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Full text of "Les Essais de Michel de Montaigne"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lesessaisdemi01mont 


l'cfté  venu  ,'  il  y  gaigna  contre  eux  encore  vne  bataille  nauale  J" 
Sur  le  fubicd  de  vcftir,le  Roy  de  la  M  exique  changeoit  qua- 
tre fois  par  iour  d'accoullremensjiamais  ne  les  rciteroit ,  em- 
ployant fa  desferre  à  Tes  cotinuellcs  libcralitez  &  recompcn- 
les:comme  auffi  iiifliois  ny  pot,ny  plat,  ny  vtenfile  de  fa  cuifi- 
nc,&  de  fa  table  ne  luy  cftoient  feruis  à  deux  fois. 

.    Ditieune  Caton.     Chap.      XXXVII. 

V^4J  E  n  ay  point  cçttç  erreur  CQr^une?^de  ju^er jg^amffi^ 

J['h"0;{  lelon  î(-ioy-, '  &  <^)rapportcr  la  condition  des  autres  "^  ^  i  ^^^ ^  ^ 

!»l^V^4èéB»^àJ^  miaTnc-JC  croy  aylénicnr  d'autruy-bf^H-  1  ^ x^T  rV-5,^^j 


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1^}^^'  bielle  qiiêifirfeftrawîîEÇ^  naltcrejiucunement  les  opinions^ 
^'^^  ■  .dois  auoir  de  lav««u  &c  vâfëw  deceux  qui  le  rneritenr^T  • 


■'{?triT>i 


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fueie.doi 
.ampant 


7.  >  r    ^ques  dans  les  nues 


au  iimo  de  la  terre^ie  n;é 


niTaïÏÏ 


e  nas  de  remerquer  lu 


ir.dau( 


1" 


les  nues  la  hauteui},d  aucunes  âmes  lieroïquÊ 
beaucoup  pour  moyd'auoir le  iugcment  réglé,  (î  les  elfe(fts.^« 


A;j         nelepeuuetciti'ei&mamtcnir,aumomsccttemaiitrel  epar-'^'Y      /        ■ 
^  'jv  H  tie,exemptedeticorruption  &-dt4?attt4te:tcft  quelque cho-.T^.rA«<? 
^|>^  >-,  fed'auoirlavplonté  bonne,  quand  les  iambes  me  faillent.  Ce/^*";À"'j 


-,  fe^Trtfftt  vertueuîe^:  belles  qui  en  portet  le  vilage.elle.s  n'en  ont  ,^/.<£<...vw  '-^'^^ 
>-paspourtant  1  eflencertar  le  ptont,la  gJoire,la crainte,!  accou^^^^^y %,, z/^-  «^«Z  •' 
a  tumancc,  &  autres  telles  caufeseftrangcres  nous aclu'minenc*'^>/^TJ^*^t^^ 
;  aies  produire.  Laiufticej  la  vaillance,  bdcbonnairctc,  que/<';^/^^;x^'''^^^"/ 
Tnous  exerçons  lors,  elles peuuentcltiediéteGteîks,  pour  \3.]/7u.^  rcrr^tni^^;: 
confidcrationd'aurruy,  ÔJduvifige  qu'elles  portent  en  pu-i2p 


blic,  mais  chez  l'ouurier  ce  n'eft  aucunement  venu  :  -fl  y  a  y  ne  *^'^-a>*-^  «^z».-^^  '^"'['^ 


<r^r  t V c  >C.  v^  •  c  A  ^  ^'  .;cTx  A'c  ;*^  c  ^  /^  H 


LES  ESSAIS 


DE 


MICHEL  DE  MONTAIGNE 


rrBLIÉS    D  APRES    I.  EXEMPLAIRE    DE    BORDEAUX, 

AVEC    LES    VARIAKTES     MANUSCRITES    &    LES    LEÇONS    DES    PLUS    ANXIENNES    IMPRESSIONS, 

DES    KOTES,    DES    NOTICES   ET    UN    LEXIQUE. 

VAK 

FORTUNAT    STROWSKI 
Professeur  :idjoint  à  l'Université  de  Bordeaux 

SOUS   LES   AUSPICES    DE    LA    COMMISSION    DES   ARCH1\'ES   MUNICIPALES 


TOME   PREMIER 


BORDEAUX 

IMPRIMERIE   NOUVELLE   F.    PECH   &    C' 


.M  C  M  V  I 


.A/ 

.1 


A   MONSIEUR  ALFRED   DANEY 


Maire  de  Bordeaux 


Bordeaux,  le  iS  avril  i^Oj. 


Monsieur  le  Maire, 


Au  temps  de  votre  première  Mairie,  eu  iSSy,  la  Commission  de 
publication  des  Archives  Municipales  vous  offrait  le  Tome  premier  des 
Inscriptions  Romaines  de  Bordeaux,  où  l'érudition  de  M.  Camille 
JuUian  faisait  pieusement  revivre  la  mémoire  de  nos  ancêtres  gallo-romains. 

Dès  les  premiers  mois  de  votre  seconde  Mairie,  en  iS<)2,  vous  demandiez 
à  M.  JuUian  d'écrire  une  Histoire  de  Bordeaux  depuis  les  origines 
jusq.u'en  1895.  L'œuvre  magistrale  de  Téminent  professeur  que  la  Faculté 
des  Lettres  se  voit  contrainte  de  céder  au  Collège  de  France  a  été  publiée 
le  i"  mai  i8<-}),  au  moment  où  s'ouvrait  notre  Exposition  Universelle. 
L'Histoire  de  Bordeaux  se  termine  par  cette  phrase  de  conclusion  : 
<(  Aujourd'hui,  eu  face  d'un  État  absolu  et  monotone,  en  jace  d'idées 
internationales  plus  despotiques  et  plus  froides  encore,  l'esprit  municipal 
peut  devenir,  au  même  titre  que  la  vie  de  famille  et  que  l'amour  du  sol,  la 
sauvegarde  de  la  liberté  et  de  la  dignité  humaines.  » 

Ces  lignes,  écrites  en  18^^,  n'ont,  en  k-Joj,  rien  perdu  de  leur  vérité. 
Cette  vérité,  Monsieur  le  Maire,  vous  eu  êtes  pénétré,  puisque,  sur  les 
instances  unanimes  de  vos  Collègues  du  Conseil  Municipal,  vous  ave:^ 
consenti,  en  i')04,  à  vous  remettre  à  la  tête  de  l'Administration.  Votre 
dévouonent  êi  <<  l'esprit  municipal  »  ne  vous  a  pas  permis  d'écouter  les 


VI 

lâches  propos  de  ïcpicuricu  Horace,  qui  prétextait,  pour  ne  plus  descendre 
dans  l'arène,  les  progrès  de  l'âge  et  le  changement  de  ses  dispositions  d'esprit'. 
Vous  vous  êtes  souvenu,  au  contraire,  que  le  vieil  Enfelle  de  /'Enéide 
jt'avait  pas  hésite,  en  des  conjonctures  où  son  activité  était  nécessaire, 
à  charger  ses  mains  des  cestes  lourds,  et  qu'il  n'avait  renoncé  à  la  lutte 
qu'après  avoir  réduit  à  l'impuissance  ce  présomptueux  Darès,  qui,  dit 
le  poète,  «  dressait  sa  tête  aJlière,  étalait  ses  larges  épaules,  déployait  tour 
à  tour  ses  deux  bras,  frappant  l'air  de  coups  redoid^lés  »  \ 

L'âge,  sans  doute,  n'est  plus  le  même  —  non  eadem  est  œtas  — 
que  le  i8  mai  iSyi,  alors  que  vous  acceptie:^  pour  la  première  fois  de 
faire  partie  de  l'Administration  de  notre  ville;  mais  l'esprit  —  «  l'esprit 
municipal  »  —  est  toujours  le  même,  toujours  aussi  jeuiw,  toujours  aussi 
dévoué  aux  intérêts  de  Bordeaux. 

Comme  témoignage  de  cet  esprit  municipal  qui  nous  anime  tous  et  nous 
unit,  la  Commission  de  publication  des  Archives  est  heureuse.  Monsieur  le 
Maire,  de  vous  ofrir,  au  début  de  votre  troisième  Mairie,  le  premier 
volume  de  /'  <(  édition  muiricipale  »  des  Essais  de  Montaigne,  votre 
prédécesseur  à  l'Hôtel  de  ï'ille. 

Il  y  a  plus  de  deux  mille  ans,  chacune  des  grandes  cités  de  la  Grèce 
continentale,  des  îles  et  des  colonies,  Chios  connue  Argos,  Marseille  comme 
Athènes,  avait  tenu  à  faire  une  rccension  de  /'Iliade.  Ce  furent  les  éditions 
municipales  Q/.ol-.x  ixç  r.i'/.uç).  Aucune  d'elles  ne  réussit  à  être  définitive, 
car  il  leur  nuinquait  à  toutes  de  pouvoir  se  jonder  sur  un  texte  authentique. 
Plus  heureuse  que  les  anciennes  cités  helléniques,  la  l'ille  de  Bordeaux 
a  le  privilège  de  posséder  les  bonnes  feuilles  d'un  exemplaire  des  Essais, 
corrigées  par  Montaigne  lui-même  en  vue  d'une  édition  nouvelle  qui  n'a 
jamais  été  publiée.  C'est  cette  édition  que  la  Commission  de  publication 
des  Archives  Municipales  s'est  chargée  de  préparer.  La  direction  de  cette 
œuvre  difficile  et  délicate  a  été  confiée  à  M.  Strmuski,  professeur  adjoint 

'    HouACE,  Kpitrcs,  I,  i,  v.  3. 

•    Virgile,  Hnéidc,  \',  v.  375-379. 


VIT 

(/  la  Facilite  des  Lettres,  qui  lia  mciuigé  ni  sa  jiiie  habileté  de  critique, 
ni  sou  labeur  acharné  d'énidit,  dans  l'accomplissenienl  d'une  lourde  tâche 
courageusement  entreprise.  L'éditeur  a  été  utilement  secondé  par  M.  Bourcie^ 
professeur  a  la  Faculté  des  Lettres,  titulaire  de  la  chaire  miinicipale  de 
Langues  et  Littératures  du  Sud-Ouest  de  la  France,  et  par  M.  Courteault, 
successeur  désigne  de  M.  Jullian  dans  la  chaire  municipale  d'Histoire  de 
Bordeaux  et  du  Sud-Ouest  de  la  France.  Les  membres  de  la  Commission  ' 
ont  tous  collaboré  à  l'œuvre  commune,  soutenus  dans  un  travail,  souvent 
ingrat,  par  le  souvenir  de  cet  hémistiche  du  vieux  poète  bordelais  Aiisone, 
qui  a  été.  Monsieur  le  ALrire,  la  devise  de  toute  votre  vie  municipale  : 
Diligo  Burdigalam. 

Au  nom  de  la  Coininission  de  publication  des  Archives  Municipales 
de  Bordeaux,  j'ai  l'honneur  de  vous  prier.  Monsieur  le  Maire,  d'agréer 
l'hommage  de  nos  sentiments  respectueux  et  dévoués. 

H.  DE  LA  Ville  de  Mirmont. 


'    La  Coiiiiiiissioii  de  publication  des  Aiclnves  Municipales  se  compose  de  : 

MM.  Louis  DE  Bordes  de  Portage,  secrétaire  général  de  l'Académie  des  Sciences,  Belles- 
Lettres  et  Arts  de  Bordeaux,  président  de  la  Société  des  Bibliophiles  de  Guienne; 

Edouard  Bourciez,  professeur  ii  la  Faculté  des  Lettres  de  l'Université  de  Bordeaux; 

Raymond  Céleste,  conservateur  de  la  Bibliothèque  municipale,  membre  de  l'Académie; 

Paul  Courteault,  professeur  au  Lycée,  secrétaire  général  de  la  Société  des  Arctnves 
Historiques  de  la  Gironde  ; 

Ariste  Ducaunnés-Duval,  conservateur  des  Archives  Municipales,  membre  de 
l'Académie,  vice-président  de  la  Société  des  Archives  Historiques,  trésorier  de  la 
Société  des  Bibliophiles  ; 

Francisque  Habasque,  président  de  Chambre  honoraire  à  la  C^our  d'Appel,  président 
de  la  Société  des  Arctnves  Historiques  ; 

Camille  Julliax,  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres,  membre  de  l'Académie; 

Gustave  Labat,  membre  de  l'Académie,  vice-président  honoraire  de  la  Société  des 
Arctnves  Historiques  ; 

Henri  de  la  Ville  de  Mirmont,  professeur  à  ta  Faculté  des  Lettres; 

Marcel  Marion,  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres,  membre  de  l'Académie,  membre 
du  bureau  de  la  Société  des  Archives  Historiques  ; 

Fortcnat  Strowski,  professeur  adjoint  à  la  Faculté  des  Lettres. 


INTRODUCTION 


L'ÉDITION  MUNICIPALE  DES  «  ESSAIS  >> 


Éditions  des  «  Essais  »  publiées  par  Montaigne. 

Au  commencement  de  Tannée  1371,  Michel  de  Montaigne,  qui 
venait  de  vendre  sa  charge  de  conseiller  au  Parlement  de  Bordeaux, 
se  retira  dans  son  château  de  Montaigne. 

Cette  retraite,  il  la  consacrait  à  sa  liberté,  à  sa  tranquillité,  à  son 

repos   :      LIBERTATI     SV^E     TRAXaVILLITATiaVH    ET    OTIO    DICAVIT'. 

11  travailla  en  effet  pendant  neuf  ans  à  conquérir,  dans  des  temps 
troublés,  parmi  les  passions  religieuses  et  politiques,  la  liberté  de 
l'esprit  et  la  tranquillité  de  l'âme. 

Montaigne  eut  quelque  peine  à  s'habituer  à  la  solitude;  elle 
produisit  en  lui  une  «  humeur  mélancolique  »,  et,  pour  la  dissiper, 
il  se  mit  en  tête  d'écrire.  Sur  le  récit  d'un  apothicaire,  sur  un  mot 
lu  dans  Plutarque,  sur  une  anecdote  des  guerres  d'Italie,  sur  tous 
propos,  il  «  essave  ses  facultés  naturelles  »  ;  et,  à  la  façon  dont  il 
discourt  et  dont  il  juge,  nous  suivons  les  changements  de  ses 
«conditions  et  humeurs»,  et  les  progrés  de  sa  sagesse;  à  la  vérité, 

'    Inscription  de  la  bibliothiique  de  Montaigne. 


X  IXTRODUCTIOX. 

il  ne  se  peint  pas  :  il  vit  devant  nous.  Ainsi  il  se  trouve  avoir  été 
la  «  matière  de  son  livre  ». 

Montaigne  fit  imprimer  ces  Essais  à  Bordeaux,  en  deux  livres, 
chez  Millanges,  en  1580.  Il  ne  les  avait  pas  laissés  dans  leur  ordre 
de  composition  :  avec  un  art  subtil  et  délicat,  il  diversifie  les  chapitres 
et  il  en  rompt  la  suite  chronologique.  Chaque  k  Essai  »,  en  revanche, 
est  d'une  construction  solide  et  nette;  il  n'y  a  point  de  grossièretés, 
ni  de  confidences  indiscrètes.  Un  style  «artiste»,  comme  dit 
Montaigne,  un  stvle  tout  nourri  de  citations  d'Amyot,  ou  de 
traductions  de  Sénèque,  en  même  temps  qu'une  singulière  élévation 
morale,  donne  du  prix  à  ce  livre,  d'une  inspiration  à  la  lois  stoïcienne 
et  pyrrhonienne,  où  l'histoire  du  temps  tient  beaucoup  plus  de  place 
que  les  souvenirs  de  l'antiquité. 

En  1 382,  puis  en  1587,  Montaigne  réédite  les  Essais.  11  en  corrige 
çà  et  là  des  phrases,  il  y  ajoute  quelques  réflexions,  qui  se  rapportent 
à  ses  vo\ages  et  aux  remèdes  de  la  «  colique  pierreuse  »  dont  il 
souffre;  il  proteste  de  sa  parfiiite  soumission  à  l'Eglise  catholique. 
Mais  les  éditions  de  1382  et  1387  sont  bien  le  même  ouvrage  que 
les  Essais  de  1380. 

11  en  va  tout  autrement  de  l'édition  qu'il  donna  en  1388. 

De  1580  à  1388,  la  vie  de  Montaigne  a  bien  changé;  il  a  tait  à 
travers  l'Allemagne,  la  Suisse,  l'Italie,  un  long  vovage;  il  a  été  maire 
de  Bordeaux  pendant  quatre  ans,  il  a  vu  un  redoublement  de  la 
guerre  civile,  de  l'anarchie  et  des  passions  politiques;  il  a  joué  un 
grand  rcMc  dans  la  crise  provoquée  par  cette  mort  du  duc  d'Anjou 
qui  laissait  Henri  111  sans  un  parent  direct,  le  trône  sans  un  héritier 
nettement  désigné.  11  ne  s'agissait  plus  seulement  d'affermir  son 
âme  contre  des  maux  possibles,  et  d'apprendre  à  «  bien  mourir  et 
à  bien  vivre  ».  A  ce  même  moment,  Du  Vair  écrivait  à  un  ami  : 
«  Réser\e/  le  dessein  de  vivre  en  solitude  et  vous  retirer  au  repos, 
lorsque  tous  ensemble  nous  aurons  amené  le  navire  au  port,  ou  que, 
vaincus  par  l'opiniâtre  imprudence  de  ceux  qui  se  veulent  perdre. 


INTRODUCTION.  XI 

nous  nous  serons  sauvés  sur  quelque  table  de  naufrage.  »  Montaigne 
était  sorti  de  la  solitude  et  du  repos.  Il  va  nous  dire  maintenant 
à  quels  devoirs  nouveaux  il  sest  vu  obligé,  quels  principes  ont 
gouverné  sa  politique,  quelle  fut  la  régie  et  l'inspiration  de  sa 
conscience;  et  c'est  très  beau.  En  même  temps,  et  comme  par  rançon, 
il  se  laisse  aller  à  la  tendance  de  son  temps  et  au  penchant  naturel 
de  son  esprit  :  il  parle  beaucoup  de  lui  et  d'une  fiiçon  quelquefois 
indiscrète;  il  se  complaît  à  se  regarder  lui-même.  Il  cite  davantage 
les  anciens;  il  répand  à  profusion  ses  notes  de  lecture.  Enfin  son 
imagination  moins  sévère  s'abandonne  un  peu  trop.  Vieux,  à  l'abri 
des  passions,  et  «  tombé  de  l'excès  de  la  gaieté  en  celuv  de  la 
sévérité  »,  il  tâche,  pour  être  «  maître  de  luv  à  tous  sens  »,  de 
s'  «  csbatre  en  des  pensements  fols  et  jeunes  ». 

Tel  est  l'apport  de  1588. 

Dans  l'édition  de  1 388,  cet  apport  s'ajoute  au  fonds  de  [580-82-87, 
et  il  s'y  mêle;  il  forme  d'abord  dans  l'ouvrage  total  un  troisième 
Hvre  qui  a  les  mêmes  proportions  que  les  deux  premiers;  puis  il 
s'insinue  sous  forme  d'additions  plus  ou  moins  importantes  dans  le 
corps  même  des  deux  premiers  livres,  désarticulant  les  chapitres, 
coupant  la  suite  des  idées,  confondant  deux  inspirations,  deux 
problèmes  et  deux  hommes.  L'édition  de  1 3  88,  plus  riche,  plus  \ariée, 
plus  profonde  que  les  éditions  de  1380-82-87,  est  obscure  pour  le 
lecteur  qui  veut  y  chercher  une  pensée  systématique,  mais  pleine  de 
clarté  pour  le  lecteur  qui  sait,  en  distinguant  les  apports,  discerner  les 
mouvements  divers,  la  «  volubilité  »  d'une  pensée  vivante. 

L'Exemplaire  de  Bordeaux. 

Après  l'année  1388,  la  santé  de  Montaigne  le  condamne  à  la 
retraite.  L'heure  du  recueillement  était  venue.  Les  témoins  de  ses 
dernières  années,  Pierre  de  Brach  et  Florimond  de  Rxmond,  disent 
qu'elles  furent  pleines  de  résignation   et  de  gravité.   Cependant, 


XII  INTRODUCTION. 

quoiqu'il  ait  renonce  à  bien  des  choses,  Montaigne  ne  renonce  pas 
à  ses  Essais.  Il  continue  à  les  augmenter  et  à  les  égayer. 

Il  avait  avec  lui  les  bonnes  feuilles  de  l'édition  de  1388;  il  les 
relisait,  il  les  corrigeait  minutieusement,  il  en  chargeait  les  marges 
d'additions  manuscrites,  il  corrigeait  ces  additions  à  leur  tour  avec 
le  même  soin  méticuleux,  il  les  enrichissait  d'autres  additions, 
indéfiniment.  Que  le  lecteur  veuille  bien  se  reporter  à  l'héliogravure 
par  laquelle  s'ouvre  ce  volume,  il  verra  une  de  ces  feuilles.  Il  y 
suivra  le  travail  de  Montaigne. 

Montaigne  relisant  cette  page  —  le  recto  du  folio  96  —  et  voyant 
que  le  mot  «  autruy  »  est  répété  deux  fois  à  deux  lignes  d'intervalle, 
le  remplace  une  des  deux  fois  par  «  un  autre  ».  En  même  temps 
il  s'arrête  à  ce  passage  :  «  Rampant  au  limon  de  la  terre,  je  ne 
laisse  pas  de  remerquer  la  hauteur  d'aucunes  âmes  héroïques.  C'est 
beaucoup  pour  mov  d'avoir  le  jugement  réglé  si  les  effets  ne  le 
peuvent  estre.  »  Il  .s'aperçoit  qu'il  n'en  dit  pas  assez;  s'il  «  remerque  » 
la  hauteur  d'aucunes  âmes  héroïques,  il  remarque  aussi  «  par  quel 
moien  elles  s'v  sont  montées,  quel  tour  elles  se  donent  pour 
s'eslever  ».  Il  l'écrit,  et  du  même  coup  il  ajoute  qu'il  n'admire  ainsi 
que  les  âmes  nobles,  d'où  il  conclut  :  «  J'ay  et  reconois  en  mon  ame 
les  semances  de  tous  ces  mouvemans.  »  Plus  tard,  en  se  relisant,  il 
n'est  pas  satisfait  de  sa  phrase.  «Tous  »,  c'est  trop  dire  maintenant,  et 
il  efface  «  tous  »;  mais  il  remplace  «  mouvemans  »  par  «  progrès  », 
qui  est  plus  précis. 

Les  semaines  .se  passent,  peut-être  les  mois.  Montaigne  a  changé 
de  plume,  d'encre  et  d'idée.  Il  efface  cette  addition  manuscrite  où  il 
affirmait  la  noblesse  de  son  âme.  A  la  suite,  à  la  place,  il  écrit  un 
long  développement,  011  il  fait  profession  de  dilettantisme.  «  Pour 
me  sentir  engagé  a  une  forme,  je  n'y  oblige  pas  le  monde,  come 

chacun  fiiict,  et  crois  et  conçois  mille  contreres  façons Pour 

n'estre  continant  je  ne  laisse  d"ad\-ouer  sinceremant  la  continance  des 


INTRODUCTION'.  XIII 

Feuillens  et  des  Capuchins Je  minsinue  par  imagination  fort  bien 

en  leur  place.  »  C'est  explicite.  Pourtant  Montaigne  (un  peu  plus 
tard,  comme  le  montre  la  différence  des  encres)  y  revient  pour 
écrire  :  «  Et  si  les  aime  et  les  honore  d'autant  plus  qu'ils  sont  autres 
que  moi.  » 

Dans  le  haut  de  la  page  les  additions  manuscrites  sont  d'une  autre 
sorte.  Ce  sont  des  récits.  En  feuilletant  Tite-Live,  Montaigne  }-  voit 
les  souffrances  des  Romains  «  au  combat  qu'ils  eurent  contre  les 
Carthaginois  prés  de  Plaisance  ».  11  les  transcrit,  en  travers,  dans  la 
partie  encore  libre  de  la  marge  gauche.  Une  autre  tois,  il  trouve 
dans  Xénophon  le  tableau  de  souffrances  analogues;  il  joint  ce  récit 
au  précédent.  Comme  la  place  lui  manque,  il  écrit,  non  à  la  suite, 
mais  dans  la  marge  supérieure,  reliant  les  deux  fragments  par  un 
double  X  qui  lui  sert  de  signe  de  renvoi.  Et  ainsi  du  reste. 

Entre  temps  il  ajoute  des  citations,  des  réflexions  brèves,  il  lait 
des  corrections  patientes.  Il  reprend  par  trois  tois  la  première  phrase 
du  chapitre  xxxnii,  et  il  n'est  satisfait  qu'à  la  quatrième  fois.  Il  met 
deux  points  à  la  place  d'une  virgule,  et  un  point  à  la  place  de  deux 
points;  il  remplace  des  minuscules  par  des  majuscules.  Une  faute 
d'impression  a  pourtant  échappé  à  son  attention  :  à  la  ligne  26  on 
lit  «  ptofit  »  pour  «  profit  »  ;  il  ne  la  corrige  pas.  11  ne  l'a  pas  vue. 
D'ordinaire  il  voit  ces  fautes  et  il  les  corrige. 

Cette  page  permet  de  juger  des  autres  :  toutes  ne  sont  pas  ainsi 
chargées,  toutes  ont  été  revues  minutieusement  par  Montaigne. 


Dans  ce  travail  il  se  révèle  écrivain  difficile  et  consciencieux  : 
il  évite  les  moindres  négligences  de  style;  il  y  a  des  corrections 
d'orthographe  qu'il  fiiit  systématiquement;  il  a,  jusqu'à  l'excès,  le 
souci  de  rendre  avec  exactitude  sa  pensée,  et  s'il  substitue  un  mot 
à  un  autre,  quelquefois  c'est  pour  éviter  une  répétition,  c'est  le  plus 
souvent  pour  mieux  traduire  sa  pensée  qui  a  changé. 


XIV  IXTRODUCTIOX. 

La  pensée  continue  en  effet  à  changer;  ce  qui  préoccupe  à  cette 
heure  Montaigne,  c'est  de  juger  et  de  rectifier  —  de  rectifier  en 
le  contredisant  —  ce  qu'il  a  dit  autrefois.  Le  nouvel  apport  de  ces 
quatre  années  de  travail  pourrait  s'intituler  :  Montaigne,  juge  de 
Montaigne.  Comme  s'il  se  trouvait  trop  tendu  jadis,  trop  volontaire, 
trop  stoïcien,  Montaigne  affecte  à  cette  heure  un  abandon,  un 
épicuréisme  où  il  entre  beaucoup  d'humour. 

Ces  feuilles  précieuses,  où  Montaigne  a  travaillé  pendant  quatre 
ans,  ne  furent  pas  envoyées  à  l'imprimeur.  Montaigne  mourut  avant 
de  s'en  être  séparé.  Sa  veuve  en  fit  don  aux  Religieux  Feuillants. 
Le  corps  de  Montaigne  reposait  dans  leur  église;  son  livre  reposa 
dans  leur  bibliothèque.  A  la  Révolution,  ce  trésor  inestimable  passa, 
avec  le  fonds  des  Feuillants,  à  la  Bibliothèque  municipale  de  la  Ville 
de  Bordeaux.  Au  xvni^'  siècle,  —  on  ne  sait  si  ce  fut  avant  ou  après 
cette  translation,  —  les  feuilles  furent  reliées,  et  malheureusement 
l'ouvrier  les  rogna,  taisant  disparaître  des  mots  et  des  fragments  de 
mots,  voire  des  lignes  entières. 

C'est  r  «  Exemplaire  de  Bordeaux  ». 


L'  «  Art  de  lire  l'Exemplaire  de  Bordeaux  ». 

Ce  n'était  pas  pour  lui  seul  que  Montaigne  rédigeait  ses  dernières 
pensées  et  revovait  ses  phrases  :  c'était  pour  le  public.  Et  ce  n'était 
pas  pour  son  secrétaire  ou  pour  un  copiste,  qu'il  écrivait  si 
soigneusement  et  si  lisiblement  ses  corrections  ou  ses  additions  : 
c'était  pour  l'imprimeur.  Pour  l'imprimeur  il  recopiait  dans  la 
marge,  en  les  disposant  comme  il  convient,  des  vers  imprimés 
en  1)88  dans  le  texte,  comme  de  la  prose.  Pour  l'imprimeur  il 
diversifiait  à  l'infini  les  signes  de  raccord  et  de  renvoi;  on  en  voit 
de  curieux  exemples  dans  notre  héliogravure.  Pour  l'imprimeur  il 
notait,  et  à  diverses  reprises,  sur  le  verso  du  titre,  quelle  orthographe, 


INTRODUCÏIOX.  XV 

quelle  ponctuation  il  taudrait  suivre,  et  quels  soins  le  correcteur 
devrait  prendre. 

Aussi  ne  taut-il  pas  croire  que  ces  pages  soient  un  brouillon. 
Montaigne  s'y  reprend  souvent,  mais  ce  n'est  pas  à  la  manière  des 
gens  qui  hésitent  sur  le  mot  ou  sur  l'idée.  La  formule  est  tout  arrêtée 
dans  sa  tète  ou  vraisemblablement  dans  un  brouillon  ;  il  la  transcrit 
posément  sur  les  marges  de  l'exemplaire  de  1388.  S'il  efface  et  s'il 
corrige,  c'est  qu'il  a  trouvé  ultérieurement  une  nouvelle  formule, 
complète,  achevée  elle  aussi,  et  arrêtée.  Et  à  l'avance  il  combine  la 
disposition  matérielle  de  ses  corrections  :  il  conservera  telle  partie 
de  mot,  il  utilisera  telle  lettre,  ou  tel  jambage.  Au  folio  loi  (l'édition 
de  1)88  est  numérotée  par  folio  et  non  par  page),  Montaigne  avait 
écrit  «  luy  voir  user  »,  et  il  veut  substituer  à  cette  formule  la 
suivante  :  «  le  sçavoir  avoir  usé  »;  de  «  luy  »  il  fait  «  le  »;  dans 
l'interligne  il  écrit  le  mot  «  sçavoir  »;  devant  «  voir  »  il  introduit 
habilement  un  a  et  il  efflice  l'r  de  «  user  ».  Combinaison  vraiment 
économique. 

Cette  minutie  et  cet  ordre  semblent  s'être  tournés  en  habitude 
et  presque  en  manie.  Les  procédés  de  Montaigne  sont  constants. 
Et  cette  constance  nous  permet  de  distinguer  avec  une  sûreté 
toute  scientifique  les  différentes  rédactions  et  la  suite  du  travail  de 
Montaigne. 

Montaigne  se  sert  d'un  seul  trait,  ou  d'un  double  trait  continu, 
pour  effacer  plusieurs  mots  qui  se  suivent.  Si  le  trait  n'est  pas  continu, 
la  correction  a  été  faite  en  deux  fois  ;  il  y  a  donc  eu  deux  variantes. 
Le  trait  est  tracé  très  proprement,  le  mot  barré  n'est  jamais  illisible; 
presque  toujours  il  est  lisible  fort  aisément. 

La  chronologie  des  différentes  additions  est  également  marquée, 
sans  parler  de  la  différence  des  encres  et  des  écritures',  par  des 


'    L'écriture  de  Montaigm.',  d.uis  le  court  tsp;icc  de  quatre  ans,  a  eu  bien  des 
variations.  (\'oir  le  spécimen  111  de  la  planche  III.) 


XVI  INTRODUCTION. 

signes  certains.  La  graphie  cesse-t-elle  d'être  régulière,  les  lignes 
sont-elles  à  la  fin  plus  tassées  :  ce  n'est  pas  un  caprice,  c'est  que  la 
place  au  dessous  était  déjà  prise,  et  l'addition  qui  occupe  cette  place 
inférieure  est  donc  une  addition  antérieure.  De  même  une  addition 
n'est  pas  en  face  de  la  ligne  où  elle  doit  s'insérer,  comme  il  arrive 
folio  96  sur  le  passage  :  «  Pour  me  sentir  engagé...  »  Cette  dérogation 
à  une  habitude  prouve  elle  aussi  que  la  place  était  prise. 

En  multipliant  ces  observations,  l'éditeur  moderne  se  constitue 
une  méthode,  un  «  art  de  lire  l'Exemplaire  de  Bordeaux.  ». 


L'Edition  Municipale  des  «  Essitis». 

La  Commission  des  Archives  Municipales  publie  aujourd'hui 
intégralement,  texte  et  variantes,  l'Exemplaire  de  Bordeaux. 

Le  texte  d'abord.  L'Exemplaire  de  Bordeaux  est  lait  d'un  fonds 
imprimé  et  d'additions  ou  corrections  manuscrites.  Cette  différence 
est  maintenue  dans  notre  édition,  où  nous  nous  servons  de  caractères 
romains  pour  reproduire  la  partie  imprimée,  et  de  caractères  italiques 
pour  les  parties  manuscrites.  Dans  ces  parties  manuscrites  elle-mêmes, 
il  y  avait  des  arrêts  et  des  reprises  :  tantôt  des  développements, 
tantôt  de  brèves  réflexions,  tantôt  une  série  de  réflexions  distinctes, 
écrites  à  de  longs  intervalles.  Ces  arrêts  et  ces  reprises  sont  marqués 
d'une  façon  tangible  par  l'alinéa.  Chaque  fois  que  dans  une  suite  en 
italiques  le  lecteur  sera  arrêté  par  un  alinéa,  c'est  que  Montaigne 
s'était  arrêté  là.  D'ailleurs,  pour  appliquer  aux  parties  imprimées  la 
même  méthode,  nous  distinguons  l'apport  particulier  de  15,88  du 
fonds  de  1380-87,  en  mettant  dans  la  marge  A  lorsque  commence 
le  tonds  1380-87,  et  ]î  lorsque  commence  l'apport  1588. 

Passons  aux  \  ariantes  :  elles  comprennent  tout  ce  que  Montaigne 
a  effacé.  Là  enct)re  nous  nous  servons  exclusivement  des  caractères 
romains  pour  l'imprimé,  des  italiques  pour  le  manuscrit,  et  nous 


INTRODUCTION.  XVII 

donnons  à  part  ce  qui  est  du  texte  de  1 588,  à  part  ce  qui  est  nouveau 
et  manuscrit.  Pour  ces  dernières  variantes,  où  le  lecteur  trouvera 
du  Montaigne  inédit,  il  a  fallu  user  de  deux  systèmes  :  nous  l'avons 
dit,  chaque  variante  constitue  d'ordinaire  une  rédaction  complète, 
et  que  Montaigne,  à  un  moment  donné,  a  considérée  comme 
définitive;  c'est  une  variante  ordinaire;  mais  outre  cela  il  y  a  des 
«repentirs»,  rédactions  incomplètes,  mots  inachevés,  que  Montaigne 
efface  au  moment  même  où  il  les  écrit,  pour  continuer  d'une  autre 
manière  sa  phrase.  Ces  «  repentirs  »  sont  représentés  ici  par  des 
caractères  italiques  barrés. 

Les  variantes  sont  disposées  suivant  les  règles  habituelles,  le 
premier  et  le  dernier  mot  de  chacune  d'elles  la  raccordent  au  texte. 
Seuls  les  «  repentirs  »  en  caractères  barrés  ne  tiennent  au  texte  que 
par  le  premier  mot. 

Nous  avons  naturellement  reproduit  1'  «  orthographie  »  de 
Montaigne  :  elle  est  à  la  fois  très  constante  sur  certains  points 
importants,  et,  sur  d'autres,  très  capricieuse;  à  la  même  ligne  on 
trouvera  « inutille »  et  «inutile»,  «fouuant»  et  «fouuent».  Mais 
malgré  tout  elle  est  plus  claire,  et  souvent  plus  moderne,  que 
l'orthographe  des  imprimeurs  de  son  temps.  Nous  avons  de  même 
respecté  l'orthographe  du  texte  imprimé.  Si  ce  n'est  pas  celle  de 
Montaigne,  c'est  du  moins  celle  qu'il  a  acceptée,  puisqu'il  sait  bien 
y  corriger  les  mots  qui  lui  déplaisent.  Pour  le  même  motif,  nous 
donnons  les  citations  grecques  telles  quelles  avec  leurs  barbarismes 
et  leur  accentuation  bizarre'. 

Seule  la  ponctuation  de  Montaigne  ne  sera  pas  reproduite  ici.  Elle 
est  certes  curieuse  et  significative,  mais  tellement  éloignée  de  notre 


*  Les  corrections  manuscrites  d'orthographe  et  de  ponctuation  sont  réunies  dans 
un  appendice  à  la  fin  de  chaque  volume.  Nous  introduisons  partout  les  apostrophes 
que  Montaigne  oublie  souvent.  Dans  le  texte  imprimé  nous  distinguons  où  et  à  de 
ou  et  a.  Nous  ne  corrigeons  les  fautes  d'impression  du  texte  de  1588  que  lorsqu'elles 
sont  tout  à  fait  grossières  et,  partant,  non  douteuses,  comme  «  ptofit  »  pour  «profit». 


XVIII  INTRODUCTION. 

usage  que  nous  avons  cru  devoir  en  traduire  les  indications  dans 
une  ponctuation  plus  moderne,  comme  l'ont  fait  tous  les  éditeurs 
de  Montaigne. 

De  cette  façon  notre  édition  n'est  pas  seulement  celle  où  les  qualités 
de  l'écrivain  et  de  l'artiste  se  trahissent  le  mieux,  où  se  discerne  sans 
peine  le  mouvement  de  la  pensée  et  l'image  vivante  de  l'homme; 
ce  n'est  pas  seulement  le  testament  littéraire  de  Montaigne,  c'est 
un  document  capital  pour  l'histoire  de  la  langue,  de  la  grammaire 
et  de  l'orthographe  françaises  à  la  fin  du  xvi--'  siècle. 

Le  texte  et  l'appareil  critique  formeront  trois  volumes,  un  quatrième 
volume  contiendra  une  biographie  et  une  bibliographie  critiques,  un 
lexique  et  des  notes.  Ces  notes  auront  pour  objet  :  i"^  de  déterminer, 
lorsqu'il  sera  possible,  la  date  de  composition  de  chaque  «Essai»; 
2*^  d'indiquer  les  sources  de  Montaigne;  3°  d'expliquer  les  allusions 
historiques.  En  plus,  chacun  des  trois  premiers  volumes  donnera, 
à  la  suite  du  texte,  les  variantes  significatives  des  plus  anciennes 
impressions,  1580-82-87.  On  y  trouvera  aussi  les  leçons  les  plus 
importantes  de  l'édition  de  1593. 

Ce  dernier  point  mérite  quelque  explication. 

L'Édition  de  i)^). 

Le  texte  des  éditions  courantes  des  Essais  a  pour  base  l'édition 
posthume  que  M"«  de  Gournay  donna  en  1595. 

Aussi  longtemps  qu'on  n'a  connu  l'Exemplaire  de  Bordeaux  que 
par  la  copie  de  Naigeon,  on  a  cru  qu'il  n'était  qu'une  manière  de 
brouillon  sans  valeur,  et  que  M"'-'  de  Gournay  avait  disposé  d'un 
autre  manuscrit,  sérieux  celui-là  et  définitif.  M.  R.  Dezeimeris  a 
montré  que  cette  opinion  était  erronée.  Une  comparaison  minutieuse 
de  l'Exemplaire  de  Bordeaux  avec  l'édition  de  1395  confirme,  et, 
sur  certains  points,  précise  les  conclusions  de  M.  Dezeimeris. 

M"*-"  de  Gournay  a  établi  son  édition  d'après  une  copie  de  notre 


INTRODUCTION.  XIX 

Exemplaire.  En  voici  deux  preuves  entre  mille.  Montaigne  écrit 
«  des  montagnes  d'arène  »;  ayant  oublié  un  mot,  il  met  après 
«  arène  »  un  signe  de  renvoi  qui  ressemble  à  une  s;  le  copiste  s'y 
trompe,  et  l'édition  de  1595  imprime  «  arènes  ».  Ailleurs,  Montaigne 
écrit  sans  ponctuation  toute  une  série  d'adjectifs;  l'édition  de  1595 
sépare  ces  adjectifs  par  une  virgule,  c'est  régulier;  mais  au  milieu 
de  ces  virgules,  brusquement  elle  met  deux  points.  C'est  qu'à  cet 
endroit  précis,  dans  notre  exemplaire  est  un  point  imprimé,  le  point 
qui  surmonte  un  /  de  la  signature.  Le  copiste  a  cru  que  ce  point 
était  de  la  main  de  Montaigne  et  traduisait  une  intention;  il  l'a  noté, 
et  l'édition  de  1595  a  reproduit  à  sa  manière  cette  faute  de  lecture. 
Elle  a  donc  bien  pour  base  l'Exemplaire  de  Bordeaux. 

Nous  aurons  en  conséquence  le  droit  de  nous  servir  d'elle  pour 
restituer  les  fragments  que  le  relieur  maladroit  a  rognés.  Elle  nous 
aidera  encore  à  restituer  d'autres  fragments  plus  longs,  inscrits  sur 
des  morceaux  de  papier  aujourd'hui  perdus,  sur  des  «  brevets  »  que 
Montaigne  avait  insérés  çà  et  là  dans  ses  feuillets,  et  dont  on 
reconnaît  le  raccord,  la  place,  et  jusqu'au  pain  azyme  qui  fixait  le 
«  brevet  »  sur  la  page.  Mais  avons-nous  le  droit  de  demander 
davantage  à  l'édition  de  1 3  9  5  ?  Quel  compte  faut-il  tenir  des  différences 
nombreuses  qu'on  trouve  entre  elle  et  notre  manuscrit? 

Pas  mal  d'omissions,  transpositions  et  changements,  particuliers 
à  l'édition  de  1595,  sont  des  fautes  visibles  du  copiste  ou  de  l'éditeur; 
la  critique  verbale  les  dénonce,  il  nous  suffira  d'en  signaler,  au 
passage,  les  plus  caractéristiques. 

Des  transformations  et  des  additions  plus  importantes  doivent 
encore  être  mises  au  compte  du  copiste  ou  de  l'éditeur,  et  par 
conséquent  n'ont  point  de  valeur  pour  nous;  celles-ci  sont  voulues; 
elles  ont  pour  objet  de  rendre  le  style  de  Montaigne  plus  correct 
ou  plus  moderne,  de  corriger  une  tournure  elliptique;  de  réparer 
un  oubli;  quelquefois  d'atténuer  une  allusion  trop  directe,  ou  un 
jugement  trop  sommaire. 


XX  INTRODUCTION. 

Restent  des  additions  et  des  rédactions  qui  ne  peuvent  appartenir 
à  l'initiative  de  l'éditeur;  il  y  en  a  de  toutes  sortes  :  ici  un  détail 
ajouté,  ailleurs  un  récit  bouleversé,  ou  bien  tout  un  chapitre  transposé. 
D'où  viennent  ces  changements  ? 

L'Exemplaire  de  Bordeaux  n'étant  qu'une  mise  au  net,  les  gens 
qui  ont  eu  en  main  les  manuscrits  de  Montaigne,  c'est-à-dire  son 
ami  Pierre  de  Brach,  sa  veuve,  sa  fille,  ont  retrouvé  sans  doute  des 
brouillons,  et  sans  doute  aussi  des  projets  de  futures  corrections. 
N'est-il  pas  arrivé  plus  d'une  fois  à  Montaigne,  dans  notre  Exemplaire, 
de  reprendre  un  passage  qu  il  avait  bel  et  bien  biffé'?  Peut-être 
dans  ses  papiers  indiquait-il  de  même  de  recourir  à  tel  ou  tel 
brouillon,  qu'il  avait  mis  en  réserve.  C'est  axcc  ces  indications 
probablement  que  l'éditeur  de  1393  a  refait,  sur  certains  points,  le 
texte  de  l'Exemplaire  de  Bordeaux. 

A  ce  titre,  ces  leçons  de  l'édition  de  1595  sont  précieuses;  elles 
devaient  trouver  place  dans  notre  édition;  nous  les  avons  signalées, 
sou  en  note  au  bas  des  pages,  soit  dans  le  commentaire  qui  termine 
chaque  volume. 

L'édition  que  nous  publions  ici  a  profité  des  éditions  de 
MM.  Motheauet  Jouaust  pourletextede  i388et  pour  le  commentaire; 
Courbet  et  Royer  pour  le  texte  de  1393  et  pour  toutes  les  variantes. 
Mais  nous  avons  à  remercier  particulièrement  trois  savants 
bordelais. 

M.  Reinhold  Dezeimeris  a  depuis  longtemps  étudié  et  précisé 
les  conditions  auxquelles  devra  répondre  toute  édition  vraiment 
scientifique  et  complète  des  Ess.\is.  En  plus,  il  a  donné,  avec 
M.  Barckhausen,  une  réimpression  de  l'édition  de  1 380  enrichie  des 
variantes  de  1 382  et  1 387  :  un  chef-d'œuvre  d'exactitude  et  de  goût  ; 
pour  nous  c'était  un  modèle.  M.  Cagnieul,  sous-bibliothécaire  de 

'    Wiir  plnnchc  III,  spécimen  II. 


INTRODUCTION.  XXI 

la  Bibliothèque  municipale,  avait  été  charj^c  par  la  Municipalité 
d'établir  une  copie  tigurée  de  notre  exemplaire.  Ce  n'est  pas  lui  qui 
a  le  premier  lu  les  variantes,  elles  avaient  déjà  été  déchiffrées,  et  par 
M.  Routhier,  pour  l'édition  Courbet  et  Rover,  et  par  M.  Manchon 
pour  la  future  édition  Guizot'.  Mais  outre  que  M.  Cagnieul  a  mieux 
lu  que  ses  devanciers  les  variantes  et  les  ratures,  il  est  le  premier 
qui  les  ait  classées  méthodiquement,  qui  ait  démêlé  leur  succession, 
qui  ait  hxé  la  méthode  et  établi  cet  «  art  de  lire  le  manuscrit  de 
Montaigne  »  dont  nous  avons  parlé.  C'est  un  initiateur  et  un  maître. 
La  copie  tigurée,  qui  est  en  bonne  voie  d'achèvement,  est  à  la  fois 
fidèle,  pénétrante  et  ingénieuse.  Elle  a  servi  à  contrôler  la  nôtre,  et 
l'accord  à  peu  près  constant  des  deux  transcriptions  fiiites  séparément 
est  une  garantie  pour  le  lecteur.  M.  Barckhausen,  professeur  honoraire 
de  l'Université  de  Bordeaux,  s'est  intéressé  à  notre  travail;  l'émincnt 
éditeur  des  Lettres  pers.\nes  a  bien  voulu  nous  prodiguer  les 
bienveillants  conseils  d'une  très  haute  compétence. 

Remercions  aussi  notre  plus  intime  collaborateur,  M.  Elies,  qui 
a  composé  de  bout  en  bout  tout  ce  premier  volume.  M"^'  de  Gournay 
disait  dans  la  préface  de  l'édition  de  1636  :  «  Ce  livre  est  en  vérité 
d'une  correction  très  particulièrement  difficile,  en  sorte  qu'un 
compositeur  et  un  correcteur  ordinaires  v  perdent  leur  Ourse.  » 
Avec  le  temps  la  difficulté  s'est  accrue,  il  a  fallu  toute  l'habileté  et 
toute  lintatigable  attention  de  M.  Elies  pour  en  triompher.  Il  a  été 
secondé  par  l'excellent  correcteur  qu'est  M.  Moésan.  D'ailleurs  nous 
avons  trouvé  auprès  de  M.  Pech  et  dans  la  maison  qu'il  dirige,  les 
traditions  d'aménité,  de  dévouement  et  de  savoir,  qui  depuis  le 
xvi*"  siècle  sont  l'honneur  des  imprimeries  bordelaises. 

11  y  a  bien  des  années  que  le  projet  d'une  Edition  Municipale  des 

'  La  très  belle  copie  de  Manchon  est  entre  les  mains  de  .M.  Auguste  Salles,  qui 
a  bien  voulu  non  seulement  nous  communiquer  quelques  leçons  fort  curieuses,  mais 
encore  revoir  lui-même  une  bonne  partie  de  nos  épreuves.  Nous  avons  eu  plus  d'une 
fois  recours  à  son  2;oCit  et  à  sa  science. 


XXII  INTRODUCTION. 

Essais,  publiée  par  la  Ville  de  Bordeaux  à  la  gloire  de  Montaigne, 
avait  été  conçu.  Mais  après  plusieurs  échecs  il  avait  été  comme 
abandonné.  L'adjoint  au  Maire  délégué  à  l'Instruction  publique,  qui 
préside  la  Commission  de  publication  des  Archives  Municipales,  et 
qui  joint  à  l'autorité  de  ses  hautes  fonctions  l'autorité  personnelle 
qu'il  doit  à  son  talent,  à  l'étendue  de  son  érudition  et  à  ses  beaux 
travaux,  a  repris  avec  M.  Camille  Jullian  l'idée  abandonnée.  Ayant 
publié  lui-même  magnifiquement  la  Moselle  d'Ausone,  il  connaît 
toute  la  science  difficile  d'éditer  un  texte.  Il  a  fait  revivre  le  projet 
de  l'Édition  Municipale,  il  en  a  surveillé  l'exécution;  il  a  maintenu 
inflexiblement  ce  travail,  auquel  il  a  pris  une  part  très  active,  dans 
les  limites  de  la  clarté,  de  la  simplicité,  de  la  rigueur  scientifique. 
Enfin  le  Tome  I"-'"'  paraît  aujourd'hui. 

Montaigne  disait  de  son  livre  :  «  Je  ne  dresse  pas  ici  une  statue 
à  planter  au  carrefour  d'une  ville,  ou  dans  une  égUse  ou  place 
publique,  c'est  pour  le  coin  d'une  librairie,  pour  en  amuser  un  voisin, 
un  parent,  un  amy,  qui  aura  plaisir  à  me  racointer  &  repratiquer  en 
cette  image.  »  La  statue  au  carrefour  de  sa  ville,  ^Montaigne  la 
possédait.  L'image  intime  à  mettre  en  une  bibliothèque,  la  voici, 
digne,  non  du  coin,  mais  de  la  place  d'honneur,  grâce  à  la  noble 
générosité  de  la  Ville  de  Bordeaux  et  de  la  Municipalité  bordelaise, 
grâce  à  l'énergique  et  tenace  volonté  de  M.  de  la  Ville  de  Mirmont, 
professeur  à  l'Université  de  Bordeaux,  adjoint  au  Maire,  et  président 
de  la  Commission  de  publication  des  Archives  .Municipales. 

r.  Strowski. 

Qu'il  me  soit  permis  d'exprimer  nia  profonde  reconnaissance  au  Président,  aux 
Membres  de  la  Commission  des  .\rchives  .Municipales,  surtout  à  .M.  Ducaunnès-Duval, 
à  .M.  de  Bordes  de  Portage,  à  M.  Paul  Courteault,  à  M.  Camille  Jullian.  Tout  est  leur 
dans  cet  ouvrage,  il  n'y  a  rien  de  mien  que  «  le  fil  et  l'éguille  ».  Je  nomme  à  part 
M.  Bourciez,  qui  a  été  pour  ainsi  dire  ma  conscience  vivante.  Il  n'y  a  pas  une  ligne 
de  ce  livre  que  je  ne  lui  aie  soumise,  sauf  celle-ci.  Je  voudrais  mettre  dans  le 
remerciment  que  je  lui  adresse,  une  nuance  particulière  de  respect  et  d'affection. 

V.  S. 


INDICATIONS  ET  SIGNES 


TEXTE 


Le  caractère  romain  représente  le  texte  de  l'édition  de  1588. 

Le  Cdractcrc  italique  —       les  corrections  et  additions  manuscrites. 

La  lettre  A  dans  la  marge  indique  la  ligne  où  commence  le  fonds  1580-87. 

La  lettre  B  —  —  —         l'apport   1588. 

Lorsque  le  commencement  ne  coïncide  pas  avec  un  alinéa  ou  un  point,  il  est 
indiqué  par  un  astérisque  (*). 

Dans  une  suite  en  italique,  les  alinéas  indiquent  les  arrêts  et  reprises  du  manuscrit. 

Les  lettres  ou  mots  rognés,  restitués  d'après  l'édition  de  1595,  sont  mis  entre 
crochets;  on  n'a  pas  indiqué  les  restitutions  d'une  ou  deux  lettres,  à  moins  de  doute. 


APPAREIL    CRITIQUE 

Le  caractère  romain  représente  les  variantes  qui  faisaient  partie  du  texte  de 
l'édition  de  1588. 

Le  caractère  italique  représente  les  variantes  manuscrites. 

L'italique  ham  représente  les  «  repentirs  » . 

Les  variantes  sont  groupées  sous  les  titres  :  Texte  88  et  Var.  ms. 

Les  variantes  d'un  même  passage  sont  classées  par  ordre  chronologique  et 
numérotées  :  1°,  2°,  etc. 

On  a  reproduit  exactement  dans  les  variantes  la  ponctuation  de  l'Exemplaire  de 
Bordeaux. 


ERRATA 

p.   117,  1.   13,   au  lieu  de  parce  Usez  par  ce 

P.   181,  1.   18,    Montaigne  a  corrigé  fames  (Texte  88)  par  f('mes 

P.  202,  i.  24,  lisez  fouuiene 

p.  228,  1.  24,  lisez  corne 

p.  240,  1.    2,  Var.  ms.  au  lieu  dt  force  Q)  ]hez  Jorge 


AV     LECTEVR. 


Cdl  icv  vn  liurc  de  bonne  tov,  lecteur.  11  t'aduertit  dés  l'entrée, 
que  ie  ne  m'y  luis  propolé  aucune  tin,  que  doniertique  &  priuée. 
le  n'y  av  eu  nulle  conlideration  de  ton  feruice,  nv  de  ma  gloire. 
Mes  forces  ne  font  pas  capables  d'vn  tel  delTein.  le  Fav  voué  à  la 
5  commodité  particulière  de  mes  parens  &  amis  :  à  ce  que  m'avant 
perdu  (ce  qu'ils  ont  à  faire  bien  tort)  ils  v  puiflent  retrouuer  aucuns 
traits  de  mes  conditions  &  humeurs,  &  que  par  ce  moven  ils 
nourrirent  plus  entière  &  plus  vifue,  la  connoilfance  qu'ils  ont  eu 
de  mov.  Si  c'eurt  ert;é  pour  rechercher  la  faueur  du  monde,  ie  me 
[o  tufle  miens  pure  el  me  presiiiiteivis  en  une  iiunrbe  eshuliee.  le  veus  qu'on 
m'y  voie  en  lîia  façon  fimple,  naturelle  .ic  ordinaire,  lans  eonUintiou 
ik  artifice  :  car  c'eft  mov  que  ie  peins.  Mes  défauts  s'y  liront  au  vif, 
îx  ma  forme  naïfue,  autant  que  la  reuerence  publique  me  l'a  permis. 


Texte  88.  —  lo)  fullc  parc  de  bcautcz  ciiipruntccs,  ou  me  luli'c  tciulu  &  bande  en 
ma  meilleure  dcmarcliL.'  —  ii)  lans  ellude  &  artifice  —  12)  vit,  mes  imperlec- 
tidns  &  ma 

1     .\vnnt  Je  refaire  celle  plir.ise,  .Montaigne  s'était  contenté  J'eHacer  :  &  bandé 


2  HSSAIS      DE      MOXTAIGXE. 

Que  11  iV'ulTo  clK'  ciilir  ces  nations  qu'on  dict  viurc  encore  l'ous  la 
douce  liberté  des  premières  loix  de  nature,  ie  taffeure  que  ic  m"v 
fuiïe  trel-volontiers  peint  tout  entier,  6c  tout  nud.  Ainlî,  lecteur,  ie 
iuis  moy-melmes  la  matière  de  mon  Hure  :  ce  n'eft  pas  railon  que 
tu  employés  ton  loilir  en  vn  fuhicct  lî  tViuole  6c  H  vain.  A  Dieu 
donq,  de  Montaigne,  ce  premier  de  Mars  mille  eiiiq  eeiis  qmiltre  iiiiis. 

Texte  88.  —  i)  cftij  p.irniy  ces  —  6)  ce  12.  luin.  1588. 
Var.  >rs.  —  6)  Murs  ijSo 


ESSAIS 


DE 


MICHEL  DE  MONTAIGNE. 


LIVRE    PREMIER. 


Chapitre    I. 


PAR    DIVERS    MOYENS    0\    ARRIVE    A    PAREILLE    FIN. 


La  plus  commune  fiiçon  d'amollir  les  cœurs  de  ceux  qu'on  a 

ofFenfez,  lors  qu'avant  la  vengeance  en  main,  ils  nous  tiennent  à 

leur  mercv,  c'eft  de  les  efmouuoir  par  siiiiiiiiissioii  à  commileration 

&  à  pitié.  Toutesfois  la  brauerie,  cf  la  confiance,   moyens  tous 

S     contraires,  ont  quelquefois  ierui  à  ce  melme  effect. 

Edouard  prince  de  Galles,  celuy  qui  régenta  fi  long  temps  noftre 
Guienne,  perfonnage,  duquel  les  conditions  &  la  fortune  ont  beau- 
coup de  notables  parties  de  grandeur,  ayant  efté  bien  tort  offencé 
par  les  Limofins,  &  prenant  leur  ville  par  force,  ne  peut  eftre  arrefté 

Texte  88.  —  4)  la  brauerie,  la  conftance,  &  la  relblution,  moyens 


4  ESSAIS      DH      MONTAIGNE. 

par  les  cris  du  peuple,  ^i  des  femmes,  <S;  enfans  abandonnez  à  la 
boucherie,  luv  criants  mercv,  &  le  iettans  à  l'es  pieds,  iulqu  à  ce 
que  pafliint  toufiours  outre  dans  la  ville,  il  apperceut  trois  gentils- 
hommes François,  qui  d'vne  hardiefle  incroyable  fouftenoyent  feuls 
l'effort  de  fon  armée  victorieufe.  La  confideration  &  le  refpect  d'vne  5 
Il  notable  vertu,  reboucha  premièrement  la  pointe  de  la  cholere  : 
&  commença  par  ces  trois,  à  faire  milericorde  h.  tous  les  autres 
habitans  de  la  ville. 

Scanderberch,  prince  de  FKpire,  luyuant  vn  loldat  des  liens  pour 
le  tuer,  (bk;  ce  loldat  avant  effavé  par  toute  efpeçe  d'humilité  &  de  ro 
fupplication,  de  Fappaifer,  le  relblut  à  toute  extrémité  de  l'attendre 
l'elpee  au  poing.  Cette  Tienne  refolution  arrefla  fus  bout  la  furie  de 
Ion  maiftre,  qui  pour  luv  auoir  \eu  prendre  vn  lî  honorable  party, 
le  receut  en  grâce.  Cet  exemple  pourra  louffrir  autre  interprétation  de 
ceux,  qui  n'auront  leu  la  prodioiciisc  force  &  vaillance  de  ce  prince  là.     1 5 

_  L'Empereur  Conrad  troiliefme,  avant  allîegé  Guelphe  duc  de 
Bauieres,  ne  voulut  condefcendre  à  plus  douces  conditions,  quel- 
ques viles  &  lâches  flitisfactions  qu'on  luv  offrit,  que  de  permettre 
feulement  aux  gentils-femmes  qui  ertovent  affiegées  auec  le  Duc, 
de  fortir  leur  honneur  fiiuue  à  pied,  auec  ce  qu'elles  pourroyent  20 
emporter  fur  elles.  Elles  d'vn  cœur  magnanime  s'auiferent  de  charger 
fur  leurs  efpaules  leurs  maris,  leurs  enfitns  &  le  Duc  mefme.  L'Empe- 
reur print  11  grand  plailir  à  voir  la  gentilleffe  de  leur  courage,  qu'il 
en  pleura  d'aife  :  &  amortit  toute  cette  aigreur  d'inimitié  mortelle 
iS;  capitale,  qu'il  auoit  portée  contre  ce  Duc  :  &  dés  lors  en  auant  le  25 
traita  humainement  luy  &  les  fiens. 

L'vn  &  l'autre  de  ces  deux  movens  m'emporteroit  avlement.  Car 
i'ay  vne  merueilleufe  lafcheté  vers  la  mifericorde  &  lu  inausuctiuk. 
Tant  y  a  qu'à  mon  aduis,  ie  ferois  pour  me  rendre  plus  naturelle- 
ment à  la  compaffion,  qu'à  l'eftimation  :  li  eft  la  pitié  paffion  vitieufe     :în 

Ti-XTi-  S8.  —  15)  1.1  inonflmculc  force  —  28)  &  le  p.irdon  :  tant 


LIVRE     I,     CHAPITRE     I.  5 

aux  Stoiques  :  ils  veulent  qu'on  lecoure  les  affligez,  mais  non  pas 
qu'on  flechifle  &  compatifle  auec  eux. 

Or  ces  exemples  me  lemblent  plus  à  propos  :  d'autant  qu'on 
voit  ces  âmes  alTiullies  &  efTavées  par  ces  deux  moyens,  en  fouftenir 
5  Y\n  lans  s'elbranler,  &  courber  fous  l'autre.  Il  fe  peut  dire,  que  de 
rompre  son  ceiir  à  la  eoiiniiiserdlioii,  c'eft  l'effect  de  la  facilité,  debon- 
naireté,  &  mollefle,  d'où  il  adulent  que  les  natures  plus  foibles, 
comme  celles  des  femmes,  des  entans,  &  du  vulgaire  y  font  plus 
fubiettes;  mais  avant  eu  à  defdaing  les  larmes  &  les  prières,  de  fe 

10  rendre  à  la  feule  reuerence  de  la  faincte  image  de  la  vertu,  que  c'eft 
l'eftect  d'vne  ame  forte  6v  imployable,  ayant  en  affection  &  en 
honneur  vne  iiigeur  mafle,  &  obftinée.  Toutesfois  es  âmes  moins 
genereufes,  l'eftonnement  &  l'admiration  peuuent  taire  naiftre  vn 
pareil  cft'ect.  Tefmoin  le  peuple  Thebain  :  lequel  ayant  mis  en  iuftice 

I)  d'accufation  capitale  fes  capitaines,  pour  auoir  continué  leur  charge 
outre  le  temps,  qui  leur  auoit  efté  prefcript  &  preordonné,  ablolut  à 
toutes  peines  Pelopidas,  qui  plioit  fous  le  foix  de  telles  obiections, 
(S;  n'emplovoit  à  fe  garantir  que  requeftes  &  fupplications  :  &  au 
contraire  Epaminondas,  qui   vint  à  raconter  magnifiquement  les 

20  chofes  par  luy  taites,  &  à  les  reprocher  au  peuple,  d'vne  façon  fiere 
ei  arrogante,  il  n'eut  pas  le  cœur  de  prendre  feulement  les  balotes 
en  main;  &  le  départit  l'aflemblée,  louant  grandement  la  hauteffe 
du  courage  de  ce  perfonnage. 

Dioiiisius  le  iiieil,  après  des  loiigiirs  el  ilifficiiUe:^  extrêmes  aiaiit  pris  la 

25  /////(•  lie  Rege,  et  en  icelJe  Je  eapitene  Pbyfon  grand  home  de  bien,  qui 
i'auoii  si  ohstineemant  defandiie,  uohii  e)i  tirer  un  tragique  exemple  de 
uaniance.  Il  lux  dict  preniierenuint.  eomaiit  le  iour  auant  il  ainnl  Jaiet 

Texte  88.  —  5)  &  fléchir  fous  —  5)  que  de  le  lailTer  aller  .1  la  compallion  &  à 
la  pitié,  c'eft  —  9)  &  les  pleurs,  de  —  10)  reuerence  &  refpect  de  —  12)  vne  vertu 
viue,  mafle  —  20)  fiere  &  .ilTeurée,  il 

VaR.    MS.    —     16)    Montaigne  a  d'ahord    corrigé    abfolut  à  en   llhsoilll   lic :  puis  i!   a  rctjHi 

nholut  a  —  24)  Diomsins  après  granités  tnni^iirs  el  itiffinillei  aiaiil 


6  HSSAIS      Dl:      MONTAIGXH. 

iioycr  son  filx  &  Ions  cens  Je  sa  pantiilc.  A  quoi  Phxlon  irsjxiinlil  siilciiitiiil, 
qu'ils  ai  cstoiul  ii'[uu'  iour  plus  burcus  que  luy.  Apres  il  le  ///  dépouiller 
el  sesir  a  des  bourreaus  el  le  irainer  par  lu  uille  eu  le  joitiiul  Ires  /r'v/o////- 
uieiiseuieul  el  eruellemeul,  el  eu  oulre  le  elniroeaul  de  Jeloues  paroles  el 
ù'ulunielieuses.  Mais  il  eul  le  eorii^^e  lousuvirs  eousiaul  saus  se  perdre  :  et  5 
d'un  uisao^c  fcnue,  alloit  au  eoulrere  raniauleuaul  a  haule  uoix  l'hoiiorahle 
&  i^'lorieuse  cause  de  sa  mort,  pour  u'auoir  uolu  rendre  son  pais  cuire  les 
mains  d'un  tirant  :  le  nienaeani  d'une  proeheine  punition  des  Dieus. 
Dionisius  lisant  dans  les  veus  de  la  coniniune  de  son  année  que  au  lieu 
de  s'aninwr  des  hrauadcs  de  cet  eneini  ueincn,  au  nu\^pris  de  leur  chej  et  10 
(/('  son  trionije  elV  aloit  s'ajuollissant  par  restonenieni  d'une  si  rare  ncrtu 
el  n/archandoil  de  se  mutiner,  estant  a  inesmes  d'arracher  Pvibou  d 'cuire 
les  mains  de  ses  scnj^ens,  fil  cesser  ce  nuirlvre,  el  a  cachetés  l'enuoia  nover 
en  la  nwr. 

Certes  c'ell  vn  lubiect  nieriieilleulement  vain,  diuers,  (ic  ondovant,  15 
que  l'homme.  11  ert  malaiié  d"y  tonder  iui;enient  confiant  &  vniforme. 
X'ovla  Ponipeius  qui  pardonna  à  toute  la  ville  des  Mamcrtins 
contre  laquelle  il  elloit  fort  animé,  en  conlideration  de  la  vertu 
&  magnanimité  du  citoven  Zenon,  qui  le  chargeoit  feul  de  la  faute 
publique,  (^  ne  requeroit  autre  grâce  que  d'en  porter  leul  la  peine.  20 
Ht  .l'hofte  de  Sylla  ayant  vie  en  la  ville  de»  Perufe  de  femblable 
vertu,  ny  gaigna  rien,  nv  pour  lov  ny  pour  les  autres. 

Et  directement  contre  mes  premiers  exemples,  le  plus  liardi  des 
hommes    et   si   gratieux    aux    vaincus,    Alexandre,    forçant    après 
beaucoup  de  grandes  difficulté/,  la  Ville  de  Gaza,  rencontra  Betis     25 
qui  y  commandoit,  de  la  valeur  duquel  il  auoit,  pendant  ce  lîege, 

Texti-  88.  —  16)  foiuicr  &  cftahlir  iiigcmciit  —  23)  le  plus  courageux  homme 
qui  fut  onqucs  &  le  plus  gratieux 

Var.  ms.  —  2)  luy  II  ot^nHii  Âpres  —  3)  villclc  fessant  el  Joitaul  —  .()  île  hroeais 
el  paroles  eoiiliniielieuses  —  9)  yetis  de  ses  soldats  quelque  eomaiteemnnl  d'alleratiou  et  que 
eet  esample  de  rare  ncrtu  fleehissoit  leur  eorage  a  pitié  :  de  manière  qu'ils  Inv  pourruU  aryael^er 
pur  forée  esloint  a  niesnie  de  se  mutiner  à  d'aller  par  forée  arraelier  —  9)  que  quelque  au 
lieu 


LIVKH      1,      CHAIMTRH      1.  y 

Icnly  des  prcuucs  mcrucillculcs,  lors  Icul,  abandonne  des  liens,  les 
armes  delpecées,  tout  couuert  de  lang  &  de  plaves,  combatant 
encores  au  milieu  de  plulieurs  Macédoniens,  qui  le  chamailloient 
de  toutes  parts  :  &  luy  dict,  tout  piqué  d'vne  fi  chère  victoire,  car 
5  entre  autres  dommages,  il  y  auoit  receu  deux  frelches  blelTures  fur 
la  perlonne  :  Tu  ne  mourras  pas  comme  tu  as  voulu,  Betis;  fois 
ertat  qu'il  te  laut  IbufFrir  toutes  les  fortes  de  tourmens  qui  fe 
pourront  inuenter  contre  vn  captif.  L'autre,  d'vne  mine  non 
leulement  alTeuree,  mais  rogue  &  altiere,  fe  tint  fans  mot  dire  à  ces 

10  menaces.  Lors  Alexandre,  vovant  son  fier  et  obstine  silence  :  A-il 
liechy  vn  genouil  ?  luy  eft-il  efchappé  quelque  voix  fuppliante  ? 
\'rayment  ie  vainquerav  ta  tdcitnrnité  :  &  Il  ie  n'en  puis  arracher 
parole,  ien  arrachera\-  au  moins  du  gemiflement.  Et  tournant  la 
cholere  en  rage,  commanda  qu'on  luy  perçart  les  talons  :  &  le  ht  ainh 

15  traîner  tout  vif,  delchirer  &  defmembrer  au  cul  d'vne  charrete. 
Seroit-ce,  que  la  hardiesse  luv  tut  11  commune,  que  pour  ne 
l'admirer  point,  il  la  refpectall  moins?  Ou  qu'il  l'estiniat  si  propreinèl 
siene  qu'en  ecltc  bautur  \il\  ne  peut  souffrir  de  la  noir  en  un  autre  sans 
le  despit  d'une  passion  enuieuse,  ou  que  l' impétuosité  naturelle  de  sa  cholere 

20  ////  incapable  d'opposition.  De  urai  si  cH'  eut  receu  la\  bride,  il  est  a 
croire  qu'en  la  prinse  et  désolation  de  \la  \  uille  de  Thebes  elle  l'eut  rcceue, 
a  noir  cruel Icnuint  mettre  au  fil  de  l'espee  tant  de  uaillans  homes  perdus 

Texte  88. —  10)  voyant  l'obllinatiou  à  le  taire  :  a  il  —  12)  vainquerav  ce  lilencc, 
&  û  —  14)  talons,  &  qu'on  v  trauerfaft  vue  corde  :  &  le  lit  —  16)  la  force  de 
courage  luy  fut  fi  naturelle  &  commune,  — -  17)  point,  il  l'ellimaft  &  refpectaft 

VaR.     MS.    —     lo)     ion   cl'SlilU-   cl   jicy   silcihC    —      i;)    Mom.iignc  a  Jabord   rcmpLicc  la 

cholere  p.ir  son  despit,  puis  il  a  rétabli  su  cholere.  —  17)  1°:  moins?  ou  cl  (ju'il  Jïl 
hcsotiin  une  Iropfork  opposition  pour  arrêter  l'impehiosile  de  sa  iialurcllc  cholere.  2°  :  moins  ? 
Ou  qu'il  l'euuiat  en  un  autre.  Ou  qu'il  fit...  cholere.^  —  20)  hride  qu'-eu  la  pduse  cl 
dcsclaUoH  de'  thebes  elle  l'-eui  rcceue  il  est  a  croire  qu'  elle  qu'en  la  prinse  —  22)  de 
l'espee  m'.v  mill'  ho 

I  l'rimitivcmont  les  additions  manuscrites  Je  ce  chapitre  se  terminaient  l.i.  La  suite  est  d'une 
autre  époque. 


5  HSSAIS      DE      MONTAIGNE. 

6  ii'aiivit  l^liis  iiioifit  lie  dcsjciiicc  publique.  Car  il  en  Jiit  tue  hieii  six 
mille  des  quels  uul  ue  fui  ueu  ny  Juiaul  ny  deuniudaut  luerei,  \iUi\  rebours 
eherelhiiis  qui  ai  qui  la  [par]  les  rues  a  ajf rouler  les  eueniis  uiclorieus,  les 
prouoquaut  a  les  faire  mourir  d'une  uiorl  honorable.  Nul  ne  fut  ueu  si 
abatu  de  blessures  qui  nessaial  en  son  dernier  soupir  de  \se]  uanger  eueores,  5 
(7  (/  tout  les  armes  du  desespoir  eonsoler  sii  mort  en  la  mort  de  quelque 
enemi.  Si  ne  Iroiiua  l'ajjlielion  de  leur  uerlu  aucune  pitié,  et  ne  suffit  la 
loni^ur  d'un  iour  a  assouuir  sa  nanianee.  Dura  ce  ear)iai:;c  iusques  a  la 
dernière  i^oulte  île  saut:;  qui  se  trouua  espaudable,  el  ne  s'arrêta  que  ans 
persones  desarnues,  uieillars,  famés  el  oijans,  pour  en  tirer  Iraule  mille  u 
esclaues. 

\'ar.  ms.  — •  5)  pdii  Teins  nii.<  —  5)  asaiat  a  ioii  —  6)  dacspoir  coiiipanser  sti  mort 
par  la  iiioii  —  8)  Dura  celle  boucherie  iasiiues  —  9)  se  Irouua  digne  despandrc  el  iusques 
ans  personnes  —   10)  en/ans  de  quoi  il  s\ii  fit  hante 


Chapitre    II. 


DE     LA     TRISTESSK, 


le  luis  des  plus  exempts  de  cette  pallion.  /:/  ne  WiiiiK  iiv  l'csliiiic, 
quoi  que  le  monda  ave  prias  eoiiw  a  pris  faiet  de  l'honorer  de  faneur  parti- 
eiiliere.  Ils  en  babillent  la  sagesse,  la  \  iiertii,  la  conscianee  :  sol  el  nions- 
Inieiis  ornement.  Les  Italiens  ont  plus  sortableinent  hahtisé  de  son  nom  la 
5  malignité.  Car  c'est  une  qualité  lousiours  nuisible,  tousiours  foie,  et  conte^ 
lousionrs  couarde  et  basse.  Les  Stoïciens  [en  \  defandèt  le  sentimàt  a  leur  sage. 
Mais  le  conte  dit,  que  Plammenitus  Roy  d'Egypte,  ayant  efté 
dcffiiit  &  pris  par  Camhil'ez  Roy  de  Perle,  voyant  palier  deuant  luy 
fa  fille  prilbnniere  habillée  en  leruante,  qu'on  enuoyoit  puiler  de 

lu  l'eau,  tous  les  amis  pleurans  &  lamentans  autour  de  luy,  le  tint  coy 
fans  mot  dire,  les  yeux  fichez  en  terre  :  è^  voyant  encore  tantoll 
qu'on  menoit  l'on  fils  à  la  mort,  le  maintint  en  cette  melme  conte- 
nance; mais  qu'ayant  apperçeu  vn  de  les  domelHques  conduit  entre 
les  captifs,  il  fe  mit  à  battre  fa  teÛe,  &  mener  vn  dueil  extrême. 

I)  Cecv  fe  pourroit  apparier  à  ce  qu'on  \id  dernièrement  d'vn 
Prince  des  noftres,  qui  ayant  ouy  à  Trante,  où  il  ertoit,  nouuelles 
de  la  mort  de  fon  frère  aifné,  mais  vn  frère  en  qui  confiftoit  l'appu}- 

\'ar.  ms.  —  2)  quoi  que  la  ttomcs  aïeul  prius  —   5)  cl  corne  lousiours  basse 

'     Et  corne  tousiours...   Saae   est  une  additiuii  ultcricurc. 


10  ESSAIS      DH      MOXTAIGXK. 

&  l'honneur  de  toute  l'a  mailbn,  &  bien  toft  après  d'vn  puil'né,  l'a 
féconde  cfperance,  &  ayant  louftenu  ces  deux  charges  d'vne  conftance 
exemplaire,  comme  quelques  iours  après  vn  de  fes  gens  vint  à 
mourir,  il  le  lailTa  emporter  à  ce  dernier  accident,  &  quittant  la  refo- 
kition,  s'abandonna  au  dueil  &  aux  regrets,  en  manière  qu'aucuns  5 
en  prindrent  argument,  qu'il  n'auoit  efté  touché  au  \il  que  de  cette 
dernière  fecoulTe.  Mais  à  la  vérité  ce  fut,  qu'eftant  d'ailleurs  plein 
&  comblé  de  triftelTe,  la  moindre  fur-charge  brifa  les  barrières  de  la 
patience.  11  s'en  pourroit  (di-ie)  autant  iuger  de  noftre  hiftoire, 
n'eftoit  qu'elle  adioufte,  que  Cambifes  s'enquerant  à  Pfammenitus,  10 
pourquoy  ne  s'eftant  el'meu  au  malheur  de  l'on  lils  <S;  de  la  tille,  il 
portoit  li  impatiemment  celuy  d\n  de  fes  amis  :  C'eft,  refpondit  il, 
que  ce  l'eul  dernier  defplaifir  le  peut  lignifier  par  larmes,  les  deux 
premiers  furpalîiins  de  bien  loin  tout  moyen  de  le  pouuoir  exprimer. 

A  l'auenture  reuiendroit  à  ce  propos  l'inuention  de  cet  ancien  15 
peintre,  lequel  avant  à  reprelenter  au  lacrifice  de  Iphigenia  le  dueil 
des  allîftans,  félon  les  degrez  de  l'intereft  que  chacun  apportoit  à  la 
mort  de  cette  belle  fille  innocente,  avant  elpuifé  les  derniers  efforts 
de  Ion  art,  quand  le  vint  au  père  de  la  fille,  il  le  peignit  le  vilage 
couuert,  comme  li  nulle  contenance  ne  pouuoit  reprelenter  ce  degré  20 
de  dueil.  \'ovla  pourquov  les  poètes  feignent  cette  milerable  mère 
Xiobé,  avant  [lerdu  premièrement  lept  fils,  6^  puis  de  fuite  autant 
de  filles,  lur-chargée  de  pertes,  auoir  eflé  en  fin  tranfmuée  en  rochier, 

Dirij^uill'e  malis,' 

pour  exprimer  cette  morne,  muette  ^;  fourde  fiupidité,  qui  nous     25 
tranfit,  lors  que  les  accidens  nous  accablent  furpalfans  noftre  portée. 
De  vray,  l'effort  d'\n  defplaiiir,  pour  eftre  extrême,  doit  eftonner 
toute  l'âme,  &  lui  empelcher  la  liberté  de  l'es  actions  :  comme  il 
nous  aduient  à  la  chaude  alarme  d'vne  bien  mauuaile  nouuelle,  de 

'     I.u  nis.  Jcpl.wc  vers  l.i  gauclic  cette  citation  disposée  J;iiis  le  leste  de  i  jSS  LOinme  une  lin  de  vers. 


LIVRI:      I,      CHAIMTRH      II.  II 

nous  l'entir  l'ailis,  tranlis,  &  comme  perclus  de  tous  mouucmcns, 
(Je  façon  que  Famé  le  relafchant  après  aux  larmes  &  aux  plaintes, 
lemble  le  del'prendre,  le  demefler  &  le  mettre  plus  au  large,  &  à  fon 
aile, 
5  Et  via  vix  tandem  voci  laxata  dolore  eft. 

Eli  la  _<,'//('/7r  que  le  Rov  l'cnliiiuiiJ  fit  contre  lu  ueujiie  de  Lin  Roy  de 
Hongrie  autour  de  Biide,  Ruïseiae,  capiteiue  Aleinand,  iioïant  raporter  k 
i'orps  d'un  home  de  chenal,  a  qui  chacun  aiioit  iteu  exccssiiieinent  bien  faire 
[en]  la  meslec,  le  plcignoit  d'une  plante  commune;  mais  curieiis  atieq  les 
lo  autres  de  reconoistre  qui  il  estait,  après  qu'on  l'eut  desarme,  troiiua  que 
c'estoit  son  jilx.  [Et  j  parmi  les  larmes  puhlicques  luy  sul  se  tint  sans 
[es^paiidre  ny  uois  ny  pleurs,  debout  sur  ses  pieds,  ses  yens  immobiles,  le 
regardant  fixeinèt,  iusques  a  ce  que  l'effort  de  la  tristesse  iieiiât  \a]  glacer 
ses  esprits  iiitaus,  i/ci  porta  en  cet  estai  roide  mort  par  terre' 

1 5  Clii  puo  dir  com'  e<;li  arde  é  in  picciol  fuoco 

dilent  les  amoureux,  qui  veulent  reprelenter  vne  paflîon  infuppor- 
table  : 

mifero  quod  omnes 
Eripit  fenfus  mihi.  Nam  ilmul  te 
20  Lefbia  afpexi,  nihil  eft  fuper  mi 

Qiiod  loquar  amens. 

\'ar.  ms.  —  9)  weslec  (ui^  —  11)  sans  mfil  diiv 

'  i.ïdition  de  159;  donne  la  version  suivante  :  En  la  gucri'e  que  le  Roy  Ferdinand  mena 
contre  la  veufue  du  Roy  lean  de  Hongrie,  autour  de  Bude,  vn  gendarme  fut  particu- 
lièrement remerqué  de  chacun,  pour  auoir  exceffiuement  bien  faict  de  fa  pcrfonne,  en 
certaine  nieflee  :  &  incognu,  hautement  loué,  &  plaint  y  eftant  demeuré  :  mais  de  nul 
tant  que  de  Raifciac  feigneur  Allemand,  efprins  d'vne  fi  rare  vertu  :  le  corps  eftant 
rapporté,  cetui-cy  d'vne  commune  curiofité,  s'approcha  pour  voir  qui  c'efloit  :  &  les 
armes  oftees  au  trefpafle,  il  reconut  fon  fils.  Cela  augmenta  la  conipaffion  aux  affiltans  : 
luy  feul,  fans  rien  dire,  fins  fillcr  les  yeux,  fe  tint  debout,  contemplant  fixement  le 
corps  de  fon  fils  :  iufques  à  ce  que  la  véhémence  de  la  trifteffe,  aiant  accablé  les 
efprits  vitaux,  le  porta  roide  mort  par  terre. 


12  ESSAIS      DK      MOXTAIGXE. 

Lingua  led  torpet,  tenuis  fub  artus 
Flanim.i  dimanat,  fonitu  fuopte 
Tinniunt  aures,  gemina  teguntur 
Lumina  nocte. 

Jiissi  n'eft  ce  pas  en  la  viue  &  plus  cuylante  chaleur  de  Taccés  que     5 
nous  Ibmmes  propres  à  defplover  nos  plaintes  &  nos  perl'ualions  : 
l'âme  eft  lors  aggrauee  de  profondes  penfees,  &  le  corps  abbatu 
&  languilTiint  d'amour. 

Et  de  là  s'engendre  par  fois  la  défaillance  fortuite,  qui  furprent 
les  amoureux  li  hors  de  laifon,  (S:  cette  glace  qui  les  lailit  par  la     10 
force  d'vne  ardeur  extrême,  au  giron   mefme  de   la   ioùyflance. 
Toutes  paflîons  qui  fe    laifîent  goufter   &  digérer,    ne   font  que 
médiocres, 

Cunç  leues  loquuntur,  ingénies  ftupent. 

La  furprife  d'\n  plaifir  inelpcré  nous  eftonne  de  mefme,  15 

Vt  me  confpexit  venientem,  &  Troïa  circum 
Arma  amans  vidit,  magnis  exterrita  monftris, 
Diriguit  vifu  in  medio,  calor  ofla  reliquit, 
Labitur,  &  longo  vix  tandem  tempore  fiitur. 

Outre  la  femme  Romaine,  qui  mourut  furprile  d'aife  de  voir  fon  20 
fils  reuenu  de  la  route  de  Cannes,  Sophocles  &  Denis  le  Tvran, 
qui  trefpaflerejit  d'aife,  &  'l'alua  qui  mourut  en  Corfegue,  lilant  les 
nouuelles  des  honneurs  que  le  Sénat  de  Rome  luv  auoit  décernez, 
nous  tenons  en  noftre  fiecle  que  le  Pape  Léon  dixiefme  ayant  effé 
aduerty  de  la  prinfe  de  Milan,  qu'il  auoit  extrêmement  Ibuhaitée,  25 
entra  en  tel  excez  de  ioye,  que  la  lieure  l'en  print  &  en  mourut.  Et 

Texte  88.  —    5)   De  vray  ce  ii'cll  pas   —    11)   ioùvlTancc  :  accident  qui  ne  ni'cft 
pas  incogncu.  'l'outes     (au  giron...  incogncu  .iddition  de  i;S8) 


LIVRl-      I,      CHAPITRI:      11.  I3 

pour  vn  plus  notable  telmoignage  de  rimbecilité  humaine,  il  a  efté 
remarqué  par  les  anciens,  que  Diodorus  le  Dialecticien  mourut  Un- 
ie champ,  efpris  d'vne  extrême  pallîon  de  honte,  pour  en  ion  elchole 
&  en  public  ne  fe  pouuoir  defuelopper  d'vn  argument  qu'on  luy 
auoit  faict. 

le  fuis  peu  en  prife  de  ces  violentes  paflîons.  l'ay  l'apprehenfion 
naturellement  dure;  &  l'encroufte  &  efpeffis  tous  les  iours  par 
difcours. 

Texte  88.  —  i)  imbecilité  naturelle,  il 


Chapitre    m. 


NOS    AFFECTIONS    S  EMPORTEXT    AV    DELA    DE    \OVS. 


Ceux  qui  acculent  les  hommes  d'aller  touilours  béant  après  les 
chofes  futures,  &  nous  aprennent  à  nous  lailir  des  biens  prefens, 
.S;  nous  raffoir  en  ceux-là,  comme  n'avant  aucune  pril'e  fur  ce  qui 
ert  à  venir,  voire  affez  moins  que  nous  n'auons  lur  ce  qui  ell  pafle, 
touchent  la  plus  commune  des  humaines  erreurs,  s'ils  ofent  appeller  5 
erreur  cliofe  à  quov  nature  mehne  nous  achemine,  pour  le  leruice 
de  la  continuation  de  Ion  ouurage,  nous  iiiipriiiniiil  coiiic  ûsscs  d'autres 
aie  iiii(ii:;i)hilioii  jaucc  :  plus  iaJoiise  de  nostir  action  que  de  iiostrc  sciaiicc. 
Nous  ne  fommes  iamais  chez  nous,  nous  lommes  toufiours  au  delà. 
La  crainte,  le  defir,  l'efperance  nous  eflancent  vers  l'aduenir,  &  nous  10 
delrobent  le  fentiment  &  la  confideration  de  ce  qui  ell:,  pour  nous 
amufer  à  ce  qui  fera,  voire  quand  nous  ne  ferons  plus.  «  Cahuuitosiis 
est  aiii)>ius  fiitiiri  aiixiiis.  » 

Ce  grand  praxepte  est  saunant  allégué  en  Platon  :  Faicts  ton  faict  &  le 
eonois.   Chacun  de  ses  dcus  numhres  enuclope  généralement  tout  nostre     15 
deuoir,  et  sei)d'lahlenient  enuclope  so)i  conipaignoii.  Oui  aroit  a  jaire  son 
jaict,  uerroit  que  sa  première  leson  c'est  conestre  ce  qu'il  est  et  ce  qui  luy 
est  propre.  Et  qui  se  conoit,  ne  prend  plus  l'cstrangicr  faict  pour  le  sien  : 

\'ak.  ms.  —  8)  ialouse  lie  iioslir  profil  ijiic  de  11  oiis.    —   14)  atlegiii'  par  Ptatoii  — 

17)  /((/("/  //  fimihfil  eu  pnm'uT  lieu  qu'il  siHsiruiilt  de  m  4  de  fts  diviUj  pour  ne  pretutre 
l'eilrtiuaiei:  pt>ui^  le  siett  uUxtniudgm'r  eu  fceupiitwuf  mperjlues  et  eu  peusees  et  pfvpmtiouf 
iuutihf.  lit  qui  tirnit  iipria  a  ne  eout>itr<',  aroit  apm  a  s'aimer  a  .«;  (ultiuer  —  1 7)  teiou  seroil  — 

18)  I-'l  qui  eu  seroil  la,  ne  preiuhoil  plus  l'eslraiigierpoiir. . .  s'niiiieroil. . .  eiilliiieroil.. .  refiiseroil 


LIVRE      I,      CHAPITRE      III.  I5 

ùiiiiic  et  se  ciiltiiic  aiuiiit  toute  autre  ehose  :  rejitse  les  oeeupatious  superJJues 
et  les  pensées  et  propositions  inutiles.   «  ï't  stullitiu  et  si  adepta  est  quod 
eoneupiuit  luinqiuvn  se  tamen  satis  eonseeutivn  putat  :  sie  snpientid  seniper 
eo  eonteiita  est  quod  adest,  ueque  eain  unquuni  sui  pœnitet.  » 
S         Hpieurus  dispense  son  sage  de  la  preuoianee  et  sollieitude  de  l'aiienir. 

Entre  les  loix  qui  regardent  les  trelpalTez,  celle  icv  me  l'emble 
autant  lolide,  qui  oblige  les  actions  des  Princes  à  ertre  examinées 
après  leur  mort.  Ils  font  compaignons,  h  non  mairtres  des  loix  :  ce 
que  la  lurtice  n"a  peu  fur  leurs  telles,  c'elt  raifon  qu'elle  favt  fur  leur 

10  réputation,  ^:  biens  de  leurs  lucceffeurs  :  chofes  que  fouuent  nous 
préférons  à  la  vie.  Ceil;  vne  vlance  qui  apporte  des  commoditez 
lîngulieres  aux  nations  où  elle  ert  obferuee,  6t  defirable  à  tous  bons 
princes  [qui  ont  à  se  plaindre  de  ee,  qu'on  traitte  la  mémoire  des  niesebants 
eonie  la]  leur.  Nous  deuons  la  subieetion  et  l'obeissanee  esgaleniant  a  tous 

15  Roys,  car  elle  regarde  leur  office  :  mais  l'estimation  non  plus  que  l'affection 
nous  fie  la  deuons  qu'a  leur  uertu.  Douons  a  l'ordre  politique  de  les  souffrir 
paliainniant  indignes,  de  celer  leurs  uices,  d'aider  de  nostre  recouuindation 
leurs  actions  indifférantes  pendant  que  leur  authorite  ha  besoin  de  nostre 
appui.  Mais  nostre  coninierce  fini,  ce  n'est  pas  raison  de  refuser  a  la  iustice 

20  &  a  nostre  liberté  l'expression  de  //o.s-  urais  ressentimans,  et  nomeemant  de 
refuser  aus  bons  subiets  la  gloire  d'auoir  reuerammant  [et]  fidckmanl 
senti  un  nmistre,  les  imperfections  du  quel  leur  estoint  si  bien  couues  : 
Jrustrant  la  postérité  d'un  si  <  ut  il  le  exemple.  Et  cens  qui  par  respect  de 
quelque  obligation  prince   esp(.nisèt  iniquement  la   mémoire  d'un  prince 

2)      \neslouable,  font  iustice  particulière  aus  despens  de  la   iustice  publique. 

rite  Liue  dict  urai,  que  le  langage  des  honws  nourris  sous  la  royauté  est 

tousiours  plein  de  folles  ostentatiôs  I  et  \  nains  tesnuntignages  :  chacun  esleuât 

indifféremment  son  roy  a  l'extrême  ligne  de  ualur  [et]  grandur  souuereine. 

[On]  peut  reprouuer  la  magnanimité  de  ces  deus  soldats  qui  respondirent 

Tlmk  88.  —  10)  lucccllcurs,  qui  lont  choies 

\'.\R.  MS. —  Ç)  preuoianee  de — 16)  leur  nui  ile.  Douons —  21)  lagb —  22)  quct  lity  — 
23)  publique.  Un antien âict  —  27)  et]  ueings{})lesnionigmigci : clmun edeuc imUfferenimenl 


lé  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

Il  Xcroii  irtj  sa  barbe.  L'un  cihiiiis  \dc\  hiy  pourquoi  il  luv  uouloit  mal  : 
le  t'cimois  quand  tu  le  ualies  ;  mais  despuis  que  tu  es  ne  nu  parricide, 
boutefu,  batelur,  cahier,  ie  le  bai  corne  tu  mérites.  L'autre,  pourquoi  il 
le  uouloit  tuer  :  Parce  que  ,  ie  ne  treuue  autre  remède  i  a]  tes  continuelles 
mescbancete:^.  Mais  les  publiques  et  uniuersels  tesmouignages  qui  après  [sa\  5 
mort  ont  este  randus  [et]  le  scro)it  a  tout  ut  mais  [de]  ses  tiranniques  et 
uilains  despi)rtenuins,  qui  de  sain  entandeinàt    les]  peut  reprouuer  ? 

'Il   me  desplait  qu'en  une  si  saiiicte  police  que  la  Lacedemoniene  se Jut 
mesie  une  si  feinte  cérémonie.  A  Ja]  mort  des  Roys  tous  les  confedere:^^ 
&  uoisins,  tous  les  I Ilotes,  lx)mes,  femmes,  pesie  mesle,  se  descoupoint  le     10 
front  pcnir  tesnuniigiiage  de  deuil  et  disoint  en  leurs  cris  et  lamentations 
que  celuv  la,  quel  qu'il  eut  este,  estoil  le  iiwillur  Roy  de  tous  les  leurs  : 
attribuans  au  ranc  le  los  qui  apartenoit  au  mérite,  &  qui  apartenoit  au 
premier  mérite    au    postreme  et  dernier  ranc.  Aristote  qui  remue  toutes 
cl.K)ses,  s'enquiert  sur  le  mot  de  Solon  que  lud  auant  sa  )iiort  ne  peut  estre     1 3 
(//("/  hureus,  si  eelux  la  Dwsnics  qui  a  ucscit  et  qui  est  mort  selon  ordre, 
peut  estre  dict  hureus.  si  sa  renomee  ua  mal,  si  sa  postérité  est  misérable. 
Pandant  que  nous  nous  reniuons,  luvis  nous  portons  par  prawcupation 
ou  il  nous  plait  :  mais  estant  hors  de  l'estre,  nous  ii'auijs  aucune  commu- 
nication aueq  ce  qui  est.  Ht  seroit  nuillur  de  dire  a  Solon,  que  ianutis  home     20 
;/V.v/  (/('//(/  l'iircus,  puis  qu'il  ne  l'est  que  après  qu'il  n'est  plus. 

Quifquani 
\'ix  ladicuus  c  vita  lu  toUit,  &  eiicic  : 
Sed  lacit  elle  lui  quiddam  fuper  infcius  ipfe, 
Nec  remouet  latis  à  proiecto  corpore  lele,  &  25 

Vindicat. 

\'ar.  ms.  — •  i)  ;(  reniperur  ^a  su  —  6)  luorl  fureul  iiimliis  di\  ut  m  ses  iiramiitiucs 
—  8)  se  soit  mise  une  si  sotie  ccretiioiiie  —  lo)  uoisins  eki  —  lo)  pesle  mesle  et  des 
if>a>:  mtiurels  Spartiates  emore  se  deseoupoint  —  ii)  deuil  disant  eu  —  ii)  lamentations, 
quel  qu'il  ave  eut  este  que  e'esl  e'estoil  le  meillur  Roy  qu'ils  eurent  onques  (iiorrigc  ainsi  : 
lamentations,  que  eehiy  la  estoit  le  meillur  Ro\  de  tous  les  leurs  :  quel  qu'il  eut  este)  attri- 
buant au  demter  rane  le  los  qui  se  doit  au  de^  ruier  (?)  merik  apartenoit  —  14)  qui  tasie 
toutes  —  17)  hureus  ueu  que  sa  renomee  peut  mal  ater  sa  postérité  estre  misérable  si  ses 
amis  haïssent  sa  mémoire.  Fondant  —  19)  mais  n'estant  plus  nous  n'auons  aueune  eominn- 
uaute  aueq   —  21)  hureus  s'il  ne  l'est  que  quand  il  n'est  filus. 


LES    ESSAIS 


DE 


MICHEL    DE    MONTAIGNE 


//  (/  clé  tiré  de  ici  otivrai^e  chiite  cciils  cxciiiphiircs. 

Cinqnanle  sur  papier  de  Hollande  numérotés  de  i  à  jo. 
On:^e  cent  cinquante  sur  papier  à  bras  numérotés  de  ji  à  1200. 


Exemplaire  N"^      oJl'T 


L1\RH      1,      CHAPITRE      111.  IJ 

IkTlrand  du  (ilcfquin  mourut  au  licgc  du  chaûcau  de  Rançon, 

près  du  Puy  en  Auucrgne.  Les  alficgcz  s'crtant  rendus  après,  furent 

obligez  de  porter  les  clefs  de  la  place  fur  le  corps  du  trefpalTé. 

Barthélémy  d'Aluiane,  General  de  l'armée  des  Vénitiens,  ellant 

5     mort  au  feruice  de  leurs  guerres  en  la  Brefle,  &  fon  corps  ayant  à 

eftre  raporté  à  Venife  par  le  Veronois,  terre  ennemie,  la  plufpart 

de  ceux  de  l'armée  eltoient  d'aduis,  qu'on  demandaft  laufconduit 

pour  le   pallage  à  ceux   de   \'erone.   Mais  Théodore  Triuolce  v 

contredit;  &  choifit  pluftoft  de  le  paffer  par  \'iue  force,  au  hazard 

10     du  combat  :  N'ertant  conuenable,  difoit-il,  que  celuy  qui  eu  fa  vie 

n'auoit  iamais  eu  peur  de  les  ennemis,  eil;ant  mort  fift  demonftration 

de  les  craindre. 

De   vray,  en   choie   voiline,   par  les  loix  Grecques,   celuy  qui 

demandoit  à  l'ennemv  vn  corps  pour  l'inhumer,  renonçoit  à  la 

15     victoire,  &  ne  luy  eftoit  plus  loifible  d'en  drefTer  trophée.  A  celuy 

qui  en  eftoit  requis,  c'eftoit  tiltre  de  gain.  Ainfi  perdit  Nicias  l'auan- 

tage  qu'il  auoit  nettement  gaigné  fur  les  Corinthiens.  Et  au  rebours, 

Agefilaus  aflcura  celuy  qui  luy  eftoit  bien  doubteufement  acquis 

fur  les  Bx'otiens. 

20         Ces  traits  fe  pourroicnt  trouuer  eftranges,  s'il  n'eftoit  receu  de 

tout  temps,  non  feulement  d'eftendre  le  foing  que  nous  auons  de 

nous  au  delà  cette  vie,  mais  encore  de  croire  que  bien  louuent  les 

faueurs  celeftes  nous  accompaignent  au  tombeau,  &  continuent  à 

nos  reliques.  Dequov  il  v  a  tant  d'exemples  anciens,  laiffant  à  part 

25     les  noftres,  qu'il  n'eft  befoing  que  ie  m'y  eftende.  Edouard  premier 

Roy  d'Angleterre,   ayant  elTa\'é  aux  longues  guerres  d'entre  luy 

&  Robert  Roy  d'EfcofTe,  combien  ia  prefence  donnoit  d'aduantage 

à  fes  afîiiires,  rapportant  toulîours  la  victoire  de  ce  qu'il  entreprenoit 

en  perfonne;  mourant,  obligea  fon  fils  par  folennel  ferment,  à  ce 

30     qu'eftant  trefpafte,  il  fift  bouillir  fon  corps  pour  defprendre  la  chair 

d'auec  les  os,  laquelle  il  fit  enterrer;  &:  quant  aux  os,  qu'il  les  releruaft 

pour  les  porter  auec  luv  &  en  fon  armée,  toutes  les  lois  qu'il  luy 


l8  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

aduicndroit  d'auoir  guerre  contre  les  El'coflbis.  Comme  li  la  dellinée 
auoit  fatalement  attaché  la  victoire  â  les  membres. 

lean  Xilcha  qui  troubla  la  Bohême  pour  la  deflfence  des  erreurs 
de  W'iclef,  voulut  qu'on  l'elcorchaft  après  la  mort,  &  de  l'a  peau 
qu'on  tirt  vn  tabourin  à  porter  à  la  guerre  contre  les  ennemis  :  efti-  5 
mant  que  cela  avderoit  à  continuer  les  auantages  qu'il  auoit  eu  aux 
guerres  par  liiv  conduites  contre  eux.  Certains  Indiens  portoient 
ainlln  au  combat  contre  les  Elpagnols,  les  offemens  de  l'vn  de  leurs 
Capitaines,  en  conlideration  de  l'heur  qu'il  auoit  eu  en  viuant.  Et 
d'autres  peuples  en  ce  melme  monde,  traînent  à  la  guerre  les  corps  10 
des  vaillans  hommes,  qui  font  morts  en  leurs  batailles,  pour  leur 
leruir  de  bonne  fortune  6c  d'encouragement. 

Les  premiers  exemples  ne  referuent  au  tombeau,  que  la  réputation 
acquile  par  leurs  actions  pafTées  :  mais  ceux-cy  v  veulent  encore 
meller  la  puilTance  d'agir.  Le  tait  du  capitaine  Bavard  ell;  de  meilleure  1 5 
.compolition.  lequel  le  fentant  blelTé  à  mort  d'vne  harquebufade  dans 
le  corps,  conleillé  de  le  retirer  de  la  niellée,  refpondit,  qu'il  ne  com- 
menceroit  point  fur  la  fin  à  tourner  le  dos  à  l'ennemy  :  &  ayant 
combatu  autant  qu'il  eut  île  force,  le  fentant  défaillir  &  efchapper 
du  cheual,  commanda  à  Ion  maiftre  d'hortel,  de  le  coucher  au  pied  20 
d'vn  arbre,  mais  que  ce  fut  en  façon  qu'il  mourut  le  vilage  tourné 
vers  l'ennemy,  comme  il  fit. 

Il  me  faut  adioufter  cet  autre  exemple  auili  remarquable  pour 
cette  conlideration,  que  nul  des  precedens.  L'Empereur  Maximilian. 
bifayeul  du  Roy  Philippes,  qui  ert  à  prelent,  eftoit  Prince  donc  de  25 
tout  plein  de  grandes  qualitez,  &  entre  autres  d'vne  beauté  de  corps 
finguliere.  Mais  parmy  ces  humeurs,  il  auoit  cette-cy  bien  contraire 
à  celle  des  princes,  qui  pour  delpecher  les  plus  importants  affaires 
font  leur  throlne  de  leur  chaire  percée  :  c'ell  qu'il  n'euft  lamais  valet 


Texte   88.   —    6)    auoit  eus  .lux  guerres,  qu'il  auoit  conJuitcs   —    25)    Prince 
i^arny  de 


LIVRE     I,     CHAPITRE     III.  I9 

de  chambre,  li  priué,  à  qui  il  permit  de  le  voir  en  fa  garderobbe. 
11  fe  defroboit  pour  tomber  de  l'eau,  aufli  religieux  qu'vne  pucelle  à 
ne  defcouurir  nv  à  médecin  nv  à  qui  que  ce  tut,  les  parties  qu'on  a 
accouftumé  de  tenir  cachées. 'Moy,  qui  ay  la  bouche  li  effrontée,  fuis 

5  pourtant  par  complexion  touché  de  cette  honte.  Si  ce  n'eft  à  vne 
grande  fuafion  de  la  neceflîté  ou  de  ht  volupté,  ie  ne  communique 
guiere  aux  veux  de  perfonne  les  membres  &  actions,  que  noftre 
couftume  ordonne  eftre  couuertes.  l'y  fouffre  plus  de  contrainte, 
que  ie  n'eftime  bien  feant  à  vn  homme,  &  fur  tout,  à  \m  homme  de 

10  ma  profefiion.  Mais  luv,  en  vint* à  telle  fuperftition,  qu'il  ordonna 
par  paroles  exprefles  de  fon  teflament,  qu'on  luy  attachai  des 
caleflbns,  quand  il  feroit  mort.  11  deuoit  adioufter  par  codicille,  que 
celuv  qui  les  luv  monteroit  eut  les  veux  bandez.  L'ordoiiaiice  que 
Cxnis  fdict  a  ses  eiifâs,  que  uy  eus  ny  autre  tie  uoie  et  touche  sou  cors  après 

15  que  l'auie  eu  sera  séparée,  ie  l'attribue  a  quelque  sieue  deuotiou.  Car  et  sou 
hisiorieu  &  luy  eutre  leurs  grandes  qualités  ont  semé  par  tout  le  cours  de 
leur  [uic]  un  singulier  soin  &  reuerence  a  la  relligion. 

Ce  conte  me  defpleut  qu'vn  grand  me  fit  d'vn  mien  allié,  homme 
aflez  cogneu  &  en  paix  &  en  guerre.  Ceft  que  mourant  bien  vieil 

20  en  fa  court,  tourmenté  de  douleurs  extrêmes  de  la  pierre,  il  amufa 
toutes  fes  heures  dernières  auec  vn  foing  véhément,  à  diipoler 
l'honneur  &  la  cérémonie  de  fon  enterrement,  &  somma  toute  la 
nobleffe  qui  le  vifitoit,  de  luv  donner  parole  d'affifler  à  fon  conuoy. 
A  ce  prince  mefme,  qui  le  vid  fur  ces  derniers  traits,  il  fit  vne 

25  infiante  fupplication  que  fa  maifon  fut  commandée  de  s'y  trouuer, 
emplovant  plufieurs  exemples  &  raifons  à  prouuer  que  c'eftoit  chofe, 


Texte  88.  —  2)  qu'vne  fille  à  —  18)  fframi  Prince  me  fit  —  22)  enterrement. 
&  preffa  toute 

Var.  ms.  —  13)  bandez.  Vatlnbue  a  quelque  denotioii  corne  d'un  prime  entre  ses 
autres  perfections  admirables  singulièrement  relligieus  :  l'ordonance  qui-  Cyrus  Jtiict  a  ses  enfi'is, 
que  n\  eus  n\  autre  ne  uid  sea  fw*  api^es  qu'-il  serml  deeedé  ne  uoie  et  touche  son  cors  après 
que  l'ame  en  sera  séparée.  Ce  conte 


20  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

qui  appartcnoit  à  vn  homme  de  fa  forte  :  &  fembla  expirer  content, 
avant  retiré  cette  promeffe,  &  ordonné  à  fon  gré  la  dilb-ibution, 
&  ordre  de  fa  montre.  le  n'ay  guiere  \-eu  de  vanité  fi  perfeuerante. 
Cette  autre  curiolîté  contraire,  en  laquelle  ie  n'ay  point  aulîi  faute 
d'exemple  domeftique,  me  femble  germaine  à  cette-cy,  d'aller  ie  5 
joignant  &  paiîionnant  à  ce  dernier  poinct  à  régler  fon  conuoy,  à 
quelque  particulière  &  inufitee  pariimonie,  à  vn  leruiteur  &  vne 
lanterne.  le  vov  louer  cett'  humeur,  &  l'ordonnance  de  Marcus 
/Emilius  Lepidus,  qui  deffendit  à  fes  héritiers  d'employer  pour  luy 
les  cerimonies  qu'on  auoit  accoulKimé  en  telles  choies.  Eil;-ce  encore  10 
tempérance  &  frugalité,  d'euiter  la  defpence  ils;  la  volupté,  delquelles 
fvfage  &  la  cognoilTance  nous  eft  inperceptible?  W^ila  vn'  ailée  retor- 
mation  &  de  peu  de  couft.  5/7  estait  hcsoiiiii  d'en  ordoiicr,  ic  serais 
d'unis  qu'en  celé  lu  came  en  tante  uelions  de  lu  nie,  chucnn  en  ruportut  lu 
règle  u  lu  farnic  de  su  fortune.  Et  le  philosaphe  Lycon  pra'scrit  sugemèt  u  ses  1 5 
lUiiis  de  mettre  son  earps  an  ils  uniseront  panr  le  miens,  et  quund  uns 
fnneruilles  de  les  juire  nv  superflues  nv  nnxuniqnes.  le  lairrai  pnremuut  la 
couftume  ordonner  de  cette  cerimonie;  &  m'en  remettrav  à  la 
(.iifcretion  des  premiers  à  qui  ie  tomberai  en  churge.  «  Totns  hic  locns 
est  contenincndns  in  nohis  non  )iegligendns  in  nostris.  »  Et  est  suiiictenuint  20 
dict  a  \  nu  I  suinct  :  «  Cnrulia  fnneris,  condilia  sepnltunr,  pampu  exequiuruni 
mugis  snnt  uinarnni  salutiu.  qnum  sid'sidiu  nntrtnaruin.  »  Panr  tunt  Socrutes 
\a]  Crito  qui  sin-  l'heure  de  \su\Jin  luv  demunde  coin\unt\  il  nent  estre 
enterre.  Corne  nous  uondre:^,  respond  il.'  Si  i'auois  à  m'en  empefcher 

Temk  88.  —  17)  le  lainois  plulloft  la  couftume  ordonner  de  cefte  cerimonie, 
&  fauf  les  chofcs  rcquifes  au  feruice  de  ma  religion,  fi  c'eft  en  lieu  où  il  foit  befoing 
de  l'enioindre,  m'en  remettrav  volontiers  à  la  difcretion  des  premiers  à  qui  cette  folli- 
citude  tombera  en  part.ige.  Si  i'auois 

Var.  ms.  —  13)  .V'/7  «/  Iwsoiiiii  —  16)  (iiiiis  de  l' enterrer  iiv  superiluemët  ny  mcca- 
uiquemeul.  le  lairrai  —  17)  fiiiicraUles  qu'ils  les  faeeiU  ii\  —  20)  /:"/  e'esl  —  525)  fin  </ 
—  24)  respond  il.  Xiais  s'il  en  faut  dire 

'  Cette  .addition  est  laite  Je  trois  reprises  :  la  première,  Ht  est...  WOrhliVIIin  ;  la  deuxième, 
ToluS...    nosiris;    la  troisième,  Prilir...    il. 


LIVRl-      1,      CHAPITRE      III.  21 

plus  auant,  ie  troiuicrois  plus  galand,  d'imiter  ceux,  qui  ciilrcpirnciil 
viuans  &  rel'pirans,  iouyr  de  Tordre  e^  honneur  de  leur  fepulture,  &  qui 
fe  plaifent  de  voir  en  marbre,  leur  morte  contenance.  Heureux,  qui 
fçachent  refiouyr  &  gratifier  leur  l'ens,  par  Tinlenfibilité,  &  viure  de 
5     leur  mort. 

.7  peu  que  ie  n'eut re  eu  ha'uie  irreeoueilliihJe  eoutre  toute  doiuliiation 
populere,  quoi  qu'elle  me  semble  ht  plus  uaturelle  et  équitable,  quand  \  il  ] 
iiw  soiiuieiit  de  cette  inhumaine  iniiistice  du  peuple  Athénien,  de  faire 
mourir  sans  rémission  \  &^  sans  les  uouloir  salement  o^jdr~\  en   leurs 

lo  defauees,  ses  braues  capitenes,  uenans  de  guigner  contre  les  Lacedemoniens 
la  bataille  nauale  près  des  isles  Argiinises  :  la  plus  contestée,  la  plus  forte 
bataille  que  les  grecs  aient  onques  donc  en  mer  de  leurs  jorces  :  par  ce  qu'après 
la  uictoire  ils  auoint  suiui  les  occasions  que  la  loi  de  la  guerre  leur  presan- 
toit,  plus  tost,  que  de  s'arrêter  a  receuillir  et  inhumer  leurs  morts.  Et 

i)  /'('//[/ 1  cete  exécution  plus  odieuse  le  j'aici  de  Diomedon.  Celui  cv  est  l'un 
[des]  condamnés,  home  de  notable  uertu,  et  militere  et  politique  :  lequel  se 
tirant  auant  pour  parler,  après  auoir  oui  l'arrest  de  leur  coudemuation,  et 
trouuant  sulem[ent1  lors,  temps  de  paisible  audiance,  au  lieu  de  s'en  seruir 
au  bien  de  sa  cause  et  a  descouurir  l'euidante  iniustice  d'une  si  cruelle 

20  conclusion,  ne  représenta  qu'un  souiii  de  la  conseruation  de  ses  iuges  : 
priant  les  dieus  de  tourner  ce  iugement  a  leur  bien;  et  afjin  qu'a  faute  de 
rendre  les  ueus  que  luy  et  ses  compaignons  auoint  noue  en  reconoissance 
d'\iinc]  si  illustre  fortune,  ils  n'attirassent  l'ire  des  dieux  sur  eus,  les 
aduertissant  quels  ueus  c'est:  oit  :  et  sans  dire  autre  chose  et  sans  marchander, 

Tf.xte  88.  —  i)  qui  veulent  viu.ins 

Var.  ms.  —  5)  mort.  Oua'ih  quo  iacein  poit  ohilum  toco  Qiio  invi  iinla  iiiiriil'  — 
7)  elle  semble  —  11)  Argiinises  :  la  plus  diffieiUe  ,1a]  plus  aiiau  —  15)  aiioiiil  plus  tfst 
—  18)  lors,  lieu  de  paisible  —  21)  tourner  a  leur  bien  —  22)  les  neus  qu'ils  auoiul  que 
lu\  et...  noue  ans  dieus  eu  recoiioissauce 


'     Dans  un  premier  état  du  ms,  l'Essai  III  se  terminait  .1  cette  citation;    elle   a   ctc   insérée  ensuite 
(p.  2î,  I.  9)  dans  le  développement  :  A  peu...  dont  elle  formait  encore  la  fin  danfs  un  second  état  du  ms. 


22  HSSAIS      DH      MONT  A IGN  h. 

s'achcmiiui  de  ir  ptis  coiinigeiisiiiiciil  au  supplice.  \  La  Jorliiiie  quelques 
iinuees  après  les  punit  de  iiiesuie  pain  souppe.  Car  Chahrias,  capiteue  i^eneral 
de  l'armée  de  mer  des  Athéniens,  aïant  eu  le  dessus  du  condmt  contre 
Pollis  (kl  m  irai  de  Sparte  en  l'isle  de  Xaxe,  perdit  le  fruit  tout  net  et  contant 
de  sa  uictoire,  1res  important  a  leurs  affaires,  pour  n'encourir  le  malheur  de 
cet  example.  Et  pour  ne  perdre  peu  des  corps  niors  de  ses  amis  qui  ftotoint 
en  nier,  laissa  noij^uer  en  sauuete  un  monde  d'enemis  niuans,  qui  desf^uis 
leur  firent  bien  acheter  cete  importune  snperstitiô. 

Oiiii'ris  qiio  iaccas  posl  ol'ilù  loco 
Oiio  lion  nata  iàcenl. 

Cet  autre  redone  le  sentimant  du  repos  a  un  corps  sans  anie  : 

^Neqiie  sepiil ^cbriiiii  qiw  recipiat,  habeat  porliiiii  avporis, 
[Ubi,  remissa  Imiiiaiia  iiita,  corpus  requiescal    a  iiialis. 

\Tout  ainsi  que  nature  nous  faict  uoir,  que  plusieurs  chines  mortes  ont 
encore  des  relations  occultes  à  la  uic.  Le  uiii  s'altère  ans  canes,  selon 
aucunes  mutations  des  saisons  de  sa  uigne.  Et  la  chair  de  iwnaisou 
chan'^e  cï estât  aux  saloirs  &  de  goiist,  selon  les  hix  de  la  chair  uiue, 
à  ce  qu'on  <//V/.]' 


\'ar.  ms.  —  i)  siippliii'.  La  pi'iiie  siiiiiil  qiiflqiii's  tiiniirsapiTf  cetlf  iiiiijiii' ■^ifpi'istilitni. 
Car  —  6)  perdre  des  corps  iiwrs  qui  t^oloha  en  mer,  laissn  se  retirer  en  sniiiiele  — 
7)  qui  t}ieiilosl  leur 

'    qui...  siipersiitiô  v\  cet  autre...  dict  addition  ultérieure. 


Chapitre    W 


COMML    LAME    DLSCHARGi;    SLS    PASSIONS    SVR    DES    OIHLCTS    FAVX, 
QVAN'D    LLS    VRAIS    LVV    Dlil  AILLLXT. 


\'n  gentil-homme  des  nortres  merueilleulement  fubiect  à  la  goutte, 
ertant  prefle  par  les  médecins  de  laifler  du  tout  Tviage  des  viandes 
lalées,  auoit  accouftumé  de  relpondre  fort  plailamment,  que  l'ur  les 
efforts  &  tourments  du  mal,  il  vouloit  auoir  à  qui  s'en  prendre, 

5  &  que  s'elcriant  &  maudiflant  tantoft  le  ceruelat,  tantoft  la  langue 
de  bœuf  &  le  iambon,  il  s'en  lentoit  d'autant  allégé.  Mais  en  bon 
efcient,  comme  le  bras  eftant  haufle  pour  frapper,  il  nous  deult,  ii 
le  coup  ne  rencontre,  &  qu'il  aille  au  vent;  aulîi  que  pour  rendre 
vne  veuë  plailante,  il  ne  faut  pas  qu'elle  foit  perdue  ^:  efcartée  dans 

10  le  vague  de  fair,  ains  qu'elle  ave  bute  pour  la  louûenir  à  raifonnable 
dirtance, 

W'iUUh  vc  aniittit  vires,  nili  robore  dcnht 
Occurrant  lilu;v  fpatio  diffufus  in.mi; 

de  mefme  il  fenible  que  famé  elbranlée  &  efmeuë  le  perde  en  loy- 
I)  mefme,  il  on  ne  luv  donne  prinfe  :  iSc  faut  toufiours  luy  lournir 
d'obiect  où  elle  s'abutte  &  agifle.  Plutarque  dit  à  propos  de  ceux,  qui 
s'affectionnent  aux  guenons  &  petits  chiens,  que  la  partie  amoureule, 
qui  eft  en  nous,  à  faute  de  prife  légitime,  plurtoÛ  que  de  demeurer 
en  vain,  s'en  forge  ainfm  vne  faulce  &  friuole.  Ht  nous  voyons  que 


24  ESSAIS      Di;      MOXTAIGXL. 

Tanic  en  les  paiîîons  le  pipe  plurtoll  elle  mefme,  le  drelTaiit  vn  faux 
lubiect  (:<c  tantartique,  voire  contre  la  propre  créance,  que  de  n"agir 
contre  quelque  choie. 

Ainfin  emporte  les  bertes  leur  rage  à  s'attaquer  à  la  pierre  &  au 
1er,  qui  les  a  blelTees,  iv  à  le  venger  à  belles  dents  fur  soi  mefmes     5 
du  mal  qu'elles  lentent, 

Pannonis  liaud  aliter  poli  ictum  Ix'uior  vrla 

Cum  iaculum  parua  Lvbis  amentauit  iiabena, 

Se  rotat  in  vulnus,  telùmque  irata  receptum 

Impetit,  &  fecuni  fugientem  circuit  Iiaftam.  10 

Quelles  caules  n'inuentons  nous  des  malheurs,  qui  nous  aduien- 
nent?  A  qiioy  no  nous  prenons  nous  à  tort  ou  à  droit,  pour  auoir  ou 
nous  efcrimer?  Ce  ne  font  pas  ces  trèfles  blondes,  que  tu  defchires, 
ny  la  blancheur  de  cette  poictrine,  que  defpite  tu  bas  li  cruellement, 
T-jui  ont  perdu  d'\n  malheureux  plomb  ce  Irere  bien  avmé  :  prens  13 
t'en  ailleurs.  Liiiiiis  parlant  de  Varmcc  Roiiiciiic  en  Espaigiie  aptes  la 
perte  [des]  deus  frères,  ses  grans  capitenes  :  «flere  oinnes  repente  et  offensare 
capita.»  C'est  [inf]  usage  commun.  [£"/]'  Je  phiJosofe  Bion  de  ee  Roy  qui  de 
deuil  s'arrachoit  les  poils,  fut  il  pas  plaisant  :  Cetiiiei  pense  il  que  la  pelade 
soulage  le  deuil.  Qiii  n'a  veu  mâcher  &  engloutir  les  cartes,  fe  gorger  20 
d'\ne  baie  de  dets,  pour  auoir  ou  le  venger  de  lu  perte  de  fon  argent? 
-Xerxes  foita  la  mer  de  l'Helespoiil,  l'en  forgea  et  hiv  fit  dire  mille 
iiillanies,  ik  efcriuit  vn  cartel  de  deffi  au  mont  Athos  :  &  Cvrus  amula 
toute  vne  armée  plulieurs  iours  à  le  venger  de  la  riuiere  de  Gvndus, 
pour  la  peur  qu'il  auoit  eu  en  la  pafl!"ant  :  &  Caligula  ruina  \ne  très  25 
belle  mailon,  pour  le  plaifir  que  fa  mère  y  auoit  eu. 

Texte  88. —  5)  fur  elles  niefnies —  8)  Cul  iaciiluiii...  libis —  26)  y  auoit  rcceu. 

\'ar.  ms.  —  \y)  fraes,  leurs  grniis  —   i8)  aipitti  ni  —    18)    1":     /;'/    /<■  iiiûI  de 
Jiioii  a  celui  Ki'y     2":     Lt    le  iiicl  du  pljili'.wj'e  Hioii  sur  ee  Ro\  —    :  y)  poils    ne    fut  pus 

'     /:"/  le...  deuil  n.IJiiion  ultcriciirc. 


I.IVRI-:    1,    r.nAPiTRi-:    iv.  25 

Le  peuple  iJisoil  en  mû  iinwsse,  qu'un  Rov  île  nos  noisins,  nviinl  reeen 
ile  Dieu  une  hastonade,  iitni  de  s'en  uani^er  :  ordonant  que  de  dix  ans  on  )ie 
le  priât,  ny  pariai  de  Iny,  nv,  autant  qu'il  estait  en  son  authorite,  qu'on  ne 
c\reut^  en  Iny.  Par  ou  on  uoidoit  peindre  non  tant  la  sottise  que  la  ^loire 
5  naturelle  a  la  nation  de  quoi  estoit  le  conle.  Ce  sont  uices  tonsiours  eoiu'oinls, 
mais  telles  aetions  tienent  a  la  uerite  l'n  peu  plus  eneore  d'oulrecnidanee  que 
de  hestise. 

Auguftus  Cclar  ayant  clic  battu  lIc  la  tampeftc  fur  mer,  fc  print  à 
dcffier  le  Dieu  Neptunus,  &  en  la  pompe  des  ieux  Circenfes  fit  ofter 

10  l'on  image  du  reng  où  elle  eftoit  parmy  les  autres  dieux,  pour  fe 
\cnger  de  luy.  En  quoy  il  eft  encore  moins  excufoble  que  les  prece- 
dens,  &  moins  qu'il  ne  fut  depuis,  lors  qu'ayant  perdu  vne  bataille 
fous  Quintilius  Varus  en  Allemaigne,  il  alloit  de  colère  &  de  defef- 
poir,  choquant  fa  tefte  contre  la  muraille,  en  s'efcriant  :  Varus  rens 

1 5  moy  mes  foldats.  Car  ceux  la  iiirpaffent  toute  follie,  .d'autant  que 
fimpietc  y  ell  ioincte,  qui  s'en  adrelî'ent  à  Dieu  mefmes,  ou  à  la 
fortune,  comme  fi  elle  auoit  des  oreilles  fubiectes  à  noftre  batterie, 
a  l'exemple  des  Thraces  qui  quand  il  tone  ou  eselaire,  se  mettent  a  tirer 
contre  le  ciel  d'une  nangence  tytaniene,  pour  ranger  dieu  a  raison  a  coups 

20     de  flesche.  Or,  comme  dit  cet  ancien  poëte  chez  Plutarque, 

Point  ne  fe  faut  courroucer  aux  affaires. 
Il  ne  leur  cliaut  de  toutes  nos  choleres. 

Mais  nous  ne  dirons  iamais  affez  d'iniures  au  dcfrcgicment  de 
noftre  cfprit. 

Texte  88.  —  i6)  mefmes  à  belles  iiiiures,  ou  ;'i  la 

Var.  ms.  —  2)  Dieu  un'  coup  de  uei^e  foel  iura  —  3)  le  prierai  ni  iiy  parleroil  on  de 
luy,  en  h[ieti]  ny  en  mul autant...  autl.'orite  ne  eroiroiut  on  en  luy.  —  6)  encore  de  gloire 
qiu-  de  sottise.  —  19)  ciel  des  flesches  et  des  irnicts  d'une  uans^ence  corageuse,  pour 

'     Montaigne  en  écrivant  au  dessus  Je  la  ligne  une  bastondde,  a  oublié  d'effacer  un 


Chapitre    V. 


SI     LE     CHEF     DYNE     PLACE     ASSIEGEE     DOIT     SORTIR 
POVR     PARLEMENTER. 


Lucius  Marcius  Lcgat  des  Romains,  en  la  guerre  contre  Perfeus 
Roy  de  Macédoine  voulant  gaigner  le  temps,  qu'il  luv  talloit  encore 
à  mettre  en  point  ion  armée,  fema  des  entregets  d'accord,  defquels 
le  Roy  endormi  accorda  trefue  pour  quelques  iours,  tourniffiint 
par  ce  moyen  fon  ennemy  d'oportunité  &  loilir  pour  s'armer  :  d'où  5 
le  Rov  encourut  fa  dernière  ruine.  Si  ert-ce,  que  les  iiicils  du  Sciuil, 
niciiioralijs  des  meurs  de  leurs  pères,  aceusareiit  cette  pratique  corne  eiieniie 
de  leur  slile  autien  :  qui  fut,  disoiut  ils,  couihatre  de  iiertu  uou  de  Ji)U'sse  : 
uy  par  surprinses  et  rcucoutres  de  uuict  :  11  v  par  fuites  apostees,  &  recharges 
iuopiuces  :  n'entrcpreuaut  guerre  qu'après  l'auoir  demmcee,  et  souuaut  après  10 
auoir  assigué  l'heure  et  lieu  de  la  bataille.  De  cette  edsciaiiee,  ils  reuuoiareut 
a  Pyrrus  sou  Irahistre  mcdcin,  et  aus  Falisques  leur  un-schaul  luuistre 
d'escolle.  C'estoiiit  les  formes  uraiemaut  Romeiucs,  non  de  la  Grecque 
subtilité  et  astuce  Puuiqm,  ou  le  ueiucre  par  force  est  moins  glorieus  que 
par  fraude.  Le  tromper  peut  sentir  [xvir  le  coup,  mais  celuy  sul  se  tient     15 


Texte  88.  —  6)  Si  cft-cc,  que  le  Sénat  Romain,  à  qui  le  leul  aduantage  de  la  vertu 
fembloit  moyen  iufte  pour  acquérir  la  victoire,  trouua  cette  pratique  laide  &  dedion- 
nefte,  n'ayant  cncores  ouy  Tonner  à  fes  oreilles  cette  belle  fentence,  dolus  an 

\'ar.  ms.  —  8)  fut  LOinhiilir  —   15)  fraude.  Elle  pe 


LIVRE      I,      CHAPITRE      V.  27 

pour  surmonte,  qui  sçail  Vauoir  este  uy  par  ruse  ny  de  sort,  mais  par 
uaillance,  de  trope  a  Irope,  en  une  loyalle  et  iustc  guerre.  Il  appert  bien 
par  h  langage  de  ces  boues  gens,  qu'ils  n'auoint  eneores  reeeu  cette  belle 
sentance  ■' 

dolus  an  virtus  quis  in  hofte  requirat? 

Les  Acha'icns,  dict  Polibc,  detestoint  toute  noie  de  tromperie  en  leurs  guerres, 
n'estimant  uictoire  si)ion  ou  les  corages  des  enemis  sont  abalus.  w  Eam  uir 
sanetus  et  sapiens  sciet  ueram  esse  uietoriam,  qmv  salua  Jide  et  intégra 
dignitate  parabilur  »,  dict  un  autre. 

Vos  ne  uelit  an  me  regnare  hera  quidtie  ferai  jon 
Virtute  experiainur . 

[Au  royaume  de  Ternatc,  parmi  ces  nations  que  si  a  pleine  bouche  nous 
apclons  barbares,  la  costume  porte  qu'ils  nentreprcnent  guerre  sans  Vauoir 
premièrement  dénoncée,  y  adioutant  ample  déclaration  des  moïens  qu'ils  ont 
a  V  emploier,  quels,  combien  d'homes,  quelles  munitions,  quelles  armes 
offansiues  !  et]  defansiues.  Mais  cela  faict  aussi,  si  leurs  enemis  ne  cèdent 
&  uienent  a  accort,  ils  [se]  donêt  loy  au  pis  faire  et  [ne]  pensent  pintuoir 
cstre  reproches  de  trahison,  de  finesse  [et]  de  tout  moïen  qui  sert  a  ueincre. 

Les  aniiens  Florentins  estoint  si  eslouignes  de  uouloir  guigner  aduàtage 
sur  leurs  enemis  [par]  surprinse,  qu'ils  les  aduertissoint  un  mois  auant  que 
de  mettre  leur  exercite  ans  champs  par  [le]  côtinuel  son  de  la  cloche  qu'ils 
nomoint  Martinella. 

Quand  à  nous  moings  lupcrrtitieux,  qui  tenons  ccluy  auoir  l'hon- 
neur de  la  guerre,  qui  en  a  le  protît,  &  qui  après  Lylander,  dilbns 


\'ar.  ms.  —  i)  /;v  pny  arl  ii\  de  soil  iiiaii  de  unillaiiec  —  2)  guerre  Ces  gens  ii'itiioiiil 
eneores  oui  souer  a  leurs  oreilles  cette  —  12)  Tiirnate...  qu'a  pleine  bouet}e  nous  apelon s 
si  barbares  la  lo\']  porte  ■ —  14)  adioutans  les  déclarations  —  15)  a  emploier  a  cette 
guerre  quels  —  16)  aussi,  ils  fit  pemiel  —  17)  loy  par  frrce  'ef  —  19)  uouloir  prendre 
aduàtage  —  21)  sou  de  leur  cloche 


28  LSSAIS      DE      MOXTAIGXi;. 

que  où  la  peau  du  lion  ne  peut  l'uffire,  il  v  taut  coudre  vn  lopin  de 
celle  du  renard,  les  plus  ordinaires  occallons  de  furprinl'e  le  tirent 
de  cette  praticque  :  &  n'eÛ  heure,  dilons  nous,  où  vn  chet  doiue 
auoir  plus  l'œil  au  guet,  que  celle  des  parlemens  &  traités  d'accord. 
Et  pour  cette  caufe,  c'eft  vne  reigle  en  la  bouche  de  tous  les  hommes  5 
de  guerre  de  noftre  temps,  qu'il  ne  huit  iamais  que  le  gouuerneur 
en  \ne  place  aflîegée  forte  luy  mel'mes  pour  parlementer.  Du  temps 
de  nos  pères  cela  fut  reproché  aux  feigneurs  de  Montmord  &  de 
rAlîigni,  deflfendans  Moufon  contre  le  comte  de  Nanfaut.  Mais  aulfi 
à  ce  conte,  celuy  la  feroit  excuûthle,  qui  fortiroit  en  telle  façon,  que  lu 
la  feureté  &  Faduantage  demeuraft  de  l'on  cofté  :  comme  fit  en  la 
ville  de  Regge  le  comte  Guy  de  Rangon  (s'il  en  laut  croire 
du  Bellay,  car  Guicciardin  dit  que  ce  fut  luy  mefmes)  lors  que  le 
Seigneur  de  l'Efcut  s'en  approcha  pour  parlementer  :  car  il  aban- 
donna de  fi  peu  fon  fort,  qu'vn  trouble  s'eftant  efmeu  pendant  ce  13 
parlement,  non  feulement  Monfieur  de  l'Efcut  6t  la  trouppe,  qui 
efloit  approchée  auec  luy,  fe  trouua  la  plus  foible,  de  façon  que 
Alexandre  Triuulce  y  tut  tué,  mais  luy  mefmes  fufi  contrainct,  pour 
le  plus  leur,  de  fuiure  le  Comte,  &  fe  iettcr  fur  fa  foy  à  l'abri  des 
coups  dans  la  ville.  20 

Eumenes  en  la  \'ille  de  Xora  prelfé  par  Antigonus  qui  rafiiegeoit, 
de  fortir  parler  à  luy,  6c  qui  après  plufieurs  autres  entremiles  alleguoit, 
que  c'ertoit  raifon  qu'il  vint  deuers  luy,  attendu  qu'il  efioit  le  plus 
grand  eS:  le  plus  fort,  après  auoir  faict  cette  noble  refponce  :  le  nerti- 
meray  iamais  homme  plus  grand  que  moy,  tant  que  i'aurav  mon  -5 
efpee  en  ma  puifHmce,  ;/'v  confentit,  qu'Antigonus  ne  luv  euft  donné 
Ptolomx'us  Ion  propre  nepueu  ofiage,  comme  il  demandoit. 

Si  eft-ce  que  encores  en  v  a  il,  qui  le  font  très  bien  trouuez  de 


Texte  88.  —    1)   que  où...  Lyon...  luffirc,  qu'il   —    12)   croire  Mtnilicur  du   — 
26)  puifl'ancc,  iit  s'y  confenlil 

\'ar.   ms.  —  27)  iK-pucu  (■;;  oftagc 


LIVRK      I,      CHAPITRE      V.  29 

Ibrtir  liir  la  parole  de  l'allaillant.  "^Iclmoing  Henry  de  Vaux,  cheualier 
Champenois,  lequel  ertant  alfiegé  dans  le  chafteau  de  Commercy  par 
les  Anglois,  &  Barthélémy  de  Bonnes,  qui  commandoit  au  ilege, 
ayant  par  dehors  faict  lapper  la  plus  part  du  Chafteau,  Il  qu'il  ne 

5  reftoit  que  le  feu  pour  accabler  les  ailiegez  fous  les  ruines,  l'omma 
ledit  Henry  de  Ibrtir  à  parlementer  pour  fon  profict,  comme  il  fit  luv 
quatrielme;  <^  fon  euidentc  ruyne  luy  ayant  elle  monftrée  à  l'œil,  il 
s'en  ientit  fmgulierement  obligé  à  l'ennemy  :  à  la  dilcretion  duquel 
après  qu'il  le  fijt  rendu  &  la  trouppe,  le  feu  eftant  mis  à  la  mine,  les 

o  efianlons  de  bois  venus  à  faillir,  le  Chafteau  fut  emporté  de  tons 
en  comble. 

le  me  fie  ayfeement  à  la  foy  d'autruy.  Mais  mal-aifeement  le 
tairoy  ie  lors  que  ie  donnerois  à  iuger,  l'auoir  plufioil  faict  par 
deielpoir  &  faute  de  cœur,  que  par  franchife,  &  fiance  de  fa  loyauté. 

Texte  88.  —  10)  bois  venant  à  —  15)  ic  donroib  à 


Chapitre    VI. 


LHEVKE     DES     PARLEMENT     DAXGEREVSE. 


Toutcs-tois  ic  vis  dcrnicremcnt  en  mon  voirmagc  de  Mulîîdan, 
que  ceux  qui  en  furent  délogez  à  force  par  noftre  armée,  (i<c  autres 
de  leur  partv  crioient  comme  de  trahifon,  de  ce  que  pendant  les 
entremifes  d'accord,  (Se  le  lirtc  fe  continuant  encores,  on  les  auoit 
furpris  &  mis  en  pièces  :  chofe  qui  eull  eu  à  Tauanture  apparence  3 
en  vn  autre  fiecle.  Mais,  comme  ie  viens  de  dire,  nos  façons  lont 
entièrement  elloignées  de  ces  reigles  :  6c  ne  fe  doit  attendre  fiance 
des  vns  aux  autres,  que  le  dernier  feau  d'obligation  n'v  loit  palTé  : 
encore  y  a  il  lors  alïés  affaire. 

El  a  toiisioiirs  este  conseil  iMSiinleus  de  fier  a  la  licence  d'un' iirniec  10 
uicloricnse  robserucillon  de  la  joi  qu'on  a  donee  a  une  uille  qui  uieni  de  se 
rendre  par  douce  cl  fauorable  composition,  et  d'en  laisser  sur  la  chaude 
r entrée  libre  aus  soldats.  L.  .Enivlius  Rci^illus  prœtur  Romein  aiant  perdu 
son  temps  a  essaier  de  prandre  la  uille  de  Phocars  a  force,  pour  la  singulière 
prouesse  des  habitans  a  se  bien  dcsfandre,  fit  pacbe  aucq  eus  de  les  rcccuoir  1 5 
pour  amis  du  peuple  Roiiwin,  &  d'y  entrer  comc  en  uille  côfederee  :  leur 
oslant  toute  creinte  d'action  hostile.  Mais  v  aianl  quand  et  luy  introduit 

Ti-\TE  88.  —  .j)  &  le  Parlement  (c 

\'ar.   ms.  —    11)    ri'bsdiKilioii  iifi   —    15)  l>roiit'SiC  &  obsliiialioii  des...  fit  aucq  eus 
nunrljc  de 


LIVRE     I,      CHAPITRE      VI.  :;  I 

son  armée,  pour  s'y  fitire  noir  en  pins  de  pompe,  il  ne  fnt  en  sa  piiissanee, 
qnelqne  effort  qn'il  v  emploial,  de  tenir  ht  bride  il  ses  i^ens  :  et  nid  diinuni 
ses  yens  fonrruoer  hone  partie  de  la  aille  :  les  droits  de  l'anariee  et  de  la 
uangeuee  snppeditant  eens  de  son  aathorité  &  de  la  idiscipline  militaire. 
5  Clcomencs  difoit,  que  quelque  mal  qu'on  peut  faire  aux  ennemis 
en  guerre,  cela  eftoit  par  deffus  la  iuftice,  &  non  fubiect  à  icelle, 
tant  enuers  les  dieux,  qu'enuers  les  hommes.  Et  ayant  faict  treue 
auec  les  Argiens,  pour  fept  iours,  la  troifielme  nuict  après  il  les  alla 
charger  tous  endormis  &  les  défict,  alléguant  qu'en  fa  treue  il  n'auoit 

lo  pas  efté  parlé  des  nuicts.  Mais  les  dieux  vengèrent  cette  perfide 
fubtilité. 

Pendant  le  parlement  [et]  qu'ils  mnsoint  snr  lenrs  surte^  la  uille  de 
Casilinnm  fut  sesie  par  snrprinse/  et  eela  ponrtant  ans  siècles  \&]  des  plus 
instes  capiteines  &  de  la  plus  parfette  milice  Romeine.  Car  il  n'est  pas  dict, 

15     que  [en]  temps  et  lieu,  il  ne  soit  permis  de  nous  prenaloir  de  la  sottise  de 

nos  enemis,  come  nous  faisons  de  leur  lâcheté.  Et  certes  la  guerre  a  natu- 

rellemàt  beaucoup  de  prinileges  raisonablcs  au  preindice  de  la  raison  ;  et  icy 

faut  la  règle  :  «  neminem  id  agere  ut  ex  alterius  pnvdetur  inscitia.  » 

Mais  ie  m'estone  de  Vestendue  que  Xenopbd  leur  donc,  et  par  les  propos 

20  ('/  par  diuers  exploits  de  son  parfaict  emperur  :  anthenr  de  merneillus  pois 
en  telles  choses,  corne  grand  capitcm  [et]  philosoje  des  premiers  disciples 
de  Socrales.  lEt]  ne  consens  pas  a  la  mesure  de  sa  dispance,  [en\  tout  et 
par  tout. 

Monfieur  d'Auhigny  aflîegeant  Cappoùe,  6c  après  y  auoir  fait  vne 

2)  furieufe  haterie,  le  Seigneur  Fabrice  Colonne,  Capitaine  de  la  \'ille, 
avant  commancé  à  parlementer  de  deffus  vn  baftion,  &  les  gens 

\'ar.  ms.  —  2)  teu'ir  ta  main  a  —  4)  uan^^t'iicc  siipplaiilaiit  cens  de  son  aultwrilc. 
Cleomenes  —  12)  mnsoint  a  demander  tcnrs  —  i?)  poiirlani  du  temps  '&]  des  — 
16)  come  de  —  17)  prinileges  eoutiv  la  iudiee  raisonahtes  au  preindice  de  ï équité  &  de  la 
raison.  Mais  ie  —   19)  propos  de  .««  parfaicl  emperitr  et  par  diuers   si  eus  exploits 

'     Cette  traduction  a  remplacé  le  texte   latin  que   Montaigne   donnait    primitivement  :    "  Cnsiluui 

inter  coltbquia,  cunclalioiiemq^  petentium  Jidem,  per  occasionem  captum  est.  » 


^2  HSSAIS      DR      MOXTAIGXF. 

tailant  plus  molle  i^artlc,  les  noÛres  s'en  aniparercnt  ^;  mirent  tout 
en  pièces.  Et  de  plus  frelche  mémoire  à  Yuoy  le  Seigneur  lullian 
Rommero,  avant  tait  ce  pas  de  clerc  de  fortir  pour  parlementer  auec 
Monfieur  le  Conneftable,  trouua  au  retour  fa  place  faifie.  Mais  afin 
que  nous  ne  nous  en  aillions  pas  fans  reuanche  :  le  marquis  de  5 
Pefquaire  aiïiegeant  Gènes,  où  le  Duc  Octauian  Frcgofe  commandoit 
foubs  noftre  protection,  &  l'accord  entre  eux  ayant  efté  pouffé  W 
auant,  qu'on  le  tenoit  pour  fait,  fur  le  point  de  la  conclufion,  les 
F.fpagnols  s'eftans  coullés  dedans,  en  vferent  comme  en  vne  victoire 
planiere.  Et  depuis  en  Ligny  en  Barrois,  où  le  Comte  de  Brienne  m 
commandoit,  l'Empereur  l'ayant  aflîegé  en  perfonne,  &  Bertheuille 
Lieutenant  dudict  Comte  eftant  forty  pour  parler,  pendant  le  marclx 
la  ville  fe  trouua  faifie. 

Fu  il  vincer  fempre  mai  laudabil  cofa, 

Vincafi  o  per  fortunn  11  pcr  ingeqno,  15 

difent-ils.  Mais  le  philofophe  Chrifippus  n'euft  pas  efté  de  cet  aduis, 
&  mov  aufli  peu  :  car  il  difoit  que  ceux,  qui  courent  à  l'enuy, 
doiuent  bien  employer  toutes  leurs  forces  à  la  viftelTe;  mais  il  ne  leur 
eft  pourtant  aucunement  loifible  de  mettre  la  main  fur  leur  aduer- 
faire  pour  Farrefter,  ny  de  luy  tendre  la  iambe,  pour  le  faire  cheoir.     20 

Et  plus  genereufement  encore  ce  grand  Alexandre  à  Polvpercon, 
qui  luv  luadoit  de  fe  leruir  de  fauantage  que  l'oblcurité  de  la  nuict 
luv  donnoit  pour  affaillir  Darius  :  Point,  fit-il,  ce  n'eft  pas  à  moy 
d'employer  des  victoires  defrobées;  «  malo  me  fortun;v  pœniteat, 
quam  victoria;  pudeat.  »  25 

Atquc  iiiciii  fugiciitcm  liaud  eft  dignatus  Orodem 
Sternere,  ncc  iacta  ctcum  dare  cufpide  vulnus  : 
Obuius,  adiierfôque  occurrit,  feque  viro  vir 
Contulit,  liaud  ûirto  meliiir,  (cd  fortihiis  armis. 

Tfati-;  88.  —  9)  en  vfarcnt —  12)  pour  p.irlemantcr,  peiulant  le  parlcinant  In 


Chapitre    VII 


QVE    L  INTENTION'     IVGE    NOS    ACTIONS. 


La  mort,  dict-on,  nous  acquitte  de  toutes  nos  obligations.  l'en 
Içay  qui  l'ont  prins  en  diucrfe  laçon.  Henry  leptiel'mc  Roy  d'An- 
gleterre fift  compofition  auec  Dom  Philippe  fils  de  l'Empereur 
Maximilian,  ou  pour  le  confronter  plus  honnorablement,  père  de 
5  l'Empereur  Charles  cinquiefme,  que  ledict  Philippe  rcmettoit  entre 
les  mains  le  Duc  de  Suffolc  de  la  rofe  blanche,  fon  ennemy,  lequel 
s'en  eftoit  fuy  &  retiré  au  pays  bas,  moyennant  qu'il  promettoit  de 
n'attenter  rien  fur  la  vie  dudict  Duc  :  toutesfois  venant  à  mourir, 
il  commanda  par  fon  teftament  à  fon  fils,  de  le  faire  mourir,  fou- 

lo  dain  après  qu'il  feroit  decedé.  Dernièrement  en  cette  tragédie,  que 
le  Duc  d'Albe  nous  fit  voir  à  Bruxelles  es  Comtes  de  Horne 
&  d'Aiguemond,  il  y  euft  tout  plein  de  chofes  remarquables,  &  entre 
autres  que  ledict  Comte  d'Aiguemond,  foubs  la  foy  &  alîcurance 
duquel  le  Comte  de  Horne  s'eftoit  venu  rendre  au  Duc  d'Albe, 

15  requit  auec  grande  inftance,  qu'on  le  fit  mourir  le  premier  :  affin 
que  fa  mort  l'affranchit  de  l'obligation,  qu'il  auoit  audict  Comte  de 
Horne.  Il  femble  que  la  mort  n'ait  point  defchargé  le  premier  de  la 
foy  donnée,  &  que  le  fécond  en  eftoit  quite,  mefmes  liuis  mourir. 
Nous  ne  pouuons  eftre  tenus  au  delà  de  nos  forces  &  de  nos 

Texte  88.  —  9)  teft.iment  cxprcfTcmcnt  ;i  —  16)  mort  le  o;arantit  de 


54  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

mo\'ens.  A  cette  caufe,  par  ce  que  les  effects  ô;:  exécutions  ne  font 
aucunement  en  noftre  puiffance,  &  qu'il  n'y  a  rien  en  bon  cfcient 
en  noftre  puiflance,  que  la  volonté  :  en  celle  là  fe  fondent  par 
neceflité,  6c  s'eftabliflent  toutes  les  reigles  du  deuoir  de  l'homme. 
Par  ainfi  le  Comte  d'Aiguemond  tenant  fon  ame  &  volonté  endebtée 
à  fil  promeffe,  bien  que  la  puiflance  de  l'effectuer  ne  fut  pas  en  fcs 
mains,  eftoit  lans  doute  abfous  de  fon  deuoir,  quand  il  cuft  furucfcu 
le  Comte  de  Horne.  Mais  le  Roy  d'Angleterre  faillant  à  fa  parolle 
par  fon  intention,  ne  fe  peut  excufer  pour  auoir  retardé  iufques 
après  fa  mort  l'exécution  de  fa  defloyauté  :  non  plus  que  le  maflbn 
de  Hérodote,  lequel  avant  loyallement  conferué  durant  fa  vie  le  fecret 
des  threfors  du  Roy  d'Egypte  fon  maiftrc,  mourant  les  defcouurit  à 
fes  entans. 

l'ay  lien  plusieurs  de  iiioii  temps  eoiiiieineiis  par  leur  eoiisciaiice  retenir 
de  l'aiitriii,  se  disposer  a  y  satisfaire  par  leur  testamaiit,  [rf]  après  leur 
dece:^.  Ils  ne  font  rien  qui  iiaille,  iiy  de  prandre  terme  a  chose  si  pressante, 
ny  de  uouloir  restahlir  un'  iniure  aueq  si  peu  de  leur  ressanti niant  et 
iuterest.  [Ils]  doiuent  du  plus  leur.  [Et]  d'autant  qu'ils  paient  plus  poi- 
sainmant,  et  [in]coniinodee niant  :  d'autant  en  est  leur  satisfaction  plus 
iiistc  [et]  méritoire.  La  pœnitance  demundc  a  se  charger. 

Cens  la  font  encore  pis  qui  reseruent  la  [reue]lation  de  quelque  haineuse 
iiolante  eniiers  le  proche  [a  le]ur  dernière  uolonté,  l'aiant  cachée  pendant 
la  nie;  et  montrent  auoir  \_peu]  de  soin  du  propre  Jmieur,  irritant  l'offancé 
\a  ]'e]nconire  de  leur  mernoire,  [et]  moins  de  leur  consciance,  n'aiant  pour 
le  respect  de  la  mort  mesme  sceu  faire  mourir  [leur]  maltalant,  et  en  eslen- 
dant  la  nie  outre  la  leur.  Iniques  iuges  qui  remettent  a  iuger  alors  qu'ils 
n'ont  plus  de  conoissance  de  cause. 

le  me  garderai,  si  ie  puis,  que  ma  mort  die  cime  que  ma  nie  n'ait  pre- 
wierement  dict. 

\'ar.  ms.  —  20)  pa'iiilniice  cJwd'e  a  —  22)  ciiuersteur  proct'c...  uolmilè  mmtlmitU 
peu  de  foiu  de  leup]  boneuH  ifuUh  ithaHdi^  t'aiant  mcliee  pautant  leur  nie.  —  23)  soin  de 
}eu>:  hfHui:  —  26)  iiiger  \ttii    Ifiiips  <jii'ils 


Chapitre    Vlii. 


DH    L  OISIVETE. 


Comme  nous  voyons  des  terres  oyilues,  li  elles  lont  graffes 
&  fertilles,  foilbnner  en  cent  mille  fortes  d'herhes  lauuages  &  inutiles, 
li^  que  pour  les  tenir  en  office,  il  les  faut  affuhiectir  &  employer  à 
certaines  femences,  pour  noilre  feruice;  &  comme  nous  voyons, 

5  que  les  femmes  produilent  bien  toutes  feules,  des  amas  &  pièces 
de  chair  informes,  mais  que  pour  taire  vne  génération  bonne 
&  naturelle,  il  les  faut  embefoigner  d'vne  autre  femence  :  ainfui 
eft-il  des  efpris.  Si  on  ne  les  occupe  à  certain  fuiet,  qui  les  bride 
^  contreigne,  ils  fe  iettent  defreiglez,  par-cy  par  la,  dans  le  vague 

lo     champ  des  imaginations, 

Sicut  aqua;  tremulum  labris  vbi  lumen  aheiiis 
Sole  repercuirum,  aut  radiantis  imagine  Lunx- 
Omnia  peruolitat  latè  loca,  iàmque  l'ub  auras 
Erigitur,  fummique  ferit  laquearia  tecti. 

i)     Et  n'eft  folie  ny  réuerie,  qu'ils  ne  produilent  en  cette  agitation, 

velut  :t'gri  fomnia,  vanx' 
Finguntur  l'pecies. 

Texte  88.  —  2)  ftrtillcs,  qu'elles  11c  ccH'cnt  Je  foilbnner 


36  ESSAIS    Di:    mo\tai(;nh. 

L'amc  qui  n'a  point  de  but  ellably,  elle  le  perd  :  car  comme  on 
dict,  cclt  nclb'c  en  aucun  lieu,  que  d'eftre  par  tout. 

Quifquis  vhique  habitat,  Maxime,  nufquam  liabitat. 

Dernièrement  que  ie  me  retira\-  chez  moy,  délibéré  autant  que 
ie  pourroy,  ne  me  mefler  d'autre  choie,  que  de  palTer  en  repos,  &  à  5 
part,  ce  peu  qui  me  relk  de  vie  :  il  me  fembloit  ne  pouuoir  faire 
plus  _i:;rande  faueur  à  mon  efprit,  que  de  le  lailTer  en  pleine  oyliueté, 
s'entretenir  Iby  mel'mes,  &  s'arrefter  &  ralTeoir  en  Iby  :  ce  que 
iefperois  qu'il  peut  meshuv  faire  plus  aifément,  deuenu  auec  le 
temps,  plus  poifant,  ^:  plus  meur.  Mais  ie  trouue,  10 

vaiiam  l'eniper  dam  otia  mentem,' 

que  au  rebours,  fuilant  le  cheual  efchappé,  il  le  donne  cent  lois  plus 
d'affaire  à  fov  mefmes,  qu'il  n'en  prenoit  pour  autruy;  &  m'enfante 
tant  de  chimères  &  monftres  fantafques  les  vns  fur  les  autres,  fans 
ordre,  &  fans  propos,  que  pour  en  contempler  à  mon  aife  l'ineptie  15 
(S;  l'eftrangeté,  i'ay  commancé  de  les  mettre  en  rolle,  efperant  auec 
le  temps  luy  en  faire  honte  à  luy  mefmes. 

Teml  88.  —  5)  pourroy.  de  ne 


'     A  droito  de  cette  cit.ition  disposée  dans  le  texte  de  1 588  comme  uu  commencement  de  vers,  cette 
recommandation  de  Montaigne  i  l'imprimeur  :  tircs  Cil  (a  j  c'cst  IIIIC  fin  dc  liers 


Chapitre    IX. 


DES    MHXTEVRS. 


11  n'cft  homme  à  qui  il  iiefe  li  mal  de  fc  méfier  de  parler  de 
mémoire.  Car  ie  n'en  reconnoy  quaû  trafle  en  moy,  &  ne  penfe 
qu'il  V  en  ave  au  monde  vne  autre  ii  monftreufe  en  défaillance, 
l'av  toutes  mes  autres  parties  viles  &  communes.  Mais  en  cette-là 
3  ie  penle  eftre  fingulier  i^:  très-rare,  &  digne  de  gaigner  par  là  nom 
&  réputation. 

Outre  l'inconuenient  naturel  que  i'en  Ibuffre,  —  air  certes  iieii  su 
nécessite  Phitoii  <  a  '■  niisoii  de  hi  iionier  une  'grande  et  puissante  déesse  —  li 
en  mon  pais  on  veut  dire  qu'vn  homme  n'a  poinct  de  lens,  ils  dilent 

lo  qu'il  n'a  point  de  mémoire  :  &  quand  ie  me  plains  du  défaut  de  la 
mienne,  ils  me  reprennent  &  mel'croient,  comme  fi  ie  m'acculbis 
d'eflre  infenfe.  Ils  ne  voyent  pas  de  chois  entre  mémoire  &  enten- 
dement. C'eft  bien  empirer  mon  marché.  Mais  ils  me  font  tort, 
car  il  fe  voit  par  expérience  pluftoft  au  rebours,  que  les  mémoires 

I  )  excellentes  le  ioignent  volontiers  aux  iugemens  débiles.  Ils  me  font 
tort  aufîi  en  ccc\,  qui  ne  fçay  rien  li  bien  faire  qu'efire  amy,  que  les 
mefmes  paroles  qui  acculent  ma  maladie,  reprelentent  l'ingratitude. 

Texte  88.  —  2)  mc-moirc,  qu'à  moy.  Car 
Var.  ms.  —  S)  iitressite  Ls  gu- 


38  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

On  fe  prend  de  mon  affection  à  ma  mémoire;  î^  d'\n  défaut  naturel, 
on  en  faict  vn  défaut  de  confcience.  Il  a  oublié,  dict-on,  cette  prière  ou 
cette  promeffe.  Il  ne  fe  fouuient  point  de  fes  amys.  Il  ne  s'eft  point 
fouuenu  de  dire,  ou  faire,  ou  taire  cela,  pour  l'amour  de  moy. 
Certes  ie  puis  aiféement  oublier,  mais  de  mettre  à  nonchalloir  la 
charge  que  mon  amy  m'a  donnée,  ie  ne  le  fay  pas.  Qu'on  fe  contente 
de  ma  mifere,  iiins  en  faire  vne  efpece  de  malice,  &  de  la  malice 
autant  ennemve  de  mon  humeur. 

le  me  coniole  aucunement.  Premièrement  sur  ce  que  c'est  un  mal 
duquel  principaleiiuiiit  i'uv  lire  Ici  raison  de  corriger  un  mal  pire  lqiii\  se 
fui  facilement  produit  ;  en  \  moy,  sçauoir  est  l'ambition^  car  c'est  une  desfail- 
lance  insupportable  a  qui  s'empescbe  des  negotiations  du  monde;  que  come 
disent  plusieurs  pareils  exemples  du  progrès  de  nature,  elV  a  uolontiers 
fortifie  d'autres  faculté:^  \  en  :  nu)i  a  mesure  que  cettccy  s'est  ajjoiblie,  et  irois 
facilement  couchant  cl  alanguissant  mon  esprit  &  mon  iugemct  sur  les 
traces  d'autruy,  conie  jaict  le  monde,  sans  exercer  leurs  propres  Jorces,  si 
les  inuitntions  cl  opinioiis  estrangieres  m'esloint  presantes  par  le  bénéfice  de 
la  niemoire;  que  mon  parler  en  ell;  plus  court,  car  le  magafin  de  la 
mémoire,  eil:  volontiers  plus  fourny  de  matière,  que  n'efi:  celuy  de 
Finuention  .■  si  elle  m'eut  tenu  bon,  l'eusse  assourdi  tous  nws  amis  de  babil, 
les  subicis  esueillanl  cette  telle  quelle  faculté  que  i'av  de  les  manier  cl  cm- 
ploier,  eschaujfaul  et  atirant  mes  discours.  C'eff  pitié.  le  l'efLive  par  la 
preuue  d'aucuns  de  mes  priue/  amys  :  à  melure  que  la  mémoire 
leur  lournil  la  choie  entière  «S;  prelente,  ils  reculent  fi  arrière  leur 
narration,  &.  la  chargent  de  vaines  circonthmces,  que  li  le  conte  ell 
bon,  ils  en  eftouffent  la  bonté;  s'il  ne  l'efl;  pas,  vous  eftes  à  maudire 
ou  riieur  de  leur  mémoire,  ou  le  malheur  de  leur  iugement.  \El\ 

'l'iiXTE  88.  —  y)  l'rcmicrcmciu  de  ce  que  mon  p.iilcr 

\'ar.   ms.  —   16)  .unis  (•siicillcr  li  i:\ci\rr   —   21)   siibich  cmicHIûiiI  li  lititiuldiil  luc.-i 
<y».<( ■»'«/•>■.  icUi'  Ifllc...  cinptoiir    ta  p  icdiil  l'cuijiiiijjdHl  li 

I      l'riiiiilivcmtm  i;cUl-  addition  s'arrillail  l.i. 


LIVRE     1,      CHAPITRE     IX.  ^^ 

c'est  chose  difficile  lie  jeniier  un  propos  &  de  le  couper  despuis  qu'on  est 
iirrouté.  [Et  n\'esf  rien  ou  la  force  d'un  chenal  se  conesse  plus  qu'a  faire 
un  arrest  ront  et  net.  Entre  les  pertinans  mesmes  l'en  uoi  qui  ueulent  [et 
iw]  se  peuuent  desfaire  de  leur  course.  Cependàt  qu'ils  cherchët  \le  paient 
5  de  clorre  le  pas,  [ils  s\'en  uont  haliucrnant  &  treinàt  [corne]  des  homes  qui 
desfaillèl  defo^iblesse.  Sur  tout  les  uieillars  sont  dangernis,  [a  qui]  la 
souuenance  des  chscs  passées  deni\ure,  et  ont  perdu  [la]  souuenance  de 
leurs  redictes.  I  l'ay]  veu  des  récits  bien  plesans  deueiur  tresennnieus  en  lu 
bouche  d 'un  seignur  :  chacun  de  l'assistàce  en  ayant  esté  ahbreuc  cent  fois. 

lo  Secondement,'  qu'il  me  fouuient  moins  des  offences  receuës,  ainsi  que 
dilbit  cet  ancien;  il  me  fandroit  un  protocolk,  corne  Darius  pour  n'oblier 
l'offance  qu'il  auoit  receu  des  Athéniens,  faisoit  qu'un  page  a  tous  les  coups 
qu'il  se  mettoit  a  table,  luy  iiinf  rechanler  par  tj:ois  fois  a  l'oreille  :  Sire 
souuienc  nous  des  Athéniens;  &  que  les  lieux  &  les  Hures  que  ie  reuov 

1 5     me  rient  toufiours  d'vne  trefche  nouuelleté. 

Ce  n'efl;  pas  Hms  railbn  qu'on  dit,  que  qui  ne  le  lent  point  aiïez 
ferme  de  mémoire,  ne  fe  doit  pas  méfier  d'eftre  menteur.  le  fçay 
bien  que  les  grammairiens  font  différence  entre  dire  menfongc, 
&  mentir  :  &  difent,  que  dire  menfonge,  c'eft  dire  choie  fauce,  mais 

2o  qu'on  a  pris  pour  vraye,  &  que  la  définition  du  mot  de  mentir  en 
Latin,  d'où  noftre  François  eft  party,  porte  autant  comme  aller 
contre  fa  confcience,  &  que  par  confequent  cela  ne  touche  que 
ceux  qui  difent  contre  ce  qu'ils  fçauent,  defquels  ie  parle.  Or  ceux 
icy,  ou  ils  inuentent  marc  &  tout,  ou  ils  déguifent  &  altèrent  vn 

2)     fons   véritable.   Lors  qu'ils   déguifent   &  changent,  à  les  remettre 

Texte  88.  —   lo)  .\ufli,  qu'il  me  fouuient...  rcccuiis,  come  difoit 

Var.  ms. —  5)  roui  et  ferme  m  lani  —  5)  qui  ie  ueiiteiit  —  4)  peinieiil  iirrekr 
A^;:]<i»w  —  5)  de  J^nlete  et  plaiidite  [ils  s  'en  uoiil  luislelaiit  &  treinàt  —  6)  a  qui 
la  mémoire  des  contes  dem'  ure  entière  et  n'ont  perdu  [que  la]  mémoire  de  leurs  rediftes 
[l'ax    (H  la  heu  —  9)  d'un  fb  —  12)  faisait  to  qu'un  page  toutes  les  fois  qu'il 

'     Secondement  correction  .intérieure  aux  additions  de  cet  alinéa. 


40  ESSAIS      Dt      MOXTAIGXH. 

lOLiuont  en  ce  mcl'me  conte,  il  eû  mal-ailé  qu'ils  ne  ie  deslerrent, 
par  ce  que  la  chofe,  comme  elle  ert,  s'ertant  logé'e  la  première  dans 
la  mémoire,  &  s'y  eftant  empreincte,  par  la  voye  de  la  connoilîiince, 
&  de  la  fcience,  il  eft  mal-aifé  qu'elle  ne  fe  reprefente  à  l'imagination, 
délogeant  la  fauceté,  qui  n'y  peut  auoir  le  pied  fi  ferme,  ny  i\  raflis,  5 
&  que  les  circonftances  du  premier  aprentill;ige,  fe  coulant  à  tous 
coups  dans  Fefprit,  ne  facent  perdre  le  louuenir  des  pièces  raportées, 
faulfes  ou  abâtardies.  Kn  ce  qu'ils  inuentent  tout  à  taict,  d'autant 
qu'il  n'y  a  nulle  imprelîion  contraire,  qui  choque  leur  tauceté,  ils 
femblent  auoir  d'autant  moins  à  craindre  de  fe  mefconter.  Toutes-  m 
fois  encore  cecv,  par  ce  que  c'ert  vn  corps  vain,  &  fiins  prife,  efchappe 
volontiers  à  la  mémoire,  fi  elle  n'eft  bien  alTeurée. 

Dequov  i'av  fouuent  veu  fexperience,  &  plaifammant,  aux  delpens 
de  ceux  qui  font  profeflîon  de  ne  former  autrement  leur  parole,  que 
félon  qu'il  fert  aux  affaires  qu'ils  negotient,  &  qu'il  plaift  aux  grands     15 
à  qui  ils  parlent.  Car  ces  circonftances  à  quov  ils  veulent  alTeruir 
leur  fov  &  leur  confcience,  eftans  fubiettes  à  plufieurs  changements, 
il  faut  que  leur  parole  fe  diuerfihe  quand  &  quand;  d'où  il  adulent 
que  de  mefme  chofe  ils  difent  gris  tantoft,  tantoft  iaune;   à  tel 
homme  d'vne  forte,  à  tel  d'vne  autre  :  &  il  par  fortune  ces  hommes     20 
raportent  en  butin  leurs  inftructions  \\  contraires,  que  deuient  cette 
belle  art  ?  Outre  ce  qu'imprudemment  ils  fe  desferrent  eux-mefme 
i\  fouuent  :  car  quelle  mémoire  leur  pourroit  fuffire  à  fe  louuenir  de 
tant  de  diuerfes  formes,  qu'ils  ont  forgées  à  vn  mefme  lubiect.  I'av 
veu  plufieurs  de  mon  temps,  enuier  la  réputation  de  cette  belle  forte     25 
de  prudence,  qui  ne  voyent  pas  que,  li  la  réputation  v  eft,  l'eflect 
n'y  peut  eftre. 

1  Hii  uciilc  le  iiiciillr  csl  iiii  iintinllt  iiicc.  Xous  ne  soniiiics  homes,  el  ne 
lions  tenons  les  uns  nus  autres  que  pur  In  pinroJe.  Si  nous  en  eonessions 
l'hornir  et  le  pois,  nous  le  ponrsuiurions  n  jen  plus  insteinniit  que  tl'iinlres     30 
eriiiies.  le  Ireuiie  qu'on  s'iiinuse  onlinereinenl  a  ehnstier  ans  eiijans  Jes 
errurs  iiiiHk'enles  Iresinal  a  propos,  el  qu'on  les  louriuanle  pour  îles  aelioiis 


I.IVRn      I,      CHAPITRF.      IX.  4I 

iancrcrcs  qui  n'ont  nv  impression  ny  suite.  La  nuinicric  suie  et  un  peu  au 
dessous  Vopiniatrcte  me  semblent  esirc  celles  des  quelles  [o«]  deuroit  a  toute 
instance  combattre  h  naissance  et  le  progrès.  Elles  croissent  quand  [et  \  eus. 
Et  despuis  qu'on  a  donc  ce  faus  trein  a  la  langue,  c'est  merueille  combien 
[il]  est  impossible  de  l'en  retirer.  [Pan  ou  il  adulent  que  Jioiis  uoions  des 
honcstes  homes  d'ailleurs,  y  estre  subiet::^  et  asseruis.  l'ay  un  bon  garçon  de 
tailleur  a  qui  lie]  n'ouis  ianiais  dire  une  uerite,  non  pas  quand  elle  s'offre 
pour  luv  seruir  ufilenuint. 

Si  comc  la  uerite  le  mansonge  n'auoit  qu'un  uisage  nous  serions  |  en  j 
meillurs  termes.  Car  nous  prenderions  pour  certein  l'oppose  de  ce  que  dirait 
[le]  mantur.  Mais  le  reuers  [de]  la  uerite  a  cent  mille  figures  et  un  champ 
indéfini. 

Les  Pvthagoriens  font  [le  bi\en  certein  et  fini,  le  [mal]  infini  et  incertein. 
Mille  routes  desuoïent  du  blanc,  une  y  ua.  Certes  ie  [ne]  m'assure  pas  que 
ie  [peus]se  uenir  a  bout  de  moi,  [a]  garantir  un  dangicr  [euide]nt  et 
[extre]me  par  un'  effrontée  [et  so]lemne  mansonge.'' 

Vn  antien  père  dict  que  nous  somes  miens  en  [la~]  conipaignie  d'un 
chien  comi  qu'en  celle  d'un  home  du  quel  le  langage  nous  est  inconu.  «  [Vt] 
externus  aliéna  non  sif  hominis  uicc.  »  \  Et]  de  combien  est  le  langage  faus 
moins  sociable  que  le  silance. 

Le  Roy  François  premier  fe  vantoit  d'auoir  mis  au  rouet  par  ce 
moven  Francifque  Tauerna,  ambafliideur  de  François  Sforce  Duc  de 
Milan,  homme  tres-fameux  en  Icience  de  parlerie.  Cettuy-cy  auoit 
efté  depelché  pour  excufer  fon  maiftre  enuers  la  xMajefté,  d'vn  fait  de 
i^rande  confequence,  qui  eftoit  tel.  Le  Roy  pour  maintenir  touliours 
quelques  intelligences  en  Italie,  d'où  il  auoit  efté  dernièrement  chalTé, 
mefme  au  Duché  de  Milan,  auoit  aduilc  d'v  tenir  près  du  Duc  vn 

Var.  ms.  —  10)  ccrfeiii  If  coiihrir  ili- iv  —  15)  daii^ier  exhe  iiif  —  17)  ^£/'  esl 
iinii  ce  qti'ini  aiilicii 

'  Les  PylliagOrieilS...  mansonge  a  cté  écrit  i  b  suite  Je  :  Vil  tllltii-n...  sililiur;  nuh  sa  phce 
était  marquée  par  un  renvoi  ms.  après  indepill. 


ESSAIS      DK      MONTAIGNE 


gentil-homme  de  ia  part,  ambafladeur  par  effect,  mais  par  apparence 
homme  priiié,  qui  fit  la  mine  d'y  eftre  pour  fes  affiiires  particulières  : 
d'autant  que  le  Duc,  qui  dependoit  beaucoup  plus  de  l'Empereur, 
lors  principalement  qu'il  eftoit  en  traicté  de  mariage  auec  fa  niepce, 
fille  du  Roy  de  Dannemarc,  qui  eft  à  prefent  douairière  de  Lorraine,  5 
ne  pouuoit  defcouurir  auoir  aucune  praticque  &  conférence  auecques 
nous,  fans  fon  grand  intereft.  A  cette  commiflîon  fe  trouua  propre 
vn  gentil'homme  Milanois,  efcuyer  d'efcuric  chez  le  Roy,  nommé 
Merueille.  Cettuy-cy  defpefché  auecques  lettres  fecrettes  de  créance 
&  inflructions  d'ambaflitdeur,  &  auecques  d'autres  lettres  de  recom-  10 
mandation  enuers  le  Duc  en  faueur  de  fes  afïiiires  particuliers  pour 
le  mafque  &  la  montre,  fut  fi  long  temps  auprès  du  Duc,  qu'il  en 
vint  quelque  refentiment  à  l'Empereur,  qui  donna  caufe  à  ce  qui 
s'enfuiuit  après,  comme  nous  penfons  :  qui  fut,  que  foubs  couleur 
de  quelque  meurtre,  voila  le  Duc  qui  luy  faict  trancher  la  tefte  de  1 5 
belle  nuict,  &  fon  procez  faict  en  deux  iours.  Meflîre  Francifque 
eftant  venu  preft  d'vne  longue  déduction  contrefaicte  de  cette 
hiftoire,  —  car  le  Roy  s'en  eftoit  adreffé,  pour  demander  raifon,  à 
tous  les  princes  de  Chreftienté  «Se  au  Duc  mefmes,  —  fut  ouy  aux 
affaires  du  matin,  &  ayant  eftably  pour  le  fondement  de  fa  caufe,  30 
iSc  dreffé  à  cette  fin,  plufieurs  belles  apparences  du  faict  :  que  fon 
niaiftre  n'auoit  iamais  pris  noftre  homme,  que  pour  gentil-homme 
priué,  ic  fien  iuiect,  qui  eftoit  venu  faire  fes  affaires  à  Milan,  &  qui 
n'auoit  iamais  velcu  là  foubs  autre  vil'age,  deladuouant  mefme 
auoir  fceu  qu'il  fut  en  eftat  de  la  maifon  du  Roy,  ny  connu  de  luy,  2) 
tant  s'en  faut  qu'il  le  prit  pour  ambafîiideur;  le  Roy  à  fon  tour 
le  prefî\int  de  diuerfes  obiections  &  demandes,  &  le  chargeant  de 
toutes  pars,  l'accula  en  lin  fur  le  point  de  l'exécution  faite  de  nuict, 
&  comme  à  la  defrobée.  A  quoy  le  pauure  homme  embarrafix' 
refpondit,  pour  faire  l'honnefte,  que  pour  le  rcfpcct  de  la  Majeftc     30 

Texie  88.  —  28)  pars,  l'accufa  en 


LIVRK      I,      CHAPITRH      IX.  45 

le  Duc  eull  elle  bien  niarry,  que  telle  exécution  le  l'ut  t'aicte  de  iour. 
Chacun  peut  penler,  comme  il  fut  releué,  s'eftant  11  lourdement 
couppé,  &  à  l'endroit  d'vn  tel  nez,  que  celuy  du  Roy  François. 

Le  pape  Iule  fécond  ayant  enuoyé  vn  ambafladeur  vers  le  Roy 
d'Angleterre,  pour  l'animer  contre  le  Roy  François,  l'ambafladeur 
ayant  elle  ouy  fur  la  charge,  &  le  Roy  d'Angleterre  sellant  arrellé 
en  fil  relponce  aux  difficultez  qu'il  trouuoit  à  drefler  les  préparatifs, 
qu'il  faudroit  pour  combatre  vn  Roy  fi  puiflant,  &  en  alléguant 
quelques  railbns,  l'ambafladeur  répliqua  mal  à  propos,  qu'il  les  auoit 
aufli  confiderées  de  la  part,  &  les  auoit  bien  dictes  au  Pape.  De 
cette  parole  li  elloingnée  de  fa  propofition,  qui  elloit  de  le  poufler 
incontinent  à  la  guerre,  le  Roy  d'Angleterre  print  le  premier  argu- 
ment de  ce  qu'il  trouua  depuis  par  effect,  que  cet  ambalTadeur,  de 
fon  intention  particulière,  pendoit  du  collé  de  France.  Et  en  avant 
aduerty  Ion  maillre,  l'es  biens  furent  contîfquez,  6^  ne  tint  à  guère 
qu'il  n'en  perdit  la  vie. 


Chapitre    X. 


DV     PARLER     PROMPT     OV     TARDIF. 


OiK  ne  furent  à  tous,  toutes  grâces  données. 

Auiîî  vovons  nous  qu'au  don  d'cloquence,  les  vns  ont  la  facilite 
&  la  promptitude,  &  ce  qu'on  dict,  le  boute-hors  fi  ailé,  qu'à  chaque 
bout  de  champ  ils  font  prefts;  les  autres  plus  tardifs  ne  parlent 
•  iamais  rien  qu'élabouré  &  prémédité.  Comme  on  donne  des  règles     5 
aux  dames  de  prendre  les  ieux  &  les  exercices  du   corps,  félon 
Taduantage  de  ce  qu'elles  ont  le  plus  beau,  il  i'auois  à  confeiller 
de    mehnes,   en    ces   deux    diucrs    aduantages   de   l'éloquence,    de 
laquelle  il  femble  en  noftre  liecle,  que  les  prefcheurs  «S:  les  aduocats 
lacent  principale  profelfion,  le  tardif  feroit  mieux  prefcheur,  ce  me     10 
femble,  ^c  l'autre  mieux  aduocat  :  par  ce  que  la  charge  de  celuv-là 
luy  donne  autant  qu'il  luy  plaiÛ  de  loifir  pour  le  préparer,  &  puis  fa 
carrière  fe  pafle  d'vn  fil  6c  d'vne  fuite,  fans  interruption,  là  où  les 
commoditez  de  l'aduocat  le  preflent  à  toute  heure  de  fe  mettre  en  lice, 
i^  les  refponces  improuueues  de  fa  partie  adueri'e  le  reiettent  hors  de     15 
Ion  branle,  où  il  luv  faut  fur  le  champ  prendre  nouueau  partv. 

Si  eft-ce  qu'à  lentreueue  du  Pape  Clément  \  du  Roy  François 
à  Marfeille,  il  aduint  tout  au  rebours,  que  monlieur  Povet,  homme 
toute  la  \ie  nourrv  au  barreau,  en  grande  réputation,  avant  charge 
de  faire  la  harangue  au  Pape,  &  l'avant  de  longue  main  pourpenfée,     20 
voire,  à  ce  qu'on  dict,  apportée  de  Paris  toute  preflc,  le  iour  niclmc 


LIVRH      I,      CHAPlTRli      X.  4) 

quelle  dcuoit  clb'o  pronoiiccc,  le  Pape  le  craignant  qu'on  luy  tint 
propos,  qui  peut  ofFencer  les  ambafladeurs  des  autres  princes,  qui 
ertoient  autour  de  luy,  manda  au  Roy  l'argument,  qui  luy  lembloit 
eflre  le  plus  propre  au  temps  &  au  lieu,  mais  de  fortune  tout  autre 
5  que  celuy  fur  lequel  monfieur  Poyet  s'ertoit  trauaillé  :  de  façon  que 
fa  liarangue  demeuroit  inutile,  &  luy  en  falloit  promptement  refoire 
\  n  autre.  Mais  s'en  fentant  incapable,  il  fallut  que  Monfieur  le  Car- 
dinal du  Bellay  en  print  la  charge. 

La  part  de  l'Aduocat  cil  plus  difficile  que  celle  du  Prefclieur, 

10  ,!s:  nous  trouuons  pourtant  ce  )iù'st  liiiis  plus  de  paffiibles  x\duocats 
que  Prefcheurs,  au  moins  en  France. 

Il  femble  que  ce  foit  plus  le  propre  de  l'efprit,  d'auoir  fon  opération 
prompte  &  foudaine,  &  plus  Je  propre  du  iugement,  de  l'auoir  lente 
&  pofée.  Mais  qui  demeure  du  tout  muet,  s'il  n'a  loillr  de  fe  préparer, 

1 5  &  celuy  auffi,  à  qui  le  loifir  ne  donne  aduantage  de  mieux  dire,  ils 
font  en  pareil  degré  d'eilrangeté.  On  recite  de  Seuerus  CaflTius,  qu'il 
difoit  mieux  fans  y  auoir  penfé;  qu'il  deuoit  plus  à  la  fortune,  qu'à 
fa  diligence;  qu'il  luy  venoit  à  profit  d'eflre  troublé  en  parlant,  &  que 
fes  aduerlaires  craignoyent  de  le  picquer,  de  peur  que  la  colère  ne 

2u  luy  fit  redoubler  fon  éloquence.  le  cognois,  par  expérience,  cette 
condition  de  nature,  qui  ne  peut  fouflenir  vue  véhémente  prémédi- 
tation &  laborieufe.  Si  elle  ne  va  gayement  &  librement,  elle  ne  va 
rien  qui  vaille.  Nous  difons  d'aucuns  ouurages  qu'ils  puent  l'huyle 
&  la  lampe,  pour  certaine  afpreté  &  rudelTe,  que  le  trauail  imprime 

2)  en  ceux  où  il  a  grande  part.  Mais  outre  cela,  la  folicitude  de  bien 
faire,  &  cette  contention  de  l'ame  trop  bandée  &  trop  tendue  à  fon 
entreprife,  Jii  met  au  rouci,  la  rompt,  &  Yempeehe,  iiiusi  qu'il  culuienl  a 
l'eau  qui  par  force  de  fe  prefTcr  de  fa  violence  &  abondance,  ne  peut 
trouuer  ifîuë  en  vn  gouJei  ouuert. 

Texte  88.  —  y)  celle  d'vii  Prelclieur,  —  lu)  pDurtaiU  ce  me  lemble  plus  — 
12)  plus  le  rollc  de  —  15)  &  plus  celuy  du  —  25)  puent  à  l'huyle  &  à  l;i  lampe  — 
27)  entreprife,  la  rompt,  &  la  trouble  :  comme  l'eau  —  29)  vn  palFaye  ouuert 


46  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

En  cette  condition  de  nature,  de  quoy  ie  parle,  il  y  a  quant 
i^  quant  auflî  cela,  qu'elle  demande  à  élire  non  pas  elbranlée  &  piquée 
par  ces  pallîons  fortes,  comme  la  colère  de  Caiïius  (car  ce  mouue- 
ment  leroit  trop  alpre),  elle  veut  eftre  non  pas  fecoùée,  mais  folicitée  : 
elle  veut  eftre  elchaufée  .is;  reueillée  par  les  occafions  eftrangeres,  5 
prefentes  &  fortuites.  Si  elle  va  toute  feule,  elle  ne  fait  que  traîner 
6\:  languir.  L'agitation  eft  fa  vie  &  fa  grâce. 

le  ne  me  tiens  pas  bien  en  ma  poflefTion  et  dilpolition.  Le  hazard 
V  a  plus  de  droict  que  moy.  L'occalion,  la  compaignie,  le  branle 
mefnie  de  ma  voix,  tire  plus  de  mon  elprit,  que  ie  n'y  trouue  lors     10 
que  ie  le  fonde,  &  employé  à  part  moy. 

Ainli  les  paroles  en  valent  mieux  que  les  efcripts,  s'il  \-  peut  auoir 
chois  où  il  n'v  a  point  de  pris. 

Ceci  iiùiiiiciil  aussi  :  que  [ie]  ne  me  l renne  pas  on  ie  me  cherche;  et  /;/<• 
Irenne  phis  par  rencontre  qne  par  l'inqnisilion  de  mon  ingénient,  {fa  irai     13 
cslance  qnclqnc  subtilité  en  escrinant  (i'cntans  bien  :  mornee  pour  [un 
antre,  affilée  pour  moy;  laissons  tontes  ces  honestcte:^  :  cela  se  dict  par 
chacun  selon  [sa\jorce);  ie  l'ai  [si\  bien  perdue  qiw  ie  ne  sçai  ce  que  i'ay 
uolu  dire  :  cl  l'a  l'eslrangier  dcsconuerte  parfois  anant  mov.  Si  ie  portois  le 
rasoir  par  tout  ou  cela  m'auieni,  ie  me  des/crois  tout.  \_Le  I  rencontre  m'en     20 
ojjrira  le  ioiir  quelqu'  autre  fois  pins  apparant  que  celuy  du  midi  : 

[et\  nw Jaira  estoner  \de\  mon  hésitation. 

\'ak.  ms.  —  15)  plus  par  lorhiiu'  (juc  ■ —  i6)  csliiiice  une  poiiile  [d'i^muuilum  eu 
escriuaul.  —  17)  cela  s'-enk  se  dict  a  chacun  selon  [sa]  force.  Cette  pointe  la  ie  la  treuue 
,_si\  bien  perdue  qu'il  m'en  faut  respoudre  ;  que]  ne  sçai  ce  que  i'ay  uolu  dire  :  et  l'a  l'estraugier 
d'csicrrce  parfm  souiuiul  auaul  uw\  —  22)    cl    m'-cslcne 


Chapitre    XI. 


DES     PROGN'OSTICATION'S. 


Quant  aux  oracles,  il  eft  certain  que  bonne  pièce  auant  la  venue 
de  lefus-Chrirt,  ils  auovent  commencé  à  perdre  leur  crédit  :  car 
nous  voyons  que  Cicero  le  met  en  peine  de  trouuer  la  caule  de 
leur  défaillance;  cl  ces  mots  s(Vil  a  Iiiv  :  «  Ciir  isio  modo  iiiiii  oniciihi 
5  Dclpbis  non  cduntur  non  nioilo  iiostra  aiatc  scd  iiintdiii  ut  modo  nihil 
possit  esse  contenipsiiis.  »  Mais  quant  aux  autres  prognoftiques,  qui  fe 
tiroyent  de  l'anatomie  des  belles  aux  facrifices,  ans  quels  Platon  attri- 
bue en  partie  la  constitution  naturelle  des  membres  internes  [d'ic^,elles,  du 
trépignement  des  poulets,  du  vol  des  oyfeaux,  «  aues  quasdam  rerum 

m  augurandarum  causa  natas  esse  putamus  » ,^  des  foudres,  du  tournoie- 
ment des  riuieres,  «  multa  cernunt  aruspiees,  multa  augures  prouident, 
multa  oraculis  declarantur,  multa  uaticinationibus,  multa  \so\ninijs,  nndta 
porteniis  »,  &  autres  fur  lefquels  l'ancienneté  appuioit  la  plus  part 
des  entreprinfes,  tant  publiques  que  priuées,  noftre  religion  les  a 

i)  abolies.  Et  encore  qu'il  refte  entre  nous  quelques  moyens  de  diui- 
nation  es  aftres,  es  efprits,  es  figures  du  corps,  es  fonges,  &  ailleurs, 

Var.   ms.  —  8)  h  cniislitulioi!  des  iiatiircllea 

<     Citation  écrite  d'abord  après  WelleS,  effacée,  puis  récrite  au-dessous. 


48  ESSAIS      DF      MOXTAIGXE. 

—  notable  exemple  de  la  forçLiiée  curiolité  de  nortre  nature,  s'amu- 
fant  à  préoccuper  les  chofes  futures,  comme  li  elle  n'auoit  pas  aflez 
affaire  à  digérer  les  prelentes  : 

cur  liane  tibi  rector  Olympi 
Sollicitis  vilum  mortalibus  addere  curam,  5 

Nofcant  venturas  vt  dira  per  omina  clades, 
Sit  iubitum  quodcunque  paras,  fit  cxca  futuri 
Mens  hominum  fati,  liceat  fperare  timenti, 

«Ne  utile  quideiii  est  scire  qiiid  fntitniiii  sit.  Misera  m  est  eiiiiii  uihil  pro- 
fieienteiii  aiigi  »,  —  fi  eft-ce  qu'elle  eft  de  beaucoup  moindre  auctorité.     m 

\'oyla  pourquoy  l'exemple  de  François  Marquis  de  Salluffe  m'a 
femblé  remarcable.  Car  lieutenant  du  Roy  François  en  l'on  armée 
de  la  les  monts,  infiniment  fauorifé  de  noftre  cour,  &  obligé  au  Roy 
"du  MarquiliU  mefmes,  qui  auoit  efté  confil'qué  de  fon  frère,  au  refte 
ne  fe  prefentant  occafion  de  le  fixire,  fon  affection  mefme  v  contredi-  1 5 
fant,  fe  laiffa  fi  fort  efpouuanter  (comme  il  a  efté  adueré)  aux  belles 
prognoffications  qu'on  fiiifoit  lors  courir  de  tous  cofiez  à  l'aduantagc 
de  l'Empereur  Charles  cinquiefme,  &  à  noftre  def-aduantage,  mefmes 
en  Italie,  où  ces  folles  prophéties  auoyent  trouué  tant  de  place,  qu'à 
Rome  fut  baillé  grande  fomme  d'argent  au  change,  pour  cette  opinion  20 
de  noftre  ruine,  qu'après  s'eftre  fouuent  condolu  à  fcs  priuez,  des 
maux  qu'il  voyoit  ineuitablcment  préparez  à  la  couronne  de  France, 
&  aux  amis  qu'il  y  auoit,  fe  rcuolta,  &  changea  de  party  :  à  fon  grand 
dommage  pourtant,  quelque  conftellation  qu'il  y  eut.  Mais  il  s'y 
conduifit  en  homme  combatu  de  diuerfes  paffions.  Car  ayant  25 
&  villes  &  forces  en  fa  main,  l'armée  ennemye  foubs  Antoine  de  Leue 
à  trois  pas  de  luv,  &  nous  liuis  foubfçon  de  fon  taict,  il  eftoit  en 
luv  de  f;iire  pis  qu'il  ne  fift.  Car  pour  fa  trahifon,  nous  ne  perdifmes 
nv  homme,  nv  ville  que  Foffan  :  encore  après  l'auoir  longtemps 
conteftée.  30 


LlVKl:      1,      CHAIMTKI:      XI.  49 

Prudens  futuri  tcmporis  exituni 
Caliginoili  nocte  premit  Deus, 
Ridétque  li  niortalis  vitra 
Fas  trépidât. 

5  Illo  potens  lui 

L;ttiilque  deget,  cui  licet  in  diem 
Dixilîc,  vixi,  cras  vel  atra 
Nube  poluni  pater  occupato 
\'el  foie  puro. 

10  Lxtus  in  pr;vlens  animus,  quod  vitra  eft, 

Oderit  curare. 

Et  cens  qui  croient  ce  mot  un  conlrere,  le  croieiil  a  tort  :  «  hla  sic  reci- 
proca)ititr,  ut  et,  si  cliuiiuilio  sit,  tlij  siiit;  cl,  si  dij  siiil,  sil  diuiinilio.» 
Beaucoup  plus  sugcuieiil  Pacuuius  : 

15  Naiii  islis  qui  lingiiain  aiiiiiiu  inltllis^iiiil, 

Pliisqiif  ex  aliéna  iecore  sapiiiiit  quain  ex  sno, 
Magis  andicnduni  qiiam  auscultandum  censeo. 

Celle  tant  célébrée  art  de  diuiiier  des  Tboscuiis  luisquit  ainsi.  Vu  laboureur 
perçant  de  son  eoullre  projondenunit  la  terre,  eu  uid  sourdre  Tasj^es  denii- 

20  dieu  d'un  uisage  enfant iu  mais  de  scnilc  prudancc.  Chacun  y  accourut  et 
furent  ses  paroles  et  sciance  receiiillie  et  conseruec  a  plusieurs  siècles,  conte- 
nant les  principes  &  nioïcns  de  cette  art.  Naissance  conforme  a  son  progrès.' 
l'avmcrois  bien  mieux  régler  mes  affaires  par  le  lort  des  dez  que 
par  ces  longes. 

25  El  de  urai  en  toutes  republiques  on  a  lousiours  laisse  bone  part  d'aiilbo- 
ritc  au  sort.  Platon  en  la  police  qu'il  forge  a  discrelion  luy  attribue  la 
décision  de  plusieurs  cjfaicls  d'iniporlance.  Et  ueut  entre  autres  choses  que 
les  nniriages  se  faeenl  par  sort  cuire  les  bons  :  cl  doue  si  grand  pois  a  celle 

Var.  ms.  —  12)  qui  croient  Ciccro  au  —  19)  Tagcs  d'un  —  27)  ucul  que  les  — 
28)  enire  les  meill 

'     Wlissdllie...    propres  adJilion  ultcricurc. 


50  ESSAIS      DU      MONTAIGNE. 

cslcclioii  fortuite  que  les  eiifuns  qui  eu  miisseut,  il  ordoue  qu'ils  soit  nourris 
au  pais;  ceus  qui  naissent  des  nuiuues,  en  soint  mis  hors  :  toutesfois  si 
queleun  de  ees  luDiis  uenoit  par  cas  d'aua)iture  a  montrer  en  croissant 
quelque  bone  espérance  de  soi,  qu'on  le  puisse  rapeler  et  exiler  aussi  celuy 
d'entre  les  retenus  qui  montrera  peu  d'espérance  de  son  adolescence.  5 

l'en  voy  qui  eftudient  ..^  glofent  leurs  Almanachs,  &  nous  en 
allèguent  l'authorité  aux  chofes  qui  le  paflent.  A  tant  dire,  il  taut 
qu'ils  dient  &  la  vérité  &  le  menlonge  :  »  Ouis  est  enim  qui  totuni 
dient  iaculans  non  aliquando  conlineet  ?  »  le  ne  les  ellime  de  rien  mieux, 
pour  les  voir  tomber  en  quelque  rencontre  :  ce  feroit  plus  de  certi-  10 
tude,  s'il  \-  auoit  règle  &  vérité  à  mentir  touliours.  loint  que  piersonc 
ne  tient  registre  de  leurs  mescontes,  d'autant  qu'ils  sont  ordineres  et  infinis  ;] 
('/  fiiicf  ou  ualoir  leurs  diuinations  de  ce  qu'elles  sont  rares,  incroiables 
&  prodigieuses.  Ainsi  respondit  Diagoras  qui  fut  surnome  l'Athée,  estant 
en  la  Samothrage,  a  celuy  qui  en  luy  montrant  au  temple  force  ucus  et  15 
Jableaus  de  ceus  qui  auoint  escbapé  le  naujrage,  luy  dict  :  Et  bien,  nous 
qui  penses  que  les  dieus  mettent  a  nonchaloir  les  choses  hui)iai)ws,  que  dictes 
uons  de  tant  d'homes  saunes  par  leur  grâce?  Il  se  faict  alsi,  respondit  il; 
ceus  la  ne  sont  pas  peints  qui  sont  dentures  noyés,  en  bien  plus  grand 
nombre.  Ciccro  dict  que  le  sul  Xenophaiws  Colophonius  entre  tons  les  20 
philophes^  qui  ont  aduoue  les  dieus,  a  essaie  desraciner  toute  sorte  de 
diuiualion.  D'autant  lest]  il  moins  de  merueille  si  nous  auons  veu  par 
fois  à  leur  dommage,  aucunes  de  nox  âmes  principeiques  s'arrefter 
à  ces  vanitez. 

le  noudrois  bien  a  noir  reconu  de  mes  yeus  ces  dcus  mcrncilles  :  du  Hure     25 
[de]  loachim,  abbe  calabrois,  qui  predisoit  tous  [/c.?]  papes  futurs,  leurs 

Texte  88.  —  22)  l'ay  veu  par  fois 

Var.  .MS. —  i)  naissent  soinl  nourris  —  3)  d'auaniure  m  —  15)  mon  Iran  l  force 
ucus  ci  tabicaus  (ui  temple  de  cens  —  17)  dieus  me  —  18)  saunes  de  leur  —  21)  ont 
recoiiii  les  dieus  ii  essaie  de  desyiieiner  —   26)   nhl'e  de  Cahtl're 

'    Sic. 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XI.  5I 

iioi>is  \jcf]  formes;  et  eehiy  de  Léon  [I'e]i)ipenir,  qui  prcdisoil  les  ei)ipenirs 
[et]  patriarches  de  grare.  Cecy  ai  ie  recoiiii  de  mes  yens,  qu'es  eoufusious 
publiques  les  hoiiws  estone:^  [de]  leur  fortune  se  uoiit  rcietiinl  coinc  a  tonte 
superstition,  a  rechercher  au  ciel  les  ciinses  et  niciuurs  cintienes  de  leur 
5  inalhnr.  Et  [y  s]ont  si  estrangcmani  hnrens  de  mou  temps,  qu'ils  [m'\ùut 
persuade,  qu'ainsi  que  c'est  un  amusement  [d'e]sperits  aigus  &  oisifs,  cens 
qui  sont  dnits  a  cette  subtilité,  de  les  replier  &  desnouer,  serai  ut  eu  tous  escris 
capables  de  trouuer  tout  ce  qu'ils  y  demandent.  Mais  sur  tout  leur  preste 
beau  ieu  le  parler  obscur,  a)id'igu  et  fantastique  du  iargon  profectique,  [au] 

10  quel  leurs  autheurs  [ne\  douent  ancu)i  sens  cler,  affiu  que  la  postérité  [  v^  eu 
pinsse  appliquer  de  tels  qu'il  luy  plairra. 

Le  démon  de  Socrates  eftoit  à  l'aduanturc  certaine  impulfion  de 
volonté,  qui  fe  prefentoit  à  luv,  fons  atandre  le  confeil  de  fon  difcours. 
En  vne  ame  bien  efpurec,  comme  la  fienne,  &  préparée  par  continuel 

15  exercice  de  ûigefle  &  de  vertu,  ileft  vray  femblable  que  ces  inclina- 
tions, quov  que  téméraires  et  indigestes,  eftoyent  toufiours  importantes 
&  dignes  d'eftre  fuyuies.  Chacun  sent  en  foy  quelque  image  de  telles 
agitations  d'u}ie  opiiu'on  pronipte,  uehenniute  et  fortuite.  C'est  a  )iu)y  de 
leur  douer  quelque  authorité,  qui  en  donc  si  peu  a  uostre  prudance.  Et  en 

20  ai  eu  de  pareillement  faibles  eu  raison  et  uiolentes  en  persuasion  :  ^ni  eu 
dissuasion,  qui  estoint  plus  ordineres  en  Socrates,  aufquelles  ie  me  laiiïixy 
emporter  fi  vtilement  &  heureufement,  qu'elles  pourroyent  eftre 
iugées  tenir  quelque  chofe  d'infpiration  diuine. 

Texte  88.  —  12)  eftoit  à  mon  aduis  certaine  —  14)  par  continuer  exercice  — 
16)  quoy  que  fortuites,  eftoyent  toufiours  bonnes  &  dignes  —  17)  Chacun  a  en  foy, 
quelque  image  de  telles  agitations.  l'en  ay  eu,  aufquelles  ie  —  23)  iugées  auec 
quelque 

\'ar.  ms.  —  i)  tes  empcnirs  de  gi^fc  Uui^  miU  /t]  semhlitbhmâl-  ks  patriarches  — 
2)  reconu,  qu'es  —  4)  rectierder  de  toutes  pars  tes  menaces  —  5)  Et  [y]  out  este  si  — 
7)  de  replier  —  8)  ce  qu'ils  y  chcrcheroiiit.  Mais  sur  tout  leur  doue  beau  —  9)  iargoii 
progmsticatur  :  [au  quel  nul  —  10)  aucun  certein  sens,  ajpu  —  11)  appliquer  tels 
[quj'elh  vmd  —  18)  agitations.  l'en  ay  eu  de  pareillement  /cibles  en  fnudemeut  raison 
et  uiolentes  en  incilalion,  aufquelles  —   19)  a  la  prudance  —  23)  iugées  rtHo;V  f"  quelque 


Chapitre    XII. 


DE    LA    COXSTAN'CE, 


La  Lov  Je  la  rcfolution  &  de  la  conllancc  ne  porte  pas  que  nous 
ne  nous  deuions  couurir,  autant  qu'il  eft  en  nortre  puilLince,  des 
maux  &  inconueniens  qui  nous  menaiTent,  nv  par  confequent 
d'auoir  peur  qu'ils  nous  lurpreignent.  Au  rebours,  tous  moN'ens 
honneftes  de  fe  garentir  des  maux  font  non  feulement  permis, 
mais  louables.  Et  le  ieu  de  la  conlLmce  fe  iouë  principalement  à 
porter  patiemment  les  inconueniens,  où  il  n'v  a  point  de  remède. 
De  manière  qu'il  n'v  a  louppleffe  de  corps,  n\-  mouuement  aux 
armes  de  main,  que  nous  trouuion.s  mauuais,  s'il  fert  à  nous 
garantir  du  coup  qu'on  nous  rue. 

Plusieurs  nations  très  hcUiqeuses  se  seruoint  en  leurs  faicts  d'armes  de 
la  fuite  pour  aduanta^ie  principal  [d^]  niontroint  le  dos  a  [^e^nen!i  plus 
dangcreuscnièt  que  leur  uisage. 

Les  Turcs  len]  retienent  quelque  chose. 

Et  Sacrâtes  \cii']  Platon,  se  moquant  de  L(icl.k\  qui  auoit  défini  Ja] 
fortilude  :  se  tenir  ferme  en  sou  rauc  contre  les  encinis  :  Quoi,  fit  [//], 
scroit  ce  donq  Jacbcte    de-  les  battre  en  leur  faisant  place?  Et  lux  allègue 

Texte  88.  —  -)  paticmnicnt,  &  de  pic  ferme,  les 

\'ar.  .ms.  —  II)  hdtiqeuiei  en  tciin  faicls  d'armes  se  senioiiil  île  In  fuite  — 
i.j)  relieiieiil  eiieore  ijiietqiie  —  i6)  forlihiile  :  se  k»ii^ ferme  e»  s«tt  urne  et  iii  efiilR'  les 
tenir  f<ii4  cl  en  son 


I.lVKi;      1,      IMIAIMTKH      XI 1.  j^ 

Honicic  qui  loue  en  .Eiidis  la  sciiiinr  de  jiiir.  '  Et  \  purée  que  Lieber^  se 
riiiiisdiil  iiuoiie  cet  usage  aus  Seilhes  et  enfin  generaleinàl  ans  gens  de  ehenal, 
il  hiy  allègue  encores  l'exaniple  des  gens  de  pied  Laeedeinoniens,  }ialion 
sur  toutes  duite  a  comhatrc  de  pied  ferme,  qui  en  la  iournee  de  Platées, 

5  //('  pouuant  ouurir  la  phalange  Persiene,  saduisarent  de  s'escarter  {et']  sier 
arrière,  pour  par  l'opinion  de  leur  fuite  faire  rompre  &  dissoudre  cette 
mctsse  en  les  poursuiuât.  Par  ou  ils  se  donarent  la  uietoire. 

Touchant  les  Scithes  on  diet  d'eus,  quand  Darius  alla  pour  \!es]  sid>iu- 
guer,  qu'il  manda  a  leur  Roy  force  reproches  pour  le  noir  tousiours  reculât 

10  dauant  luy  &  gaucbissàt  la  meslee.  {A]  quoi  Indathyrse,  car  ainsi  se 
nonwit  il,  fit  responee  que  ce  n  estait  pour  auoir  p-ur  ny  de  Iny  uy  d'home 
uiuaiit,  mais  que  c'estoit  la  façon  de  marcher  de  sa  luition,  n'ayant  ny 
terre  cultiuee,  iiv  uille,  nv  maison  a  dcjandre  et  a  creindre  que  l'enemi 
en  peut  faire  profit.  Mais  s'il  auoit  si  grand  faim  d'y  mordre,  qu'il  apro- 

1 5  chat  pour  u.oir,  le  lieu  de  leurs  anlienes  sépultures,  et  que  la  il  Irouiierroil 
a  qui  parler. 

Toutes-fois  aux  canonadcs,  depuis  qu'on  leur  eft  planté  en  bute, 
comme  les  occalions  de  la  guerre  portent  Ibuuent,  il  eft  melTeant 
de  s'elbranler  pour  la  menafle  du  coup  :  d'autant  que  pour  la  violence 

2o  &  vitefle  nous  le  tenons  ineuitable.  Et  en  y  a  meint  vn,  qui  pour 
auoir  ou  haufle  la  main,  ou  baifle  la  tefte,  en  a  pour  le  moins 
apprefté  à  rire  à  les  compagnons. 

Si  eft-ce  qu'au  voyage  que  l'Empereur  Charles  cinquielme  lit 
contre  nous  en  Prouence,  le  Marquis  de  Guaft  eftant  allé  recognoiftre 

2)  la  Ville  d'Arle,  &  s'eftant  ietté  hors  du  couuert  d'vn  moulin  à  vent, 
à  la  faueur  duquel  il  s'eftoit  approché,  tut  apperceu  par  les  Seigneurs 
de   Bonneual   &  Scnefchal   d'Agenois,   qui  le  promenoient  fus  le 

\'ar.  ms.  —  2)  raiiisaiil  anoiwU  bien  cet  tisnge  ans  Seill.'es  et  eu  gênerai  nus  — 
5)  Lacedenwuiens  gens  sur  ims  duih  n  eumluili^  Je  j^ied  fe  —  4)  Jeiine  en  son  mue  (jui 
cil  —  5)  pounaul  rompre  la  pl)nlange  MiKeJmicue  —  6)  ilissondrc  ee  et)i:ps  p  celle 
masse  pour  les  poursuiurc  &  par  la  se  donarent  gaigué.  —  9)  pour  les  uoir  tousiours 
reculer...  &  gauchir  delà  meslee  —  12)  c'estoit  sa  façon  —  14)  faim  de  laster  du  eonihal 
qu'il  aproclml  uoir. 


54  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

théâtre  aux  arènes.  Lefquels  l'ayant  monllrc  au  Seigneur  de  \'illier 
Commiflliire  de  l'artillerie,  il  braqua  lî  à  propos  vne  colouurine, 
que  lans  ce  que  ledict  Marquis  voyant  mettre  le  feu  fe  lança  à 
quartier,  il  fut  tenu  qu'il  en  auoit  dans  le  corps.  Et  de  mefmes 
quelques  années  auparauant,  Laurens  de  Médicis,  Duc  d'yrbin,  père  s 
de  la  Rovne,  mère  du  Roy,  affiegeant  Mondolphe,  place  d'Italie, 
aux  terres  qu'on  nomme  du  Vicariat,  voyant  mettre  le  feu  à  vne 
pièce  qui  le  regardoit,  bien  luy  leruit  de  fiiire  la  cane.  Car  autrement 
le  coup,  qui  ne  luv  rafa  que  le  defTus  de  la  tefte,  luv  donnoit  fans 
doute  dans  l'eftomach.  Pour  en  dire  le  vrav,  ie  ne  croy  pas  que  lo 
ces  mouuemens  fe  fiffent  auecques  dilcours  ;  car  quel  iugement 
pouuez  vous  fiiire  de  la  mire  haute  ou  baffe  en  chofe  fi  foudaine  ? 
Et  eft  bien  plus  aifé  à  croire,  que  la  fortune  fiuiorila  leur  traveur, 
&  que  ce  feroit  moven  vn'  autre  fois  auffi  bien  pour  fe  ietter  dans 
le  coup,  que  pour  l'euiter.  15 

.  le  ne  me  puis  deffendre,  fi  le  bruit  efclattant  d"\ne  harquebufade 
vient  à  me  frapper  les  oreilles  à  l'improuueu,  en  lieu  où  ie  ne  le 
deuffe  pas  attendre,  que  ie  n'en  treffaillc  :  ce  que  i'ay  veu  encores 
aduenir  à  d'autres  qui  valent  mieux  que  mov. 

Ny  n'cniauâcni  les  Stoicicm  que  J'aiiie  de  leur  sage  puisse  résister  aus  20 
premières  uisions  et  fantasies  qui  luv  suruieiieiit  :  aius  corne  a  nue  suhicctiou 
naturelle  conseil teut  qu'il  cale  au  orand  bruit  du  ciel  ou  d'une  ruine  pour 
example  iusques  a  la  pallur  et  contraction.  Ainsin  aus  autres  passions, 
pourueu  que  son  opinion  de[mure]  sauue  et  entière  et  que  l'assiete  de  son 
discours  n'en  souffre  atteinte  n\  altération  quelconque  et  qu'il  ne  preste  nul  25 
consentemen  a  son  effroi  et  souffrance.  De  celluy  qui  n'est  pas  sage  il  en  ua 
de  nh'smcs  en  la  première  partie,  mais  tout  autremant  en  la  seconde. 
Car  l'impression  des  passions  ne  deinurc  pas  en  luv  superficielle,  ains  ua 


Var.  ms.  —  21)  fiiiil<ifii:<  (fimf  a  une  ml'itftwu  miiuuiU  unis...  naliirctti'  quih 
cedeul  a  un  araud  Inuit  pmi:  cxamplc  du  ciel  eu  d'-une  t:uim  consciiieul  qu'il  cedc  au  grand 
hruil  pour  examplc  du  cid  ou  d'mic  ruine  iusques  —  26)  De  cens  qui  vc  soûl  pus  sages 
il  eu  un  de  mesmes  qu'nus  suges  en  lu  première  —   28)   en  eus  superfwieUe 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XII.  5  5 

penchant  iusqucs  au  sicge  de  sa  raison,  l'infectanl  et  lu  eonvnipant.  Il 
hige  selon  icelles  et  s'[y\  conforme.  Voye^  bien  disertemenl  et  pleimmant 
l'cstat  du  sage  Stoiquc 

Mens  immola  maïui,  lachrïmx  iioluunlur  iiuines. 

•5         Le  sage  Peripaleticieii  ne  s'exeinple  pas  des    pcriurhatkms,  mais  il  les 
modère.] 


\'ar.  ^[s.  —    i)   de  lair  raison...  Ils  iiigenl...  s'j]  conforment.   —   2)    bien  plus 
disertemenl 


Chapitre    XIII, 


CHRH.MOXIH     DE     LEXTRliVliVÉ     DES     ROYS. 


11  neft  fubicct  li  vain,  qui  ne  mcritc  \n  rang  en  cette  raplodie. 
A  nos  règles  communes,  ce  feroit  vne  notable  dil'courtoifie  &  à 
l'endroit  d'vn  pareil  &  plus  à  l'endroict  d'vn  grand,  de  faillir  à  vous 
trouuer  chez  vous,  quand  il  vous  auroit  aduerty  dy  deuoir  venir. 
A'oire  adiouftoit  la  Royne  de  Xauerre  Marguerite  à  ce  propos,  que  5 
c'eftoit  inciuilité  à  vn  Gentil-homme  de  partir  de  la  mailbn,  comme 
il  le  laict  le  plus  louuent,  pour  aller  au  deuant  de  celuy  qui  le  vient 
trouuer,  pour  grand  qu'il  foit  :  <bc  qu'il  eft  plus  relpectueux  6c  ciuil  de 
l'attendre,  pour  le  receuoir,  ne  fufl:  que  de  peur  de  faillir  fa  route  : 
<S;  qu'il  fufîit  de  l'accompagner  à  fon  partement.  10 

Pour  moy  l'oublie  fouuent  l'vn  &  l'autre  de  ces  vains  oUices, 
comme  ie  retranche  en  ma  mailbn  toute  cérémonie.  Quelqu'vn  s'en 
offence  :  qu'y  ferois-ie?  Il  vaut  mieux  que  ie  l'oftence  pour  vne 
fois,  que  à  mov  tous  les  iours  :  ce  feroit  vne  fubiection  continuelle. 
A  quov  faire  fuvt-on  la  feruitudc  des  cours,  li  on  l'en  îraine  iuf'ques  15 
en  fa  tanière. 

Cell  aufli  vne  reigle  commune  en  toutes  affemblées,  qu'il  touche 
aux  moindres  de  fe  trouuer  les  premiers  à  l'afllgnation,  d'autant 
qu'il  eft  mieux  deu  aux  plus  apparans  de  fe  faire  attendre.  Toutes- 
fois  à  lenlrcueue  qui  fe  dreffa  du  Pape  ClenKin,  eX  du  Roy  1  lançois     2u 
à  .Marfeille.  le  Rov  \'  avant  ordonné  les  apprêts  necellaires.  s'efloigna 


LIVRE      I,      CHAPITRL      XUI.  57 

de  la  ville,  t<c  donna  loilir  au  Pape  de  deux  ou  trois  iours  pour  Ion 
entrée  &  refrefchilTement,  auant  qu'il  le  vint  trouuer.  Et  de  mel'mes 
à  l'entrée  aulli  du  Pape  &  de  l'Empereur  à  Bouloigne,  l'Empereur 
donna  moven  au  Pape  d'y  eftre  le  premier,  &  y  luruint  après  luy. 
S  C'eft,  difent-ils,  vne  cérémonie  ordinaire  aux  abouchemens  de  tels 
Princes,  que  le  plus  grand  foit  auant  les  autres  au  lieu  afligné, 
voyre  auant  celuv  chez  qui  le  taict  l'affemblée;  &  le  prennent  de  ce 
biais,  que  c'eft,  affin  que  cette  apparence  tefmoigne,  que  c'eft  le 
plus  grand  que  les  moindres  vont  trouuer,  &  le  recherchent,  non 

10     pas  luy  eux. 

Non  sulciiunil  chaque  païs,  iiiciis  chaque  cité  a  sa  ciuilitc  particulière,  et 
chaque  uacatioii.  l'y  ai  este  asses  souigueuseiiwnt  dresse  eu  mou  enfance  et 
av  uescu  eu  asses  boue  coiiipaiguie,  pour  n'ignorer  pas  les  loix  de  la  nostre 
françoise,  et  en  tiendcrois  cscolc.  l'aime  a  les  cnsuiure  :  mais  non  pas  si 

15  couardemenf  que  nui  nie  en  demure  contreinte.  Elles  ont  quelques  jormes 
pénibles,  les  quelles  pourueu  qu'on  oblic  par  discrétion,  non  par  errur,  on 
n'en  a  pas  moins  de  grâce.  l'ai  ueu  sonnant  des  homes  iucinils  par  trop 
de  ciuilité,  et  importuns  de  courtoisie. 

C'est  au  demurant  une  tresutile  sciance  que  la  sciancc  de  l'entregent. 

20  Elle  est,  come  la  grâce  et  la  béante,  conciliatrice  des  premiers  abbors  de  la 
société  et  [familiarité';  &  par  conseqnant  nous  ouure  la  porte  a  nous 
instruire  par  les  examples  d'autruy,  &  a  exploiter  \et  produire  nostre 
example,  s'il  a  quelque  chose]  d'instruisant  et  communicable. 


Var.  ms.  —  1 1)  partkutu'vc.  l'ai  (isu'i  iieuii  en  asses  boue  —  14)  fraii(oisc  {>i>  eu  — 
i^)  formes  scniilks,  les  ijneltes  —  18)  imporliiiis  a  force  de  em^ieisie  tioiiesielé. 


Chapitre    XIV 


aVE    LE    GOVST    DES    BIENS    ET    DES   MAVX    DEPEND    EN    BONNE    PARTIE 
DE    l'opinion,    QVE    NOVS    EN    AVONS. 


Les  hommes  (dit  vne  fentence  Grecque  ancienne)  font  tour- 
mentez par  les  opinions  qu'ils  ont  des  chofes,  non  par  les  chofes 
mefmes.  Il  y  auroit  vn  grand  poinct  gaigné  pour  le  foulagement  de 
noftre  miferable  condition  humaine,  qui  pourroit  eftablir  cette 
propofition  vrayc  tout  par  tout.  Car  fi  les  maux  n'ont  entrée  en  s 
nous  que  par  noftre  iugement,  il  femble  qu'il  foit  en  noftre  pouuoir 
de  les  mefpril'er  ou  contourner  à  bien.  Si  les  choies  fe  rendent  à 
noftre  mercy,  pourquoy  n'en  cheuirons  nous,  ou  ne  les  accommo- 
derons nous  à  noftre  aduantage?  Si  ce  que  nous  appelions  mal 
&  tourment,  n'eft  ny  mal  ny  tourment  de  foy,  ains  feulement  que  lo 
noftre  tantalle  luy  donne  cette  qualité,  il  eft  en  nous  de  la  changer. 
Et  en  avant  le  choix,  fi  nul  ne  nous  force,  nous  fommes  eftrange- 
ment  fols  de  nous  bander  pour  le  partv  qui  nous  eft  le  plus 
ennuyeux,  it  de  donner  aux  maladies,  à  l'indigence  &  au  mefpris 
vn  aigre  &  mauuais  gouft,  il  nous  le  leur  pouuons  donner  bon,  15 
&  il  la  fortune  fourniftant  llmplcment  de  matière  c'eft  à  nous  de 

Texte  88.  —  8)  nicrcy  &  dcuotion,  pourquoy 

<  Ce  chapitre  est  devenu  lu  XL"'  de  l'édition  de  i;9;  et  des  éditions  suivantes;  les  chapitres  XIV- 
X.XXI.X  de  la  "Vulgate"  correspondent  donc  respectivement  .iux  chapitres  XV-XL  de  notre  édition.  Kien 
dans  le  nis.  ne  jusiitie  cette  transposition. 


LIVKK     1,      CHAPITRE     XIV.  59 

luy  donner  la  forme.  Or  que  ce  que  nous  appelions  mal,  ne  le  foit 
pas  de  foy,  ou  au  moins  tel  qu'il  foit,  qu  il  dépende  de  nous  de  luy 
donner  autre  faueur,  &  autre  vifage,  car  tout  reuient  à  vn,  voyons 
s'il  fe  peut  maintenir. 
5  Si  l'eftre  originel  de  ces  choies  que  nous  craignons,  auoit  crédit 
de  fe  loger  en  nous  de  fon  authorité,  il  logeroit  pareil  &  femblahle 
en  tous  :  car  les  hommes  font  tous  d'\'ne  cspixc,  &  fauf  le  plus  &  le 
moins,  fe  trouuent  garnis  de  pareils  outils  e\:  inrtrumens  pour 
conceuoir  &  iuger.  Mais  la  diuerfité  des  opinions,  que  nous  auons 

10  de  ces  choies  là,  montre  clerement  qu'elles  n'entrent  en  nous  que 
par  compofition  :  tel  à  l'aduenture  les  loge  chez  foy  en  leur  vray 
eftre,  mais  mille  autres  leur  donnent  vn  eftre  nouueau  &  contraire 
chez  eux. 

Nous  tenons  la  mort,  la  pauureté  &  la  douleur  pour  nos  prin- 

15     cipales  parties. 

Or  cette  mort  que  les  vns  appellent  des  chofes  horribles  la  plus 
horrible,  qui  ne  fçait  que  d'autres  la  nomment  l'vnique  port  des 
tourmens  de  cefte  vie?  le  fouuerain  bien  de  nature?  leul  appuy  de 
noftre  liberté?  &  commune  &  prompte  recepte  à  tous  maux?  Et 

20  comme  les  vns  l'attendent  tremblans  &  effrayez,  d'autres  la  suppcvtciit 
plus  aiseenmnt  que  la  nie. 

Celuy-la  le  plaint  de  la  facilité  : 

Mors  vtinam  pauidos  vita  fubJucerc  nollcs, 
Sed  virtus  te  Ibla  daret. 

25         Or  laissons  ces  glorietis  corages  :  Thcodonis  respoiidit  a  Lysimachus 

Texte  88.  —  7)  d'vne  façon,  &  —  20)  d'autres  ne  la  reçoiuent-ils  pas  de  tout 
autre  vifage?  Celuy-Ia  —  22)  de  fa  vilité  &  facilité. 

\'ar.  ms.  —  20)  d'autres  la  désirent  &  supporteiit  —  21)  uie.  Le  premier  article  de 
ce  beau  serinant  que  la  grxce  tara  en  la  guerre  medoise  ee  fut  que  chacun  postposeroil  sa 
uie  a  la  liberté  de  son  pais.  Celuy-la  (Reporté  avec  corrections  p.  62,  1.  10).  —  25)  corages 
et  Thcodorus  qui  respondit 


60  ESSAIS      DU      MONTAIGNE. 

meihiçiiiit  ilc  le  hier  :  Tu  feras  un  gnnul  eoup  d'arriuer  a  hi  force  d'une 
câtbaride.  La  plus  part  des  phihsofes  se  treuuent  auoir  ou  preueuu  par 
dessein  ou  hastc  &  secouru  leur  mort. 

Combien  voit-on  de  perfonnes  populaires,  conduictes  à  la  mort, 
&  non  à  vne  mort  fimple,  mais  méfiée  de  honte  &  quelque  fois  de  5 
griefs  tourmens,  y  apporter  vne  telle  afleurance,  qui  par  opiniâtreté, 
qui  par  fnnplefle  naturelle,  qu'on  n'v  apperçoit  rien  de  changé  de 
leur  eftat  ordinaire  :  eftablifTans  leurs  afïliires  domefliques,  fe  recom- 
mandans  à  leurs  amis,  chantans,  prefchans  &  entretenans  le  peuple  : 
voire  y  mellans  quelque-fois  des  mots  pour  rire,  &  beuuans  à  leurs  10 
cognoiiïims,  auflî  bien  que  Socrates.  ^^n  qu'on  menoit  au  gibet, 
difoit  que  ce  ne  fut  pas  par  telle  rué,  car  il  y  auoit  danger  qu'vn 
marchant  luv  lill;  mettre  la  main  fur  le  collet,  à  caufe  d'vn  vieux 
debte.  \n  autre  difoit  au  bourreau  qu'il  ne  le  touchaft  pas  à  la 
gorge,  de  peur  de  le  foire  treffaillir  de  rire,  tant  il  eftoit  chatouilleux.  15 
.  L'autre  refpondit  à  fon  confefleur,  qui  luv  promettoit  qu'il  loupperoit 
ce  iour  là  auec  noffre  Seigneur  :  Allez  \ous  v  en,  vous,  car  de  ma 
part  ie  ieufne.  Vn  autre  avant  demandé  à  boire,  e\:  le  bourreau  ayant 
beu  le  premier,  dict  ne  vouloir  boire  après  luv,  de  peur  de  prendre 
la  verolle.  Chacun  a  ouv  taire  le  conte  du  Picard,  auquel  eftant  20 
à  l'efchelle  on  prefenta  vne  garfe,  &  que  (comme  noftre  iuftice 
permet  quelque  fois)  s'il  la  vouloit  efpoufer,  on  luy  fauueroit  la  vie  : 
luy,  l'ayant  vn  peu  contemplée,  &  apperçeu  qu'elle  boitoit  :  Attache, 
Attache,  dit-il,  elle  cloche.  Et  on  dict  de  mefmes  qu'en  Dannemarc 
vn  homme  condamné  à  auoir  la  tefte  tranchée,  eftant  fur  l'efchaffaut,  25 
comme  on  luy  prefenta  vne  pareille  condition,  la  refufa,  par  ce  que 
la  fille,  qu'on  luy  offrit,  auoit  les  ioùes  auallées,  &  le  nez  trop  pointu. 
Vn  valet  à  Thouloufe  accufé  d'herefie,  pour  toute  raifon  de  fa  créance 
se  rapportoit  à  celle  de  fon  maiftre,  ieune  efcholier  prifonnier  auec 

Tknte    8S.  —   ,|)   populaires  &  coinimines,  conduictes   —    24)   on  conte  de 

\'AIi.    MS.  —    2)    icVhtviiI(\  Hl  que  Ici  plui  pari   (El  que  la...  Iliorl.  ndJition  ullt-rieme^. 


LIVRH      I,      CHAPITRE      XIV.  6l 

luv;  &  ayma  mieux  mourir,  que  se  laisser  pcrsiunlcr  qiw  son  iiuiislrc  peut 
faillir.  Nous  liions  de  ceux  de  la  ville  dArras,  lors  que  le  Roy 
Loys  vnziefme  la  print,  qu'il  s'en  trouua  bon  nombre  parmy  le 
peuple  qui  fe  laiflerent  pendre,  pluftoft  que  de  dire  :  Viue  le  rov. 
5         Alt  Royaitinc  de  Narsiiiqiie  eneores  aiiiounVlniy  les  jeiiies  de  leurs  presires 
sont  iiiues  eiiseiiclics  atieq  leurs  uuirls  morts.  Toutes  autres  Jciiies  saut  hrulees 
uiiies  non  eoustauiinât  suleiiuint,  iiuiis  oaienieut  aus  juuerailles  de  leurs 
uiaris.  Et  quand  on  brûle  le  eorps  de  leur  Roy  trespassé,  toutes  ses  Jenies 
et  eoneubiiies,  ses  nii^^nons  &  toute  sorte  d'offieiers  &  seruitnrs  qui  font 
lo     ///;  peuple,  accourent  si  allegremant  a  ce  feu  pour  .s'y  ietter  quant  et  leur 
inaistre,  qu'ils  semblent  tenir  a  honeur  d'est re  compaignons  de  son  trespas. 
Et  de  ces  viles  âmes  de  bouffons,  il  s'en  ert  trouué  qui  n'ont 
voulu  abandonner  leur  gaudisserie  en  la  mort  melme.  Celuv  a  qui 
le  bourreau  donnoit  le  branle,  s'efcria  :  X'ogue  la  gallée,  qui  eiloit 
15     Ion  refrain  ordinaire.  Et  l'autre  qu'on  auoit  couché  iur  le  point  de 
rendre  la  vie  le  long  du  foier  fur  vne  paillaffe,  à  qui  le  médecin 
demandant  où  le  mal  le  tenoit  :  Entre  le  banc  &  le  teu,  refpondit-il. 
Et  le  preftre,  pour  luv  donner  l'extrême  onction,  cherchant  fes  pieds, 
qu'il  auoit  referrez  &  contraints  par  la  maladie  :  Vous  les  trouuerez, 
20     diî-il,  au  bout  de  mes  iambes.  A  l'bonw  qui  l'exhortoit  de  fe  recom- 
mander à  Dieu  :  Qui  y  va?  demanda-il;  &  l'autre  refpondant  :  Ce 
fera  tantofl  vous  mefmes,  s'il  luy  plait;  —  Y  fuffe-ie  bien  demain  au 
foir,  replica-il.  —  Recommandez  vous  feulement  à  luy,  fuiuit  l'autre, 
vous  y  ferez  bien  tofl.  —  11  vaut  donc  mieux,  adiourta-il,  que  ie  lux- 
as    porte  mes  recommandations  moy-mefmes. 

Pendant  nos  dernières  guerres  de  Milan  &  tant  de  priles  &  récouffes, 
le  peuple  impatient  de  i\  diuers  changemens  de  fortune,  print  telle 

Texte  88.  —  i)  que  fc  JL-pcirtir  de  fes  opinions,  quelles  qu'elles  fuffent.  Nous 
lifons  —  15)  abandonner  leur  meftier  à  la  mort  mcfnie,  tefmoing  celuy  qui  comme 
le  bourreau  luy  donnoit  —  13)   Ht  ccluy  qu"'on  —  20)    A  celuy  qui 

\'ar.  ms.  —  i)  que  dccroin'  de  ses  opinions  (Teste  88)  —  6)  l'iiilù-f  iiui-tj  /."« 
miw  —  II)  scmhteut  estimer  a 


62  ESSAIS     DE      MONTAIGNE. 

refolution  à  la  mort,  que  i'ay  ouy  dire  à  mon  père,  qu'il  y  veift 
tenir  conte  de  bien  vingt  &  cinq  maiftres  de  maifon,  qui  s'eftoient 
deffaits  eux  mefmes  en  vne  sepmaine.  Accident  approchant  à  celuy 
de  la  ville  des  Xantiens,  lefquels  afliegez  par  Brutus  le  précipitèrent 
pelle  méfie  hommes,  femmes,  &  entans  à  vn  ii  furieux  appétit  de  5 
mourir,  qu'on  ne  fait  rien  pour  fuir  la  mort,  que  ceux-cy  ne  tiflent 
pour  fuir  la  vie  :  en  manière  qu'à  peine  peut  Brutus  en  lauuer  vn 
bien  petit  nombre. 

Tout'  opinion  est  asscs  forte  pour  se  faire  espoiiser  an  pris  de  la  nie. 
[Le]  premier  article  de  ce  hean  sermant  que  h  [G]  raxc  iiira  et  maintint  [_en]  10 
la  guerre  Medoise,  ce  fut  que  chacun  changeroit  plus  tost  [la]  mort  a  la 
nie,  que  les  loix  Persienes  ans  leurs.  Combien  uoit  on  de  monde  en  la  guerre 
des  Turcs  et  des  Grecs,  accepter  plus  tost  la  mort  tresapre,  que  de  '[se] 
descirconcire  pour  se  hahtiser.  Exemple  de  quoi  nulle  sorte  de  relligion 
[n']est  incapable.  15 

Les  Roys  de  Castille  ayant  bani  ide]  leurs  terres  les  luifs,  [le]  Ro)'  lan 
de  Portugal  leur  uandit  a  huit  escus  pour  teste  la  retrete  ans  siencs,  en 
condition  que  dans  certein  iour  ils  ciroint  a  les  uuider  :  &  luy,  prometoit 
leur  fournir  de  uesseaus  a  les  traiecter  en  Afrique.  Le  iour  uenu,  lequel 
passe  il  estoit  dict  que  cens  qui  n'aroint  obéi  demureroint  esclaues,  les  20 
uesseaus  leur  feurent  fournis  escharccmant,  [et]  ceus  qui  s'y  embarquarent 
rudement  &  uileinement  traite:^  par  les  passagiers  qui,  outre  plusieurs  autres 
indignités,  les  amusarent  [sur]  mer  tantost  auant  tantost  arrière,  iusques 
a  [ce]  qu'ils  eussêt  càsomttu  leurs  uittoailles  &  fussent  contreins  d'en  acheter 
d'eus  si  chcremant  &  si  longuement  [qu']il s  furent  randus  [a]  bort  après  25 
aiioir  este  du  tout  mis  en  chemise.  La  nouuelle  de  cette  inhumanité  raportee 

VaR.    MS.  —    10)    Voir  la  variante  de  la  p.  59,  1.  21.   —   12)   uoil  011  de  IlOlIlhre    de    peuples 

en  la  —  14)  de  quoi  toiile  sorte  de  relligion  est  irescapahle.  —  15)  incapable.  Quoties  non 
modo  ductores  nostri  dict  Cicero  sed  uniiiersi  etiam  exercitus  ad  non  duhiani  niortem  concur- 
rerunt.  (Addition  ultérieure.  Reporté  p.  65,  1.  27).  —  19)  fournir  dcs  uesseaus  —  20)  esclaues 
s'ils  sohstinoint  a  ne  uoîoir  eslre  Chrestiens  les  uesseaus  —  21)  fournis  si  escharccmant 
—  24)  &  fussent  fussent  contrcint  d'en  acheter  si  —  25)  [qu]ils  ne  furent  randus  '.a]» 
bort  qu'après 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XIV.  63 

a  cens  qui  csloint  en  krre,  la  plus  part  se  résolurent  a  la  seruitude  :  aueuiis 
firent  contenance  de  changer  de  [rel]ligion.  Enianuel  uenu  a  la  corane  les 
mit  premièrement  en  liberté  :  et  cbanoeant  d'auis  despuis,  leur  dona  temps 
de  uuider  ses  pais,  assignant  trois  ports  a  leur  passage.  Il  espérait,  dict 
5  l'euesque  Osorius,  le  meillur  historien  Latin  de  nos  siècles,  que  la  faneur 
[de]  la  liberté  qu'il  leur  auoil  rendue  ayant  failli  de  les  conuertir  au  Chris- 
tianisme, la  difficulté  de  se  commettre  corne  leurs  compaignons  a  la  uolerie 
des  mariniers,  d'abandoner  un  pats  ou  ils  estoint  habitues  aueq  grandes 
richesses,  pour  saler  ietter  en  région  iuconue  et  estrangiere,  les  y  rameneroit. 

10  Mais  se  uoiant  descheu  de  son  espérance  et  eus  tous  délibères  au  passage, 
il  retrancha  deus  des  ports  qu'il  leur  auoit  promis,  afiin  que  la  loiigur 
&  incômodite  du  traiet  en  rauisast  aucuns  :  ou  pour  les  amonceler  tous  a 
[un]  lieu  pour  une  plus  grande  commodité  de  l'exécution  qu'il  auoit  destinée. 
Ce  fut  qu'il  ordona  qu'on  arrachât  [d']  entre  les  mains  des  pères  &  des 

15  uKres  tous  les  enfans  au  dessous  de  quatorse  ans,  pour  les  transporter  hors 
de  leur  ueue  et  conuersation  en  lieu  ou  ils  fussent  instruits  a  nostre  relligion. 
Ils  disent  que  cet  effaict  produisist  un  horrible  spectacle  :  la  naturelle  affection 
d'entre  les  pères  &  les  enfans  et  de  plus  le  :^ele  a  leur  antiene  créance 
combatant  [a  l'e]ncontrc  de  cette  uiolante  ordonance.  Il  y  fut  ueu  commu- 

20  neement  des  pères  et  nieres  se  desfaisans  eus  nu^snws  et  d'un  [plus  rude 
example  encores  preci]pitant  par  amour  et  compassion  leur  innés  enfans 
dans  des  puits  pour  fuir  a  la  loy.  [Au  demeurant  le  terme  qu'il  leur  aiwit 
prefix,  expiré,  par  faute  de  moiens,  ils  se  remirent  en  seruitude.  Quelques 
uns  se  firent  Chrestiens  :  de  la  foi  des  quels]  ou  de  leur  race  encores 

25  auiourd'huy  cent  ans  après  peu  de  Portugais  s'assurent,  quoi  que  la  costume 
&  la  longur  du  temps  saint  bien  plus  fortes  conseillieres  que  tout'  autre 
contreinte.  «  Qitoties  non  nuxlo  ductores  nostri,  dict  Cicero,  sed  uniuersi 
etiam  exercitus  ad  non  dubiani  mortem  concurrcrunt.  » 

\'ar.  ms.  —  i)  sernitulc  :  aucuns  pniid  —  3)  Osorius  rff*  p  le  premier  Jnslorieii 
Lalin  de  nos  siècles  qui  a  eseril  ses  faicts  que  la  —  6)  Onislianisinc  les  difficulles  de  — 
10)  passage  il  s'auisa  de  retrancher  deus  —  ly)  ordonance.  Ma  —  21)  leur  peli  — 
24)  des  quels]  eworvs  amcurd'-huy  ee  cl  de  leur 


64  HbSAlS      DE      MONTAIGNE. 

Tav  veu  quclqirvn  de  mes  intimes  amis  courre  la  mort  à  iorce, 
d'vne  vraye  affection,  &  enracinée  en  l'on  cueur  par  diuers  vilages 
de  difcours,  que  ie  ne  luy  fceu  rabatre,  &  à  la  première  qui  s'offrit 
coiffée  d'vn  luftre  d'honneur  s'y  précipiter  hors  de  toute  apparence, 
d'vne  faim  al'pre  &  ardente.  5 

Nous  auons  pluiïeurs  exemples  en  noftre  temps  de  ceux,  iniques 
aux  enfans,  qui  de  crainte  de  quelque  legiere  incommodité,  le  font 
donnez  à  la  mort.  Et  à  ce  propos,  que  ne  crddcroiis  nous,  dict 
\n  ancien,  li  nous  cirigiioiis  ce  que  la  couardile  mefme  a  choifi 
pour  la  retraite?  D'enliler  icv  \n  grand  rolle  de  ceux  de  tous  lo 
lexes  &  conditions  &  de  toutes  lectes  es  liecles  plus  heureux,  qui 
ont  ou  attendu  la  mort  conffamment,  ou  recherchée  volontairement, 
&  recherchée  non  leulement  pour  fuir  les  maux  de  cette  vie,  mais 
aucuns  pour  fuir  fimplement  la  fatieté  de  viure,  6t  d'autres  pour 
l'efperance  d'vne  meilleure  condition  ailleurs,  ie  n'aurov  iamais  faict.  15 
•Ht  en  ert  le  nombre  fi  infin\-,  qu'à  la  vérité  i'aurov  meilleur  marché 
de  mettre  en  compte  ceux  qui  l'ont  crainte. 

Cecy  feulement.  Pvrrho  le  Philofophe,  le  trouuant  vn  iour  de 
grande  tourmente  dans  vn  batteau,  montroit  à  ceux  qu'il  vovoit 
les  plus  effrayez  autour  de  luy,  &  les  encourageoit  par  l'exemple  20 
d'vn  pourceau,  qui  y  effoit,  nullement  fbucieux  de  cet  orage. 
Olerons  nous  donc  dire  que  cet  auantage  de  la  railon,  dequov  nous 
lailons  tant  de  lefte,  &  pour  le  refpect  duquel  nous  nous  tenons 
maillrcs  ^;  empereurs  du  refte  des  créatures,  ait  efté  mis  en  nous 
pour  noffre  tourment?  A  quov  faire  la  cognoilfance  des  choies,  Il  25 
nous  en  perdons  le  repos  &  la  tranquillité,  où  nous  ferions  fans 
cela,  &  fi  elle  nous  rend  de  pire  condition  que  le  pourceau  de  Pvrrho? 
L'intelligence  qui  nous  a  elle  donnée  pour  noffre  plus  grand  bien, 
l'employerons  nous  à  noffre  ruine,  combatans  le  deffein  de  nature. 


'I'knti-;  S8.  — ^  (S)   i]uc  ne  l'uvioiis  iiou--...  liiious  luxons  ce  quu  —    21)  nullcnicnl 
ertVayc  ny  foucicux 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XIV.  65 

&  rvniuerll'l  ordre  des  choies,  qui  porte  que  chacun  vfe  de  les  vtils 
&  niovens  pour  \\i  commodité? 

Bien,  me  dira  Ion,  vollre  règle  férue  à  hi  mort,  mais  que  dire/  vttus 
de  l'indigence  ?  Qiie  direz  vous  encor  de  la  douleur,  que  Arislippii.s, 

S  Huroiiiniiis  ci  la  plufpart  des  lages  ont  eftimé  le  dernier  mal;  i5c  ceux 
qui  le  nioient  de  parole,  le  confeflbient  par  effect?  Poffidonius 
ertant  extrêmement  tourmenté  d'vne  maladie  aiguë  &  douloureule, 
Pompeius  le  fut  voir,  &  s'excula  d'auoir  prins  heure  fi  importune 
pour  l'ouvr  deuifer  de  la  Philofophie  :  la  à  Dieu  ne  plaife,  luy  dit 

0  Poflidonius,  que  la  douleur  gaigne  tant  fur  moy,  qu'elle  m'empefche 
d'en  diicourir  &  d'en  parler!  &  fe  ietta  fur  ce  mefme •  propos  du 
mefpris  de  la  douleur.  Mais  cependant  elle  ioûoit  fon  rolle  &  le 
preflbit  incelliuiiment.  A  quoy  il  s'efcrioit  :  Tu  as  beau  faire,  douleur, 
fi  ne  dirav-ie  pas  que  tu  fois  mal.  Ce  conte  qu'ils  font  tant  valoir, 

!)  que  porte-il  pour  le  mefpris  de  la  douleur?  Il  ne  débat  que  du  mot, 
i:^  ce  pendant  fi  ces  pointures  ne  l'efmeuuent,  pourquoy  en  rompt-il 
fon  propos?  Pourquoy  penfe-il  faire  beaucoup  de  ne  fappeller 
pas  mal  ? 

Icv  tout  ne   confiée   pas   en  l'imagination.   Nous  opinons  du 

20  refte,  c'ell;  icv  la  certaine  fcience,  qui  iouë  Ion  rolle.  Nos  lens 
melme  en  lont  iuges. 

Qui  nifi  funt  vcri,  ratio  quoquc  lalla  ht  omnis. 

Terons  nous  a  croire  à  noll;re  peau  que  les  coups  d'eftriuiere  la 
chatouillent?  Et  à  noftre  gouft  que  l'aloé  foit  du  vin  de  graues? 
25  Le  pourceau  de  Pyrrho  eft  icy  de  noftre  efcot.  Il  eft  bien  ûrns 
effrov  à  la  mort,  mais  ii  on  le  bat,  il  crie  &  fe  tourmente.  Porce- 
rons  nous  la  générale  habitude  de  nature,  qui  le  voit  en  tout  ce 
qui  eft  viuant  fous  le  ciel,  de  trembler  fous  la  douleur?  Les  arbres 
mefmes  feniblent  gémir  aux  ofFences  qu'on  leur  faict.  La  mort 

Tevie  88.  —  2)  cominoditC'  &  ;ulu,inuigc  ?  BiLii,  —    5)  le  fouuurain  mal 


66  i:SSAIS      DE      MOXTAIGXH. 

ne  le  lent  que  par  le  dilcours,  d'autant  que  c'ell  le  niouuement 
d'vn  inlLmt  : 

Aut  fuit,  aut  vcniet,  nihil  eft  pnL-fentis  in  illa, 
Morfcjue  minus  pœnœ  quam  mora  mortis  habet. 

Mille  belles,  mille  hommes  l'ont  plultort  mors  que  menallés.  Et  à     5 
la  vérité  ce  que  nous  disons  crcindrc  principalement  en  la  mort,  c'eft 
la  douleur,  fon  auant-coureufe  couftumiere. 

Toiitcsfois  s'il  en  faut  croire  un  siiiiict  pcrc  :  »  Mahiiu  ntorlciii  non  jacil, 
nisi  quod  sequiUir  moHeni.  »  Ht  ir  dirois  cncorcs  plus  unùscunhlahlcnutt 
que  \ny]  ce  qui  ua  deuant,  n\  ce  qui  nient  après,  n'est  des  apartcmtces  [Jcj  10 
la  inorl.  Nous  nous  exeusons  faneeinant.  Ht  ie  treuiie  par  experiance  que 
c'est  plus  tost  l'inipatiance  de  l'inutgi nation  de  la  mort  qui  nous  rent 
impatians  de  la  dolur,  et  que  nous  la  santons  douhlemant  griejue  de  ce 
qu'elle  nous  nienace  de  numrir.  Mais  i  la  ]  raison  accusant  nostre  lâcheté 
de  creindre  chose  [si]  soudeine,  si  i)ieui table,  si  inscjisihle,  nous  prenons  cet  15 
autre  prétexte  plus  excusable. 

Tous  les  nuuis  qui  n'oint  antre  dauoicr  que  du  nuil,  nous  les  disons  sans 
dangier  :  celuy  des  dans  ou  de  la  goutte,  pour  grief  qu'il  soit,  \d'a]îitant 
qu'il  n'est  pas  homicide,  qui  le  m  et  en  conte  de  maladie?  Or  bien  prx- 
supposons  le,  qu'en  la  nuirt  nous  regardons  principalemàt  la  dolur.  Come  20 
aussi  la  pauureté  n'a  rien  à  craindre  que  cela,  qu'elle  nous  iette  entre 
ses  bras,  par  la  foif,  la  faim,  le  froid,  le  chaud,  les  veilles,  qu'elle 
nous  fait  fouftrir. 

Textk  88.  —  6)  ce  que  les  Sages  craignent  principalement  —  20)  Comme 
aufli  biffe  puis  rétabli  —  21  )   entre  les  bras  de  la  (.iouleur  par 

Var.  ms.  —  8)  I»  :  Toutes/ois  il  est  dict  par  un  plus  sage  Mcilaiii  2"  :  Toulesfois 
corne  escrit  un  siiinct  pcrc  —  9)  .wy ////»;■  biffé  puis  rétabli.  —  11)  mort  quand  a  clic.  Nous 
—  12)  mort  d  —  16)   prctc.xtc  de  creindre  plus  —  16)    i"  :  e.\cusahlc.  Il  est  bien  dict 

lirai  que  la  pauureté      2°  :  à  la  suite  de  la  variante  précédente  effacée  :  Mais  :  Or  pra'supposoiis 

qu'il  soit  vrai  que  ttous  ik'gaïkioHs  ils  regardent  en  la  mort  principalemàt  la  dolur.  Come 
aussi  la  pauureté  3°  :  Montaigne  efface  ils  regardent  principalemàt  la  dolur.  Come  aussi 
et  il  ajoute  noils  regardes  principalemant  la  dolur.  Conic  aussi  —  17)  disons  peu  dangereus  : 
ccliix  des  dans  pour 


I.IVRK      I,      CHAPITRH      \IV.  (^- 

Ainfi  n'ayons  affaire  qu'à  la  douleur.  le  leur  donne  que  ce  Ibit  le 
pire  accident  de  noftre  eftre,  &  volontiers  :  car  ie  fuis  l'homme  du 
monde  qui  luv  veux  autant  de  mal,  &  qui  la  jiiis  autant,  pour  iufques 
à  prefent  n'auoir  pas  eu.  Dieu  mercy,  grand  commerce  auec  elle. 
)  Mais  //  ('.s7  en  nous,  fi  non  de  l'anéantir,  au  moins  de  l'amoindrir  par 
la  patience,  cl  quand  bien  le  corps  s'en  efmouueroit,  de  maintenir 
ce  neantmoins  l'ame  &  la  railbn  en  bonne  trampe. 

Et  s'il  ne  l'eftoit,  qui  auroit  mis  en  crédit  parmy  nous  la  vertu, 
la  vaillance,  la  force,  la  magnanimité  &  la  refolution  ?  Où  iouëroyent 

10  elles  leur  rolle,  s'il  n'v  a  plus  de  douleur  à  deffier  :  «  auida  ell:  periculi 
virtus.  »'  S'il  ne  faut  coucher  fur  la  dure,  souflenir  armé  de  toutes 
pièces  la  chaleur  du  midv,  fe  pailTire  d'vn  chenal,  &  dvn  aine,  le 
voir  détailler  en  pièces,  et  arracher  vne  balle  d'entre  les  os,  fe 
fouftVir  recoudre,  cauterizer  &  fonder,  par  où  s'acquerra  l'aduantage 

15  que  nous  voulons  auoir  fur  le  vulgaire?  Ccll  bien  loing  de  tuir  le 
mal  &  la  douleur,  ce  que  difent  les  Sages,  que  des  actions  égallement 
bonnes,  celle-là  el\  plus  fouhaitable  à  taire,  où  il  y  a  plus  de  peine. 
«Non  ciiiiii  hilariUUc,  iiec  Jiisciiiia,  iwc  risii,  aut  ioco  comité  laiitatis,  scd 
sa'pe  eiiivii  tristes  fiDiiitiite  [f/^  constautia  siiiit  beati.  »  Et  à  cette  caufe  il 

20  a  efté  impoflihle  de  perfuader  à  nos  pères  que  les  conquelfes  laites 
par  viue  force,  au  hazard  de  la  guerre,  ne  fuffent  plus  aduantageufes, 
que  celles  qu'on  faict  en  toute  feureté  par  pratiques  &  menées  : 

Lxtius  eft,  quoties  magno  libi  conft.it  honeftum. 

D'auantage,  cela  doit  nous  conibler  :   que  naturellement,  fi  la 

25     douleur  eft  violente,  elle  eft  courte;  fi  elle  eft  longue,  elle  eft  legiere, 

((  si  (^rrcniis  hreiiis,  si  Jongiis  leitis.  »  Tu  ne  la  fentiras  guiere  long  temps. 

Texte  88.  —  3)  qui  la  craints  autant  —  5)  mais  qu'il  ne  Ibit  pourtant  en  nous 
—  6)  patience  :  qu'il  ne  foit  en  nous,  quand  bien  —  7)  trampe,  ie  ne  le  croy  pas. 
Et  s'il 

'  Montaigne  écrit  à  la  suite  :  c'tSl  proSC.  La  citation  est,  en  effet,  disposée  dans  Tédition  de  i;S8 
comme  le  premier  hcmisticlie  d'un  vers. 


68  KSSAIS      DH      MOXTAIGXK. 

li  tu  la  l'ens  trop;  elle  mettra  fin  à  lov,  ou  à  toy  :  Tvii  &  l'autre 
reuient  à  vn.  5/  ///  iic  la  portes,  die  t'eniporfera.  <(  Meiiiineris  maximos 
morte  fîniri;  pariios  nnilta  babere  intcriialla  reqiiietis;  iiicdiocriiim  nos 
esse  dominos  :  ut  si  tolcrahiles  siut  feranius,  sin  mi  mis.  e  uita,  qun  ea  non 
plaeeat,  tanquani  [e  \  theatro  exeannis.  »  5 

Ce  qui  nous  f;iit  fouffrir  auec  tant  d'impatience  la  douleur,  c'ell: 
de  n'eltre  pas  accouftumez  de  prendre  nollre  principnl  contentement 
en  lame,  tie  ne  nous  aiandre  point  asses  a  elle  :  qui  est  suie  et  soniiereine 
nuiistresse  de  nostre  condition  et  conduite.  Le  corps  na,  sauf  le  plus  et  le 
moins,  qu'un  treiii  et  qu'un  pli.  Elle  est  nariahle  en  tonte  sorte  de  formes,  10 
(■/  renge  a  soi  et  a  son  estât,  quel  qu'il  soif,  les  soitimans  du  cors  &  tous 
autres  accidans.  Pour  tant  la  faut  il  estudier  et  enquérir,  et  esuciller  en  elle 
ses  ressors  tout  puissans.  Il  n'y  a  raison,  nv  prcvscription,  nv  force,  qui  puisse 
contre  son  inclination  et  son  chois.  De  tant  de  milliers  de  biai:^  qu'clV  a  en 
sa  disposition,  douons  lux  en  un  propre  a  nostre  repos  et  conseruation,  nous  1 5 
.uoila  non  couuers  sulenunit  de  toute  offaiice  nuiis gratitiie:^  niesnu\^  &  flaic:^, 
si  bon  luy  semble,  des  offances  et  des  niaus. 

Elle  faict  son  profit  de  tout  indifjerêmaui.  L'errur,  les  songes  luv 
sèment  utillemant.  corne  une  loyale  matière  a  nous  mettre  a  garant  et  en 
contanteniant.  20 

//  ('5/  aisé  a  noir  que  \cc^  qui  aiguise  en  nous  la  dolur  et  la  uolupte,  c'est 
la  pointe  de  nostre  esperit.  Les  bestcs  qui  le  tienent  sons  boucle,  laissent  ans 

Texte  88.  —  8)  rame,  c'cfl:  d'auoir  eu  trop  de  commerce  auec  le  corps.  Tout  ainfi 

\'ar.  ms.  —  5)  ll'etiliv  biiïc  puis  rctabli.  —  8)  l'amc  (7  (/(■  iioiif  armer  d'elle  eoulrc  la 
mollesse  du  corps.  Tout  ainfi  (p.  69,  1.  i;.)  —  9)  ;/'<;  i}u'-uh  /»-•  —  12)  esliidier  et  emploier 
(1  esiiciller  —  14)  el  son  plaisir.  De  —  18)  profil  du  tiiaiisoiige  et  de  la  uerile  iiidiffe- 
rêmaiit.  —  19)  matière  si  elle  l'-culikpmtU.  a  vous  melire  a  garant  de  toutes  inconimodilei 
el  mettre  eu  plein  contanteniant,  si  elle  l'cntrcpraut.  Il  est  —  21)  noir  que  c'est  h 
pointe  de  nostre  esperit  qui  aiguise  en  nous  la  dolur  et  uolupte,  ici  vient  cette  première  rèd.-iction 

que  Moiit.iipnc  a  abandonnée  sans  l'achever  :    d'ou  nait  UUC  si  infinie  diucrsilc  dc  HOS  goul  a  les 

reccnoir  -.Ans  hesies  nulle  r  qui  est  uniforme  nus  hestes  :  eom'il  se  U4>it  coniectnre  par 
la  pareille  application  de  leurs  mouuemeus  :  en  chaque  espèce.  Tout  corps  nalurcllemanl 
conslUuc  eut  s(eu  les  rcceuoir  en  leur  naturelle  mesure  et  iustc  Les  hestes  —  22)  tienent 
plus  sous  boucle  laissent  au  corps  ses  scntimcns 


I.IVRH      I,      CHAPITRE      XIV.  69 

corps  leurs  sciillnn'iis  libres  cl  inills,  et  par  coiiscqiuiiil  uns  u  peu  près  en 
chaque  espèce,  coine  nous  uoions  par  la  semblable  application  de  leurs 
niouucnians.  Si  nous  ne  troblions  pas  en  nos  membres  la  inriscJiction  qui 
leur  apartient  en  cela,  il  est  a  crere  que  nous  en  serions  miens,  et  que 
5  nature  leur  a  tlone  un  iw^tc  et  modère  leinperanntnt  enuers  la  uolupte  Ic/^ 
enuers  la  dolur.  Ut  ne  peut  laillir  d'estre  iuste,  estant  esgal  et  connnun. 
Mais  puis  que  nous  nous  sonws  émancipe:^  de  ses  règles,  pour  nous  aban- 
doner  a  la  nagabonde  liberté  de  nos  fantasies,  au  moins  aidons  nous  a  les 
plier  du  costé  le  plus  agréable. 

10  Platon  creint  nostre  engagement  aspre  a  la  dolur  &  a  la  uolupte,  d'autant 
qu'il  oblige  et  atachc  par  trop  l'aine  au  corps.  Moi  plus  tost  au  rebours, 
d'autant  qu'il  l'en  desprent  et  descloue. 

Tout  ainfi  que  rcnnemv  le  rend  plus  aigre  à  noftre  fuite,  auflî 
s'enorgueillit  la  douleur  à  nous  voir  trembler  foubs  elle.  1:11e  le 

I)  rendra  de  bien  meilleure  compolition  à  qui  luy  fera  telle.  Il  fe  huit 
oppofer  &  bander  contre.  Hn  nous  acculant  &  tirant  arrière,  nous 
appelions  à  nous  &  attirons  la  ruine  qui  nous  menafTe.  Conte  le  corps 
est  plus  ferme  a  la  charge  en  le  roidissant,  aussi  est  l'ame. 

Mais  \-enons  aux  exemples,  qui  l'ont  proprement  du  gibier  des 

20  gens  foibles  de  reins,  comme  moy,  où  nous  trouuerons  qu'il  va  de 
la  douleur,  comme  des  pierres  qui  prennent  couleur  ou  plus  haute 
ou  plus  morne  félon  la  feuille  où  l'on  les  couche,  &  qu'elle  ne  tient 
qu'autant  de  place  en  nous,  que  nous  luy  en  faifons.  «  Tantum 
doluerunt,  dict  S.  Auguftin,  quantum  doloribus  fe  inferuerunt.  » 

TrxTic  88.  —  13)  plus  afpre  ;i  —  22)   no  prend  qu'.iutant 

V.\R.  MS. —  i)  en  dniiune  espèce  —  2)  cte  leur  niouuemaul.  Si  —  4)  nous  ni  en 
muerions  de  bien  nieillure  condition  et  que  —  5)  iuste  i^oul  et  modère  enuers  —  6)  iuste 
puisqu'il  ed  seroit  commun.^  Puis  que  nous  —  7)  ahuiidoncr  a  lu  tyrminte  de  nos  — 
9)   le  plus  salntere.  Ptiilflii  —  10)    creint  nu  cn<iin^enient 

'     Ici  semble  se   rattacher  par  un   renvoi,  dailleurs  pew  cl.iir,  ce  passage  hifl'é  :   C  est  jolie.    Poiir 

rendre  un  estât  complet  d'home  il  faut  &  qu'il  se  pliiise  du  phiisii^  et  que  la  dolur  luy  deulle 
sente  cowpcicmwent  du  mal  et  du  bien. 


yo  ESSAIS    D1-;    moxtaigxe. 

Nous  feulons  plus  vn  coup  de  raloir  du  Chirurgien,  que  dix  coups 
d'efpée  en  la  chaleur  du  combat.  Les  douleurs  de  l'enfantement  par 
les  médecins  &  par  Dieu  mefme  eftimées  grandes,  &  que  nous 
paflbns  auec  tant  de  cérémonies,  il  v  a  des  nations  entières  qui 
n'en  font  nul  conte,  le  laiiTe  à  part  les  femmes  Lacedemonienes;  5 
mais  aux  SouilTes,  parmv  nos  gens  de  pied,  quel  changement  v 
trouuez  vous?  Sinon  que  trottant  après  leurs  maris,  vous  leur  vovez 
auiourd'huv  porter  au  col  l'enfant,  qu'elles  auovent  hier  au  ventre. 
Et  ces  Egyptiennes  contre-hxictes,  ramaflees  d'entre  nous,  vont,  elles 
niefmes,  lauer  les  leurs,  qui  \iennent  de  naiftre,  &  prennent  leur  baing  10 
en  la  plus  prochaine  riuiere.  Outir  tant  de  garses  ;  qui  dcswhent  toits  les 
ioitrs  leurs  eiijans  tant  eu  la  génération  i  qu'eu  la  conception,  cette  houeste 
feme  de  Sahinus,  patritieu  Roiuein,  pour  l'iuterest  d' autrui  supporta  le 
trauail  \  de]  Venfanteuicnt  de  detis  iuiueaus,  suie,  sans  assistance,  et  sans  noix 
&  gémissement.  Vn  fimple  garçonnet  de  Lacedemone,  ayant  defrobé  15 
.vn  renard  (car  ils  creignoint  encore  plus  la  honte  de  leur  sottise  an  larre- 
cin  que  nous  ne  creiguds  sa  peine)  &  l'ayant  mis  fous  fa  cape,  endura 
pluftofl:  qu'il  luy  eut  rongé  le  ventre,  que  de  fe  découurir.  Et  vn 
autre  donnant  de  Fencens  à  vn  lacriiice,  le  charbon  luy  eftant  tombé 
dans  la  manche,  le  laifla  bruller  iufques  à  l'os,  pour  ne  troubler  le  20 
myftere.  Et  s'en  cfl  \'eu  \n  grand  nombre  pour  le  feul  elïav  de 
.  vertu,  luiuant  leur  inllitution,  qui  ont  fouffert  en  l'aage  de  fept  ans 
d'eftre  toëtez  iufques  à  la  mort,  lans  altérer  leur  vifage.  Et  Ciccro 
les  a  uens  se  battre  a  troupes  :  de  poins,  de  pieds  &  de  dens,  insques  a 
\s'e]uanouir  auant  que  d'adnouer  estre  neincns.  «  Xuiujnani  naturain  25 
inos  uinceret  :  \  est]  enim  ea  seniper  innicta;  sed  nos  nmhris,  delicijs, 
otio,   languore,  desidia  a  ni  mu  m  infecimus;  opinionihus  maloque  more 

Texte  88.  —  10)  lauer  leurs  cnfans,  qui  —  i6)  renard  (car  le  larrccin  y  eftoit 
action  de  vertu,  mais  par  tel  fi,  qu'il  efloit  plus  vilain  qu'entre  nous  d'v  eftre  furpris) 
&  l'avant 

\'ak.  ms.  —  i^)  siipporlii  l'nifivilnnail  —  15)  gciiiisscnu'iil quelemiifue  —  17)  nous 
ne  fai.uvis  de  iwslir  mescJmiicetc)  &  l'avant 


LIVRE      1,      CHAPITRE     XIV.  yi 

(Icliiiilniii  iiioUiliiiiius.  »  Chacun  l'çait  l'hilloire  de  Sceuola  qui,  s'eftant 
coule  dans  le  camp  ennemy  pour  en  tuer  le  chef  &  ayant  failli 
d'attaincte,  pour  reprendre  Ion  effect  d'une  plus  eftrange  inuention 
&  defcharger  la  patrie,  confeffa  à  Porlenna,  qui  eftoit  le'  Roy  qu'il 
5  \ouloit  tuer,  non  feulement  fon  defleing,  mais  adioulla  qu'il  v  auoit 
en  fon  camp  vn  grand  nombre  de  Romains  complices  de  fon  entre- 
prife  tels  que  luv.  Et  pour  montrer  quel  il  eftoit,  s'elknt  taict 
apporter  vn  bralîer,  veit  &  fouffrit  griller  &  roftir  fon  bras,  iniques 
à  ce  que  l'ennemv  mefme  en  ayant  horreur  coiiuiiula  aster  le  brafier. 

lo  Quov,  celuv  qui  ne  daigna  interrompre  la  lecture  de  Ion  Hure  pen- 
dant qu'on  l'incifoit?  Et  celuy  qui  s'obllina  à  le  mocque'r  &  à  rire  à 
l'enuy  des  maux  qu'on  luy  failbit  :  de  laçon  que  la  cruauté  irritée 
des  bourreaux  qui  le  tenoyent,  &  toutes  les  inuentions  des  tourmens 
redoublez  les  vns  fur  les  autres  luy  donnèrent  gaigné.  Mais  c'eftoit 

15  vn  philolbphe.  Quov?  vn  gladiateur  de  Cœlar  endura  touliours 
riant  qu'on  luy  fondât  Se  détaillât  les  playes.  «  Oiiis  iiiediocris  a^ladiator 
iiic^cniiiit;  qiiis  iiuJfuiir  iniitaiiit  unquam?  Ouis  non  modo  stetit,  iicriiiii 
ctiaiii  dccithuit  tiirpiter.  Ouis  citin  dccubuissct,  fcrrimi  nripere  iussiis,  coUiini 
coiitnixit?  »  Méfions  y  les  femmes.  Qiii  n'a  ouy  parler  à  Paris  de 

20  celle  qui  fe  fit  efcorcher  pour  feulement  en  acquérir  le  teint  plus 
frais  d'vne  nouuelle  peau?  Il  y  en  a  qui  se  font  fait  arracher  des  dents 
viues  &  laines,  pour  en  former  la  voix  plus  molle  &  plus  grafle, 
ou  pour  les  ranger  en  meilleur  ordre.  Combien  d'exemples  du 
mefpris  de  la  douleur  auons  nous  en  ce  genre?  Qiie  ne  peuuent 

25  elles?  Que  craignent  elles?  pour  peu  qu'il  y  ait  d'agencement  à 
efperer  en  leur  beauté  : 

Vellere  quels  cura  cil  albos  à  llirpc  capillos,  '* 

Et  faciem  denipta  pcllc  rcfcrrc  nouani. 

l'en  av  veu  engloutir  du  fable,  de  la  cendre,  &  le  trauailler  à  poincl         A 

Texte  88.  —  9)  liorivur  luy  olb  le  bralkr  —  15)   tciiDycnt  en  main,  & 


y2  ESSAIS     DH     MOXTAIGXH. 

nommé  de  ruiner  leur  cftomac,  pour  acquérir  les  pâlies  couleurs. 
Pour  faire  vn  corps  bien  el'paignolc  quelle  geine  ne  louflrent  elles, 
guindées  &  ûmglées,  à  tout  de  grofles  coches  fur  les  cortez,  iniques 
à  la  chair  viue?  Ouv  quelques  lois  à  en  mourir. 

//  csl  onliiicrc  a  hcaucoup  de  nations  de  uostrc  loups  de  se  blesser  a  eseiiinl,     5 
pour  douer  foi  a  leur  parole,  el  uosire  Rov  en  reeite  des  iioluNes  exemples 
de  ce  qinl  eu  a  veu  eu  Polouigue  et  en  l'endroit  de  lux  niesmes.  Mais  outre 
ce  que  ie  seul  en  auoir  este  imite  en  Jrance  par  aucuns,  i'ay  -ir//'  une  fille, 
pour  tesnum ligner  l'ardur  de  ses  promesses,  &  aussi  sa  constance,  se  douer 
du  poinçon  qu'elle  portoit  en  son  poil,  quatre  ou  cinq  bons  coups  dans  le     lo 
bras,  qui  luv  faisoint  craqueter  la  peau  et  la  seii^noint  bien  en  bon  escianl. 
Les  turcs  se  font  des  grandes  escarres  pour  leurs  dames;  6"  ajjin  que  la 
marque  x  deinure,  ils  portent  soudein  du  Ju  sur  la  plaie  el  l'y  licnenl  un 
temps  incroiable  pour  arrêter  le  sang  cl  former  la  cicatrice.  Gens  qui  l'ont 
ueii,  l'ont  esc  rit  &  nw  l'ont  iuré.  Mais  pour  di\  aspres,  il  se  treuue  tous     15 
les  iours  entre  eus  qui  se  donrra  une  bien  profonde  taillade  dans  le  bras  ou 
'dans  les  cuisses. 

le  fuis  bien  avfe  que  les  tefmoins  nous  font  plus  à  main,  où  nous 
en  auons  plus  affiiire  :  car  la  Chrétienté  nous  en  fournit  à  futiifance. 
Et  après  l'exemple  de  noftre  fainct  guide,  il  y  en  a  eu  lorce  qui  par  -o 
deuotion  ont  voulu  porter  la  croix.  Nous  apprenons  par  lefmoing 
tres-digne  de  foy,  que  le  Roy  S.  Loys  porta  la  hère  iniques  à  ce 
que,  fur  la  vieilleffe.  Ion  confefleur  l'en  difpenfa,  &  que,  tous  les 
\-endredis,  il  fe  taifoit  battre  les  efpaules  par  fon  prertre  de  cinq 
chainettes  de  1er,  que  pour  cet  eflet  il  portoit  touliours  dans  \  ne     -5 

'l'j;.\ri;  88.  —   19)  fournit  plus  qu'à 

\'.\]{.  Ms.  —  9)  pivnicssfS  &  ik  son  (ijfalioii  se  tloiiciik  son  poiiiÇiVi  —  15)  y  dcniuic 
ils  lii  porlciil  soiiilciii  tliiiis  la  plaie  nue  ehaiiilellc  hr niante  et  l'y  lienenl  —  15)  hcnnc  des 
_i;ens  Ions  les  ionrs  entre  ens  qni  se  ilonneinl  nne  —  16)  hras  et  dans 

'  L'cditioii  de  1595  dit  ici  :  Quand  ic  vcins  do  CCS  lanicux  Hllats  de  Blois,  i'.uiois  vcu 
peu  auparnunnt  \  ne  tille  en  Picardie... 


I.nUH      I,      CHA1MTR1-:      XIV.  y  5 

boite.  Guillaume  noftre  dernier  Duc  de  Gu venue,  père  de  cette 
Aliéner,  qui  tranfniit  ce  Duché  aux  mailons  de  France  &  d'Angle- 
terre, porta  les  dix  ou  douze  derniers  ans  de  la  vie,  continuellement, 
vn  corps  de  cuiralTe,  Ibubs  vn  habit  de  religieux,  par  pénitence. 
5  l'oulques  Comte  d'Anjou  alla  iniques  en  lerulalem,  pour  là  le  faire 
foëter  à  deux  de  les  valets,  la  corde  au  col,  deuant  le  Sepulchre  de 
noftre  Seigneur.  Mais  ne  voit-on  encore  tous  les  iours  le  Vendrcdv  S. 
en  diuers  lieux  vn  grand  nombre  d'hommes  &  femmes  fe  battre 
iniques  à  le  déchirer  la  chair  &  percer  iniques  aux  os?  Cela  av-ie  veu 

10  fouuent  &  fans  enchantement  :  &  difoit-on  (car  ils  vont  mafquez) 
qu'il  y  en  auoit,  qui  pour  de  l'argent  entreprenoient  en  cela  de 
garantir  la  religion  d'autruv,  par  vn  mefpris  de  la  douleur  d'autant 
plus  grand,  que  plus  peuuent  les  éguillons  de  la  deuotion,  que  de 
l'auarice. 

15  IQ.]  Maxiiinis  enterra  son  fils  coiisulere;  \M.  Otto  le  sien  Prêteur 
designé;]  et  L.  Paulns  les  siens  deus  en  peu  de  iours,  d'un  uisage  rassis 
&  ne  portant  ausenn  tesnu^ignage  de  deuil.  le  disois  en  mes  iours  de  quelqun 
en  gossant,  qu'il  auoit  ehoué  la  diuine  iustiee  :  ear  la  mort  uiolante  de  trois 
grands  èfans  luy  aiant  este  enuoiee  en  un  iour  pour  un  aspre  eoup  de  uerge, 

20  coni'  il  est  a  croire  :  peu  s'en  fidut  qu'il  ne  la  print  a  gratification.  El  l'en 
ai  perdu,  tuais  en  nourrisse,  deus  ou  trois,  si  non  sans  regret,  au  i>u)ins  sans 
fiu'herie.  \  Si]  n'est  il  guère  aeeidant  qui  touche  plus  au  uif  les  homes.  le  uois 
asscs  d'autres  communes  occasions  d'affliction  qu'a  peine  sentirais  \ie],  si 
elles  me  uenoint,  et  en  ai  mesprise  quâd  elles  me  sont  uenues,  de  celles  aus- 

25  quelles  le  monde  clone  une  si  atroce  figure,  que  ie  n' oserai  m'en  uanter  au 
peuple  sans  rougir.  «Ex  quo  intelligitur  non  in  natura,  sed  in  opinione 
esse  a'gritudiiiem.  » 

L'opinion  eft  vne  puilTante  partie,  hardie,  &  lans  mefure.  Qui 
rechercha  iamais  de  telle  taim  la  feurté  6c  le  repos,  qu'Alexandre 

Var.  ms.  —  16)  Paiilusdctix —  17)  tesnwigiiagcd'afflictwu.  le disoisdc mes —  18)  car 
luv  esUjut  eimeiepeut:  «»  gnef  eoup  dtfieau  ta  mort  —  19)  coup  d'-i»sirit(iio»  de  chiisliemeul- 
—  21)  regrc!   ce  rtes(})  nu  uioiiis  —  22)  guère  d'uciiddul  —  2.|)  ueuoinl.  Ex  quo 


74  ESSAIS      Di;      .MONTAIGNE. 

&  Cœlar  ont  foict  Tinquietude  &  les  difficultés.  Terez  le  Père  de 
Sitalcez  Ibuloit  dire  que  quand  il  ne  tailbit  point  la  guerre,  il  luy  eftoit 
aduiz  qu'il  n'v  auoit  point  difterence  entre  luv  &  ion  palletrenier. 

Catoii  consul  pour  s'assurer  d'aucunes  villes  en  Hespaignc  aiant  sulemât 
interdit  ans  hahiians  d'icelles  de  porter  les  armes,  grand  nombre  se  iuarèt  :     s 
«ferox  gens  nuUam  nitam  rafi  sine  armis  esse.  »  Combien  en  Içauons 
nous  qui  ont  fuv  la  douceur  d'vne  vie  tranquille,  en  leurs  mailons, 
parmi  leurs  cognoilTans,  pour  fuiure  l'horreur  des  defers  inhabitables; 
&  qui  le  l'ont  iettez  à  l'abiection,  vilité,  &  meipris  du  monde,  &  s'y 
font  pleuz  iufques  à  l'affectation.  Le  Cardinal  Borromé  qui  mourut     lo 
dernièrement  à  xMilan,  au  milieu  de  la  deftauche,  à  quoy  le  conuioit 
&  la  nobleffe,  &  fes  grandes  richeffes,  &  l'air  de  l'Italie,  &  {a  ieuneffe, 
fe  maintint  en  vne  forme  de  vie  11  aullere,  que  la  melme  robe  qui 
luv  leruoit  en  elle,  luv  leruoit  en  hvuer;  n'auoit  pour  Ion  coucher 
que  la  paille;  &  les  heures  qui  luy  reftoyent  des  occupations  de  fa     15 
.  charge,  il  les  paffoit  effudiant  continuellement,  planté  fur  fes  genouz, 
avant  \n  peu  d'eau  &  de  pain  à  cofté  de  l'on  Hure,  qui  eftoit  toute 
la  prouilion  de  fes  repas,  &  tout  le  temps  qu'il  y  employoit.  l'en 
l'çay  qui  à  leur  efcient  ont  tiré  iv-  proffit  &  auancement  du  cocuage, 
dequov  le  leul  nom  effravc  tant  de  gens.  Si  la  veuë  n'eft  le  plus     20 
necelTaire  de  nos  lens,  il  eft  au  moins  le  plus  plailant;  mais  &  les 
plus  plaifans  &  vtiles  de  nos  membres,  lemblent  eftre  ceux  qui 
feruent  à  nous  engendrer  :  toutesfois  affez  de  gens  les  ont  pris  en 
hayne  mortelle,  pour  cela  feulement,  qu'ils  eftoyent  trop  aymables, 
&  les  ont  reiettez  à  caufe  de  leur  pris  1^  valeur.  Autant  en  opina     25 
des  yeux  celuy  qui  fe  les  creua. 

La  plus  commune  \  et  \  plus  saine  par!  des  bonies  tient  a  graïuî  heur 
\j'a]hondance  des  en/ans,  moi  ci  quelques  autres,  a  pareil  heur  le  dejaul. 

Texte  88.—  3)  point  de  diflcrcncc  —  11)  au  traucrs  de  la  —  15)  que  de  la 
—  2})  nous  cntr'engendrer  : 

Var.  ms.  —  5)  tiiarcl  eus  mcsiius  :  ferox  —  27)  pari  edime  des  bornes  esii  — 
28)    moi  et  ijuel 


LIVRE      I,      CHAPITRl-      XIV.  75 

El  quand  on  dcuiaudi'  a  Tbiilcs  pour  quoi  il  ne  se  marie  point  :  il  rcspont 
qu'il  n'aime  point  a  Jaiser  lignée  de  soi.^ 

Que  nostre  opinion  done  pris  ans  choses,  il  se  uoit  par  celles  en  grand 
nondire  ans  quelles  nous  ne  regardojis  [^as  sulenieni  pour  les  estimer,  ains 
5  (/  nous:  el  ne  considérons  nv  leurs  qualités  ny  leurs  utilités,  uuiis  sulement 
nostre  cousl  a  les  recouurer  :  eonw  si  c'estoil  quelque  pièce  de  leur  substance; 
et  appelons  ualeur  en  elles  non  ce  qu'elles  aportent,  mais  ce  que  nous  y 
aportons.  Sur  quoi  ie  m'aduise  que  nous  somes  grands  mesnagiers  de 
nostre  mise.  Selon  qu'elle  poise,  elle  sert  de  ce  mcsmes  qu'elle  poise.  Nostre 

10  opinion  ne  la  laisse  ianuiis  courir  a  fans  frait.  L'achat  done  titre  au 
diamant,  et  la  difficulté  -  a  ^  la  uertu,  et  la  dolur  a  la  deuotion,  et  l'asprete 
a  la  médecine 

Tel  pour  arriuer  à  la  pauurcté  ietta  les  cfcuz  en  cette  melmc 
mer,  que  tant  d'autres  fouillent  de  toutes  pars  pour  \-  pelcher  des 

15  richelTes.  Epicurus  dict  que  l'eftre  riche  n'eft  pas  foulagement,  mais 
changement  d'affaires.  De  vray,  ce  n'eft  pas  la  disette,  c'eft  pluftoft 
l'abondance  qui  produict  l'auarice.  le  veux  dire  mon  expérience 
autour  de  ce  fubiect. 

l'av  vefcu  en  trois  fortes  de  condition,  depuis  eftre   lortv  de 

20  l'enfance.  Le  premier  temps,  qui  a  duré  près  de  vingt  années,  ie  le 
paffay,  n'aiant  autres  moyens,  que  fortuites,  &  defpendant  de  l'ordon- 
nance &  fecours  d'autruy,  fans  eftat  certain  &  iiins  prefcription. 
Ma  defpence  le  failbit  d'autant  plus  allègrement  o;  auec  moins  de 
foing,  qu'elle  eftoit  toute  en  la  témérité  de  la  fortune.  le  ne  fu  iamais 

25  mieux.  Il  ne  m'eft  oncques  aduenu  de  trouuer  la  hourçe  de  mes 
amis  clofe  :  m'eftant  enioint  au  delà  de  toute  autre  neceftité,  la 
neceflîté  de  ne  taillir  au  terme  que  i'auoy  prins  a  in'acquiter.  Lequel 

Texte  88.  —  16)  pas  la  nccefntc,  c'eft 

\'ar.  ms.  —  2)  ii'aiiiic  point  li'-ailoireiifdiii.Olu'  —  4)  estimer  cl  ne  —  6)  suhsianee. 
Regardons  en  nous  lenr  uatur  non  en  elles  et  appelons  —  10)  a  fausfR-lfrail.  LaigenI  done 

'     /■.'/  miaïul...  soi  inicrc.Tli-  iiltcricurcment  entre  Us  deux  alinc^is. 


-jG  ESSAIS      DE      MONTAI  GN'i:. 

ils  m'ont  mille  fois  alongc,  voyant  l'eftort  que  ic  me  failoy  pour 
leur  fatistaire  :  en  manière  que  i"en  rendoy  vue  loyauté  mefnagcre 
&  aucunement  piperefle.  le  lens  naturellement  quelque  volupté  à 
payer,  comme  fi  ie  defchargeois  mes  efpaules  d'vn  ennuyeux  poix, 
&  de  cette  image  de  feruitude;  auffi  qu'il  y  a  quelque  contentement  5 
qui  me  chatouille  à  taire  vue  action  iul^e,  &  contenter  autruv. 
l'excepte  les  payements  où  il  faut  venir  à  marchander  &  conter,  car 
fi  ie  ne  trouue  à  qui  en  commettre  la  charge,  ie  les  elloingne 
honteufement  &  iniurieufement  tant  que  ie  puis,  de  peur  de  cette 
altercation,  à  laquelle  &  mon  humeur  <ic  ma  forme  de  parler  eft  du  10 
tout  incompatihle.  11  n'eft  rien  que  ie  haifle  comme  à  marchander. 
C'eft  vn  pur  commerce  de  fricbotcric  ik  d'impudence  :  après  vne 
heure  de  débat  &  de  barquignage,  \\n  ik  l'autre  abandonne  fa  paroUe 
&  fes  fermens  pour  cinq  fous  d'amandement.  Et  li  empruntois  auec 
deûiduentage  :  car  n'ayant  point  le  cœur  de  requérir  en  prelence,  15 
l'en  renuoyois  le  hazard  fur  le  papier,  qui  ne  faict  guiere  d'effort, 
&  qui  prefte  grandement  la  main  au  refufer.  le  me  remettois  de  la 
conduitte  de  mon  befoing  plus  gayement  aux  aftres,  &  plus  libre- 
ment, que  ie  n'ay  faict  depuis  à  ma  prouidence  &  à  mon  fens. 

La  plus  part  des  mefnagers  eftiment  horrible  de  viure  ainfm  en  20 
incertitude,  (S;  ne  s'aduiient  pas,  premièrement  que  la  plus  part  du 
monde  \it  ainli.  Combien  d'honnefles  hommes  ont  reietté  tout 
leur  certain  à  l'abandon,  ^:  le  font  tous  les  iours,  pour  cercher  le 
vent  de  la  faueur  des  Roys  &  de  la  fortune?  Caviar  s'endebta  d'vn 
million  d'or  outre  fon  vaillant,  pour  deuenir  Ca^far.  Et  combien  de  23 
marchans  commencent  leur  trafique  par  la  vente  de  leur  métairie, 
qu'ils  enuoyent  aux  Indes 

Tôt  pcr  impotcntia  frcta  ? 
En  vne  11  grande  iiccité  de  deuotion,  nous  auons  mille  &  mille 

Tfatf.  8S.  —  j)  fois  L'ftcndii,  vovant  —  12)  de  mcnicric  & 


LIVKF.      I,      CKAPITUl-:      XIV.  yy 

collèges,  qui  la  palTcnt  commodeenient,  attendant  tous  les  iours  de 
la  libéralité  du  ciel,  ce  qu'il  faut  à  /(•///■  dilher.  Secondement,  ils  ne 
s'aduifent  pas,  que  cette  certitude  fur  laquelle  ils  se  fondent,  n'ert 
guiere  moins  incertaine  &  hazardeufe  que  le  hazard  mefme.  le  vov 
5  d'aufli  près  la  mifere,  au  delà  de  deux  mille  efcuz  de  rente,  que  i\ 
elle  eftoit  tout  contre  moy.  Car  outre  ce  que  le  sort  a  dequoy  ouurir 
cent  brèches  à  la  pauureté  au  trauers  de  nos  richefles,  ?/'v  uicuil 
soiiiunit  nul  moien  entre  la  suprême  et  infiwe  fortune  : 

Fortiina  uiirca  csl  ;  tinic  en  m  splciidd  friingititv  : 

10  &  enuoyer  cul  fur  pointe  toutes  nos  deffences  &  leuees,  ie  trouue 
que  par  diuerfes  caufes  l'indigence  fe  voit  autaut  ordiuereincut  logée 
chez  ceux  qui  ont  des  biens,  que  chez  ceux  qui  ncu  ont  point  : 
c\:  qu'à  l'auanture  eft  elle  aucunement  moins  incommode,  quand  elle 
eft  leule,  que  quand  elle  fe  rencontre  en  compaignie  des  richelïes. 

15  Elles  uieueiit  plus  île  l'ordre  que  de  lu  reeetle  :  » Jaher  est  siuv  quisque 
jorluiuv.  ))  Et  me  femble  plus  miferable  vn  riche  malaifé,  neceflîteux, 
afîaireux,  que  celuy  qui  ell  hmplement  pauure.  «lu  diuitijs  inopes, 
quod  geiuis  egestatis  grauissimuni  est.  » 

Les  plus  gras  princes  et  plus  riches  sont  par  poureté  et  disette  pousses 

20  ordiiwremant  a  \l'ex]treme  nécessite.  Car  en  [_est'\  il  de  plus  extrême  que 
d'en  deueuir  tirans  et  iniustes  usurpaturs  [des^  biens  de  leurs  subiects? 

Ma  féconde  forme,  c'a  efté  d'auoir  de  l'argent.  A  quoi  m'eslaut  prins, 
l'en  fis  bien  toft  des  rcferues  notables  félon  ma  condition  :  n'ei^imant 


Texte  88.  —  2)  huit  i\  cuk  difncr.  —  6)  ce  que  la  fortune  a  —  11)  le  voit 
aufli  fouuent  logée  —  22J  (.l'aimir  Jes  iiieiis,  aiifqucls  ie  me  prins  fi  chaudement, 
que  i'en  fis 

^'AR.   MS.  —    6)    contre  moy.  Foiliiun  iiilrca  csl  lune  euiii  spiciidel  J'rniigiliir.  Cette 

citation,  préccJcc  de  l'indication  :  J'ci'S,  est  biffée  .1  cette  place,  et  reportée  plus  bas,  1. 9.  —  7)  ricnclies, 

safc  iiiter  fortunà  tiiaximam  cl  ulUmaiii  iiihil  iiitcrest.  &  enuoyer  —  19)  disette 
(outwiui  it>Ui  coiiuiei  tous  iours  a  user  d'imusliee.  Ma  féconde  —  20)  de  pire  que  d'en 
—  22)  aroeut  eu  a  quoi  ie  me  prins  fi  chaudement,  que  i'en 


yS  KSSAIS      D1-;      MOXTAlGXi:. 

que  ce  fut  auoir,  Tmon  autant  qu'on  poffedc  outre  la  delpencc  ordi- 
naire, ny  qu'on  se  puilTe  fier  du  bien  qui  eft  encore  en  efperance  de 
recepte,  pour  claire  qu'elle  foit.  Car  quoy,  difoy-ie,  Ii  i'eftois  furpris 
d'vn  tel,  ou  d\-n  tel  accident?  Et  à  la  fuite  de  ces  vaines  &  vitieufes 
imaginations,  i'allois  faifant  l'ingénieux  à  prouuoir  par  cette  fuperflue  5 
referue  à  tous  inconueniens  :  &  fçauois  encore  refpondre  à  celuv 
qui  m'alleguoit  que  le  nombre  des  inconueniens  efloit  trop  infinv, 
que  fi  ce  n'eftoit  à  tous,  c'eftoit  à  aucuns  &  plufieurs.  Cela  ne  fe 
paflbit  pas  fons  pénible  follicitude.  l'en  faisais  ini  secret  :  \&\  moi  qui 
ose  tant  dire  de  moi,  ne  parlais  de  mon  argent  qu'en  me)isange,  came  faut  10 
les  autres,  qui  s'apaurisseiit  riches,  s'enrichissent  poures,  et  dispansent  leur 
cousciancc  de  ianiais  tesmauigiier  sincereuwnt  de  ce  qu'ils  ont  :  Ridicule 
et  honteuse  prudance.  Allois-ie  en  voyage,  il  ne  me  fembloit  eftre 
iamais  fuffifamment  prouueu.  Et  plus  ie  m'ellois  chargé  de  mouaie, 
plus  aufli  ie  lu'cstais  chargé  de  creiute  :  tantoft  de  la  feurté  des  chemins,  15 
.tantoft  de  la  iidelité  de  ceux  qui  conduiioient  mon  bagage  :  duquel 
comme  d'autres  que  ie  cognovs,  ie  ne  m'affeurois  iamais  affez  fi  ie 
ne  l'auois  deuant  mes  veux.  LaifToy-ie  ma  bovte  chez  moy,  combien 
de  foubçons  &  penfements  efpineux,  èv,  qui  pis  eft,  incommuni- 
cables.' l'auois  toufiours  l'efprit  de  ce  cofté.  Tout  conté,  il  y  a  plus  de  20 
peine  a  garder  l'argent  qu'a  l'acquérir.  Si  ie  n'en  faifois  du  tout  tant 
que  l'en  dis,  au  moins  il  me  couftoit  à  m'empefcher  de  le  faire.  De 
commodité,  l'en  tirois  peu  ou  rien  :  pour  auair  plus  de  niaicu  de 
despance,  elle  ne  m'en  paisait  pas  moins.  Car,  comme  difoit  Bion,  autant 
fe  tache  le  cheuelu  comme  le  chauue,  qu'on  luv  arrache  le  poil  :  25 
&  depuis  que  vous  eiles  accouftumé  &  auez  planté  voftre  fantafie  fur 
certain  monceau,  il  n'eft  plus  à  voftre  feruice,  lums  n'oseries  l'escaruer. 

Texte  88.  —    i)    defpcncc  &  fon  vfage  ordinaire   —    2)   qu'on  puifTc  prendre 
affeurance  du  bien  —   15)  aufîi  i'auois  d'alarme  :  tantoft 

\'ar.   ms.  —  10)  (lire  ioulcs  cl.'oscs  de  moi  :  ne  kinwu  parloU 
'    &  qui  pis  eft,  incommunicables.  biiTc-  pui';  R-taWi. 


L1\R1-;      I,      CHAPITRE      XIV.  -9 

C'ert;  vn  hal^mt-nt  qui,  comme  il  vous  icmble,  croUera  tout,  li  vous 
y  touchez.  Il  fliut  que  la  ncceflité  vous  prenne  à  la  gorge  pour 
l'entamer.  Et  au  parauant  i'engageois  mes  hardes,  &  vendois  vn 
cheual  auec  bien  moins  de  contrainte,  &  moins  enuys,  que  lors  ie 
5  ne  tailois  brelche  à  cette  bourçe  fauorie,  que  ie  tenois  à  part.  iMais 
le  danger  eftoit,  que  mal  ayféement  peut-on  eftablir  bornes  cer- 
taines à  ce  defir  (elles  sont  dijfîcilles  a  troiiiicr  es  choses  qu'on  eroil  boues) 
&  arreiler  vn  poinct  à  l'elpargne.  On  \a  toullours  grolfiffiuit  cet 
amas  &  l'augmentant,  dvn  nombre  à  autre,  iulques  à  le  priuer 

10  vilainement  de  la  iouylîance  de  les  propres  biens,  &  l'ertablir  toute 
en  la  garde,  &  à  n'en  vfer  point. 

Selon  cette  espèce  d'usage,  ce  sont  les  plus  riches  gens  de  nionoie,  ceus  qui 
ont  charge  de  la  garde  des  portes  el  murs  d'une  bone  uille.  Tout  home 
pecunieus  est  auaritieus  a  mon  gre. 

15  Platon  range  ainsi  les  biens  corporels  ou  humains  :  la  saute,  la  béante, 
la  force,  la  richesse.  Et  la  richesse,  dict  il,  n'est  pas  aneugle  nuiis  t rescier 
noiante,  quand  elle  est  illuminée  par  [la~\  prudauce. 

Dionifius  le  fils,  euft  fur  ce  propos  bonne  grâce.  On  l'aduertit 
que  l'vn  de  fes  Syracufains  auoit  caché  dans  terre  vn  threlor.  11  luy 

20  manda  de  le  luy  apporter,  ce  qu'il  fit,  s'en  releruant  à  la  defrobbée 
quelque  partie,  auec  laquelle  il  s'en  alla  en  vne  autre  ville,  où,  ayant 
perdu  cet  appétit  de  thefaurizer,  il  le  mit  à  viure  plus  liberallement. 
Ce  qu'entendant  Dionvfius  luv  fit  rendre  le  demeurant  de  Ion  threlor, 
difant  que  puis  qu'il  auoit  appris  à  en  Içauoir  vler,  il  le  luv  rendoit 

25     volontiers. 

le  fus  quelques  années  en  ce  point,  le  ne  Içay  quel  bon  dcvmon  m'en 


Texte  88.  —  26)  le  fus  quatre-  ou  cinq  minces  un  ce  point  :  ie  ne  fçay  quelle 
bonne  fortune  m'en 

Var.  ms.  —  7)  1°  :  defir  (iiiodi'i  rctume  dtjjicile  csl  lu  (o  quod  boin'i  esse  crcdidcrh.) 
&  arreftcr  2»  :  Jefir  (Elles  sont  difficiles  a  garder  es  choses  qu'on  civil  boues.)  cuticrcnicnt 
biffe.  —  II)  point.  Toiil  home  pecunieus  est  auaritieus  a  mon  gre.  biffe  puis  transporte  j  h 
fin  de  l'alinéa.  —  12)    de  ceUt  fi>rme  di  te  Selon  —  12)   monoie  qu  —   15)  le  faii  Platon 


8o  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

ictta  hors  tivs-vtilement,  comme  le  Siracufain,  l\:  m'cnuova  toute 
cette  conlerue  à  l'abandon,  le  plailir  de  certain  \ovage  de  grande 
defpence,  avant  mis  au  pied  cette  lotte  imagination.  Par  où  ie  luis 
retombé  à  vne  tierce  forte  de  vie  (ie  dis  ce  que  i'en  fens)  certes 
plus  plail'ante  beaucoup  &  plus  reiglée  :  c'elt  que  ie  fliits  courir  5 
ma  defpence  quand  &  ma  recepte;  tantoll  Tvne  deuance,  tantoll 
l'autre  :  mais  c'eft  de  peu  qu'elles  s'abandonnent.  le  vis  du  iour  à  la 
iournée,  &  me  contente  d'auoir  dequoy  fuffire  aux  befoings  prelens 
&  ordinaires  :  aux  extraordinaires  toutes  les  prouilions  du  monde 
n'y  fçauroyent  baster.  Et  est  jolie  de  saUvidre  que  fort  une  elle  luesnies  10 
nous  cinne  ieimah  suffistinuintut  eoiitre  soi.  C'est  de  nos  aunes  qu'il  la  faut 
cdhattre.  Les  fortuites  nous  trahiront  au  bon  du  faiet.  Si  i'amalTe,  ce  n'eft 
que  pour  l'efperance  de  quelque  voillne  emploite  :  non  pour  acheter 
des  terres  de  quoi  ie  n'ay  que  faire,  mais  pour  acheter  du  plaifir. 
(fNon  esse  eupiduin  pecunia  est,  non  esse  enmeeni  uectigal  est.»  le  n'ay  15 
ny  f;uere  peur  que  bien  me  faille,  nv  nul  delir  qu'il  m'augmente  : 
(( Diuitiaruni  Jruetus  est  in  \eop\ia,  eopiani  deelarat  satielas.»  Et  me 
gratilie  lingulierement  que  cette  correction  me  foit  arriuee  en  vn 
aage  naturellement  enclin  à  l'iiuarice,  ^:  que  ie  me  vois  desfaict  de 
cette  maladie  11  commune  au\  vieux,  (^  la  plus  ridicule  de  toutes  20 
les  humaines  folies. 

Ferauh\,  qui  auoil  [lasse  par  \'s  deus  fortunes,  et  Irouué  que  t'aceroit 
de  cheuanee  nestoit  pas  aeeroit  d'appétit  au  boire,  nianoer,  dormir  et 
embrasser  sa  famé;  et  qui  d'autre  pari  sanloit  poiser  sur  ses  espaules  l'im- 
portunile  de  l'axouoniie,  eiiisi  qu'elle  faiel  a  moi  :  délibéra  de  eontanler     25 
////  /////('  home  piuire,  son  fidelle  am\,  ahhoianl  après  les  riehesses,  et  lux  fil 


Ti;.\Ti;  88.  ^ —  i)  comme  au  Siracufain  —  6)  quand  &  quand  ma  icccptc  — 
10)  Içauroyent  fuffire.  Si  —  15)  emploite  &  non  —  20)  vieux,  laquelle  i'.u- toufiours 
tenu  la  moins  excufable,  &  la  plus 

\'\v..  MS.  —  10)  s'aldiulrc  wuf  que  forliiiic  nous  —  12)  côhiUlrc,  J-A-i  foi^luikê  h'-v 
Hh'u  da,  ffUuiki.  Les  —  26)  i/wv  i/<'  lii  Inini  ijn'U  aiioit  îles  riel'esses 


LIVRli      I,      CllAPlTRi;      Xl\-.  Si 

fiirstinl  de  UhiIcs  les  siciics,  gniiidcs  cl  cxccssiiics,  cl  tic  celles  encore  qu'il 
csloil  Cl!  Irciii  d'accumuler  tous  les  iours  par  la  libéralité  de  Cynis  sou  hou 
iiiaisire,  cl  par  la  i;;uerrc  :  inoicitaul  qu'il  priai  la  charge  de  l'enireteiiir 
et  nourrir  hoiiestemant  corne  son  boste  et  son  ami.  Ils  uescnrent  einsi  despuis 
5  Ireshureusemauî,  et  esgalemant  conians  du  changemant  de  leur  condition. 
Voila  un  tour  que  i'iiiiiterois  de  grand  corage. 

Et  loue  grandement  la  fortune  d'un  iiicil  prélat  que  ie  uois  s'estre  si 
puremant  desniis  de  sa  bourse,  de  sa  recette  \&  de  sa  mise,  tantost  a  un 
seruiteur  choisi,  tantost  a\  un  autre,  qu'il  a  coule  un  long  espace  d'années, 

lo  aulât  ignorant  celte  sorte  [d'affaires  de  son  mesnage  corn  un  estrangier. 
hi  fiance  de  la  bonté  d'autruy  est  un  non  léger  tesmouignage]  de  la  bonté 
[propre  :  partant  la  fauorise  Dieu  uoloniiers.  Et  pour  son  regart,  ie  ne 
uoy  point  d'ordre  de  maison,  ny  plus  dignement,  ny  plus]  constamment 
conduit  que  le  sien.  Hureus  qui  aye  règle  a  si  iuste  mesure  son  besouin  que 

1 5  ses  richesses  y  puissent  suffire  sans  son  soin  et  empeschemàt,  et  sans  que  leur 
dispensalion  ou  assamblage  interrompe  d'autres  occupations  qu'il  suiL  plus 
sortables,  tranquilles,  et  selon  son  ceur. 

L'ailancc  donc  &  l'indigence  delpendent  de  l'opinion  d'vn  chacun; 
&  non  plus  la  richefle,  que  la  gloire,  que  la  lanté,  n'ont  qu'autant 

20     de  beauté  &  de  plailir,  que  leur  en  prerte  celuy  qui  les  poflede.  Chacun 

est  bien  ou  mal  selon  qu'il  s'en  treuue.  Non  de  qui  on  i  le]  croit,  mais  qui  le 

croit  de  soi,  [est]  contant.  Et  en  cela  sul  la  créance  se  donc  essance  et  uerilé. 

La  fortune  ne  nous  faict  nv  bien  inv\  mal  :  elle  nous  en  offre  suie  mât 

la  matière  [et]  la  semàce,  la  quelle  nostre  a  me  plus  puissâte  [qu]  'elle,  tourne 

2)  et  applique  coin' il  luv  plaît,  suie  cause  cl  inaislresse  de  sii  côdilioii  biirciise 
ou  maihureusc. 

\'ar.  ms.  - —  i)  cxccssiues  presanks  cl  de  —  3)  priiil  le  soiiin  de  —  5)  conians  de  la 
iHH  —  7)  d'un  prêtai  —  9)  qu'il  a  lantost  passe  lui  long  espace  d'annccs  quasi  aussi 
ignoranl  de  cette  sorte  de  ses  'affaires]  —  13)  constant  ment  conduite  que  la  sicnc.  Et  si  le 
treuue  bien  plus  riche  de  s'estre  deschargé  du  soin  d'accumuler  &  dispanser  ses  richesses  et  de 
n'y  chercher  autre  dmse  fin  que  le  sul  usage presaid.  L'aifancc  —  16)  plus  douces  tranquilles 
—  20)  pofTede.  Chacun  est  hureus  &  malhureus  selon  qu'il  se  treuue.  Les  acccfTions  — 
22)  la  pirniicre  tieance  —  25)  en  doue  suleniàt  —  24    qu  'elle  app 


82  KSSAIS      D1-;      MOXTAIGNH. 

Les  iiccdrions  externes  prennent  saiiciir  &  couleur  de  l'interne 
conrtitution,  comme  les  accouûremens  nous  elchauffent,  non  de 
leur  chaleur,  mais  de  la  nortre,  laquelle  ils  font  propres  à  couuer 
&  nourrir;  qui  en  abrieroit  vn  corps  t'roit,  il  en  tireroit  melme 
feruice  pour  la  froideur  :  ainli  fe  conferue  la  neige  &  la  glace.  5 

Certes  tout  en  ht  manière  qu'à  vn  fainéant  l'eftude  fert  de  tourment, 
à  vn  vurongne  l'ahftinence  du  vin;  la  frugalité  eft  fupplice  au  luxu- 
rieux, &  l'exercice  geine  à  vn  homme  délicat  &  oifif  :  ainfin  eil-il 
du  relie.  Les  chofes  ne  font  pas  fi  douloreufes,  ny  difficiles  d'elles 
mefmes  :  mais  noftre  foiblefle  &  lafcheté  les  fait  telles.  Pour  iuger  10 
des  choies  grandes  &  haultes,  il  faut  vn'  ame  de  melme,  autrement 
nous  leur  attribuons  le  vice,  qui  eft  le  noftre.  Xn  auiron  droit  femble 
courbe  en  l'eau.  Il  n'importe  pas  feulement  qu'on  voye  la  chofe, 
mais  comment  on  la  voye. 

Or  fus,  pourquoy  de  tant  de  difcours,  qui  perluadent  dincnciuatit  1 5 
■  les  hontes  de  mefprifer  la  mort,  ^:  de  porter  la  douleur,  n'en  Iroiitioits 
nous  quelcun  qtii  faee  pour  nous?  Et  de  tant  d'efpeces  d'imaginations, 
qui  l'ont  perfuadé  à  autruy,  que  chacun  n'en  applique  il  a  soi  utie  le  plus 
félon  fon  humeur?  S'//  ne  peut  digérer  la  drogue  forte  &  abfterfiue, 
pour  defraciner  le  mal,  au  moins  qu'il  la  preigne  lenitiue,  pour  le  20 
foulager.  «Opiiiio  est  qninlani  elf'iviniitata  ae  leiiis,  née  in  dolore  inagis, 
quant  eadeni  in  iioliiptate  :  qita,  eiiiit  liqneseititiis  jUiiimisqne  iiiollitia, 
apis  aetileuiit  siite  elantore  ferre  itoit  possniitns.  Totnnt  in  eo  est,  ni  tiln 
iinperes.  »  Au  demeurant,  on  n'efchappe  pas  à  la  philolophie,  pour  taire 
valoir  outre  mefure  l'afpreté  des  douleurs  et  rimnieiite  Joiblessc.  Car     25 


Texte  88.  —  i)  prennent  gouft  &  —  6)  toui  de  niefmc  qu'i  —  12)  fcnible 
toutes-fois  courbé  dans  l'eau  —  15)  difcours,  qui  nous  perluadent  de  mefpriler  la 
mort,  &  de  ne  nous  tourmenter  point  de  la  douleur,  n'en  empoingnons  nous  quelcun 
pour  nous?  —  18)  que  chacun  n'en  prend  il  celle  qui  eft  le  plus  —  19)  humeur? 
Si  ce  n'eft  vne  drogue 

Var.  .\is. —  .})  mefme  «></  —  18)  n'en  (4^^  —  21)  foulager.  Ohuascutur  spccks 
hoiiesLr  itiiiiiw  Xu  demeurant  —  22)  iiiollitia,  npim  —  25)  et  n<>div 


L1VK1-:      I,      CHAIMTKH      XIV.  <S  ^ 

on  la  contraint  de  .sr  reicttcr  ii  ces  iiiuincihlcs  répliques.  S'il  ci\  mauuais 
de  \-iure  en  neceflité,  au  moins  de  viure  en  neceflîté,  il  n'eft  aucune 
neceflité. 

Nul  n'est  mal  longtemps  qu'a  sa  faute. 

Oui  n'a  le  ceur  de  souffrir  iiv  la  mort  )iv  la  nie,  qui  hu'\  ueut  nv  résister 
ny  fuir,  que  luv  fairoit  on  ? 


Texte  88.  — •   i)  contraint  de  iKuis  donner  en  pavement  cecv.  S'il 

V.\R.  MS. —  i)  a  cette  illuilicil'lc  réplique.  —  3)  neccfCai:.  Xeiiio  iiisi  siui  ciilpa  diii 
dolet.  remplacé  p.ir  sa  traduction.  —  4)  W  ftW^  Nul...  a  .W  Couîpf.  —  5)  i"  :  Qui  n'a  le 
corage  de  morir  qu'il  u  aye  le  corage  de  uiure.  2°  :  Oui  n'a  le  conige  de  iouffrir...  uie 
a  quoi  eut  il  houi  qui  'iie^  ueut...  fuir  a  quoi  est  il  hou  ? 


Chapitre    XV. 


ON    EST    PVKY    POVR    S  OPINIASTRI-R    A    VXl:    PLACE    SAXS    RAISON'. 


La  vaillance  a  fes  limites,  comme  les  autres  vertus  :  lefquels 
franchis  on  le  trouuc  dans  le  train  du  vice;  en  manière  que 
par  chez  elle  on  le  peut  rendre  à  la  témérité,  obftination  &  tolie, 
qui  n'en  Içait  bien  les  bornes  ;  malaileez  en  vérité  à  choifir  sur 
leurs  confins.  De  cette  confideration  eft  née  la  couftumc,  que  nous  5 
auons  aux  guerres,  de  punir,  voire  de  mort,  ceux  qui  s'opinial- 
trent  à  défendre  vue  place,  qui  par  les  reigles  militaires  ne  peut 
cftre  fouftenuë.  Autrement,  Ibubs  Telperance  de  l'impunité  il  n'y 
auroit  pouillier,  qui  n  arreftaft  vn'  armée.  Monfieur  le  Conneftablc 
de  Mommorencv  au  fiege  de  Pauie,  ayant  erté  commis  pour  pafler  10 
le  Tefin,  &  le  loger  aux  fauxbourgs  S.  Antoine,  eftant  empelché 
d'vne  tour  au  bout  du  pont,  qui  s'opiniaftra  iniques  à  le  taire  battre, 
feift  pendre  tout  ce  qui  eftoit  dedans.  Et  encore  depuis  accompai- 
gnant  Monfieur  le  Dauphin  au  voyage  delà  les  monts,  ayant  pris 
par  force  le  chafteau  de  \"illane,  &  tout  ce  qui  c\\o'n  dedans  ayant  15 
efté  mis  en  pièces  par  la  furie  des  Ibldats,  hormis  le  Capitaine 
&  l'enfeigne,  il  les  fit  pendre  6c  eftrangler,  pour  cette  mefme  railbn  : 
comme  fit  auffi  le  Capitaine  Martin  du  Bellay  lors  gouuerneur  de 


Texte  88.  —  2)  franchis  &  outrcpafTcz,  on   —    1)   malaifcz  à  la  vérité  a  clioifir 
en  l'endroit  lic  leurs 


i.ivKr.    I,    (.iiAi'irin:    xv.  83 

Turin  en  cette  nicfme  contrée,  le  capitaine  de  S.  Bonv,  le  reûe  de 
l'os  gens  ayant  erté  malTacré  à  la  prinl'e  de  la  place.  Mais  d'autant 
que  le  iugement  de  la  valeur  &  foiblefle  du  lieu  fe  prend  par  l'efti- 
niation  &  contrepois  des  forces  qui  l'afliiillent,  car  tel  s'opiniatreroit 

5  iuftement  contre  deux  couleuurines,  qui  feroit  l'enragé  d'attendre 
trente  canons;  ou  i'e  met  encore  en  conte  la  grandeur  du  prince 
conquérant,  fa  réputation,  le  refpect  qu'on  luy  doit,  il  y  a  danger 
qu'on  preffe  vn  peu  la  balance  de  ce  collé  là.  Et  en  adulent  par  ces 
mefmes  termes,  que  tels  ont  fi  grande  opinion  d'eux  6c  de  leurs 

10  moiens,  que  ne  leur  femblant  point  raifonnable  qu'il  v  ait  rien  digne 
de  leur  faire  tefte,  paflent  le  coufteau  par  tout,  où  ils  trouuent  refif- 
tance,  autant  que  fortune  leur  dure  :  comnV  il  fe  voit  par  les  formes 
de  fommation  &  deffi,  que  les  princes  d'Orient,  (S:  leurs  fuccefleurs, 
qui  font  encores,  ont  en  vfage,  fiere,  hautaine  &  pleine  d'vn  com- 

15     mandement  barbarefque. 

Et  au  quartier  par  [0// 1  les  Portugalois  cscornereut  les  Indes,  ils  trouua- 
rent  des  etasis  aueq  cette  loy  iiiiiiierselle  &  inuiolahk,  que  tout  eiieiui  ueiiicu 
du  Roy  en  presance,  [ou]  de  son  lieutenant,  est  hors  de  composition  de 
rançon  [et]  de  merci. 

20  Ainfi  fur  tout  il  fe  faut  garder,  qui  peut,  de  tomber  entre  les 
mains  d'vn  luge  ennemy,  victorieux  &  armé. 

.    Tentr  88.  —  13)  d'Orient,  les  T.imburlans,  Mahumets,  &  leurs 
\'.\n.  Ms.  —  17)  eiiciiii  qui 


Chapitre    XVl 


DE     LA     PVXITIOX     DE     LA     COVARDISE. 


l'ouv  autrefois  tenir  à  vn  Prince  .S;  trefgrand  Capitaine,  que  pour 
lafcheté  de  cœur  vn  foldat  ne  pouuoit  eftre  condamné  à  mort  :  luy 
eftant,  à  table,  tait  récit  du  procez  du  Seigneur  de  W'ruins,  qui  fut 
condamné  à  mort  pour  auoir  rendu  Boulogne. 

A  la  vérité  c'eft  raifon  qu'on  face  grande  différence  entre  les  fautes     5 
qui  viennent  de  noftre  foihleflc,  &  celles  qui  viennent  de  noflre 
malice.  Car  en  celles  icv  nous  nous  fommes  bandez  à  noftre  elcient 
contre  les  rcigles  de  la  raifon,  que  nature  a  empreintes  en  nous; 
&  en  celles  là,  il  femble  que  nous  puiflîons  appeller  à  garant  cette 
mefme  nature,  pour  nous  auoir  laiffé  en  telle  imperfection  &  defîail-     10 
lance  :  de  manière  que  prou  de  gens  ont  penfé  qu'on  ne  le  pouuoit 
prendre  à  nous,  que  de  ce  que  nous  faifons  contre  noftre  confciencc; 
(S:  fur  cette  régie  eft  en  partie  fondée  l'opinion  de  ceux  qui  condam- 
nent les  punitions  capitales  aux  hérétiques  &  melcreans,  &  celle  qui 
eftablit  qu'vn  aduocat  &  vn  iuge  ne  puiffent  eftre  tenuz  de  ce  que     15 
par  ignorance  ils  ont  faillv  en  leur  charge. 

Mais  quant  à  la  coùardife,  il  eft  certain,  que  la  plus  commune 
façon  eft  de  la  chaftier  par  honte  &  ignominie.  Et  tient  on  que  cette 
règle  a  efté  premièrement  mife  en  vi'age  par  le  legillateur  Charondas; 
&  qu'auant  luv  les  loix  de  (irece  puniffovent  de  mort  ceux  qui  s'en     20 

Tknte  88.  —   II)   que  peu  de  fjens 


LIVRL      1,      CHAl'lTRii      XVI.  87 

cftoyent  fuis  d'vnc  bataille,  là  où  il  ordonna  feulement  qu'ils  fuffent 
par  trois  iours  aflis  emmy  la  place  publique,  vêtus  de  robe  de  femme, 
efperant  encores  s'en  pouuoir  feruir,  leur  ayant  fait  reuenir  le  courage 
par  cette  honte.  «  Siijfiindere  iiuilis  boiiii)tis  saiigiiiiiein  qiiani  effiindcrc.» 
5  II  femble  auflî  que  les  loix  Romaines  condamnoient  anciennement 
à  mort,  ceux  qui  auoient  fuy.  Car  Ammianus  Marcellinus  raconte, 
que  l'Empereur  lulien  condamna  dix  de  les  foldats,  qui  auoyeni 
tourné  le  dos  en  vne  charge  contre  les  Parthes,  à  eftrc  dégradez, 
&  après  à  fouffrir  mort,  luyuant,  dict-il,  les  loix  anciennes.  Toutes-fois 

10  ailleurs  pour  vne  pareille  faute  il  en  condemne  d'autres,  feulement 
à  fe  tenir  parmy  les  prifonniers  fous  l'enfeigne  du  bagage.  L'aspic 
côdànatioii  du  peuple  Romeiii  contre  les  soldats  eschapc::;^  de  Cannes  et  è  cetc 
mesme  guerre  contre  cens  qui  acconipaignarcnt  Cn.  Fiilnins  en  sa  desfaicte, 
ne  uint  pas  a  la  mort. 

13  5/  est  [//]  a  creindre  que  la  boule  les  désespère  et  les  raude  non  Jroits 
sulemàt  mais  ciwniis. 

Du  temps  de  nos  Pères  le  Seigneur  de  Franget  iadis  Lieutenant 
de  la  compagnie  de  Monfieur  le  Marefchal  de  Chartillon,  ayant  efté 
mis  par  Monfieur  le  Marefchal  de  Chabanes  Gouuerneur  de  Fontar- 

20  rabie  au  lieu  de  Monfieur  du  Lude,  &  l'ayant  rendue  aux  Efpagnols, 
fut  condamné  à  eftre  dégradé  de  noblefle,  &  tant  luy  que  l;i  pofterité 
déclaré  roturier,  taillable,  &  incapable  de  porter  armes  :  &  fut  cette 
rude  fentence  exécutée  à  Lyon.  Dépuis  Ibufîrirent  pareille  punition 
tous  les  gentils-hommes  qui  le  trouuerent  dans  Guyfe,  lors  que 

25     le  Comte  de  Nanfau  y  entra  :  &  autres  encore  depuis. 

Toutes-fois  quand  il  y  auroit  vne  li  groffiere  &  apparente  ou 
ignorance  ou  coûardife,  quelle  furpafliit  toutes  les  ordinaires,  ce 
feroit  railbn  de  la  prendre  pour  fuffilante  preuue  de  melchancctc 
&  de  malice,  &  de  la  chaisier  pour  telle. 

Texte  88.  —  8)   dos  à  vue  —    20)    .Monlkur  Je  LuJc 

V.\R.  MS. —   i.()  ne  uimtrèl  pas  —   15)  non  iiiiililfi  nili'iiu'il  iiiuis  Joiiuignihlis. 


CHAPITRE     XVII. 


VX    TKAICT    DE    Q.VHLaVHS    AMBASSADH\RS. 


l'oblcruc  en  mes  voyages  cette  practique,  pour  apprendre  toufiours 
quelque  choie,  par  la  communication  d'autruy  (qui  ert  vne  des  plus 
belles  efcholes  qui  puilTe  eftre),  de  ramener  touliours  ceux  auec  qui 
ie  confère,  aux  propos  des  choies  qu'ils  Içauent  le  mieux. 

Balti  al  nocchiero  ragionar  de'  venti,  5 

Al  bitbko  dei  toii,  &  le  lue  piaghe 
Conti'l  i^uerrier,  conti'l  paftor  gli  arnieiui. 

Car  il  adulent  le  plus  Ibuuent  au  rebours,  que  chacun  choifit  pluf- 
toft  à  difcourir  du  meftier  d'////  autre  que  du  lien,  ertimant  que 
c'eft  autant  de  nouuelle  réputation  acquile  :  tefmoing  le  reproche     lo 
qu'Archidamus   feit  à  Poriander,   qu'il   quittoit  la  gloire   de   bon 
médecin,  pour  acquérir  celle  de  mauuais  poète. 

J'oii's  iviiibii'ii  (A'Siir  se  ilcsplolc  htroriiiciil  a  nous  Jitlir  ciildinlrc  ses 
iiiiiàtioiis  II  bcistir  pans  et  engins;  et  combien  ait  pris  il  iia  se  serrant,  ou 
il  parle  des  offices  de  sa  profession,  de  sa  uaillàce  et  eoudiiite  de  sa  iiiilice.     15 

Ses  exploits  le  iieri fient  asses  capitciiie  excellant  :  il  se  iieiit  faire  coiiestre 

Tkxth  88.  —  9)  iiK'fticr  d'aiuruy  que  —  12)  poctc,  &  p.ir  ce  train,  vous  ne 
faictcs  iamais  rien  qui  vaille.  Optav  ephippia 

\'.\R.  Ms.  —  13)  (Icsptoie  plus  Inrgi'iiiciil  —  14)  nigiiis  de  bntU-rif  Ht  conil'icii  — 
16)   iissi'S,  iMelhml  capitaine  il  cxicltaiit 


LIVRli      I,      CHAl'lTKl-      XVII.  89 

i'.wrihiiit  ciigilliciir,  qualité  iiiiciiiiciiiêt  esIniHf^icre.  Vu  home  de  iioaitiun 
iur'uUque,  mené  ces  ioiirs  passes  tioir  tiii'  estiuie  journie  de  toute  sorte  de 
Hures  de  sou  uiestier  et  de  tout  autre  sorte,  u'v  trouua  ludle  oeeasioii  de 
s'entretenir.  Mais  H  s'arrête  a  gloser  rudement  &  luagistralenient  une 
5  barrieade  logée  sur  la  uis  de  Vestude,  que  cent  capitenes  &  soldats  reneontrct 
tous  les  iours,  sans  remarque  &  sans  offauee. 

Le  uieil  Diouisius  estoit  tresgrand  ehej  de  guerre,  corne  il  eonuenoit  a  sa 
fortune;  >nais  il  se  trauailloit  a  douer  principale  recomandaiion  de  soi  par 
la  poésie,  et  si  n'y  sçauoit  rien.' 

10  Optât  ephippia  bos  piger,  optât  arare  caballus. 

Par  ce  train  nous  ne  faictes  jamais  rien  qui  uaille. 

x\infin,  il  faut  reietter  touliours  l'architecte,  le  peintre,  le  cor- 
donnier, &  ainli  du  refte,  chacun  à  l'on  gibier.  Et  à  ce  propos,  à  la 
lecture  des  hirtoires,  qui  eft  le  fubiet  de  toutes  gens,  i'ay  accoutumé 

1)  de  conliderer  qui  en  font  les  efcriuains  :  fi  ce  font  perfonnes  qui 
ne  lacent  autre  profefîion  que  de  lettres,  l'en  apren  principalement 
le  ilile  &  le  langage;  fi  ce  font  médecins,  ie  les  croy  plus  volontiers 
en  ce  qu'ils  nous  dilent  de  la  température  de  l'air,  de  la  lanté 
&  complexion  des  Princes,  des  blelTures  &  maladies;  û  lurilconlultes, 

20  il  en  faut  prendre  les  controuerfes  des  droicts,  les  loix,  l'eftabliflement 
des  polices  6c  chofes  pareilles;  fi  Théologiens,  les  aflliires  de  l'Eglile, 
cenfures  Ecclefialliques,  difpenfes  &  mariages;  li  courtilans,  les 
meurs  &  les  cérémonies;  fi  gens  de  guerre,  ce  qui  eft  de  leur 
charge,  (bv  principalement  les  déductions  des  exploits,  où  ils  le  font 

2)  trouuez  en  perfonne;  Il  Ambafllideurs,  les  menées,  intelligences 
(i^  practiques,  6c  manière  de  les  conduire. 

Texte  88.  —  lo)  cab.illus.  Par  ainiî,  il  faut  trauaillcr  de  reietter 
Var.  ms. —  i)  excellant  in   —    3)   (iiilfc  meider  —   5)   Jn  uis ^ai^m  il  aUnl  moiUc 
—  6)  offance.  Diouisius 

'    Les  deux  aliiiOas  Voies  combien...  ei  Le  uieil  Diouisius...  somJu  mcme  tcmpsci  se  suiv.iiciit. 

L'alinéa  Ses  CXploilS...  a  été  introduit  ultérieurement. 


90  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

A  cette  caufe,  ce  que  ieufle  paiïe  à  vn  autre,  lans  m'y  arrefter, 
ie  l'ay  poilé  &  remarqué  en  Fhiftoire  du  Seigneur  de  Langey,  tres- 
entendu  en  telles  choies.  C'ell:  qu'après  auoir  conté  ces  belles 
remonftrances  de  l'Empereur  Charles  cinquiefme,  faictes  au  confif- 
toire  à  Rome,  prelent  l'Euefque  de  Mafcon  et  le  Seigneur  du  Velly  s 
nos  Ambaflcideurs,  où  il  auoit  meilé  plulleurs  parolles  outrageules 
contre  nous,  &  entre  autres  que,  Il  les  Capitaines,  Ibldats  &  fubiects 
n'eftoient  d'autre  tidelité  &  luffiûince  en  l'art  militaire,  que  ceux  du 
Roy,  tout  fur  l'heure  il  s'attacheroit  la  corde  au  col,  pour  luy  aller 
demander  mifericorde  (&  de  a^cy  il  lemble  qu'il  en  creut  quelque  lo 
choie,  car  deux  ou  trois  fois  en  fa  vie  depuis  il  luv  aduint  de  redire 
ces  melmes  mots)  ;  auffi  qu'il  défia  le  Rov  de  le  combatre  en  chemile 
auec  l'efpée  &  le  poignard,  dans  vn  bateau,  ledit  feigneur  de  Langey, 
fuiuant  fon  hirtoire,  adioufte  que  lefdicts  Ambafliideurs,  f;\ilans  vne 
defpefche  au  Rov  de  ces  chofes,  luv  en  diffimulerent  la  plus  grande  15 
partie,  mefmes  luv  celèrent  les  deux  articles  precedcns.  Or  i'av  trouué 
bien  eftrange  qu'il  fut  en  la  puilTiince  d'vn  Ambaffadcur  de  dilpenfer 
lur  les  aduertiffemens  qu'il  doit  faire  à  ion  maillrc,  melmc  de  telle 
confequence,  venant  de  telle  perfonne,  iSc  dites  en  il  grand'  alTemblée. 
Et  m'eut  femblé  l'otîice  du  feruiteur  eftre  de  fidèlement  reprefenter  20 
les  choies  en  leur  entier,  comme  elles  font  aduenûes  :  affin  que  la 
liberté  d'ordonner,  iuger  &  choifir  demeurait  au  maiftre.  Car  de  luy 
altérer  ou  cacher  la  vérité,  de  peur  qu'il  ne  la  preigne  autrement 
qu'il  ne  doit,  &  que  cela  ne  le  pouffe  à  quelque  mauuais  partv, 
i\;  ce  pendant  le  laiffer  ignorant  de  les  affaires  :  cela  m'eut  femblé  25 
appartenir  à  celuv  qui  donne  la  loy,  non  à  celuv  qui  la  reçoit,  au 
curateur  .S:  maiftre  delchollc,  non  à  celuv  qui  fe  doit  penfer  inférieur, 
non  en  authorité  ieulement,  mais  auffi  en  prudence  0^  bon  confeil. 
Qliov  qu'il  en  foit,  ie  ne  voudrov  pas  eltre  ieruv  de  cette  façon,  en 
mon  petit  taict.  30 

Nous   )ioiis  soiist niions  \si]   iioliuilicrs  il  11  coiiukicniciit  sous  quelque 
pra'texte,  cl  usurpons  sur  'la\  nuiistrisc;  ilkuun  aspire  si  naturcUenuiit 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XVII.  9I 

[a]  la  Jibcrfc  et  aiithoritc,  qu'au  supérieur  nulle  utilité  ne  doit  estre  si  ehere, 
iiemnt  de  eeus  qui  Je  serueut,  corne  luy  doit  estre  chère  leur  naïfue  et  simple 
obéissance. 

On  corrôpl  [l'o]  fficc  du  comander,  quand  [o//]  y  obéit  par  discrétion,  non 
5  par  subiection.  Et  P.  Crassus,  celuy  que  les  Roineins  estiinarent  cinq  Jois 
hurcus,  lors  qu'il  csloit  en  Asie  consul,  àiài  mande  a  vu  enginieur  grec  de 
luy  faire  mener  [le]  plus  grand  des  deus  mas  de  nauire  qu'il  auoit  ueu 
a  Athènes,  pour  quelqu  engin  de  batterie  qu'il  [en~]  uouloit  faire,  cetuicy,  sous 
litre  de  sa  sciance,  se  dona  loi  de  choisir  autremant,  [et~\  mena  le  plus  petit, 

10  &,  selon  la  raison  de  son  art,  le  plus  côniode.  Crassus  aiant  patiamnmnt 
oui  ses  raisons,  luy  fit  tresbien  douer  lefoit  :  estimant  J'interest  de  la  discipline 
plus  que  l'interest  de  l'ouurage. 

D'autre  part,  pourtant,  on  pour  roi  t  aussi  considérer  que  cet'  obeissàce  si 
contreinte  n  'apartienf  qu'ans  comandcmans  précis  et  prefix.  Les  ambassadurs 

15  ont  une  charge  plus  libre,  qui  en  plusieurs  parties  despant  sonuereineiiuinl 
de  leur  disposition  :  ils  n'execntèt  pas  siinplemâf,  mais  forment  aussi  et 
dressent  par  leur  conseil  la  nolanté  du  maistre.  l'ai  ueu  en  mon  temps  des 
persoms  de  comandemant  repris  d'auoir  plus  tost  obéi  ans  parolles  des 
lettres  du  Roy  qu'a  l'occasion  des  affaires  qui  estai  ni  près  d'eus. 

20         Les  homes  d'entandemât  accusent  encores  l'usage  des  Roys  de  Perse  de  tailler 

les  mourceaus  si  cou\rts'\  a  leurs  agens  et  lientenans,  qu'ans  nmi mires  choses 

ils  eussent  a  recourir  a  leur  ordonance  :  ce  délai  en  une  si  longue  estendue 

de  domination  aiant  sonnant  aporte  des  [notables]  domages  a  leurs  affaires.' 

Et  Crassus,  escriuani  a  un  home  du  niestier  et  luy  douant  aduis  de 

25  l'usage  auquel  il  destinoit  ce  nuis,  sambloil  il  pas  entrer  en  conféra nce  de 
sa  délibération  &  le  conuicr  a  interposer  son  décret  ? 

Var.  ms.  —  6)  iugrniciir  —  8)  ImUcric  a  quoi  il  (•)l^  aiicit  affaire  :  cetuicy  — 
12)  de  son  oimr âge.  —  13)  pari  ou  pounvil  considérer  —  14)  comandenmui  iinauUerJi 
exprei  cl  —  17)  l'en  ai  —  22)  délai  aiant  aporte  sonnant  nolalde  doinagc  a  leurs  affaires 
ueu  la  grande  estendue  de  leur  domination.  —  24)  niestier  sambloit  le  conuicr  a  interposer 
son  décret  luy  —   25)   mas  et  entrer  en  côferance  de  sa  délibération.  —   26)  a  y  interposer 

'     Alinia  :ijoutc  ultérieurement  et  insère  par  un  renvoi  d.ins  le  cours  du  Jéveloppement. 


Chapitre    XVIII, 


DE    LA    PEVR. 


Obftupui,  fteten'intque  comx,  &  vox  faucibus  hxfn. 

le  ne  fuis  pas  bon  naturalifte  (qu'ils  difent)  &  ne  fçay  guiere  par 
quels  reffors  la  peur  agit  en  nous;  mais  tant  y  a  que  c'eft  vne  eftrange 
paflîon  :  &  difent  les  médecins  qu'il  n'en  eft  aucune  qui  emporte 
■pluftofl  noflre  iugement  hors  de  (a  deuë  afliette.  De  vray,  i'ay  vcu  5 
beaucoup  de  gens  deuenus  infenfez  de  peur;  &  ans  plus  raflîs,  il  eft 
certain,  pendant  que  fon  accès  dure,  qu'elle  engendre  de  terribles 
elblouiflemcns.  le  laifle  à  part  le  \ulgaire,  à  qui  elle  reprefente  tantoft 
les  bilaveulx  fortis  du  tombeau,  enueloppez  en  leur  fuaire,  tantoft 
des  Loups-garous,  des  Lutins,  &  des  chimères.  Mais  parmy  les  10 
soldats  mefme,  où  elle  deuroit  trouuer  moins  de  place,  combien  de 
fois  a  elle  changé  vn  troupeau  de  brebis  en  efquadron  de  corfelets  ? 
des  rofeaux  &  des  cannes  en  gens-d'armes  &  lanciers  ?  nos  amis  en 
nos  ennemis  ?  &  la  croix  blanche  à  la  rouge? 

Lorsque  Monficur  de  Bourbon  print  Rome,  vn  port' enfeignc,     15 
qui  eftoit  à  la  garde  du  bourg  fainct  Pierre,////  scsi  de  tel  cft^rov  à  la 
première  alarme,  que  par  le  trou  d'\ne  ruine  il  fe  ietta,  l'enfeigne  au 
poing,  liors  la  ville,  droit  aux  ennemis,  penlunt  tirer  vers  le  dedans  de 

Texte  88.  —  6)  &  .lu  plus  —  lo)   les  guerriers  niefme  —  i6)   Pierre,  print  tel 
Var.   ms. —  12)  fois  inclii  inlerpirh- a 


MVKI-:      !,      CHAPITKI:      XVII!  .  c;3 

l;i  ville,  &  à  peine  en  fin,  voyant  la  troupe  de  Monfieur  de  Bourbon 
le  renger  pour  le  Ibuftenir,  ertiniant  que  ce  fut  vne  Ibrtie  que  ceux 
de  la  ville  fident,  il  le  recogneurt,  &,  tournant  telle,  r'entra  par  ce 
mefnie  trou,  par  lequel  il  ertoit  forty  plus  de  trois  cens  pas  auant  en 
5  la  campaigne.  11  n'en  aduint  pas  du  tout  fi  heureufement  à  Tenfeigne 
du  Capitaine  luille,  lors  que  S.  Pol  fut  pris  fur  nous  par  le  Comte 
de  Bures  &  Monfieur  du  Reu  :  car  eftant  fi  fort  efperdu  de  la  frayeur 
que  de  fe  ietter  à  tout  l'on  enfeigne  hors  de  la  ville  par  vne  canon- 
nière, il  tut  mis  en  pièces  par  les  alTaillans.  Et  au  mefme  fiege  fut 

10  mémorable  la  peur  qui  ferra,  laifit  &  glaça  li  fort  le  cœur  d'vn 
gentil-homme,  qu'il  en  tomba  roide  mort  par  terre  à  la  brefche,  liins 
aucune  blelTure. 

Pareille  peur  laifit  par  toys  toute  une  multitude.  En  l'vne  des  ren- 
contres de  Germanicus  contre  les  Allcmans,  deux  groffes  trouppes 

i)  prindrent  d'efiroy  deux  routes  oppofites,  l'vne  fuvoit  d'oii  l'autre 
partoit. 

Tantoll:  elle  nous  donne  des  aifles  aux  talons,  comme  aux  deux 
premiers;  tantofi  elle  nous  cloue  les  pieds  &  les  entraue,  comme 
on  lit  de  l'Empereur  Théophile,  lequel,  en  vne  bataille  qu'il  perdit 

2o  contre  les  Agarenes,  deuint  fi  eftonné  &  fi  tranfi,  qu'il  ne  pouuoit 
prendre  party  de  s'cnfuvr  :  «adeo'  pauor  etiam  auxilia  tormidat», 
iufqucs  à  ce  que  Manuel,  l'vn  des  principaux  chefs  de  fon  armée, 
l'ayant  tiralTé  &  fecoûé,  comme  pour  l'elueiller  d'vn  profond  fomme, 
luy  dit  :  Si  vous  ne  me  fuiue/,  ie  vous  tueray;  car  il  vaut  mieux 

2)  que  vous  perdiez  la  vie,  que  fi,  eftant  prilbnnier,  vous  veniez  -à  perdre 
l'Empire. 

Lors  exprime  elle  sd  dernière  forée,  quaud  pour  son  seruiee  elle  nous 
reiette  a  la  uaillunee  qu'elle  a  soustrait  a  uostre  deuoir  et  it  nostre  honeur. 


Texte  88.  —  15)  Pareille  rage  faifit  par  foys  des  arniccs  entières  :  en  —  14)  Allc- 
mans, la  frayeur  s'eftant  mise  en  leur  armée,  deux  —  25)  à  ruyner  l'Empire. 

'    adeô...  formidat,  aJaitlon  de  15RS. 


94  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

Eli  la  prciiilcrc  iiistc  hataiUe  que  les  Roiiieiiis  perdirent  eoiilre  AiiiiibaJ  soits 
le  consul  Senipronius,  nue  irope  de  bien  dix  mille  homes  de  pied,  aicint  pris 
Vcspouuante,  ne  uoiant  ailleurs  par  ou  faire  passade  a  sa  lâcheté,  sala  ieter 
au  trauers  le  i^ros  des  enemis,  le  quel  elle  perça  d'un  incrneillus  ejjort  aueq 
o;raud  meurtre  de  Carthaginois,  achetant  une  honteuse  fuite  au  nusmc  pris  5 
quelle  eut  eu  d'une  glorieuse  uictoire.  C'est  ce  de  quoi  i'ay  le  plus  de  peur 
que  la  peur. 

Aussi  surmonte  elle  en  aigrur  tous  antres  accidans. 

[Quelle  affection^  peut  estre  plus  aspre  &  plus  iuste,  que  celle  des  amis 
de  Pompeius,  qui  estoient  en  son  naiiire,  spectateurs  de  cet  horrible  massacre?  10 
5/  est-ce  que  la  peur  des  voiles  Egyptiennes,  qui  coninwnçoicnt  à  les  approcher, 
l'estouffa,  de  manière  qu'on  a  rcmcrqué  qu'ils  ne  s'amusèrent  qu'à  haster 
les  mariniers  de  diligenter,  &  de  se  sauner  à  coups  d'auiron;  iusqucs  à  ce 
qu'arriue:^  à  Tyr,  libres  de  crainte,  ils  eurent  loy  de  tourner  leur  pensée  à  la 
perte  qu'ils  venoient  de  faire,  &  lascher  la  bride  aux  lamentations  &  aux  15 
■  larmes,  que  cette  autre  plus  forte  passion  auoit  suspendiies. 

Tmii  panor  sapienliam  oiuueni  iiiihi  fx  animo  expectorât.^ 

Cens  qui  aront  este  bien  frote:^  en  quelque  estour  [de]  guerre,  tous  blesse:^ 
mcorcs  [et]  ensanglante:^,  on  les  rameine  bien  landemein  a  [la]  charge  : 
mais  cens  qui  ont  coiiceu  quelque  hone  peur  des  enemis,  uôus  ne  les  leur  20 
fairies  pas  siilement  regarder  [en]  face.  Cens  qui  sont  en  pressante  creinte 
de  perdre  leur  bien,  d'cstre  exile::^,  d'estre  subiugue:^,  niucut  en  continuelle 
angoisse,  en  perdant  le  boire,  [le  |  manger  et  le  repos  :  la  ou  [les]  poures, 
les  hanis,  les  serfs  uiuent  sonnât  aussi  ioyeusement  que  les  autres.  Et  tant 

\'aR.    MS.  —    5)    n   teur  plïtc  s'ilta    —    4)      lequel...   effort   bilK-,  sans  doute  à  cause  d'un 

lapsus  :  le  qu'elle  perça,  puis  rétabli  —    4)    effort  et  grainl  Dieiirtre  achetn)il   —    6)    ce  qui 
—  21)  regarder  au  —  24)  qu'autres 

<  Le  passage  :  Quelle  nffectioil...  aililUO  expectorât,  n'existe  plus  dans  le  manuscrit;  mais  le 
point  où  doit  se  faire  l'intercalation  est  signalé  par  un  renvoi,  de  la  main  de  l'auteur.  En  outre,  au  bas 
de  la  marge  gauche  de  la  page  en  regard  (f°  27  r»),  on  remarque  un  fragment  de  pain  azyme  qui  a  servi 
à  fixer  une  feuille  ajoutée,  où  pouvait  se  trouver  le  passage  en  question.  Nous  le  rétablissons  d'après 
l'édition  de  159;. 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XVIII.  93 

de  gens  qui  de  [J'i]iiipati(iiice  des  peintures  de  ila]  peur  se  sont  pendus,  noye:^^ 
[et]  précipite::^,  nous  ont  bien  apris  qu'elle  est  encores  plus  importune  et 
insupportd'le  que  la  mort. 

Les  Grées  en  reeonessent  une  autre  espèce  qui  est  outre  [re]rrur  de  nostre 
discours,  uenant,  disent-ils,  sans  cause  apparante  et  d'une  impulsion  céleste. 
Des  peuples  entiers  s'en  uoicul  sonnant  sesis,  cl  des  arnwcs  entières.  Telle 
fut  celé  qui  apporta  a  Carthage  une  merueilleuse  désolation.  On  n'y  oioil 
que  cris  et  uoix  effraiees.  On  uoioit  [/«]  hahitans  sortir  de  leurs  maisons 
conte  a  [Tdjlarme,  et  se  charger,  blesser  et  entretuer  [les]  uns  les  autres, 
corne  \si^  ce  fussent  enemis  qui  ni  usent  a  occuper  leur  uille.  Tout  y  estoit 
en  desordre  et  en  tumulte  :  iusques  a  ce  que,  par  oraisons  et  sacrifices,  ils 
eussent  appaisé  l'ire  des  Dicus.  Ils  iwnièt  cela  terrurs  Paniques. 


Var.  ms.   —    3)    mort  et  que  bute  autre  exlreiiiilc.    —    5)    sans  raison  '' ny]  cause 
apparante  d'une  —  11)  en  continuel  desordre 


Chapitre    XIX. 


Q.V1L    XE   I-'AVT   IVGHR    DH   XOSTRH   HEVR,    aV  APRIiS   LA   MORT. 


Scilicet  vltima  feniper 
Expectanda  dies  hoinini  eft,  dicique  beatus 
Ante  obitum  nemo,  fupremdque  funera  débet. 

Les  cntans  Içauent  le  conte  du  Rov  Crœfus  à  ce  propos  :  lequel, 
ayant  efté  pris  par  Cvrus  &  condamné  à  la  mort,  lur  le  point  de     5 
l'exécution,  il  s'efcria  :  O  Solon,  Solon!   Cela  rapporté  à  Cyrus, 
&  s'eflant  enc]uis  que  c'cftoit  à  dire,  il  luy  fift  entendre  qu'il  verifioit 
lors  à  les  defpens  l'aduertiflement  qu'autrefois  luy  auoit  donné  Solon, 
que  les  hommes,  quelque  beau  viliige  que  fortune  leur  foce,  ne  le 
peuuent  appeller  heureux,  iufques  à  ce  qu'on  leur  ave  veu  paffer  le     10 
dernier  iour  de  leur  vie,  pour  l'incertitude  &  variété  des  choies 
humaines,  qui  d'vn  bien  léger  mouuement  le  changent  d'vn  eftat  en 
autre,  tout   diuers.   Et  pourtant  Agelilaus,  à   quelqu'vn  qui  difoit 
heureux  le  Roy  de  Perfe,  de  ce  qu'il  elloit  venu  fort  icune  à  vn  11 
puilTant  eftat.  Guy  mais,  dit-il,  Priam  en  tel  aage  ne  fut  pas  mal-     15 
heureux,  l'antoft,  des  Rovs  de  Macédoine,  fuccelîeurs  de  ce  grand 
Alexandre,   il   s'en   faict  des   menuiliers  &  greffiers  à   Rome;   des 
tvrans  de  Sicile,  des  pédantes  à  Corinthe.   \y\n  conquérant  de  la 

Texti;  88.  —  9)    face,  quelques  ricliefles,  Royaulez  &  Empires  qu'ils  le  \oyenl 
entre  mains,  ne  fe  —   15)    eftal,  voire  mais 


LIVRE      I,      CHAPITRi;      XIX.  97 

moitié  du  monde,  &  Empereur  de  tant  d'armées,  il  s'en  taict  vn 
miierable  fuppliant  des  belitres  officiers  d'vn  Rov  d'Egypte  :  tant 
courta  à  ce  grand  Pompeius  ht  prolongation  de  cinq  ou  lix  mois  de 
vie.  Et  du  temps  de  nos  pères,  ce  Ludouic  Storce,  dixiel'me  Duc  de 
5  Milan,  loubs  qui  auoit  li  long  temps  branllé  toute  l'Italie,  on  l'a  veu 
mourir  prifonnier  à  Loches;  mais  après  y  auoir  vel'cu  dix  ans,  qui 
eft  le  pis  de  l'on  marché.  La  plus  belle  roine,  ueufue  du  plus  grand 
Roy  de  la  Cbrestiente,  nient  elle  pas  de  mourir  par  main  de  bourreau  ? 
Et  mille  tels  exemples.  Car  il  femble  que,  comme  les  orages  &  tem- 
10  pertes  le  piquent  contre  l'orgueil  &  hautaineté  de  nos  baftimens,  il 
y  ait  auffi  la  haut  des  elprits  enuieux  des  grandeurs  de  ça  bas, 

Vfque  adeo  res  humanas  vis  abdita  qucedam 
Obterit,  &  pulchros  fafces  Ixuàfque  lecures 
Procukare,  ac  ludibrio  fibi  habere  videtur. 

15  Et  femble  que  la  fortune  quelquefois  guette  à  point  nommé  le  der- 
nier iour  de  noftre  vie,  pour  montrer  fa  puiflimce  de  renuerfer  en 
vn  moment,  ce  qu'elle  auoit  bafty  en  longues  années;  &  nous  tait 
crier  après  Laberius  :  «Nimirum  hac  die  vna  plus  vixi,  mihi  quam 
viuendum  fuit.  » 

20  Ainfi  fe  peut  prendre  auec  raifon  ce  bon  aduis  de  Solon.  Mais 
d'autant  que  c'eft  vn  philofophe,  à  l'endroit  defqucls  les  faneurs 
&  difgraces  de  la  fortune  ne  tiennent  rang  ny  d'heur,  ny  de  mal'heur; 
«is:  lont  les  grandeurs,  (Inc  puilTances,  accidens  de  qualité  à  peu  près 
indifférente  :  ie  trouue  vrav-femblable  qu'il  aye  regardé  plus  auant, 

25  &  voulu  dire  que  ce  mefme  bon-heur  de  noftre  vie,  qui  dépend  de 
la  tranquillité  &  contentement  d'vn  efprit  bien  né,  &  de  la  relolution 
&  afleurance  d'vn'  ame  réglée,  ne  fe  doiue  iamais  attribuer  à  l'homme, 

Texte    88.    —    3)    Pompeius   ralongcmcnt   de    —    ^5)    grandeurs,    richelles, 
&  puiflances, 

Var.    ms.  —   7)    marché.  /;/  lu 


■98  ESSAIS      DE      MON'TAIGXE. 

qu'on  ne  luv  ave  veu  ioûer  le  dernier  acte  de  ûi  comédie,  îs;  lans 
doute  le  plus  difficile.  En  tout  le  relie  il  v  peut  auoir  du  mafque  : 
ou  ces  beaux  difcours  de  la  Philofophie  ne  font  en  nous  que  par 
contenance;  ou  les  accidens,  ne  nous  efîiivant  pas  iufques  au  vif, 
nous  donnent  loyfir  de  maintenir  touliours  noftre  vifage  raffis.  Mais  5 
à  ce  dernier  rolle  de  la  mort  &  de  nous,  il  n'y  a  plus  que  taindre, 
il  faut  parler  François,  il  taut  montrer  ce  qu'il  y  a  de  bon  &  de  net 
dans  le  fond  du  pot, 

Xani  vers  voces  tum  demum  pectore  ab  imo 

Eiiciuntur,  &  eripitur  perfona,  manet  res.  10 

\'oyla  pourquoy  fe  doiuent  à  ce  dernier  traict  toucher  &  efprouuer 
toutes  les  autres  actions  de  noftre  vie.  C'eft  le  maiftre  iour,  c'eft  le 
iour  iuge  de  tous  les  autres  :  c'eft  le  iour,  dict  vn  ancien,  qui  doit 
iuger  de  toutes  mes  années  pafl'ées.  le  remets  à  la  mort  Yciïay  du 
fruict  tle  mes  eftudes.  Nous  verrons  là  11  mes  difcours  me  partent  15 
de  la  bouche,  ou  du  cœur. 

l'av  veu  plufieurs  donner  par  leur  mort  réputation  en  bien  ou  en 
mal  à  toute  leur  vie.  Scipion,  beau  père  de  Pompeius,  rabilla  en  bien 
mourant  la  mauuaife  opinion  qu'on  auoit  eu  de  luy  iufques  lors. 
Epaminondas,  interrogé  lequel  des  trois  il  eftimoit  le  plus,  ou  20 
Chabrias,  ou  Iphicrates,  ou  fov-mefme  :  11  nous  faut  voir  mourir, 
fit-il,  auant  que  d'en  pouuoir  refoudre.  De  vray,  on  defroberoit 
beaucoup  à  celuy  là,  qui  le  poiferoit  ûins  l'honneur  &  grandeur  de 
fa  fin.  Dieu  l'a  voulu  comme  il  luy  a  pieu  :  mais  en  mon  temps 
trois  les  plus  exécrables  perfonnes  que  ie  cogneufle  en  toute  abomi-  25 
nation  de  vie,  &  les  plus  intames,  ont  eu  des  mors  réglées  vs:  en 
toute  circonftance  compofées  iufques  à  la  perfection. 

//  est  ih's  mors  hnuics  [ci]  jortmiccs.  le  luy  ai  ueii  trancher  le  Jil  d'un 

\'ar.  ms.  —  22)  refoudre.  Jamais  home  ne  le  dict  mieus  a  propos  :  cl  c'est  vu  merueilleus 
eueiicmaiit.  De  vray  —  28)  wors  glorieuses  et^  forliiiiccs.  Elle  i-vw/'rt  a  Iraucha  un  de  tes 
iours  despuis,  le  fil 


LIVRK      I,      CHAPITRK      XIX.  99 

progrès  de  merucillciis  auancemant,  \ct  \  cJaiis  Ja  flair  de  son  croit,  a  quckiiu, 
d'une  fin  si  pompeuse,  qu'a  mon  auis  ses  amhiiicus  &  corageus  desseins 
[n'](iuoinf  rien  de  si  haut  que  fut  leur  interruption.  Il  arriiia  sans  v  aller 
ou  il  pretandoit  :  plus  grandement  &  glorieusement  que  ne  portoit  son  désir 
S  et  espérance.  Et  deuança  par  sa  chute  le  pouuoir  et  le  nom  ou  il  aspirait 
par  sa  course. 

Au  lugemcnt  de  la  vie  d'autruy,  ie  regarde  toufiours  comment 
s'en  eft  porté  le  bout;  &  des  principaux  eliudes  de  la  mienne,  c'eft 
qu'il  le  porte  bien,  c'efl:  à  dire  quietement  &  sourdenwnt. 

Texte  88.  ^  9)    quietement  &  feurement. 

Var.  ms.  —  t)  fleur  de  sa  anirsf  a  qiielctiii  :  flu  poiiU  —  2)  pompeuse  'eC\  ricl'e 
qu'a  —  3)  allermieui  qu'4l  lùipeivit  au  nom  el  a  la  gloire  qu'il  pretivuloit  :  pins  grauile- 
menl  &  r'ictiemeut  qu'Ai  u'-esper^il  que  ne  —  5)  pouuoir  et  la  gloire  ou  il  aspirait  par  son 
effaiet  ses  ejfaicls.  Au 


Chapitre    XX. 


QVE    PHILOSOPHER    C  EST   APPRENDRE   A    MOVRIR. 


Cicero  dit  que  Philofophcr  ce  n'ell  autre  chofc  que  s'aprcfter  à  la 
mort.  Ceft  d'autant  que  Fertude  &  la  contemplation  retirent  aucune- 
ment noftre  ame  hors  de  nous,  &  l'embefongnent  à  part  du  corps, 
qui  eft  quelque  aprentilTage  &  reflfemhlance  de  la  mort;  ou  bien, 
c'eft  que  toute  la  lagelTe  &  difcours  du  monde  fe  reloult  en  fin  à  ce  5 
point,  de  nous  apprendre  à  ne  craindre  poiiil  à  mourir.  De  vray,  ou 
la  raifon  fe  mocque,  ou  elle  ne  doit  viier  qu'à  noftre  contentement, 
&  tout  Ion  trauail  tendre  en  fomme  à  nous  taire  bien  viure,  &  à  noftre 
aile,  comme  dict  la  Saincte  cscritiirc.  Toutes  les  opinions  du  monde 
en  font  là,  que  le  plaisir  est  iiostre  hti,  quov  qu'elles  en  prennent  diuers  10 
moyens;  autrement  on  les  chafleroit  d'arriuée  :  car  qui  elcouteroit 
celuv  qui  pour  fa  fin  eftabliroit  noftre  peine  et  niesciise? 

Les  dissa  lit  ions  [iles  seetes  philosophiques,  en  ee  eas,  sont  uerhales?\  «  Trans- 
(urramus  solertissiinas  niigas.  »  Il  y  a  plus  d'opiniâtreté  et  de  picoterie 


Texte  88. —  9)  Saincte  parollc.  Toutes  —  12)  eftabliroit  noftre  tourment?  Or  il 
eft  hors  de  moyen  d'arriuer  à  ce  point,  de  nous  former  vn  Iblide  contentement,  qui  ne 
franchira  la  crainte  de  la  mort.  \'ovla  (première  corr.  ms.  celte  crainte.  \'o_vla)  p.  102,  1.  6. 

Var.  ms.  —  12)  celuv  qui  piMUtli-iinl  pour  —  15)  unhides  plus  tosi  ijiie  trt'les. 
Tramcurramu!. 


LIVRIZ      1,      CHAPITRE      XX.  lOI 

qti  il  ii'itpdrlii'iil  a  une  si  sciiicte  projcssioii.  Mdis  quelque  pcrso)ui^c  que 
l'Ijowe  entrepraigne,  il  iouc  toiisioiirs  le  sien  panny.  Quoi  qu'ils  client,  eu 
la  ueriu  meswe  le  dernier  but  de  nostre  uisee  c'est  la  uohiptc.  Il  nie  plait 
de  battre  leurs  oreilles  de  ce  mot  qui  leur  est  si  fort  a  contreceur.  Et  s'il 
S  signifie  quelque  suprenw  plaisir  et  excessif  contentemant,  il  est  niieus  deu 
a  l'assistance  de  la  nertu  qu'a  nulV  antre  assistance.  Cette  uolupte,  pour 
estre  plus  gaillarde,  nerueuse,  robuste,  uirile,  n'en  est  que  plus  serieusenu'ut 
uoluptuense.  Et  luy  dénions  douer  le  nom  du  plaisir,  plus  fauorable, 
plus  dons  et  naturel  :  non  ecluy  de  la  uigur,  duquel  nous  l'auons  denomee. 

lo  Cctt'autre  uolupté  plus  basse,  si  elle  meritoit  ce  beau  nom,  ce  deuoit  esire 
eu  coucurraucc,  non  par  priuilege.  le  la  treuue  inoins  pure  d'incommodité:^ 
&  de  trauerses  que  n'est  la  uertu.  Outre  que  son  goust  est  plus  nunnentanee, 
fluide  &  caduque,  ell'a  ses  ueillees,  ses  iunes,  &  ses  tranaus,  &  la  sueur,  et 
le  sang;  &  en  outre  particulierenuiit  ses  passions  tranchantes  de  tant  de 

I)  sortes,  &  a  son  coste  nue  satiété  si  lourde  qu'elle  equipoUc  a  pcvnitâee.  Nous 
auons  grand  tort  d'estinwr  que  ces  incommodité:^  luy  seruent  d'eguillon  et 
de  coudinuint  a  sa  douceur,  come  en  nature  le  coutrere  se  uiui^c  par 
sou  contrcre,  et  de  dire,  quand  nous  uenons  a  la  nertu,  que  pareilles  suites 
&  difficulté:;^  V accablent,  la  rendèt  austère  &  inaccessible,  la  ou,  beaucoup 

20  plus propremant  qu'a  la  uolupte,  elles  annoblissent,  esguisent,  et  rehaussent  le 
plaisir  diuin  et  parfaict  qu'elle  nous  moienc.  Celuy  la  est  certes  bien  iiuligue 
de  son  acointance,  qui  contrepoise  son  coust  a  son  fruit,  et  n'en  conoit  ny  les 
grâces  n\  l'usage.  Cens  qui  nous  uont  instruisant  que  sa  queste  est  scabreuse 
et  laborieuse,  sa  iouissance  agréable,  que  nous  disent  ils  par  la,  si  non  qu'elle 

25  est  tousiours  désagréable.  Car  quel  moien  humain  arriua  iamais  a  sa  iouis- 
sance? Les  plus  parfaicts  se  sont  bien  contante:;  d'\  aspirer  et  de  l'aprocher 
sans  la  posséder.  Mais  ils  se  trompent  :  neu  que  de  tous  les  plaisirs  que  nous 
conessons,  la  poursuite  mesme  en  est  plaisante.  L'entreprinse  se  seul  de  la 
qualité  de  la  cime  qu'elle  regarde,  car  c'est  une  bone  portion  de  l'cffaict 

Var.  .ms.  —  i)  projesiion.  Quelque —  7)  que  plus  uotitptueuse —  8)  plaisir  plus  tosi, 
plus  —  9)  naturel  :  que  celuy  —  15)  equipolle  a  repeiiUiee.  Xous  —  23)  nous  ueuUi 
—  28)  L'entreprinse  et  le  dessein  se  sentent  de  —  29)  qu'elUs  ils  regardent.  L'heur 


102  ESSAIS      DH      MONTAIGNE. 

et  consuhstauticUc.  L'bciir  et  la  hcatUiidc  qui  reluit  eu  la  iiertii,  raniplit 
toutes  ses  apartemnces  &  aueuues  iusques  a  la  preuiiere  entrée  et  extrême 
barrière.  Or  des  principaus  bieufaiets  de  la  uertu  est  le  nuspris  de  la  mort, 
Dioieii  qui  fournit  nostre  nie  d'une  molle  tranquillité,  nous  en  done  le  goust 
pur  et  amiable,  sans  qui  tout'  autre  uolupté  est  esteinte.  5 

\'ovla  pourquov  toutes  les  règles  fe  rencontrent  &  conuiennent 
à  cet  article.  Et  bien  qu'elles  nous  conduilent  aufli  toutes  d'vn 
commun  accord  à  mefprifer  la  douleur,  la  pauureté,  &  autres 
accidens  à  quoy  la  vie  humaine  eft  fubiecte,  ce  n'eft  pas  d'vn  pareil 
foing,  tant  par  ce  que  ces  accidens  ne  font  pas  de  telle  neceffité  (la  lo 
piufpart  des  hommes  paflent  leur  vie  liins  goufter  de  la  pauureté, 
&  tels  encore  lans  fentiment  de  douleur  &  de  maladie,  comme 
Xenophilus  le  Mulîcien,  qui  vefcut  cent  &  fix  ans  d'vne  entière  fanté) 
qu'aufli  d'autant  qu'au  pis  aller  la  mort  peut  mettre  fin,  quand 
il  nous  plaira,  &  coupper  broche  à  tous  autres  inconuenients.  Mais  15 
quant  à  la  mort,  elle  eft  ineuitable, 

Omnes  eodem  cogimur,  omnium 
\'erfatur  vrna,  ferius  ocius 

Sors  exitura  &  nos  in  œter- 

Num  exitium  impofitura  cymbs.  20 

Et  par  confequent,  fi  elle  nous  faict  peur,  c'eft  vn  fiibiect  continuel 
de  tourment,  &  qui  ne  fe  peut  aucunement  foulager.  //  n'est  lieu  d'où 
elle  ne  nous  uieigne;  nous  pointons  tourner  sans  cesse  la  teste  ça  &  la 
covie  en  pais  suspect  :  «  qua'  quasi  saxum  Tantalo  seniper  impendet  ».  Nos 
parlemens  renuovent  fouuent  exécuter  les  criminels  au  lieu  où  le     25 


Texte  88.  —  6)  toutes  les  fectes  des  Philofophes  fe  rencontrent  &  conuiennent 
à  c'eft  article  de  nous  inftruire  à  la  mefprifer.  Et  bien 

\'ar.  ms.  —  2)  premicrc  et  —  3)  mort  savs  lequel  tout'  autre  uolupté  est  esteinte. 
El  qui  —  4)  tranquillité  et  sul  nous  —  23)  tourner  ça  H  la  lu  Udc  sans  cesse,  tome  e» 
f>iiïs  iuspet  la  teste  —  24)  suspect.  Nos 


LIVRE      I,      CIIAPITRH      XX.  IO5 

crime  crt  commis  :  durant  le  chemin,  promenez  les  par  des  belles 
maifons,  faictes  leur  tant  de  bonne  chère  qu'il  vous  plaira, 

non  SiculiC  dapes 
Dulcem  elaborabunt  faporem, 
5  Non  auium  cytharaeque  cantus 

Somnum  reducent, 

penfez  vous  qu'ils  s'en  puiflent  refiouir,  &  que  la  finale  intention  de 
leur  \oyage,  leur  eftant  ordinairement  deuant  les  yeux,  ne  leur  ait 
altéré  &  affadi  le  goufl  à  toutes  ces  commoditez? 

10  Audit  iter,  numeràtque  dies,  Ipaciôque  viarum 

Metitur  vitam,  torquetur  perte  futura. 

Le  but  de  noflre  carrière  c'ell:  la  mort,  c'eft  l'obiect  nece(latire  de 

noilre  vifée  :  fi  elle  nous  effraye,  comme  eft  il  poffible  d'aller  vn 

pas  auant,  lans  fiebure  ?  Le  remède  du  vulgaire  c'eft  de  n'y  penler 

15     pas.  Mais  de  quelle  brutale  fiupidité  luy  peut  venir  vn  fi  groffier 

aueuglement  ?  Il  luy  faut  faire  brider  l'afne  par  la  queue, 

Qui  capite  ipfe  fuo  inftituit  veftigia  rétro. 

Ce  n'efl:  pas  de  merueille  s'il  eft  fi  fouuent  pris  au  piège.  On  laict 
peur  à  nos  gens,  feulement  de  nommer  la  mort,  &  la  plulpart  s'en 

20     feignent,  comme  du  nom  du  diable.  Et  par-ce  qu'il  s'en  taict  mention 

aux  teflamens,  ne  vous  attendez  pas  qu'ils  y  mettent  la  main,  que  le 

médecin  ne  leur  ait  donné  l'extrême  fentence;  &  Dieu  fçait  lors,  entre 

la  douleur  &  la  frayeur,  de  quel  bon  iugement  ils  vous  le  patiffent. 

Parce  que  cette  fyllabe  frappoit  trop  rudement  leurs  oreilles,  &  que 

25  cette  voix  leur  fembloit  malencontreufe,  les  Romains  auoyent  apris 
de  ramollir  ou  de  l'eftendre  en  perifrazes.  Au  lieu  de  dire  :  il  eft 
mort;  il  a  ceffé  de  viure,  difent-ils,  il  a  vefcu.  Pourueu  que  ce  foit 

Texte  88.  —  i)   p.ir  toutes  les  belles  niailbiis  de  France,  faictes  —   27)    vel'cu, 
vixerunt.  Pourueu 


104  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

vie,  l'oit  elle  paflee,  ils  se  consolent.  Nous  en  auons  emprunté  nortre 
feu  Maiftrc-Iehan. 

A  Faduenture  eft-ce  que,  comme  on  dict,  le  terme  vaut  l'argent, 
le  nafquis  entre'  vnze  heures  &  midi,  le  dernier  iour  de  Feburier 
mil  cinq  cens  trente  trois,  comme  nous  contons  à  cette  heure,  com-  5 
mençant  l'an  en  lanuier.  Il  n'y  a  iullement  que  quinze  iours  que  i'ay 
franchi  3  9  ans,  il  m'en  faut  pour  le  moins  encore  autant  :  cependant 
s'empefcher  du  penfement  de  chofe  fi  efloignée,  ce  feroit  folie.  Mais 
quoy,  les  ieunes  &  les  vieux  laissent  la  nie  de  mcsme  condition.  Nul 
n'en  sort  autreniant  que  corne  si  tout  presantemant  il  y  entroit.  loint  qu'il  10 
neft  homme  fi  décrépite,  tant  qu'il  voit  Mathulalem  deuant,  qui  ne 
penfe  auoir  encore  ///'/;/  ans  dans  le  corps.  D'auantage,  pauure  loi 
que  tu  es,  qui  t'a  eftably  les  termes  de  ta  vie  ?  Tu  te  fondes  fur 
les  contes  des  Médecins.  Regarde  pluftoft  l'effect  &  l'expérience.  Par 
le  commun  train  des  chofes,  tu  vis  pieça  par  faueur  extraordinaire.  15 
Tu  as  pafle  les  termes  accouflumez  de  viure.  Et  qu'il  foit  ainfi,  conte 
de  tes  cognoifïiuis  combien  il  en  eft  mort  auant  ton  aage,  plus 
qu'il  n'en  y  a  qui  l'ayent  atteint;  &  de  ceux  mefme  qui  ont  annobli 
leur  vie  par  renommée,  fais  en  regiftre,  &  i'entreray  en  gageure  d'en 
trouuer  plus,  qui  font  morts  auant,  qu'après  trente  cinq  ans.  11  eft  20 
plein  de  raifon  &  de  pieté  de  prendre  exemple  de  l'humanité  mefme 
de  lefus-Chrift  :  or  il  finit  lii  vie  à  trente  &  trois  ans.  Le  plus  grand 
homme,  Amplement  homme,  Alexandre,  mourut  aufli  à  ce  terme. 

Combien  a  la  mort  de  fiiçons  de  furprise  ? 

Quid  quifque  vitet,  nunquam  homini  l'atis  25 

Cautum  eft  in  horas. 


Texte  88.  —  i)   ils  font  contents.  Nous  —  9)   les  vieux,  y  penfent  auffi  peu  les 
vns  quclcs  autres.  Et  n'eft  homme  —   12)  encore  vn  an  dans  —  15)   tu  vis  defia  pieça 

\'ar.  ms.  —  9)  les  vieux  sorleni  de  la  nie  en  mesme  coiniilwii  :  miuo  non  ila  exil  c  iiilu 
iaihfuam  modo  iiilraiierit.  El  n'eft  —  10)  eiitroil.  Et  n'eft 

'    entre...  midi  et  comme...  lanuier  .idditions  de  ij8«. 


LIVRE      I,      CHAPlTRi;      XX.  lO) 

le  lailTc  à  part  les  fîcburcs  &  les  pleureiies.  Qui  eut  iamais  pcnlc 
qifvn  Duc  de  Bretaignc  dcut  eftre  cftouffé  de  la  prefle,  comme  fut 
celuy  là  à  l'entrée  du  Pape  Clément  mon  voilîn,  à  Lyon  ?  N'as  tu 
pas  veu  tuer  vn  de  nos  rovs  en  le  louant?  Et  vn  de  fes  anceftres 
5  mourut  il  pas  choqué  par  vn  pourceau?  .Eichilus,  menafle  de  la 
cheute  d'vne  maifon,  a  beau  le  tenir  à  WiirU',  le  voyla  affommé  d'vn 
toict  de  tortue,  qui  elchappa  des  pâtes  d'vn' Aigle  en  l'air.  L'autre 
mourut  d'vn  grcin  de  railin;  vn  Empereur,  de  l'elgratigneure  d'vn 
peigne,  en  le  tellonnant;  .Emilius  Lepidus,  pour  auoir  hurté  du  pied 

10  contre  le  l'euil  de  l'on  huis;  &  Aufidius,  pour  auoir  choqué  en 
entrant  contre  la  porte  de  la  chambre  du  confeil;  &  entre  les  cuifles 
des  femmes,  Cornélius  Gallus  prêteur,  Tigillinus  Capitaine  du  guet 
à  Rome,  Ludouic  fils  de  Guy  de  Gonlague,  Marquis  de  Mantoûe, 
&,  d'vn  encore  pire  exemple,  Speulippus  Philofophe  Platonicien, 

i)  &  l'vn  de  nos  Papes.  Le  panure  Bebius,  iuge,  cependant  qu'il  donne 
delav  de  huictaine  à  vne  partie,  le  voyla  laifi,  le  lien  de  \iure  eftant 
expiré.  Et  Caius  Iulius,  médecin,  grefl^int  les  yeux  d'vn  patient, 
vovla  la  mort  qui  cloft  les  liens.  Et  s'il  m'y  taut  nieller  :  \n  mien 
frère,  le  Capitaine  S.  Martin,  aagé  de  vint  &  trois  ans,  qui  auoit 

20  défia  faict  aflez  bonne  preuue  de  fa  valeur,  louant  à  la  paume,  receut 
vn  coup  d'efteuf  qui  l'aflena  vn  peu  au  defilis  de  l'oreille  droite,  lans 
aucune  apparence  de  contufion,  ny  de  blelTure.  Il  ne  s'en  alfit,  ny 
repola,  mais  cinq  ou  fix  heures  après  il  mourut  d'vne  Apoplexie 
que  ce  coup  luy  caula.  Ces  exemples  fi  frequens  &  li  ordinaires  nous 

2)  pafîant  deuant  les  veux,  comme  eft-il  polîible  qu'on  le  puiiîe  deffaire 
du  pcnfement  de  la  mort,  &  qu'à  chaque  inftant  il  ne  nous  femble 
qu'elle  nous  tient  au  collet  ? 

QLi'import'il,  me  direz  vous,  comment  que  ce  loit,  pourueu  quon 
ne  s'en  donne  point  de  peine?  le  fuis  de  cet  aduis,  &  en  quelque 

30     manière  qu'on  fe  puilTe  mettre  à  l'abri  des  coups,  fut  ce  loubs  la  peau 

Texte  88.  —  6)    à  l'airre,  le 


I06  KSSAIS      DE      MONTAIGNE. 

d'vn  veau,  ie  ne  fuis  pas  home  qui  y  reculalTe.  Car  il  me  luffit  de 
pafler  à  mon  aile;  &  le  meilleur  ieu  que  ie  me  puifle  donner,  ie  le 
prcns,  li  peu  glorieux  au  reik'  î\:  exemplaire  que  vous  voudrez, 

prietulerim  deiirus  inérfque  videri, 
Dum  mea  délectent  mala  me,  vel  denique  fallant,  5 

Quam  fapere  &  ringi. 

Mais  c'eft  folie  d"v  penfer  arriuer  par  là.  Ils  vont,  ils  viennent,  ils 
trottent,  ils  danfent,  de  mort  nulles  nouuelles.  Tout  cela  eft  beau. 
Mais  auffi  quand  elle  arriue,  ou  à  eux,  ou  à  leurs  femmes,  enfans 
&  amis,  les  furprenant  cii  dessoude  &  à  decouuert,  quels  tourmens,  10 
quels  cris,  quelle  rage,  &  quel  defefpoir  les  accable?  Vites  vous  iamais 
rien  fi  rabaifle,  fi  changé,  fi  confus  ?  Il  v  faut  prouuoir  de  meilleur 
heure  :  &  cette  nonchalance  beftiale,  quand  elle  pourroit  loger  en 
la  telle  d'vn  homme  d'entendement,  ce  que  ie  trouue  entièrement 
impolîîble,  nous  vend  trop  cher  l'es  denrées.  Si  c'ertoit  ennemv  qui  15 
le  peut  euiter,  ie  confeillerois  d'emprunter  les  armes  de  la  coûardife. 
B  "Mais  puis  qu'il  ne  fe  peut,  'puis  qu'il  vous  attrape  tu  vaut  &  poltron 
aulfi  bien  qu'honefte  homme, 

A  Nempe  &  fugaceni  perfequitur  virum, 

Nec  parcit  imbellis  iuuentx  20 

Poplitibus,  timidôque  tergo, 

B         <S:  que  nulle  trampe  de  cuirafle  vous  couure, 

Ille  licet  ferro  cautus  ie  condat  ;tre, 

Mors  tamcn  indufuni  protraliet  inde  caput, 

A         aprenons  à  le  foutenir  de  pied  ferme,  &  à  le  combattre.  Et  pour     25 
commencer  à  luy  ofter  l'on  plus  grand  aduantage  contre  nous,  pre- 
nons voye  toute  contraire  à  la  commune.  Oftons  luy  l'ertrangeté, 

'lï;\iic  SS. —   10)    iurprcnam  à  riniproucu  &  .lu  decouuert, 


LIVR1-:    I,    cHAPiTRi-:    XX.  107 

pratiquons  le,  accoutumons  le,  n'avons  rien  il  ibuuent  en  la  telU' 
que  la  mort.  A  tous  inllans  reprelentons  la  à  noflre  imagination 
&  en  tous  vifages.  Au  broncher  d'vn  cheual,  à  la  cheute  d'vne  tuille, 
à  la  moindre  piqucure  d'elpleingue,  remâchons  Ibudain  :  Et  bien, 
5  quand  ce  feroit  la  mort  mefme?  &  là  deffus,  roidiiîons  nous,  &  eftbr- 
çons  nous.  Parmv  les  tell:es  &  la  ioye,  avons  toufiours  ce  retrein  de 
la  louuenance  de  noflre  condition,  &  ne  nous  laiflbns  pas  li  fort 
emporter  au  plaifir,  que  par  fois  il  ne  nous  repaffe  en  la  mémoire, 
en  combien  de  fortes  cette  noilre  allegrefTe  efi;  en  bute  à  la  mort, 
10  (ic  de  combien  de  prinfes  elle  la  menafle.  Ainfi  faifoyent  les  Egyp- 
tiens, qui  au  milieu  de  leurs  feftins  &  parmy  leur  meilleure  chère 
failoient  aporter  TAnatomie  feche  d'vn  corps  d'homme  mort,  pour 
ieruir  d'aduertifTement  aux  conuiez. 

Omnem  crede  diem  tibi  diluxilTe  iupremum. 
15  Grata  fuperueniet,  qu.-e  non  fperabitur  hora. 

Il  eft  incertain  où  la  mort  nous  attende,  attendons  la  par  tout.  La 
préméditation  de  la  mort  efi  préméditation  de  la  liberté.  Qui  a 
apris  à  mourir,  il  a  defapris  à  feruir.  Le  fçauoir  mourir  nous  afran- 
chit  de  toute  fubiection  &  contrainte.  //  /;'v  u  rien  de  mal  en  [lii\  nie 

20  pour  cehty  qui  a  bien  comprins  que  la  priuation  \  de]  la  uie  n'est  pas  mal. 
Paulus  ^î^milius  refpondit  à  celuy  que  ce  miferable  Roy  de  Macédoine, 
fon  prifonnier,  luv  enuovoit,  pour  le  prier  de  ne  le  mener  pas  en  ion 
triomphe  :  Qu'il  en  flice  la  requefte  à  foy  mefme. 

A  la  vérité,  en  toutes  chofes,  i\  nature  ne  prefte  vn  peu,  il  ert  mal- 

25  aifé  que  l'art  &  l'induftrie  aillent  guiere  auant.  le  fuis  de  moy-mcfme 
non  melancholique,  mais  fongecreux.  11  n'eft  rien  dequoy  ie  me  foye 
des  toufiours  plus  entretenu  que  des  imaginations  de  la  mort  :  voire 
en  la  faifon  la  plus  licentieufe  de  mon  aage, 

lucunduiii  cum  .-etas  florida  ver  ageret, 
30     parmy  les  dames  &  les  ieux,.tel  me  penfoit  empefché  à  digérer  à  par 


I08  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

mov  quelque  ialoulic,  ou  l'incertitude  de  quelque  elperance,  cepen- 
dant que  ie  m'entretenois  de  ie  ne  fçay  qui,  lurpris  les  iours  precedens 
d'vne  lieure  chaude  &  de  sa  fin,  au  partir  d'vne  fefle  pareille,  &  la 
telle  pleine  d'oiliueté,  d'amour  &  de  bon  temps,  comme  mo\-, 
&  qu'autant  m'en  pendoit  à  l'oreille  :  5 

lam  fuerit,  ncc  poft  vnquam  reuoc;ire  licehit. 

le  ne  ridois  non  plus  le  front  de  ce  penlement  là,  que  d'vn  autre. 
Il  ell:  impoffible  que  d'arriuée  nous  ne  l'entions  des  piqueures  de 
telles  imaginations.  iMais  en  les  maniant  &  irpassuiit,  au  long  aller, 
on  les  apriuoife  fiins  doubte.  Autrement  de  ma  part  ie  tuffe  en  lo 
continuelle  frayeur  &  frenefie  :  car  iamais  homme  ne  le  défia  tant 
de  ûi  vie,  iamais  homme  ne  feit  moins  d'eftat  de  fa  durée.  Ny  la 
ûtnté,  que  i'ay  iouy  iufques  à  prefent  trefuigoureufe  &  peu  fouuent 
interrompue,  ne  m'en  alonge  l'efperance,  nv  les  maladies  ne  me 
l'acourciflent.  A  chaque  minute  il  me  femble  que  ie  m'efchape.  Et  iiic  1 5 
rcchitnlc  sans  cesse  :  Tout  ce  qui  peut  estre  faict  une  autre  iour,  le  peut  estre 
aiiiounl'hui.  De  vrav  les  hazards  &  dangiers  nous  approchent  peu 
ou  rien  de  noftre  fin;  &  fi  nous  penfons  combien  il  eu  refle,  fans  cet 
accident  qui  femble  nous  mcnaffer  le  plus,  de  millions  d'autres  fur 
nos  tefles,  nous  trouuerons  que,  gaillars  &  fieureus,  en  la  mer  &  en  20 
nos  maifons,  en  la  battaille  &  en  repos,  elle  nous  efl  égallement 
près.  ((  Neiim  altéra  fraf^ilior  est  :  uciuo  iu  crastiuu})i  sui  certior.  »  Ce  que 
i'ay  aflfiiire  auant  mourir,  pour  Facheuer  tout  loifir  me  femble  court, 
fut  ce  d'vn'  heure.  Quelcun,  feuilletant  l'autre  iour  mes  tablettes, 
trouua  vn  mémoire  de  quelque  chofe,  que  ie  vouloy  eftre  faite  après  25 
ma  mort,  le  luy  dy,  comme  il  eftoit  vrav,  que  n'eftant  qu'à  vne 
lieue  de  ma  maifon,  &  fain  &  gaillard,  ie  m'efloy  hafté  de  l'efcrire  là, 
pour  ne  m'alTeurer  point  d'arriuer  iufques  chez  mov.  Couie  cclhiy 

Tf.xte  88.  —  3)  &  Je  1.1  mort,  au  —  9)  m.iniant  &  pr.itiquniit  au 
\'ar.  ms.  —  16)  rectiaiiie  tousiours  :  tout...  autre  fois  h 


r.iVRi-:    I,    cHAPiTRi-    XX.  109 

qui  cotitinuclhitiitiil  nie  couiic  tic  iiit's  pcii.ws,  cl  les  couche  eu  uiov,  ic  suis 
(i  tout'  heure  préparé  euuiron  ce  que  ie  le  puis  esire.  El  ne  uùuiuerliru  de 
rieu  de  uouueau  la  surueuaucc  de  la  luorl. 

Il  faut  cftrc  toufiours  hotc  &  prcll  à  partir,  en  tant  qu'en  nous 
5     eft,  &  lur  tout  le  garder  qu'on  n'ave  lors  affaire  qu'à  foy  : 

Quid  breui  fortes  iaculamiir  œuo 
Multa  ? 

Car  nous  y  aurons  aflez  de  befongne,  ûins  autre  furcroit.  L'vn  fe 
pleint  plus  que  de  la  mort,  dequov  elle  luv  rompt  le  train  d'vne 

10  belle  victoire;  l'autre,  qu'il  luv  faut  delloger  auant  qu'auoir  marié 
la  fille,  ou  contrerolé  l'inftitution  de  fes  entans;  l'vn  pleint  la  com- 
pagnie de  la  femme,  l'autre  de  fon  fils,  comme  commoditex  princi- 
pales de  Ion  ertre. 

/('  suis  pour  celle  heure  en  lel  eslat,  dieu  nwrcy,  que  ie  puis  deslos;er 

15  quand  il  luv  plairra,  sans  regrel  de  chose  quelconque,  si  ce  \nesl\  de  la 
nie,  si  sa  perle  uienl  a  me  poiser.  le  un-  desnoue  par  loul;  mes  adieus  sont 
a  demi  prias  de  chacun,  sauf  de  niov.  laniais  home  ne  se  prépara  1  (/ 1  quiller 
le  inonde  plus  puremenl  cl  pleinenwnl,  et  ne  s'en  dcsprint  plus  uniuersellement 
que  ie  m' a  tas  de  faire. ^ 

20  Mifer  ô  mifer,  aiunt,  omnia  ademit 

Vna  dics  infefta  mihi  tôt  pr;Emia  vita.\ 


Et  le  baftifffeur 


Manent  (dict-il)  opéra  interrupta,  minxque' 
Murorum  ingentes. 


\'ar.  ms.  —   i)  ie  m  —  14)    Ijeure  dieu  merci  cii  tel  esUa  que  ie  —    i6)   le  me  suis 
desuouè...  sout  prias  de  tout  le  monde  sauf  —   19)  que  i' espère  faire. 

'     Cette  addition  s'arrêtait  d'abord  il  prillS,   puis  i  uniuersellemeul.    L'édition  de  lîq;  la  complète 

parla  phrase  suivante  :  Les  plus  mortes  morts  font  les  plus  laines. 

-    A   droite  de  cette   fin   de   vers   Montaigne  écrit  :   plus  eu  ça,    pour  en   rectifier  la  disposition 
typographique. 


IIO  ESSAIS      DE      MOXTAIGNE. 

Il  ne  faut  rien  deflcigner  de  li  longue  haleine,  ou  au  moins  auec 
telle  intention  de  fe  paflîonner  pour  n'en  voir  la  fin.  Nous  fommes 
nés  pour  agir  : 

Cum  moriar,  médium  foluar  &  inter  opus. 

le  veux  qu'on  agifle,  et  qu'on  aloiige  les  offices  de  ht  nie  tant  qu'on  peut,  5 
ci  que  la  mort  me  treuue  plantant  mes  chous,  mais  nonchalant  d'elle, 
&  encore  plus  de  mon  iardin  imparfait.  l'en  vis  mourir  vn,  qui, 
eftant  à  l'extrémité,  fe  plaignoit  inceffamment,  de  quoy  fa  deftinée 
coupoit  le  fil  de  l'hiftoire  qu'il  auoit  en  main,  fur  le  quinziefiiie  ou 
feiziefme  de  nos  Roys.  10 

B  Illud  in  his  rébus  non  addunt,  nec  tibi  earum 

lam  deliderium  rerum  fuper  infidet  vna. 

A  II  faut  fe  defcharger  de  ces  humeurs  vulgaires  &  nuifibles.  Tout 

ainfi  qu'on  a  planté  nos  cimetières  ioignant  les  Eglifes,  &  aux  lieux  les 
plus  fréquentez  de  la  ville,  pour  accouilumer,  difoit  Lycurgus,  le  bas     1 5 
populaire,  les  femmes  &  les  enfans,  à  ne  s'effaroucher  point  de  voir 
vn  homme  mort,  &  affin  que  ce  continuel  fpectacle  d'offemens, 
de  tombeaus  &  de  conuois  nous  aduertiffe  de  noftre  condition  : 

B  Quin  etiam  exhilarare  viris  conuiuia  cxde 

Mos  olim,  &  mifcere  epulis  fpectacula  dira  20 

Certantum  ferro,  fa;pe  &  fuper  ipfa  cadentuni 
Pocula  refperfis  non  parco  fanguine  menfis; 

et  corne  les  yEgiptieiis,  après  leurs  festiits,  faisoiiit  presaiiter  aus  assisians 
une  grand  '  image  de  hi  mort  par   iin'  qui  leur  crioit  :  Boy  et  ^  t'es  j  iouy,  car, 
A         mort,  tu  seras  tel  :  auffi  ay-ie  pris  en  couftume,  d'auoir  non  feulement     25 
en  Timagination,  mais  continuellement  la  mort  en  la  bouche;  l\:  n'ell 


Texte  88.  —  5)  agir  :  &  ie  fuis  d'.iduis  que  non  feulement  vn  empereur,  comme 
difoit  \'efpafien,  mais  que  tout  gallant  homme  doit  mourir  debout.  C'.um  moriar,  — 
5)  agifle  fans  cefle,  que  la  mort 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XX.  III 

rien  dcquoy  ic  nVintorme  li  volontiers,  que  de  la  mort  des  hommes  : 

quelle  parole,  quel  viûige,  quelle  contenance  ils  y  ont  eu;  ny  endroit 

des  hiftoires,  que  ie  remarque  il  attantifuement.  //  _v  pani  a  la  farcis- 

siire  de  nws  cxciniplcs  :  et  que  i'ciy  en  particulière  afection  cette  rnattiere. 

5     Si  \i'es]toi  faisiir  de  Hures,  [îV]  fairoi  un  registre  connnaiilé  des  nuvs 

diuerses.  Oui  apranderoit  les  homes  [  a]  mourir,  leur  apraïuieroit  a  uiure. 

Dicivarchus  en  fit  un,  •  de  \  pareil  tiltre,  mais  d'autre  &  moins  utile  [fin]. 

On  me  dira  que  l'tffect  furmonte  de  Ci  loing  l'imagination,  qu'il 

n'y  a  li  belle  elcrime  qui  ne  se  perde,  quand  on  en  vient  là.  Laiflez 

lo  les  dire  :  le  préméditer  donne  fans  doubte  grand  auantage.  Et  puis 
n"eft-ce  rien,  d'aller  au  moins  iniques  là  fans  altération  6c  fans  fiéure? 
Il  y  a  plus  :  Nature  meime  nous  prefte  la  main,  &  nous  donne 
courage.  Si  c'eft  vne  mort  courte  &  violente,  nous  n'auons  pas  loilir 
de  la  craindre;  li  elle  eft  autre,  ie  m'apperçois  qu'à  mefure  que  ie 

15  m'engage  dans  la  maladie,  l'entre  naturellement  en  quelque  defdein 
de  la  vie.  le  trouue  que  i'av  bien  plus  affiiire  à  digérer  cette  refolution 
de  mourir,  quand  ie  fuis  en  lanté,  que  quand  ie  fuis  en  fieure.  D'autant 
que  ie  ne  tiens  plus  il  fort  aux  commoditez  de  la  vie,  à  raifon  que 
ie  commance  à  en  perdre  l'vfage  &  le  plaifir,  l'en  voy  la  mort  d'vne 

20  veuë  beaucoup  moins  effrayée.  Cela  me  fait  efperer  que,  plus  ie 
m'eflongneray  de  celle-là,  &  approcheray  de  cette-cv,  plus  aifément 
i'entreray  en  compofition  de  leur  efchange.  Tout  ainii  que  i'ay  effayé 
en  plulieurs  autres  occurrences  ce  que  dit  Celar,  que  les  choies  nous 
paroiffent  fouuent  plus  grandes  de  loing  que  de  près,  i'av  trouué  que 

25  fain  i'auois  eu  les  maladies  beaucoup  plus  en  horreur,  que  lors  que 
ie  les  ay  fenties  :  l'alegreffe  où  ie  fuis,  le  plailir  ii:  la  force  me  font 


Texte  88.  —  9)  qui  ne  s'y  perde  —  12)  plus.  le  reconnoy  par  expérience,  que 
nature  —  15)  m'engage  dans  fes  auenues,  &  dans  la...  naturellement  &  de  nioy 
mefme  en  quelque  —  17)  fuis  en  vigueur  &  en  pleine  fanté,  que  ie  n'ay  quand  ie 
fuis  malade  :  d'autant 

Var.  ms.  —  4)  cxiimpics,  que  i'ay...  matlierc.  Et  si  —  5)  des  belles  mors.  — 
7)  mais  de  différante  &  moins 


112  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

paroiftre  Tautrc  eftat  li  difproportionné  à  celuy-là,  que  par  imagi- 
nation ic  groflis  ces  incommoditez  de  moitié,  &  les  conçov  plus 
poifantes,  que  ie  ne  les  trouue,  quand  ie  les  av  fur  les  efpaules. 
l'eipere  qu'il  m'en  aduiendra  ainli  de  la  mort. 

Voyons  à   ces   mutations  ô^c   declinailons  ordinaires  que   nous     5 
Ibuffrons,  comme  nature  nous  delrobhe  le  goull;  de  noftre  perte 
&  empirement.  Qiie  refte-il  à   vn  vieillard  de  la   vigueur  de  la 
ieunelTe,  &  de  la  vie  palîée, 

Heu  ienibus  vit.t  portio  quanta  inanct. 

César  a  -vu  soldat  de  sa  i:;arde,  reereii  et  casse,  qui  iiiiil  en  la  rue  lux     10 
demander  congé  de  se  jaire  mourir,  regardant  son  maintien  décrépite, 
respondit  plesanimant  :   Tu  penses  donq  estre  en  aie.  Qiii  y  tomberoit 
tout  à  vn  coup,  ie  ne  crois  pas  que  nous  fulîîons  capables  de  porter 
vn  tel  changement.  Mais  conduicts  par  l'a  main,  d'vne  douce  pente 
îs;  comme  inlenlible,  peu  à  peu,  de  degré  en  degré,  elle  nous  roule     15 
dans  ce  miferable  eftat,  &  nous  v  appriuoile  :  11  que  nous  ne  fentons 
Uucune  fecoufle,  quand  la  ieunefle  meurt  en  nous,  qui  ell  en  eflence 
&  en  vérité  vne  mort  plus  dure  que  n'eft  la  mort  entière  d'vne  vie 
languilTante,  cs:  que  n'efl:  la  mort  de  la  vieillelïe.   D'autant  que  le 
fault  n'ell  pas  11  lourd  du  mal  eftre  au  non  eilre,  comme  il  ell  d"vn     20 
eftre  doux  &  fleurilîlmt  à  vn  eftre  pénible  ix  douloureux. 

Le  corps,  courbe  (i;c  plié,  a  moins  de  force  à  fouftenir  vn  fais; 
aulîl  a  noftre  ame  :  il  la  fout  drefler  &  efleuer  contre  l'effort  de  cet 
aduerliiire.  Car  comme  il  eft  impofllble  qu'elle  fe  mette  en  repos, 
pendant  qu'elle  le  craint  :   li  elle  s'en  affeure  aufli,   elle  fe  puit     25 
venter,  qui  eft  choie  comme  furpaffant  l'humaine  condition,  qu'il  ell 

Texte  88. —  2)  de  l;i  moitié  —  16)  fentons  on  nous  aucune  —  18)  plus  forte  : 
que  —  24)  repos  &  à  fon  aife  pendant 

\'ar.   ms. —  10)  soldiU  uiilesagardv  iiii'iis  et  anse...  nicdcniiuhiùl  iwigc  —  ii)  ifi;ai- 
(liiiit  [w;  dei-i^pik  iV  SOI  maititien  dccrepiicluy  respcndil  (Cc  passage  :  Ccsar...  nie,  ct.iii  insC-rc 

au   chapitre  XUI  Ju  livre  III,   f    190  r°,  où  il   a  été  bitVé   pour  être  transporté  ici.)   —    17)     fccOufle 

en  nous  :  quand  la  ieuneffe  meurt  qui 


LIVRE      I,      CHAPITRH      XX.  II3 

impolilhlc  que  l'inquictudc,  le  tourment,  la  peur,  non  le  moindre 
del'pliiiiir  loge  en  elle, 

Non  vultus  inftantis  tyranni 

Mente  quatit  folida,  neque  Aufter 
5  Dux  inquiet!  turbidus  Adriiv, 

Nec  fulminantis  magna  louis  manus. 

Elle  cfl  rendue  maiftrelTe  de  les  paflions  &  concupifcences,  maif- 
trefle  de  l'indigence,  de  la  honte,  de  la  pauureté,  &  de  toutes  autres 
iniures  de  fortune.  Gaignons  cet  aduantage  qui  pourra  :  c'efl  icy  la 
10  vrave  &  Ibuueraine  liberté,  qui  nous  donne  dequo}'  faire  la  figue 
à  la  force  &  à  Tinluilice,  ^  nous  moquer  des  priions  &  des  ters  : 

in  manicis,  & 
Compedibus,  l";tuo  te  lub  cuftode  tenebo. 
Ipfe  Deus  lîmul  atque  volani,  me  foluet  :  opinor, 
15  Hoc  fentit,  moriar.  Mors  vltima  linea  rerum  eft. 

Noftre  religion  n'a  point  eu  de  plus  alTeuré  fondement  humain, 
que  le  mefpris  de  la  vie.  Non  feulement  le  difcours  de  la  raifon 
nous  y  appelle,  car  pourquoy  craindrions  nous  de  perdre  vne  chofe, 
laquelle  perdue  ne  peut  eftre  regrettée  ;  &,  puis  que  nous  fommes 

20     menalTez  de  tant  de  façons  de  mort,  n'v  </  il  [^tts  plus  de  mal  à  les 
craindre  toutes,  qu'cà  en  fouftenir  vne? 

Que  chaut  il  quand  ce  soit,  [puis]  qu'elle  est  ineiiilahle.  A  celuy  qui 
disait  a  Socrates  :  Les  tranle  [tira\ns  i'onl  condamne  a  la  niorl. —  Lt 
nature  a  eus,  rcspondict  il. 

25         Quelle  sottise  de  nous  peiner  sur  le  point  du  passai^e  a  l'exani piton  de 
toute  peine! 

Texte  88.  —  i)  tourment,  &  la  —  2)  loge  chez  elle.  —  20)  mort,  ne  voyons 
nous  pas  qu'il  y  a  plus 

Var.  ms.  —  17)  de  la  wt);^ /(/V.  Xun  —  21)  vne?  Quelle  soUiu'  de  iwiis  peiner  sur 
le  point  de  l'exemptiou  de  tonte  peine  :  mais  nature  /p.  u  1,  I.  ix.)  —  22)  il  qnelle  elle  soU 
—  2})   mort  :  Luy  soitdein  :  cl 


114  ESSAIS      Dl-      MONTAIGNE. 

(a)iiic  iioslir  luiissancc  nous  aporla  Ici  luiissûiicc  de  ioiilcs  choses,  aussi 
fuira  la  )iiorl  ilc  loulcs  choses  iioslir  iiiorl.  Parquai  c'est  pareille  folie  cle 
pleurer  de  ce  que  d'iey  a  cent  ans  nous  [iw\  uiurons  pas,  que  de  pleurer  de 
ce  que  nous  ne  uiuioiis  pas,  il  y  a  eeiii  ans.  La  mort  est  origine  d'un  autre 
uie.  Einsi  plurames  nous  :  einsi  nous  coûta  il  d'entrer  en  cetecy  :  einsi  nous  5 
despouillames  nous  de  nostre  entien  uoile,  en  y  entrant. 

Rien  ne  peut  estre  grief,  qui  n'est  qu'une  fois.  Est  ce  raison  de  ereiiulre 
si  long  temps  chose  de  si  hrief  temps?  Le  long  temps  uiure  '[et\  le  peu  de 
temps  uiure  est  randu  tout  un  par  la  mort.  Car  le  long  et  le  court  n'est 
point  ans  choses  qui  ne  sont  plus.  Aristote  dicf  qu'il  y  a  des  petites  bestes  10 
sur  la  riuiere  de  Hypanis,  qui  ne  uiuent  qu'un  iour.  Celé  qui  nniut  a  huit 
heures  du  matin,  elle  meurt  en  iunesse;  celle  qui  meurt  a  cinq  heures  du 
soir,  meurt  en  sa  décrépitude.  Qui  de  nous  }ie  se  nmque  de  noir  mettre  en 
côsideration  d'heur  ou  de  nnil  heur  ce  moment  de  durée?  Le  plus  et  l/c]  moins 
en  la  nostre,  si  nous  la  comparons  a  V éternité,  ou  encores  a  la  durée  des  15 
mùtaignes,  des  riuieres,  des  esfoiles,  des  \ arbres,  &  nn'smes  d'iiucuns  ani- 
maux, n'est  pas  moins  ridicule. 

■    Mais  nature  nous  y  force.  Sortez,  dit-elle,  de  ce  monde,  comme 
vous  V  eftes  entrez.  Le  melmc  pafliige  que  vous  fîtes  de  la  mort 
à  la  \ie,  fans  paiîion  &  fans  frayeur,  refaites  le  de  la  vie  à  la  mort.     20 
Voftre  mort  eÛ  vne  des  pièces  de  l'ordre  de  l'vniuers;  c'ell  vne 
pièce  de  la  vie  du  monde, 

inter  le  niortales  nuitua  viuuiit 
Et  quafi  curfores  vitaï  lampada  tradunt. 

Var.  ms.  —  i)  Le  dclnit  de  ralinij.-i  ct.iit  :  fieui  <:(-'  t:div  imemmodik  que  la  mtiftj  puif 
iju'^Ue  ue  tcmlii'j  dm  qui  sfil.  One  peut  ojjnncer  la  iiwrt,  elle  ne  touche  rien,  qui  soit.  C'est 
toute  pareille  folie  —  4)  ans.  L'un  temps  \n'\esl  non  plus  nostre  que  l'autre.^  La  mort  est 
naissance  de  d'un  autre  —  5)  Einsi  pleurâmes  nous  conta...  cetecy  :  einsiu  y  despoui  — 
6)  nostre  uoile  —  8)  chose  de  hrief  kmps  —  9)  mort.  Le  mal  cl  le  bien  le  loni;  et  le  court 
n'aparlicnl  point  ans  —  10)  des  bestes  ■ —  12)  heures  elle  -  13)  décrépitude.  Nous 
twus  moquons  de  leur  uoir  mett  ■ —  14)  durée  :  la  uosire  —   16)  esloiks  et  des 

'  Au  dessus  de  cette  vari.nntc  bili'ée,  Montaigne  .1  écrit,  puis  effacé  La  cit.ition  suiv.inte  dont  Li 
traduction  lui   a  fourni   ensuite  le  conimeiiccnient  de  l'aliné.i   sous  sa  forme  définitive  :     Ul    lUlhum 

omnium  rerum  nohis  reruin  omnium  ortus  noster  ajjert  sic  exitum  mors. 


LIVRIZ      I,      CHAl'lTRl-:      XX.  II  j 

Changcrav-ic  pas  pour  vous  cette  belle  contexture  des  choies?  Ceft 
la  condition  de  voilre  création,  c'eft  vne  partie  de  vous  que  la  mort  : 
vous  vous  fuyez  vous  mefmes.  Cettuy  voftre  eftre,  que  vous  ioùyflez, 
eft  également  party  à  la  mort  &.à  la  vie.  Le  premier  iour  de  voftre 
5     naiiïinice  vous  achemine  à  mourir  comme  à  viure, 

Prima,  qus  vitam  dédit,  hoia,  carpfit. 
Nafcentes  morimur,  finifque  ab  origine  pendet. 

Toiif  ce  que  nous  iiiues,  vous  le  desrohes  a  la  nie;  c'est  a  ses  despans.  Le 

continuel  otinrage  de  uostre  [irie]  c'est  hastir  la  mort.  Vous  estes  en  la  mort 
lo    pendant  que  nous  estes  en  nie.  Car  nous  estes  après  la  mort  quand  nous 

n'estes  plus  en  nie. 

Ou  si  nous  aimes  miens  ainsi,  nous  estes  mort  après  la  aie;  mais  pandant 

la  nie  nous  estes  mourant,  et  la  mort  touche  bien  plus  rudcnu-nl  le  mourant 

que  le  mort,  [et"]  plus  uiucmcnt  et  essentiellement. 
i)         Si  vous  auez  faict  voftre  proufit  de  la  vie,  vous  en  eftes  repeu, 

allez  vous  en  fatisfaict, 

Cur  non  vt  plenus  vitx'  conuiua  recedis  ? 

Si  vous  n'en  auez  Içeu  vfer,  fi  elle  vous  eftoit  inutile,  que  vous 
chault-il  de  l'auoir  perdue,  à  quoy  fiiire  la  voulez  vous  encores? 

20  Cur  amplius  addere  qu;tris 

Rurfum  quod  pereat  maie,  &  ingratum  occidat  omne  ? 

La  nie  n'est  de  soi  ny  bien  uv  mal  :  c'est  la  place  du  bien  et  du  nnil  selon 
que  nous  [la  '  leur  faictes.' 

\'.\R.  MS.  —  8)  que  nous  uiuoits,  nous  le  clesro})oiis  a  la  uie.  Le  —  11)  nie.  Apres  lu 
uie  nous  estes  mort  mais  uous  estes  niottrniit  pendtml  durant  la  uie.  Si  vous  —  12)  uoiis 
l'aimes  —  13)  1°:  louehe  bien  mieus  au  le  mourant  que  le  mort  2°:  agit  bien  miens 
sut:  enuers  le  mourant  que  enuers  le  mort  3°  :  agit  bien  plus  rudement  contre  le  mourant 
que  cotre  le  mort  Si  vous 

'  La  phrase  :  La  uie...  faictes  insiirce  en  premier  lieu  .iu  chapitre  XIII  du  livre  III  (i"  494  r«) 
a  été  transportée  ici  avec  variantes. 


Il6  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

A  Et  fi  VOUS  auez  velcu  vn  iour,  vous  auez  tout  veu.  \n  iour  cft 

égal  à  tous  iours.  Il  n'y  a  point  d'autre  lumière,  ny  d'autre  nuict. 
Ce  Soleil,  cette  Lune,  ces  Eftoilles,  cette  dilpofition,  c'eft  celle  mefme 
que  vos  ayeuls  ont  iouye,  &  qui  entretiendra  vos  arrierc-ncpucux  : 

Non  aliiini  uidcre  paires  :  aliiiiiuic  ncpolcs  5 

Aspicieni. 

Et,  au  pis  aller,  la  diftribution  &  variété  de  tous  les  actes  de  ma 
comédie  le  parfournit  en  vn  an.  Si  vous  auez  pris  garde  au  branle 
de  mes  quatre  ûiilbns,  elles  embraffent  l'enfance,  l'adolefcence,  la 
virilité  &  la  vieillelTe  du  monde.  Il  a  ioûé  ion  icu.  Il  n'y  fçait  autre     lo 
finefle,  que  de  recomencer.  Ce  fera  toufiours  cela  melme, 

B  verlamur  ibidem,  atque  infumus  vfque, 

Atque  in  fe  fua  per  vefligia  voluitur  annus. 

A         le  ne  luis  pas  délibérée  de  vous  forger  autres  nouueaux  pafle- 

temps,  iS 

Nam  tibi  prsterea  quod  machiner,  inuenidmque 
Quod  placeat,  nihil  eft,  eadcm  funt  omnia  femper. 

Faites  place  aux  autres,  comme  d'autres  vous  l'ont  faite.  L'cqiialite 
csl  la  proiiicrc  piccc  de  ] 'équité.  Qui  se  peut  pleiuâre  â'eslre  eoinprins,  ou 
tous  sont  edprius? .Au{\\  auez  vous  beau  viure,  vous  n'en  rebattrez  20 
rien  du  temps  que  vous  auez  à  eftre  mort  :  c'eft  pour  néant  :  aufli 
long  temps  ferez  vous  en  cet  eftat  là,  que  vous  craignez,  comme 
il  vous  eftiez  mort  en  nourrifle, 

licet,  quod  vis,  viuendo  vinccre  fccla, 
Mors  itterna  tanien  niiiiKmiinus  illa  manebit.  25 


Texte  88.  —  8)  au  bc.iu  branle  —  10)  fou  rollc  :  il 


LIVRE      I,      CHAPITRH      XX.  II7 

Et  il  VOUS  mettcray  en  tel  poinct,  auquel  vous  n'aurez  aucun         lî 
mefcontentement, 

In  vera  nefcis  nullum  fore  morte  alium  te, 
Qui  pofTit  viuus  tibi  te  lugere  peremptum, 
5  Stanfque  iacentem. 

Ny  ne  defirerez  la  vie  que  vous  plaingnez  tant, 

Nec  iîbi  enim  quitquani  tum  le  vitàmque  requirit, 
Nec  defiderium  noftri  nos  afficit  vllum. 

La  mort  eft  moins  à  craindre  que  rien,  s'il  y  auoit  quelque  choie  de 
10     moins, 

multo  mortem  minus  ad  nos  efle  putandum 
Si  minus  efle  poteft  quam  quod  nihil  effe  videmus. 

Elle  [ne]  VOUS  concerne  ny  mort  [//_)']  //;/;  uif,  parce  que  nous  estes;  mort, 
par  ce  que  nous  [n']estes  plus. 
15         Nul  ne  meurt  auant  fon  heure.  Ce  que  vous  laiflez  de  temps,         A 
n'eftoit  non   plus   voftre,  que   celuy  qui   s'ell  pafle  auant   voftre 
naiffance  :  *&  ne  vous  touche  non  plus,  B 

Refpice  enim  quam  nil  ad  nos  ante  acta  vetuftas 
Temporis  itterni  fuerit. 

20         Où  que  voftre  vie  finifle,  elle  y  eft  toute.  L'utilité  du  uiure  n'est        A 
pas  en  l'espace,  elV  est  en  l'usage  :  tel  a  uescu  long  temps,  qui  a  peu  uescu  : 
attande:^  nous  [r]  pamlant  que  nous  y  estes.  Il  gist  en  uostre  uolonte, 
non  au  nombre  des  ans,  que  nous  aies  asses  uescu.  Penfiez  vous  iamais 
n'arriuer  là,  où  vous  alliez  uns  celTe?  encore  n'y  a  il  chemin  qui  naye 

Texte  88.  —  i)  tel  eft.u,  duquel  vous  —  10)  moins,  que  rien,  multo  —  14)  plus. 
D'auantage  nul  ne 

V.\R.  MS.  — «  i)  1°:  tel /)0(Hd,  duquel  2°:  \q\  cslat,  duquel  —  12)  videmus. 
Pourquoi  la  creigues  nous,  elle  n'est  iamais  lia]  ou  nous  estes.  Nul  ne 


Il8  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

SOU  issHC.  Et  lî  la  compagnie  vous  peut  Ibulagcr  :  le  monde  ne  va-il 
pas  mefme  train  que  vous  allez  ? 

B  omnia  te  vita  perfuncta  fequentur. 

A         Tout  ne  branle-il  pas  voftre  branle?  Y  a-il  chose  qui  ne  vieillifle 

quant  &  vous?  mille  hommes,  mille  animaux  &  mille  autres  créa-     5 
tures  meurent  en  ce  mefme  instant  que  vous  mourez  : 

B  Nam  nox  nulla  diem,  neque  noctem  aurora  fequuta  efl, 

Quas  non  audierit  miftos  vagitibus  asgris 
Ploratus,  mortis  comités  &  funeris  atri. 

A  quoi  faire  v  nriiie:^  nous,  si  nous  lU'  ponues  tirer  arrière.  Vous  en  aues  10 
asses  mu,  qui  se  sont  bien  trouue:^  de  mourir,  escheuât  par  la  des  grandes 
misères.  Mais  quelcun  qui  s'en  soit  nui!  tronné,  en  aues  nous  ueu  ?  Si  est  ce 
grand  simplesse  de  condamner  chose  que  nous  n'aues  esprouuee  )iy  par  nous, 
Il  V  par  autre.  Pourquoi  te  pleins  tu  de  moi  et  de  la  destinée?  tefesons  nous  tort? 
Est  ce  a  toi  de  nous  gouuerner,  ou  nous  a  toi  ?  Encore  que  ton  cage  ne  soit  1 5 
pas  acheue,  ta  uie  l'est.  Vu  petit  home  est  home  ètier,  coine  un  grand. 

Ny  les  homes,  ny  leurs  nies  ne  se  mesurent  a  l'aune.  Chiron'  refusa 
l'immortalité,  informé  des  conditions  d'icelle  par  le  Dieu  mesmes  du  temps 
et  de  la  durée,  Saturne  son  père.  Imagines  de  urai  combien  seroit  une  uie 
perdurable,  moins  supportable  a  l'home  &  plus  pénible,  que  ncsl  la  uie  que     20 
ie  liiv  ai  donee.  Si  nous  n'auie:,  la  mort,  nous  me  maudiries  sans  cesse 


Texte  88.  —  4)  Y  a-il  rien  qui  —  6)  en  cette  mefme  heure,  que 

\'ar.  ms.  —  ïo)  faire  nous  renilei  —  14)  de  moi  4  U  fcis  U  t«i4  —  16)  l'est.  Corne 
un  petit  home  est  liome  pai^  êlier  —  lé)  i°  :  grand  :  aussi  est  la  nie.  Que  ie  ie  doue  une 
uie  perdurable  elle  te  sera  bien  moins  supportable  que  n'est  la  mort  ueu  ta  condition.  Voila 
les  bons  2°  :  grand.  Et  la  uie  pour  estre  plus  longue  n'en  vaut  pas  mieus  non  plus 
(ju'unc  pantoufle.  \'o\h  les  bons  —  18)  informé  de  la  condition  d'icelle  —  19)  Imagines 
de  la  condition  que  nous  estes  combien  nous  seroit...  supportable  &  plus  pénible  que  n'est  la 
mort.  Si  nous  ne  l'auics  pas  nous  me  —    19)  combien  a  l'home  seroit...  supportable  &  plus 

'     Chiron...  père  .iddition  ullirieure. 


I.IVR1-:    1,    cHAi'iTRi:    XX.  119 

de  nous  eu  aiioir  priué.  l'y  ciy  a  eseiant  inesié  quelque  peu  d'anurlunie  pour 
nous  enipescher,  uolaul  la  côinodité  de  son  usage,  de  l'embrasser  trop  auide- 
nutiit  et  indiseretemant.  Pour  uoiis  loger  en  cette  modération,  ny  de  fuir 
la  uie,  nv  de  refuir  a  la  mort,  que  ie  deuutnde  de  nous,  i'ay  tempère  l'une 

5     et  l'autre  entre  la  douceur  et  l'aigrur. 

l'aprins'  a  Thaïes,  le  premier  de  nos  sages,  que  le  uiurc  cl  le  mourir 
estoit  indifférant;  par  ou,  a  ccluy  qui  luy  demanda  pour  quoi  donq  il  ne 
mouroit,  il  respondit  fressagcmcnl  :  Par  ce  qu'il  est  iiulifferant. 

L'eau,  la  terre,  l'air,  le  feu  &  autres  mâhres  de  ce  mien  bastinult  ne  sont 

10  non  plus  insirumâs  de  ta  nie  qu'insirnmàs  de  ta  mort.  Pourquoi  creins  tu 
ton  dernier  iour?  il  ne  conicrc  non  [^lus  a  la  nu>rt  que  chacun  des  autres. 
Le  dernier  pas  nefaict  pas  la  lassitude  :  il  la  déclare.  Tous  les  iours  uont 
a  la  mort,  le  dernier  y  arriue. 

Voila  les  bons  aduertiffemcns  de  iiortre  mère  nature.  Or  i'ay  penlé 

15  fouuent  d'où  venoit  cela,  qu'aux  guerres  le  vilage  de  la  mort,  loit 
que  nous  la  voyons  en  nous  ou  en  autruy,  nous  femble  lans  com- 
paraifon  moins  eflfroyable  qu'en  nos  maifons,  autrement  ce  feroit 
vn'  armée  de  médecins  &  de  pleurars;  &,  elle  eftant  toufiours  vne, 
qu'il  y  ait  toutes-fois  beaucoup  plus  d'afleurance  parmy  les  gens  de 

20  village  &  de  baffe  condition  qu'es  autres.  le  croy  à  la  vérité  que  ce 
l'ont  ces  mines  &  appareils  effroyables,  dequoy  nous  l'entournons, 
qui  nous  font  plus  de  peur  qu'elle  :  vne  toute  nouuelle  forme  de 
viurc,  les  cris  des  mères,  des  femmes  &  des  entans,  la  vifitation 
de  perfonnes  eftonnees  &  tranfies,  l'affiftance  d'vn  nombre  de  valets 

25  pafles  &  éplorés,  vne  chambre  fans  iour,  des  cierges  allumez,  noftre 
cheuet  affiegé  de  médecins  &  de  prefcheurs  :  fomme,  tout  horreur 
&  tout  effrov  autour  de  nous.  Nous  voyla  des-ia  enfeuelis  &  enterrez. 
Les  enfans  ont  peur  de  leurs  amis  mefmes  quand  ils  les  voyent 

\'ar.  ms.  —  5)  l'aigrur.  fl^alts  —  6)  premier  ilc  umi  —  7)  imlijfcraiil  a  I'Imwc 
par  ou  —  II)  mort  que  lU*n  —  12)   Tous  nos  iours 

'     licrit  aprws  l'alinCa  suivant,  nuis  reporlc   i  cette  place  par  un  signe  de  renvoi. 


120  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

mafquez,  aufli  auons  nous.  Il  faut  orter  le  malque  aufli  bien  des 
choies,  que  des  perfonnes  :  ofté  qu'il  fera,  nous  ne  trouuerons  au 
deffoubs  que  cette  mefme  mort,  qu'vn  valet  ou  fimple  chambrière 
pafferent  dernièrement  fans  peur.  Heureufe  la  mort,  qui  ofte  le  loilir 
aux  apprefts  de  tel  équipage.  5 

Texte  88.  —  4)  mort  &  heureufe  trois  fois,  qui  ofte 


Chapitre    XXI. 


DH    LA    FORCE    DH    L  IMAGINATION' . 


«  Fortis  imaginatio  gcncrat  caluni  »,  diknt  les  clercs.  le  luis  de 
ceux  qui  l'entent  très-grand  eftort  de  l'imagination.  Chacun  en  ell 
biirtc,  mais  aucuns  en  font  iriiiicrsc:^.  Soit  impression  nie  perse.  [El  \ 
mon  art  est  de  hiv  esehaper,  non  pas  de  liiy  résister.  le  uinrois  de  la  snJe 
)  assistanee  de  persones  saines  '.et]  gayes.  La  neue  des  eiii^'oisses  d'aairny 
m'engoisse  materiellemêf,  et  a  mon  sentiniàt  sonnant  usurpe  le  sentimât 
d'un  tiers,  l'n  tousseur  eontinnel  irrite  mon  poulmon  et  mon  gosier.  [Ie\ 
nisite  pins  mal  nolontiers  les  \  malades  ansquels  le  deuoir  [m'  intéresse,  que 
eeus  ansquels    /V    m'attans  moins  et  que  ie  eôsidere  moins.    le  se  .sis  le 

10  mal  que  i'^eslndie,  &  le  eouche  en  inoy.  \Ie\  ne  t  renne  pas  est  range  qu'elle 
doue  et  les  fienres  &  [/«]  mort  a  eeus  qni  la  laissent  faire  el  qui  Iny 
applandissèt.  Simô  Thomas  estait  un  grand  médecin  de  son  temps.  Il  me 
sonuient  que,  me  rencôtrant  [///;]  iour  cbes  un  riche  uieillarl  pnlmoniqne, 
el  Iraictant  aucq  [luy]  des  nuùens  de  sa  guerison,  \jl^  luydicl  que  c'en  estait 

15     /'///(  [de   me  douer  occasion  de  me  plaire  \eii]  sa  càpaignie,  6"  que,  jichanl 

Texte  88.  —  2)  en  eft  féru,  mais  aucuns  en  font  transformez.  Gallus 

\'ar.  ms.  —  4)  pas  de  la  comhallrc.  le  iiiiiiois  d  giierirois  de  l'as  sisltince  —  5)  gaycs. 
Li's  a  —  6)  m'eiigoisseui  cl\  a  s^muiut  mon  seutimàl  a  souuaiil  usurpe  les  maus  du  senlimâl 
d'aulruy  un  tousseur  coulinuel  me  piiise  le  gosier  —  9)  el  eôsidere  —  lo)  mal  eu  l't:4miinul 
—  10)  eouclje  sur  moy  —    12)   de  mou  temps. 


122  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

SCS  Ycits  sur  la  freschur  de  mou  uisage,  ci  sa  peusee  sur  cette  allégresse 
&  uigeur  qui  regorgeait  [ilc\  mon  adolesccucc,  et  remplissant  tous  ses  sens  de 
cet  estât  fleurissant  en  quoi  i'estois,  son  habitude  s'en  pourrait  anuindcr. 
Mais  il  ol'liait  a  dire  que  la  niieue  s'en  pourrait  empirer  aussi.  Gallus 
Vibius  banda  li  bien  fon  ame  à  comprendre  l'eflence  &  les  mouue-  s 
mens  de  la  folie,  qu'il  emporta  l'on  iugement  hors  de  fon  fiege, 
Il  qu'onques  puis  il  ne  l'y  peut  remettre  :  &  fe  pouuoit  vanter  d' élire 
deuenu  fol  par  sagesse.  Il  y  en  a  qui,  de  fraveur,  anticipent  la  main  du 
bourreau.  Et  celuy  qu'on  debandoit  pour  luy  lire  la  grâce,  fe  trouua 
roide  mort  fur  Feichataut  du  feul  coup  de  l'on  imagination.  Xous  lo 
treffuons,  nous  tremblons,  nous  palliffons  &  rougiffons  aux  fecoufles 
de  nos  imaginations,  6c  renuerfez  dans  la  plume  fentons  noftre  corps 
agité  à  leur  branfle,  quelques-fois  iufques  à  en  expirer.  Et  la  ieuneffe 
bouillante  s  efchauffe  fi  auant  en  fon  harnois  tout'  endormie,  qu'elle 
aflbuuit  en  longe  fes  amoureux  deiîrs,  15 

\t  quall  tranfactis  l;tpe  omnibus  rébus  protundaiit 
Fluminis  ingénies  fluctus,  veftémque  cruentent. 

Et  encore  qu'il  ne  foit  pas  nouueau  de  voir  croiûre  la  nuict  des  cornes 
à  tel  qui  ne  les  auoit  pas  en  fe  couchant  :  toutestois  l'euenement 
de  Cyppus,  Roy  d'Italie,  eft  mémorable,  lequel  pour  auoir  alTifté  le  20 
iour  auec  grande  affection  au  combat  des  taureaux,  iS:  auoir  eu  en 
longe  toute  la  nuict  des  cornes  en  la  telle,  les  produifit  en  l'on  front 
par  la  lorce  de  l'imagination.  La  paflion  donna  au  lîls  de  Crœl'us  la 
voix,  que  nature  luy  auoit  refufée.  Et  Antiochus  print  la  heure  de  la 
beauté  de  Stratonicé  trop  viuement  empreinte  en  l'on  ame.  Pline  25 
dict  auoir  veu  Lucius  ColFitius  de  femme  changé  en  homme  le  iour 


Tkxii-:  88. —  5)  ame,  &  la  tcndy,  à  coniprcndrc  &  imaginer  rclFencc  —  6)  iuge- 
ment mefnie  hors  —  8)  fol  par  difcours.  Il  —  15)  iufques  à  la  mort.  Ht  —  24)  Et 
Antigonus  print 

\'ar.  ms.  —  i)  pciisce  cl  ceUe  gnye  attegrcsse  d  uigeur  de  mon  aiiolcscciicc  remptUsaiil 
—  4)  empirer.  Gallus 


I.1VR1-:      I,      CHAP1TR1-;      XXI.  123 

de  fes  nopces.  Pontanus  .it  d'autres  racontent  pareilles  metamor- 
phofes  aduenuës  en  Italie  ces  liecles  paflez.  Et  par  véhément  defir  de 
luv  6^;  de  la  mère, 

Vota  puer  foluit,  qus  fœmina  vouerat  Ipliis. 

5  Pafïiint  à  Victry  le  Françoys,  ie  peuz  voir  vn  homme  que  l'Euelque 
de  Soiflbns  auoit  nommé  Germain  en  confirmation,  lequel  tous  les 
hahitans  de  là  ont  cogneu  &  veu  fille,  iufques  à  l'aage  de  vingt 
deux  ans,  nommée  Marie.  Il  estait  à  cett'  heure  la  tort  barbu,  &  \'ieil, 
(.\:  point  marié.  Faifant,  dict-il,  quelque  effort  en  fautant,  fes  membres 

lo  virils  le  produifirent  :  &  ell  encore  en  vlage,  entre  les  filles  de  là, 
vne  chanfon,  par  laquelle  elles  sentraduertiffent  de  ne  taire  point 
de  grandes  eniambees,  de  peur  de  deuenir  garçons,  comme  Marie 
Germain.  Ce  n'eft  pas  tant  de  merueille,  que  cette  lorte  d'accident  le 
rencontre  fréquent  :  car  fi  l'imagination  peut  en  telles  choies,  elle 

ij  ert  fi  continuellement  &  fi  vigoureufement  atachcc  a  ce  fubiect,  que 
pour  n'auoir  fi  ibuuent  à  rechoir  en  mefme  penfée  &  alpreté  de  defir, 
elle  a  meilleur  compte  d'incorporer,  vne  fois  pour  toutes,  cette  virile 
partie  aux  filles. 

Les  vns  attribuent  à  la  force  de  l'imagination  les  cicatrices  du  Roy 

2o  Dagobert  &  de  Sainct  François.  On  dict  que  les  corps  s'en-enleuent 
telle  fois  de  leur  place.  Et  Celfus  recite  d'vn  Prebfi:re,  qui  rauiffoit 
fon  ame  en  telle  extafe,  que  le  corps  en  demeuroit  longue  efpace  fans 
refpiration  &  iiins  fentiment.  Sainct  Aui:;iistin  en  nome  an  antre,  a  qat 
il  ne  fahil  qnc  faire  onir  des  cris  lamentables  &  pieiiitijs,  soudcin  il  dejaiUoit 

2)  (7  s'emportait  \si\  nifucment  hors  de  soi,  qa'on  auoit  beau  le  tem pester 
et  hurler,  et  le  pincer,  et  le  i^riller,  insques  a  ce  qu'il  fut  resnscité  :  lors  il 
disait  auair  oui  des  noix,  mais  corne  nenani  de  louiit;  et  s'aperceuail  de  ses 

Texte  88.  —  8)  II  eft  à  cctt'  heure  fort  barbu,  &  vieil,  &  ne  s'eft  point  marié.  — 
13)  merueilles,  fi  cette  —  15)  vigoureufement  exercée  en  ce  —  17)  compte  d'atta- 
cher &  incorporer 

\'ar.  .ms.  —  25)  auoit  U  tcmpedci:  d  le  hudiT 


124  ESSAIS      DE      .MO\TAIG\E. 

eschaiulurcs  &  iiiiirtrissiiirs.  Et  que  ce  iw  fut  uut  obstination  apostcc  contre 
son  sentiniant,  cela  le  motif roit,  qu'il  n'ciuoit  cepandant  uy  pous  ny  haleine. 

11  cil  vray  femblable,  que  le  principal  crédit  des  miracles,  des 
vilions,  des  enchantemens,  &  de  tels  effects  extraordinaires,  vienne 
de  la  puilTance  de  l'imagination  agiffant  principalement  contre  les     3 
âmes  du  vulgaire,  plus  molles.  On  leur  a  fi  fort  laili  la  créance,  qu'ils 
penfent  voir  ce  qu'ils  ne  voyent  pas. 

le  fuis  encore  de  cette  opinion,  que  ces  plaifantes  liaifons,  dequov 
nostre  monde  fe  voit  i\  entraué,  qu'il  ne  fe  parle  d'autre  chofe,  ce  font 
iiolontiers  des  impreflions  de  l'apprehenfion  &  de  la  crainte.  Car  ie     10 
fçav  par  expérience,  que  tel,  de  qui  '  ie  puis  relpondre,  comme  de  mov 
mefme,  en  qui  il   ne   pouuoit  choir  foupçon  aucune  de  foibleiîe, 
&  aufli  peu  d'enchantement,  ayant  ouy  fiiire  le  conte  à  vn  fien 
compagnon,  d'vne  défaillance  extraordinaire,  en  quov  il  eftoit  tombé 
fur  le  point,  qu'il  en  auoit  le  moins  de  befoin,  fe  trouuant  en  pareille     15 
occafion,  l'horreur  de  ce  conte  luy  vint  a  coup  fi  rudement  frapper 
l'imagination,  qu'il  en  encourut  vne  fortune  pareille;  et  de  la  en  hors 
fut  subiet  a  v  rechoir  :  ce  uilain  sounenir  de  son  incoiuteuiaut  le  gounuan- 
dant  et  tirannisant.  Il  trouua  quelque  remède  a  cette  resuerie  par  vu  autre 
resuerie.  C'est  que,  aduouant  luy  niesmes  [et~]  preschant  auant  la  main  cette     20 
sicne  subiection,  la  contantion  [de]  son  ame  se  solaf[eoit  sur  ce,  qu'aportani 
ce  nml  corne  aiandu,  son  obligation  en  amoindrissait  &  hiv  en  poisoit  moins. 
Qiiand  il  \a^  eu  loi,  a  son  chois,  [sa]  pensée  desbrouillee  U'/l  desbandee, 
son  cors  [se]  trouuant  en  son  deu,  [de]  le  faire  lors  premièrement  tenter,  sesir 
et  surprendre  a  la  conoissance  d'autruv,  [il]  s'est  guéri  tout  net  a  \  ^^eudroit     25 
(/(•  ce  subiet. 


Tfatk  88.  —  6)  vulijaiic,  où  il  y  a  moins  de  rcfiftance.  On  —  8)  liaifons  des 
mariages,  dequov  le  monde  fc  voit  fi  plein,  qu'il  —  12)  pouuoit  efchoir  —  15)  ùire 
vn  conte 

\'.\R.  MS.  —  8)  liaifons  ('.(  mariages  dcquoy  —  18)  smitienir  ImiuntiaHl  sfn  amc  — 
18)  •;oiirnwiiihiiil  cl  tM»siff(i»l  —  2.\)  preiiiiciriiiciil  scsir  —  25)  s'csl  poiiridiiiins  giifii 


.le  qui...  nioy  mefme,  addition  Je  ijSS. 


I.IVRK      I,      CHAI'lTRn      XXI.  12) 

\A]  qui  on  a  este  une  fols  ciipdhle,  ou  n'est  plus  liieujkihle,  si  non  par 
iuste  faiblesse. 

Ce  malheur  n'cfi:  à  craindre  qu'aux  cntrcprinlcs,  où  nortrc  amc  fe 
trouuc  outre  meliiro  tanduc  de  dciîr  6s;  de  rcfpoct,  &  uoteninient  si  les 

5  commoditcz  le  rencontrent  improueues  (i^  preflantes  :  on  n'a  pas 
inoleu  de  le  rauoir  de  ce  trouble,  l'en  fçav,  à  qui  il  a  feruv  d'y 
apporter  le  corps  melme  eoumncé  a  ressasier  d'ailleurs,  pour  einhruilr 
l'ardur  de  cette  fureur,  et  qui  par  l'eaa^e  se  treuue  uioius  iuipuissani  de  ce 
qu'il  est  moins  puissant.  Et  tel  autre  a  qui  il  a  serai  aussi  que  un  ainv 

io  l'uyc  assure  d'estre  fourni  d'une  coutrehaterie  d'cuchantemetis  cer teins  a  le 
preseruer.  Il  uaut  mieus  que  le  die  coiuant  ce  fut.  Vu  compte  de  treshon 
lieu,  de  qui  i'estois  fort  priué,  se  mariant  aiieq  une  belle  dame  qui  auoit  este 
poursuiuie  de  tel  qui  assistoit  a  la  feste,  mettoit  en  f^raïui  peine  ses  amis 
et  nonmiuent  nue  uieille  dame,  sa  parante,  qui  presidoit  a  ces  iiopces  et 

[5  les  Jaisoit  ches  elle,  creiutifue  de  ces  sorcelleries  :  ce  qu'elle  me  fit  entandrc. 
le  la  priai  s'en  reposer  sur  moi.  l'auois  de  fortune  en  iiu's  coffres  certeine 


Texte  88.  —  5)  Cela  n'eft  à  craindre  —  4)  &  notamment  où  les  —  5)  prelTlmtes. 
A  qui  a  alTez  de  loifir  pour  fe  rauoir  &  remettre  de  ce  trouble,  mon  confeil  eft  qu'il 
diuertiiïe  ailleurs  fon  penfement,  s'il  peut,  car  il  eft  difficile,  &  qu'il  fe  defrobe  de  cette 
ardeur  &  contention  de  fon  imagination.  l'en  fçay,  à  qui  il  a  ferui  d'y  apporter  le  corps 
mefme,  amolly  &  atfoibly  d'ailleurs.  Et  à  celuy  qui  fera  en  alarme  des  liaifons,  qu'on 
luy  perfuade  hors  de  là,  qu'on  luy  fournira  des  contre-enchantemens  d'vn  effcct 
merueilleux  et  certain.  Mais  il  faut  auiïi  que  celles,  à  qui  légitimement  on  le  peut 
demander,  oftent  ces  façons  ceremonieufes  &  affectées  de  rigueur  &  de  refus,  &  qu'elles 
fe  contraignent  vn  peu,  pour  s'accommoder  à  la  neceifité  de  ce  liecle  malheureux  :  car 
l'ame  de  l'aflaillant  (p.  127,  1.   15.)   Avant  le  remaniement  total  de  ce  qui  prcccde,  le  ms.  fait  les 

modifications  suivantes  :  rauoir  &  desToher  dc...  diuertiftc  fon  penfement,  s'il  peut,  mats 
il  eft...  cette  ardeur  de  fon  imagination...  certain.  Or  il...  fiecle.  L'ame 

Var.  ms.  —  i)  I"  :  incapable  corne  ou  [ne]  dénient  guère  capahle  entiers  qui  on  a  este 
pretnieremeiil  incapable.  Ce  maltjeur     2"  :  incapable  que  par  iuste  —  4)  &  nomeement  si 

—  7)  1°  :  le  corps  mefme  aff"oibly  d'ailleurs  et  a  demi  ressasié  pour  endormir  un  peu 
l'ardur  de  cette  fureur  imaginaire.  Et  à  celuy  (voir  ci-dessus  texte  88.)  2°  :  le  corps  mefme 
ressasié  d'ailleurs  pour  endortttir  l'ardur  de  cette  fureur  :  et  en  qui  l'affoyblissenianl  de  l'eage 
a  utilkinant  ouuré  despuis.  Et  tel  a  qui  —  9)  que  quelqu'amy  —  11)  de  he»  fort  bon  lieu 

—  14)  nopces  maisirtfS4  de  la  maisen  m  M  —  15)  entatidre.  Et  la 


126  ESSAIS     DE      MONTAIGNE. 

petite  pièce  d'or  plate,  ou  cstoiiif  grauees  quelques  figures  célestes  contre 
le  coup  du  soleil  et  oster  la  dolur  de  teste  :  la  logeant  a  point  sur  la  cousture 
du  test;  et,  pour  l'y  tenir,  elle  estoit  cousiw  a  un  ruban  propre  a  ratacher  sous 
le  manton.  Resuerie  gernieine  a  celle  de  quoi  nous  parlons.  laques  Peletier^ 
ni'aiioit  faict  ce  presant  singulier.  Vaduisai  d'ioP  tirer  quelque  usage.  Et  5 
dicts  au  compte  qu'il  pourroit  courre  fortune  conie  les  autres  :  y  aiant  la 
des  Ijonus  pour  luy  en  uouloir  prestcr  d'une;  mais  que  hardimant  il  s'allât 
coucher;  que  ie  luy  fairois  un  tour  d'ami,  et  n'espargnerois  a  son  hesouin 
un  miracle  qui  estoit  en  ma  puissance,  pour  vcu  que,  sur  son  honeur,  il  me 
promit  d(  le  tenir  tresfidelemant  secret;  sulemant,  come  sur  la  nuit  on  irait  10 
luy  porter  le  resueillon,  s'il  lu\  estoit  niai  allé,  il  me  fit  un  tel  signe.  Il  auoit 
eu  l'ame  et  les  oreilles  si  battues,  qu'il  se  trouua  lié  du  trouble  de  son  imagi- 
nation, et  me  fit  son  signe.  le  luy  dis  lors,  qu'il  se  leuat  sous  colur  de  nous 
chasser,  et  print  en  se  iouant  la  robe  de  nuit  que  i'auois  sur  min'  (nous 
estions  de  taille  fi)rt  uoisinc)  et  s'en  uestit,  tant  qu'il  aroit  exécuté  mon  15 
ordonance,  qui  fut  :  quand  nous  serions  sortis,  qu'il  se  retirât  a  tùhcrde  l'eau; 
dict  trois  fois  telles  oraisons,  et  fit  tels  mouuemens;  qu'a  chacune  de  ces  trois 
fois,  il  ceignit  le  ruban  que  ie  luy  mettols  en  mein,  et  couchât  bien  souigneu- 
semant  la  medale  qui  v  estoit  atachee,  sur  ses  rouignons,  la  figure  en  telle 
posture;  cela  faict,  ayant  biè  estreint  ce  ruban  pour  qu'il  ne  se  peut  iiy  20 
desnouer,  nv  mouuoir  de  sa  place,  que  eu  toute  assurance  il  s'en  retournât 
a  son  pris  faict,  &  n'obliat  de  reieter  ma  robe  sur  son  lict,  en  manière  qu'elle 
les  aî'riat  tous  deus.  Ces  singeries  sont  le  principal  de  l'effaict  :  nostre  pansée 
ne  se  pouuant  demesler  que  moyens  si  estrangcs  ne  uienent  de  quelqu  abstruse 
sciance.  Leur  inanité  leur  donc  pois  &  reuerance.  Somme,  il  lut  certein     25 


\'ar.  ms.  —  1)  1°  :  célestes  pour  endormir  h  pointe  au  soleil  el  chusser  la  dolur 
2°  :  célestes  pour  endormir  et  pour  chasser  la  dolur  —  2)  logeant  pi^pt^-mani  a  point  sur  la 
coupure,  et  pour  —  6)  dicis  au  couvre  (})  —  é)  autres  :  et  auoit  la  des  —  11)  resueillon  et 
Utfjit  son  ftgtie  (ces  cinq  derniers  mots  en  interligne,  insérés  ici  p.ir  erreur,  sont  biffés  et  reportés  plus  Kis.) 
—  12)  trouua  entraué  du  —  13)  disquil  —  16) /«/«i  —  16)  V  eau  se  mit  en  deuoiion . 
Dict  —  17)  tels  signes.  Qu'a  —  24)  que  mcyettnaiU  Çou  mouuemmt)  —  25)  &  autho 

'     L'édition  de  159;  ajoute  ici  :   viuailt  chez  moy 


LIVRK      I,      CHAPITRH      \XI.  I27 

que  lues  earacteres  se  troitiiarèf  plus  Vénériens  que  Soleres,  plus  en  ciel  ion 
qu'en  prohibition.  Ce  fut  un  humeur  prompte  et  \curieuse  qui  nu'\  eonuia 
cl  tel  effiiiet  eslouigne  de  inci  nature.  le  suis  enenii  des  actions  subtiles 
&  feintes  [&  hay  la  finesse,  en  mes  mains,  non  seulement  recréât  lue,  )nais 
5     aussi]  profitable.  Si  l'action  {n'est  vicieuse,  la  routte  l'est]. 

[Amasis  Roy  d\-Eovptc  espousa  Laodice  Iresbellc  fille  Grecque  :  &  luy, 
qui  se]  montroit  gentil  compaignon  par  tout  ailleurs,  se  trouua  court  a  ioiiir 
d'elle,  et  menaça  de  la  tuer,  estimant  que  ce  fut  quelque  sorcerie.  Conie  es 
choses  qui  consistent  en  fiintasie,  elle  le  reieta  a  la  deuotion,  et,  aïani  faict 

10  ses  ueus  et  promesses  a  Venus,  il  se  trouua  diuinement  remis  des  la  première 
nuit  d'empres  ses  oblations  et  sacrifices. 

Or  elles  ont  tort  de  nous  receuillir  de  ces  contenances  mineuses,  quereleuses 
et  fuiardes,  qui  nous  esteignent  en  nous  alumant.  La  bru  de  Pythagoras 
disait  que  la  famé  qui  se  couche  aueq  un  home,  doit  aiieq  la  cote  laisser  aussi 

15  /(/  honte,  et  la  rcprandre  aueq  le  cotillon.  L'amc  de  l'alTaillant,  troublée 
de  plufieurs  diuerfcs  allarmcs,  le  perd  ail'ement  :  &  à  qui  l'imagination 
a  faict  vne  fois  fouffrir  cette  honte  (&  elle  ne  le  fait  foufîrir  qu'aux 
premières  accointances,  d'autant  qu'elles  font  plus  bouillantes  ik  afpres, 
&  aulîi  qu'en  cette  première  connoiiïitnce,  on  craint  beaucoup  plus 

20  de  faillir)  avant  mal  commencé,  il  entre  en  lieure  &  delpit  de  cet 
accident  qui  luy  dure  ans  occaiions  fuiuantes. 

Les  marie:^,  le  temps  estant  tout  leur,  [  ne]  doiuent  ny  presser,  \jiy]  taster 
leur  étreprinse,  s'ils  ne  sont  pret:;^;  [et]  luiut  miens  faillir  indeammanl 


Texte  88.  —  16)  allarmes  elle  fe  perd  aifement  :  &  ce  n'eft  pas  tout,  car  celuy 
à  qui  —  17)  elle  ne  l'a  fait  guicrc  fouffrir  —  18)  plus  ardantes  &  —  19)  connoif- 
fance  qu'on  donne  de  foy,  on  —  20)  il  entre  en  fi  grande  ficure  &  dcfpit  de  cet 
accident,  que  cette  frayeur  s'en  augmente  &  luy  redouble  à  toutes  les  occafions 
fuiuantes  :  &  fans  quelque  contre-mine  on  n'en  vient  pas  aifement  à  bout.  Tel  à 
l'aduenture  (p.  130,  1.  8.) 

\'ar.  .ms.  —  2)  qu'en  deféiuei'.  —  3)  effiiiii  Ireseslcuiisriic  de  ma  iialurcllc  coiidilioii. 
Ie...subliles&MHmi4eslrompeiises[&hay  —  7)  coiirt  a pi^uJiv sa  («lulmiamfi  —  8)  Conte 
es  aeeùiauf  tfui  eo  —  14)  tjome  detioil  aueq  son  colilton  laisser  —  22)  Les  marie-^  oui 
nieillur  ieii,  le  temps  estant  tout  leur  et    ne   doiuent 


12-8  ESSAIS      DE      .MOXTAIGXE. 

a  estrener  la  couche  mipi'uiJc  pleine  d'agitation  et  de  fleure,  attâdant  une 
et  un  autre  commodité  plus  priuee  et  moins  allarmee,  que  de  tumher  en  une 
perpétuelle  misère,  pour  s'estre  estoué  et  désespéré  du  premier  refus.  Auant 
la  possession  prinse,  le  patiant  se  doit  a  saillies  &  diuers  tamps  legieremant 
essaïer  et  offrir,  sans  se  piquer  &  opiniatrer  a  se  conueincre  definitiuenult 
soimesmes.  Ceus  qui  sçauent  leurs  membres  de  nature  dailes,  qu'ils  se 
souignent  sulement  de  contrepiper  leur  fantasie. 

On  a  raison  de  remarquer  l'indixile  liberté  de  ce  numbre,  s' ingérant  si 
importuneemant,  lors  que  nous  n'en  auons  que  faire,  et  deffaillant  si  impor- 
tuneement,  lors  que  nous  en  auons  Je  plus  a  faire  •,  et  contestant  de  l'autborité 
si  impérieusement  aueq  nostre  uoloiité,  refusant  aueq  tant  de  fierté  et  d'obsti- 
nation nos  sollicitations  et  mentales  et  )nanuelcs.  Si  toutesfois  en  ce  que  on 
gourmande  sa  '  rébellion,  &  qu'on  en  tire  prenne  de  sa  condemnation,  il 
m'auoit  pavé  pour  plaider  sa  cause  :  a^  l'auanture  mettrois  ie  en  supçon 
nos  autres  numbres,  ses  compaignons,  de  luv  estre  aile  dresser,  par  belle 
enuie  de  l'importance  et  douceur  de  son  usage,  cette  querelle  aposiee,  et  a  noir 
par  complot  arnw  le  monde  a  l'encontre  de  luy  :  le  chargeant  malignement 
sul  de  leur  faute  commune.  Car  ie  nous  donc  a  penser,  s'il  y  a  une  suie  des 
parties  de  nostre  corps,  qui  ne  refuse  a  nostre  uolonté  sonnant  son  opération, 
et  qui  sonnant  )U'  l'exerce  contre  nostre  uolanlé.  Elles  ont  chacune  des 
passions  propres,  qui  les  esucillent  et  endorment  sans  nostre  congé.  A  quant 
de  fois  tesmouigiwnt  les  mouuemens  Jorce:;^  de  nostre  uisage  les  pensées  que 
nous  tenions  secrètes,  et  nous  trahissent  ans  assistans.  Cette  nwsnw  cause  qui 
anime  ce  mend>re,  anime  aussi  sans  nostre  sceu  le  ccur,  le  poidnuvi  et  le  pous, 
la  ueue  d'un  ohiect  agréable  respandant  inperceptiblement  en  nous  la  jlanune 
d'un'  enu^tion  peureuse.  X'v  a  il  que  ces  muscles  et  ces  ueines  qui  s'eleuent 
et  se  couchent  sans  l'adueu,  non  sulement  de  nostre  uolonté,  mais  aussi  de 
nostre  pensée?  Xoits  ne  conuindons  pas  a  nos  cbeneus  de  se  hérisser,  et  a  nostre 
peau  de  frémir  de  désir  ou  de  creinte.  La  nniin  se  porte  sonnant  ou  nous 

\'ar.  ms.  —  i)  a  la  couche  —  5)  esloué  cl  irrémédiablement  condamné  du  premier  — 
4)  prinse  il  se  faut  a  saillies  —  5)  dcfinitiuemâl  en  soimesmes  —  8)  membre  s'  offrant  si 
—   Il)  uoloulc.  Si  toutesfois  —    12)  en  ce  que  si  on  —  20)  ne  s'exerce 


LIVRE      I,      CHAl'ITRi:      XXI.  I29 

//('  rciluoiolis  pets.  La  langue  se  transit  el  la  noix  se  Jigc  a  son  heure.  Lors 
niesme  que  n'ayant  de  quoi  frire  nous  le  luy  dejandcrions  uolantiers,  V appétit 
de  manger  et  de  boire  ne  laisse  pas  d'esniounoir  les  parties  qui  lux  sont 
suhiectes,  nv plus  ny  moins  que  eet  autre  appétit  :  et  nous  ahandone  de  niesnws, 
5  hors  de  propos  quand  bon  luv  se}id'le.  Les  utils  qui  sèment  a  descharger 
le  neutre,  ont  leurs  propres  dilatations  et  compressions,  outre  et  contre  nostre 
auis,  coine  ceuscv  destiiw:;^  a  descharger  nos  rouignons.  Ll  ce  que,  pour 
aulhoriser  la  toute  puissance  de  nostre  uolonfé,  Saincf  Augustin  allègue  aiioir 
ucu  quelcun  qui  comandoit  a  son  derrière  autant  de  pet:^  qu'il  en  uouloit, 

10  el  que  Viues,  son  glosai ur,  enchérit  d'un  autre  example  de  son  temps,  dcpet:^ 
organise:^  suiuans  le  ton  des  uers  qu'on  leur  prononçoil,  ne  suppose  non  plus 
pure  l'obéissance  de  ce  membre  :  car  en  est  il  ordiiwrenmnt  de  plus  indiscret 
et  tumultuere.  louint  que  t'en  sçai  un  si  lurbidant  et  reiwsche,  qu'il  y  a 
quaran[te  ans,  qu'il  tient  son  maistre  a  peter  d'vnc  haleine  &  d'vnc  obli- 

15     gatioii  constante  &  irremittcnte,\  et  le  niaiiw  ainsin  a  la  morl.^ 

Mais  nostre  uolonle,pour  les  droits  de  qui  nous  ntettons  en  aiuint  ce  reproche, 
combien  plus  uraiscniblablement  la  pouuons  nous  marquer  de  rébellion  et 
sédition  par  son  desreglcment  et  désobéissance.  l'eut  elle  tousiours  ce  que 
nous  iiotulrions  qu'elle  uoiisit  ?  Ne  neut  elle  pas  sonnant  ce  que  nous  luy 

20  prohibons  de  uouloir  :  et  a  itostre  euidant  domage  ?  Se  laisse  elle  non  plus 
mener  ans  conclusions  de  nostre  raison  ?  En  fin  ie  dirois  pour  monsieur 
ma  partie,  que  plaise  a  considérer  qu'en  ce  jaicl,  sa  cause  estant  insépara- 
blement conioinnte  a  un  consort  et  indistinctenwnl,  on  ne  s'adresse  pour]  tant] 
qu'a  lux,  cl  par  des  argunums  cl  charges  telles,  ucu  la  coiulilion  des  parties, 

\'ak.  ms. —  2)  h- tciiy  dcfiimkrioiis.  uoUiiiliiis  Ll  fuim  H(  liiiii,4  pas  —  6)  ditaUillous 
el  reslrhhiwiis  oulic  —  11)  qu'où  luy  proiioiiçoit...  —  12)  tic  ces  membres:  car  — 
1 3)  //;/  si  lub  —  15)  irremilleiite,]  et  pelleia  iusques  a  lu  mort  en  tlespil  qu'il  en  aye.  Mais 
—  21)  Eu  fiu  les  adiweais  et  les  iuges  etU  beau  seu  quet^elei^  et  senieneiei:  ;  nature  eepaudaut 
tim  sen  tmu  —  24)  par  des  charges  telles  iieu  la  nature  des 

•  Ici  icUitiou  de  159;  ajoute  :  Et  pleuft  à  Dieu,  que  ie  ne  le  fceufle  que  par  les  hiftoircs, 
combien  de  fois  noftre  ventre  par  le  refus  d'vn  feul  pet,  nous  nienne  iufqucs  aux 
portes  d'vne  mort  tres-angoilleufe  :  &  que  Tl-jupereur  qui  nous  donna  liberté  de  peter 
par  tout,  nous  en  cuft  donné  le  pouuoir. 


150  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

(jiicllcs  ne  pcmtcui  lUtcuminaut  apartenir  )iy  concerner  son  dict  consort.' 
Piirhinl  se  uoit  Vanimositc  et  illeo;c!lité  manifeste  des  accnsaturs.  Quoi  qu'il 
en  soit,  protestât  que  les  adnocats  et  iuges  ont  beau  quereler  et  sentancier, 
nature  tirera  cependant  son  trein  :  qui  n'aroit  faict  que  raison,  quand 
eir  aroit  doué  ce  membre  de  quelque  particulier  primlei^e,  autheur  du  sul  5 
ouurage  immortel  des  mortels.  Pour  tant  est  a  Socrates  action  diuine  que  la 
génération;  et  amour,  désir  d'immortalité,  et  Dation  imnuvtel  luy  mesmes. 

Tel  à  l'adiicnture,  par  cet  effect  de  l'imagination,  laifle  icy  les 
elcruelles,  que  fon  compagnon  raporte  en  Efpaigne.  Voyla  pour- 
quov,  en  telles  chofes,  l'on  a  accouftumé  de  demander  vne  ame  10 
préparée.  Pourquov  praticquent  les  médecins  auant  main  la  créance 
de  leur  patient  auec  tant  de  tauces  promefles  de  la  gueriion,  il  ce 
n'ell;  atin  que  Teffect  de  l'imagination  l'upplilTe  l'impofture  de  leur 
apoleme?  Ils  l'çauent  qu'vn  des  maiftres  de  ce  mellier  leur  a  lailTé  par 
efcrit,  qu'il  s'ell  trouué  des  hommes  à  qui  la  leule  veûe  de  la  Médecine  15 
failbit  l'opération. 

Et  tout  ce  caprice  m'eil  tombe  prelentement  en  main,  lur  le  conte 
que  me  failbit  vn  domeftique  apotiquaire  de  teu  mon  père,  homme 
limple  6c  SouylTe,  nation  peu  vaine  &  menlongiere,  d'auoir  cogneu 
long  temps  vn  marchand  à  Touloufe,  maladif  (^  lubiect  à  la  pierre,  20 
qui  auoit  louuent  befoing  de  clifteres;  &  le  les  tailoit  diuerlement 
ordonner  aux  médecins,  lelon  l'occurrence  de  ion  mal.  Apportez 
qu'ils  eftovent,  il  n'v  auoit  rien  obmis  des  formes  accouftumées  : 
louuent  il  tartoit  s'ils  ellovent  trop  chauds.  Le  vovla  couché,  renuerié, 
&  toutes  les  approches  faictes,  fauf  qu'il  ne  s'y  tailoit  aucune  iniection.  25 
L'apotiquaire  retiré  après  cette  cérémonie,  le  patient  accommodé, 

Texte  88.  —  25)  faifoit  nulle  iniection. 

\'ar.  ms.  —  2)  illcgalilc  ilcs  —  3)  proteste  que  —  5)  priiiitege  iieii  son  tliiiiii  offiic 
d'une  imtiioildk  propagation .  Pour  laut 

<    r.'cditioii  de  ii9;  ajoute  ici  :  Car  l'cticct  li'iccluv  c(l  bien  de  conuicr  inDpportunciiK'iU 
par  lois,  mais  rcfiifcr  ianiais  :  &  lie  coiuiicr  tncon.-  laciteniciU  &  quietcnK-iU. 


LIVRE      I,      CHAPITRI-      XXI.  I3I 

comme  s'il  auoit  véritablement  pris  le  clvlU-re,  il  en  fentoit  pareil 
efFect  à  ceux  qui  les  prennent.  Et  li  le  médecin  n'en  trouuoit  l'opé- 
ration fuffifante,  il  luv  en  redonnoit  deux  ou  trois  autres,  de  mefme 
forme.  Mon  tefmoin  iure  que,  pour  efpargner  la  defpence  (car  il  les 
5  pavoit,  comme  s'il  les  eut  rcceus),  la  lemme  de  ce  malade  avant 
quelquefois  efllivé  d'v  faire  feulement  mettre  de  l'eau  tiède,  l'effect  en 
delcouurit  la  tourbe,  &  pour  auoir  trouué  ceux  là  inutiles,  qu'il  faulit 
reuenir  à  la  première  laçon. 

\"ne  femme,  penlant  auoir  aualé  vn'  elplingue  auec  l'on  pain,  crioit 

10  it  fe  tourmentoit  comme  avant  vne  douleur  inlupportable  au  goiier, 
où  elle  penfoit  la  fentir  arrertée;  mais,  par  ce  qu'il  n'v  auoit  nv  enileure 
nv  altération  par  le  dehors,  vn  habif  homme,  avant  iugé  que  ce 
n'ertoit  que  lantafie  &  opinion,  prile  de  quelque  morceau  de  pain  qui 
l'auoit  piquée  en  pafliuit,  la  fit  vomir  <;<>:  ietta  à  la  defrobée  dans  ce 

I)  qu'elle  rendit,  vne  efplingue  tortue.  Cette  femme,  cuidant  l'auoir 
rendue,  fe  fentit  foudain  defchargée  de  la  douleur.  le  fçav  qu'vn 
gentil'homme,  ayant  traicté  chez  luv  vne  bonne  compagnie,  fe  vanta 
trois  ou  quatre  iours  après  par  manière  de  ieu  (car  il  n^:n  eftoit  rien) 
de  leur  auoir  faict  menger  vn  chat  en  pafle  :  dequov  Mie  damovfelle 

20  de  la  troupe  print  telle  horreur,  qu'en  eftant  tombée  en  vn  grand 
déuovement  d'eftomac  &  fieure,  il  tut  impotlîble  de  la  l'auuer.  Les 
beftes  mefmes  le  voyent  comme  nous  fubiectes  à  la  force  de  l'ima- 
gination. Tefmoing  les  chiens,  qui  fe  laifTent  mourir  de  dueil  de  la 
perte  de  leurs  maiftres.  Nous  les  voyons  auffi  iapper  &  tremoulTer 

25     en  longe,  bannir  les  cheuaux  &  fe  débatte. 

Mais  tout  cecy  fe  peut  raporter  à  l'eftroite  coufture  de  l'efprit 
&  du  corps  s'entre-communiquants  leurs  tortunes.  C'ell;  autre  choie 
que  l'imagination  agiffe  quelque  fois,  non  contre  Ion  corps  feulement, 
mais  contre  le  corps  d'autruy.  Et  tout  ainfi  qu'vn  corps  reiette  Ion 


Texte  88.  —  8)    façon.  Ces  iours  paflfez  vne   —   27)    fortunes.  Mais  c'eft  bien 
autre 


1^2  HSSAIS      Di;      ^lOXTAIGXE. 

mal  à  l'on  voilin,  comme  il  le  voit  en  la  perte,  en  la  verolle,  \  au 
mal  des  veux,  qui  le  chargent  de  Fvn  à  l'autre  : 

Dum  fpectant  oculi  Lvfos,  Leduntur  &  ipfi  : 
Multdque  corporibus  tranfitione  nocent, 

pareillement  l'imagination  ell>ranlée  auecques  véhémence,  ellance  5 
des  traits,  qui  puilTcnt  offencer  l'obicct  ertrangier.  L'ancienneté  a 
tenu  de  certaines  femmes  en  Scythie,  qu'animées  et  courrouflecs 
contre  quclqu'vn,  elles  le  tuoient  du  feul  regard.  Les  tortues  &  les 
autruches  couuent  leurs  œufs  de  la  feule  veuë  :  figne  qu'ils  y  ont 
quelque  vertu  ejaculatrice.  Et  quant  aux  forciers,  on  les  dit  auoir  10 
des  yeux  offenfifs  &  nuifans, 

Nefcio  quis  teneros  oculus  niilii  nikinat  agnos. 

Ce  font  pour  mov  mauuais  refpondans,  que  magiciens.  Tant  y  a 
que  nous  voyons  par  expérience  les  femmes  enuoyer  aux  corps 
des  enfiins  qu'elles  portent  au  ventre,  des  marques  de  leurs  lan-  15 
tafies,  tefmoing  celle  qui  engendra  le  more.  Et  il  tut  prclenté  à 
Charles  Roy  de  Bohême  &  Empereur  vne  fille  d'auprès  de  Pile,  toute 
velue  (i^  herilïée,  que  fa  mère  difoit  auoir  erté  ainfi  concciie,  à  caulc 
d"vn'  image  de  Sainct  lean  Raptirte  pendue  en  l'on  lit.  Des  animaux 
il  en  ert  de  mel'mes,  tefmoing  les  brebis  de  Licob,  &  les  perdris  20 
&  les  Heures,  que  la  neige  blanchit  aux  montaignes.  On  vit  dernière- 
ment chez  mov  vn  chat  gueftant  vn  ovleau  au  haut  d'vn  arbre, 
\-,  s'ertans  fichez  la  veuë  ferme  fvn  contre  fautre  quelque  efpace  de 
temps,  l'oyleau  s'eftre  laiiïe  choir  comme  mort  entre  les  pâtes  du 
chat,  ou  ennyuré  par  l'a  propre  imagination,  ou  attiré  par  quelque  25 
force  atractiue  du  chat.  Ceux  qui  avment  la  volerie,  ont  ouy  taire 
le  conte  du  tauconnier  qui,  arreftant  obrtinément  l'a  veùe  contre 
vn  milan  en  l'air,  gageoit  de  la  feule  force  de  l'a  veiie  le  ramener 

Tf.xtf.  88.  —  7)   que  aninices  —   12)   agiios.  Mais  ce  —   28)   milan,  i^ui  eftoit 
amont,  M<;i.'oit 


F.lVRi;      I,      CUAI'ITRI-;     XXI.  135 

contre-bas  :  &  le  failbit,  à  ce  qu'on  dit.  Car  les  Hirtoires  que  i'oiipniiih; 
ie  les  renuoye  fur  la  confcience  de  ceux  de  qui  ie  les  prciis. 

Les  difcours  font  à  nioy,  &  le  tienent  par  la  preuue  de  la  railbn, 
non  de  l'expérience  :  chacun  y  peut  ioindre  l'es  exemples  :  &  qui 
5     n'en  a  point,  qu'il  ne  lailTe  pas  de  croire  qu'il  en  eft,  vcu  le  nombre 
(X:  variété  des  accidens. 

5/  ic  lie  coiiic  bien,  ijinin  autre  coiiic  pour  moi. 
Aussi  en  Vestuile  que  ie  traiele  de  nos  meurs  et  moiiiiemeiis,  les  tesmoui- 
gndgcs  fahiikiis,  pounieu  qu'ils  soit  possibles,  y  sentent  eoine  les  urais. 

10  Adiienu  ou  non  dduenu,  a  Paris  ou  a  Rome,  a  lan  ou  a  Pierre,  e'esl 
loiisioiirs  un  tour  de  l'humeine  eapaeité,  duquel  ie  suis  utillement  ad  aisé 
par  ee  reeil.  le  le  uois  el  en  fois  mon  profit  esgaleinent  en  ombre  que  en  eorps. 
Et  nus  diuerses  leçons  qu'ont  sonnant  les  histoires,  ie  prens  a  me  sentir  de 
celle  qui  est  la  plus  rare  et  mémorable.  Il  v  [a]  des  authenrs,  desquels  la  fin 

iS  c\est]  dire  les  enenemans.  La  miene,  si  i'v  sçauois  auenir,  seroit  dire  sur 
ce  qui  peut  auenir.  Il  est  instemant  permis  ans  eseoles  de  supposer  des 
similitudes,  quand  ils  n'en  ont  point.  le  n'en  fois  pas  ainsi  pourtant,  et 
surpasse  de  ce  costé  la  en  relligion  superstitieuse  toute  foi  historialle.  Ans 
exemples  que  [ie]  tire  céans  de  ce  que  i'ay  oui,  faict  ou  diet,  ie  me  suis 

20  desfeiidu  d'oser  altérer  iusques  ans  plus  legieres  et  inutiles  circonstances. 
Ma  côsciance  ne  falsifie  pas  un  ïoia,  ma  sciance  ie  ne  sçai.  Sur  ce  propos. 
Ventre  par  fois  en  pensée  qu'il  puisse  asse:^  bien  conitenir  a  un  Théologien, 
a  un  philosofe,  et  telles  gens  d'exquise  et  exacte  consciance  et  pritdance. 


Texte  88.  —  i)  Hiftoircs  que  ic  rccitc,  ic  —  2)  ic  les  tiens  :  les  difcours  — 
5)  cft  afTez,  veu  —  6)  accidens  liumains. 

Var.  ms.  —  6)  accidens  humains.  Dainnitiu^c  en  t'ciludc  de  (jiioi  if  nie  iiicsic  le  plus, 
de  nos  —  7)  pour  moi  :  ee  ii'esl  pus  niai  piirler  (jiie  iiuil  eoiiier.  Aussi  —  10)  Rome  pur  hiii 
ou  par  Pierre  —  12)  uois  el  le  iiige  esgalemeui...  eorps.  Nous  supposons  des  eonies,  quand 
nous  n'en  auons  pas.  Elans  —  14)  mémorable  quoi  que  son  tesmouignage  ne  soit  si  ferme 
[et  a]  l'auanlure  du  tout  si  eler.  Il  y  a]  —  15)  sçauois  arriuer  dire  —  16)  des  eonies 
quand  —  18)  historialle  eu  mes  pr«pf4saus  narations  qui  soûl  mienes  en  ee  Hure.  En  eeus 
que  [jVj  tire  —  20)  cireonslanees.  Sur  ce  propos,  quand  parfois  i'y  pense  de  près  l'entre 
en  double  qu'il  puisse  —   23)    consciance  d'-tsiRn  l'Hisleire 


134  ESSAIS      DE      MOXTAIGXE. 

d't'scriir  l'histoire.  Cornant  pcuucut  ils  engager  lenrfoi  sur  une  foi  popuJere? 
Cornant  respondre  des  pensées  de  persanes  inconues  et  douer  pour  argent 
eontant  leurs  conieetures?  Des  actions  a  diuers  numhres  qui  se  passent  en  leur 
presance,  Us  refuseroint  d'en  rendre  tesniouignage,  asser))uiite:^par  un  iuge: 
et  n'ont  home  si  familier,  des  intantions  du  quel  ils  entreprencnt  de  pleinemant  5 
respondre.  le  tiens  moins  hasardeus  d'escrire  les  choses  passées  que  presantes  : 
d'autant  que  l'cscrinein  n'a  a  rendre  conte  que  d'une  uerite  empruntée. 
Aucuns  me  conuient  d'escrire  les  affaires  de  mon  temps,  estimant  que  ie  les 
uois  d'une  ucue  moins  blessée  de  passion  qu'un  autre,  et  de  plus  près,  pour 
l'accc::^  que  fortune  m'a  donc  aus  chefs  de  diuers  partis.  Mais  ils  ne  disent  10 
pas  que,  pour  la  gloire  de  Salluste,  ie  )i\'en  \  pranderois  pas  la  peine  :  enemi 
iure  d'obligation,  d'assiduité,  de  consta)ice;  qu'il  n'est  rien  si  contrere  a  mon 
stile  qu'une  narration  estendue  :  ie  nu'  recoupe  si  souua)it  a  faute  de  halei)ie, 
ie  n'ay  ny  composition,  ny  explication  qui  uaille,  ignorant  au  delà  d'un 
enfant  des  frases  et  uocahles  qui  sèment  aus  choses  plus  communes;  pourtant  1 5 
ai  ie  pris  a  dire  ce  que  ie  sçai  dire,  accommodât  la  matière  a  ma  force;  si 
{'en  prenais  qui  me  guidast,  nui  mesure  pourrait  faillir  a  la  siene;  que 
ma  liberté  estant  si  libre,  l'eusse  publié  des  iugenwus,  a  mon  gré  mesme  et 
selon  raismi,  UkgitinKS  et  punissables.  Plutarquc  nous  dirait  uolantiers  de 
ce  qu'il  en  a  faict,  que  c'est  l'aKurage  d'autruy  que  ses  examp  les  saint  20 
en  tout  &  par  tout  véritables;  qu'ils  saint  vtiles  à  la  postérité,  &  présente:, 
d'vn  lustre  qui  luvis  esclaire  a  la  vertu,  que  c'est  son  ouurage.  Il  n'est  pas 
dangereux,  came  en  vue  drogue  nnrliciiuile,  en  vu  compte  ancioi,  qu'il  soit 
ainsin  ou  ainsi.  \ 

Var.  ms.  —  5)  comcciures  :  uni  que  def  arlioiis  —  12)  ricii  si  ntewi  de  nuiii 


Chapitre    XXII, 


LE    PROFIT    Dli    LVX    EST    DOMMAGE    DE    L  AVTRE. 


Dcnîadcs  Athénien  condamna  vn  homme  de  l'a  ville,  qui  faifoit 
meftier  de  vendre  les  chofes  necefïliires  aux  enterremens,  Ibuhs 
tiltre  de  ce  t]u'il  en  demandoit  trop  de  profit,  &  que  ce  profit  ne 
luy  pouuoit  venir  fans  la  mort  de  beaucoup  de  gens.  Ce  iugement 
5  lemble  eflre  mal  pris,  d'autant  qu'il  ne  fe  fait  aucun  profit  qu'au 
dommage  d'autruy,  &  qu'à  ce  conte  il  taudroit  condamner  toute 
forte  de  guein. 

Le  marchand  ne  fait  bien  l'es  affaires  qu'à  la  débauche  de  la 
ieuneffe  ;  le  laboureur,  à  la  cherté  des  bleds  ;  l'architecte,  à  la  ruine 

lo  des  maifons;  les  officiers  de  la  iuftice,  aux  procex  &  querelles  des 
hommes;  l'honneur  mefme  &  pratique  des  minières  de  la  religion 
fe  tire  de  noftre  mort  &  de  nos  vices.  Nul  médecin  ne  prent  plaifir 
à  la  lanté  de  fes  amis  mefmes,  dit  l'ancien  Comique  Grec,  ny  foldat 
à  la  paix  de  la  ville  :  ainfi  du  relfe.  Et  qui  pis  eft,  que  chacun  le  fonde 

I)  au  dedans,  il  trouuera  que  nos  fouhaits  intérieurs  pour  la  plus  part 
nailfent  &  fe  nourrifl'ent  aux  defpens  d'autruy. 

Texte  88.  —  3)  l'ail  nul  pmlit  —  S)  ne  fc  fait 


136  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

Ce  que  confiderant,  il  m'eft  venu  en  fantalie,  comme  nature  ne 
le  dément  point  en  cela  de  la  générale  police  :  car  les  Phvlîciens 
tiennent  que  la  naiflance,  nourriflement  &  augmentation  de  chaque 
chofe,  eft  l'altération  .^  corruption  d'vn"  autre  : 

Nam  quodcunque  fuis  mutatum  tinihus  exit, 
Continuo  hoc  mors  eft  illius,  quod  fuit  ante. 


Chapitre    XXIII, 


DK    LA    COVSTVMH   &    DE    Xli    CHAXGLR   AISLMENT    VXE    LOY    RECEVE. 


Ccluv  me  femblc  auoir  trcs-bicn  conceu  la  torcc  de  la  couihime, 
qui  premier  forgea  ce  conte,  qu'vne  femme  de  village,  ayant  apris 
de  careffer  &  porter  entre  fes  bras  vn  veau  des  l'heure  de  h  naifliuice, 
&  continuant  toufiours  à  ce  faire,  gaigna  cela  par  l'accouftumance, 
5  que  tout  grand  beuf  qu  il  eftoit,  elle  le  portoit  encore.  Car  c'crt  à  la 
vérité  vne  violente  &  traiftrelTe  maiftrefle  d'efcole,  que  la  courtume. 
Elle  eftablit  en  nous,  peu  à  peu,  à  la  defrobée,  le  pied  de  ion  autho- 
rité  :  mais  par  ce  doux  &  humble  commencement,  l'ayant  raflis 
6c  planté  auec  l'avde  du  temps,  elle  nous  defcouure  tantoft  vn  furieux 
10  ^;  tvrannique  vifoge,  contre  lequel  nous  n'auons  plus  la  liberté  de 
haufler  feulement  les  yeux.  Nous  luy  voyons  forcer  tous  les  coups 
les  reigles  de  nature.  «  J^siis  cfficacissimiis  reniiii  oniniiiiii  iiiagister.  » 

l'en  croi  [Va]ntre  de  Platon  eu  sa  République,  et  croy  les  médecins, 
qui  quitcnt  i\  fouuent  à  fon  authorité  les  raifons  de  leur  art;  &  ce 
i)  Ro\-  qui  par  fon  moyen  rengea  l'on  ellomac  à  le  nourrir  de  poilbn; 
ix  la  fille  qu'Albert  recite  s'eftre  accouftumée  à  viure  d'araignées. 

Et  en  ce  monde  des  Indes  nouvelles  on  trouua  des  grands  peuples 
&  en  fort  diuers  climats,  qui  en  viuoient,  en  fiiifoient  prouilion,  &  les 
apaftoient,  comme  aufli  des  fauterelles,  formiz, laizards,  chauueflburiz, 

Texte  88.  —   12)  n.nurc  :  i'cn  croy 


138  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

&  fut  vn  crapault  vendu  fix  elcus  en  vne  neceflîté  de  viures;  ils 
les  cuilent  ^:  appreftent  à  diuerles  fauces.  Il  en  fut  trouué  d'autres 
aufquels  no/  chairs  &  noz  viandes  eftovent  mortelles  &  venimeules. 
«  Coiisiictudiiiis  luci'^tia  itis  est.  Pcnioctaiit  iiciuitorcs  iii  iiiiic  :  in  iiioiilihiis 
iiri  se  piitiiiiilur.  Ptigiles  ca'stibus  coiitiisi  ne  iiigeniiseimt  qiiidetu.  »  5 

Ces  exemples  estmiigiers  ne  sont  pas  estninoes,  si  nous  eonsiiierons,  ee 
que  nous  essûioiis  onlinerement,  eomhien  l'aeostumanee  hebele  nos  sens.  Il  ne 
nons  faut  pas  aller  ebercher  ce  qu'on  dict  des  uoisins  des  cataractes  du  Nile, 
et  ee  que  les  philosophes  esti)nèt  de  la  musique  céleste,  que  les  corps  de  ces 
cercles,  estant  solides  cl  ueiians  a  se  lécher  &  f roter  l'un  a  l'autre  en  roulant,  10 
ne  peuuent  faillir  de  produire  une  merueilleuse  harmonie,  aux  coupures 
et  muances  de  la  quelle  se  nuinient  les  contours  et  changenwns  des  enrôles 
des  astres;  iintis  qu'uniuerselenuvit  les  ouïes  des  créatures,  endormies  come 
celles  des  .-Egiptiens  parla  continuation  de  ce  son,  ne  le  peuuent  aperceuoir, 
pour  graïul  qu'il  soit.  Les  nuirechaus,  ntusiiiers,  armuriers  ne  sauroint  15 
durer  au  bruit  qui  les  frapc,  s'ils  s'en  estonoint  conw  nous.  Mon^  colet  de 
Jkur  sert  a  mon  »(- ,  nniis  après  que  ie  m'en  suis  uestu  trois  iours  de  suite, 
'il  Jie  sert  qu'ans  )ie:i  assistans.  Cecy  est  plus  rstrange  que  non  obstaut  des 
longs  internai  les  et  intermissions  Vacostaumnee  puisse  iouindre  et  establir 
l'ejfaict  de  son  impression  sur  nos  sens  :  come  essaient  les  uoisins  des  20 
elochiers.  le  loge  ebes  moi  en  uiw  tour  ou,  a  la  diane  et  a  la  retretc,  une  fort 
grosse  cloche  soiw  tous  les  iours  l'aue  maria.  Ce  tintanuirre  effraie  nui  tour 
niesmes  :  et,  ans  premiers  iours  me  semblant  insuportable,  en  peu  de  temps 
m'appriuoise,  de  nuiniere  que  ie  l'ois  sans  ojfance  et  sonnât  sus  m'en  csueiller. 


Var.  ms.  —   6)    eslraiiges  d  a  considérer  ce   —    7)    orditicreiiieid  que  l'acoslumance 

—  8)  des  jEgipItens  uoishis  —    10)  f  un  et  l'autre  —   12)   niauiciil  d  —   17)   iieipfuf: 

imsimi^  —  18)  des  iuterualles  —  20)  nos  oreilles  conic  —  25)   insuportable  m)4t>ui  au 

matin,  heure  de  nwn  ineillur  sommeil,  en  peu  —  24)    souuàt  ne  m'en  esucille  pas     1°  et 

.Mon  colcl  de  Jtcur  cl  mes  giiuU  sert  aus  ne:^  edivu^ier^  assistans,  mais  au  mien  après  trois 

,.    •  ■       >      1       -,    1°  que  ie  m'en  suis  serai  de  suite     ^      ., 

ou  quatre  wurs  que  le  m-CH  </*««;  ',       .,  .       ,  .        ,      "-    il  ne  me  sert 

2°  rie  suite  que  le  m  en  suis  uestu 

plus  Platon     2°  au  matin  1)eure  de  mon  meillur  (piirase  inachevce.)  Platon 

'     .Mon...   assistans,   .niJition  ultiriture.  primitivement  pl^icOc-  ;iprcs  CSUcitlcr  (cf.  viiri.mtc  1.   2.^.) 


I.IVRÏÏ      I,      CHAPITRi:      XXIII.  I^i^ 

Platon  hiiisti  un  cnjanl  qui  iuuoil  aus  nais.  Il  luy  respoiulit  :  Tu  me 
tanscs  de  peu  de  chose.  —  L'acosiuinance,  replica  Platon,  n'est  pas  clx>sc 
de  peu. 

le  treuue  que  nos  plus  (grands  uices  preucnl  leur  pli  de  nostre  plus  tendre 
5  eujance,  et  que  nostre  principal  gouuernenwnt  est  entre  les  mains  des  nour- 
risses. C'est  passetevips  aus  mères  de  noir  un  enfant  tordre  le  col  a  un 
poulet  et  s'eshatlre  a  blesser  un  chien  et  un  chat;  et  tel  père  est  si  sot  de 
prendre  a  bon  augure  d'un'  aine  martialle,  quand  il  uoit  son  fis  gourmer 
iniurieuseineni  un  paisan  ou  un  laquai  qui  ne  se  défaut  pouiul,  et  a  ian- 

lo  ti liesse,  quàd  il  le  uoit  affiner  sou  compaignon  par  quelque  nialitieuse 
desloiaute  et  tromperie.  Ce  sont  pourtant  les  u raies  semances  et  racines  de 
la  cruauté,  de  la  tirannie,  de  la  trahison  :  elles  se  germent  la,  et  s'esleueni 
après  gaillardement,  et  profitent  a  force  entre  les  mains  de  la  costume. 
Et  est  une  tresdangereuse  institution  d'excuser  ces  uileincs  inclinations 

i)  par  la  joihlesse  de  l'eage  et  legierete  du  siiUet.  Premierenwit  c'est  nature 
qui  parle,  de  qui  la  iu)ix  est  lors  plus  pure  &  plus  forte  qu'ell'  est  plus 
gresle.  Secondement  la  laidur  de  la  piperie  ne  despent  pas  de  la  dilference 
des  escus  aus  esplingues.  Elle  despant  de  \_sox.  le  trouue  bien  plus  iuste  de 
conclu rre  ainsi  :  Pourquoy]  ne  tromperoit  il  aus  escus,  puis  qu'il  trompe  aus 

20  esplingiu's?  que  corne  [ils  font  :  Ce  n'est  qu'ans  esplingues,  il  n'ait  roi  t  garde 
de  le  faire  ans  escus.  Il  faut  apprendre  soiiigneusement  \  aus  en  fans  de  hair 
les  uices  de  leur  propre  contexture,  et  leur  en  faut  aprandre  la  naturelle 
difformité,  a  ce  qu'ils  les  fuient,  non  en  leur  action  sulemeiit,  mais  sur  tout 
en  leur  ceiir;  que  la  pensée  mesme  leur  en  soit  odieuse,  quelque  masque 

2)  qu'ils  portèt.  le  sçai  bien  que,  pour  m'est  re  du  il  en  ma  puérilité  de  marcher 
tousiours  mon  grand  et  plein  chemin,  &  auoir  eu  a  cotre  cenr  de  mesler  ny 
trichoterie  ny  finesse  a  mes  ieux  enfantins,  coine  de  lirai  il  faut  noter  que 
les  l'eus  des  enfans  ne  sont  pas  ieiis,  et  les  faut  iuger  en  eus  coine  leurs 


\'ar.  ms.  —  4)  pli  en  nostre  —  6)  eiifara  et  tordre  le  col  a  un  poulet  et  baUw  un  Mm 

s'esbattre  a  battre  &  blesser  —   11)  sont  les  —   12)  germent  ta.  Et  est  une  —  16)  lors 

plus  puisante  &  plus  pure  qu'elle   —  22)    la  nature  &  difformité.  Il  faut  qu'ils  les  fuient 
—   25)   qu'il  porte.  le 


140  ESSAIS      Di;      MONTAIGNE. 

plus  sérieuses  aeiious,  il  n'est  passeieuips  si  Icgier  ou  ie  lùipcvie  du  dedans, 
d'une  propansion  naturelle  &  sans  estudc,  un  extrême  contradiction  a 
tromper.  le  manie  les  cartes  pour  les  doubles  &  tiens  coule,  conw  pour  les 
doubles  doublons,  lors  que  le  gaiiiner  et  le  perdre  contre  ma  jame  et  ma 
fille  m'est  indifférant,  conie  lors  qu'il  y  na  de  bon.  En  tout  et  par  tout  5 
il  V  a  asses  de  mes  veus  a  me  tenir  eu  ofjice  :  il  n'y  en  a  point  qui  me 
veillent  de  si  près,  >iy  que  ie  respecte  plus. 

le  viens  de  voir  chez  moy  vn  petit  homme  natif  de  Nantes,  né 
lans  bras,  qui  a  li  bien  façonné  fes  pieds  au  leruice  que  luv  deuoycnt 
les  mains,  qu'ils  en  ont  à  la  vérité  à  demy  oublié  leur  office  naturel,  ro 
Au  demourant  il  les  nomme  fes  mains,  il  trenche,  il  charge  vn 
piflolet  &  le  lâche,  il  énlille  Ion  eguillc,  il  coud,  il  efcrit,  il  tire 
le  bonnet,  il  le  peigne,  il  iouë  aux  cartes  &  aux  dez,  &  les  remue 
auec  autant  de  dextérité  que  fçauroit  faire  quelqu'autre;  l'argent  que 
ie  luv  av  donné  (car  il  gaigne  la  vie  à  le  taire  voir),  il  l'a  emporté  15 
en  l'on  pied,  comme  nous  taifons  en  noftre  main,  l'en  vy  vn  autre, 
ertant  entant,  qui  manioit  vn'  efpée  à  deux  mains  &  vn'  hallebarde, 
du  pli  du  col,  à  faute  de  mains,  les  iettoit  en  l'air  &  les  reprenoit, 
lançoit  vne  dague.  &  faifoit  craqueter  vn  toét  auffi  bien  que  char- 
retier de  France.  20 

Mais  on  decouure  bien  mieux  les  effets  aux  el^ranges  imprellîons, 
qu'elle  tait  en  nos  âmes,  où  elle  ne  trouue  pas  tant  de  relîll:ance. 
Que  ne  peut  elle  en  nos  iugemens  &  en  nos  créances  ?  Y  a  il  opinion 
Il  /'/--^//-^i'  (ie  lailTe  à  part  la  grolTiere  impofture  des  religions,  dequoy 
tant  de  grandes  nations  &:  tant  de  fuffifans  perlbnnages  le  font  veux  25 
envurez  :  car  cette  partie  ellant  hors  de  nos  rail'ons  humaines,  il  ell: 
plus  exculahle  de  s'v  perdre,  à  qui  n'v  ell  extraordinairement  elclairé 
par  taueur  diuine)  mais  d'autres  opinions  v  en  a  il  de  li  eftranges, 

'I  r.XTK  SS.  —  24)   il  fiintafquc  (ie  —   28)   par  vue  taueur 

\'ar.  ms.  —  i)  dedans  &  d'une  —  2)  sans  niniin  soin  un'  extrême  —  ?)  caries  &  l 
—  4)  double  ducats  :  lorsque...  et  le  perdre  est  du  du  tout  indifferaiU,  conie  lors  qu'il  est 
du  plus  oraud  pois.  En  tout  —  7)  ueillenl  plus,  »;v 


IlVRi:      I,      CHAI'ITRH      XXIII.  I4I 

qu'elle  n'ave  planté  i^  eftably  par  loix  es  régions  que  bon  luy  a  femblé  ? 
Et  est  frcsitistc  cette  aiitiene  exchtmation  :  «  Non  piuiei  physkiim,  id  est 
speculatoreni  uemtoremque  iiatuiw,  ah  aiiiuns  eonsiielinliiie  iiiiluills  qtiaTere 
testiimviiiim  iierihifis.  » 
5  l'ertimc  qu'il  ne  tombe  en  l'imagination  humaine  aucune  tantalie 
Il  forcenée,  qui  ne  rencontre  l'exemple  de  quelque  vlage  public,  &  par 
conlequent  que  noftre  iliseoiirs  n'ertaie  (^  ne  tonde.  Il  eft  des  peuples 
où  on  tourne  le  doz  à  celuy  qu'on  lalue,  &  ne  regarde  l'on  iamais 
ccluv  qu'on  veut  honorer.  Il  en  ell:  où,  quand  le  Roy  crache,  la  plus 

To  fauorie  des  dames  de  la  Cour  tend  la  main;  &  en  autre  nation  les  plus 
apparents  qui  font  autour  de  luy,  le  baillent  à  terre  pour  amalTer 
en  du  linge  l'on  ordure. 

Desroho)is  iev  la  place  d'un  conte.   J'n  oentilbome  frances  se  mouchait 
lousiours  de  sa  main  :  chose  tresenemie  de  nostre  usavc.  Défendant  la  dessus 

15  son  faici  (et  estoit  faniens  en  bons  rencontres)  il  me  demanda  quel  pnuilege 
auoit  ce  sale  excremant  que  nous  allassions  luy  aprestant  un  beau  linge 
délicat  a  i  le]  receuoir,  et  puis,  qui  plus  est,  a  {l'e^mpaqueter  &  serrer  soui- 
o)uiisenhint  sur  luvis;  que  cela  deuoit  faire  plus  de  horrur  6~  de  mal  au 
ceur,  que  de  le  uoir  uerser  ou  que  ce  fut,  come  nous  Jaisons  tous  autres 

20  excrennnis.  le  trouuai  qu'il  ne  parloit  pas  du  tout  sans  raison  :  et  m'auoit 
la  costume  oste  l'aperceuance  [de''\  cette  est ra acheté,  laquelle  pourliil  nous 
Irouuons  si  hideuse,  quand  ell'  est  récitée  d'un  autre  pais. 

Les  miracles  sont  selon  l'is^norance  en  quoi  nous  somes  de  la  nature,  non 
selon  l'est re  de  la  nature.  L'assuefaciion  endort  la  ueiw  de  nostre  iugenuint. 

25  Îa's  barbares  ne  nous  sont  de  rien  plus  merueilleus,  que  nous  somes  a  eus, 
n\  aueq  plus  d'occasion  :  conw  chacun  aduouëroii,  si  chacun  sçauoit,  après 
s'estre  promené  \par]  ces  nouueaus  examples,  se  coucher  sur  les  propres,  cl 


Texte  88.  —  7)  noftre  raifon  n'cftaic 

\'ar.  .ms.  —  13)  fiaihcs  de  hoiu-  maison  .«•  —  \.\)  main  sans  mouchoir  chose  — 
22)  recilee  d'un  pais  autre.  le  m'en  retourne.  Où  faut  (p.  ip,  1.  4.)  —  23)  selon  nostre 
ignorance  de  la  nature  non  selon  nature.  —  25)  plus  eslranges  que  —  26)  plus  de  rais 
—  27)   [par'  ses. . .  sur  s^i 


142  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

[les]  conférer  saiuemaui.  La  raison  humaine  est  une  teinture  infuse  cnuiron 
di  pareil  pois  a  toutes  nos  opinions  et  meurs,  de  quelque  forme  quelles 
saint  :  infinie  [en]  matière,  infinie  en  diuersite.  le  m'en  retourne.  Il  est  des 
peuples  où  ûiuf  (a.  femme  &  fes  enfans  aucun  ne  parle  au  Roy  que 
par  larbatane.  En  vne  mefme  nation  &  les  Vierges  montrent  à  del-  5 
couuert  leurs  parties  honteules,  &  les  mariées  les  couurent  &  cachent 
foigncufement;  à  quoy  cette  autre  couftume  qui  eft  ailleurs,  a  quelque 
relation  :  la  chafteté  n'y  eft  en  pris  que  pour  le  feruice  du  mariage, 
car  les  filles  fe  peuuent  abandonner  à  leur  porte,  &,  engroiflees,  fe 
faire  auorter  par  medicamcns  propres,  au  veu  d'vn  chacun.  Et  ailleurs,  10 
fi  c'eft  vn  marchant  qui  fe  marie,  tous  les  marchans  conuiez  à  la 
nopce  couchent  auec  Fefpoufee  auant  luv;  &  plus  il  y  en  a,  plus  a  elle 
d'honneur  &  de  recommandation  de  fermeté  &  de  capacité;  fi  vn 
officier  fe  marie,  il  en  va  de  mefme;  de  mefme  fi  c'eft  vn  noble, 
&  ainfi  des  autres,  lauf  fi  c'eft  vn  laboureur  ou  quelqu'vn  du  bas  15 
peuple  :  car  lors  c'eft  au  Seigneur  à  taire;  &  fi,  on  ne  laifl'e  pas  d'y 
recommander  eftroitement  la  lovauté,  pendant  le  mariage.  Il  en  eft 
où  il  fe  void  des  bordeaux  publiez  de  malles,  voire  &  des  mariages; 
où  les  femmes  vont  à  la  guerre  quand  &  leurs  maris,  6:  ont  rang, 
non  au  combat  feulement,  mais  auffi  au  commandement.  Où  non  20 
feulement  les  bagues  fe  portent  au  nez,  aux  leures,  aux  ioues,  &  aux 
orteils  des  pieds,  mais  des  verges  d'or  bien  poilantes  au  trauers  des 
tetins  &  des  feffes.  Où  en  mangeant  on  s  efi!"uye  les  doigts  aux  cuiflies 
&  à  la  bourfe  des  genitoires  &  à  la  plante  des  pieds.  Où  les  enfans  ne 
font  pas  héritiers,  ce  font  les  frères  &  nepueux;  &  ailleurs  les  ncpucux  25 
feulement,  fauf  en  la  fucceflîon  du  Prince.  Où  pour  reigler  la 
communauté  des  biens,  qui  s'v  obferue,  certains  Magiftrats  fouue- 
rains  ont  charge  vniuerfelle  de  la  culture  des  terres  &  de  la  diftri- 
bution  des  truits,  félon  le  befoing  d'vn  chacun.  Où  Ton  pleure  la 

Texte  88.  —  9)  engreflccs  —  12)  l'cfpoufc 
\'ar.  ms.  —  i)  La  raison  (fi 


LIVRI-      I,      CIIAIMTKI-;      XXlll.  I_|5 

mort  des  cnfans,  &  fcftoyc  Fon  celle  des  vicillarts.  Où  ils  couchent 
en  des  licts  dix  ou  douze  enlemble  auec  leurs  femmes.  Où  les 
femmes  qui  perdent  leurs  maris  par  mort  violente,  fe  peuuent 
remarier,  les  autres  non.  Où  l'on  eftime  fi  mal  de  la  condition  des 
5  femmes,  qu'on  y  tue  les  femelles  qui  y  naiffent,  &  achepte  l'on  des 
voifms  des  femmes  pour  le  befoing.  Où  les  maris  peuuent  répudier 
fans  alléguer  aucune  caufe,  les  femmes  non  pour  caufe  quelconque. 
Où  les  maris  ont  loy  de  les  vendre,  fi  elles  font  fteriles.  Où  ils  font 
cuire  le  corps  du  trefpaffé,  &  puis  piler,  iufques  à  ce  qu'il  fe  forme 

lo  comme  en  bouillie,  laquelle  ils  méfient  à  leur  vin,  &  la  boiuent. 
Où  la  plus  defirable  fepulture  cil  d'eftre  mangé  des  chiens,  ailleurs 
des  oifeaux.  Où  l'on  croit  que  les  âmes  heureufes  viuent  en 
toute  liberté,  en  des  champs  plailans,  fournis  de  toutes  commo- 
ditez;  &  que  ce  font  elles  qui  font  cet  écho  que  nous  oyons.  Où  ils 

i)  comhatent  en  l'eau,  &  tirent  feurement  de  leurs  arcs  en  nageant. 
Où  pour  figne  de  fuhiection  il  faut  hauffer  les  efpaules  &  baifler 
la  terte,  &  defchaulTer  fes  fouliers,  quand  on  entre  au  logis  du 
Roy.  Où  les  Eunuques  qui  ont  les  femmes  religieufes  en  garde, 
ont  encore  le  nez  &  leures  à  dire,  pour  ne  pouuoir  eftre  ayniez; 

20  it  les  preftres  fe  creuent  les  yeux  pour  accointer  leurs  démons, 
&  prendre  les  oracles.  Où  chacun  faict  vn  Dieu  de  ce  qui  luy  plaift, 
le  chaffeur  d'vn  lyon  ou  d'vn  renard,  le  pefcheur  de  certain  poiflbn, 
<^  des  Idoles  de  chaque  action  ou  paffion  humaine  :  le  foleil,  la  lune, 
&  la  terre  lont  les  dieux  principaux;  la  forme  de  iurer  c'eft  toucher 

2)  la  terre,  regardant  le  foleil;  &  y  mange  l'on  la  chair  &  le  poiflbn 
crud.  ()//  k  gntiid  scniianl,  c'est  iurer  le  nom  de  quelque  hcmu  trespasse 
qui  cl  csie  eu  boue  réputation  au  pals,  touchant  de  la  iiuiiii  sa  lumhe. 
Ou  les  est  renés  auuuelles  que  le  Kov  euuoïe  aus  princes  ses  uassaus,  c'est  du 
Jeu.  L'ainbassadur  qui  l'apporte,  arriiuiul,  l'autieu  Jeu  est  esleiut  tout  par 

Xar.   ms.  —  27)  tuinbc.  Ou  le  peuple  adore  tel  cerleiiis  Dieus  Mars  Bucchus  Diane  Le 
Roy  un  dieu  particulier  pour  soi  Mercure.  Ou  les  (La  phrase  :  Ou  le...  Mercure  bitFéc  :i  ctttc 

place,  est  reportée,  avec  variantes,  liv.  I,  ch.  Xl.ll,  <■  108  V.)   —   29)   iirriuailt  U  feu 


144  ESSAIS      DE      MOXÏAIGNE. 

ioiil  en  la  maison.  Et  de  ee  feu  nouucau,  k  peuple  despcmlant  de  ce  prince 
en  doit  nenir  prendre  chacun  pour  soi,  sur  peine  de  crime  de  /q'  maieste. 
Ou  quand  Je  Rov,  pour  sadoner  du  tout  a  la  deuotlon  (com'  ils  font 
sonnent),  se  retire  de  sa  charge,  son  premier  successur  est  oblige  d'en  faire 
autant,  et  passe  Je  droit  du  Royaunu-  au  troisième  successur.  Ou  Von  diucr-  5 
sifie  la  jornw  de  Ja  police,  seJon  que  les  affaires  le  requièrent  :  on  dépose 
le  Rov  quàd  il  seiid^le  bon,  &  substitue  l'on  des  antiens  a  prendre  Je  gonuer- 
nement  de  l'estat,  et  Je  Jaisse  l'on  par  fois  aussi  es  mains  de  la  commune. 
Ou  homes  et  jcmes  sont  circoncis  &  [pareillement  baptises.  Ou  le  soldat  qui 
en  un  ou  diuers  conduits  est  arriué  a  présenter  a  son  Rov  sept  testes  d'enemis,  10 
est  faict  nolde.  ]  Où  l'on  vit  loubs  cette  opinion  5/  rare  et  inciuiJe  de 
la  mortalité  des  âmes.  Où  les  lemmes  s'accouchent  lans  plaincte 
&;  fans  effrov.  ()//  Jes  femmes  en  l'une  \et\  l'autre  iatnbe  portent  des 
greues  de  cuiure;  et,  si  vu  pouil  les  )nort,  sont  tenues  par  deuoir  [de] 
magnanimité  de  Je  remordre;  [et]  n'osent  espouser,  qu'eJJes  n'avent  offert  a  15 
leur  Roy,  s'il  ueut  de  leur  pucelage.  Où  l'on  laluë  mettant  le  doigt  à 
terre,  &  puis  le  haulTant  vers  le  ciel.  Où  les  hommes  portent  les 
"charges  iur  la  telle,  les  femmes  fur  les  efpaules;  elles  piffent  debout, 
les  hommes  accroupis.  Où  ils  enuoient  de  leur  lang  en  figne  d'amitié, 
&  encenient  comme  les  Dieux,  les  hommes  qu'ils  veulent  honnorer.  20 
Où  non  Iculement  iniques  au  quatriefme  degré,  mais  en  aucun  plus 
elloingné,  la  parenté  nell  foufterte  aux  mariages.  Où  les  enfans  font 
quatre  ans  en  nourrilïe,  es;  fouuent  douze  :  &  la  mefme,  il  eft  ellimé 
mortel  de  donner  à  l'entant  à  tetter  tout  le  premier  iour.  Où  les 
pères  ont  charge  ilu  chaftiment  des  malles;  «:x  les  mères  à  part,  des  25 
lemelles  :  &  ell  le  challiement  de  les  fumer,  pendus  par  les  pieds. 
Où  on  laict  circoncire  les  lemmes.  Où  l'on  mange  toute  forte 
d'herbes,  lans  autre  dilcretion  que  de  refuler  celles  qui  leur  lemblent 
auoir  mauuaile  lenteur.  Où  tout  eft  ouuert,  &  les  maifons  pour 
belles  &  riclies  quelles  lovent,  lans  porte,  lans  teneilre,  fans  coflre 


30 


Texte  88.  —  11)  opinion  defnatuicc  de  —   19)  hommes  croupis.  Où 
\'ar.  ms. —   5)   Un  ils  itiiicrsificiil  la  —    15)  qu'ttta  vc  se  soUil  offertes  a  ttiir 


LivRi;    [,    ciiAi'iTRi-:    xxiii.  145 

qui  ferme;  èv;  l'ont  les  larrons  doublement  punis  qu'ailleurs.  Où  ils 
tuent  les  pouils  auec  les  dents  comme  les  Magots,  &  trouuent  hor- 
rible de  les  voir  efcacher  loubs  les  ongles.  Où  l'on  ne  couppe  en 
toute  la  vie  nv  poil  nv  ongle;  ailleurs  où  l'on  ne  couppe  que  les 
5  ongles  de  la  droicte,  celles  de  la  gauche  le  nourriffent  par  gentillelle. 
Ou  ils  nourrissent  tout  [h'\  poil  du  corps  du  cosk  droit,  tant  qu'il  peut 
croitrc,  ci  ticncnt  ras  le  poil  de  l'autre  coslé.  Et  en  iioisines  prouinees 
ceir  iiv  nourrit  [le]  poil  de  dauant,  cette  la  \Je\  poil  de  derrière,  et  rasent 
l'opposite.  Où  les  pères  preftent  leurs  entans,  les  maris  leurs  femmes, 

10     à  iouyr  aux  hoftes,  en  payant.  Où  on  peut  honneftement  faire  des 

enfans  à  fa  mère,  les  pères  le  meiler  à  leurs  filles,  &  à  leurs  fils. 

()//  ans  assanûdees  des  festins,  Us  s'entreprestent  les  enfans  les  uns  aus  autres. 

Icy  on  vit  de  chair  humaine;  la  c'ell  office  de  pieté  de  tuer  fon 

père  en  certain  aage;  ailleurs  les  pères  ordonnent  des  entans  encore 

15  au  ventre  des  mères,  ceux  qu'ils  veulent  eflre  nourris  &  conferuez, 
6c  ceux  qu'ils  veulent  élire  abandonnez  &  tuez;  ailleurs  les  vieux 
maris  preftent  leurs  femmes  à  la  ieunelTe  pour  s'en  feruir;  &  ailleurs 
elles  font  communes  fans  péché  :  \oire  en  tel  pays  portent  pour 
merque  d'honneur  autant  de  belles  houpes  frangées  au  bord  de  leurs 

20  robes,  qu'elles  ont  accointé  de  mafles.  N'a  pas  taict  la  couftume 
encore  vne  chofe  publique  de  femmes  à  part?  leur  a  elle  pas  mis 
les  armes  à  la  main?  faict  drelTer  des  armées,  <S;  iiurer  des  batailles? 
Et  ce  que  toute  la  philofophie  ne  peut  planter  en  la  tefte  des  plus 
fiiges,  ne  l'apprend  elle  pas  de  lit  feule  ordonnance  au  plus  groffier 

25  vulgaire  ?  car  nous  fçauons  des  nations  entières,  où  non  feulement 
la  mort  eftoit  mefprilée,  mais  feftovée;  où  les  enfans  de  lept  ans 


Texte  88.  —  4)  nj'  poils  ny  ongles  —  25)  où  non  feulement  l'horreur  de  la 
mort  eftoit  mcfprifée,  mais  l'heur  (Montaigne  corrige  :  heurt")  de  fa  venue  h  l'endroict 
des  plus  chères  pcrfonnes  qu'on  eut,  feftoyéc  auec  grande  allegrefle  :  &  quant  à  la 
douleur,  nous  en  fçauons  d'autres,  où  les  enfans 

\'ar.  ms.  —  7)  croilre  et  cotifieiit  l'autre.  Où  les  pères  —  7)  pivuiiias  l'une  iiounil 
le  poil  de  dauaiit  l'aïUic  eeliiy  de  derrière  et  rasent  laiilre.  Où  les  pcrcs 


146  ESSAIS      DH      MONTAIGNE. 

fouffrovcnt  à  dire  focttcz  iniques  à  la  mort,  lans  changer  de  vilage; 
où  la  richelTe  eftoit  en  tel  mefpris,  que  le  plus  chetii  citoyen  de  la 
ville  n'euil  daigné  baifler  le  bras  pour  iiiiiasscr  vne  bource  d'elcus. 
Et  l'çauons  des  régions  tres-tertiles  en  toutes  façons  de  viures, 
où  toutesfois  les  plus  ordinaires  méz  6c  les  plus  fauoureux,  c'eftoyent  5 
du  pain,  du  nalitort  6^  de  l'eau. 

Fit  elle  pas  encore  ce  miracle  en  Cio,  qu'il  s'v  pafTa  fept  cens  ans, 
fans  mémoire  que  femme  ny  tîlle  y  eut  faict  faute  à  Ion  honneur? 

Et  fomme,  à  ma  fantalie,  il  n'eft  rien  qu'elle  ne  face,  ou  qu'elle 
ne  puifle  :  <S:  auec  raifon  l'appelle  Pindarus,  à  ce  qu'on  m'a  dict,  la     10 
Royne  &  Emperiere  du  monde. 

Celiiy  qu'on  rencontra  hâtant  son  pcrc,  nspondit  que  c'estoit  la  costume 
de  sa  niesoii;  que  son  pcrc  auoit  ainsi  hatu  son  aïeul;  son  aïeul,  son  hisaieul; 
&  montrant  son  fis  :  Et  cetuici  me  battcra  quand  il  sera  ucini  au  terme  de 
l'eage  ou  ie  suis.  15 

Ht  le  père  que  le  filx  tirassoii  cl  sahouloit  emmi  la  rue,  luy  comanda 
de  s'arrêter  a  certein  huis,  car  lux  n'auoit  treine  son  pcrc  que  iusques  la; 
que  c'estoit  la  borne  des  i ni u riens  Irclcntans  hcredilcrcs,  que  les  enjans  auoiiit 
en  usage  Jaire  ans  pères  en  leur  janiillc.  Par  costume,  dict  Aristote,  aussi 
sonnant  que  par  maladie,  des  lenuncs  s'arracbèt  le  poil,  rongent  leurs  ongles,  20 
mangent  des  charbons  et  de  la  terre;  &  autaiil  par  costume  que  par  nature 
les  nuisles  se  meslent  ans  niasles. 

Les  loix  de  la  consciance,  que  nous  disons  naistre  de  nature,  naissent 
de  la  coslunie  :  chacun  aianl  en  ucncralioii  interne  les  opinions  cl  meurs 
approuuecs  &  rcceues  autour  de  lux,  ne  s'en  peut  desprendre  sans  remors,     25 
ny  s'y  appliquer  sans  applaudissenwnl. 

Texte  88.  —  i)  fouftVoycnt  pour  l'eiTiiy  du  leur  confiance,  ;i  eftre...  changer  de 
liéniarche  ny  de  vilage  :  îs:  où  la    —    3)   pour  rcleuer  vne  —  8)  y  ayt  faict 

Vah.  ms. —  12)  Celiiy  (fue  KtiU  Âi^ik'U  cil  Arislotc  qu'on  —  13)  nicsoii  son  père 
—  14)  iicini  a  son  adotesceme .  Quand  ceux  (p.  147,  1.  i.)  —  17)  n'auoit  tirasse  son  — 
19)  Aristote  des  femmes  —  21)  1°  :  terre  &  par  costume  st^u-uimt  plus  sonnant  que  par 
nature  2°  :  terre  &  que  moitié  par  costume  moitié  par  nature  —  25)  consciance  ne 
naissent  qnc  de  ta  —  25)  s'en  ponuant  desprendre 


I.IVRn      I,      CHAPITRE      XXIII.  I47 

Quand  ceux  de  Crcto  vouloycnt  au  temps  pafl'é  maudire  quelqu  vn, 
ils  prioyent  les  dieux  de  l'engager  en  quelque  mauuail'e  coullume. 

Mais  le  principal  effect  de  la  puiflance,  c'eft  de  nous  laiiir  &  empiéter 
de  telle  forte,  qu'à  peine  foit-il  en  nous  de  nous  r'auoir  de  ûi  prinfe 
5  &  de  r'entrer  en  nous,  pour  difcourir  &  raifonner  de  fes  ordonnances. 
De  vray,  parce  que  nous  les  humons  auec  le  laict  de  noftre  naiiïance, 
(bt  que  le  vifitge  du  monde  le  prefente  en  cet  eftat  à  noftre  première 
veuë,  il  femble  que  nous  l'oyons  nais  à  la  condition  de  fuvure  ce 
train.  Et  les  communes  imaginations,  que  nous  trouuons  en  crédit 

10  autour  de  nous,  &  infufes  en  noftre  ame  par  la  femence  de  nos 
pères,  il  femble  que  ce  foyent  les  generalles  &  naturelles. 

Par  ou  il  \  adulent  que  ce  qui  est  hors  des  gons  de  costume,  ou  le  croit 
l)\ors  des  gons  de  raison  :  Dieu  sçalt  combien  desralsonahlement,  le  plus 
sonnant.  SI,  corne  nous,  qui  nous  estndlons,  auons  aprls  de  faire,  chacun 

15  qui  oit  une  lusfe  sentance,  regardolt  Incontlnant  par  ou  elle  luv  apartlent 
en  son  propre,  chacun  trouuerrolt  que  cettecy  [n'e^^st  pas  tant  un  bon  mot, 
qu'un  bon  coup  de  fol t  a  la  bestlse  ordlnere  de  son  lugemcnt.  Mais  on  reçoit 
les  aduls  de  la  uerlte  et  ses  préceptes  come  adresser^  au  peuple,  invi  lamals 
a  sol;  [ct\  au  lieu  de  les  coucher  sur  ses  tueurs,  chacun  les  couche  en  \sa~\ 

20     mémoire,  tressotemeni  et  treslinitllement.  Reiienôs  a  l'empire  de  la  costume. 

Les  peuples  nourris  a  la  liberté  et  a  se  comander  eus  mesnus,  estlnuiit 

toute  autre  forme  de  police  monstrueuse  \et^  contre  nature.  Cens  qui  sont 

diilts  a  la  monarchie,  \  en']  font  de  inesme.  Et  quehp,  facilite  que  leur  preste 

fortune  au  changenwnt,  lors  niesmes  qu'ils  v  so)it,  aueq  grandes  difficultcr^, 

2)  desjalcts  de  l'importunlte  \d'\un  malstre.  Ils  courent  a  \en\  replanter  un 
nouueau  aueq  pareilles  difficulté:^,  pour  ne  se  ponuolr  résoudre  de  prandre 
en  haine  la  nuilstrlse.^ 

Var.  ms.  —  II)  naturelles.  Les  peuples  (i.  21.)  —  12)  //  n'est  pas  merueilte  que  — 
15)  di  la  rnisoii  —  17)  la  soUise  ordiiiere  —  22)  forme  iiwnslnieiise  —  26)  diffuiilte^ 
jm]a*U  que 

'  I.cdition  de  159;  ajouti;  ici  ;  C'eft  par  l'entrcmife  de  la  couftume  que  chafcun  eft 
contant  du  lieu  où  nature  l'a  planté  :  &  les  (;tuuages  d'Efcoflc  n'ont  que  faire  de  la 
Touraine,  nv  les  Scvtlies  de  la  ThelTalie. 


148  ESSAIS      Dl-      MOXTAIGXK. 

Darius  demandoit  à  quelques  Grecs,  pour  combien  ils  voudroient 
prendre  la  couftume  des  Indes,  de  manger  leurs  pères  trelpalTez 
(car  c'eftoit  leur  forme,  eftimans  ne  leur  pouuoir  donner  plus  tauo- 
rable  fepulture,  que  dans  eux-melmes),  ils  luy  refpondirent  que  pour 
choie  du  monde  ils  ne  le  feroient;  mais  sellant  auffi  eflayé  de  5 
perluader  aux  Indiens  de  laill'er  leur  façon  &  prendre  celle  de  Grèce, 
qui  elloit  de  bruiler  les  corps  de  leurs  pcres,  il  leur  lit  encore  plus 
d'horreur.  Chacun  en  fait  ainfi,  d'autant  que  Tviage  nous  defrobbe 
le  vrav  vifage  des  choies, 

Xil  adeo  magnum,  ncc  tam  mirabile  quicquam  10 

Principio,  quod  non  miniiant  mirarier  omnes 

Paiilatim. 

Autrefois,  avant  à  taire  valoir  quelqu'vne  de  nos  obleruations, 
&  receùe  auec  relolue  authorité  bien  loing  autour  de  nous,  &  ne 
voulant  point,  comme  il  le  taict,  l'ertablir  feulement  par  la  force  15 
des  loix  ^L  des  exemples,  mais  quellant  touliours  iniques  à  Ion 
"origine,  i'v  trcniuai  le  fondement  iî  foible,  qu'à  peine  que  ic  ne 
m'en  dégoutalïc,  mov  qui  auois  à  la  confirmer  en  autruv. 

C'est  cette  reccple,  de  quoi  Phi  ton  eiilrepraiit  \de\  chasser  les  ciiiioiirs 
dcsnatiirees  de  son  temps,  \qii^'il  estime  souuereine  et  principale  :  u  sciiiioir  20 
que  Vopinioti  publique  les  condamne,  que  les  poètes,  que  chacun  eu  face  des 
inauues  contes.  Recette  par  le  moien  de  laquelle  les  plus  belles  pilles  n'attirent 
plus  l'amour  des  pères,  ny  [les]  frères  plus  c.xcellans  en  beauté  l'amour 
des  seurs,  les  fables  nwsmc  de  Thvestes,  d'Œdippus,  de  Macareus  aiant  aueq 
[_le]  plaisir  de  leur  chant  injiis  cette  utile  créance  en  la  tendre  ceruclk  des  25 
enfans. 


Texte   88.  —  16)  qil'cftanl    faute  d'impression  corrigée  pnr  Mont.iigne.  —    I  j)   fondcilicnt 

n  clunif&  fi 

\'^v..  Ms.  —  19)  amours  uitieiiscs  df  sou  —  20)  soiiuciciiie  »  A  si^uuoii^  et  suie  A 
sçauoir  —  22)  Recette  qui  a  gaiguc  que  les  plus  belles  filles  u'attireul  point  l'amour  — 
2})  ny  [les]  plus  h  —  24)  failles  de  Thwstes...  Macareus  au 


I.1VRI-:    1,    c.HAPiTRi-;    xxiii.  149 

Di'  iinii,  la  pmlicitc  est  une  belle  iiertii,  &  de  ht  quelle  l' utilité  est  asses 
eonue  :  mais  de  la  traicler  [et]  faire  ualoir  selon  nature,  il  est  autant  malaise, 
eom'  il  est  aise  de  la  faire  ualoir  selon  l'usage,  les  hix  et  les  préceptes.  Les 
premières  et  uniuerselles  raisons  sont  de  difjicille  perscrutaiion.  Et  les  passent 
5  nos  maîtres  en  escunuint,  ou,  ne  les  osant  pas  sulemeni  laster,  se  iettent 
d'abordée  dans  la  franehise  de  la  eostume,  ou  ils  s'enflent  &  trionipbèt  a  bon 
eonte.  Cens  qui  ne  se  uenlent  laisser  tirer  hors  de  cette  orioinelle  source, 
fitillèt  encore  plus  et  s'obligêt  a  des  opinions  saunages,  corne  Chrysippus  qui 
senui  en  tant  de  lieus  de  ses  escris  le  peu  de  conte  en  quoi  il  tenoit  [les] 

10  conionctions  incestueuses,  quelles  qu'elles  fussent.  Qui  \'Oudra  fc  desfiiirc 
de  ce  violent  preiudice  de  la  couftume,  il  trouuera  plufieurs  chofes 
receues  d'vne  relblution  indubitable,  qui  n'ont  appuy  qu'en  la  barbe 
chenue  &  rides  de  l'vlage  qui  les  accompaigne  ;  mais,  ce  mafque 
arraché,  rapportant  les  chofes  à  la  vérité  &  à  la  raifon,  il  fentira  l'on 

15  ingénient  comme  tout  bouleuerle,  &  remis  pourtant  en  bien  plus 
leur  ertat.  Pour  exemple,  ie  luv  demanderay  lors,  quelle  chofe  peut 
crtrc  plus  eftrange,  que  de  voir  vn  peuple  obligé  à  fuiure  des  loix 
qu'il  n'entendit  onques,  attaché  en  tous  fes  afliiires  domertiques, 
mariages,  donations,  teftamens,  ventes  &  achapts,  à  des  règles  qu'il 

20  ne  peut  fçauoir,  n'eftant  efcrites  ny  publiées  en  h  langue,  &  defquelles 
par  neceflîté  il  luy  faille  acheter  l'interprétation  &  l'vlage?  non  selon 
ringenieusc  opinion  d'IscKrates,  qui  conseille  a  son  Rov  de  rendre  les  trafiques 
&  negotiations  de  ses  subiets  libres,  franches  et  lucratif ues,  et  leurs  débats  cl 
querelles  onéreuses,  les  charg[eant]  de  poisans  subsides;  nuiis  selon  un' opinion 

25  monstrueuse,  de  mettre  en  trafique  la  raison  mesme,  &  douer  aus  loix  cours 
ide]  nuirchandise.  le  fçay  bon  gré  à  la  fortune,  dequoy,  comme  difent 
nos  hiftoriens,  ce  fut  vn  gentil'homme  Gafcon  &  de  mon  pays,  qui 

Texte  88.  —  10)  fussent.  Et  qui  fe  voudra  cfTaycr  de  mcfme,  &  fc  desfairc  — 
17)  eftre  de  plus 

\'ar.  ms.  —  2)  il  est  bien  plus  malaise  —  3)  préceptes  et  exemples  Les  —  4)  passent 
mus  —  7)  tirer  hiff.:-,  puis  rétabli.  —  22)  Roy  de  laisser  les  —  23)  libres  et  franches 
et  lucratif  ues  mais  leurs  —  24)  onéreuses  Us  et  charg  ees\  de 


130  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

le  premier  s'oppofa  à  Charlemaigne,  nous  voulant  donner  les  loix 
Latines  &  Impériales.  Qu'eft-il  plus  farouche  que  de  voir  vne  nation, 
où  par  légitime  courtume  la  charge  de  iuger  le  vende,  &  les  iugemens 
fovent  pavez  à  purs  deniers  contans,  &  où  légitimement  la  iuftice 
foit  retufée  à  qui  n'a  dequoy  la  payer,  &  ave  cette  marchandile  li  '5 
grand  crédit,  qu'il  le  face  en  vne  police  vn  quatrielme  eftat,  de  gens 
maniants  les  procès,  pour  le  ioindre  aux  trois  anciens,  de  l'Eglile, 
de  la  NoblelTc  &  du  Peuple;  lequel  eftat,  ayant  la  charge  des  loix 
&  l'ouueraine  authorité  des  biens  &  des  vies,  lace  vn  corps  à  part 
de  celuv  de  la  noblelTe  :  d'où  il  auienne  qu'il  v  avt  doubles  loix,  10 
celles  de  l'honneur,  &  celles  de  la  iurtice,  en  plulieurs  choies  lort 
contraires  (aufli  rigoureufement  condamnent  celles-là  vn  démanti 
Ibuflfert,  comme  celles  icv  vn  démanti  reuanché);  par  le  deuoir  des 
armes,  celuv-là  foit  dégradé  d'honneur  &  de  noblefle  qui  fouftVe 
vn'  iniure,  &,  par  le  deuoir  ciuil,  celuv  qui  s'en  venge,  encoure  vne  15 
peine  capitale  (qui  s'adrelîe  aux  loix,  pour  auoir  raifon  d'vne  olîence 
fiiite  à  fon  honneur,  il  le  deflionnore;  &  qui  ne  s'v  adrclfe,  il  en  efl; 
punv  &  chaftié  par  les  loix);  &,  de  ces  deux  pièces  li  diuerfes,  fe 
raportant  toutesfois  à  vn  feul  chef,  ceux-là  ayent  la  paix,  ceux-cy  la 
guerre  en  charge;  ceux-là  avent  le  gaing,  ceux-cv  l'honneur;  ceux-là  20 
le  fçauoir,  ceux-cv  la  vertu;  ceux-là  la  parole,  ceux-cv  l'action; 
ceux-là  la  iuftice,  ceux-cy  la  vaillance;  ceux-là  la  raifon,  ceux-cy 
la  force;  ceux-là  la  robbe  longue,  ceux-cv  la  courte  en  partage? 

Quant  aux  chofes  indifférentes,  comme  veftemens,  qui  les  voudra 
ramener  à  leur  vraye  fin,  qui  eft  le  feruice  &  commodité  du  corps,  25 
d'où  dépend  leur  grâce  &  bien  feance  originelle,  pour  les  plus  monl- 
trueux  à  mon  gré  qui  fc  puiffent  imaginer,  ie  luy  donrav  entre  autres 
nos  bonnets  carrez,  cette  longue  queue  de  veloux  plilTé  qui  pend 
aux  teftes  de  nos  femmes  auec  fon  attirail  bigarré,  ^n;  ce  vain  modelle 
&  inutile  d'vn  membre  que  nous  ne  pouuons  feulement  honnefte-  30 
ment  nommer,  duquel  toutesfois  nous  faifons  montre  &  parade  en 
public.  Ces  conliderations  ne  deftournent  pourtant  pas  vn  homme 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXIII.  1)1 

d'entendement  de  lliiure  le  ftille  commun;  dns,  au  rebours,  il  me 
l'emble  que  toutes  façons  cfcartées  &  particulières  partent  plulloft  de 
folie  ou  d'affectation  ambitieufe,  que  de  vraye  raifon;  &  que  le  ûige 
doit  au  dedans  retirer  fon  ame  de  la  prefle,  &  la  tenir  en  liberté 
5  &  puilîiince  de  iuger  librement  des  choies;  mais,  quant  au  dehors, 
qu'il  doit  fuiure  entièrement  les  fiiçons  &  formes  receues.  La  focieté 
publique  n'a  que  fiiire  de  nos  penfées;  mais  le  demeurant,  comme  nos 
actions,  noftre  trauail,  nos  fortunes  &  noftre  vie  propre,  il  la  faut 
prêter  &  abandonner  à  fon  feruice  &  aux  opinions  communes,  comme 
lo  ce  bon  &  grand  Socrates  refuia  de  lauuer  la  vie  par  la  delobeiffance 
du  magil^rat,  voire  d'vn  magiftrat  tres-iniulle  &  tres-inique.  Car 
c'eft  la  règle  des  règles,  &  générale  loy  des  loix,  que  chacun  obferuc 
celles  du  lieu  où  il  ell;  : 

I)  En  voicy  d'vn'  autre  cuuée.  Il  y  a  grand  doute,  s'il  fe  peut  trouuer 
il  euident  profit  au  changement  d'vne  loy  receue,  telle  qu'elle  ioit, 
qu'il  V  a  de  mal  à  la  remuer  :  d'autant  qu'vne  police,  c'eft  comme 
vn  baftiment  de  diuerfes  pièces  iointes  enfemble,  d'vne  telle  liailon, 
qu'il  cft  impofllble  d'en  eibranler  une,  que  tout  le  corps  ne  s'en  fente. 

20  Le  legiflateur  des  Thuriens  ordonna  que  quiconque  voudroit,  ou 
abolir  vne  des  vieilles  loix,  ou  en  eftablir  vne  nouuelle,  le  preien- 
teroit  au  peuple  la  corde  au  col  :  afin  que  si  la  nouuelleté  n'eftoit 
approuuée  d'vn  chacun,  il  fut  incontinent  eftranglé.  Et  celuy  de 
Lacedemone  employa  fa  vie  pour  tirer  de  fes  citoyens  vne  promelTe 

25  afleurée,  de  n'enfraindre  aucune  de  fes  ordonnances.  L'ephore  qui 
coupa  û  rudement  les  deux  cordes  que  Phrinys  auoit  adioufté  à  la 
mufique,  ne  s'efmaie  pas  fi  elle  en  vaut  mieux,  ou  fi  les  accords  en 
font  mieux  remplis  :  il  luy  fiiffit  pour  les  condamner,  que  ce  foit 

Texte  88.  —  19)  Llbrankr  l.i   moiiuirc,  que  —    22)  que  hi  iiouui.-lli.-te  n'eftoit 
approuuée  d'vn  chacun  11  il  tut 


1)2  KSSAIS      DU      MOXTAlGXi:. 

vnc  altcration  de  la  vieille  façon.  C'ell  ce  que  lignifioit  cette  el'pée 
roùillée  de  la  iuftice  de  Madeille. 

le  luis  defgourté  de  la  nouuelleté,  quelque  vilage  qu'elle  porte, 
&  ay  raifon,  car  l'en  av  veu  des  effets  très-dommageables.  Celle  qui 
nous  prefle  depuis  huit  d'ans,  elle  n'a  pas  tout  exploicté,  mais  on  5 
jieut  dire  auec  apparence,  que  par  accident  elle  a  tout  produict 
&  engendré  :  voire  &  les  maux  &  ruines,  qui  fe  font  depuis  fans 
elle,  6c  contre  elle  :  c'eft  à  elle  à  s'en  prendre  au  nez. 

Heu  patior  telis  vulnera  facta  meis. 

Cens  qui  donnent  le  branle  à  vn  eftat,  font  volontiers  les  premiers  10 
abforbez  en  fa  ruvne.  Le  fruit  dit  trouble  ne  deinure  guiere  et  eelltiy 
qui  l'a  esiiieu,  il  bat  et  brouille  l'eau,  pour  d'autres  pesebeiirs.  La  liaifon 
&  contexture  de  cette  monarchie  &  ce  grand  baftiment  ayant  efté 
defmis  &  diffout,  notamment  fur  les  vieux  ans,  par  elle,  donne  tant 
qu'on  veut  d'ouuerture  6t  d'entrée  à  pareilles  iniures.  La  luaiesle  15 
Royalle,  dict  un  antien,  s'auale  plus  difjieileiiiant  du  soniinet  au  inilieii 
qti'lelle]  ne  se  précipite  du  milieu  \a]fons. 

Mais  si  les  inuantiirs  sont  plus  doniageables,  les  iinitaturs  sont  plus 
tiilietts,  de  se  ietter  en  des  exainples,  des  quels  ils  ont  senty  et  puny  l'horrur 
et  le  mal.  Et  s'il  |  _vl  a  quelque  degré  d'honiir,  inesines  au  mal  faire,  eettscy     20 
doiticnt  ans  autres  la  gloire  de  l'inuantion,  et  le  eorage  du  premier  effort. 

Toutes  fortes  de  nouuelle  defbauche  puifent  httreusemant  en  cette 
première  &  kvconde  fource,  les  images  i5t  patrons  à  troubler  noftre 
|H)lice.  On  lict  en  nos  loix  mefmes,  faites  pour  le  remède  de  ce 
premier  mal,  l'aprentiffage  &  l'excufe  de  toute  forte  de  mauuaifes     25 

Te.kte  88.  —  i)  cette  vieille  efpée  —  5)  depuis  vingt  cinq  ou  trente  ;ins,  elle 
—  9)  meis.  Les  premiers  qui  donnent 

Var.  ms.  —  II)  abforbex  biilc  puis  rùiaWi.  —  II)  ruyne.  L'cjfaict  du  tivnblc  — 
12)  pour  lin  (iiiln-j'csdieiir.  I.a  —  15)  iniures  :  nviiin  niiiii  iiinieflas  iUfficilius  ah  siiiiiniû 
fiisligio  ad  médium  dctratnlur,  qiiaiii  a  inedijs  ad  ima  pi:rcipilalur.  Toutes  fortes  — 
17)  uf  prcàpilc  —   iS)  sont  iiiliciis  —   19)  hiil\  li  nroiiii  rivrnir 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXIII.  I33 

cntrcprifcs;  &  nous  aduicnt,  ce  que  Thucididcs  dict  des  guerres 
ciuiles  de  fon  temps,  qu'en  faueur  des  vices  publiques  on  les  battilbit 
de  mots  nouueaux  plus  doux,  pour  leur  excufe,  abaftardiffant 
&  amoliffiint  leurs  vrais  titres.  C'eft,  pourtant,  pour  reformer  nos 
5  confciences  &  nos  créances.  «  Honefta  oratio  eft.  »  xMais  le  meilleur 
prétexte  de  nouuelleté  eft  trcs-dangereux  :  «  adco  nihil  inotuni  ex  antiquo 
prohahik  est.  »  Si  me  femblc-il,  à  le  dire  franchement,  qu'il  v  a  grand 
amour  de  fov  &  prefomption,  d'eftimer  fes  opinions  iulque-là  que, 
pour  les  eftablir,  il  faille  renuerfer  vne  paix  publique,  &  introduire 

10  tant  de  maux  ineuitables,  &  vne  fi  horrible  corruption  de  meurs 
que  les  guerres  ciuiles  apportent,  &  les  mutations  deftat,  en  choie  de 
tel  pois;  &  les  introduire  en  fon  pays  propre.  Est  ce'  pas  iiinl  niesnagé, 
d'aduencer  tant  de  vices  certains  et  cogiins,  pour  comhatre  des  erreurs  contes- 
tées et  debatables?  Est  il  quelque  pire  espèce  de  vices,  que  ceux  qui  choquent 

15     ht  propre  consciatice,  et  naturelle  cognoissance? 

Le  sénat  osa  douer  en  paicnnuit  cette  desfaicte,  sur  le  diferant  d'entre  luy 
et  [  le]  peuple,  pour  le  ministère  de  leur  religion.  «  fAd]  deos  id  iiuigis  quant 
ad  se  perli  Itère,  [ipsos]  uistiros  ne  sacra  sua  polluant  tir  »,  coitjorineeiiteut  a  ce 
qtw  respondit  l'oracle  [a]  cetis  de  delphes  en  la  guerre  Medoise.  Creigitaits 

20  l'inuasion  des  Perses  ils  deinaitdarent  ati  Dieu  ce  qu'ils  auoiitt  [a]  faire 
des  tbresors  sacre::;^  de  son  temple,  ou  les  cacher,  ou  les  emporter.  [//]  leur 
respoitdit  qti'ils  ite  bougeasseitt  rien;  [qti'^ils  se  souigitasseitt  d'eus;  qu'il 
estoit  stiffisât  pour  pourtioir  a  ce  qtti  luy  estoit  propre. 

La  religion  Chreftienne  a  toutes  les  marques  d'extrême  iuftice 

2)     &  vtilité  :  mais  nulle  plus  apparente,  que  l'exacte  recommandation 

Texte  88.  —  5)  meilleur  tiltrc  de  nouuelleté  —  25)  nulle  il  apparente 

V'ar.  ms.  —  17)  peuple,  toiicljanl  le  ■ —  17)  religion.  Que  cela  touchoit  les  dieus  plus 

qu'eus,  qui  aroiut  asscs  l'cuil  que  leur  seruicc  ue  fut  poilu.  Ad  deos...   poUiutiilur.   La 

religion 

'  On  s'accorde  :'i  reconnaître  l'écriture  Je  .\I"'  de  Gournay  dans  le  p.issage  :  Lst  ce  pas. . .  COgllOIS- 
sauce  ?  .Mais  ce  passage  n'a  pas  été  inséré  dans  le  manuscrit  à  l'insu  de  Montaigne,  ou  après  sa  mort  ; 
car  Montaigne  a  ajouté  de  sa  main,  immédiatement  à  la  suite,  dans  la  même  ligne,  la  phrase  :  Le  SCIwl 
osa  etc. 


1)4  ESSAIS      DE      .MOXTAIGXE. 

de  l'obcilTance  du  Magiftrat,  &  manutention  des  polices.  Quel 
merueilleux  exemple  nous  en  a  laiffé  la  lapience  diuine,  qui,  pour 
eflablir  le  falut  du  genre  humain,  &  conduire  cette  lienne  glorieule 
victoire  contre  la  mort  &  le  péché,  ne  Fa  voulu  taire  qu'à  la  merc}- 
de  noflre  ordre  politique;  &  a  foubmis  Ion  progrez,  &  la  conduicte  5 
d"vn  li  haut  eftect  &  li  falutaire,  à  l'aueuglement  &  iniuftice  de  nos 
obleruations  et  vlances  :  \-  laifllmt  courir  le  lang  innocent  de  tant 
d'elleuz  les  tauoriz,  &  fouftrant  vne  longue  perte  d'années  à  meurir 
ce  fruict  inellimablc. 

11  y  a  grand  à  dire,  entre  la  caufe  de  celuy  qui  liiyt  les  formes  &  les  10 
loix  de  fon  pavs,  &  celuy  qui  entreprend  de  les  régenter  &  changer. 
Celuv  là  allègue  pour  fon  excufe  la  hmplicité,  TobeilTance  &  /'exemple:- 
quov  qu'il  lace,  ce  ne  peut  élire  malice,  cell:,  pour  le  plus,  malheur, 
('  Qiiis  est  eiiiiit  qiicm  non  nioiwat  clarissiniis  monuineiitis  testata  œnsi- 
giiataquc  iUiiiquilas.  »  15 

Outre  ce  que  dict  Isocraks  que  la  defecliiosite  a  plus  Je  pari  a  la  modé- 
ration, que  n'a  l'excès.  L'autre  efi:  en  bien  plus  rude  partv. 

Car  qui  se  nwsle  de  choisir  et  de  changer,  usurpe  Vauthorite  de  iuger, 
et  se  doit  Ja ire  fort  de  noir  la  faute  [de]  ce  qu'il  chasse,  et  le  bien  de  ce 
qu'il  introduit.  Cette  si  uulguere  considération  ni'afernn  [en]  mon  siège,  et  20 
/('////  /;/(/  iunesse  i)u\snu%  plus  teinerere,  en  bride  :  de  ne  charger  mes  espaules 
d'un  [si\  lourd  fais,  que  de  me  rendre  respomlant  [d']unc  sciancc  [de]  telle 
importance,  et  oser  en  cetecv  [ce]  qu'en  sein  ingéniant  ie  \  ne^  pour  rois  oser  en 
la  plus  Jacile  de  celles  ans  quelles  [on\  m'auoit  instruit,  et  ans  quelles  la 
lenierite  de  iuger  est  de  nul  preiudice  :  me  semblant  tresinique  ide\  uouloir  25 
sousnu'ttre  les  constitutions  et  obseruances  publiques  &  immobiles  a  l'insta- 
bilité d'une  prince  jantasie  (la  raison  prince  n'a  qu'une  iurisdiction  prince) 

Texte  88.  —  7)  lang  nicfnic  innocent  —  17)  paiiv  :  on  no  ptut  ch.ingcr  qu'on 
ne  iuge  du  mal  qu'on  Kiiirc,  &  du  bien  qu'on  prend.  Ht  Dieu  (p.  155,  1.  17.) 

Var.  ms.  —  19)  fort  ou  il  est  un  fol  de  uoir  ia  faute  cl  le  uicc  [del  ce  —  20)  Cette 
si  clere  et  naturelle  considération  —  21)  de  ne  nie  charger  les  espaules  d'un  si  lourd  pois 
que  de  —    22)     (/'  une  si  hduU  scinncc   de   telle  Imulur  et  importance 


LIVRE      I,      CHAPITRI-      XXIir.  T)5 

('/  cntrcpraïuhr  sur  les  loix  diuiiics  ce  que  nulle  police  ne  supporterait 
(tus  ciuiles,  ausquellcs  encore  que  l'humaine  raison  ayc  beaucoup  plus  de 
commerce,  si  sont  elles  sonuereinennint  iuç^es  de  leurs  iuges;  et  Vextremc 
suffisance  sert  a  expliquer  et  esta  mire  l'usai:;e  qui  en  est  receu,  non  a  Je 
5  destourner  et  innotier.  Si  quelque  fois  la  prouidance  diuine  a  passe  par 
dessus  les  rei^les  ans  quelles  elle  nous  a  necesse  renia  ut  astreint,  ce  n'est  pas 
pour  nous  en  dispanscr.  [Q]  sont  coups  de  sa  main  diuine,  qu'il  nous  faut, 
non  pas  imiter,  mais  admirer,  et  examples  extraordiiieres,  marque-  d'un 
cxpre:;^  et  particulier  adueu,  du  i^enre  des  miracles  qu'elle  nous  offre  pour 

10  tesnwuignaiie  de  sa  toute  puissance  au  dessus  de  nos  ordres  &  de  nos  forces, 
qu'il  est  folie  &  impiété  \d']essaier  a  represanter,  et  que  nous  ne  deuons  pas 
suiure,  mais  contempler  aueq  estonemaut.  Actes  \de^  son  personai^e,  non  pas 
du  nostre. 

Cotta   proteste   bien    opportuuei>ient  :   «  Quum    de    relii^uoue   agitur 

15  [T.  Coruncaniiim,  P.  Scipionem,  P.]  Sca'uolam,  pont  if  ces  niaxinms,  non 
Zenonem  aut  Cleanthem  aut  Cljrysippum  sequor.  » 

Dieu  le  fçachc,  en  noftre  prefente  querelle,  où  il  y  a  cent  articles 
à  ofter  <Sc  remettre,  grands  &  profonds  articles,  combien  ils  iont  qui 
fe  puiflent  vanter  d'auoir  exactement  recogneu  les  railons  &  tonde- 

20  ments  de  l'vn  &  l'autre  party?  Ceft  vn  nombre,  lî  c'eft  nombre,  qui 
n'auroit  pas  grand  moven  de  nous  troubler.  Mais  toute  cette  autre 
prefle,  où  va  elle?  Ibubs  quell' enseigne  le  iette  elle  à  quartier?  11  aduient 
de  la  leur,  comme  des  autres  médecines  foibles  &  mal  appliquées  : 
les  humeurs  qu'elle  \ouloit  purger  en  nous,  elle  les  a  elchaufées, 

2)  exal'perées  &  aigries  par  le  conflict,  &  li  nous  eft  demeurée  dans  le 
corps.  Elle  n'a  Iceu  nous  purger  par  fa  foibleffe,  &  nous  a  cependant 
affoiblis,  en  manière  que  nous  ne  la  pouuons  vuider  non  plus,  &  ne 
receuons  de  fon  opération  que  des  douleurs  longues  &  inteftines. 

Texte  88.  —  22)  foubs  quel  tiltrc  le 

Var.  ms. —  2)  encore  ij lie  H  —  4)  suffisance  s' estant  ii  expliquer  et  cslandre[^lu^  g 
—  5)  destourner  cl  corrompre.  Si  —  8)  examples  marifue^  d'un  —  11)  Jolie  &  Icmcri... 
represanter  (jiir  nous  —  12)  eslonenwnt.  Onurages  \dc]  son 


1)6  ESSAIS     DE     MOXTAIGXE. 

Si  cft-cc  que  la  tbitunc,  rclcruant  touiiours  fon  autlioritc  au  delTus 
de  nos  dilcours,  nous  prefente  aucunetois  la  neceflité  lî  vrgente, 
qu'il  eft  hefoing  que  les  loix  luy  fiKent  quelque  place. 

Et  quand  on  relîfte  à  l'accroilTance  d'vne  innouation  qui  vient 
par  violence  à  s'introduire,  de  le  tenir,  en  tout  &  par  tout,  en  bride  5 
&  en  reigle,  contre  ceux  qui  ont  la  clef  des  champs,  aulquels  tout 
cela  eft  loillble  qui  peut  auancer  leur  deflein,  qui  n'ont  ny  loy  ny 
ordre  que  de  luyure  leur  aduantage,  c'eft  vne  dangereule  obligation 
&  inequalité  :  «  Adiium  iioeeiidi  perjido  prœsiat  Jîdes.  »  D'autant  que  la 
dilcipline  ordinaire  d'vn  Eftat  qui  eft  en  la  liinté,  ne  pouruoit  pas  10 
à  ces  accidens  extraordinaires  :  elle  preluppole  vn  corps  qui  le  tient 
en  fes  principaux  membres  &  offices,  &  vn  commun  conlcntement 
à  Ion  obferuation  &  obeifliUice.  L'itler  légitime  est  un  aller  Jroit,  poisunt 
et  coiitreiiit,  et  n'est  pas  pour  tenir  bon  a  un  aller  licentieus  et  ejfrené. 

On  l'çait  qu'il  eft  encore  reproché  à  ces  deux  grands  perfonnages,     15 
Octauius  &  Caton,  aux  guerres  ciuiles  l'vn  de  Sylla,  l'autre  de  Celar, 
d'auoir  pluftoft  lailTé  encourir  toutes  extrémités  à  leur  patrie,  que 
de  la  lecourir  aux  defpens  de  fes  loix,  &  que  de  rien  remuer.  Car, 
à  la  vérité,  en  ces  dernières  necelîitez  où  il  n'y  a  plus  que  tenir,  il 
leroit  à  l'auanture  plus  lagement  fait,  de  bailler  la  tefte  &  prefter  vn     20 
peu  au  coup,  que,  s'ahurtant  outre  la  poffibilité  à  ne  rien  relafcher, 
donner  occalion  à  la  violance  de  touler  tout  aux  pieds;  &  vaudroit 
mieux  faire  vouloir  aux  loix  ce  qu'elles  peuuent,  puis  qu'elles  ne 
peuucnt  ce  qu'elles  veulent.  Ainfi  feit  celuy  qui  ordonna  qu'elles 
dormilTcnt  vint  &  quatre  heures,  &  celuy  qui  remua  pour  cette  lois     25 
vn  iour  du  calendrier,  6c  cet  autre'  qui  du  mois  de  luin  ht  le  fécond 
May.  Les  Lacedemoniens  mefmes,  tant  religieux  obleruateurs  des 
ordonnances  de  leur  pais,  eftans  preffez  de  leur  loy  qui  defendoit 

Trxte  88.  —  5)  place  :  comme  quand  —  3)  s'introduire  :  car  de  fe 
\'ar.  ms. —  ]})  froil  coiilrcitil  limilé.  Et  n'est 

'    &  cet  autre...  May.  .idJition  de  1588. 


I.IVR1-;      I,      CHA1MTR1-:      XXII I.  Ijy 

dcllirc  par  deux  tois  Admirai  vn  md'mc  pcrlbnnagc,  <b^  de  Tautrc 
part  leurs  affaires  requcrans  de  toute  neceffité  que  Lyfander  print 
de  rechef  cette  charge,  ils  firent  bien  vn  Aracus  Admirai,  mais 
Lyûinder  furintendant  de  la  marine.  Et  de  mefme  fubtilité,  vn  de 
leurs  ambaffadeurs,  eftant  enuové  vers  les  Athéniens,  pour  obtenir 
le  changement  de  quelqu'ordonnance,  &  Pericles  luv  alléguant  qu'il 
eftoit  défendu  dofler  le  tableau  où  vne  loy  eftoit  vne  fois  pofée, 
luy  confeilla  de  le  tourner  feulement,  d'autant  que  cela  n'eftoit  pas 
détendu.  Ceft  ce  dequoy  Plutarque  loue  Philopa^men,  qu'eftant  né 
pour  commander,  il  fçauoit  non  feulement  commander  félon  les 
loix,  mais  aux  loix  mefme,  quand  la  neceffité  publique  le  requeroit. 


Chapitre    XXIV. 


DIVERS    EVEXEMENS    DE    MES.ME    COXSEIL. 


lacques  Amiot,  grand  Aumofnier  de  France,  me  recita  vn  iour 
cette  Hiftoire  à  l'honneur  d'vn  Prince  des  noftres  (&  noftre  eftoit-il 
à  très-bonnes  enfeignes,  encore  que  fon  origine  fut  eftrangere),  que 
durant  nos  premiers  troubles,  au  fiege  de  Rouan,  ce  Prince  ayant 
efté  aduerti  par  la  Roync,  mère  du  Roy,  d'vne  entreprinfe  qu'on  5 
faifoit  fur  fa  vie,  &  inftruit  particulièrement  par  fes  lettres  de  celuy 
qui  la  deuoit  conduire  à  chef,  qui  eftoit  vn  gentil'homme  Angeuin 
ou  Manceau,  fréquentant  lors  ordinairement  pour  cet  effect  la  maifon 
de  ce  Prince,  il  ne  communiqua  à  perfonne  cet  aduertiflement  ; 
mais  fe  promenant  l'cndemain  au  mont  faincte  Catherine,  d'où  fe  10 
filifoit  noftre  baterie  à  Rouan  (car  c' eftoit  au  temps  que  nous  la 
tenions  aflîegée)  ayant  à  fes  coftez  ledit  Seigneur  grand  Aumofnier 
&  vn  autre  Euefque,  il  apercent  ce  gentil'homme,  qui  luv  auoit  cftc 
remarqué,  &  le  fit  appeller.  Comme  il  fut  en  la  prefence,  il  luy  dict 
ainfi,  le  voiant  défia  pallir  &  frémir  des  alarmes  de  fa  confcience  :  15 
Monfieur  de  tel  lieu,  vous  vous  doute/  bien  de  ce  que  ie  vous 
veux,  &  voftre  viûige  le  montre.  Vous  n'aue/  rien  à  me  cacher, 
car  ie  fuis  inftruict  de  voftre  afïliire  fi  auant,  que  vous  ne  feriez 
qu'empirer  voftre  marché  d'eflltyer  à  le  couurir.  \'ous  Içauez  bien 
telle  chofe  &  telle  (qui  eftovent  les  tenans  .s^  aboutiffans  des  pkis     20 


I.IVRH      1,      CIIAITIRU      XXIV.  1)9 

fccrctcs  picccs  de  cette  menée);  ne  tailler  iur  volh'e  \  ie  à  me  contelïer 
la  vérité  de  tout  ce  deffein.  Quand  ce  panure  homme  le  trouua  pris 
&  conuaincu  (car  le  tout  auoit  efté  delcouuert  à  la  Royne  par  Tvn 
des  compliffes)  il  n'euit  qu  à  ioindre  les  mains  <iic  requérir  la  grâce 
5  (S:  mifericorde  de  ce  Prince,  aux  pieds  duquel  il  le  voulut  ietter; 
mais  il  l'en  garda,  l'uyuant  ainfi  fon  propos  :  Venez  ça;  vous  ay-ic 
autres-fois  fait  defplaifir?  ay-ie  ofïencé  quelqu'vn  des  voftres  par 
haine  particulière?  11  n'v  a  pas  trois  femaines  que  ie  vous  congnois, 
quelle  railbn  vous  a  peu  mouuoir  à  entreprendre  ma  mort?  Le 

10  gentil'homme  refpondit  à  cela  d'vne  voix  tremblante,  que  ce  n'eftoit 
aucune  occafion  particulière  qu'il  en  euft,  mais  l'intereft  de  la  caufe 
générale  de  fon  party  ;  &  qu'aucuns  luy  auoyent  perfuadé  que  ce  feroit 
vne  exécution  pleine  de  pieté,  d'extirper,  en  quelque  manière  que  ce 
fut,  vn  11  puilliuit  ennemy  de  leur  religion.    Or,  fuyuit  ce  Prince, 

1 5  ie  vous  veux  montrer  combien  la  religion  que  ie  tiens  eft  plus  douce 
que  celle  dequoy  vous  faictes  profelTion.  La  vortre  vous  a  confeillé 
de  me  tuer  lans  m'ouir,  n'ayant  receu  de  moy  aucune  oftence;  &  la 
mienne  me  commande  que  ie  vous  pardonne,  tout  conuaincu  que 
vous  eftes  de  m'auoir  voulu  homicider  fans  railbn.  Aile/  vous  en, 

20  retirez  vous,  que  ie  ne  vous  voye  plus  icy;  &,  Il  vous  elles  lage, 
prenez  dorefnauant  en  voz  entreprinles  des  confeillers  plus  gens  de 
bien  que  ceux  la. 

L'Empereur  Augufte,  ellant  en  la  Gaule,  reçeut  certain  aduertille- 
ment  d'vne  coniuration  que  luy  braflbit  Lucius  Cinna;  il  délibéra 

25  de  s'en  venger,  <^  manda  pour  cet  effect  au  lendemain  le  Conleil  de 
fes  amis;  mais  la  nuict  d'entredeux  il  la  palTa  auec  grande  inquiétude, 
confiderant  qu'il  auoit  à  faire  mourir  vn  ieune  homme  de  bonne 
maifon,  &  nepueu  du  grand  l^ompeius;  &  produilbit  en  fe  pleignant 
plulieurs  diuers  difcours  :  Qiioy  donq,  failbit-il,  fera  il  dict  que  ie 

30     demeurerav  en  crainte  &  en  alarme,  \  que  ie  lairray  mon  meurtrier 

Texte  88.  —  25)  pour  cV-ft  cU'cct 


léo  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

le  promener  cependant  à  fon  ayfe?  S'en  ira  il  quitte,  ayant  alTailly  ma 
tefte  que  i"av  lauuée  de  tant  de  guerres  ciuiles,  de  tant  de  batailles, 
par  mer  &  par  terre?  &  après  auoir  eftably  la  paix  vniuerlelle  du 
monde,  fera  il  ablbuz,  ayant  délibéré,  non  de  me  meurtrir  feulement, 
mais  de  me  facrifier?  Car  la  coniuration  eftoit  faicte  de  le  tuer,  5 
comme  il  feroit  quelque  facritice.  Apres  cela,  s'eftant  tenu  coy 
quelque  efpace  de  temps,  il  recommençoit  d'vne  vois  plus  forte, 
(S;  s'en  prenoit  à  foy-mefme  :  Pourquoy  vis  tu,  s'il  importe  à  tant  de 
gens  que  tu  meures?  N'y  aura-il  point  de  fin  à  tes  vengeances  &  à 
tes  cruautez?  Ta  vie  vaut  elle  que  tant  de  dommage  le  face  pour  la  10 
conleruer?  Liuia  ûi  femme  le  fentant  en  ces  angoilTes  :  Et  les  conleils 
des  femmes  y  feront  ils  receuz,  luy  fit  elle?  Fais  ce  que  font  les 
médecins,  quand  les  receptes  accoutumées  ne  peuuent  feruir  :  ils 
en  elliiyent  de  contraires.  Par  feuerité  tu  n'as  iniques  à  cette  heure 
rien  profité  :  Lepidus  a  fuiuy  Saluidienus;  Murena,  Lepidus;  Cxpio,  15 
Murena;  Egnatius,  Cajpio.  Commence  à  expérimenter  comment 
te  luccederont  la  douceur  6c  la  clémence.  Cinna  efi  conuaincu  : 
pardonne  /v';  de  te  nuire  dcsoniiais  il  ne  pourra,  &  profitera  à  ta 
gloire.  Augulk  fut  bien  ayfe  d'auoir  trouué  vn  Aduocat  de  Ion 
humeur,  &,  avant  remercié  la  femme  &  contremandé  les  amis  qu'il  20 
auoit  aflîgnez  au  Confeil,  commanda  qu'on  fit  venir  à  luy  Cinna 
tout  feul;  6c,  ayant  fait  Ibrtir  tout  le  monde  de  fa  chambre  6c  tait 
donner  vn  fiege  à  Cinna,  il  luy  parla  en  cette  manière  :  En  premier 
lieu  ie  te  demande,  Cinna,  paifible  audience.  N'intcrrons  pas  mon 
parler,  ie  te  doiicniy  temps  6v  loifir  d'y  refpondre.  Tu  fçais,  Cinna,  25 
que  t'ayant  pris  au  camp  de  mes  ennemis,  non  feulement  t'efiant 
faict  mon  ennemv,  mais  eftant  né  tel,  ie  te  fauuav,  ie  te  mis  entre 
mains  tous  tes  biens,  6i;  t'av  en  fin  rendu  fi  accommodé  6c  fi  ailé, 
que  les  victorieux  font  enuicux  de  la  condition  du  vaincu.  L'office 

Texte  88.  —   18)  pardonne  le.  Je  te  nuire  nics-huy  il  ne  . —  25)  te  donniy  temps 

ly  semble  eue  uti  lapsus  plutôt  qu'une  lurnie  archaïque. 


I.IVRK      I,      CHAPITRE      XXIV.  l6l 

du  faccrdocc  que  tu  mo  demandas,  ic  te  l'ottroiay,  rayant  rcfulé 
à  d'autres,  defquels  les  pères  auoyent  touliours  combatu  aueo  mow 
T'avant  11  fort  obligé,  tu  as  entrepris  de  me  tuer.  A  quoy  Cinna 
s'eftant  elcrié,  qu'il  ertoit  bien  elloigné  d'vne  11  mel'chante  penlee  : 
5  Tu  ne  me  tiens  pas,  Cinna,  ce  que  tu  m'auois  promis,  luyuit  Augufte; 
tu  m'auois  alTeuré  que  ie  ne  l'erois  pas  interrompu  :  ouy,  tu  as  entre- 
pris de  me  tuer,  en  tel  lieu,  tel  iour,  en  telle  compagnie,  &  de  telle 
façon.  Et  le  voyant  tranli  de  ces  nouuelles,  &;  en  lllence,  non  plus 
pour  tenir  le  marché  de  le  taire,  mais  de  la  prefle  de  fa  confcience  : 

lo  Pourquoy,  adiouta  il,  le  fais  tu?  Eft-ce  pour  eftre  Empereur?  Vraye- 
ment  il  va  bien  mal  à  la  chofe  publique,  s'il  n'y  a  que  moy,  qui 
t'empefche  d'arriuer  à  l'Empire.  Tu  ne  peus  pas  feulement  deffendre 
ta  maifon,  &  perdis  dernièrement  vn  procez  par  la  faueur  d'vn  ilmple 
libertin.  Quov,  n'as  tu  moyen  ny  pouuoir  en  autre  choie,  qu'à  entre- 

I)  prendre  Ciefar?  le  le  quitte,  s'il  n'y  a  que  moy  qui  empelche  tes 
efperances.  Penfes  tu  que  Paulus,  que  Fabius,  que  les  Cosscciis, 
ik  Seruiliens  te  Ibuffrent?  &  vne  fi  grande  trouppe  de  nobles,  non 
feulement  nobles  de  nom,  mais  qui  par  leur  vertu  honorent  leur 
noblelTe?    Apres  plulleurs  autres  propos  (car  il  parla  à  luy  plus 

20  de  deux  heures  entières)  :  Or  va,  luy  dit-il;  ie  te  donne,  Cinna,  la 
vie,  à  traiftre  it  à  parricide,  que  ie  te  donnay  autres-tois  à  ennemy  : 
que  l'amitié  commence  de  ce  iourd'huy  entre  nous;  effayons  qui  de 
nous  deux,  de  meilleure  foy,  moy  t'aye  donné  ta  vie,  ou  tu  l'ayes 
receiie.  Et  fe  defpartit  d'auec  luy  en  cette  manière.  Quelque  temps 

25  après  il  luv  donna  le  confulat,  fe  pleignant  dequoy  il  ne  le  luy 
auoit  ofé  demander.  Il  l'eut  depuis  pour  tort  amy,  &  fut  feul  taict 
par  luv  héritier  de  les  biens.  Or  depuis  cet  accidant,  qui  aduint 
à  Augulle  au  quarantiefme  an  de  l'on  aage,  il  n'y  eut  iamais  de  coniu- 
ration  nv  d'entreprinfe  contre  luy,  &  receut  vne  iufte  recompenle 

30     de  cette  fienne  clémence.  Mais  il  n'en   aduint  pas  de  melmes  au 

Texte  88.  —  16)  les  ColTcs,  & 


l62  ESSAIS      Di:      MONTAIGNE. 

noflrc  :  car  la  douceur  ne  le  fceut  garentir,  qu'il  ne  chcut  depuis 
aux  lacs  de  pareille  trahifon.  Tant  c'est  choie  vaine  &  frîuole  que 
l'humaine  prudence;  &  au  trauers  de  tous  nos  proiects,  de  nos 
conseils  &  précautions,  la  fortune  maintient  toulïours  la  polTelTion 
des  euenemens.  5 

Nous  appelions  les  médecins  heureux,  quand  ils  arriuent  à  quelque 
bonne  fin  :  comme  s'il  n'y  auoit  que  leur  art,  qui  ne  fe  peut  main- 
tenir d'elle  mefme,  &  qui  euff  les  fondcmcns  trop  frailes,  pour 
s'appuyer  de  Hi  propre  force;  &  comme  s'il  n'y  auoit  qu'elle,  qui 
aye  belbin  que  la  fortune  prefte  la  main  à  l'es  opérations.  le  croy  lo 
d'elle  tout  le  pis  ou  le  mieux  qu'on  voudra.  Car  nous  n'auons,  Dieu 
mercy,  nul  commerce  enlemble  :  ie  fuis  au  rebours  des  autres,  car 
ie  la  mefprife  bien  toufiours;  mais  quand  ie  fuis  malade,  au  lieu 
d'entrer  en  compofition,  ie  commence  encore  à  la  haïr  &  à  la 
craindre;  &  refpons  à  ceux  qui  me  preffent  de  prendre  médecine,  15 
qu'ils  attendent  au  moins  que  ie  fois  rendu  à  mes  forces  &  à  ma 
fanté,  pour  auoir  plus  de  moyen  de  fouftenir  l'effort  et  le  hazart  de 
leur  breuuage.  le  laiffe  faire  nature,  &  prefuppofe  qu'elle  fe  foit 
poiinieue  de  dents  &  de  griffes,  pour  fe  deffendre  des  affiux  qui  luy 
viennent,  &  pour  maintenir  cette  contexture,  dequoy  elle  fuit  la  20 
diffolution.  le  crain,  au  lieu  de  l'aller  fecourir,  ainfi  comme  elle 
eft  aux  prifes  bien  eftroites  &:  bien  iointes  auec  la  maladie,  qu'on 
fecoure  fon  aduerfaire  au  lieu  d'elle,  &  qu'on  la  recharge  de  nouucaux 
affiires. 

Or  ie  dy  que,  non  en  la  médecine  feulement,  mais  en  plufieurs     25 
arts  plus  certaines,  la  fortune  y  a  bonne  part.  Les  faillies  poétiques, 
qui  emportent  leur  authcur  &  le  rauiffent  hors  de  foy,  pourquoy  ne 
les  attribuerons  nous  à  fon  bon  heur?  puis  qu'il  confcffe  luy  mefme 
qu'elles  furpaffent  fa  fuffiHuice  &  fes  forces,  &  les  reconnoit  venir 


Tkxïi;  88.  —   2)   'raiit  cet  cliofc  —   lo)   que  le  ha^art  &  l.i  loilunc  —   i8)   fuit 
"arnic  de  dents 


LIVRI-      I,      CHAPITRE      XXIV.  l6^ 

d'ailleurs  que  de  Iby,  &  ne  les  auoir  aucunement  en  fa  puiflfancc  : 
non  plus  que  les  orateurs  ne  difent  auoir  en  la  leur  ces  mouuemens 
&  agitations  extraordinaires,  qui  les  pouffent  au  delà  de  leur  deffein. 
Il  en  cft  de  mefmes  en  la  peinture,  qu'il  efchappe  par  lois  des  traits 
5  de  la  main  du  peintre,  lurpaffins  la  conception  &  la  fcience,  qui  le 
tirent  luy  mefmes  en  admiration,  &  qui  l'eftonnent.  Mais  la  fortune 
montre  bien  encores  plus  euidemment  la  part  qu'elle  a  en  tous  ces 
ouurages,  par  les  grâces  &  beautez  qui  s'y  treuuent,  non  feulement 
fans  Vinleiilloii,  mais  lans  la  cognoiffance  mefme  de  l'ouurier.  \'n 

10  fuffîûuit  lecteur  dclcouure  fouuant  es  cfcrits  d'autruv  des  perfections 
autres  que  celles  que  l'autheur  y  a  mifes  &  apperceûes,  &  y  prefte 
des  fens  &  des  vilages  plus  riches. 

Quant  aux  entreprinles  militaires,  chacun  void  comment  la  fortune 
y  a  bonne  part.  En  nos  confeils  mefmes  &  en  nos  délibérations,  il 

15  faut  certes  qu'il  v  ait  du  lort  &  du  bonheur  méfié  parmy  :  car  tout 
ce  que  noftre  fageffe  peut,  ce  n'efl  pas  grand  chofe;  plus  elle  eft 
aiguë  lis:  viue,  plus  elle  trouue  en  foy  de  foibleffe,  &  fe  deffie  d'autant 
plus  d'elle  mefme.  le  fuis  de  l'aduis  de  Sylla;  &  quand  ie  me  prens 
garde  de  prez  aux  plus  glorieux  exploicts  de  la  guerre,  ie  voi,  ce  me 

20  femble,  que  ceux  qui  les  conduifent,  n'y  employent  la  délibération 
&  le  confeil  que  par  acquit,  &  que  la  mcUlurc  part  de  l'entreprinfe 
ils  l'abandonnent  à  la  fortune,  &,  fur  la  fiance  qu'ils  ont  à  l'on 
fecours,  paffent  a  tous  les  coups  au  delà  des  bornes  de  tout  difcours. 
Il  furuient  des  allegreffes  fortuites  &  des  fureurs  eflrangeres  parmy 

25  leurs  délibérations,  qui  les  pouffent  le  plus  louuent  à  prendre  le 
partv  le  moins  fondé  en  apparence,  &  qui  groffiffent  leur  courage 
au  deffus  de  la  raifon.  D'où  il  eft  aduenu  à  plufieurs  grands  Capi- 
taines anciens,  pour  donner  crédit  à  ces  confeils  téméraires,  d'aleguer 
à  leurs  gens  qu'ils  y  eftoyent  conuiez  par  quelque  infpiration,  par 

30     quelque  figne  &  prognoftique. 

Texte  88.  —  9)  fans  l'inucntion,  mais  —  21)  &  que  la  plufpart  de 


164  ESSAIS      D1-:      MONTAIGNE. 

\'ovla  pourquov,  en  cette  incertitude  &  perplexité  que  nous  aportc 
l'impuilTance  de  voir  &  choilîr  ce  qui  eft  le  plus  commode,  pour  les 
difficultez  que  les  diuers  accidens  &  circonftances  de  chaque  chofe 
tirent,  le  plus  leur,  cjuand  autre  conlideration  ne  nous  y  conuieroit, 
eft,  à  mon  aduis,  de  le  reietter  au  parti,  où  il  y  a  plus  d'honnefteté  5 
&  de  iuftice;  &  puis  qu'on  eft  en  doute  du  plus  court  chemin,  tenir 
toufiours  le  droit  :  comme,  en  ces  deux  exemples  que  ie  vien  de 
propofer,  il  n'y  a  point  de  double,  qu'il  ne  lut  plus  beau  &  plus 
i;enereux  à  celuv  qui  auoit  receu  l'olTence,  de  la  pardonner,  que  s'il 
euft  fait  autrement.  S'il  en  eft  mes-aduenu  au  premier,  il  ne  s'en  10 
laut  pas  prendre  à  ce  lîen  bon  delTein;  &  ne  Içait  on,  quand  il  euft 
pris  le  partv  contraire,  s'il  euft  elchapé  la  lin  à  laquelle  l'on  deftin 
l'appeloit;  &  ft  euft  perdu  la  gloire  d'vne  li  notable  bonté. 

Il  fe  void  dans  les  hiftoires  lorce  gens  en  cette  crainte,  d'où  la 
plus  part  ont  luiui  le  chemin  de  courir  au  deuant  des  coniurations     15 
qu'on  failoit  contr'eux,  par  vengeance  &  par  lupplices;  mais  l'en  vov 
fort  peu  aulquels  ce  remède  ait  leruv,  telmoing  tant  d'iimpereurs 
Romains.  Celuv  qui  le  trouue  en  ce  dangier,  ne  doibt  pas  beaucoup 
elperer  nv  de  fa  lorce,  nv  de  la  vigilance.  Car  combien  eft-il  mal  aile 
de  le  garentir  d'vn  ennemy,  qui  eft  couuert  du  vifage  du  plus  officieux     20 
amv  que  nous  avons?  &  de  connoiftre  les  volonté;^  &  penfemens 
intérieurs  de  ceux  qui  nous  afllftent?  Il  a  beau  employer  des  nations 
eftrangieres  pour   la   garde,  &   eftre   toufiours   ceint   d'vne    bave 
d'hommes  armez   :   quiconque  aura  la   vie  à  mefpris,  fe   rendra 
toufiours  maillre  de  celle  d'autruy.  Et  puis  ce  continuel  foupçon,  qui     25 
met  le  Prince  en  doute  de  tout  le  monde,  luy  doit  feruir  d'un     • 
merueilleux  tourment. 

Pourtant  Dion,  eftant  aduerty  que  Callipus  efpioit  les  moyens  de 
le  faire  mourir,  n'euft  iamais  le  ctvur  d'en  informer,  dilant  qu'il 
avmoit  mieux    mourir   que   viure  en   cette    milere,   d'auoir   à   le     30 

Texte  88.  —  4)  ihcnt  quant  &  clic,  le  —  25)  foupçon.  cette  defli.incc,  qui 


I.1VRI-:      1,      CHAI'ITKl-      XXIV.  165 

garder  non  do  les  cnncmys  l'culcmcnt,  mais  aulli  do  les  amis. 
Ce  qu'Alexandre  reprelenta  bien  plus  viuement  par  effect,  &  plus 
roichkiiiciit,  quand,  avant  eu  aduis  par  vne  lettre  de  Parmenion,  que 
Philippus,  Ion  plus  cher  médecin,  elloit  corrompu  par  l'argent  de 
5  Darius  pour  l'empoilbnner,  en  melme  temps  qu'il  donnoit  à  lire 
la  lettre  à  Philippus,  il  auala  le  bruuage  qu'il  luv  auoit  prelenté. 
Fut  ce  pas  exprimer  cette  relblution,  que,  li  fes  amvs  le  voiiloiiit 
tuer,  il  conlentoit  qu'ils  le  peulî'ent  taire?  Ce  prince  eil  le  Ibuuerain 
patron  des  actes  hasardeux;  mais  ie  ne  fçay  s'il  y  a  traict  en  la 

ro  vie,  qui  ayt  plus  de  fermeté  que  ceftuy-cy,  ny  vne  beauté  illuftre  par 
tant  de  viûiges.  Ceux  qui  prefchent  aux  princes  la  deffiance  li  attentiue, 
foubs  couleur  de  leur  prefcher  leur  feurté,  leur  prefchent  leur  ruyne 
&  leur  honte.  Rien  de  noble  ne  fe  faict  lirns  hazard.  foi  fçay  vn,  de 
corû^c  ires  martial  de  sa  coiiiplexioii,  et  entreprenant,  de  qui  tous  les  iours 

15  on  corrompt  la  bonne  fortune  par  telles  perfualions  :  qu'il  le  refferre 
entre  les  liens,  qu'il  n'entende  à  aucune  reconciliation  de  fes  anciens 
ennemys,  le  tienne  à  part,  &  ne  fe  commette  entre  mains  plus 
fortes,  quelque  promeffe  qu'on  luy  face,  quelque  vtilité  qu'il  y  \ove. 
l'en  sçai'  vu  antre,  qui  a  inesperéiiient  aduencé  sa  fortune,  pour  auoir  pris 

20  conseil  tout  contraire.  La  hardiesse,  de  quoy  ils  cherchent  si  auidement  la 
gloire,  se  represante,  quant  il  est  besoin,  aussv  inaonifiquenuiit  en  pourpoinct 
qu'en  armes,  en  vu  cabinet  qu'eu  vu  camp,  le  bras  pendant  que  le  bras  leuc. 
La  prudence  fi  tendre  &  circonfpecte,  eft  mortelle  ennemye  de  hautes 
exécutions.  Scipion  sceut,  pour  pratiquer  la  uolanté  de  Svphax,  quitani  son 


Texte  88.  —  2)  &  plus  couragcufcment,  quand  —  7)  le  vouloit  tuer,  — 
8)  faire?  La  vaillance  n'eft  pas  feulement  à  la  guerre  :  ce  prince  —  11)  princes  le 
foubçon  &  la  —    13)    hazard.  le  fçay  vn  grand,  de  qui 

Var.  ms.  —  14)  coniplcxioii,  et  Itaiardeus  de  qui  —  19)  iiiilir  ;';•((;/</,  qui  — 
19)  auoir  vne  fois  d  deux,  pris  —  24)  c\QCViXion%.  Annihal  fut  mort  ramigcanl  l'ilatic 
si  Scipion  n'eut  sceu  pour 

'  Le  passage  :  l'en  SÇai...  leué  est  Je  Iccriuire  de  M"'  de  Gournay,  mais  les  mots  rayés  y  sont 
biffes  d'un  seul  trait  liorizontal,  selon  l'habitude  de  .Montaigne,  et  probablement  de  sa  main. 


l66  ESSAIS     DE     MOXTAIGXE. 

armée,  et  ahniidonât  Vhespaigne  douhteuse  eiicores  sous  sa  nouuelle  conquestc, 
passer  en  Aphriqiie  dans  deiis  simples  ucsseaus,  pour  se  commettre,  en  terre 
enemie,  a  la  puissance  d'un  Roy  barbare,  a  une  foi  inconuc,  sans  obligation, 
sans  hostagc,  sous  la  suie  surete  de  la  grandur  de  son  propre  corage,  de  son 
bonheur,  et  de  la  promesse  de  ses  hautes  espérances  :  «  habita  fides  ipsain  5 
plerumque  fidem  obligat.  » 

A  vne  vie  ambitieuse  &  fameufe  il  fliut,  au  rebours,  prefler  peu, 
&  porter  la  bride  courte  aux  foubçons  :  la  crainte  &  la  deffiance  attirent 
l'offence  &  la  conuient.  Le  plus  deffiant  de  nos  Roys  eftablit 
fes  affaires,  principallement  pour  auoir  volontairement  abandonné  10 
&:  commis  fa  vie  &  fa  liberté  entre  les  mains  de  fes  ennemis,  mon- 
trant auoir  entière  fiance  d'eux,  affin  qu'ils  la  prinfent  de  luy.  A  fes 
légions,  mutinées  &  armées  contre  luy,  Cœlar  oppofoit  feulement 
l'authorité  de  fon  vifage  &  la  fierté  de  fes  paroles;  &  fe  fioit  tant  à  foy 
&  à  fa  fortune,  qu'il  ne  craingnoit  point  de  l'abandonner  &  commettre  1 5 
à  vne  armée  feditieufe  &  rebelle. 

[Stetit  aggere  fulti] 
Cespitis,  intrepidus  iiullu,  wcriiitqttc  tiiiieri 
Nil  metncns. 

Mais  il  eft  bien  vray  que  cette  forte  affeurancc  ne  fe  peut  repre-  20 
fenter  bien  entière  &  naifue,  que  par  ceux  aufquels  l'imagination  de 
la  mort  <^  du  pis  qui  peut  aduenir  après  tout,  ne  donne  point 
d'effroy  :  car  de  la  prefenter  tremblante,  encore  doubteufe  ii;  incer- 
taine, pour  le  feruice  d'vne  importante  reconciliation,  ce  n'eft  rien 
fiire  qui  vaille.  Ceft  vn  excellent  moyen  de  gaigner  le  cœur  25 
&  volonté  d'autruy,  de  s'y  aller  foubfmettre  &  fier,  pourueu  que  ce 
foit  librement  &  fans  contrainte  d'aucune  neceflité,  &  que  ce  foit  en 
condition  qu'on  y  porte  vne  fiance  pure  &  nette,  le  front  au  moins 
defchargé  de  tout  fcrupulc.  le  vis  en  mon  enfance  vn  Gentil-bomme, 

Texte  88.  —  7)  vie  loyalle  & 

\'ar.  ms.  —  3)  eiiemic.  cti  la  —  .))  enrage,  &  de 


LIVRE      I,      CHAPITRE     XXIV.  1 67 

commandant  à  vnc  grande  iiillc,  cmpreffé  à  l'elmotion  d'vn  peuple 
furieux.  Pour  efteindre  ce  commencement  de  trouble,  il  print 
party  de  Ibrtir  d'vn  lieu  tres-alTeuré  où  il  eftoit,  &  le  rendre  à 
cette  tourbe  mutine  :  d'où  mal  luy  print,  îs:  y  fut  miferablement 
5  tué.  Mais  il  ne  me  iemble  pas  que  fil  faute  fut  tant  d'efhe  fortv, 
ainfi  qu'ordinairement  on  le  reproche  à  fa  mémoire,  comme  ce  fut 
d'auoir  pris  vnc  vove  de  siiiiiiiiissioii  ik  de  mollefTe,  &  d'auoir  voulu 
endormir  cette  rage,  pluftoft  en  siiiuaui  que  eu  guidant,  &  en  requérant 
pluftoll:  qu'en  remontrant;  &:  eftime  que  une  gralicusc  scucritc,  aucq  un 

10  awhiudciucvit  m  il  itère  pleiu  de  sécurité,  de  confiance,  conuenable  à  fon 
rang  &  à  la  dignité  de  fa  charge,  luy  euft  mieux  fuccedé,  au  moins 
auec  plus  d'honneur  &  de  bien-feance.  Il  n'efl  rien  moins  efperable 
de  ce  monftre  ainfin  agité,  que  l'humanité  &  la  douceur;  il  reccura 
bien  pluflofl  la  reuerencc  6i:  la  craincte.  le  luy  reprocherois  aufli, 

15  qu'ayant  pris  vnc  refolution,  plus  tost  braue  a  mou  gre,  que  temerere, 
de  fe  ietter  foible  &  en  pourpoint,  emmy  cette  mer  tempertueufe 
d'hommes  inlenfe/,  il  la  deuoit  aualler  toute,  ik  n'abandonner  ce 
personage,  la  où  il  luv  aduint,  après  auoir  recogncu  le  danger  de  près, 
de  scigner  du  ne:^,  et  d'altérer  eucores  [despuis]  cete  contenance  desniise 

20  &  flateuse  qu'il  auoit  entreprinse,  en  une  contenance  ejjraiee  :  chargeant  sa 
uoix  et  ses  yeus  d'cstoueniant  et  de  pœuitance.  Cherchant  a  coniUer  et  se 
desroher,  il  les  enjiannna  &  appela  sur  soi. 

Texte  88.  —  i)  grande  prouince  empreffc  —  7)  voyc  de  douceur,  d'humilité, 
&  de  —  8)  pluftoft  en  flatant  que  commandant,  &  en  —  9)  cftime  que  la  fermeté, 
l'authorité,  &  vne  contenance  de  parole  conuenable  —  15)  vne  fi  hazardeufe  &  belle 
refolution,  de  —  17)  aualler  entière,  &  n'abandonner  fa  confiance  :  la  —  18)  près, 
de  fe  remplir  l'ame  &  le  front  de  repentance,  n'ayant  plus  autre  foing  que  de  fa 
confem.ation  :  fi  qu'abandonnant  fon  premier  rolle  de  régler  &  guider,  &  cédant 
pluftofl  que  s'oppofant,  il  attira  cet  orage  fur  foy,  employant  tous  moyens  de  le  fuyr 

&  efchaper.   On   dcliberoit     Av.iiu  de  rcf.iire  cette  phrase,  Montaigne  y  introduit  les  corrections 

suivantes:  repentance  et  d'cffrai.  n'ayant...  premier  ojjit'c  de...  il  apela  cet...  employant 
iiicomidereeiiiciit  tous 

V'ar.  ms.  —  9)  eftime  que  la  seiicyili',  l'authorité,  &  vne  contenance  cl  parole 
(•o/HrtH</crf.M(?,  conuenable  —    10)  plein  d'une  aayc  sccurilc  et  confiance  —    15)  plin  brauc 


l68  ESSAIS      DI£      MONTAIGNE. 

On  deliberoit  de  faire  vne  montre  generalle  de  diucrfes  trouppes 
en  armes,  (c'eil  le  lieu  des  vengeances  lecretes,  &  n'eft  point  où, 
en  plus  grande  feurté,  on  les  puiffe  exercer).  Il  y  auoit  publiques 
('/  notoires  apparences,  qu'il  n'y  foilbit  pas  fort  bon  pour  aucuns, 
aufquels  touchoit  la  principalle  &  neceffaire  charge  de  les  recognoiftre.  5 
11  s'y  propofa  diuers  confeils,  comme  en  chofe  difficile,  &  qui  auoit 
beaucoup  de  poids  &  de  fuyte.  Le  mien  fut,  qu'on  euitall;  fur  tout 
de  donner  aucun  tefmoignage  de  ce  doubte,  &  qu'on  s'y  trouuaft 
cS;  mellafl;  parmv  les  iiles,  la  terte  droicte  (it  le  vifoge  ouuert,  i^  qu'au 
lieu  d'en  retrancher  aucune  chofe  (à  quoy  les  autres  opinions  10 
vifovent  le  plus)  qu'au  contraire  on  follicitaft  les  capitaines  d'aduertir 
les  foldats  de  faire  leurs  fiilues  belles  &  gaillardes  en  l'honneur  des 
affiftans,  &  n'efpargner  leur  poudre.  Cela  feruit  de  gratihcation  enuers 
ces  troupes  fufpectes,  &  engendra  dés  lors  en  auant  vne  mutuelle 
&  vtile  confience.  15 

La  vove  qu'v  tint  Iulius  Caviar,  ie  trouue  que  c'eft  la  plus  belle  qu'on 
y  puifle  prendre.  Premièrement  il  efliiya,  par  clémence  &.  douceur, 
à  fe  faire  aymer  de  fes  ennemis  mefmes,  fe  contentant,  aux  coniu- 
rations  qui  luy  eftoient  defcouuertes,  de  déclarer  fimplement  qu'il 
en  eftoit  aduerty  :  cela  f;iict,  il  print  vne  tres-noble  reiblution  20 
d'attendre,  lans  effroy  &  fons  folicitude,  ce  qui  luy  en  pourroit 
aduenir,  s'abandonnant  &  fe  remettant  à  la  garde  des  dieux  &  de  la 
fortune;  car  certainement  c'elf  l'eftat  où  il  eftoit  quand  il  tut  tué. 

Vn  eftranger,  ayant  dict  &  publié  par  tout  qu'il  pourroit  inftruire 
Dionyfius,  Tyran  de  Svracufe,  d'vn  moyen  de  fentir  &  delcouurir  25 
en  toute  certitude  les  parties  que  fes  fubiets  machineroyent  contre 
luy,  s'il  luy  vouloit  donner  vne  bonne  pièce  d'argent,  Dionyfius,  en 
eftant  aduerty,  le  fit  appeller  à  foy  pour  l'efclarcir  d'vn  art  fi  necelLiire 
à  fa  conferuation  ;  cet  eftrangier  luy  dict  qu'il  n'y  auoit  pas  d'autre 


Textk  88.  —  2)  &  n'en  cft  —   6)   propol'.i  plullcurs  &  iliucrs  —  14)  lulpcctcs, 
&  nous  engendra  —  15)  vtile  conlidence.  La 


LIVRE      1,      CHAPITRE      XXIV.  169 

art,  finon  qu'il  luy  fit  dcliurcr  vn  talent,  îSc  le  vcntaft  d'auoir  apris 
tic  luv  vn  fingulier  kcrct.  Dionvfius  trouua  cette  inuention  bonne, 
&  luv  lit  compter  fix  cens  cl'cus.  Il  n'elloit  pas  vray-femblable  qu'il 
euft  donné  fi  grande  romnie  à  vn  homme  incogneu,  qu'en  recom- 
5  penl'e  d'vn  tres-vtile  aprentillage;  &  feruoit  cette  réputation  à  tenir 
les  ennemis  en  crainte.  Pourtant  les  Princes  lagement  publient  les 
aduis  qu'ils  reçoiuent  des  menées  qu'on  drefle  contre  leur  vie,  pour 
faire  croire  qu'ils  l'ont  bien  aduertis,  &  qu'il  ne  le  peut  rien  entreprendre 
dequoy  ils  ne  fentent  le  vent.  [Le]  duc  d'Athènes  fit  plusieurs  sottises  en 

10  \l'c]stiih}issenient  de  sa  fresebe  tininnie  sur  Florence  :  mais  ceteci  la  plus 
notable,  qu'aïant  receu  le  premier  aduis  des  monopoles  que  [ce]  peuple  dressoit 
contre  [hiy],  par  Matleo  di  Moro:^o,  complice  d'icclles,  il  le  fil  mourir,  pour 
supprimer  cet  aduertissement  et  ne  faire  sentir  qu'aucun  en  la  uille  se  peut 
ennnïer  de  son  iuste  gouuernemenl. 

15  11  me  Ibuuient  auoir  leu  autrefois  l'hiftoire  de  quelque  Romain, 
perlbnnage  de  dignité,  lequel,  fuyant  la  tyrannie  du  Triumuirat,  auoit 
efchappé  mille  fois  les  mains  de  ceux  qui  le  pouiiuiuoyent,  par  la 
fubtilité  de  l'es  inuentions.  Il  aduint  vn  iour,  qu'vne  troupe  de  gens 
de  cheual,  qui  auoit  charge  de  le  prendre,  palTa  tout  ioignant  vn 

20  halier  où  il  s'eftoit  tapy,  &  laillit  de  le  defcouurir;  mais  luy,  lur 
ce  point  là,  confiderant  la  peine  &;  les  difficultez  aufquelles  il  auoit 
défia  fi  long  temps  duré,  pour  fe  ûiuuer  des  continuelles  &  curieufes 
recherches  qu'on  faifoit  de  luy  par  tout,  le  peu  de  plaifir  qu'il  pouuoit 
efperer  d'vne  telle  vie,  &  combien  il  luy  valoit  mieux  paffer  vne  fois 

25  le  pas  que  demeurer  touliours  en  cette  tranfe,  luy  mefme  les  r'apella 
&  leur  trahit  la  cacheté,  s'abandonnant  volontairement  à  leur  cruauté, 
pour  olkr  eux  &  luy  d'vne  plus  longue  peine.  D'appeller  les  mains 
ennemies,  c'ert  vn  confeil   vn  peu  gaillard;  11  croy-ie  qu'encore 


Texte  88.  —  15)  Ibuuient  d'auoir  —  24)  mieux  de  palier...  que  de  demeurer  — 
28)  gaillard  &  liardv  :  Il 

\'\u.   .\is.  —  9)  cil  lu  —   11)   iiolahlc  qit'iiUiiU  —   15)  qH'aïuitii  se 


liSSAIS     DE     MONTAIGNE. 


vaudi'oit-il  mieux  le  prendre  que  de  demeurer  en  la  fieure  continuelle 
d'vn  accident  qui  n'a  point  de  remède.  Mais,  puilque  les  prouillons 
qu'on  V  peut  aporter,  font  pleines  d'inquiétude  &  d'incertitude,  il 
vaut  mieux  d'vne  belle  aiïeurance  le  préparer  à  tout  ce  qui  en  pourra 
aduenir,  «In:  tirer  quelque  confolation  de  ce  qu'on  n'eil  pas  alTeuré  5 
qu'il  aduiennc. 

Texte  88.  —  3)  d'iiiquicUide,  du  tourment  & 


CHAPITRE     XXV 


nv    PEDANTISME. 


le  me  fuis  Ibuucnt  defpité,  en  mon  enfance,  de  voir  es  comédies 
Italiennes  toufiours  vn  pédante  pour  badin,  &  le  furnom  de  magiiler 
n'auoit  guiere  plus  honorable  lignification  parmy  nous.  Car,  leur 
eftant  donné  en  gouuernement  &  en  garde,  que  pouuois-ie  moins 
5  taire  que  d'eftre  ialous  de  leur  réputation  ?  le  cherchois  bien  de  les 
excufer  par  la  difconuenance  naturelle  qu'il  y  a  entre  le  vulgaire 
&  les  perfonnes  rares  &  excellentes  en  iugement  &  en  Içauoir  : 
d'autant  qu'ils  vont  vn  train  entièrement  contraire  les  vns  des  autres. 
Mais  en  cecy  perdois  ie  mon  latin,  que  les  plus  galans  hommes 
10  c'eftoient  ceux  qui  les  auoyent  le  plus  à  mefpris,  tefinoing  noilre 
bon  du  Bellay  : 

Mais  ie  liay  par  fur  tout  vn  fçauoir  pedantefque. 

Et  cft  cette  couftume  ancienne  :  car  Plutarque  dit  que  Grec 
&  efcholier  eftoient  mots  de  reproche  entre  les  Romains,  &  de 
15     mefpris. 

Depuis,  auec  l'eage,  i'ay  trouué  qu'on  auoit  vne  grandiflime  raifon, 
&  que  «magis  magnos  clericos  non  funt  magis  magnos  fapientes». 
Mais  d'où  il  puifle  aduenir  qu'vne  ame  riche  de  la  connoifli^nce  de 

Texte  88.  —  18)  amc  ijarnii;  de 


172  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

tant  de  choies  n'en  deuiennc  pas  plus  viue  &  plus  cfueilléc,  &  qu'vn 
efprit  groflier  &  vulgaire  puifle  loger  en  foy,  fans  s'amender,  les 
dilcours  &  les  iugemens  des  plus  excellens  efprits  que  le  monde  ait 
porté,  l'en  fuis  encore  en  doute. 

A  receuoir  tant  de  ceruelles  eftrangeres,  &  fi  fortes,  &  fi  grandes,     5 
il  eft  necelliiire  (me  dilbit  vne  fille,  la  première  de  nos  PrincefTes, 
parlant  de  quelqu'vn),  que  la  fienne  fe  loule,  fe  contraingne  &  rape- 
tilTe,  pour  faire  place  aux  autres. 

le  dirois  volontiers  que,  comme  les  plantes  s'eftouffent  de  trop 
d'humeur,  et  les  lampes  de  trop  d'huile  :  aufli  l'action  de  l'efprit,  par  trop  10 
d'eftude  cl  de  matière,  lequel,  ûtifi  &  emharalTé  à'uue  graude  diuerfité 
de  chofes,  perde  le  moyen  de  fe  defmefler;  &  que  cette  charge  le 
tienne  courhe  &  croupi.  Mais  il  en  va  autrement  :  car  noftre  ame 
s'eflargit  d'autant  plus  qu'elle  fe  remplit;  &  aux  exemples  des  vieux 
temps  il  fe  voit,  tout  au  rebours,  des  luffifans  hommes  aux  manie-  1 5 
mens  des  chofes  publiques,  des  grands  capitaines  &  grands  confeillers 
aux  affaires  d'elkt  auoir  efté  enfemble  très  fçauans. 

Et,  quant  aux  philofophes  retirez  de  toute  occupation  publique, 
ils  ont  efté  aufli  quelque  fois,  à  la  vérité,  mefprifez  par  la  liberté 
Comique  de  leur  temps,  [leurs  opinions  et  façons  les  rendu ns  ridieules'.]     20 
Les  uoules  nous  faire  iuges  des  droits  d'un  procès,  des  aelions  d'un  Ijonie? 
Ils  en  sont  bien  pret::^!  Ils  cherehèt  eucores  s'il  y  a  nie,  s'il  y  a  monnenient, 

Texte  88.  —  ii)  d'eftude,  &  que  l'ame  faifie  &  embaraffée.de  tant  de  diuerfité 
—  12)  cette  grande  charge  la  tienne  comme  courbe  &  croupie.  Mais  —  15)  rebours, 
que  les  plus  fuffifans  —  16)  publiques,  les  plus  grands  capitaines,  &  les  meilleurs 
confeillers  —  17)  cftat,  ont  efté  enfemble  les  plus  fçauans.  —  20)  temps  :  mais  au 
rebours  des  noftres  :  car  on  enuioit  ceux-là,  comme  (p.  17;,  1.  li.) 

\'ar.  .ms.  —  13)  croupi.  ■?()«(!  aiufi  tfuf  la  hmpea  qui  hc peuueul  c-selan'v  l'dcuft'a;  de 
trop  de  Imile  [Ne]  plus  ne  moins  que  nous  upïflus  les  lampes  ne  nous  ppuuoir  ed  esclaver 
suffoquées  de  trop  d'huile.  Mais 

'  I.a  ligne  où  se  trouv.iient  ces  mots,  a  été  rognée.  I..i  lin  de  cette  ligne  ct.iit  occupée  par  une  phrase, 
qui  était  tout  entière  effacée,  puisque   l'édition  de   1595   n"en   a   rien  conservé,   mais  dont  il   reste,  à  la 

ligne  suivante,  ces  mots  biffés  :  (f  que  come  la  chamheiiere  reproelmt  a  Thaïes  qu'il  ignorait 

ce  qui  estait  a  ses  pieds.  Cf.  liv.  Il,  chap.  xii,  f'  244  f. 


I.IYRH      I,      c:H.\PITRF.      XXV 


si  l'iwnie  est  autre  chose  qu'un  heiij;  que  e'esl  qu'iii^ir  et  souffrir;  quelles 
hestcs  se  sont  que  loix  &  iustiee.  Parlent  ils  du  magistrat,  ou  parlent  ils 
a  luy  ?  C'est  [d]'un€  liberté  irreuerente  et  inciuille.  Oyct  ils  louer  leur  prince 
ou  un  roy?  c'est  un  pastre  pour  eus,  oisif  came  un  pastre,  occupe  a  pressurer 

5  (7  tondre  ses  bestes,  mais  bien  plus  rudenwnl  qu'un  pastre.  En  estimes  nous 
quelqun  plus  grand,  pour  posséder  deus  mille  arpans  de  terre?  eus  s'en 
moquent,  acostunu^  d'embrasser  tout  le  monde  corne  leur  possession.  Fous 
uantes  nous  de  uostre  noblesse,  pour  coter  sept  ayeuls  riches?  ils  nous  estiment 
de  peu,  ne  conceuant  l'imcige  uniuerselle  de  nature,  et  combien  chacû  \dè\ 

lo  nous  a  eu  de  predccessurs  :  riches,  poures,  roys,  ualets,  grecs  \et^  barbares. 
Et  quand  nous  séries  cinquàiieme  descendant  de  Hercules,  ils  nous  trouuêt 
uain  de  faire  ualoir  [ce^  presant  de  la  fortune.  Ainsi  les  desdeignoit  le 
uulguere,  corne  ignorans  les  premières  choses  et  communes,  come  presomp- 
lueus  et  insolens.  Mais  cette  peinture  Platonique  est  bien  eslouignee  de  celle 

15  qu'il  faut  [a~'\  nos  gens.  On  enuioit  cens  la  comme  eftans  au  defliis  de  la 
commune  taçon,  comme  mefprilans  les  actions  publiques,  comme 
avans  dre(Té  vne  vie  particulière  èv  inimitable,  réglée  à  certains 
dilcours  hautains  &  hors  d'vfage.  Ceux-cy,  on  les  defdeigne,  comme 
eftans  au  deflbubs  de  la  commune  façon,  comme  incapables  des 


\'ar.    ms. —  i)  quetlfs gais  se  —  5)  libelle  Insupportable  cl  im-iiiillf.  OU  il  louer  sou 
...  1°  pressurai  .  , 

prwcc  —  4)  pour  luy  Oisif  connue  un  pastre  :  et  <  ^„  pressurât  et  loiiâât  "  ""'"  ""  ^'"^''' 

sauf  qu'un  peu  plus  rudement  qu'un  pastre^  ses  bestes.  En  estimes  —  6)  terre  ils  eslimit 
eus  prisent  cela  rien  acostume\  —    8)   estiment  un  [sot]  et-  ne  rien  conceuant  de  grand  .ne] 

regardant  pas  a  l'image  —  11)  séries  ui  (commencement  du  mot  uint;  Platon  dit  en  effet 
dans  le  Théétète  (17;  a)  dont  ce  passage  est  traduit  :  vingt-cinquième  ou  même  cinquantième.)  — 
II)  Hercules  il  uous  trouue  —  13)  ignorans  des  premières  —  14)  insolens  cerne  — 
15)  cens  la  [come]  estans  libres  el  oisifs  comme  efizns  ilm  —  18)  defdeigne  1°  :  come 
serfs  Ires  affaireus  comme     2"  :  come  homes  uenaus  et  affaireus  comme 

'    qu'un  pastre  biffé  puis  rétabli. 

*  [sot]  et  lecture  douteuse.  Montaigne  suit  ici  de  près  la  traduction  du  Théétète  de  Marsilc  Ficiii  ; 
•  hebetis  nihilque  magnum  propter  ignorantùim  cogitantis  animi  laudes  Iiujusmodi  censet,  quasi  ad 
totius  mundi  naturam  respicere  nequeat.  •  Le  mot  disparu  que  nous  avons  essayé  de  reconstituer  était 
donc  une  traduction  de  •  animi  hebetis  •.  D'ailleurs  ce  mot  ne  pouvait  avoir  guère  plus  de  trois  lettres, 
et  l'on  reconnaît  sur  le  bord  extrême  de  la  marge  le  prolongement  de  la  barre  d'un  /. 


174  ESSAIS      DP.     MONTAIGNE. 

charges  publiques,  comme  trainans  vue   vie  &  des  meurs  baffes 
&  viles  après  le  vulgaire. 

Oiii  bomincs  igtiaua  opéra,  pbilosofa  sentent ia.' 

Quant  à  CCS  philofophes,  dis-ie,  comme  ils  eftoient  grands  en 
fcience,  ils  eftoient  encore  plus  grands  en  tout'  action.  Et  tout  ainfi  3 
qu'on  dit  de  ce  Geometrien  de  Siracufe,  lequel  ayant  efté  deftourné 
de  fa  contemplation  pour  en  mettre  quelque  chofe  en  practique  à  la 
defïence  de  son  pais,  qu'il  mit  foudain  en  train  des  engins  efpouuan- 
tables  &  des  effets  furpaflans  toute  créance  humaine,  defdaignant 
toutefois  luv  mefme  toute  cette  fiennc  manufacture,  &  penfant  en  10 
cela  auoir  corrompu  la  dignité  de  fon  art,  de  laquelle  fes  ouurages 
n'eftoient  que  l'aprentifTage  &  le  iouet  :  auflî  eux,  fi  quelquefois  on 
les  a  mis  à  la  preuue  de  l'action,  on  les  a  veu  voler  d'vne  aille  fi 
haute,  qu'il  paroifToit  bien  leur  cœur  &  leur  ame  s'eftre  merueil- 
leufement  grofîîe  it  enrichie  par  l'intelligence  des  chofes.  Mais  15 
aucuns,  notant  la  place  dit  goitttcnicntèt  politiijtte  se  sic  par  homes  incapables, 
s'en  sont  rectiles;  et  celttv  cjtti  dentaiida  a  Cfates  insqttes  a  qttaiit  il  faudfoit 
plnlosofer,  eu  receitt  celte  responce  :  Iiisqnes  a  tant  que  ce  itc  soiitt  plits  des 
asttiers  qiti  conduisent  nos  armées.  Hcraclytits  résigna  la  royauté  [a\  son 
frère;  et  ans  Ephesietts  qtti  luv  reprochoiitt  a  quoi  il  passait  sou  temps  a  ioiter  20 
aueq  les  eitfans  deiiàt  le  temple  :  Vaut  il  pas  ntieits  faire  cecy,  qtte  gotitierner 
[les]  affaires  eu  itostre  côpaignie  ?  D'atitres,  a'iant  leur  imagination  logée 
au  defTus  de  la  fortune  &:  du  monde,  troiitiereitt  les  lièges  de  la  iuftice 
&  les  thrones  mefmes  des  Roys,  bas  &  viles.  Et  refusa  Empedoclcs  la 


Texte  88.  —  5)  tout'  autre  perfection  &  cxcellance.  Et  —  8)  de  fa  patrie,  qu'il 
—  Il)  corrompu  &  gaft(!:  la  —  22)  leurs  imaginations  logées...  monde,  leur  faifoient 
tiouucr  les  fieges  — -  24)  viles.  Vn  d'entr'  eux,  'l'hales 

\'ak.  ms. —  16)  tioimil  les  d  —  17)  Crates  eemt'ie  —  19)  armées,  d'-auitvs  itiaiU 
et  Herneliliis  nus  Fpljesicns  —  20)  reproetioiul  de  quoi 

'     .Au-ikssiis  di-  ijclK-  cit.itioii,  Momai^iK'  icrit  :   /  ers 


LIVRli      I,      CHAPITRH      XXV.  IJ) 

Royiiiitc  que  les  Jgrigi'iitiiis  liiy  ojfrirent.  Thaïes  acculant  quelque  l'ois 
le  l'oing  du  mel'nage  (S;  de  s'enrichir,  on  luy  reprocha  que  certoit 
à  la  mode  du  renard,  pour  n'y  pouuoir  aduenir.  Il  luy  print  enuie, 
par  palTetemps,  d'en  montrer  l'expérience;  is:,  ayant  pour  ce  coup 
5  raualé  Ion  l'çauoir  au  leruice  du  proffit  &  du  gain,  dreffa  vne  trafique, 
qui  dans  vn  an  rapporta  telles  richeffes,  qu'à  peine  en  toute  leur  vie 
les  plus  expérimentez  de  ce  meftier  là  en  pouuoient  faire  de  pareilles. 
Ce  qu'Aristotc  récite  d'aucuns  qui  apellolt  et  cchiy  la  ci  Anaxagoras  et 
leurs  semblables,  sages  et  non  prudaus,  pour  n'auoir  asses  de  soin  des  choses 

10  plus  utiles,  outre  ce  que  ie  ne  digère  pas  bien  cette  diferance  de  mots,  cela  ne 
sert  point  d'excuse  [il]  nws  gens  :  et,  a  uoir  la  basse  et  nécessiteuse  Jortune  de 
quoi  ils  se  paient,  nous  arions  pluslost  occasion  de  prononcer  tous  les  deus, 
qu'ils  sont  &  non  sages  &  non  prudans. 

le  quitte  cette  première  railon,  èv  croy  qu'il  vaut  mieux  dire  que  ce 

13  mal  uiene  de  leur  mauuaile  façon  de  fe  prendre  aux  fciences;  &,  qu'à 
la  mode  dequov  nous  l'ommes  inftruicts,  il  n'eft  pas  merueille  fi  nv 
les  elcholiers  ny  les  maillres  n'en  deuiennent  pas  plus  habiles,  quov 
qu'ils  s'v  lacent  plus  doctes.  De  urav,  le  loing  &  la  dcfpcnce  de  nos 
pères  ne  vile  qu'à  nous  meubler  la  telle  de  fcience;  du  ingénient 

20  &  de  la  vertu,  peu  de  nouuellcs.  C/'/c"  d'un  passant  a  nostre  peuple  : 
0  le  sçauanl  home!  El  d'un  antre  :  0  le  bon  home!  Il  ne  faudra  pas  de 
tourner  les  yens  et  son  respet  vers  le  premier.  Il  y  faudroit  un  tiers  crieur  : 
0  les  lourdes  testes!  Nous  nous  enquerons  volontiers  :  Sçait-il  du  Grec 
ou  du  Latin  ?  efcrit-il  en  vers  ou  en  profe?  Mais  s'il  eft  deuenu  meilleur 

25  ou  plus  aduilé,  c'efioit  le  principal,  îs:  c'eft;  ce  qui  demeure  derrière. 
Il  falloit  s'enquérir  qui  efi  mieux  fçauant,  non  qui  eft  plus  Içauanl. 


Texte  88.  —  7)  pareilles.  Par  ainfi  ic  quitte  cette  raifon,  &  —  14)  dire  que  cela 
vienne  à  nos  maiftres  d'efcole  de  leur  -  18)  plus  fçauants.  De  vay  le  —  19)  nous 
garnir  la  —  20)  vertu,  nulles  nouuelles. 

Vak.  ms. —  S)  Arhlûle  apelle  et  ccltty  la  —  9)  sages  f>lui  —  9)  soin  de  leur  profil 
oulrc  —  12)  de  dire  qu'ils  ne  soiU  tiy  sages  lotts  les  dfiis&  iioii  sages  —  15)  mal  leur 
uiene  —  20)  nouuelles.  Oui  eriera  dnu  imt   a  uosire  —  25)  O  les  folles  gens.  Nous 


176  ESSAIS      DE      MOXTAIGXE. 

Nous  ne  trauaillons  qu'à  remplir  la  mémoire,  &  laiflbns  l'enten- 
dement et  la  comciaucc  vuidc.  Tout  ainli  que  les  ovfeaux  \'ont 
quelquefois  à  la  quelle  du  grein,  c\:  le  portent  au  bec  l'ans  le  taller, 
pour  en  taire  bêchée  à  leurs  petits,  ainii  nos  pédantes  vont  pillotant 
la  fcience  dans  les  Hures,  &  ne  la  logent  qu'au  bout  de  leurs  léures,  5 
pour  la  dégorger  feulement  ^;  mettre  au  vent. 

C'est  mcrueiUe  comlnen  proprement  la  sottise  se  loge  sur  mon  exemple. 
Est  ee  pas  faire  de  mesmes,  ee  que  iefois  en  la  plus  part  de  cette  composition  ? 
le  m'en  uois,  escorni fiant  par  cy  par  la  des  Hures  les  seutances  qui  me 
plaisent,  non  pour  les  garder,  car  ie  n'ay  point  de  gardoires,  mais  pour  les  10 
transporter  en  cetuicy,  ou,  a  urai  dire,  elles  ne  sont  non  plus  micncs  qu'en 
leur  première  place.  Nous  ne  somes,  ce  crois  ie,  sçauans  que  de  la  sciance 
presante,  non  de  la  passée,  aussi  peu  que  de  la  future. 

Mais  qui  pis  eft,  leurs  efcholiers  &  leurs  petits  ne  s'en  nourrilTent 
&  alimentent  non  plus;  ains  elle  paffe  de  main  en  main,  pour  cette  15 
feule  fin  d'en  faire  parade,  d'en  entretenir  autruy,  &  d'en  faire  des 
contes,  comme  vne  vaine  monnoye,  inutile  à  tout  autre  vfage 
6c  emploite  qu'à  compter  6c  ietter.  «  Apud  alios  loqui  didicerunt,  non 
ipsi  sec  uni.  » 

«Non  est  loquendii,  sed  guhernandù.  »  20 

Nature,  pour  montrer  qu'il  n'y  a  rien  de  saunage  en  ce  qui  [est\  conduit 
par  elle,  faict  naistrc  es  nations  moins  cultiuees  par  art,  des  production 
d'esprit  sonnant,  [cqui]  hâtent  les  plus  artistes  productions.  Corne  sur  nmi 
propos  le  proucrhe  Gascon  [est  ]  //  délicat  :  «  Bouha  prou  houha,  nias  a 
remuda  lous  dit^  qu'eni ;  souffler  prou  souffler,  mais  nous  en  souies  [a]  25 
remuer  les  doits  »,  tiré  d'une  chalemie. 

Nous  fçauons  dire  :  Cicero  dit  ainfi;  voila  les  meurs  de  Platon; 
ce  font  les  mots  mefmes  d'Ariftote.  Mais  nous,  que  difons  nous 

Texte  88.  —  27)  voila  l'opinion  de 

Var.  ms. —   6)   vent.  Non  esl  loijiicintiiiii  sal  i;uhcnuiiuhiiii.  Mais  qui  cit.uion   ciVacéc 

ici  et  iraiisporicc  1.  :o.   —    9)   <h'S  aulhcufS  IfS   —    I  5)  pilfSiY  :  &  illlSii  pt'll  itc  Ici 


LIVRE      I,      CHAPITRE     XXV.  I77 

nous  mcl'ir.cs?  que  iugcons  nous?  que  faisons  nous?  Autant  en  diroit 
bien  vn  perroquet.  Cette  façon  me  foit  Ibuuenir  de  ce  riche  Romain, 
qui  auoit  efté  foigneux,  à  fort  grande  delpence,  de  recouurer  des 
hommes  luffiians  en  tout  genre  de  fciences,  qu'il  tenoit  continuelle- 
5  ment  autour  de  luy,  affin  que,  quand  il  elcherroit  entre  les  amis 
quelque  occalion  de  parler  d'vne  choie  ou  d'autre,  ils  iuppliffent  ia 
place,  &  fuflent  tous  prêts  à  luy  fournir,  qui  d'vn  dilcours,  qui  d'vn 
vers  d'Homère,  chacun  félon  l'on  gibier;  &  penlbit  ce  fçauoir  eftre 
lîen  par  ce  qu'il  elloit  en  la  telle  de  fes  gens;  &  comme  font  auffi 

10     ceux  defquels  la  fuffilance  loge  en  leurs  fomptueufes  librairies. 

l'eu  conois,  a  qui  quand  ic  demande  ce  qu'il  sçait,  il  me  demande  un  liurc 

pour  me  Je  montrer;  et  n'oseroit  me  dire  qu  'il  a  Je  derrière  galus^s'il  [ne]  ua  sur 

le  champ  estudier  en  \son^  lexicon,  que  c'est  que  gains,  &  que  c'est  que  derrière. 

Nous  prenons  en  garde  les  opinions  &  le  fçauoir  d'autruy,  &  puis 

15  c'ert  tout.  Il  les  faut  faire  noftres.  Nous  femblons  proprement  celuy 
qui,  ayant  belbing  de  feu,  en  iroit  quérir  chez  fon  voilin,  &,  y  en 
ayant  trouué  vn  beau  &  grand,  s'arreftcroit  là  à  le  chauffer,  fans  plus 
fe  fouuenir  d'en  raporter  chez  foy.  Que  nous  fert-il  d'auoir  la  panle 
pleine  de  viande,  fi  elle  ne  le  digère?  Il  elle  ne  fe  trans-forme  en 

20  nous?  fî  elle  ne  nous  augmente  &  fortifie?  Penfons  nous  que 
Lucullus,  que  les  lettres  rendirent  &  formairent  û  grand  capitaine 
fans  l'expérience,  les  eut  prifes  à  noftre  mode? 

Nous  nous  laifTons  ii  fort  aller  fur  les  bras  d'autruy,  que  nous 
aneantiflbns  nos  forces.  Me  veus-ie  armer  contre  la  crainte  de  la 

25  mort?  c'cft  aux  defpens  de  Seneca.  Veus-ie  tirer  de  la  conlolation 
pour  moy,  ou  pour  vn  autre?  ie  l'emprunte  de  Cicero.  le  l'eufle 
prife  en  moy-mefme,  fi  on  m'y  euft  exercé.  le  n'ayme  point  cette 
fuffifance  relatiue  &  mendiée. 

Texte  88.  —  i)  niefmes?  qu'opinons  nous?  que  iugeons  nous?  Autant  en  feroit 
bien  —  2)  fait  iuftement  fouuenir  —  14)  Nous  de  niefmes,  nous  prenons  — 
21)  &  formarent  fi  grand  capitaine  &  Ci  aduifé,  fans  l'effay  &  fans 

\'ar.  ms.  —  13)  jailli  &  ikrricrc  Nous 


lyS  ESSAIS      DE      MOXTAIGXE. 

Quand  bien  nous  pourrions  eftre  fçauans  du  Içauoir  d'autruy,  au 
moins  fages  ne  pouuons  nous  ertre  que  de  noftre  propre  fagefl'e. 

«  Ex  qiio  Eiiiiiiis  :  Neqiiicqiunn  sapcrc  sapicnkiii,  qui  ipsc  sibi  prodcsse 
lion  quint.  »  5 

li  cupidus,  fi' 
Vanus  &  Euganea  quamtumuis  vilior  agna. 

«  Non  cniin  pitraiida  nohis  sol  uni,  sed  jrucnda  sapicntia  est.  » 

Dionisius  se  inoquoil  des  gratniiieriens  qui  ôt  soin  de  s'enquérir  des  inaus 
dl'lysses,  et  ioiiorèt  les  propres;  des  musiciens  qui  accordent  leurs  flûtes     lo 
&  n'accordèt  pus  leurs  meurs;  des  Oraturs  qui  estiidieni  a  dire  iusticc, 
\jion\  a  la  faire. 

Si  noflre  ame  n'en  va  \n  meilleur  branlle,  lî  nous  n'en  auons 
le  iugement  plus  lain,  i'aymeroy  aufli  cher  que  mon  efcolier  eut 
pafle  le  temps  à  ioùer  à  la  paume;  au  moins  le  corps  en  leroit  plus  15 
allègre.  \'oyez  le  reuenir  de  la,  après  quinze  ou  leze  ans  employez  : 
il  n'ell  rien  fi  mal  propre  à  mettre  en  befongne.  Tout  ce  que  vous 
y  recognoiflez  d'auantage,  c'ell  que  fon  Latin  &  l'on  Grec  l'ont  rendu 
plus  fier  &  plus  outrecuidé  qu"il  n'ertoit  party  de  la  mailbn.  //  en 
deiioii  raporter  l'ame  pleine,  il  ne  l'en  raporte  que  bouflie;  et  l'a  sulemant  20 
enflée  [au  \  lieu  de  la  grossir. 

Ces  maistres  iey,  conte  Platon  dict  des  sophistes,  leurs  germains,  sont  de 
tous  les  homes  cens  qui  promettent  d'estre  les  plus  iitilles  ans  homes,  et, 


Texte  88.  —  5)  (709,0c.  le  hai,  dict-il,  le  Sage  qui  n'ell  pas  lage  pour  Iby-mermes. 
fi  cupidus 

\'ak.  ms.  —  4)  Ncquicqiiam  sibi  snpeic  —  8)  csl  :  dicl  Cicero.  Si  noftrc  —  9)  qui 
(iiwiiil  soin...  il  ignoroiut  les  —  10)  propres  :&  des  —  11)  dire  mm  a  faire  iustice  : 
Si  noftrc  —  20)   houjjie  cl  euflee  au  lieu  de  la  a;:p»/F,  l'a  enflée.  —  22)  sophistes  sont 

'  en  ça  eetc  fin  de  uers  écrit  Montaigne  i  la  droite  Je  CCS  mots,  pour  en  reciilier  la  disposition 
typographique. 


r.IVRl-      I,      CHAPITRF      XXV.  I79 

suis  entre  fous  les  homes,  qui  non  suJeweut  u'amauâent  point  ce  qu'où 
leur  couuuet,  corne  fait  un  \  charpciutier  &  uu  unisson,  mais  l'einpirent, 
&  se  fout  païer  de  Vauoir  empiré. 

Si  kl  loi  que  Protûf^oras  proposoit  a  ses  disciples,  esioit  suiuie  :  ou  qu'ils 

5     le  paiasseut  selon  so)i  nml,  ou  qu'ils  inrasseut  au  temple  combien  ils  eslimoinl 

k  profit  qu'ils  auoinl  receu  de  ses  disciplines,  et  selon  iceluy  satisfissent  sa 

peine,  nn^s  pxdagogues  se  trouuerroint  choue:^,  s'estant  remis  au  sermant 

de  mon  experiance. 

Mon  vulgaire  Perigordin  appelle  fort  plaifamment  «  Lcttreferits  » 

10  ces  sçauanteaus,  comme  fi  vous  difiez  «  lettre-ferus  »,  aufquels  les 
lettres  ont  donné  vn  coup  de  marteau,  comme  on  dict.  De  vrav,  le 
plus  fouuent  ils  femblent  eftre  raualez,  mefmes  du  fens  commun. 
Car  le  paifant  &  le  cordonnier,  vous  leur  voiez  aller  fimplemcnt 
&  naïfucment  leur  train,  parlant  de  ce  qu'ils  fçauent;  ceux  cy,  pour 

1 5  fe  vouloir  efleuer  &  gendarmer  de  ce  fçauoir  qui  nage  en  la  fuperficie 
de  leur  ceruelle,  vont  s'ambarraflant  &  enpeftrant  fans  cefle.  Il  leur 
efchappe  de  belles  parolles,  mais  qu'vn  autre  les  accommode.  Ils 
cognoiflent  bien  Galien,  mais  nullement  le  malade.  Ils  vous  ont 
des-ja  rempli  la  tefte  de  loix,  et  fi  n'ont  encore  conçeu  le  neud  de  la 

20  caufe.  Ils  fçauent  la  théorique  de  toutes  chofes,  cherchez  qui  la  mette 
en  practique. 

l'ay  veu  chez  moy  vn  mien  amy,  par  manière  de  pafletemps, 
ayant  affaire  à  vn  de  ceux  cy,  contrefaire  vn  iargon  de  galimatbias, 
propos  fans  fuite,  tiffu  de  pièces  rapportées,  fauf  qu'il  eftoit  fouuent 

25  entrelardé  de  mots  propres  à  leur  difpute,  amufer  ainlî  tout  vn  iour 
ce  fot  à  debatrc,  penfant  touliours  refpondre  aux  obiections  qu'on 


Texte  88.  —  9)  Perigordin  les  appelle  —  15)  &iandarmcrdc  —  25)  iargon  de 
propos  fans  fuite,  &  tiffu  de  toutes  pièces 

\'ar.  ms. —  i)  les  aiilres  qui  —  2)  fait  uu  ccrâoiikr  [un]  ctiarpautii-r  —  3)  paur 
pour  Vauoir  —  5)  temple  a  eoinhicu  —  6)  sa  peine  ie  iurerois  selon  le  seniiaul  que  ie 
fnirois  mes...  choue^.  Mon  vulgaire  —  7)  ctjouei  s'î'ils]  se  fioiiil  au  —  9)  F.ettrcfcrits  : 
comme...  lettre-ferus  (CH.t,  aufquels  —  25)  galinuitljins  qui  soûl  propos 


l8o  ESSAIS     DE      MOXTAIG\E. 

luy  failbit;  &  fi  clloit  homme  de  lettres  &  de  réputation,  *&  qui 
auoit  vne  belle  robe. 

\'os,  ô  patritius  languis,  quos  viuere  par  eft 
Occipiti  c;çco,  poftics  occurrite  fanns. 

Qui  regardera  de  bien  près  à  ce  genre  de  gens,  qui  s'eftand  bien  loing,     5 
il  trouuera,  comme  mov,  que  le  plus  fouucnt  ils  ne  s'entendent, 
ny  autruv,  &  qu'ils  ont  la  fouuenance  aflez  pleine,  mais  le  iugement 
entièrement  creux,  linon  que  leur  nature  d'elle  mefme  le  leur  ait 
autrement  façonné  :   comme  i'ay   veu  Adrianus  Turnebus,  qui, 
n'ayant  faict  autre  profeflion  que  des  lettres,  en  laquelle  c'eftoit,     10 
à  mon  opinion,  le  plus  grand  homme  qui  fut  il  y  a  mil'  ans,  n'auoit 
toutesfois  rien  de  pedantelque  que  le  port  de  fa  robe,  &  quelque 
façon  externe,  qui  pouuoit  n'eftre  pas  ciuilifée  à  la  courtifane,  qui 
font  chofes  de  néant.  Et  hai  nos  gens  qui  fupportent  plus  mal- 
ayfement  vne  robe  qu'vne  ame  de  trauers,  &  regardent  à  fa  reuercnce,     1 5 
à  fon  maintien  &  à  les  bottes,  quel  homme  il  eft.  Car  au  dedans 
c'eftoit  l'ame  la  plus  polie  du  monde.  le  I'ay  fouuent  à  mon  efciant 
ictté  en  propos  eflongnez  de  fon  vlage  :  il  y  voyoit  li  cler,  d'vne 
apprehenfion  fi  prompte,  d'vn  iugement  ii  ûiin,  qu'il  fembloit  qu'il 
n'eut  iamais  faict  autre  meftier  que  la  guerre  &  affaires  d'Eftat.  Ce     20 
font  natures  belles  &;  fortes, 

quels  arte  benigna 
Et  meliorc  luto  finxit  pra.>corclia  l"itan, 

qui  fe  maintiennent  au  trauers  d\nc  mauuailc  inftitution.  Or  ce 
n'eft  pas  afl'e/  que  noftre  inftitution  ne  nous  gafte  pas,  il  faut  qu'elle     25 
nous  change  en  mieux. 

Il  y  a  aucuns  de  nos  Parlemens,  quand  ils  ont  à  receuoir  des 
officiers,  qui  les  examinent  feulement  fur  la  Icience;  les  autres  y 

Texte  8S. —  i8)  cflongiiez  de  fon  gibier  &  do  fon  —  26)  mieux,  &  qu'elle  nous 
.imcnde,  ou  elle  ci\  vainc  &  inutile.  Il  v  a 


I.IVRH      I,      CHAI'ITUH      XXV.  l8l 

adioutcnt  cncorcs  l'cflay  du  Iciis,  en  leur  pixlcntant  le  iugenient  de 
quelque  caufe.  Ceux  cy  me  l'emblent  auoir  vn  beaucoup  meilleur  ftile; 
&  encore  que  ces  deux  pièces  foyent  neceflliircs,  &  qu'il  faille  qu'elles 
s'y  trouuent  toutes  deux,  fi  efl  ce  qu'à  la  vérité  celle  du  fçauoir  efl 
moins  prillible  que  celle  du  iugement.  Cette  cy  fe  peut  paffer  de 
l'autre,  i^  non  l'autre  de  cette  cv.  Car,  comme  dict  ce  vers  grec, 

à  quoy  faire  la  fcicncc,  fi  l'entendement  n'y  cft?  Pleut  à  Dieu  que 
pour  le  bien  de  noftre  iuftice  ces  compagnies  là  fe  trouuaflcnt  aufli 
bien  fournies  d'entendement  &  de  confcience  comme  elles  font 
encore  de  fcience!  «  Non  uiix  sed  schola'  disant iis.  »  Or  il  ne  faut  pas 
attacher  le  fçauoir  à  l'ame,  il  l'y  faut  incorporer;  il  ne  l'en  fliut  pas 
arroufer,  il  l'en  fiiut  teindre;  &,  s'il  ne  la  change,  &  meliorc  fon  eftat 
imparfoict,  certainement  il  vaut  beaucoup  mieux  le  laifler  là.  C'eft  vn 
dangereux  glaiue,  &  qui  empefche  &  offence  fon  maiftre,  s'il  efl  en 
main  foible  &  qui  n'en  fçache  l'vûige,  «utfiierit  nielius  non  didicissc.» 

A  l'aduenture  eft  ce  la  caufe  que  &  nous  &  la  Théologie  ne 
requérons  pas  beaucoup  de  fcience  aux  famés,  &  que  François, 
Duc  de  Bretaigne,  filz  de  lean  cinquiefme,  comme  on  luy  parla  de 
fon  mariage  auec  Ifabeau,  fille  d'Efcofîe,  &  qu'on  luy  adioufta  qu'elle 
auoit  efté  nourrie  fimplement  &  fans  aucune  inflruction  de  lettres, 
rcfpondit  qu'il  l'en  aymoit  mieux,  &  qu'vne  fiime  eftoit  aifez  fçauantc 
quand  elle  fçauoit  mettre  différence  entre  la  chemife  &  le  pourpoint 
de  fon  mary. 

Auffi  ce  n'eft  pas  fi  grande  merueille,  comme  on  crie,  que  nos 
anceftres  n'ayent  pas  faict  grand  eftat  des  lettres,  &  qu'encores 
auiourd'huy  elles  ne  fe  trouuent  que  par  rencontre  aux  principaux 
confeils  de  nos  Roys;  &,  fi  cette  fin  de  s'en  enrichir,  qui  feule  nous 

Texte  88.  —  5  et  6)  cette  icy...  cette  icy  —  13)  change,  &  amende  fon  premier 
eftat  —  15)  maiftre  mefme,  s'il 


l82  ESSAIS      DH      MONTAIGXE. 

eft  auiourd'huy  proposée  par  le  moyen  de  la  lurifprudcnce,  de  la 
Médecine,  du  pedantifme,  &  de  la  Théologie  encore,  ne  les  tenoit 
en  crédit,  vous  les  verriez  l;ins  doubte  auffi  marmiteufes  qu'elles 
furent  onques.  Quel  dommage,  si  elles  ne  nous  aprenent  nv  à  bien 
penfer,  ny  à  bien  foire?  «  Postquaiu  docii  prodienH,  boni  desuut.  » 

Toute  cintre  seiaiiee  est  doniagecihle  a  eeJiiy  qui  n'a  la  seiance  de  h  bonté. 
Mais  la  raison  que  ie  cherchais  tantost,  seroit  elle  pas  aussi  de  la  :  que, 
nostre  estude  en  france  n'ayant  quasi  autre  but  que  le  profit,  moins  de  cens 
que  nature  a  faict  naistrc  a  plus  genereus  offices  que  lucratifs,  s'adonans 
ans  lettres  ou  si  courtemant  (retires,  auant  que  d'en  auoir  prins  le  goût,  a  une 
profession  qui  n'a  rien  de  commun  aueq  les  Hures)  il  ne  reste  plus  ordine- 
rement,  pour  s'engager  tout  a  faict  a  l'est ude,  que  les  gens  de  basse  fortune 
qui  y  questent  des  moiens  a  uiure.  Et  de  ces  gens  la  les  âmes,  estant  et  par 
nature  et  par  domestique  institution  et  example  du  plus  bas  aloy,  raportent 
faucemant  le  fruit  de  la  seiance.  Car  elle  n'est  pas  pour  douer  iour  a  l'ame 
qui  n'en  apouint,  ny  pour  faire  uoir  un  aueugle  :  son  mestier  est,  non  de  luy 
fournir  de  ueue,  mais  de  la  luy  dresser',  de  luy  régler  ses  allures  pour  ueu 
qu'elV  aye  de  soi  les  pieds  et  les  iambes  droites  &  capables.  C'est  une  bouc 
drogue,  que  la  seiance;  mais  nulle  drogue  n'est  asses  forte  pour  se  preseruer 
sans  altération  et  corruption,  selon  le  uicc  du  uase  qui  l'cstuïe.  Tel  a  la 
imie  clere,  qui  ne  l'a  pas  droite;  et  par  consequant  uoit  le  bien  et  ne  le  suit 
pas;  et  uoit  la  sciame,  et  ne  s'en  sert  pas.  La  principale  ordonâee  de  Platon 
en-  sa  reptdjlique,  c'est  doner  a  ses  citoïens,  selon  leur  nature,  [leur  charge. 
Nature  peut  tout  &  fait  tout.]  Les  boiieus  sont  mal  propres  aus  exercices  du 

Texte  88.  —  i)  auiourd'huy  en  bute,  par  —  4)  dommage,  puis  qu'elles 

Var.  ms.  —  8)  n'ayant  atUrc  —  8)  profil  i"  :  cens...  lucratifs  sa  vc  s'adotiain pas  aus 
2°  :  peu  de  ccus...  lucratifs  s'adonans  aus  —  10)  auoir  sauonré  te  goût  a  des  —  11)  reste 
quasi  a  nostre  m' all.'ur]  pour...  V estude  plus  connnuncenicnt  que  les  gens  de  plus  basse  — 
13)  qui  y  cherclieul  de  quoi  uiuN  des  nioïens  —  14)  institution  de  du  plus  bus  alloi  — 
16)  pouint  :  ce  seroit  faire  —  18)  qu'ell' est  de  —  20)  du  ucsseau  qui  —  23)  doner 
aus  âmes  de  ses  citoïens  selon  leur  naturelle  —  24)  sont  im 

Au-dessus  de   dreSSCr  qui   n'est  p.is  efface,   Montaigne  a  écrit,  puis  efl'acé   instruire.    De   même 
au-dessus  de   moins  reforme  (p.  18;,  1.  ;)  il  écrit  et  elWwc  plu. 


LIVRE      I,      CHAPITRH      XXV.  183 

corps;  [cl  aux  exercices  de  l'esprit  les  mites  boileiises;  les  lutslardes  et  viiloaires 
sont  indignes]  de  la  philosophie.  Qnaiid  nous  noions  un  home  nicd  chausse, 
nous  disons  que  ce  n'est  pas  nwrueille,  s'il  est  chaussetier.  De  nu'snie  il 
semble  que  l'experianec  nous  offre  souuant  un  médecin  plus  mal  médecine, 

5     un  théologien  moins  reforme,  un  sçauani  moins  suffisant  que  tout  autre. 
Aristo  Chius  auoit  aulieiwmant  raison  de  dire  que  les  philosofes  nuisoint 
ans  audit urs,  d'autât  que  la  plus  part  des  âmes  ne  se  treuuent  propres 
a  faire  leur  profit  de  telle  instruction,  qui,  si  elle  ne  se  met  a  bien,  se  met 
a  mal  :  «  asotos  ex  Aristippi,  acerbos  ex  Zenonis  schola  cxire.  » 

10  En  cette  belle  inflitution  que  Xenophon  prefte  aux  Perfes,  nous 
trouuons  qu'ils  apprenoient  la  vertu  à  leurs  enfans,  comme  les  autres 
nations  font  les  lettres.  Platon  dict  que  le  [fils  aisnc,  en  leur  succession 
royale,  esloit  ainsi  nourry.  Apres  sa  naissance,  ou]  le  douait  non  a  des 
famés  mais  a  des  Eunuches  de  la  première  authorite  autour  des  Roys  a  cause 

15  de  leur  uertu.  Ceusci  prcuoiut  charge  de  luy  randre  le  corps  beau  &  sain, 
et  après  sept  ans  le  duisoint  a  monter  [a]  chenal  et  aller  a  la  chasse.  Quand 
il  esloit  arriue  au  qualorsienw,  ils  le  deposoint  entre  les  mains  de  quatre  : 
le  plus  sage,  le  plus  iuste,  le  plus  tempérant,  le  plus  uaillâl  de  la  nation. 
Le  premier  luy  aprenoit  la  relligion;  le  secont  a  estre  tousiours  ueri table; 

20     le  tiers  a  se  rendre  maislre  des  cupidité^;  le  quart  a  ne  rien  creindre. 


Texte  88.  —  12)  lettres.  Et  m'a  femblé  chofe  digne  (p.  184,  l.  i.) 

Var.  ms.  —  3)  disons  die  m  s...  mcrueille  car  il  —  3)  mesmc  d'un  mcdeciii  s^lesl 
malade  d'un  tlieologicn  uiieitui  uicieus  d'un  phrase  inachevée.  —  4)  offre  un  —  4)  médecine 
qu'un  autre  un  llieologieii  —  7)  des  natures  ne  —  8)  de  leur  instruction  —  14)  autour 
de  leurs  Roys  —  17)  qualorsieme  cens  ci  le  —  20)  creindre.  1°  :  Et  si  ïay  hone  mémoire 
[de]  ce  qui  me  demura  de  la  leçon  des  loix  en  Platon  ou  [il]  traicte  de  l'inslilulion  de  \ la]  inncsse 
de  sa  uille  il  donc  peu  de  part  ou  nulle  f>iii4  a  la  sciancc  des  lettres  De  la  luitc  [de]  la 
musique  de  la  chasse  il  doue  infinis  préceptes  cl  ueut  que  l'ame  s'exerce  et  profile  en  ces  corporels 
exercices.  Ses  gymnases  diU  il  [sonl]^  toutes  instructions  militeres  [et]  sihle  ne  doue):  rane 
qu'il  donc  a  l'estude  de  lapoisie  \  il]  samblc  le  faire  pour  le  seruice  principalemêl  de  la  musique. 
C'est  (ho  chofe  digne  2°  :  Et  si  i'ay  quelque  nicnioire  du  lieu  de  Platon  ou  \il]  Iraicle... 
Litres    De  la  danse  de  la  course  escrime  sauterie  chenaucberie  chasse  il  faict  infinis... 

principalemêl  du  chanter.  C'est  (bo  (transporté  en  partie  et  .-ivcc  des  modifications,  p.  215,  1.  17.) 

'  Marsilc  Ficin  avait  traduit  ainsi  le  passage  correspondant  de  Platon  (de  Leg.  8lj  d)  :  «  Gymnasia 
onines  eliam  cxcrcitationcs  bellicas  appellamus.  « 


184  liSSAlS      DE      MONTAIGNE. 

C'est  chofe  digne  de  très-grande  confideration  que,  en  cette  excel- 
lente police  de  Licurgus,  &  à  la  vérité  monftrueufe  par  fa  perfection, 
li  fongneufe  pourtant  de  la  nourriture  des  enfans  comme  de  h 
principale  charge,  &  au  gifte  mefmes  des  Mufes,  il  s'y  face  fi  peu  de 
mention  de  la  ilocfriiie  :  comme  fi  cette  genereufe  ieuneffe,  defdai-  5 
gnant  tout  autre  ioug  que  de  la  vertu,  on  luy  ave  deu  fournir,  au 
lieu  de  nos  maiftres  de  fcience,  feulement  des  maiftres  de  vaillance, 
prudence  &  iuftice,  exemple  que  Platon  en  ses  hix  a  suiiii.  La  fiiçon  de 
leur  difcipline,  c'eftoit  leur  faire  des  queftions  fur  le  iugement  des 
hommes  &:  de  leurs  actions;  &,  s'ils  condamnoient  &  loiioient  ou  ce  10 
perfonnage  ou  ce  faict,  il  falloit  raifonner  leur  dire,  &  par  ce  moyen 
il  aiguifoient  enfemble  leur  entendement  &  apprenoient  le  droit. 
Alliages,  en  Xenophon,  demande  à  Cyrus  conte  de  la  dernière 
leçon  :  Ceft,  dict-il,  qu'en  noftre  efcole  vn  grand  garçon,  ayant  vn 
petit  fave,  le  donna  à  vn  de  fes  compaignons  de  plus  petite  taille,  15 
&  luy  ofta  fon  laye,  qui  eftoit  plus  grand.  Noftre  précepteur  m'ayant 
faict  iuge  de  ce  différent,  ie  iugeay  qu'il  falloit  laiffer  les  chofes  en 
cet  eftat,  &  que  l'vn  &  l'autre  fembloit  eftre  mieux  accommodé  en 
ce  point  :  lur  quoy  il  me  remontra  que  i'auois  mal  fait,  car  ie  m'eftois 
arrefté  à  confiderer  la  bien  feance,  &  il  falloit  premièrement  auoir  20 
proueu  à  la  iuftice,  qui  vouloit  que  nul  ne  fuft  forcé  en  ce  qui  luy 
appartenoit.  Et  dict  qu'il  en  fut  foité,  tout  ainfi  que  nous  fommes 
en  nos  vilages  pour  auoir  oublié  le  premier  Aorifte  de  tjztw.  Mon 
régent  me  teroit  vne  belle  harengue  «  in  génère  Demonftratiuo  », 
auant  qu'il  me  perfuadat  que  fon  efcole  vaut  cette  là.  Ils  ont  voulu  25 
couper  chemin;  &,  puisqu'il  eft  ainfi  que  les  fciences,  lors  mefmes 
qu'on  les  prent  de  droit  iil,  ne  peuuent  que  nous  enseigner  la  prudence, 
la  prud'hommie  &  la  refolution,  ils  ont  voulu  d'arriuée  mettre  leurs 


Texte  88.  —    5)   de  l'apprentiflagc  des  lettres  :  coiiimc  —    u)    il  failloit 
12)   apprenoient  l.i  iuftice.  .\fti;iges  —  27)  nous  apprendre  la 

\'ar.  m  s.  —  8)  loix  sembk 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XXV.  183 

cnfiins  au  propre  des  cffccts,  &  les  inftruire,  non  par  ouïr  dire,  mais 
par  l'elLiy  de  l'action,  en  les  formant  ^:  moulant  vifuemcnt,  non 
feulement  de  préceptes  &  parolles,  mais  principalement  d'exemples 
&  d'œuures,  afin  que  ce  ne  fut  pas  vne  fcience  en  leur  ame,  mais  fa 
5  complexion  &  habitude;  que  ce  ne  fut  pas  vn  acqueft,  mais  vne 
naturelle  pofTeflion.  A  ce  propos,  on  demandoit  à  Agefilaus  ce  qu'il 
leroit  d'aduis  que  les  enfans  apprinfent  :  Ce  qu'ils  doiuent  taire, 
eftants  hommes,  refpondit-il.  Ce  n'eil  pas  merueille  fi  vne  telle 
inflitution  a  produit  des  eftects  fi  admirables. 

10  On  alloit,  dict-on,  aux  autres  Villes  de  Grèce  chercher  des 
Rhetoriciens,  des  peintres  &  des  Muficiens;  mais  en  Lacedemone, 
des  legiflateurs,  des  magiftrats  &  empereurs  d'armée.  A  Athènes  on 
aprenoit  à  bien  dire,  &  icy,  à  bien  faire;  la,  à  fe  defmeler  d'vn 
argument  fophillique,  &  à  rabattre  l'impofture  des  mots  captieu- 

15  fement  entrelaflez;  icy,  à  fe  defmeler  des  appâts  de  la  volupté, 
&  à  rabatre  d'vn  gniiid  courage  les  menaffes  de  la  fortune  (it  de  la 
mort;  ceux  là  s'embefongnoient  après  les  parolles;  ceux  cv,  après 
les  choies;  là,  c'efloit  vne  continuelle  exercitation  de  la  langue;  icv, 
vne  continuelle  exercitation  de  l'ame.  Parquoy  il  n'efl  pas  eftrange 

20  fi,  Antipater  leur  demandant  cinquante  enfans  pour  oftages,  ils 
refpondirent,  tout  au  rebours  de  ce  que  nous  ferions,  qu'ils  aymoient 
mieux  donner  deux  fois  autant  d'hommes  faicts,  tant  ils  eflimoient  la 
perte  de  l'éducation  de  leur  pais.  Q.uand  Agefilaus  conuie  Xenophon 
d'enuoyer  nourrir  fes  enfans  à  Sparte,  ce  n'eft  pas  pour  y  apprendre 

25  la  Rhétorique  ou  Dialectique,  mais  pour  apprendre  (ce  dict-il)  la  plus 
belle  fcience  qui  foit  :  afçauoir  la  fcience  d'obéir  &  de  commander. 

//  est  tirsplaisaiif  de  noir  Socnilcs,  a  sa  mode,  se  iiioquiinl  de  Hlppius 
qui  liiy  reeile  eoDianl  il  a  guigne,  speeictieiiieiil  en  certeiies  petites  nilettes  de 

Texte  88.  —  2)  l'eflay  mclmcs  de  —  7)  faire  encore  eftants  —  16)  d'vn  courage 
inuincible  les 

\'\R.  MS.  —  27)  plaisant  m  Pkiou  SofMki  —  28)  gaigiic  i«  tels  el  kli  tlfsiivis 
uomccmàt  de  la  Sieilk  en  certenes 


l86  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

la  Sicille,  bouc  somme  d'argent  a  régenter;  et  qu'a  Sparte  il  n'a  gaignê 
pas  lin  soûl  :  que  ce  sont  gens  idiots,  qui  ne  sçaucnt  nv  mesurer  iiy  conter, 
ne  font  estai  nv  de  grammere  ny  de  rithme,  s'amusans  siileineiit  a  sçauoir 
la  suite  des  Roys,  estahlisseinans  et  decadances  des  estais,  et  tels  fatras  de 
contes.  Et  au  bout  de  cela  Socrafes,  hiy  fesant  ad  nouer  par  Je  menu  l'excel-  5 
lance  de  leur  forme  de  goiiuerneinent  publique,  l'beur  et  uertii  de  leur  nie, 
liiy  laisse  deuiner  la  conclusion  de  l'inutilité  de  ses  ars. 

Les  examples  nous  aprenent,  et  en  cette  martiale  police  et  en  toutes  ses 
semblables,  que  l'estude  des  sciances  amollit  et  cffcrniine  les  coragcs,  plus 
qu'il  ne  les  fermit  &  aguerrit.  Le  plus  fort  estât  qui  paroisse  pour  le  prcsanl  ro 
au  inonde,  est  celiiy  des  Turcs  :  peuples  esgaicment  duits  a  l'estimation  des 
armes  et  mespris  des  lettres.  L  treuiie  Rome  plus  uaillanle  auanf  qu'elle 
Jiit  sçauante.  Les  plus  belliqueuses  nations  en  nos  iours  sont  les  plus  grossières 
et  ignorantes.  Les  Scithes,  les  Partbes,  Tamburlan  nous  sèment  a  cette  prenne . 
Quand  les  Gots  rauagerent  la  Grèce,  ce  qui  sauna  toutes  les  libreries  d'cstrc  15 
passées  au  fu,  ce  fut  un  d'entre  eus,  qui  sema  cette  opinion,  qu'il  faloit 
laisser  ce  meuble  entier  ans  encmis,  propre  a  les  destourner  de  l'exercice 
mililere  &  amuser  a  des  occupations  sedenteres  et  oisifues.  Quand  nostre 
Roy  Charles  hiiiclieme,  sans  tirer  l'espee  du  fourreau,  se  uii  maistre  du 
Royaume  de  Naples  &  d'une  boue  partie  de  la  Thoscane,  les  seignurs  de  20 
sa  suite  attribuarenl  cette  inespérée  facilite  de  conqueste  a  ce  que  les  princes 
&  la  noblesse  d'italie  s'ainusoint  plus  a  se  rendre  ingcnieus  &  sçanans,  que 
uisoreus  et  i^uerriers. 


Var.  ms.  —  5)  riltjwc  ^ulemaul-  —  5)  coules  d'histoires  El  au  boni  S  —  18)  oceii- 
paiioiis  ucincs  cl  —  19)  Clmrlcs  sans 


Chapitre    XXVI. 


DV.    I.  IXSTITVTIOX    Dl^S    EXFAXS. 


A   .Mad.iiiiL'   Diane  lii;   Foix,   Contessi;   de  Gurson. 


le  ne  \i.s  iamais  pore,  pour  Icigiiciix  ou  bossé  que  lut  fon  fils,  qui 
laifîiill:  (Je  rauoùer.  Non  pourtant,  s'il  n'efl  du  tout  cnyuré  de 
cet'  affection,  qu'il  ne  s'aperçoiue  de  fa  défaillance;  mais  tant  y  a  qu'il 
eft  ficn.  Auffi  moy,  ie  voy,  mieux  que  tout  autre,  que  ce  ne  font  icy 
5  que  relueries  d'homme  qui  n'a  goufté  des  fcienccs  que  la  croufte 
première,  en  Ion  enfance,  &  n'en  a  retenu  qu'vn  gênerai  <!s:  informe 
vifage  :  vn  peu  de  chaque  chofe,  &  rien  du  tout,  à  la  Françoife. 
Car,  en  fomme,  ie  fçay  qu'il  y  a  vne  Médecine,  vne  lurifprudence, 
quatre  parties  en  la  Mathématique,  &  f^rossie renient  ce  à  quoy  elles 
10  vilent.  Et  a  Vauàture  encore  sçai  ie  la  prêtant  ion  des  seianees  en  mènerai 
an  seruicc  de  nostre  nie.  Mais  d'y  enfoncer  plus  auant,  de  m'ellre  rongé 
les  ongles  à  l'eftude  d'Ariftote,  nionarehe  de  la  doctrine  moderne,  ou 
opiniâtre  après  quelque  fcience,  ie  ne  l'ay  iamais  faict;  ny  n'est  art 
de  quoi  ie  scenssc  peindre  snlenient  les  premiers  lineamàs.  Et  n'est  enfant 

Texte  88. —  i)  pour  bolTc  ou  boiteux  que  —  9)  &  en  gros  ce  —  11)  Mais  de  y 
—  12)  eftude  de  Platon,  ou  d'Ariftote  —  13)  fcience  folide,  ie  ne  l'ay  iamais  faict  : 
ce  n'cft  pas  mon  occupation.  L'Hiftoire  (p.  188, 1.  9.) 

Var.  ms.  —  i)  pour  1°  :  borguc  ou  boiteux  que  2°  :  teigneux  ou  botteus  que  — 
10)    pretaiilioii  que  les  seianees  ont  en    —     12)    .\riftote  sut  inonnrel.ie  de  lii  sein 


l88  ESSAIS      DE      .MOXTAIGXE. 

des  dusses  moicih's,  qui  ne  se  puisse  dire  plus  sçaiutui  que  moy,  qui  n'ay 
sukment  pas  de  quoi  Vexamiuer  sur  sa  première  leçon  :  au  moins  selon 
ieelJe.  Ei,  si  Von  m'y  forée,  ie  suis  eontreint,  asses  ineptemeni,  d'en  tirer 
quehf^  niafiere  de  propos  uniuersel,  sur  quoi  i'examine  son  iu^eiinvit  naturel  : 
leçon  qui  leur  est  autant  inconue,  conie  a  moi  la  leur.  5 

/('  n'ay  dresse  eommeree  aueq  aucun  Hure  solide,  sinon  Plutarque  et 
Seiwque,  ou  ie  puise  eome  les  Danaides,  remplissant  et  uersant  sans  cesse, 
l'en  ataclx  quelque  chose  a  ce  papier;  a  moi,  si  peu  que  rien. 

L'Hiftoire,  c'cfl:  plus  mon  gibier,  ou  la  pociie,  que  i'avme  d'vne 
particulière  inclination.  Car,  comme  difoit  Cleantes,  tout  ainfi  que     10 
la  voix,  contrainte  dans  l'étroit  canal  d'vne  trompette,  fort  plus 
aiguë  &  plus  forte,  ainfi  me  femble  il  que  la  fentence,  preflee  aux 
pieds  nombreux  de  la  poëfie,  s'eflance  bien  plus  brufquement  &  me 
fiert  d'vne  plus  viue  fecoufle.  Quant  aux  facultez  naturelles  qui  font 
en  mov,  dequov  c'eft  icy  l'effay,  ie  les  fens  fléchir  fous  la  charge.     15 
Mes  conceptions  &  mon  iugement  ne  marche  qu'à  tastons,  chance- 
lant, bronchant  &  chopant;  &,  quand  ie  fuis  allé  le  plus  auant  que 
iè  puis,  fi  ne  me  fuis-ie  aucunement  ûitisfaict  :  ie  vov  encore  du 
païs  au  delà,  mais  d'vne  veuë  trouble  &  en  nuage,  que  ie  ne  puis 
defmeler.  Et,  entreprenant  de  parler  indifféremment  de  tout  ce  qui     20 
fe  prefente  à  ma  fantafie  &  n'y  employant  que  mes  propres  &  naturels 
movens,  s'il  m'aduient,  comme  il  faict  sonnant,  de  rencontrer  de 


Texte  88.  —  9)  gibier  en  matière  de  Hures,  ou  la  —  16)  qu'à  tâtons,  — 
20)   defmeler  :  &  puis  entreprenant  —  22)  faict  à  tous  coups,  de 

Var.  ms.  —  4)  i' examine  leur  iugemail  —  5)  conte  la  leuy  a  moi .  L'Histoire  —  6)  le 
n'ay  commerce  aueq  aucun  Hure  matériel  i»  :  que  par  secousses,  tanlost  a  Plutarque  iantosl 
a  Sencque.  L'Hiftoire  2°  :  sinon  a  Plutarque  et  a  Seneque  par  uenues  L'Hiftoire  5°  :  A  1.1 
v.iriant<;  prcccdemc  .Montaigne,  après  uenues,  ajoute  :  réitérées  car  cc  quc  ic  ne  Us  qu'uuc  fois  ie  le  lis 

pour  néant.  LHiuoire      4°"  Mont.iigne  introduit  dans  la  première  partie  de  sa  phr.isc  les  modifications 

qui  sont  restées  dans  la  rédaction  définitive  :  ay  dresse...  Uure  solide,  sinon  Plutarque  et  Seneque; 
et  il  en  corrige  et  en  complète  ainsi  la  fin  :  par  ucnues  rcilcrccs  cn  faueur  de  ma  maudite  mémoire 
El  y  puise  corne  les  Danaides,  remplissant  et  uersant  sans  cesse,  l'en  atachc  quelque  chose 
a  mon  Uure  cc  papier.  A  moi.  ^i  peu  que  rien. 


T.TVRr    I.    ciiAPiTRi-:    XXVI.  189 

fortune  dans  les  bons  authcurs  ces  mclmcs  lieux  que  i'ay  entrepris 
de  traiter,  comme  ie  vien  de  faire  chez  Plutarque  tout  prefentement 
Ion  difcours  de  la  force  de  l'imagination  :  à  me  reconnoirtre,  au  prix 
de  ces  gens  là,  Il  foible  &  i'\  chetif,  fi  poifont  &  fi  endormy,  ie  me 

5  lav  pitié  ou  defdain  à  moy  mefmes.  Si  me  gratifie-ie  de  cecy,  que 
mes  opinions  ont  cet  honneur  de  rencontrer  sonnant  aux  leurs; 
&  que  ie  nais  an  moins  de  loin  après,  disant  qne  noire.  Anssi  que  i'ay  cela, 
qu'vn  chacun  n'a  pas,  de  connoifire  l'extrême  différence  d'entre  eux 
&  mov.  Et  laifle  ce  neant-moins  courir  mes  inuentions  ainfi  foibles 

10  &  baffes,  comme  ie  les  ay  produites,  lans  en  replaftrer  &  recoudre 
les  defaux  que  cette  comparailbn  m'y  a  defcouuert.  Il  fant  anoir  les 
reins  bien  fermes  pour  entreprandre  de  marcher  front  a  front  aueq  ces  gens  la. 
Les  efcriuains  indifcrets  de  noftre  fiecle,  qui,  parmy  leurs  ouurages 
de  néant,  vont  femant  des  lieux  entiers  des  anciens  autheurs  pour 

1 5  fe  faire  honneur,  font  Je  contraire.  Car  cett'  infinie  diffemblance  de 
luftres  rend  vn  vifage  fi  pafle,  fi  terni  &  fi  laid  à  ce  qui  eft  leur, 
qu'ils  V  perdent  beaucoup  plus  qu'ils  n'y  gaignent. 

C'estoit  dens  contreres  faiitasies.  Le  pbihsofe  Chrysippus  mesloit  a  ses 
hures,  non  les  passages  salement,  mais  des  ouurages  entiers  d 'autres  autheurs, 

20  et,  en  un,  la  Medee  d'Euripides  :  et  disoit  ApoUodorus  que,  qui  en  retran- 
cheroit  ce  qu'il  y  auoit  d'estrangier,  so)t  papier  demureroit  en  blanc.  Epicuriis 
an  rebours,  en  trois  cens  uolumes  qu'il  laissa,  n' auoit  pas  sente  une  side 
allégation  estrâ^iere. 


Texte  88.  —  6)  leurs,  &  dcquoy  auflî  i'ay  au  moins  cela  —  11)  defcouuert  : 
car  autrement  i'cngendrerois  des  monftres  :  comme  font  les  efcriuains  —  15)  honneur 
de  ce  larrecin  :  &  c'eft  au  contraire  :  car 

Var.  ms.  —  7)  &  dequoy  ic  uois  de  loin  après  disant  que  noire.  Aussi  ai  ie  eela  — 
18)  C'estoit  une  cstrange  Jantasic  du  philosofe  Chrysippus  de  meski^  qui  mestoit  —  20)  un 
d'ieeus  ta  Medee  d'Euripides  entière  et  Jpollodorus  uoulant  uerifier  que  Epicurus  auoit 
eseril  plus  que  Ghmippus  luy  se  sert  de  cet  argument  que  qui  retranchera  de  feus  dt 
Chrysippus  ses  Hures  ce  qu'il  y  a  insère  d'estrangier  son  papier  demurera  en  btanc  La  ou 
en  tous  les  trois  cens  cylindres  d'Epicurus  il  n'y  auoit  pas  une  suie  allégation  «  —  22)  cens 
Hures  n'auoit 


190  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

Il  m'aduint  l'autre  iour  de  tomber  fur  vn  tel  pafliige.  l'auois  traîné 
languilTant  après  des  parolles  Françoifes,  fi  exangues,  fi  defcharnées 
&  Il  vuides  de  matière  &  de  fens,  que  ce  n'eftoient  voirement  que 
paroles  Françoifes  :  au  bout  d'vn  long  &  ennuyeux  chemin,  ie  vins 
à  rencontrer  vne  pièce  haute,  riche  &  efleuée  iufques  aux  nues.  Si  5 
i'euffe  trouué  la  pente  douce  &  la  montée  vn  peu  alongée,  cela  euft 
efté  excufable  :  c'cftoit  un  précipice  fi  droit  &  fi  coupé  que,  des  fix 
premières  paroles,  ie  conneuz  que  ie  m'enuolois  en  l'autre  monde. 
De  la  ie  defcouuris  la  fondrière  d'où  ie  venois,  fi  baffe  &  fi  profonde, 
que  ie  n'eus  onques  plus  le  cœur  de  m'y  raualer.  5/  i'cstoffois  l'vn  de  10 
mes  difcours  de  ces  riches  despoiiiJlcs,  il  efclaireroit  par  trop  la  beftife 
des  autres. 

R''preiidir  en  autrui  mes  propres  fautes  ne  me  semble  non  plus  ineompa- 
tihle  que  de  reprendre,  corne  ie  fois  souuant,  celles  d'autruy  en  moi.  Il  les 
faut  accuser  par  tout  et  leur  oster  tout  lieu  de  franchise.  Si  sçai  ie  bien  1 5 
combien  audacieusement  i'entrcprans  moi  rnesmes  a  tous  coups  de  m'esgaler 
a  mes  kirrecins,  d'aller  pair  a  pair  quand  et  eus,  non  .sans  une  lenwrere 
espérance  que  ie  pui.<;!;e  tromper  les  veus  des  iuf^es  a  les  di.woier.  Mais  c'est 
autant  par  le  bénéfice  de  mon  application  que  par  le  bénéfice  de  mon  iuuan- 
tion  et  de  ma  force.  Et  puis  ie  ne  lui  te  point  en  gros  ces  uieus  champions  la,  20 
(7  corps  a  corps  :  c'est  par  reprinses,  nwnues  et  legieres  atteintes.  le  ne  m'y 
ahurie  pas;  ie  ne  fois  que  les  taster;  et  ne  uois  point  tant  came  ie  marchande 
d'aller. 

Texte  88.  —  10)  raualer.  Si  ie  fardois  l'vn  —  11)  riches  peintures,  il 
Var.  ms.  —  1-^)  propres  II ices  lie  —  14)  reprendre  ccitid'aulruy  —  i^)  fiiiil  cl.uirger 
par  —  16)  combien  1°  :  Jîercmciit  cl  temcrereiiieiil  i'ciilrepraiis  sonnant  de  m'esgaler  a  mes 
tarrecins  de  tes  soutenir  cl  m'y  iouindre  inesconoissablcmcnt  et  de  tromper  2°  :  fièrement 
aucune  fois  et  temererement  i'entrcprans  de  m'esgaler  a  mes  tarrecins  et  iouindre  mes  iniiantions 
ans  antienes  nieseonoissahlement  si  que  ie  puisse  tromper  3"  :  ficrement  aucune  fois  i'entreprans 
moi  inesmes  de  m'esgaler  a  mes  tarrecins  de  ineslcr  indistinctemiinl  mes  traicts  et  mes  iniiiintions 
ans  traicts  cl  inuantions  antienes  si  que  ie  puisse  tromper  4"  :  fiercinciil  i'enlrepnins  moi 
mesnies  a  tous  coups  de  m'esgaler  a  mes  tarrecins  d'aller  pair  a  pair  qu  quand  et  eus  et  de 
présenter  indistincteinant  mes  traicts  ans  traicts  anlicns  non  sans  une  lemercre  espérance  que 
ie  puisse  tromper  —  19)  autant  ou  plus  par...  que  par  la  uigur  de  ma  force  —  20)  Inite 
pas  en...  la  :  c'est   —   22)   taster  et  m'x  présenter.  le  ne  uois 


LIVRE     I,      CHAPITRi;     XXVI.  I9I 

5/  ie  leur  poiitiois  kiiir  palot,  ic  serais  hoiiesic  home,  car  ic  iic  les  ciilrcpreiis 
que  par  ou  ils  sont  les  plus  roiddes. 

Défaire  ce  que  i'ay  descouuert  d'aucuns,  se  couurir  des  [armes  d'autruy, 
iusques  a  ne  montrer  pas]  sulement  le  bout  de  ses  doits,  conduire  son  dessein, 
)  coni'  il  est  aise  aus  sçauans  en  une  [matière  commune,  sous  les  inuentions 
anciennes  rappiecees  par  cy  par  la  :  |  a  cens  [qui  les  ueulent  cacher  et  faire 
propres,  c'est  premièrement  iniustice  et  lascheté,  que,  n'ayans  rien  en  leur 
vaillanl  par  ou  se  produire,  ils  cherchent  a  se  présenter  par\  une  ualur 
estrangiere,  et  puis  grande  sottise,  se  contantant  par  piper  ie  de  s'acquérir 

10  l'ignorante  approbation  du  uulgucre,  se  descrier  enuers  les  gens  d'enian- 
denièt  qui  hochent  du  ne:^  nostre  incrustation  empruntée,  des  quels  suis  la 
loange  a  du  pois.  De  nui  part  il  n'est  rien  que  ie  ueuille  nwins  faire.  [le  ne 
dis  les  autres,  sinon  pour  d'autant]  plus  me  dire.  Cecy  ne  touche  pas  des 
cenlons  qui  se  publient  pour  cenions  :  et  l'en  ai  veu  [de  tres-ingenieux  en 

ï  5  mon  temps,  entre  autres  vu,  sous  le  nom  de  Capilupus,  outre  les]  antiens. 
Ce  sont  des  esprits  qui  se  font  uoir  \_ei  par  ailleurs  et  par  la,  comnw  Lipsius 
en  ce  docte  et  laborieux  tissu  de  ses  Politiques.  \ 

Quoy  qu'il  en  foit,  vcux-ic  dire,  &  quelles  que  Ibyent  ces  inepties, 
ie  n'ay  pas  délibéré  de  les  cacher,  non  plus  qu'vn  mien  pourtraict 

20  cliauue  &  grilbnnant,  où  le  peintre  auroit  mis,  non  vn  vilage  parfaict, 
mais  le  mien.  Car  auffi  ce  font  icy  mes  humeurs  &  opinions;  ie  les 
donne  pour  ce  qui  eft  en  ma  créance,  non  pour  ce  qui  eft  à  croire, 
le  ne  vife  icy  qu'à  découurir  mov  mefmes,  qui  feray  par  aduenture 
autre  demain,  li  nouueau  apprentiflage  me  change.  le  n'ay  point 

25  l'authorité  d'eftre  creu,  ny  ne  le  délire,  me  fentant  trop  mal  inftruit 
pour  inil;ruire  autruy. 

Quelcun  donq'  ayant  veu  l'article  précédant,  me  difoit  chez  moy, 
l'autre  iour,  que  ie  me  deuov  eilre  \n  peu  eftendu  fur  le  difcours 
de  l'inftitution  des  enlans.  Or,  Madame,  ii  i'auoy  quelque  fuffilance 

Var.  ms. —  i)  les  appelle  a  ma  compaioiiic  que pav  la  ou  —  .|)  bout  des  deils  leuvs  ses 
doits  —  ^)  piperie  d'-tiCifutw  ^eu>:  st>  —  10)  du  sot  se  descriaiit  euiiers  —  10)  enlau- 
deinêl  des  quels  —   13)  dire  le  ue  parle  pas  des 


192  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

en  ce  fubiect,  ie  ne  pourroi  la  mieux,  employer  que  d'en  faire  vn 
prefent  à  ce  petit  homme  qui  vous  menafle  de  faire  tantoft  vne 
belle  lortie  de  chez  vous  (vous  eftes  trop  genereufe  pour  commencer 
autrement  que  par  vn  mafle).  Car,  ayant  eu  tant  de  part  à  la  conduite 
de  voftre  mariage,  i'ay  quelque  droit  &  intercft  à  la  grandeur  5 
&  profperité  de  tout  ce  qui  en  viendra,  outre  ce  que  l'ancienne 
pofleflîon  que  vous  auez  fur  ma  leruitude,  m'obligent  affez  à  dcfirer 
honneur,  bien  &  aduantage  à  tout  ce  qui  vous  touche.  Mais,  à  la 
vérité,  ie  n'y  entens  linon  cela,  que  la  plus  grande  difficulté  &  impor- 
tante de  l'humaine  fcience  femble  eftre  en  cet  endroit  où  il  le  traite  10 
de  la  nourriture  è^  inflitution  des  entans. 

Tout  ainsi  qu'en  l'agriculture  les  façons  qui  uont  auât  [le]  planter 
sont  certeines  et  aisées,  et  le  planter  niesnics;  mais  despuis  que  ce  qui  est 
plante  nient  a  prandre  aie,  [a]  l'eslener  il  y  a  vne  grade  uaricte  de  façons 
et  difficulté  :  pareilleniant  ans  homes,  [il  y]  a  pen  d'industrie  a  les  planter;  1 5 
mais,  despnis  qu'ils  sont  nais,  on  se  charge  d'un  soin  diuers,  plein  d'enhe- 
souigneuwnt  et  de  creintc,  a  les  dresser  et  nourrir. 

La  montre  de  leurs  incHnations  eft  il  tendre  en  ce  bas  aage,  &  ii 
obfcure,  les  promeflcs  fi  incertaines  &  tauces,  qu'il  eft  mal-ailé  d'y 
eftablir  aucun  folide  iugement.  20 

Voyez  Cimon,  voyez  Themiftocles  &  mille  autres,  combien  ils 
fe  font  difconuenuz  à  eux  mefme.  Les  petits  des  ours,  des  chiens, 
montrent  leur  inclination  naturelle;  mais  les  hommes,  fe  iettans 
incontinent  en  des  accouftumances,  en  des  opinions,  en  des  loix, 
fe  changent  ou  le  deguifent  facilement.  25 

Si  eft-il  difficile  de  forcer  les  propenlions  naturelles.  D'où  il 
adulent  que,  par  faute  d'auoir  bien  choifi  leur  route,  pour  néant  le 
trauaille  on  fouuent  îs:  employé  l'on  beaucoup  d'aage  à  dreffer  des 

Texte  88.  —  5)  genereufe  Madame  pour  —  7)  auez  de  tout  temps  fur  — 
25)  deguifent  &  mafqucnt  facilement 

V'ar.  ms. —  15)  difficulté  [L^cs  peu  de  façon  il  —  16)  nais  9U  cul-t^.  a  vu  s^oum  [a] 
(iluîicHt^  ui.iiigi'i  on  se  d'argc  d'un  soin  a  plusieurs  uisagcs  plein  —  17)  creinte.  La 


LIVRE      I,      CHAPITRE     XXVI.  I95 

cnfans  aux  choies  aulqucllcs  ils  ne  peuucnt  prendre  pied.  Toutes- 
fois,  en  cette  difficulté,  mon  opinion  ell  de  les  acheminer  toufiours 
aux  meilleures  chofes  &  plus  profitables,  &  qu'on  fe  doit  peu 
appliquer  à  ces  legieres  diuinations  <S:  prognoftiques  que  nous 
5  prenons  des  mouuemens  de  leur  enfance.  Platon  luesiue,  en  sa  répu- 
blique, me  semble  leur  douer  beaucoup  d'authorite. 

Madame,  c'efl  vn  grand  ornement  que  la  fcience,  &  vn  vtil  de 
merueilleux  feruice,  notamment  aux  perfonnes  éleuées  en  tel  degré 
de  fortune,  comme  vous  eftes.  A  la  vérité,  elle  n'a  point  fon  vray 

10  vfage  en  mains  viles  &  baffes.  Elle  ell:  bien  plus  liere  de  prêter  les 
movens  à  conduire  vne  guerre,  à  commander  vn  peuple,  à  pratiquer 
l'amitié  d'vn  prince  ou  d'vne  nation  eftrangiere,  qu'à  dreffer  vn 
argviment  dialectique,  ou  à  plaider  vn  appel,  ou  ordonner  vne  maffe 
de  pillules.  Ainll,  Madame,  par  ce  que  ie  cro}^  que  vous  n'oublierez 

I)  pas  cette  partie  en  Finftitution  des  voftres,  vous  qui  en  auez  lauouré 
la  douceur,  &  qui  eftes  d'vne  race  lettrée  (car  nous  auons  encore 
les  efcrits  de  ces  anciens  Comtes  de  Foix,  d'où  monlieur  le  Comte, 
voftre  mary,  èc  vous  eftes  defcendus;  &  François,  monlieur 
de  Candale,  voftre  oncle,  en  faict  naiftre  tous  les  iours  d'autres, 

20  qui  eftendront  la  connoiffance  de  cette  qualité  de  voftre  famille  à 
plufieurs  fiecles),  ic  vous  veux  dire  là  deffus  \ne  feule  lantafie  que 
i'av  contraire  au  commun  vlage  :  c'eft  tout  ce  que  ie  puis  conterer 
à  voftre  feruice  en  cela. 

La  charge  du  gouuerneur  que  vous  luy  donrez,  du  chois  duquel 

25  dépend  tout  l'effect  de  fon  inftitution,  ell'  a  plulîeurs  autres  grandes 
parties;  mais  ie  n'y  touche  point,  pour  n'y  fçauoir  rien  apporter  qui 
vaille;  &  de  cet  article,  fur  lequel  ie  me  mefle  de  luy  donner  aduis, 
il  m'en  croira  autant  qu'il  y  verra  d'apparence.  A  vn  enfant  de 


Texte  88.  —    i)    prendre  gouft.  Toutes-fois    —    3)    qu'on  ne  Joit  s'appliquer 
aucunement  à  —  8)  feruice,  &  notamment  —  16)  encore  en  main  les 

Var.  ms.  —  5)  enfance.  £/ Wrt/tm  <.()  —  6)  douer  de  beaucoup  trop  de  pris.  Uaàamc 


194  ESSAIS     DE     MOXTAIGXE. 

maifon  qui  recherche  les  lettres,  non  pour  le  gaing  (car  vne  fin  fi 
abiecte  eft  indigne  de  la  grâce  &  faueur  des  Mules,  ^:  puis  elle 
regarde  li;»:  dépend  d'autru}-),  n\-  tant  pour  les  commoditez  externes 
que  pour  les  fienes  propres,  èv  pour  s'en  enrichir  &  parer  au  dedans, 
ayant  pluftoft  enuie  d'en  tirer  vn  habil'  homme  qu'vn  homme  5 
fçauant,  ie  voudrois  aufli  qu'on  fiit  foigneux  de  luy  choifir  vn 
conducteur  qui  eull  pluftoft  la  telle  bien  faicte  que  bien  pleine, 
&  qu'on  y  requit  tous  les  deux,  mais  plus  les  meurs  &  l'entendement 
que  la  fcience;  &  qu'il  fe  conduisist  en  fa  charge  d'vne  nouuelle 
manière.  10 

On  ne  celle  de  criailler  à  nos  oreilles,  comme  qui  verferoit  dans 
vn  antonnoir,  &  noilre  charge  ce  n'eft  que  redire  ce  qu'on  nous 
a  dict.  le  voudrois  qu'il  corrigeaft  cette  partie,  &  que,  de  belle 
arriuée,  félon  la  portée  de  l'ame  qu'il  a  en  main,  il  commençaft  à  la 
mettre  fur  la  montre,  luy  faifant  goufter  les  chofes,  les  choifir  15 
(^  difcerner  d'elle  mefme  :  quelquefois  luy  oiuiraiit  chemin,  quelque- 
fois Je  luy  laiffant  oiiiirir.  le  ne  veux  pas  qu'il  inucnte  &  parle 
feul,  ie  veux  qu'il  efcoute  l'on  difciple  parler  à  fon  tour.  Socrates  et, 
despuis,  Arcbesilas  faisoiiit  preniieremêt  parler  leurs  disciples,  et  puis  [ils] 
parloint  a  eus.  «  Ohest  plcriimque  ijs  qui  discere  uoluut  authoritas  eorum  20 
[çMî]  docct.  » 

Il  est  bon  qu'il  le  face  troter  dauant  luy  pour  iuger  de  son  treiu,  et  iuger 
iusques  a  quel  point  il  se  doit  raualer  pour  s'accommoder  a  sa  force.  A  faute 
de  cette  proportion  nous  gastons  tout;  et  de  la  sçauoir  choisir,  et  s'y  conduire 
bien  mcsureement  \j:'est~\  l'um  des  plus  ardues  hesouignes  que  ie  sache  :    25 
et  est  Veffaict  d'une  haute  ame  [f/]  bien  forte,  sçauoir  condescendre  a  ses 


Texte  88. —  i)  lettres  &  la  difcipline,  non  —  9)  conduifit  —  13)  corrigeaft 
vn  peu  cette  • —  15)  fur  le  trottoër,  luy  —  16)  luy  monftrant  chemin,  quelquefois 
luy  laiffant  prendre  le  deuant.  le 

Var.  .ms. —  18)  Sacrales  en  quoi  Archesïlas  r  imita  faisoit pi  cniieremîi —  21)  qui] 
se  docere profileiilur  dcsiiiunl  ciiiiu  suimi  iudiciû  adhihcrc  :  id  habait  ratum  quod  ab  eo  quaii 
prohaut  indicaium  uideut.  Qu'il  ne  luy  (p.  195, 1.  S.)  —  26)  cl  est  selon  [inoi]  Veffaict 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXVI.  19) 

allures  puériles  lei]  les  i^uider.  le  marche  plus  seur   el]  plus  ferme  a  moni 
qu'a  ual. 

Ceus  [qui],  corne  poric  nosire  usage,  entrepreneut  \d']une  mesme  leçon 

et  pareille  mesure  de  conduite  régenter  plusieurs  esprits  [de\  si  diverses 

5     nusures  el  formes,  [ce]  n'est  pas  merueille  si,  [en  \  foui  un  peuple  d'en  fans, 

ils  en  rencontrent  a  peine  deus  ou  trois  qui  raportent  quelq:,  iiisle  fruit  de 

lur  discipline. 

Qu'il  ne  luv  demande  pas  feulement  compte  des  mots  de  ù 
leçon,  mais  du  fens  &  de  la  fubftance,  &;  qu'il  iuge  du  profit  qu'il 

10  aura  fait,  non  par  le  tefmoignage  de  fa  mémoire,  mais  de  sa  nie. 
Que  ce  qu'il  viendra  d'apprendre,  il  le  luy  (ace  mettre  en  cent 
vifages  &  accommoder  à  autant  de  diuers  fubiets,  pour  voir  s'il  l'a 
encore  bien  pris  &  bien  foict  fien,  prenant'  l'instruction  de  son  progre:^ 
des pa-dagogismcs  de  Platon.  C'eft  tefmoignage  de  crudité  &  indigeftion 

15  que  de  regorger  la  viande  comme  on  l'a  auallée.  L'eftomac  n'a  pas 
faict  fon  opération,  s'il  n'a  faict  changer  la  façon  &  la  forme  à  ce 
qu'on  luy  auoit  donné  à  cuire. 

Nostre  ame  ne  branle  qu'à  crédit,  liée  &  contrainte  a  l'appétit  des 
fantafies  d'autruy,  serue  &  captiuee  Ibuhs  l'authorité  de  leur  leçon.  On 

20  nous  a  tant  aflubiectis  aux  cordes,  que  nous  n'auous  plus  de  franches 
allures.  Nostre  vigueur  &  liberté  efl  efteinte.  ((  Nunquani  tutehv  su:v 
fiunt.  »  le  vy  priuéement  à  Pife  vn  honnefle  homme,  mais  fi 
Ariftotelicien,  que  le  plus  gênerai  de  fes  dogmes  eft  :  que  la  touche 
&  règle  de  toutes  imaginations  foHdes  &  de  toute  vérité  c'eft  la 


Texte  88.  —  10)  mais  de  fon  iugement.  Que  —  17)  cuire.  On  ne  cherche 
réputation  que  de  fcience.  Quand  ils  difent  c'eft  vn  homme  fçauant,  il  leur  fembJe 
tout  dire  :  leur  ame  —  18)  contrainte  au  feruice  des  —  19)  autruy,  bafle  &  croupie 
foubs...  On  les  a  —  20)   cordes,  qu'ils  n'ont  plus   —   21)   allures  :  leur  vigueur 

Var.  ms.  —  i)  marcfie  plus  firme  —  5)  iioslrc  [coslii  me,  ciilrepreuciil  —  5)  maures, 
[ce]  n'est...  si   en]  un  —  6)  rnportciit  nu  iiislc 

'    prenant...    Platon.  Co  passage  acte  ajoutt  avant  que  ne  fût  écrit  ralinil-a  :  Il  est  bon  qu  il... 

a  nal.  (p.  194,  1.  22.) 


19e  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

conformité  à  la  doctrine  d'Ariliote;  que  hors  de  là  ce  ne  font  que 
chimères  &  inanité;  qu'il  a  tout  veu  &  tout  dict.  Cette  propofition, 
pour  auoir  efté  vn  peu  trop  largement  &  iiiiquciiiciit  interprétée,  le  mit 
autrefois  &  tint  longtemps  en  grand  accelToire  a  J 'inquisition  à  Rome. 

Qiril  luv  tace  tout  palier  par  l'eftamine  &  ne  loge  rien  en  ûi  tefte     s 
par  simple  authorité  &  à  crédit;  les  principes  d'Ariftote  ne  luy  foyent 
principes,  non  plus  que  ceux  des  Stoïciens  ou  Epicuriens.  Qii'on  luy 
propofe  cette  diuerlité  de  iugemens  :  il  choilira  s'il  peut,  finon  il  en 
demeurera  en  doubtc.  //  n'y  a  que  les  fols  ccrtcins  et  résolus.' 

Che  non  men  che  faper  duhbinr  m'aggrada.  i< 

Car  s'il  embralTe  les  opinions  de  Xenophon  &  de  Platon  par  fon 
propre  difcours,  ce  ne  feront  plus  les  leurs,  ce  feront  les  Tiennes. 
Qui  suit  nu  cintre,  il  ne  suit  rien.  Il  ne  trenne  rien,  uoire  \iï]  ne  cherche 
rien.  « No>!  siniius  sub  rege;  sihi  quisque  se  uiiulicet.»  Qu'il  sache  qu'il 
sçctit,  au  moins.  11  faut  qu'il  emboiue  leurs  humeurs,  non  qu'il  i 
aprenne  leurs  préceptes.  Et  qu'il  oublie  hardiment,  s'il  veut,  d'où  il 
les  tient,  mais  qu'il  fc  les  fçache  approprier.  La  vérité  &  la  raifon 
font  communes  à  vn  chacun,  &  ne  font  non  plus  à  qui  les  a  dites 
premièrement,  qu'à  qui  les  dict  après.  Ce  u'est  non  plus  selon  Platon 
que  selon  moi,  puis  que  luv  et  moi  reutendons  Ô-'  notons  de  iin'smes.  Les  2- 
abeilles  pillotent  deçà  delà  les  fleurs,  mais  elles  en  font  après  le  miel, 
qui  ell  tout  leur;  ce  n'eft  plus  thin  ny  mariolaine  :  ainfi  les  pièces 
empruntées  d'autruy,  il  les  transformera  &  confondera,  pour  en 
f;iire  vn  ouurage  tout  fien  :  à  fçauoir  fon  iugemcnt.  Son  inftitution, 
fon  trauail  «i;^  eftude  ne  vife  qu'à  le  former.  2 

Qu'il  celé  tout  ce  de  quoi  il  a  este  secoru,  et  ne  produise  que  ce  qu'il  en 
a  faicl.  Les  pilleurs,  les  eupruntl  urs  '  mettent  en  parade  leurs  hasiinnius, 

TrxTi;  88.  —  2)  Cotte  fienne  propofition  —  ?)  ^  iniuricufcmeni  intcrpictco 
\'au.  ms.  —  14)  Non  suiit  sub  —  20)  moi  f^l  —  26)  Qu'il  aid>c  loiil 

^     Celte  plinisc  .1  été  effacée  d'un   tr.iil  encore  visible;   mais  ce  trait  a  été  annulé   par  un  grattage; 
aussi  la  maintenons-nou'î  quoiqu'elle  manque  ilans  l'édition  de  IS9>.  Cf.  p.  200,  var.  de  la  1.  7. 


LIVRH     I,      CHAPITRH     XXVI.  I97 

leurs  cuhat::^  non  pas  ce  qu'ils  tirciil  d'autruy.  Vous  uc  uoks  pas  ks  cspiccs 
d'un  l}omc  de  parlement,  nous  uoies  les  alliances  qu'il  a  gaignees  &  honurs 
a  ses  enfans.  Nul  ne  met  en  compte  publique  sa  recette  :  chacîiy  met  son  acquest. 
Le  guein  de  nostre  esfude,  c'est  en  estre  deuenu  mcillur  &  plus  sage. 
5  C'eft,  dilbit  Epicharmus,  rentendcment  qui  vovt  &  qui  oyt,  c'cft 
rentondement  qui  approfite  tout,  qui  difpofe  tout,  qui  agit,  qui 
domine  &  qui  règne  :  toutes  autres  chofes  font  aueugles,  fourdes 
&  fans  ame.  Certes  nous  le  rendons  feruile  &  couard,  pour  ne  luy 
laiffer  la  liberté  de  rien  faire  de  foy.  Qui  demanda  iamais  à  fon 

10  difciple  ce  qu'il  luy  femble  de  la  Rethorique  &  de  la  Grammaire, 
de  telle  ou  telle  fentencc  de  Ciceron?  On  nous  les  placque  en  la 
mémoire  toutes  empennées,  comme  des  oracles  où  les  lettres  &  les 
fyllabcs  font  de  la  fubftancc  de  la  chofe.  Sçauoir  par  ceur  n'est  pas 
sçauoir  :  c'est  tenir  ce  qu'on  a  donc  en  garde  a  sa  mémoire.  Ce  qu'on  sçait 

1 5  droitemcnt,  on  en  dispose,  sâs  regarder  au  patron,  sans  tourner  ks  yeus 
uers  son  Hure.  Fâcheuse  suffisance,  qu'une  suffisance  pure  liuresquc!  le 
[^m']atans  qu'elle  serne  [d']ornernant,  non  de  fondemant,  suiuant  [l']auis 
de  Platon,  qui  dict  la  fermeté,  la  foi,  la  sincérité  estre  la  uraye  philosoffi'; 
les  autres  sciances  &  qui  uisent  ailleurs,  n' estre  que  fard. 

20  le  voudrois  que  le  Paluël  ou  Pompée,  ces  beaux  danfeurs  de  mon 
temps,  apprinfent  des  caprioles  à  les  voir  feulement  faire,  fans  nous 
bouger  de  nos  places,  comme  ceux-cy  veulent  inftruire  noftre 
entendement,  fans  Felbranler;  ou  qu'on  nous  aprint  a  manier  un  cheual, 
ou  une  pique,  ou  un  lut,  ou  la  uoix,  sans  nous  y  exercer,  came  cens  icy 

25  nous  ueulent  aprandre  a  bien  iuger  et  a  bien  parler,  sans  nous  exercer  ny 
a  parler  ny  a  iuger.  Or,  à  cet  apprentiifagc,  tout  ce  qui  fe  prefente 

Texte  88.  —  23)  l'efbranler  &  mettre  en  befongnc.  Or 

Var.  ms. —  i)  leurs  acquêt^  11011...  qu'ils  lieiiêt  d^ntilniy...  cspiics  1°  :  cl  apresdisnces 
2°  :  el  les  contredit^  30  :  et  les  escriiurcs  d'un  —  2)  i"  :  qu'il  a  achetées  &  2°  :  qu'il 
a  ofq  —  3)  son  emploile.  C'eft  —  4)  dcueiiu  d  —  16)  Fâcheuse  suffisance  a  mon 
gre  qu'une...  liuresque.  EUe  dt>ii  s^f4tti^  d'-inimfmaui  twu  [de]  fcudemftU  —  19)  uisent 
aill  ailleurs  n  estre  introduites  que  peur  la  parade .  le  voudrois  —  24)  uoix  par  musique  sans 


198  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

à  nos  yeux  fert  de  Hure  fuffilant  :  la  malice  d'vn  page,  la  fottife 
d'vn  valet,  vn  propos  de  table,  ce  font  autant  de  nouuelles  matières. 

A  cette  caufe,  le  commerce  des  hommes  y  eft  merueilleufement 
propre,  &  la  vifite  des  pays  eftrangers,  non  pour  en  rapporter 
feulement,  à  la  mode  de  noftre  noblefle  Françoife,  combien  de  pas  5 
a  Santa  Rotonda,  ou  la  richeffe  des  caleflbns  de  la  Signora  Liuia, 
ou,  comme  d'autres,  combien  le  vifage  de  Néron,  de  quelque  vieille 
ruvne  de  là,  eft  plus  long  ou  plus  large  que  celuy  de  quelque  pareille 
médaille,  mais  pour  en  raporter  principalement  les  humeurs  de  ces 
nations  &  leurs  façons,  &  pour  frotter  &  limer  noftre  ceruelle  contre  10 
celle  d'autruy.  le  voudrois  qu'on  commençaft  à  le  promener  des  fa 
tendre  enfance,  &  premièrement,  pour  faire  d'vne  pierre  deux  coups, 
par  les  nations  voifmes  où  le  langage  eft  plus  efloigné  du  noftre, 
&  auquel,  ft  vous  ne  la  formez  de  bon'  heure,  la  langue  ne  fe  peut 
plier.  15 

Aufli  bien  eft-ce  vne  opinion  receuë  d'vn  chacun,  que  ce  n'eft 
pas  raifon  de  nourrir  vn  enfant  au  giron  de  fes  parents.  Cette  amour 
naturelle  les  attendrift  trop  &  relafche,  voire  les  plus  fages.  Ils  ne 
font  capables  ny  de  chaftier  fes  fautes,  ny  de  le  voir  nourry  groflîe- 
rement,  comme  il  faut,  &  basardeusewciit.  Ils  ne  le  fçauroient  fouffrir  20 
reuenir  fuant  &  poudreux  de  fon  exercice,  boire  chaut,  boire  froit,  ny 
le  voir  fur  vn  cheual  rebours,  ny  contre  un  rude  tireur,  le  floret  au 
poing,  ny  la  première  harqueboufe.  Car  il  n'y  a  remède  :  qui  en  veut 
faire  vn  homme  de  bien,  fans  doubte  il  >ie  le  faut  espargiier  en  cette 
ieuneffe,  &  fouuent  choquer  les  règles  de  la  médecine  :  25 

vitàmque  fub  dio  &  trepidis  agat 
In  rébus. 


Texte  88.  —  14)  peut  façonner.  Aufli  —  20)  faut,  &  fans  delicatclTe  :  ils  ne  — 
21)  exercice,  ny  le  voir  bazarder  tantoft  fur  vn  cheual  farouche,  tantoft  vn  floret  au 
poing,  tantoft  vn'  harqueboufe.  —  24)  il  le  faut  bazarder  vn  peu  en  Av.int  de  refaire  ce 

membre  de  phrase  Montaigne  se  contente  d'effacer   vn  peu 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXVI.  199 

Ce  n'est  pas  asses  [de  luy  roidir  l'amc;  il  luyfaui  aussi  roidir  les  muscles. 
Elle  est]  trop  pressée,  si  elle  n'est  secondée,  et  a  trop  a  faire  de  suJe 
fournir  a  deus  offices.  le  sçai  condnen  ahane  la  niiene  en  conipaignie  d'un 
cors  si  tendre,  si  sensible,  qui  se  laisse  si  fort  aller  sur  elle.  El  aperçois 
5  souuaut  en  ma  leçon,  qn  'en  leurs  escris  mes  niaistres  font  ualoir,  pour 
magnanimité  et  force  de  corage,  des  examples  qui  lieuent  uolontiers  plus 
de  l'espessissure  de  la  peau  et  durté  des  os.  l'ay  ueu  des  homes,  des  famés 
&  t/t'i"  enfans  einsi  nuis,  qu'une  hastonade  leur  est  moins  qu'a  moi  une 
chiquenaude  :  qui  lu  remuent  nv  langue  ny  sourci  ans  coups  qu'on  leur 

10  donc.  Quand  les  Athlètes  contrefont  les  philosophes  en  patiance,  c'est  plus 
tost  uigeur  de  nerfs  que  de  ceur.  Or  Vacostumaiice  a  porter  le  Irauail  est 
acostumance  a  porter  la  dolur  :  «  labor  calluni  ohducil  dolori.  »  Il  le  Jaul 
rompre  a  la  peine  et  aspreté  des  exercices,  pour  le  dresser  a  la  peine  et 
aspretc  de  la  desloucure,  de  la  cholique,  du  cautère,  et  de  la  geôle,  &  de  la 

I  s  torture.  Car  de  ces  dernières  icy  encore  peut  il  estre  en  prinse,  qui  regardèt 
les  bons  selô  le  temps,  corne  les  meschans.  Nous  en  somes  a  l'espreuue. 
Quicôque  combat  les  loix,  menace  les  plus  gens  de  bien  d'escorgees  et  de  la 
corde. 

Et  puis,  l'authorité  du  gouuerneur,  qui  doit  eftre  fouueraine  fur 

20  luy,  s'interrompt  i;:  s'empefche  par  la  prefence  des  parens.  loint  que 
ce  refpect  que  la  famille  lu}'  porte,  la  connoiflance  des  moyens 
&  grandeurs  de  fa  maifon,  ce  ne  font  à  mon  opinion  pas  legieres 
incommoditez  en  cet  aage. 

En  cette  efchole  du  commerce  des  hommes,  i'ay  fouuent  remarqué 

25  ce  vice,  qu'au  lieu  de  prendre  connoiflance  d'autruy,  nous  ne  trauail- 
lons  qu'à  la  donner  de  nous,  &  fommes  plus  en  peine  d'emploiter 
noftrc  marchandife  que  d'en  acquérir  de  nouuelle.  Le  filence  &  la 

Var.  ms.  —  2)  faire  de  souUm»:  —  })  combien  la  mieue  —  6)  plus  de  stupidité  tt 
pi^mcte  de  membres  —  10)  contrefont  einsi  les  —  11)  uigeur  de  nef  —  12)  dolur.  Il  — 
14)  aspreté  des  desloueures  delà  cholique  de  l'incision  cautère  de  la  geôle  prison  &  1°  :  de 
la  torture  Car  2°  :  torture  Car  —  i  S)  «^  celés  icy  encore  peut  il  estre  en  bute  :  qui  — 
17)  Quicôque  fomb...  et  de  corde 


200  ESSAIS     Dl£     MOXTAIGKE. 

modcftie  font  qualitcz  tres-commodes  à  la  conuerfation.  On  dreflcra 
cet  entant  à  eltre  elpargnant  &  melnagier  de  la  fuffilance,  quand  il 
l'ara  acquife;  à  ne  le  formalizer  point  des  Ibttiles  &  fables  qui  le 
diront  en  fa  prefence,  car  c'eft  vne  inciuile  importunité  de  choquer 
tout  ce  qui  n'eft  pas  de  nollre  appétit.  Ou  'il  se  côtaitlc  de  se  eorrii^er  soi  5 
niesmes,  et  ne  semble  pas  reprocher  a  aiitruy  tout  ce  qu'il  refuse  a  faire, 
iiy  co)itraster  aus  meurs  publiques.  «Lieet  sapere  sine  pompa,  sine  iuuidia.» 
Fuye^  ces  images  regenteuses  et  iiiciuiiks,  et  cette  puérile  ambitioi}  de 
uoloir  paraître  plus  fin  pour  estre  autre,  et  tirer  nom  par  reprehansious  et 
nouuelete:^.  Corne  il  n'affiert  qu'aus  grands  poètes  d'user  des  licoices  de  l'art,  10 
aussi  [)i'est]  il  supportable  qu'aus  grandes  âmes  &  illustres  de  se  priuilegicr 
au  dessus  de  la  costume.  ((  Si  quid  Socrates  et  Aristippus  contra  moreni  et 
consiictudinem  fecerint,  idem  sibi  ne  arbitretur  liccre  :  magnis  enim  illi  et 
diuinishonis banc  licentiam assequebantur .  n  On  luy  apprendra  de  n'entrer 
en  difcours  ou  conteftation  que  où  il  verra  vn  champion  digne  de  15 
la  luite,  &  là  mefmes  à  n'emploier  pas  tous  les  tours  qui  luy  peuuent 
feruir,  mais  ceux-là  feulement  qui  luy  peuuent  le  plus  feruir.  Qu'on 
le  rende  délicat  au  chois  &  triage  de  fes  railons,  &  aymant  la  perti- 
nence, &  par  confequcnt  la  briefueté.  Qii'on  l'inftruife  fur  tout  à  le 
rendre  &  à  quitter  les  armes  à  la  vérité,  tout  aufli  tofl;  qu'il  l'apper-  20 
ceura  :  foit  qu'elle  nailTe  es  mains  de  l'on  aduerfaire,  foit  qu'elle 
naifle  en  luy-mefmes  par  quelque  rauifement.  Car  il  ne  fera  pas  mis 
en  chaife  pour  dire  vn  roUe  prefcript.  11  n'eft  engagé  à  aucune  caufe, 
que  par  ce  qu'il  l'appreuue.  Ny  ne  fera  du  meftier  où  fe  vent  à  purs 


Texte  88. —   i)  conuerfation  des  hommes.  On  —   5)  noftre  gouft.  On  luy 

^'AR.  MS. —  6)  aiitruy  ce  qu'il  n'eime  pas  afiiirc  —  7)  iiniidia.  Qu'on  luy  inculque 
soutmtil  qu'il  n'y  a  que  les  fols  bien  cerleins  el  bien  résolus.  Si  quid  Socnitcs  Cf.  p.  196, 1.9. 
—  12)  contra  ee 

*     Fuye...     IlOUUelctCl    addition  ultérieure  insérée  par  un   renvoi  .i  cette  place.  L'édition  de  1595 

en  modifie  ainsi  h  fin  :  pour  cftrc  autrc  ;  &  Comme  fi  ce  fuft  marchandifc  malaizcc,  que 
icprebenfions  &  nouuelletcz,  vouloir  tirer  de  l;'i,  nom  de  quelque  peculiere  valeur. 


LIVRE     I,     CHAPITRE     XXVI.  20I 

deniers  contans  la  liberté  de  fe  pouuoir  /r/)tv;//V&  reconnoiftre.  ((Ncijiu; 

ut  omnhi  qiuv  privscripta  et  impcrata  siiit,  dcfcndal,  mxessitalc  ulla  cogitur.  » 

Si  son  gomiermir  tient  de  mon  humeur,  il  luy  formera  la  uoloute  a  estre 

tresloïal  seruitur  de  son  prinee  et  tresaffeelione  &  trescorageus ;  mais  il  luy 

5     refroidira  l'enuie  de  s'y  atacher  autrement  que  par  un  deuoir  publique. 

Outre  plusieurs  autres  ineonucnians  qui  blessent  nostre  franchise  par  ces 

obligations  particulières,  le  ingénient  d'un  honw  gage  et  acheté,  ou  il  est 

moins  entier  et  moins  libre,  ou  il  est  tache  et  d'imprudence  et  d'ingratitude. 

Vn  courtisan  ne  peut  auoir  ny  loi  ni  uolontc  de  dire  &  penser  quefauora- 

10  blement  d'un  niaistrc  qui,  parmi  tant  de  milliers  d'autres  subiect:^,  l'a  clmisi 
pour  le  nourrir  et  esleuer  de  su  main.  Cette  faneur  &  utilité  corrompent 
non  sans  quelque  raison  sa  franchise,  et  l'esblouissent.  Pour  [tant]  uoit  on 
costumierement  le  langage  de  ces  gens  la  diuers  a  tout  autre  [langage]  d'un 
estât,  et  de  peu  de  foi  en  telle  matière. 

15  Que  fa  confcience  &  fa  vertu  reluifent  en  fon  parler,  et  n'aient  que 
la  raison  pour  guide.  Qu'on  luy  face  entendre  que  de  confefler  la 
fiiute  qu'il  defcouurira  en  fon  propre  difcours,  encore  qu'elle  ne  loit 
aperceuë  que  par  luy,  c'eft  vn  effet  de  iugement  &  de  fincerité,  qui 
font  les  principales  parties  qu'il  cherche;  que  l'opiniatrer  &  contester 

20  sont  qualités  communes,  plus  apparantes  ans  plus  basses  âmes;  que  se 
rauiser  [et]  se  corriger,  abandoner  [un]  mauues  parti  sur  le  cours  [de]  son 
ardur,  ce  sont  qualité:^  rares,  fortes  et  philosofiques. 

On  Yaduertira,  eftant  en  compaignic,  d'auoir  les  yeux  partout; 
car  ie  trouue  que  les  premiers  fieges  font  communément  faifis  par 

25  les  hommes  moins  capables,  &  que  les  grandeurs  de  fortune  ne  fc 
trouucnt  guieres  méfiées  à  la  fuffifance.  l'ay  vcu,  cependant  qu'on 
s'entretenoit,  au  haut  bout  d'vnc  table,  de  la  beauté  d'vne  tapifferie 

Texte  88. —  i)  pouuoir  rauifer  &  —  15)  reluifent  iufqucs  à  fon  —  19)  prin- 
cipales qualitez  qu'il  —  23)  On  l'aduifera,  eftant 

V.\R.  MS.  —  3)  il  le  div  —  4)  prince  mais  cl  L-'^itiiiic  scniiltir  mais  non  que  légitime 
et  tresuolonterc  &  IreSiOiagcus  —  5)  s'y  tenir  autrement  —  6)  hiesscnl  un  Imnc  i"  :  llhe 
par  2»;  franc  par  —  8)  tache  d'i»gmUtudc  —  lo)  milliers  d'autres  l'a  —  11)  ulililc 
esU  —  13)  tout  U  i^sU 


202  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

OU  du  gouil  de  la  maluoiûe,  fe  perdre  beaucoup  de  beaux  traicts 
à  l'autre  bout.  Il  fondera  la  portée  d'vn  chacun  :  vn  bouuier,  vn 
maflbn,  vn  paffant;  il  faut  tout  mettre  en  befongne  &  emprunter 
chacun  félon  fa  marchandife,  car  tout  fert  en  mefnage;  la  fottife 
mefmes  &  foibleffe  d'autruy  luy  fera  inftruction.  A  contreroller  les  s 
grâces  &  façons  d'vn  chacun,  il  s'engendrera  enuie  des  bonnes, 
&  mefpris  des  mauuaifes. 

Qu'on  luy  mette  en  fantafie  vne  honelle  curiofité  de  s'enquérir 
de  toutes  chofes;  tout  ce  qu'il  y  aura  de  finguUer  autour  de  luy, 
il  le  verra  :  vn  baftiment,  vne  fontaine,  vn  homme,  le  lieu  d'vne     lo 
bataille  ancienne,  le  pafTage  de  Ccefar  ou  de  Charlemaigne; 

Qua'  tellus  fit  lenta  gelu,  qua:  putris  ab  ;ïftu, 
Ventus  in  Italiam  quis  bene  vêla  ferat. 

Il  s'enquerra  des  meurs,  des  moyens  &  des  alliances  de  ce  Prince, 
&  de  celuy-là.  Ce  font  chofes  tres-plaifimtes  à  apprendre,  &  très-     15 
vtiles  à  fçauoir. 

.  En  cette  practique  des  hommes,  i'cntends  v  comprendre,  &  prin- 
cipalement, ceux  qui  ne  viuent  qu'en  la  mémoire  des  liures.  Il 
practiquera,  par  le  moyen  des  hiftoires,  ces  grandes  âmes  des 
meilleurs  fiecles.  C'eft  vn  vain  eftude,  qui  veut;  mais  qui  veut  20 
aufli,  c'eft  vn  eftude  de  fruit  ineftimable  :  et  le  su!  estude,  coine  dict 
Platoi,  que  les  Lcicedeiiioiiieiis  eussent  resenié  a  leur  pari.  Quel  profit  ne 
fera-il  en  cette  part  là,  à  la  lecture  des  vies  de  noftrc  Plutarque? 
Mais  que  mon  guide  fe  fouuienne  où  vife  fa  charge;  <bt  qu'il  n'im- 
prime pas  tant  à  fon  difciple  la  dalle  de  la  ruine  de  Carthage  que  les  25 
uicurs  de  Hainiibal  et  '  de'^i  Seipioii,  iiy  tant  où  mourut  Marcellus,  que 
pourquoy  il  fut  indigne  de  fon  deuoir  qu'il  mourut  là.  Qu'il  ne  luy 
apprenne  pas  tant  les  hiftoires,  qu'à  en  iuger.  C'est  a  mon  gré,  entre 
toutes,  la  matière  a  la  quelle  nos  esprits  s'appliqnèl  de  plus  d inerse  mesure. 

^^\R.  .MS.  —  29)  ta  quelle  Vciptit  s'appVuiuc  de  plus  tliiierse  mesure,  h  lis  en  TUe  ee  q 
plusieurs  elfoms  le  lis  eu  Tile  Liuc 


r.IVRE      r,      CHAPITRE     XXVI.  20^ 

7'(rt/]  kit  en  Tik  Liuc  cent  choses  que  tel  n'y  a  pas  leii.  PUilarque  en  y  a 
leu  cent,  outre  ce  que  i'y  ai  sceu  lire,  &,  a  l'auanture,  outre  ce  que  Vaut\Jmr\ 
y  auoit  mis.  A  d'aucuns  c'est  un  peur  estude  grammerien;  a  d'autres, 
l'anatomie  de  la  pbilosofie,  en  la  quelle  les  plus  abstruses  parties  de  nosire 
5  nature  se  pénètrent.  Il  y  a  dans  Plutarque  beaucoup  de  dilcours  eftandus, 
tres-dignes  d'eftre  fceus,  car  à  mon  gré  c'cft  le  maiflre  ouuricr  de 
telle  befongne;  mais  il  y  en  a  mille  qu'il  n'a  que  touché  fimplement  : 
il  guigne  feulement  du  doigt  par  où  nous  irons,  s'il  nous  plaift,  (S:  le 
contente  quelquefois  de  ne  donner  qu'vne  attainte  dans  le  plus  vif 

lo  d'vn  propos.  Il  les  faut  arracher  de  là  &  mettre  en  place  marchande. 
Comme  ce  fien  mot,  que  les  habitans  d'Afie  feruoient  à  vn  feul, 
pour  ne  fçauoir  prononcer  vne  feule  fillabe,  qui  eft  Non,  donna 
peut  efire  la  matière  &  l'occafion  à  la  Boitie  de  ûi  Seruitude  Volon- 
taire. Cela  mefme  de  luy  voir  trier  vne  legiere  action  en  la  vie  d'vn 

15  homme,  ou  vn  mot,  qui  femble  ne  porter  pas  :  cela,  c'eil  vn  difcours. 
C'efI;  dommage  que  les  gens  d'entendement  ayment  tant  la  briefueté  : 
fans  doute  leur  réputation  en  vaut  mieux,  mais  nous  en  valons 
moins  :  Plutarque  aime  mieux  que  nous  le  vantions  de  fon  iugement 
que  de  fon  fçauoir;  il  ayme  mieux  nous  laifler  defir  de  foy  que 

20  fatieté.  Il  fçauoit  qu'es  chofes  bonnes  mefmcs  on  peut  trop  dire, 
&  que  Alexandridas  reprocha  iuftement  à  celuy  qui  tenoit  aux 
Ephores  des  bons  propos,  mais  trop  longs  :  O  eftrangier,  tu  dis  ce 
qu'il  faut,  autrement  qu'il  ne  faut.  Cens  qui  ont  le  corps  tyresle,  le  gros- 
sissent d'embourrures  :  cens  qui  ont  la  matière  exile,  l'enflent  de  paroles. 

25  II  fe  tire  vne  merueilleufe  clarté,  pour  le  iugement  humain,  de  la 
fréquentation  du  monde.  Nous  fommes  tous  contraints  &  amonceliez 
en  nous,  &  auons  la  veuë  racourcie  à  la  longueur  de  noftre  nez. 

Texte  88.  —  5)  dans  cet  .lutheur  beaucoup  —  14)  mefme  de  voir  Plutarque 
tirer  vne  —  18)  le  vantons  de  —  25)  de  ce  commerce  des  hommes.  Nous  — 
27)    nous  mefmes,  & 

Var.  ms.  —  2)  leu  deus  fois  autant  outre  —  3)  wh.  C'est  nus  uns  nu  peur  — 
4)  lie  lu  phw  phihwl'ie  ou  les  plus  —  n)  ^  /ï^<''V"f  (/''  'a  Boitie 


204  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

On  deman doit  à  Socratcs  d"où  il  cftoit.  Il  ne  rcfpondit  pas  :  D' Athènes; 
mais  :  Du  monde.  Luy,  qui  auoit  l'on  imagination  plus  plaine  &  plus 
eftanduë,  embraflbit  l'vniuers  comme  fa  ville,  iettoit  l'es  connoiffances, 
fa  focieté  &  fes  affections  à  tout  le  genre  humain,  non  pas  comme 
nous  qui  ne  regardons  que  sous  nous.  Quand  les  vignes  gèlent  en  5 
mon  village,  mon  prebftre  en  argumente  l'ire  de  Dieu  fur  la  race 
humaine,  &  iuge  que  la  pepic  en  tienne  des-ia  les  Cannibales.  A  voir 
nos  guerres  ciuiles,  qui  ne  crie  que  cette  machine  fe  bouleuerfe 
&  que  le  iour  du  iugement  nous  preiit  au  collet,  fans  s'auifer  que 
plulîeurs  pires  chofes  fe  font  veuës,  &  que  les  dix  mille  parts  du  10 
monde  ne  lailfent  pas  de  galler  le  bon  temps  cependant  ?  Moy,  félon 
leur  licence  &  impunité,  admire  de  les  voir  11  douces  &  molles. 
A  qui  il  grefle  fur  la  tefle,  tout  l'hemifphere  femble  eftre  en  tempelle 
&  orage.  Et  difoit  le  Sauoïart  que,  i\  ce  fot  de  Roy  de  France  eut 
fceu  bien  conduire  fa  fortune,  il  eftoit  homme  pour  deuenir  maiftrc  1 5 
d'hoftel  de  fon  Duc.  Son  imagination  ne  conceuoit  autre  plus  efleuée 
grandeur  que  celle  de  ion  maiflre.  Nous  soivcs  iiiscnsiNcDwiil  tous  ai 
àilc  crrur  :  crrur  de  grande  suite  \ct\  praiudke.  Mais  qui  fe  prcfente, 
comme  dans  vn  tableau,  cette  grande  image  de  noftre  mère  nature  en 
fon  entière  magefté;  qui  lit  en  fon  vifage  vne  fi  générale  &  confiante  20 
variété;  qui  fe  remarque  la  dedans,  &  non  foy,  mais  tout  vn  royaume, 
comme  vn  traict  d\ne  pointe  tres-delicatc  :  ccluv-là  feul  eftimc  les 
chofes  félon  leur  iufte  grandeur. 

Ce  grand  monde,  que  les  vns  multiplient  encore  comme  elpeces 
foubs  vn  genre,  c'eft  le  miroùer  où  il  nous  faut  regarder  pour  nous  25 
connoiftre  de  bon  biais.  Somme,  ie  veux  que  ce  Ibit  le  Hure  de  mon 
efcholier.  Tant  d'humeurs,  de  fectes,  de  iugemens,  d'opinions,  de 
loix  &  de  couftumes  nous  apprennent  à  iuger  foinement  des  nollres, 
&  apprennent  noftre  iugement  à  reconnoiftre  fon  imperfection  &  fa 

Texte  88.  —   5)   regardons  qu'à  nos  pieds.  Quand  —  9)   nous  tient  au 

\'ar.   ms.  —  18)  celle  errur  de  giiind'  cslcmhic  'cl'  de  grand  pi^is  ' c/ 1  ifuporiniire.  Mais 


I.IVRR     I,      CHAPITRE     XXVI.  20) 

naturelle  foiblcfTc  :  qui  nd\  pas  vn  Icgicr  apprcntilTagc.  Tant  de 
remuements  d'eftat  &  changements  de  iortunc  piibliquc  nous  inllruil'ent 
à  ne  faire  pas  grand  miracle  de  la  noftre.  Tant  de  noms,  tant  de 
victoires  &  conqueftes  enfeuelies  foubs  l'oubliancc,  rendent  ridicule 
5  Fefperance  d'eternifer  noftre  nom  par  la  prife  de  dix  argolets  &  d'vn 
pouillier  qui  n'eft  conneu  que  de  fa  cheute.  L'orgueil  &  la  fiereté 
de  tant  de  pompes  ertrangieres,  la  mageflé  fi  enflée  de  tant  de 
cours  &  de  grandeurs,  nous  fermit  &  afleure  la  veûe  à  fouftenir 
l'efclat  des  noftres  fans  filler  les  yeux.  Tant  de  milliafles  d'hommes, 

10  enterrez  auant  nous,  nous  encouragent  à  ne  craindre  d'aller  trouuer 
fi  bonne  compagnie  en  l'autre  monde.  Ainfi  du  refte. 

Nosirt'  nie,  disoit  PvtJMgoras,  retire  <?  ht  grande  &  populeuse  itsstlblee 
des  ieiis  OJiinpiqiies.  Les  uns  s'y  exereenl  le  eorps  pour  en  aeqnerir  In  gloire 
des  iens;  d'antres  y  portent  des  imirehandises  a  nandre  ponr  le  gnein.  Il  en 

1 5  est,  et  qni  ne  sont  pas  les  pires,  les  qnels  ne  cherchent  antre  Jrnit  qne  de 
regarder  cornant  et  pourquoi  chaque  chose  se  faict,  et  cstre  spectatnrs  de  la 
nie  des  antres  homes,  ponr  en  inger  et  régler  la  lenr. 

Aux  exemples  fe  pourront  proprement  aflbrtir  tous  les  plus 
profitables  difcours  de  la  philofophie,  à  laquelle  fe  doiuent  toucher 

20    les  actions  humaines  comme  à  leur  reigle.  On  luy  dira, 

quid  fas  optare,  quid  afper' 
\'tile  nummus  habet;  patria;  charifque  propinquis 
Quantum  elargiri  deceat  ;  quem  te  Deus  efle 
luflit,  &  humana  qua  parte  locatits  es  in  re; 
2)  Quid  fumus,  aut  quidnam  victuri  gignimur  ; 

que  c'efl:  que  fçauoir  &  ignorer,  qui  doit  eftre  le  but  de  l'ellude;  que 
c'eft  que  vaillance,  tempérance  &  iuftice;  ce  qu'il  y  a  à  dire  entre 

Textr  88.  —  5)  pas  grande  reccpte  de  la  —  24)  parte  locauerit  in 

Var.  ms.  —  II)  refte.  f.a  nie  df<:  homes  disoil  —  15)  pires  qui  n'y  e1<ereth-ut  — 
16)  regarder  te  qui  f'v  faift  —   17)  nie  des  l'oiiies  pour  res;ler  In  leur.  .\ux  exemples 

'     plus  en  ça  ùvrit  Montaigne  i  droite  de  cette  i\n  de  vers  pour  en  rectilicr  la  disposition  typographique. 


2o6  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

l'ambition  &  l'aiiarice,  la  leruitude  &  la  fubiection,  la  licence  &  la 
liberté;  à  quelles  marques  on  connoit  le  vray  &  folide  contentement; 
iufques  où  il  faut  craindre  la  mort,  la  douleur  &  la  honte, 

Et  quo  quemque  modo  fugiàtque  ferdtque  laborem  ; 

quels  reffors  nous  meuuent,  &  le  moyen  de  tant  diuers  branles  en  5 
nous.  Car  il  me  femble  que  les  premiers  difcours  dequoy  on  luy 
doit  abreuuer  l'entendement,  ce  doiuent  eftre  ceux  qui  règlent  fes 
meurs  &  fon  fens,  qui  luy  apprendront  à  fe  connoiftre,  &  à  fçauoir 
bien  mourir  &  bien  viure.  Entre  les  ars  liheraus,  comançom  par  l'art 
qui  nous  faict  libres.  10 

Elles  sentent  toutes  aucunement  a  l'instruction  de  nostrc  uie  et  a  son 
usage,  corne  toutes  autres  choses  y  seruent  aucunement.  Mais  choisissons 
celle  qui  y  sert  directenuint  et  professoiremcnt. 

Si  nous  sçauions  restreindre  les  apartcnances  [d/\  nostrc  uie  a  leurs  justes 
et  naturels  limites,  nous  trouuerrions  que  la  meillure  part  des  sciâmes  qui  1 5 
sont  en  usage,  est  hors  de  nostrc  usage;  et  en  celles  nusmes  qui  le  sont,  qu'il 
y  a  des  estendues  et  enfonccures  tresinutilles,  que  nous  fairions  mieus  de 
laisser  la,  et,  suiuant  l'institution  de  Socraies,  borner  le  cours  de  nostrc  estudc 
en  icelles,  ou  faut  l'utilité. 

fapere  aude,  20 

Incipe  :  viuendi  qui  rectè  prorogat  horam, 
Rufticus  expectat  dum  defluat  amnis;  at  ille 
Labitur,  &  labetur  in  omne  volubilis  œuum. 

Ceft  vne  grande  fimpleffe  d'apprendre  à  nos  enfiins 

Quid  moueant  pifces,  animofàque  figna  leonis,  25 

Lotus  &  Hefperia  quid  capricornus  .aqua, 


Var.  ms. —  II)  loiiles  uoireiiMiit  en  quelque  luaiiiere a  riiislnuiioii  —  12)  1°  :  cimes 
Mais  2°:  choses  y  serueut.  Mais —  15)  directemani  et  coniouinlcincnt  fapcrc  —  16)  eu 
usage  nous  est  de  nul  usage 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXVI.  207 

la  fcience  des  artrcs  &  *lc  mouucmcnt  de  la  huitielnie  fphere,  auant         A 
que  les  leurs  propres  : 

T{  TAîiiScGct  xxiJ.oi  ; 

5  [Anaximenes  escnuant  a  Pythagoras  :  De  quel  sens  j  puis  ie  m 'amuser 
au  secret  des  estoiles,  aïaut  la  mort  ou  la  seruitude  tousiours  presante  aus 
yeiis  (car  lors  les  Roys  de  Perse  preparoint  la  guerre  contre  son  pais).  Cbaci'i 
doit  dire  aisin  :  Estant  battu  d'ambition,  d'auaricc,  de  témérité,  de  supers- 
tition, et  aïant  au  dedans  tels  autres  encmis  de  la  nie,  irai  ie  songer  au 

10    branle  du  monde  ? 

Apres  qu'on  luy  aura  dict  ce  qui  fert  à  le  faire  plus  fage  &  meilleur, 
on  l'entretiendra  que  c'eft  que  Logique,  pbisique,  Géométrie,  Rhéto- 
rique; (S:  la  fcience  qu'il  choifira,  ayant  des-ja  le  iugement  formé,  il 
en  viendra  bien  tofl  à  bout.  Sa  leçon  fe  fera  tantoft  par  deuis,  tantoft 

15  par  liure;  tantoft  fon  gouuerneur  luy  fournira  de  l'auteur  mefme, 
propre  à  cette  lin  de  fon  inftitution;  tantoft  il  luy  en  donnera  la 
moelle  &  la  fubftance  toute  mafchée.  Et  fi,  de  foy  mefme,  il  n'eft 
aflez  familier  des  Hures  pour  y  trouuer  tant  de  beaux  difcours  qui 
y  font,  pour  l'effect  de  Ion  deflein,  on  luy  pourra  ioindre  quelque 

20  homme  de  lettres,  qui  à  chaque  befoing  fournisse  les  munitions 
qu'il  faudra,  pour  les  dilbùbuer  îs:  difpenfer  à  fon  nourriflbn.  Et  que 
cette  leçon  ne  foit  plus  aifée  &  naturelle  que  celle  de  Gaza,  qui  y 
peut  faire  doute?  Ce  font  la  préceptes  efpineux  &  mal  plaifans,  &  des 
mots  vains  &  defcharnez,  où  il  n'y  a  point  de  prife,  rien  qui  vous 

25  efueille  l'efprit.  En  cette  cy  l'ame  trouue  où  mordre  et  où  fe  paiftre. 
Ce  fruict  eft  plus  grand,  liuis  comparaifon,  6c  li  fera  pluftoft  meury. 

Texte  88.  —  ii)  aura  apris  ce  —  12)  Logique,  Mufiquc,  Géométrie  — 
13)  des-ja,  le  gouft  &  iugement  —  20)  lettres,  de  qui  à  chaque  befoing  il  retire  les 
—  21)  qu'il  luy  faudra,  pour  après  a  fa  mode  les  diftribuer  —  25)  l'efprit,  rien 
qui  vous  chatouille  :  en  cette  cy  —  23)  paiftre,  &  où  fe  gendarmer.  Ce  fruict 

\'ar.  ms.  —  5)  m'amiiscr  aus  sccreli  tlu  ciel  des 


208  KSSAIS      DH     MONTAIGNE. 

Ccll  grand  cas  que  les  chofes  en  ibyent  là  en  nortre  lîecle,  que 
la  philolbphie,  ce  foit,  iufques  aux  gens  d'entendement,  vn  nom  vain 
i\;  lantaftique,  qui  se  ircitue  de  nul  vfage  &  de  nul  pris,  et  par  opinion 
et  par  effaiet.  le  crov  que  ces  crgotifmes  en  l'ont  caufe,  qui  ont  faili 
fes  auenues.  On  a  grand  tort  de  la  peindre  inacceflible  aux  enfans,  5 
&  d'vn  vifage  renfroigné,  Iburcilleux  &  terrible.  Qui  me  l'a  mafquéc 
de  ce  faux  vifiige,  palle  &  hideux?  Il  n'eft  rien  plus  gay,  plus  gaillard, 
plus  enioué,  &  à  peu  que  ie  ne  die  follaftre.  Elle  ne  prelche  que 
fefte  &  bon  temps.  Vne  mine  trifte  &  tranfie  montre  que  ce  n'eft 
pas  la  fon  gifte.  Demetrius  le  Grammairien,  rencontrant  dans  le  10 
temple  de  Delphes  vne  troupe  de  philolbphes  aflis  enfemble,  il  leur 
dit  :  Ou  ie  me  trompe,  ou,  à  vous  voir  la  contenance  fi  pailible 
6c  11  gave,  vous  n'eftes  pas  en  grand  dilcours  entre  vous.  A  quoy 
l'vn  d'eux,  Heracleon  le  Megarien,  refpondit  :  C'eft  à  laire  à  ceux 
qui  cherchent  il  le  futur  du  verbe  ^i/.Ao)  a  double  ).,  ou  qui  cherchent  1 5 
la  deriuation  des  comparatifs  yv.pz-i  &  ,3é/.-:;;v,  èc  des  fuperlatifs  •/=•?•.":■/ 
&  i3s/,t;jt:v,  qu'il  fiiut  rider  le  front,  s'entretenant  de  leur  fcience. 
Mais  quant  aux  dilcours  de  la  philofophie,  ils  ont  accouftumé 
d'efgayer  6^  rcfiouir  ceux  qui  les  traictent,  non  les  rentroigner 
&  contrifter.  20 

Dcprendas  animi  tormenta  latentis  in  .^gro  . 

Corpore,  deprendas  &  gaudia  :  fumit  vtrumque 
Inde  habitum  faciès. 

L'ame  qui  loge  la  philolbphie,  doit  par  la  lanté  rendre  lain  cncores 
le  corps.  Elle  doit  taire  luire  iufques  au  dehors  fon  repos  &  fon     25 
aife;  doit  former  à  fon  nioiile  le  port  extérieur,  &  \ armer  par  confequent 
d'vne  gratieufe  fierté,  d'vn  maintien  actif  &  allègre,  &  d'vne  conte- 
nance eontente  6c  débonnaire.  La  plus  expresse  marque  de  ht  sa^^esse,  c'est 

Texti;  88.  —  6)  fourcillcux  &  horrible  :  qui  me  —  25)  dehors  l'on  conicii- 
tcnicnt,  fon  repos  —  26)  Ion  mole  le...  &  le  gnriiir  par  —  27)  contenance  radile 
it  débonnaire. 


LIVRE     I,     CHAPITRE     XXVI.  209 

une  cioiiiisance  constante:  son  estât  est  conie  des  choses  au  dessus  de  la  Lune: 
tonsiours  serein.  C'cll  «  Barroco  »  6c  «  Baralipton  »  qui  rendent  leurs 
fuppofts  ainfi  civte:^  &  enfumés,  ce  n'eft  pas  elle;  ils  ne  la  connoiflent 
que  par  ouïr  dire.  Comment  ?  elle  fliict  eftat  de  fcrainer  les  tempeftes 
S  de  l'anie,  &  d'aprendre  la  fain  &  les  iiebures  à  rire,  non  par  quelques 
Epicycles  imaginaires,  mais  par  railbns  naturelles  &  palpables.  EH'  a 
pour  son  but  la  uertu,  qui  n  'est  pas,  conie  dict  l'cscole,  plantée  a  la  teste 
d'un  mont  eope,  rahoteus  &  inaccessible.  Cens  qui  l'ont  aprochee,  la  ticncnt, 
au  rebours,  logée  dans  une  belle  pleine  fertile  &  fleurissente,  d'où  elle  uoit 

10  bioi  sous  soi  tontes  choses;  mais- si  peut  on  y  arriuer,  qui  en  sçait  l'adresse, 
par  des  routes  ondirageuses,  gasonces  &  dousfleurantes,  plesaniniant  et  d'une 
pente  facile  et  polie,  corne  est  celle  des  uoutes  célestes.  Pour  n'auoir  hante 
cette  uertu  suprême,  belle,  triomfante,  amoureuse,  délicieuse  pareillement 
et  corageusc,  cnemie  professe  et  irréconciliable  d'aigrur,  de  desplaisir,  de 

I)  creintc  et  de  contreinte,  aiant  pour  guide  nature,  fortune  et  uolupte  pour 
compaignes  :  ils  sont  ailes,  selon  leur  foiblesse,  feindre  cette  sotte  image,  triste, 
qnereleuse,  despite,  mcnaceuse,  mineuse,  et  la  placer  sur  vu  rochier,  a  l'cscart, 
emmi  des  ronces,  fantosme  a  estoner  les  gens. 

Mon  gonuernur,  qui  conoit  deuoir  ramplir  la  uolonte  de  son  disciple 

20  autant  ou  plus  d'affection  que  de  rcuerance  enuers  [ht  uertu,  luy  sçaura 
dire  que  les  poètes  suiuent  les  humeurs  communes,  et  luy  faire  toucher  au 
doigt  que  les  Dieux  ont  mis  plustost  la  sueur  aux  aduenues  des  cabinet:;^  de 
Venus  que  de  Pallas.  Et  quand  H  commencera  de  se  sentir,  luy  présentant 
Bradamant  ou  Angélique  pour  maistressc  a  ioi'iir,  &  d'une  beauté  nahie, 

25  actiue,]  généreuse,  non  homasse  mais  nirile,  au  pris  d'une  beauté  molle, 
affetee,  [délicate,  artificielle;  l'une]  trauestie  en  garçon,  coiffée  d'un  morrion 

Texte  88.  —  5)  ainfi  niai-mitcux&  —  4)  tempeftes  de  la  fortune,  & —  6)  raifons 

groflieres,  maniables  &  palpables     Montaigne  s'est  d'abord  contente  d'ctlaccr  maniables  ;iv.int  de 

remplacer  groflieres  par  tuilurdtcs 

Var.  ms. —  8)  aprocticc,  1°  :  au  ivht>ui^  l'oiil  ucu  logce  au  t^ch  rebours  dans  2°:  ta 
tienent  logée  au  rebours  dans  —  10)  si  y  peut  on  arriuer  —  11)  roules  unies  gasouees 
dousfleurantes  &  ombragées  plesammaul  tl  d'une  pente  iummible  impereeplibte.  Pour  — 
1  5)    uertu  belle  hiomfuule 


2IO  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

liiysant,  l'aiilrc  mshie  en  garct,  coiffée  d'un  attiffet  enperU  :  il  ingéra 
masle  son  amour  mesmc,  s'il  choisit  [toui]  diucrseniant  a  cet  effrninc  pastur 
de  Pljrygie.  Il  Juy  faira  cette  iiouuelle  leçon,  que  le  pris  &  hautur  de  la 
uraïe  uertu  est  en  la  facilité,  utilité  et  plaisir  de  son  exercice,  si  eslouigiw 
de  difficulté,  que  les  enfans  y  peuucnt  corne  les  homes,  les  simples  corne  les  5 
subtils.  Le  regkmant  c'est  [son]  util,  non  pas  la  force.  Socrates,  son  premier 
mignon,  quitte  a  esciant  sa  force,  pour  glisser  en  la  naïfuete  et  aisance  de 
son  progre:^.  C'est  la  maire  )iourrisse  des  plaisirs  humains.  En  les  rendant 
iustes,  elle  les  rant  surs  et  purs.  Les  modérant,  elle  les  tient  en  haleine  et  en 
goust.  Retranchant  cens  qu'elle  refuse,  elle  nous  \aiguMse  enuers  cens  qu'elle  10 
nous  laisse;  et  nous  laisse  ahondammant  tous  cens  que  ueut  nature,  et  iusques 
a  la  satiété,  maternellemàt,  sinon  iusques  [a  la~\  lassete  (si  d'auanture  nous 
ne  uolons  dire  que  le  régime  qui  arrête  le  heuueur  auant  l'iuresse,  le  mangeur 
auant  la  crudité,  le  paillart  auant  la  pelade,  soit  enemi  de  )ios  plaisirs).  Si 
la  fortune  commuiie  luy  faut,  elle  luy  eschape  ou  elle  s'en  passe,  et  s'en  forge  1 5 
;///'  autre  toute  siene,  non  plus  flvtante  &  roulante.  \Elle']  sçait  estre  riche 
vt  puissante  et  sçauante,  et  coucher  dans  des  matelas  musque:^^.  Elle  aime  la 
im,  elle  aime  la  beauté  et  la  gloire  et  la  santé.  Mais  son  office  propre  et 
particulier  c'est  sçauoir  user  de  ces  biens  la  regleemant,  et  les  sçauoir  perdre 
constammant  :  office  bien  plus  noble  qu'aspre,  sans  lequel  tout  cours  de  nie  20 
est  desnaturé,  turbula)it  et  difforme,  et  y  peut  on  iustemani  atacher  ces 
esceuils,  ces  haliers  et  ces  monstres.  Si  ce  disciple  se  rencontre  de  si  diuersc 
condition,  qu'il  aime  mieus  ouir  une  fable  que  la  narration  d'un  beau 
uoiage  ou  un  sage  propos  quand  il  l'entandera;  qui,  au  son  du  tabourin 
qui  arme  la  iunc  ardur  de  ses  compaignons,  se  destourne  a  un  autre  qui  25 
l'apelle  au  ieu  des  batelurs;  qui,  par  souhet,  ne  treuue  plus  plesant  et  plus 
dous  rcuenir  poudreus  et  uictorieus  d'un  combat,  que  de  la  paume  ou  du 
bal  aueq  le  pris  de  cet  exercice  :  ie  n'y  trenuc  autre  remède,  sinon  que  de' 


\'ak.  ms.  —  4)  cl  iwhtple  de  —   15)  faut  cii  clic  luy  —    18)   niiiic  la  gloire 
25)  ouir  le  babil  d'une  fanic  que 

'     (jue  de...   ou    manque  dans  rédition  de  i>9). 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XXVI.  211 

hfliic  h'iiir  son  ^rfliiucniiir  l'est  ni  ih^lc,  s'il  [csl]  sans  tcsiiioiiis,  on  qu'on  le 
mette  pattissier  duns  quelque  boue  nille,  fut  il  fil. \  d'un  duc,  sniuant  le 
prxupte  de  Platon  qu'il  faut  colloquer  les  enfans  non  selon  les  faculté^  de 
leur  père,  mais  selon  les  faculté:^  de  leur  amc. 
3  Puis  que  ^7  philosophie  cft  celle  qui  nous  inftruict  à  viuro,  &  que 
l'enfance  v  a  lix  leçon,  comme  les  autres  aages,  pourquoy  ne  la  luy 
communique  l'on? 

Vdum  &  molle  lutum  eft;  nunc  nunc  properandus,  &  acri 
Fingendus  fine  fine  rota. 

10  On  nous  aprent  à  viure  quand  la  vie  eft  paflee.  Cent  efcoliers  ont 
pris  la  verolle  auant  que  d'eftre  arriuez  à  leur  leçon  d'Ariftote,  de 
la  tempérance.  Cicero  disoit  que,  quand  il  uiuroit  la  nie  de  deus  homes, 
il  ne  pranderoit  pas  le  loisir  [d^'estudier  les  poètes  lyriques.  Et  ie  treune 
ces  ergotistes  plus  tristement  encores  inntilles.  Nostre  cnfât  est  bien  pins 

1 5  pressé  :  il  [ne']  doit  au  ppedagisme  que  les  premiers  quinse  ou  sese  ans  de  sa 
nie;  le  demurant  est  deu  a  l'action.  Emploions  un  temps  si  court  ans 
instructions  necesseres.  Ce  font  abus  :  oftez  toutes  ces  fubtilitez  efpi- 
neufes  de  la  Dialectique,  dequoy  noftre  vie  ne  fe  peut  amender, 
prenez  les  fimples   difcours  de  la  philofophie,  fçachez  les  choifir 

20  &  traitter  à  point  :  ils  font  plus  aifez  à  conceuoir  qu'vn  conte  de 
Boccace.  Vn  enfant  en  eft  capable,  au  partir  de  la  nourrifle,  beaucoup 
mieux  que  d'aprendre  à  lire  ou  efcrire.  La  philofophie  a  des  difcours 
pour  la  naiflance  des  hommes,  comme  pour  la  décrépitude. 

le  fuis  de  l'aduis  de  Plutarque,  qu'Ariftote  n'amufa  pas  tant  fon 

25  grand  difciple  à  l'artifice  de  compofer  fyllogifmes,  ou  aux  Principes 
de  Géométrie,  comme  à  l'inftruire  des  bons  préceptes  touchant  la 
vaillance,  proùefle,  la  magnanimité  &  tempérance,  &  l'aflcurance  de 

Texte  88.  —  5)  Puis  que  c'cft  clic  qui 

Var.  ms.  —  2)  duc.  Puis  que  —  14)  ces  crgolismes  plus  —  15)  doit  a  l'cftmlf  toute 
fcpte  d'-tstude  Vescolage  que  les 


212  ESSAIS      DH      MONTAIGNE. 

ne  rien  craindre;  &,  auec  cette  munition,  il  l'enuoya  encores  enfiint 
fubiuguer  l'Empire  du  monde  a  tout  feulement  30  000  hommes  de 
pied,  4  000  chenaux  &  quarante  deux  mille  efcuz.  Les  autres  arts 
&  fciences,  dict-il,  Alexandre  les  honoroit  bien,  &  loùoit  leur 
excellence  &  gentilleffe;  mais,  pour  plaifir  qu'il  y  prit,  il  n'eftoit  pas  5 
facile  à  le  laifler  furprendre  à  l'affection  de  les  vouloir  exercer. 

Petite  hinc,  iuuenéfque  fenefque. 
Finem  animo  certum,  miferifque  viatica  canis. 

C'est  ce  que  dict  Epicunis  an  comâccmct  |  âe"\  sa  lettre  a  Meiiieeus  :  [Ny] 
k  plus  iunc  refuie  [a]  philosofer,  ny  le  plus  uieil  s'y  hisse.    Oui  faict     10 
autrcmant,  [il]  semble  dire  ou  qu'il  n'est  pas  encore  seson  [d']hureuseweut 
uiure,  [0//]  qu'il  n'en  est  plus  seson. 

Pour  tout  cecy,  ie  ne  veu  pas  qu'on  cmprifonne  ce  o;arçon.  le  ne 
veux  pas  qu'on  l'abandonne  à  l'humeur  mclancholique  d'vn  furieux 
maiflre  d'efcole.  le  ne  veux  pas  corrompre  l'on  efprit  à  le  tenir  à  la     15 
gehene  &  au  trauail,  à  la  mode  des  autres,  quatorze  ou  quinze 
heures  par  iour,  comme  vn  portefaiz.  A^'  "c  trouuerois  bon,  quâd  par 
quelque  coinplexiou  soliterc  et  mclancholique  on  le  ucrroit  adone  d'une 
application  trop  indiscrète  [ci]  l'estude  des  Hures,  qu'on  [la]  luy  nourrit  : 
cela  les  rend  ineptes  a  la  cotuiersation  ciuille,  et  les  destourne  de  meilleures    20 
occupations.  Et  comlticn  ai  ie  veu  de  mon  temps  [d']l}omes  abestis  par 
temererc  auidite  de  sciancc?  Carneades  s'en  trouua  si  a  foie,  qu'il  n'eut 
plus  le  loisir  de  se  faire  le  poil  et  les  ongles.  Ny  ne  \-eux  gafter  fes  meurs 
gcnereufes  par  l'inciuilité  &  barbarie  d'autruy.  La  lageffe  Françoife 
a  efté  anciennement  en  prouerbe,  pour  vne  iiigeffe  qui  prenoit  de     25 
bon'  heure,  &  n'auoit  guieres  de  tenue.  A  la  vérité,  nous  voyons 
encores  qu'il  n'eil  rien  fi  gentil  que  les  petits  enfans  en  France; 

Text)-.  88.  —  2)  monde  aucc  feulement  —  n)  cmprifonne  cet  eiifnnt  dans  vn 
collège,  ie  ne  veux  —  14)  à.  la  colère  &  Innneur 

Var.  ms. —  17)  quâd[on  l]elnniuerroil  par...  mclancliotiquc  aitonc  Cf.  p.  21,1,  variante 
de  h  ligne  13.   —    2o)    ct  de  —  22)  qu'il  Vf  Ircuuoil  pitis 


•■) 


I.1VR1-:      I,      CHAIMTRI-:      X.WI.  21^ 

mais  ordinairement  ils  trompent  rcl'pcrancc  qu'on  on  a  conccuë, 
&:,  hommes  faicts,  on  n'y  voit  aucune  excellence,  l'ay  ouy  tenir 
à  gens  d'entendement  que  ces  collèges  où  on  les  enuoie,  dequoy  ils 
ont  tbil'on,  les  abrutilTent  ainiin. 

Au  noftrc,  vn  cabinet,  vn  iardrin,  la  table  (i>c  le  lit,  la  i'olitude,  la 
compaignie,  le  matin  &  le  vefpre,  toutes  heures  luy  feront  vnes, 
toutes  places  luy  feront  eftude  :  car  la  philofophie,  qui,  comme 
formatrice  des  iugements  &  des  meurs,  fera  fa  principale  leçon,  a  ce 
priuilege  de  fe  méfier  par  tout.  Ifocrates  l'orateur,  eftant  prié  en  vn 
feftin  de  parler  de  fon  art,  chacun  trouue  qu'il  eut  raifon  de  refpondrc: 
Il  n'eft  pas  maintenant  temps  de  ce  que  ie  fçay  faire;  &  ce  dequoy 
il  eft  maintenant  temps,  ie  ne  le  fçay  pas  faire.  Car  de  prefenter  des 
harangues  ou  des  difputes  de  rhétorique  à  vne  compaignie  alïemblée 
pour  rire  &  faire  bonne  chère,  ce  feroit  vn  meflange  de  trop 
mauuais  accord.  Et  autant  en  pourroit-on  dire  de  toutes  les  autres 
fciences.  Mais,  quant  à  la  philofophie,  en  la  partie  où  elle  traicte  de 
l'homme  &  de  fes  deuoirs  &  offices,  c'a  efté  le  iugemcnt  commun 
de  tous  les  lages,  que,  pour  la  douceur  de  (a  conucrflition,  elle  ne 
deuoit  cftre  refufée  ny  aux  feftins  ny  aux  ieux.  Et  Platon  l'ayant 
i nuitée  à  fon  conuiue,  nous  voyons  comme  elle  entretient  l'affil^cnce 
d'vne  façon  molle  &  accommodée  au  temps  &  au  lieu,  quoy  que  ce 
foit  de  fes  plus  hauts  difcours  &  plus  falutaires  : 

^Eque  pauperibus  prodeft,  locupletibus  aeque; 
Et,  neglecta,  neque  pueris  fenibùfque  nocebit. 

Ainfi,  fans  doubte,  il  chômera  moins  que  les  autres.  Mais,  comme 
les  pas  que  nous  employons  à  nous  promener  dans  vne  galerie, 
quoy  qu'il  y  en  ait  trois  fois  autant,  ne  nous  laflent  pas  comme 
ceux  que  nous  mettons  à  quelque  chemin  delTcigné,  aufli  noftrc 

Texte  88.  —  15)  pourroit-on  quafi  dire  —  19)  l'ayant  conuice  à 

VaR.    MS.  —   4)   Monuignc  efface  foifon,  le  rempl.ice  par  aboiltiatice,  puis  rcublit  foifon. 


214  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

leçon,  le  palLint  comme  par  rencontre,  fons  obligation  de  temps 
&  de  lieu,  &  fe  meflant  à  toutes  nos  actions,  fe  coulera  fans  fe  faire 
fentir.  Les  ieux  mefmes  &  les  exercices  feront  vne  bom  partie  de 
l'eftude  :  la  courfe,  la  luite,  la  mtisig),  la  danfe,  la  chafle,  le  manie- 
ment des  cheuaux  &  des  armes.  le  veux  que  la  bienfeance  extérieure,  s 
&  l'entre-gent,  et  la  disposition  de  la  persone,  fe  façonne  quant  &  quant 
l'âme.  Ce  n'eft  pas  vne  ame,  ce  n'eft  pas  vn  corps  qu'on  dreffe  : 
c'eft  vn  homme;  il  n'en  faut  pas  faire  à  deux.  Et,  comme  dict 
Platon,  il  ne  faut  pas  les  dresser  l'vn  fans  l'autre,  mais  les  conduire 
également,  comme  vne  couple  de  cheuaux  attelez  à  mefme  timon.  lo 
Et,  a  l'ouir,  semble  il  pas  prester  plus  de  temps  et  plus  de  sollicitude  ans 
exercices  du  cors,  et  estimer  que  l'esprit  s'en  exerce  quand  et  quant,  et  non 
au  rebours. 

Au  demeurant,  cette  inftitution  fe  doit  conduire  par  vne  feuere 
douceur,  non  comme  //  se  faict.  Au  lieu  de  conuier  les  enfans  aux  1 5 
lettres,  on  ne  leur  prefente,  à  la  vérité,  que  horreur  &  cruauté.  Oftez 
moy  la  violence  &  la  force  :  il  n'eft  rien  à  mon  aduis  qui  abaftar- 
diffe  &  eftourdifle  fi  fort  vne  nature  bien  née.  Si  vous  auez  enuie 
qu'il  craigne  la  honte  &  le  chafliement,  ne  l'y  endurciflez  pas. 
EndurciiTez  le  à  la  fueur  &  au  froid,  au  vent,  au  foleil  &  aux  hazards  20 
qu'il  luy  faut  mefprifer;  oftez  luy  toute  molleffe  &  delicateffe  au  veftir 
&  coucher,  au  manger  &  au  boire;  accouftumez  le  à  tout.  Que  ce  ne 
foit  pas  vn  beau  garçon  &  dameret,  mais  vn  garçon  vert  &  vigoureux. 

Texte  88.  —  9)  pas  les  exercer  l'vn  —  14)  Au  demeurant,  toute  cette  — 
1 5)  comme  aux  collèges,  ou  au  lieu  de  conuier  les  enfans  aux  lettres,  &  leur  en  donner 
gouft,  on  ne 

Var.  ms.  —  6)    disposition  du  cors,  (e  —    11)  pas  qu'il  preste  et  plus  de  temps  el  — 

I  °  '.  cete 
12)  cors  est  —  i?)  rebours.  Ouoiieuite   ^    „      ,   ,     ■   .  •  ,  "^   indiscrète  auidite 

'  '■'  ~  ^  2°  :  de  les  induire  a  cete  "^ 

d'estude  des  Hures  qui  leur  este  toute  grâce  en  la  comiersation  ciuile  el  les  destourne  de  tout'  autre 

•II  •       ^  7  1    •       ■    /7-I.     .-i        ^  1°  •  trotifoit       ^    ,  .  . 

nieillurcs  occupations  Larneadts  en  deumt  SI  affole  au  il  ne  C         ,  ^1     S^   loisir  a  se 

^  ■"       '  ^  2°  :  Irouua  plus 

faire  les  ongles  &  le  poil.  Combien  d'homes  ai  ic  ucu  de  mon  temps  abestis  par  l'estude.  .\u 

demeurant  Cf.  p.  212,  1.  17. 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XXVI.  21) 

Eiifiiiil,  Ixinic,  itici],  i'ay  toiisiours  ci  eu  et  iiigc  de  iiiesmcs.  Mais,  entre 
autres  choses,  cette  police  de  la  plus  part  de  nos  collieges  m'a  tousioiirs 
despieu.  On  eut  failli  a  l'auaniure  moins  domageablenunt,  s'inclinant  tiers 
l'indulgence.  C'est  une  uraye  geôle  de  iunesse  captiue.  On  la  rent  dcsbauchee, 
5  l'en  punissàt  auant  qu'elle  le  soit.  ArriiicT^  y  sur  le  poinct  de  leur  office  : 
nous  n'oyes  que  cris  et  d'enfans  suppliciei,  et  de  maistres  enyiire^^  en  leur 
cholere.  Quelle  manière  pour  esueiller  l'appétit  enuers  leur  leçon,  a  ces  tendres 
âmes  et  creintiues,  de  les  y  guider  d'une  trouigne  effroiahle,  les  mains  armées 
de  fouet'^?  Inique  et  pernicieuse  forme.  loint  d  que  Quintilien  en  a  Ires- 

lo  bien  remarqué,  que  cette  impérieuse  authorité  tire  des  suites  périlleuses,  et 
nomeemant  a  nostre  façon  de  chatiemant.  Combien  leurs  classes  seroint  plus 
décemment  iotichees  de  fleurs  et  defeuillee  que  de  tronçons  d'osier  sanglans. 
l'y  fairois  portraire  la  ioye,  l'alegresse,  et  flora,  et  les  grâces,  come  fit  en 
son  escole  le  pin  lofe  Speusippus.  Ou  est  leur  profit,  que  ce  fut  aussi  leur  esbat. 

i)  On  doit  ensucrer  les  uiandes  salubres  a  l'enfant,  et  enfieler  celés  qui  luy 
sont  nuisibles. 

C'est  merueille combien  Platon  se  nwntre  souigneus,  en  ses  loix,  de  la  gayete 
et  passetemps  de  la  iunesse  de  sa  cite,  et  combien  il  s'arrête  a  leurs  courses, 
ieus,  chançons,  sans  et  danses,  des  quelles  il  dict  que  l'antiquité  a  donc  la 

20    conduite  et  le  patronage  aus  dieus  mesmes  :  Apollo,  les  Muses  et  Minerue. 
Il  l'estant  a  mille  pra'ceptes  pour  ses  gymnases  :  pour  les  sciances  lettrées, 
il  s'y  amuse  fort  peu,  &  sêble  ne  recortiander  particulièrement  la  poisie  que 
pour  la  musiq^.' 


Var.  ms.  —   i)   mesmes  a  peu  près.  Mais  (Mais  entre  autres  a  été  biffé  puis  rétabli.) 

—  7)  manière  d' esueiller .. .  leçon,  de  ces  —  9)  ce  qu'un  antien  eu  a  —  12)  décemment 
et  ingénieusement  ionchees  de  roses  et  de  feuillee  —    13)  portraire  le  ieu   la  gayete  et  flora 

—  13)  grâces.  Ou  —  17)  gayete  des  eufans  de  sa  —  18)  s'arrête  m>  a  leurs  1°  :  exer- 
cices ieus  chançons  et  danses  des  quelles  2°  :  ieus  chançons  danses  et  courses  des  quelles 
3°:  exe  courses  ieus  chançons  et  danses  des  quelles  —  20)  1°:  Apollo  les  Muses  et  Bacchus 
des  (phrase  inachevée.)  2°  :  Apollo  et  les  Muscs  pour  cens  de  plus  bas  cage  bacchus  pour  l'cagc 
plus  auance.  Il  l'estant  3°  :  Apollo  les  Muscs  et  Minerue  pour  cens  de  tout  cage  bacchus 
pour  l'eage  bien  auance.  Il  l'estant 

'     Cf.  p.  185,  variante  Je  la  ligne  20. 


2l6  ESSAIS     DE     MONTAIGXE. 

Toute  cilrangetc  &  particularité  en  nos  meurs  &  conditions  eft 
euitable,  comme  ennemie  de  communication  ibc  de  locieté  ci  aviic 
môstnicuse.  Qui  lie  s'cstoiieivif  de  Ja  eôpJexioii  de  Deinopboii,  maistre 
d'hostel  d'Alexandre,  qui  siioit  a  l'ombre  &  trâbloit  au  soleil?  l'en  ay  veu 
fuir  la  lenteur  des  pommes  plus  que  les  harquebulades,  d'autres  5 
s'effraver  pour  vne  fouris,  d'autres  rendre  la  gorge  à  voir  de  la 
crefme,  d'autres'  à  voir  brasser  vn  lict  de  plume,  comme  Germanicus 
ne  pouuoit  souffrir  ny  la  veue  ny  le  chant  des  coqs.  11  y  peut  auoir, 
à  l'auanture,  à  cela  queftjue  propriété  occulte;  mais  on  l'efteindroit, 
à  mon  aduis,  qui  s'y  prendroit  de  bon'  heure.  L'inftitution  a  gaigné  10 
cela  fur  mov,  il  cÛ  vray  que  ce  n'a  point  efté  fans  quelque  Ibing, 
que,  fauf  la  bière,  mon  appétit  eft  accommodable  iiidifferammanl 
à  toutes  choies  dequoy  on  fe  pait.  Le  corps  encore  fouple,  on  le 
doit,  à  cette  caufe,  plier  à  toutes  façons  &  couftumcs.  Et  pourueu 
qu'on  puiffe  tenir  l'appétit  &  la  volonté  foubs  boucle,  qu'on  rende  15 
hardiment  vn  ieune  homme  commode  à  toutes  nations  &  com- 
paignies,  voire  au  defreglement  &  aus  excès,  fi  befoing  eft.  Son 
cxercitation  siiiiie  l'usage.  Qu'il  puiffe  faire  toutes  chofes,  &  n'ayme 
à  faire  que  les  bonnes.  Les  philofophcs  mefmes  ne  trouuent  pas 
louable  en  Califthenes  d'auoir  perdu  la  bonne  grâce  du  grand  20 
Alexandre,  fon  maiftre,  pour  n'auoir  voulu  boire  d'autant  à  luy. 
11  rira,  il  follaftrera,  il  le  dell«auchera  auec  fon  prince.  le  veux  qu'en 
la  deffiauche  mefme  il  lurpaffe  en  vigueur  &  en  fermeté  fes  compa- 
gnons, &  qu'il  ne  laiffe  à  faire  le  mal  ny  à  faute  de  force  ny  de 
fcience,  mais  à  fsute  de  volonté.  «  Multuiii  interest  utriiin  pea'are  25 
aliquis  iiolit  aut  nesciaf.  »  le  penfois  foire  honneur  à  vn  feigneur  auffi 
eflongné  de  ces  débordemcns  qu'il  en  ibit  en  France,  de  m'enquerir 
à  luv,  en  bonne  compaignie,  combien  de  fois  en  la  vie  il  s'eftoit 

Texte  88.  —  7)  voir  branfler  vn  —  12)  mon  gouft  eft 

Var.  ms. —  3)  wôsirucusc  kfmouiu  —  18)  cxircUnlwit  âcH  en  pu  future  l'usage. 

'     d'à  ut  as...  coqs.   nJilition  de  liSS. 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XXVI.  217 

cnyurc  pour  la  ncccflitc  des  affiiircs  du  Roy  en  Allemagne.  11  le  print 
de  cette  façon,  &  me  relpondit  que  c'cftoit  trois  fois,  lefquelles  il 
recita.  l'en  Içay  qui,  à  faute  de  cette  faculté,  fe  font  mis  en  grand  peine, 
ayans  à  pratiquer  cette  nation,  l'ay  fouuent  remarqué  auec  grand' 
5  admiration  hi  merueilleufe  nature  d'Alcibiades,  de  fe  transformer 
û  aifément  à  façons  û  diuerfes,  fans  interell  de  iii  fanté  :  furpaflant 
tantoft  la  Ibmptuolité  &  pompe  Perfienne,  tantoft  l'aurterité  &  fruga- 
lité Lacedemoniene;  autant  reformé  en  Sparte  comme  voluptueu.\ 
en  lonié, 

10  Oninis  Ariftippuni  dccuit  color,  &  ftatus,  &  res. 

Tel  voudrois-ie  former  mon  difciple, 

quem  duplici  panno  patientia  velat 
Mirabor,  vitse  via  li  conuerfa  decebit, 
Perfonamque  feret  non  inconcinnus  vtrdmque. 

i)     Voicy  mes  leçons.  Cclluy  ht  y  a  miens  projilc,  qui  les  faicl,  que  qui  les 
sçaif.  Si  nous  le  uoïes,  uous  l'oies;  si  nous  Voies,  nous  le  uoies. 

In  [a]  dieu  ne  plaise,  diet  queleuu  eu  Plulou,  que  philosofer  ee  soit 
upniiidre  plusieurs  eboses  et  tniieter  les  ars  ! 

((  Haue  amplissimam  ouiiiiuiu  urtiuui  heue  uiuendi  diseipliuciui  uila 
20     magis  quam  literis  persequuti  suut.» 

Léon,  prince  des  Phliasiens,  s'enquerant  a  Heraclides  Pouiicus  de  quelle 
sciance,  de  quelle  art  il  faisoit  profession  :  le  ne  sçai,  diet  il,  ny  art  ny 
sciance;  mais  ie  suis  philosophe. 

Texte  88.  —  2)  cette  mefmc  façon  —  5)  admiration  cette  merueilleufe  — 
15)  leçons,  où  le  faire  va  auec  le  dire.  Car  à  quoy  fert  il  qu'on  prefche  l'efprit,  fi  les 
etfects  ne  vont  quant  &  quant  ?  On  verra  à  fes  entreprinfes,  s'il  y  a  de  la  prudence, 
s'il  y  a  de  la  bonté  en  fes  actions,  de  l'indifférence  (p.  218,  I.  lo.) 

Var.  ms.  —  15)  leçons.  Qui  les  fuict  a  iiiicus  profité  que  celtiy  qui  les  sçail.  — 
25)  philosophe.  Suiuiit  le  dogme  Je  Aulislhciies  iiiaiiileiiiiiit  que  la  uertu  u'auoil  besouiii  uy 
lies  diseipliiies  v\  des  paroles  u\  des  effaiels,  qu'elle  sujjisoit  a  soi  Hegesias  (p.  218,  I.  j.) 


2l8  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

0)1  reprochait  a  Diogciws  cotnanl,  estant  ignorant,  il  se  inesloit  de  la 
philosofie.  le  m'en  mesle,  dict  il,  d'autant  miens  a  propos. 

Hegesias  le  prioit  de  Iny  lire  quelque  Hure  :  Fous  estes  i  plaisant,  luy] 
respondit  il,  nous  choisisses  les  figues  uraies  \et  naturelles,  non  peintes  :  que 
ne  choisisses  vous  aussi  les  exercitations  naturelles,  vrayes  &  non  escrites  ?]     s 

//  ne  dira  pas  tant  sa  leçon,  corne  il  la  jaira.  Il  la  répétera  en  ses  actions. 
On  uerra  s'il  a  de  la  prudance  en  ses  oitreprinses,  s'il  a  de  la  honte  et  de 
la  iustice  en  ses  desportemans,  s'il  a  du  iugement  &  de  la  grâce  en  son  parler, 
de  la  uigeur  en  ses  maladies,  de  la  modestie  en  ses  icus,  de  là  tempérance 
en  ses  uolupte:^,  de  l'indifférence  en  fon  gouft,  foit  chair,  poiffon,  vin  lo 
ou  eau,  de  l'ordre  en  son  cvconomie  : 

((  Ouidisciplinam  suam,  non  ostentationent  scientiiv,sed  legem  uit.r  putet, 
quique  obtemperet  [ipse\  sihi,  et  decretis pareat.  » 

Le  urai  miroir  de  nos  discours  est  le  cours  de  nos  nies. 

Zeuxidamus  refpondit  à  vn  qui  luy  demanda  pourquoy  les  Lace-     15 
demoniens  ne  rcdigeoient  par  efcrit  les  ordonnances  de  la  proueffe, 
&  ne  les  donnoient  à  lire  à  leurs  ieunes  gens  :  que  ceftoit  par  ce 
qu"'ils  les  vouloient  accouftumer  aux  faits,  non  pas  aux  paroUes. 
Comparez,  au  bout  de  15  ou  16  ans,  à  cettuy  cy  vn  de  ces  latineurs 
de  collège,  qui  aura  mis  autant  de  temps  à  n'aprendre  fimplement     20 
qu'à  parler.  Le  monde  n'ell:  que  babil,  &  ne  vis  iamais  homme  qui 
ne  die  pluftoft  plus  que  moins  qu'il  ne  doit;  toutesfois  la  moictié 
de  noftre  aage  s'en  va  la.  On  nous  tient  quatre  ou  cinq  ans  à  entendre 
les  mots  &  les  coudre  en  claufes;  cncores  autant  à  en  proportionner 
vn  grand  corps,  eftendu  en  quatre  ou  cinq  parties;  &  autres  cinq,      25 
pour  le  moins,  à  les  Içauoir  brefuement  mefler  &  entrelaffer  de 
quelque  llibtile   façon.  Lailîbns  le  à  ceux  qui  en  font  profeflion 
expreffe. 

Texte  88.  —  11)  eau.  Il  ne  faut  pas  feulemcni  qu'il  die  la  leçon,  mais  qu'il  la 
face.  Zeuxidamus   —    18)   pas  aux  cfcritures.  Comparez  —   27)    Laiflbns  cela  à 

Var.  ms.  —  3)  IIei;csi(is  priait  Divgciies  de  —  7  et  8)  .('/7  \'  a  au  lieu  Je  s'il  a  — 
12)  sciciiliœ  ijni  ohliiiipcrci  ipsc  sihi  cl  ili'cirtis  piimil.  Zeuxidanius 


I.IVRF.      1,      CHAPITRE      XXVI.  219 

Allant  vil  iour  à  Orléans,  ic  trouuay,  dans  cette  plaine  au  deçà  de 
Clery,  deux  regens  qui  venoyent  à  Bourdeaux,  enuiron  à  cinquante 
pas  l'vn  de  l'autre.  Plus  loing,  derrière  eux,  ie  delcouuris  vne 
trouppe  &  vn  mailtre  en  tefte,  qui  eftoit  feu  Monfieur  le  Comte  de 
5  La  Rochetoucaut.  Vn  de  mes  gens  s'enquit  au  premier  de  ces  régents, 
qui  eftoit  ce  gentU'homme  qui  venoit  après  luv.  Luv,  qui  n'auoit 
pas  veu  ce  trein  qui  le  fuyuoit,  &  qui  penfoit  qu'on  luv  parlaft  de 
fon  compagnon,  refpondit  plail'amment  :  Il  n'eft  pas  gentil'homme; 
c'eft  vn  grammairien,  &  ie  fuis  logicien.  Or,  nous  qui  cerchons  icy, 

10  au  rebours,  de  former  non  vn  grammairien  ou  logicien  mais  vn 
gentiFhomme,  laiflbns  les  abufer  de  leur  loillr  :  nous  auons  affliire 
ailleurs.  Mais  que  noftre  difciple  foit  bien  pounicu  de  chofes,  les 
parolles  ne  fuiuront  que  trop  :  il  les  traînera,  li  elles  ne  veulent 
fuiure.  l'en  oy  qui  s'excufent  de  ne  fe  pouuoir  exprimer,  &  font 

15  contenance  d'auoir  la  tefte  pleine  de  plulieurs  belles  chofes,  mais, 
à  faute  d'éloquence,  ne  les  pouuoir  mettre  en  euidence  :  c'eft  vne 
baye.  Sçauez  vous,  à  mon  aduis,  que  c'eft  que  cela  ?  Ce  font  des 
ombrages  qui  leur  viennent  de  quelques  conceptions  informes, 
qu'ils  ne  peuuent  defmeler  &  efclarcir  au  dedans,  nv  par  confequant 

20  produire  au  dehors  :  ils  ne  s'entendent  pas  encore  eux  mefmes.  Et 
voyez  les  vn  peu  bégayer  fur  le  point  de  l'enfanter,  vous  iugez  que 
leur  trauail  n'eft  point  à  l'acouchement  mais  a  hi  coiurptioii,  et  qu'ils 
ne  tont  que  lécher  cette  matière  imparfiiicte.  De  ma  part,  ie  tiens, 
et  Socrates  Vordom,  que,  qui  a  en  l'efprit  vne  viue  imagination  (Se  claire, 

25     il  la  produira,  foit  en  Bergamafque,  foit  par  mines,  s'il  eft  muet  : 

Verbâque  prœuifam  rem  non  inuita  fequentur. 
Et  comme  difoit  cehiy  hi,  aufli  poétiquement  en  fa  profe,  «  cum  rcs 


Texte  88. —  12)  bien  garny  de  —    25)   lécher  encores  cette  —  27)   difoit  cet 
autre,  aufli 


\'ar.   ms.  —  24)  Socrales  aussi  l'ordoirc 


220  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

animum  occupaucrc,  vcrba  ambiant.  »  Et  cet  autre  :  «  Ipsœ  res  iierha 
mpiiint.  »  11  ne  fçait  pas  ablatif,  coniunctif,  fubilantif,  ny  la  gram- 
maire; ne  faict  pas  l'on  laquais  ou  vne  harangiere  du  petit  pont, 
&  fi  vous  entretiendront  tout  voftre  foui,  lî  vous  en  auez  enuie, 
&  fe  desferreront  aufli  peu,  à  Taduenture,  aux  régies  de  leur  langage,  5 
que  le  meilleur  maiftre  es  arts  de  France.  Il  ne  fçait  pas  la  rhétorique, 
nv,  pourauant-ieu,  capter  la  beniuolence  du  candide  lecteur,  ny  ne 
luy  chaut  de  le  fçauoir.  De  vray,  toute  cette  belle  peincture  s'effiice 
aifément  par  le  luftre  d'vne  vérité  limple  &  naifue.  Ces  gentilleffes 
ne  feruent  que  pour  amufer  le  vulgaire,  incapable  de  prendre  la  viande  10 
plus  mafliue  &  plus  ferme,  comme  Afer  montre  bien  clairement  chez 
Tacitus.  Les  Ambaffadeurs  de  Samos  eiloyent  venus  à  Cleomenes, 
Rov  de  Sparte,  préparez  d'vne  belle  &  longue  oraifon,  pour  l'efmouuoir 
à  la  guerre  contre  le  tyran  Policrates.  Apres  qu'il  les  euft  bien  laiffez 
dire,  il  leur  refpondit  :  Quant  à  voftre  commencement  &  exorde,  il  15 
ne  m'en  fouuient  plus,  ny,  par  confequent,  du  milieu;  &  quant 
h  voftre  conclufion,  ie  n'en  veux  rien  taire.  Voyla  vne  belle  refponce, 
ce  me  femblc,  &  des  harangueurs  bien  cameus. 

Et  quov  cet  autre?  Les  Athéniens  eftoyent  à  choiiir  de  deux 
architectes,  à  conduire  vne  grande  fabrique.  Le  premier,  plus  afîeté,     20 
fe  prefenta  auec  vn  beau  difcours  prémédité  lur  le  lubicct  de  cette 
befongne,  &  tiroit  le  iugement  du  peuple  à  fa  faneur.  Mais  l'autre,  en 
trois  mots  :  Seigneurs  Athéniens,  ce  que  cetuy  a  dict,  ie  le  feray. 

Au  fort  de  l'éloquence  de  Cicero,  plufieurs  en  eiitroliii  en  admi- 
ration; mais  Caton,  n'en  faiûnt  que  rire  :  Nous  auons,  difoit-il,  vn  25 
plaifant  conful.  Aille  deuant  ou  après,  loi'  utile  sentanee,  vn  beau 
traict  eft  touiours  de  faifon.  5'/7  ii'est  pas  bien  [a]  ce  qui  iia  cleuaiit, 
ny  [a]  ce  qui  aient  après,  [//]  est  bien  en  soi.  le  ne  fuis  pas  de  ceux  qui 
penfent  la  bonne  rithme  faire  le  bon  poème  :  lailTez  luy  allonger 


Texte  88.  —  10)  de  gouftcr  la  —    24)   en  eftoyent  tirez  en   —    26)   après  :  vn 
vif  aroTjmcnt,  vn  beau 


I.IVRn     I,      CHAPITKi;      \XVI.  221 

vnc  courte  l'yllabc,  s'il  veut;  pour  cela,  non  force;  li  les  inuentions 
y  rient,  Il  l'efprit  &  le  iugemcnt  y  ont  bien  faict  leur  office,  voyla  vn 
bon  poète,  diray-ic,  mais  vn  mauuais  verfificateur, 

Emunct.^  naris,  durus  componere  verfus. 

5  Qu'on  fiice,  dict  Horace,  perdre  à  fon  ouurage  toutes  fcs  coufturcs 
&  mefurcs, 

Tempora  certa  modofque,  &  quod  prius  ordinc  verbum  eft, 
Pofterius  facias,  prasponens  vltima  primis, 
Inuenias  etiam  difiecti  menibra  poet.t, 

lo  il  ne  fe  démentira  point  pour  cela;  les  pièces  mcfmcs  en  feront 
belles.  Ceft  ce  que  refpondit  Menander,  comme  on  le  tenlat,  appro- 
chant le  iour  auquel  il  auoit  promis  vne  comédie,  dequoy  il  n'y 
auoit  encore  mis  la  main  :  Elle  eft  compofée  &  prefte,  il  ne  reftc 
qu'à  y  adioufter  les  vers.  Ayant  les  chofes  &  la  matière  difpolée  eu 

i)  l'auic,  il  mettoit  en  peu  de  compte  le  demiinvit.  Depuis  que  Ronûtrd 
&  du  Bellay  ont  donc  crédit  a  noflrc  poefie  Françoife,  ie  ne  vois  li 
petit  apprentis  qui  n'enfle  des  mots,  qui  ne  renge  les  cadences  à  peu 
prés  comme  eux.  «  Plus  sonat  qiiûin  luilef.  »  Pour  le  vulgaire,  il  ne 
fut  iamais  tant  de  poètes.  Mais,  comme  il  leur  a  efté  bien  aifé  de 

20  rcprefenter  leurs  rithmes,  ils  demeurent  bien  aufli  court  à  imiter  les 
riches  defcriptions  de  l'vn  &  les  délicates  inuentions  de  l'autre. 

Voire  mais,  que  fera-il  fi  on  le  prefTe  de  la  fubtilité  fophiftique  de 
quelque  fyllogifme  :  le  iambon  fait  boire,  le  boire  deliiltere,  parquoy 
le  iambon  defaltere  ?  Qu'il  s'en  moque.  II  [est]  plus  subtil  de  s'en  moquer 

2)     que  d'y  respondre. 

Texte  88.  —  2)  bien  iouc  leur  rollc,  voyl.i  —  14)  matière  en  l'amc  difpofce 
&  rangée,  il  —  15)  compte  les  mots,  les  pieds,  &  les  cefures,  qui  font  à  la  vérité  do 
fort  peu,  au  pris  du  refte.  Et  qu'il  foit  ainfi,  depuis  que  —  16)  ont  mis  en  honneur 
noftre  —  18)  eux  mcfmes.  Pour 

\'ar.  ms.  —  25)  respondre.  Voies  ce  qu'il  eu  semble  a  Platou  eu  l'Eulbydewe  :  et  piir 
tout  la  guerre  iuree  de  Sacrales  a  Feuçoulre  des  SepbisUi  SopJnsmes.  Qu'il  (p.  jiî,  L  1.) 


222  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

Qu'i]  emprunte  d'Aristippiis  cette  plaisante  cont refinesse  :  Poiirqucri  k 
deslierai  ie,  puis  que,  tout  lie,  il  m'empesche?  Ouekun  proposai t  contre 
Cleanthes  des  finesses  dialectiques,  a  qui  Chrysippus  dict  :  loue  toi  de  ces 
hateJages  aueq  les  en/ans,  et  ne  destourne  a  cela  les  pensées  sérieuses  d'un 
home  d'eage.  Si  ces  fottes  arguties,  <<  contorta  et  aculeata  sophisniata  »,  5 
luv  doiuent  perfuader  vne  menfongc,  cela  eft  dangereux;  mais  fi 
elles  demeurent  fons  efFect  &  ne  l'efmeuuent  qu'à  rire,  ie  ne  voy  pas 
pourquoy  il  s'en  doiue  donner  garde.  Il  en  eft  de  fi  fots,  qui  fe 
deftournent  de  leur  vove  vn  quart  de  lieuë,  pour  courir  après  vn 
beau  mot;  <(  aut  qui  non  ucrha  rébus  aptant,  sed  res  extrinsecus  arcessunt,  10 
quihus  uerha  conueniant.  »  Et  l'autre  :  «  Sunt  qui  alicuius  uerhi  décore 
placentis  uocentur  ad  id  quod  non  proposuerant  scribere.  »  le  tors  bien  plus 
uolontiers  une  boue  sentance  pour  la  coudre  sur  moi,  que  ie  ne  tors  mon  fil 
pour  l'aler  quérir.  Au  rebours  c'eft  aux  paroles  à  feruir  &  à  fuyure, 
&  que  le  Gafcon  y  arriue,  fi  le  François  n'y  peut  aller.  le  veux  que  15 
les  chofes  furmontent,  &  qu'elles  rempliffent  de  façon  l'imagination 
de  celuv  qui  efcoute,  qu'il  n'ave  aucune  fouuenance  des  mots.  Le 
parler  que  i'ayme,  c'eft  vn  parler  fimple  &  naif,  tel  fur  le  papier  qu'à 
la  bouche  :  vn  parler  fucculent  ^:  nerueux,  court  &  ferré,  non  tant 
délicat  et  peigné  corne  uehement  et  brusque  :  20 

Hœc  demum  sapict  dictio,  quœferiet, 

pluftoft    difficile    qu"  ennuieux,    efloingné    d'affectation,    defreglé, 
defcoufu  &  hardy  :  chaque  lopin  y  face  fon  corps;  non  pedantéfque, 
non  fratefque,  non  pleiderefque,  mais  pluftoft  foldatefque,  comme 
Suétone  appelle  celuy  de  Iulius  Cœfar;  et  si  ne  sens  pas  bien  pour     25 
quoi  il  l'en  apele. 

Texte  88.  —  5)  fottes  finefles  luy  —  22)  nflectation  &  d'artifice,  defreglé 

\'ar.  ms.  —  i)  plaisante  ftsponcg  desjaicte.  Pourquoi  desiwuerai  ie  cet  argitiiiêt  &  le 
deslierai  puis  que  tout  lie  il  nous  donc  de  l'affaire.  Si  ces  —  2)  m'empesche  asses.  Ouelcuu 
proposait  des  finesses  d'mlcctiques  a  Cleanthes  a  qui  —  10)  mot  1°  :  res  extrinsecus 
arcessunt  quihus  uerba  côueniant  :  au  rebours  2°  :  aui  qui  res  extrinsecus  arcessunt  quihus 
ucrha  côucniant  :  au  rebours  —  12)  scribere.  Au  —  13)  la  coucher  sur  —  25)  pas  pour 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXVI.  223 

l'ay  volontiers  imite  cette  delbauche  qui  le  voit  en  noftre  ieunefle, 
au  port  de  leurs  veftemens  :  //;/  luantcau  eu  cscharpc,  la  cape  sur  uue 
cspaulc,  vn  bas  mal  tendu,  qui  représente  vne  fierté  defdaigneufe  de 
ces  paremens  eflrangers,  &  nonchallante  de  l'art.  Mais  ie  la  trouue 
S  encore  mieus  employée  en  la  forme  du  parler.  Toute  affectatiou, 
nomeemaul  eu  la  gaieté  et  liberté  frauçoise,  est  mesadueuautc  au  cortisan. 
Et,  en  uue  uwuarchie,  tout  geutilhome  doit  cstre  dresse  a  la  façou  d'un 
cortisan.  Parquoi  nous  faisons  bien  de  gaucinr  un  peu  sur  le  naïf  [et] 
mesprisant. 

10  le  n'ayme  point  de  tiflure  où  les  liaifons  &  les  coutures  paroiflent, 
tout  ainli  qu'en  vn  beau  corps,  il  ne  faut  qu'on  y  puifTe  compter  les 
os  &  les  \eines.  «  Qiuv  ueritati  operani  dat  oratio,  incomposita  sit  et 
simplex.  » 

«  Ouis  accurate  loquitur,  uisi  qui  uult  putidè  loqui  ?  » 

1 5         L'eloquance  faict  iniure  aus  choses,  qui  nous  destourue  a  soi. 

Couic  aus  acoustremaus  c'est  pusillanimité  de  se  uouloir  marquer  par 
quelque  façon  particulière  et  inusitée  :  de  mesmes,  au  langage,  la  recherche 
des  frases  nouuelks  &  des  mots  peu  conus  nient  d'un'  ambition  puérile 
et  pedantcsque.  Peusse  ie  ne  me  seruir  que  de  cens  qui  sèment  aus  haies 

20  a  Paris!  Aristophanes^  le  gramnuricn  n'y  entaudoit  rien,  de  reprendre  en 
Epicurus  la  simplicité  de  ses  mots  et  la  fin  de  son  art  oratoire,  qui  estoit 
perspicuite  de  langage  sulement.  L'imitation  du  parler,  par  sa  jacilile,  suit 
incontinant  tout  un  peuple;  l'imitation  du  iugcr,  de  l'inuanter  ne  tui  pas  si 
uiste.  La  plus  part  des  lecturs,  pour  auoir  trouué  une  pareille  robe,  pansent 

25     tresfaucemant  tenir  un  pareil  corps. 

Texte  88.  —  2)  veftemens,  de  laifler  pendre  l'on  reiftre,  de  porter  la  cape  en 
efcharpe,  &  vn  bas 

Var.  ms.  —  2)  veftemens  i"  :  de  lailTer  pendre  fon  reiftre,  une  cape  en  efcharpe 
&  vn  bas  2"  :  tiu  manteau  pciidàl  en  escharpe  la  cape  sur  une  espaule,  &  vn  bas  — 
5)  parler.  Non  est  ornamenlum  uirile  concinnitas.  le  n'ayme  —  7)  dresse  pour  cortisan 
—  18)  mois  inconus  est  un  ambition 

'     AristDptmiieS...   Slllenicnl  iijoiUc  ultcricurcmcm  et  reporte  .1  cette  place  par  un  si^ne  de  renvoi. 


224  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

Lit  force  cl  les  nerfs  ne  s'cmprunlenl  poiiil;  les  atours  et  le  iiuuileau 
s'emprunte. 

La  plus  part  de  cens  qui  nie  hantent,  parlent  de  inesines  les  essais  :  mais 
te  ne  sçai  s'ils  [pensent  de  inesmes.] 

Les  Athéniens  (dict  Platon)  ont  pour  leur  part  le  l'oing  de     5 
l'abondance  &  élégance  du  parler;  les  Lacedemoniens,  de  la  briefueté, 
&  ceux  de  Crète,  de  la  fecundité  des  conceptions  plus  que  du  langage  : 
ceux-cy  font  les  meilleurs.  Zenon  difoit  qu'il  auoit  deux  fortes  de 
difciples  :  les  vns,  qu'il  nommoit  9'./.îa:--:u;,  curieux  d'apprendre  les 
choies,  qui  eftoyent  les  mignons;  les  autres,  \:,',w:/,o-jç,  qui  n'auoyent     10 
foing  que  du  langage.  Ce  n'eft  pas  à  dire  que  ce  ne  foit  vne  belle 
&  bonne  chofe  que  le  bien  dire,  mais  non  pas  li  bonne  qu'on  la 
faict;  &  fuis  defpit  dequoy  noftre  vie  s'embefongne  toute  à  cela, 
le  voudrois  premièrement  bien  fçauoir  ma  langue,  &  celle  de  mes 
voifins,  où  i'ay  plus  ordinaire  commerce.  C'cfl  vn  bel  &  grand     15 
agencement  fans  doubte  que  le  Grec  &  Latin,  mais  on  l'achepte  trop 
cher.  le  diray  icy  vne  façon  d'en  auoir  meilleur  marché  que  de 
couftume,  qui  a  efté  effayée  en  moymefmes.  S'en  feruira  qui  voudra. 

Feu  mon  père,  ayant  fait  toutes  les  recherches  qu'homme  peut 
faire,  parmy  les  gens  fçauans  &  d'entendement,  d'vne  forme  d'infli-  20 
tution  exquife,  fut  aduifé  de  cet  inconuenient  qui  elV')it  en  vlage; 
&  luv  difoit-on  que  cette  longueur  que  nous  mettions  à  apprendre 
les  langues,  qui  ne  leur  coustoini  rien,  eil  la  feule  caule  pourquoy 
nous  ne  pouuions  arriuer  à  la  grand ur  d'aine  et  de  conoissancc  des 
anciens  Grecs  èc  Romains.  le  ne  croy  pas  que  ce  en  foit  la  feule  25 
caufe.  Tant  y  a  que  l'expédient  que  mon  père  y  trouua,  ce  fut  que, 
en  nourrice  &  auant  le  premier  defnouement  de  ma  langue,  il  me 

Texte  88.  —  8)  les  miens.  Zenon  —  23)  langues,  clloii  la  —  24)  àla  peikciion 
de  fcicnce,  des  —  25)  Romains,  d'autant  que  le  langage  ne  leur  coutoit  rien  :  ie  ne 
les  en  croy 

\'ak.  ms.  —  1)  poiiil,  les  oiitfiiiciis  cl  tu  rcbc  i'iiiipniiilciil.  La  plm  —  5)  pari  qui 
iHf  1.1...  piirldil  ivwc  /('.<  (■.<>■«?.< 


I.IVRK      !,      CHAPITRE      XXVI.  22) 

donna  en  charge  à  vn  Allcman,  qui  dépuis  cft  mort  tamcux  mcdccin 
en  France,  du  tout  ignorant  de  noftre  langue,  ic  trellnen  verfé  en 
/(/  Latine.  Cettuv-cv,  qu'il  auoit  faict  venir  exprès,  <bc  qui  ei1:oit  bien 
chèrement  gagé,  m'auoit  continuellement  entre  les  hras.  Il  en  euft 
S  auffi  auec  luy  deux  autres  moindres  en  Içauoir  pour  me  siiiiirc, 
ik  Ibulager  le  premier.  Ceux-cy  ne  m'entretenoient  d'autre  langue 
que  Latine.  Quant  au  relk  de  fa  mailbn,  c'eftoit  vne  reigle  inuiolable 
que  ny  luy  mefme,  ny  ma  mère,  ny  valet,  ny  chambrière,  ne 
parloyent  en  ma  compaignie  qu'autant  de  mots  de  Latin  que  chacun 

10  auoit  apris  pour  iargonner  auec  moy.  C'eft  merueille  du  fruict  que 
chacun  y  fit.  Mon  père  6c  ma  mère  y  apprindrent  allez  de  Latin  pour 
l'entendre,  &  en  acquirent  à  fuffifance  pour  s'en  leruir  à  la  neceflité, 
comme  firent  aufli  les  autres  domefliques  qui  eftoient  plus  attachez 
à  mon  leruice.  Somme,  nous  nous  Latinizames  tant  qu'il  en  regorgea 

15  iniques  à  nos  villages  tout  autour,  où  il  y  a  encores,  &  ont  pris 
pied  par  l'viiige  plufieurs  appellations  Latines  d'artilans  &  d'vtils. 
Quant  à  moy,  i'auois  plus  de  fix  ans  auant  que  i'entendifie  non  plus 
de  François  ou  de  Pcrigordin  que  d'Arabefque.  Et,  ians  art,  ûms 
liure,  iiuis  grammaire  ou  précepte,  fans  fouet  &  Ians  larmes,  i'auois 

20  appris  du  Latin,  tout  aufli  pur  que  mon  maiftre  d'elchole  le  fçauoit  : 
car  ie  ne  le  pouuois  auoir  méfié  ny  altéré.  Si,  par  eflity,  on  me 
vouloit  donner  vn  thème,  à  la  mode  des  collèges,  on  le  donne  aux 
autres  en  François;  mais  à  moy  il  me  le  Atlloit  donner  en  mauuais 
Latin,  pour  le  tourner  en  bon.  Et  Nicolas  Groucchi,  qui  a  elcrit 

25  «  de  comitiis  Romanorum  »,  Guillaume  Guerente,  qui  a  commenté 
Ariftote,  George  Bucanan,  ce  grand  poëte  EfcofTois,  Marc  ^Antoine 
Muret,  que  la  france  et  l'italie  recouoil  pour  le  lucillur  onitur  du  [temps], 
nu's  précepteurs  domeftiques,  m'ont  dict  fouuent  que  i'auois  ce 
langage,  en  mon  enfance,  fi  preft  &  fi  à  main,  qu'ils  craingnoient 

Texte  88.  —  5)  pour  m'accompagncr  &  feruir,  &  foulagcr  —  19)  &  fans 
contrainte,  i'auois  —  27)  Muret,  qui  m'ont  efté  précepteurs  —  29)  craingnoient 
eux  mefnies  à 


226  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

à  m'accofter.  Bucanan,  que  ie  vis  depuis  à  la  fuite  de  feu  monfieur 
le  Marefchal  de  BrifTac,  me  dit  qu'il  eftoit  après  à  efcrire  de  l'infti- 
tution  des  enians,  &  qu'il  prenoit  Yexamplaire  de  la  mienne  :  car  il 
auoit  lors  en  charge  ce  Comte  de  Briflac  que  nous  auons  veu  depuis 
fi  valeureux  &  fi  braue.  5 

Quant  au  Grec,  duquel  ie  n'ay  quafi  du  tout  point  d'intelligence, 
mon  père  desscigiui  me  le  faire  apprendre  par  art,  mais  d'vne 
voie  nouuelle,  par  forme  d'ébat  &  d'exercice.  Nous  pelotions  nos 
declinaifons  à  la  manière  de  ceux  qui,  par  certains  ieux  de  tablier, 
apprennent  l'Arithmétique  &  la  Géométrie.  Car,  entre  autres  chofes,  lo 
il  auoit  elle  confeillé  de  me  faire  goufter  la  fcience  &  le  deuoir  par 
vne  volonté  non  forcée  (lie  de  mon  propre  defir,  &  d'elleuer  mon 
ame  en  toute  douceur  &  liberté,  fans  rigueur  &  contrainte.  le  dis 
iufques  à  telle  fuperflition  que,  par  ce  que  aucuns  tiennent  que  cela 
trouble  la  ceruelle  tendre  des  enfans  de  les  efueiller  le  matin  en  15 
furfaut,  &  de  les  arracher  du  fommeil  (auquel  ils  font  plongez 
beaucoup  plus  que  nous  ne  fommes)  tout  à  coup  &  par  violence, 
il  me  faifoit  efueiller  par  le  fon  de  quelque  inftrument;  &  ne  lus 
iamais  fans  homme  qui  m'en  feruit. 

Cet  exemple  fuflîra  pour  en  iuger  le  relie,  &  pour  recommander  20 
aufli  &  kl  pnidititce  &  l'affection  d'vn  11  bon  pcre,  auquel  il  ne  le  laut 
nullement  prendre,  s'il  n'a  recueilly  aucuns  fruits  refpondans  à  vne 
fi  exquife  culture.  Deux  choies  en  furent  caufe  :  le  champ  llerile 
&  incommode;  car,  quoy  que  i'euffe  la  fanté  ferme  &  entière,  &  quant 
&  quant  vn  naturel  doux  ii:  traitable,  i'eflois  parmy  cela  li  poilant,  25 
mol  &  endormi,  qu'on  ne  me  pouuoit  arracher  de  l'oiliueté,  non 
pas  pour  me  faire  iouer.  Ce  que  ie  voyois,  ie  le  voyois  bien,  îs:  foubs 


Texte  88.  ^-  5)  prenoit  le  patron  de  —  7)  père  dclTcignoit  me  —  11)  confeillé 
fur  tout,  de  —  15)  matin  en  cflVoy  &  en  —  21)  aulfi  &  le  ingénient  &  —  27)  pas 
mcfme  pour  me  mener  iouer.  Ce  que  ie  voyois,  ie  le  voyois  d'vn  ingénient  bien  feur 

&  OUUert,  &  foubs    Les  mots  d'vn  iugement  et  feur  &  OUUert  ont  été  biffés,  puis  rétablis,  puis 
de  nouveau  biffés.  Cf.  p.  229,  1.  i^. 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXVI.  227 

cette  complexion  lourde,  nourriffois  des  imaginations  hardies  &  des 
opinions  au  deffus  de  mon  aage.  Uefprit,  ie  l'auois  lent,  &  qui  n'alloit 
qu'autant  qu'on  le  menait;  l'apprehenfion,  tardiue;  l'inuention,  lâche; 
&  après  tout  vn  incroiable  défaut  de  mémoire.  De  tout  cela  il  n'eft 
5  pas  merueille  s'il  ne  fceut  rien  tirer  qui  vaille.  Secondement,  comme 
ceux  que  prefle  vn  furieux  defir  de  guerifon,  fe  laiflent  aller  à  toute 
forte  de  confeil,  le  bon  homme,  ayant  extrême  peur  de  faillir  en 
chofe  qu'il  auoit  tant  à  cœur,  fe  laiflli  en  fin  emporter  à  l'opinion 
commune,  qui  fuit  toufiours  ceux  qui  vont  deuant,  comme  les 

10  grues,  &  fe  rengea  à  la  couftume,  n'ayant  plus  autour  de  luy  ceux 
qui  luy  auoient  donné  ces  premières  inftitutions,  qu'il  auoit  aportées 
d'Italie;  &  m'enuoya,  enuiron  mes  fix  ans,  au  collège  de  Guienne, 
tres-floriflant  pour  lors,  &  le  meilleur  de  France.  Et  là,  il  n'eft 
poflible  de  rien  adioufter  au  foing  qu'il  eut,  &  à  me  choifir  des 

I  )  précepteurs  âe  chambre  fuffifans,  &  à  toutes  les  autres  circonftances 
de  ma  nourriture,  en  laquelle  il  referua  plufieurs  façons  particulières 
contre  l'vfage  des  collèges.  Mais  tant  y  a,  que  c'eftoit  toufiours 
collège.  Mon  Latin  s'abaftardit  incontinent,  duquel  depuis  par  defa- 
couftumance  i'av  perdu  tout  vfage.  Et  ne  me  feruit  cette  mienne 

20  nouuelle  infiitution,  que  de  me  faire  eniamber  d'arriuée  aux  premières 
classes  :  car,  à.  treize  ans  que  ie  fortis  du  collège,  i'auoy  acheué  mon 
cours  (qu'ils  appellent),  &  à  la  vérité  fans  aucun  fruit  que  ie  peufle 
à  prefent  mettre  en  compte. 

Le  premier  gouft  que  \eus  aux  Hures,  il  me  vint  du  plaifir  des 

25  fables  de  la  Metamorphofe  d'Ouide.  Car,  enuiron  l'aage  de  fept  ou 
huict  ans,  ie  me  defrobois  de  tout  autre  plaifir  pour  les  lire  :  d'autant 
que  cette  langue  eftoit  la  mienne  maternelle,  &  que  c'eftoit  le  plus 


Texte  88.  —  i)  complexion  endormie,  nourriffois  des  imaginations  bien  hardies, 
&  des  opinions  eflcuécs  au  —  2)  auois  mouffc,  &  Avant  de  remplacer  moufle  par  leiil, 
Montaigne  efface  l'accent  sur  le  —  3)  ie  guidoit  :  l'apprehenfion  tardiue  :  l'inuention 
ftupide,  &  —  10)  rengea  à  l'vfage  &  à  la  —  19)  tout  l'vfage  —  20)  premières 
chaffes  :  car  —   24)  i'euz  aux 


228  F.SSAIS     DE      MONTAIGNE. 

aile  liurc  que  ie  cogneufle,  &  le  plus  accommodé  à  la  foiblcflc  de 
mon  aage  à  caufe  de  la  matière.  Car  des  Lancelots  du  Lac,  des 
Amadis,  des  Huons  de  Bordeaus,  &  tels  fatras  de  liures  à  quoy 
l'oifaiicc  s'amufe,  ie  n'en  connoiflbis  pas  feulement  le  nom,  ny  iic 
fais  encore  le  corps,  tant  exacte  cftoit  iiia  àisciplim.  le  m'en  rendois  5 
plus  iioncbalanf  à  Feftude  de  mes  autres  leçons  prcscripics.  Là,  il  me 
vint  fmgulierement  à  propos  d'auoir  affiiire  à  vn  homme  d'enten- 
dement de  précepteur,  qui  fçeut  dextremcnt  conniuer  à  cette  mienne 
defbauche,  &  autres  pareilles.  Car,  par  là,  i'cnfilay  tout  d'vn  train 
Vergile  en  LLneide,  &  puis  Terence,  &  puis  Plante,  &  des  comédies  10 
Italienes,  lurré  toufiours  par  la  douceur  du  fubiect.  S'il  eut  efté  fi 
fol  de  rompre  ce  train,  i'eftime  que  ie  n'eufle  raporté  du  collège  que 
la  haine  des  liures,  comme  fait  quafi  toute  noilre  noblefle.  Il  s'y 
goiiiicnia  ingcmcuscmcnt.  Faifant  femblant  de  n'en  voir  rien,  il  aiguifoit 
ma  foim,  ne  me  laiiLuit  que  à  la  defrobée  gourmander  ces  liures,  15 
&  me  tenant  doucement  en  office  pour  les  autres  eftudes  de  la  rcglc. 
Car  les  principales  parties  que  mon  père  cherchoit  à  ceux  à  qui  il 
dbnnoit  charge  de  moy,  c'eftoit  la  debonnaireté  &  facilité  de  com- 
plcxion.  Auffi  n'auoit  la  mienne  autre  vice  que  hvigiir  &  parelTc. 
Le  danger  n'eftoit  pas  que  ie  fiiTe  mal,  mais  que  ie  ne  fiffe  rien.  20 
Nul  ne  prognofliquoit  que  ie  deufle  deuenir  mauuais,  mais  inutile. 
On  y  preuoyoit  de  hfninctuilisc,  non  pas  de  la  malice. 

le  sens  qu'il  eu  est  adueuu  de  iiiesiues.  Les  pleiiites  qui  me  eornent  dus 
oreilles  soit  eounue  eela  :  Oisif;  /mil  [aus]  offices  d'amitié  el  de  parante 
[el\  aus  offices  publiques;  trop  particulier.  'Les]  plus  iuiurieus  ne  disèt     25 


Texte  88.  —  5)  quoy  la  ieuncfR;  s'amufe  —  5)  cftoit  le  foing  qu'on  auoit  à  mon 
inftitution.  le  —  6)  plus  lâche  à...  leçons  contraintes.  Là,  —  15)  !•  s'y  porta  bien 
dextrement,  faifant  —  16)  eftudes  plus  necelTaires.  Car  —  19)  que  la  pefanteur  & 
—  22)  preuoyoit  de  la  ftupidité,  non 

A'ar.  ms.  —    24)  cela  :  Où  Oisif  :  iwiiclmlâl  [des]  siens  froit  a  ses  amis  :  niiarc  a  ses 

,   ,       ^  i"  :  [lie]  ce  qui  se  passe  ■        ,  ^.    ,. 

pnraiis  :  mvichaïal   C    .,    r  j   1  /•  •  ,  j-     i     •    ^    hop  paiiiciUier. 
'  ^  2°  :    au  jnu't  cl  autrui  .  '  ' 


I.IVRH      I,      CHAPITRH      XXVI.  229 

pas  :  Pourquoi  a  il  prius?  Pourquoi  n'a  il  pciïc?  Mais  :  Pourquoi  ;/<■ 

quitte  il  ?  ne  doue  il  ? 

[le]  receiierois  a  faneur  [qtî]  'on  ne  désirât  en  moi  que  tels  effaicis  de 

supererogiition.  Mais  ils  sont  iniustes  d'exiger  ce  que  ie  ne  dois  '\pas\,  plus 
5     rigoreusemcnt  beaucoup  qu'ils  \n'ex\igent  d'eus  ce  qu'ils  doiuent.  En  m'y 

condamnant  ils  effacent  la  gratification  de  l'actio)!  &  la  gratitude  qui  m 'eu 

seroit  due  :  la  ou  [le]  bien  faire  actif  deuroit  plus  poiser  de  ma  main,  en 

considération  de  ce  que  ie  n'en  ay  passif  nul  qui  soit.  le  puis  \d'\autant 

plus  librement  disposer  [de]  ma  fortune  qu'elle  est  plus  niiene.  Toutesfois, 
10     si  i'estois  grand  enlumineur  de  mes  actions,  a  l'auàturc  rembarrerois  ie  bien 

ces  reproches.  [Et  a]  quelques  uns  aprandcrois,  qu  'ils  ne  sont  [pas  si]  offance:^ 

que  ie  ne  face  pas  asses,  [que]  de  quoi  ie  puisse  faire  asses  [plus  j  que  ie 

ne  fois. 

Mon  ame  ne  laiffoit  pourtant  en  mefme  temps  d'auoir  à  part  loy 
i)     des  remuemens  fermes  et  des'  iugemaiis  scurs  &  ouucrs  autour  des  obiets 

qu'elle  conessoit,  et  les  digeroit  feule,  lans  aucune  communication. 

Et,  entre  autres  choses,  ie  croy  à  la  vérité  qu'elle  euft  efté  du  tout 

incapable  de  fe  rendre  â  la  force  &  violence. 

Mettray-ie  en  compte  cette  taculté  de  mon  enfance  :  vnc  aflcu- 
2o     rance  de  vifage.  &  fouppleffe  de  voix  &  de  gefte,  à  m'appliquer  aux 

relies  que  i'entreprenois  ?  Car,  auant  l'aage, 

Alter  ab  vndecimo  tum  me  vix  ceperat  annus, 

Ti-XTE  88.  —  15)  fermes  qu'elle  digeroit  feule,  &  fans  —  18)  &  A  la  violence 

V'ar.  ms. —  i)  Mais  pourquoi  m  doue  —  3)  [le]  prendetois  a...  on  me  ne  désirai  de 
moi  —  4)  iniustes  de  les  exiger  et  de  '  m']ohliger  a  ce  a  quoi  nul  [d'\eus  n'aspire.  En  m'y 
—  4)  ce  qu'a  la  rigur  ie  ne  —  6)  ils  oslent  la  —  7)  due.  El  :  le]  bien  faire  actif  deuroit 
plus  [fai]re  en  moi  qui  hUh  ai  tml  passif  d'autant  que  ie  n'en  ay  1°  :  nul  passif  2°  :  de 
passif  —  8)  soit.  l'arois  (?)  d'autant  plus  librement  a  disposer  —  9)  est  plus  quite. 
Toutesfois —  10)   mes  bienfaicls  a  —   11)  reproches.  [Et   leur  apranderois 

'  et  des...  et  les  Cette  addition  est  .intérieure  aux  deux  alinéas  précédents  :  le  Sens  qu'il  et  le 
receuerois  a    cf.  p.  226,  variante  de  la  1.  27. 


230  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

i'ai  fouftcnu  les  premiers  perfonnages  es  tragédies  latines  de 
Bucanan,  de  Guercnk  &  de  Muret,  qui  fe  rcprcsentairent  en  noftre 
collège  de  Guienne  auec  dignité.  En  cela  Andréas  Goueanus,  noftre 
principal,  comme  en  toutes  autres  parties  de  ûa  charge,  fut  fans 
comparaifon  le  plus  grand  principal  de  France  :  &  m'en  tenoit-on 
maiftre  ouurier.  C'eft  vn  exercice  que  ie  ne  meflouë  poinct  aux 
ieunes  enfans  de  maifon  :  &  ay  veu  nos  Princes  s'y  adonner  depuis 
en  perfonne,  à  l'exemple  d'aucuns  des  anciens,  honneftement 
&  louablement. 

//  cstoiV  loisible  mcsme  d'en  faire  mcsticr  ans  gens  d'bomir  en  gréa  : 
«  Aristoni  tragico  aetori  rem  aperit  :  huic  et  genus  etforttwa  honesta  erant; 
nec  [flr^],  qnia  nibil  taie  apud  Graros  pudori  est,  ea  deformahctt.  » 

Car  i'ay  toufiours  accufé  d'impertinence  ceux  qui  condemnent  ces 
efbattemens,  &  d'iniuftice  ceux  qui  refufent  l'entrée  de  nos  bonnes 
villes  aux  comédiens  qui  le  valent,  &  enuient  au  peuple  ces  plaifirs 
publiques.  Les  bonnes  polices  prennent  foing  d'affembler  les  citoyens 
&  les  rallier,  comme  aux  offices  ferieux  de  la  deuotion,  auffi  aux 
exercices  &  ieux;  la  focieté  &  amitié  s'en  augmente.  Et  puis  on  ne 
leur  fçauroit  concéder  des  pafTetemps  plus  réglez  que  ceux  qui  fe  font 
en  prefence  d'vn  chacun  &  à  la  veuë  mefme  du  magiflrat.  Et  trouue- 
rois  raisonahle  que  le  magiftrat,  &  le  prince,  à  fes  defpens,  en  gratifiaft 
quelquefois  la  commune,  d'vne  affection  &  bonté  comme  paternelle; 


Texte  88.  —  2)  de  Pucrcnte  &  de...  fe  reprefent.irent  en  —  5)  dignité  :  En 
quoy  Andréas  —  5)  grand,  &  plus  noble  principal  —  19)  fç.iuroit  condonner  des 
—  20)   trouuerois  iufte  que 

\'ar.  ms.  —  5)  grand,  &  dig» 

>  Montaigne  écrit  d'abord  :  Il  estoit  loisible  mcstlIC  cTcil  faire  llICStief.  Plus  tard,  sans  avoir 
biffé  ces  mots,  il  reprend  à  la  suite,  d'une  encre  et  d'une  écriture  différentes  :   il  CStoil  t'XfUse  loisible 

aux  gens  d'-houup  d'bomir  mesme  d'en  faire  mestier  en  grecc  :  Aristoni...  dcformabai.  Dans 

cette  nouvelle  phrase,  il  biffe  les  mots  qui  font  double  emploi  avec  la  première  :  tl  t'stoit  loisible 
et  mesme  d'en  faire  mestier.  Puis  il  efface  tout  l'ensemble  de  ce  passage  par  un  trait  en  diagonale; 
mais  il  se  ravise,  et  au-dessus  il  écrit  Bon, 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXVI.  23I 

et  qu'ans  uilks  populeuses  il  y  eut  des  lieus  destine^  et  dispûse:^^  pour  ces 
spectacles  :  quelque  diuertissement  de  pires  actions  &  occultes. 

Pour  reuenir  à  mon  propos,  il  n'y  a  tel  que  d'allécher  l'appétit 
&  l'affection,  autrement  on  ne  faict  que  des  aines  chargez  de  liures. 
On  leur  donne  à  coups  de  loùet  en  garde  leur  pochette  pleine  de 
fcience,  laquelle,  pour  bien  faire,  il  ne  faut  pas  feulement  loger  chez 
Iby,  il  la  fout  elpoufer. 

\'ar.  ms. —  i)  nus  g|■lllld^;s  uilles  cl  pt'piiliuscs  —  2)  diucrtisicmcnl  des  pins 


Chapitre    XXVII, 


C  EST    rOLIli    DE    RAPPORTER    LE    VRAY    ET    LE    FAVX 
A    NOSTRE    SVFFISANCE. 


Ce  n'eft  pas  à  l'aduenture  fans  raifon  que  nous  attribuons  à  fim- 
plcfle  &  ignorance  la  fiicilité  de  croire  &  de  fe  laifler  perfuader  :  car 
il  me  kmble  auoir  apris  autrefois  que  la  créance,  c'eftoit  comme 
m'  impreflion  qui  fe  faifoit  en  noftre  ame;  &,  à  mefure  qu'elle  fe 
trouuoit  plus  molle  &  de  moindre  refiflance,  il  eftoit  plus  ayfé  à  y  5 
empreindre  quelque  chofe.  «  Vt  necesse  est  lanccm  in  lihra  poiideribiis 
iiiipositis  deprimi,  sic  animitm  pcrspiciiis  ccdcrc.  »  D' aida  ni  que  rame  est 
plus  uuidc  cl  sans  cont repois,  elle  se  baisse  plus  faeileinent  sous  la  charge 
de  la  première  persuasion.  Voyla  pourquoy  les  enfans,  le  vulgaire,  les 
femmes  &  les  malades  sont  plus  fubiects  à  eftre  menez  par  les  oreilles.  10 
Mais  auflî,  de  l'autre  part,  c'efl:  vne  fotte  prefumption  d'aller  defdai- 
gnant  &  condamnant  pour  fliux  ce  qui  ne  nous  fcmble  pas  vray- 
femblable  :  qui  eft  vn  vice  ordinaire  de  ceux  qui  pcnfcnt  auoir 
quelque  fuflifance  outre  la  commune,  l'en  faifoy  ainfm  autrefois, 
lis:  fi  i'oyois  parler  ou  des  efprits  qui  reuiennent,  ou  du  prognortique     13 

TiiXTE  88.  —  10)  malades  eftoyoïit  plus 
\'ak.  ms.  —  8)  plus  nue  uuidc 


LIVRE      I,      CHAPITRE     XXVII.  233 

des   chofes  futures,   des  cnchantemens,   des  forcelerics,  ou  foire 
quelque  autre  compte  où  ie  ne  peufle  pas  mordre, 

Somnia,  terrores  magicos,  niiracula,  i'agas, 
Nocturnes  lémures  portentàque  Theffala, 

5  il  me  venoit  compaflion  du  pauure  peuple  abulé  de  ces  tolies.  Et, 
à  prefent,  ie  treuue  que  i'eftoy  pour  le  moins  autant  à  plaindre  moy 
mefme  :  non  que  l'expérience  m'aye  dépuis  rien  fait  voir  au  dcfTus 
de  mes  premières  créances,  &  fi  n'a  pas  tenu  à  ma  curiofité;  mais  la 
raifon  m'a  inflruit  que  de  condamner  ainli  refoluement  vne  choie 

10  pour  fauce  &  impoflîble,  c'eil  le  donner  l'aduantage  d'auoir  dans  la 
telle  les  bornes  &  limites  de  la  volonté  de  Dieu  &  de  la  puiflance 
de  noftre  mère  nature;  &  qu'il  n'y  a  point  de  plus  notable  folie  au 
monde  que  de  les  ramener  à  la  mefure  de  noftre  capacité  &  luffiliince. 
Si  nous  appelions  monftres  ou  miracles  ce  où  noftre  raifon  ne  peut 

15  aller,  combien  s'en  prefente  il  continuellement  h  noftre  veuë?  Confi- 
derons  au  trauers  de  quels  nuages  &  commant  à  taftons  on  nous 
meine  à  la  connoilTance  de  la  plufpart  des  chofes  qui  nous  font 
entre  mains  :  certes  nous  trouuerons  que  c'eft  pluftoft  accouftumance 
que  fcicnce  qui  nous  en  ofte  l'eftrangeté, 

20  i^m  nemo,  feflus  latiate  videndi, 

Sufpicere  in  cœli  dignatur  lucida  templa, 

&  que  ces  choies  là,  li  elles  nous  eftoyent  prefentées  de  nouueau, 
nous  les  trouuerions  autant  ou  plus  incroyables  que  aucunes  autres, 

fi  nunc  primuni  niortalibus  adfint 
25  Ex  improuifo,  ceu  fuit  obiecta  repente, 

Nil  magis  his  rébus  poterat  mirabile  dici, 

Aut  minus  antc  quod  audercnt  fore  crederc  gentcs. 


Texte  88.  —  16)  de  combien  de  nuages 


234  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

Ccluv  qui  n'auoit  iamais  veu  de  riuiere,  à  la  première  qu'il  ren- 
contra, il  penla  que  ce  fut  l'Océan.  Et  les  chofes  qui  font  à  noftre 
connoiffance  les  plus  grandes,  nous  les  iugeons  eflre  les  extrêmes 
que  nature  face  en  ce  genre, 

Scilicet  &  fluuius,  qui  non  eft  maximus,  eij  eft  5 

Qui  non  ante  aliquem  maiorem  vidit,  &  ingens 
Arbor  homôque  videtur;  *&  omnia  de  génère  omni 
Maxima  quse  vidit  quifque,  hxc  ingentia  fingit. 

((  ConsuetudiiK  ocidonmi  assiicscuiit  aiiinii,  iicque  admirantur,  neque 
requirùf  ratioms  ciinnii  rcnim  qiias  scmpcr  iiidêt.  »  lo 

La  noinidctc  des  choses  nous  incite  plus  que  leur  grandur  a  eu  rechercher 
les  causes. 

Il  taut  iuger  auec  plus  de  reuerence  de  cette  infinie  puiffance  de 
nature  &  plus  de  reconnoiffance  de  noftre  ignorance  &  foibleffe. 
Combien  y  a  il  de  chofes  peu  vray-femblables,  tefmoignées  par  15 
gens  dignes  de  foy,  defquelles  fi  nous  ne  pouuons  eftre  perfuadez, 
au  moins  les  flmt-il  laifler  en  fufpcns  :  car  de  les  condamner 
impoflibles,  c'eft  le  faire  fort,  par  vne  téméraire  prefumption,  de 
fçauoir  iufques  où  va  la  poflîbilité.  Si  Von  entandoit  bien  la  differance 
qu'il  y  a  mire  l'impossible  et  l'inusité,  et  entre  ce  qui  est  contre  l'ordre  du  20 
cours  de  nature,  et  contre  la  commune  opinion  des  homes,  en  ne  croyant 
pas  temererement,  ny  aussi  ne  descroyant  pas  facilement,  on  obserueroit  la 
règle  de  :  Rien  trop,  comandec  par  Chilou. 

Quant  on  trouue,  dans  Froiffard,  que  le  conte  de  Foix  Içcut,  en 
Bearn,  la  défaite  du  Roy  lean  de  Caftille,  à  luberoth,  le  lendemain     25 
qu'elle  fut  aduenue,  &  les  moyens  qu'il  en  allègue,  on  s'en  peut 
moquer;  i^;  de  ce  mefme  que  nos  annales  difent  que  le  Pape  Honorius, 
le  propre  iour  que  le  Roy  Philippe  Augufte  mourut  à  Mante,  fit  fiiire 

Texte  88.  —  13)  iugcr  des  chofes  auec...  puifi.ince  de  Dieu,  & 

\'ar.  ms.  —    10)    tiidcl  proiiiâe  quasi  iwiiitas  nos  magis  quaw  niagiiiliido  rcniiii  debeal 
ad  cxquireudas  causas  excitarc.  11  faut  —  19)  hieu,    dkl]  un  aiitieii,  la  —  21)  en  ae 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXVH.  2^) 

fcs  funérailles  publiques  &  les  manda  h'nc  par  toute  l'Italie.  Car 
l'authorité  de  ces  tel'moins  n"a  pas  à  l'aduenture  aflez  de  rang  pour 
nous  tenir  en  bride.  Mais  quoy?  fi  Plutarque,  outre  plufieurs 
exemples  qu'il  allègue  de  l'antiquité,  dict  fçauoir  de  certaine  fcience, 
5  que,  du  temps  de  Domitian,  la  nouuelle  de  la  bataille  perdue  par 
Antonius  en  Allemaigne,  à  plufieurs  iournées  de  la,  fut  publiée 
à  Rome  &  femée  par  tout  le  monde  le  mefme  iour  qu'elle  auoit 
efté  perdue;  &  fi  Caîfiir  tient  qu'il  eft  fouuent  aduenu  que  la  rcnomce 
a  deuancé  l'accident  :  dirons  nous  pas  que  ces  fimples  gens  la  fe 

lo  font  laifTez  piper  après  le  vulgaire,  pour  n'eftre  pas  clair-voyans 
comme  nous?  Eft-il  rien  plus  délicat,  plus  net  &  plus  vif  que  le 
iugement  de  Pline,  quand  il  luy  plaift  de  le  mettre  en  ieu,  rien  plus 
efloingné  de  vanité?  ie  laifle  à  part  l'excellence  de  fon  fçauoir,  duquel 
ie  fay  moins  de  conte  :  en  quelle  partie  de  ces  deux  là  le  furpaflbns 

I)  nous?  Toutesfois  il  n'eil  fi  petit  efcolier  qui  ne  le  conuainque  de 
menfonge,  &  qui  ne  luy  iiciiiJk  faire  leçon  fur  le  progrez  des  ouurages 
de  nature. 

Quand  nous  lifons,  dans  Bouchet,  les  miracles  des  reliques  de 
fainct  Hilaire,  paffe  :  fon  crédit  n'eft  pas  aflez  grand  pour  nous  ofler  la 

20  licence  d'y  contredire.  xMais  de  condamner  d'vn  train  toutes  pareilles 
hiftoires  me  femble  finguliere  impiideme.  Ce  grand  fainct  Auguftin 
tefmoigne  auoir  veu,  fur  les  reliques  Sainct  Geruais  &  Protaife,  à  Milan, 
vn  enfant  aueugle  recouurer  la  veùe;  vne  femme,  à  Carthage,  eftrc 
guérie  d'vn  cancer  par  le  figne  de  croix  qu'vne  femme  nouuelle- 

25  ment  baptifée  luv  fit;  Hefperius,  vn  fien  familier,  auoir  chafle  les 
efprits  qui  infefloient  ûi  maifon,  auec  vn  peu  de  terre  du  Sepulchre 
de  noft;re  Seigneur,  &,  cette  terre  dépuis  tranfportée  à  l'Eglile,  vn 
paralitique  en  auoir  eflé  foudain  guéri;  vne  femme  en  vne  procefiion, 
ayant  touché  à  la  chafle  Sainct  Ellienne  d'vn  bouquet,  &  de  ce 


Texte  88.  —  8)  la  nouuelle  a  —  16)  luy  face  fa  leçon  —  21)  finguliere  impru- 
dence. Ce  —  28)  pamlitique  v  cftant  apporté,  auoir 


2-\6  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

bouquet  s'eftant  frottée  les  yeux,  auoir  recouuré  la  veuë,  pieça  perdue; 
&  plufieurs  autres  miracles,  où  il  dict  luy  mefmes  auoir  aflifté. 
Dequoy  accuferons  nous  &  luy  &  deux  Saincts  Euefques,  Aurelius 
&  Maximinus,  qu'il  appelle  pour  fes  recors?  Sera  ce  d'ignorance, 
lîmplelTe,  focilité,  ou  de  malice  &  impofture?  Eft-il  homme,  en  noftrc  5 
fiede,  fi  impudent  qui  penfe  leur  eftre  comparable,  foit  en  vertu 
&  pieté,  foit  en  fçauoir,  iugement  &  fuffifance  ?  «  Oui,  ut  rationan 
mtJlam  affcrrent,  ipsa  autboritate  me  frangèrent.  » 

C'eft  vne  hardiefle  dangereufe  &  de  confequence,  outre  l'abfurde 
témérité  qu'elle  traine  quant  &  foy,  de  mefprifer  ce  que  nous  ne  10 
conceuons  pas.  Car  après  que,  félon  voftre  bel  entendement,  vous  auez 
eftably  les  limites  de  la  vérité  &  de  la  menfonge,  &  qu'il  fe  treuue 
que  vous  auez  neceflairement  à  croire  des  chofes  où  il  y  a  encores 
plus  d'eftrangeté  qu'en  ce  que  vous  niez,  vous  vous  eftez  des-ja 
obligé  de  les  abandonner.  Or  ce  qui  me  femble  aporter  autant  de  15 
defordre  en  nos  confciences,  en  ces  troubles  où  nous  fommes,  de 
la  religion,  c'eft  cette  difpenfation  que  les  Catholiques  font  de  leur 
créance.  Il  leur  femble  faire  bien  les  modérez  &  les  entenduz,  quand 
ils  quittent  aux  aduerfaires  aucuns  articles  de  ceux  qui  font  en  débat. 
Mais,  outre  ce,  qu'ils  ne  voyent  pas  quel  auantage  c'eft  à  celuy  qui  20 
vous  charge,  de  commancer  à  luy  céder  &  vous  tirer  arrière, 
&  combien  cela  l'anime  à  pourfuiure  h  poincte,  ces  articles  la  qu'ils 
choififlent  pour  les  plus  legiers,  font  aucunefois  tres-importans. 
Ou  il  faut  fe  fubmettre  du  tout  à  l'authorité  de  noftre  police  eccle- 
fiaftique,  ou  du  tout  s'en  difpenfer.  Ce  n'eft  pas  à  nous  à  eftablir  25 
la  part  que  nous  luy  deuons  d'obeïftiince.  Et  dauantagc,  ie  le  puis 
dire  pour  l'auoir  eflayé,  ayant  autrefois  vfé  de  cette  liberté  de  mon 
chois  &  triage  particulier,  mettant  à  nonchaloir  certains  points  de 
l'obferuance  de  noftre  Eglife,  qui  femblent  auoir  vn  vifage  ou  plus  vain 


Texte   88.  —    i)   vcuc  qu'elle  auoit  pieç.i   —    lo)    nous  n'entendons  pas. 
18)  femble  qu'ils  font  bien  —  19)  quittent  &  cèdent  aux  —  22)  fa  victoire  :  ces 


LIVRn     I,     CHAPITRE     XXVII.  257 

OU  plus  cftrangc,  venant  à  en  communiquer  aux  hommes  Içauans,  i'ay 
trouué  que  ces  chofes  là  ont  vn  fondement  maflif  &  treffolide,  &  que 
ce  n'eft  que  beftife  &  ignorance  qui  nous  fait  les  receuoir  auec 
moindre  reuerence  que  le  refle.  Que  ne  nous  fouuient  il  combien 
nous  fentons  de  contradiction  en  noftre  iugement  mefmes?  combien 
de  chofes  nous  feruoyent  hier  d'articles  de  foy,  qui  nous  font  fables 
auiourd'huy?  La  gloire  &  la  curiofité  font  les  deux  fléaux  de  noftre 
ame.  Cette  cy  nous  conduit  à  mettre  le  nez  par  tout,  &:  celle  là  nous 
defant  de  rien  laifler  irrefolu  &  indécis. 


Texte  88.   —    i)    fçauans  &  bien  fondez,  i'av   —    6)    font  auiourd'huv  vaincs 
menfonges  ?  La 


Chapitre    XXVIII. 


DE    L  AMITIE. 


Confiderant  la  conduite  de  la  belbngne  d'vn  peintre  que  i'ay,  il 
m'a  pris  enuie  de  l'enfuiure.  Il  choifit  le  plus  bel  endroit  &  milieu 
de  chaque  paroy,  pour  y  loger  vn  tableau  élabouré  de  toute  fa 
fuffifance;  &,  le  vuide  tout  au  tour,  il  le  remplit  de  crotefques,  qui 
font  peintures  fiintafques,  n'ayant  grâce  qu'en  la  variété  &  eftrangeté.  5 
Que  font-ce  icy  auffi,  à  la  vérité,  que  crotefques  &  corps  monftrueux, 
rappiecez  de  diuers  membres,  fans  certaine  figure,  n'ayants  ordre, 
fuite  ny  proportion  que  fortuite  ? 

Définit  in  pifcem  mulier  formofa  fuperne. 

le  vay  bien  iufques  à  ce  fécond  point  auec  mon  peintre,  mais  ie  10 
demeure  court  en  l'autre  &  meilleure  partie  :  car  ma  fuffifance  ne 
va  pas  fi  auant  que  d'ofer  entreprendre  vn  tableau  riche,  poly 
&  formé  félon  l'art.  le  me  fuis  aduifé  d'en  emprunter  vn  d'Eftienne 
de  la  Boitie,  qui  honorera  tout  le  refte  de  cette  befongne.  C'cft  vn 
difcours  auquel  il  donna  nom  La  Servitvde  Volontaire;  mais  15 
ceux  qui  l'ont  ignoré,  l'ont  bien  proprement  dépuis  rebaptifé 
Le  Contre  Vn'.  Il  l'efcriuit  par  manière  d'eflliy,  en  fa  première 

Texte  88.  —  2)  plus  noble  endroit 

'     Ce  titre  :  Le  CoMTRE  V\  est  imprimé  en  romain,  tandis  que   La   SeRVITVDE  Voi.OKTAIRE 
est  en  italique;  aussi  Montaigne  le  souligne  et  écrit  dans  la  marge  :  eit  (Itllrc  Ictlre. 


LIVRE      1,      CHAPITRE      XXVllI.  259 

ieunefle,  à  l'honneur  de  la  liberté  contre  les  tyrans.  11  court  pieça 
es  mains  des  gens  d'entendement,  non  lans  bien  grande  &  méritée 
recommandation  :  car  il  eft  gentil,  &  plein  ce  qu'il  ell  poffible.  Si  y  a 
il  bien  à  dire  que  ce  ne  Ibit  le  mieux  qu'il  peut  faire;  &  fi,  en  l'aage 
que  ie  l'ay  conneu,  plus  auancé,  il  eut  pris  vn  tel  defleing  que  le 
mien,  de  mettre  par  efcrit  fes  fantafies,  nous  verrions  plufieurs 
choies  rares  &  qui  nous  approcheroient  bien  près  de  l'honneur  de 
l'antiquité  :  car,  mtemmeni  en  cette  partie  des  dons  de  nature,  ie 
n'en  connois  point  qui  luy  foit  comparable.  Mais  il  n'eft  demeuré 
de  luy  que  ce  difcours,  encore  par  rencontre,  &  croy  qu'il  ne  le  veit 
onques  depuis  qu'il  luy  efchapa,  &  quelques  mémoires  fur  cet  edict 
de  lanuier,  fameus  par  nos  guerres  ciuiles,  qui  trouueront  encores 
ailleurs  peut  estn  leur  place.  C'eft  tout  ce  que  i'ay  peu  recouurer  de 
fes  reliques,  moi  qu'il  laissa,  d'une  si  amoureuse  recomandation,  la  mort 
entre  le  dents,  par  son  testament,  heretier  de  sa  bibliothèque  [et]  de  ses 
papiers,  outre  le  liuret  de  fes  œuures  que  i'ay  fait  mettre  en  lumière. 
Et  fi  fuis  obligé  particulièrement  à  cette  pièce,  d'autant  qu'elle  a  feruy 
de  moyen  à  noilre  première  accointance.  Car  elle  me  fut  montrée 
longue  pièce  auant  que  ie  l'eufle  veu,  &  me  donna  la  première 
connoiffance  de  fon  nom,  acheminant  ainfi  cette  amitié  que  nous 
auons  nourrie,  tant  que  Dieu  a  voulu,  entre  nous,  fi  entière  &  fi 
parfaite  que  certainement  il  ne  s'en  lit  guiere  de  pareilles,  &,  entre 
nos  hommes,  il  ne  s'en  voit  aucune  trace  en  vfage.  Il  faut  tant  de 
reiuontres  a  la  baflir,  que  c'eft  beaucoup  fi  la  fortune  y  arriue  vne 
fois  en  trois  fiecles. 

Il  n'eft  rien  à  quoy  il  femble  que  nature  nous  aye  plus  acheminé 
qu'à  la  focieté.  Et  dict  Aristote  que  les  bons  Icgislaturs  ont  eu  plus  [de] 


Texte  88.  —  i)  ieuncffe,  n'ayant  pas  attaint  le  dixhuitiefmc  an  de  fon  aage, 
à  l'honneur  —  8)  car  notamment  en  —  23)  Il  faut  que  tant  de  chofes  fe  rencontrent 
pour  la  baftir, 

Vak.   ms. —  8)  car  iiomiiianenl  en  —  14)  recomamiatioii  eu  son  —  15)  ses  en 


240  ESSAIS     DE     MOXTAIGXE. 

soin  de  J'aniitie  que  de  la  iusfice.  Or  le  dernier  point  de  fa  perfection, 
eft  cetu\'-c}'.  Car,  en  gênerai,  toutes  celles  [que]  la  uoliipte  ou  le  profit, 
le  besoin  publique  ou  priue  forge  et  nourrit,  en  sont  d'autant  moins  belles 
et  généreuses,  et  d'autant  moins  aniilie:^,  qu'elles  iiwslent  autre  cause  et  but 
et  fruit  en  l'amitié,  qu'elle  nwsine.  5 

Ny  ces  quatre  espèces  antienes  :  naturelle,  sociale,  hospitalière,  ueneriene, 
particulièrement  n'y  conuienent,  ny  coioinctement. 

Des  enfans  aux  pères,  c'eft  pluftoft  refpect.  L'amitié  fe  nourrit 
de  communication,  qui  ne  peut  fe  trouuer  entre  eux  pour  la  trop 
grande  difparité  &  ofFenceroit  à  Taduenture  les  deuoirs  de  nature.  10 
Car  ny  toutes  les  fecrettes  penfées  des  pères  ne  fe  peuuent  commu- 
niquer aux  enfans  pour  n'y  engendrer  vne  meffeante  priuauté,  ny 
les  aduertiffemens  &  corrections,  qui  eft  vn  des  premiers  offices 
d'amitié,  ne  fe  pourroyent  exercer  des.  enfans  aux  pères.  Il  s'eft 
trouué  des  nations  où,  par  vfage,  les  enfans  tuoyent  leurs  pères,  15 
&  d'autres  où  les  pères  tuovent  leurs  entans,  pour  euiter  l'empefche- 
ment  qu'ils  fe  peuuent  quelquefois  entreporter,  &  naturellement  l'vn 
dépend  de  la  ruine  de  l'autre.  11  s'eft  trouué  des  philofophes  defdai- 
gnans  cette  coufture  naturelle,  tefmoing  Aristippus  :  quand  on  le 
preflbit  de  Yaffection  qu'il  deuoit  à  l'es  enfons  pour  eftre  fortis  de  luy,  20 
il  fe  mit  à  cracher,  disant  que  cela  en  estoit  auffi  bien  forty;  que  nous 
engendrions  bien  des  pouz  &  des  vers.  Et  cet  autre,  que  Plutarque 
vouloit  induire  à  s'accorder  auec  fon  frère  :  le  n'en  fais  pas,  dict-il, 

Texte  88.  —  i)  perfection  c'eft  cetuy-cy.  Car  des  enfans  aux  —  8)  refpect 
qu'amitié  :  l'amitié  fe  —  18)  l'autre  :  l'amitié  n'en  vient  iamais  là.  Il  s'eft  trouué 
iufques  à  des  —  19)  tefmoing  celuy  qui  quand  on  le  preflbit  de  l'affect.ition  qu'il  — 
21)  cracher  :  Et*  cela,  dict-il,  en  eft  aufli  bien  forty  :  nous  engendrons  auflî  bien 

^'AK.  Ms. —  i)soii!qudc  i°  :  iwslte  accoit  cl  coiiuciiaiicc  que  de  2°  :  noslre  conuenaiice 
que  de  5°  :  l'amitié  entre  nous  que  de  —  2)  Car  celles  que  les  loix  que  [le]  uoisiiiage 
le  sang  ou  le  hcsoin  et  utilité  publique  ou  priuee  force  (?)  ."  en  sont  d'autant  moins  libres  cl 
généreuses  qu'elles  mcslcut  en  autre  cause  et  bui  autre  but  et  autre  fruit  —  7)  conuienent 
ny  a  l'anàture  &  coioinclciuent. 

'     Et  bille  puis  rétabli. 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXVllI.  24I 

plus  grand  eftat,  pour  eftrc  Ibrty  de  melme  trou.  Ccft,  à  la  veritc, 
vn  beau  nom  &  plein  de  dilection  que  le  nom  de  frère,  &  à  cette 
caufe  en  fifmes  nous,  luy  &  moy,  noftre  alliance.  Mais  ce  nieflange 
de  biens,  ces  partages,  &  que  la  richelîe  de  l'vn  loit  la  pauureté  de 
5  l'autre,  cela  detrampe  merueilleufement  ik  relalche  cette  foudure 
fraternelle.  Les  frères  ayants  à  conduire  le  progrez  de  leur  auance- 
ment  en  mefme  fentier  &  mefme  train,  il  eft  force  qu'ils  fe  hurtent 
&  choquent  fouuent.  D'auantage,  la  correfpondance  &  relation  qui 
engendre  ces  vrayes  &  partaictes  amitiez,  pourquoy  fe  trouuera  elle 

10  en  ceux  cy?  Le  père  &  le  lils  peuuent  eftre  de  complexion  entière- 
ment eflongnée,  &  les  frères  aulTi.  C'ell:  mon  fils,  c'eft  mon  parent, 
mais  c'efl  vn  homme  farouche,  vn  mefchant  ou  vn  fot.  Et  puis, 
à  mefure  que  ce  font  amitiez  que  la  loy  &  l'obligation  naturelle  nous 
commande,  il  y  a  d'autant  moins  de  noftre  chois  &  liberté  volontaire. 

15  Et  noftre  liberté  volontaire  n'a  point  de  production  qui  foit  plus 
proprement  fienne  que  celle  de  l'affection  &  amitié.  Ce  n'eft  pas 
que  ie  n'aye  efliiyé  de  ce  cofté  la  tout  ce  qui  en  peut  eftre,  ayant 
eu  le  meilleur  père  qui  fut  onques,  &  le  plus  indulgent,  iulques  à  Ion 
extrême  vieilleflc,  &  eftant  d'vnc  fomille  fameufe  de  père  en  fils, 

20     &  exemplaire  en  cette  partie  de  la  concorde  fraternelle, 

&  ipfc 
Notus  in  fratres  animi  paterni. 

D'y  comparer  l'affection  enuers  les  femmes,  quoy  qu'elle  naiffc 
de  noftre  choix,  on  ne  peut,  ny  la  loger  en  ce  roUe.  Son  teu,  ie  le 
25     confefle, 

neque  enini  efl:  dea  iificia  iiollri 
Q.LUC  Julcem  curis  mifcet  amaritiem, 

eft  plus  actif,  plus  cuifant  &  plus  afpre.  Mais  c'eft  vn  feu  téméraire 
Texte  88.  —  23)  iiaiirc  .1  l.i  vcrito  Je  nollrc 


242  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

&  volage,  ondoyant  &  diuers,  feu  de  fiebure,  lubiect  à  accez  &  remiles, 
&  qui  ne  nous  tient  qu'à  vn  coing.  En  l'amitié,  c'ell:  vne  chaleur 
générale  .i;c  vniuerlelle,  tempérée  au  demeurant  &  égale,  vne  chaleur 
confiante  &  raflize,  toute  douceur  &  polliffure,  qui  n"a  rien  d'afpre 
&  de  poignant.  Qui  plus  eft,  en  l'amour,  ce  n'ei^  qu'vn  defir  forcené  s 
après  ce  qui  nous  tuit  : 

Corne  fegue  la  lèpre  il  cacciatore 

Al  freddo,  al  caldo,  alla  montagna,  al  lito; 

Ne  piu  l'eftima  poi  che  prefa  vede. 

Et  fol  dietro  a  chi  fugge  afFretta  il  piede.  10 

Auffi  toft  qu'il  entre  aux  termes  de  l'amitié,  c'eil  à  dire  en  la  conue- 
nance  des  volontez,  il  s'efuanouift  &  s'alanguift.  La  iouyflance  le 
perd,  comme  avant  la  fin  corporelle  &  fuiecte  à  facieté.  L'amitié, 
au  rebours,  eft  iouve  à  mefure  qu'elle  eft  defirée,  ne  s'efleue,  le 
nourrit,  nv  ne  prend  accroilî^ince  qu'en  la  iouylïiince  comme  eftant  15 
fpirituelle,  &  l'ame  s'affinant  par  l'vfage.  Sous  cette  parfaicte  amitié 
ces  affections  volages  ont  autrefois  trouué  place  chez  moy,  affin 
que  ie  ne  parle  de  luy,  qui  n'en  confeffe  que  trop  par  ces  vers.  Ainfi 
ces  deux  paffions  font  entrées  chez  moy  en  connoiffance  l'vne  de 
l'autre;  mais  en  comparaifon,  iamais  :  la  première  maintenant  fa  20 
route  d'vn  vol  hautain  &  fuperbe,  &  regardant  defdaigneulement 
cette  cv  paffer  l'es  pointes  bien  loing  au  delToubs  d'elle. 

Quant  aux  mariages,  outre  ce  que  c'eft  vn  marché  qui  n'a  que 
l'entrée  libre  (fa  durée  eftant  contrainte  &  forcée,  dépendant  d'ailleurs 
que  de  noftre  vouloir),  &  marché  qui  ordinairement  le  fait  à  autres  25 
fins,  il  v  furuient  mille  fufées  eftrangeres  à  defmeler  parmy,  fuffilantes 
à  rompre  le  fil  iSc  troubler  le  cours  d'vne  viuc  affection;  là  où,  en 
l'amitié,  il  n'v  a  affiire  nv  commerce,  que  d'elle  nielme.  loint  qu'à 
dire  vrav  la  fuffifance  ordinaire  des  femmes  n'eft  pas  pour  relpondre 

I'kxti:  SS.  —   15)  fuicctc  la  facictti  —  29)  ilirc  le  vray 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXVIII.  243 

à  cette  conférence  &  communication,  nourriflc  de  cette  laincte 
couture;  ny  leur  ame  ne  lemble  aflez  ferme  pour  fouftenir  l'eftreinte 
d'vn  neud  fi  prefle  6t  fi  durable.  Et  certes,  fans  cela,  s'il  le  pouuoit 
drefler  vne  telle  accointance,  libre  &  volontaire,  où,  non  feulement 
5  les  âmes  euffcnt  cette  entière  iouyffance,  mais  encores  où  les  corps 
enflent  part  à  l'alliance,  ou  l'home  fui  ciioagc  tout  entier:  il  est  eerlein 
que  l'amitié  en  feroit  plus  pleine  &  plus  comble.  Mais  ce  fexe  par 
nul  exemple  n'y  ell;  encore  peu  arriuer,  et  par  le  commun  eousuiitenuil 
des  eschoks  antienes  en  est  reietté. 

ro  Et  cet'  autre  licence  Grecque  eft  iuflement  abhorrée  par  nos 
meurs.  La  quelle  pourtant,  pour  auoir,  selon  leur  usage,  une  si  necesserc 
disparité  d'eages  [efj  differance  d'offices  entre  [les~\  amans,  ne  respondoit 
non  plus  asses  a  la  parfaicte  union  et  conuenance  qu'icv  nous  denutndons  : 
((  Quis  est  enim  iste  amor  aniicitia'  ?  Cur  twque  déforment  adolescenteni 

15  quisquani  amat,  neque  formosum  senem?»  Car  la  peinture  nwsnies  qu'eu 
faict  l'Académie  ne  me  desaduouera  pas,  corne  ie  pense,  de  dire  ainsi  de  sa 
part  :  que  cette  première  furur  inspirée  par  le  fil.x  de  Fenus  au  ceur  de 
l'amant  sur  l'ohiet  de  la  flur  d'une  tendre  iunesse,  a  la  quelle  ils  permet teni 
tous  les  insolens  et  passioue::^  ejfors  que  peut  produire  un'  ardu r  immodérée, 

20  estait  simplemant  fondée  en  une  beauté  externe,  fauce  image  de  la  génération 
corporelle.  Car  en  l'esperit  elle  ne  pouuoit,  du  quel  la  montre  estait  encores 
caclxe,  qui  n'estoit  qu'en  sa  naissance,  et  auant  l'eagc  de  germer.  Qiw  si 
cette  furur  sesissoit  un  bas  corage,  les  moiens  de  sa  poursuite  c'estoint 

Texte  88.  —  6)  l'alliance,  il  eft  vray-femblablc  que 

Var.  ms.  —  8)  arriuer,  1°  :  et  par  les  esclwlcs  île  lu  plnlosopliie  en  a  esté  reicllé.  Et 
cet'  autre  2°  :  et*  aianl  est  et  phrase  inadicvce.  3"  :  et  par  le  eommuii  eoiisaiitemàt  des 
eschoks  delà  philosophie  en  est  reiel  lé.  Et  ctt' Aulrc  —  11)  usage  \°  :  une  par  trop  necessere 
disparité  2°  :  et  une  uefisure  si  necessere  disparité  —  12)  amans  ne  responl  non  plus  asses 
e.xactemaiit  a  la  parf  parfaicte  —  1 5)  demandons.  Cette  tendrur  d'eage  ans  et  cette  si 
imu  fleur  de  beauté  tant  recherchée  montre  par  effaict  en  la  description  mesme  de  V Académie 
quoi  quelle  s'en  defande  que  le  eor^ps  que,  le  corps  y  tenait  une  part  bien  bien  principale 
et  que  le  dangier  y  estoit  grâd  de  uariation  et  d'inconstance.  Au  demeurant,  p.  245,  1.  5. 
—  18)  sur  l'-obei  —  19)  tous  les  iuseltus  —  22)  Que  quand  cette 


244  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

richesses,  présents,  faneur  a  Vauauceinatii  des  dignités,  et  telle  antre  basse 
marchandise,  qu'ils  repronuent.  Si  elle  tnnûxnt  en  nn  corage  plus  generns, 
les  entremises  cstoint  gencruscs  de  mesme  :  instructions  philosophiques, 
enseigncmcns  a  rcucrer  la  religion,  obéir  ans  loix,  mourir  pour  le  bien  de 
son  pais,  cxamples  de  uaiUance,  prndance,  justice  :  s'est udiant  l'amant  de  s 
se  rendre  acceptable  par  la  bone  grâce  et  beauté  de  son  anie,  celle  de  son 
corps  estant  pieç  a  fanie,  et  espérant  par  cette  société  mentale  establir  un 
marché  pins  ferme  &  durable .  Quand  cette  poursuite  arriuoit  a  l'effaict  en 
sa  saison  (car  ce  qu'ils  ne  requièrent  point  en  l'amant,  qu'il  aportat  loisir 
[&  discrétion  en  son\  entreprinse,  ils  le  requièrent  exactemant  en  l'aimé  :  lo 
d'autant  qu'il  luy  faloit  juger  d'une  beauté  interne,  de  difficile  conoissancc 
et  abstruse  descouuertc)  lors  naissoit  en  l'aymé  le  désir  d'une  conception 
spirituelle  par  l'entremise  d'une  spirituelle  beauté.  Cettecv  estojt  ic\  prin- 
cipale; la  corporelle,  accidentale  [et]  seconde  :  tout  le  rebours  de  l'amant. 
A  cette  cause  préfèrent  ils  l'aime,  et  uerifent  que  les  dieus  aussi  le  préfèrent,  15 
et  ta  usent  grandemant  le  poète  Jzschilus  d'à  noir,  en  î 'amour  d'Achilles  et 
de  Patroclus,  doné  la  part  de  [llamant  a  Jchilles  qui  estoit  en  la  première 
et  imberbe  uerdur  de  son  adolescence,  et  le  plus  beau  des  Grecs.  Apres  cette 
communauté  générale,  la  maistresse  et  plus  digne  partie  d'icelle  exerçant 
ses  offices  &  prédominant,  ils  disent  [qu]  'il  en  prouenoit  dts  fruits  tresutilles  20 
au  priué  et  au  pnbliq;  que  c'estoit  la  force  des  pais  qui  en  receuoint  l'usage, 
[et~\  la  principale  defance  de  l'équité  et  de  la  liberté  :  tesmoin  les  sahiteres 
amours  de  Hermodius  et  d'Aristogiton.  Pourtant  la  tioment  ils  sacrée  et 
diuine.  Et  n'est,  a  leur  conte,  que  la  uiolance  des  tirans  &  lâcheté  des 
peuples  qui  luy  soit  aduersere.  En  fin  tout  ce  qn  'on  peut  douer  a  lafaueur  de  25 
l'Académie,  c'est  dire  que  c'estoit  un  anwur  se  terminant  en  amitié  :  chose 

V'ar.  ms.  —  2)  tiianlmiidisc .■  Quand  Me  tumlmi  e  qu'ils  irprciitienl.  Quand  elle  — 
5)  ramant  de  s'en  rendre  —  7)  cette  conueiiaiicc  spiriludli:  mentale  rendre  son  marché  — 
8)  asoiicffaicl  —  17)  de  Patrocles  doné  —  18)  cette  mixtion  générale  —  26)  c'est  de  dire 
—  26)  amitié.  le  reuiens  a  ma  description  :  i°  :  qui  est  de  tonte  autre  façon  et  plus  pure 
&  plus  conforme.  Au  demeurant,  p.  245,  1.  5.    ^°  :   qui  est  d'autre  façon  plus  pure  esgale 

et  conforme»*'  l'amour  eut  este  plus  décemment  a    (Cette  rcMaction  est  restée  inachevée;  plusieurs 

mots  en  sont  illisibles.)    5°  :  de  façon  plus  équitable  plus  equal'k.  Au  demeurant. 


I.IVRl-      I,      CHAPITKi;      XXVIII.  245 

qui  iw  se  rapork  pus  mal  a  la  dcliiiilioii  Sloiqiic  ik  l'amour  :  «  Amorcm 
œnalum  cssc  amicitia'  JaciciuLr  ex  pulchritudinis  spccic.»  le  \rcuicn  a  ma 
description,  de  façon  plus  équitable  &  plus  equahlc]  :  «  Omniiio  amicitia', 
corroboratis  [jam  confirmatisque  iiigeiiijs  et  aiatihus,  judicandcv  sunt.]» 
5  Au  demeurant,  ce  que  nous  appelions  ordinairement  amis 
&  amitiez,  ce  ne  font  qu'accoinctances  &  fiimiliaritez  nouées  par 
quelque  occaiion  ou  commodité,  par  le  moyen  de  laquelle  nos 
âmes  s'entretiennent.  En  l'amitié  dequoy  ie  parle,  elles  le  meflent 
&  confondent  l'vne  en  l'autre,  d'vn  mélange  fi  vniuerfel,  qu'elles 

10  efïiicent  &  ne  retrouuent  plus  la  couture  qui  les  a  iointes.  Si  on  me 
prefTe  de  dire  pourquoy  ie  l'aymois,  ie  fens  que  cela  ne  le  peut 
exprimer,  qu'eu  respomlaut  :  Par  ce  que  c'estoit  lu\;  par  ce  que  c'estoit 
moy\ 

II  y  a,  au  delà  de  tout  mon  difcours,  &  de  ce  que  l'en  puis  dire 

I  )  particulièrement,  ne  Içay  quelle  force  inexplicable  &  fatale,  médiatrice 
de  cette  vnion.  Nous  iwus  cherchions  auani  que  de  [nous  estre  veiis,  &  par 
des  rapports  que  nous  oyions  l'un  de  l'autre,]  qui  faisoint  en  nostre  affection 
plus  d'effort  que  ne  porte  la  raison  des  rappors,  ie  croi  par  quelque  ordo- 
nance  du  ciel  :  nous  nous  enhrassions  par  nos  noms.  Et  a  nostre  première 

20  rencontre,  qui  fut  par  hasard  en  une  grande  feste  &  compaignie  de  uile, 
nous  nous  trouuames  si  prins,  si  conus,  si  oblige^  entre  nous,  que  rien  des 
lors  ne  nous  fut  si  proche  que  l'un  a  l'autre.  Il  escriuit  une  Suivre  Latine 
excellante,  qui  est  publiée,  pur  la  quell'  il  excuse  et  explique  [la]  praxipitation 
de  nostre  intellijunce,  si  promptemunt  puruenue  u  sa  perfection.  Aiant  si 

25  peu  u  durer,  et  u'iant  si  turd  comunce,  cur  nous  estions  tous  deus  homes 
faicts,  [et]  luy  plus  de  quclqu' unnee,  elle  n'uuoit  point  a  perdre  temps,  [et] 

Texte  88.  —  14)  Il  y  a  ce  femble  au  —  15)  force  diuine  & 

Var.  ms. —  i)  pas  trop  [mal  —  3)  Omnino  enim  amicilix  —  12)  qu'en  disant  : 
Par  ce  que  —  18)  par  l'iti finance  de  quelque  constellaliou  :  vous  —  20)  en  tw  une 
[gra]nd  feste  —  21)  trouuames  si  sesis  si  conus  —  25)  comance  :  estant  homes  tous  deus 
[et]  luy  plus  qu4  moi  a  l'auanture  de  quelqu  année  : 

'     Par  ce  que  c'estoit  moy.  addition  ultérieure. 


246  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

a  se  regJer  an  patron  des  amitiés  molles  &  régulières,  ans  quelles  il  faut 
tant  de  praxautions  de  longue  [ei']  préalable  côuersation.  Ceteci  n'a  point 
d'autre  idée  [que]  d'elle  mesme,  et  ne  se  peut  raporter  qu'a  soi.  Ce  n'eft 
pas  vne  spéciale  confideration,  ny  deux,  ny  trois,  ny  quatre,  ny 
mille  :  c'eft  ie  ne  Içay  quelle  quinte  eflence  de  tout  ce  mellange,  5 
qui,  ayant  faifi  toute  ma  volonté,  l'amena  fe  plonger  &  fe  perdre 
dans  la  fienne;  qui,  aiant  sesi  toute  sa  uolante,  l'amena  se  plonger  et  se 
perdre  en  [la]  miene,  d'une  faim,  [d'aune  concurrance  pareille,  le  dis 
perdre,  à  la  vérité,  ne  nous  referuant  rien  qui  nous  fut  propre,  ny  qui 
fut  ou  sien  ou  mien.  10 

Quand  Lœlius,  en  prefence  des  Confuls  Romains,  lefquels,  après 
la  condemnation  de  Tiberius  Gracchus,  pourfuiuoyent  tous  ceux  qui 
auoyent  eflé  de  Ion  intelligence,  vint  à  s'enquérir  de  Caius  Blofius 
(qui  eftoit  le  principal  de  les  amis)  combien  il  eut  voulu  faire  pour 
luy,  &  qu'il  eut  refpondu  :  Toutes  chofes;  —  Comment,  toutes  15 
chofes  ?  fuiuit-il.  Et  quoy  s'il  t'eut  commandé  de  mettre  le  feu  en 
nos  temples  ?  —  Il  ne  me  l'eut  iamais  commandé,  replica  Blofius. 
-^  Mais  s'il  l'eut  fait?  adiouta  Lœlius.  —  l'y  eufTe  obey,  refpondit-il. 
S'il  eftoit  fi  parfiiictement  amy  de  Gracchus,  comme  difent  les 
hiftoires,  il  n'auoit  que  faire  d'offenfer  les  confuls  par  cette  dernière  20 
&  hardie  confeflion;  &  ne  fe  deuoit  départir  de  l'afleurance  qu'il 
auoit  de  la  volonté  de  Gracchus.  Mais,  toutefois,  ceux  qui  accufent 
cette  refponce  comme  feditieufe,  n'entendent  pas  bien  ce  myftere, 
&  ne  prefuppofent  pas,  comme  il  eft,  qu'il  tenoit  la  volonté  de 
Gracchus  en  la  manche,  &  par  puiflance  &  par  connoiflance.  [Ils]  25 
estoint  plus  amis  que  citoiens,  plus  amis  [qu']amis  et  qu'enemis  de  leur 

Texte  88. —  4)  vue  particulière  confideration  —  9)  ne  luy  referuant  rien  qui  luy 
fut  —  10)  fut  fien.  Quand  —  22)  Gracchus,  de  laquelle  il  fe  pouuoit  refpondre,  comme 
de  la  fienne.  Mais   —   25)   connoiflance  :  &  qu'ainfi  la  refponce  ne  fonne  p.  247,  1.  7. 

Var.  ms.  —  i)  des  amours  molles  —  7)  sesi  sa...  et  perdre  —  20)  hiftoires  01/ 
pour  miens  dire  corne  est  ma  peinture  il  n'auoit  —  25)  connoiflance,  C'est  un  ame  eu 
deus  corps  dict  singulièrement  bien  Aristote  Et  qu'ainfi  fa  refponce  ne  fonne  p.  247,  1.  7. 
—  26)    citoiens  :  plus  amis  entre  eus  [qu'](tmis  qu'enemis 


LIVRE     I,     CHAPITRE     XXVllI.  247 

pais,  {qii']aniis  d'ambition  et  de  trouble.  S'estant  piirfaictemcnt  commis  l'un 
a  l'antre,  ils  tenoint  parjaictement  les  renés  [de  l']inclination  l'un  de  l'autre; 
[d]  faictes  guider  cet  Imrnois  [par]  la  uertu  et  conduite  de  [la]  raison 
(corne  aussi  est  il  du  tout  impossible  de  l'atteler  sans  cela),  la  responcc  [de  | 
S  Blosius  est  telle  qu'elle  deuoit  estre.  [Si]  leurs  actions  se  desmancharent,  ils 
n'estoint  ny  amis  selon  ma  mesure  l'un  [de  l']autre,  ny  amis  a  eus  mesmes. 
Au  demurant  cette  responce  ne  fonne  non  plus  que  feroit  la  mienne, 
à  qui  s'enquerroit  à  moy  de  cette  façon  :  Si  voûre  volonté  vous 
commandoit  de  tuer  vollre  fille,  la  tueriez  vous?  &  que  ie  l'accor- 

10  dafle.  Car  cela  ne  porte  aucun  tefmoignage  de  confentement  à  ce 
faire,  par  ce  que  ie  ne  fuis  point  en  doute  de  ma  volonté,  &  tout 
auflî  peu  de  celle  d'vn  tel  amy.  Il  n'eft  pas  en  la  puiffance  de  tous 
les  dilcours  du  monde  de  me  defloger  de  la  certitude  que  i'ay,  des 
intentions  &  iugemens  du  mien.  Aucune  de  l'es  actions  ne  me 

15  fçauroit  eftre  prefentée,  quelque  vifage  qu'elle  eut,  que  ie  n'en 
trouuafle  incontinent  le  reflbrt.  Nos  âmes  ont  charrié  fi  uniement 
enfemble,  elles  le  font  confiderées  d'vne  li  ardante  affection,  &  de 
pareille  affection  defcouuertes  iufques  au  fin  fond  des  entrailles  l'vne 
à  l'autre,  que,  non  feulement  ie  connoiflby  la  fienne  comme  la 

20  mienne,  mais  ie  me  fuffe  certainement  plus  volontiers  fié  à  luy  de 
moy  qu'à  moy. 

Qu'on  ne  me  mette  pas  en  ce  reng  ces  autres  amitiez  communes  : 
l'en  ay  autant  de  connoiflance  qu'vn  autre,  &  des  plus  parfaictes  de 
leur  genre,  'mais  ie  ne  conleille  pas  qu'on  confonde  leurs  règles  : 

25  on  s'y  tromperoit.  Il  faut  marcher  en  ces  autres  amitiez  la  bride 
à  la  main,  auec  prudence  &  précaution;  la  liailon  n'eft  pas  nouée  en 
manière  qu'on  n'ait  aucunement  à  s'en  deffier.  Aymés  le  (diloit 
Chilon)  comme  ayant  quelque  iour  à  le  haïr;  haïflez  le,  comme 

Texte  88.  —  16)  le  vray  rcffort...  li  long  temps  cnrcniblc  —  21)  qu'à  moy 
mefme.  Qu'on  —  22)  communes  :  car  l'en 

Var.  ms.  —  2)  'di'lauoïanUruii  —  4)  l'alleler  aulivw  —  5)  estre  Au  demuniiil 
elle  ne  fonne  —  6)  amis  sur  iiostre  mesure  —  7)  demurant  elle  ne  fonne 


24bv  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

ayant  à  raymer.  Ce  précepte  qui  eft  11  abominable  en  cette  Ibuueraine 
&  maiftrelTe  amitié,  il  eft  falubre  en  l'vfage  des  amitiés  ordinaires 
et  costumières,  a  l'endroit  des  quelles  il  faut  emploïer  le  mot  qu'Aristoie 
auoit  tresfamilier  :  0  mes  amis,  il  n'y  a  nul  ami. 

En  ce  noble  commerce,  les  offices  &  les  bienfaits,  nourriffiers  des     5 
autres  amitiez,  ne  méritent  pas  feulement  d'eftre  mis  en  compte  : 
cette  confufion  fi  pleine  de  nos  volontez  en  eft  caufe.  Car,  tout  ainfi 
que  l'amitié  que  ie  me  porte,  ne  reçoit  point  augmentation  pour  le 
fecours  que  ie  me  donne  au  befoin,  quoy  que  dient  les  Stoïciens, 
&  comme  ie  ne  me  fçay  aucun  gré  du  feruice  que  ie  me  fay  :  auffi     10 
l'vnion  de  tels  amis  eftant  véritablement  parfaicte,  elle  leur  faict 
perdre  le  fentiment  de  tels  deuoirs,  &  haïr  &  chafler  d'entre  eux 
ces  mots  de  diuifion  &  de  différence  :  bien  faict,  obligation,  recon- 
noiffance,  prière,  remerciement,  &  leurs  pareils.  Tout  eftant  par 
effect  commun  entre  eux,  volontez,  penlemens,  iugemens,  biens,     15 
femmes,  enfans,  honneur  &  vie,  et  leur  conucnancc  n'estant  qu'un  ame 
en  deus  cors  selon  la  trespropre  définition  d'Arislole',  ils  ne  ie  peuuent  ny 
prefter  ny  donner  rien.  Voila  pourquoy  les  faifeurs  de  loix,  pour 
honorer  le  mariage  de  quelque  imaginaire  reffemblance  de  cette 
diuine  liaifon,  défendent  les  donations  entre  le  mary  &  la  femme,     20 
voulant  inférer  par  là  que  tout  doit  eftre  à  chacun  d'eux,  &  qu'ils 
n'ont  rien  à  diuifer  &  partir  enfemble.  Si,  en  l'amitié  dequoy  ie 
parle,  l'vn  pouuoit  donner  à  l'autre,  ce  feroit  celuy  qui  receuroit 
le  bien-fait,  qui   obligeroit   fon  compagnon.  Car  cherchant  l'vn 
&  l'autre,  plus  que  toute  autre  chofe,  de  s'entre-bien  faire,  celuy     25 
qui  en  prefte  la  matière  &  l'occafion  eft  celuy-là  qui  faict  le  libéral, 
donnant  ce  contentement  à  fon  amy,  d'effectuer  en  fon  endroit  ce 
qu'il  délire  le  plus.  (2uand  le  philosofe  Dioi^encs  auoit  faute  {d'^ari^ellt, 


Ti;\Ti:  88. —   2)   rvHii^c  ordin.iirc.  I-"n  ce   —    1;)   dill'cix-iicc,  coniiiK,  bien  f.iicl, 
—  26)  l'aict  l'honnc'ftc  &  le  courtois,  donnnnt 

'     Cf.  p.  2.|6,  var.  nis.  de  la  1.  2;. 


I.IVKH      I,      CHAl'lTKi:      XXVllI.  249 

//  disait  qu'il  le\  rcdiimiiidoit  a  ses  amis,  non  qu'il  le  deniaiidoil.  Et, 
pour  montrer  comment  cela  le  practique  par  effect,  l'en  reciteray 
vn  ancien  exemple,  llngulier. 

Eudamidas,  Corinthien,  auoit  deux  amis  :  Clnirixenns,  Svcionien, 
5  &  Aretheus,  Corinthien.  Venant  à  mourir  eftant  pauure,  6c  l'es  deux 
amis  riches,  il  fit  ainli  l'on  teftament  :  le  lègue  à  Aretheus  de  nourrir 
ma  mère  &  l'entretenir  en  l'a  vieillelTe;  à  Charixenus,  de  marier  ma 
fille  &  luy  donner  le  douaire  le  plus  grand  qu'il  pourra;  &,  au  cas 
que  l'vn  d'eux  vienne  à  dehiillir,  ie  luhftitue  en  la  part  celuv  qui 

lo  l'uruiura.  Ceux  qui  premiers  virent  ce  tefiament,  s'en  moquèrent; 
mais  fes  héritiers,  en  ayant  efié  aduertis,  l'acceptèrent  auec  vn 
finguHer  contentement.  Et  l'vn  d'eux,  Charixenus,  ellant  trel'paffé 
cinq  iours  après,  la  luhftitution  eftant  ouuerte  en  faueur  d'Aretheus, 
il  nourrit  curieulement  cette  mère,  &,  de  cinq  talens  qu'il  auoit  en 

15  les  biens,  il  en  donna  les  deux  &  demy  en  mariage  à  vne  fienne 
fille  vnique,  &  deux  &  demy  pour  le  mariage  de  la  fille  d'Eudamidas, 
defquelles  il  fit  les  nopces  en  melme  iour. 

Cet  exemple  eft  bien  plein,  fi  vne  condition  en  ertoit  à  dire,  qui 
eft  la  multitude  d'amis.  Car  cette  parfiiicte  amitié,  dequoy  ie  parle, 

20  eft  indiuifible  :  chacun  le  donne  fi  entier  à  l'on  amy,  qu'il  ne  luy 
refte  rien  à  départir  ailleurs;  au  rebours,  il  eft  marry  qu'il  ne  loit 
double,  triple,  ou  quadruple,  &  qu'il  n'ait  plufieurs  âmes  <Sc  plufieurs 
volontez  pour  les  conférer  toutes  à  ce  lubiet.  Les  amitiez  communes, 
on  les  peut  départir  :  on  peut  aymer  en  cettuy-cy  la  beauté,  en  cet 

25  autre  la  fixcilité  de  l'es  meurs,  en  l'autre  la  libéralité,  en  celuy-là  la 
paternité,  en  cet  autre  la  fraternité,  ainfi  du  refte;  mais  cette  amitié 
qui  poflede  l'ame  &  la  régente  en  toute  fouueraineté,  il  eft  impolfible 
qu'elle  foit  double.    Si  deux  en  niesine  temps  denuiiidoient  à  estre  seeotirus, 


Textk  88.  —  3)  exemple,  tiui  y  eft  (ingulitrcmcnt  propre.  Kudaniidas  —  4)  amis, 
Chariexenes  Sycionicn,  —  12)  l'vn  d'entr'cux 

\'.\R.  .MS.  —   i)  (L-iiinihhil.  Ili  /.'  luy  ilciioiiil  piir  ihoil  il'iimUic.  El  pour 


250  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

iiiiqiieJ]  coiirries  nous?  S'ils  requcroint  de  nous  des  offices  confrères,  quel 
ordre  y  trouuerries  vous?  Si  l'un  commetoit  a  uostre  siJance  chose  qui  fut 
utille  a  Vautre  de  sçauoir,  cornant  nous  en  desmesleries  nous  ?  L'unique  et 
principale  amitié  descoiit  toutes  autres  obligations.  Le  secret  que  i'ay  iurc 
ne  déceler  a  nul  autre,  ie  le  puis,  sans  pariure,  communiquer  a  celuy  qui  5 
n'est  pas  autre  :  c'est  moy.  C'est  un  asses  grand  miracle  [de]  se  doubler; 
et  n'en  conessent  pas  la  hauteur,  cens  qui  parlent  de  se  tripler.  Rien  n'est 
extrême,  qui  a  son  pareil.  Et  qui  présupposera  que  de  deus  i'en  aime  autant 
l'un  que  l'autre,  et  qu'ils  s'entraiment  et  m'aiment  autant  que  ie  les  aime, 
il  mtdtiplie  [en]  confrérie  la  chose  la  plus  une  et  unie,  et  de  quoi  une  suie  10 
est  encore  la  plus  rare  a  trouuer  au  monde. 

Le  demeurant  de  cette  hiftoire  conuient  très-bien  à  ce  que  ie 
difois  :  car  Eudamidas  donne  pour  grâce  &  pour  faueur  à  les  amis 
de  les  employer  à  fon  befoin.  Il  les  laiflc  héritiers  de  cette  tienne 
libéralité,  qui  confifte  à  leur  mettre  en  main  les  moyens  de  luy  15 
bien-taire.  Et,  lans  doubte,  la  force  de  l'amitié  le  montre  bien  plus 
richement  en  fon  foit  qu'en  celuy  d'Aretheus.  Somme,  ce  font  effects 
inimaginables  à  qui  n'en  a  goufté,  et  qui  me  fout  honorer  a  mcrucilles 
la  responce  de  ce  ieune  soldat  a  Cyrus  s'enqueranl  a  luv  pour  côbien  il 
uoudroit  douer  un  chenal,  par  le  nioien  du  quel  il  venait  de  guigner  le  pris  20 
(/('  ht  course,  et  s'il  le  voudroit  eschanger  a  vu  Royaume  :  Non  certes,  Sire, 
mais  bien  le  lairrois  ie  uolontiers  pour  en  acquérir  un  ami,  si  ie  trouuois 
home  digne  [de]  telle  alliance. 

Il  ne  di soit  pas  mal  :  si  i'en  trouuois;  car  on  treitue  facilemant  des  Imncs 
propres  a  une  superficielle  acointancc.  Mais  eu  ceteci,  en  la  quelle  on  uegolie     25 

Texte  88.  —  18)  goufté  :  &  tout  ainfi  p.  251,  1.  16. 

Var.  ms.  —  i)  de  nous  choses  contrercs  —  5)  déceler  a  un  autre...  comtiiuiiiquer 
a  un  qui  —  8)  Et  qui  euiatidera  que  —  9)  ui'ainieul  cfiun  ic  les  a  —  10)  la  plus  nue 
et  de  quoi  une  et  suie  —  11)  monde.  L'encheineurc  amouruse  de  ces  trois  philosofes  Polemon 
Craies  Crantor,  iuge[ans]  de  mesme,  uiuans  &  mourons  ensemble  Cette  phrase,  restée  in.ichevéc, 
est  une  .iddition  ultérieure.  —  22)  mais  bien  pour  en  —  25)  honic  de  uerlu  digne  de  telle 
alliance.  Ht  tout  ainfi  p.  251,  1.  16.  —  24)  mal  s'il  s'en  trouuoil  :  car  —  23)  une  (ouuer- 
salio»  conionction  superficielle  mais 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXVIII.  251 

du  fin  foyvs]  de  son  coragc,  qui  >ic  fiiict  rien  de  reslc,  certes  il  est  besoin  que 
tous  les  ressors  soint  neti  et  surs  parfaictemanl. 

Ans  confédérations  qui  [ne]  tienent  que  par  un  bout,  on  n'a  a  pouruoirs 
qu'ans  iniperfirtions  qui  particulièrement  intéressent  ce  bout  [la.]  Il  ne  peut 
5  chaloir  de  quelle  rclligion  soit  mon  médecin  et  mon  aduocat.  Cette  considé- 
ration n'a  rien  de  commun  aiieq  les  offices  de  l'amitié  qu'ils  me  doiueut.  Et, 
en  Vacouintance  domestique  que  dressent  aueq  moi  cens  qui  me  seruenl,  l'en 
fois  de  mesmes.  Et  m'enquiers  peu,  d'un  laquai,  s'il  est  chaste;  ie  cherche 
s'il  est  diligent.  Et  ne  crcins  pas  tant  un  muletier  loueur  que  imbécilk,  ny 
10  ;/;/  cuisinier  inreur  qu'ignorant.  le  ne  me  mesie  pas  de  dire  ce  qu'il  faut 
faire  au  monde,  d'autres  asses  s'en  meslent,  mais  ce  que  l'y  fois. 

Mihi  sic  usas  est  ;  tiH,  ut  opiis  est  facto,  face 

A  la  familiarité  de  la  table  i' associe  le  plesant,  non  le  pendant;  au  licl,  la 
beauté  auant  la  bonté;  en  la  société  du  discours,  la  sufiisancc,  noire  sans 

15     la  preud'homie.  Pareillement  ailleurs. 

Tout  ainfi  que  cil  qui  fut  rencontré  à  cheuauchons  iur  vn  bâton, 
fe  iouant  auec  fes  enfans,  pria  l'home  qui  l'y  lurprint,  de  ncn  rien 
dire,  iufques  à  ce  qu'il  fut  père  luy-mefme,  eftimant  que  la  paflion 
qui  luy  naiflroit  lors  en  l'ame,  le  rendroit  iuge  équitable  d'vne  telle 

20  action  :  ie  fouhaiterois  aufli  parler  à  des  gens  qui  euflent  effayé  ce 
que  ie  dis.  Mais,  fçachant  combien  c'efl  chofe  ellongnée  du  commun 
vfage  qu'vne  telle  amitié,  &  combien  elle  eft  rare,  ie  ne  m'attcns  pas 

Texte  88.  —  16)  que  celuy  qui  —  17)  pria  ccluy  qui 

Var.  ms. —  i)  corage  qui  emploie  tout  qui  ne  —  3)  Ans  spéciales  alliances  qui  \ne] 
se  tienent  —  4)  particulièrement  les  l'intéressent.  Il  —  7)  domestique  de  —  9)  que 
foible  :  ny  un  secretere  iureur  qu'ignorant.  le  ne  dis  pas  que  ie  fois  bien  mais  ie  dis  que 
ie  fois  ainsi  :  Miln  sic  usus  est,  tihi  ut  opus  est  facto  face.'  D'autres  diront  sur  ce  premier 
article.  A  la  familiarité  —  10)  de  prescher  ce  —  11)  monde  mais  —  13)  plesant  plus 
tost  que  le  prudant  —  14)  en  l'acointance  du  discours  qu'il  soii  pnud'-home  s^il  ueut  mais 
qu^  seii  s  aduisé  la  suffisance  auant  la  preud'homie. 

'     Cette  citation  a  été  ajoutée  dans  l'interligne.  ' 


^)-^ 


HSSAIS      DE      MONTAIGNE. 


d'en  trouuer  aucun  bon  iuge.  Car  les  dilcours  melmcs  que  Fantiquité 
nous  a  laifle  fur  ce  fubiect,  me  lemblent  lâches  au  pris  du  scniimcnt 
que  i'en  ay.  Et,  en  ce  poinct,  les  effects  furpaflent  les  préceptes 
mefmes  de  la  philofophie  : 

Nil  ego  contulerim  iucundo  fanus  amico.  5 

L'ancien  Menander  difoit  celuy-là  heureux,  qui  auoit  peu  ren- 
contrer feulement  l'ombre  d'vn  amy.  11  auoit  certes  raifon  de  le  dire, 
mefmes  s'il  en  auoit  tailé.  Car,  à  la  vérité,  fi  ie  compare  tout  le  refle 
de  ma  vie,  quoy  qu'aueq  la  grâce  de  Dieu  ie  l'aye  paflee  douce,  aifée 
&,  fauf  la  perte  d'vn  tel  amy,  exempte  d'affliction  poifante,  pleine  10 
de  tranquillité  d'efprit,  ayant  prins  en  payement  mes  commoditez 
naturelles  &  originelles  fans  en  rechercher  d'autres:  fi  ie  la  compare, 
dis-ie,  toute  aux  quatre  années  qu'il  m'a  efté  donné  de  iouyr  de  la 
douce  compagnie  &  focieté  de  ce  perfonnage,  ce  n'eft  que  fumée,  ce 
n'efl  qu'vne  nuit  obfcure  &  ennuyeufe.  Depuis  le  iour  que  ie  le  15 
perdy, 

quem  femper  acerbum', 
Semper  honoratum  (fie,  Dij,  voluiftis)  haheho, 

ie  ne  fiiy  que  trainer  languilfant;  <:\:  les  plaifirs  mefmes  qui  s'offrent 

à  moy,  au  lieu  de  me  confoler,  me  redoublent  le  regret  de  la  perte.     20 

Nous  eftions  à  moitié  de  tout;  il  me  femble  que  ie  luy  defrobe  fa 

part, 

Nec  fas  efTc  vUa  me  voluptate  hic  frui 

Decreui,  tantifper  dum  illc  abeft  meus  particcps. 


Texte  88.  —  i)  trouuer  nul  bon  —  2)  du  a;ouft  que  —  3)  ce  feul  poinct  — 
9)  quoy  que  par  la  —  10)  pleine  de  contentement  &  de  tranquillité  —  15)  quatre 
ou  cinq  années 

'  A  droite  de  cette  lin  de  vers  Momaione  écrit  :  plin:  ni  ça,  pour  en  reciitier  In  disposition 
typographique. 


L1VR1-:      1,      CHAl'lTKU      XXVlll.  2)^ 

l'eftois  delîa  li  tait  i^;  accoulUinic  à  cl\rc  dcuxicfmc  par  tout,  qu'il 
me  l'cmblc  n'eftrc  plus  qu'à  deniy. 

Illam  mca-  li  partcm  animée  tulit 
Maturior  vis,  quid  moror  altéra, 
5  Nec  charus  :equè,  nec  fuperftes 

Integer?  Ille  dies  vtramque 
Duxit  ruinam. 

Il  n'cft  action  ou  imagination  où  ie  ne  le  trouue  à  dire,  comme  fi 
eut-il  bien  faict  à  moy.  Car,  de  melme  qu'il  me  lurpaffoit  d'vne 
lo     diftance  infinie  en  toute  autre  luffilance  &  vertu,  aulîi  failoit-il  au 
deuoir  de  l'amitié. 

Quis  defiderio  fit  pudor  aut  modus 
Tarn  chari  capitis  ? 

O  mifero  frater  adempte  niihi!' 
ij  Omnia  tecum  vna  perierunt  gaudia  noftra, 

Quï  tuus  in  vita  dulcis  alebat  amor. 
Tu  mea,  tu  moriens  fregifti  commoda,  frater; 

Tecum  vna  tota  eft  noftra  fepulta  anima, 
Cuius  ego  interitu  tota  de  mente  fugaui 
20  Hœc  ftudia  atque  omnes  delicias  animi. 

Alloquar  ?  audiero  nunquam  tua  verha  loquentcm  ? 

Nunquam  ego  te,  vita  frater  amabilior, 
Afpiciam  pofthac?  At  certè  femper  amabo. 

Mais  oyons  vn  peu  parler  ce  garlon  de  scsc  ans. 

25  Parce  que  i'av  trouué  que  cet  ouurage  a  efté  depuis  mis  en  lumière, 
&  à  mauuaile  fin,  par  ceux  qui  cherchent  à  troubler  &  changer  l'eftat 
de  noftre  police,  lans  fe  Ibucier  s'ils  l'amenderont,  qu'ils  ont  niellé 

Texte  88.  —  24)  de  dixhuict  ans 

'     A  droite  de  celte   lin   de  vers   Montaigne  écrit  :  plus  Cil  Ça,    pour  en    rcctilicr  la   disposition 
typographique. 


254  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

à  d'autres  clcris  de  leur  farine,  ie  me  fuis  dédit  de  le  loger  icy.  Et  affin 
que  la  mémoire  de  l'auteur  n'en  foit  intereflee  en  l'endroit  de  ceux 
qui  n'ont  peu  connoiftre  de  près  fes  opinions  &  fes  actions,  ie  les 
aduife  que  ce  lubiect  fut  traicté  par  luy  en  fon  enfance,  par  manière 
d'exercitation  feulement,  comme  fubiet  vulgaire  &  tracaffé  en  mille  5 
endroits  des  Hures.  le  ne  fliy  nul  doubte  qu'il  ne  crciist  ce  qu'il 
efcriuoit,  car  il  eftoit  aflez  confcientieux  pour  ne  mentir  pas  mefmes 
en  fe  iouant.  Et  fçay  d'auantage  que,  s'il  eut  eu  à  choifir,  il  eut 
mieux  aimé  eftre  nay  à  Venife  qu'à  Sarlac  :  &  aucq  raifon.  Mais  il  auoit 
vn' autre  maxime  fouuerainement  empreinte  en  fon  ame,  d'obeyr  10 
&  de  fe  foubmettre  tres-religieufement  aux  loix  fous  lefquelles  il 
eftoit  nay.  11  ne  fut  iamais  vn  meilleur  citoyen,  ny  plus  affectionné 
au  repos  de  son  pats,  ny  plus  ennemy  des  remuements  &  nouuelletez 
de  fon  temps.  Il  eut  bien  pluftoft  employé  fa  fuffifance  à  les  efteindre, 
que  à  leur  fournir  dequoy  les  émouuoir  d'auantage.  Il  auoit  fon  15 
efprit  moulé  au  patron  d'autres  fiecles  que  ceux-cy. 

Or,  en  efchange  de  cet  ouurage  ferieux,  l'en  fubftitueray  vn  autre, 
produit  en  cette  mefme  faifon  de  fon  aage,  plus  gaillard  &  plus 
enioué. 


Texte  88.  —  6)  ne  creut  ce  —  9)  &  auoit  raifon.  —  15)  repos  de  fa  patrie, 
ny  —  19)  enioué.  Ce  font  29.  fonnets  que  le  fieur  de  Poiferré  homme  d'aftaires, 
&  d'entendement,  qui  le  connoiffbit  long  temps  auant  moy,  a  retrouué  par  fortune 
chez  luy,  parmy  quelque  autres  papiers,  &  me  les  vient  d'enuoyer  :  dequoy  ie  luy 
fuis  tres-obligé,  &  fouhaiterois  que  d'autres  qui  détiennent  plufreurs  lopins  de  fes 
efcris,  par-cy,  par-là,  en  fiflent  de  mefmes. 


Chapitre    XXIX. 


VINGT   ET   NEVF   SONNETS    DESTIENNE    DE    LA    BOETIE. 


A  Madame  de  Granimont,  Comtesse  de  Guissen. 


Madame,  ie  ne  vous  offre  rien  du  mien,  ou  par  ce  qu'il  eft  délia 
voftre,  ou  pour  ce  que  ie  n'y  trouue  rien  digne  de  vous.  Mais  i'ay 
voulu  que  ces  vers,  en  quelque  lieu  qu'ils  le  viflent,  portalTent  voftre 
nom  en  tefte,  pour  l'honneur  que  ce  leur  fera  d'auoir  pour  guide 
S  cette  grande  Corifande  d'Andoins.  Ce  prefent  m'a  lemblé  vous  eftre 
propre,  d'autant  qu'il  eft  peu  de  dames  en  France  qui  iugent  mieux 
&  fe  feruent  plus  à  propos  que  vous  de  la  poëlie  :  &  puis  qu'il  n'en 
efl  point  qui  la  puilfent  rendre  viue  &  animée,  comme  vous  foites 
par  ces  beaux  &  riches  accords  dequoy,  parmy  vn  million  d'autres 

10  beautez,  nature  vous  a  eftrenée'.  Madame,  ces  vers  méritent  que 
vous  les  cherilfcz;  car  vous  ferez  de  mon  aduis,  qu'il  n'en  eft  point 
forty  de  Gafcoigne  qui  eulfent  plus  d'inucntion  &  de  gentillelfe, 
&  qui  tefmoignent  eftre  lortis  d'vne  plus  riche  main.  Ht  n'entrez  pas 
en  ialoufie  dequov  vous  n'auez  que  le  reftc  de  ce  que  pieç'  a  l'en 

15     ay  faict  imprimer  fous  le  nom  de  monlîeur  de  Foix,  voftre  bon 


*  Les  éditions  de  1580,  1582  et  1587  mettent  une  virgule  après  CSlrenée,  et  l'édition  de  1595  deux 
points,  ce  qui  change  le  sens.  Le  point  est  peut-être  une  faute  d'impression  de  l'éditeur  de  1 588.  .Monlaignc 
ne  l'a  pas  corrigé.  11  n'a  fait,  il  est  vrai,  aucune  correction  nianuscriic  dans  le  corps  de  cet  Essai. 


2)6  ESSAIS     DE     .MOXTAIGNE. 

parent  :  car  certes  ceux-cy  ont  ie  ne  l'çay  quoy  de  plus  vif  &  de 
plus  bouillant,  comme  il  les  fit  en  fa  plus  verte  ieunefle,  &  efchaufé 
d'vne  belle  &  noble  ardeur  que  ie  vous  diray,  Madame,  vn  iour 
à  l'oreille.  Les  autres  furent  faits  depuis,  comme  il  eftoit  à  la  pourfuite 
de  fon  mariage,  en  laueur  de  fii  femme,  &  fentent  défia  ie  ne  fçay  5 
quelle  froideur  maritale.  Et  moy  ie  fuis  de  ceux  qui  tiennent  que  la 
poëfie  ne  rid  point  ailleurs,  comme  elle  faict  en  vn  fubiect  folâtre 
it  defreglé'. 

Ces  tiers  se  uoieiil  ailleurs. 


'     A  la  suite  venaient  les  vingt-neuf  sonnets  d'Esticnuc  de  la  Boetic.   Montaigne  les  a   rayés  d'un 
grand  trait  en  diagonale,  du  haut  en  bas  de  chaque  page. 


CHAPITRE     XXX. 


DE    LA    MODERATION'. 


Commt;  li  nous  auions  rattouchcment  infect,  nous  corrompons 
par  noftrc  maniement  les  choies  qui  d'elles  melmes  lont  belles 
&  bonnes.  Nous  pouuons  laillr  la  vertu  de  façon  qu'elle  en  deuiendra 
vicieule,  si  nous  l'embraflbns  d'vn  deiir  trop  afpre  &  violant.  Ceux 
5  qui  dil'ent  qu'il  n'y  a  iamais  d'excès  en  la  vertu,  d'autant  que  ce  n'ell 
plus  vertu  11  l'excès  y  eft,  le  louent  des  parolles  : 

Infiini  fapiens  nonien  tenit,  iequus  iiiiqui, 
Vitra  quam  latis  eft  virtutem  û  petat  ipfam. 

C'eft  vne  lubtile  confideration  de  la  philolbphie.  On  peut  &  trop 
10     aimer  la  vertu,  &  le  porter  cxcessiiieincnt  en  vne  action  iulle.  A  ce 
biaiz  s'accommode  la  noix  diuine  :  Ne  l'oyez  pas  plus  lages  qu'il  ne 
faut,  mais  foyez  fohremcnt  fages. 

l'ay  lieu  kl  grand  blesser  la  réputation  de  sa  religion  pour  se  montrer 
relligieus  outre  tout  exatnpk  des  homes  de  sa  sorte. 

Texte  88.  —  4)  vicicufc  :  conmiL- il  aduioiU  quand  nous  (.Momaignc  se  conicnu  J'aborJ 
J'ciTacer  il  aduicMit)  —  4)  &  trop  violant  —  6)  eft,  ils  fe  ioucnt  de  la  fubtilitédcs  — 
10)  porter  immodérément  en...  iuftc  &  vcrtueufe.  A  —  11)  biaiz  fe  peut  accom- 
moder la  parollc  diuine, 

Var.  ms.  —  13)  tel  blesser 

33 


2)8  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

l'ciiDic  des  iialiiirs  tempérées  et  moienes.  L'inimoderalioii  tiers  le  bien 
mcsme,  si  elle  ne  ni'offanee,  elle  m'estone  et  me  met  eu  peine  de  la  hahtiser. 
Nv  la  mère  de  Paiisanias,  qui  dona  la  première  instruetion  et  porta  la 
première  pierre  a  la  mort  de  son  Jilx,  ny  le  dictatur  Posthiimius  qui  fit 
mourir  le  sien  que  l'ardur  de  iunesse  auoit  pousse  hureusement  sur  les  euemis,  5 
////  peu  a  lia  ut  sou  ranc,  lie  me  semble  si  i  liste  eonie  est  range.  Et  n'aime  ny 
a  conseiller  \jiy\  a  siiiure  une  uertu  si  saunage  et  si  chère. 

L'archer  qui  outrepasse  le  blanc,  fitut  corne  celliiy  qui  n'y  arriiie  pas. 
Et  les  veiis  me  troublent  a  monter  a  [coup]  uers  une  grande  lumière  egalemêt 
come  a  deualer  a  l'ombre.  [Callicle:^,  en  Platon,  dit  l'extrémité  de  la  philo-  10 
Sophie  estre  dommageable,  et  conseille  de  ne  s'y]  enfoncer  outre  les  bornes  du 
[profit];  que,  prinse  aiieques  modération,  elV  est  plaisante  et  commode,  [mais 
qu'en  fin  elle]  rant  un  home  saunage  et  ni  tiens,  desdeigneiis  des  religions 
et  loix  communes,  enemi  de  la  conucrsation  eiiiile,  enemi  des  iioluptes 
humaines,  incapable  de  tout'  administration  politique  et  de  secourir  aiitruy  15 
et  de  se  secourir  a  soi,  propre  a  estre  impiineemaiit  souffleté.  Il  dict  urai,  car, 
en  son  exce:^,  elle  esclaue  nostre  naturelle  franchise,  et  nous  destioie,  par 
un'  imporliinc  subtilité,  du  beau  et  plein  chemin  que  nature  nous  a  tracé. 

L'amitic  que  nous  portons  à  nos  femmes,  elle  efl:  tres-legitime  : 
la  théologie  ne  laifTe  pas  de  la  brider  pourtant,  &  de  la  reftraindre.  20 
11  me  femble  auoir  leu  autresfois  chez  fainct  Thomas,  en  vn  endroit 
où  il  condamne  les  mariages  des  parans  es  degrez  deffandus,  cette 
raifon  parmy  les  autres,  qu'il  y  a  danger  que  l'amitié  qu'on  porte 
à  vne  telle  femme  loit  immodérée  :  car,  li  l'affection  maritalle  s'y 
trouue  entière  &  perfaite,  comme  elle  doit,  &  qu'on  la  furcharge  25 
encore  de  celle  qu'on  doit  à  la  parantelle,  il  n'y  a  point  de  doubte 

Texte  88.  —  22)  des  parantes  es 

Vak.  ms.  — •  3)  incrc  de  Mt^  —  4)  pierre  pouf:  —  5)  muni  porte  suf^  hi  M^tuis 
Ijureusemciil  —  6)  si  piirciiieiil  iiisle  —  7)  «  prescticr  [ny'\  —  9)  monter  a  [/rtj 
lumière  —  11)  honies  de  V utilité  :  que  —  15)  polUique  el  de  loul  commerce  cl  de  secourir 
—  1 6)  secourir  soi  mesmes  :  capable  d'csirc  foulé  nus  pieds  sam  se  pleindiv  iiiipinieciiiaiil . . . 
urai  :  iju'eu  son  excei  elle  gourmande  el  esclaue 


LIVRK      I,      CHAPITRE      XXX.  259 

que  ce  lurcroift  n'emporte  vn  tel   mary  hors  les  barrières  de  la 
raifon. 

Les  fciences  qui  règlent  les  meurs  des  hommes,  comme  la  thcohgie 
&  la  philofophie,  elles  fe  méfient  de  tout.  11  n'eft  action  fi  priuée 
S  &  fecrette,  qui  fe  defrobe  de  leur  cognoilîance  ix  iurifdiction.  Bien 
aprantis  sœit  cens  qui  syndiquent  leur  liberté.  Ce  sont  les  femmes  qui 
communiquent  tant  qu'on  ueut  leurs  pièces  a  garsoner;  a  medeciner  la  honte 
le  défaut.  le  veux  donc,  de  leur  part,  apprendre  cecy  aux  maris,  s'il 
s'en  treuue  encores  qui  y  soint  trop  acharne^  :  c'eft  que  les  plaifirs  melmes 

10  qu'ils  ont  à  l'acointance  de  leurs  femmes,  font  reprouuez,  fi  la 
modération  n'y  eft  obferuée;  &  qu'il  y  a  dequoy  faillir  en  licence 
&  defbordement,  comme  en  vn  fubiet  illégitime.  Ces  encherimans 
desJmite:^  que  la  chalur  première  nous  suggère  en  ce  ieu,  sont,  non  indccem- 
mant  sulemant,  mais  domageahlemenl  emploie:^  enuers  nos  famés.  Qu'elles 

15  aprenncnt  Vimpudance  au  moins  d'un'  autre  main.  Elles  sont  tousiours 
asses  esueillees  pour  nostre  besoin.  le  ne  m'y  suis  serui  que  de  l'instruction 
naturelle  et  simple. 

C'eft  vne  religieufe  liaifon  &  deuote  que  le  mariage  :  voila  pour- 
quov  le  plaifir  qu'on  en  tire,  ce  doit  eftre  vn  plaifir  retenu,  ferieux 

20  &  méfié  à  quelque  feuerité;  ce  doit  eftre  vne  volupté  aucunemant 
prudente  &  confcientieufe.  Et,  parce  que  fa  principale  fin  c'eft  la 
génération,  il  y  en  a  qui  mettent  en  doubte  fi,  lors  que  nous  fommes 
fans  l'efperance  de  ce  fruit,  comme  qiuind  elles  font  hors  d'aage,  ou 
enceinte,  il  eft  permis  d'en  rechercher  l'enbrassemant.  Ces!  un  homicide 

Texte  88.  —  2)  raifon,  foit  en  l'amitic,  foit  aux  cftects  de  la  iouïlTance.  Les  — 
5)  la  religion  &  —  8)  apprendre  encore  cecy  aux  maris  (car  il  y  a  grand  dangicr 
qu'ils  ne  fe  perdent  en  ce  débordement)  c'eft  que  —  10)  femmes,  ils  font  merueilleu- 
fement  reprouuez  —  12)  defbordement  en  ce  fubiet  là,  comme  en  vn  fubiet  eftranger 
&illegitime.  —  20)  quelque  peu  de  feuerité  —  25)  de  cet  vfige,  comme  lors  que  les 
femmes  font  —  24)  rechercher  cette  accointancc  :  cela  tiens  ie  pour  certain  qu'il  eft 
beaucoup  plus  fainct  de  s'en  abftenir.  Certaine  nation  abomine  la  conionction  p.  260,  1.  2. 

Var.  ms. —  5)  iurifdiction.  Vrais  ueaus  el  bien  aprantis  qui  symiiqucni  —  7)  pièces 
a  m  —  13)  nous  fetttm  —  24)  rechercher /'accointance. 


260  ESSAIS      DH      MONTAIGNE. 

a  lit  mode  de  Philoii.  Certaines  nations,  et  entre  cintre  la  Mabiiiiietuiie, 
ahonriiièt  la  conionction  auec  les  femmes  enceintes;  plusieurs  auflî, 
auec  celles  qui  ont  leurs  flueurs.  Zenobia  ne  receuoit  fon  mary  que 
pour  vne  charge,  &,  cela  fait,  elle  le  laiffoit  courir  tout  le  temps  de  fa 
conception,  luy  donnant  lors  feulement  loy  de  recommencer  :  hraue  s 
&  généreux  exemple  de  mariage. 

C'est  de  quelque  poète  diseteus  &  affamé  de  ee  déduit,  que  Platon  eiipruiita 
cette  narration,  que  luppiter  fit  a  sa  fiinie  une  si  chahtreuse  charge  un  iour 
que,  ne  poiniât  auoir  paiiance  qu'eW  eut  gaigné  son  lict,  il  la  uersa  sur  le 
planchier,  et,  par  la  uehemance  [du^^  plaisir,  oblia  les  resolutions  grandes  lo 
et  importantes  qu'il  uenoit  de  prandre  aueq  les  autres  dieus  en  sa  court 
céleste  :  [se]  uantant  qu'il  l'auoit  trouué  aussi  bon  ce  coup  la,  que  lors  que 
premieremant  il  la  dépucela  [a]  cachettes  de  leurs  parans. 

Les  Roys  de  Perfe  appelloient  leurs  femmes  à  la  compaignie  de 
leurs  feftins;  mais  quand  le  vin  venoit  à  les  cfchaufcr  en  bon  efcient  15 
&  qu'il  falloit  tout  à  fait  lafcher  la  bride  à  la  uolupté,  ils  les  r'enuoioient 
en  leur  priué,  pour  ne  les  faire  participantes  de  leurs  appétits  immo- 
derez,  &  faifoient  venir,  en  leur  lieu,  des  femmes  aufquelles  ils 
n'euflent  point  cette  obligation  de  refpect. 

Tous  plaifirs  &  toutes  gratifications  ne  font  pas  bien  logées  en  toutes  20 
gens  :  Epaminondas  auoit  foit  emprifonner  vn  garfon  defbauché; 
Pelopidas  le  pria  de  le  mettre  en  liberté  en  fa  laueur  :  il  l'en  refufa, 
&  l'accorda  à  vne  fienne  garfe,  qui  aufli  l'en  pria  :  dilant  que  c'eftoit 
vne  gratification  deuë  à  vne  amie,  non  à  vn  capitaine.  Sophocles, 
estant  compaignon  \_en]  la  Fracture  aueq  Pericles,  uoiant  de  cas  de  jortune  25 
passer  [»//]  hemi  garçon  :  0  le  beau  garçon  que  uoila,  fit  il  a  Pericles. 
Cela  serait  bon  a  un  autre  qu'a  un  Praiur,  luy  dict  Pericles,  qui  doit  auoir, 
I  non  i  les  mains  sulenmnt,  mais  aussi  les  veus  chastes. 

Tf.xti;  88.  —  2)  enceintes,  comme  elle  Hiict  aufll  —  3)  recommencer  :  noble  & 
—  16)  à  la  (iefbauche,  ils  —  17)  participantes  des  excez  de  leurs  appétits  defres^lez 
&  immoderez,   —    19)  obligation  &  ce  refpect.   —  20)   bien  emploiées  à  toutes 

\'ar.  ms.  —  7)  poêle  diseU...  déduit    1°  :  que  Platon   2°  :  de  qui  PJalou 


I.IVKH      I,      CHAPriKl-      XXX.  261 

yElius  Vcrus,  riimpcrcur,  rclpondit  à  la  Icmmc,  comme  clic  le 
plaignoit  dequoy  il  le  lailToit  aller  \  Xamoiir  d'autres  femmes,  qu'il  le 
fiiilbit  par  occafion  confcientieule,  d'autant  que  le  mariage  eftoit  vn 
nom  d'honneur  &  dignité,  non  de  folaftre  &  lalciue  concupisccmc.  Et 
S  nos  àtum  iiiitbciirs  ecclésiastiques  font  aiieq  Ijoiuir  nmnlioii  d'une  [famé]  qui 
répudia  son  mari  pour  ne  uouhir  seconder  ses  trop  lasciues  et  immodérées 
amours.  Il  n'eft  en  lomme  aucune  li  iufte  volupté,  en  laquelle  l'excc/ 
&  l'intempérance  ne  nous  foit  reprochable. 

Mais,  à  parler  en  bon  elcient,  efl-ce  pas  vn  milerable  animal  que 

10     l'homme?  A  peine  elHl  en  fon  pouuoir,  par  l'a  condition  naturelle, 

de  goûter  vn  leul  plaifir  entier  &  pur,  encore  fe  met-il  en  peine  de 

le  retrancher  par  dilcours  :  il  n'eft  pas  afle/  chetif,  fi  par  art  &  par 

cftude  il  n'augmente  la  mifere  : 

Fortunx  miferas  auximus  arte  vias. 

15  La  sagesse  hunuine  faict  lyien  sotlcmant  \J'\ingenieuse  de  s'exercer  [a] 
rabattre  le  nombre  &  Ja]  douceur  des  iiolupte:^  qui  nous  apartieiu')il,  couk 
elle  faict  fauorableiiult  &  iudustrieusemàt  [d'ymploier  ses  artifices  a  nous 
peigner  et  farder  les  maus  &  [en]  alléger  le  sentimant.  Si  l'eusse  esté  chef 
de  part,  l'eusse  pris  autre  uoye,  plus  naturelle,  qui  est  a  dire  uraïe,  commode 

20     &  saincte;  et  nw  fusse  peut  estre  randu  asses  fort  pour  la  borner. 

Quoy  que  nos  médecins  fpirituels  &  corporels,  comme  par 
complot  tait  entre  eux,  ne  trouuent  aucune  voyc  à  la  guerilon,  ny 
remède  aux  maladies  du  corps  &  de  l'ame,  que  par  le  tourment,  la 
douleur  &  la  peine.  Les  veilles,  les  ieufnes,  les  haires,  les  exils 

25  lointains  &  folitaires,  les  priions  perpétuelles,  les  verges  &:  autres 
afflictions  ont  efté  introduites  pour  cela;  mais  en  telle  condition 

Texte  88.  —  i)  femme  fur  ce  propos,  comme  —  2)  .i  l'amitié  d'autres  — 
4)  lafciue  volupté.  Il  n'cft  —  23)  par  le  torment,  la 

Var.  ms. —  5)  nos  autheurs  —  15)  sagesse  fai  —  17)  d'emptoier  d'tmphiei:  ses 
arf  artifices  —  18)  peigner  el  caclier  les  —  19)  autre  route  plus...  urai  et  commode 


262  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

que  ce  lovent  véritablement  afflictions  &  qu'il  y  ait  de  l'aigreur 
poignante;  '&  qu'il  n'en  aduienne  point  comme  à  vn  Gallio,  lequel 
ayant  efté  enuoyé  en  exil  en  l'ifle  de  Leftos,  on  fut  aduerty 
à  Romnie  qu'il  s'y  donnoit  du  bon  temps,  &  que  ce  qu'on  luy 
auoit  enioint  pour  peine,  luy  tournoit  à  commodité  :  parquoy  ils  5 
fe  rauiferent  de  le  rappeler  près  de  fa  femme  &  en  fa  maifon,  &  luy 
ordonnèrent  de  s'y  tenir,  pour  accommoder  leur  punition  à  fon 
reffentiment.  Car  à  qui  le  ieufne  aiguiferoit  la  fanté  &  l'alegrefle, 
à  qui  le  poiffon  feroit  plus  appetiffant  que  la  chair,  ce  ne  feroit  plus 
recepte  falutaire;  non  plus  qu'en  l'autre  médecine  les  drogues  10 
n'ont  point  d'effect  à  l'endroit  de  celuy  qui  les  prend  auec  appétit 
&  plaifir.  L'amertume  &  la  difficulté  font  circonftances  feruants 
à  leur  opération.  Le  naturel  qui  accepteroit  la  rubarbe  comme 
familière,  en  corromproit  l'vfage  :  il  faut  que  ce  loit  chofe  qui  blefle 
noftre  eftomac  pour  le  guérir;  &  icy  faut  la  règle  commune,  que  les  15 
chofes  fc  gueriffent  par  leurs  contraires,  car  le  mal  y  guérit  le  mal. 
Cette  impreffion  fe  raporte  aucunement  à  cette  autre  fi  ancienne, 
de  penfer  gratifier  au  Ciel  &  à  la  nature  par  noftre  maifacre  &  homi- 
cide, qui  fut  vniuerfellement  embraflee  en  toutes  religions.  Encore  du 
temps  [del  nos  pères,  Amurat,  en  [la]  prinse  de  l'Istme,  immola  six  cens  20 
iunes  Immes  grecs  a  l'ame  de  son  père,  affin  que  ce  sang  seruit  de  propiiiafion 
a  l'expiation  des  pèches  du  trespassé.  Et  en  ces  nouuelles  terres,  del- 
couuertes  en  noftre  aage,  pures  encore  &  vierges  au  pris  des  noftres, 
l'vfage  en  eft  aucunement  receu  par  tout  :  toutes  leurs  Idoles 
s'abreuuent  de  fang  humain,  non  fans  diuers  exemples  d'horrible  25 
cruauté.  On  les  brûle  vifs,  &,  demy  rôtis,  on  les  retire  du  brafier 
pour  leur  arracher  le  cœur  &  les  entrailles.  A  d'autres,  voire  aux 
femmes,  on  les  efcorche  vifues,  &  de  leur  peau  ainfi  fanglante  en 


Texte  88.  —  4)  ce  que  l'on  luy  —  7)  leur  chafticment  à  —    11)   auec  gouft  & 
•  19)  religions.  Car  en  ces 

\'ar.  ms.  —  21)  rt  l'omhre  de...  sang  luy  sentit  de propitiatiou  et  a 


LIVRE     I,      CHAPITRF.     XXX.  265 

rcucft  on  &  mafque  d'autres.  Et  non  moins  d'exemples  de  confiance 
is;  refolution.  Car  ces  pauures  gens  facrifiablcs,  vieillars,  femmes, 
enfans,  vont,  quelques  iours  auant,  queftant  eux  mefme  les  aumofnes 
pour  l'offrande  de  leur  facrifice,  &  fe  prefentent  à  la  boucherie 
5  chantans  &  dançans  auec  les  affiftans.  Les  ambaffadeurs  du  Roy  de 
Mexico,  faifant  entendre  à  Fernand  Cortez  la  grandeur  de  leur 
maiftre,  après  luy  auoir  dict  qu'il  auoit  trente  vaffaux,  defquels 
chacun  pouuoit  affembler  cent  mille  combatans,  &  qu'il  fe  tenoit  en 
la  plus  belle  &  forte  ville  qui  fut  foubs  le  ciel,  luy  adioufterent 

10  qu'il  auoit  à  facrifier  aux  Dietix  cinquante  mille  hommes  par  an. 
De  vray,  ils  difent  qu'il  nourriffoit  la  guerre  auec  certains  grands 
peuples  voifms,  non  feulement  pour  l'exercice  de  la  ieuneffe  du 
païs,  mais  principallement  pour  auoir  dequoy  fournir  à  fes  facrifices 
par  des  prifonniers  de  guerre.  Ailleurs,  en  certain  bourg,  pour  la 

15  bien  venue  du  dit  Cortez,  ils  facrifierent  cinquante  hommes  tout 
à  la  fois.  le  diray  encore  ce  compte.  Aucuns  de  ces  peuples,  ayants 
efté  batuz  par  luy,  enuoyerent  le  recognoillre  &  rechercher  d'amitié; 
les  meffagers  luy  prefenterent  trois  fortes  de  prefens,  en  cette 
manière  :  Seigneur,  voyla  cinq  efclaues;  fi  tu  es  vn  Dieu  fier,  qui  te 

20  paiffes  de  chair  &  de  fang,  mange  les,  &  nous  t'en  amerrons  d'auan- 
tage;  fi  tu  es  vn  Dieu  débonnaire,  voyla  de  l'encens  &  des  plumes; 
fi  tu  es  homme,  prens  les  oileaux  &  les  fruicts  que  voicy. 


Chapitre   XXXL 


DES   CANNIBALES. 


Quand  le  Rov  Pvrrhus  pafla  en  Italie,  après  qu'il  eut  reconneu 
l'ordonnance  de  l'armée  que  les  Romains  luy  enuovoient  au  deuant  : 
le  ne  fçay,  dit-il,  quels  barbares  font  ceux-ci  (car  les  Grecs 
appelloyent  ainsi  toutes  les  nations  eftrangieres),  mais  la  difpofition 
de  cette  armée  que  ie  voy,  n'eft  aucunement  barbare.  Autant  en  5 
dirent  les  Grecs  de  celle  que  Flaminius  fit  palTer  en  leur  païs,  et 
Philippiis,  ndiant  d'un  tertre  l'ordre  et  distribution  du  camp  Romein  en 
[son'\  roxaume,  sous  Puhlius  Sulpicius  Galba.  Voyla  comment  il  fe  faut 
garder  de  s'atachcr  aux  opinions  vulgaires,  &  les  faut  iuger  par  la 
voye  de  la  raifon,  non  par  la  voix  commune.  10 

l'ay  eu  long  temps  auec  moy  vn  homme  qui  auoit  demeuré  dix 
ou  douze  ans  en  cet  autre  monde  qui  a  efté  defcouuert  en  nofl:re 
fiecle,  en  l'endroit  où  Vilegaignon  print  terre,  qu'il  furnomma 
la  France  Antartique.  Cette  defcouuerte  d'vn  païs  infini  femble  estre 
de  confideration.  le  ne  fçav  fi  ie  me  puis  refpondre  que  il  ne  s'en  15 
face  à  l'aducnir  quelqu'autre,  tant  de  perfonnages/)///.s\<,''/v//;(/.s-  que  nous 
ayans  elle  trompez  en  cette-cy.  l'ay  peur  que  nous  auons  les  yeux 

Texie  88.  ■ —  4)  cftrangiercs  barbares)  mais  —  9)  iuger  les  choies  par  — 
10)  non  de  la  —  i  |)  infini  de  terre  ferme,  l'enible  de  grande  confideration.  — 
16)  tant  de  grands  perfonnages  ayans 

\'ar.   ms.  —  7)  h-tivc  1(1  di!:f>i>!ii 


LIVRE      I,      CHAPITRE     XXXI.  26) 

plus  grands  que  le  ventre,  cl  plus  de  curiofité  que  nous  n  auons  de 
capacité.  Nous  embralTons  tout,  mais  nous  n'étreignons  que  du  vent. 
Platon  introduit  Solon  racontant  auoir  apris  des  Preflres  de  la  ville 
de  Sais  en  ^Egypte,  que,  iadis  6c  auant  le  déluge,  il  v  auoit  vne 
5  grande  Ille,  nommée  Athlantide,  droict  à  la  bouche  du  deftroit  de 
Gibaltar,  qui  tenoit  plus  de  pais  que  l'Afrique  &  l'Afie  toutes  deux 
eniemble,  (b^  que  les  Roys  de  cette  contrée  la,  qui  ne  pofledoient 
pas  leulement  cette  ille,  mais  s'eftoyent  eftendus  dans  la  terre  ferme 
fi  auant  qu'ils  tenovent  de  la  largeur  d'Afrique  iniques  en  ^Egypte, 

10  &  de  la  longueur  de  l'Europe  iniques  en  la  Toicane,  entreprindrent 
d'eniamber  iniques  lur  l'iAlle,  &  lubiuguer  toutes  les  nations  qui 
bordent  la  mer  Méditerranée  iul'ques  au  golfe  de  la. mer  Maiour: 
6c,  pour  cet  effect,  trauerferent  les  Efpaignes,  la  Gaule,  l'Italie,  iufques 
en  la  Grèce,  où  les  Athéniens  les  fouilindrent  :  mais  que,  quelque 

15  temps  après,  &  les  Athéniens,  &  eux,  &  leur  ifle  furent  engloutis 
par  le  déluge.  Il  eft  bien  vray-femblable  que  cet  extrême  rauage 
d'eaux  ait  faict  des  changemens  eftranges  aux  habitations  de  la  terre, 
comme  on  tient  que  la  mer  a  retranché  la  Sycile  d'auec  l'Italie, 

Hœc  loca,  vi  quondam  &  vafta  conuuH'a  ruina, 
20  DiffiluiiTe  ferunt,  cùm  protinus  vtrdque  tellus 

Vna  foret  ; 

Chipre  d'auec  la  Surie,  Fille  de  Negrepont  de  la  terre  terme  de  la 
Bœoce;  &  ioint  ailleurs  les  terres  qui  efloyent  diuifees,  comblant  de 
limon  &  de  fable  \cs  fosses  d'entre-deux, 

25  fterlHfque  diu  palus  aptdque  remis 

\'icinas  vibes  alit,  &  "rauc  fentit  aratruni. 


Texte  88.  —  i)  ventre,  comme  on  dict,  &  le  dit  on  de  ceux,  aufqucls  l'appétit 
&  la  faim  font  plus  defirer  de  viande,  qu'ils  n'en  peuuent  empocher  :  le  crains  aulTi 
que  nous  auons  beaucoup  plus  de  curiofité  —  2)  mais  ic  crains  que  nous  n'étrei<!;nons 
rien  que  du  —  5)  apris  de  Preflres  —  2  |)  les  foffez  d'entre-deux 


266  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

Mais  il  n'y  a  pas  grande  apparence  que  cette  Ille  loit  ce  monde 
nouueau  que  nous  venons  de  defcouurir  :  car  elle  touchoit  quafi 
l'El'paigne,  &  ce  feroit  vn  effect  incroyable  d 'inundation  de  l'en 
auoir  reculée,  comme  elle  eft,  de  plus  de  douze  cens  lieues;  outre 
ce  que  les  nauigations  des  modernes  ont  des-ja  prefque  delcouuert  5 
que  ce  n'efl  point  vne  ifle,  ains  terre  ferme  &  continente  auec  l'Inde 
orientale  d'vn  cofté,  &  auec  les  terres  qui  font  foubs  les  deux  pôles 
d'autre  part;  ou,  fi  elle  en  eft  feparée,  que  c'eft  d'vn  fi  petit 
deftroit  &  interualle  qu'elle  ne  mérite  pas  d'eftre  nommée  ifle  pour 
cela.  10 

11  femble  qu'il  y  aye  des  mouuemens,  naturds  les  uns,  les  autres 
fieureux,  en  ces  grands  corps,  comme  aux  noftres.  Quand  ie  confldere 
l'impreffion  que  ma  riuiere  de  Dordoigne  faict  de  mon  temps  vers 
la  riue  droicte  de  fa  delcente,  &  qu'en  vingt  ans  elle  a  tant  gaigné, 
&  defrobé  le  fondement  à  plufieurs  baftimens,  ie  vois  bien  que  c'eft  15 
vne  agitation  extraordinaire  :  car,  fi  elle  tut  toufiours  allée  ce  train, 
ou  deut  aller  à  l'aduenir,  la  figure  du  monde  feroit  renuerfée.  Mais 
iMeur  prend  des  changements  :  tantoft  elles  s'efpendent  d'vn  cofté, 
tantoft  d'vn  autre;  tantoft  elles  fe  contiennent.  le  ne  parle  pas  des 
foudaines  inondations  de  quoy  nous  manions  les  caules.  En  Medoc,  20 
le  long  de  la  mer,  mon  frère,  Sieur  d'Arfac,  voit  vne  fiene  terre 
enfeuelie  foubs  les  fables  que  la  mer  vomit  deuant  elle;  le  fefte 
d'aucuns  baftimens  paroift  encore;  fes  rentes  &  domaines  fe  font 
éfchangez  en  pafquages  bien  maigres.  Les  habitans  difent  que, 
depuis  quelque  temps,  la  mer  fe  pouffe  fi  fort  vers  eux  qu'ils  ont  25 
perdu  quatre  lieues  de  terre.  Ces  fiibles  font  fes  fourriers  :  et  uoions 
des  gniiulcs  inoiiioies  d'areiie  mou uu nie,  qui  iiuireheiil  d'une  demi  lieue 
dauant  elle,  el  indignent  païs. 


Texik  88.  —   II)  niouucniens  maladifs  &  lifurcux  —  26)  terre,  &  marche  ainfi  : 
ces  fables 

Yak.   ms.  —  26)  uoions  de  granâcs  —  27)  d'iiifiic  qui  marchent  ihmaiU  elle 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XXXI.  267 

L'autre  tefmoignage  de  l'antiquité,  auquel  on  veut  raportcr  cette 
delcouuerte,  ell;  dans  Ariltote,  au  moins  li  ce  petit  liuret  des  mcrueilles 
inouies  eft  à  luy.  Il  raconte  là  que  certains  Carthaginois,  s'eilant  iettez 
au  trauers  de  la  mer  Athlantique,  hors  le  deftroit  de  Gibaltar, 
5  &  nauigué  long  temps,  auoient  delcouuert  en  fin  vne  grande  ifle 
fertile,  toute  reueftuë  de  bois  &  arroufée  de  grandes  &  profondes 
riuieres,  fort  efloignée  de  toutes  terres  fermes;  6c  qu'eux,  &  autres 
dépuis,  attirez  par  la  bonté  &  fertilité  du  terroir,  s'y  en  allèrent  auec 
leurs  femmes  &  enfans,  &  commencèrent  à  s'y  habituer.  Les  Seigneurs 

10  de  Carthage,  voyans  que  leur  pays  fe  dépeuploit  peu  à  peu,  firent 
deffence  exprefle,  fur  peine  de  mort,  que  nul  n'eut  plus  à  aller  là, 
&  en  chaflerent  ces  nouueaux  habitans,  craignants,  à  ce  que  l'on 
dit,  que  par  fucceflion  de  temps  ils  ne  vinfent  à  multiplier  tellement 
qu'ils  les  fupplantaffent  eux  mefmes,  &  ruinaffent  leur  eftat.  Cette 

15     narration  d'Ariftote  n'a  non  plus  d'accord  auec  nos  terres  neufues. 

Cet  homme  que  i'auoy,  efloit  homme  fimple  &  groflier,  qui  eft 

vne  condition  propre  à  rendre  véritable  tefmoignage  :  car  les  fines 

gens  remarquent  bien  plus  curieufement  &  plus  de  chofes,  mais  ils 

les  glofent;  &,  pour  faire  valoir  leur  interprétation  &  la  perfuader, 

20  ils  ne  fe  peuuent  garder  d'altérer  vn  peu  l'Hiftoire  :  ils  ne  vous 
reprefentent  iamais  les  chofes  pures,  ils  les  inclinent  &  mafqucnt  félon 
le  vifage  qu'ils  leur  ont  veu;  &,  pour  donner  crédit  à  leur  iugement 
&  vous  y  attirer,  preftent  volontiers  de  ce  cofté  la  à  la  matière, 
l'alongent  &  l'amplifient.  Ou  il  faut  vn  homme  tres-fidelle,  ou  fi 

25  fimple  qu'il  n'ait  pas  dequoy  baftir  &  donner  de  la  vray-femblance 
à  des  inuentions  fauces;  &  qui  n'ait  rien  cfpoufé.  Le  mien  eftoit  tel; 
&,  outre  cela,  il  m'a  faict  voir  à  diuerfes  fois  plufieurs  matelots 
&  marchans  qu'il  auoit  cogneuz  en  ce  voyage.  Ainfi  ie  me  contente 
de  cette  information,  fiins  m'enquerir  de  ce  que  les  colmographes 

30     en  difent. 

Il  nous  faudroit  des  topographes  qui  nous  filîent  narration  parti- 
culière des  endroits  où  ils  ont  efté.  Mais,  pour  auoir  cet  auantagc 


208  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

fur  nous  d'auoir  veu  la  Paleftine,  ils  veulent  ioiiir  de  ce  priuilege  de 
nous  conter  nouuelles  de  tout  le  demeurant  du  monde.  le  voudroy 
que  chacun  elcriuit  ce  qu'il  fçait,  &  autant  qu'il  en  içait,  non  en  cela 
feulement,  mais  en  tous  autres  fubiects  :  car  tel  peut  auoir  quelque 
particulière  fcience  ou  expérience  de  la  nature  d'vne  riuiere  ou  d'vnc  5 
fontaine,  qui  ne  fçait  au  refte  que  ce  que  chacun  fçait.  Il  entreprendra 
toutes-fois,  pour  faire  courir  ce  petit  lopin,  d'efcrire  toute  la  phyfique. 
De  ce  vice  fourdent  plufieurs  grandes  incommoditez. 

Or  ie  trouue,  pour  reuenir  à  mon  propos,  qu'il  n'y  a  rien  de 
barbare  &  de  lauuage  en  cette  nation,  à  ce  qu'on  m'en  a  rapporté,     10 
finon  que  chacun  appelle  barbarie  ce  qui  n'eft  pas  de  Ion  vfage; 
comme  de  vrav  il  femble  que  nous  n'auons  autre  mire  de  la  vérité 
&  de  la  raifon  que  l'exemple  &  idée  des  opinions  &  vûinces  du  païs 
où  nous  fommes.  La  cil  touliours  la  parfaictc  religion,  la  parfoicte 
police,  perfect  &  accomply  vlage  de  toutes  choies.  Ils  lont  iauuages,     15 
de  mefmes  que  nous  appelions  Iauuages  les  fruicts  que  nature,  de  foy 
&  de  fon  progrez  ordinaire,  a  produicts  :  là  où,  à  la  vérité,  ce  font 
ceux  que  nous  auons  altérez  par  noftre  artifice  &  détournez  de  l'ordre 
commun,  que  nous  deurions  appeller  plutoft  Iauuages.  En  ceux  là 
font  viues  &  vigoureuies  les  vrayes,  &  plus  vtiles  liic  naturelles  vertus     20 
&  proprietez,  lefquelles  nous  auons  abaftardies  en  ceux-cy,  &  les 
auons  feulement  accommodées  au  plaifir  de  noftre  gouft  corrompu. 
Et  si  pourtant  la  saiicur  mesiiie  et  delieatesse  se  trémie  a  mstre  goût 
excellante,  a  Venui  des  nosires,  en  diuers  fruits  de  ces  contrées  la,  sans 
culture.  Ce  n'eft  pas  raifon  que  l'art  gaigne  le  point  d'honneur  fur     25 
noftre  grande  &  puiftante  mère  nature.  Nous  auons  tant  rechargé 
la  beauté  &  richefte  de  fes  ouurages  par  nos  inuentions,  que  nous 
l'auons  du  tout   eftouff^ée.   Si   eft-ce  que,  par  tout  où   la  pureté 


Texte  88.  ■ —  i)  veulent  auoir  ce  —  12)  autre  touche  de 

Var.  ms. —  22)  coxrom^M  :  et  ta  fa  saueur  —   25)  liriiiw  sans  nrl  &  sans  culture, 
se  tienne  excellante...  eiî  pi  fruits  des  ces  contrées  la.  Ce  n'eft  pas 


I.IVRK      I,      CHAIMTRI:      XXXI.  269 

reluit,  L'Ile  tait  vnc  nierueillculc  honte  à  nos  vaines  &  triuoles 
entreprinles, 

Et  veniunt  cdenv  fponte  fua  melius, 
Surgit  &  in  folis  formoilor  arbutus  antris, 
5  Et  volucres  nulla  dulcius  arte  canuiit. 

Tous  nos  efforts  ne  peuuent  feulement  arriuer  à  reprefenter  le  nid 
du  moindre  oyfelet,  fa  contexture,  fa  beauté  &  l'vtilité  de  fon  vlage, 
non  pas  la  tiflure  de  la  chetiue  araignée.  Toutes  choses,  liicl  Platon, 
sont  produites  par  la  nature,  ou  par  la  fortune,  ou  par  l'art;  les  plus 

10  faraudes  et  plus  belles,  par  l'une  ou  l'autre  des  deus  premières;  les  moindres 
et  imparfaictes,  par  la  dernière. 

Ces  nations  me  femblent  donq.  ainfi  barbares,  pour  auoir  rcceu 
fort  peu  de  foçon  de  l'efprit  humain,  &  élire  encore  fort  voifmes  de 
leur  naifueté  originelle.  Les  loix  naturelles  leur  commandent  encores, 

15  fort  peu  abaftardies  par  les  noflres;  mais  c'eft  en  telle  pureté,  qu'il 
me  prend  quelque  fois  defplaifir  dequoy  la  cognoifllmce  n'en  foit 
venue  plutoft,  du  temps  qu'il  v  auoit  des  hommes  qui  en  euffent 
fceu  mieux  iuger  que  nous.  Il  me  defplait  que  Licurgus  &  Platon 
ne  l'ayent  eue;  car  il  me  femble  que  ce  que  nous  voyons  par  expe- 

20  rience  en  ces  nations  la,  furpafle,  non  feulement  toutes  les  peintures 
dequoy  la  poëfie  a  embelly  l'âge  doré,  &  toutes  ses  inuentions 

Texte  88.  —  8)  chetiue  &  vile  araignée. 

V'ar.  ms.  —  8)  cIjoscs  i°  :  selon  Platon  produites  2°  :  selon  eei^*  rédaction  iiuchevce. 
3»  :  dit  Platon  sont  produites  4°  :  selon  Platon  sont  5"  :  dict  Platon  sont  —  9)  nature 
la  fortune  ou  l'art  —  10)  belles  choses  sont  produises  par  l'une...  premières  ca  uses  les 
moindres  et  moins  parfaictes  par  l'art.  Ces  nations 

'  Cer  lecture  Jouteuse.  Ce  pass.agc  est  pris  aux  Lois  (888  1;).  La  tr.iduction  de  Marsilc  l'icin,  dont 
Montaigne  s'est  ser\i,  porte  dans  la  marge  :  »  Iles  onines  vel  natura  vcl  fortuna  vel  arte  fieri  »  ;  Montaigne 
.ittribue  cette  pensée  à  Platon,  et  écrit  :  Selon  Platon.  Mais,  en  se  reportant  au  texte,  il  s'aperçoit  que 
cette  pensée  est  attribuée  par  Platon  lui-même  .i  d'autres  sages.  «  Res  omnes  nonnuUi  aïunt  ■>,  etc.,  et  plus 
loin  «  non  absurdum  est  viros  sapientes  probe  dixisse  ».  Il  rectifie  donc  sa  preniiire  formule,  efface  le  nom 
de  Platon  pour  le  remplacer  par  un  équivalent  de  .  nonnulli  •  et  de  •  viros  sapientes»,  probablement 
par  :  Certains  fages  ;  mais  il  se  ravise,  et,  sur  le  mot  commencé,  il  met  en  surcharge  dit  ()•  variante). 


270  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

à  feindre  vne  heureufe  condition  d'hommes,  mais  encore  la  concep- 
tion &  le  defir  mefme  de  la  philofophie.  Ils  n'ont  peu  imaginer  vne 
nayfueté  fi  pure  &  fimple,  comme  nous  la  voyons  par  expérience; 
ny  n'ont  peu  croire  que  noftre  focieté  fe  peut  maintenir  auec  fi  peu 
d'artifice  &  de  foudeure  humaine.  C'efl;  vne  nation,  diroy  ie  à  Platon,  5 
en  laquelle  il  n'y  a  aucune  efpece  de  trafique;  nulle  cognoiflance  de 
lettres;  nulle  fcience  de  nombres;  nul  nom  de  magiftrat,  ny  de 
fuperiorité  politique;  nul  usage  de  feruice,  de  richefle  ou  de  pauureté; 
nuls  contrats;  nulles  fijcceflions;  nuls  partages;  nulles  occupations 
qu'oyfiues;  nul  refpect  de  parenté  que  commun;  nuls  vefl;emens;  10 
nulle  agriculture;  nul  métal;  nul  vfage  de  vin  ou  de  bled.  Les  paroles 
mefmes  qui  fignifient  la  menfonge,  la  trahifon,  la  diflîmulation, 
l'auarice,  l'enuie,  la  detraction,  le  pardon,  inouies.  Combien  trouue- 
roit  il  la  republique  qu'il  a  imaginée,  efloignée  de  cette  perfection  : 
«  uiri  a  dijs  récentes  ».  15 

Hos  natura  modos  primum  dédit. 

.  Au  demeurant,  ils  viuent  en  vne  contrée  de  pais  tres-plaifante 
&  bien  tempérée  :  de  façon  qu'à  ce  que  m'ont  dit  mes  tefmoings, 
il  efi:  rare  d'y  voir  vn  homme  malade;  &  m'ont  affeuré  n'en  y  auoir 
veu  aucun  tremblant,  chaflieux,  edenté,  ou  courbé  de  vieilleffe.  Ils  20 
font  afiîs  le  long  de  la  mer,  &  fermez  du  cofté  de  la  terre  de  grandes 
&  hautes  montaignes,  ayant,  entre-deux,  cent  lieues  ou  enuiron 
d'eftendue  en  large.  Ils  ont  grande  abondance  de  poiflbn  &  de  chairs 
qui  n'ont  aucune  reflemblance  aux  noflres,  &  les  mangent  fans  autre 
artifice  que  de  les  cuire.  Le  premier  qui  y  mena  vn  cheual,  quoi  qu'il  25 
les  eut  pratiquez  à  plufieurs  autres  voyages,  leur  fit  tant  d'horreur 
en  cette  afliete,  qu'ils  le  tuèrent  à  coups  de  traict,  auant  que  le 
pouuoir  recognoiftre.  Leurs  baftimens  font  fort  longs,  &  capables 
de  deux  ou  trois  cents  âmes,  eftoffez  d'efcorfe  de  grands  arbres, 

Texte    88.  —    8)    nul  gouft  de    —    25)    cheual,  qui  les  auoit  pratiquez    — 
26)  voyages,  il  leur 


LIVRE     I,      CHAIMTRR     XXXI.  27I 

tenans  à  terre  par  vn  bout  &  le  fouftenans  &  appuyans  l'vn  contre 
l'autre  par  le  fefte,  à  la  mode  d'aucunes  de  noz  granges,  defquelles 
la  couuerture  pend  iulques  à  terre,  &  fert  de  flanq.  Ils  ont  du  bois 
fi  dur  qu'ils  en  coupent,  &  en  font  leurs  efpées  &  des  grils  à  cuire 
5  leur  viande.  Leurs  lits  font  d'vn  tiflu  de  coton,  fufpenduz  contre 
le  toict,  comme  ceux  de  nos  nauires,  à  chacun  le  fien  :  car  les  femmes 
couchent  à  part  des  maris.  Ils  fe  leuent  auec  le  foleil,  &  mangent 
foudain  après  s'eflre  leuez,  pour  toute  la  iournée;  car  ils  ne  font 
autre  repas  que  celuy  là.  Ils  ne  boyuent  pas  lors,  comme'  Suidas 

10  dict  de  quelques  autres  peuples  d'Orient,  qui  beuuoient  hors  du 
manger;  ils  boiuent  à  plufieurs  fois  fur  iour,  &.  d'autant.  Leur 
breuuage  efl  faict  de  quelque  racine,  &  efl  de  la  couleur  de  nos  vins 
clairets.  Ils  ne  le  boyuent  que  tiède  :  ce  breuuage  ne  fe  conferue  que 
deux  ou  trois  iours;  il  a  le  gouft  vn  peu  piquant,  nullement  fumeux, 

15  falutaire  à  l'eftomac,  &  laxatif  à  ceux  qui  ne  l'ont  accoullumé;  c'eft 
vne  boiflbn  tres-agreable  â  qui  y  est  duit.  Au  lieu  du  pain,  ils  usent 
d'vne  certaine  matière  blanche,  comme  du  coriandre  confit.  l'en  ay 
tafté  :  le  gouft  en  est  doux  &  vn  peu  fiide.  Toute  la  iournée  fe 
pajffe  à  danccr.  Les  plus  ieunes  vont  à  la  chafle  des  beftes  à  tout 

20  des  arcs.  Vne  partie  des  femmes  s'amufent  cependant  à  chauffer  leur 
breuuage,  qui  eft  leur  principal  office.  Il  y  a  quelqu'vn  des  vieillars 
qui,  le  matin,  auant  qu'ils  fe  mettent  à  manger,  prefche  en  commun 
toute  la  grangée,  en  fe  promenant  d'vn  bout  à  autre,  &  redifant 
vne  mefme  claufe  à  plufieurs  fois,  iufques  à  ce  qu'il  ayt  acheué  le 

25  tour  (car  ce  font  baftimens  qui  ont  bien  cent  pas  de  longueur).  Il  ne 
leur  recommande  que  deux  chofes  :  la  vaillance  contre  les  ennemis 
is;  l'amitié  à  leurs  femmes.  Et  ne  faillent  iamais  de  remerquer  cette 

Texte  88.  —  5)  flanq  &  du  paroy.  Ils  —  4)  dur  &  li  ferme  qu'ils...  à  cuyure 
leur  —  15)  boyuent  pas  que  —  15)  l'ont  guiere  accouftunié  —  16)  tres-agreable 
à  ceux  qui  y  font  duits.  Au...  ils  mangent  d'vne  —  18)  tafté,  il  a  le  gouft  doux  — 
2!)  qui  eft  le  principal  office  qu'ils  reçoiuent  d'elles.  Il  y  a 

'    comme...  liors  du  manger  addition  de  1588. 


2-j2  ESSAIS      DE      .MOXTAIGXE. 

obligation,  pour  leur  refrein,  que  ce  l'ont  elles  qui  leur  maintiennent 
leur  boiflbn  tiède  &  alTailbnnée.  Il  ie  void  en  plufieurs  lieux,  &  entre 
autres  chez  moy,  la  forme  de  leurs  lits,  de  leurs  cordons,  de  leurs 
efpées  &  braflelets  de  bois  dequoy  ils  couurent  leurs  poignets  aux 
combats,  &  des  grandes  cannes,  ouuertes  par  vn  bout,  par  le  Ion  5 
defquelles  ils  fouftiennent  la  cadance  en  leur  dancer.  Ils  font  ras 
par  tout,  &  fe  font  le  poil  beaucoup  plus  nettement  que  nous,  lans 
autre  ralbuër  que  de  bois  ou  de  pierre.  Ils  croyent  les  âmes  éternelles, 
&  celles  qui  ont  bien  mérité  des  dieux,  élire  logées  à  l'endroit  du 
ciel  où  le  foleil  fe  leue;  les  maudites,  du  collé  de  l'Occident.  10 

Ils  ont  ie  ne  fçay  quels  preflres  .:>c  prophètes,  qui  le  prelentent 
bien  rarement  au  peuple,  ayant  leur  demeure  aux  montaignes. 
A  leur  arriuée  il  le  faict  vne  grande  felle  6c  affemblée  folennelle  de 
plufieurs  \ilages  (chaque  grange,  comme  ie  l'ay  delcrite,  faict  vn 
vilage,  &  font  enuiron  à  vne  lieuë  Françoile  l'vne  de  l'autre).  Ce  15 
prophète  parle  à  eux  en  public,  les  exhortant  à  la  vertu  &  à  leur 
deuoir;  mais  toute  leur  fcience  éthique  ne  contient  que  ces  deux 
articles,  de  la  relblution  à  la  guerre  &  affection  à  leurs  femmes. 
Cettuy-cv  leur  prognoflique  les  chofes  à  venir  &  les  euenemens 
qu'ils  doiuent  efperer  de  leurs  entreprinfes,  les  achemine  ou  dellourne  20 
de  la  guerre  ;  mais  c'ell  par  tel  si  que,  ou  il  fout  à  bien  deuiner,  &  s'il 
leur  adulent  autrement  qu'il  ne  leur  a  prédit,  il  eil  haché  en  mille 
pièces  s'ils  l'attrapent,  &  condamné  pour  faux  prophète.  A  cette 
caufe,  celuy  qui  s'eft  vne  fois  mefconté,  on  ne  le  void  plus. 

C'est  don  de  dieu  que  \]a\  diuimtiou  :  uoih  pourquoi  ce  deuroit  estrc  une    25 
imposture  punissable,  \d'^en  abuser.  Entre  les  Scythes,  quand  les  diuins 
auoinl  failli  de  rencontre,  [on']  les  couchoit,  enforgei  [de]  pieds  et  de  mains, 
sur  des  eharriotes  pleines  de  brniere,  tirées  par  des  beufs,  en  quoi  on 
les  faisoit  brûler.  Cens  qui  manient  les  choses  sulnecies  |  a']  la  conduite  de 

TiATK  S8.  —  21)  c'uft  11  uUc  condition,  que  s'il  faul 

\'ar.  ms.  —  26)  Scythes  u  —  27)  triiamhr  [ils]  les  couchoiiil  ciifoigci  —  28)  hciifs 
a  quoi  ou  mcUoU  le  ftu 


LlVRi:      I,      CHAPITRE      XXXI.  275 

l'hiinuiiih'  suffisance,  sont  exriisitblcs  \d\'y  faire  ce  qu'ils  peuueiit.  Mais  ces 
autres,  qui  nous  uiencnt  pipant  des  assurances  d'une  faculté  exiraordiuere 
qui  est  hors  de  nostre  conoissance,  faut  [il]  pas  les  punir  de  ce  qu'ils  ne 
uuiintienent  l'effaict  de  leur  promesse,  et  de  la  témérité  de  leur  imposture! 
S  Ils  ont  leurs  guerres  contre  les  nations  qui  l'ont  au  delà  de  leurs 
montaignes,  plus  auant  en  la  terre  ferme,  aulquelles  ils  vont  tous 
nuds,  n'ayant  autres  armes  que  des  arcs  ou  des  efpées  de  bois, 
apointées  par  vn  bout,  à  la  mode  des  langues  de  nos  elpieuz.  C'eft 
chofe  efmerueillable  que  de  la  fermeté  de  leurs  combats,  qui  ne 

10  finilTcnt  iamais  que  par  meurtre  &:  effufion  de  fang;  car,  de  routes 
&  d'effroy,  ils  ne  fçauent  que  c'eft.  Chacun  raporte  pour  fon  trophée 
la  tefte  de  l'ennemy  qu'il  a  tué,  &  l'attache  à  l'entrée  de  fon  logis. 
Apres  auoir  longtemps  bien  traité  leurs  prifonniers,  &  de  toutes 
les  commoditez  dont  ils  fe  peuuent  auifer,  celuy  qui  en  ell;  le 

15  maiftre,  faict  vnc  grande  affemblée  de  fes  cognoiflans  :  il  attache 
vne  corde  à  l'vn  des  bras  du  prifonnier,  par  le  bout  de  la  quelle  il  le 
tient,  eslouignê  de  quelques  pas,  de  peur  d'en  estre  offancé,  &  donne  au 
plus  cher  de  fes  amis  l'autre  bras  à  tenir  de  mefme;  &  eux  deux,  en 
prefence  de  toute  l'aflemblée,  l'aflbmment  à  coups  d'efpée.  Cela  faict, 

20  ils  le  roftifîent  &  en  mangent  en  commun  &  en  enuoient  des  lopins 
à  ceux  de  leurs  amis  qui  font  abfens.  Ce  n'eft  pas,  comme  on  penfe, 
pour  s'en  nourrir,  ainfi  que  fiiifoient  anciennement  les  Scythes  :  c'eft 
pour  représenter  vne  extrême  vengeance.  Et  qu'il  foit  ainiî,  ayant 
apperceu  que  les  Portuguois,  qui  s'eftoient  r'alliez  à  leurs  aduertaires, 

25  vfoient  d'vne  autre  forte  de  mort  contre  eux,  quand  ils  les  prenoient, 
qui  eftoit  de  les  enterrer  iufques  à  la  ceinture,  &  tirer  au  demeurant 
du  corps  force  coups  de  traict,  «Se  les  pendre  après  :  ils  pcnferent  que 
CCS  gens  icy  de  l'autre  monde,  comme  ceux  qui  auoyent  femé  la 
connoiftancc  de  beaucoup   de  vices  parmy  leur  voiftnage,  &  qui 

Texte  88.  —  18)  plus  fidellc  de  —  19)  cfpcc.  Apres  cela,  ils 
Var.   ms.  —  2)  pipant  ila  promesses  'et'  assuraiiees  —  3)  punir  s'ils 


274  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

cftoient  beaucoup  plus  grands  maiftres  qu'eux  en  toute  forte  de 
malice,  ne  prenoient  pas  fans  occafion  cette  iorte  de  vengeance, 
&  qu'elle  deuoit  eftre  plus  aigre  que  la  leur,  commencèrent'  de  quitter 
leur  façon  ancienne  pour  fuiure  cette-cy.  le  ne  fuis  pas  marry  que 
nous  remerquons  l'horreur  harbarefque  qu'il  v  a  en  vne  telle  action,  5 
mais  ouy  bien  dequoy,  iugeans  bien  de  leurs  foutes,  nous  foyons  fi 
aueuglez  aux  noftres.  le  penfe  qu'il  y  a  plus  de  barbarie  à  manger 
vn  homme  viuant  qu'à  le  manger  mort,  à  defchirer,  par  tourmens 
&  par  geénes,  vn  corps  encore  plein  de  fentiment,  le  faire  roftir  par 
le  menu,  le  faire  mordre  &  meurtrir  aux  chiens  &  aux  pourceaux  10 
(comme  nous  l'auons,  non  feulement  leu,  mais  veu  de  treiche 
mémoire,  non  entre  des  ennemis  anciens,  mais  entre  des  voifins 
&  concitovens,  &,  qui  pis  eft,  fous  prétexte  de  pieté  &  de  religion), 
que  de  le  roftir  &  manger  après  qu'il  eft  trefpalTé. 

Chryfippus  &  Zenon,  chefs  de  la  fecte  Stoicque,  ont  bien  penfé  15 
qu'il  n'y  auoit  aucun  mal  de  fe  feruir  de  noftre  charoigne  à  quoy 
que  ce  fut  pour  noftre  befoin,  &  d'en  tirer  de  la  nourriture  :  comme 
nos  anceftres,  eftans  aftiegez  par  Caviar  en  la  ville  de  Alexia,  fe 
refolurent  de  fouftenir  la  faim  de  ce  fiege  par  les  corps  des  vieillars, 
des  femmes  &  autres  perfonnes  inutiles  au  combat.  20 

Vafcones,  fama  efi:,  alimentis  talibus  vfi 
Produxere  animas. 

Et  les  médecins  ne  craignent  pas  de  s'en  feruir  à  toute  lortc  d'viage  pour 
noftre  fanté,  foit  pour  l'appliquer  au  dedans,  ou  au  dehors;  mais  il  ne 
se  trouua  iamais  aucune  opinion  fi  defreglée  qui  excufat  la  trahiion,  25 
la  defloyauté,  la  tyrannie,  la  cruauté,  qui  font  nos  fautes  ordinaires. 
Nous  les  pouuons  donq  bien  appcllcr  barbares,  eu  efgard  aux 
règles  de  la  raifon,  mais  non  pas  eu  clgard  à  nous,  qui  les  lurpaft"ons 

Texte  88.  —  20)  &  loulcs  nulrcs  —  24)  ne  s'y  trouua 

'     l-'édition  de  ij9;  iIoiiik-  :   dont  ils  ConiIlK'ncclL'lU 


LIVRH      1,      CHAIMTRH      XXXI.  275 

en  toute  forte  de  barbarie.  Leur  guerre  eft  toute  noble  &  genercufe, 
&  a  autant  d'excufe  &  de  beauté  que  cette  maladie  humaine  en  peut 
receuoir  :  elle  n'a  autre  fondement  parmy  eux  que  la  feule  ialoufie 
de  la  vertu.  Ils  ne  font  pas  en  débat  de  la  conquefte  de  nouuelles 
5  terres,  car  ils  iouyifent  encore  de  cette  vberté  naturelle  qui  les 
fournit  fans  trauail  &  fans  peine  de  toutes  chofes  neccflaires,  en 
telle  abondance  qu'ils  n'ont  que  faire  d'agrandir  leurs  limites.  Ils 
font  encore  en  cet  heureux  point,  de  ne  defirer  qu'au  tant  que  leurs 
neceffitez  naturelles  leur  ordonnent  :  tout  ce  qui  eft  au  delà,  eft 

10  fuperflu  pour  eux.  Ils  s'entr'appellent  généralement,  ceux  de  mcfme 
aage,  frères;  enfans,  ceux  qui  font  au  deffoubs;  &  les  vieillards  font 
pères  à  tous  les  autres.  Ceux-cy  laiflent  à  leurs  héritiers  en  commun 
cette  pleine  pofleflion  de  biens  par  indiuis,  lans  autre  titre  que  celuy 
tout  pur  que  nature  donne  à  fes  créatures,  les  produifant  au  monde. 

15  Si  leurs  voiftns  pafl'ent  les  montaignes  pour  les  venir  affaillir,  &  qu'ils 
emportent  la  victoire  fur  eux,  l'acqueft  du  victorieux  c'eft  la  gloire, 
&  l'auantage  d'eftre  demeuré  maiftre  en  valeur  &  en  vertu  :  car 
autrement  ils  n'ont  que  fiire  des  biens  des  vaincus,  &  s'en  retournent 
à  leur  pays,  où  ils  n'ont  faute  de  aucune  chofe  necefliiire,  ny  faute 

20  encore  de  cette  grande  partie,  de  fçauoir  heureufement  iouyr  de  leur 
condition  &  s'en  contenter.  Autant  en  font  ceux-cy  à  leur  tour.  Ils 
ne  demandent  à  leurs  prifonniers  autre  rançon  que  la  confefllon 
&  recognoiflance  d'eftre  vaincus;  mais  il  ne  s'en  trouue  pas  vn,  en 
tout  vn  fiecle,  qui  n'ayme  mieux  la  mort  que  de  relalcher,  ny  par 

25  contenance,  ny  de  parole,  vn  feul  point  d'vne  grandeur  de  courage 
inuincible  :  il  ne  s'en  void  aucun  qui  n'ayme  mieux  eftre  tué 
&  mangé,  que  de  requérir  feulement  de  ne  l'eftre  pas.  Ils  les  traictent 
en  toute  liberté,  affin  que  la  vie  leur  foit  d'autant  plus  chère;  &  les 
entretiennent  communément  des  menaftcs  de  leur  mort  future,  des 


Texte  88.  —  19)  de  nulle  chofe  —  28)   liberté,  &  leur  fournifTcnt  de  toutes  les 
commoditcz,  dequoy  ils  fe  peuuent  aduifer,  aflin 


276  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

tOLirmens  qu'ils  y  auront  à  l'ouffrir,  des  apprcfts  qu'on  drefle  pour 
cet  cffect,  du  detranchement  de  leurs  membres,  è;^  du  teftin  qui  le 
fera  à  leurs  defpens.  Tout  cela  le  faict  pour  cette  feule  lin  d'arracher 
de  leur  bouche  quelque  parole  molle  ou  rabaiflee,  ou  de  leur  donner 
enuie  de  s'en  fuyr,  pour  gaigner  cet  auantage  de  les  auoir  elpouuantez,  5 
&  d'auoir  taict  force  à  leur  confiance.  Car  auflî,  à  le  bien  prendre, 
c'eft  en  ce  feul  point  que  conlifte  la  vrave  victoire  : 

iiictoria  nu  lia  csl 
Ouaiii  quœ  confessas  an'nno  quoque  suhiugat  hosics. 

Les  Hoiif^irs,  ircshclUqucus  conihahvis,  ne  poiirsiiiuoint  idâis  leur  pointe,     10 
outre  auoir  reudu  l'cueiui  a  leur  uwrei.  Car,  eu  aiaut  arraehe  eette  eoiijessiou, 
ils  le  Jaissoiut  aller  sans  offauee,  sans  rançon,  sauf,  pour  le  plus,  d'eu  tirer 
parole  de  ne  s'arnuv  des  lors  en  auant  contre  eus. 

Asses  r/'auantages  gaignons  nous  fur  nos  ennemis,  qui  lont  auan- 
tages  empruntez,  non  pas  noftres.  C'eft  la  qualité  d'vn  portefaix,  non  15 
de  la  vertu,  d'auoir  les  bras  &  les  iambes  plus  roides;  c'eft  vne 
qualité  morte  &  corporelle  que  la  difpofition;  c'eft  vn  coup  de  la 
fortune  de  fiiire  broncher  noftre  ennemy,  &  de  luy  eshlouir  les  yeux 
par  la  lumière  du  Soleil;  c'eft  vn  tour  d'art  &  de  fcience,  &  qui  peut 
tomber  en  vne  perfonne  lâche  &  de  néant,  d'eftre  fuffifant  à  l'efcrime.  20 
L'eftimation  &  le  pris  d'vn  homme  conlîfte  au  cœur  &  en  la  volonté; 
■c'eft  là  où  gift  fon  vray  honneur;  la  vaillance,  c'eft  la  fermeté,  non 
pas  des  iambes  &  des  bras,  mais  du  courage  &  de  l'ame;  elle  ne 
confifte  pas  en  la  valeur  de  noftre  cheual,  ny  de  nos  armes,  mais 


Texte  88.  —  6)  force  à  leur  vertu  &  leur  confiance.  —  7)  vraye  &  folide 
victoire  :  tous  les  autres  auantages  que  nous  gaignons  fur  nos  ennemis,  ce  font  auan- 

tages  empruntez,  ils  ne  font  pas  noltres    (A\nnt  de  r^-l'aire  cette  phr.isc,  Montaigne  se  contente 
d'effacer  Ics  autres)  —   1 8)  luy  faire  fillcr  les  yeux 

Var.  ms. —  lo)  ne poursuiiieni  iamais  tciir —  ii)  a  sa  mem  leur  merei  sans  meurtre 
sans  rançon.  Car  en  aiant  tire  cette  —  12)  ils  le  laissent  aller  —  13)  parole  ne...  ens. 
Tous  autres  auantaoes 


LIVRH      I,      CHAl'ITRi;      XXXI.  277 

en  la  noftre.  Celuy  qui  tombe  obrtinc  en  Ion  courage,  «si  siuxiikiil, 
ik  a;i'iiii  piigiuit  ».  Qui  pour  quelque  dangier  de  la  mort  voifme 
ne  relalche  aucun  point  de  son  alTcurancc;  qui  regarde  encores, 
en  rendant  Famé,  Ion  ennemy  d'vne  veuë  ferme  &  dei'daigneule, 
5  il  eft  battu,  non  pas  de  nous,  mais  de  la  fortune;  il  cft  tue,  itoit  pus 
iiaiiicii. 

Les  plus  vaillans  font  par  fois  les  plus  infortunée. 
Aussi  y  a  il  des  pertes  triomphantes  a  l'eniii  des  iiietoires.  Ny  ces  quatre 
uictoires  seurs,  les  plus  belles  que  le  soleil  ayc  onques  ueu  de  ses  ycus,  de 

10  Sala  mi  ne,  de  Flattées,  de  Mvcale,  de  Sicille,  osarent  onques  opposer  toute 
leur  gloire  ensemble  a  la  gloire  de  [la]  desconfiture  du  Roy  Leonidas  et  des 
siens,  au  pas  des  Thcrmopyles. 

Qui  courut  ianiais  d'une  plus  glorieuse  enuie  et  plus  andntieuse  au  guein 
d'un  combat,  que  le  capiteine  Ischolas  a  [la]  perte  ?  Qui  plus  ingenieuseniàt 

15  [et]  curieusemant  s'est  assuré  de  son  salut,  que  luv  de  sa  ruine?  Il  estoit 
commis  a  dejandre  certein  passage  du  Peloponesse  contre  les  Arcadiens. 
Pourquoi  faire  se  trouuant  du  tout  incapable,  ueu  la  nature  du  lieu  et 
inégalité  des  forces,  et  se  rcsoluant  que  tout  ce  qui  se  presanteroit  ans  enemis, 
aroit  de  nécessite  a  y  demurer;  d'autre  part  estimant  iiuligne  et  de  sa  propre 

20  uertu  et  magnanimité  &  du  nom  lacedemonien,  de  faillir  a  sa  charge  :  il 
print  entre  ces  deus  extrémité:^  un  moicn  parti,  de  telle  sorte.  Les  plus  innés 
et  dispos  de  sa  trope,  il  [les]  conserua  a  la  tuition  et  seruice  de  leur  pais, 
&  les  y  renuoia;  et  aucq  cens  desquels  lle\  défaut  estoit  moindre,  il  délibéra 
de  soutenir  ce  pas,  &,  par  leur  nuvt,  en  faire  acheter  ans  enemis  l'entrée 

25  la  plus  chère  qu'il  luy  seroit  possible  :  come  il  aduint.  Car,  estant  tantost 
cnuirone  de  toutes  pars  par  les  Arcadiens,  après  en  auoir  jaict  une  grande 
boucherie,  luy  et  les  siens  furent  tous  )nis  au  fil  de  l'espee.  Est  il  quelque 

Texte  88.—  3)  point  de  fa  confiance  &  afleuraiicc  —  5)  il  cft  vaincu  par  effcct, 
&  non  pas  par  raifon  :  c'eft  fon  mal'heur  qu'on  peut  accufer,  non  fa  Ikheté  :  les 
plus  vaillans 

Var.  ms.  —  II)  descoiifiture  el  perle  du  Roy  Leonidas  [et]  de  ses  compaigiwns  au  pas 
de  T  —  20)  magnanimité  &  de  la  —  22)    les]  couserue  a 


270  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

trophée  assigne  pour  les  ueincurs,  qui  ne  soit  miens  den  ci  ces  nciucus? 
Le  urai  neincre  ha  pour  son  roUe  î'estour,  non  pas  le  salut;  et  consiste 
l'honur  de  la  iiertu  a  combattre,  non  a  battre. 

Pour  reuenir  à  noftre  hiftoire,  il  s'en  faut  tant  que  ces  prifonniers 
fe  rendent,  pour  tout  ce  qu'on  leur  fait,  qu'au  rebours,  pendant  ces  5 
deux  ou  trois  mois  qu'on  les  garde,  ils  portent  vne  contenance 
gaye;  ils  preffent  leurs  maiflres  de  fe  hafter  de  les  mettre  en  cette 
efpreuue;  ils  les  deffient,  les  iniurient,  leur  reprochent  leur  lâcheté 
&  le  nombre  des  batailles  perdues  contre  les  leurs.  l'ay  vne  chanfon 
faicte  par  vn  prifonnier,  où  il  y  a  ce  traict  :  qu'ils  viennent  hardiment  10 
tretous  &  s'affemblent  pour  difner  de  luy;  car  ils  mangeront  quant 
&  quant  leurs  pères  &  leurs  ayeux,  qui  ont  feruy  d'aliment  &  de 
nourriture  à  fon  corps.  Ces  mufcles,  dit-il,  cette  cher  &  ces  veines, 
ce  font  les  voflres,  pauures  fols  que  vous  eftes;  vous  ne  recognoiffez 
pas  que  la  fubftancc  des  membres  de  vos  anceflres  s'y  tient  encore  :  1 5 
fauourez  les  bien,  vous  y  trouuerez  le  gouft  de  voflre  propre  chair. 
Inuention  qui  ne  fent  aucunement  la  barbarie.  Ceux  qui  les  peignent 
mourans,  &  qui  reprefentent  cette  action  quand  on  les  aflbmme,  ils 
peignent  le  prifonnier  crachant  au  vifage  de  ceux  qui  le  tuent  &  leur 
faifant  la  moue.  De  vray,  ils  ne  ceflent  iniques  au  dernier  foufpir  20 
de  les  brauer  &  deffier  de  parole  &  de  contenance.  Sans  mentir,  au 
pris  de  nous,  voila  des  hommes  bien  fauuages;  car,  ou  il  faut  qu'ils 
le  foyent  bien  à  bon  efcient,  ou  que  nous  le  foyons  :  il  y  a  vne 
merueilleufe  diftance  entre  leur /orme  &  la  noftre. 

Les  hommes  y  ont  plufieurs  femmes,  &  en  ont  d'autant  plus  grand     25 
nombre  qu'ils  font  en  meilleure  réputation  de  vaillance  :  c'eft  vne 
beauté  remerquable  en  leurs  mariages,  que  la  mefme  ialoufie  que 
nos  femmes  ont  pour  nous  empefcher  de  l'amitié  &  bien-veuillance 
d'autres  femmes,  les  leurs  l'ont  toute  pareille  pour  la  leur  acquérir. 

Texte  88.  —  24)  leur  confiance  &  la 

Var.  ms.  —  2)  rolle  le  combattre  non  pas  l'eschapcr  et  m  consiste  pas  Vbonur 


LIVRE      I,      CHAPITRE     XXXI.  279 

Eftans  plus  Ibigneules  de  l'honneur  de  leurs  maris  que  de  toute 
autre  chofe,  elles  cherchent  &  mettent  leur  lolicitude  à  auoir  le  plus 
de  cûmpaigiies  qu'elles  peuuent,  d'autant  que  c'eft  vn  tefmoignage 
de  la  vertu  du  mary. 
5  Les  nostrcs  crieront  au  mirade;  ce  m  l'est  pas  :  c'est  une  uertu  proprement 
matrimoniale,  mais  du  plus  haut  estage.  Et,  en  la  Bible,  Lia,  Rachel, 
Sara  et  les  famés  de  lacop  fournirent  leurs  belles  seruantes  a  leurs  maris; 
et  Liuia  seconda  les  appétits  d'Auguste,  a  son  interest;  et  la  fanw  du  Roy 
Deiotarus,  Stratonique,  presta  non  sulemant  a  l'usage  de  son  mari  une  fort 

10  belle  iune  file  de  chambre  qui  la  seruoit,  mais  en  nourrist  souigneusement 
les  enfans,  &  leur  fit  espaule  a  succéder  ans  estais  de  leur  père. 

Et,  afin  qu'on  ne  penfe  point  que  tout  cecy  fe  face  par  vne  fimple 
&  feruile  obligation  à  leur  vfance  &  par  l'impreflion  de  l'authorité 
de  leur  ancienne  couftume,  fans  difcours  &  fans  iugement,  &  pour 

15  auoir  l'ame  fi  ftupide  que  de  ne  pouuoir  prendre  autre  party,  il  faut 
alléguer  quelques  traits  de  leur  fuffifance.  Outre  celuy  que  ie  vien 
de  reciter  de  l'vne  de  leurs  chanfons  guerrières,  l'en  ay  vn'  autre, 
amoureufe,  qui  commence  en  ce  fens  :  Couleuure,  arrefte  toy;  arrefte 
toy,  couleuure,  afin  que  ma  fœur  tire  fur  le  patron  de  ta  peinture 

20  la  façon  &  l'ouurage  d'vn  riche  cordon  que  ie  puiffe  donner  à  m'amie  : 
ainfi  foit  en  tout  temps  ta  beauté  &  ta  difpofition  préférée  à  tous 
les  autres  ferpens.  Ce  premier  couplet,  c'eft  le  refrein  de  la  chanfon. 
Or  i'ay  affez  de  commerce  auec  la  poëfie  pour  iuger  cecy,  que  non 
feulement  il  n'y  a  rien  de  barbarie  en  cette  imagination,  mais  qu'elle 

25  eft  tout  à  fait  Anacreontique.  Leur  langage,  au  demeurant,  c'eft  //// 
doux  langage  &  qui  a  le  l'on  aggreable,  retirant  aux  terminailons 
Grecques. 

Texte  88.  —  3)  de  compagnes  qu'elles  —  25")  c'eft  le  plus  doux  langage  du 
monde,  &  qui  a  le  fon  le  plus  aggreable  à  l'oreille,  il  retire  fcnt  aux  terniinaifons 

Var.  ms.  —  4)  marj'.  Ce  n'est  nullement  miracle  corne  diront  les  nosires  :  c'est  — 
7)  leurs  seruantes  —  8)  Auguste  iusques  a  son  —  10)  mais  Us  n  —  11)  succéder  a  l'csiat 
de  —  26)  fon  très  aggreable  à  l'oreille,  retirant  aux 


280  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

Trois  d'entre  eux,  ignorans  combien  coûtera  vn  iour  à  leur  repos 
&  à  leur  bon  heur  la  connoilîiince  des  corruptions  de  deçà,  &  que 
de  ce  commerce  naiftra  leur  ruyne,  comme  ie  preluppofe  qu'elle  Ibit 
defia  auancée,  bien  milerables  de  s'eilre  laiflez  piper  au  dellr  de  la 
nouuelleté,  &  auoir  quitté  la  douceur  de  leur  ciel  pour  venir  voir  5 
le  noftre,  turent  à  Rouan,  du  temps  que  le  feu  Rov  Charles  neufielme 
y  eftoit.  Le  Roy  parla  à  eux  long  temps;  on  leur  fit  voir  nortre  façon, 
noftre  pompe,  la  forme  d'vne  belle  ville.  Apres  cela  quelqu'vn  en 
demanda  leur  aduis,  ôt  voulut  Içauoir  d'eux  ce  qu'ils  v  auoient 
trouué  de  plus  admirable  :  ils  refpondirent  trois  choies,  d'où  i'ay  10 
perdu  la  troilîefme,  &  en  luis  bien  marrv;  mais  l'en  av  encore  deux 
en  mémoire.  Ils  dirent  qu'ils  trouuoient  en  premier  lieu  fort  el1:range 
que  tant  de  grands  hommes,  portans  barbe,  forts  ix  armez,  qui  etfoient 
autour  du  Roy  (il  eft  vray-femblable  que  ils  parloient  des  SuifTes  de 
fa  garde),  fe  foubs-miffent  à  obeyr  à  vn  enfant,  &  qu'on  ne  choifilToit  15 
plus  tofl  quelqu'vn  d'entr'eux  pour  commander;  fecondement  (ils 
ont  vne  fiiçon  de  leur  langage  telle,  qu'ils  nomment  les  hommes 
moitié  les  vns  des  autres)  qu'ils  auoyent  aperçeu  qu'il  y  auoit  parmy 
nous  des  hommes  pleins  &  gorgez  de  toutes  fortes  de  commoditez, 
&  que  leurs  moitiez  el1;oient  mendians  à  leurs  portes,  décharnez  de  20 
faim  &  de  pauureté;  &  trouuoient  effrange  comme  ces  moitiez  icv 
necefTiteufes  pouuoient  l'ouffrir  vne  telle  iniuftice,  qu'ils  ne  prinfent 
les  autres  à  la  gorge,  ou  milTent  le  feu  à  leurs  mailons. 

le  parlay  à  l'vn  d'eux  fort  long  temps;  mais  i'auois  vn  truchement 
qui  me  fuyuoit  fi  mal,  &  qui  efloit  fi  empefché  à  receuoir  mes  25 
imaginations  par  fii  beftifc,  que  ie  n'en  peus  tirer  guiere  de  plaifir. 
Sur  ce  que  ie  luv  demandav  quel  fruit  il  receuoit  de  la  luperiorité 
qu'il  auoit  parmv  les  liens  (car  c'elfoit  vn  Capitaine,  &  nos  matelots 
le  nommoient  Rov),  il  me  dict  que  celloit  marcher  le  premier  à  la 
guerre;  de  combien  d'hommes  il  eÛoit  kivuv,  il   me  montra  \nc     30 

Te.xte  88.  —  19)  CDiiiiiioditcz  &  bien  fouis,  &  que  leurs 


L1VK1£      I,      CHAPITRE      XXXI.  281 

clpacc  de  lieu,  pour  llgniticr  que  c'eûcit  autant  quil  en  pourroit  en 
vne  telle  elpace,  ce  pouuoit  élire  quatre  ou  cinq  mille  hommes; 
fi,  hors  la  guerre,  toute  l'on  authorité  eftoit  expirée,  il  dict  qu'il  luy 
en  reftoit  cela  que,  quand  il  vifitoit  les  vilages  qui  dépendoient  de 
luy,  on  luy  drelîbit  des  fentiers  au  trauers  des  hayes  de  leurs  bois, 
par  où  il  peut  pafler  bien  à  l'aile. 

Tout  cela  ne  va  pas  trop  mal  :  mais  quoy,  ils  ne  portent  point 
de  haut  de  chaufles. 


Chapitre    XXXII. 


Q.V  IL     lAVT     SOBREMENT     SE     MESLER     DE     IVGER 
DES     ORDONNANCES     DIVINES. 


Le  vray  champ  &  fubiect  de  l'impofture  font  les  chofes  inconnues. 
D'autant  qu'en  premier  lieu  l'eflrangeté  mefme  donne  crédit;  &  puis, 
n  eflant  point  iubiectes  à  nos  difcours  ordinaires,  elles  nous  oflent 
le  moyen  de  les  combatre.  A  cette  cause,  âkt  Platon,  est  il  bien  plus 
aise  de  satisfaire,  parlant  de  la  nature  des  dicus,  que  de  la  nature  des  homes,  5 
par  ce  que  l'ignorance  des  auditeurs  preste  une  belle  et  large  carrière  et  toute 
liberté  au  inanieiuent  d'une  matière  cachée. 

Il  adulent  de  la  qu'il  n'eft  rien  creu  i\  fermement  que  ce  qu'on 
fçait  le  moins,  ny  gens  fi  affeurez  que  ceux  qui  nous  content  des 
fables,  comme  Alchimiftes,  Prognoftiqueurs,  ludiciaires,  Chiroman-  10 
tiens.  Médecins,  «id  genus  omne».  Aufquels  ie  ioindrois  volontiers, 
fi  i'olois,  vn  tas  de  gens,  interprètes  &  contrerolleurs  ordinaires  des 
deflains  de  Dieu,  failans  eftat  de  trouuer  les  caufes  de  chaque 
accident,  &  de  veoir  dans  les  lecrets  de  la  volonté  diuine  les  motifs 
incomprehenfibles  de  fes  œuures;  ik.  quoy  que  la  variété  &  difcordance     15 

Textk  88.  —  4)  combatre,  d'où  il  adulent  qu'il  n'eft  —  15)  fes  opérations,  & 

T  \  1  .-i        /,  NI  ^  ^"  '■  il'<"iltiiil  ^ 

\  AK.  Ms. — •  4)  combatre /:/ rt  a'//f  —   5)  bonus    C    „  (iiic  I  nviornitce 

■'  ■'  2°  :  a  cause    '     '        -^ 

^>uuu  une  bcUii  et- ^eili  eamei^  des  audiieun  —  7)  matière  imenu-t 


LIVRE      I,      CHAPITRH      XXXII.  28^ 

continuelle  des  euenemcns  les  reiette  de  coin  en  coin,  &  d'orient 
en  occident,  ils  ne  laiffent  de  fuiure  pourtant  leur  efteuf,  &,  de  mefme 
creon,  peindre  le  blanc  &  le  noir. 

En  vne  nation  Indienne,  il  y  a  cette  louable  obferuance  :  quand  il 

5     leur  mcs-aduient  en  quelque  rencontre  ou  bataille,  ils  en  demandent 

publiquement  pardon  au  Soleil,  qui  eft  leur  Dieu,  comme  d'vne 

action  iniufte,  raportant  leur  heur  ou  malheur  à  la  raifon  diuinc, 

&  luy  fubmettant  leur  lugement  &  difcours. 

Suffit  à  vn  Chreftien  croire  toutes  chofes  venir  de  Dieu,  les 

10  receuoir  auec  reconnoiflance  de  fa  diuine  &  infcrutable  fapience, 
pourtant  les  prendre  en  bonne  part,  en  quelque  vifage  qu'elles  luy 
loient  enuoyees.  Mais  ie  trouue  mauuais  ce  que  ie  voy  en  vfage, 
de  chercher  à  fermir  &  appuyer  noftre  religion  par  le  bon-heur 
&  profperité  de  nos  entreprifes.  Noftre  créance  a  aflez  d'autres 

15  fondemens,  fans  l'authorifer  par  les  euenemens  :  car,  le  peuple 
accouftumé  à  ces  argumens  plaufibles  &  proprement  de  fon  gouft, 
il  eft  dangier,  quand  les  euenemens  viennent  à  leur  tour  contraires 
&  delauantageux,  qu'il  en  eltranle  fii  fov.  Comme  aux  guerres  où 
nous  fommes  pour  la  religion,  ceux  qui  eurent  Faduantage  au 

20  rencontre  de  la  Rochelabeille,  faifans  grand  fefte  de  cet  accident, 
&  le  leruans  de  cette  fortune  pour  certaine  approbation  de  leur 
party,  quand  ils  viennent  après  à  excufer  leurs  defortunes  de 
Mont-contour  &  de  larnac  fur  ce  que  ce  font  verges  &  chaftiemens 
paternels,  s'ils  n'ont  vn  peuple  du  tout  à  leur  mcrcv,  ils  luy  font 

25  aflez  aifément  fentir  que  c'eft  prendre  d'vn  fac  deux  mouldures, 
&  de  mefme  bouche  fouffler  le  chaud  &  le  froid.  Il  vaudroit  mieux 
l'entretenir  des  vrays  fondemens  de  la  vérité.  C'eft  vne  belle  bataille 
nauale  qui  s'eft  gaignée  ces  mois  paflez  contre  les  Turcs,  loubs  la 
conduite  de  don  loan  d'Auftria;  mais  il  a  bien  pieu  à  Dieu  en  taire 

30  autres-fois  voir  d'autres  telles  à  nos  defpens.  Somme,  il  eft  mal-aylé 
de  ramener  les  chofes  diuines  à  noftre  balance,  qu'elles  n'y  fouftrent 
du  defchet.  Et  qui  voudroit  rendre  raifon  de  ce  que  Arrius  &  Léon, 


284  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

Ion  Pape,  chefs  principaux  de  cette  herefie,  moururent  en  diuers 
temps  de  mors  fi  pareilles  &  Il  eftranges  (car,  retirez  de  la  difpute  par 
douleur  de  ventre  à  la  garderobe,  tous  deux  y  rendirent  lubitement 
l'ame),  &  exagérer  cette  vengeance  diuine  par  la  circonftance  du 
lieu,  y  pourroit  bien  encore  adioufter  la  mort  de  Heliogabalus,  qui  5 
fut  aufli  tué  en  vn  retraict.  Mais  quoy?  Irenée  fe  trouue  engagé  en 
mefme  fortune.  Dieu  nous  uoulant  aprcindre  que  les  bons  ont  autre  chose 
a  espérer,  &  les  mauues  autre  cljose  a  creindre  que  les  fortunes  ou  infortunes 
de  ce  monde,  [il]  les  manie  et  applique  selon  sa  disposition  occulte,  et  nous 
oste  le  moïen  d'en  faire  sottement  nostre  profit.  Et  se  moquent  cens  qui  s'en  10 
ueulcnt  preualoir  selon  l'humaine  raison.  Ils  n'en  douent  iamais  une  touche, 
qu'ils  n'en  refoiuent  deus\  S.  Augustin  en  faict  une  belle  prenne  sur  ses 
aduerseres.  C'est  un  conflict  qui  se  décide  par  les  armes  de  la  mémoire  plus  que 
par  celles  de  la  raison.  Il  fe  faut  contenter  de  la  lumière  qu'il  plait  au 
Soleil  nous  communiquer  par  fes  rayons;  &,  qui  efleuera  fes  yeux  15 
pour  en  prendre  vne  plus  grande  dans  fon  corps  mefme,  qu'il  ne 
trouue  pas  eftrange  fi,  pour  la  peine  de  fon  outrecuidance,  il  y  perd 
h.  veue.  «Qiiis  Jmniiunn  potcst  scire  consiliuni  dei?  aut  quis  potcrit  cogitare 
quid  uelit  doniiuus?  » 


Yak.  ms.  —  8)  fortunes  et  —  9)  sa  raison  occulte  el  impetielraHe  et  se  moquent  — 
II)  touct'c  a  leur  aduersere  qu'ils  —  12)  deus  mm  celuy  qui  a  plus  de  raison  mais  cchty 
qui  a  plus  de  mémoire  y  gaigne  sa  cause.  Il  fe  faut  —  12)  faict  sentir  une  belle  preuue 
a  ses  —  19)  dominus?  Ou  la  ueue  de  son  entaudement  pour  corne  il  auit  a  Anaxagoras pour 
trop  hautemant  uouloir  pénétrer  les  choses  célestes. 


1     Peut-être  faut-il  lire  dueS 


Chapitre    XXXIII. 


DE    FVIR    LES   VOLVPTEZ    AV    PRIS    DE    LA    VIE. 


l'auois  bien   vcu  conuenir  en   cccv  la  plufpart   des  anciennes 

opinions  :  qu'il  eft  heure  de  mourir  lors  qu'il  y  a  plus  de  mal  que 

de  bien  à  viure;  &  que,  de  conferuer  noftre  vie  à  noftre  tourment 

&  incommodité,  c'eft  choquer  les  Joix  mefmes  de  nature,  comme 

5     difent  ces  vieilles  règles  : 

H  Zr,'i  x.'/.\)-::(i):,  r,  Oxvîîv  £Ù9a!;xsvu>ç. 
KaXsv  Ovr,îX£'.v  oîç  ûSptv  to  Çv^v  sÉpï'.. 
Kpîtsîîv  t:  [jly]  ÇtJv  Irr'tv  ■^  Çr,v  aÔAÎur. 

Mais  de  pouflcr  le  melpris  de  la  mort  iniques  à  tel  degré,  que  de 
lo  l'employer  pour  fe  diftraire  des  honneurs,  richefles,  grandeurs 
&  autres  faueurs  &  biens  que  nous  appelions  de  la  fortune,  comme 
fi  la  raifon  n'auoit  pas  aflez  affiiire  à  nous  perfuader  de  les  aban- 
donner, fans  y  adiouter  cette  nouuelle  recharge,  ie  ne  l'auois  veu  ny 
commander  nv  pratiquer,  iufques  lors  que  ce  paffiige  de  Seneca 
15  me  tomba  entre  mains,  auquel  confeillant  à  Lucilius,  perionnage 
puiflant  &  de  grande  authorité  autour  de  l'Empereur,  de  changer 
cette  vie  voluptueufe  &  pompeuse,  &  de  fe  retirer  de  cette  ciiiihitioit  du 

Texte  88.  —  4)  les  reigles  niefmcs  —  17)  voluptueufe  &  lunniltuairc,  &...  cette 
preffe  du 


286  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

monde  à  quelque  vie  folitaire,  tranquille  &  philofophique,  furquoy 
Lucilius  alleguoit  quelques  difficultez  :  le  fuis  d'aduiz  (dict-il)  que 
tu  quites  cette  vie  la,  ou  la  vie  tout  à  faict;  bien  te  confeille-ie  de 
fuiure  la  plus  douce  voye,  &  de  deftacher  plufloft  que  de  rompre 
ce  que  tu  as  mal  noué,  pourueu  que,  s'il  ne  fe  peut  autrement  5 
deftacher,  tu  le  rompes.  Il  n'y  a  homme  fi  couard  qui  n'ayme  mieux 
tomber  vne  fois  que  de  demeurer  toufiours  en  branle.  l'eufle  trouué 
ce  confeil  lortable  à  la  rudefle  Stoïque;  mais  il  eft  plus  eftrange 
qu'il  foit  emprunté  d'Epicurus,  qui  efcrit,  à  ce  propos,  chofes  toutes 
pareilles  à  Idomeneus.  10 

Si  eft-ce  que  ie  penfe  auoir  remarqué  quelque  traict  femblable 
parmy  nos  gens,  mais  auec  la  modération  Chreftienne.  S.  Hilaire, 
Euefque  de  Poitiers,  ce  fameux  ennemy  de  l'herefie  Arriene,  eftant 
en  Syrie,  fut  aduerti  qu'Abra,  la  fille  vnique,  qu'il  auoit  laifTée  par 
deçà  auecques  fa  mère,  eftoit  pourfuyuie  en  mariage  par  les  plus  15 
apparens  Seigneurs  du  païs,  comme  fille  très-bien  nourrie,  belle, 
riche  &  en  la  fleur  de  fon  aage.  Il  luy  efcriuit  (comme  nous  voyons) 
qu'elle  oftat  fon  affection  de  tous  ces  plaifirs  &  aduantages  qu'on  luy 
prefentoit;  qu'il  luy  auoit  trouué  en  fon  voyage  vn  partv  bien  plus 
grand  «Se  plus  digne,  d'vn  mary  de  bien  autre  pouuoir  &  magnificence,  20 
qui  luy  feroit  prefens  de  robes  &  de  ioyaux  de  pris  ineftimable. 
Son  deffein  eftoit  de  luy  faire  perdre  l'cippefit  &  l'vfage  des  plaifirs 
mondains,  pour  la  ioindre  toute  à  Dieu;  mais,  à  cela  le  plus  court 
«Se  plus  certain  moyen  luy  femblant  eftre  la  mort  de  fa  fille,  il  ne 
cefla  par  veux,  prières  &  oraifons,  de  faire  requefte  à  Dieu  de  l'ofter  25 
de  ce  monde  &  de  l'appeller  à  foy,  comme  il  aduint  :  car  bien-toft 
après  fon  retour  elle  luy  mourut,  dequoy  il  montra  vne  finguliere 
ioye.  Cettuy-cy  femble  enchérir  fur  les  autres,  de  ce  qu'il  s'adrcfle 
à  ce  moyen  de  prime  face,  lequel  ils  ne  prennent  que  fubfidieremcnt, 
«Se  puis  que  c'eft  à  l'endroit  de  la  fille  vnique.  Mais  ie  ne  veux  obmettre     30 

Texte  88.  —  22)  perdre  le  gouft  &  —  27)  fingiiliere  allegrelTe.  Cettuy-cy 


LIVRE      1,      CHAPITRE     XXXIII.  287 

le  bout  de  cette  hiftoire,  encore  qu'il  ne  loit  pas  de  mon  propos. 
La  femme  de  Sainct  Hilaire,  ayant  entendu  par  luy  comme  la  mort 
de  leur  fille  s'eftoit  conduite  par  l'on  deflein  &  volonté,  &  combien 
elle  auoit  plus  d'heur  d'eftre  deflogée  de  ce  monde  que  d'y  eftre, 
print  vne  fi  viue  apprehenfion  de  la  béatitude  éternelle  &  celefle, 
qu'elle  folicita  fon  mary  auec  extrême  infiance  d'en  faire  autant  pour 
elle.  Et,  Dieu  à  leurs  prières  communes  l'ayant  retirée  â  foy  bientoft 
après,  ce  fut  um  mort  embraflee  auec  singulier  contentement  commun. 

Texte  88.  —  8)  après,  il  ne  fut  iamais  mort  cmbraffée  auec  fi  grand  contentement. 


Chapitre    XXXIV. 


LA    FORTVXE    SE    RENCONTRE    SOV\"ENT   AV    TRAIN    DE    LA    RAISON. 


L'inconftance  du  branflc  diuers  de  la  fortune  fait  qu'elle  nous 
doiue  prefenter  toute  efpece  de  vifages.  Y  a  il  action  de  iuftice  plus 
expreffe  que  celle  cy?  Le  Duc  de  Valentinois,  ayant  refolu  d'empoi- 
fonner  Adrian,  Cardinal  de  Cornete,  chez  qui  le  Pape  Alexandre 
lixiefme,  fon  père,  &  luy  alloyent  louper  au  Vatican,  enuoya  deuant  5 
.quelque  bouteille  de  vin  cmpoifonné,  &  commanda  au  lommelier 
qu'il  la  gardafl  bien  loigneulement.  Le  Pape  y  eftant  arriué  auant 
le  fils  &  ayant  demandé  à  boire,  ce  lommelier,  qui  penfoit  ce  vin 
ne  luy  auoir  elle  recommandé  que  pour  la  bonté,  en  leruit  au  Pape; 
&  le  Duc  melme,  y  arriuant  fur  le  point  de  la  collation,  &  fe  fiant  10 
qu'on  n'auroit  pas  touché  à  la  bouteille,  en  prit  à  fon  tour  :  en 
.  manière  que  le  père  en  mourut  foudain  ;  &  le  fils,  après  auoir  efté 
longuement  tourmenté  de  maladie,  fut  referué  à  vn'  autre  pire 
fortune. 

Quelquefois  il  femble  à  point  nommé  qu'elle  fe  ioiic  à  nous,     is 
Le  Seigneur  d'Eflrée,  lors  guidon  de  Monfieur  de  \'andome,  &  le 
Seigneur  de  Liques,  lieutenant  de  la  compagnie  du  Duc  d'Alcot, 
efians  tous  deux  leruiteurs  de  la  kvur  du  Sieur  de  Lounguelelles, 
quoy  que  de  diuers  partis  (comme  il  adulent  aux  voifins  de  la 

Texte  88.  —  5)  celle  icy?  Le 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXXIV.  289 

fronticrc),  le  Sieur  de  Licques  l'emporta;  mais,  le  mefme  iour  des 
nopces,  &,  qui  pis  eit,  auant  le  coucher,  le  marié,  ayant  enuie  de 
rompre  vn  bois  en  taueur  de  la  nouuelle  elpoul'e,  fortit  à  l'efcar- 
mouche  près  de  Sainct  Omer,  où  le  Sieur  d'Eftrée,  le  trouuant  le 
S  plus  fort,  le  feit  l'on  prilbnnier;  &,  pour  laire  valoir  ion  aduantage, 
encore  faufit  il  que  la  Damoifelle, 

Coniugis  ante  coacta  noui  dimittere  colluni, 

Quam  veniens  vna  atque  altéra  rurfus  liyems 
Noctibus  in  longis  auidum  faturalTet  amorem, 

10     luy  fit  elle  melme  requefle  par  courtoifie  de  luy  rendre  ion  prilbnnier, 

comme  il  fift  :  la  noblelTe  Françoife  ne  refuûint  iamais  rien  aux  Dames. 

Sciiihlc  il  pas  que  ce  soit  un  sort  artiste  ?  Constantin,  Jilx  de  Helcine, 

fonda  [V\empire  de  Constantinopk;  et,  tant  de  sieeJes  après,  Constantin, 

Jilx  [de'\  Helcine,  le  finit. 

15  Quelque  fois  il  luy  plait  enuier  l'ur  nos  miracles.  Nous  tenons  que 
le  Roy  Clouis,  aflîegeant  Angoulefme,  les  murailles  cheurent  d'elles 
mefmcs  par  fiiueur  diuine;  &  Bouchet  emprunte  de  quelqu'  autheur, 
que  le  Roy  Robert,  aflîegeant  vue  ville,  &  s'eftant  delrobé  du  fiege 
pour  aller  à  Orléans  Iblemnizer  la  fefte  Sainct  Aignan,  comme  il 

20  eftoit  en  deuotion,  fur  certain  point  de  la  mefle,  les  murailles  de  la 
ville  aflîegée  s'en  allèrent  lans  aucun  effort  en  ruine.  Elle  fit  tout 
à  contrepoil  en  nos  guerres  de  Milan.  Car  le  Capitaine  Renie 
afl!îegeant  pour  nous  la  ville  d'Eronne,  &  ayant  fait  mettre  la  mine 
foubs  vn  grand  pan  de  mur,  &  le  mur  en  eftant  brufquement  enleué 

25  hors  de  terre,  recheut  toutes-fois  tout  empanné,  fi  droit  dans  fon 
fondement  que  les  alTiegez  n'en  vaufirent  pas  moins. 

Qiielquefbis  elle  faict  la  médecine,  lafon  Phereus,  etlant  aban- 
donné des  médecins  pour  vne  apoflume  qu'il  auoit  dans  la  poitrine, 
ayant  enuie  de  s'en  défaire,  au  moins  par  la  mort,  fe  ietta  en  vne 

30  bataille  à  corps  perdu  dans  la  prefîe  des  ennemis,  où  il  fut  blefTé 
à  trauers  le  corps,  fi  à  point,  que  fbn  apoffume  en  creua,  &  guérit. 


290  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

Surpafla  elle  pas  le  peintre  Protogenes  en  la  Icience  ele  Ion  art? 
Cettuv-cy,  ayant  parfaict  l'image  d'vn  chien  las  &  recreu,  à  Ion 
contentement  en  toutes  les  autres  parties,  mais  ne  pouuant  repre- 
fenter  à  fon  gré  l'efcume  &  la  baue,  defpité  contre  la  befongne, 
prit  fon  efponge,  &,  comme  elle  eftoit  abreuuée  de  diuerfes  peintures,  5 
la  ietta  contre,  pour  tout  effacer  :  la  fortune  porta  tout  à  propos  le 
coup  à  l'endroit  de  la  bouche  du  chien,  &  y  parfournit  ce  à  quoy 
l'art  n'auoit  peu  attaindre. 

N'adreffe  elle  pas  quelquefois  nos  confeils  &  les  corrige?  Ilabel, 
Royne  d'Angleterre,  avant  à  repafler  de  Zelande  en  ion  Royaume,  10 
auec  vne  armée  en  taucur  de  fon  fils  contre  fon  mary,  eftoit  perdue, 
fi  elle  fut  arriuée  au  port  qu'elle  auoit  proieté,  y  eftant  attendue  par 
fes  ennemis;  mais  la  fortune  la  ietta  contre  fon  vouloir  ailleurs,  où 
elle  print  terre  en  toute  feurté.  Et  cet  ancien  qui,  ruant  la  pierre  à  vn 
chien,  en  afl"ena  <:s;  tua  la  maral^rc,  eui^  il  pas  raifon  de  prononcer  15 
ce  vers  : 

la  fortune  a  meilleur  aduis  que  nous? 

Icctes  auoit  pratiqué  deus  soldats  pour  hier  Timokou,  seiouriiant  a 
Adrane,  en  la  SicilJe.  Us  prindrent  heure  sur  le  point  qu'il  fairoit  quelque  20 
sacrifice;  et,  se  mtslans  parmi  la  multitude,  corne  ils  se  guignoint  l'un 
l'autre  que  l'occasion  estoit  propre  a  leur  hcsouigne  :  uoicy  un  tiers  qui, 
d'un  grand  coup  d'espee,  en  assené  l'un  par  la  teste,  et  le  rue  nwrl  par  terre, 
[et]  s'en  fuit.  Le  compaignon,  se  tenant  pour  decouuert  et  perdu,  recourut 
a  l'autel,  requérant  franchise,  aiieq  promesse  de  dire  toute  la  uerite.  Ainsi  25 
(/;('//  faisoil  le  conte  de  la  eoniuration,  uoicy  le  tiers  qui  auoil  este  airapé, 
lequel,  come  ninrtrier,  le  peuple  pousse  et  saboule  autrauers  la  presse,  uers 
Tinioleon  ci  les  plus  apparans  de  l'assamhlec.  La,  il  crie  merci,  et  dici  auoir 

Texte  88.  —  2)  Ccttuv-cy  eftoit  peintre,  &  avant  —  6)  à  point  le 
Var.  ms.  —  27)  peuple  poff...  autriuien  de  la 


LIVRK      1,      CHAPITRH      \XX1V.  29I 

iiiskim'iit  tue  l'assassin  de  son  père,  uerifiant  sur  le  ehanip,  par  des  tesnioins 
que  son  bon  sort  luy  fournit  tout  a  propos,  qu'en  la  uillc  des  Leontins  son 
père,  de  vray,  auoit  este  tue  par  celuy  sur  lequel  il  s'estoit  uan\gé].  On  luy 
ordona  dix  mines  Attiques  pour  auoir  eu  cet  heur,  prenant  raison  de  la 
S  mort  de  sô  père,  d'atioir  retire  de  mort  le  père  commun  des  Siciliens.  Cette 
fortune  surpasse  en  règlement  les  règles  [de]  l'humaine  prudance. 

Pour  la  fin.  En  ce  faict  icy  fe  defcouure  il  pas  vnc  bien  cxpreflc 
application  de  fa  faueur,  de  bonté  &  pieté  finguliere?  Ignatius  Père 
&  fils,  profcripts  par  les  Triumuirs  à  Romme,  fe  refolurent  à  ce 

10  généreux  office  de  rendre  leurs  vies  entre  les  mains  l'vn  de  l'autre, 
&  en  fruftrer  la  cruauté  des  Tyrans  :  ils  fe  coururent  fus,  l'efpee  au 
poing;  elle  en  drelTa  les  pointes  &  en  fit  deux  coups  elgallement 
mortels,  &  donna  à  l'honneur  d'vne  fi  belle  amitié,  qu'ils  enflent 
iuftement  la  force  de  retirer  encore  des  playes  leurs  bras  fanglants 

15  &  armés,  pour  s'entrembraflTer  en  cet  eftat  d'vne  fi  forte  eflrainte, 
que  les  bourreaux  coupèrent  enfemble  leurs  deux  teftes,  laiflîint  les 
corps  toufiours  pris  en  ce  noble  neud,  &  les  playes  iointes,  humant 
amoureufement  le  fang  &  les  reftes  de  la  vie  l'vnc  de  l'autre. 

Texte  88.  —  16)  bourreaux  couparent  enfemble 
\'ar.  ms.  —  i)  lue  le  iiniririer  de 


Chapitre    XXXV. 


D  V\    DEFAVT    DE    NOS    POLICES. 


Feu  mon  père,  homme,  pour  n'ertre  avdé  que  de  l'expérience 
(Is:  du  naturel,  d'vn  iugement  bien  net,  ma  dict  autrefois  qu'il  auoit 
déliré  mettre  en  train  qu'il  v  eull;  es  iiillcs  certain  lieu  deligné,  auquel 
ceux  qui  aiviiit  beloin  de  quelque  choie,  le  peulTent  rendre  &  faire 
enregiftrer  leur  affaire  à  vn  officier  eftably  pour  cet  effect,  comme  :  5 
/('  cherche  a  uaiidre  des  perles,  ic  cherche  des  perles  a  iiendre.  Tel  lient 
compagnie  pour  aller  à  Paris;  tel  s'euqiiiert  d'xn  feruiteur  de  telle 
qualité;  tel  J'vn  maiilre;  tel  demande  vn  ouurier;  qui  cecy,  qui 
cela,  chacun  lelon  Ion  beloing.  Et  lemble  que  ce  moven  de  nous 
entr'  aduertir  apporteroit  non  legiere  commodité  au  commerce  10 
publique  :  car  à  tous  coups  il  v  a  des  conditions  qui  s'entrecherchent, 
•&,  pour  ne  s'entr'enieiidre,  laiflent  les  hommes  en  extrême  neceffité. 

l'entens,  auec  vne  grande  honte  de  noihe  liecle,  qu'à  noflre  veùc 
deux  tres-excellens  perfonnages  en  fçauoir  l'ont  morts  en  eftat  de 
n'auoir  pas  leur  foui  à  manger  :  Lilius  Gregorius  Giraldus  en  Italie,     15 
&  Sebaftianus  Caftalio  en  Allemagne;  &  croy  qu'il  y  a  mil'  hommes 


Texte  88.  —  2)  autrefois,  qu'es  comni.iiidenicns  qui  luv  eftoyent  tombez  en 
main,  il  auoit  dcfirc  de  mettre  —  4)  qui  cuflcnt  bcfoin  —  6)  tel  cherche  compagnie 
—  7)  tel  cherche  vn  feruiteur  —  8)  tel  clicrche  vn  maiftre  —  12)  pour  ne  fe 
pouuoir  rencontrer,  laiflent 


LivRi-    I,    ciiAriTRi;    XXXV.  293 

qui  les  eulïcnt  appelle/  auec  tres-aduantageules  conditions,  o/nrroz/n/.s- 
()//  ils  i'stoint,  s'ils  l'euflent  fçeu.  Le  monde  n'efl  pas  11  généralement 
corrompu,  que  ie  ne  l'çache  tel  homme  qui  fouhaiteroit  de  bien 
grande  affection  que  les  moyens  que  les  liens  luy  ont  mis  en  main, 
5  le  peuffent  employer,  tant  qu'il  plaira  à  la  fortune  qu'il  en  ioûiffe, 
à  mettre  à  l'abry  de  la  necelTité  les  perfonnages  rares  6c  remarquables 
en  quelque  espar  de  valeur,  que  le  mal'heur  combat  quelquefois 
iniques  à  l'extrémité,  &  qui  les  Dwttrdït  pour  le  moins  en  tel  eftat, 
qu'il  ne  tiendroit  qu'à  taute  de  bon  difcours,  s'ils  n'eftoyent  contens. 

10  Eii  la  police  aroiiomiqiie  mon  pcrc  auoit  cet  ordre,  que  ie  sçcu  louer, 
mais  miUemant  ensuiure.  C'est  qu'outre  [le]  registre  des  négoces  [du] 
nu'snage  ou  se  logent  [les]  menus  contes,  paiemàs,  marche::^,  qui  ne  requièrent 
lu  main  du  notere,  le  quel  registre  un  receueur  a  en  charge,  il  ordonoit 
a  celuy  de  ses  gens  qui  lux  scruoit  a  escrire,  un  papier  iournal  a  insérer 

1 5  toutes  les  suruenances  de  quelque  remarque,  [et]  iour  par  iour  les  mémoires 
de  l'histoire  de  sa  maison,  tresplcsante  a  uoir  quand  le  temps  comance  [a] 
en  effacer  la  somicnance,  et  tresapropos  pour  nous  oster  sonnant  de  peine  : 
quant  fut  entamée  telle  hesouigne?  quand  acheuee?  quels  treins  y  ont  passe? 
combien  arreste?  nos  uoiagcs,  nos  ahsances;  mariages;  mors;  la  réception 

20  des  hureuses  [ou]  malancôtreuses  nouuelles;  changemant  des  seruiturs  prin- 
cipaus;  telles  matières.  Vsagc  antien,  que  ie  treuue  bon  a  refrcschir,  chacun 
en  sa  chacuniere.  [Et]  me  treuue  un  sot  d'y  anoir  failli. 


Texte  88.  —  7)  quelque  forte  de  (lorie  faute  dimpassion.)  —  S)  les  nietlroii  pour 

V'ar.  ms.  ^  i)  secourus  m  kuf:  —  lo)  œcimomique  il  auoil  —  15)  iwlere  eeluy 
de  ses  gens  qui  senwit  a  csenm  —  15)  remarque  i«ui^  —  16)  temps  animnçoit  a  — 
17)  soiiueimiice  el  tresutillc  a  lu'us  —  18)  fui  conuincce  telle  —  21)  hou  de  refreschir 


Chapitre    XXXVI. 


DE    LVSAGE    DE    SE    VESTIR. 


Ou  que  ie  vueille  donner,  il  me  fout  forcer  quelque  barrière  de 
la  couftume,  tant  elF  a  loigneulcment  bridé  toutes  nos  auenues. 
le  deuifoy,  en  cette  faifon  frileule,  li  la  façon  d'aller  tout  nud  de 
ces  nations  dernièrement  trouuées,  eft  vne  façon  forcée  par  la  chaude 
température  de  l'air,  comme  nous  difons  des  Indiens  &  des  Mores,  5 
ou  II  c'eft  Foriginele  des  hommes.  Les  gens  d'entendement,  d'autant 
que  tout  ce  qui  efl;  foubs  le  ciel,  comme  dit  la  laincte  parole,  eft 
fubiect  à  mefmes  loix,  ont  accouftumé,  en  pareilles  confiderations 
à  celles  icy,  où  il  faut  diflinguer  les  loix  naturelles  des  controuuées, 
de  recourir  à  la  generalle  police  du  monde,  où  il  n'y  peut  auoir  10 
rien  de  contrefaict.  Or,  tout  eftant  exactement  fourny  ailleurs  de 
filet  &  d'éguille  pour  maintenir  fon  élire,  il  eft,  à  la  vérité,  mécreable 
que  nous  foyons  feuls  produits  en  eftat  deffectueux  &  indigent,  &  en 
eftat  qui  ne  fe  puifTe  maintenir  fans  lecours  efl;rangier.  Ainfi  ie  tiens 
que,  comme  les  plantes,  arbres,  animaux  <S:  tout  ce  qui  vit,  fe  treuue  15 
naturellement  equippé  de  fuffifante  couuerture,  pour  fe  deftendre 
de  l'iniure  du  temps, 

Proptereàque  ferè  res  omnes  aut  corio  funt, 

Aut  fêta,  aut  concliis,  aut  callo,  aut  cortice  tect;v, 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XXXVI.  295 

aufli  cftions  nous;  mais,  comme  ceux  qui  efteignent  par  artiticicUc 
lumière  celle  du  iour,  nous  auons  efteint  nos  propres  moyens  par 
les  moyens  empruntez.  Et  eft  aile  à  voir  que  c'eit  la  couftume  qui 
nous  taict  impoflîble  ce  qui  ne  l'eft  pas  :  car,  de  ces  nations  qui 
5  n'ont  aucune  connoilTance  de  vertemens,  il  s'en  trouue  d'aflii'es 
enuiron  Ibubs  mel'me  ciel  que  le  noftre;  în:  puis  la  plus  délicate  partie 
de  nous  eft  celle  qui  le  tient  toufiours  del'couuerte  :  les  vcits,  la  bouche, 
le  ne:^  les  oreilles  ;  a  nos  eontadius,  corne  a  nos  ayeuls,  la  partie  pectoralk 
et  le  neutre.  Si  nous  fuflions  nez  auec  condition  de  cotillons  &  de 
10  greguelques,  il  ne  faut  taire  doubte  que  nature  n'euft  armé  d'vne 
peau  plus  elpoilTe  ce  qu'elle  euft  abandonné  à  la  baterie  des  lailbns, 
comme  elle  afaict  le  bout  des  doigts  &  plante  des  pieds. 

Pourquoi  semble  il  difficile  a  croire?  Entre  ma  façon  d'estre  uestu,  et 
celle  d'un  paisan  de  mon  pals,  ie  treuue  bien  plus  de  distance  qu'il  n'y  a  de 
15     sa  façon  a  un  home  qui  n'est  uestu  que  de  sa  peau. 

Combien  d'homes,  et  en  Turquie  sur  tout,  vont  nuds  par  deuolion. 

le  ne  fçay  qui  demandoit  à  vn  de  nos  gueux  qu'il  \ovoit  en 

chemife  en  plain  hyuer,  aulîî  fcarrebillat  que  tel  qui  fe  tient  emmitoné 

dans  les  martes  iulques  aux  oreilles,  comme  il  pouuoit  auoir  patience  : 

20     Et  vous,  monlieur,  relpondit-il,  vous  auez  bien  la  face  delcouuerte; 

or  moy,  ie  fuis  tout  face.  Les  Italiens  content  du  fol  du  Duc  de 

Florence,  ce  me  lemble,  que  ion  maiftre  s'enquerant  comment,  ainli 

mal  veftu,  il  pouuoit  porter  le  froid,  à  quoy  il  eftoit  bien  empefché 

luy-mefme  :  Suiuez,  dict-il,  ma  recepte  de  charger  fur  vous  tous 

25     vos  accouftremens,  comme  ie  lay  les  miens,  vous  n'en  louffrirez 

non  plus  que  moy.  Le  Roy  Mafliniflii  iufques  à  l'extrême  vieillefTe 

ne  peut  eftre  induit  à  aller  la  tefte  couuerte,  par  froid,  orage  &  pluye 

qu'il  lit.  Ce  qu'on  dicl  aussi  de  [l'jemperur  Seuerus. 

Texte  88.  —   2)  cfteint  &  eftoufté  nos   —   3)  empruntez  &  c-ftrangiers.  Et  — 
12)  a  garny  le  —  18)  tient  ammitoné  dans 

Var.  ms.  —   12)  pieds.  Poiirifui  —  15)  croire.  Ul  If  —   14)  plus  de  di^iMHn  — 
1 5)  home  iiiid.  le 


2^6  ESSAIS      DH      .MONTAIGNE. 

Ans  luitaiUcs  douces  entre  les  .Egiptiens  et  les  Perses,  Hérodote  dict  aiioir 
este  remarque  et  par  d'autres  &  par  liiy,  que,  [di\  cens  qui  y  demuroini 
mors,  Je  test  estait  sans  comparaison  plus  dur  aus  ^Jzgiptiens  qu  'ans  Persiens, 
a  raison  que  cens  icy  portent  leur  testes  tousiours  couucrtes  de  béguins  &puis 
[de]  turbans,  cens  la  rases  des  [l'^enfancc  &  dcscouucrtes.  5 

Et  le  roy  Agefilaus  obferua  iufques  à  l'a  décrépitude  de  porter 
pareille  vefture  en  hyuer  qu'en  efté.  Crelar,  dict  Suétone,  marchoit 
toullours  deuant  fa  troupe,  &  le  plus  fouuent  à  pied,  la  tefte 
defcouuerte,  loit  qu'il  fit  Soleil  ou  qu'il  pleut;  &  autant  en  dict  on 
de  Hannibal,  10 

tum  vertice  nudo 
Excipere  infanos  imhres  cœlique  ruinam. 

/'//  ucniticn  qui  s'v  est  tenu  long  temps,  &  qui  ne  faict  que  d'en  uenir, 
escrit  qu'an  Rovauine  du  Pcgu,  les  autres  parties  du  cors  ucstues,  les  hotms 
et  les  famés  udt  tousiours  les  pieds  nuds,  mesme  \jf\  chenal.  15 

Et  Platon  conseille  merueilleusemât,  pour  la  sàte  de  tout  le  corps,  Uie] 
'  ne  douer  aus  pieds  [et]  a  la  teste  autre  couuertnrc  que  celle  que  natura 
y  a  mise. 

Celuv  que  les  Polonnois  ont  choifi  pour  leur  Roy  après  le  noftre, 
qui  eft  à  la  vérité  vn  des  plus  grands  Princes  de  noftre  llecle,  ne     20 
porte  iamais  gans,  ny  ne  change,  pour  hyuer  &  temps  qu'il  tace, 
le  mefine  bonnet  qu'il  porte  au  couuert. 

Comme  ie  ne  puis  fouffrir  d'aller  defboutonné  &  deftaché,  les 
laboureurs  de  mon  voilinage  le  lentiroient  entrauez  de  l'eftre.  \'arro 
tient  que,  quand  on  ordonna  que  nous  tinfions  la  tefte  defcouuerte     2j 
en  prefence  des  Dieux  ou  du  Magiftrat,  on  le  fit  plus  pour  noftre 

Texte  88.  —  24)  .\arro  Jict  que 

V.\R.  MS. —  i)  aiioir  eUi^  m  —  2)  tu\  iiicsiuc  que  —  5)  test  des  lestes csloit...  /i/w 
_/*)...  ans  .Egiplieiies  qu'ans  Pcrsieiies  et  que  la  raison  estait  qnc  tes  Pemem  Perses  portent 
—  5)  turbans  tes  .Egipliens  rases  —  15)  famés  marctiêt  tousiours  les  pieds  nnds  cl  tes 
portêt  [^de]  niesnie  dans  tes  estriefs.  Ccluy  —   1 7)  natura  y  a   uo  lu 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XXXVl.  297 

lanté,  &  nous  termir  contre  les  iniurcs  du  temps,  que  pour  compte 
de  la  reuerence. 

Et  puis  que  nous  l'ommes  lur  le  froid,  6c  François  accouftumez 
à  nous  higuarrer  (non  pas'  moy,  car  ie  ne  m'habille  guiere  que  de 
5  noir  ou  de  blanc,  à  l'imitation  de  mon  père),  adiourtons,  d'vne 
autre  pièce,  que  le  Capitaine  Martin  du  Bellay  dict,  au  voyage  de 
Luxembourg,  auoir  veu  les  gelées  il  alpres,  que  le  vin  de  la  munition 
fc  coupoit  à  coups  de  hache  &  de  coignée,  le  debitoit  aux  Ibldats 
par  poix,  &  qu'ils  l'emportoient  dans  des  paniers.  Et  Ouide,  à  deux 
10     doigts  prez  : 

Nuddque  confiftunt  forinam  leruantia  tefta; 
Vina,  nec  haufta  meri,  l'ed  data  frufta  bibunt. 

Les  gelées  font  û  afpres  en  Xcinhouchcurc  des  Palus  Mo^otides, 
qu'en  la  mefme  place  où  le  Lieutenant  de  Mithridates  auoit  liuré 
i)     bataille  aux  ennemis  à  pied  fec  &  les  y  auoit  destaicts,  l'efté  venu 
il  y  gaigna  contre  eux  encore  vne  bataille  nauale. 

\Lcs  Romains  souffrirent  grciiul  iksaduantagc  an]  combat  qu'ils  curent 
contre  les  Carthaginois  près  de  Plaisance,  de  ce  qu'ils  alarent  a  la  charge 
le  sang  fige  et  les  membres  contreins  de  froit,  la  ou  Annibal  auoit  faict 
2o  espandre  du  feu  par  tout  son  ost,  pour  eschauffer  ses  soldats,  et  distribuer 
de  l'Jniile  par  les  bandes,  affin  que,  s'ouignant,  ils  randissent  leurs  nerfs 
plus  soupples  cl  desgourdis,  et  encroustassent  les  pores  contre  les  coups  de 
l'air  et  du  uent  gelé  qui  tirait  lors. 

[La  reirailte  des  Grecs,  de  Babylone  en  leurs  pais,  est  fameuse  des  diffi- 

25     cullci]  et  mesaises  qu'ils  eurent  a  surnumter.  Ccttecy  en  fut,  qu'accueillis 

ans  montaignes  d'Arnuiùe  d'un  horrible  rauage  de  neges,  ils  en  perdirent 

Texte  88.  —  15)  en  l'enibouchcrc  des 

Var.   ms. —   20)   tûui  pour  cscbauffcr  les  skiis  il   —   21)  affui  qu'en  s'cnouigiiaut  — 
25)  qu'il  eiireiil  a  !,upp9i4ei: 

'    non  pas...  perc  addiiioii  de  ij88. 


298  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

Ja  conoissancc  du  pais  ci  des  chenils,  et,  en  estant  assiège:;^  tout  court,  furent 
un  iour  et  une  nuit  sans  boire  et  sans  manger,  la  plus  part  de  leurs  testes 
mortes;  d'entre  eus  plusieurs  morts,  plusieurs  aueugles  du  coup  du  grésil 
et  lueur  de  la  nege,  plusieurs  stropiei  par  les  extrémité:^,  plusieurs  roidcs, 
transis  et  immobiles  d{  froit,  aïant  encore  le  sens  entier. 

Alexandre  nid  une  nation  en  laquelle  on  enterre  les  arbres  fruitiers  en 
Muer,  pour  les  defandre  de  la  gelée. 

Sur  le  fubiect  de  veflir,  le  Roy  de  la  Mexique  changeoit  quatre 
fois  par  iour  d'accouftremens,  iamais  ne  les  reiteroit,  employant  fa 
desferre  à  fes  continuelles  liberalitez  &  recompenfes;  comme  auflî 
ny  pot,  ny  plat,  ny  vtenfile  de  fa  cuifme  (it  de  la  table  ne  luy  eftoient 
fcruis  à  deux  fois. 

Texte  88.  —  10)  auffi  iamais  nv  pot, 

\'.\R.  MS.  — ■   1)  lOiwissaiicc  qu  ittt  puis  cl  tks  iviila  li  cslaiit  —  3)  coup  du  uciil  cl 


Chapitre    XXXVII. 


DV    lEVXE    CATO\. 


le  n'ay  point  cette  erreur  commune  de  iuger  d'un  nuire  félon  que 
ie  suis.  l'eu  croy  ayfément  des  chofes  diuerses  a  luoy.  Pour  tue  sentir 
engagé  a  une  forme,  ie  n'y  oblige  pas  le  monde,  come  chacun  faict;  cl  crois 
et  conçois  mille  contreres  façons  de  nie;  ci,  au  rebours  du  coinmii,  reçois 
5  plus  facilement  la  differâcc  que  la  rcssamblancc  en  nous.  le  descharge  tant 
qu'à  ueut  un  autre  estre  de  mes  conditions  &  principes,  et  le  considère 
simplemât  en  luy  mesme,  sans  relation,  l'esioffant  sur  son  propre  modelle. 
Pour  n'est re  continant,  ie  ne  laisse  d'aduouer  sinceremant  la  conlinance  des 
FeniUens  et  des  Capuclnns,  et  de  bien  treuucr  l'air  de  leur  trein  :  ie  m 'insinue, 
10    par  imagination,  fort  bien  en  leur  place. 

Texte  88.  —  i)  iuger  d'autruy  félon  moy,  &  de  rapporter  la  condition  des  autres 
hommes  à  la  mienne  :  ie  croy  ayfément  d'autruy  beaucoup  de  chofes,  où  mes  forces 
ne  peuuent  attaindre  :  la  foihleffe  (p.  500,  1.  4.) 

Var.  ms.  —  i)  1°  :  félon  que  ie  suis  &  de  rapporter  la  condition  des  autres 
hommes  à  la  mienne  :  ie  croy  ayfément  des  chofes,  où  mes  forces  ne  peuuent  attaindre  : 
La  foiblefle  (p.  500,  1.  4.)  2°  :  félon  que  ie  suis  Et  ue  louer  qu'autant  que  ie  sçai  imiter  : 
ie  croy  ayfément  des  chofes,  où  mes  forces  ne  peuuent  attaindre.  La  foibleffe  5°  :  félon 
que  ie  suis  Et  ne  louer  qu'autant  que  ie  sçai  imiter  :  t'en  croy  ayfément  des  chofes  diuerses 
—  2)  me  uoir  engagé  —  4)  contreres  figures  de  uie  :  en  nous  :  et  aus  rehours  —  5)  plus 
aiseemàt  la...  ressamhlauce  en  nos  estres  :  ie  descharge  aiseemât  un  autre  —  6)  principes 
et  la  considère  puremant  en  elk  mismc  mm  luy  mesme,  —  7)  1°  =  relation  a  mon  modelle 
et  l'cstoffant   2°  :  relation  et  l'estoffanl 


500  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

Et  si  les  aime  et  les  honore  d'autàt  plus  qii  'ils  sont  autres  que  moi.  le  désire 
singulièrement  qu'on  nous  iuge  [cbascun  a  part  soy,  et  qu'on  ne\  me  tire  en 
conscquance  [des  communs  exemples.] 

Ma  foiblefle  n'altère  aucunement  les  opinions  que  ie  dois  auoir 
de  la  force  &  uigeur  de  ceux  qui  le  méritent.  «  Sunt  qui  nihil  laudent,  5 
)iisi  quod  se  imitari  posse  confidunt.^  »  Rampant  au  limon  de  la  terre, 
ie  ne  laifle  pas  de  remerquer,  iufques  dans  les  nues,  la  hauteur 
inimitable  d'aucunes  âmes  héroïques.  Ceft  beaucoup  pour  moy 
d'auoir  le  iugement  réglé,  fi  les  effects  ne  le  peuuent  eftre,  &  main- 
tenir au  moins  cette  maiflreffe  partie  exempte  de  corruption,  C'efl  10 
quelque  choie  d'auoir  la  volonté  bonne,  quand  les  iambes  me 
foillent.  Ce  fiecle  auquel  nous  viuons,  au  moins  pour  noftre  climat, 
ell  fi  plombé  que,  ie  ne  dis  pas  l'exécution,  mais  l'imagination  mesme 
de  la  vertu  en  eft  à  dire;  &  femble  que  ce  ne  loit  autre  chofe  qu'vn 
iargon  de  colliege  :  iS 

iiirtiilciii  uiihn  pulant ,  ut 
Lvcnm  ligua.' 

«  Qjutm  uereri  dehereni,  etiamsi  pereipere  non  possent.  » 
C'est  un  ajjiquet  a  pendre  en  un  cabinet,  ou  au  bout  de  la  langue,  conie 
au  bout  de  l'oreille,  pour  parement.  20 


Texte  88.  —  4)  foiblefle  que  ie  fens  en  moy,  n'altère  —  5)  de  la  vertu  &  valeur 

de  —    10)   exempte  de  la  corruption  &  débauclie  :  c'eft  (Montaigne  efface  la  avant  d'effacer 
&  débauche)  —  13)  que  le  gouft  melhic  de  la  vertu 

\'ar.  ms. —  1)  El  en  outre  les  aime  —  5)  de  la  vertu  &  »i"fiu/r  de  —  8)  héroïques 
et  par  quel  inoien  elles  s'y  sont  montées  quel  tour  elles  se  douent  pour  s'esleuer  corne  ie  n'admire 
aucune  action  ou  pansée  pour  sa  bassesse,  ic  i'ay  et  rcconois  en  mon  anie,  les  semâces  i"  :  de 
tous  CCS  nwuuemàs.    2":  de  ces  mouucinàs.    3°:  i/i' ;« /ro^'rr:;.  C'eft  beaucoup 

'  Cette  citation,  écrite  une  première  fois  dans  l'interligne,  est  rayée  et  récrite  dans  la  marge.  Voir 
l'héliogravure  qui  est  en  tête  de  ce  volume. 

2  Cette  citation  fai-sait  partie  du  texte  de  1 588  ;  mais  elle  était  imprimée  comme  Je  la  prose.  Montaigne 
l'a  récrite  en  marge  sous  la  forme  de  vers. 


LIVRE     I,     CHAPITRK      XXXVII.  5OI 

Il  ne  le  recogm)it  plus  d'action  vertueule  :  celles  qui  en  portent  le 
vilage,  elles  n'en  ont  pas  pourtant  l'effence,  car  le  profit,  la  gloire, 
la  crainte,  l'accoutumance  &  autres  telles  caules  eftrangeres  nous 
acheminent  à  les  produire.  La  iuflice,  la  vaillance,  la  debonnaireté, 
5  que  nous  exerçons  lors,  elles  peuuent  eftre  ainsi  iioniccs  pour  la 
confideration  d'autruy,  &  du  vilage  qu'elles  portent  en  public,  mais, 
chez  l'ouurier,  ce  n'ell  aucunement  vertu;  il  y  a  vne  autre  lin 
propolée,  antre  cause  inonnante.  Or  la  iiertii  n'aduoue  rien  que  ce  qui 
fe  faict  par  elle  &  pour  elle  feule. 

10  En  ccte  grande  \  bataille  de  Pot  idée  que  les  Grecs  sous  Pausanias]  gai- 
gnarent  contre  Mardonius  et  les  Perses,  les  uictorieus,  suiuant  leur  costume, 
uenans  a  partir  entre  eus  la  gloire  de  l'exploit,  attribuareiit  a  la  nation 
Spartiate  la  prarellance  de  nalur  en  ce  combat.  Les  Spartiates,  excellans 
iuges  de  la  uertu,  quand  ils  nindrent  décider  a  quel  particulier  deuoil 

15  deniurer  l'honur  de  auoir  [/f]  mieus  jaict  en  cette  iournee,  Ireuuarent 
qu' Aristodeme  s'estoit  le  plus  corageusement  hasarde;  mais  pourtant  ils  [  ne] 
hiy  eu  douarenl  point  le  pris,  par  ce  que  'isa  j  uertu  auoit  este  incitée  du 
désir  de  se  purger  [dti]  reproche  qu'il  auoil  encorii  au  faict  des  Thermopiles, 
et  d'un  appétit  \de^  mourir  corageusement  pour  garantir  sa  honte  passée. 

20  Nos  iugemens  font  encores  malades,  &  luyuent  la  depraualiou 
de  nos  meurs.  le  voy  la  plufpart  des  efprits  de  mon  temps  faire 
les  ingénieux  à  obfcurcir  la  gloire  des  belles  &  genereules  actions 
anciennes,  leur  donnant  quelque  interprétation  vile,  &  leur  con- 
trouuant  des  occafions  &  des  caufes  vaines. 

25  Grande  fubtilité!  Qu'on  me  donne  l'action  la  plus  excellente 
&:  pure,  ie  m'en  vois  y  fournir  vraylemblablenient  cinquante  vitieules 


Texte  88.  —  i)  d'action  purement  vertueufe  —  5)  eftre  dictes  telles,  pour  — 
8)  propofée  :  elle  n'aduoue  —  9)  faict  en  fa  confideration  &  pour  elle  feule.  Qui 
plus  eft,  nos  iugemens  (1.  20.)  —  20)  fuyuent  la  corruption  de  nos 

Var.  ms.  —  10)  grande  h  Ç:)  —  12)  uemus  a  iugei^  —  12)  aUrihiiareiit  aus 
Ijnedemonieiis  la  pnecellaiice  de  ueUu —  14)  iiitidreiil  1°:  rt /nVc /w««  (phrase  inaclievcc.) 
2°  :  a  décider  a  quel  —  17)  pris  d'aulaut  que  —   i8)  au  (i> 


302  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

intentions.  Dieu  fçait,  à  qui  les  veut  eftendre,  quelle  diuerfité  d'images 
ne  Ibuffre  noftre  interne  volonté.  Ils  m' font  pas  tant  maliticuscmèt  que 
lourdement  et  grossièrement  les  ingenieus  a  tout  leur  mcsdisancc. 

[La]  mesme  peine  qu'on  prent  [a]  detraeter  de  ces  grands  noms,  et  h 
mesme  licence,  [zV]  la  prandcrois  uolantiers  \a]  leur  prester  quelque  tour  5 
[d']espaule  a  les  hausser.  Ces  rares  figures,  et  triées  pour  [l'ex]ampk  du 
motidepar  le  consantemant  des  sages,  ie  [ne]  me  feinderois  pas  de  les  recharger 
d'honur,  autàt  que  mon  inuantion  pourroit  [en]  interprétation  et  fauorahle 
circmistana.  Mais  [if]  faut  croire  que  les  effors  de  nostre  conceptiô  sont  loin 
au  dessous  de  leur  mérite.  C'est  l'office  des  gens  de  Inen  de  peindre  [la]  uertu  10 
/(/  plus  belle  qui  se  puisse;  et  ne  nous  messieroit  pas,  quant  la  passion  nous 
transporter  oit  a  la  faneur  de  si  sainctes  formes.  [Ce]  que  cens  ci  font  au 
contrere,  ils  le  font  ou  par  malice,  ou  par  ce  vice  de  ramener  leur 
créance  à  leur  portée,  dequoy  ie  viens  de  parler,  ou,  comme  ie  penfe 
pluftoft,  pour  n'auoir  pas  la  veuë  affez  forte  &  aflez  nette  pour  15 
conceuoir  la  fplendeur  de  la  vertu  en  fa  pureté  naifue,  ny  dressée  a  cela  : 
comme  Plutarque  dict  que,  de  fon  temps,  aucuns  attribuoient  la  caufe 
de  la  mort  du  ieune  Caton  à  la  crainte  qu'il  auoit  eu  de  Cnsfar  : 
dequoy  il  fe  picque  auecques  raifon;  &  peut  on  iuger  par  là  combien 
il  fe  fut  encore  plus  offencé  de  ceux  qui  l'ont  attribuée  à  l'ambition.  20 
Soties  gens!  Il  eut  bien  faict  une  belle  action,  généreuse  et  iuste,  plus  tost 
aueq  ignominie,  que  pour  la  gloire.  Ce  perfonnage  là  fut  véritablement 
vn  patron  que  nature  choifit  pour  montrer  iufques  où  l'humaine 
uertu  et  fermeté  pouuoit  atteindre. 


Texte  88. —  15)  font  foit  par —  14)  parler  :  foit,  comme —  15)  pour  imaginer 
&  conceuoir  —  17)  temps,  il  y  en  auoit  qui  attribuoient  —  23)  l'humaine  fermeté 
&  confiance  pouuoit 

\'ar.  ms.  —  2)  Ih  foui  bien  lourdement  —  4)  peine  qu'ils  prenent  \a\  detrader  des 
—     10)    au  dessous  deus.    — •    11)     belle  qu'ils  peuueni  et  ne  leur  messieroit  pas  quant 

I**  '.    UCTS 

la  passion  les  emporleroit  «<•■«  (eUe  d'affection   C     „  ^  <•'«  \s*\>*i  '"  sainctes  — 

r  r  jj  -^    2°  :  eniiers   "  ""   ' 

21)  action  aueq  la  honte  plus  tost  que  pour  la  gloire. 


LIVRE      I,      CHAPITRF.      XXXVII.  505 

Mais  ie  ne  luis  pas  icy  à  mcl'mes  pour  traictcr  ce  riche  argument. 
le  veux  feulement  fixire  luiter  enlemble  les  traits  de  cinq  poètes 
Latins  fur  la  louange  de  Caton,  et  pour  l'interest  de  Caton,  et,  par 
incident,  pour  le  leur  aussi.  Or  deura  l'enfant  bien  nourri  trouuer,  [au] 
5  pris  des  autres,  les  deus  premiers  treinans,  le  troisième  plus  uert,  mais  qui 
s'est  ahatu  par  l'extrauagance  de  sa  force;  estimer  que  \la\  il  y  aroit  place 
a  un  ou  deus  degre:^  l  d  l 'inuantion  encores,  pour  arriuer  au  quatriesme,  sur 
le  point  du  quel  il  iouindera  ses  mains  par  admiration.  Au  dernier,  premier 
de  quelque  espace,  mais  la  quelle  espace  il  iurera  m  pouuoir  estre  remplie 

10  par  nul  esperit  humain,  il  s'estonera,  il  se  transira.  Voicy  merueille  :  nous 
auons  Inen  plus  de  poètes,  que  de  iuges  et  interprètes  de  poésie.  Il  est  plus 
aise  de  la  faire,  que  de  la  conoistre.  A  certeine  mesure  basse  on  la  peut 
iiiger  par  les  pra'ceptes  et  par  art.  Mais  la  bone,  l'excessiue,  la  diuine  est 
audessus  des  règles  &  de  la  raison.  Quiconque  en  discerne  la  beauté  d'une 

1 5  ueue  ferme  et  rassise,  il  ne  la  uoit  pas,  non  plus  que  la  splandur  d'un  esclair. 
Elle  ne  pratique  point  nostre  ingénient  :  elle  le  rauist  et  rauage.  La  furur 
qui  espoiiiçone  celuy  qui  la  sçait  pénétrer,  fart  encores  un  tiers  a  la  luy  ouir 
traicter  &  reciter  :  come  l'aimant,  non  sulement  attire  un  eguille,  mais 
infont  encores  en  icelle  sa  faculté  d'en  attirer  d'autres.  Et  il  se  uoit  plus 

20  cleremant  ans  théâtres,  que  l'inspiration  sacrée  des  muses,  aiant  premiercmèt 
agité  le  poète  a  la  cholere,  au  deuil,  a  la  heine,  et  hors  de  soi,  ou  elles  ueulent, 
frape  encores  par  le  poète  l'actur,  et  par  l'actur  consecutiuement  tout  un 
peuple.  C'est  l'enjîlure  de  nos  eguilks,  suspendues  l'une  de  l'autre.  Des  ma 
première  enfance,  la  poésie  a  eu  cela,  de  me  transpercer  et  transporter.  Mais 

25  ce  ressentiment  bien  uif  qui  est  naturellement  en  moi,  a  este  diuersemcnt 
manie  par  diuersite  de  formes,  non  tant  plus  hautes  et  plus  basses  (car 


\'ar.  ms.  —  4)  trouuer  la  —  6)  cxirauagauce  1°  :  ik  Ui^  sa  force  2°  :  de  sa 
pointe.  Estimer  —  6)  place  pour  deus  ou  trois  in»  dci^re^  d'innnntion  a  les  atacher.  Au 
quatriesme  il  iouindera  —  8)  premier  de  si  longue  espace  —  16)  pratique  pas  nostre... 
furur  et  la  rage  qui  —  17)  ouir  Iml  —  20)  inspiration  uiolanle  des...  premieremêt 
transporte  le  poète  —  21)  ou  elle  neut  frape  encores  l'actur  et  par  l'actur  Tiu  terprele,  tout 
un  peuple.  Et  se  faict  ainsi  l'enfilure  de  plusieurs  eguilles  pendantes  l'une 


304  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

c'estoiiil  toiisioltrs  des  plus  hautes  en  ehiiqite  espeee)  coine  dilferaiites  en 
coliir  :  preiuiereuieiit  une  fluidité  gaye  et  ingénieuse;  despuis  une  subtilité 
[aigiie]  et  relleuee;  enfin  une  foire  meure  et  eonstante.  L'exaniple  le  dira 
micus  :  Guide,  Lueain,  J'ergile.  [Mais  voyla  nos  gens  sur  la  earrierc] 

Sit  Cato,  Jum  viuit,  lane  vel  Cxlare  maior.  5 

dict  l'vn. 

Et  inuictum,  deuicta  morte,  Catonem, 

dict  l'autre.  Et  l'autre,  parlant  des  guerres  ciuiles  d'entre  Cx-far 
et  Pompeius, 

Victiix  caul'a  diis  placuit,  led  victa  Catoni.  10 

Et  le  quatrielme,  lur  les  louanges  de  Cxlar  : 

Et  cuncta  terrarum  fubacta, 
Prœter  atrocem  animum  Catonis. 

Et  le  maillre  du  ehivur,  après  auoir  étalé  les  noms  des  plus  grands 
Romains  en  la  peinture,  finit  en  cette  manière  :  15 

liis  dantein  iura  Catonem. 

Texte  88.  —  14)  du  cœur  après 

Var.  ms.  —  i)  cil  fbif    —   2)    ingciiicusc  qui  me  flalasl  Dfspuis    —    5)    lyllaifc  qui 
me picast.  Enfui...  meure  avislaiile  solide  L'cxample 


Chapitre    XXXVIII. 


COMML    NOVS    PLEVRONS   ET   RIONS    D  VXE    MESME   CHOSE. 


Qiiand  nous  rencontrons  dans  les  hiftoires,  qu'Antîgonus  kcut 
tres-mauuais  gré  à  l'on  fils  do  luy  auoir  prelcntù  la  tcftc  du  Roy 
Pyrrhus  l'on  cnnemy,  qui  venoit  l'ur  l'heure  melme  d'eftre  tué 
combatant  contre  luy,  &  que,  l'ayant  veuë,  il  le  print  bien  fort 
)  à  pleurer;  &  que  le  Duc  René  de  Lorraine  pldiisit  aufl'i  la  mort  du 
Duc  Charles  de  Bourgoigne  qu'il  venoit  de  deffaire,  (^  en  porta  le 
deuil  en  l'on  enterrement;  &  que,  en  la  bataille  d'Auroy  que  le 
Comte  de  Montfort  gaigna  contre  Charles  de  Blois,  la  partie  pour 
le  Duché  de  Bretaigne,  le  victorieux,  rencontrant  le  corps  de  Ion 
10  ennemy  trelpalTé,  en  mena  grand  deuil,  il  ne  laut  pas  s'elcrier 
loudain  : 

Et  cofi  auen  che  l'animo  ciafcuna 
Sua  palTion  fotto  el  contrario  manto 
Ricopre,  con  la  vida  hor'  chiara  hor  bruiia. 

15  Quand  on  prel'enta  k  Civl'ar  la  telle  de  Pompeius,  les  hilloires  dil'ent 
qu'il  en  détourna  la  veué  comme  d'vn  vilain  <S:  mal  plailant  fpectacle. 
11  y  auoit  eu  entr'  eux  vue  i\  longue  intelligence  ^:  locieté  au  manie- 
ment des  affaires  publiques,  tant  de  communauté  de  iortunes,  tant 

Texte  88.  —  5)  I.orrainc,  pleura  aulTi 


30é  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

d'offices  rcciproqucs  &  d'alliance,  qu'il  ne  faut  pas  croire  que  cette- 
contenance  lut  toute  tauce  &  contretaicte,  comme  eftime  cet  autre  : 

tutùmque  putauit' 
lam  bonus  efle  focer;  lachrimas  non  fponte  cadentes 
Effudit,  gemitûfque  expreffit  pectore  lœto.  5 

Car,  bien  que,  à  la  vérité,  la  plufpart  de  nos  actions  ne  foient  que 
mafque  &  lard,  &  qu'il  puilTe  quelquefois  eftre  vray, 

Hseredis  fletus  fub  perfona  rilus  eft, 

û  efl-ce  qu'au  iugement  de  ces  accidens  il  fiiut  confiderer  comme 
nos  âmes  le  trouuent  iouuent  agitées  de  diuerles  paffions.  Et  tout  lo 
ainfi  qu'en  nos  corps  ils  difent  qu'il  y  a  vne  aflemblée  de  diuerfes 
humeurs,  deiquclles  celle  là  eft  maiftreffe  qui  commande  le  plus 
ordinairement  en  nous,  lelon  nos  complexions  :  auffi,  en  nos  âmes, 
bien  qu'il  y  ait  diuers  mouuemens  qui  l'agitent,  fi  faut-il  qu'il  y  en 
■  ait  vn  à  qui  le  champ  demeure.  Mais  ce  n'eft  pas  auec  fi  entier  15 
auantage  que,  pour  la  volubilité  &  foupplelîe  de  noftre  ame,  les  plus 
foibles  par  occafion  ne  regaignent  encor  la  place  &  ne  lacent  vne 
courte  charge  à  leur  tour.  D'où  nous  voyons  non  leulement  les 
enfans,  qui  vont  tout  naifucment  après  la  nature,  pleurer  6v  rire 
Iouuent  de  melme  chofe;  mais  nul  d'entre  nous  ne  fe  peut  vanter,  20 
quelque  voyage  qu'il  lace  à  Ion  louhait,  que  encore  au  départir  de 
la  lamille  tk  de  les  amis  il  ne  fe  fente  friflbnner  le  courage;  &,  Il  les 
larmes  ne  luy  en  efchappent  tout  à  faict,  au  moins  met-il  le  pied 
à  Vestrié  d'vn  vifage  morne  &  contrifté.  Et,  quelque  gentille  llamme 
qui  efchaufe  le  cœur  des  filles  bien  nées,  encore  les  dcsprciid  on     25 


Thnih   88.  —    iS)    feulement  aux  enfans    —    24)     à  Teftiieu  d'vii    —    25)    les 
defpend  on 

'     tires  cil  Ç<l   Lcrit  Mom.iignc  à  droite  de  cette  lin  de  vers. 


LIVRE      I,      CHAPITRl-      XXXVIII.  507 

à  force  du  col  de  leurs  mercs  pour  les  rendre  à  leur  efpous,  quoi- 
que die  ce  bon  compaignon  : 

Eft  ne  nouis  nuptis  odio  venus,  anne  parentum 
Fruftrantur  falfis  gaudia  lachrimulis, 
5  Vbertim  thalami  quas  intra  limina  fundunt  ? 

Non,  ita  me  diui,  vera  gemunt,  iuuerint. 

Ainlîn  il  n'eft  pas  eftrange  de  plaindre  celuv-là  mort,  qu'on  ne 
voudroit  aucunement  eftre  en  vie. 

Quand  ic  tance  auec  mon  valet,  ie  tance  du  meilleur  courage 

10  que  i'aye,  ce  lont  vrayes  &  non  feintes  imprécations;  mais,  cette 
fumée  paflee,  qu'il  ayt  befoing  de  moy,  ie  luy  bien  feray  volontiers  : 
ie  tourne  à  l'inftant  le  fueillet.  Quand  ie  l'appelé  un  badin,  un  ueau,  ic 
[n']entreprans  pas  de  luy  coudre  a  ianiais  ces  tiltrcs;  nv  ne  pense  me  desdire 
pour  le  notner  tantost  }x)neste  home.  Nulle  qualité  nous  entrasse  piircmant 

15  et  uniucrsellemant .  Si  ce  nestoii  la  contenance  d'un  fol  de  parler  sul,  il 
n  'est  iour  au  quel  on  ne  ni'ouit  grofider  en  moi  mesmes  et  contre  mox  : 
Bran  du  fat.  Et  si  n'entans  pas  que  ce  soit  ma  définition. 

Qui  pour  me  voir  vne  mine  tantoft  froide,  tantoft  amoureufe 
enuers  ma  femme,  eftime  que  l'vne  ou  l'autre  foit  feinte,  il  efl  vn 

20  fot.  Néron,  prenant  congé  de  fa  mère  qu'il  enuoyoit  noyer,  fentit 
toutesfois  l'émotion  de  cet  adieu  maternel,  &  en  cuft  horreur 
&  pitié. 

On  dict  que  la  lumière  du  Soleil  n'eft  pas  d'vne  pièce  continue, 
mais  qu'il  nous  élance  fi  dru  fans  cefTe  nouueaux  rayons  les  vus  fur 

25     les  autres,  que  nous  n'en  pouuons  apperceuoir  l'entre  deux  : 

Largus  enim  liquidi  fons  luminis,  ;i.tlierius  fol 
Inrigat  aflidue  cœluin  candore  recenti, 
Suppeditdtque  nouo  confeftim  luniine  lumen; 


\'ar.  ms.  —   12)  had'w  nu  sol  if  —  14)  pour  le  iuoei:  —  1 5)  t»/  cl  ii  pari  soi  il  u'esl 
—  16)  ouil  crier  a  moi  mesmes  O  le  badin  O  le  sol.  Qui  pour 


5o8  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

ainlin   ellancc   noftre  amc   ics   peintes  diucrlcmcnt  &  impercepti- 
blement. 

JrIcilHiiiiis  surprit  Xerxcs,  sou  iwiieu,  cl  le  tança  de  ht  soucleiue  uiutatiou 
de  sa  contenance.  Il  estoit  a  considérer  la  orandur  desincsiircc  de  ses  jorces 
au  passage  de  l'Helespont  pour  l'eut reprinse  de  la  Graxe.  Il  lity  print  5 
premieremct  vu  tressaillimant  d'aise  a  voir  tant  de  milliers  d'homes  a  son 
seruice,  et  le  tesmouigua  par  l'alegresse  et  Jeste  de  son  uisage.  Et,  tout 
Soudan,  eu  mesme  instant,  sa  pensée  lux  suggérant  corne  tant  de  aies  auoint 
a  défaillir  au  plus  louin  dans  un  siècle,  il  refrouigna  son  front,  et  s'attrista 
iusqu'  ans  larmes.  10 

Nous  auons  pourl'uiuy  auec  rel'oluë  volonté  la  vengeance  d'vne 
iniure,  &  refenty  vn  fingulicr  contentement  de  la  victoire,  nous  en 
pleurons  pourtant;  ce  n'efl  pas  de  cela  que  nous  pleurons;  il  n'y 
a  rien  de  changé,  mais  noftrc  ame  regarde  la  choie  d'vn  autre  œil, 
&  le  la  reprelente  par  vn  autre  vilage  :  car  chaque  choie  a  plufieurs  15 
biais  &  plufieurs  luftres.  La  parenté,  les  anciennes  accointances 
&  amitié/  laififTent  nostre  imagination  &  la  paffionnent  pour  l'heure, 
■félon  leur  condition;  mais  le  contour  en  eft  li  bruique,  qu'il  nous 
cfchappe. 

Nil  adeo  fieri  céleri  ratioiie  videtur  20 

Quam  fi  mens  fieri  proponit  &  inchoat  ipfa. 
Ocius  ergo  animus  quam  res  fe  perciet  vila, 
Alite  oculos  quarum  in  promptu  natura  videtur. 

Et,  à  cette  caufe,  voulans  de  toute  cette  luite  continuer  vn  corps, 
nous  nous  trompons.  Quand  Timoleon  pleure  le  meurtre  qu'il  auoit  25^ 
commis  d'vne  li  meure  &  genereufe  délibération,  il  ne  pleure  pas  la 
liberté  rendue  à  fa  patrie,  il  ne  pleure  pas  le  Tyran,  mais  il  pleure 
fon  frère.  L'vne  partie  de  l'on  deuoir  eft  iouée,  lailfons  luy  en  iouer 
l'autre. 

Tkxte  88.  —  17)  faififlent  fon  imagination 

\'ar.   ms.  —  3)  ncucu  et  le  repriiit  de  —  6)   Iresfnillirinvil  de  ccui-  d  de  d'aise  de  voir 


Chapitre    XXXIX. 


DE    LA    SOLITVDE. 


Lailîons  à  part  cette  Ionique  comparail'on  de  la  vie  folitairc  à  l'actiiie; 
&  quant  à  ce  beau  mot  dequoy  le  couure  l'ambition  (^  l'auarice  :  Qiie 
nous  ne  fommes  pas  nez  pour  noflre  particulier,  ains  pour  le  publicq, 
rapportons  nous  en  hardiment  à  ceux  qui  font  en  la  danfe;  &  qu'ils 
5  fe  battent  la  conlcience,  fi,  au  rebours,  les  eftats,  les  charges,  è^  cette 
tracaflerie  du  monde  ne  le  recherche  plutoll;  pour  tirer  du  publicq 
l'on  profit  particulier.  Les  mauuais  moyens  par  où  on  s'y  poufle  en 
noftre  fiecle,  montrent  bien  que  la  fin  n'en  vaut  gueres.  Relpondons 
à  l'ambition  que  c'eft  elle  mefme  qui  nous  donne  gouft  de  la  folitude: 
10  car  que  fuit  elle  tant  que  la  focieté?  que  cherche  elle  tant  que  les 
coudées  franches?  Il  y  a  dequoy  bien  &  mal  faire  par  tout  :  toutefois, 
fi  le  mot  de  Bias  efl  vray,  que  la  pire  part  c'eft  la  plus  grande,  ou  ce 
que  dit  l'Ecclefiaftique,  que  de  mille  il  n'en  eft  pas  vn  bon, 

Rari  quippe  boni  :  numéro  vix  funt  totidem,  quot 
'S  Thebarum  portœ,  vel  diuitis  oftia  Nili, 

la  contagion  eft  tres-dangereufe  en  la  prefle.  Il  laut  ou  imiter  les 
vitieux,  ou  les  haïr.  Tous  les  deux  font  dangereux,  &  de  leur 

Texte  88.  —  5)  battent  fur  la 


3IO  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

reflembler,  par  ce  qu'ils  sont  beaucoup;  &  d'en  hair  beaucoup,  parce 
qu'ils  font  diflemblables. 

Et  les  manhans  qui  iioiit  en  nier,  ont  raison  de  regarder  que  cens  qui 
se  mettït  en  mesnie  ucsseau,  ne  soint  dissolus,  hlasphematurs,  meschans  : 
estimans  telle  société  infortunée.  5 

Parquoi  Bias,  plaisammant,  a  cens  qui  passoint  aucq  luy  le  dangier 
d'une  grade  tourmante,  et  apeloint  le  secours  des  dieus  :  Taises  nous,  fit  il, 
qu'ils  ne  sentes  point  que  nous  soies  icy  aueq  moi. 

Et,  d'un  plus  pressant  exemple,  Albuquerque,  niceroy  en  l'indc  pour 
le  Roy  Emanuel  de  Portugal,  en  un  extrême  péril  de  fortune  de  mer,  print     10 
sur  ses  espaules  un  ieune  garçon,  pour  cette  suie  fin,  qu'en  la  société  de  leur 
fortune  son  innocence  luy  seruit  de  garant  &  de  recomâdation  emiers  la 
faneur  diuine,  pour  le  mettre  a  sanuete. 

Ce  n'efl;  pas  que  le  fage  ne  puifle  par  tout  viure  content,  voire 
&  feul  en  la  foule  d'vn  palais;  mais,  s'il  eft  à  choifir,  il  en  fuira,     15 
dit-il,  mefmes  la  veue.  Il  portera,  s'il  efl;  befoing,  cela;  mais,  s'il  eft 
en  luy,  il  eflira  cecy.  Il  ne  luy  femble  point  fuffilamment  s'eftre 
"desfait  des  vices,  s'il  faut  encores  qu'il  contefte  auec  ceux  d'autruv. 

Charondas  chaftioit  pour  mauuais  ceux  qui  eftoient  conuaincus 
de  hanter  mauuaife  compaignie.  20 

//  n'est  rien  si  dissociable  et  sociable  que  l'home  :  l'un  par  son  uice,  l'autre 
par  sa  nature. 

Et  Antisthoies  ne  me  semble  auoir  satisfaict  a  cclux  qui  lux  reprochoit 
'  sa  conucrsation  aueq  les  meschans,  en  disant  que  les  médecins  uiuoint  Inen 
entre  les  malades,  car,  s'ils  seruct  a  la  saute  des  malades,  ils  détériorent     25 
la  leur  par  la  eôtagion,  la  mue  continuelle  et  pratiij^  des  maladies. 

Texte  88.  —  i)  ils  font  beaucoup  —  19)  chaftioit  de  griefues  punitions  ceux 

Var.  ms. —  3)  marcJjaiis  qui  se  mettent  en  —  4)  soint  irrcligkus  dissotiis  —  6)  Bias 
a  cens...  luy  en  le  —  10)  perd  de  lormante print  —  20)  compaignie.  Sninct  Augustin 
did  tresbien  qu'il  n'est  rien  si  dissociable  par  son  uice  que  l'home  :  rien  si  sociable  par  sa 
nature.  —  25)  auoir  suffisaniniant  salisfaict  —  24)  médecins  hantoint  bien  les  malades 
—  26)  eôtagion  du  mauues  air  &  de  la  ueue  mcsnie  continuelle  et  gouuerucmêt  des  maladies. 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XXXIX.  51I 

Or  lii  fin,  ce  crois-ie,  en  cft  tout'  vnc,  d'en  viure  plus  à  loifir 
iS:  à  Ion  aile.  Mais  on  n'en  cherche  pas  toufiours  bien  le  chemin. 
Souuent  on  penle  auoir  quitté  les  affaires,  on  ne  les  a  que  changez. 
Il  n'y  a  guiere  moins  de  tourment  au  gouuernement  d'vne  famille 
5  que  d'\n  eifat  entier  :  où  que  famé  foit  empefchée,  elle  y  eil  toute; 
&,  pour  eftre  les  occupations  domelfiques  moins  importantes,  elles 
n'en  lont  pas  moins  importunes.  D'auantage,  pour  nous  elfre  deffaits 
de  la  Cour  &  du  marché,  nous  ne  fommes  pas  detfaits  des  principaux 
tourmens  de  noftre  vie, 

10  ratio  &  prudentia  curas, 

Non  locus  effufi  latè  maris  arbiter,  aufert. 

L'ambition,  l'auarice,  l'irrefolution,  la  peur  &  les  concupifcences  ne 
nous  abandonnent  point  pour  changer  de  contrée, 

Et  poft  equitem  fedet  atra  cura. 

1 5  Elles  nous  fuiuent  louuent  iulques  dans  les  cloillres  &  dans  les  efcoles 
de  philolbphie.  Ny  les  defers,  ny  les  rochers  creufez,  ny  la  hère,  ny 
les  ieunes  ne  nous  en  démeflent  : 

h«ret  lateri  letalis  arundo. 

On  difoit  à  Socrates  que  quelqu'vn  ne  s'eftoit  aucunement  amendé 
20     en  fon  voyage  :  le  croy  bien,  dit-il,  il  s'eftoit  emporté  auecques  foy. 

Quid  terras  alio  calentes 
Sole  mutamus  ?  patria  quis  exul 
Se  quoque  fugit  ? 

Si  on  ne  fe  defcharge  premièrement  &  fon  ame,  du  fais  qui  la 
25     prelTe,  le  remuement  la  fera  fouler  dauantage  :  comme  en  vn  nauire 

Texte  88.  —  4)  famille  qu'en  vn  cftat 
\'ar.  ms.  —  24)  premièrement  soy  & 


312  ESSAIS     CE     MONTAIGNE. 

les  charges  empelchent  moins,  quand  elles  font  ralliles.  Vous  faictes 
plus  de  mal  que  de  bien  au  malade,  de  luy  faire  changer  de  place. 
Vous  enfachez  le  mal  en  le  remuant,  comme  les  pals  s'enfoncent 
plus  auant  &  s'affermilTent  en  les  branlant  &  fecouant.  Parquoy  ce 
n'eil  pas  aflez  de  s'eftre  efcarté  du  peuple;  ce  n'eft  pas  alTez  de  changer  s 
de  place,  il  fe  faut  efcarter  des  conditions  populaires  qui  font  en 
nous  :  il  fe  faut  fequeftrer  &  r'auoir  de  foy. 

Rupi  iam  vincuLi  dicas  : 
Xam  luctata  canis  nodum  arripit;  attanien  illi, 
Ciim  tugit,  à  collo  trahitur  pars  longa  catens.  lo 

Nous  emportons  nos  fers  quand  .^  nous  :  ce  n'eft  pas  vne  entière 
liberté,  nous  tournons  encore  la  veuë  vers  ce  que  nous  auons  laifle, 
nous  en  auons  la  fontafie  plaine. 

Xili  purgatum  eft  pectus,  qu.t  pra;lia  iiobis 
Atque  pericula  tune  ingratis  iniinuandum  ?  Ij 

Quant^e  confcindunt  hominem  cuppedinis  acres 
Sollicitum  cura;,  quantique  période  timorés  ? 
Quidue  fuperbia,  fpurcitia,  ac  petulantia,  quantas 
Elîiciunt  clades  ?  quid  luxus  defidiéi'que  ? 

Xoftre  mal  nous  tient  en  Famé  :  or  elle  ne  fe  peut  échapcr  à  elle     20 
mefme. 

In  culpa  eft  aninius  qui  le  non  effugit  vnquam. 

Ainiin  il  la  faut  ramener  i:x  retirer  en  ibv  :  c'eil  la  vraie  lolitude, 
&  qui  le  peut  ioùir  au  milieu  des  villes  &  des  cours  des  Roys;  mais 
elle  le  iouyt  plus  commodément  à  part.  25 

Or,  puis  que  nous  entreprenons  de  viurc  leuls  iv  de  nous  palier 
de  compagnie,  failons  que  noftre  contentement  delpende  de  nous; 
delprenons  nous  de  toutes  les  liailons  qui  nous  attachent  à  autruy, 


LIVRH      I,      CHAl'lTKH      XXXIX.  313 

gaignons  fur  nous  du  pouuoir  à  bon  cfcicnt  viurc  kuls  6c  v  viurc 
à  noftr'  aile. 

StiJpon  cftant  cfchappc  de  rembralement  de  l'a  ville,  où  il  auoit 
perdu  femme,  enlans  ai:  cheuance,  Démetrius  Poliorcetes,  le  voyant 
5  en  vne  lî  grande  ruine  de  la  patrie  le  vilage  non  effrayé,  luy  demanda 
s'il  n'auoit  pas  eu  du  dommage.  Il  relpondit  que  non,  &  qu'il  n'y 
auoit.  Dieu  mercy,  rien  perdu  de  lien.  C'est  ce  que  le  pbilosofcAntislheiics 
disoit  plaisiiiiiiiniiit  :  que  Vhome  [se^i  deuoit  pouruoir  de  muni  lions  qui 
flottisseut  sur  Ij'u^iu  et  peiisseiil  ci  lutge  eschaper  aueq  luy  du  naufrage. 

lo  Certes  l'homme  d'entendement  n'a  rien  perdu,  s'il  a  foy  mefme. 
Quand  la  ville  de  Xole  fut  ruinée  par  les  Barbares,  Paulinus,  qui 
en  efloit  Euélque,  y  avant  tout  perdu,  &  leur  prifonnier,  prioit  ainli 
Dieu  :  Seigneur,  garde  moy  de  fentir  cette  perte,  car  tu  fçais  qu'ils 
n'ont  encore  rien  touché  de  ce  qui  eft  à  moy.  Les  richelTes  qui  le 

15  tailoyent  riche,  &  les  biens  qui  le  faifoient  bon,  cftoyent  encore  en 
leur  entier.  \'oyla  que  c'ell  de  bien  choifir  les  threlors  qui  le  puiffent 
affranchir  de  l'iniure,  &  de  les  cacher  en  lieu  où  perlonne  n'aille, 
&  lequel  ne  puilTe  eftre  trahi  que  par  nous  melmes.  Il  faut  auoir 
femmes,  enfans,  biens,  &  fur  tout  de  la  lanté,  qui  peut;  mais  non 

20  pas  s'y  attacher  en  manière  que  noflre  heur  en  defpende.  Il  le  faut 
releruer  vne  arriereboutique  toute  noftre,  toute  franche,  en  laquelle 
nous  eftablilTons  noffre  vrave  liberté  &  principale  retraicte  6c  lolitude. 
En  cette-cy  iaut-il  prendre  noftre  ordinaire  entretien  de  nous  à  nous 
mefmes,  &  fi  priué  que  nulle  acointance  ou  communication  eftran- 

25  giere  y  trouue  place;  difcourir  îx  y  rire  comme  fans  femme,  fans 
enfans  &  fans  biens,  lans  train  6c  fans  valet/,  afin  que,  quand  l'occafion 
aduiendra  de  leur  perte,  il  ne  nous  loit  pas  nouueau  de  nous  en 
palier.  Nous  auons  vne  ame  contournable  en  loy  melme;  elle  le 


Texte  88. —  16)  puillcnt  garantir  de  —  20)  que  tout  noftre  —  ^4)  eftrangiere 
n'y 

\'ak.  ms.  —  9)  peufsciil  cKimpcr...  naufrage  a  vagc.  Certes 


314  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

peut  taire  compagnie;  elle  a  dequoy  aflaillir  &  dequoy  défendre, 
dequoy  receuoir  .!■  dequov  donner  :  ne  craignons  pas  en  cette  lolitude 
nous  croupir  d'oilîueté  ennuyeule, 

in  folis  fis  tibi  turba  locis.' 

hi  iicrtit,  dicl  Jntisthenes,  se  contante  de  soi  :  sans  disciplines,  sans  paroles,     5 
sans  effaicts. 

En  nos  actions  accouftumées,  de  mille  il  n'en  efl  pas  vne  qui  nous 
regarde.  Celuy  que  tu  vois  grimpant  contremont  les  ruines  de  ce 
mur,  furieux  &  hors  de  foy,  en  bute  de  tant  de  harquebuzades; 
&  cet  autre,  tout  cicatrice,  tranfi  (bi;  palle  de  faim,  délibéré  de  creuer  10 
plutoft  que  de  luy  ouurir  la  porte,  penfe  tu  qu'ils  y  foyent  pour  eux? 
Pour  tel,  à  l'aduenture,  qu'ils  ne  virent  onques,  &  qui  ne  fe  donne 
aucune  peine  de  leur  faict,  plongé  cependant  en  l'o^-fiueté  &  aux 
délices.  Cettuy-cy,  tout  pituiteux,  chaflîeux  &  craffeux,  que  tu  vois 
fortir  après  minuit  d'vn  eflude,  penfes  tu  qu'il  cherche  parmy  les  15 
liures  comme  il  fe  rendra  plus  homme  de  bien,  plus  content  &  plus 
fage?  Nulles  nouuelles.  Il  y  mourra,  ou  il  apprendra  à  la  pofterité 
la  mefure  des  vers  de  Plaute  &  la  vraye  orthographe  d'vn  mot  Latin. 
Qui  ne  contre-change  volontiers  la  fanté,  le  repos  &  la  vie  à  la 
réputation  &  à  la  gloire,  la  plus  inutile,  vaine  &  fauce  monnoye  qui  20 
foit  en  noflre  vfage?  Noftre  mort  ne  nous  faifoit  pas  affez  de  peur, 
chargeons  nous  encores  de  celle  de  nos  femmes,  de  nos  enfans  &  de 
nos  gens.  Nos  affaires  ne  nous  donnoyent  pas  affez  de  peine, 
prenons  encores  à  nous  tourmenter  &  rompre  la  tefte  de  ceux  de 
nos  voifins  &  amis.  25 

Vah  !  quemquamne  hominem  in  aninium  inftituere,  aut 
Parare,  quod  lit  cliarius  quam  ipfc  cil  fibi  ? 

Tt\TE  88.  —  18)  vrayc  orthographie  d'vn 

Eli  ça  ijcrit  .Montaigne  à  droite  de  cette  tin  de  vers. 


LIVRE      I,      CHAPITRF      XXXIX.  315 

La  sflJlliitc  nie  semble  ciiioir  plus  d'iippnniuee  et  \  de]  raison  a  eeiis  qui  oui 
doue  an  monde  leur  eage  plus  actif  &  fleurissant,  suiuant  l'exemple  de  Thaïes. 
Ceft  affez  vefcu  pour  autruy,  viuons  pour  nous  au  moins  ce  bout 
de  vie.  Ramenons  à  nous  iic  à  noilre  aise  nos  pensées  6c  nos  intentions. 
5  Ce  n'cfl;  pas  vne  Icgiere  partie  que  de  taire  leurement  fa  retraicte; 
elle  nous  empefche  affez  fans  y  méfier  d'autres  entreprinles.  Puis  que 
Dieu  nous  donne  loifir  de  difpoler  de  noftre  dellogement,  préparons 
nous  v;  plions  bagage;  prenons  de  bon'  heure  congé  de  la  compaignie; 
defpetrons  nous  de  ces  violentes  prinles  qui  nous  engagent  ailleurs 

10  &  efloignent  de  nous.  Il  faut  defnoùer  ces  obligations  li  fortes, 
&  melliuv  avmer  ce-cy  &  cela,  mais  n'elpouler  rien  que  foy.  Ceft 
à  dire  :  le  refte  foit  à  nous,  mais  non  pas  ioint  &  colé  en  taçon  qu'on 
ne  le  puiffe  defprendre  fans  nous  cfcorcher  &  arracher  enfemble 
quelque  pièce  du  noftre.  La  plus  grande  choie  du  monde,  c'eft  de 

15     fçauoir  eftre  à  loy. 

//  est  temps  de  nous  desnouer  de  la  société,  puis  que  nous  n'y  pouuons 
rien  apporter.  Et,  qui  ne  peut  presler,  qu'il  se  défende  d'emprunter.  Nos 
forces  nous  faiUent;  retirons  les  et  resserrons  en  nous.  Oui  peut  reuuerser 
et  côfondre  en  soi  les  offices  de  l'amitié  et  de  [la\  compaii^nie,  qu'il  le  face. 

20  En  celé  chute,  qui  le  rant  inutil  le,  poisant  et  importun  ans  autres,  qu'il  se 
garde  d'estre  importun  a  soi  mesuws,  et  poisant,  et  inutile.  Qu'il  se  flate, 
et  caresse,  et  surtout  se  régente  :  respectât  et  creignant  sa  raison  et  sa  côsciance, 
si  qu'il  ne  puisse  sans  honte  broncher  en  leur  présence.  «Rarum  est  enini 
ut  satis  se  quisque  uereatur.  » 

25  Socrates  dict  que  les  innés  se  doiucnt  faire  instruire,  les  homes  s'exercer 
a  bien  faire,  les  uieils  se  retirer  de  tout  '  occupation  ciuile  et  militere,  uiuans 
a  leur  discrétion,  saiis  obligation  a  nul  certeiu  office. 

Texte  88.  —  2)    TImles.  Or  c'eft  —   .1)   noftre  vr.iy  profit  nos  cogitations  &  nos 

Var.  ms. —  2)  actif  &  florissant  suiiiaiil  —  19)  face  qu4l  se  —  20)  ivulille  cl 
importun  —  21)  mesmes.  Qu'il  se  flate  se  chatouille  et  sur  tout  qu'il  se  régente  :  et  iustmise 
qu'il  respecte  et  creigne  sa  raison  —  22)  côsciance  et  »^*  si  qu'il  n'ose  clocher  en  sa  leur 
presance  Rarum  est  ut  —  25)  instruire  Homes  s'exercer...  faire  J'ieus  se 


3l6  ESSAIS      DK      MONTAIGNE. 

11  V  a  des  complexions  plus  propres  ;ï  ces  préceptes  de  Iii  relrete  les 
vues  que  les  autres.  Celles  qui  ont  l'apprehenfion  molle  &  lâche, 
&  vn'  affection  &  volonté  dcUcaie,  &  qui  ne  s'asscruist  uy  s'onphye  pas 
aylément,  delquels  ie  fuis  &  par  naturelle  condition  &  par  difcours, 
ils  se  plieront  wicus  h  ce  conleil  que  les  âmes  actiues  &  occupées  qui  s 
embraffent  tout  &  s'engagent  par  tout,  qui  le  paflîonnent  de  toutes 
choies,  qui  s'offrent,  qui  le  prefentent  &  qui  fe  donnent  à  toutes 
occalions.  Il  fe  faut  feruir  de  ces  commoditez  accidentales  &  hors 
de  nous,  en  tant  qu'elles  nous  font  plaifantes,  mais  (ans  en  faire 
noftre  principal  fondement  :  ce  ne  l'eft  pas;  ny  la  raifon  ny  la  nature  lo 
ne  le  veulent.  Pourquoy  contre  fes  loix  afferuirons  nous  noftre 
contentement  à  la  puiffance  d'autruy?  D'anticiper  auffi  les  accidcns 
de  fortune,  le  priuer  des  commoditez  qui  nous  font  en  main, 
comme  plufieurs  ont  faict  par  deuotion  &  quelques  philofophes  par 
difcours,  fe  feruir  foy-mefmes,  coucher  fur  la  dure,  le  creuer  les  15 
yeux,  ietter  fes  richeffes  emmy  la  riuiere,  rechercher  la  douleur 
(ceux  là  pour,  par  le  tourment  de  cette  vie,  en  acquérir  la  béatitude 
d'un  autre;  ceux-cy  pour,  s'eftant  logez  en  la  plus  baffe  marche,  fe 
mettre  en  feurté  de  nouuelle  cheute),  c'eft  l'action  d'vne  vertu 
exceffuie.  Les  natures  plus  roides  &  plus  fortes  fiicent  leur  cacheté  20 
mefmes,  glorieule  &  exemplaire  : 

tuta  &  paruul.T  laudo, 
Cum  res  deficiunt,  fatis  inter  vilia  fortis  : 
Verùm  vbi  quid  melius  contingit  &  vnctius,  idem 
Hos  fapere,  &  lolos  aio  henè  viuere,  quorum  25 

Confpicitur  nitidis  fundata  pecunia  villis. 

Il  V  a  pour  moy  affez  affaire  fans  aller  fi  auant.  Il  me  fuffit,  fous  la 
laueur  de  la  fortune,  me  préparer  à  fa  défaueur  &  me  reprefenter. 


Texte  88.  —  i)  à  ce  précepte  les   —    3)   volonté  difficile,  &  qui  ne  fc  prciul  pas 
ayfémcnt  —  5)   plieront  plus  aifément  à...  actiues  &  tendues,  qui 


i.iVKi:    I,    CHAi'iTRi:    XXXIX.  317 

cftant  à  mon  aile,  le  mal  aducnir,  autant  que  Timagination  y  peut 
attaindro  :  tout  ainli  que  nous  nous  accouftumons  aux  ioutes  &  tour- 
nois, &  contretailons  la  guerre  en  pleine  paix. 

le  ii'cstiiuc  point  Arccsihuts  le  philosophe  moins  reforme,  pour  Je  sçaitoir 
5     aitoir  lise  d'ntaiisiles  d'or  &  d'argent,  selon  que  la  condition  de  sa  fortune 
Je  luv  pennetoit;  et  l'estime  inieiis  que  s'il  s'en  fut  desniis,  de  ee  qu'il  en 
usoit  modereement  et  libéralement. 

le  vov  iniques  à  quels  limites  va  la  necedlté  naturelle;  &,  confi- 
derant  le  panure  mendiant  à  ma  porte  louuent  plus  enioué  &  plus 

10  lain  que  mov,  ie  me  plante  en  la  place,  i'elîiiyc  de  chauffer  mon  ame 
à  fon  biaiz.  Et,  courant  ainfi  par  les  autres  exemples,  quoy  que 
ie  penl'e  la  mort,  la  pauureté,  le  mcfpris  &  la  maladie  à  mes  talons, 
ic  me  relous  aifément  de  n'entrer  en  effroy  de  ce  qu'vn  moindre 
que  mov  prend  auec  telle  patience.  Et  ne  puis  croire  que  la  balTelTe 

15  de  l'entendement  puilTe  plus  que  la  vigueur;  ou  que  les  effects  du 
dilcours  ne  puiffent  arriuer  aux  effects  de  l'accourtumance.  Et, 
connoiffint  combien  ces  commodité/  acccffoires  tiennent  à  peu, 
ie  ne  laiffe  pas,  en  pleine  iouvffance,  de  lupplier  Dieu,  pour  ma 
louueraine  requefte,  qu'il  me  rende  content  de  mov-melme  &  des 

20  biens  qui  naiffent  de  moy.  le  vov  des  ieunes  hommes  gaillards, 
qui  ne  laiffent  pas  de  porter  dans  leurs  coffres  vne  maffe  de  pillulcs 
pour  s'en  leruir  quand  le  rheume  les  preffera,  lequel  ils  craignent 
d'autant  moins  qu'ils  en  penfent  auoir  le  remède  en  main.  Ainfi 
faut  il  lairc  :  &  encore,  fi  on  fe  lent  fubiect  à  quelque  maladie  plus 

25  forte,  fe  garnir  de  ces  medicamens  qui  affopiffent  &  endorment  la 
partie. 

L'occupation  qu'il  faut  choifir  à  vne  telle  vie,  ce  doit  eftre  vne 
occupation  non  pénible  ny  ennuveule;  autrement  pour  néant  terions 
nous  eftat  d'y  eftre  venuz  chercher  le  feiour.  Cela  dépend  du  gouft 


\'ar.  ms.  —  4)  pnhil  lu  nie  (rArce.^iliius...  imiin:  refùrnice  pour  liiy  noir  user  des  iinses 
d'or  d  &  d'ari'cul 


3l8  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

particulier  d"vn  chacun  :  le  mien  ne  s'accommode  aucunement  au 
ménage.  Ceux  qui  l'aiment,  ils  s'y  doiuent  adonner  auec  modération, 

Conentur  fibi  res,  non  le  fubmittere  rébus. 

C'efl  autrement  vn  office  feruile  que  la  mefnageric,  comme  le  nomme 
Saluftc.  Eir  a  des  parties  plus  excufables,  comme  le  foing  des  iardi-  5 
nages,  que  Xenophon  attribue  à  Cyrus;  &  fe  peut  trouuer  vn  moyen 
entre  ce  bas  &  vile  foing,  tandu  &  plein  de  folicitude,  qu'on  voit  aux 
hommes  qui  s'y  plongent  du  tout,  &  cette  profonde  &  extrême 
nonchalance  laifllint  tout  aller  à  l'abandon,  qu'on  voit  en  d'autres, 

Democriti  pecus  edit  agellos  10 

Cultdque,  dum  peregre  eft  animus  fine  corpore  velox. 

Mais  oyons  le  confeil  que  donne  le  ieune  Pline  à  Cornélius  Rufus, 
fon  amy,  fur  ce  propos  de  la  folitude  :  le  te  confeille,  en  cette  pleine 
&  graffe  retraicte,  où  tu  es,  de  quiter  à  tes  gens  ce  bas  &  abiect  foing 
du  mefnage,  &  t'adonner  à  l'eftude  des  lettres,  pour  en  tirer  quelque  1 5 
chofe  qui  foit  toute  tienne.  Il  entend  la  réputation  :  d'vne  pareille 
humeur  à  celle  de  Cicero,  qui  dict  vouloir  employer  fa  folitude 
&  feiour  des  affaires  publiques  à  s'en  acquérir  par  fes  efcris  vne  vie 
immortelle  : 

vfque  adeo  ne  20 

Scire  tuum  nihil  eft,  nifi  te  fcire  hoc  fciat  alter  ? 

[//  semble  que  ce  soit  raison,  puis  qu  'ou  parle  de  se  retirer  du  uuvide, 
qu'on  regarde  hors  de'\  luy  :  ccusci  ne  le  font  qu'a  demi.  [Us]  dressent  bien 
leur  partie,  pour  quand  ils  n'y  seront  plus  :  mais  le  fruit  de  leur  dessein, 
ils  pretandent  le  tirer  encore  lors  du  monde,  absans,  par  une  ridicule  contra-     25 
diction.  L'imagination  de  cens  qui,  par  deuotion,  recherchent  la  solitude. 

Texte  88.  —  5)  plus  nobles  &  cxcufiiblcs 


LlVRli      1,      CHA1'ITR1£      XXXIX.  ^19 

rcniplissans  leur  coragc  de  la  eertitiide  des  promesses  diuines  en  l'autre  uie, 
est  bien  plus  seinenuint  assortie.  Ils  se  proposent  dieu,  obiect  infini  et  en 
bonté  et  en  puissanee  :  l'ame  a  de  quoi  \  ressasier  ses  désirs  en  toute  liberté. 
Les  afflictions,  les  dolurs  leur  uiencnt  a  profit,  emploices  a  l'acquêt  d'une 
5  santé  et  reiouissance  éternelle;  la  mort,  a  souhet,  passage  a  un  si  parfaict 
estât.  L'asprete  de  leurs  règles  est  inconlinant  applanie  par  l'acoslumance; 
et  les  appetis  charnels,  rebute:^  et  endormis  par  leur  refus,  car  rien  ne  les 
entretient  que  l'usage  et  exercice.  Cette  suie  fin  d'une  autre  uie  hureusemant 
immortele,  mérite  loialement  que  nous  abandonons  les  commodité^  et  douceurs 

10  de  cette  uie  nostre.  Et  qui  peut  embraser  son  ame  de  l'ardur  de  cette  uiue 
foi  et  espérance,  reelenuiut  et  constammant,  il  se  bastit  en  la  solitude  une 
uie  uoluptueuse  et  délicate  au  delà  de  tout'  autre  fornu:  de  uie. 

Ny  la  fin  donq,  ny  le  moyen  de  ce  confeil  ne  me  contente  :  nous 
retombons  tous-iours  de  fieure  en  chaud  mal.  Cette  occupation  des 

15  Hures  eft  aufll  pénible  que  toute  autre,  &  autant  ennemie  de  la  fanté, 
qui  doit  eftre  principalement  conllderée.  Et  ne  ic  faut  point  laifTer 
endormir  au  plaifir  qu'on  y  prend  :  c'ell;  ce  melme  plaifir  qui  perd 
le  mefnagier,  l'auaricieux,  le  voluptueux  (:>:  l'ambitieux.  Les  fages 
nous  apprennent  affez  à  nous  garder  de  la  trahifon  de  nos  appétits, 

20  &  à  difcerner  les  vravs  plaifirs,  &  entiers,  des  plaifirs  meflez 
&  bigarrez  de  plus  de  peine.  Car  la  plulpart  des  plaifirs,  difent  ils, 
nous  chatouillent  &  embraffent  pour  nous  efl;rangler,  comme 
faifoyent  les  larrons  que  les  ^Egyptiens  appelloient  Philifl:as.  Et,  fi 
la  douleur  de  tefte  nous  venoit  auant  l'yurefle,  nous  nous  garderions 

25  de  trop  boire.  Mais  la  volupté,  pour  nous  tromper,  marche  deuant 
&  nous  cache  fa  fuite.  Les  Hures  font  plailans;  mais,  (\  de  leur 
fréquentation  nous  en  perdons  en  fin  la  gayeté  &  la  ianté,  nos  meil- 
leures pièces,  quittons  les.  le  fuis  de  ceux  qui  penfent  leur  Iruict  ne 


Texte  88.  —    14)    de  la  fieuro  en  chaud  mal.  Prcmicrcmcnt  cette  occupation    — 
28)   penfent  que  leur  fruict  ne  fçauroit  contrepoifcr 

\'ar.  ms.  —  8)  d'ittie  uie  —  12)  aulre  nie.  Ny  —   15)  confeil  de  Pline  ne 


320  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

pomioir  contrepoifer  cette  perte.  Comme  les  hommes  qui  le  l'entent 
de  long  temps  aft'oiblis  par  quelque  indilpolition,  le  rengent  à  la  lin 
à  la  mercv  de  la  médecine,  &  le  tont  delTeigner  par  art  certaines 
règles  de  viure  pour  ne  les  plus  outrepalTer  :  aulTi  celuv  qui  le  retire, 
ennuie  &  dégoufté  de  la  vie  commune,  doit  lormer  cette-cy  au.\  5 
règles  de  la  railon,  l'ordonner  èc  renger  par  préméditation  &  dilcours. 
Il  doit  auoir  prins  congé  de  toute  elpece  de  Iniiiail,  quelque  vilage 
qu'il  porte;  &  fuir  en  gênerai  les  palTions  qui  empelchent  la  tran- 
quillité du  corps  &  de  lame,  '&  choiiir  la  route  qui  efl;  plus  lelon 
Ion  humeur,  10 

Vnul'quirque  fua  nouerit  ire  via. 

Au  ménage,  à  leftude,  à  la  chalTe  (b;:  tout  autre  exercice,  il  finit 
donner  iniques  aux  derniers'  limites  du  plaifir,  &  garder  de  s'engager 
plus  auant,  où  la  peine  commence  à  le  nieller  parmy.  Il  faut  releruer 
d'emheloignement  &  d'occupation  autant  feulement  qu'il  en  ell  15 
beloing  pour  nous  tenir  en  haleine,  &  pour  nous  garantir  des 
incommodité/  que  tire  après  lov  l'autre  extrémité  d'vne  JacJx  ovliueté 
&  aflbpie.  Il  y  a  des  Iciences  lleriles  (Se  épineules,  &  la  plus  part 
forgées  pour  la  prefle  :  il  les  faut  lailTer  à  ceux  qui  lont  au  leruice 
du  monde,  le  navme,  pour  mov,  que  des  Hures  ou  plailans  &  taciles,  20 
qui  me  chatouillent,  ou  ceux  qui  me  conlolent  &  conleillent  à  régler 
ma  vie  <S;  ma  mort  : 

tacitum  fyluas  intcr  rt-jitaïc  falubics, 
Curantcm  quidquid  di_>;num  lapientt  bonoqut  eft. 

Les  gens  plus  fages  peuuent  le  forger  vn  repos  tout  Ipiritucl,  ayant     25 
l'ame  forte  iv  vigoureule.  Moy  qui  fay  commune,  il  huit  que  i'ayde 

Texte  88.  —   7)   cfpccc  de  tourment,  quelque   —    17)   d'vnc  molle  ovliueté    — 
19)  pour  le  feruice  de  la  prelTe  —  26)  l'ay  molle  6c  commune 

'    derniers  .idaition  de  158S. 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XXXIX.  52I 

à  me  l'outcnii"  par  les  commoditcz  corporelles;  &,  l'aage  m'ayant 
tantort  del'robé  celles  qui  eftoyent  plus  (/  ma  fcuitcisic,  i'inftruis 
&  aiguile  mon  appétit  à  celles  qui  reftent  plus  l'ortahles  à  cette  autre 
l'aifon.  Il  faut  retenir  à  tout  nos  dents  &  nos  griffes  l'vlage  des  plaifirs 
5  de  la  vie,  que  nos  ans  nous  arrachent  des  poingts,  les  vns  après 
les  autres  : 

carpamus  dulcia;  iioftrum  eft 
Quod  viuis  :  cinis  &  mânes  &  fiibula  fies. 

Or,  quant  à  la  lin  que  Pline  &  Cicero  nous  propolent,  de  la  gloire, 
10  c'eft  bien  loing  de  mon  compte.  La  plus  contraire  humeur  à  la  retraicte, 
c'eft  l'ambition.  La  gloire  &  le  repos  l'ont  choies  qui  ne  peuuent 
loger  en  mefme  gifle.  A  ce  que  ie  voy,  ceux-cy  n'ont  que  les  bras 
&  les  iambes  hors  de  la  prefle;  leur  ame,  leur  intention  y  demeure 
engagée  plus  que  iamais  : 

15  Tun',  vetule,  auriculis  alienis  colligis  efcas? 

Ils  le  font  feulement  reculez  pour  mieux  fauter,  &  pour,  d'vn  plus 
fort  mouuement,  laire  vne  plus  viue  faucée  dans  la  trouppe.  Vous 
plaift-il  voir  comme  ils  tirent  court  d'vn  grain?  Mettons  au  contre- 
pois  l'aduis  de  deux  philofophes,  &  de  deux  fectes  tres-differentes, 

20  efcriuans,  l'vn  a  Idomeneus,  l'autre  à  Lucilius,  leurs  amis,  pour, 
du  maniement  des  affaires  è^c  des  grandeurs,  les  retirer  à  la  Iblitude. 
Vous  auez  (dilent-ils)  velcu  nageant  &  flotant  iufques  à  prefent, 
venez  vous  en  mourir  au  port.  Vous  auez  donné  le  refle  de  voftre 
vie  à  la  lumière,  donnez  cecy  à  l'ombre.  Il  ell  impoffible  de  quitter 

25  les  occupations,  fi  vous  n'en  quittez  le  fruit  :  à  cette  caule,  défaites 
vous  de  tout  Ibing  de  nom  &  de  gloire.  Il  eft  dangier  que  la  lueur 
de  vos  actions  paffées  ne  vous  efclaire  que  trop,  &  vous  fuiue  iulques 
dans  voftre  tanière.  Quitez  auecq  les  autres  voluptez  celle  qui  vient 

Texte  88.  —  2)  plus  fclon  mon  goiift,  i'inftruis 


322  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

de  l'approbation  d'autruv;  &,  quant  à  voftre  fcience  6c  luffifance,  ne 
vous  chaille,  elle  ne  perdra  pas  l'on  effect,  fi  vous  en  valez  mieux 
vous  melme.  Souuienne  vous  de  celuv  à  qui,  comme  on  demandait 
à  quoy  faire  il  fe  pénoit  li  fort  en  vn  art  qui  ne  pouuoit  venir  à  la 
cognoiffance  de  guiere  de  gens  :  l'en  ay  aiTez  de  peu,  refpondit-il.  5 
l'en  ay  affez  d"vn,  l'en  av  affez  de  pas  vn.  Il  difoit  vrav  :  vous  &  vn 
compagnon  eftes  affez  fuffifant  théâtre  l'vn  à  l'autre,  ou  vous  à  vous- 
melmes.  Que  le  peuple  vous  l'oit  vn,  &  vn  vous  foit  tout  le  peuple. 
C'eft  vne  lafche  ambition  de  vouloir  tirer  gloire  de  l'on  oyliueté 
&  de  sa  cachette.  Il  faut  faire  comme  les  animaux  qui  effacent  la  trace,  10 
à  la  porte  de  leur  tanière.  Ce  n'eft  plus  ce  qu'il  vous  faut  chercher, 
que  le  monde  parle  de  vous,  mais  comme  il  faut  que  vous  parliez 
à  vous  mefmes.  Retirez  vous  en  vous,  mais  préparez  vous  première- 
ment de  vous  y  receuoir  :  ce  l'eroit  folie  de  vous  lier  à  vous  mefmes, 
li  vous  ne  vous  Içauez  gouuerner.  Il  v  a  moven  de  taillir  en  la  15 
lolitude  comme  en  la  compagnie.  Iniques  à  ce  que  vous  vous  l'oiez 
rendu  tel,  deuant  qui  vous  n'oliez  clocher,  &  iufques  à  ce  que  vous 
ayez  honte  &  relpect  de  vous  mefmes,  «  obseniciitur  spccics  honestx 
animo»,  prelentez  vous  touliours  en  l'imagination  Caton,  Phocion 
1^  Arillides,  en  la  prefence  defquels  les  fols  mefme  cacheroient  leurs  20 
fautes,  &  eftabliffez  les  contrerolleurs  de  toutes  vos  intentions  : 
fi  elles  fe  détraquent,  leur  reuerence  les  remettra  en  train.  Ils  vous 
contiendront  en  cette  voie  de  vous  contenter  de  vous  mefmes,  de 
n'emprunter  rien  que  de  vous,  d'arrefter  &  fermir  voftre  ame  en 
certaines  &  limitées  cogitations  où  elle  fe  puiffe  plaire;  &,  ayant  25 
entendu  les  vrays  biens,  delquels  on  iouit  à  melure  qu'on  les  entend, 
s'en  contenter,  lans  delir  de  prolongement  de  vie  ny  de  nom.  \'oyla 
le  conleil  de  la  vraye  &  naifue  philofophie,  non  dvne  philolophie 
oftentatrice  &  parliere,  comme  eft  celle  des  deux  premiers. 

Texte  88.  —  10)  &  de  fon  repos  :  il  faut 

\'ar.  .ms.  —  17)   clocher  ranim  est  eiiim  iil  salis  si-  qiiistjiii-  ucrcatur  (citation  reportée 
p.  ji;,  1.  25.) 


Chapitre    XL. 


CONSIDERATION     SVR    CICERON. 


Encor'  vn  traict  à  la  comparaifon  de  ces  couples.  Il  fc  tire  des 
efcris  de  Cicero  &  de  ce  Pline  Çpeii  retirant,  à  mon  aduis,  aux 
humeurs  de  fon  oncle),  infinis  tefmoignages  de  nature  outre  mefure 
ambitieufe  :  entre  autres  qu'ils  follicitent,  au  fceu  de  tout  le  monde, 
5  les  hiftoriens  de  leur  temps  de  ne  les  oublier  en  leurs  regiftres;  &  la 
fortune,  comme  par  defpit,  a  faict  durer  iufques  à  nous  la  vanité  de 
ces  requeftes,  &  pieça  faict  perdre  ces  hiftoires.  Mais  cecy  furpaflc 
toute  balTefle  de  cœur,  en  perfonnes  de  tel  rang,  d'auoir  voulu  tirer 
quelque  principale  gloire  du  caquet  &  de  la  parlerie,  iufques  à  y 

10  employer  les  lettres  priuées  écriptes  à  leurs  amis  :  en  manière  que, 
aucunes  ayant  failly  leur  foifon  pour  eftre  enuoyées,  ils  les  font  ce 
neantmoins  publier  auec  cette  digne  excufe  qu'ils  n'ont  pas  voulu 
perdre  leur  trauail  &  veillées.  Sied-il  pas  bien  à.  deux  confuls  Romains, 
fouuerains  magiflrats  de  la  chofe  publique  emperiere  du  monde, 

15  d'employer  leur  loifir  à  ordonner  &  fagoter  gentiment  vne  belle 
miflîue,  pour  en  tirer  la  réputation  de  bien  entendre  le  langage  de 
leur  nourriffe?  Que  feroit  pis  vn  fimple  maiftre  d'école  qui  en 
gaignat  fa  vie?  Si  les  gelles  de  Xenophon  &  de  Ca.'far  n'euflent  de 

Texte  88.  —  2)  Pline  (nullement  retirant 


324  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

bien  loing  furpaiïc  leur  éloquence,  ie  ne  cro}-  pas  qu'ils  les  euflent 
iamais  efcris.  Ils  ont  cherché  à  recommander  non  leur  dire,  mais 
leur  faire.  Et,  fi  la  perfection  du  bien  parler  pouuoit  apporter  quelque 
gloire  fortable  à  vn  grand  perfonnage,  certainement  Scipion  &  Lcelius 
n'euflent  pas  refigné  l'honneur  de  leurs  comédies  &  toutes  les  5 
mignardifes  &  délices  du  langage  Latin  à  vn  ferf  Afriquain  :  car,  que 
cet  ouurage  foit  leur,  fa  beauté  &  fon  excellence  le  maintient  aflez, 
&  Terence  l'aduoùe  luy  mefme.  On  me  feroit  defplaifir  de  me 
delloger  de  cette  créance. 

C'eft  vne  efpece  de  mocquerie  &  d'iniure  de  vouloir  fiiire  valoir     10 
vn  homme  par  des  qualitez  mes-aduenantes  à  fon  rang,  quoy  qu'elles 
foient  autrement  louables,  &  par  les  qualitez  aufTi  qui  ne  doiuent 
pas  eftre  les  Tiennes  principales  :  comme  qui  loûeroit  vn  Roy  d'eflre 
bon  peintre,  ou  bon  architecte,  ou  encore  bon  arquebouzier,  ou 
bon  coureur  de  bague;  ces  louanges  ne  font  honneur,  fi  elles  ne     15 
font  prefentées  en  foule,  &  à  la  fuite  de  celles  qui  luy  font  propres  : 
à  fçauoir  de  la  iuftice  &  de  la  fcience  de  conduire  fon  peuple  en  paix 
•&  en  guerre.  De  cette  façon  faict  honneur  à  Cyrus  l'agriculture, 
&  à  Charlemaigne  l'éloquence  &  connoiflance  des  bonnes  lettres. 
l'ay  ueii  de  mon  temps,  en  plus  fors  termes,  des  pcrsonages  qui  tiroiiit     20 
d'escrire  et  leurs  titres  et  leur  uocation,  dcsaduouer  leur  aprantissage,  corrôpre 
leur  plume  et  affecter  l'ignorance  de  qualité  si  uulguere  et  que  nos trc  peuple 
tient  ne  se  rècontrer  gutre  en  mains  sçauaiites  :  se  recomaudaus  par  meillurcs 
'  qualité:^. 

Les  compaignons  de  Demofthenes  en  Fambafllide  vers  Philippus     25 
loùoient  ce  Prince  d'eftre  beau,  éloquent  &  bon  beuueur  :  Demofthenes 

Texte  88.  —  8)  mefine,  &  on 

^'AR.  MS.  —  20)  temps  des  —  21)  lilrcs  cl  leurs  richesses  âcsaduouer  1":  leur 
sciaiicc  corne  iiile  cl  populcre  corrôpre  2"  :  leur  aprantissage  et  corrôpre  —  22)  si  uulguere 
1°  :  ê^  peu  fwemaudabk pour  2°:  cl  que  neslre  peuple  iieul  sur  ec  3°:  que  vostre  peuple 
lient  cette  qualité  ne  se  rècontrer    —    23)    Au  dessus  de  sçauniiles  sont  trois  lettres  eflacées, 

peut-être  le  commencement  du  mot  che:^ 


LIVRE     I,      CHAPITRi:     XL.  :;  2  ) 

dilbit  que  cVitoicnt  louanges  qui  appartcnoicnt  mieux  à  vue  femme, 
à  vn  aduocat,  à  vue  efponge,  qu'à  vn  Roy. 

Imperet  bellante  prior,  iacenteni 
Lenis  in  hoftem. 

5     Ce  n'eft  pas  la  profeflîon  de  fçauoir  ou  bien  chafTer  ou  bien  dancer, 

Orabunt  caufas  alij,  cœlique  meatus 
Defcrihent  radio,  &  fulgentin  fidera  diccnt; 
Hic  regerc  imperio  populos  fciat. 

Plutarque  dict  d'auantage,  que  de  paroiftre  li  excellent  en  ces 
10  parties  moins  necelTiiires,  c'efi;  produire  contre  foy  le  telmoignage 
d'auoir  mal  difpencé  Ion  loilir  &  l'eftude,  qui  deuoit  eftre  employé 
à  chofes  plus  neceffaires  &  vtiles.  De  façon  que  Philippus,  Roy  de 
Macédoine,  ayant  ouy  ce  grand  Alexandre,  fon  fils,  cbanter  en  vn 
feftin  à  l'enuy  des  meilleurs  muficiens  :  N'as  tu  pas  honte,  luy 
15  dict-il,  de  chanter  li  bien?  Et,  à  ce  mefme  Philippus,  vn  muficien 
contre  lequel  il  debatoit  de  fon  art  :  la  à  Dieu  ne  plaife,  Sire,  dit-il, 
qu'il  t'aduienne  iamais  tant  de  mal  que  tu  entendes  ces  chofes  là 
mieux  que  moy. 

Vn  Roy  doit   pouuoir  refpondre   comme   Iphicrates   refpondit 

20     à  l'orateur  qui  le  preflbit  en  fon  inuectiue,  de  cette  manière  :  Et  bien, 

qu'es-tu,  pour  faire  tant  le  braue?  es-tu  homme  d'armes?  es-tu 

archier?  es-tu  piquier?  —  le  ne  fuis  rien  de  tout  cela,  mais  ie  luis 

celuy  qui  fçait  commander  à  tous  ceux-là. 

Et  Antifthenes  print  pour  argument  de  peu  de  valeur  en  Ifmenias, 
25     dequoy  on  le  vantoit  d'eflre  excellent  ioûeur  de  flûtes. 

le  sçai  bien,  quand  [i']oi  quckïi  qui  s'amtc  au  langage  des  essais,  que 
[i']aimerois  mieus  qu'il  [s''\en  teust.  Ce  n'est  pas  tant  esleuer  les  mots,  corne 

Var.   ms.  —  27)  lavt    1°  :  eslciicr  les    2°  :  déprimer  les 


326  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

c'est  déprimer  le  sens,  d'autant  plus  piqua nnnant  que  plus  obliquement. 
Si  suis  ie  trompé,  si  guère  d'autres  donct  plus  a  prendre  en  la  matière; 
et,  cornant  que  ce  soit,  mal  ou  bien,  si  nul  escriiœin  [/'a]  semée  ny  guère    . 
plus  matérielle  ny  au  moins  plus  drue  en  son  papier.  Pour  en  ranger 
dauantage,  [ie']  n'en  entasse  que  les  testes.  Que  i'y  atache  leur  suite,  ie     s 
multiplierai  plusieurs  fois  ce  uolume.  Et  combien  y  ai  ie  espendu  d'histoires 
qui  ne  disent  mot,  les  quelles  qui  uoudra  esplucher  un  peu  ingénieusement, 
en  produira  infinis  essais.  Ny  elles,  ny  mes  allégations  ne  seruent  pas  tousiours 
simplement  d'exemple,  d'authorite  ou  d'ornement.  le  ne  les  regarde  pas 
sulement  par  l'usage  que  t'en  tire.  Elles  portent  souuant,  hors  de  mon     10 
propos,  la  semancc  d'une  matière  plus  riche  et  plus  hardie,  et  sonent  a  gauche 
un  ton  plus  délicat,  et  pour  moi  qui  n'en  ueus  exprimer  dauantage,  et  pour 
cens  qui  rencontreront  mon  air.  Reuenant  a  la  uertu  parliere,  ie  ne  treum 
pas  grand  chois  entre  ne  sçauoir  dire  que  mal,  ou  ne  sçauoir  rien  que  Inen 
dire.  «Non  est  ornamentum  uirilc  concinnitas.»  15 

Les  fages  disent  que,  pour  le  regard  du  fçauoir,  il  n'efi:  que  la 
philofophie,  &,  pour  le  regard  des  effets,  que  la  vertu,  qui  genera- 
"lement  foit  propre  à  tous  degrez  &  à  tous  ordres. 

Il  y  a  quelque  chofe  de  pareil  en  ces  autres  deux  philofophes,  car 
ils  promettent  auffi  éternité  aux  lettres  qu'ils  elcriuent  à  leurs  amis;  20 
mais  c' eft  d'autre  façon,  &  s'accommodant  pour  vne  bonne  fin  à  la 
vanité  d'autruy  :  car  ils  leur  mandent  que  fi  le  foing  de  le  faire 
connoift;re  aux  fiecles  aduenir  îs:  de  la  renommée  les  arrefte  encore 
au  maniement  des  affaires,  &  leur  fiiit  craindre  la  folitude  &  la 
retraicte  où  ils  les  veulent  appeller,  qu'ils  ne  s'en  donnent  plus  de     23 

Texte  88.  —  15)  coiicinnitas.  Et  difent  les  fages  que 

\'ar.  ms.  —  i)  c'est  ahhaUre  la  matière.  Ex  à\itnx\tsitigts  (1.  i6.)  —  i)  piquammani 
\°  :  que  suhUltmeni  plus  subtilement.  Si  suis  ie  2°  :  que  plus  courtoisement  et  plus  subti- 
lement. Si  3°  :  que  plus  courtoisement  et  couuertement .  Si  —  2)  (z  mordre  en  —  3)  bien 
a  tort  ou  a  droict  si  nul  —  4)  matérielle  ny  plus  1°  :  riche  en  2°  :  drue  au  moins  en 
—  5)  n'en  assamble  que  les  teste.  N^n  est  «fnamenlum  uiriU  cencinnitas  que  i'y  atache  leur 
suite  ' ie  triplerai  ce  uolume  Ne»  est  oi^uamentum  uidU  mnciumUis  le  ne  ireuue  (1-  '5-)  — 
9)  d'exemple  ny  d'authorite  —   10)  tire.  Ge  —  12)  délicat  pour 


LIVRE      I,      CHAPITRU     XL.  327 

peine  :  d'autant  qu'ils  ont  aflez  de  crédit  auec  la  pollerité  pour  leur 
refpondre  que,  ne  fut  que  par  les  lettres  qu'ils  leur  efcriuent,  ils 
rendront  leur  nom  auflî  conneu  &  fameus  que  pourroient  faire  leurs 
actions  publiques.  Et,  outre  cette  différence,  encore  ne  font  ce  pas 
S  lettres  vuides  &  defcharnées,  qui  ne  fe  foutiennent  que  par  vn  délicat 
chois  de  mots,  entaffez  &  rangez  à  vne  iufte  cadence,  ains  farcies 
&  pleines  de  beaux  difcours  de  fapience,  par  lefquelles  on  fe  rend 
non  plus  éloquent,  mais  plus  fage,  &  qui  nous  aprcnnent  non 
à  bien  dire,  mais  à  bien  faire.  Fy  de  l'éloquence  qui  nous  lailîe  enuie 

10  de  foy,  non  des  chofes;  fi  ce  n'eft  qu'on  die  que  celle  de  Cicero, 
eftant  en  fi  extrême  perfection,  fe  donne  corps  elle  mefme. 

l'adioufteray  encore  vn  conte  que  nous  lifons  de  luy  à  ce  propos, 
pour  nous  faire  toucher  au  doigt  fon  naturel.  Il  auoit  à  orer  en 
public,  &  eftoit  vn  peu  prefTé  du  temps  pour  fe  préparer  à  fon  aife. 

15  Eros,  l'vn  de  fes  ferfs,  le  vint  aduertir  que  l'audience  eftoit  remife 
au  lendemain.  Il  en  fut  11  aife  qu'il  luy  donna  liberté  pour  cette 
bonne  nouuelle. 

Sur  ce  fubiect  de  lettres,  ie  veux  dire  ce  mot,  que  c'eft  vn  ouurage 
auquel  mes  amys  tiennent  que  ie  puis  quelque  chose.  Et  eusse  prins 

20  plus  uolontiers  cette  forme  a  publier  nies  uerucs,  si  i' eusse  eu  a  qui  parler. 
Il  me  f al  oit,  corne  ie  l'ai  eu  autresfois,  un  certein  commerce  qui  m'attirast, 
qui  rue  soustint  et  sousleuat.  Car  de  negotier  au  ucnt,  corne  d'autres,  ie  ne 
saurais  que  de  songes,  ny  forger  des  ueins  noms  a  entretenir  en  chose 
sérieuse  :  encmi  iure  de  toute  falsification.  l'eusse  este  plus  attantif  et  plus 

25  seur,  aïant  un'  adresse  forte  et  amie,  que  ie  ne  suis,  regardant  les  diuers 
uisages  d'un  peuple.  Et  suis  dcceu,  s'il  ne  m'eut  micus  succède.  l'ay  natu- 
rellement vn  ftilc  comique  &  priué,  mais  c'eft  d'vnc  forme  mienne, 
inepte  aux  negotiations  publiques,  comme  en  toutes  façons  eft  mon 

Texte  88.  —  i)  peine,  car  ils  —  19)  cliofc  :  i'ay  naturcllcmeiU 

Var.  .ms. —  20)  ucrues  que  celle  que  i' ai  prinsc  si  —  21)  commerce  qui  fut  et  sorlnhle 
el  ueritable  qui  m'ultirasl  qui  me  soustint  qui  me  sousle  sousleuat.  (qui  fut  est  une  »dJiiioii 
ultérieure.)  —  24)  serieuse.  l'eusse 


328  HSSAIS     DE     MONTAIGNE. 

langage  :  trop  ferré,  delordonné,  couppé,  particulier;  !k  ne  m'entens 
pas  en  lettres  ceremonieufes,  qui  n'ont  autre  luhftance  que  d'vne 
belle  enfileure  de  paroles  courtoifes.  le  n'ay  ny  la  faculté  ny  le  gouft 
de  ces  longues  offres  d'affection  &  de  feruice.  le  n'en  crois  pas  tant, 
&  me  defplaift  d'en  dire  guiere  outre  ce  que  i'en  crois.  C'eft  bien  5 
loing  de  l'vlage  prefent  :  car  il  ne  fut  iamais  li  abiecte  &  feruile 
proftitution  de  prefentations;  la  vie,  l'ame,  deuotion,  adoration, 
lert,  efclaue,  tous  ces  mots  y  courent  li  vulgairement  que,  quand  ils 
veulent  faire  fentir  vne  plus  expreffe  volonté  &  plus  refpectueufe, 
ils  n'ont  plus  de  manière  pour  l'exprimer.  10 

le  hay  à  mort  de  fentir  au  flateur  :  qui  taict  que  ie  me  iette 
naturellement  à  vn  parler  fec,  rond  et  criid  qui  tire,  à  qui  ne  me 
cognoit  d'ailleurs,  vn  peu  vers  le  dédaigneux.  l'honore  le  plus  cens  que 
i'honore  le  moins;  et,  ou  mon  arne  marche  d'une  grande  allégresse,  i'ohlie 
les  pas  de  la  contenance.  Et  m'offre  maigrement  &  fièrement  à  ceux  15 
à  qui  ie  luis.  Et  me  presante  moins  a  qui  ie  me  suis  le  plus  donc  :  il  me 
femble  qu'ils  le  doiuent  lire  en  mon  cœur,  &  que  l'expreffion  de  mes 
■  paroles  fait  tort  à  ma  conception. 

A  hienueigner,  a  prandre  co)igé,  a  remercier,  a  saluer,  [rt]  presanter 
mon  seruice,  et  tels  complinwns  uerheus  des  loix  cérémonieuses  de  nostrc     20 
ciuilite,  ie  ne  conois  persone  si  sottement  stérile  de  langage  que  moi. 

Et  n'ai  iamais  este  emploie  a  faire  des  lettres  de  fauur  et  recomandatiô, 
que  celuy,  pour  qui  c'estoit,  n'axe  trouuees  sèches  et  lâches. 

Ce  iont  grands  imprimeurs  de  lettres  que  les  Italiens.  l'en  ay,  ce 
crois-ie,  cent  diuers  volumes  :  celles  de  Annihale  Caro  me  femblent     25 


Texte  88.  —  i)  couppù,  &  difficile  :  &  —  12)  fec,  &  qui  —  13)  dédaigneux  : 
Ceux  que  i'ayme  me  mettent  en  peine,  s'il  faut  que  ie  le  leur  die,  &  m'offre  — 
15)  &  fièrement  ciTacé  puis  rétabli  —  25)  de  Hannibal  Caro 

\'ak.   ms.  —  9)  plus  scricusc,  ils  —   20)    icruicc,  ic  iic  coiwissc  pcnoiic  si  soUviiiaiil 

Stcrilc  de  tailgai^e  que  moi.  Ce  font  (En  ref.-iis.-im  plus  t.iul  ccltc  plir.ise.  Mom.iigiic  a  Wffc  tout 
ce  qui  prcccde,  i  partir  de  seruice')  —  2o)  lieibetlS  de  HCsii:f  (iu  —  22)  recotiiaiidiitiô  pour 
un  autre  qu'it  ue  les  ayc  Irouuecs  secljcs  et  stériles.  Ce  font 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XL.  329 

les  meilleures.  Si  tout  le  papier  que  i'ay  autresfois  barbouillé  pour 
les  dames,  eftoit  en  nature,  lors  que  ma  main  eftoit  véritablement 
emportée  par  ma  palfion,  il  s'en  trouueroit  à  l'aduenture  quelque 
page  digne  d'eftre  communiquée  à  la  ieuneffc  oyfiue,  embabouinée 
5  de  cette  turcur.  l'elcris  mes  lettres  toulîours  en  pofle,  &  fi  precipi- 
teulement  que,  quoy  que  ie  peigne  inkipportablement  mal,  i'ayme 
mieux  efcrire  de  ma  main  que  d'y  en  employer  vn'  autre,  car  ie  n'en 
trouue  poinct  qui  me  puifle  fuyure,  &  ne  les  tranfcris  iamais.  l'ay 
accouftumé  les  grands  qui  me  connoiflent,  à  y  fupporter  des  litures 

10  &  des  trafleures,  &  vn  papier  fans  plieure  &  fans  marge.  Celles  qui 
me  couftent  le  plus  font  celles  qui  valent  le  moins  :  depuis  que 
ie  les  traine,  c'efl  figne  que  ie  n'y  fuis  pas.  le  commence:  volontiers 
fans  proiect;  le  premier  traict  produict  le  fécond.  Les  lettres  de 
ce  temps  font  plus  en  bordures  &  préfaces,  qu'en  matière.  Comme 

15  i'ayme  mieux  compofer  deux  lettres  que  d'en  clorre  &  plier  vne, 
6c  refigne  toufiours  cette  commission  à  quelque  autre  :  de  melme, 
quand  la  matière  eft  acheuée,  ie  donrois  volontiers  à  quelqu'vn  la 
charge  d'y  adioufter  ces  longues  harengues,  offres  &  prières  que 
nous  logeons  fur  la  fin,  &  defire  que  quelque  nouuel  vfage  nous  en 

20  defcharge;  comme  auflî  de  les  infcrire  d'vne  légende  de  qualitez 
&  tiltres,  pour  aufquels  ne  broncher,  i'ay  maintesfois  laiffé  d'elcrire, 
&  notamment  à  gens  de  iuftice  &  de  finance.  Tant  d'innouations 
d'offices,  vne  fi  difficile  difpenfation  &  ordonnance  de  diuers  noms 
d'honneur,  lefquels,  eftant  fi  chèrement  acheptez,  ne  peuuent  eftre 

25  efchangez  ou  oubliez  fans  offence.  le  trouue  pareillement  de  mauuaile 
grâce  d'en  charger  le  front  &  infcription  des  Hures  que  nous  tailons 
imprimer. 

Texte  88.  —  16)  celte  charge  à 


Chapitre    XLI. 


DH    NE     COMMVXiaVER    SA    GLOIRE. 


De  toutes  les  refueries  du  monde,  la  plus  receuë  &  plus  vniuer- 
felle  eft  le  foing  de  la  réputation  &  de  la  gloire,  que  nous  efpoufons 
iufques  à  quitter  les  richeffes,  le  repos,  la  vie  &  la  iluité,  qui  font 
bien  effectuels  &  fubftantiaux,  pour  l'uyure  cette  vaine  image  &  cette 
fimple  voix  qui  n'a  ny  corps  ny  pril'e  :  S 

La  lama,  ch'  inuaghisce  a  vn  dolce  fuono 

Gli  fuperbi  mortali,  &  par  fi  bella, 

E  vn  écho,  vn  fogno,  anzi  d'vn  Ibgno  vn  ombra 

Ch'  ad  ogni  vento  11  dilegua  &  fgombra. 

Et,  des  humeurs  des-raifonnables  des  hommes,  il  femble  que  les     lo 
philofophes  mel'mes  fe  défacent  plus  tard  &  plus  enuis  de  cefte-cy 
que  de  nulle  autre. 

Ceft  la  plus  rcuelche  &  opiniaftre  :  «  Quia  ctiaiii  hcnc pwficicutcs  auimos 
kutarc  non  cessai.»  Il  n'en  eft  guiere  de  laquelle  la  railbn  accule  fi 
clairement  la  vanité,  mais  elle  a  les  racines  fi  vifues  en  nous,  que  15 
ie  ne  içav  fi  iamais  aucun  s'en  eft  peu  nettement  descharger.  Apres 
que  vous  auez  tout  dict  &  tout  creu  pour  la  dcladuouer;  elle  produict 
contre  voftre  difcours  vue  inclination  li  intcftinc  que  vous  aucz  peu 
que  tenir  à  l'encontre. 

Texte  88.  —  6)  ch'  inuahifcc  a  —  16)  ncticnitiu  dcrt'airi:.  .\prcs 


LIVRE      I,      CHAPITRI-;      XLI.  33I 

Car,  comme  dit  Ciccro,  ceux  mclmcs  qui  la  combatcnt,  cncorcs 
veulent-ils  que  les  Hures  qu'ils  en  el'criuent,  portent  au  front  leur 
nom,  &  fe  veulent  rendre  glorieux  de  ce  qu'ils  ont  mefprifé  la  gloire. 
Toutes  autres  chofes  tombent  en  commerce  :  nous  preftons  nos 
5  biens  &  nos  vies  au  beloin  de  nos  amis;  mais  de  communiquer 
l'on  honneur  6i;  d'eftrcner  autruv  de  la  gloire,  il  ne  fc  voit  guicres. 
Catulus  Luctatius,  en  la  guerre  contre  les  Cymbres,  ayant  laict  tous 
fes  efforts  d'arreftcr  les  Ibldats  qui  fuyoient  deuant  les  ennemis, 
fe  mit  luy-mefmes  entre  les  fuyards,  &  contrefit  le  couard,  affin 

10  qu'ils  femblaffent  pluftoft  fuiure  leur  capitaine  que  fuyr  l'ennemy  : 
c'effoit  abandonner  fa  réputation  pour  couurir  la  honte  d'autruy. 
Quand  l'Empereur  Charles  cinquiefme  paffa  en  Prouence,  l'an  mil 
cinq  cens  trente  fept,  on  tient  que  Anthoine  de  Leue,  voyant  l'on 
maiftre  rel'olu  de  ce  voiage  &  l'eftimant  luy  eftre  merueilleufement 

15  glorieux,  opinoit  toutefois  le  contraire  &  le  defconfeilloit,  à  cette  fin 
que  toute  la  gloire  &  honneur  de  ce  confeil  en  fut  attribué  à  l'on 
maiftre,  &  qu'il  fut  dict  fon  bon  aduis  &  (a  preuoiance  auoir  elle 
telle  que,  contre  l'opinion  de  tous,  il  euft  mis  à  fin  vne  fi  belle 
entreprinfe  :  qui  eftoit  l'honnorer  à  fes  defpens.  Les  AmbalTiideurs 

20  Thraciens,  confolans  Archileonide,  mère  de  Brafidas,  de  la  mort 
de  Ion  fils,  &  le  haut-louans  iufques  à  dire  qu'il  n'auoit  poiiil  laiffé 
fon  pareil,  elle  refuûi  cette  louange  priuée  &  particulière  pour  la 
rendre  au  pubhc  :  Ne  me  dites  pas  cela,  fit-elle,  ie  fçay  que  la  ville 
de  Sparte  a  plufieurs  citoyens  plus  grands  &  plus  vaillans  qu'il 

25  n'eftoit.  En  la  bataille  de  Crecy,  le  Prince  de  Gales,  encores  fort 
ieune,  auoit  l'auant-garde  à  conduire  :  le  principal  effort  du  rencontre 
fuft  en  cet  endroit  :  les  feigneurs  qui  l'accompagnoicnt,  le  trouuans 
en  dur  party  d'armes,  mandarent  au  Roy  Edouard  de  s'approcher 
pour  les  fecourir  :  il  s'enquit  de  l'eftat  de  fon  fils,  &,  luy  ayant  efté 

30     refpondu  qu'il  eftoit  viuant  &  à  cheual  :  le  luy  ferois,  dit-il,  tort  de 

Texte  88.  —  21)   n'auoit  pas  laiffil- 


532  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

luy  aller  maintenant  delVober  l'honntur  de  la  victoire  de  ce  combat 
qu'il  a  fi  long  temps  fouftenu;  quelque  hazard  qu'il  v  ait,  elle  fera 
toute  fienne.  Et  n'y  voulut  aller  ny  enuoier,  fçacliant,  s'il  y  fuft 
allé,  qu'on  euft  dict  que  tout  efloit  perdu  fans  fon  fecours,  &  qu'on 
luy  eut  attribué  l'aduantage  de  cet  exploit  :  «  sempcr  eiiiin  qiiod  postre-  5 
nium  adiectiiin  est,  id  rem  totaiu  iiidetur  traxisse.  » 

Plufieurs  eftimoyent  à  Romme,  &  fe  difoit  communément,  que 
les  principaux  beaux-foits  de  Scipion  eftoyent  ai  partie  deus  à  Lcelius, 
qui  toutesfois  alla  toufiours  promouuant  &  fécondant  la  grandeur 
&  gloire  de  Scipion,  lans  aucun  foing  de  la  fienne.  Et  Thcopompus,  10 
Roy  de  Sparte,  à  celuv  qui  luv  diloit  que  la  chofe  publique  demeu- 
roit  fur  fes  pieds,  pour  autant  qu'il  Içauoit  bien  commander  :  Ceft 
plufloft,  dict-il,  parce  que  le  peuple  fçait  bien  obeyr. 

Corne  les  famés  qui  sitecedoint  ans  pairies,  auoiiit,  nonobstant  leur  sexe, 
droit  d'assister  et  opiner  aus  causes  qui  apartieiieiit  a  la  iurisdiction  des     15 
pairs  :  aussi  les  pairs  ecclésiastiques,  nonobstant  leur  profession,  estoint  tenus 
d'assister  nos  roys  en  leurs  guerres,  non  sulemaiit  de  leurs  amis  et  seruiturs, 
'niais  de  leur  persone  aussi.  L'euesque  de  Beauuais,  se  trouuant  aueq  Philippcs 
Auguste  en  la  bataille  de  Bouuincs,  participoit  bien  fort  coragcusemant 
a  l'effaict;  nuiis  il  luv  scnû'loit  ne  deiioir  toucher  an  fruit  et  gloire  de  cet     20 
exercice,  senglant  et  iiiolant.  Il  mena,  de  sa  main,  plusieurs  des  eneniis 
a  raison  ce  iour  la;  et  les  donoit  au  premier  gentillhome  qu'il  trouuoit, 
a  csgosiller  ou  prendre  prisoniers  :  luv  en  résignant  toute  l 'exécution;  et  le 
fit  eiusiii  de  guillaume  conte  de  Salsberv  a  messire  lan  de  Nesle  :  d'une 
pareille  subtilité  de  consciancc  a  cet t' autre  :  il  uonloit  bien  assoiner,  mais     25 
non  pas  blesser,  et  pourtant  ne  combatoit  que  de  masse.  Quelciin,  en  mes 
ioiirs,  estant  reproche  par  le  Ro\  d'aiioir  mis  les  mains  sur  un  prestre, 
\le  nioit  fort  et  ferme  :  c'estoit  qu'il  Vauoit  i  battu  et  foule  aus  pieds. 

Texte  88.  —  5)  de  tout  cet 

Vau.  ms.  —  14)  auoiiil  droit  — •  i6)  profession  pacifique  cl  nerhatc  csloiiil  — 
22)  trouuoit  prcs  de  luy  a  —  25)  prisoniers  :  t^ome  si  luy  en  resignaiil  loul  l'exploit  : 
et  le  fil  —  27)  estant  w 


Chapitre    XLII. 


DE    L  IXRQVALITK     QVI     EST    ENTRE    XOVS. 


Plutarquc  dit  en  quelque  lieu  qu'il  ne  trouue  point  i\  grande 
diftance  de  hefte  à  befte,  comme  il  trouue  d'homme  à  homme. 
II  parle  de  la  fuffifance  de  l'ame  &  qualités  internes.  A  la  vérité, 
ie  trouue  fi  loing  d'Epaminundas,  comme  ie  l'imagine,  iufques  à  tel 
5  que  ie  connois,  ie  dy  capable  de  fens  commun,  que  i'encherirois 
volontiers  fur  Plutarque;  &  dirois  qu'il  y  a  plus  de  diftance  de  tel 
à  tel  homme  qu'il  n'y  a  de  tel  homme  à  telle  befte  : 

hem  tiir  iiiro  quid  prœstat ;^ 

Et  qu'il  y  a  autant  de  def^n'i  d'esprits  qu'il  y  a  d'icy  au  ciel  de  brasses, 
10    et  autant  inmtmerahks. 

Mais,  à  propos  de  l'eftimation  des  hommes,  c'cft  merueille  que, 


Texte  88.  —  6)  &  pcnfe  qu'il  —  7)  befte  :  c'eft  à  dire,  que  le  plus  excellent 
animal,  eft  plus  approchant  de  l'homme,  de  la  plus  baffe  marche,  que  n'eft  cet  homme, 
d'vn  autre  homme  grand  &  excellent.  Mais 

\'ar.  ms.  —  9)  d'esprits  qu'il  y  en  a  d'icy  aufsi  ciel  el  aillant 

'     .\u  dessus  de  cette  citation  .Montaigne  écrit  tiers 


334  ESSAIS      DE      MOXTAIGXE. 

faut  nous,  aucune  choie  ne  s'eftime  que  par  fes  propres  qualitez. 
Nous  louons  vn  cheual  de  ce  qu'il  eft  vigoureux  &  adroit, 

volucrem' 
Sic  laudamus  equum,  facili  cui  plurima  palma 
Feruet,  &  exultât  rauco  Victoria  circo,  5 

non  de  fon  harnois;  vn  leurier  de  fa  viteffe,  non  de  l'on  colier  :  vn 
oyfeau  de  fon  aile,  non  de  fes  longes  &  fonettes.  Pourquoy  de 
mefmes  n'ellimons  nous  vn  homme  par  ce  qui  eft  fien  ?  Il  a  vn 
grand  train,  vn  beau  palais,  tant  de  crédit,  tant  de  rente  :  tout  cela 
eft  autour  de  luy,  non  en  luy.  Vous  n'achetez  pas  vn  chat  en  poche.  10 
Si  vous  marchandez  vn  cheual,  vous  luy  oftez  fes  bardes,  vous  le 
voyez  nud  &  à  defcouuert;  ou,  s'il  eft  couuert,  comme  on  les 
prefentoit  anciennement  aux  Princes  à  vandre,  c'eft  par  les  parties 
moins  neceffaires,  afin  que  vous  ne  vous  amufez  pas  à  la  beauté 
de  fon  poil  ou  largeur  de  fa  croupe,  &  que  vous  vous  arreftez  15 
principalement  à  confiderer  les  iambes,  les  yeux  &  le  pied,  qui  font 
"les  membres  les  plus  vtiles, 

Regibus  hic  mos  eft  :  vbi  equos  mercantur,  opertos 

Infpiciunt,  ne,  fi  faciès,  vt  fœpe,  décora 

Molli  fulta  pede  eft,  emptorem  inducat  hiantem,  20 

Quod  pulchrs  clunes,  hreue  quod  caput,  ardua  cervix. 

Pourquoy,  eftimant  vn  homme,  Feftimez  vous  tout  enueloppé 
&  empacqueté?  Il  ne  nous  f;nct  montre  que  des  parties  qui  ne  font 
aucunement  liennes,  &  nous  cache  celles  par  Icfquelles  feules  on 
peut  vrayement  iuger  de  fon  eftimation.  C'eft  le  pris  de  l'efpée  que  25 
vous  cherchez,  non  de  la  guaine  :  vous  n'en  donnerez  à  l'aduenture 
pas  vn  quatrain,  fi  vous  l'auez  delpouillé.  Il  le  laut  iuger  par  luy 

Texte  88.  —  17)  membres  les  plus  nobles  &  les  plus  vtiles 

'     en  ça  écrit  Monuigne  i  droite  de  ce  mot. 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XLII.  335 

mefmc,  non  par  les  atours.  Et  comme  dit  trcs-plaifamment  vn  ancien  : 
Sçauez  vous  pourquoy  vous  l'ellimez  grand?  Vous  y  comptez  la 
hauteur  de  fes  patins.  La  bafe  n'eft  pas  de  la  ftatue.  Mefurez  le  fans  fes 
efchaces  :  qu'il  mette  à  part  fes  richeffes  &  honneurs,  qu'il  fe  prefente 

5  en  chemife.  A  il  le  corps  propre  à  fes  functions,  iain  &  allègre'? 
Quelle  ame  a  il  ?  eft  elle  belle,  capable  &  heureufement  pourmue  de 
toutes  fes  pièces?  Eft  elle  riche  du  fien,  ou  de  l'autruy?  la  fortune 
n'y  a  elle  que  voir?  Si,  les  yeux  ouuerts,  elle  attend  les  efpées  traites; 
s'il  ne  luy  chaut  par  où  luy  forte  la  vie,  par  la  bouche  ou  par  le 

10  gofier;  fi  elle  eft  raflife,  equable  &  contente  :  c'eft  ce  qu'il  fiiut  veoir, 
&  iuger  par  la  les  extrêmes  différences  qui  font  entre  nous.  Eft-il 

fapiens,  fibique  imperiofus, 
Quem  neque  pauperies,  neque  mors,  neque  vincula  terrent, 
Refponfare  cupidinibus,  contemnere  honores 
15  Fortis,  &  in  feipfo  totus  teres  atque  rotundus, 

Externi  ne  quid  valeat  per  Isue  morari, 
In  quem  manca  ruit  (emper  fortuna? 

vn  tel  homme  eft  cinq  cens  bralTes  au  defliis  des  Royaumes  &  des 
duchez  :  il  eft  luy  mefmes  à  foy  fon  empire. 

20  Sapiens  pol  ipse  Jingit  fortunam  sibi.' 

Que  luy  reste  il  a  désirer? 

Non  ne  videmus" 
Nil  aliud  fibi  naturam  latrare,  nifi  ut  quoi 
Corpore  feiunctus  dolor  abfit,  mente  fruatur, 
25  lucundo  fenfu  cura  femotus  metûque  ? 


Tkxte  88.  —   6)   heureufement  garnie  de   —    19)    empire  &  fes  richelTes  :  il  vit 
fatis-fait,  content  &  allègre.  Et  à  qui  a  cela,  que  refte-il?  Non  ne  videmus 

'     Au  dessus  Je  celle  cilation,  Moiit.iignc  écrit  tlCt'S 

-     A  droite  de  cette  hii  Je  vers,  .Montaigne  écrit  :  /</-'  Cil  fil 


330  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

Comparez  luy  la  tourbe  de  nos  hommes,  flupide,  bafle,  feruile, 
inftable  ts:  continuellement  flotante  en  l'orage  des  paffions  diuerfes 
qui  la  pouffent  &  repoussent  :  pendant  toute  d'autruy;  il  y  a  plus 
d'efloignement  que  du  Ciel  à  la  terre  :  &  toutefois  l'aueuglement  de 
noftre  vfage  eft  tel,  que  nous  en  faifons  peu  ou  point  d'eftat,  là  où,  5 
fi  nous  confiderons  vn  paifan  &  vn  Roy,  ////  iiohlc  et  un  uiJlaiii,  un 
magistrat  et  un  home  priue,  un  riehe  et  un  poure,  il  le  prefente  Ibudain 
à  nos  yeux  vn'  extrême  difparité,  qui  ne  font  différents  par  manière 
de  dire  qu'en  leurs  chauffes. 

En  Thrace  le  Roy  [estoit]  distingue  de  sou  [peuple  d'une  plaisante     10 
manière,^  et  bien  rencherie.  Il  auoit  une  religion  a  part,  un  dieu  tout  a  luy 
qu'il  napartenoit  a  ses  suhiets  d'adorer  :  c'estoit  Mercure;  et  luy  dcsdeiguoit 
les  leurs,  Mars,  Bacclnis,  Diane. 

Ce  ne  so)it  pourtât  que  peintures,  qui  ne  font  aucune  dissemblance 
essentielle.  1 5 

Car,  comme  les  loueurs  de  comédie,  vous  les  voyez  fur  l'efchafîiiut 
faire  vne  mine  de  Duc  &  d'Empereur;  mais,  tantoft  après,  les  voyia 
'deuenuz  valets  &  crocheteurs  miferables,  qui  eft  leur  nayfue  îx  origi- 
nelle condition  :  auffi  l'Empereur,  duquel  la  pompe  vous  eiblouit 
en  public,  20 

Scilicet  &  grandes  viridi  cuiii  luce  fmaragdi 
Auro  includuntur,  teriti'irque  Tlialalîlma  veftis 
Affiduè,  &  Veneris  fudorem  exercita  potat, 

voyez  le  derrière  le  rideau,  ce  n'eft  rien  qu'vn  homme  commun, 
&,  à  l'aducnture,  plus  vil  que  le  moindre  de  fes  fuhiects.  «Ille  beatus     25 
introrsuni  est.  Istius  bracteata  Ja'licitas  est.  » 

Texte  88.  —  i)  comp.art-z  à  ccluy  là,  la...  honinics,  ignorante,  llupidc&cndoniiic, 
balTc,  fcruilc,  plcini.' de  fic-burc  &  de  tVaicur,  inftabic  —  5)  &  lenipcftent,  pendant 

\'ar.  .ms.  —  7)  magistrat  un...  riil.'c  li  I'  —  y)  cliauffes.  Bradcala  isla  f.rlicilas  csl. 
Car  comme —  10)  Roy  est  ilislinguc  —  11)  loiil  u  s  —  14)  aucune  dislhiclum  cssentictte. 
—  25)  fubiccts.  Mmckala  ida  f^lidUii  al.  llle...  csl.  Smckaia  isla  jadUikn  eut.  Islius 


LIVRE      I,      CHAPITRK      XLII.  337 

La  coùardile,  l'irrclblution,  rambition,  le  dcfpit  &  l'cnuic  l'agitent 
comme  vn  autre  : 

Xon  enini  gaz>t  neque  confularis 
Siinimouet  lictor  niiferos  tumultus 
5  Mentis  &  curas  laqueata  circuiii 

Tecta  volantes; 

&  le  l'oing  &  la  crainte  le  tiennent  à  la  gorge  au  milieu  de  l'es  armées,         B 

Re  veràque  nietus  hominum,  eunuque  fequaces, 
Nec  metuunt  fonitus  armorum,  nec  fera  tela; 
10  Auiiactérque  inter  reges,  rerûnique  potentes 

\'erfantur,  neque  fulgorem  reuerentur  ab  auro.     • 

La  fiebure,  la  niicntinc  &  la  goutte  lelpargnent  elles  non  plus  que  A 
nous?  Quand  la  vieillefle  luy  fera  fur  les  efpauies,  les  archiers  de 
fa  garde  l'en  defchargeront  ils?  Quand  la  frayeur  de  la  mort  le 
15  tranfira,  fe  r'affeurera  il  par  ralfillance  des  gentils-hommes  de  (a 
chambre  ?  Quand  il  fera  en  ialoufie  &  caprice,  nos  bonnettades  le 
remettront  elles?  Ce  ciel  de  lict  tout  enflé  d'or  &  de  perles,  n'a  aucune 
vertu  à  rappaifer  les  tranchées  d'vne  verte  colique  : 

Nec  calid;c  citius  decedunt  corpore  febres, 
20  Textilibus  fi  in  picturis  oftrôque  rubenti 

lacteris,  quam  fi  plebeia  in  verte  cubanduni  eft. 

Les  flateurs  du  grand  Alexandre  luy  faifoyent  à  croire  qu'il  eftoit 
fils  de  lupiter  :  vn  iour,  eftant  blefle,  regardant  efcouler  le  fang  de 
fa  plaie  :  Et  bien,  qu'en  dites  vous?  fit-il,  efl-ce  pas  icy  vn  fang 
25  vermeil  &  purement  humain  ?  Il  n'efl  pas  de  la  trampe  de  celuy  que 
Homère  fait  efcouler  de  la  playe  des  dieux.  Hermodorus,  le  poète, 
auoit  fait  des  vers  en  l'honneur  d'Antigonus,  où  il  l'appelloit  fils  du 

Texte  88.  —  12)   la  migraine  &  —  17)   lict  de  velours  tout  —  25)  la  façon  de 


3^8  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

Soleil;  &  luv  au  contraire  :  Celuy,  dit-il,  qui  vuide  ma  chaize  percée, 
Içait  bien  qu'il  n'en  efl:  rien.  C'eft  vn  homme  pour  tous  potages; 
&  fi,  de  Iby-mefmes,  c'eft  vn  homme  mal  né,  l'empire  de  l'vniuers 
ne  le  fçauroit  rahiller  : 

puelkt  5 

Hune  rapiant;  quicquid  calcauerit  hic,  rofa  fiât, 

quoy  pour  cela,  li  c'eft  vne  amc  grofliere  &  ftupide?  La  volupté 
meftîic  &  le  bon  heur  ne  se  pcrçoiuciil  point  fans  vigueur  (S;  sans  esprit  : 

L-EC  perinde  funt,  vt  illius  aninius  qui  ea  poffidet. 
Qui  vti  fcit,  ei  bona;  illi  qui  non  vtitur  rectè,  mala.  lo 

Les  biens  de  la  fortune,  tous  tels  qu'ils  font,  encorcs  faut  il  auoir 
du  sentinuiiit  pour  les  fauourer.  C'eft  le  iouir,  non  le  pofl"eder,  qui 
nous  rend  heureux  : 

Non  domus  &  fundus,  non  sris  aceruus  &  auri 

^groto  domini  deduxit  corpore  febres,  15 

Non  animo  curas  :  valeat  poffelTor  oportet, 

Qui  comportatis  rébus  benè  cogitât  vti. 

Qui  cupit  aut  metuit,  iuuat  illum  fie  domus  aut  res, 

\'t  lippuni  pictïe  tabulœ,  fomenta  podagram. 

Il  eft  vn  fot,  fon  gouft  eft  moufle  &  hebeté;  il  n'en  iouit  non  plus     20 
qu'un  morfondu  de  la  douceur  du  vin  Grec,  ou  qu'vn  cheual  de  la 
richeffe  du  harnois  duquel  on  l'a  paré;  tout  ainsi,  corne  Platon  dict, 
que  la  santé,  la  beauté,  la  force,  les  richesses,  et  tout  ce  qui  s'apele  bien,  est 
egalemant  mal  a  l'iniustc  corne  bien  au  iuste,  et  le  mal  au  rebours. 

Et  puis,  où  le  corps  &  l'efprit  font  en  mauuais  eftat,  à  quoy  faire     25 
ces  commoditcz  externes?  veu  que  la  moindre  picqueure  d'elpingle. 

Texte  88.  —  8)  ne  s'aperçoiuent  point  fans  vigueur  &  fuffifance  :  hiKC  — 
12)  du  gouft  pour  —  19)  podagram.  Sinccrum  eft  nifi  vas,  quodcunque  infiindis 
aceflit.  Il  eft  —  26)  efpingle,  veu  que  la  moindre  palFion 

Var.  ms.  —  23)  et  es  —  24)  et  du  mal 


LIVRE     I,     CHAIMTRH     XLII.  3}9 

('/  paflion  de  l'ame  cil:  luffiûmtc  à  nous  oÛcr  le  plaifir  de  la  monarchie 
du  monde.  A  h  pixiiiiiir  ftrette  que  luy  donne  la  goutte',  il  a  beau 
élire  Sire  &  Majerté, 

Totus  &  arqcnto  confl:itus,  totus  &  auro, 

5  'perd  il  pas  le  fouuenir  de  l'es  palais  &  de  fes  grandeurs?  S'il  eft  en 
colère,  la  principauté  le  garde  elle  de  rougir,  de  paflir,  de  grincer 
les  dents,  comme  vn  fol?  Or,  li  çeft  vn  habile  homme  &  bien  né, 
la  royauté  adioute  peu  à  fon  bonheur  : 

Si  ventri  bene,  fi  lateri  eft  pedibûfque  tuis,  ni! 
lO  Diuitis  poterunt  regales  addere  maius; 

il  voit  que  ce  n'eft  que  biffe  &  piperie.  Oui,  à  Taduenture  il  lera  de 
l'aduis  du  Rov  Seleucus,  que,  qui  fçauroit  le  poix  d'vn  fceptre,  ne 
daigneroit  l'amalTer,  quand  il  le  trouueroit  à  terre;  il  le  difoit  pour 
les  grandes  &  pénibles  charges  qui  touchent  vn  bon  Roy.  Certes,  ce 

I)  n'eft  pas  peu  de  choie  que  d'auoir  à  régler  autruy,  puis  qu'à  régler 
nous  mefmes  il  le  prefente  tant  de  difficultez.  Quant  au  commander, 
qui  femble  eftre  11  doux,  conliderant  l'imbécillité  du  ingénient 
humain  ix  la  difficulté  du  chois  es  choies  nouuelles  &  doubteufes, 
ie  fuis  fort  de  cet  aduis,  qu'il  eft  bien  plus  aifé  &  plus  plaifant  de 

20  fuiure  que  de  guider,  &  que  c'eft  vn  grand  feiour  d'efprit  de  n'auoir 
à  tenir  qu'vne  voyc  tracée  &  à  refpondre  que  de  loy  : 

Vt  latiùs  multo  iam  lu  parère  quietum, 
Quam  regcre  iniperio  res  velle. 

joint  que  Cyrus  difoit  qu'il  n'appartenoit  de  commander  à  homme 
25     qui  ne  vaille  mieux  que  ceu\  à  qui  il  commande. 


Texte    88.   —    2)     A  la  moindre  ftrette    —    S)     royauté  n'aJioutc  rien  à    — 
1 1)  piperie  :  voire  à 


340  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

Mais  le  Roy  Hieron,  en  Xenophon,  dict  dauantage  :  quen  la 
iouyflance  des  voluptez  mefmes,  ils  font  de  pire  condition  que  les 
priuez,  d'autant  que  l'ayfancc  ix  la  facilité  leur  olfc  l'aigrc-douce 
pointe  que  nous  y  trouuons, 

Pinguis  amor  nimiûmque  potens,  in  tœdia  nobis  5 

Vertitur,  &  ftomacho  dukis  vt  efca  nocet. 

Penfons  nous  que  les  enfans  de  cœur  prennent  grand  plaifir  à  la 
mufique?  la  facieté  la  leur  rend  plufloft  ennuyeufe.  Les  feftins,  les 
danfes,  les  mafquarades,  les  tournois,  reiouyfTent  ceux  qui  ne  les 
voyent  pas  fouuent  &  qui  ont  defiré  de  les  voir;  mais,  à  qui  en  faict  10 
ordinaire,  le  gouft  en  dénient  fade  &  mal  plaifant;  ny  les  dames  ne 
chatouillent  celuy  qui  en  ioyt  à  cœur  faoul.  Qui  ne  fe  donne  loifir 
d'auoir  foif,  ne  fçauroit  prendre  plaifir  à  boire.  Les  farces  des  bateleurs 
nous  res-iouilTent,  mais,  aux  loueurs,  elles  feruent  de  coruée.  Et 
qu'il  foit  ainfi,  ce  font  délices  aux  Princes,  c'ei^  leur  ferte,  de  fe  15 
pouuoir  quelque  fois  traueftir  &  démettre  à  la  façon  de  viure  baffe 
&  populaire, 

Pleri'imque  gratae  principibus  vices, 
Munda;que  paruo  fub  lare  pauperum 

Cœnœ,  fine  aulseis  &  oftro,  20 

Solicitam  explicuere  frontem. 

//  n'est  rien  si  empeschant,  si  desgouté,  que  l'abondance.  Quel  appétit  ne 
se  rehuteroil  a  noir  trois  cens  femmes  a  sa  merci,  corne  les  ha  le  grand 
seign[eur^  en  son  serrail?  Et  quel  appétit  et  uisage  de  chasse  s'estait  reseruc 
celuy  de  ses  ancestres  qui  n'aloit  ianniis  ans  champs  a  mois  de  sept  mille     25 
fauconiers  ? 

Texte  88.  —  i)  qu'à  la  —  15)  Princes,  &  c'eft 
Var.  ms.  —  24)  chasse  celuy 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XLII.  34I 

Et,  outre  cela,  ie  croy  que  ce  lullre  de  grandeur  apporte  non 
legieres  incommodités  à  la  iouylTance  des  philsirs  plus  dons  :  ils  font 
trop  elclairez  ^;  trop  en  butte. 

Ht,  ie  ne  Içay  comment,  on  requiert  plus  d'eux  de  cacher  &  couurir 
5  leur  faute.  Car  ce  qui  eÛ  à  nous  indilcretion,  à  eux  le  peuple  iuge 
que  ce  loit  tyrannie,  melpris  &  deldain  des  loix;  &,  outre  rinclination 
au  vice,  il  lemble  qu'ils  v  adiouftent  encore  le  plaiiir  de  gourmander 
&  loulmettre  à  leur  pieds  les  ohleruances  publiques.  De  iinii  Platon, 
en  son  Gorgias,  definil  Ivntn  cehty  qni  ci  liù-)ur  en  nne  cite  de  faire  tout 

10  ce  qui  luy  pJait.  Et  louuent,  à  cette  caufe,  la  montre  &  publication 
de  leur  uice  blefle  plus  que  le  vice  melme.  Chacun  craint  à  ertre 
elpié  &  contrerollé  :  ils  le  l'ont  iuiques  à  leur  contenances  &  à  leurs 
penlees,  tout  le  peuple  ertimant  auoir  droict  &  interert  d'en  iuger; 
outre  ce  que  les  taches  s'agranditTent  l'elon   l'eminence  (\:  clarté 

I)  du  lieu  où  elles  lont  afliles,  &  qu'vn  leing  &  vue  verrue  au  front 
paroillent  plus  que  ne  taict  ailleurs  vue  balafre. 

N'oyla  pourquoy  les  poètes  feignent  les  amours  de  lupitcr  conduites 
loubs  autre  vilage  que  le  fien;  îx,  de  tant  de  practiques  amoureufes 
qu'ils  luy  attribuent,  il  n'en  ell  qu'vne  feule,  ce  me  lemble,  où  il  fe 

20     trouue  en  ia  grandeur  &  Majellé. 

Mais  reuenons  à  Hyeron  :  il  recite  aufli  combien  il  fcnt  d'incom- 
moditez  en  la  royauté,  pour  ne  pouuoir  aller  &  vovager  en  liberté, 
eftant  comme  prifonnier  dans  les  limites  de  l'on  pais;  &  qu'en 
toutes  les  actions  il  fe  trouue  enueloppé   d'vne  facheule  prelTe. 

25  De  vray,  à  voir  les  noftres  tous  feuls  à  table,  aflîegez  de  tant  de 
parleurs'  &  regardans  inconnuz,  l'en  ay  eu  louuent  plus  de  pitié 
que  d'enuie. 

Texte  88.  —    i)   croy  à  dire  la  vérité,  que  —   2)   des  principales  voluplez  :  ils 
—  Il)  leur  vie,  blefle  —   15)  au  vifage,  paroiflcnt 
\'ar.   ms.  —  9)  lyrati  eduy  a  qui  l«u 

'     parleurs  &    addition  de  Ij8«. 


342  ESSAIS     DE      MONTAIGNE. 

Le  Rov  Alphonfe  dilbit  que  les  afncs  eftoyent  en  cela  de  meilleure 
condition  que  les  Rovs  :  leurs  maiftres  les  laiffent  paiflre  à  leur  aife, 
là  où  les  Roys  ne  peuuent  pas  obtenir  cela  de  leurs  feruiteurs. 

Et  ne  m'eft  iamais  tombé  en  fantafie  que  ce  fut  quelque  notable 
commodité  a  la  vie  d'vn  homme  d'entendement,  d'auoir  vne  vingtaine  s 
de  contrerolleurs  à  fa  chaife  percée;  ny  que  les  feruices  d'vn  homme 
qui  a  dix  mille  Hures  de  rente,  ou  qui  a  pris  Cafal,  ou  défendu 
Siene,  luy  Ibyent  plus  commodes  &  acceptables  que  d'vn  bon  valet 
&  bien  expérimenté. 

Les  auantages  principefques  font   quafi  auantages  imaginaires.     lo 
Chaque  degré  de  fortune  a  quelque  image  de  principauté.  Caîfar 
appelle  Roytelets  tous  les  Seigneurs  ayant  iuftice  en  France  de  fon 
temps.  De  vray,  fauf  le  nom  de  Sire,  on  va  bien  auant  auec  nos 
Rovs.  Et  voyez  aux  Prouinces  efloingnées  de  la  Cour,  nommons 
Bretaigne  pour  exemple,  le  train,  les  fubiects,  les  officiers,  les  occu-     15 
pations,  le  feruice  &  cerimonie  d'vn  Seigneur  retiré  &  cafanicr,  nourry 
entre  fes  valets;  &  voves  auffi  le  vol  de  fon  imagination  :  il  n'eft 
"rien  plus  Roval;  il  ovt  parler  de  fon  maiftre  vne  fois  l'an,  comme 
du  Rov  de  Perle,  &  ne  le  recognoit  que  par  quelque  vieux  couiinage 
que  fon  fecretaire  tient  en  regiftre.  A  la  vérité,  nos  loix  font  libres     20 
affez,  &  le  pois  de  la  fouueraineté  ne  touche  vn  gentil-homme 
François  à  peine  deux  fois  en  fa  vie.  La  fubiection  eflentielle  &  effec- 
tuelle  ne  regarde  d'entre  nous  que  ceux  qui   s'y  conuient  &  qui 
avment  à  s'honnorer  &  enrichir  par  tel  feruice  :  car  qui  le  veut  tapir 
en  fon  fover,  &  fçait  conduire  h  maifon  fans  querelle  &  fans  procès,     25 
il  eft  aufli  libre  que  le  Duc  de  Venife  :  «  Paucos  scniitiis,  pliircs  scnii- 
iiikm  Iciicnl.  » 

Mais  fur  tout  Hieron  faict  cas  dequoy  il  fe  voit  priué  de  toute 
amitié  &  focieté  mutuelle,  en  laquelle  confifte  le  plus  partait  iS:  doux 
fruict  de  la  vie  humaine.  Car  quel  tefmoignage  d'affection  &  de     30 
bonne  volonté  puis-ie  tirer  de  celuy  qui  me  doit,  veuille  il  ou  non, 
tout  ce  qu'il  peut?  Puis-ie  faire  eftat  de  fon  humble  parler  &  courtoile 


LIVRE      1,      CHAPITRE      XI. II.  343 

reuerencc,  veu  qu'il  n'cft  pas  en  luy  de  me  la  rcfulcr?  L'honneur 
que  nous  rcceuons  de  ceux  qui  nous  craignent,  ce  n'efl;  pas  honneur; 
ces  refpects  le  doiuent  à  la  royauté,  non  à  moy  : 

maximum  lioc  regni  honum  cft, 
5  Quod  facta  domini  cogitur  populus  fui 

Quam  ferre  tam  lauJarc. 

Vois-ie  pas  que  le  melchant,  le  bon  Roy,  celuy  qu'on  hait,  celuy 
qu'on  ayme,  autant  en  a  l'vn  que  l'autre  :  de  melmes  apparences, 
de  melme  cerimonie  eftoit  l'eruy  mon  predeceiïeur  &  le  fera  mon 

H)  fucceiïeur.  Si  mes  lubiects  ne  m'oftencent  pas,  ce  n'eil;  telmoignage 
d'aucune  bonne  aftection  :  pourquov  le  prendray-ie  en  cette  part-là, 
puis  qu'ils  ne  pourroient  quand  ils  voudroient  ?  Nul  ne  me  luit  pour 
l'amitié  qui  foit  entre  luy  &  mov,  car  il  ne  s'v  Içauroit  coudre  amitié 
où  il  y  a  lî  peu  de  relation  &  de  correfpondance.  Ma  hauteur  m'a 

I)  mis  hors  du  commerce  des  hommes  :  il  y  a  trop  de  dilparité  &  de 
dilproportion.  Ils  me  luiuent  par  contenance  &  par  coultume  ou, 
plus  tost  que  niov,  ma  forluuc,  pour  eu  aceroistre  la  leur.  Tout  ce  qu'ils 
me  dient  et  font,  ce  n'ert  que  fard.  Leur  liberté  eftant  bridée  de  toutes 
pars  par  la  grande  puilTance  que  i'ay  lur  eux,  ie  ne  voy  rien  autour 

20     de  moy,  que  couuert  &  malqué. 

Ses  courtiliins  loiioient  vn  iour  lulien  l'Empereur  de  faire  bonne 
iuftice  :  le  m'en  orgueillirois  volontiers,  dict-il,  de  ces  louanges,  fi 
elles  venoient  de  perlonnes  qui  ozaiïent  acculer  ou  melloiier  mes 
actions  contraires,  quand  elles  v  leroient. 

25  Toutes  les  vraies  commoditez  qu'ont  les  Princes,  leur  lont 
communes  auec  les  hommes  de  moyenne  fortune  (c'eit  à  taire  aux 
Dieux  de  monter  des  chenaux  aillez  &  le  pairtre  d'Ambrolie)  :  ils 
n'ont  point  d'autre  lommeil  &  d'autre  appétit  que  le  nollre;  leur 

Texte  88.  —  lé)  ou  pour  en  tirer  leurs  aggrandifTemeiis  &  commoditez  parti- 
culières, tout  ce  —  18)  dient,  tout  ce  qu'ils  me  font...  fard  &  piperie,  leur  liberté 
eftant  toute  bridée,  par 


344  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

acier  n'eft  pas  de  meilleure  trempe  que  celuy  dequoy  nous  nous 
armons;  leur  couronne  ne  les  couure  nv  du  foleil  ny  de  la  pluie. 
Diocletian,  qui  en  portoit  vne  fi  reuerée  &  ii  fortunée,  la  refigna 
pour  fe  retirer  au  plaifir  d'vne  vie  priuée;  &,  quelque  temps  après, 
la  neceffité  des  affaires  publiques  requérant  qu'il  reuint  en  prendre  5 
la  charge,  il  refpondit  à  ceux  qui  l'en  prioient  :  \'ous  n'entreprendriez 
pas  de  me  perfuader  cela,  û  vous  auiez  veu  le  bel  ordre  des  arbres 
que  i'ay  movmefme  planté  chez  moy,  &  les  beaux  melons  que  i'y 
ay  femez. 

A  l'aduis  d'Anacharfis,  le  plus  heureux  eftat  d'vne  police  l'eroit     10 
où,  toutes  autres  choies  eftant  eigales,  la  precedence  ie  iiicsitroil  à  la 
vertu,  1^  le  rebut  au  vice. 

Quand  le  Roy  Pyrrhus  entreprenoit  de  paffer  en  Italie,  Cvneas, 
Ion  lage  confeiller,  luy  voulant  faire  fentir  la  vanité  de  ion  ambition  : 
Et  bien!  Sire,  luv  demanda-il,  à  quelle  lin  dreffez  vous  cette  grande  15 
entrcprinle? —  Pour  me  laire  mairtre  de  l'Italie,  relpondit-il  loudain. 
—  Et  puis,  luvuit  Cvneas,  cela  fiiict?  —  le  pafferav,  dict  l'autre,  en 
"Gaule  &  en  Elpaigne.  —  Et  après?  —  le  m'en  irav  lubiuguer 
l'Afrique;  &  en  hn,  quand  i'aurav  mis  le  monde  en  ma  lubiection, 
ie  me  repoferav  &  viuray  content  &  à  mon  aile.  —  Pour  Dieu,  Sire,  20 
rechargea  lors  Cyneas,  dictes  moy  à  quov  il  tient  que  vous  ne  foyez 
dés  à  prefent,  fi  vous  voulez,  en  cet  eftat?  pourquov  ne  vous  logez 
vous,  des  cette  heure,  où  vous  dictes  alpirer,  6c  vous  efpargnez  tant 
de  trauail  &  de  hazard  que  vous  iettez  entre  deux? 

Nimirum  quia  non  hene  norat  qiut  eiret  liabeiidi  25 

Finis,  &  omnino  qiio.id  crcfcat  vera  voluptas. 

le  m'en  vais  clorre  ce  pas  par  ce  verlet  ancien  que  ie  trouue 
lingulierement  beau  à  ce  propos  :  «  Mores  cuique  fui  fingunt 
fortunam.  » 

Texte  88.  —  11)  fe  mcfurcroit  à  —  20)  Sire,  fit  lors 


Chapitre    XLIII. 


DES    LOIX    SOMPTVAIRES. 


La  façon  dequoy  nos  loix  eflayent  à  régler  les  foies  &  vaines 
defpences  des  tables  &  veftemens,  femble  eftre  contraire  à  fa  fin. 
Le  vray  moyen,  ce  feroit  d'engendrer  aux  hommes  le  mefpris  de 
l'or  &  de  la  foye,  comme  de  chofes  vaines  &  inutiles;  &  nous  leur 
S  augmentons  l'honneur  &  le  prix,  qui  eft  vne  bien  inepte  façon  pour 
en  dégonfler  les  hommes  :  car  dire  ainfi,  qu'il  n'y  aura  que  les 
Princes  qui  mangent  du  turbot  et  qui  puilTent  porter  du  velours  &  de 
la  treffe  d'or,  &  l'interdire  au  peuple,  qu'eft-ce  autre  chofe  que  mettre 
en  crédit  ces  choses  là,  &  faire  croiftre  l'enuie  à  chacun  d'en  vfer  ? 

10  Que  les  Roys  quittent  hardiment  ces  marques  de  grandeur,  ils  en 
ont  aflez  d'autres  :  tels'  excez  font  plus  excufables  à  tout  autre  qu'à 
vn  prince.  Par  l'exemple  de  plufieurs  nations,  nous  pouuons 
apprendre  aflez  de  meilleures  façons  de  nous  diftinguer  extérieu- 
rement ik  nos  degrez  (ce  que  i'eftime  à  la  vérité  élire  bien  requis 

15  en  vn  eftat),  fans  nourrir  pour  cet  effiect  cette  corruption  &  incom- 
modité i\  apparente.  C'eft  merueille  comme  la  couflume,  en  ces  chofes 
indifférentes,  plante  aifément  &  foudain  le  pied  de  fon  authorité. 

Texte  88.  —  9)  ces  vanitez  là 
'    tels...  prince,   addition  de  1588. 


346  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

A  peine  fuimes  nous  vn  an,  pour  le  dueil  du  Roy  Henry  lecond, 
à  porter  du  drap  à  la  cour,  il  eft  certain  que  defia,  à  l'opinion  d'vn 
chacun,  les  foyes  eûoient  venues  à  telle  vilité  que,  li  vous  en  voyez 
quelqu'vn  veftu,  vous  en  faifiez  iiicotitiiiant  quelque  homme  de  iiWc. 
Elles  eftoient  demeurées  en  partage  aux  médecins  &  aux  chirurgiens;  5 
&,  quoy  qu'vn  chacun  fuft  à  peu  près  veftu  de  melme,  fi  y  auoit-il 
d'ailleurs  aflex  de  diftinctions  apparentes  des  qualitez  des  hommes. 

Combien  Ibudainement  viennent  en  honneur  parmy  nos  armées 
les  pourpoins  craffeux  de  chamois  &  de  toile;  (^  la  polliffeure 
c\:  richefTe  des  veftements,  à  reproche  &  à  mefpris!  10 

Que  les  Rois  commencent  à  quitter  ces  deipences,  ce  lera  taict 
en  vn  mois,  fans  edict  &  lans  ordonnance  :  nous  irons  tous  après. 
La  Lov  deuroit  dire,  au  rebours,  que  le  cramoify  &  l'orfeuerie  eft 
défendue  à  toute  efpece  de  gens,  fauf  aux  hafteleurs  &  aux  courtiianes. 
De  pareille  inuention  corrigea  Zeleucus  les  meurs  corrompues  des  15 
Locriens.  Ses  ordonnances  eftoient  telles  :  que  la  femme  de  condition 
libre  ne  puifle  mener  après  elle  plus  d'vne  chambrière,  finon  lors 
qu'elle  fera  vure;  nv  ne  puifle  fortir  hors  de  la  ville  de  nuict;  ny 
porter  iovaux  d'or  à  l'entour  de  fa  perlbnne,  ny  robbe  enrichie  de 
broderie,  fi  elle  n'eft  publique  &  putain;  que,  fauf  les  ruffîens,  20 
à  l'homme  ne  loife  porter  en  ion  doigt  anneau  d'or,  ny  robbe 
délicate,  comme  font  celles  des  draps  tilTus  en  la  ville  de  Milet. 
Et  ainfi,  par  ces  exceptions  honteufes,  il  diuertilfoit  ingenieufement 
SCS  cHoicns  des  fuperfluitez  &  délices  pernicieufes. 

C'eftoit  vne  tres-vtile  manière  d'attirer  par  honneur  &  ambition     25 
les  hommes  à  Fobeiflance.  Nos  Roys  peuuent  tout  en  telles  refor- 
mations externes;  leur  inclination  y  fert  de  loy.  iiQuidqiiid  principes 

Texte  88.  —  4)  faifiez  foudain  argument,  que  c'eftoit  quelque  homme  de  peu, 
elles  eftoient  —  il)  Rois  &  les  Princes  commencent  —  12)  irons  treftous  après. 
—   1})  dire  tout  au  —  23)  ingenieufement  les  perfonnes,  des  —  27)  loy,  car  le  refte 

Var.  ms.  —  27)  loy,  1°  :  quidquid  principes  facial  pr^cipere  uideiitur  :  Le  refte 
2°  :  car  corne  dici  un  atitien  tout  ce  que  le  prime  faici  il  semhlea  uoir  qu'il  le  comaude.  Le  refte 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XLIIl.  347 

faciinil,  praxipcre  iiidcnliir.  »  Le  relie  de  la  France  prend  pour  règle  la 
règle  lic  la  court.  Qu'ils  le  delplailent  de  cette  vilaine  chaulTure  qui 
montre  fi  à  defcouuert  nos  membres  occultes;  ce  lourd  grolîîlTement 
de  pourpoins,  qui  nous  fiiict  tous  autres  que  nous  ne  l'omines,  fi 
5  incommode  à  s'armer;  ces  longues  trelTes  de  poil  efTeminées;  cet 
vfage  de  baifer  ce  que  nous  prelentons  à  nos  compaignons  &  nos 
mains  en  les  faluant,  cérémonie  deuë  autresfois  aux  feuls  Princes; 
&  qu'vn  gentil-homme  fe  trouue  en  lieu  de  relpect,  lans  efpée  à  Ion 
cofté,  tout  eltraillé  &  deftaché,  comme  s'il  venoit  de  la  garderobbe; 

10  &  que,  contre  la  forme  de  nos  pères  &  la  particulière  liberté  de  la 
noblefle  de  ce  Rovaume,  nous  nous  tenons  defcouuerts  bien  loing 
autour  d'eux  en  quelque  lieu  qu'ils  foient;  &  comme  autour  d'eux, 
autour  de  cent  autres,  tant  nous  auons  de  tiercelets  &  quartelets  de 
Roys;  &  ainlî  d'autres  pareilles  introductions  nouuelles  &  vitieules  : 

1 5  elles  le  verront  incontinent  efuanouyes  &  defcriées.  Ce  font  erreurs 
fuperficielles,  mais  pourtant  de  mauuais  prognoftique;  &  fommes 
aduertis  que  le  malTif  fe  defment,  quand  nous  voyons  fendiller 
l'enduict  &  la  croufte  de  nos  parois. 

Platon,  eu  ses  loix,  u  'estime  peste  du  monde  plus  domageahlc  a  sa  cite, 

20  que  de  laisser  prendre  liberté  a  la  iuuessc  de  changer  en  acoustremens, 
en  gestes,  en  danses,  en  exercices  et  en  chançons,  d'une  forme  a  autre  : 
remuant  son  ingénient  tantost  en  cete  assiete,  tantost  en  cetela,  courant  après 
les  nouuelete::^,  Imiorant  leurs  inuanturs;  par  ou  les  meurs  \se]  corrompent, 
et  toutes  antiencs  institutions  uienent  a  desdein  &  a  inespris.  En  toutes 

25  cijoses,  sauf  simplemcnl  ans  mauucses,  la  mutation  est  a  crcindre  :  la 
mutation  des  saisons,  des  uens,  des  uiures,  des  bunwurs;  et  nulles  loix  ne 


Texte  88.  —  i)  pour  patron,  ce  qui  fe  faict  à  la  court  :  ces  façons  vitieules 
naiflent  près  d'eux  :  qu'ils  fe  —  3)  membres  plus  honteux,  ce  monftrueux  grolTilTe- 
menl  —  5)  incommode  à  ceux  qui  ont  à  s'armer 

Var.  ms.  —  20)  que  de  dDUfi^  lUeute  a  II  mnci!.(  —  21)  danses  el  en  cl>aiiçoiis  — 
22)    iiigenuiit  d'une  en  nuire  assicle  courant  a(ires  tes  nouuclelei  cl  leurs  inuanturs 


348  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

sont  en  leur  uray  crédit,  que  celles  ans  quelle  dieu  a  done  quelqu  antiene 
durée,  de  mod[e]  que  pcrsone  ne  sache  leur  naissance,  ny  qu'elles  ayent 
iamais  este  autres. 


Var.  ms.  —   i)  en  crédit ...  dieu  donc  —  2)  mod[e]  que  nul  sache  qu'elles  aient  iamais 
este  autres.  —  2)  naissance  et  qu'elles 


Chapitre    XLIV. 


DV     DORMIR. 


La  rail'on  nous  ordonne  bien  d'aller  toufiours  mefme  chemin, 
mais  non.  toutesfois  mefme  train  ;  &  ores  que  le  fage  ne  doiue 
donner  aux  paflions  humaines  de  le  fouruoier  de  la  droicte  carrière, 
il  peut  bien,  fans  intereft  de  l'on  deuoir,  leur  quitter  aufli,  d'en  hafter 

5  ou  retarder  fon  pas,  &  ne  fe  planter  comme  vn  Colofle  immobile 
&  impaflible.  Quand  la  vertu  mefme  feroit  incarnée,  ie  croy  que 
le  poux  luy  battroit  plus  fort,  allant  à  l'aflaut,  qu'allant  difner  :  voire 
il  eft  neceffaire  qu'elle  s'efchauflfe  &  s'efmeuue.  A  cette  caufe,  i'ay 
remarqué,  pour  chofe  rare,  de  voir  quelquefois  les  grands  perion- 

o  nages,  aux  plus  hautes  entreprinfes  &  importans  affaires,  le  tenir  fi 
entiers  en  leur  afTiette,  que  de  n'en  accourcir  pas  feulement  leur 
fommeil. 

Alexandre  le  grand,  le  iour  afligné  à  cette  furieufe  bataille  contre 
Darius,  dormit  fi  profondement  &  fi  haute  matinée,  que  Parmenion 

5  fut  contraint  d'entrer  en  ûi  chambre,  &,  approchant  de  fon  lit,  l'appeller 
deux  ou  trois  fois  par  fon  nom  pour  l'efuciller,  le  temps  d'aller  au 
combat  le  preffant. 

L'Empereur  Othon,  ayant  refolu  de  fe  tuer,  cette  mefme  nuit, 
après  auoir  mis  ordre  à  fes  affaires  domefliques,  partagé  fon  argent 


330  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

à  fes  l'eruiteurs  &  affile  le  tranchant  d'vnc  elpée  dequoy  il  fe  vouloit 
donner,  n'attendant  plus  qu'à  fçauoir  fi  chacun  de  fes  amis  s'eftoit 
retiré  en  feureté,  fe  print  11  profondement  à  dormir,  que  les  valets 
de  chambre  l'entendoient  ronfler. 

La  mort  de  cet  Empereur  a  beaucoup  de  choies  pareilles  à  celle     5 
du  grand  Caton,  &  mefmes  cecy  :  car  Caton  eftant  prefl;  à  fe  deffaire, 
cependant  qu'il  attendoit  qu'on  luy  rapportait  nouuelles  fi  les  fenateurs 
qu'il  faifoit  retirer,  s'eftoient  eflargis  du  port  d'X'tique,  fe  mit  fi  fort 
à  dormir,  qu'on  l'ovoit  fouffler  de  la  chambre  voifine;  &,  celuv  qu'il 
auoit  enuové  vers  le  port,  l'ayant  efueillé  pour  luy  dire  que  la     10 
tourmente  empefchoit  les  fenateurs  de  faire  voile  à  leur  aile,  il  y  en 
renuova  encore  vn  autre,  &,  fe  r'enfonçant  dans  le  lict,  le  remit 
encore  à  Ibmmeiller  iniques  à  ce  que  ce  dernier  l'afTeura  de  leur 
partement.    Encore    auons    nous    dequoy   le    comparer    au    faict 
d'Alexandre,  en  ce  grand  &  dangereux  orage  qui  le  menaflbit  par     15 
la  fedition  du  Tribun  Metellus  voulant  publier  le  décret  du  rappel 
de  Pompeius  dans  la  ville  auecques  Ion  armée,  lors  de  l'émotion 
"de  Catilina;  auquel  décret  Caton  feul  inlîfloit,  &  en  auoient  eu 
Metellus  &  luv  de  grolTes  paroles  &  grands  menaffes  au  Sénat  :  mais 
ceftoit  au  lendemain,  en  la  place,  qu'il  tailloit  venir  à  l'exécution,     20 
où  Metellus,  outre  la  faueur  du  peuple  &  de  Cxfar  confpirant  lors 
aux  aduantages  de  Pompeius,  fe  deuoit  trouuer,  accompagné  de 
force  efclaues  eftrangiers  &  elcrimeurs  à  outrance,  &  Caton  fortifié 
de  ia  feule  confiance  :  de  forte  que  fes  parens,  fes  domeftiques 
&  beaucoup  de  gens  de  bien  en  ertovent  en  grand  foucv;  &  en     25 
y  eut  qui  paflerent  la  nuict  enfemble  fans  vouloir  repofer,  ny  boire, 
nv  manger,  pour  le  dangier  qu'ils  luv  voiovent  préparé;  mcfme  la 
femme  &  les  fœurs  ne  faifovent  que  pleurer  &  fe  tourmenter  en  fa 
maifon,  là  où  luv  au  contraire  recontortoit  tout  le  monde;  &,  après 
auoir  louppé  comme  de  coullume,  s'en  alla  coucher  &  dormir  de  tort     30 
profond  fommcil  iufques  au  matin,  que  Y\n  de  fes  compagnons  au 
Tribunat  le  vint  elueiller  pour  aller  à  l'efcarmouche.  La  connoiflance 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XLIV.  35I 

que  nous  auons  de  la  grandeur  de  courage  de  ccl  homme  par  le  rerte 
de  sa  vie,  nous  peut  taire  iuger  en  toute  leureté  que  cecv  lui  partoit 
d'vne  ame  li  loing  csiciicc  au  deiïus  de  tels  accidents,  qu'il  n'en 
daignoit  entrer  en  ccnwUc,  non  plus  que  d'accidens  ordinaires. 
5  En  la  bataille  nauale  que  Auguilus  gaigna  contre  Sextus  Pompeius 
en  Sicile,  fur  le  point  d'aller  au  combat,  il  fe  trouua  preOe  d'vn  li 
profond  fommeil  qu'il  taulît  que  les  amis  l'efueillalTent  pour  donner 
le  figne  de  la  bataille.  Cela  donna  occalion  à  M.  Antonius  de  luv 
reprocher  depuis,  qu'il  n'auoit  pas  eu  le  cœur  leulement  de  regarder, 

10  les  yeu.K  ouuerts,  l'ordonnance  de  fon  armée,  iS;  de  n'auoir  ofé  fe 
prelenter  aux  foldats  iniques  à  ce  qu'Agrippa  luy  vint  annoncer  la 
nouuelle  de  la  victoire  qu'il  auoit  eu  iur  les  ennemis.  Mais  quant 
au  ieune  xMarius,  qui  fit  encore  pis  (car  le  iour  de  la  dernière  iournée 
contre  Svlla,  après  auoir  ordonné  Ion  armée  (b^  donné  le  mot  &  ligne 

I  )  de  la  bataille,  il  fe  coucha  delToubs  vn  arbre  à  l'ombre  pour  le 
repofer,  (S:  s'endormit  fi  ferré  qu'à  peine  fe  peut-il  efueiller  de  la 
route  &  fuitte  de  fes  gens,  n'ayant  rien  veu  du  combat),  ils  diient 
que  ce  fut  pour  eftre  fi  extrêmement  aggraué  de  trauail  &  de  taute 
de  dormir  que  nature  n'en  pouuoit  plus.  Et,  à  ce  propos,  les  médecins 

20  aduiferont  fi  le  dormir  eft  il  neceflaire,  que  noilre  vie  en  dépende  : 
car  nous  trouuons  bien  qu'on  fit  mourir  le  Roy  Perfeus  de  Macédoine 
prifonnier  à  Rome,  luv  empefchant  le  fommeil;  mais  Pline  en  allègue 
qui  ont  vefcu  long  temps  fans  dormir. 

Chs  Hérodote,  il  y  a  des  tmiioiis  ans  quelles  les  homes  dornieiil  et  ueillciil 

25     par  demi  années. 

Et  eeiis  qui  eseriueiit  la  nie  du  sa^e  Epinienides,  disent  qu'il  dornut 
cinqna)ite  sept  ans  de  suite. 


Texte  88.  —  i)  courage,  de  ces  trois  hommes,  par  le  rcfte  de  leur  vie  —  2)  cecy 
leur  partoit  —   3)  loing  enleuée  au...  qu'ils  n'en  daignoient  entrer  en  limotion,  non 

\'ar.  ms.  —  4)   I"  :  en  ceruelte,  non     2"  :  en  nllenilion,  non  —  26)  du  p1)Uouipl>f 
Epimenidei 


Chapitre    XLV. 


DE    LA     BATAILLE     DE     DREVX. 


Il  y  eut  tout  plein  de  rares  accidens  en  noftre  bataille  de  Dreux; 
mais  ceux  qui  ne  tauorifent  pas  fort  la  réputation  de  monfieur 
de  Guife,  mettent  volontiers  en  auant  qu'il  ne  le  peut  excufer  d'auoir 
foict  alte  &  temporile  auec  les  forces  qu'il  commandoit,  cependant 
qu'on  enfonçoit  monfieur  le  Conneflable,  chef  de  l'armée,  auecques  5 
l'artillerie,  &  qu'il  valoit  mieux  fe  bazarder,  prenant  l'ennemy  par 
flanc,  qu'attendant  l'aduantage  de  le  voir  en  queue,  fouffrir  vne  li 
lourde  perte;  mais  outre  ce,  que  l'iffuë  en  tefmoigna,  qui  en  débattra 
fans  paflîon,  me  confeffera  aifément,  à  mon  aduis,  que  le  but  &  la 
vifée,  non  feulement  d'vn  capitaine,  mais  de  chafque  foldat,  doit  10 
regarder  la  victoire  en  gros,  &  que  nulles  occurrences  particulières, 
quelque  intereft  qu'il  y  ayt,  ne  le  doiuent  diuertir  de  ce  point  là. 

Philopœmen,  en  vne  rencontre  contre  Machanidas,  ayant  enuoyé 
deuant,  pour  attaquer  l'efcarmouche,  bonne  trouppe  d'archers  &  gens 
de  traict,  &  l'ennemy,  après  les  auoir  renuerfez,  s'amufant  à  les  15 
pourfuiure  à  toute  bride  &  coulant  après  fa  victoire  le  long  de  la 
bataille  où  eftoit  Philopœmen,  quoy  que  fes  foldats  s'en  émeufTent, 
il  ne  fut  d'aduis  de  bouger  de  fa  place,  ny  de  fe  prefenter  à  l'ennemy 
pour  fecourir  fes  gens;  ains,  les  ayant  laifTé  chafler  &  mettre  en 
pièces  à  fa  veue,  commença  la  charge  fur  les  ennemis  au  bataillon     20 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XLV.  353 

de  leurs  gens  de  pied,  lors  qu'il  les  vit  tout  à  fait  abandonnez  de 
leurs  gens  de  cheual;  &,  bien  que  ce  fuflent  Lacedemoniens,  d'autant 
qu'il  les  prit  à  heure  que,  pour  tenir  tout  gaigné,  ils  commençoient 
à  fe  defordonner,  il  en  vint  aifément  à  bout,  &,  cela  tait,  fe  mit 
5  à  pourfuiure  Machanidas.  Ce  ats  eft  germain  à  celuy  de  Moniieur 
de  Guife. 

En  cette  alpre  bataille  d'Agefilaus  contre  les  Bœotiens,  que 
Xenophon,  qui  y  efloit,  dict  élire  la  plus  rude  qu'il  euft  onques  veu, 
Agefilaus  refufa  l'auantage  que  fortune  luy  prefentoit,  de  laiffer 

10  paffer  le  bataillon  des  Bœotiens  &  les  charger  en  queue,  quelque 
certaine  victoire  qu'il  en  preuift,  eftimant  qu'il  y  auoit  plus  d'art  que 
de  vaillance;  &,  pour  montrer  fa  proëffe  d'vne  merueilleufe  ardeur 
de  courage,  choilit  pluftoft  de  leur  donner  en  tefte  :  mais  auflî  y  fut-il 
bien  battu  &  blefle,  &  contraint  en  fin  de  fe  demefler  &  prendre  le 

15  party  qu'il  auoit  refufé  au  commencement,  taifant  ouurir  fes  gens 
pour  donner  pafTage  à  ce  torrent  de  Bœotiens;  puis,  quand  ils  furent 
paffez,  prenant  garde  qu'ils  marcheoyent  en  defordre  comme  ceux 
qui  cuidoient  bien  eftre  hors  de  tout  dangier,  ils  les  fit  fuiure 
6c  charger  par  les  flancs;  mais  pour  cela  ne  les  peut-il  tourner  en 

20  fuite  à  val  de  route;  ains  fe  retirarent  le  petit  pas,  montrant 
toufiours  les  dens,  iufques  à  ce  qu'ils  le  furent  rendus  à  fauueté. 

Texte  88.  —  5)  Ce  faict  cft 


Chapitre    XLVl. 


DES    NOMS. 


Quelque  diuerfité  d'herbes  qu'il  y  ait,  tout  s'enueloppe  fous  le  nom 
de  fiilade.  De  mcfme,  fous  la  confideration  des  noms,  ie  m'en  vov 
taire  icy  vne  galimafrée  de  diuers  articles. 

Chaque  nation  a  quelques  noms  qui  fe  prennent,  ie  ne  fçay 
comment,  en  mauuaife  part  :  ^-  à  nous  Ichan,  Guillaume,  Benoit.     5 

Item,  il  femble  y  auoir  en  la  généalogie  des  Princes  certains  noms 
fatalement  affectez  :  comme  des  Ptolomées  à  ceux  d'vîigypte,  de 
Henris  en  Angleterre,  Charles  en  France,  Baudoins  en  Flandres, 
&  en  noftre  ancienne  Aquitaine  des  Guillaumes,  d'où  l'on  dict  que 
le  nom  de  Guienne  eft  venu  :  par  vn  froid  rencontre,  s'il  n'en  y  auoit  10 
d'aulTi  cruds  dans  Platon  mefme. 

Item,  c'eft  vne  chofe  legiere,  mais  toutefois  digne  de  mémoire 
pour  fon  eftrangeté  &  efcripte  par  tefmoing  oculaire,  que  Henrv, 
Duc  de  Normandie,  fils  de  Henry  fécond,  Roy  d'Angleterre,  faifant 
vn  feflin  en  France,  l'affemblée  de  la  noblelTe  v  fut  fi  grande  que,  15 
pour  pafle-temps,  s'eftant  diuifée  en  bandes  par  la  relTemblance  des 
noms  :  en  la  première  troupe,  qui  fut  des  Guillaumes,  il  fe  trouua 
cent  dix  Cheuaiiers  aflis  à  table  portans  ce  nom,  ians  mettre  en 
conte  les  fimples  gentils-hommes  &  feruiteurs. 

Il  eft  autant  plaiûint  de  diftrihuer  les  tables  par  les  noms  des     20 
allirtans,  comme  il  eftoit  à  l'iùiipereur  (ieta  de  faire  diftribuer  le 


LIVRF:      I,      CHAIMTKU      XI. VI.  3)3 

fcruicc  de  les  mets  par  la  coniîdcration  des  premières  lettres  du  nom 
des  viandes  :  on  leruoyt  celles  qui  le  commençoient  par  M  :  mouton, 
marcaflin,  merlus,  marlbin;  ainll  des  autres. 

Item,  il  le  dit  qu'il  faict  bon  auoir  bon  nom,  ceft  à  dire  crédit 
5  cS;  réputation;  mais  encore,  à  la  vérité,  eft-il  commode  d'auoir  vn 
nom  beau  &  qui  ailément  le  puilTe  prononcer  tk  retenir,  car  les  Rovs 
&  les  grands  nous  en  connoiflent  plus  aifément  &  oublient  plus  mal 
volontiers;  &,  de  ceux  melmcs  qui  nous  feruent,  nous  commandons 
plus  ordinairement  &  employons  ceux  delquels  les  noms  le  prelen- 

10  tent  le  plus  facilement  a  la  langue,  l'ay  veu  le  Roy  Henry  fécond  ne 
pouuoir  iamais  nommer  à  droit  vn  gentil-homme  de  ce  quartier 
de  Gascouigne;  <S;,  à  vne  fille  de  la  Royne,  il  fut  luy  mefme  d'aduis 
de  donner  le  nom  gênerai  de  la  race,  parce  que  celuy  de  la  mailon 
paternelle  luy  fembla  trop  reuers. 

15  /:/  Sivrales  estime  digne  du  soin  palernel  de  douer  un  beau  nom  uns 
en/ans. 

Item,  on  dit  que  la  fondation  de  noftre  Dame  la  grand  à  Poitiers 
prit  origine  de  ce  que  vn  ieune  homme  débauché,  logé  en  cet  endroit, 
ayant  recouuré  vne  garce  &  luy  ayant  d'arriuée  demandé  fon  nom, 

20  qui  eftoit  Marie,  fe  fentit  fi  viuement  efpris  de  religion  &  de  refpect, 
de  ce  nom  •  Sacrofainct  de  la  Vierge  mère  de  noftre  Sauueur,  que 
non  feulement  il  la  chaffa  foudain,  mais  en  amanda  tout  le  refte  de 
fa  vie;  &  qu'en  conlideration  de  ce  miracle  il  fut  bafti,  en  la  place 
où  eftoit  la  maifon  de  ce  ieune  homme,  vne  chapelle  au  nom  de 

2)     noftre  Dame,  6.,  depuis,  l'Eglife  que  nous  y  voyons. 

Cette  correction  uoïeUe  et  auriculere,  deuoticuse,  lira  droit  a  l'ame; 
cet t' autre,  de  mesmc  genre,  s'insinua  par  les  sens  corporels  :  Pytbagoras, 
estant  en  compaignie  de  iunes  homes,  les  quels  il  sentit  comploter,  eschauffe:^ 

Texte  88.  —  6)  puifTc  comprendre,  &  mettre  en  mémoire  :  car  —  lo)  facilement 
en  la  bouche.  l'ay  —   12)  de  Gafcougne,  &  —  14)  trop  diuers.  Item 

\'ar.   ms.  —  I))  estime  du  —  26)  auriculere,  reUi^ieuse,  doua  droit 


356  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

de  la  fcsk,  d'ciUcr  niolcr  une  uunson  pudique,  eomauda  a  ht  ineueslriere 
de  changer  de  ton,  et,  par  une  iinisique  poisante,  seuere  et  spondaique, 
enchanta  tout  douceniant  leur  ardur,  et  l'endormit. 

Item,  dira  pas  la  pofterité  que  noftre  reformation  d'auiourd'huy 
ait  efté  délicate  &  exacte,  de  n'auoir  pas  leulement  combatu  les  5 
erreurs  &  les  vices,  &  rempli  le  monde  de  deuotion,  d'humilité, 
d'obcïiïiince,  de  paix  &  de  toute  elpece  de  vertu,  mais  d'auoir  pafle 
inique  à  combatre  ces  anciens  noms  de  nos  baptelmes,  Charles, 
Loys,  François,  pour  peupler  le  monde  de  Mathufalem,  Ezechiel, 
Malachie,  beaucoup  mieux  Icntans  de  la  foy?  Vn  gentil'homme  10 
mien  voifin,  cftimant  les  commoditez  du  vieux  temps  au  pris  du 
noftre,  n'oublioit  pas  de  mettre  en  conte  la  fierté  &  magnificence 
des  noms  de  la  noblefle  de  ce  temps.  Don  Grumedan,  Quedragan, 
Agefilan,  &  qu'à  les  ouïr  feulement  fonner,  il  le  fentoit  qu'ils  auoyent 
efté  bien  autres  gens  que  Pierre,  Guillot  &  Michel.  15 

Item,  ie  fçay  bon  gré  à  lacques  Amiot  d'auoir  laifTé,  dans  le  cours 
d'vn'  oraifon  Françoife,  les  noms  Latins  tous  entiers,  lans  les  bigarrer 
"&  changer  pour  leur  donner  vne  cadence  Françoife.  Cela  fembloit 
vn  peu  rude  au  commencement,  mais  des-ia  l'vfage,  par  le  crédit 
de  fon  Plvtarqve,  nous  en  a  ofté  toute  l'eftrangeté.  l'ay  fouhaité  20 
fouuent  que  ceux  qui  efcriuent  les  hiftoires  en  Latin,  nous  laiflaffent 
nos  noms  tous  tels  qu'ils  font  :  car,  en  faifant  de  Vaudemont, 
Vallemontanus,  &  les  Metamorpholant  pour  les  garber  à  la  Grecque 
ou  à  la  Romaine,  nous  ne  Içauons  où  nous  en  fommes  &  en  perdons 
la  connoifïlince.  25 

Pour  clorre  noftre  conte,  c'eft  vn  vilain  vfage,  &  de  trefmauuaifc 
confequence  en  noftre  France,  d'appeller  chacun  par  le  nom  de  fa 
terre  &  Seigneurie,  &  la  choie  du  monde  qui  faict  plus  mefler 
&  mefconnoiftre  les  races.  Vn  cabdet  de  bonne  maifon,  ayant  eu 
pour  fon  appanage  vne  terre  ious  le  nom  de  laquelle  il  a  efté  connu  30 
&  honoré,  ne  peut  honneftement  l'abandonner;  dix  ans  après  fa  mort, 
la  terre  s'en  va  à  un  eftrangier  qui  en  faict  de  mefmes  :  deuinez  où 


LIVRE      1,      CHAPITRE      XLVl.  T^-^-j 

nous  fommes  de  la  connoi(î;incc  de  ces  hommes.  II  ne  faut  pas 
aller  quérir  d'autres  exemples  que  de  noftre  maifon  Royalle,  où 
autant  de  partages,  autant  de  furnoms  :  cependant  l'originel  de  la 
tige  nous  eft  efchappé. 
5  II  y  a  tant  de  liberté  en  ces  mutations  que,  de  mon  temps,  ic  n'ay 
veu  perfonnc,  cfleué  par  la  fortune  à  quelque  grandeur  extraordinaire, 
à  qui  on  n'ait  attaché  incontinent  des  titres  généalogiques  nouueaux 
&  ignorez  à  fon  père,  &  qu'on  n'ait  anté  en  quelque  illuftre  tige. 
Et,  de  bonne  fortune,  les  plus  obfcures  familles  font  plus  idoyncs 

lo  à  falfification.  Combien  auons  nous  de  gentils-hommes  en  France, 
qui  font  de  Royalle  race  félon  leurs  comptes  ?  Plus,  ce  croys-ie,  que 
d'autres.  Fut-il  pas  dict  de  bonne  grâce  par  vn  de  mes  amys?  Ils 
eftoyent  plufieurs  aflemblez  pour  la  querelle  d'vn  Seigneur  contre 
vn  autre,  lequel  autre  auoit  à  la  vérité  quelque  prerogatiue  de  titres 

15  &  d'alliances,  efleuées  au  deffus  de  la  commune  nobleffe.  Sur  le 
propos  de  cette  prerogatiue  chacun,  cherchant  à  s'efgaler  à  luy, 
alleguoit,  qui  vn'  origine,  qui  vn'  autre,  qui  la  refTemblance  du  nom^ 
qui  des  armes,  qui  vne  vieille  pancarte  domeftique  :  &  le  moindre 
fe  trouuoit  arrière  fils  de  quelque  Roy  d'outremer.  Comme  ce  fut 

20  à  difner,  cettuy  cy,  au  lieu  de  prendre  fa  place,  fe  recula  en  profondes 
reuerences,  fuppliant  l'afliftance  de  l'excufer  de  ce  que,  par  témérité, 
il  auoit  iufques  lors  vefcu  auec  eux  en  compaignon;  mais,  qu'ayant 
efté  nouuellement  informé  de  leurs  vieilles  qualitez,  il  commençoit 
à  les  honnorer  félon  leurs  degrez,  &  qu'il  ne  luy  appartenoit  pas  de 

25  fe  foir  parmy  tant  de  Princes.  Apres  fa  farce,  il  leur  dict  mille 
iniures  :  Contentez  vous,  de  par  Dieu,  de  ce  de  quoi  nos  pères  se  sont 
contante^,  et  de  ce  que  nous  fommes;  nous  fommes  aflez,  fi  nous  le 
fçauons  bien  maintenir;  ne  defaduouons  pas  la  fortune  ik  condition 
de  nos  ayciils,  &  oftons  ces  fotes  imaginations  qui  ne  peuuent  faillir 

30    à  quiconque  a  l'impudence  de  les  alléguer. 

Texte  88.  —  7)  incontinent  de  titres  —  29)  nos  pères,  & 


3)8  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

Les  armoiries  n'ont  de  l'eurté  non  plus  que  les  kirnoms.  le  porte 
d'azur  lemé  de  trèfles  d'or,  à  vne  pâte  de  Lyon  de  melme,  armée 
de  gueules,  mife  en  face.  Quel  priuilege  a  cette  figure  pour  demeurer 
particulièrement  en  uni  mailon?  Vn  gendre  la  tranfportera  en  vne 
autre  famille;  quelque  clietif  acheteur  en  fera  les  premières  armes  :  5 
il  n' eft  chofe  où  il  le  rencontre  plus  de  mutation  &  de  confufion. 

Mais  cette  coniideration  me  tire  par  force  à  vn  autre  champ. 
Sondons  vn  peu  de  près,  ik,  pour  Dieu,  regardons  à  quel  fondement 
nous  attachons  cette  gloire  &  réputation  pour  laquelle  le  bouleuerfe 
le  monde.  Où  alTcons  nous  cette  renommée  que  nous  allons  queftant  10 
auec  li  grand  peine?  C'efi:  en  lomme  Pierre  ou  Guillaume  qui  la 
porte,  prend  en  garde,  &  à  qui  elle  touche.  0  la'  courageuse  faculté, 
que  Vesperance  qui,  en  un  subiet  mortel  et  eu  un  moment,  iia  usurpant 
l'infinité.  Fini  ma  usité,  Va'ternilé  :  nature  nous  ha  la  doué  un  plaisant  iouet. 
Et  ce  Pierre  ou  Guillaume,  qu'eft  ce,  qu'vne  voix  pour  tous  potages?  15 
ou  trois  ou  quatre  traicts  de  plume,  premièrement  fi  aifez  à  varier, 
que  ie  demanderois  volontiers  à  qui  touche  l'honneur  de  tant  de 
victoires,  à  Guelquin,  à  Glefquin  ou  a  Gueaquin  ?  11  y  auroit  bien 
plus  d'apparence  icv  qu'en  Lucien,  que  ï.  mit  T.  en  procez,  car 

non  leuia  aut  ludicra  petunlur  20 

Prxmia  ; 

.  il  y  va  de  bon  :  il  eft  queftion  laquelle  de  ces  lettres  doit  eftre  payée 
de  tant  de  fieges,  batailles,  blefTures,  priions  &  feruices  faits  à  la 
couronne  de  France  par  ce  fien  fameux  conneftable.  Nicolas  Denifot 
n'a  eu  loing  que  des  lettres  de  Ion  nom,  ^:  en  a  changé  toute  la  25 
contexture,  pour  en  baftir  le  Conte  d'Alfinois  qu'il  a  eftrené  de  la 
gloire  de  la  poéfie  îs;  peinture.  Et  l'Hiftorien  Suétone  n'a  aymé  que 

Texte  88.  —  i)  furnoms.  11  porte  —  4)  en  vne  maifon 

'     O  la...  iouet.    Cette  phrase  était  primitivement  insérée  après  peine  (1.  il). 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XI.VI.  359 

le  lens  du  fien,  &,  en  ayant  priué  Lénis,  qui  ertoit  le  lurnom  de  l'on 
père,  a  lailTé  Tranquillus  lucceffeur  de  la  réputation  de  fes  el'crits. 
Qui  croirait  que  le  Capitaine  Bayard  neut  honneur  que  celuy  qu'il  a 
emprunté  des  faicts  de  Pierre  Terrail?  i;c  qu'Antoine  Efcalin  ie  laiflc 
S  voler  à  la  \-euë  tant  de  nauigations  &  charges  par  mer  &  par  terre 
au  Capitaine  Poulin  &  au  Baron  de  la  Garde? 

Secondement,  ce  font  traicts  de  plumes  communs  à  mill'  hommes. 
Combien  y  a  il,  en  toutes  les  races,  de  perfonnes  de  mel'mc  nom 
&  furnom?  Et  en  diiicrses  races,  siècles  &  pais,  combien?  [L']histoire  a 

10  coiiii  trois  Socrales,  cinq  Piatons,  hnici  Arislotes,  sept  Xenophons,  iiint 
Demetrius,  uint  Theodores  :  et  diuines  combien  elle  n'en  a  pas  conii.  Qui 
empefche  mon  palefrenier  de  s'appeller  Pompée  le  grand?  Mais, 
après  tout,  quels  moyens,  quels  reflbrs  v  a  il,  qui  attachent  à  mon 
palefrenier  trefpaffé,  ou  à  cet  autre  homme  qui  eut  la  tefte  tranchée 

15  en  /Egypte,  &  qui  ioignent  à  eux  cette  voix  glorifiée  &  ces  traicts 
de  plume  ainfin  honorez,  ajjin  qu'ils  s'en  aduentagent? 

Id  cinerem  &  mânes  credis  curare  fepultos  ? 

Quel  ressentimant  ont  les  deiis  compaignons  en  principale  uahtr  entre  les 
Ikvnes,  Epaminondas  de  ce  glorieus  ners  qui  court  pour  liiv  en  )ios  bonches  : 

20  Cousit ijs  nostris  tans  est  allonsa  Lacoiniiii  ? 

[et]  Aphricanns  de  cet  antre  : 

\A  !  sote  exorietUe  supra  Mœolis  pattides 
Neiiio  est  qui  Jadis  un-  œquiparare  queat? 


Texte  88.  —  3)  Qui  coroit  que  —  9)  furnom?  Et  puis  qui  cnipcfchc  — 
16)  honorez,  pour  qu'ils 

\'ar.  ms.  —  9)  races  combien  ?  —  10)  Socrales,  deus  six  Auaximaudres  Craies, 
quatre  Amxagores,  sept  Xeiwptjovs,  uint  Tlieodores  :  et  —  18)  ont  les  premiers  homes  qui 
lurent  onques.  h'paminonJin  de  ce  gol  glorieus  &  niaiinifique  ners...  pour  s 


360  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

Les  suruiuam  se  chatouillent  de  [la]  douceur  de  ces  uoix,  et,  par  icelles 
sollicites  [de]  ialousie  et  désir,  transmetU  iiiconsidereemeut  par  fantasie  aus 
très  passeTi  cettuy  leur  propre  ressentiment,  et  d'une  pipeuse  espérance  se  douent 
a  croire  [d']en  estre  capables  a  leur  tour.  Dieu  le  sçait! 

Toutesfois,' 

ad  haec  fe 
Romanus,  Graii'ifque,  &  Barbarus  Induperator 
Erexit,  caufas  difcriminis  atque  laboris 
Inde  habuit,  tanto  maior  famit  fuis  eft  quam 
Virtutis. 


^'AR.  MS.  —  i)  uoix  pour  les  trespasses  a  qui  elles  ne  uieiiêt  plus  et  sont  par  icelles... 
désir  transmetât  pai^  ftiHiuiii'  iiiconsidereemenl  —  5)  et  se  pipant  1":  [de]  l'espérance 
2°  :  {pa]r  espérance 

'     Toutesfois  eftacé  puis  rétabli. 


Chapitre    XLVII. 


DE     L  INCERTITVDK     DK    NOSTRE     IVGEMENT. 


C'eft  bien  ce  que  dict  ce  vers  : 

Ezîojv  3î  T.sVj^  ''i;j.;ç   è'vOz  v.x:   îvGa, 

il  V  a  prou  loy  de  parler  par  tout,  &  pour  &  contre.  Pour  exemple 

Vinfe  Hannibal,  &  non  feppe  vdir'  poi 
Ben  la  vittoriofa  fua  ventura. 


qui  voudra  eftre  de  ce  party,  &:  faire  valoir  auecques  nos  gens  la  faute 
de  n'auoir  dernièrement  pourfuiuy  noflre  pointe  à  Montcontour, 
ou  qui  voudra  accufer  le  Roy  d'Efpagne  de  n'auoir  fçeu  fe  feruir  de 
l'aduantage  qu'il  eut  contre  nous  à  Sainct  Quentin,  il  pourra  dire 

lo  cette  faute  partir  d'vne  ame  enyurée  de  fa  bonne  fortune,  &  d'vn 
courage,  lequel,  plein  &  gorgé  de  ce  commencement  de  bon  heur, 
perd  le  gouft  de  l'accroiftre,  dcs-ia  par  trop  empelché  à  digérer  ce 
qu'il  en  a;  il  en  a  fa  brallée  toute  comble,  il  n'en  peut  iaifir  dauantage, 
indigne  que  la  fortune  luy  aye  mis  vn  tel  bien  entre  mains  :  car 

15  quel  profit  en  fent-il,  fi  neantmoins  il  donne  à  fon  ennemy  moyen 
de  fe  remettre  fus?  quell'  efperance  peut  on  auoir  qu'il  ofe  vn'  autre 
fois  attaquer  ceux-cv  ralliez  &:  remis,  &  de  nouueau  armez  de  defpit 


362  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

&  de  vengeance,  qui  ne  les  a  ol'c  ou  fçeu  pourfuiurc  tous  rompus 
&  effrayez? 

Duin  fortuiia  calet,  dum  conticit  oninia  terror. 

Mais  en  fin,  que  peut  il  attendre  de  mieux  que  ce  qu'il  vient  de 
perdre?  Ce  n'eft  pas  comme  à  l'efcrime,  où  le  nombre  des  touches     5 
donne  gain  :  tant  que  l'ennemy  eft  en  pieds,  c'eft  à  recommencer 
de  plus  belle;  ce  n'eft  pas  victoire,  fi  elle  ne  met  fin  à  la  guerre. 
En  cette  efcarmouche  où  Caefar  eut  du  pire  près  la  Ville  d'Oricum, 
il  reprochoit  aux  Ibldats  de  Pompeius  qu'il  euft  efté  perdu,  fi  leur 
Capitaine  euft  Içeu  vaincre,  &  luy  chaufla  bien  autrement  les  efperons     10 
quand  ce   fut  à  Ion  tour.  Mais  pourquov   ne  dira  l'on  auflî  au 
contraire,  que  c'eft  l'eftect  d'vn  efprit  precipiteux  &  inlatiable  de  ne 
fçauoir  mettre  fin  à  fa  conuoitife;  que  c'eft  abuler  des  faneurs  de 
Dieu,  de  leur  vouloir  faire  perdre  la  mefure  qu'il  leur  a  prefcripte; 
&  que,  de  fe  reietter  au  dangier  après  la  victoire,  c'eft  la  remettre     15 
encore  vn  coup  à  la  mercy  de  la  fortune;  que  l'vne  des  plus  grandes 
fagefles  en  l'art  militaire  c'eft  de  ne  poufler  fon  ennemy  au  delefpoir. 
Sylla  &  Marius  en  la  guerre  fociale  ayant  défaict  les  Maries,  en 
vovant  encore  vne  trouppe  de  refte,  qui  par  defefpoir  le  reuenoient 
ietter  à  eux  comme  beftes  furieules,  ne  furent  pas  d'aduis  de  les     20 
attendre.    Si    l'ardeur   de  Monfieur   de   Foix   ne  l'eut  emporté  à 
pourfuiure  trop  afprement  les  reftes  de  la  victoire  de  Rauenne,  il  ne 
l'eut  pas  fouillée  de  la  mort.  Toutesfois  encore  feruit  la  récente 
mémoire  de  fon  exemple  à  conleruer  Monfieur  d'Anguien  de  pareil 
inconuenient  à  Serifoles.   Il   faict  dangereux   alT;iillir   vn    homme     25 
à   qui   vous  auez  ofté  tout  autre   moven  d'elchaper  que  par  les 
armes  :  car  c'eft  vne  violente  maiftrefle  d'elcole  que  la  iiccellité  : 
«  i^'idiiissiiiii  siiiil  iiiorsiis  irriUila'  iicccssiUilis.  » 

\'incitur  liaud  gratis  iugulo  qui  prouocat  iioflcm. 
\Fovhi  pouvijuox  Plhinix  ouprscl.ui  Ir  Rov  de  l .accdomuic,  ijiii  iioioil  de     ^0 


LIVRE      I,      CHAI'ITKI-.      XLVII.  563 

i^tiii^iicr  1(1  loiinnr  coiilir  les  Miiiitlnccs,  de  n'aller  dlfroiilci  mille  Aif^iciis 
qui  cstoiiit  «r/.w/)é'^  cntieis  de  la  deseoiifitnre,  aiiis  les  hiisser  eoiiler  en  Hherle 
pour  ne  uenir  a  essaier  la  nertu  piquée  &  despilee  par  le  nuil  heur.  Clodomire, 
Roy  d'Aquitaine,  après  la  victoire  pourl'uyuant  (iondemar,  Rov  de 
5  Bourgogne,  vaincu  &  tuiant,  le  força  de  tourner  telle;  mais  fon 
opiniâtreté  luv  ofta  le  truict  de  la  victoire,  car  il  v  mourut. 

Pareillement,  qui  auroit  à  choilir,  ou  de  tenir  les  loldats  richement 
i!s:  lomptueulement  armez,  ou  armez  leulement  pour  la  neceUité, 
il  le  prelenteroit  en  faueur  du  premier  party,  duquel  elloit  Sertorius, 

10  Pliilopremen,  Brutus,  Caelar  &  autres,  que  c'efl:  touliours  vn  éguillon 
d'honneur  &  de  gloire  au  loldat  de  le  voir  paré,  &  vn'  occafion  de 
le  rendre  plus  obftiné  au  combat,  avant  à  lauuer  l'es  armes  comme 
fes  biens  (N:  héritages  :  Raison,  diet  Xemphon,  pourquoi  les  Asiatiques 
nuiioint  en  leur  guerres  james,  eoncuhines,  aueq  leurs  ioxeaus  i  et  i  richesses 

15  plus  chères.  Mais  il  s'oftViroit  aulîi,  de  l'autre  part,  qu'on  doit  pluftoft 
oller  au  loldat  le  loing  de  le  conleruer,  que  de  le  luv  accroiftre;  qu'il 
craindra  par  ce  moyen  doublement  à  le  bazarder  :  ioint  que  c'ell 
augmenter  à  l'ennemv  l'enuie  de  la  victoire  par  ces  riches  delpouilles; 
&  a  l'on  remarqué  que,  d'autres  fois,  cela  encouragea  merueilleu- 

20  fement  les  Romains  à  l'encontre  des  Samnites.  Antiochus  montrant 
à  Hannibal  l'armée  qu'il  preparoit  contr'  eux,  pompeule  &  magnifique 
en  toute  forte  d'équipage,  &  luy  demandant  :  Les  Romains  fe  conten- 
teront ils  de  cette  armée? —  S'ils  s'en  contenteront?  refpondit-il; 
vravement  c'eft  mon,  pour  auares  qu'ils  lovent.  Licurgus  deftendoit 

2)  aux  fiens,  non  leulement  la  lumptuolité  en  leur  équipage,  mais 
encore  de  delpouiller  leurs  ennemis  vaincus,  voulant,  diloit-il,  que 
la  pauureté  &  frugalité  reluilit  auec  le  relk  de  la  bataille. 

Aux  fieges  &  ailleurs,  où  l'occafion  nous  approche  de  Tennemy, 
nous  donnons  volontiers  licence  aux  foldats  de  le  brauer,  defdaigner 

Textk  88.  —  20)  Samnites.  Car  Antiochus  —  22)  demandant  ainli  :  Les 
\'.\R.   MS.  —   i)  (/<•  l'aller 


364  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

&  iniurier  de  toutes  façons  de  reproches,  &  non  fans  apparence  de 
raifon  :  car  ce  n'eft  pas  faire  peu,  de  leur  ofter  toute  efperance  de 
grâce  &  de  compofition,  en  leur  reprefcntant  qu'il  n'y  a  plus  ordre  de 
l'attendre  de  celuy  qu'ils  ont  fi  fort  outragé,  &  qu'il  ne  refte  remède 
que  de  la  victoire.  Si  eft-ce  qu'il  en  mefprit  à  Vitellius  :  car,  a^-ant  5 
affaire  à  Othon,  plus  foible  en  valeur  de  foldats,  des-accouftumez 
de  longue  main  du  taict  de  la  guerre  &  amollis  par  les  délices  de  la 
ville,  il  les  agaflli  tant  en  fin  par  tes  paroles  picquantes,  leur  repro- 
chant leur  pufillanimité  &  le  regret  des  Dames  &  fefU-s  qu'ils  venoient 
de  laiffer  à  Rome,  qu'il  leur  remit  par  ce  moyen  le  cœur  au  ventre,  10 
ce  que  nuls  enhortemens  n'auoient  fceu  faire,  &  les  attira  luymefme 
fur  fes  bras,  où  l'on  ne  les  pouuoit  pouffer  :  &,  de  vrav,  quand  ce 
font  iniures  qui  touchent  au  vif,  elles  peuuent  faire  ayféement  que 
celuy  qui  alloit  lâchement  à  la  hefongne  pour  la  querelle  de  fon 
Roy,  y  aille  d'vn  autre  affection  pour  la  fienne  propre.  15 

A  confiderer  de  combien  d'importance  efl  la  conferuation  d'vn 
chef  en  vn'  armée,  &  que  la  vifée  de  l'ennemv  regarde  principalement 
"cette  teffe  à  laquelle  tiennent  toutes  les  autres  &  en  dépendent,  il 
femble  qu'on  ne  puiife  mettre  en  doubte  ce  confeil,  que  nous  voions 
auoir  elfe  pris  par  plufleurs  grands  chefs,  de  fe  traueftir  &  defguifer  20 
fur  le  point  de  la  méfiée;  toutefois  l'inconuenient  qu'on  encourt 
par  ce  moyen  n'efl  pas  moindre  que  celuy  qu'on  penfe  fuir  :  car  le 
capitaine  venant  à  eflre  mefconu  des  flens,  le  courage  qu'ils  prennent 
de  fon  exemple  &  de  fa  prefence,  vient  aufTi  quant  &  quant  à  leur 
faillir,  &,  perdant  la  veuë  de  fes  marques  &  enfeignes  accoufliumées,  25 
ils  le  iugent  ou  mort,  ou  s'effre  defrobé,  defefperant  de  Faffaire.  Et, 
quant  à  l'expérience,  nous  luy  voyons  fauorifer  tantofl  l'vn,  tantofl 
l'autre  party.  L'accident  de  Pyrrhus,  en  la  bataille  qu'il  eut  contre  le 
conful  Leuinus  en  Italie,  nous  fert  à  l'vn  &  l'autre  vifage  :  car,  pour 
seÛTC  voulu  cacher  fous  les  armes  de  Demogacles  &  luy  auoir  donné     30 

Texte  88.  —  29)  l'vn  &  à  l'autre 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XLVII.  365 

les  fienncs,  il  lauua  bien  fans  tloutc  fa  vie,  mais  aufli  il  en  cuida 
encourir  l'autre  inconuenient,  de  perdre  la  iourncc.  Alexandre,  Ca'sar, 
Liieiilliis  ei  1)10! lit  a  se  iiiarqnei-  au  eoiiihai  par  des  aeostreiiiaiis& armes  riehes, 
de  eoliir  reluisante  o~  parlieidiere  :  Agis,  Agesilaiis  et  ce  grand  Gylippiis, 
S  an  rebours,  aloint  a  la  guerre  obscurément  couuers  et  sans  alour  impérial. 
A  la  bataille  de  Pharlale,  entre  autres  reproches  qu'on  donne 
à  Pompeius,  c'efl  d'auoir  arrefté  fon  armée  pied  cov,  attendant 
l'enneniv  :  pour  autant  que  cela  (ie  des-roberay  icy  les  mots  mefmes 
de  Plutarque.  qui  valent  mieux  que  les  miens)  affoiblit  la  violence 

lo  que  le  courir  donne  aux  premiers  coups,  &,  quant  &  quant,  ofte  l'eflan- 
cement  des  combatans  les  vns  contre  les  autres,  qui  a  accouftumé 
de  les  remplir  d'impetuofité  &  de  fureur  plus  que  autre  choie,  quand 
ils  viennent  à  s'entrechoquer  de  roideur,  leur  augmentant  le  courage 
par  le  cry  &  la  courle,  &  rend  la  chaleur  des  loldats,  en  manière 

15  de  dire,  refroidie  &  figée.  Voila  ce  qu'il  dict  pour  ce  rolle  :  mais  fi 
Cseiar  eut  perdu,  qui  n'eufi  peu  auffi  bien  dire  qu'au  contraire  la 
plus  forte  &  roide  alfiette  efi  celle  en  laquelle  on  fe  tient  planté  fans 
bouger,  &  que,  qui  eft  en  fa  marche  arrefté,  reflerrant  &  efpargnant 
pour  le  befoing  fa  force  en  foymefmes,  a  grand  auantage  contre 

20  celuv  qui  eft  efbranlé  &  qui  a  défia  consommé  à  la  courle  la  moitié 
de  ion  haleine?  outre  ce  que,  l'armée  eftant  vn  corps  de  tant  de 
diuerfes  pièces,  il  eft  impoffible  qu'elle  s'elmeuue  en  cette  furie  d'vn 
mouuement  li  iufte,  qu'elle  n'en  altère  ou  rompe  ion  ordonnance, 
&  que  le  plus  dilpoft  ne  foit  aux  prifes,  auant  que  Ion  compagnon 

25  le  fecourc.  En  cette  uileine  bataille  des  deus  frères  perses,  Ckarchus,  Lace- 
demonien,  qui  comandoit  les  grecs  du  parti  de  Cirus,  les  mena  tout  beUemant 
a  la  charge  sans  soi  haster;  mais,  a  cinquante  pas  près,  il  les  mit  a  la  course, 
espérant  par  la  briefuete  de  l'espace  mcsnager  et  leur  ordre  &  leur  haleine. 


Tf-XTE  88.  —  2)  la  bataille.  A  la  —  18)  fa  dcmarche  arreftc  —  20)  défia  employé  à 

Var.  ms.  —  3)  armes  de  —    5)  guerre  uilemanl  eouuers  et  au  dessous  du  commun 
soldai.  A  la  —  25)  uileine  et  malancoiilreuse  Imtaille  —  26)  tout  le  pas  a 


366  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

leur  clomiiil  ccpitmhuit  \ya\ii(iuiitgc  de  rimpcliiosiU'  pour  leurs  persanes  et 
pour  leurs  armes  a  trait.  D'autres  ont  réglé  ce  douhte  en  leur  armée  de 
cette  manière  :  li  les  ennemis  vous  courent  lus,  attendez  les  de  pied 
cov;  s'ils  vous  attendent  de  pied  cov,  courez  leur  lus. 

Au  paflage  que  l'Empereur  Charles  cinquielme  fit  en  Prouence,     5 
le  Roy  François  fuft  au  propre  d'eflire  ou  de  luy  aller  au  deuant  en 
Italie,  ou  de  l'attendre  en  les  terres;  &,  bien  qu'il  coniiderall  combien 
c'eft  d'auantage  de  conleruer  la  mailon  pure  &  nette  de  troubles 
de  la  guerre,  afin  qu'entière  en  les  forces  elle  puilTe  continuellement 
fournir  deniers  &  lecours  au  beloing;  que  la  neceffité  des  guerres     10 
porte  à  tous  les  coups  de  faire  le  gal1:,  ce  qui  ne  le  peut   faire 
bonnement  en  nos  biens  propres,  &  fi  le  paifant  ne  porte  pas  fi 
doucement  ce  rauage  de  ceux  de  Ion  partv  que  de  l'ennemv,  en 
manière  qu'il  s'en  peut  avlément  allumer  des  feditions  &  des  troubles 
parmv  nous;  que  la  licence  de  defrober  &  de  piller,  qui  ne  peut  el^re     15 
permife  en  Ion  pays,  ell  vn  grand  lupport  aux  ennuis  de  la  guerre, 
iS:,  qui  n'a  autre  el'perance  de  gaing  que  la  Ibide,  il  efi  mal  aile  qu'il 
loit  tenu  en  office,  efl:ant  à  deux  pas  de  fa  femme  &  de  fa  retraicte; 
que  celuv  qui  met  la  nappe,  tombe  toufiours  des  delpens;  qu'il  y  a 
plus  d'allegreffe  à  affaillir  qu'à  deffendre;  &  que  la  fecoulTe  de  la     20 
perte  d'vne  bataille  dans  nos  entrailles  ell  fi  violente  qu'il  efl  malaile 
qu'elle  ne  crolle  tout  le  corps,  attendu  qu'il  n'efl  pafTion  contagieufe 
comme  celle  de  la  peur,  ny  qui  fe  preigne  fi  avféement  à  crédit, 
&  qui  s'efpandc  plus  brufquement;  &  que  les  villes  qui  auront  ouv 
l'efclat  de  cette  tempefk'  à  leurs  portes,  qui  auront  recueilly  leurs     25 
(Capitaines  &  foldats  tremblans  encore  &  hors  d'haleine,  il  efl  dange- 
reux, fur  la  chaude,  qu'ils  ne  fe  iettent  à  quelque  mauuais  party  :  fi 
efl-ce  qu'il  choifit  de  r'appeller  les  forces  qu'il  auoit  delà  les  monts, 
&  de  voir  venir  l'ennemv  :  car  il  peut  imaginer  au  contraire,  qu'eftant 
chez  luy  &  entre  les  amis,  il  ne  pouuoit  faillir  d'auoir  planté  de     30 
toutes  commoditez  :  les  riuieres,  les  paffages,  à  fa  deuotion,  luv 
conduiroient  &  viurcs  &  deniers  en  toute  leureté  &  fans  befoinc 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XLVII.  367 

(J'efcorte;  qu'il  auroit  les  lubiects  d'autant  plus  atiectionnez,  qu'ils 
auroient  le  dangicr  plus  prcs;  qu'ayant  tant  do  villes  is;  de  barrières 
pour  la  leureté,  ce  leroit  à  luy  de  donner  lov  au  combat  félon  l'on 
opportunité  &  aduantage;   &,  s'il   luv   plailoit   de  teniporifer,  qu'à 

5  l'abrv  &  à  Ion  aile  il  pourroit  voir  morfondre  Ion  ennemv,  &  le 
défaire  loy  mefmes  par  les  difficultés  qui  le  combatrovent,  engagé 
"en  vne  terre  coiitrere,  où  il  n'auroit  deuant,  nv  derrière  luv,  nv  à  cofté, 
rien  qui  ne  luy  fit  guerre,  nul  moven  de  refréchir  ou  ellargir  fon 
armée,  fi  les  maladies  s'v  mettoient,  nv  de  loger  à  couuert  les  blefiez; 

10  nuls  deniers,  nuls  viures  qu'à  pointe  de  lance;  nul  loifir  de  le  repofcr 
6.:  prendre  haleine;  nulle  Icience  de  lieux  /;v  de  pavs,  qui  le  Içeut 
deft'endre  d'embufches  &  furpriles;  &,  s'il  venoit  à  la  perte  d'vne 
bataille,  aucun  moven  d'en  lauuer  les  reliques.  Et  n'auoit  pas  laute 
d'exemples  pour  l'vn  .S:  pour  l'autre  partv.   Scipion   trouua  bien 

I)  meilleur  d'aller  affaillir  les  terres  de  Ion  ennemv  en  Afrique,  que  de 
défendre  les  fiennes  (S;  le  combatre  en  Italie  oii  il  efioit,  d'où  bien 
luv  print.  Mais,  au  rebours,  Hannibal,  en  cette  melme  guerre,  le  ruina 
d'auoir  abandonné  la  conquefte  d'vn  pays  elfranger  pour  aller 
deffendre  le  fien.  Les  Athéniens,  avant  lailTé  l'ennemv  en  leurs  terres 

20  pour  palTer  en  la  Sicile,  eurent  la  fortune  contraire;  mais  Agathocles, 
Rov  de  Siracufe,  l'euft  fauorable,  avant  palfé  en  Afrique  &  laifie  la 
guerre  chez  lov.  Ainfi  nous  auons  bien  accouflumé  de  dire  auec 
railon  que  les  euenemens  &  iffuës  dépendent,  notamment  en  la 
guerre,  pour  la  plulpart,  de  la  tortune,  laquelle  ne  le  veut  pas  renger 

25     &  afTuiectir  a  notre  difcours  (!>>:  prudence,  comme  diient  ces  vers  : 

Et  maie  confultis  pretium  eft  :  prudentia  fallax, 
Nec  fortuna  probat  caufas  fequitûrque  merentcs; 
Sed  vaga  per  cunctos  nulio  difcrimine  fertur; 
Scilicet  cft  aliud  quod  nos  cogdtquc  rej^àtquc 
30  Maius,  &  in  proprias  ducat  niortalia  legcs. 

Texte  88.  —  7)  terre  eftrangierc,  où    —    11)    lieux,  &  Ju  pays   —    17)    luy  en 
print  :  mais  au  contraire,  Hannibal  —  22)  (o\.  ;\in(in  nou^ 


368  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

Mais,  à  le  bien  prendre,  il  femble  que  nos  confeils  &  délibérations 
en  dépendent  bien  autant,  è>:  que  la  fortune  engage  en  soi  trahie  et 
incertitude  aussi  nos  dilcours. 

Nous  raisonons  hasardeiisenient  et  inconsidereement,  dici  Tirna'us  en 
PJatoii,  par  ce  que,  came  nous,  nos  discours  ont  grande  participation  au 
hasard. 


Texte  88.  —  2)  fortune  n'eft  pas  plus  incertaine  &  téméraire  que  nos  difcours. 


Chapitre    XLVIII, 


DES    DESTRIES. 


Me  voicv  dcLiciiLi  Grammairien,  mov  qui  n'apprins  iamais  langue 
que  par  routine,  &  qui  ne  l'çay  encore  que  c'eft  d'adiectif,  coniunctif 
&  d'ablatif  :  il  me  femhle  auoir  ouy  dire  que  les  Romains  auoient 
des  cheuaux  qu'ils  appelloient  fvnales  ou  dextrarios,  qui  le 
5  menoient  à  dextre  ou  à  relais,  pour  les  prendre  tous  frez  au  befoin  : 
&  de  là  vient  que  nous  appelions  deûriers  les  cheuaux  de  feruice. 
Et  nos  Romans  difent  ordinairement  adeftrer  pour  accompaigner. 
Ils  appcllovent  aufli  desvltorios  eq.vos,  des  cheuaux  qui  eftoyent 
dreflez  de  façon  que,  courans  de  toute  leur  roideur,  accouplez  cofté 

lo  à  cofté  l'vn  de  l'autre,  lans  bride,  ians  felle,  les  gentils-hommes 
Romains,  voire  tous  armez,  au  milieu  de  la  courfe  le  iettoient 
&  reiettoient  de  l'vn  à  l'autre.  Les  Niiiiildes  gendarmes  mcnoint  en  main 
un  seamt  cbeual  pour  changer  au  plus  chaut  de  la  mesh'c  :  «  quitus, 
desuhorù  in  inodiim,  lu  nos  trabenlihus  equos,  inter  acerrinuim  sa'pe  pugnam 

1 5  in  recentein  eqnum  ex  fcsso  armatis  transsnltare  nios  eral  :  tanla  uelocitas 
ipsis,  lani  \  que]  docile  equoruin  goius.  » 

Il  se  treuue  plusiurs  cheuaus  dresse::^  a  secourir  leur  maislre,  courir  sus 
a  qui  leur  presantc  un'  espee  nue,  se  iefter  des  pieds  &  des  dans  sur  cens  qui 
les  ataquenl  et  affrontent;  mais  il  leur  auient  plus  souuàt  de  nuire  ans  amis 

Var.   ms.  —   17)  w/.î  s'ili  V  fi  ou  leur 


370  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

qu'ans  enemis.  loiiif  que  nous  m  les  desprem\pas  a  iiosire  poste,  quand  ils 
soi  une  fois  haipex^;  et  deniure::^a  Ja  miséricorde  de  leur  combat.  Il  mesprit 
lourdcmant  a  Artihie,  gênerai  de  V armée  de  Perse,  comhatàt  contre  Onesile 
Roy  de  Salamis,  de  persone  a  persone,  d'est rc  monte  sur  un  chenal  façone 
en  cette  escole,  car  il  fut  cause  de  sa  mort  :  le  coustiller  d'Onesile  l'a'iant  5 
aaeuilli  d'une  Jauls  entre  les  deus  espaules,  come  il  s'estoit  cabre  sur  sou 
maistre. 

Et  ce  que  les  Italiens  disent,  qu  'en  la  bataille  de  Formtoue  le  chenal  du 
Roy^  le  deschargea,  a  ruades  et  coups  de  pied,  des  enemis  qui  le  pressoint, 
et  qu'il  estoit  perdu  sans  cela  :  ce  Jut  un  grand  coup  de  hasard,  s'il  est  urai.     10 

Les  Mammelus  se  nantent  d'auoir  les  plus  adroits  chcuaus  de  gendarmes 
du  monde.  Et  dict  on  que,  par  nature  et  par  costume,  ils  sont  faicts  par 
certeins  signes  &  noix,  a  ramasser  aueq  les  dans  les  lances  et  les  darts,  et 
a  \ks  offrir  a  leur]  maistre  en  pleine  meslee  et  a  conoistre  et  discernera *^ 

On  dict  de  Caefar,  &  auflî  du  grand  Pompeius,  que,  parmy  leurs  15 
autres  excellentes  qualitez,  ils  eftoient  fort  bons  hommes  de  cheual; 
&  de  Cœlar,  qu'en  fa  ieunefTe,  monté  à  dos  fur  vn  cheual  &  lans 
■  bride,  il  luy  tailoit  prendre  carrière,  les  mains  tournées  derrière  le 
dos.  Comme  nature  a  voulu  taire  de  ce  perfonnage  &  d'Alexandre 
deux  miracles  en  l'art  militaire,  vous  diriez  qu'elle  s'eft  aufli  20 
efforcée  à  les  armer  extraordinairement  :  car  chacun  fçait  du  cheual 
d'Alexandre,  Buccfal,  qu'il  auoit  la  tefte  retirant  à  celle  d'\n  toreau, 

\'ar.  ms.  —  2)  etdgmuse...  miséricorde  hup...  combat .  Ariibie  —  3)  Perse  eombairt 
de  persmte  a  persiine  —  4)  un  iet  cljcuat  qui  fui  cause  —  9)  le  descluiri'c  a  —  10)  cela  : 
c'est  un  —   12)  dicl  que  cl  par  nature  —   i.()  connistre  les  enemis 

'     L'édition  de  1595  ajoute  :  Charles 

*  La  suite  de  cette  phrase  se  trouvait  sur  une  partie  de  la  page  qui  a  été  rognée;  on  distingue 
cependant  le  dernier  mot  qui  est   délits.    L'édition   de  159$  donne  de  ce   passage  la   rédaction  suivante  : 

Les  Mammelus  fc  vantent,  d'auoir  les  plus  adroits  chcuaux  de  genfdarmes  du  monde. 
Que  par  nature  &  par  couftumc,  ils  font  faits  a  cognoiftre  &  diftingiier  l'ennemy,  fur 
qui  il  faut  qu'ils  fe  ruent  de  dents  &  de  pieds,  félon  la  voix  ou  fignc  qu'on  leur  fait. 
Et  pareillement,  à  rcleuuer  de  la  bouche  les  lances  &  dards  cminv  la  place,  &  les 
offrir  au  maiftre,  félon  qu'il  \e.\ir  commande. 


LIVRE     1,     C.HAIMTR1-:     X1.\I11.  57] 

qu'il  ne  le  l'ouffroit  monter  à  perlbnnc  qu'à  Ion  maiftre,  ne  peut 
élire  drefle  que  par  luy  mefmc,  fut  honoré  après  fa  mort,  &  vue 
ville  baftie  en  fon  nom.  CxfAr  en  auoit  aufli  vn  autre  qui  auoit  les 
pieds  de  deuant  comme  vn  homme,  ayant  l'ongle  coupée  en  forme 
S  de  doigts,  lequel  ne  peut  eflre  monté  ny  drefle  que  par  Cx'far,  qui 
dédia  fon  image  après  fa  mort  à  la  déeffe  Venus. 

le  ne  démonte  pas  volontiers  quand  ie  fuis  à  cheual,  car  c'eft 
l'alîiette  en  laquelle  ie  me  trouue  le  mieux,  &  fain  6c  malade. 
Phikm  ht  raviinuidc  pour  ht  sctnte;  auffi  dict  Pline  qu'elle  eft  falutaire 

lo  à  l'eftomach  6<  aux  iointures.  Pourluiuons  donc,  puis  que  nous 
V  iommes. 

On  lict  en  Xenophon  la  lov  deflendant  de  voyager  ;i  pied 
à  homme  qui  eufl  cheual.  Trogus  &  luftinus  dilent  que  les  Parthes 
auoient  accouftumé  de  faire  à  cheual  non  ieulement  la  guerre,  mais 

1 5  auffi  tous  leurs  affaires  publiques  &  priuez,  marchander,  parlementer, 
s'entretenir  &  le  promener;  &  que  la  plus  notable  différence  des  libres 
6c  des  ferfs  parmy  eux,  c'eft  que  les  vns  vont  à  cheual,  les  autres 
à  pié  :  iiislitulion  uec  du  Roy  Cxrus. 

Il  y  a  plufieurs  exemples  en  l'hiftoire  Romaine  (&  Suétone  le 

2()  remarque  plus  particulièrement  de  Ca:far)  des  Capitaines  qui  com- 
mandoient  à  leurs  gens  de  cheual  de  mettre  pied  à  terre,  quand  ils 
le  trouuoient  preffez  de  l'occafion,  pour  ofter  aux  foldats  toute 
elperance  de  fuite,  et  pour  Vauantai^e  qu'ils  csperoiut  eu  cette  sorte  de 
combat,  (f  quo  haud  duhie  superat  Ronuiuus,  »  dict  Tite  Liue. 

2),  Si  est  il  que  \la]  première  prouision  de  quoi  ils  se  seruoint  a  brider  la 
rebeUiou  des  peuples  de  uouucUc  conqueste,  c'estoit  leur  oster  âmes'  et 

Texte  88. —  9)  eft  trcs-faluiaire  —  12)  loy  de  Cyius,  dt-ftciidani  —  17)  clicunl 
&  les  —  23)  fuite  :  mais  nos  anceftres  (p.  ;72,  1.  5.) 

\'ar.  ms.  —  24)  conilml  i"  :  qtio  haud  duhie  supeial  Romaiiiis  dict  Tite  Liue: 
Nos  2°  :  (jui  ciloit  plus  propre  et  aduautageus  aus  R«nieius  corne  dict  Tite  Liue.  Nos  — 
25)      la   l^wmicre...  quoi  les  Roiiieins  se 

'    âmes  lapsus  pour  armes 


372  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

cheiMus  :  pcnir  tant  iioïons  nous  si  sonnent  en  César  :  (.(  arma  proferri, 
iwnenta  produci,  obsides  dari  iuhet.  »  Le  grand  Seignur  ne  permet  auioiir- 
d'hui  nv  a  Cbrestien  u\  a  Iiiif  d'aiioir  eheiial  a  soi,  a  eeiis  qui  sont  sous 
son  empire. 

Nos  anceilres,  &  notammant  du  ttnips  dt  la  guerre  des  Anglois,  5 
en  tous  les  combats  folennels  &  iournées  aflîgnées,  le  mettoient 
la  plus  part  du  temps  tous  à  pié,  pour  ne  le  lier  à  autre  chofe  qu'à 
leur  force  propre  &  vigueur  de  leur  courage  &  de  leurs  membres, 
de  choie  fi  chère  que  l'honneur  &  la  vie.  Vous  engagez,  quoi  que  die 
Chrysante:ien  Xenophon,  voftre  valeur  &  voftre  fortune  à  celle  de  voftre  10 
cheual  :  fes  playes  &  la  mort  tirent  la  voftre  en  conlequence;  ion 
effray  ou  fa  fougue  vous  rendent  ou  téméraire  ou  lâche;  s'il  a  fiiute 
de  bouche  ou  d'efperon,  c'eft  à  voftre  honneur  à  en  relpondre. 
A  cette  cauie,  ie  ne  trouue  pas  eil:range  que  ces  combats  là  fuiîent 
plus  fermes  &  plus  iurieux  que  ceux  qui  fe  tout  à  cheual,  15 

ccdebant  pariter,  paritérque  ruehant 
Victores  victique,  neque  his  fuga  nota  neque  illis. 

Leurs  batailles  se  noient  bien  miens  contestées;  ce  ne  sont  asture  que  roules  : 
« primus  clamor  atxj}  impctns  rem  decernit.»  Et  chofe  que  nous  appelions 
à  la  focieté  d'vn  fi  grand  hazard,  doit  eftre  en  noftre  puiflance  le     20 
plus  qu'il  fe  peut.  Comme  ie  confeilleroy  de  choifir  les  armes  les 
plus  courtes,  &  celles  dequoy  nous  nous  pouuons  le  mieux  relpondre. 
Il  eft  bien  plus  apparent  de  s'afleurer  d'vne  efpée  que  nous  tenons 
au  poing,  que  du  boulet  qui  efchappe  de  noftre  piftole,  en  laquelle 
il  y  a  plufieurs  pièces,  la  poudre,  la  pierre,  le  rouët,  delquelles  la     23 
moindre  qui  viendra  à  faillir,  vous  fera  faillir  voftre  fortune. 
On  assené  peu  fcurement  le  coup  que  l'air  vous  conduict, 

Ht  quo  ferre  velint  permittere  vulnera  ventis  : 

Enfis  habet  vires,  &  gens  quxcuiiquc  virorum  eft, 

Bella  gerit  gladiis.  30 

Texte  88.  —  12)  fa  fureur  vous  —  27)  On  alfcurc  peu 


LIVRE-   I,      CHAPITRE      XLVIII.  373 

Mais,  quant  à  cett'  arme  là,  i'cn  paricray  plus  iiiupkmcul  où  ie 
fera}'  comparailon  des  armes  anciennes  aux  noftres;  &,  faut'  l'efton- 
nement  des  oreilles,  à  quoy  désormais  chacun  eft  appriuoifé,  ie  croy 

que  c'eft   \n   arme  de   fort   peu   d'etfect,   &  efpcre  que   nous  en 
5     quitterons  ///;  iour  l'vlage. 

Celle  de  quai  les  j  Italiens  \  se  senioiiU,  de  iel  el  a  feu,  esloil  plus  effiotable. 
Ils  nomoint  phalariea  une  certeinc  espèce  de  iauelitie,  armée  par  le  haut  d'un 
fer  de  trois  pieds,  affin  qu'il  peut  percer  d'outre  en  outre  un  home  arme; 
et  se  lançait  lantost  de  la  main  en  la  câpaigne,  tantost  a  tout  des  engins 

10  p(vir  defandre  les  liens  assiège:^  :  la  hante,  reuestue  d'cstaupc  empaixec  et 
huilée,  s'enflammait  de  sa  course;  et,  s'atachant  au  \cars^^  ou  au  bouclier, 
ostoit  tout  usage  d'armes  et  de  numbres.  Toutes/ois  il  me  samble  que,  pour 
ucnir  au  ionindre,  elle  portât  aussi  empeschemant  a  l'assaillant,  et  que  le 
champ,  ionchc  de  ces  tronçons  bruslans,  produisit  en  la  nieslee  une  commune 

15     incommodité, 

iiiagniini  sir'ukns  loiilorin  plinlarica  ncnil 
Fui  mini  s  acta  modo. 

Ils  auoint  d'antres  maieus,  a  quoi  l'usage  les  adressait,  &  qui  nous 
semblent  incroïables  par  imxperiance,  par  ou  ils  suppleoint  au  défaut  de 

20  nostre  poudre  &  de  nos  boulet:;^.  Ils  dardoini  leurs  piles  de  telle  roidur  que 
sonuàt  ils  en  enfiloint  deus  boucliers  &  deus  homes  arme:^,  et  les  cousoint. 
Les  coups  de  leurs  fondes  n  'estoint  pas  moins  certeins  &  loninteins  :  «  saxis 
glohosis  funda  mûre  apertum  incessenies  :  coronas  modici  circuli,  nuigno 
ex  internallo  loci,  assueti  traijcere  :  non  capita  modo  hostium  uulnerabant, 

25  sed  quem  locum  destinassent.  »  Leurs  pièces  de  batterie  represantoinl,  come 
l'effaict,  aussi  le  tintamarre  des  nosires  :  «  ad  ictus  mœniuni  cuin  Icrribili 
sonitu  editos  paiior  et  trepidatio  cepit.  »  Les  gaulois  nos  cousins  en  Asw, 

Texte  88.  —  i)  plus  largement,  où  —  5)  quoy  mcshuy  cliacuii  —  5)  quitterons 
bien  toft  l'vfagc 

Var.  ms.  —   6)  /«  Romeins  se  —   8)  percer  de  part  en  pari  un   —    9)  de  la  m   — 

20)    leurs  pilles  de  U  —    21)    homes  et  —    22  à  25  et  26  i  27)   Citations  cffjcics  puis  rétablies. 


374  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

baïssoiiit  CCS  ciniics  tntbist cesses  et  iiohiiitcs  :  diiits  a  cuiiihcihc  main  a  tnaiu 
aiiec  plus  de  corage.  «Non  Uiin  pcileutihus  plagis  moucntiic  :  ubi  lalior 
qiiani  allior  plaga  est,  etiarn  gbnosiiis  se  pugnace  piiUiiil  :  idem,  cuiii 
aciilcus  sagitta'  cuit  glaiidis  abdiix  intcorsus  teuui  uuhicce  lit  spcciem  ucii, 
tuiii,  iii  cahicui  cl  piidocein  tam  parux  periinentis  pestis  uccsi,  pcosUrmmt  5 
cocpora  hunii  :  » 

pcintucc  bien  uoisi)ic  d'une  acquchusade. 

Les  dix  mille  gceqs,  en  leuc  longue  ci  fameuse  rciraiclc,  cencontrerct 
[  ////('  nation  qui  les  endommagea  merueilkusemeni]  a  coups  de  grands  arcs 
et  fors,  et  des  sagcttes  si  longues  qu'a  les  reprandre  a  la  main  on  les  pouuoit  10 
reieter  [a]  la  mode  d'un  dart,  et  perçoint  de  part  en  part  le  bouclier  &  un 
bomc  armé.  Les  engins  que  Dionisius  inuanta  a  Siracuse  a  tirer  gros  traicts 
massifs  &  des  pierres  d'horrible  grandur,  d'une  si  longue  uoice  cl  impé- 
tuosité, represantoint  de  bien  près  nos  inuantions. 

Encore  ne  faut-il  pas  oublier  la  plaifante  afliette  qu'auoit  sur  sa     15 
mule  vn  maiftre  Pierre  Pol,  Docteur  en  Théologie,  que  Monftrelet 
recite  auoir  accouftumé  fe  promener  par  la  ville  de  Paris,  aflis  de 
collé,  comme  les  temmes.  Il  dit  aufli  ailleurs  que  les  Gafcons  auoient 
des  cheuaux  terribles,  accouftumez  de  virer  en  courant,  dequoy  les 
François,  Picards,  Flamens  &  Brabançons  foifoient  grand  miracle  :     20 
pour  n'auoir  accouflumé  de  le  voir,  ce  font  ces  mots.  Caefar,  parlant 
de  ceux  de  Suéde  :  Aux  rencontres  qui  fe  font  à  cheual,  dict-il,  ils 
le  iettent  fouuent  à  terre  pour  combattre  à  pié,  ayant  accouftumé 
leurs  cheuaux  de  ne  bouger  ce  pendant  de  la  place,  aufquels  ils 
recourent  promptement,  s'il  en  ell  befoing;  &,  félon  leur  courtume,     25 
il  n'ell  rien  û  vilain  &  lî  lâche  que  d'vfer  de  felles  &  bardelles, 


Texte  88.  —  15)  auoit  à  chenal  vn  —  17)  Paris,  &  ailleurs,  affis  —  21)  mots, 
le  ne  fçay  quel  maniement  ce  pouuoit  cftre,  fi  ce  n'eft  celuy  de  nos  paflades.  Qcfar 

Var.  ms.  —  2)  corage.  Quemadmodù  commùius  ubi  iiiukem  pati  ac  inferre  uuliicra 
licet,  acceiidil  ira  aiiimos  :  ila  ubi  ex  occullo  uuhicravtur  quo  ruant  cœco  iiiipetu  non  habeitl. 
Celte  autre  raison  est  plus  Inmiie.  Non  tant  —  7)  bien  expresse  d'une  —  10)  fors  de  ifuci 
ik  les  —  13)  uolee  et  si  Imrible  impétuosité  —   14)  de  pi  bien  près  nostre  effaici .  Encore 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XLVIII.  375 

&  mefprifent  ceux  qui  en  vient,  de  manière  que,  fort  peu  en  nombre, 
ils  ne  craignent  pas  d'en  aflaillir  pluiieurs. 

Ce  que  i'ay  admiré  autrestbis,  de  voir  vn  cheual  drefle  à  le  manier 
à  toutes  mains  auec  vne  baguette,  la  bride  auallée  fur  l'es  oreilles, 
S     eftoit  ordinaire  aux  Malfiliens,  qui  le  feruoient  de  leurs  chenaux 
lans  lelle  &  lans  bride. 

Et  gens  qu>t  iiudo  refidens  Mallilia  dorfo 
Ora  leui  flectit,  fr;enorum  nefcia,  virga. 
El  Nuiiiidœ  infnviii  cinginil  : 

10  (( equi  sine  jicuis,  dcjorniis  ipsc  cursus,  riificld  ccniicc  cl  cxlcnlo  Ciipitc 
currentiuw'.  » 

Le  Roy  Alphonce,  celuy  qui  dreiïa  en  Elpaigne  l'ordre  des 
cheualliers  de  la  Bande  ou  de  L'efcharpe,  leur  donna,  entre  autres 
règles,  de  ne  monter  ny   mule  ny   mulet,  fur   peine   d'vn   marc 

I)  d'argent  d'amende,  comme  ie  viens  d'apprendre  dans  les  lettres  de 
Gueuara,  defquelles  ceux  qui  les  ont  appellées  dorées,  fliifoient 
ingénient  bien  autre  que  celuy  que  i'en  fay. 

Le  cortisan  dici  qu'aitant  son  temps  \c\'estoit  repnxhe  a  un  genliWmne 
d'en  cheuaucher.  Les  Abyssins,  a  mesure  qu'ils  sont  plus  grands  &  pins 

20  nuances  près  le  Preteian,  leur  tnaistre,  affectent  au  rebours  des  mules 
a  monter  par  Imieur.  Xenofon,  que  les  Assyriens  tenoint  leurs  cheuaus 
tousicntrs  entraue:;^  au  logis,  tant  ils  estoint  facheus  &  farouclxs,  &  qu'il 
faloit  tant  de  temps  j  a  ]  les  destacher  et  harnacher  que,  pour  que  cette  longur 
a  la  guerre  ne  leur  aportat  domage,  s'ils  uenoint  [a]  estre  en  dessoude  surpris 

25     par  les  enemis,  ils  ne  logeoint  iamais  j  en  i  camp  qui  ne  fut  jossoié  &  reniparc. 

\'ar.  ms.  —  8)  virga.  El  les  Niimidieiis  :  equi  —  9)  infrarni  terrent  :  equi  — 
18)  geutilthome  de  les  cheuaucher.  Xenofou  dict  que  les  Assyriens  Montaigne  efface  dict  avant 

dTnsérer,  au  dessus  de  la  rédaction  primitive,  la  phrase  Les  AbySStlIS...  houeur,    qui  est  une  addition 
ultérieure,  et  il  oublie  ensuite  de  le  rétablir.  L'édition  de  1595  donne  ;   Xcnopnon  rCClte. 

'  Un  peu  i  la  suite  vient  dans  la  marge  une  citation  antérieure  qui  a  été  biffée  et  Joui  le  signe  de 
raccord  a  disparu  :  generosisiinuiium  geuliuiH  (quiles  Jreiuiloi  cl  iiifrenaloi 


376  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

Son  Cirus,  si  grand  maistre  au  faict  de  chcualeric,  mettait  les  cbeiunis 
de  son  escot,  [et]  ne  leur  faisait  bailler  \a\  manger,  qu'ils  [)ie  l'jeussent 
gaigné  par  la  sueur  de  queh]^  exercice. 

Les  Scythes,  où  la  neceffité  les  preffoit  en  la  guerre,  tiroient  du 
l'ang  de  leurs  cheuaux,  &  s'en  abreuuoient  &  nourriflbient,  5 

Venit  &  epoto  Sarniata  paftus  equo. 

Ceux  de  Crotte,  aflîegéz  par  Metellus,  fe  trouuerent  en  telle  difette 
de  tout  autre  breuuage  qu'ils  eurent  à  le  leruir  de  l'vrine  de  leurs 
cheuaux. 

Pour  uerifier  combien  les  armées  Turquesques  se  conduisêt  et  maintienent  10 
(/  meillure  raison  que  les  nostres,  ils  disent  qu'outre  ce  que  les  soldats  ne 
hoiuent  que  de  l'eau  et  ne  )nû agent  que  ris  et  de  la  cher  salée  mise  eu  poudre, 
de  quoi  chacun  porte  aiseement  sur  soi  prouision  pour  un  mois,  ils  sçauent 
aussi  uiure  du  sang  de  leurs  cheuaus,  come  les  Tartares  &  Moscouites, 
&  le  salent.  15 

Ces  nouueaux  peuples  des  Indes,  quand  les  Efpagnols  v  arriuerent, 
cftimerent,  tant  des  hommes  que  des  cheuaux,  que  ce  tulïent  ou 
Dieux  ou  animaux,  en  nobleffe  au-dclTus  de  leur  nature.  Aucuns, 
après  auoir  efté  vaincus,  venant  demander  paix  &  pardon  aux 
hommes,  &  leur  apporter  de  l'or  &  des  viandes,  ne  faillirent  d'en  20 
aller  autant  offrir  aux  cheuaux,  auec  vne  toute  pareille  harengue 
à  celle  des  hommes,  prenant  leur  hannilTcmcnt  pour  langage  de 
compofition  &  de  trefue. 

Aux  Indes  de  deçà,  c'eftoit  anciennement  le  principal  &  rc^yal 
honneur  de  cheuaucher  vn  éléphant,  le  fécond  d'aller  en  coche,     25 
trainé  à  quatre  cheuaux,  le  tiers  de  monter  vn  chameau,  le  dernier 
&  |ihis  vile  degré  d'élire  porté  ou  charrié  par  vn  cheual  leul. 

Texte  88.  —  6)  cpoto  Sarmatus  paftus 

Var.  ms.  —   1)  iiHihIri'   fil    d'eimlene    --   12)  stitcc  p  —   14)  niissi  itii 


LIVRE     I,      CHAPITRE     XLVIII.  377 

Qiickun  de  nosfre  tunips  cscrit  aiioir  mu,  en  ee  elinuit  la,  des  pats  ou 
l'on  cheuauche  les  heufs  aueq  hasiines,  estriei  et  brides,  et  [s'^eslre  bien 
trouué  de  leur  porture. 

Quintus  Fabius  Maxiinus  Rufilianus,  contre  les  samnites,  uoiàt  que  ses 
5  i^ens  de  chenal  a  trois  on  quatre  chari^ns  auoint  failli  d'enfoncer  le  bataillon 
des  enemis,  print  ce  conseil,  qu'ils  débridassent  leurs  cheuaus  et  [bouchassent 
a  toute  force  des  espérons,  si  que,  rien  ne  les  pouuant  arrêter,  autrauers  des 
armes  et  des  homes  renuerse^  ouurirent  le  pas  a  leurs  gens  de  pied,  qui 
parjirèt  une  tressanglante  desfaicte. 

10  Jutant  en  comâda  Quintus  Fuluius  Flaccus  contre  les  Celtiberiens  : 
((  Id  cum  inaiore  ni  equornm  Jacielis,  si  effrenaios  in  hostes  equos  immittitis; 
quoil  sa^pe  romatios  équités  cum  lande  fecisse  sua,  ma:morix  proditum  est. 
Detraclisque  jrenis,  \bis  ultro  cil  roque  cum  magna  strage  hostium,  infractis 
omnibus  hastis,  transcurrerunt.  ] 

15  Le  Duc  de  Molcouie  deuoit  anciennement  cette  reuerence  aux 
Tartares,  quand  ils  cnuoioyent  vers  luy  des  AmhafTadeurs,  qu'il 
leur  alloit  au  deuant  à  pié  &  leur  prefentoit  vn  gobeau  de  lait  de 
iunient  (breuuage  qui  leur  ci\  en  délices),  lSc  fi,  en  beuuant,  quelque 
goutte  en  tomboit  lur  le  crin  de  leurs  chenaux,  il  eftoit  tenu  de  la 

20  lécher  auec  la  langue.  lin  Rulîie,  larmée  que  l'Empereur  Baiazet 
y  auoit  enuoyé,  fut  accablée  d'vn  fi  horrible  rauage  de  neiges  que, 
pour  s'en  mettre  à  couuert  &  sauner  du  froid,  plufieurs  s'aduiferent 
de  tuer  &  euentrer  leurs  cheuaux,  pour  le  getter  dedans  &  iouyr  de 
cette  chaleur  vitale. 

25  Paia:{et,  après  cet  aspre  estour  ou  il  fut  rompu  par  Tamburlan,  se  sauuoit 
beir  erre  sur  une  iumant  Arabesque,  s'il  n'eut  este  contrcinl  de  la  laisser 
boire  son  soiil  au  passage  d'un  ruisseau,  ce  qui  la  rendit  si  facque  et  refroidie, 
qu'il  jut  bien  aiseemanl  après  aconsuiui  par  cens  qui  le  poursuiuoint. 

Texte  88.  —  22)  &  garcntir  du 

Var.  ms.  —  2)  aueq  boues  Inislines  —  5)  trois  q  —  6)  print  cet  estrange  conseil  — 
10)  Autant  en  fit  Fuluius  Flaccus  pt^  —  10)  les  Celtiberiens  ifu<^  mf>e  Romatws  équités 
—   Il)    Id  cum  maiore...  proditum  est.  Cii.itiDn  birtïc  puis  rcublie. 


378  '         ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

On  dict  bien  qu'on  les  hube,  les  laissant  pisser;  mais  le  boire,  i 'eusse  plus 
tost  estime  qu'il  l'eut  refrechie  et  r'enforeee. 

Crœsus,  passant  le  long  de  la  uille  de  Sardis,  v  trouua  des  pastit:^  ou 
il  y  auoit  grande  quantité  de  serpans,  des  quels  les  eheuaus  de  son  armée 
mangeoint  de  bon  appétit,  qui  fut  un  mauues  prodige  a  ses  affaires,  diet     5 
Hérodote. 

Nous  appelions  vn  cheual  entier,  qui  a  crin  &  oreille;  &  ne 
pafTent  les  autres  à  la  montre  :  les  Lacedemoniens,  ayant  desfiiit  les 
Athéniens  en  la  Sicile,  retournans  de  la  victoire  en  pompe  en  la 
ville  de  Siracule,  entre  autre  brauades,  tirent  tondre  les  chenaux  ro 
vaincus  &  les  menèrent  ainfin  en  triomphe.  Alexandre  combatit  vne 
nation  Dahas  :  ils  alloyent  deux  à  deux  armez  à  cheual  à  la  guerre; 
mais,  en  la  méfiée,  l'vn  defcendoit  à  terre;  &  combatoient  ore  à  pied, 
ore  à  cheual,  l'vn  après  l'autre. 

[le  n'estime  point,  qu'en  suffisance  et  en  grâce  a  cheual,  )iulle  nation     15 
vous  emporte.  I  Bon  home  de  cheual,  a  l'usage  de  nostre  parler,  samble  plus 
regarder  au  corage  qu'a  l'adresse.  Le  plus  sçauant,  le  plus  seur  et  miens 
'aduenant  a  nwner  un  cheual  a  raison  que  i'ave  conu,  fut  a  mon  gré  le  sieur 
de  Carneualet,  qui  en  seruoit  nostre  Roy  Henry  secont.  Vax  ueu  home  douer 
carrière  a  deus  pieds  sur  sa  selle,  démonter  sa  selle,  &,  au  retour,  la  relleuer,     20 
reaccommoder  &  s'y  rassoir,  juiant  tousiours  a  bride  auallee;  aiant  passe 
par  dessus  un  bonet,  y  tirer  par  derrière  des  bons  coups  de  son  arc;  amasser 
ce  qu'il  uouloit,  se  iettani  d'un  pied  a  terre,  tenât  l'autre  en  l'estrie  :  et  autres 
pareilles  siiigeries,  de  quoi  il  uiuoit.  On  a  \cu  de  mon  temps,  à  Conlhui- 
tinople,  deux  hommes  fur  vn  cheual,  lefqucls,  en  fa  plus  roide  courfe,     25 
le  reiettoyent  à  tours  à  terre  iv  puis  fur  la  felle.  Et  vn  qui,  feulement 
des  dents,  bridoit  (^  harnachoit  fon  cheual.  Vn  autre  qui,  entre  deux 
chenaux,  vn  pied  lur  vne  lelle,  l'autre  fur  l'autre,  portant  vn  fécond 

Texte  88. —   11)   les  nienarent  ainiln   —    15)   comb.iioieiit  alturc  à  pied,  alhiie 
à  cheual 

\'ar.   .ms.  —   5)  de  in âd  appétit,  el  foi  ce  d'oii  il  piinl  un  —    i6)  emporte,    l'ii  km  — 
23)  uoultiit  a  terre  se 


LIVRK      I,      CHAPITRE     XLVIII.  379 

lur  les  bras,  couroit  à  toute  bride  :  ce  l'econd,  tout  debout  sur  Iiiv, 
tirant  en  la  courle  des  coups  bien  certains  de  Ion  arc.  Plulieurs  qui, 
les  iambes  contre-mont,  couroyent  la  telle  plantée  fur  leurs  felles, 
entre  les  pointes  des  limeterres  attachez  au  harnois.  En  mon  enfance 
le  Prince  de  Sulmone,  à  Naples,  maniant  vn  rude  cheual  de  toute 
forte  de  maniemens,  tenoit  foubs  fes  genouz  &  foubs  fes  orteils 
des  reaies,  comme  fi  elles  y  euffent  efté  clouées,  pour  montrer  ht 
fcrmeic  de  son  assick. 

\'ar.   ms.  —  7)  realcs  (vu/:...  cloutes  :  mauli^i^ 


Chapitre    XLIX. 


DES    COVSTVMES    ANCIENNES. 


l'excuferois  volontiers  en  noflre  peuple,  de  n'auoir  autre  patron 
&  règle  de  perfection  que  i'es  propres  meurs  <S:  viances  :  car  c'eft 
vn  commun  vice,  non  du  vulgaire  feulement,  mais  quafi  de  tous 
hommes,  d'auoir  leur  viiée  &  leur  arreft  fur  le  train  auquel  ils  lont 
nais.  le  fuis  content,  quand  il  verra  Fabritius  ou  LxHus,  qu'il  leur  5 
"trouue  la  contenance  &  le  port  barbare,  puis  qu'ils  ne  font  ny  veftus 
ny  façonnez  à  noitre  mode.  Mais  ie  me  plains  de  la  particulière 
indilcretion,  de  fe  laiffer  li  fort  piper  &  aueugler  à  l'authorité  de 
l'vlage  prefent,  qu'il  foit  capable  de  changer  d'opinion  &  d'aduis 
tous  les  mois,  s'il  plait  à  la  courtume,  &  qu'il  iuge  fi  diuerfement  10 
de  foy  melmes.  Quand  il  portoit  le  bulc  de  Ion  pourpoin  entre  les 
mamelles,  il  maintenoit  par  viues  railons  qu'il  eftoit  en  son  mai  lieu; 
quelques  années  après  le  voyla  aualé  iniques  entre  les  cuiffes,  il  le 
moque  de  Ion  autre  vfage,  le  trouue  inepte  &  infupportable.  La  façon 
de  fe  veftir  prefente  luy  faict  incontinent  condamner  l'ancienne,  15 
d'vne  refolution  fi  grande  &  d'vn  conlentement  fi  vniuerfel,  que 
vous  diriez  que  c'eft  vne  espèce  de  manie  qui  luy  ioiirnehonle  ainli 


Texte    88.   —    5)    ou   Scipion,    qu'il    —    12)    eftoit   trefbien    :    quelques    — 
15)  condamner  &  mefprifer  l'ancienne  —  17)  vne  vraye  manie,  qui  luy  roule  ainfi 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XLIX.  381 

rentcndement.  Par  ce  que  noftrc  changement  ell  fi  fubit  &  fi  prompt 
en  cela,  que  l'inuention  de  tous  les  tailleurs  du  monde  ne  Içauroit 
fournir  affez  de  nouuelletez,  il  eft  force  que  bien  fouuent  les  formes 
mefprifées  reuiennent  en  crédit,  &  celles  là  mefmes  tombent  en 

5  mel'pris  tantoft  après;  &  qu'vn  mefme  iugement  preigne,  en  l'efpace 
de  quinze  ou  vingt  ans,  deux  ou  trois,  non  diuerfes  feulement,  mais 
contraires  opinions,  d'vne  inconftance  &  légèreté  incroyable.  //  n'va 
si  fin  d'entre  nous  qui  ne  se  laisse  enihahouiner  de  eelle  eontradiction, 
&  esbiouir  tant  les  xeus  internes  que  les  externes  insensiblement. 

[o  le  veux  icy  entafler  aucunes  fiiçons  anciennes  que  i\iv  en  mémoire, 
les  vnes  de  mefme  les  noftres,  les  autres  différentes,  afin  qu'ayant 
en  l'imagination  cette  continuelle  variation  des  choies  humaines, 
nous  en  ayons  le  iugement  plus  efclaircy  &  plus  ferme. 

Ce  que  nous  dilons  de  combalre  à  l'efpce  &  la  cape,  il  s'vfoit 

1 5  encores  entre  les  Romains,  ce  dict  Cajfar  :  «  Siniftris  fagos  inuoluunt, 
gladiôlque  diftringunt.  »  Et  remerque  des  lors  en  noftre  nation  ce 
vice,  qui  v  ell  encore,  d'arrefter  les  paffans  que  nous  rencontrons  en 
chemin,  &  de  les  forcer  de  nous  dire  qui  ils  font,  &  de  reeeuoir 
à  iniure  &  occafion  de  querelle,  s'ils  refuient  de  nous  refpondre. 

îo  Aux  bains,  que  les  anciens  prenoyent  tous  les  iours  auant  le 
repas,  &  les  prenoyent  auflî  ordinairement  que  nous  faiions  de  l'eau 
à  lauer  les  mains,  ils  ne  le  lauoyent  du  commencement  que  les  bras 
&  les  iambes;  mais  dépuis,  &  d'vne  coulhime  qui  a  duré  plufieurs 
fiecles  &  en  la  plus  part  des  nations  du  monde,  ils  fe  lauoyent  tous 

55  nudz  d'eau  mixtionnée  &  parfumée,  de  manière  qu'ils  eniploioint 
pour  telmoignage  de  grande  fimplicité  de  fe  lauer  d'eau  limple.  Les 
plus  affetez  &  delicatz  fe  parfumoyent  tout  le  corps  bien  trois  ou 
quatre  fois  par  iour.  Ils  fe  faifoyent  fouuent  pinceter  tout  le  poil. 


Texte  88.  —  10)  aucunes  couftumes  anciennes  —  18)  &  de  prendre  à  — 
25)  qu'ils  prenoyent  pour  —  27)  parfumoyent  bien...  iour  tout  le  corps.  Ils  — 
28)   pinceter  le  poil  par  tout,  comme 


382  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

comme  les  tcmnics  l'iançoilcs  ont  pris  en  viage,  depuis  quelque 
temps,  de  laire  leur  front, 

Quod  pectus,  quLid  crura  tibi,  quod  br.icliia  vcllis, 

quov  qu'ils  eulTent  des  oignemens  propres  à  cela  : 

Pfilotio  nitft,  aut  arida  latet  oblita  creta.  5 

Ils  avmoient  à  fe  coucher  mollement,  &  allèguent,  pour  preuue 
de  patience,  de  coucher  lur  le  matelas.  Ils  mangeoyent  couchez 
lur  des  lits,  à  peu  prez  en  mehne  alhete  que  les  l'urcs  de  noftre 
temps, 

Inde  tboro  pater  iEncas  fie  orfus  ab  alto.  10 

Et  dit  on  du  ieune  Caton  que,  depuis  la  bataille  de  Pharfale,  eflant 
entré  en  deuil  du  mauuais  eftat  des  affaires  publiques,  il  mangea 
toufiours  aflis,  prenant  vn  train  de  vie  plus  auftere.  Us  bailoyent 
les  mains  aux  grands  pour  les  honnorer  ibc  careffer;  &,  entre  les 
amis,  ils  s'entrebaifoyent  en  le  laluant,  comme  font  les  \'enitiens  :     15 

Gratatiifque  darem  cum  dulcibus  olcula  verbis. 

Et  toucholt  iiits  gcnoiis  pour  requérir  ou  saluer  un  grand.  Pasicles  Je 
philosofe,  frère  de  Crûtes,  au  lieu  de  porter  la  main  au  genou,  la  porta 
aus  genitoires.  Celui  a  qui  il  s'adressoit  Valant  rudenièl  repousse  :  Cornant, 
dit  il,  eeev  n'est  il  pas  uostre  aussi  bien  que  les  gênons?  ^ci 

Ils  mangeoyent,  comme  nous,  le  fruict  à  l'yffue  de  table.  Us  le 
torchoyent  le  cul  (il  faut  laiffer  aux  femmes  cette  vaine  fuperftition 
des  parolles)  auec  vne  elponge  :  vovla  pourquov  spongia  efl  vn 

Texte  88.  —  4)  oignemens,  qui  feruovent  .i  cela,  de  faire  tomber  le  poil, 
l'filotro 

\'ar.  ms.  —  17)  giaiid  :  El  Ptuidcs 


LIVRH      I,      CHAPITRK      XI.IX.  383 

mot  obfcœne  en  Latin;  &  clloit  cette  el'ponge  attachée  au  bout  d'vn 
ballon,  comme  telmoigne  l'hilloirc  de  celuv  qu'on  menoit  pour 
eftre  prelenté  aux  belles  deuant  le  peuple,  qui  demanda  congé  d'aller 
à  les  affaires;  &,  n'ayant  autre  moyen  de  le  tuer,  il  le  fourra  ce 
5  ballon  &  efponge  dans  le  gofier  &  s'en  eftouffli.  Ils  selluvoient  le 
catze  de  laine  perfumée,  quand  ils  en  auovent  laict  : 

At  tihi  nil  t'aciani,  fed  Iota  mentula  lana. 

Il  y  auoit  aux  carrefours  à  Rome  des  vailTeaux  &  demv-cuues  pour 
y  appreller  à  piffer  aux  palTans, 

10  Pufi  ktpe  lacuni  propter,  fe  ac  dolia  curta 

Somno  deuincti  creduiit  cxtollere  vertcm. 

Ils  lailoyent  collation  entre  les  repas.  Et  y  auoit  en  elle  des  vendeurs 
de  nege  pour  retréchir  le  vin;  &  en  y  auoit  qui  le  feruoyent  de  nege 
en  hyuer,  ne  trouuans  pas  le  vin  encore  lors  aflez  froid.  Les  grands 
15  auoyent  leurs  efchançons  &  trenchans,  &  leurs  fols  pour  leur  donner 
plailîr.  On  leur  leruoit  en  hyuer  la  viande  fur  des  fouyers  qui  fe 
portoient  lur  la  table;  &  auoyent  des  cuiiines  portatiues,  conie  l'en 
ai  //('//,  dans  lelquelles  tout  leur  leruice  le  traint)it  après  eux, 

Has  vobis  epulas  liabcte  lauti  ; 
20  Nos  offendiniur  ambulante  civiia. 

Et  en  eflé  ils  faifoyent  fouuent,  en  leurs  fales  baffes,  couler  de  l'eau 
frefche  &  claire  dans  des  canaus,  au  deffous  d'eux,  où  il  y  auoit 
force  poilTon  en  vie,  que  les  alfiftans  choififlbyent  &  prenoyent  en 
la  main  pour  le  faire  aprefter  chacun  à  sd  poste.  Le  poiffon  a  touliours 
25  eu  ce  priuilege,  comme  il  a  encores,  que  les  grans  le  niellent  de 
le  f^auoir  aprelkr  :  aulîi  en  ell  le  goull  beaucoup  plus  exquis  que 

Te.vte  88.  —   15)  donner  Ju  plailir  —  24)  à  fon  gouft  :  car  le  poiiron 


584  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

de  la  chair,  au  moins  pour  moy.  Mais,  en  toute  forte  de  magni- 
ficence, de  defbauche  &  d'inuentions  voluptueufes,  de  moliefle  &  de 
lumptuofité,  nous  faifons,  à  la  vérité,  ce  que  nous  pouuons  pour 
les  égaler,  car  noftre  volonté  efl  bien  auflî  gaftée  que  la  leur;  mais 
noftre  iuffifance  n'y  peut  arriuer:  nos  forces  ne  font  non  plus  capables  5 
de  les  ioindre  en  ces  parties  la  vitieufes,  qu'aux  vertueufes  :  car  les 
vues  &  les  autres  partent  d'vne  vigueur  d'efprit  qui  eftoit  fans 
comparaifon  plus  grande  en  eux  qu'en  nous;  &  les  âmes,  à  mefure 
qu'elles  font  moins  fortes,  elles  ont  d'autant  moins  de  moyen  de 
fiiire  ny  fort  bien,  ny  fort  mal.  10 

Le  haut  bout  d'entre  eux,  c'eftoit  le  milieu.  Le  deuant  &  derrière 
n'auoyent,  en  efcriuant  &  parlant,  aucune  fignification  de  grandeur, 
comme  il  fe  voit  euidemment  par  leurs  efcris  :  ils  diront  Oppius 
&  Cc-efiU-  auflî  volontiers  que  Caviar  &  Oppius,  &  diront  moy  &  toy 
indifféremment  comme  toy  &  mov.  Vovla  pourquoy  i'ay  autrefois  1 5 
remarqué,  en  la  vie  de  Flaminius  de  Plutarque  François,  vn  endroit 
où  il  femble  que  l'autheur,  parlant  de  la  ialoufic  de  gloire  qui  eftoit 
entre  les  vEtoliens  &  les  Romains  pour  le  gain  d'vne  bataille  qu'ils 
auoyent  obtenu  en  commun,  tace  quelque  pois  de  ce  qu'aux  chanfons 
Grecques  on  nommoit  les  ^Ltholiens  auant  les  Romains,  s'il  n'v  a  de  20 
l'Amphibologie  aux  mots  François. 

Les  Dames,  eftant  aux  eftuues,  y  receuoyent  quant  &  quant  des 
hommes,  &  fe  feruoyent  la  mefme  de  leurs  valets  à  les  frotter 
(iSc  oindre, 

Inguina  fucciiictus  nigra  tibi  feruus  aluta  25 

Stat,  quoties  calidis  nuda  foueris  aquis. 

Elles  fe  fliupoudrovent  de  quelque  poudre  pour  reprimer  les  fueurs. 
Les  anciens  Gault)is,  dict  Sidonius  ApoUinaris,  portovent  le  poil 
long  par  le  deuant,  ^i  le  derrière  de  la  tefte  tondu,  qui  eft  cette 
façon  qui  vient  à  cllre  reiu)uuclléc  par  rvfage  efteminé  ^\;  lâche  de     30 
ce  liecle. 


LIVRE      I,      CHAPITRE      XLIX.  385 

Les  Romains  payoient  ce  qui  eftoit  deu  aux  bateliers  pour  leur 
noUeage,  des  l'entrée  du  bateau;  ce  que  nous  faifons  après  eftre 
rendus  à  port, 

dum  as  exigitur,  duni  inula  ligatur', 
5  Tota  abit  hora. 

Les  femmes  couchovent  au  lict  du  col1;c  de  la  ruelle  :  voyla 
pourquoy  on  appelloit  Cx'tar  «  Ipondam  Régis  Nicomedis.  » 

Ils  prenoyent  aleine  en  beuuant.  Ils  baptiloient  le  vin,  B 

quis  puer  ocius 
10  Reftinguet  ardentis  falerni 

Pocula  praetereunte  lympha  ? 

Et  ces  champiflTes  contenances  de  nos  laquais  v  eftovent  aufli, 

O  lane,  à  tergo  quem  nuUa  ciconia  pinfit, 
Ncc  manus  auriculas  imitata  eft  mobilis  albas, 
15  Nec  lingua;  quantum  iitiet  canis  Apula  tantum. 

Les  Dames  Argienes  &  Romaines  portoyent  le  deuil  blanc,  comme 
les  noftres  auoient  accouftumé,  &  deuoyent  continuer  de  faire,  fi 
i'en  eftois  creu. 

Mais  il  y  a  des  Hures  entiers  faits  fur  cet  argument.  A 


Texte  88.  —  i)  leur  voiture,  des 

'     En   ça   L-cril  .Montaigne  à  droite  de  cette  fin  de  vers  imprimée  trop  à  gauche. 


Chapitre    L. 


DE     DEMOCRITVS     ET     HERACLITVS. 


Le  iugcment  eft  vn  vtil  à  tous  lubiects,  &  fe  mefle  par  tout.  A  cette 
caufe,  aux  effais  que  i'en  fay  ici,  i'y  employé  toute  forte  d'occalion. 
Si  c'eft  vn  fubiect  que  ie  n'entende  point,  à  cela  niefme  ic  l'ciïiiye, 
fondant  le  gué  de  bien  loing;  &  puis,  le  trouuant  trop  profond  pour 
ma  taille,  ie  me  tiens  à  la  riue  :  &  cette  reconnoiflance  de  ne  pouuoir  5 
pafler  outre,  c'eft  vn  traict  de  fon  effect,  voire  de  ceux  dequov 
il  fe  vante  le  plus.  Tantoft,  à  vn  fubiect  vain  &  de  néant,  i'eflaye 
voir  s'il  trouuera  dequoy  luy  donner  corps,  &  dequov  l'appuyer 
&  eftançonner.  Tantoft  ie  le  promené  à  vn  fubiect  noble  &  tracafle, 
auquel  il  n'a  rien  à  trouuer  de  foy,  le  chemin  en  eftant  l\  frayé  qu'il  10 
ne  peut  marcher  que  fur  la  pifte  d'autruy.  Là  il  fait  fon  icu  à  eilire 
la  route  quy  luy  femble  la  meilleure,  &,  de  mille  fentiers,  il  dict  que 
cettuy-cy,  ou  celuy  là,  a  efté  le  mieux  choili.  le  preiis  de  la  fortune  Je 


Texte  88.  —  9)  noble  &  fort  tracaffc  —  lo)  foy-mcfmc,  k-,..  iVavé  &  fi  b.itu, 
qu'il  —  13)  choifi.  Au  demeurant  ic  lailTe  la  fortune  me  fournir  les  fubiects,  d'autant 
qu'ils  me  font  également  bons  :  &  fi  n'entrcprens  pas  de  les  (p.  587, 1.  2.)  Dms  une  première 

correction  m.-muscritc  Mont.iigne  efface  d'autant  qu'  et  met  une  majuscule  i  ils.  Hn  même  temps  il 
remplace  bons  :  &  par  bons.  Et  et  il  efface  fi.  Du  reste  ces  corrections  qui  clicvanclieni  du  verso 
du  folio  125  :iu  r.'ctd  Jii  folio  126,  sont  extrêmement  confuses. 


LIVRE      1,      CHAPITRE      I..  387 

premier  (Vi^uiiicnt.  Ils  me  font  également  bons.  Et  ne  ilessei^^iie  iamais 
de  les  produire  entiers.  [Crtr  ie  ne  ti([v  le  tant  de  rien  :  Ne  font  pas,]  cens 
qui  promettent  de  nous  le  faire  noir.  De  eeni  membres  et  iiisages  qu'a 
ehaque  el.wse,  t'en  praus  un  taniost  a  leseher  sukmanl,  tantost  a  efflorer, 

S     et  par  fois  a  pinser  iusq[u'a\  l'os.  l'y  doue  une  poincle,  non  pas  Je  plus  ' 
largement,  mais  le  plus  profoudennint  que  ie  sçay.  Et  aime  plus  souuant 
a  les  sesir  par  quelque  lustre  inusité,  le  me  hasarderois  de  Iraieler  a  fous 
quelque  matière,  si  ie  me  eonessois  moins.  Semant  iev  un  moi,  icv  un  autre, 
esehantillons  despris  de  leur  pièce,  escarte:^,  .'sans  dessein  et  sans  promesse, 

to  ie  ne  suis  pas  tenu  d'en  faire  bon,  nv  de  m'y  tenir  nn>i  mesine  sans  naricr 
quand  il  me  plait;  et  me  randre  au  double  et  ineerlilude,  &  a  uni  maistresse 
forme,  qui  est  l'ignorance. 

Tout  nuviuemanl  nous  descouure'.  Cette  mefme  ame  de  Civfar,  qui 

liiXTE  S8.  —  2)  de  Ic^  traictcr  entiers  &  à  Ions  de  cuue  :  de  mille  vifages  qu'ils 
ont  chacun,  i'eu  prens  celuy  qu'il  me  plait  :  ie  les  f'aifis  volentiers  par  quelque  luftre 
extraordinaire  :  i'en  trieroy  bien  de  plus  riches  &  pleins,  fi  i'auoy  quelque  autre  fin 
propofée  que  celle  que  i'ay.  Toute  action  eft  propre  à  nous  faire  connoiftre  :  cette 
mefme  ame  (le  mot  entiers  a  été  effacé  puis  rétabli;  les  mots  &  a  fons  de  cuue  ont  été  effacés, 
rétablis,  puis  dérmitivement  effaces.} 

\'aR.  MS.  —  2)  En  s'aidant  de  ce  qui  reste  des  lettres  rognées  de  cette  ligne,  M.  (^agnleul 
conjecture  avec  beaucoup  de  vraisemblance  la  variante  suivante  :    pOS    guerc    tllieuS    quC     lltoy    ceilS 

—    3)    promelleiit  de  le  uoir  et  traicter.    De  mille  membres  et   uisages  qu'ils  ont   i'en 

1°  :  quelque  brin  .         ,,n    ,     ,  ,■  .  ^  •      • 

plans    r  ,     ,    ,        2:   a  cscorcber  et  t>ms(r  (0  teschcr  par    ois.  par  fois  piiisi-r 

'  ^   2°  :  un  iautost       -^  i  \  j  t      j        t       j       t 

iusques   au  sang,  sinon  te  plus  largement  que  ie  sçai  an  moins  le  f^lus  profondemant   et]  inte- 

rieuremant .  Et  aime  (1.  6.)  —   7)   quelque  poinct  inusité  plus  souuaui  4  de  mille  vifages 

qu'ils  ont  chacun,  i'en  prens  celuy  qu'il  me  plait,  et  n'en  dis  que  qu'autant  qu'il  me 

plait.  le  me  tiasarderois  par  fois  a  des  matières  riches  et  grattes  Ci  i'auoy  quelque  autre  fin 

propofée,  et  si  ie  nie  eonessois  moins.  Si  l'v  tumbe  c'est  acccssoirentant.  En  semant  icy  — 

8)  autre  Ese^hatiiillom  des  hors  de  leur  Iheme  —  9)  escarle^.  Sans  corps,  sans  preposilieu  ; 

ie  den  suis  pas  Umt  dessein  et  mus  promesse.  Partant  ne  suis  ie-  pas  tenu 

'  Pour  bien  marquer  le  raccord,  .Montaigne  écrit  deux  fois  cette  phrase  :  une  première  fois  dans  le 
corps  du  texte  de  1588  avant  Cette  mefmc  ame  et  il  orthograpliie  moUUement  ;  une  seconde  fois 
dans  la  marge  à  la  suite  de  l'addition  manuscrite  précédente.  (Voir  la  reproduction  phototypique  de  cette 
page  de  l'Exemplaire  de  Bordeaux  dans  Jullian,  Histoire  de  Bordeau.x,  in-4"',  Bordeaux,  1895,  p.  385.) 

'  En  corrigeant  cette  variante,  Montaigne  a  oublié  d'effacer  ce  IC;  aussi  lit-on  sur  le  ms.  te  ne 
SUIS  te,  le  premier  le  étant  ajouté  dans  l'interligne. 


388  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

ie  faict  voir  à  ordonner  &  dreffcr  la  bataille  de  Pharfale,  elle  fe  faict 
aufli  voir  à  drefler  des  parties  oyfiues  &  amoureufes.  On  iuge  vn 
cheual,  non  feulement  à  le  voir  manier  fur  vne  carrière,  mais  encore 
à  luy  voir  aller  le  pas,  voire  &  à  le  voir  en  repos  à  l'eftable. 

Entre  les  fumtions  de  l'aivc  il  en  est  de  basses  :  qui  ne  la  iioit  encores     5 
par  la,  n'acheue pas  de  laconoistre.  \Et^^  a  l'auantitre  la  remarque  l'on  miens 
ou  elle  ua  son  pas  simple.  Les  uans  des  passions  la  prenent  plus  en  ces  hautes 
assietes.  loint  qu'elle  se  couche  entière  sur  chaq^  nmtiere,  et  s'y  exerce  entière, 
et  n'en  trete  iamais  plus  d'uiw  [a]  la  fois.  Et  la  traicte,  mn  selon  elle, 
mais  selon  soy.  Les  choses  [a~\  par  elles  ont  peut  estre  leurs  pois  et  mesures  et     10 
conditions;  mais  au  dedans,  en  nous,  elle  [les]  leur  taille  corne  elle  l'entant. 
La  mort  est  effroiahle  a  Ciceron,  désirable  a  Caton,  iruiifferante  a  Socrates. 
La  santé,  la  consciance,  l'authorite,  la  sciance,  la  richesse,  la  beauté  et  leurs 
contrcres  se  despouillent  a  l'entrée,  et  reçoiiœnt  de  l'anu:  nouuelle  uesture, 
et  [ài\  la  teinture  qu'il  luy  plait  :  brune,  uerte,  clere,  obscure,  aigre,  douce,     15 
profonde,  superficielle,  et  qu'il  plait  a  chacune  d'elles  :  car  elles  n'ont  pas 
uerifie  en  commun  leurs  stilles,  /rj^'^/n"  et  formes  :  chacune  est  roinc  en  son 
•estât.  Parquoi  ne  prenons  plus  excuse  des  externes  qualité:^  des  clmses  :  c'est 
a  nous  a  nous  en  rendre  conte.  Nostre  bien  et  nostre  nml  ne  tient  qu'a  nous. 
Offrons  y  )U)s  offrandes  et  nos  mus,  non  pas  a  la  fortune  :  elle  ne  peut  rien     20 
sur  nos  meurs  :  au  rebours,  elles  l'entreinent  a  leur  suite,  et  la  moulent 
a  leur  forme.  Pourquoi  ne  iugcrai  ie  d'Alexandre  a  table,  deuisant  et 
heuuant  d'autant;  ou  s'il  manioit  des  eschet:^.  Quelle  corde  de  son  esperit 
■  m  touche  et  n'emploie  ce  niais  et  puerille  ieu.  le  le  bai  et  fuis,  de  ce  qu'il 
n'est  pas  asses  ieu,  et  qu'il  nous  esbat  trop  serieusemant,  ayant  honte  d'\     25 
fournir  l'attantion  qui  suffiroit  a  quelque  bom  chose.  Il  ne  fut  pas  plus 
enbesotiigné  a  dresser  son  glorieus  passage  aus  Indes;  ny  cet  autre,  a  desnouer 
un  passage  du  quel  despant  le  salut  du  genre  humain.  Foies  combien  nostre 


Var.  ms.  —  2)  amoureufes  :  et  n'est  non  plus  ouuerte  et  entière  a  faire  les  aproches 
d'un  siège  qu'a  un  ieu  d'esche^  ou  autre  pareil  ieu  de  son  usage  :  On  iuge  —  7)  pas.  Les 
—  8)  matière  :  et  n'en  trete  —  15)  luy  brune  utrle  (kre  (j/wm«  uigre  dcufe  pp«fe»de 
superficielle  —  17)  chacune  roiite  —  23)  ou  maniant  des 


LIVRE      I,      CHAPITRE     L.  389 

aine  >;rossit  li  cspcssil  ccl  tuiiiisfnunil  ridicule;  si  lotis  ses  nerfs  ne  kindenl; 
combien  (iniplenianl  elle  doue  u  chacun  loi  en  cela,  de  se  eonoistre,  et  de 
iiii^H-r  droicleniant  de  soi.  le  ne  nie  iiois  cl  retasle  plus  uniiiersellcmanl  en 
null'  autre  posture.  Quelle  passion  ne  nous  v  exerce?  la  cholere,  le  despit, 
)  la  heine,  l'inipatiance  et  une  ueheniante  anihition  de  ueincre,  en  chose  en 
la  quelle  il  seroll  plus  excusable  d'est re  âbilieus  d'estre  ueincu.  Car  la 
prarel lance  rare  et  audessus  du  commun  messict  a  vn  home  d'honur  en 
clx)sc  friuole.  Ce  que  ie  dis  en  cet  exaniple,  se  peut  dire  en  tous  autres  : 
clmp, parcelle,  chaque  occupation  [de  l'home  l'accuse  |  et  le  montre  esgallemant 

10     qu'un'  autre. 

Dcmocritus  &  HcraclyUis  ont  elle  deux  philofophes,  defquels  le 
premier,  trouuant  vainc  &  ridicule  riuiniaine  condition,  ne  ibrtoit 
en  public  qu'auec  vn  vilage  mocjueur  &  riant;  Heraclitus,  avant  pitié 
&  compadion  de  cette  melmc  condition  noftre,  en  portoit  le  vifagc 

15     continuellement  atrifté,  &  les  yeux  chargez  de  larmes, 

alter 
Ridebat,  quoties  à  limine  mouerat  vnum 
Protuleràtque  pedeni;  flebat  contrarius  alter. 

l'ayme  mieux  la  première  humeur,  non  par  ce  qu'il  ell  plus  plaifant 
20  de  rire  que  de  pleurer,  mais  par  ce  qu'elle  cil:  plus  deldaigneule, 
&  qu'elle  nous  condamne  plus  que  l'autre  :  &  il  me  lemble  que  nous 
ne  pouuons  iamais  eftre  allez  melprilez  lelon  noftre  mérite.  La  plainte 
&  la  commileration  font  niellées  à  quelque  ellimation  de  la  chofe 
qu'on  plaint;  les  choies  dequov  on  le  moque,  on  les  ellime  fans 
25  pris,  le  ne  penle  point  qu'il  y  ait  tant  de  malheur  en  nous  comme 
il  y  a  de  vanité,  ny  tant  de  malice  comme  de  fotile  :  nous  ne 
lommes  pas  si  pleins  de  mal  comme  d'inanité;  nous  ne  lommes  pas 

Texte  88.  —  21)  nous  accufe  plus  —  24)  eftimc  vaincs  &  fans  —  27)  fommes 
pas  tant  pleins...  pas  tant  mifcrablcs 

V'ar.  ms. —  5)  de  un  siirtmmler,  en  —  6)  âhilieuf  de  perdre.  Car  —  10)  autre. 
Otrniin  omiiiuw  rerum  '•••! 


390  .  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

si  mifcrablt'S  comme  nous  fommcs  viles.  Ainfi  Diogenes,  qui  bague- 
naudoit  apart  foy,  roulant  fon  tonneau  &  hochant  du  nez  le  grand 
Alexandre,  nous  eftimant  des  mouches  ou  des  veflies  pleines  de 
vent,  eftoit  bien  iuge  plus  aigre  &  plus  pouignant,  &  par  conséquent 
plus  iufte,  à  mon  humeur,  que  Timon,  celuy  qui  fut  furnomme  5 
le  haifleur  des  hommes.  Car  ce  qu'on  hait,  on  le  prend  à  cœur. 
Cettuy-cy  nous  fouhaitoit  du  mal,  eftoit  paflîonné  du  delir  de  noftre 
ruine,  fuioit  noftre  conuerfation  comme  dangereufe,  de  mefchans 
&  de  nature  deprauée;  l'autre  nous  eftimoit  fi  peu  que  nous  ne 
pourrions  ny  le  troubler  ny  l'altérer  par  noftre  contagion,  nous  ro 
laiflbit  de  compagnie,  non  pour  la  crainte,  mais  pour  le  defdain 
de  noftre  commerce  :  il  ne  nous  eftimoit  capables  nv  de  bien,  ny 
de  mal  faire. 

De  mefme  marque  fut  la  refponce  de  Statilius,  auquel  Brutus 
parla  pour  le  ioindre  à  la  confpiration  contre  Qtfar  :  il  trouua  15 
l'entreprinie  iufte,  mais  il  ne  trouua  pas  les  hommes  dignes  pour 
Iclquels  on  ie  mit  aucunement  en  peine  :  coiifoninriiiciil  a  la  discipline 
•de  Hegesias  qui  disait  le  sage  ne  deiioir  rien  faire  que  pour  sov  :  \d]'autant 
que  sul  il  est  digne  pour  qui  on  face;  {ei\  a  eelle  de  Theodorus,  que  c'est 
iniustice  que  le  sage  se  hasarde  pour  \le]  bien  de  son  pn'is,  et  qu'il  mette  en  20 
péril  la  sagesse  pour  des  fols. 

Nostre  propre  et  peculiere  condition  est  autant  ridicule  que  risihle. 


Texte   88.  —    5)    Lllilliant  Ircllous  des    Av.mi  JVtr.Kcr  treftous,    Montaigne  iest  contente 

d'effacer  trcf  —  4)  &  plus  piquant,  &  par 

Var.  ms.  —  17)  peine.  Nostre  (l.  22.)  —  iS)  tt  'aulaiil  i"  :  qu'il  n'y  a  que  luy 
qui  mérite  qu'on  face  pour  luy  Nostre  2"  :  que  sut  il  mérite  qu'on  face  pour  luy  Nostre 
—  20)  sage  hasarde  sa 


Chapitre    LI. 


DE     LA     VANIT1-:     DES     PAROLES. 


Vn  Rhctoricicn  du  temps  pa(Té  difoit  que  Ion  nieftier  cftoit, 
de  choies  petites  les  faire  paroiftre  &  trouuer  grandes.  Cci\  \n' 
cordonnier  qui  Içait  faire  de  grands  louliers  à  vn  petit  pied.  On  luy 
eut  taict  donner  le  fouet  en  Sparte,  de  faire  profefTion  d'vn'  art 

5  piperefTe  .i^  menfongere.  Et  crov  que  Archidamus,  qui  en  elloit  Roy, 
n'ouit  pas  fans  eftonnenient  la  refponce  de  Thucidide/:,  auquel 
il  s'enqueroit  qui  elloit  plus  fort  à  la  luicte,  ou  Pericles  ou  luy  : 
Cela,  fit-il,  feroit  nial-ayfé  à  vérifier;  car,  quand  ie  fay  porté  par 
terre  en  luictant,  il  perfuade  à  ceux  qui  l'ont  veu  qu'il  n'eft  pas 

10  tombé,  &  le  gaigne.  Ceux  qui  mafquent  &  fardent  les  temmes,  font 
moins  de  mal;  car  c'efi;  chofe  de  peu  de  perte  de  ne  les  voir  pas  en 
leur  naturel;  là  où  ceux-cy  font  eûat  de  tromper,  non  pas  nos  yeux, 
mais  noftre  iugement,  &  d'abaftardir  &  corrompre  l'eflence  des  choies. 
Les  republiques  qui  fe  font  maintenues  en  vn  eftat  réglé  &  bien 

15  policé,  comme  la  Cretenfe  ou  Lacedemonienne,  elles  n'ont  pas  laict 
grand  compte  d'orateurs. 

Arision  dcfiiiit  siif^t'iinll  la  rh'torujiw  :  sciaiice  a  pcruiiukr  le  peuple; 

'     C'cft  vn...    pied.    aJdilion  de  1588. 


392  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

Socrates,  Platon,  art  de  tromper  et  de  flater;  et  cens  qui  le  nient  en  la 
générale  description,  le  uerijient  par  tout  en  leurs  préceptes. 

Les  nmhunietans  en  defandoit  l'instruction  a  leurs  enfans,  pour  son 
inutilité. 

Et  les  Athéniens,  s'aperceuens  combien  son  usage  qui  auoit  tout  crédit     5 
(7/  leur  uille,  estoit  pernicieus,  ordonarent  que  sa  principale  partie,  qui  est 
emouuoir  les  ajfections,  en  Jut  ostee  ensawhlc  les  exordes  et  perorations. 

C'eft  vn  vtil  inuenté  pour  manier  &  agiter  vne  tourbe  &  vne 
commune   deireiglée,   &  est    vtil   qui   ne  s'emplove   qu'aux   ertats 
malades,   comme   la   médecine;   en   ceux  où    le   uulguere,   où    les     10 
ignorans,  où  tous  ont  tout  peu,  comme  celuy  d'Athènes,  de  Rhodes 
&  de  Rome,  &  où  les  chofes  ont  efté  en  perpétuelle  tempefte,  là  ont 
ajjlué  les  orateurs.  Et,  à  la  vérité,  il  fe  void  peu  de  perfonnages,  en 
ces  republiques  là,  qui  fe  foient  pouffez  en  grand  crédit  fans  le  fecours 
de  l'éloquence  :    Pompeius,   Caefar,   Craffus,   Lucullus,   Lentulus,     15 
Metellus  ont  pris  de  la  leur  grand  appuy  à  fe  monter  à  cette  grandeur 
d'authorité  où  ils  lont  en  fin  arriuez,  lïc  s'en  font  avdez  plus  que  des 
armes  :  contre  l'opinion  des  meilleurs  temps.  Car  L.  Volumnius,  parlant  en 
puhliq  en  faneur  de  l'élection  au  côsulat  faicte  des  persanes  de  Q.  Fabius 
&  P.  Decius  :  Ce  sont  gens  nais  a  la  guerre,  grans  ans  efaicts;  au  conduit     20 
du  babil,  rudes  :  esperits  uraiement  consuleres;  les  subtils,  eloquans  et  sçauans 
sont  bons  pour  la  uille,  prœturs  a  faire  iustice,  dict  il. 

l'éloquence  a  fleury  le  plus  a  Rome,  lors  que  les  affiiires  ont  efté 


Texte  88.  —  10)  ceux  où  le  peuple,  où  les  —  12)  là  ont  foifonné  les  — 
18)  armes.  On  remarque  auffi  que  l'art  d'éloquence  (I.  2;.) 

Var.  ms.  —  i)  Platon  Celsus  Jll.'œiwus  art  —  2)  préceptes.  Socrates  disait  sa  fui 
11' estre  qu'adulation.  Cii^  —  4)  inutilité  conie  Postel  escrit.  C'cfi  —  6)  que  la  principale 
—  18)  temps.  La  sciance  et  le  bien  dire  on  l'assignait  ans  iuges  &  praiurs  :  ans  consuls  la 
uerlii  &  le  bien  faire  :  L.  Volumnius  consul  parlant  —  20)  Decius  :  Esse  p>^  prxterea 
uiros  natos  militiœ,  faclis  magnos  ad  uerharù  linguœ  que  ccrtaniina  rudes  :  ea  ingénia  consu- 
laria  esse  :  callidos  salertesque,  iuris  atque  elaquentia'  consultas  urhi  acforo  pnvsides  hahendos, 
prœioresque  ad  reddenda  iura  creandos  esse.  On  remarque  aufli  que  l'art  d'éloquence  — 
20)  guerre  propres  aus  —   21)  esperits  consuleres  —  22)  iustice  /.'éloquence 


LIVRE     I,     CHAPITRE     LI.  393 

en  plus  mauuais  cftat,  .S:  que  l'orage  des  guerres  ciuiles  les  agitait  : 
comme  vn  champ  libre  it  indompté  porte  les  herbes  plus  gaillardes. 
11  femble  par  là  que  les  polices  qui  dépendent  d'vn  monarque,  en 
ont  moins  de  befoin  que  les  autres  :  car  la  beftife  &  facilité  qui 
5  fe  trouue  en  la  commune,  &  qui  la  rend  fubiectc  à  eftre  maniée 
&  contournée  par  les  oreilles  au  doux  l'on  de  cette  harmonie,  fans 
venir  à  poifer  &  connoiftre  la  vérité  des  choies  par  la  force  de  la 
raifon,  cette  facillité,  dis  ic,  ne  le  trouue  pas  li  aifément  en  vn  feul; 
&  eft  plus  ailé  de  le  garcntir  par  kvic  iusiitulion  et  bon  confeil  de 

10  l'impreflion  de  cette  poifon.  On  n'a  pas  veu  iortir  de  Macédoine,  ny 
de  Perfe,  aucun  orateur  de  renom. 

l'en  ay  dict  ce  mot  iur  le  fubiect  d'vn  Italien  que  ie  vien  d'entre- 
tenir, qui  a  feruv  le  feu  Cardinal  Carafte  de  maiftre  d'holU-l  iufques 
à  fa  mort,  le  luy  taifoy  compter  de  la  charge.  Il  m'a  fait  vn  difcours 

I  )  de  cette  fcience  de  gueule  auec  vne  grauité  &  contenance  magiftrale, 
comme  s'il  m'euft  parlé  de  quelque  grand  poinct  de  Théologie. 
II  m'a  dechifré  \ne  différence  à\ippctis  :  celuy  qu'on  a  à  ieun,  qu'on 
a  après  le  fécond  &  tiers  leruice;  les  moyens,  tantoll  de  luy  plaire 
fimplement,  tantoft  de  l'eueiller  &  picquer;  la  police  de  fes  fauces, 

20  premièrement  en  gênerai,  &  puis  particulariiant  les  qualitez  des 
ingrediens  c\;  leurs  effects;  les  différences  des  lalades  félon  leur 
faifon,  celle  qui  doit  eftre  refchaufée,  celle  qui  veut  eftre  feruie 
froide,  la  façon  de  les  orner  &  embellir  pour  les  rendre  encores 
plaifantes  à  la  veuë.  Apres  cela,  il  eft  entré  fur  l'ordre  du  leruice, 

25     plein  de  belles  6v  importantes  confiderations, 

nec  niinimo  fane  difcriniine  refert 
Quo  geftu  lepores,  &  quo  i^allina  fecetur. 

Et  tout  cela  enflé  de  riches  &  magnifiques  parolles,  &  celles  mcfmes 


Texte  8S.  —    i)    les  a  agitez  :  comme   —    3)  les  eftais,  qui   —    17)    différence 
de  goufts  :  celuv 


394  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

qu'on  employé  à  traiter  du  gouuernement  d'vn  Empire.  Il  m'eft 
fouuenu  de  mon  homme  : 

Hoc  falfum  eft,  hoc  aduftum  eft,  hoc  lautum  eft  parum, 

Illud  rectè;  iterum  fie  mémento;  fedulo 

Moneo  qux  poflum  pro  mea  fapientia.  5 

Poftremo,  tanquam  in  fpeculum,  in  patinas,  Demea. 

Infpicere  iubeo,  &  moneo  quid  focto  vfus  fit. 

Si  eft-cc  que  les  Grecs  mefmes  louèrent  grandement  l'ordre  &  la 
difpofition  que  Paulus  ^Emilius  ohlerua  au  feftin  qu'il  leur  iit  au 
retour  de  Macédoine;  mais  ie  ne  parle  point  icy  des  effects,  ie  parle     10 
des  mots. 

le  ne  Içay  s'il  en  aduient  aux  autres  comme  à  moy;  mais  ie  ne 
me  puis  garder,  quand  i'oy  nos  architectes  s'enfler  de  ces  gros  mots 
de  pilaftres,  architraues,  corniches,  d'ouurage  Corinthien  &  Dorique, 
&  femblables  de  leur  iargon,  que  mon  imagination  ne  fe  faififle  15 
incontinent  du  palais  d'Apolidon;  &,  par  eftect,  ie  trouue  que  ce  font 
"les  chetiues  pièces  de  la  porte  de  ma  cuifine. 

Oyez  dire  metonomie,  métaphore,  allégorie,  &  autres  tels  noms 
de  la  grammaire,  Icmble-il  pas  qu'on  lignifie  quelque  forme  de 
langage  rare  &  pellegrin?  Ce  font  titres  qui  touchent  le  babil  de     20 
voflre  chambrière. 

C'eft  vne  piperie  voifine  à  cettecy,  d'appeller  les  offices  de  noilre 
eftat  par  les  titres  luperbes  des  Romains,  encore  qu'ils  n'avent 
aucune  reflemblance  de  charge,  (!^  encores  moins  d'authorité  &  de 
puilTance.  Et  cette-cy  auffi,  qui  feruira,  à  mon  aduis,  vn  iour  de  25 
tefmoignage  d'vne  fînguliere  iiieplic  de  noflre  fiecle,  d'employer 
indignement,  à  qui  bon  nous  lemble,  les  furnoms  les  plus  glorieux 
dequoy  l'ancienneté  ait  honoré  vn  ou  deux  perfonnages  en  plufieurs 


Texte  88.  —   26)    fînguliere  vanité  di'...    d'employer  vainement  iS:  fins  confule- 
ration  à  qui 


LIVRH      I,      C.HAIMTRl;      II.  593 

ficcIes.  Platon  a  cin}iortc  ce  l'urnom  de  diuiii  par  vn  confentement 
viiiucrrd,  que  aucun  n'a  effayé  luy  enuier;  &  les  Italiens,  qui  fe 
vantent,  &  auecques  railon,  d'auoir  communément  l'efprit  plus 
efueillé  &  le  dilcours  plus  fain  que  les  autres  nations  de  leur  temps, 

5  en  viennent  d'eftrener  l'Aretin,  auquel,  lauf  vne  façon  de  parler 
bouffie  6c  bouillonnée  de  pointes,  ingenieules  à  la  vérité,  mais 
recherchées  de  loing  &  fantafques,  (S;  outre  l'éloquence  en  fin, 
telle  qu'elle  puifTe  eftre,  ie  ne  vov  pas  qu'il  y  ait  rien  au  dessus  des 
communs  autheurs  de  fon  fiecle;  tant  s'en  faut  qu'il  approche  de 

10  cette  diuinité  ancienne.  Et  le  furnom  de  grand,  nous  l'attachons 
à  des  Princes  qui  n'ont  rien  au  deffus  de  la  grandeur  popiilcrc. 


Texte  88.  —  11)  n'ont  eu  rien...  grandeur  commune. 


Chapitre    LU. 


DE    LA     PARSliMONIE     DES    ANCIENS. 


Attilius  Regulus,  gênerai  de  l'armée  Romaine  en  Afrique,  au 
milieu  de  fa  gloire  &  de  fes  victoires  contre  les  Carthaginois, . 
efcriuit  à  la  chofe  publique  qu'vn  valet  de  labourage  qu'il  auoit 
laifle  feul  au  gouuernement  de  fon  bien,  qui  eftoit  en  tout  fept 
arpents  de  terre,  s'en  efloit  enfuy,  ayant  defrobé  fes  vtils  de  labou-  5 
rage,  &  demandoit  congé  pour  s'en  retourner  &  y  pouruoir,  de  peur 
que  fa  femme  &  fes  enfans  n'en  enflent  à  fouff^rir  :  le  Sénat  pourueut 
à  commettre  vn  autre  à  la  conduite  de  fes  biens  &  luy  fift  reftablir 
ce  qui  luy  auoit  efté  defrobé,  &  ordonna  que  fa  femme  &  enfans 
feroient  nourris  aux  defpens  du  public.  10 

Le  vieux  Caton,  reuenant  d'Efpaigne  Conful,  vendit  fon  cheual 
de  feruice  pour  efpargner  l'argent  qu'il  eut  coûté  à  le  ramener  par 
mer  en  Italie;  &,  eftant  au  gouuernement  de  Sardaigne,  faifoit  fes 
viiîtations  à  pied,  n'ayant  auec  luy  autre  fuite  qu'vn  officier  de  la 
choie  publique,  qui  luy  portoit  fa  robbe,  (S;  vn  vafe  à  f^iire  des  15 
ûicrifices;  &  le  plus  fouuent  il  pourtoit  fa  maie  luy  mefme.  Il  fe 
vantoit  de  n'auoir  iamais  eu  robbe  qui  euft  courte  plus  de  dix  efcus, 
ny  auoir  enuoyé  au  marché  plus  de  dix  fols  pour  vn  iour;  &,  de 
fes  maifons  aux  champs,  qu'il  n'en  auoit  aucune  qui  fut  crépie 

Texte  88.  —  14)  que  d'vn 


LIVRE      I,      CHAPITRE      LU.  ^97 

&  enduite  par  dehors.  Scipion  iiimilianus,  après  deux  triomphes 
&  deux  Conlulats,  alla  en  légation  auec  fept  feruiteurs  feulement. 
On  tient  qu'Homère  n'en  euft  iamais  qu'vn;  Platon,  trois;  Zenon, 
le  chef  de  la  fccte  Stoique,  pas  vn. 

11  ne'  tut  taxé  que  cinq  lois  cV  demv,  pour  iour,  à  Tvberius 
Gracchus,  allant  en  commiflion  pour  la  chofe  publique,  eftant  lors 
le  premier  homme  des  Romains. 


'      Il  ne...    Romains.   Dans  l'éJition  de  i  ,X8  celte-  plir.isc  était  pLicic  entre   leuleniCIlt    cl    On 
tient    (ï.  2  cl   3.)  Montaigne,  d.ins  l'Exemplaire  de   Bordeaux,  reni'ernie  entre  crochets,  cl  écrit  dans  la 

marge  :  Mellei  celle  clause  enfermée,  a  la  fin  du  chapitre. 


Chapitre    LUI. 


D  VN     MOT     DE     CitSAR. 


Si  nous  nous  amufions  par  fois  à  nous  confiderer,  &  le  temps 
que  nous  mettons  à  contreroller  autruy  &  à  connoiftre  les  chofes 
qui  font  hors  de  nous,  que  nous  l'emploiflîons  à  nous  fonder 
nous  mefmes,  nous  fentirions  aifément  combien  toute  cette  noftre 
contexture  eft  baftie  de  pièces  foibles  &  défaillantes.  N'eft-ce  pas  5 
vn  fmgulier  tefmoignage  d'imperfection,  ne  pouuoir  r'aflbir  noflre 
contentement  en  aucune  chofe,  &  que,  par  defir  mefme  &  imagi- 
nation, il  foit  hors  de  noflre  puiflance  de  choifir  ce  qu'il  nous  faut? 
Dequoy  porte  bon  tefmoignage  cette  grande  dilpute  qui  a  toufiours 
efté  entre  les  Philofophes  pour  trouuer  le  louuerain  bien  de  l'homme,  10 
«Se  qui  dure  encores  &  durera  éternellement,  ians  refolution  &  fans 
accord  : 

duni  aheft  iiuod  auennis,  id  cxuperare  videlur 
Cittera;  poft  aliud  cùm  contigit  illud  auenius, 
Et  fuis  ivqua  tenet.  15 

Quoy  que  ce  foit  qui  tombe  en  noftre  connoifTimce  &  ioutdance, 
nous  fentons  qu'il  ne  nous  latistaict  pas,  &  allons  béant  après  les 
chofes  aduenir  6c  inconnues,  d'autant  que  les  prelentes  ne  nous 

Texte  88.  —  6)  imperfection,  de  ne  —  9)  grande  &  noble  difpute 


LIVRE      I,      CHAPITRE      LUI.  399 

foulent  point  :  non  pas,  à  mon  aduis,  qu  elles  n'avent  afTez  dequoy 
nous  louler,  mais  c'eft  que  nous  les  lailllTons  d\ne  prife  malade 
&  defregléc, 

Nam,  ciim  vidit  hic,  ad  vfum  qu;t  flagitat  vfus, 
5  Omnia  iani  ferme  mortalibiis  elle  parata, 

Diuitiis  homines  &  honore  &  laude  potentes 
Affluere,  atque  bona  natoriiin  excellere  fama, 
Nec  minus  elle  domi  cuiquam  tamen  anxia  corda, 
Atque  animum  infeftis  cogi  feruire  querelis  : 
10  Intellexit  ibi  vitium  vas  efficere  ipfum, 

Omnidque  illius  vitio  corrumpier  intus, 
Qu;c  collata  foris  &  commoda  qu;vque  venirent. 

Noftrc  appétit  eft  irrelolu  &  incertain  :  il  ne  Içait  rien  tenir,  ny  rien 
iouyr  de  bonne  façon.  L'homme,  ertimant  que  ce  foit  le  vice  de  ces 
1 5  chofes,  ie  remplit  ^:  le  paift  d'autres  chofes  qu'il  ne  fçait  point 
&  qu'il  ne  cognoit  point,  où  il  applique  fes  defirs  &  fes  efperances, 
les  prend  en  honneur  &  reuerence  :  comme  dict  Caefar,  «  communi 
fit  vitio  naturœ  vt  inuifis,  latitantibus  atque  incognitis  rébus  magis 
confidamus,  vehementiùfque  exterreamur.  » 


Texte  88.  —  13)  Noftre  gouft  eft  —  19)  exterreamur.  Il  fe  fait  par  vn  vice 
ordinaire  de  nature,  que  nous  ayons  &  plus  de  fiance,  &  plus  de  crainte  des  chofes, 
que  nous  n'auons  pas  veu,  &  qui  font  cachées  &  inconnues.  Passage  biflé  par  Montaigne 

de  quatre  barres  transversales. 


Chapitre    LIV. 


DES    VAINES    SVBTILITEZ. 


Il  eft  de  ces  lubtilitez  friuolcs  &  vaines,  par  le  moven  defquelles 
les  hommes  cherchent  quelquesfois  de  la  recommandation  :  comme 
les  poètes  qui  font  des  ouurages  entiers,  de  vers  commençans  par 
vne  mefme  lettre  :  nous  voyons  des  œufs,  des  boules,  des  aifles, 
des  haches  façonnées  anciennement  par  les  Grecs  auec  la  mefure  5 
■de  leurs  vers,  en  les  alongeant  ou  accourfiffant,  en  manière  qu'ils 
viennent  à  reprél'enîer  telle  ou  telle  figure.  Telle  eftoit  la  fcience 
de  celuy  qui  s'amufii  à  conter  en  combien  de  fortes  fe  pouuoient 
renger  les  lettres  de  l'alphabet,  &  y  en  trouua  ce  nombre  incroiable 
qui  fe  void  dans  Plutarque.  le  trouue  bonne  l'opinion  de  celuv  10 
à  qui  on  prefenta  vn  homme  apris  à  ietter  de  la  main  vn  grain  de 
mil  auec  telle  induftrie  que,  fans  faillir,  il  le  pafToit  toufiours  dans 
le  trou  d'vne  efguille,  &  luy  demanda  l'on,  après,  quelque  prefent 
pour  loyer  d'vne  fi  rare  fuffifance  :  furquov  il  ordonna,  bien  plai- 
famment,  &  iufiement  à  mon  aduis,  qu'on  fit  donner  à  cet  ouurier  15 
deux  ou  trois  niinots  de  mil,  atfin  qu'vn  fi  bel  art  ne  demeurafi 
fans  exercice.  C'ert  vn  tefmoignage  mcnicilkus  de  la  foiblefle  de 
nollre  iugement,   qu'il   recommande   les   chofes   par   la   rareté   ou 

I'extk  SS.  —   18)  iugement,  de  icconinuiuler  les 


LIVRE     I,     CHAPITRE     LIV.  4OI 

nouuelleté,  ou  encore  par  la  difficulté,  li  la  bonté  &  vtilité  n'y  font 
ioinctes. 

Nous  venons  prefentement  de  nous  iouër  chez  nioy  à  qui  pourroit 
trouuer  plus  de  chofes  qui  le  tiennent  par  les  deux  bouts  extrêmes  : 
5  comme  Sire,  c'eft  vn  tiltre  qui  fc  donne  à  la  plus  efleuée  perfonne 
de  noftre  eftat,  qui  eft  le  Roy,  &  le  donne  aullî  au  vulgaire,  comme 
aux  marchans,  &  ne  touche  point  ceux  d'entre  deux.  Les  femmes 
de  qualité,  on  les  nomme  Dames;  les  movennes,  Damoifelles; 
&  Dames  encore,  celles  de  la  plus  balTe  marche. 

10  Les  dez  qu'on  eftend  fur  les  tables,  ne  font  permis  qu'aux  maifons 
des  princes  &  aux  tauernes. 

Democritus  diloit  que  les  dieux  &  les  belles  auoient  les  fentimens 
plus  aiguz  que  les  hommes,  qui  font  au  moyen  eftage.  Les  Romains 
portoient  mefme  accoutrement  les  iours  de  deuil  &  les  iours  de 

1 5  lefte.  Il  eft  certain  que  la  peur  e.xtreme  &  l'extrême  ardeur  de  courage 
troublent  également  le  ventre  &  le  lafchent. 

Le  suiibriquel  de  tremblant,  du  quel  le  12  Roy  de  Nauarre,  Sancho,  fut 
surnome,  aprant  que  la  hardiesse  aussi  bien  que  la  peur  font  Iresmousser 
nos  membres.  Et  eeluv  a  qui  ses  ians  qui  l'armoint,  uoiant  frissoner  la 

20  peau,  s'essaioint  de  le  r' assurer  en  apetissant  le  hasard  au  quel  il  s'aloit 
presanter,  leur  dict  :  Vous  me  conesses  mal.  Si  ma  cher  sçauoit  ou  mon 
corage  la  portera  tantost,  elle  s'en  tràsiroit  tout  a  plat. 

La  foiblefle  qui  nous  vient  de  froideur  et  defgoutement  aux 
exercices  de  Venus,  elle  nous  vient  auffi  d'vn  appétit  trop  véhément 

2)  &  d'vne  chaleur  defreglée.  L'extrême  froideur  &  l'extrême  chaleur 
cuifent  &  rotiffent.  Ariftote  dict  que  les  cueus  de  plomb  fe  fondent 
&  coulent  de  froid  &  de  la  rigueur  de  l'hyuer,  comme  d'vne  chaleur 
véhémente.  Le  désir  et  la  satietc  remplissent  de  dolur  les  sièges  audessus 
et  audessous  de  la  uolupte.  La  beftife  &  la  fagefle  fe  rencontrent  en 

Var.  ms. —  17)  Lemulili  —  18)  suriwme  nous  apraiil...  font  frissoner  et  treniwusscr 
—  19)  frissoner  lii  f>e4tu  le  corps  s'essaioint  —  20)  r'tissurer  et  —  22)  tout  a  fiiicl.  La  — 
28)    vchcniciili.-.  I. Il  soif  et  lu 


402  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

mefme  point  de  sentiment  &  de  relolution  à  la  fouffrance  des  accidens 
humains  :  les  Sages  gourmandent  .^  commandent  le  mal,  &  les 
autres  l'ignorent  :  ceux-cy  font,  par  manière  de  dire,  au  deçà  des 
accidens,  les  autres  au  delà;  lel quels,  après  en  auoir  bien  poifé 
&  confideré  les  qualitez,  les  auoir  melurez  &  iugez  tels  qu'ils  l'ont,  5 
s'eflancent  au  delîus  par  la  torce  d'vn  vigoureux  courage  :  ils  les 
defdaignent  &  foulent  aux  pieds,  ayant  vne  ame  forte  &  folide, 
contre  laquelle  les  traicts  de  la  fortune  venant  à  donner,  il  eft  force 
qu'ils  reialiflent  &  s'émoufTent,  trouuant  vn  corps  dans  lequel  ils 
ne  peuuent  faire  impreflion  :  l'ordinaire  &  movenne  condition  des  10 
hommes  loge  entre  ces  deux  extremitez,  qui  eft;  de  ceux  qui  apper- 
çoiuent  les  maux,  les  sentent,  6v  ne  les  peuuent  fupporter.  L'enfance 
&  la  décrépitude  le  rencontrent  en  imbécillité  de  cerueau;  l'auarice 
&  la  profulion,  en  pareil  defir  d'attirer  &  d'acquérir. 

Il  fe  peut  dire,  auec   apparence,  qu'il  y  a  ignorance  aheeedere,  qui     15 
ua  deucint  la  scianee,   un' autre,  doctorale,  qui  nient  après  la  sciance  : 
ignorance  que  la  sciance  faict  et  engendre,  tout  aisi  corne  elle  desfaict  et 
'  destruit  la  première. 

Des  elprits  fimples,  moins  curieux  &  moins  instruits,  il  s'en  fliict 
de  bons  Chreftiens  qui,  par  reuerence  &  obeifTance,  croient  simplement  20 
&  fe  maintiennent  loubs  les  loix.  En  la  movenne  vigueur  des  efprits 
&  moyenne  capacité  s'engendre  l'erreur  des  opinions  :  ils  fuvuent 
l'apparence  du  premier  iens,  &  ont  quelque  tiltre  d'interpréter  à 
fimplicité  &  hcstise,  de  nous  voir  arrefter  en  l'ancien  train,  regardant 

Texte  88.  —  i)  point  de  gouft  &  de  refolution  —  12)  maux,  les  gouftent,  &  ne 
—  15)  apparence,  que  des  efprits  —  19)  moins  fçauans,  il  —  22)  moyenne  fciLiice, 
s'engendre  —  24)  &  ignorance,  de 

^'AR.  Ms.  —  1 5)  apparence  1°  :  que  l'infime  estage  est  le  giste  de  l'igiioratice  le 
secoiit  de  la  sciance.  Le  suprême  de  l'ignorance  encores.  Et  se  peut  dire  aussi  que  des  efprits 

Montaigni;  efface  ensuite  Et  Se peut  dire  auSsi  que,  et  met  une  ni.ijusculc  ù  des     2°  :    qu'il  y  «  uue 
ignorance  aheeedere  qui  précède  la  sciance  un'aulre  doctorale  et  Socratique  qui  suit  la  sciance. 

Des  efprits  (Ces  deux  v.iriantes,  enchevêtrées  Tune  dans  l'autre,  ont  été  complètement  effacées.  La  le^ou 

définitive  a  été  écrite  à  la  suite.) —  ij)  qui  deuance  la  —   i6)  doctorale  et  Socrutiquc  qui  suH 
la  sciance  —    17)  faict  et  dicte  tout...   desfaict  la  —    22)    moyenne  doctrine  s'engendre 


LIVRE      I,      CHAIMTKK      I.IV.  4OJ 

à  nous  qui  n'y  fonmies  pas  inllruicis  par  clludc.  Les  <;rands  cfprits, 
plus  raflîs  &  clairuoians,  font  vn  autre  genre  de  bien  croyans; 
lefquels,  par  longue  &  religieule  inuertigation,  pénètrent  vne  plus 
profonde  6\;  abftrule  lumière  es  elcriptures,  &  l'entent  le  mifterieux 
5  eS:  diuin  i'ecret  de  noftre  police  Ecclefiartique.  Pourtant  en  voyons 
nous  aucuns  eftre  arriuez  à  ce  dernier  eflage  par  le  fécond,  auec 
nierueilleux  fruict  6;;  confirmation,  comme  à  l'extrême  limite  de  la 
Chreftienne  intelligence,  &  iouyr  de  leur  victoire  auec  confoiation, 
action  de  grâces,  reformation  de  meurs  ix  grande  modeflie.  Et  en 

10  ce  rang  n'entens-ie  pas  loger  ces  autres  qui,  pour  fe  purger  du 
foubçon  de  leur  erreur  pafle  &  pour  nous  alTeurer  d'eux,  le  rendent 
extrêmes,  indifcrets  &  iniuftes  à  la  conduicte  de  noftre  caufe,  &  la 
talchent  d'infinis  reproches  de  violence. 

Les  paisans  simples  sont  honestes  gens,  et  honesles  gens  les  philosophes, 

I)  ('//,  selon  nostre  temps,  des  natures  fortes  [f/]  cleres,  enrichies  d'une  large 
instruction  de  sciances  utilles.  Les  niestis  qui  ont  desdeigné  le  premier  siège 
d'ignorance  de  lettres,  et  n'ont  peu  iouindre  l'autre  (le  cul  entre  dcus  selles, 
des  quels  \ie\  suis,  et  tant  d'autres,)  sont  dangereus,  ineptes,  importuns: 
cens  icy  Iroblèt  [le]  monde.  Pourtant  de  ma  part  ic  me  recule  tant  que 

20  ie  puis  dans  le  premier  &  naturel  siège,  d'où  ie  me  suis  pour  néant  essaie 
de  partir. 

La  poésie  populere  et  purement  naturelle  a  des  naïfuetei  et  grâces  par 
ou  elle  se  compare  a  la  principale  beauté  de  la  poésie  parfaictc  selon  l'art; 
come  il  se  uoit  es  uillanelles  \de]  gascouigne  et  ans  chançons  qu'on  nous 

25  raporte  des  nations  qui  n'ont  conoissance  d'aucune  sciance,  ny  mesmcs 
d'escriture.  La  poésie  médiocre  qui  s'arrête  entre  deus,  est  desdcignee,  sans 
honur  et  sans  pris. 


Var.  ms.  —  I.})  I":  l^aisaiis  sont  2":  paisans  Ions  cens  (jui  uiiienl  sans  lellres  sont 
3"  :  paisans  tous  cens  en  fin  qui  uiuenl  sans  lellres  sont  —  i6)  ont  [pe\iuiu  U  pt^...  siège 
et  n'ont  peu  —  20)  naturel  \sie]gk  siège  d'où  ie  suis  pour  néant  parti.  Mais  parce 
que  (p.  404,  1.  I.)  —  22)  purement  a  —  25)  conoissance  de  nulle  sciance  —  26)  est 
mesprisee  des  maistrcs.  Mais   —    26)   desdeignee  des 


404  ESSAIS      DE     MONTAIGNE. 

Mais  parce  que,  après  que  le  pas  a  efté  ouucrt  à  l'efprit,  i'ay  trouué, 
comme  il  aduient  ordinairement,  que  nous  auions  pris  pour  vn 
exercice  malaifé  &  d'vn  rare  liibiect  ce  qui  ne  l'eft  aucunement; 
&  qu'après  que  noftre  inuention  a  efté  efchaufée,  elle  defcouure  vn 
nombre  infiny  de  pareils  exemples,  ie  n'en  adiouftcray  que  cettuy-cy  : 
que  fi  ces  effays  eftoyent  dignes  qu'on  en  iugeat,  il  en  pourroit 
aduenir,  à  mon  aduis,  qu'ils  ne  plairoient  guiere  aux  efprits  communs 
&  vulgaires,  ny  guiere  aux  fmguliers  &  excellens  :  ceux-là  n'y  enten- 
droient  pas  aflez,  ceux-cy  y  entendroient  trop;  ils  pourroient 
viuoter  en  la  moyenne  région. 


Chapitre    lv. 


DES    SENTEVRS. 


Il  fe  dict  d'aucuns,  comme  d'Alexandre  le  grand,  que  leur  Tueur  A 
efpandoit  vn'  odeur  fouefue,  par  quelque  rare  &  extraordinaire 
complexion  :  dequoy  Plutarque  &  autres  recherchent  la  caufe.  Mais 
la  commune  taçon  des  corps  el1;  au  contraire;  &  la  meilleure  condition 
5  qu'ils  aient,  ceft  d'cstrc  cxcinps  de  sciitur.  La  douceur  mei'mcs  des 
halaines  plus  pures  n'a  rien  de  plus  excellent  que  d'eftre  lans  aucune 
odeur  qui  nous  offence,  comme  l'ont  celles  des  enfans  bien  fains. 
Voyla  pourquoy,  dict  Plaute, 

Mulier  tum  benc  olet,  vbi  nihil  olet  : 

10     la  plus  parfaicte  fenteur  d'vne  femme  c'eft  ne  fentir  à  rien,  'comme         R 
on  dict  que  la  meilleure  odeur  de  fes  actions  ceft  qu'elles  lovent 
infenfibles  &  lourdes.  Et  les  bonnes  fenteurs  eftrangieres,  on  a  raifon         A 
de  les  tenir  pour  fufpectes  à  ceux  qui  s'en  feruent,  &  d'eflimer 
qu'elles  foyent  employées  pour  couurir  quelque  défaut  naturel  de 


Texte  88.  —  4)   condition  qui  foit  en  cela,  c'cft  de  ne  fentir  rien  de  mauuais. 
Et  la  douceur  —  6)  halaines  les  plus  pures,  elle  n'a...  eftrc  fimplc  &  fans 


406  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

ce  cortc-la.  D'où  naiffcnl  ces  rencontres  des  Poêles  anciens  :  c'efi; 
puïr  que  de  fantir  bon, 

Rides  nos,  Coraciiie,  ni!  olentes. 
M.ilo  quam  bene  olere,  nil  olere, 

Et  ailleurs  :  5 

Pulliiunif,  non  benc  olet,  qui  benc  lemper  olet. 

1  avilie  pourtant  bien  tort  à  élire  entretenu  de  bonnes  lenteurs, 
&  hav  outre  mefure  les  mauuailes,  que  ie  tire  de  plus  loing  que 
tout  autre  : 

Namque  fagacius  vnus  odoror,  lo 

Polypus,  an  grauis  hirl'utis  cubet  liivcus  in  alis, 
Quam  canis  acer  vbi  lateat  fus. 

Les  senilirs  plus  simples  et  iniliirelles  me  senibleiil  pJtis  agréables.  Et 
'touche  ce  soiu  priueipalemeut  les  dames.  Eu  la  plus  espaisse  barbarie,  les 
James  Scitbes,  après  s'estre  lauecs,  se  saupoudrent  et  encrousteut  tout  le  cors     15 
et  le  uisagc  de  certeine  drogue  qui  liait  eu  leur  terroir,  odoriférante;  et,  pour 
aprochcr  les  homes,  aiaut  osle  ce  fart,  elles  s'en  treuuent  et  polies  et  parfumées. 

Quelque  odeur  que  ce  loit,  c'eft  merueille  combien  elle  s'attache 
a  niov,  &  combien  i'av  la  peau  propre  à  s'en  abreuuer.  Celuv  qui  fe 
plaint  de  nature,  dequoy  elle  a  lailTé  l'homme  fans  inftrument  20 
à  porter  les  lenteurs  au  nez,  a  tort,  car  elles  fe  portent  elles  mefmes. 
Mais  à  mov  particulièrement,  les  mouftaches,  que  i'ay  pleines,  m'en 
feruent.  Si  l'en  approche  mes  gans  ou  mon  mouchoir,  l'odeur  y 
tiendra  tout  vn  iour.  Elles  accusent  le  lieu  d'où  ie  viens.  Les  eftroits 
baifers  de  la  ieunelTe,  fauoureux,  gloutons  et  gluans  s'y  colloyent     25 


Texte  88.  —    25)    mouchoir  la  fcntcur  y    —   24)    elles  rcl'poiuiciit  du  lieu 
25)  fauoureux  &  gourmans,  s'y 


LIVRE      I,      CHAPITRE      LV.  4.O7 

autresfois,  &  s'y  tenoient  pluiicurs  heures  après.  Et  fi  pourtant  ie  me 
trouue  peu  lubiect  aux  maladies  populaires,  qui  ie  chargent  par  la 
conuerfation,  &  qui  naiffent  de  la  contagion  de  l'air;  &  me  fuis  saiiiic 
de  celles  de  mon  temps,  dequoy  il  y  en  a  eu  plulieurs  fortes  en  nos 
)  villes  &  en  noz  armées.  On  Ut  de  Socrates  que,  n'estant  iamais  parti 
d'Athènes,  panda nt  plusieurs  rechutes  de  peste  qui  h  tourmantarent  tant 
[de]  fois,  luy  su!  ne  s'en  trouua  iamais  plus  mal.  Les  médecins  pourroient, 
croi-ie,  tirer  des  odeurs  plus  d'vfage  qu'ils  ne  font  :  car  i'ay  fouuent 
aperçeu  qu'elles  me  changent,  &  agilTent  en  mes  efprits  félon  qu'elles 

ro     font  :  qui  me  fiiict  approuuer  ce  qu'on  dict,  que  l'inuention  des 

encens  &  parfuns  aux  Eglifes,  û  ancienne  &  efpandue  en   toutes 

nations   &    religions,   regarde   à   cela   de    nous    refiouir,   efueiller 

&  purifier  le  lens  pour  nous  rendre  plus  propres  à  la  contemplation. 

lie  \  uodroi  bien,  pour  en  iuger,  auoir  eu  ma  part  [de]  l'art  de  ces  cuisiniers 

1 5  qui  sçauent  assaisoner  |  les]  odurs  estrangieres  aucq  la  saueur  des  uiandes, 
corne  singulièrement  on  remerqua  au  seruice  de  ce  Roy  de  Thunes,  qui,  de 
nostre  eage,prini  terre  a  Naple s  pour  s'aboucher  aueq  [l']Empereur  Charles. 
On  farcissoit  ses  uiandes  de  drogues  odoriférantes,  de  telle  sumptuosité 
[qu]'un  Paon  &  deus  faisans  reuenoint  \a]  cent  ducats,  pour  les  aprester 

20  selon  leur  manière;  et,  quâd  on  les  despeçoit,  remplissoint,  non  sulement 
[la]  sale,  mais  toutes  les  châbres  [de]  son  palais,  &  iusques  aus  maison  du 
uoisinage,  d'une  tressouefue  uapur  qui  ne  se  perdoit  pas  si  tost. 

Le  principal  foing  que  i'aye  à  me  loger,  c'eft  de  fuir  l'air  puant 
i<:  poifant.  Ces  belles  villes,  Venife  &  Paris,  altèrent  la  faueur  que 

25  ie  leur  porte,  par  l'aigre  fenteur,  l'vne  de  fon  niarels,  l'autre  de  la 
boue. 


Texte  88.  —  3)  fuis  garantv  de  celles  —  8)  plus  d'vfagcs  qu'ils  —  11)  Eglifes, 
qui  cft  (i  —  25)  c'eft  à  fuir 

\'ar.  ms.  —  5)  On  licl  ce  nu-  semble  île  —  14)  \dc,  l'cippresl  de  ces  —  1 5)  (nuiiunier 
titif  —   ly)  Jiiiuins  se  tnuiiiiirêl  iiuoir  cosie  eeiil  dncnis  a  nprester  •  n    ■■ii  ninile 


Chapitre    LVI, 


DES    PRIERES. 


le  propofe  des  fantafies  informes  &  irrefolues,  comme  font  ceux 
qui  publient  des  queftions  doubteufes,  à  débattre  aux  efcoles  :  non 
pour  eftablir  la  vérité,  mais  pour  la  chercher.  Et  les  foubmets  au 
iugement  de  ceux  à  qui  il  touche  de  régler,  non  feulement  mes 
actions  &  mes  efcris,  mais  encore  mes  penfées.  Efgalement  m'en 
fera  acceptable  &  vtile  la  condemnation  comme  l'approbation,  tenant 
■pour  exécrable,  s'il  se  treuue  chose  dicte  par  moy  ignorament  ou  inaduer- 
tanict  contre  les  sainctes  prescriptions  de  l'église  catJjolique,  apostolique  et 
Rornciiie,  en  la  quelle  ie  meurs  et  en  la  quelle  ie  suis  nai.  Et  pourtant, 
me  remettant  toufiours  à  l'authorité  de  leur  cenfure,  qui  peut  tout 
fur  moy,  ie  me  méfie  ainfin  témérairement  à  toute  forte  de  propos, 
comme  icy. 

le  ne  fçay  fi  ie  me  trompe,  mais,  puis  que,  par  vne  laueur  parti- 
culière de  la  bonté  diuine,  certaine  façon  de  prière  nous  a  efté 
prefcripte  &  dictée  mot  à  mot  par  la  bouche  de  Dieu,  il  m'a  toufiours 
femblé  que  nous  en  deuions  auoir  l'vfage  plus  ordinaire  que  nous 
n'auons.  Et,  fi  l'en  eftov  creu,  à  l'entrée  \-  à  l'iffue  de  nos  tables, 

'Ikme  8S.  —   i)  propofe  icv  Jcs 

V  AR.  MS.  —  6)  teimiil  sérieusement  pour  —  yj  dklc  par  mon  ignorance  ou  inaducr- 
tauce  couircre  ans  sainctes  prescriptions  de  l'eolise  eu  lu  quelle  ie  meurs  et  eu  lu  tfuelle  ie 
suis  H'//  cathotique 


LIVRE      I,      CHAPITRE      LVI.  4O9 

à  nortre  Icucr  &  coucher,  &  à  toutes  actions  particulières  aufquelles 
on  a  accourtunié  de  meller  des  prières,  ie  voudroy  que  ce  fut  le 
patenortre  que  les  Chrelliens  y  emplovalîent,  sinon  snlenicnl,  du  moins 
toitsiours.  L'Eglife  peut  eÛendre  &  diuerfitier  les  prières  félon  le 
5  befoing  de  noflre  inflruction  :  car  ie  fçav  bien  que  c'eft  toufiours 
mefme  fubÛance  &  mefme  chofe.  Mais  on  deuoit  donner  à  celle  là 
ce  priuilege,  que  le  peuple  l'euft  continuellement  en  la  bouche  :  car 
il  eft  certain  qu'elle  dit  tout  ce  qu'il  faut,  ik  qu'elle  eft  trefpropre 
à  toutes  occalions.  C'est  l'unique  prière  de  quoi  ie  me  sers  par  tout,  et  la 

10     répète  au  lieu  d'en  changer. 

D'où  il  adulent  que  ie  n'en  ai  aussi  bien  en  mémoire  que  cellela. 
l'auov  prefentement  en  la  penfée  d'où  nous  vcnoit  cett'  erreur 
de  recourir  à  Dieu  en  tous  nos  deffeins  &  entreprinfes,  ' ik.  l'appeller 
à  toute  forte  de  befoing  &  en  quelque  lieu  que  noftre  foiblefle  ueut 

15  de  l'aide,  ûms  confiderer  fi  Foccafion  eft  iufte  ou  iniufte;  &  de  efcrier 
fon  nom  &  fa  puifliince,  en  quelque  eftat  &  action  que  nous  foyons, 
pour  vitieufe  qu'elle  foit. 

Il  eft  bien  noftre  feul  &  vnique  protecteur,  et  peut  toutes  choses  a  nous 
aider;  mais,  encore  qu'il  daigne  nous  honorer  de  cette  douce  aliance 

20  paternelle,  il  eft  pourtant  autant  iufte  comme  il  eft  bon  et  corne  il  est 
puissant.  Mais  il  use  bien  plus  sonnant  de  sa  iustice  que  de  son  poinioir, 
ik  nous  fauorife  félon  la  raifon  d'icelle,  non  félon  nos  denumdes. 

Platon,  en  ses  loix,  faict  trois  sortes  d'iniurieuse  créance  des  Dieus  : 
Quil  n'y  en  aïe  pouint;  qu'ils  ne  se  meslent  pas  de  nos  affaires;  qu'ils  ne 

25  refusent  rien  a  nos  uens,  offrandes  et  sacrifices.  La  première  errur,  selon 
son  auis,  ne  dura  iamais  immuable  en  home  despuis  son  enfance  iusques 
a  sa  uieilksse.  Les  deus  suinantes  peniièt  souffrir  de  la  constance. 

Texte  88.  —  2)  fut  le  fcul  patenoftre  —  8)  ce  qui  nous  fert,  &  —  14)  foiblefle 
requiert  de  —  15)  &  defcrier  fon  —  22)  raifon  de  fa  iuftice,  non  félon  nos  incli- 
nations &  volontés.  Sa  iuftice  (p.  410,  1.  i.) 

Var.  ms.  —  3)  employaflent  d  en  use  ainsi.  I,'F^glife  —  10)  irpele  j'  -  2(1)  ianuiis 
fn  tiome  m>ii  es  —  27)  suiuanles  oui.  S;i 


410  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

Sa  iuftice  &  ûi  puiffance  font  infeparables.  Pour  néant  implorons 
nous  fa  force  en  vne  mauuaife  caufe.  Il  taut  auoir  l'amc  nette,  au 
moins  en  ce  momcut  auquel  nous  le  prions,  &  defchargée  de  pallions 
vitieufes;  autrement  nous  luy  prefentons  nous  mefmes  les  verges 
dequoy  nous  chaftier.  Au  lieu  de  rabiller  noftre  fiiute,  nous  la  5 
redoublons,  prefentans  à  celuv  à  qui  nous  auons  à  demander  pardon, 
vne  affection  pleine  d'irreuerence  &  de  haine.  Voyla  pourquoy  ie  ne 
loue  pas  volontiers  ceux  que  ie  voy  prier  Dieu  plus  fouuent  6c  plus 
ordinairement,  fi  les  actions  voifines  de  la  prière  ne  me  tefnioignent 
quelque  amendement  &  reformation,  10 

ii,  nocturnus  adulter, 
Tempora  Sanctonico  vêlas  adoperta  cucullo. 

Et  Vassicte  cl  'un  home,  mcslàl  a  une  uie  exécrable  lu  deuotion,  semble  estre 
aucunement  1)1  us  coiukimuable  que  celle  d'un  home  conforme  a  soi,  et  dissolu 
par  tout.  Pourtant  refuse  nostre  esglise  tous  les  iours  la  Jaueur  de  son  entrée     1 5 
et  société  ans  nwurs  obstinées  a  quelque  insii^nie  malice. 

Nous  prions  par  vfage  &  par  couftume,  ou,  pour  mieux  dire,  nous 
lifons  ou  prononçons  nos  prières.  Ce  n'eft  en  fin  que  mine. 

Et  me  defplait  de  voir  faire  trois  fignes  de  croix  au  benedicite, 
autant  à  grâces  (&  plus  m'en  dcfplaiil:  il  de  ce  qi  c'est  un  si»ue  que  i'av  20 
en  reuerance  et  continuel  usa^^e,  mesmcmant  au  bailler),  ik  ce  pendant, 
toutes  les  autres  heures  du  iour,  les  voir  occupées  à  la  haine,  l'auarice, 
l'iniustice.  Aux  vices  leur  heure,  fon  heure  à  Dieu,  comme  par 
compenfation  &  compofition.  C'eft  miracle  de  voir  continuer  des 
actions  fi  diuerfes,  d'vne  fi  pareille  teneur  qu'il  ne  s'y  fente  point  25 
d'interruption  &  d'altération  aux  confins  mefme  &  partage  de  l'vne 
à  l'autre. 

Texte  88.  —  3)  ce  temps  là,  auquc-l  —  i8)  que  contenance  :  &  me  — 
20)  grâces  (&  d'autant  plus  m'en  defplaift  il,  que  ce  font  façons  que  i'honore  &  imite 
fouuent)  &  ce  pendant  —  22)  occupées  a  vfuies,  veniances  &  paillaidifcs  :  aux  vices 

\'ak.    ms.  —    15)  luisliït  iiii-'iiInnU  —   20)  iS:  d'aut.int  plus...  il  que  (  Vv/  ini 


LIVRE      I,      CHAPITRE      LVI.  4II 

[Qiu'Ui' (yrodii^ieitsc  loiisiit'iur  se pciil  donner  repos,  noiirrlssaiil  en  inesnic 
^isk,  d'une  siKieté  si  \  aceordanle  &  si  paisible  le  crime  et  le  iui^e?  Vn  home 
de  qui  la  paillardise  •  sans  cesse  i  regenle  la  teste,  et  qui  la  iui^e  Iresodieuse 
a  la  neue  diuine,  que  dici  il  a  dieu,  quand  il  lux  en  parle?  Il  se  rameine; 
5  nuiis  soudein  il  reclxnt.  Si  l'obiect  de  la  diuine  iustice  et  sa  presance  frapoint 
coin'  il  dict,  et  chastioini  son  ame,  pour  courte  qu'en  fut  la  pa-nitance, 
la  creinte  mesmes  v  reieteroit  si  saunant  sa  pensée,  qu'incontinàt  il  se  uerroii 
maislre  de  ces  uices  qui  sont  habitue:^  et  acharne:^  en  luv.  Mais  quov!  cens 
qui  couchent  une  nie  entière  sur  le  fruit  et  esniolument  du  péché  qu'ils 

10  scaiwnt  mortel?  Combicns  anons  nous  de  nwstiers  et  uacations  receucs, 
de  quoi  l'essancc  \  «/]  uiticuse.  El  celuv  qui,  se  confessant  a  moi,  me  récitait 
auair  tant  un  cai!;c  faict  profession  \et'  les  effaicts  d'une  religion  damnahie 
selon  lu\,  &  contradictoire  a  celle  qu'il  auait  \cn\  son  ceur,  pour  ne  perdre 
son  crédit  &  l'Ixmur  de  \  ses  |  charges  :  comant  pastissait  il  \  ce  j  discours  en  son 

15  corage?  De  quel  langage  entretienent  ils  sur  ce  snbicct  la  iustice  diuine? 
Leur  repentance  consistant  en  uisible  \et^  nniniable  réparation,  ils  perdit 
\el\  enuers  dieu  et  enuers  nous  le  moyen  de  l'alléguer.  Sont  ils  si  hardis  de 
demander  pardon  sans  salisfactian  et  sans  repanlance?  le  tiens  que  de  \ces\ 
premiers  il  [en  |  ua  comede  cens  icv;  mais  Vabstination  n'y  j  est]  pas  si aisce  a 

20  canueincrc.  Cette  contraritc  [f/]  uolubilite  d'opinion  si  soudeine,  si  nialanle, 
qu  'ils  nous  feignent,  sent  pour  inay  au  miracle.  Ils  nous  represantcnt  l'estat 
ïd'  \un'  indigestible  agonie.  Que  l'imagination  [nu]  scmbloit  fantastique,  de 
cens  qui,  ces  années  passées,  auaint  \  en]  usage  de  reprocher  a  tout  chacun  [en] 


\'ar.  ms.  —  5)  la  ptiillardc  fDuduiUQ)  mumougn {^),  uaiiiaiice  regenle...  qui  les  lieiil 
Iresodieuses  a  —  7)  meamei  meUivi  —  9)  de  leur  pèche  qu'ils  liment  m  sçnil  mortel 
[hrig]ans  :  uolurs  :  achelurs  et  uciidurs  de  bénéfices  :  usuriers  :  et  c.  Tout  le  monde  en  fin. 
[Vn]se  —  12)  damnable  pour  liiy...  a  celle  de  son  ame  (juil  —  14)  crédit  mondein  & 
—  18)  pardon  sans  repantance  le  tiens  que  de  celte  première  repanlance  qu'il  'en]  ua  corne 
de  celtecy  a  peu  près  mais  p  —  19)  si  descomtepU  —  20)  uiolante  1°:  ha  pour  moy 
quelqu  image  de  miracle.  le  pense  auoir  dresse  mon  trein  aueq  un  peu  plus  de  conformité 
Ils  nous  represantcnt  2°  :  sent  pour  moy  au  miracle  et  U  suite  comme  dans  la  première 
variante.  —  22)  agonie  ne  faisant  qu'aller  et  uentr  come  pois  en  pot.  Que  —  23)  reprocl)er 
aus  esptdts  [un]  ptu  elainfaisa 


412  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

qui  il  reliiisoit  quelque  clarié  [d'cs 'périt,  professant  la  reUigion  Catholique, 
que  c'estoit  a  feinte,  [et]  teuoint  mcsmes,  pour  luy  faire  honeur,  quoi  qu'il 
dici par  apparance,  [qii']il  ne  pouuoit  faillir  au  dedans  [d'jauoir  sa  créance 
reformée  a  leur  pied.  Fâcheuse  maladie,  [de]  se  croire  si  fort,  qu'on  se 
persuade  qu'il  ne  se  puisse  croire  [au]  confrère.  Et  plus  fâcheuse  encore  s 
qu'on  se  persuade  d'un  tel  esperit,  qu'il  préfère  ie  ne  sçai  quelle  disparité 
de  fortune  presante,  ans  espérances  et  menaces  de  la  nie  éternelle.  Ils  m 'en 
peuuent  croire.  Si  rien  eut  deu  tenter  ma  iunesse,  \r\amhition  du  hasard 
et  difficidte^  qui  suiuoint  cette  récente  entreprinse,  y  eut  eu  hone  part. 

Ce  n'efl;  pas  fans  grande  raifon,  ce  me  femble,  que  l'Eglife  défend  ro 
l'vfage  promifcue,  téméraire  &  indifcret  des  fainctes  &  diuines 
chanfons  que  le  Sainct  Elprit  a  dicté  en  Dauid.  11  ne  tant  meiler  Dieu 
en  nos  actions  quauecque  reuerence  &  attention  pleine  d'honneur 
&  de  refpect.  Cette  voix  eli  trop  diuine  pour  n'auoir  autre  vfage 
que  d'exercer  les  poulmons  &  plaire  à  nos  oreilles  :  c'efl;  de  la  15 
confcience  qu'elle  doit  eftre  produite,  lit  non  pas  de  la  langue.  Ce 
n'eft  pas  raifon  qu'on  permette  qu'vn  garçon  de  boutique,  parmy 
ces  vains  &  friuoles  penfemens,  s'en  entretienne  &  s'en  iouë. 

Nv  n'eft  certes  raifon  de  voir  tracaffer  par  vne  fale  &  par  vne 
cuyfine  le  Sainct  liure  des  facrez  myfteres  de  noftre  créance.  C'estoint  20 
autresfois  mystères;  ce  sont  a  presant  desduif:;^  et  esbat:^.  Ce  n'eft  pas  en 
paffiint  &  tumultuairement  qu'il  faut  manier  vn  eftude  fi  ferieuz 
&  vénérable.  Ce  doiht  eftre  vne  action  deftinée  &  ralftfe,  à  laquelle 
on  doibt  toufiours  adioufter  cette  préface  de  noftre  office  :  «Surium 
corda»,  ii:  y  apporter  le  corps  mefme  difpolé  en  contenance  qui  25 
tefmoigne  vne  particulière  attention  <^  reuerence. 

Ce  n'est  pas  l'cstude  de  tout  [le]  monde,  c'est  l'estude  des  persones  qui 


Texte  88.  —  10)  Eglifc  Catholique  défend  —  14)  Cette  vois  eft  —  19)  tracaffer 
entre  les  mains  de  toutes  pcrfonncs,  par  vne  fale  —  26)  reuerence.  Et  croi  d'auantage, 
que  la  liberté  (p.  413,  1.  9.) 


Var.  ms.  —  3)  apparance  ne  —  8)  51  i^fusse 


LIVRE      I,      CHAPITRE      LVI.  4IJ 

V  sont  iioinrs,  que  dieu  y  a  pelé.  Les  inesebuus,  les  ii^iiontns  s'v  empire  ni. 
Ce  n'est  piis  une  histoire  a  conter,  c'est  une  histoire  \a\  reuerer,  ereldre, 
et  adorer.  Plesùtcs  gens,  qui  pensent  l'auoir  rendue  maniable  au  peuple, 
pour  l'auoir  mise  en  langage  populere!  Ne  tient  il  qu'ans  mots,  qu'ils 
5  n'entandent  tout  ce  qu'ils  trenuent  par  eserit?  Dirai  ic  plus?  Pour  l'en 
aprocher  de  ce  peu,  ils  l'en  recnlèt.  \L' [ignorance  pure  et  remise  tonte  en 
autruy  estoil  bien  plus  salulere  et  plus  sçauanle  que  u  'est  ccte  sciance  uerbale 
\et\  ueine,  nourrisse  de  présomption  et  de  lemerite. 

le  croi  aussi,  que  !a  liberté  à  chacun  de  difTiper  vue  parole  iî 

10  religicufe  &  importante  à  tant  de  lortes  d'idiomes,  a  beaucoup  plus 
de  danger  que  d'vtilité.  Les  luifs,  les  Mahometans,  &  quafi  tous 
autres,  ont  elpoufé  &  reuerent  le  langage  auquel  originellement 
leurs  mvfteres  auovent  efté  conceu/;  (S;  en  eft  défendue  l'altération 
&  changement  :   non   lans  apparance.   Sçauons  nous  bien  qu'en 

15  Bafque  &  en  Bretaigne,  il  v  ayt  des  luges  affez  pour  eftablir  cette 
traduction  faicte  en  leur  langue  ?  L'Eglife  vniuerfelle  n'a  point  de 
lugement  plus  ardu  à  taire,  et  plus  folenne.  Hn  prelchant  (S:  parlant, 
l'interprétation  eft  vague,  libre,  niuable,  &  d'vne  parcelle;  ainfi  ce 
n'eft  pas  de  mefme. 

20  [L'un  de  no:;^  historiens  Grecs  accuse  iustemcnt  son  siècle,  de  ce  qiw  les 
secrets  de  la  religion  Chrestienne  estoieul  cspandus  emmx  la  place,  es  mains 
des  nwindres  artisans;  que  chacun  cn\  peut  débattre  et  dire  selon  son  sens; 
et  que  ce  nous  deuoit  esire  grande  honte,  qui,  par  la  grâce  de  Dieu,  iouissons 
des  purs  mystères  de  la  pieté,  de  les  laisser  profaner  en  la  bouche  de  persanes 

25  ignorantes  et  populeres,  ueu  que  les  Gentils  interdisoint  a  Sacrâtes,  a  Platon 
et  ans  plus  sages,  de  parler  et  s'enquérir  des  choses  commises  aus  Prcstres 
de  Delphes.  Dicl  aussi  que  les  factions  des  Princes  sur  le  subiect  de  la 


Texte  88.  —  9)  chacun  de  le  traduire  &  difTiper 

Var.  ms. —  2)  af*eUtPf-*sl  —  6)  aprocher  ù  peu  —  9)  aussi  que  cette  loi  ite 
la  quelle  Platon  Jaicl  la  première  des  sienes  qui  défaut  aus  iunes  gens  de  mettre  eu  question 
et  phrase  inachevée,  antérieure  à  Ce  u'est pas  l'estude.. .  —  24)  delautHU...  bouche des persoues 


414  ESSAIS      DE      MONTAIGNE. 

TIxologic  sont  aiDurs,  non  de  -(7/f,  iiutis  de  cbolere;  que  le  ::s^le  tient  de 
la  diuine  raison  et  iustice,  se  conduisant  ordoneenient  et  niodtreenunt  ;  mais 
qu'il  se  change  en  haine  et  enuie,  &  produit,  au  lieu  du  froment  et  du 
raisin,  de  l'yuraïe  et  des  horties,  quand  il  est  conduit  d'une  passion  humaine. 
Et  iustemant  aussi  cet  autre,  conseillant  l'Empereur  Theodose,  disait  les  5 
disputes  n'endormir  pas  tant  les  scisnu^s  de  l'Eglise,  que  les  esueiller  et 
animer  les  Hxresies;  que  pourtant  il  faloit  fuir  toutes  contantions  et  argu- 
mentations dialectiques,  et  se  raporter  nueiuant  aus  prescriptions  et  formules 
de  la  foi  establies  par  les  antiens.  Et  l'Empereur  Androdicus,  aïant  rencontre 
en  son  palais  deus  grands  homes  ans  prises  de  parole  contre  Lopadius  w 
sur  un  de  nos  poins  de  grande  importance,  les  tança  iusques  a  menacer  de 
les  ietter  en  la  riuiere  s'ils  conlinuoinl. 

Les  enfans  et  les  femmes,  en  nos  iours,  régentent  les  plus  uieus  et  experi- 
nuinte:^  sur  les  loix  ecclésiastiques,  la  ou  la  première  [de^  celles  de  Platon 
leur  défaut  de  s'enquérir  sulement  de  la  raison  des  loix  ciuilles  qui  doiuent  1 5 
tenir  lieu  d'ordonances  diuines;  et,  permeiant  ans  uieus  \iî]'en  communiquer 
entre  eus  &  aneq  le  magistrat,  il  adioute  :  pourueu  que  ce  ne  soit  pas  en 
presance  des  iunes  et  persanes  profanes. 

Vn  euesque  a  laisse  par  escrit  que,  en  l'autre  haut  du  mande,  il  v  a  un 
Isle  que  les  anciens  namoint  Diascaride,  commode  en  fertilité  de  toutes  sortes  20 
d'arbres  &  fruits  et  salubrité  d'air  :  de  la  quelle  le  peuple  est  Chrestien, 
aiant  des  esglises  et  des  autels  qui  ne  sont  pare:^  que  de  croix,  sans  autres 
images;  grand  obseruatur  de  iusnes  &  de  festcs,  exacte  païeur  de  dismes 
ans  prestres,  et  si  chaste  que  nul  d'eus  ne  peut  conestre  qu'une  feme  en  sa 
uie;  au  demurant  si  contant  de  sa  fortune  qu'au  milieu  de  la  mer  il  ignare  25 
l'usage  des  nanires,  et  si  simple  que,  de  la  relligion  qu'il  ahserue  si  souigueu- 
sonent,  il  n'en  entant  un  seul  )nat  :  chose  iiicroiable  a  qui  ne  saurait  les 


\"ar.  ms.  —  10)  Lopadius  s'  eu  fcuf^ikm —  13)  ciifaus  m —  14)  sur  les  poiiis  de  lu 
ffliawn  l'esglise  et  en  lieiieiil  escolc  La  ou  la  première  to\  de  Plaloii  —  15)  loix  1°  :  receties 
eu  sa  police  et  défaut  aus  uieillan  de  sulemaui  eu  pai^kt:  eu  leui:  la  presauee  des  iuuei  gfut^ 
les  receuoir  corne  ordouauces  diuiues  sans  s'amuser  a  eu  iuger  et  permetaiit  2°  :  ciuilles  et 
les  receuoir  et  b  suite  comme  ci-dessus.  —  1 8)  iuues  gens.  Vn  —  20)  en  leu 


LIVRE      I,      CHAPITRE      I.VI.  415 

païens,  si  deuots  idolâtres,  ne  eonoisire  de  leurs  dieiis  que  simpkmenl  le 
nom  &  hi  statue. 

L'autieu   [eoniuieinriiieiil  de  Meiialippe,  Irai^n'die  il'l'uripides,  portait 


ainsi 


O  hippiter,  car  de  toy  rien  sinon 
le  ne  cognais  seulement  que  le  now.J 


l'ay  veu  aufli,  de  mon  temps,  faire  plainte  d'aucuns  el'cris,  de 
ce  qu'ils  font  purement  humains  &  philofophiques,  fans  meflange 
de  Théologie.  Qui  diroit  au  contraire,  ce  ne  feroit  pourtant  fans 

II)  quelque  railon  :  Que  la  doctrine  diuine  tient  mieux  fon  rang  à  part, 
comme  Royne  &  dominatrice;  Qu'elle  doibt  eftre  principale  par 
tout,  poinct  fuftVagante  &  fublidiaire;  Et  qu'a  i'auanture  se  tireroint 
les  exemples  à  la  grammaire,  Rhétorique,  Logique,  plus  fortablement 
d'ailleurs  que  d'vne  fi  fiiinte  matière,  comme  aufli  les  arguments 

15  des  Théâtres,  ieuz  &  fpectacles  publiques;  Que  les  raifons  diuines 
fe  confiderent  plus  venerablement  &  reueramment  feules  &  en  leur 
rtile,  qu'appariées  aux  difcours  humains;  Qu'il  fe  voit  plus  louuent 
cette  faute  que  les  Théologiens  efcriuent  trop  humainement,  que 
cett'  autre  que  les  humaniftes  efcriuent  trop  peu  theologalement  : 

20  la  Fhilofophie,  dict  Sainct  Chryfoftome,  eft  pieça  banie  de  l'efcole 
fainte,  comme  feruante  inutile,  &  eftimee  indigne  de  voir,  leulement 
en  paiTant,  de  l'entrée,  le  facraire  des  faints  Threfors  de  la  doctrine 
celefte;  Que  le  dire  humain  a  fes  formes  plus  baffes  &  ne  fe  doibt 
feruir  de  la  dignité,  majefté,  régence,  du  parler  diuin.  le  luy  laifle, 

25  pour  moy,  dire,  «  ucrbis  indisciplinatis,  »  fortune,  d'eftinée,  accident, 
heur  &  malheur,  &  les  Dieux  &  autres  frafes,  félon  fa  mode. 


Texte  88.  —    12)  fubûdiairo.  Que  les  exemples   —    13)  Logique,  i"e  tirent  plus 
—  26)  mode  vulgaire.  Et  ne 

Var.  .ms.  —  i)  païiui  lie 


4l6  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

le  propose  les  fantasies  humaines  et  micms,  simpJemant  corne  humaines 
fantasies,  et  separeemant  considérées,  mm  corne  arrêtées  et  réglées  par 
Vordonance  céleste,  incapables  de  double  et  d'altercation  :  matière  d'opinion, 
non  matière  de  foi;  ce  que  ie  discours  selon  moi,  non  ce  que  ie  crois  selon 
dieu,  côme  les  enfans  proposent  leurs  essais  :  instruisables,  non  instruisans;     5 

d'une^  manière  laïque,  non  cléricale,  mais  très  religieuse  tousiours. 

Et  ne  diroit  on  pas  aufli  lans  apparence,  que  l'ordonnance  de  ne 
s'entremettre  que  bien  referueement  d'efcrire  de  la  Religion  à  tous 
autres  qu'à  ceux  qui  en  font  exprefle  profeflion,  n'auroit  pas  faute 
de  quelque  image  d'vtilité  &  de  iuftice;  &,  à  moy  aucq,  à  l'auanture,     10 
de  m'en  taire? 

On  m"a  dict  que  ceux  mefmes  qui  ne  font  pas  des  nostres,  défendent 
pourtant  entre  eux  l'vlagedu  nom  de  Dieu  en  leurs  propos  communs. 
Ils  ne  veulent  pas  qu'on  s'en  férue  par  vne  manière  d'interiection 
ou  d'exclamation,  ny  pour  tei'moignage,  nv  pour  comparaifon  :  en  15 
quoy  ie  trouue  qu'ils  ont  raifon.  Et,  en  quelque  manière  que  ce  foit 
que  nous  appelions  Dieu  à  noftre  commerce  &  focieté,  il  faut  que 
Ce  foit  ferieufement  &  religieufement. 

II  y  a,  ce  me  lemhle,  en  Xenophon  vn  tel  difcours,  où  il  montre 
que  nous  deuons  plus  rarement  prier  Dieu,  d'autant  qu'il  n'ell  pas  20 
aifé  que  nous  puiflions  fi  ibuucnt  remettre  nortre  ame  en  cette 
aflîete  réglée,  reformée  &  deuotieufe,  où  il  faut  qu'elle  foit  pour  ce 
taire;  autrement  nos  prières  ne  font  pas  ieulemcnt  vaines  ^;  inutiles, 
mais  vitieules.  Pardonne  nous,  difons  nous,  comme  nous  pardon- 
nons à  ceux  qui  nous  ont  offencez.  Que  difons  nous  par  là,  finon  25 
que  nous  luy  offrons  noffre  ame  exempte  de   vengeance  &  de 


Texte  88.  —  10)  moy  mcfme  à  —  12)  p.is  de  noftrc  aduis,  défendent 

\'ar.   .ms.  —   1)  d  Us  miciies,  d^  —  4)  foi.  Ce  que  ie  crois  selon  moi...  dieu.  El  côme 
6)  manière  non  (leneaU  mais  laïque 

'     d'une...  lousiours.    adJiiion  ulttricurc.  I.VJition  Je  ijg?  I.i  pl.nce  av.int  CÔme  les  enfanS 


LIVRE     I,      CHAPITRE     LVI.  4iy 

rancune?  Toutesfois  nous  appelions  Dieu  et  son  ayde  au  complot  de 
nos  fautes,  et  le  conuiom  a  l 'iiiiustice. 

Qux,  nifi  feductis,  nequeas  committere  diuis. 

L'auaricieux  le  prie  pour  la  confcruation  vaine  &  fuperflue  de  fes 
S  threfors;  l'ambitieux,  pour  fes  victoires  &  conduite  de  fa  passion; 
le  voleur  l'employé  à  fon  ayde  pour  franchir  le  hazart  &  les  difficultez 
qui  s'oppofent  à  l'exécution  de  fes  mefchantes  entreprinfes,  ou  le 
remercie  de  l'aifance  qu'il  a  trouué  à  defgoliller  vn  paflant.  Au  pied 
de  la  maison  qu'ils  iiont  escJxUer  ou  petarder,  [//i]  font  leurs  prières, 
lo     l'intâtion  et  l'espérance  pleine  \de]  cruauté,  de  luxure,  d'auarice. 

Hoc  ipfum  quo  tu  louis  aurem  inipellere  tentas, 
Die  agedum,  Staio,  pro  luppiter,  ô  bone  clamet, 
luppiter,  at  fe  fe  non  clamet  luppiter  ipfe. 

La   Royne   de  Nauarre,  Marguerite,   recite   d'vn  ieune  prince, 

15     &,  encore  qu'elle  ne  le  nomme  pas,  fa  grandeur  l'a  rendu  affez 

connoiflable,  qu'allant  à  vne  aflignation  amoureufe,  &  coucher  auec 

la  femme  d'vn  Aduocat  de  Paris,  fon  chemin  s'adonnant  au  trauers 

d'vne  Eglife,  il  ne  paflbit  iamais  en  ce  lieu  faint,  alant  ou  retournant 

de  fon  entreprinfe,  qu'il  ne  fit  fes  prières  &  oraifons.  le  vous  lailîe 

20     à  iuger,  l'ame  pleine  de  ce  beau  penfement,  à  quoy  il  employoit  la 

faueur  diuine  :  toutesfois  elle  allègue  cela  pour  vn  tefmoignage  de 

finguliere  deuotion.  Mais  ce  n'efi;  pas  par  cette  preuue  feulement 

qu'on  pourroit  vérifier  que  les  femmes  ne  font  guieres  propres 

à  traiter  les  matières  de  la  Théologie. 

25         Vne  vraye  prière  &  vne  religieufe  reconciliation  de  nous  à  Dieu, 

elle  ne  peut  tomber  en  vne  ame  impure  &  foubmiie  lors  niefmes 


Texte  88.  —    i)  Toutesfois  ie  voy  qu'en  nos  vices  mefmes,  nous  appelions  Dieu 
à  noftre  ayde  &  au  —  5)  fa  fortune  :  le  —  24)  les  myfteres  de 

\'a\{.   ms.  —    m)  rinlâtimi  f'iiiui-  Ji'  ii^uiiuk  th-  iHKure  d'autiruf  H  l'-eipertmte 


4l8  ESSAIS     DE     MONTAIGNE. 

à  la  domination  de  Satan.  Celuy  qui  appelle  Dieu  à  fon  affillancc 
pendant  qu'il  eft  dans  le  train  du  vice,  il  fait  comme  le  coupeur  de 
bourfe  qui  appelleroit  la  iuftice  à  fon  ayde,  ou  comme  ceux  qui 
produifent  le  nom  de  Dieu  en  tefmoignage  de  menfongc  : 

tacito  mala  iio/a  fururro  5 

Concipimus 

Il  efl  peu  d'hommes  qui  ozaflent  mettre  en  euidance  les  requeftes 
fecretes  qu'ils  font  à  Dieu, 

Haud  cuiuis  proniptuiii  cft  murmurque  humilelque  iuiuiros 

Tollere  de  remplis,  &  aperto  viuere  voto.  10 

Voyla pourquoy  les  Pythagoriens  vouloyent  cruelles  fulTent  publiques 
&  ouyes  d'vn  chacun,  afin  qu'on  ne  le  requit  de  chofe  indécente 
&  iniurte,  comme  celuv  là, 

clare  cuni  dixit  :  Apollo  ! 
Labra  mouet,  metuens  audiri  :  pulchra  Lauerna,  15 

Da  mihi  fallere,  da  iuftum  fanctùmque  videri. 
Noctem  peccatis  &  fraudihus  obiice  iiuhem. 

Les  lUcus  punirent  i^riejuenianl  les  iniques  uœus  d'Œdippus  en  les  liiv 
ûttrcnant.  Il  auoit  prie  ijue  ces  enjans  uuidassent  par  armes  entre  eus  la 
succession  de  son  estât.  Il  fut  si  misérable  de  se  noir  prins  au  mot.  Il  ne     20 
Jaut  pas  demander  que  toutes  choses  suiuent  nostre  uoloiité,  mais  qu'elle 
suiue  la  prudance. 


Texte  88.  —  5)  mala  nota  fufurro  —  7)  euidance  &  prclenter  en  public  les 
requeftes,  &  prières  fecretes  —  11)  vouloyent  que  les  prières  qu'on  tailoit  à  Dieu, 
t'uffent  — •  12)  requit  pas  de  —  15)  comme  faifoit  celuy  là, 

\'ar.  MS.  —  19)  Il  Ici  auoit  prieuie  faire  ijiie  cei  —  20)  wiscialilc  iVi-sIrf  ptiiis  — 
21)  nostre  opinion  mais 


LiVRK    I,    c:n.\PiTRn    Lvi.  419 

Il  lemble,  à  la  vcritc,  que  nous  nous  Icruons  de  nos  prières  conic 
d'un  iiiro;oii  et  comme  ceux  qui  employent  les  paroles  fainctes 
&  diuines  à  des  l'orcelleries  &  efFects  magiciens;  &  que  nous  facions 
noftre  conte  que  ce  foit  de  la  contexture,  ou  fon,  ou  fuite  des  motz, 
5  ou  de  noftre  contenance",  que  dépende  leur  efFect.  Car,  avant  l'ame 
pleine  de  concupilccnce,  non  touchée  de  repentance  ny  d'aucune 
nouuelle  reconciliation  enuers  Dieu,  nous  luv  alons  prefenter  ces 
parolles  que  la  mémoire  prelk  à  nt)i1re  langue,  &  elperons  en  tirer 
vne  expiation  de  nos  fautes,  il  n'ert  rien  fi  aifé,  fi  doux  &  l"i  iauorable 

10  que  la  loy  diuine  :  elle  nous  appelle  à  foy,  ainfi  fiiutiers  iS:  detef^ables 
comme  nous  fommes;  elle  nous  tend  les  bras  &  nous  reçoit  en  ion 
giron,  pour  vilains,  ords  &  bourbeux  que  nous  iovons  &  que  nous 
ayons  à  eflre  à  l'aduenir.  Mais  encore,  en  recompenfe,  la  faut  il 
regarder  de  bon  œuil.  Encore  faut-il  receuoir  ce  pardon  auec  action 

15  de  grâces;  &,  au  moins  pour  cet  inlUnt  que  nous  nous  addrefTons 
à  elle,  auoir  l'ame  defplaifante  de  i'es  iautes  &  ennemie  des  passions 
qui  nous  ont  poussé  à  l'ofTencer  :  jVv  les  dicus,  uv  les  gens  dt  bien,  diet 
Platon,  n'aeeeptenl  le  presanl  d'un  nwsebàl. 

Immunis  aram  fi  tetigit  nianus, 
20  Non  fomptuofa  blandior  iioftia 

Molliuit  auerfos  Pénates, 
Farre  pio  &  faliente  mica. 


Texte   88.   —    9)    cxpi.irion  générale  de    —     16)    des  concupifcences  qui 
17)  ont  pouffez  à 


'    Ou  de  noflre  contenance,  aJdiiion  Je  1588. 


Chapitre    LVII. 


DE   LAAGE. 


le  ne  puis  receuoir  la  façon  dequoy  nous  eflabliflbns  la  durée  de 
noitre  vie.  le  voy  que  les  fages  l'acourfiffent  bien  fort  au  pris  de  la 
commune  opinion.  Comment,  dict  le  ieune  Caton  à  ceux  qui  le 
vouloyent  empefcher  de  fe  tuer,  fuis  ie  à  cette  heure  en  aage  où 
l'on  me  puiffe  reprocher  d'abandonner  trop  toft  la  vie  ?  Si  n'auoit  il  5 
que  quarante  &  huict  ans.  Il  eilimoit  cet  aage  la  bien  meur  &  bien 
auancé,  confiderant  combien  peu  d'hommes  y  arriuent  :  &  ceux  qui 
s'entreiienent  de  ce,  que  ie  ne  fçay  quel  cours,  qu'ils  nomment  naturel, 
promet  quelques  années  au  delà,  ils  le  pourroient  faire,  s'ils  auoient 
priuilege  qui  les  exemptaft  d'vn  fi  grand  nombre  d'accidents  aufquels  10 
chacun  de  nous  eft  en  bute  par  vne  naturelle  fubiection,  qui  peuuent 
interrompre  ce  cours  qu'ils  fe  promettent.  Quelle  refuerie  efl-ce 
de  s'attendre  de  mourir  d'vne  défaillance  de  forces  que  l'extrême 
vieillefle  apporte,  &  de  fe  propofer  ce  but  à  noflre  durée,  veu  que 
c'eft  l'espèce  de  mort  la  plus  rare  de  toutes  &  la  moins  en  vfage?  15 
Nous  l'apellons  feule  naturelle,  comme  fi  c'eiloit  contre  nature  de 
voir  vn  homme  fe  rompre  le  col  d'vne  cheute,  s'eftoufer  d'vn 
naufrage,  fe  laiffer  furprcndrc  à  la  perte  ou  à  vne  pleurefie,  &  comme 

Texte  88.  —  7)  qui  fe  confolent  en  ce,  que  —  15)  c'cft  la  façon  de 


LIVRE     I,      CHAPITRE     LVU.  421 

fi  noflrc  condition  ordinaire  ne  nous  prcfentoit  à  tous  ces  inconue- 
nients.  Ne  nous  flatons  pas  de  ces  beaux  mots  :  on  doit,  à  l'auenture, 
appeller  pluftofl  naturel  ce  qui  eft  gênerai,  commun  &  vniuerfel. 
Mourir  de  vieillefle,  c'eft  vne  mort  rare,  finguliere  &  extraordinaire, 
5  &  d'autant  moins  naturelle  que  les  autres;  c'eft  la  dernière  &  extrême 
forte  de  mourir  :  plus  elle  eft  efloignée  de  nous,  d'autant  eft  elle 
moins  efperablc;  c'eft  bien  la  borne  au  delà  de  laquelle  nous  n'irons 
pas,  &  que  la  loy  de  nature  a  prelcript  pour  n'eftre  poinct  outre- 
paflee;  mais  c'eft  vn  fien  rare  priuilege  de  nous  faire  durer  iufques  là. 

10  C'eft  vne  exemption  qu'elle  donne  par  faueur  particulière  à  vn  feul 
en  l'efpace  de  deux  ou  trois  fiecles,  le  defchargeant  des  trauerfes 
&  difficultez  qu'elle  a  ietté  entre  deux  en  cette  longue  carrière. 

Par  ainfi,  mon  opinion  eft  de  regarder  que  l'aage  auquel  nous 
fommes  arriuez,  c'eft  vn  aage  auquel  peu  de  gens  arriuent.  Puis  que 

15  d'vn  train  ordinaire  les  hommes  ne  viennent  pas  iniques  là,  c'eft 
figne  que  nous  fommes  bien  auant.  Et,  puis  que  nous  auons  paffé 
les  limites  accouftumez,  qui  eft  la  vraye  mefure  de  noftre  \-ie,  nous 
ne  deuons  efperer  d'aller  guiere  outre  :  ayant  eichappé  tant  d'occa- 
fions  de  mourir,  où  nous  voyons  trébucher  le  monde,  nous  deuons 

20     reconnoiftre  qu'vne  fortune  extraordinaire  comme  celle-là  qui  nous 

maintient,  &  hors  de  l'vfage  commun,  ne  nous  doit  guiere  durer. 

C'eft  vn  vice  des  loix  mefmes  d'auoir  cette  fauce  imagination  : 

elles  ne  veulent  pas  qu'vn  homme  foit  capable  du  maniement  de 

fes  biens,  qu'il  n'ait  vingt  cS:  cinq  ans;  &  à  peine  conferuera-il  iufques 

25  lors  le  maniement  de  ia  vie.  Augufte  retrancha  cinq  ans  des 
anciennes  ordonnances  Romaines,  &  déclara  qu'il  luffiioit  à  ceux 
qui  prenoient  charge  de  iudicature,  d'auoir  trente  ans.  Seruius  Tullius 
difpenfa  les  cheualiers  qui  auoient  paffé  quarante  fept  ans,  des 
couruées  de  la  guerre;  Augufte  les  remit  à  quarante  &  cinq.  De 

30     renuoyer  les  hommes  au  feiour  auant  cinquante  cinq  ou  foixante 

Texte  88.  —   i)  prcfeiuoil  poinct  ;i  —  25)  le  manimcni  de 


422  ESSAIS      DE      MdXTAlGNE. 

ans,  il  me  iemble  n"v  auoir  pas  grande  apparence.  le  lerois  daduis 
qu'on  eftandit  nortre  vacation  &  occupation  autant  qu'on  pourroit, 
pour  la  commodité  publique;  mais  ie  trouue  la  faute  en  l'autre  cofté, 
de  ne  nous  v  embelongner  pas  aflez  tort.  Cettuv-cv  auoit  efté  iuge 
vniuerlel  du  monde  à  dix  &  neuf  ans,  6^  veut  que,  pour  iuger  de  la  5 
place  dvne  goutiere,  on  en  ait  trente. 

Quant  à  mov,  i'eftime  que  nos  âmes  font  denoiiées  à  vingt  ans 
ce  quelles  doiuent  crtre,  &  qu'elles  pivmclloil  tout  ce  quelles  pourront, 
lamais  ame,  qui  n'ait  donné  en  cet  aage  iinr  bien  euidente  de  {a  force, 
/;  'fil  donna  depuis  la  prenne.  Les  qualitez  &  vertus  naturelles  cmcigucnt     10 
dans  ce  terme  là,  ou  iamais,  ce  qu'elles  ont  de  vigoureux  &  de  beau  : 

Si  refpine  nou  pique  quand  nai, 
A  pêne  que  pique  iamai, 

difent-ils  en  Dauphiné. 

De  toutes  les  belles  actions  humaines  qui  font  venues  à  ma  15 
connoirt^ince,  de  quelque  forte  qu'elles  foient,  ie  penferois  en  auoir 
plus  grande  part,  à  nombrer  celles  qui  ont  efté  produites,  &  aux  fiecles 
anciens  &  au  noftre,  auant  l'aage  de  trente  ans,  que  après;  Ouï,  en  la 
nie  de  mesmes  homes  sonnant.  Ne  le  puis  ie  pas  dire  en  tonte  surté  de  celle 
de  Hannihal,  &  de  Scipion  son  grand  adnersere  ?  20 

La  belle  moitié  de  leur  nie,  ils  h  neseurent  de  la  gloire  aeqnise  en  lenr 
ieniiesse  :  graiis  homes  despnis  an  pris  de  tons  antres,  mais  nnllemant  au 
pris  d'eusmesmes.  Quant  à  moy,  ie  tien  pour  certain  que,  depuis  cet 
aage,  &  mon  efprit  &  mon  corps  ont  plus  diminué  qu'augmenté, 
&  plus  reculé  que  auancé.  Il  eft  pofTible  qu'à  ceux  qui  emploient  25 
bien  le  temps,  la  fcience  &  l'expérience  croifTent  auec  la  vie;  mais 

Texte  88.  —  8)  &  qu'elles  peuucnt  tout  —  9)  aage,  là,  preuue  bien  euidente 
&  certaine  de  (ii  force,  ne  la  donna  depuis.  Les  —  lo)  naturelles  produilent  dans 
—  18)  que  celles  qui  l'ont  efté  après. 

\'ar.  ms. —  19)  Hi'f  cffiici;  puis  rC-Libli  —  2o)  SOU  gai^  —  2i)  leur  cagc  ih  la  uiuciit 
de  —  22)  homes  lousiours  au 


LIVRE      I,      CHAPITRE      I.VII.  403 

la  viuacitc,  la  promptitude,  la  fermeté,  &  autres  parties  bien  plus 
noftres,  plus  importantes  &  eflentielles,  fe  tanifTent  &  s'alani^uifTent. 

Vbi  iam  validis  qu.ifiatuni  eft  viribus  aui 
Corpus,  &  obtufis  cecideruiit  viribus  artus, 
5  Claudicat  ingenium,  dclirat  lingu;iquc  mcnl'quo. 

Tantoft  c  eft  le  corps  qui  fe  rend  le  premier  à  la  vieillelTe,  par  fois 
auflî  c'eft  l'ame;  &  en  ay  affez  veu  qui  ont  eu  la  ceruelle  affoiblie 
auant  l'eftomac  &  les  iambes;  &  d'autant  que  c'eft  vn  mal  peu  ienlîble 
à  qui  le  fouffre  &  d'vne  obfcure  montre,  d'autant  eft-ii  plus  dange- 

10  reux.  Pour  ce  coup,  'ic  me  plains  des  loix,  non  pas  dequoy  elles 
nous  laifl"ent  trop  tard  à  la  befongne,  mais  dequoy  elles  nous  v 
employent  trop  tard.  Il  me  femble  que,  conlîderant  la  foiblefle  de 
noftre  vie,  &  à  combien  d'efcueils  ordinaires  &  naturels  elle  eft  exposée, 
on  n'en  deuroit  pas  faire  fi  grande  part  à  la  naifliince,  à  roilîueté, 

I)     &  à  l'apprentiflage. 

Texte  88.  —   11)  tri)p  long  temps  à   —   13)  efl  oppoféc,  on 


Ei\    DV    i>ri:.\iii:k    livre. 


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^   5  '^  »  !<^  i  r  ^ 


,  3. 


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v:  ^    "     V   —  ^ 


APPENDICE    1. 


VARIANTES  D'ORTHOGRAPHE 


ET  DE  PONCTUATION. 


NOTE    DE   MONTAIGNE 


Sur  le  verso  du  titre  de  l'Exemplaire  de  Bordeaux  Moiuaigin:  a  écrit,  à  ditt'éreiites 
reprises,  les  recommandations  suivantes  pour  l'imprimeur. 

Les  alinéas  sont  de  Montaigne.  Les  intervalles  que  nous  laissons  entre  certains 
alinéas,  marquent  les  arrêts  et  les  reprises  de  rédaction  que  nous  indiquent  dans  le 
manuscrit  les  différences  d'encre  et  d'écriture. 


I  Mon  tic  montrer  remontrer  etc.  escriiies  les  sans  /s/  ci  la  i  dif  Jeruncc 
de  monstre  momtrueiis 

[Cet]  home  cette  famé  escriiies  le  sans  jsj  a  la  differâce  de  c'est  c' estait 

Ainsi  mettes  te  sans  /;//'  ijitàd  une  iiovelle  suit  et  aneq  jnj'-  si  c'est  une 
côsonàte  ainsi  marcha  ainsiii  alla" 

.  Câ\paigne  espaigne  gascouigne  &c.  mette^^  vn  /i/  dauàl  le  /g,  corne 
a  montaigne  non  pas  sans  jij  campagne  espagne 

Mette:;^  mon  nô  tout  du  long  sur  chaque  face  Essais  de  niichet  de 
[M  onlaiguc  lin.  /.' 

Ne  mettei  en  grande  lettre  que  les  noms  propres  ou  au  moins'  ne 
diuersifies  pas''  corne  en  cet  exâplere  que  vu  mesnw  mol  soit  làlost  en 
grande  lettre  tantost  en  petite 

Ij.1  prose  Latine  grecque  ou  autre  estrâgiere  il  la  Jaiit  mettre  parmi  la 
prose  françoise  eu  caractère  différant    Les  tiers  a  part  et  les  placer  selon 

'    sans  jtij  autt 
*    aiuq  jnj  aiui'm 

■■'     Montaigne  i  dit  Ici  le  contraire  Uc  ce  tiuil  voulait  dire,  mais  l'eNeiuplc  rectilie  l'erreur  Je  la  règle. 

'  En  effet,  .i  titre  deseniple,  au  v  du  l'  i  et  au  r°  du  f"  2  portant  :  ESSAIS  DE  M.  DE  MONTA.  (l  v) 
LIVRE  PREMIER  (2  r)  Montaigne  efface  M.  DE  MOS'TA.  LIVRE  PREMIER  et  écrit  au-dessus  en 
grandes  capitales     MICHEL  DE  (i  v       MONTAIGNE    LIV.   I.   (2  r"). 

'■    moins  ftui  qu( 
"   pas  lu 


Jcur  nature  pentainettirs  sapbiqucs  Les  demi  uers  les  comancemâs  an 
bout  de  la  ligne  la  fin  sur  la  fin  en  eet  examplere  il  y  a  mille  finîtes  en  ' 
tout  cela 

Mettes  règles  régler  non  pas  reigles  reigler 

Suives  l'orthografc  antienc 

Outre  les  corrections  qui  sont  en  cet  exàplaire  il  y  a  infinies  autres  a 
faire  de  quoi  [l'i^niprimur  se  pourra  auiser,  mais  regarder  de  près'  a  us 
pouints  qui  sont  en  ce  [sti]le  de  grande  importance 

[S']il  treuue  une  mcsnic  chose  en  mesme  sens'  deus  fois  qu'il  en  oste  l'une 
ou  il  ucrra  qu  'elle  sert  le  moins 

[C']est  un  langage  coupé  /  qu'il  n'y  espargne  les  poulets  &  lettres 
maiuscules.  Moimesme  ai  failli  [souquant  a  les  oster  &  a  mettre  des 
conima  ou  il  faloit  un  poinct. 

Qu'il  noie  e  plusieurs  lieus  ou  il  y  a  des  parâtheses  s'il  ne  suffira  de 
distinguer  [le']  sens  aueq  des  poincts. 

Qu'il  mette  tout  au  long  les  dates  &  sans  chiffre 

Qu'il  serre  les  mots  autremàt  qu'icy  les  vus  ans  autres. 


'    en  eela 

'    tmis  ne  se  Imsarder  guiere  ans 

^    treuue  un  allesatiô  deus 


VARIANTES  D'ORTHOGRAPHE  ET  DE  PONCTUATION 


L'Exemplaire  de  Bordeaux  contient  beaucoup  de  corrections  d'orthographe  et  de 
ponctuation.  Nous  les  donnons  toutes,  sauf  la  correction  de  test  et  de  cesie  en  cet  et  celle, 
qui  est  constante. 

On  remarquera  que  l'emploi  des  majuscules  ou  des  minuscules,  auquel  Montaigne 
apporte  une  extrême  attention,  est  en  grande  partie  indépendant  des  signes  de 
ponctuation,  et  forme  une  ponctuation  supplémentaire.  On  remarquera  en  outre  que 
la  ponctuation  ne  joue  pas  pour  Montaigne  le  rôle  qu'elle  joue  pour  nous;  elle  ne  suit 
pas  le  mouvement  de  la  période,  elle  n'est  pas  une  analyse  logique;  elle  sépare,  clic 
met  en  relief  les  différentes  parties  de  la  pensée,  parfois  contrairement  à  la  construc- 
tion de  la  phrase,  et  elle  indique  l'intonation,  et  non  les  pauses  de  la  voix. 

Nous  représentons  par  des  caractères  romains  ,  :  .  les  signes  de  ponctuation 
du  texte  de  1588  que  Montaigne  n'a  pas  corrigés;  nous  représentons  par  de  petits 
caractères  placés  un  peu  au-dessous  de  la  ligne  ,  .  .  les  signes  de  ponctuation  de  ce 
texte,  qu'il  a  effacés  ;  nous  représentons  enfin  par  des  caractères  ég}i'ptiens  ,  :  .  les 
ponctuations  manuscrites  qu'il  a  introduites.  Une  majuscule  ou  une  minuscule  italique 
en  tête  d'un  mot  qui  est  imprimé  en  romain  «  £t,  prince»,  signifie  que  .Montaigne  a, 
dans  ce  mot,  remplacé  une  minuscule  initiale  par  une  majuscule  ou  réciproquement. 

Ainsi  «l'homme.,  /l  »  signifie  que  le  texte  de  1588  portait  «l'homme  :  il»;  que 
Montaigne  a  effacé  les  deux-points,  les  a  remplacés  par  un  point,  et  a  substitué  dans 
le  mot  «  il  »  une  majuscule  à  une  minuscule. 

Comme  dans  le  reste  de  l'ouvrage,  le  romain  représente  le  texte  de  1 588,  YiUiliquc, 
les  additions  ou  corrections  manuscrites. 

Le  lecteur  aura  donc  ici  les  ponctuations  (ponctuation  proprement  dite,  et  majus- 
cules ou  minuscules  initiales)  que  Montaigne  a  corrigées  sur  l'Exemplaire  de  Bordeaux, 
et  aussi  celles  qu'il  a  substituées  définitivement  a  ces  ponctuations  supprimées.  En 
revanche  pour  les  corrections  d'orthographe,  nous  n'inscrivons  ici  que  les  leçons 
effacées,  et  non  les  bonnes  leçons  puisque  celles-ci  se  trouvent  dans  le  corps  du  texte. 


AV  LEGTEVR.  =  P.  i,  1.  2)  priuéc..  7e  —  4)  gloire  :  Aies 

CHAPITRE  I.  =    P.  3,  1.  3)  mercy.,  —  4)   pitié.,  '/"outcsfois  —  6)  prince  — 

7)  Guienne,: 

P.  4,  1.  6)  cholere,»  Ex  —  7)  trois,  —  9)  /)rince  —  10)  tuer.j  —  11)  fuppli- 

cation,   —    12)   poing..  Cette    —    15)  pnncc  —    16)   <fuc   —    24)   aife,«  £t   — 

25)  Duc  :  Ex  —  27)  ayfement,.  Car  —  30)  effimation  :  S\ 


430  APPENDICE     J. 

P.  5.1.  i)  Stoiques..  /Is  —  affligez,:  Afais  —  3)  propos.:  Z)'autant  —  7)  mol- 
leffe  :  D'où  —  9)  fubicttes,:  Mais  —  13)  admiration,  —  14)  eftect..  Tefmoin  — 
Thebain,:  —  17)  obiections,  —  18)  fupplications  :  El  —  20)  peuple.  —  22)  main; 
Et  fe  départit  l'aflemblée. 

P.  6, 1.  5)  I"  (7  2''  /•;/  —  16)  riiomme..  I\  —  21)  ;nllc  —  25,  \"ak.  88)  onques.  — 
25)  difficultez, 

P.  7,  1.  i)  merueilleufes,:  — •  4)  parts  -.El  —  6)  perlbnne. .  7'ii  —  Betis  :  /-'ais 

—  8)   L'autre,    —    10)   Alexandre,  —  silence  :  //-il   —    13)   gcmifTement  :  7{t   — 
16)   Seroit-ce. 

CHAPITRE  II.  =  P.  y.  I.  7)  dit,  —  8)  Cambilcs  —  11)  terre  :  Z:"t  —  12)  conte- 
nance :  Mais  —   16)  noftres,  Oui 

P.  10,  1.  i)  maifon,  El  —  2)  efperance,  El  —  3)  exemplaire.  Comme  — 
4)  accident,  El  —  refolution,  —  5)  regrets,  £n  —  7)  lecouffe  :  Mais  —  9)  hiftoire, 
-V'eftoit  —  12)  amis,:  C'eft  —  r6)  Iphigenia,  —  18)  innocente,:  —  19)  art.:  — 
20)  couuert,  Comme  —  21)  poêles  —  24)  malis  :  Pour  —  28)  actions  :  Comme 

P.  Il,  1.  i)  mouuemcns,  i)e  —  4)  aife.,  —  8)  iieiis  —  16)  infupportable. : 

P.  12,  1.  6)  perfuafious  :  L'amc  —  8)  amour..  £t  —  10)  faifon,  £t  —  11)  e.\- 
treme,  —  13)  mefme..  —  17)  vidit,  —   22)  aife  :  El  —  23)  décerne;:;  A'ous 

P.  1 3,  1.  7)  dure;  £t 

CHAPITRE  III.   =    P.  14,  1.  2)    futures,  £t  —  4)    venir.:   —    5)   erreurs  :  .Vils 

—  7)  imprimeni  —   10)  aduenir,:  —   17,  Var.)  qu'ih 

P.  15,  1.  8)  mon..  71s  —  loix  :  Ce  —   10)  fucceffeurs.:  Choies  -—   13)  /irinces 

P.  16,  1.  18)  prœoeeupatioiif 

P.  17,  1.  2)  Auuergne  :  Les  —  8)  Vérone..  Mais  —  10)  combat  :  Alertant  — 
15;  trophée..  A  —   17)  Corinthiens  :  El  —  22)  vie,:  —  29)  mourant, 

P.  18,  I.  i)  EfcolTois,.  Comme  —  5)  ennemis  :  fftimant  —  6)  eus  —  14)  palTées  : 
Mais  —   15)  capitaine  —  17)  refpondit,  —  18)  enncmv  :  El  —   21)  arbre..  Mais 

—  27)  fmguliere  :  Mais  —  29)  percée  :  C'eft 

P.  19,  1.  i)  garderobbe..  71  —  3)  fut,  —  4)  Moy,  —  5)  celle  honte..  .S'i  — 
6)  volupté,  —  8)  couuertes  :  7'y  —  contrainte,  —  9)  homme.:  £t  fur  tout,  — 
10)  profelFiou  :  Mais  —  18)  allié,:  —  23)  vifitoit,  —   25)  trouuer,  £mplovant 

P.  20,  1.  i)  forte,:  £t  —  content,  —  3)  meurtre  —  5)  cefte-cv.  D'aller  — 
12)  i»  Hoila    2°  Foila  —  18)  cerimonie,  £t 

P.  21,  1.  i)  ceux,  —  2)  refpirans,  —  fepulture,  £t  —  3)  marbre.  —  Heureux, 
4)  fens.  par  l'infenfibilité,  —   13)  premntoini 

CHAPITRE  IV.  --^  P.  23.  !.  4)  prendre,.  7:t  —  8)  vent  :  .^uOi  —  11)  diftance., 

—  15)  prinfe  :  £t 

P.  24,  1.  5)  blefl'ees,  7;t  —  6)  fentent..  ^-  11)  aduiennent?  A  —  15)  ayme  : 
Prens  —  22)  mer,  —  25)  Athos  :  £t  —  25)  paflant  :  Et 

P.  25,  I.  r,^)  s'efcriant,.  \'arus  —   15)  Ibldats  :  Car  —   17)  fortune,  Comme 

CHAPITRE  V.  —   P.  26,  1.  \)  iours  :  Z-'ourniU'ant  —   5)  s'armer  :  D'oix 
P.  27,  I.  24)  profit,  £t 


AIM'KXDICI-:     1.  431 

P.  28,  1.  5)  praticquc  :  i't  —  5)  caule,  —  8)  seigneurs  —  9)  i:onnc  —  10)  conte, 

11)  coftc  :  Comme  —  i2,Var.  88)  /Honficiir  —  14)  parlementer  :  Car  —  lé)  />ar- 
lement  —  20)  \'îllc..  —  24)  fort  :  .-/près  —  26)  confentit.  —  27)  ncpueu.  — 
demandoit.. 

P.  29,  1.  i)  l'aflaillani..  'fefmoing — iheualier  —  2)  chafteau  —  (■>)  protict,  i 
Comme  —  7)  quatriefmc,:  —  8)  ennemy  :  .^  —   9)  mine.  —    12)  autriiv,.  .Uais 

—  15)  fairoi  —  iu!:;er. 

CHAPITRE  VI.  =  F.  50,  1.  4,  \'ar.  88)  /)arlemcni  —  5)  pièces  :  Chofe  — 
6)  fiecle,.  Mais  —  7)  reigies  :  Et  —  8)  pafle  :  Encore 

P.   31,  I.  7)    hommes..  Et    —    9)    délîct,  .■alléguant    —    10)    nuicls  :  .\/ais    — 

12)  parhiimiil 

P.  32,  1.  5)  reuanche.:  Le  /marquis  —  10)  planiere  :  Et  —  14)  cofa.,  — 
16)  ils  :  wiais  —  aduis.  Et  —  17)  peu  :  Car  —  18)  vifteffe,.  Mais  —  20)  cheoir.. 
Et  —  23)  Darius.:   i"/)oint   2°  Point  —  24)  defrobées  :  .Walo 

CHAPITRE  VII.  =    P.  55,  I.   i)   obligations.,  /'en    —    6)    rofc   —   8)    Duc  : 
7'outesfois  —   12)  remarquables  -.Et  —   13)  premier  :  Jffin  —  18)  donnée,  £t 
P.  54,  1.  10)  delloyauté..  -Von  —  22)  ttoJaities 

CHAPITRE  VIII.  =  P.  55,  I.  2)  inutiles,  i't  —  7)  femence  :  .-/infin  — 
S)  efpris..  S\  —  9)  contraigne  —  10)  imaginations., 

P.  56,  1.  i)   perd  :  Car    —    6)  vie,:    —    8)   fov  :  Ce    —    10)    meur  :  .\/ais    — 

13)  autruy  :  Et  —  16)  rolle,  £fperant 

CHAPITRE  IX.  =    P.  57,  1.  2)    en  moy,.  £t  —  4)    communes,.  Mais  en  — 

10)  mémoire  :  Et  —  12)  infenfé,.  71s  —  13)  marché  :  .V/ais  —  tort,.  Car 

P.  58,  1.  i)  mémoire,.  £t  —  5)  promeffe..  71  —  aniys..  71  —  7)  malice  :  £t  — 
18)  court,.  Car  —  22)  pitié,.  7e  —  23)  amys,.  A  —  26)  bonté,.  5'il 

P.  39,  1.  19)  mentir  :  £t  difent,  —  20)  vraye,.  £t  —  22)  confcience,.  £t 

P.  40,  1.  i)  desferrent  :  Par  —  5)  raflîs  :  Et  —  8)  faict,:  —  13)  l'expérience.. 
El —  defpens,  —  15)  negotient,  Et  —  18)  quand,.  D'où  —  19)  iaune  :  A  — 
20)  autre  :  Et  —  23)  fouuent  :  Car  —  26)  prudence,.  Qui 

P.  41,  I.  10)  1°  termes,  car    2°  termes.  Car 

P.  42,  I.  2)  particulières  :  D'autant  —  10)  ambaffadeur,  Et  —  12)  montre.  Eut 

—  13)   Empereur,.  Oui  —    14)   penfons  :  Qui  —    18)  hifloire,:  —    19)   mcimes,: 

—  21)  faict  :  Que  —  24)  vifage,  Defaduouant 

P.   13,  1.  9)  raifons,.  7. 'ambaffadeur  —   14)  Prance,.  Et 

CHAPITRE  X.  =  P.  44,  1.  4)  prefts  :  7^es  —  7)  beau,.  S\  —  11)  aduocat  :  Par 

—  12)  préparer,  £t  —    13)  interruption,  Là  —  14)  lice  :  Et  —  18)  rebours,  Que 
P.    45,   I.   4)    lieu,.    Mais    —     5)    trauaillé..   De    —     9)    Prefcheur,    £t    — 

11)  Prefcheurs,.  A\x  —  14)  préparer.  Et  —  17)  penfé,  Qu'il  —  18)  diligence. 
Qu'il  —  parlant..  Et  —  22)  laborieufe  :  .Si 

P.  46,  1.  2)  cela,.  Qu'elle  —  4)  félicitée  :  Elle  —  6)  prefentes,  &  fortuites.  1 
1°  SX  1°  S\  —  7)  languir..  7,'agitation  —  S)  difpofition..  Le  —  9)  moy,.  L'oc- 
cafion  —  11)  fonde,  —   12)  efcripts,. -S'il  —   14)   i"  </;/<■    2"  Que 


432  APPENDICE     I. 

CHAPITRE  XI.  ;=   P.  47,  I.  2)  crédit  :  Car  —  4)  ses  —  6)  cotilcmpsiiis  ;  Mais 

—  16)  ailleurs,.  .Votable 

P.  48,  1.  5)  prefentes.:  —  12)  remarcable..  Car  /ieutenant  —  14)  frère  :  Au  — 
15)  faire,:  —  21)  ruine  :  Qu'après  —  25)  party  -.A  —  25)  paflions  :  Car  — 
28)  fift.  :     1°  rar    2°  Car 

P.  30,  I.  6)  Almanach  —  10)  rencontre.:     1°  ce    2°  Ce  —  certitude, 

P.  51,  1.  13)  luv,  —  fonfeil  —   14)  fienne., 

CHAPITRE  XII.  =  P.  52,  1.  3)  menaffent,.  Ny  —  4)  rebours, 

P.  53,  1.  3,  \'ar.)  tout  —  19)  coup  :  D'autant  —  20)  ineuitable,.  £t 

P.   54,  1.   i)    arènes..   Lefquels   —    8)    cane,.  Car   —    11)    difcours   :   Car    — 

12)  foudaine?  Et  —   18)  treffaille  :  Ce  —  26)  sagc^  il 

CHAPITRE  XIII.  =  P.  56.  1.  2)  reigles  —  4)  venir..  Foire  —  8)  foit  ;  £t  — 
9)  route  :  £t  —  11)  offices  :  Comme  —  15)  offence  :  Qu'y  —  14)  iours  :  Ce 
P.  57,  1.  3)  cerimonie  —  6)   afiigné..  Foyre  —  7)   affemblée  :  £t  —   8)    biais. 

Que  —  14)  1°  cnsuiurc,     2°  etisiiiiire  :  —  18)   1°  ciuilité,    2°  citiilité  : 

CHAPITRE  XIV.  =  P.  38,  1.  Il)  changer,:  Et  —  14)  ennuyeux  :  Et  — 
15)  bon,.  £t 

P.  59,  1.  7)  tous  :  Car  —  9)  iuger..  Mais  —  11)  compofition  :  Tel  —  22)  fa- 
cilité., 

P.  éo,  1.  6)  affeurance,  1°  .  Qui  2°  ,  qui  —  8)  ordinaire,:  £ftabliflans  —  9)  peu- 
ple :  Foire  —  15)  chatouilleux  :  L'autre  —  22)  vie,.  Luy 

P.  61,  1.  i)  luy,  £t  —  13)  mefme,:  Celuy  —  14)  s'efcria.  Fogue  la  gallée,.  Qui 

—  17)  tcnoit,  £ntre  —  refpondit-il. :  1°  et  2°  Et  —  19)  maladie,.  Fous  — 
20)  iambes.  :  fa  2°  A  —  21)  Dieu,  Qui  —  demanda-il  :  £t  —  refpondant,  Ce  — 
22)  plait,.  Y  —  23)  replica-il  :  iJecommandez  —  24)  toft..  71 

P.  62,  1.  3)  fepmaine..  accident  —  4)  Xantiens,.  Lefquels  —  7)  vie  :  £n 

P.  64,  1.  3)  rabatre, :  £t  —   6)  temps,  —    12)  volontairement,:  £t  —    13)  vie, 

Afais  —   14)  viure,  £t  —    15)  faict  1°  :  et  2°  .  £t  —   18)  feulement   1°  :  2°  .  — 

Philofophe,  —  19)  monftroit  —  25)  chofes,  —  27)  cela,  El 

P.  63,  1.  4)  indigence?  Que  —  3)   mal,:  —  9)   Philofophie.:  —  11)   parler  :  £t 

—  12)  douleur,.  Mais  —  13)  inceffamment  :  A  —  s'efcrioit..  Tu  —  15)  douleur? 
71  —  17)  propos?  Pourquoy  —  20)  rolle  :  Nos  —  21)  iuges.,  —  24)  chatouillent? 
£t  — •  oriaues  —  25)  efcot, .  I\  ■ —  26)  tourmente  :  forcerons 

P.  66,  1.  2)  inftant.,  —   11)   1°  et    2°  Et  —  21)  cela,  —  21,  Var.  88)  douleur, 

P.  67,  1.  2)  volontiers.:     1°  rar    2°  Car  —   4)  elle.  Mais  — •   6,  Var.)  Qu'il  — 

7)  trampe,:  —  9)  refolution  :  Où  —  10)  deffier. :  rtuida  —  11)  dure,.  5ouftenir  — 

12)    midy,  .5e  —  afne,  .Se   —  13)    pièces,  £t  correction  effacée  .iv.int  que  l'encre  ne  fut  sèclic. 

—  OS,.  5e  —  22)  menées.,  —  24)  confoler  :  Que 
P.  68,  1.  i)  trop,  £lle  —  toy  :  L'vn 

P.  69,  1.  r)  naïfs  :   1°  &   2°  Et  —   2)  espèce  :   1°  conte  2°  Coiiie  —   4)   1°  et    2°  Et 

—  6)  dolur.  1°  et  2°  Et  —    13)  tefte..  /l  —  20)  moy  :  Où  —  22)  couche,  £t 
P.  70,  1.  7)  vous?  5inon  —  8)  ventre  :  £t 


APPKNDICK     I.  435 

P.  71,  1.  7)  nionftrer  —  12)  faifuii  :  /Je  —  13)  Cvfar.  —  26)  beaiiù-.,  — 
29)  point 

P.  72,  I.  2)  elles.  —  5)  nmglées.  —  colk/,  —  4)  viuc?  Oiiy  —  19)  affaires 
lar  —  24)  Hendredis 

P.  75,  1.  4)  religieux,  —  10)  enchantement.:  £t  —  12)  autruv,.  Par  — 
13)  grand,   —  28)  partie,  hardie,  —  29)  repos,  qu'Alexandre, 

P.  74,  1.  i)  Teres  —  2)  Sitalces  —  7)  maifons,  —  8)  inhabitables,:  —  9)  qui 
le  font  —  14)  hyuer..  A''auoit  —  15)  paille  :  £t  —  17)  liure,:  Oui  —  21)  plai- 
fant.:  Mais  —  23)  engendrer..  Toutesfois  —  24)  mortelle,.  Pour    -  avniables,.  El 

—  25)  valeur.:    1°  autant    2°  voûtant 

P.  75,  1.  21)  fortuites,.  Ex  —   26)  clofe  :  .Vfeftant  —   27)  m'acquilei\.  Lequel 
P.  76,  1.  2)    fatisfaire  :   £n    —    4)    payer..   Comme    —    5)    feruitude,:    i"  nulfi 
2°  ^urtî  —  6)  autruy.    i"  :    2".    —    9)   puis..  De  —    11)   marchander:  C'eft  — 
12)    impudence.:    i"  flpres    2"  .4pres    —    15)   defaduentage. :    i"  car   2°  Car   3°  car 
4"  Car    —    lé)    papier.   Qui    —    i8~)    aftres.  librement.    —    20)    horrible,    — 

21)   incertitude,.  Et 

P.  77,  1.  i)  collèges  —  2)  ciel  —  5)  pas,  —  certitude,  —  5)  niifere,  — 
7)   1°  n'y   2°  N'y  —   9)  fraiigilur  :  Et  —    12)   point  :  £t     -    15)   1°  elUs    2°  Elles 

—  22)  prins.  —  23)  condition..  .V'eftimant 

P.  78,  1.  i)   ordinaire..   N'v   —    4)   accident?  £t   —   6)    inconueniens  :  £t  ^ 

7)  infiny,:  —  14)  prouueu,.  £t  —  15)  cmnU\.  ïantoft  —  chemins,  îantoft  — 
19)  efpineux,:  —  incommunicables,.  7'auois  —  23)  commodité.  —  24)  Bion.  — 
25)  poil..  £t  —  27)  feruice.:  c'eft  p.  79,  1.  i. 

P.  79,  1.  2)  touchez..  71  —   3)  entamer  :  £t  —  4}  cheual,  —  8)  efpargne  :  On 

—  10)  biens.,  £t  —   19)  threfor,.  71      -    20)   apporter..  Ce   —    2O   partie,,  .-/uec 

—  25)  threfor,  Difant  —  26)  point.,  h 

P.  80,  1.   i)    Siracufain,   £t  —    2)    abandon,  7.e    —    3)    imagination..  Par  — 

4)  vie  (/e   —    5)   reiglée.:  C'eft    —   6)    recepte,  Tantoft   —   7)   l'autre..  Afais  — 

8)  iournée..  £t  —  9)  ordinaires.:  au\  —  12)  i'amafle.  —  15)  emploite. s  — 
lé)  m'augmente,.  —  19)  auarice,:  —  20,  V'ar.  88)  vieux,.  Laquelle 

P.  81,  1.  18)  chacun,.  £t 

P.  82,  1.  2)  conftitution,.  Comme  —  efchauftent,  —  5)  noftre..  Laquelle  — 
4)  nourrir  :  Qui  —  5)  froideur  :  A\n(\  —  6)  tourment,.  A  —  ~)  vin..  La  — 
luxurieux,  £t  —  8)  oifif  :  ^infm  —  10)  mefmes.:  —  20)  lenitiue.  24)  demeu- 
rant. —  25)  humaine 

CHAPITRE  XV.  =  P.  84,  1.  i)  vertus.:  —  2)  vice  :  En        4)  bornes.:  malaife/ 

—  13)  dedans  :  £t  —   17)  raifon  :  Comme 

P.  8),  1.  i)  Bony,:  —  3)  lieu.  —  4)  l'afLullent,:  -  6)  canons,:  -  12)  dure  : 
Comme 

CHAPITRE  XVI.    =    P.    86,   1.    8)    nous   :   £t    —    10)    deffaillance   :    De    — 
12)  confcience  :  £t  —  14)  mefcreans  :  £t  —  15)  nduocat    -  l'uge    -    17)  coiiardife, 
P.  87,  1.  i)  bataille,,  7.à  —    22")  armes  :  £t     -    25)  entra.: 


434  APPENDICE     I. 

CHAPITRE  XVII.  =  P.  88,  1.  9)  fien,.  TTftimant  —  10)  acquife..  refmoing  — 
12,  Var.  88)  poote,:  Par...  vaille.: 

P.  89,  1.    15)    refte,    —    15)    efcriuains  :  Si  (de  même  pour  tous  les  Si  de  cette  phrase). 

P.  90,  1.  5)  Maçon  —  7)  nous,  Ex.  —  12)  mots  :  ^uffi  —  18)  maiftre,:  — 
24)  party.i  —  25)  affaires,:  —  29)  façon,  —  32)  1°  chacun  2°  Chacun 

CHAPITRE  XVIII.  —  P.  92,  1.  4)  pafTion  :  ft  —  6)  raffis,  —  7)  dure, 
P.  95,  1.  1)  ville,  Et   —   7)   Reu.:  car   —    9)   pièces,  par  les  aifaillans,.  El   — 
II)  brefche,  —  13)  multitude..  En   —  18)   premiers.,   Tantoft  —  entraue,  Comme 

—  21)  s'enfuyr.,  —  formidat, ;  —  24)  dit,.  S\  —  tueray., 

CHAPITRE  XIX.  =  P.  96,  1.  4)  propos  :  Lequel  —  6)  Solon  :  Cela  — 
8)  Solon,  Que  —   11)  vie,.  Pour  —   15)  eftat,.    1°  ouy    2"  Ou\  —  17)  Rome  :  Dos 

—  18)  Corinthe  :  D'vn 

P.  97,  1.  3)  Egj'pte. .  Tant   —   6)  Loches  :  Mais   —    11)  bas.,  —    16)  monftrer 

—  17)  années,  JEt  —  18)  Laberius,.  —  22)  mal'heur  :  Et 

P.  98,  1.  2)  mafque  :  Ou  —  4)  contenance,.  Ou  —  7)  monftrer  —  8)  pot., 
CHAPITRE  XX.  —  P.  100,  1.  4)  mort  :  Ou  —   11)  arriuée.:  car 
P.    102,  1.  8)   accord,    —    to)   foing. .   Tant  —  neceflité,  La    —    12)    maladie, 
Comme  —  13)  fanté  :  (2u'auflî  —  16)  ineuitable. , 

P.  103,  1.  i)  commis  :  Durant  —  2)  plaira.,  —  6)  reducent.,   i°^enfez  2°  Penfez" 

—  Il)  futura..   —    15)   vifée  :  Si    —    19)   gens,    —    22)   fentence.:  1"  et   2'=  £t 

—  26)  perifrazes.:   1°  rtu  2°  Au  —  27)  vefcu.:   1° /^ourueu  2°  Pourueu 

P.  104,  1.  5)  trois.,  —  7)  autant. :  cependant  —  9)  quoy,  —  Var.  88)  autres.: 
et  ■ —  lé)  viure  :  Lt  —  18)  atteint  :  Et  —  19)  gageure,  —  20)  mors  —  22)  lefus- 
Chrift,  :  —  23)  Alexandre, 

P.  105,  1.  i)  pleurefis  —  4)  iouant  :  Et  —  7)   l'air  :  L'autre  —  8)  raifm  :  J'n 

—  10)  huis  :  £t  —  15)  Papes.  Le  —  Bebius,  l'uge  —  17)  expiré  :  Et  —  18)  mefler  : 

—  19)  S.  Martin,  —  22)  bleifure..71  —  23)  repofa., 

P.  loé,  1.  i)  reculaffe  :  Car  —  2)  aife,:  —  3)  voudrez.,  —  8)  beau  :  A/ais  — 

10)  tourmens»,    crisi,    ragei,    —    13)    heure  :  Et    —    16)    coûardife.,  A/ais    — 
18)  homme.,  —  22)  couure.,  —   24)  caput.,  «prenons  —  25)   combattre..  Et  — 

27)  commune.,   1°  oftons  2°  Oftons 

P.  107,  1.  i)  accouftumons  le,  ATayons  —  2)  mort  :  A  —  3)  vifoges  :  Au  — 
4)  foudain,.  £t  —  6)  ioye,  —  9)  allegreffe,  —  11)  feftins,  —  chère,  —  18)  mou- 
rir,   —    23)    triomphe,.   Qu'il    —    ?6)    fongecreux..  71    —    27)    mort,:   Toire    — 

28)  aage.,  —  29)  ageret.,  ï° parmy  2°  Parmy 

P.  108,  1.  5)   oreille.:  —  9)  imaginations..  Afais  —   lo)  doubte  :  ^Jutrement  — 

11)  frenefie  :  Car  —  18)  fin  :  Lt  —  21)  repos,  —  26)  mort..  le 

P.  109,  1.  5)  eft,:  £t  —  foy.:  —  8)  furcrois  —  10)  victoire,:  L'autre  —  11)  en- 
fans  :  L'vn  —  13)  eftre.:  —  22)  £t 

P.  110,  1.  3,  Var.)   debout.,  —  é)   chous,:  —  8)   extrémité,  —  17)  mort  :   £t 

—  18)  condition.:  —  22)  parco,  —  23)  coma  —  26)  bouche.:  1°  et    2°  £t 

P.  III,  1.  i)  hommes,:  —  9)  là  :  Laiffez  —  10)  auantage  :  £t  —  12)  plus.: 
Nature  —  main,  —  14)  craindre  -.Si  —  15,  Var.  88)  l'édition  de  1588  porte  auennes, 


APPExniCE   I.  453 

—  17)  fieure..  D'autant  —  26)  fenties  :  L'alegrclTe 

P.  112,  1.  5)   efpaules..  /'efpere  —  14)    changement  :  Mais  —    16)  £t  correction 

cflFacce  avant  que  l'encre  ne  fut  sèche.  —  appriuoife,.  Si  —  17)  fccouire.,  —  18)  dure.,  — 
19)  vieille(Tc. .  D'autant  —  25)  amc.  :  il  —  24,  Var.  88)  aife, 

P.  II},  1.  2)  elle.,  —  7)  concupifcences,»  —  9)  pourra  :  C'eft  —  11)  fers., 
18)  appelle,  Car  —  19)  regrettée  :  £t  —  20,  \'ar.  88)  pas, 

P.  114,  1.  2i)  vniucrs,  C'eft  —  22)  monde., 

P.  115,  1.  i)  chofes?  C'eft  —  5)  viure.,  —  16)  fatisfaict., 

P.  n6,  I.  i)  veu..  Vn  —  4)  arrierc-nepueux  :  £t  au  (1.  7)  —  10)  ieu..  h  — 
II)  recomencer,.  Ce  —  mefme.,  —  14)  pafte-temps.,  —  21)  mort  :  C'eft  pour 
néant,:  AvlGx  —  25)  nourrifle., 

P.  117,1.  2)  mefcontentement.,  —  5)  te,  —  4)  peremptum,  —  6)  tant.,  — 
10,  \'ar.  88)  rien.,  —  15)  heure,.  Ce  —  17)  plus.,  —  24)  cefte.i 

P.  118,  1.  6)  Mourez.: 

P.  119,  1.  18)  plcurars  :  El  —  22)  qu'elle  :  /'ne 

P.  120,  1.  2)  perfonnes.  :  ofté 

CHAPITRE  XXI.  =r  P.  121.  1.  2)  imagination,.  Chacun 

P.  122,  1.  7)  remettre  :  £t  —  9)  bourreau,.  £t  —  12)  imaginations,  £t  — 
I))  defirs.,  —  20)  mémorable,.  Lequel 

P.  123,  1.  i)  d'autres,  —  3)  mère.,  —  5)  Françoys,  —  6)  Germain,  — 
10)  produifirent,:  —   14)  fréquent  :  Car  —  19)  imagination, 

P.  124,  1.  2^)  seiitimaiit  1°  :  2°  ,  —  6,  ^'AR.  88)  refiftance.:  1°  on  2"  On  — 
8,  \'ar.  88)  plein,  —   14)  compagnon,  —  lé)  occafion,:  —  18)  rechoir   i"  ,    2'>  : 

—  20)  resueric  1°  ,  c'est   1°  .  C'est 
P.  125,  1.  5)  prenantes.: 

P.  126,  1.  14)  moi 

P.  127,  1.  16)  allarmcs,  —  aifement  :  £t  —   18)  afpres,: 

P.  130,  1.  8)  imagination,  —  lo)  chofes,  —  16)  l'opération  :  £t  —  19)  men- 
fongiere  :  D'auoir  —  22)  mal  :  .-apportez  —  25)  accouftumées  :  5ouuent  — 
24)  chauds..  Le 

P.  151,1.  22)  l'imagination..  Tefmoing  —  24)  maiftres  :  A'ous  —  25)  debatre  : 
.\/ais  —  27)  chofe,.  Que  —  29)  autruy  :  £t 

P.  132,  1.  9)  veuë,:  —  11)  nuifans.,  —  14)  expérience,  —  15)  fantafies, 
refmoing  —   20)  mefmes,.  Tefmoing 

P.  133,  1.  2)  preiis..  Les  —  4)  l'expérience,:  Chacun  —  exemples,:  £t  — 
8)  moiiiienicnl 

P.  134,  1.  4)  iuge  :    1°  et    2°  Et  —   14)  iiaille    1°  s  ignorant    2°  .  Ignorant 

CHAPITRE  XXII.  —   P.  136,  1.  2)  police  :  Car  —  4)  autre., 
CHAPITRE  XXm.  =   P.  157,  1.  14)   art  :  £t  —  15)  poifon  :  £t  —   16)  arai- 
gnées :  £t 

P.  138,  1.  7)  sens  1°  il   2"  .  // 

P.  140,1.  18)  col, 

P.  141,  1.  18)  nous  :    i"  que   2"  Que  —  19)  tout  —  27)  ses 


436  APPENDICH     I. 

F.  1^2,  1.  5)  inonlbcnt  —  7)  ailleurs.  —   10)  ailleurs,  —   14)  marie. 
F.  145,  1.  4)  remarier,  —  20)  démons.,  —  24)  principaux,: 
F.    144,   1.    14)    teiiii.<:    —    17)    terre..    —    22)    efloingné,    —    28)    herbes,    — 
30)  foyent, 

P.  145,  1.  2),  \'ar.  88)  mefpriféc,:  —  aliegreffe..  Ex 

P.  146,  1.  14)  >  i°c/    2°  Et 

P.  147,  1.18)  adresses 

P.  148,  1.  9)  cliofes,  —   14)  nous.. 

F.  149,  1.  14)  arraché,  —  19)  achapts, 

P.  150,  I.  14)  nobleffe,  —   15)   venge,   —    16)  capitale» i   —    17)   defhonnore., 

—  18)  loix..  Et  —  19  à  23)  L'édition  de  1588  met  deux-points  là  où  nous  mettons  point-virgule. 
M.tis  une  virgule  .lyant  étù  laissée  p.ir  erreur  .iprès  vaillance  et  après  force,  Montaigne  a  corrigé 
la  faute  en  y  substituant  deux-points.  —  23)  partaige  —  26)  Originelle.,  —  27)  autres, 

F.  151,  1.  9)  feruice,  —  lo)  vie,  —  13)  eft.,  —  16)  receue,  —  18)  enfemble, 
23)  chacun,  —  27)  mieux, 

P.  152,  1.  3)  porte,:  —  6)  apparence,  que  par  accident,  —  7)  engendré,:  — 
14)  ans, 

P.  153,  1.  i)  cntreprilcs  -.Ex  —  5)  doux,  —  5)  créances,.  Honefta  —  12)  poix 

P.  154,  1.  5)  progrez,  —  7)  innocent,  —  S)  anneees  (faute  d'impression.)  — 
10)  dire,  —   13)  face, 

P.  155,  1.  17)  fçache, 

P.  156,  1.  5)  s'introduire,  —  par  tout.  —  6)  reigle.  —  16)  Calon,  —  20)  tefl:e, 

—  25)  heures  :  Et  —  26)  calendrier:   1°  et    2°  £t 
P.  157,  1.  5)  ambafnideurs,  —  9)  Philopaîmen. 

CHAPITRE  XXIV.  ::=  P.  159,  1.  24)  Cinna,: 
F.  160,  1.  lé)  Cœpio.:  commence  —  18)  /y,: 
P.  161,  I.  4)  efcrié,  —   14)  Qucv,  —  que  à  —  21)  vie, 

F.    162,  1.   6)    appelions  (faute  d'impression). 

F.  165,  1.  15)  perfuafions, :  Qu'il 

P.  ié6,  1.  Il)  monflrant  —   14)  paroles,:  —  25)  vaiJle..  C'ert 

P.  167,  1.  2)  furieux  :  Pour  —  3)  eftoit.,  —  5)  tué..  Mais  — •  9)  remontrant.: 

—  18)  perfonage  :  La  —  21)  pœininucc    1°  cherchant   2°  Cherchant 
P.  168,  1.  2)  ou,  —  23)  fortune.:  car  —  24)  tout, 

P.  169,1.  28,  V.AR.  88)  hardy^, 
P.  170,  I.  2)  remède..  Mms 

CHAPITRE  XXV.  =  P.  171.  I.  i)  enfance.  —  2)  badin,  £t  —  7)  fçauoir  : 
D'autant  —   15)  ancienne  :  Car 

F.  172,  1.  i)  efueillée,  7;t  —   12)  defuiefler,.  Et  —   14)  remplit,  Et 

P.  173,  1.  18)  vfage  :  Ceux-cy 

P.  174,  1.  10)  manufacture,: 

P.  175,  1.  4)  expérience,:  —  13)  fciences  :  Et 

P.  176,1.  15)  plus,:  —    17)  contes,: 

P.  177,  1.  15)  tout..  71  —  26)  Cicero. .  /e 


APPENDICK     I.  45  j 

P.  178)  1.  2)  lageire.,  —  17)  befongnc,  fout 

P.  179,  1.  6)  satisfisceiit  —  lé)  enpetrant  —  17)  accommode  :  /Is  —  18)  malade.. 
/Is  —  20)  caule. .  /Is 

P.  180,1.  i)  faifoit,  Et  —  2")  robe,:  —  14)  neain,:  Ex  —  18)  vCage.:  — 
21)  fortes.. 

P.  181,  1.  2)  ftile  :  ift  —  5)  iugemcin..  Cette  —  12)  incorporer,:  —  15)  teindre.: 

—  14)  là,.C"eft—   18)  lames,:  At  —  21)  lettres,:  —  22)  mieux,:  —  26)  lettres,: 

—  28)  Roys  :  £t 

P.  184,  1.  4)  gitte  —  14)  leçon.: 

P.  185,  I.  21)  refpondirent,  —  26)  l'oit,:    —  27)  sacrâtes 

CHAPITRE  XXVI.  —   P.  1S7,  1.  2)  laiflaift  —  auoùer..  .Von 

P.  iSS,  1.  8)  papier  i"  t  a  2°  .  A  5"  .  a  —  10)  inclination  :  Car  -  13)  charge  : 
Afes  —  17)  chopant  :  £t  —  20)  dçfmeler  :  Fi 

P.  189,  1.  3)  imagination.:  a  —  9)  moy  :  £t  —  15)  contraire.:  Car 

P.  190,  1.  i)  paflage..  /'auois  —  3)  nues  :  Si  —  7)  excufable  :  Celloit  — 
8)  monde  :  De 

P.  191,  1.  21)  opinions  :  le  —  22)  croire  :  le 

P.  192,  1.  6)  viendra  :  Outre  —  8)  touche..  .V/ais  —  19)  obfcure,:  — 
25)  monftrent  —  26)  naturelles  :  D'où 

P.  193,  1.  Il)  peuple,:  —  15)  dialectique,:  —  appel,:  —  16)  lettrée  :  Car  — 
18)  defcendus  :  £t  —  21)  fiecles..  7e  —  22)  vfagc  :  C'eft 

P.    194^    1-     15)     partie,:     —      16,    \'aR.)     Montaigne  avant   J'efl'accr  celte   v.iriante  corrige 

monftrant  en  montrant 

P.  195,  I.  8)  Qu'il  —  i))  auallée  :  L'crtomac  —  17,  \"ar.  88)  dire  :  Leur  — 
18)  crédit,:  —   21,  Var.  88)  allures  :  Leur  —  24)  reigle 

P.  196,  1.  7)  Epicuriens  :  Qu'on  —  8)  peut,:  —  9)  double.,  —  16)  préceptes  : 
L't  qu'il  oblie  —  22)  mariolaine  :  ^^infi  —  24)  iugement  :  6on 

P.  198,  1.  1)  fuftifant  :  La  —  4)  eftrangers, .  .Yon  —  12)  enfance  :  £t  — 
17)  parents  :  Cette  —   18)  fages. .  /Is  —  19)  hasardeusemail..  /Is  —  23)   icuneffe, : 

—  médecine., 

P.  199,  1.  19)  puis,  —  23)  vice.  Qu'au 

P.  200,  1.  3)  acquife  :  A  —  4)  prefence..  Car  —  6)  i"  et  2°  Et  —  16)  luitc  :  £t 

—  20  apperceura  :  Soit  — '23)  prefcript,  :  71  —  24)  appreuue, .  Ny 
P.  201,  1.  21)  corriger  :  1°  abandoner  2"  Abandoner  —  23)  tout  :  Car 

P.  202,  1.  2)  chacun,:  —  3)  partant,:  —  4)  mefnage  :  La  —  9)  chofes..  Tout 

—  10)  verra  :  Vn  —    11)   Charlemaignc..   —    13)   ferat,.   —  24)  charge..  £t  — 
27)  là  :  Qu'il 

P.  203,  1.  5)  eftandus,  —  7)  befongne..  A/ais  —  fmiplement..  /l  —  S)  plaift,:  — 

15)   pas,:  —  difcours,.  C'eft  —  16)  briefueté  :  5ans  —   19)  fçauoir,:  —  20)  dire.: 

P.  204,  1.  3)  ville,:  —  4)  humain  :  -Von  —  9)  collet  :  5ans  —  14)  orage  :  £t 

—  21)  variété.:  —  22)  tres-delicate, :  —  28)  noftres,: 

P.  203,  1.  Il)  monde  :  y^infi  —  19)  philofophie,:  —  20)  dira.,  —  25)  gigni- 
mur  :  i»  i/ue  2"  Que  —  26)  eftude,  :  Que  —  27)  iuftice  :  Ce 


438  APPENDICE     I. 

P.  206,  1.  2)  libertc  :  A  —  contentement  :  /ufques  —  3)  honte.:  —  4)  laborem.: 
I»  çuel  2°  Quel  —  8)  fens,.  Qui  —  9)  viure.i  —  19)  1°  icelles  :  2°icelles;  — 
21)  !/iucndi  —  25)  a;uum..  —  24)  enfans.,  —  26)  aqua.,  /a 

P.  207,  I.  2)  propres.,  —  8)  ahiii  i"  cstiinl  2°  Estant  —  12)  Rhétorique  :  El  — 
2))  cfprit  :  En 

P.  20S,  1.  6)  terrible  :  Oui  —  9)  temps..  Fne  —  12)  dit,.  Ou  —  14)  refpondit  : 
C'eft  —  17)  fcience. .  Mais  —  20)  contriftcr.  :  —  25)  corps  :  £lle  —  26)  aife  : 
Doit 

P.  209,  1.  3)  enfumes,  Ce  —  elle,:  —  4)  dire».  —  5)  rire..  Won 

P.  211,  1.  13)  /vr((/;/«  :  i"  et  2°  Et 

P.  212,  1.   i)   craindre  -.Et   —    8)    ccrtum,  milerifque,   —    15)  garçoii^^  /c    — 

13)  d'efcole. .  /e  —  20)  rent  —  25)  Ny 

P.  21},  1.  i)  conceuë, :  —  é)  compagnie  —  7)  eftude  :  Car  —  10)  refpondre  : 
I\  —   12)  faire  :  Car   —  16)   fciences. .  Mais  -^    19)   ieux  :  £t  —   22)   falutaires.: 

—  25)  autres..  Mais 

P.  214,  1.  4)  eftude  :  La  —  lé)  cruauté  :  Oftez  —  18)  née,:  Si  —  19)  pas  : 
fndurcifTez  —  21)  mefprifer  :  Oftez  —  22)  tout  :  Que 

P.  2ié,  1.  5)  harquebufades,:  —  6)  fouris,:  —  14)  couftumcs  :  El  —  16)  com- 
paignies, .  Foire  —  22)  prince  :  /e  —  23)  compagnons,:  Ex 

P.  217,  1.  i)  Allemagne..  I\  —  6)  (iinté,.  5urpaflant  —  8)  Lacedemoniene, :  — 

9)  lonië., 

P.  218,  1.  10)  poilîbn,  —  17)  gens,:  —  24)  claufes,.  /incores  —  25)  parties,.  Et 
P.  219,  1.   3)  l'autre..  Plus   —    5)    La  Rochefoucaut. .  Vn   —   6)    luy,  Luy  — 

8_)  plaifamment,.  71  —  16)  euidence  :  C'eft  —  17)  cela?  Ce  —  20)  dehors  :   i»  j'is 

2"  /Is  —  mefmes  :  Et  —  25)  muet., 

P.  220,  1.  2)   grammaire.:   —   9)    naifue  :  Ces   —    11)    ferme,:  —  monftrc   — 

14)  Policrates  :  ^pres  —   15)  refpondit  :  Quant  —  17)  vieux  —  20)  fabrique,:  Le 

—  22)  faueur  :  Mais  —  25)  mots  :  Seigneurs 

P.  221,  1.  4)  verfus,.  —  13)  main  :  Llle  —  18)  eux  1°  t  plus  2°  .Plus  — 
19)  poètes  :  Mais  —  22)  mais,  que  fera-ii,  —  24)  i"  (pi'il  s'en  moque  :  il  2°  Qu'il 
s'en  moque.  Il 

P.  222,  1.  5,  Wr.  88)  finiffe  —  19)  bouche  :  Fn  —  22)  Pluftoft  —  que 
cnnuieus,.  Efloingné  —  affectation;  Defreglé  —  23)  hardy  :  Chaque  —  corps  :  Non 

P.  223,  1.  2)  veftemens,.  1°  un  2°  Vn  —  4)  l'art  :  Mais  —    7)    i"  et   2°  Et  — 

10)  paroiffeut  (faute  d'impression)..   Tout 

P.  224,  1.  7)  langage  :  Ceux-cy  —  15)  commerce  :  C'eft  —  i8)  moymefmes,. 
5"en  —  21)  vfage  :  Lt 

P.  225,  1.  6)  premier  :  Ceux-cy  —  11)  fit..  Mon  —  12)  l'entendre,:  —  neceflité, 
Comme  —  15)  autour,:  - —  18)  Arabefque  :  Lt  —  20)  fçauoit  :  Car  —  23)  Fran- 
çois,: 

P.  226,  1.  3)  mienne  :  Car  - —  7)  art,  Mais  —  8)  d'exercice  :  Nous  —  9)  déclinai- 
fons  I",  2"  :  —  12)  forcée,  —  13)  contrainte,:  /e  —  15)  tandre  —  23)  caufc, 
Le  —  24)  incommode  :  Car  —  27)  bien,  Lt 

P.   227,  1.  3)    mcnoit  :  L'apprehenfion  —   tardiue  :  L'inuention  laehe  :  Et    — 


APPENDICE     I.  459 

5)    Secondement,*   —    10)   grues,»   —    12)   d'Italie  :   El   —    16)   nourriture,:    — 

17)  collèges..  Afais  —    iS)  incontinent,»  —  19)  vfage,  Fa  —  21)  classes  :  Car  — 
25)  Ouidc.:   1°  CAT  2°  Car 

P.  228,  I.  2)  matière  :  Car  —  10)  l'jEneide,  —  14)  iiigfiiieusciiicnt^.  Faifant  — 

18)  complexion  :  AxifCi  —  21)  inutile  :  On 

P.  229,  1.  16)  1°  conessoil,  2°  cotiessoit  t  —  19)  enfance.:  /'ne  —  21)  aage,  — 
22)  annus, 

P.  250,  1.  5)  dignité.»  1°*;;;  2°  En  —  5)  France,»  £t  —  6)  me  loue  (ûme  dim- 
pression).  —  7)  maifon,»  El  —  14)  efbattcmens, s  £t  —  15)  valent,»  —  18)  ieux  : 
La  —  augmente,  i  El  —  20)  magiftrat,  »  El 

P.  231,  1.  i)  I"  et  qu'ans  2°  Et  qu'ans  —  destines  —  5)  propos,  71  —  4)  liures  : 
On  —  6)  fcience,» 

CïIAPITRE  XXVU.  =  P.  232,  1.  2)  perfuader  :  Car  —  4)  anie,s  —  7)  l'amc 
et  plus  —   1 2)  vray-femblable  :  Qui 

P.  235,  1.  5)  Theffala,  il  —  7)  mefme  :  Non  —  8)  curiofité  :  Mais  —  12)  na- 
ture :  £t  —  19)  eftrangeté.,  —  23)  autres., 

P.  234,  1.  2)  rOcean,.  £t  —  4)  genre.,  —  17)  fufpens  :  Car  —  27)  moquer  :  £t 

P.  235,  1.  8)  perdue  :  £t  —  9)  l'accident  :  Dirons  —  12)  ieu,»  —  13)  vanité,» 

—  15)  nous,.  Toutesfois  —   18)  dens  —    19)  Hilaire  :  Pafle   —   20)  contredire,. 
Afais  —  23)  veùe..  Fae  —  25)  fit..  —  28)  guéri..  Tne 

P.  25e,  1.  i)  veuë,  —  perdue  »  £t  —  4)  recors  :  Scn  ce  —  18)  créance..  71  — 
25)  difpenfer  :  Ce 

P.  257,  1.  2)  treffolide,» 

CHAPITRE  XXVIU.  =  P.  258,  1.  4)  fuftifance,»  £t  —  11)  partie  :  Car  — 
15)  VoLOXTAiRE  :  A/ais 

P.  239,  1.  8)  antiquité  :  Car  —  22)  pareilles, 

P.  240,  1.  8)  refpect.  L'amitié  —  10)  nature  :  Car  —  15)  pères,»  —  18,  Var.  88) 
l'autre  :  L'amitié  —  19)  naturelle,»  —  Aristippus  1°  ,  2»  »  —  23)  frère,»  le 

P.  241,  I.  3)  alliance  :  Mais  —  é)  fraternelle..  Les  —  11)  auflï  :  Ceft  — 
14)  volontaire  :  £t  —  17)  eftre,  .4yant  —  20)  fraternelle.,  —  25)  confeffe,  «eque 

—  27)  amaritiem, 

P.  242,  I.  12)  s'alanguift  :  La  —  20)  iamais  :  La  —  22)  cy.  —  25)  vouloir,» 
£t  —  27)  affection..  Là 

P.  243,  1.  2)  couture  :  Ny  —  7)  comble..  Mais 

P.    245,    1.    10)    retOUruent    (faute  d'impression).    —    I2)    /îOV    —     I9)    1°  et    2°  Et    — 

21)  obliges  —  26)  perde 

P.  246,  I.  15)  luy,:  &  —  17)  Blofius  :  Mais  —  18)  Lœlius  :  i'y  —  21)  con- 
fefTion.,  £t  —  23)  myftere.,  £t  —  24)  pas,  —  25,  Var.  88)  connoiflance.,  £t 

P.  247,  1.  8)  façon  :  5i  —  9)  l'accordaffe. ,  Car  —  14)  mien.,  vifucune  — 
24)  genre.,  —  règles,»  —  25)  tromperoit..  /l  —  26)  précaution  :  La  —  27)  Aymes 

—  28)  haïr,» 

P.  248,  1.  6)  compte  :  Cette  —  7)  caufe..  Car  —  8)  porte,  —  12)  deuoirs,  El 

—  13)  différence,»  —  19)  refemblance  —  20)  femme,.  Foulant 


440  APPENDICE     I. 

P.  249,  1.  2)  monltrur  —   5)  Corinthien  :   Tenant  —  8)  pourra.:  et  —  lo)  mo- 
quèrent., —    19)   amis  :  Car   —    20)   indiuifible  :  Chacun    —    21)    ailleurs   :  Au 
rebours,  —  23)  communes,  —  24)  départir.  On  —  26)  refte  :  Mais 
P.  250,  I.  13)  difois  :  Car  —  14)  befoin..  71  —  lé)  monftre 
P.  251,  1.  13)  1°  au  2°  An  —   18)  luy-mefme_:  —  20)  action..  7e  —  22)  vlage, 
P.  252,  1.  3)  ay  :  Et  —  poinct,  —  7)  amy..  71  —  8)  tafté  :  Car  —  1 1)  d'efprit, 
^)-ant  —  12)  d'autres,  ^i  —  19)  languiffant,  i  Et 
P.  255,  1.  8)  dire_:  ~      9)  moy  :  Car 

P.  254,  1.  3)  actions  :  7c  —  7)  efcriuoit.,  —   8)   iouant. :  7^t   —   9)    Sarlac.s  — 
raifon  :  Mais  —  14)  temps  :  71  —   15)  d'auantage..  71 

CHAPITRE  XXX.  =   P.  257,  1.  6)  parolles.:  —  11)  diuine,: 
P.  258.  1.  23)  autres  :  Ou'il  —  24)  immodérée  :  Car 
P.  239.  1.  Il)  obferuée  :  Ex  —  18)  mariage,:  Foila  —  20)  feuerité  :  Ce 
P.  260,  1.  22)  faueur,  : 

P.  261,  1.  9)  efcient.,  —  10)  l'homme?  A  —  26)  cela..  Afais 
P.  262,  1.  2)  poignante..  El  —  é)  rauilerent.  —   14)  Tvlage  :  71  —  15)  guérir  : 
Ex  (correction  eft'acée). 

P.  263,  1.  6)  Merico  —  Fernaud   —  9)  ciel,:  —  21)  débonnaire. 

CHAPITRE  XXXI.  =    P.  265,  1.  2)  capacité  :  .Vous  —  iS)  Italie..  —  21)  foret., 
24)  d'entre-deux., 

P.  266,  1.  14)  gaigné,:  El  —  15)  baftimens,: 

P.  267,  1.  20)  l'Hiftoire  :  ;ls  —  23)  collé  la,  —  27)  cela.  —  31)  narration, 

P.  268,  1.  i)  priuilege, 
•   P.  269,  1.  2)  entreprinfes..  i;t  —  13)  façon. 

P.  270,  I.  14)  perfection.: 

P.  271,  1.  16)  pain,  —   17)  confit.:  l'en 

P.  272,  1.  18)  articles,  —  25)  cette,  caufe,  —  24)  mefconté, 

P.  273,  1.  15)  cognoiffans. :  /Is  —    18)   niefme,:   —   22)  Scythes,:   —    23)  ven- 
geance. .  £t 

P.  275,  1.  6  ncceflaires..  —  8)  point.  —   10)  généralement.  —   11)   enfans,  — 
deffoubs,:  —  26)  inuincible.  :  i\ 
■    P.  27e,  1.  13)  noftres  :  C'eft  —  18)  fortune,  —  21)  homme. 

P.  277,  1.  i)  conriLot,  si...  pngnat.  Qm  —  4)  l'ame,  —   25)  1°  car  1"  Cm 

P.  279,  1.  18)  fens  :  couleuure  —  22)  chanfon.:  or 

P.  280,  1.  10)  chofes,  —    16)  commander  :  .secondement  —   17)  langage,  telle, 

CHAPITRE  XXXII.  =    P.  282,  1.   i)    inconnues,.  D'autant  —   2)   crédit,:   — 
9)  moins,:  —    10)  fables,: 

P.  283,  1.  18)  foy..  Comme  —  22)  party.. 

CHAPITRE  XXXIU.  =   P.  283,  1.  8)  a9).iwt.: 

P.  286,  1.  14)  aduerti,  —  21)  ineftimable..  Son  —  27)  monilra 

CHAPITRE  XXXIV.  =  P.  288,  !.  2)  vifages,:  —  9)  Pape,:  —   u)  tour,: 
P.  289.  1.  3)  prifonnier,:  —  17)  diuine  :  Ex 


ApPEXDici-;   I.  441 

p.  290,  1.  2)  las,  —   17)  pou>6vtT«.,  Iz 

P.  291,  I.  8)  finguliere.:  —  11)  Tyran,:  —  13)  mortels.,  —  i.j)  plavcs,  — 
15)  eftat,:  —  18)  amoureufement, 

CHAPITRE  XXXV.  —   P.  292,  1.  5)  comme,:  —  8)  ouurier.: 
P.  295,  1.  5)  fortune, 

C2LAPITRE  XXXVI.  =  P.  295,  1.  8)  oreillei   1°  a    2"  .4  —  17)  qui. 

P.  296,  1.  10)  Haiinibal.. 

P.  297,  1.  10)  prez.,  —  15)  desfaicls,: 

CHAPITRE  XXXVU.  =  P.  299,  1.  3)  fntcl  :   1°  et  2°  El  —  4)  nie  :   i"  cl    2»  Et 

—  7)  modelh  1°  pour  2°  .  Pour 

P.  300,  1.  8)  héroïques:  Cetl  —  9)  eftre, :  —  10)  corruption  :  C'ell  —  14)  dire, 
Et 

P.  501,  1.  i)  vertueufe  :  Celles  —  2)  l'elTence  :  Car  —  7)  vertu  :  1\  —  17)  le 
prins  —  21)  meurs.,  /e  —  temps,  —  24)  vaines  :  Grande  —  25)  fubtilité..  Qu'on 

P.  302,  I.  lé)  conceuoir.  —  naïfue.  «v  dressée  a  cela.  Comme  —  18)  Ca;far  : 
Dequoy  —  19)  raifon  :  £t  —  23)  monftrer  —  24)  atteindre..  A/ais 

P.  503,  1.  i)  argument.,  /c  —  3)  Caton,.  —  4)  iiicidaut  —  26)  formes  i"  non 
2°  .  Non 

P.  304,  1.  6)  l'vn,.  —  8)  l'autre..  £t  l'autre.  —  11)  Cœfar.,  —  14)  chœur,  — 
15)  peinture.  —  manière., 

CHAPITRE  XXXVIII.  =  P.  305.  1.  10)  trefpafle.  —   11)  foudain, 

P.  506,  1.  2)  autre,  /utùmque 

P.  307,  1.  i)  force,  —  10)  i'aye, :  —  imprécations,:  —  11)  volontiers,:  — 
25)  l'entre  deux.,  —  28)  lumen,: 

P.  308.  1.  12)  victoire.:  —  19)  efchappe.,  —  22)  vlla. 

CHAPITRE  XXXIX.  =  P.  309,  1.  i)  l'actiue  :  £t  —  8)  monftrcnt  —  9)  Ibli- 
tude,  Car  —  12)  Biais  —  15)  portas,  — Xili.,  —  16)  preffc.:  —  17)  haïr..  7bus 

P.  310,  1.  4)  soit  —  r6)  veue. .  /l 

P.  311,  1.  2)  chemin  :  5ouuent  —  3)  changez..  Il  —  5)  entier  :  Ou  —  toute  : 
£t  —  9)  vie.,  —  15)  contrée.,  —  14)  equidem  —  17)  démeflent.,  —  r8)  haret 

—  lïetalis  —  20)  voyage..  le  —  foy.  1°  ,  2°  :  —  25)  dauantage.  Comme 

P.  312,  1.  i)  raflifes  :  Fous  —  2)  place,:  Fous  —  3)  remuant  :  Comme  — 
10)  calena;.:  1°  «ous  2°  A'ous  —  11)  nous  :  Ce  —  23)  foy  :  C'eft  —  27)  nous  : 
Defprenons  —  28)  autruy  :  Gaignons 

P.  513,  1.  6)  dommage.  71  —  25)  place  :  Difcourir 

P.  514,  1.  Il)  eux?  Pour  —  17)  fage?  .VuUes  —  19)  vie,  —  21)  vfage.. 
iVoftre  —  25)  amis., 

P.  515,1.  4)  vie:  Ramenons  —    10)   fortes.,   —    11)  cela..   —    13)  efcorcher, 

—  14)  monde,  —  25)  i"  si  2°  Si 

P.  316,  1.  5)  confeil,:  —  9)  plaifantes,  Afais  —  10)  fondement  :  Ce  —  11)  veu- 
lent :  Pourquov   —  16)  douleur  :  Ceux  —  27)  auant,  71 


442  APPENDICE     I. 

P.  317,1.  2)  attaindre..  Tout  —  14)  patience  :  Ex  —  13)  vigueur^:  Ou  — 
24)  faire  :  £t 

P.  318,  1.  i)  chacun  :  Le  —  2)  l'aiment,  —  5)  Salufte  :  EWz  —  6)  Cyrus  :  i't 

—  8)  tout_:  —  9)  d'autres.,  —  lé)  tienne..  Il  —  réputation  :  D'vne  —  19)   im- 
mortelle.: 

P.  319,  1.  3)  puissance  :  1°  l'ame  2°  L'amc  —  5)  eterncUe  :  i"  la  2"  La  — 
13)  contente.:  «ous  —  17)  prend  :  Ceft  —  24)  Philiftas  :  £t  —  25)  boire,.  Mais 
28)  les, .  /e 

P.  320,  1.  8)  porte_.  Et  —  10)   humeur,  —   21)  chatouillent,:  ■ —   22)   mort.: 

—  26)  vigoureufe  :  A/oy 

P.  321,  1.  i)   corporelles  :  Et   —    10)   compte  :  La.   —    11)   l'ambition  :  La   — 

12)  gifte  :  A    —    14)   iamais.:    —    18)  grain  :  A/ettons    —    23)   port..  T'eus    — 
24)   l'ombre..  71   —  26)  gloire..  71  —  28)  tanière  :  Quitez 

P.  322,  1.  i)  d'autruv  :  7:t  —  3)  mefrae  :  Jouuienne  —  5)  gens  :  Len  — 
6)    vn. .  71    —    8)    peuple   ;   Ceft    —    10)    cachette..  71    —    11)    tanière   :   Ce    — 

13)  mefmes  :  i?etirez  —   14)  receuoir  :  Ce  —  15)  gouuerner. .  71   —  16)  compa- 
gnie :  7ufques  —  21)  intentions  :  Si  —  22)  train..  71s  —  25)  plaire  :  Lt 

CHAPITRE  XL.  =  P.  323,  1.  i)  couples..  71  —  4)  ambitieufe  :  TTntre  — 
5)    regiftres  :  £t  —  7)  hiftoires  :  Mais  —  10)  amis  :  En 

P.  324,  1.  2)  efcris..  71s  —  3)  faire,.  Et  —  6)  Afriquain  :  Car  —  8)  mefme,.  On 

—  12)  louables,.  Lt  —  13)  principales  :  Comme  —  15)  bague  :  Ces  —  lé)  pro- 
pres :  J  —  18)  guerre  :  De  —  23)  ce  recomandant 

P.  325, 1.  14)  muficiens,  ATas  —  16)  art,  7a  —  20)  manière  :  TTt  —  26)  hngadcQ') 
-  P.  32e,  1.  19)  philofophes  :  Car  —  20)  amis,.  Afais  —  22)  autruy  :  Car  — 
23)  renommée,  —  25)  appeller,  : 

P.  327,  1.  4)  différence,:  —  6)  cadence,:  —  7)  fapience, :  —  9)  dire.,  — 
10)  chofes  :  51  —  lé)  lendemain..  71  • —  27)  priué..  Mais 

P.  328,  1.  i)  langue..  Trop  —  7:t  —  2)  cerimonieufes  —  3)  courtoifes..  7e  — 
4)  feruice..  7e  —  5)  crois  :  Ceft  —  7)  prefentations  :  La  —   11)  flateur,  Qui  faict, 

—  12)  tire,  —  13,  \'ar.  88)  die,:  £t  —  24)  Italiens.,  L'en  —  25)  volumes  :  Celles 
P.  329,  1.  7)  autre,  Car  —  8)  iamais  :  7'ay  —  10)  marge..  Celles  —  11)  moins.: 

1°  depuis    2°  7)epuis    —    14)    matière..  Comme    —    20)    defchargc..  Comme    — 
22)  finance..   1° /ant  2°  Tât 

CHAPITRE  XLI.  =   P.  330,  1.  2)   gloire,  Que   —  12)   autre  :  Ceft  —    14)  71 

—  15)  vanité., 

P.  332,  1.  7)  Romme,  —  communément,  ■ —  9)  promouuent  —  11)  Spartes,  — 
26)  blesser  i":  2°; 

CHAPITRE  XLII.  =  P.  333,  1.  u)  merueille, 

P.  334,  1.  10)  poche  -.Si  —  12)  defcouuert  :  Ou  —  23)  monftre  —  24)  (ienncs.. 

—  26)  cherchez,  —  guaine  :  Fous  —  27)  defpouillé..  71 

P.  335,  1-  i)  ancien.,  Sçauez  —  3)  patins  :  La  —  4)  efchaces  :  Qu'il  —  $)  che- 
mife  :  \"  a  2°  A  —  allègre?  Qu'elle  (faute  d'impression).  —  6)  il?  cft  —  7)  autruy?  l.\ 

—  11)  il.  —  17)  fortuna.:  un  —  19)  foy,  —  22)  «on 


APPENDICE     I.  44', 

P.  îj6,  1.  5)  repoussent j  —  8)  difparité.: 

P.  557,  1.  6)  volantes  :  £t  —  7)  armées.,  —    14)  ils?  Quand  —  18)  colique.» 

—  24)  plaie.:  Et  —  26)  pocte, 

P.  338,  I.  4)  rabiller.s  —  6)  fiât.,  i/uoi  —  12)  fauourer  :  C'cft  —  15)  heureux.: 
20)  hebeté,: 

P.  559,  1.  2)  monde  :  1°  a  20  A  —  4)  auro.,  —  7)  dents,  —  11)  pipcrie.: 
i^  oui  2°  Oui  —  17)  doux.:  —  20)  guider,:  —  22)  quietum,  —  25)  velle.. 

P.  340,  1.  i)  dauantage,:  —  5)  priuez,,  —  4)  trouuons. ,  —  8)  mufiquc?  h  — 
17)  populaire.,  —  20)  cœnœ,  —  oftro, 

P.  541,  1.  5)  faute.,  car  —  ii)  plus,  —  15)    penfces,:  —  luger  —  15)   alFifes., 

—  18)  fien  : 

P.  342,  1.  10)  imaginaires  :  Chaque  —  13)  auant,  —  17)  valets,:  —  19)  Perle,: 
22)  vie..  La 

P.  343,  1.  3)   moy. :   —    10)   lucceireurs..  Si    —    11)   affection  :  Pourquoy   — 

15)  moy.,  —  lé)  difproportion..  71s  —  17)   Tout  —  18)  fard,:  Leur  —  19)  eux., 

—  20  moy» 

P.  344,  1.  7)  arbres,  —  10)  Anacharfis.  —  feroit,  —  22)  eftat?  /lourquoy  — 
28)  propos., 

CHAPITRE  XLIII.  =  P.  345,  1.  16)  apparente  :  C'eft 

P.  546,  1.  4)  tiilh\.  Elles  —  12)  moins,  (faute  d'impression).  —  ordonnance,: 

P.  347,  1.  2)  court..  Qu'ils  —  3)  occultes^z  —  14)  vitieufes., 

CHAPITRE  XLIV.  =   P.  349,  1.  4)  quitter,  aufli, 

CHAPITRE  XL V.   =  P.  353,  1.   12)   vaillance.:  —  monftrer  —    14)   bleffeS  — 

20)  monrtrant 

CHAPITRE  XLVI.  =   P.  355,  1.  8)  volontiers.:  —   11)  droit, 

P.  356,  1.  12)  par  une  faute  d'impression  visible,  le  texte  de  1588  donne  niagnificncé. 
Montaigne  efface  l'accent  sans  rétablir  le  C.   —  2o)   eftrangeté..  /'ay  —   23)   Vallemontanus, 

P.  357,  1.  8)  tige  :  El 

P.  358,  1.  5)  famille.:  —  21)  prjemia,  il 

P.  359,  1.  lé)  aduentagent., 

P.  360,  1.  5)  Toutesfois. 

CHAPITRE   XLVII  (').   =    P.    361,   1.    5)   ventura,  qui    —    15)    dauantage,   — 

16)  fus?  ^uell'efperance 

P.  362,  1.  10)  vaincre.,  —  12)  contrairei,  —  infatiable,  —  27)  ncceflité., 
P.  363, 1.  3)  Clodomite  (faute  d'impression).  —  22,\'.\R.  88)  ainfi.:  /es  —  25)  armée? 
5'ils  —  24)  mon,  —  25)  fiens, 

P.  364,  l.  2)  raifon.:  car  —  11)  faire.,  —  28)  party..  L'accident 
P.  365,  1.  2)  inconuenient,  —  14)  courfe.,  —  25)  ordonnance.. 


'     Ce  chapitre  dans  les  éditions  publiées  du  vivant  de  Montaigne  est  divisé  en  alinéas.  C'est  le  seul 
qui  présente  cette  particularité. 


444  APPENDICE     I. 

P.  366,  1.  4)  coy..  —   16)  guerre.,  —  29)  rcnnemv.:  rar 

P.  567,  1.  lé)  Italie.  —  17)   print  :  Mais  —   25)   dépendent.   —   24)   fortune.. 

CHAPITRE  XL VIII.   =  P.  370,  1.  5)  cousteillier 
P.  371,  1.  17)  cheual,  —  23,  Var.  88)  fuite  :  Mais 

P.  372,  1.  Il)   cheual,:  —  confequence,:  —   12)   lâche_:   —    13)   refpondre, . -■/ 
15)  cheual.,  —  21)  peut..  Comme  —  28)  ventis,: 

P.  374,  1.  12)  aiigiiis  —  18)  cofté,  —  20)  Piccards  —  22)  Suéde  :  .-fux 

P.  375,  1.  i)  vfent.,  —  6)  bride., 

P.  576,  1.  18)  nature. .  aucuns 

P.  377,  1.  4)  ces  —  16)  Ambaffadeurs  ;  —  26)  coiilrciiis  —  27)  sou 

P.  378,  1.  12)  Dahas,:  —  26)  selle,.  El 

P.  379,  1.  7)  clouées.: 

CHAPITRE  XLIX.  =  P.  380,  1.  1)  peuple,  —  4)  arreft, 

P.  381,  1.  16)  lors,  —  22)  mains,:  —  26)  fimplicité,  —  27)  parfumoyent, 

P.  382,  1.  9)  temps.,  —  15)  Vénitiens., 

P.  383,  1.  9)  paflans.,  —  24)  poste  :  Le 

P.  384,  I.  23)  mefme,  —  24)  oindre., 

P.  385,  1.  3)  port.,  —   3)   Tota  —   12)  aulfi., 

CHAPITRE  L.  =  P.  38e,  1.  4)  loing,  £t  —  5)  riue,:  El  —  12)  meilleure., 
P.    387,   1.    i)   argument^:  71s  —  bons  :  £t  —   2,   \'ar.   88)    volentiers  corrigé  en 
volontiers  —  6)  sçai  —  eimc  —  9)   1°  eschaiitilloiis  2"  Eschaiilillons  —  15)  Cette 
P.  388,  I.  2)  amoureufes. .  On  —  22)  Alexaiide 
•  P.  389,  1.  15)  larmes., 

CHAPITRE  LI.  =  P.  391,  1.  2)  grandes.:  t'eft  —   16)  orateurs,: 
P.  392,  1.  10)  médecine  :  £n  —  18)  1°  contre  2"  Contre  —  21)  1°  les  2°  Les 
P.  593,  1.  8)  raifon,:  —  12)  mot,  —  19)  fauces,:  —  25)  confiderations. , 
P.  394,  1.  9)  iEmilius,  —   14)  corniches,  —  20)  pellegrin, :  —  27)  femble, 

CHAPITRE  LU.   —    P.  396,  1.  16)  mefmc  :  71 
P.  397,  1.  5)  demy,  par  iour, 

CHAPITRE  LUI.  =  P.  598.  1.  12)  accord.: 
P.  399,  1.  3)  dcfreglée., 

CHAPITRE  LIV.  =  P.  400,  1.  5)  entiers,  de  vers,  —   14)  phiifomment, 

P.  401,  I.  8)  moyennes, 

P.  402,  1.  6)  courage  :  /Is  —   11)  e.Ktremitez., 

CHAPITRE  LV.   =   P.  405,  1.  8)  Plante., 

P.  406,  1.  i)  anciens.:  c'eft —  2)  bon.,  —  9)  autre.,  —  21)  tort.,  car  elle  (faute 
d'impression).  —  23)  feruent  :  Si  —  mouchoir,  —   24)  iour  :  7:lles 
P.  407,  1.  3)  air,  :  &  —  6)  pestes  —  10)  font  :  Qui  —  18)  ces 

CHAPITRE  LVI.  =  P.  408,  1.  2)  efcoles  :  A'on  —  3)  chercher:  ft  —  11)  pro- 
pos :  Comme  —  13)  trompe.,  Mais  —  17)  n'auons  :  £t 


APPENDICE     1.  44) 

P.  409,  1.  6)  choie..  jVfais  —  7)  bouche  :  Car  —  15)  aide,.  Sms  —  iniufte..  /:t 

—  18)  protecteur,:  —  20)  bon,: 

P.  410,  1.  i)  infeparables..  Pour  —  2)  caufe  :  I\  —  6)  redoublons,,  frefentans 

—  10)  retormation.,  —  12)  ^anctonico  —  17)  couftume  :  Ou  —  18)  prières  :  Ce 

—  22,  Var.  88)  vaniance  corrigé  en  vengeance  —  23)  Dieu., 

P.  411,  1.  8)  {jiioi  —  I))   1°  de  2°  De  —  lé)  uisibks  —  iitaiiiablea 

P.  412,  1.  15)  oreilles.:   1°  c'eft  2"  C'eft 

P.  413,  1.  Il)  Mahometants  —  14)  changement,.  A'on  —   16)  langue  :  L'Eglife 

—  17)  folenne  :  £n 

P.  414,  1.  6)  1°  egliie  2°  Eglise  —   11)  point  —  15)  raisons  —   18)  prcsances 
P.  415,  1.  14)  matière,.  Comme  —  15)  publiques).  —  17)  ftile,  —   18)  humai- 
nement,: que  —  19)  theologalement  :  La  —  23)  baffes,: 

P.  41e,  1.  10)   iuftice,:  &  —    15)   communs..  /Is  —    15)   comparaifon  :  En   — 
25)  faire^, 

P.  417,  1.  7)  entreprinfes.,  —  21)  diuine  :  Toutestois 

P.  418,  1.  4)  menfonge.:  —  8)  Dieu.,  Haud  —  13)  celuy  là., 

P.  419,  1.  14)  œuil  :  fncore  —  15)  grâces  :  £t 

CHAPITRE  LVII.  =   P.  421,  1.  lé)  auant,.  E\. 

P.  422,  1.  Il)  beau.:  —  14)  Dauphiné,.  —  25)  auancé  :  71 

P.  423,  1.  14)  l'oihueté. 


APPENDICE    11, 


LEÇONS  DES  ÉDITIONS  DE  1380  &  1382. 


LEÇONS  DES  ÉDITIONS  DE  1580  &  1382. 


Quoique  l'édition  de  1588,  à  laquelle  appartient  I'Exempiaire  de  Bordeal'x,  porto 
le  titre  de  ciiujuiesme,  nous  n'en  connaissons  que  trois  qui  l'aient  précédée;  la  première 
en  1580;  la  seconde,  rcucuc  &  aiiginciitce,  en  1582;  la  troisième  en  1587.  Les  travaux 
de  M.  P.  \'illey  et  nos  recherches  nous  ont  convaincu  que  cette  troisième  édition  est 
une  réimpression  fautive  de  la  seconde,  elle  n'en  diffère  que  pat  quelques  fautes 
d'impression  corrigées  et  par  beaucoup  de  fautes  d'impression  nouvelles.  Il  nous 
parait  inutile  de  donner  ces  leçons  que  l'on  retrouvera  d'ailleurs  dans  l'excellente 
édition  du  texte  de  1580  publiée  par  MM.  Dezeimeris  et  Barckhausen.  En  revanche, 
nous  avons  recueilli  des  éditions  de  1580  et  1582  toutes  les  leçons  qui  diffèrent  du 
texte  de  1588. 

Nous  désignons  par  a  les  leçons  de  1580,  et  par  /'  celles  de  1582. 

Pour  les  leçons  communes  à  a  et  /',  nous  suivons  l'orthographe  de  celle  des  deux 
éditions  qui  a  été  revue  et  corrigée  par  Montaigne,  celle  de  1582. 


AV  LECTEVR.  =  P.  i,  1.  2)  a,  b  :  propofé  nulle  fin 
P.  2,  1.  6)  a,  b  :  ce  premier  de  Mars.  1580. 

CHAPITRE  I.  =  P.  5,  1.  2)  a  :  ayant  vengeance 

P.  4,  1.  2)  il,  /'  :  iufques  a  —  9)  c,  fr  :  Scanderbech  —  17)  (7,  b  :  a  nulles  plus 

P.  5,  1.  8)  rt,  i  :  celle 

P.  6,  1.  lé  et  Var.  1.  lé)  n,  h  :  eftablir  nul  ingénient  —  22)  a,  b  :  pour  aulruy. 

CHAPITRE  II.  =    Dans  a,  b  ce  chapitre  commence  par   Le  COnte   (1.  7). 

P.  10,  I.  8)  rt,  />  :  comble 

P.  II,  i.  16)  a,  b  :  infupportable.  Ce  qu'exprime  naifuement  le  diuiii  poème. 
mifero 

P.  12,  1.  9)  a,  b  :  de  la  fe  peut  engendrer  par  —  24)  a,  b  :  que  Pape 

CHAPITRE  III.  =  P.  17,  1.  4)  a,  b  :  Berthelemi  —  25)  a,  b  :  que  l'en  fuurnilfe. 
Edouard  —  27)  a,  b  :  combien  la  prefence 

P.  18,  1.  13)  a,  b  :  premiers  ne  —  14)  a,  b  :  mais  cetuy  cy  y  veut  encore 
traîner  la  —  2;)  rt  :  cet  exemple  —  27)  a  :  parmy  fes  humeurs 

P.  19,  1.  2)  rt,  /'  :  defroboit  &  cachoit  pour  —  4)  a,  b  :  cachées  :  &  iufques  a 
telle  (I.  10). 


450  APPENDICE     II. 

CHAPITRE  IV.  =    P.  23,  1.  2)   a  :  ne  donne  ni  du  tOUt  (1-  2),  ni  foit  (1.  3). 

P.  24,  1.  12)  a,  b  :  OU  droit 
P.  25,  1.  16)  (7  :  ou  la 

CHAPITRE  V.  =  P.  26,  1.  6)  a  :  dernier 
P.  28,  1.  13)  a,  b  :  Guichardin 
P.  29,  1.  3)  fl  :  Berthelemy 

CHAPITïlE  VI.  =  P.  30,  I.  3)  a,  b  :  leur  part,  cryoient 

CHAPITRE  VII.  =  P.  33,  1.  5)  rt  :  Philippe  lui  remettroit  —  /'  :  luy  remettoit 
• —  7)  a,  b  :  eftoit  enfuy  —  12)  a,b  :  d'Aiguemond,  aufquels  il  fit  trancher  la  tefte,  il 

CHAPITRE  VIII.  =  P.  56,  1.  2)  a,  b  :  en  nul  lieu  —  10)  a  :  trouue  comme 
vanam  lemper  —  b  :  trouue  comme  variam 

CHAPITRE  IX.  =  P.  37,  1.  1)  a,  b  :  de  la  mémoire,  qu'a  moy.  Car  — 
2)  a,  b  :  quafi  nulle  traffe  chez  moy  :  —  3)  ^,  ^  :  vue  fi  —  6)  a,b  :  réputation.  l'en 
pourrois  faire  des  contes  merueilleux,  mais  pour  cefte  heure  il  vaut  mieux  fuiure  mon 
thème.  Ce  n'eft  pas  (p.  39,  ].  16). 

P.  40,  1.  6)  rt,  /'  :  tous  les  coups  —  11)  a,  b  :  prife,  il  cfchape 

CHAPITRE  X.  —  P.  44,  I.  i)  a  :  Onques  —  14)  a,  b  :  toute  heurte  de  — 
15)  a,  b  :  Ex  puis  les 

P.  45,  1.  2)  a.  b  :  d'autres  Princes  —  13)  «,  b  :  donne  nul  aduantage  — 
20)  a,  b  :  le  cognois  bien  priuement  &  par  ordinaire  expérience,  cefte  condition  de 
nature,  qui  ne  peut  fouftenir  vne  véhémente  préméditation,  tant  pour  le  défaut 
(i  :  pour  défaut)  de  la  mémoire  &  difficulté  du  chois  des  chofes  &  de  leur  difpofition, 
que  pour  le  trouble  qu'vne  attention  véhémente  luy  aporte  d'ailleurs.  Nous  difons  — 
24)  a,  b  :  imprime  es  ouurages,  ou  —  25)  rt  :  il  y  a  —  27,  \"ar.)  a,  b  :  trouble. 
En  (p.  46, 1.  I). 

P.  46,  1.   3)   a,  b  :   par  ("es  paflîons   —    i}   C  '■    recueillie  (dans  quelques  exemplaires).  — 

y)  a,  b  :  l'agitation,  c'eft  la  vie  &  la  grâce  de  fon  langage  :  fes  efcris  le  monftrent  au 
pris  de  fes  paroles  :  au  moins  s'il  v  peut  auoir  du  chois,  ou  il  n'y  a  point  de  valeur. 

CHAPITRE  XI.  =   P.  47,  1.  9)  rt  :  trepillement  —    10)    des  foudres...  riuieres 

(addition  de  1588). 

P.  48,  1.  19)  a,  b  :  en  l'Italie 

P.  49,  1.   5)   a  :    ne  donne  p.is  fui 

CHAPITRE  XII.  =  P.  53,  1.  25)  a,  b  :  molin 

P.  54,  1.  i)  a,  b  :  théâtre  des  arcnes  —  2)  a,  b  :  colluurine  —  13)  ii  :  fortune 
ait  ia  fauorifé  leur 

CHAPITRE  XIII.  =  P.  57,  1.  3)  (7  :  a  l'entreuë  aufli 

CHAPITRE  xrv.  =  P.  58,  \.  12)  a,  b  :  eftrangement  fous  de 

P.  éi,  1.  I,  Var.  88)  a  :  que  de  fc 

P.  62,  I.  7)  a  :  pour  finir  la  —  a  :  Brutus  a  tout  fon  armée  on 

P.  64,  1.  8)  a,  b  :  donnez  la  —  13)  a,  b  :  pour  finir  les 

P.  65,  1.  6)  û  :  par  l'eft'ect  —  9)  «  :  l'a  Dieu  —  24)  a,  b  :  que  de  l'aloé 


APPEXDICE     II.  4jl 

P.  69,  1.  20)  a,  h  :  foibles  des  reins 

P.  71,  1.  21)  a,  b  :  peau?  &  l'en  furnommoit  on  Madame  refcorclicc.  Il  — 
22)  a,  b  :  en  acquérir  la 

P.  72,  1.  3)  a  :  coftcs  —  24)  (7,  b  :  preftre  a  tout  cinq 

P.  82,  1.  6)  a,  b  :  tout  ainfi  qu'a  —  7)  a,  b  :  aux  luxurieux  —  9)  a,  b  :  ne  font 
ny  doulorcufes,  nv  —  13)  "  •  courbé  —  /'  :  courbe 

CHAPITRE  XV.  —  P.  84,  1.  9)  ((,  /;  :  poullailler 

CHAPITRE  XVI.  =  P.  86,  1.  12)  a  :  contre  confcience 

P.  87,  1.  22)  (ï,  /'  :  roiturier 

CHAPITRE  XVII.  =  P.  88,  1.  5)  Bafti...  armenti  addition  de  1582. 
P.  S9,  1.  18)  (I  :  température,  de  —  23)  a,  b  :  cerimonies 
P.  90,  1.  15)  a  :  poingnard 

CHAPITRE  XVIII.  =  P.  92.  1.  4)  a,  b  :  cft  nulle,  qui  —  17)  /'  :  première 
a  l'arme 

P.  93,  1.  8)  «  ;  hors  la  ville  —    25)  a.  b  :  fomnc  —    25)  a,  b-.  perdez  (LVditioii 

de   liS;  donne    perdiez) 

.     CHAPITRE  XIX.  =  P.  96,  1.  17)  a,  b  :  menufiers  —  18)  a,  b  :  Cicile 
P.  97,  1.  27)  a,  b  :  réglée  &  bien  aliénée,  ne 
P.  98,  I.  7)  a,  /'  :  parler  bon  François 

CHAPITRE  XX.  =  P.  102,  1.  iij  a,  b  :  hommes  paffant  leur 

P.  104,  1.  ))  tj  :  1553  —  /'  :  1532  -  25)  a,  b  :  terme,  &  ce  fameux  Mahumet 
aufli.  Combien 

P.  105,  1.  6,  \'.\R.)  a,  b  :  a  l'airte  —  i8)  a  :  qui  luv  cloft  —  22)  a,  b  :  bleflure, 
&  qui  l'eftonna  Ci  peu,  qu'il  ne  s'en  affit,  ny  repofa,  iufqu'a  ce  que  le  voyla  perdu 
cinq  ou  fix  heures  après  d'vne  Apoplexie.  Ces  exemples 

P.  loé,  1.  j)  a,  b  :  c'eft  vne  folie  —  9)  a,  b  :  eux  mefmes,  ou  —  12)  a  :  meilleur' 
heure 

P.  107,  1.  7)  a  :  condition  :  ne 

P.  108,  1.  13)  a,  b  :  prefent  heureufe,  ne  m'en  —  21)  a  :  en  bataille 

P.  iio,  1.  9)  17  :  le  15.  ou  16.  de  —  b  :  \e  quinziefme  ou  16.  de 

P.  112,  1.  2)  (7  :  fes  —  5)  fl  :  les  en  trouue  —  22)  /'  :  courbé  —  25)  a  :  qu'elle  le 
craint 

P.  Il),  1.  i)  a,  /'  :  pas  par  vous  —  7)  a,  b  :  pendet.  Et  ne  mourez  iamais  trop 
toft.  Si  (p.  116, 1.  i). 

P.  116,  1.  8)  rt  :  parfournit,  &  en  —  20)  rt  :  rabatrez  —  25)  a,  b  :  manebit. 
Dauantage  nul  (p.  117,  1.  15). 

P.  119,  1.  21)  a,  b  :  elFrayables  —  26)  &  de  prefcheurs  addition  de  1582. 

CHAPITRE  XXI.  =  P.  121,  1.  2)  a,  b  :  de  l'aprehention,  chacun 

P.  122,  1.  -)  a,b  :  ne  l'y  peut  —  12)  a,  b  :  plume  nous  fentons  —  22)  a  :  les 
produit  en 

P.  123,  1.  20)  a,  b  :  s'en  enleuent 

P.  124,  I.  12)  a,  b  :  pouuoit  efchoir  nul  foupçon 


452  APPENDICE    II. 

P.  12),  I.  5)  a  :  &  notamment  cela  eft  a  craindre,  ou  les  commoditez  fe  rencontrent 
improueues  &  preffantes.  A  qui  a  affez  de  loifir  pour  fe  rauoir  &  remettre  de  ce 
trouble,  mon  confeil  eft  qu'il  diuertiffe  ailleurs  fon  penfement,  ou  qu'on  luy  perfuade, 
qu'on  luy  fournira  des  contreenchantemens  (1.  5,  Var.  88).  —  b  est  identique  au  texte  88 

sauf  les  variantes  suivantes   :    difficile,  qu'il  fe  (faute  d'impression   probablement)...  feruy,  a  y... 

contrenchantemens. . .  cerimonieufes. 

P.  127,  1.  15)   de  l'affaillant  addition  de  1588.  —    lé)  a,  b  :  diuerfes  al'armes  elle 

—  Ï-)  a,  b  :  ne  les  faict  —  20,  \'ar.  88)  luy  addition  de  1588. 

P.  I  30,  1.8)  a:  imagination  en  raporte  les  efcruelles  en  Efpaigne,  que  fon  compai- 
gnon  laiffe  icy.  Voila  —  10)  rt  :  a  l'on  —  14)  a,  b  :  apofime  —  18)  domeftiquc 
addition  de  i;S8. 

P.  131,  1.  9)  a  :  efplingue  quant  &  quant  fon 

P.  152,  1.  9)  a,  b  :  veuë,  c'eft  figne  —  21)  a  :  montaignes.  Mon  parc  vit  vn  iour 
vn  chat  —  28)  a,  b  :  veùe  de  le 

CHAPITRE  XXIII.  =  P.  137,  1.  16)  a,  b  :  araignes 

P.  140,  1.  13)  a:  cartes,  aux  dez  —  14)  «  :  quclqu'vn  autre  —  17)  «  :  mains, 
vne  hallebarde  —  23)  a,  b  :  il  nulle  opinion 

P.  145, 1.  20)  a,  b  :  N'a  elle  pas  faict  encore  —   23)  a,  b  :  ce  que  la  raifon  &  toute 

—  25,  Var.  88)  a,  b  :  l'heure 

P.  149,  1.  lé)  a,  b  :  lors,  qu'il  peut 

P.  150,1.  2)  fl,  &  :  Qu'eft-il  de  plus  —  6)  «,/>:  eftat  des  gens  —  15)  rt, />:  venge 
il  encoure 

P.  151,  1.  2)  fl  :  toutes  ces  façons  —  9)  comme...  tres-inique  addition  de  1582.  — 
II)    d'vn    magiftrat   addition   de  1588.  —    17)    a,   b  :  police  bien  inftituée  c'eft    — 

22)  a,  b  :  afin  que  fi  la...  chacun  il  fut 

P.  15e,  1.  25)  a,  b  :  dormiffent  pour  vint 
P.  157,  1.  9)  a,  b  :  loue  Flaminius  qu'eftant 

CHAPITRE  XXTV.  =  P.  159, 1.  10)  a,  b  :  n'eftoit  nulle  occafion  —  19)  a,  b  :  eftoz 

—  23)  a,  b  :  pour  c'eft  eftect  a  lendemain  (a  :  cet) 

P.  léo,  1.  9)  a,  fc  :  n'y  aura  il  nulle  fin  (a  :  ara)  —  27)  a,  b  :  entre  les  mains 
P.   léi,  1.  13)   a,  b  :  procès  en  la   —    lé)    a,  b  :   Fabius  Maximus,   que    — 
2-2)  a,  b  :  commence  des  ce 

P.  162,  1.  27)  a,  b  :  authcur  mefnic  & 

P.  163,  1.  i)   a,  b  :  auoir  nullement  en   —    18)    le...  Sylla  addition  de  1582.   — 

23)  fl,  b  :  difcours  de  raifon.  Il  —  26)  a,  b  :  fondé  en  difcours  &  apparence 

P.  164,  1.  4)  a,b:  tirent  quant  &  elle,  le  —  a  :  y  conduiroit,  eft  —  6)  &  puis... 
le  droit  addition  de  1582.  —  18)  a,  b  :  dangier,  il  ne 

P.  169,  1.  15)  fl,  b  :  autresfois  ccfte  hiftoirc  —  i6)  a,  b  :  Triumuirat  de  Rome, 
auoit    —    19)    fl  :    chaual,    qui    auoient    —    23)    a,    b  :    tout   le    monde,    le    — 

24)  fl,  b  :  mieux  de  pafler...  que  de  demeurer  —  25)  n,  b  :  cefte  trampc,  luy 
P.  170,  \.  2)  a,  b  :  remède  :  &  puifque 

CHAPITRE  XXV.  =  P.  171,  1.  2)  /'  :  de  mon  magifter  i.mtc  din.pr«sion.  — 
5)  a  :  n'auoir  guiere 


APPENDICE     II.  _|j3 

P.  172,  1.  15)  a,  b  :  au  maniemens 

P.  174,  1.  22,  Var.  88)  a,  b  :  faifoit 

P.  175,  1.  18,  Var.  88)  a,  b  :  vray 

P.  177,  1.  I,  Var.  88)  a  :  qu'opinions  nous  —  ))  a:  cfoheoit  —  22)  a,  b  :  prifci: 

P.  178,  1.  3,  Var.  88)  le  haï...  foy-mefmcs  est  de  1580. 

P.  179,  1.  12)  b  :  reualez 

P.  184,  l.  6)  a,  b  :  vertu  nieimes,  on  —  20)  a  :  failloit 

P.  185,  1.  21)  a,  b  :  aymeroient 

CaHAPITRE  XXVI.  ^  P.  188,  1.  20)  a,  b  :  defmeler,  &  puis  me  niellant  de  parler 
P.   1S9,  1.   10)   d  :  refouder  —  b  :  recoudre  L'édition  de  1587  donne  recoudre   — 

16)  a,  b  :  ett.  du  leur 

P.  190,  1.  7)  a  :  efté  vn  peu  excul'able 

P.  192,  1.  19)  a,  b  :  obfcure,  &  les  —  20)  a,  b  :  eftablir  nul  folide 

P.  195,  1.  I,  Var.  88)  a,  b  :  prendre  nul  gouft    —    15)   a,  b  :  aucz  bien  auant 

fauouré  —  18)  a,  fr  :  eftez 

P.  194,  1.  i)  a,  t  :  car  vne  fi  vile  fin  &  fi  abiectc   —    12)  a,  b  :  que  de  redire 
P.  195,  1.  14)  a,  b  :  &.  d'indigeftion  —  17)  a,  b  :  cuire.  Q.u'il  (p.ige  196,  1.  5). 
P.  196,  1.  10)  Che...  m'aggrada  addition  de  1582.  —  25)  a,  b  :  confondra 
P.  197,  1.  9)    b  :   laiiTer  fa  liberté   —   10)    de  la  Rhétorique  &  de  la  Grammaire 

addition  de  1588.    —  2o)    de  mOn  temps  addition  de  1588. 

P.  198,  1.  4)  b  :  pais  effranges  —  13)  a,  i  :  voifines  qui  ont  le 

P.  200,  1.  14)  a,  b  :  apprendra  a  n'entrer  en  difcours  &  conteflation  — 
23)  a,  b  :  a  nulle  caufe 

P.  202,  1.  4)  a,  b  :  fcrt  a  mcfnage  —  20)  a,  b  :  cftude  qui  veut,  &  qui  ne  fe 
propofe  autre  fin,  que  le  plaifir  :  mais 

P.  203,  1.  7)  a  b  :  mille  &  mille  qu'il  —  8)  a,  h  :  feulement  au  doigt  — 
14,  Var.  88)  a,  b  :  Plutarque  trier  vne  —  22)  a,  b  :  Ephores  de  bons 

P.  204,  1.  5)  a,  i  :  en  fon  vilage  —  16)  a,  b  :  conceuoit  nulle  plus 

P.  205,  \.  6)  a  b  :  poullailler 

P.  206,  1.  5)  a,  fc  :  tant  de  diuers 

P.  207,  1.  13,  Var.  88)  a,  b  :  des-ia  gouft  —  22)  a,  h  :  leçon  qui  eft  la  philofo- 
phie,  ne  —  24)  a,  b  :  a  nulle  prife 

P.  208,  1.  4)  a,  b  :  faifi  toutes  fes 

P.  209,  1.  5)  a,  /)  :  rire,  &  non 

P.  212,  1.  13)  a  :  la  ghene  & 

P.  213,  1.  2)  a,  b  :  voit  nulle  excellence 

P.  214,  1.  6)  a,  b  :  l'entre-gens  fe  façonnent   —   20)  a,  b  :  vent  &  au  foleil 

P.  216, 1.  6)  a  :  rendre  leur  gorge 

P.  219,  1.  22)  a,  b  :  n'efl  nullement  a 

P.  220,  1.  7)  a  :  beneuolance 

P.  221,  1.  5)  a,  fc  :  ces  —  17)  a,  b  :  a  plus  près 

P.  222,  1.  17)  a,  b  :  n'aie  nulle  fouuenance  —  24)  a,  b  :  non  fratrcfque,  non  — 
25)  a,  b  :  Gefar.  Qu'on  luy  reproche  hardiment  ce  qu'on  reprochoit  a  Scnecque,  Q.ue 
fon  langage  eftoit  de  chaux  viue,  mais  que  le  fable  en  efloit  a  dire.  le  (p.  225,  1.  10). 


454  APPENDICE     II. 

P.  224,  1.  26)  a,  h  :  ce  fut  que  iuftement  au  partir  de  la  nourrice  il  me  donna 

P.  225,  I.  2)  a,  h  :  en  la  Latine  —  3)  a  :  qu'on  auoit  —  26)  Marc  Antoine 
Muret  addition  de  1582.  —  28)  (ï,  /)  :  précepteurs,  m'ont  dict  fouuent  defpuis,  que 

P.  226, 1.  i)  fl, /;:  am'acointer.  Bucanan  —  lé)  /' :  furfaut,  de  —  18)  a:  inftru- 
ment  :  &  auoit  vn  loueur  d'efpinette  pour  cet  effect.  Cet  exemple  —  b  :  inftrunient. 
Ceft  exemple  —  22)  a,  b  :  recueilli  nuls  fruitz 

P.  227,  1.  2,  \'ar.  88)  a  :  mouffe  —  15)  «,  /'  :  précepteurs  tres-fuffifans  — 
20,  Var.  88)  a,  b  :  premières  claffes  :  car  —  22)  a,  h  :  fans  nul  fruict 

P.  228,  1.  2)  des  Amadis  addition  de  i;88.  —  4)  a,  b  :  ny  ne  fais  —  13,  Var.  88) 
a,  b  :  dextrement,  car  faifant  —  18)  a,  h  :  c'eftoit  la  douceur  &  facilité  des  meurs  : 
auffi  n'auoint  les  miennes  autre  —  19)  a,  /'  :  &  molleffe.  Le 

P.  229,  1.  18)  a,  b  :  violence.  Il  n'y  a  (p.  2;i,  1.  ;). 

CHAPITRE  XXVII.  =  P.  252,  1.  2)  a,  /'  :  &  a  ignorance 

P.  233,  1.  19)  a,  b  :  que  la  fcience  —  23)  a,  b  :  que  nulles  autres 

P     234,  1.  28)    a  Mante  addition  de  1588. 

P.  235,  1.  21,  \'ar.  88)  a,  b  :  impudence  —  25)  a,  b  :  fit  deffus  :  Hefperius  — 
26)  a  :  qu'infefl:oient  fa 

P.  236,  1.  Il)  a,  b  :  voftre  beau  entendement  —  28)  a,  b  :  particulier,  en  mettant 
P.  237,  1.  j)  a,  b  :  curiofité  ce  font 

CHAPITRE  XXVXII.  =  P.  238,  1.  13)  a,  b  :  nom  De  la 

P.  239,  1.  3)  a,  b  :  plein  tout  ce  —  9)  a,  b  :  connois  nul  qui  —  11)  a,b:  onques 
puis  qu'il  —  22)  a,  b  :  pareilles.  Entre  —  23)  a,  b  :  voit  nulle  trace 

P.  240,  1.  19,  \'ar.  88)  a,  b  :  de  l'affection  qu'il  —  21)  a,  b  :  fort}'.  Et  ceft  autre 
■  P.  241,  1.  8)  fl  :  &  fe  choquent 

P.  242,  1.  15,  Var.  88)  a,  b  :  fubiecte  a  facieté  —  26)  a,  b  :  fins  :  comme  de  la 
génération,  alliances,  richeffes,  il 

P.  243,  1.  2)  a,  b  :  femble  eftre  aflez  —  10)  a,  b  :  ceft  autre 

P.  245,  1.  9)  a,  b  :  Sz  fe  confondent  —   14)  a  :  dire,  le  ne 

P.  247,  1.  10)  a,  b  :  porte  nul  tefmoignage  —  11)  a,  b  :  fuis  en  nul  doute  — 
14)  fl,  b  :  mien  :  nulle  de  —  15)  a,  b  :  fçaroit 

P.  248,  1.  8)  a,  b  :  reçoit  nulle  augmentation  —  10)  a,  b  :  fçay  nul  gré  — 
26)  a,  b  :  l'occafion,  c'eft 

P.  249,  1.  4,  Var.  88)  a,  b  :  Charixenus 

P.  254,  1.  9,  \'àr.  88)  &  auoit  raifon  addition  de  1582.  —  15)  /'  :  émouuoir  : 
dauantage  il     (L'édition  de  1580  ponctue  comme  l'édition  de  1588.) 

CHAPITRE  XXIX.  —  P.  255,  1.  2)  a,  b  :  ou  par  ce 

P.  256,  1.  3)  b  :  Madame,  vn'  autrefois.  Les  L'édition  de  1580  donnait  déjà  :  vn  iour 
a  l'oreille 

CHAPITRE  XXX.  =  P.  257,  1.  4)  a,  b  :  &i  trop  violant 

P.  259,  1.  4)  a.  b  :  n'eft  null'  action  —  5)  a,b:  &.  fi  fecrette  —  20)  a,  b  :  volupté 
aucunement  confcientieufe  —  24,  Var.  88)  Le  texte  Je  a  et  b  s'arrête  .i  s'en  abftenir  pour 

reprendre  i  Les  Roys  (p.  260,  L  14). 

P.  261,  1.  7)  a,  b  :  fomme  nulle  fi  —  22)  a,  b  :  trouuent  nulle  voye 


AHPEND1C1-:     11.  .(^j 

CHAPITRE  XXXI.  =  P.  264,  I.  4)  a,  b  :  nations  barbares)  mais  —  1 5)  <i  :  que 
céte  cy  roit  eiiciire  la  dernière  qui  fe  fera,  tant  —  17)  a  :  en  l'autre.  l'ay 

P.  265,  1.  5,  Var.  88)  rt,  h  :  apris  des  preftres 

P.  267,  1.  22)  a,  b  :  viHige  qu'ils  les  ont  gouftées  :  &  pour  —  51)  d,  fc  :  filTent 
des  narrations  particulières 

P.  270,  1.  5)  rt,  fc  :  &  fi  fimple  —  6)  <;,  />  :  a  nulle  efpece  —  18)  a,b:  Si  très-bien 

—  20)  a,b  :  veu  nul  tremblant  —  25)  a  :  chair  —  24)  a,  b  :  n'ont  nulle  reflemblance 
-r-  a,  b  :  fans  aucun  autre  —  27)  a,  b  :  qu'ils  le  mirent  en  pièces  a  coups 

P.  271,  1.  4,  Var.  88)  a,  b  :  a  cuyre  leur  —  9)  a,  h  :  lors  mais  ils  boiuent  — 
13)  a,  b  :  boyuent  pas  autrement  que  —  22)  a,  b  :  manger,  les  prefche  — 
25)  a,  b  :  toute  vne  grangée 

P.  272,  1.  i)  a  :  font  celles  qui  —  6)  n,  b  :  cadancc  de  leur  dance.  Ils  — 
7)  a,b  :  fans  rafouër.  Ils  —  15)  a,b  :  aflemblée  folenne  de  —  21 ,  \"ar.  88)  a,  b  :  c'ert 
en  telle 

P.  275,  1.  7)  (I  :  ou  ces  efpées  —  12)  ii,b  :  &  la  plante  a  —  16)  n  :  atache  vn 
cordon  a 

P.  274,  1.  lé)  a,  b  :  auoit  nul  mal  —  25)  a,  b  :  iamais  nulle  opinion 

P.  27s,  1.  9)  a,  fc  :  eftdela  —  12)  a,  b  :  leurs  fuiuans  &  enfans  en  —  26)  a,  b  :  void 
nul  qui  —  30)  a  :  communément  de  menaifes 

P.  276,  1.  7)  a  :  c'eft  a  ce 

P.  277,  1.  ï)  a,  b  :  courage,  qui  pour  —  3)  a,  b  :  relafche  nul  point  — 
5,  Var.  88)  a  :  accufer  non  pas  fa 

P.  278,  1.  16)  a,  b  :  chair.  Qui  eft  vne  inucntion  —  17)  a,  b  :  fent  nullement  la 

—  19)  ''  :  qui  les  tuent  —  23)  a  :  foions  :  car  il 

P.  279,  1.  4)  a,  b  :  la  valeur  du  —  a  :  mary,  d'auoir  plufieurs  efpoufées.  Et  afin 
P.  280,  1.  8)  a,  /;  :  quelqu'vn  leur  en  —  13)  a,  /)  :  barbe,  roides,  forti: 

CHAPITRE  XXXII.  =  P.  285,  1.  il)  a,  b  :  vifage  &  gouft  qu'elles  — 
31)  a,  /»  :  noflre  kiffifance,  qu'elles 

P.  2S4.  1.  6)  a,  b  :  quoi?  le  martyr  Irenée  —  y)  a,  b  :  fortune.  Somme  il  fe  faut 

CHAPITRE  XXXIU.  =  P.  286,  1.  29)  a,  b  :  face,  qu'il;: 

CHAPITRE  XXXIV.  =  P.  288,  I.  2)  a,  b  :  il  nulle  action  —  5)  a,  b  :  ayant 
enuie  d'empoifonner 

P.  289, 1.9)  a,b:  amorem,  Poffet  vt  abrupto  viuere  coniugio,  luy  —  19)  a  !»  :  telle 
de  Sainct  —  24)  a,  b  :  de  muraille,  & 

P.  290,  1.  13)  a  :  fortune  la  print  en  mer,  la  ietta  —  /'  :  mer,  &  la 

CHAPITRE  XXXV.  =  P.  295,  1.  6)  a  :  les  perfonnes  rares 

CHAPITRE  XXXVI.  =  P.  294,  1.  2)  a  :  couftume,  (i  foij^neufement  a  elle  bridé 

P.  295,  1.  18)  a  :  fcarrabillat  —  b  :  fcarbillat 

P.  296,  1.  19)  Celuy...  au  couuert  addition  de  i>82. 

CHAPITRE  XXXVII.  =  P.  300,  1.  16)  virtutem...  ligna  .iddiiion  de  1582. 
P.  301,  1.  24)  a,  b  :  vaines  foit  par  malice  (p.  302,  I.  15). 


4)6  APPENDICE     II. 

P.  502,  1.  20)  a,  h  :  l'ambition  :  &  de  ceux  qui  font  l'honneur  la  fin  de  toutes 
actions  vertueufes.  Ce  perfonnage 

P.  504,  1.  6)  b  :  dict  vn  —  14,  \'ar.  88)  a  :  chœur 

CHAPiTRE  XXXVIII.  :=  P.  305,  1.  8)  a  :  pour  la  Duché 

P.  506,  1.  25,  \'ar.  88)  a,  b  :  defprend 

P.  307,  1.  8)  a,  b  :  voudroit  nullement  eftre 

CHAPITRE  XXXIX.  =  P.  309,  1.  Il)  a,  b  :  franches  &  point  de  compaignon?  Il 

P.  310,  1.  I,  \'ar.  8S)  a,  b  :  font 

P.    311,    1.    7)    a,  b  :    importunés   (b   :    importunes)  pourtant.    Dauantage    — 
19)  a,  b  :  s'eftoit  nullement  amendé  a  fon  —  22)  a  :  patriîe 

P.  312,  1.  3)  comme...  fecouant  addition  de  1582.  ' —  23)  a,  b  :  Ainfi 

P.  313,  1.  7)  a,  b  :   perdu  du  fien  —  18)  a,b  :  &  qui  ne  —  20)  a,  b  :  que  noftre 
bon  heur  —  24)  a  :  priuée 

P.  314,  1.  12)  a  :  tel  aduenture  —  a,  b  :  donne  nulle  peine 

P.  317,  1.  15)  a,  b  :   vigueur,  ny  que    —    25)    a,  b  :   remède  plus  a  main    — 

P.  518,  1.  i)  a,  b  :  s'accomode  nullement  au  —  13)  a,  b  :  propos.  le 

P.  319,  1.  15)  a,  b  :  liures  fi  elle  a  faute  de  règle  &  de  mefure,  elle  eft  —  a,  b  :  que 
nulle  autre  &  auili  ennemie  —  18)  a  :  l'auaricieus,  &  le  voluptueux,  & 

P.  320,  1.  18)  a,  b  :  fciences  feches  & 

P.  321,  1.  6)  a,  b  :  autres  :  &  les  alonger  de  toute  noftre  puiffance. 
Quamcumque  Deus  tibi  fortunauerit  horam, 
Grata  fume  manu,  nec  dulcia  differ  in  annum. 
Or  —  19)  a  :  &  des  deux  fectes 

P.  322,  1.  7)  a,  b  :  eftez 

CHAPITRE  XL.  =   P.  324,  1.  16)  a,  b  :  font  plus  propres 

P.  325,  I.  15)  H,  b  :  muficien  auecques  qui  il  —   16)  a  :  la  Dieu  —  a,  h  :  Sire, 

luy  dit-il 

CHAPITRE  XLI.  =  a  :  de  commvkiqver 

P.  330,  1.  6)  La  fama...  fgombra  addition  de  1582.  —  6,  \'ar.  88)  inuaghifce 

P.  331.  1.  I S)  a  :  en  fin  —  20)  a,  b  :  Achileonide 

CHAPITRE  XLII.  =  P.  333,  1.  3)  a  :  internes.  Car  quant  a  la  forme  corporelle 
il  eft  bien  euident,  que  les  efpeces  des  beftes  font  diftinguées  de  bien  plus  apparente 
différence,  que  nous  ne  fommes  les  vns  des  autres.  A  la  vérité  —   5)  a  :  commun 
(car  les  folz  &  infenfez  par  accident  ne  font  pas  hommes  entiers)  que  i'encherirois 
P.  334,  1.  i)  a,  b  :  nous,  nulle  chofe  s'eftime  —  23)  a,  b  :  font  nullemeat  fiennes 
P.  337,  1.  17)  a,  /'  :  n'a  nulle  vertu 
P.  342,  1.  29)  a,  b  :  mutuele.  En  laquelle  amitié  confifte 
P.  343,  1.  10)  a,  b  :  n'eft  pas  tefmoignage  —  22)  a,  b  :  orguillerois 
P.  344,  1.  19)  a,  b  ponctuent  ainsi  :  l'Afrique.  Et  en  fin?  Quand,  mettant  Et  en  fin 

dans  la  boucliu  de  Cyneas. 

CHAPITRE  XLIII.  =   P.  345,  1.  n)  a,  /'  :  d'autres  :  &  par  l'exemple 


APPENDICE     II.  4)7 

P.  546,  I.  4)  a,  b  :  de  néant.  Elles  —  6)  n  :  a  plus  près  —  11)  a  ponctue  ainsi  : 
faict  en  vn...  ordonnance  :  nous  —  b  ponctue  faict  :  en  vn...  ordonnance  nous  — 
15)  (j,  /'  :  corrigea  ce  grand  Zeleucus  —  23)  a  :  par  fes  exceptions 

CHAPITRE  XLIV.  =  P.  549,  1.  2)  a,  b  :  doiue  pas  donner  —  5)  a,  h  :  planter 
pas  comme  —  18)  (i,  /'  :  tuer,  &  cefte  —  19)  a,  b  :  domeftiques,  party  fon 
P.  350,  1.  19)  a  :  paroUes  &  menalTes  —  30)  «  :  &  dormit  de 
P.  551,  1.  25)  a,  b  :  dormir  vne  feule  goûte. 

CHAPITRE  XLV.  =  P.  552,  1.  2)  a.  b  :  fort  a  la  —  ii)  a,  b  :  regarder  feu- 
lement la 

CHAPITRE  XL VI.  —  P.  354,  1.  6)  a  :  generalogie 

P.  5)5,  I.  8)  a,  b  :  volontiers  (a  :  volentiers)  :  outre  ce  qu'a  la  vérité  de  ceux 
mefmes  —   12)  a  :  Guafcogne  —  b  :  Gafcogne 

P.  356,  I.  13)  a  :  Grumegan 

P.  558,  1.  15)  a  :  voix  par  tous  —  18)  a  :  ou  a  Gueaquin 

P.  559,  1.  3,  Var.  88)  a,  b  :  Qui  croiroit  que  —  17)  Id...  fepultos  addition  de  i;82. 

CHAPITRE  XL VII.  ^=  P.  361, 1.  9)  a,b:  duintin  —   l'y)  a,b  :  fi-ce  neantmoins 

P.  562,  1.  12)  (7,  b  :  efprit  précipitant  &  —  14)  a,  b  :  Dieu,  que  de  1 — 
1-)  a,  b  :  pouffer  pas  fon  —  19)  a,  fc  :  reuenoit 

P.  363,  1.  16)  a  :  accroiftre  :  &  qu'il  —  18)  o  :  fes  —  27)  a,  Zi  :  de  fa  bataille 

P.  364,  1.  2)  a,  b  :  peu  que  de 

P.  365,  I.  9)  a,  t  :  de  noftre  Plutarque  —  12)  a,  /'  :  que  nulle  autre  — 
17)  a,  b  :  afliete  c'eft 

P.  366,  1.  Il)  a,b:  le  degaft,  ce  —  30)  a,  b  :  plante  (L'édition  de  1587  donne  planté) 

—  32)  a,  b  :  conduiroient  fans  ceffe  & 

P.  367,  1.  Il)  a  :  fcience  des  lieux  —  25)  a  :  les  aduenemens  &  —  a,  b  :  dépen- 
dent mefme  en 

CHAPITRE  XL VIII.  ;=  P.  569,  1.  i)  a,  b  :  iamais  nulle  langue 

P.  370,  1.  16)  a,  h  :  fort  bien  a  cheual  —  22)  a  :  Bucefal,  qui  auoit...  d'vn 
toreau,  qui  ne 

P.  371,  1.  5)  a,b:  doigts,  qui  ne  —  a,b:  Ca;far,  lequel  dédia  —  17)  a,  b  :  cheual 
&les 

P.  372,  1.  6)  a,  b  :  affignées  ils  fe  —  7)  a,  />  :  a  nulle  autre  —  23)  a,  /'  :  plus 
feur  de 

P.  374,  1.  21)  a,  b  :  fes  —  26)  &  bardelles  addition  de  1582. 

CHAPITRE  XLIX.  =  P.  380,  1.  17)  a,  b  :  ainfi  fon  entendement 

P.  381,  1.  14)  a,  b  :  combatre  l'efpée 

P.  382, 1.  4,  Var.  88)  a,  b  :  poil  qu'ilz  appelloint  Psilotrv.vi  Pfilotro  —  8)  a,  b:  fur 
des  materaz.  Hz  —  a  :  Turs  —  15)  comme...  Vénitiens  addition  de  1582. 

P.  383,  1.  4)  a,  b  :  Se  la  n'aj'ant  —  13)  a,  b  :  feruoint  mefme  de  cefte  nege  — 
19)  a  :  lautas  —  26)  a,  b  :  aprefter.  Car  auffi 

P.  384,  1.  3)  a  :  nous  y  faifons  —  4)  a  :  mais  la  fuffifance  ne  les  peut  égaler  :  nos 

—  30)  a,  b  :  vient  eftre 


4)8  APPENDICE     II. 

CHAPITRE  L.  =  P.  586,  \.  11)  a,  h  :  a  trier  la  —  15,  \'ar.  88)  a,  h  :  fournir 
elle  mefme  les 

P.  587,  1.  2,  Var.  88)  a,  b  :  extraordinaire  &  fantafque.  l'en 

P.  589,  1.  12)  a,  h  :  fortoit  guiere  en  —  23)  a,  b  :  commiferation  elles  font 

P.  390,  1.  4)  a,  i  :  vent,  il  eftoit 

CHAPITRE  LI.  :=  P.  391,  1.  15)  (I,  &  :  ou  la  Lacedemonienne 

P.  392,  1.  lé)  a,  b  :  leur  plus  grand 

P.   393,  1.  &)   a,  b  :  cefte  défaillance  ne    —    11)    a,  b  :  Perfe  nul  orateur    — 

25)  a,  b  :  de  mille  belles 

P.   594,  1.    14)    a,  b  :   cornices  —  23)   a,  b  :  n'ayent  nulle  reffemblance  — 

26)  a,  b  :  d'employer  vainement  &  fans  aucune  confideration  les  furnoms...  fiedes, 
a  qui  bon  nous  femble.  Platon  (p.  39;,  1.  i). 

P.  395,  1.  2)  a,  b  :  que  nul  n'a  effayé  de  luy 

CHAPITRE  LII.  =  P.  39e,  1.  6)  fl  :  retourner  y  poumoir  —  14)  a,  b  :  luy  nulle 
autre  —  15)  «,  ft  :  qui  le  fuiuoit,  luy  portant  fa  —  17)  a,  b  :  iamais  porté  robe  — 
18)  û.  b  :  &  des  maifons  qu'il  auoit  aux  —  19)  a,  b  :  auoit  nulle  qui 

CHAPITRE  LUI.  =  P.  398,  1.  7)  a,  b  :  en  nulle  chofe 

P.  399,  1.  i)  a,  b  :  foulent  pas.  Non  —  14)  a,  b  :  vice  des  chofes,  il  fe  — 
15)  rt  :  &  fe  plait  d'autres 

CHAPITRE  LIV.  =  P.  400,  1.  16)  a,  b  :  vne  fi  belle  art  —  18)  a,  b  :  rarité 

P.  402,  1.  5)  a  :  font,  ils  s'eflancent  —  6)  a,  b  :  par  force 

P.  404,  1.  7)  a  :  efpritz  groffiers  &  ignorans,  ny  guiere  aus  delicatz  et  fauans. 
Ceux  la  —  9)  «  :  trop  :  ils  trouueroint  place  entre  ces  deux  extrémités. 

-CHAPITRE  LV.  =   P.  405,  1.  2)  rt  :  vne  odeur  —  fc  :  vn  odeur  —  4,  Var.  88) 
a,  b  :  fentir  a  rien 

P.  40e,  1.  2)  a,  b  :  fantir  a  bon 

CHAPITRE  LVI.  =  P.  408)  le  propofe...  icy  (1. 12.)  addition  de  15S2.  —  b  :  propofe 
icy  des 

P.  410,  1.  3)  a,  è  :  defchargée  des  paillons 

P.  412,  1.  17)  a  :  parmy  fes  vains 

P.  416,  1.  12,  Var.  88)  a,  b  :  aduis  en  cela,  defindent  —  24)  a,  b  :  vitieufcs 
&  deteftables.  Pardonne 

P.  417,  1.  18)  a  :  Eglife,  qu'il  —  19)  a,  b  :  lailfe  a  penfer  l'ame  —  20)  a,  b  :  beau 
defir,  a  —  26)  a,  b  :  fubmife 

P.  418,  1.  4)  fl  :  en  tefmoing  de 

CHAPITRE  LVn.  =  P.  420,  1.  3)  a  :  \e  veulent  empefcher  —  4)  a,  b  :  ou  on 
—  6)  1;,  b  :  quarante  huict  —  iS)  a,  b  :  a.  \n  pleurefi,  & 

P.  421,  1.  2)  fl,  6  :  flatons  point  de  —  24)  a,  b  :  vingt  cinq  —  29)  a,  b  :  quarante 
cinq 

P.  422,  1.  5)  a,  b  :  dixneuf  —  8)  «  :  qu'elles  le  doiuent  —  a,  b  :  pourront 
iamais.  Iamais  —  9,  Var.  88)  a  :  céte  aage  la  preuue  plus  euidentc  —  b  :  ceft  aage, 
la  preuue  bien  euidente  —  25)  a  :  cet'  aage  —  b  :  ceft'  aage 

P.  423,  1.  10)  a,  b  :  pleins  donc  des 


APPENDICE    III 


LEÇONS   DE   L'ÉDITION   DE    1593, 


LEÇONS   DE   L'ÉDITION   DE    1595. 


Avant  de  donner  un  choix  de  leçons  de  l'Édition  de  1595,  qu'on  me  permette  de 
compléter  ce  que  j'en  ai  dit  dans  I'Introdvctiox. 

Des  renseignements  mêmes  que  M"'^  de  Gournay  nous  donne  dans  la  préface  de 
l'édition  de  1595,  il  suit  :  1°  qu'il  a  existé  deux  copief  du  livre  préparé  par  Montaigne 
(copie  ne  voulant  pas  dire  transcription  d'un  manuscrit,  mais  manuscrit  préparé  pour 
l'impression);  2°  que  l'une  des  deux  a  été  faite  après  la  mort  de  Montaigne  par 
les  soins  de  M""'  de  Montaigne  et  de  Pierre  de  Brach;  3"  que  l'autre,  faite  d'original, 
est  restée  en  la  maison  de  Montaigne  et  qu'elle  était  sans  doute  écrite  de  la  main  de 
l'auteur,  puisque  c'est  cette  copie  que  M"*^  de  Gournay  appelle  en  témoignage  ;  4"  que 
la  copie  seconde  ou  transcription,  envoyée  à  Paris,  a  été  imprimée  sous  la  surveil- 
lance de  M""^  de  Gournay  avec  une  minutieuse  fidélité. 

Or  la  «copie»  originale  ne  peut  être  que  I'Exemplaire  de  Bordeaux'.  Quant  à 
l'autre  «copie»  elle  devait,  comme  le  modèle,  être  faite  sur  un  exemplaire  de  1588; 
le  copiste  y  transcrivit  les  corrections  et  les  additions  manuscrites  de  Montaigne,  mais 
avant  sans  doute  une  écriture  plus  large,  il  recourut  plus  souvent  que  Montaigne 
à  des  pages  intercalées  qui  suppléèrent  à  l'insuffisance  des  marges. 

En  résumé,  de  I'Exemplaire  de  Bordeaux  à  l'édition  de  1595,  il  y  a  eu  les  étapes 
suivantes  :  1°  déchiffrement,  revision  et  transcription,  à  Bordeaux,  de  I'Exemplaire; 
2"  revision  à  Paris  par  M"=  de  Gournay  et  impression  de  la  transcription  de  Bordeaux, 
chez  L'Angelicr.  par  les  soins  de  M''^  de  Gournay. 

Les  différences  qui  existent  entre  l'Exemplaire  de  Bordeaux  et  l'édition  de  1593 
proviennent  donc  ou  du  travail  fait  à  Paris,  et  Montaigne  n'y  est  pour  rien;  ou  du 
travail  fait  à  Bordeaux,  et  dans  ce  cas  le  transcripteur  et  les  personnes  qui  l'ont 
surveillé,  ont  pu  avoir  des  notes  et  des  indications  de  Montaigne. 

'  Aux  arguments  que  j'ai  donnes  dans  l'Introduction,  et  i  ceux  que  je  donne  ici,  s'ajouteraient  ceux 
que  fournit  l'examen  de  l'Édition  de  1598,  »  prise,  dit  le  titre,  sur  l'exemplaire  trouvé  après  le  décis  de 
l'auteur..  Sans  parler  de  ce  titre,  pourtant  assez  significatif,  V.lvis  au  Lecteur,  de  .Montaigne,  l'épigraphe 
Vireit/ue  acquirit  eundo  et  quelques  autres  détails,  montrent  que  pour  cette  édition  M""  de  Gournay 
a  recouru  à  l'ExEMPLAtHE  de  Bordeaux,  comme  au  manuscrit  original. 


462  APPENDICE     III. 

M"'^  de  Gournay  a  prétendu  qu'a  elle  a  secondé  les  intentions  de  Montaigne  jusqu'à 
l'extrême  superstition».  Cependant  elle  n'est  pas  à  l'abri  de  tout  soupçon  d'erreur. 
Par  exemple,  elle  avait  égaré  la  page  qui  contenait  l'Avis  de  Montaigne  au  lecteur; 
elle  l'a  retrouvée  sans  doute,  mais  cet  Avis  manque  dans  un  certain  nombre  d'exem- 
plaires et  eût  pu  manquer  dans  tous.  De  même  en  est-il  arrivé  pour  un  autre  long 
passage  (de  p.  154,  1.  18,  à  p.  155,  1.  17.  de  notre  édition)  :  au  verso  du  folio  21  de 
l'Exemplaire  de  Bordeaux,  les  additions  manuscrites  qui  occupent  les  marges  étant 
considérables,  l'auteur  de  la  transcription  avait  mis  sur  une  feuille  détachée  une 
partie  de  ces  additions;  la  feuille  détachée  s'égara,  fut  retrouvée,  mais  trop  tard,  et 
M"=  de  Gournay  dut  faire,  pour  restituer  cette  omission,  un  carton  qui  n'existe  que 
dans  quelques  exemplaires.  Ces  omissions  sont  certes  réparées,  mais  parle  hasard; 
elles  nous  font  légitimement  craindre  que  d'autres  aient  été  commises,  qui  n'ont  pas 
été  si  heureusement  réparées.  Voici  enfin  un  dernier  exemple  plus  caractéristique  :  au 
verso  du  folio  17  (p.  62, 1.  16,  de  notre  édition)  Montaigne  nous  dit  que  le  «  Roy  lan  de 
Portugal  uandit»  aux  Juifs,  «a  huit  efcus  pour  tefte»,  la  «retrete»  dans  ses  terres, 
«a  condition  que  dans  certein  iour  ils  aroint  a  les  vuider»;  net  luy,  prometoit, 
continue  Montaigne,  leur  fournir  de  uesseaus  a  les  traiecter  en  Afrique».  La  virgule  qui 
sépare  luy  de  prometoit,  rend  le  texte  très  clair.  Mais  l'imprimeur  de  1595  —  ou  peut- 
être  le  copiste  de  Bordeaux  —  oublie  cette  virgule,  et  prenant  sans  doute  «luy»  pour 
un  datif,  estime  que  luy  fait  double  emploi  avec  leur,  si  bien  qu'il  supprime  leur; 
et  nous  avons  dans  l'édition  de  1595  :  &  luy  promeltoit  fournir.  M"'=  de  Gournay 
s'étonne  à  son  tour;  ce  luy  est  bien  incorrect;  elle  le  remplace  par  leur;  désormais 
c'est  le  texte  courant  :  «  &  leur  promettait  fournir  de  ivsseaux  » . 

.Gardons-nous  donc  de  prendre  pour  des  corrections  de  Montaigne  des  erreurs  de 
M"*^  de  Gournay. 

Mais  le  plus  grand  nombre  des  leçons  nouvelles  que  fournit  l'édition  de  1595,  est 
dû  soit  à  des  erreurs,  soit  à  des  modifications  volontaires,  commises  par  la  personne 
qui  a  transcrit  l'Exemplaire  de  Bordeaux  ou  par  ceux  qui  ont  dirigé  son  travail.  Des 
notes  ou  des  indications  laissées  par  Montaigne  y  auraient-elles  été  utilisées? 

Mille  fautes  proviennent  de  ponctuations  négligées  ou  omises.  Le  lecteur  a  vu  dans 
l'appendice  I  la  quantité  de  ponctuations  que  Montaigne  sème  dans  son  livre  :  ponc- 
tuations très  irrégulières,  quoique  très  expressives.  Il  y  en  a  tant  que  le  copiste  les  a 
oubliées  quelquefois;  il  v  en  a  de  si  singulières  qu'il  s'est  cru  autorisé  à  les  corriger; 
et  la  phrase  autrement  coupée  change  de  sens.  «Il  (le  peuple)  n'eut  pas  le  cœur,  dit 
l'édition  de  1588,  de  prendre  feulement  les  balotes  en  main;  &  fe  départit  rafTcmblée 
louant  grandement  la  hauteffe  du  courage  de  ce  perfonnage»  (p.  5  de  notre  édition); 
Montaigne  a  renforcé  le  point-virgule  en  remplaçant  &  par  El;  mais  le  point-virgule 
est  une  ponctuation  rare  au  temps  de  Montaigne  et  dans  le  livre  de  Montaigne  ;  le 
copiste  ne  la  connaît  sans  doute  pas;  il  la  remplace  par  une  simple  virgule;  il  ne 
s'explique  pas  pourquoi  cet  Et  est  substitué  à  &,  il  ne  tient  pas  compte  de  cette 
majuscule;  il  écrit  main,  et  se  départit  l'assemblée.  Départit  semble  rapproché  de  i7;  le 
contre-sens  devient  facile;  le  voilà  fait  et  lourdement  appuyé  :  l'édition  de  1595 
imprimera  :  «  il  n'eut  pas  le  cœur  de  prendre  feulement  les  balotes  en  main,  &  fe 


APPENDICH     111.  ^65 

départit  :  l'aiTeniblee  louant  grandement  la  liautefTe  du  courage  de  ce  perlbnnane.  »  De 
même,  p.  16,  1.  16  de  notre  édition,  le  manuscrit  porte  :  «  Donons  a  l'ordre  politique 
de  les  ibuffrir  patiammant  indignes,  de  celer  leurs  vices.»  L'édition  de  1595  imprime  : 
«de  les  fourtrir  patiammant,  indignes  de  celer  leurs  vices.  » 

De  telles  fautes  quelquefois  entraînent  la  modification  d'une  phrase  entière,  comme 
nous  l'avons  vu  plus  haut  avec  .\1"'  de  Gournay. 

D'autres  erreurs  sont  de  simples  confusions  et  proviennent  d'une  lecture  rapide  : 
à  une  ligne  d'intervalle  (p.  153  de  notre  édition,  1.  22  et  23),  l'édition  de  1595  donne 
souciassent  pour  sottignassent  et  substitue  prouiioir  à  poiinioir. 

Voici  maintenant  d'autres  cas  où  il  nous  semble  qu'une  intervention  réfléchie 
a  volontairement  altéré  le  texte  de  Montaigne. 

A  la  page  124  de  notre  édition,  ligne  3,  Montaigne  nous  dit  :  «  Il  cft  vray  femblable 
que  le  principal  crédit  des  miracles,  des  vifions,  des  enchantemens,  &  de  tels  effccis 
extraordinaires,  vienne  de  la  puiflance  de  l'imagination.»  L'édition  de  1595  supprime 
«des  miracles»,  et  cela  nous  indique  que  M""  de  Montaigne,  sinon  Pierre  de  Brach, 
était  d'une  dévotion  un  peu  timorée.  A  la  page  401,  1.  17,  Montaigne  dit  encore  : 
«Et  celuv  a  qui  fes  ians  qui  l'armoint,  voïant  friflbner  la  peau,  s'eflaioint  de  le 
r'affurer  en  apetiffant  le  hafiird  au  quel  il  s'aloit  prefimter,  leur  dict  :  Vous  me  coneflcs 
mal.  Si  ma  cher  fçauoit  ou  mon  corage  la  portera  tantoft.  elle  s'en  tranfiroit  tout 
a  plat.»  L'allusion  est  claire;  les  éditeurs  de  1595  y  trouveront  trop  de  hardiesse;  ils 
impriment  :  «Ceux  qui  armoient  ou  luy  (Montaigne  vient  de  parler  de  Sancho  de 
Navarre)  ou  quelque  autre  de  pareille  nature,  à  qui  la  peau  friffonoit,  effayercnt  à  le 
raffeurer;  appetiflans  le  danger  auquel...  » 

Enfin  il  existe  une  série  de  corrections  systématiques,  qu'on  peut  tout  aussi  bien 
attribuer  à  M"=  de  Gournay  qu'à  Pierre  de  Brach  et  aux  hommes  de  lettres  que  consulta 
probablement  .M""=  de  Montaigne,  mais  nullement  à  Montaigne.  Estienne  Pasquier  et 
d'autres  délicats,  reconnaissaient  dans  les  Essais  «je  ne  sçav  quoy  du  ramage  gascon  »; 
de  fait,  si,  comme  l'a  démontré  M.  Lanusse,  les  gasconismes  sont  en  somme  assez  rares 
dans  les  Essais,  il  n'y  manque  pas  de  termes  et  de  tours  qui  sentent  leur  vieux  temps, 
qui  sentent  la  province,  l'Italie,  Rome,  et  dont  le  ww  siècle  naissant  se  défera.  Montaigne 
ne  redoutait  pas  ces  archaïsmes  et  ces  locutions;  c'est  sur  eux  que  s'est  exercée  systéma- 
tiquement la  sévérité  des  éditeurs  de  1595.  Faiisil  est  remplacé  par  fallut.  L'indicatif 
dans  certaines  propositions  subordonnées  ou  incidentes  est  remplacé  par  le  subjonctif. 
fay  peur  que  nous  auous  est  corrigé  en  que  nous  ayons  (p.  264,  1.  17).  Il  se  faut  reseruer 
vue  arrière  boutique...  en  laquelle  nous  eslablissons  devient  II  se  faut...  en  laquelle  nous 
establissions  (p.  515, 1.  20);  mérite  que  nous  abandonons  devient  que  nous  abandonions  (p.  jig, 
1.  9);  et  afin  que  vous  ne  vous  amuseipas,  que  vous  ne  vous  amusiei  pas.  Le  conditionnel 
est  substitué  à  l'indicatif  avec  les  verbes  indiquant  une  obligation  :  les  Dames...  dcuoycnt 
sera  les  Dames...  deuroienl  (p.  385,  1.  17);  et  cette  dernière  correction  se  reproduit  à 
chaque  instant. 

En  tout  cela  encore,  rien  de  Montaigne. 

Quant  on  a  fait  la  somme  de  ces  erreurs  et  de  ces  modifications  qui  sont  purement 
et    simplement   des  altérations   du   texte    vrai  de    .Montaigne,   on    s'aperçoit   qu'on 


464  APPENDICE     III. 

a  expliqué  la  plupart  des  leçons  par  où  l'édition  de  1595  diffère  de  ['Exemplaire  de 
Bordeaux.  Et  le  peu  qui  restera  alors  de  ces  leçons,  à  la  rigtieur  on  y  peut  voir  la 
mise  en  valeur  de  quelque  brouillon  de  Montaigne;  mais  on  y  peut  voir  aussi 
ou  quelque  glose  des  gens  qui  ont  eu  en  mains  le  manuscrit  de  Montaigne,  ou  un 
essai  de  restitution  d'un  passage  mal  transcrit,  déchiré  peut-être  et  maculé  par  l'envoi 
à  Paris. 

Je  ne  veux  pas  en  conclure  que  toutes  les  leçons  nouvelles  apportées  par 
l'édition  de  1595  sont  des  erreurs  ou  des  falsifications;  seulement  j'ai  le  droit  d'affirmer 
que  presque  toutes  sont  en  effet  des  erreurs  ou  des  falsifications.  Dans  cette  Edition 
Municipale,  où  nous  nous  flattons  de  ne  donner  que  du  Montaigne  authentique, 
et  où  nous  avons  rapporté  toutes  les  leçons  des  éditions  de  1580  et  1582,  nous  ne 
traiterons  pas  avec  le  même  respect  l'édition  de  1595;  si  le  lecteur  est  curieux  de  la 
connaître  intégralement,  il  recourra  à  la  belle  et  parfaitement  exacte  réimpression 
de  MM.  Courbet  et  Royer.  Nous  n'insérerons  ici  que  les  leçons  qui  ajoutent  quelque 
chose  au  texte  de  Montaigne,  et  qui  l'éclairent  d'un  renseignement  nouveau,  d'une 
indication  imprévue.  Déjà  nous  en  avons  reproduit  quelques-unes  en  note  :  les  plus 
précieuses  et  les  plus  importantes.  En  voici  d'autres;  elles  sont  sans  doute  intéres- 
santes, elles  demeurent  suspectes,  du  moins  à  mes  yeux. 


CHAPITRE  III.  =  P.  15,1.2)  inutiles.  Comme  la  folie  quand  on  luy  octroyera 
ce  qu'elle  defire,  ne  fera  pas  contente  :  auffi  eft  la  fageffe  contente  de  ce  qui  eft  prefent, 
ne  fe  defplait  iamais  de  foy.    Epicurus  (1.  5.) 

P.  lé,  1.  6)  iamais,  à  luy,  &  à  tous  mefchans,  comme  luy,  de  fes 

CHAPITRE  VII.  =  P.  34,  1.  29)  dit  &  apertement. 

CHAPITRE  XII.  =  P.  53,  1.  16)  parler  tout  fon  faoul.  Toutes-fois 

CHAPITRE  XXII.  =  P.  56,  1.  12)  maifon  autant  que  ie  puis  de  la  cerimonie. 
P.  57,  1.  n)  cité  &  chafque  vacation  a 

■    CHAPITRE   XIV.   =     P.    63,  1.   2)    Emmanuel  fucceffeur  de  lehan,  venu    — 
5)  Oforius,  non  mefprifable  hiftorien   —    27)   contreinte.  En  la  ville  de  Castelnau 
Darr}-,  cinquante  Albigeois  hérétiques,  fouffrirent  à  la  fois,  d'vn  courage  déterminé, 
d'eftre  bruflez  vifs  en  vn  feu,  auant  defaduouer  leurs  opinions.  Quoties 
P.  65,  1.  27)  générale  loy  de  nature 

P.  72,  1.  25)  effet  on  portoit  emmy  fes  befongnes  de  nuict.  Guillaume 
P.  73,  1.  20)   print  à  faueur  &  gratification  finguliere  du  ciel.  le  n'enfuis  pas  ces 
humeurs  monftrueufes  :  mais  l'en  ay  perdu  en  nourrice,  deux  ou  trois,  finon 

CHAPITRE  XIX.  =   P.  97,  1.  8)  bourreau  :  indigne  &  barbare  cruauté!  Et  mille 
P.  109,  1.   13)  L'édition  de  1595  supprime  fi  cc  n'eft  de  la  vie,  fi  fa  perte  vient  à  me 
poifer. 

P.  III,  1.  8)  loing  la  penfee,  qu'il 


APPENDICE     III.  46) 

CHAPITRE  XXI.  =  P.  121,  1.  4)  elchapper,  par  faute  de  force  à  luy  icfifter  — 
15)  iour  à  Thouloul'e  chez 

P.  124,  l.  3)  L'édition  de  159;  supprime  des  miracles  —  8)  encore  en  ce  double,  que 
P.  126,  1.  20)  ayant  à  la  dernière  fois  bien 
P.  135,  I.  19)  i'av  leu,  ouï 

CHAPITRE  XXIU.  =  P.  138,  1.  10)  folides,  polis,  &  —  13)  créatures  de  çà  bas, 
endormies 

P.  145,  1-  12)  s'entrepreftent  fans  diftinction  de  parenté  les 

P.  146,  1.  21)  &  plus  par 

P.  148,  l.  19)  les  des-naturces  &  prepofteres  amours  de 

P.  154,  1.  l8)  Le  passage  Car  qui...  fequor  (p.  155,  1.  16)  manque  dans  la  plupan  des  exem- 
plaires de  l'édition  de  1595;  quelques-uns  le  donnent  dans  un  carton  qui  a  été  annexé  à  la  page  6j. 

CHAPITRE  XXIV.  —  P.  164,  1.  15)  d'vne  telle  humanité.  Il 

CHAPITRE  XXV.  =  P.  176, 1.  24)  Gafcon  tiré  d'vne  chalemie,  eft-il  —  25)  mais 
à  remuer  les  doits,  nous  en  fommes  là.  Nous  fçauons 
P.  183,  I.  5)  reformé,  &  couftumierement  vn 
P.  i8é,  1.  19)  huictieme,  quafi  fans 

CHAPITRE  XXVI.  =   P.  188,  1.  2)  L'édition  de  1595  supprime  au  moins  felon  icelle. 

P.  201,  1.  9)  \'n  pur  Courtifan 

P.  223,  1.  18)  ambition  fcholaftique  &  puérile.  Peufle-ie 

CHAPITRE  XXX.  =  P.  261,  1.  4)  concupifcence.  Etnoftre  hiftoire  Ecclefiaftique 
a  confcrué  avec  honneur  la  mémoire  de  cette  femme,  qui  répudia  fon  mary,  pour  ne 
vouloir  féconder  &  fouftenir  fes  altouchemens  trop  infolens  &  defbordez.  II 

CHAPITRE  XXXI.  =  P.  280,  1.  26)  tirer  rien  qui  vaille.  Sur 

CHAPITRE  XXXVI.  =  Page  295,  1.  6)  noftre,  &  foubs  bien  plus  rude  ciel  que  le 
noftre;  Et 

P.  298,  1.  7)  gelée  :  &  nous  en  pouuons  aulTi  voir.  Sur 

CHAPITRE  XXX'VII.  =  P.  301,  1.  14)  particulier  de  leur  nation  debuoit 

CHAPITRE  XXX"VIII.  =  P.   307,  1.  16)  iour  ny  heure  à  peine,  en  laquelle  on 

CHAPITRE  XL VI.  —  P.  358,  1.  14)  l'immenfité,  &  rempliffant  l'indigence  de 
fon  maiftre,  de  la  poITeffion  de  toutes  les  chofes  qu'il  peut  imaginer  &  defirer,  autant 
qu'elle  veut!  Nature 

P-  359,  1.  19)  court  tant  de  fiecles  pour 

CHAPITRE  XL VII.  =  P.  368,  1.  5)  participation  à  la  témérité  du  hazard 

CHAPITRE  XL'VIII.  =  P.  375,  1.  19)  Les  Abyflins  au  rebours  :  à  mefure  qu'ils 
font  les  plus  aduancez  près  le  Pretteian  leur  prince,  affectent  pour  la  dignité  &  pompe, 
de  monter  des  grandes  mules.  Xenophon 

CHAPITRE  LIV.  =  P.  402,  1.  25)  àniaiferie&beftifeque  nous  foyonsarreftezen 


466  APPENDICE     m. 

CHAPITRE  LV.  =  P.  407,  1.  19)  Faifans,  fe  trouuerent  fur  fes  parties,  reuenir 
à  cent  ducats,  pour  les  apprefter  félon  leuj  manière.  Et  quand  on  les  defpeçoit,  non 
la  falle  feulement,  mais  toutes  les  chambres  de  fon  Palais,  &  les  rues  d'autour,  efl:oient 
remplies  d'vne  très  foûefue  vapeur  qui  ne  sefuanouiflbit  pas  fi  foudain.  Le 

CHAPITRE  LVI.  =  P.  408,  1.  7)  pour  abfurde  &  impie,  fi  rien  fe  rencontre 
ignorammcnt  ou  inaduertamment  couché  en  cette  rapfodie  contraire  aux  fainctes 
refolutions  &  prefcriptions 


TABLE  DE  CONCORDANCE 

DES  PAGES  DE  L'EXEMPLAIRE  DE  BORDEAUX 

AVEC 

LES  PAGES  DE  L'ÉDITION  MUNICIPALE 


X.  B.  —  Les  exemplaires  de  l'édition  de  1588  sont  numérotés  par  folio  :  aussi 
indiquons-nous  le  recto  (r°)  et  le  verso  (v°).  Il  y  a  des  fautes  nombreuses  dans  la 
numérotation.  Elles  ont  été  corrigées  à  la  plume  sur  I'Exemplaire  de  Bordeaux, 
à  une  époque  assez  récente.  Nous  donnons  ces  chiffres  ainsi  rectifiés,  mais  nous 
maintenons,  au  dessous  du  chiffre  rectifié,  entre  parenthèses,  le  chiffre  erroné. 

Pour  I'Edition"  Municipale,  les  chiffres  en  romain  indiquent  la  page,  les  chiffres 
en  italique,  la  ligne. 


I 

r° 

Chap.  I. 

\° 

toute 

2 

T° 

ver-  1  tu 

yO 

frefches 

3 

r" 

féconde 

yO 

aux  larmes 

4 

r» 

Cor-  1  fegue 

yo 

ap-  1  porte 

5 

r" 

premier 

yo 

Maximilian 

6 

r" 

veu 

yo 

nous 

7 

r" 

Gyn-  1  dus 

yo 

dolus 

8 

r" 

en-  1  cores 

yo 

treue 

9 

r» 

vie-  1  toires 

yo 

efcient 

.Mu 

nicip. 

Ix.  de  Bordeaux. 

2 

10 

r° 

L'ame 

4, 

10 

yo 

d'eftre 

5, 

10 

II 

r" 

porte 

7> 

5 

yo 

cette 

10, 

2 

12 

r" 

& 

II) 

2 

yo 

Chap.  X. 

12, 

22 

13 

j-o 

demeuroit 

i5> 

II 

yo 

& 

17, 

2/ 

14 

r" 

con-  1  fifqué 

18, 

24 

yo 

paf-  1  fent 

20, 

} 

15 

r" 

rire 

23. 

7 

yo 

il 

24, 

24 

16 

r" 

Chap.  XIV. 

27> 

/ 

yo 

autres 

28, 

28 

17 

r" 

vn 

31. 

7 

yo 

appro-  1  chant 

32, 

24 

18 

ro 

fe-  1  rions' 

34, 

2 

yo 

qu'on 

Éd.  Municlp 

36, 

/ 

57> 

12 

39, 

21 

40, 

25 

42, 

21 

44 

45. 

6 

46, 

S 

48, 

14 

S''. 

7 

5  5. 

22 

56. 

4 

58 

59. 

12 

éo, 

2} 

62, 

} 

64, 

26 

65, 

29 

■     La  tin  de  l'addition  manuscrite  (pages  62  et  63)  qui  occupe  le  verso  du  folio  17,  déborde  sur  le  recto 
du  folio  tS,  à  partir  de   SU{9V4i  p.  6;,  I.  24,  Var. 


468 


TABLE    DE    CONCORDANCE. 


E.1.  de  Bordea 

ux. 

Éd.  Mu 

nkip. 

Es.  de  Borde 

UX. 

Éd.  M 

UDicip 

19 

r" 

que 

67, 

22 

34 

ro 

Tout 

118, 

4 

v° 

prochai-  |  ne 

70, 

II 

yO 

Chap.  XXI. 

121 

20 

r° 

Combien 

71, 

2i 

35 

r" 

Vota 

123, 

4 

V" 

grand 

73> 

13 

yO 

&■- 

124, 

13 

21 

r» 

la 

73, 

16 

3é 

1° 

vne 

130, 

10 

v° 

mefna-  |  gers 

7é, 

20 

yo 

ietta 

I3Ï, 

14 

22 

r° 

ima-  !  ginations 

78, 

5 

37 

r° 

aux 

132, 

14 

v° 

quel-  1  que 

79, 

21 

yO 

ieunef-  [  fe 

135, 

9 

23 

1° 

Car-  1  tes 

82, 

6 

38 

r" 

nour-  1  rir' 

137, 

iJ 

yO 

auroit 

84, 

9 

yo 

humaine 

141, 

3 

24 

r° 

Chap.  XVI. 

86 

39 

r" 

Prince 

142, 

26 

yO 

contre 

87 

S 

(29^ 

yo 

fans 

144, 

1} 

25 

r" 

reproche 

88, 

10 

40 

r° 

frangées 

145, 

19 

v° 

redi-  |  re' 

90, 

II 

yo 

crédit 

147, 

9 

26 

1° 

fortis 

92, 

9 

41 

ro 

qu'il 

149, 

19 

v° 

Manuel 

93, 

22 

yo 

les 

150, 

26 

27 

r° 

Ce 

97, 

4 

42 

r° 

La-  1  cedemone 

151, 

24 

yO 

Nam 

98, 

9 

yo 

eftablir 

153, 

9 

28 

1° 

de 

100, 

6 

43 

r" 

&  aigries 

155, 

25 

\'° 

non 

103, 

3 

yo 

preffez 

15e, 

28 

29 

1° 

lanuier 

104, 

6 

44 

r° 

pallir 

158, 

15 

yO 

huis 

105, 

10 

yo 

pour 

159, 

25 

30 

T» 

decouuert 

loé, 

10 

45 

r° 

ie 

léo, 

2; 

yO 

Omnem 

107, 

14 

yo 

il  luy 

161, 

2J 

31 

r» 

approchent 

108, 

U 

46 

r° 

a 

162, 

26 

yO 

le 

IIO, 

; 

yo 

la 

165, 

27 

32 

r° 

mefu-  1  re 

m, 

14 

47 

r° 

Pourtant 

164, 

28 

yO 

que  le 

112, 

19 

yo 

l'autho-  1  rite 

166, 

14 

33 

r" 

vous 

114, 

19 

48 

r° 

auoir 

167, 

18 

yO 

le 

116, 

14 

yO 

ma-  1  chineroyent 

ié8, 

26 

'     L'addition  mmuscrite  de  la  page  91  occupe  le  verso  du  folio  2;  et,  à  partir  de  nUllS  (1.  16)  le 
recto  du  folio  26. 


■■î    Les  additions  manuscrites  des  pages  124-130  sont  disposées  de  la  façon   suivante  :   el  de  la... 

subiei  (p.  124, 1.  iy-26) pour  endormir...  puissant  (p.  125,1.  7-9)  Les  marie:;^...  membres  (p.  127, 

1.  22  —  p.  128,  1.  15)  occupent  les  marges  du  verso  du  folio  35.  tel  autre...  fut  (p.  125,  1.  9-11) 
et  Or...  cotillon  (p.  127,  1.  12-15)  ^ont  écrits  en  interligne  au  verso  du  même  folio.  Tout  le  reste 
occupe  le  recto  du  folio  36. 

3     L'addition  manuscrite  des  pages  Ij8  et  139  occupe  le  recto  du  folio  38,~mais  la  tin  à  partir  de 
Uices  (p.  159,  1.  22)  est  rejetée  sur  le  verso  du  folio  37. 


TABLE     DK    CONCORD AXCH . 

469 

Ex.  de  Bordeaox 

Ed    M 

inicip. 

E>.  de  BorJcJiu 

Éd.  Municip 

49 

r° 

d'in-  1  quictudc 

170, 

i 

67 

r" 

quelque-  |  fois 

230,    22 

\° 

volontiers 

172, 

9 

yO 

ainfi 

235,     9 

50 

r° 

groflîe 

174 

'; 

68 

r" 

igno-  1  rancc 

234,    14 

V" 

autre 

176 

17 

yo 

Ce 

235,    2/ 

51 

r» 

Mtait 

178 

i 

69 

r» 

pour-  1  fuiure 

236,    22 

V 

auoit 

180 

2 

yo 

le  vay 

238,    10 

52 

r° 

pièces 

181 

i 

70 

r» 

rencontrent     239 

2j(Var.88) 

V 

aux 

18; 

10 

yo 

père 

241,  10 

53 

r° 

refolution 

18., 

2,S 

71 

ro 

iouyflance* 

242,  12 

yO 

Chap.  XXVI. 

187 

yo 

l'autre 

245,     9 

54 

r° 

dans 

189 

I 

72 

r" 

de  celle 

247,    J2 

V" 

veux-  1  ie 

191 

18 

yo 

fe 

248,  17 

55 

r" 

dif-  1  ficile 

192 

26 

75 

r» 

qu'il 

249,    27 

yO 

pour 

194 

I 

V" 

poifante 

232,   ro 

56 

r» 

franches 

195 

20 

74 

r° 

Tecum 

253,  is 

v° 

Ion 

197 

9 

yo 

par  fortune     254, 

19  (Var.  88) 

57 

r° 

qui 

198 

2i 

75  ;i 

81 

occupe  par  les  sonnets  d'Esticnne  de 

v° 

vertu 

201 

^; 

l.n  Boeiie. 

58 

r" 

charge 

202 

24 

82 

r" 

Infani 

257,     7 

yo 

vi-  1  gnes 

204 

; 

yo 

que                259, 

2)  (Var.  88) 

59 

r° 

enflée 

205 

7 

85 

ro 

complot 

261,  22 

\° 

la  fcience 

207 

/ 

(53) 

yo 

vifues 

262,   2<V 

60 

r» 

tran-  |  fie* 

208 

9 

84 

r» 

ic 

264,     ; 

(50.) 

yO 

ont 

211 

10 

yo 

vray-fem-  |  blable 

265,  16 

61 

r» 

en 

212 

27 

85 

r° 

d"Ar-fac 

266,    27 

(48) 

v 

coulera 

214 

2 

yo 

tres-fidelle 

267,  24 

62 

T° 

Et  pourueu 

216 

u 

86 

r" 

au 

268,    22 

v° 

poif-  1  fon 

218 

10 

yC 

nul 

270,     S 

6î 

r" 

que  c'eft 

219 

u 

87 

r» 

s'eftre 

271,     S 

(50) 

v° 

aftctc 

220 

20 

yo 

le 

272,    70 

64 

r" 

inuen-  |  tiens 

221 

21 

88 

r" 

qui 

273,    27 

v° 

mi-  1  gnons 

224 

in 

yo 

Vafcones 

274,    2/ 

65 

r" 

feruir 

225 

12 

89 

r° 

deman-  |  dent 

275,    22 

v" 

que,  par 

226 

1-4 

yo 

qui 

277,       J 

66 

r" 

il 

227 

j6 

90 

r" 

leurs 

278,    29 

v° 

la 

228 

"J 

yo 

cho-  1  fes 

280,    70 

«  L'addition  manuscrite  de  la  page  209  EU'a  (1.  6)  est  écrite  sur  le  recto  du  folio  60,  mais  i  partir 
de  Angélique  (1.  29)  toute  la  suite  jusqu'à  ame  (p.  211,  1.  4)  a  éli  rejetée  sur  la  marge  gauche  du 
verso  du  folio  $9. 

«  La  fin  deladdition  manuscrite  (pages  24),  24.)  et  245  jusqu'à  la  ligne  4)  ^  été  rejetéc  au  verso  du 
folio  70  à  partir  de  d'une  (p.  244,  1.  11). 


470 


TABLE    DE    CONCORDANCE. 


Ex.  de  Bordeaux 

Éd.  Mu 

nidp. 

Es.  de  Bordeau 

Éd.  Ml 

n.cip 

91 

1-0 

Chap.  XXXII. 

282 

109 

r» 

lacteris 

337, 

21 

yO 

argu-  1  mens 

283, 

16 

yo 

com-  1  moditez 

338, 

26 

92 

r» 

Chap.  XXXIII. 

28s 

IIO 

r" 

\'ertitur 

340, 

6 

\° 

eft-ce 

28e, 

II 

yo 

ail-  1  leurs 

341, 

16 

93 

r° 

Chap.  XXXIV. 

288 

III 

r" 

que 

342, 

20 

yo 

luy  fit 

289, 

10 

yo 

que 

343, 

18 

94 

r° 

nnry 

290, 

II 

112 

r° 

pourquoy 

344, 

22 

v° 

qui  cela 

292, 

S 

yo 

foudain               346, 

4  Var. 

88 

95 

r° 

naturelles 

294, 

9 

113 

r" 

ce 

547, 

6 

\° 

comme 

295> 

2J 

yo 

par 

349, 

16 

96 

r° 

liuré 

297. 

14 

114 

r° 

que 

350, 

28 

\° 

autre 

301, 

7 

yo 

Chap.  XLV. 

352 

97 

r° 

Et 

304, 

12 

115 

r" 

le 

353, 

10 

v° 

Hîeredis 

306, 

8 

yo 

paf-  1  fe-temps 

554, 

16 

98 

1-0 

feinte 

307, 

19 

lié 

r» 

d'auiour-  |  d'huy 

55e, 

4 

(89) 

v° 

Chap.  XXXIX. 

309 

yo 

partages 

557, 

} 

99 

r° 

bien 

311, 

2 

117 

fO 

pour 

558, 

} 

VO 

faut 

312, 

7 

yo 

Combien 

559, 

8 

100 

r° 

fentir 

313. 

n 

118 

ro 

quel 

561, 

iS 

v° 

Nulles 

314, 

17 

yo 

d'ef-  1  cole 

362, 

27 

lOI 

r" 

toutes 

5ié, 

6 

119 

r° 

compo-  1  fition 

364, 

J 

v° 

n'en-  |  trer 

3i7> 

I) 

yo 

perdre 

565, 

2 

102 

r" 

cette 

318, 

13 

120 

r» 

faire 

36e, 

II 

yo 

preme-  |  ditation 

320, 

6 

yo 

refréchir 

367, 

8 

103 

r" 

gloire 

321, 

9 

121 

r" 

Chap.  XLVIII. 

369 

yo 

chercher 

322, 

II 

yo 

aux 

571, 

10 

104 

r° 

par-  1  lerie 

323. 

9 

122 

I-o 

plufieurs  ' 

372, 

25 

yo 

& 

324, 

26 

yo 

Et 

375, 

7 

105 

r" 

d'au-  1  tre 

326, 

21 

123 

r" 

mettre 

377, 

22 

yo 

& 

328, 

5 

yo 

la 

380, 

6 

106 

r» 

cette 

329, 

16 

124 

r« 

prehoyent 

381, 

20 

(89) 

VO 

auez 

330, 

17 

yo 

celuy 

385, 

2 

107 

r° 

trouuans 

331. 

27 

125 

r° 

de 

384, 

6 

yo 

par 

534, 

I 

yo 

pre-  1  noyent 

385, 

8 

108 

r" 

efcha-  1  ces 

335, 

4 

126 

r» 

en-  1  tiers' 

387, 

2 

yo 

chauffes 

33e, 

9 

yo 

mou-  1  ches 

390, 

i 

•     La  fin  de  l'addition  manuscrite  qui  occupe  les  pages  573  et  574  a  été  rejetée  sur  le  verso  du  folio  121 
à  partir  de  d  des  Sagettes  (p.  J74,  1.  10). 


'    La  fin  de  l'addition  manuscrite  qui  occupe  les  pages  588  et  589  a  été  rejetée  sur  le  verso  du  folio  12; 
il  partir  de  SOn  (p.  388,  1.  27). 


Hx.  de  Bordeaux. 

127   r» 

noftre 

V° 

Théologie 

128   r" 

ra-  1  re 

\o 

com-  1  mettre 

129  r° 

qui 

v 

Chap.  LI\'. 

150  r" 

auoient 

(122)  v° 

à 

131    r" 

eft 

vo 

fauoureux 

TABLE    DE    CONCORDANCE. 


Éd.  Municip.       Ex.  de  Borde. 


391, 

1} 

132   r" 

n  auons 

393. 

16 

v° 

fi 

394, 

20 

133    ro 

diffipcr 

396, 

8 

vo 

fans 

398, 

9 

134     r 

luppiter 

400 

v 

Noctem 

401, 

12 

135    r" 

confi-  1  dcrant 

403, 

I 

vo 

d'aller 

405, 

4 

136   1° 

ans 

406, 

-S 

4 

71 

Ëd.  M 

iDÎcip 

408, 

17 

410, 

II 

413, 

9 

416, 

7 

417. 

1} 

418, 

J7 

420, 

7 

421, 

18 

422, 

18 

TABLE    DES    MATIÈRES 


DU    PREMIER    VOLUME 


Lettre  de  M.  de  la  ^'lLLE  de  Mirmont,  a  M.  le  Maire  de  Bordeaux.  i 

Introduction , \- 

Indications  et  Signes xxiii 

Errata xxiii 

Av  Lectevr r 

LRRE  PREMIER 

Chapitre  I.        Par  diuers  moyens  on  arriue  à  pareille  fin 3 

—  II.       De  la  triftefle 9 

—  III.      Nos  affections  s'emportent  au  delà  de  nous 14 

—  I\'.      Comme  l'ame  defcharge  Tes  paflions  fur  des  obiects  laux, 

quand  les  vrais  luy  défaillent 23 

—  \'.        Si  le  chef  d'vne  place  affiegée  doit  lortir  pour  parlementer  26 

—  \l.      L'heure  des  parlemens  dangereufe 30 

—  VIL    Que  l'intention  iuge  nos  actions 3  3 

—  VIII.  De  l'oifmeté 35 

—  IX.      Des  menteurs 37 

—  X.       Du  parler  prompt  ou  tarait 44 

—  XL     Des  prognoftications 47 

—  XII.     De  la  confiance 52 

—  Xni.  Cérémonie  de  l'entreucuë  des  Roys 5^ 

—  XIV.   Que  le  gouft  des  biens  &  des  maux  dépend  en  bonne 

partie  de  l'opinion,  que  nous  en  auons 58 


474  TABLE     DES     MATIERES. 

Chapitre  XV.  On  eft  pun}-  pour  s'opiniaftrer  à  vne  place   fans 

laifon 84 

—  X\l.            De  la  punition  de  la  couardile 86 

—  XVII.          Vn  traict  de  quelques  ambaffadeurs  88 

—  X\^I.         De  la  peur 92 

—  _XIX.  Qu'il   ne  faut  iuger  de  noftre   heur,   qu'après  la 

mort 96 

—  XX.             Que  philofopher  c'eft  apprendre  a  mourir 100 

—  XXI.            De  la  force  de  l'imagination 121 

—  XXn.          Le  profit  de  l'vn  eft  dommage  de  l'autre 135 

—  XXni.         De  la  couftume  &  de  ne  changer  aifément  vne  loy 

receùe 137 

—  XXIV.        Diuers  euenemens  de  mefme  confeil 158 

—  XXV.          Du  pedantifme 171 

XXVI.         De  l'inftitution  des  enfans 187 

—  XXVII.       C'eft  folie  de  rapporter  le  vray  et  le  taux  à  noftre 

fuffifance 232 

—  XXVIII.      De  l'amitié 238 

—  XXIX.        Vingt  &  neuf  fonnets  d'Eftienne  de  la  Boetie 255 

—  XXX.          De  la  modération 257 

—  XXXI.        Des  cannibales 264 

—  XXXII.       Qu'il  faut  fobrement  fe  meller  de  iuger  des  ordon- 

nances diurnes 282 

—  XXXni.      De  fuir  les  voluptez  au  pris  de  la  vie 285 

—  XXXIV.      La  fortune  fe  rencontre  fouuent  au  train  de  la  raifon  288 

—  XXXV.       D'vn  défaut  de  nos  polices 292 

. —        XXXVI.      De  l'vfage  de  fe  veftir 294 

—  XXX\'TI.    Du  ieune  Caton 299 

—  XXXVIII.  Comme  nous  pleurons  &  rions  d'vne  mefme  chofe.  305 

—  XXXIX.     De  la  folitude 309 

—  XL.             Confideration  fur  Ciceron  323 

—  XLI.            De  ne  communiquer  fa  gloire 330 

—  XLII.          De  l'inequalité  qui  eft  entre  nous 333 

—  XLin.         Des  loix  fomptuaires 345 

—  XLIV.         Du  dormir 349 

—  XLV.          De  la  bataille  de  Dreux 352 

—  XLVI.         Des  noms 354 


TABLE     DES     MATIÈRES.  475 

Chapitre  XLVII.     De  l'incertitude  de  noftre  iugement 361 

—  XLVin.  Des  deftries ^ 369 

—  >       XLIX.      Des  couftumes  anciennes 380 

—  L.             De  Democritus  &  Heraclitus 38e 

—  LI.            De  la  vanité  des  paroles 391 

—  LU.           De  la  parfimonie  des  anciens 396 

—  LUI.         D'vn  mot  de  Qular 398 

—  LIV.         Des  vaines  fubtilitez 400 

—  L\'.          Des  fenteurs 405 

—  L\"L         Des  prières 408 

—  L\'IL        De  l'aage 420 

Appendice  L     —  Variantes  d'oitlxigraphe  et  de  ponctuation. 

Note  de  Montaigne 427 

Variantes 429 

Appendice  IL    —  Leçotis  des  Éditions  de  i)So  et  1^82 447 

Appendice  IIL  —  Leçons  de  l'Édition  de  ij^j 459 

Table  de  Concordance 467 


TABLE   DES   GRAVURES 


Une  page  de  l'Exemplaire  de  Bordeaux  (hélivgravure) m 

Page  du  Titre  de  l'Exemplaire  de  Bordeaux  (pljototypie) xxiv 

Trois  Fragments  (plx)totypie) , 424 

1 


Bordeaux.  —  Imprimerie  Nouvelle  F.  Pech  et  G'',  7,  rue  de  la  Merci. 


La  Bibliothèque 
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Date  Due 


l^lWf- 


C£ 


a  390 0  3  Gû:3  33ÙDbb 


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,A1  1906  VI 
COO   MCNTAlONEt 
ACC«  I3e7340 


M  LES  ESSAIS