au  clair  de  la  lune  ung 
homme  à  sa  porte,  lui  gectc  une  bonne  potée  d'eau  froide  et 
crie  :  «  Au  voleur  !  »  en  sorte  que  force  fent  au  bossu  de  s'enfuir  ; 
mais,  dans  sa  paour,  il  saulta  fort  mal  j)ar-(lessus  la  cliaisne  ten- 
due au  bout  de  la  rue,  et  tondia  dans  le  trou  punais,  (jue  lors 
les  eschevins  n'avoyent  point  faict  eneores  remjilacer  ])ar  une 
vanne  à  deschargier  les  boues  en  Loire.  De  ce  bain  pensa  crever 
le  méchanicien,  qui  mauldit  la  l)elle  Tascheretle,  veuque,son 
mary  se  nommant  Tasebereau,  les  gens  de  Tours  avoyent  ainsy 
désigné  sa  gentille  femme,  par  mignonnerie. 

Carandas,  c'estoyt  le  fiicteur  d'engins  à  tisser,  liler.  bubiner  et 
enrouler  les  soyes,  n'cstoyt  point  assez  entreprinspourcioire  à 
l'innocence  de  la  tainctwrière,  et  luy  iura  une  haine  du  diable. 
Mais,  quelques  iours  après,  (piand  il  fcut  remis  de  sa  trenq)ette 
dans  l'esgoutdes  taincturicrs,  il  vint  souper  chez  son  compère. 
Alors,  la  taincturièrc  l'arraisonna  si  bien,  luy  mit  tant  de  miel 
dans  quelques  paroles  et  l'entortilla  de  si  belles  promesses,  (ju'il 
n'eut  plus  de  soupçons.  Il  demanda  une  nouvelle  assignation,  et 
la  belle  Tascherelte,  avec(pies  le  visaige  d'une  fennne  occupée 
de  ces  cbouses-là,  luv  dit  : — Venez  demain  sitir.  Mon  mary  res- 
tera trois  iours  à  Chenonceaux.  La  Uoyne  veult  faire  taindre  de 
vieilles  estoffes  et  délibérera  des  couleurs  avecques  luy  ;  cela  sera 
long... 

Cai'andas  se  chaussa  de  ses  plus  belles  nippes,  ne  feit  point  def- 
fault,  com])arut  à  riicure  dicte,  et  Ireuva  ung  brave  souper  :  la 
lamproye,  le  vin  de  Vouvray,  na|>|ies  bien  blanches,  car  il  nel'al- 
loyt  point  en  remonstrer  à  la  tainctuiicre  sur  le  tainct  îles  buées  ; 
et  tout  estoyt  si  bien  appreslé,  <pi'il  y  avoyt  plaisir  à  veoir  les  [)lats 
d'eslain  bien  nets,  à  sentir  la  bonne  odeur  des  metz,  et  mille 
ifiuissances  sans  nom  à  mirer,  au  mihiii  de  la  (•liaMd)re,  la 
Tascberettc  leste,  jiinqtanle  et  ap|)elissanle  connue  une  pomme 
par  ung  iour  de  grant  chaleur.  Ures,  le  méchanicien,  oullre- 
chauffé  par  ces  ardentes  perspectives,  voulut,  de  prime  sault, 
assaillir  la  lainctinière,  lors(|ue  maistre  Tasebereau  frap|ia  de 
grands  c(juj>s  à  la  poile  de  la  rue. 


L'APOSTROPHE.  207 

—  \h  !  fcit  laPortillono.  qu'csl-il  ailvcna  ?  Mctlcz-vousdans 
le  lialiiil!...  car  i'ay  osli'  vitiiprivc  à  voslro  cnilntict  :  ot,  si 
mon  inarv  vous  troiivoyt,  il  poiinoyt  vous  (IcITairc,  laiil  vinlctit 
il  est  dans  sos  niaulvaisctoz. 

Et  tost  elle  honte  le  bossu  dcilanslr  haliiit,  en  prend  laclef  et 
va  vile  à  son  hon  niary,  (|u'elle  scavoyt  dehvoir  revenir  de  Clie- 
moneeanx  poursouper.  Lors  le  laincturier  leutbaisécliauldenieiit 
sur  les  deux  yeulx,  sur  les  deux  aureilles  ;  et,  luy  de  nicsnies, 
accola  sa  bonne  lennne  par  de  yros  baisers  de  nourrice  qui  ela- 
quoycnt  tant  et  plus,  Puis,  les  deux  espoux  se  mirent  à  table, 
io('(pu'tèrent,  fmèreul  ]>ar  se  eoucbier,  etle  méebanicicn  entendit 
tout,  cnnlraincl  d'eslre  desbout,  de  ne  |)()inl  l'aire  de  tousserie  ni 
mouvemeiil  auleun.  il  estoyt  parmi  des  linges,  serré  connue  une 
sardine  dans  ung  [)oinçon,  et  n'avoyt  de  l'aër  que  comme  les 
barbeaulx  ont  du  soleil  au  fund  de  l'eaue:  mais  il  eut,  pour 
soy  divertir,  les  musicques  de  l'amour,  les  sospirs  du  tainctu- 
rier  et  les  iolis  prou[)os  de  la  Tascberette.  Enfin,  quand  il  ciut 
son  compère  endormy,  le  bossu  l'eit  jnine  de  crocheter  le  bahut. 

—  Qui  est  là  ?  dit  le  taincturier. 

—  Qu'as-tu,  mon  mignon?  rcprint  sa  femme  en  levant  le 
nez  au-dessus  de  la  courte-poincte. 

—  l'entends  gratter  dit  le  bonhomme. 

—  Nous  aurons  de  l'eaue  demain,  c'est  la  chatte,  respondit 
la  l'ennne. 

Le  bon  niary  de  remettre  sa  teste  sur  la  plume,  après  avoir 
esté  papelarde  légierement  par  la  taincturière. 

—  La  !  mon  lils,  vous  avez  le  somme  bien  It'gier.  Ah  !  il  ne  faul- 
droyl  ])oiiil  s'adviser  di' vouloir  laire  de  vous  ungmary  dehaulte 
futaye.  La,  tiens-toy  saige.  Oh  !  oh  !  mon  papa,  ton  bonnet  est  de 
travers.  Allons  !  recoëfl'e-toy,  mon  petit  bouchon,  car  il  i'aut 
estrcbeau,  mcsmcs  en  donnant.  La  !  es-tu  bien? 

—  Oui. 

—  Dors-tu  ?  feit-elle  en  le  baisant. 

—  Oui. 

Au  matin,  la  belle  taincturière  vint,  de  pied  coy,  ouvrir  au 
méchanicien,  (jui  estoyt  plus  pasle  qu'ung  tn'passc-. 

—  Oh!  de  l'aër,  de  l'aër!   l'eil-il. 

Et  ilsesaulva,  guaiiy  de  sonamour.  emportant  autant  dehainc 
en  son  cueur  (ju'uue  pocbf^  peut  contenir  de  bled  noir.  Le  dict 
bossu  laissa  Tours  cl  s'en  alla  dans  la  ville  de  Bruges,  oîi  aulcuns 


2ns  coMES  nnoi.  \Tiori:s. 

iiiorclians  l'avoyoïU  convie'  de  venir  ananj^ier  des  int'clianiques 
à  l'aire  des  liauberiieons.  Pendant  sa  longue  aljsence,  Carandas, 
qui  avoyt  du  sang  maure  dans  les  veines,  vcu  «[u'il  descendoyt 
d'ung  ancien  Sarrasin  (juitté  quasv  mort  dans  le  grant  comlial  qui 
se  donna  entre  les  Moricauds  et  les  Francoys  en  la  commune  de 
IJallan  (dont  est  (|uestioii  an  Conte  précédent  ),  auquel  lieu  sont 
les  landes  dictes  de  Cliarlemaigne,  oij  il  ne  poulserien,  iioui'ce 
({ue  des  niauldicts,  des  mescréans,  y  sont  ensevelis,  et  que  l'Iierhe 
y  damne  mcsmes  les  vasches  ;  doncques,  ce  Carandas  ne  se  levoyt 
ni  ne  se  coucliioyt  en  pays  estrange,  sans  songier  comment  il  don- 
neroyt  pasture  à  ses  dezirs  de  vengeance,  et  il  ivsvoyttousiours 
et  ne  vouloyt  guères  moins  que  le  trespasde  la  bonne  liuaudière 
de  Portillon,  et  souventes  fovs  se  disoyt  :  «  le  mangeroysdes.i 
chair,  Da  !  ie  ferois  cuire  l'ung  de  sestettins  et  le  crocqueroys, 
niesmcs  sans  saulce  !  »  C'estoyt  une  haine  cramoisie,  de  bon  tainct 
une  haine  cardinale,  une  haine  de  gnes|ie  ou  de  vieille  fille  ;  mais 
r/estoyent  tontes  les  haines  cogneues.  Tondues  en  une  seule  haine 
laquellerebouilloyt,  se  concoctionnovt  et  se  résolvoyt  en  ungélixir 
deliel,  desentimensmaulvais  et  diabolic(jues,  chaufie  au  l'eu  des 
pi  us  flambans  tisons  de  renfer;enfm, c'estoyt  une  maistresse  haine. 
Ures,  nngbeau  iour,  ledict  Carandas  revint  en  Tou'raine  avec- 
(jues  force  deniers  (piil  rapjxirla  des  pavs  de  Flandres,  où  il  avoit 
IralTicqué  de  ses  secrets  méchaniipies.  Il  achepta  un  beau  logiz 
dans  la  rue  Montl'umier,  lequel  se  veoit  encores  et  faict  l'eston- 
nementdes  passans,  pour  ce  que  il  ha  des  rondes-bosses  bien  plai- 
santes |)ralic(piées  sur  les  pierres  des  murs.  Carandas  le  haineux 
treuva  de  bien  notables  changemens  chez  son  conqjère  le  tainclu- 
rier,  veu  que  le  bonhoimne  avoyt  deux  iolisenl'ans,  les(juels,  par 
cas  fortuit,  ne  présentoyent  aulcune  ressemblance  ni  aveccpies 
la  mère,  ni  avecques  le  père  ;  mais  comme  besoing  est  que  les 
enl'ans  ayent  une  ressend)lance  (|uelcon(pie,  il  y  en  ha  de  rusés 
(pii  vont  chercher  les  traicts  de  Icins  ayeulx,  quand  ils  sont 
1m;iiix,  les  petits  flatteurs!  Donc(jues,  en  revanche,  il  estoyt 
Ik  uv('  par  le  bon  mary  que  ses  deux  gars  ressembloyent  à  ung 
sien  oncle,  iadis  prebstrc  à  Nostre-Dame  de  rEsgrignolles  ;  mais 
pour  aidcuiis  diseurs  de  gogues,  ces  deux  marmots  estoyent  les 
pou  ri  raid  ures  vivantes  d'un  gentil  tonsuré,  desservant  de  Nosti'C- 
|)anie  la  |{iche,C('lèbre  paroësse  silu('e  entre  Tours  et  lelMessis. 
Dres,  cro\ez  une  chouse,  et  iiicubpiez-la  dans  voli'e  esperit  ;  et 
ipi;Miil,  m  cri  lu  v  livre,  vous  ii';ui  riez  lir(  Mille-,  tiri'à  vous,  exiraici. 


i/APosTrtni'iii;. 


200 


pro- 


puisé que  ce  principe  de  toutn  vi'ritc-,  rosguanloz-vous  cninnic 
Wion  hvxuvnx  :  à  scavoir,  (pu;  jamais  \u\<r 
lioiniiio  lie  pciufia  so  jjasscr  d'nw^  nez,  id 
est, ([HO  loiisioiiis  riioiiimo  scia  morveux, 
c'cst-à-diic  qu'il  démoulera  liommo,  ot,  par 
.linsy,  continuera  dans  tous  les  siècles  futurs 
à  rire  et  boire,  à  setreuver  en  sa  eliemise 
sans  y  estie  meilleur,  ni  pire,  et  aura  mes- 
mcsoocupatioiis  :  mais  ces  idées  préparatoi- 
res sont  pour  vous  mieulx  liclier  eu  rcntcn- 
dement  que  ceste  ame  à  deux  j)attes  croira 
tousiours  pour  vraies  les  cliouses  qui  clia- 
touillent  ses  passions,  caressent  ses  haines 
et  servent  ses  amours  :  de  là,  la  lojiiipie!  Par  ainsy,    du 
mier  iour  que  le  dessus  dict  Carandas  voit  les  enfans  de  son 
compère,  veit  le  gentil  prebstre,  veit  la  belle  taincturière,  veit 
le  Tasclieri^au,  tous  assis  à  table,  et  veit,  à  son    détriment,   le 
meilleur  Iranson  de  la  lam|)ro\edonnéd'ung  certain  air  par  la  Tas- 
cbcrelleà  son  am\  |irclisti(',lemécliaiiiciensedit  :  — Mon  compère 
est  cocqu,saremme  couche  avecques  le  petit  confesseur,  leseiil'ans 
ont  esté  faicts  avecques  son  eauebenoiste,  et  ie  leur  demonstreray 
que  les  bossus  ont  quelque  chouse  de  plus  que  les  aultres  hommes. 
Et  cela  estoyt  vray,  comme  il  est  vray  (jue  Tours  ha  est»'  et 
sera  tousiours  les  piedsdedaiis  la  Ldire,  comme  une  iolie  lille  ipii 
se  baigne  et  ioueavoccpies  l'eaue,  faisant  llicqilacij  en  fouettant 
les  ondes  avecques  ses  mains  blanches  :  car  ceste  ville  est  rieuse, 
rigolleuse,  amoureuse,  fresche,  fleurie,  perfumée,  mieulx  que 
toutes  les  aultres  villes  du  monde,  ([ui  ne  sont  pas  tant  seulement 
dignes  de  luypaigner  ses  cheveux,  ni  de  luv  nouer  saceincture.  Kt 
comptez,  si  vous  y  allez,  que  vous  luy  Ireiiverez  au  milieu  d'elle. 
une  iolic  raye,  qui  est  une  rue  délicieuse  où  le  monde  se  pour- 
mène,  on  tousiours  il  y  ha  du  vent,  de  l'umbre  et  du  soleil,  de 
la  |duve  et  de  l'amour,  lia  !  ha  !  riez  doncques,  allez-y  doiicques  ! 
('/est  une  rue  tousiours  neufve,  tousiouis  royale,  tousiours  impé- 
riale, une  rue  patrioticcpie,  une  rue  à  deux  frottoirs,  une  rue 
ouverte  des  deux  bouts,  bien  percée,  une  rue  si  large  que  iamais 
nul  n'y  ha  crié  :  (lare  !  une  rue  tpii  ne  s'use  pas,   une  rue  qui 
mène  à  l'abbaye  de  Grant-Mont  et  à  une  tranchée  qui  s'emmanche 
Irez  bien  avecipies  le  j)ont,  et  au  bout  di'  laqui-lle  est  ung  beau 
champ  de  foire  ;  une  ru<;  bien  pavée,  bien  bastie,    bien  lavée, 

18. 


tl  ciiiiiiilcz  ,  .«.j  vous  y  allez,  (|ui:  vous  lui  liouvcrez ,  au  iniliiii  clfllc,  une 
iolie  raye,  qui  est  une  nio  (li'lioieuse  où  loul  le  monde  se  iiominéiie,  où 
loMsiiMir-,  il  y  lia  ,lu  vrnl,  (U-  riiiiiliro  cl  du  suit-il,  de  l.i  plin.'  et  de 
l'ainnur. 


L'APOSTHOI'IIK.  2H 

proj)ro  cnmnKMinpmironor,  |io|)iil('US(',  silonriouso  nsos  liouros, 
ro(.'(iu('llo,  bien  coclïre  do  miict  j);ir  ses  iolis  loicls  bleus  ;  briof, 
c'est  une  rue  où  ie  suis  ne,  c'est  la  royno  des  rues,  tousiours 
entre  lalene  elleciel,  une  rue  à  lonlaine,  une  rueà  la(|uelle  licn 
ne  nian(|U('  pour  eslrecéiébrc'c  parmi  les  rues  !  Et,  de  laid,  c'est 
la  vraie  rue,  la  seule  rue  de  Tours.  S'il  y  en  lia  d'aulties,  elles 
sont  noires,  tortueuses,  eslroidcs.  buui'ides,  et  viennent  toutes 
respectueuses  saluer  ccstc  noble  nie,  (jui  les  coniniaiide.  Oii  en 
suis-je  ?  car  une  foys  dans  ceste  lue,  nul  n'en  veult  yssii\  tant 
plaisanteelleest.  Mais  iedebvoys cette  bouunai^edlial,  bynuKMles- 
criptive  venue  du  cueur,  à  ma  rue  natale,  aux  coins  de  hupielle 
manrpient  seulement  les  braves  figures  de  mon  bon  maistie  Ha- 
belaiset  du  sieurDescartes,  incogneus  aux  naturels  du  pays.  Donc- 
ques,  le  dessus  dict  Carandas  feut  à  son  retour  de  Flandies, 
festoyé  par  son  compère  et  par  tous  ceux  dont  il  estoyt  aymi'  |)our 
.ses  gognes,  drôleries  et  facétieuses  paroles.  Le  bon  bossu  parut 
descbargié  de  son  ancien  amour,  feil  des  amitiés  à  la  Tascbcrelle, 
au  ])rebstre,  embrassa  lesenfans;  et,  quand  il  feut  seul  avccques 
la  tainclurière,  luv  ramenteva  la  nuict  du  babut,  la  nuict  de  I  es- 
goutenluvdisant  :  —  Hein  !  comme  vous  vousestesgausséedemoy  ! 

—  ('ela,  vous  estoyt  deu,  respondit-ell(MMi  l'iant.  Si  vous  vous 
estiez  laissé,  par  grant  amour,  turlupiner,  truplier,  goguenardcr , 
encorcs  ung  transon  de  temps,  vous  m'auriez  peut-estrc  l'au- 
frelucbée  comme  tous  les  aultres  !... 

Là-dessus,  Carandas  se  print  à  lireen  enraigeant.  Puis,  voyant 
ledict  babut  ofi  il  avoyt  l'ailly  crever,  sa  cliolère  devint  d'autant 
plus  cbaulde,  pom-  ce  ([ue  la  lielle  taincturière  s'estoyt^  encores 
embellie  comme  toutes  celles  qui  s'cnraieunissent  en  soy  trem- 
pant dans  les  caues  de  louvence,  lesquelles  ne  sont  aultres  que 
les  sources  d'amour.  Le  mécbanicien  estudia  l'alleure  du  coc- 
quaige  cbez  son  conq)ère,  alin  de  soy  venger  :  car  autant  sont 
de  logiz,  autant  sont  de  variantes  en  ce  genre  ;  et,  quoicpie  tous 
les  amours  se  ressend)leiit  de  la  iiicsme  manièreciucles  bommes 
ressemblent  tous  les  uns  aux  aultres,  il  est  prouvé  aux  abstrac- 
teurs  de  cliouses  vraies  (pu',  poui'  le  bonbeur  des  femmes,  cluKpie 
amour  lia  sa  j)bvsionomie  espi'ciale,  et  ipie,  si  rien  ne  resseudile 
tant  à  ung  bonune  (|u'ung  lionmie,  il  n'y  a  au>^sy  rien  ipii  diffère 
plus  (l'ung  homme  qu'ungbomme.  Voilà  (jui  confond  tout,  ou  (pii 
(•\|)li{pi('  les  mille  ])bantaisies  des  l'einines,  les(pielles  querrent 
le  iiicillcur  des  lioiumes  avi'ci|ii('-^  iiiillc  iniiirs  et  mille  [ilaisirs. 


'21-2  CONTES  liliOLATlOlKS 

|iliis  (lo  l'uni;  (|ii('  (1(^  rniillic.  Mais  (•(nnmciit  los  vitnpéror  do. 
IcMirs  ossavs.clianiicmi'ns  el  visées  roiilia(licl()ir('s?Ouov  !  la  Na- 
ture lirtillo  tousidurs,  vire,  tourne,  et  vous  voulez  ([u'uue  feinnie 
reste  en  place  !  Sçavez-vous  si  la  glace  est  vraienienl  i'roide  7N'on. 
Eh  bien,  vous  ne  scavez  pas  non  plus  si  le  cocquaige  n'est  pas 
ung  bon  hazanl,  producteur  de  cervelles  bien  guarnies  et  niieulx 
faictes  que  toutes  aullres.  Cliercbez  douc(pu's  niieul  v  (|ue  des  ven- 
tositez  sous  le  ciel.  Cecy  fera  bien  ronfler  la  réputation  philoso- 
])liie(pie  de  co  livre  concentrilîcijue.  Oui,  oui,  allez  ;  celuyqui 
(lie  :  Vécy  la  mort  aux  rats!  est  plus  avancé  que  ceulx  occu- 
pez à  trousser  la  Nature,  veu  ipie  c'est  une  (ière  pute,  bien  capri- 
cieuse et  qui  ne  se  laisse  veoircpi'à  ses  heures.  Kii  tendez-vous?  Aussy 
dans  toutes  les  langues,  elle  apjiarlient  au  genre  ri'Uiinin,  connue 
chouse  essentiellenienl  mobile,  féconde  et  l'ertih^  en  pipperies, 
Aussy,bientost  recogneul  Carandas  que,  parmi  les  cocquaiges, 
le  mieulx  entendu,  le  plus  discret,  estoyt  le  cocquaige  ecclésias- 
tic(pu'.  De  l'a ict,  vécy  conune  la  bonne  taincturière  avovt  estably 
ses  traisnées.  Elle  se  despartoyt  tousiours  devers  sa  closerie  de  la 
rirenadière-lez-Saint-Cyr  la  veille  du  dimanche,  laissant  son  bon 
luai-y  paracheverses  travaulx,  compter,  V('ri(ier.  ]iaver  les  labeuis 
d'ouvriers  ;  puis,  Taschereau  venoit  la  rejoindre  lendemain  ma- 
tin, et  trouvoyt  ung  bon  desieuner,  sa  bonne  l'enmu'  gave,  et 
lousioui-s  amenoyt  le  i)rebstre  avec  luy.  De  l'aict,  le  danmé 
j)rebslre  li'aversoyt  la  Loire  rn  ung  bateau  la  veille,  pour  aller 
tenir  chauld  à  la  taincturière  et  lin  calmer  ses  pliantaisies,  allin 
qu'elle  dormist  bien  pendant  lanuict.  oiivraige  au(picl  s'enten- 
dent bien  les  ieunes  gars.  Puis,  le  beau  bridenr  de  jihantaisies 
revenoyt  au  matin  en  son  logiz,  à  l'heure  oîi  le  Taschereau  ad- 
venoyl  le  ifupierir  de  se  divertir  à  la  drenadièi-e,  et  tousiours  le 
cociju  trouvoyt  le  j)r(>l)stre  en  son  lict.  Ee  batelier  bien  pavi',  nul 
ne  sçavoyt  ceste  alleure,  veu  que  ramant  ne  voxageovl  la  \  ci  Ile 
que  de  nuict,  et  ledimanclu!  de  graiil  matin.  Loisque  Caïaiidas 
eut  bien  vi'rilii'  l'accord  et  constante  praticipie  de  ces(lis|)ositioiis 
gua  Mail  tes,  il  attendit  ung  ioiir  où  les  deux  amans  se  reioiiidroxeiit 
bien  alTaiiiez  l'iiiig  de  l'aiillre,  a|)rès  ipielipie  caresme  t'oit iiil. 
Celle  reliront  re  eut  lieu  bicntost .  et  le  eu  lieux  bossu  \cil  le  iiia- 
iir-r  du  biiteiier  attendant  au  b;is  de  la  giv\e,  proiiehe  le  caii.il 
S;iiii<tr-\iiiie.  le  susdiet  piebslre,  leipud  estovt  un  ieiiiie  blond, 
bien  ^le^Ie,  ;;eiitil  de  l'oi-mes,  comme  le  giiallant  et  couard  Ik'I'os 
d'anioiir  tant  (•('■h'bn'  par  messire  Ariosle.  Alors  le  méchauicien 


i.'M'osTiioi'iir;.  '-'I". 

vint  Irouvoi'Ic  viciilx  l;iiiicliiii('i',{|iii  loiisiours  aymoyt  sa  l'ciiiiiii; 
cl  se  cmvovt  s(Mi1  à  iiictlic  le  doi^t  dans  son  ioli  Ix'noislicr. 
«  Hc  !  bonsoir  mon  compère  !  »  leit  Carandas  à  Taschercaii.  Kt 
Tascheroau  d'oster  son  lionnot. 

Puis,  vécy  lo  méchanicien  qui  raeonte  les  sccrettes  festes  de 
l'amour,  dcsba^oiiie  des  paioh's  de  toutes  sortes  et  pic([ue  de 
tous  coslez  le  taiiielurier. 

Enfin,  le  voyant  [nvsl  à  liier  sa  femme  et  le  prel)stre,  Carandas 
luy  dict  : —  Mon  bon  voisin  i'ay  ra|)|)orté  de  Flandre  uneespée 
empoisonnée,  laqueHc  occit  net  (juiconque,  pourveu  ([u'elle  luy 
lasse  une  esyiatigneure  ;  ores,  dès  que  vous  en  aurez  tant  seu- 
lement touebi('  voslre  gouye  et  son  concubin,  ils  mourront. 

—  Allons  la  (juerir,  s'escria  le  taincturicr... 

Puis,  les  deux  merchans  d'aller  grant  erre  au  logiz  du  bossu, 
de  pi'cndre  l'espiv  et  de  courir  en  campaigne. 

—  Mais  les  trtuverons-nous  conciliez  ?  disoyt   Tascbereau. 

—  Vous  attendiez,  leit  le  bossu  se  gaussant  de  son  compère. 
De  faict,  le  cocqu  n'eut  pas  la  griel've  poine  d'attendre  la  ioye 

des  deux  amans.  La  iolie  taincturière  et  son  bien  aymé  estoyenl 
occupez  à  prendre,  dans  ce  ioly  lac(|s  (jue  vous  sçavez,  cc^t 
oyseau  mignon  qui  tousioui's  s'en  esebappe  :  et  rioyent,  et  tou- 
siours  essayoyent,  et  tousioui's  rioyent. 

—  Ah!  mon  mignon,  disoyt  la  Tascberette  en  restreignant 
comme  pour  se  l'engraver  dessus  l'estomach,  ie  t'ayme  tant, 
que  ic  vouldroys  te  crocqucr!...  Non,  encore  mieulx,  t'avoir  en 
ma  peau,  pour  cpie  tu  ne  me  quittasses  iamais. 

—  le  le  veulx  bien,  respondovt  le  prebslre  ;  mais  je  ne  puis 
y  estrc  tout  entier,  il  faut  se  contenter  de  m'avoir  en  destail. 

Ce  feuten  ce  doulx  moment  que  le  mary  entra,  resjjée  haulte 
et  nue.  La  belle  taincturière,  à  qui  le  visaigedeson  homme  es- 
toyt  bien  cogneu,  veit  (pu^  c'en  estoU  faict  de  sou  bien  ayuu'  le 
prel)str(\  Mais,  tout  à  coup,  elle  s'élança  vers  le  bourgeoys,  demy- 
nue,  les  cbeveulx  espars,  belle  de  boule,  i)lns  belle  d'amour,  et 
luy  dit  :  —  Arrête,  malheureux,  tu  vas  tuer  le  père  de  les  cnfans! 

Sur  ce,  le  bon  taincturier,  tout  esblouy  par  la  maiesté  pater- 
nelb^  du  (]oc(piaigeet  pent-estre  aussy  par  la  llainme  des  yeulx 
de  sa  l'eunue,  laissa  toud)er  l'espée  sur  le  pied  du  bossu,  (jui 
le  suivoyl,  et,  [)ar  ainsy,  le  tua. 

Cccy  nous  appreiul  à  n'estre  point  liaineux. 


Cy  fine  lo  proniicr  dixain  do  cos  Conlos,  miosvrc  oschaiilillon 
des  œuvres  de  la  Muse  diolalicque  iadis  née  en  nos])ays  de  Tou- 
raine,  laquelle  est  bonne  fille  et  seayt  ])ar  eueui'ee  beau  dicton 
de  son  aniy  VervllK',  esciipt  dans  i.v.  moyen  de  parvenir  :  //  ne 
faut  qu'eslre  effronté  pour  obtenir  des  faveurs.  Las!  Inllc  mi- 
fj^nonne,  recouelie-loy,  dors,  lu  es  essoul'IU'e  de  la  course  ;  peut- 
cslrc  as-tu  este  plus  loin-;  (j4ie  le  préscul.  l)onc(pu's,  essuyé  les 
iolis  pieds  nus,  bonsclie-tov  les  auredics  cl  reloinne  à  lanionr. 
Si  tu  iTsves  d'aultres[)oésies  tissues  de  rires,  pour  en  paiMcli(>ver 
les  coniicques  inventions,  lu  ne  doilis  (^scouler  les  solles  cla- 
meures  et  iuiures  de  ceulx  ipii,  enleiidani  cliauler  uii^  iitveuk 
pinson  gauluys,  diront  :  Ah  !  le  vilain  oyseau  ! 


IIA    ESTt;    IMl'UlMli    l'DLi;    LA    l'IUMli    l'OYS    PAU    l'.VlilJAT,    liLL    liU    {JL:AD1;A.\ 
(;l  atlicié  on  j;invi;M- 

M    D  C  C  C    \  \  X  I  1  l 


xiATii:iins  nu  sucoMt   inwix 


Piolo{fiic. 

Les  Imis  Clercs  de  s.iiiicl  Nidiolus. 

Le  leusnc  de  Frunç;oys  Premier. 

!.es  lions  Proupos  des  religieuses  de  Poissy. 

r.ommciil  lent  kisti  le  chustcau  d'Azay. 

I.a  laulso  Coiniizane. 

Le  Dangicr  d'eslrc  tro))  iof<iiicbiu. 

La  iliirre  Niiiclée  d'amour. 

Le  l'rosiie  du  joyeulx  euré  de  Meudon. 

Le  Suecidjc. 

Désespérance  d'amour. 

Epilogue. 


Aiikiiiis  oui  il  rAiillu'iir  lojnoiiclié  de  lu;  pas  plus  sravoir 
le  lan<j;iiai<i(Mhivienlx  ItMiipscpiolcs  lièvres  ne  se  coj>noisseiit 
à  lairc  des  l'a^dls.  ladis  ces  jl;('iis  eussent  esl(''  nouuuc  /.,  à  Ixm 
escient,  caiiiiihales,  agelastes,  s\T()[)liaiites,  voii'e  niesnies 
iinypeu  yssus  de  la  bonne  ville  de  Gouu)rilie.  Mais  rAutheur 
consent  à  leur  espargner  ces  iolies  fleurs  de  la  eiiticfiue 
ancienne;  il  se  raltal  à  ne  point  souhliaiteresire  en  Iciu'  peau, 
veu  (jue  il  auroyl  honte  et  uiesestiuie  de  luy-iuesiue,  et  se 
cuydei'oyt  le  darivnier  des  cacogi'aplies  de  caluuinier  ainsy 
ung  panuvre  livre  (pii  n'est  dedans  la  voye  d'aulcun  guaste- 
[)apiei'  de  cclliis  temps,  lli' !  niaid\aises  gens,  vous  gectez 
par  les  l'enestres  une  pretieuse  l)ile  dont  l'eriez  uieilleur  eui- 
ploy  entre  vous!  l/Autlieur  s'est  eonsid»'  de  ne  point  plaire 
à  tous  en  songiaiil  (pie  ung  \ieid\  Toiuangeau.  d'éternc 
uiénioiic    eut  Irllc-  nintuoM'Iio  de  gars  de  uiisiue  eslorie, 

ly 


5lS  lMiOL(KiLi:. 

quo  elles  avoyent  lassé  sa  patience,  et  s'sstoyt,  dit-il  en  iing 
de  :ic»\n'o\ognc^,(h'ribcrchle  ne  phiscscribreinig  iola. \u\lvc 
aage,  niesnies  mœurs.  Rien  ne  chet  en  inétanioipliose,  ni 
Dieu,  là-liault,  ni  les  lioninies,  icy-bas.  l)one(iues  l'Autlieui' 
s'est  afl'eriny  sur  sa  besclic  en  riant  et  se  repousant,  sur 
/'advenir,  du  loyer  de  ses  griefves  peines.  Et  certes  est-ce 
bien  ung  grief  labeur  que  d'excogiter  cent  contes  drola- 
TiCQUES,  veu  (pie,  ajnès  avoir  essuyé  le  i'eu  des  rulïians 
et  envieux,  celluy  des  amys  ne  luy  ba  point  l'aict  defiault, 
lesquels  sont  venus  à  la  niale  lieure,  disant  :  «  Estes-vous 
fol?  y  songicz-vous?iainais  liomuieba-t-ileu  dedans  la  bou- 
gette  de  son  imagination  une  centaine  de  contes  pareils? 
Quittez  riiy|Hnl)olicque  esti([uette  de  vos  sacs,  bon  bonmie! 
Au  bout  point  n'iriez!  »  Ceux-là  ne  sont  point  des  misan- 
thropes, ni  des  cannibales;  pour  ruffians,  ic  ne  sçays  ;  mais 
sont,  j)our  le  seiir,  de  bien  bons  amys,  de  ceulx  qui  ont  le 
couraige  devons  d('sl)agouler  mille  duretez  tout  le  long  de  la 
vie,  sont  aspres  et  reclies  comme  estrilles,  soubz  prétexte 
que  ils  se  donnent  à  vous  de  foye,  de  bourse  ou  de  pieds,  en 
les  énormes  mcschicfs  de  la  susdictc  vie,  et  descouvrent  tout 
leur  prix  en  rbeurc  de  l'extresme  onction.  Encore  si  tels 
gens  s'en  tenoyent  à  ces  tristes  gentillesses  ;  mais  point. 
Quand  sont  démenties  leurs  terreurs,  ils  disent  triumpbale- 
nient  :  «  Ha  !  ba  !  le  le  sçavoys  !  Bienl'avoys-je  propbéfisé.  » 
A  cestefinde  ne  j)oint  descouraiger  lesbeaulx  sentimens, 
encore  que  ils  soyent  intolérables,  l'Aullieiir  lègue  à  ces 
amys  ses  vieilles  j)anto[)bles  feneslrécs,  et  leur  baille  aseeu- 
rance,  }»our  les  reconforter,  (pie  il  lui,  en  toute  propriété 
inobilic'rc,  exempte  de  saisies  de  iuslicc.  dedans  le  réservoir 
dénature,  ez  rej)lis  du  cerveau,  scplanic  iolis  Contes.  Vray 
Dieu!  de  beaulx  fils  d'enlendemcnl.  bien  ni()|i(7,  de  phrases, 
soigneusement  l'ouriiis  de  pc'ripélies,  anqdement  vestiis  de 


l'HOLOCIi:.  210 

cninic((n(!  ton!  noiif,  icvr  sur  la  j)i('CO  diiirno,  noctnriio,  ot 
s:ms  (IcITault  (le  Uam(',(jiio  tisse  lo  «^'ciirchuiiiaiiicn  cIkkjuo 
iiiimifc,  fha((ne  liciirc,  rhar|uo  soiiiaiiic,  mois  ot  an  (\n  forant 
Compiit  occl(''siasli('(ni('  (•(»iiiiii{'ii((''  en  iiii^  Iciiips  où  le  soleil 
n'y  voyoyt  f^onftc  «'ton  la  lunoattcndoyt  (|u'()n  lui  nionstiasl 
sonohouiin.  Ces  soptantosuhiects,  qu'il  vousoctroyoliocnco 
(raj)p('l('r(l{Miiaulvaissul)io('ts,  pleins  (le  {)ipporics,cffmntc'z, 
paillards,  pillards,  raillards,  iouenrs,  rihleurs,  estantioincts 
aux  deux  Dixains  j)i'ésenteuient  escloz,  sont,  ventre  Mahoni  ! 
un  lé^ior  à-compte  sur  la  dessusdicte  eentaine.  Et  n'cstoyt 
la  maie  heure  des  bibliopoles,  l)il)lioj)hiles,  hiiiliomanes, 
hibliographes  et  hibliothecques,  qui  arreste  la  bibliophagie, 
il  les  eust  donnez  d'une  razade,  etnon^outte;if;()utte,  coiume 
s'il  estoyt  al'llif^é  d'une  dysurie  de  eervelle.  Ceste  infirmité 
n'est,  per  Brafiueltnm,  nullement  à  redoubler  en  luy,Yeu 
(pie  souvent  il  laiet  bon  j)oids,  boutant  |)lus  d'ung  conte  en 
un\f  seul  connue  il  est  aj)ertementdémonstré|)ar  |)lusieurs 
de  ccDixain.  domptez  mesmes  que  il  ha  eslcu,  ])our  finor,  les 
meill(>urs  et  plus  ribauds  d'entre  eulx,  à  cestelin  de  n'estre 
point  ac(us(''  d'ung  scnile  décours.  Doncquos,  meslez  plus 
d'amitiez  en  vos  haines,  et  moins  de  haines  en  vosamltiez. 
Ores,  mettant  en  oubly  l'avaricieusc  rareté  de  la  Nature  à 
l'endroict  des  conteurs.  les([uels  ne  sont  pas  plus  de  sept 
paiTails  en  J'ociMn  des  cscripliu'cs  lumiaincs;  d'aullres, 
tituioui's  amys,onl  estéd'adviscjue,  en  ung  teuqis  où  chas- 
cun  va  vestu  de  noir,  connue  en  deuil  de  quehpie  chouse, 
besoing  estoyt  de  concoctionner  des  ouvra iges  enmiyeuse- 
uu^nt  graves  ou  gravement  eniuiyeux  :  (pie  ungscriptolastre 
ne  pouvoytvivr(ulésormais  (ju'en  logiant  son  csperit  en  do 
grans  édifices,  et  que  ceux  (pii  ne  sçavoyent  point  rebastir 
les  cathédralesct  chasteaulx,  dontaidcunc  ])ierre  ni  ciment 
ne  bouge,  mourroyeiit  incogneuscomme  les  uudes  do^  papes. 


'2-jo  pr.oLor.iK. 

Ces  ainys  fcuront  requis  do  dôclniror  ce  que  niieulx  ils 
nyinoient,  ou  d'une  pinte  de  boji  vin  ou  d'uni,^  fouldre  de 
cei'voise  ;  d'un«i  dianinnt  de  vingt-deux  carats  ou  d'un  caillou 
décent  livres  :  de  l'anneau  (ri[ansCarvelcont('' j)ar  iJaltelais 
ou  d'un  escript  moderne  piteusement  e\j)ecloré  par  un 
escliolier.  Ceux-là  demourant  quinaulds  et  pantois,  il  leur 
fcut  dict  sans  cbolère  :  «  Avez-vous  entendu,  honnes  gens? 
Ores  dcnctpies  retournez  à  vos  vignes  !  » 

Mais  Ijesoing  est  d'adiouxter  cecy  ])our  tous  aultres  :  —  Le 
bon  lionune  auquel  nous  dehvons  des  lahles  et  contes  de  sem- 
piternelle autliorilé  n'y  ha  mis  que  son  outil,  ayant  ndthé  la 
matière  à  aullry:  mais  la  main-d'œuvre  desp(>ns(''e  en  ces 
petites  figures  les  lia  revestues  d'une  liault(^  valem-;  et  encoi-es 
qu'il  l'eust,  connue  messei'LoysAriosto,  vitupéréde  songier 
à  miesvreries  et  vétilles,  il  y  lia  tel  insecte,  engravé  par  luy, 
tourné  depuis  en  momnnent  de  [jeiTunilé  plus  assenn'e  que 
n'est  celle  desouvraigeslesmieulxniassonnés.Knres|»éeiale 
iurisprudence  du  (iay-Scavoir,  la  constume  est  d'existimer 
j)lus  elîierementurig  feuillet  extor(pié  au  gézierdela  Nature 
et  de  la  \»''ri(('' (pie  Ions  les  lièdes  volumes  doiil.  laiil  lieaulx 
soyeiit-ils,  ne  seauriez  extraire  ny  img  lire  ny  nng  |)leur. 
L'Aullieurlia  liceneede  dire  cecy  sans  aulcune  incongruité, 
veu  (pie  il  n'iia  point  inleiilion  desediesser  en  pieds,  à  ceste 
lin  d'olilenir  mie  taille  snpernalmclle,  mais  pour  ce  (jii'il 
s'en  va  de  la  maiesl(''  de  l'art  et  non  d(Hiiy-iiiesme,  paonvre 
gi-ellierdont  le  UK-rite  est  d'avoirde  l'encre  en  son  galimart, 
d'escouter Messieurs  de  la  Coiiil  cl  ealligia|ilier les  dires  de 
iiiig  cliascun  en  ce  \eilial.  Il  \  esl  |)oiir  la  main-d'd'iivre,  la 
ISaliire  |)om'  le  demoiiraiil,  veu  (|ue.  depuis  la  Vénus  du 
seigneur  l'iiidias  Allu-iiiaii  iiis(pies  au  petit  bon  liomme 
(îodenot.  nonniK'  le  sieur  lireNxpie,  curieusement  (dahon'' 
par  un  (le>    plus  (■('•lelires   aiillieiiis   de   ce   leiiips.  tout  est 


l'iioi.fM.ri:.  )ii\ 

ostiulii'  sur  le  iimiilf  ('tcnicl  (\v>  iiiiil;iti(iiis  Imiiiaiiics,  ijiii  à 
l(Mis;i|)|);irliiNil.  I'!ii(('l  iKUiiicsIciiicslicr,  liciii'ciix  les  Vdlciirs: 


?^^f*?f5*i«ii[»fc:?si,,.j 


ils  ne  soiil  |,oiiit  poiiûiis,  aiiisosliiiicz  et  ciici-is  !  Ahiiscsl  iiiii^ 
li'iple  sot,  voire  sol  dix  eors  en  la  teste,  cil  qui  se  (niaire, 
iacte  et  pavane  d'un^  advantai^e  deu  au  liazu'd  des  eoiu- 
|tl('\i(tns.  |)our  ce  (\\\v  la  gloire  est  seulcuicnl  eu  la  culiure 
des  l'acullez  et  aussy  dans  la  patienee  et  le  eouraii^c. 

(Juant  aux  |)elit(>s  voix  llustt'es  etaux  becs  g(>ntils  de  celles 
(|ui  sont  venues  niiunoniKMUciit  en  laureille  de  lAulheur, 
s'y  plaignant  d'avoir  «^rapliinc'  leurs  clievcidxel  guasté  leurs 
iupes  en  certains  endi'oicts,  il  leur  dira  :  «  l'oui(pioy  y  esles- 
vous allées?  »  A  eescliouses  il  estcontiainel,  par  les  insij;nes 
maulvaisete/  d'aulciuis.  d'adiouxterungadvertisseinenl  aux 
gens  hénignes,  à  eesie  lin  (pi'ils  en  usent  pour  idore  les 
caluuuiies  des  dessusdicts  eaeographcs  en  son  emlroict. 

(les  Contes  (lrolaticqu(>s  sont  escri|)ts,  suyvant  t(mte  au- 

tliorilé,  durant  le  temps  où  la  rovne(!atlii'rine,de  la  maison 

19. 


22^2  PROLOGUE. 

des  Médicis,  fcut  on  pieds,  hoii  tiaiisou  do  rogne,  veu  qu'elle 
se  iiiosla  touiours  des  affaires  publicqiios  à  l'advantaige  de 
nostro  sainote  rolii(ion.  Lequel  temps  ha  piins  beaucoup  de 
gens  à  la  gorge,  depuis  nostre  delTunct  luaislre  Franroys 
premier  du  nom,  ius(juo  aux  Estais  de  Blois,  oîicheutmon- 
sicur  de  Guyse.  Ores  les  esclioliers  qui  iouent  à  la  fossette 
sçavenlque,  en  eeste  période  do  prinses  d'armes,  pacifica- 
tions et  troubles,  le  languaige  de  France  ieutung  peu  trouble 
aussy,  veu  les  inventions  de  ung  chascun  poète  qui,  en  cettuy 
temps,  souloyt  faire,  comme  en  celuy-cy,  ung  françoys  pour 
lui  seul,  oultro  les  mots  ])izarros,  grecs,  latins,  italians,  alle- 
mands,souissos,j)lu'asesd'oultre-mer  et  iargonsbospaignols, 
advenus  par  le  faict  des  estrangiers,  en  sorte  que  ung 
paouvre  scriptopliile  ha  les  coudées  franches  en  ce  languaige 
babelificque,  auquel  ont  pourveu  depuis  messieurs  de  Balzac 
Biaise  Pascal,  Furotièro,  Mesnage,  Saint-Kvrcmond,  de 
Malherbe  et  aultres,  (jui  les  premiers  balyèrent  \o  Iran- 
çoys,  feiront  honte  aux  mots  estranges  et  donnèrent  droict 
de  bourgooYsie  aux  pai'oles  légitimes,  de  bon  usaige  et 
sceues  de  tous,  dont  fout  (piinauld  le  sieur  Bonsard. 

Ayant  tout  dict,  l'Autheur  retourne  à  sa  dame,  et  soul)- 
haitc  mille  ioyeulsotez  à  ceulx  dont  il  est  aymé;  aux  aultres, 
doux  noixgrollièros  en  leurs  degrez.  Quand  leshirundes  dos- 
oaiiqx'iont,  il  reviendra,  non  sans  le  tiers  et  (juart  Bixain 
dont  il  baille  ioy  |)romesse  aux  pantagruolisles,  aux  bons 
braguards  et  nn'gnons  do  tout  ostaigo,  auxcpiols  ilesplai- 
sent  les  trislifications  méditations  el  mi-iaiRholios  dos 
cludéographos. 


LES  TROIS  CLERCS  DE  SAINCT  NÏCllOLAS 


L'IiosU'l  (IpsTrois-Baibciiulx  osloyl  iadis  à  Tours  l'end  roict  do  la 
ville 011  so  laisovl  la  moilU'uio  cliioro,  veu  (juo  l'iiostc  réputé  le 
liault  bonnet  des  rostisseurs,  alloyt  cuire  les  repas  de  nopees  ius- 
ques  à  Cliastelleiault,  Loehes,  Yendosiii(>  et  Blois.  (le  susdiet 
lionuno,  vieulx  reistrc  parl'aict  en  son  nieslier,  nalluinoyl  ianiais 
ses  lampes  de  iour,  sçavoyt  tondre  sur  les  œufs,  vendoyt  poil, 
cuii'  et  plinue,  avovt  l'œil  à  tout,  ne  se  laissoyt  point  faciloniont 
paver  eu  nioinioye  de  einj^e,  et.  |)our  un;^  denier  de  moins  rai 
com])le,  eust  alTninté  quiconque,  voire  mosmes  ung  |)rinco.  Au 
demouraut,  bon  aausseur,  beuvant  et  riant  avecqucs  les  grans 
avalleurs,  lousiours  le.  buunet  en  main  devant  les  gens  munis 
d'iudidgences  |)lenières  au  titre  du  Sit  No77ieii  Domiiii  henCilic- 
tiim,  1(S  poulsant  en  despense  et  leur  prouvant,  au  besoing,  par 
de  bons  dires,  (jue  les  vins  estoyenl  cliiers  ;  que,  quoy  ipie  on  list, 
rien  ne  se  donnaut  en  Touraine,  l'orce  estoyt  d'y  tout  aclieptcr; 
parlant  d  y  loni  payer.  Rrief,  s'il  l'eust  pu  sans  honte,  auroyt 
conq)l(''  :  tant  |ionr  le  bon  ai'r,  et  tant  pour  la  veue  du  pays.  Aussy 
j'eit-il  une  bonne  maison  avcc(pu's  l'argcMit  d'aultruy,  devint-il 
roiul  connue  ung  (juartaud,  bard('  de  lard,  et  i'appella-t-on  Mon- 
sieur. Lorsde  ladarrenière  l'ovre.  trois quidanr^.  le.scpiols  estoyenl 


L"ii«.sTEi  I  iKii    DKs  Tiini*-nAiinm  rr. 


i.Ks  Tiiois  ('.i.r.iics.  22:. 

(les  aj)i)rontirs  011  cliiciiiKiiic,  (liiiis(jiii  se  troiivoyt  iiIiisd'cslolTc  à 
lïiirc  (les  iair(tns(|ii('  des  s.iiiicfs,  cl  sçavoyoïil  l)i('M  dcsia  ins(|ue.s 
où  possible  ost(»\t  (I  aller  sans  se  ijrcndrccn  la  cliordc  dos  liaultes 
œuvres,  eurent  iiilenhoiide  sov  divertir  et  vivre,  en  eondaniiiant 
(|iiel(jiies  ineichans  lorains  ou  aidlies  en  tous  les  des|>eris. 
Doneijues,  ces  escli(diers  du  dialde  l'aulsèrcnt  c()ni|)ai^nic  à  leurs 
j)r(>curcurs,  chez  les(|uels  ils  e>lu(lii)\ent  le  ;j;rini(>ire  en  la  ville 
d'Angiers,  et  viiidrent  de  prime  ahoj'd  se  Io},fier  en  llioslel  des 
Trois-Rarheaulx,  où  ils  voulurent  les  chambres  du  h-gal,  mirent 
totit  sens  dessus  dessoubz,  leirent  les  desjioutez,  relindrent  les 
lamproyes  au  marclK-,  s'annoncèrent  en  f^ens  de  hault  n<'^(ice, 
qui  ne  ti'aisnoycnl  point  de  nierciiandisesaveciiues  eulx,  et  voya- 
gooyent  seuls  de  leur  personne.  L'iioste  de  trotter,  de  remuer 
les  broches,  de  tirer  du  meilleur,  et  d'apprester  unp  vray  disner 
d'advocalsà  ces  trois  con^iie-restu,  les(juels  avoyent  ià  des|tens(^ 
du  tapaijic  |)our  cent  escuz.  el  (pii.  bien  pressurez,  n"aur(»yent 
pas  tant  seulement  rendu  douze  sols  tournoys  (jue  lun^^  d'eulx 
laisoyt  i'reliller  en  sa  bougette.  Mais,  s'ils  estoyent  desnuez 
d'argent,  poiid  ne  mani|uoyent  d'engin,  et  tous  trois  s'enten- 
dirent à  i(»uer  leur  roole  comme  larrons  en  l'oyre.  Ce  l'eut  une 
farce  où  il  y  eut  à  boire  et  à  mangier,  veu  (pu;  ils  se  ruèrent 
peiulant  cin((  iours  tant  et  si  bien  sur  les  provisions  de  toute 
sorte,  (|u"ung  parh de  laiis(|iienets  en  eust  moins  guash'  (ju'ils 
n'en  i'rippèrenl.  Ces  trois  chats  l'ourrez  dt'valloyent  en  la  l'oyre 
après  désieuner,  bien  abieuvez,  pansez,  pansus  ;  et  là  tailloyent 
en  plein  drap  sur  les  becsiaunes  et  aultres,  robbant,  |)renant, 
iouant,  |ter(lanl  ;  despendant  les  esciip'teaux  ou  enseignes  el  les 
changeant,  niellant  celluy  de  bindielolier  à  Torplielivre  el  de 
l'orphebvre  au  cordouanier;  gectant  de  la  pouidre  ez  boulic(pu's. 
Taisant  baltre  les  chiens,  coupant  la  bride  auxchevaulx  attachez, 
laschant  des  chats  sur  les  gens  assemblez  ;  criant  an  voleur  *ni 
disant  à  chascun  :  «  Estes-vous  pas  monsieur  (IKnlreresse  d'An- 
giers?  »  Puis  ils  donnoyent  des  poulséesau  monde,  laisoyent  des 
trouées  aux  sacs  de  bled,  cherchoyent  leui'  niouschenez  en  l'au- 
mosnière  des  dames, et  en  relevoyent  les  c(ille^.  plourani,  ipies- 
tant  ung  ioyaii  tombé,  el  leur  disani  : 

—  Mes  dames,  il  est  dans  (iucl(|iu'  Irou! 

Ils  esguarovent  les  enlans,  se  tap|)oyent  en  la  ]»anse  de  eeulx 
([uibéoyenl  aux  corneilles,  ribloveni,  escorchioyentet  conchioyent 
loul .  I^rieÇ  le  diabb'  eust  este'  saige  eu  comparaison  de  ces  dam- 


2l>(;  CONïKS   DHOI.ATIurES. 

nez  escholiers,  qui  se  feussent  pendus,  s'il  louravoyl  fallu  faire 
acte  d'honneste  homme;  mais  autant  auroytvalu  demander  de 
la  charité  à  (k'ux  plaideurs  eniaii^ez.  Ils  cpiittovent  le  champ  de 
foyre,  non  fati;^uez,  mais  lassez  de  malfaisanccs,  puis  s'en  venoyent 
disner  iusques  à  la  vesprée,  où  ils  recommençoyent  leurs  lible- 
ries  aux  flambeaux.  Doncqucs,  après  les  forains,  ils  s'en  prenoyent 
aux  filles  de  ioye,  auxquelles,  par  mille  ruses,  ils  ne  donnoyenf 
que  ce  qu'ils  en  recevoyent,  suyvant  l'axiome  de  lustinian  :  Ciii- 
cmn  lus  trihucre,  à  chascun  son  ius.  Puis,  en  se  gaussant  aprrs 
le  coup,  disoyent  à  ces  paouvres  garscs  : 

—  Que  le  droict  cstoyt  à  eulx  et  le*  tort  à  elles. 

Enfin,  à  leur  souper,  n'ayant  point  de  suhiects  à  pistolander, 
ils  secongnoyent  entre  eulx,  ou,  pour  se  gaudir  encores,  se  i)Iai- 
gnoyent  des  mousches  à  l'iioste,  en  luv  remonstrant  (praillcurs  les 
hostelliers  les  faisoyent  attacher,  pour  ipie  les  gens  de  eojidition 
n'en  feussent  point  incommodez.  Cependant,  vers _le  cinquiesme 
iour,  qui  est  le  iour  criticque  des  fiel)vres,  l'hoste  n'ayant  ia- 
mais  veu,  encores  (pi'il  escaiNiuillast  Irez  bien  ses  yeidx,  la  royale 
figure  d'ung  escu  chez  ses  chalands,  et  saichant  que,  si  tout  ce 
(pii  resluit  estoyt  or,  il  cousteroyt  moins  chier,  connuenea  de 
lenfroigner  son  muzcau  et  de  n'aller  que  d'ung  pied  froid  à  ce 
(pie  vouloyent  ces  gens  de  hault  négoce.  Ores,  redoublant  de  faii"c 
ung  maulvais  traflicij  avecques  eulx,  il  entrepiint  de  sonder  l'a- 
])osteume  de  leurs  bougettes.  Ce  tpu^  voyant,  les  trois  clercs  luy 
dirent,  avecques  l'asseurance  d'ung  prevost  jiendant  son  homme, 
de  vilement  leur  servir  ung  bon  souper,  attendu  que  ilsalloyent 
partir  incontinent.  Leur  ioyeulse  contenance  desgreva  l'hoste 
de  ses  soulcys.  Ores,  pensant  que  des  drolles  sans  argent  deb- 
voyentestre  graves,  il  a|)presla  ung  digne  souper  de  chanoines, 
sonbhaitant  mesmes  de  les  veoir  yvres,  al'lin  de  les  serrer  sans  des- 
bats en  la  geôle,  le  cas  eschéant.  Ne  saichant  comment  tirer  leurs 
grègues  de  la  salle  où  ils  estovent  autant  à  l'aise  cpie  sont  les 
poissons  enla  paille,  lestrois  compaignons  mangièrcnt  et  beureiil 
de  raige,  lesguardant  la  longitude  iV'^  croisées,  espiant  le  mo- 
ment de  deseamper,  mais  ne  rencoiilr(»yeut  ni  ioinct  ni  desioinct. 
Mauldissant  tout,  l'ung  voulovt  aller  destacher  ses  chausses  en 
plein  aër  pour  raison  de  cholicque;  l'aultre  quérir  ung  médecin 
jtour  le  troisiesme  ipii  s'esvanouiroyt  comnu'  faire  se  |)ourroyl. 
I.c  mauldiel  hoslellier  baguenaudovt  lousionrs  de  ses  fourneaux 
à  la  salle,  et  de  la  salle  aux  fourneaux,  guettoyl  les  (juidams, 


IJ;S   TKOl.S    CLKliCS.  'J27 

avaiiçoit,  ung  j)as  pour  saulvcr  son  dru,  et  leculoU  deux  (lonr 
iK!  point  ostrc  coiigné  de  ces  seigncui's,  nu  cas  ou  ce  sciovctit 
de  vrays  seigneurs,  et  alloyt  en  l)ravc  lioslellier  prudent,  (pii 
aynioyt  les  deniers  et  liaïoyt  les  coups.  Mais,  soubz  und)ic 
(le  les  bien  servir,  tousiours  avoyl  une  aurcillc  en  la  salle,  uiiy 
jùed  eu  la  court;  puis,  se  cuydoyl  tousiours  appelle  par  eulx, 
venoyt  au  moindre  esclat  de  rire,  leur  nionstrovt  sa  face  en 
guysc  (lu  compte  et  tousiours  leur  disoyt  :  «  Messeiyneurs,  que 
vous  plaist-il?  »  Interrofjjuat  en  l'csponsc  duquel  ils  aurovent 
voulu  luy  doiHier  dix  doij^ts  de  ses  l)i-oclies  dedans  le  gozier,  pour 
ce  (pu»  il  laisoyl  mine  de  bien  sçavoir  ce  qui  leur  plaisovt  en 
ceste  coniuncture,  veu  que,  pour  avoir  vingt  escuz  Iresbu- 
cliiants,  ils  eussent  vendu  cbascun  le  tiers  de  leur  éternité. 
Comptez  que  ils  estoyent  sur  leurs  bancs  conmie  sur  des  grilz, 
(pu>  les  pieds  leur  desmangioyent  Irez  bien,  et  que  le  cl  leur 
l)rusloyt  ung  |)eu.  Desià  l'Iioste  leur  avoyt  mis  les  poiix's,  U\ 
l'ourmaige  et  les  conqiotes  soubz  le  nez;  mais  eulx,  beuvant 
à  petits  coups,  mascbant  de  travers,  s'entre-resguaidovent 
pour  veoir  si  l'un  d'eulx  trouveroyt  en  son  sac  ung  l)on  tour  de 
cbieipiane;  et  tousconnnençoyent  à  se  divertir  trez  tristement.  Le 
jilus  lusé  des  trois  clercs,  (jui  estoyt  un  bourguignon,  soubrit 
et  dit  en  voyant  le  quart  d'beurc  de  Habelais  arrive  :  «  Besoing 
est  de  remettre  à  huictaine,  messieurs?  »  connue  s'il  eust  esté 
au  Palais. 

Et  les  deux  nultres,  nonobstant  le  dangier,  se  liastèrent  de 
rire. 

— Que  devons-nous?  demanda  celluy  ([ui  avoyt  en  sa  ceinc- 
lure  les  dcssusdicts  douze  sols.  11  les  mouvoyt,  comme  s'il  eust 
cuydé  leur  faire  engendrer  des  petits  par  cet  enraigé  mouve- 
ment. Cettuy  estoyt  ung  Picai'd,  cliolère  en  diable  et  bonnnc  à 
s'offenser  d'ung  rien  pour  pouvoir  bouler  l'Iioste  j)ar  la  croisée, 
en  touteseurelé  de  conscience.  I)onc(jues,  il  dit  ces  paroles  avec- 
qucs  ung  air  rogne,  connue  s'il  eust  eu  dix  mille  doublons  de 
rente  au  soleil. 

—  Six  escuz,  messeigneurs!...  respondit  l'Iioste  en  tendant 
la  main. 

—  le  ne  soulTriray  [>as,  vicomte,  ostrc  lesgallé  par  vous  seul... 
fcit  le  tiers  cstudiant,  qui  estoyt  ung  Angevin,  rusé  connue  une 
fennne  énamourée. 

— 'Ni  mo\  !  dit  le  Bourguignon. 


l'i'S  CO.NTKS    hUOL  VÏKJI  lis. 

—  Mossit'Uis,  iiR'ssii'uis!  rt-paiiit  11-  l'icaid,  vmis  vdiiK'z  i^uiis;- 
ser.  le  suis  voslro  sorvilnir. 

—  Sainbrcjiiioy!  s'cscria  rAn<;('vin.  vous  ne  nous  lainr/  pas 
pavor  trois  lois...  Nostiv  lioslc  ne  lo  soulTiiiovt  iiiic. 

—  Ili'  ))i(Mi,  t'cil  lo  Uouri^niiiiioii,  cil  de  lums  (|ui  dira  \c  pire 
conto  salist'cia  l'Iioslc. 

—  Oui  sera  lo  iui;v?  (icniaiida  le  l'icard,  i'on;;uaisiiaiil  ses 
douze  sols. 

—  Pardicu!  uostic  lioslc.  Il  doiht  s'y  cntcndic,  vcu  ipi'il  est 
uui:  lioiunio  de  liault  izoust,  dit  rAn^eviii.  Allons  !  niaisti'e  queux, 
boulez-vous  là,  beuvonselprestez-nous  vos  deux  aureilles.  L'au- 
dienec  est  ouverte. 

Là-dessus  l'Iioste  s'assit,  non  saiisse  verseraniplcniciit  à  boire. 

—  A  luov!  (lit  rAnj^cviu.  ie  coinnicnce. 

«  Kii  nostre  ducliié  d'Aniou,  les  i^cns  de  la  cani])aii;iie  soui 
trez  lidelles  servateui's  de  uoslre  saincte  reliyiou  catliolicijue,  i-l. 
pas  uii;i  lie  ipiitlcroyl  sa  pari  du  paradiz,  laiilte  Ao  l'aire  péni- 
tence ou  de  tuer  unii  luMclicipie.  l'ji  da  !  si  111154  ministre  des  lil't're- 
lollres  |)assovt  parla,  tosl  il  seroylniis  en  pré,  sans  seavoir  d'oii 
luv  toniberoytla  iiiale  mort.  DoiUMpu^s,  unji  bon  liomnie  delarzé, 
revenant  uii;i;  soir  de  dire  ses  ves|)res  en  vuydant  le  piot  à  la 
Pomiiie-de-l*in,  on  il  avoyt  laisse"  son  enleiidoir(>  et  sapience 
niémorialc,  tomba  dedans  la  rigole  d'eaiie  de  sa  mare,  euvdaiil 
cstre  en  s(»ii  lict.  ling  sien  voisin,  ipii  lia  nom  (Jodenot,  l'advisanL 
desia  ju'ins  dans  la  gclt'c.veii  ipi'il  s'en  allo\  t  de  l'Iivver.  Iii\  dit 
eu  gaussant  : 

«  —  Hé!  ipi'allendcz-voiis  doncipics  là? 

«  —  Le  desi^el,  i'eil  le  Imii  vvidiiNc.  se  vovaill  empescbi'  parla 
glace. 

«  Lors  Godenot,  en  bon  ebrestien.  le  désencanclie  de  sa  mor- 
taise elluy  ouvre  l'imysclu  logiz,  |»arliaiilt  respect  du  vin,  (pTu'sl 
seigneur  de  ce  pays.  Le  bonlioiimie  vint  lors  se  concilier  en 
plein  lict  de  sa  servante,  la(|iielle  e^l(i\l  ienne  et  génie  lillaude. 
l'iiis,  le  vieiilx  mauonvricr,  l'orl  de  \iii,  en  besongna  le  cliauld 
sillon,  cindant  eslre  en  sa  l'einme.  el  la  iiiercia  du  restant  de 
piicelaii^e  ipi'il  luv  treiivo\l.  Ores,  eiilendanl  son  bnmiiie,  la 
rennne  se  mil  à  crier  comme  mille,  cl  par  ces  cris  lioriilic(|ues, 
le  laboureur  lent  adveiiv  ipie  il  11  csloyl  point  dedans  la  v(»\e  du 
salut,  ce  dont  jiaouvn!  laboureiii'  de  se  navrer  plus  i|u'on  no 
S(,aiiiii\l   le  dire. 


Li:S    TI'.OIS   CLKUCS.  'il'll 

„  —  lia!  l'cil-il.  Dieu  iii'li.i  |iiiii\  (II'  n'iivoir  |iniiit  (-sic  à 
vl's|>ivs  en  l'cccli^c. 

((  Puis  s'c\('us;i  (le  son  iiiiriil\  ^\w  le  |ii(tl  i|iii  ;iV(nL  Itroiiillc 
la  iiU'Mioii'o  (le  sa  Itiaiiiicllc.  il.  m  icvciiaiil  an  licl.  ra;:(>ttovl  à 
sa  hoimc  iiicsiiaifiicir  (|iic,  |i()iir  sa  iiicillciiic  vaclic  ilvoiildroyt 
n'avoir  |K)iiil  ce  mcscliii'l'  sur  la  coiisciriicc. 

«  — (1(!  ji'csl  l'icii  !...  (lisoyt  à  son  honnncla  Irniinc,  à  ipii  la 
lille  avant  l'cspondu  (juc  ollc  i('>\(i\l  de  son  aiiianl.  la  baltoyt  un^ 
pcMiiornie  jxtnr  hiv  cnscii^ticr  à  ne  |i(iint  dorniir  si  l'orl.  Mais  le 
chicr  honniic.  vcii  ri'noiiinh''  du  cas,  se  laniciiloxl  dessus  son 
grabat  et  jdoinoxt  des  laiiiics  de  vin  par  ciaintc  de  Ilicii. 

—  «  ^loH  niiiiMoii,  Iril-clle.  (Irez  ileniani  \a  en  eonlessMui.  it 
n"on  parlons  plus. 

((  Le  lion  lionnne  trolU'  an  coni'essionnal  et  raconte  en  tonte 
liuniilité  son  cas  an  recteur  de  la  paroësso,  lo(juel  estoyl  iing 
lion  vieulx  prehstre  capable  d'ostre  là-liaull  la  |)antopble  di'  Dieu. 

(1  —  Krreur  n'est  |)as  compte,  l'eil-il  à  son  pénitent  :  vous 
iensnere/  demain,  et  vous  absous. 

Il  —  leusner  !  avecfpies  plaisir  !  dit  le  bon  bomme.  (la  n'eni- 
pescbe  poMil  de  bone. 

«  —  Ho  !  respondit  le  cur(',  vous  boirez  de  l'eane,  puis  ne 
mangerez  rien  anitre  cliouse.  sinoit  nng  ipiarteron  de  pain  et 
une  ponnne. 

((  Lors  le  bon  lionnne.ipii  n"av(t\t  nulle  liance  en  son  enten- 
dement, reviiil.  n'iK'Ianl  à  part  soy  la  pénitence  ordonnée.  Mais, 
avant  lovab'uient  connnencé  ])ar  ung  (piarteron  de  pain  et  une 
pomme,  il  arriva  cbez  luy,  disant  :  l  ng  (piarleion  de  pommes 
et  ung  |>ain. 

((  l'uis,  poiu'  se  blancbir  l'ame.se  mil  en  debvoir d'accom[dir 
son  ieusne,  el  sa  bonne  mesuaii^iere  luy  ayanl  tirt'  ung  pain  d(! 
la  mettt' et  (b'scrocbé  les  jtoimnesdu  |)lancliier,  il  ioua  tri'znié- 
lancliolic(piemenl  de  res[)ée  (b' (laïn.  (lonune  il  t'aisoyt  mig  sos- 
pir  en  arrivant  an  darrenier  bonssin  de  pain,  ne  saebant  où  le 
mettre,  veu  (pi'il  eu  avoyl  ius(pies  eu  bi  l'osselle  du  col.  sa  lennne 
luy  remonstra  (|ue  Kini  ne  \onlo\l  [loint  hi  niml  tlii  pt'clieur, 
et  (pu),  l'aulle  de  meltre  uug  rusieau  de  pain  de  moins  en  sa 
panse,  il  ueluv  si'ro\t  poiid  reprouclK-  d'avoir  mis  uug  petit  son 
cbousi'  au  verd. 

«  —  Tais-lov,  femme  !  dit-il.  (Juand  iedebvroys  crever,  faut 
(pie  ie  leusue.    •< 

20 


^250  CONTES  liUOL.VTKjlKS. 

—  l'ay  payi"  iiionoscot.  A  loy,  vicoiiifc...  adiouxla  l'Angevin 
on  rcsguartlant  lo  Picard  d'un  air  narcjuois. 

—  Los  pots  sont  vuydcs,  dit  l'hosto.  Holà!  du  vin... 

—  Bouvons  !  s'osoria  lo  Picard.  Los  lollros  niouilloos  coulent 
niioulx. 

Là-dossus,  il  lanii)n  son  vorro  ploin,sans  y  laisser  une  crotlc 
do  vin,  et,  après  une  belle  petite  tousserie  de  prosneur,  dit  cccy  : 

«  Ores,  vous  sçavez  que  nos  petites  garses  de  Picardie,  premier 
que  de  se  niellre  en  mesnaigo,  ont  accoustumé  de  gaignor  sai- 
gement  leurs  cottes,  vaisselle,  halnits.  briof,  tous  ustensiles  de 
niariaigo.  Et,  pour  co  l'aire,  vont  on  maison  à  Poronno,  Abbovillo, 
Amiens  et  aultros  villes,  où  sont  cliandjoriores,  fouettent  les 
verres,  torchent  lesplats,  ployent le  linge,  portent  lo  disnorol  tout 
co  qu'elles  })ouvent  porter.  Puis,  sont  tost  espousocs  dos  (pio  elles 
scavcnt  faire  quohpio  cliouse,  outre  co  qu'elles  apportent  à  leurs 
niarys.  Ce  sont  les  nieillouros  mesnaigleres  du  monde,  ])Our  co 
que  elles  cognoissont  le  service,  et  tout  troz  bien.  Une  doAzon- 
ville,  qui  est  le  pays  dont  ie  suis  seigneur  par  héritaige,  ayant 
ouy  j)arler  do  Paris,  où  les  gens  ne  se  baissoyent  point  pouria- 
masser  six  blancs,  et  où  l'on  se  subslanloyt  pour  ung  iour  à 
j)asser  devant  les  rostissoui's,  rien  (pi'à  bnmer  l'aor,  tant  grais- 
seux il  cstoyt,  s'ingénia  d'y  aller,  espérant  rapporter  la  valeur 
d'un  tronc  d'ecclise.  Elle  marche  à  grant  renfort  de  pieds,  ar- 
rive de  sa  personne,  munie  d'ung  panier  plein  de  vuydo.  Là, 
tond)e  à  la  porte  Sainct-Donys.  on  ung  tas  do  bon  souldards 
plantez  pour  ung  tonijjs  en  vedette,  à  cause  des  troubles,  veu 
(juo  iceulx  do  la  religion  i'aisoyontinino  do  s'envoler  à  leurs  pres- 
clics.  Le  sergent,  voyant  venir  coste  danre'e  coëffée,  boute  son 
feutre  sur  lecosté,en  secoue  la  plume,  retrousse  sa  moustarhe, 
haidsc  la  voix,  affaroucho  son  œil,  se  mot  la  main  sur  la  han- 
che, et  arrosto  la  Picarde,  comme  piMir  veoir  si  elle  est  deiiiiieiit 
percée,  veu  (pi'il  est  delTeiidu  aux  lilles  d'ontroi'  aulliemenl  à 
P.iris.  Puis  liiv  (IciiKiiKJe,  |)()iir  raiic  le  plaisiiiil,  mais  de  mine 
giiel'vo,  on  (piel  peiisier  vieiil-elle,  ciiydaut  (pie  elle  voulovt 
projidro  d'assanlt  les  clefs  dc^  Paris.  A  cpioy  la  naïfvc  garse  res- 
pondit  que  elle  v  chorclioyt  une  bonne  condition  on  la(piolIo 
flic  pust  servir,  et  n'auroyl  cure  d'aulcun  mal,  jiourvi'u  iprolle 
gaignast  cpichpie  chousc. 

"  —  Hieii  vous  en  |U'ind,  ma  connnère,dil  le  raillard  ;  iesuis 
Picard,  cl  vais  noms  faire  entier  ic\,  où  vous  serez Iraicloecojniuc 


LKS  TIIOIS  CLKHCS,  iJÔI 

uno  rovno  voiidiovl  l'rslrc    souvent,  cl   vous  y  gai^iioi-cz  do 
bonnes  clionses. 

«  Lors  il  la  mène  au  corps  do  garde,  où  il  liiy  diet  de  lialyer 
les  j)laneliicrs,  bien  escumer  le  pot,  attiser  le  l'eu  et  veigler  à 
tout,  adiouxtant  que  elle  auroyt  trente  sols  parisis  par  ungebas- 
cun  liommc,  si  leur  service  luv  plaisoyt.  Ores,  veu  que  l'escouade 
cstoyt  là  [)0ur  ung  mois,  elle  gaigneroyl  bien  dix  escuz,  puis  à 
leur  départie  trouveroyt  les  nouveaux  venus,  qui  s'arrangeroyent 
trez  l'ort  d'elle,  et  à  ceste  lionneste  mestier  emporteroyt  l'orce 
deniers  et  prcsensde  Paris  en  son  pays.  La  bonne  fille  de  rendre 
la  cbainlire  nette,  de  tout  nettover,  de  si  bienaj)prester  le  repas 
et  tout,  cbantant,  rossignolaiit,  que,  ce  iour,  les  bons  souldards 
Ireuvèreut  à  leur  taudis  la  mine  d'ung  rél'ectouèrc  de  b('n('dic- 
tins.  Aussy,  tous  contens,  donnèrent-ils  chascun  ung  sol  à  leur 
bonne  chamberière.  Puis,  bien  repue,  la  coucbicrent  au  lict  de 
leur  commandant,  qui  estoyt  en  ville  cbez  sa  dame,  et  l'v  dodi- 
nèrentbicncoiigrucmentaveccjues  mille  gentillesses  de  souldards 
pliilosoplics,  idest,  amoureux  de  ce  (jui  est  saige.  La  voilà  bien 
atlilee  en  ses  draj)S.  Ores  pour  éviter  les  noises  et  querelles,  nu's 
gaule-bon-temps  tirèrent  au  sort  le  tour  de  cbascun  ;  puis,  se 
mirentà  la  rengette,  allant  liez  bien  à  la  Picarde,  tous  cbaulds, 
ne  souillant  mot,  bons  souldards,  ung  chascun  en  prenant  au 
moins  pour  six-vingts  sols  lournoys.  Kncores  (|ue  ce  l'eust  service 
ung  peu  durtiont  elle  n'avoyt  coustume,lapaouvre  fille  s'v  em- 
ploya de  son  mieulx,  et,  par  ainsy,  ne  ferma  point  l'œil  ni  i  irn  de 
toute  la  nuict.  Au  matin,  voyant  les  souldards  bien  endormis,  elle 
leva  le  pied,  heureuse  de  n'avoir  aulcune  escorcheure  au  ventre 
après  avoir  porté  si  lourde  charge,  et,  quoique  légierement  fati- 
guée, gaigna  le  large  à  travers  clunnpsavecques  ses  trente  sols. 
Lors  sur  la  route  de  Picardie,  veoit  une  de  ses  amyes  qui,  à  son 
imitation,  vouloyt  taster  du  service  de  Paris,  et  venovt  toute 
alïriob'e,  la(|uclle  l'arreste  et  l'interrogue  sur  les  conditions. 

(1  — Ah!  l'errine,  n'y  va  pas;  il  y  l'auldroyt  ung  c.l  de  1er; 
encores  l'usercyt-on  bientost,  »  luy  dit-elle. 

—  A  toy,  grosse  panse  de  Bourgogne,  feit-il  en  rabattant 
l'aposteume  naturel  de  son  voisin,  par  une  la|>e  de  siMgent. 
Crache  ton  conte,  ou  ])aye!... 

—  Parla  royne  des  andouilles!  respondil  le  liourguignoii, 
j>ar  ma  ley  !  par  le  morbey  !  jtar  Dieu  !  jiar  diable!  ie  ne  sçavs 


2.V2  COMF.S   nnOLATIOITS. 

que  ili's  liisidiivs  de  la  couil  do  Ilniiriiopio.  lrs(|ii('ll(s  n'ont 
cours  qu'avt'C(|ii('s  noslio  nionnoyo... 

—  Kli!  vontro  dieu!  soiniuos-noiis  pas  on  la  tcnc  de  lU-auf- 
froniont?  s'oscriu  l'aultrc,  nionstranl  les  j»ots  vuvdcz. 

(1  —  II'  vous  diray  doncques  une  adventure  Men  cogncuc  à 


niion.  Iar|in>||e  osl  advenue  au  temps  oîi  i'v  eoniinandovs,  el  lia 
dru  c-^lic  mise  |);ir  csiript.  Il  y  avo\l  nn<;  serficnl,  de  iiisliee 
miiiiiiir  I  raur-Taiipiii,  lequel  est(i\l  imi;   \ienl\  sac  à  uiaidvai- 


LKS   TIIOIS   CLE P, es.  iJ") 

sotoz,  lonsionrs  jj^ron fanant,  tousioiiis  l»;iltant,  faisant  à  tout  iino 
niino  (le  vcrfilas,  ne  n'Cfdiloitaiit  iainais  par  quelques  j;au(liiollcs 
cciilx  (|u'il  nienoyl  pcndie,  et,  pourcstre  brief,  homme  à  treuvcr 
(les  poux  en  teste  elianlvc  et  des  toils  à  Dieu.  Ce  dict  Taupin, 
rebuté  de  tout  poinct,  s'encliaijica  d'une  femme,  et,  par  gianl 
Iiazar(l,il  Iiiv  (>n  escliciil  une  doulee  comnie  pelure  d'oif^inon,  la- 
quelle, voyant  la  defl'ectueuse  complexion  de  son  mary,  se  donna 
plus  de  poine  pour  luy  cuire  de  la  ioyc  au  lof^iz  qu'une  aultre  n'en 
eust  prins  à  l'encorner.  Mais,  encnres  qu'elle  se  complust  à  luy 
obéir  en  toutes  cbouscs,  et  pouravoir  l;i  paix  eust  tasclié  de  luy 
fiantei'  de  l'or,  si  Dieu  l'eust  voulu,  ce  maulvais  bonnne  reclii- 
gnoyt  i)erpéluellement,  et  n'espargnoyt  pas  })lus  les  coups  à  sa 
femme  qu'ung  débiteur  les  promesses  aux  recors.  Ce  traiclement 
ineonminde  continuant  niaulgré  les  soings  et  travail  angélicque 
(le  la  paouvre  femme,  elle  l'eut  contraincte,  ne  s'y  accoustumant 
])oint,  à   en  référer  à  ses   parens,  lesipu^ls  intervindrent  à  la 
maison.  Lors,  eulx  venus,  leur  feust  par  le  mary  dédain- (pie  sa 
mesnaigiere  estoyt  despourvue  de  sens,  qu'il  n'en  recevoyt  que 
des  desplaisirs,  et  que  elle  luy  rendoyt  la  vie  trez  dure  à  passer  : 
tantost  le  resveigloyt  dans  son  premier  somme  ;  tantostne  venoyt 
point  ouvrir  la  porte,  et  le  laissoyt  à  la  bruine  ou  à  la  gebr  ;  jiuis, 
que  iamais  rien   n'estoyt  à  prouj)os  céans.   Ses  agrapbes  man- 
quoyent  de  boutons,  cl  ses  aiguillettes  de   lerrets.  Le  linge  se 
cliamoussoyt,  le  vin  se  pic(pi()yt,le  bois  suoyt,  le  lietcrioyt  tous- 
iours  intempestivement.  Drief,  tout  estoyt  mal.  A  ce  dévoyement 
(le  faulses  paroles,  la  fcnnne  respondit  en  monstrant  les  bardes 
et  tout  en  bon  cslaf  de  r('|)aralions  localives.  IjOrs  le  sergent  dit 
que  il  estoyt  trez  mal  traicté;  ne  trouvoyt  iamais  sondisnerap- 
presté,  ou  que,  s'ill'estoyt,  le  bouillon n'avoyt  point  d'yenlx,ou 
la  souj)e  estoyt  froide;  il  failloyt  du  vin  ou  des  verres  à  table;  la 
viande  estoyt  nue,  sans  saulce  ni  |)ersil  ;   la  mouslarde  estoyt 
t()urn('(!  ;  il  rencontroyt  des  cbeveulx  sur  le  rost,oules  nap|)cs 
sentoyent  le  vieulx  et  luy  ostoyent  l'appétit;  enfin  de  tout,  elle 
ne  luy  donnoyt  iamais  rien  qui  feust  à  son  goust.  La  femme, 
estonn('e,  se  contenloyt  de  nier  le  plus  bonnestement  que  faire 
se  pouvoyt  ces  estranges  griefs  à  elle  inq)utez.  —  Ha  !  feit-il,  tu 
dis  non,  robbc  pleine  de  crotte!  Kli  bien,  venez  disner  céans 
vous-mesmes  au  iour  d'bui,  vous  serez  tesmoingsdcsesdespor- 
lemens.  Et,  si  elle  j)eut  me  servir  une  foys  selon  mon  vouloir, 
iaurav  tort  en  tout  ce  que  i'avadvancé,  ne  leverayplus  la  main 

20. 


iî.-.i  r.OMES  DROLATIOIKS. 

sur  cllo,  ains  lui  lairray  ma  liallcbarde,  les  braguettes,  et  luy 
(|nittoray  le  commandoment  icy. 

•  —  Oh  bien,  dit-oilo  toute  gave,  ie  seray  doncques  dcsor- 
uiais  daiue  et  niaislresse. 

K  Lors  lo  niary,  se  liant  on  la  nature  ot  les  imperfections  delà 
l'emnie,  voulut  que  le  disner  feust  appresté  sous  la  treilk\dans  sa 
court,  pensant  à  crier  après  elle,  si  elle  tardoyten  trottant  de  la 
table  à  la  crédence.  La  bonne  mesnaigiere  s'employa  de  tous  crins 
à  bien  faire  son  office.  Et  si  donna-t-elle  des  plats  nets  à  s'y 
mirer,  delà  moustarde  frcsohe  et  du  bnii  faiseur,  ung  disner  bien 
eoncoctionni'.  cliauld  à  eniporfer  la  gueule,  appétissant  comme 

ungfruict  desrobbé,  les  verres 

\ ^  ~^^|-  bienfringuez,levinrafrescby, 
\Xur^^^ jfy''^!s^  >"^^^A   ~    f  t  tout  si  bien,  si  blanc,  si  re- 

luysant,  (pu?  son  repas  eust 
fait  honneur  à  la  Margot  d'ung 
évcsque.  Mais  au  moment  où 
elle  se  pourleschioyt  devant  sa  table,  en  y  gectant  l'œillade  su- 
perflue que  les  bonnes mesnaigieres  ayment  adonner  à  tout, son 
mary  vient  à  heurtei-  la  j)orte.  Lors,  une  inauldicte  poule,  qui  avoyt 
eu  l'engin  de  monter  sur  letreillizpour  se  saouler  de  raizins,  laissa 
cheoir  une  anqile  ordeure  au  plus  bel  endroict  de  la  nappe.  La 
paouvre  femme  faillit  à  tomber  quasi  morte,  tant  grant  feut  son 
désespoir,  et  ne  sceut  aultrement  remédier  à  l'intenqiérance  de 
la  pdule  qu'en  en  couvrant  le  eas  incongreu  d'une  assiette  où  elle 
mil  des  fruicts  qui  se  trouvoyent  en  trop  dedans  sa  poche, 
n'ayant  plus  aulcun  soucy  de  la  symétrie.  Puis,  à  ccstc  fin  que 
nul  ne  s'aperceust  de  la  chouse,  apporta  promptement  le  potaige, 
feit  seoir  ung  chascun  en  son  banc  et  les  convia  gayement  tous 
à  se  rigoller. 

«  Ores,  tous  voyant  ceste  belle  ordonnance  de  l)onnes  platées, 
se  rescrièrent,  moins  le  diable  de  mary,  lequel  restoyt  sombre, 
refrongnoyt,  iouoyt  des  sourcils,  gronnneloyt,  reguardoyt  tout, 
cherchant  ung  festu  à  veoir  pour  en  assommer  sa  fennne.  Lors, 
elle  se  i)rint  à  luy  dire,  bien  heureuse  de  pouvoir  l'aguasser  à 
l'abry  de  ses  |)r()nches  :  —  Y(»ilà  vosire  repas  bien  chauld, 
bien  dresse',  le  lingi'  bien  blanc,  les  salièiTs  pleines,  les  grcz 
bini  lifts,  If  vin  liiiis,  le  pain  Awv.  Que  manquc-t-ii  ?  (Jue 
cpif lez-voiis  7  Que  V(julcz-V(ius?  Que  vous  faiit-ir.' 

<(  —  I)u  brun!  dil-il  par  haulle  clidlfif. 


LES  TROTS  r.LERCS.  2:.:. 

((  La  mosnaigioro  doscouvro  vilciiioiil  r;issicltf  ot  rospond  : 

«  —  Mon  aiiiy,  en  voilà  ! 

«  Ce  que  voyant,  le  sergent  (lemoiii;i  i|iiiii;iiiliK  |iriis:iiil  (|ii(' 
le  diable  estoyt  passe'  du  costé  de  su  rcnniic  Là-dessus  il  Icul 
griefvement  roproucli{'  par  les  parens,  qui  luy  donnèicnt  tort, 
luy  eliantèreul  mille  pouilles,  et  luv  dirent  plus  do  gognes  eu 
une  aulne  de  tcnqjs  (ju'uiig  gi-fllier  ne  l'aiet  dCseriplures  en  sou 
mois.  Depuis  ce  iour  le  sergent  vesquit  Irez  bien  en  paix  avec- 
ques  sa  femme,  laquelle,  à  la  moindre  équivorque  frousseure  de 
soureils,  luy  disoyt  : 

((  —  Veux-tu  du  bran?...  » 

—  Qui  ha  faict  le  pire!  s'escria  l'Angevin  en  frappant  ung 
petit  coup  de  bourreau  sur  l'espaule  de  l'hoste. 

—  C'est  luy!  c'est  luy  !  dirent  les  deux  aullres.  Kt  lors  eom- 
menccrent  à  disputer  comme  de  beaulx  l'ères  en  ung  concile, 
cbercbèientà  s'eulrcbaltrr,  à  se  gecter  les  pots  à  la  teste,  se  lever, 
et,  par  ung  bazard  de  bataille,  courir  et  gaigner  les  champs. 

—  le  vais  vous  accorder  !  s'escria  l'hoste,  voyant  ()ue  là  où 
il  avoyt  eu  trois  débiteurs  de  bonne  voulenté,  maintenant  aulcun 
ne  pensoyt  au  vray  compte. 

Ils  s'arrestèreut  espouvantez. 

—  le  vais  vous  en  faire  ung  meilleur;  par  aiusy,  vous  me 
donnerez  dix  sols  par  chaque  panse. 


—  Eseoutons  l'hoste!  feit  l'Angevin. 

«  Il  y  avoyt  dans  nostre  faulxbourgdc  Nosfre-Danu'-la-liiclie, 


'27>G  CONÏKS   DltOI.  MIOIKS. 

(liupicl  (lospond  cisto  lioslellciio,  une  licllc  llllo  (iiii,  oultro  sos 
îulvaiiliiiiics  (If  iialiiiv.  avoyl  iiiic  lioiiiic  clKiiiic  dtsciiz.  Doiic- 
(juos,  aussilosi  i|iii'  elle  l'eut  l'iiaiigc  ol  loicc  (l('|)(>rtc'r  lo  faixdii 
mariaifio.  oUo  cul  aiilaiit  d'aïuaiis  quil  v  a  de  sols  au  tronc  de 
Saim-t-Gaticii  lo  i(»ui'  de  Pas(|ui's.  Geste  lille  on  oslout  ung  qui, 
sauf  voslre  resjurl,  jxiuvovt  laire  de  la  liesoiifiue  le  iour  et  la 
nuict  autant  (jue  deux  nioynes.  Aussi  l'euienl-ils  Itientost  accor- 
dez et  le  mariaijic  en  bon  train.  Mais  le  i)()idieur  de  la  ]>reniièrc 
nuiclt'c  ne  s"a|)|)rouclioyl  point  sans  causer  une  légiere  appré- 
iiensiiMi  à  laccordée,  veu  (pu'  elle  estoyt  suliiecte,  par  infiriuilé 
de  ses  conduicts  soulilei'rains.  à  excoi^iler  (K's  vapeurs  (pii  se 
résolvovent  en  manière  de  l)ond»e. 

((  Ores,  redoublant  de  lascliiei"  la  Iiride  à  ses  folles  ventositez, 
pendant  (pie  elle  })enseroyl  à  aullre  chouse.  en  ceste  première 
nuict .  elle  lina  par  advouer  son  cas  à  sa  mère,  dont  elle  invocqua 
l'assistance.  Lors  la  bonne  dame  Inydc'clara  (pu-  ceste  propriél(; 
d'engendrer  le  vent  estoyt  en  elle  ung  laMilaige  de  famille,  et 
que  elle  avovt  estt'  fort  enqiescb('e en  son  temps;  mais  que,  sur 
le  tard  de  la  vie.  Dieu  liiy  avoyt  faict  la  graace  de  serrer  sa 
cropière,  et  (pic  depuis  sept  ans  ell(>  n'avoyt  rien  évapon»,  sauf 
une  daircnièrc  foys  (lù,  par  fasson  dadieu,  elle  avoyl  notable- 
ment csvent('  son  desfuncl  marv.  —  Mais,  dit-elle  à  sa  lille, 
i'avovs  une  seure  recepte,  (\\u'  mo  b'gua  ma  bonne  mèic,  pcun' 
amener  à  lien  ces  paroles  de  sur(»lus  et  les  exhaler  sans  bruit. 
Ores,  veu  (pie  ces  souilles  n'ont  point  odeurs  maulvaises,  le 
scandale  est  |):iifaiclement  (^il(\Pour  ce,  donc(pies,  besoing  est 
de  laisser  miioter  la  substance  venteuse  et  la  retenir  à  l'issue 
du  pertuvs,  |iuis  de  poulser  feiine  :  aloi's  l'aër,  s'estant  amc^- 
nnis(',  coule  connue  ung  sou|)(,on.  Kt,  en  noslre  famille,  cecy 
s'appelle  estrangler  les  |»cts. 

((  |ja  lille,  bien  conlciilcdc  sçavoir  estrangler  les  pets,  mercia 
sa  mère,  danca  de  la  bitunc  fasson,  tassant  ses  (latuositc/  au 
fond  de  son  luvau  c(inmie  mi  sfuifllcm'  d'orgue  attendant  le  pre- 
mier '.'oup  de  la  messe,  l'uis,  \cuuc  eu  la  cbanduc  nuptiale, 
elle  se  di'iibi'ra  (l'ex|Mdsei' huit  eu  montant  au  lict  ;  mais  le  fan- 
las(|ue  éb-ment  s'esloyt  si  bien  cmct,(prii  ne  voulut  point  yssir. 
Le  marv  vint  ;  ie  vous  laisse  à  penser  connue  ils  s'escrimèrent 
à  la  i(die  bataille  oii  avecipus  deux  cIkmiscs  on  en  faict  mille, 
si  l'on  peut.  Au  mitani  de  la  iinicl,  respous(r  se  leva,  soul>/ 
ung   |ietil    prétexte    menteur,  piii^    icvint    \itcnieul;    mais,  en 


ij'S  TiiOls  (;lf.iu:s.  5.-7 

oniaiiiliant  à  sa  plaoc,  son  |icrluys  ayant  eu  alors  fantaisie  d'cs- 
tornuor,  fcit  une  telle  dcscliai'gc  de  (•(niieviiiie,  que  vous  eussiez 
creii  comnio  inoy  que  les  lideaulx  se  desciiiioyeiit. 

«  —  Ha  !  i'ay  inan(|ut'  mon  coup  !  l'eit-elle. 

((  —  Indien  !  lui  dis-jc,  ma  myc,  alors  e.spargnoz-les.  Vous 
guignerez  vostre  vie  à  l'armée  avee([uos  reste  artillerie. 

«  (Teslovl  ma  l'enmio.  » 

—  Ho!  Iio  !  ho!  l'eiront  les  olercs. 

Et  ils  se  rcspandiront  en  éclats,  se  tenant  les  costcs,  louant 
l'hoste. 

—  As-tu,  vieomto,  enlendii  meilleur  eontc? 

—  Ha  !  (juel  conte  ! 

—  C'est  nng  conte  ! 

—  C'est  ung  maistre  conte  ! 

—  Le  roy  des  contes  ! 

—  Ha!  ha!  il  estrippe  tous  les  contes!  et  il  n'y  ha  di'sor- 
mais  contes  que  contes  (riiostellerie  ! 

—  Foy  de  chrestien  !  vi'-cv  le  meilleur  conte  que  i'aye  ony  de 
ma  vie. 

—  Moy,  i'enletids  le  pet. 

—  Moy,  i(>  vouldiovs  haiser  l'orchestre. 

—  Ha  !  monsieur  l'hoste,  dit  gravement  l'Angevin,  nous  ne 
seaurions  sortir  de  h'ans  sans  avoir  veu  l'hostesse  ;  et,  si  nous  ne 
demandons  pas  à  haiseï'  son  instrument,  c'est  par  grant  respect 
|iour  ung  si  hon  conteur. 

Là-dessus  tous  exaltèrent  si  liien  l'hoste,  son  conte  et  le  chonse 
de  sa  femme,  (pie  le  vieulx  rostissem,  avant  liance  en  ces  rires 
naïfs  et  ponqieux  éloges,  huchia  sa  fennne.  Mais,  elle  ne  venant 
point,  les  clercs  dirent,  non  sans  intention  fruslialoire  :  — 
Allons  la  veoir. 

Donc(pies  tous  sortirent  de  la  salle.  Puis  l'hoste  piint  la  chan- 
delle, monta,  premier,  par  les  degrez,  pour  leur  monstrer  le 
ch(Miiin  en  les  esclairanl  ;  mais,  voyant  la  porte  de  la  rue  eii- 
Irehayée,  ]eschic(pianiers  s'c'vadèreut,  légiers  connue  des  uud)res. 
laissant  à  l'hoste  licence  de  prendre  pour  solde  ung  aullre  pet 
de  sa  femme. 


LE  TEÏSNE  DE  FRANCOYS  PlRKMIER 


Uiiff  cliascnn  srayl  |iar  (|uclli'  advoiUun'  le  l{oy  Fi'ancoys  pro- 
micr  (lu  nom,  fciit  prinscommo  ungoyseau  niais  et  mené  dedans 
la  ville  de  Madrid  on  lI('is])aifino.  Là, 
rciiipciciir  (lliailcs  oinquiesnic  le  sona 
Irez  estroicleniont,  ainsi  (jiie  cliouse 
d'ung  liault  |)iix,ennng  sien  cliasteau, 
ec  dont  nostre  delfunct  maistie,  d'é- 
leine niénioii'e,  conceiit ItoancoujMren- 
nuy,  veu  (jn'ay niant  le  graiil  ai'r,  ses 
aises  et  loiil,  il  ne  s'enleiidovt  pas  |)liis 
à  deniouier  en  eaige  qu'une  elialle  à 
renger  des  dentelles.  Aussy  toniha-t-il 
en  des  tristilioations  si  eslranges,  (|ue, 
ses  lettres  leues  en  ])lein  eonseil,  ma- 
nière ;  madame  (latlieiine,  la  Daul- 
jtliine  ;  le  caidinal  Ihiprat,  monsieur  de  Montmorency  et  eeulx 
<pii   avovrnt   en  charge  l'KsIat   de  Iraiic'.  cognoissant    tous  la 


dame  d'Ariiioulesme 


LK   IKISNK   IIK   FHVNrOYS   l'HKMIKIl.  'Jô'.i 

liaullo  piiillanlisc  du  Uox ,  Ifurciil,  d'advis,  a|)n's  niouic  di'li- 
hôralion,  de  Iny  (h'jditcr  la  Itoyiu'  Mar^iiciitc,  do  lai[nclle  il 
l'occvrovt  si'iiiciiKMil,  all('j;oaiico  eu  ses  soiilcys,  la  hoimc  dame 
estant  bien  ayiiKH'dc  liiy,  ioyculsocit  docte  en  toute  sapk'iicc.  Mais, 
elle,  alléguant  qu'il  s'en  alloyt  de  son  ame,  pour  ce  ({u'elle  ne 
sçauroyt  sans  grant  dangier  cstre  seule  avecques  le  Roy  en  sa 
geôle,  il  l'eut  despesclié  devers  la  Court  de  Rome  ung  secrétaire 
liahile,  le  sieur  de  Kizes,avec(jues  mandat  d'impi'trer  du  Poiilil'e 
ung  hrief  d'esix-eiales  indulgences,  contenant  valaldes  absolu- 
tions des  légiers  péchez  que,  veu  la  consanguinité,  pourroyt  l'aire 
ladicte  Royne  en  veue  de  guarrir  la  niélancbolie  du  Roy. 

En  ce  temps,  le  Ratave  Hadrien  VII  cbaussoyt  encores  la  tiare, 
le(|U(d,  bon  compagnon  au  (l(Mnourant,  ne  mit  |)oint  en  ou1)ly, 
maulgn-  les  lieus  scliolastie(|ues  (|iii  l'unissoyent  à  l'Knqteifur, 
que  il  s'agissovt  du  fils  aisné  de  l'Ecclise  catliolicque,  et  eut  la 
guallantise  d'envoyer  en  llespaigne  ung  exprès  légat  juuny  de 
pleins  pouvoirs  àceste  lin  d'adviserà  saulver,  sans  trop  nuyre  à 
l)ieu,  l'ame  de  la  Royne  et  le  corps  du  Roy.  Teste  affaire  de 
griefve  urgence  mit  mailel  en  teste  aux  seigneurs  de  la  Court  et 
desmangeaison  entre  les  pieds  des  daiws,  lescpielles,  par  grant 
dévouement  envers  la  couronne,  se  l'eussent  j)res(|ue  toutes  offertes 
d'aller  à  Madrid,  n'estoyt  la  noire  deftiance  de  (Charles-Quint,  qui 
ne  laissovt  point  au  Roy  licence  de  veoir  aulcunsde  ses  subiecls 
ni  mesmes  les  gens  de  sa  famille.  Aussy  feut-il  besoingde  négo- 
cier le  départ  de  la  Royne  de  Navarre.  Doncques.  il  n'estoyt 
bruit  ({ue  de  ce  ieusne  desplouiable  et  du  deffault  d'exercice 
amoureux  si  contraire  à  ung  prince  qui  en  estoyt  si  grant  cous- 
tumier.  Rriel",  de  ])laincte  en  querimouie,  les  femmes  fiiièrent 
par  j)lus  pensera  la  braguette  du  Roy  (pi'à  luy-mesme.  La  Royne 
l'eut  première  à  dire  (pie  elle  soubbaitoyt  avoir  des  aësles.  A  ce 
respondit  Monseigneur Udet  de  Chastillon  ([ucelle  n'avoyt  point 
besoing  de  ce  pour  estreung  ange.  Une,  ce  l'eut  madame  l'Anii- 
rale,  s'en  prenovt  à  Dieu  de  ne  pouvoir  envoyer  en  courrier  ce 
qui  deffaillovt  tant  au  paouvre  siic,  veu  que  cbascune  d'elles 
le  presleroyt  à  son  tour. 

—  Rien  ha  bien  l'aict  de  les  clouer,  s'escria  genlemenl  la 
Raulpbine,  car  nos  marys  nous  lairroycnt,  en  leurs  absences, 
bien  traislreusement  despourveues. 

Tant  l'eut  dicl,  tant  l'eut  |)eiis(',  (pie  la  Royne  des  Marguerites 
l'eut,  à  sa  dépari ie,  encliargiée  par   ces  bonnes  clirestiennes  de 


240 


CONTKS   llUt)L  VllOlKS. 


hion  baispi"  lo  caplit  poui'  toutes  les  dames  du  loyaulnic;  et,  s'il 
leur  cust  esté  lovsdtlc  de  l'aire  |trovisioii  (k'  liesse  comme  do 
moustarde,  la  Royne  en  eust  esté  eueonilirée  à  on  vendre  aux 
deux  Castilles. 

Ce  pendant  ijuc  madame  Mar£;ueiile  passoyt  les  monts,  mani- 
éré les  neiges,  à  giant  renfort  de  nndes,  courant  à  ci's  consola- 
tions connnc  au  ieu,  le  Hoy  se  Irouvoyt  airivé  à  la  plus  ardue 
pesanteur  de  reins  où  il  devoyt  oslre  en  sa  vie.  Dans  ceste  ex- 
tresme  réverbération  de  nature,  il  s'ouvrit  à  lempereur  Charles- 
Quint,  à  ceste  lin  d'estre  pourveu  d'ungmiséricordieux  spécilicque, 
luv  ohieclant  ipie  ce  seroyt  honte  esternelle  à  ung  Hoy  d'en  laisser 
mourir  ung  aullre,  l'aidtede  guallanterie.  Le  Castillan  se  monstra 
bon  homme.  Ures,  pensant  que  il  pourroyt  se  lecupéier  de  ses 
ilespaignoles  surla  ransson  de  son  hoste,  il  arraisonna  brouilli- 
lic(|uement  les  gens  connnisà  la  guarde  de  son  prisomiier,  leur 
hailianl  licenci'  occulte  de  luv  complaire  en  cela.  Donciiues,  ung 
certain  don  Iliius  di'  l.ara  y  Lopez  Hara  di  Ponto,  j)aouvre  ca|ii- 
taine,  desnué  d'escuz  maulgré  sa  généalo- 
t:i('.  et  qui  songioyt  dej)uis  ung  temps  à  que- 
rii   lin  lime  en  la  (iourt  de  France,  cuyda 
([n'en  procurant  au  dict  seigneur  ung  doux 
cataplasme  de  chair  vii'veil  souvriroyt  uni' 
pdilc  honnestement   l'éconde,   et,  de  l'aict, 
ceux  cpii  cognoissoient  et  la  Court  et  le  bon 
Uoy  sçavent  s'il  se  trompoyt. 
(Jnaiid  le  dessus  dict  capitaine  vint  à  son  tour  de  roole  en  la 
(•|iand)re  du  llov  de  France,  il  luy  demanda  respectueusement  si 
son  bon  plaisir  cstovt  de  luy  permettre  une  interrogation  dont  il 
estovt  cuiieux  autant  ijuc  d'indulgences  papales.  A  (|Uoy  le  prince, 
(piitlant  sa  mine  hypocondriaequeet  se  mouvant  en  la  chaire  où 
il  estovt  sis,  l'eit  signe  de  consentement.  Leca|)itaine  luy  dit  de  ne 
point  s'olfenserde  la  licence  de  son  languaige;  puis,  luy  advouant 
(ju'ilavovt  renom  d'estre,  luy  Hoy,  ung  des  plus  gratis  paillards 
de  France,  il  voulovl  scavoii-  de  luy-mesme  si  les  dames  de  sa 
Court  eslovent  bien  cxpi  i  les  en  annim'.  I.e  |ia(iuvre  Hoy,  se  ra- 
mentevant  ses  Ikuis  coups,  jascha  ung  s()s|(ir  tiré-  de  creux  et  dit 
milles  i'ennnes  d'aidcuns  pays,  y  com|)ris  celles  de  la  lune,  ne 
co"unislr('  mienix  ipie  les  dames  de  France  les  secrets  de  celte 
alqué'mie,  et  (pie,  au  soiilnciiir  des  savoureuses,  gracieuses  et 
vi"ourcuscs  mignardises  d'une  seule,  il  se  seiiidvt  lidmiiir.  sj  elle 


LK  ii:i;sM'  m:  fiiancovs  I'Iu;.mii-:ii. 


'2\\ 


luv  cstoyt  lors  ofTcitc,  ;'i  la  Ifrici"  avcc(jiK's  lai^o,  mii-  uii;^  aiz 
pouiTV,  à  cent  iiicds  au-dossus  d'ung  précipice... 

En  ce  disant,  ce  bon  Roy,  ribanld  si  iamais  il  en  l'eut,  ^'ectoyt 
la  vie  et  la  Ihunine  par  les  yenix,  si  drnenieiit,  (jue  le  capitaine, 
(pioiipie  brave,  en  sentit  des  tresnioiisseniens  intimes  dedans  sa 
fressure,  taid  lland)a  la  trez  sacrt'e  niaiesh'  de  l'anionr  royal.  Mais, 
retreuvant  son  eouraiye,  il  print  la  dcITcnse  des  dames  licspai- 
gnoles,  se  iactanttpie,  en  Castille  seuieincnt.  rai>o\t-(jn  bien  l'a- 
mour, pour  ce  (ju'il  y  avoyt  |)lus  de  icli^^ion  (pi'en  aulcim  lieu  de 
la  cbreslieulé,  et  (pie,  tant  |)his  les  l'eunnes  y  avoyent  paour  de 
se  danmer  en  sadonnanl  à  uiif;  anianf,  tant  mieux  elles  y 
albtvent,  saicliant  que  elles  debvovent  prendre  plaisir  en  laeliouse 
pour  toute  l'éternité.  l'iiis  il  a(li((ii\la  (pie,  si  le  Seigneur  Hoy 
voul(i\lgaij;crunedesmeilleuresel  pluspiouflictables seigneuries 
teniennes  de  son  royaulnu'  de  France,  il  luy  donneroyt  unt; 
nuictée  d'amour  à  l'Iiespaignole,  en  bKpudle  une  Uoyne  lortuite 
luy  tireroyt  l'ame  par  sa  braguette,  s'il  n"v  prenoyt  guarde. 

—  Tosl,  tost  !  l'eit  le  Roy  se  levant  de  sa  cliaire.  le  te  bailleray, 
de  par  Dieu,  la  terre  de  la  Ville-aux-Dames,  en  ma  j)rovince 
de  Touraiiu',  avec(pu's  les  plus  auij)les  |)riviléges  de  cliasse  et 
de  liaidte  et  basse  instice. 

Lois  le  capitaine,  (pii  cognoissovt  la  Donadii  cardinal  arclievcs- 
(pie  de  Tolède,  la  iT(piit  de  rouer  de  tendresse  le  Roy  de  France, 
et  luv  desmonstrer  le  bault  advantaige  des  imaginations  castil- 
lanes sur  le  simple  mouvement  des  Fiançoyses.  A  (pioy  consen- 
tit la  maiïpieza  d'Amaesguy  pour  l'Iiomteur  de  lllespaigne,  et 
aiissv  pour  le  plaisir  de  s(av(tir  de  (pielle  pasle  |)ieu  l'aisoyt  les 
rovs,  veii  (|iie  elle  i"ii;iioi'o\t,  n'en  estant  encores  qu'aux  princes 
(le  rFccli>e.  l)on(([ues,  elle  vint,  fougueuse  comme  un  lion  qui 
lia  brisé  sa  caige,  et  l'eit  cra(pier  les  os,  la  moelle  du  Roy  et  tout 
si  (liiieiiient,(prung  aiillre  eiiseroyt  mort.  Mais 
le  dessus  dicl  seigneur  eslovl  si  liien  gnarnv,  si 
bien  airamé.si  bien  mordant,  que  il  ne  se  sentit 
poiiitmor(lre,el  de  ce  duel  liorri(ic(pie  la  mai- 
(pu'za  sortit  (piinatilde.ciiMlaiil  a\oir  eu  le  dia- 
ble ù  confesser. 

Le  capitaine,  coiiliaiit  en  sa  ^uai>iie,s"eii  vint 
saluer  son  seigneur,  pensant  à  luy  faire  lionnnaige  de  ce  fief. 
Lol.^  le  Roy  lui  dit  en  mani(!'re  de  raillerie  ipu'  les  Ijespaignoles 
estovent  d'assez  bonne  température,  qu'elles  vallovent  druenient. 

21 


2lî2  CO.MKS   DliUL.VTKjl  KS. 

mais  fjuo  ollos  inclloyciil  trop  (1(>  i)liii'iu'sio  là  oii  hesding  esloyt 
(le  gcntillosso.  cl  (ju'il  ciiyc^»)!  à  cliiisiiuc  gaiulissciiiMjuo  ce  leiist 
ung  cstcnuu'iuonl  ou  ung  cas  do  viol,  hricl',  i\\w  les  accointances 
i'rançoyscs  y  ranienoyent  le  beuveur  plus  altéré,  no  se  lassant 
iamais,  et  que  avecques  les  dames  de  sa  court  rameur  cstoyt 
une  doulceur  sans  pareille,  et  non  labeur  de  inaistre  mition  en 
son  pestrin. 

Le  paouvre  capitaine  l'eut  cslrangenient  pic(iué  de  ce  languaige. 
Maulgré  la  belle  Iby  de  gentilliomme  dont  le  Iloy  faisoyt  estât,  il 
crut  que  le  sire  vouloyt  le  gaboler  comme  ung  escbolier  rol)bant 
une  Iranson  d'amour  en  ung  clappier  de  Paris.  Néantmoins,  ne 
saichant.  au  deiuouraut,  si  la  niarijueza  navoyt  jioint  par  trop 
liespaignolé  le  Roy,  il  demanda  revanebe  au  captif,  luy  baillant  sa 
parole  que  il  auroyt,  pour  le  seui',  une  vraye  lée,  et  luy  gaigne- 
royt  son  fief.  Le  Roy  cstoyt  tro[)  courtois  et  guallant  chevalier 
pour  ne  point  octroyer  ceste  requeste,  et  adiouxta  mesuics  mie 
gentille  jiarole  royale,  en  tesmoignant  le  dezir  de  pei'dre  la  ga- 
geure. Doncques,  aj)rès  vespres.  le  guarde  passa  toute  cliaulde,  en 
la  cliand)re  du  Roy,  la  dame  la  plus  blancbement  reluysante,  la 
])lus  iiiignonnemcnt  folastre,  à  longs  cbeveulx,  à  mains  veloux- 
l('es,  eullant  sa  robbe  au  moindre  geste,  veu  ipu'  elle  estovt  ;:ra- 
cieusement  rel)ondie,  ayant  ime  bouche  lieuse  et  des  yeulv  hu- 
mides j)ar  advance,  l'ennne  à  rendre  l'enfer  saige.  et  dont  la  prinu; 
parole  eut  telle  puissance  chordiale,  ipie  la  brayette  du  Roy  en 
cracqueta.  Lendemain,  alors  que  la  belle  fout  évadée  après  le 
désieuner  du  Roy.  le  bon  caj)itaiue  vint  bien  h('ureu\  et  trium- 
phant  en  la  clnunbn». 

A  sa  venue,  le  prisonnier  de  s'escrier  : 

—  Raron  de  la  Ville-aux-Dames,  Dieu  vous  |irocure  ioxcs 
pareilles!  l'aymc  ma  geolc!  )»ar  nostre  Danu',  ie  ne  veulx  poinl 
iuger  entre  l'amour  de  nos  pays,  mais  paye  la  gageure. 

—  le  le  sçavoys  bien  !  dit  le  capitaine. 
• —  Lt  coimuent?  feit  le  Rov. 

—  Sire,  c'est  ma  lennne. 

Voilà  l'origine  des  Larray  de  la  Ville-aux-Dames  en  nostre  ])ays, 
veu  que,  par  corruption  de  nom,  celui  de  Lara  y  Lopez  fina  par 
se  dire  Larray.  (le  l'eut  une  bonne  famille,  bien  alïeclicnuKr  au 
service  des  Ro\s  de  France,  et  qui  ha  moult  fravi'.  Ilienlost  la 
Royne  de  Navarre,  vint  à  tenq»s  pour  Ir  |{o\,  qui,  se  de^gouslant 
de  la  manii'-K^  hespaiguole,  \(iulo\t  se  i^andir  à  la  IraMcoise  ;  mai< 


^ff7Ti::fiiiijr'::JiAii|ili|],lii:|illi|:.;«I:ii,:iil,ir'  V      ■;.'"  j::-T,j;jai|4i<ii||B|)i!;;L,:MLliiuiiim!f' 

fV.;l^,,;^L::1:^!J!|iliwlll:ll:;kl'lM\,l!ll^^',,;;,,:l.i„■Ill ■vhlIiNim.LMiiJùjElim 


Avecques  les  dames  de  s.i  court  l'nmour  ostoyl  une  douiccur 
>;ms  pareille. 


^2iï  (.ONTF.S   DROLVTlorES. 

lo  surplus  u'ost  |toiul  lo  sul>jorl  de  co  ooufo.  lo  mo  n'sorvo  do  diro 
ailloui's  c'oniuio  s'y  print  lo  lôgal  pour  cspougior  los  péchez  do  la 
chouse,  et  le  gentil  mol  de  nostre  Royne  des  Marguerites,  laquelle 
mérite  une  nielie  de  sainote  on  ces  Dixains,  elle  tjui,  première, 
l'oit  de  si  beaux  oontos.  Los  moralités  do  oettuy  sont  de  facile 
entondomont. 

En  prime  onsoignomont,  los  roys  no  doihvont  |)()int  se  laisser 
prendre  en  guerre  plus  que  leur  anliétypo  au  ion  du  sieur  Pala- 
niedes.  Mais,  do  ce,  il  consto  <pio  co  est  une  bien  calamiteuso  ol 
borrificquo  playe  londjéo  sur  lo  j)opulairo  i\no  la  captivité  do  son 
Roy.  Si c'oust  esté  une  rovno.  ou  mosinos  une  piincosso, cpiol  pire 
destin!  Mais  aussy  ie  cuydo  que,  voire  chez  los  cannibales,  la 
chouse  n'advindroyt  point.  Y  ha-t-il  iamais  raison  d'emprisonner 
la  fleur  d'ung  royaulme?  le  pense  tro])  bonnes  diableries  de  Asta- 
rotb,  Luciforol  aullros.  pour  iniaginor  que,  oulx  régnant,  ils  vou- 
lussont  mussor  la  ioio  dr  tous,  la  lumière  bien  i'aisanlo  à  (pioy 
se  cbaui'i'ont  los  paouvros  sout'Irotoux.  Et  bosoing  osloyt  que  lo 
pire  des  diables,  id  est,  une  vieille  meschante  femme  héréticque, 
se  rencontrast  en  ung  throsno,  pour  détenir  la  iolio  Mario  d'Es- 
cosse  à  la  honte  do  tous  los  chovaliorsdo  la  chrestienté,  lesquels 
dobvroyont  oslro  advenus,  tous  sans  assignation,  aux  pieds  de 
Fothoringay,  n'en  laissant  aulcnno  pierre. 


^m"^ 


LES   BONS   PROIPOS 

DES    n  F.  I,  1  r,  I  E  1"  S  E  S    DE    I'  0  I  S  S  V 


L'nhhavo  (\o  Poissv  ha  ost»'  n'h'hrf'p  pnr  lo*;  vipiilx  autlionrs 
coniino  ung  lion  do  liosso,  on  los  dosporlomons  dos  nonnaini^. 
prindrent  conimoncement  ot  d'où  tant  de  bonnes  histoires  pro- 
cédèrent ponr  approstor  à  riro  anx  laïoquos  aux  despons  de 
nostre  saincfo  religion.  Aussv  ha  dessus  (Hcto  abbaye  ost-olk^ 
dovonno  niatièi'o  à  proverbes  ipio  aulcuns  soavans  ne  compren- 
nent phis  de  nos  iours,  quoi(|uo  ils  los  vannent  et  concassent 
de  leur  mieulx  pour  les  digérer. 

Si  vous  demandiez  à  ung  d'eulx  ce  que  sont  les  olives  de 
Poissy,  gravement  il  respondroyt  que  ce  est  une  périphrase  on 
l'endroict  des  trulTes,  et  (pie  la  manière  de  les  accommoder,  dont 
on  parloyt  on  se  gaussant  iadis  de  ces  vertueuses  lilles,  dehvoyt 
comporter  une  saulce  espcrijile.  Voilà  comme  ces  plumigèros  ren- 
contrent vray  une  Ibys  sur  cent.  Pour  en  revenir  à  ces  bonnes 
recluses,  il  ostoyt  dict,  on  riant  s'entend,  que  elles  aymoyent 
mieulx  trouver  une  jiuto  (|u'une  l'emme  de  bien  en  leurs  che- 
mises. Aulcuns  aullres  raillards  leur  reprouchoyent  d'imiter  la 
vie  des  sainctes  à  leur  méthode,  et  disoyent-ils  ([ue  do  la  Marie 
yEgyptiacque  elles  n'existimovont  que  sa  fasson  de  payer  les 
bateliers.  D'où  la  raillerie  :  Honorer  les  saincts  à  la  mode  de 

21. 


2ifi  CONTES  DROI.VTIornS. 

Vûifisy.  Il  y  lia  cnoorcs  le  crucifix  de  Poissy.  lequel  tenoyt 
c'haulil   îi  l'eslomach.  Puis,  les  matines  de  Poissy,  lesquelles 
linovent  par  des  enfans  de  chœur.   Enfiu,  dune  brave  gal- 
loise bien  entendue  aux  friandises  de  l'amour  il  estoyt  diet  :  Ce 
est  une  religieuse  de  Poissy.  Ceste  certaine  ehouse  (jue  vous 
sçavez  et  que  l'Iionnue  ne  peut  que  prester,  ee  estoyt  la  clef  de 
l'abbaye  de  Poissy.  Pour  ee  qui  est  du  portail  de  la  diète  ab- 
bavc,  ung  chascun  le  congnoyt  de  bon  matin.  Cettuy  portail, 
porte,  buys,  ouvrouere,  baye,  car  tousiours  reste  entrebayé,  est 
plus  facile  à  ouvrir  (pi'à  fermer,  et  eoustc  moult  en  répara- 
lions.  Brief,  il  ne  s'inventoyt  pas,  dans  cettuy  temps,  une  gen- 
tillesse en  amour,  qu'elle  ne  vinst  du  bon  couvent  de  Poissy. 
Comptez  qu'il  y  a  beaucoup  de  menteries  et  d'emphases  hyper- 
bolic(pies   dans  ces  proverbes,  mocqueries,  bourdes  et  eoq-à- 
l'asne.    Les  nonnes  dudicl  Poissy  estoyent  de  bonnes  damol- 
selles  qui  triclioyent  bien,  ores  cy,  ores  là,  Dieu  au  prouflicl  du 
diable,  comme  tant   d'aultres,  pour  ce  que  nostre  naturel  est 
fragile,  et  que,  encores  qu'elles  feussent  religieuses,  elles  avoyent 
leurs  imperfections.  Kn  elle  force  estoyt  qu'il  se  rencontrast  ung 
endroict  où  l'estoffe  jnanquoyt,  et  de  là  le  niaulvais.  Mais  le 
vray  de  cela  est  que  ces  maulvaisclez  l'eurent  le  faict  d'une 
abbesse,  laquelle   eut  quatorze  enfans,  tous  vivans,  veu  (|u'ils 
avoyent  esté  parfaits  à  loysir.  Ores  les  amours  phantasques 
et  les  drôleries  d'icelle,  qui  estoyt  une  fille  de  sang  royal,  mi- 
rent à  la  mode  le  couvent  de  Poissy.  Et  lors  il  n'y  eut  histoire 
plaisante  advenue   ez  abbayes   de  France  (pii  ne  fust  vssue  de 
desmangeaisons  de  ces  paouvres  lilles,  lesquelles  auroyent  bien 
vouly  y  estre  seulement  pour  la  dixnie.  Puis,  l'abbaye  feul  r('- 
formée,  comme  ung  chascun  sçayt,  et  l'on  osta  à  ces  sainctes 
noimains  le  peu  dlieur  et  de  liberté  dont  elles  iouissovent.  En 
ung  vieulx  cartulaiie  de  l'abbaye  de  Tui|ienay  près  CJiiuon,  (pii, 
par  ces  darreniers  niaulvais  lcm|ts.  avoU  trouvé  azyle  en  la  bi- 
liliolhecque  d'Azay,  où   bien  Ir  ifcciit  1(^  chastelain  d'auiour- 
d'huv,  i'av  renconti'é  uw^  fiagnicnl  soultz  la  rubrique  de  :  les 
Heures  de  Poissy,  \n\\w\  ha  (•vidcmmenl  esté  eomiiosé  par  ung 
iovculz  abbt-  de  Turpenay,  j)our  le  divertissement  de  ses  voisines 
(ILssé,  Azav,  Mongauger,  Saceliez.el  aiillics  lieux  de  ce  j)avs.  le 
le  donne  soubz  l'authorité  du  lidf.  mais  en  raccommodant  à  ma 
guvse,  veu  (pie  i'ay  esté  conlraincl  de  le  transvaser  de  latin  en 
IVaneo^s.  le  eommence.  I)one(pies,à  Poissy,  les  religieuses  avoyent 


LES  RONS  PROrPOS.  'JH 

coiistumo,  quand  MjKlcinoisclIc,  lillo  du  lioy,  leur  ahhfsso,  os- 
toyl,  coucliiéc...  (".(•  Iciil  clic  (jui  iioimiia  faire  la  petite  oie 
s'en  tenir  en  amour  aux  prcliniinaii'cs,  j)rolc<^ï)nicncs,  avaiit- 
proupos,  préfaces,  protocolles,  advertisscmens,  notices,  pro- 
dromes, sommaires,  prospectus,  argumens,  notes,  prologues, 
épigraphes,  litres,  faulx  titres,  titres  courans,  scliolics,  re- 
manpies  marginales,  rronlis|)ices,  ojjservations,  dorures  sur 
tranche,  iolis  signets,  fcrmails,  reigicts,  roses,  vignettes,  culs- 
dc-lampe,  gravures,  sans  aulcunement  ouvrir  le  livie  ioyeulx, 
pour  lire,  relire,  estudier,  appréliender  et  comprendre  le  con- 
tenu. Et  si  rassemhia-t-clle  en  corps  de  doctrine  toutes  les  me- 
nues gaudisseries  exlra-iudiciaires  de  ce  beau  languaige  (pii  pro- 
cf'de  bien  des  lèvres,  mais  ne  laict  aulcun  bruit,  et  le  practicqua 
si  saigement,  qu'elle  mourut  vierge  de  lormes  et  point  guastc'e. 
Geste  gaye  science  feut  depuis  grantement  approi'undie  par  les 
dames  de  la  Court,  lesquelles  pienoyent  des  amans  pour  la  jielile 
oie,  d'aultrcs  pour  l'hoimeur,  et,  parlbys  aussy,  aulcuns  (pii 
avovent  sur  elles  droict  de  liaultc  et  basse  iustice,  estovent 
maistres  de  tout,  estât  que  beaucoup  iiréi'èrent.  le  reprends. 
Quand  doncques  ceste  vertueuse  princesse  estoyt  nue  entre  ses 
draps  sans  avoir  honte  de  rien,  lesdictes  filles,  celles  qui  avovent 
le  menton  sans  rides  cl  le  cueur  gay,  sortoyent  à  petits  bruits  de 
leurs  cellules  et  venoyent  se  musscr  en  celle  d'une  de  Icuis 
sœurs,  laquelle  estoyt  fort  affectionnée  de  toutes.  Là,  elles  fai- 
soyent  de  bonnes  causettes  entremcslées  de  confictures,  dragi'cs, 
beuvciics,  noises  de  ieunes  fdles,  housj)illant  les  vieilles,  les 
conirelaisant  en  cingeries,  s'en  nioc(piant  avcc(pu's  imiocence, 
disant  des  contes  à  |)l()urcr  de  rire,  cl  iouant  à  mille  icux.  Tantost 
elles  mesuroyent  leurs  j)ieds,  cho'cbant  les  plus  mignons;  com- 
paidvcnl  les  blanches  rondeurs  de  leurs  Inas;  vérifiovent  quel 
nez  avovt  l'inlirmité  de  rougir  après  souper;  conq)loyent  leurs 
grains  de  rousseur;  se  disoyent  oti  cstoycnt  situez  leurs  signes; 
eslimoycnl  (pii  avoyt  le  faincl  pins  net,  les  plus  iolies  coulcni's, 
la  tailk'  plus  belle.  Faictes  estai  (|iic.  parmy  ces  tailles  appartenant 
à  Dieu,  s'en  rencontroyeiil  de  liiics.  de  rondes,  de  plates,  de 
creusées,  de  bombées,  de  sou])Ics,  de  gresles,  de  toutes  sortes, 
i'iiis  elles  se  dispuloyent  à  qui  falloyt  moins  d'estolïe  pour  la 
ccini-lurc,  et  celle  (|ui  conqxirloyt  le  moins  {l'enqjans  estovt 
conicnic  sans  scavoir  pouripioy.  Tanlosl  se  racontovent  hnn's 
resves  cl    ce  cprcllcs  y  a\(i\('iil  a|icrccii.   Souvent  une  on   deux. 


218  rOMFS   DROrvïiorKS. 

aulcunos  ibys  (outos;  avoyont  soiiLiii'  Iciiir  l)i(^n  foil  Ips  dois  de 
l'abbayo.  Puis  se  oonsulloycnt  jKiiir  leurs  petits  inaulx.  L'une 
s'estoyt  esoliaitl»'  le  doiijl;  l'aultre  avovt  unir  |taiiari/;  eeste-ev 
s'estoyt  levée  aveoques  ung  lilet  de  sang  dedans  le  blanc  de 
l'œil  ;  ceste-là  s'estoyt  desmanchié  l'index  à  dire  son  rosaire. 
Toutes  avoyent  ung  petit  remuc-mesnaige. 

—  Ha  vous  avez  nienty  à  nostre  mère  :  vos  ongles  sont  mar- 
quez de  blanc,  disoyt  l'une  à  sa  voisine. 

—  Vous  estes  restée  longtemps  à  confesse  ce  matin ,  ma 
sœur,  disoyt  une  aultre;  vous  aviez  d(tiic(|ues  bi(Mi  des  péchez 
mignons  à  déclairer? 

Puis,  connue  il  n'y  lia  rien  qui  miciih  (pi'uiie  cballe  ressemble 
à  ung  chat,  elles  se  preuoyenl  en  amitié,  se  querelloyent,  se 
boudoyent,  disputoyent,  saccordoyent.  se  recoiuilioveut.  se 
ialouzoyent,  se  pinçoyent  pour  rire,  rioyeni  {xinr  se  pincer,  l'ai- 
soyent  des  tours  aux  novices. 

Puis  souvent  disoyent  :  —  Si  ung  gendarme  tomboyt  icy  par 
ung  temps  (1(>  ])luye.  oîi  donc  le  bouterions-nous? 

—  (liiez  la  suMir  Ovide,  sa  cellub»  est  la  plus  grant  :  il  pour- 
royt  y  entrer  avecques  son  penache. 

—  Qu'est-ce  à  dire?  s'escria  la  soeur  Ovide;  nos  cellules  sont- 
elles  pas  toutes  pareilles? 

Sur  ce,  mes  filles  de  rire  comme  des  figues  mêmes.  Ung 
soir,  elles  approuvisionnèrenl  leur  petit  concile  d'une  idlie  no- 
vice qui  avoyt  dix-sept  ans,  paroissoyt  innocente  comme  enfant 
qui  naist,  auroyt  eu  le  bon  Dieu  sans  confession,  laquelle  avoyt 
l'eaue  en  la  bouche  de  ces  sccrettcs  causeries,  petites  beuvettes 
et  iousteries  jiar  lesquelles  les  ieunes  nonnes  adoulcissoyent  la 
sacro-saincte  captivité  de  leurs  coips,  cl  jtlouroyl-elle  de  n'y 
estre  point  admise. 

—  Hé  bien,  lui  dit  la  sœur  Ovide,  avez-vous  bien  dnrmy,  ma 
petite  bichette? 

—  Oh!  non,  feit-elle,  i'ay  esté  mordue  ]>ar  des  puces. 

—  Ha  !  vous  avez  des  puces  dans  vostre  cciluleV  Mais  il  faut 
vous  en  d('livrer  siu-le-cliani|).  Sçavez-vous  coiiiiiieiit  la  lègle 
de  nostre  Ordre  eiiioint  de  les  chasser  |Mtiir  ipic  iamais  une 
.sœin-  n'en  revove  la  queue  d'une  peiidiiiit  lnul  le  ti'iiips  de  .sa 
vit!  coiiveiiluell(!? 

—  Non.  respondit  i;i  novice. 

—  Ojcs  bien,  ie  v;iis  Miiis  renseigner.  Voyez-vous  des  puces? 


LES   liONS    l'nOII'OS. 


5i0 


A|ioiTOVoz-voiis  vosli^cs  (le  |mic('s?  Sciilcz-Vdiis  odeur  de  |iii('fs? 
V  li;i-l-il  îiiilciiiic  a|)|);iicn(('  de  piicos  on  ma  rclliilc?  Clicirhf/. 

—  lo  n'en  trouve  point,  dit  la  jietite  novice,  qui  esloyt  inada- 
nioisellc  de  Ficniies,  el  ne  sens  aultic  odeur  que  la  nosire! 

—  Faictes  ce  ([lU»  ie  vais  vous  dire,  el  ne  serez  plus  mordue. 
Si  lost  (|ne  vous  serez  |)i('(|U('e,  ma  (il le,  liesoinj^  est  de  vous 
desponiller,  de  lever  vostre  chemise  el  ne  point  jx-clier  en 
l'es^uardant  vosire  coips  partout.  Vous  ne  dehvez  vous  occuper 
que  de  la  mauldicte  puce  en  la  cherchant  aveccjues  bonne  l'oy, 
sans  faire  aulcunc  attention  aux  aultres  chouses,  ne  |)ensant 
qu'à  la  puce  et  à  la  |)rendre,  ce  tpii  est  desià  une  œuvre  dii'li- 
cile,  veu  que  vous  pouvez  vous  tronqx'r  à  de  ])etites  tacher 
noires  naturelles,  venues  en  vosire  peau  par  héritai^c.  Kn  avez- 
Yous,  ma  mignonne? 

—  (lui,  l'eit-elle.  l'ai  deux  lentilles  violelles,  une  à  l'espaule 
et  l'aulti'e  dans  le  dos,  uni;'  |)eu  lias;  mais  elle  est  caclur  dans 
la  raye... 

—  Comment  l'avez-vous  veue?  deniaiula  la  sœm'  l'erpetue. 

—  le  n'en  sçavoys  rien  :  c'est  monsieur  de  .Montrezor  qui 
riia  descouverte. 

—  lia!  ha!  dirent  les  sœurs,  et  n'ha-t-il  veu  (|ue  cela? 

—  Il  ha  veu  tout,  l'eit-elle.  l'estoys  hien  petite.  I.uv  avovt 
(|U('l(|ue  clionse  de  plus  (pie  ueul'  ans,  et  nous  nous  amusions 
à  iouer... 

Lors,  les  relii;ieuses  cuydant  s'estre  trop  pi'ossées  de  rii-e,  la 
sœur  Ovide  repriul  :  — La  dessus  dicte  j)uce  ha  doncques  l)eau 
sanlter  de  vos  iambes  à  vos  yeid.v,  vouloir  se  musser  dans  les 
creux,  dans  les  ibresis,  dans  les  l'ossez,  aller  à  val,  à  mont,  s'en- 
tester  à  vous  eschapper,  la  rèj^le  de  la  maison  ordonne  de  la  jtour- 
suivrecouraigieusementen  disant  desave.  D'or- 
dinaiie,  au  Iroisiesmeave,  laheste  est  prinse... 

—  La  puce?  demanda  la  novice. 

—  Tousiours  la  puce!  respartit  s(eur  Ovide; 
mais, pour  éviter  les  (lani;iers  de  cesie  chasse, 
besoingesl,  en  ([uelipie  lien  (pie  vous  mettiez  le 
doigt  surla  heste.de  ne  |)ren(lre(prelle...  .Mors, 
sansavoir  aulcun  esguard  à  ses  cris,  à  sesplaiuc- 
tes,  à  ses  g('niissemens,  à  s(^s  efforts,  à  ses  lorlillemens.  si,  par  ad- 
venture,  elle  se  n-volte.  ce  (|ui  est  ung  cas  assez  frcMpienf ,  vous  la 
pressezsouhz  vostre  pou I ce. ou  tout  aulti'edoi^t  de  la  main  occiqx'e 


250  CONTFS   lUIOI. ATIUIKS. 

à  la  tonir,  puis,  tlo  l'aulliv  main,  vous  cluTilioz  uiio  guimpo  pour 
bouder  lesyoulxile  l'cslopuciM'l  rciuposrlR'idesaulU'r,  vcu  (pic  la 
bosic,  u'y  voyant  plus  clair,  ne  sçayloîi  aller.  Cependant,  comme 
elle  pdurroyt  oncoros  vous  mordre  et  seroyt  on  cas  de  devenir  en- 
raig(''('  de  rbolère,  vous  luy  eulrouvrez  léiiicreuieut  le  bec  et  y  met- 
tez d(''lieal('Mi('iil  yinii  biin  du  buys  benoisl  ipii  est  au  petit  lieuois- 
tier  pendu  à  vostre  elievet.  Alors  la  puee  est  coiitraiiiete  de  rester 
saige.  Mais  songez  que  la  discipline  de  nostre  Ordre  ne  nous  oc- 
troyé la  j)ropriété  d'auleune  cliousc  sur  terre,  et  que  ceste  beste 
ne  seauroyt  vous  a])])arteiiir.  Ores,  il  vous  faut  penser  que  ce  est 
une  créature  de  Dieu,  et  tascber  de  la  luy  rendre  plus  agréable. 
Doneques,  avant  toute  eliouse,  besoing  est  de  véiifier  trois  cas 
graves,  à  seavoir  :  si  la  puce  est  masle,  si  elle  est  femelle,  si  elle 
est  vierge.  Prenez  que  elle  soit  vierge,  ce  qui  est  trez  rare,  veu 
que  ces  bestes  n'ont  point  de  mœurs,  sont  toutes  des  galloises 
trez  lascives,  et  se  domient  au  premier  venu  :  vous  saisissez  ses 
])attes  de  derrière  en  les  tirant  de  dessoubz  son  pelit  caparasson, 
vous  les  liez  avecques  ung  de  vos  clicveulx,  et  la  portez  à  la  su- 
périeure, qui  décide  de  son  sort  après  avoir  consulte' le  Cliapitre. 
Si  ce  est  une  masle... 

—  A  ([uoy  peut-on  veoir  qu'une  puce  est  pucelle?  demanda 
la  curieuse  novice. 

—  D'abord,  reprint  la  sœur  Ovide,  elle  est  triste  et  mélancbo- 
licque,  ne  lit  pas  conmie  les  aultres,  ne  mord  pas  si  dru,  lia  la 
gueule  moins  ouverte  et  rougit  quand  on  la  touclie  vous  seavez 

(tÙ... 

—  Kn  ce  cas,  repartit  la  novice,  i'av  esté  mordue  jiar  des 
niasles... 

Sur  ce,  les  sœurs  s'esclafl'èrent  de  rire  tant  et  tant,  ([ue  l'une 
d'elles  feit  ung  pet  en  la-dieze,  si  druement  altacpié,  qu'elle  en 
laissa  cbeoir  de  l'eau,  et  la  summ-  Ovide  la  leur  monslra  sur  le 
plancbier,  disant  : 

—  Voyez  il  n'y  lia  point  de  vent  sans  pluye. 

La  novice  en  rit  elle-mesme  et  cuyda  que  ces  estoul'fades  vc- 
noyent  de  l'apostrojjbe  escbappée  à  la  sœur. 

—  Donc(pies,  reprint  la  sceur  Ovide,  si  c'est  une  puce  masle, 
vous  prenez  vos  ciseaulx,  ou  la  dague  de  vostre  amant,  si  par 
liazard  il  vous  l'ba  baillée  en  souvenir  de  luy  avant  vosire  entrée 
au  couvent.  Hriel",  munie  d'ung  insirumeut  trencbant,  vous  fen- 
dez avecipies   précaution   le  llauc  de  la  puce.   Allendez-vous  à 


LKS   150  N  S   l' KO  11' OS.  yr,l 

l'ontondrc  iiipper,  tousser,  cracher,  vous  deuiandor  pardon  ;  à  la 
vcoir  se  tordre,  suer,  i'aiie  des  yeulx  tendres,  et  tout  ce  (|u'ello 
auFti  idée  de  faire  pour  se  soustraire  à  cestc  opération  ;  mais  ne 
vous  en  estonncz  point.  Raflermissez  vostre  couraifre  on  son^nant 
que  vous  a;:issez  ainsy  pour  mellie  une  créature  |)ervertie  dedans 
la  voyo  du  salut.  Alors  vous  ])renez  dextreuient  la  fressure,  le 
foye,  les  poumons,  le  cueur,  le  gezier,  les  ])arties  nobles,  puis 
vous  trempez  le  tout  à  plusieurs  reprinses  dedans  l'eau  henoiste 
en  les  y  lavant,  les  y  purifiant,  non  sans  implorer  l'Esprit  sainct 
de  sanctifier  rint('iieur  de  ceste  beste.  Knfin,  vous  i-emettez 
promptemenl  toutes  ces  cliouses  intestines  dans  le  corps  de  la 
puce  impatiente  de  les  recouvrer.  Kstant.  par  ce  moyen,  baptizc-e, 
l'ame  de  ceste  ci'éaturc  di'vient  catliolicque.  Aussitost  vous  allez 
quérir  une  aiguille  et  du  lil,  et  recousez  le  ventre  de  la  puce 
avecqucs  les  ])lus  grans  mesnagemens,  avecques  des  esguai'ds, 
des  attentions,  potu'  ce  que  vous  en  debvez  à  vostre  sœur  en 
iésus-Cbrist.  Vous  priez  mesnies  pour  elle,  soing  au(juel  vous 
la  verrez  sensible  par  les  génullexions  et  resguards  attentifs  que 
la  dame  vous  adressera.  Brief,  elle  ne  criera  plus,  n'aura  plus 
envie  de  vous  mordre,  et  il  s'en  rencontre  souvent  qui  meurent 
de  plaisir  d'estre  ainsy  converties  à  nostre  sainctc  religion. 
Vous  vous  comportez  de  mesmcs  à  l'csguard  de  toutes  celles 
que  vous  prenez;  ce  que  voyant,  les  aultres  s'en  vont,  après 
s'estre  estomirées  de  la  convertie,  tant  elles  sont  perverses  et 
ont  grant  paour  de  devenir  ainsy  chrestiennes... 

—  Kt  elles  ont  bien  tort  asseuremenl,  dit  la  novice.  Est-il 
ung  plus  grant  bonheur  ([ue  d'estre  eu  religion? 

—  Certes,  rcprint  la  sœur  Ursule,  ici  nous  sommes  à  l'abry  des 
dangiers  du  monde,  et  de  l'amour,  où  il  s'en  rencontre  tant... 

—  Est-ce  ([u'il  y  en  ha  d'aultres  que  celluy  de  faire  intcm- 
pestivement  ung  enfant?  demanda  une  ieunc  sœur. 

—  Depuis  le  nouveau  règne,  res[)ondit  sœur  Ursule  en  hochant 
la  teste,  l'amour  ha  hérité  de  la  lèpre,  du  feu  Sainct-Antlioine.  du 
mal  des  Ardens,  de  la  plicque  rouge,  et  en  ha  pilé  toutes  les  lieb- 
vrcs,  angoisses,  drogues,  souffrances,  dans  son  ioly  mortier,  pour 
en  fiiire  yssir  ung  effi-ovable  mal  dont  le  (lial)le  ha  domié  la  ivcepte 
hcureusejucnt  pour  les  couvons,  pour  ce  ([u'il  y  entre  ung  numbro 
infmy  de  dames  espouvantéos,  losquollos  se  font  vertueuses  par 
paour  de  cet  amour. 

lià-dessus,  toutes  se  serrèrent  les   unes  contie  les  aultres. 


202  COMES   |1U0I..VT1(JLES. 

elïiavoos   dos    |iiU()los ,    uiais   voulant   on   stavoir  davantaige. 

—  Ll  il  suflit  daynier  pour  soulïrir?  dit  uno  sœur. 

—  Oh!  oui,  mon  doulx  lésus,  s'oscria  la  sœur  Ovide. 

—  Vous  aynioriez  une  paouvre  petite  i'oys  ung  ioly  gontil- 
lionnno,  reprint  la  sœur  Ursule,  que  vous  auriez  la  chance  de 
vcoir  vos  dents  s'en  aller  une  à  une,  vos  choveulx  tomher  ung  à 
ung,  vos  ioues  bleuir,  vos  cils  se  des|tianter  avi'c(|nes  des  dou- 
leurs sans  pareilles,  et  rndicii  de  \iis  plus  genlillos  chduses 
vous  eouste  bien  obier.  Il  y  a  de  paoïivros  lenHaes  auxipiolli's 
vient  une  escrevisse  au  bout  du  ne/,  daulhes  ont  uno  beste  à 
inille  pattes  (pii  lonrniille  tousiours  et  ronge  ce  (pio  nous  avons 
do  plus  londri'.  Kniin.  le  |iapo  a  esté  obligé  d'exoonnnunier  ceste 
nature  danioiu . 

—  .\h  !  que  ie  .suis  bourouso  de  navoir  lieu  ou  do  tout  cela! 
s'oscria  bien  gracieusement  la  novice. 

Va\  entendant  cesli'  roniendiraiico  d'ainoui',  les  sœurs  sedonb- 
tèrent  (pie  la  snsdiole  s'estoU  unii  pou  dosgouidie  à  la  clialonr 
de  quehiue  crucilix  do  l'oissy,  et  avoyt  truplié  la  sœur  Ovide 
en  se  gaudanl  d'elle.  Toutes  se  resiouirent  d'avoir  en  elle  une 
bonne  robbe,  bien  gayo;  comme  do  l'aiol  elle  estoyt,  ol  luv  de- 
mandèrent à  quelle  adventmc  elles  debvoyent  sa  c()m|)aignie. 

—  Hélas!  dit-elle,  ie  me  suis  laissé  mordre  par  mie  iirosse 
puce  (|ui  avoyt  ia  esté  ba|)ti/('o. 

A  ce  mot,  la  sanir  au  la-dieze  ne  put  retenir  iing  second  sospir. 

—  Ab  !  dit  la  sœur  Ovide,  vous  estes  tenue  de  nous  nionstrer 
le  troisiesnie.  Si  vous  parliez  ce  languaige  au  chœur,  l'abbesse 
vous  mollroyt  au  r(';;ime  i\v  la  sonir  Polronille.  Ainsy  boutez 
une  sourdine  à  voslre  nmsi((pio. 

—  Kst-il  vray,  vouscpii  a\oz  coi^iioii  la  so'iii'  l'olronillo  on  son 
vivant,  ipio  Itn'ii  lui  avo\l  inipé-iii'  le  don  de  n'aller  <|tio  doux 
j'(i\s  l'an  à  la  cbambro  dos  coinplos?  demanda  la  sioiir  I  isiile. 

—  (lui,  l'oit  la  swnv  Ovide.  Kt  il  luy  arriva  uiig  soir  de  rester 
;icciopio  iuscpies  à  matines,  disant  :  «  le  suis  là.  à  la  voiiIomIimIo 
l)iou  !  »)  Mais  au  premier  verset,  elle  l'oiil  (b'Iivii'o.  pour  (ju'ollo  ne 
iiMinpiast  point  l'oriice.  .\(-antmoins  la  loue  abbesse  ne  vouloytpas 
que  oc-la  vinst  d'uiio  espc'cialc  fiivoiir  octroyc'e  d'en  liault,  et  di- 
sovt  (pie  la  voue  di'  Ilii'U  n'idloxl  point  si  bas.  Vécy  le  l'aict  : 
dcllunote  iioslre  s(eur,  dont  nostro  Ordre  |M)nrsnict  à  ceste  lioure 
1.1  cioionisatioii  on  la  court  du  l'apc,  ol  r;iiiio\t  obloimo,  s'il  pou- 
vo\l  jiavcr  Icb  lo\aulx  cou>i.s  du  IIk  1.  l'ctronillo  doncipic>  oui 


LKS   |!(I.\S   IMKM  |M»S.  '2.j,j 

riiiiil)ili(m  diivoir  son  nom  t'S(ii|)l  an  calciulrier  ce  qui  ne  imisoyt 
j)oiiit  à  rOidiv.  Oivs,  (Ile  se  mil  à  vivre  en  |)rières,  restoyl  en  ec- 
stase  devant  l'autel  de  la  Vierge;  (jui  est  du  costé  des  prez,  et  pré- 
tendoyt  entendre  apertenient  les  anges  voler  en  paradiz,  si  bien 
que  elle  en  ha  pu  noter  la  musicque.  Ung  chascun  sçait  (ju'elle  y  ha 
prins  le  genlil  chant  i\r  Adoremiis,  dont  anlcun  homme  n'auroyt 
pu  trouver  un^  seul  s(»s|)ir.  Klle  demouroyt  des  ioms entiers  l'œil 
ïixc  comme  une  estoille,  ieusnant  l't  ne  mettant  pas  plus  de  nour- 
riture en  son  corps  ({u'il  n'en  peut  tenir  dedans  mon  œil.  Klle 
avoyt  fait  vœu  de  ne  ianiais  goustcr  de  viande,  ni  cuicte,  ni  vilVe, 
ctnemangeiovt([U('  ung  frusteau  dcjiain  pariour;  mais, aux  Testes 
àdouhles  hastons,  elle  ioignoyt  à  son  ordinaire  un  peu  de  poisson 
au  sel,  sans  anlcun  soupçon  de  saulee.  A  cestediette.  elle  devint 
maigre  elle-mesme,  iaune  comme saiïran,  seiche  comme  ung  osde 
cimetière,  veu  que  elle  estoyt  de  complexion  ardente,  et  ung  qui 
auroyt  eu  l'heur  de  la  congnercn  auroyt  tiré  du  feu  connncd'ung 
caillou,  dépendant,  si  |>eu  qu'elle  mangeast,  elle n'avoyt  point  pu 
se  soustraire  à  une  inîirmité  de  lai|uelle  nous  sommes  jjIus  ou 
moins  suhiectes  pour  nostre  malheur  ou  pour  nosfre  honheur, 
puisque,  si  ce  n'estoyt  pas,  nous  pourrions  estrc  bien  cnd)ari'as- 
sées.  Ores.cestc  cliouseest  l'obligation  d'expulser  villainement,  et 
après  le  repas,  comme  Ions  les  animaulx,  ung  bran  plus  ou  moins 
gracieux  selon  les  persomies.  Ainsi,  sœ'ur  l'etronille  dil'i'éroyt  des 
aullres  en  ce  (ju'elle  liantoyt  sccet  dur(iu'auriez  dicldos  crottes 
de  biche  en  amour,  lesquelles  sont  bien  les  codions  les  mieulx 
cimentées  (|ue  aulcuns  geziers  produisent,  si,  par  adveuture, 
vous  en  avez  rencontré  soubz  vos  pieds  en  ung  sentier  de  forest. 
Aussi,  pour  leur  dureté,  sont  nonnntVs  drs  nouées  en  langaige 
de  haulle  vénerie.  Cecy  de  sœur  l'etronille  n'estoyt  doncques 
point  surnaturel,  veu  ({ue  les  ieusncs  entrelenoyent  son  teni- 
pi'rament  en  cuisson  permanente.  Suyvant  les  vieilles  sœurs,  sa 
nature  estoyt  si  bruslante,  que  en  la  mettant  dans  de  l'cauu 
elle  y  faisoyt  frist  connue  ung  cliarlion.  11  y  ha  eu  des  sa'urs 
(pii  l'ont  accusée  de  cuire  secrettement  des  a'uls,  la  miict,  entre 
ses  deux  orteils,  afin  de  supporter  ses  austeritez.  .Mais  c'es- 
toyent  des  nuudvaisetez  inventées  pour  ternir  ceste  granl  sainc- 
lelé  dont  les  aultres  moustiers  concevoyent  ialousie.  Noslrc 
sœur  eslovt  |iilolt('e  en  la  voye  du  salut  et  ix-rfection  divin 
par  l'abbé  de  Sainct-Gerniain-des-1'rez  de  Paris,  saiuct  hoiinne, 
lc(piel  lino\t  lousiours  ses  advis  p. a'  ung  darrenier,  (jui  disoyt 


25i  CONTES   nUdl.MKjl  i:S. 

d'olTiir  à  Dion  toutes  nos  peines  et  de  nous  soubmellrc  à  ses 
voulontez,  veu  que  rien  n'arrivoyt  sans  son  exprès  conunande- 
ment.  Cette  doctrine,  saige  en  apparence,  ha  donné  matière  à 
grosses  controverses  et  a  esté  fiualjlt'iHeiit  coiulamnée  sur  l'ad- 
vis  du  cardinal  de  Cliastillou,  l('(juel  ha  pn-lciKhicpralors  il  n'y 
auroyt  plus  de  péchez,  ce  qui  pounoyt  amoindrir  les  revenus 
de  l'Ecclise.  Mais  sœur  l'etronille  vivoyt  imbue  de  ceste  sen- 
tence sans  en  cognoistre  le  dangier.  Après  le  quaresme  et  les 
ieusnes  du  granl  iuhilé,  jjour  la  première  l'ovs  depuis  huict  mois, 
elle  eust  hesoing  trailcr  eu  la  cluunbre  dorée,  et,  de  l'aict,  y  alla. 
Puis  là,  relevant  honnestement  ses  cottes,  elle  se  mit  en  debvoir 
et  posture  de  faire  ce  que  nous  paouvres  i)échercsses  Taisons  ung 
peu  plus  souvent.  Ains  la  sœur  Petronillc  n'eut  d'aultre  valis- 
cence  que  d'expectorer  ung  connnencementde  la  chouse,  qui  la 
tint  en  haleine,  sans  que  le  reste  voulusl  yssir  du  réservoir.  Eu- 
cores  qu'elle  torlillast  son  bagonisier,  jouast  des  sourcils  et  jH-es- 
sast  tous  les  ressorts  de  la  machine,  son  hoste  prei'eroyt  demourer 
dans  ce  benoist  corps,  mettant  seulement  la  teste  hors  la  fenestre 
naturelle,  comme  grenouille  prenant  l'aër,  et  ne  se  sentoyt  nulle 
vocation  de  tomber  en  la  vallée  de  misère,  parmy  les  aultres, 
alléguant  qu'il  n'y  seroyt  point  en  odeur  de  saincleté.  Et  il 
avoyt  du  sens  pour  ung  simj)le  crottin  (ju'il  estoyt.  La  bouue 
saincle,  ayant  use  de  toutes  les  voyes  coërcitivcs  iuscju'à  enller 
oultre  mesure  ses  muscles  buccinateurs  et  bender  les  nerfs  de  sa 
l'ace  maigre  de  manière  à  les  faire  saillir,  recogueut  ([ne  milh' 
soul'frauceau  monde  n'estoyt  si  griefve,  et  sa  douleur  alleignaiil 
l'apogée  des  affres sphinclérielles  :  «  Omonl)ieu  !  dit-elle  en  poul- 
sant  de  rechief,  ic  vous  l'offre  !  »  Sur  ceslc  oraison,  la  nuitière 
pierreuse  se  cassa  net  au  razibus  de  l'orifice  et  choppa  connue  ung 
caillou  contre  les  murs  du  privé,  faisant  croc,  croc,  ci'oooc,  ])af  ! 
Vous  comprenez,  mes  sœurs,  qu'elle  n'eut  auh  nu  hesoing  de 
mouschecul,  et  remit  le  l'este  à  l'octave. 

—  Adonc(pics  elle  voyoyt  les  anges?  dit  une  sieur. 

—  Ont-ils  ung  derrière?  demanda  une  aultre. 

—  Maisnon,  feit  Ursule.  Ne  sçavez-vous  p()iiil(|iir  en  mm  ionr 
d'asscmbb'e.  Dieu  leur  ayaut  ordonné  de  si-  seoir,  ils  lii\  nspim- 
dirent  qu'ils  n'avoyeut  poiut  de  ipioy. 

Là-dessus,  elles  allèrent  se  coMcliier,  les  iiiks  ^^■lllt•s,  1rs  aul- 
IrcK  pifscpie  seul(  s.  C'esto\eill  de  bonnes  (ilir--  (|iii  ne  laisuvriil  de 
lorl  ijll'à   rlles. 


LES  BONS   l'IlOCCOS.  255 

le  ne  les  qiiitloiav  point  sans  ni  conter  une  advenlure  fpii  enl 
lieu  dans  leur  maison,  quand  la  rôlonne  y  passa  l'espongc  et  les 
leit  toutes  sainctes,  comme  ha  esté  dessus  dict.  En  cettuy  temps, 
donc(pies,  il  v  avovt  au  siège  de  Paris  un;,'  vérilahle  sainct  qui 
ne  sonnovt  point  ses  œuvres  avecques  des  crécelles,  et  n'avoyt 
de  soulcy  que  des  paouvres  et  soulTreteux,  Icscjuels  il  logioyt 
dans  son  cueur  de  bon  vieulx  évesque,  se  mettoyt  en  ouhly 
pour  les  gens  endoloris,  estoyt  en  queste  de  toutes  les  misères 
affin  de  les  panser  en  paroles,  en  secours,  en  soings,  en  argent, 
selon  l'occurrence,  advenant  en  la  maie  heure  des  riches  comme 
en  celle  des  paouvres,  raccoustrant  leurs  âmes,  leur  ramente- 
vant  Dieu,  s'employant  des  quatre  l'ers  à  veigler  sur  son  trou- 
peau, le  chier  bergier  !  Doncques  ce  bon  homme  alloyt  non- 
chalant de  ses  soutanes,  manteaulx,  braguettes,  pourveu  que 
les  mendux'S  nuds  de  son  Kcclise  leussent  couverts.  Et  il  estoyt 
charitable  à  se  boutter  en  gaige  pour  saulver  mesmes  ung  mes- 
créant  de  poine.  Ses  serviteurs  estoyent  contraincts  de  songier 
à  luy.  Souvent  il  les  rabbrouoyt  quand  iceulx  luy  changeoyent, 
sans  en  estre  requis,  ses  vestemens  rongez  pour  des  neufs,  et  il 
souloyl  les  faire  rapetasser  iusques  in  extremis.  Ores,  ce  bon 
vieulx  archevesque  sceut  que  le  feu  sieur  de  Poissy  laissoyt  une 
lille  sans  sou  ne  maille,  après  en  avoir  mangié  et  aussy  beu, 
voir  ioué  la  légitime.  Laquelle  damoiselle  dcmouroyt  en  ung 
bouge,  sans  feu  en  hyver,  sans  cerizes  au  printenqis,  labo- 
rant  ù  menus  ouvraiges,  ne  voulant  point  se  mc'sallier  ni  vendre 
sa  vertu.  En  attendant  qu'il  rencontrast  ung  ieune  espoux  dont 
il  la  pust  fournir,  le  prélat  conceut  de  luy  en  envoyer  le  moule 
dans  la  personne  de  ses  vieilles  braguettes  à  raccommoder,  ou- 
vraige  que  la  paouvre  damoiselle  feut  moult  heureuse  d'avoir  dans 
son  desnuement  de  tout.  Doncipies.  ung  iour  que  rarcheves(iue 
déliberoyt  à  paît  luy  se  rendre  au  couvent  de  Poissy,  |)0ur  \eigler 
auxdictes  lilles  réi'ormées,  il  bailloyt  à  ung  si(!n  serviteur  le  plus 
vieulx  de  ses  hault-de-chausses,  qui  inqjloroyt  ung  racoustraige. 
«  Portez  cecy,  Saintot,  aux  damoiselles  de  Poissy...,  n  dit-il.  Not- 
iez que  il  cuydoyt  dire  à  mademoiselle  de  Poissy.  Et,  comme  il 
songioyt  aux  affaires  du  cloislre,  il  n'enseigna  pointa  son  varlet 
le  logiz  de  ladicte  damoiselle,  dont  il  avoit  discrettementceléla 
situation  désespérée. 

Saintot  prind  le  hault-de-chausses  à  braguette  et  s'achemine 
vers  Poissy,  gay  connue  ung[hosche-({ueue,  s'arrestant  avecques 


250 


r.oNTKs  iir.oLMiorr.s. 


les  amys  qu'il  ronooniro  on  cliemin,  iVslaiit  le  plot  chez  les  ca- 
barotiors  cl  laisanl  vooir  bien  dos  cbousos  à  la  braguofto  de 
rarobevosquo,  laquollo  put  s'instruire  en  ce  vovaige.  hriel',  il 


arrive  au  niouslicr  de  Poissy,  et  dict  à  l'abbosse  (juo  son  niaistre 
Iba  envoyé  di'vers  elle  ])our  luy  remettre  cccy.  Puis,  le  varlel-- 
s'en  va,  laissant  à  la  rév('roiule  mère  le  vostenionl  liabitué  àl' 
modeler  en  l'olief  les  proportions  arcbiépisoopales  de  la  conti- 
nente nature  du  bon  bonnne,  selon  la  mode  du  temps,  oultrc 
l'imaige  de  cescliouses  dont  le  Père  (■tonid  lia  privé  ses  anges,  et 
qui  ne  |H'cbioyont  point  par  ampleur  clio/  le  pn'-lat.  Madame  l'ab- 
bosse ayant  advisé  les  sœurs  d'unj:  ])rt'lieux  inessaii;e  du  bon  ar- 
clievesqno,  elles  vindrent  on  liasto,  curieuses  et  alTairées  connue 
fourmys  en  la  respublicque  desquelles  tondje  une  bogue  de  cbas- 
taigne.  Lors,  au  despacquelcr  de  la  braguette,  qui  s'entrebâilla 
tres-liorrifictpiomont,  elles  s'esclamèrent,  so  voilant  les  yeulx 
d'une  main,  on  apprébension  de  venir  yssir  le  diable,  l'abbosse 
ayant  dict  :  «  Mussez-vous,  mes  (ilios  :  ceev  est  la  dcmeuic  du  pé- 
ché mortel.  » 

La  mère  des  novices,  coulant  ung  resguaid  entre  ses  doigts, 
raffermit  lecoiu'aigc  du  saincl  clap|»ier  en  iurant  par  nngr/j'eque 
aulcune  beste  vivante  n'estoyt  loi^iéc  en  coslo  bragncllo.  Lors, 
toutes  longirent  à  leur  aise  on  considi'rant  cet  Ilabitavil,  son- 
giaut  (jue  pent-estre  la  voulent(î  du  |irélat  estoyl  <pie  elles  y  dos- 
•  couvrissent  quehiue  saige  admonition  ou  parabole  évangélicquc. 
Ores,  encoies  (jni?  ceste  veuc  feist  certains  ravaiges  au  cucurdc 
ces  Irez-vortueuses  (illes,  elles  ne  liment  auloun  com|)le  des  Ires- 


l,r,S   IKINS   l'iiol  l'OS.  257 

nioiissonuMisdc  Iciii's  IVcssiiros,  el  f^cchmtiiiig  |ioii(r(';mc  hiiioitc 
au  riind  de  cet  abvsinc,  niic  y  Ictiicliaiil,  laullro  y  passant  le  doigt 
on  iing  Irou,  toutes  s'ouliaidiiout  à  le  vfoir.  Mcsnics,  lia-t-on 
prétendu,  l'abbcssc  trouva,  la  priiiiti'sloMlïadc  dissipôo.  uno  voix 
non  csniouo  pour  dire  :  —  Qu'y  lia-l-il  au  lund  do  cela?  Kn  cpiello 
intention  noslre  père  nous  cnvoyo-t-il  ce  (jui  oousornnie  la  ruyno 
des  l'ounnos? 

—  Voey  quinze  ans,  ma  mère,  que  ie  ne  avoys  ou  licence  do 
vcoir  la  bougotte  au  dt-nion. 

—  Taisez-vous,  ma  tille,  vousni'(>mpesebez  do  songier  raison- 
nablement à  ce  qu'il  est  prudent  de  faire. 

FiOrs  tant  l'eut  tournée  et  retournée,  llain'e,  soubzpoisée.  mirée 
et  admirt'o,  tirée  et  destiréo,  mise  sens  dessus  de.^soubz,  ladicle 
braguette  arcbiépiscopale;  tant  en  lent  ({('liix'ri-,  parii'-.  tant  y 
fout  pensé,  tant  y  fout  resvé  la  nuict,  le  iour,  t|ue  le  lende- 
main uiu'  petite  sœur  dit  après  avoir  clianté  los  matines,  en 
les([uelies  b'  couvent  obmit  un  vei'set  et  deux  rospons  :  —  Mes 
sd'urs,  i'ay  Innivé  la  parabole  do  rarcliovos([ue.  Il  nous  ba 
baillé,  par  moitificalion,  son  lianll-do-cbaussos  à  racconnnodcr, 
on  sainct  enseignement  de  fuir  l'oisiveté,  mère  nbbosse  do  Ions 
les  vicias. 

Là-dessus,  ce  font  à  qui  metfroyt  la  main  aux  cliausses  do  l'ar- 
cbeves(jue;  mais  l'abbesse  usa  do  sa  liaulte  aullioiité  ])our  se  ré- 
server b^s  méditations  de  ce  ibabillage.  Kt  si  s'omploya-t-elle 
avecques  la  soubz-j)riouro,  {)endant  plus  do  dix  iours,  à  parfder  la- 
dicto  braguette,  y  passer  des  soyes,  faire  de  doubles  ourlets  bien 
cousus  on  toute  bmnilité.  Puis,le  Cbapitre  assemblé,  foutconcliul 
que  le  couvent  tesnioigneroyt,  par  un  gentil  souvenir,  son  beur 
audict  arcbevosquo  de  ce  que  il  songioyt  à  ses  tilles  en  Dieu. 
Doncquos  toutes,  iusquos  à  la  plus  novice,  enta  faire  ung labour 
en  ces  chausses  de  hault  entendement,  à  cesto  lui  d'Iionoi'or  la 
vertu  du  bon  bonnne. 

Pendant  ce,  le  prélat  avoyt  tant  de  pois  à  raniei',  (jue  il  mil  ses 
chausses  en  oubly.  Vécy  comme.  Il  l'oit  cognoissance  d'ung  soi- 
gneur de  la  Court,  lequel  ayant  })er(lu  sa  fennno,  vicieuse  on 
diable  et  brehaigne,  dit  au  bon  prebstrc  que  il  avoyt  la  grant  am- 
bition d'en  vouloir  une  saige,  conficte  on  I)i(>u,  avec(jues  laipiello 
il  oust  la  cbance  de  n'ostre  jjoint  branclieyc',  d';ivoirde  beaulx  et 
bons  enfans,  otdeziroyt  la  tenir  do  sa  main,  avant  lianceon  luv. 
Ores,  le  sainct  bomme  luy  feit  si  grant  estât  do  mademoiselle  de 


258 


CONTES  DROLATIQUES. 


Poissy,  que  ceste  belle  devint  lost  madame  de  Gcnoilhac.  Les 
nopces  se  céh'hrèn'iit  en  rarchevescJK'  do  Vims,  où  il  v  ont  ung 
festin  de(jualitez  et  nne  tahlo  hordcc  de  dames  de  liault  lii^naige, 
beau  monde  de  la  (Aiurt,  oii  rcspousc-c  ])aiiit  la  jiliis  bclli',  veu 


que  il  estoyt  seur  que  elle  leust  pucelle,  rarclievesque  se  portant 
guarani  de  sa  fleur. 

Lorsque  les  fruicls,eompotcsetpastisseries,  feurent,  aveeques 
force ornemens, sur  la  nappe,  Saintotdità  rarclievesque  :  — Mon- 
seigneur, vos  bien-aymées  filles  de  Poissy  vous  envoyent  ung  beau 
plat  pour  le  milieu. 

—  Plantez-le  !  feit  le  bon  homme  en  admirant  unghaultédifice 
develoux.dc  satin,  brode  decannetilleset  babans  en  manière  de 
vase  anlicque,  dont  le  couvoicle  exlialoyt  odeurs  superfines. 

Aussytost  l'espousce,  le  descouvrant,  treuva  sucreries,  dragées, 
massepains  et  mille  confictures  délicieuses  dont  se  resgallèrent 
les  dames.  Puis  une  d'elles,  quelque  dévote  curieuse,  apercevant 
une  aureillette  en  soye  et  l'attirant  à  elli'  feit  veoir  à  l'aér  l'habi- 
tacle de  la  boussole  humaine,  à  la  graiit  confusion  du  prt-lat,  veu 
que  mille  rires  esdatèrent  comme  une  esco]»ellerie  sur  tous  les 
bancs. 

—  Bien  eu  ha-l-ou  faict  le  plat  du  milii'u.  feit  le  marié.  Ces 
damoiselles  sont  de  saige  eiiti  iidi'nn'iit.  Là  sout  les  siu-reries  du 
mariaige. 

Y  a-t-il  meilleures  moralilez  (|ue  ce  (pie  ha  dicl  luousieur  de 
OenoilliacV  Aussy  point  n'en  l'aiill  aiiltre. 


L^Ùi^-^iÉ^ 


COMMENT  FEUT  DASTY 


LE  CHASTE.VU   D'AZAY 


Ichan,  lils  do  Simon  Fournior,  dict  Simonin,  bourgoovs  do. 
Tours,  originaire  du  village  do  Moulinet,  près  de  Beauno,  dont,  à 
l'iniitalion  do  aulcuiis  traitans,  il  |Hint  le  nom,  alors  quo  il  obtint 
la  oliargo  d'argonlior  du  l'on  ru\  Loys  nnze  s'onfiivl  ung  iour  on 
Languodoe  avoc(jues  sa  fonuuo,  estant  tondx'en  grantdisgraaco, 
et  laissa  son  fils  lacques  tout  nud  en  Touraine.  Cottuy,  qui  no 
possédoyt  rien  au  monde,  fors  sa  personne,  sa  cappc  et  son  espéo, 
mais  (pie  les  vioulx  dont  la  braguette  avoyt  rendu  l'amo  eussent 
cuvdé  bien  riclic,  boula  dedans  sa  cervello  fornio  intention  de 
saulvor  son  ])ère  (>t  faire  sa  fortune  en  la  Court,  latpudlo  vint  pour 
lors  on  Touraine.  Dès  le  matin,  ce  bon  Tourangeau  iaissoyt  son 
bostel.et,  musse  dans  son  manteau,  fors  le  nez  qu'il  mettoytà  l'es- 
vent,  le  gezier  vuyde,  se  pourmeiioyt  par  la  ville,  sans  estro  tro|t 
encond)r('  de  ses  digeslioiis.  Lors,  enhoyt  dans  les  eorlises,  les 
estiinoyt  belles,  invonlorioyt  les  cbapolles.  osmoueliiovt  les  ta- 
bleaux, numbroyt  les  nefs  en  curieux  (pii  de  son  lonq)s  et  argent 
nesçayt  que  faire.  A  d'aullros  loys,  leignoyt  de  réciter  des  paie- 


260 


CONTKS   nr.OLATKll  i:s. 


nostres,  mais  faisoytdc  iniifttes  prières  aux  dames,  Icuroffroytà 
leur  despai'tiedei'oaueljtMKiiste,  les  suivoyl  de  loing  et  tascliioyt, 
poureesinmiis  services,  de  n'nooiUr('r(|uel(iue  adveiilure  où,  au 


péril  de  sa  vie,  il  se  seroyl  Iburny  d'ung  protecteur  ou  d'une  gia- 
cieusc  maistresse.  11  avoyt  en  sa  ceincture  doux  doublons,  les- 
(|ucls  il  inesnagioyl  pliis(|U(' sa  pcau.ven  (pic  elle  pouvovl  se  l'c- 
l'aire,  et  les  dessus  dicis  (lo\d)lons  nullenienl.  Par  ung  chascun 
leur,  il  prenoyt  sur  ses  deniers  le  prix  d'une  miche  et  de  quelques 
meschantes  pommes  avecques  quoy  il  se  sustantoyt,  puis  beu- 
voyt,  à  son  aise  et  discrétion,  l'eaue  de  la  Loire.  Cest(>  saige  et 
prudente  diette.  oultre  que  elle  estoyt  saine  |iour  ses  doublons, 
l'enlretenovt  IVisqne  et  li'gier  comme  ung  lévrier,  luy  j'aisovl  ung 
entendement  clair  et  ung  cueur  cliauld,  veu  (pie  l'eaue  de  la  Loire 
est  de  tous  les  sirops  le  plus  escliauflant,  pour  ce  (pic,  yssue  de 
bting,  elle  s'est  cscliaulTéc  à  courir  sur  les  gri^ves  j)aravaiit  d'estre 
à  Tours.  Aussv,  comiilez  (pie  le  ]taouvre  lière  ingenioyt  mille  et 
une  rortunes  et  bonnes  rencontres  aiixtpielles  il  ne  s'en  miimpioyt 
que  d'ung  jioulce  (pie  vrayes  elles  reusscnl.  Mo!  le  lion  temps! 
L'ng  soir,  lac(|ucsde  ileaime,  nom  rpie  il  guarda,  encorcs  (pie  il 
ne  fcusl  point  seigneur  (Iel5eaiiiie.  ,illo\l  le  long  des lev('cs,  occupé 


Il  se  délil)era  de  la  pourcliasser,  à  cesle  lin  de  savoir  où  elle  le  meneroyt, 
en  paradiz  ou  cz  limbes  de  l'enfer,  au  gihel  ou  dedans  uu  rcduict  d'amours, 
toul  luy  fcul  espoir  an  fund  de  sa  misère. 


262 


CONTES  DROLATIQUES. 


(lo  inauldirc  son  ostoillo  et  tout,  von  quo  le  darrenier  donblnn 
faisovt  mine  de  le  quitter  sans  nul  respect,  alors  que,  au  destonr- 
ner  d'une  petite  rue,  il  faillit  ahcurter  une  dame  voilée  qui  luy 
donnaparles  nazeaux  une  bourrasque  superfine  de  bonne  odeur 
(le  l'emnie. 

Geste  pournieneuse,  bravement  montée  sur  de  iolys  patins, 
avoyt  une  belle  i-obbe  de  veloux 
ilalian,  à  grans  manches  dou- 
blées en  satin  ;  puis,  pour  eschan- 
tillon  de  sa  lortune,  à  travers  le 
voile,  un  diamant  blane  d'am- 
pleur raisonnahlcbiilloytsnrson 
Iront  aux  rais  du  soleil  couchant, 
entre  des  cheveux  si  bien  mi- 

gnonnement  roulez,  estagez,  tressez  et  si  nets,  que  ses  femmes  y 
avovent  deu  passer  trois  heures.  Elle  marchioyt  comme  une  dame 
qui  ha  coustumc  de  n'aller  qu'en  lictière.  Ung  sienpaige  bien 
armé  la  snvvoyt.  Ce  estoyt  aulcunelille  folle  de  son  corps  appar- 
tenant à  quelque  seigneur  de  hault  rang  ou  aulcune  dame  de  la 
Court,  veu  que  elle  levoyt  bien  ung  peu  sa  cotte  et  tortilloyt  gen- 
tement  sa  croupe  en  fenmie  de  hault  mouvement.  Dame  ou  gal- 
loise, elle  plut  à  lacques  de  Beaune,  lequel  ne  feit 
point  le  desgousté  et  print  l'imagination  désespérée 
de  s''attacher  à  elle  et  n'en  (juitterque  mort.  Dans 
cestc  visée,  il  se  délibéra  de  la  pourchasser,  àceste 
fin  de  sçavoir  oîi  elle  le  menernyt,  en  paradiz  ou  ez 
lind)es  de  l'enfer,  au  gibet  ou  dedans  ung  réduict 
d'amour  ;  tout  luy  l'eut  espoir  au  fond  de  sa  misère. 
La  dame  alla  se  jwurmener  le  long  de  la  Loire,  en 
aval, devers  le  Plessis, et  respiroyt, comme  les  carpes, 
la  bonne  frescheur  de  l'eaue, 
allant,  bimbelottant,  fagoltant 
ensouriz  (juilrottf,  veult  tout  veoir  et  gouster 
ùtoul.  Lorsque  ledict  paigc  s'apercent  que  Jac- 
ques de  Beaune  faisoyt  de  l'enteslé,  suyvoyt 
la  dame  en  toutes  ses  démarches,  s'arrestoyt 
à  ses  re|)Os  et  la  resguardoyt  niaiser,  sans 
verjiongne,  comme  si  lacliouse  luy  estoyt  loysihle,  il  se  retourna 
brustpiement  et  luy  monstra  une  mine  rogne  et  griesche,  connue 
celle  d'ungcliien  (pii  dirt  :  «Arrière,  messieurs!  »  Mais  le  bon 


LK  CIIASTKAI   Ll'AZAV. 


2(jô 


Tourangeau  avoyt  ses  raisons.  Cuydant  ([ue  si  ung  chien  vcoit,  sans 
conteste,  passer  ung  Pape,  luyl)a|>lisé  pouvoyt  veoir  un^  niinon 
(le  femme,  il  allovt  de  l'avant,  leignoU  de  sonhrire  lui  di(t|)aig<' 
et  se  prélassoyt  derrière  on  devant  la  dame.  Ores,  elle,  nedisoyt 
mot,resguardoytleeiel,4uisecoëlïoytdenuict,lesestoillesettont 
pour  son  plaisir.  Voilà  qui  va  bien.  Brief,  venue  en  face  de  Por- 
tillon, elle  demonra  debout;  puis.  |K)nrmieulx  veoir,  regecta  son 
dict  voile  sur  son  espaule,  et,  ce  l'aisitnt,  lanra  sur  le  eompaignon 
ung  resguard  de  Une  connnère,  pour  s'encpierir  s'il  y  avoyt  aulcun 
dangier  d'estre  volée.  Faictes  estât  que  lacques  de  neaunejtouvoy  t 
l'aire  l'ouvraige  de  trois  marys,  estre  aux  costez  d'une  princesse 
sans  luy  causer  déboute,  avoyt  l'air  brave  et  résolu  ({ui  plaist  aux 
dames;  et  s'il  estoyt  uru 
peu  bruny  par  le  soleil 
l'urce  de  courir  devant,  son 
tainctdebvoytapertemenl 
seblanchirsoubz  les  cour- 
tines d'un  lict.  Le  res- 
guard conlant  comme  an- 
guille ({ue  lui  darda  ceste 
dame  lui  parut  estre  plus 
animé  que  cclluy  qu'elli; 
auroytgeclé  en  ung  livre  de  messe.  Et  doncques,  il  ^^^^^'^^ 
fonda  l'espoir  dune  aubaine  d'amour  sur  ce  coup 
(l'œil,  et  se  résolut  à  [)oulser  l'adventure  insijues  au  bord 
de  la  iu|)pe,  risquant,  pour  aller  encores  plus  loing,  non  pas 
sa  vie,  veu([u'il  y  tenoyt  peu,  mais  ses  deuxaureilles  et  mesmes 
encores  quelque  cbouse.  Ores,  le  sire  suyvit  en  ville  la  dame, 
(pii  rentra  par  la  rue  des  Trois-Pucelles  et  mena  le  guallant, 
par  ung  escbeveau  nu-slé  de  petites  ruelles,  iusques  an  (pianoy 
où  est  auiourd'buy  l'Iiostel  de  la  C.ronzille.  Là,  elle  s'arresta 
au  porche  d'ung  beau  logiz,  au(iuel  aheurla  le  paige.  Puis  ung 
sien  serviteur  ouvrit,  et,  la  dame  rentrée,  se  ferma  la  porte, 
laissant  le  sieur  de  Heiiune  l)é;int,  pantois  et  sot  connue  mon- 
seigneur sainct  Denys  devant  ([uil  se  leust  ingénié  de  ramasser 
sa  leste.  Il  leva  le  nez  en  laër  pour  veoir  s'il  luy  tond)eroyt 
une  goiille  de  faveur,  et  ne  veit  rien  aultre  chouse,  si  ce  n'est 
nue  himière  ipii  montoyt  par  les  degrez  et  c(turo\t  par  les 
salles,  puis  s'arresta  à  une  belle  cioist'e  où  delivoUoIre  la  dame, 
(lioyez  que  le  paouvre  amoureux  demoura  là  tout  mélancholilié, 


Ort! 


Kvi  1..  firl    «i\ii  SP  cocffojl  (ic  mmi, 
.  ,.lle.  ne  di.oyl  n.o,.  r.s,Bnlo>  .  J^.^^^^ 

les  tsloillcseï  Kul  |0u.  ^ui.  i.K'i.ii. 


LK   CliASTEAl    ICAZVV. 


'iGo 


n'sviissciir,  ne  saicliantpliis  à  <|iioy  se  |)it;ii(ln.'.  La  croisée  ^Toiif^na 
soiihdain  et,  riiUt'iroiii|til  dans  ses  |)liaiilaisics.  Ores,  cuydant  (|iio 
sa  dame  alldvt  le  liiicliior,  il  dressa  de  n'cliicf  h;  nez,  ot  sans  lap- 
puy  de  la  dessus  diflc  croisée,  (jiii  le  préserva  en  l'asson  decouvre- 
chicf,  il  eust  rccipé  fort  amplement  de  l'eaue  froide,  plus  le  con- 
tenant du  tout,  veu  que  l'anse  resta  aux  mains  de  la  personne  en 
train  d'estnver  l'amoureux.  laecjues  de  Beaune,  trez-heureux  de 
ce,  ne  [lerdil  point  l'esteuf  et  se  «iccla  en  bas  du  nnn-,  criant  : 
((  le  meurs!  »  d'une  voix  trez-estaincte.  Puis  se  roydit  dans  les 
tessons  et  demeura  mort,  attendant  le  reste.  Vécy  les 
serviteurs  en  grant  romue-mesnaige,qui,  encrainte 
de  la  (hune  à  la((uelle  ils  advouèrent  leur  jaulte. 
ouvrent  liuivs,  se  clinrgent  du  navré,  IcMjuel  l'aillil 
à  rire  alors  (pu'  il  feut  aiiisy  convoyé  par  les  devrez. 

—  11  est  froid,  disoyt  le  paige. 

—  11  ha  bien  du  sang,  disoyt  le  niaistre  d'iiostel,  lequel  en  le 
tastant  se  concliioyt  les  mains  dedans  l'eaue. 

—  S'il  en  revient,  ie  fonde  une  messe  à  sainct  Galien!  s'escriu 
le  coupable  en  pleurs. 

—  Madame  tient  de  son  deffunct  père,  et,  si  elle  fault  à  te  faire 
pendre,  le  moindre  loyer  de  ta  [)oinc  sera  d'estre  bouté  hors  de  sa 
maison  et  de  son  service,  repartit  ung  aultre.  Oui,  certes,  il  est 
bien  mort,  il  poise  trop. 

—  Ah!  ie  suis  chez  une  bi(;n  grant  dame,  pensa  lac(jues. 

—  Las!  seut-il  le  mort?  demanda  le  gentilhomme  autheur  du 
meschief. 

Lors,  en  hissant  à  grant  j)oiiie  l(>  Tourangeau  le  long  de  la  vis, 
le  pourpoinct  d'icellny  s'accrocha  dans 
une  laïasijue  de  la  rainjie,  et  le  mort  dicl  : 
—  lia  !  mon  |tourpoiuct. 

—  Il  ha  geint!  dit  le  coupable,  sospi- 
l'anl  de  ioye. 

Les  serviteurs  de  la  Régente,  car  ce  es- 
loyt  le  logiz  de  la  tille  du  l'eu  Hoy  Loys 
le  unziesme,  de  vertueuse  mémoire,  les 
serviteurs  doncques  enlrèreiit  lac([ucsdc 
Beaune  en  la  salle,  et  le  laissèrent  royde  sur  une  table,  ne  cuy- 
(laiit  point  (pi'il  si'  saulvast. 

—  Aile/  (|uerir  ung  maistrc  myre,  i'eit  madame  de  Beauiou, 
allez  cv,  allez  là... 

25 


Puis  la  honiie  R^S'"''!'!  <les|iCM'iia  s,'^  Iciiiriifs  a  I  dii^miiiiI,  a  la  toile  à 
beiiili^i  les  |ilayes  à  l'eau  du  Uuiihommc,  à  tanl  du  cliouses,  quo  elle  ue-' 
;iiuura  bculc. 


i,F.  Cil  asti:  M   H'azav. 


267 


Et  on  iingpa/ertmis  les  gens  dcscendircnl  les  dri^rcz.  Puis  lu 

î)onne  Ri'f^onle  (IosucscIki  ses  l'emmes  à  i'ongneiil,  à  la  loi  le  à 

hender  les  playes,  à  l'ejnie  du 

Bonhomme,  à  tant  de  cliouscs, 

f)ue  elle  deniouia  seule.  Lors, 

advisanteelxd  homme  pasmé, 

dit  à  lianlle  voix,  admirant  sa 

prestance  el  sa  dellïmcte  homie 

mine  :  — lia!   Dieu  veult  me 

rahhiouer.  Pour  une  paouvrc 

]ietiteroys(|ue,  en  jna  vie,  ung 

maulvais  vouloir  s'est  resveiglé 

du  l'und  de  ma  nature  et  me 

l'ha   endiahlottée,  ma  saincte 

patronne  se  i'asclie  et  m'enlève 

le  pins  ioly  gentilhomme  que 

i'aie  iamais  veu.  Pas(pies  Dieu  ! 

par  l'ame  de  mon  père,  ie  Icray  pendie  tous  eeulx  (jui  auront  mis 

la  main  à  son  trespas  ! 

—  Madame,  feit  lacques  de  Bcaune  en  saultant  de  l'ais  où  il 

gizoyt  aux  pieds  de  la  Uégente,  ic  vis  pour  vous  servir  et  suis  si 
peu  mcurdry,  que,  pour  eestc  nuict,  ic 
vous  promets  autant  de  ioyes  que  il  y 
ha  de  mois  en  l'année,  à  l'imitation  du 
sieur  Hercules,  baron  [)aïen.  Depuis 
vingtiours,  re])rint  le  bon  conq)aignon, 
se  douhtanl  que,  là,  hesoing  estoyt  de 
mentir  ung  petit  ]>our  moyenner  les 
chouses,  vécy  ie  ne  sçays  combien  de 
rencontres  que  ie  fais  de  vous,  dont  ie 
me  suis  alToUé,  et  n'osoys,  par  grant  res- 
|)ect  de  vostie  persomu»,  m'advancerà 

vous;  mais  conqilez  (|U(!  ie  suis  bien  yvre  de  vos  rovales  beaul- 

tcz,  pour  avoir  invenlc-  la  bonrde  à  <|uov  ie  doilts  riicin'  d'eslre  à 

vos  pieds. 

Là-dessus,  il  h^s  baisa  biiMi  aniourcuscment.  et  resgnarda  la 

bonne  dame  d'ungair  à  tout  ruyner.  La  dicte  Régente,  par  l'orce 

de  l'aage,  lecpiel  ne  respecte  [)oinl  les  royiies,  estoyt,  connue  ung 

chascun  seayt,  en   lasecunde  ieunesse  des  dames.  Ores,  en  ceste 

criticquc  et  rude  saison,  les  lennnes  iadis  sages  et  desnuées 


2fi8 


CONTES  DROLATIQLES. 


(l";inKins  convoitent,  ores  cy,  oros  là,  de  prondro,  à  l'insccn  de 
tout,  lors  Dion,  aulcinie  nuictée  d'amour,  ti  coste  fin  de  ne  point 
vssir  en  l'anllre  inonde,  les  mains,  le  cueur  et  le  tout  vuydes, 
huille  d'avoir  notaliienient  eogneu  les  chouses  espéciales  (jue 
vous  S{,'av('z.  l)oMC(jues  ma  (liclc  dame  de  Beanieu.sans  l'aire  de 
l'estonnée  en  eseoulant  la  promesse  de  ee  ieune  lionune,  veu  que 
les  personnes  royales  doibvent  estre  aecoustumées  à  tout  avoir 
par  douzains,  guarda  ceste  parole  andiilieuse  au  fund  de  sa  cer- 
velle ou  de  son  registre  d'amour,  (pii  en  grezilloyt  d'advance.  Puis 
elle  releva  le  ieune  Tourangeau,  (pii  treuvoyt  de- 
dans sa  misère  le  couraige  de  soulirire  à  sa  mais- 
Iresse,  hicpielle  avoyt  la  maiesté  d'une  vieille  rose, 
Ifs  aureilles  en  escarpin  et  le  tainct  d'une  chatte 
malade,  mais  si  bien  attifée,  si  iolie  de  taille,  et  le 
pied  si  loyal,  la  croupe  tant  alerte,  que  il  pouvoyt  se 
l'encontrer,  eu  reste  maulvaise  i'oilune,  des  ressorts 
incogneus  pour  l'ayder  à  parfaire  le  verbe  qu'il  avoyt  lasclié. 

—  Qui  estes-vous'?  feit  la  Régente  en  })renant  l'air  rebaibatif 
du  feu  Roy. 

—  le  suisvoslre  tiez-fidelle  subiect  lacfpies  de  Heaune,  fils  de 
vostre argentier,  lequel  esttondié  en  disgraaee,maulgré  ses  téanlx 
services. 

—  Hé  bien,  respondil  la  dame,  reboulez-vous  sur  vostre  ais. 
l'entends  venir,  et  il  n'est  point  séant  que  les  gens  de  ma  maison 
cnydent  que  ie  suis  vostre  com|tlice  en  ceste  farce  et  momerie. 

Ce  bon  lils  veit  au  doulx.  son  de  la  voix  (|ue  la  boime  dame 
luy  pardoimoyt  bien  gi'acieusement  l'énormité  d(^  son  amour. 
Iloneipies  il  se  concilia  sur  la  table  et  songia  (pie 
aulcuns  seigneurs  estoyent  advenus  à  la  Couit  en 
cliaussant  ungvieil  estiier  ;  pensier  qui  le  laccom- 
moda  parfaiclemenl  aveccpies  son  bon  beur. 

—  Rien  !  l'eit  la  Régente  à  ses  mescbines.  ne  faut 
rien.  Ce  gentilbomme  est  mieulx.  (îiaaces  soient 
rendues  à  Dieu  et  à  la  saincte  Vierge,  il  n'y  aura 
point  eu  de  memlre  en  mon  liostel. 

Kn  ce  dysant,  elle  j)assoyt  la   main   dedans  les 
cbeveidx   de   l'amant   (pii  luy  esloyl   à  j)oint    tombé   du  ciel; 
]>uis,   prenant    de   l'eaue  du    Roidionnne.    elle   luy    en    frotta 
les  lenqies,  (leffcil  le  |)ourpoinct,   el.   soiibz  l'imibre  de   veoir 
au   salut    (In    navri'.  \(''iili;i,  mieux    (|iMnig    i^reflier  connuis   :\ 


LE  r.llASTEAI"   D'AZAV 


?09 


niicnnc  oxpcrlisc,  coiiiliicii  douci'  cl  iciiik;  cslovt  l;i  peau  do 
ce  1)011  petit  lioiiiino  si  diii  ])ioiiieK('iii-  de  liesse.  C(;  (pie  nng 
chascun,  gens  et  l'einiiies,  s'esbaliiieiit  de  veoir  liiirc  à  la  lit'geiite. 
Mais  l'humanité  ne  niessied  ianiais  aux  personnes  royales, 
laeqncs  se  dressa,  feit  le  desconnu,  inercia  trez-humhlement  la 
Régente  et  congédia  le  jiliysician,  inaistie  inyre  et  aullres 
diables  noirs,  si;  dis;int  revenu 
du  coup.  Puis  se  nomma  et  vou- 
lut s'évader,  en  saluant  madame 
de  Beauieu,  comme  ayant  paoïir 
d'elle  à  cause  de  la  disgiaacc 
oïl  estoyt  son  pcM-e,  mais  sans 
double  effrayé  de  son  borrificipie 
vœu. 

—  le  ne  sçauroys  permettre, 
feit-elle.  Les  gens  qui  viennciil 
on  mon  logiz  ne  doibvent  point 
y  recepvoir  ce  (pie  vous  avez 
recen. 

Le  sieur  de  Bcaune  soupera 
céans,  dit-elle  à  son  maistre  de 
l'hostel.  Cil  qui  le  ha  inducment  congné  sera  à  sa  discrétion,  s'il 
se  fait  incontinent  cognoislrc  ;  sinon,  ie  le  fais  rechercher  et 
branchier  par  le  prevost  de  l'hostel. 

Entendant  ce,  le  paige  qui  avoyt  suivy  la  dame  à  la  pourmc- 
nade  s'advança. 

—  Ma  (lame,  feit  Jacques,  qu'il  luv  soit  accordé  à  ma  prière  et 
pardon  et  guerdon,  veu  (pie  à  luy  doibs-jo  l'heur  de  vous  veoir, 
la  faveur  de  souper  en  vostrc  compaignie  et  ])eut-estre  celle  de 
faire  restablir  mon  père  en  la  charge  (jue  il  ha  plu  à  vostre  glo- 
rieux père  luy  commettre. 

—  Bien  dicl,  re[)arlit  la  Régente.  D'Kstouteville,  l'eit-elle  en  se 
revirant  devers  le  i)aig(',  ie  le  baille  une  coinitaignie  d'archers. 
Mais  à  l'advenir  ne  gecle  plus  rien  par  les  fenestres. 

Puis  la  Régente,  affriandt'e  dudict  Beaune,  luy  tendit  la  main, 
et  il  la  mena  fort  guallamment  dedans  sa  chambre,  où  ils  devisè- 
rent trez-bien  en  attendant  l'apprest  du  souper.  Là,  point  ne 
faillit  le  sieur  Iao(pies  à  dcsbagouler  son  s('avoir,  instiller  son 
père  et  se  bien  seoir  en  l'esprit  de  la  dicte  dame,  bupielle,  comme 
ung  chascun  sçayt,  pracli(pioyt  bien  Testai  de  son  père  et  nienoyl 

'25. 


'270 


CONTES  DROLATIQUES. 


tout  en  graiis  volées.  lacques  de  Beaune  poiirpensoyl  on  luy- 
niosnio  (jiio  h'ion  dilTicilc  estoyt  quo.  il  coucliiast  avec(juos  la 
[{l'iionto  ;  tols  tralTiecjs  no  so  parfaisoyont  jioint 
coniino  le niaiiaige des  ehatles,  ({ui ont  toiisiours 
une  gnuttièie  ez  toits  des  maisons  pour  y  aller 
uiargander  à  leur  aise,  Donequcs,  il  se  gau- 
dissoyt  d'eslre  cogneu  de  la  Régente  sans  avoir 
à  lui  compter  ce  douzaiu  diaholirque,  veu(pie, 
pour  ce,  hesoing  esloyl  ipie  mescliines  et  gens 
l'eussent  à  rescarlet  riionneursanf.  Néantmoins, 
redoutant  Tenginde  la  bonne  dame, parfoys  il 
'=^^— -  se  lastoyt,  se  dysant  :  «  En  auroys-je  l'estolTe?  « 
Mais  à  i'undire  de  ses  discours,  à  ce  songioyt  aussy  la  bonne 
Régente,  laquelle  avovt  aeeonunodé  mainl(>alTaire  moins croclnie. 
Et  de  deviser  trez-saigement.  Elle  l'eit  venir  ung  sien  secrétaire, 
Jiomme  au  laict  des  imaginations  idoynes  au  parfaict  gouverne- 
ment du  royaulme,  et  luydonnaen  commandementdcluy  remettre 
seercttement  img  faulx  messaige  pendant  le  souper.  Puis  vint  le 
repas,  auquel  point  ne  tonchia  la  dame,  veu  que  son  cueur  estoyt 
gonflé  comme  esponge  et  avoyt  diminué  l'estomach,  car  tousiours 
elle  pensoyt  à  ce  bel  et  duysant  bomme,  n'ayant  appétit  que  de  luy. 
lacques  ne  se  feit  faultc  de  mangier,  pour  raisons  de  toutes  sortes. 
Bon  messaiger  de  venir,  madame  la  Rt'gente  de  tempester,  frons- 
ser  les  sourcils  à  la  mode  du  l'eu  Roy,  de  dire  :  «  N'aura-t-on 
point  la  |)aixen  cet  Estât?  PascpiesDieu  !  nous  nesçaurions  avoir 
une  vesprée  de  bonne  !  »  Et  Régente  de  se  lever,  de  marclier. 
«  Holà  !  ma  bacquenée  !  Où  est  monsieur  de  Vieillcville,  mon 
escuyer?  Point.  Il  est  on  Picardie.  D'Estouteville,  vous  allez  me 
reioindre  avecques  ma  maison  au  cbastcau  d'Amboise...  »  Et 
advisant  son  lacques,  elle  dit  :  «  Vous  serez  mon  escuyer,  si(>ur 
de  Beaune.  Vous  voulez  servir  le  Roy?  Bonne  est  l'occasion. 
Pasques  Dieu!  venez.  11  y  ha  des 

mescontens  à  rebattre,  et  besoing      \^\''J/:-':-^^^7^^yÇ*t>^ 
est  de  fidelles  serviteurs.  »  VM 

Puis,  le  temps  (juc  ung  vieulx      (W, 
paouvre  eustmisàdire  ung  cent      ^^7^'^^^^^^ 
lï'ave,  clievaulx  l'eurent  bridez,       ^é^=b8^y^^^ 
sanglez,  presls.  Madame,  sur  sa 
bac(pienée,  et  h'  Tourangeau  à  ses  costez,  courant  daie,  dare,  aji 
cliastcau  d'Andjoise,  suyvis  de  gens  d'armiïs.  J*our  cstrc  brielct 


^/•^^^ 


LE  CHASTE  AU  D'AZAY. 


'J7I 


venir  an  faiol  sons  coninionlairosjf!  sicnr  do,  Roanno  fontlogicîà 
(lonzo  lois(!s  (loiiiadaiiic  (le  llcauion,  loing  des  cspios.  Lfscour- 
lizans  et  Ions  les  gens,  bien  eslonnez,  disconroyent  s'enfjuérant 
d'oîi  vindioyt  l'ennemy;  mais  le  douzainier,  |)rins  an  mol.  sça- 


vovl  bien  où  il  estoyt.  La  vertu  de  la  l'ié;^entc,  cbousc  coyncue 
dans  le  royauhnc,  la  saulvoytdes  soupçons,  vcn  que  elle  passoyt 
pour  estrcaussy  imprenable  que  le  cbasleau  de  Péronne.  A  l'heure 
du  couvre-l'en,  (piand  tout  lent  clos,  les  aurcilles  et  les  yeulx, 


le  cbasteau  muet,  madame  de  Beauieu  renvoya  sa  meschinc  et 
manda  son  escuyer.  Escuyer  de  venii'.  Lors,  la  dame  elLadven- 


272 


r.ONTFS   DROLATIOIKS. 


turier  se  voiront  soubz  lo  manteau  d'une  haulte  cheminée, 
accotiez  sur  ung  banc  bien  guarny  de  veloux;  puis  la  curieuse 
Régente  de  demander  aussytost  à  lacques  d'une  voix  mignarde  : 
—  Estes-vous  point  meurdrv  !  le  suis  bien  maulvaise  de  avoir 
laict  cbevaulcbor  pendant  douze  milles  ung  gentil  serviteur 
navré  tout  à  l'Iiouri  par  ung  des  miens.  l'ostoys  tant  en  poine, 
que  je  n'ay  point  voulu  me  couchier  sans  vous  avoir  veu.  Ne 
souflrcz-vous  point? 

—  le  souffre  d'impatience,  foit  le  sire  audouzain,  existimanl 
que  il  l'alloyt  ne  point  resnagler  en  ceste  occurrence.  —  Hien 
vois-je.  r('|iriiil-il,  ma  noble  et  toute  belle  maislresse,  que  vos- 
tre  serviteur  lia  trouvé  graace  devant  vous. 

—  La  !  là  !  rcspondit-elle,  no  menliez-vous  pas  alors  que 
vous  me  disiez...? 

—  Ouoy?  feit-il. 

—  Mais,  me  avoir  suyvie  ceste  douzaine  do  fois  aux  ecdises 
ol  anllios  lieux  où  i'alloys  do  ma  porsoiino. 

—  Certes,  dit-il. 

—  Doncques,  respondit  la  Régonto,  io  m'estoune  de  n'avoir 
veu  que  auiourd'huy  ung  preux  ieune  homme  dont  le  couraige 
est  si  bien  engravé  dedans  les  traicts.  le  ne  me  dédis  point  de 
ce  que  vous  avez  entendu  quaiul  ic  vous  cuydoys  navré.  Vous 
m'agréez  et  vous  veulx  bien  faire. 

Lors,  l'heure  du  sacrifice  diabolicque  estant  sonnée,  lacques 
tomba  aux  genoilz  de  la  Régente,  luy  baisa  pieds,  mains,  tout, 
dict-on.  Puis,  en  baisant  et  faisant  ses  prépa- 
ratoires, prou  va  par  luaint  aigunu'iit  à  la  vieille 
vertu  de  sa  souveraine  (jne  une  dame  portant 
le  fait  de  l'Kslat  cstoyt  bien  en  droict  de  s'os- 
lialtre  ung  petit.  Licence  que  n'admit  point 
l:i(lifto  Régonto,  laquelle  tenoyt  à  estre  forcc'o, 
.illin  (l'oMoliargior  son  amant  de  tout  lo  péché. 
Ce  néantnu)ins,  c(tnq)toz  i\uo  elle  s'estoyt,  })ar 
advance,  Irez-bien  j)arfumée,  attornée  de  nuict 
ot  leluisoyt  de  ses  dezirsd'accointance,cfont  la 
hanllo  couleur  luy  prosloyt  ung  fard  de  bon 
(|ii(l  liiy  avo\t  bien  osclairoy  lo  fainct.  VA,  maulgré  sa 
molle  delfeiise,  l'eut,  connue  ung  tendron,  emportée  d'assaull  on 
son  liel  royal,  on  la  bonne  (hune  et  le  ienne  donzainier  s'ospou- 
sèrent  en  conscience,  ha.de  ieiix  en  noi/e.  de  uoize  en  riottes, 


al 


LK  CIIASTEAU    li'AZW. 


27." 


(le  riollos  ou  iil}iiii(lcri('s,(li;  lil  on  csi^iiillc,  la  HiVf'riff»  déclara 
croire  mieux  en  la  virginité  de  la  Hoyiie  Marie  qu'an  douzain 
promis.  Oi'es,  j)ar  advcnture,  Iac(juesde  Heauiie  ne  trouvovl  |)()int 
d'aage  îi  cesle  yrant  dame,  sous  les  toiles,  veu  que  tout  clieten 
niolamorpliose  à  la  lueur  des  lampes  de  nuict.  Bien  des  fennncs 
de  cin(}uante  ans  au  jour  ont  vinyt  ans  sur  le  minuict,  comme 
aulcunes  ont  vingt  ans  à  niidy  et  cent  après  vespres.  Donccpies 
Jacques,  plus  heureux  de  c<'ste  reiu'ontre  que  de  celle  du  Hov  (!n 
ung  iour  de  pendaison,  tint  derediiel' sa  gageure.  Ores,  Madame, 
estonnéc  à  part  elle,  y  promit  de  son  costé  bonne  assistance, 
oultre  la  seigneurie  d'Azay-le-Bruslé,  hicnguarnie  de  mouvances, 
dont  elle  s'engagioyt  à  ensaisincr  son  cavalier,  oultre  la  graaee 
du  père,  si  de  ce  duel  elle  sortoyt  vaincue. 

Lors  le  bon  lils  de  dire  :  —  Vécy  pour  saulver  mon  pèie  de 
iustice!  Cecy  pour  le  fief!  Cela  pour  les  lods  et  ventes!  Cettuy 
pour  la  forest  d'Azay  !  Item  pour  le  droit  de  pesche  !  Encores 
pour  les  isles  de  l'Indre  !  Gaignons  la  prairie  !  Desgageons  des 
mains  de  la  iustice  notre  terre  de  la(!arte,  si  cliierement  acliep- 
tée  par  mon  père  !  Voilà  poui'  une  charge  en  (^<ourl. 

En  arrivant  sans  encombre  à  cet  à-compte,  il  crut  la  dignité 
de  sa  braguette  engagée,  et  songia  que,  tenant  soubz  luy  la 
France,  il  s'en  alloyt  de  l'honneur  de  la  couronne.  Hrief  moven- 
nant  ung  \œn  qu'il  (eit  à  son  pation  monsieur  saint  lac(pies  de 
luy  baslir  une  clia|)elle  audict  lieu  dAzay,  il  ])résenta  son  hom- 
maige-lige  à  la  Régente  en  unze  périphrases  claires,  nettes,  lim- 
pides et  bien  sonnantes.  Pour  ce  qui  est 
du  darrenier  épilogue  de  ce  discours  en 
bas  lieu,  le  Tourangeau  eut  l'oultre-cuy- 
dance  d'en  vouloir  lestoyer  largement  la 
Régente,  luy  guardanl,  à  son  resveil, 
ung  salut  d'honneste  honnne,  et  comme 
besoing  estoyt  an  seigneur  d'Azay  de 
mercier  sa  souveraine.  Ce  qui  esloyt  sai- 
gement  entendu.  Mais  ({uand  la  nature  est  l'ourhue,  elle  agit 
comme  ung  vrai  cheval,  se  couche,  mourroyt  soubz  le  fouet 
paravant  de  bougier,  et  gist  ius(iues  à  oe  que  il  luy  plaise  de  se 
lever  guarnie  en  ses  magazins.  Doncques,  alors  ([ue,  an  matin, 
le  faulxcoimeau  du  chasieau  d'Azay  enireprint  de  saluer  la  lille 
du  Roy  Loys  unze,  il  l'eut  conirainci,  maulgrt'  ses  bonnelades, 
de  la  saluer  comme  se  saluent  les  souverains,  par  des  salves  à 


274  CONTES  DROLATIQUES. 

pouldro  soulomont.  Aussy  la  Régonfo.  au  di-sinolici'  du  lict,  ce 
jU'iulaiit  qiio  l'ili'  tlositMinovl  avoo([uos  lacquos,  loquet  so  disoyt 
seigneur  légitime  d'Azay,  print  acte  de  cette  insulTisancc  pour 
contredire  son  escuyer  et  prétendit  que  il  n'avoyt  point  gaignéla 
gageure,  partant  point  de  seigneurie. 

—  Ventre-Saincl-Paterne  !  i'en  ay  esté  bien  près  !  dit  lacques  de 
Reaune:  Mais,  ma  cliiere  dameet  noble  souveraine,  il  n'est  séant 
ni  à  vous  ni  à  nioy  d'estre  iuges  en  nostre  cause.  Ce  cas,  estant 
iing  cas  allodial,  doibt  estre  porté  en  vostre  conseil  veu  que  le 
fiel'  d'Azay  relève  de  la  couronne. 

—  Pasqucs  Dieu!  repartit  la  Régente  en  riant,  ce  qui  ad- 
venoyt  potitenient,  ie  vous  donne  la  charge  du  sieur  de  Vieille- 
ville  en  ma  maison,  ne  l'eray  point  recherduM'  vostre  père,  ie 
vous  baille  Azay,  et  vous  bouteray  en  ung  oITice  royal,  si  vous 
pouvez,'  mon  honneur  sauf,  exposer  le  cas  en  plein  conseil. 
Mais,  si  ung  mot  venoyt  à  entacher  mon  renom  de  preude 
femme,  ie... 

—  le  veulx estre  pendu,  dit  le  douzainier,  tournant  la  cliouse 
en  rii'e,  pour  ce  que  madame  de  Reauieu  avoyl  un  soupçon  de 
cholère  en  son  visaige. 

De  faict,  la  fille  de  Loys  le  unziesme  se  soulcioyt  plus  vou- 
lenliers  de  la  royaulté  que  de  ces  douzains  de  miesvi  cries, 
dont  elle  ne  feit  aulcun  estât,  veu  que,  cuydant  avoir  sa  bonne 
nuictée  sans  bourse  deslier,  elle  ])réréia  le  récit  ardu  de  la 
chouseà  ung  aultre  douzain  dont  le  Tourangeau  luy  faisoyt  offres 
réelles. 

—  Doncques,  ma  dame,  reprint  lel)on  compaignon,  ie  seray, 
pour  le  seur,  vosire  escuyer. 

Ung  chascun  des  capitaines,  secrétaires  et  aullres  gens  ayant 
des  offices  en  la  régence,  estonnez  de  la  briefve  despartie  de  ma- 
dame de  Reauieu,  apprindrenl  son  esmoy,  vindrent  au  chasteau 
d'Andjoise,  en  liaste  de  sçiivoir  d'oii  piocédoyt  le  tumulte,  et  se 
treuvèreiit  jiri'sls  à  lenii' conseil  au  li-ver  de  la  Régente.  Klle  les 
convoc(pia,  pour  ne  point  être  soubeonnée  de  l(>s  avoir  truphez, 
et  leur  donna  aulcunes  bourdes  à  distiller  ([ue  ils  distillèrent  sai- 
genient.  Kn  fin  de  ccsie  séance  vint  le  nouvel  escuyer  pour  ac- 
conqiaigner  la  dicte  dame.  Voyant  les  conseillers  levez,  le  liardy 
Tourangeau  lein'  demanda  solution  d'img  litige  qui  inqtortoyl 
à  luy  et  au  domaine  du   ISov. 

—  KscoMti'/.-le,   Iril    i;i  lii'i^eiite.    Il  dici  vrav. 


LE   ClIASTKAI     hAZAV. 


275 


Lors,  Iac(|ucs  do  Ik-auiie,  sans  s\'S])aiil(  rdr  rapiiaicil  (\f  ccslc 
lianlto  iustico,  pfint  la  parole  ainsy,  on  à  pi^i  pivs  :  —  Ndhlrs 
soi^'nciii's,  ic  vous  supplio,  encore  que  ic  vais  parler  à  vous  de 
ro('(piilles  de  noix,  d'eslre  atlentil's  en  eesie  cause,  et  me  par- 
donner la  vélillerie  du  lan{^uaigo.  Lny  seigneur  se  promenant 
avecques  ung  aultrc  seigneur  on  ung  verger  advizèient  ungbeau 
noyer  de  Dieu,  bien  planté,  bien  venu,  bel  àveoir,  bel  à  garder, 
quoique  nng  peu  creux;  un  noyer  tousioin's  frais,  sentant  bon, 
ung  iiover  dont  vous  ne  vous  lasser-iez  point,  si  vous  l'aviez  veu  ; 
noyer  d'anuturcjui  scnddoyt  l'arbre  du  bien  et  du  mal,  del'leiuhi 
par  le  Seigneur  Dieu,  et  pour  lequel  feurcnt  bannis  nostrc  mère 
Eve  et  le  sieur  son  niary.  Ores,  niesseigneurs  ce  dict  noyer  feu t 
le  subiect  d'une  légiere  noize  entre  les  deux  seigneurs,  une  de 
ces  ioveidses  gageures  (jue  nous  soûlons  faii'e  entre  aniys.  Le 
plus  ieune  se  iacta  d'envoyer  douze  l'oys,  à  travers  ce  noyer 
îcuilh],ung  l)aston  que,  pour  lors,  il  avoyt  en  la  main  connue 
ung  cbascun  de  nous  en  lia  parfoys  en  la  sienne  quand  il  se 
pourniène  enuny  son  veiger,  et,  par  chaque  gect  dudict  baston, 
iouxter  par  teric  une  noix... 

—  Ce  est-il  bien  le  nœud  du  procès?...  l'eit  lacques  se  vir;uit 
ung  i)etit  devers  la  Régente, 

—  Oui,  messieurs  !  respondit-elle,  surprinse  de  l'estocci  de 
son  escuyer. 

—  li'aullre  gagea  le  contre,  reprint  le  idaideur.  Vécy  mon 
beau  parieur  de  gecter  le  baston  avec(|ues  adresse  et  couraige, 
si  gentement  et  si  bien,  (pie  tous  deux  y  avoyent  plaisir.  Puis, 
par  joyeulse  protection  des  saincts  qui  soy  divertissoyent  sans 
doubte  à  les  veoir,  en  chaque  coup  tomboyt  une  noix;  et,  de 
faict,  en  eurent  douze.  Mais,  par  cas  for- 
tuit, la  darrenière  des  noix  abattues  se 
tieuva  creuze  et  n'avoir  aulcune  poulpe 
nourricière  d'où  pust  venir  ung  aultre 
noyer,  si  iardinicr  l'eust  voulu  mettre  en 
terre.  L'honune  au  baston  ba-t-il  gaigné? 
l'ai  dict.  lugez  ! 

—  Tout  est  dict,  l'eit  messire  Adam  Fu- 
mée, l'oiuangeau  ([ui  lors  avoyt  les  sceaulx  en  guarde.  L'aidlre 
n'lia([u'une  manière  de  s'en  tirer. 

—  Vax  (pioy'.'  dit  la  Uégente. 

—  En  jiayant,  madame. 


276  CO.NTKS  liUOL  VTIOUES. 

—  Il  est  par  trop  subtil,  i'eit-clle  en  donnant  ung  coup  de  iiniin 
sur  la  iouc  de  son  escuyer:  il  sera  pendu  quelque  iour... 

Elle  cuydoyl  gausser.  Mais  ce  mot  l'eut  la  réaile  horoscope  du 
dict  argentier.  Ii'quel  rencontra  resclielle  de  Montlaucon  au  bout 
de  la  laveur  ro\ale,  par  la  vengeance  d'une  aultre  vieille  lennne 
et  la  trahison  insigne  d'ung  homme  de  Ballan,  sien  secrétaire, 
dont  il  avoyt  laict  la  tortune,  lequel  ha  nom  Prévost,  et  non  point 
Uené  Gentil,  comme  aulcuns  l'ont  à  grant  toit  appelé.  Cettuy 
(lanelon  el  maulvais  serviteur  bailla,  dict-on,  à  madame  d'An- 
goulesme  la  (piittance  de  l'argent  (jue  luy  avoyt  compté  le  dict 
lacques  de  Beaune,  alors  devenu  baron  de  Semblancay,  seigneur 
de  la  Carte,  d'Azay,  et  ung  des  plus  haults  bonnets  de  l'Estat. 
De  ses  deux  fds,  l'un  estoyt  archevesque  de  Tours;  l'autre  géné- 
ral desliiianceset  gouverneiu'  de  Tourainc.  Mais  cecy  n'est  point 
le  subiect  des  i)résenles. 

Ores,  pour  ce  qui  est  de  cesle  adventure  de  la  ieunesse  du  bon 
lionnne,  madame  de  Beauieu,  à  (jui  si  beau  ieu  estoyt  esclieu 
ung  peu  tard,  bien  contente  de  rencontrer  baulte  sapience  el 
entendement  des  afl'aires  publiccpies  en  son  amant  fortuit,  luy 
bailla  en  gar<le  l'espargne  du  Boy,  oii  il  se  conqxirta  si  bien, 
nHdli|)lia  si  curieusement  les  douzains  royaulx,  (pie  sa  grant 
renonnnée  lui  acijuit  ung  iour  le  maniement  des  linances,  dont 
il  feut  superinti-ndant  etcontroola  iudicieusement  l'eniploy.non 
sans  de  bons  iiroulficts  pour  luy,  ce  qui  iustc  estoyt.  La  bonne 
Bégente  paya  la  gageure  et  l'eit  délivrer  ;i  son  escuyer  la  sei- 
gneurie d'Azay-le-Bruslé,  dont  le  chasiel  avoyt  esté  jtiéçà  luyué 
par  les  [»reniiers  bond^ardieis  (|ui  vindrcnl  en  Touraine,  connue 
ung  chascun  sçayt.  Et,  pour  ce  miracle  pulverin,  sans  l'inter- 
vention du  Bov,  les  dicts  enginieurs  eussent  esté  condamnez 
comme  fauteurs  et  héréticcpies  du  démon  par  le  tribunal  ecclé- 
siasti(pie  du  Chapitre. 

Lors  se  bastissoyl  aux  seings  de  messire  Boliiei",  général  di's 
finances,  le  chasteau  de  Chenonceaulx,  lecpiel,  par  mignardise 
et  curiosit(',  boutovl  son  basliment  à  cheval  sur  la  livière  du 
Cher. 

(Ires,  le  baron  de  Seiiddaiicav,  voulant  aller  à  l'encontre  du- 
dicl  Bohier,  se  iacta  d'i'dilier  le  sien  an  lund  de  l'Indre,  où  il  est 
encores  debout,  connue  le  ioyau  de  cesle  belle  vallée  verde, 
tant  il  y  feut  solidement  assis  ez  pilotis.  Aussy  lacipies  de  Bcaune 
y  despeudil-il  trente  mille  escnz,  oullre  les  corvées  des  siens. 


I.K   CIIASTKM     D'AZAV 


277 


(;()iii|ilr/  cikI;'!  f|il('  ce  cliiistc;!!!  est   iiii;^  des  l)(';iiil\',  (les  gfillils, 

des  iiiiyiioii.s,  (les  )ni<'iilx  claljoifz   cliastraulx   de  la  iiii;^iionne 

Toiiraine,  et  se  baigne  tousiours  en  l'Indre  comme  une  galloise 

princière,  bien  affile  de  ses  pavillons  et  croisées  à  dentelles," 

avcc([ues  iolys  soiildaids  en  ses  giioiiettes,  tournant  au  gi('  du 

ventconunelous  li's  souldards.  Mais  l'eut  pendu  lebon  Senildanray 

paravantde  le  liner,  en  suite  (pie  nul  du  de|iuys  ne 

s'est  rencontre  assez  pouiveu  de  deniers  pour  lepa- 

racbevcr.  Cependant  son  maislre  le  Roy  Françoys, 

premier  du  noiii,  y   avoit  esté  son  lioste,  et  si  eu 

veoit-on  encores  la  chaiiibres  royale.  Au  concilier  du 

Roy,   Seniblaneay,   leipiel   estoyt,  ]>ar  ledict  siri", 

noiuiué  ((  mon  père  »  en  riiouueur  de  ses  cheveuh 

blancs,  ayant  entendu  dire  à  son  maistre  auipiel  il 

estoyt  tant  anectionné  : 

—  Voilà  douze  lieiiies  liien  liappées  en    vostre 
lidinloiie,  iiKMi  eliier  père  ! 

—  lié  !  Sire,  reprint  le  superintendant  des  linaii- 
ces,  à  douze  cou|)S  d'ung  marteau,  pour  le  présent 
bien  vieil,  mais  bien  frappez  iadis  en  ccstc  mesme 
beure,  doibs-je  ma   seigneurie,  l'argent   despeiidii  en    ice 
riieiir  de  vous  servir... 

Le  bon  Roy  voulut  scavoir  ce  (pie  entendoyt  son  serviteur  par 
ces  estranges  paroles.  l)onc(}ucs,  ce  pendant  (pie  le  sire  se  bou- 
toyt  en  son  lict,  lacques  de  Beaune  luy  raconta  l'bistoire  que  vous 
sçavez.  Ledict  Frauf'oys  ])reniier,  le(piel  estoyt  friand  de  ces  mar- 
ganderies,  estima  la  rencontre  bien  (liolalic(pie,  et  v  print  d'au- 
tant plus  de  divertissement  que  alors  madame  sa  mère,  ducbessc 
d'Aiigoiilesmc,  sur  le  retourner  de  la  vie,  poiircliassoyt  iing  petit 
le  connestable  de  Ronrbon,  iioiir  en  ohleiiii  qiiel(pie.s-uns  de  ces 
douzains.  Maulvais  amour  de  mauivaise  remme,-<-ar  de  ce  vint  en 
péril  le  rovaulme,  l'eut  piins  le  Roy  et  mis  à  mort  le  paouvre 
SembhuK'ay,  comme  lia  est(î  cy-dessus  dict. 

l'ay  en  cure  de  consigner  icy  commeiil  l'eiil  hash  je  cliasleau 
d'Azay,  pour  ce  ipiil  (ieiiioiire  coiislaiit  (pie  aiiisy  print  com- 
niencenient  la  iiaiille  rinhiiie  de  Seiiil»laii(;ay,  lequel  lia  moult 
laict  pour  sa  ville  iialale.  (pie  il  amiia;  et  si  employa-t-il  bien 
de  notables  sommes  au  paraelievemeiit  des  tours  de  la  callié- 
drale.  Cesle  bonne  adveiiture  s'est  contée,  de  père  à  Mis  et  de 
sei;:iieiir  à   ^ei;iiieiir.  aiiiliil   lieu  d' \/.i\  li-lînli  I.  m'i   ledict  r('cit 


■Ile   et 


278  CONTES  DROLATIQUES. 

Iriii;iiie  cncoivs  soubz  los  courtinos  tlu  lloy,  losqucllcs  ont  esté 
ciirioiisemcnl  rospocti'os  iusques  aiiiourtl'huy.  Donojiu's  est 
laulse  de  toute  l'uulseté  l'attribution  de  ce  douzain  tourangeau  à 
ung  chevalier  d'Alleniaigne,  (jui,  j)ar  ce  faict,  aurovt  con((uesté 
les  domaines  irAuslrichc  à  la  maison  de  IIapsl)our<i.  L'autlieur 
de  noslre  tenijis  (jui  lia  mis  en  lumière  ceste  histoire,  (pioique 
bien  seavant,  s'est  laissé  tru|iher  [)ar  auleuns  chronieijueurs,  veu 
que  la  chancellerie  de  l'empire  roniain  ne  faict  point  mention  de 
ceste  manière  d'ac((uest.  le  luy  en  veulx  d'avoir  cuydé  (|ue  une 
braguette  nourrie  de  bierrc  ayt  pu  fornir  à  ceste  al(|uemie  hon- 
neur des  braguettes  cliinonnoises  tant  prisées  de  Ral)elais.  Kt 
i'ay,  pour  l'advantaige  (hi  pays,  la  gloire.  d'Azav,  la  conscience  du 
chastel,  le  renom  de  la  maison  de  Heaune,  d'où  sont  yssus  les 
Sauves  et  les  Noirmoustiers,  restably  le  laict  dans  sa  véritable, 
historicque  et  mirificque  gentillesse.  Si  les  dames  vont  veoir  le 
chasteau,  elles  treuveront  encores,  dans  le  pays,  (juelques  dou- 
zains,  mais  en  deslail. 


LA  FAULSE   COURTIZANE 


Ce  cfuc  aulcuns  no  sravcnt  point  ost  la  vi'rité  touchant  le  trcs- 
passement  du  duc  d'Orléans,  frère  du  roy  Charles  sixiesme, 
meurtre  qui  advint  jiar  hon  nundire  de  causes,  dont  une  sera  le 
suhiect  de  ce  conte.  Cettuy  prince  ha  esié,  pour  le  sour,  le  plus 
grant  et  aspre  paillard  de  toute  la  race  royale  de  nionsei^^neur 
sainct  Loys,  qui  feut,  en  son  vivant,  roy  de  France,  sans  mettre 
néantmoins  hors  de  concours  aulcun  de  ceux  qui  ont  esté  les  plus 
deshauchez  de  cestc  lionne  famille,  laquelle  est  si  concordante  aux 
vices  et  qualitez  especialesde  nostiehravc  et  ri;j:oIlcuse  nation,  que 
vous  inventeriez  mieulx  l'enfer  sans  monsieui' Satan  que  la  Trance 
sans  ses  valeureux,  glorieux  et  rudes  braguards  de  Hoys.  Aussy 
riez-vous  autant  des  regrattiers  de  philosophie  qui  vont  disant  : 
«  Nos  pères  estoyent  meilleurs  !  »  que  des  lionnes  savattes  ])hi- 
laiilhropicqucs,  les(piell('s  jiirlendent  les  hommes  esire  en  voye 
(le  pciffclioii.  Ce  sont  tous  aveugles.  Icsfpiels  n'ohscrvenl  point 
le  plumaige  des  hnislres  et  le  cocquillaige   des  oyseaulx.  qui 


I.A      PllbUue     ET     CUASTK      VI.'Uuc        !>.... 


LA  F.M'LSn  COI  iitis\.m:. 


2SI 


iamais  ne  changent,  non  plus  que  nos  alleures.   n('  doncques! 
rejîoubillonncz  ieune,  beuvoz  liais  cl  ne  |tlouiv/  jioint,  vcu  que 


ung  quintal  de  mélancliolie  ne  sçauroyt payer  uneonccdefiippe. 

Les  (lesportemens  de  ce  seigneur,  amant  de  la  royne  Isabeau, 
laquelle  aynioyt  dru,  comportèrent  beaucoup  d'adventures  plai- 
santes, veu  que  il  estoyt  goguenard,  d'un  naturel  al(ibiad('S(pi(', 
vray  Françoys  de  la  bonne  rocbe.  Ce  l'eut  luv  qui,  premier, 
conceut  d'avoir  des  relays  de  lenunes,  en  soite  que,  alors  (|ue  il 
alla  de  Paris  à  Hourdeaux,  treuvoyt  tousiours,  au  desseller  de  sa 
monture,  ung  bon  repas  et  ung  lict  guarny  de  iolies  doubleures 
de  chemises.  Heureux  prince!  qui  mourut  à  cheval,  comme 
tousiours  il  estoyt,  voire  mesmes  entre  ses  draps.  De  ses  comicques 
ioyeulsetez  nostre  trez-excellent  Roy  Lovs  le  unziesme  en  ha 
consigné  une  mirificque  au  livre  des  Cent  Nouvelles  nouvelles, 
escriptes  soubz  ses  yeulx,  pendant  son  exil  en  la  Court  de  Bour- 
gongne,  où  pendant  les  vesprées,  ])Our  sov  divertir,  luv  et  son 
cousin  (^ihuiolois  se  racoutoyent  les  bons  tours  advenus  en  cettuy 
temps.  Puis,  (juand  dc'l'ailloyt  les  vrays,  ung  chascun  de  leurs 
courtizans  leur  en  inventoyent  à  qui  mieulx.  Mais,  par  respect 
pour  le  sang  royal,  monseigneur  le  Daulphin  ha  mis  la  chousc 
advenue  à  la  dame  de  Cany  sur  le  couq)te  d'un  bourgeois,  et 
sous  le  nom  de  la  Médaille  à  revers,  que  ung  chascun  peut  lire 
au  recueil  dont  il  est  ung  des  ioyaulx  les  mieulx  ouvrez  et  com- 
mence la  centaine.  Vécy  le  mien. 

Le  duc  d'Orléans  avoyt  ung  sien  serviteur,  soigneur  de  la  pro- 
vince de  Picardie,  nommé  Haoul  d'IIocquetonville,  b^quel  print 
pour  femme,  au  futur  eslrif  du  prince,  une  damoiselle  alliée  de 

24. 


•282  CONTES  DROLATIQUES. 

la  maison  do  Courgongno,  riche  on  domaines.  Mais,  par  exception 
aux  figures  d'héritières,  elle  estoyt  d'une  heaulté  si  esclatante, 
que,  elle  présente,  toutes  les  dames  de  la  Court,  voire  la  Uoyne  et 
madame  Valentine,  semhloyent  esirc  dans  runihro.  Néanlmoins 
ce  ne  estovt  rien,  en  la  dame  d'iloctpictonville,  (pie  sa  parente 
hourguignotte,  ses  hoyeries,  sa  ioliesse  et  mignonne  nature,  pour 
ce  que  ces  rares  advcntaiges  recevoyent  ung  lustre  religieux  de 
sa  supresme  innocence,  belle  modestie  et  chaste  éducation.  Aussy 
le  due  ne  llaira-t-il  pas  longtemps  ceste  fleur  tomhét;  du  ciel  sans 
en  estreentiebvré  d'amour.  11  client  en  mélaneholie,  ne  se  soulcia 
plus  d'aulcun  clappier,  ne  donna  qu'à  regret,  de  temps  à  aultre, 
ung  coup  de  dent  au  friand  morceau  royal  de  son  Allemamle 
Isabeau,  puis  s'enraigea  et  iura  de  iouyr  par  sorcellerie,  par  force, 
par  trupherie  ou  bonne  voulenté,  de  ceste  tant  gracieuse  femme, 
laquelle,  par  la  vision  de  son  mignon  corps,  le  contraingnoyl  à 
s'appréhender  luy-mesme  pendant  ses  nuicts  devenues  tristes  et 
vuydes.  D'abord  la  pourchassa  trez-ibrt  de  paroles  dorées;  mais 
bien  tost  cognent  à  son  air  gay  que,  à  part  elle,  estoyt  conclud 
de  demourer  saige,  veu  que  elle  luy  respondit,  sans  s'estomirer  de 
lachouse,ni  soy  fasclier  connue  l'ont  h's  Icmmes  de  court  talon  : 
—  Mon  seigneur,  ie  vous  diray  que  ie  ne  veulx  point  m'incom- 
moder  de  l'amour  d'aultruy,  non  par  mespris  des  ioyes  (jui  s'y 
rencontrent,  car  bien  cuisantes  doibvent-elles  estre,  pour  ce  que 
si  grant  numbre  de  femmes  s'y  abysment,  elles,  leurs  maisons, 
gloire,  advenir  et  tout,  mais  j)ar  amour  des  enfans  dont  i'ay  la 
charge.  Point  ne  veulx  mettre  la  rougeur  en  mon  front,  alors  ipie 
ie  rebattray  mes  filles  de  ce  principe  servatenr  :  que  dans  la 
vertu  sont  pour  nous  les  vrayes  félicitez.  De  liiict,  mon  seigneur, 
si  nous  avons  plus  de  vieulx  iours  (jue  de  ieuncs,  à  ceulx-là 
debvons-nous  songier.  De  ceulx  qui  m'ont  nourrie  i'ai  apprins  à 
existimer  réallemenl  la  vie,  et  seays  (jue  tout  en  est  Iransiloii'e, 
fors  la  sécurité  des  affections  natuielles.  Aussy  ie  veulx  l'estime 
de  tous,  et  par-dessus  celle  de  mon  espoux,  leipiel  est  j)onr  moy 
le  monde  entier.  Donccpics  ay-jedezird'estre  honnesle  àsesyculx. 
I'ay  dict.  Et  vous  suj)plie  de  me  laisser  vaquer  en  paix  aux 
clious(;s  de  mon  mesnaige,  aultrement  i'en  refereroys  sans  ver- 
gongne  à  mon  seigneur  et  maistre,  (pii  se  relireroyt  de  vous. 
Ceste  brave  response  amomaclianl  davantaige  le  frère  du  Kov, 
il  se  délilx'ra  d'enq)i('g('r  reste  n(»blc  Iniinic,  à  ceste  fin  de  la 
posséder  iiioilc  nii  vilVr,  et  ne  di)iil)l;i  jiniiil   de  |;i  inctlre  en  son 


LA   FAULSF  COURTISANE.  28Ô 

greflc,  se  fiant  à  son  sçavoir  on  ccslc  clinsso,  la  pins  inynilso  do 
toutes,  où  bosoing  est  d'usor  dos  engins  d(;s  aultros  cliassos,  von 
que  ce  ioly  gibier  se  print  à  courre,  aux  niirouers,  aux  flam- 
boaulx,  de  nuict,  do  iour,  à  la  ville,  on  canipaigno,  oz  fourre/, 
aux  bords  d'oauc,  aux  filets,  aux  lanlxcons  deseliapperonnez, 
à  l'arrest,  à  la  trompe,  au  tir,  à  l'appeau,  aux  rots,  aux  toiles, 
à  la  pippéc,  au  gistc,  au  vol,  au  cornet,  à  la  glue,  à  l'appast,  an 
pippeau,  enfin  à  tous  pièges  ingéniez  depuis  le  bannissement 
d'Adam.  Puis  se  tue  do  mille  manières,  jiiais  pros(pio  tousiours  à 
la  clievau!eli('e. 

Doiioques  le  i)on  sournoys  ne  somia  jihis  mol  de  ses  dezirs,  mais 
l'oit  donner  à  la  dame  d'iloeipietonvillo  une  charge  on  la  maison 
de  la  Royne.  Ores,  ung  iour  que  ladicte  Isabeau  s'en  alloyt  à 
Vincesnes  venir  le  Roy  malade,  et  le  laissoyt  maistre  en  l'Iiostol 
Sainct-Paul,  il  ordonna  le  |)lus  friand  sou|)or  royal  au  queux,  luy 
cnioingnant  do  le  servir  dedans  les  cliandjres  âo  la  Pioyne.  Puis 
manda  sa  rostive  dame  })ar  exprès  oommandemont  et  par  ung 
paige  de  l'hostcl.  La  comtesse  d'IIoc(|uetonvillo,  cuydant  estrc 
deziréo  par  madame  Isabelle  pour  aiïairo  de  sa  charge,  ou  conviée 
à  (pu^bpie  osbat  soubdain,  se  liasta  de  venir.  Ores,  selon  les 
dispositions  {)rinsosj)ai' le  dosloyal  amoureux,  nul  no  put  informer 
la  noble  dame  de  la  despartio  do  la  i»rincosse;  dono(|uos  elle 
accourut  iusques  en  la  belle  salle  qui  est  à  l'hostel  Sainot-Paul 
avant  la  cbambre  où  couchioyt  la  Royne.  Là  voit  le  duc  d'Orléans 
seul.  Lors  redouta  quelque  traistre  cmprinse,  alla  vitemont  en 
la  chambre,  ne  rencontra  point  de  Royne,  mais  entendit  ung 
bon  franc  rire  de  prince. 

—  le  suis  perdue,  feit-elle.  Puis  voulut  se  enfuir. 

Mais  le  bon  cbasseur  de  femmes  avoyt  aposté  des  serviteurs 
dévouez,  lesquels,  sans  cognoistre  ce  dont  il  s'en  alloyt,  fermèrent 
l'hostel,  barricadèrent  les  portos,  et  dedans  ce  logiz,  si  grant  que 
faisoyt-il  le  (piait  do  Paiis,  la  dame  d'ilocquolonvillo  se  trouva 
comme  en  ung  désert,  sans  aultre  secours  que  coluy  do  sa  pa- 
tronne et  Dieu.  Lors,  doubtantde  tout,  lapaouvredamo  tressaillit 
horrificquement  et  tomba  sur  une  chaire,  quand  le  travail  de 
ceste  endjusche,  si  curieusement  oxoogitée,  Iny  font  démonsln' 
entre  mille  bons  rires  par  son  amant.  Alors  (pie  le  duo  l'oit  mine 
(1(^  s'approuchor,  ceste  l'ennne  se  lova,  j)uis  luy  dit  on  s'ai'mant 
de  sa  langue  d'abord,  et  mettant  mille  malédictions  on  ses  youlx  : 

. —  Vous  iouyrez  de  moy,  mais  morte!  lia!  mon  seigneur,  ne 


284  CONTES  DROLATIQUES. 

niP  contraignez  point  à  uno  liicte  qui  so  sçanra  sans  double 
aulcun.  En  ce  niomont,  io  puis  nio  rotiror,  ol  le  sieur  (rilocquo- 
tonville  ignorera  la  iiiale  heure  que  vous  avez  mise  à  lousiours 
en  ma  vie.  Duc.  vous  resguardez  trop  le  visaige  des  dames  pour 
treuter  le  temps  d'estudier  en  celluy  des  hommes,  et  vous  ne 
cognoissez  point  quel  serviteur  est  à  vous.  Le  sire  d'Hocqueton- 
ville  se  feroyt  hascher  pour  vostre  usaige,  tant  il  est  jjien  lié  à 
vous,  en  mémoire  de  vos  hienfaiets,  et  aussv  pour  ce  que  vous 
luy  plaisez.  Mais  autant  il  aynie,  autant  il  hait.  Et  ie  le  cuyde 
homme  à  vous  deschargier,  sans  jiaour,  ung  coup  de  masse  en 
vostre  teste,  pour  tirer  vengeance  d'ung  seul  cry  que  vous  me 
auriez  contraincte  à  gecter.  Souhhailez-vous  ma  mort  et  la  vostre, 
meschant?  Soyez  acertené  que  mon  tainet  dhonneste  femme  ne 
sçait  guarder  ne  taire  mon  bon  ni  maulvais  heur.  Ores  bien, 
ne  me  lairrez-vous  point  yssir?... 

Et  le  braguard  de  sifller.  Oyant  ceste  sifïlerie,  la  bonne  femme 
alla  soubdain  en  la  chambre  de  la  Royne  et  v  print,  en  ung  lieu 
que  elle  sçavoyt,  ung  ferrement  agu.  Puis,  aloi's  que  le  duc  entra 
pour  s'enquérir  de  cequevouloyf  dire  ceste  fuite  :  —  Quand  vous 
passerez  ceste  raye,  cria-t-elle  en  luy  monstrant  le  planchier.  je 
me  tueray. 

Leduc,  sans  s'effrayer,  print  une  chaire,  se  bouta  iuz  la  solive, 
et  commença  des  arraisonnemens  de  négociateur,  ayant  espoir 
d'eschauffer  les  esperits  à  ceste  femme  faulve,  et  la  mettre  au 
poinctde  n'y  veoir  goutte,  en  luy  remuant  la  cervelle,  le  cueur  et 
le  reste  par  les  inuiiges  de  la  chouse.  lloncques.  il  luv  vint  dire, 
avecques  les  fassons  mignonnes  dont  les  princes  sont  coustumiers, 
que  d'abord  les  femmes  vertueuses  acheptoyent  bien  obier  la 
vertu,  veu  que,  en  ceste  fin  de  gaigner  les  chouses  fort  incertaines 
de  l'ad  venir,  elles  perdoyent  les  plus  belles  iouyssancesdu  jirésent, 
pour  ce  que  les  marys  estoyent  contraiiicts,  par  liaullc  j)()lili((pie 
coniugale,  de  ne  point  leur  descouvrir  la  boéte  aux  ioyaulx  de 
l'amour,  veu  que  cesdicts  ioyaulx  resluisoyent  tant  dans  le  cueur, 
avoyent  si  cbauldes  délices,  si  chatouilleuses  voluj)tez,  que  une 
fennne  ne  sçavoyt  jdus  resterez  froides  régions  du  mesnaige; 
que  ceste  abominalion  maritale  estoyt  Irez-léslonne,  en  ce  (jue, 
j)our  le  moins,  ung  homme  debvoyt-il,  en  recognoissance  de  la 
saige  vie  d'une  femme  de  bien  et  de  ses  tant  cousteux  mérites, 
s'escbiner,  se  bender,  s'exterminer  à  la  bien  servir  en  toutes 
les  fassons,  pigeonneries,  beccjuetaiges,  rigolleries,  beuvettes, 


L\    l'AlLSK   COI  l'.TIZ  \NK.  28  j 

frian(lisos(^t  goiilillcscoiificlincsdc  r.iiiioiir;  otqiiosi  ollf^vouloyt 
gouslcning  |»('lil  à  la  st'rii['liic(|iii' (loiilcciir  de  nos  rni^noriiiciios 
à  elle  iiicogiiucs,  elle  ne  vorroyt  le  restant  des  rlionses  de  la  vie 
que  comme  lestus;  et,  si  telle  cstoyt  sa  voulenté,  luy  seroyt  plus 
muet  que  ne  sont  les  trespasscz;  par  ainsy,  nul  scandale  ne  con- 
chiornyt  sa  vertu.  Puis,  le  nis('  paillard,  voyant  que  la  dame  ne  se 
boneliioyt  iiuUeiiionl  les  aiireillcs,  entrepriut  de  luy  descripri;  en 
manière  de  peintures  arabescpu's,  qui  lors  avoyent  granl  laveur, 
les  lascives  inventions  des  deshancliez.  Ores  doncques,  il  gecta 
des  llamnies  par  les  yeulx,  bouta  mille  braziers  dedans  ses  paroles, 
musicqua  sa  voix,  et  prinl  plaisii'  ])our  liiy-mesine  à  se  ramon- 
levoir  les  diverses  nu'lbodesdeses  aiuyes,  les  nonunant  à  madame 
d'|[o('(|uelo[iville,  et  luy  raeonlani  lucsnie  les  lesbineries,  cliat- 
tonneries  et  doulees  estrainetes  de  la  Roync  Isabelle,  et  feit  usaige 
d'une  loquelle  si  gracieuse  et  si  ardemment  incitante,  que  il  crut 
veoir  lasclier  à  la  dame  ung  petit  son  redoutable  fer  agu  et  lors 
leit  mine  d'a))pr(»iu'lier.  Mais  elle,  bouleuse  d'estre  prinse  à 
resver,  resguarda  lièremenl  le  dial)olic(jue  Levialban  qui  la  ten- 
toyt  et  lui  dit  :  —  Beau  siic,  ie  vous  mercie.  Vous  me  l'aictes 
davantaigc  avmcr  ni(»ii  noble  esj)oii\,  jiour  ceque,  par  ces  cbouses 
i'apprends  (pi'il  m'exislime  moult,  en  ayant  tel  respect  de  moy, 
(pi'il  nedcsiionore  point  sa  eouebe  par  les  veautreries  des  ville- 
lières  et  femmes  de  maulvaise  vie.  le  me  cuyderoys  à  iamais 
honnie  et  seroys  contaminée  pour  réternité,  si  ie  metloys  les 
pieds  en  ces  bourbiers  on  vont  les  postic(jueuses.  Aultre  est 
i'esponse,  aultre  est  la  maistresse  d'ung  homme. 

—  le  gaige,  dit  le  duc  en  soubriant,  (jue  (b'sormais  vous 
presserez  néantmoins  ung  peu  plus  le  sire  d'IIocquetonville  au 
déduiet. 

A  cccy,  la  bonne  femme  frémit  et  s'cscria  :  — Vous  estes  ung 
maulvais.  Maintenant  ie  vous  mesprise  et  vous  abomine!  Quoy! 
ne  pouvant  me  tollir  mon  honneur,  vous  visez  à  souiller  mon 
ame!  lia!  mou  seigneur,  vous  porterez  griefve  p)ine  de  eetiuy 
moment. 

Si  je  vous  le  pardoiiit. 
Dieu  ne  l'oubliera  point. 

Ne  est-ce  pas  vous  (pii  avez  l'aie!  ces  versiculets? 

—  Madame,  dit  le  duc  paslis»;aut  de  cholère,  ie  puis  vous 
l'ain;  lier... 


286  CONTES  DROLATIQUES. 

—  Ho  !  non.  ic  mo  suis  faicto  libre  !  respondit-ello  en  bran- 
dissant sonlVr  ai;u. 

Le  braguard  se  print  à  rire. 

—  N'ayez  pas  paour,  feit-il.  le  sçanray  bien  vousplongieren 
les  bourbiers  où  vont  les  portiequeuses  et  dont  vous  foignez. 

—  Jamais,  nioy  vivante  ! 

—  Vous  irez  en  ])lein,  reprint-il,  et  des  deux  pieds,  des  deux 
mains,  de  vos  deux  tetlins  d'ivoire,  de  vos  deuxaultres  cbouses 
blanches  comme  neige,  de  vos  dents,  de  voscbeveulx  et  de  tout  !... 
Vous  irez  de  bonne  voulenté,  bien  lascivement  et  à  briser 
vostre  cbevaulelieur  comme  fcroyt  une  liacquenée  enraigée  qui 
casse  sa  cropière,  pialliint,  saullant  et  pélarradant  !  le  le  iure 
par  sainct  Caslud  ! 

Et  tost  il  sil'lla  pour  faire  monter  ung  paigc.  Puis,  le  paige 
venu,  secrettement  luy  commanda  d'aller  quérir  le  sire  d'Hocque- 
tonville,  Savoisy,  Tanneguy,  Cypierrc  et  aidtres  ruffians  de  sa 
bande,  les  invitanlà  souper  céans,  non  sans,  eulx  conviez,  requé- 
rir aussy  quebjues  iolies  cjiemises  pleines  de  belle  chair  vifve. 

Puis  revint  se  seoir  à  la  chaire,  à  dix  pas  de  la  dame,  laquelle 
il  n'avoyt  cessé  de  guigner,  en  faisant  à  voix  muette  ses  com- 
mandemens  au  paige. 

—  Raoul  est  ialoux,  dit-il.  Alors  ie  vous  doihs  ung  bon  advis... 
En  ce  réduicl,  l'eil-il  monslrant  ung  huys  secret,  sont  les  huiles 
et  senteurs  supeilines  de  la  Royne.  En  cesteaullrej)etil bouge, 
elle  faict  ses  estuveries  et  vacque  à  ses  obligations  de  femme.  le 
sçais,  par  mainte  expérimentation,  que  ung  chascun  de  vos  gentils 
becs  ha  son  perfuni  esjx'iial  à  quoy  il  se  sent  et  est  recogneu. 
Lors,  si  Raoul  ha,  connne  vous  dictes,  une  ialousie  esfran- 
glante,  ce  qui  est  la  pire  de  toutes,  vous  userez  de  ces  senteurs 
de  hourbeteuse,  puisque  bourbier  y  ha. 

—  Ha  !  mon  seigneur,  que  prétendez- vous? 

—  Vous  le  sçaurez  en  l'heure  où  hesoing  sera  que  vous  en  soyez 
informée,  le  ne  vous  veulx  nul  jnal,  et  vous  baille  ma  parohî 
de  lovai  chevalier  (jue  ie  vous  res|)('(lt'ray  trez-i'orl  elme  laiiay 
sempiterncllement  sui-  ma  descouliture.  Rrief,  vous  cognoislrez 
(pie  le  duc  d'Orléans  ha  bon  cueur  et  se  venge  noblement  du 
mespris  des  dames  en  leur  donnant  en  main  la  clef  du  pai'adiz. 
Seul('in»'n(,  prestez  l'aureillc  aux  |»arol»'s  iovciilses  (jui  se  dcsga- 
boulciont  en  la  pièce  voisine,  el  sur  toutes  cliouses  ne  toussez 
poiiil,  >i  vous  avmcz  vos  ciilans. 


LA    I  AI  Lbi;   COI  llTlSAMi.  287 

Vcii  (jiii'  aulcunc  yssue  iiV'sloyloii  ccstc  cliaiiibrc  royale;  (;t(|nG 
la  croix  dos  bayes  laissoyt  à  «^raiil  poinc'  la  place  de  passer  la 
teste,  le  braguai'd  iernia  l'imys  de  ceste  chambre,  acertené  d'y 
tenir  la  dame  captive,  et  à  huiuelle  il  commanda  en  dairenier 
lieu  de  demeurer  coite.  Vécy  mes  ri}^olleurs  venir  en  grant 
baste,  et  treuvèrenl-ils  ung  Itel  el  bon  souper  (jui  rioyt  e/  plats 
vermeils  en  la  table,  et  lai)le  l)ien  dressue,  bien  esclairée,  belle 
de  SCS  pots  d'argent  et  pots  jdeins  devin  royal.  Puis  leur  maislre 
de  dire  : 

—  Sus,  sus,  aux  bancs,  uicsljons  aniys!  l'ay  l'ailly  m'ennuyer. 
Ores,  songiant  à  vous,  i'ay  voulu  l'aiiv  en  vostre  compaignie  ung 
bon  traason  de  chère  lie  à  la  méthode  anticquc,  alors  que  les 
Grecs  et  Romains  disoyent  leurs  Paster  nosterh.  messer  Priapus 
et  au  dieu  cornu  ({ui  ha  nom  Bacchus  en  tous  pays.  La  fcste 
sera,  vère,  à  doubles  basions,  veu  (|ue  au  serdeau  viendront  d<' 
iolies  corneilles  à  trois  becs,  dont  ie  ne  sçays,  depuis  le  granl 
usaige  que  l'en  iays,  quel  est  le  meilleur  au  becqueter. 

Et  tous,  recognoissant  leur  maistre  en  toute  chouse,  s'csbau- 
dirent  à  ce  gay  discours,  fors  llaoïil  d'IIoc(iuetonville,  qui  s'ad- 
vança  pour  dire  au  [jrince  : 

—  lUau  sire,  ie  vous  ayderay  mie  à  la  bataille,  mais  non  en 
celle  des  iup|)es  :  en  chanq)  cioz,  mais  non  en  celluy  des  pots. 
Mes  bons  compaignons  que  vécy  sont  sans  femmes  aux  logiz, 
ains  non  moy.Si  ay-ie  gentille  es|)ouse  à  laquelle  ie  doibs  ma 
conq)aignie  et  conq)le  de  tous  mes  faicts  et  gestes. 

—  Don(;(iues,  moy,  (|ui  suis  chaussé  de  mariaige,  ie  suis  en 
faulteV  feit  le  duc. 

—  IIo  !  mon  chier  maistre,  vous  estes  prince,  et  vous  com- 
portez à  vostre  mode... 

Ces  belles  paroles  feirent,  connue  bien  vous  pense/,  cliauld 
et  fi'oid  an  cueur  de  la  dame  [)risomiière. 

—  lia!  mon  Uaoul,  leitelb',   tu  es   ung  noble  homme! 

—  Tu  es,  respondit  le  duc,  ung  homme  ([ue  i'aymc  et  tiens 
pour  le  plus  fidelle  etprisable  de  mes  serviteurs.  — Nous  aullres, 
feit-il  en  resguardant  les  trois  seigneurs,  sonunes  de  maul- 
vais!  —  Mais  Haoul,  reprinl-il,  sieds-toy.  Ouaiid  viendront  les 
linottes,  qui  sont  linoltesde  haulleslaige,  lu  le  (h-sparlirasdever.s 
ta  mesnaigiere.  Parla  mort  de  Dieu  !  ie  t'avo\^  Iraicli'  en  JnimiiK' 
saige,  qui  desioyes  de  l'amour  exlraconiugal,  ne  sçayl  rien,  et 
t'avoys  soigneusement  mis,  en  ceste  chambre,  la  royne  des  Les- 


2S8  CONTES    DROLATIQUES. 

Ijines,  une  diablesse  on  qui  s'est  relire  tout  l'engin  de  lafenicllc, 
le  vouloys,  une  foys  en  ta  vie,  toy  qui  ne  lias  ianiais  eu  grant 
goust  aux  saulces  de  l'amour  et  ne  resves  que  de  guerre,  le 
bailler  àcognoistre  les  absconses  merveilles  du  guallant  déduict 
veu  que  il  est  honteux  à  nng  lionnne  (juiestà  inoy  de  mal  servir 
une  gente  fcnniie. 

Sur  ees  dires,  d'lloe(|uel()nvill«'  s'attabla  pour  conq)laire  au 
prince  en  ce  qui  luy  estoyt  licite  de  faire.  Doncques,  tous  de  rire, 
tenir  ioyeux  devis  et  lourraiger  les  dames  en  paroles.   Puis, 


suyvant  leurs  us,  se  coiil'essèi'ent  leurs  adveutures,  boinies  rcn- 
conlres,  n'espargnaiit  aulcune  l'eunne,  lors  les  bien  ayniees, 
trahissant  les  lassons  espécialesde  chascunc  ;  d'oiis'cnsuyvitde 
bonnes  petites  horribles  confidences  (jui  croissoyent  en  traistrise 
et  j)aillardise  à  mesure  (|ue  descroissoyent  les  pots.  Leduc,  gay 
connue  nng  K'gataire  univeisel,  de  poulser  ses  compaignons, 
disant  l'aulx  pour  cognoislre  le  vray;  et  lesconq)aigii()ns  dealler 
au  trot  vers  les  plats,  au  galop  vers  les  pois,  cl  d'enrouler  leurs 
ioyculx  devis.  Ores,- en  les  escoutant,en  s'empourprant,  le  sire 
d'Ilocquetonville  se  desliouza,  brin  à  brin,  de  ses  restivetez. 
Maulgré  ses  veilus,  il  s'indulgea  (juehjiies  dezirs  de  ees  chouses 
et  (icsboula  dedans  ces  iiiipurclcz  commuc  nng  saincl  (|ui  s'en- 
glube  en  ses  prières. 

Ce  que  voyant,  le  prin(!e,  attcntil'à  satisfaire  son  ireel  sa  bile, 
se  juint  à  luy  dire  en  ioi-(iuelant  : 

—  Ml'!  |)ar  saiiict  Ciaslud  !  Ilaonl,  nonssonniies  tou^  mesmes 
le-l<'s  m  un::  I;(iimii'I,  I(»ii>  di^ciil--  jniis  tir  liddc.  Va.  nniis  n'fii 


LA  FALLSK  coj  in  i/.am;.  2xy 

dirons  rirn  à  Madame!  r)oiic(|ii(^s,  vo(Uf<'-I)ien,  ic  vcmIx  le  l'îiiic 
cognoistrc  les  ioycs  du  ciel.  — l.à  !  JV'il-il  en  tocqiuniiriiuys  de 
lu  rliiimhre  où  cstoyt  ladaine  d'IIoequetonville,  là  est  nne  dame 
de  la  Court  et  aniye  de  la  Hoyne,  mais  la  plus  j:iaiif  ]))('sticssc 
de  Venus  qui  l'eut  oneques,  et  dont  ne  sauioyent  n|i|)rou('lier 
aul( Mines  courtizanes,  clapotières,  bouiheteuses,  villolières  ni 
poslie({ueuses...  Klle  lia  <'sl('  engendrée  en  ung  moment  oii  le 
paradiz  esloU  en  itiye,  oii  lu  nature  s'cntrefiloyt,  où  les  plantes 
praetiipioveiit  li'iiis  liymeiit'es.  où  les  besles  liannissoyent,  bau- 
douinnoveiit,  et  oîi  tout  llamboyt  d'amour,  (juoycpie  l'eiiime  à 
prendre  ung  autel  pour  son  lict,elle  est  néaiitmoins  trop  graiit 
dame  pour  se  laisser  vcoir  et  trop  eogneue  pour  proférer  aultres 
paroles  que  crys  d'amour.  Mais  point  n'est  besoin  de  lumière, 
veu  (|ueses  vcuk  geotent  des  flammes  ;  et  point  n'est  besoins  de 
diseoiiis,  veu  que  elle  parle  par  des  inonveniens  et  torsions  plus 
rapides  (jue  celles  des  bestes  faiilves  snrpiinses  en  la  feiiillée. 
Seulement,  mon  lion  Raoul,  aveivjues  monhire  si  gaillarde,  fieiis- 
toy  mie  aux  crins  de  la  beste,  lucte  en  bon  clicvaiilclicur  et  ne 
quitte  point  la  selle,  veu  (jue  d'un  seul  geet  elle  te  eloueidyt 
aux  solives,  si  tu  avoys  à  rescbinc  ung  boussin  de  poix.  Klle  ne 
veoit  que  sur  la  plume,  brusb>  tousiours  et  loiisiours  aspire  à 
homme.  Nostre  jiaouvre  amy  deflunt.  le  ieiine  sire  de  Giae,  est  mort 
blesmypar  son  faiet;  elle  en  ha  frippé  la  mouelle  en  ung  prin- 
temps. Vray  Dieu  !  pour  cognoistre  leste  pareille  à  celle  dont  elle 
sonne  les  cloches  et  allume  les  ioyes,  quel  homme  ne  quittei'oyt 
le  tiers  de  son  heur  à  venir  !  et  (jui  riiacogneue  donneroyt,  pour 
une  seconde  nuiclée,  r('ternilé  tout  entière  sans  nul  regret. 

—  Mais,  feit  Haoul.  en  cbonses  si  naturellement  uiiil-s,  com- 
ment V  ba-t-il  doncques  si  lortes  dissemblances? 

—  lia  !  lia!  lia! 

Vécy  mes  bons  coiii|)aignons  de  rir(\Puis  anime/ |tar  lesxiiis 
et  sur  ung  clignement  d'yeulx  du  maislre.  tous  se  |trindrenf  à 
laconter  mille  (inesses,  mignardises,  en  criant,  se  démenant  et 
s'en  pourlescbant.  Ores,  ne  saichant  point  que  une  naïve  escbo- 
lière  cstoyt  là,  ccsbraguards,  qui  avoyent  nové  leur  vergongiic  ez 
])Ots,  desniimbrèient  des  (bouses  à  faire  rougir  les  ligures  engra- 
vées  aux  cbemiiiées,  lambriz  et  boiseries.  Puis  le  duc  encbéril 
sur  tout,  disant  que  la  dame  qui  osloyf  coucbiée  en  la  chambre  et 
attendoyt  ung  guallant  debvdvt  eslic  l'empérière  de  ces  iinagiiia- 
lioiis  larl'allasques  pour  et' qu'elle  en  ;idiiiii\l(i\t  en  cliaque  imiet 

'25 


Rostre  p;iou\n;  amy  ilcduticl;  le  icuik'  siiv  ,lo  Ciac,  .>.st  moil  hlcsiny  par 
son  laict;  clic  en  a  fiippù  lu  iiiouellu  en  11%'  luinleiiips. 


L  A  F  A  U  IrS-lv  &0 1:  P».T  I S  A  N  K . 


201 


(le  (lial)()Iicquonionl  chauldos.  Sur  ce,  les  pots  estant  vnydez,  le  duc 
poulsa  Raoul,  (jui  se  laissa  poulser  à  bon  escient,  tant  il  estoyt 
(■ndi;d)I(',(|r(l;ins  l:i  cliainlircoù,  pai'  ainsy,  le  prince conlrain^Miovt 
la  (laine  à  dclilieicr  de  ([ucl  poi^Miaid  elle  vouloyt  ou  vivre  ou 
niouiir.  Sur  le  minuict,  le  sire  (rilo(<|uetonvill('yssit  tiez-ioveulx, 
non  sans  remords  d'avoir  truplié  sa  bonne  femme.  Lors  le  duc 
d'Orléans  feit  saulver  madame  d'ilocquetonvillc  par  une  porte 
desiardins,  àcestefinque  elle  gaignast  son  liostel  devant  que  son 
espouxy  arrivast, 

— Cecy,luidit-  .^ '-^-'7?/^^ 

elle  en  l'aureille 
en  passant  la  po- 
terne, nous  cous- 
lera  cliier  à  tous. 

Un  an  ajirès, 
en  la  vieille  rue 
du  Temple, Raoul 
dellocquetonville 
rpii  avoyt  (juitlf'  le  service  du  (][ic  pour  celluy  de  lebau  de  Rour- 
fiongne,  descliargea,  premier,  ung,cou[)  de  liaclie  en  la  teste 
dudict  seigneur,  frère  du  Roy,  et  le  navra,  comme ung  cliascun 
sçayt.  Dans  l'année  estoyt  morte  la  dame  d'Hocquetonville,  ayant 
despéry  comme  fleur  sans  aër  ou  rongée  par  ung  taon.  Son  bon 
mary  feit  engraVer  au  marbre  de  sa  tumbe,  qui  est  en  ung 
cloistre  de  Pérdnne,  le  devis  ensuvvant  : 


CY    CIST 

BEP.TIIE  DE  ROURGONGNE 

SOUr.E   ET    GF.NTn    FEMUr 
DE 

RAOIL,  SIUE  DE  IIOGQLETONVILLE 

las!    ne  puiez  point  pour  SOS  AME 

ELLE 

HA  REFLORI  EZ  CIEULX 

LE  UKZE  JANVIER 

DE  l'as   DE  N.  S.    H  CCCC  VIII 

ES  l'aAGE  de  XXII  ANS 

LAISSANT  DEfX   FIF.DX  ET    SOS  SIEUR    ESPOIX    EN    CHANT 

DEIII.. 


I...  ius.c  irespas  .le  ce  braguard  ha  nêanlmoins  rausé  plusieurs  gnnses 
Kuenes  que.  finaM.-.nenl,  l.oys  le  unziesine,  impalicnlé,  esla.ngn.l  ù  loups 
(le  hache. 


LA    FAILSE  COURTISANE.  20Ô 

Ce  lumboaufciitoscript  en  hoan  latin;  mais,  pour  la  commo- 
dité (le  tous,  l)('soinp[  estoyt(l(!  le  iVauroyscr,  oucorcs  (\\ir  le  mot 
de  gente  soit  l'ovhlc  pour  cclluv  de  fonnosa,  (\m  sij^nilic  (jra- 
cieuse  de  formes.  Monsfiyneur  le  duc  dcBourgouyiiç,  dict  saiifi 
paour,  en  qui,  paravant  de  mourir,  se  descliargca  le  sire  de 
Hocquctonville  de  ses  poines,  cimentées  à  cliaulx  et  à  sable  en 
son  cueur,  souloyt  dire,  maulyré  sou  aspre  dureté  en  ces  rliou- 
ses,  que  ceste  épitajdie  le  muoyt  en  mélaneholie  pour  ung  mois, 
et  que  parmy  les  abominations  de  son  cousin  d'Orléans  s'en 
lieuvoyt  une  pour  laquelle  il  recommonceroyt  à  le  menrdrii-,  si 
là  ne  l'estoyt,  pour  que  ce  maulvais  liomme  avoyt  villainemenl 
mis  le  vice  en  la  plus  divine  vertu  de  ce  monde,  et  prostitué 
deux  nobles  cueurs  l'ungpar  l'aultre.  Et  ce  disant,  il  songioyt 
à  lu  dame  de  Hoccjuetonville  et  à  la  sienne,  dont  la  pourlrayc- 
ture  avoyt  esté  induement  placée  au  cabinet  où  son  cousin 
boutoyt  les  imaiges  de  ses  gouges. 

Geste  adventure  estoyt  si  griefvemeilt  cspouvantablc,  que, 
alors  que  ell(>  lent  racontée  par  le  comte  de  Cliarolois  au  Daul- 
pbin,  depuis  le  Roy  boys  uuziesme,celtuy  ne  voulut  point  que  les 
secrétaires  la  missent  en  lumière  dedans  son  Recueil,  par  esguard 
pour  son  grant  uncle  le  duc  d'Oi'léans  et  pour  Dunois,  son  vieil 
compaignon,  fils  d'icelluy.  Mais  le  personnaige  de  la  dame  de 
Hocquctonville  est  si  rcluysant  de  vertus  et  beau  de  mélancbo- 
lie,  que,  en  sa  faveur,  sera  pardonné  à  cetluy  conte  d'estre  icy. 
maulgré  la  diabolic(pie  invention  et  vengeance  de  monseigneur 
d'Orléans.  Le  iuste  trespas  de  ce  braguard  lia  néantmoins  causé 
plusieurs  grosses  guerres  que,  fînablement,  Loys  le  unzicsme, 
inq)atienté,  estaingnit  à  coups  de  liacbe. 

Cecy  nous  démonstre  (jue  dans  toutes  cbouses  il  y  lia  de  la 
fenmie,  en  France  et  ailleurs,  puis  nous  enseigne  ipie  tost  ou 
tard  il  l'aut  payer  nos  lollies. 


25. 


LE  DANGIKR  D'ESTRE  TROP  COCQUEBIN 


Le  sieur  de  Monoonloiirjion  souldnid  toinaiiiioaii,  leijnel,  on 
riiouncurde  la  lialaillc  iciiiportt'c  par  le  due  d'Anioii,  de  })resent 
noslre  Irez-j^lorieux  sire,  leil  baslir  lez  Vouvray  le  eliasleauainsy 
nommé,  veu  que  il  se  estoyt  fort  vaillamment  comporté  en  ceste 
alTaire,  où  il  defleit  le  plus  i;ros  des  liéréticcjues,  et,  de  ce,leut 
aulliurisé  à  en  prendre  le  nom,  donecpies,  eediet  eapitaineavoyt 
deux  lils,  bons  calliolitMpies,  dont  l'aisué  Irez-bien  en  Court. 

Lors  de  la  pa(iliealion,(pii  lent  iaielepar  avant  le  stratagesme 
dressé  au  iour  de  Saint-Barthelemy,  le  bonhomme  revint  en  son 
manoir,  lequel  n'estoyt  point  aorné  eonuïie  il  est  au  iour  do  huy. 
Mais  là  récent  le  triste;  messaij;e  du  ti'es])as  de  son  lils,  oceisen 
duel  par  le  sieur  dcN  ill('(|ui('r.  Lepaoïivic  jière  l'eut  d'autant  plus 
navré  de  ee,  (|U(;il  avo\t  movemic'  nu<'  bon  estai  de  niariaiue  à 
ce  dict  lils,  aveeques  une  damoiselle  de  la  branche  masIed'Am- 
boise.  Ores,  parce  décez  trez-piteusemenl  intempestif,  s'en  alloyt 
tout  riieur.et  les  advanlaiges  de  sa  l'aniille  dont  il  souloyt  faire 
uu<' ^'raiit  cl  miblr  niaismi.  Hans  celle  vizccavoyt  mis  son  aullre 


LE   n.VNGIER  DTSTRK  TROP  COCOri; l'.IN.         295 

fils  on  ung  monslier,  soubz  la  coiuliiilc  cl  gouvoincinciil  d'iing 
lioiniiio  roiioiuiué  i)OUi'  sa  sainclclô,  lequel  le  noiuTissoyt  troz- 
cliifst'KMincnu'iit  selon  le  vœu  du  |)ère,  rpii  voulo\t,('ii  veuedesa 
liaullf  audjilion,  en  taire  ung  eardiiial  de  ini'iitc.  l'our  ce,  K;  bon 
abljc  tenoyteii  cliartre  privée  ledicl  ieuiie  homme,  Icconcidoyl  à 
ses  costcz  en  sa  cellule,  ne  laissoyt  j)0ulser  aulcune  niaulvaise 
herbe  en  son  esperit,  réducquoyt  en  blancheur  d'ame  et  vraye 
conlrilion,  cnmme  debvroyent  esire  tous  prebstres.  Ce  diclcleic, 
à  dix-iicul'  ans  sonnez,  ne  cognoissoyl  aultre  amour  que  l'amour 
de  Dieu;  aultre  nature  que  celle  des  anges,  lesipiels  n'ont  point 
nos  chouses  charnelles,  j)our  demourer  en  granl  pureté,  veucpie, 
sinon,  en  iiseroyent-ils  bien  fort.  Ce  que  ha  redouté  le  Roy  d'en 
hault,  (|ui  vouloyt  avoir  ses  paiges  tousiours  nels.lîien  luy  en  ha 
jirins,  pour  ce  que  ses  petites  bonnes  gens  ne  pouvant  poculer  ez 
cabarets  et  fousiller  ez  clappiers  connue  les  nostres,  il  est  divine- 
ment servy  ;  mais  aussy,  comptez  qu'il  est  seigneur  de  tout.  Donc- 
ques,  en  ce  meschief,  le  sieur  de  Moncontour  s'advisa  de  faire 
yssir  son  secund  fds  du  doistre,  luy  bailler  la  pour|)re  soldates- 
que et  courtisanes(pie,  au  lieu  et  place  de  la  ]K)urpre  ecclésias- 
tic(jue.  Puis  se  délibéia  de  le  donner  en  mariaigeà  la  dicte  fille 
promise  au  mort,  ce  (pii  estoyl  saigement  pensé,  pour  ce  que, 
tout  cotonné  de  continence  et  farcy  de  toutes  sortes  comme  cstoyt 
le  moynillon,  l'espousée  en  seroyt  bien  servie  et  plus  heureuse 
qu'elle  n'auroyl  esté  avecques  l'aisné,  desià  bien  l'ourraigé,  des- 
conlict,  llatry  par  les  dames  de  la  Court.  Le  frocquard  desirocqué, 
trez-moutonnièrement  l'assonné,  suyvit  les  sacres  voulentez  de 
son  père,  et  consentit  au  dict  mariaige,  sans  sçavoir  ce  queestoyt 
d'une  femme,  ni, 'cas  plus  ardu,  d'une  fille.  Par  adventure,  son 
voyaige  ayant  esté;  empesché  [)ar  les  troubles  et  marches  desj»ar- 
tis,  ce  coc(juebin,  plus  C(»ci[ucbin  (jue  n'est  licite  à  ung  homme 
d'estre  coc(j[uebin,  ne  vint  au  chasieau  de  .Moncontour  que  la  veille 
des  nopces,  qui  s'y  faisoyent  avecques  dispenses  aciieptées  en 
l'archevesché  de  Tours.  Resoing  est  de  dire,  en  ce  lieu,  ce  que 
estoyt  l'espousée.  Sa  mère,  veul've  depuis  un  long  temps,  habi- 
toyt  le  logiz  de  monsieui-  de  Rniguelongne.  lieutenant  civil  du 
Chaslelet  de  Paris,  dont  la  femme  d'icelluy  vivovl  avec([ues  le 
sieur  de  Lignieres,  au  grant  scandale  de  eettuy  temps.  Mais  ung 
chascun  avoyt  lors  tant  de  solives  en  l'œil,  que  nul  n'avoyt  licence 
de  veoir  les  chevrons  ez  yeulx  d'aultry.  Doncques,  en  eha(|ue 
fiiMilie,  les  Liens  alloyent  en  la  voye    île    iierdilion,  sans  s'i>slo- 


i>îlO  CO.MKS   niiOLATIOUES. 

iiiiivi'  (lu  vdisiii,  1rs  uns  à  l'anihlcjes  aultres  au  petit  trot,  beau- 
coup au  galop,  11'  nioiudre  nunibre  au  pas,  vcu  (jucci'sto  voye  est 
fort  déclive.  Aussy,  en  ces  moniens,  le  diable  leit  trez-bien  ses 
orges  en  toute  cliousc,  veu  que  les  desportemens  estoyent  de 
bon  air.  La  paouvre  antique  dame  Vertu  s'estoyt,  gi^elottantc, 
réfugiée  on  ne  sçait  où,  mais,  de  cy,  delà,  vivoltoyt  en  compai- 
gnie  de  preudes  femmes. 

Dans  la  Irez-noble  maison  d'Amboisc,  demouroyt  encores  en 
pieds  la  douairière  de  Cbaumont,  vieille  vertu  tiez-esprouvée,  et 
en  qui  s'estoyt  retirée  toute  la  religion  et  gentilbommic  de  ceste 
lielle  famille.  La  dicte  dame  avoyt  prins,  en  son  giron,  dèsl'aage 
de  dix  ans,  la  petite  jiueelle  dont  s'agit  en  ceste  advenlure,  ce 
dont  madame  d'Amboisc  ne  receut  aulcun  soulcy,  en  l'eut  plus 
libre  de  ses  menées,  et  depuis,  vint  veoir  sa  fille  une  foys  l'an, 
quant  la  Court  passoyt  par  là.  Nonobstant  ceste  baulte  réserve 
de  maternité,  feut  conviée  madame  d'Amboise  aux  nopcesdesa 
damoisellc,et  aussy  le  sieur  de  Braguelongne,par  lebonbomme, 
souldard  qui  sçavoyt  son  monde.  Mais  point  ne  vint  à  Moncon- 
tour  la  cliiere  douairière,  pour  ce  que  ne  luy  en  octroya  point 
licence  sa  desplourablcsciaticque,  sa  catarrlie,  ni  Testât  de  ses 
iambes,  lesquelles  ne  gambilloyent  plus.  De  ce  moult  ploura  la 
bonne  femme.  Si  froingna-t-elle  bien  de  lascher,  ez  dangiers  de 
la  Court  et  de  la  vie,  ceste  gente  pucelle,  iolie  autant  ([ue  iolie 
peut  eslre  une  iolie  fille;  mais  si  falloyt-il  luy  donner  la  volée. 
Ains  ce  ne  feut  point  sans  luy  promettre  force  messes  et  orai- 
sons, dictes  en  cbasque  vesprées  pour  son  bonbeur.  Et  se  recon- 
forta ung  petit  la  bonne  dame,  en  songiant  que  son  baston  de 
vieillesse  iroyt  aux  mains  d'ung  quasi-sainct,  dressé  à  bien  faire 
par  le  dessus  dicl  abbé,  leijuel  estoyt  de  sa  cognoissance,  ceiiui 
ayda  fort  au  prompt  escbange  des  espoux.  Knlinla  baisant  avec- 
ques  larmes,  la  vertueuse  douairière  luy  feit  les  darrenières  re- 
conmiandations  que  font  les  dames  aux  espousées  :  comme  quoy 
debvoyt  estre  en  respect  devant  madame  sa  mère,  et  bien  obéir 
CM  tout  au  mary.  Puis  arrive  en  grant  fracas  la  pucelle,  soubz  la 
condiiicledes  nu-scbines,  cliamberières,escuyers,  gentils  bonuues 
et  gens  de  la  maison  de  Cbaumont,  (pie  vous  eussiez  cuydé  son 
train  estre  celluy  d'ung  cardinal  b-gat.  Donc(|ues  vindrent  les 
deux  espoux,  la  veille  de  leurs  espousailles.  Puis,  les  festes  faictes, 
f«'ur(!nt  mari('s  en  grant  ponq)e,  au  ioui'  de  Dieu,  à  une  messe 
dicte  aucliaste;iu  par  l'évesipie  de  blois,  leipiel  estoyt  ung  grant 


IV.   nANCrER  D'KSTni'    T[!n|>   mCOIKniN.         207 

ainy  du  sieur  de  Moncoiilcuir.  Hiicf,  se  |)aiiiclievèrorit  lus  l'ostiiis, 
(lances  et  lestoyeuieiis  de  toute  sorte  iusquos  au  matin.  Mais, 
par  avant  les  coups  de  niiuuict,  les  lilles  de  nopccs  allèrent  cou- 
cliier  la  mariée,  selon  la  lasson  de  Touraine.  Kt,  pendant  ce, 
feit-on  mille  noises  au  paouvre  cocijnchin  j)0ur  l'entraver  de  aller 
à  sa  cocijueljine,  le(|uel  s'y  presta  Ibrt,  par  ignardise.  Cepen- 
dant le  bon  sieur  do  Moncontour  airesta  les  ioc(jueteurs  et  dros- 
leries,  pour  ce  r{uo  besoing  estoyt  que  son  fils  s'occupast  de  bien 
faire.  Donctpies  alla  le  cocqiiebin  en  la  chambre  de  son  espou- 
sce,  laquelle  il  estimoyt  j)lus  belle  qne  ne  i'estoyent  les  vierges 
Maries  j)aini'fes  ez  tableaux  italians,  (laniands  et  aultres,  aux 
pieds  des(|uels  il  avoyt  dict  ses  palenostn.'s.  Mais  comptez  que 
bien  enq)esclié  se  trouvoyt-il  d'estre  devenu  sitost  ung  espoux, 
pour  ce  que  rien  ne  sçavoyt  de  la  besongne,  fors  que  une  cer- 
taine besongne  estoyt  à  despescber,  de  laquelle  par  grantet  pu- 
dicque  eslrif,  il  n'avoyt  osé  s'informer,  mesmes  à  son  père  (|ui 
luy  dit  sommairement  : 

—  Tu  sçays  ce  que  tu  bas  à  faire,  et  vas-y  vaillamment. 
Lors  veit  la  gente  lille  qui  luy  estoyt  baillée,  bien  coucbiéc 

cz  toiles  de  lict,  curieuse  en  diable,  la  teste  de  costé,  mais  qui 
couloyt  ung  resguard  pic(iuant  comme  une  pointe  de  hallebarde, 
et  se  disoyt  : 

—  le  doibs  luy  obéir. 

Et  ne  saichant  rien,  attendoyt  le  vouloir  de  ce  gentilhomme, 
ung  peu  ecclésiasticque,  auquel,  de  faict,  elle  appartenoyt.  Ce 
que  voyant,  le  chevalier  de  Moncontour  vint  auprès  du  lict, 
se  gratta  l'am-eille,  et  s'y  agenouilla,  chose  à  quoy  il  esto\t 
expert. 

—  Avez-vous  dict  vos  prières?  feit-il  Irez-pati'peluement. 

—  Non,  feit-ellc,  ie  lesay  oubliées.  Soubhaitez-vous  les  dire? 
Doncques,  les  deux  mariez  commencèrent  les  chouses  du  mes- 

naige  par  implorer  Dieu,  ce  (jui  n'esloyt  |ioint  malséant.  Mais, 
par  cas  fortuit,  le  diable  ouyt  et  respondit  seul  ceste  requesie, 
l)i«^u  s'occupanl  lors  de  la  nouvelle  et  abominable  religion  ré- 
formée. 

—  Que  ha-t-on  commandé  à  vous  ?  dit  le  mary. 

—  De  vous  aymer,  dit-elle  en  toute  naïlVeté. 

Cecy  ne  m'ha  point  esté  prescri[»t,  mais  ie  vous  ayme,   et, 
i'en  ay  honte,  mieux  (|ue  ie  n'aymoys  Dieu. 
Ceste  |)arole  nelTarouchia  point  trop  la  mariée. 


298  CONTES  DROLATIQUES. 

—  le  voulilioys  bien,  repartit  le  marié,  me  honter  dedans 
Yostre  lict,  sans  trop  vous  gehenner. 

—  le  vous  ferav  place  voulentiers,  pour  ce  cpie  ie  doiljs  vous 
estrc  soumise. 

—  lié  bien,  l'eit-il,  ne  me  resguardez  point.  le  vais  me  des- 
pouiller  et  venir. 

A  cestc  vertueuse  parole,  la  damoiselle  se  tourne  vers  lu  ruelle, 
en  grant  expectative,  veu  que  ce  estoj  t  bien  la  prime  foys  que 
elle  alloyt  se  treuver  séparée  d'ung  bomme  par  les  confins  d'une 
cbemisc  seulement.  Puis  vint  le  (HKMjueljin,  se  glissa  dedans  le 
lict,  et,  par  ainsy,  se  trouvèrent  unis  de  faict,  mais  bien  loingde 
la  cbouse  que  vous  sçavez.  A'ites-vous  iamais  cinge  advcim  de 
son  pays  d'oultre-mer  auquel  pour  la  prime  foys  est  baillée  noix 
grollière?  Ccttuy  singe,  sçaicbant,  par  baulte  imagination  cinges- 
que,  combien  est  délicieuse  la  vicluaille  cacbée  soubs  ce  brou, 
flaire  cl  se  tortille  en  mille  cingeries,  disant  ie  ne  sçays  quoy 
entre  ses  badigoinces.  lié  !  de  quelle  alfectiou  Testudie  ;  de 
quelle  estude. l'examine;  en  lequel  examen  la  tient,  puis  la  ta- 
butte,  la  roule,  la  sacqueboute  de  cbolère,  et  souvent,  quand  ce 
est  ung  cinge  de  petite  extraction  et  intelligence,  laisse  la  noix  ! 
Autant  en  l'eit  le  paouvre  cocquebin,  leijuel  devers  le  iour,  l'eut 
contrainct  d'advouer  à  sa  cbiere  i'ennne  que,  ne  saicbant  com- 
ment faire  son  office,  ni  quel  estoyt  ledict  office,  ni  où  se  dé- 
duisoyt  l'office,  besoing  lui  estoyt  de  s'entjuérir  de  ce,  d'avoir 
ayde  et  secours. 

—  Oui,  feit-elle,  veu  que  par  mallieur  ie  ne  vous  l'enseigne- 
ray  point. 

De  laict,  mavilgré  leurs  inventions,  essays  de  toute  sorte,  maul- 
gré  mille  cbous2s  dont  s'ingénient  les  cocquebius,  et  dont  iamais 
ne  se  doubteroyent  les  sçuvans  en  matière  d'amour,  les  deux 
cspoux  s'endormirent,  désolez  de  n'avoir  point  ouvert  la  noix 
grollière  du  maiiaig(\  Mais  convindrenl  ]»ar  sapieuce  de  se  dire 
tous  deux  trez-bieu  partagiez.  Lors(pic  se  leva  la  mariée,  ton- 
siours  damoiselle,  veu  (jue  elle  n'avoyl  point  esté  damée,  se 
vanta  trcz-bien  de  sa  nuictée,  et  dit  avoir  le  roy  des  maris  et  y 
alla,  dans  sescacquetaiges  et  reparties,  dru  connue  ceux  (|ui  ne 
sçavent  rien  de  ces  cbouses.  Aussy,  ung  cbascun  treuva  la  pu- 
cclle  ung  jd'u  bien  desgourdie,  veu  que,  |iar  double  railleiie, 
une  dame  de  la  UoclKî-llorbou  ayant  incili'  ime  ieun(>  |uu-elle  de 
la  Doiirdaisière,  la(|iielle  ne  seavoyt  rien  (U'  la  rliouse,  à  demander 


IK   DANGIER   D'nSTliK  TIKU'  COCOlKniN.         299 

à  la  iiiari('e  :  —  ComljR'U  de  [tains  vous  lia  piins  voslrc  mary 
sur  la  l'ournce?  —  Viiifçt  et  (|ualr(',  Icit-t-llc. 

Ures,  comme  s'en  alloyt  triste  le  sieur  marié,  ce  (lui  l'aisoyt 
grant  poinc  à  sa  femme,  la(iucllc  le  suyvoyt  de  l'œil  en  espoir 
de  VL'oir  linerson  coc<|uel)iiiage,  les  dames  cuydèren't  que  la  ioye 
de  ceste  nuict  luycousioyl  cliier,  et  (|ue  ladielc  niariéeavoyt  ià 
grant  repeutance  de  l'avoir  iiit'eà  ruyné.  Puis,  au  desieuner  de 
nopces,  vindrent  les  Jiiaulvais  brocards,  qui,  en  ce  temps,  es- 
toyent  dégustez  comme  cxcellens.  Ung  disoyt  que  la  mariée 
avoyt  l'air  ouvert;  ung  aultrc,  (juc  il  s'estoyt  faict  de  bons  coups 
ceste  nuict  dans  le  cliasteau  ;  cetluy-cy,  que  le  four  avoyt  bruslé; 
cettuy-là,  (|ue  les  deux  i'amilles  avoyent  perdu  ({uelque  cliouse 
ceste  nuict  que  elles  ne  refrouveroyent  point.  Et  mille  autres 
bourdes,  coq-à-l"asne,  contrepèteries,  que,  par  maulvais  lieur, 
ne  comprint  point  le  mary.  Mais,  vcu  la  grant  afllucnce  de  pa- 
rens,  voisines  et  aullres,  nul  ne  s'estoyt  coucliié,  tous  avoyenl 
dancé,  balle,  rigollé,  connue  estcoustumeez  nopces  seigneuriales. 

De  ce  feut  content  mon  dicl  sieur  de  Braguelongne,  auquel 
ma  dame  d'Amboise,  vermillonnéc  par  le  pensier  des  bonnes 
cliouses  qui  advenoycnt  à  sa  fdle,  gcctoyt  au  lieutenant  de  son 
cliaslelet  des  resguards  d'esmerillon  en  matière  d'assignations 
guallaiites.  Le  paouvre  lieutenant  civil,  se  coguoissant  en  recors 
et  sergens,  luy  <|ui  liajipovlles  tirrclaines  et  maulvais  garsons  de 
Paris,  feignoytde  ne  point  veoir  sou  bcur,  encorcs  que  sa  vieille 
dame  l'en  requestast.  Mais  comjjtez  que  ceste  amour  de  grant 
dame  luypoisoyt  bien  fort.  Aussyne  lenoyt-il  plus  à  elle  que  por 
esperit  de  iuslice,  pour  ce  (jue  il  n'estoyl  point  séant  à  ung  lieu- 
tenant criminel  de  cliangier  de  maisiresse  comme  à  ung  bonnue 
de  r.ourt,  veu  (jue  il  avoyt  en  cbargc  les  mœurs,  la  police  et  la 
religion.  Ce  néantmoins  sa  rébellion  debvoyt  (hier.  Lendemain 
des  nopces,  bon  numbre  de  conviez  se  despartirent.  Lors,  nia- 
dame  d'Andjoise,  monsieur  de  llraguelongnc  et  les  grants  parens 
purent  se  coueliiei',  leurs  bosles  descainpez.  Doncques,  apjirou- 
cliiiut  le  sou[)er,  le  su'ur  lieutenant  alloyt  recepvoir  sommalions 
à  demy  veibales  aux((uelles  il  n'estoyt  point  séant,  comme  en 
matière  processive,  d'opposer  aulcunes  raisons  dilatoires. 

Paravant  de  souper,  la  dicte  dame;  d'Amboise  avoyt  faict  des 
aguasseries,  plus  de  cent,  à  cesle  lin  de  tirer  le  bon  Hr;iguelongnc 
(le  la  salb;  où  il  estoyt  avcc(|ues  la  mariée.  Mais  yssit,  au  lieu  et 
pl;ne  (lu  li(,'ulenant,  le  marié,  j»our  se  pourmener  en  la  conqtai- 


500 


CONTES  DROLATIQUES, 


gnie  de  la  mère  de  sa  gcnlille  femme.  Ores,  en  l'esprit  de  ce 
cooquebin  esloyt  poulsé  comme  champignon  ung  expédient,  à 
sçavoir  :  d'interroguer  ceste  bonne  dame  qu'il  tenoyt  pour 
preude.  Donccjues,  se  ramentevant  les  religieux  préceptes  de  son 
;il)l)é,  lequel  lui  disoyt  de  s'enciuerir  en  toute  cliouse  ez  vieils 
gens  experts  de  la  vie,  il  euyda  confier  son  cas  à  ma  dicte  dame 
d'Amboise.  Mais,  en  l'abord,  i'eit,  tout  pantois  et  bien  coy,  aul- 
cunes  allées  et  venues,  ne  Ireuvant  nul  terme  pour  desgluber 
son  cas.  et  se  laisoyt  aussi  trez-l)ien  la  dame,  veu  (|ue  elle  es- 
toyt  oulraigeusement  lé  rue  de  la  cécité,  surdité,  paralysie  vou- 
lontaire  du  sieur  de  Braguolongne.  Et  disoyt,  à  part  elle,  che- 
minant aux  costés  de  ce  friand  à  crocquer,  coc(iuebin  auqui-l 
point  nepensoyt,  n'imaginant  point  que  ce  chat,  si  bien  pour- 
veu  de  ieune  lard,  songiast  au  vieulx  : 

—  Ce  lion  !  lion  !  lion  !...  à  barbe  en  pieds  de  mousche  ;  barbe 

molle,  vieille,  grise,  ruynée, 
ahannée  ;  barbe  sans  compré- 
hension, sans  vergongne,  sans 
nul  respect  féminin  ;  barbe  qui 
lcintdenei)ointsentir,niveoir, 
ni  entendre  ;  barbe  esbarbée, 
abattue,  desbiffée  ;  barbe  es- 
reinée.Que  le  mal  italian  me  dé- 
livre de  ce  meschant  braguard 
à  nez  llatry,  nez  endjrené,  nez 
gelé,  nez  sans  religion,  nez  sec 
comme  table  de  luth,  nez  pasle, 
nez  sans  ame,  nez  qui  ne  ha 
|»lus  que  de  l'mubre,  nez  qui 
n'y  veoit  goutte,  nez  grésillé 
lonune  feuilles  de  vigne,  nez 
(|ue  ie  hais!  nez  vieulx!  nez 
farcy  de  vent...  nez  mort  !  Où 
ay-je  eu  la  veue  de  m'attacher 
à  ce  nez  en  trullle,  à  ce  vieil 
verrouil  (|ui  ne  cognoisl  plus 
sa  voye  !  le  doime  ma  part  au 
(Habh-  de  ce  vieulx  nez  sans 
hnmieui',  de  ceste  vieille  barbe 
ïrans  suc,  de  ccsle  vieille  leste  grise,  di;  ce  visaigedemarniouzel, 


LK  DANGIEK  D'KSTISI':  TROP  COCOUIUUN. 


'.01 


de  ces  vioillos  giicnippcs,  de  ce  vieil  liailloii  d'honmie,  de;  ce  ie  ne 
sçays  f|uoy.  Et  veiilx  me  fournir  d'un  ieunc  espoux  (jui  m'es- 
pouse  liien...  et  beaucoup,  et  tous  les  iours.  Et  me... 

En  C(;  sai;jfe  pensieresloyt-clle  quand  s'inyénia  le  coc(juel)iri  do 
deshagoideison  antienne  àceslerenimesiaspremenl  cliaslouillée, 
laquelle  à  la  prime  périphrase  i)rint  l'eu  en  son  entendement, 
comme  vieil  amadou  à  l'escopcttc  d'ung  souldard.  Puis,  treuvant 
saigc  d'essayer  son  gendre,  se  dit  en  elle-mesme  :  —  Ali  !  barbe 
ieunette,  sentant  l)on...  Ali  !  iolynez  tout  neul'!...  IJarbc  Iresclic, 
nez  coccpicbin,  barbe  pucelle,  nez  plein  de  iove,  barbe  priiita- 
nière,  bomie  clavette  d'amour  ! 


Ellecul  à  en  dire  |ieiiil;iiil  loiil  le  ((Uiis  du  i;inlin.  leipiel  eslo\t 
long.  Puis,  convint  a\icques  le  cocqiiebui  (|iii  .  la  iiiiiet  Ncnue,  il 

'2(i 


5(>2  CONTES   IIROLATIUIES. 

sçanroyl  saillir  »lo  sa  L-hambro  et  sanltcr  on  la  sienne  où  elle  se 
iacloyt  de  le  renilie  plus  sçavant  que  n'estoyt  son  père.  Bien 
l'eut  content  Tespoux  et  niereia  madame  d'Aniboise,  la  requé- 
rant de  ne  sonnt'i'  mot  de  ee  traffie. 

Pendant  ce  avoyt  pesté  le  bon  vieux  l!rai.nu'loiii:ne,  leipicl  di- 
soyt  en  son  ame  :  —  Vieille  lia  !  Ha  !  vieilli-  Ilou  !  lion  !  (piefes- 
toulTe  la  eoequeluobe  !  (juote  ronge  ung  cancre  !  vieille  estrille  es- 
dentée  !  vieille  pantopldeoù  le  pied  ne  tient  plus  !  vieille  arque- 
blise  !  vieille  morue  de  dix  ans  !  vieille  araignée  qui  ne  renuu*plus 
«|ue  en  s'entoilant  le  soir!  vieille  morte  à  yeulx  ouverts!  vieille 
berci'usi-  du  diable  !  vieille  lanlerne  du  vieil  crieur  d'oubliés  ! 
vit'ille  de  qui  le  resguard  tue...  vieille  monstaclie  du  vieil  tliéria- 
cleur  !  vieil  à  laire  pleurer  la  mort!...  vieille  pédale  d'orgue! 
vieille  guaisne  à  centcoulteaux  !  vieulx  ])orclied'ecclise  usé  par  les 
gonoilz  !  vieulx  tronc  où  tout  le  monde  lia  mis  !  le  doimeroys  tout 
mon  lieur  à  venir  pour  estre  (|uilte  île  lov  ! 

(".omme  il  [)araclievoyt  ce  légierpensier,  la  iolie  mariée,  ([ui 
songioyt  au  grant  chagrin  où  cstoyt  son  ieune  marydc  ne  point 
sçavoir  les  erremens  de  ceste  chousc  essentielle  en  mariaige,  et 
ne  se  doublant  nullement  de  ce  ipie  estoyt,  cuyda  luy  saulver 
(pu'lque  grant  eslrif,  boutes  et  poines  graves,  en  soy  instruisant, 
l'uis  comptabien  lestonneret  lesiouir,  en  laprocbaine  miictée, 
alors  que  elle  iuydiroyt  en  lui  enseignant  son  debvoir  :  c  Voilà 
ce  ((ue  est  de  la  cbouse,  mon  bon  amv.  »  Doncques,  nounùe,  en 
grant  lespect  des  vieilles  gens  |iar  sa  cliière  douairière,  elle  se 
di'libéia  d'arraisonner  cettuv  boubonnne  avecipies  des  manières 
gentilles,  pour  en  distillei'  le  doulx  myslèie  de  l'accoinlance. 
(1res,  le  sieur  de  IJraguelongne,  honteux  de  s'estre  entortillé  dans 
les  pensées  navrantes  de  sa  besongne  du  soir  et  de  ne  rien  dire 
à  si  Irisque  conqiaignie,  feit  une  interroguation  sonmiaire  à  la 
idiie  mariée  sur  ce  (|ue  elle  estovt  bien  heureuse,  fournie  d'ung 
ieime  mary,  bien  saige. 

—  (lui,  bien  saige,  l'eit-elle. 

—  Trop  saige...  |»eut-i'slre,  dit  le  lieutenant  soubriant. 
l'our  eslre  hriel',  leschouses  s'entrelilèrenl  si  bien  entre  eulx, 

que,  en  entonnant  ung  aultre  canticipie  pétillant  d'allaigresse,  le 
sieur  de  liragiieloiigiie  s'engagea,  de  ce  requis,  à  ne  rieni'sjiar- 
gner  pour  desendterluciHpier  rentendenienl  de  la  brn  de  ma- 
dame d'And}oise,  laquelle  promit  veuir  esliidier  la  lesson  chez 
luy.  Failles   estât  ipie   la  dicte  dame   d'.\mboise  après  souper, 


lE  DANGIFU   D'F.STRF:   TROP  COCOIERIN.         ÔOÔ 

ioua  leri'il)le  imisic(|uci'ri  Iiaullc  ^aniiiio  à  inonsiciir  de  [5i':i;;ii('- 
loiignc  :  Coniincquoy  ii'uvoyt  aulcunc  recoynoissanco  dos  biens 
(|uc  clic  lui  avoyt  apportez  :  son  estât,  ses  finances,  sa  fidélité, 
et  cœtera.  Enfin  clic  parla  domy-lionrc  sans  avoii"  évaporé 
le  (juart  de  son  ire.  De  ce,  mille  coulteaiilx  fcnrcnt  entre  eulx 
tirez,  mais  en  garduèrent  les  f,Miaisnes.  Pendant  ce,  les  mariez, 
bien  couchiez,  se  délibéroyent,  uny  cbascun  à  part  luy,  de  soy 
évader,  pour  faire  plaisir  à  l'aultre.  Et  le  cocquebin  de  se  dire 
tout  tresmoussé  de  ne  scavoyt  (juoy,  et  de  vouloir  aller  à  l'aër. 
Et  femme  non  damée  de  l'inviter  à  prendre  ung  layon  de  lune. 
Et  bon  eoctpiebinde  [ilaiiulre  sa  jtetile  de  demourer  senletle  ung 
moment.  Hrief,  tous  deux  en  temps  divers,  yssirent  de  leur  lict 
coniugal,  en  grant  hastc  de  quérir  la  sapience,  et  vindrent  à  leurs 
docteurs,  tous  bien  impatiens,  comme  vous  debvez  croire.  xVussy 
leur  feuf-il  baillé  ung  l)on  enseignement.  Comment  ?  Fe  ne  sçau- 
roys  le  dire,  pour  ce  (pie  ung  cbascun  a  sa  mt'tb((d(>et  praticque 
et  que,  de  toutes  sciences,  ceste-cyest  la  plus  mouvante  en  prin- 
cipes. Comptez  seulement  que  iamais  escholiers  ne  receurent  plus 
vifVement  les  préceptes  de  aulcunc  langue,  grammaire  ou  lessous 
(pielconcjues.  Puis  reviiulrent  les  deux  espoux  en  leur  nid,  bien 
beureux  de  se  comnnmiequer  les  descouvertes  de  leurs  pi-ré- 
grinations  scient ilieijues. 

—  Ha!  mon  amy,  l'eit  la  mariée,  tu  ensçays  desià  plus  long 
que  mon  maistrc. 

De  ces  curieuses  esprouvettcs  vint  leur  ioyc  en  niesnaigc  et 
parlaicte  tidt'lité,  |)our  ce  que,  dès  leur  entrée  en  mariaige,ils 
cxpérimeiilèreiit  condjien  ung  cbascun  d'eulx  avoyt  des  cbouses 
meilleures  pour  les  déduicts  d'amour  que  ceux  de  tousaultres, 
leurs  maistres  compiins.  Doncqucs, pour  le  demourant  de  leurs 
iours,  s'en  tindrent  à  la  légitime  estolle  de  leurs  poisonnes.  Aussy 
le  sieur  de  Moncontour  disoyt-il  en  son  vieil  aage  à  ses  amys  : 

—  Faicles  connue  moy  ;  soyez  cocqus  en  hei'be  et  non  en 
gerbe. 

Ce  qui  est  la  vraye  moralité  des  brayctlcs  coniugales. 


LA   CIIIKHI-    MICTKE   D'AMOliR 


Kn  riivvrr  où  so  onimnnclia  la  piiino  prinso  (r.n'mos  diMciilx 
(le  la  ii'lij,fion,  et  (jiii  l'iMit  a|iiH'l('  lo  Inniullt'  (rAnihoisc,  iiiig 
advocat  nommé  Avcncllos  prcsla  son  loj;iz.  sitm'  en  la  nir  des 
Marmouzcls,  pour  les  onlrovcuos  et  ronvcntioiis  des  lliii^oimcaiix. 

oslaiil  inifidos  leurs, sans  n('aiil  moins 
SI'  donlilci' (pic  If  prince  de  Con(!('. 
La  lici:ii;uidiccl  aidlrc^  dclilici'ovcnl 
ià  d'enlever  le  |{oy. 

Ce  dici  AvcnellesesloyLuiU'  inanl- 
|inl\  cdiiiiiic  uni:  lii'in  de  i'('j.disse,  jiaslc  en 
diable,  ainsv  cpu'  sonl  tous  cliicipianoiis  enlouis  ez  h'nèhrcs  du 
pailement,  luiel',  le  plus  inescliani  ^aison  d'advocal  ipu;  iamais 
ayt  vescii,  liant  aux  pendaisons,  vendanl  tout,  vray ludas.  SuivanI 
aulcuns  anllieurs,  en  chai  ronii('  de  li;nil  enleiKlemeiil,  il  esloyt 


LA  CilIKIiK  NUICTKK  D'AMOUR. 


305 


en  ceste  affaire  moitié  figue, nioili(' raisin, ainsy  qu'il  appert  d'abun- 
(liiiil  j)arcepr('.'>('iilcuiit('.C('ltiiy  iirocuri'uravoylespousi'uric  Irc/- 
gcnle  l}(turgco\s('  de  Paris  dont  il  c^tojl 
ialouxàlatuerpourunefronsseureenses 
(lra|»s  de  lietdont  elleneauroytpas  sceu 
iciidie  raison;  ee  (juieustété  mal,  pour 
ce  (]ue  souvent  il  s'y  irncontie  (I'Ikui- 
nestes  plis  ;  mais  elle  ployoyt  trcz-hien 
ses  toiles,  et  voilà  tout.  Comptez  que,  co- 
iiMoissantle  naturel  assassin  et  maulvais 
deeet  homme,  estoyl-elle  bien  fidelle,  la 
bon  i|;coyse,tousiours  preste  connue  ung 
chandelier,  rangéeà  son  dehvoir  comme 
img  bahut  qui  iamais  ne  bouge  et  s'ouvre 
à  commandement.  Néantmoins  l'advo- 
eat  l'avoyl  mise  soubz  la  tutelle  et  l'ceil 
clair  d'une  vieille  meschine,  doue;^iia 
laide  connue  un  pot  sans  gueule,  la- 
quelle avoyt  nourry  le  sieur  Avenelles,  et  luy  estoyt  moult  affection- 
née. Paouvre  bourgeoyse,  pour  tout  licur  en  son  froid  mesnaigc, 
souloyt  aller  à  ses  dé- 
votions en  l'ecclise  de 
Sainct-.lchan,  sur  la 
place  de  Grève,  où, 
comme  ung  ciiascun 
sçayt,  le  beau  monde 
se  doimoyt  rendez- 
vous.  Puis  en  disant 
ses  patenostres  à  Dieu, 
elle  se  resgalloyt  par 
les  yeulx  de  veoir  tous 
ces  guallans  frisez, 
parez,  ampoisez,  al- 
lans,  venans,  frin- 
guans  connue  de  vrays 
papillons.  Puis  fina 
par  trier,  parmy  enlx  tous,  ung"gentilhomme  amvdela  Rovne- 
mère,  bel  Italian.dontelles'alTola,  ixuMceipi'il  estovl  dans  le  may 
de  l'aa^ie,  noblement  mis,  deioly  moiivemenl,  brave  de  mine,  et 
cstoyl  tout  ce  que  ung  amant  doibtestre  pour  donner  de  l'amour 

20. 


ç§;-  -rc- 


106  CONTES  DROLATIQUES. 

jiU'iii  locuour  à  uiio  lioiuiosto  fcinino  Irop  sonvc  oz  lions  du  ma- 
riaigo,C(M[iii  laiiclu'iiiu'i't  tousioiirsliiicile  à  sodcsliai'iiaclicrdola 
règle  ooiiiiigalc.  Ktl'aictos  estât  ([ues'aHoia  bien  le  iemiegentil- 
honimc  île  la  bourgeoysc,  dont  raniour  muet  luy  parla  secrelte- 
nient,  sans  que  le  diable  ni  eulx  ayent  iainais  sccu  comment. 
Puis  l'ung  et  l'aultre  eurent  de  tacites  correspondances  d'amour. 
D'abord  l'advoeate  ne  s'atlorna  })lus(pie  pom'  venir  en  l'ecelise, 
et  tousiours  y  venoyt  en  nouvelles  som[)tuositez.  Puis,  au  lieu  de 
songier  à  Dieu,  ce  dont  Dieu  se  fasclia,  ])ensoyt  à  son  beau  gen- 
tilbommc  et,  laissant  les  prières,  s'adonnoyt  au  l'eu  qui  luybrus- 
loyt  le  cueur  et  lui  liumectoyt  les  yculx,  les  lèvres  et  tout,  veu 
que  ce  feu  se  résould  lousiours  en  eaue,  et  souvent  disoyt-elle 
en  soy  :  «  Ha  !  ie  donnorois  ma  vie  pour  une  seule  aecointance 
avecques  ce  ioly  amant  qui  m'ayme  !  »  Souvent  encores,  au  lien 
de  dire  ses  litanies  à  madame  la  Vierge,  pcnsoyt-ellc  en  son 
eueur  cccy  :  «  Pour  sentir  la  bonne  ieunesse  de  cet  amant  gentil 
et  avoir  ioyes  pleines  en  amour,  gouster  tout  en  ung  moment, 
peu  me  cliault  du  l)uscliier  où  sont  gectez  les  bérétieques.  » 
Puis  le  genliilinnimo,  voyant  les  atours  de  ceste  bonne  iemmeet 
ses  supercouloralions  alors  que  il  l'advisoyt,  revint  tousiours  près 
de  son  banc  et  luy  adressa  de  ces  requestcs  auxquelles  entendent 
bien  les  dames.  Puis,  à  part  luy,  disoyt  : 

—  Par  la  double  corne  de  mon  père  !  ie  iure  d'avoir  ceste 
femme,  encores  (pic  j'y  lairroys  la  vie. 

Et  quand  la  douegna  tournoyt  la  teste,  les  deux  amans  se 
serroycnt,  pressoyent,  sentoyent,  respiroycnt,  mangioyent,  dévo- 
royent  et  baisoyent  par  un  resguard  à  faire  flamber  la  mesclie 
d'ung  arquebouzier,  si  ai(piebouzier  oust  esté  là.  Force  estoyt 
qu'ung  amour  enli'é  si  avant  au  cueur  prist  fin.  Le  gentillionnne 
se  veslit  en  escbolicr  de  Montaigu,  se  mit  à  resgaller  les  clercs 
dudict  Avenellcs  et  gausser  en  leur  compaignie,  à  ceste  fin  de 
cognoistre  les  alleures  de  ce  mary,  ses  lieurcs  d'absence,  ses 
voyaiges  et  tout,  guettant  un  ioinct  pour  l'encorner.  Et  vécy 
comme,  à  son  dam,  se  renconlia  le  ioinct.  l/advocat,  contrainct 
de  suivre  lecoursdeccsle  coniuration,  alm-s  mcsmes qu'il  estoyt, 
à  jiart  luy,  conclud,  le  cas  cscbéant,  de  la  déduire  aux  Guyses, 
se  (b'iibéra  d'aller  à  Dloys  où  lors  estoyt  la  Court  en  grant  dangier 
d'esli'e  cnlevi'e.  Saicliant  cela,  le  gentilliomme  vint  jjremier  en 
la  ville  de  Dloys,  et  y  nd)ric(jua  un  maistre  piège  où  dc^bvoyt 
tond)er  je  sieur  Avenell(;s  maulgré  sa  ruse  et  n'en  sortir  (jue 


LA   CIIIKIÎK   MICTKi:   D'AMOCH.  .'07 

trompt'  (l'un  co((jii,iii;('  cranioisy.  Ce  ilicl  Italiaii,  yvrc  d'amoiir', 
convucfjiia  Ions  ses  jiaigcs  et  serviteurs,  et  les  embusqua  de  sorte 
que,  à  l'arrivée  dudiet  advocat,  de  sa  femme  et  de  sa  douegna, 
il  leur  Icust  déclairé,  par  toutes  les  hostcllcries  en  lesquelles  ils 
vouldroyent  logier,  que,  l'iiostellerie  estant  pleine  par  le  séjour 
de  la  Court,  ils  allassent  ailleurs.  Puis  le  genlillioiiniie  IVil  tel 
aeeord  aveetpies  l'hostelicr  du  Soleil  royal,  (|uc  luy  yentillionime 
auroyt  à  luy  toute  sa  maison  et  l'occuperoyt,  sans  que  nul  des 
serviteurs  aecoustumez  dudiet  logiz  y  demourast.  Pour  plus  grant 
fiance,  le  seigneur  envoya  lediet  maistre  rostisseur  et  ses  gens 
en  eanipaigne,  et  aposta  les  siens  à  eeste  (in  «pie  l'advocat  ne 
sceust  rien  de  ce  Iral'lic.  Vécy  mon  l)on  genlilliommc  qui  loge  en 
son  .liostellerie  ses  siens  amys  venus  à  la  Court,  et,  pour  soy, 
guardc  une  chambre  située  au-dessus  de  celles  en  lesquelles  il 
comptoyt  mettre  sa  belle  maistresse,  son  advocat  et  la  douegna, 
non  sans  faire  pratiequer  une  trappe  au  jdancliier.  Puis  son 
maistre  (jueux  ayant  cbai'ge  de  iouer  le  roole  de  l'bostelier,  ses 
paiges  dressez  en  fasson  de  patronnets,  ses  meschines,  en  ser- 
vantes d'iiostellerie,  il  attendit  que  ses  espies  luy  convoyassent 
les  personnaiges  de  ceste  farce,  à  sçavoir  :  femme,  marry,  douegna 
et  tout,  les({uels  ne  faillirent  [)oint  à  venir,  Veu  la  grant  aflluencc 
de  gros  seigneurs,  men^lians,  gens  d'armes,  gens  de  service  et 
aultres  amenez  par  le  séiour  du  ieune  Roy,  des  deux  Roynes, 
des  Guyses  et  de  toute  la  Court,  aulcune  ame  n'eut  licence  de 
s'csbaliir  ni  deviser  de  la  cbausse-trappe  à  chicquanier,  et  du 
remue-mesnaigc  advenu  au  Soleil  royal.  Vécy  doncques  le  sieur 
Avenelles,  à  son  desbotté,  rebutté,  luy,  sa  femme  et  la  cbandje- 
rière  douegna,  d'hostellerie  en  liostellerie,  lequel  se  cuyda  trez- 
heureux  d'estre  receuàce  Soleil  royal  où  se  cbauffoyt  le  guallant 
et  cuisoyt  l'amour.  L'advocat  logié,  legentilbonimc  se  pourinena 
dans  la  court,  en  guette  et  queste  d'iing  coup  d'œil  de  sa  dame,  et 
point  trop  n'attendit,  veu  que  la  damoiselle  Avenelles  resguarda 
bien  tost  en  la  court,  suyvant  la  coustume  des  dames,  et  y  re- 
cogncut,  non  sans  ung  tresmoussement  de  cueur,  son  guallant  et 
bien-aymé  gentilliomme.  Endà,  feut-elle  bien  beureuse  !  Et  si, 
par  cas  fortuit,  tous  deux  eussent  eslc*  seul  à  seul  pour  une  once 
de  temps,  point  n'auroyt  attendu  son  beurle  bon  genlilbomme, 
tant  elle  estoyt  embrasée  des  pieds  en  la  teste. 

—  Ilo,  faict-il  cliaud  aux  rais  de  ce  seigneur  !  dit-elle,  cuydant 
dire  de  ce  soleil,  veu  que  en  reluysoyt  ung  bon  rayon. 


508  r.ONTKS    DROLATIQIKS. 

Oyant  cela,  l'advocat  do  saultor  à  la  croisée  et  de  vcoir  mon 
genlilhonimc. 

—  Ha  !  il  vous  faut  dos  seigneurs,  ma  mye?feit  l'advocaf  on  la 
tirant  par  le  bras  et  la  gectant  comme  ung  de  ses  sacssurlolict. 
Songiez  bien  (juo,  si  i'ay  ung  galimart  aux  costos  et  non  une 
espée,  si  ay-je  ung  ganivot  en  ce  galimart  ;  et  ganivet  ira  bien  à 
vostre  cueur,  à  la  moindre  undjro  do  pluniaige  coniugal.  le  cuyde 
avoir  vcu  ce  genlilbonnne  quelque  part. 

L'advocat  estoit  si  aigrement  mescliant  <jno  la  damoiselle  se 
leva,  puis  luy  dit:  — Yère,  tuez-moy.  l'ai  bonté  de  vous  tru- 
pber.  lamais  plus  no  me  touclierez-vous,  après  m'avoir  ainsy  me- 
nassée.  Et  ne  songe  plus,  d'buy,  qu'à  coucbior  avecques  ung 
amant  plus  gentil  que  vous  n'estes. 

—  La!  la!  ma  bicbette,  f'eit  l'advocat  surprins,  i'ay  esté  trop 
loing.  Baise-moy,  mignonne,  et  qu'il  me  soit  pardonné. 

—  le  ne  vous  baise  ni  vous  pardonne,  feit-ello,  vous  estes  ung 
maulvais. 

Avenellos  enraigné  voulut  avoir  par  force  ce  que  l'advccale  luy 
denioyt,  et  de  ce  s'ensuyvit  ung  combat  d'où  sortit  le  mary  tout 
grapbiné  ;  mais  le  pire  estoyt  que  l'advec^at  paraphé  d'osgrati- 
gneuros,  estant  attendu  par  les  coniuroz  qui  tonoiont  conseil,  fout 
contrainot  de  quitter  sa  bonne  l'omme  en  la  laissant  à  la  guardc 
de  la  vieille. 

Le  chicquanier  dehors,  gentilhomme  de  poser  ung  sien  servi- 
teur en  guette,  au  coin  de  la  rue,  de  monter  à  sa  bienheureuse 
trappe,  de  la  lever  sans  bruit  aulcun  et  de  buchior  la  dame  par 
img  :  puit!  p/sit  !  li  dc\n\  un\('[,  lot|uol  fout  entendu  par  le  cueur 
qui  d'ordinaire,  enlond  tout.  La  damoisidlo  do  haulser  latoste  et 
(le  veoir  le  gentil  amant  au-dessus  d'elle  à  quatre  saults  de  puce. 
Sur  ung  signe,  elle  print  deux  lassets  de  grosse  soye,  auxquels 
estoyont  attachées  des  boucles  par  oii  elle  passa  les  bras,  et,  en 
ung  clind'œil,  fout  translatée,  moyennant  doux  pitulios,  do  son 
lict  en  la  chambre  supéiieuro.  par  le  ciol,  (|ui,  s'ostant  clos 
comme  il  avoyt  esté  ouvert,  laissa  seule  la  vicilio  moschino, 
douegnardc  en  grant  meschief,  alors  (pio,  tournant  la  teste 
ne  veit  plus  ni  robbe  ni  femme,  et  comprint  que  la  fenniie 
estoyt  robhée.  Connnout  ?  par(|iiy7  par  quoy  '.'  où?...  Pille,  Nade, 
Inccpic,  i'"ore  !  Autant  on  sravoymt  los  abjucniistes  à  leurs  Ibur- 
no.iux  eu  lisant  lier  Trippa.  Seulement  la  vieille  ro^noissoyt 
bien  le  crouzet  et  le  gi'ant  œuvre  :  celluy  estoyt  le  cocquaige,  et 


LA    CIIIKP.F,   NL'ICTKR    D'AMOI  [!.  .".OO 

l'anltro,  lo  gentil  clioiisc  do  l'iKlvdciilc  i;ilc  (Irmonra  (iiiinniildc, 
aUciidiiMl  K'  sieur  Aveiielles,  anl;iiil  dire  la  mort,  veii  (|iic,dans  sa 
raiye,  il  descoiiliroyt  lout,  cl  ne  |)(Mivoyl  soy  saulver,  la  paoïivro 
doiiegna,  car,  par  liaultc  prudence,  le  ialoux  avoyt  eniportf'  les 
ciels.  Eli  prime  veiie,  Ircuva  la  deuioisclle  Avenelles,  uny  gentil 
souper,  bon  l'eu  en  la  cheminée,  mais  ung  meilleur  aucueurde 
son  amant,  leipiel  la  print,  la  baisa,  avecques  larmes  de  ioye, 
sur  les  veulx  d  abord,  pour  lesmercierde  leurs  bonnes œilhub^s 
pendant  les  dévolions  de  l'ecclise  Sainct-.Ieban  en  Grève.  Puis, 
point  ne  refusa  son  bec  à  l'amour  la  bonne  advocatc  embrasée, 
et  se  laissa  bien  adorer,  presser,  caresser,  heureuse  d'estre  bien 
adorée,  bien  pressée,  bien  caressée,  à  la  mode  des  amans  af- 
famez. Puis,  tous  deux  l'eurent  d'accord  d'estre  l'ung  à  l'aultre, 
durant  toute  la  nuict,  non  clialans  de  ce  qui  pourroyt  en  ad- 
vindre  :  elle,  comptant  l'advenir  comme  festu  en  comparaison  des 
ioyes  de  cette  nuictée  ;  luy,  se  fiant  sur  son  crédit  et  son  espée 
pour  en  avoir  d'aultres.  Brief,  tous  deux  peu  soulcieux  de  la 
vie,  pourveu  qiu%  en  ung  coup,  ils  consumassent  mille  vies, 
prissent  mille  délices,  en  se  rendant,  ungcli;\seun  à  l'aultre,  le 
double,  cuydant  elle  et  luy  tomber  en  ung  abysme  et  voulant  y 
rouler  bien  accoliez,  en  boutant  tout  l'amour  de  leur  ame  avec- 
ques raige  en  ung  coup.  Kndà,  s'aymoyent-ilsbien  !  Aussy,  point 
ne  cognoissent  l'amour  les  paouvres  bourgeoys  qui  couchent 
coitement  avecques  leurs  mcsnaigieres,  veu  qu'ils  ne  sçavenl 
point  Cl!  qu'il  y  ha  d'aspres  frestillemens  de  cueur,  de  chaulds 
iects  de  vie,  de  vigoureuses  emprinses,  alors  que  deux  ieunes 
amans,  blanebement  unis  et  reluysans  de  dezirs,  se  couplent  en 
veued'ung  dangier  de  mort.  Doneques  la  damoiselle  et  le  gen. 
tilhonune  loueiiièrent  peu  au  sou|)er  et  se  concilièrent  tost.  He- 
soing  est  de  les  laisser  à  leur  besongne,  veu  (jue  nuls  mots,  fors 
ceulx  du  paradiz  à  nous  incogneus,  ne  diroyent  leurs  déli- 
cieuses angoisses  et  leurs  angoisseuscs  fretillados.  Pendant  ce, 
le  sieur  marv  si  bien  cocquusé  que  tout  souvenir  de  niariaigo 
estoit  balvé  net  par  l'amouî-,  ledict  Avenelies  se  trouvoyt  en 
grant  empescbement.  Au  conciliabule  des  Ihigoimeaux  vint  le 
prince  de  Condé,  accompaigné  de  tous  les  chiefs  et  hauts  bon- 
nets; et,  là,  feut  résolu  d'enlever  la  Royne-mère,  les  Guyses, 
le  ieune  Roy,  la  ieune  Royne,  et  changer  l'Estat.  Cecy  devenu 
grave,  l'advocat,  vovant  sa  teste  au  ion,  ne  sentit  point  le  bois 
qui  s'y  planloyl,  et  courut  desbagoiiler  la  coniuration  à  mon- 


310  CONTES  DROLATIQUKS. 

su'iir  If  (Miidinal  île  Lorraine,  lequel  emmena  niondicl  cliicqua- 
nous  clie/  le  (luf  son  frère,  où  tous  trois  tlemourèrent  à  deviser, 
faisant  belles  promesses  au  sieur  Avonrlles,  ([ue  ils  lasclièrentà 
grant  poine,  vers  minuict,  heure  à  hujuelle  il  yssit  seerettement 
du  cliasteau.  tn  celtuy  moment,  les  paiges  du  gentilhomme  et 
tous  ses  gens  faisoyent  une  medianoclie  endiablée,  en  l'hon- 
neur des  nopces  fortuites  de  leur  maistre.  Ores,  advenant  en 
plein  regouhillonner,  au  milieu  de  l'yvresse  et  hoeijucts  ioyculx, 
le  dessus  dict  Avenelles  l'eut  jjerforaminé  de  railleries,  brocards, 
rires  qui  le  feirent  blesmir,  alors  que  il  advint  en  sa  chambre  où 
ne  veit  que  la  douegna.  Geste  paouvre  meschine  voulut  parler, 
mais  l'ailvocat  lui  mit  promptement  le  poing  sur  le  gozier,  et  luy 
commanda  silence  par  ung  geste.  Puis  l'ouilla  dedans  sa  malle  et 
y  print  ung  bon  poignard.  Alors  (jue  il  le  desguainoyt  et  mer- 
eyoit,  ung  franc,  naïf,  ioyeulx,  amouieux,  gentil,  céleste  esclat 
de  rire,  suyvy  d'aulcunes  paroles  de  facile  compréhension  coula 
par  la  trappe.  Le  rusé  d'advocat,  estaingnant  sa  chandelle,  veit 
ez  fentes  du  planchicr,  au  deffault  de  cet  liuys  extra-iudiciaire, 
une  lumicre  qui  luy  descouvrit  vaguement  le  mystère,  veu  qu'il 
recogneut  la  voix  de  sa  fenmie  et  celle  du  combattant.  Le  mary 
print  la  meschine  par  le  bras,  et  vint  par  les  degrez,  à  pas  de 
veloux,  querant  l'huys  de  la  chambre  où  estoyent  les  amans,  et 
ne  faillit  point  a  le  treuver.  Entendez  bien  que  d'une  horriftcque 
ruade  d'advocat  il  gecta  bas  la  porte,  et  feut  en  ung  sault  dessus 
le  licl  oîi  il  sui'print  sa  fennne  demy-nue  aux  bras  du  gentil- 
homme. 

—  Ah  !  feit-elle. 

L'amant,  ayant  éviti'  le  coup,  voulut  arracher  le  poignard  aux 
mains  du  cliicquanier,  qui  le  tenoyt  mie.  Ores,  encesti;  lucle  de 
vie  et  de  niorl,  le  mary  se  sentant  em|»esché  par  son  lieuU'nant 
(pii  l'cnserroyl  gricfvcmeiit  dcscs  doigis  de  fer,  et  mordu  |)ai'  sa 
femme  qui  le  deschiroyt  à  belles  dents,  le  l'ongioyt  connue  ung 
chien  faict  d'un  os,  il  songia  vifvcnient  à  niieulx  assouvir  sa 
cholère.  Donetpies  ce  diable  nouvellement  cornu  commanda  ma- 
licieusement en  son  patois  à  la  meschine  de  lier  les  amoureux 
avecipies  les  cordes  d(!  soye  d(!  la  trappe,  et,  geetanl  le  poignard 
au  loing,  il  ayda  la  douegna  à  les  empiéi^ci'.  l'uis,  la  elionse  ainsy 
faicte  en  ung  tour  de  main,  ii  iir  mil  du  linge  en  la  bouche 
j)oin'  les  enq)escher  de  crier  et  cournl  à  son  bon  poignard,  sans 
mot  dire.  Kn  ce  inonieni,  entrèrent  plusieurs  olïiciei's  du  duc 


LA  cm  HUE  M'ICTKi:   DWMol  11.  •'^11 

de  Guvsc,  (jiie,  pcndaiil  le  cumhal,  mil  n'avoNl  (iiIcikIus  mcllrc 
tout  à  sac  dedans  rhoslollcric  en  y  fjuerant  le  sieur  Avcnellcs. 


Ces  souldards,  atlvertis  soubdaiii  {)ar  ung  cry  des  paigi's  du  S'.-i- 
gneur  enlassé,  l)aiIlonné,  quasi  tué,  se  iectèrent  entre  l'Iiomnic 
au  poignard  et  les  amans,  le  désarmèrent,  puis  accomplirent 
leur  charge  en  l'airestant  et  lemenantenla  prison  du  cliasleau, 
luy,  sa  leumie  et  la  douegna.  Sur  ce,  les  gens  de  messieurs  de 
Guyse,  recognoissant  ung  amy  de  leurs  iiiaislrcs,  dont  en  ce  mo- 
ment la  Uoyne  estoyt  en  peine  pour  délil)érer,  et  qu'il  leur  estoyt 
enioinct  de  mander  au  Conseil,  le  convièrent  ù  venir  avec(|ues 
culx.  Lors,  en  soy  veslanf,  le  gentilhomme,  lost  délié,  dit 
à  part  au  cliief  de  l'escorte:  Oue  sur  sa  teste,  pour  l'amom' 
de  luy,  il  eust  soing  de  tenir  le  mary  loing  de  la  fonuMC,  luy 
promettant  sa  laveur,  hou  advanccment,  et  mcsmes  l'oicc  de- 
niers, s'il  y  avoyt  cure  de  luy  en  ce  poiiut.  Puis,  pour  i)lus 
grant  fiance,  il  luy  descouvrit  le  p()ur(pu)y  de  cesle  chouse, 
adiouxiant  (pic,  si  h'  mary  seiieuvoyt  à  portée  de  ceste  gentille 
fennne,  il  luy  hailleroyf,  pour  le  seur,  une  ruade  au  ventie.  dont 
elle  ne  rcviciidioyt  iamais.  Kn  lin  de  loul,  lui  commanda  de 
bouler  dedans  la  geosle  du  cliasteau  la  dame,  en  ung  endroict 
plaisant,  au  rez  des  iardins,  et  l'advocaten  ung  hon  cachot;  non 


312 


COMES  DUOL.VTIQUES. 


sans  renehalsner  bel  et  bien.  Ce  qne  promit  ledict  oITicier  et 
l'oit  les  chouses  selon  le  vouloir  du  <:enlilliomme,  qui  tint  com- 
l)aignic  à  la  tlanie  ius(|ucs en  la couit  du  chasteau,  l'acertcnant 
(jue  de  ce  coup  elle  seroyt  veufve,  et  (pie  lu\  l'espouseroyt  peut- 
estre  en  léi^ilinie  niariaige.  De  faict,  le  sieur  Avenelles  feut 
geclé  en  ung  cul  de  fosse  sans  aër.  et  sagenlille  l'eiiunoinisc  en 
ung  petit  bouge  au-dessus  de  luy,  à  la  considération  de  son 
amant,  lecpiel  estoyt  le  sieur  Scipion  Sardini,  noble  Lucquois, 
trez-ricbe,  et,  comme  ha  esté  dessus  dict,  aniy  de  la  royne  Ca- 
therine de  Médicis,  lacpielle  nienoyt  alors  tout  de  concert  avcc- 
ques  les  Guyses.  Puis  monté  vivement  chez  la  Hoyne,  où  se  tc- 
noyt  lors  ung  grant  conseil  secret,  là,  sceut  l'ilalian  ce  dont  il 
s'en  alloyt,  et  le  dangier  do  la  Court.  Monseigneur  Sardini 
treuva  les  conseillers  intimes  bien  empeschez  et  surprins  de  cet 
estrif;  mais  il  les  accorda  tous,  en  leur  disant  d'en  tirera  eulx 
tout  le  proulïicl,  cl  à  son  advis  feut  deu  le  saige  party  de  logier 
le  Roy  au  chasteau  d'Audioise,  pour  y  prendre  les  héréticques 
connue  renards  en  ung  sac  et  les  y  occir  tous.  De  faict,  ung 
cliascun  sçayt  que  la  Royne-mèrc  et  les  Guyses  se  tindrent  en 
dissimulation  et  comment  fma  le  Tumulte  d'Âmboise.  Cecy 
n'est  nullement  l'ohieet  des  prt'sentes.  Alors  (pie,  au  matin, 
ung  cliascun  (piitta  la  chambre  de  la  Uoyne-mère,  oii  tout  avoyt 
esté  moyeimé,  monseigneur  Sardini,  ne  meUant  point  l'amour 
de  sa  bourgeoysc  en  oubly,  (juoique  lors  il  fcust  féru  griefve- 
ment  de  la  belle  Limeuil,  tille  appartenant  à  la  Royne-mc're, 
et  sa  parente  par  la  maison  de  la  Tour  de  Turenne,  demanda 
pomfjiiov  le  bon  Iiulas  avoU  e.sté  mis  en  caige.  Lors  le  cardinal 
de  L(trraine  luy  dit  <jue  son  intention 
n'estoyt  miliement  de  faiic  mal  à  ce 
i-|iii'i|ii:ini('r  ;  mais  (pie,  redoutant  son 
I  ('|Miil  ir.  iiii  cil  |ihis  forant  liaiice  de  son 
silence  iiis(jiies  à  la  lin  de  l'affaire,  il 
l'avoyl  mis  à  l'umlire,  et  le  lilKicroyten 
teiii|»s  el  lien. 

—  Le  lilK-icr!  feit  le  Luc(piois.  Neimy  ! 
bontez-le  en  iiiig  sac  et  gectez-moy  cette 
riihhe  noire  dedans  la  Loire.  D'abord  ie  le 
cognoys,  il  n'ol  point  de  ciieiir  vous  à  pardonner  sa  geosie,  el  re- 
loiirneraaii  presclie.  l'araiiisv,  ee  est  (ciivre  plaisaiit(N'i  Dieu  (pie 
(le  le  déliai  red'iing  liérélic(|iie.  l'iiis  peisoiine  nes('aiiia  vosseci'cls 


I.\   (.111  KRE  Nlir.TKK  D'AMOLR.  .'j13 

cl  nul  de  ses  iidliriciis  ne  s'udvisera  de  vous  demander  ce  (|ui  sera 
de  luy  adveiui,  pour  ce  (juc  ce  estiuig  Iraistre.  Laissez-nioy  l'aire 
saulversii  l'eunne  cl  aeeoninioder  le  reste,  ie  vous  en  (h'iivreray. 

—  lia  !  lia!  fcit  le  cardinal,  vous  estes  de  bon  conseil.  Doncipies 
ie  vais,  par  avant  de  distiller  vostreadvis,  les  faire  tous  deux  plus 
estroictcmcnt  détenir.  Holà  ! 

Vintunjf  iusticiard,  au(iuel  lent  conimandcdc  ne  laisser  ([ui  que 
ce  leust  coinniunic(pieravec(pies  les 
deux  prisoiuiiers.  Puis  le  cardinal 
priaSardini  de  dircà  sonhostelque 
ledict  advocat  s'cstoyt  esparty  de 
Bloys  pour  retourner  à  ses  procez 
de  Paris.  Les  gens  eiicliargiez  d'ai- 
rester  l'advocat  avoyenteu  verbale- 
ment ordre  de  le  traicler  en  homme 
d'importance  :  aussy  jioint  ne  le  des- 
nuèrent  ni  le  despouillèrent.Donc- 
ques,  le  dict  advocat  conserva  trente 
escuz  d'or  en  sa  Ijourse,  et  se  ré- 
solut à  tout  perdre  pour  assouvir  sa  vengeance,  et  prouver  par 
de  bons  argumens  aux  geosliers  qu'il  debvoyt  luy  estre  loysible 
de  veoir  sa  femme  dont  il  raffoloyt  et  vouloyt  la  légitime  aecoin- 
tancc.  Monseigneur  Sardini,  ledoutantpour  sa  maistresse  le  dan- 
gier  du  voisinaigc  de  ce  cliic(pianier  à  clieveulx  roux,  et,  pour 
elle,  ayant  grant  paour  d'auleunes  niaulvaisetez,  se  délibéra  de 
l'enlever  à  la  nuict  et  la  mettre  en  ung  lieu  scur.  Doncques  il 
fréta  des  bateliers,  et  aussy  leur  bateau,  les  embusqua  près  du 
pont,  et  conmianda  trois  de  ses  plus  agiles  serviteurs  pour  limer 
les  barreaux  du  bouge,  s'encliargier  de  la  dame  el  la  conduire 
au  mur  des  iardins  où  il  l'attendrovt. 

Ces  préparatives  estant  fairtes,  de  bonnes  limes  aclieplt'i-s,  il 
obtint  de  parler  de  matin  à  la  Hoync-mère,  dont  les  cband)res 
esloyent  situées  au-dessus  des  fossez,  on  gisoyent  le  dict  advocat 
et  sa  femme,  se  liant  (jue  la  Hoyne  se  presteroyt  voulentiers  à 
ceste  fuite.  De  l'aiet,  il  feut  receu  par  elle  et  la  pria  de  ne  point 
treuvcr  maulvais  qu'à  l'insceu  du  cardinal  et  de  monsieur  de 
Guyse,  il  délivrast  ceste  dame.  Puis  l'engagea  derechief  Ircz-fort 
à  dire  à  monsieur  de  Lorraine  de  gecter  l'iionnne  à  l'eaue.  .\  (juoy 
la  lloyne  dit  :  Amen.  Alors  l'amant  envoya  vitement  à  sa  dame 
ung  billel  en  ung  plal  de  concombres,  pour  l'adviser  de  son  |iro- 

27 


M;ii<,   il    ciil    lu  ( 


!■■    .  ,|iil|.  I    .Icil.rii-,   l;i   Imi'ijih;  et 

en  h'ianl  hastu. 


L\  CHIÈRE  NUICTÊE  D'AMOUR.  515 

cliaiii  vonfvaif^e  cl  de  l'iioiiiv  do  la  fuilo,  dont,  du  lonl,  elle  l'i-iil 
bien  coiitonlc,  la  hourgooyso.  Ihiiic(|iics.  à  I.»  liniiR',  les  souldards 
degiiottc  cscartez  par  la  Uoyne,  ({ui  les  onvoya  veoii- un  ravoii  de 
lune  dont  elle  avoyt  paour,  vécy  mes  serviteurs  de  lever  la  grille 
en  haste,  et  de  iuchier  la  dame,  (jui  vint  sans  faulte  et  feut  ame- 
née au  nmr  à  monseigneur  Sardini. 

Mais  la  poterne  dose  et  l'italian  dehors avecfjues  la  dame,  vécy 
la  dame  de  geeter  sa  niante,  V('ey  la  dame  de  se  changer  en  ung 
advocat,  et  vécy  mon  dict  advocal  d'estraindre  au  col  son  coe(iuard 
et  de  l'estrangler  en  le  traisnant  vers  l'eaue  pour  le  bouter  au 
fund  de  la  Loire;  et  Sardini  de  se  deftendre,  crier,  lucter,  sans 
pouvoir  se  dellaire,  niaulgré  son  stylet,  de  ce  diable  en  robbe. 
Puis  se  tut  en  tondjant  dedans  ung  bourbier,  soul)z  les  pieds  de 
l'advocat,  au(piel  il  veit,  à  travers  les  patincries  de  ce  combat  dia- 
bolicqueetà  la  lueur  de  la  lune,  le  visaige  niousclieté  du  sang  de 
sa  femme.  L'advocat,  enraigé,  quitta  l'italian,  lecuvdant  mort, 
et  aussy  pour  ce  (pie  aeeouroyent  des  serviteurs  armez  de  llam- 
beaux.  Mais  il  eut  le  temps  de  saulter  dedans  la  barque  et  de  s'es- 
loingner  en  granl  liaste. 

De  ce,  la  paouvre  damoiselle  Avenelles  mourut  seule,  veu  que 
monseigneur  Sardini,  mal  estranglé,  feut  rencontré  gizant,  et  re- 
vint de  ce  meurtre.  Puis  plus  tard,  comme  cliascun  sçayt,  espouza 
la  belle  Limeuil,  après  que  ceste  iolie  tille  eut  accouchié  dedans  le 
cabinet  de  la  Royne.  Giaiit  mescbief  que,  par  amitié,  voulut  celer 
la  Royne-mère,  et  que,  par  grant  amour,  couvrit  de  mariaige 
Sardini,  auquel  Catherine  bailla  la  belle  terre  de  Cbaumont-sur- 
Loire  et  aussy  le  cbasteau.  Mais  il  avoyt  néantmoins  esté  si  rai- 
geusement  estiainct,  maltraicté,  |)iétiné,  cscharbotté  par  leinarv, 
que  il  ne  feit  j)oint  devieulx  os,  et  feut  veufve  en  son  [irinlenips 
la  bell(>  Limeuil.  Maulgré  son  ire,  l'advocat  ne  feut  point  recher- 
ché. Rien  au  contraire,  il  eut  l'engin  de  se  faire  comprendre  au 
darrenier  Édict  de  pacification  parniy  ceulv  (|ui  uedebvoyent  point 
estre  incpiiétez,  estant  retourné  aux  llugonneaux  jiour  lesquels  il 
s'employa  en  Allemaigne. 

Paouvre  dame  Avenelles,  priez  pour  son  salut,  pour  ce  que  elle 
feut  gectée  on  ne  sçayt  où,  point  n'eut  de  prières  d'EccIise  ni  sé- 
pulture chrestienne.  Las!  songiez  à  elle,  dames  dont  les  amours 
vont  à  bien. 


Ile  J)esoii>g  sera  de  lousiours  revenir. 


LL  rilOSNK  1)1  lOYElLX  CIRK  Di:  MVADm 


Quand  vint  on  (lan'onicr  lion  ninislre  Franoovs  Ra1)olais  à  la 
(lonrt  (In  loy  Honry,  socnnd  dn  nom,  ce  t'ont  on  l'Iiyvor  oii  dob- 
voyl-il,  par  l'orcc  do  nature, qnittor  son  pourpoinct  do  chair  pour 
revivre  oternellenient,  en  ses  escripts  rcsplendissans  de  ceste 
bonne  pbilosopbieà  hujueile  besoin^i;  soia  de  tousiours  revenir.  Le 
bon  lionnno  avoyl  lors,  ou  pou  s'en  i'ault,  compté  septante  cou- 
vées d'Iiiruudollos.  Son  cbiof  boniéri(pie  csloyt  bien  dosituarny 
de  clievoulx,  mais  avoyt  oncoros  sa  barbe  particularisée  en  toute 
niaicsléjCl  respiroyt  tousiours  le  printemps  en  son  coy  soubriro, 
comme  vivoyt  toute  sapience  en  son  ample  front.  Ce  estoyt  ung: 
beauvieulx  bonnne,  au  dire  do  conlx(jui  ont  ou  l'iieur  de  vooir 
sa  face  où  Soc  rate  et  Aiistopliancs,  iadys  ennemys,  mais  là  devenus 


amys,  mcsloyont  leurs  imaigos.  Doncquos,  oyanl  son  cxtresme 
boure  tintinnulor  on  ses  aureilles,  se  déliliéra  d'aller  saluer  le 

27. 


51S  CONTES  DROL.VTIOIES. 

Rov  (lo  Franco,  {Htiir  ce  qiio  lodicl  soigneur  estant  venu  à  son 
cliasleau  dos  Tournollos,  le  bonliomnic  avoyt  la  Court  à  ung  goct 
(lo  |talol,  von  (jiio  il  doniouroyt  en  un  loyiz  sis  ez  iardins  Saincl- 
l'aul.  Se  lionvèicnl  lors  en  la  cliand)ro  do  la  royiio  Catherine: 
madame  Diane,  (jue  par  haulte  politicciue  elle  recevoyt  vn  sa 
oonipaiynie;  le  Hoy  ;  jiuis  monsieur  le  connestable,  les  cardinaul?: 
iU'  Lorraine  et  du  Hollay,  messieurs  do  Cuyso,  le  sieur  de  l>ira- 
jiuo  et  aullros  Italians.  (|ui  ià  se  melloyont  bien  avant  on  Court 
souliz  lo  cduvort  do  la  iloyne;  l'admirai;  Montgonnnery,  les 
lioiis  iW  service  en  leurs  charges,  et  auleuns  poêles  connue 
Melin  de  Saincl-Colays,  Philibert  de  l'Orme  et  lo  sieur  Uran- 
losine. 

Apercevant  lo  bonliomme,  lo  Pioy.  (pii  roslimoyt  l'acétieux,  luy 
dit  en  soubriani,  après  auIcuns  devis:  —  llas-tu  ianiais  desgoizé 
aulcnn  prosne  à  tes  pai'oissiens  de  Meudon? 

Maislre  Rabelais  cuyda  que  le  Roy  vouloyt  gausser,  veu  cpi'il 
n'avoyt  iamais  perceu  de  sa  cure  aultre  soulcy  que  les  revenus 
du  iit'n('lico,ot  (loiu'(|ues  il  rospondit  :  —  Sire,  mes  ouailles  sont 
entons  lieux, et  mes  prosnos  bien  entendus  de  la  haulte  chres- 
tienté. 

Puis,  gectant  ung  rosgnard  à  tous  ces  gens  de  Court,  lesquels, 
fors  messieurs  du  Rollay  et  de  Cliastillon,  souloyent  veoir  en  luy 
ung  sçavant  Tribonlot,  alors  (pie  il  ostdvt  lo  roy  dos  esporils  ci 
mioulx  loy  (pie  n'estoyl  cellny  dont  les  couitisans  veneroyonl  la 
bioniaisanto  couronne  seulement,  il  print  au  l)onh()nmio,  paravant 
de  tirer  ses  chausses  de  ce  monde,  ung  malicieux  dezir  de  les 
pliilosophicqucment  compisser  tous  en  la  teste, comme  bon  Gar- 
gantua se  plut  à  estuvcr  les  Parisiens  ez  tours  de  Nostre-Damc. 
Lors  il  adiouxta  :  —  Si  vous  estes  en  V(ts  bonnes.  Sire,  ie  puis  vous 
rosgaller  d'ung  beau  ])olit  sermon  de  poipétuol  usaige  (jue  i'ay 
giiardiî  soubz  lo  lym[)an  de  mon  auroille  senostro,  àceste  lin  de  le 
dire  en  bon  lieu,  par  manière  de  parabole  aulicque. 

—  Messieurs,  feit  le  Roy,  la  parole  est  à  maistre  François  Ra- 
belais, et  il  s'en  va  de  nostre  salut.  Ores,  faictos  silence  et  prestez 
l'aureille  :  il  est  lécond  on  droslorios  ('vangelic(pies. 

—  Sire,  dit  le  bonbonnno,  ie  conmionco. 

Lors  tous  lescourtizans  se  turentelsei-angièrcnlen  ung  cercle, 
souples  comme  ozier, devant  le  père  de  Pantagruel,  (jui  leurdos- 
blidda  loconto  suyvant  en  parolosdont  rion  \n\  s(;auroyt  aMpiiparor 
rinclyie  ('Idipioiice,  Mais,  |Mmr  ce  (pie  colluy  conte  ne  ha  esté  (pie 


LE   lOYELLX  CURÉ   DE  MEL'DOX. 


il9 


verbalement  conservé  iusques  à  nous,  il  sera  pardonné  à  l'autlicur 
de  l'escripre  à  sa  guyse. 


En  SCS viouk  iouis,  riaciiantua  estoyt  coustumier  de bigearries, 
dont  s'esloniiroycnt  moiiU  les  gens  de  sa  maison,  mais  luy  es- 
toyent  bien  panloniiéos,  veu  (jue  il  avoyt  d'aage  sept  cents  et 
quatre  ans,  maulgrél'advisdesainct  Clément  d'Alexandrie  en  ses 
Stromales,  lecpiel  veult  que,  en  cettuy  temps,  il  eust  ung  quart 
de  iour  de  moins,  dont  peu  nous  chault.  Donc([ues,  ce  maistre 
paterne,  voyant  ipie  tout  alloyt  à  trac  en  son  logiz  et  (pic  ung 
ebascun  tiroyt  à  soy  la  laine,  tomba  en  grant  paour  dVsfrc  des- 
nué  en  ses  darreniers  momens  et  se  résolut  d'inventer  une  plus 
parfaicte  gubernation  de  ses  domaines.  Et  il  feit  bien.  Doncques, 
en  ung  réduict  du  logiz  gargantucsipu'  enlouil  ung  beau  tas  de 
Iromciit  rouge,  oultrc  vingt  pots  de  nidiislardcct  ])lMsi(>urs  friands 
niorc(>aulx,  connue  pruncaulx  et  liallcbcrgcs  de  Touraiue,  l'oua- 
ces,  rillons,  rillettes,  l'ourmaiges  d'Olivel,de  chicvre  et  aullres, 
bien  cogneus  entre  Langeais  et  Loebes,  pots  bcm licrs,  pasiez  de 
lièvre,  canards  à  la  dodine,  jucds  de  porc  au  son,  navaux  et  po- 


320  CO>^TES  DROLATIQUES. 

léos  de  pois  pilez,  iolies  petites  boëtes  de  coingtinact  d'Orléans, 
imiyds  de  lanipioye,  hussards  de  saulcé  verde,  gibier  do  rivière: 
ooniine  l'rancolys,  tyransons,  tadourncs,  pouacres,  j)Iiéiiicoplères 
conservez  au  sel  marin,  raisins  cuits,  langues  fumées  en  la  ma- 
nière inventée  par  llappe-Mousclie,  son  célèbre  ayeul;  puis  des 
sucreries  pour  Gargamelle  aux  bons  iours  ;  enfin  mille  aultres 
cbouses  dont  le  détail  se  lit  au  recueil  des  lois  Ripuaires  et  de- 
dans aulcuns  feuillets  saultez  des  Ca})itulaires,  Pragmaticques, 
Establisseniens  royaulx,  Ordonnances  et  Institutions  du  temps. 
•  Hrief,  le  bonhomme  mettant  ses  besicles  en  son  nez  ou  son  nez 
en  ses  bezicles,  se  mit  à  quérir  ung  beau  dragon  volant  ou  li- 
corne, auquel  pust  estrc  commis  en  guardece  thrézor  prétieulx. 
Et,  en  ce  grave  pensier,  se  pourmena  en  ses  iardins.  Point  ne 
voulut  d'ung  Coc(juesigrue,  pour  ce  que  les  .Egyptiens  s'en  es- 
toyent  mal  Ireuvez.ainsycpril  appert  des  IIieroglyphes.il  rebuffa 
les  cohortes  de  Cauc(}uemarres,  veu  (pie  les  empereurs  s'en  des- 
goustèrent,  et  aussy  les  Romains,  au  rapport  de  ce  sournoys  qui 
ha  nom  Tacite.  Puis  regecta  les  Pichroclioliers  unis  en  sénat;  les 
pellées  de  Mages,  paimerées  de  Druides,  la  légion  de  Papimanie 
et  les  Massoretz,  lcs(piels  poulsoyent  comme  chiendens  et  en- 
vahissoyent  tous  les  terrains,  comme  luy  avoyt  esté  dict  par  son 
fils  Pantagruel  au  retourner  de  son  voyaigc.  Ores,  le  bon  homme, 
gaulant  en  Gauloys  les  anticques  histoires,  n'avoyt  nulle  fiance 
à  aulcunc  race,  et,  s'il  eust  esté  loysible,  en  auroyt  impétré 
une  ipiasi  neufve  du  Créateur  de  toutes  cbouses;  mais  n'ozant  le 
rebattre  de  ses  miesvreries,  |)aouvre  Gargantua  ne  sçavoyt  qui 
eslire,  et  se  doutoyt  d'estre  empesché  de  tant  de  biens,  alors  (jue 
rencontra  en  son  chemin  une  petite  gentille  Muzaraigne  de  la 
noble  race  des  muzaraignes,  lescjuels  portent  en  ung  champ  d'a- 
zur tout  de  gueules.  Ventre  Mahoni!  comptez  que  ce  estoyt  ung 
bran  masle,  le(|iiel  avoyt  lai)lus  belle  (jueiK!  dt;  sa  famille,  et  se 
jiavanovt  au  soleil  en  brave  muzaraigne  de  Dii'u,  lier  d'estre  en  ce 
monde  depuis  le  renouveau  du  déluge,  suivant  lettres  patentes 
d'incontestable  noblesse  registrées  au  parlement  univeisel,  veu 
(pi'il  conste,  au  verbal  œcumenic(pie,  une  muzaraigne  cstre  en 
l'arche  de  Noë. 

Là,  maistre  Alcofribas  soubzleva  ung  petit  son  bonnet  et  dit  re- 
ligieusement :  «  Noë,  mes  seigneurs,  lequel  planta  les  vignes,  et 
premier  eut  l'heur  de  se  saouler  de  vin.  » 

—  Car,  pour  sciir,  une  muzaraij^ne  estoyt  iii  la  naiil,  repiinl-il. 


i,K  lOYKii.x  criii;  [if^  \ir.riioN  .-,21 

(Voh  nous  sommes  tous  yssus  :  m;iis  les  liommcssc  soiil  mésallie/, 
et  point  les  mii/iiraiyiies,  {)ourc(M[uc  les  miizaraignes  sont  ialoiiv 
<lo  leur  blason  |)liis  que  tous  aultics  animaulx.et  ne  l'eccvrovent 
point  nng  mulot  des  champs  parmy  eulx,  encores  (jtie  cetfuy  mu- 
lot auroyt  l'cspecial  don  de  transmuter  les  grains  de  sable  on 
iolies  noisettes  fVescbes.  Geste  belle  vertu  de  ifcntilliomme  ayant 
plu  au  bon  (larganlua,  il  eut  rima^inaliitii  de  bailler  à  ce  mu- 
zaraigne  la  lieutenancc  de  ses  ^rayniers,  avectpies  les  plus  amj)les 
pouvoirs  :  la  lustice,  Committimus,  Missi  Dominici,  Clorgii', 
Gens  d'armes,  et  tout.  Lemuzaraigne  promit  de  bien  accomplir 
sa  charge  et  l'aire  son  debvoir  en  l'éal  muzarai^iie,  à  la  condition 
de  vivre  an  tas  de  bled, ce  que  bon  llarf^antua  Ireuva  l('ij;itiiiie. 
Vécy  mon  muzaraigne  de  capi'iolcr  en  son  beau  pourpriz,  heureux 
comme  ung  prince  qui  est  heureux,  allant  recognoistre  ses  im- 
menses pays  de  moutarde,  contrées  de  sucreries,  provinces  de 
iambous,  duchiez  de  laisins,  comtez  d'andonilles,  baronnies  de 
toutes  soi'tes,  gi'inq)anlez  tas  de  bled.et  balyanl  tout  de  sa  (|ueue. 
ISrief,  partout  avecques  honneur  l'eut  receu  le  muzaraigne  par 
les  pots  qui  se  ti-ndrent  en  ung  respectueux  silence,  sauf  ung  ou 
deux  hanaps  d'or  qui  s'entrc-chocquèrent  comme  cloches  d'ec- 
clise,  en  manière  de  toc  sainct,  ce  dont  il  se  monstra  trez-con- 
tent,  et  les  mercia,  de  dextre  à  senestre,  par  ung  hoschement  de 
teste, en  se  pourmenant  dedans  ung  rais  de  lumière  (jui  soleilloyt 
en  son  pour|)riz.  Là  resplendit  si  bien  la  couleur  tannée  de  son 
pellage,  que  vous  eussiez  cuydc  ung  roy  du  Nord  en  sa  four- 
reure  de  martre  zibeline.  Puis  a])rès  ses  tours,  retours,  saults  et 
caprioles,  croc([ua  deux  grains  de  bled,  assis  sur  le  tas,  connue 
ung  roy  en  Couit  plenière,  et  se  crut  le  plus  brave  des  muzarai- 
cnes.  Kn  cettuv  moment  vindrent,  en  leurs  trous  accoustnuKV, 
messieurs  de  la  Court  noctambule,  veu  (pie  ils  courent  à  petits 
pieds  ez  planchiers,  lescpiels  sont  les  rais,  soniiz,  et  ung  chascun 
des  bestes  rongeuses,  pillardes,  l'ainéanles,  dont  se  plaignent  les 
bourgeoys  et  mesnaigieres.  Ores  tontes,  voyant  ce  nnizaraigne, 
eurent  [>aour  et  se  tindrcnt  coys  au  seuil  de  leius  taudiz.  l'army 
toutes  ces  testes  menues,  maulgré  le  dangiei",  s'advança  moult 
ung  vieult  mescirant  de  la  race  trotteuse  et  grignotteuse  des 
souriz,  lequel,  mettant  son  museau  à  la  croisée,  eut  le  couraige 
d'envisager  ce  sieur  Muzaraigne,  fièrement  campt'  sur  son  cul, 
la  (pieue  en  l'aër,  et  recogneut  finablenient  (pie  ce  estoyt  ung 
diable  avec(|ues  le(piel  il  n'va\(i\l  (pie  coups  de  grifl'es  à  gaigncr. 


52'J  CONTES  DROLATIQUES. 

Vt'cv  ooniiuo.  Roii  (lariiantiw,  |iom'  que  la  liaullo  autlioiité  de 
son  lit'Ulouaiit  loust  uiiivcrst'Ui'ini'iit  coi;iK'ue  do  tous  inuzarai- 
"ucs,  cliats,  belt'llcs,   l'ouviios,   mulots,  souilz,  rats  et  aultios 
luaulvais faisons  de  mesnie  Janue,  luv  avoyt  trempe  légierenient 
son  museau,  pointu  comme  lardoire,  dedans  une  huile  de  musc, 
dont  depuis  ont  hérité  les  muzarai<;ncs,  pour  ce  que  celtuy  se 
Trotta,  mauliiré  les  saiges  advis  de  (;ar<jianlua,  aux  aultres  gens 
louvnesques.  De  ce  vindrent  les  troubles  en  Muzaraignoys,  dont 
vous  rendrovs  bon  compte  en  nng  livre  d'histoire,  si  le  tenq)s 
ne  me  deiTailloyt.  Lors  ung  vieulx  souriz  ou  ung  rat,  les  rabbins 
du  Talmud  ne  sont  point  encores  d"ung  mesme  advis  sur  l'espèce, 
reeognoissant  à  ce  susdict  pcrfuui  que  ce  muzaraigne  avoyt  mis- 
sion de  veigler  au  grain  des  (Gargantua,  et  avoyt  esté  saupoudré 
de  vertus,  investy  de  pouvoir  sul'lisant,  armé  de  tout  poinct,cut 
paonr  de  ne  phis  vivre,  selon   les  coustumes  souric(juoises, 
de  miettes,  grignotteries,  croustons,  frusteaux,   reliels,  bous- 
sins,  morceaulx,  l'ragmens,  et  des  mille  aultres  chouses  de  ceste 
terre  promise  des  rats.   Ores,  en  cet  estrif,   la  bonne  souriz, 
rusée  connue  ung  vieulx  courtizan  qui  ha  veu  deux  régences  et 
trois  roys,  se  résolut  de  taster  l'esperit  du  muzaraigne,  et  se 
dévoua  pour  le  salut  de  toutes  les  maschoires  rataniorphes.  Cecy 
eust  esté  beau  pour  ung  liomme,  mais  ce  estoyt  bien  plus,  eu 
esguard  à  l'égoïsme  des  souriz,  lesquelles  vivent  j)Our  elles  seules, 
sans  pudeur  ne  honte  ;  et,  à  ceste  lin  de  [jasser  plus  vite,  con- 
chieroyent  en  uile  liostie,  rongeroyent  une  estole  de  prebstre, 
sans  vergongne,  et  boiroyent  en  img  calice,  peu  soulcieuses 
de  Dieu.  La  souriz  s'advança  faisant  de  iolies  courbettes,  et  le 
muzaraigne  la  laissa  venir  ung  peu  près,  pour  ce  que  besoing 
est  de  vous  dire  que,  de  li'ur  nature,  les  muzaraignes  y  voyent 
|)cii.  Lors  leCurtiusdes  giignotteurs  dit  ces  paroles,  non  en  pa- 
lovs  de  souriz,  ains  en  bon  toscan  de  muzaraignoys  :  —  Seigneur, 
i'ay  entendu  moult  jjarlcr  de  vostre  glorieuse  famille,  dont  ie 
suis  ung  des  serviteurs  les  plus  dévouez,  et  sçays  toute  la  légende 
de  vos  ancestres,  (pii  iadis  ont  esté  rêverez  des  anciens  yEgyp- 
tiacipu's,  lesijuels  les  avoyent  en  giant  V('nération  et  les  adoroyent 
comme  aultres  oyseaulx  sacrez.  Néantmoins  vostre  robbe  fourrée 
est  si  royalement  perfumée,  et  la  couleur  en  est  si  superficoc- 
qucncieusement   tanncie,  que   ie   double  à    vous  recognoislrc 
(  iiiiHiir  cslaiil  de  ceste  race,  veu  que  ie  n'en  ay  iamais  veu  de 
si  InaMiiinil  vrstu.  CcpcudanI  vous  avez  esgoussé  le  grain  à  la 


I,K   loVElIA   CI  l!K    hK   MKi  ImiN.  r.ti.l 

modo  anli('(|iu';  voslrc-  Ironipc  csl  l:i  Iroiiiiic  lUi  .s;i(»i('iic(' ;  vous 
avt'Z  nu'  comme  ung  soavaiiliinizaiaijiiic;  mais,  si  viav  iimzaiai- 
gne  vous  estes,  bien  dclivcz-voiis  avoir,  ie  ne  srays  en  (jiicl  cii- 
droict  de  vostrc  aureille,  ic  ne  scays  f|uel  eondnict  supcraiidilil', 
que  ie  ne  srays (juel  Imys  miiifin|n('  l'crme  ie  ne  scavs  lommrnl, 
en  ie  ne  srays  (|uels  momcns,  à  vos  cnnnnandcmens  set  rcls,  [loin- 
vous  donner,  ie  ne  srays  jxnnqiioy,  lieence  de  ne  |ioint  esconlcr 
ie  ne  seays  quelles  clionses  ({ni  vous  sont  (les|)laisaiiti'<,  vcii  la  \Hr- 
fection  de  vostreouyc  sacro-sainck;  et  idoync  à  loul  ii|i|iiclicmli'r 
laquelle  souvent  vous  Messe. 

—  Vère,  i'eit  le  muzaiaigiie.  Vecy  l'imys  lonilje,  ie  n'cnlcndrav 
rien  ! 

—  Voyons,  lesjjondit  le  vieulx  drolle. 

Et  il  alla  en  plein  tas  de  Mcd,  dont  il  se  mit  à  convovrr  la  va- 
liscencc  de  sa  cuicle  pour  l'iiyver. 

—  Kutendez-vous?  feit-il. 

—  l'i'nteiuls  le  va-et-vient  de  mon  euenr.... 

—  Kouik  !  feirent  toutes  les  souriz,  nous  le  truplieions  bien  ! 
Le  muzaraigne,  euydant  avoir  rencontré  uny  hon  serviteur, 

ouvrit  la  trappe  de  l'orilice  music(|nal,  et  entendit  le  trictac  du 
forain  coulant  au  Irou.  Lors,  sans  avoir  recours  à  la  honnc  iuslice 
des  commissaires,  il  saulta  sur  le  vieulx  somiz  i-t  Feslranyla  net. 
Mort  glorieuse!  veu  que  ce  héros  mourut  en  ])lain  grain,  cl  l'eul 
canonisé  comme  martyr.  Le  muzaraignc  le  piint  par  les  aureilles 
et  le  bouta  sur  l'huys  des  grayniers,  à  la  mélliode  de  la  Porte 
Ottomane,  où  faillit  mon  bon  Panurge  estie  endjrosclK-.  Au  crv 
du  mourant,  toutes  les  soiniz,  les  rais  et  la  gent  (lesguer|)it  de 
ses  trous  en  grant  paour.  Puis,  la  nuict  venue,  vindrent  tous  en 
la  cave,  convocquez  |)our  tenir  ung  conseil  à  grabeler  les  alTaires 
publicques,  auquel  devis,  en  vertu  de  la  loi  Papiria  et  aultres, 
l'eurent  admises  les  esjjouses  légitimes.  Les  rats  vouliirenl  passer 
devant  les  souriz,  et  la  grosse  ((uerelle  des  pn'si'ances  l'aillil  à 
guaster  tout  ;  maisimg  gros  rai  prinl  soiibz  son  bras  une  somiz; 
et  conqières  rats,  commères  souriz,  s'estant  couplez  de  la  sorte, 
tous  feurent  assis  sur  leur  ciii,  la  (pieue  en  l'ai-r,  le  nmseau  tendu, 
les  barbes  frétillantes  et  les  yeiilx  brillans  conunc  ceuK  des  es- 
merillons.  Lors  commencèreni  ime  di-lilM'ralion  (joi  lina  par  des 
iniures  et  un  brouillamini  digne  dim  beau  concile  de  Pères 
cccunienicqiu\s.  Les  mis  disoyeiit  oui,  daullics  non,  cl  img  chat 
passant  eut  |»aour  cl  s'cnliiil,  en    ovanl  ces   Itruils  esirangcs: 


524 


CO.NTES  imOLATIQLES. 


Hou,  bon,  iVoii,  ou,  ou,  liouic,  liouic,  brilT,  luilTiiac,  nac,  nac, 

fouix,  louix,  trr,  lir,  trr,  Irr,  razza,za,  za,  zaaa,  lue,  birr,  raaa, 

,  .  _^^^_^  __.^^^^_      •■;>>  iiij  i';>>  l'ii,  louix  !  si  bien 

àS^iîSjîÈi'^^v      J<)iulus  cnsonible  en  tapaigc 


vocal,  que  des  conseillers 
n'oussont  pas  laict  niiculx 
eu  nng  lloslol-(le-Yillo.  En 
fostc  tcmpostc,  une  petite 
souriz  qui  ne  avoyt  point 
l'aage  d'entiei-  au  Parle- 
ment vint  à  bouler  par  une 
lente  son  curieux  nniseau, 
dont  le  poil  eslo\  t  lin  connue 
est  celluy  des  souriz  qui 
n'ont  point  esté  prinses. 
Ores ,  à  mesure  que  croyssoyt 
le  tuunilte,  lecorps  suyvoyt  le  museau;  puis  la  garse  tomba bien- 
tost  sur  un  cercle  de  liitaille  et  s"y  accrocha  si  dextrenient,  ({ue 
vous  eussiez  cuydé  nng  gentil  diiel-d'œuvrc  engravé  ez  bas- 
reliefs  anticques.  En  levant  les  yeulx  au  ciel  pour  en  perpétrer 
ung  saigc  remède  aux  maulx  de;  l'Estat,  ung  vieulx  rat,  advisant 
ceste  gente  souriz,  si  doulcc  de  l'orme,  proclama  l'Eslal  debvoir 
cstre  saulvé  par  elle.  Tous  les  nmseaux  tournez  devers  ceste 
dame  de  Bon  Secours  devindrent  nuiets,  s'accordèrent  à  la  las- 
clier  au  muzaraigne,  et,  mauigré  le  despit  d'aulcunes  souriz  en- 
vieuses, elle  feut  trionqjlialement  pourmeuée  en  la  cave,  où  la 
voyant  trotter  menu,  mouvoir  mécbanic(piement  les  ressorts  de 
son  Iraiu  de  derrière,  dodeliner  sa  petite  teste  l'ustée,  brandiller 
ses  aureillcs  diaphanes,  se  pourlescher  de  sa  |»etite  langue  rose 
les  babouines  et  la  barbe  naissante  de  son  bagouisier,  les  vieulx 
rats  s'enamouroyent  d'elle  cl  barytonoyenl,  monocliordisoyent  de 
leurs  badigoinces  ridées  et  à  poils  blancs,  conmic  iadis  leirent  des 
vieulx  Tioyards  en  admirant  la  belle  Hélène  à  son  retourner  du 
bain.  I)onc(|ues,  la  pucelle  l'eul  laschée  ez  grayniers  avecques 
mission  d'enq)utaner  le  ciieiii' du  nnizaraigne  et  saulver  la  gent 
ronge-grayne  coMune  la  belle  llébrai(iue  Eslbci'  l'eil  iadiz  pour  le 
peuple  «le  Dieu  près  le  s(Miilan  Assuerus,  ainsy  qu'il  estcscriptau 
maistre  livre,  \eu  ijue  Uible  est  yssu  «lu  grec  Biblos,  connue  si 
disiez  le  seid  livi'e.  lia  souriz  promil  de  «lelivrer  les  giayniers,cai', 
|»ar  cas  roiliiil,  ce-  estovt  la  i(i\Uf^  dt!s  souii/,  souriz  «louillelle. 


iK  i(»vi;i  i.\  cinK  i>i;  \ii;i  !)(»>.  .V25 

l)lomlclcltc,  grassouillette,  la  plus  mignonne  dame  (|ni  onc(|iies 
eust  trottine  ioyenlsomentcz  solives,  allaigrcmenl  cornu ez Irizes, 
et  geclé  les  plus  gentils  ervs  en  ti'euvanl  noix,  miettes  et  cliaplys 
(le  pain  en  ses  iioniincnades  ;  vrave  Ire,  iolic,  follette,  à  resguard 
clair  conune  diamant  hlanc,  teste  menue,  poil  lisse,  corps  lascif, 
jiattes  roses,  queue  de  veloux,  une  souriz  bien  née,  de  beau  lan- 
guaige,  aymantpar  nature  à  vivre  coucbiée,  à  ne  rien  l'aire,  une 
souriz  ioneuse,  plus  ruzée  que  n'est  un  vieulx  docteur  de  Sor- 
bonnecognoissant  à  l'und  les  Dcsnvtalfs,  vilVe,  blanclie  de  ventre, 
raye'e  au  dos,  petits  tetlins  poinctans  connue  un  soujxjon,  dents 
de  perle,  nature  fresclie,  jnorceau  de  roy. 

Geste  [)aincture  estoyt  sibardie,  pour  ce  que  la  souriz  sembloyt 
à  tous  estre  le  vray  pourtraict  de  madame  Diane,  lors  présente, 
que  les  conrtizans  demourèrent  pantois.  La  royneCatlierinesoub- 
rioyt,  mais  le  Roy  n'avoyt  mille  envie  de  rire.  Kl  i)onUabelais  de 
continuer  sans  vouloir  entendre  aux  œillades  des  cardinaulx 
du  Bellay  et  de  Cbastillon,  en  grant  paour  du  bonbomme. 

—  La  iolie  souriz,  dit-il  en  allant  son  train,  ne  l'eit  pas  longues 
circumbilivaginations,  et,  des  la  ])rinie  vesprée  oîi  la  courattière 
trotta  devant  le  nmzaraigne,  elle  l'engiponna  pour  touziours  par 
ses  coquetteries,  minauderies,  cbaloimeries,  lesbineiies,  petits 
reffuz  allescbans,  resguards  coulans,  ebiabrenas  de  pueelle  qui 
veult  et  n'ose,  aiguillons  d'amourettes,  moitiez  de  caresses,  ion- 
gleries  pn'paratoires,  fiertez  de  souriz  qui  sçait  son  prix,  noises 
j)Our  rire,  rire  pour  noiser,  vestilli'ries,  et  autres  gentillesses, 
Iraistriscs  IVmiiiines,  gentils  <leviz  engluans,  tous  j)ièges  dont 
usent  d'abundant  les  femelles  de  cbaque  pays.  Alors  que,  après 
bien  des  courbettes,  coups  de  pattes,  frosteries  de  museau,  gual- 
lanlises  de  muzaraigne  amoureux,  fronssemens  de  sourcilzjSospirs, 
sérénades,  gousteries,  soupers,  disncrs  au  las  de  bled  et  aultres 
badineries,  le  superintendant  des  grainiers  triunq)ba  des  scru- 
pules de  sa  belle  maislresse,  ils  prinrent  goust  à  ceste  inces- 
tueuse et  illicite  amour,  et  la  souriz  devint,  veu  qu'elle  tenoyt 
le  muzaraigne  pai'  sa  braguette,  la  royne  de  tout,  voulut  emmous- 
tardei"  son  IVonienl,  mangier  les  sncieries  et  tout  iourraiger.  Ce 
que  i)ermit  le  nmzaraigne  à  l'emperièie  de  son  cueur,  encores 
(jue  il  refrongiuist  à  ceste  traliison  envers  ses  debvoirs  de  nmza- 
raigne et  sermons  faits  à  Gargantua.  IJrief,  poursuy  vaut  son  évan- 
gelicquc  enq)rinsc  avec(jues  une  pertinaeité  de  fenmie,  par  une 
nuiclée  où  i's  se  gaudissoyent,   la  souriz  eut  en  renKMnbrance 

'28 


LE  JOYLULX  CVHi     1)  K  MI^UDON. 


LE  lOYEliLX  CURÉ  DE  MKUDON.  327 

son  vieuk  honlioniinc  de  père,  et  voulut  que  il  mangiast  à  ses 
heures  au  grain,  et  nicnassa  le  nuizaraigne  de  le  laisser  seul  à  se 
morfondre  en  son  pourpriz,  s'il  ne  donnoyt  toute  licence  à  la 
pirlé  liliide  de  s'espancliier.  Doncques,  en  un  tour  de  patte, 
octroya  le  ilict  nmzarai^iic  des  lettres  patentes,  rcvestues  du  grant 
scel  de  cire  verte,  avecques  les  lassets  de  soye  cramoisie,  au  jière 
de  sa  gouge,  à  ceste  lia  que  le  palais  garguantuesque  lui  feiist 
ouvert  à  toute  heure,  et  pust  veoir  sa  honne  vertueuse  de  lille,  la 
baiser  au  front  et  mangier  à  son  apjxHit,  mais  dans  ung  coin. 
Lors  vint  un  vieillard  à  (jueue  Manche,  rat  vi'nérahle,  poisant 
vingl-cin([  onces,  allant  connue  ung  pit-sident 
à  mortier,  branslant  le  chief,  et  suyvy  de  quinze 
ou  vingt  nepveux,  tous  endentez  comme  dos 
scies,  les(piels  denionstrèrent  au  muzaraigne, 
par  de  bons  dires  et  interlocutoires  de  tonlc 
sorte,  que  enlx,  ses  païens,  lui  seroyent  féale- 
ment  attachiez  et  s'eschineroyent  à  luy  comp- 
ter les  chouses  dont  il  avoyt  la  charge,  les  no- 
tablement renger,  bel  et  bien  esticquetter,  à  ceste  fin  que,  alors 
(|ue  Gargantua  viendroyt  tout  visiter,  il  Ireuvast  les  finances  et 
l'espargne  des  victuailles  ordonnancées  au  mieulx.  Cecy  avoyt 
une  apparence  de  vérité.  Cependant  le  paouvre  muzaraigne  estoyl , 
maulgré ceste  morale  géhenne  par  alcuns  advis  d'en  hault  et  griefs 
tracas  de  conscience  nuizai'aignilblle.  Voyant  que  il  resnagloyt  à 
tout  et  n'allovt  que  d'une  patte,  soulcieuse  du  soulcy  de  son 
maistre  devenu  son  maiiniiortable,  ung  matin,  en  iocquetant,  la 
souriz,  qui  estoyt  ià  grosse  de  ses  œuvres,  eut  l'imagination  de 
luv  calmer  ses  doubles  et  apaiser  l'espentpar  ime  consultation 
sorbonicquemcnt  faicte  et  manda  les  docteurs  de  la  gent.  Alors 
dans  la  iournée,  elle  luy  mena  ung  sieur  Evegault,  sorly  d'ung 
fourmai'fc,  oii  il  vivovt  en  abstinence,  vieulx  confesseur  rata- 
conné  de  haulte  gi-aisse,  ungdiolle  de  bonne  mine,  belle  robbe 
noire, quarré  connue  une  tour,  légièiement  tonsuré  en  la  teste 
par  ung  coup  de  grifl'e  de  chat.  Ce  estoyt  ung  rat  grave,  à  bedaine 
monaslic(pie,  avant  estudic'  les  authoritez  cz  science  en  mangiant 
les  parchemins  Décrt'taliformes  et  jjaperasses  Clémentines,  livres 
de  toute  sorte,  dont  aulcuns  fragmens  avoyent  destamct  sur  sa 
barbe  grise.  Aussy,  par  grant  honneur  et  révérence  de  sa  haulte 
vertu,  sapience  et  modeste  vie  fourmaigièrc,  estoyt-ilaccompaigné 
par  ung  troupeau  noir  de  rats  noirs  couplezavecques  de  iolies  mi- 


328  CONTES  DROLATIQITS. 

gnonnes  souriz  privées,  veu  que  les  Canons  du  concile  de  Cliezit 
n'avovcnt  point  encore  esté  adoptez,  et  (ju'il  estoyt  licite  à  eulx 
d'avoir  des  ieinnies  de  bien  pour  concubines.  Les({uels  rats  et 
souriz  à  prébendes  et  bénétices  estoyent  à  la  rengette  sur  denx 
files,  que  vous  eussiez  cru  veoir  une  procession  de  ri'niversité 
allant  au  Lendit.  P^t  tous  de  flairer  les  victuailles. 

Alors  que  ung  chascun  feut  placé  pour  la  cérémonie,  le  vleulx 
cardinal  des  rats  preint  la  parole  et  l'eit  une  concion  en  lalinde 


souriz  pour  demonstrcr  ;iu  nuizaraifinecjue  nul,  lors  llieu,n'estoyl 
an-dessus  de  luy;  et  que  à  Dieu  seul  il  debvoyt  obéissance;  puis 
l'orce  belles  péri pbrases  ranfreluclK'es  de  citations  évangélicques 
pour  destourner  les  principes  et  emberlucocquer  les  assistans  ; 
enfin  beaulx  arraisonneniens  picquez  de  rouelles  de  bon  sens. 
La(]uelle  concion  fina  j>ar  une  pt'roraison  amplement  taborinée  de 
mots  ronllans  en  l'bomieur  des  muzaraignes,  parniy  lesquels 
cettuy  estoyt  le  plus  inclyte  et  le  meilleur  qui  iamais  eust  esté 
soubz  le  soleil;  dont  du  tout  lent  esblouy  le  guardien  des  grai- 
niers. 

Ce  bon  gcntilliomme  eut  de  tout  poinct  la  tourne  testée  ou  la 
teste  tournée  et  installa  ces  rats  si  beaux  diseurs  en  son  pour|triz, 
où  se  conclama  nuict  et  iour  des  louanges  dorées,  et  auenins 
gentils  canticqnes  en  son  honneur,  non  sans  célébrer  sa  dame 
dont  ung  chacun  baisoyt  la  patte  et  flairoyt  la  ioyeulse  croujtpe. 
Kn  lin  de  tout,  la  maisiresse,  sçaicliaiit  (juede  ieunes  rats  icus- 
noycnt  encores,  vjiiiiiil  piiraclii'vcr  scm  (ruvre.  Iloncipics  clic  ioiia 


M-;  lOYKIILX  CCIil';    l)K    \|i;i  lioN.  .j2î) 

Irez  liicii  ilil  hoc  en  se  |iI;iil;ii;iiiI  ;i\('r(|iii's  .iiirMir  et  r;ii--;iiil  iiiillc 
cJec-osniiiiMiidciics  dont  iiiicsetilc  stillicl  ,'i  [n'idrc  l'Aiiic  do  Ijcstcs, 
et  dit  au  iiiuziuaiyiic  (jik;  il  pcidoyt  le  temps  {dvtit'ux  à  leur 
amour  pour  aller  battre  l'estraflc  et  veiller  à  sa  charge;  quetous- 
iours  il  estoyt  par  voyes  et  par  chemins,  et  que  elle  n'en  iouis- 
soyt  ianiais  son  quotient;  (jue  alors  que  elle  avoyt  envie  de  luv. 
il  estoyt  à  cheval  sur  les  goultières,  chassant  les  chats;  et  (juc 
elle  le  vouloyt  tousiours  ])rest  connue  une  lance  et  gentil  comme 
ung  oyseau.  Puis  elle  s'arracha  de  douleur  ung  poil  gris,  se 
cuydant  la  plus  malheureuse  souriz  qui  l'eust  au  monde,  et 
ploura.  Là-dessus,  le  nmzaraigne  luy  remonstra  que  elle  estoyt 
maistr('ss(!  de  lout,  et  voulut  rcgimher  ;  mais,  a[)rès  une  averse  de 


jdeurs  que  lascha  la  dame,  il  im[dora  une  tresve  et  s'en(piit  de 
SCS  dezirs.  Lors  se  scichcrent  tost  les  larmes;  et,  en  luy  donnant 
sa  patte  à  baiser,  la  souriz  luy  conseilla  d'armer  des  souldards, 
de  bons  rats  es|)rouvez,  anciens  condottieri,  gens  seurs,  (jui  ie- 
royent  les  londes  et  les  guettes.  Tout  l'eut  lors  saigement  onlomie. 
Le  muzaraigne  eut  le  reste  du  iour  à  baller,  (lancer,  baudouiuer  ; 
entendre  les  rondeanlxetballadesque  luy  composèrent  les  poêles, 
iouer  du  luth,  de  la  maiulore,  faire  des  acrostiches,  tester  le  pot 
et  mangier.  l  jig  iour,  sa  maistresse,  relevant  de  ses  couches  a|uvs 
avoir  pondu  le  plus  ioly  nnizàraigne  souiic(|uoizé,  ou  la  jdus  jolie 
souriz  muzaraignée,  ie  ne  sçays  de  (juei  nom  l'eut  appelé  ce  pro- 
duict  d'alquemie  amoureuse,  que  bien  vous  pensez  les  chats 
fourre's  légitimèrent  (le  connestahle  de  Montmorency,  lequel  avovl 
marié  son  fils  avecques  une  bastarde  h'gilimée  du  dicl  seigneui- 

28. 


530  CONTES  DROLATIQUKS. 

Roy.  mit  la  main  sur  son  espre,  el  en  sorrcyt  la  coquille  à  faire 
paourj,  il  so  l'cit  une  leste  e/  grainiers  à  la(|uelle  ne  seauroyent 
se  comparer  aulcuns  lestoyeniens  et  gala  de  Court  (jue  vous 
cognoissiez,  voire  mesmes  celluy  du  Drap  d'or.  En  tous  les  coins 
se  rigollovent  les  souriz.  Partout  ce  cstoyent  des  dances  de 
toutes  sortes,  concerts,  beuvettes,  apprests,  sarabandes,  music- 
ques,  cliants  ioyeulx,  épitlialames.  Les  rats  avoyent  desfoncé  les 
pots,  deseouvert  les  iarres,  abattu  les  dames-ieannes.  deffagotté 
les  réserves.  Et  si  voyoyt-on  des  llcuves  de  luoustarde,  des 
iambons  descbicquetez,  des  taz  esparpillez.  Toutcouloyt,  lluoyt, 
pissoyt,  rouloyt,  et  les  petits  rats  barbottoyent  dedans  les  ruis- 
se.iulx  de  saulce  verde.  Les  souriz  navignoyent  sur  des  sucreries, 
les  vieulx  convoyoyent  les  pastez.  Il  y  avoyt  des  fouyncs  à  cbeval 


ez  langues  de  bœuf  salées.  Aulcuns  mulots  nageoycnt  dedans  les 
pots,  et  les  plus  rusez  voituroyent  le  bled  en  leurs  trous  espé- 
ciaulx,  proullictant  du  tracas  de  la  leste  pour  se  fournir  ain- 
plement.  Personne  ne  passoyt  devant  lecoinglinaet  d'Orléans  sans 
le  saluer  d'ung  coup  de  dent,  et  souvent  de'  deux.  Enfin  ce  estoyt 
ung  train  de  carnaval  romain.  Brief,  qui  eust  eu  l'aureille  line 
eust  entendu  le  frifri  des  lescbefrites,  les  crys  et  clameurs  des 
cuisines,  pestillemens  des  fourneaux,  lepanpandes  mortiers,  le 
glouglou  des  marmites,  le  liinliin  dt's  lourne-brosrbes,  le  lianec- 
(juinaige  des  paniers  et  ((irlicilics,  le  l'iuntrou  dcspaslisseries,  le 
cliquetis  des  broclies  el  les  |)etits  pieds  trottant  dru  connue  gresle 
sur  les  plancbicrs.  Ce  cstoyent  des  nopces  afi'airi'cs,  des  allées  el 
venues  de  tous  les  gens  ayant  cliarge  en   la   maison,   gens  de 


LE  lOYEULX  CURE  DE  MEUDON  551 

boiiclie,  pons  de  piod,  gens  dVsciiyoric,  sans  nunibrfr  la  mu- 
sicijue,  les  lourdions  (les  baladins,  conipliniens  de  nng  cliascnn, 
tabourins  des  milices  et  tintamarre  des  trois  Ordres.  Brief,  si 
grant  l'eut  la  ioye,  que  tous  se  prindrent  et  menèrent  ung  bransle 
général  pour  célébrer  cosle  belle  nuieti'e.  Mais  si  cntcndoyt-on 
le  pas  borrili(;(|U('  de  (iargantua,  lequel  monloyt  les  degrez  de  son 
logiz  pour  venir  en  ses  grainiers  et  l'aisoyt  trembler  les  solives, 
plancbieret  tout.  Aulcuns  vieulx  rats  s'enquerroyent  de  ce  bruit 
et,  veu  que  nul  ne  sçavoyt  ce  que  estoyt  de  ce  pas  seigneurial, 
en  grant  paour,  aulcuns  décampèrent,  et  feirent  bien,  veu  que 
le  seigneur  entra  soubdain.  Tires,  advisant  le  remue-mesnaige  de 
ces  messieuis  rats,  voyant  ses  conserves,  ses  pots  avaliez,  ses 
moustardes  deslayées,  tout  concbié,  gallefretté,  mit  le  pied  sur 
cette  vermine  rigolleuse  pour  l'escharbotter,  sans  seulement  luy 


laisser  le  loisir  de  crier;  et  par  ainsy  guasla  lems  biaulx  li:d}its 
salins,  perles,  veloux,  guenilles,  et  desconiVil  In  feste. 


CONTES   IIIIOLATIOIES. 


—  Et  qiio  adviiil-il  du  luuzniaiiiiio?  dit  lo  Rov  (|uitlaiit    sa 
iniiio  songeuse. 

—  Ha  !  sire,  respondit  Rabelais,  vécy  en  quoy  fut  iniuste  la 
gont  gargantuesque.  Il  l'eut  mis  à  mort,  mais  en  sa  (jualité  de  gen- 

tillionnue  il  eut  la  leste  treneliée.   Ce  estoyt 
mal.  vcu  que  il  avoyt  esté  truplié. 

—  Tu  vas  bien  loing,  bonhonnue,  feit  le  Roy. 

—  Non,  sire,  resparlit  Rabelais,  mais  bien 
liault.  N'avez-vous  pas  bouté  la  cbaire  au- 
dessus  de  lu  couronne  ?  Vous  m'avez  requis  de 
laire  uiig  ])rosne.  Si  l'ai-ie  fait  ('vangelieqne- 
ment. 

—  Reau  curé  de  Court,  lui  dit  madame 
Diane  en  l'aureille,  bein,  si  iestoys  mes- 
cliante? 

—  Madame,  feit  Rabelais,  u'esl-il  donc- 
(|ues  pas  besoing  deprénumirle  Roy,  vo>tre 
maistre,  contre  les  Italians  de  la  Royne, 
qui  abundent  icy  comme  bamielons? 

—  Paouvre  presclieur.  luy  dit  le  cardinal  Odet  en  l'aureille, 
gaignez  le  pays  estrangier. 

—  lia!  monseiiineur,  respondit  le  bonlionnne,  devant [leu,  ie 
seray  en  ung  bien  eslrange  pays. 

—  Vertu-Dieu!  monsieur  l'escripfu- 

ri(  r,  dit  le  counestable,  dutpiel  le  (ils. 

(•(•nune  ung  cbascun 

sçayt,avoyllraistreii- 

sement  laissé  made- 

moisidle  dePiennes, 

à  laipielle  il  estoyt 
fiancé,  pour  espouser  Diane  de  Fiaiu;e,  lille 
d'une  dame  en  deçà  des  monts  et  du  Roy, 
(jui  te  ha  faict  si  bardy  de  le  prendre  à  si 
baultes  personnes?  Ha!  mauvais  poêle,  lu 
aymes  à  t'élever!  Ores  bien,  ie  le  baille  ma  parcde  de  le  bouter 
i-n  baull  lieu. 

—  Nous  y  viendrons;  tons,  monsieur  le  connolable,  respondit 
11'  bnrdiomnie.  Mais,  si  vous  estes  amy  de  l'Kstal  cl  du  Roy, 
vous  me  mi-rcierez  de  l'avoir  adveily  des  menées  des  Jjorraius, 
les(|uels  sont  rais  ;"i  tout  ruyner. 


LI-:   lOYKIILX   CriJK   DE   ME  HT»  ON.  5") 

—  Mon  1)011  lioiiimc,  liiy  (lil  en  rmircillt!  le  canliniil  (llciilos 
(le  IjorraiiU!,  si  bcsoirij^  est  de  ([ii('l(|iii'.s  cscnz  d'ur  [)oiir  lucUrc 
en  lumière  ton  quint  livre  de  l'anla;-rnel,  ils  te  seront  comptez 
en  mon  espargne,  veucjne  tu  lias  bien  dict  le  faictàccste  vieille 
lice  qui  lia  envousb'  le  Roy,  et  aussy  à  sa  meute. 

—  Hé  bien,  messieurs,  feit  le  Roy,  quel  est  voshe  advis  de 
ce  prosne? 

—  Sire,  dit  Mellin  de  Sainct-Gelais,  voyant  que  tous  estoyent 
contons,  oncques  ie  n'entendis  meilleure  pronosticquation  pan- 
tagrueline,  Rien  nous  la  debvoyt  eelluy  qui  faict  a  ces  cannes 
léonins  en  l'abbaye  de  Tbelesme  : 

Cy  vous  entrez,  qui  le  saincl  évangile 
En  sens  ayile  annoncez,  ijuoy  qu'on  gronde, 
Céans  aurez  \\n^  refuge  et  bastille 
Contre  Vhoslile  eiTcur  qui  tant  postille 
Par  son  laux  slijle  empoisonner  le  momie. 

Tous  les  eourtizans  estant  accordez  à  plauder  le  voisin,  ung 
cbaseun  eéb'bia  Rabelais,  (|ui  lira  ses  gregues,  aeeonqiaigné  en 
grant  honneur  par  les  paiges  du  Roy,  lesquels,  par  ordre  ex- 
près, luy  tindrent  les  ilaudieaux. 

Aulcuns  ontenebargié  Ki-aiiniys  Rabelais,  impérial  lionneiir  de 
nostre  j»ays,  de  mesebanccteries  et  babouineries  eingesques,  in- 
dignes de  ce  homérus  pbil()soi)liicque,  de  ce  prince  de  sapicnee,  de 
ce  centre  paterne  d'où  sont  yssues,  depuis  le 
lever  desa  lumière  sublerranée,b(m  innubre 
d'oeuvres  miriiieipies.  Toing  de  ceulx  (|ui  oui 
concilié  sa  teste  divine!  Treuvent  eu  loule 
leur  vie  du  gravier  soubz  leur  dent  ceux  qui 
ont  dcscogneu  sa  saige  et  modieque  nour- 
riture ! 

Cliicr  beiivi'ur  d't'aiie  claire,  lidelle  serva- 
teur  des  abstinences  luonaebales,  seavaiit  à 
vingt-cinq  caralz,  de  quel  esteriiuemeiit 
et  rire  sempiternel  seroys-tu  prins,  si,  reverdissant  ungboussin  de 
temps  en  Chinnonnoys,  licence  l'eust  à  toy  baillée  de  lire  les 
incongreus  bobelinages,  rataeoniiages  et  savalteiies  des  sots  en 
bémol  et  bécarre  (|ui  ont  inlerpii'it',  eommenti',  discbirc',  lionuv, 
méseiileiidii,  Irabv,  eaïiié,  ricsialé,  brodi'  Ion  oiivraige  sans 
pareil!  x\ulaiil  Ramirge  Ireiiva  de  ebieiis  occupez  à  la  roblx;  de 


50  i 


CONTES  DROLATIQUES. 


>;.i  (lamo  on  l'occliso.  autant  spsont  rencontrez  de  chapons  aca- 
(léniicquos  à  deux  pal  tes,  sans  nieniniics  en 
teste,  sans  sursanlt  an  diaplnagme,  poureni- 
brenner  ta  hanlte  pyramide  niarniorine  en  la- 
(pielle  est  à  ianiais  cimentée  toute  jiraine  de 
Tant  aslieipies  et  comiecpies  invent  ions, (inltre  les 
maiiiiilicques  enseijinemens  en  tonte  cliouse. 
Encores(piel)ien rares soyent  les peleiins d'iia- 
leine  à  suyvre  ta  nauf  en  sa  pérégrination  su- 
blime en  l'océan  des  idées,  méthodes,  fumées, 
religions,  sapiences  et  trupheries  humaines, 
pour  le  moins  leui'  encens  est-il  de  bon  aloy, 
pur  et  sans  meslangc,  et  ton  omni|)otence,  omniscienee,  omni- 
languaige,  sont-ils  par  eulx  bravement  rccogneus.  Doncquesha  eu 

cure  ung  paouvre  fils 
delà  gave  Touraine  de 
te  faire  iustice,  quoy- 
(|uepelitement,enma- 
gniliant  ton  imaige  et 
glorifiant  tes  ouvraiges 
d'éterne  mémoire, tant 
cliérisdeeenlxquiay- 
menl  les  œuvres  con- 
centriecpies  où  l'uni- 
vers moral  est  clouz, 
où  se  rencontrent, 
pressées  comme  sar- 
dines IVcsclies  en  leurs  buyssars,  toutes  les  idées  philosophic- 
(pies  (|uekonqnes,  les  sciences,  arts,  élotiuences,  oultre  les 
niomerics  llicastfales. 


ÉiHis- 


MATIÈhES   DU   SUCCUnii 


l'BOLOCfE. 

I.     Ce  que  csloyl  d'un  Succube. 

II.  Comment   l'eut  procédé   en    rendroicl  de   colluy    démon 

lemollo. 

III.  Ce  que  feil  le  Succube  pour  sugccr  l'ame  du  vieulxjugc, 

et  ce  que  advint  de  ceslc  déloclalion  diabolicquc. 
V.     Comment  virvouclia  si  druement  la  Morisque  de  la  rue 
Cliauide,  que  à  graml  poinc  feut-clle  arsc  cl  cuictc  vjfve 
à  l'cnconlrc  de  l'enler. 


ulciiTisdiinolilcpiiysdc 
Ti»ur;iiiie,  Irjilili'incnt 
édifiez  de  la  chalou- 
ivuse  poursuite  que  faicl  l'Au- 
tliour  des  anliquitcz,  adven- 
Uii'os,  bous  coups  et  geutillesses 
(l('<-oslc  bcuoiste  couslrt'e,cuY- 
daut.  ((ue,  pour  le  scur,il  dcli- 
voil  toutsçavoir,s'enquirentde 
ny,ains  après  boire  s'entend, 
s'il  avoyt  doscouvert  la  raison 
clymoloiiicMnic  dont  toutes  les 
daines  de  la  ville  estoyent  bien 
curieuses,  et  par  laquelle  une 
rue  de  Tours  se  nonunoyt  la 
nie  rJiaulde.Par  luy  feut  res- 
iiiiiilu  (pic  il  s'estoniyroyt  fort 
i\v  vcoir  les  anciens  babitans 
avoir  mis  en  oubly  le  yrant 
nunibre  de  convens  sis  en  ceste 
rue,  on  l'aspre  continence  des 
moynesetdes  nonnains  avoyt  dcu  l'aire  tant  arser  les  murailles, 
que  aulcuucs  fennnes  de  bien  s'csioycnt  veues  engrossées  ]»our 
s'yestre  pouruienccs  img  peu  Iroji  Iciilcmcnl  à  lavesprcc.  l  ng  ho- 
bereau, voulant  trencber  du  sça\ant,(iil  (pic  iadis  tous  les clappiers 

29 


358  CONTES  DnOL.VTIniT.S. 

de  la  ville  estoyent  acculez  en  ce  lieu,  l'ng  aullre  se  entortilla 
dedans  les  menus  sufl'raiges  de  la  science  et  parla  d'or,  sans  cstre 
cominius,  qualiliaiit  les  mots,  accordant  les  mélodies  de  l'antic- 
quaillc  et  iiouveautez,  conyreageanl  les  usaiges,  distillant  les  ver- 
bes, alquciuisant  IcslanyuaigeSjdudepuysledélugc,  lesllébrieux, 
Clialdéans,  .Egyptiacques,  Grecs,  Latins,  puis  Turnus  qui  lunda 
Tours;  puis  lîna  le  bon  liomme  par  dire  que  Chauld,  moins  le  H 
et  le  L,  venoyt  dcCanda,  et  que  il  yavoyt  de  la  queue  en  ceste 
affaire;  mais  les  dames  n'y  enlondirent  rien  aultrc  chouse  que 
la  fin. 

l'ng  vieil  dit  que  dedans  cestuy  endroict  estoyt  iadis  une  source 
d'eau  thermale,  de  laquelle  avoyt  beu  son  tiisayeul.  Brief,  en 
moins  de  temps  que  une  mousche  ne  auroyt  mis  à  colleter  sa  voi- 
sine, il  y  eut  une  pochée  d'étymologies  où  le  vray  de  la  chouse 
eust  esté  moins  tost  treuvé  que  ung  pou  en  la  sorde  barbe  d'ung 
capucin.  Mais  un  homme  docte  et  cogneu  pour  avoir  mis  ses 
bottes  en  divers  monastères,  bien  despendu  de  l'huile  en  ses 
nuicts,  desfoncé  plus  d'ung  volume,  et  plus  entassé  de  pièces, 
moiceaulx  dypticques,  lavettes,  charlriers  ou  registres  sur  l'his- 
toire de  Touraine  qu'ung  meslivier  n'engrange  de  brins  de  leurre 
au  mois  d'aoust,  lc(|uel,  vieuk,  cassé,  podagre,  beuvoyt  en  son 
coin  sans  mot  dire,  ieit  ung  soubrire  de  sçavant  en  IVonssanl  ses 
badigoinces,  lequel  soubrire  se  résolut  en  ung  :  Foing!...  bien 
articulé,  que  l'Autheur  entendit  et  conq)rint  debvoir  estre  gros 
d'une  adventure  histoiialenienl  bonne,  dont  il  ])ourroyt  œuvrer 
les  (l('licos  en  ce  gentil  Hccueil. 

iJricI',  lendemain,  celtuy  podagre  luy  dit  :  —  Par  vostre  poesme 
(jui  a  pour  titre  le  Péché  véniel,  vous  avez  à  iamais  conquesté 
mon  estime,  pour  ce  que  tout  y  est  vray  de  la  teste  aux  pieds,  ce 
que  ie  cuyde  estre  une  supcrabundaiice  prétieuse  en  paieilles  ma- 
tières. Mais  vous  ne  scavcz  sans  double  ce  (jui  est  advenu  de  la 
mauricaulde,  mise  en  religion  par  ledict  sieur  Hruyn  de  la  Uociu!- 
Corbon?  Moy,  bien  sçay-ie.  Doncques,  si  ceste  étymologie  de  rue 
vous  poind,  et aussy  vostre  nonne  œgyptiacque,  levons  prcsteray 
ung  curieux  et  antieque  pourchaz,  par  moy  rencontré  dedans  les 
Olim  de  rArch('ves(h(',  dont  les  hibliollièqucs  Icnrent  ung  peu 
secouées  en  ung  moment  où  ung  ch.isi  un  de  nous  ne  sçavoyt  le 
soir  si  sa  teste  luy  denwureroyt  lendemain.  Urc\s,  |)ar  ainsy,  ne 
serez-vous  |)oint  en  |)arfaict  contentement? 

—  iJien!  léil  l'Autheur. 


La  rue  C.liaulde,  à  Tours. 


ôiO  CONTKS   lUiOl.Aïini  T.S. 

Ores  ce  iligiie  eollecleur  tic  vérilez  bailla  auleuiis  iolys,  poiil- 
(Ireuv  parclieniiiis  à  rAutlieiir,  (jue  il  ha,  non  sans  granl  jioine, 
translatez  en  IVanroys.  elcjni  eslovent  pièces  de  procednie  ecclé- 
siastic(jue  hien  vieilles.  Il  lia  cru  (|uc  rien  ne  seroyt  plus  drola- 
licque  ijue  la  réalle  résurreclion  de  cesle  anliccjue  allaire  où 
esclalte  l'ignarde  naïfvetë  du  bon  vieulx  temps.  Adoncques,  oyez. 
Vécy  en  quel  ordre  estoyent  ces  escripfeures  dont  l'Aulheur  lia 
faict  usaige  à  sa  gnyse,  })ource  que  le  laniiuaige  inesloyl  diab:)- 
liliciiuenienl  ardu. 


LK    SllCClBI- 


CE  QUE  ESTOYT  I)  U.vr.   SUCCUBE. 


j  In  nnnxine  Patris,  et  Filii,  et  Spirilu^i  Sa  net  i.  Amen. 

l/;iii  (le  nostre  Seigneui-  mil  tlcux  ct'iil  sc|il;mlt'  et  uiig,  panle- 
vant  niov,  IIiEROSME  Coh.mi.le,  granl  in'iiilciifirr.  inj^c  ('(rlt-sias- 
lii'f|ne,  à  ce  commis  par  mcssiciiis  du  cliaiiilic  de  Saiii(t-Mamic«\ 
catlii'dialc  de  Tours,  avant  de  ce  di'dilx'ri'  l'ii  pivsciice  de  iioslrt* 
s(M|^iiL'ur  leaii  de  Monsoreau,  arclicvcsque,  sur  les  douloirs  et 
(liiérimonics  des  habitansde  la  ville,  dont  la  rcquesJe  sera  cy-des- 
souh/  ioincte:  sont  comparus  aulcuns  liomnies  nobles,  hour^^eoys, 
vilains  du  dioce/e,  les(pi(ds  ont  dici  les  gestes  ensuyvans  sur  les 
(lesj)ortemfMs  d'uni;  dc'mon  sou|)ninn('  d'avoir  juins  visaige  de 
lemme,  le(juel  alllige  moult  les  âmes  du  dioceze,  de  prt'scnt  riouz 
en  la  geôle  duCbapilre;  et,  pour  arrivei'  à  la  vt'rité  ilesdiclsgriels, 

29. 


"V 

V  ::?< 


i£iiipSP»ii/' 


I  K  II  I)  s  M  K      C  0  II  N  I  L  L  R  , 

Grant  pénitencier,  iuge  ecclétiasticqiie. 


LE  SIICCUItE.  34r, 

avons  ouvert  le  pn'sont  vorbal,  co.  lundy  unzo  décomhro,  apn-s  la 
messe,  à  ceste  (in  de  eoininuiiic(|uer  les  dires  de  iing  chascun  au 
diet  d('moM,  en  riiilerrognaiit  sur  lesdiets  laids  à  luy  imputez  et 
le  iuger  suyvanl  les  lois  j)orlt't«s  contra  dœmonios. 

En  ceste  enqueste,  nie  ha,  pour  escribre  le  tout,  assisb'  Guil- 
laume Tournehousehe,  rubriccpiateur  du  Chapitre,  homme  docte. 

Premier,  est  venu  devers  nous  lehan,  ayant  nom  Tortebras, 
bourgeoys  de  Tours,  tenant,  avecqucs  licence,  l'hostcllerie  de  la 
Cigoygne  en  la  |)lace  du  Pont,  le- 
quel ha  iurésurlesalutdesoname, 
la  main  enlessaincts  Evangiles,  ne 
profiM-er  aultre  eliouse  que  ce  que 
par  lui-mesmeha  estcveu  et  ouy. 
Puis  ha  diet  ce  (pii  suit  : 

—  ledeclaire  que,  environ  deux 

ans  avant  la  Saint-Iehan   on   se 

font  les  feux  de  ioye,  ung  gentil- 
homme, en  prime   abord  à  moy 

incogneu,  mais  appaitenant,  |)our 

le  scur,  à  nostro  seigneur  le  lloy, 

et  lors  en  nostro  pays   retourne 

de  la  Terre  Saincte,  est  venu  chez 

mov  me  prouposer  de  luy  baillei- 

à  loyer  une  maison  des  cham|)s 

par  moy  bastic  en  la  censivc  du 

Chapitre,  prouche  le  lieu  diet  de 

Saiuct-Estienne,  et  que  ie  la  luy  ay  laissée  pour  neuf  ans  mo\en- 

naut  trois  bcsans  d'or  fin. 

En  ladictc  maison,  ha  mis  lodict  seigneur  une  belle  gouge  à 
luy,  ayant  apparence  de  femme,  vestue  à  la  mctliode  estrangiere 
des  Sarrazineset  Mahumetisches,  laquelle  il  ne  vouloytparaulcun 
laisser  veoir  ne  approucher  plus  d'ung  gect  d'arc,  ains  à  laquelle 
ay  veu  de  nu's  yeulx  uug  plumaige  bigearre  en  la  teste,  ung  tainct 
supernalun'i  et  yeux  plus  lland)Mns  (pic  ir  ne  scauroys  diic,  des- 
quels soui'doyt  ung  feu  d'ciifcr. 

Ledeffunct  chevalier,  ayant  menacé  de  mort  quiconque  feroyt 
mine  de  flairer  ledict  logiz,  i'ay,  par  grant  paour,  livré  ladicte 
maison,  et  i'ay,  iuscpi'à  ce  iour,  sccrettement  guardé  en  mon  ame 
aulcunes  présumptions  et  doubles  sur  l'apparence  maulvaise  de 


I,  I    1  I,  LAt  M  K      TOI  H  .NKUOUsCIIK  , 

lliiliiici|u;ili'ni-  (lu  ('.li.i|>itie,  lioiiiiiic  docte. 


Ains  à  laquelle  ay  veu  de  mes  yenlx  ung  pltimaige  bitiearre  en  la  tesle, 
un  taincl  siipernatuiel  et  yeulx  plus  llambans  que  ie  ne  sçauryos  dire 
•lesquels  sourdoyl  ung  feu  d'enfer. 


34G  CONTES  DUOL.VTIOnES. 

ladicte  estrangiero,  laqiiollo  esloyt  si  Irisiiuo,  qun  nulle  femme 
paioiiic  n'avoyt  ostô  encores  vcuo  par  niov. 

Plusieurs  gons  do  toute  sorte,  ayant  lors  réputé  ledict  sieur 
chevalier  pour  mort,  et  disant  luy  demourer  en  ses  pieds  par  la 
vertu  d'aulcuns  cliarnies,  philtres,  envousterics  et  sorcelleries  dia- 
bolicquesdeeeste  senihlance  de  l'enune,  hupiolle  voulovl  se  logier 
en  nostre  pays,  ie  di'claire  avoir  tousioiirs  veu  le  sieur  clievalier 
si  tellement  pasle,  que  ie  souloys  œquiparer  son  visaige  à  la  cire 
d'ung  cierge  paschal  ;  cl  au  sceu  de  tous  les  gens  de  l'hostellerie 
de  la  Cigoygne,  cettuy  chevalier  ha  esté  mis  en  terre  neuf  iours 
après  sa  venue.  Au  dire  de  son  escuyer,  le  deffunct  se  estoyt  clia- 
oureusementcoupléavec({ues  ladicte  moresque  pendant  sept  iours 
entiers,  clouz  en  ma  maison,  sans  estre  sorty  d'elle,  ce  que  ie 
luy  ay  entendu  advoucr  liorrilicquement  en  son  lict  de  mort. 

Aulcuns,  en  ce  temps,  ont  dict  cette  diablesse  avoir  accollé  sur 
elle  ledict  gentilhomme  par  ses  longs  cheveux,  les(|uels  seroyent 
guarnis  de  propriété/  chauldes  par  lesquelles  sont  communioquez 
aux  chresliens  les  feux  de  l'enfer  souhz  forme  d'amour,  et  les  faicl 
besongner  iusques  à  ce  que  leur  ame  soit,  par  ainsy,  tirée  de  leur 
corps  et  acquise  à  Satan.  Mais  ie  déclaire  de  ce  n'avoir  rien  veii. 


si  ce  n'est  Icdicl  chevalier  mort,  esii'iin',  llalry,  i\o  pouvant  hou- 
gier.soiihhailant,  maulgrésonconfesseur,  encores  a  lier  à  sa  gouge, 
et  ha  esté  recogrieu  pour  estri;  le  seigneur  de  lUieii.  leipiel  s'es- 
toyt  croisé,  et  se  Irouvoyt,  au  dire  di'  nuicunsde  la  ville,  souhz  le 


LE  SrCCllBE.  547 

charme  d'ung  tk'mon  duquel  il  avoyt  faict  la  rencontre  ez  pays 
asialicques  de  Damas,  ou  aullres  lii-ux. 

Ores  doneciues,  ay  laissé  ma  maison  à  liKliclc  dame  inco^nciic 
suyvant  les  clauses  déduicles  en  laeliarlre  du  bail.  I.edicl  seigneur 
du  Bueii  deflimct,  ay  neanlmoins  este  en  ma  maison  à  cesle  fin 
de  sçavoir  de  ladicte  cstrangiere  si  elle  soubliaitoyt  demeurer  en 
mon  logiz;  et,  aveeqnes  grant  poine,  devers  elle  l'eus  mené  j)ar 
ungeslran^e  lionnne  my-nud,  noirt'l  à  yeulx  blancs.  Lors  ay  veu 
ladicte  Morisiiue  en  ung  pourpriz  reluysant  d"or  et  de  pierreries, 
esclairée  par  force  lumières,  iuz  ung  tapis  d'Asie,  où  elle  esloyl 
vestue  de  legier,  avecques  ung  aultre  gentilbonmie  qui  ià  per- 
doyt  son  ame,  et  n'ay  point  eu  le  cueur  assez  i'erine  pour  la  res- 
guarder,  veu  que  ses  yeulx  m'eussent  incité  à  m'adonner  à  elle 
aussytost,  pour  ce  (pie  desià  savoixuic  grezilloyt  au  ventre,  me 
remplissoyt  la  cervelle  et  me  desbauchioyt  l'ame.  Oyant  cela,  par 
crainte  de  Dieu,  et  aussy  de  l'enfer,  ay  lascliié  pied  soubdain,  luy 
quittant  ma  maison  autant  que  elle  la  cuyderoyt  guarder,  tant 
dangereux  esloyt  de  veoir  ce  tainct  moresque  d'où  sourdoyentdia- 
bolicques  clialeurs,  oultre  ung  pied  jikis  menu  (pie  n'est  licite  à 
femme  vraye  de  l'avoir,  et  d'entendre  sa  voix  qui  virvoucliioytau 
cueur;  et,  de  ce  iour,  n'ay  plus  eu  cure  d'aller  à  ma  maison,  en 
grant  paour  de  cheoir  en  enfer,  l'ay  dict. 

Au  dicl  Tortebnis  avons  lors  représenté  un  sieur  Abyssinien, 
iEtbiojtien  ou  ÎNubien,  le([ucl,  noir  de  la  teste  aux  pieds,  s'est 
treuvédesnué  des  choses  viriles  dont  sont  habituellement' fournis 
tous  cbrestiens,  lequel  ayant  persévéré  en  son  silence  après  avoir 
esté  tormentt',  géhenne  à  [)lusieurs  l'oys,  non  sans  moult  geindre, 
ha  esté  convaincu  de  ne  s(^-avoir  parler  le  languaige  de  nostre  pays. 
Et  ledict  Torlebras  ha  recogneu  ce  dict  Abyssinien  hérélic(iue 
pour  avoir  esté  en  sa  maison,  de  compaignie  avecques  ledict 
esperit  démoniac(|ue,  et  soupçonné  d'avoir  [)resté  son  ayde  aux 
sortilèges. 

Kt  ha  ledict  Tortebras  confessé  sa  grant  foy  calholic(iue  et 
déclairé  ne  sçavoir  aultre  chouse,  si  ce  n'est  aulcuns  dires,  les- 
(piels  cstoyent  cogneus  de  tous  aultres,  et  desquels  il  ne  avoyt 
esté  nullement  tesmoing,  si  ce  n'est  pour  les  avoir  entendus. 

Sur  citation  à  luy  donnée  s'est  approuché  lors  Mathieu,  dict 
Cognefcstu,  iournalier,  en  la  cultuie  Sainct-Esticnne,   lecjuel, 


5i8 


CONTES   DIIOL.VTIOUES. 


après  avoir  iiiré  cz  saiiiols  Ëvaiij^ilcs;  de  dire  viay,  nous  lia  coii- 
l'csàé  avoir  lousioiirs  V(M1  graiil  liiiniôroau  logiz  de  ladite  roiniiic 

cslraiigicir,  l'iiteiidii  foiec 
rires  cxlravayaiis  et  diabo- 
licqucs  aux  iours  et  nuicts 
de  lestes  et  de  ieiisnes,  no- 
lainnieiil  les  iours  delasep- 
iiiaiue  Saiuele  et  de  .Nouël, 
connue  si  hou  uuuibre  de 
yens  estoyent  en  ce  logiz. 
l*uis  ha  dict  avoir  vcu,  ez 
croisées  dudict  loi;iz,  verdes 
llouraisous  de  toute  sorte, 
en  hyver,  poulsées  niagic- 
quement,  espéciaicmentdes 
roses  par  un  temps  gelif, 
et  aullres  chouscs  j)ourles- 
ipu'Ues  estoyt  hesoing  de 
grant  chaleur  ;inaisdece  ne 
s'estomyroit  nullement,  veu 
que  ardoyt  si  fort  la  dicte 
eslraugierc,  ([no,  alors  (|ue  elle  se  pourinenoyt  à  la  vesprée  au 
long  de  son  mur,  il  treuvoyllciulcnuiin  ses  salades  montées,  et  tpie, 
aulcunes  foys,  elle  avoyt,  par  le  Iroslement  de  sa  iu[)C,  faict  j)artir 
la  sève  aux  arbres  et  liasté  les  poulses.  En  fin  de  tout,  nous  ha  ledict 
Cogneft'stu  déclairé  ne  rien  sçavoir  de  plus,  attendu  (jue  il  laboroyt 
de  malin  et  se  couchioyt  eu  l'heure  oiî  se  iuchioyent  les  poules. 
Puis  la  femme  diulict  Cognefestu  ha  par  nous  esté  requise  de 
dire,  ains  après  serment,  les  chouses  vernies  à  sa  cognoissance 
en  ce  procez,  et  s'est  bendée  à  ne  rien  advoner  aultre  cliouse  que 
louanges  de  ladidc  esirangiere,  pour  ce  ipie  de{)uys  sa  venue 
son  honnni'  la  lr;iictovl  mieiiK  par  suite  du  voisinaige  de  cesle 
bonne  dame  (jui  espancliii)yl  lainour  dedans  l'aéi',  connue  le 
soleil  ses  rais,  et  aultres  bourdes  incongreues  (jue  nous  ne  avons 
point  consigni'es  icy. 

Au  dict  (lognel'estu  el  à  sa  feumu' avons  re|)r('seul(' iedirl  Afi'ic- 
ipiaiii  iuciigiieu,  Ie(juel  ha  esié  veu  pai'  eulx,  ez  iardiiis  de  la 
maison,  cl  rc'jtuté  pur'  eiil\,  pour  seur,  eslre  au  dii't  démon. 


Iji  troi^iesme  lieu,  s'e^t  ad\aii(é  messire  Jlarduiu  V,  seigneur 


LK  suc(,i;iu;. 


.49 


(le,  Muill(',  lc()iiL'!,  par  nous  irviTciiciciisoiiiciil  |)ii(!  (rcsclaiicr  la 
religion  tic  l'Ecitlisc,  lia  ivspnndii  le  hicn  vouloir  ot  lia,  tl  aliiin- 
ilaiit,  cngaj^ic'^  sa  lo\  de  |ii(MU  clicvalirr  de  ne  lirii  duc  auitrc 
cliousc  (jut!  c('(]uil  ha  vcii. 

Lors,  lia  dict  avoir  cogiuni  eu  l 'aiiiit'c  des  Croisez  le  d('iiioii 
dont  s'agit.  Puis,  en  la  ville  de  Dainas,  lia  vcu  lo  sieur  de  Ikieil 
delluiict  se  battre  en  elianniclouz  jiour  cncstrc  l'uiiiajue  tenant. 


La  dessus  dicte  gouge  ou  démon  appartcnoyt  en  ccttuy  temps  au 
sire  Geol'lVoy  IV,  seigneur  de  la  Hoelie-Pozay,  lecpiel  souloytdiic 
l'avoir  amenée  deTouraiiie,  cneores  (jue  elle  l'eust  Sarrazine  ;  ce 
dont  les  clievaliers  de  France  s'cstoniiroyent  moult,  autant  (jue 
de  sa  boaulté,  qui  faisoyt  grand  bruit  et  mille  scandaleux  ravaiges 
au  camp.  Durant  le  voyaige,  ceste  gouge  feut  occasion  de  plusieurs 
meurtres,  veu  (jue  la  Uoclie-l'ozay  avoyt  ià  dcsconlict   aulcuns 


Croisez  (pii  soiibliailoyeiit  la  giiardcr  à  eidx  seuls,  pourc(M|ne  elle 
doiiiio\l,  suyvanl  certains  seigneurs  guerdonnez  en  secret  par 
ici'lle,  des  ioyesà  nulles  aiiltio  pa ici lle>.   M,ii>  liii.ililenieiil  le  sire 


350  CONTES  HUOL.VTIQUES. 

de  Buell,  ayant  occis  Geoffroy  de  la  Roclie-Pozay,  devint  seigneur 
et  niaistre  de  ceste  guaine  meurtrière  et  la  mussa  dedans  ung 
convenl  ou  harem  àlafasson  sarrazine.  Par  avant  ce,  souloyt-on 
la  veoir  et  l'iMilondre  desbagouler  en  ses  fesloyemcns  mille  patoys 
d'oiillre-mcr,  arabes(jue,  giec  de  l'empire  latin,  moresipic,  et 
d'abnndanl  le  françoys  comme  jias  ung  de  ceulx  qui  sravoient  au 
mieul.v  les  languaiges  de  France  en  l'ost  des  christians,  d'où 
vint  ceste  créance  que  elle  estoyt  prou  démoniacqne. 

Le  dict  sire  Hardtiin  nous  lia  confessi'  n'avoir  point  iouxté  pour 
elle  en  Terre  Sainde,  non  par  paour,  nonclialoir,  ou  aullre 
cause;  ains  il  cuydoyt  que  cet  heur  luy  estoyt  advenu  pour  ce 
qu'il  })ortoyt  un  morceau  de  la  vrayc  Croix,  et  aussy  avoyt  à  lui 
une  noble  dame  du  jiays  grec,  laquelle  le  saulvoyt  de  ce  dangier 
en  le  desnuant  d'amour,  soir  et  matin,  veu  qu'elle  lui  prcnoyL 
substanliollcmcnt  tout,  ne  luy  laissant  rien  au  cueur,  ni  ailleurs 
pour  les  aultres. 

Et  nous  ha  ledit!  seigneur  acerlené  la  fiîunne  logiée  en  la 
maison  des  champs  de  Torlebras  estrc  réallement  la  dicte  Sarrazine 
venue  ez  pays  de  Syrie,  pour  ce  que  il  avoyt  esté  convie  en  ung 
regoubillonner  chez  elle  par  le  ieune  sire  de  Croixinare,  le(juel 
trespassa  le  septiesme  iour  a[»rès,  au  dire  de  la  dame  de  (Iroix- 
niare,  sa  mère,  ruyné  de  loutpoinct  par  la  dicte  gouge,  dont  les 
accointances  avoyent  consumé  tous  ses  esperilz  vitaulx,  et  les 
phanlaisies  bigearres  despendu  ses  escuz. 

Puis,  questionné,  en  sa  ({ualité  d'honnne  plein  (l(>  prudlioniic 
sapience  et  d'authorilé  en  ce  pays,  sur  le  pensier  que  il  avoyt  de 
ladiclc  fenuue,  cl  sommé  par  nous  de  se  descouvrir  la  con- 
science, veu  que  il  s'en  alloyt  d'ung  cas  trcz-abominable,  de  la 
foy  chreslienne  et  de  iuslice  divine,  ha  esté  respondu  par  ledicl 
seigneur  : 

Oue  par  aulcuns  en  l'ost  des  Croisez  luy  avoyt  este-  diel  (|uc 
lousioiirs  cette  diablesse  estoyt  pucelle  à  ijui  la  chevaulcliioyt,  et 
que  Manmiou  estoyt,  pour  le  scur,  en  elle,  occupé  îi  luy  l'aire 
ung  nouveau  j)ucelaige  pour  ung chascun  de  ses  amans,  et  mille 
aultres  follies(l(!  gens  yvres,  lestjuellesn'esloyeut  point  de  natine 
à  l'air(!  un  cini|uiesme  Kvangile.  Mais,  pour  le  scur,  Iny  vieulx 
chevalier  sur  le  retour  de  la  vie,  et  ne  seaieliant  plus  rien  du  di;- 
duict,  se  estoyt  sentu  ieune  bomnic  iii  ce  darrenier  souper  dont 
l'avoyt  resgallé  le  sire  de  Croixmare  ;  (jue  la  voix  de  cetluy  démon 
luy  estojl  advenue  droict  au  cueur  paravant  de  se  couler  parles 


LE  SIICCIBE. 


351 


aureillcs,  et  Iny  avnyl  l)oiit('  si  cnysanio  amoiirnn  ror|is.  (piosa 
vie  s'en  alloyl  lonlc  en  rciidi'oict  par  oii  file  so  domic  ;  et  f|iie 
liiialiloiiiont,  sans  It;  secours  du  vin  de  Cliyj)re  donl  il  avovl  heu 
]ioui-  se  clore  les  ycuixelse  coucliicr  soubz  les  bancs,  à  ceslefin 
(le  ne  plus  venir  les  yeulx  flanibans  de  l'Iiostesse  dial)olic(jue,  et 
ne  se|)oint  navrer  en  elle,  sans  double  aulcun  eust-il  descorifict 
le  ieune  (',r()i\niai'(>  à  ct'ste  lin  de  iouir  une  seule  Ibys  de  cesle 
IcniMie  suj)ernalurelle.  Depuis  ce,  avuvl  eu  cure  de  se  confesser 
de  ccinaulvais  pensier.  l'uis,  pai'  advisd'en  baull,  avoyl  reprins 
à  son  espouse  sarelic(iuc  de  vravc  Cmix  el  csloyt  demouré  en  son 
manoir,  oi"!,  noiiobslant  ces  j)iévoyances  cbresliennes,  la  dicle 
voix  Iny  frclilloyl  aulcunes  Ibys  en  la  cervelle,  et,  au  matin, 
avoyt  souvent  en  remcmhrance  cesle  diabl(\ssc  mammalement 
ardente  connue  mesclie.  Kl  [)our  ce  que  la  veuc  de  cestc  gouge 
estoyt  si  cbaulde,  <|ue  elle  le  faisoyt  arser  comme  ung  honmie 
ieune,  luy  (piasi  mort,  et  pour  ce  cpi'il  luy  en  cousloyt  lors 
force  transbordcmens  (res|)erifz  vilauix,  nous  lia  rc(|uis  le  dict 
seigneur  de  ne  point  le  conl'ionter  avccipies  ceste  empcrière  d'a- 
mour, à  la(juelle,  si  ce  n'estoyt  le  diable,  Dieu  le  Père  avoyl  oc- 
troyé d'eslranges  licences  sur  lescliouses  de  l'homme.  Puis  s'est 
leliré  après  lecture  de  ces  dires,  non  sans  avoir  recogneu  le 
dessus  dit  Africfpiain  |)ourestre  le  serviteur  et  paige  de  la  dame. 


'M 


V.n  (jualricsnie  lii'u,  sur  la  fov  bailler  jcu'  nous,  au  nom  du 
Chapitic  cl  (le  iiiisl  rc  sci^iicni'  larclicvcsfpic, 
de  n'esli'c  lurmcnh-.  gclicnné  ne  inqui('t(' en 
aulcune  cliouse,  ni  manière,  ne  estre  plus 
cilc  après  .ses  dires,  attendu  les  voyaigcsdc 
son  négoce,  et  sur  l'asscuraïu'e  de  pou\(iir 
soy  retirer  en  Inuli'  lilicrié,  est  advenu  un 
iuif,  avant  nomSiilomou  al  Hastchild,  Icipicl, 
maulgi'i'  l'inlamie  de  sa  personne  et  son  iii- 
(laïsmc,  ha  |tainous  esté  ouy,  à  cesle  unic- 
que  lin  de  tout  sçavoir  concernant  les  dc'- 
portemens  du  dessus  dict  dc-mou.  Ains  ne  ha 
esté  re(piis  de  donner  aulcun  serment  ledicl 
Salomiui,  veu  que  il  est  eu  dehors  de  l'Kc- 
clise,  sépan'  de  nous  par  le  sang  de  nostre 
Saulveur  [trucidalus  Salvalor  inter  nos). 

Interrogué  sur  ce  que  ilcomparoissoyt  sans  le  bonnet  verd  en 


552  r.ONTKS   DIIOI.  \TI0I1ES. 

la  Icsto  cl  la  roiio  iaiiiic  en  la  ])lac('  du  ciicm'  a|i|)ar('iil('  cii  son 
Yostomont,  suvvaiil  les  ordonnancos  (rcl('siasti((|iu's  et  royales, 
ledict  al  liasU'Iiild  nous  lia  oxliib;'  lollros  patciitos  de  dispousos 
octroyées  par  noslre  seigneur  le  l»oy  cl  recogaeues  par  le  sen- 
neschal  de  Touraine  et  de  Poiclon. 

Puis  nous  lia  déclairé  le  dict  iuil"  avoir,  pour  la  dame  logiée  en 
laniaisonde  riioslclierTorlehras,  l'aictgraiil  nt'goce,  àelle  vendu 
cliandelliers  d'or  à  plusieurs  branches  inignonncnienlengravez  ; 
plats  d'argent  vermeil;  lianaps  enrichis  de  pierres,  esmeraugdes 
et  rubiz;  avoir  pour  elle  tiré  du  Levant  uuinbre  d'cslolïes  pré- 
tieuses,  tapis  de  Perse,  soycries  et  toiles  fines  ;  enfin,  chouses  si 
magnillcipics,  que  aulcunc  royne  de  la  ohrcstienténe  pouvoyt  se 
dire  si  bien  l'ournic  de  ioyaulx  et  d'ustensiles  de  mesnaige  ;  et  que 
il  y  estoyf,  pour  sa  part,  de  trois  cent  mille  livres  Icuirnoys 
receues  d'elles  pour  les  raretez  à  l'achapt  descpielles  il  se  estoyt 
employé,  comme  fleurs  des  Indes,  papeguays,  oyscaulx,  j)lu- 
maiges,  espiees,  vins  de  Ciièce  et  diamans. 

He(|uis  parlions  iuge  dédire  s'il  luyavoyl  fouriiy  aulcnns  ingrt-- 
diens  de  conim'alioninagic(pie,  sang  de  nouveau-nez,  grimoires, 
et  toutes  chouses  gciK'ralciiicnt  (|uelconqiies  dont  l'ont  usaige  les 
sorcières,  luvdomianl  licence  d'advoncrson  cas,  sans  que,  pour 
ee,  il  soit  iamais  recherclu''  iw.  iiKpiictt',  IcdicI  al  Mastchild  a  iuré 
sa  lov  lieluaïc(jucde  ne  laireaulcnnencnl  ccltuv  commerce.  Puis 
ha  dict  estre  engarrit''  en  trop  liaults  intcrests  pour  s'adonner  à 
telles  miesvrcries,  veu  que  il  estoyt  l'argentier  de  aulcuns  sei- 
gneurs Irez  piiissans,  comme  les  marquis  de  Montl'errat,  roy 
d'Angleterre,  roy  de  Chypre  et  Iliérusalem,  comte  de  Provence, 
Messieurs  de  Vcnice  et  aultres  gens  d'Allemaigne  ;  avoiràluy  des 
galéasses  nierchanlesde  toutes  soifes,  allant  en  ,Egvple,  soulizla 
lov  du  Soudan,  et  estre  en  ung  Irallicde  chouses  prêt ienses  d'or 
et  d'argent,  qui  l'amenoyl  souvent  en  la  Moimove  de  Tours. 
D'abundant,  il  ha  dict  tenir  ladicfe  dam<'  dont  s'agit  pourliez- 
léale,  l'emme  naturelle,  la  jdus  donlcc  de  l'ormes  et  la  pins  mi- 
gnonne (|ue  il  aytveiie.  Oiie,  sur  son  renom  d'esperil(liabolic(|ue. 
mu  pai'  imagiiiacion  l'aifallesipie,  et  aiissy  pour  ce  (|uc  il  estovl 
h'ru  d'elle,  il  luyavoyt,en  ung  iour  où  elle  oIonI  vciil've,  pidii- 
posé  jl'estre  son  giiallant,  ce  qu'elle  avovt  bien  vonhi. 

Ores,  quoi(pie  decestenuiclc'e  il  se  Iciisl  ionglem|)s  senlu  iesos 
disioiiicts  et  les  reins  coii(|uassez,  il  lie  avoyt  point  expc-rimenté, 
comme  aulcuns  disoyeiit,   que  ijiii   tombo\t    une  ibys  là    n'eu 


Li-:  srrciiiF.  5:.:. 

rovi'iiovl  point,  et  s'y  l'oiidiivl  coiiiiih'  |i|(iiiiI)  en  iiiiii  ci'ousot 
(r;il(|U('iiiisl(>. 

l'iiisIcdiclSaloiiioii.aïKHicl  miiisavoiis  laissé  la  liliciti',  siiyvaiit 
le  sauf-conduict,  niauij^rt-  ce  diio,  loqiiol  prouve  d'abondant  ses 
accointances  avecqnes  le  diable,  ponr  ce  que  il  ha  esté  sauf  là  on 
tous  Ivs  chrestiens  succonihoyent,  nous  lia  souhniis  uiif^  accord  au 
subiect  (ludict  (Irnion.  A  sçavoic  :  (|ue  il  faisoytoriVc  au  Chapitre 
de  la  ea(b('(lrale  de  donner  de  ladiole  ap[)arenoe  de  leiiune  une 
ransson  telle,  si  elle  estoyt  condamnée  à  estrc  cuicte  vifve,  que 
la  plus  haulte  des  tours  de  l'ecclise  Sainct-Maurice  de  présent 
en  eonslruclion  pourroyt  se  j)arachever. 

Ce  que  nous  avons  not(',  pour,  de  ce,  cstre  en  temps  opportun 
délibéré  j)ar  le  Chapitre  assemblé.  Kt  ha  tiré  le  pied  ledict  Salo- 
mon,  sans  vouloir  indic<pier  son  logiz,  et  nous  ha  dict  pouvoir 
estrc  inforiné  de  la  délibération  du  Chapitre  par  ung  iuil"  de  la 
luiverie  de  Tours  ayant  nom  Tobias  Nalhaneus.  Au  dict  iuil"  ha, 
])ai'avant  son  parlement,  est('  leprésenti'  rArric(piain,  (|ue  il  ha 
recogneu  pour  estre  le  paige  du  dénuin.  Kt  ha  dict  les  Sariazins 
avoir  couslume  dedesnuer  ainsy  leurs  serl's  pour  les  conuui'l- 
Ire  à  la  guette  des  lemmes,  par  ung  anticque  usaige,  ainsy  (ju'il 
appert  des  historiens  profanes  enl'eiidroict  do  Narsez,  général  de 
(iOnstantinopolis,  et  aullres, 

Lendemain,  apiès  la  mes^e,  et  pardevers  nous  comparue,  en 


cinquicsme  lieu.  Ire/  nobliMl  iMclyledamedeCroixmare.  Laquelle 

3(t. 


354 


CONTES  DROLAÏIorES. 


h;i  iuré  sa  Iby  ez  Saincts  Évangiles,  et  nous  lia  dict,  avecques 
larmes,  avoir  mis  en  terre  son  fils  aisné,  mort  par  le  faiot  de  ses 
extravaguantos  amours  avecques  ung  démon  iemelle.  Lequel 
homme  nolile  avovt  d'ange  vingt-trois  ans,  estoyl  itarlaictement 
comnlexionné,  trez  viril,  nioidt  barltu  comme  son  (ii'ITunct  père. 
Nonobstant  sa  grant  mouelle,  en  nouante  iours,  avoyt  petitement 
blesmv,  ruvné  par  ses  accointances  avecques  le  succube  de  la 
vove  Cliaulde,  snyvant  le  dire  du  menu  populaire  ;  et  que  nulle 
avovt  esté  sa  materne  autlioiité  sur  ce  tils.  Finablenient,  en  ses 
darreuiers  iours,  seiiibbiyt-il  (piasiuient  ung  paouvre  ver  seicbié 
dont  lesmesnaigieres  l'ont  la  rencontre  en  ung  coin  alors  (juc  elles 
balyent  les  salles  du  logiz.  Et  fousiours,  tant  qu'il  eut  force 
d'aller,  alloyt  se  parachever  de  vivre  chez  cestemauldicte  où  se 
vuvdovt  aussv  son  espargne.  Puis,  alors  que,  concilié  en  sonlicl 

vcit  advenir  son  extrcsine 
heure,  inra,  sacra, menassa, 
dit  à  tous,  à  sœur,  rrère,et 
à  elle,  la  mère,  mille  iniu- 
res;  s'esmulit  au  nez  du  cha- 
pelain ;  renia  Dieu  etvoulut 
mourir  en  damné  ;  ce  dont, 
du  tout,  renient  jiavrez  les 
serviteurs  de  la  famille,  qui, 
pour  saulver  son  âme  et  la 
tirer  de  l'eiilér,  ont  l'undé 
deux  messes  annuelles  en 
la  cathédrale.  Puis,  pour 
avoir  sépulture  d'icelluy  en 
terre  saincle,  la  maison  de 
Cioixmare  s'est  engagiée  à 
donner  au  Chapitre,  duiiint 
(•('lit  ans,  la  cire  des  cha- 
pelles et  de  l'ecdise,  au 
iour  de Pasques Hernies. En 
lin  de  tout,  sauf  les  maul- 
vaises  paroles  entend  lies  par 
la  rév('i-ende  j>ersonne  de 
Dom  EoysPot,  religieux  de 
Marinoustiers,  venu  pour  assister,  en  son  extresme  heure,  le  de.s- 
.sus  dictbiiron  de  Croixmare,  ladicte  damealTerme  ne  avoir  onQ- 


^^s^ 


•  »\(ltlLIS7C, 

Fina'lilemenI,  en  s«s  darreiiiers  ioiii's,  sciiibloyl-il  qunsiiiieni  iiiig  paoïivre 
ver  seichié,  dont  les  incsnaigieres  font  la  rencontre  en  nus  coing  alors 
que  elles  balyent  \es  salWjs  <ln  logiz. 


El  lousiours.  tant  qu'il  eut  lorce  d'allor.  alloït  sn  parachever  de  vivre 
ilK-î  ce>;l.'  maul.liclo  où  se  vuy.loyl  au-sy  son  osiiargne. 


LK  SUCniJHK.  557 

qiios  entendu  proféi-ef  iinlciims  |i;ii(i|rs  ;iu  (Jeiïiinct  loucluiiil  lo 
cic'mon  (|iii  le  poi^iKnl. 

Kt  se  est  rcliii'!'  I;i  iinliîc  cl   iiiclvlc  (hiiic  en  lii'aiil  dciiil. 


En  sixiesme  lieu,  ii.irdfvcis  nous  est  coiiiiiiiiiie,  sur  iidiouiiie- 
ment,  I;ic(iuelle,  dicte  \  icux-Oiii::,  sduillardcde  cuisine,  ;dl;(ntez 
loyiz  loiclicr  les  plats,  dcuiourant  de  |iit'S(Mit  en  la  Poissonnerie, 
laquelle,  après  avoir  iure  sa  toy  dene  diiv  aulcunccliouse  que  elle 
ne  tinst  pour  vrayc,  ha  déclaré  ce  qui  suvl.  A  sçavoir  (|ue,  \\w^ 
iour,(dle,  estant  venue  en  la  cuisine  dudiet  df'uion,  dont  elle  ne 
avoyt  nullement  paour,  |)our  ce  (|ue  il  soulitvt  ne  se  icpaislre  que 
de  niasies,  elle  avdvl  eu  loisir  de  veoii-  au  iardiucettnv  (h'nion 
i'enielle  superlienieiit  veshi.  inarcliant  en  la  conipai;,'nie  d'uni; 
chevalier  avecques  {|ui  elle  ii(i\t  connue  l'enune  naturelle.  I.ors, 
elle  avoyt  rccogneu  en  eeltuv  démon  la  vrave  ressendjlancediî  la 


Elle  avoyl  eui,Moisir  de  veoir  au  laitliii  crliuy  ilrmoii  teinclle  siiperuemeiit     , 
veslu.   marchant  en   la  compaignie  d'iing  chevalier  avecques  qui  elle 
riiiyt  comme  Temme  naturelle. 


LE  SUCCUBE. 


559 


Morisque  mise  en  religion  ;iu  nioiislier  de  Noslre-Dame  de  l'Es- 
grigiiolles  |);u'  le  dcrruiict  seiinesclial  de  Touraiiie  et  de  Poictoii 
niessiic  IJiiiyri,  coiiilc  de 
la  l{(H-lie-C<»ri)oii,  la(|iielle 
moricaulde  avoit  esté  lais- 
sée au  lieu  et  ])laee  de 
l'imaige  de  Noslie  Itaiiic 
la  Vierge, nièr(>  de  mislie 
benoisl  Servalciir,  inldiée 
pardes  .Egyi)li;i((ju('s,  en- 
viron dix-huit  ansaii|);ir.;- 
vaiit.  Knee  tenij)s  du(|ii('l, 
à  cause  des  tioiddcs  ad- 
venus en  Toiiiaiue,  nid 
ne  est  recoi'd,  ccstc  garse, 
aagée  de  douze  ans  environ,  leut  saulvée  du  husrjiier  oîi  elle 
debvoytcstre  cuicte,  en  recepvant  le  haptesnie,  et  lesditsdell'unct 


et  delTunctc  sennesclialle  avoyent  lors  est('  j)arrain  et  marraine 
deccste  fille  de  l'enfer.  En  eettuy  temps,  estant  lavandière  au 
couvent,  elle  (pii  tesmoingne  avoyl  soulivenir  de  la  fiiile  ipu^  foit, 
vmgt  mois  après  son  enlri'e  en  ndigion,  ladictc  .Egvpliacque, 
si  sul)lilemenl  ipie  iamais  ne  lia  esté  sceu  par  on  ne  comment 
elle  se  estoytdéj)orlée.  Lors  par  tous  feut  existimé((ue,  avecipu^s 
l'aydc  du  démon,  elle  avoyt  volé  en  l'aër,  veu  ijue,  obstant  les 
reclierclies,  nulle  trace  de  sa  clievaulcliée  ne  se  trouvoyt  dedans 
le  moustier,  'ofi  cliaipie  cliouse  cstoyt  demourée  en  son  ordre 
accoustumé. 


3G0 


(.D-MKS   lllUiLATlOLKS. 


Losiour  Alric'(jiiain,  ayant  esté  représenté  à  ladictc  souillarde, 
elle,  ha  dict  ne  l'avoir  point  vcu,  encorcs  que  elle  en  feust  cu- 
rieuse, pour  ce  »|ne  il  esloyt  commis  à  la  guarde  de  l'endroict 
où  s'esbattoyt  la  Moris([ue  avccques  ceulx  que  elle  yruj^ioyt  par 
le  douzil. 


Kii  sepliesmc  lieu,  par  devers  nous  lia  esté  Iraduict  Hugues  du 
l'on,  iilsdu  sieur  de  Bridoré,  leipicl  aagé  de  vingt  ans  ha  esté  mis 
ez  mains  de  messirc son  père,  souhz  caution  de  sa  seigneurie;  et 
par  luy  représenté  en  eeponrcliaz,  (hujuel  il  despend,  [)()nr  eslre 
(lenenienl  alti'int  et  convaincu  d'avoir,  assisli'  de  plusieurs  manl- 
vais  garsons  incogneus,  assiège'  la  geôle  de  Tarchevesque  et  du 
("Jia|)itre.  el  de  s'esfie  hendez  à  destourher  la  force  de  laiustice 

ecclésiasticqueenfaisant 
évader  le  démon  dont 
s  agit.Maulgiésonmaul- 
vais  vouloir,  avons  com- 
mandé audict  Hugues  du 
Fou  de  témoingner  vé- 
lidicipiement  touchant 
les  chouses  cpu'  il  doil)l 
sçavoir  dndict  déuion, 
avecques  lecjuel  il  est 
véhémentement  réputé 
d'avoir  accointance,  luy  ohiectant  (pu-  il  s'en  va  de  son  s;tlut  et 
de  la  viedeladictedt'moniacipie.  Lcipiel,  après  sermeni,  ha  diet  : 
—  leiure  j)ar  mon  salut  éternel  et  i)ar  les  Saincis  Kvangiles,cy 
présentez  souhz  ma  main,  tenir  la  l'enune  soupçonnée  d'estre 
ung  démon  pour  ung  ange,  pour  femme  parAiicte,  et  j)lus  en- 
cores  d'ameque  de  corps;  vivant  en  toute  lionnesteté;  pleinede 
mignonneries  et  sn|)er(inesses  d'amour;  millement  manlvaise, 
ains  gc'uéreuse,  aydant  moult  les  paouvres  et  soulTreleux.  le 
déclaire  (jue  ie  l'ay  vucplourant  de  véritables  larmes  an  Irespas 
de  mon  amy  le  sire  de  Croi.vmare.  Et,  pour  ce  (jue,  en  ce  iour 
elle  avoyt  faictvœu  àNoslre  Dame  la  Vierge  de  ne  plus  recepvoir 
à  mercy  d'amour  des  ieunes  hommes  nohies,  trop  loyhles  à  son 
service,  elle  me  ha  constaimnenl  et  avec  giant  comaige  desnié 
la  iouissance  de  son  corps,  et  ne  me  ha  octroyé  (|ue  lamour 
el  possession  Af  son  cmcim  ,  donl  cllr  nu-  ha  faict  suzerain.  Jk'puis 
fc  don  gracieux,  ohsl.Mil  ma  llaiinin'  ci(»i>sante,  ha  dcmouré-  seu- 


lE  SI CCIIii:.  361 

Icltc  en  son  loyiz,  où  i"ay  despciidu  la  |tlii>  yiaiil  [lail  iU:  mes 
iourntrs,  heuioux  do  la  veoirol  rciilcndiv.  Ores,  si  inan^ioys-ie 
bien  près  d'elle,  partageant  l'aër  qui  entroyt  en  songozier,  la  lu- 
mière qui  escloiroyt  scsbeaulx  yeulx,  Ireuvant  à  ce  niestier  plus 
de  ioyeque  n'en  ont  les  seigneurs  du  paradiz.  Esieue  par  nioy  ])our 
cstre  à  tousiours  ma  dame  ;  choisie  pour  eslre,  ung  iour  esclieant, 
ma  colombe,  ma  remine  et  unii'(pioamye,  moy,  paouvre  fol,  n'ay 
rcceu  d'elle  aulcun  à-compte  sur  les  ioyes  advenir,  ains,  au  con- 
traire, mille  vertueux  advis  :  conunequoy  debvoys  acquérir  renom 
de  bon  chevalier,  devenir  ung  honnue  fort,  beau,  ne  rien  craindre, 
lors  Dieu  ;  honorer  les  dames,  n'en  servir  que  une,  et  les  aymer 
en  mémoire  d'icellc  ;  puis,  alors  ([ue  scroys  alTorty  par  les  travaulx 
de  la  guerre,  si  son  cueur  plaisoyt  tousiours  au  mien,  en  ce  tenqjs 
seulement  elle  seroyt  à  moy,  pour  ce  que  elle  sçauroyt  m'attcndre 
en  m'aymant  trez  fort... 

Kn  ce  disant,  ha  plouré  le  ieune  sire  Hugues,  et  ha,  plourant, 
adiouxté  : 

Que,  pensant  à  ceste  gracieuse  et  foyble  fennne  dont  les  bras 
luy  sembloyent  naguères  trop  mignons  pour  soustenir  le  légier 
poids  de  ses  chaisncs  d'or,  il  ne  avoyt  sceu  se  contenir  en  songiant 
aux  fers  cpii  la  meurdrissoycnt  et  aux  misères  dont  elle  estoyt 
Iraistreusement  enchargiéc  ;  et  que,  de  ce,  estoyt  venue  sa  rébel- 
lion. Et  que  il  avoyt  licence  de  dire  son  douloir  en  face  la  lustice, 
pour  ce  que  sa  vie  estoyt  si  bien  liée  à  celle  de  ceste  délicieuse 
maistresse  et  amye,  que,  le  iour  où  il  luy  adviendroyt  mal,  il 
mourroyt  pour  le  seur. 

Et  ha  lediet  ieune  hoimnc  noble  vociféré  mille  aullres  louanires 
dudicl  démon,  lesquels  tesmoignent  la  véhémente  envousterie 
praticquée  à  son  csguard  et  prouvent  d'abundant  la  vie  abomi- 
nable, immunde,  incurable,  et  les  frauduleuses  sorcelleries  aux- 
quelles il  est  j)résentement  soubmis,  ce  dont  iugera  noslre  sei- 
gneur l'archevesquc,  àcesle  lin  de  saulvcr,  par  exorcismes  et  pé- 
nitences, ceste  ieune  amc  des  pièges  de  l'enfer,  si  le  diable  ne  ha 
esté  trop  avant  en  icelle. 

Puis  avons  remis  lediet  ieune  honmic  ez  mains  du  noble  sei- 
gneur son  père,  après  (jue  par  lediet  Hugues  ha  esté  recogncu 
rAiVie(iuain  estre  le  serviteur  de  l'accusée. 

En  huieliesme  lieu,  devant  nous,  ont  les  estafliers  de  nostrc 
seigneur  l'archevesciue,  en  grant  honneur,  amené  Tr.EZ-HAur.TE 

"l 


502 


CONTES  DROLATIQUES. 


ET     RÉVÉRENDE    DAME    IaCQUELLNE    DE    ChAMPCIIEVRIER,    ADRESSE    DU 

MODSTiER  DE  Nostre-Dame,  soubz  l'invocation  du  Mont-Carmel, 
au  gouvorncnicnt  do  lai[uello  ha  oslc  sdubmise,  par  le  feu  sieur 
senneschal  de  Touraino,  père  demonsoiyneur  le  comte  delà  Ro- 
che-Corbon,  pre'sentement  avoué  dudict  couvent,  l'iEgj'ptiacque, 
nommée  sur  les  fonts  du  baptesme  Blanche  Bruyn. 

A  ladicte  dame  abbesse  avons  argumenté  sommairement  la 
présente  cause,  où  il  s'en  va  delà  saincte  Ecclise,  de  la  gloire  de 
Dieu,  de  l'heur  éternel  des  gens  de  ce  dioceze  aflligez  d'ung  dé- 
mon, et  aussy  de  la  vie  d'une  créature  qui,  possible,  seroyt  du 
tout  innocente.  Puis,  la  cause  élaborée,  avons  requis  ladicte 
scigneurc  abbesse  de  tesmoingner  ce  qui  estoyt  à  sa  cognois- 
sance  sur  la  disparition  magicquc  de  sa  fille  en  Dieu,  Blanche 
Bruyn,  espouséc  par  nostre  Saulveur  soubz  le  nom  de  sœur 
Claire. 

Lors,  ha  dict  la  trez  noble,  trez  haulteet  trez  puissante  dame 
abbesse,  ce  qui  suit  : 

La  sœur  Claire,  d'origine  à  elle  mcogneue,  ains  soupçonnée 
d'estre  de  père  et  de  mère  héréticques  et  gens  ennemys  de  Dieu, 
avoir  esté  vrayement  mise  en  religion  au  mousticr  dont  le  gouver- 


nement luy  estoyt  canonicipnnient  ('>clieu,  maulgré  son  indi- 
gnité; ladicte  sœur  avoir  feriuoinent  acconiply  son  noviciat  et 


LF   SUCrUHF. 


5(i.> 


l'aict  ses  vœux  suivant  la  saincle  rèyle  de  l'Ordre.  Puis,  les 
vœux  dicts,  eslre  clieue  en  grant  tristesse  et  avoir  moult  blesniy. 
Par  elle,  abbcsse,  intorroguc'e  sur  sa  maladie  mc'lancliolieuse, 
avoyl  esté  rcspondu  par  ladicle  sœur  avec(juos  lainios  que  elle 
ne  en  sçavoyt  aulcunoment  la  cause  ;  que  en  elle  s'engendroyent 
mille  et  ung  pleurs  de  ne  plus  se  sentir  ses  beaulx  chevculx  en 
la  teste;  que,  en  oullrc  de  ce,  avoyt  soifd'aër,  ne  pouvoyt  résister 
à  ses  envies  de  saultor  ez  arbres,  grimper,  faire  ses  tourdions  suy- 
vant  les  usaiges  de  sa  vie  à  plein  ciel  ;  qiie  elle  passoyt  ses  nuicts 
en  larmes,  resvant  aux  forests  soubz  la  leuillée  desquelles  iadis 
elle  couchioyt  ;  et,  en  remembrance  de  ce,  elle  abborroyt  la  qua- 
lité de  l'aër  claustral  qui  gobcnnoyt  son  respirouère  ;  que,  en 
dedans  d'elle,  sourdoyent  des  vapeurs  maulvaises,  et  que  par  foys 
elle  estoyt  inlériourement  divertie  en  l'ecclisc  par  des  pen- 
siers  qui  lui  faisoyent  perdre  contenance.  Lors  ay  rebattu  la 
paouvrctte  des  saincts  enseignemens  de  l'Ecclise,  luy  ay  remis 
en  mémoire  le  bonbeur  éterne  dont  les  femmes  sans  pécbé  iouis- 
soyent  en  paradiz,  et  cond)ien  estoyt  transitoire  la  vie  d'icy-bas 
et  certaine  la  bonté  de  Dieu,  lequel,  pouraulcunes  liesses  amères 


perdues,  nous  gardoyt  ung  amour  sans  lin.  Maulgré  ces  saiges 
advis  maternels,  l'esprit  maulvais  lia  persisté  en  ladietesœur.  Et 
tousiours  regardoyt-elle  le  Iruillaige  des  arbres,  les  bcrbes  des 


En  elle  s'cnn(;n;lioyeiil  mille  el  ung  pleurs  de  ne  plus  se  Sfiilii-  ses  btiiiilx 
cheveulx  en  la  teste  ;  que,  en  oultre  de  ce,  avojl  soif  d'aër,  n(!  pouvoyl 
résister  à  ses  envies  de  saulter  ez  arbres,  ^'riniper,  faire  ses  tourdions  suy- 
vant  l<!S  usaiges  de  sa  vie  A  plein  ciel  ;  (|ueelle  passoylses  nuicts  en  larmes, 
resvanl  aux  forests  soubz  la  feuilléc  desquelles  ia>lis  elle  coucliioyt. 


LK  srcci'iU' 


005 


piL'OS  par  les  l'cnostrcs  de  rcocliso  |toii(laiit  les  ol'ficos  et  temps 
(les  prières  ;  puis  s'obslinoyt  à  jiaslir  comme  lini:e  par  malice,  à 
ceste  fin  de  demoiiroi-  concliic-e  en  son  lict,  |)nis  anicnncs  l'ovs 
couraltoyt  par  le  cloislre  connue  cliievre  desliée  (lnpic(|uel.  Fi- 
nablement,  lia  maigry,  penlu  sa  beaulté  trez  grant,  et  est 
tournée  en  ung  rien.  Ores,  en  cet  eslrif,  nous  l'abbesse,  sa  mère, 
redoublant  la  veoir  mourir,  par  nous  l'eut  mise  en  la  salle  aux  ma- 
lades. Par  ung  matin  d'byver,  ladicte  sœur  lia  fuy  sans  laisser 
aulcuns  vestiges  de  ses  pas,  sans  bris  de  portes,  ni  loc({uets  des- 

mancliiez,  ni  croisées  ouvertes, 
f^J":  ni  quoy  (pu-  ce  soit  oîi  son  pas- 
'^'''  siige  leust  attesté  :  advenlurc  es- 
pouvantable,  l;i(|M(>lle  léut  exis- 
liniéc  avoii'  eu  ln'U  |)ar  le  secours 
du  démon  qui  la  gebennoyt  cl  lor- 
mentoyt.Au  demourant,  l'eut  cnn- 
clud  par  les  autlioritez  de  l'ec- 
clisc  métropolitaine  cpu' ceslc  lille 
d'enTcr  avoyt  eu  mission  de  di- 
vertir les  nonnes  de  leurs  sainctes  voyes,  et,  tout  esblouie  de  leur 
belle  vie,  estoyt  retournée  par  les  aërs  au  sabbat  des  sorciers  qui 
l'avoyent  laissée,  par  mocquerie  de  nostre  saincte  religion,  en  la 
place  de  la  vierge  Marie. 

Ayant  dict,  la  dame  abbesse  ba  esté  en  grant  bonneur,  et,  suy- 
vant  l'oiiloimance  de  N.  S. 
arcbevesque,    accompaigiK'o 
iusquesaumouslierduMonl- 
Carmel. 


Enneufvicsme  lieu. devers 
nous  est  venu,.losepb ,  dit  Les- 
cbalopier,  cbangeui'.  demou- 
rant en  amont  du  pont  à 
l'enseigne  du  Besaiit  d'Or,  ba- 
quet, après  avoir  inré  sa  l'oy 
catboliccjue  de  iw  licn  dire 
aultrc  cliousc  (pic  le  viay, 
sceu  pal'  lui  loucli.Mil  Icpro- 
ce/  devant  le  Inliuiialcccb'siasticquc,  lia  tcsinoiiigné  comme 

51. 


suyt: 


Ayant^dicl,  l.i  d.iirie  abbessc  lia  cslé  en  graiit  lioiiiieur,  et  suyvaiit  lurdoii- 
nance  de  N.  S.  rarchevesque,  accoinpaignt'e  iusquis  au  iiiousiier  du  Moul- 
Carmcl. 


LE   SnCCIIRE.  367 

—  le  suis  ung  paouvre  père,  moult  nl'lligé  par  la  sacre  voulentc 
de  Dieu.  Paravaut  la  venue  du  sucrube  de  la  voyeCliaulde,  ieavoys 
pour  tout  bien  ung  fils  beau  comme  ung  liomme  noble,  sçavant 
comme  ung  clerc,  ayant  faict  des  voyaiges  plus  de  douze  en  pays 
cstranges  ;  au  demeurant,  bon  catbolicque  ;  se  tenant  à  l'escart  des 
aiguillons  de  l'amour,  pour  ce  que  il  rel'rongnoyt  au  mariaige,  se 
voyant  lebaston  de  mes  vieulx  iours,  l'amour  de  mesyculxct  la 
resiouissancc  constante  de  mon  eueur.  Ce  cstoyt  ung  (ils  dont  ung 
roy  de  France  eustestt;  lier,  ung  bon  et  couraigcux  lionuni',  la  lu- 
mière de  mon  négoce,  la  ioye  de  mon  toict,  et,  en  fin  de  tout,  une 
richesse  inestimable,  veu  que  ic  suis  seul  en  ce  monde,  ayant  eu  le 
maulvais  heur  de  perdrcmaconq)aigneetd'estre  trop  vieil  pour 
faire  unganllre  moy-mesme.  Ores,  monseigneur,  ce  Ihrezorsans 
pair  me  baesté  prins  ei  mis  en  l'enfer  par  le  démon.  Oui,  seigneur 
iuge,  alors  que  par  luy  baesté  veue  ceste  guaisneàmille  coulteaulx, 
ceste  diablesse  en  qui  tout  est  atelier  de  perdition,  ioincture  de 
liesse,  délectation,  et  que  rien  ne  peut  assouvir,  mon  paouvre  en- 
fant s'empestra  dedans  la  glue  de  son  amour,  et  depuis  ne  vesquit 
qu'entre  les  columnes  de  Vénus,  et  n'y  vesijuit  pas  un  long 
temps,  pour  ce  que  en  ce  lieu  gist  si  grant  chaleur,  que  rien  ne 
désaltère  la  soif  de  ce  goulphre,  quand  mesmes  vous  y  bouteriez 
les  germes  du  monde  entier.  Las  !  doncques,  mon  paouvre  gar- 
son,  son  escarcelle,  ses  espérances  génératifves,  sonlieur  éterne, 
tout  luy,  plus  que  luy,  s'est  engoulphn*  en  ce  pertuys  comme 
ung  grain  de  mil  en  la  gueule  d'ung  taure.  Par  ainsy,  devenu 
vieulx  orphelin,  moy  qui  [)arle,  n'auray  plus  d'aullre  ioye  que  de 
veoir  cuire  ce  démon  nourry  de  sang  et  d'or,  ceste  Arachné  qui 
ha  entortillé,  sugcé  plus  d'Iiymenées,  plus  d(^  familles  en  herbe, 
plus  de  cucurs,  plus  de  chresliens  (pi'il  n'y  ha  de  ladres  en  toutes 
les  ladreries  de  la  chrestienté.  Brusiez,  tormentez  ceste  goule, 
ce  vampire  qui  paist  des  âmes  ;  ceste  nature  tigre  qui  boit  du 
sang  ;  ceste  lampe  amoureuse  où  bout  le  venin  de  toutes  les  vi- 
pères. Fermez  cet  abysmeoùunghommenepeut  trouverdefund... 
l'offre  mes  deniers  au  Chapitre  pour  le  biiselior,  et  mon  bras 
pour  y  bouter  le  feu.  Veiglez,  seigneur  iuge,  à  bien  détenir  ce 
diable,  veu  que  elle  ha  feu  plus  llambant  que  tous  aultres  feux 
terrestres  :  elle  ha  tout  le  feu  de  l'enfer  en  son  giron,  la  force  de 
Samson  en  ses  cheveulx  et  apparences  de  musieques  célestes  en 
la  voix.  Elle  charme  j)oiir  tuer  le  corps  et  l'ame  en  ungc(uq);  elle 
soubrit  pour  mordre;  elle  l)ais(^  pour  dévorer;  biief,  elle  enni- 


E^ll(^  liu  Icii  plus  Ibtnhunl  que  Ions  aullres  feux  terrestres;  elU;  ha  tout  le 
feu  (Je  l'ciiftT  eu  sou  ;,'iron,  la  force  de  Samson  en  ses  cheveulx  et  appa- 
rences (Je  niusic(|ues  C(!'le8tes  en  la  voix. 


LK  srccii'.K 


r.09 


ponnoroyt  ung  saincl  el  luy  fcroyl  ivnior  Dieu  !  Mon  lil.s  !  mon 
fils!  Où  est,  à  cestc  heure,  la  lleiir  de  ma  vie,  fleur  coupée  par 
cet  estuy  féminin  connue  par  ciscanlx  !  lia,  seigneur,  pourqnov 
m'avoir  appelé?  Qui  me  rendra  UKtn  lils,  dontlame  lia  este'  ab- 
sorbée par  ung  ventre  qui  donne  la  mort  à  tous  et  la  vie  à  aulcun? 
Le  diable  seul  fraye  et  n'engendre  point.  Cecyest  mon  tesmoin- 
gnaige,  que  ie  prie  maistre  TourneJjousclied'escribre  sans  omettre 
ung  iola,  puis  m'en  baillei' cédnle  pour  que  ie  ledise  à  hieu  tous 
les  soirs  en  lues  prières  en  cesle  linde  tousiourslaiie  crier  à  ses 
aureilles  le  sang  de  l'innocence  et  obtenir  de  sa  miséricorde  inli- 
nie  le  pardon  de  mon  lils. 

Suyvent  vingt  et  sept  aultres  dires  dont  la  transcription,  en  leur 
vraye  obiectivité  et  en  toutes  leurs  (jualités  d'espace,  seroyt  j)rou 
fastidieuse,  tireroyt  moult  en  longueur  et  divertiroytle  fil  de  ce 
curieux  pourcbaz  ;  histoire  qui,  selon  les  préceptes  anticques, 
doit  aller  droict  au  faict  comme  ung  taureau  en  son  oflice  prin- 
cipal. Kt  doncques,  vécy,  en  peu  de  mois,  la  mouelle  de  ces 
tesmoingnaiges  : 

Par  ung  grant  nombre  de  bons  chrestiens,  bourgeoys,  bour- 
geoyscs,  habitans  de  la  noble  ville  de  Tours,  l'eut  dict  :  ce  dé- 
mon avoir  faict  tous  les  iours  nopces  et  festins  royaulx  ;  ne 
iamais  avoir  esté  veuc  en  auleune  ecclise;  avoir  mauldi(;t  Dieu; 
s'estre  mocquée  de  ses  prcbstres  ,  ne  s'estre  signée  en  aulcun  lieu; 
parler  tous  les  languaiges  de  la  terre,  ce  qui  ne  ha  esté  octroyé 
par  Dieu  qu'aux  saincts  Apostres  ;  avoir  esté  maintes  fois  ren- 


eonlrée  |)ar  les  chamiis,  nionh'c  sur  ung  animal  ineogneu,  le- 


lia  Cblé  maintes  fois  rcnconirce  par  les  champs,  montée  sur  ung  animal 
incogneu,  lequel  alloyt  devant  les  nuées. 


LE  siT.rrBr.  -,71 

quel  alloyt  devant  les  nuées;  ne  poinl  vieillie  et  avoir  le  visai;,'e 
tousiours  ieune  ?  avoir  deslié  sa  ccinclure  pour  le  père  et  le  fils 
en  ung  mesme  iour,  disant  (pie  sa  porte  ne  jtrdioyt  point; 
avoir  de  visibles  influences  niali;:nes  rjui  Anoyenl  d'elle,  pour 
ce  que  ung  tahnellier,  assis  en  son  banc  à  sa  porte,  l'ayant  aper- 
ceue  ung  soir,  reoeut  telle  halenée  de  chaulde  amour,  que,  ren- 
trant, s'estoyt  mis  au  lict,  avoyt,  en  grant  raige,  beliné  sa 
mesnaigiere  et  lent  trouv(î  mort  lendemain,  besongnant  tous- 
iours; que  les  vicnlx  bommes  de  la  ville  alloyent  despendre  le 
demourant  de  leurs  iours  et  de  leurs  escuzà  sonouvrouer,  pour 
gouster  la  ioye  des  pécbez  de  leur  ieunessc,  et  qu'ils  mouroyent 
comme  mouscbes,  tous  à  contre-fil  du  ciel,  et  que  aulcuns  mou- 
rans  noircissoyent  comme  des  Mores  ;  que  ce  démon  ne  se 
laissoyt  point  veoir  à  disner,  ni  à  desicuner,  ni  à  souper,  ains 
mangioyt  seule,  pour  ce  qu'elle  vivoyt  de  cervelle  bumaine; 
que  plusieurs  l'avoyent  veuc,  durant  la  nuict,  aller  ez  cime- 
tières, y  gruger  de  ieunes  morts,  pour  ce  que  elle  ne  pouvoyt 
assouvir  aultrcment  le  diable  qui  Irépignoyt  dedans  ses  entrailles 
et  s'y  demenoyt  comme  ung  oraige  ;  et  que  de  là  venoyent  les 
bauracincnx,  ascres,  mordicans,  nitreux,  lancinans,  j)rccipi- 
tans  et  diabolicques  niouvemens,  estraintes,  tourdions  d'amour 
et  de  voluptez,  d'où  plusieurs  hommes  revenoyent  bleuis,  tordus, 
mordus,  desbil'fez,  conquassez  ;  et  que,  depuis  la  venue  denostre 
Saulveur,  qui  avoyt  emprisonné  le  maistre  diable  au  corps  des 
gorets,  aulcune  bcste  maligne  n'avoyt  esté  veueen  aulcun  lieu  de 
la  terre  si  malfaisante,  si  vénéneuse,  grypbanle,  et  tant  <{ue,  si 
on  gectoyt  la  ville  de  Tours  en  ce  champ  de  Vénus,  elle  s'y  trans- 
muteroyt  en  graine  de  cités,  et  ccttuy  démon  l'avalloroyt  comme 
fraize. 

Puis,  mille  aultres  dires,  proupos  et  dépositions  d'où  sourdoyt 
en  toute  clairelé  la  génération  infeinale  de  ceslc  femme,  fille, 
sœur,  ayculc,  espouse,  garsette  ou  frère  du  diable,  oullre  les 
preuves  abundantes  de  samalfaisance  et  descalamitez  esjiandues 
par  elle  en  toutes  les  familles.  Et,  si  licence  estoyt  donnée  de  les 
mettre  icy  conformément  au  roole  conservé  par  le  boniiomme 
auquel  en  est  deue  ladescouverle,  sembleroyent  ung  esclianlillon 
des  cris  borrificques  que  poulsèrent  les  .Egyptiacquesau  iour  de 
la  scptiesme  playe.  Aussy  ce  verbal  ha-t-il  faicl  grant  honneur  à 
messer  Guillaume  Tournebousche,  par  lequel  en  sont  quolcz  tous 
les  cavers. 


l'luMeur>  l'avoyiil  vuu,  diiKnil  U  i.uitt,  ail' r  >■/  t  iim  liiTO-,  y  j;rii,':.i  .lo 
it'unes  inorls,  pour  ce  que  elle  ne  pouvoyl  nssouvir  nullrcment  le  diable 
<|iij  In'-pignoyt  dedans  ses  entrailles  et  ^'y  deinenoyt  comme  uiig  "laigc, 


I,E   SUCCI  un.  575 

En  ]a  (lixiosine  v;u:(jualioii,  l'oiil  .liiisy  cluiizc  casla  t'iKjiiolo 
arrivée  en  sa  maluritc  de  preuves,  guarnie  de  tesnioingnaigcs 
antliontir(|iR\s,  suHisaniniont  engrossée  de  partieularilez,  com- 
[ilainctcs,  iiiterdicis,  conlredicts,  charges,  assignations,  recole- 
niens,  conressioiis  |)ni)lic(|iu's  et  particulières,  inreniens,  adiour- 
ueuiens,  conij)aritions,  controverses,  anxcpiels  debvoyt  respondre 
le  démon.  Aussy  dirent  partout  les  bourgeoys  (jue,  l'eust-elle  réal- 
lement  diablesse  et  munie  des  cornes  intérieures  mussées  en  sa 
nature,  avcccpiesles(juelleselle  beuvoyt  des  lionimes  et  les  brisoyt, 
cesteJennnede])voylnagierlongleni|)senceste  merd'escripleurcs, 
paravant  d'alleiudre,  saine  et  saulve,  l'enter. 


32 


COMMENT    PEUT    PROCKDE    E.N    L  E.\DROICT    DE    CETTUY 
DÉMON    FEMELLE. 


7  In  nomine  Patm,  et  Filii,  et  Spiritiis  Sandl.  Amen. 

L'an  de  nostre  Seigneur  mil  deux  cent  septante  et  ung,  par- 
devant  nous,  Hiérosme  Cornille,  grant  pénitencier,  iuge  ecclé- 
siasticqne,  à  ce  commis  canonicquomont,  sont  comparus  : 

Le  sire  IMiilippe  d'Ydré,  l);iillir  de  la  ville,  cité  de  Tours  et 
province  de  Tourainc,  demourant  en  son  lioslel,  rue  de  la  Ros- 
tisseric,  en  Cliasteauneul';  maistre  lelian  Hibou,  prevost  de  la 
conCrairie  et  maistrise  des  Drapiers,  demourant  sur  le  (|uay  de 
l'retaingnc,  à  l'imaige  de  Sainct-Picrrc-ez-liens  ;  messirc  Antoyne 
lalian,  eschevin,  cliiel"  de  la  conlVairie  des  Cliangeurs,  demourant 
sur  la  place  du  Pont,  à  l'imaige  de  Sainl-Maic-com|ilanl-des- 
livres-tournoys;m.iistreMarlin-l{eauperluys,capilain(Ml('s  archers 
de  la  ville,  demourant  an  ciiasleau  ;  lelian  Habelais,  goildronneur 
de  navires,  faisant  hateaulx,  demourant  au  jiort  de  l'isle  Sainct- 
lac<pies,  ihrezorier  de  la  conl'rairie  des  Mariniers  de  la  Loire; 
Man^  lli('rosme,  dict  Mascliel'cr,  cliaussetlier,  à  l'enseigne  de 
Saincle-Si'liastienne,  président  des  i'reudlionunes,  et  lacques' 
dict  de  Ville  (liiMirr,  maistre  cabarelier,  vigneron  demourant  en  la 


LK  SUCCIJHE.  -.75 

grant  rue,  à  la  Pomme  do  Pin  ;  auquel  sire  (i'Vdré,  jjaillil',  et  aux- 
quels bourgcoys  de  Tours  avons  lu  la  Requeste  suyvante,  par 
eulx  esciipte,  signée  et  délibérée  pour  estre  mise  soubz  les  yeulx 
du  tribunal  ecclésiaslicque. 


REQUESTE 

Nous  soubs  signez,  tous  bourgeoys  de  Tours,  sommes  venus  en 
l'hostel  de  nostre  seigneur  le  sire  d'Vdré,  baillif  de  Touraine,  en 
l'absence  de  nostre  Maire,  et  l'avons  requis  d'entendre  nos 
plainctes  et  quérimonies  sur  les  faicts  ensuyvans,  dont  nous  nous 
portons  forts  devant  le  tribunal  de  l'arcbevesque,  iuge  des  crimes 
ccclésiasticques,  auquel  doibt  estre  deftbrréle  pourohazdelacause 
que  nous  exposons. 

Depuis  ung  long  temps  est  venu  en  ceste  ville  ung  maulvais 
démon  soubz  visaige  de  femme,  laquelle  demoure  en  la  coulture 
Sainct-Estienne,  dedans  la  maison  de  l'bostelier  Tortebras,  sise 
en  la  censive  du  Cbapitre,  et  soubz  la  iurisdiction  temporelle  du 
domaine  archit'piscopal.  Laquelle  femme  estraiigiere  faict  lemes- 
tierde  lille  de  ioye  en  fasson  proditoire,  abusive,  et  en  telle  cmpi- 
rance  de  nialfassons,  que  elle  menasse  de  ruyner  la  foycatholicque 
en  ceste  ville,  pour  ce  que  ceulx  qui  vont  à  elle  en  reviennent 
l'ame  perdue  de  tout  poinct,  refusent  l'assistance  de  l'Ecclise  avec- 
ques  mille  scandaleux  discours. 

Ores,  considérant  que  ung  granl  numbre  de  ceux  qui  s'adon- 
nent à  elle  sont  morts,  et  que,  advenue  en  nostre  ville  sans 
aultres  biens  que  sa  nature,  elle  lia,  suyvant  la  clamour  publique, 
des  ricbesses  infinies,  tbrezors  royaulx  dont  rac(|uest  est  vébé- 
mentemeiit  soupçonné  do  sorcollerio  ou  smon  do  vols  commis  à 
l'aydedos  attraicts  margicquesdo  sa  personne  supcrnalurellement 
amoureuse  ; 

Considérant  que  il  s'en  va  de  l'bonneur  et  sécurité  de  nos 
familles;  que  iamais  en  ce  pays  ne  s'est  voue  fommo  folio  do  son 
corps,  ou  lillo  d'amour,  faisant  avocquos  tel  d('trimonl  sa  bosongne 
de  galloise,  et  menassant  si  apertemcnt  et  asprement  la  vie,  les 
espargnes,  les  mœurs,  chasteté,  religion,  et  le  tout  des  habitans 
de  ceste  ville  ; 

Considérant  que  besoing  est  d'une  enquesto  do  sa  personne,  de 
ses  biens  et  de  ses  déportemens,  à  ceste  fin  de  vérifier  si  ces 


57G  CONTES  DROI.ATIOrES. 

effocts  de  l'anionr  sont  Ic-gitimcs  ot  ne  procèdent  point,  ainsv  que 
le  dt'nionstrent  ses  gestes,  d'ung  nialelice  de  Satan,  lequel  vient 
souvent  visiter  la  chrestienté  soubz  forme  femelle,  ainsy  qu'il 
appert  des  livres  saincls,  où  il  est  dictque  nostrc  benoist  Saulveur 
feut  emporté  iuz  ung  mont  d'où  Lucifer  ou  Astarotli  luy  monstra 
des  fertiles  domaines  en  ludée,  et  que,  en  plusieurs  endroicts, 
ont  esté  veus  des  suoeulies  ou  démons,  ayant  visaige  de  fenune, 
lesquels,  ne  voulant  point  retourner  en  enfer  et  guardaut  en  eulx 
ung  feu  insatiable,  tentent  de  se  rafrescliir  et  substanter  en  aspi- 
rant des  âmes  ; 

Considérant  (|ue  au  cas  de  ladicte  femme  se  rencontrent  mille 
tesnjoingnaiges  de  diablerie,  dont  aulcuns  liabitans parlent  ouver- 
tement, et  que  il  est  utile  pour  le  repos  de  ladicte  fenmie  que  la 
ohouse  soit  vuydée,  à  ceste  lin  qu'il  ne  soit  point  couru  sus  par 
aulcunes  gens  ruynez  par  le  train  de  ses  maulvaisetez  ; 

A  ces  causes,  nous  supplions  que  il  vous  plaise  soubmettre  à 
notre  seigneur  spirituel,  père  de  ce  dioceze,  le  trez-noble  et  sainct 
arclievesque  lelian  de  Monsoreau,  les  douloirs  de  ses  ouailles  affli- 
gées, à  ceste  fin  qu'il  y  advise. 

En  ce  faisant,  vous  remjdirez  les  delivdirs  de  vostre  cliarge, 

ainsy  que  nous  celluyde  servaleurs  de  la  sécurité  de  ceste  ville, 

cliascun  suyvant  les  cbouscs  dont  il  lia  cure  en  son  (piartier. 

Et  avons  signé  le  présent,  l'an  de  nostre  Seigneur  mil  deux  cent 

septante  et  ung,  le  iour  de  tous  les  Saincts,  après  la  messe. 

Maistre  Touinebouscbe  ayant  paracbevéla  lecture  de  ceste  re- 
queste,  par  nous,  lliérosme  Cornille,  lia  esté  dict  aux  re((uérans  : 
—  .Messires,  auiourd'liuy,  persistez-vous  dans  ces  dires,  avez- 
vous  preuves  aultres  que  celles  venues  à  nostre  cognoissance,  et 
vous  engaigez-vous  à  soustenir  la  vérité  de  cecy  devant  Dieu,  de- 
vant les  hommes  et  devant  l'accusée? 

Tous,  fors  maistre  lelian  Rabelais,  ont  persévéré  dans  leur 
cn'ancc,  et  le  dessus  dict  liabelais  lia  soy  relire'  du  ])ourcbaz,  di- 
sant tenir  ladicte  M(»iis(|ue  pour  l'eiiiiiie  naturelle,  pour  une  bonne 
gouge  (jui  n'avuyt  aultre  deilault  que  de  conserver  une  Irez-haulle 
température  d'amour. 

l)onc(jues,  nous,  iuge  commis,  après  meure  délibération,  avons 
ticuv(' inalièie  à  suyvre  sur  la  icepieste  desdils  bourgeoys,  et  or- 
ilniiiions  (ju'il  sera  proci'de'  à  l'encdiilre  de  la  i'eiiime  mise  en  la 
ge(»l('  (In  (Chapitre,  jiar  tinilcs  voyes  de  droicl,  escriples  cz  canons 
et  oidniinaiicrs  vonlid  (hniKiiiiox. 


LE  srcr.riiK.  377 

Lndioto  nnionnniiro  conmiuttM' en  assi;^nation  sora  pul)li('o  par 
le  ciiour  de  la  ville  en  tous  les  quarrojs, et  à  son  de  trompe,  à 
ceste  fin  d'estre  cogneue  de  tous,  et  pour  ce  que  ung  chascun 
tesmoingne  suyvant  sa  conscionee,  puisse  eslre  confronté  avcc- 
qucs  ledicl  (l('ni()n,cl  en  lin  de  tout  ladiete  accusée  estn;  pour- 
veue  d'ung  dellenseur  suyvant  les  usaii;es,  puis  les  interrogua- 
lions  et  le  procez  eslre  eongrueinenl  l'aicls. 

Signé  :  IIiérosme  ("iORKiLi.E. 
Et  plus  bas  : 

TOURNEBOUSCHE. 


f  In  nominc  Palris,  et  Filii,  et  Spiritu^  Sancli.  Amen. 

L'an  de  nostre  Seigneur  mil  deux  cent  septante  oL  ung.  le 
dixiesme  iour  de  fehvrier,  après  la  messe,  par  ordonnance  de 
nous  IIiérosme  (^ornille,  iuge  ecclésiasticque,  ha  esté  tirée  de  la 
geôle  du  Chapitre  et  amenée  devers  nous  la  femme  prinse  en  la 
maison  de  l'hostelier  Toitehras,  située  sur  le  domaine  du  Cha- 
pitre de  la  cathédrale  Sainct-Maurice,  et  par  ainsy  subiecte  de  la 
iustice  temjiorelle  et  seigneuriale  de  l'archevesché  de  Tours, 
oultre  que,  suyvant  la  nature  des  crimes  à  elle  im|)ufez,  elle 
est  soubmise  au  tiibunal  et  relève  de  la  iustice  ecclésiasticque, 
ce  que.  nous  luy  avons  fait  cognoistre  à  ceste  fin  que  elle  n'en 
ignore. 

Puis,  après  lecture  s('rieuse,  entière  et  bien  comprinse  par  elle  : 
en  prime  lieu,de  la  Hequestedela  ville;  puis,  des  dires,  plainctes, 
accusationset  procédures  qui  se  treuventescriptes  en  vingt-deux 
cayers  par  maistre  Tournebousche,  et  sont  cy-dessus  relatez,  nous 
avons,  soubz  l'invocation  et  l'assistance  de  Dieu  et  de  rKcclise, 
advisé  à  quérir  la  vc'rité,  d'abord  par  interroguatoires  faits  à  la- 
diete accusée. 

En  jjrime  inlerroguation,  avons  requis  ladiete  de  nous  dire  en 
quel  pays  ou  ville  avoyt  |)rins  naissance.  i*ar  elle  qui  parle  ha 
esté  dict  :  En  Mauritanie. 

Puis  nous  sommes  en([Mis  si  elle  avovt  ses  jière  et  mère  ou 
aulcuns  parens.  Pai'  elle  (|ui  parle  ha  esté  res|)ondn  que  elle  ne 
les  avoyt  iamais  cogneus. 

Par  nous  ha  esté  rerpiise  de  declairer  (pie!  nom  estoyt  le  sien. 
Par  elle  qui  parle  ha  esté  dict  :  Zulma,  en  langue  arabe. 


578  CONTKS   DROL ATIOIES. 

Par  nous  ha  esti'  iloinamlô  j)oiin|iioy  parloyf-oUo  nostre  lan- 
guaige.  Par  elle  qui  parle  ha  esté  dicl  :  Pour  ce  que  elle  est  venue 
en  ce  pays. 

Par  nous  ha  esté  demandé  :  En  quel  temps?  Par  elle  qui  parle 
ha  esté  diet  :  Environ  douze  ans. 

Par  nous  lia  esté  demandé  en  quel  aage  lors  estoyt-elle.  Par 
elle  qui  parle  a  esté  diet  :  Quinze  ans,  ou  peu  s'en  t'ault. 

Par  nous  ha  esté  diet  :  Doncques  vous  recognoissez  avoir  vingt 
et  sept  années?  Par  elle  qui  parle  ha  esté  diet  :  Oui. 

Pâmons  ha  esté  dicl  à  elle  que  elle  esloyt  doncques  la  Morisquc 
trouvée  en  la  niche  de  madame  la  Vierge,  puis  haplizée  par  l'ar- 
chevesque,  tenue  sur  les  fonts  par  le  feu  seigneur  de  la  Ro<'he- 
Corbon  et  la  damoiselle  d'Azay  son  espouse;  puis,  mise  par  eulx 
en  religion  au  moustierdu  Mont-Carmel,oîi  par  elleauroyent  esté 
faicls  vœux  de  chasteté,  paonvreté,  silence  et  amour  de  Dieu, 
soubz  la  divine  assistance  de  saincte  Claire.  Par  elle  qui  parle  ha 
esté  diet  :  Cela  est  vray. 

Par  nous  luy  ha  esté  demandé  si  lors  elle  tenoyt  pour  évidentes 
les  déclarations  de  la  trez  noble  et  inclyte  dame  ahbesse  du  Mont- 
Carmel,  et  aussy  le  dire  de  la  Iacquette,dite  Yieulz-Oing,  souil- 
larde ez  cuisines.  Par  elle  qui  parle  ha  esté  diet  :  Leurs  paroles 
estre  vrayes  j)our  la  plus  grant  part. 

Lors,  par  nous  luy  ha  esté  diet  ;  Doncques  vous  estes  chres- 
tienne?  Et  par  elle  qui  parle  ha  esté  respondu  :  Oui,  mo:n  pi^re. 

En  ce  moment,  par  nous  ha  esté  requise  de  faire  le  signe  de  la 
croix  et  de  |)iendrc  eaue  benoiste  en  ung  benoistier  mis  par 
Cuillaume  T<iiirnebouscii(>  ionxle  sa  main;  ce  (pie  ayant  laict,  et 
par  nous  ayant  esté  veu,  ha  esté  admis  comme  ung  faict  constant 
(pie  Zulma  la  Mauritaine,  dicte  en  nostre  pays  Blanche  Bruyn, 
moynesse  du  moustier  soubz  l'invocation  du  Mont-Carmel,  y 
nommée  sœur  Claiie  et  soup('onn('e  esire  une  faulse  apparence  de 
femme  soubz  la(pieMe  seroyt  mig  (b'inon,  ha,  en  nostre  prés(Mice, 
faict  acte  de  religion  et  rec(tgneu  |iar  ainsvia  iustice  du  tribunal 
ecclésiastic(jue. 

Lors,  par  mtus  luy  ont  esté  dictes  ces  paroles  :  Ma  fille,  vous 
estes  vébémenlenienl  soupçonn('('  d'avoir  eu  l'ecoin's  au  diable 
eu  la  maiii("'re  dont  vous  estes  yssue  du  couvent,  laipielle  ha  esté 
siqiernalu  relie  de  tout  p(»iiicl.  l'ar  elle(pii  paije  liaesl('(iict  :  Avoir 
en  ce  teMq>s  natui'ellemeiit  ;;ai;^m'  les  cliiinqis  par  l'huys  de  la 
nie,  ;q(ivs  vespres,  soilli/  la  rohlie  de  doiil  leliail  de  Marsilis,  visi- 


IV.   SIJCCIJHK.  579 

tour  (lu  mouslicr,  lofjuel  l'avoyt  loglûp,  rllo  qui  |)nilp,  en  ung 
taudis  à  luy,  sis  en  la  ruelle  de  Cupidon,  prouche  une  tour  de  la 
ville.  Puis,  là,  ce  diot  j)rol)slrc  avoyt,  à  ollo  qui  pai'lo,  longuement 
et  trez-l»ioii  apprins  les  ddulcours  dt"  I  ainoiu',  dont,  elle  (pii  pnrle, 
cstoyt  lors  do  tout  poinct  ignoianlo;  auxcjuollos  douioours  elle 
avoyt  moult  prins  gousl,  les  trouvant  de  bel  usaige.  Puis  le  sire 
d'Amboise,  l'ayant  aperceue,  elle  qui  parle,  à  la  croisée  de  ce 
rotraict,  avoyt  esté  féru  pour  elle  (l'ung  grant  amour.  Lors,  elle 
qui  parle,  l'ayant  do  bon  cuour  aymé  j)his  que  le  nioyne,  s'estovt 
onluio  du  bouge  où  la  détonoyt,  au  proulfiot  do  son  plaisir,  dom 
Marsilis.  Et  lors  elle  estoyt  allée,  en  grant  erre,  à  Andjoise, 
chastel  du  dict  seigneur,  où  elle  avoit  eu  mille  passe-temps,  la 
cbasse,  les  dances  et  boaulx  vostcmens  do  royno.  Ung  iour,lc  sire 
de  la  Roclio-Pozay  ayant  esté  convié  j)ar  le  sire  d'Audjoise  à  venir 
gobololtor  et  se  rosiouir,  le  baron  d'Amboise  l'avoyt  laiot  vooir, 
elle  qui  parle,  à  son  inscou,  alors  (juo  elle  sortoyt  nue  du  bain. 
Ores,  à  ceste  veue,  ledict  sieur  de  la  Roche-Pozay,  estant  tombé 
de  baultmal  d'amour  pour  elle  qui  parle,  avoyt  lendemain  des- 
conlictcn  cond)at  singulier  le  sire  d'Amboise;  et,  par  grant  vio- 


lence, maulgré  ses  pleurs,  l'avoyt,  elle,  oiimieuée  en  Terre  Saincte 
où  elle  qui  parle  avoyt  mené  la  vie  des  tommes  bien  aymées 
et  tenues  en  grant  respect  à  cause  de  leurs  beaultez.  Puis,  après 
force  advonturos,  estoyt,  elle  qui  parle,  revenue  en  ce  pays, 
maulgré  ses  apprébonsions  do  maulvais  beur,  pour  ce  que  tel 
cstovt  le  vouloir  do  son  soigneur  et  maistre  le  baron  de  Bueil, 
lequel  se  mouroyt  de  poine  ez  pays  asiaticques  et  deziroyt  reveoir 
son  manoir  patrial.  Ores,  luy  avoyt,  à  elle  qui  parle,  promis  de 
la  saulver  do  tout  estrif.  Lors,  elle  qui  parle,  avoyt  eu  foy  et 
créance  en    luy,   d'anlanl    ([uo  elle    l'aymoyt  troz-foi't.    Ains, 


l'uii  le  sire  d'Ainlioisc,  l'-iyanirapiTcciie,  elle  qui  parle,  i  la  croisiiC  de  ce 
retraict,  avoyl  oii^  léru  pour  olle  d'iiiig  giaiil  amour. 


Lcdict  siour    de    la    l!oi;lu-ro/.ay,  i'jI.éiiI  imiil  é  de    liutill  mal  d'amour  pour  l'Ile 
qui  parle,  avoyl  lendemain  de:>ronliel  eu  ronihat  singulier  le  sire  d'Amboisc. 


582  CO>'TES  DROLATIQUES. 

à  son  arrivée  en  ce  paj's,  le  sieur  de  Bueil  feut  prins  de  ma- 
ladie et  trespassa  desplourableinent  sans  l'aire  aulcuns  remèdes, 
maulgré  les  ferventes  requestes  que  luy  avoyt  adressées  elle  qui 
parle,  ains  sans  succès,  pour  ce  que  il  haïoyt  les  pliysicians, 
maistres  myres  et  apothicaires;  et  que  cecy  estoyt  toute  la 
vérité. 

Lors  par  nous  ha  esté  dict  à  l'accusée  que  elle  tenoyt  par  ainsy 
pour  vrays  les  dires  du  bon  sire  Ilarduin  et  de  l'hostelier  Torte- 
bras.  Par  elle  qui  parle  ha  esté  respondu  que  elle  les  recognois- 
soyt  pour  évidens  pour  la  plus  grand  part,  et  aussy  pour  maul- 
vais,  caluninieux  et  inibécillcs  en  aulcuns  endroicts. 

Lors  par  nous  ha  esté  requise  l'accusée  de  déclairer  si  elle 
avoyt  eu  amour  et  copulation  charnelle  avecques  tous  les  hommes 
nobles,  bourgeoys  et  aultres  dont  tesmoingnent  les  plaincles  et 
déclarations  des  habitans.  A  quoy  par  elle  qui  parle  a  esté 
respondu  trez  effrontément  :  Amour,  oui;  mais  copulation,  ie  ne 
sçays. 

Par  nous  lors  luy  ha  esté  dict  que  tous  estoyent  morts  par 
son  faict.  Par  elle  qui  parle  ha  esté  dict  que  leur  mort  ne  sçau- 
royt  estre  son  faict,  pour  ce  que  tousiours  se  refusoyt  à  eulx,  et 
tant  plus  les  fuyoyt,  tant  mieulx  venoyent-ils,  et  la  sailloyent, 
elle  qui  parle,  avecques  raiges  infinies;  et  alors  que,  elle  qui 
parle,  estoyt  par  eulx  prinse,  bien  y  alloyt-elle  de  tout  son 
mouvement  à  la  graace  de  Dieu,  pour  ce  que  elle  sentoyt  des 
ioyes  à  nulles  aultres  pareilles  en  ceste  chouse.  Puis  ha  dict,  elle 
qui  parle,  advouer  ses  secrets  sentimens  unicquement  pour  ce 
que  par  nous  elle  estoyt  requise  de  dire  la  vérité  de  tout,  et 
que,  elle  qui  parle,  redoutoyt  moult  les  gehennemens  des  tors- 
sioimaires. 

Lors  par  nous  luy  ha  esté  demandé  de  nous  respondre,  à  poine 
de  torteures,  en  quel  pensier  estoyt-elle  alors  que  ung  homme 
noble  mouroyt  par  suite  de  ses  accointances  avecques  elle.  Lors 
par  elle  qui  jiarle  ha  esté  lespoiidu  que  elle  demeuroyt  toute  mé- 
lancholieuse  et  vouloyt  sedeflaiie;  prioyt  Dieu,  la  Vierge  et  les 
Sainctsde  la  recepvoir  en  paradis,  pour  ce  que  iamais,  elle  qui 
parle,  n'avoyt  faict  rencontre  que  de  beaulx  et  bons  cueurs  en 
les(|uels  n'estoyt  nul  vice,  et  (jue  elle  tomboyt,  les  voyant  def- 
iimcts,  en  giaiis  liistilicatioiis,  se  ciiydoyt  une  ci'éatnre  iiialfai- 
sanlc  ou  siisjjicclc  d'un  maulvais  sort  (pic  elle  comniunicquoyt 
coiiiiiic  peste. 


LE  SUCCUBE.  383 

Lors  par  nous  ha  estô  re({uise  de  dire  où  se  faisoyent  ses 
oraisons. 

Par  elle  <|ui  parle  lia  este-  dirt  que  clic  prioyt  en  son  oratoire, 
à  genoiiz  devant  Dieu,  qui,  selon  IKvani^ile,  veoit,  entend  tout 
et  réside  en  tous  lieux. 

Lors  par  nous  ha  esté  demandé  pounjuoy  elle  ne  fréciuentoyt 
point  les  ecclises  ni  les  oriioes  et  lestes.  A  ce  par  elle  (jui  parle 
ha  esté  respondu  (|ue  ceulx  qui  venoyent  pour  l'aymer  avoyent 
esleu  les  iours  feriez  pour  s'eshaltre,  et  que,  elle  qui  parle,  fai- 
soyt  tout  à  leurs  voulentez. 

Par  nous  luy  ha  esté  remonstré  chrestienncment  que,  par  ainsy, 
elle  estoyt  en  soubniission  des  hommes  plus  que  des  connnande- 
mens  de  Dieu. 

Lors  par  elle  qui  parle  ha  esté  dict  que,  pour  ceulx  qui  la  bien 
aymoyent,  elle  qui  parle  se  seroyt  gectée  en  buschers  ardens 
n'ayant  oncques  suyvy  en  son  amour  aultre  cours  que  celluy  de  sa 
nature,  et,  pour  le  monde  poisant  dor,  n'eust  preste  ny  son  corps 
ny  son  amour  à  ung  Pioy  cpie  elle  n'eust  point  aymé  de  cueur,  de 
pieds,  de  teste,  de  chevculx,  de  front  et  de  tout  poinct.  Bricl',  et 
d'abundant,  elle  qui  parle  n'avoyt  iamais  faict  acte  de  galloise  en 
vendant  ung  seul  brin  d'amour  à  ung  homme  que  elle  n'eust 
point  esleu  pour  sien,  et  que  cil  qui  l'avoyt  tenue  en  ses  bras  une 
heure, .ou  l'avoyt  baisée  ung  petit  en  la  bouche,  la  possédoyt 
pour  le  demourant  de  ses  iours. 

Lors  par  nous  ha  esté  requise  de  dire  d'où  procédoyent  les 
ioyaulx,  plats  d'or,  argent,  pierres  prétieuses,  meubles  royaulx, 
tapis,  et  cœtera,  valant  deux  cent  mille  doublons,  suyvant  exper- 
tise trouvée  en  son  logiz,  et  remis  en  guardc  du  threzorier  du 
Chapitre.  Par  elle  qui  parle  ha  esté  dict  que  en  nous  elle  j)laçoyt 
tout  son  espoir,  autant  que  en  Dieu  mesme,  mais  que  elle  n'osoyt 
respondre  à  cecy,  pour  ce  qu'il  s'en  alloyt  des  plus  douces  chouses 
de  l'amour,  dont  elle  avoyt  tousiours  vescu. 

Puis,  interpellée  de  rocliief,  ha  dict  elle  qui  parle  (pie  si,  nous 
iuge,  coguoissions  en  (piclle  l'erveur  elle  tenoyt  celluy  (pie  elle 
aymoyt,  en  quelle  obédience  le  suyvoyt  par  toute  voye  bonne  ou 
maulvaise,  en  quelle  estude  luy  estoyt  soubmise,  avecqucs  quel 
bonheur  elle  escoutoyt  ses  dezirs  et  aspiroyt  les  sacres  paroles 
desquelles  sa  bouche  la  gratifioyt,  en  quelle  adoration  avoyt 
sa  personne,  nous-mesme,  vieulx  iuge,  cuyderions,  comme  ses 
bien-aymez,  nulle  somme  ne  pouvoir  payer  ceste  grant  affection 


.ï8i  CONTKS   nilOL.VTKjl  i:S. 

apivs  laiiucllo  courent  tous  los  hommes.  Puis  lia  dict,  elle  qui 
parle,  n'avoir  iamais  de  nul  honune  avmé  par  elle  sollicité  nul 
présent  ni  guerdon,  et  que  elle  demouroyt  parfaictement  contente 
de  vivre  en  Icurcueur;  que  elle  s'yrouloyt  aveoques  des  plaisirs 
intarissables  et  ineffables,  se  treuvanl  riclie  de  ce  cueur  plus  que 
de  tout,  et  ne  songioyt  à  rien  aultre  cliouse  qu'à  leur  rendre  plus 
de  ioye  et  de  bonheur  que  elle  n'en  recevoyt  d'eulx.  Mais,  obstant 
les  delïenses  itératives  de  elle  (|ui  parle,  ses  amoureux  se 
bendoyent  à  lousiours  la  gracieusement  mercier.  Tantost  lung 
venoyt,  à  elle  qui  parle,  aveccpies  ung  l'ermail  de  perles,  disant: 
((  Vécy  pour  monstrer  à  ma  mye  que  le  satin  de  sa  peau  ne  me 
paioissoyt  pas  à  faulx  plus  blanc  que  perles  !  »  Et  le  mettoyt  au 
cou  de  elle  qui  parle  en  le  baisant  bien  fort.  Elle  qui  parle  se 
choleroyt  de  ces  l'ollies,  ains  ne  pouvoyt  reU'user  de  conserver  ung 
ioyau  qui  leur  faisoyt  plaisir  à  veoir  là  où  ils  le  niettoyent  sur 
elle.  Ing  chascun  avo\t  pliantaisio  diverse.  Tantost  ung  aullie 
aymoyt  à  deschirer  les  vesleniens  prétieux  dont  elle  qui  parle 
se  couvroyt  pour  luy  agréer  :  puis  ung  aultre  à  la  vestir,  elle  qui 
parle,  de  saphirs  aux  bras,  aux  iambes,  au  col  ou  en  ses  chcveulx  ; 
cettuy  à  lestendrc  ez  tapis,  en  de  longs  linceuls  de  soye  ou 
veloux  noir,  et  demouroyt  des  iours  entiers  en  ecstasc  des  per- 
Icctions  d'elle  (jui  parle,  à  (|ui  les  cliouses  dezirées  par  ses 
amoureux  donnoyenl  plaisirs  inlinis  pour  ce  que  ces  chouses  les 
faisoyent  tout  aises.  Puis  ha  dict,  elle  qui  parle,  que,  comme  nous 
ne  aymons  rien  tant  que  nostre  plaisir,  et  voulons  (jue  tout  cs- 
clatle  en  beault(', harmonie. au deliois  connue  en  dedans  du  cueur, 
alors  loussoubliaitoyenl  venir  le  pourpriz  habité  par  elle  qui  parle 
aorné  des  j)lus  belles  cliouses  ;  et  en  ce  pcnsier  tous  ses  amoureux 
se  plaisoycnl  autant  que  elle  à  y  respandrc  l'or,  la  soye  et  les 
Heurs.  Ores,  veu  que  ces  belles  chouses  ne  guastoycnt  rien,  elle 
ipii  parle  n'avoyt  nulle  force  ni  commandement  pour  empescher 
ung  chevalier  ou  mesmes  ung  riche  hourgeoys  dont  elle  estoyt 
ayiiK'i!  (le  l'aire  à  sa  voulentc-;  et,  par  ainsy,  se  trouvoyt  con- 
traincte  d'en  recepvoir  jjerfums  prétieux  et  aullres  satisfactions 
dont  elle  i|iii  parle  estoyt  afl'ollt-e,  et  (|iie  telle  estoyt  la  source  de 
ces  jilals  d'nr,  lapis  et  ioy.mix  priiis  chez  elle  jiar  les  gens  de 
iiistice. 

(ly  liiie  la  prime  inleriogiialion  laide  à  ladicle  sœur  Claire, 
soupç.iiinée  d'rslre  uiig  démon,  pour  ce  que  nous  iuge  et  Guil- 
i.iiiiiK'  ÏhiiiiicImiiix  lie  avoveiit  Ir.qi  grant  fatigue  d'entendre  la 


LE  SUCCUBE.  585 

voix  (le  lailiclccii  k'iiis  iiiircilh-s,  cl  se  treuvovnnt  IVnteiKlciiient 
brouillé  de  tout  poiiict. 

Par  nous  iuge  a  esté  assigné  le  second  intcnogualoire  à  trois 
iours  d'iiuy  j)Our  eslre  elicrcliées  les  preuves  de  l'obsession  et 
présence  du  démon  au  corps  de  la  dessus  dicte;  laquelle,  sui- 
vant le  commandement  du  iuge,  lia  esté  réintégrée  en  sa  geôle 
soubz  la  conduicte  de  inaistre  Guillaume  Tournebouscbe. 

7  In  nomine  Patris,  et  Filil,  et  Sjiirilus  Sancti.  Amen. 

Le  trciziesme  iour  cnsuyvant  dudict  moys  de  fcbvrier,  parde- 
vers  nous,  Iliérosme  (lornille,  et  cœtera,  lia  esté  traduicte  la  sœur 
Claire  cy-dessus  nonunée,  à  ceste  (in  d'estre  interroguée  sur  ez 
taicls'et  gestes  à  elle  imputez  et  d'iceulx  convaincue. 


Ç  Par  nous  iuge  lia  esti'  dicl  à  la  eomparue  que,  veu  les  diverses 
responses  par  elle  données  aux  interioguats  (pii  précèdent,  il  eon- 
stoyt(|ueonc(juesneleut  au  pouvoir  d'une  simple  reiiime,  encoi'es 
qu'elle  leust  autborisée,  si  telles  licences  estoyent  baillées,  à  mener 
la  vie  de  lemme  folle  de  son  corps  faisant  [daisir  à  tous,  de  prac- 
ticquer  tant  de  morts  et  aceoin|dir  envousteries  si  jiarfaictes  sans 
l'assistance  d'ung  espéeial  tiémoii  logié  eii  son  corps  et  auquel 
l'ame  auroyt  esté  vendue  par  11114  pacte  espéeial.  Doncques,  il 

55 


586  COMKS   DROLATlOlES. 

estoyt  apei'teniont  (k'nionstré  que  soubz  son  apparence  gist  et  se 
mouve  ung  démon  autheur  de  ces  maulx,  et  que  elle  estoyt  pré- 
sentement sommée  de  declairer  en  quel  aagc  elle  avoyt  receu  cettuy 
démon;  advouer  les  conditions  atermoyées  entre  elle  et  luy,  puis 
dire  la  vérité  sur  leurs  communs  maléfices.  Par  elle  qui  parle  lia 
esté  reparty  que  elle  vouloyt  respondre,  à  nous  honmie,  connue  à 
Dieu,  qui  doibt  estre  nostre  iuge  à  tous.  Lors,  lia  prétendu,  elle 
qui  parle,  n'avoir  iamais  veu  le  démon,  ne  luy  avoir  point  parlé, 
ne  aulcunement  soubliaité  leveoir;  ne  point  avoir  fa ict  mestier 
de  courtizane,  pour  ce  que  oncques  elle  qui  parle  n'avoyt  prac- 
ticquc  les  délices  de  toute  sorte  qu'invente  l'amour  aultrement 
que  meue  par  le  plaisir  que  le  Créateur  souverain  avoyt  mis  en 
ceste  chouse,  et  y  avoir  tousiours  esté  incitée,  elle  qui  parle,  plus 
pai'  dezir  d'estre  doulce  et  bonne  au  cliier  seigneur  aviné  par  elle 
que  j)ar  ung  vouloir  incessamment  trépignant.  Mais  (juc,  si  tel 
avoyt  esté  son  vouloir,  elle  qui  parle  nous  supplioyl  de  songier 
que  elle  estoyt  une  paouvre  fille  al'ricquaine ,  en  laquelle  Dieu 
avoyt  mis  ung  sang  trez-chauld,  et,  en  son  pensouère,  si  facile 
entendement  des  délices  amoureuses,  que,  alors  que  liomme  la 
resguardoyt,  elle  scnloytung  grant  esmoy  en  son  cueur.  Puis,  si 
jiar  dezir  d'accoiiitaiice  ung  amoureux  seigneur  la  loucliioyt,  elle 
([ui  parle,  en  aulcun  endroict  du  corps,  en  y  coulant  la  main,  elle 
estoyt,  maulgré  tout,  soubz  son  pouvoir,  pour  ce  que  le  cueur  luy 
lailloyt  aussytost.  Parce toucbier,  l'appréliension et  remembrance 
de  toutes  les  belles  ioyes  de  l'amour  se  lesveigloyent  en  son  centre 
et  y  mouvoyenl  une  aspre  ardeur,  laquelle  gaignoyt  le  liaull, 
flamboyt  ez  veines  et  la  l'aisoyt  amour  et  ioye  de  la  teste  aux  pieds. 
Et  du  iour  oiî,  premier,  dom  Marsilis,  en  elle  qui  parle,  avoyt 
ouvert  la  compréhension  de  ces  chouses,  elle  n'avoyt  iamais  eu 
aultre  pensier,  et  recogneut  alors  que  l'amour  estoyt  chouse  si 
j)arfaictemeiil  concordante  à  sa  nature  es|)éciale.  (jue  depuis  avoyt 
esté  prouvé  à  elle  qui  parle  que,  par  faulle  d'hoiiinie  et  arrouze- 
mcnt  naturel,  elle  seroyt  morte  dcsseichiée  au  dict  couvent.  En 
tesmoingnaige  de  cecy,  elle  (|ui  parle  nous  afferme  en  toute  cer- 
tainelé  cpie,  après  sa  fuyte  diidicl  niouslier,  onc(jucs  n'eut  ung 
iour  ni  l'eut  ung  seul  brin  i.\o  temps  en  mélancholie  ne  tristesse, 
ains  tousiours  l'eut,  elle  qui  parle,  ioyeulse,  et  par  ainsy  suyvit  la 
sacre  voulenté  de  Dieu  à  son  esguai'd,  de  la(juelle  se  cuydoyt  avoir 
esté  divertie  en  tout  le  temps  jierdu  pour  elle  en  ce  nioustier. 
A  cecy  l'eut  obieclé  par  nous  liiérosme  Cornille  audict  démon 


LE   SUCCrnE.  387 

que,  en  ceste  response,  estoyt  par  luy  apeiiement  hlasphomé 
contre  Dieu,  pour  ce  que  nous  avions  esté  faicts  tous  à  sa  j)lus 
grant  gloire,  et  mis  en  ce  monde  pour  l'honorer  et  le  servir  ;  avoir 
soubz  les  yeulx  ses  benoists  connnandeniens  et  vivre  sainclemcnt 
à  ceste  fin  de  gaigner  l'heur  éternel,  et  non  estre  couchiez  à  i'aire 
tousiours  ce  que  les  hestes  elles-mesmes  ne  font  qu'en  ung  temps. 
Lors  par  ladicte  sœur  a  esté  respondu  (juc  elle  qui  parle  avoyt 
moult  honoré  Dieu  ;  que,  en  tous  les  i)ays,  avoyt  eu  cure  des 
paouvres  et  soulTreteux,  leur  donnant  force  deniers,  vestemens, 
et  plourant  au  veu  et  au  sceu  de  leurs  misères  ;  et  que,  au  iour  du 
iugement  darrenier,  elle  qui  parle  souloyt  espérer  avoir  autour 
d'elle  bonne  compaignie  des  sainctes  œuvres  plaisantes  à  Dieu,  qui 
crieroyentmercyponrelle.  l'uis, que,  n'estoyt  son  huniiliti',  crainte 
d'estre  reprouchée  et  paour  des  desplaire  à  messieurs  du  Chapitre, 
elle  eust  avecques  ioye  despendu  ses  biens  à  parachever  la  cathé- 
drale de  Sainct-Maurice,  et  y  establir  des  fundations  pour  le  salut 
de  son  ame,  n'y  espargnant  point  sa  ioye  ni  sa  personne;  et  que 
en  ce  pensier,  elle  auroyt  prins  double  plaisir  en  ses  nuictées, 
pour  ce  que  chascun  de  ses  amours  auroyt  bouté  une  pierre  à 
l'édification  de  ceste  basiliccjue.  Aussy,  d'abundant,  pour  ceste 
fin  et  pour  l'heur  éternel  d'elle  qui  parle,  tous  ceulx  qui  l'ay- 
moyent  auroyenl-ils  donné  leurs  biens  à  grant  cueui'. 

Lors,  par  nous  ha  esté  dict  à  ce  démon  (jue  elle  ne  sçauroyt  se 
iustifier  d'estre  brehaigne,  pour  ce  que,  maulgré  tant  de  copula- 
tions, nul  enfant  n'estoyt  né  d'elle;  ce  qui  prouvoyt  la  présence 
d'ung  démon  en  son  corps.  D'abundant,  Astaroth  seul  ou  ung  apo- 
stre  pouvoyt  parler  en  tout  languaige,  et  que  elle  parloytà  la  mode 
de  tout  pays,  ce  ()ui  tesmoignoyt  la  présence  du  diable  en  elle.  A 
ce  par  elle  (jui  })arle  a  esté  dict,  pour  ce  (jui  est  des  diversitez  de 
languaige,  (jue  de  grec  elle  nesçavoyt  rien  aultre  chouse  si  ce 
n'est  :  Kyrie  eleison!  dont  elle  faisoyt  grant  usaige  ;  de  latin,  rien 
si  ce  n'est  :  Amen,  et  le  disoyt  à  Dieu,  soubhaitant  en  obtenir  la 
liberté.  Puis  que,  pour  le  demourant,  elle  qui  j)arle  avoyt  eu  grant 
douleur  d'estre  orbed'enfans  ;  et,  si  les  mesnaigieresen  faisoyent. 
elle  cuydoyt  que  ce  estoyt  pour  ce  que  elles  ne  prenoyent  que 
petitement  plaisir  en  la  chouse,  et  elle  qui  parle,  ung  peu  trop. 
Mais  que  tel  estoyt  sans  doubte  le  vouloir  de  Dieu,  qui  songioyt 
que  par  trop  grant  bonheur  le  monde  seroyt  en  dangier  de  périr. 

Entendant  ce  et  mille  aullres  raisons  qui  suflisannuent  esla- 
blissent  la  présence  d'ung  diable  au  corps  ilc  lasceur,  pour  ce  (jue 


5SS  CONTES   DROLATIOIKS. 

le  propre  de  Lucifer  est  de  tousiours  treuver  ariaisonneniens 
béréticques  ayant  vrayseniblance,  avons  ordonné  que  ladicte  ac- 
cusée serovl  applicjuéo.  en  nostre  présence,  à  la  torleure  et  moult 
gehennée,  à  ceste  lin  de  réduire  ledict  démon  par  souffrance  et 
le  souhmetlre  à  l'aulhorilé  de  l'Hcclise.  Donccpies,  avons  lUaudé 
pour  nous  faire  assistance  François  de  llangest,  niaistrc  niyreet 
médecin  du  Chapitre,  en  l'enchargeant,  par  une  cédule  si  dessoubz 
transcripte,  de  recognoistre  les  qualitcz  de  la  nature  féminine 
(virtulesviilvœ)  de  la  dessus  dicte  femme,  pour  esclairer  nostre 
religion  sur  les  modes  mis  en  usaige  par  cettuy  démon  pour 
happer  lésâmes  en  ceste  voye,  et  descouvrir  si  aulcnn  artifice  y 
apparoist. 

Lors  ha  moult  plouré,  geint  paradvance  ladicte  Morisque,  et, 
nonobstant  ses  fers,  se  est  agenouillée,  implourant  avecquescrys 
et  clameurs  revocation  de  cesle  ordonnance,  oblectant  ses  mem- 
bres estre  en  tel  estât  de  foyblesse  et  ses  os  si  tendres,  que  elle  se 
romproyt  comme  verre.  Puis,  en  fin  de  tout,  elle  ha  liiict  offre 
de  se  rachepter  de  ce  par  le  don  de  ses  biens  au  Chapitre  et  de 
vuvder  incontinent  le  pays. 

Sur  ce,  par  nous  fut  re(juise  de  déclairer  voulentairement  soy 
estre  et  avoir  tousiours  ung  démon  de  la  nature  dos  succubes, 
qui  sont  diables  femelles,  ayant  charge  de  corrompre  les  chrcs- 
tiens  par  les  blandices  et  flagitioses  délices  de  l'amour.  A  cecy 
par  elle  qui  parle  ha  esté  dict  (|ue  ceste  affirmation  seroyt  ung 
mensonge  abominable,  veu  (pie  elle  se  estoyt  tousiours  sentie 
trez  bien  femme  naturelle. 

Lors,  ses  fersluy  ayant  esté  tollus  par  le  (picstionnaire,  la  dicte 
ha  delfaict  sa  cotte  et  nous  ha  mcschamment  et  à  dessein  obscurcy, 
brouillé,  adhiré  l'entendement  par  la  vue  de  son  corps,  lequel 
exerce  de  faict  sur  riioiiunc  des  coërtions  supernatundles. 

Maistre  Cuillaunie  Tournebousche  ha,  par  force  de  nature, 
(juilté  la  plume  en  cet  endroicl  et  ha  soy  letiré,  obieclantne  pou- 
voir, sans  tentations  incredibles  qui  luy  labouroyent  la  cervelle, 
estre  temoing  de  ceste  torteure,  pour  que  il  senloyt  le  diable 
gaigner  violenuu<'nt  sa  iiersonne. 

Cv  lina  le  secuiid  inlerrogiiiiloire,  et,  vcii  (pic  par  l'appariteur 
et  ianitcur  du  (chapitre  ha  eslt-  dict  maistre  I  i  ançoys  de  Hangcst 
estre  en  campaigne,  la  géhenne  et  interroguations  sont  assignées 
à  lendemain,  berne  de  midy,  :iprès  In  messe  dicte. 

Cecy  ha  esté  «-scripl  ;iii  \eili;il  p:ii   iiii»y  Hiérosme,   en    l'ab- 


LE   SlT.CCIiî:.  389 

sencc  (If   niai«;trt'  (iuilliiiitiH'  Toiirnebousclie  on   f'ov  de   quov 
avons  s\<in6 

lIlÉnOSME    (]ORMI,I.K, 
;  Graiil  pénitencier. 


RFQf'ESTE 

(^c  ioiird'liiiy,  quatorziesiiiP  ioiii-  du  iikùs  de  fcbvrier,  en  pré- 
sence de  nioy  Ijù'ro.snie  Cornille  sont  comparus  les  dicts  ninistres 
loliiui  Ilihou,  Antoyne  lalian,  Martin  IJcaupertuys,  Hit'rosme 
Masclieler,  lac(|ues  de  ville  d'Onier,  et  sire  d'Hydre,  au  lieu  et 
j)lace  du  Maire  de  la  citi;  de  Tours,  lors  alisent.  Tous  plaignans 
désignez  en  l'acte  du  pourchaz  faicten  l'hostel  delà  ville,  aux- 
quels avons,  sur  la  requeste  de  la  HIancIie  Bruyn,  se  recognoissant 
présentement  nioynesse  au  moustier  du  Mont-Carmel,  soubz  le 
nom  de  sœur  Tdaire,  déclairé  ra|)pel  t'aict  au  iugenient  de  Dieu 
par  la  dicte  accusée  de  possession  dt-moniacque  et  son  offre  de 
passer  par  l'épreuve  del'eaiieet  du  feu,  en  présence  du  Chapitre 
et  de  la  ville  de  Tours,  à  ceste  fia  df  prouver  ses  réalilez  de 
fennne  et  son  innocence. 

A  ceste  recjueste  ont  adlK-ri'  pour  leur  part  les  dicts  accusa- 
teurs; lesquels,  attendit  que  la  ville  se  porte  fort,  se  sont  en- 
gaigiez  à  préparer  la  place  et  ung  buscher  convenable  et  ap- 
prouvé des  parrains  de  l'accusé. 

Puis,  par  nous  iuge  ha  esté  assigné  pour  terme  de  l'épreuve 
le  prime  iour  de  l'an  neuf,  (jui  sera  Pascjues  prochain  et  avons 
in(lic(jué  l'heuie  de  midy,  après  la  messe  dicte,  ung  chascun 
des  parties  ayant  recogneu  ce  délay  estre  moult  suffisant. 

Doncques,  sera  le  présent  arrest  crié  à  la  diligence  de  ung 
chascun,  en  toutes  les  villes,  bourgs  et  chasteaulxdeTouraine  et 
du  pays  de  P'rance  à  leurs  soubhaits,  à  leurs  cousts  et  diligence. 

HlÉROSME    CORMLLK. 


33. 


in 


r.E    QUE    FEIT    I,E    SUCCUBE    POUU    SUGCER    LAME    DU    VIEIL    lUGE, 
ET   CE  QUE    ADVINT    DE     CESTE    DÉLECTATION    DUBOLICQUE. 


Cenj  eut  Vocte  de  confession  exlresme  fnicle  le  premier  ionr 
(ht  mois  de  mars  de  l'an  mil  deux  cent  septante  et  vng  après 
la  venue  de  N.  B.  Saiilreur,  par  Uiérosme  Cornille,  prebstre 
chanoine  du  Chapitre  de  la  cathédrale  de  Sainvl-Maurice, 
grant  pénitencier,  de  tout  se  recognoissanl  indigne.  Lequel,  se 
treuvanl  en  sa  darrenicre  heure,  et  contrit  de  ses  péchez,  mal- 
fassons,  furfaictnres,  meffails  et  maulvaisetez,  ha  souhhaité 
sesadveux  eslre  mis  en  lumière  pour  servir  à  la  préconimtion 
de  la  vérité,  gloire  de  Dieu,  iuslice  du  tribunal,  et  luy  eslre 
une  allégeance  à  ses  punitions  en  ïaullrc  monde.  Ledict  Ilié- 
rosme  Cornille  estant  en  son  liet  de  mort,  ont  esté  convocquez 


I  i:  Il  A  K      U  E      LA      II  A  V  K  , 

Vicaire  de  l'ecclise  Sainct-Mauricâ. 


50  î 


CONTES   DUOLATIOURS. 


pour  ouijr  ses  déclarations  lehan  de  la  Haye  [deHaya)  Vicaire 
de  Fecclise  Saincl-Maurice  ;  Pierre  Gtiyard  Threzorier  du 
Chapitre,  commis  par  nostre  seigneur  lehan  de  Monsoreau, 
Archevesque,  pour  escrihre  ses  paroles  ;  puis  Dom  Louis  Pot, 
rcliyieu.r  du  m;iius  inoiiaslcrium  [Marnioustier)  esleu  par  luy 
pour  père  s])iritnel  et  confesseur  ;  tous  trois  assistez  du  yrant 
et  inclyte  docteur  Guillaume  de  Censoris,  Archidiacre  romain, 
de  présent  en  nostre  dioceze  envoyé  (lo^atus)  par  N.  S.  P.  le 
Pape.  Finablemetit  en  présence  d'uny  yrant  nombre  de  chres- 
tiens  venus  pour  estre  tesmoinys  du  trespassement  dudict  Hié- 
rosme  Cornille,  sur  son  soubhait  coyncu  de  faire  acte  de  pu- 
blicque  repe72tance  veu  qu'il  s'en  va  du  quaresme,  et  que  sa 
parole  pourra  ouvrir  les  yeulx  aux  chrestiens  en  train  de  soy 
loyier  en  enfer. 

Va  devaiil  luy,  llicrosiiio,  (|ui  pour  causo  i\c  granl  foyblosse, 
no  j)()uvoyl  parler,  ha  Icu  Doui  Louis  l'ol  la  couression  ensuy- 
vanle  au  «iranl  esuiov  do  la  (iictc  assistance  : 


({  Aies  l'rères,  ius(jUos  en  l'an  soplanle-m'ulde  mon  aage,  lei^uol 
est  celjuy  où  le  suis,  saul'les  menus  péchez  dont,  tant  sainct  soit- 
il,  ung  chroslien  se  icud  roupahle  envers  Dieu,  mais  qu'il  nous 
est  loysihle  de  iaclie|)ter  par  p(''niteueo,  i(>  cuydeavoii  lueué  une 
vie  chrestienne  et  mérité  le  los  etienom  (pii  m'estoyt  esoheuc^n 
ce  dioceze,  où  ie  l'eus  oslovi'  à  la  trez-haulte  charge  de  grant 
pénitencier,  doni  suis  indigne.  Oies,  saisy  par  l'appréhension  de 


LK  SUCCUBE.  005 

la  gloire  infinie  de  Dieu,  esponvanté  (Jes  supplices  qui  attendent 
les  mesclians  et  prévaricateurs  en  enfer;  i'aysongié  d'atnoindiir 
l'énormité  de  mes  forl'aicls  par  la  plus  grant  pénitence  que  ic 
puisse  faire  en  l'cxtresnie  heure  oii  i'arrive.  Loi's  ay  inipétré  de 
l'Ecciise,  donti'ayniécoyneUjlraliy,  vendu  lesdroicts  et  le  lenom 
de  iustiee,  l'Iienr  deni'accuseï' pnl)]ie(juenient  en  lamanièredes 
anciens  cin-esticns,  le  soubliaiteroys,  pour  tesmoingner  plus 
grant  repentance,  avoir  encores  en  moy  assez  de  vie  pour  estre, 
au  portail  de  lacathédrale,  iniurié  par  tous  mes  frères,  ydemourer 
ung  iour  entier  à  genoiiz,  tenant  ung  cierge,  avant  lacliorde  au 
col,  les  pieds  nuds.  veu  que  i'ay  moult  suyvy  les  erremens  de 
l'enfer  à  l'enconlie  des  sacres interests  de  Dieu.  Mais,  en  ce  grant 
naufraige  de  ma  fragile  vertu,  ce  qui  vous  soit  un  enseignement 
de  fuir  le  vice,  les  pièges  du  démon,  etvousrefugier  en  l'Ecciise 
où  sont  tous  secours,  i'ay  esté  si  tellement  envousié  par  Lucifer, 
que  N.  S.  lésus-Christ  jtrendra,  par  l'intercession  de  vous  tous 
dont  ie  réclame  l'ayde  et  les  prières,  pitié  de  moy,  paouvre  chres- 
tien  abuzé,  dont  les  yeulx  fondent  en  eaue.  Aussy  vouldroys-ie 
avoir  une  aultrevic  à  despendie  entravaulx  de  pénitence. Ores 
doncques,  oyez  et  tremblez  en  grant  paour  !  Esleu  par  le  Chapitre 
assemblé  à  ceste  fin  (h;  faire,  instiuirc  et  grabeler  leprocez  en- 
commencé  à  l'endroict  du  démon  qui  se  est  produict  soubz  la  forme 
féminine  en  la  personne  d'une  religieuse  relapse,  abominable  et 
reniant  Dieu,  ayant  nom  Zulma  au  pays  infidelle  d'où  est  venue; 
lequel  diable  est  cogneu  dans  le  dioceze  soubz  celluy  de  Claire  du 
Moustier  du  Mont-Carmel,  et  ha  moult  allligé  la  ville  en  soy  met- 
tant soubz  ung  nundjre  iidiny  d'hommes,  jiour  en  conquesterles 
âmes  à  Mammon,  Astaroth  et  Satan,  princes  de  l'enfer,  en  leur 
faisant  vuyder  ce  monde  en  estât  de  péché  mortel,  en  leur  don- 
nant le  trespas  là  où  se  prend  la  vie,  ie  suis,  moy  iuge,  tombé 
sur  le  tard  de  mes  iours,  en  ce  piège,  et  i'ay  perdu  le  sens  en 
m'accjuittant  pioditoirement  des  fonctions  connnises  en  grant 
fiance  par  le  Chapitre  à  ma  vieillesse  froide.  Oyez  comme  est 
subtil  le  démon,  et  maintenez-vous  contre  ses  artifices.  En  enten- 
dant la  prime  response  faicte  par  le  susdict  succube,  ie  veisavec- 
qucs  effroy  que  les  fers  mis  en  ses  pieds  et  mains  n'y  laissoyent 
aulcuiies  traces;  et,  j)ar  ainsy,  feus  esbiouy  de  sa  force  absconse 
et  de  sa  foyblesse  apparente.  Donc(|ues,  mon  esperit  se  troubla 
soubdain  au  veu  des  perfections  de  nature  desipielles  s'estoyt 
vestu  le  diable,  l'escoutoys  la  nmsic(jue  de  sa  voix,  laquelle  me 


504  (OMKS  DliOI.  \TIOrES. 

roschauflbvt  ilo  la  teste  aux  pieils  et  me  i'aisoyt  soubhaiter  estre 
ieune  pour  m'adonner  à  ce  démon,  trcuvant  que,  pour  une  heure 
passée  en  sa  compaignie,  mon  heur  éternel  n'estoyt  qu'une  foyble 
solde  de  plaisirs  de  1  amour  goustcz  en  ces  bras  mignons.  Lors, 
déposav  la  iVrnieté  dont  doivent  demourer  guarnis  les  iuges. 
Cettuv démon,  parnioy  questionné,  m'arraisonna  do  toiles  paroles, 
qu'en  son  secund  intorroguatoire  io  feus  en  l'ermo  persuasion  que 
ie  ferovs  ung  crime  en  mulctant  ettormentant  une  paouvre  petite 
créature,  laquelle  plouroyt  comme  ung  enftmt  innocent.  Lors, 
adverty  par  une  voix  d'en  liault  de  faire  mon  dobvoir  et  que  ces 
paroles  dorées,  ceste  musicque  d'apparence  céleste,  estoyent  mo- 
meries  diabolicques  ;  que  cettuy  corps  si  gent,  si  desgourd,  se 
transmuteroyt  en  beste  horriblement  poilue,  à  griphes  aguz  ;  et 
ses  yeux  si  doulx,  en  tisons  d'enfer;  sa  croupe,  en  queue  squam- 
meuse;  et  sa  iolie  bouche  roze,  à  lèvres  gracieuses,  en  gueule  de 
crocodile,  ic  revins  en  intention  de  faire  torturer  ledict  succube 
iusques  à  ce  qu'il  advouast  sa  mission,  ainsyquedesià  ceste  prac- 
ticque  avoyt  esté  suyvie  en  la  chrestienté.  Doncques,  alors  que 
cettuv  démon  se  montra  nud  à  moy,  pour  estre  mis  à  la  géhenne, 
ie  feus  soubdainement  soubmis  à  sa  ])uissancc  par  coniurations 
magicques.  le  sentis  mes  vieulx  osciaquer;  ma  cervelle  récent 
lumière  chaulde  ;  mon  cueur  transborda  du  sang  ieune  et  bouillant  ; 
ie  feus  allaigre  en  moy-mesme  ;  et,  par  la  vertu  du  philtre  gecté 
on  mes  veulx,  se  fondirent  toutes  les  neiges  de  mon  Iront.  le  per- 
dis cognoissance  de  ma  vie  chrestienne,  et  me  creusungescholier 
virvoucliant  en  la  campaigne,  oschappé  de  la  classe  et  robbant  des 
pommes.  le  n'eus  aulcune  force  de  faire  ung  seul  signe  de  croix, 
et  ne  me  soubvins  ne  de  l'Ecclise,  ne  de  Dieu  le  Père,  ne  du  doulx 
Saulveur  des  hommes.  En  proye  à  ceste  visée,  i'alloys  par  les  rues, 
meramentevant  les  délices  de  ceste  voix,  l'abominable  ioly  corps 
de  cettuv  démon,  médisant  niilleeliouses  maulvaises.  ]*uis,  loru 
et  tiré  par  ung  coup  de  lalourchedu  diable  qui  se  plantoytdesià 
en  ma  teste  comme  serpe  en  ung  chesne,  ie  feus  condnict  par  ce 
fer  agu  vers  la  geôle  maulgré  mon  ange  guardien,  lequel  de  temps 
à  aultre  me  tiroyt  par  le  bras  et  me  delïendoyt  contre  ces  tenta- 
tions ;  mais,  obstant  ses  saincts  advis  et  son  assistance,  i'estoys 
tiraillé  pardes  millions  de  griphes  enfoncez  en  mon  cueur,  etm'en 
Irouvay  tost  en  ceste  geolc.  Alors  que  l'huys  m'en  feut  ouvert, 
ie  ne  vis  plus  aulcune  ap|)arencc  de  prison,  pour  ce  que  le  suc- 
cube y  avoyt  par  le  secoursdes  maulvais  génies  ou  pliées  construicl 


l'escouloys  la  musicque  de  sa  voix,  laquelle  me  re^tliaudovt  de  la  icsle  aux  pieds 
et  me  faisoyt  soubhailer  eslre  ieunc  pour  rn'adoniier  à  ce  démon. 


59G  CONTES  DRdl. ATKjUES. 

ung  pavillon  do  pouipiv  et  île  soyeries,  plein  de  perfiuns  et  de 
Heurs,  où  elle  s'esbaiidissoyt  vcstiie  superbement,  sans  avoir  ni 
ferremens  au  col,  ni  cliaisne  aux  pieds.  lemclaissay  despnuiller 
de  mes  vcstemens  ecclésiastic(jues,  et  l'eus  mis  en  ung  bain  de 
senteur.  Puis  le  démon  me  couvrit  d'une   robe  sarrazine,  me 
servit  ung  lestin  de  metz  rares,  contenus  ez  vases  prétieux,  coupes 
d'or,  vms.  d'Asie,  cliants  et  musie(jues  merveilleuses,  et  mille 
louanges  qui  me  cbatouillèient  l'anic  par  les  aureilles.   \  mes 
costez  se  tenovttousiours  lediet  succube,  et  sa  doulce  accointance 
détestable  me  distilloyt  nouvelles  ardeurs  ez  membres.  Mon  ange 
guardieii  me  quitta.  Lors  ie  vivoys  par  la  lueur  espouvantable 
des  ycul.v  delà  Morisque,  aspiroys  à  la  cbauldc  estraincte  de  ce 
mignon  corps,  vouloys  tousiours  sentir  ses  lèvres  rouges  que  ie 
cuvdoys  naturelles,  et  n'avoys  nulle  i)aour  de  la  morsure  de  ses 
dents  qui  attirent  au  plus  profund  de  l'enter,  le  me  plaisoys  à 
esprouver  Li  doulceur  sans  pareilles  de  ses  mains,  sans  songier  que 
ce  estoyent  des  griplies  inniiundes.  Dref,  ie  l'relilloys  comme  ung 
espoux  voulant  aller  à  sa  fiancée,  sans  songier  que  ceste  espousée 
estovt  la  mort  éternelle.  le  n'avoys  nul  soucy  des  cbouses  de  ce 
monde,  ni  des  intcrests  de  Dieu,  ne  rcsvant  que  d'amour,  des  bons 
tettins  de  ceste  l'emniequime  faisoyentarser,  etdesa  ported'en- 
1er  en  laquelle  ie  cuysoys  de  me  gecter.  Las  !  mes  livres,  durant 
trois  iours  et  trois  nuicts,  ic  ("us  ainsy  contrainct  de  besongner, 
sans  pouvoir  tarir  la  souice  qui  lluoytde  mes  reins,  en  lesquels 
plongioyent  comme  deux  picques  les  mains  de  ce  succube,  les 
quelles  conmiunicquoycnt  à  ma  paouvre  vieillesse,  à  mes  osdes- 
seicbiez,  ie  ne  sais  (juelle  sueur  d'aniuur.  En  prime  abord,  cettuy 
dc'niôii,  pour  m'attirer  à  elle,   fcit  couler  en  moy  comme  une 
doulceur  de  laict;  puis  vindrent  des  félicitez  poignantes  qui  me 
picquèrent,  comme  ung  cent  d'esguilles,  les  os,  la  mouelle,  la 
cervelle,  les  nerfs.  Lors,  à  ce  ieu  s'enllaininèrent  les  cbouses 
absconses  de  ma  teste,  mon  sang,  mes  nerfs,  ma  cbair,  mes  os; 
puis  ie  bruslay  du  vray  feu  de  l'enfer,  (pii  me  causa  des  tenail- 
lons en  mes  ioinctures  et  une  incrédible,  intolérable,  escueu- 
rante  volupté  qui  lascbioyt  les  liens  de  ma  vie.  Les  cbevculx  de 
ci'tluy  démon,  des(|uels  estoyt  enveloppé  mon  ])aouvre  corps,  me 
versovent   une   rouzée  i\c  llannne,  et  ii-   senloys  cliaque  tresse 
comme  ung  baston  de  gril   ronge.    Kn   eole  délectation   mor- 
telle, ie  voyovs  le  visaige  ardent  dudict  succube,  ({ui  rioyl,  me 
(lisovt  mille  paroles  aguassantes  :  connue  quoy  i'esloys  son  cbe- 


LK   SLCCIBE.  3!t7 

vîiiier,  son  scigïK'ur,  sa  lance,  son  iour,sa  ioye,  son  louidre,  sa 
vie,  son  lion,  soninoillcnrdievanlclKMn-;  cl  comme  qnoyellcavoyt 
dessein  de  s'unir  à  moy  encore  niiculx,  sonl)liailant  ('>tiv  en  ma 
peau,  ou  ni'avoir  en  la  sienne.  Cc(iue  entendant,  souIjz  raij,fui]lon 
de  cestc  langue  qui  mcsugçoyt  l'ameie  m'enfonçoys  et  précipi- 
toys  plus  avantdans  l'enfer  sans  y  rencontrer  de fund.  Puis,  alors 
que  ie  n'eus  plus  une  goutte  de  sang  en  les  veines,  que  l'ame  ne 
me  battoyt  plus  au  corps,  que  ie  l'eus  ruine  de  tout  poinct,  le  dé- 
mon me  (lit,  tousiours  Irais,  blanc,  ruhescant,  reluysantet  riant  : 

—  Paouvre  fol,  de  mecuyder  imgde'mon!  Hein!  si  ie  te  re- 
({ueroys  de  me  vendre  ton  amc  pour  ung  baiser,  ne  la  donne- 
roys-tu  j)oint  de  grant  cucur. 

—  Oui,  feis-je. 

—  Et  si,  pour  tousiours  bcsongnerainsy,  besoing  estoyt  de  te 
nourrir  du  sang  de  nouveaux-nez  à  ceste  fin  d'avoir  tousiours 
vie  nouvelle  à  despendre  en  mon  lict,  n'en  sugceroys-tu  pas 
voulentiers? 

Oui,  feis-je. 

—  Si,  pour  estrc  tousiours  en  cavalier  clievaulcliant,  guay 
comme  ung  homme  en  son  prime  temps,  sentant  la  vie,  beuvant 
le  plaisir,  se  plongiant  au  fund  de  la  ioye,  comme  ung  nageur 
en  Loire,  ne  renieroys-tu  point  Dieu,  ne  cracheroys-tu  point  au 
visaige  de  lésus  ? 

—  Oui,  feis-je. 

—  Si  vingt  ans  de  vie  monaslicque  debvoyent  t'estre  encores 
accordez,  ne  les  cro((ueroys-tu  point  pour  deux  ans  de  ceste  amour 
<jui  te  brusle  et  pour  estre  en  ce  ioly  mouvement? 

—  Oui,  feis-je. 

Lois,  ie  sentis  cent  griphes  aguz,  lesquels  deschirèrent  mon 
diaphragme  comme  si  mille  becs  d'oyseaulx  de  proye  y  prenoyent 
leurs  bec(juées  en  criant.  Puis  feus  enlevé  subitement  au-dessus 
de  la  terre  sur  ce  dict  succube,  le(|uel  avoyt  desployé  ses  aësles 
et  me  disoyt. 

— Chevaolclie,clievaul(lie,  monchevaulclieur  !  Tiens-toy  ferme 
en  la  croupe  ilc  ta  iuuient,  en  ses  crins,  en  son  col,  et  chevaul- 
che,  chevaulche,  mon  chevaulcheur  !  Tout  chevaulche  I 

Par  ainsy,  ie  veis  comme  ung  brouillard  les  villes  de  la  terre, 
où,  par  espécial  don,  i'apeneus  ung  cliascun  couplé  avec- 
ques  ung  (h'inon  fi'melle,  et  sacipiebutant,  engendrant  en  grant 
concupiscence,  tous  criant  niillr  paroles  d'amour,  exclamations 

54 


598  CONTES  DROL.VTIOrES. 

de  toute  sorte,  et  tous  uuis,  flievilloz,  trihallant,  Lors,  ma  cavale 
à  teste  de  Morisiiue  nie  monslra,  volant  tousiours  et  galopant  à 
travers  les  nuées,  la  terre  couplée  avecques  le  soleil,  en  une 
coniunction  d'où  sourdoyt  ung  germe  d'estoillcs;  et  là  chaque 
monde  l'emelle  laisant  la  ioye  avec([ues  ung  monde  masle.  Ains 
au  lieu  de  paroles  comme  en  disent  les  créatures,  les  mondes 
suoyent  d'ahan  nos  oraiges,  lançoyent  des  esclairs  et  crioyent 
des  tonnerres.  Puis,  montant  tousiours,  ie  veis  au-dessus  des 
mondes  la  nature  femelle  de  toutes  chouses  en  amour  avecques 
le  prince  du  mouvement.  Ores,  par  mocquerie,  le  succidie,  me 
mit  au  cuourdeceste  saillie  horrilic(jue  et  perpétuelle  où  ie  feus 
perdu  comme  ung  grain  de  sable  en  la  mer.  Là  tousiours 
me  disoyt  ma  blanche  cavale  :  «  Chevaulchc,  chevaulclie,  mon 
bon  chevaulcheur,  chevaulclie  !  Tout  chevaulche?  »  Ores, 
advisant  le  peu  que  estoyt  ung  prebstre  en  cettuy  torrent  de 
semences  ne  mondes,  où  tousiours  s'accointoyent,  se  chevaul- 
choyent  avecques  raige  les  métaulx,  les  pierres,  les  eaues,  les 
aërs,  les  tonnerres,  les  poissons,  les  plantes,  les  animaulx,  les 
hommes,  les  esperits,  les  mondes,  lesplanettes,  iereniay  la  foy 
catholicque.  Alors  le  succube,  me  monslrant  ceste  grant  tache 
d'estoilles  qui  se  veoit  ez  cieulx,  me  dit  :  «  Ceste  voye  estre  une 
goutte  de  semence  céleste  escjiappée  d'un  grand  llux  des  mondes 
en  coniunction.  »  Là-dessus,  ie  chevaulchai  derechief  le  succube 
en  raige,  à  la  lueur  de  mille  millions  d'estoilles  ;  et  i'auroys  voulu, 
chevaulchant,  sentir  la  nature  de  ces  mille  millions  de  créatures. 
Lors,  par  ce  grant  effort  d'amour,  ic  tonil)ai  peiclus  de  tout 
poinct,  en  entendant  ung  grant  rire  infernal,  l'ois  ie  me  veis 
en  mon  lict  entouré  de  mes  serviteurs,  lesquels  avoyent  eu  le 
couraige  de  lucler  avecques  le  démon  en  gectant  dedans  le  lict 
où  i'estoys  couchié  ung  plein  seau  d'eaue  benoiste,  et  disant  de 
ferventes  prières  à  Dieu.  Lors,  i'eus  à  soustenir,  maulgré  ceste 
assistance,  ung  condjat  horrible  avec(pies  ledict succube,  du(|uel 
les  griphes  me  tenoyeiit  le  cueur,  en  me  faisant  endurer  des 
maulx  inlinis.  Encores  (|ue,  ranimé  par  lu  voix  de  mes  serviteurs, 
parens  et  amys,  ie  me  bendasse  à  faire  le  signe  sacré  de  la  croix, 
le  succube,  posé  en  mon  lict,  au  chevet,  au  pied,  partout  s'oc- 
cupoyt  à  me  desteudre  les  nerfs,  rioyt,  grima(,;o\t,  me  mettoyt 
mille  imaiges  obscènes  soubz  les  yeulx,  et  me  donuoyt  mille 
dezirs  maulvais.  Cenéantmoins,  ayant  eu  pitié  demoy.  inoiisei- 
yneur  rarclicves(juc  feit  venir  les  relicquesdc  sainct  (iatien,  et 


LE  SUrClIBK.  Ô99 

lorsque  la  cliaassc  eut  loucliic'  mon  cliovet,  lodict  sT.ccuhr'  icut 
contrainct  de  fuir,  laissant  une  odeur  do  soulphro  et  d'enfci,  dont 
mes  serviteurs,  amys  et  aultres,s'esgozillèrent  durant  ungiour. 
Lors,  la  luniièro  céleste  de  Dieu  avant  esclairé  mon  ame,  ie 
cognons  (|uoi'estoys,  par  suite  do  mes  péchez  et  de  mon  combat 
avecfpies  lo  malin  osporit,  on  grant  dangior  de  mourir.  Doncques, 
i'imploray  la  graaceospéoialode  vivre  encores  ungbout  de  temps 
pour  rendre  gloire  à  Dieu  et  à  son  Ecclise,  en  obiectant  les 
mérites  infinis  de  lésus  sur  la  croix,  mort  pour  le  salut  des 
chrestions.  Par  cestc  prière,  i'oblins  la  faveur  de  recouvrer  la 
force  de  m'accuscr  de  mes  péchez,  d'impétror  de  tous  les  mem- 
bres de  l'Ecclise  de  Sainct-Maurice  leur  ayde  et  assistance  pour 
me  tirer  du  purgatoire,  où  ie  vais  racheptermes  faultes  par  des 
maulx  infinis.  Kn  fin  de  tout,ie  déclaire  quemon  arrest,qui  en 
appelle  pour  lodict  démon  au  iugement  de  Dieu  et  à  l'espreuve 
do  l'eaue  Ijonoisto  et  du  fou,  est  ung  subterfuge deu  au  meschant 
vouloir  suggéré  par  lodict  démon,  lequel  auroyt  par  ainsy  les 
facultez  d'eschapper  à  la  iustice  du  tribunal  de  l'archevesqueet 
du  Chapitre,  veu  qu'il  m'advoua  secrettement  avoir  licence  de 
l'aire  paroislre  on  sa  place  ung  démon  accoustumé  à  ceste  es- 
preuve.  En  fin  do  tout,  ie  donne  et  lègue  au  Chapitre  de  l'ecclise 
Sainct-Maurice,  mes  biens  de;  toute  sorte,  pour  fonder  une  cha- 
pelle en  ladicte  ecclise,  la  bastir  et  l'aorner,  et  la  mettre  soubz 
l'invocation  du  sainct  Iliérosme  et  sainct  Catien,  dont  l'ungest 
mon  patron  et  l'aultre  lo  saulveur  de  mon  ame. 

Cecy  ouy  do  tous  les  assistans  ha  esté  mis  soubz  les  yeulx 
du  tribunal  ecclésiasticque  par  lohan  de  la  Haye  (lohannes  de 
Haga). 

Nous,  lehan  de  la  Haye  (lohannes  de  Ilaga),  esleu  grant  péni- 
tencier do  Sainct-Maurice  par  rassend)lée  générale  du  Chapitre, 
selon  l'nsaigo  et  coustume  de  cestc  ecclise,  et  commis  à  l'offect 
de  poursuvvro  à  nouveau  le  procez  du  démon  succube,  de  pré- 
sent en  la  geôle  du  Chapitie,  avons  ordonné  une  nouvelle  on- 
queste  à  laquelle  seront  entendus  tous  ceulx  de  ce  dioceze 
ayant  eu  cognoissance  des  faicts  à  ce  relatifs.  Déclarons  nulles 
losaullios  proci'duros,  inlerroguatoiros,  arrosts,  et  les  annihilons 
au  nom  (les  membres  île  rorclise  assemblez  en  Chapitre  général 
et  souverain,  et  disons  qu'il  n'y  ha  lieu  à  l'appel  à  Dieu  jjrodi- 
toiremenl  faict  par  le  démon,  attendu  l'insigne  trahison  du  diable 
en  cestc  occurrence.  Et  sera  lodict  iugement  crié  à  sonde  trompe 


400  r.OMKS  nilOLATIOrKS. 

on  tous  les  cndroicts  du  diocezc  ez  quels  ont  esté  publiez  les 
iaulx  édicts  du  mois  précédent,  tous  notoirement  dons  aux 
instigations  du  démon,  suyvant  les  adveux  de  feu  Hiérosmc 
Cornille. 

Que  tous  les  chrestiens  soient  en  aydeànostre  sainctcEcclise 
et  à  ses  commandemens. 

Iehan  de  la  Haye. 


IV 


COMMENT  VIRVOUf.HA  SI  DRUEMENT  LA  MORISQIE  DE  LA  RUE 
CHAULDE,  QUE  A  GRAM  TOINE  FEUT-ELLE  ARSE  ET  CIICTE 
VIFVE    A    l'eNCO.NTRE    DE    l'e.NFER. 

Cpcv  feiil  escript  au  mois  de  niay  de  l'an  1360,  en  inanir-ri'  de  ic-ilanient. 


Mon  Irez  cliier  ol  bien  aymi;  fils,  alors  quo  il  le  sera  lovsiliic 
lire  cecv,  ie  scray,  iiioy  ton  père,  couchi('  dans  la  tombe,  iniplon- 
rant  tes  prières  et  te  snppliant  de  te  eonduire  en  la  vie  ainsy 
qu'il  te  sera  commandé  par  ce  rescript  léyué  pour  le  saigc  gou- 
vernement de  ta  famille,  ton  heur  et  seureté;  car  i'ayfaietcecy 
en  ung  temps  on  i'avoys  mon  sens  et  entendement  eneores 
frappez  d'Iiier  parla  souveraine  iniustiee  des  bomines.  Kn  mon 
aage  viiil.  i'ens  la  graiif  ambilion  de  m'élever  dans  IKeelise  el 
y  atteindre  aux  plus  baulles  dignitez,  pour  ce  que  nulle  vie  ne 
me  sembloyt  plus  belle.  Ores,  en  ce  grave  ponsier,  i'apprins  à 
lire  et  à  escribre  ;  puis,  à  grant  poinc,  devins  en  estât  de  me 
mettre  en  clorgic.  Mais,  poureecpui  ie  n'avoys  nulle  protection, 
ni  saiges  advis  pour  faire  ma  traisiK-e,  i'ens  l'cni^iu  de  me  prou- 
poser  à  ceste  lin  d'eslre  escripvain,  labellioii,  inbrieipialeur  du 

34. 


402  CONTKS   UKOLATIOII-S. 

Chapitre  Sainct-Maiiin.nù  cstoyonl  les  |tlns  haiillosot  riches per- 
soniiai^os  delà  (  liiesliciilc'.  viMi  que  le  nty  de  rraiice  yoslsiin])lc 
fliaiioiiie.  DoinMiucs  (lel)voys-ie  roiicoiitrcr  là  iiiioux  (jue  partout 
ailKnirs,  des  services  à  rendre  à  aulcuns  seigneurs,  et,  parainsy 
Irouver  des  maistres,  en  estre  patronné,  puis  par  leur  moyen 
entrer  en  religion  et  arriver  à  estre  mitre  comme  ung  aultreet 
(•(»lloc([ué  en  ung  siège  archiépiscopal,  iene  sçaysoîi.  Mais  ceste 
])riine  visée  estovt  oultre  cuydante  et  ung  i)etit  trop  and)itieuse, 
ce  que  Dieu  me  leit  bien  veoir  par  l'événement.  De  iaict,  messire 
lehan  de  Yilledomer,  qui  du  depuys  devint  cardinal,  feut  mis  en 
ceste  place,  et  moy  reiecté,  desconfict.  Lors,  en  ceste  maie 
heure,  ie  receus  une  allégeance  à  mes  soulcys  par  l'advis  du 
hou  vieulxHiérosme  Coinille,  pénitencier  de  la  cathédrale,  dont 
ie  vous  av  souvent  parlé.  Ce  cliier  honniu-  me  contraignit  ]»ar 
sa  doulceur  à  venir  tenii'  la  j)lume  pour  le  Chapitre  de  Sain<'t- 
Maurice  et  archevesché  de  Tours  :  ce  que  ie  feis  avecques  hon- 
neur, veu  que  ie  estoys  réputé  grant  escripvain.  En  l'année  où 
i'allovs  entrer  en  prebstrise  s'esmeut  le  fameux  proce/ du  diable 
de  la  me  Cbaulde,  duquel  parlent  encores  les  anciens,  et  dont 
ils  disent  aux  ieunes  à  la  vesprée  l'histoire,  qui,  dans  le  temps,  ha 
esté  racontée  en  tous  les  foyers  de  France.  Ores,  cuydant  que 
ce  seroyt  à  l'advantaige  de  mon  ambition  et  que,  pour  ceste 
assistance,  le  Chapitre  me  poulseroyt  en  quelques  dignitez,  mon 
bon  maistre  me  feit  commettre  à  l'effet  d'escribie  tout  ce  qui 
debvovt  estre,  en  ceste  griufve  affaiie,  subiect  à  escriplures.  De 
prime  abord,  monseigneur  Hiérosme  Cornille,  homme  approu- 
chant  octante  années,  et  de  grant  sens,  iustice  et  bon  entende- 
ment soupçonna  quehjues  meschancetez  en  ceste  cause.  Encoivs 
que  il  n'aymast  ])oint  les  lilles  folles  de  leurs  corps  et  n'eust 
iamais  l'onciné  de  femme  en  sa  vie,  laquelle!  estoyt  sainctc  et 
vénérable,  saincteté  (jui  l'avoyt  faict  eslire  pour  iuge,  ce  néant- 
moins,  aussytost  (pie  les  dt-posi lions  l'eurent  achevées  et  la 
paouvre  garse  enleiidue.  il  denidura  elaii-  que,  bien  cpie  ceste 
ioveulse  galloise  eust  rom|)U  le  ban  de  son  mouslier,  elle  estovt 
innocente  de  toute  diablerie,  et  (jue  ses  grans  biens  estovent 
convoitez  par  sesennemysel  aultres  gens  (pic  le  ncveuix  point 
te  nonmier  jiar  prudence.  Kn  ce  tenij)s,  ung  chascuii  la  cuydoyl 
munie  d'argent  et  ddi-  si  abundamment  (|ue  aulcuns  disoyent 
qu'elle  pouvoyt  achepler  la  comte''  de  Toiiraine,  si  bon  liiv  plai- 
soyt.  Donc(jues,  mille  mensonges  et  calunmieuses  paroles  dictes 


LE  srcci  I5K.  411:) 

sur  ceste  lille,  à  liKjUL-lle  les  liuiiuoslos  remiiiL'sjjorloyL'iil  envie, 
couroyent  par  le  monde  et  devinrent  créances  d'Évangile.  En 
ceste  coniiincture  monseigneur  Hiérosme  Cornille,  ayant  recog- 
neu  que  nul  démon  aultre  que  celluy  de  l'amour  ne  estoyt  en 
ceste  lille,  luy  teit  consentir  à  demourer  en  ung  couvent  pour  le 
restant  de  ses  iours.  Puis,  acerteué  par  aulcuns  braves  chevaliers, 
forts  en  guerre  et  riches  en  domaines,  que  ils  feroyent  tout  pour 
la  saulver,  il  l'invita  secrettement  à  requérir  de  ses  accusateurs 
le  ingénient  de  Dieu,  non  sans  donner  ses  biens  au  Chapitre,  à 
ceste  lin  de  Taire  taire  les  niaulvaises  langues.  Par  ainsy,  del> 
voyt  estre  préservée  du  buscher  la  plus  mignonne  fleur  que 
oncques  le  ciel  ayt  laissée  clieoir  en  nostre  terre  ;  laquelle  fleur  de 
femme  ne  failloyt  que  par  une  excessifve  tendreur  et  compatis- 
sance  au  mal  d'amour  iecté  par  ses  yeulx  au  cueur  de  tous  ses 
poursuyvans.  Mais  le  vray  diable,  soubz  l'orme  de  moyne,  se 
niesla  de  ceste  affaire  ;  vécy  comme  :  ung  grant  ennemy  de  la 
vertu,  preudhomie  et  saincleté  de  monseigneur  Hiérosme  Cor- 
nille, lequel  avoyt  nom  lehan  de  la  Haye,  ayant  sceu  que  en  sa 
geôle  la  paouvre  fille  estoyt  traictée  comme  une  royne,  accusa 
meschantement  le  grant  pénitencier  de  connivence  avecques  elle 
et  d'estre  son  serviteur,  pour  ce  que,  disoyt  ce  maulvaisprebstre, 
elle  le  faisoyt  ieune,  amoureux  et  heureux  ;  ce  dont  mourut  de 
chagrin  en  ung  iour  le  paouvre  vieillard,  cognoissant  à  cecy  que 
lehan  de  la  Haye  avoyt  iuré  sa  perte  et  vouloyt  ses  dignitez. 
De  fiiicl  nostre  seigneur  archevesque  visita  la  geôle  et  treuva  la 
Moresque  en  ung  lieu  plaisant,  conciliée  trez  bien,  sans  fers, 
pour  ce  que,  ayant  mis  ung  diamant  en  ung  lieu  où  nul  n'eust 
cuvdé  qu'il  y  pust  tenir,  elle  avoyt  achepté  la  clémence  du  geôlier. 
En  ce  tenijis,  aulcuns  disent  que  cettuy  geôlier  estoyt  féru  d'elle, 
et  que  par  amour,  ou  mieulx,  en  grant  paour  des  ieunes  barons 
amans  de  ceste  femme,  il  en  machinoyt  la  fuyte.  Le  bonhomme 
Cornille  estant  en  train  de  mourir,  et,  par  le  tracas  de  lehan  de 
la  Haye,  le  Chapitre  iugeant  nécessaire  de  mettre  au  néant  les 
procédures  faicles  ])ar  le  pénitencier,  et  aussy  ses  arrests,  ledict 
lehan  de  la  Haye,  lors  simple  vicaire  de  la  cathédrale,  démonstra 
que  pour  ce  il  suflisoyt  d'ung  adveu  public  du  bonhomme  en  son 
lict  de  mort.  Lors  feut  géhenne,  tormenté  le  iiioril)ond  par  les 
messieurs  du  Chapitre,  ceulx  de  Sainct-Martin,  ceulx  de  Mar- 
moustiers,  par  rarchevcsquc  et  aussy  par  le  légat  du  pape,  à 
ceste  fin  que  il  se  relraclast  à  l'advantaige  de  l'Ecclise,  à  quoy  ne 


40*  GONTKS  DROLATIQIKS. 

vouloyt  point  conscnlir  lo  bonhomme.  Mais,  après  mille  maulx, 
i'eut  apprestée  sa  confession  pnblicquo,  à  la(|uollc  assistèrent  les 
plus  considérables  t;ens  de  la  ville;  laipK^lle  rcspandit  une  hor- 
reur et  consternation  qui  lent  telle,  que  ie  ne  sçauroys  dire.  Les 
ecelises  du  dioceze  l'eirent  des  prières  publicques  pourceste  cala- 
miteuse  playe,   et  ung  chascun  redonbtoyt  de  veoir  le  diable 
dévaller  chez  soy  {)ar  le  foyer.  Mais  le  vray  de  cela  est  que  mon 
bon  maistre   lliérosme   avoyt  les  liebvres  et  voyoyt  des  vaches 
en  sa  salle;  alois  que  de  Iny  feut  obtenue  cesle  rétractation. 
L'accez  liny,  plonra  grantement  le  paouvre  sainct,  en  saicliant 
de  moy  ce  traffic.  De  faict,  il  mourut  entre  mes  bras,  assisté  de 
son  médecin,  désespéré  de  ceste  momerie,  nous  disant  qu'il  s'en 
alloyt  aux  pieds  de  Dieu  le  prier  de  ne  point  laisser  consonniier 
une  iniquité  déj)lourable.  Ceste  paouvre Moiisque  l'avoyt  moult 
touchié  par  ses  lariries  et  sa  repentance,  veu  que,  par  avant  de 
luy  faire  requérir  le  iugement  de  Dieu,  il  l'avoyt  particulièrement 
confessée,  et  par  ainsy  s'ej toyt  dégagiée  l'ame  divine  qui  demon- 
royt  en  ce  corps,  et  dont  il  nous  parloyt  comme  d'ung  diamant 
digne  d'aorner  la  saincte  couronne  de  Dieu,  alors  que  elle  auroyt 
quitté  la  vie  après  ses  pénitences  faictes.  Lors,  mon  chier  fds, 
saichant  par  les  paroles  qui  se  disoyent  par  la  ville  et  par  les 
naïl'ves  responses  de  ceste  paouvre  misérable  tout  le  trac  de 
ceste  affaire,  ie  delibéray,  par  l'advis  de  maistre  Françoys  de 
Ilangest,  médecin  du  Cha|)itie,  de  feindre  une  maladie  et  quitter 
le  service  de  l'ecdise  Sainet-Mauriee  et  de  rarchevesché,   ne 
voulant  point  trenqier  la  main  dans  le  sang  innocent  (jui  crie 
encores  et  criera  iusques  au  iour  du  iugement  darrenier  devant 
Dieu.  Lors  feut  banny  le  geôlier;  j)uis  feut  mis  en  sa  place  le 
second  fds  du  toissioimaire,  lequel  gecta  la  Moris(pie  en  ung 
cachot,  et  luy  mit  inhumainement  aux  mains  et  aux  jiieds  des 
fers  poisant  cin(juante  livres,  oultre  une  ceincturc  de  bois.  Puys. 
la  geôle  fut  veiglée  par  les  arbalestriers  de  la  ville  et  les  gens 
d'armes  de  l'archevesque.  La  garse  feut  tormentée,  gehenuée, 
eut  les  os  brisez;   vaincue  par  la  doidcur,   fcit  ses  adveux  aux 
soubhaits  de  lelian  de  la  llayi!  et  l'eut  litst  eondanniée  à  estrc 
i)ruslée  en  la  coullure  Saincl-Kstienne,  apiès  avoir  esté  mise  au 
jiortail  de  l'ecdise,  vestue  d'une  chemise  de  soulphre  ;  puisses 
liions  acquis  au  Chapitre,  et  cœtera.  Cet  arrest  feut  cause  de 
grans  troubles  et  prinses  d'aiinespar  la  ville,  j)our  ce  (jut;  trois 
ieuijes  clievaliers  de  Touraine  iuièrent  de  mourir  au  service  de 


Cet  arrest  feut  cause  de  grani  troul)l(!s  et  prinses  d'armes 
par  la  ville. 


400 


C.O.NTES   IlliOl.ATKjUKS. 


la  iiaoïivio  lillo  cl  la  dclivror  p..;-  toutes  les  voyos  (jiielconquos. 
Lors  ils  vindrent  on  ville  accompaignezd'unji  niilliordesoulTre- 
toux,  gens  de  peine,  vieux  souldards,  gens  do  guerre,  artisans 
et  auUres  que  ladicte  lillc  avoyt  se- 
courus, saulvez  du  mal,  de  la  foim, 
(le  toute  misère  ;  puis  Ibuillèrcnt  les 
taudis  de  la  ville  oîi  gisoyent  ceulx 
auxipiels  elle  avoyt  bien  i'aict.  Lors, 
tous  s'estant  esmeus  et  convocquez  au 
rez  de  Mont-Louis  sous  la  protection 
des  gens  d'armes  desdicts  seigneurs, 
ils  eurent  pour  comi)aignons  tous  les 
maulvais  garsons  de  vingt  lieues  à  la 
ronde  et  vindrent  ung  matin  faire  le 
siège  de  la  prison  de  l'archovesque, 
en  criant  (pie  la  Morisque  leur  feust 
livrée,  connue  s'ils  vouloyeut  la  met- 
tre à  mort,  mais  dans  le  faict  pour 
la  d(^livrer  et  la  bouter  secrettement 
sur  ung  coursier  pour  lui  faire  gaigner  le  large,  veu  que  elle 
ebevaulchioyt  comme  ung  escuyer.  Lors,  en  ceste  effroyable 
tempestc  de  gens  avons-nous  veu  entre  les  bastiniens  de  l'ar- 
clicvescli(j  et  les  ponts  plus  do  dix  mille  liommes  grouillans, 
oultre  tous  ceux  (jui  cstoyent  iuchiez  sur  les  toicts  des  maisons 
et  grimpez  en  tous  estaiges  pour  veoir  la  sédition.  Briof,  il  estoyt 
lacile  d'entendre,  par  delà  la  Loire,  de  l'aultre  costé  de  Sainct- 
Symj)lioiion,  les  cris  liorrilicquos  dos  cbrostieus  qui  y  alloyent  à 
bon  escient  et  de  ceulx  (jui  sorroyont  la  geôle  en  intention  de 
faire  évader  la  paouvre  lillo.  L'ostoulfade  et  oppression  dos  corps 
fout  si  grande  en  ceste  foule  populaire  altérée  du  sang  de  la 
paouvre,  aux  genoilz  de  hujuoile  ils  seroyent  tombez  tous, 
s'ils  eussent  eu  l'Iieur  de  la  vooir,  (pu^  septeiifans,  unze  femmes 
et  lniicl  bourgooys  y  l'eurent  ('crasoz,  pilez,  sans  (pio  l'un  ayt  pu 
les  rocognoistre,  veu  (pi'ils  osloyent  comme  des  tas  do  boue. 
Hriel',  si  ouverte  ostoyl  la  grant  gueule  de  ce  L(!viatlian  popu- 
laire, monstre  borrible,  que  les  clameui"s  en  fenrent  ouyes  dos 
M(tnlilz-los-Tours.  Tous  crioyent  :  ((  A  mort  le  succube  !  — 
Livrez-nous  le  (b'-mon  !  lia  !  i'eii  veulx  ung(piarti(!r!  — l'en  veulx 
du  |)(»il  !  —  A  moy  le  pied  !  —  A  toy  les  crins  !  —  A  moy  la  teste  ! 
—  A  mov  la  cliousc  !  —  Lst-il  rouge'.'  —  Le  vorra-l-on?  —  Le 


^Mr^^' 


Lors,  en  ceslc  clïroyable  lenipcstc  do  jeiis  avoai-nou^  vcu  enirc  les 
hasiiracns  de  l'urctievesché  cl  les  pouls  plus  de  dix  mille  hommes 
;{roulllans. 


408  CONTES  DROLATIQUES. 

cuvra-t-on?  A  iiiorl  !  à  niorl!  »  Cliasoun  tlisoyt  son  mot.  Mais 
le  ory  :  «  Lariiosso  à  Dieu  !  A  mort  le  succube  »  cstoyt  gocté  en 
un  seul  temps  par  la  loulc  si  tlruement  et  si  cruellement,  que 
les  aureilles  et  les  cueurs  en  saignoyent  ;  et  les  aultrcs  criaille- 
mcns  s'entendoyent  à  peine  ez  logiz.  L'archevesque  eut  l'ima- 
gination, pour  calmer  cet  oraige  qui  menassoyt  de  renverser  tout, 
(le  sortir  en  grant  j)oinpc  de  l'ecdise,  en  portant  Dieu,  ce  qui 
délivra  le  Chapitre  de  sa  ruyne,  veu  que  les  maulvais  garsons 
et  les  seigneurs  avoyent  iuré  de  destruirc,  brusler  le  cloistre  et 
tuer  les  chanoines.  Doncqucs,  par  ce  stratagesmc,  ung  chascun 
feut  contrainct  de  se  dissouldre,  et,  l'aulte  de  vivres,  revint  chez 
soy.  Lors,  les  monstiers  de  Touraine,  les  seigneurs  et  les  bour- 
geoys,  engrant  a})préhension  de  quehjue  pillaige  pour  lendemain, 
Icirent  ime  assemblée  nocturne,  et  se  rangierent  à  l'advis  du 
Chapitre.  Par  leurs  soings,  les  hommes  d'armes,  archers,  che- 
valiers et  bourgcoys,  en  numbre  infiny,  feirent  la  guette  et 
tuèrent  ung  jjarly  depastoureaux,  routiers,  malandrins,  lesquels, 
saichant  le  remuc-niosnaige  de  Tours,  venoyent  grossir  les  mes- 
contens.  Messire  Ilarduin  de  Maillé,  vieulx  homme  noble,  ar- 
raisonna les  ieunes  chevaliers  (jui  estoyent  les  tcnanç  de  la 
Moristpie  et  devisa  saigement  avecques  iceulx,  leur  demandant 
si  pour  ung  minon  de  fennne  ils  vouloyent  mettre  la  Touraine 
à  l'eu  et  à  sang  ;  si,  eneores  ipi'ils  l'eussent  victorieux,  ils  serovent 
niaislres  des  maulvais  garsons  appelez  par  eulx  ;  (jue  ces  d.icts 
pillards,  après  avoir  ruyné  les  chasteaulx  de  leurs  ennemys, 
viendroyent  àceulxde  leurs  chiefs  ;  mais  que,  la  rébellion  encom- 
mencc'e  n'ayant  eii  nul  succez  de  prime  sault,  pour  ce  que  quant 
à  présent  la  place  estoyt  nette,  [)ouvoyent-ils  avoir  le  dessus  sur 
l'Kcciise  de  Tours,  (jui  invoccpun-oyt  l'aide  du  Roy?  Puis  mille 
aultres  proupos.  A  ces  raisons,  les  ieunes  chevaliers  dirent  (pie  il 
estoyt  facile  au  Chapitre  de  faire  évader  nuictamment  la  lille,  et 
(jue  par  ainsy,  la  cause  de  la  sédition  seroyt  lollue.  A  ceste  saige 
et  humaine  recpu'ste  rcspondit  monseigneur  de  Ccnsoris,  K'gat 
du  pape,  (|ue  besoing  estoyt  (jue  force  demeurast  à  la  icligionet 
à  rLcclise.  Là-dessus  la  paouvre  garse  paya  pour  le  tout,  veu  que 
il  feut  convenu  (jue  nulles  i-echerches  ne  seroyeiit  faietes  sur  ceste 
S('dition. 

Lors,  le  Clia|)itre  eut  toute  licence  de  jtrocéder  au  sujipliec  de 
la  lille,  auijuel  acte  elci'rc'monie  ecclésiaslic(jue  on  vint  de  douze 
lieues  à  la  ronde.  Aussv,  le  idiir  ni'i,  après  les  satisfarliim-  divines, 


LK   SIICCLHF.  409 

In  siu'ciilx'  doiil»!  nslio  livi'é  à  la  iiislicc  séculière,  h  coslo  fin 
d'cstrc  j)uijlic(iiiciij('iit  arsc  en  iing  busclier,  pour  une  livre  d'or 
ung  villain,  ne  mcsmcs  ungablx',  n'eust-il  treuvéde  logiz  eu  la 
ville  (le  Tours.  La  veille,  beau('ou|)  campèrent  hors  la  ville  souhz 
des  tentes  o"ii  couchiez  en  la  paille.  Les  vivres  manquèrent,  et 
plusieurs  venus  le  ventre  plein  s'en  retournèrent  le  ventre  vuvd, 
n'ayant  rienveucjne  fland)er  le  feu  de  loing.  Puis  les  maulvais 
garsons  feirent  de  bons  coups  par  les  chemins. 

La  paouvre  courtizanc  estoyt  quasi  morte.  Ses  clieveulx  avovent 
blanchy.  Ce  ne  estoyt  à  vray  dire  que  ung  squelette  à  poine  cou- 
vert de  chair,  et  ses  fers  poisoyent  plus  (|u'elle.  Si  elle  avoyt  eu  de 
la  ioyc  en  sa  vie,  elle  le  payoyt  nioull  en  celtuy  moment,  ('eux 
qui  la  veirent  passer  disent  que  elle  piouroyt  et  cryoyt  à  faire  j)ilié 
aux  plus  acharnez  après  elle.  Aussy,  en  l'ccclisc,  feut-on  con- 
tiainctde  luy  mettre  en  la  bouche  ung  haillon,  que  elle  mordovt 
comme  ung  lézard  mord  ung  baston.  Puis,  le  bourreau  l'attacha 
à  ung  pieu  pour  la  souslenir,  vcn  ((ue  elle  se  laissoyt  couler  par 
niomens  et  tondjoyt  faulte  de  force.  Puis  soubdain  récuperoyt  ung 
vigoureux  poignet  :  car,  ce  néantmoins,  elle  put,  ha-t-on  dit,  se- 
couer ses  chordes  et  s'évader  en  l'ecclise,  ôîi,  en  remembrance 
de  son  ancien  mestier,  elle  grimpa  trez  agilement  ez  galeries 
d'en  liault,  en  volant  connue  ung  oyseau  le  long  des  colonnettes 
et  frizes  menues.  Elle  alloyt  se  saulver  ez  toicts,  alors  que  ung 
souldard  la  visa  de  son  arbalestre  et  luy  planta  sa  fleschc  dedans 
la  cheville  du  pied.  Maulgré  son  pied  demy-coupé,  la  paouvre 
fille  courut  encores  par  l'ecclise  lestement  sans  en  avoir  cure, 
allant  sur  son  os  brisé,  es|)andant  son  sang,  tant  grant  paour  elle 
avoyt  des  flannnes  du  busclier.  Kndu  lent  prinse  et  liée,  et  gectée 
en  ung  tombereau  et  menée  au  busclier,  sans  que  aulcun  l'avt 
depuis  entendue  crier.  Le  conte  de  sa  course  dans  l'ecclise  avdoyt 
le  menu  populaire  à  croire  que  ce  feust  le  diable,  et  aulcuiisdi- 
soyent  (pie  elle  avoyt  volé  par  les  aërs.  Alors  ([ue  le  bourreau 
de  la  ville  la  gecla  dedans  le  feu,  elle  jeit  deux  ou  trois  saults 
horribles  et  tomba  au  fund  des  ilammes  du  busclier,  qui  brusia 
le  iour  et  la  nuict.  Lendemain  soir,  i'allay  vcoir  s'il  demourovt 
queltiue  chouse  de  cest(>  gente  fille  si  doulce,  si  avmant(>  ;  mais 
le  ne  trouvay  plus  (ju'ung  paouvre  fragment  d'os  slomachal,  en 
lequel,  maulgré  ce  grant  feu,  estoyt  resté  quel([ue  p(>u  d'humide, 
cl  que  aulcuns  disoyent  tressaillir  encores  comme  femme  au 
déduict.  le  ne  s(,auroys,  mon  cliier  lil>,  dire  les  lrislification> 

35 


bile  |iiii,  ha-l-oii  (litl,  secouer  .*C3  tliordes  el  s'év.tilcr  en  l'ecclise,  où,  on 
lemeinlirance  de  son  ancien  incstier,  elle  ijrimpa  Irez  at,'ilement  ez  galcr 
ries  d'en  liaull,  en  volanl  coniuic  ung  oysoau  le  long  des  colonncllcs  t}t 
fri/ct  iT|cni;i'ï, 


LK  SUCCUBE.  411 

sans  niiiiil»ro  ot  sans  ('i^alcsqui,  durant  environ  dix  ans,  poisôronl 
sur  iMOV.  Tousiours  ostoys  record  de  cesto  anj:e  IVdissi'e  jiar  de 
niesclians  lioninies.  cl  tousiours  en  voyoys  les  yeulx  jileins  d'a- 
mour; briel",  les  dons  supernalurels  de  ccste  enfant  nailVe  es- 
tovent  ])nllans  iour  et  iiuicl  devant  moy  et  ie  prioys  pour  elle 
en  l'eeelise  où  elle  avoyt  esté  martyrisée.  Enfin,  ie  n'avoys 
point  la  force  ni  le  couraige  de  envisaiger,  sans  frémir,  legrant 
j)enitencier  lelian  di;  la  llay(\  (|ui  mourut  rongié  par  les  j)0ux. 
La  lèpre  feil  iusliee  du  baillif.  Le  feu  hrusla  le  logiz  et  la 
femme  de  lehan,  et  tous  ceulx  (pii  mirent  la  main  en  ce  hus-  , 
eher  en  retirèrent  de  la  flamme. 

Cecv,  mon  fils  bien  aym(',  f(Mit  cause  de  mille  pensiers  que 
i'avmis  icv  par  escri[it  pour  estie  à  iamais  la  règle  de  conduite 
en  nostre  famille. 

le  quittay  le  service  de  rKcclise,  et  me  mariay  à  vostre  mère, 
de  laquelle  ie  receus  des  doulceurs  infinies,  et  avecques  elle  ie 
parlageav  ma  vie,  mon  bien,  mon  ame  et  tout.  Aussy  feut-ellc  de 
mon  advis  en  ces  préceptes  suyvans.  A  sçavoir  :  premièiement, 
pour  vivre  heureux,  Lesoing  est  de  demourer  loing  des  gens 
d'Ecclise,  les  honorer  beaucoup  sans  leur  bailler  licence  d'entrer 
ez  logiz,  non  plus  qu'à  tous  ceulx  qui,  j)ar  droict,  iuste  ou  in- 
iuste,  sont  censez  cstre  au-dessus  de  nous.  Deuxiesmement, 
prendre  ung  estât  mo(Iic(|ue,  et  s'y  tenir,  sans  iamais  vouloir  pa- 
roistre  aulcuuement  riche.  Avoir  soing  de  n'exciter  l'envie  de 
personne,  ni  férir  qui  que  ce  soit  en  aulcune  sorte,  pour  ce  que 
besoing  est  d'estre  fort  comme  ung  chesne  qui  tue  les  plantes  en 
ses  pieds,  poui*  briser  les  testes  envieuses.  Encores  y  succombe- 
rovt-ou,  veu  que  les  chesnes  humains  sont  espécialement  rares, 
et  (|ue  aulcun  Touruebousche  ne  doibt  se  flatter  den  estre  ung, 
attendu  qu'il  sera  Tournebousche.  Troisiesmement,  ne  iamais 
despendre  que  le  quart  de  son  revenu,  taire  son  bien,  muser  sa 
chevance,  ne  se  mettre  en  aulcune  charge  :  aller  en  l'eeelise 
comme  les  aultres,  et  tousioms  guarder  ses  pensiers  en  soy,  veu 
(]ue  alors  ils  sont  à  vous,  et  non  à  daultres  qui  s'en  revestent, 
s'en  font  des  chai»i)es  et  les  tournent  à  leur  guyse,  eu  forme  de 
calunmies.  OuatriesnuMuent,  tousiours  demourer  en  la  condition 
des  Tournebousches,  lesquels  sont  à  })résent  et  à  tousiours  dr.i- 
jiiers.  Marier  ses  tilles  à  bous  dra|»iers,  envo\er  ses  garsons  estre 
draj)iers  eu  d'aultics  villes  de  France,  munis  de  ces  saiges  |(ré- 
ceptes,  et  les  nouriir  en  Tliouneur  de  la  draperie,  sans  leui'  lais- 


A\'i  CONTRS   HROLATIOIKS. 

sor  aulfuii  songe  jimliilicuv  m  l'espciil.  Drapier  comme  iing 
Toiirnebousche  doibt  cstre  leur  gloire,  leurs  armes,  leur  nom, 
leur  devise,  leur  vie.  Ores,  estant  tousiours  drapiers,  par  ainsy 
seront  tousiours  les  Tournebousches,  incogneus,  et  vivotteront 
comme  de  bons  petits  inseetes,  lesquels  une  foys  logiez  en  une 
poultre,  font  leurs  trous  et  vont  en  toute  sécurité  iusques  au  bout 
de  leur  peloton  de  iil.  Cinquiesmement,  ne  ianiais  parler  aultre 
languaigc  que  le  languaige  de  la  draperie  ;  ne  point  disputer  de 
religion,  de  gouvernement.  Et,  eneores  que  le  gouvernement  de 
l'Kstat,  la  province,  la  religion  et  Dieu  virassent  ou  eussent 
]ibanlaisie  de  aller  à  dextre  ou  à  senestre,  tousiours  en  qualité 
de  Tournebousclie  demouror  en  son  drap.  Par  ainsy,  n'estant 
aperceus  d'aulcun  en  la  ville,  les  Tournebousches  vivront  en  calme 
avecques  leurs  petits  Tournebouscbons,  payant  bien  les  dixnies, 
les  imposts  et  fout  ce  qu'ils  seront  recpiis  de  donner  })ar  force, 
soit  à  Dieu,  soit  au  Roy,  à  la  ville  ou  à  la  j)aroësse,  avecques  les- 
quels ne  fault  oncipies  se  desbatlre.  Aussy,  besoing  est  de  réserver 
le  patrimonial  tbrezorpour  avoir  paix,acliepter  la  paix, ne  iamais 
rien  debvoir,  avoir  du  grain  au  logiz,  et  se  rigoler  les  portes  et 
les  croisées  closes. 

Par  ainsy,  nul  n'aura  prinse  ez  Tournebousclies,  ny  rEstat,ny 
l'Ecclise,  ny  les  seigneurs,  auxquels,  le  cas  éclic-ant,  s'il  y  a  lia 
force,  vous  presterez  quelques  escuz  sans  iamais  nourrir  Pespé- 
rance  de  les  revoir,  ie  dis  les  escuz.  Ainsy  tous,  en  toute  saison, 
aymeront  les  Tournebousclies;  se  moc(pu'ront  des  Tournebous- 
clies, gens  de  peu;  des  Tournebousclies  à  petits  pieds;  des 
Tournebousclies  de  nul  entendement.  Laissez  dire  les  ignares. 
Les  Tournebouscbes  ne  seront  ni  liruslez,  ni  pendus,  à  Padvan- 
taige  du  Hoy,  de  l'Ecclise  ou  de  tous  aultres;  et  les  saigas 
Tournebouscbes  auront  secrettement  argent  en  leurs  fouillouzes 
et  i(»ye  au  logiz,  à  couvert  de  tout. 

Doncipies,  iiioncbicr  (ils,  suys  ces  adviz  de  médiocre  et  petite 
vie.  Maintiens  cecy  en  ta  famille,  coimiie  cbarte  de  province. 
(Jue,  toy  mourant.  Ion  successeur  le  maintienne  comme  sacre 
Évangile  des  Tournebousclies,  iusqu'à  ce  que  Dieu  ne  veuille 
|)lus  cpi'il  V  ayt  de  Toiniieboiisclie  en  ce  monde. 

Ceste  lettre  ha  esté  treuvcc  lors  de  l'invenUtire  faict  en 
la  maison  de  Françoys  Tournebonsrhe,  sciç/nnir  de  Veretz-, 
cliancdier  de  Monseigneur  le  Davpliin,  et  condamne,  lors 
de  la  rébellion  dudict  seiifnenr  contre  le  Hoy,  à  perdre  la  teste 


LK  srccruK. 


il  3 


et  veoir  toua  ses  biens  confisquer  par  an  est  du  parlement  de 
Paris.  Ladicle  lettre  a  esté  remise  an  (jonverneur  de  Touraine 
par  curiosité  d'histoire,  et  ioincte  aux  jnèces  du  procoz^  en  VAr- 
chevesché  de  Tours,  par  moy  Pierre  Gaultier,  Eschevin,  Pré- 
sident des  Preudhommes. 

L'Autlicur  ayant  achevé  les  lran.scri[)li()iis  et  dcscliiriVaiges  de 
CCS  parclieniiiis  en  les  resliluant  de  leur  laiigiiaij^c  cslraiiffc  en 
IVanroys,  le  donateur  d'yeeuix  luy  lia  dicl  (|ue  la  rue  Cliaiilde 
de  Toiiis  estoyt,  suyvaiil  aidoims.  aiiisy  iionmiée  pour  ce  (|ue 
le  soleil  y  demouroyt  j)lus  (|u'eii  Ions  aultics  eiidroicls.  Mais, 
maulgré  cestc  version,  les  gens  de  liault  cnlcndciiiciil  Ireuve- 
ront  en  la  voye  cliaulde  dudici  succiihe  la  vraye  cause  dudiit 
nom.  A  4Uoy  ae([uiesce  l'Autlieur.  Cecy  nous  apprend  à  ne  point 
faire  abus  de  nosli'c  corps,  ains  à  en  uzer  saii^enicnl  en  vcuc  de 
nostre  salut. 


9^.:^'^'''' 


DESESPERANCE   D'AMOUR 


En  le  toinps  où  lo  roy  Charles  huicticsme  out  la  phantaisie 
d'aornor  lo  cliasloaii  d'Aiiiboise,  viiidront  aveccjuos  luy  aulcuns 
ouvriers  ilalians,  maistres  sculpteurs,  bons  peinctres  et  mas- 
sons, ou  architectes,  lesquels  fcirent  cz  galeries  de  beaulx  ou- 
vraiges  qui,  par  délaissement,  ont  esté  pi'ou  guastcz. 

Kt  (lon((iues,  la  Court  esloyt  lors  en  ee  plaisant  séiour,  et, 
comme  ung  chaseun  seayl,  le  bon  ieuue  sire  aymoyt  moult  à  veoir 
ces  gens  ('-laborer  leurs  inventions.  Ksfoyt  lors  parmy  ces  sieurs 
oslrangiers  ung  Florentin  ayant  nom  messerAngelo  Cappara,  le- 
(|uel  avoyt  ung  grant  mérite,  laisoyt  des  seulpteures  et  engra- 
venres  connue  pas  ung,  nonobstant  son  aage,  veu  (jue  aulcuns 
s'esbauldissoveut  de  le  veoir  en  son  a|»vril  et  dt'sià  si  sçavant.  De 
faicl,  à  peine  iii/.oloyent  en  son  guernon  les  poils  (jui  empreignent 


DKSKSI'KUANCK   D'AMOI  li 


fl5 


iiiiii  liommo  (lo  sa  maicsli'  viiili'.  De  cctliiy  Aiiiit'Io  los  daiiit's 
ostoyont  viaynient  toutes  |)ic(jiu'os,  pourceijue  il  ostoyt  iolyroniiue 
xiu'ji  rosvc,  niélaiU'lioli('(|uo  conimo  est  la  paluinbo  seule  en  son 
nid  par  mort  ilu  ooni|)aifinon.  Kt  veey  eonnne.  Cotluy  sculpteur 
av()\l  le  fri-ant  mal  de  paouvreh',  (jui  yelienne  la  vie  en  ses  mou- 
vemens.  De  faiet,  il  vivoyt  durement,  inanf^Manl  |)eu,  honteux  de 
ne  rien  avoii',  et  s'adonnoyt  à  ses  talens  par  granl  desespoir,  vou- 
lant, à  toute  Ibree,  gaigner  la  vie  oysive,  qui  est  la  plus  belle  de 
toutes  pour  ceulx  dont  l'ame  est  occupée.  Par  braverie,  le  Flo- 
rentin venoyt  à  la  Court  guallamnient  vestu;  puis,  par  grant  ti- 
midiléde  ieiinesscetd^  maie  heur,  n'osovt  demander  ses  deniers 


au  |{;v,  qui,  le  voyant  ainsv  vestu,  le  cuvdnyl  bi(Mi  fourny  de  tout. 
Courlizans,  dames,  ung  cliascun  souloyl  admirer  ses  beaux  ou- 
vraiges  et  aussy  le  faiseur;  mais  de  earolus,  nullement.  Tous,  et 


416 


CONTES  DROLATIQUES. 


les  (lames  surtout,  lo  trouvant  rii-lie  de  nature,  rcstimoyont  suf- 
iisamniejit  guarny  de  sa  belle  icunesse,  de  ses  longs  cheveulx 
noirs,  yeulx  clairs,  et  ne  songioyent  point  à  des  carolus  en  son- 
giant  à  ces  ehouses  et  au  deniourant.  De  faict,  elles  avovenl 
grantement  raison,  veu  que  ces  advantaiges  donnoyent  à  maint 
braguard  de  la  Court  Ijeaulx  domaines,  carolus  et  tout. 

Maulgré  sa  semblance  de  ieunesse,  messer  Angelo  avoyt  vingt 
années  d'aage  et  n'estoyt  point  sot,  avoyt  ung  grant  cueur,  de 
belles  poésies  en  la  teste,  et  de  plus  esloyt  bonuiie  de  liaulte  ima- 
gination. Mais  en  grant  humililé  en  luy-mesme,  et  comme  tous 
paouvres  et  soulTreteux,  restoyt  esbaliy  en  voyant  le  succezdes 
ignares.  Puis  se  cuydoyt  mal  lassonné  de  corps  ou  d'amc,  et  guar- 
doyt  en  luy-mesme  ses  pensiers  :  le  faulx,  veu  que  il  les  disoyt, 
en  ses  fresclies  nuictées,  à  l'umbre,  à  Dieu,  au  diable,  à  tout.  Lors 
se  lamentoyt  de  poiter  ung  cueur  si  cliauld,  (jue,  sans  doubte 
aulcun,  les  fennnes  s'en  garoyent  comme  il'uug  l'er  rouge;  j)uis 
se  racontoyt  à  luy-mesme,  en  quelle  ferveur  auroyt  une  belle 
maistresse  ;  en  quel  lionneur  seroyt-cUe  en  sa  vie  ;  en  quelle 
lidélité  il  s'attacheroyt  à  elle;  de  quelle  affection  la  serviroyl;  en 
quelle  estude  auroyt  ses  commandemens;  de  quels  ieux  dissipe- 
royt  les  legiers  nuages  de  sa  tristesse  mélancholiccpie  aux  iours 
(tii  le  ciel  s'embruneroyt.  Drief,  s'en  pourtrayctant  une  par  imagi- 
nation figuline,  il  se  rouloyt  à  ses  pieds,  les  baisoyt,  amignottoyt, 
caressoyt,  mangioyt,  sugçoytaussyréallementque  ung  prisonnier 
court  à  travers  clianq)s,  en  voyant  les  prées  par  un  trou.  Puis 
luy  parloyt  à  l'atlciidiir ;  ])uis,  en  gi'anl  j)erj)rinse,  la  serrovl  à 
l't'stouffer,  la  viobivl  ung  petit  maulgré  son  respect,  et  mordoyt 
tout  en  son  lict.  de  raige,  querant  ceste  dame  absente,  plein  de 
coinaige  à  luy  seul,  et  quinauld  lendemain 
alors  ipi'il  en  passoyt  une.  Néantmoins,  tout 
ll;mibant  de  ses  amours  [)liaMlas(pu>s,  il  tapovt 
(icrccliief  SOI'  ses  ligures  marmoriiies  et  eu- 
Liravoyt  de  iolis  testinsà  l'aire  venir  l'eaue  en 
la  bouche  de  ces  beaulx  fruicts  d'amour,  sans 
conq)ter  les  aultres  cbonses  qu'il  bomboyt, 
imicmiizoyt,  caicssoyl  de  son  ciseau,  purilioyt 
de  sa  lime  et  coiitournoyt  à  faire  couqtrendic 
I  usage  parfaict  de  ces  cbonses  à  un  coccjue- 
bin  et  le  dnm  qm  biner  dans  1(!  iour.  Kt  les  dames  souloyentse 
recngnoislre  en  ces  beaullez,  et  de  messer  (lappara  toutes  s'en- 


Puis  se  cuydoyl  mal  fassoiiiu:  de  corps  ou  d'.imn,  et  f;uartloyl  en  luy-niPstiii> 
ses  pensiers  ;  ic  l'aiilx,  veu  que  il  les  disoyi,  rn  ses  fresches  nuiclées,  à 
l'umlu-e,  à  Kievi,  au  diable,  à   tout. 


IIS  CONTES  DROLATIQUES. 

(•apj)arassonoyeiU.  Elniesscr  Cappaia  les  fiosloyt  de  l'oeil,  iurant 
(juc,  le  iour  où  l'une  d'elles  luy  donneioyt  son  doigt  à  baiser, 
il  en  auroyt  tout. 

Entre  ces  dames  de  hault  liynaige,  une  s'enquit  ung  iour  de 
ce  gentil  Florentin  ù  luy-mesnie,  luy  deiuandant  ponnjuoy  se 
faisovt-il  si  larouche,  et  si  nulle  femme  do  la  Court  ne  le  sçau- 
royt  apprivoiser.  Puis  l'invita  gracieusement  à  venir  chez  elle  à 
la  vesprée. 

Messer  Angelo  de  se  perfumer,  d'achepter  ung  manteau  de 
veloux  à  crépine  doublé  de  satin,  d'em})runter  à  ung  amy  une 
save  à  grans  manches,  pourpoint  tailladé,  chausses  de  soye,  et 
de  venir  et  de  monter  les  degrez  d'un  pied  chauld,  respirant 
l'espoir  en  plein  gosier,  ne  saichant  que  faire  de  son  cueur, 
qui  bondissoyt  et  sursaultoyt  connue  chievre  ;  et  pour  tout  dire 
d'ung  coup,  avant  par  advance  de  l'amour  de  la  teste  aux  pieds 
à  en  suer  dedans  le  dos. 

Faictes  estât  que  la  dame  estoyt  belle.  Ores,  messer  Cappara  le 
sçavovt  d'aultant  mieulx  que,  en  son  meslier,  il  se  cognoissoyt 
aux  emmancheniens  des  bras,  lignes  du  corps,  secrettes  entour- 
neures  de  la  callipygie  et  aultres  mystères.  Doncques,  ceste  dame 
satisfaisovt  aux  règles  espéciales  de  l'ait,  oultre  que  elle  estoyt 
blanche  et  uiince,  avoyt  une  voix  à  remuer  la  vie  là  oiî  elle  est,  à 
fourgonner  le  cueur,  la  cervelle  et  le  reste;  brief,  elle  mettoyl  en 
l'imagination  de  délicieuses  imaiges  de  la  chouse,  sans  faire  mine 
d'y  songier,  ce  qui  est  le  propre  de  ces  damnées  femelles. 

Le  sculpteur  la  treuva  sise  au  coin  du  feu,  dedans  une  haulte 
chaire,  et  vécy  la  dame  de  deviser  à  son  aise,  alors  (pie  messer 
Angelo  n'osoyt  diie  aultre  françoys  (jne  oui  et  non,  ne  pouvoyt 
rencontrer  aulcunes  paroles  en  son  gozier,  ne  aulcune  idée  en 
sa  cervelle,  et  se  scroyt  brisé  la  teste  en  la  cheminée,  si  n'avoyt 
eu  tant  d'heur  à  veoir  et  ouyr  sa  belle  maistresse,  cpii  se  iouoyt 
là  comme  ung  mouscheron  en  ung  rais  de  soleil. 

Pour  ce  (jue,  ohslant  ceste  muette  admiration,  tous  deux 
demourèrent  iusques  au  mitan  de  la  nuicl,  en  s'engluant  à 
petits  pas  dedans  Icsvoyes  fleuries  de  l'amour,  le  bon  scul|)teur 
s'en  alla  bien  heureux.  Chemin  faisant,  il  conclud  à  part  luy 
(pie,  si  une  Icmmc  noble  le  guardoyt  ung  peu  jirès  de  sa  iujipe, 
durant  (piatre  heures  d(î  nuict,  il  ne  s'en  i'alloyt  pas  d'ung  l'estu 
(pi'ellc  ne  le  laissast  là  ius(jues  au  malin.  Ores,  tirant  de  ces 
prémisses  plusieurs  iolys  corollaires,  il  se  résolut  à  la  reipiérir 


DESESPERANCE  D'AMOUR.  4l0 

(lo  co  (|iic  vous  sravoz,  (;oiiimo  siinplo  rciniiio.  Doncijiics,  il  so 
(k'IilK'ra  de  tout  tuer,  le  niaii,  la  rcniine  nu  luy,  l'aullc  de  jilcr 
une  heure  de  ioye  à  l'aydo  de  su  quenouille.  De  laict,  il  s'cstoyt 
si  sériouscmcnt  cncliargié  d'amour,  que  il  cuydoyt  la  vie  estre 
un;^  foible  eiiieu  dans  la  partie  de  l'amour,  vou  que  ung  seul 
iour  y  valoyt  mille  vies. 

Le  Florentin  tailla  sa  pierre  en  pensant  à  sa  soiiee,  et,  par 
ainsy,  guasta  bien  des  nez  en  songiant  à  aultre  cliouse.  Voyant 
ceste  maie  fasson,  il  laissa  l'ouvraigc,  puis  se  perfuma  et  vint 
gouster  aux  gentils  proupos  de  sa  dame  avecqiies  espérance  de 
les  l'aire  tourner  en  actions.  Mais,  cpiand  il  l'eut  en  |)r('sence 
de  sa  souveraine,  la  inaiesté  féminine  l'eit  ses  rayonneni(;ns,  et 
paouvrc  Cappara,  si  tueur  en  la  rue,  se  moutonna  soubdain 
en  voyant  sa  victime. 

Ce  néanfmoins,  devers  l'Iieuie  où  les  dezirs  s'entrecliaul'rent, 
il  se  esloyt  coub'  pres(|ue  sur  la  dame  et  la  tenoyt  bien.  Il  avovt 
niarebandé  ung  baiser,  l'avoyt  prins,  bien  à  son  beur  :  car,  (|uand 
elles  le  donnent,  les  dames  guardent  le  droict  de  rcITuser;  mais 
alors  qu'elles  le  laissent  robber,  l'amoureux  peut  en  volej-  mille. 
Cecy  est  la  raison  pour  laquelle  sont  accoustumées  toutes  de 
se  laisser  prendre.  Kt  le  Florentin  en  avoyt  desroltbé  uiig  bon 
compte  et  desià  les  cbouses  s'entreliloycnt  parlaictemenf,  alors 
que  la  dame,  (pii  avoyt  mesnaigié  l'estoffe,  s'escria  :  —  Vécy 


mon  mary 


De  laict,  monseigneur  revenoyt  de  iouer  à  la  paulme;  et  scnl|)- 
teur  de  (piiller  la  place,  non  sans  recueillir  la  riclie  œillade  de 
lennne  interrompue  en  son  beur.  Cecy  l'eut  toute  sa  cbevance, 
pitance  et  rcsiouissance  durant  ung  mois,  veu  que,  sur  le  bord 
de  sa  ioye,  tonsiours  venoyt  mondict  sieur  mary,  et  tousiours 
advenoyt  saigement  entre  ung  refl'uz  net  et  ces  adoulcissemens 
dont  les  fenmies  assaisomient  leuis  relTuz  ;  memis  suffiaiges  (|ui 
raniment  l'amour  et  le  rendent  plusl'ort.  Ft,  alors  (jue  sculpteur 
impatienté  conunençoyt  vitcment  dès  sa  venue  la  bataille  de  lu 
iu})pe,  à  ceste  fin  d'arriver  à  la  victoire  avant  le  mary,  auquel  sans 
double  ce  rcmue-mesnaige  proul'lictoyt,  ma  iolie  dame,  voyant  ce 
dezir  escript  ez  yeulx  de  son  sculpteur,  entamnyf  cpierellcs  et 
noises  sans  lin.  D'abord,  elle  se  l'aisoyt  ialouse  à  l'aulx.  jiourscn- 
lendre  dire  de  bonnes  iniures  d'amour;  puis  apaisoyt  la  cliolère 
du  [)etit  par  reaued'ung  baiser;  puis  prenoyt  la  parole  pour  ne 
lu  point  quitter;  et  alloyt  disant  comme  (juoy  son  amant  à  elle 


1-20  CONTES   DHOLATKJI  KS. 

debvoyt  se  tenir  saige;  eslre  à  ses  voulentez,  faulte  de  qiioy  elle 
ne  sçauroyl  lui  donner  son  anie  et  sa  vie  ;  et  que  ce  ostoyt  peu  de 
chouse  (jue  d'ollVir  à  sa  maistresse  ungdezir;  et  que  elle  estoyt 
plus  eouraiiicusi-,  pour  ce  ({uc,  ayniant  plus,  elle  sacrifioyt  davan- 
taigo;  puis,  à  proupos,  vous  laschioyt  ung  :  «  Laissez  cela  !  »  dict 
d'un  air  de  royiu\  Puis  elle  pronoyt  à  temps  luig  air  fascliié  pour 
respondre  aux  reprouches  de  Cappara  :  —  Si  vous  n'estes  comme 
ie  veulx  que  vous  soyez,  ie  ne  vous  aymeray  plus. 

Brief,  ung  pou  tard,  le  paouvre  Italian  veit  bien  (pio  ce  ne 
estovt  point  ung  noble  ainour,  nng  de  coulx  qui  ne  mesurent  pas 
la  ioye  comme  ung  avare  ses  escuz,  et  qjic  enlin  ceste  dame  pre- 
noyt  plaisir  à  le  faire  saulter  sur  la  couverture  et  à  le  laisser 
maistre  de  tout,  pourveu  que  il  ne  touchiast  point  au  ioly  plessis 
de  l'amour.  A  c»;  mestier,  le  (]appara  devint  furieux  à  tout  tuer, 
et  print  avcrcjnes  luy  de  bons  compaignons,  ses  amys,  auxquels  il 
bailla  la  cbarged'allaquer  le  mary  pondant  le  chemin  (jue  il  l'aisoyt 
pour  venir  se  concilier  en  son  logiz,  après  la  partie  de  panlme  du 
iloy.  Luy  vint  à  sa  dame  en  l'heure  accoustumée.  Quand  les  doulx 
ioux  de  leur  amour  feui'cnt  on  bon  train,  lesquels  ieux  estoyent 
baisersbion  desgutoz,  cbovculx  bien  enroulez,  desrouloz,  les  mains 
mordues  de  raigo,  les  aureilles  aussy,  ondn  tout  le  tralïic,  moins 
ceste  chouse  espéciale  que  les  bons  autheurs  trouvent  abominable 
avecques  raison,  vécy  Florentin  de  dire  entre  deux  baisers  qui 
allovont  ung  peu  loing  :  — Ma  mye,  m'aymez-vous  plus  (jue  tout'? 

—  Oui  !  tcit-olle, —  von  (juo  les  paroles  ne  leur  coustont  iamais 
rioii. 

—  Il('  bien,  repartit  ramoureux,  soyez  toute  à  moy. 

—  Mais,  foit-elle,  mon  mari  va  venir. 

—  N'est-ce  (pie  cola? 

—  Oui. 

—  l'ay  des  amys  (jni  l'arresteront  et  ne  le  laisseront  aller 
que  si  ie  mets  ung  tlambeaii  on  ceste  ci'oisée.  Puis,  s'il  se 
plainct  au  Hoy,  mes  amys  diront  que  ils  cuydnii'iil.  j'uiie  le 
loin-  à  nng  des  nostres. 

—  lia!  mon  amy,  dit-elle,  laissez-moy  vooir  si  tout  est  bien 
iréans  muet  et  concilié. 

Klle  se  leva  et  mit  la  iiMiiière  -i  la  croisée,  (le  (jue  voyant, 
messer  Cappara  soufllo  la  chandelle,  prend  son  ospée,  et  se 
phujanl  en  face  de  cesle  femme  dont  il  cognent  le  mespris  et 
l'anie  feslonne  : 


DESKSl'KHANCK   ICAMOLU. 


VJl 


—  le  ne  vous  tueray  pas,  madame,  fcit-il  ;  mais  ie  vais  vous 
estafiler  le  visaige,  en  sorte  que  vous  ne  cocquetterez  plus  avec- 
qucs  (le  paouvres  icunes  amoureux  dont  vous  ioucz  la  vie  !  Vous 
m'avez  truplié  honteusement,  et  n'estes  point  une  i'emmc  de 
bien.  Vous  seaurez  que  ung  baiser  ne  se  peut  essuyer  iamaisen 
Ja  vie  d'ung  amant  de  cueur,  et  que  bouche  baisée  vault  le 
reste.  Vous  m'avez  rendu  la  viepoisanteet  maulvaise  à  tousiours  : 
doncques  ie  veux  vous  faire  éternellement  songier  à  ma  mort, 
que  vous  causez.  Et,  de  laict,  vous  ne  vous  mirerez  oncques  en 


vostre  nilioui'r  sans  y  vcoir  aussy  ma  face.  Puis  il  leva  le  bras 
et  feit  mouvoir  l'espée  pour  tollirung  bon  morceau  de  ces  belles 
ioucs  fresches  en  lesquelles  il  y  avoyt  trace  de  ses  baisers.  Lors 
la  dame  luy  dit  qu'il  estoyt  ung  desloyal. 

—  Taisez-vous  !  fcit-il  ;  vous  m'avez  dict  (|ue  vous  m'aymiez 
plus  que  tout.  Maintenant  vous  dictes  aultre  chouse.  Vous  me 
avez  attiré  en  chaque  vcsprée  ung  peu  plus  hault  dans  le  ciel, 
vous  me  gectcz  d'ung  coup  en  enl'er,  et  vous  cuydez  que  vostre 
iuppc  vous  saulvera  de  la  cholère  d'ung  amant...  Non. 

—  Ha  !  mon  Angt'lo,  ie  suis  à  toy  !  ftit-elle.  esmerveiglée  <le 
cet  huumip  llambant  de  raigr. 

56 


42'2  CONTES   DUOLATIOIES. 

Mais  luy,  se  tirant  à  trois  pas  :  —  lia  !  robbe  de  Court  et  iiiaiil- 
vais  ciiciir,  tu  aynios  niioulx  ton  visaigeque  ton  amant,  tiens  ! 

Elleblesniit  cl  tendit  bnniblenienl  le  visaijjie,  car  elle  eoinprint 
que,  à  eeste  licure.  sa  l'aulselé  passée  faisnvl  tort  à  son  amour 
présent.  Puis,  d'ung  seul  coup,  Augelo  l'estalila,  quitta  la  maison 
et  vuyda  le  pays.  Le  niary  n'ayant  point  esté  inquiété  pour  cause 
de  ceste  lumière  qui  ieut  veue  des  Florentins,  treuva  sa  fcnnne 
sans  sa  ioue  scnestrc  ;  mais  elle  ne  souffla  mot,  inaulgré  la  dou- 
leur, veu  que,  depuis  l'estafilade,  elle  aymoyt  son  Cappara  plus 
que  la  vie  et  tout.  Nonobstant  ce,  le  mary  voulut  sçavoir  d'où 
j)rocedoyt  ceste  blessure.  Ores,  nul  n'estant  venu,  fors  le  Florentin, 
il  se  plaignit  au  Roy,  qui  feit  courir  sus  à  son  ouvrier  etconnnanda 
de  le  pendre,  ce  qui  l'eut  faictàBloys.  Le  iour  de  la  pendaison, 
une  noble  dame  eut  envie  de  saulver  cet  bonnne  de  couraige, 
qu'elle  cuydoyt  eslre  ung  amant  de  bonne  trempe;  die  pria  le 
Roy  de  le  luv  accorder,  ce  qu'il  Icil  voulentiers.  Mais  Cappara  se 
declaira  de  tout  point  acquis  à  sa  dame,  dont  il  ne  pouvoyl  cliasser 
le  soubvenir,  se  feit  religieux,  devint  cardinal,  grant  sçavant,  et 
souloyt  dire,  en  ses  vieulx  iours,  que  il  avoyt  vescu  par  la  renjem- 
brance  des  ioyes  prinses  en  ces  paouvresbeures  souffreteuses  où 
il  estoyt  à  la  fois  trcz-bien  et  trez-mal  traicté  de  sa  dame.  Il  y  ha 
des  aulbcurs  qui  disent  que  depuys  il  alla  plus  loing  quela  iuppe 
avecques  sa  dame,  dont  la  ioue  se  refeit;  mais  ie  ne  seauroys 
croire  à  cecy,  veu  (pie  ce  estoyt  ung  bonnne  decueur  ([ui  avoyt 
baulle  imagination  des  sainctcs  délices  de  l'amour. 

Cecy  ne  nous  enseigne  rien  de  bon,  si  ce  n'est  (|ue  il  y  lia 
dans  la  vie  de  maulvaises  rencontres,  veu  que  ce  Conte  est  vray 
de  tout  poinct.  Si,  en  d'aultres  endroicts,  l'Autbeur  avo\t.  par 
cas  fortuit,  oultrepassé  le  vray,  cettuy  luy  vauldra  des  indul- 
gences près  des  amoureux  conclaves. 


^T^''(^% 


EncorosquccesecundDixain  ait  en  son  frontispice  inscription 
qui  le  dise  parachève  en  ung  temps  de  neige  et  defroideure,  il 
vient  au  ioly  mois  de  iuin,  oii  tout  est  verd,  pour  ce  que  la 
paouvre  muse  de  la(|ut'll('  rAutiieur  est  suljioct  ha  eu  plus  de 
caprices  (jue  n'eu  ha  l'amour  phaiilas(pie  d'une  royne,  et  ha 
mystérieusement  voulu  gecter  son  fruict  parmy  les  fleurs.  Nul 
ne  peut  se  vanter  d'estre  maistrc  de  ceste  phée.  Tantost,  alors  que 
ung  grave  pensier  occupe  l'esperit  et  griphe  la  cervelle,  vécy  la 
garse  rieuse  qui  deshagoule  ses  gentils  proupos  en  l'aureille, 
chatouille  avec({ucs  ses  plumes  les  lèvres  de  l'Autheur,  mène  ses 
sarahandes,  et  laict  son  tapaige  dans  la  maison.  Si  par  cas  fortuit 
l'escripturier  abandonne  la  science  pour  noiser,  luy  dict  :  — 
«  Attends,  ma  mye,  i'y  vais!  »  et  se  lève  en  grant  haste  pour 
iouer  en  la  compaignie  de  ceste  folle,  plusdegarse  !  Elle  estrentrée 
en  son  trou,  s'y  musse,  s'y  loule  et  geint.  Prenez  haston  à  feu. 
haston  d'ecclise,  haston  rusticcpie,  haston  de  dames,  levez-les, 
frappez  la  garse,  etdictes-luy  mille  iniures,  elle  geint.  Despouil- 
lez-la,  elle  geint.  Caressez-la,  mignottcz-la,  elle  geint.  Baisez-la, 


424  EPILOGUE. 

(liolos-liiy  :  «  Hé!  mignonne!  »  pIIc  geinl.  Tantost  clic  lia  froid, 
tanlost  elle  va  mourir;  adieu  l'amour,  adieu  les  rires,  adieu  la 
ioye,  adieu  les  bons  contes  !  Menez  bien  le  deuil  de  sa  mort, 
plourcz-la,  cuydcz-la  morte,  j^cignez.  Alors  elle  lève  la  teste, 
esclalte  de  rire,  déployé  ses  aësles  blanches,  revoie  on  ne  sçait 
oïl,  tournoyé  en  l'aër,  capriole,  monstre  sa  queue  diabolicquc, 
ses  tettins  de  femme,  s(;s  reins  forts,  son  visaigc  d'ange,  secoue 
sa  chevelure  pcrfumée,  se  roule  aux  rais  du  soleil,  reluit  en 
toute  beaulté,  change  de  couleurs  comme  la  gorge  des  columbes, 
rit  à  en  ])lourer,  gccte  les  larmes  de  ses  yeulx  en  la  mer,  où  les 
pescheurs  les  treuvent  transmuées  en  iolies  perles  qui  viennent 
aorner  le  front  des  roynes,  enfui  faict  mille  tourdious  comme  ung 
ieune  cheval  eschappé,  laissant  veoir  sa  croupe  vierge  et  des 
chouses  si  gentilles,  (ju'à  la  seule  veue  d'icelles  ung  pape  se  dam- 
nerovt.  Durant  ce  renme-mesnaige  de  la  beste  indonq)tée,  il  se 
rencontre  des  ignares  et  des  bourgeoys  qui  disent  au  paouvre 
poëte  :  — Où  est  vostre  monture?  Où  est  vostre  DixainVYous estes 
ung  pronosticqueur  payen.  Oui,  vous  estes  cogneu  !  vous  allez 
aux  nopces  et  ne  faictes  rien  entre  vos  repas  ?  Ouest  l'ouvraige! 
Kncores  que  de  mon  naturel  ie  sois  amy  de  la  doulceur,  ie 
vouidrovs  veoir  ung  de  ces  gens  bardé  d'ung  pal  de  Tur(|uie  et 
leur  diie  d'aller  en  ceste  équipaige  à  la  chasse  aux  coimilz.  Cy 
fine  le  deuxiesme  Dixain.  Veuille  le  diable  le  poulser  de  ses 
cornes,  el  il  sera  bien  receu   de  la  clirestienté  rieuse. 


HA  ESTK  iMi'ia.Mii.   iMiu;   i.A   l'Hi.Mf-   lins   iv\i;    i  \i>,    i.i  !•;  i;\ci.m;,   n"  iv 

cl  achevé  en  mnri 

M     DCCC    \\\YI I 

r.6. 


MATItRCS    nu    TROISIllSME    DIXALN 


ProloEfiie. 

Pcrscvcraiice  il'iinmiir. 

D'iing  lusiiciard  qui  né  se  rcinciiihroyt  les  cliouscs. 

Sur  le  Mdviie  Ainiidor.  qui  tcul   uiig  glorieux  abbé  de 

Turpenay. 
Bertlic  la  Repentie. 

Comment  la  belle   lille  de  Parlillon  quinaulda  son  iuçe. 
Cy  est  déinonslré  (jue  la  lorlune  est  tousiours  femelle. 
D'ung  Paouvrc  <pii  avoyt  nom  le  Yieulx-pai'-Clieinins. 
Dires  inconjîreus  de  trois  l'èlerins. 
Naïfvelé. 

I.a  belle  hnpi'ria  mariée. 
Epilogue. 


Anlciiiisoiit  iiitorro-iiiô  rAiitlioiirsurcc  qiio  il  vavovttnnl 
do  l'iiiuo  à  fos  Ilixaiiis,  (juo  nul  an  no  [toiivoyl  oscliooir  sans 
qnoil  ononsldict  sa  i-atolôo,  ot  la  raison  do  oo.otpour  quoy 
finabloniontosoiihiodcsvii'guloscnti'cineslôes  dcmaulvaises 
syllahos  aux([ucllos  rolVonfirinyont  |)uldi('([noniont  les  dames, 
puisiiiiiloaiilti'os  hoj^iios  viiydos  !  l/Aiiliioiudc'M'lairoqiiooos 
proditoiros  paroles,  semées  coMiiiio  pioiTos  en  sa  voyo,  l'ont 
toiiehié  dans  le  plus  j)roron(l  du  cueur,  et  il  co'inovst  suffi- 
samment son  (lol)voir  pour  no  point  faillir  de  hailloi- à  son 
espôcialo  audience,  on  ce  l*i'<do<iue,  aulouns  ari'aisonnomens 
aultres que  les  précédons,  pour  ce  (pie  liesojng  est  dr  tous- 
iours  ai'i'aisonner  les  enfans  iusipies  à  ce  que  ils  soyent 
grandelets,  ooneoivent  les  chouses  et  se  taisent,  et  que  il 
veoit  bien  des  mesclians  garsons  en  ce  numbiv  inlinv  de  gens 
criards,  lesquels  ignorent  à  plaisir  ce  dont  il  s'en  va  dans  ces 


4'2S  PROLOOFE, 

Dixaiiis.  Kii  |ii'iiiio;il)Oi'd,  saiclioz  (|iio  si  ;iiiI(M1iios  vorluoiises 
dames,  ie  dis  vertueuses  pour  ce  que  les  truandes  ou  femmes 
do  petit  pied  ne  lisent  point  ces  feuillets,  nyniant  inieulx  en 
faire  de  inedicts,  tandis  cpie  au  retours  les  dames  ou  bour- 
geoyses  à  doubles  paires  de  manches,  pleines  de  religion, 
estant  desgoustées  sans  double  aulcun  de  ce  dont  s'agit,  les 
lisent  pieusement  pour  contenter  le  nialinesperit,  etparainsy 
se  tiennent  saiges.  Entendez-vous,  mes  bons  vendangeurs 
de  cornes?  Mieulx  vault  esfre  coux  par  le  conte  d'ung  livre 
quecoux  par  l'histoire  d'ung  gentil  homme.  Vous  ygaignez 
le  desguast,  paouvres  braguards,  oultre  que  souvent  vostre 
dame  énamourée  s'en  prend  à  vostre  mercerie  des  fécunds 
iriballemens  esmeus  en  icelle  par  le  présent  livre.  Et  par 
ainsy  cesDixainsadiouxtent  de  belles  graines  àlagésine  du 
pays  et  le  maintiennent  en  ioye,  honneur  et  santé.  le  dis 
ioye  pour  ce  que  vous  en  prenez  moult  en  ces  Contes,  le 
dis  honneur,  pour  ce  que  vous  saulvez  vostre  nid  des  griphes 
de  ce  démon,  touiours  ieune,  nounné  Kockuaige  en  langue 
celtique.  le  dis  santé,  pource  que  ce  livre  incite  à  lachou- 
selte  prescriple  par  l'Ecclise  de  Salerne  soubz  poine  de 
pléthore  cérébrale.  Trouvez  proufficts  pareils  aiix  aultres 
cayers  noircis  typogiapliicquemenl.  lia!  ha!  où  sont  les 
livres  qui  font  des  enl'ans?(lliercbez,  |)oint.  Ains  vous  ren- 
contrerez par  razières  enfans  faisant  des  livres  dont  est 
conccu force ennuy.  le  rciticiids  h  |»luase.  Doncquessaichiez 
(pie  si  aulcunes  dames  vcrliiciiscs  de  nature,  coc(piardcs 
en  esperit,  se  livrent  publiccpiement  à  des  (pierimonies  au 
subiect  de  cesDixains,  ungnumbre  assez  plaisant  d'icclles 
loing  de  semondre  l'autlieur,  a(l\(»n(^iil  (pi'elles  l'ayment 
bien  fort,  l'estiment  vaillant  lionmic,  digne  d'estre  moyne 
en  l'abbaye  de  Tlielesme,  et  que,  pour  autant  de  raisons  cpie 
il  y  a  d'esloillcs  aux  cienlv,  il  ne  (|iiillc  l;i  lluslc  à  bec  avec- 


PROLOGUE.  429 

qiios  liiqiiollc  i I  d/'cliiict  ros dossiis  dicf s Coiilos,  aiiis  so laisse 
blasiiioi",  aille  lousioiirs  à  ses  lins,  vou  que  la  noble  France 
est  une  femelle  qui  se  refuse  à  ce  que  vous  sçavez,  criant, 
se  tordant,  disant  :  «Non,  non,  iainais!  lié!  monsieur, 
que  allez-vous  faire?  le  ne  scaurois,  vous  moguaslciiez.  » 
Puis,  alors  que  le  Dixain  est  faict  et  parfaict  en  toute  gentil- 
lesse, reprend  :  «lié!  mon  maistre,  y  en  aura-t-il  encpres 
d'aultres!  »  Couq)tez-en dà rAutlicm-  pour  imgboncoinpai- 
gnon,  (pii  ne  s'effarouche  mie  des  ci  ys,  jtlcurs  et  tortillemens 
delà  dame  i[uo  vous  nommez  (iloire,  Mode  ou  Faveur  pu- 
blicque,  veu  que  il  la  sçait  très-pute  et  dénature  às'accoui- 
moder  d'ung  beau  viol.  Il  scayt  qu'en  France  sou  cry  de 
guerre  est  :  Monl-Ioije!  Un  beau  cry,  cuydez-le,  mais  que 
aulcuns  escripturiers  ont  défiguré  et  qui  signifie  :  La  ioyc 
n'est  pas  à  terre,  elle  est  là  :  faictes  vivement,  sinon  adieu  ! 
L'Autheur  tient  ceste  signifiance  de  Habelais,  qui  la  luy  ha 
dicte.  Si  vous  fouillotezriiisloiie,  la  France  ha-t-elle  iamais 
souftlé  mot  alors  que  elle  esloyt  ioyculsement  montée,  bra- 
vement montée,  raigeusement  montée,  esraument  montée? 
Elle  est  furieuse  à  tout  et  se  plaist  aux  chevaulchées  |)ar- 
dessus  le  boire.  Hein  !  ne  voyez-vous  point  (pie  ces  Dixains 
sontfrançoys  par  la  ioye,  françoyspar  la  chevaulchée,  fran- 
çoys  devant,  françoys  derrière,  françoys  partout?  Arrière 
doncques,  mastins;  sonnez  lesmusicques;  silence,  cagots  ; 
advancez,  messieurs  les  libaidds  !  mes  mignons  paigcs. 
baillez  vostrc  doulcemainen  la  main  des  dames,  et  giatlez- 
les  au  mitan,  ie  dis  la  main  !  Ha  !  ha  !  cecy  sont  raisons  ron- 
flantes et  péripatheticiennes,  ou  l'Autlieur  ne  se  cognoyst 
])oinl  enronlIeuKMis  ne  aristolelismc.  Il  lia  pour  luy  l'escu 
de  France,  rorillamme  du  lîoy  et  Monsieur  sainct  Denys, 
lequel  estant  sans  teste  ha  dict  :  «  Monte-ma-loye.  »  Direz- 
vous,  ipiadriipèdes,  quecelliiy  mol  est  faiilx?Non.  Il  ha  esté 


.i.>0  •  C.OMKS    DliOLATIOlIES. 

certes  bien  oiiy  par  plnsiours  dans  \o  temps  ;  mais,  en  ces 
ioiirs  de  profunile  inisrio,  vous  ne  croyez  plus  h  rien  des 
bons  religieux  ! 

L'Autheur  n'a  pas  tout  dict.Doncquessaichez,  vous  tous 
qui  lisez  ces  Dixains  des  yeulx  et  des  mains,  les  sentez  par 
la  teste  seulenient  et  les  ayuicz  pour  la  ioyo(pio  ilsdonnent 
et  qui  vous  monte  au  cueur,  saiclicz  que  l'Autheur,  ayant, 
en  la  maie  heure,  esguarésaeoignée,  ù/es/,  son  héritaige, 
qui  ne  se  est  plus  retreuvé,  se  veit  desnué  de  tout  poinct. 
Lors  il  cria  en  la  manière  du  busclioron,  dans  le  prologue 
du  livre  de  son  cliieriuaistre  Haholais,  à  ccste  lin  de  se  l'aire 
ouyr  par  le  genlillionmio  d'en  liault,  suzerain  de  toutes 
chouses,  et  en  obtenir  quelque  autre  coignée.  Ce  dictTrez 
Ilault,  encores  occupe  avecques  les  congrès  du  temj)s,  luy 
feit  gecter  par  Mercure  ung  escriptoire  à  double  godet,  sur 
lequel  estoyent  engravées,  en  f'asson  de  devise,  ces  trois 
lettres  :  Ave.  Lors  le  paouvrc  enfant,  ne  percevant  aulcun 
aultre  secours,  eut  grant  cure  de  remuer  cedictgalimart, 
en  chercher  le  sens  abs(Muis,  en  couuuenter  les  mystérieuses 
paroles  et  leurticuvci'  une  ame.  Oies,  veit  en j)riuîe -abord 
que  Dieu  estoyt  poly,  coumie  ung  grant  seigneur  qucil  est, 
pour  ce  que  il  ha  le  monde  et  ne  i-elève  de  personne.  Mais 
veu  que,  en  se  reuiemorant  les  choses  desaieunesse,  il  n'y 
rencontroyt  nulh-  guallanterie  i'aicte  à  Dieu,  l'Autheur  estoyt 
en  doubte  sur  cesle  civilité  creuse,  etsongioyt  moult,  sans 
tirer  aulcuneréale  chevance  de  cet  outil  céleste.  Lorsj/orce 
de  tourner,  retourner  ce  diet  escriptoire,  l'estudier,  le  veoir, 
reuq)lir,  le  vuydci-,  le  l.ipcr  eu  lassou  interroguative,  le 
l'aire  net,  le  metti'c  droict,  le  mettre  de  costé,  le  bouler  à 
contre-sens,  il  lutà  (•ontrelil£'^)rt.  Oue  est  Kva,  sinon  toutes 
lesleuuues  en  mu;  seule!  Donccpiespai-  la  voix  divine  estoyt 
dict  à  l'Autheur  :  —  Pense  à  la  l'emiue  :  la  i'eruiue  guarrira 


I' 150  loi;  ri:.  4r>i 

ta  playc,  IxiuclR'i'a  le  vuydc  de  ta  ^ihcssièic  ;  la  femme  est 
ton  bien  ;  n'aye  qu'une  l'ennne:  lial)ille  et  desliahille,  dore- 
lotte  ccstefcnune  ;  debitle  la  rciiiiiic;  la  remiiu' est  tout.  la 
femiric  ha  son  galimart  :  [tuise  en  ce  galiniart  sans  fund; 
la  fennue  ayme  l'amour,  l'ais-luy  l'ainour  avecrjues  le  gali- 
mart seulement;  cliatouille  ses  phantaisies  et  |)ourti'ais-luy 
ioyeulsementles  mille  poiiiliaiclmes  de  ramom-enccs  mil- 
lions de  gentilles  lassons;  la  l'enune  est  généreuse,  et  toutes 
pour  une,  une  pour  toutes,  soldei-a  le  peinetrc  et  fournira 
leplumaige  du  pinceau.  Knfin,  équivocffue  sur  ce  qui  est 
escript  \li;Ave,  salue;  Eva,  la  femme  Ou  bien  :  Eva,  la 
femme  ;  ave,  salue,  ou  saulve.  Eh  !  oui,  elle  faict  et  deffaict. 
Doncques,  à  moy  le  galimart!  Que  ayme  le  plus  la  femme  : 
que  veult  la  feunue  :  toutes  les  cliouses  espéciales  de  l'amour 
et  ha  raison  la  femme.  Enfanter,  produire,  est  imitation  de 
nature,  qui  tousiours  est  en  gésine!   Doncjpu^s  à  moi  la 
femme!  à  moy  Eva!  Sur  ce,  l'Autheur  se  print  à  puiser  en 
ce  fécund  galimart  où  estoyt  une  purée  cérébrale,  concoc- 
tionnée  par  les  vertus  d'en  liault,  en  fasson  talismanicque. 
D'ung  godet  sourdoyent  ebouses  graves  qui  s'escripvoyent 
en  encre  brune  ;  et  de  l'aulti'e  ebouses  frétillantes  qui  rubric- 
quoyent  ioyeulsement  les  feuillets  du  cayer.  Paouvre  Autheur 
ha  souvent,  faultc  de  cure,  mcslangc  les  encres,  ores  cy,  ores 
là.  Mais,  dès  (pie  les  lourdes  phrases  ardues  à  rabotter,  ver- 
nir et  polir,  de  (juebjue  ouvraige  au  goust  du  iour,  estoyent 
parachevées,  l'Aulbeur,  curieux  de  s'esbattre,  maulgré  le 
peu  d'encre  rieuse  ((ui  est  au  godet  s  nesUe,  en  robboyt 
ardcumient  aulcune  plumée  avccfpics   mille  (bdices.  Ces 
dictes  plumées  sont,  vère,  ces  dessus  dicls  Contes  drola- 
licques  dont  l'authorité  ne  peut  estre  soupçonnée,  pour  ce 
que  elle  est  cscoulée  de  sourc^î  divine,  ainsy  que  il  appert 
de  ce  naïf  adveu  de  l'Aiilli'ur. 


iô-2  l'HOLOCUE. 

Aiilcunes inaulvaises gens  erieiont  oiicores  do  cecy.  Mais 
treuvez  ung  tronsson  d'honune  paifaictement  content  sur 
ccste  miette  de  bouc.  Est-ce  pas  une  honte?  En  cecy  l'Au- 
tlieur  se  est  saigcnient  comporté  à  l'instar  de  Dieu.  Et  il  le 
prouve  \M\i'  atqul.  Oyez,  est-il  point  dénionstré  en  toute  clai- 
reté  aux  sravans  que  le  souverain  Seigneur  des  mondes  ha 
faict  ung  noudjrc  infîny  de  machines  lourdes,  poisantes, 
graves,  à  grosses  roues,  grans  chaisnes,  terribles  détentes, 
et  affreux  tournoyemens  complicquez  de  vis  et  de  poids  en 
la  fasson  des  tourne-broches,  maisaussy  seestdivertyende 
petites  mignonneries  et  chouses  grotesques,  légicres  comme 
le  vent,  que  il  ha  faict  encores  créations  naïfves  et  plaisantes 
dont  vous  riez,  les  voyant?  Est-ce  pas  vray?  l)onc({ucs,  en 
toute  œuvre concentricquc,  connue  est  la  troz-spacieusebas- 
iisse  emprinse  par  l'Autheur,  besoing  est,  pour  se  modeler 
sur  les  lois  de  ce  dessus  dict  Seigneur,  de  fassonncr   aul- 
cuiH's  lleurs  mignonnes.  ])laisaiis  insectes,  beaulx  draccons 
bien  tortillez,   imbricquez,  supercoulorcz,  voire  mesmes 
dorez,  encores  que  l'or  luyfault  souvent,  et  delesgecter  aux 
pieds  de  ses  monts  neigeux,  piles  de  roches  et  aultres  sour- 
cilleuses ))hilosopliios,  longs  et  terribles  ouvraiges,  colum- 
nades  marnioiines,  vrays  pensioi'ssculj)l('zen  {)orpliyi'e.  lia 
çaîbostes  inummdes  qui  honnissez  et  répudiez  les  fugues, 
phantaisies,  contrepèteries,  musicques  et  roulades  de  la  iolie 
muse  drolaticque,  ne  rongerez-vous  pas  vos  griphes,  pour 
ne  [>lus  escorchici"  sa  peau  blanclic,  azurée  de  veines,  ses 
reins  amoureux,  ses  flancs  de  toute  élégance,  ses  pieds  qui 
restent  saigement  au  lict,  son  visaige  de  satin,  ses  formes  lus- 
trées, son  cueur  sans  lied?  Ha!   testes  cliop])cs,  que  direz- 
vous  en  voyant  cy  (jue  ceste  bonne  lille  est  yssiie  du  cueur 
(le  la  I  iMiicc,  concorde  aux  natincs  de  la  l'eiuiiic,    lia  esté 
Riduéi;  film  (irr  gfnlil  par  b^s  anges,  en  la  pcrMiune  du 


IM;uI,(>GUE.  i53 

(lonntciir  Mercure,  et  liii.iljlcnient  est  la  plus  claire  quintes- 
sence de  l'Art!  En  ccsle  œuvre  se  rencontrent  nécessité, 
vertu,  pliantaisie,  vœu  de  l'ennue,  va'U  d'un  pantagrue- 
liste  quarré,  il  y  ha  tout.  Taisez-vous,  festez  l'Autheur,  et 
laissez  son  galiuiartà  double  godet  doter  la  Gayc  Science  des 
cent  glorieux  Contes  drolaticcpies. 

l)onc(jU('sarii('re,iiiastiiis!  soiniezlesinusicques!  silence, 
cagots!  hors  d'icy  les  ignares!  advancez,  messieurs  les  ri- 
baulds  !  mes  mignons  paiges,  baillez  vostre  doulce  main  aux 
dames,  et  grattezla  leur  au  mitan,  de  la  gentille  fasson,  en 
leur  disant  :  «  Lisez  jjour  rire.  »  Après,  vous  leur  direz 
quelque  auUio  mot  j)lus  [)l;iisiint,  pour  les  faire  esclatter,  veu 
([ue,  quand  sont  rieuses,  elles  ont  les  lèvres  descloses  cL 
sont  de  petite  résistance  à  l'amour. 

liscrii)l  à  Genève  en  l'Iiuslel  île  l'Arccj.  aux  Eaux  Vil'ves.  f'ebvrier  1831. 


37 


ppfWf;JJ||^|^|| 


El  le  cul'ur  liiy  ï-:iulti)\|  jusqii(>>  d.ins  la  gor;^'C. 

—  Vous  avci  une  belle  vache,  fcil-il. 

—  Soubluilcz-vous  unp  peu  de  laict  ?  n;s|)Oiiilil-cllc. 


PERSEVERANCE    D'AMOUR 


Environ  les  premières  anne'es  du  treiziesme  siècle  après  la 
venue  (le  nostre  divin  Saulveur.  advint  en  la  cité  de  Paris  une 
adventure  amoureuse  par  le  laict  d'ung  homme  de  Tours,  de 
la(|uelie  s'csiomira  la  ville  et  aussy  la  Court  du  Rov.  Quant  au 
cleryit',  vous  verrez,  par  ce  qui  sera  cy-dessoubz  dict,  la  part 
qu'il  en  eut  en  ceste  histoire,  dont  par  luy  feut  conservé  le 
tesmoin^maige. 

Ce  (lift  homme,  appelë  le  Tourangeau  par  les  gens  du  menu, 
pour  ce  qu'il  avoyt  prins  naissance  en  nostre  ioyoulse  Tourainc, 


43C  COiNTES  DROLATIQUES. 

cstovl  on  son  vray  nom  dict  Ansoan.  En  ses  vionx  ionrs.co  bon 
honnnc  retourna  on  son  pays  et  lent  maire  de  Sainet-M;irtin, 
suyvant  la  Cdironieijiie  de  l'alihaye  et  de  la  ville  ;  mais  à  Paris 
cstoyt  ung  nuhle  oridiehvre.  Ures  doncques,  en  son  prime  aage, 
par  sagrant  honnesteté,  ses  labeurs  ou  aultrement,  devint  bour- 
geoys  de  Paris,  et  snbiect  du  Pioy,  dont  il  aebepta  la  protection 
suyvant  l'usaige  de  cettuy  temps.  Il  avoyt  une  maison  par  Inv 
bastie  bors  de  toute  censive,  proucbe  recclisc  Sainet-Leu,  en  la 
rue  Sainct-Denys,  où  sa  forge  estoyt  bien  cogneuc  de  ceulx  qui 
cbcrchoyent  les  beaux  ioyaulx.  Encores  que  ce  feust  ung  Tou- 
rangeau et  que  il  eust  de  la  vie  à  revendre,  il  estovt  demouré  saige 
connue  ung  vray  sainct,  nonobstant  les  blandiees  de  ceste  ville, 
et  avovt  elïouillé  les  iours  de  sa  verde  saison  sans  avoir  oiuMpies 
laissé  traisner  ses  cbausses  en  ungclap|)ier.  Beaucoup  diront  (jnc 
cecy  passe  les  facultezde  croire  que  Dieu  lia  mises  en  nous  pour 
ay<ler  à  la  foy  deue  aux  mystères  de  la  saincte  religion  :  aussy 
besoing  est-il  de  démonstrer  abundamment  la  cause  absconse  de 
ceste  cbasteté  d"or|)liebvre.  Et  (ral)ord  prenez  que  il  estoyt  venu 
de  son  pied  en  la  ville;  paouvre  plus  que  lob,  au  diie  des  vieulx 
compaignons,  et  que,  à  l'encontro  des   gens  de  nostre  pays, 
lesquels  n'ont  que  ung  prime  feu,  il  avoyt  ung  cliaractère  de 
métail,  et  persistoyt  en  ses  voycs  comme  une  vengeance  de 
movne.  Ouvrier,  tousiours  laboroyt;  devenu  maistre,  laboroyt 
encores;  tousiours  apprenoyt  secrets  nouveaulx,  cbercboyt  non- 
telles  receptes,  et  en  cbercbant  rencontroyt  des  inventions  de 
toute  sorte.  Les  passans  attardez,  gens  de  guette  ou  maulvais 
garsons,  voyoyent  tousiouis  une  saige  lampe  allumée  à  travers 
les  croisées  de  rorpbebvre,  et  bon  orpbebvre  tapjiant,  scul|itanl. 
rongnant.  cizaillant.  limant,  t()r(piaut,  en  conqiaignie  de  aulcun 
apprentif,  portes  closes,  anreilles  ouvertes.  La  misère  engendra 
le  labeur,  le  labeur  engendra  sa  notable  saigesse,  et  la  saigesse 
engendra  de  grans  biens.  Entendez  cecy,  enfans  de  Gain,  (pii 
mangez  des  doublons  et  j)issez  de  l'eaue!  Si  le  bon  orj)liebvrc 
avovt  en  luy-mesme  de  ces  ](liantas(pies  dezirs,  cpii,  de  cy,  de  là, 
tenaillent  ung  |)aouvie  bonniie  seul,  (piand  le  diable  faict  mine 
de  renq)orler  sur  ung  signe  de  croix,  le  Tourangeau  rebattoyt 
son  métail,  atliroyt  les  csperits  séditieux   à  sa  cervelle  en  se 
bendant  à  faire  des  délicatesses  (b'Iicieiises,   mignonnes  engra- 
veincs,  (igiuines  d'or,  belles  lormes  d'argent  ;ive((|iies  les(pielles 
il  lidVescliissovt  l:i  cliolère  de  sa  Vi'inis.  .\dioii\lez  à  ces  cliouses 


PERSEVERANCF,   D'A  MOI  II.  r.7 

que  ce  Toiiranj^oau  ostovt  lioimiu'  à  sim|)los  soniollos,  de  naïf 
entondomont,  craifinant  Dion  dahoid,  puis  Ips  volcuis,  les  soi- 
gneurs après,  le  luniulto  |)ai-di'ssiis  tout.  Quoique  il  eusl  deux 
mains,  iamais  no  faisoyt  que  une  seule  cliouse.  11  avoyt  uny 
parler  doulx  comme  est  celluy  d'une  espouséc  avant  les  nopces. 
Encores  que  le  clergié,  les  gens  d'armes  et  aultres  ne  le  répu- 
tassent  point  seavant,  il  seavoyt  liien  le  latin  de  sa  mère  et  le 
parlovt  correetement,  sans  se  laiie  prier.  Sulisécutivenient  eeux 
de  Paris  luy  avoyent  apprins  à  marcher  droict,  à  ne  point  hatlre 
les  buissons  pour  aultruy,  à  mesurer  ses  passions  à  l'aulne  de  ses 
revenus,  à  ne  bailler  à  personne  licence  de  luy  prendre  de  son 
cuir  pour  se  faire  des  cordons,  à  veigler  au  grain,  à  ne  point  se 
fier  aux  dessus  de  boëte,  ne  point  dire  ce  que  il  faisoyt  et  faire 
ce  que  il  disoyt,  à  ne  laisser  cheoir  que  de  l'eaue,  avoir  plus  de 
mémoire  que  n'en  ont  habituellement  les  mousches,  à  guarder 
sa  poine  pour  luy  seul  et  aussy  son  escarcelle,  à  ne  point  s'oc- 
cuper des  nuées  par  les  rues,  et  vendre  ses  ioyaulx  plus 
chier  que  ils  ne  luy  coustoyent  ;  toutes  ehouses  dont  la  saige 
observance  luy  donnoyt  autant  de  sapience  (jue  besoing  estoyt 
pour  vendre  à  son  aise  et  contentement.  î^insy  faisoyt-il,  sans 
gehenner  personne.  Et,  advisant  ce  bon  petit  homme  en  son 
privé,  beaucoup  disoyent  le  voyant  :  «  Par  ma  foy  !  ie  vouldroys 
estre  cet  opbiibvre,  encores  (pie  l'on  m'oblirreast  à  boiter  iusques 
au  genoil  les  crottes  de  Paris  durant  uik!  centaine  d'années.  » 
Autant  auroyt  valu  soubhaiter  estre  rov  de  France,  pour  ce  que 
l'orphcbvre  avoyt  des  bras  quarrez,  nerveux,  poilus,  et  si  mer- 
veilleusement durs,  que,  alors  que  il  serroyt  les  poings,  des 
tenailles  manouvrées  par  le  plus  rude  compaignon  ne  luy  eussent 
ouvert  la  main.  Comptez  que  ce  que  il  teiiovt  eslovt  bien  à  luy. 
De  plus,  avoyt  des  dénis  à  maschier  du  fer,  ung  eslomaeh  à  le 
dissouldre,  une  fressure  à  le  digérer,  ung  sphincter  à  l'expec- 
torer sans  deschireure,  puis  des  espaules  à  soustenir  le  monde 
à  l'instar  de  ce  seigneur  payen  auquel  eslovt  iadis  commis  ce 
soing  et  que  la  venue  de  b'sus-CJuisl  en  ha,  l)ien  à  teuqis, 
dcschargié.  (a;  estoyt,  à  vray  dire,  ung  de  ces  honnnes  l'aicts 
d'ung  seul  coup,  et  qui  sont  meilleurs,  veu  que  ceulx  auxquels 
besoing  est  de  retouchier  ne  valent  rien  ainsy  rapiécez  et  bastis 
en  ])lusieurs  foys.  Brief,  maistre  Anseau  estoyt  un  niasle  taitu-t 
en  graine,  à  visaige  de  lion  et  soubz  les  sourcilz  duipud  sourdoyl 
ung  rcsguard  à  fondre  l'or,  si   le  l'eu  de  sa  for^c  liiy  avoyt   faict 


458 


CONTES  DROLATIQUES. 


(lolTanlt  ;   mais  uik'   i-auo  linijiide  mise   en  ses  yculx  par  le 
Modérateur  de  toute  cliouse  tempéroyt  ceste  grant  ardeur,  sans 


quoy   il  eust   tout  bruslé.    Estoyt-ce  point   un   lier   morceau 
d'homme? 

Sur  l'escliantillon  de  ses  vertus  cardinales,  aulcuns  persévé- 
reront à  s'en({ucrir  pourcpioy  le  bon  orplicbvre  estovt  deniouré 
garson  comme  une  huistre,  veu  tpie  ces  proprit'lez  de  nature 
sont  de  i)el  usaigc  en  tous  lieux.  Mais  ces  opiniastres  criticijues 
sçavent-ils  ce  que  est  d'aymer?  Ho  !  ho  !  Foing!  Le  mestier  d'ung 
amoureux  est  d'aller,  venir,  escouter,  guetter,  se  taire,  parler, 
se  blottir,  se  l'aire  grant,  se  faire  ])etit,  se  l'aire  l'ien  du  tout; 
agréer,  niusicquer,  pastir,  (juerir  le  diable  où  il  est,  compter  des 
pois  gris  sur  img  volet,  trouver  des  Heurs  soubz  la  neige,  dire 
des  patenostres  à  la  lune,  caresser  le  chat  et  le  chien  du  logiz, 
saluer  les  amys,  flatter  la  goutte  ou  la  catarrhe  de  la  tante,  et 
luy  dire  en  temps  opportun  :  «  Vous  avez  bon  visaigc  et  Tairez 
l'épilaplie  du  geni'e  hiniiain.  »  Puis  flairer  ce  qui  plaist  à  tous  les 
pareils,  ne  m;y»'lier  sur  les  ]ti('ds  de  personne,  ne  point  casser 
les  verres,  ferrer  des  cigales,  laver  des  bricques,  dire  des  riens, 
tenir  de  la  glace  en  sa  main,  s'esbahir  des  aflicijuets,  s'escrier  : 
«  Cecy  est  bien!  »  ou  :  «  Yrayment,  madame,  vous  estes  bien 
belii!  ainsy.  »  Kt  varier  cela  de  cent  mille  fassons.  Puis  se  fraizer, 
s'ein|»()iser  coiiiiiie  iiiig  seigneur,  avoir  la  langue  leste  et  saige, 
eiidiiier  en  riant  |(nis  les  iiiaulx  ipie  JaiiM    le  diabk,  enterrer 


l'KItSKVI'KANCK   D'.VMOrn.  459 

toutes  SOS  cliolôics,  tenir  sa  nature  en  laisse,  avoir  le  doigt  de 
Dieu  et  la  (jueue  du  diable,  guerdonner  la  mère,  guenlonner  la 
cousine,  guerdonnor  la  nieschinc;  briof,  tousiours  se  l'aire  une 
trongne  plaisante,  fiiulte  de  i[uoy  la  l'cnielle  s'escliappc  et  vous 
plante  là,  sans  dire  une  seule  raison  chrestienne.  En  lin  de  tout, 
l'amoureux  de  la  plus  eh'meiite  garse  (|ue  Dieu  avt  faiete  en  ung 
moment  de  lielK'  humeur  auroyt-il  parlé  connue  ung  bon  livre, 
saulté  connue  une  puce,  viré  comme  ung  dcz,  musicqué  comme 
le  roy  David,  faict  les  cent  mille  tourdions  de  renier,  et  basty 
pour  eeste  dessus  dicte  femme  l'ordre  corinthien  des  colunmes 
du  diable,  s'il  fault  à  la  chouse  esj)éciale  et  tenue  scciette  qui 
plaist  enti'e  touti^s  à  sa  dame,  que  souvent  elle  ne  sçavt  elle- 
niesme,  et  que  il  est  besoing  de  sçavoir,  la  garse  le  quitte  comme 
une  lèpre  rouge.  Elle  est  dans  son  droict.  Nul  ne  sçauroyt  y 
treuver  maille  à  reprendre.  En  ceste  occurrence,  aulcuns  honmies 
deviennent  grin)aulds,  faseliiez,  affoliez  plus  que  vous  ne  jtour- 
riez  imaginer.  Voire  mesmes,  jilusieurs  se  sont  occiz  jiour  ce 
revirement  de  iujipe.  En  cecy,  l'honmie  se  distingue  de  la  beste, 
veu  que  aulcun  animal  ne  ha  perdu  l'esperit  par  desespoir  d'amour; 
ce  (jui  prouve  d'abundant  que  les  bestes  n'ont  point  d'ame.  Le 
nieslier  d'amoureux  est  donc  ung  mestier  de  batteleur,  de 
souldard,  (le  charlatan,  de  baladin,  d(>  prince,  de  niais,  de  l'ov, 
d'oisil',  de  moyne,  de  du|>pe,  de  traisne-chausses,dc  menteui',  de 
vanlaid,de  sycophanle,de  teste  vuyde,  de  chasse-vent,  de  gaule- 
festu,  de  congne-rien,  de  drolle;  ung  mestier  dont  s'est  abstenu 
lesus,  et  que,  en  son  imitation,  desdaignent  les  gens  de  hault 
entendement;  mestier  auquel  ung  honnne  de  valeur  est  recjuis  de 
despendre,  avant  toute  chouse,  son  temps,  sa  vie,  son  sang,  ses 
meilleures  paroles,  oultre  son  cueur,  son  amc  et  sa  cervelle,  don* 
toutes  les  femelles  sont  cruellement  affriandées,  pour  ce  que,  dès 
que  leur  langue  va  et  vient,  elles  se  disent  l'une  à  l'aultrc  que, 
si  elles  n'ont  pas  tout  d'ung  homme,  elles  n'en  ont  rien.  Conq)tez 
mesmes  rpie  il  se  rencontre  des  cingesses  (|ui  fronssenl  leurs  sonr- 
cilz  et  grondent  encores  (pie  ung  honnne  faict  les  cent  coups  pour 
elles,  a  ceste  fin  de  s'en(juerir  s'il  y  en  ha  cent  et  ung,  veu  que, 
en  tout,  elles  veulent  le  pins,  par  espcrit  de  conqueste  et  tyrannie. 
Et  ceste  haulteiurisprudence  ha  esté  tousiours  en  vigueur  soubz 
lacoustume  de  Paris,  nù  les  femmes  re(;oivent  plus  de  sel  au  bap- 
tesnuMpi'en  aulcun  lieu  du  monde,  et  par  ninsy  sont  malicieuses 
(|e  naissance. 


4i0  CONTES  l)!;OL\T|n|  KS. 

Eldoncquos,  rnrpliol)vro,tousiours  ostaMyà  sonmivrmier,hni- 
nissant  l'or,  cliaulTant  l'argent  no  ponvoyt  anlcnnoinent  cliaun'or 
l'amour,  ne  brunir  et  faire  resplendir  ses  pliantaisies,  ne  lanfre- 
lucliier,  parader,  se  dissiper  en  cini^cries,  ne  se  niellreen  (piesto 
d'ungmoule  àaureillos.  Ores,  veu  que  àParispuoellesne  tondxMit 
pas  plus  au  lictdesgarsonsquoil  ne  j)leut  des  paons  rostisezrnes, 
cncores  que  ces  garsonssoyentorpliebvres  royaux,  le  Tourangeau 
eut  l'advantaige  d'avoir,  comme  ha  esté  dessus  dict,  ung  coque- 
bin  dans  sa  chemise.  Cependant  le  bourgeoys  ne  pouvovt  avoir  les 
yeulx  clos  sur  les  advantaigesdo  nature  dont  i'aisovcnt  estât  et  se 
treuvoyent  amplement  fournies  les  dames  et  aussy  les  bourgooyses 
avccques  lesquelles  il  dcbattoyt  la  valeur  de  ses  ioyaulx.  Aussy, 
souvent,  en  escoutant  les  gentils  proupos  des  femmes  qui  vou- 
loyent  l'emboizer  et  le  mignottoyent  pour  en  obtenir  quelque 
doulceur,  bon  Tourangeau  s'en  retournoyt-il  par  les  rues,  resveur 
comme  ung  poëtc,  plus  désespéré  que  ung  coucou  sans  nid,  et  se 
disoyt  lors  en  luy-niesme  :  —  le  debvroys  me  munir  d'une  l'enunc. 
Elle  balyeroyt  le  logiz,  me  tiendroyt  les  plats  chaulds,  ployeroyt 
les  toiles,  me  racousteroyt,  chantcroyt  ioyeulsement  dedans  la 
maison,  me  tourmenteroyt  pour  me  faire  faire  tout  à  son  gousl 
léans,  me  diroyt  comme  elles  disent  toutes  à  leurs  marys,  quand 
elles  veulent  ung  ioyau  :  a  Hé  bien,  mon  mignon,  vois  donc(jues 
cecy,  n'est-ce  pas  gentil?»  Et  ung  chascun,  de  par  le  quarliei-, 
songeroyt  à  ma  femme  et  penseroyt  de  moy  :  «  Voilà  ung  honnne 
heureux.  »  Puis  se  marioyt,  faisoyt  les  nopces,dodinoyt  madanioi- 
scllerorphebvrc,  la  vesfoyt  superbement,  luy  donnoytunecliaisne 
d'or,  l'aymoyt  de  la  teste  aux  pieds,  luy  quiltovt  le  parl'aict  gou- 
vernement du  mesnaige,  sauf  l'espargne,  la  metlovt  en  sa  chandire 
d'en  bault,  bien  verrée,  nattée,  tendue  de  tapisseries,  avecques 
ung  bahut  mirificque,  dedans  ung  lict  oultre  large,  à  columnes 
torses,  à  rideaulx  de  contai  cylrin;  luy  aclieptuyt  f(»rce  boaulx 
mirouëres,  etavoyt  tousiours  ungdixain  d'cnrans  d'elle  et  de  liiv 
(piarid  il  airivoyt  à  son  logiz.  Ains  là,  fonnno  et  enfans  s'eva|t()- 
loyentenmartelaiges  ;  il  transdguroytses  imaginations  melanclio- 
lieuses  en  dessins  phanlasques,  fassonnoyt  ses  pensiers  d'amour 
en  ioyaulx  di'olatic(pies  (pii  plaisoyent  moult  à  ses  achopleurs, 
lcs{picls  igiioroyenl  condiieii  il  y  avciyt  de  femmes  et  d'enfanls 
jtcrdns  dans  les  pièces  d'oipliebvrerie  du  bon  lionnne,  (pii,  tant 
|tlns  avrtyt  de  lalenl  en  son  art,  lant  plus  se  (icsbiflovt.  (lies,  si 
ilicn  ne  l'avoxl  piin^  rn  pilii-,  siidxl  forNssii  de  ce  monde  sans 


PERSEVERANCE  D'AMOUR.  4il 

cognoistrc  ce  qun  oslnyt  do  l'amour,  mais  l'anroyt  cognoii  on 
l'aultresans  la  môlaïuorplioso  do  la  oliair  qui  le  guaslo,  suyvant 
mcssire  IMato,  liomino  d  aullioiilr,  luais  (|ui,  pour  ce  que  il  n'os- 
tovtchrostion,  ha  oriô.  Lasîcospri'paratoirosdiscours  s(iril  digres- 
sions oisives  et  fostidioux  ooiiiiiirulaires,  desquels  les  moscreans 
obligent  ung  homme  d'enlnrliller  ung  conte,  conmie  ung  enfant 
dedans  ses  langes,  alors  qu'il  dehvroyt  courir  toutnud.  Le  grant 
diable  leur  donne  ung  dysfèrc  avecques  sa  foureho  triple  rouge  ! 
le  vais  tout  dire  sans  and)aiges. 

Ores,  vécy  ce  qui  advint  à  rorj»hoi)vre  dans  la  quarante  et 
uniesme  année  de  son  aage.  Ung  iour  de  Dieu,  se  pourmenant  en 
la  rive  gauche  de  la  Seyne,il  s'adventura,  ]iar  suite  d'ung  pon- 
sier  de  niariaige,  iusipies  en  la  pi'airie  qui  (lc])uis  fcut  nonniu'o  la 
Préc  aux  Clercs,  bujucUe  osloyt  lors  dans  le  doniainc  do  l'abbaye 
de  iSainct-Gormain,  et  non  on  celluy  de  rijniversilé.  Là,  tousiours 
marchant,  le  Tourangeau  se  voit  en  pleins  champs,  et  y  feit  la 
rencontre  d'une  paouvre  fille,  laquelle,  l'advisant  bien  guarny,  le 
salua,  disant:  «  Dieu  vous  sanlvo,  monsoigneur!  »  En  ce  disant, 
sa  voix  eut  telles  douloeurs  cordiales,  rptc  ror[)l!obvre  sentit  ses 
csporils  ravis  par  cesto  mélodie  léininine,  et  concout  do  l'amour 
pour  la  fille,  d'autant  que,  chatouillé  de  mariaige  comme  il  estoyl, 
tout  concordoyt  à  la  chouse.  Néantmoins,  comme  il  avoyt  ià  dé- 
passé la  garse,  point  n'osoyt  revenir,  pour  ce  que;  il  estoyt  timide 
connnc  une  (illo  ([ui  mouroyt  dedans  ses  cottes  par  avant  de  les 
lever  pour  son  plaisir;  ains,  quand  il  l'eut  à  ung  got  d'arc,  il 
pensa  que  ung  bomme  receu  depuis  dix  ans  maistro  orphobvre, 
devenu  bourgeoys  et  qui  avoyt  deux  fois  l'aage  d'ung  chien, pou- 
voyt  bien  venir  ung  devant  de  lennne,  s'il  en  avoyt  pbanfaisie, 
d'autant  (pio  son  imagination  luy  trepignoyt  bien  l'orl.  I)(>nc(|ues 
il  vira  net  comme  s'il  changiovl  de  vis('e  pour  sa  |iourmonado, 
puis  revoit  ceste  fille  qui  tenoyt  ])ar  une  vieille  eliordo  sa  paouvie 
vache,  laquelle  broutoyt  l'herbe  venue  en  la  lizière  verde  d  img 
fossé  iouxtant  le  chemin. 

—  Ah!  ma  mignonne,  feit-il,  vous  estes  bien  peu  gnarnie  do 
bien,  que  vous  iaictes  ainsv  O7uvi'o  de  vos  doigts  li'  iour  de  Dieu. 
Ne  redoubt<'z-vous  point  d'estre  mise  en  piison? 

—  Monseigneur,repartit  la  fille  en  abaissant  lesyeulx,ie  n'ay 
rien  à  craindre,  pour  ce  que  ie  appartiens  à  l'abbaye.  Le  sei- 
gneur abbé  nous  ha  baillé  licence  de  |)ourmener  la  vac-lie  après 
vespres. 


.i42  CONTES  DROL.VTKjrES. 

—  Vous  aymoz  (Ukknhu's  vnstio  vaclio  niieulx  (jiio  le  salut  de 
vostre  âme? 

—  Yère,  monseigneur,  noslrebeste  est  quasiment  la  moitié  de 
nostre  paouvrc  vie. 

—  lem'csljaliis,  ma  lillo,  de  vous  sçavoir  paouvre  cl  ainsyhail- 
lonnée,  liouzôe  cnniinc  ung  fagot,  pieds  nuds  par  les  champs  ung 
dimanche,  alors  que  vous  portez  plus  de  threzors  que  vous  n'en 
foulez  au  parcours  du  domaine  abbatial.  Ceulz  de  la  ville  vous 
doibvent  poursuyvre  et  tormenter  d'amour. 

—  Xenny,  monseigneur,  ie  appartiens  à  l'abbaye,  feit-elle  en 
monstrant  à  l'orphelnre  ung  collier  à  son  bras  senestre, comme 
en  ont  les  bestes  cz  chamj)S,mais  sans  clochette.  Puis  gecta  ung 
tant  desplourablc  rcsguard  au  bourgeoys,  que  il  en  demoura 
tristifié,  veu  que  par  les  yeulx  se  communiquent  les  contagions 
du  cueur,  quand  fortes  elles  sont. 

—  Ile!  que  est  de  cecy?  reprint-il,  voulant  s'enquérir  de  tout. 
El  il  toucha  le  collier  où  csloycnt  engravées  les  armes  de  l'ab- 
baye moult  apparentes,  mais  que  il  ne  voulut  point  veoir. 

—  Monseigneur,  ie  suis  fdlc  d'ung  homme  de  corps.  Par  ainsy, 
quicon(}ue  s'uniroyl  à  moy  par  mariaige  tomberoyt  en  servaige, 
l'cusl-il  bourgeoys  de  Paris,  et  apparliendroyt  corps  et  biens  à 
l'abbaye.  S'il  m'aymoyt  aultrement,  ses  enfans  seroyent  encores 
au  domaine.  A  cause  de  ce,  suis  délaissée  d'ung  chascun,  aban- 
donnée comme  une  paouvre  beste  des  champs.  Mais,  dont  bien  n\c 
fasche,  seroys-je,  selon  lei)laisirde  monseigneur  l'abbé,  couplée 
en  temps  et  lieu  avec  ung  homme  de  corps.  Et  ie  seroys  moins 
laide  que  ie  ne  suis,  que,  au  veu  de  mon  collier,  le  jjIus  amou- 
leux  me  fuyroyt  coiume  la  peste  noire. 

En  ce  disant,  elle  tiroyl  sa  vache  par  la  chorde  pour  la  con- 
traindre à  les  suyvre. 

—  En  quel  aage  estes-vous?  demanda  l'orphebvre. 

—  le  ne  seavs,  monseigneur;  mais  nostre  sii"e  abbé  le  ha  en 
notte. 

Geste  granl  misère  touchia  le  cueur  du  bon  honune,  qui  avoyl 
pour  ung  long  temps  mangié  le  pain  du  malheur.  11  conformoyt 
son  pas  à  celluv  de  la  tille,  et  ils  alloyent  ainsy  devers  l'eaue  en 
ung  silence  bien  eslol'lé.  Le  bourgeoys  resguardoyl  le  beau  front, 
les  bons  bras  rouges,  la  taille  de  loyne,  les  pieds  poiildrenx,  mais 
faicls  connue  ceulx  d'une  Vierge  Marie,  et  la  douice  physionomie 
de  ceste  fdlc,  laquelle  estoyt  le  vray  pourtraict  de  saincteGene- 


PERSEVERANCE  D'AMOIR.  41.- 

vicfvc,  la  patronne  de  Paris  et  des  lilles  (jui  vivent  cz  eliainps.  Kt 
comptez  que  ce  cocqnebin  tout  neuf  de  la  teste  aux  pieds  soup- 
çonnoyl  la  i(jlie  damée  lilanclie  des  tellins  de  eeste  fille,  lesipiels 
estoyent,|)ar  graaee  pudicquc,  bien  soigneusement  couverts  d'ung 
maulvais  drapeau,  et  les  appetoyt  comme  ungeseliolier  appète  une 
pomme  rou^^e  |)our  ung  iour  de  chaleur.  Aussy,  comptez  (jue  ces 
bons  brins  de  naturance  denotoyent  une  garsc  complectionnée  en 
perfection  di'licieuse,  comme  tout  ce  (pie  ])ossédoyent  les  movnes. 
Ores,  tant  plus  il  cstoyt  dei'fendn  an  bourgcovs  d'y  loncliiei',  tant 
plus  l'eaue  luy  venoyt  en  la  Ijoncbe  de  ce  liiiicl  diimour,  et  le 
cueur  luy  saultoyt  iuscjucs  dans  la  j,^orge. 

—  Vous  avez  une  belle  vache,  feit-il. 

—  Soubhaitez-vous  ung  peu  delaict?  respondit-elle.  Il  faictsi 
chauld  en  ces  premiers  iours  de  may  !  Vous  estes  bien  esluingné 
de  la  ville. 

De  faict,  le  ciel  estoyt  })ers,sans  nuées, et  ardoyt  connue  une 
forge;  tout reluisoyt  de  ieunessc,  les  feuilles,  Taër,  les  filles,  les 
cocquebins  ;  tout  brusloyt,  estoyt  verd  et  sentoyt  comme  baulme. 
('este  ofirenaïfve,  sans  espoir  de  retour,  veu  (pie  ung  i)esant  n'enst 
{loint  sold('  la  graace  esjK'ciale  de  reste  parole,  puis  la  modestie  de 
geste  par  le(piel  se  vira  la  paouvre  garse,  estraingnit  le  cueur  de 
l'orphebvre,  qui  eust  voulu  pouvoir  mettre  ceste  lille  serfve  en 
la  peau  d'une  royne  et  Paris  à  ses  pieds. 

—  Nenny,  ma  mye,  ie  n'ay  point  soif  de  laict,  mais  de  vous, 
que  ie  vouldroys  avoir  licence  d'aflrancliir. 

—  Cecy  ne  se  j)eut,  et  ie  monrray  appaitenant  à  l'abbave.  Vécv 
ung  bi(^n  long  temps  que  nous  y  vivons  de  pt;'re  en  (ils,  de  mère 
en  lille.  Comme  mes  paouvres  ayeulx,  ie  passcray  mes  iours  sur 
ceste  teire,  et  aussy  mes  enfims,  pour  ce  que  l'abbé  ne  nous  laisse 
j)oint  sans  gesine. 

—  Quoy!  leit  le  Tourangeau,  iniilc  gnallanl  ne  ha  tenté  pour 
vosbeaulx  yeulx  de  vous  achepter  la  liberté,  comme  i'ay  achepté 
la  mienne  au  Roy! 

—  Yèrc,  elle  cousteroyt  trop  chier!  Aussy  ceulx  aux(piels  ie 
plais  à  la  prime  veue  s'en  vont-ils  connue  ils  viennent. 

—  Et  vous  n'avez  point  songié  à  gaigner  ung  aullre  pavs  en 
compaignie  d'ung  amant  à  cheval  sur  ung  bon  coursier? 

—  Uh!  bien.  Mais,  monseigneur,  si  ie  estoys  prinse,  ie  serovs 
au  moins  pendue,  et  mon  guallant,feust-il  ung  seigneur,  y  per- 
droytplus  d'un  domaine,  oultre  le  reste.  le  ne  vaulx  |)as  tant  de 


4it  CONTES   lillOLATinUES. 

biens.  Puis  ralibayo  lia  les  bras  plus  lonys  (jne  ic  n'ay  les  pieds 
prompts.  Kt  donoijues  ic  vis  en  parlaicte  obéissance  de  Dieu,  qui 
nie  lia  plantée  ainsy. 

—  Fa  (|ue  faict  vostre  père? 

—  Il  fassonne  les  vignes  des  iardins  en  l'abbaye. 

—  Et  vostre  mère! 

—  Klle  y  l'aict  les  buées? 

—  Kt  quel  est  vostre  nom? 

le  n'ay  point  de  nom,  mon  cliier  seigneur.  Mon  père  lia 
esté  baptisé  Kstienne,  ma  mère  est  la  Estienne,  et  moy  ie  suis 
Ticnnette,  pour  vous  servir.    . 

—  Ma  mye,  t'eit  l'orpliebvre,  iamais  femme  ne  me  ha  plu  au- 
tant que  vous  me  plaisez,  et  ie  vous  cuyde  le  cueur  plein  de  seurcs 
richesses.  Donccjues,  pour  ce  que  vous  vous  estes  offerte  à  mes 
yeulx  en  l'instant  où  ie  me  déliberoys  fermement  de  prendre  une 
coiiipaigne,  ic  crois  veoir  en  cecy  ung  advis  du  Ciel,  et,  si  ic  ne 
vous  suis  point  desplaisant,  ie  vous  prie  de  m'agréer  pour  vostre 
amy. 

La  lille  baissa  dercchief  les  yeulx.  Ces  paroles  feurent  proférées 
de  telle  sorte,  en  ton  si  grave  et  manière  si  pénétrante,  (jue  ladicte 
Ticnnette  ploura. 

—  Aon,  monseigneur,  respoiidit-elie,  ie  seroys  cause  de  mille 
desjilaisirs  et  de  vostre  mauvais  heur.  Pour  une  paouvre  fille  de 
corps,  ce  est  assez  d'une  causette. 

—  Ho!  feit  Anscau,  vous  ne  cognoissez  point,  mon  enfant,  à 
quel  maislre  vous  avez  affaire. 

Le  Tourangeau  se  signa,  ioignil  les  mains  et  dit  : —  le  fais  vœu 
à  monsieur  sainct  Eloy,  souliz  l'invocation  de  (jui  sont  les  or- 
phebvres,  de  fabric(|uer  deux  niches  d'argent  vermeil,  du  plus 
beau  travail  (ju'il  me  sera  licite  de  les  aorner.  L'une  sera  pour 
une  statue  de  madame  la  Vierge,  à  ceste  fin  de  la  mercier  de  la 
liberté  de  ma  chière  femme,  et  l'aullre  pour  mon  dict  ,patron, 
si  i'ay  bon  sucrez  en  l'empriiise  de  raJfraMchissement  de  Tien- 
nette,  lillc  de  corps,  cy  présente,  et  pour  la(|uelleiemelie  en  son 
assistance.  iJ'abundant,  ie  iure  par  mon  salut  éternc  de  persévérer 
avec(|ucs  couraige  en  ceste  affaire,  y  despendre  tout  ce  que  ic 
|)ossède,  et  ne  la  ([uitter  ((u'aveccpies  la  vie.  Dieu  me  ha  bien 
entendu,  l'eit-il,  et  loy,  mignonne?  ilil-il  en  se  virant  vers  la 
lillc. 

—  Ibi!  ii)oii>cigiiem',  vo\ez!....  ma  vache  couit  les  champs, 


PERSEVERANCE  D'AMOUR.  i\h 

sVscria-l-cUo  on  ])loiirant  aux  fj;cnoilz  do  son  lioiiimo.    lo  vous 
avinorav  loulo  ma  vio,  mais  loprciicz  voslrc  vœu. 

—  Allons  (|U('rii"  la  vaclio,  r('|)arlit  roi|»lii'l)vrt'  vn  la  lolo- 
vant  sans  osor  la  baiser  oncoros,  iiuoitiuo  la  lillo  y  loust  bien 
disposo. 

—  Oui,  loil-ollc,  car  ie  soroys  batluo. 

Et  vccy  ror|)lK'bvro  do  saullor  après  la  danuK-o  vaclic,  (|iii 
se  soulciovl  mio  dos  amours  ;  ains  ollo  loust  tost  priiiso  aux 
cornos  ot  lonuo  connue  en  ung  ostau  par  les  mains  du  Tou- 
rangeau, ([iii  |iniii'  nu  rien  leust  gectéc  par  les  aërs,  connue 
fcstu. 

—  Adieu!  ma  myo.  Si  vous  allez  en  la  ville,  venez  à  mon  lo- 
giz,  piouclio  Sainot-Lcu.  le  me  noimno  maislrc  Ansoau  cl  suis 
or|tbebvre  de  noslio  soigneur  lo  lloy  de  Franco,  à  l'imaige  de 
sainct  Eloy.  Faicles-moy  promesse  d'cstre  en  ce  champ  au  |uou- 
chain  iour  do  l)ie\i;  point  ne  l'auldray  à  venir,  encore  qu'il  tom- 
bast  dos  hallebardes, 

—  Oui,  mon  bon  soigneur.  Pour  ce  saulleroys-ie  aussy  bien 
par-dessus  les  bayes,  ot,  en  rocognoissance,  vouidrovs-ie  cslrc  à 
vous  sans  moschioi',  ot  no  vous  causer  aulcun  dommaigo,  an  prix 
do  mon  hour  à  venir.  En  attendant  la  bonne  heure,  ie  [)ricray 
Dieu  pour  vous  bien  fort. 

Puis  elle  demoura  en  pieds  comme  ung  sainct  de  pierre,  ne 
bougeant  j)oinl,  iusipies  à  ce  (juc  elle  ne  voit  plus  le  bourgeoys, 
qui  s'en  alloyl  à  pas  lents,  se  virant  par  momens  devers  elle  pour 
la  resguarder.  Et  quand  le  bourgeoys  l'eut  loing  et  hors  de  ses 
yculx,  elle  se  tint  là  iusqucs  à  la  nuictée,  perdue  en  ses  médita- 
tions, no  saichant  pas  si  elle  n'avoyt  |»oint  resvé  ce  «pii  Iny  cs- 
toyt  advenu.  Puis  revint  surlo  tard  au  logiz,  oîi  elle  l'eut  battue 
[)Ours'oslro(leslieuréo,  mais  no  sentit  point  les  coups.  Le  hou  bour- 
geoys perdit  lo  boire  et  le  mangier,  l'crma  son  ouvrouer,  ioru  de 
ceste  (ille,  ne  songiant  que  de  ccste  lillc,  voyant  partout  ceste  lille, 
et  tout  luyestoyt  ccste  fdle.  Orosdoncqnos,  dès  lendemain  devalla 
vers  l'abbaye  en  grant  appréhension  de  parler  au  soigneur  abbé. 
Puis,  en  chemin,  pensa  piudemmenl  do  soy  mettre  sdubz  la  pro- 
tection d'ung  honmio  duU(ty,ot,  dansée  j)onsicr,  retourna  ou  la 
Court,  qui  lors  cstoyt  en  la  ville.  Ores,  vcu  que  il  estoyt  existimé 
de  tous  pour  sa  proudhomie,  aymé  pour  ses  œuvres  mignonnes 
et  ses  conq)laisances,  lo  chamberlan  du  l{(»v,  autpiel  il  avovt 
csraumont  i'aictpour  une  dame  decueur  ung  drageoir  d'or  ctdo 

58 


446  CONTES  DROLATIQUES. 

pioiTcries  unic(|uo  en  sa  Hisson,  liiY])roiiiil  assistance,  foit  seller 
son  cheval  el  nne  liacqnenée  ponr  rorpiiebvre,  avcc(iues  leqnel 
il  vint  aussylost  en  l'abbaye,  et  demanda  l'abbé,  qui  estoyt  mon- 
seigneur Ilugon  de  Sennecterre,  lequel  avoyt  d'aage  nouante  et 
trois  années.  Lors  estant  venu  en  la  salle  avecques  ror|tliebvre 
bien  estoulïé  d'attendre  sa  sentence,  le  cbamiierlan  pria  rai)l)é 
Ilugon  de  luy  octroyer  par  advance  une  cbouse  facile  à  oetroyer 
qui  luy  seroyt  plaisante.  A  cpioy  le  sire  abbé  lespondit  en  bran- 
lant le  chiel'quelcs  Canons  lui  laisoyent  inhibitions  el  detïenscs 
d'engagier  ainsy  sa  foy. 

—  Vécy,  mon  chier  jtère,  dit  le  cliamberlan,  l'orphebyrc  delà 
Court  (jui  ha  conceu  ung  grant  amour  j)()ur  une  lille  de  corps 
appartenant  à  voslre  abbaye,  cl  ie  vous  recjuiers,  à  charge  de 
vous  com})lairc  en  celluy  de  vos  dezirs  que  vous  vouldrez  veoir 
accomply,  de  franchir  ceste  liUe. 

—  ()uelle  est-elle  ?  demanda  l'abbé  au  bourgeoys. 

—  Klle  ha  nom  Tiennette,  dit  timidenuMil  rorphebvre. 

—  Ilo!  ho!  l'eitlebon  vieil  Ilugon  en  souriant.  L'aj)past  nous 
ha  doncques  tiré  ung  beau  poisson.  Cecy  est  ung  cas  grave,  etie 
ne  sçauroys  le  résouldre  seul. 

—  le  sçays,  mon  père,  ce  que  vault  ceste  parole,  l'eit  le  cliam- 
berlan en  i'ronssant  les  sourcils. 

—  lUau  sire,  teil  l'abbé,  sçavez-vous  ce  que  vault  la  tille'.' 
L'abbé  connnanda  (pie  l'on  allasl  (|ucrir  Ticnnellc,  en  disant 

à  son  clerc  de  la  vestir  de  bcaulx  babils  cl  de  la  l'aire  la  plus 
lu'avc  que  il  se  pourroyt. 

—  Voslre  amour  est  en  (l;iiiuiir,  IVil  le  cliamberlan  à  ror- 
phebvre en  le  tirant  à  pari.  Quittez  ceste  phanlaisie.  Vous  ren- 
coutrerez  partout,  mesmes  en  la  Court,  des  l'cmmes  de  bien, 
ieunes  et  iolies,  (jiii  vous  esponseront  voulcntiers.  Pour  ce,  si 
bcsoing  est,  le  Uoy  vous  aydera  dans  (pielquo  accjnest  de  sei- 
gneurie (jui,  par  force  de  temps,  vous  feroyt  faire  une  bonne 
maison.  Kstcs-vous  pas  assez  bien  guarny  d'cscuz  jidur  devenir 
souche  (le(jiielque  noble  lignée'/ 

—  I(!  ne  sçauroys,  iiKuiseigneur,  resp^ndil  Aiiseau.  le  ay  faict 
une  enqirinse. 

—  Iloneques  vovez  lors  à  ache|)ter  la  niaimiiiission  de  ceste 
lille,  ie  cognoys  les  moynes.  Aveecpies  eii\   nidiinoye  faict  tout. 

—  Monseigtienr  feil  l'drphebvre  à  l'ahbt'  revenant  vers  hiy, 
vous  avez  charge  et  cure  de  représeiilei' ici-bas  la  bunti'de  Dieu, 


Uonseigneur  Ilugon  ilc  Sennecterre,  lequel  avoyl  d'nagc  nouante 
cl  trois  années. 


448  CONTES  DROLATIQUES. 

qui  souvent  use  tic  cicnionce  envers  nous  et  ha  des  Ihrezors  infinis 
de  miséricorde  pour  nos  misères.  Ores  ie  vous  meltrav,  durant 
le  restant  de  mes  iours,  chaque  soir  et  chaque  matin,  en  mes 
prières,  et  n'ouljlieraviamais  avoir  tenu  mon  licurde  vostro  cha- 
rité, si  vous  vouk^z  m'aydci'  à  iouyr  de  cesle  liHc  en  h'gilime  ma- 
riaige,  sans  guarderen  servaigeles  enlansànaistrcdeceste  union. 
Et  pour  ce,  j)uis-je  vous  faire  une  boëtc  à  mettre  la  saincte  Eucha- 
ristie, si  bien  éhiborée,  enrichie  d'or,  pierreries  et  figures  d'an- 
ges aeslez,  que  anh^nne  aultrc  ne  sera  iamais  ainsy  dans  la 
chreslienté,  laquelle  demoureia  nnicque,  vous  resiouvra  la 
veue  et  sera  si  bien  la  gloire  de  vostre  autel,  (pie  les  gens  de  la 
ville,  les  seigneurs  cstrangiers,  tous  accourront  la  veoir,  tant 
magnificque  sera-t-elle. 

—  Mon  fils,  respondit  l'abbé,  perdez-vous  le  sens?  Si  vous 
estes  résolu  d'avoir  cesle  fille  pour  légitime  espouse,  vos  biens 
et  vostre  personne  seront  acquestez  au  Chapitre  de  l'alibave. 

—  Oui,  monseigneur,  ic  suis  afi'olcz  de  cesle  paouvre  fille,  et 
plus  touchiez  de  sa  misère  et  de  son  cueur  tout  chrestien  que  ïe 
ne  le  suis  de  ses  perfections  ;  mais  ie  suis,  dit-il  avecques  larmes 
aux  yeulx,  encores  plusestonnéde  vos  durelez,  et  ie  le  dis  quoi- 
que ie  saiche  mon  sort  entre  vos  mains.  Oui,  monseigneur,  ie 
cognoys  la  loy,  Ains,  si  mes  biens  doibvent  tond)er  en  vostre  do- 
maine, si  ie  deviens  honune  de  corps,  si  ic  perds  ma  maison  et 
ma  hourgc*oysie,  ie  guarderay  l'eiigin  conquestépar  mes  labeurs 
et  mes  estudes,  et  qui  gist  là,  feil-il  en  se  cognant  le  front,  en 
ung  lieu  où  md,  fors  Ifieu,  ne  peut  eslre  seigneur  cpie  moy,  l',l 
vostre  abbaye  entière  ne  sçauroyt  l)ayer  les  esjx'ciales  création^ 
qui  en  so"\irdent.  Vous  aurez  mon  corps,  ma  fenmie,  mes  cnfans: 
mais  rien  ne  vous  baillera  mon  engin,  pas  mesmes  les  torteures, 
veu  que  ic  suis  plus  fort  que  le  fer  n'est  dur  cl  plus  palienl 
que  la  douleur  n'est  grant. 

Ayant  dict,  TijrplKdjvre,  ein;iig('  par  le  caliiii'  de  l'iibbi',  (pii 
sembloyt  ré'solii  d'ac(piesler  à  l'abbaye  les  diuddnns  d<>  ce  bon- 
honniie,  deschargia  son  poing  sur  une  chair  en  cliesnt»,  et  la  mit 
par-  petites  eschardes,  veu  (pie  elle  s'esclatta  comme  soubz  ung 
coup  de  massue, 

—  Voilà,  monseigneor,  ipid  scrvilciir  vous  iiurez,  et  d'nng 
ouviier  d(!  cboiises  divines  ferez  niig  cbtwal  de  Iraicl. 

—  Mon  fils,  i'(>sp(iii(lil  l'abl»',  V(M1s  avez  à  lorl  brist-  ma  clciire 
et  l&iereiiieni  iii^ié  mon  unie.  Cesle  fille  est  à  l'abbave,   et  non 


PERSEVERANCE   D'AMOUR.  MO 

mionno.  lo  suis  lo  lidollo  sorvaloiir  dos  droicls  et  iisai^^os  do  ro 
glorioux  monaslôro.  Kucoros  quo  io  puisse  donner  à  co  ventre  de 
l'emnic  licence  de  faire  des  onl'ans  libres,  ie  doihs  coni|»lo  de  ce  à 
Dieu  et  à  l'abbaye.  Ores,  depuis  que  il  est  icy  un;,^  aulel,  des  gens 
de  corps  et  des  moynes,  id  est,  depuis  ung  temps  imniéniorial, 
iamais  il  ne  se  est  renconlré  ung  cas  de  bourgeoys  devenant  la 
propriété  de  l'abbaye  par  nuuiaige  avcc(pios  une  fille  do  corps. 
Doncques  besoing  est  d'exercer  le  droict  d'en  faire  usaige,  pour 
que  il  ne  soit  oncques  perdu,  débilité,  caduc,  et  vienne  en  dé- 
suétude, ce  qui  occasionne  mille  troul)los.  Etcecyest  d'ungplus 
liault  advantaigo  pour  PEstat  et  l'abbaye  que  vos  boëtes,  tant 
belles  sovenl-elles,  veu  que  nous  avons  »ing  Ibrezor  qui  nous 
permettra  d'acheptor  de  beaux  ioyaulx,  et  que  nul  tbrezor  ne 
sçauroyt  establir  descoustumcs  et  des  loys.  l'en  appelle  à  mon- 
seigneur le  cliamberlan  du  Roy,  tesmoing  des  poynes  infinies  que 
nostre  Sire  prend,  cbaipie  inur  de  batailler  pour  restablissemont 
de  ses  ordonnances. 

—  Cecy  est  pour  me  clore  le  bec,  feil  lo  ebambeilan. 
L'orpliebvre,  quin'ostoyt  point  unggrant  clerc,  domoura  pen- 
sif. Puis  vint  Tiennettc,  nette  comme  ung  plat  d'cslain  nouvel- 
lement frosté  par  une  mesnaigièro,  les  cheveulx  relevez,  ves- 
tue  d'une  robbe  de  laine  blanclie  à  ceincture  perse,  cbausséede 
soliers  mignons  et  de  cliausses  blancbos,  enlin  si  royalloment 
belle,  si  noble  on  son  maintien,  (jue  l'orplielivre  se  pétrifia  d'ec- 
staze,  et  le  cliamberlan  confessa  n'avoir  oncques  veu  si  parfaicte 
créature.  Puis  il  existimaque  il  y  avoyt  trop  de  dangierpour  le 
paouvreorphebvreencesteveuc,  leramona  daredaroenla  ville,  et 
l'engagea  de  moult  penser  à  coste  affaire,  veu  ([ue  l'abbé  n'af- 
francbiroyl  point  ung  si  bon  bamosson  à  prendre  bourgeoys  ci 
seigneurs,  en  la  banso  parisienne.  De  faict,  leCbai)itre  feitsça- 
voir  au  paouvre  amoureux  que,  s'il  espousoyt  ceste  fille,  il  deb- 
voyt  se  résouldre  à  quitter  ses  biens  et  sa  maison  à  l'abbaye,  se 
recognoistre  lionnne  de  corps,  luy  et  les  onfans  à  provenir  dndicl 
mariaigc;  ains  (|ue,  j)ar  graaco  espéciale,  l'abbé  le  lairroyt  en 
son  logiz,  à  la  condition  do  bailler  ung  estât  de  ses  meubles,  do 
payer  par  chascun  an  une  redevance,  et  venir,  pendant  une  buic- 
taine,  demoureren  ung  bouge  despendant  du  domaine,  à  ceste  fin 
defaii'o  acte  de  sorvaige.  L'or|»liobvre,  auquel  ung  cbaseun  par- 
loyt  de  l'opiniaslretc'  dos  moynes,  voit  bioncpio  l'abbé niaintien- 
droyt  inconunutablemont   col   arresl,   et  se  desespéra  à  pi'nhe 

38. 


450  CONTES  DROLATIQUES. 

l'anio.  Tantost  vouloyt  l)nntcr  le  fou  oz cinq  coins  du  monastère; 
tantost  se  prouposoyt  d'altiror  l'abbé  on  unj;  liou  où  il  ponst  le 
tonnenler  iusques  à  ce  qu'il  luy  eust  signé  quelque  chartre  d'af- 
franchissoniont  pour  Tionnolte  ;  enfin  mille  rosvos  (jui  s'évapo- 
royont.  Mais,  après  bien  dos  lamonlalions,  se  dolibôra  d'enlever 
la  (ille  et  s'enfouir  dans  un;,^  liou  sour  d'où  rien  ne  le  sçanrovl 
tirer,  et  feitses  préparatives  en  conséquence,  veu  que,  foryssu  du 
royaulme,  ses  amys  ou  le  Roy  pourroyent  mieulx  chevir  des 
moynes  et  les  arraisonner.  Le  bonhomme  comptoytsans  son  abbé, 
veu  que,  en  allant  à  la  prée,  il  no  voit  plus  Tionnetto  et  apprint 
que  elle  ostoyt  serrée  on  l'abbaye  en  si  i^rant  rigueur  que,  pour 
l'avoir  bosoingsoroytde  faire  le  siège  du  monastère.  Lors  maistrc 
Anseau  se  ros|)andit  en  plainctes,  esclats  et  querimonies.  Puys 
par  toute  la  cité,  les  bourgeoys  et  mesnaigieres  parloyent  de  ceste 
advenlure,  dont  le  bruict  fout  tel  que  le  Roy,  advisant  le  vieil 
abbé  on  sa  Court,  s'onquil  de  luvpour([uov  il  ne  cedoyt  point  en 
ceste  occurrence  à  la  grant  amour  do  son  orpbobvro  et  ne  mot- 
toyt  point  en  pratieque  la  charité  chrestienne. 

—  Pour  ce  que,  monseigneur,  respondit  le  prebstre,  tous  les 
droictssont  unis  ensemble  comme  les  pièces  d'une  armem'e,  cl, 
si  l'une  faict  deffaidt,  tout  tombe.  Si  ceste  fille  nous  estoyt, 
contre  nostre  gré,  ])rinsc,  elsi  l'usaigo  n'estoyt  observé,  bientost 
vos  subiects  vous  osteroyent  vostre  couronne,  et  s'esmouveroyent 
en  tous  lieux  grosses  séditions  à  ceste  fin  d'abolir  les  tailles  et 
péages  qui  gehcnnent  le  populaire. 

Le  Roy  eut  la  bouche  close.  IJng  chascun  donequos  estoyt  en 
appréhension  de  sçavoir  la  fin  de  ceste  advonture.  Si  grant  feut 
la  curiosité  (pio  aulcuns  soigneuis  gaigièrcnt  que  le  Tourangeau 
se  désislcroyt  de  son  amour,  et  les  dames  gaigièrent  le  contre. 
L'orphebvre  s'estant  plainct  avecques  larmes  à  la  Royne  que  les 
moynes  luy  avoyent  ravy  la  voue  de  sa  bien  aymée,  elle  treuva 
la  cbousodélostable  (^t  torssionnaire.  Puis,  sur  ce  (|ue  elle  manda 
au  soigneur  abbé,  il  l'eut  licite  au  Tourangeau  d'aller  tous  les 
iours  au  parlouër  de  l'abbaye  ou  vonoyl  Tiennotto,  mais  soubz 
la  gouverne  d'ung  vieulx  nioyne,  et  lousiours  venoyt-elle  attor- 
née  en  vraye  magnificence  comme  une  dame.  Les  deux  amans 
n'avoyent  lors  aullro  licMMici;  (pie  i\v  so  veoir  et  se  parler,  sans 
poiivfm-  happer  nng  paouvre  boussin  de  ioyo,  et  lousiours  leur 
anioin'  eroissovt  d'autant.  IJng  iour,  Tioimotte  tint  (•(•  discours  Ik 
son  amv  :  —  Mon  (hier  seigruiU',  i'av  dolilx'n'do  vous  ikùrv  le 


PERSEVERANCE  D'AMorU.  \M 

guerdon  (]o  ma  vio  ])oiir  vous  osier  de  poyne.  Vécy  comme.  En 
m'onf|ii('i;ml(lo  tout,  i'ny lieu V('ungioinct pour  frauder los  droicts 
de  l'abbaye  et  vous  (b)nner  toutes  h>s  lelieilez  (jue  vous  atteudez 
de  ma  IVuition.  Le  iuge  ccclésiastic(|ue  ba  dictque,  ne  devenant 
homme  de  corps  que  par  accession,  et  pour  ce  que  vous  n'estiez 
pas  né  homme  de  corps,  vostre  scrvaige  cesseroyt  avecques  la 
cause  qui  vous  faisoyt  serf.  Ores  donoques,  si  vous  m'aymcz  plus 
que  tout,  perdez  vos  biens  pour  acquérir  nostre  bonheur,  etm'es- 
pousez.  Puis,  quand  vous  aurez  i(»uy(lenioy,  et  (pie  vous  m'au- 
rez accollèc  tant  et  plus,  par  avant  (jue  ie  n'aye  de  lignée,  ie 
m'occiray  voulentairement,  et  par  ainsy  redeviendrez  Iil)re.  Au 
moins  ce  seraung  pourchaz  pour  lequel  vous  aurez  le  Roy  nostre 
Sire,  qui  vous  veult.  dit-on,  mille  biens.  VA.  sans  doubte  aulcun, 
par  Dieu  me  sera  pardoint  ceste  mort  que  i'auray  faicte  en  veue 
de  délivrer  mon  seigneur  espoux. 

—  Ma  chiere  Tiennette,  s'escria  l'orphebyre,  tout  est  dict.  le 
scray  homme  de  corps,  et  tu  vivras  pour  faire  mon  heur  aussy 
long  que  mes  iours.  En  taeompaignie,  les  |)lus  dureschaisnesne 
me  seront  iamais  poisantes,  et  peu  me  chault  d'estre  sans  de- 
niers à  moy,  pour  ce  que  toutes  mes  ricliesses  sont  en  ton  cueur, 
et  mon  plaisir  unicque  en  ta  doulce  corporencc.  le  me  fie  en 
monsieur  sainctEloy,  qui  daignera  dans  ceste  misère  gecter  des 
yeulx  pitoyables  sur  nous,  et  nous  guarantira  de  tous  maulx. 
Ores,  ie  vais  de  ce  pas  chez  ung  escripvain  pour  faire  dresser 
les  Chartres  et  contrats.  Au  moins,  chiere  fleur  de  mes  iours, 
seras-tu  bravement  vestue,  bien  logiée  et  servie  comme  une 
royne  pendant  la  vie,  veu  que  le  sieur  abbé  nous  laisse  la 
iouissance  de  mes  acquests. 

Tiennette,  plourant,  riant,  se  deffeiulit  desonheur,  ctvouloyl 
mourir  pour  ne  point  n'duire  en  scrvaige  ung  homme  libre  ;  mais 
le  bonAnseau  luv  dit  de  si  doulees  paroles  et  lamenassasi  bien 
de  la  suyvre  en  la  tumbe,  (jue  elle  s'accorda  pour  ce  dict  mariaige, 
songiant  que  elle  pourroyt  tousiours  se  tuer  après  avoir  gouslé 
aux  ioyes  de  l'amour.  Alors  ([ue  feut  scène  ])ar  la  ville  la  soub- 
mission  du  Tourangeau,  (pii  jiour  sa  mye  cpiiltoyl  son  avoir  et 
sa  liberté,  ung  chascun  le  vouloyt  veoir.  Les  dames  de  la  Court 
s'encnndîroyent  de  ioyaulx  pour  parlera  luy  ;  et  il  luy  tond)oyt 
des  nuées  force  femmes  pour  le  temps  jx-ndant  lequel  il  en  avoyt 
esté  privé.  Mais  si  auIeunesap|»rou(hoyent  Tiennette  en  beaulté. 
nulle  n'avovt  son  cueur.  Uricf,  en  entendant  sonner  l'Iieure  du 


4:2  CONTES    DROLATIQUKS. 

sorvai<To  ot  de  ramour,  Anscau  loiidil  loul  son  or  en  une  cou- 
ronne rovalle.  en  la(|iiello  il  esniailla  les  perles  et  diamans  que 
il  avovt  à  luv,  puis  vint  secrellement  la  remettre  à  laUoync,  en 
luv  (lisant  :  —  Madame,  ie  ne  seays  en  (jnelle  iby  mettre  ma 
l'ortune  que  vécy.  Demain,  tout  eequi  se  treuveradans  monlogiz 
sera  la  chevance  des  damnez  moynes  qui  n'ont  point  eu  pitié  de 
moy.  Doneques  daignez  me  guarder  cecy.  Ce  est  ung  Ibible  mer- 
ciement  de  la  ioye  que  par  vous  i'ay  eue  de  veoir  celle  que 
i'ayme,  veu  (pie  mille  somme  ne  vault  ung  de  ses  resguards.  le 
nesçays  ce  qui  adviendra  de  moy.  Mais,  si  img  ionr  mes  enfans 
cstoyent  délivrez,  i'ay  Iby  en  vostrc  générosité  de  royne, 

—  Bien  dict,  bon  liomme,  l'eit  le  Roy.  L'abbaye  aura  quebpie 
iour  besoing  de  mon  ayde,  et  ie  ne  perdray  point  le  soubv(Miir 
de  cecy. 

11  y  eut  ung  monde  exorbitant  en  l'abbaye  pour  les  espousailles 
de  Tiennette,  à  la([uelle  la  Hoyne  donna  en  présent  des  veste- 
mens  de  nopces  et  à  qui  le  Roy  bailla  licence  de  porter  tous  lés 
iours  des  annels  d'or  en  ses  aureilles.  Quand  vint  le  ioly  couple 
de  l'aljbave  au  logiz  d'Anseau,  qui  serf  estoyt  devenu,  prouclie 
Sainot-Leu,  il  v  eut  des  ibunbeaux  aux  l'enestres  pour  le  veoir 
passer,  et  dans  la  rue,  deux  bayes  comme  à  une  enlive  royalle. 
Le  paouvrc  mary  s'estoyt  Ibrgié  ung  collier  d'argent  qu'il  avoyt  en 
son  bras  senestre  en  foydc  son  appartenance  à  l'abbaye  Sainct- 
ficrmain.  Ains,  maulgré  son  servaige,  luy  crioyt-on  :  Noël! 
Noël!  coimne  à  ung  nouveau  roy.  Kt  lelmn  lionnnesaluoyt  tre/- 
bien,  beureux  eouune  ung  amoureux  et  trez-ioyeulx  des  bom- 
maiges  que  ung  cbaseun  rendoyt  à  la  giaace  et  modestie  de 
Tiennette.  Puis  treuva  le  bon  Tourangeau  des  rameaux  verds  et 
des  bluets  en  couronne  en  sa  potence,  et  les  principaulx  du 
(piartier  estoventlà  tous,  qui,  par  grantbonneur  lui  leireiit  des 
musieques  et  luy  eii('r('nt  ;  <(  Vous  serez  tousiom's  ung  noble 
lionnne  maulgré  l'alibaye  !  »  domptez  (pie  les  deux  es|)oux  s'es- 
crimèrent à  en  lendre  l'amc  cl  «pic  le  liourgeoys  deut  poiilser  de 
liers  coups  en  l'escu  de  sa  mye,  (pii,  en  bonne  pucelle  de  cam- 
]»aigne,  estoyt  de  natui-e  ù  les  luy  rendre,  et  ils  ves(iuirentbicn 
uug  mois  cutiei-,  allaigres  comme  d(>s  eolumbes  (pii  au  prime 
li'm|is  massouueut  leui-  nid  briu  à  brin.  Tifmiell(î  estoyt  toute 
aise  de  son  beau  logiz  v.\  des  |)raLic(pu's  tpii  venoyent  et  s'en 
all(»vcnt  esrucrvcilK'i's  d'elle.  Ce  luois  de  (leurs  |tassé,  vint  ung 
iour  eu  ^iiaiil  | ipe  le  ln'ii  \ieil  .mIiIm'  jjui^dii.  leur  seigneur  et 


p  E  n  s  K  V  !■;  [\  A  N  c  F.  I  )  •  A  M  f  )  r  II .  4r.r) 

maislro,  loqnol  cnli;!  dans  sa  ni;iison,  qui  l(»rs  n'csioyi. pins  à  l'or- 
plichvrc,  airis  au  Cliapitic  ;  piiys,  là,  dit  aux  deux  cspoux  :  a  >[(N 
enfans,  vous  cst(*s  libros,  Irancs  et  quiltos  do.  tout.  Kl,  \r  ddihs 
vous  dire  quo,  do  primo,  abord,  ay  ^M'antcmont  osté  loru  de 
l'amour  (pii  vous  ioiugnoyt  l'ungà  l'aidlrc  Aussy,  les  droicts  de 
l'abbaye  rooognous,  ostoys-jo,  à  j>art  uioy,  dôlibéi'i'  vous  faire 
une  ioye  eutièro,  aj)r('s  avoir  osprouvi'  vostro  loaultoon  bi  cou- 
pelle de  Dieu,  Et  coste  nianuuiission  ne  vous  coustcra  rien.  » 
Ayant  dict,  il  leur  bailla  ung  bon  |)otit  coup  de  main  en  la  ioue 
et  ils  toml)(Mont  à  ses  genoilz  en  |)lourant  de  ioye  pour  raisons 
valables.  Le  Touiangoauapprintà  conlx  duipiaitior,  cpii  s'amas- 
soyent  en  la  rue,  la  largesse  ot  bt'iH'dictioii  du  i»on  ai)!»-  llugon. 
Puis,  en  grant  bonnonr,  maistro  Ansoau  luy  tint  la  bride  de  sa 
iument,  iusques  en  la  porte  de  Bussy.  Durant  ce  voyaige,  l'or- 
pbebvre,  qui  avoyt  prins  ung  sae  d'argent,  en  gectoyt  les  pièces 
aux  paouvres  et  soulTrotoux  criant  :  «  Lai'gosse  !  largesse  à  Dieu  ? 
Dieu  saulvo  et  guardo  l'ajjbé  !  Vive  le  bon  soigneur  llugon  !  » 
Puis,  (\c  retour  on  sa  maison,  rosgualla  sosamysot  l'oit  dos  nnpcos 
nouvelles  (pii  durèi'ont  une  pleine  sopnutinc.  Cuvdozquo  l'altbé 
feut  bien  reproucbédc  sa  clémence  par  son  Chapitre,  qui  ouvroyt 
ià  la  gueule  pour  digérer  coste  bonne  proye.  Aussy,  ung  an  après 
ce,  le  1)011  lionnno  llugon  estant  malade,  son  prieur  luy  disoyi-il 
que  ce  ostoyt  une  punition  du  ('iol  de  ce  que  il  avoyt  caïné  les 
sacrez  interests  du  Cbapitro  ot  do  Dieu.  —  Si  iay  bien  iugé  de  cet 
homme,  fcit  l'abbé,  il  aura  souvenir  de  ce  que  il  nous  doibt. 

De  faict,  ce  iour  estant  par  adventure  l'anniversaire  de  ccttuy 
mariaige,  ungmoyne  vint  annoncer  (pu^  l'orpboljvro  supplioyt  son 
bienfaictour  do  le  ro(;(>pvoii'.  Lors  il  apparut  on  la  salle  où  ostovt 
l'abbé,  auquel  il  dospouilla  doux  cbaassos  morvoillousos  (pio  de- 
puis ce  temps  nul  ouvrier  n'a  surpassées  en  aulcun  lion  du  monde 
chi'estien,  et  (pii,  pour  ce,  l'eurent  dictes  le  vœude  la  persévé- 
rance d'amour.  Ces  doux  tbrezors  sont,  comme  ung  cliascun 
sçayt,  placozau  maistro  autel  iU'  reccliso,  et  sont  esliniez  estre 
d'ung  travail  inosliniai)lo,  von  quo  l'orpbobvi'oy  avoyt  dosptMidu 
tout  son  bien.  Neanlmoins  cet  ouvraige,  loing  d'amoimiser  son 
escarcelle,  la  remplit  à  pleins  bords,  pour  co  (pio  si  bien  creust 
son  renom  et  .ses  prouflicts,  que  il  dut  a(li(|il(  i  la  noidosse,  force 
terres,  et  lia  fondé  la  maison  dos  Ansoau.  (pii  dopiixs  I'cmiI  imi 
grant  bonnour  dans  la  gonlo  Touiaino. 

Cocy   nous    ondooliin<'    à    lousiowrs  recourir  aux  saiiicls  ol  à 


454  CONTES   DROLATIQUES. 

Dieu  dans  los  omprinsos  de  la  vie,  ot  à  ])('r.scvercr  on  toutos  les 
cliouscs  rocogneuos  lionnes;  puis,  d'aliundant,  (lu'uny  yrant 
amour  triuinplic  de  tout,  ce  qui  est  une  vieille  sentence  ;  mais 
l'Autlieur  l'iia  csciipte,  pour  ce  que  elle  est  moult  plaisante. 


D'UNG   lUSTlCIARl) 

un   NU    SE    KLMEMIÎUOYT    LES    CIIOUSES 


En  la  honiKMillcdo  Bonrgos,  jm  Icnips  quos'y  lijioloyl  nosfrc 
Sire  qui,  du  dcpiiys  laissa  la  (jucsle  des  contciilcniciis  pour  coii- 
quester  le  royauliue,  et  de  l'aict  le  eon(|U('sta,  dciuouroyl  uiig 
sieur  prevost  enchargié  par  luy  de  tenir  main  à  l'ordre,  et  qui  l'eut 
dict  Prevost  Royal.  D'où  vint,  sous  le  glorieux  lils  dudictroy,  la 
charge  du  Prévost  de  l'IIoslel,  en  laquelle  se  comporta  ung  petit 


456 


CONTKS   DKOL.VTIOUES. 


trop  druoiiu'iil  le  !?eigiieur  di'  Mérc,  dict  Tristan,  de  qui  ces 
Contes  ontià  l'aict  menliou,  cncores  que  il  ne  leust point ioyeulx. 
le  dis  cecyaiix  ainys  qui  butinent  czvieukcaycrs  pour  pisser  du 
neul"  et  déinonstrer  en  quoy  sont  scavans  ces  Dixains  sans  en 
avoir  la  mine.  Ile  doneques!  ee  dict  l'revost  estoyt  nonuné  Picot 
ou  ricault,  d'oîi  l'eut  laict  picotin,  incoter  et  picorer;  i)ar 
aulcuns, Pitot  ou  Pilant,  d'où  est  yssu  intance;  par  d'aultres, 
comme  en  langue  d'oc,  Picliot  d'où  ne  est  rien  venu  qui  vaille; 
})ar  ceulx-cy,  i*eliotou  Petiel,  comme  en  langue  d'oyl  ;  par  ceulx- 
là,  Pelitol  et  Petinault  ou  Peliniaud,  qui  l'eut  l'appellation  limou- 
zine  ;  mais  à  Bourges  estoyt  appelé  Petit,  nom  (pii  liriablenient 
l'eut  celluy  de  la  l'amille,  la([uelle  ha  moult  frayé,  vcu  que  partout 
vous  verrez  des  Petit  et  par  ainsy  sera  dict  Petit  en  cesle  adven- 
ture.  le  fais  cesle  étymologie  à  cesle  fin  d'esclairer  noslrc  lan- 
guaige  el  enseigner  connnent  les  bourgeoys  cl  aultres  llnèrent 
par  acquérir  îles  noms.  Mais  laissons  la  science.  Ce  dict  Prévost 
(pii  avoyt  autant  de  noms  que  de  pais  ez 
ipiels  alloyt  la  Court,  estoyt  en  réalité  de 
nalurance  ung  brin  d'homme  assez  mal 
("pousseté  par  sa  mère,  de  telle  fasson  que, 
alors  (ju'il  cuydoyt  rire,  il  fendoyl  ses  ba- 
(ligoinces  en  la  manière  dont  se  troussent 
les  vaches  pour  laschier  de  l'eauc  ;  lequel 
soubrire  estoyt  dict  à  la  Court  ung  soubrirc 
(le  Prévost.  Mais  ung  iour  le  lloy,  enten- 
dant proférer  ce  mot  })roverbial  par  aulcuns 
seigneurs,  leur  dit  en  gaussant  :  «  Vous 
errez.  Messieurs,  Petit  ne  rit  point,  il  luy 
laull  du  cuir  en  bas  du  visaige.  »  Ains, 
avecquesson  l'aulxrire,  ce  Petit  n'en  estoyt  que  mieulx  advenant 
pour  faire  la  jiolice  el  ha|)i)er  les  maulvaiscs  graines.  En  sonnnc,  il 
valovl  le  ban  cpi'il  avovl  couslé.  Pour  toute  malice,  il  estoyt 
ung  peu  conpi;  pour  tout  vice,  alloyt  à  vesi)res  ;  pour  toute  sa- 
piencc,  obéissoyt  à  Dieu  quand  il  pouvoyl  ;  \m\\v  toute ioye il  avoyt 
une  femme  en  son  logiz;  pour  tout  divertissement  de  sa  ioye, 
cherrhoytun^^hounneàpendre,alorsqu'iiesloytrcquisd'en  bailler 
ung,  et  ne  failloyt  iamais  à  en  reneonlrer  ;  mais,  quand  il  donno\  t 
soubzsescomlines,nesesoulcioytmie(leslarions.Treuvezentoule 
lacbreslientéiusticiarde  ungi»revostnioiiis  malfaisant  !  Non,  tous 
lesprevosts  i»en(lenl  Uopou  trop  peu,  landisque  celluy-làpendoyt 


D'UNO  lUSTICIAHI). 


ihl 


iiislo  co  (|iril  fiilloyl  pour  («slic  dicl  prcvosl.  C(!  lien  ptlit  iiisli- 
ciard,  ou  ce  hoii  iusiiciaid  iV'lil,  avoylà  luy  l'une  des  plus  IjcIIcs 


J  5c 


bourgcoyses  de  Bourges,  à  luy  en  légitime  niariaige,  ce  dont  il 
esloyt  oshaliy  comme  tous  les  aultres.  Aussy,  souvent,  en  allant  à 
ses  pendaisons,  iiileriecloyl-il  à  l)ieu  ung  inlerroguat  (lueaulcims 
i'aisoyent  maintes  l'oys  en  ville.  A  seavoir  :  poun{uoy,  luy  l'etit, 
luy  iusticiai'd,  luy  prevost  royal,  avoyt  à  luy  Petit,  royal  prevost, 
iusticiard,  une  l'emelle  si  bien  alignée,  si  parfiùctement  cotonnéc 
de  graaces,  que  ung  asne  brayoyt  d'ayse  à  la  vcoir  passer.  A 
cecy  I>ieu  ne  respondoyt  point,  et  sans  double  aulcun  avovt  ses 
raisons.  Mais  les  mesebanles  langues  de  la  ville  re|);n(ovent 
pour  Dieu  qu'il  s'en  manijuoyt  d'ung  empan  (juepueelle  l'eust  la 
lille  alors  que  elle  devint  la  femme  du  dict  l'élit.  D'aultres  di- 
soyent  (pi'elle  ne  estoyt  point  seulement  à  luy.  Les  gausscurs 
respondoyent  (|ue  souvent  les  asnesentroyent  ez  belles  escuveries. 
Cliascun  lascliiovt  uni:  broccard,  ce  (pii  en  l'aiso\t  pour  le  moins 

39 


ir)8 


CONTES  DROL.VTIQUKS. 


une  razièrc  à  qui  se  seroyt  mis  en  debvoir  de  les  ramasser.  Du 
tout  besoing  estoyt  d'en  osier  cjuasi  les  ijuaUe  (|narts,  alleiidii  (lUC 
la  Pelit  esloyl  une  saige  bourgeoyse,  laifuelle  n'avoyt  (ju^ung 
amant  pour  le  plaisir,  et  son  mary  pour  le  debvoir.  Treuvez-en 
moult  par  la  ville  qui  soycnt  aussy  réservées  de  cueur  et  de 
bouebe  I  Si  vous  m'en  aflerrez  une,  ie  vous  baille  ung  sol  ou  ung 
fol,  à  vostre  soubbait.  Vous  en  lencontrerez  ([ui  n'ont  ni  espoux 
ni  amant.  Anlcunes  l'emelles  ont  ung  amant,  et  d'i'sjioux,  [)oinl. 
Des  laideronasses  ont  ung  espoux,  et  point  d'amant.  Mais,  vère, 
rencontrer  femmes  qui,  ayant  ung  espoux  et  ung  amant,  se 
tiennent  à  l'ambe  sous  poulser  au  terne,  là  est  le  miracle,  enten- 
dez-vous, nigauds,  becs-iannes,  ignares  !  Doncipies,  boutez  la 
Petit  sur  vos  tablettes  en  style  récognitif,  et  allez  vostre  pas,  ii; 
reprends  le  mien.  La  bonne  dame  Petit  ne  estoyt  point  de  la 
bande  de  celles  qui  tousiours  remuent,  devallent,  nesyauroyenl 
se  tenir  en  place,  fouillottent,  bouillottent,  trottent,  crottent,  se 
desportent,  et  n'ont  rien  en  elles  (jui  les  lixe  ou  attaclie,  et  sont  si 
legieres,  que  elles  courent  à  de  folles  venlositez  comme  après  leur 
quintessence.  Aon,  au  rebours,  la  Petit  estoyt  une  saige  niesnai- 
giere  tousiours  sise  en'sa  cliaire  ou  coucbiée  en  son  lict,  preste 
comme  ung  cbandclier,  attendant  son  dicl  amant  (juand  sorloyt 


le  |>rev(»sl,  icccvant  le  |iifVosl  qiianil  parluU  Ijinanl.  Cesle 
cbiere  i'vuuw  ne  songyoyt  nullement  à  s'attifer  pour  faire  bouc- 
qiKT  1rs  .iidlrcs  bourgeoyses.  Foin-!  elleavo\l  ticuvé  pluscom- 


D'UNG  IIJSTICIAUI).  459 

mode  nsaigo  du  ioly  fomps  de  1m  ioniiosso,  ot  mcttoyt  de  la 
vie  en  ses  ioincleures  pour  aller  plus  loing.  Ores,  bien,  vous 
cognoyssez  le  prevost  et  sa  bonne  femme. 
Le  lieutenant  du  prevost  Petit,  pour  la  be- 
songue  du  mariaige,  bujuclle  est  si  lourde 
que  elle  ne  se  laid  bien  (|uo  par  deux  lioin- 
mes,  estoyl  ung  grant  seigneur  terrien  (juc 
liaïoyt  fort  le  Koy.  Notez  cecy,  qui  est  ung 
point  niaicur  en  eesie  adventure.  Le  con- 
neslable,  b'(ju('l  esloyt  un  rudcicompaignon 
escossoys,  veit,  par  cas  Ibrtuit,  la  iennne 
de  ce  Petit  et  voulut  la  veoii-,  auleuns  disent  l'avoir,  devers  le 
malin,  à  son  aise,  durant  le  temps  de  dire  ung  cbappelet,  ce  qui 
est  cbrestiennementbonneste,  oubonnestementcbrestien,  à  ceste 
fin  de  deviser  avecques  elle  sur  des  cbouses  de  la  science  ou  sur 
la  science  des  cbouses.  Verisiniilement  se  cuydant  bien  sçavante, 
point  ne  voulut  entendre  à  mondictconueslable  la  damoisellc  Petit, 
qui  estoyt,  connue  est  dict  cy-dessus,  une  bonneste,  saige  et  ver- 
tueuse bourgeoyse.  Ajjrès  auleuns  devis,  arraisonnemens,  tours, 
retours,  messaiges  et  messaigiers,  qui  feurent  connue  non  advenus, 
le  corniestable  iura  sa  grant  coc(|iu^(louille  noire  qu'il  eslripperoyt 
le  gnallanl,  encores  que  ce  feusl  ung  lioninie  considérable.  Ains 
ne  iura  rien  sur  la  damoiselle.  Ce(jui  dénote  ung  bon  Françoys, 
veu  (pie  en  ccstc  occurrence  auleuns  gens  alTrontez  se  ruent  sur 
toute  la  mercerie  et  de  trois  personnes  en  tuent  quatre.  Ce  mon- 
sieur le  connestable  cngaigia  sa  grant  cocquedouille  noire  devant 
le  Roy  et  la  dame  deSorel,  qui  brelandoyenlparavant  de  souper, 
ce  dont  le  bon  sire  lent  content,  voyant  que  il  seroyt  deffaict  de 
ce  seigneur  qui  luydesplaisoyt  fort,  et  ce  sans  qu'il  luy  en  cous- 
last  ung  Pater. 

—  Et  connncnt  vuyderez-vous  co  procez  ?  feit  d'ung  air  mi- 
gnon la  dame  de  Sorel. 

—  llo  !  bo  !  responditle  connestable,  cuydez,  madame,  que  ie 
ne  veulx  perdre  ma  grant  cocquedouille  noire. 

Que  estoyt  en  ce  temps  ceste  grant  cocquedouille?  Ha!  ha!  ce 
poinct  est  ténébreux  à  ruyner  les  yeux  ez  livres  anticques;  mais 
ce  estoyt  celles  aulcune  cbouse  consid('rable.  Ce  néantmoins, 
mettons  nos  bezicles.et  elierelions.  Douille  signilie  en  Rrelaigne 
une  lille,  et  cocque  vent  dire  une  poisle  de  queux,  coqiiu)^  en 
patois  de  latinité.  Du(iuel  mot  est  advenu  en  France  celluy  de 


■ifiO  CONTKS   l)HOI,\TlorKS. 

cocquin.  unij  drollc  (|iii  iVipiio,  liclio,  Irousso,  fiil,  Inppo,  lippe, 
fric([uasso,  riio(|noto,  se  clialrinlc  tmisiours  ot  maiiiie  liuil  ;  jiar- 
taiit,  110  sçaiirovt  rien  l'aire  onlro  ses  repas,  ot  co  faisant,  doviont 
maulvais,  devient  jjaonvro,  ce  qui  l'incite  à  voler  ou  mendier.  De 
cecv  doibt  estre  conclud  par  les  sçavans  que  la  granl  coccjuedoui  lie 
cstoyt  ung  ustensile  de  mcsnaii,^e  on  forme  do  oooquomard ,  idoync 
à  frire  les  fdlcs. 

—  Hé  donccjues,  roprint  le  connestablo,  (|ui  ostoyt  le  sieur  de 
lUclicinondo,  levais  faire  direàce  iusticiard  d'aller  on  campaigne 
])<)ur  ung  iour  et  une  nuict  récolter  ez  champs,  pour  le  service  du 
l{oy,  auleuns  paysans  soupçonnez  de  machiner  des  traistrisos 
avecques  l'Angloys.  Là-dessus,  mes  doux  pigeons,  saichant  l'ah- 
sence  do  leur  homme,  seront  ioyouh  comme  ung  souldard  au(piel 
on  baille  la  monstre,  et,  s'ils  font  aulcune  repaissaille,  ie  desguais- 
neray  le  prevost,  en  l'envoyant  au  nom  du  Roy  fouiller  le  logiz  oi'i 
sera  le  couple,  pour  occir  à  teiups  nostre  amy.  f|ui  prétend  avoir 
à  luy  seul  ce  bon  cordelior. 

—  Que  est  cecy'?dit  la  dame  de  Hoanlh'. 

—  E([uivoe(|uez,  dit  le  Roy  en  souhiiaiil. 

—  Allons  souper,  dit  madame  Agnès.  Vous  estes  dos  maulvais 
qui  d'ung  seul  coup  mampioz  do  respect  aux  bourgeoyses  et  aux 
religieux. 

O  faict,  depuis  ung  long  lonqis,  la  bonne  Petit  soubliaitoyt  se 
aisier  durant  une  [doino  nuict,  et  cabrioler  au  logiz  dodict  soi- 
gneur, où  possible  ostoyt  de  crier  à  gozier  franc  sans  osv»'igler  les 
voisins,  pour  ce  que  au  logiz  du  prevost  elle  redoubloyt  le  biuit  et 
n'avovt  que  picorées  d'amour,  lichettes  prinses  à  l'estroict,  mies- 
vres  lippées,  n'osovt  au  plus  aller  à  rand)le  ot  vouloyt  sçavoir  le 
galo]»  à  sabots  l'abattus.  I)omc(|uos,  la  moscliin(Mlt;  la  i(dieb()Ui- 
geoyse  trotta  Icndoniaiii,  devers  iadouziosmo  heure,  au  logiz  du 
seigneur,  pour  l'adviser  de  la  dosj)artie  du  bon  jtrevost,  et  dit  à  ce 
sieur  amant  dont  elle  recepvoyt  force  guerdons,  et  (lue  pour  ce  elle 
no  baïoyt  aulcunomonl,  do  faire  ses  |)réparatoires  pour  le  dédnict 
o(  le  sfmpcr-,  atloiidii(|ue,  ]>our  le  seur.  legrolfe  ])rovoslal  scMoyt 
chez  luv  le  soir  avant  faim  et  soif. 

—  Ron  !  foit  le  soigneur,  dis  à  ta  niaislresso  (juo  ieno  laferay 
ieusner  d'aulcune  fasson. 

Les  paigos  du  damné  connestablo,  qui  faisoyent  la  guette  autour 
du  l(»giz,  vovanl  «pic  l'amant  se  giiallanlissityl,  se  guaruissoyt  de 
llaccons  et  s'a\  iandovl,  viudniit  aiiridiicorà  li'MrmaisIro  condtion 


OTNC  iiisTicivni).  ir.i 

tout  rnnconlnyt  à  son  iro.  Oy.tiil  co,  hou  ronnrstnlilo  doso  fini  tel- 
les mains,  on  sonyianl,  au  conp  (pic  l'ciovl  le  jncvosl.  Oies  liicii, 
il  liiy  manda,  par  exprès  commandiiiiciit  du  Hov  rtMoniiicr  en  |;i 
ville,  pour  saisir  au  loj^iz  diidicl  scimicnr  niig  mylourd  aii^loys 
aveoipics  Iccpielil  esloylvehcmcntcnicnl  son] iconiu' d'accorder  iin;,^ 
complot  de  trez-espajsses  Iciièhrcs.  Mais  pjtravant  de  nictlrc  à  lin 
ledict  ordre,  venir  en  l'Iioslel  du  Uoy  s'enlendie  siirla  courloisie 
nécessaire  en  ce  pourcliaz.  Le  prevost,  ioyeulx  comme  un  roy  de 
parler  au  Roy,  leit  telle  dilijience,  qu'il  lent  en  ville  à  l'iieuie  où 
les  deux  amans  sonnoyent  le  premier  cou|)  de  leurs  vcsprcs.  Le 
sire  du  Cocquaif^e  et  pays  environnans,  (pii  est  iinj^  seigneur  iar- 
iallesqne,  accorda  si  bien  les  cliouses,  ipie  la  l'élit  parloyt  de  la 
bonne  t'asson  avec([ues  son  seijineur  aymé  alors  (pie  son  sieur 
espoux  parloyt  au  connestahie  et  an  Uoy,  ce  qui  le  laisoyt  Irez 
content,  et  sa  l'ennne  aussy,  cas  rare  en  mariaif,'e. 

—  le  (lisoys  à  monseigneur,  feit  le  connestaltle  an  prevost, 
alors  que  le  iusticiard  entra  dedans  la  clianilire  du  lîoy,  (pie  tout 
lioinme  a  droict  dans  restcndiie  du  royaulme  de  delïaire  sa 
Icmmc  et  sou  amant,  s'il  les  .stir|)ien(l  chevaulcliant.  .Vins  nostre 
Sire,  qui  est  ch'nicnf,  argue  (pTil  n'est  licilequede  nieiirdiir  le 
chevaulclieur,  et  non  la  liac(pien('c.  Ores  ça  (|ue  feriez  vous,  bon 
prevost,  si  par  adventure  vous  rencontriez  ung  seigneur  se 
pourmenant  dedans  le  gentil  jnvaii  dont  les  loys  bumaiiu^s  et 
divines  vous  enioingnent  d'arrouser  et  cultiver,  à  vous  seul,  la 
flouraison  ? 

—  le  occiioys  tout,  feit  le  prevost,  i'cscarboilleroys  les  cinq 
cent  mille  diables  de  uatiii-e,  lleiirs  et  graiiK^s,  le  sac  et  les  (piilles 
et  les  boules,  les  pépins  cl  l;i  poiiiiiie,  l'Iieilteel  la  pi('e,  la  l'einine 
et  le  masle. 

—  Vous  seriez  en  vostre  tort,  feit  le  Roy.  Cecy  est  contraire 
aux  lois  de  l'Ecclise  et  du  royaulme  :  du  royaulme,  pour  ce  que 
vous  pourriez  m'osler  un  subject  ;  de  l'Kcdise,  pour  ce  que  vous 
enverriez  ung  innocent  ez  limbes  sans  baptesine. 

—  Sire,  i'admire  vostre  profunde  sapieiicc,  et  bien  veois-je 
que  vous  estes  le  centre  de  toute  iusiice. 

—  Nous  ne  pouvons  donc  occùr  (pie  le  clievalier '.'  Ameii,  leit 

le  connestable,  tuez    le  cbevaulcbeur.   Allez   vilement  chez  le 

seigneur  soupcomu',  mais  ayez  soing,  sans  vous  laisser  mettre 

du  l'oing  aux  cornes,  de  ne  point  faillir  à  ce  (pii  est  deu  à  ce 

seigneur. 

r.o. 


4fi2  CONTES  DROLATIQUES. 

Mon  prevost,  se  oiiydaiil  pour  le  seurchancelior  de  France,  s'il 
faisovt  bien  sa  chai'ge,  devalle  du  eliasleau  dans  la  ville,  prend 
ses  gens,  arrive  à  Ihoslel  du  seigneur,  y  plante  ses  cslalïiers, 
bouche  de  sergens  les  yssues  du  logiz,  l'ouvre  de  par  lo  Roy  à 
petit  bruit,  grimpe  les  dcgrez,  demande  aux  serviteurs  où  se  tient 
le  seigneur,  les  met  en  arrest,  y  monte  seul  et  frappe  à  l'iuiys  de 
la  eluunbre  oii  les  deux  amans  s'eserimoyent  des  armes  que  vous 
sçavez  et  leur  dict  : 

—  Ouvrez  !  de  par  le  Roy  nostre  sire  ! 

La  bourgeoyse  recogneut  son  espoux  et  se  print  à  soubrire,  veu 
que  elle  ne  avoyt  point  attendu  l'ordre  du  Roy  pour  faire  ce  qui 
esloyt  dict.  Ains  après  le  riie  vint  la  frayeur.  Le  seigneur  prend 
son  manteau,  se  couvre  et  vient  à  l'buysserie.  Là,  ne  sçaicbant 
point  que  il  s'en  alloyt  de  sa  vie,  se  dict  de  la  Court  et  de  la  maison 
de  Monseigneur. 

—  Dah  !  feit  le  prevost,  i'ay  des  commandemens  exprès  de  mon- 
seigneur le  Roy,  et,  soubz  peine  de  rébellion,  vous  estes  tenu  de 
me  recepvoir  incontinent. 

Lors,  le  seigneur  de  sortir,  en  tenant  l'buys  : 

—  Que  querez-vous  céans  ? 

—  Ung  ennemy  du  Roy  nosire  sire,  que  nous  vous  comman- 
dons nous  livrer,  oultre  ([U(!  vous  debvez  me  suyvre  avecipu^s  luy 
au  chasteau. 

—  Cecy,  songia  le  bon  seigneur,  est  une  Iraistrise  de  monsieur 
le  connestable,  auquel  s'est  reffuse'e  ma  chiere  myc.  Bcsoing  est 
de  nous  tirer  de  ce  guespier. 

Lors,  se  virant  devers  le  prevost,  il  risipia  (piittc  ou  double,  en 
arraisonnant  ainsy  son  sieur  coc(pi  : 

—  Mon  amy,  vous  sçavez  que  ie  vous  tiens  pour  guallant 
homme,  autant  que  peut  l'estre  ung  prevost  en  sa  charge.  Ores 
bien,  puis-je  me  fier  à  vous.  I'ay  céans  couchiee  avecques  moy 
la  plus  iolie  dame  de  la  Court.  Quant  à  des  Angloys,  ie  n'en  ay 
l)as  seulement  de  (pioi  faire;  le  desieuner  de  monsieur  de  Riche- 
monde,  (pii  NOUS  envoyé  en  mon  hoslel.  Cecy  est  (pour  vous  dire 
le  lin)  le  (h'diiict  d'une  gageure  faicte  entre  moy  et  le  sieur 
connestable,  leepiel  est  de  moitié  avecqiies  le  Rov.  Tous  deux 
ont  gaigié  cognoistrc  quelle  esloyt  la  dame  de  mon  cueur.  et 
i'ay  gaigi('  le  coiilre.  Nul  pins  (pic  moy  ne  hait  les  A?iglovs,  (pii 
oril  prinsmesdomaiiiesde  l'icardic.  Kst-cepiis  ung  coup  lésion  (pie 
de  ni<«(lic  cil  jeu  la  iiislicc  coiilic  moy?  Ilo!  ho!  monsei'Mieur 


D'UNG   irSTir.I.Mtl).  4Gr, 

COnncsl;il)l(>,  niiii  cliMmhcrlnii  vous  vimlt,  ft  levais  vous  fiiirc  qui- 
nauld.  Mon  cliicr  J'clit,  ic  vous  l»;iillo  liccnct'  de  louillcià  vostro 
aise  pcnihiiil  la  imict  et  le  ionrtous  les  coins  et  recoins  démon 
liostcl.  Mais,  entrez  seul  icy,  queslez  par  ma  chambre,  remuez  le 
lict,  faictes-y  à  vos  soubliaicts.  Seulement,  laissez-moy  couvrir 
d'ung  drapeau  on  d'nng  mousclicnez  reste  belle  dame  (pii  est 
vestue  en  arebange,  àceste  lin  que  vous  ne  saiebiez  point  à  quel 
espoux  elle  appailient. 

—  Youlentiers,  l'eit  le  jjrevost.  Ains  ie  suis  ung  vieulx  regnard, 
auquel  point  ne  faut  soublever  la  queue,  et  vculx  estreseurque 
ce  est  léallement  une  dame  de  la  Court,  et  non  ung  Angloys, 
attendu  (juc  ces  diets  Angloys  ont  le  cuir  blanc  et  lisse  comme 
est  celluy  des  Jemeli.es,  et  bien  le  seays-ic  pour  en  avoir  iikmiII 
brancbié, 

—  Ile  bien,  l'eil  le  seigneur,  attendu  le  forl'aict  dont  ie  suis 
mesebanlement  soupçonné,  et  dont  ie  doii)s  me  laver,  ie  vais  sup- 
plier ma  dame  et  amye  de  consentir  à  se  passer  |)0ur  ung  moment 
de  sa  pudeur;  elle  me  porte  trop  grant  amour  pour  se  relï'user  à 
me  saulver  de  tout  reproucbe,  Doncques,  ie  la  requerray  de  soy 
retourner  et  vous  montrer  une  physionomie  qui  ne  la  compro- 
mettra nullement  et  vous  sufHra  pour  recognoistre  une  femme 
noble,  eneores  (pie  elle  sera  sens  dessus  dessoubz. 

—  Bien,  feit  le  prevost. 

La  dame,  ayant  entendu  de  ses  trois  aureilles,  avoyt  i)loyé  et 
mis  soubz  l'aureiller  ses  hardes,  s'cstoyt  despouillée  de  sa  chemise 
de  laquelle  son  mary  pouvoyttaster  le  grain,  s'estoyt  entortillé  la 
teste  en  ung  linge,  et  avoyt  mis  à  l'aër  ses  charnosités  bombées 
que  séparoyt  la  iolie  raie  de  son  escbine  rose. 

—  Entrez,  mon  bon  amy,  feit  le  seigneur. 

Le  iusticiard  resguarda  par  la  cheminée,  ouvrit  l'armoire,  le 
bahut,  fouilla  le  dessoubz  du  lict,  les  toiles,  tout.  Puis  se  mita 
estudier  le  dessus. 

—  Monseigneur,  feit-il  en  guignant  ses  It'gitimes  appartenances, 
i'ay  veu  de  iennes  gars  angloys  ainsy  rablez,  el,  pardonnez-moy 
de  faire  ma  charge,  besoing  est  que  ie  voye  aultremenl. 

—  Qn'appelez-vons  aultrement?  feit  le  seigneur. 

—  Il(''  bien,  l'aullre  physionomie,  ou,  si  vous  voulez,  la  pliv- 

11.1  « 

siononne  de  1  auilre. 

—  Alors,  triMivez  bon  ([ne  Madame  se  couvre  et  s'affusie  pour 
ne  vous  monstrer  (pic  le  moins  de  ce  (pii  est  noslreheur,  dit  le 


iCi  CONTES  DROLATinHES. 

soitrneur,  sçaicliant  quo  la  l)oiii-grovso  avovt  quolqnos  lontillos  fa- 
cilos  à  recogiioisUv.  DdiUMjucs,  tournez-vous  uiii^  |it'lil.  à  costc 
lin  quo  ma  rliiere  daniP  satisfasse  aux  convenances. 

La  bonne  leninie  soubrit  à  son  aniy,  le  baisa  pour  sa  dextérité, 
s'attifa  dextrement,  et  le  niary,  voyant  en  plein  ce  que  sa  gouge 
ne  luy  laissoyt  ianiais  vcoir,  l'eut  entière- 
^|#  ment  convaincu  que  mil  Angloys  ne  j>ou- 

Sv'HlSffiiW  "iïéWmê       voyt  estre  ainsy  contourné,  soubz  poine 
d'estre  une  délicieuse  Angloyse. 

—  Oui,  seigneur,  dit-il  à  l'aureillc  de  son  lieutenant,  ce  est 
bien  une  dame  de  la  (>)urt,  veu  queceulx  de  nos  bourgeoyses  ne 
sont  pas  de  si  liaulte  futaye,  ni  de  si  bon  goust. 

Puis,  la  maison  l'ouillée,  nul  Angloys  ne  s'y  treuvaiil,  le  bon 
prevost  revint,  connue  le  luy  avoyt  ilict  le  eonnestable,  en  l^iostel 
du  Roy. 

—  Est-il  occis?  feil  le  eonnestable. 

—  Qui  ? 

—  Celluy  qui  vous  ])rovignoyt  des  cornes  au  front, 

—  le  n'ay  veu  qu'une  femme  au  lict  de  ce  seigneur,  lequel 
estoyl  fort  en  tiain  de  se  resiouyr  avecques  elle. 

—  Tu  bas  bien  vende  tesyeulx  ceste  fenune,  matddictcornard, 
et  tu  ne  lias  point  defl'aict  ton  corrival".' 

—  Non  pas  une  femme,  mais  une  dame  de  la  Cou  ri. 

—  Vtni  7 

—  Et  scnlu  dans  les  deux  caz. 

—  Qu'entendez-vous  par  ces  paroles  ?  l'cit  le  Pioy.  qui  s'esclatta 
de  rire. 

—  le  dis,  sauf  le  respect  deu  à  VostreMaiesli',  (picj'ay  vt'rifié 
le  dessus  et  le  dessoubz. 

—  Tu  ne  cognoys  doncques  pas  la  |)bysionomie  des  ebouscs  de 
ta  femme,  vieil  outil  sans  mémoire  ?  Tu  mérites  d'estre  pendu! 

—  le  tiens  en  tro|)  grant  rc'vi'rence  ce  dont  vous  parlez  cliez  ma 
fenune  |)om'  le  veoii'.  |)'ailleurs,elle  estsi  religieuse  deson  esloffe, 
(pu'  elle  mouii'oyt  plustost  ipie  d'en  monstrer'  niig  fesln. 

—  Vère,  dit  le  l{ov,  ce  ne  est  point  faict  |»our  eslie  monstre. 

—  Vieille  coc(piedonill(!,ceesloytlal'emme!  feit  lecoimeslable. 

—  Sire  eonnestable,  elle  dort,  la  j)aouvrelte. 

—  Sus,  sus  donc^pu's!  A  cbeval  !  hélallons,  et  si  elle  esten  ta 
maison,  ie  ne  te  donne  (pie  cent  coups  de  nerf  de  bœuf. 

Et  le  conneslable,  suvvy  du  prevost,  vint  au  logizdii  iiisti<'iard 


D'IlNii    irSTICI  \1!I), 


Kiô 


on  moins  do  loinps  riirinif;  ])aon\ro  n'inimyl  viiydi'  un<^  fronc. 

Ilnlà  !  Ii(' !  Sur  ce.  iiii  lapaii^o  des  ^^ciis  (|iii  incnitssoymld'offon- 

(Iror   les   nnirs,    la   inoscliiiic   ouvrit  la  poilo  en  liaillanl.  de  la 

bouclu;  otso  dt'Iicollanl,  loshras.  I.o  ooniicstaltlc  elle  iusiiciaid  se 

nirrcnl,  en  la  clianihi'O,  où  ils  csvciulrrciil  à  ;;raiit  jioiiic  la  hdur- 

gcoisc,   qui  feit   de    l'el- 

frayéeet  dormoyt  si  dicti- 

ment,  (|U0  elle  avoyt  des 

bouriieis   do   chassie    oz 

yeulx.  De  cecy  t!iuni|tlia 

moult  le  prevost,  disant 

audict  seigneur  que,  pour 

le  seur,  on  l'avoyt  truplié, 

quesalemme  cstoyt  saige, 

et  de  faict  elle  se  nionstra 

oslonnee  eoninie  pas  un(\ 

Le  connestable  vuyda   la 

place.  Bon  prevost  de  soy 

despouiller  pour  se  eoii- 

rhier  tost,  veu  (pie  cesie 

adventnre  Iny  avoyt  rejnis 

sa  bonne  femme  en  nn'- 

moire.  Pendant  que  il  os- 

toyt  son  liarnoys  et  quil- 

toyt  ses  chausses,  la  honi- 

geoyse,   tousiours   esl(jii- 

née,  lui  disoyt  : 

—  lié  !  mon  ejiier  mi- 
gnon, d'où  sort  ce  bruit, 
ce  monseigneur  le  con- 
nestable et  sespaiges?Kt 
pourquoy  venir  veoir  si  ie 

dors!  Sera-ce  désormais  en  la  charge  des  eomieshi 
comment  sont  eslablis  nos... 

—  le  ne  sçays,  feit  le  prevost,  (pii  l'inlerrompil 
conter  ce  (pii  luy  cstoyt  advenu. 

—  Kt  tu  lias  veu,  sans  en  avoir  licence  de  moy,  di 
d'ime  dame  de  la  Court,  lia!  ha!  heu!  heu!  hein! 

Lors  se  mit  i\  geindre,  se  plaindre,  crier  si  despl 
et  si  Inrt,  ipie  le  prevost  deiMoiiia  pantois. 


hies  (l(^  veon' 
pour  luy  ra- 
l-elle,  eelluy 
ouralili-Mieut 


■466  CONTES  DROLATIQUES. 

—  11(5  !  qu'as-tu  ma  mye?  que  voulx-tu?  que  te  f;uit-il? 

—  Ilein?  tunom'aynicrasplus  après  avoir  veu  comment  sont 
les  dames  de  la  Court  ! 

—  Tais-toy,  ma  mye.  ce  sont  de  grans  dames.  le  te  le  dis  à  toy 
seulement,  tout  est  grant  en  diable  chez  elles. 

—  Yère,  foit-elle  en  soubriant,  suis-jc  mieulx? 

—  Ha  !  feit-il  tout  esblouy,  il  y  a  iuste  un  grant  empan  de 
moins. 

—  Elles  ont  doncquesplus  de  ioye,  feit-elle  en  soupirant,  veu 
que  i'y  en  ai  tant  })our  si  peu. 

Sur  ce,  le  prevost  cbercbia  ung  meilleur  raisonnement  pour 
arraisonner  sa  bonne  femme  et  l'an-aisonna,  veu  que  elle  se  laissa 
linablement  convaincre  du  grant  plaisir  que  Dieu  ba  mis  ez  petites 
cliouses. 

Cecy  nous  demonstre  que  rien  icy-bas  ne  prévauldra  contre 
l'Ecclise  des  cocqus. 


SUR  LE  MOYi^E  AMADOU 

cm    lElT    UNG    GLOUIEUX    ABBÉ    DE    TIIU'E.NAY 


Par  ung  iour  de  fine  plnyo,  tonips  auquol  les  danios  (lemourcnt 
ioyeulscs  au  loyiz,  pour  ce  qu'elles  aynient  l'Iiiuuide  et  vovent 
lors  près  de  leurs  iuppes  les  lioniincs  que  elles  ne  liaient  point, 
la  Royne  estoyt  en  sa  rluunbre  au  cliasfel  d'Andjoisc,  sous  les 
drapeaux  de  la  croisi'e.  Là,  sise  en  sa  chaire,  laliorovt  ung  tapis 
par  aniusenieut,  mais  liroyt  son  esguille  à  l'cstourdie,  resguar- 
doyt  prouTeancqui  toniboytcnla  Loire,  ne  sonnoyt  mot,  estoyt 
songicusc,  et  ses  dames  faisoyent  à  son  imitation.  Le  bon  Roy 
devisoyt  avecqucs  ceulx  de  sa  Court  qui  l'avoyent  acconipaignc 
de  la  chapelle,  veu  (jiie  il  s'en  alloyt  du  l'etourner  des  vcspres 
dominicales.  Ses  tours,  retours  et  arraisonnemens  j)arachevez,  il 
advisa  la  Royne,  la  veit  embrunée,  vcit  les  dames  embrunees 
aussy,  et  nota  que  toutes  estoyent  en  cognoissancc  des  chouscs 
du  mariaigc. 

—  Ores  ça,  fcil-il,  ne  ay-je  point  veu  léans  mons  l'abbc  de 
Turpcnay? 

Oyant  ce,  s'advança  vers  le  Roy  le  moyne  qui,  parscsrequestes 
deiustice,  fcutiadis  tant  importun  au  royLoyslcunzicsme,  que 
ledict  roy  avoyt  commandé  griefvement  à  son  prevost  de  l'hostel 
de  l'oster  de  sa  veue,  et  ha  este'  dict  au  Conte  de  ce  Roy,  dans  le 
prime  Rixain,  comment  se  saiilva  le  iiiovne  pai-  la  coul[ie  du  sieur 
Tristan.  Ce  moyne  estoyt  lors  img  honnne dont  les (lualiléz  avoyent 
poulsé  trez  vertement  en  espaisseur,  et  tant,  que  son  esperit  s'es- 
toyt  respandu  en  supcrcoulorationssur  sa  face.  Aussy  plaisoyt-il 


-e  inoyuu  Aiiiudor,  cjui  fcut  uiig  glorieux  «M..;  .le  ■rur|,i;iiay. 


SUR  LE   MOYNE  AMADOU. 


/m'j 


loil  aux  (laines,  (|ui  l'cmbiicfjuoyenl  do  vins,  paslisserios  et  plats 
choisis  en  leurs  disncrs,  soupers  cl  gaudisseries  desquelles  elles 
le  convioyent,  pour  ce  fjue  cha- 
que liostc  avilie  ces  lions  convives 
(le  Dieu,  à  niaschoiies  blanches, 
qui  disent  autant  de  paroles  (|ue 
ils  tordent  de  niorceaulx.  Ce  dict 
abbé  estoyt  ung  pernicieux  com- 
père qui  soubz  le  l'rocq  couloyl 
aux  daines  force  contes  ioyeiilx 
auxquels  elles  ne  relrongnoycnt 
qu'a|)rès  les  avoir  entendus,  veu 
que,  pour  iuger,  besoing  est  de 
ouyr  les  chouses. 

—  Mon  révérend  jière,  leit  le 
Roy,  vécy  l'heure  brune  en  la- 
quelle les  aiireilles  féminines  peuvent  cstrc  resgallécs  de  aulcune 
plaisante  advcnture,  veu  (pie  les  dames  rient  sans  rougir  ou  rou- 
gissent en  riant,  à  leur  aise.  Faictes-nous  ung  bon  conte,  ie  dis 
ung  conte  de  moyne.  le  l'ouyray,  par  ma  foy,  voiileiitiers,  pour 
ce  que  ie  vouldroys  nie  divertir  et  aussy  les  dames. 

—  Nous  nous  soubmettons  à  ce,  en  veue  de  complaire  à  vostro 
Seigneurie,  feit  la  Koyne,  pour  ce  que  le  sieur  abbé  va  loingung 
peu. 

—  Done([ues,  respondit  le  Roy,  se  virant  devers  le  moyne,  lisez- 
nous  (piel([ue  admonition  chrestienne,  mon  père,  pour  amuser 
Madame. 

—  Sire,  i'ay  la  veue  foible,  et  le  iour  chet. 

—  Faictes  doncques  ung  conte  qui  s'arreste  en  la  ceincteure. 

—  Ha!  Sire,  feit  le  moyne  en  soubriant,  cettuy  dont  ie  suis 
record  s'arreste  là,  mais  en  jiartant  des  pieds. 

Les  seigneurs  présens  feirent  des  remonstrances  et  supplica- 
tions à  la  Royne  et  aux  dames  si  guallantement,  que,  en  bonne 
Bretonne  que  elle  estoyt,  elle  gecta  ung  soubris  de  graace  au 
moyne. 

—  Allez  voslre  train,  mon  père,  feit-elle,  vous  respondrez  de 
nos  péchez  à  Dieu. 

—  Youlentiers,  madame;  si  voslre  bon  plaisir  est  de  prendre 

les  miens,  vous  y  gaignerez  ! 

Chascunde  rire,  et  la  Rovnc  aussy.  Le  Roy  vint  auprès  de  sa 

40 


170 


CONTES  DUOLATIorES. 


cliièro  femnio  hitMi-iiyméo,  comme  img  chascun  sçfiyl.  Puis  los 
courlizans  receuronl  licence  de  se  seoir,  les  vieulx  seigneurs  s'en- 
tend,veii  que  les  ieunes  s'accostèrent,  avecipios  licence  des  dames, 
au  coin  de  leurs  chaires,  pour  rire,  à  petit  hruit.  de  coin|):iijinie. 
Lors  l'alibc  de  Turpenay  leur  accouslra  <zenteM)cut  le  conte  ensuy- 
vant,dont  il  passa  les  endroicts  croltez  encoulant  sa  voix  comme 
le  vent  d"uuc  lluste. 


Environ  une  centaine  d'années  pour  le  moins,  il  s'esmeut  de 
grosses  ijucrelles  en  la  chreslienté,  pour  ce  que  deux  [lapes  se 
rencontrèrent  à  Rome  se  prctendant  ung  cliascun  légitimement 
esleu,  ce  qui  feut  au  grant  donmiaige  des  moustiers,  abbayes  et 
sièges  épiscopaulx,  veu  que,  pour  estre  recogneu  à  qui  mieulx 
ung  chascun  des  deux  papes  concédoyt  des  droicts  à  ses  adhérens, 
ce  qui  l'aisoyt  des  doubleures  partout.  Kn  ceste  conioncture,  les 
monastères  ou  abbayes  (pii  csloyent  en  procez  avecques  les 
voisins  ne  pouvoyent  recognoistre  les  deux  papes, et  se  voyoyent 
lors  bien  empescbiez  par  l'aultre  qui  donnoytgaing  de  cause  aux 
enncmys  du  Chapitre.  Ce  maulvais  schisme  ha  engendré  des 

niaulx  infinis,  et  prouve  d'a- 
bundant  que  mdie  peste  ne 
est  plus  nuUivole  en  la  chres- 
tienté  (jue  ne  l'est  l'adultère 
de  l'Ecclise.  Doncques,  en 
ccttuy  temps  où  le  diable  fai- 
soyt  raige  contre  nos  paou- 
vres  biens,  la  trez-inclyte  ab- 
baye de  Turpenay,  dont  ie 
suis  à  ceste  heure  le  guberna- 
leur  indigne,  avoyt  ung  grief 
pour(liaz])Ouraulcuns  droicts 
à  dcsbrouillcr  avcccpies  le 
trez-rcdoubté  sire  de  Candé, 
mescréant  idolaslre,  héré- 
tic(jue,  relaps  et  fort  maulvais  seigneur.  Ce  diable,  venu  sur 
terre  soubz  forme  de  seigneur,  estoyt,  à  vray  dire,  ung  bon 
sfuddard,  bien  eu  Couit,  cl  amv  du  sieur  iJuieau  de  la  lUvière, 
(|ui  estoyt  ung  serviteur  dont  se  estoyt  moult  al'l'eclionué  le  roy 
Charles  Ouitit,  de  glorieuse  mémoire.  Soubz  l'undjre  de  la 
laveur  de  ce  sieur  de  la  Mivière,  mon  dicl  seigneur  de  Candé 


SUR  LR  MOYNE  AMADOR.  i71 

prennyt  licence  de  tout  faire  à  sa  pliaiitaisie,  sans  jiaour  de 
chastiinent,  en  la  paouvic  vallrc  de  l'Indie,  où  il  souloyt  avoir 
tout  à  luy  de|)uis  Montha/on  ius(|ues  à  Lssé.  Comptez  enda 
que  ses  voisins  estoycnt  en  teneur  de  luy,  et,  pour  n'estre 
point  desconficts,  le  laissoycnt  aller  son  train,  mais  l'auroyent 
mieulx  aynié  en  terre  (pi'en  prée,  et  luy  soubliaitoyent  mille 
maulx,  ce  dont  il  se  soulcioyt  mie.  En  toute  la  vallée,  la  noble 
abbaye  cstoyt  seule  à  tenir  teste  à  ce  diable,  veu  que  l'Ecclise 
lia  tousiours  eu  pour  doctrine  de  ramasser  en  son  giron  les 
foibles,  les  souffreteux,  et  se  bender  à  deffendrc  les  opprimez, 
surtout  alors  (pie  ses  droicts  et  privilèges  sont  menassez.  I)onc(jues, 
ce  rude  batailleur  liaïoyt  nidiilt  les  moyncs,  et  par-dessus  tout 
ceulxdo  Turpeiiay,(pii  ne  votiloyént  se  laisser  robbei- leurs  dioirls 
par  force,  ni  ruzeou  aullrenient.  Coin]:)lez  que  il  feut  moult  con- 
tent du  schisme  ecclésiasticque,  et  attendoyt  nostre  abbaye  au 
choix  du  pape,  pour  la  destrousser,  prcst  à  recognoistrc  cclluy 
auquel  l'abbé  de  Tur[)enay  refuscroyt  son  obédience.  Depuis  son 
retourner  en  son  chasteau,  il  avoyt  accoustumé  de  tormenter, 
gehenner  les  prebslres  dont  il  faisoyt  la  rencontre  sur  ses  do- 
maines, de  telle  sorte  que  ung  paouvre  religieux,  surprins  par  ce 
dict  seigneur  dedans  le  chemin  de  sa  seigneurie  qui  va  le  long 
de  l'caue,  ne  conccut  aultre  mode  de  salut  que  de  soy  gecter  en 
la  rivière,  où  par  un  miracle  espécial  de  Dieu,  (pie  le  bon  homme 
invocqua  (ort  ardenniient,  sa  robbe  le  souslinl  sur  l'Indre,  et  il 
vogua  trez-bicn  à  l'aultre  bord,  que  il  atteignit  en  veue  du  sei- 
gneur de  Candé,  lequel  n'eut  aulcune  honte  de  se  gaudir  des 
affres  d'ung  serviteur  de  Dieu.  Voilà  de  (pielle  estoffe  estoyt  vestu 
ce  maudict  pèlerin.  L'abbé  auquel  estoyt  lors  commise  nostre 
glorieuse  abbaye  meiioyt  une  vie  trez-saincte,  prioyt  Dieu  dévo- 
tieusement,  mais  eust  sauvé  dix  fois  son  anie,  tant  estoyt  de  bon 
aloy  sa  religion,  paravant  de  treuver  chance  à  saulver  l'abbaye  des 
griphesdeccniauldict.Kncores  que  le  vieil  abbé  feust  trez-perplexe 
et  veist  venir  la  maie  heure,  il  se  (ioyt  à  Dieu  pour  le  secours  adve- 
nir, disant  (pie  il  ne  lairroyt  point  entamer  les  biens  de  son  Kcclise; 
puis,  ([uccelluyipii  avoyt  suscité  la  princesse  ludilh  auxllébrieux 
et  laroyneLucrelia  aux  {{oinainsbailleroyt  ung  secours  à  sa  Irez- 
illustre  abbaye  de  Turpenay,  et  aullres  proiipos  tirz-saigcs.  Ains 
ses  moynes,  (pii,  ie  dois  l'advouer  à  nostre  dam,  estovent  des 
mesciéans,  le  repiouclKiyenl  de  son  nonchaloir,  et,  au  rebours, 
disoyent  que  besoing  csIonI  d'attelor  tous  les  bœufs  de  la  province 


Ung  |i.ioiivrc  religieux,  siir|)i°ins  |);ir  eu  dicl  si<i;:nciir  ilod.iiis  V\  clit-niiii  de  >;■ 
sci};iiuurie  qui  vu  le  loii^  du  l'eauc,  ne  cuutcul  aullic  niude  de  &alul '|Ue  de 
soy  îj'eclcr  en  la  rivière. 


SIR   LK  MOYNE   AM.VDOR.  i75 

au  ('liai'  (le  la  l'iovideiico,  à  cestc  lin  que  elle  airivasl  de  Iton 
malin;  que  les  trompes  de  lerielio  ne  se  ral)ric<[U()y('nt  plus  en 
aulcun  lieu  du  monde,  et  que  Dieu  avoyt  eu  tant  de  desplaisirs  de 
sa  création,  (jue  il  n'y  soiigiovt  plus;  brief,  m\\\c  et  unj,'  devis 
mondains  (pii  estoyent  doubtes  et  contumélies  contre  Dieu.  Kn 
ccste  deplourable  conioneture,  s'csmcut  estrangierement  uny 
moyne  ayant  nom  Amador.  Ce  dict  nom  luy  avoyt  étt-  ini[)os('.  par 
raillerie,  veu  que  sa  personne  olïroyt  ung  vray  pourtraict  du  faulx 
dieu  Kj^ipan.  il  estoyt  connue  luy  ventripotent,  comme  luy  avoyt 
lesiand)es  tortes,  de  bons  bras  poilus  connue  ceulxd'ungbourrel, 
un;^  dos  Wirl  à  porter  besace,  un^"^  visaige  rouge  connue  une 
trongne  d'ivrongne,  les  yeulx  allumez,  la  barbe  mal  peignée,  le 
Iront  nud,  et  se  treuvoytsi  bondjé  de  lard  et  de  cuisine  que  vous 
l'auriez  cuidé  encbargié  d'ung  enfant.  Faictes  estât  que  il  clian- 
toyt  matines  sur  les  degrez  de  la  cave,  et  disoyt  vcspres  dedans 
les  vignes  du  Seigneur.  Le|)lus  souvent  domouroyt  concilié  comme 
ung  gueux  à  playt's,alloyt  par  la  vallée  l'ouziller,  niaizer,  bénir 
les  nopces,  secouer  les  grappes,  veoir  esgoutter  les  filles  maulgré 
les  delTenses  du  sieur  abbé.  Finablement,  ce  estoyt  ung  pillard, 
uug  traisnard,  ungmaulvais  sonldard  de  la  milice  ecclésiastic(pie, 
duquel  nul  en  l'abbave  ne  avovt  cure,  et  (pie  laissoyt-on  oisilpar 
cbarité  cliresticnne,  existimant  cpie  il  estoyt  loi.  Amador, saicliant 
que  il  s'en  alloyt  de  la  ruyne  de  l'abbaye  en  laipielle  il  se  rouloyt 
comme  ung  verrat  en  son  tect,  arressa  son  poil,  se  déporta  de  cy, 
delà,  vint  en  clia(pie  cellule, escouta  dedans  le  refectouere,  frémit 
en  ses  babouines  et  dit  (pie  il  se  iactoyt  de  saulver  l'abbaye.  Il 
print  eognoissance  des  poincts  contestez,  récent  du  sieur  abbé 
licence  d'aleinioyer  le  procez,  et  par  tout  le  llliapilre  lui  lent 
promise  la  vac(iuancc  du  soubz-prieuré,  s'il  linoyt  le  litige.  Puis 
s'en  alla  par  la  campaignc  sans  avoir  nul  soulcy  des  cruaullez  et 
maulvais  traictenieiis  du  sieur  de  Candé,  disant  que  il  portoyt  en 
sarobbe  de  ([uoy  le  réduire.  De  l'aict,  Amador  s'en  alla  de  son  |)ied 
avec(|ues  sa  robbe  pour  tout  viatic(pie,  mais  aussy  comptez  (pie 
elle  estoyt  grasse  à  nourrir  ung  Minime.  Il  esleut  pour  aller  de- 
vers le  cbastelain  ung  iour  où  il  tomboyt  de  l'caue  à  remplir  les 
seillcs  de  toutes  les  mesnaigieres,  et  arriva  sans  rencontrer  qui- 
con(|ue,en  veu  (1(!  (laïuh',  l'aict  comme  ung  cliien  noyé,  se  coula 
braviMiienl  en  la  court,  s'abrita  soiibz  ung  tect  pour  attendre  ([ue 
riiilciiip('rance  du  ciel  se  l'enst  caliiur,  et  se  mil  sans  paoïir 
devant  la  salle  (m'i  (l(i)vovt  estre  le  sire  de  Candé.  IJig  serviteur 

40. 


474  CONTES  DROLATIQUES. 

radvisnnt.voM  que  il  s'en  alloyt  du  sou])or,cn  eut  pitié,  luy  dit 
do  sortir,  sans  (]uoy  le  sire  luy  haillfioyt  ung  cent  de  coups  de 
fouet  pour  entamer  le  discours,  et  luy  de- 
manda qui  le  faisoyt  si  osé  d'entrer  dedans 
wu'^  logiz  oïl  Ton  liaïoyt  les  moynes  plus  que 
la  lèpre  rouue. 

—  Ha  !  l'i'il  Amador,  ie  vais  à  Tours,  en- 
\oyé  par  mon  seigneur  abbé.  Si  le  seigneur 
de  Candé  n'estoyt  pas  si  maulvais  pour  les 
paouvres  serviteurs  de  Dieu,  ie  ne  debvroys 
cslre  |tar  ung  tel  déluge  en  sa  court,  mais 
en  sa  maison,  le  luv  soubhailc  de  trouver  miséricorde  en  son 
lieurc  supresnie. 

Le  serviteur  reporta  ces  paroles  au  soigneur  de  Candé,  ipii,  de 
prime  abord,  vouloyt  faire  gecler  le  moyne  en  la  grant  douve  du 
cliasti'K  au  milan  dos  imnnmdices,  connue  cliouse  immunde.  Mais 
la  damo  de  Candé,  bupiello  avoyt  authorilé  sur  son  sieur  espoux, 
et  en  estoyt  redoubtée  pour  ce  que  il  on  altendoyt  granl  liioii  on 
liéritaigc,  et(jueelle  semonstroyt  de  petite  tyrannie,  lerabbroua, 
disant  que  possible  estoyt  que  ce  dict  moyne  feust  ung  clirestien  ; 
(juc  par  ce  temps  diluvial  les  voleurs 
rolirerovont  unusor"enl;  (lue  d'ailleurs 
il  l'ailoyl  le  ])ion  traictor  |Jour  sçavoir 
(juolle  décision  avoyent  prinse  les  reli- 
gieux de  Turpenay  en  l'alTaire  du 
scliisme,  et  que  son  advis  estoyt  de  finor 
par  doulceur  et  non  par  force  les  dii- 
licultoz  survenues  entre  l'abbayc  et  le 
domaine  do  Candé, pour  ce  «juc  nul  soigneur  depuis  la  venue  de 
Christ  ne  avoyt  este  plus  fort  que  l'Ecclise,  et  que  tost  ou  tard 
l'abbaye  ruyneroyt  le  cliastel  ;  en  fin  de  tout,  desbagoula  mille 
arraisonnonu'ns  saiges,  comme  on  disent  les  dames  au  fort  des 
tomjiostos  de  la  vi(!,  quand  ollos  on  reçoivent  trop  giaiit  onnuy. 
Amador  avoyt  visaigc;  si  tant  piteux,  aj>paronco  si  cbetivt!  et  tant 
bonne  à  dauber, que  le  seigneur  tristilié  pai-  la  piuve  conccut  de 
s'en  gaudir,  le  toi'menlor,  luy  rincer  son  vi'rro  avecipies  du 
vinaigre,  et  luy  bailler  rude  souvenir  de  son  accueil  au  cbasloau. 
II<»nc(pios  ce  dict  soigneur,  qui  avoyt  dos  accoinlancos  secroltes 
avci-qurs  la  moscbinc!  de  sa  fonnno,  onobargia  costo  lille,  ayant 
nom  l'rirolte,  do  moltro  à  (in  ses  maulvais  vouloirs  à  l'encontre 


SUR  LE  MOYNK  AMADOR.  475 

(lu  paoïivro  Aiiiador.  Alors  (jnc  les  mioik'os  Aniront  praticquccs 
(Mitre  oulxja  bonne  (illaii(l(',(|iii  liaïovl  les  reli^ieiilx  ])our  faire 
plaisir  à  son  niaistrc,  vint  an  dicl,  inovne,  (pii  eslo\  I,  sonliz  le  tect 
aux  gorels,  en  s(\  lardant  la  mine  d'aecortise,  à  ceste  lin  de  le 
trupher  en  toute  ix'rl'ection. 

—  Mon  père,leit-ellc,  le  scignem'  de  h'ans  lia  honte  de  l,iiss(M' 
à  laplnye  nng  servitenr  de  Dien  (jnand  il  y  lia  plaee  en  la  salKî, 
bon  l'eu  sonhz  le  manteau  de  Paatic,  elqne  la  tabb;  est  preste.  le 
vous  convie,  en  son  nom  et  en  celliiv  de  la  dame  au  eliaslel,à 
entrer  céans. 

—  le  merei(ï  la  dame  et  le  sei;4nenr,  non  de  leur  hospice,  qui 
est  chonse  ehrestiemie,  mais  bien  d'avoir  pour  légat  devers  moy, 
paouvre  p(riieur,nng  ange  de  beaulte/  si  mignoimes,  (pieiecuyde 
veoir  la  vierge  de  nostre  autel. 

En  disant  ce,  Aniador  leva  le  nez  et  tizonua,  }tar  deux  llani- 
nicsclics  (jui  pétillèrent  de  ses  yeulx  allumez,  la  iolie  mescliine, 
laquelle  ne  b;  treuva  ny  tant  laid,  ny  tant  ord,  ny  tant  bestial.  En 
grinqtant  le  perron  aveccpies  la  Perrotte.  Amador  récent  ez 
Jiez,  badigoinces  et  anities  lieux  de  son  visaige,  un  coup  de 
fouet  (pii  luy  l'eit  veoir  tous  les  cierges  du  Magnilicat,  tant  feut-il 
bien  appliqu(j  au  rnoyne  par  le  seigneur  de  Candé,  en  train 
de  cbastier  ses  lévriers  et  (pii  feignit  de  ne  pas  veoir  le  moyne. 
Il  re(piit  Aniador  de  luy  ]iardonner  ce  mal,  el  poursnyvit  les 
chiens,  lesipiels  avoient  l'aict  cbeoir  son  hosle.  La  rieuse  mes- 
cliine, qui  s(;avoyt  la  chonse,  se  estoyt  dextrement  rengi-e. 
Voyant  ce  traffic,  Aniador  soup(;onna  l'accointance  du  chevalier 
à  Perrotte  et  de  i'errotte  au  chevalier,  desipiels  possible  estoyt 
que  les  garses  de  la  vallée  luy  eussent  gazouilb' quebiue  cliousi; 
aux  lavoueres.  Des  gens  (pii  estoyent  lors  en  la  salle,  aiilcnn  ne 
feit  place  à  riiomme  de  Dieu,  liMjiitd  démolira  dans  les  ventositez 
de  la  porte  et  de  la  croisée,  où  il  gela  iiis(iues  en  l'instant 
que  le  sire  de  Candi',  madame  sa  femme  et  sa  vieille  sœur  la 
damoisellle  de  Candé,  qui  gouvernoyt  la  ienne  héritière  de  la 
maison,  laipielle  avoyt  d'aage  seize  aniu'es  environ,  vindrent  se 
seoir  sur  leurs  chaires  en  hault  de  la  table,  loing  des  gens, 
suyvanl  la  méthode  anticque,  de  la([U(dle  en  ce  temps  se  di-por- 
lent  les  seigneurs,  bien  à  tort,  he  sire  de  ('andé,  nullement 
record  du  inovne,  le  laissa  s'attabler  an  bas  bout,  en  ung  coin 
où  deux  nieschans  garsonsavoyeiit  charge  de  le  presser  horrible- 
ment. De  faicl,  lesdits  serviteurs  luy  gehennèrent  les  pieds,  le 


.iîtî  CONTKS   liUlM.VTlolKS. 

corps,  les  bras,  on  vrays  (|U('slionnaiirs,  liiv  miiciil  du  vin  blanc 
on  son  i;oul)ol('t  on  i^nyso  d'oano  ponr  Inv  l)i(»nill('r  ronlondouore 
et  mieulxiouyr  do  luy;  mais  ils  luy  foirent  boire  sept  brocs  sans 
que  il  hoschast,  rostast,  hocquestat,  pissast  ou  pétast,  ce  qui  les 
espouvanta  nionlt.  von  (|uo  son  œil  denioura  clair  conimo  mv^  nii- 
rouoro.  Cu'pcndant.  sonstonus  par  ung  res;^nard  do  leur  soigneur, 
ils  allèrent  leur  train,  luy  gectoront,  on  luy  taisant  la  révérence, 
dos  sauleos  vn  la  barbe,  et  les  luy  essuyèrent  à  ceste  seule  fin 
de  la  luy  violemment  tirer.  Puis  le  marmiteux  qui  scrvoyt  ung 
obaudoau  luy  on  baptiza  le  chief,  eut  cure  de  faire  dégouliner 
le  bruslemont  le  long  de  rescbino  du  jtaouvre  Amador,  lo([uoI 
endura  ceste  passion  avecquos  douloeu!'.  von  ([uo  l'osperit  de 
Dieu  ostoyt  en  luy,  et  aussv,  cuydoz-lo,  l'ospéraïu^o  de  tiner  le 
litige  en  tenant  bon  dedans  le  chastel.  Ce  neantmoins,  la  gent 
malivole  s'esclatta  si  druement  en  rires  et  cocquassories  lors  du 
bajitesme  graisseux  baillé  par  le  fils  du  queux  au  moync  beuvard, 
dont  le  sommelier  dit  avoir  tascbié  de  boncbier  ainsy  l'onten- 
douoro,  (pu-  force  font  à  la  dame  de  Candé  do  veoir  an  bas  bout 
(juelles  cliouses  se  traficquoyont.  Lors  la  cbastelainc  apercent 
Amador,  lequel  .ivecques  un  resguard  de  résignation  parfaicte 
osmondoyt  son  visaigc  et  voyoyt  à  tirer  prouffict  des  gros  os  de 
bœuf  (pu  luy  avoyent  esté  mis  en  son  jilal  d'ostain.  Kn  oottiiy 
moment,  le  bon  moyno,  qui  avoyt  doxlromont  baillé  ung  coup 
de  coultel  on  ung  gi'os  vilain  os,  le  print  de  ses  deux  mains 
poilues,  le  rompit  net,  et  sugoa  la  mouelle  cbaulde  et  la  treava 
de  bon  goust.  «  Vère,  se  dit  en  ello-mesme  la  dame  de  Candé, 
Dion  lia  mis  sa  force  en  ce  movno.  »  Sur  ce  pensier,  elle  dit 
giiolVomont  aux  paigos,  serviteurs  et  aultres,  de  ne  point  tor- 
montor  le  icligioux,  auquel  par  moccpierie  on  servoyt  force 
j)oinmes  brouies  et  aulcuues  noix  véreuses.  Luy,  voyant  que  la 
vieille  damoisclle  et  son  cscbolliere,  que  la  dame  et  les  meschines 
l'avoyont  veumanouvrant  l'os,  rebroussa  sa  mancbo,  leur  monstra 
la  triple  ncrvcurc  (W  son  bras,  v  posa  les  noix  au  poignet  sur  la 
bilin(pialioM  dos  veines,  et  les  escrasa  une  à  une,  en  les  y  foc- 
(piant  do  la  paulme  de  sa  main  si  vigoureusement, (pu'  il  sembloyt 
que  ce  feussent  nelfles  meures,  j'uis  les  croc(pu)yt-iI  soub/  ses 
dents  blanclies  comme  dents  lU'  cliii-n,  brou,  bois,  fiuicl  et  tout, 
dont  il  faisoyloii  moins  de  lion  une  pincV  (pic  il  avalloyt  comme 
livdidiinl.  (jiiaiid  il  ne  eut  |iliis  devant  luy  (pie  les  pominos,  il 
les  oiumortaiza  outre  deux  doigts,  des(piels   il  se  servit  connue 


SUR  LE  MOYNE  AMADO». 


177 


(le  ci/;iilIos  pour  les  ooiipor  net,  sans  l),iii;iiiiincr.  C()iii|ilcz  ijuc 
l:i  gciil  rcmcllo  se,  taisoyt,  tjiie  les  servilcuis  ciiydèrent  le  dialilc 
eslre  en  ce  nioyne,  et  que,  n'esloyenl  sa  l'enune  et  les  ténèbres 
cspaisses  de  la  nuict,  le  siie  de 
Candé  voiiloyt  le  bouter  bors,  en 
giant  paour  de  Dieu.  là  uiig  cbas- 
cun  se  disoyt  (|ue  le  nioync  esloyl 
de  froc  à  geelerle  eliastel  par  les 
douves.  ])onc(jues,  alors  que  uny 
chascun  se  feut  torcbié  le  bec, 
le  sire  de  Candé  eut  cure  d'em- 
prisonner ce  diable  de  (jui  la  Ibrci! 
estoyt  nioult  dangereuse  à  veoir,  et  le  feit^mener  au  niaulvais 
bouiic  puant  oi'i  la  l'crrotte  avoyt  pralieijué  ses  cuiiins  à  ceste  lin 


de  le  jicbenner  durant  la  nuict.  IjCs  niat(»ns  du  manoir  avovent 
est('  requis  de  se  l'aire  ouvr  par  luv  en  eonl'ession,  conviez  à  liiv 
dire  leurs  péclu'Z  par  l'herbe  aux  ebals  (pii  les  énamoure, et  aussy 


178  CONTES  DROLATIQUES. 

les  gorets  pour  les(juels  de  bonnes  platées  de  trippes  avoyent  esté 
mises  souliz  le  liel,  à  reste  lin  de  les  enipesciiier  de  se  faire 
nio\  nés,  ce  dont  ils  avoyent  envie,  en  les  en  desgoustant  au  moyen 
du  libéra  (jue  leur  chanteroyt  le  moyne.  Puis  coni|)tez  ([uc  en 
clKKpic  mouvement  du  paouvre  Amador,  qui  avoyt  crins  coupez 
cz  toiles,  il  debvoyt  faire  clieoir  de  l'eaue  froide  en  son  lict,  et 
mille  aultres  maulvaisetcz  desquelles  sont  eouslumiers  les  gaus- 
seurs  en  les  cliasteaulx.  Yécy  ung  cliascun  coucliié,  attendant  le 
sabbat  du  moyne,  certain  que  il  ne  leur  i'auldroyl  point,  veu  que 
le  dict  moyne  avoyt  este  logié  soubz  les  toicts  en  liault  d'une 
tourelle  dont  l'huys  d'en  bas  feut  soingneusement  connuis  à  la 
guarde  des  cliiens  ijui  beurloyent  a|)rès  ce  dicl  moyne.  A  cestc 
lin  de  vérifier  en  (piel  languaige  se  feroyt  l'enti^elieii  du  moyne 
avecqucs  les  cbats  et  les  gorets,  le  sire  vint  coucliier  avec([ues  sa 
mye  la  Perrottc,  qui  cstoyt  voisine.  Alors  que  il  se  veit  ainsy 
Iraicté,  bon  Amador  tira  de  son  sac  ung  coultel  et  se  desverouilla 
dextrement. 

Puis  se  mit  en  guette  pour  estudier  le  train  du  chasteau,  et 
ouyt  le  sire  de  léans  se  couler  en  riant  avecques  sa  mescbinc. 
Ores,  soupçonnant  leurs  beaudouinerics,  il  attendit  l'instant  où  la 
dame  du  logiz  seroyt  seulctte  en  ses  toiles,  et  devalla  dedans  la 
ciiambre  d'icelle,  pieds  nus,  à  cesle  lin  que  ses  sandales  ne 
l'eussent  point  en  ses  secrets.  Il  luy  apjiarut,  à  la  lueur  de  la 
lampe,  en  la  manière  dont  apj)aroissent  les  nioynes  en  la  nuict, 
qui  est  ung  estât  mirificque,  dilïicile  à  soustenir  long  temps  chez 
les  laïques,  veu  que  ce  est  ung  el'fect  du  froc,  leipud  magnifie 
tout.  Puis,  luy  ayant  laissé  veoir  (jue  il  estoyt  bien  moyne,  luy 
tint  doulcement  ce  languaige  : 

—  Ores  ça,  madame,  que  Dieu  saulve,  sçaichez  (pie  ie  suis 
envoyé  par  lésus  et  la  Vierge  Marie  pour  vous  advertir  de  mettre 
lin  aux  trez-immundes  pcrversitez  qui  se  parfont  au  donnnaige  de 
vostre  vertu,  bupielleest  traistreusement  frustrée  de  ce  (pie  vostrc 
marv  lia  de  meilleur  et  dont  il  gratifie  votre  iricscbiiie.  A  quoy 
bon  eslre  dame,  si  les  redevances  seigiiciiiiales  s'engrangent  ail- 
leurs? A  ce  compte,  votre  mescliine  est  la  dame,  et  vous  estes 
la  niescliine.  Ne  vous  est-il  point  deu  tous  les  plaisirs  percens 
par  cesle  mescliine?  Aussy  bien  les  treuverez-vous  amassez  en 
iKtstre  K((dise,  (jiii  est  la  consolation  des  alïligez.  Voyez  en  moy 
le  incssaigier  prest  à  payer  ces  dcbles,  si  vous  n'y  renoncez 
point. 


SUR  LE   MOYNE  AMADOR.  M'.) 

En co (lisant,  lo  bon  moyno  dt'norqna  lo^nt^Tomont  sa  rcinclnro, 
en  laqnelle  il  csloyt  gclienné,  tant  il  jiarut  esnuni  de  veoir  les 
belles  elionses  que  desdairii^noyl  le  sei^nieur  de  Candé. 

—  Si  vous  dieles  viav,  mou  père,  ie  me  remellray  souhz  vostrc 
conduicte,feit-elle  en  saullant  l(\iiieiement  liors  du  licl.  Vous  estes, 
pour  le  seur,  ung  mossaigier  de  Dieu,  pour  ce  que  vous  avez  veu 
en  ung  ionr  ce  que  ie  n'ay  point  veu  céans  depuys  un  long  temps. 

Lors  vint  en  conq>aignie  dudiet  Amador,  duquel  point  ne  faillit 
à  frosler  ung  |>etil  la  trez-saincte  rohhe,  et  lent  si  grantenienl 
férue  de  la  treuver  véridi('(pie,(pie  elle  souhliaila  rencontrer  son 
espoux  en  laulte.  De  l'aict,  elle  l'entendit  (jui  devisoytdu  nioyne 
en  plein  lict  de  sa  nicscliine.  Voyant  ceste  feslonie,  elle  entra 
dedans  une  cliolèie  furieuse  et  ouvrit  le  bec  pour  la  resouldre  en 
parole,  ce  qui  est  une  fasson  j)ropre  aux  fenunes,  et  voulut  faire 
ung  train  de  diable  paravant  de  livrer  la  fille  à  la  iustice.  Ains 
Amador  luy  dit  <pie  il  seroyt  plus  saige  de  soy  venger  d'abord  et 
de  crier  apri^s. 

—  Vengez-moy  doncqucs  vitement,  mon  père,  dit-elle,  pour 
que  ie  puisse  crier. 

Sur  ce,  le  moync  la  vengea  trez-monasticquement  j)ar  une 
bonne  grosse  vengeance  que  elle  s'indulgca  coulamment  comme 
ung  ivrongne  qui  se  met  les  lèvres  à  la  clianipleure  d'ung  ton- 
neau, veu  (jue,  quand  une  dame  se  venge,  elle  doibt  s'enivrer 
de  vengeance  ou  ne  pas  y  gouster.  Et  l'eut  vengée  la  cbastelainc 
à  ne  pouvoir  remuer,  veu  (pie  rien  ne  sup(M'agite,  ne  faict  baleter, 
ne  brise  autant  (pie  la  cliolère  et  la  vengeance.  x\ins,  encores  que 
elle  feust  vengée,  arcbivengée  et  multiplivengée,  point  ne  voulut 
pardonner,  à  ceste  fin  de  guarder  le  droict  de  se  venger, ores  cy, 
ores  là,  avec(pies  ce  moyne.  Voyant  ceste  amour  pour  la  ven- 
geance, Amador  luy  promit  de  l'ayder  à  se  revenger  autant  que 
durerovt  son  iic,  veu  (pie  il  luy  advoua  cognoistre,  en  sa  qualité 
de  religieux  contraiiicl  à  méditer  sur  la  nature  descbouses,  ung 
numbre  infini  de  modes,  nK'tliodes  et  fassons  do  j)ratic(pier  la 
vengeance.  Puis  luy  enseigna  caiioniiupiement  combien  il  (>stoyt 
cbreslien  de  soy  venger,  pour  ce  (pie,  tout  le  long  des  Sainctes 
Escriptures,  Dieu  se  iactoyt,  supérieurement  à  toutes  aultres  (pia- 
illez, d'estre  ung  Dieu  vengeur,  et  d'abundant  nous  denionstroyt, 
en  l'endroict  de  l'enfer,  combien  est  cliouse  royallement  divine 
la  vengeance,  veu  (pie  sa  vengeance  est  éterne.  D'où  suyvovt  ipie 
doibveut  seveuger  les  femmes  et  les  religieux,  soubz  pointe  de  no 


*80  CONTES  DROLATIQUES. 

point  oslro  cfiivslions  et  fidellos  sorvatours  des  doctrines  célestes. 
Ce  dogme  plut  inliiiiiiient  à  la  dame,  qni  advoua  n'avoir  encores 
rien  entendu  aux  conunandemens  de  IKeclise  et  convia  le  hien- 
aymé  nioyne  de  les  luy  venir  enseigner  à  fond.  Puis,  la  chaste- 
laine,  de  laquelle  les  csperits  vitauk  s'cstoyent  esmcus  par  suyle 
de  ceste  vengeance,  qui  les  luy  avoyt  rafreschis,  vint  en  lacliambre 
où  s'esbattoyt  la  gouge,  que  elle  treuva  par  adventure  ayant  la 
main  là  où  bonne  chastelaine  avoyt  souvent  l'œil,  comme  ont  les 
niercliands  sur  leurs  précieuses  denrées,  à  ceste  fin  que  elles  ne 
soyent  point  robbées.  Ce  l'eut,  selon  le  dire  du  président  Lizet 
quand  il  estoyt  en  ses  bonnes,  ung  couple  prins  llagrant  au  lict 
et  qui  l'eut  (juinauld,  j)enauld  et  nigauld.  Ceste  vene  lent  desplai- 
sante à  la  dame  plus  que  on  ne  sçauroyt  dire,  ce  qui  ajij)arut  en 
son  discours,  dont  l'aspreté  feut  senddable  à  celle  de  l'eaue  de 
son  grant  estang,  alors  que  la  bonde  en  estoyt  lascliiée.  Ce  feut 
ung  sermon  en  trois  poincts,  accompaignié  de  musicque  en 
baulte  gamme,  variée  sur  tous  les  tons,  avecques  force  dieze  aux 
clefs. 

—  Mercy  de  la  vertu  !  mon  seigneur,  i'en  ay  mon  comptant. 
Vous  me  demonstrez  ({ue  la  religion  en  la  foy  coniugale  est  un 
abus.  Yécy  doncques  la  raison  pourquoy  ie  n'ay  point  de  fils. 
Combien  d'enfans  avez-vous  mis  en  ce  four  banal,  en  ce  tronc 
d'ecclise,  en  ceste  aumosnière  sans  fond,  en  ceste  escucUe  de 
léjneux,  le  vray  cimetière  de  la  maison  de  Candé  !  leme  veulx  sça- 
voir  si  ie  suis  brebaignepar  ung  vice  de  ma  nature  ou  par  vostrc 
coulpe.  le  vous  lairray  les  mescbines.  De  mon  costé,  ie  prendray 
de  iolys  chevaliers,  à  ceste  fin  que  nous  ayons  ung  héritier.  Vous 
ferez  les  bastards,  et  moy  les  légitimes. 

—  Ma  mye,  dit  le  seigneur  pantois,  ne  criez  j)oint. 

—  Vère, repartit  la  dame,  ie  veulx  crier,  et  crieray  de  manière 
à  estre  bien  entendue,  entendue  de  l'archevescjue,  entendue  du 
b'gat,  du  Iloy,  de  mes  frères,  (pii  tous  me  vengeront  de  cesle 
infamie. 

—  Ne  deshonorez  point  vostrc  mai  y! 

—  Cecv  estdonc(pies  ung  déshonneur?  Vous  avez  raison.  Mais, 
mon  seigneur,  il  ne  sçauroyt  venir  de  vous,  ains  de  ceste  gouge 
que  ie  vais  faire  coudre  en  ung  sac  et  gecter  en  l'Indre;  par  ainsy, 
vosire  deshonneur  sera  lavé.  Ihdà  !  feit-elle. 

—  Taisez-vous,  madame!  dit  le  sire,  honteux  comme  leeliien 
d'ung  aveugle,  poureequecc  granf  linnurie  de  guerre,  si  jirompt 


SUR  LE  MOYNE  AMADOR.  481 

à  nicunlrii'  aullruy,  cstoyt  comme  ung  enlansson  an  rosgunnl 
(le  sa  dame;  cas  dont  sont  coustumiers  les  souldanls,  |K)nr  ce 
qne  en  onix  j^ist  la  force  et  se  rencontrent  les  espaisses  cliarno- 
silez  de  la  matière,  tandis  qne,  an  n-bonrs,  se  treuve  en  la 
femme  nng  esperit  snbtil  et  nng  brin  de  la  flanniie  perfumée 
qui  csclaire  le  paradiz,  ce  qni  esbaliit  moult  les  bommes.  Cecy 
est  la  raison  pourqnoy  aulcnnes  femmes  mènent  leurs  époux, 
veu  que  l'esjierit  est  le  roy  de  la  matière. 

Sur  ce,  les  dames  se  prindrcnt  à  rire  et  anssy  le  Hoy. 

—  le  me  tairay  point,  feit  la  dame  de  Candi'  (dit  l'ai)!»'  en  conli- 
nnant  le  conte),  ic  suis  tro})  onltraigiée  :  cecyestdoncqiies  le  lover 
de  mes  grans  biens,  de  ma  saige  condniele!  Vous  av-ie  jamais 
reffeusé  de  vous  obéir,  voire  maulgré  le  quaresme  et  les  iours  de 
ieusne?  Suis-je  fresche  à  geler  le  soleil  ?  cuydez-vous  que  ie  fasse 
les  chouses  par  force,  debvoir  ou  pure  complaisance?  Ay-ieung 
caz  bénit?  Suis-ie  une  cbaasse  saincte?  Kstovt-il  besoins  d'une 
bref  du  pajjc  pour  y  entrer?  Vertu  de  Dieu!  y  estes-vous  si  Ibrt 
accoustumé,  que  vous  en  soyez  las?  ay-ie  pas  faict  tout  à  vostre 
goust?  les  mescbines  en  sçavent-elles  plus  que  les  dames?  lia! 
cecy  sans  doubte  est  vray,  pour  ce  que  elle  vous  ba  laissé  fasson- 
ner  son  cbamp  sans  le  semer.  Enseignez-moi  cettuy  mestier,  ie 
le  praclicqueray  aveccjues  ceulx  que  ie  prendray  |)0ur  mon  service  : 
car,  voilà  ^\u^  est  dict,  ie  suis  libre.  Cela  est  bien.  Vostre  compai- 
gnie  estoyt  grevée  de  trop  d'ennuy,  et  vous  me  vendiez  trop  cliier 
ung  maulvais  boussin  de  liesse.  Mercy  Dieu  !  ie  suis  quitte  de  vous 
et  de  vos  pliantaisies,  pour  ce  (jue  ie  me  retireray  en  ung  mons- 
tier  de  religieux... 

Elle  cuydoyl  dire  de  religieuses,  mais  ce  moyne  vengeur  luv 
avoyt  perverty  la  langue. 

— ...  Et  ie  seray  mieulx  avecques  ma  fille  en  ce  moustier 
qu'en  ce  lieu  d'abominables  perversitez.  Vous  bérilercz  de  vostre 
mescbine.  lia!  ba  !  la  belle  dame  de  Candé  que  vécv  ! 

— (Mieest-ila(lvenul('ans?leit.\ma(lor,(pusemonstrasoubdain. 

—  Il  advient,  mon  j)ère,  respondit-elle,  que  vécy  qui  crie  V(M1- 
geance.  Pour  commencer,  ie  vais  faire  gecter  à  l'eaue  ceste  villo- 
tière,  cousue  en  ung  sac,  |)our  avoir  destourbé  la  graine  de  la 
maison  de  Candé  à  son  i)rouffict  :  ce  sera  espargner  de  la  besongnc 
au  bourreau.  Pour  le  demouranf,  ie  veulx... 

41 


4S2  CONTKS  DROLATIOUES. 

—  Ahandoniioz  voslio  ire,  ma  fillo,  IVit  le  ninync.  Il  est  com- 
niaiulc  par  l'Ecclise,  au  Pater  nosler,  de  pardonner  les  ollenses 
daullrny  enveis  nous,  si  nous  avons  cure  du  eiel,  pour  ce  (jue 
Dieu  j)ardoint  eeulx  (|iii  ont  aussy  pardonné  les  aullres.  Dieu  ne 
se  venge  ('leriiellenienl  ({ue  des  maulvais  qui  se  sont  vengez, 
ains  guarde  en  son  paradiz  ceulx  (jui  ont  pardonné.  De  là  vient  le 
iubilé  qui  est  ung  grant  iour  de  ioye,  pour  ce  que  les  debtes  et 
ollenses  sont  remises.  Aussy  est-ce  ung  bon  licur  que  de  pardon- 
ner. Pardonnez,  pardonnez!  le  pardon  est  œuvre  sacrosaincte. 
Pardonnez  à  monseigneur  de  Gandé,  qui  vous  bénira  de  vostre 
gracieuse  miséricorde  et  vous  aymera  moult  désormais.  Geste 
pardonnance  vous  restituera  les  fleurs  de  la  ieunesse.  Et  cuydez, 
ma  cbiere  belle  ieune  dame,  que  le  pardon  est  par  aulcunes 
l'oys  une  manière  de  soy  venger.  Pardomiez  à  vostre  mescliine, 
qui  priera  Dieu  pour  vous.  Ainsy,  Dieu,  supplié  par  tous,  vous 
aui'a  soubz  sa  guarde  et  vous  octroyera  ([uelque  brave  lignée 
(le  masles  pour  ce  pardon. 

Ayant  dict,  le  moyne  print  la  main  du  sire,  la  boula  dedans 
celle  de  la  dame  en  adiouxtant  : 

—  Allez  deviser  sur  ce  pardon! 

i'uis  coula  dans  l'aureille  du  seigneur  ceste  saige  parole  : 

—  Monseigneur,  tirez  vostre  grant  argument,  et  vous  la  Agirez 
taire  en  le  luy  obieetant,  pour  ce  que  la  bouche  d'une  femme  ne 
est  pleine  de  paroles  cpie  quand  son  pertuys  est  vuyde.  Argu- 
mentez d()nc(pi('s,  et  par  ainsy  vous  aurez  tousiours  raison  sur 
la  lémme. 

—  Par  le  corps  de  Dieu  !  il  y  ha  du  bon  en  ce  moyne,  feit  le 
seigneur  en  soy  retirant. 

Alors  que  Amador  se  veit  seul  avecques  la  Perrolte,  il  luy 
tint  ce  discouis  : 

—  Vous  estes  en  coulpe,  ma  mye,  pour  avoir  voulu  eaïner  ung 
paonvre  serviteur  de  Dieu  :  aussy  estes-voys  soubz  l'esclat  de  l'ire 
c('leste  qui  tombera  sur  vous  ;  en  quelque  lieu  que  vous  vous 
bouliez,  elle  vous  suyvra  tousiours  et  vous  empoignera  dans  toutes 
vos  ioincteures,  mesmes  ajirès  vostre  mort,  et  vous  cuii-a  comme 
|»aslez  dedans  le  tour  de  l'enler,  où  vous  bouillonnerez  éter- 
nellement, et,  par  ung  chascun  iour,  recevrez  sept  cent  mille 
millions  de  coujjs  de  louet  pour  celluy  (pie  i'ay  receu  par  vostre 
advis. 

—  Ibi  !  mon  \\rir,  feit  la  mescliine,  la(iuelle  se  gecta  au  rez  du 


SUR  LE  MOYNR  AMADOR.  183 

moync,  vous  seul  pouvez  m'en  saulvcr,  vcu  ([ue,  si  ic  cliaussoys 
vostrc  bon  Troc,  ie  scroys  à  l'ubry  de  la  cliolèrc  de  Dieu. 

En  ce  disant,  elle  soubleva  la  robbe,  comme  pourveoir  à  s'y 
placer,  et  s'esclama  : 

—  Par  ma  lic(pic!  les  inoynes  sont  plus  bcaulx  (juc  les  die- 
valiers. 

—  Par  le  roussy  du  diable!  ne  bas-tu  point  vcu  ni  scnlu  de 
moyne? 

—  Non,  dit  la  moscliine. 

—  Et  tu  ne  cognoys  nullement  le  service  que  cbantcnt  les 
moynes  sans  dire  mot? 

—  Non,  feit  Perrotle. 

Adoncques  le  moyne  le  luy  monstrade  la  bonne  fasson,  comme 
auxfestos  à  doubles  bastons,  avec(|ues  lesgrans  sonneries  en  usa  igc 
dans  les  mousticrs,  psaulmes  bien  cbantcz  en  fa  maieur,  cierges 
llambans,  onfansdc  cbœur,  et  luy  cxjtliqua  Vlntroilcl  aussy  Vite 
missa  est,  jiour  ce  ([ue  il  s'en  alla,  la  laissant  si  sanctilire,  (pic  la 
cholère  de  Dieu  n'eust  sceu  rencontrer  aulcun  endroict  de  la  lille 
qui  ne  feust  trcz-amplement  monasticque.  Par  son  commande- 
ment, Perrotte  le  mena  en  la  cliambre  où  estbyt  la  damoiselle  de 
Candc,  sœur  du  sire,  à  laipidle  il  ap[iarut  pour  sçavoir  si  son  bon 
plaisir  cstoyt  de  soy  confesser  à  luy,  pour  ce  que  les  moynes 
venoyent  rarement  en  ce  cbastcau.  La  damoiselle  l'eut  contente, 
comme  l'eustesté  toute  bonne  clirestienne,de  pouvoir  s'esplucbier 
la  conscience.  Amador  la  requit  de  luy  monstrer  sa  conscience,  et 
la  paouvre  damoiselle  luy  ayant  laissé  veoir  ce  (jue  le  moyne  de- 
monstra  estre  la  conscience  des  lilles,  il  la  Ireuva  trez-noire,  et  luy 
dit  que  tous  les  péchez  des  lenunes  se  parfaisoyent  là;  ({lu-  pour 
estre  en  l'advenir  sans  pécbcz,  besoing  estoyt  de  se  boucbier  la 
conscience  par  une  indulgence  de  moyne.  Sur  ce  que  la  bonne 
damoiselle  ignarde  luy  repartit  (pie  elle  ne  sçavoyt  où  se  conques- 
toventces  indulgences,  le  moyne  luy  dit  (pie  il  ]»()rl(tyt  un  tlirezor 
d'indulgence,  veu  (juo  rien  au  monde  ne  estoyt  jtlus  indulgent  (pie 
cela,  pour  ce  que  cela  ne  disoyt  mot  et  produisoyt  des  douleeiirs 
infinies,  ce  qui  est  le  vray,  l'éterne  et  prime  charactère  de  l'indul- 
gence. La  paouvre  demoiselle  eut  la  vue  si  fort  esblouye  par  ce 
tlirezor  dont  elle  estoyt  de  tout  poinet  sevrée,  (pie  elle  eut  la  cer- 
velle brouilb'e  et  voulut  de  si  bon  cueur  croire  en  la  reli(pie  du 
moy  ne,  que  elle  s'indulgea  religieusement  des  iiidiilgenees,  comme 
la  dame  de  Candé  se  estoyt  indulgé  des  vengeances.  Geste  confes- 


484  CONTES  DROLATIQUES. 

s;uloosvoii;la  la  petite  danioiselle  de  Candé,  qui  vint  veoir.  Prenez 
note  (|ue  le  nioyne  avoyt  espéré  oesle  reneontre,  veu  que  l'eauc 
luy  estnvt  venue  en  la  bouche  de  ce  ioly  IVuict  (|ue  il  Liobbn,  pour 
ce  que  la  bonne  damoiselle  ne  put  en)|>esebier  que  il  baillast  à  la 
])etite,  qui  le  voulut,  ung  restant  d'indulj^'enoes.  Ains  comptez 
(|ue  ceste  love  lui  estovt  deue  pour  ses  poiiies.  Le  matin  estant 
advenu,  les  gorets  ayant  mangié  leurs  platées,  les  chats  s'estant 
desenamourez,  force  de  compisser  les  endroicts  frostez  d'herbes, 
Amadoralla  soy  reposer  en  son  lict,que  la  Perrottc  avoyt  dcsen- 
ginié.  Ung  chascun  dormit,  par  la  graace  du  moyne,  ung  si  long 
temps,  que  aulcun  ne  se  leva  dedans  le  chasteau  paravant  midy, 
qui  estoyt  l'heure  du  disner.  Les  serviteurs  cuydoyent  tous  le 
moyne  estre  ung  diable  qui  avoyt  emporté  les  chats,  les  gorets 
et  aussy  les  maistres.  Nonobstant  leurs  dires,  ung  chascun  fcut 
en  la  salle  pour  le  repas. 

—  Venez,  mon  père,  feit  la  chaslelaine  en  doiuiant  le  bras  au 
moyne,  que  elle  mit  à  ses  coslez  dedans  la  chaire  du  baron,  au 
grant  esbabissenieiit  de  tous  les  serviteurs,  veu  que  le  sire  de 
Candé  ne  soul'lhi  mot.  —  Paige,  donnez  de  cecy  au  pèrcAruador, 
disoyt  Madame.  —  Le  père  Amador  ha  besoing  de  cela,  disoyt  la 
bonne  damoiselle  de  Caiulé.  — Remplissez  le  hanap  du  ])ère  Ama- 
ilor,  disovt  le  sire.  —  11  faut  du  pain  au  père  Amador,  disoyt  la 
jietite  de  Candé.  —  Que  soubhaitez-vous ,  père  Amador,  disoyt 
la  Perrotte. 

Ce  estoyt,  à  tous  proupos,  Amador  par  cy,  Amador  par  là.  Bon 
Amador  estoyt  festoyé  connnc  ung  minon  de  pucellc  en  une  prime 
uuict  de  nopces. 

—  Mangiez,  mon  père,  laisovt  la  dame,  car  vous  fcites  hier  au 
soir  maigre  chère.  —  Deuvez,  mon  père,  disoyt  le  seigneur  :  vous 
estes,  pas  le  sang  de  Dieu!  le  plus  brave  moyne  (jue  ie  veis  onc- 
ques.  —  Le  père  Amador  est  ung  beau  moyne,  feit  Perrotte.  — 
l'ng  indulgent  moyne,  feit  la  damoiselle.  —  Inii  bienfaisant 
moyne,  feit  la  petite  de  Candé. — Un  grant  moyne,  feit  la  dame. — 
l  ug  moyne  qui  ha  ung  nom  vray  de  tout  i)oinct,  feit  le  clerc 
du  chasteau. 

Amador  paissoyt,  repaissoyt,  se  veautroytez  platz,  lappoyt  l'hy- 
pocras,  se  ))ourleschiovt,  esliMimoyt,  se  gorgiasoyt,  se  (|uarroyl, 
s'i'sliarboxt  connue  ung  taureau  dans  sa  pré(>.  F^es  aultres  le  res- 
guardovcut  eu  gi'ant  paour,  cxistimant  (pie  il  estovt  iicgroman- 
cifu.  Le  disurr  liné,  la  (lame  di' Candi',  la  damoiselle  de  Candi', 


su  II  LE   MOYNE  A  MA  DO  H.  485 

lîi  pclilodc  Candi',  eiiiorlillèicnt  lesirodc, Candi'  ])ai  inillo  hoaulx 
discouis  pour  Iciinincr  le  piociîz.  Il  luy  en  lent  inoull  dicl  |)ar 
Madame,  (jui  luy  icnionstmvt  coinhicn  estoyt  ul.ilc  ung  nioyno 
en  ung  cliasloan;  par  Madcnioiscllo  qui  vouloyt  dorescnavant 
faire  l'ourbir  sa  conscience  tous  les  iours;  parla  Damoiselle,  (jui 
lirovt  son  jièie  en  la  barbe  et  luy  deniandoyt  que  celtuy  moyui; 
demourasl  à  Candi'.  Si  iainais  ung  dillrrcnd  se  vuydoyl,  ce  siMoyt 
par  le  moync;  le  nioyne  estoyt  de  bon  entendement,  trez-douk 
et  saigc  comme  ung  sainct;  ce  estoyt  ung  malheur  ({ue  de  eslrc 
enncmy  d'ung  mousticr  où  se  trcuvoycnt  pareils  moynes;  si  tous 
les  moynes  esloyent  comme  cettuy-là,  l'abbaye  l'emporteroyl 
tousiours  en  tous  lieux  sur  le  cbaslel  et  le  ruyneroyt,  pour  ce  ipie 
le  moync  estoyt  trez-lbrt;  en  lin  de  tout,  elles  estalèrent  mille 
raisons  qui  estoyent  comme  ung  déluge  de  paroles,  lesquelles 
feurent  si  pluvialement  déversées,  que  le  sire  céda,  voyant  que  il 
ne  auroyt  point  la  paix  léans  tant  que  ceste  alTaire  ne  seroyt 
linée  au  dezir  de  ses  femmes.  Lors  il  manda  le  clerc  qui  escrip- 
voyt  pour  luy,  et  aussy  le  moyue.  Adoncques  Amador  le  surprint 
eslrangièrement  en  luy  nionstrant  les  cbartres  et  lettres  de 
créance  (jui  empeschièrent  le  sire  et  son  clerc  de  dilayer  cet  ac- 
cord. Quand  la  dame  de  Candé  les  veit  en  train  d'atermoyer  le 
pourebaz,  elle  s'en  alla  dans  la  lingerie  ebercber  ung  beau  drap 
lin  pour  en  faire  une  robbe  neufve  pour  le  cbier  Amador.  Ung 
chascun  dans  la  maison  avoyt  veu  condjien  estoyt  usée  sa  robbe, 
et  ce  eust  esté  grant  dommaige  de  laisser  si  bel  outil  de  ven- 
geance en  si  vilain  sac.  Ce  feut  à  (|ui  laboreroyt  ce  froc.  Madame 
de  Candé  le  conj)a,  la  mescbine  feit  le  capuche,  la  damoiselle  de 
Candé  le  voulut  coudre,  la  petite  damoiselle  en  print  les  manches. 
Puis  toutes  se  mirent  à  la  parl'aire  en  si  grant  dezir  de  parer 
le  moyne,  que  sa  robbe  feut  preste  pour  le  souper,  comme 
aussy  feut  dressée  la  ehartre  de  bon  accord  et  scellée  par  le  sire 
de  Candé. 

—  Ha  !  mon  père,  feit  la  dame,  si  vous  nous  aymez,  vous  vous 
rcpouscrez  de  ce  grant  travail,  en  vous  cstuvant  dedans  ung  bain 
que  i'ay  faict  chauffer  par  Perrotte. 

Amador  feut  donciiues  baingné  en  une  eaue  de  senteur.  Quand 
il  en  vssil,  treuva  sa  robbe  neufve  de  fine  laine  et  de  belles  san- 
dales, ce  (pii  le  monstra  aux  yeux  de  tons  le  plus  glorieux  moync 
du  monde. 

Pendant  ce  les  religieux  de  Turpenav,en  grant  paourd'Amador, 

41. 


iSG 


CONTES  DROL.VTIOUES. 


avovont  oncliaî'iii('  doux  iiioyiios  (1(>  lairi'  la  guolto  ommv  le  chas- 
lol.  Ces  cspies  vindrtMil  autour  dos  douves,  connue  la  l*eriolte  y 
gectoyt  la  vieille  robbe  grasse  d'Amador  avccques  force  tessons 
dedans;  ce  que  vovant,  ils  creurent  que  ce  estoyt  fine  du  paouvre 
fol.  Lors  refoui'uèreut  disant  que,  pour  le  scur,  Aniador  eiulu- 
ro\t  pour  l'abbave  unii  cruel  martyre.  Ce  que  seaiciiant,  l'abbé 
ordonna  venir  en  la  cliaiielle  prier  Dieu,  à  ceste  (In  (pie  il  assis- 


tast  ce  dévoué  serviteur  en  ses  tormens.  Le  nioyne,  ayant  soupe, 
mit  sa  chartrc  en  sa  ceinclure  et  voulut  retourner  eu  Turpenay. 
Lors  il  trouva  au  rez  des  devrez  la  liaccpu'née  de  Madame,  bridée, 
sellée,  que  luy  tcnoyl  preste  l'escuyer  :  puis,  le  seij^iieur  avoyt 
commandé  à  .ses  gens  d'armes  d'accompaigner  le  bon  moyne, 
pour  ipie  niilli!  maie  enconsire  ne  luy  adviusl.  Ce  que  voyant, 
Amador  pardonna  les  mescliieis  de  la  veille,  et  bailla  sa  béné- 
diction à  tous,  paravaiil  de  tiri'i'  ses  sandales  de  ce  lion  convcrty. 


SUR   lE   MOYNE   AMADOR. 


487 


Coniploz  que  il  fout  suyw  des  yonlx  par  Madaino,  (pii  le,  prncla- 
iiiovt  bon  rlicvanicliciir,  Pcrnttli!  disoyt  (|ii('  ])(tiir  uii^^  iiioync 
il  se  tciioyt  plus  niidc,  à  clicval  que  aulcim  des  gfiis  d'aniics. 
MadamoiscUc  de  (lande  sospiroyl.  La  petite  le  vouloyt  pour  con- 
fesseur. 

—  11  lia  sancti(i(;  le  cliastel,  feircnt-clles  toutes  quand  elles 
feurent  en  la  salie. 

Alors  (pic  la  clicvaulcliii'c  d'Amador  vint  à  l'entrc'e  de  l'abbaye, 
ce  l'eut  espantenient  liorrible,  veu  que  le  j,aiardian  crut  ({ue  le 
sire  de  Candé,  mis  en  appétit  de  nioyne  par  le  trespas  du  paouvie 
Aniador,  vouloyt  saccaiyer  l'abbaye  de  Turpenay.  Ains  Ainador 
cria  de  sa  bonne  grosse  voix,  l'eut  recoj^neu,  l'eut  iniroduict  de- 
dans la  court,  et,  (piand  il  descendit  de  <lessus  la  baciiiienéede 
Madame,  ce  l'eust  uny  esclat  à  rendre  les  moynes  effarez  comme 
lunes  rousses.  Aussy  gectèrcnt-ils  ung  beau  cry  dedans  le  refec- 
touere,  et  vindrent  tous  congratuler  Amador,  qui  brandilloyt  la 
cliartre.  Les  gens  d'armes  feurent  resgallez  du  meilleur  vin  de  la 


:4y^ 


cave,  qui  estovt  ung  pri'sent  faict  à  ceulx  do  Tinpenay  par  ceulx 
de  Marmousticrs,  auxquels  appartiennent  les  clouseries  deVou- 
vray.  Le  bon  abbé,  s'estant  faict  lire  l'escript  du  sii-e  de  Candé, 
s'en  alloyt  disant  : 

—  Kn  ces  diverses  conioncliu'es  esclallc  \v  doii:t  de  lùeu,  au- 


quel besoini:  est  de  rendre  ^raaces. 


IV  I      J  ^\_  r*yri  l^^     \^^l/     ».IV'     iviiniv>     te.ici»»vv.T. 

Comme  le  bon  al)bé  revenoyt  tousiours  à  ce  doigt  de  Dieu  en 


Quand  il  descendit  de  dessus  la  liaciucnéc  do  Madame,  ce  «cul  uug  cstlat  à 
rendre  l.-s  moyncs  effarez  comme  lunes  rousscs.  ' 


SUR  LE  MOWNE  AMADOU, 


4S'J 


nicrciîiiil  Aniador,  le  iiioync  nianlj^fica  de  vcoir  tant  anioiiuliir 
son  dodianlal  et  luy  dit  : 

—  Prenez  que  ce  soyt  le  bras,  mon  père,  et  n'en  sonnons  plus 
mot. 

La  vuydan^c  du  pioeès  entre  le  sieur  de  Candé  et  l'abbave  de 
Turpenay  feut  suyvie  d'un-:  lieui'  ipii  le  rendit  fort  dévotieux  à 
noslre  Ecclise,  pour  ce  (jue  il  eust  ung  fils  à  l'eschéance  du  neuf- 
viesnie  mois.  Deux  ans  après,  Amador  feut  esleu  pour  abbé  par 
les  uioynes,  (|iii  coniploycut  sur  un^  ioveulx  gouvernement  avec- 
ques  ung  fol.  Aius  Amador,  abl»;  devemi,  devint  saif,'e  et  trez- 
austère,  pour  ce  que  il  avoyt  donq)té  ses  maulvais  vouloirs  par 
ses  exercitations,  et  refondu  sa  nature  à  la  forge  femelle,  en 
laquelle  est  ung  feu  à  clarifier  toute  cbouse,  veu  que  ce  feu  est 
le  plus  pcrdorable,  perseveiant,  j)ersistant,  perfectissime,  jx'ri- 
nant,  pc  iprinsaiit,  perscrulaut  et  péiinéal  (pii  soyt  en  ce  monde. 
Aussy  est-ce  ung  feu  à  tout  ruyner,  et  (pu'  ruyna  si  bien  le 
nuiulvais  en  Amador,  (pie  il  ne  laissa  que  ce  que  il  ne  pouvoyt 
mordre,  asçavoir  son  csperit,  lecjuel  feut  clair  comme  diamant, 
(|ui  est,  comme  ung  cbascun  sçayt,  ung  résidu  du  grant  feu  par 
leipu'l  feut  carltoiié  iadis  nostre  globe.  Amador  l'eut  doncipics 
rin-^lriiiiiciit  csicii  p.'ir  l:i  l'iii\  idciicc  pnur  l'éini'iiicr  noslre  iiichle 


abbaye,  vcii  (pic  il  y  rcdicssu  loiil,  vcigla  miiet  et  iour  sur  ses 
nioyncs,  les  leit  tous  lever  aux  beures  dictes  j>ourles  offices,  les 


400  CONTES^DROLATIQUES. 

oonii)ta  on  la  chapelle  ooinmo  ung  bergier  faict  de  ses  brebis,  les 
tint  en  laisse  et  punit  si  giiofvement  les  l'aultes,  que  il  en  feit 
de  trez-saiges  religieux. 

Cecy  nous  enseigne  à  nous  adonner  à  la  femme  plus  en  veuc 
de  nous  oasloyer  que  pour  y  prendre  de  la  ioye.  D'abiindant, 
coste  advenlure  nous  apprend  que  nous  ne  devons  ianiais  lucter 
avccques  les  gens  d'Ecclisc. 

Le  Hoy  et  la  Roync  treuvèrent  ce  Conte  de  hault  goust,  les 
courtizans  advouèrent  alors  n'en  avoir  onc([ues  entendu  de  plus 
plaisant,  et  les  dames  eussent  voulu  toutes  l'avoir  faict. 


BEUTJIl-:  LV  ^tEPE^TI 


COMMENT  BERTHE  DEMOUR.V  PUCKM.E   EN  ESTAT  DE  M.VRIAIGE 


Kiiviion  le  tomps  de  la  piiino  fiiilo  do  nionsoijïncur  lo  Danl- 
pliiii,  (1(>  la(iiicll(M'on('('iit  mitiilt  (rciiiiuy  nostrc  lioii  sire  ('liarlos 
lo.  Victorieux,  advint  iing  inoscliicr  en  iino  maison  nnl)l('  i\o  la 
Touraine,  depuis  estaincte  de  tout  poinct;  et,  pour  ce,  peut  en 
cstre  mise  on  lumière  la  trez-despl()ura])le  histoire.  En  l'ayde  de 
l'Autlieur  soyont  |>ource  travail  les  Saincts  Conlcsseurs,  Martyrs 
et  aultrcs  Dominalions  célestes,  qui,  par  les  coinmandemcns 


492 


CONTES  DROLATIQUES. 


du  Seijïnoiir  Dit'u.    fouionl  les  promolouis  du  bion  ou  ceslc 
advoutuiv. 

Par  uuy  dcltaull  de  son  ('liaraflt'Mc,  lo  sieur  IinlxMldo  Hastar- 
nav,  iing  d»^s  plus  graus  tenions  seigneurs  de  nostre  pays  de 
Touraine,  ne  avoyt  nulle  fiance  en  l'esperit  de  la  lenielle  de 
l'homme,  la(|uelle  il  cujdoyt  cstrc  trop  mouvante,  parsuyte  de 
SOS  circumbilivaginations  ;  et  possible  estoyt  que  il  eust  raison. 
Doncques  en  ee  maulvais  pensior  vint  en  grant  aage  sans  coni- 
pai'^ie,  ce  qui  ne  estoyt  nullement  à  son  advantaige.  Tousiours 
seul,  ce  dict  homme  ne  sçavoyt  aulounement  se  tiiiro  giMitil  pour 
aultniv,  n'avant  oncques  été  qu'en  voyaiges  de  guerre  et  remuc- 
mesnaiges  de  garsons  avecques  lesquels  il  ne  se  gehennoyt  point. 
Parainsv,  demouroyt  ord  en  ses  chausses,  suant  en  sonliarnoys, 
avovt  les  mains  noires,  la  face  cingesque,  et,  pour  estre  brief, 


paroissoyt  le  plus  vilain  masio  de  la  chrestienlé  en  ce  qui  estoyt 
de  sa  |)orsonne,  vou  que,  pour  ce  qui  estoyt  du  cueur,  de  la  leste 
et  aultres  chouses  absconses,  il  avoyt  dos  propriétez  qui  le  fai- 
soyent  moult  i)risablo.  Vu  mossaigier  do  Dieu  oust  (cuvdez  cocy) 
cheminé  loing  sans  rencontrer  ung  balaiihird  plus  lerme  on  son 
]«>sto,  ung  seign<'ur  guarny  do  |ilus  d'IionMour  sans  tache,  de 
parole  plus  briol'vo  cl  (\v  j)lus  iiailaictc  léaultt'. 

Aulcuns  disent,  pour  l'avoir  entendu,  (juo  il  estoyt  saige  en  ses 
d<'\  is  cl  inoull  prourficlablo  à  conseiller.  KsIovI-co  point  ung  laici 


BERTHE  LA  REPENTIE.  403 

cxpiTS  (lo  Dion,  qui  so  gausse  (1(M10us,  d'avoirmislant  (1p  poiToo 
tions  clu'Z  img  Iioinmo  si  mal  liouzi'?  Co  seigneur  s'estaiit  l'aicl 
sexagénaire  de  tout  |K)inet,ene()res  (jue  il  n'eust  que  cin(juantc 
ansd'aagc,  se  résolut  à  s'enchargier  d'une  femme,  à  ceste  lin  d'en 
avoir  lignée.  Lors,  en  s'cnquestant  de  l'endroict  où  se  pouvovt 
treuver  ung  moule  à  sa  convenance,  entendit  vanter  lesgrans  mé- 
rites et  perfeclions  d'une  lille  de  l'inclyte  l'amille  deUolian,  (pii 
lors  tenovt  des  fiefs  en  ceste  jjrovince,  hupielle  damoiselle  estovt 
dicte  Bertlie  en  son  petit  nom.  Hubert, estant  venu  la  veoirau  chas- 
teau  de  Montbazon,  feut,parla  ioliesseet  la  vertu  trez-innoccnte 
de  ceste  dicte  Herthe  de  Rolian,  coëffé  d'ung  tel  dezird'en  iouvr, 
que  il  se  deliht-ra  de  la  prendre  pour  espouse.  cuydanl  ipie  ia- 
mais  lille  de  si  liault  lignaige  ne  fauldroyt  à  son  debvoir.  Cema- 
riaige  se  leittost,  pour  ce  que  le  sire  deUoban  avoyt  sejjt  filles 
et  ne  sçavoyt  comment  les  pourvoir  toutes,  par  ung  temps  où  ung 
chascun  se  refaisoyt  des  guerres  et  raccommodoyt  ses  affairesguas- 
tées.  De  faict,  lebonbommeBastarnay  treuva,  pour  prime  bcui', 
Bertlie  réallement  pucelle,  ce  qui  tesmoingnoyt  de  sa  bonne  nour- 
riture et  d'ung parfaict  castoycment  maternel.  Aussy,  dès  la  nuic- 
tée  où  il  lui  feut  loysibledc  l'accoller,  l'encliargia-t-il  d'ung  enfant 
si  rudement,  que  il  en  eut  preuve  suffisante  à  l'escbéance  du 
deuxiesme  mois  des  nopces,  ce  dont  feut  trez-ioyeulx  le  sire  Imbert. 
A  ceste  fin  d'en  finersurce  i)rime  poinct  de  l'advenlure,  disons 
cy  que  de  ceste  graine  légitinu^  nacquit  le  sire  de  Hastai-nay,  qui 
feut  duc  par  la  graace  du  Roy  Loys  le  unziesme,  son  cbamberlan, 
de  plus  son  ambassadeur  ez  pays  d'Europe,  et  bien  aymé  de  ce 
trez-redoubté  seigneur,  auc[uel  il  ne  faillit  oncques.  Ceste  léaulté 
luv  l'eut  ung  li('ritaige  de  son  père,  l('(piel  de  trez-matin  s'estoyt 
affectionné  de  monseigneur  le  l)aul|»liin,  (bupiel  il  suyvit  toutes 
les  fortunes,  voire  niesme  les  rebellions,  veu  que  il  en  estoyt  amy 
à  remettre  le  Cbrist  en  croix,  s'il  en  avoyt  esté  j)ar  luy  requis  ;  fleur 
d'amitiez  trez-rare  à  l'entour  des  princes  et  grans.  En  prime  abord 
se  compoita  si  léaulment  la  gentille  dame  deBastarnay,  que  sa 
compaignie  feil  esvanouyr  les  vapeurs  espaisses  et  nuées  noires(jui 
concliioyent  en  l'esperit  du  bon  bomme  lesclairelez  de  la  gloire 
femelle.  Ores,  suyvant  l'us  des  niescréans,  il  passa  de  deffianco 
en  fiance  si  esraument,  que  il  quitta  le  gouvernement  de  sa  mai- 
son à  la  dicte  Bertlie,  la  feilmaistressede  ses  faictset  gestes,  sou- 
veraine de  toutes  cbouses,  roynede  son  bonneur,  guardienne  de 
ses  cbeveulx  blancs,  et  aurovt  desconlicl  sans  conteste  ung  qui 

42 


l'.U  CONTES  DROLATIQUES. 

sorovl  ndvonu  luv  dlio  nng  maulvais  mot  do  co mironoro  do  vertu, 
en  IcMjiit'l  nul  sourilfiravoylcsU' aullitMjiic  le  souille  yssii  de  ses 
lèvres  coiiiugales  et  niarlialos,  cncores  (jue  elles  l'eiissent  fresches 
et  flatries.  Pour  estre  vray  de  tout  poincl,  besoing  de  dire  qu'à 
ceste  saigesse  ayda  moult  le  petit  gars,  du({uel  s'occupa  nuict  et 
iour  durant  six  amu'es  la  iolie  mère,  hujuelle  ou  primi!  soiu  le 
nourrit  de  sou  laictet  on  l'eil  pour  elle  le  lieutenant  d'ung  amant, 
luv  quittant  ses  mignons  tettins,  auxquels  il  mordoyt  ferme,  au- 
tantcjue  il  vouloyt,  et  il  cstoyt  tousiours  comme  ungauu\nt.  ('.este 
bonne  mère  ne  cogneutaultreslosbineries  que  celles  de  ses  lèvres 
roses,  n'eut  aultres  caresses  que  cellesde  ses  petites  menues  mains 
qui  couroyeut  sur  elle  comme  patios  de  souriz  ioyeulsos,  no  lut 
aultro  livre  que  sesmignonsveulx  clairs  où  se  miroyt  leciel  Idou, 
n'entendit  aultre  musicqu»!;  que  celle  de  ses  crys  qui  luy  entroyont 
en  l'aureille  comme  paroles  d'ange.  Comptez  que  elle  le  dodeli- 
novt  tousiours,  avoyt  dès  le  matin  envie  de  le  baiser,  le  baisoyt  le 
soir,  et  ce  dict-on,  se  levoyt  la  nuict  i)ourlemangior  de  b;>imes 
caresses,  se  faisovt  petite  connue  il  estoyt  petit,  l'educquoyt  en 
parfaicte  religion  de  maternité  ;  linablement,secomporloyt  connue 
la  meilleure  et  la  plus  heureuse  mère  qui  leust  au  monde,  sans 
faire  tort  à  Nostre-Dame  la  Vierge,  lacjuelle  dut  avoir  peud'esteuf 
à  l)ien  élever  nostic  Saulvour,  veu  que  il  estoyt  Dieu.  Ceste  nour- 
riture et  le  peu  de  goust  de  Horthe  aux  cliouses  du  mariaige  res- 
iouissoyt  fort  le  bon  lionune,  veu  que  il  n'auroyt  sceu  comment 
fournir  à  ung  grant  estât  de  lict,  et  s'adonnoyt  à  l'économie  pour 
avoir  l'estofl'e  d'ung  deuxicsme  enfant.  Ces  six  années  cscheues, 
force  feutà  la  mère  de  laschler  son  (ils  aux  mains  des  escuyerset 
aultres  gens  auxquels  messiic  de  Bastarnay  commit  le  soin  de  le 
fassonner  rudement,  à  ceste  lin  (juo  son  héritier  eust  l'héritaigodes 
vertus,  qualitez,  noblesses,  couraige  de  la  maison  avecquos  les  do- 
maines et  le  nom.  Lors  moult  |)louraBerthe,  à  laquelle  feutemblé 
son  heur.  De  faict  |)ourcogranl  cueur  do  nu'M'o,  ce  neestoyl  rien 
avoir  (pie  de  avoir  ce  (ils  bien  aymi'  après  les  aultres.  et  durant 
aul(;unes  moschanles  petites  l'uyaidos  heures.  Aussy  choul-elle  en 
grant  mélancholie.  Oyantces  pleurs,  le  bonhomme  se  bendoytà 
luy  en  faire  ung  aultro,  et  u'n\  pouvoyt  mais,  ce  (pii  faschioyl  la 
paouvnî  dame,  j)our  ce  tjuo,  dit-elle,  la  fasson  d'ung  enfant  l'on- 
iniyoyt  fort  et  luy  cousioyt  cliier.  Kt  cocy  est  vi'ay,  ou  mille  doc- 
trine ne  oslvrayo,  et  Ix-soingest  dobruslerlos  Kvangilos  comme 
faiilsctez,  si  vous  ii'adiouxte/  fov  à  ce  dii'o  naïf.  Ce  neantuioins, 


BERTHE  L.V  REPENTIE.  405 

comme  pour  |)lusicur.sfcniiiips,  io  nedis  p.as  les  hommes,  vi'U(|uc 
ils  ont  (le  la  science,  cecy  tournero\ t  en  lasson  de  menteiies,  l'es- 
cri})tiiricr  lia  eu  cure  dediMuirc  les  raisons  muettes  de  ceste  bi- 
gearrie,  ie  entends  le  desgoust  de  Rerllie  j)0ur  ce  que  aynient  les 
dames  par-dessus  tout,  sans  que  ce  deffault  de  liesse  luy  vieillist 
la  figure  et  luy  tormentast  le  cueur.  Rencontrerez-vous  ung  scribe 
autant  complaisant  et  aymant  les  dames  que  ie  suis?  Non,  est-ce 
pas?  Aussylesaymay-ie  bii-n  foit  et  pas  autant  que  ievduJdroys 
veu  que  i'ay  plus  souvent  ez  mains  le  l)ecdema  plume  d'oye  que 
ie  n'ay  les  barbes  avécques  lesquelles  on  leur  chatouille  les  lèvres 
pour  les  rendre  rieuses  et  iocqucter  en  toute  innocence,  i'cn- 
tcnds  avécques  elles.  Donc(jues  vécy  comme. 

Le  bon  homme  IJastarnay  ne  estoyt  point  ung  (ils  gorgiasé,  de 
nature  pute,  se  cognoissant  aux  miesvreries  de  la  cliouse.  Il  se 
soulcioyt  peu  delà  i'asson  d'occir  ung  souldard,pourveu([ueiI  feust 
occiz.  et  l'eust-il  bien  occiz  de  tous  costcz  sans  luy  dire  ung  mot, 
en  la  mesiée  s'entend.  Ceste  parlaicte  incurie  en  faict  de  mortcon- 
cordoyt  î\  son  noncjialoiren  faict  de  vie,  naissance  et  manière  de 
cuire  ung  enfanten  cegenlil  Tour  que  vous  sçavez.  Le  bon  sirène 
cognoissoyt  aulcunement  les  mille  exploits  processifs,  dilatoires, 
interlocutoires,  préparatoires,  gentillesses,  petits  fagots  mis  au 
four  pour  l'eschauffer,  branchaiges  llairant  come  baulme  et  amas- 
•sez  brin  à  brin  ez  forests  de  l'amour,  fagoteries,  bimbeloteries, 
doreloteries,  mignardises,  devis,  conlictures  mangiées  à  deux, 
pourlescheries  de  coupe,  ainsy  que  font  les  chats,  et  aultrcs  me- 
nus suffraiges  et  traflics  de  l'amour  que  sçavent  les  rulïians,  que 
confisent  les  amoureux,  et  que  ayment  les  dames  par-dessus  leur 
salut, pour  ce;  ({ue  elle  sont  plus  chattes  que  femmes.  Cecy  esclattc 
en  toute  évidence;  dedans  leurs  mœurs  femelles.  Si  vous  prestez 
aulcune  attention  à  les  veoir,  examinez-les  curieusement  alors 
que  elles  mangent.  Nulle  d'elles,  ie  dis  les  femmes  nobles  et 
bien  éduquécs,  ne  boutera  son  coultel  à  lafrippc  et  l'engoulera 
soubdain ainsy  (pie  font  brutalement  les  masles,  ains  fouillotteia 
son  mangier,  triera  comme  pois  gris  sur  ung  vollel  les  brins  f[ui 
luy  agréent,  sugcera  les  saulces  et  lairra  les  grosses  bouchées, 
iouera  de  sa  cuiller  et  du  coultel  comme  si  elle  ne  mangioytque 
par  authorité  de  iustice,  tant  elles  liaient  aller  de  droict  fil,  et 
d'abundant  usent  de  destours,  finesse,  mignonneries  en  toute 
chouse.  C('(pii  est  le  propre  de  ces  créatures,  et  la  raison  pour- 
quoy  les  lilh  d'Adam  en  raffolent,  veu  que  elles  font  les  chouses 


496  CONTES  DROLATIQUES. 

aultromciit  (lu'oulx  ot  rontbioii.  Dictes  oui.  Hion  !  ic  voiisavmc. 
Ores  donc(]ue>,  liiiberl  ilo  Uastaniay,  vieux  souldanl  ij,mare  on 
balanogaudisseries,   entra   dedans  le  ioly  iaidiii  diet  de  Vénus 

connue  en  ung  endroict  prins  d'as- 
sault,  sans  avoir  nul  esguard  aux 
clameurs  de  paouvres  liabitans  en 
lai  mes.  et  planta  l'enduit  comme  il 
eustlaict  d'une  arbalestie  dedans  le 
noir.  Encores  (jue  la  gentille  Ikrlhc 
n'eust  accouslumé  d'cstre  ainsy 
traictéo,  l'enfant  !  cllcavoyt  quinze 
ans  soimez,  elle  crut  en  sa  vierge 
foyquc  riicur  d'estro  mère  vouloyt  ceste  teirible,  aflVeusc,  con- 
(juassante  et  maulvaise  bcsongnc.  Aussy,  j)endant  ce  dur  traflic 
pria-t-ellebien  fort  Dieu  de  l'assister,  récita  des  Areà  Nostre  Dame 
on  la  treuvant  bien  partagiée  de  n'avoir  eu  que  sapalumlieà  en- 
durer. Par  ainsy,  n'ayant  perceu  que  desplaisir  au  mariaige,  ne 
re(piit  iamaisson  maryde  se  marier  à  elle.  Ores,veu  cpie  le  bon 
bomnie  n'estovtîjuèresbastant  connue  lia  esté  dessus  dict,  elle  vos- 
quit  en  parfaicte  solitude, comme  moyncsse.  Elleliaïoytlaconipai- 
gnie  de  l'iiommeet  ne  soupçonnoyt  pointquerautlieur  du  monde 
eust  bouté  tant  de  ioyeà  soyer  en  ceste  cliousede  bupielle  n'avovt 
receu  ipie  niaulx  infinis.  Ains  en  avmoyl  davantaigeson  petit  ,(pii 
luy  avoyt  tant  cousié  paravant  de  naistre.  Ne  vous  cstomirez  donc- 
ques  jioint  que  elle  rcfrongnast  à  ce  ioly  tournoy  où  c'est  la  hac- 
quenéequi  a  raison  ducliovaulcliour,  et  le  mène  elle  lasse  et  luy 
chante  pouille,  s'il  bronche.  Cecy  est  l'histoire  vraye  de  aulcuns 
]iaouviesbyméné(^s,  au  dire  des  \wn\\  et  vieilles,  et  la  raison  cer- 
taine des  follies  d'aulcunes  l'emmes,  lescpielles  sur  le  tard  vovont 
ie  ne  sçays  comment  (pie  elles  ont  esté  truphécs,  et  se  bendent  à 
mettre  dedans  ung  iour  plus  de  temps  (pie  il  n'en  peut  tenir,  pour 
avoir  leur  compte  de  la  vie.  Voilà  (pii  est  i>bilos()phic(pie,  mes 
amys  !  Aussy  esludiez  (;este  |)aige,  à  ceste  fin  de  saigement  veigler 
au  gouvernement  de  vos  femmes,  de  vos  mves,  et  toutes  femelles 
g('n('raleinenl(pielc()n(pies(pii,parcas  fortuict.vousserovenl  bail- 
lées en  guarde,  dont  Dieu  vous  guarde.  Ainsy,  pucelle  de  faicl, 
qu()i(|ue  m(''re,  Dcrtlie  fout  on  la  vingt  et  uniosme  année  de  son 
aa;:e  ime  fleur  dechaslel,  la  gloire  de  son  bon  bonime  et  l'hoti- 
iiiurdr  la  province.  Eedict  Dastarnay  prenoyt  plaisir  à  veoir  ceste 
enfant  \ciiir,  aller,  liiscpie  conuneiiaule  de  saule,  agile  comme 


BERTIII-:  LA   REPENTIE.  197 

iinif|i(iiss()ii,  n;iïrv(M'()iiini('  son  petit,  ce  in  aiilmoiiis  dogriiiilscns, 
de  |>;ii  faicl  cnlcndcniciit ,  et  tant,  (pic  iaiiiais  il  ne  faisox t  aidciinc 
eiiiprinscsaiis  rcquci'ir  iin^f  advis  d'elle,  vcu  (\uo,  si  res|terit  do 
cesanyesrie  lia  pointestédeslourhc  de  ses  claiietez,  il  donneiiny 
son  franc,  en  tonte  rencontre,  si  on  l'en  requiert.  En  ce  temps 
la  dicte  Beitlie  vivovt  piès  la  ville  de  Loscîlies,  dedans  le  cliastel 
de  son  seigneur,  et  y  d(Mnonroyt  sans  nul  soulcy  de  cogiujistre 
aultre  aflaire  (jue  les  ehouses  de  son  niesnaigeàla  niétliode  an- 
ticiiuc  des  preudes  ienuucs,  dont  Icurcnt  desvoyecs  les  dames  de 
France  alors  que  vint  la  royne  Catherine  et  les  Italians,  grans 
donneurs  de  festovemens.  A  ce  prestèrent  les  mains  le  roy  Fran- 
ooys  premier  du  nom  et  ses  successeurs,  dont  les  hauchniineries 
perdirent  l'Estat  de  France  autant  que  les  maulvaisclez  de  ceux 
de  la  Religion.  Cecy  n'est  poinct  mon  faict.  Devers  ce  temps,  le 
sire  et  la  dame  de  Bastarnay  feurent  conviez  par  le  Roy  de  venir 
en  sa  ville  de  Losclies,  oîi  [)0ur  lo  présent  il  estoyt  avec  la  Court, 
en  laquelle  esclatloyt  lo  bruit  de  la  beaullé  de  la  dame  Bas- 
tarnay. Doncques  Bertlio  vint  à  Losclies,  y  récent  force  lau- 
datifves  gentillesses  du  Roy,  fcut  le  centre  des  hommaiges  de 
tout  ieunes  sires,  qui  se  repaissoyent  par  les  yetilx  le  ceste  ponmie 
d'amour,  et  des  vieulx,  qui  se  reschauffoyent  à  ce  soleil.  Ains 
conqUcz  que  tous,  vieulx  et  ieunes,  eussent  souffert  mille  morts 
pour  user  de  ces  heaulx  outils  à  faire  la  ioye  (pii  esblouissoyent  la 
voue  et  brouilloycnt  la  cervelle.  11  estoyt  parlé  de  Berllie  en 
Loschois  plus  au  long  que  de  Dieu  en  l'Fvangile,  ce  dont  en- 
raigèrent  ung  nondjre  infinv  de  dames  qui  ne  se  treuvèrent  pas 
si  abnndaniment  fournies  de  cbouses  plaisantes,  et,  jiour  dix 
nuictées  à  donner  au  plus  laid  seigneur,  eussent  voulu  renvoyer 
en  son  cliastel  ceste  belle  cucilleuse  de  soubiircs.  Une  ieune 
dame,  ayant  trcz-apertemcnt  veu  que  ung  sien  amy  s'affolloyt 
doBertlie,  en  conceut  tel  despit,  que  de  ce  vindrent  les  meschiefs 
de  la  dame  de  Bastarnay;  mais  aussy  de  là  vint  son  lieur  et  la 
(fescouverte  despavs  caressans  de  l'amour  dont  elle  estoyt  igno- 
rante. Ceste  maulvaise  dame  avoyt  ung  parent,  le(iuel  de  prime 
abord  luy  confia,  à  la  veue  de  Bertlie,  que  pour  iouyr  d'elle  il 
feroyt  l'accord  de  mourir  après  ung  mois  jiassé  à  s'en  gaudir. 
Notez  que  ce  cousin  estovt  beau  connue  une   lille   est  belle, 

n'avoyt   nul    [>oil    au   nion,    eust   gaigné  son  pardon  d'ung 

ennemy  à  luy  crier  meirv,  tant  méloilieuse  csloyl  sa  v(»ix  ieune, 

et  uvovt  d'aagc  vingt  ans  à  poine. 

42. 


498 


CONTES   DROLATIQUES. 


—  Biau  cousin,  luy  dit-cUo,  quittez  la  salle  et  allez  en  vostrc 
hostel,  ic  m'eflbrceray  tle  vous  donner  ceste  ioye.  Mais  ayez  cure 
de  ne  vous  ])oint  monstrcr  à  elle,  ni  à  ce  babouin 
greflc  i)ar  erreur  de  nature  sur  une  tige  chresticnnc, 
et  auquel  appartient  ceste  plu'e  de  beaulté. 

Le  beau  cousin  musse,  vint  la  dame  frotter  son 
Iraistre  muzeau  à  l'encontre  de  Berthe,  et  l'appela 
mon  amye,    mon   thresor,    estoile  de  beaultez,   se 
benda  de  mille  lassons  à  luy  agréer  pour  mieulx 
acertener  sa  vengeance  sur  cette  paouvrctte,  qui,  sans 
i^^iNnpr  H|  en  rien  sçavoir,  luy  avoyt  rendu  son  amant inlidcUe  de 
j,|\|m\^J  cueur,  ce  qui,  pour  les  femmes  ambitieuses  en  amour, 
est  la  pire  des  inlidélitez.  Après  aulcuns  devis,  ladicte 
dame  feslonnesoupronna  que  la  paouvreBertlie  esloyt 
])ucelle  d'amour,  en  luy  voyant  ez  yeulx  abundancc 
d'eaue  limpide,  mil  ply  ez  tempes,  nul  petit  poinct 
"^^^  noir  sur  le  gentil  cap  de  son  nez  blanc  comme  neige, 

où  d'ordinaire  se  signent  les  Iresmoussemens  du  déduict,  nulle 
ride  en  son  front,  brief,  nulle  aceousLumance  de  ioye  apparente 
en  son  visaige,  net  connue  visaigc  de  pucclle  ignarde.  Puis,  ceste 
traistresse  luy  feit  aulcunesinterrogualionsde  fcnnneet  récent  la 
parfaicte  asseurancc  par  les  réponses  de  Berthe  que,  si  clic  avoyt 
eu  le  proufTiet  des  mères,  le  plaisir  des  amours  luy  avoyt  bien 
réallement  failly.  De  ce  feut  moult  contente  j)0ur  son  cousin,  la 
boime  fenmie  que  elle  esloyt.  Lors  elle  luv  dit  (|ue  en  la  ville  de 
Losclies  demouioyt  une  iouiie  danutiselle  iiol)le  de  la  famille  de 
Bolian,  à  la(|uelle  besoing  estoyl  de  l'assistance  dune  femme  de 
bien,  pour  estrc  receueà  mercy  de  messire  Loys  de  B()han;quc 
si  elle  avoyt  autant  de  boutez  que  Dieu  luy  avoyt  departy  de 
beaultez,  elle  debvoyt  la  retirer  en  son  cliastel,  vérifier  la  sainc- 
teté  de  sa  vie  et  faire  cet  accord  avec(jues  le  sire  de  Holian,  «pii 
refrongnoytà  la  prendre  en  son  manoir.  A quoy  consentit  Berthe 
sans  aulcune  hezitation,  veu  que  les  infortunes  de  ceste  lille 
cstoyent  cogneues  d'elle,  mais  non  la  paouvrc  damoiselle,  qui 
avovt  nom  Sylvie  et  que  elle  cuydoyt  estrc  en  jjays  estrangier. 
Cv  besoing  est  de  dt-claiicr  |iour(jUoy  le  seigneur  roy  avoyt  faict 
ceste  leste  au  dict  sire  de  Baslarriay.  Le  sire  soui)eonnoyl  la  j)rime 
fuite  (lu  Daul|)hin  ez  Estats  de  Bourgongne,  elluy  vouloyl  tollir 
ungsi  bon  conseiller  (|ue  estoyl  lediclBaslaruay.  Ains  le  vieillard, 
(idelle  à  monseigneur  Loys,  avoyt,  ià,  sans  mot  dire  accordé  ses 


BERTIIE  LA  REPENTIE.  499 

flustes.  Doncqncs  il  ramena  Bortlie  en  sonchasteau,  laquelle  luy 
dit  avoir  prins  uneconipaij,fni(!et  la  luymonstra.  Ce  cstoyt  ledict 
seigneur  dcsguisé  en  fille  par  le  sttin  de  sa  cousine,  ialouse  de 
Berllic,  et  qui  la  voulovlciiquilaiier,  en  raige  de  saverlu.  Imbert 
relVongna  un;^  brin,  saiehant  que  ce  estoyt  Sylvie  de  Rolian  ; 
mais  aussy,  trcz-esmcu  de  la  bonté  de  Bertlic,  il  la  mercia  de 
s'entremettre  à  ramener  au  bercail  une  brcbiette  esg.irée.  Il  fes- 
tova  bien  sa  bonne  fenunc  enceste  darrenièrenuictée,  laissa  des 
gens  d'armes  au  cliaslel,  puis  se  départit  avecques  le  Daulpliin 
pour  laBoui'gonyne,  ayant  un  cruel  eimemy  en  son  giron,  sans  en 
avoir  nul  soupçon.  La  face  dudict  mignon  luy  estoyt  incogneue, 
pour  ce  que  ce  estoyt  ung  ieimepaige  venu  jiour  veoir  la  Court  du 
Hoy,  et  que  nourrissoyt  monseigneur  de  Dunois,  cliez  Icipiel  il 
scrvoyt  comme  baclielier.  Le  vieulx  'seigneur,  en  fiance  que  ce 
estoyt  une  iille,  la  treuva  moult  pieuse  et  craintifve,  veu  que  le 
gars,  redoubtant  le  languaige  de  ses  yeulx,  les  tint  tousiours 
baissez  ;  puis,  se  sentant  baisé  en  la  bouclie  par  Bertlie,  il  Irem- 
bloyt  que  sa  iuppc  ne  feust  pas  discrette  et  s'esloingnoyt  aux 
croisées  tant  il  avoyt  paour  d'estre  recogneu  pour  liomme  par 
Bastarnay,  et  desconfict  paravant  d'avoir  iouy  de  sa  mye.  Aussi 
feut-il  ioyeulx  comme  tout  amant  l'cust  esté  en  sa  place  quand, 
la  herse  baissée,  le  vieulx  seigneur  chevaulchia  dans  la  campaigne. 
Il  avoyt  eu  telles  al'fres,  (pu-  ilfeitvœudebastirungpillieràsesdes- 
jiens  en  la  cathédrale  de  Tours,  pour  ce  ipi'il  avoyt  eschappé  au 
dangier  de  sa  folle  emprinse.  De  faict,  donna  cinquante  marcs 
d'argent  pour  payer  sa  ioye  à  Dieu.  Mais,  par  adventure,  il  la 
paya  derechief  au  diable,  ce  qui  appert  des  faicts  ensuyvans,  si 
le  Conte  vous  duit  tant  que  vous  ayez  phantaisie  d'en  suyvre  le 
narré,  lequel  sera  succinct  connue  doibt  estre  tout  bon  discours. 


II 


QUELS   FEDRENT  LES    DEPORTEMENS    DE   BERTIIE,    SÇAICHAM  LES 
CHODSES  DE  l'aMOUR. 

Ce  dict  bachelier  estoyt  le  ieunesire  lehande  Sacchcz,  cousin 
du  sieur  de  Montmorency,  auquel,  jiar  la  mort  du  dict  Ichan, 


ÔOO  CONTES  DROLATIOLES. 

lolouriiÎTont  les  fiefs  de  Sacohczet  aultres  lieux,  suyvanl  le  trac 
(le  la  mouvance.  Il  avoyt  d'aage  vinj^t  années  et  ardoyt  comme 
braize.  Aussy,  comptez  (|ue  la  prime  iournée  luy  feut  ardeue  à 
passer.  Alors  que  le  vieulx  Imhert  clievaulchia  par  la  campai- 
gne,  les  deux  cousines  se  incinèrent  sur  la  lanterne  de  la  herse, 
à  ceste  fin  de  le  veoir  ung  plus  long  temps  et  luy  ieirent  mille 
signaulx  d'adieux.  Puis,  alors  (pie  le  nuaige  de  pouldre  soubIev(î 
par  les  chcvaulx  ne  fuma  plus  en  l'horizon,  elles  descendirent 
et  soy  retirèrent  en  la  salle. 

—  Qu'allons-nous  faire  belle  cousine?  dit  Berthe  à  la  faulsc 
Sylvie.  Aynicz-vous  la  musicciue?  nous  music(juerons  à  nous 
deux.  Chantons  ung  lay  de  aulcun  gentil  ménestrel  ancien. 
Hein  !  dictes,  est-ce  vostre  phantaisie?  Venez  à  mon  orgue,  venez  ! 
Faictes  cela,  si  vous  m'aymez!  chantons! 

Puis,  elle  print  lehan  par  la  main  et  l'attira  au  claviin-  des 
orgues,  où  le  bon  compaignon  s'assit  gentement  en  la  manière 
des  femmes.  —  Ha!  belle  cousine,  s'escria  Berthe,  alors  que, 
les  primes  notes  interroguées,  le  bachelier  vira  la  leste  vers 
elle,  à  ceste  fin  de  chanter  cnsemblcment  ;  ha  1  belle  cousine, 
vous  avez  ung  œil  de  teri'ible  resguardeurc  !  vous  me  mouvez 
ic  ne  sçays  quoy  au  cueur. 

—  Ha  !  cousine,  feit  la  maulvaise  Sylvie,  bien  est  ce  qui  me 
ha  perdue.  Ung  gentil  mylourd  du  pays  d'oultre-mer  me  ha  dict 
que  ie  avoys  dcbeaulx  yenix  et  les  baisa  si  bien,  (jue  iay  f'ailly, 
tant  i'ay  prins  de  liesse  à  les  laisser  baiser. 

—  Cousine,  l'amour  se  prend  (lonc(jues  ez  yeulx  ? 

—  Là  est  la  forge  des  traicts  de  Cupido,  mu  chière  Berthe, 
feit  l'amant  en  luy  gectant  feu  et  flainnics. 

—  Chantons,  cousine! 

De  faict  ilschanlèreiit,  au  gn;  de  lehan,  ung  lensoii  de  Chris- 
tine de  l'isan,  dans  hvpii'l  il  estoyl  violennnenl  pail(5  d'amour. 

—  Ha!  cousine,  quelle  prol'undeur  et  volume  de  voix  est  en 
la  vostre!  elle  me  cherche  la  vie. 

—  Où?  feit  la  danuKje  Sylvie. 

—  Là,res|i(iii(lit  Bcrihe  en  nioiistrant  son  mignon  diaphragme 
par  où  s'enlendenl  les  consoiMiaiices  de  l'amour  niieulx  cpie  par 
les  aureill('s,pour  ce  (pie  le  diaphragme  gist  plus  près  du  cueur 
et  (le  ce  (pie  vous  sçavez,  (pii  csl  sans  double  aulcun  la  prime 
cervelle,  le  second  cueur  et  la  Iroisiesmeaureille  des  dames,  le  dis 
cecy  en  tout  bien  tdut  honneur,  p(tur  raison  physicaleelnon  aullrc. 


De  fuicl,  ils  cliaiiti-iciit   au  t;ic  de  leliaii,  img  teuson  ilo  Chiislini  de  l'isan, 
dans  lequel  il  cbloyl  violcminoiil  parle  d'amourt 


502  CONTES  DROLATIQUES. 

—  Quittons  le  chant,  repartit  Bortlic,  il  nie  faict  tout  es- 
nicuc.  Venez  à  la  croisée,  nous  laborerons  de  menus  ouvraigcs 
iusquos  à  la  vespréc. 

—  Ha!  cliièro  cousine  do  mon  ame,  ie  ne  sçays  point  tenir 
resguillc  en  mes  doigts,  ayant  eu  pour  ma  perdition  coustume 
de  l'aire  aullre  chouse  d'iceulx. 

—  lié!  quelle  occupation  aviez-vous  doncques  tout  le  long  du 
iour? 

—  lia?  ie  me  laissoys  aller  au  couiant  de  l'amour,  qui  faict 
que  les  iours  sont  des  instans,  que  les  mois  sont  des  iours  et 
les  ans  sont  des  mois  ;  et,  s'il  duroyt,  leroyt  gobber  l'éternité 
comme  une  fraize,  veu  que  tout  en  est  l'rescheur  et  perfum, 
doulceur  et  ioye  infinie. 

Puis,  le  bon  compaignon  abattit  ses  belles  paupières  sur  ses 
veulx,  etdemouramélancliolieux  comme  uncpaouvre  dame  aban- 
donnée de  son  guallant  et  ([ui  le  ploure,  et  le  vouldroyt  tenir,  et 
luy  pardonneroyt  ses  traistrises,  s'il  avoyt  le  cueiu"  de  chercher 
la  doiilce  voye  de  son  beicail  iadis  aymé. 

—  Cousine,  l'amour  esclot-il  en  estât  de  mariaige? 

—  Oh  !  non,  feit  Sylvie,  pour  ce  que  en  estât  de  mariaige  tout 
est  debvoir,  ains  en  amour  tout  est  l'aict  en  liberté  de  cueur. 
Geste  diversité  communicque  ie  ne  sçays  quel  baulme  souef  aux 
caresses  qui  sont  les  fleurs  de  l'amour. 

—  Cousine,  laissons  ce  devis  ;  il  est  de  pire  mouvance  que  ne 
"estoyt  la  nuisicque. 

Kllc  siflla  Yilvement  ung  serviteur,  luy  commanda  d'amener 
son  fils,  ({ui  vint,  et,  le  voyant,  Sylvie  de  s'esclamer  : 

—  Ha  !  il  est  beau  comme  l'Amour! 
Puis  le  baisa  bien  au  front. 

—  Viens,  mon  enfant  mignon,  dit  la  mère,  au  giron  de  laquelle 
se  gecta  lejietit.  Viens,  toy,  le  plaisir  de  tanière,  tout  son  heur 
sans  meslange,  sa  liesse  de  toute  heure,  sa  couronne,  son  ioyau, 
sa  perle  pure,  son  ame  blanche,  son  Ihrezor,  sa  lumière  du  soir 
et  du  matin,  sa  flamme  unicque  au  cueur.  Donne  les  mains, 
que  ie  les  mange;  donne  les  aureilles,  (juc  ie  les  jnorde  ung 
|)elit;  donne  ta  teste  (jue  ie  baise  les  cheveulx.  Sois  heureux, 
petite  fleur  de  moy,  si  tu  veulx  (jue  ie  sois  heunsuso. 

—  lia!  cousine,  l'eil  Sylvie,  vous  luy  parlez  en  languaigc 
d'amour. 

—  L'Amour  est  donc(jues  une  enfance  '! 


BERTllK  LA  REPENTIE.  503 

—  Oui,  cousine  :  aussi  les  povons  l'nnt-ils  tousiours  pour- 
liaict  entant. 

Kn  faisant  mille  anltrcs  devis  pareils  oîi  fuisonnoyt  l'amour, 
les  deux  iolies  cousines  se  mirent  à  iouer  avee([nes  reniant 
iusques  au  souper. 

—  N'en  soubliaitez-vous  point  ung  aultrc?  dit  lehan  en  ung 
moment  ojjportun  dedans  l'aureille  senestre  de  sa  cousine,  que 
il  fiosla  (lèses  lèvres  cliauldes. 

—  lia  !  Sylvie,  pour  ce,  oui,  Lien  feroys-ie  cent  années  d'enfer, 
s'il  plaisoyt  au  Seigneur  Dieu  m'oclroyer  cestc  liesse.  Mais,  maul- 
gré  les  besongnes,  travanlx  et  labours  de  mon  sieur  espoux,  les- 
quels sont  moult  navrans  [)()urmoy,  ma  ceincture  ne  varie  point. 
Las!  ce  n'est  rien  avoir  (pie  de  avoir  ung  seul  enfasson.  Si  ung 
cry  se  poulse  dans  lecliastel,  ilm'esmeut  àmetollir  le  cucur.  le 
redouble  bestes  et  gens  pour  cestc  innocente  amom-;  ay  paonr 
des  voltes,  passes,  maniemçns  d'armes,  enfin  de  toute  cliouse.  le 
ne  vis  point  en  moy,  pour  trop  vivre  en  luy.  Et,  las!  i'ayme  ces 
misères  pour  ce  (pie,  tant  que  ie  suis  enpaour,  ce  est  signe  que 
ma  gesine  demonre  saine  et  saufve.  le  ne  prie  les  saincts  et  les 
apostres  que  pour  luy.  VA,  pour  estre  briefve  en  cecy  dont  ie 
pcrleroys  iusques  à  demain,  ie  cuyde  que  mon  souflle  est  en 
luy,  non  en  moy. 

Ce  disant  elb;  le  serra  sur  ses  tettins  comme  mèivs  seavent 
serrer  enfans,  avee(pics  une  spirituelle  force  ({ui  n'escarbouille 
aulcune  aultre  cliouse  que  le  cueur  d'icelles.  Et  si  vous  doubtez 
de  cecy,  resguardez  une  cbatte  em[)ortant  ses  petits  en  sa  gueule, 
aulcun  ne  dira  ung  seul  mot.  Le  bon  compaignon,  lequel  avovt 
paour  de  mal  faire  en  arrousant  de  ioye  cestc;  iolie  prée  inl'é- 
cunde,  l'eut  moult  reconl'oité  par  ces  dires.  Adoncques,  il  pensa 
que  ce  seroyt  snyvrelescommandemens  deDieu,  s'il  conquestoyt 
cestc  ame  à  l'amour  et  pensa  bien.  A  la  vesprée  Bertlie  requit 
la  cousine,  suyvant  ranlie(|ue  mode  de  laquelle  se  dc^portent  les 
dames  aux  iours  d'Iiuy,  de  eoiicliier  en  sa  compaignie  dedans 
son  grantlict  seigneui'iai.  A  (piny  res|)ondit  la  dicte  Sylvie  (pièce 
seroyt  j)our  elle  grant  cliière,  à  cestelin  de  ne  point  faillir  à  son 
roolle  de  lille  de  liault  lieu.  Vcicy  le  couvre-feu  sonnt',  les  deux 
cousines  dedans  leur  pour|)riz  guarnyde  tapis,  bobans,  tapisse- 
ries royalles,  et  Hertlie(lese(les|)i)uiller  geiitemeiit  ay(l(r  par  ses 
mescbines.  Comptez  (pie  le  bachelier  retioiigiia  |)ii(lic(pieinent  à 
se  laisser  toucbier,  l'eil  de  i;i  belle  IkimIc  cranidisie,  disant  à  sa 


504  CONTKS  nnOLATIOUES. 

cousino  (|no  olle  so  osloyt  iioroustuni('o  so  dosvostir  soulotto  du 
dcpuys  quo  cllo  n'osloyl  plus  scrvio  \yM-  sou  Mcn-ayuu',  Icquol 
l'avoyt  mise  en  tlesgoust  des  mains  Irminincs  |)ar  ses  souet'ves 
fassons  ;  que  ces  préparalivcs  Iny  ramentevoyent  les  délicieuses 
paroles  que  iuy  disoyt  son  amy  et  toutes  ses  follies  en  la  mettant 
à  nud,  ce  qui  Iuy  t'aisoyt  venir  l'eaue  à  la  bouche,  à  son  dam. 
Celluy  discours  estomira  moult  la  dame  Bertlie,  qui  laissa  sa 
cousine  l'aire  ses  oremus  et  aultres  pour  la  nuicL  soubz  les 
courtines  du  lict,  dedans  lequel  mon  dict  sieur,  enflammé  de 
hault  dezir,  se  mussa  tost,en  granthaste,  bien  heureux  de  pou- 
voir guetter  au  passaigc  les  beaultez  merveilleuses  de  la  chas- 
Iclaine  qui  n'estoyt  point  guastée.  lierthe,  en  sa  Iby  d'estre 
aveccpies  une  fille  damée,  ne  laillil  point  à  aulcune  de  ses  accous- 
lumances;  elle  se  lava  les  pieds,  sans  se  soulcier  de  les  lever 
peu  ou  prou,  monstra  ses  espaules  mignonnes  et  feitainsy  que 
l'ont  les  dames  alors  que  elles  se  couchent.  En  fin  de  tout,  vint 
au  lict,  et  s'y  estcndit  de  la  bonne  l'asson  en  baisant  sa  cou- 
sine ez  lèvres,  que  elle  trouva  trez  cliauldcs. 

—  Auriez-vous  doncques  mal,  iSvlvie,  que  vous  ardez  si  i'orl'/ 
dit-elle. 

—  le  brusle  tousiours  ainsy,  alors  que  ie  me  couche,  res- 
pondit-elle,  pour  ce  que  en  cestc  heure  m'adviennent  en  la 
mémoire  les  gentiMcs  mignonneries  <jue  il  inventoyt  pour  me 
faire  plaisir  (jui  me  brusloyent  encores  davanlaige. 

—  lia  cousine,  racontez  ce  que  est  de  ce  il.  Dictes  le  bon  de 
l'amitur  à  moy  qui  vis  soubz  l'umbre  d'une  teste  chenue  de  la- 
(juelle  les  neiges  me  guardent  contre  telles  ardeurs.  Dictes, 
vous  (|ui  en  estes  guarrie.  Ce  me  sera  de  bon  casiovcment,  et 
par  ainsy  vos  meschiefs  auront  à  deux  paouvres  nmlicbres  na- 
tures esté  de  salutaires  advis. 

—  le  ne  sçays  si  ie  doibs  vous  obéir,  belle  cousine,  l'eit  le 
compaignon. 

—  Dictes  pour(piov  non. 

—  lia!  vaullmiculx  le  laiic  i\\u'  le  diic!  l'i'il-cllc  en  lascliant 
ung  sospir  gros  comme  ung  ut  des  oignes,  l'uis  i'ay  j)aour  (pie 
ce  mylourd  m'ayt  tant  encombrée  de  ioye,  (|ue  ie  n'en  boule 
ung  brin  à  vous,  ce  qui  seroyt  suffisant  à  vous  bailb  i  une  lillc, 
vcu  (pic,  ce  (pii  l'aicl  enfans  se  seroyt  all'oibly  en  nioy. 

—  Nt'ic,  l'cil  Dcrllie,  entre  nous,  serovt-ce  pt'ché? 

—  11  y  auroxt  bien,  an  ((Hilrairc,  leste  icv  et  dans  le  ciel  ;  les 


BKUTIIE    L.V    UEPENTIE.  505 

an"cs  cspantIrovcMil  en  vous  leurs  pcil'unis  et  rcroyeiil  leurs  niu- 
sic(jues. 

—  Dicles  (loiiC(|ues  esriiuincnt,  cousine,  leit  Bcrtlie. 

—  Doncques  véey  eonnnenl  me  l'aisoyl  devenir  toute  ioye  mon 
bel  Jiniy. 

En  ce  disant,  lelian  prinl  Herllie  en  ses  bras,  et  l'estrain^ïnit 
avecques  des  dezirs  sans  pareils,  pour  ce  (|ue,  au  clair  de  la 
lampe  et  vestue  de  blanches  toiles,  elle  estoyt  en  ce  damne  lict 
connue  les  iolies  chouses  nuptiales  des  lys  au  l'und  de  leur  calice 
virj^iual. 

—  Alors  (pie  il  me  teuoyl  comme  ie  vous  tiens,  il  nie  disoyt 
d'une  voix  plus  douice  (jue  ne  est  la  mienne  :  «  Ha  !  Sylvie,  lu 
es  mon  amour  éterne ,  mes  mille  tlne/ors,  ma  ioye  de  iour  vX  de 
nuict;  lu  es  jjIus  blanche  que  le  iour  ne  est  iour,  plus  gentille  que 
tout  ;  ie  l'ayme  plus  que  Dieu,  et  vouldroys  soulïVir  mille  morts 
pour  l'heur  que  ie  requiers  de  toy.  »  Puis,  me  baisoyt  non  en  la 
manière  des  espoux,  qui  est  brute,  mais  columbcllcment. 

Pour  d('monstrer  incontinent  combien  estoyt  meilleure  la  mé- 
thode des  amans,  il  sugra  tout  le  miel  des  lèvres  de  Bertlie,  et  luy 
apprint  comment,  de  sa  iolie  langue  menue  et  rose  conmie  lan- 
gue de  chatte,  elle  pouvoyt  moult  {)arler  au  cueur  sans  dire  ung 
seul  mot  ;  puis,  s'cmbrasantdavantaigc  à  ce  icu,  lelian  espandit  le 
l'eu  de  ses  baisers  de  la  bouche  au  col,  et  du  col  aux  plus  mignons 
rruicts(jue  l'emme  ayt  onccpu's  l'ait  mordre  à  son  enlant  pour  en 
tirer  laict.  Et  i[uiconque  eust  esté  en  sa  place  se  seroyt  exislimé 
tmg  maulvais  honmie  de  ne  pas  l'imiter. 

—  lia  !  l'eil  Bcrlhc  engluée  d'amour  sans  le  sçavoir,  cecy  est 
mieulx:  il  me  chault  de  le  dire  à  bubert. 

—  Estes-vous  en  vostrescns,  cousine?  .Ne  dictes  rien  à  vostrc 
vieulx  mary,  veu  que  il  ne  peut  faire  doub-eset  plaisantes  comme 
les  niieimes  ses  mains,  (pii  sont  rudes  connue  battoirs  à  laver  et 
ccste  barbe  pie  doibt  bien  mal  nuMier  ce  centre  de  délices,  cesle 
rose  en  la(|uelle  gist  tout  nosire  esperit,  noslre  bien,  nostre  che- 
vance,  nos  amours,  nosire  i'ortune.  Sçavez-vous  que  ce  est  une 
Heur  aniuK'e  (pii  veult  estre  amiguoltéeainsy,  etnon  sacquebutée, 
connue  si  ce  estoyt  une  cata|)ulte  de  guerre ?Ures,  vécy  la  gente 
manière  de  mon  aymé  l'Angloys. 

En  ce  disant,  le  iolv  conq)aiguon  se  comi»orta  si  biavement, 
(|u'il  advint  une  escopetterie  où  la  [iaou\re  iguarde  Berthc  s'es- 
clamu  : 

43 


506  COUTES  DROLATIQUES. 

—  lia  !  cousine,  les  anges  sont  advenus  !  mais  tant  belle  est 
leur  musicque,  que  ie  n'entends  plus,  et  tant  llanibent  leurs  gects 
lumineux,  que  mes  yeux  se  closent  ! 

De  faict,  elle  se  pasmasoultz  le  faix  des  ioyes  de  l'amour  qui 
esclaltèrent  en  elle  comme  les  plus  haultes  gammes  de  l'orgue,  qui 
soleillèrent  comme  la  plus  magnilicquc  aurore  ,  qui  se  coulèrent 
en  ses  veines  comme  le  plus  fin  musc,  et  lascliièrent  les  liens  de 
la  vie  en  la  baillant  à  ung  eiilanL  d'amour,  Ie(juel  en  se  logianl 
faict  un  certain  tapaige  plus  remuant  (juc  tout  aultre.  En  fin  de 
tout,  Bertbe  cuyda  cstre  à  mesmc  des  cieulx  du  paradis,  tant  bien 
elle  se  treuvoyt,  et  se  rcsveigla  de  ce  beau  resvc  dedans  les  bras 
de  lehan  disant  : 

—  Que  n'ayc  esté  mariée  en  Angleterre  ! 

—  Ma  belle  maistresse,  feit  lelian,  qui  oneijues  ne  perceut  tant 
liesse,  tu  es  mariée  à  moy  en  France,  où  les  cliouscs  vont  encorcs 
mieulx,  veu  que  ie  suis  ung  lionnue  qui  pour  toy  donneroyt  mille 
vies,  s'il  les  avoyt  I 

La  paouvre  Bertbe  gecla  ung  cry  si  vif,  que  il  perça  les  murs,  et 
saulta  liors  de  son  licl  comme  eust  faict  une  sauterelle  de  la  playe 
d'iEgypte.  Elle  se  laissa  tomber  sur  ses  genoilz  à  son  prie-Dieu 
ioingnit  les  mains  et  ploura  plus  de  perles  que  iamais  n'en  porta 
la  Marie-Magdeleine  :  —  Ha  !  ie  suis  morte,  disoyt-elle.  le  suis 
trupliéc  par  img  diable  qui  a  prins  visaige  d'ange.  le  suis  per- 
due, ie  suis  mère,  pour  le  seur,  d'ung  bel  enfant,  sans  estre  plus 
coulpable  (|ue  vous,  madame  la  Vierge.  Implorez  ma  graace  de 
Dieu,  si  ie  n'ay  celle  des  honnnes  sur  la  terre,  ou  faictes-moy 
mourir,  à  ceste  fin  ({ue  iu  ne  rougisse  point  devant  monseigneur 
et  maistre. 

Oyant(|ucellene  disoyt  rien  de  maulvais  contre  luy,  lehan  se 
leva  tout  [)anlois  de  voir  Derllu'  prendre  airisy  ceste  belle  dance 
à  deux.  Ains,  premier  que  elle  entendit  son  Gabriel  se  mouvoir, 
elle  se  dressa  en  pieds  vifvemcnt,  le  resguarda  d'un  visaige  en 
pleurs  et  les  yeulx  allumez  de  sainctc  cbolère,  ce  (|ui  les  feit  moult 
bi'aulx  à  veoir  :  — Si  vous  advancez  ung  seul  i)as  devers  moy, 
leil-elle,  ie  en  feray  ung  vers  la  mort! 

Et  elle  print  ung  poignard  à  dames. 

Sur  ce,  tant  navrante  estoyt  la  Iragicquc  voue  de  sa  polnc,  que 
leban  luy  respondil  :  —  Ce  ne  est  point  à  toy,  ains  à  moy,  do 
mourir,  ma  cbière  belle  niye,  plus  aymée  que  femme  le  sera  onc- 
ques  sur  ceste  terre. 


RERTHE    LA   REPENTIE. 


507 


—  Si  vous  m'aviez  bien  aynxV,  vous  no  nio  auriez  |ias  (IcCraicte 
comme  ie  le  suis,  veu(jac  ieniourraiplulostque  de  cslreieprou- 
cliéc  i>ar  mon  cspoux. 

—  Mourrez-vous?  l'eit-il. 

—  Pour  le  scur  feit-ollc. 

—  Doncques,  si  ic  suis  icy  percé  de  mille  coups,  vous  aurez  la 
"•raace  de  vostre  mary,  auquel  vous  direz  (jue,  si  voslre  innocence 
l'eut  surprinse,vous  aurez  veny»'  son  honneur  en  tuant  cil  (jui  vous 
lia  trompée.  Et  ce  sera  pour  moy  riieur  lejjlus  yranl  qui  me  puisse 
advenir  de  mourir  pour  vous,  dès  que  vous  refrongnez  à  vivre 
pour  moy. 

En  ovant  ce  tendre  discours  diet  avectjues  larmes,  Berthe  las- 
cliia  le  ier  ;  lelian  courut 
sus,  et  se  donna  du  poi-  / 

gnard  dedans  le  sein, 
disant  :  —  Tel  lieur  se 
doibt  payer  par  la  mort  ! 

Et  tomba  roide. 

Bcrllie  appel  la  sa  mes- 
chine,  tant  elle  fut  ef- 
frayée.La  mcscbine  vint, 
et  fout  notablement  ef- 
frayée aussy  la  mescbine 
de  veoir  ung  homme  na- 
vre dedans  la   chambre 

de  Madame  et  Madame  qui  le  soustenoyt,  disant  :  «  Que  avez- 
vous  faict,  mon  aniy?  »  pour  ce  (jue  elle  le  cuydoyt  mort,  et  se 
ramentcvoyt  sa  ioye  cxcessifve,  et  cond)ien  dehvoyt  estie  beau 
lehan  pour  que  ung  chascun,  veoirc  Imbert,  l'existimast  fille. 
Dans  sa  douleur,  elle  racontoyt  tout  à  sa  mescbine,  plourant  et 
cryant  que  ce  estoyt  bien  assez  d'avoir  sur  le  cueur  la  vie  d'ung 
enfant,  sans  avoir  aussy  le  trespas  d'ung  homme.  Oyant  cecy,  le 
paouvre  amoureux  se  benda  d'ouvrir  l'œil  et  n'en  nionstra  que  le 
blanc,  encores  petitement. 

—  Ha  !  madame,  ne  cryons  point,  dit  la  mescbine,  ne  perdons 
point  le  sens,  et  saulvons  ce  iolv  chevalier.  le  vais  quérir  la  Fai- 
lotte  pour  ne  mettre  aulenn  phycisian  ni  maistre  myre  en  cettuy 
secret,  et,  veu  que  elle  est  sorcière,  elle  lera  poin-  plaire  à  Ma- 
dame le  miracle  de  boucher  cesle  blessure  sans  que  il  y  pa- 
roisse. 


508  TONTES  DROLATIOUES. 

—  Cours!  feil  Boitlio  ;  ic  l'ayinoray  ol  lo  foray  du  hiou  pour 
ceste  assistance. 

En  avant  de  tout,  la  dame  et  la  mesoliine  convindrent  do  se 
taire  sur  ccstc  adventure  et  musser  lelian  à  tous  yeulx.  Puis,  la 
nieschine  alla  nuictamment  chercher  la  Fallotte,  et  leut  couduicle 
par  sa  niaistresse  ius(|ues  eu  la  poterne,  pour  ce  que  la  'niarde 
ne  pouvoyt  lever  la  herse  sans  ung  exprès  conunandeuienl  de 
Bertlie.  Berllie  trouva  sou  bel  aniy  esvanouy  par  la  force  du  mal, 
veu  que  le  sang  s'espandoyt  par  la  blessure  sans  tarir.  A  ceste 
veue,  elle  but  ung  petit  de  ce  sang,  en  songiant  que  lelinn 
l'avoyt  espandu  pour  elle.  Ksnicue  par  ce  grant  amour  et  i)ar  ce 
dangier,  elle  baisoyl  ce  ioly  varlct  de  plaisir  au  visaige,  liendovl 

sa  jilaye  en  l'esluvant  de  ses 
larmes,  luy  disant  de  ne  pas 
mourir,et  que  pour  le  faire  vivre 
elle  l'aymeroyt  bien  fort.  Cuy- 
dez  (|ue  la  chastelainc  s'espre- 
noyt  moult  en  obseivant  (juelle 
divei'sité  estoyt  entre  ung  ieune 
seigneur  comme  lehan,  blanc, 
dnvet(',fleury,et  ung  vieuh comme  Imbert, poilu, iaune, ridé.  Ceste 
différence  lui  lamenlevoyt  celle  que  elleavoyt  Ireuvt-e  au  plaisir 
d'amour.  Snpci'line/  i)ar  ce  souvenir,  ses  baisers  se  faisovent  si 
mielleux,  <juelt'lian  reprint  ses  sens,  son  resguard 
s'amelieura,  et  il  put  veoir  Bertlie,  de  la(|U('lle  il 
requit  son  ])ardon  d'une  voix  loible.  Aius  BerlIic 
hiy  dcITendit  depailcr,  ius([uesà  ce  (juela  Kallollc 
j'eust  venue.  I)onc(|ues,  tous  deux  consumèreni 
le  teuq)s  à  s'aymer  par  les  yeulx,  veu  (jue  en  ceulx 
de  Berthe  il  n'y  avoytque  compassion,  et  que  la 
conq)assion  est  en  ces  conionctures  trez  germaine  de  l'amour. 
La  Fallotle  estoyt  une  femme  bossue,  véhémentement  soup- 
çoniK'e  (If  trafli<'qufr  en  nécromancie,  de  couraller  au  sabbat  eu 
clH'vaulcIiiaiil  ung  balay  suyvani  la  coustume  des  sorcières.  Aul- 
cuns  l'avoyent  veue  baruachiant  son  balay  en  l'escuysrie  qui, 
comme  cbascun  sçayt,  est  située  ez  gouttières  des  maisons.  Pour 
le  vray  dire,  elle  avoyt  des  arcanes  de  guarrison,  et  rendoyt  si 
bous  oftices  aux  dames  eu  certaines  chouses  et  aux  seigneurs, 
(juc  cllf  vcsipiit  ses  inurs  en  ])ail"aicle  lran(|iiilili',  sans  rciidic 
l'amr  sue  ung  cciil  de  fai^dU,  ains  sur  im^  licl  de  plimics,  veu 


LA      FA  I.  I.  (J  r  1  L. 


43. 


La    Fallollc   oloyt   uni'  l'emiiic    Ijossuc,  vrlKwiicniuiiioiil   soupçoniioo 
de  Irufliciiucr  cii  uccromancio. 


BERTIIK    LV    HKI'KNTIK. 


511 


que  elle  amassa  do  j»loinos  jjaiiiicn'cs  d'escnz,  encore  quo  les 
])livsicians  la  lornionlassont,  disant  (\no  oWo  vondoyt  jioisons,  ce 
((ni  ostoyt  vrav,  oonnnoil  appert  de  (•cslo  liis|r»iro.  Fia  niescliino  et 
la  Fallolte  vindrcnt  sur  inie  niosino  hounique  en  faisant  telles 
diligences,  que  le  iour  ne  estoyt  point  clair  lorsque  elles  arrivèrent 
au  cliasteau.  La  vieille  bossue  dit,  en  entrant  dedans  le  pourpriz  : 
((  Ores  eà,  qu'y  lia-t-il,  mes  enfans'.'  »  Ce  estoyt  sa  manière,  (jui 
estoyt  pleine  de  familiarilez  aveeipies  les  iirans  (jue  ellcvoyoyl 
trez-petits.  Elle  mil  ses  hczieles  et  visita  trez-dextrenient  la  plave, 
en  disant  ;  «  Voilà  du  beau  sang,  ma  mye,  vous  y  avez  gousté. 
Cela  va  bien,  il  ba  saigné  en 


deliors.  »  Vax  ce  disant,  elle 
lavoyt  la  blessure,  d'une  es- 
ponge  fine,  au  nez  de  la  dame 
et  de  la  mescbine,  qui  bale- 
toyent.  Rrief,  la  Fallotte  pro- 
nonça doctoralement  que  le 
sire  ne  mourroyl  pas  de  ce 
coup,  encores,  dit-elle  à  l'as- 
pect de  sa  main,  que  il  deusi 
périr  violentement  par  lerai(  l 
de  ceste  nuietée.  Cettuy  ai- 
rest  de  cbiromancie  espou- 
vanta  moult  Rertlie  et  sa  suy- 
vante.  La  Fallotte  prescrivii 
l(!s  remèdes  in-gens  et  promil 
revenir  la  nuict  ensuyvanle. 
De  faiet,  elle  soingna  la  bles- 
sure durant  une  quinzaine  de 
iours,  venant  les  nuictsen  se- 
cret. H  feut  dict  aux  gens  du  -_=^  _ 
cliasteau,  par  la  mescbine  que 

ceste  damoiselle  Sylvie  de  Hoban  estoyt  en  dangier  de  mort  par 
suite  d'une  eiilleure  de  ventre,  ce  {|iii  debvovl  rester  ung  mvs- 
tère  pour  l'Iionneur  de  Madanu»,  hupielle  estovt  sa  cousine.  Ing 
cbascun  l'eut  satisfait  par  ceste  bourde,  de  laquelle  il  eut  la 
bouclie  tant  pleine,  (pie  il  en  rendit  aux  aultres. 

Les  bonnes  g(>ns  cuyderoyenl  (pie  ce  l'eut  la  maladie  qui  estoyt 
pleine  de  dangier  :  vU  bien,|)()int  !  ce  l'eut  la  convaleseenee,  veu 
ipie  plus  leiian  devenoyl   l'ort.  plus   l'ieillie  devenovt   Inibli^,  et 


L:i  rnc>cliiric  cl  lu    Fullolie  viudront  aur  uiio  iiicsiiic  bourrique. 


RERTHK   LA    REPENTIR. 


tant  foihle,  que  ollo  se  laissa  clipoir  dedînis  le  |)ara(li/  on  l'avoyt 
l'aict  monter  lelian.  Pour  eslrc  briel',  elle  l'aynia  tant  et  [)lns. 
Ains,  au  courant  de  ses  ioyes, 
tousiours  assassinre  par  l'ap- 
preliension  des  parnlos  nieiias- 
santes  de  la  !■  al  lot  le,  .4  Inr- 
mentée  par  sa  grant  religion, 
elle  avoyt en paour  sire  Iniberl , 
auquel  elle  l'eut  coiUraincte 
d'escrihreipie  il  ravoylencliar- 
giée  d'ung  ciifanl,  (liu|ucl  elle 
leresgalleroyt  à  son  retourner; 
mais  elle  faisoyt  là  ung  men- 
songe plus  gros  que  l'enfant. 
Kapa()Uviv.l)erllie('vitason  aniy 
lelian,  durant  le  iour  où  (llf 
eseripvit  eeste  lettre  l'onrhe, 
veu  que  elle  ploura  à  mouiller  son  mouclienez.  Se  voyant  ('vili-, 
car  ils  ne  se  laissoyenl  pas  pins  que  le  feu  ne  laisse  le  l)ois  une 
foys  que  il  le  happe,  lelian  crut  (pu^  elle  le  haïoyt,  et  ploura  de 
son  costé.  A  la  vesprée,  Hertlie  esmene  des  larmes  de  lelian. 
desquelles  il  y  eut  niarque  en  ses  yeulx,  encores  que  il  les  es- 
suyast,  luy  dit  la  raison  de  sa  douleur,  en  y  meslant  l'adveu  de  ses 
terreurs  en  l'endroict  de  l'advenir,  luy  remonstrant  combien  ils 
cstoyent  tousdeuven  faulte,  et  luy  tint  des  discours  tant  Iteaulx. 
tantclirestiens,  tant  ornez  de  larmes  divines  et  oraisons  eonlriles, 
que  lelian  l'eut  toucliic'  au  [)lus  [iroluiid  de  son  cueur  par  la  foy  de 
sa  mye.  Geste  amour  naïfvement  unie  à  la  repentance,  cesie  no- 
blesse dedans  la  eoulpe,  cctluy  meslange  de  foiblesse  et  de  force, 
eussent,  comme  disent  les  anciens  autlieurs,  muté  le  cliaractère 
des  tigres,  en  les  attendrissant.  \e  vous  estomin-z  point  deceque 
leban  l'eut  conlrainct  à  iurersa  j)arole  de  bachelier  de  luy  obi'ii 
en  quoy  que  ce  soyt  ({ue  elle  luy  commanderoyt  pour  lasaulver 
en  cettuy  monde  et  dans  l'aultre. 

Oyant  ceste  fiance  en  elle  et  cesIe  non-maulvaisel('.  IJeilhe  se 
gecta  aux  pieds  de  lelian  en  les  luy  baisant:  — 0  amy  !  (|ue  iesuis 
contraincle  d'aymer,  encore  que  ce  soit  ung  péché  mortel,  tov 
qui  es  tant  bon,  tant  jiitoyable  à  ta  paouvre  IJerthe,  si  tu  veulx 
que  elle  songe  tousiours  à  toy  en  toute  doulcenr,  et  arresler  le 
torrent  de  ses  pleurs,  duquel  est  si  genlille  et  si  plaisante  la  source  ; 


(:<'>le  nmoiir  naïrvcir.eiil  unie  5  la  loi'cnlan.n,  ccslc  nol)lessc  dedans  la 
coulpe.  celluy  meslaiige  de  foiblesse  el  de  force,  cussenl,  comino  di- 
sent les  anciens  aulheurs,  mule  le  cliaractèru  des  tigies,  en  les  allcn- 
drissant. 


BERTUE   LA   REPENTIE.  oI5 

—  cl,  ponrlii  Iiivmonslror,  luy  laissa  lobhoriingbaisor:  —  Ichan, 
roiiriiil-cllc  a[nvs,  si  lu  voulx  (|iio  le  souvenir  de  nos  ioyes  cé- 
lestes, niusicijues  d'anges  et  perlïuns  d'amour,  ne  me  soit  point 
poisant,  et,  au  contraire,  me  console  aux  maulvais  iours,  lais  ce 
(jue  la  Vierge  me  lia  commandé  d'orilonner  à  toy  en  ung  resve 
où  ie  la  supplioys  m'esclairer  pour  le  cas  prcsent  vcu  (jue  ic 
i'avoys  reipiisc  de  venir  à  nioy,  et  elle  esloyt  advenue.  Ores,  ieluy 
remonstroys  le  supplice  liorriMemcnt  ardent  où  ie  seroys  en 
tremblant  pour  ce  petit  (jui  ià  se  mouvoyt,  cl  pour  le  vray  père, 
qui  scroyt  à  la  mercy  de  l'aultre,  et  j)ouvoyl  expier  sa  paternité 
pai-  une  mort  violente  veu  que  la  Fallotle  pouvoyt  avoir  veu  clair 
dedans  la  vie  l'ulure.  Lors  la  belle  Vierge  me  dit  en  soubriant 
([ue  l'Lcclise  nous  olïroyt  le  pardon  de  nos  faultes  en  suyvant 
ses  commandemens  ;  que  besoing  estoyt  de  faire  soy-mesme  la 
part  au  l'eu  des  enfers  en  s'amendant  de  bonne  beure,  avant  que 
le  Ciel  ne  se  fascliiast.  Puis,  de  son  doigt,  elle  me  lia  monstre 
un  lelian  pareil  à  toy,  ains  comme  tu  dcbvroys  l'estre,  et  comme 
tu  le  seras,  si  tu  aymes  liertlie  d'ung  amour  éterne. 

Lors  lelian  luy  confirma  sa  parfaicte  obéissance,  en  la  relevant, 
l'asseyant  sur  ses  genoilz  et  la  baisant  bien.  La  paouvre  Berthc 
luy  dit  alors  que  ccltuy  vestement  estoyt  un  froc  de  moyne,  et 
le  rc([uit,  en  tremblant  moult  d'esprouver  ung  refus,  de  soy 
mellre  en  religion  et  retirer  en  Marnioustier,  au  delà  de  Tours, 
luy  iurant  sa  foy  ([ue  elle  luy  bailleroyt  une  darrenière  nuiclée, 
après  laquelle  elle  ne  seroyt  plus  oncques  à  luy  ni  à  nul  aultre 
en  ce  monde.  Kt  par  cliascun  an,  en  recompense  de  ce,  le 
lairroyt  venir  cbez  elle  ung  iour,  à  ceste  fin  que  il  veist  son  en- 
fanl.  lelian,  lié  par  son  serment,  promit  de  soy  mettre  en  reli- 
gion au  gré  de  sa  mye,  en  luy  disant  (jue  au  moyen  de  ce  il 
luy  seroyt  fidelle,  et  n'auroyt  aultres  iouissances  d'amour  que 
celles  goustées  en  sa  divine  accointance,  et  vivroyt  sur  leur 
cliiere  remembrance.  Oyant  ces  doulces  paroles  Herllie  luy  dit 
que,  pour  grant  (pie  feust  sou  pcclié,  ijuoy  que  luy  réservasl 
Dieu,  ceste  beure  luy  feroyt  tout  supporter  vcu  ([ue  elle  ne  cuydoyt 
point  avoir  esté  a  ung  homme,  ains  à  ung  ange. 

Doncfjuesilssecoucbièrent  dedans  le  nid  oîi  leur  amour  estoyt 
esclos,  aiiis  pour  dire  img  adieu  suprcsmc  à  toutes  ses  belles 
Heurs.  IJesoing  est  de  croire  (pie  le  seigneur  Cupido  se  mesla  de 
ceste  feste,  vcu  que  iamais  femme  ne  percent  ioye  pareille  en 
aulcuii  lieu  dumonde,  et  «pie  iamais  liomme  n'en  luiiit  autant. 


MG  CONTES  DROLATIQUES. 

Le  propre  du  véritable  amour  est  une  certaine  concordance  qui 
laict  que  tant  plus  l'unpj  donne,  tant  plus  l'aullre  nroit,  et  réci- 
proquement, conuue  dans  certains  cas  de  la  matlu'nialicque  où 
les  cliouses  se  nuilti|)lienl  par  elles-mesmes  à  rinliny.  Cettuy 
problesme  n'est  explicable  aux  gens  de  petite  science  que  par  ce 
(jue  ils  voycnt  ez  glaces  de  Venise,  où  s'aperçoivent  des  milliers 
de  figures  produictes  par  une  mesme.  Ainsy,  dans  les  cueurs  de 
deux  amans,  se  multiplient  les  roses  du  plaisir  en  une  prokmdeur 
caressante,  (pii  les  laict  s'estomirer  que  tant  de  ioye  y  tienne, 
sans  que  rien  ne  crève.  Bertlie  et  lehan  auroyent  voulu  queccslc 
nuict  feust  la  darrenière  de  leurs  iours,  et  cuydèrent,  à  la  dé- 
raillante langueur  (|ui  se  coula  en  leurs  veines,  que  l'amour 
avoyt  résolu  de  les  enqiorter  sur  les  ai'sli-s  d'un  baiser  morti- 
fère: ains  ils  tinrent  bon,  maulgré  ces  multi[)lications  inlinies. 

Lendemain,  vru  que  le  retourner  de  messire  Imbert  de  Bas- 
tarnay  estoyt  proucbe,  la  damoisclle  Sylvie  dent  se  départir.  La 
paouvre  fille  laissa  sa  cousine,  en  l'arrouzant  de  pleurs  et  de 
baisers  :  ce  estoyt  tousiours  son  darrcniei",  et  le  darrenier  alla 
iusqu'à  la  vesprée.  Puis,  force  l'eut  delà  laisser,  et  il  la  laissa, 
(juoique  le  sang  de  son  cucur  se  figeast  comme  cire  tombée 
d'ung  cierge  pasclial.  Suyvant  sa  promesse,  il  se  déporta  vers 
Marmoustier,  où  il  entra  vers  la  unziesme  heure  du  iour,  et  feut 
mis  avecques  les  novices.  Il  feutdict  à  monseigneur  de  Bastar- 
nay  (jue  Sylvie  estoyt  retournée  aveccpies  b;  mylourd,  ce  qui 
signifie  le  seigneur  en  languaige  d'Angleterre  et  par  ainsy 
Bertbe  ne  mentit  jjoint  en  cecy. 

lia  ioye  de  son  mary  cpiand  il  veitBerthe  sans  ceincturc,  veu 
que  elle  ne  pouvoyt  la  porter,  tant  elle  estoyt  bien  engrossée, 
comiuença  le  martyre  de  ceste  paouvre  fenune,  qui  ne  sçavoyt 
j)oint  truplier,  et  (jui,  pour  chaque  j)arole  faulse,  alloyt  à  son 
jtri(!-I)icu,  [ilouroyt  son  sang  en  eaue  par  les  yenlx,  se  fondoyt 
en  prières  et  serecoinmandoytà  messieurs  les  sainctsdu  paradiz. 
Il  advint  (]ue  elleciia  si  fort  à  Dieu,([ue  le  Seigneur  l'entendit, 
pour  ce  (jiie  il  entend  toiil,  il  entend  et  les  pierres  qui  roulent 
sous  les  eaux,  et  les  paouvres(pii  geingrienl  et  les  monsclies  (pii 
volent  par  les  ac'irs.  Il  est  bon  (|Ui!  vous  sçaicbiez  cecy,  aultrement 
vous  n'adioMxtcriez  point  fov  à  C(M|iii  advint.  Dieu  conunandaà 
l'archange  Michel  de  fain;  l'aire  à  ceste  pénitente  son  enfer  sur 
leire,  à  ceste  lin  quiM'Ilc  cntrasl  sans  conteste  dans  lc|)aradiz. 
Adoncques  saincl  Miclici  dcMcndit  (le>  cieidx  sui' le  porche  des 


BERTIIE  LA  REPENTIE.  517 

enleis,  et  livra  cosU;  Iriplc  aino  au  diahk',  en  luy  (lisant  (|uc  il 
luycstovt  licite  de  la  toriiienterduiaiilledeiiiourant  de  ses  iours, 
en  luy  nionslranl  Meitlie,  lelian  et  l'entant.  Le  dialdr,  ijui,  Ital- 
ie bon  vouloir  de  Dieu,  est  sire  de  tout  mal,  dit  à  rarelianj^etjue 
il  s'act|uitteioyl  dudict  nicssaige.  Durant  ceste  ordonnance  du 
Ciel  la  vie  alloyt  son  train  ey-bas.  La  gentille  dame  deBastarnay 
bailla  le  jtiusbel  enl'anldu  niondeausire  Imbert,  ung  garson  de 
lys  et  de  roses,  deliaulle  eomprc'liensioneoiiinie  ung  petit  lesus, 
riant  et  malicieux  comme  ung  Amour  payen,  devenant  plus  beau 
de  iour  en  iour,  tandis  que  l'aisné  tournoyt  au  cinge  comme  son 
père,  auquel  il  ressembloyt  à  l'aire  paour.  Le  darrenicr  estoyt 
brillant  comme  une  estoile,  semblable  au  père  et  à  lanière,  des- 
quels les  perfections  corporelles  et  spirituelles  avoyentproduiet 
ung  meslange  de  graacesinclytes  et  d'entendement  merveilleux. 
Voyant  ce  perpétuel  miracle  de  cbairetd'esperitmeslezen condi- 
tions (piiditatifves,  Bastarnay  disoytqus  pour  son  salut  éterne, 
il  vouldroyt  pouvoir  faire  du  cadetTaisné:  qu'ily  adviseroytpar 
la  protection  du  Uoy.  Kertbe  ne  sçavoyt  comment  se  comporter, 
veu  que  elle  adoroyt  l'i'nl'ant  de  lelian  et  ne  pouvoyt  (ju'aymer 
foiblement  l'aultrc,  que  neanlmoins  elle  protégeoyt  contre  les 
intentions  maulvaises  de  ce  bonliomme  de  Bastarnay.  Bertlie, 
contente  du  cbemin  ([ue  prenoycnt  les  cbouses,  se  chaussa  la 
conscience  de  meiilerie,  etcrut(juetout  estoyt  liné,  veu  (pie  douze 
anni'es  s'escoulèrent  sans  antre  meslange  que  le  doubte  qui,  par 
anicune,  foys,  empoisonnoyt  sa  ioye.  Parcbascunan,  suyvantia 
foy  bailltîe,  le  moyne  de  Marmoustier,  lequel  estoyt  incogneu  de 
tous,  liorsmis  la  meschine,  venoyt  passer  ung  iour  plein  au 
chastcau  pour  veoir  son  enfant,  encores  que  Bertlie  eust  à  plu- 
sieurs fovs  suppli(' frère  lelian,  son  amy,  de  lenoncer  àsondroict. 
Ains  lelian  luy  monsti'oyt  l'enfant,  en  luy  disant  :  —  Tu  le  vois 
tous  les  iours  de  l'an,  et  moy  ie  n'en  ay  qu'ung  seul  ! 

Lors  la  jiaouvre  mère  ne  treuvoyt  aulcun  mot  à  respondie  à 
ceste  ])arole. 

()uel([ues  mois  avant  la  daiionière  rébellion  de  monseigneur 
Loys  contre  son  père,  l'enfant  marclioyt  sur  les  talons  de  sa  dnu- 
ziesme  annexe,  et  jjaraissoyt  debvoir  estre  un  granl  clerc,  tant  il 
estoyt  sçavant  sur  toute  science.  Oncques  le  vieux  Bastarnay  ne 
se  estoyt  sentu  plus  ioyculx  d'estre  père,  et  se  résolvoyt  d'em- 
mener avec(iues  luy  son  lils  à  laC<»uit  de  Bomgongne,  on  le  duc 
Charles  prometlo^jt  faire  à  ce  bien-a\iu(i  hls  ung  estai  à  estre 

44 


518  CONTES  DROLATIQUES. 

envié  des  princes  veu  que  il  ne  haioyt  point  les  gens  de  liault 
entendement.  Voyant  les  chouses  accordées  ainsy,  le  diable 
iuiiea  le  temps  venu  de  mal  taire  ;  il  print  sa  (jueue  et  la  bouta 
en  plein  dans  ce  bon  heur,  de  la  belle  manière,  à  cestc  lin  de 
le  remuer  à  sa  pbantaisie. 


III 


HORRIFICQDES  CASTOYEMENS  DE    BERTIIE   ET    LES  EXPIATIONS    DE 
LA  DICTE,    LAQUELLE  MOCnUT  l'ARDONNÉE. 

La  mesebinc  de  la  dame  de  Bastarnay,  laquelle  avoyt  lors  trente- 
cinq  ans  d'aage,  s'amouracha  d'ung  des  gens  d'armes  de  Mon- 
sieur, et  feut  assez  niaise  pour  luy  laisser  prendre 
i)  quel(|ues  pains  sur  sa  fournée,  en  sorte  que  il  y  eut 
en  elle  une  enfleure  naturelle  (juc  aulcuns  playsans 
nomment  en  ces  provinces  une  liydropisie  de  neuf 
mois.  Celte  paouvre  femme  supplia  sa  bonne  mais- 
Wi  tresse  de  s'entremettre  auprès  du  sire,  à  cestc  fin  que 
il  contraingnist  ce  maulvais  homme  à  parachever 
devant  l'autel  ce  que  il  avoyt  connnencé  dedans  le  lict.  Madame 
de  Bastarnay  n'eut  point  de  poine  à  obtenir  cesle  graace  du 
sire,  et  la  meschine  feut  bien  ayse.  Ains  le  vieil  homme  de 
guerre,  qui  tousiours  estoyt  rude  en  diable,  feit  venir  en  son 
prétoire  son  lieutenant,  auquel  il  chanta  pouille,  en  luy  com- 
jiiandant  soubz  })oine  de  la  liart,  d'espouser  la  meschine,  ce 
(pic  le  souldard  ayma  mieulx,  tenant  pins  à  son  col  (pi'à  sa 
Iraniiuililé.  bastarnay  manda  aussy  la  femelle,  à  huiuelle  il  crut 
devoir,  pour  l'honncurdesa  maison,  chanter  une  litanie  remuée 
d'éiiithètes,  aornéc  de  fanfreluches  horriblement  sonnantes,  en 
luy  faisant  redoubter,  en  manière  tie  punilion,  de  n'estre  point 
maric'c,  mais  gectée  en  une  fosse  de  la  geôle.  La  nieschine  cuyda 
(pie  Madame  se  vouloyt  deffaire  d'elle,  à  ceste  lin  d'enterrer  les 
secrets  sur  la  naissance  de  son  chier  lils.  Dans  ce  pensier,  alors 
ipic  ce  vieulx  cinge  luy  dilces  oultraigeuses  |)aroles,  à  sçavoir, 
ipic  il  falloyt  estre  fol  pour  avoir  une  pute  chezsoy,  elle  luy  res- 
poiidil  ipi'il  estoyt  aichifol  |)our  le  seur,  veu  (pie  depuis  ung 


BERTUE  L\  REPENTIE.  519 

long  temps  sa  femme  avoyl  esU'  emputanée,  et  par  ung  moyne 
encores,  ce  qui  pour  ung  liomme  de  guerre  est  le  pire  destin. 

Clierchez  le  plus  grant  oraige  (juc  vous  ayez  veu  en  vostre  vie, 
et  vous  au)'ez  une  l'oihle  imaige  de  la  cliolère  vcrde  en  laquelle 
tomba  le  vieillard  assailly  on  ung  cndroict  do  son  cueur  où  estoyt 
une  trij)le  vie.  11  priiit  la  mescliinc  à  la  gorge,  et  vouloyt  l'orcire 
incontinent.  AinscUe,  pour  avoir  raison,  déduisit  le  pourquoy,  le 
comment,  et  dit  que,  s'il  n'avoyt  nulle  fiance  en  elle,  il  pouvoyt 
se  reposer  sur  ses  aureilles,  en  se  mussant  au  iour  où  viondroyt 
don  lelian  de  Sacclicz,  prieur  de  Marniousticr  :  il  enlendroyt  lors 
les  devis  du  père,  qui  se  solacioyt  de  son  (piaresme  annuel,  et  hai- 
soyt  en  ung  iour  son  lils  pour  ung  an.  Imbcrt  dit  à  ceste  renunc 
de  desguerpir  du  chasteau,  veu  que,  si  elle  accusoyt  vray,  il  la 
tueroyt  aussy  bien  que  si  elle  avoyl  inventt'  des  menteries.  Lors, 
en  ung  brief  moment,  il  luy  iiailla  cent  eseuz  oultre  son  bomme, 
leur  enioingnant  à  tous  deux  de  ne  se  point  coucbier  en  Touraine, 
et,  pour  plus  de  seureté,  l'eurent  eonduicts  en  Bourgongne  par 
ung  officier  de  mon  dict  sieur  de  Bastarnay.  Il  advisa  sa  femme 
de  leur  des])artie,  en  luy  disant  que  ceste  mescbine  estoyt  ung 
l'ruict  guasté,  et  avoyt  iugé  saige  la  gecter  liors,  ains  luy  avoyt 
donne'  cent  escuz  et  trouvé  ung  employ  pour  le  gars  en  la  Court 
de  Bourgongne.  Bcrtbe  l'eut  cstonnée  do  sçavoir  sa  mescbine  bors 
du  cliasteau,  sans  avoir  receu  congé  d'elle  qui  estoyt  sa  mais- 
tresse  ;  ains  elle  ne  souna  mot.  Puis  tost  après  elle  eut  aultres  pois 
à  lier,  veu  que  elle  entra  en  de  vifves  apprebensions,  pour  ce  (jue 
le  sire  cbangea  de  lassons,  commença  de  comparer  les  ressem- 
blances de  son  aisné,  avccques  luy-mesme,  et  no  trouva  rien 
de  son  nez,  ni  de  son  front,  ni  de  cecy,  ni  de  cela,  cbez  celtuy 
cadet,  que  il  aymoyt  tant. 

—  Il  est  tout  moy-mesmc,  respondit  Bortbo  en  ung  iour  que  il 
faisoyt  (h  ces  é(juivocques  :  ne  sçavoz-vous  point  (pie,  dans  les 
bons  mesnaigos,  les  lieux  se  font  parles  marys  et  par  les  femmes, 
ung  cbascun  sa  voltc,  ou  souvent  de  compaignie,  pour  ce  que  la 
mère  fond  ses  osperits  avec(pios  les  esperits  vilaulx  du  père?  et 
aulcMins  myres  se  iactont  d'avoir  vou  moull  enl'ans  j)roduicts 
sans  nulle  pourtraycleuro  do  l'uiig  ni  do  l'auUro,  disant  ces 
mystères  estre  à  la  pbantaisie  de  Dieu. 

— Vous  estes  devenue  sçavante,  ma  mye,  respondit  Bastarnay. 
Ains,  moy  qui  suis  ung  ignare,  ie  cuyde  que  ung  enfant  qui 
ressemblcroyt  à  ung  moyne... 


520  CONTFS   DROLATIQUES. 

—  Scroyt  fiùct  par  cettuy  moyne?  tlil  Berlho  en  le  resgiiardant 
sans  paoïir  au  visaigo,  ciicoros  que  il  courust  glace  en  ses  veines 
au  lieu  de  sang. 

Le  bonhomme  crut  errer  et  mauldit  sa  mescliine,  ains  ne  feut 
que  plus  ardent  à  vt'rifier  le  cas.  Comme  le  iour  deu  à  dom  lelian 
se  l'aisoyt  prouclie,  lierlhe,  mise  en  delliance  par  ceste  parole,  luy 
escripvit  sen  bon  vouloir  eslre  que  il  ne  vinstpas  ceste  année,  se 
réservant  de  luy  dire  le  pourquoy  ;  puis,  elle  alla  reiiuerir  la  Fal- 
lotte  à  Losi'lies  de  remettre  sa  lettre  à  don  lelian,  cuydant  tout 
saui'  pour  l'heure  pn-sente.  Elle  feut  d'autant  plus  ayse  d'avoir 
escriptà  son  amy  le  prieur,  que  sire  Imbert,  qui,  vers  le  temps  as- 
signé pour  la  feste  annuelle  du  paouvrc  moyne,  avoyt  accoustumé 
voyaiger  en  la  province  de  Maine,  oii  il  possédoyt  grans  biens,  y 
faillit  ceste  foys,  en  obieclant  les  j)réparatifves  de  la  sédition  que 
souloyt  fau'e  nionseigneur  Loys  à  son  paouvre  père,  qui  feut  si 
luarry  de  ceste  prinse  d'armes,  que  il  en  mourut,  comme  ung 
chascun  sçayt.  Geste  raison  estoyt  tant  bonne,  que  la  paouvre 
Berthe  donna  dans  les  toiles  et  se  tint  en  repos.  Au  iour  dict, 
le  prieur  advint  sans  fiiulte.  Berthe,  le  voyant,  blesmit  et  luy 
demanda  s'il  u'avoyt  point  receu  son  messaige. 

—  Quel  messaige'?  dit  lelian. 

—  .Nous  sonnues  doncques  perdus,  l'enfant,  loy  et  moy,  l'cs- 
pondit  Berthe. 

—  Pourquoy?  fcit  le  prieur. 

—  le  ne  sçays,  dit-elle,  mais  vécy  nostre  iour  extresme  advenu. 
Klle  s'enquit  de  son  bieu-aynu'  lils  où  estoyt  Bastaiiiay.  Le  ieune 

honnne  luy  dit  que  sou  père  avoyt  esté  mandé  par  ung  exjjrès  à 
Losches  et  ne  debvoyt  retourner  qu'à  la  vesprée.  Sur  ce,  lehan 
voulut,  maulgré  sa  mye,  demourer  avecques  elle  et  son  chier  en- 
fant, l'acertenaut  (ju'auh'un  mesehief  ne  j)ouvoyt  advenir  après 
douze  années  escheufs  depuis  la  Not'i  de  leur  lieu.  Kn  ces  iours  où 
estoyt  feslée  la  nnictéeaux  advenlurescjue  vous  sçavez,  la  |)aouvre 
Berthe  demouroyt  en  sa  chambre  avecques  le  paouvre  moyne, 
iusques  au  souper.  Ains,  en  ceste  coniuncture,  les  deux  amans, 
basiez  jtar  les  appréhensions  de  Berllie.  lescjiielles  l'eurent  espou- 
.sées  par  dom  lehan  dès  (|ue  sa  mye  les  luy  grabela,  disnèrent 
lost.  eneores  (pie  le  pri(!Ur  de  Marmousiier  ralTermisl  le  eueur  à 
Berihe  en  luy  remonslraiit  les  |)riviléges  de  l'Kiclise,  et  combien 
Basiarnay.  desià  mal  enCfturl,  auroyl  paour  de  faire  ung  attentat 
sm-  ung  dignitaire  de  Marmousiier.  .Vlors  que  ils  se  placèrent  à  la 


lîI'HTIIf'    l.\   FII'l'F.NTIi:.  î)-21 

t;il)lo,  lonr  |icliL  ioiioyl  par  iHlvciitiin',  et,  iiiaul^Tc'  los  itriatUVos 
priôros  tic  sa  mère,  ne  voulut  laissoi'lc  ieu,  vou(|U('  il  tounioyoyt 
par  la  court  du  chastcl,  cla'vaulcliiant  un  lin  gcncst  criIespai|,M)P, 
duquel  monseigneur  Cliailcs  do  Bourgnngne  avoyt  guordonné 
Bastarnay.  Kt  pour  co  (|uo  1rs  iouncs  gars  aynicnt  à  so  vieillir, 
que  les  varlets  l'ont  les  bacheliers,  que  les  baclieliers  soûlent 
l'aire  les  chevaliers,  ce  petit  se  coniplaisoyt  à  monstrer  à  son 
amy  le  nioync  combien  il  estoyt  devenu  grant  :  il  faisoyt  sauller 
le  genest  comme  puce  ez  toiles,  et  ne  bougioyt  ne  plus  ne 
moins  que  s'il  n'eust  esté  vieulx  soubz  le  barnoys. 

—  Laisse-le  faire  à  sa  gnyse,  ma  cliière  mve,  disoyt  le 
moync  à  lîertlie.  Les  enfaiis  indociles  se  tournent  sauvent  en 
grans  charactèrcs. 

Bcrtlie  mangioyt  petitement,  rai-  \o  cueur  s'enfloyt  comme 
csponge  en  l'eaue.  Aux  jirimes  morceaulx,  le  moyne,  qui  estoyt 
grant  clerc,  sentit  eu  son  eslomach  ung  trouble  et  en  son  ])alais 
une  ascie  pic(|ùre  de  vojiin  (|ui  luv  leit  sonpçomier  (|ue  le  sire  de 
Bastarnay  leur  avoyt  à  tous  baillé  le  bouccon.  Paiavant  (|U(!  il 
eust  cet  acertcncment ,  Bertlie  avoyt  ià  niangié.  Soubdain  le 
moyne  renversa  la  nappe  et  gccta  le  tout  dedans  l'aatre,  disant 
à  Berthc  son  soupçon.  Berthc  mercia  la  Vierge  de  ce  que  son  lils 
avoyt  esté  tant  iV-ru  de  iouer.  Ne  perdant  point  le  sens,  doui 
lelian  se  remembra  son  prime  mestier  de  paige,  saulta  dedans  la 
court,  osia  son  fils  de  dessus  le  genest,  l'enfourcha  tost,  vola  par 
la  campaignc  avec([ues  telle  diligence,  que  vous  auriez  cuytié 
veoir  une  estoile  filante,  si  vous  l'eussiez  veu  donnant  du  talon 
dedans  le  flanc  dudict  genest  à  l'esventrer,  et  feut  à  Losclies  chez 
la  Fallolte  en  ung  temps  (jue  le  diable  seul  auroyt  pu  meltre  à 
aller  dudict  chastel  à  Losches.  Le  moyne  feit  le  couqitc  de  son 
cas  à  la  Fallotte  en  deux  mots,  veu  ({ue  desià  le  poison  luy  gre- 
zilloyt  en  la  fressure,  et  la  requit  luy  baillei"  ung  contre-j)oison. 

—  Las!  dit  ceste  sorcière,  si  ie  avoys  sceu  (|ue  ce  feusl  pour 
vous  que  ie  livroys  mon  j)oison,  i'auroys  receu  dedans  le  goziei' 
la  lame  du  poignard  (hnpiel  ie  estoys  menassée,  et  auroys  laissé 
ma  j)aouvre  vie  pour  saulver  celle  d'ung  lionnne  de  Dieu,  et  la 
plus  gente  femme  qui  oncques  lia  llory  sur  ceste  terre,  veu  (|ue. 
mon  chier  amy,  ie  n'av  (pie  ce  demourani  de  contre-poison  en 
ceste  fiole. 

—  V  en  ha-t-il  pour  elle? 

—  Oui;  aius  allez  lost,  i'eil  la  vieille. 

44. 


l.i!  Mioynn  leil  le  comnte  de  son  ca>  l\  la  l'allolte  en  ilciu  mots. 


BERTHE  L\  REPENTIE. 


525 


Le  moyne  revint  plus  osraumont  cncorcs  que  il  nVstoyl  vomi, 
si  l)ion  que  lo  fronost  creva  sdiiitz  luy  dedans  la  conrl.  Il  arriva 
en  la  eliandjrt-  où  l>t'itlie,  cuydani  son  heure  exlrcsnie  advenue, 
haisoyl  son  enl'ant  en  se  tordant  comme  ung  lézard  au  l'eu,  et  ne 
gectoyt  pas  ung  cry  sur  elle,  ai  us  sur  cettny  enfant  abandonné 
à  la  cliolèrc  de  Dastarnay,  oubliant  ses  tortourcs  à  la  veue  de  ce 
cruel  advenir. 

—  Prends  ieit  le  nioyne  ;  inoy,  i'ay  la  vie  saulve. 

Dom  lelian  eut  le  fier  couraige  de  dire  ceste  parole  d'ung 
visaige  ferme,  cncorcs  que  il  sentist  les  griplies  de  la  mort  luy 
saisir  le  cueur.  Si  tost  que  Berllie  eut  bu,  prieur  de  eheoir  mort, 
non  sans  baiser  son  tils  et  resguarder  sa  niye  d'ung  œil  (pii  ne 
varia  plus  mesmes  après  son  dai-renier  sospir.  Geste  veui;  la 
glassa  comme  marbre  et  l'espouvanta  tant,  ([ne  elle  demoura 
roidc  devant  ce  mort  estendu  au  rez  de  ses  pieds,  serrant  la  main 
à  son  enfant  qui  plouroyt,  tandis  que  elle  avoyt  au  contraire  ung 
œil  sec  connue  la  mer  Ronge  alors  que  les  Hébreux  la  pas- 
sèrent conduiets  par  le  baron  Moïse,  veu  que  elle  cuydoit  y 
avoir  sables  aguz  roulant  soubz  les  paupières.  Pliez  ptun-  elle, 
âmes  cbaritables,  ,])our  ce  <pie   aulcune  fenune  ne  lent  autant 


gchennée,  eu  devinant  que  sou  aiiiv   lui  saiiJvoxl   la  \ie  à  ses 
despens.  Avdée  pai-  son  lils,  elle  boula  elle-niesme  le  Tnoync  en 


Ô2l  r.ONTKS  DROLATIQUES. 

|ilain  lict,  ot  si'  dressa  on  pieds  aiipiès.  piiaiU  avocques  son  fils, 
aut|iiel  elle  dit  lors  (juc  eettny  prienr  estovt  son  vray  jière.  Kn 
cet  estai,  attendit  la  maie  heure,  et  la  maie  heure  ne  lui  laillit 
point,  veu  que,  vers  la  unzicsmc  heure,  Ikstarnay  vint  et  luy 
l'eut  dict,  à  la  herse,  que  le  moync  estovt  mort,  et  point  Madtime 
ne  l'entant,  et  voit  son, beau  gencst  crevé.  Lors  esnieu  par  ung 
i'urieux  dezir  d'oecir  Herthe  et  le  lils  au  moync,  il  l'ranchit  les 
deyrez  d'un  sault;  ains,  à  la  veue  de  cettuy  mort  pour  (jui  sa 
l'emme  et  le  fils  récitoyent  des  litanies  sans  les  interrompre, 
n'ayant  point  d'aurcilles  pour  ses  véhémentes  querimonies, 
n'ayant  point  d'yeulx  pour  veoir  ses  tourdions  et  menasses,  il 
n'eut  plus  le  couraige  de  j)erpetrer  ce  noir  l'ortaict.  Après  son 
prime  l'eu  gecté,  ne  s(;eut  que  l'ésouldre  et  alloyt  par  la  salle 
comme  ung  homme  couard  et  prins  en  l'aulte,  léru  par  ces 
prières  tousiouis  dictes  sur  cettuy  moyne.  La  nuict  Tout  consu- 
mée en  pleurs,  gémissemens  et  oraisons.  Par  ung  exprès  com- 
mandement de  Madame,  la  meschine  avoyt  esté  lui  achepler  à 
Losches  ung  veslement  de  damoiselle  noble,  et  pour  son  paouvre 
petit  ung  cheval  et  des  armes  d'escuyer;  ce  <jue  voyant  le  sieur 
lie  Haslarnay  feut  trez-estonné  ;  lors  il  envoya  quérir  Madame  et 
le  fils  au  moyne,  ains  ne  l'enfant  ne  la  mère  ne  donnèrent  de 
response,  et  |)0uillèrent  les  veslemens  acheptez  parla  meschine. 
Pai-  ordre  de  Berllie,  ceste  meschine  i'aisoyt  le  compte  de  la 
maiscin  de  Madame,  disposoyt  ses  habits,  jterles,  ioyaulx,  dia- 
mans,  comme  se  disposent  ces  chouses  pour  le  renoncement 
d'une  veul've  à  ses  droicts.  Berthe  ordonna  mesmes  de  placer, 
sur  le  tout,  son  aumosnière,  à  ceste  lin  que  la  cérémonie  leust 
parl'aicle.  Le  bruict  de  ces  préparatifves  couiut  par  la  maison  ; 
ung  chascun  veil  alors  (jne  Madame  alloyt  la  laisser,  ce  qui  en- 
gendra la  mariisson  dans  tous  les  cueurs,  veoir  nu^smcs  en  l'ame 
d'ung  petit  marmileux  venu  ceste  sepmaine,  lequel  plouroyt 
pour  ce  que  Madame  luy  avoyt  ià  dict  ung  mot  gracieux.  Espou- 
vaiitédeces  apj)iests,  le  vieux  Bastarnay  vint  en  la  chambre  de 
Madame,  et  la  trcuva  plouranf  auprès  du  cor|)s  de  lehan,  car 
les  larmes  cstoventadveinies  ;  ains  elle  lesseiclia,  voyant  son  sieur 
es|i()ux.  A  ses  intcrroguations  sans  numbre  elle  respondil  brief- 
venient  par  l'aveu  de  sa  coul|)e,  disant  comment  elle  avoyt  esté 
truph('e;  (•(innncnl  le  |)aonvre  paige  avoyt  est('  navré,  monstrant 
sur  le  mort  la  lilessurc  du  poignard  :  condtien  avoyl  esti- longue 
sa  gnarri--(Mi  ;  |iiii>i  ((iinnK  ni,    par  iilii-issaMce  pour  elle   cl    pai' 


Ayant  «lict  noblement  cl  d'un  vi.-aige  jiasle  ces  belles  parole-,  elle  print 
son  enfant  par  la  main  et  y>sit  en  grand  deuil,  plus  luagnilicquement 
belle  (jue  ne  feul  la  damoisellc  Ai;ar. 


526  CONTES  DROLATIQUKS. 

pL-nitence  envers  los  hoininos  ol  Diou,  avoyt  psté  soy  mettre  en 
religion  en  abandonnant  sa  belle  vie  de  chevalier,  laissant  llner 
son  nom,  ce  qui  certes  estoyt  pire  que  la  mort  ;  comment  elle,  en 
venjïeant  son  honneur,  avoyt  songié  (juc  Dieu  mesmes  n'auroyt 
reflust"  ung  iour  par  an  à  ce  moyne  pour  veolr  le  fils  auquel  il 
sacrifioyt  tout;  conmient,  ne  voulant  vivre  avecipies  ung  nieur- 
drier,  elle  quittoyt  sa  maison  en  y  laissant  ses  biens  ;  puis  que, 
si  l'honneur  des  Bastarnayse  treuvoyt  maculé,  ce  estoyt  luy,  non 
elle,  qui  taisoyt  la  honte,  pour  ce  que  en  cottuy  mesclnef  elle 
avoyt  accommodé  les  chouses  au  mieulx  ;  linablement,  adiouxla 
le  vœu  d'aller  par  monts  et  par  vaulx,  elle  et  son  fils,  iusques  à  ce 
que  tout  l'eust  expié,  veu  que  elle  sravoyt  comment  expier  le 
tout. 

Ayant  dict  nol)lement  et  d'un  visaigepasle  ces  belles  paroles, 
elle  prinl  son  enfant  par  la  main  et  yssit  en  grant  deuil,  plus 
magnificquement  belle  que  ne  feut  la  damoiselle  Agar  à  sa  des- 
partie (l(M'hez  le  patriarche  Abraham,  et  si  fière,  que  tous  les  gens 
de  la  maison  se  genoillèrent  à  son  passaigc  en  l'implourant  à 
mains  ioinctes  comme  Nosf  re-Dame  de  la  Riche.  Ce  l'eut  pitoyable 
de  veoir  aller  (piinauld  à  sa  suite  le  sieur  de  Hastarnay  j)lourant, 
recognoissant  sa  coulpe  et  desespéré  comme  ung  homme  conduict 
en  l'eschalTaud  ])our  y  estrc  delïaict. 

l?(Mthe  ne  voulut  entendieà  rien.  La  désolation  estoyt  si  grant, 
que  elle  treuva  la  herse  baissée  et  hasta  le  pas  pour  yssir  du 
cliaslel,  en  redoublant  ipie  elle  ne  l'eust  soubdain  levée;  ains  nul 
n'avoyt  ne  raison  ne  cueur.  Berthe  s'assit  à  la  margelle  des 
douves,  en  veue  de  tout  le  chastel,  qui  la  prioyt  avecques  larmes 
y  demourer.  Lepaouvre  sire  estoyt  debout,  la  main  sur  la  chaisne 
de  sa  herse,  muet  comme  ung  des  saincts  de  pierre  engravez  au- 
dessus  du  porche  ;  il  veitBerlhe  commander  à  son  fils  de  secouer 
la  pouidre  de  sa  chaussure  sur  la  voye  du  pont,  à  cestefiii  dcne 
l'ien  avoir  aux  Bastarnay,  et  clic  l'cit  pareillement.  Puis  monstra 
du  doigt  à  son  fils  kv  sire,  par  ung  geste  grave,  et  luy  tint  ce 
languaige  : 

—  Enfant,  vécy  le  meiirdrier  de  ton  père,  lequel  estoyt,  comme 
tu  sçays,  le  paouvre  prieiu*;  ains  tu  lias  prins  le  nom  de  cet 
horiime.  Oies  doncipies  tu  veriasà  le  luy  rendre,  de  mesmes  qui; 
lu  laisses  cy  la  poudre  prinse  avec(jues  tes  soliers  en  son  chastel. 
l'oiu-  ce  qui  est  de  ta  nourriluie  en  sa  maison,  nous  solderons 
aussy  le  <  itmjdi',  Dieu  aydant. 


15KRTI1Ë   L.V  RKPF.MIK.  r.27 

Oyant  ccslo  ({uprimonie,  le  viculx  Baslarnay  oust  laisse  tout  uiig 
mousticr  de  inoynes  à  sa  fciiinio  pour  no  point  cstro  abandonné 
p;ii:  cllo-  et  par  uny  osciiycr  capable  d'cstre  lelos  de  sa  maison, 
et  denionra  la  leste  penebi('e  aux  cliaisnes. 

—  Démon  !  l'eit  Bertlie,  sans  sçavoir  quelle  estoyt  sa  part  en 
cccy,  cs-lu  content?  Advienne  lors  enceste  ruyne  l'assistance  de 
Dieu,  des  saincts  et  arcbanges,  que  i'ay  tant  prie/  ! 

Bertbe  eut  sonljdîiiii  le  cucur  eniply  de  sainctes  consolations, 
veu  que  la  l)annière(lu  grant  nioustier  torna  la  route  d'ungcbanip 
et  apparut  accompaiynéc  des  chants  de  l'Ecclise,  qui  esclattèrcnt 
connue  voix  célestes.  Les  moynes,  inl'ormez  du  meurtre  perpétré 
sur  leur  bien-aymé  prieur,  venoyent  cbcrclicr  son  corjis  proces- 
sionnellement,  assistez  delà  iustice  ecdésiasticque.  Voyant  ce,  le 
sire  de  Bastarnay  eut  à  grant  poine  le  temps  d'issyr  par  la  poteine 
avecques  son  monde  et  se  départit  vers  monseigneur  Loys,  lais- 
sant tout  à  trac. 

La  paouvre  Bcrthc,  en  croupe  derrière  son  fils,  vint  à  Mont- 
bazon  l'aire  ses  adieux  à  son  père,  luy  disant  que  elle  mourroyt 
de  ce  coup,  et  l'eut  reconrortéo  par  ceulx  de  sa  gent,  (jui  se 
bendèrcnt  à  luy  remettie  le  cucur  en  estât,  ains  sans  le  pou- 
voir. Le  vieulx  sire  de  Bolian  guerdonna  son  petit-lils  d'une 
belle  armeure,  luy  disant  de  si  bien  conquester  gloire  et  hon- 
neur par  ses  hauits  faicts,  que  il  tornast  ceste  coulpe  maternelle 
en  los  éternc.  Ains  madame  de  Bastarnay  n'avoyt  bouté  dedans 
l'esperit  de  son  cliier  fils  aultre  pensicr  que  celluy  de  réparer 
le  dommaige,  à  cestc  fin  de  la  saulvcr,  clic  et  Ichan,  de  la 
damnation  ctcrne.  Tous  deux  allèrent  doncqucs  ez  lieux  où  se 
laisoyt  la  rébellion,  en  dezir  de  rendre  tel  service  à  mondict 
sieur  de  Bastarnay  (jue  il  receust  d'eux  plus  que  la  vie.  Ores 
le  l'eu  de  la  sédition  estoyt,  connue  ung  cbascun  sçayt,  aux 
environs  d'Engoulcsmc  et  de  Bourdcaux  en  Guyenne,  et  aultres 
endroicts  du  royaulme  où  dcbvoyent  avoir  lieu  grosses  ba- 
tailles et  rencontres  entre  les  séditieux  et  les  armées  royales. 
La  principale  qui  fina  la  guerre  l'eut  livrée  entre  BulTec  et 
Engoulesme,  où  l'eurent  pendus  et  iusticiez  les  gens  prins. 
Cestc  bataille,  commandée  par  le  viculx  Bastarnay,  se  bailla 
environ  le  mois  de  novembre,  sept  mois  après  le  meurtre  de  doni 
lelian.  Ores,  le  baron  se  sçavoyt  reconnnandé  au  prosne  poiu- 
avoir  la  teste  trenchée  connue  prime  conseiller  de  monseigneur 
Loys.   Donajues,    alors   (juc   les   siens  l'eurent   aval   de  roule, 


l'illiC  cul  .«oubli. lin  le;  (iKMir  cmiily  de.  saiiictcs  l■OM^ul.ltioMS,  vru  i|ui'  l.i 
Ijjiiiiii Tc  ilu  Kr.iiU  niousticr  loriia  l:i  roule  d'uuf,'  cliainp  ot  apparut  ac- 
coinpaijjuée  dci  cliaiils  de  l'Ecclisc,  (jui  csclaléreui  cuimiie  voix  cclesles. 


liKIlTIlM   LA  REI'KNTll'.  U^^ 

\v  hoii  lioiiitiic  se  voit  sorn-  entre  six  hommes  (rannes  (lélerinincz 
à  le  saisir.  Lors  il  comprint  que  on  le  vouloyt  vivant  pour  procé- 
der à  rencontre  de  sa  maison,  rnyner  son  nom  et  confisquer  ses 
biens.  Le  paouvresire  avnia  miciilx  périr  jiour  saiilver  sa  f,'ent  et 
f,'Mardrr  les  doinaincs  à  son  lils  ;  il  se  delï'endit  connue  un^^  vrav 
lion  (jue  il  estoyt.  Manli^ni  leur  numhre,  ces  dicts  souldards, 
voyant  tombez  trois  des  leurs,  feurentconlraincts  d'assaillir  Has- 
tarnay  au  risque  de  l'occire,  et  se  geclèrent  ensemblenient  sur 


luy,  après  avoir  mis  ses  deux  escnyers  et  ung  paiije  à  lias.  En 
cet  extresme  danyier,  ung  escuyer  aux  armes  de  Hohan  fondit 
sur  les  assaillans  comme  ung  fouldre,  en  tua  deux,  criant  : 
«(  Dicn  siijilve  les  Bastarnay!  »  Le  troisiesme  homme  d'armes, 
qui  ià  tenoyt  le  vieulx  Hastarnay,  feust  si  bien  féru  par  cettuy  es- 
cuyer, (pie  force  luy  feut  de  laschicr,  et  se  retourna  contre  l'cs- 
cuyer,  aucjuci  il  donna  de  son  ])()ignard  au  dcffault  du  goriicrin. 
Rastarnay  estoyt  trop  bon  conipaignon  pour  s'enfuir  sans  baillci' 
secours  au  libérateur  de  sa  maison,  (jue  il  veit  navré  en  se  retour- 
nant. Lors,  il  deflit  d'un  coup  de  masse  l'homme  d'armes,  print 
l'escuyer  en  travers  son  cheval  et  gaigna  les  champs,  con- 
(hiicl  |)ar  un  guide  (jni  le  mena  dedans  le  casiel  de  la  Koclie- 
l'oueauld,  oii  il  entra  nuiclannnent,  et  treuva  iierllie  de  Itolian 
dans  la  grant  salle,  qui  luy  avoyt  moyenne  ce  leliaict.  Ains,  en 

40 


Lors  il  rompripl  que  on  Ir  \   -  i         .' 

du  SI  iiiui»uii,  riiyiicr  son  nom  el  conlis<|U('r  ^is  hicns. 


Le  flls  lie  lelian,  lequel  nypira  iiiz  la  talili\  en  liaisatit  ?a  mère  par  uiig 
darrenier  i-fforl,  eC  luy  dicl  à  haulie  voix  :  <  Ma  mère,  nous  somme» 
quittes  envers  luy  I  » 


Il  plaça  dedans  la  niCsinc  tuinl)c  In  rii>  et  la  iniVre  avccqims  ung  grant 
tiiiiiliuau   ebCi'i|>l  cji  IuIid,  où  Irur  vie  e^l  inotilt  lioiiorùe. 


r.r.IlTIlE    LA    IIKPENTIE.  533 

(lesliouzant  son  saiilvciir,  recognciit  le  (ils  (!t*  Idian,  loqiu'l  o\- 
|tira  iuz  latablo.on  baisant  sa  iiièro  par  ung  (larrf'iiicrr'rfort,  et  luy 
(lit  à  haultc  voix  :  «  Ma  mère,  nous  sonnncs  (juittos  envers  luy  !  /> 
Oyant  ceste  parole,  la  mère  accolla  le  corps  de  son  enfant  d'a- 
mour et  s'y  conioinf,niit  poiu'  ung  ianiais,  veu  que  elle  trespassa 
(le  douleur  sans  avoir  cuie  ne  souley  du  pardon  et  repentance  du 
Mastarnay. 

Ce  meschief  estrange  advança  tant  le  darrenier  iour  du  paouvre 
sire,  que  il  ne  veit  point  l'advènement  du  bon  sire  Loys  le  un- 
ziesmo.  Il  fonda  une  messe  quotidienne  à  l'eccliso  de  la  Roelie- 
Foueauld.en  lacpiclleil  plaça  dedans  lamesme  lumbe  le  (ils  et  la 
mère  aveeques  mv^  grant  tumbeau  escript  en  latin,  oîi  leur  vie 
est  moult  bonorée. 

Les  moralitez  que  ung  chascun  peut  sugcer  de  ceste  histoire 
sont  moult  proufîietables  pour  le  train  de  la  vie,  veu  quececy  dé- 
monstre combien  les  genlilsbommes  doibvent  estre  cortoys  avec- 
(pies  les  bien  aymez  de  leurs  femmes.  iJ'abundant,  eecy  nous  en- 
seigne (|uc  tous  enfans  sont  des  biens  envoyez  par  l)ieu  mesmeet 
sur  lesquels  les  pères,  faulx  ouvrays,  ne  sçauroyent  avoir  droict 
de  meurtre,  comme  iadisà  Rome  par  une  loy  payenne  et  abomi- 
nable, laquelle  ne  sied  point  à  la  cbrestienté,  où  nous  sommes 
tous  fds  (le  l)i(îu. 


Ccsle  rencontre  fcil  la  hrllc  lille  tant  lieurciisp,  que  (.'Ile  cul  le  bec 
plein  de  ce  Duni. 


COMMENT 


LA   BELLE   FILLE   DE   1»01{TILL0N 


Q  tl  I  \  A  U  I.  D  A     SON     I  U  C  K 


TiH  Porlilloiiiic,  l;i(|U('llt'  dcv  inl,  coniiiio  unu  diascun  sçavl,  la 
Tasclicii'tU',  ('sto\l  liiiaiidirrL'  paiavant  d'cslrc  taiiiotuiii'i'c,  au 
(licl  liou  do  Poilillfdi,  d'où  son  nom.  Si  aulcuns  n('('ojj;noissont 
Tours,  bosoing  est  dédire  que  Portillon  est  en  aval  de  la  Loire 
du  costé  de  Sainct-Cyr,  loin  du  pont  qui  mène  à  la  cathédrale 
de  Tours,  autant  que  ce  dict  i>ont  est  loin  de  Maimoustier  veu 
que  le  ponlcst  au  mitan  delà  levée  entre  le  dict  lien  de  l'orlillon 
et  Maimoustier.  V  cstes-vous?  —  Oui.  —  Hon  !  Adoncqucs,  la  lille 
avoyt  là  sa  buanderie,  d'où  elle  devalloyt  en  ung  rien  de  temps 
pour  laver  en  la  Loire,  et  passoyt  sur  une  toue  pour  aller  à  Sainct- 
Martin,  qui  se  treuvoyt  de  l'aultre  costé  de  l'eaue  où  elle  rendoyt 
la  plus  ^lanl  part  de  ses  buées  en  (^liastcauneufet  aullrcs  lieux. 


ùôr,  CONTES  nnOLATIQUES. 

Environ  la  Sainol-Iran.  sopl  anm'os  avant  do  marior  lo  bon- 
lionnno  Tasoliorcau,  oUt'  cul  l'aayo  trostrc  ayniôc.  Comme  ello, 
csloyt  rieuse,  elle  se  laissa  aymer  sans  eslire  aulrun  des  gars  qui 
la  poursnyvoYcnt  (ramour.  Encoros  que  elle  oust  à  son  banc 
soubz  sa  cioisce  le  fils  à  Rabelais,  (jui  avoyt  sept  bateaiilx  navi- 
i^uantcn  Loiio.  l'aisnc  des  lalian,  Maicliandcan  le  cousturier  et 
Peccard  le  dorciotier,  i-llc  en  l'aisoyt  mille  moccjucric^s,  pour  ce  que 
elle  vouloyt  estre  menée  à  l'ecclise  paravant  de  s'enchargier  d'ung 
homme,  ce  qui  preuve  que  ce  feut  une  garse  honneste,  tant  que 
sa  vertu  ne  l'eut  point  embouzée.  Elle  estoyt  de  ces  filles  qui  se 
gnardent  moult  d'estre  contaminées,  ains  qui,  prinses  par  ad- 
veiiture,  laissent  aller  tout  à  trac,  en  ce  pensier  que,  pour  une 
tache  ou  j)0ur  mille,  il  est  tousiours  nécessaire  de  se  fourbir. 
Besoing  est  d'user  d'indulgence  à  l'encontre  de  ces  charactères. 
Ung  ieune  seigneur  de  la  Court  la  veit  ung  iour  que  elle  passoyl 
l'caue  sur  le  coup  de  midy  par  ung  soleil  tre/  ardent  qui  iaisoyt 
reluire  ses  amples  beaultez,  et  la  voyant  demanda  qui'Ile  estoyt. 
Ung  vieulx  honmie,  (}ui  laboroyt  en  la  grève,  luy  nomma  la  belle 
fille  de  Portillon,  buandière  cogneue  pour  ses  bons  rires  et  sa 
saigesse.  Ce  ieune  seigneur,  pourvu  de  Iraizes  à  empoiser,  avoyt 
l'orce  toiles  et  drajjoaux  tre/  prélienx;  il  se  résolut  adonner  la 
pratic(jue  de  sa  maison  à  la  belle  de  Portillon,  que  il  arresta 
au  passaige.  Il  l'eut  mercié  i)ar  elle  et  grantement,  veu  i[ue  il 
estoyt  le  sire  duFou,  chamberlan  du  Roy.  Geste  rencontre  leit  la 
belle  fille  tant  heureuse,  que  elle  eut  le  bec  plein  de  ce  nom. 
Elle  en  parla  moult  à  ceux  de  Sainct-Martin,  et,  au  retourner  en 
sa  buanderie,  en  dit  ung  septier  de  par(des  ;  j)uis,  leiidenuiin,  en 
desbagoula  tout  aulant  en  lavant  à  l'eaue; 
par  ainsy  il  l'eut  j)lus  parlé  de  mon  seigneur 
du  Fou  en  Portillon  que  de  Dieu  au  prosne, 
ce  (jui  estoyt  trop. 

—  Si  elle  batainsy  àfroid,  (jue  fera-l-ell(> 
à  cliauld  '.Mit  ung  restant  de  vieille  laveuse; 
elle  en  veult,  il  luy  eu  cuyra,  du  Eou  ! 

Pour  la  prime  foys  que  ceste  folle  à  langue 
pleine  de  monsieur  du  Eou  eut  à  livrer  les 
linges  en  l'iioslel,  le  chamberlan  la  voulut 
veoir  et  luy  elianla  laudes  et  complies  sur 
ses  gcildroiiiienes,  el  liii;i  p;ir  lin  dire  ( pie  elle  ii'eslo\  I  poilil  sotte 
d'eslre  lirjjcet.   pour  ce,   la  p:i\('ro\l  lauee  sur  l';iulre.  Le  l'iiiet 


El  h  voyaiU  demanda  qucdlc  esloyl.  Uii^'  vieiilx  lioniiiic,  «iiii  l.ilioioyl 
eu  la  grève,  luy  iioiiiina  la  liello  lille  de  l'uilillou. 


Ô58  CONTKS   DUOLAÏiniKS. 

siiyvit  la  parolo.  von  t\nc,  en  \uv^  moment  où  ses  gens  les  lais- 
sèrent, il  aniignolta  la  hoUc  lillo,  qui  cuydoyt  liiy  vcoir  tirer 
beaulx  deniers  de  sa  bougëttc  et  n'osoyt  rcsguarder  à  la  bou- 
gotte  enfdle  bonteuso  de  reoepvoir  salaire,  disant  :  Ce  sera  pour 
la  prime  loys. 

—  Ce  sera  tost.  feit-il. 

Aulcuns  disent  que  il  eut  mille  poines  ;\  la  forcer  et  la  força 
])etitement  ;  aulcuns  la  tinrent  pour  mal  forcée,  pour  ce  que 
elle  yssit  comme  une  armée  aval  de  route,  se  respandit  en 
plainctcs  et  (pierimonies,  et  vint  cliez  le  iuge.  Par  advcnture, 
mon  diet  iuge  esloyt  ez  clianq)s.  La  Portillone  attendit  son  re- 
tourner en  la  salle,  plouraiit,  disant  à  la  servante  que  elle 
avoytesté  volée,  pour  ce  que  monseigneur  du  Fou  ne  luy  avoyt 
rien  baillé  aultre  (jue  sa  mesclianceti»,  tandis  (pie  ung  clianoine 
du  Cbapitre  souloyl  luy  donner  grosses  sommes  de  ce  que  luy 
avort  robhé  monseigneur  du  Fou  ;  si  elle  aynioyt  ung  liomme, 
elle  cxistimeroyl  saige  de  luy  bailler  ceste  ioye  pour  ce  que  elle 
y  prendroyt  plaisir;  uins  le  cbamberlan  l'avoyt  lio(lée,lioguinée, 
et  non  mignoltéc  gentcment  comme  elle  cuydoyt  l'estre,  partant 
il  luv  debvoyt  les  mille  escnz  du  chanoine.  Le  iuge  rentre,  venil 
la  belle  fille  et  vcult  noiscr,  ains  elle  se  met  en  guarde  et  dicl 
(pie  elle  est  venue  pour  faire  une  j)laincte.  Le  iuge  luy  respond 
(jue  pour  le  seur,  il  y  aura  ung  pendu  de  sa  fasson,  si  elle  le 
soubbaite,  p6ur  ce  que  il  est  en  raigc  de  faire  les  cent  ung 
couj)S  pour  elle.  La  belle  fille  luy  dict  que  elle  ne  veult  point 
(pie  son  liomme  meure,  ains  (pie  il  luy  paye  mille  escuz  d'or, 
pour  ce  (pie  elle  est  contre  son  gré  forcée. 

—  Ha  !  lia  !  feit  le  iuge,  ceste  Heur  vault  davantaige. 

. —  A  mille  escuz,  feit-elle,  ie  le  quitte,  pour  ce  que  ie  vivrav 
sans  foire  mes  buées. 

—  Cil  (pii  lia  prins  ceste  ioye  csl-il  fourny  de  deniers?  de- 
manda le  iuge. 

—  Oli!  bien. 

—  Doncques  il  payera  cbier.  Qui  est-ce? 

—  Monseigneur  du  Fou. 

—  Voilà  (pii  change  la  cause,  dit  le  iuge. 

—  Ft  la  iusiice?  feit-elle. 

—  l'ay  dict  la  cause,  et  non  la' iusiice,  re|)artil  le  iuge.  He- 
.soing  est  de  bien  sçavoir  conunenl  eut  lieu  le  (ms. 

Ixirs  la  belle  fille  raconta  naïfveincnt  comment  elle  rangioyt 


LA  BELLE  FILLE  DE  PORTILLON.  ^30 

les  fraizcs  dedans  le  bahut  de  iiionseignein-,  alors  que  il  avuyl  loué 
avec  sa  iuppc  à  elle  et  que  elle  se  estoyt  retournée,  disant  : 

—  Finez,  monseigneur  ! 

—  Tout  est  dirl,  l'cit  le  iu^e,  veu  «[lie  |iar  eeste  [cnole  il  lia 
cuydé  que  tu  lui  hailloys  eonyé  de  liner  vitVeinent.  Ha!  lia! 

La  belle  fille  dit  que  elU;  se  estoyt  deilendue  en  plouiaiit  et 
criant,  ce  qui  laisoyt  le  viol. 

—  Chiabreiias  de  puccile  pour  ineilci!  icit  le  iuye. 

tu  (in  de  tout,  la  l'orlilloiinc  dit  que,  inaiilyrt-  son  vouloir,  elle 
se  estoyt  sentuc  prinsc  par  la  eeineteure,  et  acculée  au  lict,  après 
que  elle  avoyt  moult  saulté,  moult  crié,  ains  (jue,  ne  voyant  nul 
secours  advenir,  elle;  avoit  perdu  couraii^e. 

—  Bon!  bon!  ieit  le  iuge,  avez-voiis  eu  i)laisir? 

—  Non,  leit-elle.  Mon  dominaigc!  ne  sraiiroyt  se  payer  (jue  i>ar 
mille  escuz  d'or. 

—  Ma  mye  feit  le  iuge,  ie  ne  reçois  point  vostre  [)lainclc,  veu 
que  ie  cuyde  nulle  fille  ne  estre  violée  que  de  grand  cucur. 

—  Ha  !  ha?  monsieur,  leit-elle  en  ploiiraiit,  inleriogU(!Z  vostre 
servante,  et  oyez  ce  que  elle  vous  eu  dira. 

La  servante  atïera  ipuî  il  y  avoyt  des  viols  plaisans  et  des  viols 
tiez  maulvais;  que  si  la  i'ortillonne  n'avoyt  perceu  ny  deniers  ny 
plaisir,  il  lui  estoyt  deu  plaisir  ou  deniers.  Ce  saigc  advis  gecta  le 
iuge  en  trez  grande  perplexité. 

—  lacqueline  !  teil-il,  paravant  (jûe  ie  soupe,  ie  veux  grabeler 
cecy.  Ores  çà,  va  (juerir  mon  l'erret  avecques  un  fil  rouge  à  lier 
les  sacs  à  procez. 

lacqueline  vint  avec  ung  ferret  troué  d'ung  ioly  chaz  en  toute 
perfection  et  ung  gros  lil  rouge  comme  en  usent  gens  de  iusticc. 
Puis,  la  servante  demeura  en  pieds,  à  veoir  iuger  la  re(|ueste,  trez- 
esmeuc,ainsy  que  la  belle  fille', de  ces  })répai'atoiresmystigoriequcs. 

—  Ma  niye,  ieit  le  iuge,  ie  vais  tenir  le  passe-filet,  dont  le  chaz 
est  grant  assez  pour  y  enfiler  sans  peine  ce  bout.  Si  vous  l'y  bou- 
tez, ie  me  charge  de  vostre  cause  et  feray  cracher  Monseigneur 
au  bassinet  par  ung  compromis. 

—  Que  est  de  cecy? leit-elle.  le  ne  veiilx.  point  le  proinellrc. 

—  Ce  est  ung  mot  de  iustice  pour  signifier  ung  accord. 

—  Ung  compromis  est  donccjues  les  accordailles  de  la  iustice? 
dit  la  Porlillonne, 

—  Ma  mye,  le  viol  vous  ha  aussy  ouvertl'esperit.  Vestes-vous  ? 

—  Oui,  ieit-elle. 


540  CONTES  DROLATIOUKS, 

Le  malicieux  iugc  feit  beau  icu  à  la  viok'o  on  luy  tendant 
bellement  le  trou  :  ains,  quand  elle  voulut  y  bouter  le  fil  tjue  elle 
avoyt  tordu  pour  le  faire  droicl,le  iu»o  bougea  uny  petit  et  la  (ille 
en  feut  pour  son  prime  coup.  Elle  soupçoima  l'argument  que  luy 
poulsoyt  le  iuge,  mouilla  le  fil,  le  tendit  et  revint.  Bon  iuge  de 
bougicr,  votillcr  et  lietinfretailler  comme  pucelle  (pii  n'ose. 
Adoncques  le  damne  fil  n'entroyt  point.  Ikdic  fille  de  s'appliquer 
au  trou,  et  bon  iugc  de  barguigner.  La  nopce  du  fil  ne  se  par- 
faisoyt  point  ;  le  cbaz  demouroyt  vierge,  et  la  servante  de  rire, 
disant  à  la  Portillonne  que  elle  sçavoyt  mieulx  ostre  violée  (pic 
violer.  Puis, bon  iuge  de  rire,  et  la  belle  Portillonne  de  plourer  ses 
escuz  d'or. 

—  Si  vous  ne  restez  point  en  place,  luy  dit  la  belle  fille  perdant 
patience,  et  que  vous  bougiez  tousiours,  ie  ne  sçauroyts  enfiler  ce 
dcstroict. 

—  Doncqucs,  ma  fille,  si  tu  avoytsfaicl  ainsy.  Monseigneur  ne 
te  auioyt  point  delïaicte.  Encores  considère  combien  est  facile 
ceste  entrée  et  combien  doibt  estre  close  une  pucelle  ! 

La  belle  fille,  qui  se  iactoyt  d'estre  forcée,  demeura  songeuse  et 
cbercba  à  faire  le  iuge  quinauld  en  lui  remonstrant  comment  elle 
avoyt  esté  contrainctc  à  céder,  veu  que  il  s'enalloyt  de  l'Iionneur 
de  toutes  les  paouvres  filles  idoynes  à  estre  violées. 

—  Monseigneur,  pour  cjue  la  cliouse  soit  iusle,  besoing  est  que 
ie  fasse  connne  lia  faict  Monseigneur.  Si  ie  n'avoys  eu  qu'à 
bougier,  ie  bougeroys  encores,  ains  il  ha  faict  aultres  cérémo- 
nies. 

—  Oyons,  respondit  le  iuge. 

Yécy  doncques  la  Portillonne  qui  arreste  le  fil  et  le  froste  en 
la  cire  de  la  chandelle,  à  ceste  fin  que  il  demeure  ferme  et  droiet. 
Puis,  le  fil  aressé,  j)icque  sur  le  cbaz  que  lui  tendoyt  leiuge  en 
vctillant  tousiours  à  dextre,  à  senestre.  Ores  la  belle  fille  luy  di- 
soyt  mille  gaudisseries  comme  :  «  lia!  le  ioly  cbaz  !  Quel  mignon 
but  de  fisclierie  !  Onc(|ues  n'ay  veu  tel  biiou!  Quel  bel  eiilre- 
deux!Laissez-mo\boulei-ce  fil  persuasif!  Ha  !  lia  !  lia!  voiisallcz 
blesser  mon  paouvre  fil,  mon  mignon  fil  !  tenez-vous  coy  !  Allons 
mon  amour  de  iuge,  iuge  de  mon  amour!  Hein  !  le  fil  ne  ira-t-il 
pas  bien  dedans  ceste  porte  de  fer  (pii  useia  bien  du  fil,  veu(jue 
le  fil  en  sort  bien  desbill'é.  »  Et  de  rire,  veu  (|ueelleen  scavoy 
ià  plus  long  àceieuqiic  le  iu;;e  ,(pii  rioyl,  laiit  eileesldyt  lall(»lle, 
cingesseet  mignardeà  teiidreel  retirer  le  fil.  Elle  lint  mon  diel 


L.V   lîKLLK   Fil.LR   HK   l'OnilLLON.  541 

sieur  iuyo,  le  c.iz  au  |M»iuy,  ius(|ucs  à  ccsici  heures,  lousiours 
Yclillant,  frétillant  conune  niannultedeschaisnce;  ains,  vcu  (jue 
la  P(»rlili(»Mtie  se  bciidnyt  tousiours  à  faire  entrer  le  fil,  il  n'en 
pouvoyl  mais,  d'aulaul  (|ue  son  roslbiusloyt,  et  eulle  |ioiny  tant 
fatigué,  (juc  il  feut  c.ontrainct  soy  reposer  ung  petit  au  bord  de  la 
table  ;  lors  bien  dextrenient  la  lidlc  fille  de  Portillon  fourra  le  lil, 
disant  : 

—  Yéey  comme  lia  eu  lieu  la  cbouse. 

—  Ains  mon  rost  bru'sloyt,  léil-il. 

—  Et  aussy  le  mien,  feit-elle. 

Le  iuge,  devenu  quinauld,  dità  la  l'urlillonneciue  il  V(;rroyt  à 
parler  à  monseigneur  du  Fou,  et  se  cbargioyt  du  pourcliaz,  veu 
que  il  constoyt  que  le  ieune  seigneur  l'avoyt  forcée  contre  son 
gré,  ains  cpie,  jiour  raisons  valables,  il  atermoyerox lies  cliouses 
à  l'umbre.  Lendemain  le  iuge  alla  en  Court  et  veit  monseigneur 
du  Fou,  au(|ucl  il  déduisit  la  plaincte  de  la  belle  fille,  et  com- 
ment elle  luy  avoyt  raconté  le  cas.  Geste  plaincte  de  iustice  plut 
moult  au  Hoy.  Le  ieune  du  Fou  ayant  dict  (|ue  il  v  avovt  du 
vray,  le  Roy  luy  demanda  s'il  l'avoyt  treuvée  de  difficile  accez, 
et,  comme  le  sieur  du  Fou  respondit  naïfvcment  que  non,  le 
Roy  repartit  que  ceste  pertuysade  valoyt  bien  cent  escuz  d'or,  et 
le  cliandjerlan  les  bailla  au  iuge  pour  n'estre  point  taxé  de  la- 
drerie, ains  dit  ipie  l'enqxjys  seroyt  de  bonne  rente  à  la  Por- 
tillonne.  Le  iugt-  relouina  dans  Portillon,  et  dit  ensoubiiant  à  la 
belle  fille  (jue  il  avoyt  soublevé  cent  escuz  d'or  pour  elle.  Ains, 
si  elle  soubbailoyt  le  demeurant  des  mille  eseuz,  il  y  avoyt, 
en  cettuy  moment,  dedans  la  cliand)re  du  Roy,  aulcuns  seigneurs 
qui,  sçaiclianl  le  cas,  s'olf'royent  à  les  luy  |)ari'aii'e  à  son  gré.  La 
belle  fille  ne  se  rell'usa  point  à  cecy,  disant  (pie,  pour  ne  [>lus 
faire  ses  buandei'ies,  elle  buanderoyt  voulentiers  son  caz  ung 
petit.  File  recogneut  largement  la  jioine  du  bon  iuge,  puisgaigna 
ses  mille  escuz  d'or  en  ung  mois.  De  là  vindrent  les  menteries 
et  bourdes  sur  sonconq)le,  veu(|iie,  pour  ci'  dixain  deseigni'urs, 
les  ialouses  en  mirent  cent,  tandis  (|ue,  au  rebours  desgarses,  la 
Portillonne  devint  saige  dès  cpie  elle  eut  ses  mille  escuz  d'or. 
Voire  ung  (lue  (|ui  n'aurovl  point  coniplécin(|  cents  escuz  auroyt 
treuvi-  la  tille  rebelle  à  son  dezir,  ce  (|ui  prouve  (pu'  elle  esloyt 
cbicbe  de  son  eslolie.  Il  est  vray  que  le  Roy  la  leit  venir  en  son 
retraict  de  la  rue  (Jnin(piangrogne,  au  mail  du  ("Jiardonneret,  la 
trouva  Irez-belle,  moult  noiseuse,  s'en  gaudil,  etdelfendit  (pie  elle 

40 


bi-2 


CONTKS   l»r,(»L\Tlol"KS. 


lousl  iiKjuit'ti'C  on  anicuno  nianièro  par  les  serinons.  La  voyant 
si  belle,  Mcolle  BeauiieiUiis,  la  niyc  du  Roy,  lui  bailla  cent  escuz 

d'or  pour  aller  à  Orléans  vé- 
rifier si  la  couleur  de  la  Loire 
estoyt  la  mesme  tjue  soubz 
Portillon.  La  belle  fille  y  alla 
d'autant  plus  voulentiers  que 
elle  ne  se  soulcioyt  mie  du 
Roy.  Quand  vint  le  sainet 
bonhomme  qui  confessa  le 
Roy  en  ses  iours  extresmes  et 
fout  canonisé  depuys,  la  belle 
lille  alla  f()url)ir  sa  conscience 
à  luy,feit  pénitence  et  fonda 
ung  lict  en  la  léproserie 
de  Sainct-Lazare-lcz-Tours. 
Kunibre  de  dames  que  vous  cognoissez  ont  esté  violées  de  bon  gré 
par  plus  de  dix  seigneurs  sans  fonder  aultres  licts  ([ue  ceulx  de 
leurs  maisons.  Cesoing  est  de  relater  ce  faict  pour  laver  l'iionnour 
deceste  bonne  fille,  qui  lavoyt  les  ordeures  d'aultruy,  et  (jui  de- 
puys eut  tant  de  renom  pour  sa  gentillesse  et  son  esperit;  elle 
bailla  la  preuve  de  ses  mérites  en  mariant  Tascliercau,  que  elle 
ieil  trez-bien  cocqu,  à  leur  grant  cueurà  tous  deux,  coiiuue  lia 
esté  dict  cy-dossus  au  Conte  de  l'Apostrophe. 

Cecy  nous  démonstre  en  toute  évidence  que  avecques  force  et 
patience  on  peut  aussy  violer  la  iuslice. 


al^       ;!  . 


îïMi^ 


CY  EST  DEMONSTRE 


LA  FORTl'XE  EST  TOIJOURS  FEMELLE 


Au  temps  où  les  clievaliers  se  prestoyent  courtoisement  secours 
et  assistance  en  qiiorant  Ibrtuno,  il  advint  que  dedans  la  Sicile, 
laquelle  est,  si  vous  ne  le  seavez,  une  islc  sitiu'e  en  ungcoinde 
la  mer  Méditerrane  et  crièhre  iadis,  ung  chevalier  leit  en  ung  bois 
rencontre  d'ungaultre  chevalier  qui  avoyt  mine  d'estrcFrançoys. 
Vérisimilementcc  Françoys  estoyt,  par  adventure,  desnucdetout 
poinct,  pour  ce  que  il  alloyt  à  pied,  sans  escuyer  ne  suite,  et 
avoyt  ung  si  paouvre  accoustreinent,  (pie,  sans  son  air  de  prince, 
il  eust  este  prins  pour  ung  vilain.  Possihic  cstovt  i[ue  le  cheval 
i'eust  crevé  de  faim  ou  l'aligne  au  débanpu'r  d'oultre-mer,  d'où 
advenoyt  le  sire  sur  la  loi  des  bomies  rencontres  que  faisoyent 
les  gens  de  France  en  ladicte  Sicile,  ce  qui  eslovt  vrai  d'une  et 
d  aullie  j)ait.  Le  clicvalicr  de  Sicile,  (pii  avovt  nom  l'ezare,  estoyt 
ungYenifim  rurys><u  delari'puhlicipR'  do  Vcniscdepuys  ung  long 


'^.j:^:^ 


Ing  (lii-viili.T  fc-il  «Ml  mig  liois  nMicoiilro  d'ims  i'ulln-,  chevalier 
qui  avoyt  mine  d'cslrc  Fiiuiçoys. 


LA  FORTUNE  EST   TOISIOIRS  FEMELLE.         545 

temps,  loquol  se  soulciovl  mie  d'y  icloiiincr,  vni  (juc  il  avoyt 
priiis  ]»ic(l  cil  la  Couit  du  roy  do  Sicile.  Ores,  estant  dcsimé  de 
biens  en  Venise  pour  ce  que  il  eslovt  cadet,  ne  concepvoyt  point 
le  néyocc,  et  linaWenient  avovt  esté  j)Ourceste  raison  ahaiidonné 
de  sa  lamille,  laquelle  cstoyt  ncantnioins  trcz  illustre;  il  deniou- 
royt  en  ceste  Court,  où  il  agréoyt  moult  au  Roy.  Ce  dict  Vénitien 
se  pourmenoyt  sur  ung  beau  genest  d'IIespaigne,  et  songioyt  à 
part  luy  combien  il  estoyt  seul  dedans  ceste  Court  estrange,  sans 
amys  seurs,  et  condiien  en  cetluy  cas  la  fortune  s'arrudoyt  à  gens 
sans  ayde  et  devenoyt  traistrcssc,  alors  que  il  vcit  ce  paouvre 
chevalier  françoys,  lequel  paroissoyt  encores  plus  desnué  que 
luy,  qui  avoyt  belles  armes,  beau  cheval  et  des  serviteurs  en 
une  bostellerie  où  ils  préparoyent  ung  ample  souper. 

—  Besoing  est  que  vous  veniez  de  loing  pour  avoir  tant  de 
pouldrc  ez  pieds,  feit  le  seigneur  de  Venise. 

—  Mes  pieds  n'ont  pas  celle  de  tout  le  (chemin,  feit  le  Fran- 
çoys. 

—  Si  vous  avez  tant  voyagé,  repartit  le  Vénitien,  vous  debvez 
estre  docte. 

—  l'ays  apprins,  rcspondit  le  Françoys,  à  ne  prendre  aulcun 
soulcy  de  ceulx  qui  ne  s'inquiètent  point  de  moy.  l'ay  apprins 
que,  tant  hault  allast  la  teste  d'ung  homme,  il  avoyt  tousiours 
les  pieds  au  niveau  des  miens;  d'abundant,  i"ay  encores  apprins 
-  ne  point  avoir  fiance  au  temps  chauld  en  hyver,  au  sommeil 
uj  mes  enncmys  et  aux  paroles  de  mes  amys. 

—  Vous  estes  doncques  plus  riche  que  ic  ne  suis,  feit  le 
Vénitien  Irez  estonné,  veu  que  vous  me  dictes  des  sentences 
aux(|uelles  ie  ne  pensoys  point. 

—  Besoing  est  de  penser  cliascim  à  son  compte,  dit  le  Françoys, 
et  pour  ce  (|ue  vous  m'avez  interrogué,  ie  puis  requérir  de  vous 
le  bon  office  de  m'indiquer  la  route  de  Païenne  ou  quelque 
hostellerie,  car  vécy  la  nuict. 

—  Cognoissez-vous  doncques  aulcun  Françoys  ou  seigneur 
sicilien  à  Païenne? 

—  Non. 

—  Par  ainsy,  vous  n'estes  point  acertené  d'y  estre  receu? 

—  le  suis  disposé  à  pardonner  à  coulx  qui  me  regecleront. 
Seigneur,  le  chemin? 

—  le  suis  esguaré  comme  vous,  feit  le  Vénitien,  cherchons 
de  bonne  compaignie. 

46. 


546  CONTES  DROLATIOUES. 

—  Pour  ce  faire,  l>osoiiig  ost  quo  nous  allions  ensoniblement  ; 
ains  vous  oslos  à  c-lioval,  et  luoy  suis  à  jjied. 

Lo  Vonilien  print  lo  clicvalicr  françoys  en  croupe  et  luv  dit  : 

—  Devinez-vous  avccques  qui  vous  estes? 

—  Avccques  ung  lioniinc  a])parenimcnt. 

—  Pensez-vous  cstre  en  seurclé? 

—  Si  vous  estiez  larron,  il  fuuldroyt  avoir  paour  pour  vous, 
feit  le  Françoys  en  boutant  la  coci|uille  d'ung  poignard  au 
cueur  du  Vénitien. 

— Ores  bien,  seigneur  Françoys.  vous  me  seniblez  unglionime 
de  hault  sçavoir  et  grant  sens  :  saiebez  que  ie  suis  ung  seigneur 
estably  en  la  Court  de  Sicile,  ains  seul,  et  que  iecbercbe  ungainv. 
Vous  me  semblez  esire  en  niesnie  occurrence,  pour  ce  (pie,  à  veoir 
les  apparences,  vous  n'estes  pas  cousin  de  vostre  sort  et  paroissez 
avoir  besoing  de  tout  le  monde. 

—  Scroys-ie  plus  beurcux,  si  (oui  le  monde  avoyt  affaire  à 
moy  ? 

—  Vous  estes  ung  dialjjc  qui  me  l'aides  (piinauld  à  cliascun  do 
mes  mots.  Par  saint  Marc!  seigneur  cbevalier,  peut-on  se  fier  à 
vous  ? 

—  Plus  que  en  vous-mesme,  qui  commencez  nostre  fédérale 
amitié  jiarme  trupber,  veu  (pie  vous  conduisez  vostre  cbeval  eu 
bomme  (jui  s(.ayl  son  cliemin,  et  vous  disiez  esguaié. 

—  Et  ne  me  trupbez-vous  point,  dit  le  Vénitien,  en  faisant 
aller  à  pied  ung  saige  de  vostre  ieunessc,  et  donnant  à  ung  noble 
cbevalier  l'alleure  d'ung  vilain?  Vécy  riiostellerie  :  mes  serviteurs 
ont  faict  nostre  soupe. 

Le  Françovs  saulta  de  dessus  le  cbeval,  et  vint  en  l'Iiostellerie 
avccques  le  clievalic^r  vénitien,  en  agréant  son  souper.  Adonc(pies 
tous  deux  s'attablèrent.  Le  Françoys  s'escrima  si  délibérément 
des  mascboires,  tordit  les  morceaux  avecques  tant  de  bastiveté, 
(pie  il  moiislia  bien  cstre  également  docte  en  soupers,  et  le  re- 
nionstra  en  vu\(lant  les  potz  Irez  dcxirement  sans  (pie  son  d'il  fcust 
moins  clair  ni  son  entendoiiere  (b-vallé.  Aussy  conqilez  (pie  le 
Vénitien  se  dit  avoir  faici  irnconire  d'ung  i'icv  enfant  d'Ad  un, 
yssii  de  la  bonne  cosie  cl  non  (h'  la  faulsc.  En  copinanl.  le  che- 
valier vénitien  se  bendoyt  à  treuvcr  aulcun  ioinct  |)our  sonder 
les  scci'cls  aposleumes  des  cogitations  de  son  nouvel  arny.  Lors 
il  l'ccogneiit  (pie  il  luy  fero\l  (piiltersa  cliemise  |»his  loshpic  sa 
[iriidence,  v\  iugea  op|)orlim  d^uMpiesler  son  cslinie  en  Iny  ouvrant 


LA  FORTUNE  EST  TOUSIOURS  FEMELLE. 


547 


son  pourpoinct.  Adonrquos  il  liiy  dit  on  rpu-l  estai  osfovf  la  Sicile, 
où  regnoyt  le  prince  LeulVoid  et  sa  yenle  femme;  combirn  o^iinl- 
lante  esto\  t  lenr  Court,  (juelle 
courtoisie  y  Uourissoyt  ;  que 
il  y  abundoyt  d'IIespaigne, 
de  France,  d'Italie  et  anltres 
pays,  des  seigneurs  à  liault 
pennaige,  moult  appanaigez, 
lorce  princesses  autant  riches 
que  nobles  et  autant  belle- 
que  riches;  (jue  ce  prince  a-- 
piroyt  aux  plus  haulles  vis('i'-.. 
comme  de  coiicpiester  la  M(i- 
rée,  Constanlinopolis,  Ilieiu- 
salem,  terres  du  Soudan  et 
aultres  lieux  afrricquains;aid- 
cuns  hommes  de  haulte  com- 
préhension tenoyent  la  main 
à  ses  alï'aires,  convocquoyenl 
le  ban  et  arrière  ban  dvs 
fleurs  de  la  chevalerie  chres- 
tienne  et  soubstenoyent  cesle 
splendeur  avecipies  intention  de  faircdominer  sur  la  Méditerranée 
cestc  Sicile  tant  opulente  aux  temps  anticques,  et  ruyner  Venise, 
laquelle  n'avoyt  pas  ung  poulce  de  terre.  Ces  desseins  avoyent 
estez  boutez  en  l'esperit  du  Roy  j)ar  luv  Pezare  ;  ains,  encores 
que  il  leust  bien  en  la  faveur  du  prince,  il  se  senfoyt  foible, 
n'avoyt  aulcun  ayde  ])army  les  court izans,  et  soubhaitoyt  faire 
ung  amy.  En  ceste  exlrcsme  poine,  il  estoyt  venu  se  résouldre  à 
ung  sort  quelconque  en  se  pourmenant.  Doncques  pour  ce  que, 
en  cetluy  pciisier,  il  avoyt  faict  rencontre  d'ung  homme  de  sens 
comme  le  chevalier  luy  avoyt  prouvé  estre,  il  luy  prouposoyt  de 
s'unir  en  frères,  lui  ouvroyt  sa  bourse,  luy  bailloyt  son  palais 
pour  séiour;  ils  iroyent  tous  deux  de  compaignie  aux  honneurs 
à  travers  les  plaisirs  sans  se  réserver  aulcun  pensier,  et  s'entre- 
ayderoyent  en  toute  occunence  conmie  fières  d'armes  en  la  croi- 
sade; ores,  veu  que  luv  Fiaiiçoys  (jncioU  fortune  et  recpieroyt 
assistance,  luv  Vénitien  cuydoyt  ne  jtoiul  estre  rebuté  en  ceste 
offre  de  mutuel  resconforl. 

r —  Encores  que  ie  n'aye  nul  hesding  d  aulcun  ayde,  feit  le 


M8 


CONTES  DROLATIQUES. 


Françoys,  pour  ce  (|iu'  io  me  fie  en  uii|i  jioinct  qui  me  baillera 
loul  ce  que  ie  soubliaile,  ie  veul.v  lecoiiiioistre  voslre  courtoisie, 
cliier  clievalier  Pc/are.  Vous  verrez  que  vous  serez  tosl  l'obligé 
du  chevalier  Gautlier  de  Montsoreau,  gentilhomme  du  doulx 
pays  de  Touraine. 

—  Possédez-vous  aulcune  reli((|ue  en  laquelle  réside  vostre 
heur?  feil  le  Vénitien. 

—  l'ng  talisman  baillé  par  ma  bonne  mère,  l'eit  le  Tourangeau, 
avecques  lequel  se  bastissentetse  desmolissent  aussy  leschasteaulx 
et  citez,  ung  martel  à  battre  monnoyes,  ung  remède  à  guarrir  tous 
maulx,  ung  baston  de  voyaige  qui  se  met  en  gaige  et  vault  moult 
au  jirest,  ung  maisirc  oulil  ([ni  opère  des  merveilleuses cizeleures 
en  toutes  foiges  sans  v  l'aire  aulcun  bruict. 

—  Hé!  par  sainct  Marc!  vous  avez  ung  mystère  en  vostre 
haubert. 

—  Non,  l'eit  le  chevalier  l'i'ançoys,  ce  est  une  chouse  trez  natu- 
relle, et  que  vécy. 

Soubdain,  en  ?e  levant  de  table  pour  soy  mettre  au  lict,  Gaul- 
tier monstra  le  plus  bel  oulil  à  l'aire  la  ioye  que  le  Vénitien 
eusl  oncques  veu. 

—  Cecy^  dit  le  Françoys  alors  que  tous  deux  se  concilièrent  de- 
dans le  lict  suyvanl  les  coustumcs  de  cetluy  temps,  aplanit  tous 
obstacles,  en  se  re'idant  maistre  des  cueurs  léminins,  et,  veu 
que  les  dames  sont  roynes  en  ceslc  Court,  vostre  amy  Gaultier 
y  régnera  tost. 

Le  Vénitien  demoura  dans  ung  maieur  estomirement  à  la  vcue 
des  beaullez  absconc(ïs  dudict  Gaultier,  qui  de  l'aict  avoyt  esté 
merveilleusement  bien  estably  pai'  sa  mère  et  peut-estre  aussy 
par  son  père,  et  debvoyt  par  ainsy  triunq)her  de  tout,  veu  que 
se  ioingnoyt  à  ceste  perl'ection  de  cor- 
porence  ung  esperit  de  ieune  paige  et 
une  saigessede  viculx  diable.  Adoncques 
ils  se  iurèrent  ung  parlaicl  conlpaignon- 
naige,  y  comptant  jKtnr  rien  ung  cueur 
de  l'emme,  se  iurant  d'estre  ung  seul  et 
mesme  j)ensier,  comme  si  leurs  testes 
l'eussent  chaussées  d'ung  mesme  mor- 
tier, et  (Idrmiicnt  dessus  le  mesme  aureiller.  trcz-eiirliantez  de 
ceste  Iratei-nité.  Ce  estoyl  ainsv  cpie  se  passovent  les  chouses  en 
celluy  temps. 


LA   FORTINK   EST  TOrsiOIIlS  FI-MI'I.f,E. 


r.iO 


Lendemain,  le  Vénitien  linilla  nng  beau  genest  à  son  amy 
Gaultier,  item  une  auinosnière  j)l<'ine  de  hezans,  fines  chausses 
de  soye,  pourpoinct  de  veloux  pavfilé  d'or,  mantel  brodé,  lesquels 
vestemens  reliaulsèrent  sa  bonne  mine  et  mirent  ses  beaulto/ 
tant  en  lumière,  (pie  le,  Veiiilieii  iugea  que  il  emboiseroyt  toutes 
les  dames.  Ses  serviteurs  reeenrent  l'ordre  d'obi-ir  à  ce  riaiitti<'r 
comme  à  luy-mesme,  si  bien  (jne  ces  dicts  serviteurs  cuydèrent 
leur  maistre  avoir  esté  à  la  pesche  et  avoir  prius  ce  Françoys. 
Pais  les  deux  amys  feirent  leur  entrée  au  dict  Palerme,  à  l'heure 
où  le  prince  et  la  princesse  se  pourmenoyent.  Pezare  présenta 
glorieusement  son  amy  le  Françoys  en  vantant  ses  nK-rites,  et 
luy  moyenna  si  gracieux  accueil,  que  LeulVoid  le  retint  à  souper. 
Le  chevalier  françoys  observa  la  Court  d'ung  preude  œil,  et  v 
descouvrit  ung  nombre  infiny  de  curieuses  menées.  Si  le  Rov 
estoyt  ung  vaillant  et  beau  jjriiu-e,  la  princesse  estovt  une  Iles- 
paignole  de  haulte  tempi'ialure  la  })lusl)elle  et  la  plus  digne  de 
sa  Court,  ains  ung  petit  nit-lancholisée.  A  ceste  veue,  le  Touran- 
geau existima  que  elle  es- 
toyt petitement  servie  par 
le  Uoy,  pour  ce  (pie  la 
loy  de  Touraine  est  que 
la  ioye  du  visaige  vient 
de  la  ioye  de  i'aultre. 
Pezare  indicqua  Irez  es- 
raument  à  son  amy  Gaut- 
tier  plusieurs  dames  aux- 
(juelles  Leulroid  se  [)res- 
tovtcomplaisamment,les- 
{pielles  ialousoyent  fort  et 
faisoyent  assault  à  ([ui  l'au- 
l'dvt,  en  ung  touriioy  di; 
guallanteries  et  merveil- 
leuses inventions  femel- 
les. De  tout  cecy  l'eut  con- 
clud  par  Gaultier  que  le 
prince  paillardoyt  moult 
eu  sa  Court,  eiicores  (pie 
il  eiist  la  [)lus  belle  femme 
du  monde,  et  s'occupoyt  à  douaner  toutes  les  dames  de  Sicile, 
à  ceste  fin  de  placer  son  cheval  en  leurs  escuyeries,  luy  varier 


loO 


CONTINS   DROLATIOCFS. 


son  foiirraigo,  ol  co^^noislro  les  lassons  t]o  cliovanlcliior  de 
tont  pays.  Voyant  «piel  train  nienoyt  LeulVoid,  le  sire  de  Mont- 
soreau,  seur  que  nul  en  ceste  Court  n'avoyt  eu  le  eueur  d'es- 
clairer  ceste  Royne,  se  délibéra  planter  déprime  volte  sa  hampe 
dedans  le  champ  de  la  belle  llespaignole  parung  maistrecoup. 
Vécv  comme.  Au  souper,  pour  l'aire  la  courtoisie  au  chevalier 
estrange,  le  Roy  eut  cure  de  le  placer  auj)rès  de  la  Royne,  à 
hujuelle  preux  Gaultier  bailla  le  jioing  pour  aller  en  la  salle,  et 
la  mena  irez  esraument  pour  prendre  du  champ  sur  ceulx  qui 
suvvovent,  à  ceste  fin  de  luy  dire  en  prime  abord  ung  mot  des 
matières  qui  plaisent  tousiours  aux  daines,  en  quelque  condi- 
tion que  elles  sovent.  Imaginez  (juel  l'eut  ce  proupus  et  combien 
il  allovt  roide  à  travers  les  choux  dedans  le  buisson  ardent  de 
l'amour. 

—  le  sçays,  madame  la  Royne,  la  raison  pour  la(juelle  blesmit 
Yostre  tainct. 

—  Quelle?  feit-elle. 

Vous  estes  si  belle  à  chevaulchier,  que  le  Roy  vous  chevaul- 
che  nuict  et  iour  :  par  ainsy,  vous  abusez  de  vos  advantaiges, 
car  il  mourra  d'amour. 

—  Que  doibs-ie  l'aire  pour  le  juaintenir  en  vie?  feit  la  Royne. 

—  Luv  delTeiulie  l'adoration  de  vostie  autel  au  delà  de  trois 
orcmus  par  iour. 

—  Vous  voulez  rire  selon  la  méthode  l'rançovse,  sire  chevalier, 


vcii  (pic  Ir  liov  me  lia  dicl  qm-  le  plus  de  ces  oraisonscsloyt  ung 
sinqilr  l*(iler  par  scpmaine  souliz  pdiiic  dr  iiioit. 


LA  FORTIJNI']   EST  TOISIOCUS   FlvMELLK.  TmI 

—  Vous  estes  lni|)li('e  l'cil  (iiiiilticr  en  S(;  séant  à  taolo  ;  ic 
puis  vous  déinoiistier  ([ue  l'amour  (loil)t  dire  la  messe,  les  ves- 
pres  et  coniplies,  puis  un  Ave  de  temps  à  aultre  pour  les  roynes 
conmie  pour  les  simples  femmes,  et  faire  cet  office  par  uiig 
chascun  iour  comme  religieux  en  leurs  mousticrs,  avecques  fer- 
veur; ains,  pour  vous,  ces  belles  litanies  ne  sçauroyent  finer. 

LaRoynegecta  sur  le  beau  elievalier  l'ianroys  ung  coup  d'oeil 
non  irrité,  luy  soubrit  et  boscba  la  teste. 

—  En  cecy,  feit-elle,  les  bommes  sont  des  grans  menteurs. 

—  le  porte  une  grant  vérité  que  ie  vous  monstreray  à  vos 
.soubhaits,  respondit   le  cbi'valier.  le  me  iactc  de  vous  bailler 

cbicre  de  royne  et  vous  mettre  à  plein  foin  dedans  la  ioye;  par 
ainsy,  vous  réparerez  le  temps  perdu,  d'autant  (|ue  le  Roy  se 
est  ruync  pour  d'aultres  dames,  tandis  (jue  ie  réserveray  mes 
advantaiges  pour  vostre  service. 

—  Et  si  le  Roy  seayt  nostre  accord,  il  vous  mettra  la  teste 
au  rez  de  vos  pieds. 

—  Encores  (juc  ceste  maie  beure  m'advinst  apiès  une  prime 
nuictée,  ie  cuyderoys  avoir  vescu  cent  années  pour  la  ioye  que 
ie  auroys  prinse,  pour  ce  que  oncques  n'ay  veu,  après  avoir  veu 
toutes  les  Courts,  nulle  }»rinc.esse  qui  })uisse  vous  estre  équi- 
poUée  en  beaullé.  Pour  estre  brief  en  cecy,  si  ie  ne  meurs  par 
l'espée,  ie  mourray  par  vostre  faict,  V(!U  que  ie  suis  résolu  de 
despendre  ma  vie  en  nostre  amoui',  si  la  vie  s'en  va  par  oii  elle 
se  donne. 

Oncques  ceste  Royne  n'avoyt  entendu  pareil  discours,  et  en 
feut  aise  plus  (jue  d'escouter  la  messe  la  mieulx  cbantée;  il  y 
parut  à  son  visaige,  qui  devint  pourpre,  pour  ce  que  ces  paroles 
luy  feirent  bouillonner  le  sangez  veines,  tant  que  les  cbordesde 
son  luth  s'en  esmeurent  et  luy  sonnèrent  ung  accord  de  liaulte 
gamme  iuscjues  en  ses  aureilles,  veu  que  ce  lutli  emplit  de  ses 
sons  l'entendement  et  le  corps  des  dames  par  un  Irez  gentil  arti- 
lice  de  leur  résonnante  nature.  Quelle  raige  d'estre  ieune,  belle, 
loyne,  Ilespaignole  et  abusée  !  ElleConceut  ung  mortel  desdaing 
pour  ceulx  de  sa  Court  qui  avoyent  eu  les  lèvres  closes  sur  ceste 
traislriseen  paour  du  Roy,  et  délibéia  soy  venger  à  l'aydede  ce 
beau  Franeoys  (pii  avoyt  tel  noncbaloir  de  la  vie,  que  en  son 
Itrime  discours  il  la  iouoyt  sans  md  soulcy  en  tenant  à  une  rovne 
ung  proupos  (jui  valoyt  la  moit,  si  elle  faisoU  S(»n  debvoir.  Au 
contraire,  elle  luy  opprima  le  pied  en  y  boutant  le  sien  d'une 


552  CONTES  DROLATIQUES. 

fassoii  non  L'uuivoctjuc  el  liiy  disant  à  liaultc  voix  :  —  Sire  (-lic- 
valier,  changeons  de  matière,  veu  (jiie  ce  est  mal  à  vons  d'atta- 
quer mie  paouvre  Royne  en  son  endroict  foijjlo.  Dictes-nous  les 
usaiges  des  dames  de  la  Court  de  France. 

Par  ainsy,  le  sire  receut  le  mignon  advis  que  l'alVaire  estoyt 
dans  le  sac.  Lors  il  commença  nng  déduict  de  chouses  folles  et 
plaisantes,  fjui  durant  le  souper  tindrent  la  l^.ourt,  le  Roy,  la 
Rovne,  tous  les  courlizans,  en  gayelé  do  cueur,  si  bien  (jue,  en 
levant  le  siège,  LeulVoid  dit  ne  avoir  oncques  tant  ioqueté.  Puis 
dévallèrent  ez  iardins  qui  esloycnt  les  plus  bcaulx  du  monde,  et 
où  la  Royne  prétexta  des  dires  du  chevalier  estrangc  pour  se 
pourmener  souljz  un  hos(j  d'orangiers  lloris  qui  sentoyent  ung 
haulme  souef. 

—  Belle  et  noble  Royne,  dit  dès  l'abord  le  bon  Gaultier,  i'ay 
veu  en  tout  pays  la  cause  des  perditions  amoureuses  gésir  dedans 
les  primes  soings  que  nous  nommons  la  (courtoisie  ;  si  vous  avez 
fiance  en  moy,  accordons-nous  en  gens  de  haulte  compréhension 
à  nous  aynier  sans  y  bouler  tant  de  maies  fassons  ;  par  ainsy, 
nul  soupçon  n'en  esclatlera  dehors,  nous  serons  heureux  sans 
dangier  et  long-temps.  Ainsy  doibvent  laire  les  roynes  soubz  poine 
d'estre  empeschiées. 

—  Rien  dict,  l'eit-elle.  Ains,  comme  ie  suis  iieulVe  en  cettuy 
mestiei',  ie  ne  sçays  a[>presler  les  Ihistes. 

—  Avez-vous  entre  vos  ienimes  une  en  la(jiieile  vous  pouvez 
avoir  grant  iiance? 

—  Oui,  l'eit-clle.  I'ay  mie  lemme  advenue  d'IIespaigne  avec- 
ques  moy,  hujuelle  se  bouteroyt  sur  ung  gril  pour  moi,  comme 
sainct  Laurent  l'ha  faiel  jiour  Dieu,  ains  est  tousioms  maladilVe. 

—  Bon,  l'eit  le  gentil  eonipagnon,  pour  ce  (jUc  vous  l'allez 
veoir. 

—  Oui,  dit  la  Royne.  el  auleunes  lois  la  nuiet. 

—  lia!  leit  (îauttier,  ie  lais  vœu  à  suincte  Rosalie  palmmie 
(le  la  Sicile,  de  ung  autel  d'or  j»our  ccsic  l'ortune. 

—  lésus,  l'eit  la  Royiic,  ie  suis  doiiitleiiicnl  heureuse  de  ce 
que  si  gentil  amant  ayt  huit  de  religion. 

—  Haï  ma  chière  dame,  i'en  ay  deux  auioiird'hui,  pour  co 
que  i'ay  h  aymer  une  royne  dedans  h^s  cieux  et  une  aultre  icy- 
has,  lesquels  amoins  ne  se  InnI,  par  heur,  nul  lort  l'img  à 
l'aultre. 

Ce  proupos  si  doux  attendrit  la  Rowie  oultrc  inesuie,  et  pour 


Puis  dévallèrcnt  cz  jardins  (pii  estoyeiit  les  plus  boauix  du  mondn,  pt  où 
la  lioync  prélcxla  des  dires  du  ihovalicr  e^llauJ;e  pour  se  pourmener 
£uu|jz  uiig  bosq  d'orangiers  lloris  «jui  scnloyenl  uug  bauliuc  souef. 

47 


iiiji  CONTES  DROLATIQUES. 

ung  lion  se  reust  enfuie   avcc({ues  ce  Franeoys   si   desgourd. 

—  La  Yierge  Marie  est  bien  puissante  au  ciel,  l'eil  la  Uoyne; 
lasse  raniour  que  ie  le  sois  comme  elle  ! 

—  Bah!  ils  devisent  de  la  Vierge  Marie,  l'eit  le  Roy,  (jui  par 
adventure  estovt  venu  les  espier,  esmeu  par  un  ti-aict  de  ialousic 
gecté  en  son  cueur  par  ung  courtizan  de  Sicile,  furieux  de  la 
faveur  subite  de  ce  dannié  Franeoys. 

La  Rovne  et  le  chevalier  prindrent  leurs  mesures,  et  tout  feut 
subtilement  estably  i)our  emplumaiger  le  morion  du  lloy  d'orne- 
niens  invisibles.  Le  Franeoys  reioignit  la  Court,  plut  à  tous  et 
retourna  dedans  le  palais  de  Pezare,  auquel  il  dit  que  leurs  for- 
tunes estoyent  faicles,  pour  ce  (jue  lendemain,  en  la  nuict,  il 
coucheroyt  avecques  la  Royne.  Geste  traisnée  si  rapide  esblônyt  le 
Vénitien,  lequel  en  bon  amy  s'inquiéta  des  senteurs  fines,  toiles 
de  Brabant  et  aultres  vestemens  prétieux  à  l'usaige  des  roynes, 
desquels  il  arma  son  chier  Gaultier,  à  ceste  fin  que  la  boële  feust 
digne  de  la  drogue. 

—  0  amy  !  dis-tu,  es-tu  seur  de  ne  point  broncbier,  d'y  aller 
dru,  de  bien  servir  la  Royne  et  luy  donner  de  telles  festes  en  son 
chasteau  de  Gallardin,  que  elle  s'accroche  à  iamais  à  cettuy 
maistre  baston,  comme  naufiagiez  à  leurs  ])lanclies? 

—  Ores  çà,  ne  crains  rien,  cliier  Pezare,  pour  ce  que  i'ay  les 
arrérages  de  voyaige,  et  ie  la  ({uenouilleray  à  chiens  renfermez, 
comme  simple  servante,  en  luy  monstrant  tous  les  usaiges  des 
dames  de  ïouraine,  qui  seavent  l'amour  mieulx  que  toutes  aul- 
tres, pour  ce  que  elles  le  font,  le  refont  et  le  deffont  pour  le 
refaire,  et,  l'ayant  refaicl,  le  font  lousiours,  et  n'ont  aultie  cliouse 
à  faire  que  ceste  cliouse,  (jui  veut  tousiours  estre  faicte.  Ores, 
accordons-nous.  Yécy  connue  nous  aurons  le  gouvernement  de 
ceste  islc,  le  tiendray  la  Royne,  et  toy  le  Roy  ;  nous  louerons  la 
comédie  d'estre  grans  ennemys  aux  yeulx  des  courtizans,  à  ceste 
lin  (le  les  diviser  en  deux  parts  soubz  noslre  connnandement,  et 
à  l'insceu  de  tous,  nous  demourerons  ainys  ;  par  ainsy  nous  seau- 
rons  leurs  trames,  et  les  désiouerons,  toy  en  prestant  l'aureilic 
à  mai  ennemys,  et  moy  aux  tiens.  Doncqucs,  à  quelques  iours 
d'huy,  nous  sinnderons  une  noise  |)onr  nous  bender  l'ung  contre 
l'aullre.  Celle  castillc  aura  |)our  cause  la  faveur  en  hupielle  ie 
tf  bouteray  dedans  l'esjjerit  du  Roy  [lar  le  canal  de  la  Uoyne, 
ln|ucl  le  baillera  le  su|)resme  pouvoir,  à  mon  dam. 

Lendemain,  le  bon  Gaultier  se  coula  chez  la  dame  hespaignolc, 


l\   FORTUNE  EST  TOrsiOURS  FEMELLE.  i\:\ii 

que  dovani  los  coiuiizans  il  rocognonlpoiir  l'avoir  veiio  nioiill.  on 
llosj)aigno,  et  il  y  deiiiouni  sept  iours  entiers,  Coiunie  ung  (^liascun 
pense,  le  Tourangeau  servit  la  Royne  en  feinnie  ayniéc  et  luy 
îeit  veoir  tant  de  pays  ineoyneus  en  amours,  lassons  Iranrovses, 
tourdions,  gonlillesses,  rescord'orts,  (pie  elle  jaillit  en  devenir  folle 
et  lura  que  les  Franeoys  s(,'avoyent  seuls  laire  l'amour.  Voilà  com- 
ment l'eut  puny  le  Roy,  (pii,  pour  la  maintenir  saigc,  avoytiaict 
des  gerbes  de  leurre  dedans  cesle  iolie  grange  d'amour.  Ce  fes- 
lovenient  supernalurel  toucliia  si  loi'l  la  ISoyne,  (pie  elIeCeit  vœu 
d'amour  ('terne  au  Iton  Montsoreaii,  (pii  l'avoit  esvcigh-e,  en  luy 
descouviaiit  les  Iriandisesdu  (h-duict.  H  l'eut  convenu  (pie  la  dame 
liespaignole  auroyt  cuied'estrc  tousiours  malade,  et  (pie  le  seul 
liommc  à  ([ui  les  deux  amans  se  fieroyent  seroyt  le  niaistre  myre 
de  la  Court,  qui  aimoyt  moult  la  Royne.  Par  adventure,  ce  myre 
posst'doyt  en  sa  glotte  cliordes  pareilles  en  tout  poinctà  celles  de 
Gauttier,  en  sorte  que  par  ung  ieu  de  nature  ils  avoyent  mesme 
voix,  ce  dont  s'estomiroit  la  Royne.  Le  maistre  myre  l'eit  serment 
sur  sa  vie  de  servir  fidellement  ce  ioly  couple,  veu  que  il  dé- 
j)louroyt  le  triste  abandon  de  ceste  belle  femme,  et  feut  aise  de 
la  sçavoir  servie  en  Royne  ;  cîis  rare. 

Le  mois  esclieu,  les  eliouses  all^u'ent  au  soubliait  des  deux 
amys,  qui  fabricquoyent  les  engins  tendus  par  la  Royne,  à  ceste 
fin  de  remettre  le  gouvernement  de  Sicile  ez  mains  de  Pezare 
h  rencontre  de  Montsoreau,  que  aymoit  le  Roy  pour  sa  grant 
science  ;  ains  la  Royne  s'y  reffusoyt  en  disant  le  liaïr  moult,  pour 
ce  que  il  n'estoyt  nullement  guallant.  Leufioid  congt-dia  le  duc 
de  Cataneo,  son  principal  serviteur,  et  mit  à  sa  place  le  che- 
valier Pezare.  Le  Vénitien  n'eut  cure  de  son  amy  le  Françoys. 
Lors  Gauttier  esclatta,  criant  à  latraistrise  et  à  la  saincte  amitié 
mescogneue,  et  du  })rime  coup  eut  à  sa  di'votion  Cataneo  et  ses 
amys,avec(pies  les(juels  il  l'eit  ung  pacte  pour  renverser  Pezare. 
Aussytosten  sa  charge,  le  Vénitien,  (jui  estoyt  un  homme  subtil 
et  trez-idoyne  au  gouvernement  des  Estais,  ce  ipii  est  le  propre 
de  messieurs  de  Venise,  o|i('ra 
merveilles  en  Si(ùle,  raccom- 
moda les  ports,  y  convia  les 
merchans  par  franchises  de 
son  invention  et  par  aulcunes 
facilitez,  feit  gaigner  la  vie  à 
numbre  depaouvres  gens,  attira  des  artizans  de  tout  meslier,  pour 


5o6 


COMFS    riP.OLATIOUES. 


ce  que  les  Testes  abiindèrent ,  et  aiissy  les  oizifs  et  riches  de  tous 
oostez,  voire  d'Orient.  Par  aiusv,  les  moissons,  l)iens  de  la  terre  et 
auitres  merceries  fenrent  en  vogue,  les  galères  et  naufs  vindrent 
d'Asie,  ce  qui  feit  le  Roy  trez  envie  et  le  plus  heureux  roy  du 
monde  chrestien,  pour  ce(piepai'  ce  train  des  ehouses  sa  Court 
l'eut  la  plus  en  renom  ez  pays  d'Europe.  Geste  belle  politicque  l'eut 
engendrée  par  l'accord  parfaict  de  deux  hommes  (jui  s'enten- 
doyent  moult.  L'ung  avoyt  cure  des  plaisirs  et  faisoyt  luy-mesme 
les  (l('lices  de  la  Royne,  laquelle  se  produisoyt  touiours  le  visaige 
guay,  pour  ce  que  elle  estoyt  servie  à  la 
méthode  de  Touraine  et  animoyt  tout  du 
feu  de  son  heur;  puis  il  veigloyt  à  tenir 
aussy  le  Roy  en  ioye  en  luy  cherchant 
iiiaisti esses  nouvelles  et  le  gectant  en 
inilh-  amusemens  ;  aussy  le  Roy  s'esto- 
mirovl-il  île  la  complaisance  de  la  Royne, 
à  laquelle,  depuis  l'abord  en  cesle  isle  du 
siic  de  Monlsoreau,  il  ne  touchioyt  pas 
jiius  (|u'un  iuiC  ne  touche  à  lard.  Ainsy 
occupez,  la  Royne  et  le  Royahandonnoyent 
lesoing  de  leur  royaulme  à  l'aultreamy, 
qui  l'aisoyt  lesatïaires  du  gouvernement, 
oidonnoyt  lesestablissemens,  tailloyt  les 
hnances,  menant  roide  les  gens  de  guerre 
et  tout  Irez-bien,  saichantoîi  esloyent  les 
deniers,  les  amenant  au  threzor,  et  pré- 
parant les  grans  enqjrinses  dessus  dicls. 
Ce  bel  nccoi'd  dura  trois  années,  aulcuns  disent  quatre,  ains 
les  moynes  de  Sainct-Renoist  ne  grabelèrent  j)oint  cesle  date, 
la(|uelle  demoure  obscure  autant  que  les  laisons  de  la  noise  des 
deux  amys.  Verisimilement  le  Vénitien  eut  la  baulle  and)ili()ii 
de  régner  sans  aulcun  controole  ne  contc^ste,  et  n'eut  j)uinl  la 
remembrance  des  services  que  luy  rendoyt  leFrançoys.  Ainsy  se 
comportent  lez  hommes  ez  Courts,  veu  que,  suyvani  ungdirede 
messire  Arislotidcs  en  ses  (ciivres,  ce  (pii  vieillit  le  plus  esrau- 
mcnt  en  ce  monde  est  ung  biciMaicI,  (|Uoi(pie  l'amour  estaincl 
soit  aulcunes  l'ois  bien  rance.  Doncipies,  se  liant  en  la  parl'aicte 
amilié  de  Leufroid,  (|ui  le  iu)mmoyt  son  compère  et  l'custhouli' 
en  sa  chemise,  s'il  l'eiist  voulu,  h-  Vénitien  conceut  de  se  delfaire 
de  son  amy  en  livrant  au  Rov  le  nusière  de  son  coc(|uaige  et 


LA   FORTUNE  EST  TOIISIOURS  FEMELLE. 


oiyj 


luy  (lescouviaiil  coimm'iil  se  piiifiloyl  le  lionliciii-  de  lu  Rovno, 
nfi  (loiiljtant  |ioiiil  (\\w  LciitVoid  ne  loiimiciiçast  jjar  trcii(li<!r  la 
teste  an  siie  de  Moiilsoieau,  siiyvant  une  pru- 
licqucen  usai;2e  dedans  la  Sicile  j)ourcesprocez. 
Parainsy  bon  Pezare  auroyt  tous  les  deniers  que 
Gauttier  et  luy  convoyoyent  sans  bruit  en  la 
maison  d'ung  Lonibanlde  Gesnes,  lesquels  de- 
niers estoyent  en  eoniniun  par  suytc  de  leur 
iVaternité.  Ce  tbrezor  "rossissovt  moult  d'unii 
costé  par  les  présens  de  la  Koyne,  trez  magni- 
fique avec  le  sire  de  Montsoreau,  ayant  à 
elle  de  grans  domaines  en  Ilespaigne  et  aulenns 
par  liéritaige  en  Italie,  de  l'aullre  [)ar  les  giier- 
dons  du  Hoy  à  son  bon  ministre,  au(|uel  il 
bailloyt  aulcuns  droicts  sur  les  merclians  et 
aultres  menus  suflraiges.  Le  traistre  amy  délibéré  d'estrc  lésion, 
eut  cure  de  bien  viser  ce  garrot  au  cueur  de  Gauttier,  pour  ce 


que  le  Tourangeau  cstoyt  ung  liomnie  à  vendre  le  plus  fin. 
Doncqucs,  en  une  nuiel  où  j'ezarc  sçavoyt  la  Hovne  couebiée 
avecques  son  amant,  lecpiel  l'aymoyt  comme  si  cbaque  nuictée 
feust  une  prime  nuict  de  iiopces,  tant  elle  estoyt  babile  au 
déduict,  le  traistre  promit  au  Roy  luy  faire  veoir  l'évidence  du 
cas  par  ung  trou  mesnaigié  dans  ung  buys  de  la  guarde- 
robe  de  la  dame  liespaignole,  laquelle  laisoyt  estât  d'estre  tous- 
iours  en  dangier  de  mourir,  i'onr  mieulx  y  veoir.  Pezare 
attendit  le  lever  du  soleil.  La  dame  bespaignole,  laquelle  avoyt 
bon  pied,  bon  œil  et  bouche  à  sentir  le  mors,  escouta  des  pas, 
tendit  son  museau,  et  veit  le  Roy,  suyvy  du  Vénitien,  par  ung 
croisillon  du  bouge  où  elle  dormoyt  durant  les  nuiets  que  la 
Uuyne  avoyt  son  amy  entre  deux  toiles,  ce  qui  est  la  meilleuie 
méthode  d'avoir  ung  amy.  Elle  accourut  atlverlir  le  couple  de 

47. 


5o8  CONTES  DROIATIQUES. 

ceste  trahison.  Ains  le  Uoy  avoyt  ià  l'œil  au  inauldict  trou.  Lcii- 
IVoid  voit,  ({uoi?  coste  hcllo  ol  divine  lanloi'no  (|ui  hnislo  tant 
d'Iniiloctosciairc  loinondo.lanlornoaorni'c  dos  plus  inaj^riilicijuos 
fanlVoluclies  et  froz  Ihunbante,  la(juoilo  il  trouva  plus  plaisante 
quo  toutes  les  aulties.  pour  ce  que  il  l'avoyt  si  bien  jiordue  de 
voue,  que  ollo  luv  parut  noufve:  ains  le  trou  luy  delïondit  veoir 
aulfre  cliouso  (ju'uno  main  dlionnno  cpii  oloistroyt  pudiequement 
ceslo  lanterne,  et  enlondil  la  voix  do  Moiilsoroau  disant  :  «  Com- 
ment va  ce  mignon  ce  matin?  »  Parole  ibiastre,  connne  en 
disent  les  amans  en  ioc(juetant,  pour  ce  que  ceste  lantei'nc  est, 
vère,  HU  tous  pavs,  le  soleil  de  l'amour,  et  pour  ce  luy  donnent 
mille  nom^wntilsonrcMiuiparant  aux  plus  hollos  cliouses,  comme 
ma  grenade,  nia  loso,  ma  coquille,  mon  hérisson,  mou  yolphe 
d'amour,  mon  threzor,  mon  maistre,  mon  petiot  :  aulcuns  osent 
dire  trez  hereticquement:  mon  dieu!  hdbrmez-vous  à  plusieurs 
si  vous  ne  croyez. 

—  Kn  ceste  coniuncture,  la  dame  i'eil  entendre  par  ung  signe 
(pie  le  Roy  esloyt  là. 

—  Escoule-t-il?  l'oit  la  Royne. 

—  Oui. 

—  Veoit-il  ? 

—  Oui. 

—  Qui  l'a  conduict'? 

—  Pczare. 

—  FaismonterlemyreetmusscGanttierchezluy,  feit  la  Royne. 

Durant    le    temps    que    ung 

paouvre  auroyt  dit  sa  chanson, 
la  Royne  ond)eholiua  la  lanterne 
d(!  linges  et  onduiets  coulourez, 
on  sorte  (pic  vous  eussiez  cnydcî 
(pie  il  y  oust  playe  horrible  et 
grielVos  inllammalions.  Lors  que 
le  {{oy,  mis  eu  rai^e  par  ceste 
parole,  et'Iondra  la  porte, il  trouva 
la  Royne  esteiidue  sur  le  lict  au 
iiiesme  cndioict  oi'i  il  l'avovt 
\(iie  par  le  Iroii,  |)uis  le  maistre 
myre,  le  nez  et  la  main  dessus 
la  lanterne  ondx^ixdim'e  (h;  itandottes,  disant  ;  ((  (a)umicnl  va  eo 
mignon,  ce  malin  7  »  en  mesme  note  de  voix  que  le  bon  Roy  avoyt 


LA  FORTUNE  EST  TOUSIOURS  FEMELLE.         5o9 

ouye.  Parole  monlt  plaisante  cl.  riouse,  pour  ce  que  les  pliysicians 
et  maistres  myres  usent  de  paroles  byssines  avpcques  les  dames, 
et,  en  traictant  ceste  lumineuse  ileur,  florissent  leurs  mots.  Geste 
veue  leit  le  Roy  quinauld  eonime  ung  regnanl  piins  au  |»i<'ge.  La 
Hoyne  se  dressa  toute  rouge  de  honte,  eiiant  (jucl  lioninic  estovt 
assez  osé  pour  venir  à  ceste  heure;  ains,  voyant  k'  l'ioy,  elle 
tint  ce  languaige  : 

—  lia  !  mon  sieur,  vous  descouvrez  ce  cpie  ie  avoys  cure  de 
vous  cacher,  feit-elle,  à  sçavoir,  que  ie  suis  si  pefitenient  servie 
par  vous,  que  ie  suis  affligée  d'ung  ardent  mal  duijucl  ie  n'ose  me 
plaindre  par  dignité,  ains  (jui  veult  de  secrets  pansements  à  ceste 
find'estaindre  la  vive  alfluence  des  esperits  vitaulx.  Poursaulver 
mon  honneur  et  le  vostre,  ie  suis  conti'aincte  à  venir  chez  ma 
bonne  doua  Miraflor,  (pii  se  preste  à  mes  douleurs. 

Sur  ce,  le  myrc  feit  à  Leui'roy  une  coneion  lardée  de  citations 
latines,  triées  comme  graines  prétieusos  dans  Hi|)pocrate,  Galien, 
l'eschole  de  Salerne  et  aultres,  en  laquelle  il  luy  d(?monstra  com- 
bien grave  estoyt  chez  la  femme  la  iachère  du  champ  de  Vénus, 
et  que  il  y  avoyt  dangier  de  mort  pour  les  roynescompicxionnées 
à  l'hespaignole,  les(|uelles  avoyent  le  sang  trez  amoureux.  11 
déduisit  ces  raisons  avec  solemnité,  tenant  sa  barbe  droite  et  sa 
langue  trez  longue,  a  ceste  fin  de  laisser  au  sire  de  Montsoreau  le 
loisir  de  gaigner  son  lict.  Puis  la  lloyne  print  ce  texte  pour  des- 
gluber  au  Roy  des  discours  longs  d'une  palme,  et  requit  son  bras, 
soubz  prétexte  de  laisser  la  paouvre  malade,  qui  d'ordinaiii!  la 
reconduisoyt  pour  éviter  les  calumnies.  Alors  que  ils  feurent 
dans  la  gallerie  où  le  sire  de  Montsoreau  logioyt,  la  Royne  dit 
en  iocquetant  :  —  Vous  debvriez  iouer  quelque  bon  tour  à  ce 
Françovs,  qui,  ie  gaige,  est  sans  doubte  aulcun  avecques  une 
dame  et  non  chez  luy.  Toutes  celles  de  la  Court  en  ratTolent,  et 
il  y  aura  des  castilles  pour  luy.  Si  vous  aviez  suyvy  mon  advis, 
il  eust  esté  hors  la  Sicile. 

Ijcufroid  entra  soubdain  chez  Gauttier,  qu'il  treuva  dedans 
ungprofund  sonuneil,  etronflantcomme  ung  religieux  au  cIkimm'. 
La  Royne  revint  aveccjues  le  Roy,  (jue  ell(>  tint  chez  elle,  et  dit 
ung  mot  à  ung  guarde  pour  mander  le  seignenr  de  ([ui  i'ezare 
occupoyt  la  place.  Ores,  pendant  que  elle  amignottoyt  le  Roy 
en  desieunant  avecques  luy,  elle  print  à  part  ce  seigneur  quaiul 
il  feut  venu  en  la  salle  voisine. 

—  Klevez  une  potence  sur  un  bastion,  dit-elle  ;  allez  saisir 


5  GO 


CONTES  DROLATIOliES. 


le  seigneur  Pezaro,  ot  laicles  en   telle  sorte,  (jne  il  soit  pendu 
ineontinent.  sans  luv  laisser  le  loisir  d'escribre  un  mot,  ne  dire 


quoy  que  ce  soit.  Tel  est  nosire  bon  plaisir  et  commandement 
suprcsme. 

Cataneone  l'eli  ;iiil(iiii  (•onnnentaire.  Pendant  (}ue  le  chevalier 
Pezaro  pensoU  -i  paît  luv  (pie  son  aniy  Gauttier  se  voyoyt  tren- 
clicr  la  teste,  le  duc  Cataneo  vint  le  saisir  et  le  nu'ua  sur  le 
bastion,  d'où  il  veit  à  la  croisée  de  la  Koyno  le  sire  de  Montso- 
reau  en  compaignic  du  Moy,  de  la  Uoyne  et  des  courlizans,  et 
iugea  lors  que  cil  (pii  occupoyl  la  Uoyne  estoyt  miculx  partagié 
(pio  cil  qui  avovt  le  lloy. 

—  .Mitii  amy,  l'cil  la  llovne  à  son  espoux  en  lanicnant  à  la 
croisi'c,  vécy  ung  Iraislre  qui  iiiacliinoyt  de  vous  oster  co  cpie 
vous  possédez  de  plus  chier  au  monde,  cl  ie  vous  en  bailleray 
les  preuves  à  vos  soubhaits  quand  vous  aurez  le  loisir  de  les 
estudier. 

Montsoreau,  voyant  les  apprcsis  de  rexliesnie  ci'ii'nionie,  se 
gecla  aux  jtieds  du  l'i()v  |i(uu'  (ildeiiir  la  graace  de  celluy  (jui 
estoyt  son  emu'my  moi  ici,  ce  (Iniil  le  Hoy  l'eut  moult  esmcu. 

—  Sire  de  Montsoreau,  icil  la  Koyne  en  luy  monstrant  ung 
visaige  cliolèic,  estes-voiis  si  liardv  de  vous  opposer  à  nostre 
bon  plaisir? 


LA   FORTUNE  EST  TOI  SiniRS  FEMELLE.         oCI 

—  Vous  estes  ung  noble  chevalier,  (eit  le  Roy  en  relevant  le 
sire  de  Montsoreau,  ains  vous  ne  sravez  point  combien  le  Yen i lien 
vous  estoyt  contraire. 

Pezare  feut  Irez  délicatement  estranglé  entre  la  leste  et  les 
espaules,  ven  (|ii('  la  l'ioviic  dcinonstra  ses  trahisons  au  lh)y  en 
luv  l'aisanl  vi'rilicr  par  les  drclarations  d'uiig  Loinbaid  de  la  ville 
rénorniité  des  sommes  que  Pezare  avoyt  en  la  bancque  deGesnes, 
et  qui  l'eurent  abandonnées  à  Montsoreau. 

Geste  belle  et  noble  Royne  mourut  en  la  manière  escripte  en 
l'histoire  de  Sicile,  à  sçavoir,  des  suytes  d'une  couche  laborieuse 
oîi  elle  donna  le  iour  à  ung  fils  qui  IV-ulaussy  grant  homiueque 
malheureux  en  ses  emprinses.  Le  Roy  cuyda,  sur  l'adveu  du 
myre,  que  les  meschiel's  causez  par  le  sang  en  ceste  couche  pro- 
venoyent  de  la  trop  chaste  vie  de  la  Royne,  et,  s'imputant  à  crime 
la  mort  de  ceste  vertueuse  Hoyiie,  en  leit  pénitence  et  fonda 
l'ecclise  à  la  Madone,  cpii  est  une  des  plus  belles  de  la  ville  de 
Palerme.  Le  sire  de  Montsoreau,  tesmoing  de  la  douleur  du  Roy, 
luy  dit  que  alors  qu'ung  roy  faisoyt  venir  sa  royne  d'Hespaigne, 
il  debvovt  sçavoir  que  ceste  Royne  vouloyt  estre  mieulx  servie 
que  toute  aullre,  pour  ce  ([no  les  llespaignoles  estoyent  si  vifves, 
que  elles  comptoyent  pour  dix  femmes,  et  que,  s'il  vouloyt  une 
femme  pour  la  monstre  seulement,  il  debvoyt  la  tirer  du  nord 
d'Allemaigne,  où  les  fennnes  sont  Iresches.  Le  bon  chevalier 
revint  en  Touraine  encombré  de  biens,  et  y  vesquit  de  longs 
iours,  se  taisant  sur  son  heur  de  Sicile.  Il  y  retourna  pour  ayder 
le  fils  du  Roy  en  sa  principale  (Muprinse  sur  Naples,  et  laissa 
l'Italie,  quand  ce  ioli  prince  feul  navré,  connue  il  est  dit  en  la 
Ghronicque. 

Oultre les  haultes moialilcz contenues  en  la  rubricque decetluy 
Gonte,  oîi  il  est  dict  (pit>  la  fortune,  estant  femelle,  se  renge 
tousiours  du  cosié  des  dames,  et  (pie  les  honnncs  ont  bien  laisou 
de  les  bien  servir,  il  nous  démonstre  (pie  le  silence  entre  pour 
les  neufdixiesmes  dans  lasaigesse.  .Neantmoins  le  Moyne  aullieur 
decerécitinclineroytàen  tirer  cet  aullre  enseignement  non  moins 
docle,  (pie  rinterest,  (pii  faict  lant  d'amilicz.  les  delïaict  aussy. 
Ains  vous  eslirez  entre  ces  trois  versions  celle  (pii  concorde  à 
voslrc  enleiidenienl  et  besoin"  du  inonienl. 


LE    VIEUL\-l'All  -  CIIEMIMS. 


D'UNG  PAOUVRE  QUJ  AVoYT  NOM 

LE   VIEULX-PAII-CIIEMINS 


Le  vieulx  chronicfiueur  qui  ha  fourny  le  chanvre  pour  tisser  le 
présent  Conte  dict  avoir  esté  du  temps  où  se  passa  le  faict  en  hi 
cité  de  Rouen,  hupielle  l'a  consigné  en  ses  layettes.  Ez  environs 
de  ceste  belle  ville  où  denieuroyt  lors  le  duc  Richard,  souloyt 
gueuzer  nng  bon  honnne  ayant  nom  Tryballol,  ainsau<[ui'l  l'eut 
baillé  le  snrnom  de  Vieulx-[)ar-chemins,  non  pour  ce  ((ue  il  cstoyt 
iaune  et  sec  connue  velin,  ainspource  que  il  estoyttousiours  par 
voyes  et  roules,  monts  et  vaulx,  couchioyt  souhz  le  tectduciel, 
et  alloyt  houzé  connue  ung  paouvrc.  Ce  neanlmoins,  il  estovt 
aymé  moult  en  la  duchit-,  oùungchascuu  se  esloyt  accoustumé 
à  luy,  si  bien  que,  si  le  mois  cscheoyt  sans  ({uc  il  feust  venu 
tendre  son  escuelle,  on  disoyt  :  «  Où  est  le  Yieulx?»  Et  on  res- 
pondoyt  :  «  Par  chemins.  » 

('(!  du"t  h(»mme  avoyt  eu  pour  père  ung  Trvhallot,  (]ui  l'eut, 
en  son  vivant,  preud'honnne,  (rouonic  et  si  reugié,  que  il  laissa 
force  biens  à  ce  dict  fds.  Ains  le  ieune  gars  les  desamassa  bien 
tost  en  gaudisscries,  veu  (|ue  il  feit  au  contraire  du  bonhonnne, 


51)1 


CO.Mi:S   URUL.VTKjLES. 


lequel,  au  retourner,  des  champs  en  sa  maison,  amassoyt  de  cy,  de 
là,  forces  buschclles  ou  bois  laissez  à  dextre  et  à  senestre,  disant 
en  toute  conscience  que  il  ne  faut  iamais  arriver  au  logiz  les 
mains  vuydes.  Par  ainsy  se  chauffioyt  en  hyver  aux  despens  des 
oublieux,  et  faisoyt  bien,  ling  cbascun  rccogneut  (|uel  bon  ensei- 
gnement ce  estoyt  i)our  le  pays,  veu  (jue,  ung  an  devant  sa  mort, 
aulcun  ne  laissoyt  plus  de  bois  par  les  routes  ;  il  avoyt  contrainct 
les  plus  dissipez  à  estremcsnaigiers  et  rengez.  Ains  son  fds  bouta 
tout  par  escuelles  et  ne  suyvit  point  ces  saiges  exemples.  Son  père 
avoyl  prédict  la  chouse.  Dès  le  bas  aage  de  ce  gars,  quand  le  bon 
lionnne  Tryballot  le  mettoyt  à  la  guette  des  oyseaulx  qui  ve- 
noyent  mangier  les  pois,  les  fèves  et  aultres  graines,  àcestclin 
de  chasser  ces  larrons,  surtout  les  geays,  qui  conchioyent  tout,  luy 
les  estudioyt  et  prenoyt  plaisir  à  considérer  en  quelle  graace  ils 
alloyent,  venoyent,  s'en  retOurnoyent  chargiez  et  revenoyent  en 
espiant  d'ung  œil  esmerillonné  les  tresbuchets  ou  lacs  fendus,  et 
rioyt  moult,  voyant  leur  adresse  à  les  éviter.  Le  père  Tryballot  se 
choleroyt,  trouvant  deux  et  souvent  trois  seplerées  de  la  bonne 
mesure  en  moins.  Ains,  encores  qu'il  lirast  les  aureilles  à  son 


gars  en  le  |irfiiaiil  ;"i  niaiscr  s()ul)z  ung  (-(Mildrc,  le  diollc  s'eslomi- 
ro\l  tou>iours  cl  rcvenoyt  estudier  l'industrie  des  merles,  passe- 


LE  viKi  i.\-I'Ai;-(;iii:mi.ns.  50;; 

rons  et  aullrcs  picorcurs  lie/,  dm-Jcs.  l  ii^  iuiir,  son  pt-re  luy 
(lit  qno  il  taisoyt  saige  de  se  inodelcr  sur  culx,  pour  <•<' (pie,  s'il 
continuoyt  ce  trac  de  vie,  il  seroyt  sur  ses  viculx  ans  contrainct  à 
picorer  comme  eulx,  et  eonimeeulx  seroyt  pouicliass('pai' les  gens 
deiusticc.  Ce  (pii  rcul  vray,  vcu  que,  comme  il  ha  est(j  dessus  dict, 
il  desamassa  en  peu  de  iours  les  escuz  que  son  mesnaigier  père 
avoyt  ac(juis  durant  sa  vie  :  il  i'eit  avec(pies  les  hommes  comme 
avccques  les  passereaux,  laissant  ung  ehascun  bouter  la  main 
en  son  sac,  et  contemplant  en  (juelle  graacc  et  quelles  lassons 
doulccs  on  luv  demandoyt  à  y  puiser.  Par  ainsy,  il  en  veit  tost 
la  (in.  Quand  le  diable  feut  seul  dedans  le  sac,  Tryballot  ne  se 
monstra  j)oint  soulcicux,  disant  (pu;  il  ne  vouloyt  point  se  dam- 
ner pour  les  biens  de  ce  monde,  et  avoyt  eslu(li('  la  philoso- 
phie en  l'eschole  des  oyseaulx. 

Après  s'cslre  amplement  gaudy,  il  luy  dcmoura  de  tous  ses 
biens  ung  goubelet  achejjté  au  Landict  et  trois  dcz,  mesnaige 
suffisant  pour  boire  et  iouer,  d'autant  que  il  alloyt  sans  estre  cn- 
condirtî  de  meubles,  comme  sont  les  grans,  qui  ne  sçavenl  che- 
miner sans  charroys,  tappis,  Icschefiiltes  et  numbre  infiny  de 
varlels.  Tryballot  voulut  veoir  ses  bons  amis,  ains  ne  rencontra 
plusaulcundecognoissance,  ce  qui  luy  bailla  congie'  de  ne  plus 
recognoistre  personne.  Quoy  voyant,  comme  la  faim  luy  aiguysoyt 
les  dents,  ildc-libi-ra  prendre  ung  estât  oii  il  (,'ust  rien  à  laire  et 
moultàgaigner.  En  y  pensant,  se  remembra  la  graace  des  merles 
et  passereaux.  Lors  le  bon  Triballot  esleut  pour  sien  le  mestier  de 
requérir  argent  ez  maisons  eu  picorant.  Dès  le  prime  iour,  les 
gens  pitoyables  luy  en  baillèrent,  et  Tryballot  feut  content,  trou- 
vant le  mestier  bon,  sans  advances  ne  chances  maulvaises,  au 
contraire,  plein  decommodilcz.  Ilfeit  son  estât  de  si  grant  cueur, 
que  il  agréa  partout  et  receul  mille  consolations  reff usées  k  gens 
riches.  Le  bon  homme  i-eguardoyt  les  gens  de  canq)aigne  planter, 
semer,  moissomier,  vendanger,  etsedisoyt(pieilslaboroyent  prou 
pour  luv.  Cil  (pii  avovt  ung  porc  en  son  eharnier  luy  endebvoyt 
ung  lopin,  sans  que  cettuy  gardien  de  porc  sen  donblast.  T(d  cuy- 
soyt  ung  pain  en  son  four  le  cuisoyt  poui-  Triballot  et  ne  le  pen- 
soyt  nullement.  Il  ne  prenoyt  rien  de  foice,  au  contraire,  les 
gens  luy  disoyenl  des  gracieusetez  en  le  guerdonnanl  :  —  Te- 
nez, mon  Vieulx-par-chemins,  leconfortez-vous.  Ça  va-t-ilbien? 
Allons!  prenez  çecv,  le  chat  Iha  entamé,  vous  l'achèverez. 

Le  Vieulx-par-chemins  esldvldes  nopces,  baptesnies  et  aussv 

48 


566  COiNTES  DUO  LA  Tl  MUES. 

(les  ontcrrciiions,  jJOurceijiuMl  alloyl  partout  où  il  y  avoyt  aper- 
tement  ou  occullonient  ioyo  et  festins.  Il  guardoyl  rdij^neusenient 
les  statuts  et  ordonnances  de  son  mestier,  à  sç^-avoir  :  ne  rien 
faire,  vcu  que,  s'il  avoyt  pu  laborer  le  plus  legiercment  que  ce 
fcust.aulcun  no  luy  auroyt  plus  rien  baillé.  Après  s'estre  lepeu, 
ce  saige  homme  s'esti'udoyt  le  long  des  fossez  ou  contre  ung 
pilier  (recclisc  en  resvant  aux  affaires  publicques  ;  finablement 
il  pliilosophoyt,  comme  ses  gentils  maistres  les  merles,  geays, 
passerons,  et  songioyt  moult  on  gueuzant;  car,  pour  ce  que  son 
vestement  ostoyt  paouvre,  ostoyt-ee  raison  que  son  entendement 
ne  foust  riche?  Sa  philosophie  divertissoyt  moult  ses  praticcpies, 
auxquelles  il  alloyt  disant,  en  forme  de  merciement,  les  plus 
beaulx  aphorismes  de  sa  science.  A  l'ouyr,  les  pantophles  produi- 
soyent  la  goutte  aux  riches  :  il  se  iactoyt  d'avoir  les  |)ieds  allai- 
gres,  pour  ce  ipio  son  cordouannier  luy  bailloyt  des  soliers  venus 
dans  les  aulnayes.  11  y  avoyt  des  maulx  de  teste  soubz  les  dia- 
desmes,  qui  ne  l'atteingnoyont  point,  pour  ce  que  sa  teste  estoyt 
serrée  ne  par  soulcys,  ne  par  aulcun  chappelet.  Puis  encores  les 
bagues  à  pierreries  gehennoyent  le  mouvement  du  sang.  Encores 
que  il  s'enchargiast  de  playes  suyvant  les  lois  de  la  gueuzcrie, 
cuydezqueil  estoyt  plus  sain  qu'ung  enfant  (pii  arrivoyt  au  bap- 
tistère. Le  bon  hoimnese  rigoiloyl  avec<juos  les  aultres  gueux,  en 
iouant  avecques  ses  trois  doz,  que  il  conservoyt  pour  se  soubvonir 
de  despendre  ses  deniers,  à  ccste  lin  d'estre  tousiours  pciouvro. 
Neantmoins  son  vœu,  il  estoyt,  comme  les  Ordres  Mendians,  si 
bien  rente,  (pi'niig  iour  de  Pasquos,  ung  aultre  gueux  voulant 
luvafiermersongaiiigdudieliour,le\ieulx-par-clieminsenreffusa 
dix  escuz.  De  faict,  à  la  vesprée,  il  despendit  ({uatorze  escuz  en 
ioye  pour  fester  les aumosniers,  veu  cpie  il  estoyt  dictez  statuts 
de  gueuserie  de  se  monstrcrrecognoissant  envers  les  donataires. 
Quoicpie  il  se  descliargiast  avorcpies  soing  de  tout  ce  (|ui  faisovt 
les  soulcys  des  aullres,  (jui,  trop  chargiez  de  bien,  quèi'ont  le 
mal,  il  l'eut  jibis  heureux  n'ayant  rien  au  monde  (pie  lorsque  il 
avovt  les  escuz  de  son  père.  Et  pour  ce  qui  est  des  conditions  de 
noblesse,  il  estoyt  tousiours  en  bon  poinct  d'estre  anobly,  pour  ce 
que  il  ne  faisovt  rien  cpi'à  sa  phanlaisie,  et  vivoyl  noblement  sans 
aulcun  labeur.  Trente  escuz  ne  l'auioyenl  faict  lever  cpiand  il 
estoyt  concilié.  Il  anivalousioursà  lendemain  connue  les  aultres, 
en  menant  cestebcllc  vie,la<pielle,  au  direde  messire  Plato,  du- 
quel ià  raulhoriléfcut  invoc<j[uée  en  cesescripts,  aulcuns  antic- 


Ce  saigfi  liommc  s'esleiuloyt  le  Ion;,'  des  tossez  ou  contre  iing  pilii-r 
d'ecclisc  earciivant  aux  aiTuiics  publicques. 


I  r  liiiii  Ikiiiiiiii'  M'  ri^jcillint  ;i\((  (|iicv  lo  ;iiillri'S  milieux,  cm  juimuI 
.•)VOC(nic>  SCS    Irois  dcz. 


LE    VIEULX-PAR-CHKMINS.  5G9 

qucs  saiges  ont  nienr  iadis.  Fiiiablfiiiorit,  le  Yieuk-par-chemins 
advint  en  l'aage  de  quatre-vingt  et  deux  années,  n'ayant  iainais 
esté  ung  seul  iour  sans  attraper  nionnoye,  et  avoyt  lors  la  plus 
belle  couleur  de  tainct  que  vous  puissiez  imaginer.  Aussy  cuy- 
doyt-il  que,  s'il  avoyt  persévéré  dedans  la  voye  des  richesses,  il 
se  feust  guasté  et  seroyt  lors  enterré  depuis  ung  long  temps. 
Possible  estoyt  qu'il  eust  raison. 

Durant  sa  prime  ieunesse,  le  Viculx-par-chcmins  avoyt  pour 
inclyte  vertu  de  trez  fort  aymer  les  femmes,  et  son  abundance 
d'amour  estoyt,  dict-on,  ung  fruict  de  ses  estudes  avec(jues  les 
moyneaulx  ou  fricquets.  Doncques  il  estoyt  tousiours  dispos  à 
prester  aux  femmes  son  ayde  pour  compter  les  solives,  et  ceste 
générosité  treuve  sa  raison  physicale  en  ce  que,  ne  faisant  rien 
il  estoyt  tousiours  prest  à  faire.  Les  buandièrcs,  qui  dans  ce  pays 
sont  nommées  lavandières,  disoyent  que  elles  avoyent  beau 
savonner  les  dames,  le  Yieulx-par-chemins  s'y  entendoyt  encores 
niieulx.  Ses  vertus  absconses  engendrèrent,  dict-on,  ceste  faveur 
dont  il  iouyssoyt  en  la  province.  Aulcuns  disent  que  la  dame  de 
Caumont  le  feit  venir  en  son  cbasteau  pour 
sçavoir  la  vérité  sur  ces  qualitcz  et  le  mussa 
durant  une  huictaine,  à  ceste  fin  de  l'em- 
])escliier  de  gueuzer,  aiiis  le  bon  homnu!  se 
saulva  par  les  bayes  en  grant  paour  d'eslic 
riche.  En  advançant  en  aage,  ce  grant  quin- 
tessencier,  se  veit  desdaingné,  quoi(jue  ses 
notables  Aicultez  d'aymer  n'esprouvassenl 
aucun  donmiaige.  Cet  injuste  revirement 
de  la  gent  lémelle  causa  la  prime  poine  du  Vieulx-par-chemins 
et  le  célèbre  procez  de  Rouen  auquel  il  est  temps  d'arriver. 

En  ceste  quatre-vingt-deuxiesme  année,  le  Yieulx-par-chemins 
feut  par  force  en  continence  environ  sept  mois,  durant  lesquels 
il  ne  feit  la  rencontre  d'aulcune  femme  de  bon  vouloir,  et  dit 
devant  le  iuge  que  ce  feut  le  plus  grant  estonnement  de  sa 
longue  et  honorable  vie.  En  cet  estât  trez-douloureux,  il  veit  ez 
champs,  au  loly  moys  de  may,  une  fille,  laquelle  par  adventure 
estoyt  pucelle  ctguardoyt  les  vaches.  La  chaleur  tomboyt  si  drue, 
que  ceste  vascliiere  s'estendit  à  l'umbre  d'ung  fousleau,  le  visaige 
contre  l'herbe,  à  la  fasson  des  gens  qui  laborent  ez  cluunps  pour 
faire  ung  somme  durant  le  temps  que  son  bestial  ruminoyt  et 
se  resveigla  par  le  faict  du  vieulx,  qui  luv  avovt  robbé  ce  que 

48. 


570  CONTES  DROLATIQUES. 

une  paouvre  garse  ne  peut  doinicr  que  une  foys.  Se  voyant  dof- 
flourée  sans  en  recepvoir  aulcun  advis  ne  plaisir,  elle  cria  si 
fort,  que  les  gens  ocrupez  ez  champs  vindrent  et  feurent  prins 
en  tesmoingnaiue  par  la  i^arse,  au  moment  où  se  voyoyt  en  elle 
le  desiiuast  l'aict  ez  nuicts  de  nopces  chez  une  nouvelle  mariée  ; 
elle  plouroyt,  se  plaingnoyt,  disant  que  ce  vieulx  cinge  intem- 
pérant pouvoyt  aller  violer  sa  mère  à  elle,  qui  n'auroyt  rien 
iict.  Le  vieulx  feit  responsc  aux  gens  de  la  campaigne,  qui  le- 
voyent  ià  leurs  serfouettes  pour  le  meurdrir,  que  il  avoyt  esté 
poulsé  à  se  divertir.  Ces  gens  luy  obiectèreut  aveccpies  raison 
qucung homme  pourroytbien  sedivertir  sans  forcer  une  pucelle, 
cas  prevostal  quilcmenoyt  droict  à  la  potence,  et  l'eut  conduict 
en  "rant  rumeur  à  la  seole  de  Rouen. 

La  fille,  interroguée  par  le  prevost  déclara  que  elle  dormoyt 
pour  faire  quelque  chouse,  et  que  elle  avoyt  creu  songier  de  son 
amant,  avecques  lequel  elle  estoyt  en  dispute,  pour  ce  que  avant 
le  mariaige  il  soubhaitoyt  mesurer  sa  besongne,  et  iocquetant 
en  ce  rcsve,  elle  luy  laissoyt  veoir  si  les  chouses  estoyent  bien 
accomparaigées,  à  ce  s  te  fin  (jue  nul  mal  ne  leur  advinst  à  l'ung 
ou  à  l'aultre,  et  maulgré  sa  deffense,  il  alloyt  plus  loing  que 
elle  ne  luy  bailloyt  licence  d'aller,  et,  y  treuvant  plus  de  mal 
(pie  de  plaisir,  elle  s'estoyt  esveiglée  soubz  la  puissance  du 
Vieulx-par-chemins,  qui  se  estoyt  gecté  sur  elle  comme  ung 
cordelier  sur  ung  iamhon  au  dcsiucliicr  du  (piairsme. 

Ce  poui'chaz  leit  si  grant  bruit  eu  la  ville  de  Rouen,  ipie  le  pre- 
vost lent  mandé  par  monseigneur  le  duc,  eu  qui  vint  ung  véhé- 
ment dezir  de  sçavoir  si  le  faict  estoyt  véritable.  Sur  l'affirmation 
du  prevost,  il  commanda  que  le  Vieulx-jiar-chemins  feust  con- 
duict en  son  palais,  à  ceste  fin  d'oyr  (pielle  deffense  il  ])ouvoyt 
faire.  Le  paouvre  bon  homme  comparut  devant  le  prince  et  luy 
desbagoula  naïfvement  le  maulvais  heur  qui  luy  advenoyt  par 
la  lorce  et  le  vœu  de  la  nature,  disant  que  il  estoyt  comme 
ung  vray  iouvencel  poulsé  par  des  dezirs  Irez  im|)érieux  ;  (pic 
ius(pies  en  ceste  amit-e  il  avoyt  eu  des  femmes  à  luv,  ains  (pic  il 
ieusnoyt  (l('|uiis  huict  mois  :  (pie  il  estoyt  trop  paouvre  pour 
s'adonner  aux  filles  de  ioye;  (pie  les  lionueslcs  femmes  qui  luy 
faisoyciit  ceste  aumosne  avoyeiil  |U'ius  en  desgout  S(!s  cheveulx, 
les(|uels  avoyent  la  feslonie  de  blanchir  maulgré  la  verdeur  do 
son  amour,  et  que  il  av(»yt  esté  contiaiiict  à  saisir  la  iov(M)ù  elle 
esloU  par  la  veue  de  ceste  damnée  pucelle,  laipielje  en  s'eblcu-» 


LE    VIEULX-PAR-CHEMINS. 


571 


dant  le  long  (lu  licslro  avoyl  l;iissi'  vfoirla  iolye  doubloureile  sa 
robbc  ot  (Icuv  iK'iiiisplit'rcs  Idaiics  comme  neige  qui  luv  avoyent 
tollu  sa  raison;  que  la  eoulpe  esloyt  à  reste  fille,  et  non  à  luv, 
pour  ce  que  il  doibt  cstre  delTendu  aux  pucelles  d'alTriander  les 
passans  en  leur  nionstrant  ce  qui  f'eit  nommer  Vénus  Callipyge; 
(inablement ,  le  piince debvoyt  scavoir  (juelle  pi^ine lia  uiig  lionune 
sur  le  cou[»  de  niidy  de  tenir  sou  cliieu  en  laisse,  pour  ce  (jue  ce 
l'eut  à  cestc  lieure  que  le  roy  David  l'eut  féru  par  la  femme  du 
sieur  Urie  ;  que  là  où  ung  roy  liébrcîu  aymé  de  Dieu  avoyt  failly, 
un  paouvre  desnué  de  ioye  et  rcduict  à  robbcr  sa  vie  avoyt  bien 
pu  se  trcuver  en  faulte  ;  cpie  d'ailleurs  il  estoyt  consentant  à  clian- 
ter  des  psaulmes  le  deniourant  de  ses  iours  sur  ung  lutli  en  ma- 
nière de  pénitence,  à  l'imitation  du  dict  roy,  lequel  avovt  eu  le 
tort  grief  d'occire  ung  mary,  là  où,  luy,  avoyl  tant  soit  peu  en- 
dommaigé  une  fille  de  campaigne.  Le  duc 
gousta  les  raisons  du  Vieulx-par-cbemins, 
et  dit  que  ce  estoyt  ung  bonnne  de  bonne 

c Puis,  il  rendit  ce  mémorable  ar- 

rest,  que  si,  comme  le  disoyt  cetluv  men- 
diant, il  avoyt  si  grant  besoingde  follieu- 
ses  à  son  aage,  il  luy  bailloyt  licence  de 
le  démonstrer  au  rez  de  l'escbelle  où  il 
montcroyt  pour  estre  pendu,  ce  à  quoy 
l'avoyt  simplement  condamné  le  prevost  ; 
si,  la  cborde  au  col,  entre  le  prebstre  et 
le  bourrel,  |)areille  pliantaisie  lepicquoyt, 
il  auroyt  sa  giaace. 

Cet  arrest  cogneu,  il  y  eut  ung  monde 
fol  pour  veoir  conduire  le  bon  bonnne  à 
la  potence.  Ce  fcut  une  haye  comme  à 
une  riilri'e  ducale,  et  cy  voyoyt-on  plus 
(le  bonnets  (pie  de  cbapeaulx.  Le  Yieulx 
par-cliemins  l'eut  sauvé  i)ar  une  dame 
curieuse  de  veoir  comment  fineroyt  ceti  iiy 
violeur  trez  prétieux,  laquelle  dit  au  (\nr 
(pie  la  religion  commaiidoyl  de  l'aire  beau 
ieu  au  bon  liomme  et  se  para  coimne  pour 
wm  lesle  à  baller;  elle  mit  en  évidence 
et  avecqucs  intention  deux  ballottes  de 
cbuir  vil've  si  blancbes,  (jiie  le  plus  lin  lin  de   la  gorgerette  y 


572  CONTES  DROLATIQUES. 

palissoyt;  de  faict,  ces  beaulx  fruicls  d'amour  se  pioduisoyent 
sans  plys  au-dessus  de  sou  corselet,  couuue  deux  grosses 
pommes,  et  faisoyent  venir  l'eaue  en  la  bouche,  tant  mignons 
ils  estoycnt.  Geste  noble  dame,  qui  estoyt  de  celles  qui  font 
que  ung  chascun  se  sent  niasle  à  les  veoir,  se  plaça  sur  les 
lèvres  ung  soubriz  pour  le  bon  bonnne.  Le  Vieulx-par-cliemins, 
vestu  d'un  sayon  de  grosse  toile,  plus  seur  d'estre  en  pos- 
teure  de  viol  après  la  pendaison  que  paravant,  venoyt  entre 
les  gens  de  iustice.  Irez  tristifié,  gectant  l'œil  de  cy,  de  là,  sans 
veoir  aultre  chouse  que  des  coëffes;  et  auroyt,  disoyt-il,  donné 
cent  escuz  d'une  fille  troussée  comme  estoyt  la  vacbière  de 
laquelle  il  se  remembroyt  les  bonnes  grosses  blanches  columnes 
de  Vénus  qui  l'avoyent  perdu,  et  pouvoyent  encores  le  saulver; 
mais,  connue  il  estoyt  vieulx,  la  rcmembrance  n'estoyt  point 
fresche  assez.  Ores,  quand  au  rez  de  l'eschelle  il  veit  les  deux 
mignotises  de  la  dame  et  le  ioly  delta  (pu'  produisoyent  leurs 
confiuentes  rondeurs,  son  maistre  lean  Cliouait  l'eut  en  ung  tel 
estât  de  raige,  que  le  sayon  parla  Irez  aperlement  par  ung  soub- 
levement  maieur. 

—  Et  doncques,  vériliez  tost,  l'eit-il  aux  gens  de  iustice,  i'ay 
gaigné  ma  graace,  ains  ie  ne  res[)Oii(ls  point  du  drolle, 

La  dame  l'eut  trez  aise  de  cet  hommaige,  (jue  elle  dit  estre  jjIus 
foit  (pie  le  viol.  Les  sergens  qui  avoyent  charge  de  soublevcr 
reslolTe  cuydèrent  cettuy  vieulx  estre  le  diable,  pour  ce  ipie 
oncques  en  leurs  escriptures  ne  s'estoyt  rencontré  ung  I  autant 
droict  (|ue  se  tri'uvoyt  le  dressoir  du  bon  bomriie.  Aussy  leiit-il 
pounuciié  tiiumplialemcnt  par  la  ville  iusijuesc'ii  l'Iiosleldu  duc, 
au(piel  les  sergens  et  aultres  tesmoingnèrent  du  faict.  Ln  cettuy 
temps  d'ignorance,  ceste  instrumentation  iudiciairc  feut  prinse 
en  si  grant  honneur,  que  la  ville  vota  l'érection  d'ung  pilier  en 
Tcndroict  où  le  l>on  homme  avoyt  gaigné  sa  graace,  et  il  y  feut 
])ourtraict  eu  pierre,  comme  il  estoyt  à  la  veue  de  ceste  honneste 
et  vertueuse  dame.  La  statue  se  voyoyt  encores  au  temps  où  la  cité 
de  Houen  feut  prinse  par  les  Angloys,  et  les  autheurs  du  temps 
escripvirent  tous  ceste  histoiie  parmi  les  chouscs  notables  du 

Sur  ce  (pie  il  feut  offcrl  par  la  ville  de  l'ouruir  des  garses  au 
bon  houune,  de  veigicr  à  son  vivre,  vestement  et  couvert,  le  bon 
duc  y  mil  ordre  vn  baillant  à  la  despucellée  ung  millier  d'escuz  et 
la  mariant  au  bonhomme,  lequel  y  perdit  son  nom  de  Vieulx-par- 


IJ-    VIKLLX-PAR-CIIEMINS.  573 

chemins.  Il  fcut  nommé  p;ir  le  duc  sieur  de  Bonne-C Sa  femme 

accoucha  apivs  neul'  mois  d'ung  maslc  parliiictenjcut  faict,  hicn 
vivant,  lefjiicl  nacquit  avi'C(|U('sd{Mix  dcnls.  Ile  ce  niaiiaigc  vint  la 

maison  de  I{oiino-C ,  laquelle,  parpudcuictlnen  à  ttut,  recpiit 

de  nostie  hieii-aynié  roy  Loys  le  unziesnie  lettres  patentes  pour 
muter  son  nom  en  celuy  de  IJonne-Chose.  Le  bon  roy  Loys  re- 

monstra  lors  au  sieurdeBonnc-C que  il  yavoyt  enl'Estatde 

Messieurs  de  Venise  une  inclyte  famille  des  Coglioni,  lesquels 

portoyent  trois  c au  naturel  en  leur  blazon.  Mcsdicts  sieurs 

de  Ik)nne-C obiectèrent  au  Hoy  que  leurs  femmes  avoyent 

grant  honte  d'estre  ainsy  nommées  ez  salles  de  compaignie;  le 
Roy  repartit  que  elles  y  perdroyent  moult,  pour  ce  que  avecques 
les  noms  s'en  alloyent  les  cbouses.  Ce  neantmoins  octrova  les 
lettres.  Depuis  ce  temps  cestc  geut  feut  cogneue  soubz  ce  nom, 
et  se  respandit  en  plusieurs  provinces.  Le  premier  sieur  de  Bonne- 

C vesquit  encores  vingt-sept  années  et  eut  ung  aultre  fils  et 

deux  filles.  Ains  il  se  douloyt  de  fmer  riche  et  de  ne  plus  quester 
sa  vie  par  les  chemins. 

De  cecy  vous  tirerez  ung  des  j)lus  beaulx.  enseigueniens  et  plus 
cspaisses  moralitez  de  tous  les  contes  que  vous  lirez  en  vostre  vie, 
horsmis  bien  seur  ces  dicts  cent  glorieux  Contes  drolaticques. 
Asçavoir  que  iamais  adventure  de  cet  acabit  ne  seroyt  escheue  aux 
natures  molles  et  flétries  des  gueux  de  Court,  gens  riches  et  aultres 
qui  creusent  leur  tumbe  avecijues  leurs  dents  en  mangiant  oultre 
mesure  et  beuvant  force  vins  qui  guastent  les  outils  à  faire  la  iove, 
lesquels  gens  trez-pansus  belutent  sur  de  cousteuses  merceries  et 
licts  de  plumes,  tandis  que  le  sieur  de  Bonne-Chose  couchioyt  sur 
la  dure.  En  semblable  occurrence,  s'ils  avoyent  mangié  des  choux, 
moult  eussent  chiez  pourrées.  Cecy  peut  inciter  plusieurs  de  ceulx 
(|ui  liiont  cettuy  Conte  à  changer  de  vie,  à  cestc  lin  d'imiter  le 
Vieulx-par-ehemins  en  son  aage. 


DiiiKS  lAcoM.nrs  im:  trois  pklkrins 


Alors  que  lo  p;i|)('  laissa  sa  boiino  villiMlAvignoii  j)oiir  doniou- 
rer  en  Ronio,  aiilciiiis  pèlerins  fiMii'ciiliinaboK'z,  (|iii  so  osloycnl 
arroutoz  ponr  la  CiOinlat  ci  dciinMit  passer  les  liaiilles  Alpes,  à 
cestc  fin  (le  |,fai|,nier  eesie  diète  ville  de  ironie  oii  ils  alloyenl  (jue- 
rir  le  remitlimiis  de  péchez  bigearrcs.  Lors  voyoyt-on,  par  les 
chemins  cl  hoslelleries,  ceulx  ijui  portoyent  le  collier  de  l'ordre 
des  frères  Caïn,  aultrenient  la  ileur  des  repentirs,  tous  maulvais 
garsnns  enchargiez  d'âmes  lépreuses  (pii  avoyent  soif  de  se  bain- 
gner  en  la  j)iseine  papale  et  porloyent  or  ou  ehouses  piélieuses 
pour  rachepter  leurs  maulvaisetez,  payer  les  bulles  et  guerdon- 
ner  les  saincts.  Comptez  (|ue  ceidx  (pii  beuvoyenl  de  l'eaue  à 
l'aller,  au  retouiiK  r,  si  les  boslclicis  leiu-  bailloyent  eaue,  vou- 
loyent  eaue  benoisle  de  cave. 

Kn  eelluy  tem|)s,  trois  j)èlerins  vindreut  en  cesle  dicte  ville 
d'Avignon  à  leur  dam.  veu  (pie  elle  estoyt  veulVe  du  ]ia|)e.  Aloi's 
<jiu'  ils  dévallèrenl  le  Hhodane  pour  gaigner  la  cosle  Mediterrane, 
des  trois  pèlerins,  ung  ([ui  nienoyt  en  laisse  son  fils  en  l'aage  de 
dix  ans  au  |ilus,  leur  faulsa  eom|)aiguie;  ])uis  devers  la  ville  de 
Milan, ce  compaignon  seremousira  soubdain  sans  garson.  Adonc- 


niUKs  iNcoNcnrs  hk  thois  i'ki,ki;i.\s        075 

ques  à  la  vesprée  et  au  s()ii|ifi'  ils  IjiiiMjiiclirciil  à  cesto  lin  de 
l'ester  le  ictournor  du  iiMcriii  (|U(!  ils  cHydoycut  avoir  ostr  mis 
en  dcsgoust  do  jx-nitcncc,  l'aullc  [de  ])ii|)i!  eu  Avij^qion.  1)(!  ces 
trois  Honiipèlos,  ungcstoyt  vouu  de  la  cité  de  Paris,  l'antro  ad- 
venoyt  d'AUemalyno,  et  le  tiers,  qui  sans  doubte  aiilcun  vou- 
loyt  enseigner  son  lils  par  cotluy  voyaige,  estoyt  dévallc  de  la 
duchié  de  liour^ongne,  en  laquelle  il  teuoyt  aulcuns  liel's  et  es- 
toyt ung cadet  de  la  maison  de  Villiers-la-l'ayc  (  ['///a  in  Ftigo), 
ayant  nom  de  la  Vaugreuaud.  Le  baron  alli'uiaïul  avoyt  l'aict  ren- 
contre du  boui-geoys  de  Paris  en  deçà  Lyon  ;  puis  tous  deux 
avnyent  accosté  le  sire  de  la  Vaugrenand  en  voue  d'Avignon. 

Adonc([ues,  en  ceste  hostellerie,  les  trois  |)èlerins  deslièrent 
prou  leurs  langues,  et  convindrenl  gaigner  Itome  de  coiiserve,  à 
ceste  lin  de  se  bender 
contre    les   destrous- 


seursdegens,  oyseaulx 
de  nuict  et  autres  pis- 
tolandiers  (jui  laisoyent  estât  de  descliargier  lesdicts  pèleiins 
de  ce  qui  leur  poisoyt  sur  le  corps  paravant  que  le  jjape  leur 
ostast  ce  qui  leur  poisoyt  sur  la  conscience.  Après  boire,  les 
trois  compaignons  devisèrent,  veu  que  le  pot  est  la  clef  du 
discours,  et  tous  leirent  cet  adveu  que  la  cause  de  leur  départie 
estoyt  ung  caz  de  fennne.  La  servante,  qui  les  resguardovt 
boire,  leur  dit  que  sur  ung  cent  de  pèleiins  (jui  s'arrestovent 
en  ceste  locande,  nonante-neul'  estoyent  en  roule  pour  ce  l'aict. 
Ces  trois  saiges  considérèrent  lors  combien  la  lenniie  estoyt 
pernicieuse  à  l'iiomme.  Le  baron  monstra  la  poisante  cbaisne 
d'or  <{ue  il  avoyt  en  son  liaubcrt  pour  guerdonner  monsieur 
sainct  Pierre,  et  dit  que  son  ca/  esloyt  tel,  i{ue  il  ne  s'accpiitte- 
royt  point  avecques  la  valeur  de  dix  j)areilles  cbaisnes.  Le 
Parisien  defl'cit  son  guanl  et  mil  en  lumière  ung  annel  à  diamant 
blanc,  disant  que  il  portoyt  au  pape  cent  loys  autant.  Ia-  Bour- 
guignon delTeil  son  boimel,  exliiba  deux  perles  niirilie(|ues  (pii 
estoyent  beaulx  pendans  d'aureilles  pour  Nostre-Danie  de  Lorelle, 
et  feit  cet  adveu  ipie  il  aymeroyl  mieulx  les  laisser  au  col  dosa 
femme. 

Lit-dessus,  la  servante  dit  (jiie  leurs  pecliez  debvoyent  avoir 
esté  gros  conune  ceulx  des  Visconli. 

Lors  les  pèlerins   respondirent  (pie  ils  estoyent   tels  que  ils 
uvoyent  cbascun  en  leur  aine  l'aict  vœu  de  ne  plusonc(|ues  mar- 


570  CO.MES  iiKUL.VTlOlES. 

gaiuler  pour  le  deinourant  de  leurs  iours,  tant  belles  seroyent 
les  Icmmes,  et  ce  en  oultre  de  la  pénitence  qui  leur  seroyt  im- 
posée par  le  pape. 

Lors  la  servante  s'estoniira  que  tous  eussent  laict  mesmevœu. 
Le  Bourguignon  adioiixla  que  cclluy  vœu  avoyt  esté  cause  de  son 
attardcnient  depuis  leur  entrée  en  Avignon,  pour  ce  que  il  avoyt 
eu  en  paour  cxtrcsme  que  son  fieu,  maulgré  son  aage,  ne  mar- 
gaudast,  et  que  il  avoyt  faict  serment  d'empescliier  besles  et 
gens  de  margauder  dans  sa  maison  et  sur  ses  domaines.  Le 
baron  s'eslant  enquis  de  l'adventurc,  le  sire  leur  dit  la  chouse 
ainsy  : 

—  Vous  sçavez  que  la  bonne  comtesse  leanne  d'Avignon  feit 
iadis  une  ordonnance  pour  les  putes,  que  elle  contraingnit  à 
dcmourcr  en  mig  l'aulxbourg,  cz  maisons  boi'dcllières,  à  volets 
painots  on  rouge  et  fermez.  Oi'es,  passant  en  vostre  conipaignic 
par  cettuy  damné  l'aulxbourg,  mon  gars  feit  remarcjue  des  dictes 
maisons  à  volets  fermez  et  painots  en  rouge,  et  sa  curiosité  se 
estant  csveiglée,  comme  vous  sçavez  que  ces  diables  de  dix  ans 
ont  l'œil  à  tout,  il  me  tira  par  la  manche,  et  ne  fina  de  me  tu'er 
ius(|ues  à  ce  que  il  eust  sceu  de  moy  (juellcs  estoyent  ces  dictes 
maisons.  Lors,  pour  fmer,  ie  luy  dis  (jue  les  ieunes  garsons 
n'avoyent  que  faire  en  ces  lieux  et  ne  debvoyent  y  entrer  soubz 
poine  de  la  vie,  pour  ce  que  ce  estoyt  l'endroict  où  se  labric- 
quoyent  les  hommes  et  les  femmes,  et  ({ue  le  dangier  estoyt  tel 
pour  cil  (jui  ne  sravoyt  cettuy  mestier,  (jue,  si  ung  ignare  y 
entroyt,  il  luy  saultoyt  au  visaige  des  cancres  volants  et  aultres 
besles  saulvaiges.  La  paour  saisit  le  gars,  qui  lors  me  suyvit  en 
riiostellerie  engrant  esmoy  et  n'osoyt  gecter  la  veuc  sur  lesdicts 
bordeaulx.  IViulant  que  ie  estoys  en  l'escuyerie  pour  veoir  à 
l'establissement  des  chcvaulx,  mon  gars  dt'taila  comme  ung 
maraudeur,  et  la  servante  ne  put  me  dire  où  il  estoyt.  Lors  ie 
feus  en  grant  paour  des  putes,  ains  eus  fiance  aux  ordonnances 
qui  deffendent  d'y  laisser  y  venir  tels  enfans.  Au  souper,  le  drolle 
me  revint,  [)as  plus  honteux  que  notre  divin  Saulveur  au  tenq)le 
cmmv  les  docteurs  ;  «  D'oii  vieiis-lu?  hii  l'cis-je.  —  Des  maisons 
à  volets  rouges,  feit-il.  —  Petit  liriiclone,  l'cis-je,  ie  le  baille  le 
louet.  »  Lors  se  mit  à  geindre  et  plourer.  le  luy  dis  que,  s'il 
advouoyt  ce  (|uiluy  estoyt  advenu,  il  auroyt  graace  des  coups. 
((  lia  !  ieit-il,  i';iy  eu  cure  de  ne  point  entrer,  à  cause  des  cancres 
volansct  bestes  saulvaiges,  et  mesuistemi  aux  grilles  des  crui- 


DIKKS  INCONGRUS  DE  TROIS  PELERINS.  577 

séesàccste  lin  de  vooir  comiuontsc  fabricfjuoyont  les  liommos. 
—  Et  que  as-tu  vcu?  fcis-je.  —  Ay  vou,  dit-il.  une  belle 
femme  en  train  d'estre  achevée,  pour  ce  que  il  luy  falloyt  une 
seule  cheville  (|ue  ung  ieune  labricquant  luy  boutoyt  en  grant 
ardeur.  Aussilost  l'aictc,  elle  ha  viré,  parlé  et  baisé  son  manu- 
facturier. —  Soupoz,  »  feis-je.  Puis,  durant  la  nuiot,  ie  rc- 
tournaycn  Bourgongne  et  le  laissay  à  sa  mère,  en  grant  paour 
que  rt  la  prime  ville  il  ne  voulust  bouter  sa  cheville  en  qnebjue  tille. 

—  Ces  dicts  enfans  font  souvent  telles  reparties,  fcitle  Pari- 
sien. Cclluy  de  mon  voisin  découvrit  le  cocquaige  de  son  père 
par  ung  mot  que  vécy.  Ung  soir  ic  luy  dis,  pour  sçavoir  s'il  es- 
loyt  bien  apprins  en  l'cscliole  ez  chouses  de  la  religion  :  «  Que 
est-ce  que  l'espérance?  —  Ung  gros  arbalestrier  du  Roy,  qui 
entre  céans  quand  mon  père  en  sort,  »  feit-il.  De  faict,  le  sergent 
des  arbalcstriers  du  Hoy  cstoyl  ainsy  surnommé  en  sa  compai- 
gnie.  Le  voisin  feut  quinauld  d'ouyr  ce  mot,  et,  encores  que  par 
contenance  il  se  contemplast  au  miroucr,  il  ne  put  y  vcoir  ses 
cornes. 

Le  baron  feit  ceste  remanjuc  que  le  dire  de  ccttuy  gars  estoyt 
bel  en  cecy  :  (|ue,  de  faict,  l'Espérance  est  une  garse  qui  vient 
couchier  avecques  nous,  alors  que  les  réalitez  de  la  vie  font 
deffaull. 

—  Ung  oocqu  est-il  faiol  à  l'imaige  de  Dieu?  dit  le  Bourgui- 
gnon. 

—  Non,  feit  le  Parisien,  pour  ce  que  Dieu  feutsaige  en  cecy 
que  il  ne  ha  point  prins  femme  ;  aussy  est-il  heureux  durant 
l'éternité. 

—  Ains,  dit  la  servante,  les  cocqus  sont  faicts  à  l'imaige  de 
Dieu  paravant  d'estre  escornez. 

Sur  ce,  les  trois  pèlerins  mauldirent  les  femmes,  en  disant 
que  j)ar  elles  se  faisoyonl  tous  maulx  en  ce  monde. 

—  Leurs  caz  sont  creux  connue  heaulmes,  dit  le  Bourgui- 
gnon. 

—  Leurcueur  est  droict  comme  serpe,  foit  le  Parisien. 

—  Pourquoy  veoit-on  tant  de  pèlerins  et  si  peu  de  pèlerines? 
feit  le  baron  allemand. 

—  Lcui's  damnez  caz  ni>  |)èciu'iil  point,  rcspondil  le  Pari'^icn. 
Le  caz  ne  cognoist  ni  père  ni  mère,  ni  les  conmiandemens  de 
Dieu  ni  ceulx  derEccliso.  ni  loys  divines,  ni  loys  humaines  ;  le 
caz  ne  syavt  aulcune  doctrine,  n'entend  point  les  hérésies,  ne 

4!) 


578  CONTES   DROLATIQUES. 

sçauroit  estre  reprouclR' ;  il  est  innocent  do  tout  et  rit  tousiours, 
son  entendement  est  nul,  et  pour  ce  l'ay-ie  en  horreur  et  détes- 
tation  profunde. 

—  Aussy  nioy,  feit  le  Bourguignon,  et  ie  commence  à  concep- 
voir  la  variante  faicle  par  un  soavant  ez  versets  de  la  Bible,  en 
lesquels  il  est  rendu  compte  de  la  Création.  En  ce  counnentaire, 
que  nous  nonnnons  ung  Noël  en  nostre  pays,  gist  la  raison  de 
l'imperfection  du  caz  des  femmes,  duquel,  au  rebours  des  aul- 
tres  femelles,  aulcun  homme  ne  sçauroit  estanchier  la  soif,  tant 
s'y  rencontre  ardeur  diabolicquc.  En  ce  ISoel,  il  est  dict  que  le 
Seigneur  Dieu  ayant  torné  la  teste  pour  resguarder  ung  asne, 
lequel  brayoyt  pour  la  prime  foys  en  son  paradiz,  durant  que  il 
fabricquoyt  Eve,  le  diable  print  ce  temps  pour  bouter. son  doigt 
en  ceste  trop  parfaicte  créature  et  feit  unechaulde  blessure  que 
le  Seigneur  eut  cure  de  bouchier  par  ung  poynct  :  d'où  les  pu- 
celles.  Au  moyen  de  ceste  bride,  la  femme  debvoyt  demourer 
close  et  les  enfans  se  fabi'icquer  à  la  manièie  dont  le  Seigneur 
avoyt  faict  les  anges,  par  ung  plaisir  autant  au-dessus  du  charnel 
que  le  ciel  estoyt  au-dessus  de  la  terre.  Advisant  ceste  closture, 
le  diable,  marry  d'estrc  quinauld,  tira  par  la  peau  le  sieur  Adam, 
qui  dormoyt,  et  l'eslendit  en  imitation  de  sa  queue  diabolicque; 
ains,  pour  ce  que  le  père  des  honnnes  estoyt  sur  le  dos,  cet 
appendice  se  trouva  devant.  Par  ainsy,  ces  deux  diableries  eu- 
rent la  passion  de  soy  réunir  par  la  loi  des  similaires  que  Dieu 
avovt  faicte  pour  le  train  de  ses  mondes.  De  là  vint  le  prime 
péché,  et  les  douleurs  du  genre  humain,  jtour  ce  que  Dieu, 
voyant  l'ouvraige  du  diable,  se  complut  à  sçavoir  ce  qui  en  ad- 
viendroyt. 

La  servante  dit  lors  que  ils  avoycnt  raison  en  leurs  dires, 
pour  ce  que  la  femme  estoyt  ung  maulvais  bestail,  et  que  elle 
en  cognoissoyt  que  elle  aymeroyt  mieulx  en  terre  (prcn  prez. 
Les  pèlerins  voyant  lors  (pic  ceste  lîlle  estoyt  belle,  eurent  paour 
de  faillir  à  leurs  vœux,  et  s'allèrent  couchier.  La  lille  vint  dire 
à  sa  maistresse  que  elle  logioyt  des  mescréans  et  luy  raconta 
leurs  dires  en  l'endroict  des  femmes. 

—  Ht;  !  feit  riioslelière,  peu  me  chault  des  peiisiers  que  les 
chalands  ont  en  leurs  cervelles,  pourveu  que  leurs  bougettes 
soyeiit  moult  garnies. 

Ains,  lors(|ue  la  servante  eut  parb;  des  ioyaulx  : 

■—  Vécy  qui  resguarde  toutes  les  femmes,  dil-elle  Ircst-esmuc. 


DIRES  INCONGRUS  01-:  TROIS  PELERINS.         579 

Allons  los  arraisonner;  ie  prends  les  nobles  et  ie  te  baille  le 
bouryeoys. 

L'Iiostelicro,  qui  cstoyt  la  plus  pute  bourgeoyso  de  la  ducliie' 
de  Milan,  dévalla  en  la  cbanibrc  où  couchioyent  le  sire  de  la 
Vaugrenand  et  le  baron  allemand,  et  les  congratula  sur  leurs 
vœux,  en  leur  disant  que  les  femmes  n'y  pcrdoyent  pas  grant 
cliousc  ;  ains  que,  pour  accomplir  ces  dicts  vœux,  besoing  estoyt 
de  sçavoir  s'ils  rcsisteroyent  à  la  plus  miesvre  des  tentations. 
Lors,  elle  s'offrit  à  couchier  près  d'eulx,  tant  elle  cstoyt  cu- 
rieuse devt'rilicr  si  elle  ncseroyt  point  cbevaulcbic'e,  ce  qui  ne 
luy  cstoyt  advenu  dedans  aulcun  lict  ofi  elle  avoyt  eu  compai- 
gnie  d'bomme. 

Lendemain,  au  desieuner,  la  servante  avoyt  l'annel  au  doigt; 
la  maistresse  avoyt  la  cliaisne  d'or  au  col  et  les  perles  aux  au- 
reilles.  Les  trois  pèlerins  dcmourèrent  en  ceste  dicte  ville  en- 
viron ung  mois,  y  despeiidiront  l'argent  que  ils  portoyent  en 
leurs  bougettcs,  et  convindrent  que,  s'ils  avoyent  faict  telles 
mauldissons  sur  les  femmes,  ce  estoyt  pour  ce  que  ils  ne  avoyent 
point  gousté  aux  Milanaises. 

A  son  retourner  en  Allemaigne,  le  baron  feit  ceste  observation 
que  il  ne  estoyt  coulpable  que  d'ung  peclié,  ce  estoyt  d'estre  en 
son  chaslel.  Le  bourgeoys  de  Paris  revint  avecques  force  coc- 
quilles  et  treuva  sa  bourgeoyse  avecques  l'Espérance.  Le  sire 
Bourguignon  veit  la  dame  de  la  Vaugrenand  tant  marrie,  que 
il  faillit  crever  des  consolations  qu'il  luy  bailla,  nonobstant 
ses  dires. 

Cccy  jirouve  que  nous  debvons  nous  taire  ez  bostelleries. 


NAIFVETI- 


Par  la  double  rouge  creste  do  mon  cooq,  et  par  la  doubU-ure 
rose  de  la  panlophle  noire  de  ma  mye  !  |)ar  toutes  les  cornes 
des  bien-aymez  cocqus  et  par  la  vertu  de  leurs  sacrosainctes 
femmes!  la  plus  belle  œuvre  que  font  les  hommes  n'est  ny  les 
poëmes,nyles  toilespainctes,  ny  les  musicques,nv  leschasteaulx, 
ny  les  statues,  tant  bien  sculptées  soyonl-elles.ny  les  gallères  à 
voiles  ou  à  rames,  ains  les  enl'aiis.  Knleiidez  les  oiifans  ius(jues 
en  l'aage  de  dix  années  pour  ce  que  après  ils  deviennent  lioinmes 
ou  femmes,  et,  prenant  de  la  raison,  ne  valent  pas  ce  que  ils  ont 
cousté  :  les  pires  sont  lesmeilleui's.  Considérez-les  louant  avcc- 
qiies  tout  naïlVcment,  avccipies  soliers,  surtout  les  fenestrez, 
avecqucs  les  outils  de  mesnaii^c,  laissant  ce  «pii  leur  (l('S|)laisl, 
criant  après  ce  qui  leur  plaist,  liallebolant  les  doulceurset  con- 
lictureries  en  la  maison,  grignottant  les  réserves,  et  tousiours 
riant,  alors  que  les  dents  sont  poulsées  hors,  vous  serez  de  cet 
advisipieils  sont  délicieux  de  tout  |)oynct,V)ullrequeils  sont  fleur 
etliiiicl,  liiiicl  d'amniir  cl  llciir  di-  vie.  Ilonccpies tant  ipic  li'ur 


NAIFVETK.  581 

entendement  n'est  point  desvoyc'  parles  remue-nie.sniii;:cs  de  la 
vie,  il  n'est  rien  en  ce  inonde  de  plus  saiiicl  ne  de  plus  |»iaisaiit 
que  leurs  dires,  lesipiels  tiennent  le  liault  bout  en  nailVclc'.  Cecy 
est  vray  comme  la  double  ircssure  d'ung  bœuf.  Uncques  n'ouvrez 
ung  homme  estrc  naïf  à  la  méthode  des  enfans,  veu  que  il  se 
rencontre  on  ne  sçayt  quel  ingrédient  de  raison  en  la  naïfveté 
d'ung  homme,  tandis  (pie  la  naïfveté  des  enfans  est  candide, 
immaculée,  et  sent  la  linesse  de  la  mère,  ce  (pii  esclatte  en 
cettuy  conte. 

La  Royne  Catherine  estoyt  en  cettuy  temps  Danlphine,  et  pour 
se  faire  bien  venir  du  Roy  son  beau-père,  lequel  alloytlors  jiiètre- 
nient,  le  guerdoimoyf,  de  temps  à  anllre,  de  tableaux  ilalians, 
saichant  que  il  lesaymoyt  moult,  estant  amy  du  sieur  liapliat-l 
d'Urbin,  des  sieurs  Primatice  et  Leonardo  da  Vinci,  auxquels  il 
envoyoyt  de  notables  sommes.  Adoncques  elle  obtint  de  sa  famille, 
laquelle  avoyt  la  fleur  de  ses  travaulx,  pour  ce  que  leducMedici 
gouvernoyt  lors  la  Tosquane  ung  prétieux  (piadre  painct  par 
ung  Venitian  ayant  nom  Tilian,  ])ainclre  de  l'enqiereui-  Charles 
et  trez  en  faveur,  où  il  avoyt  pourtraicl  Adam  et  Eve  au  moment 
oïl  Dieu  les  laissoyt  deviser  dedans  le  paradis  terrestre,  et  es- 
toyent  de  grandeur  naturelle  dans  le  costume  de  leur  temps, 
sur  lequel  il  est  difficile  d'errer,  veu  que  ils  estoyent  vestus  de 
leur  ignorance  et  caparassonez  de  la  graace  divine  qui  lesenve- 
loppoyt,  cliouscs  ardues  à  peindre  à  cause  de  la  couleur  et  ce 
en  quoy  avoyt  excellé  mon  dict  sieur  Titian.  Le  tableau  feut 
mis  en  la  chambre  du  paouvre  Roy,  (jui  lors  souffroyt  moult  du 
mal  dont  il  mourut.  Ceste  paincture  eut  unu  graut  succez  à  la 
Court  de  France,  oîichascun  souloyt  la  veoir  ;  ains  aulcun  n'eut 
ceste  licence  avant  la  mort  du  Roy,  veu  que,  sur  son  dezir,  ce 
dict  quadre  feut  laissé  dedans  sa  chambre  autant  que  il  ves(juil. 

Ung  iour  madame  Catherine  mena  chez  le  Roy  son  fils  Fran- 
çoys  et  la  petite  Margot,  lesquels  commençoyent  à  parlera  tort 
et  à  travers,  comme  font  tous  enl'aiis.  Ores  cy,  ores  là,  cesdicls 
enfans  avoyent  entendu  causer  de  ce  pourtraict  d'Adam  et 
d'Eve,  et  avoyent  tormenté  leur  mère  à  ceste  fin  que  elle  les  y 
menast.  Veu  que  ces  deux  petits  esgayoient  parfoys  le  vieulx 
Roy,  madame  la  Danlphine  les  y  conduisit. 

—  Vous  avez  voulu  veoir  Adam  et  Kve,  (jui  sont  nos  premiers 
parens  ;  les  vécy,  feit-elle. 

Adoncques  elle  les  laissa  |en  [grant  estomirement  devant   le 


582  CONTES  DROL.VTIOUES. 

tableau  du  sieur  Titian,  et  s'assit  au   chevet  du  Roy,  lequel 
print  plaisir  à  resguarder  les  enl'ans. 

—  Lequel  des  deux  est  Adam  ?  feit  Françovs  en  poussant  le 
coude  à  sa  sœur  Marguerite. 

—  Ignare,  repartit  la  fdle,  pour  le  sçavoir  fauldroyt  que  ils 
feussent  vestus. 

Ceslc  response,  qui  ravit  le  paouvrc  Roy  et  la  mère,  feut  con- 
signée en  une  lettre  escripte  à  Florence  par  la  royne  Catherine. 

Nul  escripvain  ne  l'ayant  mise  en  lumière,  elle  demourera 
comme  fleur  en  ung  coin  de  ces  dicts  Contes,  encores  que  elle 
ne  soyt  [nullement  drolaticque,  et  que  il  n'y  ayt  aultre  ensei- 
gnement à  en  tirer  que,  pour  ouvr  de  ces  iolys  mots  d'enfance, 
besoins  est  défaire  des  enl'ans. 


LA  BELLE  IMPÉRLV  MARIÉE 


COMMENT  SE    PRINT    MADAME    IMPERI.V  DANS   LES    FILETS    QUE   ELLE 
AVOYT   ACCOUSTUMÉ  TENDRE   A  SES    PIGEONS    d'aMOUR. 


La  lu'llc  madame  ImjK'iia,  laquolle  ouvre  glorieusement  ces 
(licts  Contes,  i)onr  ce  ([uc  elle  ha  esté  la  gloire  de  son  temps,  l'eut 
contrainctc  à  venir  en  la  ville  de  Home,  ajnès  la  tenue  du  Con- 
cile, veu  que  le  cardinal  de  Raguse  l'aymoyt  à  en  perdre  sa 
barette  et  voulut  la  guarder  près  de  luy.  Ce  braguard  estoyt  tant 
magnificfjue,  (jue  il  la  guerdonna  du  beau  j)alais(|ue  elle  eut  en 
cesle  dicte  ville  de  Home.  Vers  ce  temps  elle  é|>rouva  le  malheur 
d'estre  engrossée  par  cettuy  cardinal.  Connue  ungchascun  sçavt, 
ceste  grossesse  lina  par  une  belle  lille  de  laquelle  le  Pape  dit,  en 
gaussant,  que  besoing  estoyt  la  nommer  Théodore,  comme  si 
vous  disiez  Giierdon  de  Dieu.  La  lille  l'eut  nonmiécainsy  et  l'eut 


lir>o\uf;  osloyl  la  iioniiniT  Tlmodore,  coiiimc.si^vous  disiez  Giterdon 
de  Uii'.u. 


i,\  PFM.E  IMPKRIA  M\r;ii:r:.  r>sr, 

|j('ll(^  |»;ii'  :i(liniriili()ii.  I.c  caidiiuil  laissa  son  iK-iilai^o  ;'i  tnadanii; 
Tlu'odore,  que  la  hcllc  liiii)tiia  cslablil  en  s(tn  lioslcl,  vcu  (jucfllc 
s'enluit  de  cestc  ville  de  Home  connue  d'nn;j;  endroict  pernicienx 
où  se  faisoyent  enfans,  oii  elle  avoN  t  iailly  guaster  sa  taille  amou- 
reuse et  ses  inclytes  poiTcctions,  lignes  de  corps,  courbeurcsdu 
dos,  plans  délicieux,  mignonnerics  serpentines,  (jui  la  boutoyent 
au-dessus  des  anltres  femmes  de  la  clnesticnté  autant  que  le  sainct 
Père  est  au-dessus  des  anltres  chrestiens.  Ains  tous  ses  amans 
sceurent  que  par  l'ayde  de  onze  docteurs  de  l'adouc,  de  sept 
maistres  myres  de  Pavie  et  de  cinq  chirurgians  venus  de  toutes 
parts,  qui  l'assistèrent  en  ses  conciles,  elle  feut  saulvée  de  tout 
donnnaige.  Aulcuns  dirent  que  elle  y  avoyt  gaingnc  en  superfi- 
nesse et  blanclieur  de  taincl.  l'ng  illustre  de  THscliole  de  Saleine 
escripvit  à  ce  proupos  ung  livre,  pour  demonslrer  ro[)portunité 
d'une  couche  pour  la  frcscheur,  santé,  conservation  et  beaulté  des 
dames.  En  ce  livre  trez  docte,  il  feut  clair  pour  les  lecteurs  que  ce 
qui  cstoyt  plus  bel  à  veoir  en  madame  Impéria  estoyt  ce  (pie  il 
n'estoyt  licite  qu'à  ses  amans  resguarder  ;  cas  rare,  veu  que  elle  ne 
se  despouilloyt  point  pour  les  princes  d'Alleniaigne  ;  que  elle 
appelloyt  ses  margraves,  burgravcs,  électeurs  ôt  ducs,  comme  ung 
capitaine  faict  de  ses  souldards. 

Ung  eliascun  seayt  encores  (|ue,  advenue  en  l'aage  de  dix-liiiicL 
ans,  la  belle  Théodore,  pour  rachejjter  la  folle  vie  de  sa  mère, 
voulut  soy  mettre  en  religion  en  laissant  tons  ses  biens  an  couvent 
des  Ciairistes.  En  ceste  visée,  s'adonna  à  ung  cardinal  qui  la  dis- 
posoyt  à  faire  ses  dévotions.  Ce  maulvais  bergier  tronvason  onaille 
si  magnilic(}uemenl  belle,  ([ue  il  tenta  la  ioreer.  La  Théodore  se 
tua  lorsd'ung  coup  de  stylet,  j)Our  ne  point  estre  contamint'e  par 
ce  dessus  dict  prebstrc.  (]este  adventure,  consignée  ez  histoires 
du  temps,  effraya  moult  la  dicte  ville  de  Home  et  feut  ung  deuil 
pour  tous,  tant  cstoyt  aym('(>  la  fille  de  madame  Impéria. 

Alors  ceste  noble  courtizane  affligée  retourna  en  ceste  ville  de 
Rome  pour  yplonier  sa  paouvre  lille;  elle  dévalloyt  en  la  trente- 
neulviesme  année  de  son  aage,  qui  feut,  suyvant  les  aullieurs,  la 
saison  la  plus  verde  de  sa  magnilicque  beaulté,  pour  ce  que  tout 
en  elle  se  treuvoyt  lors  en  poinct  de  perfection,  connue  en  ung 
fruict  meur.  La  donlemla  l'eit  Irez  auguste  et  tiezaspre  j)ourcenlx 
<|ui  liiy  ])arloyent  d'amour  à  ceste  lin  de  seicher  ses  larmes.  liC 
Pape  luy-mesme  vint  en  son  palais  luy  bailler  aulcunes  paroles 
d'admonition.  Ains  elle  demoura  dedans  le  deuil,  disant  (ine  elle 


586 


CONTES  DROLATIQUES. 


s'adonneroyt  à  Dion,  veu  que  ollc  n'avovt  oncques  este  satisfaicte 
d'aulcun  lioniinc,  encores  que  elle  en  eust  veu  moult,  pour  ce  que 
tous,  voire  ung  petit  prebstre  que  elle  avoyt  adoré  comme 
cliaase,  l'avoyent  truphee,  tandis  que  Dieu  ne  la  trupherovt 
point.  Geste  résolution  l'eit  trembler  ung  cliaseun,  car  elle  estovt 
la  ioye  d'ung  nombre  infiny  de  seigneurs.  Aussy  s'abordovt-on  de- 
dans les  rues  de  Home,  se  disant  :  «  Où  en  est  madame  Impéria? 
va-t-elle  desnucr  le  monde  d'amour?  »  Aulcuns  ambassadeurs  en 
escripvirent  à  leurs  maistres.  L'empereur  des  Romains  feut 
moult  marry,  pour  ce  que  il  avoyt  baudouiné,  comme  ung  fol, 
durant  unzc  semaines,  avecques  madame  Impéria,  ne  l'avoyt 
laissée  que  pour  aller  en  guerre,  et  Taymoyt  encores  comme  son 
plusprétieux  membre,  qui,  pour  luy,  maulgrél'advis  de  sescour- 
tizans,  estoyt  l'œil,  pour  ce  que,  suyvant  son  dire,  il  estreingnoyt 
toute  sa  cliière  Impéria.  En  cesle  extresmité,  le  Pape  feit  venir 


ung  médecin  liespaignol  et  le  conduisit  à  la  belle  Impi'ria,  lequel 
prouva  foil  babilemenl,  par  raisons  déduictes  et  aornécs  de  cita- 


I.A  HELLE  IMPERIV  MARIEE.  587 

lions  grccqups  ot  latines,  (juo  la  lioaiillr  s'amnindrissoyt  par  lois 
pleurs  et  niarrisson,  ctqno  par  la  porte  des  chagrins  se  glissoyent 
les  rides.  Geste  proposition,  confirmée  par  les  docteurs  en  con- 
troverse du  Sacré  Collège,  eut  pour  ef'fect  de  l'aire  ouvrir  le  palais 
dès  la  vesprée  de  ce  iour.  Les  ieunes  cardinaulx,  les  envoyez  des 
pays  estranges,  ceulx  qui  avoyent  de  grans  biens,  et  les  pririci- 
pauk  de  cestc  dicte  ville  de  Rome  vindrcnt,  encombrèrent  les 
salles  et  menèrent  une  maistresse  feste;  le  menu  populaire  al- 
luma feux  de  ioye  ;  par  ainsy,  tout  célébra  le  retourner  de  la 
Royne  des  plaisirs  à  son  ouvraige,  car  elle  estoyt  en  celtuy  temps 
la  souveraine  des  amours.  Les  manouvriers  en  tout  art  l'aymoyent 
moult,  pour  ce  que  elle  dcsj)endoyt  do  notables  sommes  pour  édi- 
fier une  ecclise  en  ladicte  ville,  où  se  voyoyt  le  tumbeau  de  la 
Théodore,  lequel  l'eut  destruict  au  sac  de  Rome,  lorsque  mourut 
le  traistre  connestable  de  Bourbon,  pour  ce  que  ceste  saincte  fille 
y  feut  mise  en  ung  cercueil  d'argent  massif  et  doré,  que  voulurent 
avoir  les  damnez  souldards.  Ceste  basilicquc  cousta,  dict-on,  plus 
que  la  pyramide  bastie  iadis  par  la  dame  Rhodopa,  courtizane 
aîgyptiacque,  dix-huict  cents  ans  avant  la  venue  de  nostre  divin 
Saulvcur,  laquelle  tesmoingne  de  l'anlicquité  de  ce  plaisant  mes- 
ticr,  condjien  chier  payoycnt  la  ioye  les  saiges  .'Egyptiac([ues,  et 
combien  tout  s'en  va  diminuant,  veu  (jue  pour  ung  testoii  vous 
avez  une  chemisée  de  chair  blanche  en  la  rue  du  Pelit-IIeuleu,  à 
Paris.  Est-ce  pas  une  abomination  ? 

Oncques  ne  apparut  si  belle  madame  Imj)éria  (|ue  durant  ceste 
prime  leste  après  son  deuil.  Tous  les  princes,  cardinaulx  et  aul- 
tres  disoyent  (jue  elle  estoyt  digne  des  hommaiges  de  la  terre 
entière,  la(juclle  se  treuvoyt  représentée  auprès  d'elle  par  ung 
seigneur  de  chascun  des  pays  cognons,  et,  par  ainsy,  feust  am- 
plement demonstré  ([ue  la  bcaulté  estoyt  en  tous  lieux  la  royne 
de  toutes  cliouses.  L'envoyé  du  roy  de  France,  leipiel  estoyt  ung 
cadet  de  la  maison  de  l'Isle-Adani,  vint,  sur  le  tard,  encores  (jue 
il  n'eust  oncques  veu  madame  Impéria,  et  l'eust  trez  curieux  de 
la  veoir.  Ce  estoyt  ung  ioly  ieune  chevalier,  qui  avoyt  plu  moult 
au  roy  de  France,  en  la  Court  ducpiel  il  avoyt  une  myc  que  il 
aymoyt  avecijues  une  tendresse  infinie,  la([uelle  estoyt  une  fille  de 
monsieur  de  Montmoienc^y,  seigneur  de  (jui  les  domaines  avoi- 
sinoyentcenlx  de  la  maison  de  l'Isle-Adam.  A  cettuy  cadet  desnné 
de  tout  poinct  le  Roy  avoyt  baillé  aulcuncs  missions  en  la  duchic 
de  Milan,  dcs({uelles  il  s'estoyt  tant  prudemment  acquitté,  que 


-.i^^m^^^sH^^!^^^^^^^  > 


Les  priucii)aulx  do  cosle  ville  «le   liomu  \iuilicul,  ciicomlnùruul 
k'S  s;illcs. 


LA  BELLE   IMl'EHIA   MAUlÉi:.  589 

pour  ce  vcnoyt  d'eslrc  envoyé  à  Uoine  à  cesle  lin  dadvancer  les 
négociations  niaieures  dont  les  historiens  ont  amplement  escript 
en  leurs  livres.  Ores,  s'il  n'avoyt  rien  à  luy,  1(^  paouvre  mignon 
risle-Adatn  se  (ioyt  sur  ung  si  bon  commencement.  Il  estoyt 
miesvre  de  taille,  ains  torné  droict  comme  une  cohnnne,  brun' 
avecques  des  yeulx  noirs  (jui  soleilloyent  et  une  vraye  barbe 
de  vieulxlégatàquil'on  ne  pouvoyt rien  vendre;  ains,  par-dessus 
sa  finesse,  il  avoyt  ung  air  d'enfant  naïf  (jui  le  faisoyt  ayniabb; 
et  gentil  comme  petite  lille  rieuse.  Dès  que  cettuy  genlillionmie 
se  pourmena  chez  elle,  et  (ju'elle  le  veit,  madame  Impéria  se 
sentit  mordue  i)ar  une  phantaisie  supérieure  ({ui  luy  pinça  véhé- 
mentement son  luth,  et  y  feit  rendre  ung  son  que  elle  n'avoyt 
point  entendu  de  long  temps.  Aussy  feut-elle  tant  enivrée  d'a- 
mour vraye  à  la  vcue  de  ceste  fresclieur  de  ieuncsse,  que,  n'estoyt 
son  impériale  maieslé,  elle  eust  esté  baiser  ces  bonnes  ioucs  qui 
reluysoycnt  comme  petites  pommes.  Ores,  sraicliez  cecy  :  que  les 
femmes  dictes  })reudes  et  dames  à  cottes  armoriées  ignorent  de 
tout  poynct  la  nature  de  riiomme,  pour  ce  que  elles  se  tiennent 
à  ung  seul,  connue  la  royne  de  Fiance,  (jui  cuydoit  tous  les 
bonnnes  estre  punays,  le  lloy  l'estant;  ains  une  liaultecourlizane 
commeesloyt  madame  Impéria  cognoyssoyt  riiommeà  l'und,  pour 
ce  que  elle  en  avoyt  manié  un  grant  nundjre.  En  son  r('duict, 
img  chascun  n'estoyt  pas  plus  honteux  que  ung  chien  qui  rous- 
secaille  sa  mère,  etsemonstroyt  connue  il  estoyt,  se  disant  (pie 
il  ne  la  verroyt  point  ung  long  tcnq)s.  Ayant  souvent  di'plouré 
cette  subieclion,  j)ar  aulcunes  foys  elle  disoyt  (pic  elle  estoyt 
plus  tost  ung  souffre-plaisir  que  ung  souffre- douleur.  Là  estoyt 
l'envers  de  sa  vie.  Faictes  estât  (jue  besoing  estoyt  souvent  à  ung 
amoureux  de  la  charge  d'ung  mulet  en  escuz  pour  s'annuicter  en 
son  lict,  eiicoies  que  le  braguard  feust  réduict  à  se  couper  la 
gorge [)Our  ungieifuz.  Doncques,  pour  elle,  la  leste feut  d'esprou- 
ver  phantaisie  de  ieunesse  pareille  à  celle  que  elle  eut  pour  ce 
petit  prebstre,  dont  le  Conte  est  en  teste  de  ces  Dixaiiis;  mais, 
pour  ce  que  son  aage  estoyt  plus  advancé  (pie  dans  ce  ioly 
temps,  l'amour  léut  aussy  plus  asju'cment  esfably  en  elle,  et  veit 
bien  que  il  estoyt  de  la  nature  du  feu,  veii  (pie  il  ne  tarda  point 
à  se  faire  sentir;  de  faict,  elle  souffrit  en  sa  peau  comme  chat 
qu'on  cscorche,  et  tant,  (jue  elle  eut  envie  de  sauller  à  ce  gentil- 
homme et  l'empoiter  en  son  lict  comme  faict  ung  milan  d'une 
pio\e  ;  ains  m'  cuiilinl  en  ses  iuppes,  et  à  grant  poine.  Alors  que 


JAITîjT, 


Dès  que  calluy  (,'()iilillioiiimc  so    |hiiiriiioiiii  chez  clic,   et  que   dlo  lo   Toil, 
luudumc  linpci'ia  &c  sculil  luurduu  |iur  uiio  phuiilaisie  supcncuro. 


LA  BELLE  IMl'EIU.V  MARIEE.  591 

il  vint  la  saluer,  elle  s'acrosta,  se  liarnaclia  do  sa  maiesli'la  plus 
escailalle,  comme  l'ont  celles  qui  ont  ung  engonnage  d'amour  au 
cueur.  Geste  gravité  à  l'encontre  de  ce  icune  ambassadeur  estoyt 
tant  gricfve,  que  aulcuns  cuydèrent  que  elle  avoyt  une  occupa- 
tion pour  luv:  ('(jnivoc(piant  sur  ce  mot,  suyvant  la  l'asson  de 
ce  temps.  l/Islc-Adam,  se  sçaicliant  bien  aymé  tle  sa  mye,  se 
soulcyoyt  peu  de  madame  Impéria  grave  ou  l'allotte,  et  se  rigolla 
conmie  cliicsvre  desliée.  Lacourtizane,enliaultdespitdece,  muta 
ses  flustes  :  de  maussade,  se  l'eil  sade  et  sadinette  ;  vint  à  luy, 
agresla  sa  voix,  aguiza  son  resguard,  dodelina  de  la  teste,  le 
l'rosla  de  sa  manche,  luy  dit  Monseigneui',  restreignit  de  paroles 
byssines,  ioua  des  iloigts  en  samain  ctlinaparluysoubrirc  trez 
accortemcnt.  Luy,  ne  songiant  point  que  si  petit  compaignon  luy 
allast,  vcu  que  il  estoyt  desnué  de  deniers  et  ne  sçavoyt  point 
que  sa  beaulté  valoyt  pour  elle  tous  les  tbrezors  du  monde,  ne 
donna  point  dans  ces  filets  et  demoura  sur  ses  ergots,  le  poing  en 
la  liancbe.  Cesto,  mescognoissance  de  sa  pliantaisie  irrita  le  cueur 
de  Madame,  qui  par  ceste  estincelle  feut  mis  en  fou.  Si  vous 
doublez  de  cecv,  ce  est  pour  ce  (pic  vous  ne  soavoz  ce  que  estoyt 
du  mosticr  de  madame  Impéria,  hi(|uollo,  par  Ibrcc  de  le  faire, 
pouvoyt  lors  estre  accomparée  à  une  cliominée  en  laquelle  il  se 
estoyt  allumé  numdrc  inliny  de  feux  ioyeulx  qui  l'avoyent  en- 
cond)rée  de  suyes  ;  en  cet  estât,  une  allumette  suffit  à  tout 
brusler  là  où  cent  fagots  ont  fnnié  à  l'aise.  Doncques  elle  flamboyt 
en  elle-mosmc  du  liault  on  bas  d'une  manière  horrible,  et  ne 
pouvoyt  estre  estaincte  que  par  l'eaue  de  l'amour.  Le  cadot.dc 
i'Isle-Adam  yssit  sans  rien  veoir  de  ccstc  ardeur.  Madame  déses- 
péréedesadopartie,perditlesens,delatesteaux  talons,  et  si  bien 
que  elle  l'envoya  quorir  par  les  gallorios,  en  le  conviant  à  cou- 
chier  avocquos  elle.  (;onq)lez  que  en  aulcun  tonqis  de  sa  vie  elle 
ne  avoyt  eu  ceste  couardise,  ne  poui-  roy,  ne  pour  pape,  ne  pour 
enqiereur,  veu  que  le  hault'prixdosoucorps  venoyt  du  sorvaige 
où  elle  tenoytTliomme,  que  tant  plus  elle  abaissoyt,  tant  plus  elle 
s'élovoyt.  11  l'eut  jorsdictàcodosdaiiigiicux  jiarla  [)rinuMnoschine, 
qui  estoyt  finaude,  (pu>  vérisimilouiont  il  auroyt  une  boUo  outrée 
do  lict,  car  sans  double  aulcun  Madame  le  rosgualloroyt  do  ses 
plusmignoimes  inventions  d'amour.  L'isle-Adam  retourna  dedans 
les  salles,  trez  heureux  de  ce  cas  fortuit.  Alors  que  l'envoyé  de 
France  se  romonstra,  comnu^  ung  cbascun  avoyt  veu  blosmir 
Madame  de  sa  départie,  ce  l'eut  ung  tiain  de  ioye œcumenicque 


Alors  que  il  vint  la  saluer,  elle  s'acrestn,  sp  lianiacha  de  sa  inaieslé.la 
plus  escarlalte,  comme  font  celles  qui  ont  iiiif,'  engonnape  d'amour 
au  rucur. 


LA  BELLE  IMPÉRIA   MARifiE.  503 

pour  ce  que  ung  chascun  fcul  aiso  de  Iiiy  veoir  reprendre  sa  belle 
vie  d'amour.  IIii^  eai'dinal  aiif^loys,  (jui  avoytlium('[)liis  d'uiit:  |iot 
ventru  et  vouloyl  tasler  de  la  belle  Impéria,  vint  à  Ilsle-Adaïu. 
et  luy  dit  à  l'aurcille  :  «  Quenouillez-la  dru,  à  ceste  fin  que 
oncques  elle  ne  nous  escbappe.  »  L'bistoire  de  ceste  nuich'c 
l'eut  dicte  au  Pape  à  son  lever,  lequel  respondit  :  Lœtamini, 
gente^,  quoniam  siurre.rit  Dominns.  Citation  que  les  vieulx  car- 
dinaux abominèrent  comme  profanation  d<'s  textes  sacrez.  Ce  que 
voyant,  le  Pape  les  rabbrona  moult  et  print  occasion  de  les  se- 
mondre  en  leur  disant  que,  s'ils  estoyent  bons  cbrestiens,  ils 
estoyent  maulvais  ])oliti(ques.  De  faict,  il  comptoyt  sur  la  belle 
Impéria  pour  apprivoiser  l'Empereur,  et  dans  ceste  vizee  il  la 
seringuoyt  de  flatteries. 

Le  palais  estainct,  les  flacons  d'or  à  terre,  les  gens  yvrcs 
sommeillant  au  rez  des  tapis,  Madame  rentra  dedans  la  salle  où 
elle  coucbioyt,  en  tenant  par  la  main  son  cliier  amy  esleu,  bien 
aise  et  advouant  du  depuys  que  elle  eut  pliantaisic  si  roide,  que 
elle  avoyt  failly  se  coucbier  à  terre  comme  beste  de  somme,  en 
luy  disant  de  l'escraser,  si  faire  se  pouvoyt.  L'Isle-Adam  dellcit 
ses  vestemens  et  secoucbia  comme  cbez  luy  ;  ce  que  vovant,  Ma- 
dame saulta  l'estrade  en  piaffant  sur  ses  iuppes  à  peine  deffaicles, 
et  vint  au  deduict  avec(pies  une  brutalité  de  la(iuelle  s'estomirè- 
rent  ses  femmes,  qui  la  sçavoyent  autant  preude  femme  au  lict 
que  pas  une.  Cet  estonnement  gaigna  tout  le  pays,  veu  que  les 
deux  amans  demourèrent  dedans  ce  lict  durant  neuf  iours,  beu- 
vant,  mangiant  et  faisant  cricquon  cricquette  d'une  fasson  ma- 
gistrale et  superlatifve.  Madame  disoyt  à  ses  femmes  avoir  mis  la 
main  sur  ung  pbenice  d'amour,  veu  que  il  renaissoyt  à  tous  coujjs. 
11  ne  fcut  bruit  dedans  Rome  et  l'Italie  que  de  ceste  victoire 
remportée  sur  Impéria,  qui  se  iactoyt  de  ne  le  céder  à  aulcun 
homme,  et  cracliioyt  sur  tous,  voire  sur  les  ducs  :  car  pour  ce 
qui  est  des  dessusdicts  burgraves  et  margraves,  elle  leur  bailloyt 
la  queue  de  sa  robbe  à  tenir,  et  disoyt  (jue,  si  elle  ne  marcliioyt 
sur  eulx,  ils  marcberoyent  sur  elle.  Madame  advouoyt  à  ses  mes- 
chines  que,  au  rebours  des  aultrcs  bonnnes  que  elle  avoyt  sup- 
portez, tant  plus  elle  mignottoyt  cettuy  enfant  d'amour,  tant  ])lus 
elle  souloyt  le  niignolter,  et  ne  seauroyt  onwpiessc  passer  de  luy, 
ne  de  ses  beaulx  yeulx  (pii  l'aveugloyent,  ne  de  sa  branche  de 
corail  de  laquelle  avoyt  lousiours  faim  et  soif.  Elle  dit  encores 
que,  s'il  avoyt  tel  dezir,  elle  luy  lairrovt  sugcer  son  sang,  man- 

50." 


504  CONTES  DROLATIQUES. 

gier  ses  tettins,  ((ui  estoycnt  les  plusbeaulx  du  monde,  et  couper 
ses  cheveuh,  desquels  clic  n'avoyt  donné  que  ung  soûl  à  son  bon 
Empereur  des  Romains  (jui  le  guardoyt  en  son  col  eonmie  pré- 
lieuse relicque  ;  llnablenicnt,  elle  advoua  que  de  ceste  nuictée 
seulement  commençoyt  sa  vraye  vie,  pour  ce  que  ce  Yilliers  de 
lisle-Adam  la  faisoyt  esmeuc  au  déduict  et  luy  mouvoyt  le  sang 
par  trois  voltes  au  cueur  durant  une  IVostée  de  moucbes.  Ces 
dires  estant  cogneus  feirent  ung  cliascun  moult  many.  Dès  sa 
jtriine  sortie,  madame  bnpéria  dit  aux  dames  de  Home  que  elle 
mourroyt  de  maie  mort,  si  elle  estoyt  laissée  par  cettuy  gentil- 
bomme,  et  se  fairoyt  picquer  comme  la  royneCléopastrapar  ung 
scorpion  ou  aspic;  en  fin  de  tout,  elle  déclaira  Irez  aj)ertement 
que  elle  disoyt  ung  éterne  adieu  à  ses  folles  imaginations  et 
monstreroyl  au  monde  entier  ce  que  estoyt  de  la  vertu,  en  aban- 
donnant son  bel  empire  pour  cettuy  Yilliers  de  l'Isle-Adam,  du- 
quel elle  aymoyt  mieulx  estre  la  servante  que  régner  sur  la 
cbrestieijté.  Le  cardinal  angloys  remonstra  au  Pape  que  ce  estoyt 
une  inl'ame  dépravation  que  ceste  amour  vraye  pour  ung  seul  au 
cueur  d'une  femme  qui  estoyt  la  ioye  de  tous,  et  que  il  debvoyt 
frapper  de  quatre  nuUitez  par  ung  bref  in  partibus  ce  mariaige 
qui  mulctoyt  le  beau  monde.  Ains  l'amour  de  ceste  paouvre  fille 
qui  lors  confessoyt  les  misères  de  sa  vie,  estoyt  chouse  si  iolie 
et  rcnmoyt  tant  la  fressure  au  plus  inanlvais  garson,  que  elle  feit 
taire  tous  les  dires,  et  ung  cliascun  luy  pardonna  son  lieur.  Ung 
iour  de  quaresme,  la  boime  Impéria  feit  ieuner  ses  gens,  leur 
commanda  de  soy  confesser  et  revenir  à  Dieu  ;  puis  elle-mesme 
alla  se  gecter  aux  rez  des  pieds  du  Pape,  et  y  feit  tel  repentir 
d'amour,  que  elle  obtint  de  luy  rémission  de  tous  ses  pecliez,  cuy- 
dant  que  l'absolution  de  mon  dict  Pape  comnumicqueroyl  à  son 
ame  le  pucelaige  (jue  elle  se  doubtoyt  de  ne  pouvoir  offrir  à  son 
amy.  Besoing  est  de  croire  que  la  piscine  ecclésiasticque  eut  aul- 
cune  vertu,  veu  que  le  paouvre  cadet  fent  enveloppé  de  rets  si 
bien  engluez,  que  il  se  cuydoyt  ez  cieulx,  et  laissa  les  négocia- 
tions du  roy  de  France,  laissa  son  amoui'  |)oui-  la  demoiselle  de 
Montmorency,  linablement  laissa  tout  pour  marier  madame  Im- 
p('ria,  à  ceste  fin  de  vivre  et  mourir  avecqueselle.  Voilii  quel  l'eut 
l'eficct  des  savantes  manières  de  ceste  grant  dame  de  jilaisir,  une 
fois  (pie  sa  science  torna  au  proufllct  d'ung  amour  de  bon  aloy. 
.Madame  Inqx'ria  feit  ses  adieux  à  ses  mignons  et  |tig('ons  j)ar 
une  Icsti'  royale  donnée  pour  ses  nojjces,  qui  l'eurent  nicrveij- 


L\  liKLLE  IMPKRI.V   MAniKI-].  595 

leusos  ot  auxquelles  vindront  les  princes  italians.  Elle  avoyt,  ce 
dicl-on,  ung million  d'cscuz  d'or.  Veurénorniilédcccslc  somme, 
ung  cliascun,  loing  de  blasmer  l'Islc-Adam,  luy  feit  force  compli- 
mens,  i)our  ce  que  il  l'eut  apertement  demonslié  cpie  ne  ma- 
dame hnpéria,  ne  son  ieune  espoux,  ne  songioycnt  ne  l'ung  ne 
l'aultre  à  ces  grans  biens,  tant  la  cliousctte  estovl  leur  unieque 
pensier.  Le  Pape  bénit  leur  mariaige  et  dit  que  ce  cstoyt  bel  à 
veoir  ceste  fin  d'une  vierge  folle,  laquelle  faisoyt  retour  à  Dieu  par 
voye  de  mariaige.  Ains,  pendant  eeste  extresme  nuict  où  il  fcut 
licite  à  tous  veoir  la  loyne  de  beaulté  qui  alloyt  devenir  simjjle 
cbastelaine  au  pays  de  France,  il  y  eut  bon  nund)re  de  gens  qui 
déplourèrent  les  nuictées  de  bons  rires,  les  médianoclies,  Testes 
mas(|uées,  iolys  tours,  et  ces  heures  molles  où  cliascun  luy  vuy- 
doyt  son  cueur;  enfin,  eurent  regret  de  toutes  les  aises  qui  se 
trouvoyent  chez  eesle  superfine  créature,  laquelle  pai'ut  plus  alles- 
cliante  qu'en  aulcun  prinlenq)s  de  sa  vie,  veufpie  son  extresme 
ardeur  cbordialc  la  faisoyt  reluire  comme  soleil.  Moult  se  lamen- 
toyent  sur  ce  qu'elle  avoyt  la  tristifiante  pbantaisie  de  finer  en 
femme  de  bien  :  à  ceulx-ci  madame  de  l'Isle-Adam  disoyt  en 
ioc([uetant  que,  après  vingt-quafre  années  employées  à  faire  le 
bien  public,  elle  avoyt  bien  gaingné  de  soy  reposer;  aulcunsluy 
rcmonstrèrent  que,  pour  loing  que  feust  le  soleil,  ung  cliascun 
s'y  chauffioyt,  tandis  que  elle  ne  se  monstreroyt  plus  à  eulx  :  à 
ceulx-là  elle  respondit  que  elle  auroyt  encore  des  soubrires  pour 
les  seigneurs  qui  viendroycnt  veoir  comment  elle  ioueroyt  le 
roolc  de  femme  de  bien.  A  ce,  l'envoyé  angloys  dit  que  elle 
cstoyt  capable  de  tout,  mesmes  de  pousser  la  vertu  au  poynct  su- 
presme.  Elle  laissa  ung  présent  à  ung  chascun  de  ses  amys,  de 
notables  sommes  aux  paouvres  et  souffreteux  de  Rome  ;  puis  feit 
abandon  au  couvent  oii  debvoyt  cstrc  sa  lille  etàl'ecclise  (jue  elle 
bastissoyt  des  deniers  que  elle  avoyt  héritez  de  la  Théodore  et  qui 
vcnoyent  dudict  cardinal  de  Raguse. 

Alors  que  les  deux  espoux  s'arroutèrent,ils  feurentaccompai- 
gnez  iusques  à  ung  grant  bout  de  chemin  par  des  chevaliers  en 
deuil  et  voire  par  le  peuple,  (|ui  leur  feit  mille  soubhailsde  bon 
heur,  pour  ce  que  madame  Impéria  n'avoyt  do  liguenr  que  pour 
les  grans  et  se  nionstroyt  uuiverselleinenl  douloc  aux  paouviHîs. 
Ceste  belle  royne  des  amours  feust  festée  ainsy  sur  son  passaige 
en  toutes  les  villes  d'Italie  où  le  bruit  de  sa  conversion  se  cstoyt 
rcspandu,  et  où  ung  chacun  cstoyt  curieux  de  veoir  ces  deux 


500 


CONTES  DROLYTIQUES. 


espoux  si  amans,  cas  rare.  Plusieurs  princes  receurent  à  leur 
Court  ce  ioly  couple,  disant  que  besoing  estoyt  de  l'aire  honneur 
à  ceste  femme  qui  avoyt  le  couraige  de  renoncer  à  son  empire 
sur  tous  pour  devenir  femme  de  bien,  Ains  il  y  eut  ung  mauhais 
garson,  qui  estoyl  monseigneur  le  duc  de  Fcrrare,  lequel  dit  au 
cadet  de  Tlsle-Adam  que  sa  grant  l'ortune  neluy  coustoytpas  cliier. 
A  ceste  |prinie  offense  madame  hnpéria  monstra  combien  elle 
avoyt  le  cueur  liault,  veu  que  elle  abandonna  tous  les  escuz  ve- 
nant de  ses  pigeons  d'amour  pour  l'aornement  du  diiome  do 
Sancta  Maria  del  Fiore  en  la  ville  de  Florence,  ce  qui  feit  rire  aux 


dcsprii>  tlii  sire  diisle,  lequel  >ie  latlojt  de  baslir   une   ecchse 
manlgn'  la  n)iesvreric  de  ses  revenus;  cl  comptez  (jue  il  fout 


LA  T!FJ,IF:  IMPÉRIA   MARIEE.  r>07 

moult  Ijlasnirdocc  mol  par  son  frèro  le  cardinal.  La  bollc  Im|ti'ria 
ne  conserva  que  SOS  biens  à  cllool  ceuh  (pic  rEmi)ercui-  lu\  avovt 
accordez  par  pure  amitié  depuis  sa  de|»arlie,  les([uels  csloyent 
considérables.  Le  cadet  de  l'Islc-Adam  eut  une  rencontre  avccques 
ce  duc,  en  laquelle  il  le  blessa.  Par  ainsy,  madame  de  l'Isle-Adam 
ne  son  mary  ne  purent  estre  reprouclioz  en  aulcune  manière.  Ce 
Iraictde  cbevallerie  la  feit  ^glorieusement  accueillir  par  tous  les 
lieux  (le  son  passaij^e,  et  surtout  en  Piedmont,  où  les  festes  l'eu- 
rent trezguallantes.  Les  vers,  commesonnets.epitbalameset  odes, 
que  composèrent  lors  les  poètes,  ont  esté  misenaulcuns  recueils; 
ains  toute  poésie  estoyt  piètre  auprès  d'elle,  qui,  suyvant  ung 
mot  de  messer  Boccacio,  estoyt  la  poésie  mesme. 

Le  prix  en  ce  tournoy  defestes  etguallanteries  l'eut  au  bon  Em- 
pereur des  Romains,  lequel,  saichant  la  sottie  du  duc  de  Ferrare, 
despescbaung  envoyé  à  sa  mye,  encliargié  de  lettres  manuscriptes 
latines,  en  lesi|uelles  il  luv  disoyt  l'avnier  tant  j)our  ellc-mesme, 
que  il  estoyt  tout  ioyeulx  de  la  scavoir  heureuse,  ains  triste  que 
tout  son  heur  ne  vinst  pas  de  luy  ;  que  il  pcrdoyt  le  droict  de  la 
guerdonner,  ains  que,  si  le  royde  France  luy  laisoyt  Iresche  mine, 
il  tiendroyt  à  honneur  d'acquérir  ung  Yilliérs  au  sainct  Empire, 
et  luy  donneroyt  telles  principanlez  que  il  vouldroyl  choisir  en  ses 
domaines.  La  belle  Inqx'ria  l'eit  response  que  elle  sçavoit  l'Empe- 
reur trez  grant,  ains  que,  deust-elle  souffrir  en  France  mille  af- 
fronts, elle  délibérovt  v  fmer  ses  iours. 


i'oiiil  lie   voulut   aller  ii  la  Court  la  ilainc  de  l'Islc-Aihun,  aiiis   vcsquit 
cz  cliaMi|)S. 


II 


COMMENT  Fl.N.V    CETIUY    MARIAIGE. 


Dans  le  lioubte  tl'ostrc  ou  non  accueillie,  point  ne  voulut  aller 
à  la  Court  la  dame  de  l'Isle-Adani,  ains  vesquit  cz  champs,  on  son 
dict  sieur  espoux  luy  leit  ung  bel  establissenient  en  aciieptant  la 
seigneurie  de  Bcauinont-le-Vicomte,  ce  (pii  donna  lieu  à  IV'qui- 
vocque  sur  ce  nom  relatée  par  nostre  bien  aynié  Rabelais  dans 
son  trez-magni(ic(pie  livre.  Le  cadet  acquit  encores  la  seigneurie 
de  Nointel,la  forest  de  Carenellc,  Sainct-Martin  et  aultres  lieux 
voisins  de  risle-.\(lain,oîi  demouroyt  son  frère  Villiers.  Ces  dicts 
acquests  lel'eirent  le[)lus  [)uissant  seigneur  en  l'Isle-de-Franceet 
vicomte  de  Paris.  11  eut  cure  de  bastir  ung  merveilleux  cbastel 
lez  Beaumont,  qui  l'eut  ruyné  pieçà  par  l'AngloySjCt  l'aorna  des 
meubles,  bobans,  tajjis  estranges,  bahuts,  tableaulx,  statues  ci 
curiositez  de  sa  femme,  laquelle  estoyt  bonne  cngnoisseuse,  ce 
qui  accomparaigea  celtny  manoir  aux  plus  magnilîc(pies  chas- 
tcaulx  cognens.  Les  deux  espoux  menèrent  une  vie  tant  enviée 
de  tous,  que  il  n'estoyt  bruit  en  la  vil'c  dei'arisct  en  la  Court 
que  de  cclluy  niariaige,  de  Theur  du  sire  de  Dcaumout  et  par- 


ii\  cli.É-icl  (lu  (..kIci  ilu  llsk-Ailiim. 


Les  il.'ux   r-|..Hu    lurii-  iviil    Mil.'   M.'   l.nil  cuMo:   ,1,'   t.m,,   .[u,-   il   ncstoyl 
bruit    eu  la   ville   Je  l'aiii  cl  en  la  Cauit  nuo  do  cotluy  mariaigo. 


51 


GO'2  CONTES  DROLATIQUES. 

dessus  tout  de  la  parlaicto,  Icalo,  gracieuse  et  religieuse  vie  de  sa 
femme,  que,  par  coustume  prinsc,  aulcuns  nommoyent  tousiours 
madame  Impéria;  lacjuellc  ne  estoyt  plus  ne  fière  ne  trencliantc 
comme  acier,  ains  avoyt  les  vertus  et  qualitcz  d'une  femme  de 
bien,  à  en  remonstrer  à  une  royne.  Elle  estoyt  bien  ayméc  de 
l'Ecclise  pour  sa  grant  religion,  veu  que  elle  n'avoyt  oncques 
oublié  Dieu,  ayant,  comme  elle  disoyt  iadis,  moult  margaudé 
avecques  les  gens  d'Ecclise,  abbez,  évesques,  cardinaulx,  lesquels 
luy  bailloyent  eaue  benoistc  en  sa  cocquillc,  et  entre  deux  cour- 
tines luy  ramentevoyent  son  salut  éternel.  Les  louanges  faictes 
de  ceste  dame  eurent  tel  eflcct,  que  le  Roy  vint  en  Beauvoisis 
pour  avoir  subiect  de  veoir  ceste  merveille,  et  feit  au  sire  la 
graace  de  couchier  à  Beaumont,'!y  demoura  trois  iours  et  y  mena 
une  chasse  royale  avecques  la  Royne  et  toute  la  Court.  Comptez 
que  il  feut  esmerveiglé,  connue  aussy  la  Royne,  les  dames  et  la 
Court,  des  Hissons  de  ceste  belle,  qui  feut  proclamée  dame  de 
courtoisie  et  de  beaulté.  Le  Roy  en  prime  abord,  puis  la  Royne, 
et  ung  chascun  soula  conq)limenter  l'Isle-Adam  d'avoir  esleu 
pareille  femme.  La  modestie  de  la  chastelaine  feit  plus  que  n'eust 
faict  la  fierté,  veu  ({uc  elle  feut  conviée  à  aller  en  la  Court  et 
partout,  tant  estoyt  impérieux  son  grant  cueur,  tant  estoyt  tyran- 
nic([uc  son  violent  amour  pour  son  espoux  !  Comptez  que  ses 
appas,  mussez  soubz  les  drapeaux  de  la  vei'tu,  n'en  l'eurent  que 
plus  gentils.  Le  Roy  bailla  la  charge  vacquantedesalieutenance 
en  risle-de-Francc  et  prévostc  de  Paris  à  son  ancien  envoyé, 
luy  donnant  le  tiltre  de  vicomte  de  Reaumont,  ce  (|ui  l'cstablit 
gouverneur  de  toute  la  province,  et  le  mil  sur  ung  grant  jtied  à 
la  Court.  Ains  de  ce  séiour  vint  une  playe  au  cueur  de  uiadanK», 
de  Reaumont,  pour  ce  que  ung  maulvais  ialoux  de  cet  heur 
sans  nieslangc  luy  demanda  en  manière  de  ien  si  Reaumont  luy 
avoyt  parlé  de  ses  primes   amours  avecipies  la  demoiselle  de 
Moiilmorciicy,  laquelle  avoyt  lors  vingt-deux  ans,  veu  que  elle 
en  avoyt  seize  lors  du   inariaige  faict  à  Rome,  laquelle  damoi- 
selle  l'aymoyt  tant,  (juc  elle  dcmouroyt  pucelle,  n'entciuloyt  à 
aulcnn  mariaige  et  se  mouroyt  de  desespoir  en  ses  cottes,  ne 
[)ouvant  perdre  souvenir  de   son   amant  endih",  et  vouloyt  soy 
niellre  au  couvent  de  Chelles.  Madame  hnpi'ria,  depuis  six  années 
(|U(;  duroyt  son  heur,  n'avoyt  onccjues  ouy  ce  nom,  et  recogneut 
à  ce  (jue  elle  estoyt  bien  aymée.  Eaictes  estât  que  cettuy  tenq)s 
avoyt  este  consumé  comme  ung  seul  iour,  (|uc  tous  deux  se 


Faitles   estai    que    ceUuy    toiniis    avoyl  eslû  tonsuiuo   connue 
uiig  seul  iour. 


GOi  CONTES  DROLATIQUES. 

cuydovonl  niaiioz  de  la  vcillo,  (jiie  chasciinedes  nuicts  cstoyt  une 
nuift  (le  nopces,  et  (|iio  si,  pour  aller  vooir  à  uiig  soing  (IcIkhs, 
le  vicointo  s'esloingnoyt  do  sa  romine,  il  fstoyt  mc'lancliolicquc,  ne 
pouvant  la  perdre  de  veue,  ne  elle  non  plus  luy.  Le  Roy,  qui 
avnioyt  moult  le  vicomte,  luyditaussy  ung  mot  (|ui  luy  dcmoura 
comme  espine  au  cueur,  en  luy  disant:  «  Tune  lias  poinct  d'en- 
lans?  »  A  (jnoi  Beaumoiit  resjiondit  on  homme  sur  la  playe 
duquel  on  boutoyt  le  doigt  :  «  Monseigneur,  mon  rrcroon  ha;  par 
ainsy,  nostre  lignaige  est  alîermy.  »  Ores,  il  advint  que  les  deux 
enfans  de  son  frère  moururent  de  maie  mort,  l'ung  à  ung  tour- 
nov  par  chute  de  cheval,  et  l'aullre  de  maladie.  Monsieur  de 
risle-Adam  concout  toile  douleur  de  ces  deux  morts,  que  il  périt 
de  ce,  tant  il  aymoyt  ses  doux  iils.  Par  ainsy,  le  vicomte  de  lleau- 
mont,  les  acquests  de  Carenelle,  de  Sainct-Marlin,  de  Nointel  et 
les  domaines  à  l'entour  feurent  réunis  à  la  seigneurie  de  l'isle- 
Adam,  aux  iorests  voisines,  et  le  cadet  devint  chiel'de  maison. 
En  cettuy  temps.  Madame  comptoyt  ()uarante-cinq  ans  d'aage,  et 
estovt  tousiouis  idoyno  à  l'aire  enfans,  tant  bonne  estoyt  sa  mem- 
breure  ;  ains  elle  ne  concepvoyt  point.  Alors  que  elle  voit  le 
lignaige  de  l'Islc-Adam  fine,  elle  se  iacta  de  produire  une  lignée. 
Ores,  comme  dej)uis  sept  années  esclieues  elle  n'avoyt  oncques  eu 
lo  j)lus  logior  soupçon  d'enfaiifcMiiont,  ollecuyda,  d'après  l'advis 
d'un  saige  phvsician  que  ollo  manda  de  Paris  et  l'oit  venir  ca|)iet- 
temcnt,  que  ceste  non-fécundalion  provenoyt  de  ce  que  tous  doux 
elle  et  son  espoux,  tousiours  plus  amans  (jue  espoux,  prenoyenl 
tant  de  ioye  au  déduict,  que  l'engeiulreure  en  estoyt  empeschiée. 
Adnnc<pios  dm-anl  ung  tonqis  ollo  s'appliijua,  la  bonne  fennne,  à 
demouror  calme  comme  une  galline  sous  lo  cocij,  [)our  ce  que  le 
physician  luy  avoyt  remonstré  (|uo,  dans  Testât  de  nature,  onc- 
ques ne  failloyent  les  bestes  à  produire,  veu  que  les  femelles  ne 
usoyent  d'aulcuns  artifices,  ne  mignotleries,  ne  lesbinaiges  et 
mille  lassons  avocques  lesciuollos  les  femmes  accominodoyent  les 
olives  do  Poissy  ;  etpour  ce,  l'eit-elle,  esloyent  à  hou  lillre  dictes 
hedea:  ains  elle  foil  promesse»  de  nv,  plus  iouer  avoc(jUos  sa 
cliière  branche  coralline,  el  mettre  en  oubly  toutes  les  conlîc- 
lureries  que  elle  avoyt  enginiées.  Las!  encores  que  elle  se  tinst 
saigement  eslouduo  counni;  oesto  Allemande.  la(|uelle  font  cause 
pai'  sa  coite  alleoro  cpieson  espoux  la  chovauleliia  morte  otalla, 
le  pa(Mivre  baron,  demander  lalisoliitioii  de  c(!  cas  au  Pape,  (jui 
rendit  son  célèbre  br(!f  011  il  piioyt  les  dames  de  Franconie  do  se 


LA  BELLE  IMPÉRIA  MAHlfiE.  605 

'légieremcnt  mouvoir  an  dôdiiict,  pour  que  ce  péché  n'advinst 
plus,  madame  de  risle-Adam  ne  conceut  point,  ot  cheut  en  grant 
mélancholie.  Puis,  elle  commença  ià  d'observer  condiicn  eslovt 
songeur  par  momens  l'Isle-Adam,  que  elle  espia  lorsque  il  cuv- 
doytn'estre  [)oint  veu  et  qui  plouroyt  de  ne  avoir  aulcun  l'ruict 
de  son  amour.  Bientost  les  deux  espoux  meslèrent  leurs  pleurs, 
veu  que  tout  estoyt  commun  en  ce  beau  mariaige,  et  que,  ne  se 
laissant  point,  i'orce  estoyt  que  le  pensierde  l'ung  leust  le  pensier 
de  l'aullre.  Quand  Madame  voyoyt  l'enlant  d'ungpaouvre,  elle  se 
mouroyt  de  douleur  et  en  avoyt  pour  ung  iour  à  se  reconforter. 
Voyant  ceste  grant  poine,  l'Isle-Adam  ordonna  que  tous  enfans 
se  tinssent  esloingnez  de  sa  femme,  et  luy  dit  les  plus  doulces 
paroles,  comme  que  les  enfans  souvent  tornovent  à  mal  ;  à  quoy 
elle  respondit  (jue  ung  enfant  laict  par  eulx,  qui  s'aymoyent  tant, 
seroyt  le  plus  bel  enfant  du  monde;  il  dit  que  leurs  lieulx  pou- 
voyent  périr  comme  ceulx  à  son  paouvre  frère,  à  quoy  elle  res- 
pondit que  elle  ne  les  lairroyt  point  s'esloingner  de  sa  iuppe  plus 
(lu'une  galline  faict  de  ses  poussins,  tousiours  à  la  ronde  de  son 
œil;  enfin  avoyt  response  à  tout.  Madame  feit  venir  une  femme 
soupçonnée  de  magie  et  qui  passoyt  pour  avoir  observé  ces  mvs- 
tères,  laquelle  luy  dit  que  elle  avoyt  veu  souvent  femmes,  qui  ne 
concepvoyent  point,  maulgré  leurs  études  à  bien  faire  la  ioye, 
concepvoir  en  la  manière  des  bestes  laquelle  estoyt  la  plus  simple. 
Lors  Madame  se  mit  en  debvoir  de  faire  à  l'imitation  du  bestial, 
et  de  ce  n'obtint  aulcune  enfleure  de  ventre,  lequel  demourovt 
ferme  et  blanc  comme  marbre.  Klle  revint  à  la  science  phvsicale 
des  maistres  docteurs  de  Paiis  et  envoya  quérir  ung  célèbre  mé- 
dicin  arabe,  lequel  estoyt  venu  lors  en  France  y  produire  une 
nouvelle  science.  Adoncques  cettuy  médicin,  élevé  en  l'escbole 
d'ung  sieur  Averroës,  luy  dit  ceste  cruelle  sentence  :  que  pour 
avoir  receu  trop  d'bommes  en  sa  nauf,  et  s'estre  adonnée  à  leurs 
])bantaisics  connue  elle  avoyt  coustume  en  faisant  le  ioly  mestier 
d'amour,  elle  avoyt  à  tout  iamays  ruyné  certaines  grappes  où  Dame 
Nature  avoyt  accroché  aulcuns  œufs ,  les(juels,  fécunde/  par  les 
masles,  estoyent  couvez  à  couveit  et  descpiels  esdosoyent  on  l'ac- 
couchemont  les  petits  de  toute  fomelle  portant  mamelles,  ce  qui 
estoyt  prouvé  par  la  coëffe  traisnée  par  aulcuns  enfans.  Cesteargu- 
nientation  parut  si  mamallement  sotte,  beste,  niaise,  à  contre-sens 
des  Livies  saincls,  où  est  establie  la  maiesté  de  l'homme  faict  à 
l'imaige  de  Dieu,  et  tout  au  rebours  des  svstèmes  suyvis  de  la 


Ouund  iM;iJjiiiu  vuyuyl  I'i'mI^iiiI  il'uii^  |i:iiiuvi'C,  ulKt  so  inoul'uyt  du 
douleur  cl  en  avo^  l  pour  ung  iuui'  ù  &o  rucuafortcr. 


LA  BELLE  IMPÉRIA  MARifiE.  607 

saine  raison  et  l)onnc(lootrino,  que  les  tlocteursde  Paris  en  feirent 
mille  bourdes.  Le  niétlecin  arabe  laissa  l'Eschole  où  one(jues  ne 
fc'ul  question  du  sieur  Averroës,  son  maistre.  Les  nivres  dirent  à 
Madame,  qui  estoyt  venue  souricquoisement  à  Paris,  (pio  olicalliist 
son  train,  veu  que  elle  avoyt  eu,  durant  sa  vie  d'amour,  la  belle 
Tbéodore,  du  cardinal  de  Raguse  ;  que  le  droict  de  faire  enfans 
demouroyt  aux  femmes  tant  que  duroyt  la  marée  du  sang,  et  que 
elle  eust  cure  de  multii>lier  les  cas  d'enfantement.  Cet  advisluy 
parut  tant  saige,  que  elle  multiplia  ses  victoires,  ainsce  feut  mul- 
tijjlier  ses  deffaictes,  veu  que  elle  n'obtint  que  fleurs  sans  fruict. 
La  paouvre  affligée  escripvit  lors  au  Pape,  qui  l'avmovt  moult,  et 
luy  manda  ses  douloirs.  Le  bon  Pape  luy  respondit,  par  une  gra- 
cieuse bomelie  escripte  de  sa  main,  que  là  où  la  science  humaine 
et  les  cbouses  terrestres  faisoyent  deffault,  besoingestovtde  soy 
tourner  vers  le  ciel  et  implourer  la  graace  de  Dieu.  Lors  feut 
conclud  par  elle  d'aller  pieds  nus,  en  compaignie  de  son  espoux, 
devers  Nostre  Dame  de  Liesse,  célèbre  par  son  intervention  en 
pareil  cas,  et  feit  vœu  d'y  bastir  xme  magnificque  cathédrale  en 
merciement  d'ung  enfant.  Ains  elle  se  meurdrit  et  guasta  ses 
iolys  pieds,  puis  ne  conceut  aultre  chouse  que  le  plus  violent  cha- 
grin, et  qui  feut  tel,  queaulcunsdc  sesbeaulxcheveulx  tombèrent 
et  aulcuns  blanchirent.  Finablement,  les  facullez  de  faire  enfans 
luy  feurent  retirées,  d'où  vindrent  aulcunes  espaisses  vapeurs 
yssucs  des  hypocondres,  lesquelles  luy  iaunirent  le  tainct.  Elle 
comptoyt  lors  quarante-neuf  années,  et  habitoytson  chastelde 
l'Isle-Adam,  où  elle  maigrissoyt  comme  lépreux  en  l'IIostel-Dieu. 
Lapaouvrette  se  désespéroyt  d'autant  plus  que  l'Isle-Adam  estoyt 
tousiours  amoureux  et  bon  comme  pain  pour  elle,  qui  faillovtà 
son  debvoir  pour  avoir  iadis  esté  trop  congnée  par  les  hommes, 
et  ne  estoyt  plus,  suivant  son  desdaingneux  dire,  que  ungchaul- 
dron  à  cuire  andouilles.  «  Ha  !  feit-elle  par  une  vesprée  où  ces 
pensiers  tourmentoyent  le  cueur,  maulgré  l'Ecclise,  maulgré  le 
Roy,  maulgré  tout,  madame  de  l'Isle-Adam  est  tousiours  la  maul- 
vaiselmpéria.  »  De  faict,  elle  tomboyt  en  maies  raiges  quand  elle 
voyoyt  ce  florissant  gentilhomme  avoir  tout  à  soubhail,  grans 
biens,  faveur  rovale,  amour  sans  pair,  femme  sans  secunde,  plai- 
sirs comme  aulcunen'en  donnoyt,  et  faillir  parle  poynct  le  plus 
chier  à  ung  chief  de  haulte  maison,  à  sçavoir,  la  lignée.  En  ce 
pensitM",  elh;  soubhaitoyl  mourir  ensougiantcombli'u  il  avoyt  esté 
noblcetgraut  à  l'encontrc  d'elle  et  combien  elle  mancjuoyl  à  son 


cm 


CONTES  DROlVTIOrES. 


debvoir  en  ne  luy  baillant  point  enfans,  et  ne  pouvant  désormais 
luv  en  bailler.  Elle  nuissa  sa  douleur  au  plus  profund  de  son 
cueur,  et  conccut  une  dévotion  digne  de  son  grant  amour.  Pour 
mettre  à  fin  ceste  béroïque  visée,  elle  se  feitencores  plus  amou- 
reuse, pi'int  des  soins  exlrcsmes  de  ses  beaullez,  et  usa  de  pré- 
ceptes savans  pour  maintenir  en  estât  sa  corporence,  quigectovt 
ung  esclat  incrediblc. 

Vers  ce  temps,  le  sieur  de  Montmorency  vainquit  la  répulsion 
de  sa  fille  pour  le  mariaige,  et  il  l'eut  moult  parlé  de  son  alliance 
avecques  ung  sieur  de  Cliastillon.  Madame  bnpéria,  laquelle 
estovt  voisine  de  trois  lieues  de  Montmorency,  envoya  ung  iour 
son  niary  chasser  en  forest,  et  se  déporta  vers  le  chastel  où 


dcmciuoU  lors  la  damoisclle  de  MoiiIiihmciicn  .  Vciiiic  au  plcssis, 
elle  s'y  pourniena,  disant  à  uttyserviteurd'inlninK  rl;i  (huioiscllc 


L.\  BELLE  IMl'fiRIA  MARIÉE.  fi09 

que  iincMlamo  iivoyt  iiiifr  advis  tro/-prossant  poiirollo,  ot  rpio  elle 
vinsl  liiy  haillcr  aiidicnce.  Ticz-oliturhée  par  le  discours  ([iii  liiy 
l'eut  l'aii't  des  boaultcz,  wuutoisic  et  suite  de  la  dame  incognouc, 
la  damoisellc  de  Montmorency  alla  en  grant  erre  cz  jardins,  et 
f'eit  la  rencontre  de  sa  rivale,  que  elle  ne  cognoissoyt  point. 

—  Ma  mye,  IV\\  la  paouvre  femme  pleurant  de  veoir  la  damoi- 
sellc autant  hclle  (pic  elle  estoyt,  ie  sçays  (juc  l'on  vous  contrainct 
à  marier  monsieur  de  Cliastillon,  encoresque  vous  aymez  mon- 
sieur de  risle-Adam  ;  ayez  fiance  en  la  prophétie  que  ie  vous  fais 
icy,  que  celluy  que  vous  avez  aymé,  et  qui  ne  vous  ha  failly  que 
par  des  embusclics  en  lesipiellcs  ung  ange  serovt  tombé,  sera 
délivré  de  sa  vieille  fcnnne  paravant  que  les  feuilles  soycnt  cheues. 
Par  ainsy,  vostre  constante  amour  aura  sa  couronne  de  fleurs. 
I)onc(|ues,  ayez  le  cueur  de  vous  reffuscr  au  dict  mariaige  qui  se 
moyenne,  et  vous  iouyrez  de  vostre  bien-aymé,  Donnez-moy  vostre 
foy  de  bien  aymer  l'Isle-Adam,  qui  est  le  plus  gracieux  des 
hommes,  de  ne  iamais  luy  faire  poine,  et  luy  dire  de  vous  des- 
couvrir tous  les  secrets  d'amour  inventez  par  madame  Imi)éria, 
veu  (}ue,  en  les  praticquant,  vous  ieune,  il  vous  sera  facile 
d'oblilérer  la  remembrance  d'icelle  en  son  esperit. 

La  damoisellë  de  Montmorency  cheut  en  ung  tel  estonncment, 
que  elle  ne  scout  faire  aulcune  response,  et  laissa  cestc  royne  de 
bcaultez  s'esloingner,  et  la  print  pour  une  phée,  iusquos  à  ce 
que  ung  manouvrier  luy  dit  que  ceste  phée  estoyt  madame  de 
l'Isle-Adam.  Encores  que  ceste  adventure  feust  inexplicable, 
ceste  damoisellë  de  Montmorency  dit  à  son  père  que  elle  ne 
respondroyt  sur  l'alliance  prouposéo  qu'après  l'automne,  tant  il 
est  de  la  nature  de  l'Amour  de  se  marier  à  l'Espérance,  inaulgré 
les  absurdes  happclourdes  que  luy  baille  à  gobber  comme  gas- 
teaux  de  miel  ceste  fallacieuse  et  gracieuse  compaigne.  Durant 
le  mois  où  se  cueillent  les  vignes,  madame  Impéria  ne  voulut 
point  que  l'Isle-Adam  la  laissasl  et  usa  de  ses  plus  flambantes 
ioyes,  en  telle  sorte  que  vous  eussiez  cuydé  que  elle  le  vouloyt 
ruyner,  veu  que,  à  part  luy,  l'Isle-Adam  crut  que  il  avoyt  affaire 
à  une  femme  neufve  par  chaque  nuictée.  Au  resveigler,  la  bonne 
femme  le  requestoyt  de  guardcr  mémoire  de  ceste  amour  l'aide 
en  tonte  perfection.  Puis,  pour  sçavoir  le  vrai  du  cueur  de  son 
amv,  luy  disoyt  :  «  Paouvre  l'Isle-Adam,  nous  ne  avons  pas  faict 
saige  de  marier  ungiouvencel  comme  toy,  (jui  prcnoyst  ving-trois 
ans,  avccques  une  vieille  qui  couroyt  sus  à  quarante.  »  Luy 


010 


CONTKS   DKOL.VTIOUES. 


ros|ion{]oyt  que  son  liour  esluyl  Ici,  (|in'  il  l'aisoyl  mllli'  t'iivicux, 
ijiie  à  son  aage  elle  ne  avo\  l  })oint  sa  pareille  parniy  les  damoi- 
selles,  et  que,  si  iamais  elle  vicillissoyt,  il  aymeroyt  ses  rides,  cuy- 
daiitquf^dans  la  tundie  elle  seroyt  iolie  et  son  s(|uelcttc  aymablc. 


A  telles  rcsponses(|ui  liiy  faisoycnt  venir  l'eaue  ez  youlx,  elle 
respondit  nialicieusenieiit,  ung  malin,  (jue  la  dainoisolle  de 
Montmorency  cstoyt  bien  belii'  et  trez-lidelle.  Ce  mot  leit  dire 
à  risle-Adam  que  elle  le  mettoyt  à  mal,  en  luy  reeordant  le 
seul  tort  que  il  avoyt  eu  en  sa  vie,  en  faulsant  la  parole  donnée 
à  sa  première  mye,  de  laquelle  elle  avoyt  estainct  l'amour  en 
son  cucur.  Teste  candide  |iarole  feit  que  elle  le  saisit  et  le  serra 
Irez-estroictement,  esmeue  de  cestc  leanll<!  de  discours  là  où 
plusieurs  auroycnl  blezc'. 

—  (lliier  amy,  l'eil-elle,  V('ey  ]»iusieurs  ioiiis  (jiie  ie  suis  aflectée 
d'une  rétraction  au  eueur,  de  hupielle  ie  l'eus  dès  le  ieunc  aage 


LA  lîELLI-:  IMPKRIA   MARIKK.  611 

menasst'c  de  mourir,  jurost  ^\ne  li:i  conliniK'  le  |)|iysi(iim  ;ir;il)c. 
Si  ic  meurs,  ie  veulx  (|uc  lu  fasses  le  plus  liant  sernicnt  de 
clievali<'r  de  prendre  la  danioisflle  deMouliMoieucvpour  Icuniie. 
l'ay  telles  scuretcz  de  mourir,  (juc  ie  laisse  mes  biens  ù  ta 
maison  soubz  la  condition  de  cettuy  niariaigc. 

En  entendant  cecy,  l'Isle-Adam  blesniil  et  se  sentit  foible  au 
seul  pensier  d'une  séparation  élerne  avecques  sa  bonne  femme. 
—  Oui,  cbier  ibrezor  d'amour,  feit-elle,  ie  suis  punie  jiar  I)ieii 
là  où  se  foirent  mes  pecliez,  pour  ce  que  les  grans  plaisirs  que 
ie  esprouve  me  dilatent  le  cueur  et  ont,  suivant  la  myre  arabe, 
amoindry  les  vaisseaux,  qui,  par  ung  temps  de  Sénégal,  crève- 
ront ;  ains  i'ay  tousiours  prié  Dieu  de  m'osler  ainsy  la  vi<3  en 
l'aage  où  ie  suis,  pour  ce  que  ie  ne  veulx  point  veoir  mes 
beaullez  ruynées  par  le  temps. 

Geste  grant  et  noble  femme  veit  lors  combien  elle  csloyt 
aymée.  Yccy  comme  elle  obtint  le  plus  grant  sacrifice  d'amour 
qui  oncques  eust  esté  faict  sur  ceste  terre.  Klle  seule  sravoyt 
quels  attraicts  estoyent  dans  les  baudoiiineries,  balanogaudisse- 
ries  et  pourlesclieries  du  lictconiugal,  qui  estoyent  telles,  que  le 
paouvre  l'IsIe-Adam  auroytmieulx  aymé  mourir  que  de  se  laisser 
sevrer  des  friandises  amoureuses  que  elle  confisoyt.  Acetadveu 
faict  par  elle  que  dans  une  raige  d'amour  son  cueur  se  brise- 
royt,  le  cbevalier  se  gecta  à  ses  genoilz,  et  luy  dit  que  pour  la 
conserver  il  ne  la  re(juerroyt  iamais  d'amour,  que  il  vivioyt 
heureux  de  la  veoir  et  la  sentir  à  ses  costez,  se  contenteroyt  de 
baiser  ses  cocffes  et  de  se  froster  à  ses  iuppes.  Lors  elle  res- 
pondif,  en  fondant  en  eaue,  que  elle  préféroyt  mourir  plus  tost 
que  perdre  ung  seul  boulon  de  son  buisson  d'esglanlines,  (|ue 
elle  periroyt  connue  elle  avoyt  vescu,  veu  que  pour  beur  elle 
sçavoyt  comment  faire  à  cesle  fin  que  ung  homme  la  chevaul- 
chiast  quand  tel  estoyt  son  vouloir,  sans  (juc  besoiiig  luy  feust 
de  dire  ung  mot. 

Cy  est  urgent  de  faire  seavoir  que  elle  avoyt  eu  du  dessus 
dict  cardinal  de  Uaguse  ung  prétieux  guerdon,  cpie  ce  braguard 
nommoyt  bref  in  articula  mortis.  Pardonnez  ces  trois  mots 
latins  qui  proviennent  du  cardinal.  Ce  estoyt  ung  flaccon  de 
verre  mince,  faict  à  Venise,  gros  comme  une  febve,  contenant 
poison  si  sulttil,  (pfen  le  brisant  entre  ses  dents  la  mort  ad- 
venoyt  soubdain  sans  mille  doiilciir,  et  il  avovt  eu  ce  dict 
bouccon  de  la  siguora  Tophana  la  bonne  faiseuse  de  poisons  en 


012  CONTES  DROLATIQUES. 

la  ville  (le  Rome.  Ores,  celluy  verre  estoyt  soubz  uni;  cliaston 
(le  bague,  préservé  de  tout  ohiert  couluiulant  |)ar  aulcuiios  plac- 
ques  d'or.  La  paouvre  Inipéria  mit  aulcunes  Ibys  le  verre  en 
sa  bouche,  sans  se  résouldre  à  y  mordre,  tant  elle  prenoyt 
plaisir  à  la  venue  que  elle  cuydoyt  astre  la  darrenière.  Lors 
elle  se  plut  à  repasser  toutes  ses  fassons  de  cliouser  paravant 
de  mordre  au  verre,  puis  elle  se  dit  que,  alors  que  elle  scntiroyt 
la  plus  parl'aicte  de  toutes  les  ioyes,  elle  creveroyt  le  bouccon. 
La  paouvre  créature  laissa  la  vie  en  la  nuict  du  prime  iour 
d'octobre.  Lors  feut  entendue  grant  clameur  ez  forests  et  nuées, 
comme  si  les  amours  eussent  crié  :  Le  grant  Noc  est  mort  !  à 
l'imitation  des  dieux  payens,  lesquels  à  l'advènement  du  Saulveur 
des  hommes  s'enfuyrent  ez  cieux,  disant  :  Le  grant  Pan  est 
crevé  !  Parole  qui  lent  ouye  par  aulcuns  naviguant  en  la  mer 
eubéenne,  et  conservée  par  ung  Père  de  l'Ecclise. 

Madame  Impéria  décéda  sans  estre  guastée,  tant  Dieu  avoyt  eu 
cure  de  faire  ung  modèle  irréprouchable  de  fennne.  Elle  avoyt, 
dict-on,  une  magnificque  couloration  de  tainct  causée  par  le 
voisinaige  des  aësles  llamblaules  du  Plaisir  qui  plouroyt  et 
gizoyt  près  d'elle.  Son  espoux  mena  ung  deuil  incomparable, 
ne  se  doubtant  point  que  elle  estoyt  morte  pour  le  libérer 
d'une  femme  brehaigne,  veu  que  le  myre  qui  l'embaulma  ne 
dit  mot  sur  la  cause  de  ceste  mort.  Geste  belle  œuvre  se  des- 
couvrit, six  années  après  le  mariaige  du  sireavecques  ladamoi- 
selle  de  Montmorency,  pour  ce  que  ceste  nice  luy  raconta  la 
visite  de  Madame  hnpéria.  Le  paouvre  gentilhomme  traisnadcs 
lors  des  iours  mélancholieux  et  fma  par  mourir,  ne  pouvant 
forbannir  la  remembrance  des  ioyes  d'amour  (|ue  il  n'estoyt  au 
pouvoir  d'une  nigaulde  luy  restituer  :  par  ainsy,  donna  la 
preuve  d'une  vérité  qui  se  disoyt  en-ce  tenqis,  que  ceste  fenmie 
ne  mouroyt  iamais  dans  ung  cueur  où  elle  avoyt  régné. 

Cecy  nous  apprend  (|ue  la  vertu  n'est  bien  cogneue  que  par 
celles  qui  ont  practiwjué  le  vice,  pour  ce  (jue,  j)armi  les  plus 
prcudes  femmes,  j)eu  onssont  ainsy  laissé  la  vie,  en  quel(iue 
li:iiilt  liiiiil  de  religion  (jiie  vous  les  Itoulic/. 


lia  !  Ibllc  inignoiinc,  loy  (lui  es  cncliargu'c  dVsgaycr  la  maison, 
tu  lias  esk',  maulgn'  m'iWc  dofïcnses  iteratifvcs,  te  vautrer  dedans 
ce  bourhior  de  nit'ianclioiie,  où  tu  lias  ià  pesclu'  Berllic,  et  re- 
viens, cheveulx  desnouez,  comme  fille  qui  lia  lorcr  ung  partv  de 
lansquenets  !  Où  sont  tes  iolies  esguilles<roi-à  grelols,  tes  fleurs 
filigranres  en  plianlaisies  arabesques  ?  où  lias-tu  laisse  ta  marotte 
incarnadine,  aornée  debobanspréticux,  (|ui  coustc  ung  minot  de 
perles?  Pourquoy  guaster  par  des  larmes  pernicieuses  tes  yeulx 
noirs,  si  plaisans  quand  y  jx'tiile  le  sel  d'ung  conte,  que  les  papes 
te  pardonnent  tes  dires  à  l'oiidjre  de  tes  rires,  sentent  leur  aine 
prinse  entre  l'ivoire  de  tes  dents,  ont  leur  cueur  tiré  parla  line  rose 
que  darde  ta  langue,  et  troequeroyent  leur  pantoplile  contre  ung 
cent  des  soubnres  qui  broycnt  sur  tes  lèvres  le  vermillon  du  bon 
sang  ?  Garse  rieuse,  si  tu  veulx  demonrer  tousiours  (Vesclie  et 
ieune,  ne  ploure  iamais  plus.  Songe  à  clicvaulcliier  les  mousclies 
sans  brides,  à  brider  avecques  de  belles  nm'es  tes  cliimères  camé- 
leonesques,  à  métamorpboser  les  réalitez  vil'ves  en  ligures  vestues 
d'iris,  caparassonnées  de  resv(;s  cramoisis,  emmanchiées  d'aësles 
pcrs  à  yeulx  de  perdrix.  Par  le  Corps  et  le  Sang,  pai  rKneensoir 
et  le  Sceau,  par  le  Livre  et  l'Kspée,  par  la  Guenilit^  et  lOr,  par  le 
Son  et  la  Couleur,  si  tu  retournes  en  ce  bouge  d'éb-gies  où  les 

52 


Cli 


EPILOGUE. 


cuinu|ues  raccollonl  dos  laiderons  pour  des  sullans  inibi'ciles,  ic 
to  inauldis,  ie  le  treiileiiiille,  ie  te  lais  ieiisiier  de  iniesvivrios  cl 
d'amour,  ie  te... 

Broui'  !  La  vécy  à  cheval  sur  ung  rays  de  soleil  eu  couipaignie 
d'ung  Dixain  qui  s'esclaffe  en  météores  aëriformes.  Elle  se  loue 
dedans  leurs  prismes,  en  courant  si  dru,  si  liault,  si  liardy,  si  à 
contre-sens,  à  conlre-lil,  à  contre-tout,  que  besoing  est  de  la 
cognoislre  de  longues  plumes  pour  suyvre  sa  (jueue  de  syrène 
aux  facettes  d'argent,  laquelle  frétille  emmy  les  artilices  de  ces 
rires  nouveaulx.  Vray  Dieu  !  elle  s'y  est  ruée  comme  ung  cent 
d'escholiers  dans  une  liaye  pleine  de  murons,  au  dcsbotler  des 
vespres.  Au  diable  le  magister!  le  Dixain  est  parachevé.  Foing  du 
travail!  à  moy,  compaignons! 


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l.l  cilles  esl-cc  bien  ung  giiof  hiheur  que  d'cxcogiler 

CENT     CONTKS     llIlOI  ATII^UKS. 


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