Michel, Marc Antoine Amé*dé*e
Les deux timides
2364
M36704I
1873
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DEUX TIMIDES
COMÉDIE-VAUDEVILLE EN UN ACTE
MM. MÀRG-MICHEL EX EUGÈNE LABICHE
présentée pour la- première fois à Paris, sur le théâtre du Gymnas»
le 16 mars 1860
NOUVELLE ÉDITION
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS
RUE AUBER, 3, PLACE DE L* OPERA
LIP.RAIRIE NOUVELLE
BOULEVARD DES ITALIENS, 15, AU COIN DE LA RUE DE (iRAMMONT
1873
Droits de reproduction , de traduction et représentation réservé»
/^3
PERSONNAGES
THIBADDIER
JDLES FRÉMISSIN. .
ANATOLE GARADOUX
CÉCILE, fille de Thibaudier. .
ANNETTE, femme de cl)
\dt& 4.'.'£?.**r-r^1!(tll. 'LESDEtJB.
•fopttjÇjl^é+jljtC^ Priston.
lier..^^t^..ie^«^t-ft^"" Albrecht.
amlire y/Z*,/Ç,e*,£ ^s*Georgina.
La scène se passe a Chatou, chez Thibaudier.
S'adresser, pour ïa irise en scène exacts et détaillée, à M. Hêrolb,
régisseur de la scène; et pour la musique, à M. Jubin, bibliothécaire*
copistc, au Gymnase.
LES DEUX TIMIDES
Salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin par une grande porte.
— Porte à gauche.— Portes dans les pans coupés. — Cheminée adroite.
— Une pendule et vases sans fleurs sur la cheminée.— Une table avec
encrier, papier et plumes, à gauche.— A droite, un guéridon.— Un
petit buffet après la porte de gauche.— Chaises, fauteuil.
SCÈNE PREMIÈRE
ANNETTE, puis CÉCILE,
ANNETTE, venant du fond une bouilloire à la main et entrant à gauche,
pan coupé.
Monsieur c'est votre eau chaude... (venant en scène.) Il est
drôle le futur de mademoiselle, monsieur Anatole Garadoux...
il passe tous les matins une heure et demie à sa toilette... ses
ongles surtout lui prennent un temps 1 II les brosse, il les ra-
lisse, il a un tas de petits instruments... Il travaille ça comme
àe la bijouterie, c'est curieux à voir!
Air : Qu'il est flatteur d 'épouser.
En vérité, je me demande
Ce qu'espère ce prétendu ;
Des ongles taillés en amande
Ont-ils un mérite inconnu?
A LES DEUX TIMIDES
A la sottise est-ce un remède?
Pourtant il s'en faut, je le vols,
Ou'avpc .^es beaux ongl's il possède
De l'esprit jusqu'au bout des doigts.
Je ne sais pas si c'est par là qu'il a séduit monsieur Th;bau-
dier, toujours est-il que le bonhomme s'est laissé prendre
comme... Au fait comme il se laisse prendre par tout ie n onde.
C'est incroyable, un homme de son âge... pas plus de di fense
qu'un enfant... une timidité... il n'ose jamais dire non... Ah!
quelle différence avec sa fille I Voilà une petite tête qui, avec
son petit air tout doux, ne fait que ce qui lui plaît. (On entend
ebanter Cécile dans le jardin.) Ah! je l'entends. Elle revient de sa
promenade du matin avec une botte de fleurs dans son panier
et son petit volume à la main.
Cécile, venant du jardin . *
Air de la Clef des champs (Deffès).
Le bon La Fontaine
Nous peint le tableau
D'un robuste chêne,
D'un frêle roseau.
La force inutile
De l'un n'est qu'un nomj
Le roseau débile
Résiste et tient bon.
Par peur, par faiblesse,
On voit des papas
Qui tremblent sans cesse
Au moindre embarras.
Mais, dans les familles,
L'on peut, en ce cas,
Voir des jeunes filles
Qui ne tremblent pas.
Le bon La Fontaine, etc.
Annette ! vile ! les vases de la cheminée.
ANNETTE.
Voilà, mademoiselle. (Elles disposent ensemble les fleur» dans Im
vases qu'Annette pose sur le guéridon.) Dites donc, mademoiselle... il
se lève.., Je viens de lui porter son eau chaude.
* Cécile, Annette.
LltS DEUX TIMIDES &
CÉCILE.
A qui?
ANNETTE.
A monsieur Garadoux...
CÉCILE
Eh bien! qu'est-ce que ça me fait?
ANNETTE.
Avez-vous remarqué ses ongles?
CÉCILE.
Non...
ANNETTE.
Comment, vous n'avez pas remarqué ses ongles?... ils sont
longs comme çal Mais l'autre jour, en voulant ouvrir sa fe-
nêtre, il en a cassé un !...
CÉCILE, ironiquement.
Voilà un grand malheur I
ANNETTE.
Je sais bien que ça repousse... mais il a paru vivement con-
trarié... car depuis ce temps- là, il me sonne pour ouvrir la fe-
nêtre.
CÉCILE.
Je t'ai déjà priée de ne pas me parler sans cesse de monsieur
Garadoux... cela m'est désagréable, cela m'agacei
ANNETTE, étonnée.
Votre futur?
CÉCILE.
Oh! mon futur ! le mariage n'est pis encore fait 1 Où est mon
père? (Elle porte un vase sur la cheminée.)
ANNETTE.
Monsieur Thibaudier?... il est dans son cabinet depuis une
grande heure avec un particulier venu de Psris...
6 LES DEUX TIMIDES
CÉCILK, venant vivement à elle.
De Paris? un jeune homme... un jeune avocal? blond... l'air
doux... les yeux bleus?
ANNETTE.
Non... celui-là est brun... avec des moustaches et une barbe
comme du cirage.
CÉCILE, désappointée.
Ah!
ANNETTE.
Je crois que c'est un commis voyageur en vins... Monsieur
ne voulait pas le recevoir... mais il a presque forcé la porte
avec ses fioles.
CÉCILE.
Pourquoi papa ne le renvoie-t-il pas?
ANNETTE.
Monsieur?... il est bien trop timide pour celai (Elle porte le
deuxième vase sur la cheminée.)
CÉCILE.
Ça, c'est bien vrail
SCENE II
Les Mêmes, THIBAUDIER. *
THIBAUDIER, venant du pan coupé de droite, à la cantonade, en saluant.
Monsieur, c'est à moi de vous remercier... enchanté... (Mon-
trant deux petites bouteilles d'échantillons.) Je n'en avais pas besoin..*
mais j'en ai pris quatre pièces.
CÉCILE.
Vous avez acheté du vin?
• Cécile, Thibaudier, Annette.
.
LES DEUX TIMIDES
ANNETTE.
Voire cave esl pleinr. (Elle remonte.)
THIBAUDIER.
Je sais bien... mais le moyen de refuser à un monsieur bien
mis... qui vienl de faire quatre lieues... de Paris à Cbatou...
pour vous offrir sa marchandise... Car, enfin, il s'est dérangé,
cet homme 1
CÉCILE.
Mais c'est vous qu'il a dérangé.
ANNETTE, au fond. •
Est-il bon, au moins, son vin?
THIBAUDIER.
Vcux-tu goûter?
ANNETTE, prenant un verre sur le buffet
Voyons! ** (Elle boit et jette un cri.) Brrl
THIBAUDIER.
■** C'est ce qu'il m'a semblé... J'ai même osé lui dire... avec
ménagement : « Votre vin me paraît un peu jeune 1 » J'ai cru
qu'il allait se fâcher... Alors j'en ai pris quatre pièces.
ANNETTE, prenant les échantillons.
Voilà de quoi faire de la salade. (On sonne à gauche.) C'est mon-
sieur Garadoux qui sonne pour me faire ouvrir sa fenêtre. (Elle
entre à gauehe, pan coupé.)
SCÈNE III
THIBAUDIER, CÉCILE, puis ANNETTE.*"
THIBAUDIER.
Comment 1 il n'est pas encore levé, monsieur Garadoux?
* Annette, décile, Thibaudier.
•• Cécile, Annette, Thibaudier .
»W Cécile, Thibaudier.
8 LES DEUX TÏMTBC3
CÉCILE.
Non. Il ne parait jamais avant dix heures...
THIBAUDIER.
Ça ne m'étonne pas... tous les soirs il s'empare de mon jour-
nal... Dès qu'il arrive, il monte dans sa chambre... et il le lit
pour s'endormir.
CÉCILE.
Eh bien?... et vous...
C THIBAUDIER.
Moi?... je le lis le lendemain...
CÉCILE.
Ah! c'est un peu fort...
THIBAUDIER.
Je t'avoue que ça me prive... et si tu pouvais lui en toucher
un mot... sans que cela ait l'air de venir de moi 1
v
CÉCILE.
Soyez tranquille! je lui parlerai!
THIBAUDIER.
Vrai! tu oseras?...
CÉCILE, résolument.
Tiens !
THIBAUDIER.
J'admire ton assurance... A dix-huit ans... Moi, c'est plus
fort que moi... La présence d'un étranger dans ma maison...
ça me trouble... c'a m'anéantit...
ANNETTB.
Pauvre père '
THIBAUDIER.
Mais cela va bientôt finir, Dieu merci!
CÉCILE.
Comment?
THIBAUDIER.
Oui, toutes ces demandes, ces présentations... j'en suis ma-
LES DEUX TIMIDES 9
lade!... Que veux-tu? j'ai passé ma vie dans un bureau... à
l'administration des Archives... et des Archives secrètes, en-
core! Nous ne recevions jamais personne... ça m'allait... Voilà
pourquoi je n'aime pas à causer avec les gens que je ne con-
nais pas.
CÉCILE.
Vous connaissez donc beaucoup monsieur Garadoux?
^^ THIBAUDIER.
Pas du tout, mais il m'a été recommandé par mon notaire...
que je ne connais presque pas non plus. Il s'est présenté car-
rément. . Nous avons causé pendant deux heures... sans que
j'aie eu la peine déplacer quatre mots... Il faisait les demandes
et les réponses... cela m'a mis tout de suite à mon aise :
Air du Piège.
« Bonjour monsieur, commment vous portez-vous?
Bien ! je le vois... Grand merci, moi de même.
Maître Godard vous a parlé pour nous...
Tant mieux ! Ma joie en est extrême.
Croyez, monsieur, que je serais flatté
D'être admis dans votre famille...
Hein ?... Pas un mot?... Allons! c'est arrêté;
Vous m'accordez la main de votre fille. »
CÉCILE.
Et vous lui...
THIBAUDIER.
11 paraît que je lui ai accordé ta main... à ce qu'il m'a dit.
Alors il est venu s'installer ici depuis quinze jouis... et, aujour-
d'hui même, nous devons aller à la mairie pour k:ire les publi-
cations.
CÉCILE.
Aujourd'hui?
THIBAUDIER.
C'est lui qui a décidé ça... moi je ne me mêle de rien!
CÉC1LE.
Mais papa...
THIBAUDIER
9uoi?
I.
10 LES DEUX TIMIDES
CÉCILE.
Esl-ce qu'il vous plaît beaucoup, monsieur Garadoux?
THIBAUD1ER.
C'est un charmant garçon... qui a une facilité de parole...
CÉCILE.
Il est veuf! je ne veux pas épouser un veuf l
THIBAUD1ER.
Mais..
CÉCILE.
Mais si par hasard... un autre prétendu se présentait?
-»» THIBAUD1ER.
Commcntl un autre prétendu!... encore des demandes! des
entrevues! il faudrait recommencer! ah ! non, non! * (il va s'as-
seoir près de la table, à gauche.)
CÉCILE.
Celui dont je parle n'est pas un étranger... vous savez bien...
monsieur Jules Frémissin...un avocat...
THIBAUD1ER.
Un avocat !... je ne pourrai jamais causer avec un avocat I
CÉCILE.
C'est le neveu de ma marraine...
CTHIBAUDIER.
Le neveu! le neveu! je ne l'ai jamais vu!
CECILE.
Je croyais que ma marraine vous avait écrit...
THIBAUDIER.
Il y a trois mois... avant Garadoux... ce n'était qu'un projet
en l'air... et puisque ce monsieur n'a pas paru, c'est qu'il n'a
jamais pensé à toi!
CÉCILE.
Oh 1 si, papa... j'en suis sûre.
* Thibaudier, Cécile.
LES DEUX TIMIDES II
G THIBAUDIER.
mment I tu es sûre! voyons? parle-moi franchement...
j'est-ii passé ? (Elle s'assied sur ses genoui.)
CÉCILE.
Oh ! rien l il ne m'a jamais parlé I
TH1BAUDIER.
Eh bien?
CÉCILE.
Mais, le jour de ce grand dîner que ma tante a donné pour
sa fête... et où vous n avez pas voulu venir...
THIBAUDIER.
Je n'aime pas les réunions... où il y a du monde.
CÉCILE.
J'étais à table, près de monsieur Frémissin... il rougissait...
il ne faisait que des gaucheries.
THIBAUDIER.
Je connais ci... lesquelles?
CÉCILE.
E'abord, il a cassé son verre !
THIBAUDIER.
•jCe n'est pas un symptôme... c'est une maladresse
CÉCILE.
Ensuite, quand je lui ai demandé à boire... il m'a passé la
salière.
THIBAUDIER.
11 est peut-être sourd.
CÉCILE.
Ohl non papa, il n'est pas sourd... Il était troublé. Voilà
tout.
THIBAUDIER.
Eh bien t
CÉCILE.
Eh bien, pour qu'un jeune homme qui est avocat... oui parle
12 LES DEUXTIM1DES
en public... soit troublé à ce point... (Baisïunt les yeux ) il faut
bien qu'il y ait une raison...
TH1BAUDIER.
Et cette raison... c'est qu'il t'aime?
CÉCILE, so levan„
Dame I papa t... si cela était?
THIBAUDIER, se levant.
Si cela était, il serait venu... il n'est pas venu... donc cela
n'est pas ! et j'en suis bien aise, car au point où sont les cho-
ses avec monsieur Garadoux...
ANNETTE, entrant du fond.
Monsieur, c'est une lettre que le facteur apporte. (Elle sort.)
CÉCILE, vivement.
L'écriture de ma marraine 1
THIBAUDIER.
Voyons, ne te monte pas la tête. Encore quelque invitation...
c'est insupportable ! (Lisant.) « Cher monsieur ïhibaudier...
» permettez-moi de vous adresser monsieur Jules Frémissin,
» mon neveu, dont je vous ai parlé il y a quelques mois... il
» aime notre chère Cécile...
CÉCILE, avec joie.
J'en étais bien sûre I
THIBAUDIER.
Allons bon ! des complications I (Reprenant sa lecture.) « Son
» rêve serait d'obtenir sa main... je devais l'accompagnor au-
» jourd'hui pour traiter cette importante affaire, mais je suis
o retenue par une indisposition, il se présentera seul... »
Il va venir t
Je n'y suis pas ! "
• Cécile, Thibaudier.
CÉCILE.
THIBAUDIER.
LES DEUX TIMIDES 13
CÉCILE.
Ah ' papa î
THIBAUDIER.
EMais c'est impossible, j'ai donné ma parole à Garadoux... tu
is me lancer dans des difficultés.
CÉCILE.
Je vous soutiendrai, papa !
THIBAUDIER.
Mais, qu'est-ce que tu veux que je devienne entre deux pré-
tendus?
CÉCILE.
Vous congédierez monsieur Garadoux t
THIBAUDIER.
Moi?... (Apercevant Garadoux qui sort de sa chambre.) Chut! le
voici I
SCÈNE IV
Les MÊMES, GARADOUX, ANNETTE. »
GARADOUX, entrant par la gauche, pan coupé.
Bonjour... cher beau-père...
THIBAUDIER. saluant.
■
Monsieur Garadoux...
GARADOUX, saluant Cécile.
Ma charmante future... vous êtes fraîche, aujourd'hui, commo
un bouquet de cerises.
CÉCILE.
Je vous remercie... pour ma fraîcheur des autres jours I (Elle
remonte à la table.)
• Cécile, Garadoux, Thibaudier, Annette.
14 LES DEU* TIMIDES
•
THIBAUDIER, à part.
Oh ! elle va trop loin ! (Haut.) Ce cher Gar?doux !... Vous
avez bien dormi ?
GARADOUX.
(v„
Parfaitement ! (A Cécile,) Je me suis le?é un peu tard peut-
être?...
CÉCILE.
Je n'ai pas dit cela 1
THIBAUDIER.
Le fait est que vous n'aimez pas la campagne, le matin..,
vivement.) Ce n'est pas un reproche !
GARADOUX.
Moi 1 assister au réveil de la nature, je ne connais pas de
plus magnifique tableau ! Les fleurs ouvrent leurs calices, le
brin d'herbe redrosse sa tête pour rendre hommage au soleil
levant, (il examine ses ongles.) Le papillon essuie ses ailes encore
humides des baisers de la nuit. (11 tire un petit instrument de sa
poche et lime ses ongles.)
THIBAUDIER, à part, s'asseyant.
Le voilà parti !... C'est très-commode!
CÉCILE, à part.
Il fait sa toilette !
GARADOUX, continuant à faire sa toilette.
L'abeille diligente commence ses visites à la rose pendant
que la fauvette à' tête noire...
CÉCILE, à part.
C'est impatientant ! (Brusquement, à Garadoux.) Quoi de nouveau
dans le journal ?
GARADOUX.
Comment? le journal?
CÉCILE.
\uus l'avez monté, hier soir... et mon père n'a pu le lire...
THIBAUDIER, à part, se levant
Oh 1... a-t-elle un aplomb l
LES DEUX TIMIDES 18
GARADOUX.
Hilja pardons, monsieur Thibaudier, c'est par inat' Q-rtaneel
TH1BAUDIER.
Oh ! il n'y a pas de mal I
GARADOUX, tirant le journal de sa poche.
Je ne l'ai nas même lu...
THIBAUDIER.
Vous ne l'avez pas lu ? Alors, gardez-le, monsieur Gara-
doux!
GARADOUX, insistant pour le rendre.
Non, je vous en prie.
THIBAUDIER, refusant.
Moi, je vous en supplie...
GARADOUX, le remettant dans sa poche.
Allons, puisque vous le voulez! * (H va à la cheminée et arrange
sa cravatedevant la glace.)
THIBAUDIER, à part.
J'aurais pourtant bien voulu voir le cours de la rente !
ANNETTE, entrant.
Monsieur...
THIBAUDIER.
Qu 'est-ce?
ANNETTE.
C'est la carte de visite d'un monsieur qui attend là... à la
grille... (Elle remet la carte à Thibaudier.)
CÉCILE, se rapprochant vivement de son père.
Un monsieur?... (Après avoir jeté un coup d'oeil.) C'est lui! mon-
sieur Jules!
THIBAUDIER, bas.
Saprelottel... et devant l'autre !... Que faire?
* Cécile, Thibaudier, Garadonx.
16 LES DEUX TIMIDES
CÉCILE, oas.
Vous ne pouvez pns lui refuser votre porte. (Haut, à Annette.)
F.vtes fntrer. (Annette sort.)
3ARAD0UX.
Une visite?... Ah ?A, beau-père, n'oubliez pas qu'à midi nous
allons à !a ma'r-e pour les publications
TH1BAUDIER.
Certainement, mon cher Gaivdoux, certainement! (Bas à Cé-
j riii'.) Au moins, emmène-le.
CÉCILE.*
Voulez-vous m'accompagner, monsieur Garadoux?
GARADOUX.
Volontiers, mademoiselle... où allons-nous?
CÉCILE.
Arroser mes fleurs.
GARADOUX, froidement.
Ah!... c'est que le soleil est bien ardent.
CÉCILE.
Riison de plus! mes corbeilles meurent de sécheresse... Al-
lons! venez!
GARADOUX.
Avec plaisir!
CÉCILE, à part.
S'il pouvait encore se casser un ongle!
AIR de l'Omelette à la Follembuche»
CÉCILE.
Venes, monsieur, arroser mes fleurs,
Comptez sur leur reconnaissance,
En doux parfums, en riches couleurs
Elles paieront votre assistance.
• Thibaudier, Cécile, Garadoux.
LES DEUX TIMIDEb i7
GABAOOOI.
Voyez mon obéissance 1
TBIBAUDIER, à paît,
Qo« faire en cette occurrence ?
HINSEMBLE.
CÉCILE.
Venez, venez arroser mes fleurs,
En doux parfums, en riches couleurs
Elles paieront votre assistance.
Allons, venez arroser mes fleurs !
GARADOUX.
Allons, je vais arroser vos fleurs.
Mais pour les soins donnés à vos sœurs,
De vous j'attends ma récompense.
Allons, allons arroser vos soeurs.
THIBADDIER, à part.
Quel sort cruel ! deux adorateurs !
Voilà de quoi combler mes malheurs 1
A qui donner la préférence
Entre ces deux adorateurs ?
(Garadoui et Cécile sortent par le fond.)
SCÈNE V
THÎBAUDIER, ANNETTE.
THIBAUDIER, seul.
Mon Dieu! mon Dieu! mon Dieu! quelle situation! un pré-
tendu accepté... installé!... et un autre!.. .un avocat encore!...
il doit avoir une langue!... il va m'entortiller avec sa langue 1...
je me connais, je suis capable de lui dire: Oui... comme à
l'autre!... ça en fera deux!
ANNETTE, annonçant au fond.
Monsieur Frémissin ! (Elle sort par la droite.)
18 LES DEUX TIMIDES
THIBAUDIER, effrayé.
t Lui!. ..que lui dire!... (Se regardant et saisissant co prétexte) : Ah!
je n'ai pas d'habit .. je vais mettre un habit! (il se sauve par la
première porte à gauche au moment où Frémissin paratt au fond.)
SCÈNE VI
FRÉMISSIN, seul. Il entre par le fond timidement, très-
décontenancé, et salue tout bas.
Monsieur... madame... j'ai bien l'honneur... (Regardant autour
de lui.) Tiens I personne! Ah! tant mieux ! ce que je redoutais le
plus, c'était de rencontrer quelqu'un... Je frissonne à l'idée de
me trouver en présence de ce père... qui sait que j'aime sa fille...
(Avec feu.) Ahl oui, je l'aime!... depuis ce dîner où j'ai cassé un
verre... je viens tous les jours à Chatou pour faire ma de-
mande... j'arrive par le convoi de midi, je n'ose pas entrer, et
je repars par celui d'une heure. Si cela devait continuer, je
prendrais un abonnement au chemin de fer... mais aujourd'hui.,
j'ai eu du courage? j'ai franchi la grille ! sans ma tante I qui n'a
pu m'accompagner... et je vais être obligé... moumême... tout
seul de... (Effrayé.) Mais est-ce que ça se peut? Est-ce qu'il est
possible de dire à un père... qu'on ne connaît pas : « Monsieur,
voulez-vous avoir l'obligeance de me donner votre fille pour
l'emmener chez moi et... » (se révoltant.) Non! on ne peut pas
dire ces choses-là! et jamais je n'oserai... (Tout à coup.) Si je
m'en allais I... personne ne m'a vu... je m'en vais! je revien-
drai demain... à midi, (il remonte vers le fond et se rencontre vers la
porte avec Cécile.)
SCÈNE VU
CÉCILE, FRÉMISSIN.
FRÉMISSIN, «'arrêtant.
Trop tard!
LES DEUX TIMIDKS 10
CÉCILE, jouant la surprise.
Je m me trompe pas... Monsieur Jules Ffâmissitl]
FRÉMISSIN, troublé.
Oui, monsieur...
CÉCILE.
Hein?
FRÉMISSIN, se reprenant
Oui, mademoiselle...
CÉCILE.
A quel heureux hasard devons-nous l'honneur de votre
Visite?
FRÉMISSIN.
C'est bien le hasard, en effet... je passais... je cherchais le
notaire.
CÉCILE.
Ah!
FRÉMISSIN.
J'ai affaire au notaire de Chatou... j'ai vu une grille... j'ai
sonné... mais je vois que je me suis trompé... (Saluant.) Made-
moiselle, j'ai bien l'honneur...
CÉCILE.
Mais attendez donc!... mon père sera charmé de vous voir...
FRÉMISSIN.
Oh! ne le dérangez pas! je me retire...
CÉCILE.
Du tout! vous me feriez gronder... veuillez vous asseoir...
FRÉMISSIN, se heurtant sur une chaise.
Avec plaisir... je ne suis pas fatigué, (il ôte ses gants et les m
met vivement.)
CÉCILE, à part.
Pauvre garçon! comme il est troublé!
FRÉMISSIN, à part.
Qu'elle est jolie!
20 LES DEUX TIMIDES
CÉCILE.
Vous me permettez de garnir mon sucrier? (Elle va prendre
3/1 r le buffet un sucrier et uue boîte à sucre.)
FRÉMISSIN.
Comment donc! si je vous gêne?...
CÉCILE.
Mais pas du tout!... et même si je ne craignais d'être in-
discrète...
FRÉMISSIN.
Parlez, mademoiselle!
Aib de M. Couder,
CÉCILE .
C'est agir sans cérémonie
Mais vous voudrez bien m'excuscr^.
FRÉMISSIN.
De quoi s'agit-il, je vous prie!
CÉCILE.
Eh bien ! allons 1 je vais oser :
Abusant de votre obligeance,
Puis-je, monsieur, vous supplier...
FRÉMISSIN
De quoi ?
CÉCILE.
D'avoir la complaisance
De me tenir mon sucrier ?
frémissin (parlé).
Avec bonheur! avec transport!!!
ENSEMBLE.
CÉCILE. FRÉMISSIN
Pardon de la peine.
(A part.)
Mais comme cela,
Je suis bien certaine
Qu'il nous restera!
Je vous rends sans pelnç
Ce service-là.
(A part.)
Ce charmant sans-gône
M'enhardit déjà.
(Cécile choisit les morceaux de sucre dans la boîte et les met un à un
dans le sucrier.)
LES DEUX TIMIDES 21
FRÉMISSIN, à part, tenant le sucrier.
Si son père nous surprenait dans celte position!... 11 faut
pourtant que je lui dise quelque chose... j'ai l'air d'un idiot I
(Surmontant sa timidité, haut.) Mademoiselle Cécile!...
CÉCILE, avec un sourire encourageant.
Monsieur Jules !
FRÉMISS1N, balbutiant.
Il est bien blanc votre sucre!...
CÉCILE.
Gomme tous les sucres...
FRÉMISSIN, avec tendresse.
Oh 1 non, pas comme tous les sucres...
CÉCILE, à part.
Qu'est-ce qu'il a donc?
FRÉMISSIN, à part.
J'ai été trop loin. (Haut.) Est-il de canne ou de betterave?
CÉCILE.
Je ne sais pas... je n'en connais pas la différence.
FRÉMISSIN.
Oh! elle est très-grande... l'un est bien plus... tandis que
/'autre... est récolté par les nègres...
CÉCILE, le regardant, très-étonnée.
Ah! je vous remercie 1 (Elle prend son sucrier, s'éloigne de lui dt
Ta au buffet.)
FRÉMISSIN, à part.
C'est bien fait! pourquoi vais-je me fourrer dans laquestiou
des sucres*
CÉCILE, voyant entrer Tbibaudier.
Voici mon père!
FRÉMISSIN.
Ah! mon Dieu)
H2 LES DEUX TIMIDES
SCÈNE VIII
FRÉMISSIN, CÉCILE, THTBAUDIER. * (Thibaudier entre par U
gauche, très-décontenancé. Il est en habit noir.)
CÉCILE.
Papa, c'est monsieur Jules Frémissin... (Thibaudier et Frémissin
s» tiennent aux deux extrémités de la scène, très-embarrassés et n'osant
lover les yeux l'un sur l'autre.)
THIBAUDIER, à part.
Allons! il le faut! (saluant Jules de loin.) Monsieur... je suis
èsheureux... certainement...
FRÉMISSIN, balbutiant.
C'est moi, monsieur, qui... certainement.
THIBAUDIER, à part.
Qu'il a l'air imposant.
FRÉMISSIN, à part.
J'aurais bien mieux fait de m'en aller.
CÉCILE.
Vous 8763 sans doute à causer... je vous laisse.
THIBAUDIER et FRÉMISSIN, voulant la retenir.
Comment !
CÉCILE.
T faut que je prépare mon dessert. (A Frémis9i*n.)Asseyeî-vous...
(A son père.) Vous aussi, papa... (tous deux s'asseyent. Bas à Frémit»
-Jin.) Courage ! (Bas à son père.) Courage! (Elle sort à gauche.)
• Thibaudier, Cécile, Frémissin.
LES DEUX TIMIDES 2J
S<;ÈNE IX
THIBAUDIRR, FRÉMISSIN. ils sont assis en face l'un de l'autre, et
soûl très-embarrassés.
THIBAUDIER, à part.
Nous voilà seuls... — Il a l'air d'avoir un aplomb de tous les
diables I
FRÉMISSIN, à p rt.
Jamais je n'ai été si mal à mon aise, (s'inclinant.) Monsieur...
THIBAUDIER, s'inclinant.
Monsieur?... (A part.) Il va me faire sa demande!...
FRÉMISSIN.
Vous avez sans doute reçu une lettre de ma tante?
THIBAUDIER.
Et comment se porte-t-elle, cette chère dame?
FRÉMISSIN.
Parfaitement...
THIBAUDIER.
Allons 1 tant mieux t tant mieux!
FRÉMISSIN.
Sauf ses rhumatismes, qui ne la quittent pas depuis huit jours.
THIBAUDIER.
Allons! tant mieux! tant mieux!
FRÉMISSIN.
Mais j'espère que le beau temps... le soleil...
THIBAUDIER, vivement.
Mon baromètre monte !
FRÉMISSIN.
Le mien aussi... C'est drôle! deux baromilrcs qui montent
?n même temps.
24 LES DEUX TIMIDES
THIBAUDIER.
C'est fâcheux pour mes rosiers, lis vont griller.
FRÈMISS1N.
Vous êtes amateur?
THIBAUDIER.
Passionné... je fais des semis 1
FRÉMISSIN.
Moi aussi t
THIBAUDIER.
Allons 1 tant mieux! tant mieux! (a part.) Jusqu'à présent, ça
marche très-bien!
FRÉMISSIN, à part.
Il a l'air bonhomme... Si j'essayais... (Haut, très-ému, se levaut.)
Dans sa lettre... ma tante daignait... vous annoncer ma visite...
THIBAUDIER, à part, se levant.
Nous y voilà... (Haut.) En effet!... en effet!... mais elle ne
m'indiquait pas précisément... le but...
FRÉMISSIN.
Comment? elle ne vous a pas dit?...
THIBAUDIER.
Non! elle ne m'en a pas soufflé mot...
FRÉMISSIN, à part.
Ah! mon Dieu!... mais alors... c'est encore plus difficile.
(Haut, avec effort.) Monsieur... c'est en tremblant...
THIBAUDIER, détournant.
Quel soleill regardez donc ce soleil! ça va tout brûler..,
FRÉMISSIN.
Oui... moi, je couvre avec des paillassons... (Reprenant.) C'est
en tremblant que je viens solliciter la faveur de...
THIBAUDIER, détournant.
Voulei- fous vous rafraîchir?
LE» DEUX TIMIDES 25
Merci! ic ne bois jamais entre mes repas
TH1BAUDIER.
Moi non plus... Une fois, j'avais très-chaud... j'ai voulu boire
un verre de frère... ça m'a fait mal.
FRÉMISSIN.
Allons! tant mieux 1 tant mieux! — Je viens solliciter la fa-
veur...
THIBAUDIER, détournant.
Ah! vous cultivez des rosiers?...
FRÉM1SSIN.
J'ai exposé l'année dernière X Étendard de Marcngo.
THIBAUDIER.
Kt moi le Géant des batailles... trois pouces de diamclrel
FRÉMISSIN.
Avez-vous le Triomphe à' Avranchcsl
THIBAUDIER.
Non... mais j'ai les Prémices de Pontoise!
FRÉMISSIN, reprenant.
Monsieur, c'est en tremblant...
THIBAUDIER, lai offrant une prise.
En usez-vous, monsieur?
«RÉMISSIN.
Jamais entre mes repa--... — C'est en tremblant que je vien»
solliciter... la faveur... d'obtenir...
THIBAUDIER.
Quoi?
FRÉMISSIN. déconcerté.
Mais... quelques-unes de \os greffes!...
TIMBAUDIEr. , vivement.
Gomment dont! jeune homme... avec plaisir...
26 LES DEUX TIMIDES
FRÉMISS1N.
Mais, monsieur...
TH1BAUD1ER, vivement.
Je cours les envelopper moi-même dans la mousse mouillée...
FRÉMISSIN, à part.
Il s'en va?... (Haut.) Monsieur Thibaudier...
TH1BAUDIER.
Enchanté, cher monsieur... enchanté!... (a part.) Je réchappe
belle 1... Oui! (Il sort vivement par 'e fond et tourne à droite.)
SCENE X
FRÉMISSIN, CECILE.
FRÉM1SS1N.
Il est parti!... et je n'ai pas trouvé un mol!... Imbécile...
brute... âne... crétin!...
CÉCILE , entrant gaiement du fond et venant de la gauche.
Eh bien! monsieur Jules?
FRÉMISSIN.
Elle!
CÉCILE.
Vous avez causé avec mon pure?
FRÉMISSIN.
Oui, mademoiselle...
CÉCILE.
Et... avez-vous été content de L'enirevueï
FRÉMISSIN.
Enchanté!... Et la preuve e'nsi au m cot allé me chercher ce
que je lui demandais...
LES PEUX TIMIOKS Ml
CÉCILE, naïvement.
Il me cherche?
FRÉMISS1N.
Non ! pas vous... dos greffes de rosiers!
CÉCILE, étonnée.
Des greffes !
FRÉMISSIN.
Oui, mademoiselle... pendant un quart d'heure... c'est «à ne
pas y croire ! nous n'avons parle* que du Géant des batailles et
du Triomphe d' Avranckcs.
CÉCILE.
Mais pourquoi cela?
FRÉMISSIN.
Ah ! parce que... parce que je suis possédé d'une infirmité
déplorable. Je suis timide !...
CÉCILE.
Vous aussi?
FRÉMISSIN.
Mais, timide jusqu'à l'idiot sine, jusqu'à l'imbécillité! Ainsi,
on me tuerait plutôt que de me faire dire tout haut ce que je
me dis tout bas depuis trois mois... c'est-à-dire que je vous
aime ! que je vous adore ! que vous êtes un ange !...
CÉCILE.
Mais il me semble que vous le dites très-bien !
FRÉMISSIN, stupéfait de son audace.
Je l'ai dit ! ! 1 Oh ! pardon ! ça ne compte pas, ça m'a
échappé t... Je ne vous le dirai plus... jamais... je vous le
jure !..-.
CÉCILE, vivement.
Ne jurez pas... Je ne vous demande pas de serment !... Ti-
mide... un avocat ! ça doit bien vous gêner pour plaider.
FRÉMISSIN.
Aussi, je ne plaide jamais!... ça m'est arrivé une fois... et
ça ne m'arrivera plus.
«8 LES DEUX TIMIDES
CÉCILE.
tjae s'est- il donc passé?
IRÉM1SSIN.
Ma tante m'avait procuré un client... car Dieu m'est témoin
que je n'ai pas été le chercher. C'était un homme violent... il
avait laissé tomber sa canne sur le dos de sa femme...
CÉCILE.
Et vous le défendiez ?
FREMISSIN.
Vous allez voir si je l'ai défendu 1... Le grand jour arrive...
tous mes camarades étaient à l'audience... J'avais préparé une
plaidoirie brillante... Je la savais par cœur... Tout à coup, un
grand silence se fait... et le président me dit en m'adressant un
geste bienveillant : < Avocat ! vous avez la parole ! » Je me
lève... Je veux parler... impossible! rien, pas un mot! pas un
son ! Le tribunal me regardait, le président me répétait'. Vous
avez la parole... Je ne l'avais pas du tout ! Mon client me criait :
Allez donc! allez donc! Enfin, je fais un effort! quelque chose
d'inarticulé sort de mon gosier : « Messieurs, je recommande
Je prévenu à... toute la sévérité du tribunal. » Et je retombe
sur mon banc !
CECILE.
Et votre client ?
FREMISSIN.
11 a été condamné au maximun ! six mois de prison!
CÉCILE.
C'est bien fait I
FREMISSIN.
C'était trop peu pour ce qu'il m'avait fait souffrir 1 Aussi, je
n'ai jamais voulu recevoir d'honoraires... Il est vrai qu'il a
négligé do m'en offrir. — Et maintenant que vous me connais-
sez...'voyez s'il m'est possible d'adresser moi-même à monsieur
votre père... une demande...
CÉCILE.
Je ne puis pourtant pas lui demander ma main pour vous...
LES DEUX TIMIDES 29
FRÉM1SSIN, naïvement.
Non! ça ne serait pas convenable; alors, j'attendrai que ma
tante soit guérie !
CÉCILE, vivement.
Attendre ! mais vous ne savez donc pas qu'il y a ici un autre
prétendu ?
FRÉMISSIN, tressaillant.
Un autre ?
CÉCILE.
Installé... accueilli par mon père !
FhvMISSIN, passant devant de.*
Ah 1 mon Dieu I uneNtte ! un rival I
CÉCILE.
Mais je ne l'aime pas, et si l'on me force à l'épouser, j e
mourrai certainement de chagrin !
FRÉMISSIN.
Mourir ! vous ! (Avec résolution.) Où est votre père ? qu'il
vienne t
CÉCILE.
Vous parlerez ?
FRÉMISSIN.
Oui ! je parlerai !
CÉCILE.
A la bonne heure !
FRÉMISSIN.
Envoyez-moi monsieur votre père !
CÉCILE.
Je vais le chercher !.,. courage! courage 1 (Elle iort par le font
et tourne à gauche.)
• Cécile, Frémissin.
30 LES DEUX TIMIDES
SCENE XI
FRÉMISSIN, seuî.
Oui, je parlerai!... c'est-à-dire non!... Je ne parlerai pas...
j'ai un autre moyen... meilleur... je vais écrire : j'ai la plume
très-hardie ! (S'asseyant à la table.) C'est ça... une lettre ! (il écrit
rapidement tout en parlant.) Au moins uj:e lettre ne rougit pas, ne
tremble pas... On peut casser les vitres !... et je les casse! (il
plie et met l'adresse.) A monsieur Thibaudier. (Mettant un timbre par
habitude.) Un timbre... Voilà ce que c'est.
THIBAUDIER, au dehors.
Tenez-les au frais ! on va venir les prendre t
FREMISSIN, ému.
Lui ! déjà (Montrant sa lettre.) Je ne peux pas lui mettre ça dans
la main... Ali ! sur la pendule. (11 met vivement sa lettre sur la pen-
dule et s'en éloigne.)
SCÈNE XII
FRÉMISSIN, THIRAUDIER.
THIBAUDIER, entrant par le fond et venant de la droit*.
Cher monsieur, vos greffes sont prêtes...
FRÉMISSIN, troublé.
Merci, (a part.) Il n'a pas vu sa fille !
THIBAUDIER.
J'ai fait ajouter au paquet le Comice de Seine-et-Marne.
LES DEUX TIMIDES
31
FRÉMISS1N.
Mille fois trop bon 1 (indiquante geste.) Sur la pendule !... sur
la pendude 1
THIBAUD1ER.
Plaîl-il ?
FRÉMISSIN.
Une lettre ! Je reviendrai chercher la réponse, ffl sort vivement
par le fond.)
SCÈNE XIÏI
CÉCILE, THIBAUDIER.
THIBAUDIER, seul.
Sur la pendule?... Une lettre? (Il la prend.)
CÉCILE, entrant par la gauche, première porte.
Ah ! papa, je vous cherche partout. (Regardant, étonnée.) Eh
bien 1 et monsieur Frémissin !
THIBAUDIER.
- Il sort à l'instant, mais il paraît qu'il vient de m'écrire...
, sur la pendule !
CÉCILE.
Comment 1
THIBAUDIER, regardant l'adresse.
C'est bien pour moi... Tiens ! il a mis un timbre !
CÉCILE, impatiente.
Voyons, papa... voyons vite !...
THIBAUDIER, lisant.
'«"Monsieur, j'aime mademoiselle votre fille 1... non, je ne
» l'aime pas ! »
: CÉCILE.
ilein î
32 LES DEUX TIMIDES
THIBAUDIER, lisant,
o Je l'adore ! »
CÉCILE.
Ah!
THIBAUDIER.
Mais dloigne-toi donc, tu ne dois pas écouter ça I
CÉCILE.
Oh ! papa, je le savais 1
THIBAUDIER.
Ah ! c'est différent. (Reprenant sa lecture.) « Je l'adore ! » (S'I».
terrompant.) Tu le savais, mais comment l'as-tu aDDris ?
CÉCILE.
Il me l'a dit !...
THIBAUDIER.
Ah ! je disais aussi... (se ravisant.) Mais c'est fort impertinent
de sa part.
CÉCILE.
La suite ? la suite ?
THIBAUDIER.
Oui... (Lisant.) « Vous n'avez que deux choses à m'offrir... sa
» main ou une loee à Charenton ! »
CÉCILE.
Eh bien ! papa ?
THIBAUDIER.
Eh bien ! puisqu'il me laisse le choix, je lui offre une loge I
CÉCILE.
Oh 1 petit père t
THIBAUDIER.
Ne cherche pas à m'attendrir !
CÉCILE.
Yous qui m'aimez tant !
LES DEUX TIMIDES Jl
THIBAUDIER.
Non, mademoiselle ! je ne vous aime pas... tant <iuc cal
CECILE, le câlinant.
Oh I je le sais bien !
Ain Je Broskovo.no (Deffes).
Vous n'aimez pas votre Cécile,
Vous ne voulez pas son bonheur.
Vous supplier est inutile,
Kien ne peut toucher votre cœur.
Mon malheur, j'en suis bien certaine,
Voila votre vœu le plus doux,
Et je n'ai droit qu'à votre haine,
Pour tout l'amour que j'ai pour vous.
THIBAUDIER, à part.
Est-ellt gentille ! (il l'embrasse.) Mais qu'ost-ce que tu veux
que je dise à M. Garadoux ?
CÉCILE.
Oui... je comprends... votre timidité !
THIBAUDIER.
• Comment ! ma timidité 1 mais je ne suis pas timide !
CÉCILE
Oh ! ça !
THIBAUDIER.
Un homme en vaut un autre.
CÉCILE.
Certainement.
THIBAUDIER.
Je n'ai pas peur de M. Garadoux 1 et je saurai bien lui dire...
sans me gêner, que... que... (A sa fille.) Qu'est-ce qu'il faudra
lui dire T
CÉCILE.
Oui... c'est là l'embarras... parler ! — (vivement.) Faites
comme monsieur Frémissin I
31 LES DEUX TIMIDES
THIBAUDIER.
Quoi?
CÉCILE.
Ne parlez pas... écrivez !
THIBAUDIER, enchanté.
Écrire !... Parbleu !... tu as raison I... s'il ne s'agit que d'é-
crire !...
CÉCILE, le faisant asseoir à la table.
Vite ! vile ! mettez-vous là !
THIBAUDIER, s'asseyanl et prenant une plume. *
Ta vas voir ! (Écrivant.) « Monsieur. » (S'arrêtant.) C'est un
peu sec... (Écrivant.) « Cher Monsieur. » (a sa lille.) Après? Qu'est-
que lu mettrais ?
CÉCILE, dictant,
o Votre recherche me flatte...
THIBAUDIER, écrivant.
» Et m'honore.» (Parlé.) Adoucissons!... adoucissons!...
CÉCILE, dictant.
« Mais il m'est impossible de donner suite à vos projets dp
» mariage avec ma lille... »
THIBAUDIER, écrivant.
« Avec ma fille...» (Parlé.) Mais, cane suffit pas, il faut trou-
ver une raison !
J'en ai une !
Ah ! voyons !
CÉCILE, dictant.
« Croyez bien, cher Monsieur, que je n obéis en cette cir-
• constance qu'à des considérations toutes particulières ettoutes
» ucrsonc.ieà.qm n'affaiblissent CD rien les sentiments avec les-
quels j'ai 1 nonneur d'être... ">
Tnioaudier, Cécile.
CÉCILE.
THIBAUDIER.
LES DEUX TIMIDES
THIBAUDIER.
Tu appelles ça une raison?
CÉCILE.
C'est une raison diplomatique.
GARADOUX, dans la coulisse.
Portez ça dans ma chambre!
THIBAUDIER.
C'est lui! Il
CECILE.
Je vous laisse...
THIBAUDIER.
Comment! tu t'en vas?
CÉCILE.
Sonnez Annelle, et... chargez-la de remettre votre lettre.
THIBAUDIER.
/ C'est juste! (a part.) Elle est pleine d'idées, ma fille.
CÉCILE, lui présentant son front.
Adieu, pelil père... quand vous le voulez, vous êtes char-
mant! (Elle sort par la gauche.)
SCÈNE XIV
THIBAUDIER, GARADOUX.
THIBAUDIER, seul.
/ L'entant gâté! (il sonne.) Appelons Annctle.
GAHADOUX paraît au fond.
Comment, beau.-père, vous n'èle? pas encore prêt?
3Ç LES DEUX TIMIDES
THIBAUDIER, à part, se levant.
Ce n'est pas Annetle. (Haut.) Prêt... pourquoi faire?
GARADOUX.
Pour aller à la mairie... dépêchez-vous.
TH1BAUD1ER.
Oui. (a pan.) Si celte bête d'Annettc était venue l(uaut.) Mon
gendre... Non! cher monsieur, en vous attendant .. j'ai écrit
une lettre... une lettre importante.
GARADOUX, sans l'écouter.
Une grande nouvelle! mais pas un mol à votre tille.
THIBAUD1ER.
Quoi donc?
GARADOUX.
La corbeille vient d'arriver.
THIBAUDIER.
Quelle corbeille?
GARADOUX.
La corbeille de noce.
THIBAUDIER.
Comment! vous avez acheté!... (A part, avec désespoir.) Il a
I acheté la corbeille!
GARADOUX, tirant son petit instrument et se limant les ongles.
^ Vous verrez!... Je crois que ce n'est pas mal!... Il y a sur-
tout deux bracelets!... (a lui-même.) Je me suis encore cassé un
ongle en arrosant, (a Thibauiiicr.) Style renaissance... bleu sur
fond d'or.
THIBAUDIER, à part.
Bleu sur fond d'or ! (Haut, faisant un effort.) La lettre que je viens
■ l'écrire....
GARADOUX.
J'ai aussi en«é à vous, papa Thibaudier!
THIBAUDIER.
A moi?
LES DEUX TIMIDES 37
GARADOUX, tirant de sa poche une tabatière d'or.
'*~- Un souvenir... une tabatière.
THIBAUDIER.
i Comment?
GARADOUX.
__ C'est du Louis XV... sans restauration.
THIBAUDIER, touché.
Comment, monsieur... Non! mon gendre... vous avez eu la
bonté...
GARADOUX.
0* Ce cher papa Thibaudier!... Je vous aime, moi, allez I
THIBAUDIER.
Moi aussi! (a part.) Un homme qui vous donne des tabatiè-
res!... C'est impossible!
GARADOUX.
0» Diable I midi t Dépêchons-nous, voire maire va nous attendre!
THIBAUDIER, ahuri.
Manière? (Se ravisant.) Ah!... je n'ai qu'une cravate à mettrel
GARADOUX.
^ Et moi, un habit. (Regardant sa main, à part.) Diable d'ongle !
(a Thibaudier.) Je suis à vous dans cinq minutes. (H entre dajas sa
chambre, pan coupé à gauche.)
SCENE XV
THIBAUDIER, puis FRÉMISSIN.
THIBAUDIER, seul.
Il n'y avait vraiment pas moyen! il a acheté la corbeille. Je
vais déchire!» ma lettre... Et l'autre? Frémissin, qui va venir
chercher ma réponse J . . . Quel embarras ! ... ça n'a pas de nom ! . . .
(Jetant les yeux snr la lettre qu'il tient.) Mais ma lettre non plus n'a
8
38 LES DEUX TIMIDES
pas do nom!... (Allant à la table.) Je vais y mettre celui de Fré-
missin... Ma fille ne peut pas en épouser deux... <:t, puisque
l'autre a acheté la corbeille, (il écrit.) « A monsieur Jules Fré-
L» missio, avocat au barreau de Paris. » — Mettons un timbre. —
(Se levant.) Et maintenant... sur la pendule!... (il met sa lettre sur
la pendule,)
FRÉM1SSIN, entrant du fond.
Pardon, monsieur, c'est moi !
THIBAUD1ER.
Sur la pendule!... sur la pendule 1... (il sort par la gauche.)
SCÈNE XVI
FRÉMISSIN, CÉCILE.
FRÉMISSIN, seul.
Sur la penau.eî... (il court prendre la lettre.) Est-ce qu'il n'a pas
lu? Ah! si, c'est la réponse. Sur la pendule, notre boîte aux
lettres. Je suis ému! je n'ose pas l'ouvrir! (Lisant.) «Cher mon-
» sieur, votre recherche me flatte et m'honore. » (parlé.) Ah!
qu'il est bon! (Lisant.) « Mais il m'est impossible de donner suite
» à vos projets de mariage... » (Tombant assis près du guéridon, sur
nue chaise.) Ah!... refusé!... j'en étais sûrl
CÉCILE, entrant du fond. *
Monsieur Jules, vous avez vu...
FRÉMISSIN.
Votre père? Oui, mademoiselle... voilà sa réponse! (il le?
donne la lettre.)
CÉCILE, la regardant.
Hein? ma lettre? mais elle n'est pas pour vousl
FRÉMISSIN , lui montrant l'adresse.
« A monsieur Jules Frémissin, avocat au barreau de Paris. *
* Cédle, Frémissin,
LES DEUX TIMIDES 39
CÉCILE.
Et c'est lui qui vous l'a remise?
FRÉMISSIN.
Lui-même 1 sur la pendule 1
CÉCILE, indignée
Oh ! c'est trop fort 1 me manquer de parole? me jouer comme
une enfant !
FRÉMISSIN, de même.
Vous sacrifier I
CÉCILE, avec résolution.
Oh ! mais nous allons voir I Je ne suis pas timide, moi ! —
Monsieur Jules !
FRÉMISSIN, de même.
Mademoiselle ?
CÉCILE.
Envoyez-moi chercher une voiture.
FRÉMISSIN.
Une voiture? pour qui? •
CÉCILE.
Vous le saurez... Allez !
FRÉMISSIN.
Tout de suite, mademoiselle, (a part.) Quelle énergie 1 (H sort
vivement par le fond.)
SCÈNE XVII
CÉCILE, puis THIBAUDIER, puis ANNETTE.
CÉCILE.
Ah ! c'est comme ça que mon père se joue de ses promesses
40 LES DEUX TIMIDES
AIR de la Clef des champs (Deffès).
On verra, l'on verra
Qui des deux cédera;
Mon cher petit père,
J'ai du caractère 1
On verra, l'on verra
Si j'aime qui m'aime,
Et si, malgré moi-même,
On me mariera !
Je suis trop gentille
Pour le régenter ; *-
Ce n'est qu'à sa fille
Qu'il sait résister;
Mais son cœur est tendre
Pour sa pauvre enfant.
Je saurai le prendre
En le tourmentant.
Je vais alarmer sa tendresse;
11 faut, il faut lui faire peur,
Et conquérir par la frayeur
Ce qu'il refuse par faiblesse !
On verra, l'on verra, ete.
(Elle prend, sur une chaise au fond, son châle et son chapeau qu'elle met
vivement.)
THIBAUDIER, entrant de la gauche.
J'ai mis ma cravate. (Apercevant sa fille.) Cécile! où vas-lut*
CÉCILE, descendant en nouant les rubans de son chapeaa.
Je pars... Je vous quitte !
TH1BAUDIER.
Où vas-tu ?
CÉCILE.
Mejeler dans un couvent... humide et froid.
-
THIBAUDIER.
BrrrK.. Un couvent humide et froid? toi?..
Cécile, Thibaudier.
LES DEUX TIMIDES 41
CÉCILE.
Puisque vous n'avez pas la force d'aimer votre fille... de la
délivrer d'un prétendu qu'elle déteste...
THIBAUDIER.
Mais c'est impossible ! il a acheté la corbeille 1 une corbeille
délicieuse et il vient de m'offirir à moi une tabatière Louis XV.
CÉCILE.
Ainsi vous sacrifiez votre enfant à une tabatière 1 Adieu, mon
père!...
THIBAUDIER.
Mais non ! je ne te sacrifie pas ! Il est charmant ce jeune
homme et puis il est trop tard... il passe un habit pour a 1er à
la mairie.
CÉCILE.
Dites-lui que vous ne pouvez l'accompagner... que vous êtes
malade... (Elle ôte son chapeau et son cbâlc.)
THIBAUDIER.
Malade ! ce serait un moyen I mais il vient de me quitter il y
a cinq minutes I
CÉCILE.
Qu'est-ce que ça fait! un éblouissement ! c'est très-facile.
(Appelant.) Annette, vite la robe de chambre de mon père I
r THIBAUDIER, protestant
Mais non ! mais je ne veux pas !
ANNETTE, apportant de la gauche une robe de chambre.
Voilà, monsieur... qu'est-ce qu'il y a donc?
CÉCILE.
Rien ! un éblouissement ! (A Annette.) Un verre d'eau sucrée !
(Donnant ia robe de chambre à Yhibaudier.) Mettez ça, je vais VOUS
aider=
THIBAUDIER, endossant la robe de chambre.
Je veux bien mettre ma robe de chambre, mais je proicste
'contre une pareille comédie.
42 LES DEUX TIMIDES
CÉCILE.
r.
L'autre manche !
TH1BAUDIER.
Et je le préviens que je ne dirai pas un mot... Je ne me
mêle de rien.
CÉCILE.
C'est convenu. (Le faisant asseoir dans un fauteuil.) Asseycz-VOUS !
Annette ! un coussin, un tabouret!
ANNETTE, apportant les objets demandés.
Je l'entends ! (Elle prend vivement le verre d'eau sucrée et le retourne
près du fauteuil de son père.)
SCÈNE XVIII
Les Mêmes, G-ARADOUX *, en habit.
GARADOUX, entrant par le pan coupe de gauche.
Vous m'appelez, beau-père? me voilà prêt... Partons-nous?
(Apercevant Thibaudicr.) Ah ! mon Dieu I
CÉCILE.
Mon père vient d'être pris subitement...
GARADOUX.
De quoi ?
ANNETTE.
D'un éblouissement !
CÉCILE.
11 souffre beaucoup, il lui sera tout à fait impos? ibli •-•.■ sortir
aujourd'hui. N'cjt-ce pas, petit père!
Garadoux, Cécile, Thibaiulier, Annetlc.
LES DEUX TIMIDES 18
THIBAUDIER, à part sans répoudre,
I Je proteste par mon silence.
GARADOUX.
Pauvre il. Thibaudier ! Il faudrait peut-être appliquer quel»
ques sangsues.
ANNETTE.
Ah f oui !
THIBAUDIER, vivement.
Ah I non !
CÉCILE, vivement.
Cela va mieux! (Donnant le verre d'eau sucrée à Thibaudier.) Buvez,
mon père !
THIBAUDIER, àpart.
Mais je n'ai pas soif, (u boit.)
GARADOUX, regardant sa main.
Il ne faut pas jouer avec sa santé. (Prenant son instrument et se
limant les ongles.) La santé est comme la fortune... On ne l'ap-
précie iccLenicnt que lorsqu'on l'a perdue !
ANNETTE *, bas à Cécile lui montrant Garadoux.
Mamzelle, regardez-le donc travailler !... Il s'est remis à
son établi.
THIBAUDIER, à part.
Est ce que nous allons rester toute la journée comme ça ?...
| J'ai très-chaud sous ceite robe de chambre.
CECII E, a Garadoux.
L'indisposition de mon père peut durer quelques jours, mon-
sieur, et si vos affaires vous rappelaient à Paris...
GARADOUX.
Par exemple!... quitter M. Thibaudier quand il est souffrant!
y^ Jamais l
THIBAUDIER, à part.
' Excellent jeune homme I
• Garadoux, Thibaudier, Cécile, AnrieUç,
44 LES DEUX TIMIDES
GARADOUX.
Du reste, cette indisposition ne retardera pas notre mariage..
Je puis aller seul à la mairie.
CÉCILE.
Comment !
GARADOUX.
La présence de M. Thibaudier n'est pas nécessaire... une
autorisation écrite suftit...
CÉCILE.
Oh ! mon père est tellement faùgué I
GARADOUX, prenant sur la table un buvard, du papier et une plume.
Une simple signature. (Il donne tout cela à Thibaudier.)
CÉCILE, bas à son père.
Ne signez pas !
GARADOUX.
^. Veuillez signer...
THIBAUDIER, très-embarrassé
Mais c'est que...
CÉCILE, à part.
Que faire ? (Elle prend vivement l'encrier et le cache derrière son
dos.)
THIBAUDIER.
Où est donc l'encrier ?
GARADOUX, après avoir cherché sur la table.
Mademoiselle a la bonté de vous le tenir...
THIBAUDIER.
Oh ! merci 1 ma fille, merci !
CÉCILE, à part, remettant l'encrier sur la taule.
Tout est perdu !
• Garadoux, Cécile, Thibaudier.
LES DEUX TIMIDES 45
SCENE XIX
Les Mêmes, FRÉMISSIN. •
FRÉMISSIN, accourant par le fond.
La voiture est à la grille !
GARADOUX.
Quelle voiture!
FRÉMISSIN.
Tiens! monsieur Garadoux!
GARADOUX, à part.
Ah ! diable, quelle rencontre !
**" FRÉMISSIN.
Et ça va bien, depuis...
GARADOUX, vivement.
Parfaitement I
^ THIBAUDIER.
Vous vous connaissez?
FRÉMISSIN .
Oui, j'ai eu l'honneur de défendre monsieur, , C'est mon pre-
mier client.
CÉCILE.
Ah bah! (a son père.) Six mois de prison!
THIBAUDIER, se levant effrayé.
Hein! (a Garadoux.) Vous av°z été en prison? (ri met le ba-
vard, etc., sur le guéridon à droite.)
GARADOUX.
00T Ohî.., une querelle... un moment de vivacité!
* Garadoux, Cécile, Thibaudier, Frémissin, Annette au fond.
46 LES DEUX TIMIDES
CÉCILE.
Monsieur a laissé tomber sa canne sur sa première f-rime.
ANNETTE, descendant à gauche.
Ah! l'horreur! (Elle range le fauteuil et le tabouret.)
THIBAUDIER.
Comment I monsieur !
GARADOUX.
Ohl une canne, c'était une petite badine!
THIBAUDIER, embrassant sa fille'.*
Oh! ma pauvre Cécile! (a Garadoux.) Retirez-vous, monsieur!
Battre une femme!... Vous pouvez remporter la corbeille! Voici
Votre tabatière! (Il lui donne, par mégarde, sa tabatière en corne.)
GARADOUX.
Pardon l ce n'est pas celle-là !
THIBAUDIER, avec dignité, lui rendant l'autre.
La voici ! je ne prise pas de ce tabac-là!
GARADOUX.
Je suis heureux, monsieur, que ce petit incident vous ait
rendu la santé, (sortant, à Frémissin.) Imbécile !
SCÈNE XX
FRÉMISSIN, CÉCILE, THIBAUDIER.
THIBAUDIER, remontant.
Hein! qu'est-ce qu'il a dit?
CÉCILE, bas et vivement à Frémissin .
Maintenant, faites votre demande... Mettez vos gants!
FRÉMISSIN.
Mais c'est que...
• Frémissin, Garadoux, Thibaudier, Cécile.
LES DEUX TIMIDES 47
CÉCILE.
'"ayez donc pas peur... I! est plus timide que vous I
FRÉM1SSIN, bravement.
Oh! il est timide! (il met ses gants.)
CÉCILE, bas à Thibaudier.
Il va vous faire sa demande... Mettez vos gants!
TIllDAUDIER.
Mais c'est que...
CÉCILE.
N'ayez donc pas peur... Il est plus timide que vous.
THIBAUDIER, bravement.
Oh! il est timide! (il met ses gants.)
FRÉMISS1N, résolument.
Monsieur!
T IIBAULTER, de même.
Monsieur
FRÉMISSIN, d'un ton résolu.
Pour la deuxième fois, je vous demande la main de votre
fille!
THIBAUDIER.
Monsieur! vous me la demandez sur un ton..
FRÉMISSIN.
Le ton qui me convient, monsieur!
THIBAUDIER, s'emportant.
Mais puisque je vous l'accorde, monsieur
FREMISSIN.
Vous me l'accordez sur un ton...
THIBAUDIER.
Le ton qui me convient, monsieur!
FRÉMISSIN.
Monsieur 1 1
4» LES DEUX TIMIDES
THrBAUDIER.
Monsieur! !!
CÉCILE, intervenant, à part»
Eh bien ! est-ce qu'ils vont se quereller, à présent? (liant.)
Monsieur Jules, papa vous invite à dîner; voilà ce qu'il voulait
vous di e.
THÎBAUDIER.
Soit! n ais à condition que vous ne casserez pas mes verres.
(A part.) T.ensl je vais lui faire goûter mon nouveau vinl
ENSEMBLE.
Air de M. Couder.
Ici, point d'imprudence!
Point de témérité,
Implorons l'indulgence
Avec timidité.
Cécile, au public :
Air de la scène XIII.
Pour sauver ce léger ouvrage,
Messieurs, deux timides m'ont dit :
« Va, nous comptons sur ton courage, »
Mais mon courage est si petit !
Devant vous les plus intrépides
Tremblent s'il faut vous implorer...
Ce n'est plus deux... c'est trois timides,
Que vous avez à rassurer...
Daignez tous trois les rassurer l
B5PRISE 1)0 CHŒUR.
FIN
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UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
PQ Michel, Marc Antoine Amédée
2364 Les deux timides
M367D4
1873