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Full text of "Les Eglises romanes"

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in  2010  witli  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcli  ive.org/details/leseglisesromaneOObr 


ART     ET     LITTÉRATURE 


Ouvrage  couromié par  l' Académie  française. 


LES 


ÉGLISES  ROMANES 


PAR 

Louis   BRÉHIER 

Professeur  à  l'Université  de  Clermont-Ferrand 


PARIS 
LIBRAIRIE   BLOUD    &   G'» 

4,   RUE   MADAME,   4 

1907 

Reproduction  et  traduction  interdites. 


M' 


DANS  LA  MEME  COLLECTION 


DU  MEME  AUTEUR 

Les     Origines    du    Cruciûx    dans    l'Art    chrétien 

(287) 1  vol. 

La  Querelle  des  Images  (viu*  etix*  siècle)  (308).  1  vol. 

Les  Basiliques  Chrétiennes  (379) 1  vol . 

Les  Églises  Byzantines  (381) 1  vol. 

Les  Églises  gothiques  (382) 1  vol. 


DiMiER  (L.).  —  Les  Danses  macabres  et  l'idée  de  la 
Mort  dans  l'Art  chrétien  (IDG) 1  vol . 

Germain  (Alph.).  —  L'Influence  de  saint  François  d'As- 
sise sur  la  Civilisation  et  les  Arts  (216) 1  vol. 

—  L'Art  chrétien  en  France  (Sculpture,  Peinture, 
Mobilier  d'Église,  etc.).  Des  Origines  au  XVI'  siècle. 
(234) 1  vol. 

St-Paul  (Anthyme).  —  Architecture  et  Catholicisme. 
La  puissance  créatrice  du  génie  chrétien  et  fran- 
çais dans  la  formation  des  styles  au  Moyen  Age. 
(3-16) 1  vol. 


y-  ?X  0 
■ByE 


INTRODUCTION 


LES    ORIGINES 


1.  Définition.  —  Les  érudits  du  xviii*  siècle  appelaient 
gothique  rarchitecture  de  la  période  comprise  entre  le 
v'  siècle  et  la  Renaissance  ;  vers  182b  de  Gerville  et  de 
Caumont  proposèrent  de  réserver  l'épithète  de  romanes 
aux  églises  élevées  depuis  la  fin  de  l'époque  carolingienne 
jusqu'à  l'apparition  de  la  croisée  d'ogives  ;  cette  appella- 
tion a  prévalu  sur  celles  de  byzantine,  lombarde,  saxonne 
que  l'on  a  reconnu  être  complètement  inexactes. 

2.  Caractères  généraux.  —  L'église  romane  présente  en 
effet  des  caractères  bien  déterminés  :  c'est  une  basilique 
à  trois  nefs  dans  laquelle  les  colonnes  sont  remplacées  par 
des  piliers  qui  supportent,  quelquefois  une  charpente,  mais 
le  plus  souvent  des  voûtes  qui  s'appuient  sur  des  colonnes 
engagées.  Les  voûtes  romanes  sont  :  la  voûte  en  berceau, 
en  plein  cintre  (fig.  i)  ou  en  arc  brisé;  la  voûte  d'arcte 
sur  plan  cane,  formée  de  la  pcnéîratîon  de  deux  berceaux 


INTRODUCTION 


(fia  a)  ;  la  coupole  sur  trompes  et  sur  pendentifs.  Entre 
les  diflérentes  travées  sont  souvent  des  arcs  doubleaux  qui 


Fig.  I. 

font  équilibre  à  la  poussée  ;  à  l'extérieur,  des  contreforts 

appuyés  aux  murs, presque 
toujours  très  épais,  rem- 
plissent le  même  office. 
Au  delà  du  transept  le 
chœur, plus  élevé  en  géné- 
ral que  le  reste  de  l'église, 
s'étend  souvent  au-dessus 
d'une  crypte  ;  les  bas-côtés 
se  prolongent  jusqu'à  la 
hauteur  de  l'abside  ou 
môme  contournent  le 
chœur  par  un  déambula- 
toire flanqué  d'absidioles. 

Les  voûtes  sont  surmontées  d'un  comble  qui  supporte  un 


Fig.  a. 


INTRODUCTrON  D 

toit,  à  double  rampant  pour  la  grande  nef,  en  appentis 
pour  les  bas-côtés  moins  élevés.  Une  sculpture  barbare 
d'un  caractère  stylisé  orne  les  chapitaux  des  colonnes  en- 
gagées et  les  parois  des  façades.  L'entrée  de  l'église  est 
formée  d'un  narthex  ou  d'un  porche  flanqué  de  deux  tours 
carrées  entre  lesquelles  se  termine  le  pignon  de  la  grande 
nef  ;  un  clocher  s'élève  souvent  à  la  croisée  du  transept  ; 
enfin  le  blocage  employé  pour  les  basiliques  fait  place  à 
un  appareil  qui  devient  de  plus  en  plus  régulier  à  me- 
sure qu'on  approche  du  xn°  siècle. 

3.  Ecoles  régionales.  —  Ce  n'est  là  d'ailleurs  que  l'as- 
pect général  des  églises  romanes  ;  en  réalité  elles  présen- 
tent des  caractères  beaucoup  plus  variés  que  les  basiliques, 
et  elles  sont  un  témoignage  de  premier  ordre  sur  le  carac- 
tère local  que  prirent  au  Moyen  Age  la  culture  et  l'art.  Des 
écoles  régionales  d'architecture  correspondaient  aux  di- 
verses provinces  comme  les  dialectes  d'une  même  langue  ; 
chacune  d'elles  avait  ses  traditions  et  ses  procédés  bien  dé- 
finis qu'elle  tenait  presque  toujours  d'une  école  monas- 
tique. Mais  il  est  arrivé  que  les  pèlerinages  et  les  établis- 
sements au  loin  de  colonies  monastiques  ont  apporté  dans 
certains  pays  des  types  d'architecture  qui  leur  étaient 
étrangers  ;  les  frontières  des  différentes  écoles  sont  souvent 
difficiles  à  déterminer  et  forment  un  véritable  entre- 
croisement. Des  procédés  lombards  ont  été  apportés  en 
Normandie  ;  des  e'glises  auvergnates  ont  été  construites 
en  Espagne  :  les  cisterciens  ont  importé  dans  tous  les 


()'  INTRODUCTION 

pays  d'Europe  des  types  d'églises  particuliers  à  leur  ordre. 

4.  Théories  sur  les  origines  romanes.  —  On  a  proposé 
deux  explications  de  l'origine  de  cette  architecture.  Pour 
les  romanistes  elle  est  le  développement  logique  de  la  cons- 
truction romaine  ;  elle  devrait  aux  Romains  ses  voûtes  et 
son  appareil,  entremêlé  à  l'origine  de  chaînages  de  briques  ; 
le  fond  de  son  ornementation  est  la  feuille  d'acanthe  de- 
formée  des  chapiteaux  corinthiens.  Elle  se  rattache  à  l'ar- 
chitecture romaine  par  l'intermédiaire  des  églises  carolin- 
giennes, que  nous  connaissons  à  vrai  dire  très  mal,  mais 
dans  lesquelles  on  a  employé  les  piliers  pour  supporter  les 
charpentes.  D'un  autre  côté  les  orientalistes  ont  réussi 
par  leurs  exagérations  à  discréditer  leurs  théories  ;  ils  ont 
voulu  rattacher  à  l'art  byzantin  une  architecture  qui  s'en 
distingue  par  la  plupart  de  ses  caractères  et  avant  tout 
par  l'emploi  constant  de  la  construction  en  appareil. 

Est-ce  à  dire  que  l'art  roman  soit  véritablement  auto- 
chtone et  qu'il  doive  tout  aux  traditions  romaines  ?  Les 
études  de  M.  de  Vogué  sur  la  Syrie  centrale,  de  M.  Gayet 
sur  l'Egypte,  de  M.  Strzygovvski  sur  l'Asie  Mineure  ont 
montré  que  l'Orient  connaissait  dès  le  iv*  siècle  le  type  de 
la  basilique  voûtée,  avec  piliers  entourés  de  colonnes  en- 
gagées et  narthex  flanqué  de  deux  tours  carrées  de  fa- 
rade  (r).  Les  ruines  de  ces  monuments  ont  quelquefois 
un  aspect  qui  ressemble  étrangement  à  celui  de  nos  églises 
romanes  et,  comme  elles,  ils  sont  construits  en  appareil. 

(i)  Voy.  notre  ouvrage  sur  les  Basiliques  chrétiennes. 


IMRODUCTION 


Or,  nous  savons  par  des  témoignages  historiques  que  pen- 
dant toute  la  première  partie  du  Moyen  Age  les  pays  d'Oc- 
cident ont  été  pénétrés  par  des  influences  venues  d'Orient 
et  apportées  par  ces  marchands  syriens  qui  venaient  s'éta- 
blir dans  les  villes  de  la  Gaule  mérovingienne  ;  les  étoffes, 
les  ivoires,  les  pièces  d'orfèvrerie  qu'ils  vendaient  aux  Oc- 
cidentaux ne  pouvaient  manquer  d'exercer  une  action  sur 
les  artistes  barbares.  Ravenne,  Trêves,  Aix-la-Chapelle  pa- 
raissent avoir  été  les  principaux  centres  de  cette  propa- 
gande orientale  qui  s'exerçait  sur  l'iconographie,  sur  la 
miniature  carolingienne,  sur  l'architecture.  Les  Orientaux 
qui  ont  introduit  en  Occident  le  type  de  la  construction  à 
plan  central  (St-Vital  de  Ravenne,  chapelle  palatine  d'Aix, 
Germigny  les  Près)  ont  bien  pu  importer  aussi  le  plan  de 
la  basilique  voûtée.  En  un  mot  les  découvertes  archéolo- 
giques faites  en  Orient  ont  posé  le  problème  jusqu'ici  in- 
soluble de  la  ressemblance  entre  les  églises  orientales  du 
y'  et  les  églises  romanes  du  xi'  siècle.  Dire  que  les  Occi- 
dentaux ont  pu  arriver  sans  influence  extérieure  aux 
mêmes  solutions  que  les  Orientaux  me  paraît  une  défaite. 
Les  intermédiaires  entre  le  point  de  départ  et  le  point 
d'arrivée  n'existent  plus,  il  est  vrai,  mais  cet  inconvénient 
gêne  aussi  bien  la  théorie  romaniste  que  celle  de  ses  ad- 
versaires. Sans  doute  les  églises  romanes  présentent  un 
grand  nombre  de  caractères  inconnus  à  l'architecture 
orientale  ;  l'architecture  en  bois  d'origine  barbare  a  dû 
fournir  le  motif  de  la  tour  lanterne  ;  il  n'en  est  pas  moins 


8  INTRODUCTION 

vrai  qu'à  ses  origines  l'architecture  romane  paraît  être 
orientale,  et  que  les  Occidentaux  ont  seulement  transformé 
librement  et  suivant  leur  génie  des  éléments  qu'ils 
n'avaient  pas  créés. 

Bibliographie.  (Voir  la  bibliographie  générale  à  la  fin  du  vo- 
lume). L'exposé  de  la  théorie  orientaliste  se  trouAe  dans  le 
cours  de  Courajod  recueilli  par  Lemonnier  et  A.  Michel,  Paris 
1899.  t.  I.  Voy.  aussi  Marignan.  Un  historien  de  l'art  français  ; 
Louis  Courajod-  Paris  1899.  Cette  théorie  a  été  reprise  et  re- 
nouvelée par  Strzygowski.  Kleinasien,  Leipzig  1908. 

Théorie  romaniste  :  Brutails.  L'archéologie  du  Moyen  Age  et 
ses  méthodes. 

Influences  orientales  en  Occident  :  Strzygowski  Der  dom  zu  Aachen, 
Berlin  igoS.  —  L.  Bréhier.  Les  colonies  d'Orientaux  en  Occi- 
dent (Byzantinische  Zeitschrift  1903).  Les  origines  des  Crucifix 
dans  l'art.  Paris.  Bloud.  1908. 


CHAPITRE  PREMIEK 


LA    CONSTRUCTION    DES    ÉGLISES    ROMANES 


I.  L'activité  architecturale  au  xi"  siècle.  —  Dans  un 
passage  célèbre  le  chroniqueur  Raoul  Glaber  a  décrit  l'ar- 
deur pour  les  constructions  d'églises  qui  s'empara  de 
l'Occident  vers  l'année  ioo3,  en  France,  et  en  Italie  prin- 
cipalement. ((  Bien  que  la  plupart  fussent  bâties  avec  un 
soin  suffisant,  ce  fut  à  qui  parmi  les  peuples  chrétiens 
auraient  les  plus  belles.  Le  monde  semblait  rejeter  son  an- 
tique dépouille  pour  revêtir  une  robe  blanche  d'églises.  (  i)  > 
En  même  temps  on  découvrait  de  toute  part  des  re- 
liques destinées  à  sanctifier  ces  monuments  (2).  Cette  ac- 
tivité nouvelle  est  le  résultat  de  la  prépondérance  reli- 
gieuse, politique  et  sociale  exercée  alors  en  Europe  par 
les  ordres  monastiques.  La  vie  urbaine  ayant  presque 
complètement  disparu,  surtout  dans  le  nord,  les  monas- 
tères se  trouvèrent  constituer  les  seuls  centres  de  culture  ; 
chacun  d'eux,  entouré  d'un  vaste  territoire  de  domaines 
vassaux,  formait  comme  un  petit  univers  qui  trouvait  en 
lui-même  les  ressources  matérielles  et  intellectuelles  né- 
cessaires à  son   existence.   Les  grandes   abbayes   comme 

(i)  Histor.  III,  4»  Dans  ce  passage  Raoul  Glaber  ne  fait  nulle- 
ment allusion  aux  terreurs  de  l'an  mille. 
(2)  Id  III,  6. 


10  LES    ÉGLISES    ROM  AXES 

Saint-Denis,  Tours,  Jumièges,  Moissac,  Cluny,  Vczclay, 
Saint-Gall  possédaient,  à  côté  de  leurs  écoles  instituées  à 
l'époque  carolingienne,  des  ateliers  où  se  formaient  des 
architectes,  des  sculpteurs,  des  peintres,  etc.  Les  annales 
de  Saint-Gall  ont  conservé  le  souvenir  du  moine  Tuotilo 
qui  montra  au  x^  siècle  une  aptitude  prodigieuse  à  tous 
les  arts,  digne  des  artistes  de  la  Renaissance.  Mais  tous 
les  efforts  de  ces  modestes  travailleurs  restés  presque  tou- 
jours anonymes,  se  concentraient  sur  l'église  qui  formait 
la  partie  la  plus  importante  et  comme  la  parure  du  mo- 
nastère ;  n'était-elle  pas  le  théâtre  de  toutes  les  pompes 
religieuses,  des  assemblées,  des  conciles  ?  Ne  conservait- 
elle  pas  les  reliques  insignes  du  fondateur  dont  la  célébrité 
attirait,  au  cours  des  grands  pèlerinages,  une  affluence  de 
population  qui  avait  besoin  de  vastes  espaces  pour  pou- 
voir évoluer  ? 

2.  Les  influences  monastiques.  —  Les  preuves  de  l'acti- 
vité artistique  des  monastères  sont  nombreuses.  Un  des 
hommes  les  plus  considérables  du  xi'  siècle,  le  lombard 
Guillaume  (ggi-ioSi),  moine  à  Cluny,  abbé  de  Saint-Bé- 
nigue  de  Dijon,  moit  abbé  de  Fécamp,  exerça  une  action 
considérable  sur  les  constructions  d'églises,  et  créa  des 
écoles  d'architecture  dans  les  monastères  qu'il  traversa  ; 
lui-même  dirigea  la  construction  de  la  célèbre  rotonde  de 
Saint-Bénigue  à  Dijon.  Deux  moines,  Gauzon  et  Hézilon, 
constmisent  la  grande  église  de  Cluny.  Un  autre  moine 
bâtit  à  Poitiers  l'église  de  Montierneuf.  A  la  lin  du  xi° 
siècle  Didier,  abbé  du  Mont  Cassin,  fait  venir  de  Cons- 
tantinople  des  orfèvres,  des  mosaïstes,  des  émailleurs,  des 
miniaturistes  qui  >.  seignent  à  ses  moines  les  principes 
des  arts  décoratifs.  Enfin  au  xn°  siècle  le  moine  Théo- 
phile donne  la  théorie  de  tous  ces  arts  dans  sa  Diver- 
saram  artium  schedala. 

L'institution  monastique  avait  au  xi'  siècle  un  carac- 
tère essentiellement  international  et  représentait  l'unité 


I.ES    ÉGLISKS    ROMANES  11 

chrétienne  ;  les  monastères  étaient  bâtis  sur  un  plan  assez 
unilorme  dont  le  célèbre  plan  de  Saint-  Gali  nous  a  conservé 
les  dispositions.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  l'archi- 
tecture romane  soit  devenue  commune  à  toute  l'Europe 
chrélienne  de  rit  latin,  et  qu'on  en  retrouve  les  éléments 
dans  les  pays  les  plus  éloignés  les  uns  des  autres.  Un  cer- 
tain non)bre  de  dispositions  des  églises  romanes  montrent 
leur  caractère  monastique  :  le  narthex,  où  sont  relégués 
les  simples  fidèles,  atteint  souvent  de  grandes  proportions; 
de  même  les  dimensions  nouvelles  prises  par  les  cryptes, 
la  disposition  du  déambulatoire  autour  du  chœur,  qui  per- 
met à  une  procession  de  se  dérouler  dans  l'église,  attestent 
l'importance  des  pèlerinages.  Des  reliques  étaient  souvent 
conservées  dans  les  absidioles  qui  s'ouvraient  sur  le  déam- 
bulatoire, ce  qui  permettait  aux  pèlerins  de  les  vénérer 
chacun  à  leur  tour.  De  même  les  cryptes  avaient  souvent 
devix  accès  qui  servaient  d'entrée  et  de  sortie,  et  assu- 
raient l'ordre  des  processions  i  i). 

Enfin  c'est  à  l'influence  des  ateliers  monastiques  que 
les  églises  romanes  doivent  l'unité  relative  de  leur  déco- 
ration. Le  style  et  les  sujets  ont  pu  varier  d'une  école  à 
l'autre,  surtout  dans  la  partie  purement  ornementale, 
mais  les  arts  qui  servaient  à  orner  l'église  sont  à  peu  près 
les  mêmes  partout.  Ce  sont  :  la  mosaïque,  la  peinture  à 
fresque  et  sui-tout  la  sculpture  dont  la  renaissance  en 
Occident  est  un  des  événements  artistiques  les  plus  consi- 
dérables du  xi°  siècle  (2).  La  sculpture  animée  remplace 
souvent  la  feuille  d'acanthe  des  chapiteaux  ;  elle  règne 


(i)  De  même  la  déviation  de  l'axe  de  l'église  vers  le  nord  en 
mémoire  de  l'inclinaison  de  la  tète  du  Sauveur  sur  la  croix  est 
peut  être  une  idée  monastique, 

(2)  Nous  renvoyons  pour  l'étude  de  ces  arts  au  livre  de  M.  A 
Germain,  —  L'art  chrétien  en  France  des  origines  au  ivi°  siècle. 
(Gollect.  «  Science  et  religion  ».) 


42  LES    ÉGLISES    BOMANES 

sur  les  tympans  des  postails  et  quelquefois  sur  les  pan- 
neaux, les  trumeaux  ou  les  pieds-droits  des  façades.  Les 
motifs  de  cette  décoration  sont  d'inspiration  très  variée  : 
les  étoffes  persanes,  les  ivoires  orientaux,  l'orfèvrerie  bar- 
bare et  surtout  les  miniatures  des  manuscrits  carolingiens 
en  ont  fourni  les  éléments  ;  les  artistes  romans  cherchent 
des  modèles  partout,  sauf  dans  la  nature.  Leur  flore  n'a 
pas  cessé  de  se  réduire  à  la  feuille  d'acanthe  plus  ou  moins 
déformée  ;  leur  faune  est  faite  du  peuple  fantastique 
d'animaux  qui  illustrent  les  miniatures  du  a  Physiolo- 
gus  »  (i),  centaures,  sirènes,  néréides  etc.;  leurs  figures 
sont,  tantôt  courtes  et  grosses,  surtout  au  xi^  siècle,  tantôt 
allongées  démesurément  comme  au  portail  royal  de 
Chartres.  Leur  iconographie  religieuse  n'a  jamais  été  di- 
rigée par  les  règles  étroites  que  s'imposaient  les  artistes 
byzantins  ;  cependant  certains  motifs  devinrent  tradi- 
tionnels et  certains  usages  prévalurent.  Sur  le  tympan  du 
grand  portail  on  sculpta  un  Christ  de  majesté  assis  au 
milieu  d'une  gloire  en  amande  et  entouré  des  quatre  sym- 
boles des  Evangélistes  ;  au-dessous  du  Christ  on  plaça  les 
Apôtres  ou  les  vingt-quatre  vieillards  de  l'Apocalypse,  et 
quelquefois  dans  une  troisième  zone  la  scène  du  Jugement 
Dernier.  Les  statues  des  prophètes  et  des  saints,  ou  des 
bas-reliefs  allégoriques,  ornèrent  les  pieds-droits.  Sous  la 
forme  barbare  et  stylisée  de  ces  œuvres  on  découvre  quel- 
quefois un  accent  de  vérité  et  une  inspiration  naïve  qui 
sont  les  présages  d'un  bel  avenir.  Les  sculpteurs  du  xi* 
et  du  xii^  siècle  ont  surtout  traduit  en  pierre  les  symboles 
religieux,  allégoriques,  naturalistes,  dont  les  miniatures 
de  l'époque  carolingienne  leur  donnaient  les  modèles.  Les 
zodiaques,  les  fontaines  de  vie  entourées  de  tous  les  ani- 
maux de  la  citation,  les  calendriers,   les  représentations 

(i)  Traité  d'origine    alexandrine  qui  est   la   source  principale 
des  «  bestiaires  »  du  Mo^en  Age. 


LES    ÉGLISES    ROMANES  13 

allégoriques  de  l'Eglise  que  l'on  trouve  dans  la  sculpture 
romane,  procodent  de  celte  source. 

3.  Division  en  écoles  régionales.  —  Malgré  ces  condi- 
tions si  favorables  à  l'unité  de  l'art  roman,  la  nécessité 
de  se  plier  aux  conditions  locales  a  forcé  les  artistes  à 
créer  des  types  particuliers  d'églises  qui  forment  l'ex- 
pression originale  du  génie  de  chaque  province  ;  c'est 
dans  les  procédés  de  construction,  et  dans  la  décoration 
que  cette  liberté  apparaît.  Comme  nous  l'avons  vu,  les  li- 
mites qui  séparent  les  différentes  écoles  ne  sont  pas  fa- 
ciles à  déterminer  ;  cependant  un  certain  nombre  de  types 
ont  des  caractères  trop  accusés,  pour  que  leur  existence 
soit  mise  en  doute.  Il  y  a  une  école  normande,  dont  on 
retrouve  les  procédés  en  Angleterre  ;  une  école  bourgui- 
gnonne, qui  a  régné  jusque  dans  l'Italie  méridionale  ;  une 
école  auvergnate, dont  on  peut  suivre  la  trace  du  Rouergue 
à  Saint-Jacques  deCompostelle  ;  une  école  poitevine  ;  une 
école  du  sud-ouest  ;  une  école  provençale  ;  une  école 
lombarde  ;  des  écoles  allemandes.  D'autres  régions  au 
contraire,  placées  entre  des  écoles  très  puissantes,  ont  ac 
cepté  des  influences  diverses  ;  telles  sont  les  provinces  du 
Languedoc,  du  Limousin,  du  Velay,  du  Berry,  de  l'Ile  de- 
France  etc..  :  elles  forment  comme  des  transitions  entre 
les  écoles  originales. 


CHAPITRE  II 


LES  EGLISES  NORMANDES 


1.  Origines.  —  L'architecture  normande  apparaît  avec 
ses  caractères  originaux  sous  le  règne  de  Guillaume  le 
Conquérant.  Un  moine  lombard,  Lanfranc,  abbé  de 
Saint-Etienne  de  Caen,  puis  de  l'abbaye  du  Bec,  conseiller 
écouté  du  duc  Guillaume,  paraît  avoir  exercé  une  grande 
influence  sur  les  origines  de  cette  architecture  et  introduit 
en  Normandie  quelques  procédés  empruntés  à  l'architec- 
ture lombarde. 

2.  Les  abbayes  de  Caen.  —  Les  abbayes  de  Caen, 
Saint-Etienne.  (Abbaye  aux  hommes),  et  la  Sainte-Trinité, 
,'abbayeaux  Dames),  furent  fondées  par  Guillaume  le  Con- 
quérant et  la  reine  Malthide  pour  accomplir  la  pénitence 
canonique  que  leur  mariage  consanguin  leur  avait  attirée. 
Elles  furent  bâties  hors  de  la  ville  sur  des  terrains  libres  de 
tout  édifice  antérieur.  La  consécration  de  la  Trinité  eut  lieu 
en  1066,  celle  de  Saint-Etienne  en  1071.  La  Sainte-Trinité 
paraît  avoir  été  remaniée  et  même  reconstruite  à  la  fin  du 
XI- siècle  ;  au  monument  de  la  reine  Mathllde  n'appar- 
itieiinent  que  la  crypte,  les  murs  des  bas-côtés  et  les  par- 
tes inférieures  des  trois  tours.    Quoiqu'il  en  soit,  le  plan 


LES    EGLISES    ROMA.NES 


45 


de  cette  église  est  encore  celui  d'une  basilique  à  trois  nf^fs 
dont  les  piliers  tous  semblables  se  composent  d'une  pile 
rectangulaire  cantonnée  de  quatre  demi-colonnes.  Au- 
jourd'hui la  grande  nef  est  couverte  d'une  voûte  gothique 
construite  au  xn'  siècle  ;  à  l'origine  une  charpente  appa- 
rente la  surmontait;  ses  bas-côtés  ont  gardé  au  contraire 
leurs  voûtes  d'arête  du  xi°  siècle  qui  sont  contiguës  les 
unes  aux  autres,  sans  aucun  arc  doubleau  intermédiaire. 
Celte  manière  de  couvrir  les  églises  resta  le  procédé  favori 
des  architectes  normands  qui  se  contentèrent  de  voûter 
les  collatéraux,  mais  n'osèrent  appliquer  le  même  procédé 
à  la  nef  principale  avant  l'invention  de  la  voûte  sur  croi- 
sées d'ogives  ;  c'est  ce  qui  explique  d'ailleurs  les  dimen- 
sions importantes  en  hauteur  et  en  largeur  qu'ils  purent 
donner  dès  l'origine  à  leurs  églises. 

Ce  caractère  de  grandeur  est  encore  mieux  marqué  à 
Saint-Etienne  qui  constitue  l'édifice  le  plus  imposant  de 
l'école  normande  et  montre  une  des  premières  applications 
du  plan  lombard  en  Normandie.  Elle  a  ii5  mètres  de  lon- 
gueur, 2[\  mètres  de  hauteur.  Ses  nefs  sont  séparées  par  des 
piliers  différents  de  deux  en  deux  travées  :  les  uns  sont  de 
gros  supports,  sur  la  face  desquels  descendent  une  demi- 
colonne  et  deux  colonnettes  ;  les  autres  sont  de  courtes  co- 
lonnes, qui  reçoivent  sur  le  tailloir  de  leur  chapiteau  de 
simples  colonnettes.  L'origine  de  ce  plan  est  très  ancienne, 
et  1  on  trouve  en  Asie-Mineure  et  en  Syrie  des  basiliques 
à  supports  alternés.  En  Lombardie,  il  servait  à  couvrir 
l'édifice  d'immenses  voûtes  d'arêtes  sur  plan  carré  qui 
comprenaient  deux  travées  de  l'édifice.  Pai-  une  véritable 
inconséquence,  due  probablement  à  un  manque  d'audace, 
les  architectes  normands  l'appliquèrent  à  la  couverture  en 
charpente,  mais  avec  un  sens  pratique  des  plus  remar- 
quable.''ils  surent  l'adapter  à  sa  nouvelle  destination.  La 
couverture  primitive  de  Saint-Etienne  a  disparu  et  a  été 
rcinplacéc  au  xu'^  siècle  par  des  voûtes  sur  croisées  d'ogives, 


i8  LES    ÉGLISES    ROMANES 

mais  quelques  édifices  normands,   l'église  de  Cérisy-la- 
Forèt  par  exemple,  montrent  le  parti  qui  fut  adopté  :  de 
deux  en  deux  piliers  on  établit  un  arc  transversal  sur- 
monté d'un  pignon  qui  recevait  les  pannes  du  comble. 
Les  bas-côtés  furent  couverts  de  voûtes  d'arêtes  séparées 
par  des  arcs  doubleaux  ;  ils  supportent  un  étage  de  tribu- 
nes qui  s'ouvrent  sur  la  grande  nef  par  des  arcades  gémi- 
nées ;  au-dessus  sont  de  hautes  fenêtres  en  plein  cintre  re- 
liées entre  elles  par  un  passage  de  service  qui  fait  tout  le 
tour  de  l'édifice  ;  ce  parti  n'était  possible  que  dans  des 
églises  sans  voûtes  dont  on  ne  craignait  pas   d'évider   les 
murs.  Le  chœur  a  été  reconstruit  au  milieu  du  xni°   siè- 
cle ;  il  comprenait  autrefois  deux  travées  accompagnées  de 
bas-côté  et  terminées  par  une  simpleabside  en  hémicycle; 
l'absence  de  déambulatoire  est  en  effet  la  caractéristique 
des  églises  normandes.  Sur  les  deux  croisillons  du  tran- 
sept deux  absidioles  s'ouvrent  au  nord  et  à   la  croisée  se 
dresse  la  tour-lanterne  carrée  reconstruite  au  xvii'   siècle. 
La  façade  flanquée  de  deux  tours,  dont  les  belles  flèches 
datent  du  xvi°  siècle,  est  divisée  par  les  contreforts  de  ces 
tours  en  trois  travées  percées  chacune  d'une  porte  et  de 
deux  étages  de  fenêtres  ;   entre  les  deux  tours  la   grande 
nef  se  termine  par  un  pignon  ;  à  partir  de  ce  niveau  les 
tours  elles-mêmes  sont  divisées  en  trois  étages,  dont  les 
deux  premiers  sont  ornés  d'arcatures  aveugles  et  le  troi- 
sième de   deux   larges   arcades  à  jour,  subdivisées  elles- 
mêmes  par  une  colonnette  ;   des  cordons  de  billettes  or- 
nent les  deux  derniers  étages. 
-^  3.  Jumiéges.  —  L'église  principale  de  l'abbaye  mérovin- 
gienne de  Jumiéges  fut  reconstruite  au  cours  du  xi°  siècle 
et  consacrée  en  1067,  en  présence  de  Guillaume  le  Conqué- 
rant ;  elle  est  donc  contemporaine  des  abbayes   de   Caen 
et  suit  comme  Saint-Etienne  le  plan  lombard.  Cette  église 
n'oflTre  plus  aujourd'hui  que  des  ruines  imposantes,  mais 
qui  vont  en  se  dégradant  tous  les  jours  :    une  gravure  de 


LES    ÉGLISES    ROMANES  17 

i8fo  représente  les  deux  tours  de  sa  façade  surmontéesde 
flèches  ;  elles  ont  perdu  aujourd'hui  ce  couronnement, 
mais  l'on  voit  encore  leur  deux  étages  carrés  ornés  d'ar- 
caturcs,  surmontés  de  deux  autres  étages  de  forme  poly- 
gonale; entre  les  tours  s'ouvrait  un  large  porche  Comme 
à  Caen  la  grande  nef  se  terminait  à  l'extérieur  par  un  pi- 
gnon aigu  et,  au-dessus  des  deux  étages  de  fenêtres,  on 
avait  appliqué  au  mur  un  av«nt-corps  ou  brétèche  qui  ser- 
!  vait  à  la  défense. ''A  Fintérieur  les  trois  nefs  étaient  sépa- 
rées par  des  arca^ês^ui  reposaient  alternativement  sur  de 
gros  piliers  cylindriques,  et  sur  des  piles  cantonnées  de  co- 
lonnes dont  l'une  s'élevait  jusqu'au  comble  :  la  nef  cen- 
trale en  eiïet  était  couverte  en  charpente;  le  bas-côté  nord 
présente  encore  des  voûtes  d'arêtes  séparées  par  des  arcs- 
doubleaux.  Au-dessus  d'eux  s'étendaient  des  tribunes 
voulues  de  même,  qui  s'ouvraient  sur  la  grande  nef  par 
de  triples  arcades  que  séparaient  des  colonnettes.  Le  troi- 
sième étage  était  formé  par  des  fenêtres  hautes.  A  la  croi- 
sée du  transept  était  construite  une  tour-lanterne  dont  le 
mur  occidental  s'est  conservé  ;  elle  était  couverte  avant  le 
xvi"  siècle  d'une  flèche  de  plomb  d'une  hauteur  démesurée 
et  la  seule  maçonnerie  s'élevait  jusqu'à  4i  mètres  au-des- 
sus du  sol  ;  cette  tour-lanterne  à  jour  restera  même  à 
l'époque  gothique  un  des  plus  heureux  motifs  de  l'archi- 
tecture normande.  Le  chœur  avait  été  reconstruit  au 
xiii°  siècle. 

4.  Saint-Georges  de  Boscherville.  —  Dans  la  vallée  de  la 
Seine,  à  quelques  lieues  plus  haut  que  Jumièges,  l'abbaye 
de  Saint-Georges  de  Boscherville  fut  fondée  vers  io5o,  par 
Raoul  de  Tancarville,  chambellan  de  Guillaume  le  Con- 
quérant, mais  l'église  parvenue  jusqu'à  nous  présente  par 
sa  décoration  les  caractères  du  xii*  siècle  à  ses  débuts.  Les 
voûtes  actuelles  de  la  grande  nef  ont  succédé  au  xiii"  siècle 
à  une  charpente  que  soutenaient  de  véritables  fermes  de 
maçonnerie  qui  reposaient  sur  des  piliers  cantonnés  al- 

I  a 


18 


LES    EGLISES    ROMANES 


ternant  avec  des  colonnes  plus  basses.  Au-dessus  des  bas- 
cules s'ouvre  un  lilforium  composé  de  quatre  petites  ar- 
cades scpaiées  par  des  colonnettes,  et  les  hautes  fenêtres 
sont  reliées  entre  elles  par  un  passage  qui  fait  le  tour  de 
l'église.  Le  transept  pourvu  d'une  absidiole  à  chaque  croi- 
sillon, est  surmonté  à  ses  deux  extrémités  de  deux  larges 
tribunes  ouvertes  que  supportent  deux  gros  piliers  cylin- 
driques reliés  aux  murs  par  deux  belles  arcades.  Un  choeur 
rectangulaire  se  termine  par  une  abside  flanquée  de  deux 
absidioles  qui  font  suite  aux  bas-côtés.  A  l'extérieur  le 
transept  est  très  accusé  et  une  énorme  tour  carrée  le  sur- 
monte; la  façade  comprise  entre  deux  tourelles  d'angle  a 
la  noble  simplicité  de  celle  de  Saint-Etienne  de  Gaen.  Cette 
belle  église  est  avec  les  abbayes  de  Caen  un  des  restes  les 
plus  précieux  de  l'école  romane  de  Normandie. 

5.  L'ornementation.  —  Conformément  aux  traditions 
des  basiliques  carolingiennes  la  peinture  continua  à  être 
employée  au  xi'  et  au  \iv  siècle  pour  l'ornementation  des 
églises.  On  en  voit  encore  les  traces  sur  les  gros  chapiteaux 
sans  sculpture  de  Jumiègeset  à  Saint-Etienne  de  Caen.  Une 
petite  église  fondée  comme  Boscher- 
ville  par  Raoul  de  Tancarville  en 
io5o,  Saint-Jean  d'Abbetot  (Seine- 
Inférieure)  a  conservé  des  fragments 
curieux  de  sa  décoration  peinte  :  sur 
les  fûts  de  ses  colonnettes  descendent 
encore  des  bandes  multicolores  qui 
s'enroulent  à  la  base  et  les  tailloirs 
des  chapiteaux  sont  couverts  de  zig- 
zags et  de  perles  ;  un  Christ  de  ma- 
jesté entouré  des  apôtres  ornait  le 
chœur.  A  la  fin  du  xi"  siècle  cepen- 
dant la  décoration  architecturale  et 
sculptée  devient  prédominante.  Les  arcades  sont  compo- 
sées de  plusieurs  moulures  en  forme  de  tores   en   retrait 


Fig.  0. 


LES    ÉGLISES    ROMANES  19 

les  unes  sur  les  autres  ;  leur  extérieur  est  orné  de  sculp- 
tures en  méplat  qui  forment  de  gracieux  dessins  géomé- 
triques, le  méandre,  la  frette,  le  zigzag  etc..  (fig.  3).  Un 
motif  très  heureux  est  celui  des  arcades  entrecroisées  dont 
on  trouve  un  joli  exemple  dans  la  tribune  extérieure  de 
l'église  de  Broglie  (Eure).  Il  faut  y  ajouter  la  triple  baie 
composée  d'une  fenêtre  centrale,  accostée  de  deux  ouver- 
tures plus  petites.  Les  portails,  comme  ceux  de  Gaen  ou 
de  Boscherville,  présentent  une  ouverture  assez  profonde 
composée  d'arcades  en  retrait  supportées  par  des  colon- 
nettes.  Sauf  quelques  exceptions  les  tympans  n'offrent 
pas  les  riches  décorations  sculptées  qu'on  tiouve  dans  les 
autres  provinces  ;  ils  devaient  être  ornés  de  peintures.  Les 
panneaux  sculptés  sont  de  même  assez  rares  ;  les  façades 
sont  élégantes,  mais  sévères,  conformes  à  la  simplicité  de 
l'idéal  monastique  ;  elles  reflètent  l'austérité  des  réforma- 
teurs, des  Guillaume  de  Dijon  ou  des  Lanfranc. 

Le  talent  du    sculpteur  ne  trouvait   guère    en  réalité  à 
s'exercer  que  sur  les  chapiteaux  et  les  modillons.  Aux  cha- 
piteaux cubiques  analogues  à  ceux  de   Jumièges,  dépour- 
vus de  tout  ornement  et  destinés  à  être  peints, ont  succédé 
à  la  fin  du  xi°  siècle  des  types  plus  variés.  Tel  est  le  chapi- 
teau à  crosse  dérivé  du  chapiteau  composite,  dont  on  n'a 
gardé  que  les  volutes  pour   remplacer  le 
fleuron  central  par  une  console,  sur  la- 
quelle  on    asseoit   solidement    le    tailloir 
carré(/i2f.  4)- A  Saint-Georges  de  Boscher- 
ville apparaît  le    chapiteau  caractéristique 
de  l'école  normande,  le  chapiteau  à  go- 
drons,qui  serait  un  souvenir  des  construc- 
tions en  bois  très  répandues  en  Normandie  ;  Fig.  4. 
le  bas  de  la  corbeille   a  la   forme  d'une 
collerette  plissée.  D'autres  chapiteaux  sont  ornés  de  têles 
humaines   ou   de   véritables  scènes.    Un    grand   nombre 
d'autres  sont  formés  par  une  corbeille  de    vannerie   en 


20 


LES    EGLISES    ROMANES 


forme  d'entrelacs  analogues  aux  dessins  compliqués  de 
l'orfèvrerie  barbare  (fig.  5).  A  Texlérieur  des  édifices,  la 
corniche  était  supportée  par  une  sé- 
7  rie  de  consoles  engagées  dans  le  mur, 
les  modillons.  On  trouve  en  Nor- 
mandie comme  en  Auvergne  les  mo- 
dillons à  copeaux,  souvenir  visible 
de  l'architecture  en  bois,  mais  les 
plus  répandus  sont  les  modillons 
à  tète  plate  qui  servent  de  supports 
à  une  série  de  petites  arcades  ou 
bande  lombarde  {fig.  6). 

Les  sources  mêmes  où  les  artistes 
sont  allés  puiser  des  inspirations  prouvent  assez  que  la 
sculpture  n'avait  dans  les  églises  normandes  qu'un  rôle 

décoratif  d'un  caractère  ac- 

\     j'f^^     fT^.  cessoire.  L'inconographie  re- 

(^  ij     '^J  ligieuse   n'y   tient  presque 

aucune  place  ;  l'inspiration 

de  l'art  antique  semble  faire 


complètement  défaut.  Ce  sont  les  fibules  anglo-saxonnes, 
les  étoffes  persanes,  les  miniatures  irlandaises,  les  ivoires 
orientaux  qui  ont  donné  naissance  aux  dessins  compliquéset 
aux  animaux  fantastiques  de  la  sculpture  normande  ;  par 
la  voie  de  la  Russie  méridionale  un  véritable  courant  com- 
mercial s'était  établi  entre  l'Orient  et  les  pays  Scandinaves, 
avec  lesquels  les  Normands  étaient  i-estés  en  rapports.  Sur 
les  tympans  de  la  cathédrale  de  Bayeux,  sur  les  chapiteaux  de 
l'église  de  Gournay  en  Bray  on  trouve  une  variété  extra- 
ordinaire d'imbrications,  d'entrelacs,  d'animaux  adossés 
ou  entrelacés  à  plusieurs  tètes,  qui  mordent  des  monstres, 
ou  dont  la  queue  s'épanouit  en  touffe  de  feuillage  ;  à 
Bayeux  des  dragons  sculptés  semblent  copiés  sur  quelque 
étoffe  chinoise  ;  à  Boscherville  des  personnages  sortent  de 
grosses  tiges  enroulées  et,  de  l'autre   côté,  un   monstre  à 


LRS    Ér.LISES    ROMANES  21 

corps  d'oiseau  et  à  patles  de  quadrupède  s'apprête  à  dé- 
vorer un  homme.  Les  scènes  de  la  vie  familière  ont 
fourni  aux  sculpteurs  normands  des  personnages  grotes- 
ques, et  leur  ont  permis  de  déployer  leur  verve  mali- 
cieuse Cette  tendance  est  surtout  visible  dans  les  scul- 
ptures de  Boscherville  :  à  la  façade  on  voit  un  paysan  qui 
creuse  la  terre  en  face  d'un  chien  qui  tire  la  langue  ; 
sur  un  chapiteau  du  triforium  une  grenouille  se  pré- 
cipite la  tôle  en  bas  sur  l'astragale  entre  deux  feuilles 
perlées  terminées  en  volutes  ;  à  l'extérieur  de  Tab- 
side  un  ouvrier  monétaire,  à  la  tête  démesurée,  à  la 
longue  barbe  nattée,  s'apprête  à  frapper  une  pièce 
placée  sur  le  coin  et  lève  de  la  main  droite  un  maillet  de 
fer. 

6.  Expansion  de  l'école  normande.  —  Le  style  des  églises 
normandes  se  répandit  en  Angleterre  à  la  suite  de  la  con- 
quête de  1066,  et  y  atteignit  un  grand  développement. 
Les  églises  anglaises  furent  comme  celles  de  Normandie 
larges  et  spacieuses;  à  Waltham-Abbey  (fin  du  xi°  siècle) 
on  trouve  l'alternance  entre  les  gros  piliers  monocylin- 
driques et  les  piliers  cantonnés  ;  Peterborough  a  de  grands 
rapports  avec  Cérisy-la- Forêt,  l'église  de  Saint-Alban 
avec  celle  de  Boscherville.  Les  chœurs  sans  déambulatoires 
et  composés  souvent  de  plusieurs  absides  en  retrait  les 
unes  sur  les  autres,  les  tours-lanternes,  les  façades  flan- 
quées de  deux  clochers  sont  usités  en  Angleterre  comme 
en  Normandie.  Dans  les  Deux-Siciles  conquises  par  les 
Normands  à  la  fin  du  xi*  siècle,  on  ne  trouve  qu'une  seule 
église  qui  soit  une  imitaticn  directe  d'un  édifice  normand, 
c'est  Saint-Nicolas  de  Bari  dont  la  construction  peut  se 
placer  entre  1089-1  io5  ;  sa  façade  rappelle  cellede  Saint- 
Etienne  de  Caen,  tandis  que  la  nef  couverte  en  charpentes 
et  surmontée  de  tribunes  que  soutenaient  des  colonnes 
antiques  alternant  avec  des  piliers  cantonnés,  ressemble 
beaucoup  à  celle   de  Jumièges.   Le  type  Saint-Nicolas  fut 


22  LES    ÉGLISES    ROMANES 

imilé  au  xii°  siècle  à  la   calhoJrale  de  Bari  et  à  l'église  de 
Barletta. 


Bibliographie.  Riiprichl  Robert.  L'architecture  Normande.  Paris 
s.  d.  2  vol.  —  deCaumont.  Statistique  monumentale  du  Calva- 
dos, —  Abbé  Cochet.  Répertoire  archéologique  des  églises  du  dé- 
partement de  la  Seine-Infé.'"ieure,  Paris,  187 1.  —  Besnard.  Mo- 
nographie de  l'église  et  de  l'abbaye  Saint-Martin  de  Boscher- 
ville,  Paris,  1899.  —  Bertaax.  L'art  dans  l'Italie  méridionale. 
Paris,  igoS, 


CHAPITRE  III 


LES  EGLISES   BOURGUIGNONNES 


1.  Origines.  —  Comme  en  Normandie  on  trouve  un 
Lombard,  Guillaume  né  à  Novare,  abbé  de  Saint-Béni- 
gue  de  Dijon  en  996,  aux  origines  de  Tarcbitecture  bour- 
guignonne. Guillaume  avait  amené  avec  lui  une  véritable 
colonie  de  moines  lombards  et  ce  fut  l'un  deux,  Hunald, 
qui  construisit  sur  ses  plans,  la  fameuse  rotonde  de  Saint- 
Bénigne, à  trois  étages  surmontés  d'une  coupole  octogonale, 
et  ornée  à  l'intérieur  de  trois  rangs  de  colonnes  ;  ce  curieux 
édifice,  encore  intact  au  xvni"  siècle,  fut  détruit  sous  la  Ré- 
volution. A  la  suite  de  cette  contruction  s'élevèrent  au 
xi''  siècle  les  grandes  églises  bourguignonnes,  Saint-Phi- 
libert de  Tournus,  Cluny,  Autun,  Beaune,  la  Madeleine 
de  Vézelay,  Paray-le-Monial,  Langres  etc..  Mais  tandis 
qu'en  Normandie  les  architectes  avaient  conservé  la  char- 
pente pour  couvrir  la  nef  centrale,  les  Bourguignons  ont 
trouvé  dès  le  xi®  siècle  un  système  original  de  voûtes  qui 
abrite  toutes  les  parties  de  l'église. 

2.  Saint  Philibert  de  Tournus.  —  L'abbaye  de  Tournus 
(Saône-et-Loire)  fut  colonisée  en  875  par  des  moines  de 
Noirmouliers,  chassés  par  les  Normands,  qui,  après  avoir 


2i  LES    ÉGLISES    ROMANES 

séjourné  à  Soint-Pourçain,  en  Auvergne,  apportèrent  en 
Bourgogne  le  corps  de  Saint-Philibert.  L'église  actuelle, 
une  des  plus  anciennes  églises  bourguignonnes,  comprend 
des  parties  d'époques  très  différentes.  De  l'église  construite 
à  la  suite  de  la  destruction  du  monastère  par  les  Hongrois, 
et  incendiée  en  1066,  ne  subsiste  plus  que  le  narthex,  cons- 
truction lourde  et  massive  divisée  en  trois  nefs  par  quatre 
énormes  piliers  qui  supportent  des  voûtes  basses,  sous  les- 
quelles la  lumière  pénètre  à  peine  par  des  fenêtres,  étroites 
comme  des  archères  ;  la  partie  centrale  est  couverte  par 
trois  voûtes  d'arêtes,  que  séparent  des  arcs  doubleaux  ; 
les  deux  collatéraux,  par  une  disposition  très  rare,  sont  sur- 
montéesde  berceaux  transversaux  en  plein  cintre  ;  l'appareil 
est  formé  de  petits  moellons  réguliers  ;  l'ornementation  est 
nulle,  les  piliers  n'ont  même  pas  de  base  ;  un  étage  voûté 
en  berceau  surmonte  cette  ancienne  église.  La  façade 
comprise  entre  deux  tours  offre  d'ailleurs  la  même  austé- 
rité ;  elle  n'a  d'autres  ornements  que  des  bandes  lom- 
bardes et  deux  lignes  de  zigzags  à  la  naissance  des  tours. 
Cette  façade  sans  contreforts  et  le  premier  étage  du  nar- 
thex remonteraient  à  la  première  partie  du  xi' siècle.  C'est 
à  cette  époque,  en  loig.que  fut  consacrée  l'église  actuelle, 
reconstruite  après  l'incendie  par  l'abbé  Bcrnier.  A  celte 
période  appartiennent  les  trois  nefs  séparées  par  deux  ran- 
gées de  cinq  piliers  cylindriques  ;  les  voûtes  seraient  seu- 
lement de  la  fin  du  xi*  siècle.  Celle  de  la  grande  nef  offre 
la  même  forme  de  berceau  transversal  ;  les  bas-côtés  sont 
couverts  de  voûtes  d'arêtes  séparées  par  des  arcs  doubleaux 
et  très  élevées.  Le  transept,  à  cause  de  son  appareil  et  de  son 
ornementation  plus  soignée,  semble  contemporain  de  l'abbé 
Pierre  I  (1066-1 107)  ;  à  la  croisée  s'élève  sur  quatre  arcades 
une  tour-lanterne  couverte  d'une  coupole  sur  trompes.  Le 
chœur  présente  une  disposition  inconnue  en  Normandie, 
le  déambulatoire,  sur  lequel  s'ouvrent  trois  absidioles  rec- 
tangulaires ;  l'abside  principale  voûtée  en  cul-de-four  est 


LES    En  LISES    ROMANES  25 

supporlce  par  six  grosses  colonnes,  que  surmonte  un  étage 
de  fcnclrcs  richement  ornées  ;  ce  chœur  fut  consacré  par 
le  papcCalixle  II  en  1120.  Au-dessous  s'étend  une  crypte 
pourvue  aussi  d'un  déambulatoire  et  de  chapelles  rayon- 
nantes. 

3.  Clany.  —  Tournus  ofTre  déjà  les  principales  dis- 
positions adoptées  par  l'école  de  Bourgogne,  mais  le  chef- 
d'œuvre  de  cette  école  devait  être  la  grande  église  abba- 
tiale de  Cluny,  commencée  en  1089  et  achevée  en  it3i, 
année  de  sa  consécration.  Les  architectes  étaient  deux 
moines  de  l'abbaye,  Gauzon,  auteur  du  plan,  plus  tard  abbé 
de  Bcaune  et  le  flamand  Hézelon.  Par  ses  dimensions 
qui  en  faisaient  l'église  la  plus  grande  de  la  chrétienté  et 
égalaient  presque  celles  de  l'église  actuelle  de  Saint-Pierre 
de  Rome,  la  basilique  de  Cluny  était  le  symbole  de  la 
puissance  de  l'oi'dre  réformateur  dont  les  colonies  cou- 
vraient toute  l'Europe.  Elle  avait  171  mètres  de  longueur. 
4o  mètres  de  largeur,  45  mètres  de  hauteur.  Son  plan, 
unique  au  Moyen  Age,  était  celui  d'une  croix  archiépis- 
copale à  double  traverse.  Après  avoir  franchi  un  premier 
portique  surmonté  d'une  élégante  arcature  copiée  sur  celle 
de  la  porte  romaine  d'Autun,  on  accédait  par  un  vaste 
perron  au  grand  portail  surmonté  d'une  rose  et  compris 
entre  deux  tours  carrées,  dites  de  Barrabaus.  Le  narthex, 
était  a  lui  seul  grand  comme  une  église,  longue  de  87 
mètres,  large  de  27  mètres,  haute  de  /lO  mètres,  pourvue 
de  trois  nefs  et  de  trois  étages.  Un  nouveau  portail  orné 
de  huit  colonnettes  et  de  bas-reliefs  formait  l'entrée  de  la 
grande  église,  divisée  en  cinq  nefs,  barrée  par  deux  tran- 
septs, terminée  par  une  absides  circulaire,  couverte  de  68 
colonnes,  éclairée  par  3oo  fenêtres.  Le  rond-point  du 
chœur  était  séparé  du  déambulatoire  par  des  colonnes  de 
marbre  précieux  venu  de  Grèce  ;  sur  ce  déambulatoire 
s'ouvraient  5  chapelles  absidales  ;  le  petit  transept  était 
interrompu  par  5    chapelles   analogue  s  de  formes  diverses 


26  LES   ÉGLISES   ROMANES 

le  grand  transept  en  avait  deux  à  chaque  croisillon.  Le  ber- 
ceau qui  couvrait  la  grande  nef  était  interrompu  par  des 
arcs  doubleaux  ;  la  toiture  reposait  directement  sur  les 
voûtes  sans  1  intermédiaire  d'un  comble.  Enfin  une  tour- 
lanterne  s'élevait  à  la  croisée  de  chacun  des  transepts  et  le 
gros  clocher  quadrangulaire  du  grand  transept  était  flan- 
qué de  deux  autres  tours,  dont  celle  du  midi,  dite  de 
l'eau  bénite,  subsiste  encore.  A  part  ce  débri  en  effet,  ce 
vénéi'able  monument  n'est  plus  c^u'un  souvenir  ;  il  était 
encore  •*  peu  près  intact  en  1800,  mais  il  fut  alors  livré 
à  des  spéculateurs  qui  le  dépecèrent  pour  en  vendre  les 
matériaux. 

l\-  Caractères  de  ï école  de  Bourgocjne.  —  L'abbatiale 
de  Gluny  devait  rester  un  monument  unique,  mais  sa 
construction  eut  pour  conséquence  de  dégager  les  règles 
suivies  par  les  architectes  bourguignons.  Avec  une  vé- 
ritable hardiesse,  ils  surélevèrent  le  berceau  central  afin 
de  pouvoir  éclairer  la  grar:de  nef  par  des  fenêtres  ;  les 
bas-côtés  qui  contrebutcnt  la  nef  centrale  sont  seulement 
voûtés  d'arêtes  et  de  faible  hauteur,  mais  leur  voûte  étant 
abritée  sous  un  comble,  on  a  pu  ménager  sous  l'appentis 
un  triforium  qui  s'ouvre  sur  la  grande  nef  par  des  arcades 
ai^alogucs  à  celles  de  la  porte  d'Autun.  A  la  Madeleine  de 
Vézelay,  la  voûte  d'arête  est  employée  pour  la  nef  cen- 
trale. Entln  vers  iioo,  afin  de  pouvoir  construire  des 
voûtes  plus  hautes  et  de  diminuer  la  poussée,  on  adopta 
la  forme  du  berceau  brisé  non  seulement  pour  la  voûte, 
mais  même  pour  les  arcades  placées  entre  les  nefs;  la  lar- 
geur de  ces  arcades  fut  diminuée  eton  eutdespilicrsmoins 
massifs  et  plus  élégants  presque  toujours  Cî...,,elcs.  La  cou- 
pole sur  trompes,  à  l'inlertranscpt,  et  le  chœur  en  déambu- 
latoire, sur  lequel  s'ouvrent  des  absidioles,  caractérisent 
aussi  l'école  bourguignonne. 

5.  Décoration.  —  Enfin  la  Bourgogne  a  été  le  centre 
d'une  des  principales  écoles  de  sculpture  romane  :  peu 


LES    ÉGl.lSKS    nOMANES  27 

dV'gliscs  du  xu*^  siècle  ollrenl  une  décoration  aussi  riche, 
des  profils  aussi  purs,  des  moulures  aussi  fines  que  les 
églises  de  Bourgogne.  L'inllucnce  des  monuments  an- 
tiques, dont  les  vesliges  couvraient  la  province,  est  visible, 
mais  il  faut  signaler  aussi  la  distance  extraordinaire  qui 
sépare  la  sculpture  purement  ornementale  de  la  sculpture 
animée  :  autant  l'une  est  voisine  de  la  perfection,  autant 
l'autre  est  encore  barbare  et  maladroite.  Ce  contraste 
éclate  dans  les  admirables  portails  de  Saint-Lazare  d'Au- 
tun,  de  la  Madeleine  de  Vézelay,  de  Saint-Lazare  d'Avallon, 
du  prieuré  de  Charlieu  qui  sont  les  plus  beaux  spécimens 
de  l'art  bourguignon  du  xu''  siècle.  Ces  portails  se  com- 
posent de  profondes  voussures  en  retrait  les  unes  sur  les 
autres,  dont  chacune  repose  sur  des  pieds-droits  et  des  co- 
lonnettes,  par  l'intermédiaire  d'une  corniche  qui  épouse  la 
forme  des  divers  ressauts.  Une  ornementation  toute  an- 
tique couvre  les  pieds-droits,  les  pilastres,  les  chapiteaux 
des  colonnettes,  les  archivoltes.  A  Saint-Lazare  d'Avallon 
on  a  ainsi  quatre  archivoltes  formées  d'enroulements,  et 
de  rosaces  que  séparent  des  cordons  da. méandres,  de  rin- 
ceaux et  de  l'osettes  ;  les  colonnettes  ont  des  chapiteaux 
corinthiens  et  des  fûts  tantôt  droits,  tantôt  de  forme  torse, 
tantôt  unis,  tantôt  ornés  d'une  véritable  orfèvrerie  de 
pierres  :  leurs  bases  ne  sont  pas  moins  décorées  et  reposent 
sur  une  grosse  moulure  que  supportent  des  animaux  fan- 
tastiques posés  eux-mêmes  sur  des  pilastres  carrés  déco- 
rés de  nattes  et  de  rinceaux.  Le  portail  de  Charlieu  est 
encadré  de  deux  pilastres  ornés  de  grecques  et  de  galons 
perlés  qui  rejoignent  une  bande  lombarde  ;  les  colonnettes 
qui  portent  l'archivolte  sont  entourées  de  bagues. 

Sur  les  linteaux  et  les  tvmpans  de  ces  portes  au  con- 
traire, sont  sculptés  en  faible  relief  les  sujets  de  l'icoffo- 
graphie  religieuse.  Tels  sont  les  Jugements  Derniers  de 
Saint-Lazare  d'Autun  et  de  la  Madeleine  de  Vézelay.  Un 
Christ  de  proportions  colossales,  la  tête  entourée  du  nimbe 


20  LES    ÉGLISES    ROMANES 

crucifère,  apparaît  dans  une  gloire  elliptique.  A  Autun, 
saint  Pierre  et  les  élus  sont  à  droite,  les  damnés  à  sa 
gauche.  A  Vézelay,  il  est  entouré  des  apôtres  et  sur  le 
linteau  sont  deux  processions  de  signification  obscure  ; 
tous  les  personnages  sont  de  courtes  figurines  en  propor- 
tion du  Christ. 

6.  La  réforme  de  Citeaux.  —  La  richesse  décorative  des 
églises  monastiques  de  Bourgogne  trouva  un  adversaire 
résolu  dans  saint  Bernard  (lOQi-iiS^),  le  fondateur  de 
l'ordre  des  Cisterciens.  Dans  ses  ouvrages  il  s'élève  non 
seulement  contre  le  luxe  du  mobilier,  mais  aussi  contre  la 
sculpture  qui  couvre  l'église  d'animaux  fantastiques. 
Sous  son  influence  se  forma  en  Bourgogne  le  type  des 
églises  cisterciennes  qui  devait  se  répandre  dans  toute  la 
chrétienté.  Toute  ornementation  peinte  ou  sculptée  était 
proscrite  en  principe  ;  les  tours  en  pierre  devaient  être 
remplacées  par  une  modeste  lanterne  en  bois  à  la  croisée 
du  transept.  L'avenir  de  l'art  chrétien  entier  eût  été  com- 
promis si  les  cisterciens  en  adoptant  le  style  gothique 
n'avaient  trouvé  des  tempéraments  à  cette  austérité. 

7.  U expansion  du  style  bourguignon,  —  Les  grands 
mouvements  monastiques  qui  eurent  leur  point  de  départ 
à  Cluny,  à  Clairvaux  ou  à  Citeaux  eurent  pour  résultat 
l'introduction  de  l'architecture  bourguignonne  dans  les 
pays  les  plus  divers.  Dans  l'Italie  méridionale  M.  Bertaux 
a  reconnu  le  plan  et  le  style  bourguignon  à  la  cathédrale 
d'Acerenza,  à  la  Sainte-Trinité  de  Venosa,  etc.;  plu- 
sieurs portails  à  l'ébrasement  profond,  aux  archivoltes 
ornées  de  rosaces,  et  supportés  par  des  colonneltes  torses 
ou  des  pilastres  offrent  de  grandes  analogies  avec  le  por- 
tail d'Avallon.  En  Espagne,  où  les  moines  de  Cluny  ont 
fondé  25  prieurés  et  occupé  un  moment  tous  les  sièges 
épiscopaux,  des  cathédrales  comme  celles  de  Siguenza  et 
de  Lugo  (xii"  siècle)  rappellent  les  dispositions  de  Saint- 
Lazare  d'Autun.  L'église  Saint-Vincent  d'Avila  dont    le 


LES    EGLISES    ROMA>ES  29 

chevet  est  auvergnat  a  des  nefs  voùlées  à  la  mode  bour- 
guignonne, dont  li)  trlforium  rappelle  Vézciay,  et  une 
façade  flanquée  de  deux  tours  massives  analogues  à  celles 
d'Autun  ;  le  grand  portail  est  digne  de  celui  d'Avallon. 
En  lin  l'arcliitectui-e  cistercienne  a  étendu  sur  toute  l'Eu- 
rope son  uniformité  :  son  monument  le  plus  septentrio- 
nal, l'église  d'Alvastra  (Suède)  et  son  monument  le  plus 
méridonial,  Saint-Nicolas  de  Girgenti  (Sicile)  sont  presque 
semblables  et  procèdent  d'un  type  commun  qui  est  Fon- 
tenay  près  de  Montbard. 

Bibliographie.  —  Foisset,  l'architecture  romane  en  Bourgogne 
(Commission  des  Antiquités  de  la  Côte-d'Or,  vi).  — Klcinclaus:. 
L'art  roman  en  Bourgogne  (Revue  bourguignonne  de  l'Ensei- 
gnement supérieur  1899).  —  Virey.  L'architecture  romane 
dans  lancien  diocèse  de  Màcon,  i893.  —  Vircy.  Les  dates  de  la 
construction  de  Saint-Philibert  de  Tournus.  (Bulletin  monu- 
mental igoS).  — Eiilarl.  L'architecture  gothique  en  Italie.  — 
Berlaux.  L'art  dans  l'Italie  mcridoniale.  Paris  igoa. 


CHAPITRE  IV 


LES    EGLISES    AUYEnG^ATlCS 


I.  Or'ujines.  —  L'architecture  auvergnate  apparaît 
au  xi'  siècle  toute  formée  avec  des  caractères  qui  lui  sont 
propres  et  un  système  original  de  construction.  L'incerti- 
tude la  plus  grande  règne  sur  ses  origines  ;  certains  dé- 
tails cependant  tels  que  l'emploi  de  l'arc  en  fer  à  cheval 
ou  celui  de  la  coupole  sur  trompe,  que  nous  avons  trouvée 
aussi  en  Bourgogne,  semblent  indiquer  des  influences 
orientales.  La  tradition,  d'après  laquelle  les  moines  de  la 
Chaise-Dieu  auraient  inventé  les  procédés  de  l'architecture 
auvergnate,  paraît  aujourd'hui  fausse  ;  ses  éléments  ont 
dû  se  constituer  peu  à  peu.  Près  de  Clermont  l'église  de 
Chamalières  offre  encore,  sous  ses  remaniements  du  xir  et 
du  xvu®  siècles,  le  plan  d'une  basilique  carolingienne  dont 
la  grande  nef,  couverte  d'une  charpente  à  l'origine,  était 
séparée  par  de  gros  piliers  carrés  de  bas-côtés  voûtés  d'arête  : 
un  narthex  étroit  était  relié  à  la  nef  par  trois  arcs  en  fer 
à  cheval  reposant  sur  une  colonne  antique  sciée  en  deux 
par  l'intermédiaire  de  lourds  chapiteaux  sculptés  à  la 
virole  ;  trois  absides  terminaient  les  trois  nefs.  Sous  le 
chœur  de  la  cathédrale  actuelle  de  Clermont,  on  a  retrouve 


LES    ÉGMSES    ROMANES  3i 

les  restes  de  i'éJilice  consacré  en  q'jG  par  l'évêque 
Etienne  II  ;  il  se  terminait  comme  les  églises  d'Auvergne 
par  un  chœur  entouré  d'un  déambulatoire  sur  lequel 
s'ouvraient  quatre  absidioles.  Enfin  la  petite  église  de 
Glaine-Montaigut  paraît  être  l'exemple  le  plus  archaïque 
que  l'on  possède  d'une  église  dont  la  nef  centrale  est 
voûtée  d'un  berceau  unique,  tandis  que  les  voûtes  des 
collatéraux  présentent  cette  disposition  originale  du  quart 
de  cercle  qui  forme  comme  un  arc-boutant  continu  entre 
la  voûte  centrale  et  les  murs  extérieurs  ;  à  la  croisée  du 
transept  est  posée  une  petite  coupole.  Ce  sont  là  quelques- 
uns  des  procédés  de  l'école  auvergnate  ;  malheureusement 
pour  faire  de  cette  église  le  t\pc  précurseur  des  églises 
d'Auvergne,  il  faudrait  connaître  la  date  de  sa  construc- 
tion, car  la  maladresse  peut  se  confondre  quelquefois  avec 
l'archaïsme. 

2.  Notre-Dame  du  Port.  — L'église  ?Sotre-Dame  du  Port 
à  Clermont,  construite  dans  la  deuxième  moitié  du 
xi"  siècle  présente  le  premier  exemple  d'une  église  bâtie 
entièrement  suivant  la  formule  auvergnate.  Le  plan  est 
celui  de  la  croix  latine.  L'église  est  précédée  à  l'ouest 
d'un  narlhex  surmonté  d'une  tribune  qui  communique 
avec  l'église  par  trois  arcades.  Les  trois  nefs  sont  séparées 
par  des  arcades  que  supportent  des  piliers  alternativement 
ronds  et  rectangulaires,  les  premiers  cantonnés  de  quatre, 
les  seconds  de  trois  colonnes.  Les  bas-côtés  sont  couverts 
de  voûtes  d'arêtes  séparées  en  compartiments  par  des  arcs 
doubleaux  qui  retombent  sur  une  petite  corniche  sup- 
portée par  des  pilastres  appuyés  aux  murs  extérieurs.  La 
nef  centrale  est  voûtée  par  un  berceau  continu  que 
viennent  contrebuter  à  sa  naissance  les  voûtes  en  quart  de 
cercle  des  tribunes  qui  surmontent  les  bas-côtés  {fuj.  7)  ; 
c'est  là  un  perfectionnement  du  procédé  appliqué  à  Glaine- 
Montaigut.  Ces  tribunes  ont  jour  sur  la  grande  nef  par  de 
jolies  arcades  en  forme  de  ti'èfles   que  supportent  d'clé- 


32 


LES    EGLISES    ROMA.NES 


gantes  colonneltes  ;  les   arcades   sont   groupées   trois  par 
trois  entre  chaque  travée. 

Le  transept  se  compose   de   deux   croisillons  \oûtés  en 

berceau,  perpendiculai- 
res à  l'axe  des  nefs  et 
de  l'inlertransept.  Les 
murs  sont  interrompus 
à  l'est  par  deux  petites 
absides  voûtées  en  cul- 
de-four.  Les  murs  nord 
et  sud  éclairés  chacun 
par  trois  fenêtres  sont  en 
outre  décorés  de  trois 
arcs  aveugles,  composes 
d'un  arc  en  mitre  accosté 
de  deux  arcs  en  plein 
cintre;  la  forme  de  l'arc 
en  mitre  se  retrouve  au 
temple  Saint-Jean  de 
Poitiers.  La  croisée  du 
transept  est  surmontée 
d'une  coupole  sur  trom- 
pes appuyée  sur  qua- 
tre grands  arcs  ;  les 
trompes  sont  formées  de 
petits  arcs  qui  reposent 
sur  des  corbeaux  :  c'est 
le  procédé  que  l'on 
trouve  dans  les  églises  asiatiques  ou  égyptienne  du 
iv«  siècle.  En  outre,  au  nord  et  au  sud  la  coupole  est 
contrebutée  par  une  haute  voûte  en  quart  de  cercle  qui 
forme  à  l'extérieur  un  massif  d'aspect  assez  lourd. 

Le  chœur  élevé  de  plusieurs  marches  au-dessus  de  la 
crypte  se  compose  d'un  rond  point  central  déterminé  par 
un  hémicycle  de  sept  arcades  supportées   par   des  piliers 


LES    ÉGLISES    ROMANES  33 

cylindriques  ;  il  est  voûté  en  cul-de-four  et  éclairé  par  un 
étage  de  fenêtres  ;  autour  de  lui  règne  un  déambulatoire 
flanqué  de  quatre  absidioles  que  séparent  des  fenêtres  ; 
il  est  couvert  d'une  série  de  voûtes  d'arêtes  habilement 
disposées.  Ainsi  dans  son  ensemble  l'église  n'est  éclairée 
que  par  les  fenêtres  des  bas-côtés,  du  transept  et  du 
sanctuaire  :  la  grande  nef  est  complètement  aveugle  ;  la 
fenêtre  qui  s'ouvre  dans  l'axe  de  l'église  et  que  l'on  devrait 
apercevoir  à  travers  l'arcade  centrale  du  rond-point,  est 
masquée  aujourd'hui  par  le  grand  orgue. 

Au-dessous  du  chœur  s'étend  une  crypte  à  laquelle  on 
accède  par  deux  escaliers  ouverts  primitivement  dans  les 
bras  du  transept  :  elle  reproduit  le  plan  du  sanctuaire  et 
ses  voûtes  sont  supportées  par  de  gros  piliers  cylindriques 
aux  chapiteaux  dépourvus  d'ornements  ;  un  puits  s'ouvre 
au  milieu. 

L'extérieur  de  l'église  est  mal  dégagé  ;  la  façade  occiden- 
tale a  été  complètement  restaurée  ;  celle  du  nord  est  en- 
clavée entre  des  maisons  ;  celle  du  sud  est  la  plus  intéres- 
sante. Elle  est  interrompue  par  des  contreforts  droits  reliés 
ensemble  par  des  arcs  qui  leur  donnent  plus  de  rigidité  et 
servent  à  l'ornementation.  L'entrée  est  formée  par  un 
portail  rectangulaire  dont  le  linteau  supporte  un  tympan 
triangulaire  qui  semble  être  un  souvenir  de  l'architecture 
antique.  La  corniche  qui  termine  la  toiture  est  soutenue 
par  des  modillons  à  enroulements  ou  à  copeaux  qui  sont 
une  des  caractéristiques  de  l'art  auvergnat.  Les  absides  et 
absidioles  qui  forment  le  chevet  sont  la  partie  la  plus  ornée  ; 
des  colonnes  engagées  servent  de  contreforts  ;  la  toiture  de 
chaque  abside  est  indépendante  ;  il  y  a  donc  un  étagement 
successif  qui  va  du  toit  des  chapelles  rayonnantes  à  celui 
du  rond  point  et  qui  produit  le  plus  heureux  effet.  La 
partie  haute  des  murs  est  ornée  de  pierres  multicolores  et 
d'incrustations  de  briques  qui  dessinent  des  étoiles  ou  des 
damiers.  A  la  croisée  du  transept  s'élève  un  clocher  poly- 
I 


34  LES    ÉGLISES    ROMV>'ES 

gonal  moderne,  bâli  suivant  la  tradition  de  l'école  auver- 
gnate. 

3.  Principales  églises  d^ Auvergne.  —  Sur  le  modèle  de 
Notre-Dame  du  Port  s'élevèrent  au  xi®  et  surtout  au  xii* 
siècle  les  grandes  églises  d'Auvergne  ;  Saint-Paul  d'Issoire, 
(autrefois  Saint-Austremoine),  dont  les  nefs  sont  plus  spa- 
cieuses que  celles  de  l'église  de  Glermont  ;  Orcival,  dont  le 
berceau  central  est  coupé  par  un  arc  doubleau,  et  qui  pos- 
sède la  plus  belle  crypte  de  l'école  auvergnate  ;  Saint-Genès 
de  Thiers  ;  Saint-Amable  de  Riom  où  l'on  a  adopté  le  ber- 
ceau brisé  pour  le  tracé  de  la  voûte  ;  Saint-Nectaire  avec 
ses  deux  tours  carrées  de  façade  et  ses  gros  piliers  cylin- 
driques aux  chapiteaux  couverts  de  larges  feuilles  ;  Enne- 
zat  qui  a  conservé  sa  nef  romane  ;  Saint-Julien  de  Brioude; 
Ghauriat,  remarquable  par  la  variété  des  dessins  poly- 
chromes qui  couvrent  ses  murs  ;  Saint-Saturnin  où  le 
rond-point  n'est  plus  flanqué  de  chapelles  rayonnantes. 

Toutes  ces  églises  sont  bâties  en  bel  appareil  avec  une 
sorte  de  grès  du  pays,  l'arkose  qui  présente  des  tons  dorés  ; 
la  lave  ne  fut  employée  pour  les  édifices  qu'au  xni"  siècle. 
L'église  si  pittoresque  de  Royat  mérite  une  place  à  part 
au  milieu  de  ces  monuments  ;  c'est  un  véritable  château 
fort  dont  les  murs  percés  d'étroites  ouvertures  sont  cou- 
ronnés de  créneaux  et  de  mâchicoulis  ;  elle  a  la  forme 
d'une  croix,  mais  ne  comporte  à  l'intérieur  qu'une  nef 
unique  couverte  d'un  berceau  (i). 

4.  Ornementation.  —  La  peinture  a  probablement  tenu 
une  grande  place  dans  l'ornementation  intérieure  des 
églises  :  comme  nous  l'avons  vu  l'ornementation  archi- 
tecturale et  la  sculpture  sont  au  contraire  d'une  grande  so- 
briété. La  sculpture  tient  peu  de  place  sur  les  façadei  qui 

(i)  Le  style  roman  se  perpétua  en  Auvergne  jusqu'à  la  fin  du 
iii"^  siècle  ;  l'église  de  Montpensier  construite  après  itgS  est 
encore  bâtie  sur  le  modèle  de  iNotre-Darae  du  Port. 


LES    ÉGLISES    ROMANES  35 

sont  loin  de  présenter  la  richesse  des  églises  bourgui- 
gnonnes. Au  portail  méridional  de  Notre-Dame  du  Port 
deux  longues  statues  d'isaïe  et  de  saint  Jean-Baptiste 
ornent  les  pieds-droits  ;  sur  le  linteau  on  voit  l'adoration, 
des  Mages,  la  Présentation  au  Temple  et  le  Baptême  du 
Christ,  au  tympan  un  Christ  de  majesté  entouré  des  sym- 
boles des  évangélistes.  Sur  le  portail  nord  d'Issoire  est  fi- 
gurée une  Multiplication  des  pains  d'aspect  barbare,  et  un 
zodiaque  orne  les  absidioles  à  l'extérieur.  Les  plus  belle» 
sculptures  se  rencontrent  sur  les  chapiteaux  :  les  uns  sont 
imités  des  chapiteaux  composites  ou  corinthiens  ;  les  feuille» 
d'acanthe  sont  souvent  traitées  avec  une  grande  finesse  et 
laissent  parfois  sortir  de  leurs  touffes  des  figures  humaines  ; 
d'autres  sont  ornées  de  fruits,  raisins, pommes  de  pin  ;  sur 
d'autres  enfin  sont  sculptés  des  monstres,  des  animaux: 
affrontés,  griffons  buvant  dans  un  calice,  centaures  ou  de 
véritables  scènes.  Les  chapiteaux  des  chœurs  de  Notre- 
Dame  du  Port  et  d'îssoire  sont  consacrés  à  des  sujets  évan- 
géliques  ou  bibliques,  A  Issoire  et  à  Chauriat,  par  une 
disposition  naïve,  la  table  où  le  Christ  célèbre  la  Cène  se 
déroule  autour  de  la  corbeille  du  chapiteau.  A  Notre-Dame 
du  Port  sont  représentés  les  combats  des  vertus  et  des 
vices  personnifiés  sous  la  forme  de  chevaliers  vêtus  du 
haubert  du  xu'  siècle.  A  l'extérieur  de  l'abside  de  Gannat 
la  Nativité  est  représentée  sur  un  chapiteau  extérieur  de 
l'abside.  A  Ennezat  l'artiste  a  montré  le  châtiment  de 
l'avare.  A  Mozac  domine  la  faune  fantastique.  Enfin  à  la 
sculpture  auvergnate  appartiennent  les  statues  de  bois  de» 
Vierges  assises  sur  des  trônes  et  tenant  l'Enfant  sur  leurs 
genoux  ;  leur  fracture  est  en  g  énéral  barbare,  les  plis  de 
leurs  vêtements  sommaires,  leurs  visages  dépourvus  d'ex- 
pressions. 

5.  Les  églises  du  Cantal.  —  Les  églises  du  Cantal  for- 
ment au  milieu  de  l'école  auvergnate  un  groupe  particu- 
lier qui  a  subi  dans  une  certaine  mesure  des  influences 


36  IBS    ÉGLISliS    ROSACES 

extérieures.  L'église  de  Notre-Dame  desMiracles  à  Mauriac, 
celle  d'Anglard  de  Salers,  celle  de  Lanobre,  pour  ne  citer 
que  les  mieux  conservées,  présentent  bien  le  même  mode 
de  Yoûte  que  les  églises  de  la  Basse-Auvergne,  mais  le 
berceau  de  leur  nef  centrale  est  divisé  à  la  mode  limou- 
sine par  des  arcs-doubleaux  qui  retombent  sur  les  colonnes 
engagées  des  piliers.  A  Mauriac  le  berceau  et  les  arcs- 
doubleaux  affectent  la  forme  brisée. 

6.  Expansion  du  slyle  auvergnat.  —  Les  rapports  entre 
monastères  et  les  pèlerinages  contribuèrent  à  répandre  les 
procédés  de  l'architecture  auvergnate  qu'on  retrouve  em- 
ployés à  Saint-Etienne  de  Nevers,  à  Saint-Hilaire  de  Poi- 
tiers et  dans  la  basilique  aujourd'hui  disparue  du  Saint- 
Sauveur  de  Limoges  ;  cette  basilique  consacrée  par  le  pape 
Urbain  II  en  logô  était  voûtée  suivant  la  formule  auver- 
gnate, mais  elle  renfermait  des  dispositions  originales  :  le» 
collatéraux  et  les  tribunes  qui  les  surmontaient  se  prolon- 
geaient autour  du  transept  et  venaient  se  raccorder  au  dé- 
ambulatoire. La  même  disposition  se  retrouve  dans  de^ 
églises  que  l'on  a  considérées  comme  auvergnates  et  qui 
semblent  plutôt  se  rattacher  à  l'Auvergne  par  l'intermé- 
diaire de  Limoges,  à  Sainte-Foy  de  Conques  (Aveyron)  et 
à  Saint-Sernin  de  Toulouse,  qui  furent  consacrées  en  109G, 
mais  achevées  seulement  dans  le  cours  du  xii'  siècle.  Ces 
deux  églises  sont  les  jalons  qui  relient  l'école  auvergnate  k 
l'Espagne,  où  Saint-Jacques  de  Compostelle  reproduit  les 
mêmes  dispositions  et  notamment  le  collatéral  surmonté 
d'un  triforium  autour  du  transept.  De  même  le  chevet 
de  Saint- Vincent  d'Avila  avec  son  étagement  d'absi- 
dioles  est  tout  auvergnat  ;  enfin  en  Italie,  dans  la  pro- 
vince de  Sienne,  l'église  de  Sainl-Amiato  reproduit  le 
plan  auvergnat  avec  déambulatoire  et  chapelles  rayon- 
nantes, d'un  caractère  absolument  étranger  dans  cette  ré- 
gion. 


LES    ÉGLISES    ROMANES  37 

Bibliographie.  Une  étude  d'enseaible  sur  l'école  romane  d'Au- 
vergne sera  publiée  par  M.  Chardon  du  Banquet  dont  le  cour» 
professé  à  l'Université  de  Glermont  a  été  recueilli  par  M.  Vcr- 
nière  (Revue  d'Auvergne  i()oo).  —  Ma/iaj'.  Eglises  romano  byzan- 
tines du  Puy-de-Dôme,  Glermont,  i84i.  —  de  Rochemonteiœ .  Lei 
églises  de  la  Haute-Auvergne.  Paris,  1903.  —  de  Lasleyrie. 
L'abbaye  de  Saint-Martial  de  Limoges.  Paris,  190a.  —  Bouillst. 
Sainte-Foy  de  Conques,  Sainte-Sernin  de  Toulouse,  Saint- 
Jacques  de  Compostelle  (Mémoires  d«  la  société  des  Antiquaire* 
de  France  Lllij. 


CîIAriïRE  V 


fcBS  EGLISES  POITEVINES  ET  LES  EGLISES  4   COUPOLES  DU 
SUD-OLEST 


I.  Origines.  —  Il  semble  qu'on  doive  chercher  les  ori- 
gines de  l'école  poitevine  dans  la  région  de  la  Loire  com- 
prise entre  Tours  et  Angers.  L'église  du  monastère  de 
Saint-Martin  de  Tours  consacrée  en  ioo5,  et  dont  on  a 
retrouvé  les  restes,  avait  comme  les  églises  d'Auvergne, 
comme  la  cathédrale  de  Clermont  consacrée  en  9/46, 
un  chœur  à  déambulatoire  couronné  d'absidioles.  A 
Saint-IIilaire  de  Poitiers,  consacrée  en  1094,  la  nef 
centrale  était  primitivement  couverte  d'un  comble,  mais 
le  déambulatoire  existait  déjà  ;  il  en  était  de  même  à 
Sainte  Radegonde  consacrée  en  1099.  A  cette  époque 
cependant  l'école  poitevine  était  déjà  constituée  avec  ses 
procédés  originaux  et  au  début  du  xu»  siècle  elle  était  en 
pleine  activité. 

a.  Saint-Savin.  —  L'église  de  Saint-Savin  paraît  repré- 
senlerundesplnsanciens  types  d'église  poitevine.  Les  détails 
révèlent  encore  des  caractères  très  archaïques  ;  lescontreforts 
qui  la  flanquent  au  nord  sont  postérieurs  à  la  construction 
primitive  ;  l'appareil  régulier  à  l'extérieur  n'est  en , 
réalité  qu'un  revêtement  qui  cache  un  blocage  fait  de  ma- 
tériaux de  tout  genre  ;  la  décoration  architecturale,  com- 
plètement absente  à  l'extérieur  où  les  murailles  sont  en- 


LES    Er.I.lSI'.S    UOMANES 


31) 


tièremeiit  nues,  est  rudimentairc  à  l'inlcricur.  Par  contre 
cette  église  présente  déjà  tous  les  caractères  de  récole  poi- 
tevine.  L'entrée  principale    est   surmontée   d'une  grosse 
tour  carrée,  vrai  donjon  orné  de  deux  arcades  aveugles 
sur  chaque  face  (la  flèche  actuelle  est  du  xV  siècle).  Sous 
celle  tour  se  trouve  un  narthex  voûté  en  berceau,  inter- 
rompu par  un  arc  doubleau  et  surmonté  d'une  tribune, 
qu'unmurséparedel'église.  L'église  comprend  troisnefs  très 
hautes  ;  la  nef  centrale  privée  de  jour  est  couverte  d'un 
berceau  central  que  viennent  enserrer  les  voûtes  d'arêtes 
des  collatéraux  assez  élevées  pour  les  contrebuter.  Un  toit 
à  double  rampant  enveloppe  l'ensemble  des  voûtes.  Tell*; 
est  la  solution  originale  que  l'école  poitevine  apporte  au 
problème  de  la  couverture  des  églises  :  les  voûtes  des  colla- 
téraux appuyées  elles-mêmes  sur  les  murs  extérieurs  vien- 
nent contrebuter  le  berceau  central  à  sa  naissance.  Les  ar- 
chitectes poitevins  ont  donc  renoncé  à  éclairer  la  grande 
nef  comme  les  Bourguignons,  et  à  la  border  d'un  triforium 
comme  les  Auvergnats.  A  Saint  Savin  de  grandes  fenêtres 
en    plein  cintre    s'ouvrent  dans  les  murs  extérieurs   dos 
collatéraux.    Le   berceau   central   est   continu,    sauf  dans 
Ips  trois  premières  travées  pourvues  de  doubleaux  ;  il  n'en 
est  pas  de  môme  pour  les  collatéraux    dont  les    voûtes 
d'arête  sont  conliguës.  Les  arcades  qui  séparent  les  trois 
nefs  reposent  sur  des  piliers  de  forme  diverse  :  c'est  d'abord 
un   faisceau  de  quatre  colonnes,  puis  un   pilier  carré  à 
quatre  colonnes  engagées,  puis  le  pilier  monocylindrique  ; 
les  chapiteaux   ont  une  corbeille  lisse  ou  décorée  d'entre- 
lacs. Cette  église  a  aussi  un  transept,  sur  les  croisillons 
duquel   s'ouvrent  deux  absidiolcs  à  l'est  ;  à   la  croisée  se 
trouve  une  coupole  supportée  par  des  piliers,  dont  la  saillie 
est   si  forte,  qu'ils  masquent  presque  l'entrée  du  chœur. 
Le  chœur,   élevé  de  c[uelques    marches  au  dessus   d'une 
crvple,    se    compose    d'un    rond    point    déterminé   par 
onze  arcades  très  étroites  ;  il  est  entouré  d'un  déambula- 


40  LES    ÉGLISES    ROMANES 

tolie  sur  lequel  s'ouvrent  cinq  chapelles  rayonnantes. 
3.  Caractères  de  C architecture  poitevine.  —  Les  procédés 
de  construction  employés  à  Saint-Savin  apparaissent  plus 
perfectionnés  dans  les  églises  poitevines  du  xu'  siècle.  A. 
Poitiers  l'église  Notre-Dame  la  Grande  offre  la  disposition 
de  la  nef  centrale  voûtée  en  berceau  et  contrebutée  par  les 
voûtes  d'arête  très  élevée  des  collatéraux,  mais  la  construc- 
tion est  plus  régulière  :  des  arcs  doubleaux  divisent  en 
travées  distinctes  le  berceau  de  la  grande  nef  et  les  voûtes 
d'arête  des  collatéraux  ;  les  piliers  sont  carrés  avec,  sur 
leurs  quatre  faces,  des  colonnettes  engagées  qui  reçoi- 
vent la  retombée  des  arcs  doubleaux  et  des  arcades  ;  à  la 
croisée  s'élève  une  tour  carrée  à  deux  étages  pei'cées  de  fe- 
nêtres ornées  de  moulures  ;  elle  est  couronnée  d'un  lan- 
ternon  circulaire  formé  de  petites  arcades  qui  se  termine 
par  une  flèche  conique  à  écailles  de  pierre.  Deux  lanter- 
nons analogues  flanquent  la  façade  principale.  Les  murs 
extérieurs  sont  couronnés  d'un  parapet  défensif  et  les  con- 
treforts sont  reliés  entre  eux  par  des  arcatures,  comme  à 
Notre-Dame  du  Port. 

A  l'église  de  Parthenay-le-Vieux  la  voûte  poitevine  subit 
la  même  modification  que  la  voûte  bourguignonne  du 
xu°  siècle  :  elle  affecte  la  forme  du  berceau  brisée  et  il  en 
est  de  même  des  arcades  qui  séparent  les  nefs  :  en  outre, 
aous  l'influenee  de  l'architecture  auvergnate,  les  collaté- 
raux sont  voûtés  en  quart  de  cercle  ;  la  coupole  centrale 
est  surmontée  d'une  jolie  tour  octogonale. 

4.  La  décoration.  —  Gomme  dans  les  autres  provinces, 
la  décoration  intérieure  des  églises  fut  d'abord  demandée 
à  la  peinture  qui  à  Saint-Savin  couvrait  non  seulement 
les  murailles,  mais  les  fûts  et  les  chapiteaux  des  colonnes  ; 
elles  avaient  le  même  caractère  religieux  que  les  mosaï- 
ques des  églises  byzantines  ;  l'église  actuelle  conserve  en- 
core une  partie  notable  de  cette  décoration.  A  la  fin  du 
il®  siècle,  au  cuuUuùc,  wl  :iuii,jut  auxit'aiccle,  la  sculpture 


LES    ÉGLISES    ROMANES  44 

poitevine  prend  un  développement  qui  peut  être  comparé 
à  celui  de  la  sculpture  bourguignonne  ;  de  simples  églises 
rurales  présentent  aujourd'hui  encore  des  façades  joliment 
historiées,  car  ce  fut  de  ce  côté  que  se  porta  tout  l'efTort 
des  sculpteurs.  On  abandonna  les  clochers  formant  façade 
(Sainte-Radegonde,  Saint-Porchaire  de  Poitiers)  et  on  les 
remplaça  par  des  façades  plus  développées  offrant  un  champ 
libre  au  sculpteur.  Les  Bourguignons  réservaient  la  sculp- 
ture aux  portails  :  les  Poitevins  en  couvrirent  toute  la  fa- 
çade :  au  lieu  de  la  concentrer  sur  le  tympan  qui  n'existe 
pas  dans  la  plupart  des  portails,  ils  la  firent  déborder 
tout  autour.  Enfin  la  décoration  végétale  ou  géométrique 
tient  moins  de  place  chez  eux  que  la'sculpture  animée  ou  l'ico- 
nographie religieuse.  A  Saint-Pierre  d'Aulnay  (Charente- 
inférieure)  les  quatre  voussures  qui  forment  le  portail  sont 
ornées  d'une  succession  de  figures  minuscules  qui  repré- 
sentent une  faune  fantastique,  ou  des  personnages  religieux, 
les  vingt-quatre  vieillards  de  l'Apocalypse  par  exemple. 
Un  type  de  façade  très  usité  est  celui  de  Parthenay-le- 
Vieux  ou  de  Civray  :  trois  grandes  ax'cades  décorent  le  rez- 
de-chaussée  et  le  premier  étage,  mais  seules  les  doux  ar- 
cades centrales  sont  percées,  l'une  d'une   porte,   l'autre 
d'une  haute  fenêtre  ;  les  quatre  autres  sont  entièrement 
remplies  par  des  sculptures  ou  dessins  d'appareil.  A  Par- 
thenay  sous  les  deux  arcades  latérales  du  bas  sont  sculptés 
deux  cavaliers  reproduits  sur  d'autres  façades  du  sud-ouest 
et  dans  lesquels  on  a  voulu  voir  Constantin  et  Charlema- 
gne.  La  façade  de  Notre-Dame  la  Grande  à  Poitiers,  celle 
de  la  cathédrale   d'Angoulême  présentent  quelques  va- 
riantes :  les  trois  arcades  du  premier  étage  sont  remplacées 
par  une  fenêtre  centrale  accostée  de  plusieurs  registres  su- 
perposés de  sculptures.   Celle  de  Poitiers  qui  offre  déjà 
l'unité  de  plan  des  façades  gothiques,  est  consacrée  à  la 
chute  de  l'homme  et  à  sa  rédemption.  La  sculpture  poite- 
vine fit  école  dans  tout  le  sud  ouest  :  sur  un  pilier  de  la 


42  LES    ÉGLISES    ROMANES 

façade  de  l'église  de  Souillac  se  déroule  une  mêlée  fantas- 
tique d'hommes  et  d'animaux  chimériques  qui  s'entredé- 
vorent  les  uns  les  autres.  Des  scènes  analogue  ornent  les 
chnpitaux  des  églises  poitevines,  ceux  de  l'église  de  Ghau- 
vigny  par  exemple. 

5.  Les  églises  à  coupoles.  —  Un  certain  nombre  d'églises 
du  Poitou  et  d'Aquitaine  diffèrent  par  leur  forme  de  celles 
de  l'école  poitevine  et  soulèvent  un  problème  dont  on  na 
pas  donné  jusqu'ici  de  solution  satisfaisante  :  ce  sont  les 
églises  à  coupoles.  A  Périgueux,  l'église  Saint-Front  est 
bâtie  sur  un  plan  à  croix  grecque  couronnée  par  cinq  cou- 
poles qui  reposent  sur  de  grandes  arcs  de  forme  brisée  par 
l'intermédiaire  de  pendentifs  ;  les  murs  de  clôture,  d'une 
faible  épaissseur,  sont  percés  de  fenêtres  en  plein  cintre  ; 
ies  coupoles  sont  apparentes  à  l'extérieur.  La  cathédrale 
d'Angoulême  a  la  forme  d'une  croix  latine  dont  la  nef 
unique  est  couverte  par  une  série  de  trois  coupoles  ana- 
logues abritées  sous  un  même  comble,  et  par  consé- 
quent invisibles  à  l'extérieur  ;  les  croisillons  voûtés  en 
berceau  se  terminent  chacun  par  deux  tours.  La  nef 
unique  sans  transept  qui  forme  la  cathédrale  de  Cahors 
est  surmontée  de  deux  coupoles  analogues  ;  il  en  est  de 
même  a  l'église  de  Souillac,  tandis  que  le  plan  d'Angou- 
lême est  reproduit  à  Fontevrault.A  Poitiers  l'égUse  Saint- 
Hilaire,  dont  la  nef  centrale  était  primitivement  couverte 
d'une  charpente,  est  surmontée  depuis  le  xn'  siècle  d'une 
série  de  coupoles  octogonales  ;  la  nef  paraissant  trop  large, 
on  a  élevé,  pour  les  contrebuter,  des  piliers  massifs  qui  sont 
jeliés  aux  murs  de  l'ancienne  nef  par  des  arcades.  L'église 
de  Solignac  (Haute-Vienne),  bâtie  en  forme  de  croix  latine, 
est  couronnée  de  quatre  coupoles  qui  couvrent  la  grande 
nef  et  le  chœur.  Des  coupoles  analogues  à  celles  de  Saint- 
Hllaire  surmontent  la  cathédrale  du  Puy.  Enfin,  on  re- 
trouve celte  architecture  à  coupoles  loin  du  Périgord,  dans 
i'église  de  Pupen(Julland), fondée parCanutIlauxii°siècle. 


LES    ÉGLISES    ROMANES  45 

La  théorie  mise  en  honneur  par  de  Verneilh,  d'après 
laquelle  celte  architecture  serait  d'origine  byzantine,  a  sou- 
levé de  nombreuses  objections.  Il  est  faux  que  l'église  ac- 
tuelle de  Saint-Front  soit  celle  qui  fut  rebâtie  par  Saint-Fro- 
taire  de  976  à  991  ;  cette  église  couverte  d'une  charpente 
a  été  incendiée  en  1120;  les  restes  d'une  basilique  latine 
qui  précède  l'église  à  coupoles  peuvent  seuls  remonter  à 
cetle  époque.  L'église  actuelle  date  du  xn"  siècle  et  il  n'est 
pas  certain,  qu'elle  soit  le  prototype  des  autres  églises  h 
coupoles.  Dune  manière  générale  ces  églises  diffèrent  com- 
plètement des  églises  byzantines.  Les  coupoles  ne  sont  ni 
en  blocage,  ni  en  briques,  mais  en  claveaux  taillés  suivant 
la  courbe  que  l'on  voulait  former  et  dont  les  assises  régu- 
lières ont  dû  être  construites  à  l'aide  d'un  cintrage  ;  les 
profils  des  pendentifs  et  des  calottes  ne  sont  nullement 
byzantins  ;  l'emploi  de  l'arc  brisé  pour  les  grandes  axxades, 
la  couverture  des  coupoles  au  moyen  de  combles,  le  plan 
en  croix  latine  sont  encore  des  caractères  propres  au  sud- 
ouest.  S'ensuit-il  de  toutes  ces  différences  qu'il  n'y  ait  eu 
aucune  influence  extérieure  sur  la  genèse  de  cette  archi- 
tecture ?  La  théorie  nouvelle,  d'après  laquelle  elle  serait 
autochtone,  paraît  tout  aussi  aventureuse  que  la  théorie 
byzantine.  Le  plan  de  Saint-Front  est  incontestablement 
le  même  que  celui  de  Saint- .Marc  de  Venise  et  des  Saints 
Apôtres  de  Constantinople;  si  les  procédés  employés  ont  un- 
caractère  local,  l'idée  même  de  la  coupole  et  du  plan  à  croix 
grecque  n'a  pu  venir  que  du  pays  d'origine  de  cette  archi- 
tecture, c'est-à-dire  de  l'Orient. 

Bibliographie,  Berlhelé.  Recherches  pour  servir  à  l'iiisloire  de»- 
arts  en  Poitou.  Melle  1890.  — de  Verneilh.  L'architeclure  byzan- 
tine en  France.  —  Caries.  Monographie  de  Saint-Front.  Péri- 
gueux  1871.  —  Berlhelé.  La  question  et  le  date  de  Saint-Front 
(Revue  de  l'Art  chrétien  iSgô  )•  —  Brutails.  La  question  de- 
Saint-Front  (Bulletin  monumental  iSyS).  Voyez  dans  le  même 
recueil  l'article  de  Spien.)  —  Bertaitr.  L'art  dans  l'Italie  mério- 
dionale  (étude  sur  les  églises  à  coupoles  de  l'Italie  du  Sud), 


CHAPITRE  VI 


LE3    ÉGLISES    PROVENÇALES 


î.  Architeclare.  —  Il  n'y  a  pas  à  proprement  parler 
d'école  provençale  d'architecture.  Aucune  église  romane 
de  Provence,  qui  soit  véritablement  complète,  n'est  par- 
venue jusqu'à  nous.  Sous  les  remaniements  postérieurs 
ces  églises  montrent  l'influence  des  traditions  de  la  basi- 
lique romaine  et  des  écoles  auvergnate  et  poitevine.  Une 
seule  église,  celle  de  Valence,  présente  un  déambulatoire 
qu'elle  doit  à  une  importation  auvergnate.  L'église  Saint- 
Trophime  d'Arles  au  contraire,  voûtée  vraisemblablement 
à  la  fin  du  xi'  siècle,  associe  le  plan  de  l'ancienne  basi- 
lique au  système  des  voûtes  poitevines.  Elle  comporte  une 
nef  accostée  de  deux  bas-côtés  très  étroits  et  un  transept  k 
trois  travées  sur  lequel  s'ouvre  directement  une  abside  en 
hémicycle  sans  l'intermédiaire  d'un  cliœur  :  c'est  le  vieux 
plan  des  basiliques  romaines  du  ive  siècle.  Sa  grande  net' 
est  voûtée  par  un  berceau  brisé  coupé  par  des  arcs  dou- 
bleaux  et  contrebuté  par  les  voûtes  d'arête  des  collaté- 
raux :  c'est  l'ordonnance  de  l'église  du  vieux  Parthenay. 
Le  berceau  brisé,  qui  indique  une  date  postérieure,  carac- 
térise les  églises  de  Provence  et  il  est  vraisemblable  qu'il 


LES    ÉGLISKS    ROJIA.'VES  4S 

a  succédé  i  une  charpente.  Les  larges  piliers  qui  sup- 
portent les  arcades  sont  garnis  sur  leur  face  antérieure  de 
doubles  pilastres,  et  reliés  par  des  arcades  doublées  qui 
présentent  à  leur  sommet  une  brisure  insensible.  Enfin 
dans  quelques  églises,  à  Avignon  et  à  Nîmes  par  exemple, 
on  a  transformé  les  travées  des  bas-côtés  en  chapelles  laté- 
rales, si  bien  que  l'église  paraît  n'avoir  qu'une  seule  nef. 
Les  églises  de  Vaison,  de  Saint-Paul  des  ïrois-châteaux^ 
de  Saint-Guilhem  du  Désert  présentent  les  mêmes  dispo- 
sitions que  Saint-Trophine  d'Arles.  L'église  de  Saint-Gilles 
«si  une  immense  basilique  qui  ne  put  être  achevée  faute 
de  ressources  et  fut  pourvue  plus  tard  d'un  déambulatoire 
gothique  ;  les  croisées  d'ogives  de  sa  crypte  ont  remplacé 
des  voûtes  d'arêtes. 

2  Ornementation.  —  Ce  ne  fut  pas  dans  l'architecture, 
mais  dans  la  sculpture  des  portails  et  des  cloîtres  que  l'école 
de  Provence  affirma  sa  personnalité.  La  réputation  de  ses 
maîtres  d'oeuvre  s'étendait  au  loin,  et  les  compagnons 
tailleurs  de  pierre  qui  traversaient  le  pays,  ne  manquaient 
jamais  d'aller  visiter  le  célèbre  escalier  tournant,  dit  la  vis 
de  Saint-Gilles.  Des  œuvres  comme  les  façades  de  Saint- 
Trophime  d'Arles,  de  Sainte-Marthe  de  Tarascon,  de 
Saint-Gilles,  comptent  parmi  les  plus  belles  des  écoles  ro- 
manes. Ces  sculptures  sont  en  quelque  sorte  indépen- 
dantes de  l'économie  architecturale,  et  plaquées  suivant 
le  système  romain  contre  les  façades  entièrement  nues. 
C'est  ainsi  que  la  façade  de  Saint-ïrophime  se  compose 
du  simple  pignon  de  la  grande  nef,  accompagné  des  deux 
toits  en  appentis  des  bas-côtés,  sans  aucun  ornement  ;  dans 
l'axe  du  monument  s'ouvrent  deux  fenêtres,  l'une 
simple,  l'autre  géminée  ;  l'admirable  porche  sculpté  forme 
une  saillie  contre  cette  façade,  et  recouvre  entièrement 
les  deux  contreforts  dont  on  aperçoit  l'extrémité  qui  dé- 
passe son  fronton. 

Le  portail  de  Saint-Trophime  est  formé  d'une    grande 


46  LES    ÉGLISES    nOMA^ES 

baie  qu'un  trumeau  divise  en  deux  et  que  surmonte  ua 
tympan  encadré  par  une  archivolte  aux  moulures  élé- 
gantes. Les  pieds-droits  qui  supportent  l'archivolte  sont 
couverts  de  bas-reliefs  qui  se  continuent  sur  la  façade  et  sur 
deux  petits  côtés  en  retour  d'équerre.  Un  Christ  de  ma- 
jesté entouré  des  quatre  symboles  des  Evangélistes  couvre 
le  tvmpan;  conformément  à  rhabitu«de  romane,  il  est  assis 
sur  un  trône,  couronné  du  diadème  impérial  et  porte  à 
la  main  le  livre  de  vie  :  au-dessous  de  lui.  sur  le  lin- 
teau, sont  les  douze  apôtres  assis  ;  la  voussure  qui  en- 
cadre le  tympan  est  couverte  de  figurines  d'anges  en  buste 
-disposés  sur  deux  rangs  :  les  trois  anges  du  sommet 
:sonnent  la  trompette  du  Jugement  Dernier.  Un  large 
bandeau,  qui  forme  comme  le  prolongement  du  linteau, 
montre  à  gauche  la  procession  des  élus  dirigée  vers  un 
ange  qui  dépose  les  âmes  dans  le  sein  des  patriarches,  à 
droite  les  damnés  écartés  par  l'ange  du  paradis  ou  entraî- 
nés dans  les  flammes  par  les  démons.  Au-dessous  une 
frise  représente  les  scènes  de  l'enfance  du  Clu-ist  ;  viennent 
finsuile  les  grandes  figures  en  pied  des  apôtres  et  de  Saint- 
Trophime,  que  séparent  des  rinceaux  et  des  colonnettes. 
•L'architecture  faite  de  fragments  d'entablement  supportés 
par  des  colonnes  ou  des  pilastres  cannelés,  est  toute  an- 
tique. Le  style  des  sculptures  est  celui  des  sarcophages 
gallo-romains  conservés  en  si  grand  nombre  aux  Alis- 
camps  ;  les  figures  sont  un  peu  courtes  et  ramassées  ;  elles 
-dififèrent  entièrement  des  statues  allongées  du  portail 
royal  de  Chartres  qu'on  a  voulu  en  dériver  et  qui  leur 
sont  anlérieuies,  ainsi  que  l'a  montré  l'étude  si  péné- 
trante de  M.  de  Lasteyrie.  Les  sculptures  de  Chartres  se- 
raient du  milieu,  celles  d'Arles  de  la  fin  du  xn®  siècle. 
La  riche  décoration  des  cloîtres,  celle  des  portails  de  Saint- 
Gilles  et  de  Tarascon  procèdent  de  la  même  école.  Tout 
récemment  un  historien  de  l'art  italien,  M.  Venturi,  a 
fclrouvc  dans  l'Italie  du  nord  les  traces  de  l'influence  He 


LES    ÉGLISKS    ROMANES  47 

l'école  de  sculpture  provençale  qui  par  le  relief,  et  l'élé- 
gance de  statues,  constitue  l'école  romane  la  plus  voisine 
des  traditions  antiques. 

Bibliographie.  Revoil.  Architecture  romane  du  midi  de  la 
France,  Paris,  1S66-73.  —  Bernard.  La  basilique  primatialc  de 
Saint-Trophirae  d'Arles,  Aix,  iSgS,  —  de  Lasteyrie.  Gloitre  et 
façade  de  Saint-Trophime  d'Arles  (Comptes  rendus  de  l'Académie 
des  Inscriptions  1901).  Les  sculptures  du  portail  royal  de  Chartres 
(Monuments  Piot  VIII).    - 


CHAPITRE  VI! 


LES    REGIONS    DE   TRANSITIO» 


A  côté  des  provinces  dont  les  écoles  artistiques  ont  des 
caractères  bien  déterminé,  et  sont  arrivés  à  résoudre  d'une 
manière  originale  le  problème  de  la  construction  et  de  la 
décoration  des  églises,  un  grand  nombre  de  régions  se 
sont  contentées  de  juxtaposer  ensemble  des  éléments  venus 
de  directions  différentes  ;  elles  n'en  ont  pas  moins  produit 
quelques  monuments  remarquables. 

1.  Ile-de-France  et  Champagne.  —  Les  architectes 
du  domaine  royal  et  de  la  Champagne  ne  paraissent  avoir 
trouvé  d'autre  solution  au  problème  des  voûtes  que  la 
croisée  d'ogives  dont  les  premiers  essais  remontent  peut- 
être  à  la  fin  du  xi'  siècle.  Comme  les  Normands,  ils  se 
contentaient  de  couvrir  les  collatéraux  de  voûtes  d'arêtes  et 
établissaient  une  charpente  sur  la  nef  principale.  Les  trois 
nefs  étaient  même  quelquefois  couvertes  ainsi,  comme  à 
l'église  de  Vignory  (Haute-Marne),  qui  conserve  encore 
ses  charpentes  apparentes  ;  la  seule  partie  voûtée  com- 
mence après  l'arc- triomphal  et  comprend  le  berceau  du 
chœur  qui  se  termine  par  une  abside  en  cul-de-four.  La 
nef  de   Saint-Germain- des-Prés    consacrée  avant   ici 4» 


LES    ÉGLISES    ROMANES  49 

celle  de  Saint-Remy  de  Reims  ù  peu  près  contemporaine , 
étaient  couvertes  de  même.  La  voûte  d'arêtes  n'était  guère 
employée  que  pour  les  cryples.  La  sculpture  ornementale 
analogue  à  la  sculpture  normande  était  d'un  faible  reliel, 
et  aimait  les  ornements  géométriques,  les  lignes  brisées, 
les  damiers,  les  entrelacs,  les  figures  affrontées  etc..  Dès 
le  XI*  siècle  cependant  les  architectes  de  l'Ile-de-France 
élèvent  les  jolis  clochers  percés  de  baies  nombreuses,  et 
divisés  en  trois  étages  surmontés  d'une  flèche,  qui  donnent 
à  leurs  églises  un  caractère  si  gracieux. 

2.  Bretagne.  —  Il  reste  peu  d'églises  romanes  en  Bre- 
tagne. L'église  Sainte-Croix  de  Quimperlé  consacrée  en 
io83,  se  compose  d'une  rotonde  centrale  à  laquelle  viennent 
s'ajouter  une  nef,  un  chœur  et  les  deux  bras  du  transept. 
Ce  type  d'église  uniforme  imité  de  l'église  Saint-Sépulcre 
fut  employé  dans  toute  l'Europe  et  ne  caractérise  aucune 
école.  L'église  Saint-Sauveur  de  Dinan  possède  une  fa- 
çade sculptée  qui  rappelle  l'école  poitevine. 

3.  Région  de  la  Loire  et  centre.  —  Dans  les  provinces 
riveraines  de  la  Loire  s'est  formée  une  école  mitoyenne 
qui  participe  des  caractères  des  écoles  voisines,  poitevine, 
bourguignonne,  auvergnate.  La  cathédrale  Sainte-Croix 
d'Orléans  construite  au  xi'  siècle  et  dont  on  a  retrouvé  les 
restes,  comprenait  une  nef  centrale  couverte  en  charpente 
et  accompagnée  de  quatre  bas-côtés  ;  nous  savons  combien 
cette  disposition  était  rare  au  xi*^  siècle.  L'ancienne  abbaye 
de  Saint-Benoît-sur-Loire  possède  encore  le  narthex 
massif  de  l'église  qui  fut  élevée  sous  le  Roi  Robert,  avant 
1026:  c'est  un  quinconce  de  fortes  piles,  ouvert  de  trois 
côtés  et  surmonté  de  voûtes  d'arêtes  ;  les  doubleaux  qui 
les  séparent  reposent  sur  de  grosses  colonnes  engagées  ; 
chaque  pilier  quadrangulaire  est  flanqué  de  quatre  co- 
lonnes de  ce  genre  ;  une  salle  voûtée  de  même,  mais  plus 
haute,  s'étend  au-dessus.  Dans  les  églises  du  Berry  oa 
trouve  toute  les  voûtes  romanes  employées  ainsi  que  la 

I  4 


50  LES    ÉGLISES    ROMANES 

coupole  sur  trompes  à  la  croisée  du  transept  ;  un  plan 
exceptionnel  est  celui  du  chœur  de  Châteaumeillant  ter- 
miné par  sept  absides  de  longueur  décroissante  et  séparées 
les  unes  des  autres  par  d'élégantes  claires-voies  formées 
de  colonnettes. 

Dans  le  Nivernais  le  style  bourguignon  domine  à  la 
Charité-sur-Loire  dont  l'église  possède  un  triforium  élevé  ; 
l'église  Saint-Etienne  de  Nevers  avec  son  chœur  entouré 
d'un  déambulatoire  à  trois  chapelles,  sa  nef  centrale  cou- 
verte d'un  berceau  interrompu  par  des  arcs-doubleaux  et 
contrebuté  par  les  voûtes  en  quart  de  cercle  des  tribunes, 
ses  contreforts  extérieurs  reliés  par  des  arcatures,  ses  arcs 
en  mitre  et  en  trèfle,  doit  beaucoup  à  l'école  auvergnate  ; 
cependant  l'influence  bourguignonne  se  fait  sentir  dans 
la  solution  hardie  qu'on  a  adoptée  pour  éclairer  la  grande 
nef  par  de  hautes  fenêtres  placées  au-dessus  des  tribunes  ; 
les  façades  latérales  avec  leurs  arcatures  ressemblent  à  la 
façade  méridionale  de  Notre-Dame  du  Port.  Enfin  on 
retrouve  les  influences  combinées  de  la  Bourgogne  du 
Poitou  et  de  l'Auvergne  dans  les  églises  du  Bourbonnais. 
à  l'abbaye  de  Souvigny  qui  comprend  cinq  nefs,  à  l'église 
d'Izeure-lez-Moulins  dont  les  voûtes  et  les  arcades  sont  de 
forme  brisée  et  disposées  suivant  la  méthode  poitevine.  A 
Souvigny  on  conserve  un  célèbre  calendrier,  pilier  histo- 
rié sur  ses  quatre  faces  et  qui  constitue  un  monument  cu- 
rieux de  la  sculpture  romane. 

4.  Velay.  —  Les  églises  du  Velay  ne  doivent  rien, 
malgré  la  proximité,  à  l'école  auvergnate  :  elles  n'ont  ni 
la  voûte  en  quart  de  cercle  destinée  à  contrebuter  le  ber- 
ceau de  la  grande  nef,  ni,  à  l'origine  du  moins,  le  chœur 
à  déambulatoire  ;  elles  sont  couvertes  suivant  les  modes 
poitevin  (nef  aveugle)  ou  bourguignon  (nef  éclairée)  ;  en 
outre,  plusieurs  églises  à  une  nef  et  couvertes  en  berceau 
se  rattachent  à  des  modèles  provençaux.  De  même  la  mar- 
queterie polychrome,  si  fréquente  en  Auvergne,  est  assca 


I  i:.s  Kc.r.iSF.s  r.oMwcs 


51 


rare  ;  en  revanche  on  a  employé  souvent  des  claveaux 
allcrnativemcnt  blancs  et  noirs,  ce  qui  donne  aux  églises 
un  aspect  mauresque. 

L'édifice  le  plus  important  du  Velay,  la  cathédrale  du 
Puy,  ne  doit  à  peu  près  rien  à  cette  école  et  n'a  exercé  sur 
elle  aucune  influence.  C'est  un  édifice  unique  qui  est  peut- 
être  ce  que  l'architecture  romane  a  produit  de  plus  puis- 
sant et  de  plus  étrange.  Le  plan  qui  est  celui  d'une 
église  en  croix  latine  dont  la  grande  nef  est  couverte  d'une 
série  de  coupoles  octogonales  sur  trompes,  rappelle  celui 
de  Saint-Hilaire  de  Poitiers,  mais  sa  situation  pittoresque, 
ses  proportions  grandioses  et  l'austérité  élégante  de  son 
ornementation,  dont  le  principal  motif  consiste  dans  l'al- 
ternance continuelle  des  claveaux  noirs  et  blancs,  en  font 
une  œuvre  bien  originale.  La  façade  à  laquelle  on  accède 
par  un  escalier  qui  semble  interminable  est  décorée  uni- 
quement de  trois  étages  de  baies  ou  d'arcatnres  brisées, 
en  plein  cintre,  ou  en  trèfle  très  évasé  :  trois  fi-ontons  indé- 
pendants la  surmontent.  Le  porche  monumental  d'un  ni- 
veau inférieur  à  celui  de  l'église,  venait  autrefois  débou- 
cher par  un  nouvel  escalier  en  face  du  grand  autel.  La  nef 
accompagnée  de  bas-côtés  est  divisée  par  de  grands  arcs 
doubleaux  en  six  travées  couvertes  de  coupoles  octogonales, 
recouvertes  d'un  comble  (i).  Deux  autres  porches  très 
profonds  s'ouvrent  sur  les  côtés  et,  au  midi,  s'étend  un 
cloître  merveilleux,  aux  chapiteaux  variés.  Ce  monument 
auquel  les  archéologues  ont  attribué  longtemps  une  an- 
tiquité fabuleuse  paraît  avoir  été  commencé  à  la  fin  du 
xi'  siècle  et  achevé  dans  le  courant  du  xii®  siècle  ;  il  occupe 
la  place  d'églises  antérieures  et  de  monuments  païens 
dont  on  a  retrouvé  les  restes. 

5.  Lyonnais.  —  Les  traditions  gallo-romaines  ont 
persisté  très  longtemps  dans  le  Lyonnais.  La  première 

(i)  Le  sanctuaire  elle  clocher  sont  inoilcrnes. 


52  LES    ÉGLISES    ROMANES 

église  abbatiale  d'Âinay  (église  Saint-Martin)  fut  construite 
en  966  ;  c'est  une  nef  unique  voûtée,  aux  dimensions  res- 
treintes (17"'  sur  9")  dont  la  voûte  est  soutenue  par  dix 
colonnes  aux  bases  régulières.  A  la  fin  du  xi'  siècle  le, 
style  bourguignon  s'introduisit  à  Lyon.  La  deuxième 
église  d'Ainay  consacrée  par  le  pape  Pascal  lien  1108, 
marque  ce  changement  ;  sa  voûte  en  berceau  plein  est 
épaulée  par  celles  des  bas-côtés.  Les  arcades  sont  suppor- 
tées par  des  colonnes  surmontées  de  chapiteaux  corin- 
thiens :  deux  de  ces  monolithes  de  granit  proviennent  de 
Tautel  de  Rome  et  d'Auguste  ;  une  tour  s'élevait  à  la 
croisée  ;  une  autre,  à  la  façade,  forme  porche. 

6. Provinces  du  midi. — Les  provinces  du  midi,  Languedoc, 
Gascogne.  Roussillon,  Béarn  n'ont  pas  eu  à  l'époque  ro- 
mane d'architecture  bien  caractérisée  et  ont  subi,  comme 
le  nord  de  l'Espagne,  des  influences  étrangères.  Nous 
avons  vu  que  l'art  auvergnat  avait  pénétré,  probablement 
par  l'intermédiaire  du  Saint-Sauveur  de  Limoges,  jusqu'à 
Toulouse  et  à  Compostelle  ;  l'architecture  à  coupoles 
s'implanta  dans  le  Quercy.  De  tous  ces  éléments  il  se 
forma  un  style  bâtard  qui  persista  dans  certaines  provinces 
jusqu'au  xiv'  siècle  ;  beaucoup  d'églises  romanes  de  ces 
régions  ont  été  bâties  en  pleine  période  gothique.  La 
cathédrale  de  Lescar  (Basses-Pyrénées)  élevée  au  début  du 
xu°  siècle,  présente  une  disposition  unique  :  sa  grande  nef 
voûtée  en  berceau  séparé  par  des  arcs-doubleaux.  est  con- 
trebutée  par  les  berceaux  transversaux  en  plein  cintre 
élevés  au-dessus  des  bas-côtés  ;  ces  berceaux  étranges  ont 
probablement  succédé  à  des  charpentes  apparentes.  Il  s'est 
iôi'mé  en  revanche  au  xii'  siècle  en  Languedoc  une  école 
do  sculpture  qui  a  laissé  un  ensemble  important,  la  façade 
de  l'église  Saint-Pierre  de  Moissac.  Sur  le  tympan  le 
Christ  est  assis  dans  une  gloire  elliptique  bordée  d'étoiles, 
vêtu  du  manteau  impérial,  la  couronne  sur  la  tète  en- 
tourée d'un  nimbe  crucifère  ;   il  porte  une  longue  barbe 


LES    ÉGLISES    ROMANES  53 

et  lève  la  main  pour  bénir  :  à  ses  côtés  deux  anges  dé- 
roulent des  phylactères  et  au-dessous  de  lui  sont  assis, 
divisés  en  trois  registres,  les  a4  vieillards  de  l'Apocalypse, 
tenant  chacun  un  instrument  de  musique  et  un  vase  de 
parfums  ;  un  juge  autorisé  a  pu  rapprocher  ce  magnifique 
tympan  de  celui  de  Saint-Trophlme  d'Arles  (i).  Autour  de 
ce  motif  central  s'étend  une  décoration  fantastique,  pleine 
de  verve  et  de  fantaisie.  Sur  la  face  antérieure  du  trumeau 
sont  étages  symétriquement  trois  couples  de  lions  et  de 
lionnes  ;  sur  ses  faces  latérales  sont  deux  saints  person- 
nages tenant  des  livres  et  des  phylactères.  Isaïe, le  prophète 
de  l'ancienne  Loi,  et  saint  Pierre  l'apôtre  de  la  Nouvelle 
Loi,  sont  sculptés  sur  les  pieds-droits.  Des  deux  côtés  du 
porche  les  sculptures  couvrent  les  murs  latéraux,  et  sous 
des  arcatures  en  plein  cintre  on  voit  à  droite  des  scènes  de 
la  vie  de  la  Vierge  et  de  l'enfance  du  Christ,  à  gauche  la 
mort  du  mauvais  riche  et  des  personnifications  assez  réa- 
listes des  viees.  A  l'église  de  Moissac  s'appuie  un  cloître 
dont  les  colonnes  jumelles  sont  surmontées  d'un  chapiteau 
unique  ;  la  fantaisie  la  plus  originale  s'est  exercée  sur  ces 
chapiteaux  ornés  comme  d'une  orfèvrerie  de  palmetles, 
de  rinceaux,  d'enroulements  perlés  au  milieu  desquels  se 
joue  tout  un  peuple  d'animaux  fantastiques  empruntt's  à 
la  faune  du  bestiaire.  Le  musée  des  Augustins  à  Toulouse 
conserve  quelques  beaux  spécimens  de  chapiteaux  sem- 
blables destinés  à  surmonter  les  colonnes  jumelles  du 
cloître  de  la  Dalbade.  Leur  style  est  voisin  de  celui  des 
chapiteaux  de  Saint-Trophime. 

Bibliographie.  Lejevre-Pontalis.  L'architecture  riioiiuiïientdilc 
dans  l'ancien  diocèse  de  Soissons  au  ii«  et  xii«  siècle.  De  la 
Monneraje.  Essai  sur  l'histoire  de  l'architecture  religieuse  en 
Bretagne   (xi-xn»    s.).   Rennes,    i83i.  —    Buhot    de    Keisers. 

(l)  De  LiiSUyrie,  Monuments  Piol,  l.  YIII. 


54  ÏI^S    lîiiLISKS    nOMANES 

Caractères  de  l'architecture  religieuse  en  Berryà  l'époque  ro- 
mane. (B,  A,  C.  T.  H.  1890.  p.  25).  Histoire  et  statistique  mo- 
numentale du  département  du  Cher.  Bourges,  1875-99.8  v.  — 
Bourassé.  Esquisse  archéologique  des  principales  églises  du  dio- 
cèse de  Nevers.  INevers,  i844'  8°  —  Thiollier.  L'architecture  reli- 
gieuse à  l'époque  romane  dans  l'ancien  diocèse  du  Puy,  Paris, 
1900.  —  Raidn.  L'abbaye  et  les  cloîtres  de  Moissac,  Paris,  1897. 
—  de  Lafiondls.  Les  églises  romanes  de  l'Aricge.  B.  A.  C.  T.  H. 
iSqQ,  —  BriUails.  Notes  sur  l'art  religieux  du  Roussillon. 
B.  A.  C.  T.  H.  J893.  —  ThiolUer.  Vestige  de  l'art  roman  en 
Lyonnais. B.  A.  G.  T.  IL  1892. 


CîIAriTiŒ  VIII 


LES  ECOLES    ÉTHA.NGÈUES.   LOMBARDIE    ET  ALLEMAGNE 


Comme  on  a  pu  le  voir  l'influence  des  écoles  romanes 
de  France  s'est  exercée  au  loin  hors  des  frontières.  L'An- 
gleterre a  accepté  l'architecture  normande  qui  a  pénétré 
jusqu'en  Norvège,  où  elle  a  vécu  à  côté  de  l'architecture  de 
bois.  L'Espagne,  l'Italie  méridionale  ont  reçu  par  l'inter- 
médiaire des  ordres  religieux,  les  procédés  d'architecture 
de  diverses  provinces.  Cependant  deux  grandes  écoles  se 
sont  formées  hors  de  France,  l'une  en  Lombardie,  l'autre 
en  Allemagne. 

I .  L'architecture  lombarde.  —  Les  archéologues  ont 
vieilli  outre-mesure  la  plupart  des  églises  et  des  cloîtres 
lombards  ;  pendant  longtemps  on  n'a  pas  hésité  à  faire 
dater  du  xi"  siècle  les  voûtes  sur  croisées  d'ogives  de  Saint- 
Ambroisede  Milan.  On  a  reconnu  aujourd'hui  que  les  dis- 
positions archaïques  des  basiliques  à  colonnes  ont  été  em- 
ployées longtemps  en  Lombardie,  comme  dans  tout  le  reste 
de  l'Italie,  Il  est  probable  cependant  que  la  Lombardie  a 
eu  dans  la  première  moitié  du  xi'  siècle  une  des  plus  an- 
ciennes écoles  romanes  qui  ait  existé  en  Europe.  Le  plan 
architectural  introduit  par  Lanfranc  en  Nonaandic  était 


56 


LES    EGLISES    ROMANES 


déjà  appliqué  en  Lombardie  d'une  manière  beaucoup 
plus  rationnelle.  Les  Lombards,  en  effet,  eurent  l'idée 
d'employer  exclusivement  la  voûte  d'arêtes  sur  plan  carré 
pour  couvrir  les  nefs  de  leurs  églises  ;  mais  comme  la 
grande  nef  était  deux  fois  plus  large  que  les  collatéraux, 
on  fit  correspondre  une  travée  de  cette  nef  h  deux  travées 
des  collatéraux.  Les  arcades  qui  séparaient  les  nefs  repo- 
sèrent donc  sur  des  piliers  à  colonnes  engagées,  alternati- 
vement forts  et  faibles  ;  les  premiers  seuls  recevaient  la 
retombée  des  voûtes  d'arête  centrale  et  des  arcs  doubleaux 
destinés  à  les  séparer  ;  les  derniers  servaient  uniquement 
à  supporter  les  voûtes  et  les  arcs-doubleaux  des  collaté- 
raux. Dans  les  grandes  églises,  les  bas-côtés  sont  sur- 
montés de  tribunes.  Les  voûtes  d'arête  ont  un  surhausse- 
ment caractéri^itique  qui  leur  donne  presque  l'aspect  d'un 
dôme.  Le  transept  ne  fait  aucune  saillie  sur  les  bas-côtés 
et  apparaît  seulement  à  l'extérieur  au-dessus  des  toits.  A 
la  croisée  s'élève  une  coupole  octogonale  sur  trompe  qui  ( 
est  contrebutée  comme  dans  les  églises  byzantines  par  les 
deux  croisillons  voûtés  en  berceau.  Le  chœur  comprend,  en 
général,  trois  absides  ouvertes  dans  l'axe  des  trois  nefs 
.sans  aucun  déambulatoire  ;  nous  avons  vu  que  cette  dispo- 
sition avait  été  importée  en  Normandie.  Sous  le  chœur 
s'étend  souvent  une  large  crypte.  L'emploi  de  la  voûte 
il'arêtes,  en  concentrant  tout  l'effort  de  la  poussée  sur  les 
piliers  a  permis  d'éclairer  la  grande  nef.  Des  fenêtres  sont 
aussi  ouvertes  dans  l'abside  centrale. 

A  l'extérieur,  des  porches  voûtés  se  développent  sur  la 
largeur  de  la  façade.  La  disposition  des  façades  lombardes 
est  très  simple  ;  elles  se  composent  d'une  large  muraille 
qui  monte  tout  d'une  pièce  jusqu'aux  deux  rampants  qui 
la  terminent,  et  masque  le  ressaut  que  fait  la  grande  nef 
au-dessus  des  bas-côtés.  Au  chevet,  l'abside  principale 
^eule  fait  une  saillie  :  les  absides  secondaires  ne  sont  guère 
qae  des  niches  encastrées  dans  des  murs  rectangulaires. 


LES    ÉGLISES    ROMANES  17 

Enfin  les  clochers  ne  font  pas  partie  intégrante  de  l'église  : 
ce  sont  des  tours  carrées  ouvertes  au  sommet  par  des  ar- 
cades et  dont  les  murs  ne  sont  interrompus  aux  autres 
étages  que  par  des  baies  étroites.  Saint-Michel  de  Pavie  et 
Saint-Ambroise  de  Milan  ont  conservé  un  grand  nombre 
de  ces  dispositions. 

2.  La  décoration  lombarde.  —  L'aspect  extérieur  des  édi- 
fices est  en  général  simple  et  sévère  ;  sur  les  côtés,  des  con- 
treforts rectangulaires  marquent  la  division  en  travées, 
mais  le  principal  élément  de  décoration  est  l'arcature 
aveugle  ou  ouverte  :  c'est  une  corniche  à  petits  arcs  portés 
sur  des  consoles  et  parfois  liée  à  des  colonnettes.  Ces 
bandes  murales,  dites  bandes  lombardes,  forment  la  ma- 
jeure partie  des  couronnements  ;  on  en  trouve  plusieurs 
rangées  sur  les  façades.  Quelquefois  des  galeries  formées 
d'arcatures  à  jour  portées  sur  des  colonnettes  ornent  les 
façades.  Au  xu"  siècle  l'ornementation  des  églises  lom- 
lardes  prend  un  caractère  plus  riche.  Les  briques  mélangées 
à  l'appareil,  à  Saint-Ambroise  de  Milan  par  exemple,  sont 
faites  avec  soin  et  ont  une  belle  teinte  rose  ;  l'appareil  lui- 
même  est  composé  de  belles  pierres  de  taille  à  joints  vifs, 
suivant  la  tradition  antique  et  on  le  retrouve  parfois  avec 
les  marbres  rouges  et  blancs  de  l'Italie  du  nord.  A  l'inté- 
rieur les  nefs  sont  pavées  de  mosaïques  ;  des  portes  de 
bronze  ornées  de  bas-reliefs  y  donnent  accès,  comme  à  San 
Zeno  de  Vérone.  Les  portails  profondément  ébrasés  ont  de 
jolies  archivoltes  portées  sur  des  colonnettes  dont  les  bases 
reposent  elles-mêmes  sur  des  lions  accroupis.  Une  école  de 
sculpture  qui  a  beaucoup  de  rapports  avec  celle  de  Pro- 
vence se  développe.  Avant  le  xii*  siècle  les  motifs  sculptés 
sur  les  lourds  chapiteaux  cubiques,  sur  les  chancels  ou  le» 
ambons,  dérivent  de  l'ornementation  barbare,  tresses, 
entrelacs,  flore  conventionnelle,  animaux  fantastisques  et 
stylisés  ;  la  représentation  de  la  figure  humaine  est  gros- 
sière jusqu'à  la  sauvagerie  ;  des  têtes  énormes  sont  placée» 


58 


LES    EGLISES    ROMANES 


sur  des  corps  trop  minces.  Au  xii°  siècle,  au  contraire,  la 
jsculpture  lombarde  semble  se  dégager  brusquement  de  ce 
£haos  et  ses  figures  fantastiques  font  place  à  l'iconographie 
icligieuse  ou  à  des  fantaisies  dont  les  éléments  sont  fourni» 
f)ar  la  littérature  chevaleresque  du  populaire.  A  côté  du 
voyage  d'Alexandre  dans  les  sphères  célestes,  on  trouve  des 
épisodes  du  roman  de  Pienart,  Au  tyoïpan  du  baptistère 
de  Parme  construit  en  1176,  par  Benoît  Anthelmi,  est  re- 
présentée la  parabole  de  la  licorne  tirée  du  roman  de  Bar- 
laam  et  Joasaph  ;  les  rapports  de  cette  œuvre  avec  la  sculp- 
ture provençale  ont  frappé  les  archéologues.  De  même  au 
<;loître  de  Sant'Orso  d'Aoste  on  trouve  les  chapiteaux  ac- 
couplés des  cloîtres  provençaux  ou  toulousains  ;  sur  l'un 
d'eux  est  sculpté  le  fabliau  du  coq  et  du  renard.  Ce  cloître 
daté  de  1 135  serait  même  plus  ancien  que  celui  de  Saint- 
Trophime,  si  bien  que  le  problème  des  rapports  entre 
les  deux  écoles  n'a  pas  encore  reçu  de  solution.  L'in- 
fluence lombarde  à  l'extérieur  paraît  d'ailleurs  avoir  été 
considérable  :  on  la  trouve  non  seulement  en  Norman- 
die, mais  en  Hollande,  en  Espagne,  où  des  Lombards 
terminent  la  cathédrale  d'Urgel  en  117/ii  et  en  Rous- 
sillon. 

3.  L'école  rhénane.  — A  la  fin  de  l'époque  carolingienne 
les  grandes  abbayes  de  Fulda,  Saint-Gall,  Reichenau.Gor- 
vey  etc. ,  sont  les  centres  où  se  forment  des  architectes  et 
■des  artistes.  Les  constructions  sont  nombreuses  à  cette  épo- 
que, mais  le  parti  adopté  est  toujours  celui  de  la  basilique 
couverte  en  charpente  et  flanquée  à  l'entrée  de  deux  tours 
■carrées.  Le  goût  de  la  construction  qui  se  propagea  dans 
iaute  l'Europe  vers  les  premières  années  du  xi°  siècle  at- 
teignit aussi  l'Allemagne  ;  les  empereurs  Henri  II  à  Bam- 
berg,  Conrad  le  Saliqucà  Limbourg  sa  ville  patrimoniale, 
Henri  HI  à  Goslar,  Henri  IV  dans  toute  l'Allemagne  cons- 
truisirent de  nombreuses  églises  et  leur  exemple  fut  suivi 
par  les  évoques.  Ce  fut  dans  lit  légion  du   Rhin  que  l'on 


LES  K(;i.isi':s  r.oMAM-.s 


59 


coinmcnça  à  construire  des  églises  voûtées.  Du  xi"  siècle 
datent  les  cathédrales  de  Spire,  fondée  par  Conrad  II  eu 
1060,  AVormsct  Mayence  construites  en  1081,  Sainte  Marie 
du  Capitole  de  Cologne.  Henri  IV,  l'adversaire  de  Gré- 
goire VII,  paraît  avoir  été  le  promoteur  de  ce  mouvement 
de  construction,  mais  les  procédés  étaient  encore  si  impar- 
faits que  la  plupart  de  ces  voûtes  primitives  s'écroulèrent 
et  durent  être  refaites  au  xu^  siècle.  De  cette  époque  date 
la  cathédrale  de  Spire  qui  se  compose  de  trois  nefs,  d'un 
transept  et  d'un  chœur  en  hémicycle.  A  la  croisée  du  tran- 
sept s'élève  une  coupole  octogonale.  La  grande  nef  com- 
prend six  travées  couvertes  de  grandes  voûtes  d'arètesépa- 
rées  par  des  doubleaux  et  correspondant  chacune  à  deux 
travées  des  collatéraux.  Pour  diminuer  la  poussée  on  a 
surhaussé  tellement  les  voûtes  que  leurs  arêtes  sont  en 
plein  cintre  et  qu'elles  deviennent  de  vraies  coupoles  sur 
pendentifs.  L'analogie  entre  cette  architecture  et  celle  de 
l'école  lombarde  est  trop  visible  pour  qu'on  ne  suppose 
pas  des  communications  entre  les  deux  domaines  artistiques. 
La  cathédrale  de  Spn-e  est  en  outre  précédée  d'un  narthex 
à  trois  travées  et  elle  est  décorée  à  l'intérieur  comme  à 
l'extérieur  d'arcalures  ou  de  galeries  à  jour  portées  sur  des 
colonnettes.  Les  cathédrales  contemporaines  de  Mayence 
et  de  Worms  sont  remarquables  par  leurs  belles  dimen- 
sions ;  la  hauteur  de  la  grande  nef  de  Mayence  est  égale  à 
deux  fois  et  demie  sa  largeur.  A  la  cathédrale  de  Worms 
consacrée  en  ii8f,  on  trouve  le  plan  à  deux  chœurs  qui 
est  une  caractéristique  de  l'école  rhénane  et  qui  apparaît 
déjà  sur  le  plan  du  monastère  de  Saint  Gall  tracé  au  x*  siècle. 
A  l'est  le  chœur,  en  hémicycle  à  l'intérieur,  est  carré  à  l'ex- 
térieur :  celui  de  l'ouest  a  la  forme  polygonale.  Dans  les 
autres  parties  de  l'Allemagne,  en  Westphalie  et  en  Saxe 
la  voûte  n'apparut  guère  avant  la  fin  du  xii"  siècle.  Plu- 
sieurs de  ces  églises  ont  conservé  sur  leurs  chapiteaux, 
massifs  en  général,  la  sculpture,  faite  d'animaux  fanlasti- 


60  LES    ÉGLISES    ROMANES 

ques  OU  de  feuillages  conventionnels,  qui  caractérise  l'art 
roman. 

Bibliographie.  Dartein.  L'architecture  lombarde,  Paris,  1882.  — 
Caltaneo.  L'architectura  in  Ilalia  dal  sccolo  VI  al  mille  circa. 
Venise,  1889.  —  Veniuri.  Storia  deU'  arte  ilaliana-t  a  et  3.  Mi- 
lan, igoS-A.  —  Olte.  Handbuch  der  Kirchlichen  Kunslarchiiolo- 
gie  der  deustschen  Mittelatters.  Leipzig,  i883.  —  Dohinc, 
Bode,  etc..  Geschichte  der  deulschen  Kunsl    Berlin  iSSS-go.  5v. 


CONCLUSION 


Dans  le  cours  des  xi'  et  xii*  siècles,  il  s'est  constitué  en 
Occident  une  architecture  religieuse  d'un  caractère  origi- 
nal. Il  faut  en  chercher  les  origines  lointaines  moins  dans 
la  basilique  gréco-romaine  à  charpente,  soutenue  par  des 
colonnes,  que  dans  lesbasiliquesorientales  voûtées  dont  on 
a  retrouvé  les  restes  en  Asie-Mineure  et  en  Syrie.  Mais  sur 
ce  fond  commun  s'est  élaborée  la  variété  des  écoles  régio- 
nales qui  ont  apporté  chacune  leur  solution  au  problème 
de  la  couverture  des  églises.  Nef  centrale  plafonnée  en- 
tre des  collatéraux  couverts  d'arêtes,  nef  centrale  voûtée 
en  berceau  et  contrebutée  par  des  collatéraux  qui  laissent 
cependant  un  espace  suffisant  pour  ouvrir  des  fenêtres 
hautes,  berceau  central  contrebuté  par  les  voûtes  en  quart 
de  cercle  des  tribunes  ou  des  collatéraux,  berceau  central 
aveugle  entre  deux  collatéraux  très  élevés,  nef  centrale 
couverte  d'une  succession  de  coupoles  ou  de  voûtes  d'arêtes, 
telles  sont  les  formules  découvertes  par  les  écoles  nor- 
mande, bourguignonne,  auvergnate,  poitevine,  périgour- 
dine,  lombarde,  rhénane  à  la  fin  du  xi°  siècle.  Le  xn=  siè- 
cle qui  coïncide  avec  le  plein  épanouissement  de  l'archi- 
tecture romane  a  marqué  de  nouveaux  progrès  ;  l'emploi 
de  l'arc  brisé  dans  les  arcades  ou  les  voûtes  a  allégé  les 
poussées,  et  permis  d'élever  des  églises  plus  hautes  :  pres- 
que toutes  les  écoles  l'ont  adopté.  D'autre  part  la  scul[>- 


62  LES    ÉGLISES    P.0MV.VE3 

ture  ornemenlalc,  longtemps  dans  l'enfance  a  révélé  ses 
ressources  à  la  fois  en  Bourgogne,  en  Poitou,  en  Auver- 
gne, en  Provence,  en  Lombardie.  Depuis  les  derniers 
temps  de  l'antiquité  elle  était  réduite  à  une  ornementa- 
tion stylisée  et  barbare  ;  elle  reprend,  aux  portails  de 
Saint-Trophime,  de  Moissac,  de  Chartres,  sa  place  dans 
l'art  occidental.  Le  catholicisme  avait  ainsi  trouvé  dans 
l'art  roman  un  modèle  de  construction  religieuse  adapté 
à  ses  besoins.  Le  mouvement  aurait  pu  s'arrêter  ;  l'art  ro- 
man avait  donné  à  l'Occident  le  type  architectural  que 
rOrient demandait  à  l'art  byzantin.  Les  écoles  locales  ten- 
daient à  se  pénétrer  l'une  l'autre,  les  diversités  s'effaçaient 
et  il  se  serait  peut-être  formé  un  type  abstrait  d'église  ro- 
mane, qui  aurait  été  pour  l'Occident  ce  que  l'église  à 
croix  grecque  fut  pour  l'Orient,  si  une  des  moins  prospères 
de  ces  écoles  locales,  n'avait  imaginé  un  nouveau  procédé 
de  voûte  qui  entraîna  une  véritable  révolution  dans  l'ar- 
chitecture religieuse  :  les  écoles  romanes  allaient  faire 
place  à  l'architecture  gothique  au  moment  même  où  la 
langue  française  commençait  à  se  substituer  aux  dialectes 
locaux. 


BIBLIOGRAPHIE  GÉNÉRALE 


Encyclopédies  :  Viollet-Lediic.  Dictionnaire  de  l'architecture- 
française  du  xi'  au  ivie  siècle  édit.  de  i8-5,  lo  v.  —  Planai. 
Encyclopédie  de  larchitecture  et  delà  construction. 

Revues  :  Cahier  et  Martin,  Mélanges  d'archéologie  et  d'histoire^ 
Paris,  i847-56.  Nouveaux  mélanges,  1874-77.  —  Bulletin  Mo- 
numental  (publié  depuis  i834l.  — ■  Bulletin  archéologique  du  Co- 
mité des  Travaux  historiques  =  B.  A.  C.  T,  H.  —  Revue  de  l'Art 
chrétien. 

Ouvrages  généraux  :  De  Cffumont.  Abécédaire  ou  rudiment 
d'archéologie.  Ere  romane,  Caen,  1870.  —  Corroyer,  Architec- 
ture romane  (coll.  Quantin).  —  Choisy,  Histoire  de  l'architec- 
ture, t.  II,  Paris,  1899.  —  Quicherat,  Mélanges  d'archéologie  et 
d'histoire,  Paris,  1786.  —  Enlart,  Manuel  d'archéologie  fran- 
çaise, t.  I,  architecture  religieuse,  Paris,  1902.  —  Anthyme 
St-Paul,  Histoire  monumentale  de  la  France,  Paris,  i883.  — 
Architecture  et  catholicisme,  Paris-Bloud,  1904.  —  Brutails, 
L'archéologie  du  Moyen  Age  et  ses  méthodes,  Paris,  igoi. — 
A.  Germain,  L'art  chrétien  en  France  des  origines  au  x\i°  siècle, 
Paris  Bloud.  —  Vitry,  Album  de  sculpture  du  moyen  âge,. 
Paris,  ioo4. 


TABLE  DES  MATIERES 


Introduction.  —  Les  origines     ..«•••••  3 

I.  —  La  construction  des  églises  romanes.     .     •     .     «  9 

I[.  —  Les  églises  normandes >     •     •  i4 

£I[,  _  Les  églises  bourguignonnes aS 

IV.  —  Les  églises  auvergnates 3o 

V.  —  Les  églises  poitevines  et  les    églises  à  coupoles  du 

sud-ouest 38 

VI,  —  Les  églises  provençales 44 

VII.  —  Les  régions  de  transition 48 

VIII.  —  Les  écoles  étrangères.  Lombardie  et  A.llemagne  .  55 

Conclusion 61 

,BlULI0GRA.PmB    OÉNÉRALS       , 63 


J707-0Û.  —  Imp.  des  Orph.-Appr.,  F.  Blétit,  40,  ruî  La  Foataine,  Paris. 


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