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Full text of "Les deux timides, comédie-vaudeville en un acte par Marc-Michel et Eugène Labiche; représentée pour la première fois à Paris, sur le théatre du Gymnase le 16 mars 1860"

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Michel,  Marc  Antoine  Amé*dé*e 
Les  deux  timides 


2364 
M36704I 

1873 


>,•  LES  «  %} 

DEUX  TIMIDES 


COMÉDIE-VAUDEVILLE  EN  UN  ACTE 


MM.  MÀRG-MICHEL  EX  EUGÈNE  LABICHE 

présentée  pour  la- première  fois  à  Paris,  sur  le  théâtre  du  Gymnas» 
le  16  mars  1860 


NOUVELLE     ÉDITION 


PARIS 

MICHEL  LÉVY  FRÈRES,  ÉDITEURS 

RUE  AUBER,  3,   PLACE   DE  L*  OPERA 
LIP.RAIRIE  NOUVELLE 

BOULEVARD   DES   ITALIENS,   15,   AU  COIN  DE  LA   RUE  DE  (iRAMMONT 
1873 

Droits  de  reproduction ,  de  traduction  et  représentation  réservé» 


/^3 


PERSONNAGES 


THIBADDIER 
JDLES  FRÉMISSIN.   . 
ANATOLE    GARADOUX 
CÉCILE,  fille  de  Thibaudier. . 
ANNETTE,  femme  de  cl) 


\dt&  4.'.'£?.**r-r^1!(tll.  'LESDEtJB. 

•fopttjÇjl^é+jljtC^     Priston. 

lier..^^t^..ie^«^t-ft^""  Albrecht. 
amlire y/Z*,/Ç,e*,£    ^s*Georgina. 


La  scène  se  passe  a  Chatou,  chez  Thibaudier. 


S'adresser,  pour  ïa  irise  en  scène  exacts  et  détaillée,  à  M.  Hêrolb, 
régisseur  de  la  scène;  et  pour  la  musique,  à  M.  Jubin,  bibliothécaire* 
copistc,  au  Gymnase. 


LES  DEUX  TIMIDES 


Salon  de  campagne,  ouvrant  au  fond  sur  un  jardin  par  une  grande  porte. 

—  Porte  à  gauche.—  Portes  dans  les  pans  coupés.  —  Cheminée  adroite. 

—  Une  pendule  et  vases  sans  fleurs  sur  la  cheminée.—  Une  table  avec 
encrier,  papier  et  plumes,  à  gauche.— A  droite,  un  guéridon.—  Un 
petit  buffet  après  la  porte  de  gauche.—  Chaises,  fauteuil. 


SCÈNE    PREMIÈRE 


ANNETTE,  puis  CÉCILE, 

ANNETTE,  venant  du  fond  une  bouilloire  à  la  main  et  entrant  à  gauche, 
pan  coupé. 

Monsieur  c'est  votre  eau  chaude...  (venant  en  scène.)  Il  est 
drôle  le  futur  de  mademoiselle,  monsieur  Anatole  Garadoux... 
il  passe  tous  les  matins  une  heure  et  demie  à  sa  toilette...  ses 
ongles  surtout  lui  prennent  un  temps  1  II  les  brosse,  il  les  ra- 
lisse,  il  a  un  tas  de  petits  instruments...  Il  travaille  ça  comme 
àe  la  bijouterie,  c'est  curieux  à  voir! 

Air  :  Qu'il  est  flatteur  d 'épouser. 

En  vérité,  je  me  demande 
Ce  qu'espère  ce  prétendu  ; 
Des  ongles  taillés  en  amande 
Ont-ils  un  mérite  inconnu? 


A  LES   DEUX   TIMIDES 

A  la  sottise  est-ce  un  remède? 
Pourtant  il  s'en  faut,  je  le  vols, 
Ou'avpc  .^es  beaux  ongl's  il  possède 
De  l'esprit  jusqu'au  bout  des  doigts. 

Je  ne  sais  pas  si  c'est  par  là  qu'il  a  séduit  monsieur  Th;bau- 
dier,  toujours  est-il  que  le  bonhomme  s'est  laissé  prendre 
comme...  Au  fait  comme  il  se  laisse  prendre  par  tout  ie  n  onde. 
C'est  incroyable,  un  homme  de  son  âge...  pas  plus  de  di  fense 
qu'un  enfant...  une  timidité...  il  n'ose  jamais  dire  non...  Ah! 
quelle  différence  avec  sa  fille I  Voilà  une  petite  tête  qui,  avec 
son  petit  air  tout  doux,  ne  fait  que  ce  qui  lui  plaît.  (On  entend 
ebanter  Cécile  dans  le  jardin.)  Ah!  je  l'entends.  Elle  revient  de  sa 
promenade  du  matin  avec  une  botte  de  fleurs  dans  son  panier 
et  son  petit  volume  à  la  main. 

Cécile,  venant  du  jardin .  * 

Air  de  la  Clef  des  champs  (Deffès). 

Le  bon  La  Fontaine 
Nous  peint  le  tableau 
D'un  robuste  chêne, 
D'un  frêle  roseau. 
La  force  inutile 
De  l'un  n'est  qu'un  nomj 
Le  roseau  débile 
Résiste  et  tient  bon. 

Par  peur,  par  faiblesse, 
On  voit  des  papas 
Qui  tremblent  sans  cesse 
Au  moindre  embarras. 
Mais,  dans  les  familles, 
L'on  peut,  en  ce  cas, 
Voir  des  jeunes  filles 
Qui  ne  tremblent  pas. 

Le  bon  La  Fontaine,  etc. 
Annette  !  vile  !  les  vases  de  la  cheminée. 

ANNETTE. 

Voilà,  mademoiselle.  (Elles  disposent  ensemble  les  fleur»  dans  Im 
vases  qu'Annette  pose  sur  le  guéridon.)  Dites  donc,  mademoiselle...  il 
se  lève..,  Je  viens  de  lui  porter  son  eau  chaude. 

*  Cécile,  Annette. 


LltS  DEUX    TIMIDES  & 

CÉCILE. 
A  qui? 

ANNETTE. 

A  monsieur  Garadoux... 

CÉCILE 

Eh  bien!  qu'est-ce  que  ça  me  fait? 

ANNETTE. 

Avez-vous  remarqué  ses  ongles? 
CÉCILE. 

Non... 

ANNETTE. 

Comment,  vous  n'avez  pas  remarqué  ses  ongles?...  ils  sont 
longs  comme  çal  Mais  l'autre  jour,  en  voulant  ouvrir  sa  fe- 
nêtre, il  en  a  cassé  un  !... 

CÉCILE,  ironiquement. 
Voilà  un  grand  malheur  I 

ANNETTE. 

Je  sais  bien  que  ça  repousse...  mais  il  a  paru  vivement  con- 
trarié... car  depuis  ce  temps- là,  il  me  sonne  pour  ouvrir  la  fe- 
nêtre. 

CÉCILE. 

Je  t'ai  déjà  priée  de  ne  pas  me  parler  sans  cesse  de  monsieur 
Garadoux...  cela  m'est  désagréable,  cela  m'agacei 

ANNETTE,  étonnée. 

Votre  futur? 

CÉCILE. 

Oh!  mon  futur  !  le  mariage  n'est  pis  encore  fait  1  Où  est  mon 
père?  (Elle  porte  un  vase  sur  la  cheminée.) 

ANNETTE. 

Monsieur  Thibaudier?...  il  est  dans  son  cabinet  depuis  une 
grande  heure  avec  un  particulier  venu  de  Psris... 


6  LES    DEUX   TIMIDES 

CÉCILK,  venant  vivement  à  elle. 

De  Paris?  un  jeune  homme...  un  jeune  avocal?  blond...  l'air 
doux...  les  yeux  bleus? 

ANNETTE. 

Non...  celui-là  est  brun...  avec  des  moustaches  et  une  barbe 
comme  du  cirage. 

CÉCILE,  désappointée. 

Ah! 

ANNETTE. 

Je  crois  que  c'est  un  commis  voyageur  en  vins...  Monsieur 
ne  voulait  pas  le  recevoir...  mais  il  a  presque  forcé  la  porte 
avec  ses  fioles. 

CÉCILE. 

Pourquoi  papa  ne  le  renvoie-t-il  pas? 

ANNETTE. 

Monsieur?...  il  est  bien  trop  timide  pour  celai  (Elle  porte  le 
deuxième  vase  sur  la  cheminée.) 

CÉCILE. 
Ça,  c'est  bien  vrail 


SCENE  II 

Les  Mêmes,  THIBAUDIER.  * 

THIBAUDIER,  venant  du  pan  coupé  de  droite,  à  la  cantonade,  en  saluant. 

Monsieur,  c'est  à  moi  de  vous  remercier...  enchanté...  (Mon- 
trant deux  petites  bouteilles  d'échantillons.)  Je  n'en  avais  pas  besoin..* 
mais  j'en  ai  pris  quatre  pièces. 

CÉCILE. 
Vous  avez  acheté  du  vin? 

•  Cécile,  Thibaudier,  Annette. 


. 


LES    DEUX    TIMIDES 

ANNETTE. 
Voire  cave  esl  pleinr.  (Elle  remonte.) 
THIBAUDIER. 


Je  sais  bien...  mais  le  moyen  de  refuser  à  un  monsieur  bien 
mis...  qui  vienl  de  faire  quatre  lieues...  de  Paris  à  Cbatou... 
pour  vous  offrir  sa  marchandise...  Car,  enfin,  il  s'est  dérangé, 
cet  homme  1 

CÉCILE. 

Mais  c'est  vous  qu'il  a  dérangé. 

ANNETTE,  au  fond.  • 
Est-il  bon,  au  moins,  son  vin? 

THIBAUDIER. 

Vcux-tu  goûter? 

ANNETTE,  prenant  un  verre  sur  le  buffet 
Voyons!  **  (Elle  boit  et  jette  un  cri.)  Brrl 
THIBAUDIER. 

■**  C'est  ce  qu'il  m'a  semblé...  J'ai  même  osé  lui  dire...  avec 
ménagement  :  «  Votre  vin  me  paraît  un  peu  jeune  1  »  J'ai  cru 
qu'il  allait  se  fâcher...  Alors  j'en  ai  pris  quatre  pièces. 

ANNETTE,  prenant  les  échantillons. 

Voilà  de  quoi  faire  de  la  salade.  (On  sonne  à  gauche.)  C'est  mon- 
sieur Garadoux  qui  sonne  pour  me  faire  ouvrir  sa  fenêtre.  (Elle 
entre  à  gauehe,  pan  coupé.) 


SCÈNE    III 

THIBAUDIER,  CÉCILE,  puis  ANNETTE.*" 

THIBAUDIER. 

Comment  1  il  n'est  pas  encore  levé,  monsieur  Garadoux? 

*  Annette,  décile,  Thibaudier. 
••  Cécile,  Annette,  Thibaudier . 
»W  Cécile,  Thibaudier. 


8  LES   DEUX  TÏMTBC3 

CÉCILE. 
Non.  Il  ne  parait  jamais  avant  dix  heures... 

THIBAUDIER. 

Ça  ne  m'étonne  pas...  tous  les  soirs  il  s'empare  de  mon  jour- 
nal... Dès  qu'il  arrive,  il  monte  dans  sa  chambre...  et  il  le  lit 
pour  s'endormir. 

CÉCILE. 

Eh  bien?...  et  vous... 

C  THIBAUDIER. 

Moi?...  je  le  lis  le  lendemain... 

CÉCILE. 

Ah!  c'est  un  peu  fort... 

THIBAUDIER. 

Je  t'avoue  que  ça  me  prive...  et  si  tu  pouvais  lui  en  toucher 
un  mot...  sans  que  cela  ait  l'air  de  venir  de  moi  1 

v 

CÉCILE. 

Soyez  tranquille!  je  lui  parlerai! 

THIBAUDIER. 

Vrai!  tu  oseras?... 

CÉCILE,  résolument. 

Tiens  ! 

THIBAUDIER. 

J'admire  ton  assurance...  A  dix-huit  ans...  Moi,  c'est  plus 
fort  que  moi...  La  présence  d'un  étranger  dans  ma  maison... 
ça  me  trouble...  c'a  m'anéantit... 

ANNETTB. 

Pauvre  père  ' 

THIBAUDIER. 
Mais  cela  va  bientôt  finir,  Dieu  merci! 
CÉCILE. 

Comment? 

THIBAUDIER. 

Oui,  toutes  ces  demandes,  ces  présentations...  j'en  suis  ma- 


LES    DEUX   TIMIDES  9 

lade!...  Que  veux-tu?  j'ai  passé  ma  vie  dans  un  bureau...  à 
l'administration  des  Archives...  et  des  Archives  secrètes,  en- 
core! Nous  ne  recevions  jamais  personne...  ça  m'allait...  Voilà 
pourquoi  je  n'aime  pas  à  causer  avec  les  gens  que  je  ne  con- 
nais pas. 

CÉCILE. 

Vous  connaissez  donc  beaucoup  monsieur  Garadoux? 

^^  THIBAUDIER. 

Pas  du  tout,  mais  il  m'a  été  recommandé  par  mon  notaire... 
que  je  ne  connais  presque  pas  non  plus.  Il  s'est  présenté  car- 
rément. .  Nous  avons  causé  pendant  deux  heures...  sans  que 
j'aie  eu  la  peine  déplacer  quatre  mots...  Il  faisait  les  demandes 
et  les  réponses...  cela  m'a  mis  tout  de  suite  à  mon  aise  : 

Air  du  Piège. 

«  Bonjour  monsieur,  commment  vous  portez-vous? 
Bien  !  je  le  vois...  Grand  merci,  moi  de  même. 
Maître  Godard  vous  a  parlé  pour  nous... 

Tant  mieux  !  Ma  joie  en  est  extrême. 
Croyez,  monsieur,  que  je  serais  flatté 
D'être  admis  dans  votre  famille... 
Hein  ?...  Pas  un  mot?...  Allons!  c'est  arrêté; 
Vous  m'accordez  la  main  de  votre  fille.  » 

CÉCILE. 

Et  vous  lui... 

THIBAUDIER. 

11  paraît  que  je  lui  ai  accordé  ta  main...  à  ce  qu'il  m'a  dit. 
Alors  il  est  venu  s'installer  ici  depuis  quinze  jouis...  et,  aujour- 
d'hui même,  nous  devons  aller  à  la  mairie  pour  k:ire  les  publi- 
cations. 

CÉCILE. 

Aujourd'hui? 

THIBAUDIER. 

C'est  lui  qui  a  décidé  ça...  moi  je  ne  me  mêle  de  rien! 

CÉC1LE. 

Mais  papa... 

THIBAUDIER 


9uoi? 


I. 


10  LES    DEUX    TIMIDES 

CÉCILE. 

Esl-ce  qu'il  vous  plaît  beaucoup,  monsieur  Garadoux? 

THIBAUD1ER. 

C'est  un  charmant  garçon...  qui  a  une  facilité  de  parole... 

CÉCILE. 

Il  est  veuf!  je  ne  veux  pas  épouser  un  veuf l 

THIBAUD1ER. 

Mais.. 

CÉCILE. 
Mais  si  par  hasard...  un  autre  prétendu  se  présentait? 

-»»  THIBAUD1ER. 

Commcntl  un  autre  prétendu!...  encore  des  demandes!  des 
entrevues!  il  faudrait  recommencer!  ah  !  non,  non!  *  (il  va  s'as- 
seoir près  de  la  table,  à  gauche.) 

CÉCILE. 

Celui  dont  je  parle  n'est  pas  un  étranger...  vous  savez  bien... 
monsieur  Jules  Frémissin...un  avocat... 

THIBAUD1ER. 

Un  avocat  !...  je  ne  pourrai  jamais  causer  avec   un  avocat  I 

CÉCILE. 
C'est  le  neveu  de  ma  marraine... 

CTHIBAUDIER. 
Le  neveu!  le  neveu!  je  ne  l'ai  jamais  vu! 

CECILE. 

Je  croyais  que  ma  marraine  vous  avait  écrit... 

THIBAUDIER. 

Il  y  a  trois  mois...  avant  Garadoux...  ce  n'était  qu'un  projet 
en  l'air...  et  puisque  ce  monsieur  n'a  pas  paru,  c'est  qu'il  n'a 
jamais  pensé  à  toi! 

CÉCILE. 

Oh  1  si,  papa...  j'en  suis  sûre. 

*  Thibaudier,  Cécile. 


LES   DEUX    TIMIDES  II 

G  THIBAUDIER. 

mment  I  tu  es  sûre!  voyons?  parle-moi  franchement... 
j'est-ii  passé  ?  (Elle  s'assied  sur  ses  genoui.) 

CÉCILE. 
Oh  !  rien  l  il  ne  m'a  jamais  parlé  I 

TH1BAUDIER. 

Eh  bien? 

CÉCILE. 

Mais,  le  jour  de  ce  grand  dîner  que  ma  tante  a  donné  pour 
sa  fête...  et  où  vous  n  avez  pas  voulu  venir... 

THIBAUDIER. 

Je  n'aime  pas  les  réunions...  où  il  y  a  du  monde. 

CÉCILE. 

J'étais  à  table,  près  de  monsieur  Frémissin...  il  rougissait... 
il  ne  faisait  que  des  gaucheries. 

THIBAUDIER. 

Je  connais  ci...  lesquelles? 

CÉCILE. 
E'abord,  il  a  cassé  son  verre  ! 

THIBAUDIER. 

•jCe  n'est  pas  un  symptôme...  c'est  une  maladresse 

CÉCILE. 

Ensuite,  quand  je  lui  ai  demandé  à  boire...  il  m'a  passé  la 
salière. 

THIBAUDIER. 

11  est  peut-être  sourd. 

CÉCILE. 

Ohl  non   papa,  il  n'est  pas  sourd...  Il  était  troublé.  Voilà 
tout. 

THIBAUDIER. 

Eh  bien  t 

CÉCILE. 

Eh  bien,  pour  qu'un  jeune  homme  qui  est  avocat...  oui  parle 


12  LES    DEUXTIM1DES 

en  public...  soit  troublé  à  ce  point...  (Baisïunt  les  yeux  )  il  faut 
bien  qu'il  y  ait  une  raison... 

TH1BAUDIER. 

Et  cette  raison...  c'est  qu'il  t'aime? 

CÉCILE,  so  levan„ 
Dame  I  papa  t...  si  cela  était? 

THIBAUDIER,  se  levant. 

Si  cela  était,  il  serait  venu...  il  n'est  pas  venu...  donc  cela 
n'est  pas  !  et  j'en  suis  bien  aise,  car  au  point  où  sont  les  cho- 
ses avec  monsieur  Garadoux... 

ANNETTE,  entrant  du  fond. 

Monsieur,  c'est  une  lettre  que  le  facteur  apporte.  (Elle  sort.) 

CÉCILE,  vivement. 

L'écriture  de  ma  marraine  1 

THIBAUDIER. 

Voyons,  ne  te  monte  pas  la  tête.  Encore  quelque  invitation... 
c'est  insupportable  !  (Lisant.)  «  Cher  monsieur  ïhibaudier... 
»  permettez-moi  de  vous  adresser  monsieur  Jules  Frémissin, 
»  mon  neveu,  dont  je  vous  ai  parlé  il  y  a  quelques  mois...  il 
»  aime  notre  chère  Cécile... 

CÉCILE,  avec  joie. 

J'en  étais  bien  sûre  I 

THIBAUDIER. 

Allons  bon  !  des  complications  I  (Reprenant  sa  lecture.)  «  Son 
»  rêve  serait  d'obtenir  sa  main...  je  devais  l'accompagnor  au- 
»  jourd'hui  pour  traiter  cette  importante  affaire,  mais  je  suis 
o  retenue  par  une  indisposition,  il  se  présentera  seul...  » 


Il  va  venir  t 

Je  n'y  suis  pas  !  " 

•  Cécile,  Thibaudier. 


CÉCILE. 


THIBAUDIER. 


LES    DEUX   TIMIDES  13 

CÉCILE. 
Ah  '  papa  î 

THIBAUDIER. 

EMais  c'est  impossible,  j'ai  donné  ma  parole  à  Garadoux...  tu 
is  me  lancer  dans  des  difficultés. 

CÉCILE. 

Je  vous  soutiendrai,  papa  ! 

THIBAUDIER. 

Mais,  qu'est-ce  que  tu  veux  que  je  devienne  entre  deux  pré- 
tendus? 

CÉCILE. 

Vous  congédierez  monsieur  Garadoux  t 

THIBAUDIER. 

Moi?...    (Apercevant  Garadoux   qui   sort  de  sa  chambre.)  Chut!  le 
voici  I 


SCÈNE   IV 


Les  MÊMES,  GARADOUX,  ANNETTE.  » 

GARADOUX,  entrant  par  la  gauche,  pan  coupé. 
Bonjour...  cher  beau-père... 

THIBAUDIER.  saluant. 

■ 

Monsieur  Garadoux... 

GARADOUX,  saluant  Cécile. 

Ma  charmante  future...  vous  êtes  fraîche,  aujourd'hui,  commo 
un  bouquet  de  cerises. 

CÉCILE. 

Je  vous  remercie...  pour  ma  fraîcheur  des  autres  jours  I  (Elle 
remonte  à  la  table.) 

•  Cécile,  Garadoux,  Thibaudier,  Annette. 


14  LES    DEU*    TIMIDES 


• 


THIBAUDIER,  à  part. 

Oh  !   elle  va  trop  loin  !  (Haut.)  Ce  cher  Gar?doux  !...  Vous 
avez  bien  dormi  ? 


GARADOUX. 


(v„ 


Parfaitement  !  (A  Cécile,)  Je  me  suis  le?é  un  peu  tard  peut- 
être?... 

CÉCILE. 

Je  n'ai  pas  dit  cela  1 

THIBAUDIER. 

Le  fait  est  que  vous  n'aimez  pas  la  campagne,  le  matin.., 
vivement.)  Ce  n'est  pas  un  reproche  ! 

GARADOUX. 

Moi  1  assister  au  réveil  de  la  nature,  je  ne  connais  pas  de 
plus  magnifique  tableau  !  Les  fleurs  ouvrent  leurs  calices,  le 
brin  d'herbe  redrosse  sa  tête  pour  rendre  hommage  au  soleil 
levant,  (il  examine  ses  ongles.)  Le  papillon  essuie  ses  ailes  encore 
humides  des  baisers  de  la  nuit.  (11  tire  un  petit  instrument  de  sa 
poche  et  lime  ses  ongles.) 

THIBAUDIER,  à  part,  s'asseyant. 

Le  voilà  parti  !...  C'est  très-commode! 

CÉCILE,  à  part. 

Il  fait  sa  toilette  ! 

GARADOUX,  continuant  à  faire  sa  toilette. 

L'abeille  diligente  commence  ses  visites  à  la  rose  pendant 
que  la  fauvette  à' tête  noire... 

CÉCILE,  à  part. 

C'est  impatientant  !  (Brusquement,  à  Garadoux.)  Quoi  de  nouveau 
dans  le  journal  ? 

GARADOUX. 

Comment?  le  journal? 

CÉCILE. 
\uus  l'avez  monté,  hier  soir...  et  mon  père  n'a  pu  le  lire... 

THIBAUDIER,  à  part,  se  levant 
Oh  1...  a-t-elle  un  aplomb  l 


LES   DEUX   TIMIDES  18 

GARADOUX. 
Hilja  pardons,  monsieur  Thibaudier,  c'est  par  inat'  Q-rtaneel 

TH1BAUDIER. 

Oh  !  il  n'y  a  pas  de  mal  I 

GARADOUX,  tirant  le  journal  de  sa  poche. 
Je  ne  l'ai  nas  même  lu... 

THIBAUDIER. 

Vous  ne  l'avez  pas  lu  ?  Alors,  gardez-le,   monsieur  Gara- 
doux! 

GARADOUX,  insistant  pour  le  rendre. 
Non,  je  vous  en  prie. 

THIBAUDIER,  refusant. 
Moi,  je  vous  en  supplie... 

GARADOUX,  le  remettant  dans  sa  poche. 

Allons,  puisque  vous  le  voulez!  *  (H  va  à  la  cheminée  et  arrange 
sa  cravatedevant  la  glace.) 

THIBAUDIER,  à  part. 

J'aurais  pourtant  bien  voulu  voir  le  cours  de  la  rente  ! 

ANNETTE,  entrant. 

Monsieur... 

THIBAUDIER. 

Qu  'est-ce? 

ANNETTE. 

C'est  la  carte  de  visite  d'un  monsieur  qui  attend  là...  à  la 
grille...  (Elle  remet  la  carte  à  Thibaudier.) 

CÉCILE,  se  rapprochant  vivement  de  son  père. 

Un  monsieur?...  (Après  avoir  jeté  un  coup  d'oeil.)  C'est  lui!  mon- 
sieur Jules! 

THIBAUDIER,  bas. 

Saprelottel...  et  devant  l'autre  !...  Que  faire? 
*  Cécile,  Thibaudier,  Garadonx. 


16  LES   DEUX   TIMIDES 

CÉCILE,  oas. 

Vous  ne  pouvez  pns  lui  refuser  votre  porte.  (Haut,  à  Annette.) 
F.vtes  fntrer.  (Annette  sort.) 

3ARAD0UX. 

Une  visite?...  Ah  ?A,  beau-père,  n'oubliez  pas  qu'à  midi  nous 
allons  à  !a  ma'r-e  pour  les  publications 

TH1BAUDIER. 

Certainement,  mon  cher  Gaivdoux,  certainement!  (Bas  à  Cé- 
j  riii'.)  Au  moins,  emmène-le. 

CÉCILE.* 

Voulez-vous  m'accompagner,  monsieur  Garadoux? 

GARADOUX. 

Volontiers,  mademoiselle...  où  allons-nous? 

CÉCILE. 
Arroser  mes  fleurs. 

GARADOUX,  froidement. 
Ah!...  c'est  que  le  soleil  est  bien  ardent. 

CÉCILE. 

Riison  de  plus!  mes  corbeilles  meurent  de  sécheresse...  Al- 
lons! venez! 

GARADOUX. 

Avec  plaisir! 

CÉCILE,  à  part. 
S'il  pouvait  encore  se  casser  un  ongle! 

AIR  de  l'Omelette  à  la  Follembuche» 

CÉCILE. 

Venes,  monsieur,  arroser  mes  fleurs, 

Comptez  sur  leur  reconnaissance, 
En  doux  parfums,  en  riches  couleurs 

Elles  paieront  votre  assistance. 

•  Thibaudier,  Cécile,  Garadoux. 


LES   DEUX  TIMIDEb  i7 

GABAOOOI. 

Voyez  mon  obéissance  1 

TBIBAUDIER,  à  paît, 

Qo«  faire  en  cette  occurrence  ? 
HINSEMBLE. 
CÉCILE. 

Venez,  venez  arroser  mes  fleurs, 
En  doux  parfums,  en  riches  couleurs 

Elles  paieront  votre  assistance. 
Allons,  venez  arroser  mes  fleurs  ! 

GARADOUX. 

Allons,  je  vais  arroser  vos  fleurs. 

Mais  pour  les  soins  donnés  à  vos  sœurs, 

De  vous  j'attends  ma  récompense. 
Allons,  allons  arroser  vos  soeurs. 

THIBADDIER,  à  part. 

Quel  sort  cruel  !    deux  adorateurs  ! 
Voilà  de  quoi  combler  mes  malheurs  1 

A  qui  donner  la  préférence 

Entre  ces  deux  adorateurs  ? 

(Garadoui  et  Cécile  sortent  par  le  fond.) 


SCÈNE  V 


THÎBAUDIER,  ANNETTE. 

THIBAUDIER,  seul. 

Mon  Dieu!  mon  Dieu!  mon  Dieu!  quelle  situation!  un  pré- 
tendu accepté... installé!... et  un  autre!.. .un  avocat  encore!... 
il  doit  avoir  une  langue!...  il  va  m'entortiller  avec  sa  langue  1... 
je  me  connais,  je  suis  capable  de  lui  dire:  Oui...  comme  à 
l'autre!...  ça  en  fera  deux! 

ANNETTE,  annonçant  au  fond. 

Monsieur  Frémissin  !  (Elle  sort  par  la  droite.) 


18  LES    DEUX    TIMIDES 

THIBAUDIER,  effrayé. 

t  Lui!. ..que  lui  dire!...  (Se  regardant  et  saisissant  co  prétexte)  :  Ah! 
je  n'ai  pas  d'habit  ..  je  vais  mettre  un  habit!  (il  se  sauve  par  la 
première  porte  à  gauche  au  moment  où  Frémissin  paratt  au  fond.) 


SCÈNE   VI 


FRÉMISSIN,   seul.  Il  entre  par  le  fond  timidement,  très- 
décontenancé,  et  salue  tout  bas. 

Monsieur...  madame...  j'ai  bien  l'honneur...  (Regardant  autour 
de  lui.)  Tiens  I  personne!  Ah!  tant  mieux  !  ce  que  je  redoutais  le 
plus,  c'était  de  rencontrer  quelqu'un...  Je  frissonne  à  l'idée  de 
me  trouver  en  présence  de  ce  père...  qui  sait  que  j'aime  sa  fille... 
(Avec  feu.)  Ahl  oui,  je  l'aime!...  depuis  ce  dîner  où  j'ai  cassé  un 
verre...  je  viens  tous  les  jours  à  Chatou  pour  faire  ma  de- 
mande... j'arrive  par  le  convoi  de  midi,  je  n'ose  pas  entrer,  et 
je  repars  par  celui  d'une  heure.  Si  cela  devait  continuer,  je 
prendrais  un  abonnement  au  chemin  de  fer...  mais  aujourd'hui., 
j'ai  eu  du  courage?  j'ai  franchi  la  grille  !  sans  ma  tante I  qui  n'a 
pu  m'accompagner...  et  je  vais  être  obligé...  moumême...  tout 
seul  de...  (Effrayé.)  Mais  est-ce  que  ça  se  peut?  Est-ce  qu'il  est 
possible  de  dire  à  un  père...  qu'on  ne  connaît  pas  :  «  Monsieur, 
voulez-vous  avoir  l'obligeance  de  me  donner  votre  fille  pour 
l'emmener  chez  moi  et...  »  (se  révoltant.)  Non!  on  ne  peut  pas 
dire  ces  choses-là!  et  jamais  je  n'oserai...  (Tout  à  coup.)  Si  je 
m'en  allais I...  personne  ne  m'a  vu...  je  m'en  vais!  je  revien- 
drai demain...  à  midi,  (il  remonte  vers  le  fond  et  se  rencontre  vers  la 
porte  avec  Cécile.) 


SCÈNE  VU 

CÉCILE,  FRÉMISSIN. 

FRÉMISSIN,  «'arrêtant. 
Trop  tard! 


LES    DEUX    TIMIDKS  10 

CÉCILE,  jouant  la  surprise. 
Je  m   me  trompe  pas...  Monsieur  Jules  Ffâmissitl] 

FRÉMISSIN,  troublé. 
Oui,  monsieur... 

CÉCILE. 

Hein? 

FRÉMISSIN,  se  reprenant 
Oui,  mademoiselle... 

CÉCILE. 

A  quel    heureux   hasard   devons-nous  l'honneur  de  votre 

Visite? 

FRÉMISSIN. 

C'est  bien  le  hasard,  en  effet...  je  passais...  je  cherchais  le 
notaire. 

CÉCILE. 

Ah! 

FRÉMISSIN. 

J'ai  affaire  au  notaire  de  Chatou...  j'ai  vu  une  grille...  j'ai 
sonné...  mais  je  vois  que  je  me  suis  trompé...  (Saluant.)  Made- 
moiselle, j'ai  bien  l'honneur... 

CÉCILE. 

Mais  attendez  donc!... mon  père  sera  charmé  de  vous  voir... 

FRÉMISSIN. 

Oh!  ne  le  dérangez  pas!  je  me  retire... 

CÉCILE. 

Du  tout!  vous  me  feriez  gronder...  veuillez  vous  asseoir... 

FRÉMISSIN,  se  heurtant  sur  une  chaise. 

Avec  plaisir...  je  ne  suis  pas  fatigué,  (il  ôte  ses  gants  et  les  m 
met  vivement.) 

CÉCILE,  à  part. 
Pauvre  garçon!  comme  il  est  troublé! 

FRÉMISSIN,  à  part. 
Qu'elle  est  jolie! 


20  LES   DEUX    TIMIDES 

CÉCILE. 

Vous  me  permettez  de  garnir  mon  sucrier?  (Elle  va  prendre 
3/1  r  le  buffet  un  sucrier  et  uue  boîte  à  sucre.) 

FRÉMISSIN. 

Comment  donc!  si  je  vous  gêne?... 

CÉCILE. 

Mais  pas  du  tout!...  et  même  si  je  ne  craignais  d'être  in- 
discrète... 

FRÉMISSIN. 

Parlez,  mademoiselle! 

Aib  de  M.  Couder, 

CÉCILE . 

C'est  agir  sans  cérémonie 

Mais  vous  voudrez  bien  m'excuscr^. 

FRÉMISSIN. 

De  quoi  s'agit-il,  je  vous  prie! 

CÉCILE. 

Eh  bien  !  allons  1  je  vais  oser  : 
Abusant  de  votre  obligeance, 
Puis-je,  monsieur,  vous  supplier... 

FRÉMISSIN 

De  quoi  ? 

CÉCILE. 

D'avoir  la  complaisance 
De  me  tenir  mon  sucrier  ? 

frémissin  (parlé). 

Avec  bonheur!  avec  transport!!! 

ENSEMBLE. 
CÉCILE.  FRÉMISSIN 

Pardon  de  la  peine. 

(A  part.) 
Mais  comme  cela, 
Je  suis  bien  certaine 
Qu'il  nous  restera! 


Je  vous  rends  sans  pelnç 
Ce  service-là. 

(A  part.) 
Ce  charmant  sans-gône 
M'enhardit  déjà. 


(Cécile  choisit  les  morceaux  de  sucre  dans  la  boîte  et  les  met  un  à  un 
dans  le  sucrier.) 


LES   DEUX    TIMIDES  21 

FRÉMISSIN,  à  part,  tenant  le  sucrier. 

Si  son  père  nous  surprenait  dans  celte  position!...  11  faut 
pourtant  que  je  lui  dise  quelque  chose...  j'ai  l'air  d'un  idiot  I 
(Surmontant  sa  timidité,  haut.)  Mademoiselle  Cécile!... 

CÉCILE,  avec  un  sourire  encourageant. 

Monsieur  Jules  ! 

FRÉMISS1N,  balbutiant. 

Il  est  bien  blanc  votre  sucre!... 

CÉCILE. 

Gomme  tous  les  sucres... 

FRÉMISSIN,  avec  tendresse. 
Oh  1  non,  pas  comme  tous  les  sucres... 

CÉCILE,  à  part. 
Qu'est-ce  qu'il  a  donc? 

FRÉMISSIN,  à  part. 
J'ai  été  trop  loin.  (Haut.)  Est-il  de  canne  ou  de  betterave? 

CÉCILE. 

Je  ne  sais  pas...  je  n'en  connais  pas  la  différence. 

FRÉMISSIN. 

Oh!  elle  est  très-grande...  l'un  est  bien  plus...  tandis  que 
/'autre...  est  récolté  par  les  nègres... 

CÉCILE,  le  regardant,  très-étonnée. 

Ah!  je  vous  remercie  1  (Elle  prend  son  sucrier,  s'éloigne  de  lui  dt 
Ta  au  buffet.) 

FRÉMISSIN,  à  part. 

C'est  bien  fait!  pourquoi  vais-je  me  fourrer  dans  laquestiou 
des  sucres* 

CÉCILE,  voyant  entrer  Tbibaudier. 

Voici  mon  père! 

FRÉMISSIN. 

Ah!  mon  Dieu) 


H2  LES   DEUX    TIMIDES 


SCÈNE  VIII 


FRÉMISSIN,  CÉCILE,  THTBAUDIER.  *  (Thibaudier  entre  par  U 
gauche,  très-décontenancé.  Il  est  en  habit  noir.) 

CÉCILE. 

Papa,  c'est  monsieur  Jules  Frémissin...  (Thibaudier  et  Frémissin 
s»  tiennent  aux  deux  extrémités  de  la  scène,  très-embarrassés  et  n'osant 
lover  les  yeux  l'un  sur  l'autre.) 

THIBAUDIER,  à  part. 

Allons!  il  le  faut!  (saluant  Jules  de  loin.)  Monsieur...  je  suis 
èsheureux...  certainement... 

FRÉMISSIN,  balbutiant. 
C'est  moi,  monsieur,  qui...  certainement. 

THIBAUDIER,  à  part. 
Qu'il  a  l'air  imposant. 

FRÉMISSIN,  à  part. 
J'aurais  bien  mieux  fait  de  m'en  aller. 

CÉCILE. 
Vous  8763  sans  doute  à  causer...  je  vous  laisse. 

THIBAUDIER  et  FRÉMISSIN,  voulant  la  retenir. 
Comment  ! 

CÉCILE. 

T  faut  que  je  prépare  mon  dessert.  (A  Frémis9i*n.)Asseyeî-vous... 
(A  son  père.)  Vous  aussi,  papa...  (tous  deux  s'asseyent.  Bas  à  Frémit» 
-Jin.)  Courage  !  (Bas  à  son  père.)  Courage!  (Elle  sort  à  gauche.) 

•  Thibaudier,  Cécile,  Frémissin. 


LES  DEUX   TIMIDES  2J 


S<;ÈNE  IX 

THIBAUDIRR,  FRÉMISSIN.  ils  sont  assis  en  face  l'un  de  l'autre,  et 

soûl  très-embarrassés. 

THIBAUDIER,  à  part. 

Nous  voilà  seuls... —  Il  a  l'air  d'avoir  un  aplomb  de  tous  les 
diables  I 

FRÉMISSIN,   à  p  rt. 

Jamais  je  n'ai  été  si  mal  à  mon  aise,  (s'inclinant.)  Monsieur... 

THIBAUDIER,  s'inclinant. 
Monsieur?...  (A  part.)  Il  va  me  faire  sa  demande!... 

FRÉMISSIN. 

Vous  avez  sans  doute  reçu  une  lettre  de  ma  tante? 

THIBAUDIER. 

Et  comment  se  porte-t-elle,  cette  chère  dame? 

FRÉMISSIN. 

Parfaitement... 

THIBAUDIER. 

Allons  1  tant  mieux t  tant  mieux! 

FRÉMISSIN. 

Sauf  ses  rhumatismes,  qui  ne  la  quittent  pas  depuis  huit  jours. 

THIBAUDIER. 

Allons!  tant  mieux!  tant  mieux! 

FRÉMISSIN. 

Mais  j'espère  que  le  beau  temps...  le  soleil... 

THIBAUDIER,  vivement. 
Mon  baromètre  monte  ! 

FRÉMISSIN. 

Le  mien  aussi...  C'est  drôle!  deux  baromilrcs  qui  montent 
?n  même  temps. 


24  LES   DEUX   TIMIDES 

THIBAUDIER. 

C'est  fâcheux  pour  mes  rosiers,  lis  vont  griller. 

FRÈMISS1N. 

Vous  êtes  amateur? 

THIBAUDIER. 

Passionné...  je  fais  des  semis  1 

FRÉMISSIN. 
Moi  aussi  t 

THIBAUDIER. 

Allons  1  tant  mieux!  tant  mieux!  (a  part.)  Jusqu'à  présent,  ça 
marche  très-bien! 

FRÉMISSIN,  à  part. 

Il  a  l'air  bonhomme...  Si  j'essayais...  (Haut,  très-ému,  se  levaut.) 
Dans  sa  lettre...  ma  tante  daignait...  vous  annoncer  ma  visite... 

THIBAUDIER,  à  part,  se  levant. 

Nous  y  voilà...  (Haut.)  En  effet!...  en  effet!...  mais  elle  ne 
m'indiquait  pas  précisément...  le  but... 

FRÉMISSIN. 

Comment?  elle  ne  vous  a  pas  dit?... 

THIBAUDIER. 

Non!  elle  ne  m'en  a  pas  soufflé  mot... 
FRÉMISSIN,  à  part. 

Ah!  mon  Dieu!...  mais  alors...  c'est  encore  plus  difficile. 
(Haut,  avec  effort.)  Monsieur...  c'est  en  tremblant... 

THIBAUDIER,   détournant. 

Quel  soleill  regardez  donc  ce  soleil!  ça  va  tout  brûler.., 

FRÉMISSIN. 

Oui...  moi,  je  couvre  avec  des  paillassons...  (Reprenant.)  C'est 
en  tremblant  que  je  viens  solliciter  la  faveur  de... 

THIBAUDIER,  détournant. 

Voulei-  fous  vous  rafraîchir? 


LE»  DEUX   TIMIDES  25 

Merci!  ic  ne  bois  jamais  entre  mes  repas 
TH1BAUDIER. 

Moi  non  plus...  Une  fois,  j'avais  très-chaud...  j'ai  voulu  boire 
un  verre  de  frère...  ça  m'a  fait  mal. 

FRÉMISSIN. 

Allons!  tant  mieux  1  tant  mieux!  — Je  viens  solliciter  la  fa- 
veur... 

THIBAUDIER,  détournant. 

Ah!  vous  cultivez  des  rosiers?... 

FRÉM1SSIN. 

J'ai  exposé  l'année  dernière  X Étendard  de  Marcngo. 

THIBAUDIER. 

Kt  moi  le  Géant  des  batailles...  trois  pouces  de  diamclrel 

FRÉMISSIN. 

Avez-vous  le  Triomphe  à'  Avranchcsl 

THIBAUDIER. 

Non...  mais  j'ai  les  Prémices  de  Pontoise! 

FRÉMISSIN,   reprenant. 

Monsieur,  c'est  en  tremblant... 

THIBAUDIER,  lai  offrant  une  prise. 

En  usez-vous,  monsieur? 

«RÉMISSIN. 

Jamais  entre  mes  repa--...  —  C'est  en  tremblant  que  je  vien» 
solliciter...  la  faveur...  d'obtenir... 

THIBAUDIER. 

Quoi? 

FRÉMISSIN.  déconcerté. 
Mais...  quelques-unes  de  \os  greffes!... 

TIMBAUDIEr. ,  vivement. 
Gomment  dont!  jeune  homme...  avec  plaisir... 


26  LES   DEUX    TIMIDES 

FRÉMISS1N. 
Mais,  monsieur... 

TH1BAUD1ER,  vivement. 
Je  cours  les  envelopper  moi-même  dans  la  mousse  mouillée... 

FRÉMISSIN,   à  part. 

Il  s'en  va?...  (Haut.)  Monsieur  Thibaudier... 

TH1BAUDIER. 

Enchanté,  cher  monsieur...  enchanté!...  (a  part.)  Je  réchappe 
belle  1...  Oui!  (Il  sort  vivement  par  'e  fond  et  tourne  à  droite.) 


SCENE  X 


FRÉMISSIN,  CECILE. 

FRÉM1SS1N. 

Il  est  parti!...  et  je  n'ai  pas  trouvé  un   mol!...  Imbécile... 
brute...  âne...  crétin!... 

CÉCILE ,  entrant  gaiement  du  fond  et  venant  de  la  gauche. 

Eh  bien!  monsieur  Jules? 

FRÉMISSIN. 

Elle! 

CÉCILE. 
Vous  avez  causé  avec  mon  pure? 

FRÉMISSIN. 

Oui,  mademoiselle... 

CÉCILE. 

Et...  avez-vous  été  content  de  L'enirevueï 

FRÉMISSIN. 

Enchanté!...  Et  la  preuve  e'nsi  au  m  cot  allé  me  chercher  ce 

que  je  lui  demandais... 


LES    PEUX    TIMIOKS  Ml 

CÉCILE,  naïvement. 

Il  me  cherche? 

FRÉMISS1N. 

Non  !  pas  vous...  dos  greffes  de  rosiers! 

CÉCILE,  étonnée. 
Des  greffes  ! 

FRÉMISSIN. 

Oui,  mademoiselle...  pendant  un  quart  d'heure...  c'est  «à  ne 
pas  y  croire  !  nous  n'avons  parle*  que  du  Géant  des  batailles  et 
du  Triomphe  d' Avranckcs. 

CÉCILE. 

Mais  pourquoi  cela? 

FRÉMISSIN. 

Ah  !  parce  que...  parce  que  je  suis  possédé  d'une  infirmité 
déplorable.  Je  suis  timide  !... 

CÉCILE. 

Vous  aussi? 

FRÉMISSIN. 

Mais,  timide  jusqu'à  l'idiot  sine,  jusqu'à  l'imbécillité!  Ainsi, 
on  me  tuerait  plutôt  que  de  me  faire  dire  tout  haut  ce  que  je 
me  dis  tout  bas  depuis  trois  mois...  c'est-à-dire  que  je  vous 
aime  !  que  je  vous  adore  !  que  vous  êtes  un  ange  !... 

CÉCILE. 

Mais  il  me  semble  que  vous  le  dites  très-bien  ! 

FRÉMISSIN,  stupéfait  de  son  audace. 

Je  l'ai  dit  !  !  1  Oh  !  pardon  !  ça  ne  compte  pas,  ça  m'a 
échappé  t...  Je  ne  vous  le  dirai  plus...  jamais...  je  vous  le 
jure  !..-. 

CÉCILE,  vivement. 

Ne  jurez  pas...  Je  ne  vous  demande  pas  de  serment  !...  Ti- 
mide... un  avocat  !  ça  doit  bien  vous  gêner  pour  plaider. 

FRÉMISSIN. 

Aussi,  je  ne  plaide  jamais!...  ça  m'est  arrivé  une  fois...  et 
ça  ne  m'arrivera  plus. 


«8  LES    DEUX    TIMIDES 

CÉCILE. 

tjae  s'est- il  donc  passé? 

IRÉM1SSIN. 

Ma  tante  m'avait  procuré  un  client...  car  Dieu  m'est  témoin 
que  je  n'ai  pas  été  le  chercher.  C'était  un  homme  violent...  il 
avait  laissé  tomber  sa  canne  sur  le  dos  de  sa  femme... 

CÉCILE. 

Et  vous  le  défendiez  ? 

FREMISSIN. 

Vous  allez  voir  si  je  l'ai  défendu  1...  Le  grand  jour  arrive... 
tous  mes  camarades  étaient  à  l'audience...  J'avais  préparé  une 
plaidoirie  brillante...  Je  la  savais  par  cœur...  Tout  à  coup,  un 
grand  silence  se  fait...  et  le  président  me  dit  en  m'adressant  un 
geste  bienveillant  :  <  Avocat  !  vous  avez  la  parole  !  »  Je  me 
lève...  Je  veux  parler...  impossible!  rien,  pas  un  mot!  pas  un 
son  !  Le  tribunal  me  regardait,  le  président  me  répétait'.  Vous 
avez  la  parole...  Je  ne  l'avais  pas  du  tout  !  Mon  client  me  criait  : 
Allez  donc!  allez  donc!  Enfin,  je  fais  un  effort!  quelque  chose 
d'inarticulé  sort  de  mon  gosier  :  «  Messieurs,  je  recommande 
Je  prévenu  à...  toute  la  sévérité  du  tribunal.  »  Et  je  retombe 
sur  mon  banc  ! 


CECILE. 


Et  votre  client  ? 


FREMISSIN. 

11  a  été  condamné  au  maximun  !  six  mois  de  prison! 

CÉCILE. 

C'est  bien  fait  I 

FREMISSIN. 

C'était  trop  peu  pour  ce  qu'il  m'avait  fait  souffrir  1  Aussi,  je 
n'ai  jamais  voulu  recevoir  d'honoraires...  Il  est  vrai  qu'il  a 
négligé  do  m'en  offrir.  —  Et  maintenant  que  vous  me  connais- 
sez...'voyez  s'il  m'est  possible  d'adresser  moi-même  à  monsieur 
votre  père...  une  demande... 

CÉCILE. 

Je  ne  puis  pourtant  pas  lui  demander  ma  main  pour  vous... 


LES  DEUX   TIMIDES  29 

FRÉM1SSIN,  naïvement. 

Non!  ça  ne  serait  pas  convenable;  alors,  j'attendrai  que  ma 
tante  soit  guérie  ! 

CÉCILE,  vivement. 

Attendre  !  mais  vous  ne  savez  donc  pas  qu'il  y  a  ici  un  autre 
prétendu  ? 

FRÉMISSIN,  tressaillant. 

Un  autre  ? 

CÉCILE. 

Installé...  accueilli  par  mon  père  ! 

FhvMISSIN,  passant  devant  de.* 
Ah  1  mon  Dieu  I  uneNtte  !  un  rival  I 

CÉCILE. 

Mais  je  ne  l'aime  pas,  et  si  l'on  me  force  à  l'épouser, j  e 
mourrai  certainement  de  chagrin  ! 

FRÉMISSIN. 

Mourir  !  vous  !    (Avec  résolution.)  Où  est  votre  père  ?    qu'il 
vienne  t 

CÉCILE. 

Vous  parlerez  ? 

FRÉMISSIN. 

Oui  !  je  parlerai  ! 

CÉCILE. 
A  la  bonne  heure  ! 

FRÉMISSIN. 
Envoyez-moi  monsieur  votre  père  ! 

CÉCILE. 

Je  vais  le  chercher  !.,.  courage!  courage  1  (Elle  iort  par  le  font 

et  tourne  à  gauche.) 

•  Cécile,  Frémissin. 


30  LES    DEUX   TIMIDES 


SCENE  XI 


FRÉMISSIN,  seuî. 

Oui,  je  parlerai!...  c'est-à-dire  non!...  Je  ne  parlerai  pas... 
j'ai  un  autre  moyen...  meilleur...  je  vais  écrire  :  j'ai  la  plume 
très-hardie  !  (S'asseyant  à  la  table.)  C'est  ça...  une  lettre  !  (il  écrit 
rapidement  tout  en  parlant.)  Au  moins  uj:e  lettre  ne  rougit  pas,  ne 
tremble  pas...  On  peut  casser  les  vitres  !...  et  je  les  casse!  (il 
plie  et  met  l'adresse.)  A  monsieur  Thibaudier.  (Mettant  un  timbre  par 
habitude.)  Un  timbre...  Voilà  ce  que  c'est. 

THIBAUDIER,  au  dehors. 

Tenez-les  au  frais  !  on  va  venir  les  prendre  t 

FREMISSIN,  ému. 

Lui  !  déjà  (Montrant  sa  lettre.)  Je  ne  peux  pas  lui  mettre  ça  dans 
la  main...  Ali  !  sur  la  pendule.  (11  met  vivement  sa  lettre  sur  la  pen- 
dule et  s'en  éloigne.) 


SCÈNE   XII 


FRÉMISSIN,  THIRAUDIER. 

THIBAUDIER,  entrant  par  le  fond  et  venant  de  la  droit*. 
Cher  monsieur,  vos  greffes  sont  prêtes... 

FRÉMISSIN,  troublé. 
Merci,  (a  part.)  Il  n'a  pas  vu  sa  fille  ! 

THIBAUDIER. 

J'ai  fait  ajouter  au  paquet  le  Comice  de  Seine-et-Marne. 


LES  DEUX   TIMIDES 


31 


FRÉMISS1N. 

Mille  fois  trop  bon  1  (indiquante geste.)  Sur  la  pendule  !...  sur 
la  pendude  1 

THIBAUD1ER. 

Plaîl-il  ? 

FRÉMISSIN. 

Une  lettre  !  Je  reviendrai  chercher  la  réponse,  ffl  sort  vivement 
par  le  fond.) 


SCÈNE   XIÏI 

CÉCILE,  THIBAUDIER. 

THIBAUDIER,  seul. 

Sur  la  pendule?...  Une  lettre?  (Il  la  prend.) 

CÉCILE,  entrant  par  la  gauche,  première  porte. 
Ah  !   papa,  je  vous  cherche  partout.  (Regardant,  étonnée.)  Eh 
bien  1  et  monsieur  Frémissin  ! 

THIBAUDIER. 

-  Il  sort  à  l'instant,  mais  il  paraît  qu'il  vient  de  m'écrire... 
,  sur  la  pendule  ! 

CÉCILE. 
Comment  1 

THIBAUDIER,  regardant  l'adresse. 
C'est  bien  pour  moi...  Tiens  !  il  a  mis  un  timbre  ! 

CÉCILE,  impatiente. 
Voyons,  papa...  voyons  vite  !... 

THIBAUDIER,  lisant. 

'«"Monsieur,  j'aime  mademoiselle  votre  fille  1...  non,  je  ne 
»  l'aime  pas  !  » 
: CÉCILE. 

ilein  î 


32  LES   DEUX   TIMIDES 

THIBAUDIER,  lisant, 
o  Je  l'adore  !  » 

CÉCILE. 
Ah! 

THIBAUDIER. 

Mais  dloigne-toi  donc,  tu  ne  dois  pas  écouter  ça  I 

CÉCILE. 

Oh  !  papa,  je  le  savais  1 

THIBAUDIER. 

Ah  !  c'est  différent.  (Reprenant  sa  lecture.)  «  Je  l'adore  !  »  (S'I». 
terrompant.)  Tu  le  savais,  mais  comment  l'as-tu  aDDris  ? 

CÉCILE. 

Il  me  l'a  dit  !... 

THIBAUDIER. 

Ah  !  je  disais  aussi...  (se  ravisant.)  Mais  c'est  fort  impertinent 
de  sa  part. 

CÉCILE. 

La  suite  ?  la  suite  ? 

THIBAUDIER. 

Oui...  (Lisant.)  «  Vous  n'avez  que  deux  choses  à  m'offrir...  sa 
»  main  ou  une  loee  à  Charenton  !  » 

CÉCILE. 

Eh  bien  !  papa  ? 

THIBAUDIER. 
Eh  bien  !  puisqu'il  me  laisse  le  choix,  je  lui  offre  une  loge  I 

CÉCILE. 
Oh  1  petit  père  t 

THIBAUDIER. 
Ne  cherche  pas  à  m'attendrir  ! 

CÉCILE. 

Yous  qui  m'aimez  tant  ! 


LES    DEUX   TIMIDES  Jl 

THIBAUDIER. 

Non,  mademoiselle  !  je  ne  vous  aime  pas...  tant  <iuc  cal 

CECILE,  le  câlinant. 
Oh  I  je  le  sais  bien  ! 

Ain  Je  Broskovo.no  (Deffes). 

Vous  n'aimez  pas  votre  Cécile, 
Vous  ne  voulez  pas  son  bonheur. 
Vous  supplier  est  inutile, 
Kien  ne  peut  toucher  votre  cœur. 
Mon  malheur,  j'en  suis  bien  certaine, 
Voila  votre  vœu  le  plus  doux, 
Et  je  n'ai  droit  qu'à  votre  haine, 
Pour  tout  l'amour  que  j'ai  pour  vous. 

THIBAUDIER,  à  part. 

Est-ellt  gentille  !  (il  l'embrasse.)  Mais  qu'ost-ce  que  tu  veux 
que  je  dise  à  M.  Garadoux  ? 

CÉCILE. 

Oui...  je  comprends...  votre  timidité  ! 

THIBAUDIER. 

•   Comment  !  ma  timidité  1  mais  je  ne  suis  pas  timide  ! 
CÉCILE 
Oh  !  ça  ! 

THIBAUDIER. 

Un  homme  en  vaut  un  autre. 

CÉCILE. 

Certainement. 

THIBAUDIER. 

Je  n'ai  pas  peur  de  M.  Garadoux  1  et  je  saurai  bien  lui  dire... 
sans  me  gêner,  que...  que...  (A  sa  fille.)  Qu'est-ce  qu'il  faudra 
lui  dire  T 

CÉCILE. 

Oui...  c'est  là  l'embarras...  parler  !  —  (vivement.)  Faites 
comme  monsieur  Frémissin  I 


31  LES    DEUX   TIMIDES 

THIBAUDIER. 

Quoi? 

CÉCILE. 

Ne  parlez  pas...  écrivez  ! 

THIBAUDIER,  enchanté. 

Écrire  !...  Parbleu  !...  tu  as  raison  I...  s'il  ne  s'agit  que  d'é- 
crire !... 

CÉCILE,  le  faisant  asseoir  à  la  table. 

Vite  !  vile  !  mettez-vous  là  ! 

THIBAUDIER,  s'asseyanl  et  prenant  une  plume.  * 

Ta  vas  voir  !  (Écrivant.)  «  Monsieur.  »  (S'arrêtant.)  C'est  un 
peu  sec...  (Écrivant.) «  Cher  Monsieur.  »  (a  sa  lille.)  Après?  Qu'est- 
que  lu  mettrais  ? 

CÉCILE,  dictant, 
o  Votre  recherche  me  flatte... 

THIBAUDIER,  écrivant. 

»  Et  m'honore.»  (Parlé.)  Adoucissons!...  adoucissons!... 

CÉCILE,  dictant. 

«  Mais  il  m'est  impossible  de  donner  suite  à  vos  projets  dp 
»  mariage  avec  ma  lille...  » 

THIBAUDIER,  écrivant. 

«  Avec  ma  fille...»  (Parlé.)  Mais,  cane  suffit  pas,  il  faut  trou- 
ver une  raison  ! 

J'en  ai  une  ! 

Ah  !  voyons  ! 

CÉCILE,  dictant. 

«  Croyez  bien,  cher  Monsieur,  que  je  n  obéis  en  cette  cir- 
•  constance  qu'à  des  considérations  toutes  particulières  ettoutes 
»  ucrsonc.ieà.qm  n'affaiblissent  CD  rien  les  sentiments  avec  les- 
quels j'ai  1  nonneur  d'être...  "> 

Tnioaudier,  Cécile. 


CÉCILE. 
THIBAUDIER. 


LES    DEUX    TIMIDES 
THIBAUDIER. 

Tu  appelles  ça  une  raison? 

CÉCILE. 

C'est  une  raison  diplomatique. 

GARADOUX,   dans  la  coulisse. 
Portez  ça  dans  ma  chambre! 

THIBAUDIER. 

C'est  lui! Il 

CECILE. 
Je  vous  laisse... 

THIBAUDIER. 

Comment!  tu  t'en  vas? 

CÉCILE. 

Sonnez  Annelle,  et...  chargez-la  de  remettre  votre  lettre. 

THIBAUDIER. 

/  C'est  juste!  (a  part.)  Elle  est  pleine  d'idées,  ma  fille. 

CÉCILE,  lui  présentant  son  front. 

Adieu,  pelil  père...  quand  vous  le  voulez,  vous  êtes  char- 
mant! (Elle  sort  par  la  gauche.) 


SCÈNE   XIV 

THIBAUDIER,  GARADOUX. 

THIBAUDIER,  seul. 
/  L'entant  gâté!  (il  sonne.)  Appelons  Annctle. 
GAHADOUX  paraît  au  fond. 
Comment,  beau.-père,  vous  n'èle?  pas  encore  prêt? 


3Ç  LES    DEUX   TIMIDES 

THIBAUDIER,  à  part,  se  levant. 
Ce  n'est  pas  Annetle.  (Haut.)  Prêt...  pourquoi  faire? 

GARADOUX. 
Pour  aller  à  la  mairie...  dépêchez-vous. 

TH1BAUD1ER. 

Oui.  (a  pan.)  Si  celte  bête  d'Annettc  était  venue l(uaut.)  Mon 
gendre...  Non!  cher  monsieur,  en  vous  attendant  ..  j'ai  écrit 
une  lettre...  une  lettre  importante. 

GARADOUX,   sans  l'écouter. 
Une  grande  nouvelle!  mais  pas  un  mol  à  votre  tille. 

THIBAUD1ER. 

Quoi  donc? 

GARADOUX. 

La  corbeille  vient  d'arriver. 

THIBAUDIER. 

Quelle  corbeille? 

GARADOUX. 

La  corbeille  de  noce. 

THIBAUDIER. 

Comment!  vous  avez  acheté!...  (A  part,  avec  désespoir.)  Il  a 
I  acheté  la  corbeille! 

GARADOUX,   tirant  son  petit  instrument  et  se  limant  les  ongles. 

^  Vous  verrez!...  Je  crois  que  ce  n'est  pas  mal!...  Il  y  a  sur- 
tout deux  bracelets!...  (a  lui-même.)  Je  me  suis  encore  cassé  un 
ongle  en  arrosant,  (a  Thibauiiicr.)  Style  renaissance...  bleu  sur 
fond  d'or. 

THIBAUDIER,  à  part. 

Bleu  sur  fond  d'or  !  (Haut,  faisant  un  effort.)  La  lettre  que  je  viens 
■  l'écrire.... 

GARADOUX. 

J'ai  aussi    en«é  à  vous,  papa  Thibaudier! 

THIBAUDIER. 

A  moi? 


LES   DEUX   TIMIDES  37 

GARADOUX,   tirant  de  sa  poche  une  tabatière  d'or. 
'*~-   Un  souvenir...  une  tabatière. 

THIBAUDIER. 

i  Comment? 

GARADOUX. 
__     C'est  du  Louis  XV...  sans  restauration. 

THIBAUDIER,    touché. 

Comment,  monsieur...  Non!  mon  gendre...  vous  avez  eu  la 
bonté... 

GARADOUX. 

0*    Ce  cher  papa  Thibaudier!...  Je  vous  aime,  moi,  allez I 

THIBAUDIER. 

Moi  aussi!  (a  part.)  Un  homme  qui  vous  donne  des  tabatiè- 
res!... C'est  impossible! 

GARADOUX. 

0»    Diable  I  midi  t  Dépêchons-nous,  voire  maire  va  nous  attendre! 

THIBAUDIER,  ahuri. 

Manière?  (Se  ravisant.)  Ah!...  je  n'ai  qu'une  cravate  à  mettrel 

GARADOUX. 

^  Et  moi,  un  habit.  (Regardant  sa  main,  à  part.)  Diable  d'ongle  ! 
(a  Thibaudier.)  Je  suis  à  vous  dans  cinq  minutes.  (H  entre  dajas  sa 
chambre,  pan  coupé  à  gauche.) 


SCENE  XV 


THIBAUDIER,  puis  FRÉMISSIN. 

THIBAUDIER,  seul. 

Il  n'y  avait  vraiment  pas  moyen!  il  a  acheté  la  corbeille.  Je 
vais  déchire!»  ma  lettre...  Et  l'autre?  Frémissin,  qui  va  venir 
chercher  ma  réponse  J . . .  Quel  embarras  ! ...  ça  n'a  pas  de  nom  ! . . . 
(Jetant  les  yeux  snr  la  lettre  qu'il  tient.)  Mais  ma  lettre  non  plus  n'a 

8 


38  LES   DEUX   TIMIDES 

pas  do  nom!...  (Allant  à  la  table.)  Je  vais  y  mettre  celui  de  Fré- 
missin...  Ma  fille  ne  peut  pas  en  épouser  deux...  <:t,  puisque 
l'autre  a  acheté  la  corbeille,  (il  écrit.)  «  A  monsieur  Jules  Fré- 

L»  missio,  avocat  au  barreau  de  Paris.  » — Mettons  un  timbre. — 
(Se  levant.)  Et  maintenant...  sur  la  pendule!...  (il  met  sa  lettre  sur 
la  pendule,) 

FRÉM1SSIN,  entrant  du  fond. 
Pardon,  monsieur,  c'est  moi  ! 

THIBAUD1ER. 

Sur  la  pendule!...  sur  la  pendule  1...  (il  sort  par  la  gauche.) 


SCÈNE  XVI 

FRÉMISSIN,  CÉCILE. 

FRÉMISSIN,  seul. 

Sur  la  penau.eî...  (il  court  prendre  la  lettre.)  Est-ce  qu'il  n'a  pas 
lu?  Ah!  si,  c'est  la  réponse.  Sur  la  pendule,  notre  boîte  aux 
lettres.  Je  suis  ému!  je  n'ose  pas  l'ouvrir!  (Lisant.) «Cher  mon- 
»  sieur,  votre  recherche  me  flatte  et  m'honore.  »  (parlé.)  Ah! 
qu'il  est  bon!  (Lisant.)  «  Mais  il  m'est  impossible  de  donner  suite 
»  à  vos  projets  de  mariage...  »  (Tombant  assis  près  du  guéridon,  sur 
nue  chaise.)  Ah!...  refusé!...  j'en  étais  sûrl 

CÉCILE,  entrant  du  fond.  * 

Monsieur  Jules,  vous  avez  vu... 

FRÉMISSIN. 

Votre  père?  Oui,  mademoiselle...  voilà  sa  réponse!  (il  le? 

donne  la  lettre.) 

CÉCILE,  la  regardant. 
Hein?  ma  lettre?  mais  elle  n'est  pas  pour  vousl 

FRÉMISSIN  ,  lui  montrant  l'adresse. 
«  A  monsieur  Jules  Frémissin,  avocat  au  barreau  de  Paris.  * 

*  Cédle,  Frémissin, 


LES  DEUX   TIMIDES  39 

CÉCILE. 

Et  c'est  lui  qui  vous  l'a  remise? 

FRÉMISSIN. 

Lui-même  1  sur  la  pendule  1 

CÉCILE,  indignée 

Oh  !  c'est  trop  fort  1  me  manquer  de  parole?  me  jouer  comme 
une  enfant  ! 

FRÉMISSIN,  de  même. 

Vous  sacrifier  I 

CÉCILE,  avec  résolution. 

Oh  !  mais  nous  allons  voir  I  Je  ne  suis  pas  timide,  moi  !  — 
Monsieur  Jules  ! 

FRÉMISSIN,  de  même. 
Mademoiselle  ? 

CÉCILE. 

Envoyez-moi  chercher  une  voiture. 

FRÉMISSIN. 

Une  voiture?  pour  qui?  • 

CÉCILE. 

Vous  le  saurez...  Allez  ! 

FRÉMISSIN. 

Tout  de  suite,  mademoiselle,  (a  part.)  Quelle  énergie  1  (H  sort 
vivement  par  le  fond.) 


SCÈNE    XVII 

CÉCILE,  puis  THIBAUDIER,  puis  ANNETTE. 

CÉCILE. 
Ah  !  c'est  comme  ça  que  mon  père  se  joue  de  ses  promesses 


40  LES  DEUX   TIMIDES 

AIR  de  la  Clef  des  champs  (Deffès). 

On  verra,  l'on  verra 
Qui  des  deux  cédera; 

Mon  cher  petit  père, 

J'ai  du  caractère  1 
On  verra,  l'on  verra 

Si  j'aime  qui  m'aime, 
Et  si,  malgré  moi-même, 

On  me  mariera  ! 

Je  suis  trop  gentille 

Pour  le  régenter  ;  *- 

Ce  n'est  qu'à  sa  fille 

Qu'il  sait  résister; 

Mais  son  cœur  est  tendre 

Pour  sa  pauvre  enfant. 

Je  saurai  le  prendre 

En  le  tourmentant. 
Je  vais  alarmer  sa  tendresse; 
11  faut,  il  faut  lui  faire  peur, 
Et  conquérir  par  la  frayeur 
Ce  qu'il  refuse  par  faiblesse  ! 

On  verra,  l'on  verra,  ete. 

(Elle  prend,  sur  une  chaise  au  fond,  son  châle  et  son  chapeau  qu'elle  met 
vivement.) 

THIBAUDIER,  entrant  de  la  gauche. 
J'ai  mis  ma  cravate.  (Apercevant  sa  fille.)  Cécile!  où  vas-lut* 

CÉCILE,  descendant  en  nouant  les  rubans  de  son  chapeaa. 
Je  pars...  Je  vous  quitte  ! 

TH1BAUDIER. 
Où  vas-tu  ? 

CÉCILE. 
Mejeler  dans  un  couvent...  humide  et  froid. 


- 


THIBAUDIER. 

BrrrK..  Un  couvent  humide  et  froid?  toi?.. 


Cécile,  Thibaudier. 


LES    DEUX   TIMIDES  41 


CÉCILE. 


Puisque  vous  n'avez  pas  la  force  d'aimer  votre  fille...  de  la 
délivrer  d'un  prétendu  qu'elle  déteste... 


THIBAUDIER. 


Mais  c'est  impossible  !  il  a  acheté  la  corbeille  1  une  corbeille 
délicieuse  et  il  vient  de  m'offirir  à  moi  une  tabatière  Louis  XV. 

CÉCILE. 

Ainsi  vous  sacrifiez  votre  enfant  à  une  tabatière  1  Adieu,  mon 
père!... 

THIBAUDIER. 

Mais  non  !  je  ne  te  sacrifie  pas  !  Il  est  charmant  ce  jeune 
homme  et  puis  il  est  trop  tard...  il  passe  un  habit  pour  a  1er  à 
la  mairie. 

CÉCILE. 

Dites-lui  que  vous  ne  pouvez  l'accompagner...  que  vous  êtes 
malade...  (Elle  ôte  son  chapeau  et  son  cbâlc.) 

THIBAUDIER. 

Malade  !  ce  serait  un  moyen  I  mais  il  vient  de  me  quitter  il  y 
a  cinq  minutes  I 

CÉCILE. 

Qu'est-ce  que  ça  fait!  un  éblouissement  !  c'est  très-facile. 
(Appelant.)  Annette,  vite  la  robe  de  chambre  de  mon  père  I 

r  THIBAUDIER,  protestant 

Mais  non  !  mais  je  ne  veux  pas  ! 

ANNETTE,  apportant  de  la  gauche  une  robe  de  chambre. 
Voilà,  monsieur...  qu'est-ce  qu'il  y  a  donc? 
CÉCILE. 

Rien  !  un  éblouissement  !  (A  Annette.)  Un  verre  d'eau  sucrée  ! 
(Donnant  ia  robe  de  chambre  à  Yhibaudier.)  Mettez  ça,  je  vais  VOUS 
aider= 

THIBAUDIER,  endossant  la  robe  de  chambre. 

Je  veux  bien  mettre  ma  robe  de  chambre,  mais  je  proicste 
'contre  une  pareille  comédie. 


42  LES   DEUX   TIMIDES 

CÉCILE. 


r. 


L'autre  manche  ! 

TH1BAUDIER. 

Et  je  le  préviens  que  je  ne  dirai  pas  un  mot...  Je  ne  me 
mêle  de  rien. 

CÉCILE. 

C'est  convenu.  (Le  faisant  asseoir  dans  un  fauteuil.)  Asseycz-VOUS  ! 
Annette  !  un  coussin,  un  tabouret! 

ANNETTE,  apportant  les  objets  demandés. 

Je  l'entends  !  (Elle  prend  vivement  le  verre  d'eau  sucrée  et  le  retourne 
près  du  fauteuil  de  son  père.) 


SCÈNE  XVIII 


Les  Mêmes,  G-ARADOUX  *,  en  habit. 

GARADOUX,  entrant  par  le  pan  coupe  de  gauche. 

Vous  m'appelez,  beau-père?  me  voilà  prêt...  Partons-nous? 
(Apercevant  Thibaudicr.)  Ah  !  mon  Dieu  I 

CÉCILE. 

Mon  père  vient  d'être  pris  subitement... 

GARADOUX. 

De  quoi  ? 

ANNETTE. 

D'un  éblouissement  ! 

CÉCILE. 

11  souffre  beaucoup,  il  lui  sera  tout  à  fait  impos? ibli  •-•.■  sortir 
aujourd'hui.  N'cjt-ce  pas,  petit  père! 

Garadoux,  Cécile,  Thibaiulier,  Annetlc. 


LES    DEUX    TIMIDES  18 

THIBAUDIER,  à  part  sans  répoudre, 
I    Je  proteste  par  mon  silence. 

GARADOUX. 

Pauvre  il.  Thibaudier  !  Il  faudrait  peut-être  appliquer  quel» 
ques  sangsues. 

ANNETTE. 

Ah  f  oui  ! 

THIBAUDIER,  vivement. 

Ah  I  non  ! 

CÉCILE,  vivement. 

Cela  va  mieux!  (Donnant  le  verre  d'eau  sucrée  à  Thibaudier.)  Buvez, 
mon  père  ! 

THIBAUDIER,  àpart. 

Mais  je  n'ai  pas  soif,  (u  boit.) 

GARADOUX,  regardant  sa  main. 

Il  ne  faut  pas  jouer  avec  sa  santé.  (Prenant  son  instrument  et  se 
limant  les  ongles.)  La  santé  est  comme  la  fortune...  On  ne  l'ap- 
précie iccLenicnt  que  lorsqu'on  l'a  perdue  ! 

ANNETTE  *,  bas  à  Cécile  lui  montrant  Garadoux. 

Mamzelle,  regardez-le  donc  travailler  !...  Il  s'est  remis  à 
son  établi. 

THIBAUDIER,  à  part. 

Est  ce  que  nous  allons  rester  toute  la  journée  comme  ça  ?... 
|  J'ai  très-chaud  sous  ceite  robe  de  chambre. 

CECII  E,  a  Garadoux. 

L'indisposition  de  mon  père  peut  durer  quelques  jours,  mon- 
sieur, et  si  vos  affaires  vous  rappelaient  à  Paris... 

GARADOUX. 

Par  exemple!...  quitter  M.  Thibaudier  quand  il  est  souffrant! 
y^  Jamais  l 

THIBAUDIER,  à  part. 

'   Excellent  jeune  homme  I 

•  Garadoux,  Thibaudier,  Cécile,  AnrieUç, 


44  LES  DEUX  TIMIDES 

GARADOUX. 

Du  reste,  cette  indisposition  ne  retardera  pas  notre  mariage.. 
Je  puis  aller  seul  à  la  mairie. 

CÉCILE. 
Comment  ! 

GARADOUX. 

La  présence  de  M.  Thibaudier  n'est  pas  nécessaire...   une 
autorisation  écrite  suftit... 

CÉCILE. 

Oh  !  mon  père  est  tellement  faùgué  I 

GARADOUX,  prenant  sur  la  table  un  buvard,  du  papier  et  une  plume. 

Une  simple  signature.  (Il  donne  tout  cela  à  Thibaudier.) 

CÉCILE,  bas  à  son  père. 
Ne  signez  pas  ! 

GARADOUX. 

^.     Veuillez  signer... 

THIBAUDIER,  très-embarrassé 

Mais  c'est  que... 

CÉCILE,  à  part. 

Que  faire  ?  (Elle  prend  vivement  l'encrier  et   le  cache   derrière  son 
dos.) 

THIBAUDIER. 

Où  est  donc  l'encrier  ? 

GARADOUX,  après  avoir  cherché  sur  la  table. 

Mademoiselle  a  la  bonté  de  vous  le  tenir... 

THIBAUDIER. 

Oh  !  merci  1  ma  fille,  merci  ! 

CÉCILE,  à  part,  remettant  l'encrier  sur  la  taule. 
Tout  est  perdu  ! 

•  Garadoux,  Cécile,  Thibaudier. 


LES  DEUX  TIMIDES  45 


SCENE  XIX 

Les  Mêmes,  FRÉMISSIN.  • 

FRÉMISSIN,  accourant  par  le  fond. 
La  voiture  est  à  la  grille  ! 

GARADOUX. 

Quelle  voiture! 

FRÉMISSIN. 
Tiens!  monsieur  Garadoux! 

GARADOUX,  à  part. 
Ah  !  diable,  quelle  rencontre  ! 
**"  FRÉMISSIN. 

Et  ça  va  bien,  depuis... 

GARADOUX,  vivement. 

Parfaitement  I 

^  THIBAUDIER. 

Vous  vous  connaissez? 

FRÉMISSIN . 
Oui,  j'ai  eu  l'honneur  de  défendre  monsieur,  ,  C'est  mon  pre- 
mier client. 

CÉCILE. 
Ah  bah!  (a son  père.)  Six  mois  de  prison! 

THIBAUDIER,  se  levant  effrayé. 
Hein!  (a  Garadoux.)  Vous  av°z  été  en  prison?  (ri  met  le  ba- 
vard, etc.,  sur  le  guéridon  à  droite.) 

GARADOUX. 
00T     Ohî..,  une  querelle...  un  moment  de  vivacité! 

*  Garadoux,  Cécile,  Thibaudier,  Frémissin,  Annette  au  fond. 


46  LES  DEUX  TIMIDES 

CÉCILE. 
Monsieur  a  laissé  tomber  sa  canne  sur  sa  première  f-rime. 

ANNETTE,  descendant  à  gauche. 
Ah!  l'horreur!  (Elle  range  le  fauteuil  et  le  tabouret.) 
THIBAUDIER. 

Comment  I  monsieur  ! 

GARADOUX. 

Ohl  une  canne,  c'était  une  petite  badine! 

THIBAUDIER,  embrassant  sa  fille'.* 

Oh!  ma  pauvre  Cécile!  (a  Garadoux.)  Retirez-vous, monsieur! 
Battre  une  femme!...  Vous  pouvez  remporter  la  corbeille!  Voici 
Votre  tabatière!  (Il  lui  donne,  par  mégarde,  sa  tabatière  en  corne.) 

GARADOUX. 
Pardon  l  ce  n'est  pas  celle-là  ! 

THIBAUDIER,  avec  dignité,  lui  rendant  l'autre. 
La  voici  !  je  ne  prise  pas  de  ce  tabac-là! 

GARADOUX. 

Je  suis  heureux,  monsieur,  que  ce  petit  incident  vous  ait 
rendu  la  santé,  (sortant,  à  Frémissin.)  Imbécile  ! 


SCÈNE   XX 

FRÉMISSIN,  CÉCILE,  THIBAUDIER. 

THIBAUDIER,  remontant. 
Hein!  qu'est-ce  qu'il  a  dit? 

CÉCILE,  bas  et  vivement  à  Frémissin . 
Maintenant,  faites  votre  demande...  Mettez  vos  gants! 

FRÉMISSIN. 
Mais  c'est  que... 

•  Frémissin,  Garadoux,  Thibaudier,  Cécile. 


LES  DEUX    TIMIDES  47 

CÉCILE. 

'"ayez  donc  pas  peur...  I!  est  plus  timide  que  vous  I 

FRÉM1SSIN,  bravement. 
Oh!  il  est  timide!  (il  met  ses  gants.) 

CÉCILE,  bas  à  Thibaudier. 
Il  va  vous  faire  sa  demande...  Mettez  vos  gants! 

TIllDAUDIER. 

Mais  c'est  que... 

CÉCILE. 

N'ayez  donc  pas  peur...  Il  est  plus  timide  que  vous. 

THIBAUDIER,  bravement. 
Oh!  il  est  timide!  (il  met  ses  gants.) 

FRÉMISS1N,  résolument. 

Monsieur! 

T  IIBAULTER,  de  même. 
Monsieur 

FRÉMISSIN,  d'un  ton  résolu. 
Pour  la  deuxième  fois,  je  vous  demande  la  main  de  votre 
fille! 

THIBAUDIER. 

Monsieur!  vous  me  la  demandez  sur  un  ton.. 

FRÉMISSIN. 

Le  ton  qui  me  convient,  monsieur! 

THIBAUDIER,  s'emportant. 
Mais  puisque  je  vous  l'accorde,  monsieur 

FREMISSIN. 

Vous  me  l'accordez  sur  un  ton... 

THIBAUDIER. 

Le  ton  qui  me  convient,  monsieur! 
FRÉMISSIN. 

Monsieur  1 1 


4»  LES  DEUX   TIMIDES 

THrBAUDIER. 

Monsieur!  !! 

CÉCILE,  intervenant,  à  part» 

Eh  bien  !  est-ce  qu'ils  vont  se  quereller,  à  présent?  (liant.) 
Monsieur  Jules,  papa  vous  invite  à  dîner;  voilà  ce  qu'il  voulait 
vous  di  e. 

THÎBAUDIER. 

Soit!  n  ais  à  condition  que  vous  ne  casserez  pas  mes  verres. 
(A  part.)  T.ensl  je  vais  lui  faire  goûter  mon  nouveau  vinl 

ENSEMBLE. 

Air  de  M.  Couder. 

Ici,  point  d'imprudence! 
Point  de  témérité, 
Implorons  l'indulgence 
Avec  timidité. 

Cécile,  au  public  : 

Air  de  la  scène  XIII. 

Pour  sauver  ce  léger  ouvrage, 
Messieurs,  deux  timides  m'ont  dit  : 
«  Va,  nous  comptons  sur  ton  courage,  » 
Mais  mon  courage  est  si  petit  ! 
Devant  vous  les  plus  intrépides 
Tremblent  s'il  faut  vous  implorer... 
Ce  n'est  plus  deux...  c'est  trois  timides, 
Que  vous  avez  à  rassurer... 
Daignez  tous  trois  les  rassurer  l 

B5PRISE  1)0  CHŒUR. 


FIN 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


PQ     Michel,  Marc  Antoine  Amédée 
2364      Les  deux  timides 
M367D4 
1873