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Full text of "Les derniers jours de Blaise Pascal; étude historique et critique avec deux similigravures"

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University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lesderniersjoursOOgazi 


•  Vba.       AUGUSTIN    n^ziEK 


LES  DERNIERS  JOURS 


BLAISE  PASCAL 


ÉTUDE  HISTORIQUE  ET  CRITIQUE 

AVEC    DEUX    SIMILIGRAVURES 


PARIS 
LIBRAIRIE    A^T.IFA^E    TIONORK    CIUMPIOX 

5,    QUAI    MALAQUAIS,    5 

I  9  I  I 


LES    DERNIERS    JOURS 


BLAISE  PASCAL 


//  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  25  exemplaires  sur 
papier  vergé  de  Hollande,  numérotés  de  1  à  25. 


Masque  moitnairc  de  Bi.aisf.  Pascal. 


AUGUSTIN     GAZIER 


LES  DERNIERS  JOURS 


BLAISE  PASCAL 


ÉTUDE  HISTORIQUE  ET  CRITIQUE 


AVEC    DEUX    S[MILIGRAVURES 


PARIS 
LIBRAIRIE    ANCIENNE   HONORÉ    CHAMPION 

5,    QUAI    MALVQUAIS,    5 


I  9  I  I 


3 


LES    DERNIERS   JOURS 


BLAISE  PASCAL 


La  gloire  de  Pascal  est  au  même  litre  que  celle 
de  Bossuet  ce  que  Sainte-Beuve  appelait  une  des 
religions  de  la  France.  On  l'a  bien,  vu  naguère,  quand 
il  s  est  agi  de  le  venger  des  accusations  de  plagiat 
et  de  faux.  Les  réjutcdions  ne  se  sont  pas  fait 
attendre,  et  elles  ont  été  si  nombreuses,  si  précises,  si 
accablantes,  que  r accusateur  n'est  même  pas  allé 
jusqu'au  bout  de  sa  démonstration.  Or  Pascal  est 
aujourd'hui  l'objet  de  révélations  d'un  tout  autre 
genre  :  on  prétend  que  l'auteur  des  Provinciales 
s'est  rétracté  secrètement  sur  son  lit  de  mort  ;  on 
soutient  qu'il  a  abjuré  le  jansénisme  et  qu'il  a  dit 
anathème  à  ses  anciens  amis,  parce  qu'il  les  avait 
en  horreur.  On  ajoute  enfin  que  les  jansénistes 
furieux  ont  torturé  Pascal  mourant,  et  que  depuis 
sa  mort  jusqu'à  nos  jours  ils  ont  entassé  mensonges 
sur  mensonges,  Jaux  sur  faux,  pour  cacher  à  l'uni- 


b  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

vers  ce  grand  «  secret  de  Port- Royal  ».  Gros  livres 
bourrés  de  documents,  articles  de  revues,  entrefilets 
dans  les  Journaux  même  sérieux,  on  a  tout  jnis  en 
œuvre  ;  et  nous  voyons  la  calomnie  s'insinuer  par- 
tout suivant  les  procédés  révélés  jadis  par  Pascal. 
Il  est  donc  nécessaire  de  répondre  au  plus  tôt,  et 
ceux  qui  ont  eu  l'occasion  d'étudier  la  vie  de 
Pascal  ou  même  de  publier  quelques-unes  de  ses 
œuvres  sont  dans  l'obligation  de  prendre  parti  en 
cette  circonstcmce.  Telle  est  la  raison  d'être  de  ce 
modeste  travail,  entrepris  cq:)rcs  bien  des  hésitations; 
car  on  ne  se  résigne  pas  volontiers  à  conirister,  à 
irriter,  à  exaspérer  peut-être  ses  contradicteurs. 
Mais  il  s'agit  de  Pasccd,  l'honneur  de  Port-Royal  est 
en  cause,  et  c'est  Pascal  qui  a  dit  quelque  part  : 
«  Comme  c'est  un  crime  de  troubler  la  paix  oà  la 
vérité  règne,  c'est  aussi  un  crime  de  demeurer  en 
paix  quand  on  détruit  la  vérité.  » 


M.  Ernest  Jovy,  professeur  de  rhétorique  au 
collège  de  Vitry-le-François  et  publiciste  infati- 
gable, vient  de  mettre  au  jour  un  nouvel  ouvrage 
qu'il  a  intitulé  :  Pascal  inédit  ;  II,  les  véritables 
derniers  sentiments  de  Pascal.  Il  ne  faudrait  pas 
s'imaginer  d'après  le  titre  de  ce  livre  que  son 
auteur  ait  découvert,  soit  une  Provinciale  incon- 
nue, soit  un  faisceau  de  Pensées  nouvelles  ;  on 
serait  déçu,  car  de  Pascal  inédit  il  n'y  en  a  pas 
une  ligne  dans  ce  volume  de  cinq  cents  pages  ;  ce 
qui  est  nouveau  et  vraiment  inédit,  et  même  inouï 
{ineditum  et  inaiiditum),  ce  sont  les  conclusions 
de  l'ouvrage.  Ces  conclusions,  les  voici  : 

i"  Lorsque  Pascal  mourut  le  19  août  1662,  il 
était  irrémédiablement  brouillé  avec  Port-Royal 
depuis  environ  deux  ans. 

2"  Pascal  s'est  rétracté  sur  son  lit  de  mort  ;  il  a 
déclaré  au  curé  de  Saint-Étienne-du-Mont  qu'il 
regrettait  de  s'être  laissé  embarrasser  dans  les 
disputes  sur  la  Grâce,  et  qu'il  se  soumettait  abso- 
lument aux  décisions  des  papes  Innocent  X  et 
Alexandre  Y II. 


8  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

3"  Les  Jansénistes,  navrés  de  celte  défection, 
ont  fait  les  plus  grands  efforts  pour  en  dérober 
la  connaissance  au  public  ;  leurs  manœuvres 
déloyales  ont  réussi  jusqu'au  jour  où  la  perspi- 
cacité de  M.  Jovy  les  a  enfin  déjouées. 

Dans  cette  ((  Affaire  »  du  xvn®  siècle,  il  vient 
donc,  nous  dit-on,  de  se  produire  un  «  fait  nou- 
veau »,  c'est  la  découverte  des  Mémoires  inédits 
du  génovéfain  Beurrier,  curé  de  Pascal  en  1662. 
M.  Jovy  n'hésite  pas  à  déclarer  que  ces  précieux 
Mémoires  réduisent  à  néant  toutes  les  assertions 
mensongères  des  biographes  de  Pascal,  y  compris 
Madame  Périer,  sa  sœur,  et  des  historiens  de 
Port-Royal,  y  compris  Racine, 

On  pourrait  croire  que  c'est  un  simple  jeu 
d'esprit,  et  que  M.  Jovy  fait  de  l'histoire  fan- 
taisiste, comme  Michelet  parfois,  comme  tel 
autre  de  nos  contemporains,  homme  d'imagina- 
tion, qui  naguère  nous  a  montré  Bossuet  lancé 
par  les  Jansénistes  à  la  poursuite  de  l'infortuné 
Fénelon,  et  qui  du  reste  a  tout  de  suite  accepté 
les  conclusions  de  M.  Jovy.  Mais  non,  M.  Jovy 
ne  plaisante  pas,  loin  de  là  ;  il  est  même  fort 
en  colère,  et  le  ton  de  sa  polémique  est  d'une 
extrême  violence  ;  il  déverse  continuellement 
sur    les    gens    de    Port-Royal   les   plus   grosses 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  Q 

injures  :  on  croirait  lire  du  Loriquet,  du  Varin, 
ou  du  Veuillot  des  plus  mauvais  jours.  Il  ne  sau- 
rait être  question  de  le  suivre  dans  cette  voie,  et 
de  lui  opposer,  par  exemple,  le  terrible  démenti 
donné  dans  la  XY"  Provinciale  ;  il  serait  infiniment 
plus  agréable  de  pouvoir  lui  dire,  avec  Pascal 
encore  :  «  Vous  sentirez  la  force  de  la  vérité,  et 
vous  lui  céderez.  »  D'ailleurs  cette  réfutation  du 
livre  s'adresse  à  ses  lecteurs  éventuels,  au  public, 
notre  maître  à  tous.  Je  me  contenterai  donc  de 
reprendre  une  à  une  les  assertions  nouvelles  de 
M.  Jovy,  et  je  chercherai  à  rétablir  simplement 
les  faits,  en  procédant  avec  méthode,  et  en 
suivant  l'ordre  des  temps. 


Le  premier  chapitre,  ou  pour  mieux  dire  le 
premier  recueil  de  ces  «  Notes  discursives  «  a  pour 
titre,  mais  seulement  à  la  table  des  matières  : 
Pourquoi  Pascal  a-t-il  cessé  la  guerre  des  Provin- 
ciales ?  On  savait  depuis  fort  longtemps  que 
Pascal  s'est  arrêté  brusquement,  en  plein  succès, 
alors  qu'il  avait  ébauché  une  XIX"  Provinciale 
bien  sévère,  et  qu'il  en  avait  annoncé  une  XX^. 
J'ai  cru  pouvoir  affirmer  jadis  que  Pascal  s'est 
arrêté,  sans  doute  au  moment  de  la  communion 


lO  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

pascale,  Pâques  tombait  en  lôSy  le  i"'  avril, 
pour  des  raisons  de  conscience  qui  lui  font  le  plus 
grand  honneur;  probablement  parce  que  Singlin, 
et  surtout  la  Mère  Angélique,  jugeaient  que  cette 
façon  de  défendre  Port-Royal  n'était  pas  conforme 
au  précepte  divin  de  l'amour  des  ennemis.  Natu- 
rellement M.  Jovy  n'est  pas  de  cet  avis.  Si 
Pascal  s'est  arrêté,  dit-il,  c'est  parce  que  ses  sen- 
timents étaient  changés  ;  il  n'avait  plus  foi  en 
Port-Royal,  il  cessait  d'être  en  révolte  contre  le 
pape,  et  il  craignait  Louis  XIV.  Or  il  est  notoire, 
ajoute  M.  Jovy,  que  les  jansénistes  n'avaient 
aucun  respect  pour  le  pape,  et  qu'en  politique 
c'étaient  des  révolutionnaires.  Cela  doit  être,  car 
le  Père  Rapin  l'a  dit,  Magisfer  dixit,  et  aux 
yeux  d'une  certaine  école,  les  Mémoires  du  jésuite 
Rapin  font  autorité.  Pour  bien  établir  que  ces 
raisons  diverses  ont  arrêté  Pascal  en  avril  1657, 
l'auteur  du  nouveau  livre  énumère  complai- 
samment  (pages  22  et  suivantes)  les  condamna- 
tions des  années  1667,  i658,  1609,  1660  et  1661. 
Autant  vaudrait  soutenir  que  la  mise  à  l'index 
des  Provinciales,  le  6  septembre  1657,  et  leur 
condamnation  par  un  arrêt  du  Conseil  du  roi, 
le  28  septembre  1660,  ont  arrêté  Pascal  cinq 
mois  avant  la  mise  à  l'index,   et  plus   de  trois 


LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  I  I 

ans  avant  l'aiTct  du  Conseil.  C'est  peut-être  que 
Pascal,  en  sa  qualité  d'homme  de  génie,  avait  le 
don  de  prophétie  ;  mais  ces  difficultés  de  détail 
n'arrêtent  pas  l'impétuosité  de  M.  Jovy.  La  chro- 
nologie lui  importe  si  peu  qu'il  attribue  aux 
Enluminures  de  Le  Maître  de  Sacy,  publiées  en 
i65/i,  bien  avant  le  célèbre  Entretien  sur  Épictète 
et  Montaigne,  une  influence  probablement  décisive 
sur  la  cessation  des  Provinciales  en  iGSy. 

En  somme  ce  premier  chapitre  n'est  pas  bien 
méchant  ;  ce  qu'on  en  peut  dire  de  mieux,  c'est 
qu'il  ne  prouve  rien  du  tout,  et  qu'il  laisse  les 
choses  en  l'état.  >»ous  allons  voir  Pascal  prêcher 
en  1661  la  résistance  au  pape,  et  depuis  longtemps 
on  a  repoussé  victorieusement  l'accusation  de 
révolte  articulée  contre  les  jansénistes  ;  on  a 
démontré  que  les  confesseurs  jansénistes  refu- 
saient d'absoudre  les  frondeurs,  et  que  Louis  XÏV 
n'a  jamais  eu  de  sujets  plus  fidèles  que  les  gens 
de  Port-Royal.  Arnauld  lui-même,  la  bête  noire 
de  M.  Jovy,  «  le  vieux  Tartuffe,  »  a  toujours 
poussé  à  l'excès,  avec  une  naïveté  d'enfant,  son 
amour  pour  le  monarque  trompé  qui  le  persé- 
cutait. 


T2  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BL.VISE    PASCAL 


Venons  à  la  grosse  affaii^e  de  1661,  à  ce  que 
M.  Jovy,  après  Ilermant,  Nicole  et  Racine,  appelle 
les  «  Guerres  civiles  de  Port-Royal  » .  11  est  par- 
faitement  exact  que  la  question  du  Formulaire  a 
jeté  le  trouble  parmi  les  défenseurs  de  la  Grâce 
efficace,  et  qu'elle  les  a  profondément  divisés, 
beaucoup  plus  même  que  ne  le  dit  M.  Jovy;  il 
n'a  pas  étudié  à  fond  cette  partie  de  notre  histoire 
religieuse.  Lorsque  les  grands- vicaires  du  car- 
dinal de  Retz  publièrent,  le  8  juin  1661,  leur 
premier  mandement  pour  la  signature  du  fameux 
formulaire  d'Alexandre  VII,  mandement  qui 
exigeait  «  la  croyance  pour  la  décision  de  foi  », 
et  «  le  respect  entier  et  sincère  à  l'égard  des 
faits,  >)  les  théologiens  de  Port-Royal  furent 
loin  d'être  d'accord  sur  le  parti  qu'il  fallait 
prendre.  Arnauld,  Nicole,  Martin  de  Barcos  et 
Singlin  étaient  pour  la  signature  ;  Pascal,  Domat, 
Guillaume  Le  Roy,  le  docteur  Perrault,  Claude 
de  Sainte-Marthe,  Lancelot,  Varet,  et  beaucoup 
d'autres,  car  leurs  noms  rempliraient  une  page 
entière,  au  dire  de  Varet,  étaient  d'un  avis  con- 
traire. Le  fougueux  Varet,  grand-vicaire  de  l'ar- 
chevêque de  Sens  Gondrin,  proposait  même  de 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  l3 

publier  à  ce  sujet  de  nouvelles  Lettres  provinciales, 
au  nombre  de  cinq,  et  il  en  dressait  le  plan.  Les 
écrits  se  multipliaient  départ  et  d'autre.  Plusieurs 
d'entre  eux  sont  demeurés  manuscrits  ;  quelques- 
uns  ont  été  imprimés,  et  M.  Jovy  aurait  pu  en 
trouver  de  fort  curieux  dans  un  recueil  in-12 
publié  en  1754  «  à  Avignon,  chez  Pierre  Verax, 
à  l'enseigne  de  la  Sincérité.  »  Au  lieu  de  réim- 
primer en  cent  pages  un  opuscule  qu'il  croit 
dirigé  contre  Arnauld  par  un  ami  de  Pascal,  et 
qui  est  bel  et  bien  d'Arnauld  lui-même  contre  le 
docteur  Sainte-Beuve',  il  aurait  mieux  fait  de 
rééditer  quelques-unes  des  lettres  de  Varet  et  de 
Sainte-Marthe  ;  elles  sont  fort  belles,  et  tout  à  fait 
conformes  aux  senliments  de  Pascal. 

Il  ne  s'agit  pas  ici  d'entrer  dans  le  vif  de  la 
discussion,  et  de  savoir  qui  avait  tort  ou  raison  ; 
mais  il  ressort  des  citations  mêmes  que  M.  Jovy 
emprunte  aux  Mémoires  d'Hermant,  que  les 
esprits  étaient  singulièrement  échauffés  et  les 
têtes  bien  montées  durant  les  derniers  mois  de 


I.  Cet  écrit  sur  la  Signature,  inséié  dans  les  œuvres  com- 
plètes d'Arnauld,  a  été  imprimé  au  moins  trois  fois,  et  les 
contemporains  savaient  bien  qu'il  avait  été  fait  chez 
Madame  Angran  par  le  célèbre  docteur.  J'en  ai  sous  les 
yeux  l'édition  originale  in-4°. 


l4  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISR    PASCAL 

1661.  Mais  conclure  de  là,  comme  le  fait  si  allè- 
grement notre  honoiable  contradicteur,  que 
Pascal  rompit  avec  Port-Royal  tout  entier  en 
1661,  c'est  faire  œuvre  de  romancier.  C'est  même 
risquer  de  choquer  le  sens  commun  ;  car  on  ne 
voit  pas  pourquoi  Pascal  aurait  rompu  avec  cer- 
tains port-royalistes  qui  étaient  absolument  de 
son  avis,  et  le  nombre  en  était  assez  grand  pour 
constituer  une  imposante  majorité.  Raisonner 
comme  le  fait  M.  Jovy,  c'est  ne  rien  comprendre 
aux  sentiments  qui  animaient  les  grands  chré- 
tiens de  Port-Royal.  L'examen  du  Recueil  de 
1754,  ou  même  le  récit  des  querelles  intestines 
de  i663  tel  qu'on  le  trouve  dans  le  sixième  et 
dernier  volume  d'Hermant,  montrent  à  quels 
€xcès  de  langage  se  portaient  les  Messieurs  de 
Port-Royal,  héritiers  des  grands  batailleurs  du 
xvi"  siècle,  sans  que  pour  cela  les  liens  de  leur 
amitié  vraiment  chrétienne  fussent  jamais  rom- 
pus. L'intransigeance  que  montrait  Pascal  quand 
il  se  refusait  à  des  concessions  qu'il  appelait  des 
prévarications  et  des  lâchetés,  c'est  Arnauld  qui 
en  fait  preuve  à  son  tour  lors  des  conférences 
de  i663,  et  Singlin  le  pacifique,  l'adversaire  de 
Pascal  en  1661,  s'en  scandalise  et  s'en  irrite,  et 
il   écrit  à    l'illustre   docteur   les  lettres   les  plus 


LES  DERNIERS  JOURS  DE  BLAISE  PASCAL     10 

dures.  Il  va  même  jusqu'à  la  brutalité  quand  il 
parle  de  Sainte-Marthe,  qui  redisait  alors  ce 
qu'avait  dit  Pascal  en  1661.  «J'ai  trouvé  fort  à 
redire,  écrivait-il,  à  la  conduite  de  M.  de  Sainte- 
Marthe,  qui  s'imagine  que  l'on  ne  saurait  trop 
s'opposer  à  ce  que  nous  avons  fait,  et  qui  est 
cause  en  partie  du  grand  vacarme  qui  est  arrivé 
entre  vous...  En  cette  rencontre,  il  n'a  gardé 
aucune  mesure.  Il  est  vrai  que  j'ai  peine  à  le 
supporter,  et  ses  semblables,  quand  je  vois  ces 
excès  d'emportement '...  »  A  ces  violences,  Ar- 
nauld  répondit  avec  une  grande  mansuétude  ; 
il  n'en  résulta  ni  rupture  ni  brouillerie  entre 
lui  et  ses  contradicteurs.  Les  uns  et  les  autres 
n'ont  jamais  cessé  de  se  donner  à  l'occasion  les 
témoignages  d'une  parfaite  estime  et  d'une  pro- 
fonde affection.  Et  l'on  veut  que  Pascal,  non 
moins  humble  que  les  autres,  ait  fait  exception  ! 
Pour  affirmer  qu'il  se  brouilla  définitivement 
avec  Port-Royal  tout  entier,  qu'il  n'eut  après  le 
mois  d'octobre  1661  que  de  ci  l'aversion  »  pour 
les  misérables  qui  avaient  «  abusé,  bourrelé, 
tué  »  sa  sœur  Jacqueline,  il  faudrait  autre  chose 

I.  Hermant,  Mémoires,  lome  VI,  p.  468.  11  faut  lire  cette 
longue  lettre  de  Singlin  pour  bien  comprendre  ce  que 
Pascal  a  dû  souffrir  en  octobre  1G61. 


l6  LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

que  des  phrases  visant  à  l'éloquence,  il  faudrait 
des  faits  précis,  et  jusqu'à  cet  endroit  de  son 
livre  M.  Jovy  n'en  a  pas  établi  un  seul. 

Dans  la  suite  de  ses  «  Notes  discursives  »,  il  va 
s'efforcer  d'en  présenter  le  plus  possible  ;  suivons- 
le  donc  pas  à  pas,  de  manière  à  bien  voir  ce  que 
vaut  sa  démonstration.  Mais  pour  cela  il  faut 
sauter  cinquante  pages,  et  négliger  les  digressions 
relatives  à  la  signature  du  docteur  Sainte-Beuve, 
de  Duhamel  et  de  quelques  autres  augustiniens. 
11  faut  omettre  également  le  chapitre  consacré 
aux  Pensées  de  Pascal,  dans  lequel  se  trouve  une 
singulière  bévue  ^ 


C'est  avec  le  récit  de  la  mort  de  Pascal  que  com- 
mence la  série  des  «  faits  nouveaux  »  relatés  ou 
imaginés  par  le  nouveau  pascalisant.  Ceux  qui 
ont  lu  jusqu'ici    la    Vie  de  Pascal  par   Madame 


I.  M.  Jovy,  transcrivant  cette  admirable  pensée  :  «  Il  y  a 
plaisir  d'être  dans  un  vaisseau  battu  de  l'orage  lorsqu'on 
est  assuré  qu'il  ne  périra  point  »,  la  croit  inspirée  par  un 
passage  de  Grotius  sur  la  joie  de  ceux  qui  «  du  port  en 
considèrent  d'autres  qui  sont  cncoi-e  dans  la  tempête  ».  Les 
deux  pensées  se  ressemblent  comme  le  jour  et  la  nuit,  et 
la  seconde  ne  fait  que  traduire  Lucrèce  :  Suave  mari 
magno... 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLÂISE    PASCAL  17 

Périer,  et  Dieu  sait  s'ils  sont  nombreux,  étaient, 
au  dire  de  M.  Jovy,  des  gens  «  indifTércnts  et 
superficiels  »  ;  ils  n'ont  rien  vu  de  ce  qu'il  faut 
y  voir,  de  ce  qu'y  découvre  M.  Jovy.  La  fin  de 
Pascal  a  été  tout  simplement  affreuse,  on  lui 
a  fait  souffrir  le  martyre  :  i°  Les  jansénistes,  ces 
ennemis  déclarés  de  l'eucharistie  ^  ont  tenté 
l'impossible  pour  l'empêcher  de  communier. 
2°  Ils  ont  tâché  d'écarter  de  son  chevet  le  curé  de 
Saint-Étienne-du-Mont,  qui  n'était  pas  janséniste. 
En  un  mot  «  ils  ont  environné  Pascal  de  tant  de 
Gontrariélés  et  de  douleurs  qu'il  renfermait  en 
lui,  qu'on  peut  affirmer  qu'il  allait  sans  doute 
mourir,  mais  que  Port-Royal  l'a  tué.  »  (P.  261.) 
Voilà  qui  tourne  au  tragique,  et  cependant  le 
touchant  récit  de  Gilberte,  confirmé  dans  ses 
parties  essentielles  par  la  lettre  de  Wallon  de 
Beaupuis  -,  est  d'une  clarté  parfaite.  Pascal,  qui 
habitait  près  de  la  porte   Saint-Michel,  est  entré 

1.  Sainl-Cyran,  écrivant  de  Vincennes  à  l'un  de  ses  péni- 
tents, lui  permet  de  communier  tous  les  jours.  La  Fréquente 
Commfmiort  d'Arnauld  conclut,  si  la  chose  est  possible,  à  la 
communion  quotidienne  ;  Mathieu  Feydeau  avait  à  Saint- 
Merry  une  pénitente  qu'il  faisait  communier  tous  les 
jours,  et  enfin  les  religieuses  de  Port-Royal  communiaient 
plusieurs  fois  par  semaine.  N'importe,  ne  faut-il  pas  que 
la  calomnie  poursuive  son  chemin  ? 

2.  V.les  Mémoires  d'Hermant^  tome  V,  p.  5i5. 

2 


Ib  LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

chez  les  Périer  le  29  juin  1662.  Dès  qu'il  se  sentit 
gravement  atteint,  «  et  avant  même  d'être  alité  », 
dit  Madame  Périer,  il  envoya  quérir  le  curé  de 
Saint-Étienne.  Voilà  un  premier  fait  bien  établi  ; 
Pascal  n'est  pas  allé  en  personne  chercher  le 
P.  Beurrier  à  Sainte-Geneviève,  c'est  donc  Gil- 
berle  qui  l'a  fait  venir,  et  cela  dès  la  première 
alerte.  Pascal  se  confessa,  et  témoigna  le  désir  de 
communier,  mais  la  chose  fut  différée,  de  l'avis 
même  du  curé.  Si  M.  Jovy  connaissait  les  pres- 
criptions de  l'ancien  Rituel  de  Paris,  il  saurait  que 
la  «  communion  des  infirmes  »  ne  se  faisait  pas 
avant  la  Révolution  avec  la  même  facilité  qu'au- 
jourd'hui. De  nos  jours,  le  prêtre  prend  dans  le 
tabernacle  une  hostie  consacrée,  et  il  se  rend  tout 
seul,  du  moins  en  plein  jour,  au  domicile  des 
malades.  En  1662,  le  saint  sacrement  était  porté 
en  procession  par  un  prêtre  spécial,  le  «  porte- 
Dieu  »  de  la  paroisse,  accompagné  du  curé  et  de 
plusieurs  clercs,  dont  l'uti  agitait  une  clochette. 
Les  fidèles  s'agenouillaient  sur  son  passage, 
comme  le  fera  un  jour,  malgré  la  boue,  Louis  XV 
en  personne;  d'autres  suivaient  la  procession, 
et  entraient  dans  la  chambre  du  malade.  Il  est 
aisé  de  comprendre  que  Pascal,  sa  famille,  ses 
amis,  et  le  curé  même  aient  été  d'avis  de  différer, 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  IQ 

alors  que  les  médecins  disaient  en  propres 
termes  :  «  Il  n'y  a  pas  la  moindre  ombre  de 
danger.  >  Mêmes  difllcultés  quand  il-  s'agit,  quel- 
ques semaines  plus  tard,  ou  de  viatique,  ressource 
suprême  dans  les  cas  désespérés,  ou  de  commu- 
nion aussitôt  après  minuit,  parce  que  Pascal 
épuisé  ne  pouvait  demeurer  quelques  heures  à 
jeun.  On  était  si  loin  d'opposer  au  cher  malade 
une  lin  de  non-recevoir  absolue  qu'aussitôt  après 
la  grande  convulsion  finale,  en  pleine  nuit,  on 
courut  chercher  le  curé;  il  vint,  donna  le  via- 
tique au  mourant  et  lui  administra  aussitôt 
l'extrême-onction.  Pascal  mourut  comme  un 
saint,  dans  un  transport  d'amour  divin,  dans  une 
extase  comparable  à  celle  du  23  novembre  i654  ^ 
Voilà  l'exacte  vérité.  Il  suffit  donc,  et  c'est 
chose  facile,  de  réfuter  la  première  assertion  du 
nouvel  historien  pour  détruire  du  même  coup  la 


I.  Si  M.  Jovy  avait  jamais  conlcaiplé  le  masque  mor- 
iuaire  qui  est  au  musée  do  Port-Royal,  il  aurait  pu  remar 
quer  sur  cette  face  vraiment  auguste  ce  que  tout  le  monde 
y  remarque,  la  trace  incfTarable  d'une  parfaite  sérénité. 
Et  ce  moulage,  c'est  Gilberfe  qui  l'a  fait  exécuter,  en 
attendant  le  portrait  que  fit  plus  tard  le  peintre  Quesnel. 
La  contemplation  du  masque  mortuaire  de  Pascal  a  été 
l'une  des  dernières  joies  do  Sully-Pi'udhomme,  du  grand 
peintre  Albert  Maignan,  et  de  l'illustre  philosophe  a méri- 
•cain  William  James. 


20  LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

seconde.  On  voit  en  effet  par  ce  qui  vient  d'être 
dit  que  le  curé  de  Saint-Étienne-du-Mont  est 
venu  assez  souvent  visiter  Pascal  entre  le  ^9  juin 
et  le  19  août  1662.  Madame  Périer  ajoute  même 
qu'elle  est  allée  spontanément  le  trouver  au  sujet 
d'un  malade  que  Pascal  voulait  voir  soigner  dans 
sa  propre  chambre.  Le  Rituel  exigeait  que  les 
mourants  eussent  recours  «  à  leur  propre  pas- 
teur», or  le  Père  Beurrier  était  le  curé  de  la 
paroisse  où  habitaient  les  Périer  ;  Pascal,  devenu 
accidentellement  paroissien  de  Saint-Étienne-du- 
Mont,  et  demandant  par  testament  à  être  inhumé 
dans  cette  église,  ne  faisait  qu'obéir  aux  prescrip- 
tions du  Rituel  en  appelant  à  son  chevet  le  curé 
de  Saint-Étienne.  S'il  était  mort  chez  lui,  sur  la 
paroisse  Saint-Cosmc,  il  eût  appelé  le  curé  de 
Saint-Cosme,  Noël  de  Bry,  au  lieu  d'appeler  le 
P.  Beurrier.  Épiloguer  sur  des  faits  comme  ceux- 
là,  c'est  véritablement  chercher  midi  à  quatorze 
heures. 


Ce  qui  suivit  immédiatement  la  mort  de  Pascal 
est  embrouillé  comme  à  plaisir  par  M.  Jovy.  11 
dit  en  effet,  sans  apporter  aucune  preuve  à  l'appui 
de  celte  affirmation  :  «  Le  bruit  se  répandit  alors 


LES  DERNIERS  JOURS  DE  BLAISE  PASCAL     21 

(c'est-à-dire  vers  la  fin  de  l'année  1G62)  que 
Pascal,  dans  ses  derniers  moments,  avait  abjuré 
le  jansénisme.  »  C'était  bien  le  cas  de  citer  ses 
auteurs  ;  au  lieu  de  ressasser  en  cinquante  pages 
les  inepties  et  les  récits  fantaisistes  de  Rapin  ^ 
M.  Jovy  aurait  rendu  un  service  signalé  aux 
études  historiques  s'il  avait  apporté  un  fait,  — 
je  dis  un  seul,  —  pour  étayer  sa  déclaration.  Si 
Pascal  aAait  «  abjuré  le  jansénisme,  n  comment 
expliquer  que  les  jansénistes  de  marque  aient 
adressé  à  Gilberte  Périer  des  lettres  si  pleines 
d'estime,  d'admiration,  de  vénération  pour  le 
frère  qu'elle  venait  de  perdre  ?  Ils  auraient  tout 
au  plus  considéré  Pascal  comme  un  juste  auquel 
la  grâce  avait  manqué,  et  voilà  que  la  Mère  Agnès 
parle  de  sa  mort  toute  chrétienne  et  toute  sainte, 
et  que,  ne  séparant  pas  Biaise  de  l'incomparable 
Jacqueline,  elle  ajoute  qu'ils  étaient  l'un  et  l'autre 
«  riches  des  dons  de  Dieu.  »  L'austère  de  Sacy 
admire  également  sa  fin  si  chrétienne  ;  plusieurs 
autres     s'expriment     en     termes    analogues,   et 

I.  Les  citations  de  Rapin  ont  pourtant  du  bon  :  il  faut 
voir  de  quelle  façon  ce  bon  Père  traite  Beurrier,  parce  qu'il 
n'a  pas  exigé  de  Pascal  mourant  un  désaveu  des  Provin- 
ciales. Il  n'y  a  guère  que  Clément  IX,  l'auteur  de  la  Paix 
de  1669,  qui  soit  aussi  malmené  par  ce  jésuite  qui  avait 
fait  vœu  d'obéissance  au  pape. 


22  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

Arnauld  d'Andilly,  le  chef  de  la  famille  Arnauld, 
écrit  deux  lettres  qui  décernent  à  Pascal  mourant 
un  brevet  de  jansénisme  en  bonne  forme, 
puisque  l'on  y  parle  de  o  son  ardent  amour  pour 
la  vérité  ^  » . 

Je  pourrais  citer  beaucoup  de  témoignages 
semblables;  je  me  contenterai  d'ajouter  qu'An- 
toine Arnauld,  d'autant  plus  soigneusement 
caché  en  1662  qu'il  avait  risqué  sa  liberté,  sa  vie 
peut-être,  en  allant  faire  visite  à  Pascal  mourant, 
contracta  dès  lors  une  liaison  très  étroite  avec  les 
Périer.  Les  letlres  qu'il  adressa  en  divers  temps 
aux  membres  de  cette  famille  sont  remplies  de 
protestations  d'estime,  d'atîection,  et  même  de 
a  tendresse.  »  Arnauld  reportait  sur  les  héritiers 
de  Pascal  les  sentiments  qu'il  avait  toujours  eus 
pour  Pascal  lui-même. 


I.  M.  Jovy  a  publié  ces  deux  lettres  dans  son  premier 
volume,  intitulé  Pascal  inédit  (p.  421-422)  ;  il  a  fait  dans  la 
seconde  une  grosse  faute  de  lecture  en  transcrivant  plaisirs 
au  lieu  de  déplaisirs.  Ces  documents  étaient  connus  depuis 
plus  de  60  ans,  car  on  avait  dépouillé,  bien  avant  la  nais- 
sance de  M.  Jovy,  le  ms.  de  Troyes,  n°  2371,  de  même  que 
lems.  i485  du  Supplément  français  (aujourd'hui  12988). 
A  la  fin  de  son  Biaise  Pascal,  Victor  Cousin  en  a  dressé  la 
table  des  matières;  les  travaux  de  Cousin,  de  Faugère  et  de 
M"'  Rachel  Gillet  ne  laissaient  pas  beaucoup  de  décou- 
vertes à  faire,  on  s'en  aperçoit. 


LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    TASCVE  20 

On  peut  défier  le  nouvel  historien  de  citer  une 
seule  note  discordante,  dans  ce  concert  de  regrets 
et  d'éloges  sans  restriction,  avant  la  fin  de 
i66/j.  Et  cependant  le  public  savait  dès  1662  que 
feu  M.  Pascal  était  Louis  de  Montalte,  l'auteur  des 
Provinciales.  Le  Blasii  Paschalis  tumulus,  que 
Beurrier  a  transcrit  inexactement  dans  ses  Mé- 
moires (v.  Jovy,  page  /igg)  ^  et  dans  lequel  Pascal 
est  identifié  avec  Montalte,  était  une  épitaphe, 
non  pas  manuscrite,  mais  imprimée;  j'en  ai  sous 
les  yeux  un  exemplaire  (^  pages  in-4°),  et  il  porte 
la  date  de  1662.  Enfin,  dans  un  opuscule  de 
78  pages  in-Zi"  intitulé  Octave,  ou  Dialogues  fami- 
liers sur  les  disputes  du  temps  (iG63),  il  est  fait 
mention  des  Provinciales  avec  les  plus  grands 
éloges,  et  les  Jésuites  par  contre  y  sont  assez  mal- 
menés. Si  donc  les  bons  Pères  avaient  su  alors 
que  leur  ennemi  le  plus  redoutable  s'était  amendé, 
déjugé,  et  finalement  rétracté  avant  de  mourir, 
ils  n'auraient  pas  manqué  de  faire  grand  bruit 
de  cette  palinodie  ;  il  n'est  jamais  question  de 
Pascal   dans    les   nombreux    écrits    que   suscita 


I.  On  y  lit  œterne,  au  lieu  d'œlernum  ;  la  copie  supprime 
le  pentamètre  grec  de  la  fin,  et  elle  fait  mourir  Pascal 
dix  jours  trop  tôt  ;  Beurrier  a  traduit  XIV  Kalend.  Sept, 
par  die  nona  Augusti. 


24  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

en  i663  et  l'année  suivante   le  projet   d'accom- 
modement de  l'évêque  de  Comminges. 

C'est  seulement  le  7  janvier  i665,  dix-sept  mois 
après  la  mort  de  Pascal,  que  le  bruit  de  sa  rétrac- 
tation in  extremis,  de  ce  que  M.  Jovy  appelle  son 
«  abjuration  du  jansénisme,  »  put  commencer  à 
se  répandre,  à  la  suite  d'une  entrevue  du 
P.  Beurrier  et  de  l'archevêque  de  Paris.  Le  curé 
de  Saint-Étienne-du-Mont  n'était  pas  janséniste, 
pas  plus  que  le  propre  pasteur  de  Pascal,  Noël  de 
Bry,  curé  de  Saint-Gosme.  Mais  ces  deux  prêtres 
avaient  signé  les  fameux  Écrits  des  curés  contre 
les  casuistes,  factums  dont  quelques-uns  sont 
indubitablement  de  Pascal  ;  tous  deux  avaient 
en  outre  signé,  en  1661,  une  Défense  imprimée 
du  premier  Mandement  des  grands-vicaires, 
lequel  passe  encore  aujourd'hui  pour  avoir  été 
rédigé  par  Pascal.  Beurrier  n'était  ni  janséniste, 
ni  moliniste,  et  cet  homme  de  bien  ne  chei'chait 
querelle  à  personne.  Il  fut  donc  vivement  con- 
trarié lorsque  le  nouvel  archevêque  de  Paris, 
Hardouin  de  Péréfîxe,  le  fit  comparaître  devant 
son  tribunal,  au  mois  de  décembre  i664,  et  lui 
posa  à  brûle-pourpoint  des  questions  troublantes. 
Poussé  par  des  gens  dont  la  haine  n'épargnait 
pas  les   vivants    et  ne  respectait   pas   les  morts, 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  2D 

l'archevêque  dit  au  curé  qu'il  voulait  enlever  de 
Saint-Étienne-du-Mont  l'épitaphe  de  Pascal,  peut- 
être  même  déterrer  son  corps,  et  jeter  à  la  voirie 
cet  impie  qu'on  lui  disait  être  mort  sans  sacre- 
ments. Le  P.  Beurrier  rapporte  le  fait  dans  ses 
Mémoires,  et  s'il  pouvait  être  établi  que  les 
Mémoires  de  Beurrier  sont  absolument  dignes  de 
foi,  la  chose  serait  bien  curieuse;  elle  montrerait 
à  quelles  lâchetés,  à  quelles  indignités  la  peur  des 
Jésuites  pouvait  entraîner  cet  archevêque  de 
Paris  qui  n'était  pas  un  méchant  homme.  Déterrer 
Pascal,  c'eût  été  préluder  aux  exhumations  de 
Port-Royal  et  aux  enfouissements  du  cimetière  de 
Saint-Lambert.  Péréfixe  croyait  que  Pascal  était 

» 

mort  en  libertin  ;  il  ne  le  savait  donc  pas  converti 
au  molinisme,  et  les  Jésuites  qui  en  voulaient 
même  à  son  cadavre  ne  le  savaient  pas  davantage 
en  1664  ;  la  conséquence  est  rigoureuse. 

Le  curé  de  Saint-Etienne-du-Mont  rendit  hom- 
mage à  la  vérité  ;  il  déclara  que  Pascal  était  mort 
en  très  bon  chrétien,  très  soumis  au  Souverain 
Pontife  et  à  l'Église  ;  il  ajouta  même  que  plusieurs 
semaines  avant  sa  mort  il  s'était,  —  non  pas 
rétracté,  ce  mot  n'est  jamais  venu  sous  la  plume 
de  Beurrier,  —  mais  a  retiré  prudemment,  depuis 
deux  ans,  des  disputes  et  contestations  »  sur  les 


26  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

matières  de  la  Grâce.  A  ces  mots,  l'attention  de 
Péréfixe  fut  éveillée  ;  il  exigea  que  Beurrier  attestât 
par  écrit  la  vérité  de  ses  affirmations,  et  de  là 
sortit  le  fameux  certificat  du  7  janvier  i665.  Le 
voici  tout  entier  ;  je  le  transcris  sur  une  copie 
manuscrite  de  1678,  conservée  jusqu'en  1709 
dans  les  archives  de  Port-Royal  des  Champs  *   : 


Déclarcdion  de  M.  V Archevêque  louchant 
M.  Paschal  (sic). 

«  Aujourd'hui  7*  janvier  i665,  Nous,  Hardouin 
de  Péréfixe,  archevêque  de  Paris,  sur  ce  que  nous 
aurions  appris  que  M.  Pascal,  lequel  avait  la 
réputation  d'avoir  été  fort  attaché  au  parti  des 
Jansénistes,  était  décédé  dans  la  paroisse  de 
Saint-Étienne,  et  qu'il  y  était  mort  sans  recevoir 
les  sacrements,  avons  désiré  savoir  de  M.  Paul 
Beurrier,  religieux  de  Sainte-Geneviève  et  curé  de 


I.  C'est  une  copie  qui  semble  bien  avoir  été  faite  par  un 
clerc  de  notaire.  On  l'a  insérée  en  1704  dans  un  Recueil  de 
pièces  relié  par  une  religieuse  à  Port-Royal  même.  Ce  volume 
fait  partie  de  la  collection  des  pièces  originales  que  Mademoi- 
selle de  Joncoux  s'est  fait  donner  par  d'Argenson  lors  de  la 
destruction  de  Port-Royal. 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  27 

Saint-Étienne,  si  ce  qu'on  nous  en  avait  rapporté 
était  véritable,  et  s'il  était  vrai  qu'il  fut  mort 
attaché  au  parti  des  Jansénistes.  Sur  quoi  ayant 
ledit  sieur  curé  de  Saint-Étienne  été  sommé*  de 
dire  la  vérité,  après  l'avoir  promis,  a  répondu 
qu'il  avait  connu  ledit  sieur  Pascal  six  semaines 
avant  son  décès,  qu'il  l'avait  confessé  plusieurs 
fois,  et  administré  le  saint  viatique  et  le  sacre- 
ment d'extrême- onction,  et  que  dans  toutes  les 
conversations  qu'il  a  eues  avec  lui  pendant  sa 
maladie,  il  a  remarqué  que  ses  sentiments  étaient 
toujours  fort  orthodoxes,  et  soumis  parfaitement 
à  l'Église  et  à  notre  Saint  Père  le  Pape.  De  plus, 
il  lui  a  témoigné  dans  une  conversation  fami- 
lière qu'on  l'avait  autrefois  embarrassé  dans  le 
parti  de  ces  Messieurs,  mais  que  depuis  deux  ans 
il  s'en  était  retiré,  parce  qu'il  avait  remarqué 
qu'ils  allaient  trop  avant  dans  les  matières  de  la 
Grâce,  et  qu'ils  paraissaient  avoir  moins  de  sou- 
mission qu'ils  ne  devaient  pour  notre  Saint  Père 
le  Pape.  Que  néanmoins  il  gémissait  aussi  de  ce 
qu'on  relâchait  si  fort  la  morale  chrétienne,  et 
que  depuis  deux  ans  il  s'était  tout  à  fait  attaché 

I.  On  a  corrigé  ici  de  la  manière  suivante  :  «  Sur  quoi 
ayant  interrogé  le  dit  curé  de  Saint-Etienne  et  sommé...  » 
La  première  rédaction  était  bonne. 


28  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

aux  affaires  de  son  salut,  et  à  un  dessein  qu'il 
avait  contre  les  athées  et  politiques  de  ce  temps 
en  matière  de  religion.  Enfin  a  déclaré  qu'il 
était  mort  en  fort  bon  catholique,  et  après  que 
lecture  lui  a  été  faite  de  ce  que  dessus,  a  signé  sa 
déclaration  contenir  vérité.  Donné  à  Paris,  le 
jour  et  an  que  dessus.  Ainsi  signé  avec  parafe, 
f.  P.  Beurrier.  » 

En  signant  cette  déclaration,  le  curé  de  Saint- 
Etienne  demanda  qu'elle  fût  tenue  absolument 
secrète,  et  l'archevêque  le  lui  promit  ;  il  le  lui 
jura  même,  se  réservant  seulement  de  la  faire 
voir  aux  religieuses  de  Port-Royal  pour  les  amener 
à  composition.  On  a  de  nombreuses  Relations 
écrites  par  ces  religieuses,  et  l'on  y  voit  quePéré- 
fixe  ne  leur  ménageait  ni  les  visites,  ni  les  dis- 
cours, ni  les  injures  ;  mais  il  ressort  d'un  examen 
très  attentif  de  ces  Relations,  manuscrites  et  par- 
fois autographes,  ou  imprimées,  que  jamais, 
même  au  plus  fort  de  la  persécution,  à  Port- 
Royal  ou  dans  les  couvents  qui  servaient  de 
prison  aux  religieuses,  Péréfixe  ne  leur  a  montré 
le  certificat  du  P.  Beurrier.  Il  savait  trop  bien 
ce  qu'elles  lui  auraient  répondu. 

Mais  en  revanche  il  en  donna  au  confesseur  du 
roi  une  copie  signée  de  sa  main,  et  le  P.  Annat, 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  20 

qui  s'était  vu  en  si  mauvaise  posture  au  temps 
des  dernières  Provinciales  et  depuis,  crut  qu'il 
prendrait  une  revanche  éclatante  s'il  communi- 
quait au  public  une  si  belle  découverte.  11  le  fit 
au  commencement  de  1666.  Publieuit  alors  un 
grand  écrit  en  plusieurs  chapitres  dont  j'ai  le 
texte  sous  les  yeux,  il  y  parla  (page  96)  des 
<(  bouffonneries  du  secrétaire  de  Port-Royal  »  et 
il  ajouta  :  «  Mais  pour  celui-ci  [on  lit  même 
cetui-ci],  il  faut  que  je  lui  rende  cette  justice  de 
publier  ce  qu'il  dit.  hors  de  confession  1,  à  celui 
qui  l'assista  en  la  maladie  dont  il  mourut  : 
Que  depuis  environ  deux  ans  il  s'était  retiré  de  ce 
parti,  pour  avoir  reconnu  que  ces  théologiens  allaient 
trop  avant  dans  les  matières  de  la  Grâce,  et  n'avaient 
pas  assez  de  soumission  et  de  respect  pour  le  Saint- 
Siègeetpour  l'Église.  Mgr  l'Archevêque  en  a  la  décla- 
ration écrite  eî  signée  de  la  main  de  ce  directeur, 
et  j'en  ai  une  copie  signée  de  la  main  de 
Mgr  l'Archevêque.  »  Notons  eu  passant  que  le 
P.  Annat,  si  sévère  pour  les  citations  prétendues 
inexactes,  incomplètes  ou  tronquées  des  Provin- 
ciales, citait  Beurrier  dune  manière   peu  exacte, 

I.  Voilà  un  distinguo  qui  vaut  son  pesant  d'or,  le  con- 
fesseur ayant  demandé  i^our  cette  confidence  de  son  péni- 
tent le  secret  le  plus  absolu. 


3o  LES    DERNIERS    JOLllS    DE    BLAISE    PASCAL 

et  qu'il  supprimait  ce  qui  dans  la  déclaration 
était  relatif  à  la  morale  relâchée  des  Jésuites. 
Mais  peu  importe  pour  le  moment.  Le  voilà  donc 
connu  dès  1666,  sans  qu'on  eût  alors  besoin  de 
recourir  aux  Mémoires  futurs  du  curé  Beurrier, 
ce  (i  fait  nouveau  »  dont  on  triomphe  aujourd'hui 
si  bruyamment  I 

Voyons  la  suite  de  ces  révélations,  si  fâcheuses 
pour  les  Jansénistes.  On  imprima  sans  tarder 
une  Réfutation  du  nouveau  livre  du  P.  Annat,  et 
à  la  page  78  de  cette  Réfutation  l'on  inséra  une 
Lettre  d'un  théologien,  datée  du  i5  juillet  1666, 
qui  mettait  les  choses  tout  à  fait  au  point. 
M.  Jovy  a  pris  la  peine  d'analyser  brièvement 
cette  lettre  fort  curieuse,  qui  pourrait  être  de 
Nicole  ou  de  Lalanne,  et  j'ai  le  regret  de  constater 
que  son  analyse  est  très  infidèle  et  porte  complè- 
tement à  faux.  Il  dit  (p.  [\it\)  que  l'écrit  en 
question  «  contient  une  critique  sanglante  des 
procédés  que  Pascal  employait  >  en  1661-1662. 
Il  dit  ensuite  en  propres  termes  :  «  Pascal  n'a 
écrit  sur  le  jansénisme  que  des  histoires  fabu- 
leuses. Il  avait  même  composé  là-dessus  des 
dialogues  où  l'on  faisait  dire  de  part  et  d'autre 
aux  gens  des  choses  dont  il  n'avait  jamais  été 
parlé.  »  Ceci  est  grave,  car  les  Promnciales  sont 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  01 

visées  directement  ;  or  il  n'y  a  rien  de  semblable 
dans  la  Lettre  du  théologien  (p.  82  de  l'édition 
originale).  Après  avoir  dit  que  Pascal,  disputant 
contre  Arnauld  à  la  fin  de  166 1  et  au  commen- 
cement de  1662,  «  se  contenta  des  mémoires  que 
lui  fournissaient  quelques-uns  de  ses  amis,  qui 
ne  regardaient  pas  d'assez  près  aux  passages  dont 
ils  les  composaient  »,  le  théologien  ajoute  : 

«  Secondement,  ils  ne  savaient  presque  rien 
de  la  manière  dont  les  choses  s'étaient  passées  à 
Rome,  le  Journal  de  M.  de  Saint-Amour  n'étant 
pas  encore  imprimé  ;  ni  même  de  ce  qui  s'était 
fait  à  Paris  où  ils  n'avaient  eu  aucune  part  ;  ce 
qui  leur  a  donné  lieu  d'en  faire  des  histoires 
toutes  fabuleuses  qui  servent  de  fondement  à  ces 
prétendues  contrariétés,  et  de  composer  des  dia- 
logues oii  l'on  fait  dire  aux  gens  de  part  et  d'autre 
des  choses  dont  il  n'a  jamais  été  parlé.  »  A  qui  donc 
en  veut  ici  l'auteur  de  la  lettre  ?  Évidemment  à 
Domat  et  à  ceux  qui  documentaient  Pascal,  inca- 
pable de  faire  alors  les  recherches  nécessaires.  Il 
ne  s'agit  nullement  de  Pascal  dans  ce  passage,  et 
la  méprise,  si  méprise  il  y  a,  est  impardonnable. 
Heureusement  que  M.  Jovy,  en  sa  qualité  de 
compilateur,  ou  si  l'on  veut  d'éditeur  convaincu, 
associe  constamment  les  contraires,  sauf  à  fournir 


02  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAi 

ainsi  des  armes  contre  lui.  IL  suffit  pour  le  con- 
fondre de  comparer  ses  assertions  de  la  page  4i4 
avec  ses  transcriptions  de  la  page  422.  Qu'on  lise 
dans  son  livre  le  texte  de  cette  Lettre  d'un  théolo- 
gien (elle  est  copiée  assez  exactement,  et  les 
fautes  de  lecture  n'y  sont  pas  très  nombreuses), 
et  l'on  verra  que  les  Messieurs  de  Port-Royal  ont 
montré  avec  une  loyauté  parfaite,  en  juillet  1666, 
la  nature  du  désaccord  qui  s'était  produit  entre 
Pascal  et  Arnauld  en  novembre  1661,  Voici  d'ail- 
leurs, à  litre  de  réponse  au  certificat  de  Beurrier, 
les  deux  derniers  alinéas  de  la  Lettre  du  théolo- 
gien (p.  84)  : 

«  Les  soupçons  mêmes  que  [M.  Pascal]  avait 
conçus  du  relâchement  de  Messieurs  de  Port-Royal 
se  dissipèrent  entièrement  avant  sa  mort,  et  la 
fermeté  que  les  religieuses  firent  paraître  en 
refusant  [de  signer  ?]  le  troisième  mandement 
dressé  par  les  grands- vicaires  du  Chapitre  l'obligea 
de  reconnaître  qu'il  n'avait  point  [c'est-à-dire 
qu'il  n'aurait  point]  dû  les  accuser  de  faiblesse. 
Aussi,  quoique  cette  diversité  de  sentiments  n'ait 
jamais  interrompu  le  commerce  d'amitié  qu'il 
avait  avec  ces  Messieurs,  leur  union  parut  néan- 
moins d'une  manière  toute  particulière  durant 
sa  dernière  maladie.  M.  Arnauld,  qui  était  alors 


LES  DERNIERS  JOURS  DE  BLAISE  PASCAL     OÔ 

à  Paris,  lui  rendit  visite,  et  M.  Pascal  le  reçut 
avec  toute  sorte  de  témoignages  de  tendresse  et 
d'affection.  Il  se  confessa  plusieurs  fois  à  M.  de 
Sainte-Marthe  au  cours  de  son  mal,  et  la  veille 
même  de  sa  mort,  n'ayant  pas  cru,  en  ce  temps 
où  l'on  a  moins  d'égards  que  jamais  à  toutes  les 
considérations  humaines,  pouvoir  choisir  une 
personne  qui  lui  pût  être  plus  utile  pour  le  bien 
de  sa  conscience. 

«  Voilà,  Monsieur,  un  récit  abrégé  de  toute 
cette  histoire  :  je  ne  m'arrête  pas  à  vous  en  pro- 
duire des  preuves  ;  parce  que  je  n'ai  qu'à  vous 
renvoyer  pour  cela  aux  amis  particuliers  de 
M.  Pascal,  qui  vous  en  confirmeront  la  vérité.  Il 
est  vrai  qu'il  paraît  par  là  qu'il  n'y  eut  jamais 
rien  de  pris  plus  à  contre-sens  que  ce  que  M.  le 
curé  de  Saint-Etienne  a  rapporté  de  sa  disposition  ; 
mais  il  parait  en  même  temps  qu'il  lui  a  été  très 
facile  de  tomber  innocemment  dans  cette  sur- 
prise. Car  ayant  ouï  dire  à  M.  Pascal  qu'il  avait 
eu  depuis  deux  ans  quelque  contestation  avec  ces 
Messieurs  sur  les  matières  de  la  Grâce  et  sur  le 
respect  qui  était  dû  au  pape,  comme  le  commun 
du  monde  les  accuse  plutôt  de  manquer  de  sou- 
mission que  d'en  avoir  trop,  il  a  pu  croire  aisé- 
ment que   c'était  ce  que  M.  Pascal  reprenait  en 

3 


34  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

eux,  au  lieu  qu'il  ne  les  a  jamais  blâmés  que  d'un 
excès  de  condescendance  envers  le  pape  et  les 
évêques,  qui  sont  des  défauts  dont  le  reproche 
même  leur  est  glorieux,  puisqu'étant  accuses  par 
d'autres  d'un  défaut  contraire,  c'est  une  grande 
marque  qu'ils  sont  demeurés  en  ce  point  là  dans 
les  bornes  d'une  juste  modération.  Je  suis,  etc. 
Ce  i5  juillet  1G66.  » 

Une  autre  Lettre  d'un  théologien,  transcrite  en 
partie  par  M.  Jovy  et  datée  du  22  décembre  i665, 
antérieure  par  conséquent  à  la  précédente,  avait 
déjà  dit  la  même  chose  en  termes  plus  concis. 
Elle  avait  victorieusement  réfuté  le  docteur 
Chamillard,  ce  «  lâche  et  cruel  persécuteur  », 
comme  aurait  dit  l'auteur  des  Provinciales,  que 
Péréfîxe  avait  imposé  à  titre  de  supérieur  aux 
religieuses  de  Port-Royal.  Celle  du  i5  juillet 
produisit  un  efTet  plus  grand  encore  :  ni  Annat, 
ni  Péréfîxe  n'osèrent  rééditer  ce  conte  ridicule 
d'une  rétractation  de  Pascal.  Toutefois  Chamillard 
fît  exception  ;  à  son  libelle  de  i665  il  en  joigni* 
un  second  en  1667,  et  il  y  glissa  (p.  120)  le  petit 
entrefilet  que  voici  : 

«  Je  ne  sais  pas  si  le  différend  que  les  Jansé- 
nistes curent  avec  M'  Pasqual  (sic)  rompit  entiè- 


LES    DERNIERS    JOURS   DE    BLAISE    PASCAL  35 

rement  l'union  qu'il  avait  avec  eux.  Mais  je  sais 
bien  que  M.  le  curé  de  Saint-Étienne  a  déclaré 
juridiquement,  dans  une  déposition  qu'il  a  faite 
entre  les  mains  de  Mgr  l'Archevêque  de  Paris, 
que  M.  Pasqual,  son  paroissien,  lui  avait 
déclaré...  (suit  le  texte  de  Beurrier  déjà  cité). 
J'ai  vu  l'original  de  cette  déposition,  qui  est 
entre  les  mains  de  Mgr  l'Archevêque  de  Paris, 
signée  Beurrier  et  datée  du  7*  de  janvier  i665.  » 
L'audace  de  Chamillard  fut  aussitôt  réprimée,  et 
par  qui  ?  par  Claude  de  Sainte-Marthe  en  per- 
sonne, dans  un  écrit  très  remarquable  à  tous 
égards,  intitulé  ;  Dejfense  des  religieuses  de  Port- 
Royal  et  de  leurs  directeurs  sur  tous  les  faits  allé- 
gués par  M.  Chamillard,  docteur  de  Sorbonne, 
dans  ses  deux  libelles  contre  ces  religieuses, 
adressée  aa  même  M.  Chamillard,  1667.  Je  ne 
vois  pas  que  cette  vigoureuse  réplique  en  176 
pages  in-4''  ait  été  utilisée  par  M.  Jovy,  et  c'est 
grand  dommage.  Elle  méritait  les  honneurs 
d'une  réimpression,  car  elle  a  beau  être  anonyme, 
elle  est  pour  ainsi  dire  signée  à  toutes  les  pages  ; 
et  voici  ce  que  l'on  peut  lire  à  la  page  36  : 

((  Je  ne  vous  aurais  point  donné  d'autres 
exemples  sur  ce  sujet,  si  vous  même  ne  m'aviex 
fourni  une  nouvelle  preuve  pour  montrer  com- 


36  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

bien  on  doit  être  réservé  à  parler  des  morts  qui  ne 
peuvent  plus  expliquer  leurs  sentiments.  Je  vous 
dis  cela  à  l'occasion  du  fait  de  M.  Pasclial  (sic), 
que  vous  renouvelez  encore  comme  si  on  n'y 
avait  point  répondu.  Je  ne  prétends  point  que 
M.  le  curé  de  Saint-Étienne,  que  vous  nommez, 
ait  manqué  de  sincérité  ;  il  est  vrai  pourtant 
qu'il  a  pris  tout  ce  que  lui  a  dit  M.  Paschal  à 
contre-sens  ;  puisqu'il  était  si  éloigné  de  nous 
regarder  comme  un  parti,  que  pour  me  donner 
des  marques  «  de  sa  {sic,  lisez  la)  parfaite  con- 
fiance qu'il  avait  en  moi,  il  m'envoya  quérir 
plusieurs  fois  dans  sa  dernière  maladie,  et  me 
communiqua  les  plus  secrets  mouvements  de  sa 
conscience.  Si  je  témoignais  une  chose  et  M.  le 
curé  de  Saint-Etienne  une  autre,  il  y  aurait  de 
la  peine  à  discerner  lequel  de  nous  deux  se  trom- 
perait ;  mais  je  produis  des  faits  dont  on  ne  peut 
douter,  puisque  les  proches  et  les  amis  de 
M.  Paschal  sont  témoins  du  désir  qu'il  eut  de  me 
parler,  et  ils  sont  assurés  par  eux-mêmes  et  par 
des  écrits  qu'ils  ont  en  main  que  ses  dispositions 
étaient  toutes  contraires  à  ce  qui  est  rapporté  de 
lui  dans  cette  déclaration  que  vous  alléguez.  » 

Chamillard  dut  capituler  cette  fois,  et  la  plume 
tomba   de     ses    mains  ;   mais  elle    fut    aussitôt 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLA.ISE    PASCAL  87 

ramassée  par  le  jésuite  Bouhours  :  quand  une 
calomnie  ne  pouvait  plus  être  soutenue  par  per- 
sonne, il  se  trouvait  toujours,  au  xvn''  siècle,  un 
jésuite  pour  la  reprendre  à  son  compte.  «  Qui  ne 
sait  présentement,  dit  Bouhours  à  la  page  12  de 
sa  fameuse  Lettre  à  un  seigneur  de  la  cour... 
1668,  que  M'  Paschal  (sic)  est  l'auteur  des  Pro- 
vinciales, et  qu'il  était  engagé  dans  le  parti  lors- 
qu'il écrivait  ?  Si  quelqu'un  doutait  d'une  vérité 
aussi  constante  que  celle-là.  il  serait  aisé  de  l'en 
convaincre  par  le  témoignage  de  M.  Paschal 
même,  que  nous  savons  de  bonne  part  avoir 
abjuré  le  jansénisme  à  la  mort.  Gela  est  attesté 
par  un  écrit  signé  de  la  main  de  M.  le  curé  de 
Saint-Étienne-du-Mont,  qui  assista  M.  Paschal  à  la 
mort.  Cet  écrit  est  entre  les  mains  de  M.  l'Arche- 
vêque de  Paris  *.  »  «  On  répondit  encore,  mais  en 
deux  lignes,  et  Arnauld,  auteur  de  la  Réfutation  de 
la  Lettre  à  un  seigneur  de  la  cour,  se  contenta  de 
dire  (p.  ^9)  que  les  réfutations  antérieures  devraient 
«  fermer  la  bouche  pour  jamais  à  des  personnes 
qui  auraient  quelque  pudeur.  »  Ce  rappel  à  la 
pudeur  toucha-t-il  le  jésuite  bel  esprit  auteur  des 


I.  Les  deux  dernières  phrases,  depuis  «  Cela  est  attesté  » 
sont  en  note  à  la  marge  dans  l'édition  originale. 


38  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

Enlreiiens  d'Ariste  et  d'Eugène  ?  Toujours  est-il 
que  Bouhours  ne  revint  pas  à  la  charge,  et  quand 
il  réimprima  sa  Lettre,  en  i684,  il  supprima 
purement  et  simplement  le  passage  relatif  à  la 
rétractation  de  Pascal. 

Et  l'honnête  Beurrier,  qui  se  trouvait  ainsi 
pris  entre  deux  feux,  bien  que  l'on  rendît  hom- 
mage à  sa  loyauté,  que  dit-il,  que  fit-il  durant 
ces  trois  années  de  luttes  dont  il  était  la  cause 
innocente  ?  Il  ne  fit  absolument  rien  ;  il  se  terra 
pour  ainsi  dire  dans  sa  cure  de  Saint-Étienne- 
du-Mont,  ou  plutôt  dans  son  couvent,  et  garda 
un  silence  encore  plus  obstiné  que  celui  de 
Conrart.  On  mettait  en  doute  son  intelligence  et 
sa  perspicacité  ;  on  le  rendait  responsable  d'un 
faux  témoignage  et  d'une  calomnie  ;  il  évita, 
volontairement  ou  non,  de  se  justifier,  et  nous  le 
verrons  bientôt  écrire  pour  lui  seul,  en  serrant 
son  papier  au  fond  de  son  tiroir  :  Quod  scripsi, 
scripsi,  ce  qui  revient  à  dire  :  Le  mal  est  fait,  si  mal 
il  y  a,  et  il  est  irréparable  ;  se  rétracter  quand  on 
a  signé  ainsi  un  acte  juridique,  ce  serait  se  recon- 
naître inintelligent  ou  fourbe  ;  le  plus  sûr  est  donc 
de  laisser  les  choses  aller  leur  train.  Et  c'est  ainsi 
que  l'affaire  n'eut  pas  de  suites  avant  la  mort  de 
Péréfixe,  survenue  comme   l'on  sait  à  la  fin  de 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  89 

1670,  le  3i  décembre,  quelques  mois  après  celle 
du  P.  Annat. 


Nous  arrivons  ainsi  à  la  paix  de  Clément  IX, 
et  à  la  publication  des  Pensées,  qui  devait  remet- 
tre à  l'ordre  du  jour  la  fameuse  rétractation  de 
Pascal.  L'histoire  des  Pensées  est  bien  connue  ; 
pourquoi  faut-il  que  M.  Jovy  vienne  encore  à  ce 
propos  lancer  de  nouvelles  accusations  contre 
des  gens  qu'il  veut  déshonorer  coûte  que  coûte? 
J'ai  regret  de  m'engager  ici  dans  une  véritable 
digression,  mais  il  le  faut,  et  d'ailleurs  ne  s'agit- 
il  pas  ici  de  discuter  des  u  Notes  discursives  »  ? 
A  la  page  436,  M.  Jovy  accuse  le  libraire  Desprez 
d'avoir  menli  en  disant  à  l'archevêque  Péréfîxe 
qu'il  n'y  avait  pas  deux  éditions  différentes  des 
Pensées.  L'honorable  M.  Jovy  ne  ment  pas,  il  se 
trompe,  et  Desprez  disait  la  vérité.  Sainte-Beuve 
aussi  s'est  trompé,  sans  avoir  menti,  sur  cette 
question,  en  disant  dans  son  Port-Royal  qu'on  a 
intitulé  deuxième  édition  celle  qui  était  la  pre- 
mière, et  cela  pour  déjouer  les  manœuvres  de 
Péréfîxe.  Voici  le  vrai  :  la  deuxième  édition, 
datée  de  1670,  a  été  précédée  de  trois  autres.  La 
première,  dont  on  ne  connaît   que  le  précieux 


Z|0  LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

exemplaire  de  la  Bibliothèque  nationale,  a  dû 
être  tirée  à  très  petit  nombre,  sans  doute  à  qua- 
rante ou  cinquante  exemplaires.  C'étaient,  si  l'on 
peut  s'exprimer  ainsi,  des  épreuves  à  correction, 
adressés  à  ceux  dont  on  sollicitait  l'approbation. 
Les  changements  demandés  par  eux  furent  insi- 
gnifiants, et  Desprez,  remaniant  très  légèrement 
deux  ou  trois  cahiers,  put  donner  une  première 
édition  qui  a  365  pages  comme  l'exemplaire  de 
la  Bibliothèque  nationale.  Assailli  de  demandes, 
et  craignant  de  manquer  la  Aente  alors  qu'il  avait 
déjà  détruit  la  composition,  il  donna  tout  de  suite 
une  autre  première  édition  en  334  pages.  Enfin 
il  dut  encore  réimprimer  les  Pensées  en  1670,  et 
il  publia,  sous  le  titre  de  deuxième  édition,  un 
recueil  qui  a,  non  plus  365  ou  33/i  pages,  mais 
3^8.  Voilà  comment  les  choses  se  sont  passées,  et 
il  n'y  a  là  ni  mensonge  ni  ruse  ;  l'observation  de 
Péréfîxe  portait  sur  de  prétendues  différences  de 
texte,  et  les  trois  éditions  de  1670  sont  absolu- 
ment identiques,  il  n'y  a  pas  un  mot  de  changé. 
C'est  alors  que  l'archevêque  eut  l'idée  à  tout 
le  moins  singulière  de  faire  imprimer  en  tête  des 
Pensées,  pour  assurer  à  ce  chef-d'œuvre  un  débit 
plus  considérable,  le  fameux  écrit  du  P.  Beurrier 
relatif  à  la  rétractation  de  Pascal.   Les  éditeurs 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BL.VISE    PASCAL  !\1 

étaient  trop  bien  élevés  pour  lui  faire  sentir 
l'étrangeté,  l'inconvenance  même  d'un  pareil 
procédé  ;  ils  déclinèrent  poliment  Toffre  de  l'ar- 
chevêque, et  le  neveu  de  Pascal,  Etienne  Périer, 
lui  écrivit  une  lettre  fort  humble  et  fort  cérémo- 
nieuse pour  lui  opposer  une  fin  de  non-recevoir 
absolue.  Dans  cette  lettre,  u  il  poussait  la  platitude 
hypocrite  jusqu'à  ses  dernières  limites  ».  dit 
M.  Jovy;  ce  sont  là  ses  aménités  ordinaires  quand 
il  parle  des  gens  de  Port-Royal. 

L'affaire  en  resta  là,  comme  le  dit  Marguerite 
Périer,  si  bien  informée  de  tous  ces  détails,  et 
Péréfixe  mourut.  Les  bruits  de  rétractation  n'en 
continuèrent  pas  moins  à  se  répandre  sourde- 
ment ;  si  bien  que  la  famille  de  Pascal  prit  enfin 
le  parti  de  s'adresser  à  Beurrier  lui-même.  11  ne 
répondit  plus  cette  fois  :  Quod  scripsi,  scripsi,  et 
il  s'expliqua  nettement,  d'abord  en  1671,  puis  en 
1673.  Je  ne  crois  pas  nécessaire  d'entrer  dans  le 
détail  de  ces  négociations  et  de  celles  qui  suivi- 
rent ;  elles  sont  de  même  nature,  et  le  Recueil 
d'Utrecht,  dont  les  négations  de  M.  Jovy  font 
ressortir  de  plus  en  plus  la  grande  valeur  histo- 
rique, les  fait  très  bien  connaître.  Il  suffira,  pour 
montrer  ce  que  valent  les  allégations  du  nouveau 
biographe  de  Pascal,  de  reproduire  les  deux  let- 


42  LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

très  de  Beurrier;  cette  fois  encore  je  les  transcris 
sur  la  copie  bien  authentique  déposée,  probable- 
ment en  1673,  dans  les  archives  de  Port-Royal- 
des-Champs  : 


Copie  d'une  Lettre  de  M.  le  Curé  de  Saint-Etienne 
à  Madame  la  conseillère  Périer. 

«  De  Paris,  ce  r2  juin  1671. 

«  Madame, 

«  Ayant  appris  de  M.  Périer  que  vous  étiez  fort 
touchée  de  l'abus  qu'on  a  fait  d'une  déclaration 
que  feu  M.  l'archevêque  avait  tirée  de  moi  sur  le 
sujet  de  feu  M.  votre  frère,  et  que  vous  seriez  bien 
aise  de  savoir  au  vrai  ce  qu'il  m'avait  dit  dans  sa 
dernière  maladie  qui  avait  donné  lieu  à  l'explica- 
tion de  sa  pensée  telle  que  je  lui  donnai  alors,  il 
est  vrai,  Madame,  que  quand  je  parlai  à  M.  de  Paris 
je  crus  de  très  bonne  foi  qu'il  m'avait  fait  enten- 
dre ce  que  j'ai  mis  dans  ma  déclaration,  ayant 
pris  en  ce  sens  ce  qu'il  m'avait  dit  dans  une  con- 
versation particulière,  qu'il  avait  eu  quelque  dif- 
férend avec  ces  Messieurs  sur  le  sujet  des  matières 
du  temps,  et  qu'il  n'était  pas  entièrement 
dans  leurs  sentiments.  Mais  sur  ce  que  j'ai  appris 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  43 

les  {sic)  dispositions  de  M.  votre  frère  par  ceux  qui 
l'ont  connu  très  particulièrement,  et  par  quelques 
écrits  du  sujet  de  la  dispute  qu'il  avait  eue  avec 
eux  quelque  temps  avant  sa  mort,  j'ai  bien  re- 
connu que  ses  paroles  pouvaient  avoir  un  autre 
sens  que  celui  que  je  leur  avais  donné,  comme 
aussi  je  crois  qu'elles  l'avaient,  puisque  le  sujet 
de  leur  contestation  était  tout  diCférent  de  celui 
que  je  m'étais  imaginé.  Voilà,  Madame,  tout  ce 
que  je  vous  dirai  de  cette  déclaration,  que  je  sou- 
haiterais de  bon  cœur  n'avoir  jamais  donnée, 
puisqu'elle  ne  paraît  pas  conforme  à  la  vérité  de 
ses  sentiments,  et  qu'on  en  abuse,  contre  mon 
intention  et  contre  la  parole  qu'on  m'avait  don- 
née, pour  décrier  des  personnes  pour  qui  j'ai 
beaucoup  d'estime,  aussi  bien  que  de  votre  chère 
famille,  de  laquelle  je  serai  à  jamais,  Madame, 
Le  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 
f.  P.  Beurrier,  curé  de  Saint-Étienne.   » 


!\k  LES    DER-MERS   JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 


Copie  d'une  lettre  de  M.  le  Curé  de  Saint- Étienn& 
à  M.  Perler  le  fils. 

«  De  Paris,  ce  27  novembre  1C73. 

«  Monsieur, 

u  J'ai  douleur  de  la  maladie  de  Madame  votre 
mère,  et  prie  Dieu  qu'il  lui  rende  la  santé,  et  à 
Mademoiselle  votre  sœur,  et  qu'il  conserve  votre 
sainte  famille  pour  sa  gloire.  Pour  répondre  à  la 
vôtre,  tout  ce  qu'on  vous  a  dit  est  assurément 
contre  la  vérité  ;  car  1°  je  ne  connais  point  ces 
ecclésiastiques^  ;  i°  jamais  je  n'ai  avancé  ni  dit 
que  feu  M.  Pascal  se  soit  rétracté  ;  3°  jamais  il  n'est 
venu  chez  moi,  mais  je  l'ai  été  voir  plusieurs  fois 
durant  sa  maladie  ;  4°  je  ne  l'ai  bien  connu  comme 
auteur  des  Lettres  au  provincial  qu'à  sa  mort,  et  ce 
fut  par  le  feu  P.  Lallemant  ;  5"  tout  ce  que  j'ai 
dit,  c'est  qu'il  est  mort  très  bon  catholique,  après 
avoir  reçu  les  sacrements,  et  qu'il  avait  une  pa- 
tience consommée  et  une  très  grande  soumission 
à  l'Église  et   à  notre   Saint  Père  le  Pape,  et  que 

I.  Il  s'agit  de  deux  prêtres  qui  prétendaient  à  Clermont 
que  Beurrier  leur  avait  affirmé  positivement  ce  qu'il  nie 
dans  cette  lettre. 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  45 

depuis  deux  aus  avant  sa  mort  il  avait  voulu  se 
retirer  pour  songer  à  son  salut  et  à  travailler 
contre  les  athées.  Tout  le  détail  est  e-xpliqué  dans 
la  lettre  que  j'ai  eu  l'honneur  d'écrire  à  Madame 
votre  mère,  que  vous  pouvez  faire  voir  à  qui  il 
vous  plaira. 

Je  suis  pour  jamais,  Monsieur,  votre  très  hum- 
ble et  très  obéissant  serviteur, 

f.  P.  Beurrier,  curé  de  Saint-Étienne.  » 

M.  Jovy  ne  craint  pas  d'avancer  que  ces  deux 
documents,  de  même  que  les  certificats  donnés 
en  i684  par  Roannez,  Domat,  Arnauld,  Nicole  et 
Sainte-Marthe,  pourraient  bien  avoir  été  falsifiés 
par  les  jansénistes  «  ad  majorem  Portûs  Regii 
gloriam.  o  Le  procédé  est  commode,  il  est  renou- 
velé du  P.  Annat.  Mais  il  suffira  de  répondre  que 
les  gens  de  Port-Royal,  qu'on  nous  dépeint  si 
malhonnêtes,  sont  demeurés  près  de  quarante  ans 
sans  faire  usage  de  ces  précieux  documents.  Les 
calomniateurs,  devenus  plus  circonspects,  avaient 
pris  le  parti  de  ne  plus  parler  de  Pascal  et  de  sa 
prétendue  rétractation.  Lorsque  la  Vie  de  Pascal 
par  Madame  Périer  parut  en  i684,  à  l'étranger  et 
sur  une  mauvaise  copie,  on  ne  saisit  point  cette 
occasion  d'épiloguer  sur  les  derniers  sentiments 


/l6  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

de  l'auteur  des  Pensées.  Le  P.  Daniel  lui-même, 
dont  les  Entretiens  de  Cléandre  et  d'Eadoxe{iQç)^)  * 
sont  une  réponse  aux  Provinciales,  garde  le  plus 
profond  silence  sur  la  rétractation,  qu'il  paraît 
ignorer  absolument  ;  et  ses  contradicteurs,  dom 
Petitdidier  et  le  P.  Noël  Alexandre,  ne  sont  pas 
moins  réservés.  Sans  une  insigne  maladresse  de 
Fénelon,  les  deux  lettres  du  P.  Beurrier  à  la 
famille  de  Pascal  n'auraient  probablement  pas  vu 
le  jour  avant  le  milieu  du  xix"  siècle.  Mais  l'arche- 
vêque de  Cambrai,  devenu  l'allié  des  Jésuites 
depuis  la  condamnation  de  ses  Maximes  des  Saints, 
s'attaqua  aux  jansénistes  avec  une  extrême  viva- 
cité, et  dans  la  première  de  ses  deux  Lettres  au 
P.  Quesnel,  en  1711,  il  insinua  que  Pascal  s'était 
révolté  contre  le  Saint-Siège  ;  il  osa  même  décla- 
rer que  l'auteur  des  Provinciales,  au  lieu  de  pré- 
coniser comme  Arnauld  le  silence  respectueux 
sur  le  fait  de  Jansénius,  voulait  s'insurger  et 
appeler  du  Pape  au  Concile.  C'était  calomnier 
Pascal  2  ;  Quesnel  répondit  aA^ec  force,   peut-être 

1.  J'en  ai  sous  les  yeux  une  édition  de  1694,  l'archevêque 
de  Paris,  Harlay  de  Charvallon,  la  fit  supprimer;  lui  mort 
on  s'empressa  de  la  réimprimer,  en  1696. 

2.  Au  xviii'  siècle,  après  la  Bulle  Unigenitus,  Pascal  eût 
appelé,  comme  Bossuet  d'aiUeurs,  du  pape  au  concile  ;  au 
temps  du  Formulaire,  c'était  chose  inadmissible,  puisque 


LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  Ixj 

avec  éloquence,  et  il  montra  clans  quel  abîme 
d'absurdités  on  peut  tomber  quand  c  à  la  faveur 
d'une  connaissance  imparfaite  ou  d'un  bruit 
confus,  on  bâtit  sur  un  même  fait,  vrai  ou  faux^ 
des  fables  opposées  l'une  à  l'autre.  »  Il  reprit  à 
nouveau  l'histoire  de  la  rétractation  de  Pascal 
mourant,  et  voici  ce  qu'on  peut  lire  ù  la  page  62 
de  sa  réponse  à  Fénelon  : 

«  On  assure,  dites-vous,  que  ce  qui  est  fait 
maintenant  par  le  Dénonciateur  pour  appeler  de 
la  Bulle  [Vineam  Domini]  au  concile  est  précisé- 
ment ce  que  M.  Pascal  soutint  dans  la  délibéra- 
tion des  chefs  de  votre  parti  qu'il  fallait  faire  de 
bonne  foi  dès  qu'il  vit  la  bulle  dinnocent  X  qui 
condamnait  le  système  de  Jansénius  ^  Pensez-y 
sérieusement  devant  Dieu,  Monseigneur,  et  con- 
sidérez s'il  est  de  la  prudence,  de  la  charité,  de  la 
justice  d'un  archevêque,  d'avancer  un  fait  si 
atroce  contre  un  homme  de  bien...  sur  la  foi 
d'un  ouï-dire,  faute  d'en  avoir  des  preuves  con- 
vaincantes qu'il  puisse  produire  à  la  lumière  du 
soleil...  Il  n'y  a  que  les  Jésuites  qui  vous  aient 


tout  le  monde  était  d'accord  sur  la  question  doctrinale,  et 
que  les  Conciles  eux-mêmes  ne  sont  pas  infaillibles  sur 
les  questions  de  fait. 

I.  Œuvres  de  Fénelon,  éd.  de  i85o,  tome  IV,  p.  574. 


48  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

pu  remplir  l'esprit  de  ces  sortes  de  contes.  Celui- 
ci  est  sans  doute  fondé  sur  ce  qui  se  passa  en 
1661  entre  M.  Arnauld  et  M.  Pascal  au  sujet  de  la 
signature  des  constitutions  faite  par  les  reli- 
gieuses de  Port-Royal,  ensuite  du  second  mande- 
ment des  vicaires  généraux  de  M.  le  cardinal  de 
Retz,  archevêque  de  Paris...  »  Quesnel  exposait 
alors  les  faits  tels  qu'ils  ont  été  relatés  par  tous 
les  biographes  et  par  tous  les  historiens  antérieurs 
à  M.  Jovy.  Il  citait  quelques  lignes  de  la  déclara- 
tion du  P.  Beurrier,  et  il  ajoutait  :  «  Ainsi,  sur  le 
même  fondement,  on  fait  M.  Pascal  d'un  zèle  si 
outré  pour  la  grâce  efficace  que  malgré  M.  Ar- 
nauld il  ne  veut  point  qu'on  se  soumette  à  la  bulle 
du  pape,  mais  qu'on  appelle  de  son  jugement  au 
concile  général  ;  et  d'un  autre  côté  on  le  fait  si 
mou  et  si  ralenti  sur  cette  grâce  même  qu'il  rompt 
avec  ses  meilleurs  amis,  prétendant  qu'ils  allaient 
trop  loin  sur  cette  matière,  et  qu'ils  n'étaient  pas 
assez  soumis  au  pape.  Les  Jésuites  ont  fait  tro- 
phée de  cette  méprise,  et  l'ont  vantée  comme  une 
histoire  indubitable,  et  comme  une  preuve  de  la 
conversion  de  M .  Pascal  et  des  excès  de  MM.  de  Port- 
Royal  sur  la  grâce  et  sur  la  soumission  due  aux 
constitutions.  Ils  crurent  même  cette  victoire  si 
glorieuse  pour  leur  parti  que  trois  ans  après  la 


Palf,  RruRUiKU 

l'iir'iir-(;iirr  de  Sainl-Élioiiiic-dii-Monl  do  iii.ïo  à   iCi-ô 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLUSE    PASCAL  49 

mort  de  M.  Pascal,  ils  engagèrent  M.  dePéréfixe, 
alors  archevêque  de  Paris,  d'en  tirer  du  P.  Beur- 
rier une  déclaration  juridique  du  7  janvier  de 
i665.  L'année  d'après,  on  éclaircit  cette  méprise, 
dans  une  lettre  du  i5  juillet  1666  qui  se  trouve  à 
la.  un  delà  Réfutation  da  livre  du  P.  Annat...  et 
l'année  suivante  dans  la  Défense  de  la  foi  des  reli- 
gieuses de  Port-Royal  (2"  partie^ . 

«  Le  P.  Beurrier,  homme  de  piété  et  de  mérite, 
qui  a  été  général  des  chanoines  réguliers  de  la 
Congrégation  de  France,  s'étant  trompé  de  très 
bonne  foi,  ouvrit  les  yeux  et  reconnut  sa  méprise 
par  la  lecture  de  ces  écrits,  et  par  le  soin  qu'il  eut 
de  se  faire  informer  de  ce  différend  par  ceux  qui 
avaient  connu  plus  particulièrement  M.  Pascal  ; 
et  il  rendit  un  témoignage  contraire  à  sa  déclara- 
tion par  deux  lettres  qu'il  écrivit,  l'une  à  la  sœur, 
et  l'autre  à  un  neveu  de  M.  Pascal.  Je  prends  la 
liberté.  Monseigneur,  de  vous  en  envoyer  une 
copie,  parce  que  je  ne  crois  pas  qu'elles  aient  été 
imprimées,  et  qu'elles  pourront  servir  de  préser- 
vatif contre  les  abus  que  font  encore  aujourd'hui 
les  Jésuites  de  la  déclaration  du  P.  Beurrier.  ;>  Et 
cinquante  pages  plus  loin,  tout  à  la  fin  de  cette 
grande  lettre  du  8  mars  i7ii,Quesnel  transcrivait 
fidèlement  la  déclaration  de  Beurrier  et  ses  deux 

4 


50  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

rétractations  successives.  C'est  de  là  que  ces 
documents  ont  passé  dans  le  Supplément  au 
Nécrologe,  en  lySS,  et  dans  les  autres  écrits  du 
temps  1 . 

Fénelon  ne  répondit  point,  et  pourtant  ce  pré- 
lat grand  seigneur  ne  dédaignait  pas  de  réfuter 
très  longuement  le  P.  Quesncl  ;  son  silence  en 
cette  occasion  est  significatif.  De  son  côté,  Quesnel 
n'insista  pas,  et  la  question  de  savoir  si  Pascal 
s'était  rétracté  ou  non  durant  les  six  dernières 
semaines  de  sa  vie  ne  semble  pas  avoir  préoccupé 
outre  mesure  les  contemporains  de  Voltaire.  L'abbé 
Bossut,  premier  éditeur  des  œuvres  complètes 
de  Pascal,  en  a  parlé,  en  1779,  pour  dire  que  l'inci- 
dent était  définitivement  clos.  Le  jésuite  Patouillet 
lui-même,  qui  appelait  Pascal  «  un  cerveau  blessé, 
un  cœur  ulcéré,  un  hypocondre  »,  s'est  contenté 


I.  Je  relève  à  la  page  78  de  cette  grande  Lettre  de  Quesnel 
à  B'énelon  une  profession  de  foi  que  Pascal  eût  certainement 
signée.  M.  Jovy  ne  manquera  pas  de  la  juger  profondé- 
ment hypocrite  :  «  Je  ne  suis  chef  d'aucun  parti  ;  je  n'en 
connais  aucun  ;  ce  seul  nom  me  fait  peur  ;  j'ai  en  horreur 
tout  parti,  soit  dans  TÉtat  ou  dans  l'Église.  Mon  nom  est 
Chrétien  ;  mon  surnom  est  Catholique  ;  mon  parti  est 
l'Église;  mon  chef  est  Jésus-Christ;  ma  loi,  c'est  l'Évangile  ; 
les  évêques  sont  mes  Pères,  et  le  Souverain  Pontife  est  le 
premier  de  tous.  »  Tous  les  jansénistes  de  tous  les  temps 
auraient  signé  ou  signeraient  ce  formulaire-là. 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  01 

de  dire  au  sujet  de  ses  contestations  avec  Arnauld 
et  Nicole  :  «  Quoique  Pascal  eût  sacrifié  au  parti 
tout  sentiment  de  foi,  d'honneur  et'de  probité,  il 
n'eut  pas  la  consolation  de  trouver  dans  ces 
Messieurs  des  cœurs  reconnaissants.  Il  eut  même 
dans  la  suite  des  (sic)  plus  grands  démêlés  avec 
eux.  Il  prétendit  qu'ils  avaient  varié  dans  leurs 
sentiments,  ou  du  moins  dans  l'exposition  de 
leurs  sentiments.  Eux  de  leur  côté  firent  de  lui 
un  portrait  peu  avantageux...  n  De  la  rétractation 
de  1662,  pas  un  mot;  aussi  bien  que  vaudrait  la 
rétractation  d'un  cerveau  blessé  ? 

Sainte-Beuve  enfin,  Cousin,  Faugère,  et  tous 
ceux  qui  au  xix®  siècle  se  sont  occupés  de  Pascal, 
ont  refusé  de  croire  à  la  rétractation  attestée  par 
le  P.  Beurrier  ;  il  leur  a  suffi  de  dire  que  «  M.  Beur- 
rier, de  très  bonne  foi  d'ailleurs,  avait  pris  la 
pensée  de  Pascal  au  rebours...  Le  curé,  convaincu 
par  les  pièces  que  lui  produisit  la  famille,  con- 
fessa lui-même  sa  méprise.  »  Ainsi  parlait  Sainte- 
Beuve,  mais  il  appartenait  sans  doute  à  la  caté- 
gorie des  gens  superficiels  et  indifférents  qui  ne 
savent  pas  lire  entre  les  lignes,  et  d'ailleurs  les 
Mémoires  du  P.  Beurrier  (v  sommeillaient  '  alors  à 
la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  ;  la  baguette 
magique  de  M.  Jovy  ne  les  avait  pas  encore  tirés 


52  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

de  cet  assoupissement  ou  plutôt  de  cette  léthargie. 
Ils  en  sont  tirés  aujourd'hui  ;  voyons  les  donc  un 
peu  ces  fameux  Mémoires,  dans  lesquels  le  curé 
de  Saint-Etienne-du-Mont  «  a  consigné  en  toute 
indépendance  et  sans  haine  les  souvenirs  qu'il 
avait  conservés  de  ses  rapports  avec  Pascal  » 
(p.  /i86).  Il  nous  sera  facile  de  les  étudier  en  toute 
indépendance  et  sans  la  moindre  haine. 


M.  Jovy  n'a  pas  donné,  comme  il  aurait  dû  le 
faire,  une  description  complète  du  manuscrit  du 
P.  Beurrier.  Il  fallait  dire  en  premier  lieu  que  ces 
Mémoires  ne  sont  pas  autographes,  que  c'est  une 
simple  copie,  et  même  un  assemblage  de  copies 
de  différentes  mains,  avec  des  additions  et  des  cor- 
rections qui  sont  très  probablement  du  P.  Beur- 
rier. Il  fallait  en  outre  se  demander  à  quelle  date 
le  bon  génovéfain  a  composé  cet  ouvrage.  Beur- 
rier est  mort  presque  nonagénaire  en  1696,  et 
certaines  parties  de  ses  Mémoires  datent  de  1692, 
alors  que  leur  auteur  avait  84  ans.  Ecrire  à  cet 
âge-là,  quand  on  n'est  pas  Fontenelle,  ou  Vol- 
taire, ou  Chevreul,  c'est  une  imprudence  ;  est-on 
bien  sûr  de  sa  mémoire,  et  peut-on  garantir  la 
rigoureuse  exactitude  des  faits  ?  Mais  Beurrier  dit 


LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  53 

positivement,  dos  la  seconde  page,  qu'il  appar- 
tient à  la  Congrégation  de  France  depuis  cin- 
quante-cinq ans,  ayant  fait  profession  à  i8  ans,  le 
19  mars  1626  ;  il  résulte  de  là  qu'il  écrivait  la 
première  partie  de  ses  Mémoires  en  1681,  à  Tàge 
de  73  ans.  Ces  détails  ont  leur  importance,  et 
l'éditeur  de  Beurrier  a  manque  de  sens  critique 
en  les  négligeant  ;  on  ne  saurait  être  trop  précis 
quand  on  apporte  des  documents  révélateurs  des- 
tinés à  détruire  des  légendes  séculaires  et  à  renou- 
veler l'histoire  d'un  Pascal. 

M.  Jovy  aurait  dû  dire  également  que  le  cha- 
pitre de  ces  Mémoires  qui  est  consacré  à  Pascal  est 
le  quarantième  du  livre  III,  et  que  ce  livre  est 
intitulé  :  «  Des  choses  les  plus  remarquables  qui 
se  sont  passées  en  vingt  et  deux  ans  que  j'ai  été 
curé  de  Saint-Étienne,  que  j'ai  vues  ou  qui  sont 
arrivées  dans  la  paroisse,  et  dont  j'ai  eu  une  con- 
naissance certaine.  »  Ce  détail  est  essentiel,  car 
Beurrier  ayant  cessé  d'être  curé  de  Saint-Etienne 
en  1675,  treize  ans  après  la  mort  de  Pascal,  cette 
partie  des  Mémoires  serait  postérieure  à  1675.  Il 
fallait  ajouter  enfin  que  le  chapitre  XL  est  immé- 
diatement précédé  de  plusieurs  autres  qui  sont 
relatifs  à  un  voyage  de  Flandre  fait  en  mai  1681 , 
que  le  chapitre  suivant  est  sur  l'organisation  du 


54  LES    DER^IERS   JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

culte  et  sur  l'ordre  des  processions,  et  que  dans  la 
suite  des  Mémoires  il  n'est  jamais  question  de 
Pascal  et  des  graves  ennuis  que  l'histoire  de  sa 
rétractation  a  causés  au  curé  de  Saint-Étienne 
durant  près  de  vingt  ans.  Et  pourquoi  n'avoir 
pas  résumé  d'après  la  Gallia  chrisiiana  la  biogra- 
phie tout  unie  du  P.  Beurrier?  Né  à  Chartres  le 
20  septembre  1608,  il  fit  profession  à  Sainte- 
Geneviève  le  19  mars  1626.  Il  devint  curé  de 
Saint-Étienne  du  Mont,  à  titre  de  génovéfain,  en 
i653,  et  dut  résigner  sa  cure  quand  il  fut  élu 
général  de  la  Congrégation  de  France  en  1675. 
Réélu  trois  ans  plus  tard,  en  1678,  élu  en  1681 
premier  assistant  de  l'ordre,  Beurrier  demanda 
en  1688  à  se  retirer,  pour  ne  plus  songer,  disait- 
il,  qu'à  la  grande  affaire  de  son  salut.  Il  mourut 
à  88  ans,  le  25  janvier  1696,  et  fut  enterré  dans  le 
chapitre.  On  a  son  portrait  gravé  ;  il  a  trouvé 
place,  en  1909,  dans  la  grande  Iconographie  de 
Port-Royal,  publiée  à  l'occasion  du  second  cen- 
tenaire de  la  destruction  de  ce  monastère. 

Cela  dit,  examinons  à  loisir  ce  quarantième  cha- 
pitre, qui  va  de  la  page  1609  à  la  page  i55i,  c'est- 
à-dire  de  la  page  364  à  la  page  385  du  second 
tome  des  OEuvves  du  P.  Beurrier.  M.  Jovy  est 
professeur    de   rhétorique    depuis     de    longues 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  DO 

années,  et  par  parenthèse  il  doit  être  un  excel- 
lent maître  ;  s'il  avait  analysé  en  homme  du 
métier  le  chapitre  en  question,  il  aurait  été  forcé 
de  se  montrer  très  sévère  pour  ce  devoir  de 
mauvais  écolier.  C'est  manifestement  l'œuvre 
d'un  «  bonhomme  »  au  sens  ordinaire  de  ce 
mot,  d'un  vieillard  à  l'esprit  baissé  qui  se  répète 
d'une  manière  fâcheuse.  En  outre  l'auteur  de  ce 
quarantième  chapitre  brouille  les  faits  et  confond 
les  dates,  et  il  en  vient  même  à  se  contredire 
complètement,  parce  que  sa  mémoire  n'est  plus 
assez  fidèle.  Enfin  il  omet,  sciemment  ou  non, 
des  choses  très  essentielles.  Examinons  sous  ces 
différents  aspects,  puisque  la  chose  n'a  pas  été 
faite,  le  manuscrit  1886  de  la  Bibliothèque 
Sainte-Geneviève. 

Il  y  a  d'abord  à  noter  les  répétitions  et  les 
redites  ;  elles  auraient  dû  attirer  l'attention  de 
M.  Jovy,  puisqu'il  les  a  imprimées  en  gros  carac- 
tères, comme  s'il  se  défiait  de  l'intelligence  des 
lecteurs.  A  la  page  490  on  lit  ces  mots  :  «  Il  me 
dit  qu'il  gémissait  avec  douleur  [Pascal  n'a  pas 
dû  parler  ainsi,  car  on  ne  gémit  pas  sans  dou- 
leur] de  voir  cette  division  entre  les  fidèles...; 
m'ajoutant  qu'on  l'avait  voulu  engager  dans  ces 
disputes,  mais  que  depuis  deux  ans  il  s'en  était 


56  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

retiré  prudemment,  vu  la  grande  difficulté  de 
ces  questions  si  difïîciles  [Pascal  parlant  de  la 
difïîculté  de  questions  difficiles  devait  être  bien 
malade]  de  la  grâce  et  de  la  prédestination. 
Et  pour  la  question  de  l'autorité  du  pape,  il 
l'estimait  aussi  de  conséquence,  et  très  difficile  à 
vouloir  connaître  ses  bornes  [ce  français  là  n'est 
toujours  pas  de  Pascal]  ;  et  qu'ainsi,  n'ayant  pas 
étudié  la  scolastique...  il  avait  jugé  qu'il  se  devait 
retirer  de  ces  disputes  et  contestations,  qu'il 
croyait  préjudiciables  et  dangereuses,  car  il  aurait 
pu  errer  en  disant  trop  ou  trop  peu,  et  ainsi  qu'il 
se  tenait  au  sentiment  de  TÉglise  touchant  ces 
grandes  questions,  et  qu'il  voulait  avoir  une 
soumission  parfaite  au  vicaire  de  Jésus-Christ, 
qui  est  le  souverain  pontife.  » 

C'était  suffisamment  clair,  il  était  donc  inutile 
de  redire  ce  qu'on  lit  page  /J97  :  «  Il  m'avait 
témoigné  bien  de  la  douleur  de  voir  la  division 
entre  les  enfants  de  l'Église  sur  ces  matières  de  la 
grâce  et  de  la  prédestination  et  de  l'autorité  du 
pape  ;  qu'on  l'avait  voulu  engager  dans  ces 
parties,  et  que  prudemment  il  s'en  était  retiré 
pour  travailler  à  son  salut  et  à  la  conversion  des 
impies  et  des  hérétiques,  s'excusant  sur  la  diffi- 
culté de  ces  matières,  et  sur  ce  que  n'ayant  pas 


LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  07 

étudié  la  scolastique  il  pourrait  en  dire  trop  ou 
trop  peu  ;  qu'il  se  soumettait  parfaitement  à 
l'Église  et  au  souverain  pontife,  vicaire  de  Jésus- 
Christ...  » 

Mêmes  redites  en  ce  qui  concerne  la  prétendue 
retraite  spirituelle  faite  par  Pascal  deux  ans  avant 
sa  mort  (pages  489-494).  Mais  cela  n'est  rien  ;  ce 
qui  est  plus  grave,  c'est  que  Beurrier  brouille 
comme  à  plaisir  les  faits  et  les  dates.  On  a  vu 
plus  haut,  d'après  le  récit  de  Gilberte  Périer,  que 
durant  une  maladie  de  six  semaines  Pascal  com- 
munia une  seule  fois,  dans  la  nuit  du  18  au 
19  août.  Gilberte  ajoute  même  que  Beurrier 
entrant  dans  la  chambre  du  malade  avec  le  saint 
sacrement,  lui  cria  :  «  Voici  Celui  que  vous  avez 
tant  désiré  !  »  Or  Beurrier,  dans  son  chapitre  LX, 
prétend  que  dès  le  surlendemain  de  sa  première 
visite,  c'est-à-dire  six  semaines  avant  la  mort  de 
Pascal,  il  lui  «  apporta  le  saint  sacrement^  qu'il 
reçut  avec  une  singulière  dévotion  »  (p.  492).  Com- 
ment se  fait-il  que  M.  Jovy  ait  considéré  comme 
négligeable  une  déclaration  de  cette  importance, 
qui  renverse  comme  un  simple  château  de  cartes 
l'échafaudage  qu'il  avait  si  péniblement  construit 
pour  prouver  un  odieux  refus  de  communion  ? 
Il  est    manifeste  que    c'est  ici   Beurrier    qui   se 


58  LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

trompe,  et  alors  quelle  confiance  méritent  ses 
autres  affirmations  ?  Enfin  le  récit  du  curé  de 
Saint-Étienne,  certainement  postérieur  à  1667, 
puisqu'il  fait  mention  de  quelques  écrits  imprimés 
de  cette  époque-là,  présente  des  lacunes  véritable- 
ment étranges.  Il  parle  de  sa  visite  à  Péréfixe  et 
des  déclarations  qu'il  fit  à  son  archevêque  ;  il  ne 
dit  rien  de  l'indiscrétion  coupable  du  prélat  qui 
communiqua  au  docteur  Chamillard  et  aux 
Jésuites  une  attestation  qu'un  confesseur  lui 
avait  donnée  sous  le  sceau  du  secret  le  plus 
absolu.  Il  ne  dit  rien  des  écrits  de  Chamillard,  du 
P.  Annat  et  du  P.  Bouhours,  et  des  démentis 
imprimés  qui  les  réduisirent  au  silence.  Enfin  il 
est  muet  sur  les  rétractations  réitérées  qu'il 
donna  lui-même  en  1671  et  en  1670  ;  ce  silence 
est  bien  étrange. 


On  se  plaint  aujourd'hui  que  les  historiens 
abusent  de  l'inédit,  et  qu'ils  attribuent  parfois 
une  trop  grande  importance  aux  manuscrits  qui 
leur  tombent  sous  la  main.  Des  hommes  très 
distingués  ont  donné  contre  cet  écueil,  Michelet 
entre  autres;  et  puisqu'il  s'agit  ici  de  Pascal,  on 
peut  rappeler  la  fâcheuse  mésaventure  de  Prosper 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  69 

Faugère  quand  il  voulut  publier  les  Provinciales. 
Il  avait  acheté  un  manuscrit  du  xvii*  siècle  inti- 
tulé :  Les  Provinciales  du  grand  Pascal,  et  il 
l'avait,  dit-on,  payé  fort  cher.  Faugère  conclut 
de  là  que  c'était  une  excellente  copie,  antérieure 
à  1660,  corrigée  sans  doute  par  Louis  de  Mon- 
talte  en  personne.  Il  publia  donc  une  édition  des 
Provinciales  qui  est  à  refaire  en  entier,  et  que 
M.  Brunschvicg  doit  nous  donner  prochainement. 
Je  crains  que  M.  Jovy,  premier  éditeur  d'un  frag- 
ment des  Mémoires  de  Beurrier,  ne  se  soit, 
toutes  proportions  gardées,  trouvé  dans  le  même 
cas.  Il  n'a  pas  acheté  un  manuscrit  qui  appartient 
à  l'Etat,  mais  il  a  eu  le  mérite  très  réel  de  le 
découvrir,  de  l'étudier  et  de  le  transcrire.  Il  s'est 
dès  lors  imaginé,  comme  Prosper  Faugère,  que 
ce  manuscrit  devait  avoir  une  grande  valeur 
historique,  et  c'est  ainsi  sans  doute  qu'il  y  a  trouvé 
des  révélations  qui  n'y  sont  pas.  Le  fragment 
des  Mémoires  de  Beurrier  publié  par  M.  Jovy  n'a 
aucune  importance,  et  il  ne  dit  rien  qui  ne  fût 
connu  depuis  i665,  il  y  aura  tantôt  deux  cent 
cinquante  ans. 

M.  Jovy  aura  beau  torturer  ce  texte,  il  ne  fera 
jamais  dire  au  curé  de  Saint-Etienne  que  Pascal 
se  soit  ((  rétracté  ».  Une  rétractation  n'a  de  valeur 


6o  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

que  si  elle  reçoit  la  plus  grande  publicité  possilDle. 
Si  donc  Pascal  avait  regretté  ce  qu'il  avait  fait, 
il  en  aurait  demandé  pardon  à  Dieu  et  aux 
hommes,  et  il  aurait  chargé  son  confesseur  de 
manifester  publiquement  son  repentir.  Dans  les 
Mémoires,  comme  dans  l'attestation  de  janvier 
i665,  il  est  simplement  question  de  divergences, 
de  désaccord,  de  séparation,  et  tout  au  plus  de 
demi-rupture.  Se  retirer  prudemment  n'est  pas 
synonyme  de  partir  en  guerre.  En  outre,  nous 
venons  de  le  voir,  l'auteur  des  Mémoires,  s'il 
écrivait  en  1681,  comme  on  pourrait  le  croire, 
avait  le  tort  grave  de  passer  absolument  sous 
silence  ses  deux  rétractations  à  lui  Beurrier,  celles 
de  1671  et  de  1673.  Etait-ce  oubli  de  sa  part?  ce 
serait  vraiment  fâcheux.  Était-ce  calcul,  parce 
qu'il  espérait  que  ses  deux  lettres  manuscrites  ne 
verraient  jamais  le  jour  ?  L'estime  que  tous  les 
contemporains  ont  professée  pour  le  P.  Beurrier 
ne  permet  pas  d'admettre  un  seul  instant  une 
pareille  hypothèse.  De  deux  choses  l'une  :  ou 
Beurrier  a  écrit  ce  fragment  sur  Pascal  avant  de 
s'être  rétracté,  et  dès  lors  son  témoignage  n'a 
aucune  valeur  à  cause  de  la  rétractation  qui  a 
suivi  ;  ou  bien  il  l'a  écrit  en  1681,  sept  ou  huit  ans 
après  sa  rétractation,   et  son  silence  est  inexpli- 


LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  6l 

cable.  Puisque  nous  ne  possédons  pas  l'auto 
graphe  de  ces  Mémoires,  rien  n'empêche  de 
croire  que  le  copiste  a  rassemblé  maladroitement 
d'anciennes  notes  relatives  à  l'affaire  Pascal,  notes 
qui  pourraient  fort  bien  avoir  été  rédigées  en 
1667  ou  en  1668,  lorsque  Sainte-Marthe  eut  réduit 
Chamillard  au  silence.  Quelques  parties  des 
Mémoires  de  Beurrier  sont  de  1692,  d'autres 
sont  de  1681  ;  celle-là  pourrait  être  plus  ancienne, 
ce  qui  lèverait  bien  des  difficultés. 

Voilà  pour  la  prétendue  rétractation  de  Pascal 
en  1662.  S'agit-il  maintenant  de  cette  date  de 
deux  ans  en  arrière,  qui  revient  à  satiété,  et  que 
nous  voyons  assignée,  tantôt  aux  dissentiments 
qui  se  sont  produits  moins  d'un  an  avant  la  mort 
de  Pascal,  tantôt  à  sa  conversion  et  à  ses  projets 
de  retraite,  qui  datent  de  i654,  tantôt  enfin  à  la 
première  idée  de  l'Apologie,  qui  est  très  certaine- 
ment de  i656  ?  Ici  la  réponse  est  encore  plus  facile: 
les  affirmations  de  l'honnête  Beurrier  n'ont  pas 
la  moindre  valeur,  il  ne  sait  ce  qu'il  dit.  Son 
témoignage  n'est  pas  plus  recevable  quand  il  parle 
des  deux  communions  administrées  au  malade, 
ou  quand  il  représente  Pascal  vendant  en  1660  le 
carrosse  que  sans  doute  il  n'avait  jamais  possédé, 
et  ses  tapisseries,  de  haute  lisse  sans  doute,  et  sa 


62  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

bibliothèque.  Dans  cette  partie  de  ces  Mémoires, 
Beurrier  a  copié  tout  simplement,  et  fort  mal  copié, 
des  pages  entières  de  la  Vie  de  Pascal  par  Madame 
Périer.  On  sait  que  cette  Vie,  composée  dès  1667, 
n'a  été  publiée  qu'en  i684  ;  si  donc  il  est  démontré 
que  le  chapitre  LX  est  antérieur  a.  la  rétractation 
faite  par  Beurrier  en  1671,  on  en  pourrait  inférer 
que  la  sœur  de  Pascal,  amenée  à  parler  du  curé 
de  Saint-Etienne  dans  la  vie  de  son  frère,  a  eu 
la  délicatesse  d'en  communiquer  une  copie  au 
confesseur  de  Pascal  ;  et  précisément  ce  serait  un 
argument  de  plus  en  faveur  de  la  loyauté  de  Gil- 
berte  Périer.  Ce  serait  en  outre  une  preuve  nouvelle 
du  peu  de  créance  que  méritent  les  allégations 
du  P.  Beurrier.  De  quelque  côté  que  l'on  se 
tourne,  il  est  impossible  de  trouver  au  fragment 
de  Beurrier  une  valeur  historique,  si  minime 
soit-elle.  C'est  du  fatras,  c'est  la  mise  en  œuvre  de 
notes  éparses,  confuses,  incomplètes  et  contra- 
dictoires. L'auteur  de  ce  chapitre,  ce  n'est  évidem- 
ment pas  l'honnête  Beurrier,  c'est  le  secrétaire 
inintelligent  qui  fut  chargé  d'un  travail  au-dessus 
de  ses  forces. 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BL.VISE    PASCAL  63 


Ces  Mémoires  da  P.  Beurrier,  dont' on  pourrait 
tirer  parti  pour  certains  détails  de  la  vie  parois- 
siale au  xvii''  siècle,  sont  d'une  extrême  faiblesse 
à  tous  égards  ;  il  y  a  des  chapitres  entiers  notam- 
ment le  chapitre  V,  oii  se  trouve  une  histoire  de 
lupanar,  —  Beurrier  emploie  sans  sourciller  un 
autre  mot  —  qui  montrent  la  naïveté,  la  niaiserie 
même,  de  l'honnête  et  candide  prieur-curé  de 
Saint-Étienne,  un  a  bonhomme  »  dans  toute  la 
force  du  terme. 

Le  chapitre  XY  :  v  Comment  Dieu  m'a  fait  la 
grâce  de  me  soutenir  au  milieu  des  contestations 
entre  les  deux  partis  différents  des  personnes 
doctes  et  pieuses  de  ma  paroisse  avec  lesquels 
j'ai  eu  plusieurs  conférences  sur  ces  matières,  » 
semblerait  devoir  nous  ramener  à  Pascal  et  à  son 
Entretien  avec  M.  Beurrier,  dont  on  voudrait 
aujourd'hui  faire  le  pendant  du  célèbre  Entretien 
avec  M.  de  Sacy.  La  lecture  de  ce  chapitre  suffirait 
à  démontrer  que  le  chapitre  sur  la  rétractation 
de  Pascal  ne  mérite  aucune  confiance.  Beurrier  y 
déplore  ces  contestations,  et  il  fait  allusion  aux 
écrits  du  temps,  aux  «  lettres  et  aux  libelles 
remplis  d'injures,  de   railleries  et   de  calomnies 


64  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PxVSGAL 

contre  des  personnes  consacrées  à  Dieu,  contre 
des  religieux  et  des  prêtres,  et  môme  contre  des 
prélats,  au  grand  scandale  de  TEglise  catholique.  )> 
Beurrier  semble  être  ici  un  homme  de  juste  milieu, 
comme  Bossuet,  auteur  de  l'oraison  funèbre  de 
Nicolas  Cornet  ;  il  a  tout  l'air  de  condamner  les 
Provinciales,  et  aussi  les  odieux  pamphlets  des 
jésuites  Brisacier,  Meynier,  Annat,  et  autres  ;  il 
dit  avec  raison  que  ces  auteurs  u  ont  péché  contre 
ce  précepte  divin  qui  nous  oblige  d'aimer  notre 
prochain  comme  nous-mêmes.  >-,  On  s'attend 
donc  à  des  explications  intéressantes  ;  on  se  heurte 
à  des  énormités.  Beurrier  ne  comprend  rien  aux 
quei'elles  religieuses  de  son  temps  ;  Jansénius  et 
Arnauld,  VAugustinus  et  la  Lettre  à  un  duc  et 
pair,  les  Constitutions  des  papes  et  les  Censures 
de  la  Sorbonne,  tout  cela  se  confond  dans  sa 
pauvre  tête  ;  c'est  le  brouillamini  de  M.  Jourdain. 
Il  dit  en  propres  termes  que  les  propositions 
d' Arnauld,  discutées,  comme  tout  le  monde  le 
sait  en  i655,  paraissaient  alors  à  quelques  doc- 
teurs de  la  Sorbonne  «  contraires  à  la  détermina- 
tion (sic)  des  papes  Innocent  X  et  Alexandre  VIL  » 
Or  la  censure  contre  Arnauld  est  de  janvier  i656, 
et  la  constitution  d'Alexandre  VII  a  été  faite 
trois  mois  plus  tard.  Le  moyen  de  prendre  pour 


LES    DERMERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  65 

guide    un    contemporain    qui  écrit   de  pareilles 
choses  ? 

Dans  ce  même  chapitre,  Beurrier  dit  qu'il  a 
conseillé  à  quelques  docteurs  de  ses  amis  de 
souscrire  à  la  condamnation  d'Ârnauld,  quoi- 
qu'ils ne  le  jugeassent  pas  condamnable,  ses  pro- 
positions étant  «  soutenables  dans  un  bon  sens.  » 
Les  raisons  qu'il  donnait  à  l'appui  de  son  senti- 
ment n'eussent  guère  été  du  goût  de  Pascal 
et  d'Arnauld,  car  il  estimait  quon  ne  devait  pas 
priver  la  Sorbonne  de  ses  «  principaux  membres 
et  suppôts.  »  Céder  momentanément  à  l'orage, 
avec  le  secret  espoir  de  faire  un  jour  re viser  le 
procès  d'Arnauld,  c'était,  disait-il,  réserver  à  la 
Faculté  ((  le  secours  et  le  soutien  de  leur  zèle,  de 
leur  doctrine  et  de  leurs  bons  avis,  puisqu'ils 
étaient  des  plus  doctes  et  des  mieux  intentionnés 
pour  le  bien  de  l'Eglise  et  pour  la  bonne  morale, 
et  passaient  pour  tels  dans  tout  Paris  ».  Décidé- 
ment l'honnête  Beurrier  était  un  pauvre  homme, 
incapable  de  comprendre  et  de  juger  les  senti- 
ments d'un  Pascal.  Il  ajoutait,  toujours  dans  ce 
même  chapitre  :  «  Dans  le  dernier  livre  de  cet 
ouvrage,  je  m'expliquerai  plus  en  détail  sur  ces 
matières  importantes.  Dieu  aidant.  »  Cette  phrase 
a  été  barrée,  je  ne  saurais  dire  par  qui;  l'explica- 

5 


66  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

tion  annoncée  n'est  pas  venue,  sans  doute  parce 
que  Dieu  n'a  pas  aidé  ;  il  n'y  a  pas  lieu  de 
le  regretter,  mais  comme  ces  Mémoires  de  Beur- 
rier sont  un  fondement  ruineux  I  Que  peut- on 
construire  sur  de  pareilles  bases  ? 


Aux  affirmations  hardies  du  nouvel  historien 
et  de  ses  adeptes  on  peut  donc  opposer  sans 
crainte  les  contre-affirmations  que  voici  : 

i"  Lorsque  Pascal  mourut,  le  19  août  1662,  il 
n'était  en  aucune  manière  brouillé  avec  Port- 
Royal.  Les  dissentiments  très  réels  qu'avait  fait 
naître  en  novembre  1661,  neuf  ou  dix  mois 
seulement  avant  la  mort  de  Pascal,  la  signature 
du  formulaire  d'Alexandre  VII,  n'avaient  plus  de 
raison  d'être.  Port-Royal  tout  entier,  Pascal  et 
ses  amis  étaient  d'accord  pour  opposer  à  toute 
signature  sans  distinction  du  fait  et  du  droit  un 
refus  pur  et  simple.  Pleinemeiit  réconcilié  avec 
les  Messieurs,  si  Ion  veut  admettre  qu'une  récon- 
ciliation, —  on  dirait  plus  exactement  un  rap- 
prochement, —  fût  nécessaire,  Pascal  malade  a 
été  visité  en  1662  par  Arnauld,  Nicole,  et  Claude 
de  Sainte-Marthe,  et  ce  dernier,  le  plus  opposé 
de  tous  aux  capitulations,  l'a   confessé  plusieurs 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  67 

fois.  La  mort  de  Pascal  a  été  pleurée  par  tous  les 
jansénistes  sans  exception,  et  tous  avaient  sa 
mémoire  en  vénération. 

2"  Pascal  ne  s'est  jamais  rétracté,  et  n'a  jamais 
regretté  d'avoir  écrit  les  Provinciales.  Il  ne  s'est 
jamais  déjugé,  et  il  n'a  jamais  tergiversé  sur  la 
question  doctrinale  de  la  Grâce  efficace  par  elle- 
même  et  de  la  prédestination  gratuiîe  :  les  nou- 
veautés impies  de  Molina  lui  ont  toujours  fait 
horreur.  Il  ne  sest  pas  converti  une  troisième  fois 
en  1660,  c'était  chose  faite  depuis  six  ans  ;  et  le 
curé  de  Saint-Étienne-du-Mont,  très  bon  prêtre, 
mais  homme  craintif  et  d'intelligence  moyenne, 
s'est  trompé  lourdement  sur  le  sens  des  confi- 
dences que  Pascal  lui  a  faites.  Lui  même  l'a 
reconnu  d'ailleurs  avec  une  loyauté  parfaite, 
lorsque  la  famille  Pascal  l'a  mis  à  même  d'in- 
terroger des  témoins,  et  de  lire  des  écrits  de  la 
dernière  précision.  Le  chapitre  des  Mémoires  du 
P.  Beurrier  qui  traite  de  la  prétendue  rétracta- 
tion de  Pascal,  de  sa  prétendue  conversion  et 
de  son  prétendu  retour  à  l'orthodoxie  en  1660, 
n'a  aucune  valeur  historique,  c'est  un  pur  roman. 

3°  Les  jansénistes  n'ont  jamais  eu  besoin  de 
recourir  aux  falsifications  et  aux  mensonges  pour 
cacher  au  monde  une  vérité  qui   n'en  était  pas 


68  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

une.  Très  réservés  toujours,  car  les  choses  de  la 
vie  privée  ne  doivent  pas  sans  une  nécessité 
absolue  être  révélées  au  public,  ils  ont  répondu 
toutes  les  fois  qu'on  a  voulu  propager  au  sujet  de 
Pascal  des  mensonges  et  des  calomnies.  Ils  l'ont 
fait  dès  i665  ;  ils  ont  continué  à  le  faire  quand  la 
chose  a  été  nécessaire,  notamment  en  171 1,  et  la 
netteté  de  leurs  déclarations  a  toujours  fermé  la 
bouche  à  leurs  ennemis.  C'est  ainsi  qu'ils  ont 
réduit  au  silence  le  P.  Annat,  l'archevêque  Péré- 
fixe,  le  docteur  Chamillard,  le  P.  Bouhours,  et 
Fénelon  même.  Les  faits  qu'ils  ont  opposés  alors 
aux  calomnies  anciennes,  ceux  qu'on  peut  opposer 
aujourd'hui  à  des  allégations  analogues,  sont 
acquis  à  l'histoire,  car  ils  sont  l'évidence  même. 
Il  n'est  pas  nécessaire  de  faire  une  nouvelle 
Vie  de  Pascal  et  une  nouvelle  Histoire  de  Port- 
Royal;  les  anciennes  sont  bonnes,  et  absolument 
conformes  à  la  vérité. 


Mais  que  conclure  de  toutes  ces  observations, 
sinon  que  M.  Jovy,  en  prônant  comme  il  l'a  fait 
ces  Mémoires  sans  valeur,  pourrait  bien  avoir 
assumé  une  lourde  responsabilité  ?  Il  s'est 
trompé,   c'est  évident,  et  comme  se  tromper  est 


LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL  69 

chose  essentiellement  humaine,  nul  ne  saurait  lui 
en  faire  un  crime  :  Qui  sine  peccato  est...  Ce  qui  est 
grave,  c'est  d'avoir  mis  cette  erreur  '  involontaire 
au  service  de  passions  mauvaises,  et  même  de  la 
plus  mauvaise  de  toutes  les  passions,  de  la  haine 
implacable.  M.  Jovy,  dont  les  travaux  antérieurs 
étaient  très  souvent  estimables,  qui  a  rendu  et  qui 
pourrait  rendre  encore  de  très  grands  services  à 
la  littérature,  à  l'histoire  littéraire  et  à  l'histoire 
proprement  dite,  a  eu  je  ne  sais  comment  le  mal- 
heur de  se  laisser  circonvenir  et  entraîner.  Quand 
il  s'agit  de  Port-Royal  et  des  hommes  ou  des 
choses  de  Port-Royal,  M.  Jovy  n'est  jamais  un 
historien  qui  juge  avec  sérénité  ;  c'est  un  inqui- 
siteur qui  anathématise.  Ses  modèles  et  ses  émules, 
ce  sont  les  Garasse,  les  René  Rapin,  les  Desmarets 
de  Saint-Sorlin ,  les  Maraudé,  les  Jurieu  ;  et  ses 
arguments  ce  sont  les  injures  les  plus  atroces.  Et 
voilà  pourquoi,  au  lieu  de  nous  donner  un  Recueil 
de  pièces  je  ne  dis  pas  inédites,  mais  peu  connues, 
difficiles  à  réunir  et  souvent  très  intéressantes, 
M.  Jovy  nous  inflige  un  réquisitoire  mal  fait  et 
fort  ennuyeux,  avec  d'interminables  citations  de 
quarante,  cinquante  et  cent  pages.  On  pourra  le 
consulter,  on  ne  le  lira  pas.  etaujourd'hui  comme 
hier  il  reste  bien  établi  que  Pascal  et  Port-Royal 


70  LES    DERNIERS    JOURS    DE    BLAISE    PASCAL 

sont  inséparables  ;  que  l'auteur  des  Provinciales 
et  des  Pensées  e?,i  à  tout  jamais  la  gloire  de  Port- 
Royal,  et  que  d'autre  part  les  idées,  les  sentiments, 
les  témoignages  d'affection  de  Port-Royal  ont 
fait  la  consolation  et  la  joie  de  Pascal  agonisant  ^. 


ï.  Il  vient  de  paraître  à  la  librairie  Beauchesne  un  volume 
sur  la  Vie  religieuse  de  Pascal,  par  le  P,  Petitot,  dominicain 
et  professeur  à  l'École  biblique  de  Jérusalem.  A  la  fin  de 
cet  ouvrage  se  trouve  une  réfutation  méthodique  du  livre 
de  M.  Jovy  ;  elle  est  faite  avec  beaucoup  de  douceur  et  de 
charité  par  un  religieux  qui  serait  heureux  de  croire  à  ce 
qu'il  appellerait  une  conversion  de  Pascal  «  au  catholi- 
cisme »,  mais  qui  cherche  avant  tout  la  vérité. 


Abbeville,  —   Imprimerie  F.  Paillart. 


EN    VENTE    A    LA    MÊME    LIBRAIRIE 
H.  CHAMPION,  Éditeur 


Allier  (R.).  professeur  honoraire  à  la  Faculté  de  Paris.  Une  société 
secrète  au  XVir  siècle.  La  Compagnie  du  Très  Saint-Sacre- 
ment de  l'autel  à  Marseille.  Documents  inédits.  1909,  in-8  de 
XXIX- 69  2  pa.ores.  6  fr. 

BÉDiER  (J.),  professeur  au  Collège  de  France.  Les  légendes  épiques- 
Recherches  sur  la  formation  des  chansons  de  geste.  1907-1909. 
2  in-rf.  Cliaque  '        8  fr. 

Bibliothèque  nationale.  Bulletin  mensuel  des  récentes  publications 
françaises.  Nouvelle  série  méthodique  :  Abonnement  :  Un  an,  10  fr.  ; 
U.  P.,  12  fr. 

—  Sur  papier  pelure  imprimé  d'un  seul  côté  et  pour  coller  sur  fiches.  i5  fr. 

Crouslé  (L.),  ancien  professeur  d'éloquence  française  à  la  Sorbonne.  Fénelon 
et  Bossuet.  Etudes  morales  et  littéraires.  189'!  1896,  3  vol.  in-8 
(épuisé).  3o  fr. 

—  Bossuet  et  le  protestantisme,  étude  historique!.  1901,  in-8.      6  fr. 

—  La  vie  et  les  œuvres  de  Voltaire.  1899,  2  vol.  in-8.  20  fr. 

Biographie    de  Voltaire    d'une  très    grande  précision  :    examen  pénétrant  et 
philosophique  des  œuvres. 

Gazier  (A.).  Les  Christs  prétendus  jansénistes.  1910,  in-4,  18  pages 
et  16  planches.  (Extr.  de  la  Revue  de  l'Art  Chrétien.)  i  fr.  5o 

GuT  (H.),  professeur  à  l'Université  de  Toulouse.  Histoire  de  la  poésie 
française  au  XVI'  siècle,  Tome  1"  :  L'Ecole  des  Rhétoriqueurs. 

1910,  in-8  de  lioo  pages.  10  fr. 

Lefranc  (Abel),  professeur  de  langue  et  de  littérature  françaises  modernes 
au  Collège  de  France  Les  lettres  et  les  idées  depuis  la  Renais- 
sance. Tome  I.  Maurice  de  Guérin,  d'après  des  documents  inédits. 
1910.  Beau  volume  in-8  écu,  orné  d'un  portrait  gravé  sur  bois  par 
Jacques  Beltrand  et  de  cinq  gravures  et  fac-similés.  5  fr. 

Plattard  (Jean),  agrégé  de  l'Université,  docteur  es  lettres.  L'Œuvre  de 
Rabelais  (Sources,  invention  et  composition).  1910,  un  vol.  gr.  in-8 
de  /400  pages.  Prix  8  fr. 

Rebeluau  (Alfred),  bibliothécaire  de  l'iiislilut,  chargé  du  Cours  d'Histoire 
des  Idées  et  de  la  Littérature  chrétienne  du  XVI'  au  XIX'  siècle  à  la  Faculté 
des  Lettres  de  l'Université  de  Paris.  La  Compagnie  secrète  du 
Saint-Sacrement.  Lettres  du  groupe  parisien  au  groupe  marseillais 
(1639-1662).  1909.  beau  volume  in-i2.  3  fr.  5o 

ScHiFF  (Mario),  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  de  Florence.  La  Fille 
d'alliance  de  Montaigne.  Marie  de  GournaY»  Essai  suivi  de 
«  l'Egalité  des  hommes  et  des  femmes  »  et  du  <(  Grief  des  dames  ». 
avec  des  variantes,  des  notes,  des  appendices  et  un  portrait.  1910, 
pet.  in-8,  1^7  p.  5  fr. 

VBBEVILTE.    —    imprimerie    F.    VAII  LART 


B       Gazier,  Augustin  Louis 

1903       Les  derniers  jours  de  Bla 

G35      Pascal 


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