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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/lesessaisdemi01mont
l'cfté venu ,' il y gaigna contre eux encore vne bataille nauale J"
Sur le fubicd de vcftir,le Roy de la M exique changeoit qua-
tre fois par iour d'accoullremensjiamais ne les rciteroit , em-
ployant fa desferre à Tes cotinuellcs libcralitez & recompcn-
les:comme auffi iiifliois ny pot,ny plat, ny vtenfile de fa cuifi-
nc,& de fa table ne luy cftoient feruis à deux fois.
. Ditieune Caton. Chap. XXXVII.
V^4J E n ay point cçttç erreur CQr^une?^de ju^er jg^amffi^
J['h"0;{ lelon î(-ioy-, ' & <^)rapportcr la condition des autres "^ ^ i ^^^ ^ ^
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les nues la hauteui},d aucunes âmes lieroïquÊ
beaucoup pour moyd'auoir le iugcment réglé, (î les elfe(fts.^«
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^ 'jv H tie,exemptedeticorruption &-dt4?attt4te:tcft quelque cho-.T^.rA«<?
^|>^ >-, fed'auoirlavplonté bonne, quand les iambes me faillent. Ce/^*";À"'j
-, fe^Trtfftt vertueuîe^: belles qui en portet le vilage.elle.s n'en ont ,^/.<£<...vw '-^'^^
>-paspourtant 1 eflencertar le ptont,la gJoire,la crainte,! accou^^^^^y %,, z/^- «^«Z •'
a tumancc, & autres telles caufeseftrangcres nous aclu'minenc*'^>/^TJ^*^t^^
; aies produire. Laiufticej la vaillance, bdcbonnairctc, que/<';^/^^;x^'''^^^"/
Tnous exerçons lors, elles peuuentcltiediéteGteîks, pour \3.]/7u.^ rcrr^tni^^;:
confidcrationd'aurruy, ÔJduvifige qu'elles portent en pu-i2p
blic, mais chez l'ouurier ce n'eft aucunement venu : -fl y a y ne *^'^-a>*-^ «^z».-^^ '^"'['^
<r^r t V c >C. v^ • c A ^ ^' .;cTx A'c ;*^ c ^ /^ H
LES ESSAIS
DE
MICHEL DE MONTAIGNE
rrBLIÉS D APRES I. EXEMPLAIRE DE BORDEAUX,
AVEC LES VARIAKTES MANUSCRITES & LES LEÇONS DES PLUS ANXIENNES IMPRESSIONS,
DES KOTES, DES NOTICES ET UN LEXIQUE.
VAK
FORTUNAT STROWSKI
Professeur :idjoint à l'Université de Bordeaux
SOUS LES AUSPICES DE LA COMMISSION DES ARCH1\'ES MUNICIPALES
TOME PREMIER
BORDEAUX
IMPRIMERIE NOUVELLE F. PECH & C'
.M C M V I
.A/
.1
A MONSIEUR ALFRED DANEY
Maire de Bordeaux
Bordeaux, le iS avril i^Oj.
Monsieur le Maire,
Au temps de votre première Mairie, eu iSSy, la Commission de
publication des Archives Municipales vous offrait le Tome premier des
Inscriptions Romaines de Bordeaux, où l'érudition de M. Camille
JuUian faisait pieusement revivre la mémoire de nos ancêtres gallo-romains.
Dès les premiers mois de votre seconde Mairie, en iS<)2, vous demandiez
à M. JuUian d'écrire une Histoire de Bordeaux depuis les origines
jusq.u'en 1895. L'œuvre magistrale de Téminent professeur que la Faculté
des Lettres se voit contrainte de céder au Collège de France a été publiée
le i" mai i8<-}), au moment où s'ouvrait notre Exposition Universelle.
L'Histoire de Bordeaux se termine par cette phrase de conclusion :
<( Aujourd'hui, eu face d'un État absolu et monotone, en jace d'idées
internationales plus despotiques et plus froides encore, l'esprit municipal
peut devenir, au même titre que la vie de famille et que l'amour du sol, la
sauvegarde de la liberté et de la dignité humaines. »
Ces lignes, écrites en 18^^, n'ont, en k-Joj, rien perdu de leur vérité.
Cette vérité, Monsieur le Maire, vous eu êtes pénétré, puisque, sur les
instances unanimes de vos Collègues du Conseil Municipal, vous ave:^
consenti, en i')04, à vous remettre à la tête de l'Administration. Votre
dévouonent êi << l'esprit municipal » ne vous a pas permis d'écouter les
VI
lâches propos de ïcpicuricu Horace, qui prétextait, pour ne plus descendre
dans l'arène, les progrès de l'âge et le changement de ses dispositions d'esprit'.
Vous vous êtes souvenu, au contraire, que le vieil Enfelle de /'Enéide
jt'avait pas hésite, en des conjonctures où son activité était nécessaire,
à charger ses mains des cestes lourds, et qu'il n'avait renoncé à la lutte
qu'après avoir réduit à l'impuissance ce présomptueux Darès, qui, dit
le poète, « dressait sa tête aJlière, étalait ses larges épaules, déployait tour
à tour ses deux bras, frappant l'air de coups redoid^lés » \
L'âge, sans doute, n'est plus le même — non eadem est œtas —
que le i8 mai iSyi, alors que vous acceptie:^ pour la première fois de
faire partie de l'Administration de notre ville; mais l'esprit — « l'esprit
municipal » — est toujours le même, toujours aussi jeuiw, toujours aussi
dévoué aux intérêts de Bordeaux.
Comme témoignage de cet esprit municipal qui nous anime tous et nous
unit, la Commission de publication des Archives est heureuse. Monsieur le
Maire, de vous ofrir, au début de votre troisième Mairie, le premier
volume de /' <( édition muiricipale » des Essais de Montaigne, votre
prédécesseur à l'Hôtel de ï'ille.
Il y a plus de deux mille ans, chacune des grandes cités de la Grèce
continentale, des îles et des colonies, Chios connue Argos, Marseille comme
Athènes, avait tenu à faire une rccension de /'Iliade. Ce furent les éditions
municipales Q/.ol-.x ixç r.i'/.uç). Aucune d'elles ne réussit à être définitive,
car il leur nuinquait à toutes de pouvoir se jonder sur un texte authentique.
Plus heureuse que les anciennes cités helléniques, la l'ille de Bordeaux
a le privilège de posséder les bonnes feuilles d'un exemplaire des Essais,
corrigées par Montaigne lui-même en vue d'une édition nouvelle qui n'a
jamais été publiée. C'est cette édition que la Commission de publication
des Archives Municipales s'est chargée de préparer. La direction de cette
œuvre difficile et délicate a été confiée à M. Strmuski, professeur adjoint
' HouACE, Kpitrcs, I, i, v. 3.
• Virgile, Hnéidc, \', v. 375-379.
VIT
(/ la Facilite des Lettres, qui lia mciuigé ni sa jiiie habileté de critique,
ni sou labeur acharné d'énidit, dans l'accomplissenienl d'une lourde tâche
courageusement entreprise. L'éditeur a été utilement secondé par M. Bourcie^
professeur a la Faculté des Lettres, titulaire de la chaire miinicipale de
Langues et Littératures du Sud-Ouest de la France, et par M. Courteault,
successeur désigne de M. Jullian dans la chaire municipale d'Histoire de
Bordeaux et du Sud-Ouest de la France. Les membres de la Commission '
ont tous collaboré à l'œuvre commune, soutenus dans un travail, souvent
ingrat, par le souvenir de cet hémistiche du vieux poète bordelais Aiisone,
qui a été. Monsieur le ALrire, la devise de toute votre vie municipale :
Diligo Burdigalam.
Au nom de la Coininission de publication des Archives Municipales
de Bordeaux, j'ai l'honneur de vous prier. Monsieur le Maire, d'agréer
l'hommage de nos sentiments respectueux et dévoués.
H. DE LA Ville de Mirmont.
' La Coiiiiiiissioii de publication des Aiclnves Municipales se compose de :
MM. Louis DE Bordes de Portage, secrétaire général de l'Académie des Sciences, Belles-
Lettres et Arts de Bordeaux, président de la Société des Bibliophiles de Guienne;
Edouard Bourciez, professeur ii la Faculté des Lettres de l'Université de Bordeaux;
Raymond Céleste, conservateur de la Bibliothèque municipale, membre de l'Académie;
Paul Courteault, professeur au Lycée, secrétaire général de la Société des Arctnves
Historiques de la Gironde ;
Ariste Ducaunnés-Duval, conservateur des Archives Municipales, membre de
l'Académie, vice-président de la Société des Archives Historiques, trésorier de la
Société des Bibliophiles ;
Francisque Habasque, président de Chambre honoraire à la C^our d'Appel, président
de la Société des Arctnves Historiques ;
Camille Julliax, professeur à la Faculté des Lettres, membre de l'Académie;
Gustave Labat, membre de l'Académie, vice-président honoraire de la Société des
Arctnves Historiques ;
Henri de la Ville de Mirmont, professeur à ta Faculté des Lettres;
Marcel Marion, professeur à la Faculté des Lettres, membre de l'Académie, membre
du bureau de la Société des Archives Historiques ;
Fortcnat Strowski, professeur adjoint à la Faculté des Lettres.
INTRODUCTION
L'ÉDITION MUNICIPALE DES « ESSAIS >>
Éditions des « Essais » publiées par Montaigne.
Au commencement de Tannée 1371, Michel de Montaigne, qui
venait de vendre sa charge de conseiller au Parlement de Bordeaux,
se retira dans son château de Montaigne.
Cette retraite, il la consacrait à sa liberté, à sa tranquillité, à son
repos : LIBERTATI SV^E TRAXaVILLITATiaVH ET OTIO DICAVIT'.
11 travailla en effet pendant neuf ans à conquérir, dans des temps
troublés, parmi les passions religieuses et politiques, la liberté de
l'esprit et la tranquillité de l'âme.
Montaigne eut quelque peine à s'habituer à la solitude; elle
produisit en lui une « humeur mélancolique », et, pour la dissiper,
il se mit en tête d'écrire. Sur le récit d'un apothicaire, sur un mot
lu dans Plutarque, sur une anecdote des guerres d'Italie, sur tous
propos, il « essave ses facultés naturelles » ; et, à la façon dont il
discourt et dont il juge, nous suivons les changements de ses
«conditions et humeurs», et les progrés de sa sagesse; à la vérité,
' Inscription de la bibliothiique de Montaigne.
X IXTRODUCTIOX.
il ne se peint pas : il vit devant nous. Ainsi il se trouve avoir été
la « matière de son livre ».
Montaigne fit imprimer ces Essais à Bordeaux, en deux livres,
chez Millanges, en 1580. Il ne les avait pas laissés dans leur ordre
de composition : avec un art subtil et délicat, il diversifie les chapitres
et il en rompt la suite chronologique. Chaque k Essai », en revanche,
est d'une construction solide et nette; il n'y a point de grossièretés,
ni de confidences indiscrètes. Un style «artiste», comme dit
Montaigne, un stvle tout nourri de citations d'Amyot, ou de
traductions de Sénèque, en même temps qu'une singulière élévation
morale, donne du prix à ce livre, d'une inspiration à la lois stoïcienne
et pyrrhonienne, où l'histoire du temps tient beaucoup plus de place
que les souvenirs de l'antiquité.
En 1 382, puis en 1587, Montaigne réédite les Essais. 11 en corrige
çà et là des phrases, il y ajoute quelques réflexions, qui se rapportent
à ses vo\ages et aux remèdes de la « colique pierreuse » dont il
souffre; il proteste de sa parfiiite soumission à l'Eglise catholique.
Mais les éditions de 1382 et 1387 sont bien le même ouvrage que
les Essais de 1380.
11 en va tout autrement de l'édition qu'il donna en 1388.
De 1580 à 1388, la vie de Montaigne a bien changé; il a tait à
travers l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, un long vovage; il a été maire
de Bordeaux pendant quatre ans, il a vu un redoublement de la
guerre civile, de l'anarchie et des passions politiques; il a joué un
grand rcMc dans la crise provoquée par cette mort du duc d'Anjou
qui laissait Henri 111 sans un parent direct, le trône sans un héritier
nettement désigné. 11 ne s'agissait plus seulement d'affermir son
âme contre des maux possibles, et d'apprendre à « bien mourir et
à bien vivre ». A ce même moment, Du Vair écrivait à un ami :
« Réser\e/ le dessein de vivre en solitude et vous retirer au repos,
lorsque tous ensemble nous aurons amené le navire au port, ou que,
vaincus par l'opiniâtre imprudence de ceux qui se veulent perdre.
INTRODUCTION. XI
nous nous serons sauvés sur quelque table de naufrage. » Montaigne
était sorti de la solitude et du repos. Il va nous dire maintenant
à quels devoirs nouveaux il sest vu obligé, quels principes ont
gouverné sa politique, quelle fut la régie et l'inspiration de sa
conscience; et c'est très beau. En même temps, et comme par rançon,
il se laisse aller à la tendance de son temps et au penchant naturel
de son esprit : il parle beaucoup de lui et d'une fiiçon quelquefois
indiscrète; il se complaît à se regarder lui-même. Il cite davantage
les anciens; il répand à profusion ses notes de lecture. Enfin son
imagination moins sévère s'abandonne un peu trop. Vieux, à l'abri
des passions, et « tombé de l'excès de la gaieté en celuv de la
sévérité », il tâche, pour être « maître de luv à tous sens », de
s' « csbatre en des pensements fols et jeunes ».
Tel est l'apport de 1588.
Dans l'édition de 1 388, cet apport s'ajoute au fonds de [580-82-87,
et il s'y mêle; il forme d'abord dans l'ouvrage total un troisième
Hvre qui a les mêmes proportions que les deux premiers; puis il
s'insinue sous forme d'additions plus ou moins importantes dans le
corps même des deux premiers livres, désarticulant les chapitres,
coupant la suite des idées, confondant deux inspirations, deux
problèmes et deux hommes. L'édition de 1 3 88, plus riche, plus \ariée,
plus profonde que les éditions de 1380-82-87, est obscure pour le
lecteur qui veut y chercher une pensée systématique, mais pleine de
clarté pour le lecteur qui sait, en distinguant les apports, discerner les
mouvements divers, la « volubilité » d'une pensée vivante.
L'Exemplaire de Bordeaux.
Après l'année 1388, la santé de Montaigne le condamne à la
retraite. L'heure du recueillement était venue. Les témoins de ses
dernières années, Pierre de Brach et Florimond de Rxmond, disent
qu'elles furent pleines de résignation et de gravité. Cependant,
XII INTRODUCTION.
quoiqu'il ait renonce à bien des choses, Montaigne ne renonce pas
à ses Essais. Il continue à les augmenter et à les égayer.
Il avait avec lui les bonnes feuilles de l'édition de 1388; il les
relisait, il les corrigeait minutieusement, il en chargeait les marges
d'additions manuscrites, il corrigeait ces additions à leur tour avec
le même soin méticuleux, il les enrichissait d'autres additions,
indéfiniment. Que le lecteur veuille bien se reporter à l'héliogravure
par laquelle s'ouvre ce volume, il verra une de ces feuilles. Il y
suivra le travail de Montaigne.
Montaigne relisant cette page — le recto du folio 96 — et voyant
que le mot « autruy » est répété deux fois à deux lignes d'intervalle,
le remplace une des deux fois par « un autre ». En même temps
il s'arrête à ce passage : « Rampant au limon de la terre, je ne
laisse pas de remerquer la hauteur d'aucunes âmes héroïques. C'est
beaucoup pour mov d'avoir le jugement réglé si les effets ne le
peuvent estre. » Il .s'aperçoit qu'il n'en dit pas assez; s'il « remerque »
la hauteur d'aucunes âmes héroïques, il remarque aussi « par quel
moien elles s'v sont montées, quel tour elles se donent pour
s'eslever ». Il l'écrit, et du même coup il ajoute qu'il n'admire ainsi
que les âmes nobles, d'où il conclut : « J'ay et reconois en mon ame
les semances de tous ces mouvemans. » Plus tard, en se relisant, il
n'est pas satisfait de sa phrase. «Tous », c'est trop dire maintenant, et
il efface « tous »; mais il remplace « mouvemans » par « progrès »,
qui est plus précis.
Les semaines .se passent, peut-être les mois. Montaigne a changé
de plume, d'encre et d'idée. Il efface cette addition manuscrite où il
affirmait la noblesse de son âme. A la suite, à la place, il écrit un
long développement, 011 il fait profession de dilettantisme. « Pour
me sentir engagé a une forme, je n'y oblige pas le monde, come
chacun fiiict, et crois et conçois mille contreres façons Pour
n'estre continant je ne laisse d"ad\-ouer sinceremant la continance des
INTRODUCTION'. XIII
Feuillens et des Capuchins Je minsinue par imagination fort bien
en leur place. » C'est explicite. Pourtant Montaigne (un peu plus
tard, comme le montre la différence des encres) y revient pour
écrire : « Et si les aime et les honore d'autant plus qu'ils sont autres
que moi. »
Dans le haut de la page les additions manuscrites sont d'une autre
sorte. Ce sont des récits. En feuilletant Tite-Live, Montaigne }- voit
les souffrances des Romains « au combat qu'ils eurent contre les
Carthaginois prés de Plaisance ». 11 les transcrit, en travers, dans la
partie encore libre de la marge gauche. Une autre tois, il trouve
dans Xénophon le tableau de souffrances analogues; il joint ce récit
au précédent. Comme la place lui manque, il écrit, non à la suite,
mais dans la marge supérieure, reliant les deux fragments par un
double X qui lui sert de signe de renvoi. Et ainsi du reste.
Entre temps il ajoute des citations, des réflexions brèves, il lait
des corrections patientes. Il reprend par trois tois la première phrase
du chapitre xxxnii, et il n'est satisfait qu'à la quatrième fois. Il met
deux points à la place d'une virgule, et un point à la place de deux
points; il remplace des minuscules par des majuscules. Une faute
d'impression a pourtant échappé à son attention : à la ligne 26 on
lit « ptofit » pour « profit » ; il ne la corrige pas. 11 ne l'a pas vue.
D'ordinaire il voit ces fautes et il les corrige.
Cette page permet de juger des autres : toutes ne sont pas ainsi
chargées, toutes ont été revues minutieusement par Montaigne.
Dans ce travail il se révèle écrivain difficile et consciencieux :
il évite les moindres négligences de style; il y a des corrections
d'orthographe qu'il fiiit systématiquement; il a, jusqu'à l'excès, le
souci de rendre avec exactitude sa pensée, et s'il substitue un mot
à un autre, quelquefois c'est pour éviter une répétition, c'est le plus
souvent pour mieux traduire sa pensée qui a changé.
XIV IXTRODUCTIOX.
La pensée continue en effet à changer; ce qui préoccupe à cette
heure Montaigne, c'est de juger et de rectifier — de rectifier en
le contredisant — ce qu'il a dit autrefois. Le nouvel apport de ces
quatre années de travail pourrait s'intituler : Montaigne, juge de
Montaigne. Comme s'il se trouvait trop tendu jadis, trop volontaire,
trop stoïcien, Montaigne affecte à cette heure un abandon, un
épicuréisme où il entre beaucoup d'humour.
Ces feuilles précieuses, où Montaigne a travaillé pendant quatre
ans, ne furent pas envoyées à l'imprimeur. Montaigne mourut avant
de s'en être séparé. Sa veuve en fit don aux Religieux Feuillants.
Le corps de Montaigne reposait dans leur église; son livre reposa
dans leur bibliothèque. A la Révolution, ce trésor inestimable passa,
avec le fonds des Feuillants, à la Bibliothèque municipale de la Ville
de Bordeaux. Au xvni^' siècle, — on ne sait si ce fut avant ou après
cette translation, — les feuilles furent reliées, et malheureusement
l'ouvrier les rogna, taisant disparaître des mots et des fragments de
mots, voire des lignes entières.
C'est r « Exemplaire de Bordeaux ».
L' « Art de lire l'Exemplaire de Bordeaux ».
Ce n'était pas pour lui seul que Montaigne rédigeait ses dernières
pensées et revovait ses phrases : c'était pour le public. Et ce n'était
pas pour son secrétaire ou pour un copiste, qu'il écrivait si
soigneusement et si lisiblement ses corrections ou ses additions :
c'était pour l'imprimeur. Pour l'imprimeur il recopiait dans la
marge, en les disposant comme il convient, des vers imprimés
en 1)88 dans le texte, comme de la prose. Pour l'imprimeur il
diversifiait à l'infini les signes de raccord et de renvoi; on en voit
de curieux exemples dans notre héliogravure. Pour l'imprimeur il
notait, et à diverses reprises, sur le verso du titre, quelle orthographe,
INTRODUCÏIOX. XV
quelle ponctuation il taudrait suivre, et quels soins le correcteur
devrait prendre.
Aussi ne taut-il pas croire que ces pages soient un brouillon.
Montaigne s'y reprend souvent, mais ce n'est pas à la manière des
gens qui hésitent sur le mot ou sur l'idée. La formule est tout arrêtée
dans sa tète ou vraisemblablement dans un brouillon ; il la transcrit
posément sur les marges de l'exemplaire de 1388. S'il efface et s'il
corrige, c'est qu'il a trouvé ultérieurement une nouvelle formule,
complète, achevée elle aussi, et arrêtée. Et à l'avance il combine la
disposition matérielle de ses corrections : il conservera telle partie
de mot, il utilisera telle lettre, ou tel jambage. Au folio loi (l'édition
de 1)88 est numérotée par folio et non par page), Montaigne avait
écrit « luy voir user », et il veut substituer à cette formule la
suivante : « le sçavoir avoir usé »; de « luy » il fait « le »; dans
l'interligne il écrit le mot « sçavoir »; devant « voir » il introduit
habilement un a et il efflice l'r de « user ». Combinaison vraiment
économique.
Cette minutie et cet ordre semblent s'être tournés en habitude
et presque en manie. Les procédés de Montaigne sont constants.
Et cette constance nous permet de distinguer avec une sûreté
toute scientifique les différentes rédactions et la suite du travail de
Montaigne.
Montaigne se sert d'un seul trait, ou d'un double trait continu,
pour effacer plusieurs mots qui se suivent. Si le trait n'est pas continu,
la correction a été faite en deux fois ; il y a donc eu deux variantes.
Le trait est tracé très proprement, le mot barré n'est jamais illisible;
presque toujours il est lisible fort aisément.
La chronologie des différentes additions est également marquée,
sans parler de la différence des encres et des écritures', par des
' L'écriture de Montaigm.', d.uis le court tsp;icc de quatre ans, a eu bien des
variations. (\'oir le spécimen 111 de la planche III.)
XVI INTRODUCTION.
signes certains. La graphie cesse-t-elle d'être régulière, les lignes
sont-elles à la fin plus tassées : ce n'est pas un caprice, c'est que la
place au dessous était déjà prise, et l'addition qui occupe cette place
inférieure est donc une addition antérieure. De même une addition
n'est pas en face de la ligne où elle doit s'insérer, comme il arrive
folio 96 sur le passage : « Pour me sentir engagé... » Cette dérogation
à une habitude prouve elle aussi que la place était prise.
En multipliant ces observations, l'éditeur moderne se constitue
une méthode, un « art de lire l'Exemplaire de Bordeaux. ».
L'Edition Municipale des « Essitis».
La Commission des Archives Municipales publie aujourd'hui
intégralement, texte et variantes, l'Exemplaire de Bordeaux.
Le texte d'abord. L'Exemplaire de Bordeaux est lait d'un fonds
imprimé et d'additions ou corrections manuscrites. Cette différence
est maintenue dans notre édition, où nous nous servons de caractères
romains pour reproduire la partie imprimée, et de caractères italiques
pour les parties manuscrites. Dans ces parties manuscrites elle-mêmes,
il y avait des arrêts et des reprises : tantôt des développements,
tantôt de brèves réflexions, tantôt une série de réflexions distinctes,
écrites à de longs intervalles. Ces arrêts et ces reprises sont marqués
d'une façon tangible par l'alinéa. Chaque fois que dans une suite en
italiques le lecteur sera arrêté par un alinéa, c'est que Montaigne
s'était arrêté là. D'ailleurs, pour appliquer aux parties imprimées la
même méthode, nous distinguons l'apport particulier de 15,88 du
fonds de 1380-87, en mettant dans la marge A lorsque commence
le tonds 1380-87, et ]î lorsque commence l'apport 1588.
Passons aux \ ariantes : elles comprennent tout ce que Montaigne
a effacé. Là enct)re nous nous servons exclusivement des caractères
romains pour l'imprimé, des italiques pour le manuscrit, et nous
INTRODUCTION. XVII
donnons à part ce qui est du texte de 1 588, à part ce qui est nouveau
et manuscrit. Pour ces dernières variantes, où le lecteur trouvera
du Montaigne inédit, il a fallu user de deux systèmes : nous l'avons
dit, chaque variante constitue d'ordinaire une rédaction complète,
et que Montaigne, à un moment donné, a considérée comme
définitive; c'est une variante ordinaire; mais outre cela il y a des
«repentirs», rédactions incomplètes, mots inachevés, que Montaigne
efface au moment même où il les écrit, pour continuer d'une autre
manière sa phrase. Ces « repentirs » sont représentés ici par des
caractères italiques barrés.
Les variantes sont disposées suivant les règles habituelles, le
premier et le dernier mot de chacune d'elles la raccordent au texte.
Seuls les « repentirs » en caractères barrés ne tiennent au texte que
par le premier mot.
Nous avons naturellement reproduit 1' « orthographie » de
Montaigne : elle est à la fois très constante sur certains points
importants, et, sur d'autres, très capricieuse; à la même ligne on
trouvera « inutille » et «inutile», «fouuant» et «fouuent». Mais
malgré tout elle est plus claire, et souvent plus moderne, que
l'orthographe des imprimeurs de son temps. Nous avons de même
respecté l'orthographe du texte imprimé. Si ce n'est pas celle de
Montaigne, c'est du moins celle qu'il a acceptée, puisqu'il sait bien
y corriger les mots qui lui déplaisent. Pour le même motif, nous
donnons les citations grecques telles quelles avec leurs barbarismes
et leur accentuation bizarre'.
Seule la ponctuation de Montaigne ne sera pas reproduite ici. Elle
est certes curieuse et significative, mais tellement éloignée de notre
* Les corrections manuscrites d'orthographe et de ponctuation sont réunies dans
un appendice à la fin de chaque volume. Nous introduisons partout les apostrophes
que Montaigne oublie souvent. Dans le texte imprimé nous distinguons où et à de
ou et a. Nous ne corrigeons les fautes d'impression du texte de 1588 que lorsqu'elles
sont tout à fait grossières et, partant, non douteuses, comme « ptofit » pour «profit».
XVIII INTRODUCTION.
usage que nous avons cru devoir en traduire les indications dans
une ponctuation plus moderne, comme l'ont fait tous les éditeurs
de Montaigne.
De cette façon notre édition n'est pas seulement celle où les qualités
de l'écrivain et de l'artiste se trahissent le mieux, où se discerne sans
peine le mouvement de la pensée et l'image vivante de l'homme;
ce n'est pas seulement le testament littéraire de Montaigne, c'est
un document capital pour l'histoire de la langue, de la grammaire
et de l'orthographe françaises à la fin du xvi--' siècle.
Le texte et l'appareil critique formeront trois volumes, un quatrième
volume contiendra une biographie et une bibliographie critiques, un
lexique et des notes. Ces notes auront pour objet : i"^ de déterminer,
lorsqu'il sera possible, la date de composition de chaque «Essai»;
2*^ d'indiquer les sources de Montaigne; 3° d'expliquer les allusions
historiques. En plus, chacun des trois premiers volumes donnera,
à la suite du texte, les variantes significatives des plus anciennes
impressions, 1580-82-87. On y trouvera aussi les leçons les plus
importantes de l'édition de 1593.
Ce dernier point mérite quelque explication.
L'Édition de i)^).
Le texte des éditions courantes des Essais a pour base l'édition
posthume que M"« de Gournay donna en 1595.
Aussi longtemps qu'on n'a connu l'Exemplaire de Bordeaux que
par la copie de Naigeon, on a cru qu'il n'était qu'une manière de
brouillon sans valeur, et que M"'-' de Gournay avait disposé d'un
autre manuscrit, sérieux celui-là et définitif. M. R. Dezeimeris a
montré que cette opinion était erronée. Une comparaison minutieuse
de l'Exemplaire de Bordeaux avec l'édition de 1395 confirme, et,
sur certains points, précise les conclusions de M. Dezeimeris.
M"*-" de Gournay a établi son édition d'après une copie de notre
INTRODUCTION. XIX
Exemplaire. En voici deux preuves entre mille. Montaigne écrit
« des montagnes d'arène »; ayant oublié un mot, il met après
« arène » un signe de renvoi qui ressemble à une s; le copiste s'y
trompe, et l'édition de 1595 imprime « arènes ». Ailleurs, Montaigne
écrit sans ponctuation toute une série d'adjectifs; l'édition de 1595
sépare ces adjectifs par une virgule, c'est régulier; mais au milieu
de ces virgules, brusquement elle met deux points. C'est qu'à cet
endroit précis, dans notre exemplaire est un point imprimé, le point
qui surmonte un / de la signature. Le copiste a cru que ce point
était de la main de Montaigne et traduisait une intention; il l'a noté,
et l'édition de 1595 a reproduit à sa manière cette faute de lecture.
Elle a donc bien pour base l'Exemplaire de Bordeaux.
Nous aurons en conséquence le droit de nous servir d'elle pour
restituer les fragments que le relieur maladroit a rognés. Elle nous
aidera encore à restituer d'autres fragments plus longs, inscrits sur
des morceaux de papier aujourd'hui perdus, sur des « brevets » que
Montaigne avait insérés çà et là dans ses feuillets, et dont on
reconnaît le raccord, la place, et jusqu'au pain azyme qui fixait le
« brevet » sur la page. Mais avons-nous le droit de demander
davantage à l'édition de 1 3 9 5 ? Quel compte faut-il tenir des différences
nombreuses qu'on trouve entre elle et notre manuscrit?
Pas mal d'omissions, transpositions et changements, particuliers
à l'édition de 1595, sont des fautes visibles du copiste ou de l'éditeur;
la critique verbale les dénonce, il nous suffira d'en signaler, au
passage, les plus caractéristiques.
Des transformations et des additions plus importantes doivent
encore être mises au compte du copiste ou de l'éditeur, et par
conséquent n'ont point de valeur pour nous; celles-ci sont voulues;
elles ont pour objet de rendre le style de Montaigne plus correct
ou plus moderne, de corriger une tournure elliptique; de réparer
un oubli; quelquefois d'atténuer une allusion trop directe, ou un
jugement trop sommaire.
XX INTRODUCTION.
Restent des additions et des rédactions qui ne peuvent appartenir
à l'initiative de l'éditeur; il y en a de toutes sortes : ici un détail
ajouté, ailleurs un récit bouleversé, ou bien tout un chapitre transposé.
D'où viennent ces changements ?
L'Exemplaire de Bordeaux n'étant qu'une mise au net, les gens
qui ont eu en main les manuscrits de Montaigne, c'est-à-dire son
ami Pierre de Brach, sa veuve, sa fille, ont retrouvé sans doute des
brouillons, et sans doute aussi des projets de futures corrections.
N'est-il pas arrivé plus d'une fois à Montaigne, dans notre Exemplaire,
de reprendre un passage qu il avait bel et bien biffé'? Peut-être
dans ses papiers indiquait-il de même de recourir à tel ou tel
brouillon, qu'il avait mis en réserve. C'est axcc ces indications
probablement que l'éditeur de 1393 a refait, sur certains points, le
texte de l'Exemplaire de Bordeaux.
A ce titre, ces leçons de l'édition de 1595 sont précieuses; elles
devaient trouver place dans notre édition; nous les avons signalées,
sou en note au bas des pages, soit dans le commentaire qui termine
chaque volume.
L'édition que nous publions ici a profité des éditions de
MM. Motheauet Jouaust pourletextede i388et pour le commentaire;
Courbet et Royer pour le texte de 1393 et pour toutes les variantes.
Mais nous avons à remercier particulièrement trois savants
bordelais.
M. Reinhold Dezeimeris a depuis longtemps étudié et précisé
les conditions auxquelles devra répondre toute édition vraiment
scientifique et complète des Ess.\is. En plus, il a donné, avec
M. Barckhausen, une réimpression de l'édition de 1 380 enrichie des
variantes de 1 382 et 1 387 : un chef-d'œuvre d'exactitude et de goût ;
pour nous c'était un modèle. M. Cagnieul, sous-bibliothécaire de
' Wiir plnnchc III, spécimen II.
INTRODUCTION. XXI
la Bibliothèque municipale, avait été charj^c par la Municipalité
d'établir une copie tigurée de notre exemplaire. Ce n'est pas lui qui
a le premier lu les variantes, elles avaient déjà été déchiffrées, et par
M. Routhier, pour l'édition Courbet et Rover, et par M. Manchon
pour la future édition Guizot'. Mais outre que M. Cagnieul a mieux
lu que ses devanciers les variantes et les ratures, il est le premier
qui les ait classées méthodiquement, qui ait démêlé leur succession,
qui ait hxé la méthode et établi cet « art de lire le manuscrit de
Montaigne » dont nous avons parlé. C'est un initiateur et un maître.
La copie tigurée, qui est en bonne voie d'achèvement, est à la fois
fidèle, pénétrante et ingénieuse. Elle a servi à contrôler la nôtre, et
l'accord à peu près constant des deux transcriptions fiiites séparément
est une garantie pour le lecteur. M. Barckhausen, professeur honoraire
de l'Université de Bordeaux, s'est intéressé à notre travail; l'émincnt
éditeur des Lettres pers.\nes a bien voulu nous prodiguer les
bienveillants conseils d'une très haute compétence.
Remercions aussi notre plus intime collaborateur, M. Elies, qui
a composé de bout en bout tout ce premier volume. M"^' de Gournay
disait dans la préface de l'édition de 1636 : « Ce livre est en vérité
d'une correction très particulièrement difficile, en sorte qu'un
compositeur et un correcteur ordinaires v perdent leur Ourse. »
Avec le temps la difficulté s'est accrue, il a fallu toute l'habileté et
toute lintatigable attention de M. Elies pour en triompher. Il a été
secondé par l'excellent correcteur qu'est M. Moésan. D'ailleurs nous
avons trouvé auprès de M. Pech et dans la maison qu'il dirige, les
traditions d'aménité, de dévouement et de savoir, qui depuis le
xvi*" siècle sont l'honneur des imprimeries bordelaises.
11 y a bien des années que le projet d'une Edition Municipale des
' La très belle copie de Manchon est entre les mains de .M. Auguste Salles, qui
a bien voulu non seulement nous communiquer quelques leçons fort curieuses, mais
encore revoir lui-même une bonne partie de nos épreuves. Nous avons eu plus d'une
fois recours à son 2;oCit et à sa science.
XXII INTRODUCTION.
Essais, publiée par la Ville de Bordeaux à la gloire de Montaigne,
avait été conçu. Mais après plusieurs échecs il avait été comme
abandonné. L'adjoint au Maire délégué à l'Instruction publique, qui
préside la Commission de publication des Archives Municipales, et
qui joint à l'autorité de ses hautes fonctions l'autorité personnelle
qu'il doit à son talent, à l'étendue de son érudition et à ses beaux
travaux, a repris avec M. Camille Jullian l'idée abandonnée. Ayant
publié lui-même magnifiquement la Moselle d'Ausone, il connaît
toute la science difficile d'éditer un texte. Il a fait revivre le projet
de l'Édition Municipale, il en a surveillé l'exécution; il a maintenu
inflexiblement ce travail, auquel il a pris une part très active, dans
les limites de la clarté, de la simplicité, de la rigueur scientifique.
Enfin le Tome I"-'"' paraît aujourd'hui.
Montaigne disait de son livre : « Je ne dresse pas ici une statue
à planter au carrefour d'une ville, ou dans une égUse ou place
publique, c'est pour le coin d'une librairie, pour en amuser un voisin,
un parent, un amy, qui aura plaisir à me racointer & repratiquer en
cette image. » La statue au carrefour de sa ville, ^Montaigne la
possédait. L'image intime à mettre en une bibliothèque, la voici,
digne, non du coin, mais de la place d'honneur, grâce à la noble
générosité de la Ville de Bordeaux et de la Municipalité bordelaise,
grâce à l'énergique et tenace volonté de M. de la Ville de Mirmont,
professeur à l'Université de Bordeaux, adjoint au Maire, et président
de la Commission de publication des Archives .Municipales.
r. Strowski.
Qu'il me soit permis d'exprimer nia profonde reconnaissance au Président, aux
Membres de la Commission des .\rchives .Municipales, surtout à .M. Ducaunnès-Duval,
à .M. de Bordes de Portage, à M. Paul Courteault, à M. Camille Jullian. Tout est leur
dans cet ouvrage, il n'y a rien de mien que « le fil et l'éguille ». Je nomme à part
M. Bourciez, qui a été pour ainsi dire ma conscience vivante. Il n'y a pas une ligne
de ce livre que je ne lui aie soumise, sauf celle-ci. Je voudrais mettre dans le
remerciment que je lui adresse, une nuance particulière de respect et d'affection.
V. S.
INDICATIONS ET SIGNES
TEXTE
Le caractère romain représente le texte de l'édition de 1588.
Le Cdractcrc italique — les corrections et additions manuscrites.
La lettre A dans la marge indique la ligne où commence le fonds 1580-87.
La lettre B — — — l'apport 1588.
Lorsque le commencement ne coïncide pas avec un alinéa ou un point, il est
indiqué par un astérisque (*).
Dans une suite en italique, les alinéas indiquent les arrêts et reprises du manuscrit.
Les lettres ou mots rognés, restitués d'après l'édition de 1595, sont mis entre
crochets; on n'a pas indiqué les restitutions d'une ou deux lettres, à moins de doute.
APPAREIL CRITIQUE
Le caractère romain représente les variantes qui faisaient partie du texte de
l'édition de 1588.
Le caractère italique représente les variantes manuscrites.
L'italique ham représente les « repentirs » .
Les variantes sont groupées sous les titres : Texte 88 et Var. ms.
Les variantes d'un même passage sont classées par ordre chronologique et
numérotées : 1°, 2°, etc.
On a reproduit exactement dans les variantes la ponctuation de l'Exemplaire de
Bordeaux.
ERRATA
p. 117, 1. 13, au lieu de parce Usez par ce
P. 181, 1. 18, Montaigne a corrigé fames (Texte 88) par f('mes
P. 202, i. 24, lisez fouuiene
p. 228, 1. 24, lisez corne
p. 240, 1. 2, Var. ms. au lieu dt force Q) ]hez Jorge
AV LECTEVR.
Cdl icv vn liurc de bonne tov, lecteur. 11 t'aduertit dés l'entrée,
que ie ne m'y luis propolé aucune tin, que doniertique & priuée.
le n'y av eu nulle conlideration de ton feruice, nv de ma gloire.
Mes forces ne font pas capables d'vn tel delTein. le Fav voué à la
5 commodité particulière de mes parens & amis : à ce que m'avant
perdu (ce qu'ils ont à faire bien tort) ils v puiflent retrouuer aucuns
traits de mes conditions & humeurs, & que par ce moven ils
nourrirent plus entière & plus vifue, la connoilfance qu'ils ont eu
de mov. Si c'eurt ert;é pour rechercher la faueur du monde, ie me
[o tufle miens pure el me presiiiiteivis en une iiunrbe eshuliee. le veus qu'on
m'y voie en lîia façon fimple, naturelle .ic ordinaire, lans eonUintiou
ik artifice : car c'eft mov que ie peins. Mes défauts s'y liront au vif,
îx ma forme naïfue, autant que la reuerence publique me l'a permis.
Texte 88. — lo) fullc parc de bcautcz ciiipruntccs, ou me luli'c tciulu & bande en
ma meilleure dcmarcliL.' — ii) lans ellude & artifice — 12) vit, mes imperlec-
tidns & ma
1 .\vnnt Je refaire celle plir.ise, .Montaigne s'était contenté J'eHacer : & bandé
2 HSSAIS DE MOXTAIGXE.
Que 11 iV'ulTo clK' ciilir ces nations qu'on dict viurc encore l'ous la
douce liberté des premières loix de nature, ie taffeure que ic m"v
fuiïe trel-volontiers peint tout entier, 6c tout nud. Ainlî, lecteur, ie
iuis moy-melmes la matière de mon Hure : ce n'eft pas railon que
tu employés ton loilir en vn fuhicct lî tViuole 6c H vain. A Dieu
donq, de Montaigne, ce premier de Mars mille eiiiq eeiis qmiltre iiiiis.
Texte 88. — i) cftij p.irniy ces — 6) ce 12. luin. 1588.
Var. >rs. — 6) Murs ijSo
ESSAIS
DE
MICHEL DE MONTAIGNE.
LIVRE PREMIER.
Chapitre I.
PAR DIVERS MOYENS 0\ ARRIVE A PAREILLE FIN.
La plus commune fiiçon d'amollir les cœurs de ceux qu'on a
ofFenfez, lors qu'avant la vengeance en main, ils nous tiennent à
leur mercv, c'eft de les efmouuoir par siiiiiiiiissioii à commileration
& à pitié. Toutesfois la brauerie, cf la confiance, moyens tous
S contraires, ont quelquefois ierui à ce melme effect.
Edouard prince de Galles, celuy qui régenta fi long temps noftre
Guienne, perfonnage, duquel les conditions & la fortune ont beau-
coup de notables parties de grandeur, ayant efté bien tort offencé
par les Limofins, & prenant leur ville par force, ne peut eftre arrefté
Texte 88. — 4) la brauerie, la conftance, & la relblution, moyens
4 ESSAIS DH MONTAIGNE.
par les cris du peuple, ^i des femmes, <S; enfans abandonnez à la
boucherie, luv criants mercv, & le iettans à l'es pieds, iulqu à ce
que pafliint toufiours outre dans la ville, il apperceut trois gentils-
hommes François, qui d'vne hardiefle incroyable fouftenoyent feuls
l'effort de fon armée victorieufe. La confideration & le refpect d'vne 5
Il notable vertu, reboucha premièrement la pointe de la cholere :
& commença par ces trois, à faire milericorde h. tous les autres
habitans de la ville.
Scanderberch, prince de FKpire, luyuant vn loldat des liens pour
le tuer, (bk; ce loldat avant effavé par toute efpeçe d'humilité & de ro
fupplication, de Fappaifer, le relblut à toute extrémité de l'attendre
l'elpee au poing. Cette Tienne refolution arrefla fus bout la furie de
Ion maiftre, qui pour luv auoir \eu prendre vn lî honorable party,
le receut en grâce. Cet exemple pourra louffrir autre interprétation de
ceux, qui n'auront leu la prodioiciisc force & vaillance de ce prince là. 1 5
_ L'Empereur Conrad troiliefme, avant allîegé Guelphe duc de
Bauieres, ne voulut condefcendre à plus douces conditions, quel-
ques viles & lâches flitisfactions qu'on luv offrit, que de permettre
feulement aux gentils-femmes qui ertovent affiegées auec le Duc,
de fortir leur honneur fiiuue à pied, auec ce qu'elles pourroyent 20
emporter fur elles. Elles d'vn cœur magnanime s'auiferent de charger
fur leurs efpaules leurs maris, leurs enfitns & le Duc mefme. L'Empe-
reur print 11 grand plailir à voir la gentilleffe de leur courage, qu'il
en pleura d'aife : & amortit toute cette aigreur d'inimitié mortelle
iS; capitale, qu'il auoit portée contre ce Duc : & dés lors en auant le 25
traita humainement luy & les fiens.
L'vn & l'autre de ces deux movens m'emporteroit avlement. Car
i'ay vne merueilleufe lafcheté vers la mifericorde & lu inausuctiuk.
Tant y a qu'à mon aduis, ie ferois pour me rendre plus naturelle-
ment à la compaffion, qu'à l'eftimation : li eft la pitié paffion vitieufe :în
Ti-XTi- S8. — 15) 1.1 inonflmculc force — 28) & le p.irdon : tant
LIVRE I, CHAPITRE I. 5
aux Stoiques : ils veulent qu'on lecoure les affligez, mais non pas
qu'on flechifle & compatifle auec eux.
Or ces exemples me lemblent plus à propos : d'autant qu'on
voit ces âmes alTiullies & efTavées par ces deux moyens, en fouftenir
5 Y\n lans s'elbranler, & courber fous l'autre. Il fe peut dire, que de
rompre son ceiir à la eoiiniiiserdlioii, c'eft l'effect de la facilité, debon-
naireté, & mollefle, d'où il adulent que les natures plus foibles,
comme celles des femmes, des entans, & du vulgaire y font plus
fubiettes; mais avant eu à defdaing les larmes & les prières, de fe
10 rendre à la feule reuerence de la faincte image de la vertu, que c'eft
l'eftect d'vne ame forte 6v imployable, ayant en affection & en
honneur vne iiigeur mafle, & obftinée. Toutesfois es âmes moins
genereufes, l'eftonnement & l'admiration peuuent taire naiftre vn
pareil cft'ect. Tefmoin le peuple Thebain : lequel ayant mis en iuftice
I) d'accufation capitale fes capitaines, pour auoir continué leur charge
outre le temps, qui leur auoit efté prefcript & preordonné, ablolut à
toutes peines Pelopidas, qui plioit fous le foix de telles obiections,
(S; n'emplovoit à fe garantir que requeftes & fupplications : & au
contraire Epaminondas, qui vint à raconter magnifiquement les
20 chofes par luy taites, & à les reprocher au peuple, d'vne façon fiere
ei arrogante, il n'eut pas le cœur de prendre feulement les balotes
en main; & le départit l'aflemblée, louant grandement la hauteffe
du courage de ce perfonnage.
Dioiiisius le iiieil, après des loiigiirs el ilifficiiUe:^ extrêmes aiaiit pris la
25 /////(• lie Rege, et en icelJe Je eapitene Pbyfon grand home de bien, qui
i'auoii si ohstineemant defandiie, uohii e)i tirer un tragique exemple de
uaniance. Il lux dict preniierenuint. eomaiit le iour auant il ainnl Jaiet
Texte 88. — 5) & fléchir fous — 5) que de le lailTer aller .1 la compallion & à
la pitié, c'eft — 9) & les pleurs, de — 10) reuerence & refpect de — 12) vne vertu
viue, mafle — 20) fiere & .ilTeurée, il
VaR. MS. — 16) Montaigne a d'ahord corrigé abfolut à en llhsoilll lic : puis i! a rctjHi
nholut a — 24) Diomsins après granités tnni^iirs el itiffinillei aiaiil
6 HSSAIS Dl: MONTAIGXH.
iioycr son filx & Ions cens Je sa pantiilc. A quoi Phxlon irsjxiinlil siilciiitiiil,
qu'ils ai cstoiul ii'[uu' iour plus burcus que luy. Apres il le /// dépouiller
el sesir a des bourreaus el le irainer par lu uille eu le joitiiul Ires /r'v/o////-
uieiiseuieul el eruellemeul, el eu oulre le elniroeaul de Jeloues paroles el
ù'ulunielieuses. Mais il eul le eorii^^e lousuvirs eousiaul saus se perdre : et 5
d'un uisao^c fcnue, alloit au eoulrere raniauleuaul a haule uoix l'hoiiorahle
& i^'lorieuse cause de sa mort, pour u'auoir uolu rendre son pais cuire les
mains d'un tirant : le nienaeani d'une proeheine punition des Dieus.
Dionisius lisant dans les veus de la coniniune de son année que au lieu
de s'aninwr des hrauadcs de cet eneini ueincn, au nu\^pris de leur chej et 10
(/(' son trionije elV aloit s'ajuollissant par restonenieni d'une si rare ncrtu
el n/archandoil de se mutiner, estant a inesmes d'arracher Pvibou d 'cuire
les mains de ses scnj^ens, fil cesser ce nuirlvre, el a cachetés l'enuoia nover
en la nwr.
Certes c'ell vn lubiect nieriieilleulement vain, diuers, (ic ondovant, 15
que l'homme. 11 ert malaiié d"y tonder iui;enient confiant & vniforme.
X'ovla Ponipeius qui pardonna à toute la ville des Mamcrtins
contre laquelle il elloit fort animé, en conlideration de la vertu
& magnanimité du citoven Zenon, qui le chargeoit feul de la faute
publique, (^ ne requeroit autre grâce que d'en porter leul la peine. 20
Ht .l'hofte de Sylla ayant vie en la ville de» Perufe de femblable
vertu, ny gaigna rien, nv pour lov ny pour les autres.
Et directement contre mes premiers exemples, le plus liardi des
hommes et si gratieux aux vaincus, Alexandre, forçant après
beaucoup de grandes difficulté/, la Ville de Gaza, rencontra Betis 25
qui y commandoit, de la valeur duquel il auoit, pendant ce lîege,
Texti- 88. — 16) foiuicr & cftahlir iiigcmciit — 23) le plus courageux homme
qui fut onqucs & le plus gratieux
Var. ms. — 2) luy II ot^nHii Âpres — 3) villclc fessant el Joitaul — .() île hroeais
el paroles eoiiliniielieuses — 9) yetis de ses soldats quelque eomaiteemnnl d'alleratiou et que
eet esample de rare ncrtu fleehissoit leur eorage a pitié : de manière qu'ils Inv pourruU aryael^er
pur forée esloint a niesnie de se mutiner à d'aller par forée arraelier — 9) que quelque au
lieu
LIVKH 1, CHAIMTRH 1. y
Icnly des prcuucs mcrucillculcs, lors Icul, abandonne des liens, les
armes delpecées, tout couuert de lang & de plaves, combatant
encores au milieu de plulieurs Macédoniens, qui le chamailloient
de toutes parts : & luy dict, tout piqué d'vne fi chère victoire, car
5 entre autres dommages, il y auoit receu deux frelches blelTures fur
la perlonne : Tu ne mourras pas comme tu as voulu, Betis; fois
ertat qu'il te laut IbufFrir toutes les fortes de tourmens qui fe
pourront inuenter contre vn captif. L'autre, d'vne mine non
leulement alTeuree, mais rogue & altiere, fe tint fans mot dire à ces
10 menaces. Lors Alexandre, vovant son fier et obstine silence : A-il
liechy vn genouil ? luy eft-il efchappé quelque voix fuppliante ?
\'rayment ie vainquerav ta tdcitnrnité : & Il ie n'en puis arracher
parole, ien arrachera\- au moins du gemiflement. Et tournant la
cholere en rage, commanda qu'on luy perçart les talons : & le ht ainh
15 traîner tout vif, delchirer & defmembrer au cul d'vne charrete.
Seroit-ce, que la hardiesse luv tut 11 commune, que pour ne
l'admirer point, il la refpectall moins? Ou qu'il l'estiniat si propreinèl
siene qu'en ecltc bautur \il\ ne peut souffrir de la noir en un autre sans
le despit d'une passion enuieuse, ou que l' impétuosité naturelle de sa cholere
20 //// incapable d'opposition. De urai si cH' eut receu la\ bride, il est a
croire qu'en la prinse et désolation de \la \ uille de Thebes elle l'eut rcceue,
a noir cruel Icnuint mettre au fil de l'espee tant de uaillans homes perdus
Texte 88. — 10) voyant l'obllinatiou à le taire : a il — 12) vainquerav ce lilencc,
& û — 14) talons, & qu'on v trauerfaft vue corde : & le lit — 16) la force de
courage luy fut fi naturelle & commune, — - 17) point, il l'ellimaft & refpectaft
VaR. MS. — lo) ion cl'SlilU- cl jicy silcihC — i;) Mom.iignc a Jabord rcmpLicc la
cholere p.ir son despit, puis il a rétabli su cholere. — 17) 1°: moins? ou cl (ju'il Jïl
hcsotiin une Iropfork opposition pour arrêter l'impehiosile de sa iialurcllc cholere. 2° : moins ?
Ou qu'il l'euuiat en un autre. Ou qu'il fit... cholere.^ — 20) hride qu'-eu la pduse cl
dcsclaUoH de' thebes elle l'-eui rcceue il est a croire qu' elle qu'en la prinse — 22) de
l'espee m'.v mill' ho
I l'rimitivcmont les additions manuscrites Je ce chapitre se terminaient l.i. La suite est d'une
autre époque.
5 HSSAIS DE MONTAIGNE.
6 ii'aiivit l^liis iiioifit lie dcsjciiicc publique. Car il en Jiit tue hieii six
mille des quels uul ue fui ueu ny Juiaul ny deuniudaut luerei, \iUi\ rebours
eherelhiiis qui ai qui la [par] les rues a ajf rouler les eueniis uiclorieus, les
prouoquaut a les faire mourir d'une uiorl honorable. Nul ne fut ueu si
abatu de blessures qui nessaial en son dernier soupir de \se] uanger eueores, 5
(7 (/ tout les armes du desespoir eonsoler sii mort en la mort de quelque
enemi. Si ne Iroiiua l'ajjlielion de leur uerlu aucune pitié, et ne suffit la
loni^ur d'un iour a assouuir sa nanianee. Dura ce ear)iai:;c iusques a la
dernière i^oulte île saut:; qui se trouua espaudable, el ne s'arrêta que ans
persones desarnues, uieillars, famés el oijans, pour en tirer Iraule mille u
esclaues.
\'ar. ms. — • 5) pdii Teins nii.< — 5) asaiat a ioii — 6) dacspoir coiiipanser sti mort
par la iiioii — 8) Dura celle boucherie iasiiues — 9) se Irouua digne despandrc el iusques
ans personnes — 10) en/ans de quoi il s\ii fit hante
Chapitre II.
DE LA TRISTESSK,
le luis des plus exempts de cette pallion. /:/ ne WiiiiK iiv l'csliiiic,
quoi que le monda ave prias eoiiw a pris faiet de l'honorer de faneur parti-
eiiliere. Ils en babillent la sagesse, la \ iiertii, la conscianee : sol el nions-
Inieiis ornement. Les Italiens ont plus sortableinent hahtisé de son nom la
5 malignité. Car c'est une qualité lousiours nuisible, tousiours foie, et conte^
lousionrs couarde et basse. Les Stoïciens [en \ defandèt le sentimàt a leur sage.
Mais le conte dit, que Plammenitus Roy d'Egypte, ayant efté
dcffiiit & pris par Camhil'ez Roy de Perle, voyant palier deuant luy
fa fille prilbnniere habillée en leruante, qu'on enuoyoit puiler de
lu l'eau, tous les amis pleurans & lamentans autour de luy, le tint coy
fans mot dire, les yeux fichez en terre : è^ voyant encore tantoll
qu'on menoit l'on fils à la mort, le maintint en cette melme conte-
nance; mais qu'ayant apperçeu vn de les domelHques conduit entre
les captifs, il fe mit à battre fa teÛe, & mener vn dueil extrême.
I) Cecv fe pourroit apparier à ce qu'on \id dernièrement d'vn
Prince des noftres, qui ayant ouy à Trante, où il ertoit, nouuelles
de la mort de fon frère aifné, mais vn frère en qui confiftoit l'appu}-
\'ar. ms. — 2) quoi que la ttomcs aïeul prius — 5) cl corne lousiours basse
' Et corne tousiours... Saae est une additiuii ultcricurc.
10 ESSAIS DH MOXTAIGXK.
& l'honneur de toute l'a mailbn, & bien toft après d'vn puil'né, l'a
féconde cfperance, & ayant louftenu ces deux charges d'vne conftance
exemplaire, comme quelques iours après vn de fes gens vint à
mourir, il le lailTa emporter à ce dernier accident, & quittant la refo-
kition, s'abandonna au dueil & aux regrets, en manière qu'aucuns 5
en prindrent argument, qu'il n'auoit efté touché au \il que de cette
dernière fecoulTe. Mais à la vérité ce fut, qu'eftant d'ailleurs plein
& comblé de triftelTe, la moindre fur-charge brifa les barrières de la
patience. 11 s'en pourroit (di-ie) autant iuger de noftre hiftoire,
n'eftoit qu'elle adioufte, que Cambifes s'enquerant à Pfammenitus, 10
pourquoy ne s'eftant el'meu au malheur de l'on lils <S; de la tille, il
portoit li impatiemment celuy d\n de fes amis : C'eft, refpondit il,
que ce l'eul dernier defplaifir le peut lignifier par larmes, les deux
premiers furpalîiins de bien loin tout moyen de le pouuoir exprimer.
A l'auenture reuiendroit à ce propos l'inuention de cet ancien 15
peintre, lequel avant à reprelenter au lacrifice de Iphigenia le dueil
des allîftans, félon les degrez de l'intereft que chacun apportoit à la
mort de cette belle fille innocente, avant elpuifé les derniers efforts
de Ion art, quand le vint au père de la fille, il le peignit le vilage
couuert, comme li nulle contenance ne pouuoit reprelenter ce degré 20
de dueil. \'ovla pourquov les poètes feignent cette milerable mère
Xiobé, avant [lerdu premièrement lept fils, 6^ puis de fuite autant
de filles, lur-chargée de pertes, auoir eflé en fin tranfmuée en rochier,
Dirij^uill'e malis,'
pour exprimer cette morne, muette ^; fourde fiupidité, qui nous 25
tranfit, lors que les accidens nous accablent furpalfans noftre portée.
De vray, l'effort d'\n defplaiiir, pour eftre extrême, doit eftonner
toute l'âme, & lui empelcher la liberté de l'es actions : comme il
nous aduient à la chaude alarme d'vne bien mauuaile nouuelle, de
' I.u nis. Jcpl.wc vers l.i gauclic cette citation disposée J;iiis le leste de i jSS LOinme une lin de vers.
LIVRI: I, CHAIMTRH II. II
nous l'entir l'ailis, tranlis, & comme perclus de tous mouucmcns,
(Je façon que Famé le relafchant après aux larmes & aux plaintes,
lemble le del'prendre, le demefler & le mettre plus au large, & à fon
aile,
5 Et via vix tandem voci laxata dolore eft.
Eli la _<,'//('/7r que le Rov l'cnliiiuiiJ fit contre lu ueujiie de Lin Roy de
Hongrie autour de Biide, Ruïseiae, capiteiue Aleinand, iioïant raporter k
i'orps d'un home de chenal, a qui chacun aiioit iteu exccssiiieinent bien faire
[en] la meslec, le plcignoit d'une plante commune; mais curieiis atieq les
lo autres de reconoistre qui il estait, après qu'on l'eut desarme, troiiua que
c'estoit son jilx. [Et j parmi les larmes puhlicques luy sul se tint sans
[es^paiidre ny uois ny pleurs, debout sur ses pieds, ses yens immobiles, le
regardant fixeinèt, iusques a ce que l'effort de la tristesse iieiiât \a] glacer
ses esprits iiitaus, i/ci porta en cet estai roide mort par terre'
1 5 Clii puo dir com' e<;li arde é in picciol fuoco
dilent les amoureux, qui veulent reprelenter vne paflîon infuppor-
table :
mifero quod omnes
Eripit fenfus mihi. Nam ilmul te
20 Lefbia afpexi, nihil eft fuper mi
Qiiod loquar amens.
\'ar. ms. — 9) weslec (ui^ — 11) sans mfil diiv
' i.ïdition de 159; donne la version suivante : En la gucri'e que le Roy Ferdinand mena
contre la veufue du Roy lean de Hongrie, autour de Bude, vn gendarme fut particu-
lièrement remerqué de chacun, pour auoir exceffiuement bien faict de fa pcrfonne, en
certaine nieflee : & incognu, hautement loué, & plaint y eftant demeuré : mais de nul
tant que de Raifciac feigneur Allemand, efprins d'vne fi rare vertu : le corps eftant
rapporté, cetui-cy d'vne commune curiofité, s'approcha pour voir qui c'efloit : & les
armes oftees au trefpafle, il reconut fon fils. Cela augmenta la conipaffion aux affiltans :
luy feul, fans rien dire, fins fillcr les yeux, fe tint debout, contemplant fixement le
corps de fon fils : iufques à ce que la véhémence de la trifteffe, aiant accablé les
efprits vitaux, le porta roide mort par terre.
12 ESSAIS DK MOXTAIGXE.
Lingua led torpet, tenuis fub artus
Flanim.i dimanat, fonitu fuopte
Tinniunt aures, gemina teguntur
Lumina nocte.
Jiissi n'eft ce pas en la viue & plus cuylante chaleur de Taccés que 5
nous Ibmmes propres à defplover nos plaintes & nos perl'ualions :
l'âme eft lors aggrauee de profondes penfees, & le corps abbatu
& languilTiint d'amour.
Et de là s'engendre par fois la défaillance fortuite, qui furprent
les amoureux li hors de laifon, (S: cette glace qui les lailit par la 10
force d'vne ardeur extrême, au giron mefme de la ioùyflance.
Toutes paflîons qui fe laifîent goufter & digérer, ne font que
médiocres,
Cunç leues loquuntur, ingénies ftupent.
La furprife d'\n plaifir inelpcré nous eftonne de mefme, 15
Vt me confpexit venientem, & Troïa circum
Arma amans vidit, magnis exterrita monftris,
Diriguit vifu in medio, calor ofla reliquit,
Labitur, & longo vix tandem tempore fiitur.
Outre la femme Romaine, qui mourut furprile d'aife de voir fon 20
fils reuenu de la route de Cannes, Sophocles & Denis le Tvran,
qui trefpaflerejit d'aife, & 'l'alua qui mourut en Corfegue, lilant les
nouuelles des honneurs que le Sénat de Rome luv auoit décernez,
nous tenons en noftre fiecle que le Pape Léon dixiefme ayant effé
aduerty de la prinfe de Milan, qu'il auoit extrêmement Ibuhaitée, 25
entra en tel excez de ioye, que la lieure l'en print & en mourut. Et
Texte 88. — 5) De vray ce ii'cll pas — 11) ioùvlTancc : accident qui ne ni'cft
pas incogncu. 'l'outes (au giron... incogncu .iddition de i;S8)
LIVRl- I, CHAPITRI: 11. I3
pour vn plus notable telmoignage de rimbecilité humaine, il a efté
remarqué par les anciens, que Diodorus le Dialecticien mourut Un-
ie champ, efpris d'vne extrême pallîon de honte, pour en ion elchole
& en public ne fe pouuoir defuelopper d'vn argument qu'on luy
auoit faict.
le fuis peu en prife de ces violentes paflîons. l'ay l'apprehenfion
naturellement dure; & l'encroufte & efpeffis tous les iours par
difcours.
Texte 88. — i) imbecilité naturelle, il
Chapitre m.
NOS AFFECTIONS S EMPORTEXT AV DELA DE \OVS.
Ceux qui acculent les hommes d'aller touilours béant après les
chofes futures, & nous aprennent à nous lailir des biens prefens,
.S; nous raffoir en ceux-là, comme n'avant aucune pril'e fur ce qui
ert à venir, voire affez moins que nous n'auons lur ce qui ell pafle,
touchent la plus commune des humaines erreurs, s'ils ofent appeller 5
erreur cliofe à quov nature mehne nous achemine, pour le leruice
de la continuation de Ion ouurage, nous iiiipriiiniiil coiiic ûsscs d'autres
aie iiii(ii:;i)hilioii jaucc : plus iaJoiise de nostir action que de iiostrc sciaiicc.
Nous ne fommes iamais chez nous, nous lommes toufiours au delà.
La crainte, le defir, l'efperance nous eflancent vers l'aduenir, & nous 10
delrobent le fentiment & la confideration de ce qui ell:, pour nous
amufer à ce qui fera, voire quand nous ne ferons plus. « Cahuuitosiis
est aiii)>ius fiitiiri aiixiiis. »
Ce grand praxepte est saunant allégué en Platon : Faicts ton faict & le
eonois. Chacun de ses dcus numhres enuclope généralement tout nostre 15
deuoir, et sei)d'lahlenient enuclope so)i conipaignoii. Oui aroit a jaire son
jaict, uerroit que sa première leson c'est conestre ce qu'il est et ce qui luy
est propre. Et qui se conoit, ne prend plus l'cstrangicr faict pour le sien :
\'ak. ms. — 8) ialouse lie iioslir profil ijiic de 11 oiis. — 14) atlegiii' par Ptatoii —
17) /((/("/ // fimihfil eu pnm'uT lieu qu'il siHsiruiilt de m 4 de fts diviUj pour ne pretutre
l'eilrtiuaiei: pt>ui^ le siett uUxtniudgm'r eu fceupiitwuf mperjlues et eu peusees et pfvpmtiouf
iuutihf. lit qui tirnit iipria a ne eout>itr<', aroit apm a s'aimer a .«; (ultiuer — 1 7) teiou seroil —
18) I-'l qui eu seroil la, ne preiuhoil plus l'eslraiigierpoiir. . . s'niiiieroil. . . eiilliiieroil.. . refiiseroil
LIVRE I, CHAPITRE III. I5
ùiiiiic et se ciiltiiic aiuiiit toute autre ehose : rejitse les oeeupatious superJJues
et les pensées et propositions inutiles. « ï't stullitiu et si adepta est quod
eoneupiuit luinqiuvn se tamen satis eonseeutivn putat : sie snpientid seniper
eo eonteiita est quod adest, ueque eain unquuni sui pœnitet. »
S Hpieurus dispense son sage de la preuoianee et sollieitude de l'aiienir.
Entre les loix qui regardent les trelpalTez, celle icv me l'emble
autant lolide, qui oblige les actions des Princes à ertre examinées
après leur mort. Ils font compaignons, h non mairtres des loix : ce
que la lurtice n"a peu fur leurs telles, c'elt raifon qu'elle favt fur leur
10 réputation, ^: biens de leurs lucceffeurs : chofes que fouuent nous
préférons à la vie. Ceil; vne vlance qui apporte des commoditez
lîngulieres aux nations où elle ert obferuee, 6t defirable à tous bons
princes [qui ont à se plaindre de ee, qu'on traitte la mémoire des niesebants
eonie la] leur. Nous deuons la subieetion et l'obeissanee esgaleniant a tous
15 Roys, car elle regarde leur office : mais l'estimation non plus que l'affection
nous fie la deuons qu'a leur uertu. Douons a l'ordre politique de les souffrir
paliainniant indignes, de celer leurs uices, d'aider de nostre recouuindation
leurs actions indifférantes pendant que leur authorite ha besoin de nostre
appui. Mais nostre coninierce fini, ce n'est pas raison de refuser a la iustice
20 & a nostre liberté l'expression de //o.s- urais ressentimans, et nomeemant de
refuser aus bons subiets la gloire d'auoir reuerammant [et] fidckmanl
senti un nmistre, les imperfections du quel leur estoint si bien couues :
Jrustrant la postérité d'un si < ut il le exemple. Et cens qui par respect de
quelque obligation prince esp(.nisèt iniquement la mémoire d'un prince
2) \neslouable, font iustice particulière aus despens de la iustice publique.
rite Liue dict urai, que le langage des honws nourris sous la royauté est
tousiours plein de folles ostentatiôs I et \ nains tesnuntignages : chacun esleuât
indifféremment son roy a l'extrême ligne de ualur [et] grandur souuereine.
[On] peut reprouuer la magnanimité de ces deus soldats qui respondirent
Tlmk 88. — 10) lucccllcurs, qui lont choies
\'.\R. MS. — Ç) preuoianee de — 16) leur nui ile. Douons — 21) lagb — 22) quct lity —
23) publique. Un antien âict — 27) et] ueings{})lesnionigmigci : clmun edeuc imUfferenimenl
lé ESSAIS DE MONTAIGNE.
Il Xcroii irtj sa barbe. L'un cihiiiis \dc\ hiy pourquoi il luv uouloit mal :
le t'cimois quand tu le ualies ; mais despuis que tu es ne nu parricide,
boutefu, batelur, cahier, ie le bai corne tu mérites. L'autre, pourquoi il
le uouloit tuer : Parce que , ie ne treuue autre remède i a] tes continuelles
mescbancete:^. Mais les publiques et uniuersels tesmouignages qui après [sa\ 5
mort ont este randus [et] le scro)it a tout ut mais [de] ses tiranniques et
uilains despi)rtenuins, qui de sain entandeinàt les] peut reprouuer ?
'Il me desplait qu'en une si saiiicte police que la Lacedemoniene se Jut
mesie une si feinte cérémonie. A Ja] mort des Roys tous les confedere:^^
& uoisins, tous les I Ilotes, lx)mes, femmes, pesie mesle, se descoupoint le 10
front pcnir tesnuniigiiage de deuil et disoint en leurs cris et lamentations
que celuv la, quel qu'il eut este, estoil le iiwillur Roy de tous les leurs :
attribuans au ranc le los qui apartenoit au mérite, & qui apartenoit au
premier mérite au postreme et dernier ranc. Aristote qui remue toutes
cl.K)ses, s'enquiert sur le mot de Solon que lud auant sa )iiort ne peut estre 1 3
(//("/ hureus, si eelux la Dwsnics qui a ucscit et qui est mort selon ordre,
peut estre dict hureus. si sa renomee ua mal, si sa postérité est misérable.
Pandant que nous nous reniuons, luvis nous portons par prawcupation
ou il nous plait : mais estant hors de l'estre, nous ii'auijs aucune commu-
nication aueq ce qui est. Ht seroit nuillur de dire a Solon, que ianutis home 20
;/V.v/ (/('//(/ l'iircus, puis qu'il ne l'est que après qu'il n'est plus.
Quifquani
\'ix ladicuus c vita lu toUit, & eiicic :
Sed lacit elle lui quiddam fuper infcius ipfe,
Nec remouet latis à proiecto corpore lele, & 25
Vindicat.
\'ar. ms. — • i) ;( reniperur ^a su — 6) luorl fureul iiimliis di\ ut m ses iiramiitiucs
— 8) se soit mise une si sotie ccretiioiiie — lo) uoisins eki — lo) pesle mesle et des
if>a>: mtiurels Spartiates emore se deseoupoint — ii) deuil disant eu — ii) lamentations,
quel qu'il ave eut este que e'esl e'estoil le meillur Roy qu'ils eurent onques (iiorrigc ainsi :
lamentations, que eehiy la estoit le meillur Ro\ de tous les leurs : quel qu'il eut este) attri-
buant au demter rane le los qui se doit au de^ ruier (?) merik apartenoit — 14) qui tasie
toutes — 17) hureus ueu que sa renomee peut mal ater sa postérité estre misérable si ses
amis haïssent sa mémoire. Fondant — 19) mais n'estant plus nous n'auons aueune eominn-
uaute aueq — 21) hureus s'il ne l'est que quand il n'est filus.
LES ESSAIS
DE
MICHEL DE MONTAIGNE
// (/ clé tiré de ici otivrai^e chiite cciils cxciiiphiircs.
Cinqnanle sur papier de Hollande numérotés de i à jo.
On:^e cent cinquante sur papier à bras numérotés de ji à 1200.
Exemplaire N"^ oJl'T
L1\RH 1, CHAPITRE 111. IJ
IkTlrand du (ilcfquin mourut au licgc du chaûcau de Rançon,
près du Puy en Auucrgne. Les alficgcz s'crtant rendus après, furent
obligez de porter les clefs de la place fur le corps du trefpalTé.
Barthélémy d'Aluiane, General de l'armée des Vénitiens, ellant
5 mort au feruice de leurs guerres en la Brefle, & fon corps ayant à
eftre raporté à Venife par le Veronois, terre ennemie, la plufpart
de ceux de l'armée eltoient d'aduis, qu'on demandaft laufconduit
pour le pallage à ceux de \'erone. Mais Théodore Triuolce v
contredit; & choifit pluftoft de le paffer par \'iue force, au hazard
10 du combat : N'ertant conuenable, difoit-il, que celuy qui eu fa vie
n'auoit iamais eu peur de les ennemis, eil;ant mort fift demonftration
de les craindre.
De vray, en choie voiline, par les loix Grecques, celuy qui
demandoit à l'ennemv vn corps pour l'inhumer, renonçoit à la
15 victoire, & ne luy eftoit plus loifible d'en drefTer trophée. A celuy
qui en eftoit requis, c'eftoit tiltre de gain. Ainfi perdit Nicias l'auan-
tage qu'il auoit nettement gaigné fur les Corinthiens. Et au rebours,
Agefilaus aflcura celuy qui luy eftoit bien doubteufement acquis
fur les Bx'otiens.
20 Ces traits fe pourroicnt trouuer eftranges, s'il n'eftoit receu de
tout temps, non feulement d'eftendre le foing que nous auons de
nous au delà cette vie, mais encore de croire que bien louuent les
faueurs celeftes nous accompaignent au tombeau, & continuent à
nos reliques. Dequov il v a tant d'exemples anciens, laiffant à part
25 les noftres, qu'il n'eft befoing que ie m'y eftende. Edouard premier
Roy d'Angleterre, ayant elTa\'é aux longues guerres d'entre luy
& Robert Roy d'EfcofTe, combien ia prefence donnoit d'aduantage
à fes afîiiires, rapportant toulîours la victoire de ce qu'il entreprenoit
en perfonne; mourant, obligea fon fils par folennel ferment, à ce
30 qu'eftant trefpafte, il fift bouillir fon corps pour defprendre la chair
d'auec les os, laquelle il fit enterrer; &: quant aux os, qu'il les releruaft
pour les porter auec luv & en fon armée, toutes les lois qu'il luy
l8 ESSAIS DE MONTAIGNE.
aduicndroit d'auoir guerre contre les El'coflbis. Comme li la dellinée
auoit fatalement attaché la victoire â les membres.
lean Xilcha qui troubla la Bohême pour la deflfence des erreurs
de W'iclef, voulut qu'on l'elcorchaft après la mort, & de l'a peau
qu'on tirt vn tabourin à porter à la guerre contre les ennemis : efti- 5
mant que cela avderoit à continuer les auantages qu'il auoit eu aux
guerres par liiv conduites contre eux. Certains Indiens portoient
ainlln au combat contre les Elpagnols, les offemens de l'vn de leurs
Capitaines, en conlideration de l'heur qu'il auoit eu en viuant. Et
d'autres peuples en ce melme monde, traînent à la guerre les corps 10
des vaillans hommes, qui font morts en leurs batailles, pour leur
leruir de bonne fortune 6c d'encouragement.
Les premiers exemples ne referuent au tombeau, que la réputation
acquile par leurs actions pafTées : mais ceux-cy v veulent encore
meller la puilTance d'agir. Le tait du capitaine Bavard ell; de meilleure 1 5
.compolition. lequel le fentant blelTé à mort d'vne harquebufade dans
le corps, conleillé de le retirer de la niellée, refpondit, qu'il ne com-
menceroit point fur la fin à tourner le dos à l'ennemy : & ayant
combatu autant qu'il eut île force, le fentant défaillir & efchapper
du cheual, commanda à Ion maiftre d'hortel, de le coucher au pied 20
d'vn arbre, mais que ce fut en façon qu'il mourut le vilage tourné
vers l'ennemy, comme il fit.
Il me faut adioufter cet autre exemple auili remarquable pour
cette conlideration, que nul des precedens. L'Empereur Maximilian.
bifayeul du Roy Philippes, qui ert à prelent, eftoit Prince donc de 25
tout plein de grandes qualitez, & entre autres d'vne beauté de corps
finguliere. Mais parmy ces humeurs, il auoit cette-cy bien contraire
à celle des princes, qui pour delpecher les plus importants affaires
font leur throlne de leur chaire percée : c'ell qu'il n'euft lamais valet
Texte 88. — 6) auoit eus .lux guerres, qu'il auoit conJuitcs — 25) Prince
i^arny de
LIVRE I, CHAPITRE III. I9
de chambre, li priué, à qui il permit de le voir en fa garderobbe.
11 fe defroboit pour tomber de l'eau, aufli religieux qu'vne pucelle à
ne defcouurir nv à médecin nv à qui que ce tut, les parties qu'on a
accouftumé de tenir cachées. 'Moy, qui ay la bouche li effrontée, fuis
5 pourtant par complexion touché de cette honte. Si ce n'eft à vne
grande fuafion de la neceflîté ou de ht volupté, ie ne communique
guiere aux veux de perfonne les membres & actions, que noftre
couftume ordonne eftre couuertes. l'y fouffre plus de contrainte,
que ie n'eftime bien feant à vn homme, & fur tout, à \m homme de
10 ma profefiion. Mais luv, en vint* à telle fuperftition, qu'il ordonna
par paroles exprefles de fon teflament, qu'on luy attachai des
caleflbns, quand il feroit mort. 11 deuoit adioufter par codicille, que
celuv qui les luv monteroit eut les veux bandez. L'ordoiiaiice que
Cxnis fdict a ses eiifâs, que uy eus ny autre tie uoie et touche sou cors après
15 que l'auie eu sera séparée, ie l'attribue a quelque sieue deuotiou. Car et sou
hisiorieu & luy eutre leurs grandes qualités ont semé par tout le cours de
leur [uic] un singulier soin & reuerence a la relligion.
Ce conte me defpleut qu'vn grand me fit d'vn mien allié, homme
aflez cogneu & en paix & en guerre. Ceft que mourant bien vieil
20 en fa court, tourmenté de douleurs extrêmes de la pierre, il amufa
toutes fes heures dernières auec vn foing véhément, à diipoler
l'honneur & la cérémonie de fon enterrement, & somma toute la
nobleffe qui le vifitoit, de luv donner parole d'affifler à fon conuoy.
A ce prince mefme, qui le vid fur ces derniers traits, il fit vne
25 infiante fupplication que fa maifon fut commandée de s'y trouuer,
emplovant plufieurs exemples & raifons à prouuer que c'eftoit chofe,
Texte 88. — 2) qu'vne fille à — 18) fframi Prince me fit — 22) enterrement.
& preffa toute
Var. ms. — 13) bandez. Vatlnbue a quelque denotioii corne d'un prime entre ses
autres perfections admirables singulièrement relligieus : l'ordonance qui- Cyrus Jtiict a ses enfi'is,
que n\ eus n\ autre ne uid sea fw* api^es qu'-il serml deeedé ne uoie et touche son cors après
que l'ame en sera séparée. Ce conte
20 ESSAIS DE MONTAIGNE.
qui appartcnoit à vn homme de fa forte : & fembla expirer content,
avant retiré cette promeffe, & ordonné à fon gré la dilb-ibution,
& ordre de fa montre. le n'ay guiere \-eu de vanité fi perfeuerante.
Cette autre curiolîté contraire, en laquelle ie n'ay point aulîi faute
d'exemple domeftique, me femble germaine à cette-cy, d'aller ie 5
joignant & paiîionnant à ce dernier poinct à régler fon conuoy, à
quelque particulière & inufitee pariimonie, à vn leruiteur & vne
lanterne. le vov louer cett' humeur, & l'ordonnance de Marcus
/Emilius Lepidus, qui deffendit à fes héritiers d'employer pour luy
les cerimonies qu'on auoit accoulKimé en telles choies. Eil;-ce encore 10
tempérance & frugalité, d'euiter la defpence ils; la volupté, delquelles
fvfage & la cognoilTance nous eft inperceptible? W^ila vn' ailée retor-
mation & de peu de couft. 5/7 estait hcsoiiiii d'en ordoiicr, ic serais
d'unis qu'en celé lu came en tante uelions de lu nie, chucnn en ruportut lu
règle u lu farnic de su fortune. Et le philosaphe Lycon pra'scrit sugemèt u ses 1 5
lUiiis de mettre son earps an ils uniseront panr le miens, et quund uns
fnneruilles de les juire nv superflues nv nnxuniqnes. le lairrai pnremuut la
couftume ordonner de cette cerimonie; & m'en remettrav à la
(.iifcretion des premiers à qui ie tomberai en churge. « Totns hic locns
est contenincndns in nohis non )iegligendns in nostris. » Et est suiiictenuint 20
dict a \ nu I suinct : « Cnrulia fnneris, condilia sepnltunr, pampu exequiuruni
mugis snnt uinarnni salutiu. qnum sid'sidiu nntrtnaruin. » Panr tunt Socrutes
\a] Crito qui sin- l'heure de \su\Jin luv demunde coin\unt\ il nent estre
enterre. Corne nous uondre:^, respond il.' Si i'auois à m'en empefcher
Temk 88. — 17) le lainois plulloft la couftume ordonner de cefte cerimonie,
& fauf les chofcs rcquifes au feruice de ma religion, fi c'eft en lieu où il foit befoing
de l'enioindre, m'en remettrav volontiers à la difcretion des premiers à qui cette folli-
citude tombera en part.ige. Si i'auois
Var. ms. — 13) .V'/7 «/ Iwsoiiiii — 16) (iiiiis de l' enterrer iiv superiluemët ny mcca-
uiquemeul. le lairrai — 17) fiiiicraUles qu'ils les faeeiU ii\ — 20) /:"/ e'esl — 525) fin </
— 24) respond il. Xiais s'il en faut dire
' Cette .addition est laite Je trois reprises : la première, Ht est... WOrhliVIIin ; la deuxième,
ToluS... nosiris; la troisième, Prilir... il.
LIVRl- 1, CHAPITRE III. 21
plus auant, ie troiuicrois plus galand, d'imiter ceux, qui ciilrcpirnciil
viuans & rel'pirans, iouyr de Tordre e^ honneur de leur fepulture, & qui
fe plaifent de voir en marbre, leur morte contenance. Heureux, qui
fçachent refiouyr & gratifier leur l'ens, par Tinlenfibilité, & viure de
5 leur mort.
.7 peu que ie n'eut re eu ha'uie irreeoueilliihJe eoutre toute doiuliiation
populere, quoi qu'elle me semble ht plus uaturelle et équitable, quand \ il ]
iiw soiiuieiit de cette inhumaine iniiistice du peuple Athénien, de faire
mourir sans rémission \ &^ sans les uouloir salement o^jdr~\ en leurs
lo defauees, ses braues capitenes, uenans de guigner contre les Lacedemoniens
la bataille nauale près des isles Argiinises : la plus contestée, la plus forte
bataille que les grecs aient onques donc en mer de leurs jorces : par ce qu'après
la uictoire ils auoint suiui les occasions que la loi de la guerre leur presan-
toit, plus tost, que de s'arrêter a receuillir et inhumer leurs morts. Et
i) /'('//[/ 1 cete exécution plus odieuse le j'aici de Diomedon. Celui cv est l'un
[des] condamnés, home de notable uertu, et militere et politique : lequel se
tirant auant pour parler, après auoir oui l'arrest de leur coudemuation, et
trouuant sulem[ent1 lors, temps de paisible audiance, au lieu de s'en seruir
au bien de sa cause et a descouurir l'euidante iniustice d'une si cruelle
20 conclusion, ne représenta qu'un souiii de la conseruation de ses iuges :
priant les dieus de tourner ce iugement a leur bien; et afjin qu'a faute de
rendre les ueus que luy et ses compaignons auoint noue en reconoissance
d'\iinc] si illustre fortune, ils n'attirassent l'ire des dieux sur eus, les
aduertissant quels ueus c'est: oit : et sans dire autre chose et sans marchander,
Tf.xte 88. — i) qui veulent viu.ins
Var. ms. — 5) mort. Oua'ih quo iacein poit ohilum toco Qiio invi iinla iiiiriil' —
7) elle semble — 11) Argiinises : la plus diffieiUe ,1a] plus aiiau — 15) aiioiiil plus tfst
— 18) lors, lieu de paisible — 21) tourner a leur bien — 22) les neus qu'ils auoiul que
lu\ et... noue ans dieus eu recoiioissauce
' Dans un premier état du ms, l'Essai III se terminait .1 cette citation; elle a ctc insérée ensuite
(p. 2î, I. 9) dans le développement : A peu... dont elle formait encore la fin danfs un second état du ms.
22 HSSAIS DH MONT A IGN h.
s'achcmiiui de ir ptis coiinigeiisiiiiciil au supplice. \ La Jorliiiie quelques
iinuees après les punit de iiiesuie pain souppe. Car Chahrias, capiteue i^eneral
de l'armée de mer des Athéniens, aïant eu le dessus du condmt contre
Pollis (kl m irai de Sparte en l'isle de Xaxe, perdit le fruit tout net et contant
de sa uictoire, 1res important a leurs affaires, pour n'encourir le malheur de
cet example. Et pour ne perdre peu des corps niors de ses amis qui ftotoint
en nier, laissa noij^uer en sauuete un monde d'enemis niuans, qui desf^uis
leur firent bien acheter cete importune snperstitiô.
Oiiii'ris qiio iaccas posl ol'ilù loco
Oiio lion nata iàcenl.
Cet autre redone le sentimant du repos a un corps sans anie :
^Neqiie sepiil ^cbriiiii qiw recipiat, habeat porliiiii avporis,
[Ubi, remissa Imiiiaiia iiita, corpus requiescal a iiialis.
\Tout ainsi que nature nous faict uoir, que plusieurs chines mortes ont
encore des relations occultes à la uic. Le uiii s'altère ans canes, selon
aucunes mutations des saisons de sa uigne. Et la chair de iwnaisou
chan'^e cï estât aux saloirs & de goiist, selon les hix de la chair uiue,
à ce qu'on <//V/.]'
\'ar. ms. — i) siippliii'. La pi'iiie siiiiiil qiiflqiii's tiiniirsapiTf cetlf iiiiijiii' ■^ifpi'istilitni.
Car — 6) perdre des corps iiwrs qui t^oloha en mer, laissn se retirer en sniiiiele —
7) qui t}ieiilosl leur
' qui... siipersiitiô v\ cet autre... dict addition ultérieure.
Chapitre W
COMML LAME DLSCHARGi; SLS PASSIONS SVR DES OIHLCTS FAVX,
QVAN'D LLS VRAIS LVV Dlil AILLLXT.
\'n gentil-homme des nortres merueilleulement fubiect à la goutte,
ertant prefle par les médecins de laifler du tout Tviage des viandes
lalées, auoit accouftumé de relpondre fort plailamment, que l'ur les
efforts & tourments du mal, il vouloit auoir à qui s'en prendre,
5 & que s'elcriant & maudiflant tantoft le ceruelat, tantoft la langue
de bœuf & le iambon, il s'en lentoit d'autant allégé. Mais en bon
efcient, comme le bras eftant haufle pour frapper, il nous deult, ii
le coup ne rencontre, & qu'il aille au vent; aulîi que pour rendre
vne veuë plailante, il ne faut pas qu'elle foit perdue ^: efcartée dans
10 le vague de fair, ains qu'elle ave bute pour la louûenir à raifonnable
dirtance,
W'iUUh vc aniittit vires, nili robore dcnht
Occurrant lilu;v fpatio diffufus in.mi;
de mefme il fenible que famé elbranlée & efmeuë le perde en loy-
I) mefme, il on ne luv donne prinfe : iSc faut toufiours luy lournir
d'obiect où elle s'abutte & agifle. Plutarque dit à propos de ceux, qui
s'affectionnent aux guenons & petits chiens, que la partie amoureule,
qui eft en nous, à faute de prife légitime, plurtoÛ que de demeurer
en vain, s'en forge ainfm vne faulce & friuole. Ht nous voyons que
24 ESSAIS Di; MOXTAIGXL.
Tanic en les paiîîons le pipe plurtoll elle mefme, le drelTaiit vn faux
lubiect (:<c tantartique, voire contre la propre créance, que de n"agir
contre quelque choie.
Ainfin emporte les bertes leur rage à s'attaquer à la pierre & au
1er, qui les a blelTees, iv à le venger à belles dents fur soi mefmes 5
du mal qu'elles lentent,
Pannonis liaud aliter poli ictum Ix'uior vrla
Cum iaculum parua Lvbis amentauit iiabena,
Se rotat in vulnus, telùmque irata receptum
Impetit, & fecuni fugientem circuit Iiaftam. 10
Quelles caules n'inuentons nous des malheurs, qui nous aduien-
nent? A qiioy no nous prenons nous à tort ou à droit, pour auoir ou
nous efcrimer? Ce ne font pas ces trèfles blondes, que tu defchires,
ny la blancheur de cette poictrine, que defpite tu bas li cruellement,
T-jui ont perdu d'\n malheureux plomb ce Irere bien avmé : prens 13
t'en ailleurs. Liiiiiis parlant de Varmcc Roiiiciiic en Espaigiie aptes la
perte [des] deus frères, ses grans capitenes : «flere oinnes repente et offensare
capita.» C'est [inf] usage commun. [£"/]' Je phiJosofe Bion de ee Roy qui de
deuil s'arrachoit les poils, fut il pas plaisant : Cetiiiei pense il que la pelade
soulage le deuil. Qiii n'a veu mâcher & engloutir les cartes, fe gorger 20
d'\ne baie de dets, pour auoir ou le venger de lu perte de fon argent?
-Xerxes foita la mer de l'Helespoiil, l'en forgea et hiv fit dire mille
iiillanies, ik efcriuit vn cartel de deffi au mont Athos : & Cvrus amula
toute vne armée plulieurs iours à le venger de la riuiere de Gvndus,
pour la peur qu'il auoit eu en la pafl!"ant : & Caligula ruina \ne très 25
belle mailon, pour le plaifir que fa mère y auoit eu.
Texte 88. — 5) fur elles niefnies — 8) Cul iaciiluiii... libis — 26) y auoit rcceu.
\'ar. ms. — \y) fraes, leurs grniis — i8) aipitti ni — 18) 1": /;'/ /<■ iiiûI de
Jiioii a celui Ki'y 2": Lt le iiicl du pljili'.wj'e Hioii sur ee Ro\ — : y) poils ne fut pus
' /:"/ le... deuil n.IJiiion ultcriciirc.
I.IVRI-: 1, r.nAPiTRi-: iv. 25
Le peuple iJisoil en mû iinwsse, qu'un Rov île nos noisins, nviinl reeen
ile Dieu une hastonade, iitni de s'en uani^er : ordonant que de dix ans on )ie
le priât, ny pariai de Iny, nv, autant qu'il estait en son authorite, qu'on ne
c\reut^ en Iny. Par ou on uoidoit peindre non tant la sottise que la ^loire
5 naturelle a la nation de quoi estoit le conle. Ce sont uices tonsiours eoiu'oinls,
mais telles aetions tienent a la uerite l'n peu plus eneore d'oulrecnidanee que
de hestise.
Auguftus Cclar ayant clic battu lIc la tampeftc fur mer, fc print à
dcffier le Dieu Neptunus, & en la pompe des ieux Circenfes fit ofter
10 l'on image du reng où elle eftoit parmy les autres dieux, pour fe
\cnger de luy. En quoy il eft encore moins excufoble que les prece-
dens, & moins qu'il ne fut depuis, lors qu'ayant perdu vne bataille
fous Quintilius Varus en Allemaigne, il alloit de colère & de defef-
poir, choquant fa tefte contre la muraille, en s'efcriant : Varus rens
1 5 moy mes foldats. Car ceux la iiirpaffent toute follie, .d'autant que
fimpietc y ell ioincte, qui s'en adrelî'ent à Dieu mefmes, ou à la
fortune, comme fi elle auoit des oreilles fubiectes à noftre batterie,
a l'exemple des Thraces qui quand il tone ou eselaire, se mettent a tirer
contre le ciel d'une nangence tytaniene, pour ranger dieu a raison a coups
20 de flesche. Or, comme dit cet ancien poëte chez Plutarque,
Point ne fe faut courroucer aux affaires.
Il ne leur cliaut de toutes nos choleres.
Mais nous ne dirons iamais affez d'iniures au dcfrcgicment de
noftre cfprit.
Texte 88. — i6) mefmes à belles iiiiures, ou ;'i la
Var. ms. — 2) Dieu un' coup de uei^e foel iura — 3) le prierai ni iiy parleroil on de
luy, en h[ieti] ny en mul autant... autl.'orite ne eroiroiut on en luy. — 6) encore de gloire
qiu- de sottise. — 19) ciel des flesches et des irnicts d'une uans^ence corageuse, pour
' Montaigne en écrivant au dessus Je la ligne une bastondde, a oublié d'effacer un
Chapitre V.
SI LE CHEF DYNE PLACE ASSIEGEE DOIT SORTIR
POVR PARLEMENTER.
Lucius Marcius Lcgat des Romains, en la guerre contre Perfeus
Roy de Macédoine voulant gaigner le temps, qu'il luv talloit encore
à mettre en point ion armée, fema des entregets d'accord, defquels
le Roy endormi accorda trefue pour quelques iours, tourniffiint
par ce moyen fon ennemy d'oportunité & loilir pour s'armer : d'où 5
le Rov encourut fa dernière ruine. Si ert-ce, que les iiicils du Sciuil,
niciiioralijs des meurs de leurs pères, aceusareiit cette pratique corne eiieniie
de leur slile autien : qui fut, disoiut ils, couihatre de iiertu uou de Ji)U'sse :
uy par surprinses et rcucoutres de uuict : 11 v par fuites apostees, & recharges
iuopiuces : n'entrcpreuaut guerre qu'après l'auoir demmcee, et souuaut après 10
auoir assigué l'heure et lieu de la bataille. De cette edsciaiiee, ils reuuoiareut
a Pyrrus sou Irahistre mcdcin, et aus Falisques leur un-schaul luuistre
d'escolle. C'estoiiit les formes uraiemaut Romeiucs, non de la Grecque
subtilité et astuce Puuiqm, ou le ueiucre par force est moins glorieus que
par fraude. Le tromper peut sentir [xvir le coup, mais celuy sul se tient 15
Texte 88. — 6) Si cft-cc, que le Sénat Romain, à qui le leul aduantage de la vertu
fembloit moyen iufte pour acquérir la victoire, trouua cette pratique laide & dedion-
nefte, n'ayant cncores ouy Tonner à fes oreilles cette belle fentence, dolus an
\'ar. ms. — 8) fut LOinhiilir — 15) fraude. Elle pe
LIVRE I, CHAPITRE V. 27
pour surmonte, qui sçail Vauoir este uy par ruse ny de sort, mais par
uaillance, de trope a Irope, en une loyalle et iustc guerre. Il appert bien
par h langage de ces boues gens, qu'ils n'auoint eneores reeeu cette belle
sentance ■'
dolus an virtus quis in hofte requirat?
Les Acha'icns, dict Polibc, detestoint toute noie de tromperie en leurs guerres,
n'estimant uictoire si)ion ou les corages des enemis sont abalus. w Eam uir
sanetus et sapiens sciet ueram esse uietoriam, qmv salua Jide et intégra
dignitate parabilur », dict un autre.
Vos ne uelit an me regnare hera quidtie ferai jon
Virtute experiainur .
[Au royaume de Ternatc, parmi ces nations que si a pleine bouche nous
apclons barbares, la costume porte qu'ils nentreprcnent guerre sans Vauoir
premièrement dénoncée, y adioutant ample déclaration des moïens qu'ils ont
a V emploier, quels, combien d'homes, quelles munitions, quelles armes
offansiues ! et] defansiues. Mais cela faict aussi, si leurs enemis ne cèdent
& uienent a accort, ils [se] donêt loy au pis faire et [ne] pensent pintuoir
cstre reproches de trahison, de finesse [et] de tout moïen qui sert a ueincre.
Les aniiens Florentins estoint si eslouignes de uouloir guigner aduàtage
sur leurs enemis [par] surprinse, qu'ils les aduertissoint un mois auant que
de mettre leur exercite ans champs par [le] côtinuel son de la cloche qu'ils
nomoint Martinella.
Quand à nous moings lupcrrtitieux, qui tenons ccluy auoir l'hon-
neur de la guerre, qui en a le protît, & qui après Lylander, dilbns
\'ar. ms. — i) /;v pny arl ii\ de soil iiiaii de unillaiiec — 2) guerre Ces gens ii'itiioiiil
eneores oui souer a leurs oreilles cette — 12) Tiirnate... qu'a pleine bouet}e nous apelon s
si barbares la lo\'] porte ■ — 14) adioutans les déclarations — 15) a emploier a cette
guerre quels — 16) aussi, ils fit pemiel — 17) loy par frrce 'ef — 19) uouloir prendre
aduàtage — 21) sou de leur cloche
28 LSSAIS DE MOXTAIGXi;.
que où la peau du lion ne peut l'uffire, il v taut coudre vn lopin de
celle du renard, les plus ordinaires occallons de furprinl'e le tirent
de cette praticque : & n'eÛ heure, dilons nous, où vn chet doiue
auoir plus l'œil au guet, que celle des parlemens & traités d'accord.
Et pour cette caufe, c'eft vne reigle en la bouche de tous les hommes 5
de guerre de noftre temps, qu'il ne huit iamais que le gouuerneur
en \ne place aflîegée forte luy mel'mes pour parlementer. Du temps
de nos pères cela fut reproché aux feigneurs de Montmord & de
rAlîigni, deflfendans Moufon contre le comte de Nanfaut. Mais aulfi
à ce conte, celuy la feroit excuûthle, qui fortiroit en telle façon, que lu
la feureté & Faduantage demeuraft de l'on cofté : comme fit en la
ville de Regge le comte Guy de Rangon (s'il en laut croire
du Bellay, car Guicciardin dit que ce fut luy mefmes) lors que le
Seigneur de l'Efcut s'en approcha pour parlementer : car il aban-
donna de fi peu fon fort, qu'vn trouble s'eftant efmeu pendant ce 13
parlement, non feulement Monfieur de l'Efcut 6t la trouppe, qui
efloit approchée auec luy, fe trouua la plus foible, de façon que
Alexandre Triuulce y tut tué, mais luy mefmes fufi contrainct, pour
le plus leur, de fuiure le Comte, & fe iettcr fur fa foy à l'abri des
coups dans la ville. 20
Eumenes en la \'ille de Xora prelfé par Antigonus qui rafiiegeoit,
de fortir parler à luy, 6c qui après plufieurs autres entremiles alleguoit,
que c'ertoit raifon qu'il vint deuers luy, attendu qu'il efioit le plus
grand eS: le plus fort, après auoir faict cette noble refponce : le nerti-
meray iamais homme plus grand que moy, tant que i'aurav mon -5
efpee en ma puifHmce, ;/'v confentit, qu'Antigonus ne luv euft donné
Ptolomx'us Ion propre nepueu ofiage, comme il demandoit.
Si eft-ce que encores en v a il, qui le font très bien trouuez de
Texte 88. — 1) que où... Lyon... luffirc, qu'il — 12) croire Mtnilicur du —
26) puifl'ancc, iit s'y confenlil
\'ar. ms. — 27) iK-pucu (■;; oftagc
LIVRK I, CHAPITRE V. 29
Ibrtir liir la parole de l'allaillant. "^Iclmoing Henry de Vaux, cheualier
Champenois, lequel ertant alfiegé dans le chafteau de Commercy par
les Anglois, & Barthélémy de Bonnes, qui commandoit au ilege,
ayant par dehors faict lapper la plus part du Chafteau, Il qu'il ne
5 reftoit que le feu pour accabler les ailiegez fous les ruines, l'omma
ledit Henry de Ibrtir à parlementer pour fon profict, comme il fit luv
quatrielme; <^ fon euidentc ruyne luy ayant elle monftrée à l'œil, il
s'en ientit fmgulierement obligé à l'ennemy : à la dilcretion duquel
après qu'il le fijt rendu & la trouppe, le feu eftant mis à la mine, les
o efianlons de bois venus à faillir, le Chafteau fut emporté de tons
en comble.
le me fie ayfeement à la foy d'autruy. Mais mal-aifeement le
tairoy ie lors que ie donnerois à iuger, l'auoir plufioil faict par
deielpoir & faute de cœur, que par franchife, & fiance de fa loyauté.
Texte 88. — 10) bois venant à — 15) ic donroib à
Chapitre VI.
LHEVKE DES PARLEMENT DAXGEREVSE.
Toutcs-tois ic vis dcrnicremcnt en mon voirmagc de Mulîîdan,
que ceux qui en furent délogez à force par noftre armée, (i<c autres
de leur partv crioient comme de trahifon, de ce que pendant les
entremifes d'accord, (Se le lirtc fe continuant encores, on les auoit
furpris & mis en pièces : chofe qui eull eu à Tauanture apparence 3
en vn autre fiecle. Mais, comme ie viens de dire, nos façons lont
entièrement elloignées de ces reigles : 6c ne fe doit attendre fiance
des vns aux autres, que le dernier feau d'obligation n'v loit palTé :
encore y a il lors alïés affaire.
El a toiisioiirs este conseil iMSiinleus de fier a la licence d'un' iirniec 10
uicloricnse robserucillon de la joi qu'on a donee a une uille qui uieni de se
rendre par douce cl fauorable composition, et d'en laisser sur la chaude
r entrée libre aus soldats. L. .Enivlius Rci^illus prœtur Romein aiant perdu
son temps a essaier de prandre la uille de Phocars a force, pour la singulière
prouesse des habitans a se bien dcsfandre, fit pacbe aucq eus de les rcccuoir 1 5
pour amis du peuple Roiiwin, & d'y entrer comc en uille côfederee : leur
oslant toute creinte d'action hostile. Mais v aianl quand et luy introduit
Ti-\TE 88. — .j) & le Parlement (c
\'ar. ms. — 11) ri'bsdiKilioii iifi — 15) l>roiit'SiC & obsliiialioii des... fit aucq eus
nunrljc de
LIVRE I, CHAPITRE VI. :; I
son armée, pour s'y fitire noir en pins de pompe, il ne fnt en sa piiissanee,
qnelqne effort qn'il v emploial, de tenir ht bride il ses i^ens : et nid diinuni
ses yens fonrruoer hone partie de la aille : les droits de l'anariee et de la
uangeuee snppeditant eens de son aathorité & de la idiscipline militaire.
5 Clcomencs difoit, que quelque mal qu'on peut faire aux ennemis
en guerre, cela eftoit par deffus la iuftice, & non fubiect à icelle,
tant enuers les dieux, qu'enuers les hommes. Et ayant faict treue
auec les Argiens, pour fept iours, la troifielme nuict après il les alla
charger tous endormis & les défict, alléguant qu'en fa treue il n'auoit
lo pas efté parlé des nuicts. Mais les dieux vengèrent cette perfide
fubtilité.
Pendant le parlement [et] qu'ils mnsoint snr lenrs surte^ la uille de
Casilinnm fut sesie par snrprinse/ et eela ponrtant ans siècles \&] des plus
instes capiteines & de la plus parfette milice Romeine. Car il n'est pas dict,
15 que [en] temps et lieu, il ne soit permis de nous prenaloir de la sottise de
nos enemis, come nous faisons de leur lâcheté. Et certes la guerre a natu-
rellemàt beaucoup de prinileges raisonablcs au preindice de la raison ; et icy
faut la règle : « neminem id agere ut ex alterius pnvdetur inscitia. »
Mais ie m'estone de Vestendue que Xenopbd leur donc, et par les propos
20 ('/ par diuers exploits de son parfaict emperur : anthenr de merneillus pois
en telles choses, corne grand capitcm [et] philosoje des premiers disciples
de Socrales. lEt] ne consens pas a la mesure de sa dispance, [en\ tout et
par tout.
Monfieur d'Auhigny aflîegeant Cappoùe, 6c après y auoir fait vne
2) furieufe haterie, le Seigneur Fabrice Colonne, Capitaine de la \'ille,
avant commancé à parlementer de deffus vn baftion, & les gens
\'ar. ms. — 2) teu'ir ta main a — 4) uan^^t'iicc siipplaiilaiit cens de son aultwrilc.
Cleomenes — 12) mnsoint a demander tcnrs — i?) poiirlani du temps '&] des —
16) come de — 17) prinileges eoutiv la iudiee raisonahtes au preindice de ï équité & de la
raison. Mais ie — 19) propos de .«« parfaicl emperitr et par diuers si eus exploits
' Cette traduction a remplacé le texte latin que Montaigne donnait primitivement : " Cnsiluui
inter coltbquia, cunclalioiiemq^ petentium Jidem, per occasionem captum est. »
^2 HSSAIS DR MOXTAIGXF.
tailant plus molle i^artlc, les noÛres s'en aniparercnt ^; mirent tout
en pièces. Et de plus frelche mémoire à Yuoy le Seigneur lullian
Rommero, avant tait ce pas de clerc de fortir pour parlementer auec
Monfieur le Conneftable, trouua au retour fa place faifie. Mais afin
que nous ne nous en aillions pas fans reuanche : le marquis de 5
Pefquaire aiïiegeant Gènes, où le Duc Octauian Frcgofe commandoit
foubs noftre protection, & l'accord entre eux ayant efté pouffé W
auant, qu'on le tenoit pour fait, fur le point de la conclufion, les
F.fpagnols s'eftans coullés dedans, en vferent comme en vne victoire
planiere. Et depuis en Ligny en Barrois, où le Comte de Brienne m
commandoit, l'Empereur l'ayant aflîegé en perfonne, & Bertheuille
Lieutenant dudict Comte eftant forty pour parler, pendant le marclx
la ville fe trouua faifie.
Fu il vincer fempre mai laudabil cofa,
Vincafi o per fortunn 11 pcr ingeqno, 15
difent-ils. Mais le philofophe Chrifippus n'euft pas efté de cet aduis,
& mov aufli peu : car il difoit que ceux, qui courent à l'enuy,
doiuent bien employer toutes leurs forces à la viftelTe; mais il ne leur
eft pourtant aucunement loifible de mettre la main fur leur aduer-
faire pour Farrefter, ny de luy tendre la iambe, pour le faire cheoir. 20
Et plus genereufement encore ce grand Alexandre à Polvpercon,
qui luv luadoit de fe leruir de fauantage que l'oblcurité de la nuict
luv donnoit pour affaillir Darius : Point, fit-il, ce n'eft pas à moy
d'employer des victoires defrobées; « malo me fortun;v pœniteat,
quam victoria; pudeat. » 25
Atquc iiiciii fugiciitcm liaud eft dignatus Orodem
Sternere, ncc iacta ctcum dare cufpide vulnus :
Obuius, adiierfôque occurrit, feque viro vir
Contulit, liaud ûirto meliiir, (cd fortihiis armis.
Tfati-; 88. — 9) en vfarcnt — 12) pour p.irlemantcr, peiulant le parlcinant In
Chapitre VII
QVE L INTENTION' IVGE NOS ACTIONS.
La mort, dict-on, nous acquitte de toutes nos obligations. l'en
Içay qui l'ont prins en diucrfe laçon. Henry leptiel'mc Roy d'An-
gleterre fift compofition auec Dom Philippe fils de l'Empereur
Maximilian, ou pour le confronter plus honnorablement, père de
5 l'Empereur Charles cinquiefme, que ledict Philippe rcmettoit entre
les mains le Duc de Suffolc de la rofe blanche, fon ennemy, lequel
s'en eftoit fuy & retiré au pays bas, moyennant qu'il promettoit de
n'attenter rien fur la vie dudict Duc : toutesfois venant à mourir,
il commanda par fon teftament à fon fils, de le faire mourir, fou-
lo dain après qu'il feroit decedé. Dernièrement en cette tragédie, que
le Duc d'Albe nous fit voir à Bruxelles es Comtes de Horne
& d'Aiguemond, il y euft tout plein de chofes remarquables, & entre
autres que ledict Comte d'Aiguemond, foubs la foy & alîcurance
duquel le Comte de Horne s'eftoit venu rendre au Duc d'Albe,
15 requit auec grande inftance, qu'on le fit mourir le premier : affin
que fa mort l'affranchit de l'obligation, qu'il auoit audict Comte de
Horne. Il femble que la mort n'ait point defchargé le premier de la
foy donnée, & que le fécond en eftoit quite, mefmes liuis mourir.
Nous ne pouuons eftre tenus au delà de nos forces & de nos
Texte 88. — 9) teft.iment cxprcfTcmcnt ;i — 16) mort le o;arantit de
54 ESSAIS DE MONTAIGNE.
mo\'ens. A cette caufe, par ce que les effects ô;: exécutions ne font
aucunement en noftre puiffance, & qu'il n'y a rien en bon cfcient
en noftre puiflance, que la volonté : en celle là fe fondent par
neceflité, 6c s'eftabliflent toutes les reigles du deuoir de l'homme.
Par ainfi le Comte d'Aiguemond tenant fon ame & volonté endebtée
à fil promeffe, bien que la puiflance de l'effectuer ne fut pas en fcs
mains, eftoit lans doute abfous de fon deuoir, quand il cuft furucfcu
le Comte de Horne. Mais le Roy d'Angleterre faillant à fa parolle
par fon intention, ne fe peut excufer pour auoir retardé iufques
après fa mort l'exécution de fa defloyauté : non plus que le maflbn
de Hérodote, lequel avant loyallement conferué durant fa vie le fecret
des threfors du Roy d'Egypte fon maiftrc, mourant les defcouurit à
fes entans.
l'ay lien plusieurs de iiioii temps eoiiiieineiis par leur eoiisciaiice retenir
de l'aiitriii, se disposer a y satisfaire par leur testamaiit, [rf] après leur
dece:^. Ils ne font rien qui iiaille, iiy de prandre terme a chose si pressante,
ny de uouloir restahlir un' iniure aueq si peu de leur ressanti niant et
iuterest. [Ils] doiuent du plus leur. [Et] d'autant qu'ils paient plus poi-
sainmant, et [in]coniinodee niant : d'autant en est leur satisfaction plus
iiistc [et] méritoire. La pœnitance demundc a se charger.
Cens la font encore pis qui reseruent la [reue]lation de quelque haineuse
iiolante eniiers le proche [a le]ur dernière uolonté, l'aiant cachée pendant
la nie; et montrent auoir \_peu] de soin du propre Jmieur, irritant l'offancé
\a ]'e]nconire de leur mernoire, [et] moins de leur consciance, n'aiant pour
le respect de la mort mesme sceu faire mourir [leur] maltalant, et en eslen-
dant la nie outre la leur. Iniques iuges qui remettent a iuger alors qu'ils
n'ont plus de conoissance de cause.
le me garderai, si ie puis, que ma mort die cime que ma nie n'ait pre-
wierement dict.
\'ar. ms. — 20) pa'iiilniice cJwd'e a — 22) ciiuersteur proct'c... uolmilè mmtlmitU
peu de foiu de leup] boneuH ifuUh ithaHdi^ t'aiant mcliee pautant leur nie. — 23) soin de
}eu>: hfHui: — 26) iiiger \ttii Ifiiips <jii'ils
Chapitre Vlii.
DH L OISIVETE.
Comme nous voyons des terres oyilues, li elles lont graffes
& fertilles, foilbnner en cent mille fortes d'herhes lauuages & inutiles,
li^ que pour les tenir en office, il les faut affuhiectir & employer à
certaines femences, pour noilre feruice; & comme nous voyons,
5 que les femmes produilent bien toutes feules, des amas & pièces
de chair informes, mais que pour taire vne génération bonne
& naturelle, il les faut embefoigner d'vne autre femence : ainfui
eft-il des efpris. Si on ne les occupe à certain fuiet, qui les bride
^ contreigne, ils fe iettent defreiglez, par-cy par la, dans le vague
lo champ des imaginations,
Sicut aqua; tremulum labris vbi lumen aheiiis
Sole repercuirum, aut radiantis imagine Lunx-
Omnia peruolitat latè loca, iàmque l'ub auras
Erigitur, fummique ferit laquearia tecti.
i) Et n'eft folie ny réuerie, qu'ils ne produilent en cette agitation,
velut :t'gri fomnia, vanx'
Finguntur l'pecies.
Texte 88. — 2) ftrtillcs, qu'elles 11c ccH'cnt Je foilbnner
36 ESSAIS Di: mo\tai(;nh.
L'amc qui n'a point de but ellably, elle le perd : car comme on
dict, cclt nclb'c en aucun lieu, que d'eftre par tout.
Quifquis vhique habitat, Maxime, nufquam liabitat.
Dernièrement que ie me retira\- chez moy, délibéré autant que
ie pourroy, ne me mefler d'autre choie, que de palTer en repos, & à 5
part, ce peu qui me relk de vie : il me fembloit ne pouuoir faire
plus _i:;rande faueur à mon efprit, que de le lailTer en pleine oyliueté,
s'entretenir Iby mel'mes, & s'arrefter & ralTeoir en Iby : ce que
iefperois qu'il peut meshuv faire plus aifément, deuenu auec le
temps, plus poifant, ^: plus meur. Mais ie trouue, 10
vaiiam l'eniper dam otia mentem,'
que au rebours, fuilant le cheual efchappé, il le donne cent lois plus
d'affaire à fov mefmes, qu'il n'en prenoit pour autruy; & m'enfante
tant de chimères & monftres fantafques les vns fur les autres, fans
ordre, & fans propos, que pour en contempler à mon aife l'ineptie 15
(S; l'eftrangeté, i'ay commancé de les mettre en rolle, efperant auec
le temps luy en faire honte à luy mefmes.
Teml 88. — 5) pourroy. de ne
' A droito de cette cit.ition disposée dans le texte de 1 588 comme uu commencement de vers, cette
recommandation de Montaigne i l'imprimeur : tircs Cil (a j c'cst IIIIC fin dc liers
Chapitre IX.
DES MHXTEVRS.
11 n'cft homme à qui il iiefe li mal de fc méfier de parler de
mémoire. Car ie n'en reconnoy quaû trafle en moy, & ne penfe
qu'il V en ave au monde vne autre ii monftreufe en défaillance,
l'av toutes mes autres parties viles & communes. Mais en cette-là
3 ie penle eftre fingulier i^: très-rare, & digne de gaigner par là nom
& réputation.
Outre l'inconuenient naturel que i'en Ibuffre, — air certes iieii su
nécessite Phitoii < a '■ niisoii de hi iionier une 'grande et puissante déesse — li
en mon pais on veut dire qu'vn homme n'a poinct de lens, ils dilent
lo qu'il n'a point de mémoire : & quand ie me plains du défaut de la
mienne, ils me reprennent & mel'croient, comme fi ie m'acculbis
d'eflre infenfe. Ils ne voyent pas de chois entre mémoire & enten-
dement. C'eft bien empirer mon marché. Mais ils me font tort,
car il fe voit par expérience pluftoft au rebours, que les mémoires
I ) excellentes le ioignent volontiers aux iugemens débiles. Ils me font
tort aufîi en ccc\, qui ne fçay rien li bien faire qu'efire amy, que les
mefmes paroles qui acculent ma maladie, reprelentent l'ingratitude.
Texte 88. — 2) mc-moirc, qu'à moy. Car
Var. ms. — S) iitressite Ls gu-
38 ESSAIS DE MONTAIGNE.
On fe prend de mon affection à ma mémoire; î^ d'\n défaut naturel,
on en faict vn défaut de confcience. Il a oublié, dict-on, cette prière ou
cette promeffe. Il ne fe fouuient point de fes amys. Il ne s'eft point
fouuenu de dire, ou faire, ou taire cela, pour l'amour de moy.
Certes ie puis aiféement oublier, mais de mettre à nonchalloir la
charge que mon amy m'a donnée, ie ne le fay pas. Qu'on fe contente
de ma mifere, iiins en faire vne efpece de malice, & de la malice
autant ennemve de mon humeur.
le me coniole aucunement. Premièrement sur ce que c'est un mal
duquel principaleiiuiiit i'uv lire Ici raison de corriger un mal pire lqiii\ se
fui facilement produit ; en \ moy, sçauoir est l'ambition^ car c'est une desfail-
lance insupportable a qui s'empescbe des negotiations du monde; que come
disent plusieurs pareils exemples du progrès de nature, elV a uolontiers
fortifie d'autres faculté:^ \ en : nu)i a mesure que cettccy s'est ajjoiblie, et irois
facilement couchant cl alanguissant mon esprit & mon iugemct sur les
traces d'autruy, conie jaict le monde, sans exercer leurs propres Jorces, si
les inuitntions cl opinioiis estrangieres m'esloint presantes par le bénéfice de
la niemoire; que mon parler en ell; plus court, car le magafin de la
mémoire, eil: volontiers plus fourny de matière, que n'efi: celuy de
Finuention .■ si elle m'eut tenu bon, l'eusse assourdi tous nws amis de babil,
les subicis esueillanl cette telle quelle faculté que i'av de les manier cl cm-
ploier, eschaujfaul et atirant mes discours. C'eff pitié. le l'efLive par la
preuue d'aucuns de mes priue/ amys : à melure que la mémoire
leur lournil la choie entière «S; prelente, ils reculent fi arrière leur
narration, &. la chargent de vaines circonthmces, que li le conte ell
bon, ils en eftouffent la bonté; s'il ne l'efl; pas, vous eftes à maudire
ou riieur de leur mémoire, ou le malheur de leur iugement. \El\
'l'iiXTE 88. — y) l'rcmicrcmciu de ce que mon p.iilcr
\'ar. ms. — 16) .unis (•siicillcr li i:\ci\rr — 21) siibich cmicHIûiiI li lititiuldiil luc.-i
<y».<( ■»'«/•>■. icUi' Ifllc... cinptoiir ta p icdiil l'cuijiiiijjdHl li
I l'riiiiilivcmtm i;cUl- addition s'arrillail l.i.
LIVRE 1, CHAPITRE IX. ^^
c'est chose difficile lie jeniier un propos & de le couper despuis qu'on est
iirrouté. [Et n\'esf rien ou la force d'un chenal se conesse plus qu'a faire
un arrest ront et net. Entre les pertinans mesmes l'en uoi qui ueulent [et
iw] se peuuent desfaire de leur course. Cependàt qu'ils cherchët \le paient
5 de clorre le pas, [ils s\'en uont haliucrnant & treinàt [corne] des homes qui
desfaillèl defo^iblesse. Sur tout les uieillars sont dangernis, [a qui] la
souuenance des chscs passées deni\ure, et ont perdu [la] souuenance de
leurs redictes. I l'ay] veu des récits bien plesans deueiur tresennnieus en lu
bouche d 'un seignur : chacun de l'assistàce en ayant esté ahbreuc cent fois.
lo Secondement,' qu'il me fouuient moins des offences receuës, ainsi que
dilbit cet ancien; il me fandroit un protocolk, corne Darius pour n'oblier
l'offance qu'il auoit receu des Athéniens, faisoit qu'un page a tous les coups
qu'il se mettoit a table, luy iiinf rechanler par tj:ois fois a l'oreille : Sire
souuienc nous des Athéniens; & que les lieux & les Hures que ie reuov
1 5 me rient toufiours d'vne trefche nouuelleté.
Ce n'efl; pas Hms railbn qu'on dit, que qui ne le lent point aiïez
ferme de mémoire, ne fe doit pas méfier d'eftre menteur. le fçay
bien que les grammairiens font différence entre dire menfongc,
& mentir : & difent, que dire menfonge, c'eft dire choie fauce, mais
2o qu'on a pris pour vraye, & que la définition du mot de mentir en
Latin, d'où noftre François eft party, porte autant comme aller
contre fa confcience, & que par confequent cela ne touche que
ceux qui difent contre ce qu'ils fçauent, defquels ie parle. Or ceux
icy, ou ils inuentent marc & tout, ou ils déguifent & altèrent vn
2) fons véritable. Lors qu'ils déguifent & changent, à les remettre
Texte 88. — lo) .\ufli, qu'il me fouuient... rcccuiis, come difoit
Var. ms. — 5) roui et ferme m lani — 5) qui ie ueiiteiit — 4) peinieiil iirrekr
A^;:]<i»w — 5) de J^nlete et plaiidite [ils s 'en uoiil luislelaiit & treinàt — 6) a qui
la mémoire des contes dem' ure entière et n'ont perdu [que la] mémoire de leurs rediftes
[l'ax (H la heu — 9) d'un fb — 12) faisait to qu'un page toutes les fois qu'il
' Secondement correction .intérieure aux additions de cet alinéa.
40 ESSAIS Dt MOXTAIGXH.
lOLiuont en ce mcl'me conte, il eû mal-ailé qu'ils ne ie deslerrent,
par ce que la chofe, comme elle ert, s'ertant logé'e la première dans
la mémoire, & s'y eftant empreincte, par la voye de la connoilîiince,
& de la fcience, il eft mal-aifé qu'elle ne fe reprefente à l'imagination,
délogeant la fauceté, qui n'y peut auoir le pied fi ferme, ny i\ raflis, 5
& que les circonftances du premier aprentill;ige, fe coulant à tous
coups dans Fefprit, ne facent perdre le louuenir des pièces raportées,
faulfes ou abâtardies. Kn ce qu'ils inuentent tout à taict, d'autant
qu'il n'y a nulle imprelîion contraire, qui choque leur tauceté, ils
femblent auoir d'autant moins à craindre de fe mefconter. Toutes- m
fois encore cecv, par ce que c'ert vn corps vain, & fiins prife, efchappe
volontiers à la mémoire, fi elle n'eft bien alTeurée.
Dequov i'av fouuent veu fexperience, & plaifammant, aux delpens
de ceux qui font profeflîon de ne former autrement leur parole, que
félon qu'il fert aux affaires qu'ils negotient, & qu'il plaift aux grands 15
à qui ils parlent. Car ces circonftances à quov ils veulent alTeruir
leur fov & leur confcience, eftans fubiettes à plufieurs changements,
il faut que leur parole fe diuerfihe quand & quand; d'où il adulent
que de mefme chofe ils difent gris tantoft, tantoft iaune; à tel
homme d'vne forte, à tel d'vne autre : & il par fortune ces hommes 20
raportent en butin leurs inftructions \\ contraires, que deuient cette
belle art ? Outre ce qu'imprudemment ils fe desferrent eux-mefme
i\ fouuent : car quelle mémoire leur pourroit fuffire à fe louuenir de
tant de diuerfes formes, qu'ils ont forgées à vn mefme lubiect. I'av
veu plufieurs de mon temps, enuier la réputation de cette belle forte 25
de prudence, qui ne voyent pas que, li la réputation v eft, l'eflect
n'y peut eftre.
1 Hii uciilc le iiiciillr csl iiii iintinllt iiicc. Xous ne soniiiics homes, el ne
lions tenons les uns nus autres que pur In pinroJe. Si nous en eonessions
l'hornir et le pois, nous le ponrsuiurions n jen plus insteinniit que tl'iinlres 30
eriiiies. le Ireuiie qu'on s'iiinuse onlinereinenl a ehnstier ans eiijans Jes
errurs iiiiHk'enles Iresinal a propos, el qu'on les louriuanle pour îles aelioiis
I.IVRn I, CHAPITRF. IX. 4I
iancrcrcs qui n'ont nv impression ny suite. La nuinicric suie et un peu au
dessous Vopiniatrcte me semblent esirc celles des quelles [o«] deuroit a toute
instance combattre h naissance et le progrès. Elles croissent quand [et \ eus.
Et despuis qu'on a donc ce faus trein a la langue, c'est merueille combien
[il] est impossible de l'en retirer. [Pan ou il adulent que Jioiis uoions des
honcstes homes d'ailleurs, y estre subiet::^ et asseruis. l'ay un bon garçon de
tailleur a qui lie] n'ouis ianiais dire une uerite, non pas quand elle s'offre
pour luv seruir ufilenuint.
Si comc la uerite le mansonge n'auoit qu'un uisage nous serions | en j
meillurs termes. Car nous prenderions pour certein l'oppose de ce que dirait
[le] mantur. Mais le reuers [de] la uerite a cent mille figures et un champ
indéfini.
Les Pvthagoriens font [le bi\en certein et fini, le [mal] infini et incertein.
Mille routes desuoïent du blanc, une y ua. Certes ie [ne] m'assure pas que
ie [peus]se uenir a bout de moi, [a] garantir un dangicr [euide]nt et
[extre]me par un' effrontée [et so]lemne mansonge.''
Vn antien père dict que nous somes miens en [la~] conipaignie d'un
chien comi qu'en celle d'un home du quel le langage nous est inconu. « [Vt]
externus aliéna non sif hominis uicc. » \ Et] de combien est le langage faus
moins sociable que le silance.
Le Roy François premier fe vantoit d'auoir mis au rouet par ce
moven Francifque Tauerna, ambafliideur de François Sforce Duc de
Milan, homme tres-fameux en Icience de parlerie. Cettuy-cy auoit
efté depelché pour excufer fon maiftre enuers la xMajefté, d'vn fait de
i^rande confequence, qui eftoit tel. Le Roy pour maintenir touliours
quelques intelligences en Italie, d'où il auoit efté dernièrement chalTé,
mefme au Duché de Milan, auoit aduilc d'v tenir près du Duc vn
Var. ms. — 10) ccrfeiii If coiihrir ili- iv — 15) daii^ier exhe iiif — 17) ^£/' esl
iinii ce qti'ini aiilicii
' Les PylliagOrieilS... mansonge a cté écrit i b suite Je : Vil tllltii-n... sililiur; nuh sa phce
était marquée par un renvoi ms. après indepill.
ESSAIS DK MONTAIGNE
gentil-homme de ia part, ambafladeur par effect, mais par apparence
homme priiié, qui fit la mine d'y eftre pour fes affiiires particulières :
d'autant que le Duc, qui dependoit beaucoup plus de l'Empereur,
lors principalement qu'il eftoit en traicté de mariage auec fa niepce,
fille du Roy de Dannemarc, qui eft à prefent douairière de Lorraine, 5
ne pouuoit defcouurir auoir aucune praticque & conférence auecques
nous, fans fon grand intereft. A cette commiflîon fe trouua propre
vn gentil'homme Milanois, efcuyer d'efcuric chez le Roy, nommé
Merueille. Cettuy-cy defpefché auecques lettres fecrettes de créance
& inflructions d'ambaflitdeur, & auecques d'autres lettres de recom- 10
mandation enuers le Duc en faueur de fes afïiiires particuliers pour
le mafque & la montre, fut fi long temps auprès du Duc, qu'il en
vint quelque refentiment à l'Empereur, qui donna caufe à ce qui
s'enfuiuit après, comme nous penfons : qui fut, que foubs couleur
de quelque meurtre, voila le Duc qui luy faict trancher la tefte de 1 5
belle nuict, & fon procez faict en deux iours. Meflîre Francifque
eftant venu preft d'vne longue déduction contrefaicte de cette
hiftoire, — car le Roy s'en eftoit adreffé, pour demander raifon, à
tous les princes de Chreftienté «Se au Duc mefmes, — fut ouy aux
affaires du matin, & ayant eftably pour le fondement de fa caufe, 30
iSc dreffé à cette fin, plufieurs belles apparences du faict : que fon
niaiftre n'auoit iamais pris noftre homme, que pour gentil-homme
priué, ic fien iuiect, qui eftoit venu faire fes affaires à Milan, & qui
n'auoit iamais velcu là foubs autre vil'age, deladuouant mefme
auoir fceu qu'il fut en eftat de la maifon du Roy, ny connu de luy, 2)
tant s'en faut qu'il le prit pour ambafîiideur; le Roy à fon tour
le prefî\int de diuerfes obiections & demandes, & le chargeant de
toutes pars, l'accula en lin fur le point de l'exécution faite de nuict,
& comme à la defrobée. A quoy le pauure homme embarrafix'
refpondit, pour faire l'honnefte, que pour le rcfpcct de la Majeftc 30
Texie 88. — 28) pars, l'accufa en
LIVRK I, CHAPITRH IX. 45
le Duc eull elle bien niarry, que telle exécution le l'ut t'aicte de iour.
Chacun peut penler, comme il fut releué, s'eftant 11 lourdement
couppé, & à l'endroit d'vn tel nez, que celuy du Roy François.
Le pape Iule fécond ayant enuoyé vn ambafladeur vers le Roy
d'Angleterre, pour l'animer contre le Roy François, l'ambafladeur
ayant elle ouy fur la charge, & le Roy d'Angleterre sellant arrellé
en fil relponce aux difficultez qu'il trouuoit à drefler les préparatifs,
qu'il faudroit pour combatre vn Roy fi puiflant, & en alléguant
quelques railbns, l'ambafladeur répliqua mal à propos, qu'il les auoit
aufli confiderées de la part, & les auoit bien dictes au Pape. De
cette parole li elloingnée de fa propofition, qui elloit de le poufler
incontinent à la guerre, le Roy d'Angleterre print le premier argu-
ment de ce qu'il trouua depuis par effect, que cet ambalTadeur, de
fon intention particulière, pendoit du collé de France. Et en avant
aduerty Ion maillre, l'es biens furent contîfquez, 6^ ne tint à guère
qu'il n'en perdit la vie.
Chapitre X.
DV PARLER PROMPT OV TARDIF.
OiK ne furent à tous, toutes grâces données.
Auiîî vovons nous qu'au don d'cloquence, les vns ont la facilite
& la promptitude, & ce qu'on dict, le boute-hors fi ailé, qu'à chaque
bout de champ ils font prefts; les autres plus tardifs ne parlent
• iamais rien qu'élabouré & prémédité. Comme on donne des règles 5
aux dames de prendre les ieux & les exercices du corps, félon
Taduantage de ce qu'elles ont le plus beau, il i'auois à confeiller
de mehnes, en ces deux diucrs aduantages de l'éloquence, de
laquelle il femble en noftre liecle, que les prefcheurs «S: les aduocats
lacent principale profelfion, le tardif feroit mieux prefcheur, ce me 10
femble, ^c l'autre mieux aduocat : par ce que la charge de celuv-là
luy donne autant qu'il luy plaiÛ de loifir pour le préparer, & puis fa
carrière fe pafle d'vn fil 6c d'vne fuite, fans interruption, là où les
commoditez de l'aduocat le preflent à toute heure de fe mettre en lice,
i^ les refponces improuueues de fa partie adueri'e le reiettent hors de 15
Ion branle, où il luv faut fur le champ prendre nouueau partv.
Si eft-ce qu'à lentreueue du Pape Clément \ du Roy François
à Marfeille, il aduint tout au rebours, que monlieur Povet, homme
toute la \ie nourrv au barreau, en grande réputation, avant charge
de faire la harangue au Pape, & l'avant de longue main pourpenfée, 20
voire, à ce qu'on dict, apportée de Paris toute preflc, le iour niclmc
LIVRH I, CHAPlTRli X. 4)
quelle dcuoit clb'o pronoiiccc, le Pape le craignant qu'on luy tint
propos, qui peut ofFencer les ambafladeurs des autres princes, qui
ertoient autour de luy, manda au Roy l'argument, qui luy lembloit
eflre le plus propre au temps & au lieu, mais de fortune tout autre
5 que celuy fur lequel monfieur Poyet s'ertoit trauaillé : de façon que
fa liarangue demeuroit inutile, & luy en falloit promptement refoire
\ n autre. Mais s'en fentant incapable, il fallut que Monfieur le Car-
dinal du Bellay en print la charge.
La part de l'Aduocat cil plus difficile que celle du Prefclieur,
10 ,!s: nous trouuons pourtant ce )iù'st liiiis plus de paffiibles x\duocats
que Prefcheurs, au moins en France.
Il femble que ce foit plus le propre de l'efprit, d'auoir fon opération
prompte & foudaine, & plus Je propre du iugement, de l'auoir lente
& pofée. Mais qui demeure du tout muet, s'il n'a loillr de fe préparer,
1 5 & celuy auffi, à qui le loifir ne donne aduantage de mieux dire, ils
font en pareil degré d'eilrangeté. On recite de Seuerus CaflTius, qu'il
difoit mieux fans y auoir penfé; qu'il deuoit plus à la fortune, qu'à
fa diligence; qu'il luy venoit à profit d'eflre troublé en parlant, & que
fes aduerlaires craignoyent de le picquer, de peur que la colère ne
2u luy fit redoubler fon éloquence. le cognois, par expérience, cette
condition de nature, qui ne peut fouflenir vue véhémente prémédi-
tation & laborieufe. Si elle ne va gayement & librement, elle ne va
rien qui vaille. Nous difons d'aucuns ouurages qu'ils puent l'huyle
& la lampe, pour certaine afpreté & rudelTe, que le trauail imprime
2) en ceux où il a grande part. Mais outre cela, la folicitude de bien
faire, & cette contention de l'ame trop bandée & trop tendue à fon
entreprife, Jii met au rouci, la rompt, & Yempeehe, iiiusi qu'il culuienl a
l'eau qui par force de fe prefTcr de fa violence & abondance, ne peut
trouuer ifîuë en vn gouJei ouuert.
Texte 88. — y) celle d'vii Prelclieur, — lu) pDurtaiU ce me lemble plus —
12) plus le rollc de — 15) & plus celuy du — 25) puent à l'huyle & à l;i lampe —
27) entreprife, la rompt, & la trouble : comme l'eau — 29) vn palFaye ouuert
46 ESSAIS DE MONTAIGNE.
En cette condition de nature, de quoy ie parle, il y a quant
i^ quant auflî cela, qu'elle demande à élire non pas elbranlée & piquée
par ces pallîons fortes, comme la colère de Caiïius (car ce mouue-
ment leroit trop alpre), elle veut eftre non pas fecoùée, mais folicitée :
elle veut eftre elchaufée .is; reueillée par les occafions eftrangeres, 5
prefentes & fortuites. Si elle va toute feule, elle ne fait que traîner
6\: languir. L'agitation eft fa vie & fa grâce.
le ne me tiens pas bien en ma poflefTion et dilpolition. Le hazard
V a plus de droict que moy. L'occalion, la compaignie, le branle
mefnie de ma voix, tire plus de mon elprit, que ie n'y trouue lors 10
que ie le fonde, & employé à part moy.
Ainli les paroles en valent mieux que les efcripts, s'il \- peut auoir
chois où il n'v a point de pris.
Ceci iiùiiiiciil aussi : que [ie] ne me l renne pas on ie me cherche; et /;/<•
Irenne phis par rencontre qne par l'inqnisilion de mon ingénient, {fa irai 13
cslance qnclqnc subtilité en escrinant (i'cntans bien : mornee pour [un
antre, affilée pour moy; laissons tontes ces honestcte:^ : cela se dict par
chacun selon [sa\jorce); ie l'ai [si\ bien perdue qiw ie ne sçai ce que i'ay
uolu dire : cl l'a l'eslrangier dcsconuerte parfois anant mov. Si ie portois le
rasoir par tout ou cela m'auieni, ie me des/crois tout. \_Le I rencontre m'en 20
ojjrira le ioiir quelqu' autre fois pins apparant que celuy du midi :
[et\ nw Jaira estoner \de\ mon hésitation.
\'ak. ms. — 15) plus par lorhiiu' (juc ■ — i6) csliiiice une poiiile [d'i^muuilum eu
escriuaul. — 17) cela s'-enk se dict a chacun selon [sa] force. Cette pointe la ie la treuue
,_si\ bien perdue qu'il m'en faut respoudre ; que] ne sçai ce que i'ay uolu dire : et l'a l'estraugier
d'csicrrce parfm souiuiul auaul uw\ — 22) cl m'-cslcne
Chapitre XI.
DES PROGN'OSTICATION'S.
Quant aux oracles, il eft certain que bonne pièce auant la venue
de lefus-Chrirt, ils auovent commencé à perdre leur crédit : car
nous voyons que Cicero le met en peine de trouuer la caule de
leur défaillance; cl ces mots s(Vil a Iiiv : « Ciir isio modo iiiiii oniciihi
5 Dclpbis non cduntur non nioilo iiostra aiatc scd iiintdiii ut modo nihil
possit esse contenipsiiis. » Mais quant aux autres prognoftiques, qui fe
tiroyent de l'anatomie des belles aux facrifices, ans quels Platon attri-
bue en partie la constitution naturelle des membres internes [d'ic^,elles, du
trépignement des poulets, du vol des oyfeaux, « aues quasdam rerum
m augurandarum causa natas esse putamus » ,^ des foudres, du tournoie-
ment des riuieres, « multa cernunt aruspiees, multa augures prouident,
multa oraculis declarantur, multa uaticinationibus, multa \so\ninijs, nndta
porteniis », & autres fur lefquels l'ancienneté appuioit la plus part
des entreprinfes, tant publiques que priuées, noftre religion les a
i) abolies. Et encore qu'il refte entre nous quelques moyens de diui-
nation es aftres, es efprits, es figures du corps, es fonges, & ailleurs,
Var. ms. — 8) h cniislitulioi! des iiatiircllea
< Citation écrite d'abord après WelleS, effacée, puis récrite au-dessous.
48 ESSAIS DF MOXTAIGXE.
— notable exemple de la forçLiiée curiolité de nortre nature, s'amu-
fant à préoccuper les chofes futures, comme li elle n'auoit pas aflez
affaire à digérer les prelentes :
cur liane tibi rector Olympi
Sollicitis vilum mortalibus addere curam, 5
Nofcant venturas vt dira per omina clades,
Sit iubitum quodcunque paras, fit cxca futuri
Mens hominum fati, liceat fperare timenti,
«Ne utile quideiii est scire qiiid fntitniiii sit. Misera m est eiiiiii uihil pro-
fieienteiii aiigi », — fi eft-ce qu'elle eft de beaucoup moindre auctorité. m
\'oyla pourquoy l'exemple de François Marquis de Salluffe m'a
femblé remarcable. Car lieutenant du Roy François en l'on armée
de la les monts, infiniment fauorifé de noftre cour, & obligé au Roy
"du MarquiliU mefmes, qui auoit efté confil'qué de fon frère, au refte
ne fe prefentant occafion de le fixire, fon affection mefme v contredi- 1 5
fant, fe laiffa fi fort efpouuanter (comme il a efté adueré) aux belles
prognoffications qu'on fiiifoit lors courir de tous cofiez à l'aduantagc
de l'Empereur Charles cinquiefme, & à noftre def-aduantage, mefmes
en Italie, où ces folles prophéties auoyent trouué tant de place, qu'à
Rome fut baillé grande fomme d'argent au change, pour cette opinion 20
de noftre ruine, qu'après s'eftre fouuent condolu à fcs priuez, des
maux qu'il voyoit ineuitablcment préparez à la couronne de France,
& aux amis qu'il y auoit, fe rcuolta, & changea de party : à fon grand
dommage pourtant, quelque conftellation qu'il y eut. Mais il s'y
conduifit en homme combatu de diuerfes paffions. Car ayant 25
& villes & forces en fa main, l'armée ennemye foubs Antoine de Leue
à trois pas de luv, & nous liuis foubfçon de fon taict, il eftoit en
luv de f;iire pis qu'il ne fift. Car pour fa trahifon, nous ne perdifmes
nv homme, nv ville que Foffan : encore après l'auoir longtemps
conteftée. 30
LlVKl: 1, CHAIMTKI: XI. 49
Prudens futuri tcmporis exituni
Caliginoili nocte premit Deus,
Ridétque li niortalis vitra
Fas trépidât.
5 Illo potens lui
L;ttiilque deget, cui licet in diem
Dixilîc, vixi, cras vel atra
Nube poluni pater occupato
\'el foie puro.
10 Lxtus in pr;vlens animus, quod vitra eft,
Oderit curare.
Et cens qui croient ce mot un conlrere, le croieiil a tort : « hla sic reci-
proca)ititr, ut et, si cliuiiuilio sit, tlij siiit; cl, si dij siiil, sil diuiinilio.»
Beaucoup plus sugcuieiil Pacuuius :
15 Naiii islis qui lingiiain aiiiiiiu inltllis^iiiil,
Pliisqiif ex aliéna iecore sapiiiiit quain ex sno,
Magis andicnduni qiiam auscultandum censeo.
Celle tant célébrée art de diuiiier des Tboscuiis luisquit ainsi. Vu laboureur
perçant de son eoullre projondenunit la terre, eu uid sourdre Tasj^es denii-
20 dieu d'un uisage enfant iu mais de scnilc prudancc. Chacun y accourut et
furent ses paroles et sciance receiiillie et conseruec a plusieurs siècles, conte-
nant les principes & nioïcns de cette art. Naissance conforme a son progrès.'
l'avmcrois bien mieux régler mes affaires par le lort des dez que
par ces longes.
25 El de urai en toutes republiques on a lousiours laisse bone part d'aiilbo-
ritc au sort. Platon en la police qu'il forge a discrelion luy attribue la
décision de plusieurs cjfaicls d'iniporlance. Et ueut entre autres choses que
les nniriages se faeenl par sort cuire les bons : cl doue si grand pois a celle
Var. ms. — 12) qui croient Ciccro au — 19) Tagcs d'un — 27) ucul que les —
28) enire les meill
' Wlissdllie... propres adJilion ultcricurc.
50 ESSAIS DU MONTAIGNE.
cslcclioii fortuite que les eiifuns qui eu miisseut, il ordoue qu'ils soit nourris
au pais; ceus qui naissent des nuiuues, en soint mis hors : toutesfois si
queleun de ees luDiis uenoit par cas d'aua)iture a montrer en croissant
quelque bone espérance de soi, qu'on le puisse rapeler et exiler aussi celuy
d'entre les retenus qui montrera peu d'espérance de son adolescence. 5
l'en voy qui eftudient ..^ glofent leurs Almanachs, & nous en
allèguent l'authorité aux chofes qui le paflent. A tant dire, il taut
qu'ils dient & la vérité & le menlonge : » Ouis est enim qui totuni
dient iaculans non aliquando conlineet ? » le ne les ellime de rien mieux,
pour les voir tomber en quelque rencontre : ce feroit plus de certi- 10
tude, s'il \- auoit règle & vérité à mentir touliours. loint que piersonc
ne tient registre de leurs mescontes, d'autant qu'ils sont ordineres et infinis ;]
('/ fiiicf ou ualoir leurs diuinations de ce qu'elles sont rares, incroiables
& prodigieuses. Ainsi respondit Diagoras qui fut surnome l'Athée, estant
en la Samothrage, a celuy qui en luy montrant au temple force ucus et 15
Jableaus de ceus qui auoint escbapé le naujrage, luy dict : Et bien, nous
qui penses que les dieus mettent a nonchaloir les choses hui)iai)ws, que dictes
uons de tant d'homes saunes par leur grâce? Il se faict alsi, respondit il;
ceus la ne sont pas peints qui sont dentures noyés, en bien plus grand
nombre. Ciccro dict que le sul Xenophaiws Colophonius entre tons les 20
philophes^ qui ont aduoue les dieus, a essaie desraciner toute sorte de
diuiualion. D'autant lest] il moins de merueille si nous auons veu par
fois à leur dommage, aucunes de nox âmes principeiques s'arrefter
à ces vanitez.
le noudrois bien a noir reconu de mes yeus ces dcus mcrncilles : du Hure 25
[de] loachim, abbe calabrois, qui predisoit tous [/c.?] papes futurs, leurs
Texte 88. — 22) l'ay veu par fois
Var. .MS. — i) naissent soinl nourris — 3) d'auaniure m — 15) mon Iran l force
ucus ci tabicaus (ui temple de cens — 17) dieus me — 18) saunes de leur — 21) ont
recoiiii les dieus ii essaie de desyiieiner — 26) nhl'e de Cahtl're
' Sic.
LIVRE I, CHAPITRE XI. 5I
iioi>is \jcf] formes; et eehiy de Léon [I'e]i)ipenir, qui prcdisoil les ei)ipenirs
[et] patriarches de grare. Cecy ai ie recoiiii de mes yens, qu'es eoufusious
publiques les hoiiws estone:^ [de] leur fortune se uoiit rcietiinl coinc a tonte
superstition, a rechercher au ciel les ciinses et niciuurs cintienes de leur
5 inalhnr. Et [y s]ont si estrangcmani hnrens de mou temps, qu'ils [m'\ùut
persuade, qu'ainsi que c'est un amusement [d'e]sperits aigus & oisifs, cens
qui sont dnits a cette subtilité, de les replier & desnouer, serai ut eu tous escris
capables de trouuer tout ce qu'ils y demandent. Mais sur tout leur preste
beau ieu le parler obscur, a)id'igu et fantastique du iargon profectique, [au]
10 quel leurs autheurs [ne\ douent ancu)i sens cler, affiu que la postérité [ v^ eu
pinsse appliquer de tels qu'il luy plairra.
Le démon de Socrates eftoit à l'aduanturc certaine impulfion de
volonté, qui fe prefentoit à luv, fons atandre le confeil de fon difcours.
En vne ame bien efpurec, comme la fienne, & préparée par continuel
15 exercice de ûigefle & de vertu, ileft vray femblable que ces inclina-
tions, quov que téméraires et indigestes, eftoyent toufiours importantes
& dignes d'eftre fuyuies. Chacun sent en foy quelque image de telles
agitations d'u}ie opiiu'on pronipte, uehenniute et fortuite. C'est a )iu)y de
leur douer quelque authorité, qui en donc si peu a uostre prudance. Et en
20 ai eu de pareillement faibles eu raison et uiolentes en persuasion : ^ni eu
dissuasion, qui estoint plus ordineres en Socrates, aufquelles ie me laiiïixy
emporter fi vtilement & heureufement, qu'elles pourroyent eftre
iugées tenir quelque chofe d'infpiration diuine.
Texte 88. — 12) eftoit à mon aduis certaine — 14) par continuer exercice —
16) quoy que fortuites, eftoyent toufiours bonnes & dignes — 17) Chacun a en foy,
quelque image de telles agitations. l'en ay eu, aufquelles ie — 23) iugées auec
quelque
\'ar. ms. — i) tes empcnirs de gi^fc Uui^ miU /t] semhlitbhmâl- ks patriarches —
2) reconu, qu'es — 4) rectierder de toutes pars tes menaces — 5) Et [y] out este si —
7) de replier — 8) ce qu'ils y chcrcheroiiit. Mais sur tout leur doue beau — 9) iargoii
progmsticatur : [au quel nul — 10) aucun certein sens, ajpu — 11) appliquer tels
[quj'elh vmd — 18) agitations. l'en ay eu de pareillement /cibles en fnudemeut raison
et uiolentes en incilalion, aufquelles — 19) a la prudance — 23) iugées rtHo;V f" quelque
Chapitre XII.
DE LA COXSTAN'CE,
La Lov Je la rcfolution & de la conllancc ne porte pas que nous
ne nous deuions couurir, autant qu'il eft en nortre puilLince, des
maux & inconueniens qui nous menaiTent, nv par confequent
d'auoir peur qu'ils nous lurpreignent. Au rebours, tous moN'ens
honneftes de fe garentir des maux font non feulement permis,
mais louables. Et le ieu de la conlLmce fe iouë principalement à
porter patiemment les inconueniens, où il n'v a point de remède.
De manière qu'il n'v a louppleffe de corps, n\- mouuement aux
armes de main, que nous trouuion.s mauuais, s'il fert à nous
garantir du coup qu'on nous rue.
Plusieurs nations très hcUiqeuses se seruoint en leurs faicts d'armes de
la fuite pour aduanta^ie principal [d^] niontroint le dos a [^e^nen!i plus
dangcreuscnièt que leur uisage.
Les Turcs len] retienent quelque chose.
Et Sacrâtes \cii'] Platon, se moquant de L(icl.k\ qui auoit défini Ja]
fortilude : se tenir ferme en sou rauc contre les encinis : Quoi, fit [//],
scroit ce donq Jacbcte de- les battre en leur faisant place? Et lux allègue
Texte 88. — -) paticmnicnt, & de pic ferme, les
\'ar. .ms. — II) hdtiqeuiei en tciin faicls d'armes se senioiiil île In fuite —
i.j) relieiieiil eiieore ijiietqiie — i6) forlihiile : se k»ii^ ferme e» s«tt urne et iii efiilR' les
tenir f<ii4 cl en son
I.lVKi; 1, IMIAIMTKH XI 1. j^
Honicic qui loue en .Eiidis la sciiiinr de jiiir. ' Et \ purée que Lieber^ se
riiiiisdiil iiuoiie cet usage aus Seilhes et enfin generaleinàl ans gens de ehenal,
il hiy allègue encores l'exaniple des gens de pied Laeedeinoniens, }ialion
sur toutes duite a comhatrc de pied ferme, qui en la iournee de Platées,
5 //(' pouuant ouurir la phalange Persiene, saduisarent de s'escarter {et'] sier
arrière, pour par l'opinion de leur fuite faire rompre & dissoudre cette
mctsse en les poursuiuât. Par ou ils se donarent la uietoire.
Touchant les Scithes on diet d'eus, quand Darius alla pour \!es] sid>iu-
guer, qu'il manda a leur Roy force reproches pour le noir tousiours reculât
10 dauant luy & gaucbissàt la meslee. {A] quoi Indathyrse, car ainsi se
nonwit il, fit responee que ce n estait pour auoir p-ur ny de Iny uy d'home
uiuaiit, mais que c'estoit la façon de marcher de sa luition, n'ayant ny
terre cultiuee, iiv uille, nv maison a dcjandre et a creindre que l'enemi
en peut faire profit. Mais s'il auoit si grand faim d'y mordre, qu'il apro-
1 5 chat pour u.oir, le lieu de leurs anlienes sépultures, et que la il Irouiierroil
a qui parler.
Toutes-fois aux canonadcs, depuis qu'on leur eft planté en bute,
comme les occalions de la guerre portent Ibuuent, il eft melTeant
de s'elbranler pour la menafle du coup : d'autant que pour la violence
2o & vitefle nous le tenons ineuitable. Et en y a meint vn, qui pour
auoir ou haufle la main, ou baifle la tefte, en a pour le moins
apprefté à rire à les compagnons.
Si eft-ce qu'au voyage que l'Empereur Charles cinquielme lit
contre nous en Prouence, le Marquis de Guaft eftant allé recognoiftre
2) la Ville d'Arle, & s'eftant ietté hors du couuert d'vn moulin à vent,
à la faueur duquel il s'eftoit approché, tut apperceu par les Seigneurs
de Bonneual & Scnefchal d'Agenois, qui le promenoient fus le
\'ar. ms. — 2) raiiisaiil anoiwU bien cet tisnge ans Seill.'es et eu gênerai nus —
5) Lacedenwuiens gens sur ims duih n eumluili^ Je j^ied fe — 4) Jeiine en son mue (jui
cil — 5) pounaul rompre la pl)nlange MiKeJmicue — 6) ilissondrc ee et)i:ps p celle
masse pour les poursuiurc & par la se donarent gaigué. — 9) pour les uoir tousiours
reculer... & gauchir delà meslee — 12) c'estoit sa façon — 14) faim de laster du eonihal
qu'il aproclml uoir.
54 ESSAIS DE MONTAIGNE.
théâtre aux arènes. Lefquels l'ayant monllrc au Seigneur de \'illier
Commiflliire de l'artillerie, il braqua lî à propos vne colouurine,
que lans ce que ledict Marquis voyant mettre le feu fe lança à
quartier, il fut tenu qu'il en auoit dans le corps. Et de mefmes
quelques années auparauant, Laurens de Médicis, Duc d'yrbin, père s
de la Rovne, mère du Roy, affiegeant Mondolphe, place d'Italie,
aux terres qu'on nomme du Vicariat, voyant mettre le feu à vne
pièce qui le regardoit, bien luy leruit de fiiire la cane. Car autrement
le coup, qui ne luv rafa que le defTus de la tefte, luv donnoit fans
doute dans l'eftomach. Pour en dire le vrav, ie ne croy pas que lo
ces mouuemens fe fiffent auecques dilcours ; car quel iugement
pouuez vous fiiire de la mire haute ou baffe en chofe fi foudaine ?
Et eft bien plus aifé à croire, que la fortune fiuiorila leur traveur,
& que ce feroit moven vn' autre fois auffi bien pour fe ietter dans
le coup, que pour l'euiter. 15
. le ne me puis deffendre, fi le bruit efclattant d"\ne harquebufade
vient à me frapper les oreilles à l'improuueu, en lieu où ie ne le
deuffe pas attendre, que ie n'en treffaillc : ce que i'ay veu encores
aduenir à d'autres qui valent mieux que mov.
Ny n'cniauâcni les Stoicicm que J'aiiie de leur sage puisse résister aus 20
premières uisions et fantasies qui luv suruieiieiit : aius corne a nue suhicctiou
naturelle conseil teut qu'il cale au orand bruit du ciel ou d'une ruine pour
example iusques a la pallur et contraction. Ainsin aus autres passions,
pourueu que son opinion de[mure] sauue et entière et que l'assiete de son
discours n'en souffre atteinte n\ altération quelconque et qu'il ne preste nul 25
consentemen a son effroi et souffrance. De celluy qui n'est pas sage il en ua
de nh'smcs en la première partie, mais tout autremant en la seconde.
Car l'impression des passions ne deinurc pas en luv superficielle, ains ua
Var. ms. — 21) fiiiil<ifii:< (fimf a une ml'itftwu miiuuiU unis... naliirctti' quih
cedeul a un araud Inuit pmi: cxamplc du ciel eu d'-une t:uim consciiieul qu'il cedc au grand
hruil pour examplc du cid ou d'mic ruine iusques — 26) De cens qui vc soûl pus sages
il eu un de mesmes qu'nus suges en lu première — 28) en eus superfwieUe
LIVRE I, CHAPITRE XII. 5 5
penchant iusqucs au sicge de sa raison, l'infectanl et lu eonvnipant. Il
hige selon icelles et s'[y\ conforme. Voye^ bien disertemenl et pleimmant
l'cstat du sage Stoiquc
Mens immola maïui, lachrïmx iioluunlur iiuines.
•5 Le sage Peripaleticieii ne s'exeinple pas des pcriurhatkms, mais il les
modère.]
\'ar. ^[s. — i) de lair raison... Ils iiigenl... s'j] conforment. — 2) bien plus
disertemenl
Chapitre XIII,
CHRH.MOXIH DE LEXTRliVliVÉ DES ROYS.
11 neft fubicct li vain, qui ne mcritc \n rang en cette raplodie.
A nos règles communes, ce feroit vne notable dil'courtoifie & à
l'endroit d'vn pareil & plus à l'endroict d'vn grand, de faillir à vous
trouuer chez vous, quand il vous auroit aduerty dy deuoir venir.
A'oire adiouftoit la Royne de Xauerre Marguerite à ce propos, que 5
c'eftoit inciuilité à vn Gentil-homme de partir de la mailbn, comme
il le laict le plus louuent, pour aller au deuant de celuy qui le vient
trouuer, pour grand qu'il foit : <bc qu'il eft plus relpectueux 6c ciuil de
l'attendre, pour le receuoir, ne fufl: que de peur de faillir fa route :
<S; qu'il fufîit de l'accompagner à fon partement. 10
Pour moy l'oublie fouuent l'vn & l'autre de ces vains oUices,
comme ie retranche en ma mailbn toute cérémonie. Quelqu'vn s'en
offence : qu'y ferois-ie? Il vaut mieux que ie l'oftence pour vne
fois, que à mov tous les iours : ce feroit vne fubiection continuelle.
A quov faire fuvt-on la feruitudc des cours, li on l'en îraine iuf'ques 15
en fa tanière.
Cell aufli vne reigle commune en toutes affemblées, qu'il touche
aux moindres de fe trouuer les premiers à l'afllgnation, d'autant
qu'il eft mieux deu aux plus apparans de fe faire attendre. Toutes-
fois à lenlrcueue qui fe dreffa du Pape ClenKin, eX du Roy 1 lançois 2u
à .Marfeille. le Rov \' avant ordonné les apprêts necellaires. s'efloigna
LIVRE I, CHAPITRL XUI. 57
de la ville, t<c donna loilir au Pape de deux ou trois iours pour Ion
entrée & refrefchilTement, auant qu'il le vint trouuer. Et de mel'mes
à l'entrée aulli du Pape & de l'Empereur à Bouloigne, l'Empereur
donna moven au Pape d'y eftre le premier, & y luruint après luy.
S C'eft, difent-ils, vne cérémonie ordinaire aux abouchemens de tels
Princes, que le plus grand foit auant les autres au lieu afligné,
voyre auant celuv chez qui le taict l'affemblée; & le prennent de ce
biais, que c'eft, affin que cette apparence tefmoigne, que c'eft le
plus grand que les moindres vont trouuer, & le recherchent, non
10 pas luy eux.
Non sulciiunil chaque païs, iiiciis chaque cité a sa ciuilitc particulière, et
chaque uacatioii. l'y ai este asses souigueuseiiwnt dresse eu mou enfance et
av uescu eu asses boue coiiipaiguie, pour n'ignorer pas les loix de la nostre
françoise, et en tiendcrois cscolc. l'aime a les cnsuiure : mais non pas si
15 couardemenf que nui nie en demure contreinte. Elles ont quelques jormes
pénibles, les quelles pourueu qu'on oblic par discrétion, non par errur, on
n'en a pas moins de grâce. l'ai ueu sonnant des homes iucinils par trop
de ciuilité, et importuns de courtoisie.
C'est au demurant une tresutile sciance que la sciancc de l'entregent.
20 Elle est, come la grâce et la béante, conciliatrice des premiers abbors de la
société et [familiarité'; & par conseqnant nous ouure la porte a nous
instruire par les examples d'autruy, & a exploiter \et produire nostre
example, s'il a quelque chose] d'instruisant et communicable.
Var. ms. — 1 1) partkutu'vc. l'ai (isu'i iieuii en asses boue — 14) fraii(oisc {>i> eu —
i^) formes scniilks, les ijneltes — 18) imporliiiis a force de em^ieisie tioiiesielé.
Chapitre XIV
aVE LE GOVST DES BIENS ET DES MAVX DEPEND EN BONNE PARTIE
DE l'opinion, QVE NOVS EN AVONS.
Les hommes (dit vne fentence Grecque ancienne) font tour-
mentez par les opinions qu'ils ont des chofes, non par les chofes
mefmes. Il y auroit vn grand poinct gaigné pour le foulagement de
noftre miferable condition humaine, qui pourroit eftablir cette
propofition vrayc tout par tout. Car fi les maux n'ont entrée en s
nous que par noftre iugement, il femble qu'il foit en noftre pouuoir
de les mefpril'er ou contourner à bien. Si les choies fe rendent à
noftre mercy, pourquoy n'en cheuirons nous, ou ne les accommo-
derons nous à noftre aduantage? Si ce que nous appelions mal
& tourment, n'eft ny mal ny tourment de foy, ains feulement que lo
noftre tantalle luy donne cette qualité, il eft en nous de la changer.
Et en avant le choix, fi nul ne nous force, nous fommes eftrange-
ment fols de nous bander pour le partv qui nous eft le plus
ennuyeux, it de donner aux maladies, à l'indigence & au mefpris
vn aigre & mauuais gouft, il nous le leur pouuons donner bon, 15
& il la fortune fourniftant llmplcment de matière c'eft à nous de
Texte 88. — 8) nicrcy & dcuotion, pourquoy
< Ce chapitre est devenu lu XL"' de l'édition de i;9; et des éditions suivantes; les chapitres XIV-
X.XXI.X de la "Vulgate" correspondent donc respectivement .iux chapitres XV-XL de notre édition. Kien
dans le nis. ne jusiitie cette transposition.
LIVKK 1, CHAPITRE XIV. 59
luy donner la forme. Or que ce que nous appelions mal, ne le foit
pas de foy, ou au moins tel qu'il foit, qu il dépende de nous de luy
donner autre faueur, & autre vifage, car tout reuient à vn, voyons
s'il fe peut maintenir.
5 Si l'eftre originel de ces choies que nous craignons, auoit crédit
de fe loger en nous de fon authorité, il logeroit pareil & femblahle
en tous : car les hommes font tous d'\'ne cspixc, & fauf le plus & le
moins, fe trouuent garnis de pareils outils e\: inrtrumens pour
conceuoir & iuger. Mais la diuerfité des opinions, que nous auons
10 de ces choies là, montre clerement qu'elles n'entrent en nous que
par compofition : tel à l'aduenture les loge chez foy en leur vray
eftre, mais mille autres leur donnent vn eftre nouueau & contraire
chez eux.
Nous tenons la mort, la pauureté & la douleur pour nos prin-
15 cipales parties.
Or cette mort que les vns appellent des chofes horribles la plus
horrible, qui ne fçait que d'autres la nomment l'vnique port des
tourmens de cefte vie? le fouuerain bien de nature? leul appuy de
noftre liberté? & commune & prompte recepte à tous maux? Et
20 comme les vns l'attendent tremblans & effrayez, d'autres la suppcvtciit
plus aiseenmnt que la nie.
Celuy-la le plaint de la facilité :
Mors vtinam pauidos vita fubJucerc nollcs,
Sed virtus te Ibla daret.
25 Or laissons ces glorietis corages : Thcodonis respoiidit a Lysimachus
Texte 88. — 7) d'vne façon, & — 20) d'autres ne la reçoiuent-ils pas de tout
autre vifage? Celuy-Ia — 22) de fa vilité & facilité.
\'ar. ms. — 20) d'autres la désirent & supporteiit — 21) uie. Le premier article de
ce beau serinant que la grxce tara en la guerre medoise ee fut que chacun postposeroil sa
uie a la liberté de son pais. Celuy-la (Reporté avec corrections p. 62, 1. 10). — 25) corages
et Thcodorus qui respondit
60 ESSAIS DU MONTAIGNE.
meihiçiiiit ilc le hier : Tu feras un gnnul eoup d'arriuer a hi force d'une
câtbaride. La plus part des phihsofes se treuuent auoir ou preueuu par
dessein ou hastc & secouru leur mort.
Combien voit-on de perfonnes populaires, conduictes à la mort,
& non à vne mort fimple, mais méfiée de honte & quelque fois de 5
griefs tourmens, y apporter vne telle afleurance, qui par opiniâtreté,
qui par fnnplefle naturelle, qu'on n'v apperçoit rien de changé de
leur eftat ordinaire : eftablifTans leurs afïliires domefliques, fe recom-
mandans à leurs amis, chantans, prefchans & entretenans le peuple :
voire y mellans quelque-fois des mots pour rire, & beuuans à leurs 10
cognoiiïims, auflî bien que Socrates. ^^n qu'on menoit au gibet,
difoit que ce ne fut pas par telle rué, car il y auoit danger qu'vn
marchant luv lill; mettre la main fur le collet, à caufe d'vn vieux
debte. \n autre difoit au bourreau qu'il ne le touchaft pas à la
gorge, de peur de le foire treffaillir de rire, tant il eftoit chatouilleux. 15
. L'autre refpondit à fon confefleur, qui luv promettoit qu'il loupperoit
ce iour là auec noffre Seigneur : Allez \ous v en, vous, car de ma
part ie ieufne. Vn autre avant demandé à boire, e\: le bourreau ayant
beu le premier, dict ne vouloir boire après luv, de peur de prendre
la verolle. Chacun a ouv taire le conte du Picard, auquel eftant 20
à l'efchelle on prefenta vne garfe, & que (comme noftre iuftice
permet quelque fois) s'il la vouloit efpoufer, on luy fauueroit la vie :
luy, l'ayant vn peu contemplée, & apperçeu qu'elle boitoit : Attache,
Attache, dit-il, elle cloche. Et on dict de mefmes qu'en Dannemarc
vn homme condamné à auoir la tefte tranchée, eftant fur l'efchaffaut, 25
comme on luy prefenta vne pareille condition, la refufa, par ce que
la fille, qu'on luy offrit, auoit les ioùes auallées, & le nez trop pointu.
Vn valet à Thouloufe accufé d'herefie, pour toute raifon de fa créance
se rapportoit à celle de fon maiftre, ieune efcholier prifonnier auec
Tknte 8S. — ,|) populaires & coinimines, conduictes — 24) on conte de
\'AIi. MS. — 2) icVhtviiI(\ Hl que Ici plui pari (El que la... Iliorl. ndJition ullt-rieme^.
LIVRH I, CHAPITRE XIV. 6l
luv; & ayma mieux mourir, que se laisser pcrsiunlcr qiw son iiuiislrc peut
faillir. Nous liions de ceux de la ville dArras, lors que le Roy
Loys vnziefme la print, qu'il s'en trouua bon nombre parmy le
peuple qui fe laiflerent pendre, pluftoft que de dire : Viue le rov.
5 Alt Royaitinc de Narsiiiqiie eneores aiiiounVlniy les jeiiies de leurs presires
sont iiiues eiiseiiclics atieq leurs uuirls morts. Toutes autres Jciiies saut hrulees
uiiies non eoustauiinât suleiiuint, iiuiis oaienieut aus juuerailles de leurs
uiaris. Et quand on brûle le eorps de leur Roy trespassé, toutes ses Jenies
et eoneubiiies, ses nii^^nons & toute sorte d'offieiers & seruitnrs qui font
lo ///; peuple, accourent si allegremant a ce feu pour .s'y ietter quant et leur
inaistre, qu'ils semblent tenir a honeur d'est re compaignons de son trespas.
Et de ces viles âmes de bouffons, il s'en ert trouué qui n'ont
voulu abandonner leur gaudisserie en la mort melme. Celuv a qui
le bourreau donnoit le branle, s'efcria : X'ogue la gallée, qui eiloit
15 Ion refrain ordinaire. Et l'autre qu'on auoit couché iur le point de
rendre la vie le long du foier fur vne paillaffe, à qui le médecin
demandant où le mal le tenoit : Entre le banc & le teu, refpondit-il.
Et le preftre, pour luv donner l'extrême onction, cherchant fes pieds,
qu'il auoit referrez & contraints par la maladie : Vous les trouuerez,
20 diî-il, au bout de mes iambes. A l'bonw qui l'exhortoit de fe recom-
mander à Dieu : Qui y va? demanda-il; & l'autre refpondant : Ce
fera tantofl vous mefmes, s'il luy plait; — Y fuffe-ie bien demain au
foir, replica-il. — Recommandez vous feulement à luy, fuiuit l'autre,
vous y ferez bien tofl. — 11 vaut donc mieux, adiourta-il, que ie lux-
as porte mes recommandations moy-mefmes.
Pendant nos dernières guerres de Milan & tant de priles & récouffes,
le peuple impatient de i\ diuers changemens de fortune, print telle
Texte 88. — i) que fc JL-pcirtir de fes opinions, quelles qu'elles fuffent. Nous
lifons — 15) abandonner leur meftier à la mort mcfnie, tefmoing celuy qui comme
le bourreau luy donnoit — 13) Ht ccluy qu"'on — 20) A celuy qui
\'ar. ms. — i) que dccroin' de ses opinions (Teste 88) — 6) l'iiilù-f iiui-tj /."«
miw — II) scmhteut estimer a
62 ESSAIS DE MONTAIGNE.
refolution à la mort, que i'ay ouy dire à mon père, qu'il y veift
tenir conte de bien vingt & cinq maiftres de maifon, qui s'eftoient
deffaits eux mefmes en vne sepmaine. Accident approchant à celuy
de la ville des Xantiens, lefquels afliegez par Brutus le précipitèrent
pelle méfie hommes, femmes, & entans à vn ii furieux appétit de 5
mourir, qu'on ne fait rien pour fuir la mort, que ceux-cy ne tiflent
pour fuir la vie : en manière qu'à peine peut Brutus en lauuer vn
bien petit nombre.
Tout' opinion est asscs forte pour se faire espoiiser an pris de la nie.
[Le] premier article de ce hean sermant que h [G] raxc iiira et maintint [_en] 10
la guerre Medoise, ce fut que chacun changeroit plus tost [la] mort a la
nie, que les loix Persienes ans leurs. Combien uoit on de monde en la guerre
des Turcs et des Grecs, accepter plus tost la mort tresapre, que de '[se]
descirconcire pour se hahtiser. Exemple de quoi nulle sorte de relligion
[n']est incapable. 15
Les Roys de Castille ayant bani ide] leurs terres les luifs, [le] Ro)' lan
de Portugal leur uandit a huit escus pour teste la retrete ans siencs, en
condition que dans certein iour ils ciroint a les uuider : & luy, prometoit
leur fournir de uesseaus a les traiecter en Afrique. Le iour uenu, lequel
passe il estoit dict que cens qui n'aroint obéi demureroint esclaues, les 20
uesseaus leur feurent fournis escharccmant, [et] ceus qui s'y embarquarent
rudement & uileinement traite:^ par les passagiers qui, outre plusieurs autres
indignités, les amusarent [sur] mer tantost auant tantost arrière, iusques
a [ce] qu'ils eussêt càsomttu leurs uittoailles & fussent contreins d'en acheter
d'eus si chcremant & si longuement [qu']il s furent randus [a] bort après 25
aiioir este du tout mis en chemise. La nouuelle de cette inhumanité raportee
VaR. MS. — 10) Voir la variante de la p. 59, 1. 21. — 12) uoil 011 de IlOlIlhre de peuples
en la — 14) de quoi toiile sorte de relligion est irescapahle. — 15) incapable. Quoties non
modo ductores nostri dict Cicero sed uniiiersi etiam exercitus ad non duhiani niortem concur-
rerunt. (Addition ultérieure. Reporté p. 65, 1. 27). — 19) fournir dcs uesseaus — 20) esclaues
s'ils sohstinoint a ne uoîoir eslre Chrestiens les uesseaus — 21) fournis si escharccmant
— 24) & fussent fussent contrcint d'en acheter si — 25) [qu]ils ne furent randus '.a]»
bort qu'après
LIVRE I, CHAPITRE XIV. 63
a cens qui csloint en krre, la plus part se résolurent a la seruitude : aueuiis
firent contenance de changer de [rel]ligion. Enianuel uenu a la corane les
mit premièrement en liberté : et cbanoeant d'auis despuis, leur dona temps
de uuider ses pais, assignant trois ports a leur passage. Il espérait, dict
5 l'euesque Osorius, le meillur historien Latin de nos siècles, que la faneur
[de] la liberté qu'il leur auoil rendue ayant failli de les conuertir au Chris-
tianisme, la difficulté de se commettre corne leurs compaignons a la uolerie
des mariniers, d'abandoner un pats ou ils estoint habitues aueq grandes
richesses, pour saler ietter en région iuconue et estrangiere, les y rameneroit.
10 Mais se uoiant descheu de son espérance et eus tous délibères au passage,
il retrancha deus des ports qu'il leur auoit promis, afiin que la loiigur
& incômodite du traiet en rauisast aucuns : ou pour les amonceler tous a
[un] lieu pour une plus grande commodité de l'exécution qu'il auoit destinée.
Ce fut qu'il ordona qu'on arrachât [d'] entre les mains des pères & des
15 uKres tous les enfans au dessous de quatorse ans, pour les transporter hors
de leur ueue et conuersation en lieu ou ils fussent instruits a nostre relligion.
Ils disent que cet effaict produisist un horrible spectacle : la naturelle affection
d'entre les pères & les enfans et de plus le :^ele a leur antiene créance
combatant [a l'e]ncontrc de cette uiolante ordonance. Il y fut ueu commu-
20 neement des pères et nieres se desfaisans eus nu^snws et d'un [plus rude
example encores preci]pitant par amour et compassion leur innés enfans
dans des puits pour fuir a la loy. [Au demeurant le terme qu'il leur aiwit
prefix, expiré, par faute de moiens, ils se remirent en seruitude. Quelques
uns se firent Chrestiens : de la foi des quels] ou de leur race encores
25 auiourd'huy cent ans après peu de Portugais s'assurent, quoi que la costume
& la longur du temps saint bien plus fortes conseillieres que tout' autre
contreinte. « Qitoties non nuxlo ductores nostri, dict Cicero, sed uniuersi
etiam exercitus ad non dubiani mortem concurrcrunt. »
\'ar. ms. — i) sernitulc : aucuns pniid — 3) Osorius rff* p le premier Jnslorieii
Lalin de nos siècles qui a eseril ses faicts que la — 6) Onislianisinc les difficulles de —
10) passage il s'auisa de retrancher deus — ly) ordonance. Ma — 21) leur peli —
24) des quels] eworvs amcurd'-huy ee cl de leur
64 HbSAlS DE MONTAIGNE.
Tav veu quclqirvn de mes intimes amis courre la mort à iorce,
d'vne vraye affection, & enracinée en l'on cueur par diuers vilages
de difcours, que ie ne luy fceu rabatre, & à la première qui s'offrit
coiffée d'vn luftre d'honneur s'y précipiter hors de toute apparence,
d'vne faim al'pre & ardente. 5
Nous auons pluiïeurs exemples en noftre temps de ceux, iniques
aux enfans, qui de crainte de quelque legiere incommodité, le font
donnez à la mort. Et à ce propos, que ne crddcroiis nous, dict
\n ancien, li nous cirigiioiis ce que la couardile mefme a choifi
pour la retraite? D'enliler icv \n grand rolle de ceux de tous lo
lexes & conditions & de toutes lectes es liecles plus heureux, qui
ont ou attendu la mort conffamment, ou recherchée volontairement,
& recherchée non leulement pour fuir les maux de cette vie, mais
aucuns pour fuir fimplement la fatieté de viure, 6t d'autres pour
l'efperance d'vne meilleure condition ailleurs, ie n'aurov iamais faict. 15
•Ht en ert le nombre fi infin\-, qu'à la vérité i'aurov meilleur marché
de mettre en compte ceux qui l'ont crainte.
Cecy feulement. Pvrrho le Philofophe, le trouuant vn iour de
grande tourmente dans vn batteau, montroit à ceux qu'il vovoit
les plus effrayez autour de luy, & les encourageoit par l'exemple 20
d'vn pourceau, qui y effoit, nullement fbucieux de cet orage.
Olerons nous donc dire que cet auantage de la railon, dequov nous
lailons tant de lefte, & pour le refpect duquel nous nous tenons
maillrcs ^; empereurs du refte des créatures, ait efté mis en nous
pour noffre tourment? A quov faire la cognoilfance des choies, Il 25
nous en perdons le repos & la tranquillité, où nous ferions fans
cela, & fi elle nous rend de pire condition que le pourceau de Pvrrho?
L'intelligence qui nous a elle donnée pour noffre plus grand bien,
l'employerons nous à noffre ruine, combatans le deffein de nature.
'I'knti-; S8. — ^ (S) i]uc ne l'uvioiis iiou--... liiious luxons ce quu — 21) nullcnicnl
ertVayc ny foucicux
LIVRE I, CHAPITRE XIV. 65
& rvniuerll'l ordre des choies, qui porte que chacun vfe de les vtils
& niovens pour \\i commodité?
Bien, me dira Ion, vollre règle férue à hi mort, mais que dire/ vttus
de l'indigence ? Qiie direz vous encor de la douleur, que Arislippii.s,
S Huroiiiniiis ci la plufpart des lages ont eftimé le dernier mal; i5c ceux
qui le nioient de parole, le confeflbient par effect? Poffidonius
ertant extrêmement tourmenté d'vne maladie aiguë & douloureule,
Pompeius le fut voir, & s'excula d'auoir prins heure fi importune
pour l'ouvr deuifer de la Philofophie : la à Dieu ne plaife, luy dit
0 Poflidonius, que la douleur gaigne tant fur moy, qu'elle m'empefche
d'en diicourir & d'en parler! & fe ietta fur ce mefme • propos du
mefpris de la douleur. Mais cependant elle ioûoit fon rolle & le
preflbit incelliuiiment. A quoy il s'efcrioit : Tu as beau faire, douleur,
fi ne dirav-ie pas que tu fois mal. Ce conte qu'ils font tant valoir,
!) que porte-il pour le mefpris de la douleur? Il ne débat que du mot,
i:^ ce pendant fi ces pointures ne l'efmeuuent, pourquoy en rompt-il
fon propos? Pourquoy penfe-il faire beaucoup de ne fappeller
pas mal ?
Icv tout ne confiée pas en l'imagination. Nous opinons du
20 refte, c'ell; icv la certaine fcience, qui iouë Ion rolle. Nos lens
melme en lont iuges.
Qui nifi funt vcri, ratio quoquc lalla ht omnis.
Terons nous a croire à noll;re peau que les coups d'eftriuiere la
chatouillent? Et à noftre gouft que l'aloé foit du vin de graues?
25 Le pourceau de Pyrrho eft icy de noftre efcot. Il eft bien ûrns
effrov à la mort, mais ii on le bat, il crie & fe tourmente. Porce-
rons nous la générale habitude de nature, qui le voit en tout ce
qui eft viuant fous le ciel, de trembler fous la douleur? Les arbres
mefmes feniblent gémir aux ofFences qu'on leur faict. La mort
Tevie 88. — 2) cominoditC' & ;ulu,inuigc ? BiLii, — 5) le fouuurain mal
66 i:SSAIS DE MOXTAIGXH.
ne le lent que par le dilcours, d'autant que c'ell le niouuement
d'vn inlLmt :
Aut fuit, aut vcniet, nihil eft pnL-fentis in illa,
Morfcjue minus pœnœ quam mora mortis habet.
Mille belles, mille hommes l'ont plultort mors que menallés. Et à 5
la vérité ce que nous disons crcindrc principalement en la mort, c'eft
la douleur, fon auant-coureufe couftumiere.
Toiitcsfois s'il en faut croire un siiiiict pcrc : » Mahiiu ntorlciii non jacil,
nisi quod sequiUir moHeni. » Ht ir dirois cncorcs plus unùscunhlahlcnutt
que \ny] ce qui ua deuant, n\ ce qui nient après, n'est des apartcmtces [Jcj 10
la inorl. Nous nous exeusons faneeinant. Ht ie treuiie par experiance que
c'est plus tost l'inipatiance de l'inutgi nation de la mort qui nous rent
impatians de la dolur, et que nous la santons douhlemant griejue de ce
qu'elle nous nienace de numrir. Mais i la ] raison accusant nostre lâcheté
de creindre chose [si] soudeine, si i)ieui table, si inscjisihle, nous prenons cet 15
autre prétexte plus excusable.
Tous les nuuis qui n'oint antre dauoicr que du nuil, nous les disons sans
dangier : celuy des dans ou de la goutte, pour grief qu'il soit, \d'a]îitant
qu'il n'est pas homicide, qui le m et en conte de maladie? Or bien prx-
supposons le, qu'en la nuirt nous regardons principalemàt la dolur. Come 20
aussi la pauureté n'a rien à craindre que cela, qu'elle nous iette entre
ses bras, par la foif, la faim, le froid, le chaud, les veilles, qu'elle
nous fait fouftrir.
Textk 88. — 6) ce que les Sages craignent principalement — 20) Comme
aufli biffe puis rétabli — 21 ) entre les bras de la (.iouleur par
Var. ms. — 8) I» : Toutes/ois il est dict par un plus sage Mcilaiii 2" : Toulesfois
corne escrit un siiinct pcrc — 9) .wy ////»;■ biffé puis rétabli. — 11) mort quand a clic. Nous
— 12) mort d — 16) prctc.xtc de creindre plus — 16) i" : e.\cusahlc. Il est bien dict
lirai que la pauureté 2° : à la suite de la variante précédente effacée : Mais : Or pra'supposoiis
qu'il soit vrai que ttous ik'gaïkioHs ils regardent en la mort principalemàt la dolur. Come
aussi la pauureté 3° : Montaigne efface ils regardent principalemàt la dolur. Come aussi
et il ajoute noils regardes principalemant la dolur. Conic aussi — 17) disons peu dangereus :
ccliix des dans pour
I.IVRK I, CHAPITRH \IV. (^-
Ainfi n'ayons affaire qu'à la douleur. le leur donne que ce Ibit le
pire accident de noftre eftre, & volontiers : car ie fuis l'homme du
monde qui luv veux autant de mal, & qui la jiiis autant, pour iufques
à prefent n'auoir pas eu. Dieu mercy, grand commerce auec elle.
) Mais // ('.s7 en nous, fi non de l'anéantir, au moins de l'amoindrir par
la patience, cl quand bien le corps s'en efmouueroit, de maintenir
ce neantmoins l'ame & la railbn en bonne trampe.
Et s'il ne l'eftoit, qui auroit mis en crédit parmy nous la vertu,
la vaillance, la force, la magnanimité & la refolution ? Où iouëroyent
10 elles leur rolle, s'il n'v a plus de douleur à deffier : « auida ell: periculi
virtus. »' S'il ne faut coucher fur la dure, souflenir armé de toutes
pièces la chaleur du midv, fe pailTire d'vn chenal, & dvn aine, le
voir détailler en pièces, et arracher vne balle d'entre les os, fe
fouftVir recoudre, cauterizer & fonder, par où s'acquerra l'aduantage
15 que nous voulons auoir fur le vulgaire? Ccll bien loing de tuir le
mal & la douleur, ce que difent les Sages, que des actions égallement
bonnes, celle-là el\ plus fouhaitable à taire, où il y a plus de peine.
«Non ciiiiii hilariUUc, iiec Jiisciiiia, iwc risii, aut ioco comité laiitatis, scd
sa'pe eiiivii tristes fiDiiitiite [f/^ constautia siiiit beati. » Et à cette caufe il
20 a efté impoflihle de perfuader à nos pères que les conquelfes laites
par viue force, au hazard de la guerre, ne fuffent plus aduantageufes,
que celles qu'on faict en toute feureté par pratiques & menées :
Lxtius eft, quoties magno libi conft.it honeftum.
D'auantage, cela doit nous conibler : que naturellement, fi la
25 douleur eft violente, elle eft courte; fi elle eft longue, elle eft legiere,
(( si (^rrcniis hreiiis, si Jongiis leitis. » Tu ne la fentiras guiere long temps.
Texte 88. — 3) qui la craints autant — 5) mais qu'il ne Ibit pourtant en nous
— 6) patience : qu'il ne foit en nous, quand bien — 7) trampe, ie ne le croy pas.
Et s'il
' Montaigne écrit à la suite : c'tSl proSC. La citation est, en effet, disposée dans Tédition de i;S8
comme le premier hcmisticlie d'un vers.
68 KSSAIS DH MOXTAIGXK.
li tu la l'ens trop; elle mettra fin à lov, ou à toy : Tvii & l'autre
reuient à vn. 5/ /// iic la portes, die t'eniporfera. <( Meiiiineris maximos
morte fîniri; pariios nnilta babere intcriialla reqiiietis; iiicdiocriiim nos
esse dominos : ut si tolcrahiles siut feranius, sin mi mis. e uita, qun ea non
plaeeat, tanquani [e \ theatro exeannis. » 5
Ce qui nous f;iit fouffrir auec tant d'impatience la douleur, c'ell:
de n'eltre pas accouftumez de prendre nollre principnl contentement
en lame, tie ne nous aiandre point asses a elle : qui est suie et soniiereine
nuiistresse de nostre condition et conduite. Le corps na, sauf le plus et le
moins, qu'un treiii et qu'un pli. Elle est nariahle en tonte sorte de formes, 10
(■/ renge a soi et a son estât, quel qu'il soif, les soitimans du cors & tous
autres accidans. Pour tant la faut il estudier et enquérir, et esuciller en elle
ses ressors tout puissans. Il n'y a raison, nv prcvscription, nv force, qui puisse
contre son inclination et son chois. De tant de milliers de biai:^ qu'clV a en
sa disposition, douons lux en un propre a nostre repos et conseruation, nous 1 5
.uoila non couuers sulenunit de toute offaiice nuiis gratitiie:^ niesnu\^ & flaic:^,
si bon luy semble, des offances et des niaus.
Elle faict son profit de tout indifjerêmaui. L'errur, les songes luv
sèment utillemant. corne une loyale matière a nous mettre a garant et en
contanteniant. 20
// ('5/ aisé a noir que \cc^ qui aiguise en nous la dolur et la uolupte, c'est
la pointe de nostre esperit. Les bestcs qui le tienent sons boucle, laissent ans
Texte 88. — 8) rame, c'cfl: d'auoir eu trop de commerce auec le corps. Tout ainfi
\'ar. ms. — 5) ll'etiliv biiïc puis rctabli. — 8) l'amc (7 (/(■ iioiif armer d'elle eoulrc la
mollesse du corps. Tout ainfi (p. 69, 1. i;.) — 9) ;/'<; i}u'-uh /»-• — 12) esliidier et emploier
(1 esiiciller — 14) el son plaisir. De — 18) profil du tiiaiisoiige et de la uerile iiidiffe-
rêmaiit. — 19) matière si elle l'-culikpmtU. a vous melire a garant de toutes inconimodilei
el mettre eu plein contanteniant, si elle l'cntrcpraut. Il est — 21) noir que c'est h
pointe de nostre esperit qui aiguise en nous la dolur et uolupte, ici vient cette première rèd.-iction
que Moiit.iipnc a abandonnée sans l'achever : d'ou nait UUC si infinie diucrsilc dc HOS goul a les
reccnoir -.Ans hesies nulle r qui est uniforme nus hestes : eom'il se U4>it coniectnre par
la pareille application de leurs mouuemeus : en chaque espèce. Tout corps nalurcllemanl
conslUuc eut s(eu les rcceuoir en leur naturelle mesure et iustc Les hestes — 22) tienent
plus sous boucle laissent au corps ses scntimcns
I.IVRH I, CHAPITRE XIV. 69
corps leurs sciillnn'iis libres cl inills, et par coiiscqiuiiil uns u peu près en
chaque espèce, coine nous uoions par la semblable application de leurs
niouucnians. Si nous ne troblions pas en nos membres la inriscJiction qui
leur apartient en cela, il est a crere que nous en serions miens, et que
5 nature leur a tlone un iw^tc et modère leinperanntnt enuers la uolupte Ic/^
enuers la dolur. Ut ne peut laillir d'estre iuste, estant esgal et connnun.
Mais puis que nous nous sonws émancipe:^ de ses règles, pour nous aban-
doner a la nagabonde liberté de nos fantasies, au moins aidons nous a les
plier du costé le plus agréable.
10 Platon creint nostre engagement aspre a la dolur & a la uolupte, d'autant
qu'il oblige et atachc par trop l'aine au corps. Moi plus tost au rebours,
d'autant qu'il l'en desprent et descloue.
Tout ainfi que rcnnemv le rend plus aigre à noftre fuite, auflî
s'enorgueillit la douleur à nous voir trembler foubs elle. 1:11e le
I) rendra de bien meilleure compolition à qui luy fera telle. Il fe huit
oppofer & bander contre. Hn nous acculant & tirant arrière, nous
appelions à nous & attirons la ruine qui nous menafTe. Conte le corps
est plus ferme a la charge en le roidissant, aussi est l'ame.
Mais \-enons aux exemples, qui l'ont proprement du gibier des
20 gens foibles de reins, comme moy, où nous trouuerons qu'il va de
la douleur, comme des pierres qui prennent couleur ou plus haute
ou plus morne félon la feuille où l'on les couche, & qu'elle ne tient
qu'autant de place en nous, que nous luy en faifons. « Tantum
doluerunt, dict S. Auguftin, quantum doloribus fe inferuerunt. »
TrxTic 88. — 13) plus afpre ;i — 22) no prend qu'.iutant
V.\R. MS. — i) en dniiune espèce — 2) cte leur niouuemaul. Si — 4) nous ni en
muerions de bien nieillure condition et que — 5) iuste i^oul et modère enuers — 6) iuste
puisqu'il ed seroit commun.^ Puis que nous — 7) ahuiidoncr a lu tyrminte de nos —
9) le plus salntere. Ptiilflii — 10) creint nu cn<iin^enient
' Ici semble se rattacher par un renvoi, dailleurs pew cl.iir, ce passage hifl'é : C est jolie. Poiir
rendre un estât complet d'home il faut & qu'il se pliiise du phiisii^ et que la dolur luy deulle
sente cowpcicmwent du mal et du bien.
yo ESSAIS D1-; moxtaigxe.
Nous feulons plus vn coup de raloir du Chirurgien, que dix coups
d'efpée en la chaleur du combat. Les douleurs de l'enfantement par
les médecins & par Dieu mefme eftimées grandes, & que nous
paflbns auec tant de cérémonies, il v a des nations entières qui
n'en font nul conte, le laiiTe à part les femmes Lacedemonienes; 5
mais aux SouilTes, parmv nos gens de pied, quel changement v
trouuez vous? Sinon que trottant après leurs maris, vous leur vovez
auiourd'huv porter au col l'enfant, qu'elles auovent hier au ventre.
Et ces Egyptiennes contre-hxictes, ramaflees d'entre nous, vont, elles
niefmes, lauer les leurs, qui \iennent de naiftre, & prennent leur baing 10
en la plus prochaine riuiere. Outir tant de garses ; qui dcswhent toits les
ioitrs leurs eiijans tant eu la génération i qu'eu la conception, cette houeste
feme de Sahinus, patritieu Roiuein, pour l'iuterest d' autrui supporta le
trauail \ de] Venfanteuicnt de detis iuiueaus, suie, sans assistance, et sans noix
& gémissement. Vn fimple garçonnet de Lacedemone, ayant defrobé 15
.vn renard (car ils creignoint encore plus la honte de leur sottise an larre-
cin que nous ne creiguds sa peine) & l'ayant mis fous fa cape, endura
pluftofl: qu'il luy eut rongé le ventre, que de fe découurir. Et vn
autre donnant de Fencens à vn lacriiice, le charbon luy eftant tombé
dans la manche, le laifla bruller iufques à l'os, pour ne troubler le 20
myftere. Et s'en cfl \'eu \n grand nombre pour le feul elïav de
. vertu, luiuant leur inllitution, qui ont fouffert en l'aage de fept ans
d'eftre toëtez iufques à la mort, lans altérer leur vifage. Et Ciccro
les a uens se battre a troupes : de poins, de pieds & de dens, insques a
\s'e]uanouir auant que d'adnouer estre neincns. « Xuiujnani naturain 25
inos uinceret : \ est] enim ea seniper innicta; sed nos nmhris, delicijs,
otio, languore, desidia a ni mu m infecimus; opinionihus maloque more
Texte 88. — 10) lauer leurs cnfans, qui — i6) renard (car le larrccin y eftoit
action de vertu, mais par tel fi, qu'il efloit plus vilain qu'entre nous d'v eftre furpris)
& l'avant
\'ak. ms. — i^) siipporlii l'nifivilnnail — 15) gciiiisscnu'iil quelemiifue — 17) nous
ne fai.uvis de iwslir mescJmiicetc) & l'avant
LIVRE 1, CHAPITRE XIV. yi
(Icliiiilniii iiioUiliiiiius. » Chacun l'çait l'hilloire de Sceuola qui, s'eftant
coule dans le camp ennemy pour en tuer le chef & ayant failli
d'attaincte, pour reprendre Ion effect d'une plus eftrange inuention
& defcharger la patrie, confeffa à Porlenna, qui eftoit le' Roy qu'il
5 \ouloit tuer, non feulement fon defleing, mais adioulla qu'il v auoit
en fon camp vn grand nombre de Romains complices de fon entre-
prife tels que luv. Et pour montrer quel il eftoit, s'elknt taict
apporter vn bralîer, veit & fouffrit griller & roftir fon bras, iniques
à ce que l'ennemv mefme en ayant horreur coiiuiiula aster le brafier.
lo Quov, celuv qui ne daigna interrompre la lecture de Ion Hure pen-
dant qu'on l'incifoit? Et celuy qui s'obllina à le mocque'r & à rire à
l'enuy des maux qu'on luy failbit : de laçon que la cruauté irritée
des bourreaux qui le tenoyent, & toutes les inuentions des tourmens
redoublez les vns fur les autres luy donnèrent gaigné. Mais c'eftoit
15 vn philolbphe. Quov? vn gladiateur de Cœlar endura touliours
riant qu'on luy fondât Se détaillât les playes. « Oiiis iiiediocris a^ladiator
iiic^cniiiit; qiiis iiuJfuiir iniitaiiit unquam? Ouis non modo stetit, iicriiiii
ctiaiii dccithuit tiirpiter. Ouis citin dccubuissct, fcrrimi nripere iussiis, coUiini
coiitnixit? » Méfions y les femmes. Qiii n'a ouy parler à Paris de
20 celle qui fe fit efcorcher pour feulement en acquérir le teint plus
frais d'vne nouuelle peau? Il y en a qui se font fait arracher des dents
viues & laines, pour en former la voix plus molle & plus grafle,
ou pour les ranger en meilleur ordre. Combien d'exemples du
mefpris de la douleur auons nous en ce genre? Qiie ne peuuent
25 elles? Que craignent elles? pour peu qu'il y ait d'agencement à
efperer en leur beauté :
Vellere quels cura cil albos à llirpc capillos, '*
Et faciem denipta pcllc rcfcrrc nouani.
l'en av veu engloutir du fable, de la cendre, & le trauailler à poincl A
Texte 88. — 9) liorivur luy olb le bralkr — 15) tciiDycnt en main, &
y2 ESSAIS DH MOXTAIGXH.
nommé de ruiner leur cftomac, pour acquérir les pâlies couleurs.
Pour faire vn corps bien el'paignolc quelle geine ne louflrent elles,
guindées & ûmglées, à tout de grofles coches fur les cortez, iniques
à la chair viue? Ouv quelques lois à en mourir.
// csl onliiicrc a hcaucoup de nations de uostrc loups de se blesser a eseiiinl, 5
pour douer foi a leur parole, el uosire Rov en reeite des iioluNes exemples
de ce qinl eu a veu eu Polouigue et en l'endroit de lux niesmes. Mais outre
ce que ie seul en auoir este imite en Jrance par aucuns, i'ay -ir//' une fille,
pour tesnum ligner l'ardur de ses promesses, & aussi sa constance, se douer
du poinçon qu'elle portoit en son poil, quatre ou cinq bons coups dans le lo
bras, qui luv faisoint craqueter la peau et la seii^noint bien en bon escianl.
Les turcs se font des grandes escarres pour leurs dames; 6" ajjin que la
marque x deinure, ils portent soudein du Ju sur la plaie el l'y licnenl un
temps incroiable pour arrêter le sang cl former la cicatrice. Gens qui l'ont
ueii, l'ont esc rit & nw l'ont iuré. Mais pour di\ aspres, il se treuue tous 15
les iours entre eus qui se donrra une bien profonde taillade dans le bras ou
'dans les cuisses.
le fuis bien avfe que les tefmoins nous font plus à main, où nous
en auons plus affiiire : car la Chrétienté nous en fournit à futiifance.
Et après l'exemple de noftre fainct guide, il y en a eu lorce qui par -o
deuotion ont voulu porter la croix. Nous apprenons par lefmoing
tres-digne de foy, que le Roy S. Loys porta la hère iniques à ce
que, fur la vieilleffe. Ion confefleur l'en difpenfa, & que, tous les
\-endredis, il fe taifoit battre les efpaules par fon prertre de cinq
chainettes de 1er, que pour cet eflet il portoit touliours dans \ ne -5
'l'j;.\ri; 88. — 19) fournit plus qu'à
\'.\]{. Ms. — 9) pivnicssfS & ik son (ijfalioii se tloiiciik son poiiiÇiVi — 15) y dcniuic
ils lii porlciil soiiilciii tliiiis la plaie nue ehaiiilellc hr niante et l'y lienenl — 15) hcnnc des
_i;ens Ions les ionrs entre ens qni se ilonneinl nne — 16) hras et dans
' L'cditioii de 1595 dit ici : Quand ic vcins do CCS lanicux Hllats de Blois, i'.uiois vcu
peu auparnunnt \ ne tille en Picardie...
I.nUH I, CHA1MTR1-: XIV. y 5
boite. Guillaume noftre dernier Duc de Gu venue, père de cette
Aliéner, qui tranfniit ce Duché aux mailons de France & d'Angle-
terre, porta les dix ou douze derniers ans de la vie, continuellement,
vn corps de cuiralTe, Ibubs vn habit de religieux, par pénitence.
5 l'oulques Comte d'Anjou alla iniques en lerulalem, pour là le faire
foëter à deux de les valets, la corde au col, deuant le Sepulchre de
noftre Seigneur. Mais ne voit-on encore tous les iours le Vendrcdv S.
en diuers lieux vn grand nombre d'hommes & femmes fe battre
iniques à le déchirer la chair & percer iniques aux os? Cela av-ie veu
10 fouuent & fans enchantement : & difoit-on (car ils vont mafquez)
qu'il y en auoit, qui pour de l'argent entreprenoient en cela de
garantir la religion d'autruv, par vn mefpris de la douleur d'autant
plus grand, que plus peuuent les éguillons de la deuotion, que de
l'auarice.
15 IQ.] Maxiiinis enterra son fils coiisulere; \M. Otto le sien Prêteur
designé;] et L. Paulns les siens deus en peu de iours, d'un uisage rassis
& ne portant ausenn tesnu^ignage de deuil. le disois en mes iours de quelqun
en gossant, qu'il auoit ehoué la diuine iustiee : ear la mort uiolante de trois
grands èfans luy aiant este enuoiee en un iour pour un aspre eoup de uerge,
20 coni' il est a croire : peu s'en fidut qu'il ne la print a gratification. El l'en
ai perdu, tuais en nourrisse, deus ou trois, si non sans regret, au i>u)ins sans
fiu'herie. \ Si] n'est il guère aeeidant qui touche plus au uif les homes. le uois
asscs d'autres communes occasions d'affliction qu'a peine sentirais \ie], si
elles me uenoint, et en ai mesprise quâd elles me sont uenues, de celles aus-
25 quelles le monde clone une si atroce figure, que ie n' oserai m'en uanter au
peuple sans rougir. «Ex quo intelligitur non in natura, sed in opinione
esse a'gritudiiiem. »
L'opinion eft vne puilTante partie, hardie, & lans mefure. Qui
rechercha iamais de telle taim la feurté 6c le repos, qu'Alexandre
Var. ms. — 16) Paiilusdctix — 17) tesnwigiiagcd'afflictwu. le disoisdc mes — 18) car
luv esUjut eimeiepeut: «» gnef eoup dtfieau ta mort — 19) coup d'-i»sirit(iio» de chiisliemeul-
— 21) regrc! ce rtes(}) nu uioiiis — 22) guère d'uciiddul — 2.|) ueuoinl. Ex quo
74 ESSAIS Di; .MONTAIGNE.
& Cœlar ont foict Tinquietude & les difficultés. Terez le Père de
Sitalcez Ibuloit dire que quand il ne tailbit point la guerre, il luy eftoit
aduiz qu'il n'v auoit point difterence entre luv & ion palletrenier.
Catoii consul pour s'assurer d'aucunes villes en Hespaignc aiant sulemât
interdit ans hahiians d'icelles de porter les armes, grand nombre se iuarèt : s
«ferox gens nuUam nitam rafi sine armis esse. » Combien en Içauons
nous qui ont fuv la douceur d'vne vie tranquille, en leurs mailons,
parmi leurs cognoilTans, pour fuiure l'horreur des defers inhabitables;
& qui le l'ont iettez à l'abiection, vilité, & meipris du monde, & s'y
font pleuz iufques à l'affectation. Le Cardinal Borromé qui mourut lo
dernièrement à xMilan, au milieu de la deftauche, à quoy le conuioit
& la nobleffe, & fes grandes richeffes, & l'air de l'Italie, & {a ieuneffe,
fe maintint en vne forme de vie 11 aullere, que la melme robe qui
luv leruoit en elle, luv leruoit en hvuer; n'auoit pour Ion coucher
que la paille; & les heures qui luy reftoyent des occupations de fa 15
. charge, il les paffoit effudiant continuellement, planté fur fes genouz,
avant \n peu d'eau & de pain à cofté de l'on Hure, qui eftoit toute
la prouilion de fes repas, & tout le temps qu'il y employoit. l'en
l'çay qui à leur efcient ont tiré iv- proffit & auancement du cocuage,
dequov le leul nom effravc tant de gens. Si la veuë n'eft le plus 20
necelTaire de nos lens, il eft au moins le plus plailant; mais & les
plus plaifans & vtiles de nos membres, lemblent eftre ceux qui
feruent à nous engendrer : toutesfois affez de gens les ont pris en
hayne mortelle, pour cela feulement, qu'ils eftoyent trop aymables,
& les ont reiettez à caufe de leur pris 1^ valeur. Autant en opina 25
des yeux celuy qui fe les creua.
La plus commune \ et \ plus saine par! des bonies tient a graïuî heur
\j'a]hondance des en/ans, moi ci quelques autres, a pareil heur le dejaul.
Texte 88.— 3) point de diflcrcncc — 11) au traucrs de la — 15) que de la
— 2}) nous cntr'engendrer :
Var. ms. — 5) tiiarcl eus mcsiius : ferox — 27) pari edime des bornes esii —
28) moi et ijuel
LIVRE I, CHAPITRl- XIV. 75
El quand on dcuiaudi' a Tbiilcs pour quoi il ne se marie point : il rcspont
qu'il n'aime point a Jaiser lignée de soi.^
Que nostre opinion done pris ans choses, il se uoit par celles en grand
nondire ans quelles nous ne regardojis [^as sulenieni pour les estimer, ains
5 (/ nous: el ne considérons nv leurs qualités ny leurs utilités, uuiis sulement
nostre cousl a les recouurer : eonw si c'estoil quelque pièce de leur substance;
et appelons ualeur en elles non ce qu'elles aportent, mais ce que nous y
aportons. Sur quoi ie m'aduise que nous somes grands mesnagiers de
nostre mise. Selon qu'elle poise, elle sert de ce mcsmes qu'elle poise. Nostre
10 opinion ne la laisse ianuiis courir a fans frait. L'achat done titre au
diamant, et la difficulté - a ^ la uertu, et la dolur a la deuotion, et l'asprete
a la médecine
Tel pour arriuer à la pauurcté ietta les cfcuz en cette melmc
mer, que tant d'autres fouillent de toutes pars pour \- pelcher des
15 richelTes. Epicurus dict que l'eftre riche n'eft pas foulagement, mais
changement d'affaires. De vray, ce n'eft pas la disette, c'eft pluftoft
l'abondance qui produict l'auarice. le veux dire mon expérience
autour de ce fubiect.
l'av vefcu en trois fortes de condition, depuis eftre lortv de
20 l'enfance. Le premier temps, qui a duré près de vingt années, ie le
paffay, n'aiant autres moyens, que fortuites, & defpendant de l'ordon-
nance & fecours d'autruy, fans eftat certain & iiins prefcription.
Ma defpence le failbit d'autant plus allègrement o; auec moins de
foing, qu'elle eftoit toute en la témérité de la fortune. le ne fu iamais
25 mieux. Il ne m'eft oncques aduenu de trouuer la hourçe de mes
amis clofe : m'eftant enioint au delà de toute autre neceftité, la
neceflîté de ne taillir au terme que i'auoy prins a in'acquiter. Lequel
Texte 88. — 16) pas la nccefntc, c'eft
\'ar. ms. — 2) ii'aiiiic point li'-ailoireiifdiii.Olu' — 4) estimer cl ne — 6) suhsianee.
Regardons en nous lenr uatur non en elles et appelons — 10) a fausfR-lfrail. LaigenI done
' /■.'/ miaïul... soi inicrc.Tli- iiltcricurcment entre Us deux alinc^is.
-jG ESSAIS DE MONTAI GN'i:.
ils m'ont mille fois alongc, voyant l'eftort que ic me failoy pour
leur fatistaire : en manière que i"en rendoy vue loyauté mefnagcre
& aucunement piperefle. le lens naturellement quelque volupté à
payer, comme fi ie defchargeois mes efpaules d'vn ennuyeux poix,
& de cette image de feruitude; auffi qu'il y a quelque contentement 5
qui me chatouille à taire vue action iul^e, & contenter autruv.
l'excepte les payements où il faut venir à marchander & conter, car
fi ie ne trouue à qui en commettre la charge, ie les elloingne
honteufement & iniurieufement tant que ie puis, de peur de cette
altercation, à laquelle & mon humeur <ic ma forme de parler eft du 10
tout incompatihle. 11 n'eft rien que ie haifle comme à marchander.
C'eft vn pur commerce de fricbotcric ik d'impudence : après vne
heure de débat & de barquignage, \\n ik l'autre abandonne fa paroUe
& fes fermens pour cinq fous d'amandement. Et li empruntois auec
deûiduentage : car n'ayant point le cœur de requérir en prelence, 15
l'en renuoyois le hazard fur le papier, qui ne faict guiere d'effort,
& qui prefte grandement la main au refufer. le me remettois de la
conduitte de mon befoing plus gayement aux aftres, & plus libre-
ment, que ie n'ay faict depuis à ma prouidence & à mon fens.
La plus part des mefnagers eftiment horrible de viure ainfm en 20
incertitude, (S; ne s'aduiient pas, premièrement que la plus part du
monde \it ainli. Combien d'honnefles hommes ont reietté tout
leur certain à l'abandon, ^: le font tous les iours, pour cercher le
vent de la faueur des Roys & de la fortune? Caviar s'endebta d'vn
million d'or outre fon vaillant, pour deuenir Ca^far. Et combien de 23
marchans commencent leur trafique par la vente de leur métairie,
qu'ils enuoyent aux Indes
Tôt pcr impotcntia frcta ?
En vne 11 grande iiccité de deuotion, nous auons mille & mille
Tfatf. 8S. — j) fois L'ftcndii, vovant — 12) de mcnicric &
LIVKF. I, CKAPITUl-: XIV. yy
collèges, qui la palTcnt commodeenient, attendant tous les iours de
la libéralité du ciel, ce qu'il faut à /(•///■ dilher. Secondement, ils ne
s'aduifent pas, que cette certitude fur laquelle ils se fondent, n'ert
guiere moins incertaine & hazardeufe que le hazard mefme. le vov
5 d'aufli près la mifere, au delà de deux mille efcuz de rente, que i\
elle eftoit tout contre moy. Car outre ce que le sort a dequoy ouurir
cent brèches à la pauureté au trauers de nos richefles, ?/'v uicuil
soiiiunit nul moien entre la suprême et infiwe fortune :
Fortiina uiirca csl ; tinic en m splciidd friingititv :
10 & enuoyer cul fur pointe toutes nos deffences & leuees, ie trouue
que par diuerfes caufes l'indigence fe voit autaut ordiuereincut logée
chez ceux qui ont des biens, que chez ceux qui ncu ont point :
c\: qu'à l'auanture eft elle aucunement moins incommode, quand elle
eft leule, que quand elle fe rencontre en compaignie des richelïes.
15 Elles uieueiit plus île l'ordre que de lu reeetle : » Jaher est siuv quisque
jorluiuv. )) Et me femble plus miferable vn riche malaifé, neceflîteux,
afîaireux, que celuy qui ell hmplement pauure. «lu diuitijs inopes,
quod geiuis egestatis grauissimuni est. »
Les plus gras princes et plus riches sont par poureté et disette pousses
20 ordiiwremant a \l'ex]treme nécessite. Car en [_est'\ il de plus extrême que
d'en deueuir tirans et iniustes usurpaturs [des^ biens de leurs subiects?
Ma féconde forme, c'a efté d'auoir de l'argent. A quoi m'eslaut prins,
l'en fis bien toft des rcferues notables félon ma condition : n'ei^imant
Texte 88. — 2) huit i\ cuk difncr. — 6) ce que la fortune a — 11) le voit
aufli fouuent logée — 22J (.l'aimir Jes iiieiis, aiifqucls ie me prins fi chaudement,
que i'en fis
^'AR. MS. — 6) contre moy. Foiliiun iiilrca csl lune euiii spiciidel J'rniigiliir. Cette
citation, préccJcc de l'indication : J'ci'S, est biffée .1 cette place, et reportée plus bas, 1. 9. — 7) ricnclies,
safc iiiter fortunà tiiaximam cl ulUmaiii iiihil iiitcrest. & enuoyer — 19) disette
(outwiui it>Ui coiiuiei tous iours a user d'imusliee. Ma féconde — 20) de pire que d'en
— 22) aroeut eu a quoi ie me prins fi chaudement, que i'en
yS KSSAIS D1-; MOXTAlGXi:.
que ce fut auoir, Tmon autant qu'on poffedc outre la delpencc ordi-
naire, ny qu'on se puilTe fier du bien qui eft encore en efperance de
recepte, pour claire qu'elle foit. Car quoy, difoy-ie, Ii i'eftois furpris
d'vn tel, ou d\-n tel accident? Et à la fuite de ces vaines & vitieufes
imaginations, i'allois faifant l'ingénieux à prouuoir par cette fuperflue 5
referue à tous inconueniens : & fçauois encore refpondre à celuv
qui m'alleguoit que le nombre des inconueniens efloit trop infinv,
que fi ce n'eftoit à tous, c'eftoit à aucuns & plufieurs. Cela ne fe
paflbit pas fons pénible follicitude. l'en faisais ini secret : \&\ moi qui
ose tant dire de moi, ne parlais de mon argent qu'en me)isange, came faut 10
les autres, qui s'apaurisseiit riches, s'enrichissent poures, et dispansent leur
cousciancc de ianiais tesmauigiier sincereuwnt de ce qu'ils ont : Ridicule
et honteuse prudance. Allois-ie en voyage, il ne me fembloit eftre
iamais fuffifamment prouueu. Et plus ie m'ellois chargé de mouaie,
plus aufli ie lu'cstais chargé de creiute : tantoft de la feurté des chemins, 15
.tantoft de la iidelité de ceux qui conduiioient mon bagage : duquel
comme d'autres que ie cognovs, ie ne m'affeurois iamais affez fi ie
ne l'auois deuant mes veux. LaifToy-ie ma bovte chez moy, combien
de foubçons & penfements efpineux, èv, qui pis eft, incommuni-
cables.' l'auois toufiours l'efprit de ce cofté. Tout conté, il y a plus de 20
peine a garder l'argent qu'a l'acquérir. Si ie n'en faifois du tout tant
que l'en dis, au moins il me couftoit à m'empefcher de le faire. De
commodité, l'en tirois peu ou rien : pour auair plus de niaicu de
despance, elle ne m'en paisait pas moins. Car, comme difoit Bion, autant
fe tache le cheuelu comme le chauue, qu'on luv arrache le poil : 25
& depuis que vous eiles accouftumé & auez planté voftre fantafie fur
certain monceau, il n'eft plus à voftre feruice, lums n'oseries l'escaruer.
Texte 88. — i) defpcncc & fon vfage ordinaire — 2) qu'on puifTc prendre
affeurance du bien — 15) aufîi i'auois d'alarme : tantoft
\'ar. ms. — 10) (lire ioulcs cl.'oscs de moi : ne kinwu parloU
' & qui pis eft, incommunicables. biiTc- pui'; R-taWi.
L1\R1-; I, CHAPITRE XIV. -9
C'ert; vn hal^mt-nt qui, comme il vous icmble, croUera tout, li vous
y touchez. Il fliut que la ncceflité vous prenne à la gorge pour
l'entamer. Et au parauant i'engageois mes hardes, & vendois vn
cheual auec bien moins de contrainte, & moins enuys, que lors ie
5 ne tailois brelche à cette bourçe fauorie, que ie tenois à part. iMais
le danger eftoit, que mal ayféement peut-on eftablir bornes cer-
taines à ce defir (elles sont dijfîcilles a troiiiicr es choses qu'on eroil boues)
& arreiler vn poinct à l'elpargne. On \a toullours grolfiffiuit cet
amas & l'augmentant, dvn nombre à autre, iulques à le priuer
10 vilainement de la iouylîance de les propres biens, & l'ertablir toute
en la garde, & à n'en vfer point.
Selon cette espèce d'usage, ce sont les plus riches gens de nionoie, ceus qui
ont charge de la garde des portes el murs d'une bone uille. Tout home
pecunieus est auaritieus a mon gre.
15 Platon range ainsi les biens corporels ou humains : la saute, la béante,
la force, la richesse. Et la richesse, dict il, n'est pas aneugle nuiis t rescier
noiante, quand elle est illuminée par [la~\ prudauce.
Dionifius le fils, euft fur ce propos bonne grâce. On l'aduertit
que l'vn de fes Syracufains auoit caché dans terre vn threlor. 11 luy
20 manda de le luy apporter, ce qu'il fit, s'en releruant à la defrobbée
quelque partie, auec laquelle il s'en alla en vne autre ville, où, ayant
perdu cet appétit de thefaurizer, il le mit à viure plus liberallement.
Ce qu'entendant Dionvfius luv fit rendre le demeurant de Ion threlor,
difant que puis qu'il auoit appris à en Içauoir vler, il le luv rendoit
25 volontiers.
le fus quelques années en ce point, le ne Içay quel bon dcvmon m'en
Texte 88. — 26) le fus quatre- ou cinq minces un ce point : ie ne fçay quelle
bonne fortune m'en
Var. ms. — 7) 1° : defir (iiiodi'i rctume dtjjicile csl lu (o quod boin'i esse crcdidcrh.)
& arreftcr 2» : Jefir (Elles sont difficiles a garder es choses qu'on civil boues.) cuticrcnicnt
biffe. — II) point. Toiil home pecunieus est auaritieus a mon gre. biffe puis transporte j h
fin de l'alinéa. — 12) de ceUt fi>rme di te Selon — 12) monoie qu — 15) le faii Platon
8o ESSAIS DE MONTAIGNE.
ictta hors tivs-vtilement, comme le Siracufain, l\: m'cnuova toute
cette conlerue à l'abandon, le plailir de certain \ovage de grande
defpence, avant mis au pied cette lotte imagination. Par où ie luis
retombé à vne tierce forte de vie (ie dis ce que i'en fens) certes
plus plail'ante beaucoup & plus reiglée : c'elt que ie fliits courir 5
ma defpence quand & ma recepte; tantoll Tvne deuance, tantoll
l'autre : mais c'eft de peu qu'elles s'abandonnent. le vis du iour à la
iournée, & me contente d'auoir dequoy fuffire aux befoings prelens
& ordinaires : aux extraordinaires toutes les prouilions du monde
n'y fçauroyent baster. Et est jolie de saUvidre que fort une elle luesnies 10
nous cinne ieimah suffistinuintut eoiitre soi. C'est de nos aunes qu'il la faut
cdhattre. Les fortuites nous trahiront au bon du faiet. Si i'amalTe, ce n'eft
que pour l'efperance de quelque voillne emploite : non pour acheter
des terres de quoi ie n'ay que faire, mais pour acheter du plaifir.
(fNon esse eupiduin pecunia est, non esse enmeeni uectigal est.» le n'ay 15
ny f;uere peur que bien me faille, nv nul delir qu'il m'augmente :
(( Diuitiaruni Jruetus est in \eop\ia, eopiani deelarat satielas.» Et me
gratilie lingulierement que cette correction me foit arriuee en vn
aage naturellement enclin à l'iiuarice, ^: que ie me vois desfaict de
cette maladie 11 commune au\ vieux, (^ la plus ridicule de toutes 20
les humaines folies.
Ferauh\, qui auoil [lasse par \'s deus fortunes, et Irouué que t'aceroit
de cheuanee nestoit pas aeeroit d'appétit au boire, nianoer, dormir et
embrasser sa famé; et qui d'autre pari sanloit poiser sur ses espaules l'im-
portunile de l'axouoniie, eiiisi qu'elle faiel a moi : délibéra de eontanler 25
//// /////(' home piuire, son fidelle am\, ahhoianl après les riehesses, et lux fil
Ti;.\Ti; 88. ^ — i) comme au Siracufain — 6) quand & quand ma icccptc —
10) Içauroyent fuffire. Si — 15) emploite & non — 20) vieux, laquelle i'.u- toufiours
tenu la moins excufable, & la plus
\'\v.. MS. — 10) s'aldiulrc wuf que forliiiic nous — 12) côhiUlrc, J-A-i foi^luikê h'-v
Hh'u da, ffUuiki. Les — 26) i/wv i/<' lii Inini ijn'U aiioit îles riel'esses
LIVRli I, CllAPlTRi; Xl\-. Si
fiirstinl de UhiIcs les siciics, gniiidcs cl cxccssiiics, cl tic celles encore qu'il
csloil Cl! Irciii d'accumuler tous les iours par la libéralité de Cynis sou hou
iiiaisire, cl par la i;;uerrc : inoicitaul qu'il priai la charge de l'enireteiiir
et nourrir hoiiestemant corne son boste et son ami. Ils uescnrent einsi despuis
5 Ireshureusemauî, et esgalemant conians du changemant de leur condition.
Voila un tour que i'iiiiiterois de grand corage.
Et loue grandement la fortune d'un iiicil prélat que ie uois s'estre si
puremant desniis de sa bourse, de sa recette \& de sa mise, tantost a un
seruiteur choisi, tantost a\ un autre, qu'il a coule un long espace d'années,
lo aulât ignorant celte sorte [d'affaires de son mesnage corn un estrangier.
hi fiance de la bonté d'autruy est un non léger tesmouignage] de la bonté
[propre : partant la fauorise Dieu uoloniiers. Et pour son regart, ie ne
uoy point d'ordre de maison, ny plus dignement, ny plus] constamment
conduit que le sien. Hureus qui aye règle a si iuste mesure son besouin que
1 5 ses richesses y puissent suffire sans son soin et empeschemàt, et sans que leur
dispensalion ou assamblage interrompe d'autres occupations qu'il suiL plus
sortables, tranquilles, et selon son ceur.
L'ailancc donc & l'indigence delpendent de l'opinion d'vn chacun;
& non plus la richefle, que la gloire, que la lanté, n'ont qu'autant
20 de beauté & de plailir, que leur en prerte celuy qui les poflede. Chacun
est bien ou mal selon qu'il s'en treuue. Non de qui on i le] croit, mais qui le
croit de soi, [est] contant. Et en cela sul la créance se donc essance et uerilé.
La fortune ne nous faict nv bien inv\ mal : elle nous en offre suie mât
la matière [et] la semàce, la quelle nostre a me plus puissâte [qu] 'elle, tourne
2) et applique coin' il luv plaît, suie cause cl inaislresse de sii côdilioii biirciise
ou maihureusc.
\'ar. ms. - — i) cxccssiues presanks cl de — 3) priiil le soiiin de — 5) conians de la
iHH — 7) d'un prêtai — 9) qu'il a lantost passe lui long espace d'annccs quasi aussi
ignoranl de cette sorte de ses 'affaires] — 13) constant ment conduite que la sicnc. Et si le
treuue bien plus riche de s'estre deschargé du soin d'accumuler & dispanser ses richesses et de
n'y chercher autre dmse fin que le sul usage presaid. L'aifancc — 16) plus douces tranquilles
— 20) pofTede. Chacun est hureus & malhureus selon qu'il se treuue. Les acccfTions —
22) la pirniicre tieance — 25) en doue suleniàt — 24 qu 'elle app
82 KSSAIS D1-; MOXTAIGNH.
Les iiccdrions externes prennent saiiciir & couleur de l'interne
conrtitution, comme les accouûremens nous elchauffent, non de
leur chaleur, mais de la nortre, laquelle ils font propres à couuer
& nourrir; qui en abrieroit vn corps t'roit, il en tireroit melme
feruice pour la froideur : ainli fe conferue la neige & la glace. 5
Certes tout en ht manière qu'à vn fainéant l'eftude fert de tourment,
à vn vurongne l'ahftinence du vin; la frugalité eft fupplice au luxu-
rieux, & l'exercice geine à vn homme délicat & oifif : ainfin eil-il
du relie. Les chofes ne font pas fi douloreufes, ny difficiles d'elles
mefmes : mais noftre foiblefle & lafcheté les fait telles. Pour iuger 10
des choies grandes & haultes, il faut vn' ame de melme, autrement
nous leur attribuons le vice, qui eft le noftre. Xn auiron droit femble
courbe en l'eau. Il n'importe pas feulement qu'on voye la chofe,
mais comment on la voye.
Or fus, pourquoy de tant de difcours, qui perluadent dincnciuatit 1 5
■ les hontes de mefprifer la mort, ^: de porter la douleur, n'en Iroiitioits
nous quelcun qtii faee pour nous? Et de tant d'efpeces d'imaginations,
qui l'ont perfuadé à autruy, que chacun n'en applique il a soi utie le plus
félon fon humeur? S'// ne peut digérer la drogue forte & abfterfiue,
pour defraciner le mal, au moins qu'il la preigne lenitiue, pour le 20
foulager. «Opiiiio est qninlani elf'iviniitata ae leiiis, née in dolore inagis,
quant eadeni in iioliiptate : qita, eiiiit liqneseititiis jUiiimisqne iiiollitia,
apis aetileuiit siite elantore ferre itoit possniitns. Totnnt in eo est, ni tiln
iinperes. » Au demeurant, on n'efchappe pas à la philolophie, pour taire
valoir outre mefure l'afpreté des douleurs et rimnieiite Joiblessc. Car 25
Texte 88. — i) prennent gouft & — 6) toui de niefmc qu'i — 12) fcnible
toutes-fois courbé dans l'eau — 15) difcours, qui nous perluadent de mefpriler la
mort, & de ne nous tourmenter point de la douleur, n'en empoingnons nous quelcun
pour nous? — 18) que chacun n'en prend il celle qui eft le plus — 19) humeur?
Si ce n'eft vne drogue
Var. .\is. — .}) mefme «></ — 18) n'en (4^^ — 21) foulager. Ohuascutur spccks
hoiiesLr itiiiiiw Xu demeurant — 22) iiiollitia, npim — 25) et n<>div
L1VK1-: I, CHAIMTKH XIV. <S ^
on la contraint de .sr reicttcr ii ces iiiuincihlcs répliques. S'il ci\ mauuais
de \-iure en neceflité, au moins de viure en neceflîté, il n'eft aucune
neceflité.
Nul n'est mal longtemps qu'a sa faute.
Oui n'a le ceur de souffrir iiv la mort )iv la nie, qui hu'\ ueut nv résister
ny fuir, que luv fairoit on ?
Texte 88. — • i) contraint de iKuis donner en pavement cecv. S'il
V.\R. MS. — i) a cette illuilicil'lc réplique. — 3) neccfCai:. Xeiiio iiisi siui ciilpa diii
dolet. remplacé p.ir sa traduction. — 4) W ftW^ Nul... a .W Couîpf. — 5) i" : Qui n'a le
corage de morir qu'il u aye le corage de uiure. 2° : Oui n'a le conige de iouffrir... uie
a quoi eut il houi qui 'iie^ ueut... fuir a quoi est il hou ?
Chapitre XV.
ON EST PVKY POVR S OPINIASTRI-R A VXl: PLACE SAXS RAISON'.
La vaillance a fes limites, comme les autres vertus : lefquels
franchis on le trouuc dans le train du vice; en manière que
par chez elle on le peut rendre à la témérité, obftination & tolie,
qui n'en Içait bien les bornes ; malaileez en vérité à choifir sur
leurs confins. De cette confideration eft née la couftumc, que nous 5
auons aux guerres, de punir, voire de mort, ceux qui s'opinial-
trent à défendre vue place, qui par les reigles militaires ne peut
cftre fouftenuë. Autrement, Ibubs Telperance de l'impunité il n'y
auroit pouillier, qui n arreftaft vn' armée. Monfieur le Conneftablc
de Mommorencv au fiege de Pauie, ayant erté commis pour pafler 10
le Tefin, & le loger aux fauxbourgs S. Antoine, eftant empelché
d'vne tour au bout du pont, qui s'opiniaftra iniques à le taire battre,
feift pendre tout ce qui eftoit dedans. Et encore depuis accompai-
gnant Monfieur le Dauphin au voyage delà les monts, ayant pris
par force le chafteau de \"illane, & tout ce qui c\\o'n dedans ayant 15
efté mis en pièces par la furie des Ibldats, hormis le Capitaine
& l'enfeigne, il les fit pendre 6c eftrangler, pour cette mefme railbn :
comme fit auffi le Capitaine Martin du Bellay lors gouuerneur de
Texte 88. — 2) franchis & outrcpafTcz, on — 1) malaifcz à la vérité a clioifir
en l'endroit lic leurs
i.ivKr. I, (.iiAi'irin: xv. 83
Turin en cette nicfme contrée, le capitaine de S. Bonv, le reûe de
l'os gens ayant erté malTacré à la prinl'e de la place. Mais d'autant
que le iugement de la valeur & foiblefle du lieu fe prend par l'efti-
niation & contrepois des forces qui l'afliiillent, car tel s'opiniatreroit
5 iuftement contre deux couleuurines, qui feroit l'enragé d'attendre
trente canons; ou i'e met encore en conte la grandeur du prince
conquérant, fa réputation, le refpect qu'on luy doit, il y a danger
qu'on preffe vn peu la balance de ce collé là. Et en adulent par ces
mefmes termes, que tels ont fi grande opinion d'eux 6c de leurs
10 moiens, que ne leur femblant point raifonnable qu'il v ait rien digne
de leur faire tefte, paflent le coufteau par tout, où ils trouuent refif-
tance, autant que fortune leur dure : comnV il fe voit par les formes
de fommation & deffi, que les princes d'Orient, (S: leurs fuccefleurs,
qui font encores, ont en vfage, fiere, hautaine & pleine d'vn com-
15 mandement barbarefque.
Et au quartier par [0// 1 les Portugalois cscornereut les Indes, ils trouua-
rent des etasis aueq cette loy iiiiiiierselle & inuiolahk, que tout eiieiui ueiiicu
du Roy en presance, [ou] de son lieutenant, est hors de composition de
rançon [et] de merci.
20 Ainfi fur tout il fe faut garder, qui peut, de tomber entre les
mains d'vn luge ennemy, victorieux & armé.
. Tentr 88. — 13) d'Orient, les T.imburlans, Mahumets, & leurs
\'.\n. Ms. — 17) eiiciiii qui
Chapitre XVl
DE LA PVXITIOX DE LA COVARDISE.
l'ouv autrefois tenir à vn Prince .S; trefgrand Capitaine, que pour
lafcheté de cœur vn foldat ne pouuoit eftre condamné à mort : luy
eftant, à table, tait récit du procez du Seigneur de W'ruins, qui fut
condamné à mort pour auoir rendu Boulogne.
A la vérité c'eft raifon qu'on face grande différence entre les fautes 5
qui viennent de noftre foihleflc, & celles qui viennent de noflre
malice. Car en celles icv nous nous fommes bandez à noftre elcient
contre les rcigles de la raifon, que nature a empreintes en nous;
& en celles là, il femble que nous puiflîons appeller à garant cette
mefme nature, pour nous auoir laiffé en telle imperfection & defîail- 10
lance : de manière que prou de gens ont penfé qu'on ne le pouuoit
prendre à nous, que de ce que nous faifons contre noftre confciencc;
(S: fur cette régie eft en partie fondée l'opinion de ceux qui condam-
nent les punitions capitales aux hérétiques & melcreans, & celle qui
eftablit qu'vn aduocat & vn iuge ne puiffent eftre tenuz de ce que 15
par ignorance ils ont faillv en leur charge.
Mais quant à la coùardife, il eft certain, que la plus commune
façon eft de la chaftier par honte & ignominie. Et tient on que cette
règle a efté premièrement mife en vi'age par le legillateur Charondas;
& qu'auant luv les loix de (irece puniffovent de mort ceux qui s'en 20
Tknte 88. — II) que peu de fjens
LIVRL 1, CHAl'lTRii XVI. 87
cftoyent fuis d'vnc bataille, là où il ordonna feulement qu'ils fuffent
par trois iours aflis emmy la place publique, vêtus de robe de femme,
efperant encores s'en pouuoir feruir, leur ayant fait reuenir le courage
par cette honte. « Siijfiindere iiuilis boiiii)tis saiigiiiiiein qiiani effiindcrc.»
5 II femble auflî que les loix Romaines condamnoient anciennement
à mort, ceux qui auoient fuy. Car Ammianus Marcellinus raconte,
que l'Empereur lulien condamna dix de les foldats, qui auoyeni
tourné le dos en vne charge contre les Parthes, à eftrc dégradez,
& après à fouffrir mort, luyuant, dict-il, les loix anciennes. Toutes-fois
10 ailleurs pour vne pareille faute il en condemne d'autres, feulement
à fe tenir parmy les prifonniers fous l'enfeigne du bagage. L'aspic
côdànatioii du peuple Romeiii contre les soldats eschapc::;^ de Cannes et è cetc
mesme guerre contre cens qui acconipaignarcnt Cn. Fiilnins en sa desfaicte,
ne uint pas a la mort.
13 5/ est [//] a creindre que la boule les désespère et les raude non Jroits
sulemàt mais ciwniis.
Du temps de nos Pères le Seigneur de Franget iadis Lieutenant
de la compagnie de Monfieur le Marefchal de Chartillon, ayant efté
mis par Monfieur le Marefchal de Chabanes Gouuerneur de Fontar-
20 rabie au lieu de Monfieur du Lude, & l'ayant rendue aux Efpagnols,
fut condamné à eftre dégradé de noblefle, & tant luy que l;i pofterité
déclaré roturier, taillable, & incapable de porter armes : & fut cette
rude fentence exécutée à Lyon. Dépuis Ibufîrirent pareille punition
tous les gentils-hommes qui le trouuerent dans Guyfe, lors que
25 le Comte de Nanfau y entra : & autres encore depuis.
Toutes-fois quand il y auroit vne li groffiere & apparente ou
ignorance ou coûardife, quelle furpafliit toutes les ordinaires, ce
feroit railbn de la prendre pour fuffilante preuue de melchancctc
& de malice, & de la chaisier pour telle.
Texte 88. — 8) dos à vue — 20) .Monlkur Je LuJc
V.\R. MS. — i.() ne uimtrèl pas — 15) non iiiiililfi nili'iiu'il iiiuis Joiiuignihlis.
CHAPITRE XVII.
VX TKAICT DE Q.VHLaVHS AMBASSADH\RS.
l'oblcruc en mes voyages cette practique, pour apprendre toufiours
quelque choie, par la communication d'autruy (qui ert vne des plus
belles efcholes qui puilTe eftre), de ramener touliours ceux auec qui
ie confère, aux propos des choies qu'ils Içauent le mieux.
Balti al nocchiero ragionar de' venti, 5
Al bitbko dei toii, & le lue piaghe
Conti'l i^uerrier, conti'l paftor gli arnieiui.
Car il adulent le plus Ibuuent au rebours, que chacun choifit pluf-
toft à difcourir du meftier d'//// autre que du lien, ertimant que
c'eft autant de nouuelle réputation acquile : tefmoing le reproche lo
qu'Archidamus feit à Poriander, qu'il quittoit la gloire de bon
médecin, pour acquérir celle de mauuais poète.
J'oii's iviiibii'ii (A'Siir se ilcsplolc htroriiiciil a nous Jitlir ciildinlrc ses
iiiiiàtioiis II bcistir pans et engins; et combien ait pris il iia se serrant, ou
il parle des offices de sa profession, de sa uaillàce et eoudiiite de sa iiiilice. 15
Ses exploits le iieri fient asses capitciiie excellant : il se iieiit faire coiiestre
Tkxth 88. — 9) iiK'fticr d'aiuruy que — 12) poctc, & p.ir ce train, vous ne
faictcs iamais rien qui vaille. Optav ephippia
\'.\R. Ms. — 13) (Icsptoie plus Inrgi'iiiciil — 14) nigiiis de bntU-rif Ht conil'icii —
16) iissi'S, iMelhml capitaine il cxicltaiit
LIVRli I, CHAl'lTKl- XVII. 89
i'.wrihiiit ciigilliciir, qualité iiiiciiiiciiiêt esIniHf^icre. Vu home de iioaitiun
iur'uUque, mené ces ioiirs passes tioir tiii' estiuie journie de toute sorte de
Hures de sou uiestier et de tout autre sorte, u'v trouua ludle oeeasioii de
s'entretenir. Mais H s'arrête a gloser rudement & luagistralenient une
5 barrieade logée sur la uis de Vestude, que cent capitenes & soldats reneontrct
tous les iours, sans remarque & sans offauee.
Le uieil Diouisius estoit tresgrand ehej de guerre, corne il eonuenoit a sa
fortune; >nais il se trauailloit a douer principale recomandaiion de soi par
la poésie, et si n'y sçauoit rien.'
10 Optât ephippia bos piger, optât arare caballus.
Par ce train nous ne faictes jamais rien qui uaille.
x\infin, il faut reietter touliours l'architecte, le peintre, le cor-
donnier, & ainli du refte, chacun à l'on gibier. Et à ce propos, à la
lecture des hirtoires, qui eft le fubiet de toutes gens, i'ay accoutumé
1) de conliderer qui en font les efcriuains : fi ce font perfonnes qui
ne lacent autre profefîion que de lettres, l'en apren principalement
le ilile & le langage; fi ce font médecins, ie les croy plus volontiers
en ce qu'ils nous dilent de la température de l'air, de la lanté
& complexion des Princes, des blelTures & maladies; û lurilconlultes,
20 il en faut prendre les controuerfes des droicts, les loix, l'eftabliflement
des polices 6c chofes pareilles; fi Théologiens, les aflliires de l'Eglile,
cenfures Ecclefialliques, difpenfes & mariages; li courtilans, les
meurs & les cérémonies; fi gens de guerre, ce qui eft de leur
charge, (bv principalement les déductions des exploits, où ils le font
2) trouuez en perfonne; Il Ambafllideurs, les menées, intelligences
(i^ practiques, 6c manière de les conduire.
Texte 88. — lo) cab.illus. Par ainiî, il faut trauaillcr de reietter
Var. ms. — i) excellant in — 3) (iiilfc meider — 5) Jn uis ^ai^m il aUnl moiUc
— 6) offance. Diouisius
' Les deux aliiiOas Voies combien... ei Le uieil Diouisius... somJu mcme tcmpsci se suiv.iiciit.
L'alinéa Ses CXploilS... a été introduit ultérieurement.
90 ESSAIS DE MONTAIGNE.
A cette caufe, ce que ieufle paiïe à vn autre, lans m'y arrefter,
ie l'ay poilé & remarqué en Fhiftoire du Seigneur de Langey, tres-
entendu en telles choies. C'ell: qu'après auoir conté ces belles
remonftrances de l'Empereur Charles cinquiefme, faictes au confif-
toire à Rome, prelent l'Euefque de Mafcon et le Seigneur du Velly s
nos Ambaflcideurs, où il auoit meilé plulleurs parolles outrageules
contre nous, & entre autres que, Il les Capitaines, Ibldats & fubiects
n'eftoient d'autre tidelité & luffiûince en l'art militaire, que ceux du
Roy, tout fur l'heure il s'attacheroit la corde au col, pour luy aller
demander mifericorde (& de a^cy il lemble qu'il en creut quelque lo
choie, car deux ou trois fois en fa vie depuis il luv aduint de redire
ces melmes mots) ; auffi qu'il défia le Rov de le combatre en chemile
auec l'efpée & le poignard, dans vn bateau, ledit feigneur de Langey,
fuiuant fon hirtoire, adioufte que lefdicts Ambafliideurs, f;\ilans vne
defpefche au Rov de ces chofes, luv en diffimulerent la plus grande 15
partie, mefmes luv celèrent les deux articles precedcns. Or i'av trouué
bien eftrange qu'il fut en la puilTiince d'vn Ambaffadcur de dilpenfer
lur les aduertiffemens qu'il doit faire à ion maillrc, melmc de telle
confequence, venant de telle perfonne, iSc dites en il grand' alTemblée.
Et m'eut femblé l'otîice du feruiteur eftre de fidèlement reprefenter 20
les choies en leur entier, comme elles font aduenûes : affin que la
liberté d'ordonner, iuger & choifir demeurait au maiftre. Car de luy
altérer ou cacher la vérité, de peur qu'il ne la preigne autrement
qu'il ne doit, & que cela ne le pouffe à quelque mauuais partv,
i\; ce pendant le laiffer ignorant de les affaires : cela m'eut femblé 25
appartenir à celuv qui donne la loy, non à celuv qui la reçoit, au
curateur .S: maiftre delchollc, non à celuv qui fe doit penfer inférieur,
non en authorité ieulement, mais auffi en prudence 0^ bon confeil.
Qliov qu'il en foit, ie ne voudrov pas eltre ieruv de cette façon, en
mon petit taict. 30
Nous )ioiis soiist niions \si] iioliuilicrs il 11 coiiukicniciit sous quelque
pra'texte, cl usurpons sur 'la\ nuiistrisc; ilkuun aspire si naturcUenuiit
LIVRE I, CHAPITRE XVII. 9I
[a] la Jibcrfc et aiithoritc, qu'au supérieur nulle utilité ne doit estre si ehere,
iiemnt de eeus qui Je serueut, corne luy doit estre chère leur naïfue et simple
obéissance.
On corrôpl [l'o] fficc du comander, quand [o//] y obéit par discrétion, non
5 par subiection. Et P. Crassus, celuy que les Roineins estiinarent cinq Jois
hurcus, lors qu'il csloit en Asie consul, àiài mande a vu enginieur grec de
luy faire mener [le] plus grand des deus mas de nauire qu'il auoit ueu
a Athènes, pour quelqu engin de batterie qu'il [en~] uouloit faire, cetuicy, sous
litre de sa sciance, se dona loi de choisir autremant, [et~\ mena le plus petit,
10 &, selon la raison de son art, le plus côniode. Crassus aiant patiamnmnt
oui ses raisons, luy fit tresbien douer lefoit : estimant J'interest de la discipline
plus que l'interest de l'ouurage.
D'autre part, pourtant, on pour roi t aussi considérer que cet' obeissàce si
contreinte n 'apartienf qu'ans comandcmans précis et prefix. Les ambassadurs
15 ont une charge plus libre, qui en plusieurs parties despant sonuereineiiuinl
de leur disposition : ils n'execntèt pas siinplemâf, mais forment aussi et
dressent par leur conseil la nolanté du maistre. l'ai ueu en mon temps des
persoms de comandemant repris d'auoir plus tost obéi ans parolles des
lettres du Roy qu'a l'occasion des affaires qui estai ni près d'eus.
20 Les homes d'entandemât accusent encores l'usage des Roys de Perse de tailler
les mourceaus si cou\rts'\ a leurs agens et lientenans, qu'ans nmi mires choses
ils eussent a recourir a leur ordonance : ce délai en une si longue estendue
de domination aiant sonnant aporte des [notables] domages a leurs affaires.'
Et Crassus, escriuani a un home du niestier et luy douant aduis de
25 l'usage auquel il destinoit ce nuis, sambloil il pas entrer en conféra nce de
sa délibération & le conuicr a interposer son décret ?
Var. ms. — 6) iugrniciir — 8) ImUcric a quoi il (•)l^ aiicit affaire : cetuicy —
12) de son oimr âge. — 13) pari ou pounvil considérer — 14) comandenmui iinauUerJi
exprei cl — 17) l'en ai — 22) délai aiant aporte sonnant nolalde doinagc a leurs affaires
ueu la grande estendue de leur domination. — 24) niestier sambloit le conuicr a interposer
son décret luy — 25) mas et entrer en côferance de sa délibération. — 26) a y interposer
' Alinia :ijoutc ultérieurement et insère par un renvoi d.ins le cours du Jéveloppement.
Chapitre XVIII,
DE LA PEVR.
Obftupui, fteten'intque comx, & vox faucibus hxfn.
le ne fuis pas bon naturalifte (qu'ils difent) & ne fçay guiere par
quels reffors la peur agit en nous; mais tant y a que c'eft vne eftrange
paflîon : & difent les médecins qu'il n'en eft aucune qui emporte
■pluftofl noflre iugement hors de (a deuë afliette. De vray, i'ay vcu 5
beaucoup de gens deuenus infenfez de peur; & ans plus raflîs, il eft
certain, pendant que fon accès dure, qu'elle engendre de terribles
elblouiflemcns. le laifle à part le \ulgaire, à qui elle reprefente tantoft
les bilaveulx fortis du tombeau, enueloppez en leur fuaire, tantoft
des Loups-garous, des Lutins, & des chimères. Mais parmy les 10
soldats mefme, où elle deuroit trouuer moins de place, combien de
fois a elle changé vn troupeau de brebis en efquadron de corfelets ?
des rofeaux & des cannes en gens-d'armes & lanciers ? nos amis en
nos ennemis ? & la croix blanche à la rouge?
Lorsque Monficur de Bourbon print Rome, vn port' enfeignc, 15
qui eftoit à la garde du bourg fainct Pierre,//// scsi de tel cft^rov à la
première alarme, que par le trou d'\ne ruine il fe ietta, l'enfeigne au
poing, liors la ville, droit aux ennemis, penlunt tirer vers le dedans de
Texte 88. — 6) & .lu plus — lo) les guerriers niefme — i6) Pierre, print tel
Var. ms. — 12) fois inclii inlerpirh- a
MVKI-: !, CHAPITKI: XVII! . c;3
l;i ville, & à peine en fin, voyant la troupe de Monfieur de Bourbon
le renger pour le Ibuftenir, ertiniant que ce fut vne Ibrtie que ceux
de la ville fident, il le recogneurt, &, tournant telle, r'entra par ce
mefnie trou, par lequel il ertoit forty plus de trois cens pas auant en
5 la campaigne. 11 n'en aduint pas du tout fi heureufement à Tenfeigne
du Capitaine luille, lors que S. Pol fut pris fur nous par le Comte
de Bures & Monfieur du Reu : car eftant fi fort efperdu de la frayeur
que de fe ietter à tout l'on enfeigne hors de la ville par vne canon-
nière, il tut mis en pièces par les alTaillans. Et au mefme fiege fut
10 mémorable la peur qui ferra, laifit & glaça li fort le cœur d'vn
gentil-homme, qu'il en tomba roide mort par terre à la brefche, liins
aucune blelTure.
Pareille peur laifit par toys toute une multitude. En l'vne des ren-
contres de Germanicus contre les Allcmans, deux groffes trouppes
i) prindrent d'efiroy deux routes oppofites, l'vne fuvoit d'oii l'autre
partoit.
Tantoll: elle nous donne des aifles aux talons, comme aux deux
premiers; tantofi elle nous cloue les pieds & les entraue, comme
on lit de l'Empereur Théophile, lequel, en vne bataille qu'il perdit
2o contre les Agarenes, deuint fi eftonné & fi tranfi, qu'il ne pouuoit
prendre party de s'cnfuvr : «adeo' pauor etiam auxilia tormidat»,
iufqucs à ce que Manuel, l'vn des principaux chefs de fon armée,
l'ayant tiralTé & fecoûé, comme pour l'elueiller d'vn profond fomme,
luy dit : Si vous ne me fuiue/, ie vous tueray; car il vaut mieux
2) que vous perdiez la vie, que fi, eftant prilbnnier, vous veniez -à perdre
l'Empire.
Lors exprime elle sd dernière forée, quaud pour son seruiee elle nous
reiette a la uaillunee qu'elle a soustrait a uostre deuoir et it nostre honeur.
Texte 88. — 15) Pareille rage faifit par foys des arniccs entières : en — 14) Allc-
mans, la frayeur s'eftant mise en leur armée, deux — 25) à ruyner l'Empire.
' adeô... formidat, aJaitlon de 15RS.
94 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Eli la prciiilcrc iiistc hataiUe que les Roiiieiiis perdirent eoiilre AiiiiibaJ soits
le consul Senipronius, nue irope de bien dix mille homes de pied, aicint pris
Vcspouuante, ne uoiant ailleurs par ou faire passade a sa lâcheté, sala ieter
au trauers le i^ros des enemis, le quel elle perça d'un incrneillus ejjort aueq
o;raud meurtre de Carthaginois, achetant une honteuse fuite au nusmc pris 5
quelle eut eu d'une glorieuse uictoire. C'est ce de quoi i'ay le plus de peur
que la peur.
Aussi surmonte elle en aigrur tous antres accidans.
[Quelle affection^ peut estre plus aspre & plus iuste, que celle des amis
de Pompeius, qui estoient en son naiiire, spectateurs de cet horrible massacre? 10
5/ est-ce que la peur des voiles Egyptiennes, qui coninwnçoicnt à les approcher,
l'estouffa, de manière qu'on a rcmcrqué qu'ils ne s'amusèrent qu'à haster
les mariniers de diligenter, & de se sauner à coups d'auiron; iusqucs à ce
qu'arriue:^ à Tyr, libres de crainte, ils eurent loy de tourner leur pensée à la
perte qu'ils venoient de faire, & lascher la bride aux lamentations & aux 15
■ larmes, que cette autre plus forte passion auoit suspendiies.
Tmii panor sapienliam oiuueni iiiihi fx animo expectorât.^
Cens qui aront este bien frote:^ en quelque estour [de] guerre, tous blesse:^
mcorcs [et] ensanglante:^, on les rameine bien landemein a [la] charge :
mais cens qui ont coiiceu quelque hone peur des enemis, uôus ne les leur 20
fairies pas siilement regarder [en] face. Cens qui sont en pressante creinte
de perdre leur bien, d'cstre exile::^, d'estre subiugue:^, niucut en continuelle
angoisse, en perdant le boire, [le | manger et le repos : la ou [les] poures,
les hanis, les serfs uiuent sonnât aussi ioyeusement que les autres. Et tant
\'aR. MS. — 5) n teur plïtc s'ilta — 4) lequel... effort bilK-, sans doute à cause d'un
lapsus : le qu'elle perça, puis rétabli — 4) effort et grainl Dieiirtre achetn)il — 6) ce qui
— 21) regarder au — 24) qu'autres
< Le passage : Quelle nffectioil... aililUO expectorât, n'existe plus dans le manuscrit; mais le
point où doit se faire l'intercalation est signalé par un renvoi, de la main de l'auteur. En outre, au bas
de la marge gauche de la page en regard (f° 27 r»), on remarque un fragment de pain azyme qui a servi
à fixer une feuille ajoutée, où pouvait se trouver le passage en question. Nous le rétablissons d'après
l'édition de 159;.
LIVRE I, CHAPITRE XVIII. 93
de gens qui de [J'i]iiipati(iiice des peintures de ila] peur se sont pendus, noye:^^
[et] précipite::^, nous ont bien apris qu'elle est encores plus importune et
insupportd'le que la mort.
Les Grées en reeonessent une autre espèce qui est outre [re]rrur de nostre
discours, uenant, disent-ils, sans cause apparante et d'une impulsion céleste.
Des peuples entiers s'en uoicul sonnant sesis, cl des arnwcs entières. Telle
fut celé qui apporta a Carthage une merueilleuse désolation. On n'y oioil
que cris et uoix effraiees. On uoioit [/«] hahitans sortir de leurs maisons
conte a [Tdjlarme, et se charger, blesser et entretuer [les] uns les autres,
corne \si^ ce fussent enemis qui ni usent a occuper leur uille. Tout y estoit
en desordre et en tumulte : iusques a ce que, par oraisons et sacrifices, ils
eussent appaisé l'ire des Dicus. Ils iwnièt cela terrurs Paniques.
Var. ms. — 3) mort et que bute autre exlreiiiilc. — 5) sans raison '' ny] cause
apparante d'une — 11) en continuel desordre
Chapitre XIX.
Q.V1L XE I-'AVT IVGHR DH XOSTRH HEVR, aV APRIiS LA MORT.
Scilicet vltima feniper
Expectanda dies hoinini eft, dicique beatus
Ante obitum nemo, fupremdque funera débet.
Les cntans Içauent le conte du Rov Crœfus à ce propos : lequel,
ayant efté pris par Cvrus & condamné à la mort, lur le point de 5
l'exécution, il s'efcria : O Solon, Solon! Cela rapporté à Cyrus,
& s'eflant enc]uis que c'cftoit à dire, il luy fift entendre qu'il verifioit
lors à les defpens l'aduertiflement qu'autrefois luy auoit donné Solon,
que les hommes, quelque beau viliige que fortune leur foce, ne le
peuuent appeller heureux, iufques à ce qu'on leur ave veu paffer le 10
dernier iour de leur vie, pour l'incertitude & variété des choies
humaines, qui d'vn bien léger mouuement le changent d'vn eftat en
autre, tout diuers. Et pourtant Agelilaus, à quelqu'vn qui difoit
heureux le Roy de Perfe, de ce qu'il elloit venu fort icune à vn 11
puilTant eftat. Guy mais, dit-il, Priam en tel aage ne fut pas mal- 15
heureux, l'antoft, des Rovs de Macédoine, fuccelîeurs de ce grand
Alexandre, il s'en faict des menuiliers & greffiers à Rome; des
tvrans de Sicile, des pédantes à Corinthe. \y\n conquérant de la
Texti; 88. — 9) face, quelques ricliefles, Royaulez & Empires qu'ils le \oyenl
entre mains, ne fe — 15) eftal, voire mais
LIVRE I, CHAPITRi; XIX. 97
moitié du monde, & Empereur de tant d'armées, il s'en taict vn
miierable fuppliant des belitres officiers d'vn Rov d'Egypte : tant
courta à ce grand Pompeius ht prolongation de cinq ou lix mois de
vie. Et du temps de nos pères, ce Ludouic Storce, dixiel'me Duc de
5 Milan, loubs qui auoit li long temps branllé toute l'Italie, on l'a veu
mourir prifonnier à Loches; mais après y auoir vel'cu dix ans, qui
eft le pis de l'on marché. La plus belle roine, ueufue du plus grand
Roy de la Cbrestiente, nient elle pas de mourir par main de bourreau ?
Et mille tels exemples. Car il femble que, comme les orages & tem-
10 pertes le piquent contre l'orgueil & hautaineté de nos baftimens, il
y ait auffi la haut des elprits enuieux des grandeurs de ça bas,
Vfque adeo res humanas vis abdita qucedam
Obterit, & pulchros fafces Ixuàfque lecures
Procukare, ac ludibrio fibi habere videtur.
15 Et femble que la fortune quelquefois guette à point nommé le der-
nier iour de noftre vie, pour montrer fa puiflimce de renuerfer en
vn moment, ce qu'elle auoit bafty en longues années; & nous tait
crier après Laberius : «Nimirum hac die vna plus vixi, mihi quam
viuendum fuit. »
20 Ainfi fe peut prendre auec raifon ce bon aduis de Solon. Mais
d'autant que c'eft vn philofophe, à l'endroit defqucls les faneurs
& difgraces de la fortune ne tiennent rang ny d'heur, ny de mal'heur;
«is: lont les grandeurs, (Inc puilTances, accidens de qualité à peu près
indifférente : ie trouue vrav-femblable qu'il aye regardé plus auant,
25 & voulu dire que ce mefme bon-heur de noftre vie, qui dépend de
la tranquillité & contentement d'vn efprit bien né, & de la relolution
& afleurance d'vn' ame réglée, ne fe doiue iamais attribuer à l'homme,
Texte 88. — 3) Pompeius ralongcmcnt de — ^5) grandeurs, richelles,
& puiflances,
Var. ms. — 7) marché. /;/ lu
■98 ESSAIS DE MON'TAIGXE.
qu'on ne luv ave veu ioûer le dernier acte de ûi comédie, îs; lans
doute le plus difficile. En tout le relie il v peut auoir du mafque :
ou ces beaux difcours de la Philofophie ne font en nous que par
contenance; ou les accidens, ne nous efîiivant pas iufques au vif,
nous donnent loyfir de maintenir touliours noftre vifage raffis. Mais 5
à ce dernier rolle de la mort & de nous, il n'y a plus que taindre,
il faut parler François, il taut montrer ce qu'il y a de bon & de net
dans le fond du pot,
Xani vers voces tum demum pectore ab imo
Eiiciuntur, & eripitur perfona, manet res. 10
\'oyla pourquoy fe doiuent à ce dernier traict toucher & efprouuer
toutes les autres actions de noftre vie. C'eft le maiftre iour, c'eft le
iour iuge de tous les autres : c'eft le iour, dict vn ancien, qui doit
iuger de toutes mes années pafl'ées. le remets à la mort Yciïay du
fruict tle mes eftudes. Nous verrons là 11 mes difcours me partent 15
de la bouche, ou du cœur.
l'av veu plufieurs donner par leur mort réputation en bien ou en
mal à toute leur vie. Scipion, beau père de Pompeius, rabilla en bien
mourant la mauuaife opinion qu'on auoit eu de luy iufques lors.
Epaminondas, interrogé lequel des trois il eftimoit le plus, ou 20
Chabrias, ou Iphicrates, ou fov-mefme : 11 nous faut voir mourir,
fit-il, auant que d'en pouuoir refoudre. De vray, on defroberoit
beaucoup à celuy là, qui le poiferoit ûins l'honneur & grandeur de
fa fin. Dieu l'a voulu comme il luy a pieu : mais en mon temps
trois les plus exécrables perfonnes que ie cogneufle en toute abomi- 25
nation de vie, & les plus intames, ont eu des mors réglées vs: en
toute circonftance compofées iufques à la perfection.
// est ih's mors hnuics [ci] jortmiccs. le luy ai ueii trancher le Jil d'un
\'ar. ms. — 22) refoudre. Jamais home ne le dict mieus a propos : cl c'est vu merueilleus
eueiicmaiit. De vray — 28) wors glorieuses et^ forliiiiccs. Elle i-vw/'rt a Iraucha un de tes
iours despuis, le fil
LIVRK I, CHAPITRK XIX. 99
progrès de merucillciis auancemant, \ct \ cJaiis Ja flair de son croit, a quckiiu,
d'une fin si pompeuse, qu'a mon auis ses amhiiicus & corageus desseins
[n'](iuoinf rien de si haut que fut leur interruption. Il arriiia sans v aller
ou il pretandoit : plus grandement & glorieusement que ne portoit son désir
S et espérance. Et deuança par sa chute le pouuoir et le nom ou il aspirait
par sa course.
Au lugemcnt de la vie d'autruy, ie regarde toufiours comment
s'en eft porté le bout; & des principaux eliudes de la mienne, c'eft
qu'il le porte bien, c'efl: à dire quietement & sourdenwnt.
Texte 88. ^ 9) quietement & feurement.
Var. ms. — t) fleur de sa anirsf a qiielctiii : flu poiiU — 2) pompeuse 'eC\ ricl'e
qu'a — 3) allermieui qu'4l lùipeivit au nom el a la gloire qu'il pretivuloit : pins grauile-
menl & r'ictiemeut qu'Ai u'-esper^il que ne — 5) pouuoir et la gloire ou il aspirait par son
effaiet ses ejfaicls. Au
Chapitre XX.
QVE PHILOSOPHER C EST APPRENDRE A MOVRIR.
Cicero dit que Philofophcr ce n'ell autre chofc que s'aprcfter à la
mort. Ceft d'autant que Fertude & la contemplation retirent aucune-
ment noftre ame hors de nous, & l'embefongnent à part du corps,
qui eft quelque aprentilTage & reflfemhlance de la mort; ou bien,
c'eft que toute la lagelTe & difcours du monde fe reloult en fin à ce 5
point, de nous apprendre à ne craindre poiiil à mourir. De vray, ou
la raifon fe mocque, ou elle ne doit viier qu'à noftre contentement,
& tout Ion trauail tendre en fomme à nous taire bien viure, & à noftre
aile, comme dict la Saincte cscritiirc. Toutes les opinions du monde
en font là, que le plaisir est iiostre hti, quov qu'elles en prennent diuers 10
moyens; autrement on les chafleroit d'arriuée : car qui elcouteroit
celuv qui pour fa fin eftabliroit noftre peine et niesciise?
Les dissa lit ions [iles seetes philosophiques, en ee eas, sont uerhales?\ « Trans-
(urramus solertissiinas niigas. » Il y a plus d'opiniâtreté et de picoterie
Texte 88. — 9) Saincte parollc. Toutes — 12) eftabliroit noftre tourment? Or il
eft hors de moyen d'arriuer à ce point, de nous former vn Iblide contentement, qui ne
franchira la crainte de la mort. \'ovla (première corr. ms. celte crainte. \'o_vla) p. 102, 1. 6.
Var. ms. — 12) celuv qui piMUtli-iinl pour — 15) unhides plus tosi ijiie trt'les.
Tramcurramu!.
LIVRIZ 1, CHAPITRE XX. lOI
qti il ii'itpdrlii'iil a une si sciiicte projcssioii. Mdis quelque pcrso)ui^c que
l'Ijowe entrepraigne, il iouc toiisioiirs le sien panny. Quoi qu'ils client, eu
la ueriu meswe le dernier but de nostre uisee c'est la uohiptc. Il nie plait
de battre leurs oreilles de ce mot qui leur est si fort a contreceur. Et s'il
S signifie quelque suprenw plaisir et excessif contentemant, il est niieus deu
a l'assistance de la nertu qu'a nulV antre assistance. Cette uolupte, pour
estre plus gaillarde, nerueuse, robuste, uirile, n'en est que plus serieusenu'ut
uoluptuense. Et luy dénions douer le nom du plaisir, plus fauorable,
plus dons et naturel : non ecluy de la uigur, duquel nous l'auons denomee.
lo Cctt'autre uolupté plus basse, si elle meritoit ce beau nom, ce deuoit esire
eu coucurraucc, non par priuilege. le la treuue inoins pure d'incommodité:^
& de trauerses que n'est la uertu. Outre que son goust est plus nunnentanee,
fluide & caduque, ell'a ses ueillees, ses iunes, & ses tranaus, & la sueur, et
le sang; & en outre particulierenuiit ses passions tranchantes de tant de
I) sortes, & a son coste nue satiété si lourde qu'elle equipoUc a pcvnitâee. Nous
auons grand tort d'estinwr que ces incommodité:^ luy seruent d'eguillon et
de coudinuint a sa douceur, come en nature le coutrere se uiui^c par
sou contrcre, et de dire, quand nous uenons a la nertu, que pareilles suites
& difficulté:;^ V accablent, la rendèt austère & inaccessible, la ou, beaucoup
20 plus propremant qu'a la uolupte, elles annoblissent, esguisent, et rehaussent le
plaisir diuin et parfaict qu'elle nous moienc. Celuy la est certes bien iiuligue
de son acointance, qui contrepoise son coust a son fruit, et n'en conoit ny les
grâces n\ l'usage. Cens qui nous uont instruisant que sa queste est scabreuse
et laborieuse, sa iouissance agréable, que nous disent ils par la, si non qu'elle
25 est tousiours désagréable. Car quel moien humain arriua iamais a sa iouis-
sance? Les plus parfaicts se sont bien contante:; d'\ aspirer et de l'aprocher
sans la posséder. Mais ils se trompent : neu que de tous les plaisirs que nous
conessons, la poursuite mesme en est plaisante. L'entreprinse se seul de la
qualité de la cime qu'elle regarde, car c'est une bone portion de l'cffaict
Var. .ms. — i) projesiion. Quelque — 7) que plus uotitptueuse — 8) plaisir plus tosi,
plus — 9) naturel : que celuy — 15) equipolle a repeiiUiee. Xous — 23) nous ueuUi
— 28) L'entreprinse et le dessein se sentent de — 29) qu'elUs ils regardent. L'heur
102 ESSAIS DH MONTAIGNE.
et consuhstauticUc. L'bciir et la hcatUiidc qui reluit eu la iiertii, raniplit
toutes ses apartemnces & aueuues iusques a la preuiiere entrée et extrême
barrière. Or des principaus bieufaiets de la uertu est le nuspris de la mort,
Dioieii qui fournit nostre nie d'une molle tranquillité, nous en done le goust
pur et amiable, sans qui tout' autre uolupté est esteinte. 5
\'ovla pourquov toutes les règles fe rencontrent & conuiennent
à cet article. Et bien qu'elles nous conduilent aufli toutes d'vn
commun accord à mefprifer la douleur, la pauureté, & autres
accidens à quoy la vie humaine eft fubiecte, ce n'eft pas d'vn pareil
foing, tant par ce que ces accidens ne font pas de telle neceffité (la lo
piufpart des hommes paflent leur vie liins goufter de la pauureté,
& tels encore lans fentiment de douleur & de maladie, comme
Xenophilus le Mulîcien, qui vefcut cent & fix ans d'vne entière fanté)
qu'aufli d'autant qu'au pis aller la mort peut mettre fin, quand
il nous plaira, & coupper broche à tous autres inconuenients. Mais 15
quant à la mort, elle eft ineuitable,
Omnes eodem cogimur, omnium
\'erfatur vrna, ferius ocius
Sors exitura & nos in œter-
Num exitium impofitura cymbs. 20
Et par confequent, fi elle nous faict peur, c'eft vn fiibiect continuel
de tourment, & qui ne fe peut aucunement foulager. // n'est lieu d'où
elle ne nous uieigne; nous pointons tourner sans cesse la teste ça & la
covie en pais suspect : « qua' quasi saxum Tantalo seniper impendet ». Nos
parlemens renuovent fouuent exécuter les criminels au lieu où le 25
Texte 88. — 6) toutes les fectes des Philofophes fe rencontrent & conuiennent
à c'eft article de nous inftruire à la mefprifer. Et bien
\'ar. ms. — 2) premicrc et — 3) mort savs lequel tout' autre uolupté est esteinte.
El qui — 4) tranquillité et sul nous — 23) tourner ça H la lu Udc sans cesse, tome e»
f>iiïs iuspet la teste — 24) suspect. Nos
LIVRE I, CIIAPITRH XX. IO5
crime crt commis : durant le chemin, promenez les par des belles
maifons, faictes leur tant de bonne chère qu'il vous plaira,
non SiculiC dapes
Dulcem elaborabunt faporem,
5 Non auium cytharaeque cantus
Somnum reducent,
penfez vous qu'ils s'en puiflent refiouir, & que la finale intention de
leur \oyage, leur eftant ordinairement deuant les yeux, ne leur ait
altéré & affadi le goufl à toutes ces commoditez?
10 Audit iter, numeràtque dies, Ipaciôque viarum
Metitur vitam, torquetur perte futura.
Le but de noflre carrière c'ell: la mort, c'eft l'obiect nece(latire de
noilre vifée : fi elle nous effraye, comme eft il poffible d'aller vn
pas auant, lans fiebure ? Le remède du vulgaire c'eft de n'y penler
15 pas. Mais de quelle brutale fiupidité luy peut venir vn fi groffier
aueuglement ? Il luy faut faire brider l'afne par la queue,
Qui capite ipfe fuo inftituit veftigia rétro.
Ce n'efl: pas de merueille s'il eft fi fouuent pris au piège. On laict
peur à nos gens, feulement de nommer la mort, & la plulpart s'en
20 feignent, comme du nom du diable. Et par-ce qu'il s'en taict mention
aux teflamens, ne vous attendez pas qu'ils y mettent la main, que le
médecin ne leur ait donné l'extrême fentence; & Dieu fçait lors, entre
la douleur & la frayeur, de quel bon iugement ils vous le patiffent.
Parce que cette fyllabe frappoit trop rudement leurs oreilles, & que
25 cette voix leur fembloit malencontreufe, les Romains auoyent apris
de ramollir ou de l'eftendre en perifrazes. Au lieu de dire : il eft
mort; il a ceffé de viure, difent-ils, il a vefcu. Pourueu que ce foit
Texte 88. — i) p.ir toutes les belles niailbiis de France, faictes — 27) vel'cu,
vixerunt. Pourueu
104 ESSAIS DE MONTAIGNE.
vie, l'oit elle paflee, ils se consolent. Nous en auons emprunté nortre
feu Maiftrc-Iehan.
A Faduenture eft-ce que, comme on dict, le terme vaut l'argent,
le nafquis entre' vnze heures & midi, le dernier iour de Feburier
mil cinq cens trente trois, comme nous contons à cette heure, com- 5
mençant l'an en lanuier. Il n'y a iullement que quinze iours que i'ay
franchi 3 9 ans, il m'en faut pour le moins encore autant : cependant
s'empefcher du penfement de chofe fi efloignée, ce feroit folie. Mais
quoy, les ieunes & les vieux laissent la nie de mcsme condition. Nul
n'en sort autreniant que corne si tout presantemant il y entroit. loint qu'il 10
neft homme fi décrépite, tant qu'il voit Mathulalem deuant, qui ne
penfe auoir encore ///'/;/ ans dans le corps. D'auantage, pauure loi
que tu es, qui t'a eftably les termes de ta vie ? Tu te fondes fur
les contes des Médecins. Regarde pluftoft l'effect & l'expérience. Par
le commun train des chofes, tu vis pieça par faueur extraordinaire. 15
Tu as pafle les termes accouflumez de viure. Et qu'il foit ainfi, conte
de tes cognoifïiuis combien il en eft mort auant ton aage, plus
qu'il n'en y a qui l'ayent atteint; & de ceux mefme qui ont annobli
leur vie par renommée, fais en regiftre, & i'entreray en gageure d'en
trouuer plus, qui font morts auant, qu'après trente cinq ans. 11 eft 20
plein de raifon & de pieté de prendre exemple de l'humanité mefme
de lefus-Chrift : or il finit lii vie à trente & trois ans. Le plus grand
homme, Amplement homme, Alexandre, mourut aufli à ce terme.
Combien a la mort de fiiçons de furprise ?
Quid quifque vitet, nunquam homini l'atis 25
Cautum eft in horas.
Texte 88. — i) ils font contents. Nous — 9) les vieux, y penfent auffi peu les
vns quclcs autres. Et n'eft homme — 12) encore vn an dans — 15) tu vis defia pieça
\'ar. ms. — 9) les vieux sorleni de la nie en mesme coiniilwii : miuo non ila exil c iiilu
iaihfuam modo iiilraiierit. El n'eft — 10) eiitroil. Et n'eft
' entre... midi et comme... lanuier .idditions de ij8«.
LIVRE I, CHAPlTRi; XX. lO)
le lailTc à part les fîcburcs & les pleureiies. Qui eut iamais pcnlc
qifvn Duc de Bretaignc dcut eftre cftouffé de la prefle, comme fut
celuy là à l'entrée du Pape Clément mon voilîn, à Lyon ? N'as tu
pas veu tuer vn de nos rovs en le louant? Et vn de fes anceftres
5 mourut il pas choqué par vn pourceau? .Eichilus, menafle de la
cheute d'vne maifon, a beau le tenir à WiirU', le voyla affommé d'vn
toict de tortue, qui elchappa des pâtes d'vn' Aigle en l'air. L'autre
mourut d'vn grcin de railin; vn Empereur, de l'elgratigneure d'vn
peigne, en le tellonnant; .Emilius Lepidus, pour auoir hurté du pied
10 contre le l'euil de l'on huis; & Aufidius, pour auoir choqué en
entrant contre la porte de la chambre du confeil; & entre les cuifles
des femmes, Cornélius Gallus prêteur, Tigillinus Capitaine du guet
à Rome, Ludouic fils de Guy de Gonlague, Marquis de Mantoûe,
&, d'vn encore pire exemple, Speulippus Philofophe Platonicien,
i) & l'vn de nos Papes. Le panure Bebius, iuge, cependant qu'il donne
delav de huictaine à vne partie, le voyla laifi, le lien de \iure eftant
expiré. Et Caius Iulius, médecin, grefl^int les yeux d'vn patient,
vovla la mort qui cloft les liens. Et s'il m'y taut nieller : \n mien
frère, le Capitaine S. Martin, aagé de vint & trois ans, qui auoit
20 défia faict aflez bonne preuue de fa valeur, louant à la paume, receut
vn coup d'efteuf qui l'aflena vn peu au defilis de l'oreille droite, lans
aucune apparence de contufion, ny de blelTure. Il ne s'en alfit, ny
repola, mais cinq ou fix heures après il mourut d'vne Apoplexie
que ce coup luy caula. Ces exemples fi frequens & li ordinaires nous
2) pafîant deuant les veux, comme eft-il polîible qu'on le puiiîe deffaire
du pcnfement de la mort, & qu'à chaque inftant il ne nous femble
qu'elle nous tient au collet ?
QLi'import'il, me direz vous, comment que ce loit, pourueu quon
ne s'en donne point de peine? le fuis de cet aduis, & en quelque
30 manière qu'on fe puilTe mettre à l'abri des coups, fut ce loubs la peau
Texte 88. — 6) à l'airre, le
I06 KSSAIS DE MONTAIGNE.
d'vn veau, ie ne fuis pas home qui y reculalTe. Car il me luffit de
pafler à mon aile; & le meilleur ieu que ie me puifle donner, ie le
prcns, li peu glorieux au reik' î\: exemplaire que vous voudrez,
prietulerim deiirus inérfque videri,
Dum mea délectent mala me, vel denique fallant, 5
Quam fapere & ringi.
Mais c'eft folie d"v penfer arriuer par là. Ils vont, ils viennent, ils
trottent, ils danfent, de mort nulles nouuelles. Tout cela eft beau.
Mais auffi quand elle arriue, ou à eux, ou à leurs femmes, enfans
& amis, les furprenant cii dessoude & à decouuert, quels tourmens, 10
quels cris, quelle rage, & quel defefpoir les accable? Vites vous iamais
rien fi rabaifle, fi changé, fi confus ? Il v faut prouuoir de meilleur
heure : & cette nonchalance beftiale, quand elle pourroit loger en
la telle d'vn homme d'entendement, ce que ie trouue entièrement
impolîîble, nous vend trop cher l'es denrées. Si c'ertoit ennemv qui 15
le peut euiter, ie confeillerois d'emprunter les armes de la coûardife.
B "Mais puis qu'il ne fe peut, 'puis qu'il vous attrape tu vaut & poltron
aulfi bien qu'honefte homme,
A Nempe & fugaceni perfequitur virum,
Nec parcit imbellis iuuentx 20
Poplitibus, timidôque tergo,
B <S: que nulle trampe de cuirafle vous couure,
Ille licet ferro cautus ie condat ;tre,
Mors tamcn indufuni protraliet inde caput,
A aprenons à le foutenir de pied ferme, & à le combattre. Et pour 25
commencer à luy ofter l'on plus grand aduantage contre nous, pre-
nons voye toute contraire à la commune. Oftons luy l'ertrangeté,
'lï;\iic SS. — 10) iurprcnam à riniproucu & .lu decouuert,
LIVR1-: I, cHAPiTRi-: XX. 107
pratiquons le, accoutumons le, n'avons rien il ibuuent en la telU'
que la mort. A tous inllans reprelentons la à noflre imagination
& en tous vifages. Au broncher d'vn cheual, à la cheute d'vne tuille,
à la moindre piqucure d'elpleingue, remâchons Ibudain : Et bien,
5 quand ce feroit la mort mefme? & là deffus, roidiiîons nous, & eftbr-
çons nous. Parmv les tell:es & la ioye, avons toufiours ce retrein de
la louuenance de noflre condition, & ne nous laiflbns pas li fort
emporter au plaifir, que par fois il ne nous repaffe en la mémoire,
en combien de fortes cette noilre allegrefTe efi; en bute à la mort,
10 (ic de combien de prinfes elle la menafle. Ainfi faifoyent les Egyp-
tiens, qui au milieu de leurs feftins & parmy leur meilleure chère
failoient aporter TAnatomie feche d'vn corps d'homme mort, pour
ieruir d'aduertifTement aux conuiez.
Omnem crede diem tibi diluxilTe iupremum.
15 Grata fuperueniet, qu.-e non fperabitur hora.
Il eft incertain où la mort nous attende, attendons la par tout. La
préméditation de la mort efi préméditation de la liberté. Qui a
apris à mourir, il a defapris à feruir. Le fçauoir mourir nous afran-
chit de toute fubiection & contrainte. // /;'v u rien de mal en [lii\ nie
20 pour cehty qui a bien comprins que la priuation \ de] la uie n'est pas mal.
Paulus ^î^milius refpondit à celuy que ce miferable Roy de Macédoine,
fon prifonnier, luv enuovoit, pour le prier de ne le mener pas en ion
triomphe : Qu'il en flice la requefte à foy mefme.
A la vérité, en toutes chofes, i\ nature ne prefte vn peu, il ert mal-
25 aifé que l'art & l'induftrie aillent guiere auant. le fuis de moy-mcfme
non melancholique, mais fongecreux. 11 n'eft rien dequoy ie me foye
des toufiours plus entretenu que des imaginations de la mort : voire
en la faifon la plus licentieufe de mon aage,
lucunduiii cum .-etas florida ver ageret,
30 parmy les dames & les ieux,.tel me penfoit empefché à digérer à par
I08 ESSAIS DE MONTAIGNE.
mov quelque ialoulic, ou l'incertitude de quelque elperance, cepen-
dant que ie m'entretenois de ie ne fçay qui, lurpris les iours precedens
d'vne lieure chaude & de sa fin, au partir d'vne fefle pareille, & la
telle pleine d'oiliueté, d'amour & de bon temps, comme mo\-,
& qu'autant m'en pendoit à l'oreille : 5
lam fuerit, ncc poft vnquam reuoc;ire licehit.
le ne ridois non plus le front de ce penlement là, que d'vn autre.
Il ell: impoffible que d'arriuée nous ne l'entions des piqueures de
telles imaginations. iMais en les maniant & irpassuiit, au long aller,
on les apriuoife fiins doubte. Autrement de ma part ie tuffe en lo
continuelle frayeur & frenefie : car iamais homme ne le défia tant
de ûi vie, iamais homme ne feit moins d'eftat de fa durée. Ny la
ûtnté, que i'ay iouy iufques à prefent trefuigoureufe & peu fouuent
interrompue, ne m'en alonge l'efperance, nv les maladies ne me
l'acourciflent. A chaque minute il me femble que ie m'efchape. Et iiic 1 5
rcchitnlc sans cesse : Tout ce qui peut estre faict une autre iour, le peut estre
aiiiounl'hui. De vrav les hazards & dangiers nous approchent peu
ou rien de noftre fin; & fi nous penfons combien il eu refle, fans cet
accident qui femble nous mcnaffer le plus, de millions d'autres fur
nos tefles, nous trouuerons que, gaillars & fieureus, en la mer & en 20
nos maifons, en la battaille & en repos, elle nous efl égallement
près. (( Neiim altéra fraf^ilior est : uciuo iu crastiuu})i sui certior. » Ce que
i'ay aflfiiire auant mourir, pour Facheuer tout loifir me femble court,
fut ce d'vn' heure. Quelcun, feuilletant l'autre iour mes tablettes,
trouua vn mémoire de quelque chofe, que ie vouloy eftre faite après 25
ma mort, le luy dy, comme il eftoit vrav, que n'eftant qu'à vne
lieue de ma maifon, & fain & gaillard, ie m'efloy hafté de l'efcrire là,
pour ne m'alTeurer point d'arriuer iufques chez mov. Couie cclhiy
Tf.xte 88. — 3) & Je 1.1 mort, au — 9) m.iniant & pr.itiquniit au
\'ar. ms. — 16) rectiaiiie tousiours : tout... autre fois h
r.iVRi-: I, cHAPiTRi- XX. 109
qui cotitinuclhitiitiil nie couiic tic iiit's pcii.ws, cl les couche eu uiov, ic suis
(i tout' heure préparé euuiron ce que ie le puis esire. El ne uùuiuerliru de
rieu de uouueau la surueuaucc de la luorl.
Il faut cftrc toufiours hotc & prcll à partir, en tant qu'en nous
5 eft, & lur tout le garder qu'on n'ave lors affaire qu'à foy :
Quid breui fortes iaculamiir œuo
Multa ?
Car nous y aurons aflez de befongne, ûins autre furcroit. L'vn fe
pleint plus que de la mort, dequov elle luv rompt le train d'vne
10 belle victoire; l'autre, qu'il luv faut delloger auant qu'auoir marié
la fille, ou contrerolé l'inftitution de fes entans; l'vn pleint la com-
pagnie de la femme, l'autre de fon fils, comme commoditex princi-
pales de Ion ertre.
/(' suis pour celle heure en lel eslat, dieu nwrcy, que ie puis deslos;er
15 quand il luv plairra, sans regrel de chose quelconque, si ce \nesl\ de la
nie, si sa perle uienl a me poiser. le un- desnoue par loul; mes adieus sont
a demi prias de chacun, sauf de niov. laniais home ne se prépara 1 (/ 1 quiller
le inonde plus puremenl cl pleinenwnl, et ne s'en dcsprint plus uniuersellement
que ie m' a tas de faire. ^
20 Mifer ô mifer, aiunt, omnia ademit
Vna dics infefta mihi tôt pr;Emia vita.\
Et le baftifffeur
Manent (dict-il) opéra interrupta, minxque'
Murorum ingentes.
\'ar. ms. — i) ie m — 14) Ijeure dieu merci cii tel esUa que ie — i6) le me suis
desuouè... sout prias de tout le monde sauf — 19) que i' espère faire.
' Cette addition s'arrêtait d'abord il prillS, puis i uniuersellemeul. L'édition de lîq; la complète
parla phrase suivante : Les plus mortes morts font les plus laines.
- A droite de cette fin de vers Montaigne écrit : plus eu ça, pour en rectifier la disposition
typographique.
IIO ESSAIS DE MOXTAIGNE.
Il ne faut rien deflcigner de li longue haleine, ou au moins auec
telle intention de fe paflîonner pour n'en voir la fin. Nous fommes
nés pour agir :
Cum moriar, médium foluar & inter opus.
le veux qu'on agifle, et qu'on aloiige les offices de ht nie tant qu'on peut, 5
ci que la mort me treuue plantant mes chous, mais nonchalant d'elle,
& encore plus de mon iardin imparfait. l'en vis mourir vn, qui,
eftant à l'extrémité, fe plaignoit inceffamment, de quoy fa deftinée
coupoit le fil de l'hiftoire qu'il auoit en main, fur le quinziefiiie ou
feiziefme de nos Roys. 10
B Illud in his rébus non addunt, nec tibi earum
lam deliderium rerum fuper infidet vna.
A II faut fe defcharger de ces humeurs vulgaires & nuifibles. Tout
ainfi qu'on a planté nos cimetières ioignant les Eglifes, & aux lieux les
plus fréquentez de la ville, pour accouilumer, difoit Lycurgus, le bas 1 5
populaire, les femmes & les enfans, à ne s'effaroucher point de voir
vn homme mort, & affin que ce continuel fpectacle d'offemens,
de tombeaus & de conuois nous aduertiffe de noftre condition :
B Quin etiam exhilarare viris conuiuia cxde
Mos olim, & mifcere epulis fpectacula dira 20
Certantum ferro, fa;pe & fuper ipfa cadentuni
Pocula refperfis non parco fanguine menfis;
et corne les yEgiptieiis, après leurs festiits, faisoiiit presaiiter aus assisians
une grand ' image de hi mort par iin' qui leur crioit : Boy et ^ t'es j iouy, car,
A mort, tu seras tel : auffi ay-ie pris en couftume, d'auoir non feulement 25
en Timagination, mais continuellement la mort en la bouche; l\: n'ell
Texte 88. — 5) agir : & ie fuis d'.iduis que non feulement vn empereur, comme
difoit \'efpafien, mais que tout gallant homme doit mourir debout. C'.um moriar, —
5) agifle fans cefle, que la mort
LIVRE I, CHAPITRE XX. III
rien dcquoy ic nVintorme li volontiers, que de la mort des hommes :
quelle parole, quel viûige, quelle contenance ils y ont eu; ny endroit
des hiftoires, que ie remarque il attantifuement. // _v pani a la farcis-
siire de nws cxciniplcs : et que i'ciy en particulière afection cette rnattiere.
5 Si \i'es]toi faisiir de Hures, [îV] fairoi un registre connnaiilé des nuvs
diuerses. Oui apranderoit les homes [ a] mourir, leur apraïuieroit a uiure.
Dicivarchus en fit un, • de \ pareil tiltre, mais d'autre & moins utile [fin].
On me dira que l'tffect furmonte de Ci loing l'imagination, qu'il
n'y a li belle elcrime qui ne se perde, quand on en vient là. Laiflez
lo les dire : le préméditer donne fans doubte grand auantage. Et puis
n"eft-ce rien, d'aller au moins iniques là fans altération 6c fans fiéure?
Il y a plus : Nature meime nous prefte la main, & nous donne
courage. Si c'eft vne mort courte & violente, nous n'auons pas loilir
de la craindre; li elle eft autre, ie m'apperçois qu'à mefure que ie
15 m'engage dans la maladie, l'entre naturellement en quelque defdein
de la vie. le trouue que i'av bien plus affiiire à digérer cette refolution
de mourir, quand ie fuis en lanté, que quand ie fuis en fieure. D'autant
que ie ne tiens plus il fort aux commoditez de la vie, à raifon que
ie commance à en perdre l'vfage & le plaifir, l'en voy la mort d'vne
20 veuë beaucoup moins effrayée. Cela me fait efperer que, plus ie
m'eflongneray de celle-là, & approcheray de cette-cv, plus aifément
i'entreray en compofition de leur efchange. Tout ainii que i'ay effayé
en plulieurs autres occurrences ce que dit Celar, que les choies nous
paroiffent fouuent plus grandes de loing que de près, i'av trouué que
25 fain i'auois eu les maladies beaucoup plus en horreur, que lors que
ie les ay fenties : l'alegreffe où ie fuis, le plailir ii: la force me font
Texte 88. — 9) qui ne s'y perde — 12) plus. le reconnoy par expérience, que
nature — 15) m'engage dans fes auenues, & dans la... naturellement & de nioy
mefme en quelque — 17) fuis en vigueur & en pleine fanté, que ie n'ay quand ie
fuis malade : d'autant
Var. ms. — 4) cxiimpics, que i'ay... matlierc. Et si — 5) des belles mors. —
7) mais de différante & moins
112 ESSAIS DE MONTAIGNE.
paroiftre Tautrc eftat li difproportionné à celuy-là, que par imagi-
nation ic groflis ces incommoditez de moitié, & les conçov plus
poifantes, que ie ne les trouue, quand ie les av fur les efpaules.
l'eipere qu'il m'en aduiendra ainli de la mort.
Voyons à ces mutations ô^c declinailons ordinaires que nous 5
Ibuffrons, comme nature nous delrobhe le goull; de noftre perte
& empirement. Qiie refte-il à vn vieillard de la vigueur de la
ieunelTe, & de la vie palîée,
Heu ienibus vit.t portio quanta inanct.
César a -vu soldat de sa i:;arde, reereii et casse, qui iiiiil en la rue lux 10
demander congé de se jaire mourir, regardant son maintien décrépite,
respondit plesanimant : Tu penses donq estre en aie. Qiii y tomberoit
tout à vn coup, ie ne crois pas que nous fulîîons capables de porter
vn tel changement. Mais conduicts par l'a main, d'vne douce pente
îs; comme inlenlible, peu à peu, de degré en degré, elle nous roule 15
dans ce miferable eftat, & nous v appriuoile : 11 que nous ne fentons
Uucune fecoufle, quand la ieunefle meurt en nous, qui ell en eflence
& en vérité vne mort plus dure que n'eft la mort entière d'vne vie
languilTante, cs: que n'efl: la mort de la vieillelïe. D'autant que le
fault n'ell pas 11 lourd du mal eftre au non eilre, comme il ell d"vn 20
eftre doux & fleurilîlmt à vn eftre pénible ix douloureux.
Le corps, courbe (i;c plié, a moins de force à fouftenir vn fais;
aulîl a noftre ame : il la fout drefler & efleuer contre l'effort de cet
aduerliiire. Car comme il eft impofllble qu'elle fe mette en repos,
pendant qu'elle le craint : li elle s'en affeure aufli, elle fe puit 25
venter, qui eft choie comme furpaffant l'humaine condition, qu'il ell
Texte 88. — 2) de l;i moitié — 16) fentons on nous aucune — 18) plus forte :
que — 24) repos & à fon aife pendant
\'ar. ms. — 10) soldiU uiilesagardv iiii'iis et anse... nicdcniiuhiùl iwigc — ii) ifi;ai-
(liiiit [w; dei-i^pik iV SOI maititien dccrepiicluy respcndil (Cc passage : Ccsar... nie, ct.iii insC-rc
au chapitre XUI Ju livre III, f 190 r°, où il a été bitVé pour être transporté ici.) — 17) fccOufle
en nous : quand la ieuneffe meurt qui
LIVRE I, CHAPITRH XX. II3
impolilhlc que l'inquictudc, le tourment, la peur, non le moindre
del'pliiiiir loge en elle,
Non vultus inftantis tyranni
Mente quatit folida, neque Aufter
5 Dux inquiet! turbidus Adriiv,
Nec fulminantis magna louis manus.
Elle cfl rendue maiftrelTe de les paflions & concupifcences, maif-
trefle de l'indigence, de la honte, de la pauureté, & de toutes autres
iniures de fortune. Gaignons cet aduantage qui pourra : c'efl icy la
10 vrave & Ibuueraine liberté, qui nous donne dequo}' faire la figue
à la force & à Tinluilice, ^ nous moquer des priions & des ters :
in manicis, &
Compedibus, l";tuo te lub cuftode tenebo.
Ipfe Deus lîmul atque volani, me foluet : opinor,
15 Hoc fentit, moriar. Mors vltima linea rerum eft.
Noftre religion n'a point eu de plus alTeuré fondement humain,
que le mefpris de la vie. Non feulement le difcours de la raifon
nous y appelle, car pourquoy craindrions nous de perdre vne chofe,
laquelle perdue ne peut eftre regrettée ; &, puis que nous fommes
20 menalTez de tant de façons de mort, n'v </ il [^tts plus de mal à les
craindre toutes, qu'cà en fouftenir vne?
Que chaut il quand ce soit, [puis] qu'elle est ineiiilahle. A celuy qui
disait a Socrates : Les tranle [tira\ns i'onl condamne a la niorl. — Lt
nature a eus, rcspondict il.
25 Quelle sottise de nous peiner sur le point du passai^e a l'exani piton de
toute peine!
Texte 88. — i) tourment, & la — 2) loge chez elle. — 20) mort, ne voyons
nous pas qu'il y a plus
Var. ms. — 17) de la wt);^ /(/V. Xun — 21) vne? Quelle soUiu' de iwiis peiner sur
le point de l'exemptiou de tonte peine : mais nature /p. u 1, I. ix.) — 22) il qnelle elle soU
— 2}) mort : Luy soitdein : cl
114 ESSAIS Dl- MONTAIGNE.
(a)iiic iioslir luiissancc nous aporla Ici luiissûiicc de ioiilcs choses, aussi
fuira la )iiorl ilc loulcs choses iioslir iiiorl. Parquai c'est pareille folie cle
pleurer de ce que d'iey a cent ans nous [iw\ uiurons pas, que de pleurer de
ce que nous ne uiuioiis pas, il y a eeiii ans. La mort est origine d'un autre
uie. Einsi plurames nous : einsi nous coûta il d'entrer en cetecy : einsi nous 5
despouillames nous de nostre entien uoile, en y entrant.
Rien ne peut estre grief, qui n'est qu'une fois. Est ce raison de ereiiulre
si long temps chose de si hrief temps? Le long temps uiure '[et\ le peu de
temps uiure est randu tout un par la mort. Car le long et le court n'est
point ans choses qui ne sont plus. Aristote dicf qu'il y a des petites bestes 10
sur la riuiere de Hypanis, qui ne uiuent qu'un iour. Celé qui nniut a huit
heures du matin, elle meurt en iunesse; celle qui meurt a cinq heures du
soir, meurt en sa décrépitude. Qui de nous }ie se nmque de noir mettre en
côsideration d'heur ou de nnil heur ce moment de durée? Le plus et l/c] moins
en la nostre, si nous la comparons a V éternité, ou encores a la durée des 15
mùtaignes, des riuieres, des esfoiles, des \ arbres, & nn'smes d'iiucuns ani-
maux, n'est pas moins ridicule.
■ Mais nature nous y force. Sortez, dit-elle, de ce monde, comme
vous V eftes entrez. Le melmc pafliige que vous fîtes de la mort
à la \ie, fans paiîion & fans frayeur, refaites le de la vie à la mort. 20
Voftre mort eÛ vne des pièces de l'ordre de l'vniuers; c'ell vne
pièce de la vie du monde,
inter le niortales nuitua viuuiit
Et quafi curfores vitaï lampada tradunt.
Var. ms. — i) Le dclnit de ralinij.-i ct.iit : fieui <:(-' t:div imemmodik que la mtiftj puif
iju'^Ue ue tcmlii'j dm qui sfil. One peut ojjnncer la iiwrt, elle ne touche rien, qui soit. C'est
toute pareille folie — 4) ans. L'un temps \n'\esl non plus nostre que l'autre.^ La mort est
naissance de d'un autre — 5) Einsi pleurâmes nous conta... cetecy : einsiu y despoui —
6) nostre uoile — 8) chose de hrief kmps — 9) mort. Le mal cl le bien le loni; et le court
n'aparlicnl point ans — 10) des bestes ■ — 12) heures elle - 13) décrépitude. Nous
twus moquons de leur uoir mett ■ — 14) durée : la uosire — 16) esloiks et des
' Au dessus de cette vari.nntc bili'ée, Montaigne .1 écrit, puis effacé La cit.ition suiv.inte dont Li
traduction lui a fourni ensuite le conimeiiccnient de l'aliné.i sous sa forme définitive : Ul lUlhum
omnium rerum nohis reruin omnium ortus noster ajjert sic exitum mors.
LIVRIZ I, CHAl'lTRl-: XX. II j
Changcrav-ic pas pour vous cette belle contexture des choies? Ceft
la condition de voilre création, c'eft vne partie de vous que la mort :
vous vous fuyez vous mefmes. Cettuy voftre eftre, que vous ioùyflez,
eft également party à la mort &.à la vie. Le premier iour de voftre
5 naiiïinice vous achemine à mourir comme à viure,
Prima, qus vitam dédit, hoia, carpfit.
Nafcentes morimur, finifque ab origine pendet.
Toiif ce que nous iiiues, vous le desrohes a la nie; c'est a ses despans. Le
continuel otinrage de uostre [irie] c'est hastir la mort. Vous estes en la mort
lo pendant que nous estes en nie. Car nous estes après la mort quand nous
n'estes plus en nie.
Ou si nous aimes miens ainsi, nous estes mort après la aie; mais pandant
la nie nous estes mourant, et la mort touche bien plus rudcnu-nl le mourant
que le mort, [et"] plus uiucmcnt et essentiellement.
i) Si vous auez faict voftre proufit de la vie, vous en eftes repeu,
allez vous en fatisfaict,
Cur non vt plenus vitx' conuiua recedis ?
Si vous n'en auez Içeu vfer, fi elle vous eftoit inutile, que vous
chault-il de l'auoir perdue, à quoy fiiire la voulez vous encores?
20 Cur amplius addere qu;tris
Rurfum quod pereat maie, & ingratum occidat omne ?
La nie n'est de soi ny bien uv mal : c'est la place du bien et du nnil selon
que nous [la ' leur faictes.'
\'.\R. MS. — 8) que nous uiuoits, nous le clesro})oiis a la uie. Le — 11) nie. Apres lu
uie nous estes mort mais uous estes niottrniit pendtml durant la uie. Si vous — 12) uoiis
l'aimes — 13) 1°: louehe bien mieus au le mourant que le mort 2°: agit bien miens
sut: enuers le mourant que enuers le mort 3° : agit bien plus rudement contre le mourant
que cotre le mort Si vous
' La phrase : La uie... faictes insiirce en premier lieu .iu chapitre XIII du livre III (i" 494 r«)
a été transportée ici avec variantes.
Il6 ESSAIS DE MONTAIGNE.
A Et fi VOUS auez velcu vn iour, vous auez tout veu. \n iour cft
égal à tous iours. Il n'y a point d'autre lumière, ny d'autre nuict.
Ce Soleil, cette Lune, ces Eftoilles, cette dilpofition, c'eft celle mefme
que vos ayeuls ont iouye, & qui entretiendra vos arrierc-ncpucux :
Non aliiini uidcre paires : aliiiiiuic ncpolcs 5
Aspicieni.
Et, au pis aller, la diftribution & variété de tous les actes de ma
comédie le parfournit en vn an. Si vous auez pris garde au branle
de mes quatre ûiilbns, elles embraffent l'enfance, l'adolefcence, la
virilité & la vieillelTe du monde. Il a ioûé ion icu. Il n'y fçait autre lo
finefle, que de recomencer. Ce fera toufiours cela melme,
B verlamur ibidem, atque infumus vfque,
Atque in fe fua per vefligia voluitur annus.
A le ne luis pas délibérée de vous forger autres nouueaux pafle-
temps, iS
Nam tibi prsterea quod machiner, inuenidmque
Quod placeat, nihil eft, eadcm funt omnia femper.
Faites place aux autres, comme d'autres vous l'ont faite. L'cqiialite
csl la proiiicrc piccc de ] 'équité. Qui se peut pleiuâre â'eslre eoinprins, ou
tous sont edprius? .Au{\\ auez vous beau viure, vous n'en rebattrez 20
rien du temps que vous auez à eftre mort : c'eft pour néant : aufli
long temps ferez vous en cet eftat là, que vous craignez, comme
il vous eftiez mort en nourrifle,
licet, quod vis, viuendo vinccre fccla,
Mors itterna tanien niiiiKmiinus illa manebit. 25
Texte 88. — 8) au bc.iu branle — 10) fou rollc : il
LIVRE I, CHAPITRH XX. II7
Et il VOUS mettcray en tel poinct, auquel vous n'aurez aucun lî
mefcontentement,
In vera nefcis nullum fore morte alium te,
Qui pofTit viuus tibi te lugere peremptum,
5 Stanfque iacentem.
Ny ne defirerez la vie que vous plaingnez tant,
Nec iîbi enim quitquani tum le vitàmque requirit,
Nec defiderium noftri nos afficit vllum.
La mort eft moins à craindre que rien, s'il y auoit quelque choie de
10 moins,
multo mortem minus ad nos efle putandum
Si minus efle poteft quam quod nihil effe videmus.
Elle [ne] VOUS concerne ny mort [//_)'] //;/; uif, parce que nous estes; mort,
par ce que nous [n']estes plus.
15 Nul ne meurt auant fon heure. Ce que vous laiflez de temps, A
n'eftoit non plus voftre, que celuy qui s'ell pafle auant voftre
naiffance : *& ne vous touche non plus, B
Refpice enim quam nil ad nos ante acta vetuftas
Temporis itterni fuerit.
20 Où que voftre vie finifle, elle y eft toute. L'utilité du uiure n'est A
pas en l'espace, elV est en l'usage : tel a uescu long temps, qui a peu uescu :
attande:^ nous [r] pamlant que nous y estes. Il gist en uostre uolonte,
non au nombre des ans, que nous aies asses uescu. Penfiez vous iamais
n'arriuer là, où vous alliez uns celTe? encore n'y a il chemin qui naye
Texte 88. — i) tel eft.u, duquel vous — 10) moins, que rien, multo — 14) plus.
D'auantage nul ne
V.\R. MS. — « i) 1°: tel /)0(Hd, duquel 2°: \q\ cslat, duquel — 12) videmus.
Pourquoi la creigues nous, elle n'est iamais lia] ou nous estes. Nul ne
Il8 ESSAIS DE MONTAIGNE.
SOU issHC. Et lî la compagnie vous peut Ibulagcr : le monde ne va-il
pas mefme train que vous allez ?
B omnia te vita perfuncta fequentur.
A Tout ne branle-il pas voftre branle? Y a-il chose qui ne vieillifle
quant & vous? mille hommes, mille animaux & mille autres créa- 5
tures meurent en ce mefme instant que vous mourez :
B Nam nox nulla diem, neque noctem aurora fequuta efl,
Quas non audierit miftos vagitibus asgris
Ploratus, mortis comités & funeris atri.
A quoi faire v nriiie:^ nous, si nous lU' ponues tirer arrière. Vous en aues 10
asses mu, qui se sont bien trouue:^ de mourir, escheuât par la des grandes
misères. Mais quelcun qui s'en soit nui! tronné, en aues nous ueu ? Si est ce
grand simplesse de condamner chose que nous n'aues esprouuee )iy par nous,
Il V par autre. Pourquoi te pleins tu de moi et de la destinée? tefesons nous tort?
Est ce a toi de nous gouuerner, ou nous a toi ? Encore que ton cage ne soit 1 5
pas acheue, ta uie l'est. Vu petit home est home ètier, coine un grand.
Ny les homes, ny leurs nies ne se mesurent a l'aune. Chiron' refusa
l'immortalité, informé des conditions d'icelle par le Dieu mesmes du temps
et de la durée, Saturne son père. Imagines de urai combien seroit une uie
perdurable, moins supportable a l'home & plus pénible, que ncsl la uie que 20
ie liiv ai donee. Si nous n'auie:, la mort, nous me maudiries sans cesse
Texte 88. — 4) Y a-il rien qui — 6) en cette mefme heure, que
\'ar. ms. — ïo) faire nous renilei — 14) de moi 4 U fcis U t«i4 — 16) l'est. Corne
un petit home est liome pai^ êlier — lé) i° : grand : aussi est la nie. Que ie ie doue une
uie perdurable elle te sera bien moins supportable que n'est la mort ueu ta condition. Voila
les bons 2° : grand. Et la uie pour estre plus longue n'en vaut pas mieus non plus
(ju'unc pantoufle. \'o\h les bons — 18) informé de la condition d'icelle — 19) Imagines
de la condition que nous estes combien nous seroit... supportable & plus pénible que n'est la
mort. Si nous ne l'auics pas nous me — 19) combien a l'home seroit... supportable & plus
' Chiron... père .iddition ullirieure.
I.IVR1-: 1, cHAi'iTRi: XX. 119
de nous eu aiioir priué. l'y ciy a eseiant inesié quelque peu d'anurlunie pour
nous enipescher, uolaul la côinodité de son usage, de l'embrasser trop auide-
nutiit et indiseretemant. Pour uoiis loger en cette modération, ny de fuir
la uie, nv de refuir a la mort, que ie deuutnde de nous, i'ay tempère l'une
5 et l'autre entre la douceur et l'aigrur.
l'aprins' a Thaïes, le premier de nos sages, que le uiurc cl le mourir
estoit indifférant; par ou, a ccluy qui luy demanda pour quoi donq il ne
mouroit, il respondit fressagcmcnl : Par ce qu'il est iiulifferant.
L'eau, la terre, l'air, le feu & autres mâhres de ce mien bastinult ne sont
10 non plus insirumâs de ta nie qu'insirnmàs de ta mort. Pourquoi creins tu
ton dernier iour? il ne conicrc non [^lus a la nu>rt que chacun des autres.
Le dernier pas nefaict pas la lassitude : il la déclare. Tous les iours uont
a la mort, le dernier y arriue.
Voila les bons aduertiffemcns de iiortre mère nature. Or i'ay penlé
15 fouuent d'où venoit cela, qu'aux guerres le vilage de la mort, loit
que nous la voyons en nous ou en autruy, nous femble lans com-
paraifon moins eflfroyable qu'en nos maifons, autrement ce feroit
vn' armée de médecins & de pleurars; &, elle eftant toufiours vne,
qu'il y ait toutes-fois beaucoup plus d'afleurance parmy les gens de
20 village & de baffe condition qu'es autres. le croy à la vérité que ce
l'ont ces mines & appareils effroyables, dequoy nous l'entournons,
qui nous font plus de peur qu'elle : vne toute nouuelle forme de
viurc, les cris des mères, des femmes & des entans, la vifitation
de perfonnes eftonnees & tranfies, l'affiftance d'vn nombre de valets
25 pafles & éplorés, vne chambre fans iour, des cierges allumez, noftre
cheuet affiegé de médecins & de prefcheurs : fomme, tout horreur
& tout effrov autour de nous. Nous voyla des-ia enfeuelis & enterrez.
Les enfans ont peur de leurs amis mefmes quand ils les voyent
\'ar. ms. — 5) l'aigrur. fl^alts — 6) premier ilc umi — 7) imlijfcraiil a I'Imwc
par ou — II) mort que lU*n — 12) Tous nos iours
' licrit aprws l'alinCa suivant, nuis reporlc i cette place par un signe de renvoi.
120 ESSAIS DE MONTAIGNE.
mafquez, aufli auons nous. Il faut orter le malque aufli bien des
choies, que des perfonnes : ofté qu'il fera, nous ne trouuerons au
deffoubs que cette mefme mort, qu'vn valet ou fimple chambrière
pafferent dernièrement fans peur. Heureufe la mort, qui ofte le loilir
aux apprefts de tel équipage. 5
Texte 88. — 4) mort & heureufe trois fois, qui ofte
Chapitre XXI.
DH LA FORCE DH L IMAGINATION' .
« Fortis imaginatio gcncrat caluni », diknt les clercs. le luis de
ceux qui l'entent très-grand eftort de l'imagination. Chacun en ell
biirtc, mais aucuns en font iriiiicrsc:^. Soit impression nie perse. [El \
mon art est de hiv esehaper, non pas de liiy résister. le uinrois de la snJe
) assistanee de persones saines '.et] gayes. La neue des eiii^'oisses d'aairny
m'engoisse materiellemêf, et a mon sentiniàt sonnant usurpe le sentimât
d'un tiers, l'n tousseur eontinnel irrite mon poulmon et mon gosier. [Ie\
nisite pins mal nolontiers les \ malades ansquels le deuoir [m' intéresse, que
eeus ansquels /V m'attans moins et que ie eôsidere moins. le se .sis le
10 mal que i'^eslndie, & le eouche en inoy. \Ie\ ne t renne pas est range qu'elle
doue et les fienres & [/«] mort a eeus qni la laissent faire el qui Iny
applandissèt. Simô Thomas estait un grand médecin de son temps. Il me
sonuient que, me rencôtrant [///;] iour cbes un riche uieillarl pnlmoniqne,
el Iraictant aucq [luy] des nuùens de sa guerison, \jl^ luydicl que c'en estait
15 /'///( [de me douer occasion de me plaire \eii] sa càpaignie, 6" que, jichanl
Texte 88. — 2) en eft féru, mais aucuns en font transformez. Gallus
\'ar. ms. — 4) pas de la comhallrc. le iiiiiiois d giierirois de l'as sisltince — 5) gaycs.
Li's a — 6) m'eiigoisseui cl\ a s^muiut mon seutimàl a souuaiil usurpe les maus du senlimâl
d'aulruy un tousseur coulinuel me piiise le gosier — 9) el eôsidere — lo) mal eu l't:4miinul
— 10) eouclje sur moy — 12) de mou temps.
122 ESSAIS DE MONTAIGNE.
SCS Ycits sur la freschur de mou uisage, ci sa peusee sur cette allégresse
& uigeur qui regorgeait [ilc\ mon adolesccucc, et remplissant tous ses sens de
cet estât fleurissant en quoi i'estois, son habitude s'en pourrait anuindcr.
Mais il ol'liait a dire que la niieue s'en pourrait empirer aussi. Gallus
Vibius banda li bien fon ame à comprendre l'eflence & les mouue- s
mens de la folie, qu'il emporta l'on iugement hors de fon fiege,
Il qu'onques puis il ne l'y peut remettre : & fe pouuoit vanter d' élire
deuenu fol par sagesse. Il y en a qui, de fraveur, anticipent la main du
bourreau. Et celuy qu'on debandoit pour luy lire la grâce, fe trouua
roide mort fur Feichataut du feul coup de l'on imagination. Xous lo
treffuons, nous tremblons, nous palliffons & rougiffons aux fecoufles
de nos imaginations, 6c renuerfez dans la plume fentons noftre corps
agité à leur branfle, quelques-fois iufques à en expirer. Et la ieuneffe
bouillante s efchauffe fi auant en fon harnois tout' endormie, qu'elle
aflbuuit en longe fes amoureux deiîrs, 15
\t quall tranfactis l;tpe omnibus rébus protundaiit
Fluminis ingénies fluctus, veftémque cruentent.
Et encore qu'il ne foit pas nouueau de voir croiûre la nuict des cornes
à tel qui ne les auoit pas en fe couchant : toutestois l'euenement
de Cyppus, Roy d'Italie, eft mémorable, lequel pour auoir alTifté le 20
iour auec grande affection au combat des taureaux, iS: auoir eu en
longe toute la nuict des cornes en la telle, les produifit en l'on front
par la lorce de l'imagination. La paflion donna au lîls de Crœl'us la
voix, que nature luy auoit refufée. Et Antiochus print la heure de la
beauté de Stratonicé trop viuement empreinte en l'on ame. Pline 25
dict auoir veu Lucius ColFitius de femme changé en homme le iour
Tkxii-: 88. — 5) ame, & la tcndy, à coniprcndrc & imaginer rclFencc — 6) iuge-
ment mefnie hors — 8) fol par difcours. Il — 15) iufques à la mort. Ht — 24) Et
Antigonus print
\'ar. ms. — i) pciisce cl ceUe gnye attegrcsse d uigeur de mon aiiolcscciicc remptUsaiil
— 4) empirer. Gallus
I.1VR1-: I, CHAP1TR1-; XXI. 123
de fes nopces. Pontanus .it d'autres racontent pareilles metamor-
phofes aduenuës en Italie ces liecles paflez. Et par véhément defir de
luv 6^; de la mère,
Vota puer foluit, qus fœmina vouerat Ipliis.
5 Pafïiint à Victry le Françoys, ie peuz voir vn homme que l'Euelque
de Soiflbns auoit nommé Germain en confirmation, lequel tous les
hahitans de là ont cogneu & veu fille, iufques à l'aage de vingt
deux ans, nommée Marie. Il estait à cett' heure la tort barbu, & \'ieil,
(.\: point marié. Faifant, dict-il, quelque effort en fautant, fes membres
lo virils le produifirent : & ell encore en vlage, entre les filles de là,
vne chanfon, par laquelle elles sentraduertiffent de ne taire point
de grandes eniambees, de peur de deuenir garçons, comme Marie
Germain. Ce n'eft pas tant de merueille, que cette lorte d'accident le
rencontre fréquent : car fi l'imagination peut en telles choies, elle
ij ert fi continuellement & fi vigoureufement atachcc a ce fubiect, que
pour n'auoir fi ibuuent à rechoir en mefme penfée & alpreté de defir,
elle a meilleur compte d'incorporer, vne fois pour toutes, cette virile
partie aux filles.
Les vns attribuent à la force de l'imagination les cicatrices du Roy
2o Dagobert & de Sainct François. On dict que les corps s'en-enleuent
telle fois de leur place. Et Celfus recite d'vn Prebfi:re, qui rauiffoit
fon ame en telle extafe, que le corps en demeuroit longue efpace fans
refpiration & iiins fentiment. Sainct Aui:;iistin en nome an antre, a qat
il ne fahil qnc faire onir des cris lamentables & pieiiitijs, soudcin il dejaiUoit
2) (7 s'emportait \si\ nifucment hors de soi, qa'on auoit beau le tem pester
et hurler, et le pincer, et le i^riller, insques a ce qu'il fut resnscité : lors il
disait auair oui des noix, mais corne nenani de louiit; et s'aperceuail de ses
Texte 88. — 8) II eft à cctt' heure fort barbu, & vieil, & ne s'eft point marié. —
13) merueilles, fi cette — 15) vigoureufement exercée en ce — 17) compte d'atta-
cher & incorporer
\'ar. .ms. — 25) auoit U tcmpedci: d le hudiT
124 ESSAIS DE .MO\TAIG\E.
eschaiulurcs & iiiiirtrissiiirs. Et que ce iw fut uut obstination apostcc contre
son sentiniant, cela le motif roit, qu'il n'ciuoit cepandant uy pous ny haleine.
11 cil vray femblable, que le principal crédit des miracles, des
vilions, des enchantemens, & de tels effects extraordinaires, vienne
de la puilTance de l'imagination agiffant principalement contre les 3
âmes du vulgaire, plus molles. On leur a fi fort laili la créance, qu'ils
penfent voir ce qu'ils ne voyent pas.
le fuis encore de cette opinion, que ces plaifantes liaifons, dequov
nostre monde fe voit i\ entraué, qu'il ne fe parle d'autre chofe, ce font
iiolontiers des impreflions de l'apprehenfion & de la crainte. Car ie 10
fçav par expérience, que tel, de qui ' ie puis relpondre, comme de mov
mefme, en qui il ne pouuoit choir foupçon aucune de foibleiîe,
& aufli peu d'enchantement, ayant ouy fiiire le conte à vn fien
compagnon, d'vne défaillance extraordinaire, en quov il eftoit tombé
fur le point, qu'il en auoit le moins de befoin, fe trouuant en pareille 15
occafion, l'horreur de ce conte luy vint a coup fi rudement frapper
l'imagination, qu'il en encourut vne fortune pareille; et de la en hors
fut subiet a v rechoir : ce uilain sounenir de son incoiuteuiaut le gounuan-
dant et tirannisant. Il trouua quelque remède a cette resuerie par vu autre
resuerie. C'est que, aduouant luy niesmes [et~] preschant auant la main cette 20
sicne subiection, la contantion [de] son ame se solaf[eoit sur ce, qu'aportani
ce nml corne aiandu, son obligation en amoindrissait & hiv en poisoit moins.
Qiiand il \a^ eu loi, a son chois, [sa] pensée desbrouillee U'/l desbandee,
son cors [se] trouuant en son deu, [de] le faire lors premièrement tenter, sesir
et surprendre a la conoissance d'autruv, [il] s'est guéri tout net a \ ^^eudroit 25
(/(• ce subiet.
Tfatk 88. — 6) vulijaiic, où il y a moins de rcfiftance. On — 8) liaifons des
mariages, dequov le monde fc voit fi plein, qu'il — 12) pouuoit efchoir — 15) ùire
vn conte
\'.\R. MS. — 8) liaifons ('.( mariages dcquoy — 18) smitienir ImiuntiaHl sfn amc —
18) •;oiirnwiiihiiil cl tM»siff(i»l — 2.\) preiiiiciriiiciil scsir — 25) s'csl poiiridiiiins giifii
.le qui... nioy mefme, addition Je ijSS.
I.IVRK I, CHAI'lTRn XXI. 12)
\A] qui on a este une fols ciipdhle, ou n'est plus liieujkihle, si non par
iuste faiblesse.
Ce malheur n'cfi: à craindre qu'aux cntrcprinlcs, où nortrc amc fe
trouuc outre meliiro tanduc de dciîr 6s; de rcfpoct, & uoteninient si les
5 commoditcz le rencontrent improueues (i^ preflantes : on n'a pas
inoleu de le rauoir de ce trouble, l'en fçav, à qui il a feruv d'y
apporter le corps melme eoumncé a ressasier d'ailleurs, pour einhruilr
l'ardur de cette fureur, et qui par l'eaa^e se treuue uioius iuipuissani de ce
qu'il est moins puissant. Et tel autre a qui il a serai aussi que un ainv
io l'uyc assure d'estre fourni d'une coutrehaterie d'cuchantemetis cer teins a le
preseruer. Il uaut mieus que le die coiuant ce fut. Vu compte de treshon
lieu, de qui i'estois fort priué, se mariant aiieq une belle dame qui auoit este
poursuiuie de tel qui assistoit a la feste, mettoit en f^raïui peine ses amis
et nonmiuent nue uieille dame, sa parante, qui presidoit a ces iiopces et
[5 les Jaisoit ches elle, creiutifue de ces sorcelleries : ce qu'elle me fit entandrc.
le la priai s'en reposer sur moi. l'auois de fortune en iiu's coffres certeine
Texte 88. — 5) Cela n'eft à craindre — 4) & notamment où les — 5) prelTlmtes.
A qui a alTez de loifir pour fe rauoir & remettre de ce trouble, mon confeil eft qu'il
diuertiiïe ailleurs fon penfement, s'il peut, car il eft difficile, & qu'il fe defrobe de cette
ardeur & contention de fon imagination. l'en fçay, à qui il a ferui d'y apporter le corps
mefme, amolly & atfoibly d'ailleurs. Et à celuy qui fera en alarme des liaifons, qu'on
luy perfuade hors de là, qu'on luy fournira des contre-enchantemens d'vn effcct
merueilleux et certain. Mais il faut auiïi que celles, à qui légitimement on le peut
demander, oftent ces façons ceremonieufes & affectées de rigueur & de refus, & qu'elles
fe contraignent vn peu, pour s'accommoder à la neceifité de ce liecle malheureux : car
l'ame de l'aflaillant (p. 127, 1. 15.) Avant le remaniement total de ce qui prcccde, le ms. fait les
modifications suivantes : rauoir & desToher dc... diuertiftc fon penfement, s'il peut, mats
il eft... cette ardeur de fon imagination... certain. Or il... fiecle. L'ame
Var. ms. — i) I" : incapable corne ou [ne] dénient guère capahle entiers qui on a este
pretnieremeiil incapable. Ce maltjeur 2" : incapable que par iuste — 4) & nomeement si
— 7) 1° : le corps mefme aff"oibly d'ailleurs et a demi ressasié pour endormir un peu
l'ardur de cette fureur imaginaire. Et à celuy (voir ci-dessus texte 88.) 2° : le corps mefme
ressasié d'ailleurs pour endortttir l'ardur de cette fureur : et en qui l'affoyblissenianl de l'eage
a utilkinant ouuré despuis. Et tel a qui — 9) que quelqu'amy — 11) de he» fort bon lieu
— 14) nopces maisirtfS4 de la maisen m M — 15) entatidre. Et la
126 ESSAIS DE MONTAIGNE.
petite pièce d'or plate, ou cstoiiif grauees quelques figures célestes contre
le coup du soleil et oster la dolur de teste : la logeant a point sur la cousture
du test; et, pour l'y tenir, elle estoit cousiw a un ruban propre a ratacher sous
le manton. Resuerie gernieine a celle de quoi nous parlons. laques Peletier^
ni'aiioit faict ce presant singulier. Vaduisai d'ioP tirer quelque usage. Et 5
dicts au compte qu'il pourroit courre fortune conie les autres : y aiant la
des Ijonus pour luy en uouloir prestcr d'une; mais que hardimant il s'allât
coucher; que ie luy fairois un tour d'ami, et n'espargnerois a son hesouin
un miracle qui estoit en ma puissance, pour vcu que, sur son honeur, il me
promit d( le tenir tresfidelemant secret; sulemant, come sur la nuit on irait 10
luy porter le resueillon, s'il lu\ estoit niai allé, il me fit un tel signe. Il auoit
eu l'ame et les oreilles si battues, qu'il se trouua lié du trouble de son imagi-
nation, et me fit son signe. le luy dis lors, qu'il se leuat sous colur de nous
chasser, et print en se iouant la robe de nuit que i'auois sur min' (nous
estions de taille fi)rt uoisinc) et s'en uestit, tant qu'il aroit exécuté mon 15
ordonance, qui fut : quand nous serions sortis, qu'il se retirât a tùhcrde l'eau;
dict trois fois telles oraisons, et fit tels mouuemens; qu'a chacune de ces trois
fois, il ceignit le ruban que ie luy mettols en mein, et couchât bien souigneu-
semant la medale qui v estoit atachee, sur ses rouignons, la figure en telle
posture; cela faict, ayant biè estreint ce ruban pour qu'il ne se peut iiy 20
desnouer, nv mouuoir de sa place, que eu toute assurance il s'en retournât
a son pris faict, & n'obliat de reieter ma robe sur son lict, en manière qu'elle
les aî'riat tous deus. Ces singeries sont le principal de l'effaict : nostre pansée
ne se pouuant demesler que moyens si estrangcs ne uienent de quelqu abstruse
sciance. Leur inanité leur donc pois & reuerance. Somme, il lut certein 25
\'ar. ms. — 1) 1° : célestes pour endormir h pointe au soleil el chusser la dolur
2° : célestes pour endormir et pour chasser la dolur — 2) logeant pi^pt^-mani a point sur la
coupure, et pour — 6) dicis au couvre (}) — é) autres : et auoit la des — 11) resueillon et
Utfjit son ftgtie (ces cinq derniers mots en interligne, insérés ici p.ir erreur, sont biffés et reportés plus Kis.)
— 12) trouua entraué du — 13) disquil — 16) /«/«i — 16) V eau se mit en deuoiion .
Dict — 17) tels signes. Qu'a — 24) que mcyettnaiU Çou mouuemmt) — 25) & autho
' L'édition de 159; ajoute ici : viuailt chez moy
LIVRK I, CHAPITRH \XI. I27
que lues earacteres se troitiiarèf plus Vénériens que Soleres, plus en ciel ion
qu'en prohibition. Ce fut un humeur prompte et \curieuse qui nu'\ eonuia
cl tel effiiiet eslouigne de inci nature. le suis enenii des actions subtiles
& feintes [& hay la finesse, en mes mains, non seulement recréât lue, )nais
5 aussi] profitable. Si l'action {n'est vicieuse, la routte l'est].
[Amasis Roy d\-Eovptc espousa Laodice Iresbellc fille Grecque : & luy,
qui se] montroit gentil compaignon par tout ailleurs, se trouua court a ioiiir
d'elle, et menaça de la tuer, estimant que ce fut quelque sorcerie. Conie es
choses qui consistent en fiintasie, elle le reieta a la deuotion, et, aïani faict
10 ses ueus et promesses a Venus, il se trouua diuinement remis des la première
nuit d'empres ses oblations et sacrifices.
Or elles ont tort de nous receuillir de ces contenances mineuses, quereleuses
et fuiardes, qui nous esteignent en nous alumant. La bru de Pythagoras
disait que la famé qui se couche aueq un home, doit aiieq la cote laisser aussi
15 /(/ honte, et la rcprandre aueq le cotillon. L'amc de l'alTaillant, troublée
de plufieurs diuerfcs allarmcs, le perd ail'ement : & à qui l'imagination
a faict vne fois fouffrir cette honte (& elle ne le fait foufîrir qu'aux
premières accointances, d'autant qu'elles font plus bouillantes ik afpres,
& aulîi qu'en cette première connoiiïitnce, on craint beaucoup plus
20 de faillir) avant mal commencé, il entre en lieure & delpit de cet
accident qui luy dure ans occaiions fuiuantes.
Les marie:^, le temps estant tout leur, [ ne] doiuent ny presser, \jiy] taster
leur étreprinse, s'ils ne sont pret:;^; [et] luiut miens faillir indeammanl
Texte 88. — 16) allarmes elle fe perd aifement : & ce n'eft pas tout, car celuy
à qui — 17) elle ne l'a fait guicrc fouffrir — 18) plus ardantes & — 19) connoif-
fance qu'on donne de foy, on — 20) il entre en fi grande ficure & dcfpit de cet
accident, que cette frayeur s'en augmente & luy redouble à toutes les occafions
fuiuantes : & fans quelque contre-mine on n'en vient pas aifement à bout. Tel à
l'aduenture (p. 130, 1. 8.)
\'ar. .ms. — 2) qu'en deféiuei'. — 3) effiiiii Ireseslcuiisriic de ma iialurcllc coiidilioii.
Ie...subliles&MHmi4eslrompeiises[&hay — 7) coiirt a pi^uJiv sa («lulmiamfi — 8) Conte
es aeeùiauf tfui eo — 14) tjome detioil aueq son colilton laisser — 22) Les marie-^ oui
nieillur ieii, le temps estant tout leur et ne doiuent
12-8 ESSAIS DE .MOXTAIGXE.
a estrener la couche mipi'uiJc pleine d'agitation et de fleure, attâdant une
et un autre commodité plus priuee et moins allarmee, que de tumher en une
perpétuelle misère, pour s'estre estoué et désespéré du premier refus. Auant
la possession prinse, le patiant se doit a saillies & diuers tamps legieremant
essaïer et offrir, sans se piquer & opiniatrer a se conueincre definitiuenult
soimesmes. Ceus qui sçauent leurs membres de nature dailes, qu'ils se
souignent sulement de contrepiper leur fantasie.
On a raison de remarquer l'indixile liberté de ce numbre, s' ingérant si
importuneemant, lors que nous n'en auons que faire, et deffaillant si impor-
tuneement, lors que nous en auons Je plus a faire •, et contestant de l'autborité
si impérieusement aueq nostre uoloiité, refusant aueq tant de fierté et d'obsti-
nation nos sollicitations et mentales et )nanuelcs. Si toutesfois en ce que on
gourmande sa ' rébellion, & qu'on en tire prenne de sa condemnation, il
m'auoit pavé pour plaider sa cause : a^ l'auanture mettrois ie en supçon
nos autres numbres, ses compaignons, de luv estre aile dresser, par belle
enuie de l'importance et douceur de son usage, cette querelle aposiee, et a noir
par complot arnw le monde a l'encontre de luy : le chargeant malignement
sul de leur faute commune. Car ie nous donc a penser, s'il y a une suie des
parties de nostre corps, qui ne refuse a nostre uolonté sonnant son opération,
et qui sonnant )U' l'exerce contre nostre uolanlé. Elles ont chacune des
passions propres, qui les esucillent et endorment sans nostre congé. A quant
de fois tesmouigiwnt les mouuemens Jorce:;^ de nostre uisage les pensées que
nous tenions secrètes, et nous trahissent ans assistans. Cette nwsnw cause qui
anime ce mend>re, anime aussi sans nostre sceu le ccur, le poidnuvi et le pous,
la ueue d'un ohiect agréable respandant inperceptiblement en nous la jlanune
d'un' enu^tion peureuse. X'v a il que ces muscles et ces ueines qui s'eleuent
et se couchent sans l'adueu, non sulement de nostre uolonté, mais aussi de
nostre pensée? Xoits ne conuindons pas a nos cbeneus de se hérisser, et a nostre
peau de frémir de désir ou de creinte. La nniin se porte sonnant ou nous
\'ar. ms. — i) a la couche — 5) esloué cl irrémédiablement condamné du premier —
4) prinse il se faut a saillies — 5) dcfinitiuemâl en soimesmes — 8) membre s' offrant si
— Il) uoloulc. Si toutesfois — 12) en ce que si on — 20) ne s'exerce
LIVRE I, CHAl'ITRi: XXI. I29
//(' rciluoiolis pets. La langue se transit el la noix se Jigc a son heure. Lors
niesme que n'ayant de quoi frire nous le luy dejandcrions uolantiers, V appétit
de manger et de boire ne laisse pas d'esniounoir les parties qui lux sont
suhiectes, nv plus ny moins que eet autre appétit : et nous ahandone de niesnws,
5 hors de propos quand bon luv se}id'le. Les utils qui sèment a descharger
le neutre, ont leurs propres dilatations et compressions, outre et contre nostre
auis, coine ceuscv destiiw:;^ a descharger nos rouignons. Ll ce que, pour
aulhoriser la toute puissance de nostre uolonfé, Saincf Augustin allègue aiioir
ucu quelcun qui comandoit a son derrière autant de pet:^ qu'il en uouloit,
10 el que Viues, son glosai ur, enchérit d'un autre example de son temps, dcpet:^
organise:^ suiuans le ton des uers qu'on leur prononçoil, ne suppose non plus
pure l'obéissance de ce membre : car en est il ordiiwrenmnt de plus indiscret
et tumultuere. louint que t'en sçai un si lurbidant et reiwsche, qu'il y a
quaran[te ans, qu'il tient son maistre a peter d'vnc haleine & d'vnc obli-
15 gatioii constante & irremittcnte,\ et le niaiiw ainsin a la morl.^
Mais nostre uolonle,pour les droits de qui nous ntettons en aiuint ce reproche,
combien plus uraiscniblablement la pouuons nous marquer de rébellion et
sédition par son desreglcment et désobéissance. l'eut elle tousiours ce que
nous iiotulrions qu'elle uoiisit ? Ne neut elle pas sonnant ce que nous luy
20 prohibons de uouloir : et a itostre euidant domage ? Se laisse elle non plus
mener ans conclusions de nostre raison ? En fin ie dirois pour monsieur
ma partie, que plaise a considérer qu'en ce jaicl, sa cause estant insépara-
blement conioinnte a un consort et indistinctenwnl, on ne s'adresse pour] tant]
qu'a lux, cl par des argunums cl charges telles, ucu la coiulilion des parties,
\'ak. ms. — 2) h- tciiy dcfiimkrioiis. uoUiiiliiis Ll fuim H( liiiii,4 pas — 6) ditaUillous
el reslrhhiwiis oulic — 11) qu'où luy proiioiiçoit... — 12) tic ces membres: car —
1 3) //;/ si lub — 15) irremilleiite,] et pelleia iusques a lu mort en tlespil qu'il en aye. Mais
— 21) Eu fiu les adiweais et les iuges etU beau seu quet^elei^ et senieneiei: ; nature eepaudaut
tim sen tmu — 24) par des charges telles iieu la nature des
• Ici icUitiou de 159; ajoute : Et pleuft à Dieu, que ie ne le fceufle que par les hiftoircs,
combien de fois noftre ventre par le refus d'vn feul pet, nous nienne iufqucs aux
portes d'vne mort tres-angoilleufe : & que Tl-jupereur qui nous donna liberté de peter
par tout, nous en cuft donné le pouuoir.
150 ESSAIS DE MONTAIGNE.
(jiicllcs ne pcmtcui lUtcuminaut apartenir )iy concerner son dict consort.'
Piirhinl se uoit Vanimositc et illeo;c!lité manifeste des accnsaturs. Quoi qu'il
en soit, protestât que les adnocats et iuges ont beau quereler et sentancier,
nature tirera cependant son trein : qui n'aroit faict que raison, quand
eir aroit doué ce membre de quelque particulier primlei^e, autheur du sul 5
ouurage immortel des mortels. Pour tant est a Socrates action diuine que la
génération; et amour, désir d'immortalité, et Dation imnuvtel luy mesmes.
Tel à l'adiicnture, par cet effect de l'imagination, laifle icy les
elcruelles, que fon compagnon raporte en Efpaigne. Voyla pour-
quov, en telles chofes, l'on a accouftumé de demander vne ame 10
préparée. Pourquov praticquent les médecins auant main la créance
de leur patient auec tant de tauces promefles de la gueriion, il ce
n'ell; atin que Teffect de l'imagination l'upplilTe l'impofture de leur
apoleme? Ils l'çauent qu'vn des maiftres de ce mellier leur a lailTé par
efcrit, qu'il s'ell trouué des hommes à qui la leule veûe de la Médecine 15
failbit l'opération.
Et tout ce caprice m'eil tombe prelentement en main, lur le conte
que me failbit vn domeftique apotiquaire de teu mon père, homme
limple 6c SouylTe, nation peu vaine & menlongiere, d'auoir cogneu
long temps vn marchand à Touloufe, maladif (^ lubiect à la pierre, 20
qui auoit louuent befoing de clifteres; & le les tailoit diuerlement
ordonner aux médecins, lelon l'occurrence de ion mal. Apportez
qu'ils eftovent, il n'v auoit rien obmis des formes accouftumées :
louuent il tartoit s'ils ellovent trop chauds. Le vovla couché, renuerié,
& toutes les approches faictes, fauf qu'il ne s'y tailoit aucune iniection. 25
L'apotiquaire retiré après cette cérémonie, le patient accommodé,
Texte 88. — 25) faifoit nulle iniection.
\'ar. ms. — 2) illcgalilc ilcs — 3) proteste que — 5) priiiitege iieii son tliiiiii offiic
d'une imtiioildk propagation . Pour laut
< r.'cditioii de ii9; ajoute ici : Car l'cticct li'iccluv c(l bien de conuicr inDpportunciiK'iU
par lois, mais rcfiifcr ianiais : & lie coiuiicr tncon.- laciteniciU & quietcnK-iU.
LIVRE I, CHAPITRI- XXI. I3I
comme s'il auoit véritablement pris le clvlU-re, il en fentoit pareil
efFect à ceux qui les prennent. Et li le médecin n'en trouuoit l'opé-
ration fuffifante, il luv en redonnoit deux ou trois autres, de mefme
forme. Mon tefmoin iure que, pour efpargner la defpence (car il les
5 pavoit, comme s'il les eut rcceus), la lemme de ce malade avant
quelquefois efllivé d'v faire feulement mettre de l'eau tiède, l'effect en
delcouurit la tourbe, & pour auoir trouué ceux là inutiles, qu'il faulit
reuenir à la première laçon.
\"ne femme, penlant auoir aualé vn' elplingue auec l'on pain, crioit
10 it fe tourmentoit comme avant vne douleur inlupportable au goiier,
où elle penfoit la fentir arrertée; mais, par ce qu'il n'v auoit nv enileure
nv altération par le dehors, vn habif homme, avant iugé que ce
n'ertoit que lantafie & opinion, prile de quelque morceau de pain qui
l'auoit piquée en pafliuit, la fit vomir <;<>: ietta à la defrobée dans ce
I) qu'elle rendit, vne efplingue tortue. Cette femme, cuidant l'auoir
rendue, fe fentit foudain defchargée de la douleur. le fçav qu'vn
gentil'homme, ayant traicté chez luv vne bonne compagnie, fe vanta
trois ou quatre iours après par manière de ieu (car il n^:n eftoit rien)
de leur auoir faict menger vn chat en pafle : dequov Mie damovfelle
20 de la troupe print telle horreur, qu'en eftant tombée en vn grand
déuovement d'eftomac & fieure, il tut impotlîble de la l'auuer. Les
beftes mefmes le voyent comme nous fubiectes à la force de l'ima-
gination. Tefmoing les chiens, qui fe laifTent mourir de dueil de la
perte de leurs maiftres. Nous les voyons auffi iapper & tremoulTer
25 en longe, bannir les cheuaux & fe débatte.
Mais tout cecy fe peut raporter à l'eftroite coufture de l'efprit
& du corps s'entre-communiquants leurs tortunes. C'ell; autre choie
que l'imagination agiffe quelque fois, non contre Ion corps feulement,
mais contre le corps d'autruy. Et tout ainfi qu'vn corps reiette Ion
Texte 88. — 8) façon. Ces iours paflfez vne — 27) fortunes. Mais c'eft bien
autre
1^2 HSSAIS Di; ^lOXTAIGXE.
mal à l'on voilin, comme il le voit en la perte, en la verolle, \ au
mal des veux, qui le chargent de Fvn à l'autre :
Dum fpectant oculi Lvfos, Leduntur & ipfi :
Multdque corporibus tranfitione nocent,
pareillement l'imagination ell>ranlée auecques véhémence, ellance 5
des traits, qui puilTcnt offencer l'obicct ertrangier. L'ancienneté a
tenu de certaines femmes en Scythie, qu'animées et courrouflecs
contre quclqu'vn, elles le tuoient du feul regard. Les tortues & les
autruches couuent leurs œufs de la feule veuë : figne qu'ils y ont
quelque vertu ejaculatrice. Et quant aux forciers, on les dit auoir 10
des yeux offenfifs & nuifans,
Nefcio quis teneros oculus niilii nikinat agnos.
Ce font pour mov mauuais refpondans, que magiciens. Tant y a
que nous voyons par expérience les femmes enuoyer aux corps
des enfiins qu'elles portent au ventre, des marques de leurs lan- 15
tafies, tefmoing celle qui engendra le more. Et il tut prclenté à
Charles Roy de Bohême & Empereur vne fille d'auprès de Pile, toute
velue (i^ herilïée, que fa mère difoit auoir erté ainfi concciie, à caulc
d"vn' image de Sainct lean Raptirte pendue en l'on lit. Des animaux
il en ert de mel'mes, tefmoing les brebis de Licob, & les perdris 20
& les Heures, que la neige blanchit aux montaignes. On vit dernière-
ment chez mov vn chat gueftant vn ovleau au haut d'vn arbre,
\-, s'ertans fichez la veuë ferme fvn contre fautre quelque efpace de
temps, l'oyleau s'eftre laiiïe choir comme mort entre les pâtes du
chat, ou ennyuré par l'a propre imagination, ou attiré par quelque 25
force atractiue du chat. Ceux qui avment la volerie, ont ouy taire
le conte du tauconnier qui, arreftant obrtinément l'a veùe contre
vn milan en l'air, gageoit de la feule force de l'a veiie le ramener
Tf.xtf. 88. — 7) que aninices — 12) agiios. Mais ce — 28) milan, i^ui eftoit
amont, M<;i.'oit
F.lVRi; I, CUAI'ITRI-; XXI. 135
contre-bas : & le failbit, à ce qu'on dit. Car les Hirtoires que i'oiipniiih;
ie les renuoye fur la confcience de ceux de qui ie les prciis.
Les difcours font à nioy, & le tienent par la preuue de la railbn,
non de l'expérience : chacun y peut ioindre l'es exemples : & qui
5 n'en a point, qu'il ne lailTe pas de croire qu'il en eft, vcu le nombre
(X: variété des accidens.
5/ ic lie coiiic bien, ijinin autre coiiic pour moi.
Aussi en Vestuile que ie traiele de nos meurs et moiiiiemeiis, les tesmoui-
gndgcs fahiikiis, pounieu qu'ils soit possibles, y sentent eoine les urais.
10 Adiienu ou non dduenu, a Paris ou a Rome, a lan ou a Pierre, e'esl
loiisioiirs un tour de l'humeine eapaeité, duquel ie suis utillement ad aisé
par ee reeil. le le uois el en fois mon profit esgaleinent en ombre que en eorps.
Et nus diuerses leçons qu'ont sonnant les histoires, ie prens a me sentir de
celle qui est la plus rare et mémorable. Il v [a] des authenrs, desquels la fin
iS c\est] dire les enenemans. La miene, si i'v sçauois auenir, seroit dire sur
ce qui peut auenir. Il est instemant permis ans eseoles de supposer des
similitudes, quand ils n'en ont point. le n'en fois pas ainsi pourtant, et
surpasse de ce costé la en relligion superstitieuse toute foi historialle. Ans
exemples que [ie] tire céans de ce que i'ay oui, faict ou diet, ie me suis
20 desfeiidu d'oser altérer iusques ans plus legieres et inutiles circonstances.
Ma côsciance ne falsifie pas un ïoia, ma sciance ie ne sçai. Sur ce propos.
Ventre par fois en pensée qu'il puisse asse:^ bien conitenir a un Théologien,
a un philosofe, et telles gens d'exquise et exacte consciance et pritdance.
Texte 88. — i) Hiftoircs que ic rccitc, ic — 2) ic les tiens : les difcours —
5) cft afTez, veu — 6) accidens liumains.
Var. ms. — 6) accidens humains. Dainnitiu^c en t'ciludc de (jiioi if nie iiicsic le plus,
de nos — 7) pour moi : ee ii'esl pus niai piirler (jiie iiuil eoiiier. Aussi — 10) Rome pur hiii
ou par Pierre — 12) uois el le iiige esgalemeui... eorps. Nous supposons des eonies, quand
nous n'en auons pas. Elans — 14) mémorable quoi que son tesmouignage ne soit si ferme
[et a] l'auanlure du tout si eler. Il y a] — 15) sçauois arriuer dire — 16) des eonies
quand — 18) historialle eu mes pr«pf4saus narations qui soûl mienes en ee Hure. En eeus
que [jVj tire — 20) cireonslanees. Sur ce propos, quand parfois i'y pense de près l'entre
en double qu'il puisse — 23) consciance d'-tsiRn l'Hisleire
134 ESSAIS DE MOXTAIGXE.
d't'scriir l'histoire. Cornant pcuucut ils engager lenrfoi sur une foi popuJere?
Cornant respondre des pensées de persanes inconues et douer pour argent
eontant leurs conieetures? Des actions a diuers numhres qui se passent en leur
presance, Us refuseroint d'en rendre tesniouignage, asser))uiite:^par un iuge:
et n'ont home si familier, des intantions du quel ils entreprencnt de pleinemant 5
respondre. le tiens moins hasardeus d'escrire les choses passées que presantes :
d'autant que l'cscrinein n'a a rendre conte que d'une uerite empruntée.
Aucuns me conuient d'escrire les affaires de mon temps, estimant que ie les
uois d'une ucue moins blessée de passion qu'un autre, et de plus près, pour
l'accc::^ que fortune m'a donc aus chefs de diuers partis. Mais ils ne disent 10
pas que, pour la gloire de Salluste, ie )i\'en \ pranderois pas la peine : enemi
iure d'obligation, d'assiduité, de consta)ice; qu'il n'est rien si contrere a mon
stile qu'une narration estendue : ie nu' recoupe si souua)it a faute de halei)ie,
ie n'ay ny composition, ny explication qui uaille, ignorant au delà d'un
enfant des frases et uocahles qui sèment aus choses plus communes; pourtant 1 5
ai ie pris a dire ce que ie sçai dire, accommodât la matière a ma force; si
{'en prenais qui me guidast, nui mesure pourrait faillir a la siene; que
ma liberté estant si libre, l'eusse publié des iugenwus, a mon gré mesme et
selon raismi, UkgitinKS et punissables. Plutarquc nous dirait uolantiers de
ce qu'il en a faict, que c'est l'aKurage d'autruy que ses examp les saint 20
en tout & par tout véritables; qu'ils saint vtiles à la postérité, & présente:,
d'vn lustre qui luvis esclaire a la vertu, que c'est son ouurage. Il n'est pas
dangereux, came en vue drogue nnrliciiuile, en vu compte ancioi, qu'il soit
ainsin ou ainsi. \
Var. ms. — 5) comcciures : uni que def arlioiis — 12) ricii si ntewi de nuiii
Chapitre XXII,
LE PROFIT Dli LVX EST DOMMAGE DE L AVTRE.
Dcnîadcs Athénien condamna vn homme de l'a ville, qui faifoit
meftier de vendre les chofes necefïliires aux enterremens, Ibuhs
tiltre de ce t]u'il en demandoit trop de profit, & que ce profit ne
luy pouuoit venir fans la mort de beaucoup de gens. Ce iugement
5 lemble eflre mal pris, d'autant qu'il ne fe fait aucun profit qu'au
dommage d'autruy, & qu'à ce conte il taudroit condamner toute
forte de guein.
Le marchand ne fait bien l'es affaires qu'à la débauche de la
ieuneffe ; le laboureur, à la cherté des bleds ; l'architecte, à la ruine
lo des maifons; les officiers de la iuftice, aux procex & querelles des
hommes; l'honneur mefme & pratique des minières de la religion
fe tire de noftre mort & de nos vices. Nul médecin ne prent plaifir
à la lanté de fes amis mefmes, dit l'ancien Comique Grec, ny foldat
à la paix de la ville : ainfi du relfe. Et qui pis eft, que chacun le fonde
I) au dedans, il trouuera que nos fouhaits intérieurs pour la plus part
nailfent & fe nourrifl'ent aux defpens d'autruy.
Texte 88. — 3) l'ail nul pmlit — S) ne fc fait
136 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Ce que confiderant, il m'eft venu en fantalie, comme nature ne
le dément point en cela de la générale police : car les Phvlîciens
tiennent que la naiflance, nourriflement & augmentation de chaque
chofe, eft l'altération .^ corruption d'vn" autre :
Nam quodcunque fuis mutatum tinihus exit,
Continuo hoc mors eft illius, quod fuit ante.
Chapitre XXIII,
DK LA COVSTVMH & DE Xli CHAXGLR AISLMENT VXE LOY RECEVE.
Ccluv me femblc auoir trcs-bicn conceu la torcc de la couihime,
qui premier forgea ce conte, qu'vne femme de village, ayant apris
de careffer & porter entre fes bras vn veau des l'heure de h naifliuice,
& continuant toufiours à ce faire, gaigna cela par l'accouftumance,
5 que tout grand beuf qu il eftoit, elle le portoit encore. Car c'crt à la
vérité vne violente & traiftrelTe maiftrefle d'efcole, que la courtume.
Elle eftablit en nous, peu à peu, à la defrobée, le pied de ion autho-
rité : mais par ce doux & humble commencement, l'ayant raflis
6c planté auec l'avde du temps, elle nous defcouure tantoft vn furieux
10 ^; tvrannique vifoge, contre lequel nous n'auons plus la liberté de
haufler feulement les yeux. Nous luy voyons forcer tous les coups
les reigles de nature. « J^siis cfficacissimiis reniiii oniniiiiii iiiagister. »
l'en croi [Va]ntre de Platon eu sa République, et croy les médecins,
qui quitcnt i\ fouuent à fon authorité les raifons de leur art; & ce
i) Ro\- qui par fon moyen rengea l'on ellomac à le nourrir de poilbn;
ix la fille qu'Albert recite s'eftre accouftumée à viure d'araignées.
Et en ce monde des Indes nouvelles on trouua des grands peuples
& en fort diuers climats, qui en viuoient, en fiiifoient prouilion, & les
apaftoient, comme aufli des fauterelles, formiz, laizards, chauueflburiz,
Texte 88. — 12) n.nurc : i'cn croy
138 ESSAIS DE MONTAIGNE.
& fut vn crapault vendu fix elcus en vne neceflîté de viures; ils
les cuilent ^: appreftent à diuerles fauces. Il en fut trouué d'autres
aufquels no/ chairs & noz viandes eftovent mortelles & venimeules.
« Coiisiictudiiiis luci'^tia itis est. Pcnioctaiit iiciuitorcs iii iiiiic : in iiioiilihiis
iiri se piitiiiiilur. Ptigiles ca'stibus coiitiisi ne iiigeniiseimt qiiidetu. » 5
Ces exemples estmiigiers ne sont pas estninoes, si nous eonsiiierons, ee
que nous essûioiis onlinerement, eomhien l'aeostumanee hebele nos sens. Il ne
nons faut pas aller ebercher ce qu'on dict des uoisins des cataractes du Nile,
et ee que les philosophes esti)nèt de la musique céleste, que les corps de ces
cercles, estant solides cl ueiians a se lécher & f roter l'un a l'autre en roulant, 10
ne peuuent faillir de produire une merueilleuse harmonie, aux coupures
et muances de la quelle se nuinient les contours et changenwns des enrôles
des astres; iintis qu'uniuerselenuvit les ouïes des créatures, endormies come
celles des .-Egiptiens parla continuation de ce son, ne le peuuent aperceuoir,
pour graïul qu'il soit. Les nuirechaus, ntusiiiers, armuriers ne sauroint 15
durer au bruit qui les frapc, s'ils s'en estonoint conw nous. Mon^ colet de
Jkur sert a mon »(- , nniis après que ie m'en suis uestu trois iours de suite,
'il Jie sert qu'ans )ie:i assistans. Cecy est plus rstrange que non obstaut des
longs internai les et intermissions Vacostaumnee puisse iouindre et establir
l'ejfaict de son impression sur nos sens : come essaient les uoisins des 20
elochiers. le loge ebes moi en uiw tour ou, a la diane et a la retretc, une fort
grosse cloche soiw tous les iours l'aue maria. Ce tintanuirre effraie nui tour
niesmes : et, ans premiers iours me semblant insuportable, en peu de temps
m'appriuoise, de nuiniere que ie l'ois sans ojfance et sonnât sus m'en csueiller.
Var. ms. — 6) eslraiiges d a considérer ce — 7) orditicreiiieid que l'acoslumance
— 8) des jEgipItens uoishis — 10) f un et l'autre — 12) niauiciil d — 17) iieipfuf:
imsimi^ — 18) des iuterualles — 20) nos oreilles conic — 25) insuportable m)4t>ui au
matin, heure de nwn ineillur sommeil, en peu — 24) souuàt ne m'en esucille pas 1° et
.Mon colcl de Jtcur cl mes giiuU sert aus ne:^ edivu^ier^ assistans, mais au mien après trois
,. • ■ > 1 -, 1° que ie m'en suis serai de suite ^ .,
ou quatre wurs que le m-CH </*««; ', ., . , . , "- il ne me sert
2° rie suite que le m en suis uestu
plus Platon 2° au matin 1)eure de mon meillur (piirase inachevce.) Platon
' .Mon... assistans, .niJition ultiriture. primitivement pl^icOc- ;iprcs CSUcitlcr (cf. viiri.mtc 1. 2.^.)
I.IVRÏÏ I, CHAPITRi: XXIII. I^i^
Platon hiiisti un cnjanl qui iuuoil aus nais. Il luy respoiulit : Tu me
tanscs de peu de chose. — L'acosiuinance, replica Platon, n'est pas clx>sc
de peu.
le treuue que nos plus (grands uices preucnl leur pli de nostre plus tendre
5 eujance, et que nostre principal gouuernenwnt est entre les mains des nour-
risses. C'est passetevips aus mères de noir un enfant tordre le col a un
poulet et s'eshatlre a blesser un chien et un chat; et tel père est si sot de
prendre a bon augure d'un' aine martialle, quand il uoit son fis gourmer
iniurieuseineni un paisan ou un laquai qui ne se défaut pouiul, et a ian-
lo ti liesse, quàd il le uoit affiner sou compaignon par quelque nialitieuse
desloiaute et tromperie. Ce sont pourtant les u raies semances et racines de
la cruauté, de la tirannie, de la trahison : elles se germent la, et s'esleueni
après gaillardement, et profitent a force entre les mains de la costume.
Et est une tresdangereuse institution d'excuser ces uileincs inclinations
i) par la joihlesse de l'eage et legierete du siiUet. Premierenwit c'est nature
qui parle, de qui la iu)ix est lors plus pure & plus forte qu'ell' est plus
gresle. Secondement la laidur de la piperie ne despent pas de la dilference
des escus aus esplingues. Elle despant de \_sox. le trouue bien plus iuste de
conclu rre ainsi : Pourquoy] ne tromperoit il aus escus, puis qu'il trompe aus
20 esplingiu's? que corne [ils font : Ce n'est qu'ans esplingues, il n'ait roi t garde
de le faire ans escus. Il faut apprendre soiiigneusement \ aus en fans de hair
les uices de leur propre contexture, et leur en faut aprandre la naturelle
difformité, a ce qu'ils les fuient, non en leur action sulemeiit, mais sur tout
en leur ceiir; que la pensée mesme leur en soit odieuse, quelque masque
2) qu'ils portèt. le sçai bien que, pour m'est re du il en ma puérilité de marcher
tousiours mon grand et plein chemin, & auoir eu a cotre cenr de mesler ny
trichoterie ny finesse a mes ieux enfantins, coine de lirai il faut noter que
les l'eus des enfans ne sont pas ieiis, et les faut iuger en eus coine leurs
\'ar. ms. — 4) pli en nostre — 6) eiifara et tordre le col a un poulet et baUw un Mm
s'esbattre a battre & blesser — 11) sont les — 12) germent ta. Et est une — 16) lors
plus puisante & plus pure qu'elle — 22) la nature & difformité. Il faut qu'ils les fuient
— 25) qu'il porte. le
140 ESSAIS Di; MONTAIGNE.
plus sérieuses aeiious, il n'est passeieuips si Icgier ou ie lùipcvie du dedans,
d'une propansion naturelle & sans estudc, un extrême contradiction a
tromper. le manie les cartes pour les doubles & tiens coule, conw pour les
doubles doublons, lors que le gaiiiner et le perdre contre ma jame et ma
fille m'est indifférant, conie lors qu'il y na de bon. En tout et par tout 5
il V a asses de mes veus a me tenir eu ofjice : il n'y en a point qui me
veillent de si près, >iy que ie respecte plus.
le viens de voir chez moy vn petit homme natif de Nantes, né
lans bras, qui a li bien façonné fes pieds au leruice que luv deuoycnt
les mains, qu'ils en ont à la vérité à demy oublié leur office naturel, ro
Au demourant il les nomme fes mains, il trenche, il charge vn
piflolet & le lâche, il énlille Ion eguillc, il coud, il efcrit, il tire
le bonnet, il le peigne, il iouë aux cartes & aux dez, & les remue
auec autant de dextérité que fçauroit faire quelqu'autre; l'argent que
ie luv av donné (car il gaigne la vie à le taire voir), il l'a emporté 15
en l'on pied, comme nous taifons en noftre main, l'en vy vn autre,
ertant entant, qui manioit vn' efpée à deux mains & vn' hallebarde,
du pli du col, à faute de mains, les iettoit en l'air & les reprenoit,
lançoit vne dague. & faifoit craqueter vn toét auffi bien que char-
retier de France. 20
Mais on decouure bien mieux les effets aux el^ranges imprellîons,
qu'elle tait en nos âmes, où elle ne trouue pas tant de relîll:ance.
Que ne peut elle en nos iugemens & en nos créances ? Y a il opinion
Il /'/--^//-^i' (ie lailTe à part la grolTiere impofture des religions, dequoy
tant de grandes nations &: tant de fuffifans perlbnnages le font veux 25
envurez : car cette partie ellant hors de nos rail'ons humaines, il ell:
plus exculahle de s'v perdre, à qui n'v ell extraordinairement elclairé
par taueur diuine) mais d'autres opinions v en a il de li eftranges,
'I r.XTK SS. — 24) il fiintafquc (ie — 28) par vue taueur
\'ar. ms. — i) dedans & d'une — 2) sans niniin soin un' extrême — ?) caries & l
— 4) double ducats : lorsque... et le perdre est du du tout indifferaiU, conie lors qu'il est
du plus oraud pois. En tout — 7) ueillenl plus, »;v
IlVRi: I, CHAI'ITRH XXIII. I4I
qu'elle n'ave planté i^ eftably par loix es régions que bon luy a femblé ?
Et est frcsitistc cette aiitiene exchtmation : « Non piuiei physkiim, id est
speculatoreni uemtoremque iiatuiw, ah aiiiuns eonsiielinliiie iiiiluills qtiaTere
testiimviiiim iierihifis. »
5 l'ertimc qu'il ne tombe en l'imagination humaine aucune tantalie
Il forcenée, qui ne rencontre l'exemple de quelque vlage public, & par
conlequent que noftre iliseoiirs n'ertaie (^ ne tonde. Il eft des peuples
où on tourne le doz à celuy qu'on lalue, & ne regarde l'on iamais
ccluv qu'on veut honorer. Il en ell: où, quand le Roy crache, la plus
To fauorie des dames de la Cour tend la main; & en autre nation les plus
apparents qui font autour de luy, le baillent à terre pour amalTer
en du linge l'on ordure.
Desroho)is iev la place d'un conte. J'n oentilbome frances se mouchait
lousiours de sa main : chose tresenemie de nostre usavc. Défendant la dessus
15 son faici (et estoit faniens en bons rencontres) il me demanda quel pnuilege
auoit ce sale excremant que nous allassions luy aprestant un beau linge
délicat a i le] receuoir, et puis, qui plus est, a {l'e^mpaqueter & serrer soui-
o)uiisenhint sur luvis; que cela deuoit faire plus de horrur 6~ de mal au
ceur, que de le uoir uerser ou que ce fut, come nous Jaisons tous autres
20 excrennnis. le trouuai qu'il ne parloit pas du tout sans raison : et m'auoit
la costume oste l'aperceuance [de''\ cette est ra acheté, laquelle pourliil nous
Irouuons si hideuse, quand ell' est récitée d'un autre pais.
Les miracles sont selon l'is^norance en quoi nous somes de la nature, non
selon l'est re de la nature. L'assuefaciion endort la ueiw de nostre iugenuint.
25 Îa's barbares ne nous sont de rien plus merueilleus, que nous somes a eus,
n\ aueq plus d'occasion : conw chacun aduouëroii, si chacun sçauoit, après
s'estre promené \par] ces nouueaus examples, se coucher sur les propres, cl
Texte 88. — 7) noftre raifon n'cftaic
\'ar. .ms. — 13) fiaihcs de hoiu- maison .«• — \.\) main sans mouchoir chose —
22) recilee d'un pais autre. le m'en retourne. Où faut (p. ip, 1. 4.) — 23) selon nostre
ignorance de la nature non selon nature. — 25) plus eslranges que — 26) plus de rais
— 27) [par' ses. . . sur s^i
142 ESSAIS DE MONTAIGNE.
[les] conférer saiuemaui. La raison humaine est une teinture infuse cnuiron
di pareil pois a toutes nos opinions et meurs, de quelque forme quelles
saint : infinie [en] matière, infinie en diuersite. le m'en retourne. Il est des
peuples où ûiuf (a. femme & fes enfans aucun ne parle au Roy que
par larbatane. En vne mefme nation & les Vierges montrent à del- 5
couuert leurs parties honteules, & les mariées les couurent & cachent
foigncufement; à quoy cette autre couftume qui eft ailleurs, a quelque
relation : la chafteté n'y eft en pris que pour le feruice du mariage,
car les filles fe peuuent abandonner à leur porte, &, engroiflees, fe
faire auorter par medicamcns propres, au veu d'vn chacun. Et ailleurs, 10
fi c'eft vn marchant qui fe marie, tous les marchans conuiez à la
nopce couchent auec Fefpoufee auant luv; & plus il y en a, plus a elle
d'honneur & de recommandation de fermeté & de capacité; fi vn
officier fe marie, il en va de mefme; de mefme fi c'eft vn noble,
& ainfi des autres, lauf fi c'eft vn laboureur ou quelqu'vn du bas 15
peuple : car lors c'eft au Seigneur à taire; & fi, on ne laifl'e pas d'y
recommander eftroitement la lovauté, pendant le mariage. Il en eft
où il fe void des bordeaux publiez de malles, voire & des mariages;
où les femmes vont à la guerre quand & leurs maris, 6: ont rang,
non au combat feulement, mais auffi au commandement. Où non 20
feulement les bagues fe portent au nez, aux leures, aux ioues, & aux
orteils des pieds, mais des verges d'or bien poilantes au trauers des
tetins & des feffes. Où en mangeant on s efi!"uye les doigts aux cuiflies
& à la bourfe des genitoires & à la plante des pieds. Où les enfans ne
font pas héritiers, ce font les frères & nepueux; & ailleurs les ncpucux 25
feulement, fauf en la fucceflîon du Prince. Où pour reigler la
communauté des biens, qui s'v obferue, certains Magiftrats fouue-
rains ont charge vniuerfelle de la culture des terres & de la diftri-
bution des truits, félon le befoing d'vn chacun. Où Ton pleure la
Texte 88. — 9) engreflccs — 12) l'cfpoufc
\'ar. ms. — i) La raison (fi
LIVRI- I, CIIAIMTKI-; XXlll. I_|5
mort des cnfans, & fcftoyc Fon celle des vicillarts. Où ils couchent
en des licts dix ou douze enlemble auec leurs femmes. Où les
femmes qui perdent leurs maris par mort violente, fe peuuent
remarier, les autres non. Où l'on eftime fi mal de la condition des
5 femmes, qu'on y tue les femelles qui y naiffent, & achepte l'on des
voifms des femmes pour le befoing. Où les maris peuuent répudier
fans alléguer aucune caufe, les femmes non pour caufe quelconque.
Où les maris ont loy de les vendre, fi elles font fteriles. Où ils font
cuire le corps du trefpaffé, & puis piler, iufques à ce qu'il fe forme
lo comme en bouillie, laquelle ils méfient à leur vin, & la boiuent.
Où la plus defirable fepulture cil d'eftre mangé des chiens, ailleurs
des oifeaux. Où l'on croit que les âmes heureufes viuent en
toute liberté, en des champs plailans, fournis de toutes commo-
ditez; & que ce font elles qui font cet écho que nous oyons. Où ils
i) comhatent en l'eau, & tirent feurement de leurs arcs en nageant.
Où pour figne de fuhiection il faut hauffer les efpaules & baifler
la terte, & defchaulTer fes fouliers, quand on entre au logis du
Roy. Où les Eunuques qui ont les femmes religieufes en garde,
ont encore le nez & leures à dire, pour ne pouuoir eftre ayniez;
20 it les preftres fe creuent les yeux pour accointer leurs démons,
& prendre les oracles. Où chacun faict vn Dieu de ce qui luy plaift,
le chaffeur d'vn lyon ou d'vn renard, le pefcheur de certain poiflbn,
<^ des Idoles de chaque action ou paffion humaine : le foleil, la lune,
& la terre lont les dieux principaux; la forme de iurer c'eft toucher
2) la terre, regardant le foleil; & y mange l'on la chair & le poiflbn
crud. ()// k gntiid scniianl, c'est iurer le nom de quelque hcmu trespasse
qui cl csie eu boue réputation au pals, touchant de la iiuiiii sa lumhe.
Ou les est renés auuuelles que le Kov euuoïe aus princes ses uassaus, c'est du
Jeu. L'ainbassadur qui l'apporte, arriiuiul, l'autieu Jeu est esleiut tout par
Xar. ms. — 27) tuinbc. Ou le peuple adore tel cerleiiis Dieus Mars Bucchus Diane Le
Roy un dieu particulier pour soi Mercure. Ou les (La phrase : Ou le... Mercure bitFéc :i ctttc
place, est reportée, avec variantes, liv. I, ch. Xl.ll, <■ 108 V.) — 29) iirriuailt U feu
144 ESSAIS DE MOXÏAIGNE.
ioiil en la maison. Et de ee feu nouucau, k peuple despcmlant de ce prince
en doit nenir prendre chacun pour soi, sur peine de crime de /q' maieste.
Ou quand Je Rov, pour sadoner du tout a la deuotlon (com' ils font
sonnent), se retire de sa charge, son premier successur est oblige d'en faire
autant, et passe Je droit du Royaunu- au troisième successur. Ou Von diucr- 5
sifie la jornw de Ja police, seJon que les affaires le requièrent : on dépose
le Rov quàd il seiid^le bon, & substitue l'on des antiens a prendre Je gonuer-
nement de l'estat, et Je Jaisse l'on par fois aussi es mains de la commune.
Ou homes et jcmes sont circoncis & [pareillement baptises. Ou le soldat qui
en un ou diuers conduits est arriué a présenter a son Rov sept testes d'enemis, 10
est faict nolde. ] Où l'on vit loubs cette opinion 5/ rare et inciuiJe de
la mortalité des âmes. Où les lemmes s'accouchent lans plaincte
&; fans effrov. ()// Jes femmes en l'une \et\ l'autre iatnbe portent des
greues de cuiure; et, si vu pouil les )nort, sont tenues par deuoir [de]
magnanimité de Je remordre; [et] n'osent espouser, qu'eJJes n'avent offert a 15
leur Roy, s'il ueut de leur pucelage. Où l'on laluë mettant le doigt à
terre, & puis le haulTant vers le ciel. Où les hommes portent les
"charges iur la telle, les femmes fur les efpaules; elles piffent debout,
les hommes accroupis. Où ils enuoient de leur lang en figne d'amitié,
& encenient comme les Dieux, les hommes qu'ils veulent honnorer. 20
Où non Iculement iniques au quatriefme degré, mais en aucun plus
elloingné, la parenté nell foufterte aux mariages. Où les enfans font
quatre ans en nourrilïe, es; fouuent douze : & la mefme, il eft ellimé
mortel de donner à l'entant à tetter tout le premier iour. Où les
pères ont charge ilu chaftiment des malles; «:x les mères à part, des 25
lemelles : & ell le challiement de les fumer, pendus par les pieds.
Où on laict circoncire les lemmes. Où l'on mange toute forte
d'herbes, lans autre dilcretion que de refuler celles qui leur lemblent
auoir mauuaile lenteur. Où tout eft ouuert, & les maifons pour
belles & riclies quelles lovent, lans porte, lans teneilre, fans coflre
30
Texte 88. — 11) opinion defnatuicc de — 19) hommes croupis. Où
\'ar. ms. — 5) Un ils itiiicrsificiil la — 15) qu'ttta vc se soUil offertes a ttiir
LivRi; [, ciiAi'iTRi-: xxiii. 145
qui ferme; èv; l'ont les larrons doublement punis qu'ailleurs. Où ils
tuent les pouils auec les dents comme les Magots, & trouuent hor-
rible de les voir efcacher loubs les ongles. Où l'on ne couppe en
toute la vie nv poil nv ongle; ailleurs où l'on ne couppe que les
5 ongles de la droicte, celles de la gauche le nourriffent par gentillelle.
Ou ils nourrissent tout [h'\ poil du corps du cosk droit, tant qu'il peut
croitrc, ci ticncnt ras le poil de l'autre coslé. Et en iioisines prouinees
ceir iiv nourrit [le] poil de dauant, cette la \Je\ poil de derrière, et rasent
l'opposite. Où les pères preftent leurs entans, les maris leurs femmes,
10 à iouyr aux hoftes, en payant. Où on peut honneftement faire des
enfans à fa mère, les pères le meiler à leurs filles, & à leurs fils.
()// ans assanûdees des festins, Us s'entreprestent les enfans les uns aus autres.
Icy on vit de chair humaine; la c'ell office de pieté de tuer fon
père en certain aage; ailleurs les pères ordonnent des entans encore
15 au ventre des mères, ceux qu'ils veulent eflre nourris & conferuez,
6c ceux qu'ils veulent élire abandonnez & tuez; ailleurs les vieux
maris preftent leurs femmes à la ieunelTe pour s'en feruir; & ailleurs
elles font communes fans péché : \oire en tel pays portent pour
merque d'honneur autant de belles houpes frangées au bord de leurs
20 robes, qu'elles ont accointé de mafles. N'a pas taict la couftume
encore vne chofe publique de femmes à part? leur a elle pas mis
les armes à la main? faict drelTer des armées, <S; iiurer des batailles?
Et ce que toute la philofophie ne peut planter en la tefte des plus
fiiges, ne l'apprend elle pas de lit feule ordonnance au plus groffier
25 vulgaire ? car nous fçauons des nations entières, où non feulement
la mort eftoit mefprilée, mais feftovée; où les enfans de lept ans
Texte 88. — 4) nj' poils ny ongles — 25) où non feulement l'horreur de la
mort eftoit mcfprifée, mais l'heur (Montaigne corrige : heurt") de fa venue h l'endroict
des plus chères pcrfonnes qu'on eut, feftoyéc auec grande allegrefle : & quant à la
douleur, nous en fçauons d'autres, où les enfans
\'ar. ms. — 7) croilre et cotifieiit l'autre. Où les pères — 7) pivuiiias l'une iiounil
le poil de dauaiit l'aïUic eeliiy de derrière et rasent laiilre. Où les pcrcs
146 ESSAIS DH MONTAIGNE.
fouffrovcnt à dire focttcz iniques à la mort, lans changer de vilage;
où la richelTe eftoit en tel mefpris, que le plus chetii citoyen de la
ville n'euil daigné baifler le bras pour iiiiiasscr vne bource d'elcus.
Et l'çauons des régions tres-tertiles en toutes façons de viures,
où toutesfois les plus ordinaires méz 6c les plus fauoureux, c'eftoyent 5
du pain, du nalitort 6^ de l'eau.
Fit elle pas encore ce miracle en Cio, qu'il s'v pafTa fept cens ans,
fans mémoire que femme ny tîlle y eut faict faute à Ion honneur?
Et fomme, à ma fantalie, il n'eft rien qu'elle ne face, ou qu'elle
ne puifle : <S: auec raifon l'appelle Pindarus, à ce qu'on m'a dict, la 10
Royne & Emperiere du monde.
Celiiy qu'on rencontra hâtant son pcrc, nspondit que c'estoit la costume
de sa niesoii; que son pcrc auoit ainsi hatu son aïeul; son aïeul, son hisaieul;
& montrant son fis : Et cetuici me battcra quand il sera ucini au terme de
l'eage ou ie suis. 15
Ht le père que le filx tirassoii cl sahouloit emmi la rue, luy comanda
de s'arrêter a certein huis, car lux n'auoit treine son pcrc que iusques la;
que c'estoit la borne des i ni u riens Irclcntans hcredilcrcs, que les enjans auoiiit
en usage Jaire ans pères en leur janiillc. Par costume, dict Aristote, aussi
sonnant que par maladie, des lenuncs s'arracbèt le poil, rongent leurs ongles, 20
mangent des charbons et de la terre; & autaiil par costume que par nature
les nuisles se meslent ans niasles.
Les loix de la consciance, que nous disons naistre de nature, naissent
de la coslunie : chacun aianl en ucncralioii interne les opinions cl meurs
approuuecs & rcceues autour de lux, ne s'en peut desprendre sans remors, 25
ny s'y appliquer sans applaudissenwnl.
Texte 88. — i) fouftVoycnt pour l'eiTiiy du leur confiance, ;i eftre... changer de
liéniarche ny de vilage : îs: où la — 3) pour rcleuer vne — 8) y ayt faict
Vah. ms. — 12) Celiiy (fue KtiU Âi^ik'U cil Arislotc qu'on — 13) nicsoii son père
— 14) iicini a son adotesceme . Quand ceux (p. 147, 1. i.) — 17) n'auoit tirasse son —
19) Aristote des femmes — 21) 1° : terre & par costume st^u-uimt plus sonnant que par
nature 2° : terre & que moitié par costume moitié par nature — 25) consciance ne
naissent qnc de ta — 25) s'en ponuant desprendre
I.IVRn I, CHAPITRE XXIII. I47
Quand ceux de Crcto vouloycnt au temps pafl'é maudire quelqu vn,
ils prioyent les dieux de l'engager en quelque mauuail'e coullume.
Mais le principal effect de la puiflance, c'eft de nous laiiir & empiéter
de telle forte, qu'à peine foit-il en nous de nous r'auoir de ûi prinfe
5 & de r'entrer en nous, pour difcourir & raifonner de fes ordonnances.
De vray, parce que nous les humons auec le laict de noftre naiiïance,
(bt que le vifitge du monde le prefente en cet eftat à noftre première
veuë, il femble que nous l'oyons nais à la condition de fuvure ce
train. Et les communes imaginations, que nous trouuons en crédit
10 autour de nous, & infufes en noftre ame par la femence de nos
pères, il femble que ce foyent les generalles & naturelles.
Par ou il \ adulent que ce qui est hors des gons de costume, ou le croit
l)\ors des gons de raison : Dieu sçalt combien desralsonahlement, le plus
sonnant. SI, corne nous, qui nous estndlons, auons aprls de faire, chacun
15 qui oit une lusfe sentance, regardolt Incontlnant par ou elle luv apartlent
en son propre, chacun trouuerrolt que cettecy [n'e^^st pas tant un bon mot,
qu'un bon coup de fol t a la bestlse ordlnere de son lugemcnt. Mais on reçoit
les aduls de la uerlte et ses préceptes come adresser^ au peuple, invi lamals
a sol; [ct\ au lieu de les coucher sur ses tueurs, chacun les couche en \sa~\
20 mémoire, tressotemeni et treslinitllement. Reiienôs a l'empire de la costume.
Les peuples nourris a la liberté et a se comander eus mesnus, estlnuiit
toute autre forme de police monstrueuse \et^ contre nature. Cens qui sont
diilts a la monarchie, \ en'] font de inesme. Et quehp, facilite que leur preste
fortune au changenwnt, lors niesmes qu'ils v so)it, aueq grandes difficultcr^,
2) desjalcts de l'importunlte \d'\un malstre. Ils courent a \en\ replanter un
nouueau aueq pareilles difficulté:^, pour ne se ponuolr résoudre de prandre
en haine la nuilstrlse.^
Var. ms. — II) naturelles. Les peuples (i. 21.) — 12) // n'est pas merueilte que —
15) di la rnisoii — 17) la soUise ordiiiere — 22) forme iiwnslnieiise — 26) diffuiilte^
jm]a*U que
' I.cdition de 159; ajouti; ici ; C'eft par l'entrcmife de la couftume que chafcun eft
contant du lieu où nature l'a planté : & les (;tuuages d'Efcoflc n'ont que faire de la
Touraine, nv les Scvtlies de la ThelTalie.
148 ESSAIS Dl- MOXTAIGXK.
Darius demandoit à quelques Grecs, pour combien ils voudroient
prendre la couftume des Indes, de manger leurs pères trelpalTez
(car c'eftoit leur forme, eftimans ne leur pouuoir donner plus tauo-
rable fepulture, que dans eux-melmes), ils luy refpondirent que pour
choie du monde ils ne le feroient; mais sellant auffi eflayé de 5
perluader aux Indiens de laill'er leur façon & prendre celle de Grèce,
qui elloit de bruiler les corps de leurs pcres, il leur lit encore plus
d'horreur. Chacun en fait ainfi, d'autant que Tviage nous defrobbe
le vrav vifage des choies,
Xil adeo magnum, ncc tam mirabile quicquam 10
Principio, quod non miniiant mirarier omnes
Paiilatim.
Autrefois, avant à taire valoir quelqu'vne de nos obleruations,
& receùe auec relolue authorité bien loing autour de nous, & ne
voulant point, comme il le taict, l'ertablir feulement par la force 15
des loix ^L des exemples, mais quellant touliours iniques à Ion
"origine, i'v trcniuai le fondement iî foible, qu'à peine que ic ne
m'en dégoutalïc, mov qui auois à la confirmer en autruv.
C'est cette reccple, de quoi Phi ton eiilrepraiit \de\ chasser les ciiiioiirs
dcsnatiirees de son temps, \qii^'il estime souuereine et principale : u sciiiioir 20
que Vopinioti publique les condamne, que les poètes, que chacun eu face des
inauues contes. Recette par le moien de laquelle les plus belles pilles n'attirent
plus l'amour des pères, ny [les] frères plus c.xcellans en beauté l'amour
des seurs, les fables nwsmc de Thvestes, d'Œdippus, de Macareus aiant aueq
[_le] plaisir de leur chant injiis cette utile créance en la tendre ceruclk des 25
enfans.
Texte 88. — 16) qil'cftanl faute d'impression corrigée pnr Mont.iigne. — I j) fondcilicnt
n clunif& fi
\'^v.. Ms. — 19) amours uitieiiscs df sou — 20) soiiuciciiie » A si^uuoii^ et suie A
sçauoir — 22) Recette qui a gaiguc que les plus belles filles u'attireul point l'amour —
2}) ny [les] plus h — 24) failles de Thwstes... Macareus au
I.1VRI-: 1, c.HAPiTRi-; xxiii. 149
Di' iinii, la pmlicitc est une belle iiertii, & de ht quelle l' utilité est asses
eonue : mais de la traicler [et] faire ualoir selon nature, il est autant malaise,
eom' il est aise de la faire ualoir selon l'usage, les hix et les préceptes. Les
premières et uniuerselles raisons sont de difjicille perscrutaiion. Et les passent
5 nos maîtres en escunuint, ou, ne les osant pas sulemeni laster, se iettent
d'abordée dans la franehise de la eostume, ou ils s'enflent & trionipbèt a bon
eonte. Cens qui ne se uenlent laisser tirer hors de cette orioinelle source,
fitillèt encore plus et s'obligêt a des opinions saunages, corne Chrysippus qui
senui en tant de lieus de ses escris le peu de conte en quoi il tenoit [les]
10 conionctions incestueuses, quelles qu'elles fussent. Qui \'Oudra fc desfiiirc
de ce violent preiudice de la couftume, il trouuera plufieurs chofes
receues d'vne relblution indubitable, qui n'ont appuy qu'en la barbe
chenue & rides de l'vlage qui les accompaigne ; mais, ce mafque
arraché, rapportant les chofes à la vérité & à la raifon, il fentira l'on
15 ingénient comme tout bouleuerle, & remis pourtant en bien plus
leur ertat. Pour exemple, ie luv demanderay lors, quelle chofe peut
crtrc plus eftrange, que de voir vn peuple obligé à fuiure des loix
qu'il n'entendit onques, attaché en tous fes afliiires domertiques,
mariages, donations, teftamens, ventes & achapts, à des règles qu'il
20 ne peut fçauoir, n'eftant efcrites ny publiées en h langue, & defquelles
par neceflîté il luy faille acheter l'interprétation & l'vlage? non selon
ringenieusc opinion d'IscKrates, qui conseille a son Rov de rendre les trafiques
& negotiations de ses subiets libres, franches et lucratif ues, et leurs débats cl
querelles onéreuses, les charg[eant] de poisans subsides; nuiis selon un' opinion
25 monstrueuse, de mettre en trafique la raison mesme, & douer aus loix cours
ide] nuirchandise. le fçay bon gré à la fortune, dequoy, comme difent
nos hiftoriens, ce fut vn gentil'homme Gafcon & de mon pays, qui
Texte 88. — 10) fussent. Et qui fe voudra cfTaycr de mcfme, & fc desfairc —
17) eftre de plus
\'ar. ms. — 2) il est bien plus malaise — 3) préceptes et exemples Les — 4) passent
mus — 7) tirer hiff.:-, puis rétabli. — 22) Roy de laisser les — 23) libres et franches
et lucratif ues mais leurs — 24) onéreuses Us et charg ees\ de
130 ESSAIS DE MONTAIGNE.
le premier s'oppofa à Charlemaigne, nous voulant donner les loix
Latines & Impériales. Qu'eft-il plus farouche que de voir vne nation,
où par légitime courtume la charge de iuger le vende, & les iugemens
fovent pavez à purs deniers contans, & où légitimement la iuftice
foit retufée à qui n'a dequoy la payer, & ave cette marchandile li '5
grand crédit, qu'il le face en vne police vn quatrielme eftat, de gens
maniants les procès, pour le ioindre aux trois anciens, de l'Eglile,
de la NoblelTc & du Peuple; lequel eftat, ayant la charge des loix
& l'ouueraine authorité des biens & des vies, lace vn corps à part
de celuv de la noblelTe : d'où il auienne qu'il v avt doubles loix, 10
celles de l'honneur, & celles de la iurtice, en plulieurs choies lort
contraires (aufli rigoureufement condamnent celles-là vn démanti
Ibuflfert, comme celles icv vn démanti reuanché); par le deuoir des
armes, celuv-là foit dégradé d'honneur & de noblefle qui fouftVe
vn' iniure, &, par le deuoir ciuil, celuv qui s'en venge, encoure vne 15
peine capitale (qui s'adrelîe aux loix, pour auoir raifon d'vne olîence
fiiite à fon honneur, il le deflionnore; & qui ne s'v adrclfe, il en efl;
punv & chaftié par les loix); &, de ces deux pièces li diuerfes, fe
raportant toutesfois à vn feul chef, ceux-là ayent la paix, ceux-cy la
guerre en charge; ceux-là avent le gaing, ceux-cv l'honneur; ceux-là 20
le fçauoir, ceux-cv la vertu; ceux-là la parole, ceux-cv l'action;
ceux-là la iuftice, ceux-cy la vaillance; ceux-là la raifon, ceux-cy
la force; ceux-là la robbe longue, ceux-cv la courte en partage?
Quant aux chofes indifférentes, comme veftemens, qui les voudra
ramener à leur vraye fin, qui eft le feruice & commodité du corps, 25
d'où dépend leur grâce & bien feance originelle, pour les plus monl-
trueux à mon gré qui fc puiffent imaginer, ie luy donrav entre autres
nos bonnets carrez, cette longue queue de veloux plilTé qui pend
aux teftes de nos femmes auec fon attirail bigarré, ^n; ce vain modelle
& inutile d'vn membre que nous ne pouuons feulement honnefte- 30
ment nommer, duquel toutesfois nous faifons montre & parade en
public. Ces conliderations ne deftournent pourtant pas vn homme
LIVRE I, CHAPITRE XXIII. 1)1
d'entendement de lliiure le ftille commun; dns, au rebours, il me
l'emble que toutes façons cfcartées & particulières partent plulloft de
folie ou d'affectation ambitieufe, que de vraye raifon; & que le ûige
doit au dedans retirer fon ame de la prefle, & la tenir en liberté
5 & puilîiince de iuger librement des choies; mais, quant au dehors,
qu'il doit fuiure entièrement les fiiçons & formes receues. La focieté
publique n'a que fiiire de nos penfées; mais le demeurant, comme nos
actions, noftre trauail, nos fortunes & noftre vie propre, il la faut
prêter & abandonner à fon feruice & aux opinions communes, comme
lo ce bon & grand Socrates refuia de lauuer la vie par la delobeiffance
du magil^rat, voire d'vn magiftrat tres-iniulle & tres-inique. Car
c'eft la règle des règles, & générale loy des loix, que chacun obferuc
celles du lieu où il ell; :
I) En voicy d'vn' autre cuuée. Il y a grand doute, s'il fe peut trouuer
il euident profit au changement d'vne loy receue, telle qu'elle ioit,
qu'il V a de mal à la remuer : d'autant qu'vne police, c'eft comme
vn baftiment de diuerfes pièces iointes enfemble, d'vne telle liailon,
qu'il cft impofllble d'en eibranler une, que tout le corps ne s'en fente.
20 Le legiflateur des Thuriens ordonna que quiconque voudroit, ou
abolir vne des vieilles loix, ou en eftablir vne nouuelle, le preien-
teroit au peuple la corde au col : afin que si la nouuelleté n'eftoit
approuuée d'vn chacun, il fut incontinent eftranglé. Et celuy de
Lacedemone employa fa vie pour tirer de fes citoyens vne promelTe
25 afleurée, de n'enfraindre aucune de fes ordonnances. L'ephore qui
coupa û rudement les deux cordes que Phrinys auoit adioufté à la
mufique, ne s'efmaie pas fi elle en vaut mieux, ou fi les accords en
font mieux remplis : il luy fiiffit pour les condamner, que ce foit
Texte 88. — 19) Llbrankr l.i moiiuirc, que — 22) que hi iiouui.-lli.-te n'eftoit
approuuée d'vn chacun 11 il tut
1)2 KSSAIS DU MOXTAlGXi:.
vnc altcration de la vieille façon. C'ell ce que lignifioit cette el'pée
roùillée de la iuftice de Madeille.
le luis defgourté de la nouuelleté, quelque vilage qu'elle porte,
& ay raifon, car l'en av veu des effets très-dommageables. Celle qui
nous prefle depuis huit d'ans, elle n'a pas tout exploicté, mais on 5
jieut dire auec apparence, que par accident elle a tout produict
& engendré : voire & les maux & ruines, qui fe font depuis fans
elle, 6c contre elle : c'eft à elle à s'en prendre au nez.
Heu patior telis vulnera facta meis.
Cens qui donnent le branle à vn eftat, font volontiers les premiers 10
abforbez en fa ruvne. Le fruit dit trouble ne deinure guiere et eelltiy
qui l'a esiiieu, il bat et brouille l'eau, pour d'autres pesebeiirs. La liaifon
& contexture de cette monarchie & ce grand baftiment ayant efté
defmis & diffout, notamment fur les vieux ans, par elle, donne tant
qu'on veut d'ouuerture 6t d'entrée à pareilles iniures. La luaiesle 15
Royalle, dict un antien, s'auale plus difjieileiiiant du soniinet au inilieii
qti'lelle] ne se précipite du milieu \a]fons.
Mais si les inuantiirs sont plus doniageables, les iinitaturs sont plus
tiilietts, de se ietter en des exainples, des quels ils ont senty et puny l'horrur
et le mal. Et s'il | _vl a quelque degré d'honiir, inesines au mal faire, eettscy 20
doiticnt ans autres la gloire de l'inuantion, et le eorage du premier effort.
Toutes fortes de nouuelle defbauche puifent httreusemant en cette
première & kvconde fource, les images i5t patrons à troubler noftre
|H)lice. On lict en nos loix mefmes, faites pour le remède de ce
premier mal, l'aprentiffage & l'excufe de toute forte de mauuaifes 25
Te.kte 88. — i) cette vieille efpée — 5) depuis vingt cinq ou trente ;ins, elle
— 9) meis. Les premiers qui donnent
Var. ms. — II) abforbex biilc puis rùiaWi. — II) ruyne. L'cjfaict du tivnblc —
12) pour lin (iiiln-j'csdieiir. I.a — 15) iniures : nviiin niiiii iiinieflas iUfficilius ah siiiiiniû
fiisligio ad médium dctratnlur, qiiaiii a inedijs ad ima pi:rcipilalur. Toutes fortes —
17) uf prcàpilc — iS) sont iiiliciis — 19) hiil\ li nroiiii rivrnir
LIVRE I, CHAPITRE XXIII. I33
cntrcprifcs; & nous aduicnt, ce que Thucididcs dict des guerres
ciuiles de fon temps, qu'en faueur des vices publiques on les battilbit
de mots nouueaux plus doux, pour leur excufe, abaftardiffant
& amoliffiint leurs vrais titres. C'eft, pourtant, pour reformer nos
5 confciences & nos créances. « Honefta oratio eft. » xMais le meilleur
prétexte de nouuelleté eft trcs-dangereux : « adco nihil inotuni ex antiquo
prohahik est. » Si me femblc-il, à le dire franchement, qu'il v a grand
amour de fov & prefomption, d'eftimer fes opinions iulque-là que,
pour les eftablir, il faille renuerfer vne paix publique, & introduire
10 tant de maux ineuitables, & vne fi horrible corruption de meurs
que les guerres ciuiles apportent, & les mutations deftat, en choie de
tel pois; & les introduire en fon pays propre. Est ce' pas iiinl niesnagé,
d'aduencer tant de vices certains et cogiins, pour comhatre des erreurs contes-
tées et debatables? Est il quelque pire espèce de vices, que ceux qui choquent
15 ht propre consciatice, et naturelle cognoissance?
Le sénat osa douer en paicnnuit cette desfaicte, sur le diferant d'entre luy
et [ le] peuple, pour le ministère de leur religion. « fAd] deos id iiuigis quant
ad se perli Itère, [ipsos] uistiros ne sacra sua polluant tir », coitjorineeiiteut a ce
qtw respondit l'oracle [a] cetis de delphes en la guerre Medoise. Creigitaits
20 l'inuasion des Perses ils deinaitdarent ati Dieu ce qu'ils auoiitt [a] faire
des tbresors sacre::;^ de son temple, ou les cacher, ou les emporter. [//] leur
respoitdit qti'ils ite bougeasseitt rien; [qti'^ils se souigitasseitt d'eus; qu'il
estoit stiffisât pour pourtioir a ce qtti luy estoit propre.
La religion Chreftienne a toutes les marques d'extrême iuftice
2) & vtilité : mais nulle plus apparente, que l'exacte recommandation
Texte 88. — 5) meilleur tiltrc de nouuelleté — 25) nulle il apparente
V'ar. ms. — 17) peuple, toiicljanl le ■ — 17) religion. Que cela touchoit les dieus plus
qu'eus, qui aroiut asscs l'cuil que leur seruicc ue fut poilu. Ad deos... poUiutiilur. La
religion
' On s'accorde :'i reconnaître l'écriture Je .\I"' de Gournay dans le p.issage : Lst ce pas. . . COgllOIS-
sauce ? .Mais ce passage n'a pas été inséré dans le manuscrit à l'insu de Montaigne, ou après sa mort ;
car Montaigne a ajouté de sa main, immédiatement à la suite, dans la même ligne, la phrase : Le SCIwl
osa etc.
1)4 ESSAIS DE .MOXTAIGXE.
de l'obcilTance du Magiftrat, & manutention des polices. Quel
merueilleux exemple nous en a laiffé la lapience diuine, qui, pour
eflablir le falut du genre humain, & conduire cette lienne glorieule
victoire contre la mort & le péché, ne Fa voulu taire qu'à la merc}-
de noflre ordre politique; & a foubmis Ion progrez, & la conduicte 5
d"vn li haut eftect & li falutaire, à l'aueuglement & iniuftice de nos
obleruations et vlances : \- laifllmt courir le lang innocent de tant
d'elleuz les tauoriz, & fouftrant vne longue perte d'années à meurir
ce fruict inellimablc.
11 y a grand à dire, entre la caufe de celuy qui liiyt les formes & les 10
loix de fon pavs, & celuy qui entreprend de les régenter & changer.
Celuv là allègue pour fon excufe la hmplicité, TobeilTance & /'exemple:-
quov qu'il lace, ce ne peut élire malice, cell:, pour le plus, malheur,
(' Qiiis est eiiiiit qiicm non nioiwat clarissiniis monuineiitis testata œnsi-
giiataquc iUiiiquilas. » 15
Outre ce que dict Isocraks que la defecliiosite a plus Je pari a la modé-
ration, que n'a l'excès. L'autre efi: en bien plus rude partv.
Car qui se nwsle de choisir et de changer, usurpe Vauthorite de iuger,
et se doit Ja ire fort de noir la faute [de] ce qu'il chasse, et le bien de ce
qu'il introduit. Cette si uulguere considération ni'afernn [en] mon siège, et 20
/('//// /;/(/ iunesse i)u\snu% plus teinerere, en bride : de ne charger mes espaules
d'un [si\ lourd fais, que de me rendre respomlant [d']unc sciancc [de] telle
importance, et oser en cetecv [ce] qu'en sein ingéniant ie \ ne^ pour rois oser en
la plus Jacile de celles ans quelles [on\ m'auoit instruit, et ans quelles la
lenierite de iuger est de nul preiudice : me semblant tresinique ide\ uouloir 25
sousnu'ttre les constitutions et obseruances publiques & immobiles a l'insta-
bilité d'une prince jantasie (la raison prince n'a qu'une iurisdiction prince)
Texte 88. — 7) lang nicfnic innocent — 17) paiiv : on no ptut ch.ingcr qu'on
ne iuge du mal qu'on Kiiirc, & du bien qu'on prend. Ht Dieu (p. 155, 1. 17.)
Var. ms. — 19) fort ou il est un fol de uoir ia faute cl le uicc [del ce — 20) Cette
si clere et naturelle considération — 21) de ne nie charger les espaules d'un si lourd pois
que de — 22) (/' une si hduU scinncc de telle Imulur et importance
LIVRE I, CHAPITRI- XXIir. T)5
('/ cntrcpraïuhr sur les loix diuiiics ce que nulle police ne supporterait
(tus ciuiles, ausquellcs encore que l'humaine raison ayc beaucoup plus de
commerce, si sont elles sonuereinennint iuç^es de leurs iuges; et Vextremc
suffisance sert a expliquer et esta mire l'usai:;e qui en est receu, non a Je
5 destourner et innotier. Si quelque fois la prouidance diuine a passe par
dessus les rei^les ans quelles elle nous a necesse renia ut astreint, ce n'est pas
pour nous en dispanscr. [Q] sont coups de sa main diuine, qu'il nous faut,
non pas imiter, mais admirer, et examples extraordiiieres, marque- d'un
cxpre:;^ et particulier adueu, du i^enre des miracles qu'elle nous offre pour
10 tesnwuignaiie de sa toute puissance au dessus de nos ordres & de nos forces,
qu'il est folie & impiété \d']essaier a represanter, et que nous ne deuons pas
suiure, mais contempler aueq estonemaut. Actes \de^ son personai^e, non pas
du nostre.
Cotta proteste bien opportuuei>ient : « Quum de relii^uoue agitur
15 [T. Coruncaniiim, P. Scipionem, P.] Sca'uolam, pont if ces niaxinms, non
Zenonem aut Cleanthem aut Cljrysippum sequor. »
Dieu le fçachc, en noftre prefente querelle, où il y a cent articles
à ofter <Sc remettre, grands & profonds articles, combien ils iont qui
fe puiflent vanter d'auoir exactement recogneu les railons & tonde-
20 ments de l'vn & l'autre party? Ceft vn nombre, lî c'eft nombre, qui
n'auroit pas grand moven de nous troubler. Mais toute cette autre
prefle, où va elle? Ibubs quell' enseigne le iette elle à quartier? 11 aduient
de la leur, comme des autres médecines foibles & mal appliquées :
les humeurs qu'elle \ouloit purger en nous, elle les a elchaufées,
2) exal'perées & aigries par le conflict, & li nous eft demeurée dans le
corps. Elle n'a Iceu nous purger par fa foibleffe, & nous a cependant
affoiblis, en manière que nous ne la pouuons vuider non plus, & ne
receuons de fon opération que des douleurs longues & inteftines.
Texte 88. — 22) foubs quel tiltrc le
Var. ms. — 2) encore ij lie H — 4) suffisance s' estant ii expliquer et cslandre[^lu^ g
— 5) destourner cl corrompre. Si — 8) examples marifue^ d'un — 11) Jolie & Icmcri...
represanter (jiir nous — 12) eslonenwnt. Onurages \dc] son
1)6 ESSAIS DE MOXTAIGXE.
Si cft-cc que la tbitunc, rclcruant touiiours fon autlioritc au delTus
de nos dilcours, nous prefente aucunetois la neceflité lî vrgente,
qu'il eft hefoing que les loix luy fiKent quelque place.
Et quand on relîfte à l'accroilTance d'vne innouation qui vient
par violence à s'introduire, de le tenir, en tout & par tout, en bride 5
& en reigle, contre ceux qui ont la clef des champs, aulquels tout
cela eft loillble qui peut auancer leur deflein, qui n'ont ny loy ny
ordre que de luyure leur aduantage, c'eft vne dangereule obligation
& inequalité : « Adiium iioeeiidi perjido prœsiat Jîdes. » D'autant que la
dilcipline ordinaire d'vn Eftat qui eft en la liinté, ne pouruoit pas 10
à ces accidens extraordinaires : elle preluppole vn corps qui le tient
en fes principaux membres & offices, & vn commun conlcntement
à Ion obferuation & obeifliUice. L'itler légitime est un aller Jroit, poisunt
et coiitreiiit, et n'est pas pour tenir bon a un aller licentieus et ejfrené.
On l'çait qu'il eft encore reproché à ces deux grands perfonnages, 15
Octauius & Caton, aux guerres ciuiles l'vn de Sylla, l'autre de Celar,
d'auoir pluftoft lailTé encourir toutes extrémités à leur patrie, que
de la lecourir aux defpens de fes loix, & que de rien remuer. Car,
à la vérité, en ces dernières necelîitez où il n'y a plus que tenir, il
leroit à l'auanture plus lagement fait, de bailler la tefte & prefter vn 20
peu au coup, que, s'ahurtant outre la poffibilité à ne rien relafcher,
donner occalion à la violance de touler tout aux pieds; & vaudroit
mieux faire vouloir aux loix ce qu'elles peuuent, puis qu'elles ne
peuucnt ce qu'elles veulent. Ainfi feit celuy qui ordonna qu'elles
dormilTcnt vint & quatre heures, & celuy qui remua pour cette lois 25
vn iour du calendrier, 6c cet autre' qui du mois de luin ht le fécond
May. Les Lacedemoniens mefmes, tant religieux obleruateurs des
ordonnances de leur pais, eftans preffez de leur loy qui defendoit
Trxte 88. — 5) place : comme quand — 3) s'introduire : car de fe
\'ar. ms. — ]}) froil coiilrcitil limilé. Et n'est
' & cet autre... May. .idJition de 1588.
I.IVR1-; I, CHA1MTR1-: XXII I. Ijy
dcllirc par deux tois Admirai vn md'mc pcrlbnnagc, <b^ de Tautrc
part leurs affaires requcrans de toute neceffité que Lyfander print
de rechef cette charge, ils firent bien vn Aracus Admirai, mais
Lyûinder furintendant de la marine. Et de mefme fubtilité, vn de
leurs ambaffadeurs, eftant enuové vers les Athéniens, pour obtenir
le changement de quelqu'ordonnance, & Pericles luv alléguant qu'il
eftoit défendu dofler le tableau où vne loy eftoit vne fois pofée,
luy confeilla de le tourner feulement, d'autant que cela n'eftoit pas
détendu. Ceft ce dequoy Plutarque loue Philopa^men, qu'eftant né
pour commander, il fçauoit non feulement commander félon les
loix, mais aux loix mefme, quand la neceffité publique le requeroit.
Chapitre XXIV.
DIVERS EVEXEMENS DE MES.ME COXSEIL.
lacques Amiot, grand Aumofnier de France, me recita vn iour
cette Hiftoire à l'honneur d'vn Prince des noftres (& noftre eftoit-il
à très-bonnes enfeignes, encore que fon origine fut eftrangere), que
durant nos premiers troubles, au fiege de Rouan, ce Prince ayant
efté aduerti par la Roync, mère du Roy, d'vne entreprinfe qu'on 5
faifoit fur fa vie, & inftruit particulièrement par fes lettres de celuy
qui la deuoit conduire à chef, qui eftoit vn gentil'homme Angeuin
ou Manceau, fréquentant lors ordinairement pour cet effect la maifon
de ce Prince, il ne communiqua à perfonne cet aduertiflement ;
mais fe promenant l'cndemain au mont faincte Catherine, d'où fe 10
filifoit noftre baterie à Rouan (car c' eftoit au temps que nous la
tenions aflîegée) ayant à fes coftez ledit Seigneur grand Aumofnier
& vn autre Euefque, il apercent ce gentil'homme, qui luv auoit cftc
remarqué, & le fit appeller. Comme il fut en la prefence, il luy dict
ainfi, le voiant défia pallir & frémir des alarmes de fa confcience : 15
Monfieur de tel lieu, vous vous doute/ bien de ce que ie vous
veux, & voftre viûige le montre. Vous n'aue/ rien à me cacher,
car ie fuis inftruict de voftre afïliire fi auant, que vous ne feriez
qu'empirer voftre marché d'eflltyer à le couurir. \'ous Içauez bien
telle chofe & telle (qui eftovent les tenans .s^ aboutiffans des pkis 20
I.IVRH 1, CIIAITIRU XXIV. 1)9
fccrctcs picccs de cette menée); ne tailler iur volh'e \ ie à me contelïer
la vérité de tout ce deffein. Quand ce panure homme le trouua pris
& conuaincu (car le tout auoit efté delcouuert à la Royne par Tvn
des compliffes) il n'euit qu à ioindre les mains <iic requérir la grâce
5 (S: mifericorde de ce Prince, aux pieds duquel il le voulut ietter;
mais il l'en garda, l'uyuant ainfi fon propos : Venez ça; vous ay-ic
autres-fois fait defplaifir? ay-ie ofïencé quelqu'vn des voftres par
haine particulière? 11 n'v a pas trois femaines que ie vous congnois,
quelle railbn vous a peu mouuoir à entreprendre ma mort? Le
10 gentil'homme refpondit à cela d'vne voix tremblante, que ce n'eftoit
aucune occafion particulière qu'il en euft, mais l'intereft de la caufe
générale de fon party ; & qu'aucuns luy auoyent perfuadé que ce feroit
vne exécution pleine de pieté, d'extirper, en quelque manière que ce
fut, vn 11 puilliuit ennemy de leur religion. Or, fuyuit ce Prince,
1 5 ie vous veux montrer combien la religion que ie tiens eft plus douce
que celle dequoy vous faictes profelTion. La vortre vous a confeillé
de me tuer lans m'ouir, n'ayant receu de moy aucune oftence; & la
mienne me commande que ie vous pardonne, tout conuaincu que
vous eftes de m'auoir voulu homicider fans railbn. Aile/ vous en,
20 retirez vous, que ie ne vous voye plus icy; &, Il vous elles lage,
prenez dorefnauant en voz entreprinles des confeillers plus gens de
bien que ceux la.
L'Empereur Augufte, ellant en la Gaule, reçeut certain aduertille-
ment d'vne coniuration que luy braflbit Lucius Cinna; il délibéra
25 de s'en venger, <^ manda pour cet effect au lendemain le Conleil de
fes amis; mais la nuict d'entredeux il la palTa auec grande inquiétude,
confiderant qu'il auoit à faire mourir vn ieune homme de bonne
maifon, & nepueu du grand l^ompeius; & produilbit en fe pleignant
plulieurs diuers difcours : Qiioy donq, failbit-il, fera il dict que ie
30 demeurerav en crainte & en alarme, \ que ie lairray mon meurtrier
Texte 88. — 25) pour cV-ft cU'cct
léo ESSAIS DE MONTAIGNE.
le promener cependant à fon ayfe? S'en ira il quitte, ayant alTailly ma
tefte que i"av lauuée de tant de guerres ciuiles, de tant de batailles,
par mer & par terre? & après auoir eftably la paix vniuerlelle du
monde, fera il ablbuz, ayant délibéré, non de me meurtrir feulement,
mais de me facrifier? Car la coniuration eftoit faicte de le tuer, 5
comme il feroit quelque facritice. Apres cela, s'eftant tenu coy
quelque efpace de temps, il recommençoit d'vne vois plus forte,
(S; s'en prenoit à foy-mefme : Pourquoy vis tu, s'il importe à tant de
gens que tu meures? N'y aura-il point de fin à tes vengeances & à
tes cruautez? Ta vie vaut elle que tant de dommage le face pour la 10
conleruer? Liuia ûi femme le fentant en ces angoilTes : Et les conleils
des femmes y feront ils receuz, luy fit elle? Fais ce que font les
médecins, quand les receptes accoutumées ne peuuent feruir : ils
en elliiyent de contraires. Par feuerité tu n'as iniques à cette heure
rien profité : Lepidus a fuiuy Saluidienus; Murena, Lepidus; Cxpio, 15
Murena; Egnatius, Cajpio. Commence à expérimenter comment
te luccederont la douceur 6c la clémence. Cinna efi conuaincu :
pardonne /v'; de te nuire dcsoniiais il ne pourra, & profitera à ta
gloire. Augulk fut bien ayfe d'auoir trouué vn Aduocat de Ion
humeur, &, avant remercié la femme & contremandé les amis qu'il 20
auoit aflîgnez au Confeil, commanda qu'on fit venir à luy Cinna
tout feul; 6c, ayant fait Ibrtir tout le monde de fa chambre 6c tait
donner vn fiege à Cinna, il luy parla en cette manière : En premier
lieu ie te demande, Cinna, paifible audience. N'intcrrons pas mon
parler, ie te doiicniy temps 6v loifir d'y refpondre. Tu fçais, Cinna, 25
que t'ayant pris au camp de mes ennemis, non feulement t'efiant
faict mon ennemv, mais eftant né tel, ie te fauuav, ie te mis entre
mains tous tes biens, 6i; t'av en fin rendu fi accommodé 6c fi ailé,
que les victorieux font enuicux de la condition du vaincu. L'office
Texte 88. — 18) pardonne le. Je te nuire nics-huy il ne . — 25) te donniy temps
ly semble eue uti lapsus plutôt qu'une lurnie archaïque.
I.IVRK I, CHAPITRE XXIV. l6l
du faccrdocc que tu mo demandas, ic te l'ottroiay, rayant rcfulé
à d'autres, defquels les pères auoyent touliours combatu aueo mow
T'avant 11 fort obligé, tu as entrepris de me tuer. A quoy Cinna
s'eftant elcrié, qu'il ertoit bien elloigné d'vne 11 mel'chante penlee :
5 Tu ne me tiens pas, Cinna, ce que tu m'auois promis, luyuit Augufte;
tu m'auois alTeuré que ie ne l'erois pas interrompu : ouy, tu as entre-
pris de me tuer, en tel lieu, tel iour, en telle compagnie, & de telle
façon. Et le voyant tranli de ces nouuelles, &; en lllence, non plus
pour tenir le marché de le taire, mais de la prefle de fa confcience :
lo Pourquoy, adiouta il, le fais tu? Eft-ce pour eftre Empereur? Vraye-
ment il va bien mal à la chofe publique, s'il n'y a que moy, qui
t'empefche d'arriuer à l'Empire. Tu ne peus pas feulement deffendre
ta maifon, & perdis dernièrement vn procez par la faueur d'vn ilmple
libertin. Quov, n'as tu moyen ny pouuoir en autre choie, qu'à entre-
I) prendre Ciefar? le le quitte, s'il n'y a que moy qui empelche tes
efperances. Penfes tu que Paulus, que Fabius, que les Cosscciis,
ik Seruiliens te Ibuffrent? & vne fi grande trouppe de nobles, non
feulement nobles de nom, mais qui par leur vertu honorent leur
noblelTe? Apres plulleurs autres propos (car il parla à luy plus
20 de deux heures entières) : Or va, luy dit-il; ie te donne, Cinna, la
vie, à traiftre it à parricide, que ie te donnay autres-tois à ennemy :
que l'amitié commence de ce iourd'huy entre nous; effayons qui de
nous deux, de meilleure foy, moy t'aye donné ta vie, ou tu l'ayes
receiie. Et fe defpartit d'auec luy en cette manière. Quelque temps
25 après il luv donna le confulat, fe pleignant dequoy il ne le luy
auoit ofé demander. Il l'eut depuis pour tort amy, & fut feul taict
par luv héritier de les biens. Or depuis cet accidant, qui aduint
à Augulle au quarantiefme an de l'on aage, il n'y eut iamais de coniu-
ration nv d'entreprinfe contre luy, & receut vne iufte recompenle
30 de cette fienne clémence. Mais il n'en aduint pas de melmes au
Texte 88. — 16) les ColTcs, &
l62 ESSAIS Di: MONTAIGNE.
noflrc : car la douceur ne le fceut garentir, qu'il ne chcut depuis
aux lacs de pareille trahifon. Tant c'est choie vaine & frîuole que
l'humaine prudence; & au trauers de tous nos proiects, de nos
conseils & précautions, la fortune maintient toulïours la polTelTion
des euenemens. 5
Nous appelions les médecins heureux, quand ils arriuent à quelque
bonne fin : comme s'il n'y auoit que leur art, qui ne fe peut main-
tenir d'elle mefme, & qui euff les fondcmcns trop frailes, pour
s'appuyer de Hi propre force; & comme s'il n'y auoit qu'elle, qui
aye belbin que la fortune prefte la main à l'es opérations. le croy lo
d'elle tout le pis ou le mieux qu'on voudra. Car nous n'auons, Dieu
mercy, nul commerce enlemble : ie fuis au rebours des autres, car
ie la mefprife bien toufiours; mais quand ie fuis malade, au lieu
d'entrer en compofition, ie commence encore à la haïr & à la
craindre; & refpons à ceux qui me preffent de prendre médecine, 15
qu'ils attendent au moins que ie fois rendu à mes forces & à ma
fanté, pour auoir plus de moyen de fouftenir l'effort et le hazart de
leur breuuage. le laiffe faire nature, & prefuppofe qu'elle fe foit
poiinieue de dents & de griffes, pour fe deffendre des affiux qui luy
viennent, & pour maintenir cette contexture, dequoy elle fuit la 20
diffolution. le crain, au lieu de l'aller fecourir, ainfi comme elle
eft aux prifes bien eftroites &: bien iointes auec la maladie, qu'on
fecoure fon aduerfaire au lieu d'elle, & qu'on la recharge de nouucaux
affiires.
Or ie dy que, non en la médecine feulement, mais en plufieurs 25
arts plus certaines, la fortune y a bonne part. Les faillies poétiques,
qui emportent leur authcur & le rauiffent hors de foy, pourquoy ne
les attribuerons nous à fon bon heur? puis qu'il confcffe luy mefme
qu'elles furpaffent fa fuffiHuice & fes forces, & les reconnoit venir
Tkxïi; 88. — 2) 'raiit cet cliofc — lo) que le ha^art & l.i loilunc — i8) fuit
"arnic de dents
LIVRI- I, CHAPITRE XXIV. l6^
d'ailleurs que de Iby, & ne les auoir aucunement en fa puiflfancc :
non plus que les orateurs ne difent auoir en la leur ces mouuemens
& agitations extraordinaires, qui les pouffent au delà de leur deffein.
Il en cft de mefmes en la peinture, qu'il efchappe par lois des traits
5 de la main du peintre, lurpaffins la conception & la fcience, qui le
tirent luy mefmes en admiration, & qui l'eftonnent. Mais la fortune
montre bien encores plus euidemment la part qu'elle a en tous ces
ouurages, par les grâces & beautez qui s'y treuuent, non feulement
fans Vinleiilloii, mais lans la cognoiffance mefme de l'ouurier. \'n
10 fuffîûuit lecteur dclcouure fouuant es cfcrits d'autruv des perfections
autres que celles que l'autheur y a mifes & apperceûes, & y prefte
des fens & des vilages plus riches.
Quant aux entreprinles militaires, chacun void comment la fortune
y a bonne part. En nos confeils mefmes & en nos délibérations, il
15 faut certes qu'il v ait du lort & du bonheur méfié parmy : car tout
ce que noftre fageffe peut, ce n'efl pas grand chofe; plus elle eft
aiguë lis: viue, plus elle trouue en foy de foibleffe, & fe deffie d'autant
plus d'elle mefme. le fuis de l'aduis de Sylla; & quand ie me prens
garde de prez aux plus glorieux exploicts de la guerre, ie voi, ce me
20 femble, que ceux qui les conduifent, n'y employent la délibération
& le confeil que par acquit, & que la mcUlurc part de l'entreprinfe
ils l'abandonnent à la fortune, &, fur la fiance qu'ils ont à l'on
fecours, paffent a tous les coups au delà des bornes de tout difcours.
Il furuient des allegreffes fortuites & des fureurs eflrangeres parmy
25 leurs délibérations, qui les pouffent le plus louuent à prendre le
partv le moins fondé en apparence, & qui groffiffent leur courage
au deffus de la raifon. D'où il eft aduenu à plufieurs grands Capi-
taines anciens, pour donner crédit à ces confeils téméraires, d'aleguer
à leurs gens qu'ils y eftoyent conuiez par quelque infpiration, par
30 quelque figne & prognoftique.
Texte 88. — 9) fans l'inucntion, mais — 21) & que la plufpart de
164 ESSAIS D1-: MONTAIGNE.
\'ovla pourquov, en cette incertitude & perplexité que nous aportc
l'impuilTance de voir & choilîr ce qui eft le plus commode, pour les
difficultez que les diuers accidens & circonftances de chaque chofe
tirent, le plus leur, cjuand autre conlideration ne nous y conuieroit,
eft, à mon aduis, de le reietter au parti, où il y a plus d'honnefteté 5
& de iuftice; & puis qu'on eft en doute du plus court chemin, tenir
toufiours le droit : comme, en ces deux exemples que ie vien de
propofer, il n'y a point de double, qu'il ne lut plus beau & plus
i;enereux à celuv qui auoit receu l'olTence, de la pardonner, que s'il
euft fait autrement. S'il en eft mes-aduenu au premier, il ne s'en 10
laut pas prendre à ce lîen bon delTein; & ne Içait on, quand il euft
pris le partv contraire, s'il euft elchapé la lin à laquelle l'on deftin
l'appeloit; & ft euft perdu la gloire d'vne li notable bonté.
Il fe void dans les hiftoires lorce gens en cette crainte, d'où la
plus part ont luiui le chemin de courir au deuant des coniurations 15
qu'on failoit contr'eux, par vengeance & par lupplices; mais l'en vov
fort peu aulquels ce remède ait leruv, telmoing tant d'iimpereurs
Romains. Celuv qui le trouue en ce dangier, ne doibt pas beaucoup
elperer nv de fa lorce, nv de la vigilance. Car combien eft-il mal aile
de le garentir d'vn ennemy, qui eft couuert du vifage du plus officieux 20
amv que nous avons? & de connoiftre les volonté;^ & penfemens
intérieurs de ceux qui nous afllftent? Il a beau employer des nations
eftrangieres pour la garde, & eftre toufiours ceint d'vne bave
d'hommes armez : quiconque aura la vie à mefpris, fe rendra
toufiours maillre de celle d'autruy. Et puis ce continuel foupçon, qui 25
met le Prince en doute de tout le monde, luy doit feruir d'un •
merueilleux tourment.
Pourtant Dion, eftant aduerty que Callipus efpioit les moyens de
le faire mourir, n'euft iamais le ctvur d'en informer, dilant qu'il
avmoit mieux mourir que viure en cette milere, d'auoir à le 30
Texte 88. — 4) ihcnt quant & clic, le — 25) foupçon. cette defli.incc, qui
I.1VRI-: 1, CHAI'ITKl- XXIV. 165
garder non do les cnncmys l'culcmcnt, mais aulli do les amis.
Ce qu'Alexandre reprelenta bien plus viuement par effect, & plus
roichkiiiciit, quand, avant eu aduis par vne lettre de Parmenion, que
Philippus, Ion plus cher médecin, elloit corrompu par l'argent de
5 Darius pour l'empoilbnner, en melme temps qu'il donnoit à lire
la lettre à Philippus, il auala le bruuage qu'il luv auoit prelenté.
Fut ce pas exprimer cette relblution, que, li fes amvs le voiiloiiit
tuer, il conlentoit qu'ils le peulî'ent taire? Ce prince eil le Ibuuerain
patron des actes hasardeux; mais ie ne fçay s'il y a traict en la
ro vie, qui ayt plus de fermeté que ceftuy-cy, ny vne beauté illuftre par
tant de viûiges. Ceux qui prefchent aux princes la deffiance li attentiue,
foubs couleur de leur prefcher leur feurté, leur prefchent leur ruyne
& leur honte. Rien de noble ne fe faict lirns hazard. foi fçay vn, de
corû^c ires martial de sa coiiiplexioii, et entreprenant, de qui tous les iours
15 on corrompt la bonne fortune par telles perfualions : qu'il le refferre
entre les liens, qu'il n'entende à aucune reconciliation de fes anciens
ennemys, le tienne à part, & ne fe commette entre mains plus
fortes, quelque promeffe qu'on luy face, quelque vtilité qu'il y \ove.
l'en sçai' vu antre, qui a inesperéiiient aduencé sa fortune, pour auoir pris
20 conseil tout contraire. La hardiesse, de quoy ils cherchent si auidement la
gloire, se represante, quant il est besoin, aussv inaonifiquenuiit en pourpoinct
qu'en armes, en vu cabinet qu'eu vu camp, le bras pendant que le bras leuc.
La prudence fi tendre & circonfpecte, eft mortelle ennemye de hautes
exécutions. Scipion sceut, pour pratiquer la uolanté de Svphax, quitani son
Texte 88. — 2) & plus couragcufcment, quand — 7) le vouloit tuer, —
8) faire? La vaillance n'eft pas feulement à la guerre : ce prince — 11) princes le
foubçon & la — 13) hazard. le fçay vn grand, de qui
Var. ms. — 14) coniplcxioii, et Itaiardeus de qui — 19) iiiilir ;';•((;/</, qui —
19) auoir vne fois d deux, pris — 24) c\QCViXion%. Annihal fut mort ramigcanl l'ilatic
si Scipion n'eut sceu pour
' Le passage : l'en SÇai... leué est Je Iccriuire de M"' de Gournay, mais les mots rayés y sont
biffes d'un seul trait liorizontal, selon l'habitude de .Montaigne, et probablement de sa main.
l66 ESSAIS DE MOXTAIGXE.
armée, et ahniidonât Vhespaigne douhteuse eiicores sous sa nouuelle conquestc,
passer en Aphriqiie dans deiis simples ucsseaus, pour se commettre, en terre
enemie, a la puissance d'un Roy barbare, a une foi inconuc, sans obligation,
sans hostagc, sous la suie surete de la grandur de son propre corage, de son
bonheur, et de la promesse de ses hautes espérances : « habita fides ipsain 5
plerumque fidem obligat. »
A vne vie ambitieuse & fameufe il fliut, au rebours, prefler peu,
& porter la bride courte aux foubçons : la crainte & la deffiance attirent
l'offence & la conuient. Le plus deffiant de nos Roys eftablit
fes affaires, principallement pour auoir volontairement abandonné 10
&: commis fa vie & fa liberté entre les mains de fes ennemis, mon-
trant auoir entière fiance d'eux, affin qu'ils la prinfent de luy. A fes
légions, mutinées & armées contre luy, Cœlar oppofoit feulement
l'authorité de fon vifage & la fierté de fes paroles; & fe fioit tant à foy
& à fa fortune, qu'il ne craingnoit point de l'abandonner & commettre 1 5
à vne armée feditieufe & rebelle.
[Stetit aggere fulti]
Cespitis, intrepidus iiullu, wcriiitqttc tiiiieri
Nil metncns.
Mais il eft bien vray que cette forte affeurancc ne fe peut repre- 20
fenter bien entière & naifue, que par ceux aufquels l'imagination de
la mort <^ du pis qui peut aduenir après tout, ne donne point
d'effroy : car de la prefenter tremblante, encore doubteufe ii; incer-
taine, pour le feruice d'vne importante reconciliation, ce n'eft rien
fiire qui vaille. Ceft vn excellent moyen de gaigner le cœur 25
& volonté d'autruy, de s'y aller foubfmettre & fier, pourueu que ce
foit librement & fans contrainte d'aucune neceflité, & que ce foit en
condition qu'on y porte vne fiance pure & nette, le front au moins
defchargé de tout fcrupulc. le vis en mon enfance vn Gentil-bomme,
Texte 88. — 7) vie loyalle &
\'ar. ms. — 3) eiiemic. cti la — .)) enrage, & de
LIVRE I, CHAPITRE XXIV. 1 67
commandant à vnc grande iiillc, cmpreffé à l'elmotion d'vn peuple
furieux. Pour efteindre ce commencement de trouble, il print
party de Ibrtir d'vn lieu tres-alTeuré où il eftoit, & le rendre à
cette tourbe mutine : d'où mal luy print, îs: y fut miferablement
5 tué. Mais il ne me iemble pas que fil faute fut tant d'efhe fortv,
ainfi qu'ordinairement on le reproche à fa mémoire, comme ce fut
d'auoir pris vnc vove de siiiiiiiiissioii ik de mollefTe, & d'auoir voulu
endormir cette rage, pluftoft en siiiuaui que eu guidant, & en requérant
pluftoll: qu'en remontrant; &: eftime que une gralicusc scucritc, aucq un
10 awhiudciucvit m il itère pleiu de sécurité, de confiance, conuenable à fon
rang & à la dignité de fa charge, luy euft mieux fuccedé, au moins
auec plus d'honneur & de bien-feance. Il n'efl rien moins efperable
de ce monftre ainfin agité, que l'humanité & la douceur; il reccura
bien pluflofl la reuerencc 6i: la craincte. le luy reprocherois aufli,
15 qu'ayant pris vnc refolution, plus tost braue a mou gre, que temerere,
de fe ietter foible & en pourpoint, emmy cette mer tempertueufe
d'hommes inlenfe/, il la deuoit aualler toute, ik n'abandonner ce
personage, la où il luv aduint, après auoir recogncu le danger de près,
de scigner du ne:^, et d'altérer eucores [despuis] cete contenance desniise
20 & flateuse qu'il auoit entreprinse, en une contenance ejjraiee : chargeant sa
uoix et ses yeus d'cstoueniant et de pœuitance. Cherchant a coniUer et se
desroher, il les enjiannna & appela sur soi.
Texte 88. — i) grande prouince empreffc — 7) voyc de douceur, d'humilité,
& de — 8) pluftoft en flatant que commandant, & en — 9) cftime que la fermeté,
l'authorité, & vne contenance de parole conuenable — 15) vne fi hazardeufe & belle
refolution, de — 17) aualler entière, & n'abandonner fa confiance : la — 18) près,
de fe remplir l'ame & le front de repentance, n'ayant plus autre foing que de fa
confem.ation : fi qu'abandonnant fon premier rolle de régler & guider, & cédant
pluftofl que s'oppofant, il attira cet orage fur foy, employant tous moyens de le fuyr
& efchaper. On dcliberoit Av.iiu de rcf.iire cette phrase, Montaigne y introduit les corrections
suivantes: repentance et d'cffrai. n'ayant... premier ojjit'c de... il apela cet... employant
iiicomidereeiiiciit tous
V'ar. ms. — 9) eftime que la seiicyili', l'authorité, & vne contenance cl parole
(•o/HrtH</crf.M(?, conuenable — 10) plein d'une aayc sccurilc et confiance — 15) plin brauc
l68 ESSAIS DI£ MONTAIGNE.
On deliberoit de faire vne montre generalle de diucrfes trouppes
en armes, (c'eil le lieu des vengeances lecretes, & n'eft point où,
en plus grande feurté, on les puiffe exercer). Il y auoit publiques
('/ notoires apparences, qu'il n'y foilbit pas fort bon pour aucuns,
aufquels touchoit la principalle & neceffaire charge de les recognoiftre. 5
11 s'y propofa diuers confeils, comme en chofe difficile, & qui auoit
beaucoup de poids & de fuyte. Le mien fut, qu'on euitall; fur tout
de donner aucun tefmoignage de ce doubte, & qu'on s'y trouuaft
cS; mellafl; parmv les iiles, la terte droicte (it le vifoge ouuert, i^ qu'au
lieu d'en retrancher aucune chofe (à quoy les autres opinions 10
vifovent le plus) qu'au contraire on follicitaft les capitaines d'aduertir
les foldats de faire leurs fiilues belles & gaillardes en l'honneur des
affiftans, & n'efpargner leur poudre. Cela feruit de gratihcation enuers
ces troupes fufpectes, & engendra dés lors en auant vne mutuelle
& vtile confience. 15
La vove qu'v tint Iulius Caviar, ie trouue que c'eft la plus belle qu'on
y puifle prendre. Premièrement il efliiya, par clémence &. douceur,
à fe faire aymer de fes ennemis mefmes, fe contentant, aux coniu-
rations qui luy eftoient defcouuertes, de déclarer fimplement qu'il
en eftoit aduerty : cela f;iict, il print vne tres-noble reiblution 20
d'attendre, lans effroy & fons folicitude, ce qui luy en pourroit
aduenir, s'abandonnant & fe remettant à la garde des dieux & de la
fortune; car certainement c'elf l'eftat où il eftoit quand il tut tué.
Vn eftranger, ayant dict & publié par tout qu'il pourroit inftruire
Dionyfius, Tyran de Svracufe, d'vn moyen de fentir & delcouurir 25
en toute certitude les parties que fes fubiets machineroyent contre
luy, s'il luy vouloit donner vne bonne pièce d'argent, Dionyfius, en
eftant aduerty, le fit appeller à foy pour l'efclarcir d'vn art fi necelLiire
à fa conferuation ; cet eftrangier luy dict qu'il n'y auoit pas d'autre
Textk 88. — 2) & n'en cft — 6) propol'.i plullcurs & iliucrs — 14) lulpcctcs,
& nous engendra — 15) vtile conlidence. La
LIVRE 1, CHAPITRE XXIV. 169
art, finon qu'il luy fit dcliurcr vn talent, îSc le vcntaft d'auoir apris
tic luv vn fingulier kcrct. Dionvfius trouua cette inuention bonne,
& luv lit compter fix cens cl'cus. Il n'elloit pas vray-femblable qu'il
euft donné fi grande romnie à vn homme incogneu, qu'en recom-
5 penl'e d'vn tres-vtile aprentillage; & feruoit cette réputation à tenir
les ennemis en crainte. Pourtant les Princes lagement publient les
aduis qu'ils reçoiuent des menées qu'on drefle contre leur vie, pour
faire croire qu'ils l'ont bien aduertis, & qu'il ne le peut rien entreprendre
dequoy ils ne fentent le vent. [Le] duc d'Athènes fit plusieurs sottises en
10 \l'c]stiih}issenient de sa fresebe tininnie sur Florence : mais ceteci la plus
notable, qu'aïant receu le premier aduis des monopoles que [ce] peuple dressoit
contre [hiy], par Matleo di Moro:^o, complice d'icclles, il le fil mourir, pour
supprimer cet aduertissement et ne faire sentir qu'aucun en la uille se peut
ennnïer de son iuste gouuernemenl.
15 11 me Ibuuient auoir leu autrefois l'hiftoire de quelque Romain,
perlbnnage de dignité, lequel, fuyant la tyrannie du Triumuirat, auoit
efchappé mille fois les mains de ceux qui le pouiiuiuoyent, par la
fubtilité de l'es inuentions. Il aduint vn iour, qu'vne troupe de gens
de cheual, qui auoit charge de le prendre, palTa tout ioignant vn
20 halier où il s'eftoit tapy, & laillit de le defcouurir; mais luy, lur
ce point là, confiderant la peine &; les difficultez aufquelles il auoit
défia fi long temps duré, pour fe ûiuuer des continuelles & curieufes
recherches qu'on faifoit de luy par tout, le peu de plaifir qu'il pouuoit
efperer d'vne telle vie, & combien il luy valoit mieux paffer vne fois
25 le pas que demeurer touliours en cette tranfe, luy mefme les r'apella
& leur trahit la cacheté, s'abandonnant volontairement à leur cruauté,
pour olkr eux & luy d'vne plus longue peine. D'appeller les mains
ennemies, c'ert vn confeil vn peu gaillard; 11 croy-ie qu'encore
Texte 88. — 15) Ibuuient d'auoir — 24) mieux de palier... que de demeurer —
28) gaillard & liardv : Il
\'\u. .\is. — 9) cil lu — 11) iiolahlc qit'iiUiiU — 15) qH'aïuitii se
liSSAIS DE MONTAIGNE.
vaudi'oit-il mieux le prendre que de demeurer en la fieure continuelle
d'vn accident qui n'a point de remède. Mais, puilque les prouillons
qu'on V peut aporter, font pleines d'inquiétude & d'incertitude, il
vaut mieux d'vne belle aiïeurance le préparer à tout ce qui en pourra
aduenir, «In: tirer quelque confolation de ce qu'on n'eil pas alTeuré 5
qu'il aduiennc.
Texte 88. — 3) d'iiiquicUide, du tourment &
CHAPITRE XXV
nv PEDANTISME.
le me fuis Ibuucnt defpité, en mon enfance, de voir es comédies
Italiennes toufiours vn pédante pour badin, & le furnom de magiiler
n'auoit guiere plus honorable lignification parmy nous. Car, leur
eftant donné en gouuernement & en garde, que pouuois-ie moins
5 taire que d'eftre ialous de leur réputation ? le cherchois bien de les
excufer par la difconuenance naturelle qu'il y a entre le vulgaire
& les perfonnes rares & excellentes en iugement & en Içauoir :
d'autant qu'ils vont vn train entièrement contraire les vns des autres.
Mais en cecy perdois ie mon latin, que les plus galans hommes
10 c'eftoient ceux qui les auoyent le plus à mefpris, tefinoing noilre
bon du Bellay :
Mais ie liay par fur tout vn fçauoir pedantefque.
Et cft cette couftume ancienne : car Plutarque dit que Grec
& efcholier eftoient mots de reproche entre les Romains, & de
15 mefpris.
Depuis, auec l'eage, i'ay trouué qu'on auoit vne grandiflime raifon,
& que «magis magnos clericos non funt magis magnos fapientes».
Mais d'où il puifle aduenir qu'vne ame riche de la connoifli^nce de
Texte 88. — 18) amc ijarnii; de
172 ESSAIS DE MONTAIGNE.
tant de choies n'en deuiennc pas plus viue & plus cfueilléc, & qu'vn
efprit groflier & vulgaire puifle loger en foy, fans s'amender, les
dilcours & les iugemens des plus excellens efprits que le monde ait
porté, l'en fuis encore en doute.
A receuoir tant de ceruelles eftrangeres, & fi fortes, & fi grandes, 5
il eft necelliiire (me dilbit vne fille, la première de nos PrincefTes,
parlant de quelqu'vn), que la fienne fe loule, fe contraingne & rape-
tilTe, pour faire place aux autres.
le dirois volontiers que, comme les plantes s'eftouffent de trop
d'humeur, et les lampes de trop d'huile : aufli l'action de l'efprit, par trop 10
d'eftude cl de matière, lequel, ûtifi & emharalTé à'uue graude diuerfité
de chofes, perde le moyen de fe defmefler; & que cette charge le
tienne courhe & croupi. Mais il en va autrement : car noftre ame
s'eflargit d'autant plus qu'elle fe remplit; & aux exemples des vieux
temps il fe voit, tout au rebours, des luffifans hommes aux manie- 1 5
mens des chofes publiques, des grands capitaines & grands confeillers
aux affaires d'elkt auoir efté enfemble très fçauans.
Et, quant aux philofophes retirez de toute occupation publique,
ils ont efté aufli quelque fois, à la vérité, mefprifez par la liberté
Comique de leur temps, [leurs opinions et façons les rendu ns ridieules'.] 20
Les uoules nous faire iuges des droits d'un procès, des aelions d'un Ijonie?
Ils en sont bien pret::^! Ils cherehèt eucores s'il y a nie, s'il y a monnenient,
Texte 88. — ii) d'eftude, & que l'ame faifie & embaraffée.de tant de diuerfité
— 12) cette grande charge la tienne comme courbe & croupie. Mais — 15) rebours,
que les plus fuffifans — 16) publiques, les plus grands capitaines, & les meilleurs
confeillers — 17) cftat, ont efté enfemble les plus fçauans. — 20) temps : mais au
rebours des noftres : car on enuioit ceux-là, comme (p. 17;, 1. li.)
\'ar. .ms. — 13) croupi. ■?()«(! aiufi tfuf la hmpea qui hc peuueul c-selan'v l'dcuft'a; de
trop de Imile [Ne] plus ne moins que nous upïflus les lampes ne nous ppuuoir ed esclaver
suffoquées de trop d'huile. Mais
' I.a ligne où se trouv.iient ces mots, a été rognée. I..i lin de cette ligne ct.iit occupée par une phrase,
qui était tout entière effacée, puisque l'édition de 1595 n"en a rien conservé, mais dont il reste, à la
ligne suivante, ces mots biffés : (f que come la chamheiiere reproelmt a Thaïes qu'il ignorait
ce qui estait a ses pieds. Cf. liv. Il, chap. xii, f' 244 f.
I.IYRH I, c:H.\PITRF. XXV
si l'iwnie est autre chose qu'un heiij; que e'esl qu'iii^ir et souffrir; quelles
hestcs se sont que loix & iustiee. Parlent ils du magistrat, ou parlent ils
a luy ? C'est [d]'un€ liberté irreuerente et inciuille. Oyct ils louer leur prince
ou un roy? c'est un pastre pour eus, oisif came un pastre, occupe a pressurer
5 (7 tondre ses bestes, mais bien plus rudenwnl qu'un pastre. En estimes nous
quelqun plus grand, pour posséder deus mille arpans de terre? eus s'en
moquent, acostunu^ d'embrasser tout le monde corne leur possession. Fous
uantes nous de uostre noblesse, pour coter sept ayeuls riches? ils nous estiment
de peu, ne conceuant l'imcige uniuerselle de nature, et combien chacû \dè\
lo nous a eu de predccessurs : riches, poures, roys, ualets, grecs \et^ barbares.
Et quand nous séries cinquàiieme descendant de Hercules, ils nous trouuêt
uain de faire ualoir [ce^ presant de la fortune. Ainsi les desdeignoit le
uulguere, corne ignorans les premières choses et communes, come presomp-
lueus et insolens. Mais cette peinture Platonique est bien eslouignee de celle
15 qu'il faut [a~'\ nos gens. On enuioit cens la comme eftans au defliis de la
commune taçon, comme mefprilans les actions publiques, comme
avans dre(Té vne vie particulière èv inimitable, réglée à certains
dilcours hautains & hors d'vfage. Ceux-cy, on les defdeigne, comme
eftans au deflbubs de la commune façon, comme incapables des
\'ar. ms. — i) quetlfs gais se — 5) libelle Insupportable cl im-iiiillf. OU il louer sou
... 1° pressurai . ,
prwcc — 4) pour luy Oisif connue un pastre : et < ^„ pressurât et loiiâât " ""'" "" ^'"^'''
sauf qu'un peu plus rudement qu'un pastre^ ses bestes. En estimes — 6) terre ils eslimit
eus prisent cela rien acostume\ — 8) estiment un [sot] et- ne rien conceuant de grand .ne]
regardant pas a l'image — 11) séries ui (commencement du mot uint; Platon dit en effet
dans le Théétète (17; a) dont ce passage est traduit : vingt-cinquième ou même cinquantième.) —
II) Hercules il uous trouue — 13) ignorans des premières — 14) insolens cerne —
15) cens la [come] estans libres el oisifs comme efizns ilm — 18) defdeigne 1° : come
serfs Ires affaireus comme 2" : come homes uenaus et affaireus comme
' qu'un pastre biffé puis rétabli.
* [sot] et lecture douteuse. Montaigne suit ici de près la traduction du Théétète de Marsilc Ficiii ;
• hebetis nihilque magnum propter ignorantùim cogitantis animi laudes Iiujusmodi censet, quasi ad
totius mundi naturam respicere nequeat. • Le mot disparu que nous avons essayé de reconstituer était
donc une traduction de • animi hebetis •. D'ailleurs ce mot ne pouvait avoir guère plus de trois lettres,
et l'on reconnaît sur le bord extrême de la marge le prolongement de la barre d'un /.
174 ESSAIS DP. MONTAIGNE.
charges publiques, comme trainans vue vie & des meurs baffes
& viles après le vulgaire.
Oiii bomincs igtiaua opéra, pbilosofa sentent ia.'
Quant à CCS philofophes, dis-ie, comme ils eftoient grands en
fcience, ils eftoient encore plus grands en tout' action. Et tout ainfi 3
qu'on dit de ce Geometrien de Siracufe, lequel ayant efté deftourné
de fa contemplation pour en mettre quelque chofe en practique à la
defïence de son pais, qu'il mit foudain en train des engins efpouuan-
tables & des effets furpaflans toute créance humaine, defdaignant
toutefois luv mefme toute cette fiennc manufacture, & penfant en 10
cela auoir corrompu la dignité de fon art, de laquelle fes ouurages
n'eftoient que l'aprentifTage & le iouet : auflî eux, fi quelquefois on
les a mis à la preuue de l'action, on les a veu voler d'vne aille fi
haute, qu'il paroifToit bien leur cœur & leur ame s'eftre merueil-
leufement grofîîe it enrichie par l'intelligence des chofes. Mais 15
aucuns, notant la place dit goitttcnicntèt politiijtte se sic par homes incapables,
s'en sont rectiles; et celttv cjtti dentaiida a Cfates insqttes a qttaiit il faudfoit
plnlosofer, eu receitt celte responce : Iiisqnes a tant que ce itc soiitt plits des
asttiers qiti conduisent nos armées. Hcraclytits résigna la royauté [a\ son
frère; et ans Ephesietts qtti luv reprochoiitt a quoi il passait sou temps a ioiter 20
aueq les eitfans deiiàt le temple : Vaut il pas ntieits faire cecy, qtte gotitierner
[les] affaires eu itostre côpaignie ? D'atitres, a'iant leur imagination logée
au defTus de la fortune &: du monde, troiitiereitt les lièges de la iuftice
& les thrones mefmes des Roys, bas & viles. Et refusa Empedoclcs la
Texte 88. — 5) tout' autre perfection & cxcellance. Et — 8) de fa patrie, qu'il
— Il) corrompu & gaft(!: la — 22) leurs imaginations logées... monde, leur faifoient
tiouucr les fieges — - 24) viles. Vn d'entr' eux, 'l'hales
\'ak. ms. — 16) tioimil les d — 17) Crates eemt'ie — 19) armées, d'-auitvs itiaiU
et Herneliliis nus Fpljesicns — 20) reproetioiul de quoi
' .Au-ikssiis di- ijclK- cit.itioii, Momai^iK' icrit : / ers
LIVRli I, CHAPITRH XXV. IJ)
Royiiiitc que les Jgrigi'iitiiis liiy ojfrirent. Thaïes acculant quelque l'ois
le l'oing du mel'nage (S; de s'enrichir, on luy reprocha que certoit
à la mode du renard, pour n'y pouuoir aduenir. Il luy print enuie,
par palTetemps, d'en montrer l'expérience; is:, ayant pour ce coup
5 raualé Ion l'çauoir au leruice du proffit & du gain, dreffa vne trafique,
qui dans vn an rapporta telles richeffes, qu'à peine en toute leur vie
les plus expérimentez de ce meftier là en pouuoient faire de pareilles.
Ce qu'Aristotc récite d'aucuns qui apellolt et cchiy la ci Anaxagoras et
leurs semblables, sages et non prudaus, pour n'auoir asses de soin des choses
10 plus utiles, outre ce que ie ne digère pas bien cette diferance de mots, cela ne
sert point d'excuse [il] nws gens : et, a uoir la basse et nécessiteuse Jortune de
quoi ils se paient, nous arions pluslost occasion de prononcer tous les deus,
qu'ils sont & non sages & non prudans.
le quitte cette première railon, èv croy qu'il vaut mieux dire que ce
13 mal uiene de leur mauuaile façon de fe prendre aux fciences; &, qu'à
la mode dequov nous l'ommes inftruicts, il n'eft pas merueille fi nv
les elcholiers ny les maillres n'en deuiennent pas plus habiles, quov
qu'ils s'v lacent plus doctes. De urav, le loing & la dcfpcnce de nos
pères ne vile qu'à nous meubler la telle de fcience; du ingénient
20 & de la vertu, peu de nouuellcs. C/'/c" d'un passant a nostre peuple :
0 le sçauanl home! El d'un antre : 0 le bon home! Il ne faudra pas de
tourner les yens et son respet vers le premier. Il y faudroit un tiers crieur :
0 les lourdes testes! Nous nous enquerons volontiers : Sçait-il du Grec
ou du Latin ? efcrit-il en vers ou en profe? Mais s'il eft deuenu meilleur
25 ou plus aduilé, c'efioit le principal, îs: c'eft; ce qui demeure derrière.
Il falloit s'enquérir qui efi mieux fçauant, non qui eft plus Içauanl.
Texte 88. — 7) pareilles. Par ainfi ic quitte cette raifon, & — 14) dire que cela
vienne à nos maiftres d'efcole de leur - 18) plus fçauants. De vay le — 19) nous
garnir la — 20) vertu, nulles nouuelles.
Vak. ms. — S) Arhlûle apelle et ccltty la — 9) sages f>lui — 9) soin de leur profil
oulrc — 12) de dire qu'ils ne soiU tiy sages lotts les dfiis& iioii sages — 15) mal leur
uiene — 20) nouuelles. Oui eriera dnu imt a uosire — 25) O les folles gens. Nous
176 ESSAIS DE MOXTAIGXE.
Nous ne trauaillons qu'à remplir la mémoire, & laiflbns l'enten-
dement et la comciaucc vuidc. Tout ainli que les ovfeaux \'ont
quelquefois à la quelle du grein, c\: le portent au bec l'ans le taller,
pour en taire bêchée à leurs petits, ainii nos pédantes vont pillotant
la fcience dans les Hures, & ne la logent qu'au bout de leurs léures, 5
pour la dégorger feulement ^; mettre au vent.
C'est mcrueiUe comlnen proprement la sottise se loge sur mon exemple.
Est ee pas faire de mesmes, ee que iefois en la plus part de cette composition ?
le m'en uois, escorni fiant par cy par la des Hures les seutances qui me
plaisent, non pour les garder, car ie n'ay point de gardoires, mais pour les 10
transporter en cetuicy, ou, a urai dire, elles ne sont non plus micncs qu'en
leur première place. Nous ne somes, ce crois ie, sçauans que de la sciance
presante, non de la passée, aussi peu que de la future.
Mais qui pis eft, leurs efcholiers & leurs petits ne s'en nourrilTent
& alimentent non plus; ains elle paffe de main en main, pour cette 15
feule fin d'en faire parade, d'en entretenir autruy, & d'en faire des
contes, comme vne vaine monnoye, inutile à tout autre vfage
6c emploite qu'à compter 6c ietter. « Apud alios loqui didicerunt, non
ipsi sec uni. »
«Non est loquendii, sed guhernandù. » 20
Nature, pour montrer qu'il n'y a rien de saunage en ce qui [est\ conduit
par elle, faict naistrc es nations moins cultiuees par art, des production
d'esprit sonnant, [cqui] hâtent les plus artistes productions. Corne sur nmi
propos le proucrhe Gascon [est ] // délicat : « Bouha prou houha, nias a
remuda lous dit^ qu'eni ; souffler prou souffler, mais nous en souies [a] 25
remuer les doits », tiré d'une chalemie.
Nous fçauons dire : Cicero dit ainfi; voila les meurs de Platon;
ce font les mots mefmes d'Ariftote. Mais nous, que difons nous
Texte 88. — 27) voila l'opinion de
Var. ms. — 6) vent. Non esl loijiicintiiiii sal i;uhcnuiiuhiiii. Mais qui cit.uion ciVacéc
ici et iraiisporicc 1. :o. — 9) <h'S aulhcufS IfS — I 5) pilfSiY : & illlSii pt'll itc Ici
LIVRE I, CHAPITRE XXV. I77
nous mcl'ir.cs? que iugcons nous? que faisons nous? Autant en diroit
bien vn perroquet. Cette façon me foit Ibuuenir de ce riche Romain,
qui auoit efté foigneux, à fort grande delpence, de recouurer des
hommes luffiians en tout genre de fciences, qu'il tenoit continuelle-
5 ment autour de luy, affin que, quand il elcherroit entre les amis
quelque occalion de parler d'vne choie ou d'autre, ils iuppliffent ia
place, & fuflent tous prêts à luy fournir, qui d'vn dilcours, qui d'vn
vers d'Homère, chacun félon l'on gibier; & penlbit ce fçauoir eftre
lîen par ce qu'il elloit en la telle de fes gens; & comme font auffi
10 ceux defquels la fuffilance loge en leurs fomptueufes librairies.
l'eu conois, a qui quand ic demande ce qu'il sçait, il me demande un liurc
pour me Je montrer; et n'oseroit me dire qu 'il a Je derrière galus^s'il [ne] ua sur
le champ estudier en \son^ lexicon, que c'est que gains, & que c'est que derrière.
Nous prenons en garde les opinions & le fçauoir d'autruy, & puis
15 c'ert tout. Il les faut faire noftres. Nous femblons proprement celuy
qui, ayant belbing de feu, en iroit quérir chez fon voilin, &, y en
ayant trouué vn beau & grand, s'arreftcroit là à le chauffer, fans plus
fe fouuenir d'en raporter chez foy. Que nous fert-il d'auoir la panle
pleine de viande, fi elle ne le digère? Il elle ne fe trans-forme en
20 nous? fî elle ne nous augmente & fortifie? Penfons nous que
Lucullus, que les lettres rendirent & formairent û grand capitaine
fans l'expérience, les eut prifes à noftre mode?
Nous nous laifTons ii fort aller fur les bras d'autruy, que nous
aneantiflbns nos forces. Me veus-ie armer contre la crainte de la
25 mort? c'cft aux defpens de Seneca. Veus-ie tirer de la conlolation
pour moy, ou pour vn autre? ie l'emprunte de Cicero. le l'eufle
prife en moy-mefme, fi on m'y euft exercé. le n'ayme point cette
fuffifance relatiue & mendiée.
Texte 88. — i) niefmes? qu'opinons nous? que iugeons nous? Autant en feroit
bien — 2) fait iuftement fouuenir — 14) Nous de niefmes, nous prenons —
21) & formarent fi grand capitaine & Ci aduifé, fans l'effay & fans
\'ar. ms. — 13) jailli & ikrricrc Nous
lyS ESSAIS DE MOXTAIGXE.
Quand bien nous pourrions eftre fçauans du Içauoir d'autruy, au
moins fages ne pouuons nous ertre que de noftre propre fagefl'e.
« Ex qiio Eiiiiiiis : Neqiiicqiunn sapcrc sapicnkiii, qui ipsc sibi prodcsse
lion quint. » 5
li cupidus, fi'
Vanus & Euganea quamtumuis vilior agna.
« Non cniin pitraiida nohis sol uni, sed jrucnda sapicntia est. »
Dionisius se inoquoil des gratniiieriens qui ôt soin de s'enquérir des inaus
dl'lysses, et ioiiorèt les propres; des musiciens qui accordent leurs flûtes lo
& n'accordèt pus leurs meurs; des Oraturs qui estiidieni a dire iusticc,
\jion\ a la faire.
Si noflre ame n'en va \n meilleur branlle, lî nous n'en auons
le iugement plus lain, i'aymeroy aufli cher que mon efcolier eut
pafle le temps à ioùer à la paume; au moins le corps en leroit plus 15
allègre. \'oyez le reuenir de la, après quinze ou leze ans employez :
il n'ell rien fi mal propre à mettre en befongne. Tout ce que vous
y recognoiflez d'auantage, c'ell que fon Latin & l'on Grec l'ont rendu
plus fier & plus outrecuidé qu"il n'ertoit party de la mailbn. // en
deiioii raporter l'ame pleine, il ne l'en raporte que bouflie; et l'a sulemant 20
enflée [au \ lieu de la grossir.
Ces maistres iey, conte Platon dict des sophistes, leurs germains, sont de
tous les homes cens qui promettent d'estre les plus iitilles ans homes, et,
Texte 88. — 5) (709,0c. le hai, dict-il, le Sage qui n'ell pas lage pour Iby-mermes.
fi cupidus
\'ak. ms. — 4) Ncquicqiiam sibi snpeic — 8) csl : dicl Cicero. Si noftrc — 9) qui
(iiwiiil soin... il ignoroiut les — 10) propres :& des — 11) dire mm a faire iustice :
Si noftrc — 20) houjjie cl euflee au lieu de la a;:p»/F, l'a enflée. — 22) sophistes sont
' en ça eetc fin de uers écrit Montaigne i la droite Je CCS mots, pour en reciilier la disposition
typographique.
r.IVRl- I, CHAPITRF XXV. I79
suis entre fous les homes, qui non suJeweut u'amauâent point ce qu'où
leur couuuet, corne fait un \ charpciutier & uu unisson, mais l'einpirent,
& se fout païer de Vauoir empiré.
Si kl loi que Protûf^oras proposoit a ses disciples, esioit suiuie : ou qu'ils
5 le paiasseut selon so)i nml, ou qu'ils inrasseut au temple combien ils eslimoinl
k profit qu'ils auoinl receu de ses disciplines, et selon iceluy satisfissent sa
peine, nn^s pxdagogues se trouuerroint choue:^, s'estant remis au sermant
de mon experiance.
Mon vulgaire Perigordin appelle fort plaifamment « Lcttreferits »
10 ces sçauanteaus, comme fi vous difiez « lettre-ferus », aufquels les
lettres ont donné vn coup de marteau, comme on dict. De vrav, le
plus fouuent ils femblent eftre raualez, mefmes du fens commun.
Car le paifant & le cordonnier, vous leur voiez aller fimplemcnt
& naïfucment leur train, parlant de ce qu'ils fçauent; ceux cy, pour
1 5 fe vouloir efleuer & gendarmer de ce fçauoir qui nage en la fuperficie
de leur ceruelle, vont s'ambarraflant & enpeftrant fans cefle. Il leur
efchappe de belles parolles, mais qu'vn autre les accommode. Ils
cognoiflent bien Galien, mais nullement le malade. Ils vous ont
des-ja rempli la tefte de loix, et fi n'ont encore conçeu le neud de la
20 caufe. Ils fçauent la théorique de toutes chofes, cherchez qui la mette
en practique.
l'ay veu chez moy vn mien amy, par manière de pafletemps,
ayant affaire à vn de ceux cy, contrefaire vn iargon de galimatbias,
propos fans fuite, tiffu de pièces rapportées, fauf qu'il eftoit fouuent
25 entrelardé de mots propres à leur difpute, amufer ainlî tout vn iour
ce fot à debatrc, penfant touliours refpondre aux obiections qu'on
Texte 88. — 9) Perigordin les appelle — 15) &iandarmcrdc — 25) iargon de
propos fans fuite, & tiffu de toutes pièces
\'ar. ms. — i) les aiilres qui — 2) fait uu ccrâoiikr [un] ctiarpautii-r — 3) paur
pour Vauoir — 5) temple a eoinhicu — 6) sa peine ie iurerois selon le seniiaul que ie
fnirois mes... choue^. Mon vulgaire — 7) ctjouei s'î'ils] se fioiiil au — 9) F.ettrcfcrits :
comme... lettre-ferus (CH.t, aufquels — 25) galinuitljins qui soûl propos
l8o ESSAIS DE MOXTAIG\E.
luy failbit; & fi clloit homme de lettres & de réputation, *& qui
auoit vne belle robe.
\'os, ô patritius languis, quos viuere par eft
Occipiti c;çco, poftics occurrite fanns.
Qui regardera de bien près à ce genre de gens, qui s'eftand bien loing, 5
il trouuera, comme mov, que le plus fouucnt ils ne s'entendent,
ny autruv, & qu'ils ont la fouuenance aflez pleine, mais le iugement
entièrement creux, linon que leur nature d'elle mefme le leur ait
autrement façonné : comme i'ay veu Adrianus Turnebus, qui,
n'ayant faict autre profeflion que des lettres, en laquelle c'eftoit, 10
à mon opinion, le plus grand homme qui fut il y a mil' ans, n'auoit
toutesfois rien de pedantelque que le port de fa robe, & quelque
façon externe, qui pouuoit n'eftre pas ciuilifée à la courtifane, qui
font chofes de néant. Et hai nos gens qui fupportent plus mal-
ayfement vne robe qu'vne ame de trauers, & regardent à fa reuercnce, 1 5
à fon maintien & à les bottes, quel homme il eft. Car au dedans
c'eftoit l'ame la plus polie du monde. le I'ay fouuent à mon efciant
ictté en propos eflongnez de fon vlage : il y voyoit li cler, d'vne
apprehenfion fi prompte, d'vn iugement ii ûiin, qu'il fembloit qu'il
n'eut iamais faict autre meftier que la guerre & affaires d'Eftat. Ce 20
font natures belles &; fortes,
quels arte benigna
Et meliorc luto finxit pra.>corclia l"itan,
qui fe maintiennent au trauers d\nc mauuailc inftitution. Or ce
n'eft pas afl'e/ que noftre inftitution ne nous gafte pas, il faut qu'elle 25
nous change en mieux.
Il y a aucuns de nos Parlemens, quand ils ont à receuoir des
officiers, qui les examinent feulement fur la Icience; les autres y
Texte 8S. — i8) cflongiiez de fon gibier & do fon — 26) mieux, & qu'elle nous
.imcnde, ou elle ci\ vainc & inutile. Il v a
I.IVRH I, CHAI'ITUH XXV. l8l
adioutcnt cncorcs l'cflay du Iciis, en leur pixlcntant le iugenient de
quelque caufe. Ceux cy me l'emblent auoir vn beaucoup meilleur ftile;
& encore que ces deux pièces foyent neceflliircs, & qu'il faille qu'elles
s'y trouuent toutes deux, fi efl ce qu'à la vérité celle du fçauoir efl
moins prillible que celle du iugement. Cette cy fe peut paffer de
l'autre, i^ non l'autre de cette cv. Car, comme dict ce vers grec,
à quoy faire la fcicncc, fi l'entendement n'y cft? Pleut à Dieu que
pour le bien de noftre iuftice ces compagnies là fe trouuaflcnt aufli
bien fournies d'entendement & de confcience comme elles font
encore de fcience! « Non uiix sed schola' disant iis. » Or il ne faut pas
attacher le fçauoir à l'ame, il l'y faut incorporer; il ne l'en fliut pas
arroufer, il l'en fiiut teindre; &, s'il ne la change, & meliorc fon eftat
imparfoict, certainement il vaut beaucoup mieux le laifler là. C'eft vn
dangereux glaiue, & qui empefche & offence fon maiftre, s'il efl en
main foible & qui n'en fçache l'vûige, «utfiierit nielius non didicissc.»
A l'aduenture eft ce la caufe que & nous & la Théologie ne
requérons pas beaucoup de fcience aux famés, & que François,
Duc de Bretaigne, filz de lean cinquiefme, comme on luy parla de
fon mariage auec Ifabeau, fille d'Efcofîe, & qu'on luy adioufta qu'elle
auoit efté nourrie fimplement & fans aucune inflruction de lettres,
rcfpondit qu'il l'en aymoit mieux, & qu'vne fiime eftoit aifez fçauantc
quand elle fçauoit mettre différence entre la chemife & le pourpoint
de fon mary.
Auffi ce n'eft pas fi grande merueille, comme on crie, que nos
anceftres n'ayent pas faict grand eftat des lettres, & qu'encores
auiourd'huy elles ne fe trouuent que par rencontre aux principaux
confeils de nos Roys; &, fi cette fin de s'en enrichir, qui feule nous
Texte 88. — 5 et 6) cette icy... cette icy — 13) change, & amende fon premier
eftat — 15) maiftre mefme, s'il
l82 ESSAIS DH MONTAIGXE.
eft auiourd'huy proposée par le moyen de la lurifprudcnce, de la
Médecine, du pedantifme, & de la Théologie encore, ne les tenoit
en crédit, vous les verriez l;ins doubte auffi marmiteufes qu'elles
furent onques. Quel dommage, si elles ne nous aprenent nv à bien
penfer, ny à bien foire? « Postquaiu docii prodienH, boni desuut. »
Toute cintre seiaiiee est doniagecihle a eeJiiy qui n'a la seiance de h bonté.
Mais la raison que ie cherchais tantost, seroit elle pas aussi de la : que,
nostre estude en france n'ayant quasi autre but que le profit, moins de cens
que nature a faict naistrc a plus genereus offices que lucratifs, s'adonans
ans lettres ou si courtemant (retires, auant que d'en auoir prins le goût, a une
profession qui n'a rien de commun aueq les Hures) il ne reste plus ordine-
rement, pour s'engager tout a faict a l'est ude, que les gens de basse fortune
qui y questent des moiens a uiure. Et de ces gens la les âmes, estant et par
nature et par domestique institution et example du plus bas aloy, raportent
faucemant le fruit de la seiance. Car elle n'est pas pour douer iour a l'ame
qui n'en apouint, ny pour faire uoir un aueugle : son mestier est, non de luy
fournir de ueue, mais de la luy dresser', de luy régler ses allures pour ueu
qu'elV aye de soi les pieds et les iambes droites & capables. C'est une bouc
drogue, que la seiance; mais nulle drogue n'est asses forte pour se preseruer
sans altération et corruption, selon le uicc du uase qui l'cstuïe. Tel a la
imie clere, qui ne l'a pas droite; et par consequant uoit le bien et ne le suit
pas; et uoit la sciame, et ne s'en sert pas. La principale ordonâee de Platon
en- sa reptdjlique, c'est doner a ses citoïens, selon leur nature, [leur charge.
Nature peut tout & fait tout.] Les boiieus sont mal propres aus exercices du
Texte 88. — i) auiourd'huy en bute, par — 4) dommage, puis qu'elles
Var. ms. — 8) n'ayant atUrc — 8) profil i" : cens... lucratifs sa vc s'adotiain pas aus
2° : peu de ccus... lucratifs s'adonans aus — 10) auoir sauonré te goût a des — 11) reste
quasi a nostre m' all.'ur] pour... V estude plus connnuncenicnt que les gens de plus basse —
13) qui y cherclieul de quoi uiuN des nioïens — 14) institution de du plus bus alloi —
16) pouint : ce seroit faire — 18) qu'ell' est de — 20) du ucsseau qui — 23) doner
aus âmes de ses citoïens selon leur naturelle — 24) sont im
Au-dessus de dreSSCr qui n'est p.is efface, Montaigne a écrit, puis efl'acé instruire. De même
au-dessus de moins reforme (p. 18;, 1. ;) il écrit et elWwc plu.
LIVRE I, CHAPITRH XXV. 183
corps; [cl aux exercices de l'esprit les mites boileiises; les lutslardes et viiloaires
sont indignes] de la philosophie. Qnaiid nous noions un home nicd chausse,
nous disons que ce n'est pas nwrueille, s'il est chaussetier. De nu'snie il
semble que l'experianec nous offre souuant un médecin plus mal médecine,
5 un théologien moins reforme, un sçauani moins suffisant que tout autre.
Aristo Chius auoit aulieiwmant raison de dire que les philosofes nuisoint
ans audit urs, d'autât que la plus part des âmes ne se treuuent propres
a faire leur profit de telle instruction, qui, si elle ne se met a bien, se met
a mal : « asotos ex Aristippi, acerbos ex Zenonis schola cxire. »
10 En cette belle inflitution que Xenophon prefte aux Perfes, nous
trouuons qu'ils apprenoient la vertu à leurs enfans, comme les autres
nations font les lettres. Platon dict que le [fils aisnc, en leur succession
royale, esloit ainsi nourry. Apres sa naissance, ou] le douait non a des
famés mais a des Eunuches de la première authorite autour des Roys a cause
15 de leur uertu. Ceusci prcuoiut charge de luy randre le corps beau & sain,
et après sept ans le duisoint a monter [a] chenal et aller a la chasse. Quand
il esloit arriue au qualorsienw, ils le deposoint entre les mains de quatre :
le plus sage, le plus iuste, le plus tempérant, le plus uaillâl de la nation.
Le premier luy aprenoit la relligion; le secont a estre tousiours ueri table;
20 le tiers a se rendre maislre des cupidité^; le quart a ne rien creindre.
Texte 88. — 12) lettres. Et m'a femblé chofe digne (p. 184, l. i.)
Var. ms. — 3) disons die m s... mcrueille car il — 3) mesmc d'un mcdeciii s^lesl
malade d'un tlieologicn uiieitui uicieus d'un phrase inachevée. — 4) offre un — 4) médecine
qu'un autre un llieologieii — 7) des natures ne — 8) de leur instruction — 14) autour
de leurs Roys — 17) qualorsieme cens ci le — 20) creindre. 1° : Et si ïay hone mémoire
[de] ce qui me demura de la leçon des loix en Platon ou [il] traicte de l'inslilulion de \ la] inncsse
de sa uille il donc peu de part ou nulle f>iii4 a la sciancc des lettres De la luitc [de] la
musique de la chasse il doue infinis préceptes cl ueut que l'ame s'exerce et profile en ces corporels
exercices. Ses gymnases diU il [sonl]^ toutes instructions militeres [et] sihle ne doue): rane
qu'il donc a l'estude de lapoisie \ il] samblc le faire pour le seruice principalemêl de la musique.
C'est (ho chofe digne 2° : Et si i'ay quelque nicnioire du lieu de Platon ou \il] Iraicle...
Litres De la danse de la course escrime sauterie chenaucberie chasse il faict infinis...
principalemêl du chanter. C'est (bo (transporté en partie et .-ivcc des modifications, p. 215, 1. 17.)
' Marsilc Ficin avait traduit ainsi le passage correspondant de Platon (de Leg. 8lj d) : « Gymnasia
onines eliam cxcrcitationcs bellicas appellamus. «
184 liSSAlS DE MONTAIGNE.
C'est chofe digne de très-grande confideration que, en cette excel-
lente police de Licurgus, & à la vérité monftrueufe par fa perfection,
li fongneufe pourtant de la nourriture des enfans comme de h
principale charge, & au gifte mefmes des Mufes, il s'y face fi peu de
mention de la ilocfriiie : comme fi cette genereufe ieuneffe, defdai- 5
gnant tout autre ioug que de la vertu, on luy ave deu fournir, au
lieu de nos maiftres de fcience, feulement des maiftres de vaillance,
prudence & iuftice, exemple que Platon en ses hix a suiiii. La fiiçon de
leur difcipline, c'eftoit leur faire des queftions fur le iugement des
hommes &: de leurs actions; &, s'ils condamnoient & loiioient ou ce 10
perfonnage ou ce faict, il falloit raifonner leur dire, & par ce moyen
il aiguifoient enfemble leur entendement & apprenoient le droit.
Alliages, en Xenophon, demande à Cyrus conte de la dernière
leçon : Ceft, dict-il, qu'en noftre efcole vn grand garçon, ayant vn
petit fave, le donna à vn de fes compaignons de plus petite taille, 15
& luy ofta fon laye, qui eftoit plus grand. Noftre précepteur m'ayant
faict iuge de ce différent, ie iugeay qu'il falloit laiffer les chofes en
cet eftat, & que l'vn & l'autre fembloit eftre mieux accommodé en
ce point : lur quoy il me remontra que i'auois mal fait, car ie m'eftois
arrefté à confiderer la bien feance, & il falloit premièrement auoir 20
proueu à la iuftice, qui vouloit que nul ne fuft forcé en ce qui luy
appartenoit. Et dict qu'il en fut foité, tout ainfi que nous fommes
en nos vilages pour auoir oublié le premier Aorifte de tjztw. Mon
régent me teroit vne belle harengue « in génère Demonftratiuo »,
auant qu'il me perfuadat que fon efcole vaut cette là. Ils ont voulu 25
couper chemin; &, puisqu'il eft ainfi que les fciences, lors mefmes
qu'on les prent de droit iil, ne peuuent que nous enseigner la prudence,
la prud'hommie & la refolution, ils ont voulu d'arriuée mettre leurs
Texte 88. — 5) de l'apprentiflagc des lettres : coiiimc — u) il failloit
12) apprenoient l.i iuftice. .\fti;iges — 27) nous apprendre la
\'ar. m s. — 8) loix sembk
LIVRE I, CHAPITRE XXV. 183
cnfiins au propre des cffccts, & les inftruire, non par ouïr dire, mais
par l'elLiy de l'action, en les formant ^: moulant vifuemcnt, non
feulement de préceptes & parolles, mais principalement d'exemples
& d'œuures, afin que ce ne fut pas vne fcience en leur ame, mais fa
5 complexion & habitude; que ce ne fut pas vn acqueft, mais vne
naturelle pofTeflion. A ce propos, on demandoit à Agefilaus ce qu'il
leroit d'aduis que les enfans apprinfent : Ce qu'ils doiuent taire,
eftants hommes, refpondit-il. Ce n'eil pas merueille fi vne telle
inflitution a produit des eftects fi admirables.
10 On alloit, dict-on, aux autres Villes de Grèce chercher des
Rhetoriciens, des peintres & des Muficiens; mais en Lacedemone,
des legiflateurs, des magiftrats & empereurs d'armée. A Athènes on
aprenoit à bien dire, & icy, à bien faire; la, à fe defmeler d'vn
argument fophillique, & à rabattre l'impofture des mots captieu-
15 fement entrelaflez; icy, à fe defmeler des appâts de la volupté,
& à rabatre d'vn gniiid courage les menaffes de la fortune (it de la
mort; ceux là s'embefongnoient après les parolles; ceux cv, après
les choies; là, c'efloit vne continuelle exercitation de la langue; icv,
vne continuelle exercitation de l'ame. Parquoy il n'efl pas eftrange
20 fi, Antipater leur demandant cinquante enfans pour oftages, ils
refpondirent, tout au rebours de ce que nous ferions, qu'ils aymoient
mieux donner deux fois autant d'hommes faicts, tant ils eflimoient la
perte de l'éducation de leur pais. Q.uand Agefilaus conuie Xenophon
d'enuoyer nourrir fes enfans à Sparte, ce n'eft pas pour y apprendre
25 la Rhétorique ou Dialectique, mais pour apprendre (ce dict-il) la plus
belle fcience qui foit : afçauoir la fcience d'obéir & de commander.
// est tirsplaisaiif de noir Socnilcs, a sa mode, se iiioquiinl de Hlppius
qui liiy reeile eoDianl il a guigne, speeictieiiieiil en certeiies petites nilettes de
Texte 88. — 2) l'eflay mclmcs de — 7) faire encore eftants — 16) d'vn courage
inuincible les
\'\R. MS. — 27) plaisant m Pkiou SofMki — 28) gaigiic i« tels el kli tlfsiivis
uomccmàt de la Sieilk en certenes
l86 ESSAIS DE MONTAIGNE.
la Sicille, bouc somme d'argent a régenter; et qu'a Sparte il n'a gaignê
pas lin soûl : que ce sont gens idiots, qui ne sçaucnt nv mesurer iiy conter,
ne font estai nv de grammere ny de rithme, s'amusans siileineiit a sçauoir
la suite des Roys, estahlisseinans et decadances des estais, et tels fatras de
contes. Et au bout de cela Socrafes, hiy fesant ad nouer par Je menu l'excel- 5
lance de leur forme de goiiuerneinent publique, l'beur et uertii de leur nie,
liiy laisse deuiner la conclusion de l'inutilité de ses ars.
Les examples nous aprenent, et en cette martiale police et en toutes ses
semblables, que l'estude des sciances amollit et cffcrniine les coragcs, plus
qu'il ne les fermit & aguerrit. Le plus fort estât qui paroisse pour le prcsanl ro
au inonde, est celiiy des Turcs : peuples esgaicment duits a l'estimation des
armes et mespris des lettres. L treuiie Rome plus uaillanle auanf qu'elle
Jiit sçauante. Les plus belliqueuses nations en nos iours sont les plus grossières
et ignorantes. Les Scithes, les Partbes, Tamburlan nous sèment a cette prenne .
Quand les Gots rauagerent la Grèce, ce qui sauna toutes les libreries d'cstrc 15
passées au fu, ce fut un d'entre eus, qui sema cette opinion, qu'il faloit
laisser ce meuble entier ans encmis, propre a les destourner de l'exercice
mililere & amuser a des occupations sedenteres et oisifues. Quand nostre
Roy Charles hiiiclieme, sans tirer l'espee du fourreau, se uii maistre du
Royaume de Naples & d'une boue partie de la Thoscane, les seignurs de 20
sa suite attribuarenl cette inespérée facilite de conqueste a ce que les princes
& la noblesse d'italie s'ainusoint plus a se rendre ingcnieus & sçanans, que
uisoreus et i^uerriers.
Var. ms. — 5) riltjwc ^ulemaul- — 5) coules d'histoires El au boni S — 18) oceii-
paiioiis ucincs cl — 19) Clmrlcs sans
Chapitre XXVI.
DV. I. IXSTITVTIOX Dl^S EXFAXS.
A .Mad.iiiiL' Diane lii; Foix, Contessi; de Gurson.
le ne \i.s iamais pore, pour Icigiiciix ou bossé que lut fon fils, qui
laifîiill: (Je rauoùer. Non pourtant, s'il n'efl du tout cnyuré de
cet' affection, qu'il ne s'aperçoiue de fa défaillance; mais tant y a qu'il
eft ficn. Auffi moy, ie voy, mieux que tout autre, que ce ne font icy
5 que relueries d'homme qui n'a goufté des fcienccs que la croufte
première, en Ion enfance, & n'en a retenu qu'vn gênerai <!s: informe
vifage : vn peu de chaque chofe, & rien du tout, à la Françoife.
Car, en fomme, ie fçay qu'il y a vne Médecine, vne lurifprudence,
quatre parties en la Mathématique, & f^rossie renient ce à quoy elles
10 vilent. Et a Vauàture encore sçai ie la prêtant ion des seianees en mènerai
an seruicc de nostre nie. Mais d'y enfoncer plus auant, de m'ellre rongé
les ongles à l'eftude d'Ariftote, nionarehe de la doctrine moderne, ou
opiniâtre après quelque fcience, ie ne l'ay iamais faict; ny n'est art
de quoi ie scenssc peindre snlenient les premiers lineamàs. Et n'est enfant
Texte 88. — i) pour bolTc ou boiteux que — 9) & en gros ce — 11) Mais de y
— 12) eftude de Platon, ou d'Ariftote — 13) fcience folide, ie ne l'ay iamais faict :
ce n'cft pas mon occupation. L'Hiftoire (p. 188, 1. 9.)
Var. ms. — i) pour 1° : borguc ou boiteux que 2° : teigneux ou botteus que —
10) pretaiilioii que les seianees ont en — 12) .\riftote sut inonnrel.ie de lii sein
l88 ESSAIS DE .MOXTAIGXE.
des dusses moicih's, qui ne se puisse dire plus sçaiutui que moy, qui n'ay
sukment pas de quoi Vexamiuer sur sa première leçon : au moins selon
ieelJe. Ei, si Von m'y forée, ie suis eontreint, asses ineptemeni, d'en tirer
quehf^ niafiere de propos uniuersel, sur quoi i'examine son iu^eiinvit naturel :
leçon qui leur est autant inconue, conie a moi la leur. 5
/(' n'ay dresse eommeree aueq aucun Hure solide, sinon Plutarque et
Seiwque, ou ie puise eome les Danaides, remplissant et uersant sans cesse,
l'en ataclx quelque chose a ce papier; a moi, si peu que rien.
L'Hiftoire, c'cfl: plus mon gibier, ou la pociie, que i'avme d'vne
particulière inclination. Car, comme difoit Cleantes, tout ainfi que 10
la voix, contrainte dans l'étroit canal d'vne trompette, fort plus
aiguë & plus forte, ainfi me femble il que la fentence, preflee aux
pieds nombreux de la poëfie, s'eflance bien plus brufquement & me
fiert d'vne plus viue fecoufle. Quant aux facultez naturelles qui font
en mov, dequov c'eft icy l'effay, ie les fens fléchir fous la charge. 15
Mes conceptions & mon iugement ne marche qu'à tastons, chance-
lant, bronchant & chopant; &, quand ie fuis allé le plus auant que
iè puis, fi ne me fuis-ie aucunement ûitisfaict : ie vov encore du
païs au delà, mais d'vne veuë trouble & en nuage, que ie ne puis
defmeler. Et, entreprenant de parler indifféremment de tout ce qui 20
fe prefente à ma fantafie & n'y employant que mes propres & naturels
movens, s'il m'aduient, comme il faict sonnant, de rencontrer de
Texte 88. — 9) gibier en matière de Hures, ou la — 16) qu'à tâtons, —
20) defmeler : & puis entreprenant — 22) faict à tous coups, de
Var. ms. — 4) i' examine leur iugemail — 5) conte la leuy a moi . L'Histoire — 6) le
n'ay commerce aueq aucun Hure matériel i» : que par secousses, tanlost a Plutarque iantosl
a Sencque. L'Hiftoire 2° : sinon a Plutarque et a Seneque par uenues L'Hiftoire 5° : A 1.1
v.iriant<; prcccdemc .Montaigne, après uenues, ajoute : réitérées car cc quc ic ne Us qu'uuc fois ie le lis
pour néant. LHiuoire 4°" Mont.iigne introduit dans la première partie de sa phr.isc les modifications
qui sont restées dans la rédaction définitive : ay dresse... Uure solide, sinon Plutarque et Seneque;
et il en corrige et en complète ainsi la fin : par ucnues rcilcrccs cn faueur de ma maudite mémoire
El y puise corne les Danaides, remplissant et uersant sans cesse, l'en atachc quelque chose
a mon Uure cc papier. A moi. ^i peu que rien.
T.TVRr I. ciiAPiTRi-: XXVI. 189
fortune dans les bons authcurs ces mclmcs lieux que i'ay entrepris
de traiter, comme ie vien de faire chez Plutarque tout prefentement
Ion difcours de la force de l'imagination : à me reconnoirtre, au prix
de ces gens là, Il foible & i'\ chetif, fi poifont & fi endormy, ie me
5 lav pitié ou defdain à moy mefmes. Si me gratifie-ie de cecy, que
mes opinions ont cet honneur de rencontrer sonnant aux leurs;
& que ie nais an moins de loin après, disant qne noire. Anssi que i'ay cela,
qu'vn chacun n'a pas, de connoifire l'extrême différence d'entre eux
& mov. Et laifle ce neant-moins courir mes inuentions ainfi foibles
10 & baffes, comme ie les ay produites, lans en replaftrer & recoudre
les defaux que cette comparailbn m'y a defcouuert. Il fant anoir les
reins bien fermes pour entreprandre de marcher front a front aueq ces gens la.
Les efcriuains indifcrets de noftre fiecle, qui, parmy leurs ouurages
de néant, vont femant des lieux entiers des anciens autheurs pour
1 5 fe faire honneur, font Je contraire. Car cett' infinie diffemblance de
luftres rend vn vifage fi pafle, fi terni & fi laid à ce qui eft leur,
qu'ils V perdent beaucoup plus qu'ils n'y gaignent.
C'estoit dens contreres faiitasies. Le pbihsofe Chrysippus mesloit a ses
hures, non les passages salement, mais des ouurages entiers d 'autres autheurs,
20 et, en un, la Medee d'Euripides : et disoit ApoUodorus que, qui en retran-
cheroit ce qu'il y auoit d'estrangier, so)t papier demureroit en blanc. Epicuriis
an rebours, en trois cens uolumes qu'il laissa, n' auoit pas sente une side
allégation estrâ^iere.
Texte 88. — 6) leurs, & dcquoy auflî i'ay au moins cela — 11) defcouuert :
car autrement i'cngendrerois des monftres : comme font les efcriuains — 15) honneur
de ce larrecin : & c'eft au contraire : car
Var. ms. — 7) & dequoy ic uois de loin après disant que noire. Aussi ai ie eela —
18) C'estoit une cstrange Jantasic du philosofe Chrysippus de meski^ qui mestoit — 20) un
d'ieeus ta Medee d'Euripides entière et Jpollodorus uoulant uerifier que Epicurus auoit
eseril plus que Ghmippus luy se sert de cet argument que qui retranchera de feus dt
Chrysippus ses Hures ce qu'il y a insère d'estrangier son papier demurera en btanc La ou
en tous les trois cens cylindres d'Epicurus il n'y auoit pas une suie allégation « — 22) cens
Hures n'auoit
190 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Il m'aduint l'autre iour de tomber fur vn tel pafliige. l'auois traîné
languilTant après des parolles Françoifes, fi exangues, fi defcharnées
& Il vuides de matière & de fens, que ce n'eftoient voirement que
paroles Françoifes : au bout d'vn long & ennuyeux chemin, ie vins
à rencontrer vne pièce haute, riche & efleuée iufques aux nues. Si 5
i'euffe trouué la pente douce & la montée vn peu alongée, cela euft
efté excufable : c'cftoit un précipice fi droit & fi coupé que, des fix
premières paroles, ie conneuz que ie m'enuolois en l'autre monde.
De la ie defcouuris la fondrière d'où ie venois, fi baffe & fi profonde,
que ie n'eus onques plus le cœur de m'y raualer. 5/ i'cstoffois l'vn de 10
mes difcours de ces riches despoiiiJlcs, il efclaireroit par trop la beftife
des autres.
R''preiidir en autrui mes propres fautes ne me semble non plus ineompa-
tihle que de reprendre, corne ie fois souuant, celles d'autruy en moi. Il les
faut accuser par tout et leur oster tout lieu de franchise. Si sçai ie bien 1 5
combien audacieusement i'entrcprans moi rnesmes a tous coups de m'esgaler
a mes kirrecins, d'aller pair a pair quand et eus, non .sans une lenwrere
espérance que ie pui.<;!;e tromper les veus des iuf^es a les di.woier. Mais c'est
autant par le bénéfice de mon application que par le bénéfice de mon iuuan-
tion et de ma force. Et puis ie ne lui te point en gros ces uieus champions la, 20
(7 corps a corps : c'est par reprinses, nwnues et legieres atteintes. le ne m'y
ahurie pas; ie ne fois que les taster; et ne uois point tant came ie marchande
d'aller.
Texte 88. — 10) raualer. Si ie fardois l'vn — 11) riches peintures, il
Var. ms. — 1-^) propres II ices lie — 14) reprendre ccitid'aulruy — i^) fiiiil cl.uirger
par — 16) combien 1° : Jîercmciit cl temcrereiiieiil i'ciilrepraiis sonnant de m'esgaler a mes
tarrecins de tes soutenir cl m'y iouindre inesconoissablcmcnt et de tromper 2° : fièrement
aucune fois et temererement i'entrcprans de m'esgaler a mes tarrecins et iouindre mes iniiantions
ans antienes nieseonoissahlement si que ie puisse tromper 3" : ficrement aucune fois i'entreprans
moi inesmes de m'esgaler a mes tarrecins de ineslcr indistinctemiinl mes traicts et mes iniiiintions
ans traicts cl inuantions antienes si que ie puisse tromper 4" : fiercinciil i'enlrepnins moi
mesnies a tous coups de m'esgaler a mes tarrecins d'aller pair a pair qu quand et eus et de
présenter indistincteinant mes traicts ans traicts anlicns non sans une lemercre espérance que
ie puisse tromper — 19) autant ou plus par... que par la uigur de ma force — 20) Inite
pas en... la : c'est — 22) taster et m'x présenter. le ne uois
LIVRE I, CHAPITRi; XXVI. I9I
5/ ie leur poiitiois kiiir palot, ic serais hoiiesic home, car ic iic les ciilrcpreiis
que par ou ils sont les plus roiddes.
Défaire ce que i'ay descouuert d'aucuns, se couurir des [armes d'autruy,
iusques a ne montrer pas] sulement le bout de ses doits, conduire son dessein,
) coni' il est aise aus sçauans en une [matière commune, sous les inuentions
anciennes rappiecees par cy par la : | a cens [qui les ueulent cacher et faire
propres, c'est premièrement iniustice et lascheté, que, n'ayans rien en leur
vaillanl par ou se produire, ils cherchent a se présenter par\ une ualur
estrangiere, et puis grande sottise, se contantant par piper ie de s'acquérir
10 l'ignorante approbation du uulgucre, se descrier enuers les gens d'enian-
denièt qui hochent du ne:^ nostre incrustation empruntée, des quels suis la
loange a du pois. De nui part il n'est rien que ie ueuille nwins faire. [le ne
dis les autres, sinon pour d'autant] plus me dire. Cecy ne touche pas des
cenlons qui se publient pour cenions : et l'en ai veu [de tres-ingenieux en
ï 5 mon temps, entre autres vu, sous le nom de Capilupus, outre les] antiens.
Ce sont des esprits qui se font uoir \_ei par ailleurs et par la, comnw Lipsius
en ce docte et laborieux tissu de ses Politiques. \
Quoy qu'il en foit, vcux-ic dire, & quelles que Ibyent ces inepties,
ie n'ay pas délibéré de les cacher, non plus qu'vn mien pourtraict
20 cliauue & grilbnnant, où le peintre auroit mis, non vn vilage parfaict,
mais le mien. Car auffi ce font icy mes humeurs & opinions; ie les
donne pour ce qui eft en ma créance, non pour ce qui eft à croire,
le ne vife icy qu'à découurir mov mefmes, qui feray par aduenture
autre demain, li nouueau apprentiflage me change. le n'ay point
25 l'authorité d'eftre creu, ny ne le délire, me fentant trop mal inftruit
pour inil;ruire autruy.
Quelcun donq' ayant veu l'article précédant, me difoit chez moy,
l'autre iour, que ie me deuov eilre \n peu eftendu fur le difcours
de l'inftitution des enlans. Or, Madame, ii i'auoy quelque fuffilance
Var. ms. — i) les appelle a ma compaioiiic que pav la ou — .|) bout des deils leuvs ses
doits — ^) piperie d'-tiCifutw ^eu>: st> — 10) du sot se descriaiit euiiers — 10) enlau-
deinêl des quels — 13) dire le ue parle pas des
192 ESSAIS DE MONTAIGNE.
en ce fubiect, ie ne pourroi la mieux, employer que d'en faire vn
prefent à ce petit homme qui vous menafle de faire tantoft vne
belle lortie de chez vous (vous eftes trop genereufe pour commencer
autrement que par vn mafle). Car, ayant eu tant de part à la conduite
de voftre mariage, i'ay quelque droit & intercft à la grandeur 5
& profperité de tout ce qui en viendra, outre ce que l'ancienne
pofleflîon que vous auez fur ma leruitude, m'obligent affez à dcfirer
honneur, bien & aduantage à tout ce qui vous touche. Mais, à la
vérité, ie n'y entens linon cela, que la plus grande difficulté & impor-
tante de l'humaine fcience femble eftre en cet endroit où il le traite 10
de la nourriture è^ inflitution des entans.
Tout ainsi qu'en l'agriculture les façons qui uont auât [le] planter
sont certeines et aisées, et le planter niesnics; mais despuis que ce qui est
plante nient a prandre aie, [a] l'eslener il y a vne grade uaricte de façons
et difficulté : pareilleniant ans homes, [il y] a pen d'industrie a les planter; 1 5
mais, despnis qu'ils sont nais, on se charge d'un soin diuers, plein d'enhe-
souigneuwnt et de creintc, a les dresser et nourrir.
La montre de leurs incHnations eft il tendre en ce bas aage, & ii
obfcure, les promeflcs fi incertaines & tauces, qu'il eft mal-ailé d'y
eftablir aucun folide iugement. 20
Voyez Cimon, voyez Themiftocles & mille autres, combien ils
fe font difconuenuz à eux mefme. Les petits des ours, des chiens,
montrent leur inclination naturelle; mais les hommes, fe iettans
incontinent en des accouftumances, en des opinions, en des loix,
fe changent ou le deguifent facilement. 25
Si eft-il difficile de forcer les propenlions naturelles. D'où il
adulent que, par faute d'auoir bien choifi leur route, pour néant le
trauaille on fouuent îs: employé l'on beaucoup d'aage à dreffer des
Texte 88. — 5) genereufe Madame pour — 7) auez de tout temps fur —
25) deguifent & mafqucnt facilement
V'ar. ms. — 15) difficulté [L^cs peu de façon il — 16) nais 9U cul-t^. a vu s^oum [a]
(iluîicHt^ ui.iiigi'i on se d'argc d'un soin a plusieurs uisagcs plein — 17) creinte. La
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. I95
cnfans aux choies aulqucllcs ils ne peuucnt prendre pied. Toutes-
fois, en cette difficulté, mon opinion ell de les acheminer toufiours
aux meilleures chofes & plus profitables, & qu'on fe doit peu
appliquer à ces legieres diuinations <S: prognoftiques que nous
5 prenons des mouuemens de leur enfance. Platon luesiue, en sa répu-
blique, me semble leur douer beaucoup d'authorite.
Madame, c'efl vn grand ornement que la fcience, & vn vtil de
merueilleux feruice, notamment aux perfonnes éleuées en tel degré
de fortune, comme vous eftes. A la vérité, elle n'a point fon vray
10 vfage en mains viles & baffes. Elle ell: bien plus liere de prêter les
movens à conduire vne guerre, à commander vn peuple, à pratiquer
l'amitié d'vn prince ou d'vne nation eftrangiere, qu'à dreffer vn
argviment dialectique, ou à plaider vn appel, ou ordonner vne maffe
de pillules. Ainll, Madame, par ce que ie cro}^ que vous n'oublierez
I) pas cette partie en Finftitution des voftres, vous qui en auez lauouré
la douceur, & qui eftes d'vne race lettrée (car nous auons encore
les efcrits de ces anciens Comtes de Foix, d'où monlieur le Comte,
voftre mary, èc vous eftes defcendus; & François, monlieur
de Candale, voftre oncle, en faict naiftre tous les iours d'autres,
20 qui eftendront la connoiffance de cette qualité de voftre famille à
plufieurs fiecles), ic vous veux dire là deffus \ne feule lantafie que
i'av contraire au commun vlage : c'eft tout ce que ie puis conterer
à voftre feruice en cela.
La charge du gouuerneur que vous luy donrez, du chois duquel
25 dépend tout l'effect de fon inftitution, ell' a plulîeurs autres grandes
parties; mais ie n'y touche point, pour n'y fçauoir rien apporter qui
vaille; & de cet article, fur lequel ie me mefle de luy donner aduis,
il m'en croira autant qu'il y verra d'apparence. A vn enfant de
Texte 88. — i) prendre gouft. Toutes-fois — 3) qu'on ne Joit s'appliquer
aucunement à — 8) feruice, & notamment — 16) encore en main les
Var. ms. — 5) enfance. £/ Wrt/tm <.() — 6) douer de beaucoup trop de pris. Uaàamc
194 ESSAIS DE MOXTAIGXE.
maifon qui recherche les lettres, non pour le gaing (car vne fin fi
abiecte eft indigne de la grâce & faueur des Mules, ^: puis elle
regarde li;»: dépend d'autru}-), n\- tant pour les commoditez externes
que pour les fienes propres, èv pour s'en enrichir & parer au dedans,
ayant pluftoft enuie d'en tirer vn habil' homme qu'vn homme 5
fçauant, ie voudrois aufli qu'on fiit foigneux de luy choifir vn
conducteur qui eull pluftoft la telle bien faicte que bien pleine,
& qu'on y requit tous les deux, mais plus les meurs & l'entendement
que la fcience; & qu'il fe conduisist en fa charge d'vne nouuelle
manière. 10
On ne celle de criailler à nos oreilles, comme qui verferoit dans
vn antonnoir, & noilre charge ce n'eft que redire ce qu'on nous
a dict. le voudrois qu'il corrigeaft cette partie, & que, de belle
arriuée, félon la portée de l'ame qu'il a en main, il commençaft à la
mettre fur la montre, luy faifant goufter les chofes, les choifir 15
(^ difcerner d'elle mefme : quelquefois luy oiuiraiit chemin, quelque-
fois Je luy laiffant oiiiirir. le ne veux pas qu'il inucnte & parle
feul, ie veux qu'il efcoute l'on difciple parler à fon tour. Socrates et,
despuis, Arcbesilas faisoiiit preniieremêt parler leurs disciples, et puis [ils]
parloint a eus. « Ohest plcriimque ijs qui discere uoluut authoritas eorum 20
[çMî] docct. »
Il est bon qu'il le face troter dauant luy pour iuger de son treiu, et iuger
iusques a quel point il se doit raualer pour s'accommoder a sa force. A faute
de cette proportion nous gastons tout; et de la sçauoir choisir, et s'y conduire
bien mcsureement \j:'est~\ l'um des plus ardues hesouignes que ie sache : 25
et est Veffaict d'une haute ame [f/] bien forte, sçauoir condescendre a ses
Texte 88. — i) lettres & la difcipline, non — 9) conduifit — 13) corrigeaft
vn peu cette • — 15) fur le trottoër, luy — 16) luy monftrant chemin, quelquefois
luy laiffant prendre le deuant. le
Var. .ms. — 18) Sacrales en quoi Archesïlas r imita faisoit pi cniieremîi — 21) qui]
se docere profileiilur dcsiiiunl ciiiiu suimi iudiciû adhihcrc : id habait ratum quod ab eo quaii
prohaut indicaium uideut. Qu'il ne luy (p. 195, 1. S.) — 26) cl est selon [inoi] Veffaict
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 19)
allures puériles lei] les i^uider. le marche plus seur el] plus ferme a moni
qu'a ual.
Ceus [qui], corne poric nosire usage, entrepreneut \d']une mesme leçon
et pareille mesure de conduite régenter plusieurs esprits [de\ si diverses
5 nusures el formes, [ce] n'est pas merueille si, [en \ foui un peuple d'en fans,
ils en rencontrent a peine deus ou trois qui raportent quelq:, iiisle fruit de
lur discipline.
Qu'il ne luv demande pas feulement compte des mots de ù
leçon, mais du fens & de la fubftance, &; qu'il iuge du profit qu'il
10 aura fait, non par le tefmoignage de fa mémoire, mais de sa nie.
Que ce qu'il viendra d'apprendre, il le luy (ace mettre en cent
vifages & accommoder à autant de diuers fubiets, pour voir s'il l'a
encore bien pris & bien foict fien, prenant' l'instruction de son progre:^
des pa-dagogismcs de Platon. C'eft tefmoignage de crudité & indigeftion
15 que de regorger la viande comme on l'a auallée. L'eftomac n'a pas
faict fon opération, s'il n'a faict changer la façon & la forme à ce
qu'on luy auoit donné à cuire.
Nostre ame ne branle qu'à crédit, liée & contrainte a l'appétit des
fantafies d'autruy, serue & captiuee Ibuhs l'authorité de leur leçon. On
20 nous a tant aflubiectis aux cordes, que nous n'auous plus de franches
allures. Nostre vigueur & liberté efl efteinte. (( Nunquani tutehv su:v
fiunt. » le vy priuéement à Pife vn honnefle homme, mais fi
Ariftotelicien, que le plus gênerai de fes dogmes eft : que la touche
& règle de toutes imaginations foHdes & de toute vérité c'eft la
Texte 88. — 10) mais de fon iugement. Que — 17) cuire. On ne cherche
réputation que de fcience. Quand ils difent c'eft vn homme fçauant, il leur fembJe
tout dire : leur ame — 18) contrainte au feruice des — 19) autruy, bafle & croupie
foubs... On les a — 20) cordes, qu'ils n'ont plus — 21) allures : leur vigueur
Var. ms. — i) marcfie plus firme — 5) iioslrc [coslii me, ciilrepreuciil — 5) maures,
[ce] n'est... si en] un — 6) rnportciit nu iiislc
' prenant... Platon. Co passage acte ajoutt avant que ne fût écrit ralinil-a : Il est bon qu il...
a nal. (p. 194, 1. 22.)
19e ESSAIS DE MONTAIGNE.
conformité à la doctrine d'Ariliote; que hors de là ce ne font que
chimères & inanité; qu'il a tout veu & tout dict. Cette propofition,
pour auoir efté vn peu trop largement & iiiiquciiiciit interprétée, le mit
autrefois & tint longtemps en grand accelToire a J 'inquisition à Rome.
Qiril luv tace tout palier par l'eftamine & ne loge rien en ûi tefte s
par simple authorité & à crédit; les principes d'Ariftote ne luy foyent
principes, non plus que ceux des Stoïciens ou Epicuriens. Qii'on luy
propofe cette diuerlité de iugemens : il choilira s'il peut, finon il en
demeurera en doubtc. // n'y a que les fols ccrtcins et résolus.'
Che non men che faper duhbinr m'aggrada. i<
Car s'il embralTe les opinions de Xenophon & de Platon par fon
propre difcours, ce ne feront plus les leurs, ce feront les Tiennes.
Qui suit nu cintre, il ne suit rien. Il ne trenne rien, uoire \iï] ne cherche
rien. « No>! siniius sub rege; sihi quisque se uiiulicet.» Qu'il sache qu'il
sçctit, au moins. 11 faut qu'il emboiue leurs humeurs, non qu'il i
aprenne leurs préceptes. Et qu'il oublie hardiment, s'il veut, d'où il
les tient, mais qu'il fc les fçache approprier. La vérité & la raifon
font communes à vn chacun, & ne font non plus à qui les a dites
premièrement, qu'à qui les dict après. Ce u'est non plus selon Platon
que selon moi, puis que luv et moi reutendons Ô-' notons de iin'smes. Les 2-
abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel,
qui ell tout leur; ce n'eft plus thin ny mariolaine : ainfi les pièces
empruntées d'autruy, il les transformera & confondera, pour en
f;iire vn ouurage tout fien : à fçauoir fon iugemcnt. Son inftitution,
fon trauail «i;^ eftude ne vife qu'à le former. 2
Qu'il celé tout ce de quoi il a este secoru, et ne produise que ce qu'il en
a faicl. Les pilleurs, les eupruntl urs ' mettent en parade leurs hasiinnius,
TrxTi; 88. — 2) Cotte fienne propofition — ?) ^ iniuricufcmeni intcrpictco
\'au. ms. — 14) Non suiit sub — 20) moi f^l — 26) Qu'il aid>c loiil
^ Celte plinisc .1 été effacée d'un tr.iil encore visible; mais ce trait a été annulé par un grattage;
aussi la maintenons-nou'î quoiqu'elle manque ilans l'édition de IS9>. Cf. p. 200, var. de la 1. 7.
LIVRH I, CHAPITRH XXVI. I97
leurs cuhat::^ non pas ce qu'ils tirciil d'autruy. Vous uc uoks pas ks cspiccs
d'un l}omc de parlement, nous uoies les alliances qu'il a gaignees & honurs
a ses enfans. Nul ne met en compte publique sa recette : chacîiy met son acquest.
Le guein de nostre esfude, c'est en estre deuenu mcillur & plus sage.
5 C'eft, dilbit Epicharmus, rentendcment qui vovt & qui oyt, c'cft
rentondement qui approfite tout, qui difpofe tout, qui agit, qui
domine & qui règne : toutes autres chofes font aueugles, fourdes
& fans ame. Certes nous le rendons feruile & couard, pour ne luy
laiffer la liberté de rien faire de foy. Qui demanda iamais à fon
10 difciple ce qu'il luy femble de la Rethorique & de la Grammaire,
de telle ou telle fentencc de Ciceron? On nous les placque en la
mémoire toutes empennées, comme des oracles où les lettres & les
fyllabcs font de la fubftancc de la chofe. Sçauoir par ceur n'est pas
sçauoir : c'est tenir ce qu'on a donc en garde a sa mémoire. Ce qu'on sçait
1 5 droitemcnt, on en dispose, sâs regarder au patron, sans tourner ks yeus
uers son Hure. Fâcheuse suffisance, qu'une suffisance pure liuresquc! le
[^m']atans qu'elle serne [d']ornernant, non de fondemant, suiuant [l']auis
de Platon, qui dict la fermeté, la foi, la sincérité estre la uraye philosoffi';
les autres sciances & qui uisent ailleurs, n' estre que fard.
20 le voudrois que le Paluël ou Pompée, ces beaux danfeurs de mon
temps, apprinfent des caprioles à les voir feulement faire, fans nous
bouger de nos places, comme ceux-cy veulent inftruire noftre
entendement, fans Felbranler; ou qu'on nous aprint a manier un cheual,
ou une pique, ou un lut, ou la uoix, sans nous y exercer, came cens icy
25 nous ueulent aprandre a bien iuger et a bien parler, sans nous exercer ny
a parler ny a iuger. Or, à cet apprentiifagc, tout ce qui fe prefente
Texte 88. — 23) l'efbranler & mettre en befongnc. Or
Var. ms. — i) leurs acquêt^ 11011... qu'ils lieiiêt d^ntilniy... cspiics 1° : cl apresdisnces
2° : el les contredit^ 30 : et les escriiurcs d'un — 2) i" : qu'il a achetées & 2° : qu'il
a ofq — 3) son emploile. C'eft — 4) dcueiiu d — 16) Fâcheuse suffisance a mon
gre qu'une... liuresque. EUe dt>ii s^f4tti^ d'-inimfmaui twu [de] fcudemftU — 19) uisent
aill ailleurs n estre introduites que peur la parade . le voudrois — 24) uoix par musique sans
198 ESSAIS DE MONTAIGNE.
à nos yeux fert de Hure fuffilant : la malice d'vn page, la fottife
d'vn valet, vn propos de table, ce font autant de nouuelles matières.
A cette caufe, le commerce des hommes y eft merueilleufement
propre, & la vifite des pays eftrangers, non pour en rapporter
feulement, à la mode de noftre noblefle Françoife, combien de pas 5
a Santa Rotonda, ou la richeffe des caleflbns de la Signora Liuia,
ou, comme d'autres, combien le vifage de Néron, de quelque vieille
ruvne de là, eft plus long ou plus large que celuy de quelque pareille
médaille, mais pour en raporter principalement les humeurs de ces
nations & leurs façons, & pour frotter & limer noftre ceruelle contre 10
celle d'autruy. le voudrois qu'on commençaft à le promener des fa
tendre enfance, & premièrement, pour faire d'vne pierre deux coups,
par les nations voifmes où le langage eft plus efloigné du noftre,
& auquel, ft vous ne la formez de bon' heure, la langue ne fe peut
plier. 15
Aufli bien eft-ce vne opinion receuë d'vn chacun, que ce n'eft
pas raifon de nourrir vn enfant au giron de fes parents. Cette amour
naturelle les attendrift trop & relafche, voire les plus fages. Ils ne
font capables ny de chaftier fes fautes, ny de le voir nourry groflîe-
rement, comme il faut, & basardeusewciit. Ils ne le fçauroient fouffrir 20
reuenir fuant & poudreux de fon exercice, boire chaut, boire froit, ny
le voir fur vn cheual rebours, ny contre un rude tireur, le floret au
poing, ny la première harqueboufe. Car il n'y a remède : qui en veut
faire vn homme de bien, fans doubte il >ie le faut espargiier en cette
ieuneffe, & fouuent choquer les règles de la médecine : 25
vitàmque fub dio & trepidis agat
In rébus.
Texte 88. — 14) peut façonner. Aufli — 20) faut, & fans delicatclTe : ils ne —
21) exercice, ny le voir bazarder tantoft fur vn cheual farouche, tantoft vn floret au
poing, tantoft vn' harqueboufe. — 24) il le faut bazarder vn peu en Av.int de refaire ce
membre de phrase Montaigne se contente d'effacer vn peu
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 199
Ce n'est pas asses [de luy roidir l'amc; il luyfaui aussi roidir les muscles.
Elle est] trop pressée, si elle n'est secondée, et a trop a faire de suJe
fournir a deus offices. le sçai condnen ahane la niiene en conipaignie d'un
cors si tendre, si sensible, qui se laisse si fort aller sur elle. El aperçois
5 souuaut en ma leçon, qn 'en leurs escris mes niaistres font ualoir, pour
magnanimité et force de corage, des examples qui lieuent uolontiers plus
de l'espessissure de la peau et durté des os. l'ay ueu des homes, des famés
& t/t'i" enfans einsi nuis, qu'une hastonade leur est moins qu'a moi une
chiquenaude : qui lu remuent nv langue ny sourci ans coups qu'on leur
10 donc. Quand les Athlètes contrefont les philosophes en patiance, c'est plus
tost uigeur de nerfs que de ceur. Or Vacostumaiice a porter le Irauail est
acostumance a porter la dolur : « labor calluni ohducil dolori. » Il le Jaul
rompre a la peine et aspreté des exercices, pour le dresser a la peine et
aspretc de la desloucure, de la cholique, du cautère, et de la geôle, & de la
I s torture. Car de ces dernières icy encore peut il estre en prinse, qui regardèt
les bons selô le temps, corne les meschans. Nous en somes a l'espreuue.
Quicôque combat les loix, menace les plus gens de bien d'escorgees et de la
corde.
Et puis, l'authorité du gouuerneur, qui doit eftre fouueraine fur
20 luy, s'interrompt i;: s'empefche par la prefence des parens. loint que
ce refpect que la famille lu}' porte, la connoiflance des moyens
& grandeurs de fa maifon, ce ne font à mon opinion pas legieres
incommoditez en cet aage.
En cette efchole du commerce des hommes, i'ay fouuent remarqué
25 ce vice, qu'au lieu de prendre connoiflance d'autruy, nous ne trauail-
lons qu'à la donner de nous, & fommes plus en peine d'emploiter
noftrc marchandife que d'en acquérir de nouuelle. Le filence & la
Var. ms. — 2) faire de souUm»: — }) combien la mieue — 6) plus de stupidité tt
pi^mcte de membres — 10) contrefont einsi les — 11) uigeur de nef — 12) dolur. Il —
14) aspreté des desloueures delà cholique de l'incision cautère de la geôle prison & 1° : de
la torture Car 2° : torture Car — i S) «^ celés icy encore peut il estre en bute : qui —
17) Quicôque fomb... et de corde
200 ESSAIS Dl£ MOXTAIGKE.
modcftie font qualitcz tres-commodes à la conuerfation. On dreflcra
cet entant à eltre elpargnant & melnagier de la fuffilance, quand il
l'ara acquife; à ne le formalizer point des Ibttiles & fables qui le
diront en fa prefence, car c'eft vne inciuile importunité de choquer
tout ce qui n'eft pas de nollre appétit. Ou 'il se côtaitlc de se eorrii^er soi 5
niesmes, et ne semble pas reprocher a aiitruy tout ce qu'il refuse a faire,
iiy co)itraster aus meurs publiques. «Lieet sapere sine pompa, sine iuuidia.»
Fuye^ ces images regenteuses et iiiciuiiks, et cette puérile ambitioi} de
uoloir paraître plus fin pour estre autre, et tirer nom par reprehansious et
nouuelete:^. Corne il n'affiert qu'aus grands poètes d'user des licoices de l'art, 10
aussi [)i'est] il supportable qu'aus grandes âmes & illustres de se priuilegicr
au dessus de la costume. (( Si quid Socrates et Aristippus contra moreni et
consiictudinem fecerint, idem sibi ne arbitretur liccre : magnis enim illi et
diuinishonis banc licentiam assequebantur . n On luy apprendra de n'entrer
en difcours ou conteftation que où il verra vn champion digne de 15
la luite, & là mefmes à n'emploier pas tous les tours qui luy peuuent
feruir, mais ceux-là feulement qui luy peuuent le plus feruir. Qu'on
le rende délicat au chois & triage de fes railons, & aymant la perti-
nence, & par confequcnt la briefueté. Qii'on l'inftruife fur tout à le
rendre & à quitter les armes à la vérité, tout aufli tofl; qu'il l'apper- 20
ceura : foit qu'elle nailTe es mains de l'on aduerfaire, foit qu'elle
naifle en luy-mefmes par quelque rauifement. Car il ne fera pas mis
en chaife pour dire vn roUe prefcript. 11 n'eft engagé à aucune caufe,
que par ce qu'il l'appreuue. Ny ne fera du meftier où fe vent à purs
Texte 88. — i) conuerfation des hommes. On — 5) noftre gouft. On luy
^'AR. MS. — 6) aiitruy ce qu'il n'eime pas afiiirc — 7) iiniidia. Qu'on luy inculque
soutmtil qu'il n'y a que les fols bien cerleins el bien résolus. Si quid Socnitcs Cf. p. 196, 1.9.
— 12) contra ee
* Fuye... IlOUUelctCl addition ultérieure insérée par un renvoi .i cette place. L'édition de 1595
en modifie ainsi h fin : pour cftrc autrc ; & Comme fi ce fuft marchandifc malaizcc, que
icprebenfions & nouuelletcz, vouloir tirer de l;'i, nom de quelque peculiere valeur.
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 20I
deniers contans la liberté de fe pouuoir /r/)tv;//V& reconnoiftre. ((Ncijiu;
ut omnhi qiuv privscripta et impcrata siiit, dcfcndal, mxessitalc ulla cogitur. »
Si son gomiermir tient de mon humeur, il luy formera la uoloute a estre
tresloïal seruitur de son prinee et tresaffeelione & trescorageus ; mais il luy
5 refroidira l'enuie de s'y atacher autrement que par un deuoir publique.
Outre plusieurs autres ineonucnians qui blessent nostre franchise par ces
obligations particulières, le ingénient d'un honw gage et acheté, ou il est
moins entier et moins libre, ou il est tache et d'imprudence et d'ingratitude.
Vn courtisan ne peut auoir ny loi ni uolontc de dire & penser quefauora-
10 blement d'un niaistrc qui, parmi tant de milliers d'autres subiect:^, l'a clmisi
pour le nourrir et esleuer de su main. Cette faneur & utilité corrompent
non sans quelque raison sa franchise, et l'esblouissent. Pour [tant] uoit on
costumierement le langage de ces gens la diuers a tout autre [langage] d'un
estât, et de peu de foi en telle matière.
15 Que fa confcience & fa vertu reluifent en fon parler, et n'aient que
la raison pour guide. Qu'on luy face entendre que de confefler la
fiiute qu'il defcouurira en fon propre difcours, encore qu'elle ne loit
aperceuë que par luy, c'eft vn effet de iugement & de fincerité, qui
font les principales parties qu'il cherche; que l'opiniatrer & contester
20 sont qualités communes, plus apparantes ans plus basses âmes; que se
rauiser [et] se corriger, abandoner [un] mauues parti sur le cours [de] son
ardur, ce sont qualité:^ rares, fortes et philosofiques.
On Yaduertira, eftant en compaignic, d'auoir les yeux partout;
car ie trouue que les premiers fieges font communément faifis par
25 les hommes moins capables, & que les grandeurs de fortune ne fc
trouucnt guieres méfiées à la fuffifance. l'ay vcu, cependant qu'on
s'entretenoit, au haut bout d'vnc table, de la beauté d'vne tapifferie
Texte 88. — i) pouuoir rauifer & — 15) reluifent iufqucs à fon — 19) prin-
cipales qualitez qu'il — 23) On l'aduifera, eftant
V.\R. MS. — 3) il le div — 4) prince mais cl L-'^itiiiic scniiltir mais non que légitime
et tresuolonterc & IreSiOiagcus — 5) s'y tenir autrement — 6) hiesscnl un Imnc i" : llhe
par 2»; franc par — 8) tache d'i»gmUtudc — lo) milliers d'autres l'a — 11) ulililc
esU — 13) tout U i^sU
202 ESSAIS DE MONTAIGNE.
OU du gouil de la maluoiûe, fe perdre beaucoup de beaux traicts
à l'autre bout. Il fondera la portée d'vn chacun : vn bouuier, vn
maflbn, vn paffant; il faut tout mettre en befongne & emprunter
chacun félon fa marchandife, car tout fert en mefnage; la fottife
mefmes & foibleffe d'autruy luy fera inftruction. A contreroller les s
grâces & façons d'vn chacun, il s'engendrera enuie des bonnes,
& mefpris des mauuaifes.
Qu'on luy mette en fantafie vne honelle curiofité de s'enquérir
de toutes chofes; tout ce qu'il y aura de finguUer autour de luy,
il le verra : vn baftiment, vne fontaine, vn homme, le lieu d'vne lo
bataille ancienne, le pafTage de Ccefar ou de Charlemaigne;
Qua' tellus fit lenta gelu, qua: putris ab ;ïftu,
Ventus in Italiam quis bene vêla ferat.
Il s'enquerra des meurs, des moyens & des alliances de ce Prince,
& de celuy-là. Ce font chofes tres-plaifimtes à apprendre, & très- 15
vtiles à fçauoir.
. En cette practique des hommes, i'cntends v comprendre, & prin-
cipalement, ceux qui ne viuent qu'en la mémoire des liures. Il
practiquera, par le moyen des hiftoires, ces grandes âmes des
meilleurs fiecles. C'eft vn vain eftude, qui veut; mais qui veut 20
aufli, c'eft vn eftude de fruit ineftimable : et le su! estude, coine dict
Platoi, que les Lcicedeiiioiiieiis eussent resenié a leur pari. Quel profit ne
fera-il en cette part là, à la lecture des vies de noftrc Plutarque?
Mais que mon guide fe fouuienne où vife fa charge; <bt qu'il n'im-
prime pas tant à fon difciple la dalle de la ruine de Carthage que les 25
uicurs de Hainiibal et ' de'^i Seipioii, iiy tant où mourut Marcellus, que
pourquoy il fut indigne de fon deuoir qu'il mourut là. Qu'il ne luy
apprenne pas tant les hiftoires, qu'à en iuger. C'est a mon gré, entre
toutes, la matière a la quelle nos esprits s'appliqnèl de plus d inerse mesure.
^^\R. .MS. — 29) ta quelle Vciptit s'appVuiuc de plus tliiierse mesure, h lis en TUe ee q
plusieurs elfoms le lis eu Tile Liuc
r.IVRE r, CHAPITRE XXVI. 20^
7'(rt/] kit en Tik Liuc cent choses que tel n'y a pas leii. PUilarque en y a
leu cent, outre ce que i'y ai sceu lire, &, a l'auanture, outre ce que Vaut\Jmr\
y auoit mis. A d'aucuns c'est un peur estude grammerien; a d'autres,
l'anatomie de la pbilosofie, en la quelle les plus abstruses parties de nosire
5 nature se pénètrent. Il y a dans Plutarque beaucoup de dilcours eftandus,
tres-dignes d'eftre fceus, car à mon gré c'cft le maiflre ouuricr de
telle befongne; mais il y en a mille qu'il n'a que touché fimplement :
il guigne feulement du doigt par où nous irons, s'il nous plaift, (S: le
contente quelquefois de ne donner qu'vne attainte dans le plus vif
lo d'vn propos. Il les faut arracher de là & mettre en place marchande.
Comme ce fien mot, que les habitans d'Afie feruoient à vn feul,
pour ne fçauoir prononcer vne feule fillabe, qui eft Non, donna
peut efire la matière & l'occafion à la Boitie de ûi Seruitude Volon-
taire. Cela mefme de luy voir trier vne legiere action en la vie d'vn
15 homme, ou vn mot, qui femble ne porter pas : cela, c'eil vn difcours.
C'efI; dommage que les gens d'entendement ayment tant la briefueté :
fans doute leur réputation en vaut mieux, mais nous en valons
moins : Plutarque aime mieux que nous le vantions de fon iugement
que de fon fçauoir; il ayme mieux nous laifler defir de foy que
20 fatieté. Il fçauoit qu'es chofes bonnes mefmcs on peut trop dire,
& que Alexandridas reprocha iuftement à celuy qui tenoit aux
Ephores des bons propos, mais trop longs : O eftrangier, tu dis ce
qu'il faut, autrement qu'il ne faut. Cens qui ont le corps tyresle, le gros-
sissent d'embourrures : cens qui ont la matière exile, l'enflent de paroles.
25 II fe tire vne merueilleufe clarté, pour le iugement humain, de la
fréquentation du monde. Nous fommes tous contraints & amonceliez
en nous, & auons la veuë racourcie à la longueur de noftre nez.
Texte 88. — 5) dans cet .lutheur beaucoup — 14) mefme de voir Plutarque
tirer vne — 18) le vantons de — 25) de ce commerce des hommes. Nous —
27) nous mefmes, &
Var. ms. — 2) leu deus fois autant outre — 3) wh. C'est nus uns nu peur —
4) lie lu phw phihwl'ie ou les plus — n) ^ /ï^<''V"f (/'' 'a Boitie
204 ESSAIS DE MONTAIGNE.
On deman doit à Socratcs d"où il cftoit. Il ne rcfpondit pas : D' Athènes;
mais : Du monde. Luy, qui auoit l'on imagination plus plaine & plus
eftanduë, embraflbit l'vniuers comme fa ville, iettoit l'es connoiffances,
fa focieté & fes affections à tout le genre humain, non pas comme
nous qui ne regardons que sous nous. Quand les vignes gèlent en 5
mon village, mon prebftre en argumente l'ire de Dieu fur la race
humaine, & iuge que la pepic en tienne des-ia les Cannibales. A voir
nos guerres ciuiles, qui ne crie que cette machine fe bouleuerfe
& que le iour du iugement nous preiit au collet, fans s'auifer que
plulîeurs pires chofes fe font veuës, & que les dix mille parts du 10
monde ne lailfent pas de galler le bon temps cependant ? Moy, félon
leur licence & impunité, admire de les voir 11 douces & molles.
A qui il grefle fur la tefle, tout l'hemifphere femble eftre en tempelle
& orage. Et difoit le Sauoïart que, i\ ce fot de Roy de France eut
fceu bien conduire fa fortune, il eftoit homme pour deuenir maiftrc 1 5
d'hoftel de fon Duc. Son imagination ne conceuoit autre plus efleuée
grandeur que celle de ion maiflre. Nous soivcs iiiscnsiNcDwiil tous ai
àilc crrur : crrur de grande suite \ct\ praiudke. Mais qui fe prcfente,
comme dans vn tableau, cette grande image de noftre mère nature en
fon entière magefté; qui lit en fon vifage vne fi générale & confiante 20
variété; qui fe remarque la dedans, & non foy, mais tout vn royaume,
comme vn traict d\ne pointe tres-delicatc : ccluv-là feul eftimc les
chofes félon leur iufte grandeur.
Ce grand monde, que les vns multiplient encore comme elpeces
foubs vn genre, c'eft le miroùer où il nous faut regarder pour nous 25
connoiftre de bon biais. Somme, ie veux que ce Ibit le Hure de mon
efcholier. Tant d'humeurs, de fectes, de iugemens, d'opinions, de
loix & de couftumes nous apprennent à iuger foinement des nollres,
& apprennent noftre iugement à reconnoiftre fon imperfection & fa
Texte 88. — 5) regardons qu'à nos pieds. Quand — 9) nous tient au
\'ar. ms. — 18) celle errur de giiind' cslcmhic 'cl' de grand pi^is ' c/ 1 ifuporiniire. Mais
I.IVRR I, CHAPITRE XXVI. 20)
naturelle foiblcfTc : qui nd\ pas vn Icgicr apprcntilTagc. Tant de
remuements d'eftat & changements de iortunc piibliquc nous inllruil'ent
à ne faire pas grand miracle de la noftre. Tant de noms, tant de
victoires & conqueftes enfeuelies foubs l'oubliancc, rendent ridicule
5 Fefperance d'eternifer noftre nom par la prife de dix argolets & d'vn
pouillier qui n'eft conneu que de fa cheute. L'orgueil & la fiereté
de tant de pompes ertrangieres, la mageflé fi enflée de tant de
cours & de grandeurs, nous fermit & afleure la veûe à fouftenir
l'efclat des noftres fans filler les yeux. Tant de milliafles d'hommes,
10 enterrez auant nous, nous encouragent à ne craindre d'aller trouuer
fi bonne compagnie en l'autre monde. Ainfi du refte.
Nosirt' nie, disoit PvtJMgoras, retire <? ht grande & populeuse itsstlblee
des ieiis OJiinpiqiies. Les uns s'y exereenl le eorps pour en aeqnerir In gloire
des iens; d'antres y portent des imirehandises a nandre ponr le gnein. Il en
1 5 est, et qni ne sont pas les pires, les qnels ne cherchent antre Jrnit qne de
regarder cornant et pourquoi chaque chose se faict, et cstre spectatnrs de la
nie des antres homes, ponr en inger et régler la lenr.
Aux exemples fe pourront proprement aflbrtir tous les plus
profitables difcours de la philofophie, à laquelle fe doiuent toucher
20 les actions humaines comme à leur reigle. On luy dira,
quid fas optare, quid afper'
\'tile nummus habet; patria; charifque propinquis
Quantum elargiri deceat ; quem te Deus efle
luflit, & humana qua parte locatits es in re;
2) Quid fumus, aut quidnam victuri gignimur ;
que c'efl: que fçauoir & ignorer, qui doit eftre le but de l'ellude; que
c'eft que vaillance, tempérance & iuftice; ce qu'il y a à dire entre
Textr 88. — 5) pas grande reccpte de la — 24) parte locauerit in
Var. ms. — II) refte. f.a nie df<: homes disoil — 15) pires qui n'y e1<ereth-ut —
16) regarder te qui f'v faift — 17) nie des l'oiiies pour res;ler In leur. .\ux exemples
' plus en ça ùvrit Montaigne i droite de cette i\n de vers pour en rectilicr la disposition typographique.
2o6 ESSAIS DE MONTAIGNE.
l'ambition & l'aiiarice, la leruitude & la fubiection, la licence & la
liberté; à quelles marques on connoit le vray & folide contentement;
iufques où il faut craindre la mort, la douleur & la honte,
Et quo quemque modo fugiàtque ferdtque laborem ;
quels reffors nous meuuent, & le moyen de tant diuers branles en 5
nous. Car il me femble que les premiers difcours dequoy on luy
doit abreuuer l'entendement, ce doiuent eftre ceux qui règlent fes
meurs & fon fens, qui luy apprendront à fe connoiftre, & à fçauoir
bien mourir & bien viure. Entre les ars liheraus, comançom par l'art
qui nous faict libres. 10
Elles sentent toutes aucunement a l'instruction de nostrc uie et a son
usage, corne toutes autres choses y seruent aucunement. Mais choisissons
celle qui y sert directenuint et professoiremcnt.
Si nous sçauions restreindre les apartcnances [d/\ nostrc uie a leurs justes
et naturels limites, nous trouuerrions que la meillure part des sciâmes qui 1 5
sont en usage, est hors de nostrc usage; et en celles nusmes qui le sont, qu'il
y a des estendues et enfonccures tresinutilles, que nous fairions mieus de
laisser la, et, suiuant l'institution de Socraies, borner le cours de nostrc estudc
en icelles, ou faut l'utilité.
fapere aude, 20
Incipe : viuendi qui rectè prorogat horam,
Rufticus expectat dum defluat amnis; at ille
Labitur, & labetur in omne volubilis œuum.
Ceft vne grande fimpleffe d'apprendre à nos enfiins
Quid moueant pifces, animofàque figna leonis, 25
Lotus & Hefperia quid capricornus .aqua,
Var. ms. — II) loiiles uoireiiMiit en quelque luaiiiere a riiislnuiioii — 12) 1° : cimes
Mais 2°: choses y serueut. Mais — 15) directemani et coniouinlcincnt fapcrc — 16) eu
usage nous est de nul usage
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 207
la fcience des artrcs & *lc mouucmcnt de la huitielnie fphere, auant A
que les leurs propres :
T{ TAîiiScGct xxiJ.oi ;
5 [Anaximenes escnuant a Pythagoras : De quel sens j puis ie m 'amuser
au secret des estoiles, aïaut la mort ou la seruitude tousiours presante aus
yeiis (car lors les Roys de Perse preparoint la guerre contre son pais). Cbaci'i
doit dire aisin : Estant battu d'ambition, d'auaricc, de témérité, de supers-
tition, et aïant au dedans tels autres encmis de la nie, irai ie songer au
10 branle du monde ?
Apres qu'on luy aura dict ce qui fert à le faire plus fage & meilleur,
on l'entretiendra que c'eft que Logique, pbisique, Géométrie, Rhéto-
rique; (S: la fcience qu'il choifira, ayant des-ja le iugement formé, il
en viendra bien tofl à bout. Sa leçon fe fera tantoft par deuis, tantoft
15 par liure; tantoft fon gouuerneur luy fournira de l'auteur mefme,
propre à cette lin de fon inftitution; tantoft il luy en donnera la
moelle & la fubftance toute mafchée. Et fi, de foy mefme, il n'eft
aflez familier des Hures pour y trouuer tant de beaux difcours qui
y font, pour l'effect de Ion deflein, on luy pourra ioindre quelque
20 homme de lettres, qui à chaque befoing fournisse les munitions
qu'il faudra, pour les dilbùbuer îs: difpenfer à fon nourriflbn. Et que
cette leçon ne foit plus aifée & naturelle que celle de Gaza, qui y
peut faire doute? Ce font la préceptes efpineux & mal plaifans, & des
mots vains & defcharnez, où il n'y a point de prife, rien qui vous
25 efueille l'efprit. En cette cy l'ame trouue où mordre et où fe paiftre.
Ce fruict eft plus grand, liuis comparaifon, 6c li fera pluftoft meury.
Texte 88. — ii) aura apris ce — 12) Logique, Mufiquc, Géométrie —
13) des-ja, le gouft & iugement — 20) lettres, de qui à chaque befoing il retire les
— 21) qu'il luy faudra, pour après a fa mode les diftribuer — 25) l'efprit, rien
qui vous chatouille : en cette cy — 23) paiftre, & où fe gendarmer. Ce fruict
\'ar. ms. — 5) m'amiiscr aus sccreli tlu ciel des
208 KSSAIS DH MONTAIGNE.
Ccll grand cas que les chofes en ibyent là en nortre lîecle, que
la philolbphie, ce foit, iufques aux gens d'entendement, vn nom vain
i\; lantaftique, qui se ircitue de nul vfage & de nul pris, et par opinion
et par effaiet. le crov que ces crgotifmes en l'ont caufe, qui ont faili
fes auenues. On a grand tort de la peindre inacceflible aux enfans, 5
& d'vn vifage renfroigné, Iburcilleux & terrible. Qui me l'a mafquéc
de ce faux vifiige, palle & hideux? Il n'eft rien plus gay, plus gaillard,
plus enioué, & à peu que ie ne die follaftre. Elle ne prelche que
fefte & bon temps. Vne mine trifte & tranfie montre que ce n'eft
pas la fon gifte. Demetrius le Grammairien, rencontrant dans le 10
temple de Delphes vne troupe de philolbphes aflis enfemble, il leur
dit : Ou ie me trompe, ou, à vous voir la contenance fi pailible
6c 11 gave, vous n'eftes pas en grand dilcours entre vous. A quoy
l'vn d'eux, Heracleon le Megarien, refpondit : C'eft à laire à ceux
qui cherchent il le futur du verbe ^i/.Ao) a double )., ou qui cherchent 1 5
la deriuation des comparatifs yv.pz-i & ,3é/.-:;;v, èc des fuperlatifs •/=•?•.":■/
& i3s/,t;jt:v, qu'il fiiut rider le front, s'entretenant de leur fcience.
Mais quant aux dilcours de la philofophie, ils ont accouftumé
d'efgayer 6^ rcfiouir ceux qui les traictent, non les rentroigner
& contrifter. 20
Dcprendas animi tormenta latentis in .^gro .
Corpore, deprendas & gaudia : fumit vtrumque
Inde habitum faciès.
L'ame qui loge la philolbphie, doit par la lanté rendre lain cncores
le corps. Elle doit taire luire iufques au dehors fon repos & fon 25
aife; doit former à fon nioiile le port extérieur, & \ armer par confequent
d'vne gratieufe fierté, d'vn maintien actif & allègre, & d'vne conte-
nance eontente 6c débonnaire. La plus expresse marque de ht sa^^esse, c'est
Texti; 88. — 6) fourcillcux & horrible : qui me — 25) dehors l'on conicii-
tcnicnt, fon repos — 26) Ion mole le... & le gnriiir par — 27) contenance radile
it débonnaire.
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 209
une cioiiiisance constante: son estât est conie des choses au dessus de la Lune:
tonsiours serein. C'cll « Barroco » 6c « Baralipton » qui rendent leurs
fuppofts ainfi civte:^ & enfumés, ce n'eft pas elle; ils ne la connoiflent
que par ouïr dire. Comment ? elle fliict eftat de fcrainer les tempeftes
S de l'anie, & d'aprendre la fain & les iiebures à rire, non par quelques
Epicycles imaginaires, mais par railbns naturelles & palpables. EH' a
pour son but la uertu, qui n 'est pas, conie dict l'cscole, plantée a la teste
d'un mont eope, rahoteus & inaccessible. Cens qui l'ont aprochee, la ticncnt,
au rebours, logée dans une belle pleine fertile & fleurissente, d'où elle uoit
10 bioi sous soi tontes choses; mais- si peut on y arriuer, qui en sçait l'adresse,
par des routes ondirageuses, gasonces & dousfleurantes, plesaniniant et d'une
pente facile et polie, corne est celle des uoutes célestes. Pour n'auoir hante
cette uertu suprême, belle, triomfante, amoureuse, délicieuse pareillement
et corageusc, cnemie professe et irréconciliable d'aigrur, de desplaisir, de
I) creintc et de contreinte, aiant pour guide nature, fortune et uolupte pour
compaignes : ils sont ailes, selon leur foiblesse, feindre cette sotte image, triste,
qnereleuse, despite, mcnaceuse, mineuse, et la placer sur vu rochier, a l'cscart,
emmi des ronces, fantosme a estoner les gens.
Mon gonuernur, qui conoit deuoir ramplir la uolonte de son disciple
20 autant ou plus d'affection que de rcuerance enuers [ht uertu, luy sçaura
dire que les poètes suiuent les humeurs communes, et luy faire toucher au
doigt que les Dieux ont mis plustost la sueur aux aduenues des cabinet:;^ de
Venus que de Pallas. Et quand H commencera de se sentir, luy présentant
Bradamant ou Angélique pour maistressc a ioi'iir, & d'une beauté nahie,
25 actiue,] généreuse, non homasse mais nirile, au pris d'une beauté molle,
affetee, [délicate, artificielle; l'une] trauestie en garçon, coiffée d'un morrion
Texte 88. — 5) ainfi niai-mitcux& — 4) tempeftes de la fortune, & — 6) raifons
groflieres, maniables & palpables Montaigne s'est d'abord contente d'ctlaccr maniables ;iv.int de
remplacer groflieres par tuilurdtcs
Var. ms. — 8) aprocticc, 1° : au ivht>ui^ l'oiil ucu logce au t^ch rebours dans 2°: ta
tienent logée au rebours dans — 10) si y peut on arriuer — 11) roules unies gasouees
dousfleurantes & ombragées plesammaul tl d'une pente iummible impereeplibte. Pour —
1 5) uertu belle hiomfuule
2IO ESSAIS DE MONTAIGNE.
liiysant, l'aiilrc mshie en garct, coiffée d'un attiffet enperU : il ingéra
masle son amour mesmc, s'il choisit [toui] diucrseniant a cet effrninc pastur
de Pljrygie. Il Juy faira cette iiouuelle leçon, que le pris & hautur de la
uraïe uertu est en la facilité, utilité et plaisir de son exercice, si eslouigiw
de difficulté, que les enfans y peuucnt corne les homes, les simples corne les 5
subtils. Le regkmant c'est [son] util, non pas la force. Socrates, son premier
mignon, quitte a esciant sa force, pour glisser en la naïfuete et aisance de
son progre:^. C'est la maire )iourrisse des plaisirs humains. En les rendant
iustes, elle les rant surs et purs. Les modérant, elle les tient en haleine et en
goust. Retranchant cens qu'elle refuse, elle nous \aiguMse enuers cens qu'elle 10
nous laisse; et nous laisse ahondammant tous cens que ueut nature, et iusques
a la satiété, maternellemàt, sinon iusques [a la~\ lassete (si d'auanture nous
ne uolons dire que le régime qui arrête le heuueur auant l'iuresse, le mangeur
auant la crudité, le paillart auant la pelade, soit enemi de )ios plaisirs). Si
la fortune commuiie luy faut, elle luy eschape ou elle s'en passe, et s'en forge 1 5
;///' autre toute siene, non plus flvtante & roulante. \Elle'] sçait estre riche
vt puissante et sçauante, et coucher dans des matelas musque:^^. Elle aime la
im, elle aime la beauté et la gloire et la santé. Mais son office propre et
particulier c'est sçauoir user de ces biens la regleemant, et les sçauoir perdre
constammant : office bien plus noble qu'aspre, sans lequel tout cours de nie 20
est desnaturé, turbula)it et difforme, et y peut on iustemani atacher ces
esceuils, ces haliers et ces monstres. Si ce disciple se rencontre de si diuersc
condition, qu'il aime mieus ouir une fable que la narration d'un beau
uoiage ou un sage propos quand il l'entandera; qui, au son du tabourin
qui arme la iunc ardur de ses compaignons, se destourne a un autre qui 25
l'apelle au ieu des batelurs; qui, par souhet, ne treuue plus plesant et plus
dous rcuenir poudreus et uictorieus d'un combat, que de la paume ou du
bal aueq le pris de cet exercice : ie n'y trenuc autre remède, sinon que de'
\'ak. ms. — 4) cl iwhtple de — 15) faut cii clic luy — 18) niiiic la gloire
25) ouir le babil d'une fanic que
' (jue de... ou manque dans rédition de i>9).
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 211
hfliic h'iiir son ^rfliiucniiir l'est ni ih^lc, s'il [csl] sans tcsiiioiiis, on qu'on le
mette pattissier duns quelque boue nille, fut il fil. \ d'un duc, sniuant le
prxupte de Platon qu'il faut colloquer les enfans non selon les faculté^ de
leur père, mais selon les faculté:^ de leur amc.
3 Puis que ^7 philosophie cft celle qui nous inftruict à viuro, & que
l'enfance v a lix leçon, comme les autres aages, pourquoy ne la luy
communique l'on?
Vdum & molle lutum eft; nunc nunc properandus, & acri
Fingendus fine fine rota.
10 On nous aprent à viure quand la vie eft paflee. Cent efcoliers ont
pris la verolle auant que d'eftre arriuez à leur leçon d'Ariftote, de
la tempérance. Cicero disoit que, quand il uiuroit la nie de deus homes,
il ne pranderoit pas le loisir [d^'estudier les poètes lyriques. Et ie treune
ces ergotistes plus tristement encores inntilles. Nostre cnfât est bien pins
1 5 pressé : il [ne'] doit au ppedagisme que les premiers quinse ou sese ans de sa
nie; le demurant est deu a l'action. Emploions un temps si court ans
instructions necesseres. Ce font abus : oftez toutes ces fubtilitez efpi-
neufes de la Dialectique, dequoy noftre vie ne fe peut amender,
prenez les fimples difcours de la philofophie, fçachez les choifir
20 & traitter à point : ils font plus aifez à conceuoir qu'vn conte de
Boccace. Vn enfant en eft capable, au partir de la nourrifle, beaucoup
mieux que d'aprendre à lire ou efcrire. La philofophie a des difcours
pour la naiflance des hommes, comme pour la décrépitude.
le fuis de l'aduis de Plutarque, qu'Ariftote n'amufa pas tant fon
25 grand difciple à l'artifice de compofer fyllogifmes, ou aux Principes
de Géométrie, comme à l'inftruire des bons préceptes touchant la
vaillance, proùefle, la magnanimité & tempérance, & l'aflcurance de
Texte 88. — 5) Puis que c'cft clic qui
Var. ms. — 2) duc. Puis que — 14) ces crgolismes plus — 15) doit a l'cftmlf toute
fcpte d'-tstude Vescolage que les
212 ESSAIS DH MONTAIGNE.
ne rien craindre; &, auec cette munition, il l'enuoya encores enfiint
fubiuguer l'Empire du monde a tout feulement 30 000 hommes de
pied, 4 000 chenaux & quarante deux mille efcuz. Les autres arts
& fciences, dict-il, Alexandre les honoroit bien, & loùoit leur
excellence & gentilleffe; mais, pour plaifir qu'il y prit, il n'eftoit pas 5
facile à le laifler furprendre à l'affection de les vouloir exercer.
Petite hinc, iuuenéfque fenefque.
Finem animo certum, miferifque viatica canis.
C'est ce que dict Epicunis an comâccmct | âe"\ sa lettre a Meiiieeus : [Ny]
k plus iunc refuie [a] philosofer, ny le plus uieil s'y hisse. Oui faict 10
autrcmant, [il] semble dire ou qu'il n'est pas encore seson [d']hureuseweut
uiure, [0//] qu'il n'en est plus seson.
Pour tout cecy, ie ne veu pas qu'on cmprifonne ce o;arçon. le ne
veux pas qu'on l'abandonne à l'humeur mclancholique d'vn furieux
maiflre d'efcole. le ne veux pas corrompre l'on efprit à le tenir à la 15
gehene & au trauail, à la mode des autres, quatorze ou quinze
heures par iour, comme vn portefaiz. A^' "c trouuerois bon, quâd par
quelque coinplexiou soliterc et mclancholique on le ucrroit adone d'une
application trop indiscrète [ci] l'estude des Hures, qu'on [la] luy nourrit :
cela les rend ineptes a la cotuiersation ciuille, et les destourne de meilleures 20
occupations. Et comlticn ai ie veu de mon temps [d']l}omes abestis par
temererc auidite de sciancc? Carneades s'en trouua si a foie, qu'il n'eut
plus le loisir de se faire le poil et les ongles. Ny ne \-eux gafter fes meurs
gcnereufes par l'inciuilité & barbarie d'autruy. La lageffe Françoife
a efté anciennement en prouerbe, pour vne iiigeffe qui prenoit de 25
bon' heure, & n'auoit guieres de tenue. A la vérité, nous voyons
encores qu'il n'eil rien fi gentil que les petits enfans en France;
Text)-. 88. — 2) monde aucc feulement — n) cmprifonne cet eiifnnt dans vn
collège, ie ne veux — 14) à. la colère & Innneur
Var. ms. — 17) quâd[on l]elnniuerroil par... mclancliotiquc aitonc Cf. p. 21,1, variante
de h ligne 13. — 2o) ct de — 22) qu'il Vf Ircuuoil pitis
•■)
I.1VR1-: I, CHAIMTRI-: X.WI. 21^
mais ordinairement ils trompent rcl'pcrancc qu'on on a conccuë,
&:, hommes faicts, on n'y voit aucune excellence, l'ay ouy tenir
à gens d'entendement que ces collèges où on les enuoie, dequoy ils
ont tbil'on, les abrutilTent ainiin.
Au noftrc, vn cabinet, vn iardrin, la table (i>c le lit, la i'olitude, la
compaignie, le matin & le vefpre, toutes heures luy feront vnes,
toutes places luy feront eftude : car la philofophie, qui, comme
formatrice des iugements & des meurs, fera fa principale leçon, a ce
priuilege de fe méfier par tout. Ifocrates l'orateur, eftant prié en vn
feftin de parler de fon art, chacun trouue qu'il eut raifon de refpondrc:
Il n'eft pas maintenant temps de ce que ie fçay faire; & ce dequoy
il eft maintenant temps, ie ne le fçay pas faire. Car de prefenter des
harangues ou des difputes de rhétorique à vne compaignie alïemblée
pour rire & faire bonne chère, ce feroit vn meflange de trop
mauuais accord. Et autant en pourroit-on dire de toutes les autres
fciences. Mais, quant à la philofophie, en la partie où elle traicte de
l'homme & de fes deuoirs & offices, c'a efté le iugemcnt commun
de tous les lages, que, pour la douceur de (a conucrflition, elle ne
deuoit cftre refufée ny aux feftins ny aux ieux. Et Platon l'ayant
i nuitée à fon conuiue, nous voyons comme elle entretient l'affil^cnce
d'vne façon molle & accommodée au temps & au lieu, quoy que ce
foit de fes plus hauts difcours & plus falutaires :
^Eque pauperibus prodeft, locupletibus aeque;
Et, neglecta, neque pueris fenibùfque nocebit.
Ainfi, fans doubte, il chômera moins que les autres. Mais, comme
les pas que nous employons à nous promener dans vne galerie,
quoy qu'il y en ait trois fois autant, ne nous laflent pas comme
ceux que nous mettons à quelque chemin delTcigné, aufli noftrc
Texte 88. — 15) pourroit-on quafi dire — 19) l'ayant conuice à
VaR. MS. — 4) Monuignc efface foifon, le rempl.ice par aboiltiatice, puis rcublit foifon.
214 ESSAIS DE MONTAIGNE.
leçon, le palLint comme par rencontre, fons obligation de temps
& de lieu, & fe meflant à toutes nos actions, fe coulera fans fe faire
fentir. Les ieux mefmes & les exercices feront vne bom partie de
l'eftude : la courfe, la luite, la mtisig), la danfe, la chafle, le manie-
ment des cheuaux & des armes. le veux que la bienfeance extérieure, s
& l'entre-gent, et la disposition de la persone, fe façonne quant & quant
l'âme. Ce n'eft pas vne ame, ce n'eft pas vn corps qu'on dreffe :
c'eft vn homme; il n'en faut pas faire à deux. Et, comme dict
Platon, il ne faut pas les dresser l'vn fans l'autre, mais les conduire
également, comme vne couple de cheuaux attelez à mefme timon. lo
Et, a l'ouir, semble il pas prester plus de temps et plus de sollicitude ans
exercices du cors, et estimer que l'esprit s'en exerce quand et quant, et non
au rebours.
Au demeurant, cette inftitution fe doit conduire par vne feuere
douceur, non comme // se faict. Au lieu de conuier les enfans aux 1 5
lettres, on ne leur prefente, à la vérité, que horreur & cruauté. Oftez
moy la violence & la force : il n'eft rien à mon aduis qui abaftar-
diffe & eftourdifle fi fort vne nature bien née. Si vous auez enuie
qu'il craigne la honte & le chafliement, ne l'y endurciflez pas.
EndurciiTez le à la fueur & au froid, au vent, au foleil & aux hazards 20
qu'il luy faut mefprifer; oftez luy toute molleffe & delicateffe au veftir
& coucher, au manger & au boire; accouftumez le à tout. Que ce ne
foit pas vn beau garçon & dameret, mais vn garçon vert & vigoureux.
Texte 88. — 9) pas les exercer l'vn — 14) Au demeurant, toute cette —
1 5) comme aux collèges, ou au lieu de conuier les enfans aux lettres, & leur en donner
gouft, on ne
Var. ms. — 6) disposition du cors, (e — 11) pas qu'il preste et plus de temps el —
I ° '. cete
12) cors est — i?) rebours. Ouoiieuite ^ „ , , ■ . • , "^ indiscrète auidite
' '■' ~ ^ 2° : de les induire a cete "^
d'estude des Hures qui leur este toute grâce en la comiersation ciuile el les destourne de tout' autre
•II • ^ 7 1 • ■ /7-I. .-i ^ 1° • trotifoit ^ , . .
nieillurcs occupations Larneadts en deumt SI affole au il ne C , ^1 S^ loisir a se
^ ■" ' ^ 2° : Irouua plus
faire les ongles & le poil. Combien d'homes ai ic ucu de mon temps abestis par l'estude. .\u
demeurant Cf. p. 212, 1. 17.
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 21)
Eiifiiiil, Ixinic, itici], i'ay toiisiours ci eu et iiigc de iiiesmcs. Mais, entre
autres choses, cette police de la plus part de nos collieges m'a tousioiirs
despieu. On eut failli a l'auaniure moins domageablenunt, s'inclinant tiers
l'indulgence. C'est une uraye geôle de iunesse captiue. On la rent dcsbauchee,
5 l'en punissàt auant qu'elle le soit. ArriiicT^ y sur le poinct de leur office :
nous n'oyes que cris et d'enfans suppliciei, et de maistres enyiire^^ en leur
cholere. Quelle manière pour esueiller l'appétit enuers leur leçon, a ces tendres
âmes et creintiues, de les y guider d'une trouigne effroiahle, les mains armées
de fouet'^? Inique et pernicieuse forme. loint d que Quintilien en a Ires-
lo bien remarqué, que cette impérieuse authorité tire des suites périlleuses, et
nomeemant a nostre façon de chatiemant. Combien leurs classes seroint plus
décemment iotichees de fleurs et defeuillee que de tronçons d'osier sanglans.
l'y fairois portraire la ioye, l'alegresse, et flora, et les grâces, come fit en
son escole le pin lofe Speusippus. Ou est leur profit, que ce fut aussi leur esbat.
i) On doit ensucrer les uiandes salubres a l'enfant, et enfieler celés qui luy
sont nuisibles.
C'est merueille combien Platon se nwntre souigneus, en ses loix, de la gayete
et passetemps de la iunesse de sa cite, et combien il s'arrête a leurs courses,
ieus, chançons, sans et danses, des quelles il dict que l'antiquité a donc la
20 conduite et le patronage aus dieus mesmes : Apollo, les Muses et Minerue.
Il l'estant a mille pra'ceptes pour ses gymnases : pour les sciances lettrées,
il s'y amuse fort peu, & sêble ne recortiander particulièrement la poisie que
pour la musiq^.'
Var. ms. — i) mesmes a peu près. Mais (Mais entre autres a été biffé puis rétabli.)
— 7) manière d' esueiller .. . leçon, de ces — 9) ce qu'un antien eu a — 12) décemment
et ingénieusement ionchees de roses et de feuillee — 13) portraire le ieu la gayete et flora
— 13) grâces. Ou — 17) gayete des eufans de sa — 18) s'arrête m> a leurs 1° : exer-
cices ieus chançons et danses des quelles 2° : ieus chançons danses et courses des quelles
3°: exe courses ieus chançons et danses des quelles — 20) 1°: Apollo les Muses et Bacchus
des (phrase inachevée.) 2° : Apollo et les Muscs pour cens de plus bas cage bacchus pour l'cagc
plus auance. Il l'estant 3° : Apollo les Muscs et Minerue pour cens de tout cage bacchus
pour l'eage bien auance. Il l'estant
' Cf. p. 185, variante Je la ligne 20.
2l6 ESSAIS DE MONTAIGXE.
Toute cilrangetc & particularité en nos meurs & conditions eft
euitable, comme ennemie de communication ibc de locieté ci aviic
môstnicuse. Qui lie s'cstoiieivif de Ja eôpJexioii de Deinopboii, maistre
d'hostel d'Alexandre, qui siioit a l'ombre & trâbloit au soleil? l'en ay veu
fuir la lenteur des pommes plus que les harquebulades, d'autres 5
s'effraver pour vne fouris, d'autres rendre la gorge à voir de la
crefme, d'autres' à voir brasser vn lict de plume, comme Germanicus
ne pouuoit souffrir ny la veue ny le chant des coqs. 11 y peut auoir,
à l'auanture, à cela queftjue propriété occulte; mais on l'efteindroit,
à mon aduis, qui s'y prendroit de bon' heure. L'inftitution a gaigné 10
cela fur mov, il cÛ vray que ce n'a point efté fans quelque Ibing,
que, fauf la bière, mon appétit eft accommodable iiidifferammanl
à toutes choies dequoy on fe pait. Le corps encore fouple, on le
doit, à cette caufe, plier à toutes façons & couftumcs. Et pourueu
qu'on puiffe tenir l'appétit & la volonté foubs boucle, qu'on rende 15
hardiment vn ieune homme commode à toutes nations & com-
paignies, voire au defreglement & aus excès, fi befoing eft. Son
cxercitation siiiiie l'usage. Qu'il puiffe faire toutes chofes, & n'ayme
à faire que les bonnes. Les philofophcs mefmes ne trouuent pas
louable en Califthenes d'auoir perdu la bonne grâce du grand 20
Alexandre, fon maiftre, pour n'auoir voulu boire d'autant à luy.
11 rira, il follaftrera, il le dell«auchera auec fon prince. le veux qu'en
la deffiauche mefme il lurpaffe en vigueur & en fermeté fes compa-
gnons, & qu'il ne laiffe à faire le mal ny à faute de force ny de
fcience, mais à fsute de volonté. « Multuiii interest utriiin pea'are 25
aliquis iiolit aut nesciaf. » le penfois foire honneur à vn feigneur auffi
eflongné de ces débordemcns qu'il en ibit en France, de m'enquerir
à luv, en bonne compaignie, combien de fois en la vie il s'eftoit
Texte 88. — 7) voir branfler vn — 12) mon gouft eft
Var. ms. — 3) wôsirucusc kfmouiu — 18) cxircUnlwit âcH en pu future l'usage.
' d'à ut as... coqs. nJilition de liSS.
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 217
cnyurc pour la ncccflitc des affiiircs du Roy en Allemagne. 11 le print
de cette façon, & me relpondit que c'cftoit trois fois, lefquelles il
recita. l'en Içay qui, à faute de cette faculté, fe font mis en grand peine,
ayans à pratiquer cette nation, l'ay fouuent remarqué auec grand'
5 admiration hi merueilleufe nature d'Alcibiades, de fe transformer
û aifément à façons û diuerfes, fans interell de iii fanté : furpaflant
tantoft la Ibmptuolité & pompe Perfienne, tantoft l'aurterité & fruga-
lité Lacedemoniene; autant reformé en Sparte comme voluptueu.\
en lonié,
10 Oninis Ariftippuni dccuit color, & ftatus, & res.
Tel voudrois-ie former mon difciple,
quem duplici panno patientia velat
Mirabor, vitse via li conuerfa decebit,
Perfonamque feret non inconcinnus vtrdmque.
i) Voicy mes leçons. Cclluy ht y a miens projilc, qui les faicl, que qui les
sçaif. Si nous le uoïes, uous l'oies; si nous Voies, nous le uoies.
In [a] dieu ne plaise, diet queleuu eu Plulou, que philosofer ee soit
upniiidre plusieurs eboses et tniieter les ars !
(( Haue amplissimam ouiiiiuiu urtiuui heue uiuendi diseipliuciui uila
20 magis quam literis persequuti suut.»
Léon, prince des Phliasiens, s'enquerant a Heraclides Pouiicus de quelle
sciance, de quelle art il faisoit profession : le ne sçai, diet il, ny art ny
sciance; mais ie suis philosophe.
Texte 88. — 2) cette mefmc façon — 5) admiration cette merueilleufe —
15) leçons, où le faire va auec le dire. Car à quoy fert il qu'on prefche l'efprit, fi les
etfects ne vont quant & quant ? On verra à fes entreprinfes, s'il y a de la prudence,
s'il y a de la bonté en fes actions, de l'indifférence (p. 218, I. lo.)
Var. ms. — 15) leçons. Qui les fuict a iiiicus profité que celtiy qui les sçail. —
25) philosophe. Suiuiit le dogme Je Aulislhciies iiiaiiileiiiiiit que la uertu u'auoil besouiii uy
lies diseipliiies v\ des paroles u\ des effaiels, qu'elle sujjisoit a soi Hegesias (p. 218, I. j.)
2l8 ESSAIS DE MONTAIGNE.
0)1 reprochait a Diogciws cotnanl, estant ignorant, il se inesloit de la
philosofie. le m'en mesle, dict il, d'autant miens a propos.
Hegesias le prioit de Iny lire quelque Hure : Fous estes i plaisant, luy]
respondit il, nous choisisses les figues uraies \et naturelles, non peintes : que
ne choisisses vous aussi les exercitations naturelles, vrayes & non escrites ?] s
// ne dira pas tant sa leçon, corne il la jaira. Il la répétera en ses actions.
On uerra s'il a de la prudance en ses oitreprinses, s'il a de la honte et de
la iustice en ses desportemans, s'il a du iugement & de la grâce en son parler,
de la uigeur en ses maladies, de la modestie en ses icus, de là tempérance
en ses uolupte:^, de l'indifférence en fon gouft, foit chair, poiffon, vin lo
ou eau, de l'ordre en son cvconomie :
(( Ouidisciplinam suam, non ostentationent scientiiv,sed legem uit.r putet,
quique obtemperet [ipse\ sihi, et decretis pareat. »
Le urai miroir de nos discours est le cours de nos nies.
Zeuxidamus refpondit à vn qui luy demanda pourquoy les Lace- 15
demoniens ne rcdigeoient par efcrit les ordonnances de la proueffe,
& ne les donnoient à lire à leurs ieunes gens : que ceftoit par ce
qu"'ils les vouloient accouftumer aux faits, non pas aux paroUes.
Comparez, au bout de 15 ou 16 ans, à cettuy cy vn de ces latineurs
de collège, qui aura mis autant de temps à n'aprendre fimplement 20
qu'à parler. Le monde n'ell: que babil, & ne vis iamais homme qui
ne die pluftoft plus que moins qu'il ne doit; toutesfois la moictié
de noftre aage s'en va la. On nous tient quatre ou cinq ans à entendre
les mots & les coudre en claufes; cncores autant à en proportionner
vn grand corps, eftendu en quatre ou cinq parties; & autres cinq, 25
pour le moins, à les Içauoir brefuement mefler & entrelaffer de
quelque llibtile façon. Lailîbns le à ceux qui en font profeflion
expreffe.
Texte 88. — 11) eau. Il ne faut pas feulemcni qu'il die la leçon, mais qu'il la
face. Zeuxidamus — 18) pas aux cfcritures. Comparez — 27) Laiflbns cela à
Var. ms. — 3) IIei;csi(is priait Divgciies de — 7 et 8) .('/7 \' a au lieu Je s'il a —
12) sciciiliœ ijni ohliiiipcrci ipsc sihi cl ili'cirtis piimil. Zeuxidanius
I.IVRF. 1, CHAPITRE XXVI. 219
Allant vil iour à Orléans, ic trouuay, dans cette plaine au deçà de
Clery, deux regens qui venoyent à Bourdeaux, enuiron à cinquante
pas l'vn de l'autre. Plus loing, derrière eux, ie delcouuris vne
trouppe & vn mailtre en tefte, qui eftoit feu Monfieur le Comte de
5 La Rochetoucaut. Vn de mes gens s'enquit au premier de ces régents,
qui eftoit ce gentU'homme qui venoit après luv. Luv, qui n'auoit
pas veu ce trein qui le fuyuoit, & qui penfoit qu'on luv parlaft de
fon compagnon, refpondit plail'amment : Il n'eft pas gentil'homme;
c'eft vn grammairien, & ie fuis logicien. Or, nous qui cerchons icy,
10 au rebours, de former non vn grammairien ou logicien mais vn
gentiFhomme, laiflbns les abufer de leur loillr : nous auons affliire
ailleurs. Mais que noftre difciple foit bien pounicu de chofes, les
parolles ne fuiuront que trop : il les traînera, li elles ne veulent
fuiure. l'en oy qui s'excufent de ne fe pouuoir exprimer, & font
15 contenance d'auoir la tefte pleine de plulieurs belles chofes, mais,
à faute d'éloquence, ne les pouuoir mettre en euidence : c'eft vne
baye. Sçauez vous, à mon aduis, que c'eft que cela ? Ce font des
ombrages qui leur viennent de quelques conceptions informes,
qu'ils ne peuuent defmeler & efclarcir au dedans, nv par confequant
20 produire au dehors : ils ne s'entendent pas encore eux mefmes. Et
voyez les vn peu bégayer fur le point de l'enfanter, vous iugez que
leur trauail n'eft point à l'acouchement mais a hi coiurptioii, et qu'ils
ne tont que lécher cette matière imparfiiicte. De ma part, ie tiens,
et Socrates Vordom, que, qui a en l'efprit vne viue imagination (Se claire,
25 il la produira, foit en Bergamafque, foit par mines, s'il eft muet :
Verbâque prœuifam rem non inuita fequentur.
Et comme difoit cehiy hi, aufli poétiquement en fa profe, « cum rcs
Texte 88. — 12) bien garny de — 25) lécher encores cette — 27) difoit cet
autre, aufli
\'ar. ms. — 24) Socrales aussi l'ordoirc
220 ESSAIS DE MONTAIGNE.
animum occupaucrc, vcrba ambiant. » Et cet autre : « Ipsœ res iierha
mpiiint. » 11 ne fçait pas ablatif, coniunctif, fubilantif, ny la gram-
maire; ne faict pas l'on laquais ou vne harangiere du petit pont,
& fi vous entretiendront tout voftre foui, lî vous en auez enuie,
& fe desferreront aufli peu, à Taduenture, aux régies de leur langage, 5
que le meilleur maiftre es arts de France. Il ne fçait pas la rhétorique,
nv, pourauant-ieu, capter la beniuolence du candide lecteur, ny ne
luy chaut de le fçauoir. De vray, toute cette belle peincture s'effiice
aifément par le luftre d'vne vérité limple & naifue. Ces gentilleffes
ne feruent que pour amufer le vulgaire, incapable de prendre la viande 10
plus mafliue & plus ferme, comme Afer montre bien clairement chez
Tacitus. Les Ambaffadeurs de Samos eiloyent venus à Cleomenes,
Rov de Sparte, préparez d'vne belle & longue oraifon, pour l'efmouuoir
à la guerre contre le tyran Policrates. Apres qu'il les euft bien laiffez
dire, il leur refpondit : Quant à voftre commencement & exorde, il 15
ne m'en fouuient plus, ny, par confequent, du milieu; & quant
h voftre conclufion, ie n'en veux rien taire. Voyla vne belle refponce,
ce me femblc, & des harangueurs bien cameus.
Et quov cet autre? Les Athéniens eftoyent à choiiir de deux
architectes, à conduire vne grande fabrique. Le premier, plus afîeté, 20
fe prefenta auec vn beau difcours prémédité lur le lubicct de cette
befongne, & tiroit le iugement du peuple à fa faneur. Mais l'autre, en
trois mots : Seigneurs Athéniens, ce que cetuy a dict, ie le feray.
Au fort de l'éloquence de Cicero, plufieurs en eiitroliii en admi-
ration; mais Caton, n'en faiûnt que rire : Nous auons, difoit-il, vn 25
plaifant conful. Aille deuant ou après, loi' utile sentanee, vn beau
traict eft touiours de faifon. 5'/7 ii'est pas bien [a] ce qui iia cleuaiit,
ny [a] ce qui aient après, [//] est bien en soi. le ne fuis pas de ceux qui
penfent la bonne rithme faire le bon poème : lailTez luy allonger
Texte 88. — 10) de gouftcr la — 24) en eftoyent tirez en — 26) après : vn
vif aroTjmcnt, vn beau
I.IVRn I, CHAPITKi; \XVI. 221
vnc courte l'yllabc, s'il veut; pour cela, non force; li les inuentions
y rient, Il l'efprit & le iugemcnt y ont bien faict leur office, voyla vn
bon poète, diray-ic, mais vn mauuais verfificateur,
Emunct.^ naris, durus componere verfus.
5 Qu'on fiice, dict Horace, perdre à fon ouurage toutes fcs coufturcs
& mefurcs,
Tempora certa modofque, & quod prius ordinc verbum eft,
Pofterius facias, prasponens vltima primis,
Inuenias etiam difiecti menibra poet.t,
lo il ne fe démentira point pour cela; les pièces mcfmcs en feront
belles. Ceft ce que refpondit Menander, comme on le tenlat, appro-
chant le iour auquel il auoit promis vne comédie, dequoy il n'y
auoit encore mis la main : Elle eft compofée & prefte, il ne reftc
qu'à y adioufter les vers. Ayant les chofes & la matière difpolée eu
i) l'auic, il mettoit en peu de compte le demiinvit. Depuis que Ronûtrd
& du Bellay ont donc crédit a noflrc poefie Françoife, ie ne vois li
petit apprentis qui n'enfle des mots, qui ne renge les cadences à peu
prés comme eux. « Plus sonat qiiûin luilef. » Pour le vulgaire, il ne
fut iamais tant de poètes. Mais, comme il leur a efté bien aifé de
20 rcprefenter leurs rithmes, ils demeurent bien aufli court à imiter les
riches defcriptions de l'vn & les délicates inuentions de l'autre.
Voire mais, que fera-il fi on le prefTe de la fubtilité fophiftique de
quelque fyllogifme : le iambon fait boire, le boire deliiltere, parquoy
le iambon defaltere ? Qu'il s'en moque. II [est] plus subtil de s'en moquer
2) que d'y respondre.
Texte 88. — 2) bien iouc leur rollc, voyl.i — 14) matière en l'amc difpofce
& rangée, il — 15) compte les mots, les pieds, & les cefures, qui font à la vérité do
fort peu, au pris du refte. Et qu'il foit ainfi, depuis que — 16) ont mis en honneur
noftre — 18) eux mcfmes. Pour
\'ar. ms. — 25) respondre. Voies ce qu'il eu semble a Platou eu l'Eulbydewe : et piir
tout la guerre iuree de Sacrales a Feuçoulre des SepbisUi SopJnsmes. Qu'il (p. jiî, L 1.)
222 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Qu'i] emprunte d'Aristippiis cette plaisante cont refinesse : Poiirqucri k
deslierai ie, puis que, tout lie, il m'empesche? Ouekun proposai t contre
Cleanthes des finesses dialectiques, a qui Chrysippus dict : loue toi de ces
hateJages aueq les en/ans, et ne destourne a cela les pensées sérieuses d'un
home d'eage. Si ces fottes arguties, << contorta et aculeata sophisniata », 5
luv doiuent perfuader vne menfongc, cela eft dangereux; mais fi
elles demeurent fons efFect & ne l'efmeuuent qu'à rire, ie ne voy pas
pourquoy il s'en doiue donner garde. Il en eft de fi fots, qui fe
deftournent de leur vove vn quart de lieuë, pour courir après vn
beau mot; <( aut qui non ucrha rébus aptant, sed res extrinsecus arcessunt, 10
quihus uerha conueniant. » Et l'autre : « Sunt qui alicuius uerhi décore
placentis uocentur ad id quod non proposuerant scribere. » le tors bien plus
uolontiers une boue sentance pour la coudre sur moi, que ie ne tors mon fil
pour l'aler quérir. Au rebours c'eft aux paroles à feruir & à fuyure,
& que le Gafcon y arriue, fi le François n'y peut aller. le veux que 15
les chofes furmontent, & qu'elles rempliffent de façon l'imagination
de celuv qui efcoute, qu'il n'ave aucune fouuenance des mots. Le
parler que i'ayme, c'eft vn parler fimple & naif, tel fur le papier qu'à
la bouche : vn parler fucculent ^: nerueux, court & ferré, non tant
délicat et peigné corne uehement et brusque : 20
Hœc demum sapict dictio, quœferiet,
pluftoft difficile qu" ennuieux, efloingné d'affectation, defreglé,
defcoufu & hardy : chaque lopin y face fon corps; non pedantéfque,
non fratefque, non pleiderefque, mais pluftoft foldatefque, comme
Suétone appelle celuy de Iulius Cœfar; et si ne sens pas bien pour 25
quoi il l'en apele.
Texte 88. — 5) fottes finefles luy — 22) nflectation & d'artifice, defreglé
\'ar. ms. — i) plaisante ftsponcg desjaicte. Pourquoi desiwuerai ie cet argitiiiêt & le
deslierai puis que tout lie il nous donc de l'affaire. Si ces — 2) m'empesche asses. Ouelcuu
proposait des finesses d'mlcctiques a Cleanthes a qui — 10) mot 1° : res extrinsecus
arcessunt quihus uerba côueniant : au rebours 2° : aui qui res extrinsecus arcessunt quihus
ucrha côucniant : au rebours — 12) scribere. Au — 13) la coucher sur — 25) pas pour
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 223
l'ay volontiers imite cette delbauche qui le voit en noftre ieunefle,
au port de leurs veftemens : //;/ luantcau eu cscharpc, la cape sur uue
cspaulc, vn bas mal tendu, qui représente vne fierté defdaigneufe de
ces paremens eflrangers, & nonchallante de l'art. Mais ie la trouue
S encore mieus employée en la forme du parler. Toute affectatiou,
nomeemaul eu la gaieté et liberté frauçoise, est mesadueuautc au cortisan.
Et, en uue uwuarchie, tout geutilhome doit cstre dresse a la façou d'un
cortisan. Parquoi nous faisons bien de gaucinr un peu sur le naïf [et]
mesprisant.
10 le n'ayme point de tiflure où les liaifons & les coutures paroiflent,
tout ainli qu'en vn beau corps, il ne faut qu'on y puifTe compter les
os & les \eines. « Qiuv ueritati operani dat oratio, incomposita sit et
simplex. »
« Ouis accurate loquitur, uisi qui uult putidè loqui ? »
1 5 L'eloquance faict iniure aus choses, qui nous destourue a soi.
Couic aus acoustremaus c'est pusillanimité de se uouloir marquer par
quelque façon particulière et inusitée : de mesmes, au langage, la recherche
des frases nouuelks & des mots peu conus nient d'un' ambition puérile
et pedantcsque. Peusse ie ne me seruir que de cens qui sèment aus haies
20 a Paris! Aristophanes^ le gramnuricn n'y entaudoit rien, de reprendre en
Epicurus la simplicité de ses mots et la fin de son art oratoire, qui estoit
perspicuite de langage sulement. L'imitation du parler, par sa jacilile, suit
incontinant tout un peuple; l'imitation du iugcr, de l'inuanter ne tui pas si
uiste. La plus part des lecturs, pour auoir trouué une pareille robe, pansent
25 tresfaucemant tenir un pareil corps.
Texte 88. — 2) veftemens, de laifler pendre l'on reiftre, de porter la cape en
efcharpe, & vn bas
Var. ms. — 2) veftemens i" : de lailTer pendre fon reiftre, une cape en efcharpe
& vn bas 2" : tiu manteau pciidàl en escharpe la cape sur une espaule, & vn bas —
5) parler. Non est ornamenlum uirile concinnitas. le n'ayme — 7) dresse pour cortisan
— 18) mois inconus est un ambition
' AristDptmiieS... Slllenicnl iijoiUc ultcricurcmcm et reporte .1 cette place par un si^ne de renvoi.
224 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Lit force cl les nerfs ne s'cmprunlenl poiiil; les atours et le iiuuileau
s'emprunte.
La plus part de cens qui nie hantent, parlent de inesines les essais : mais
te ne sçai s'ils [pensent de inesmes.]
Les Athéniens (dict Platon) ont pour leur part le l'oing de 5
l'abondance & élégance du parler; les Lacedemoniens, de la briefueté,
& ceux de Crète, de la fecundité des conceptions plus que du langage :
ceux-cy font les meilleurs. Zenon difoit qu'il auoit deux fortes de
difciples : les vns, qu'il nommoit 9'./.îa:--:u;, curieux d'apprendre les
choies, qui eftoyent les mignons; les autres, \:,',w:/,o-jç, qui n'auoyent 10
foing que du langage. Ce n'eft pas à dire que ce ne foit vne belle
& bonne chofe que le bien dire, mais non pas li bonne qu'on la
faict; & fuis defpit dequoy noftre vie s'embefongne toute à cela,
le voudrois premièrement bien fçauoir ma langue, & celle de mes
voifins, où i'ay plus ordinaire commerce. C'cfl vn bel & grand 15
agencement fans doubte que le Grec & Latin, mais on l'achepte trop
cher. le diray icy vne façon d'en auoir meilleur marché que de
couftume, qui a efté effayée en moymefmes. S'en feruira qui voudra.
Feu mon père, ayant fait toutes les recherches qu'homme peut
faire, parmy les gens fçauans & d'entendement, d'vne forme d'infli- 20
tution exquife, fut aduifé de cet inconuenient qui elV')it en vlage;
& luv difoit-on que cette longueur que nous mettions à apprendre
les langues, qui ne leur coustoini rien, eil la feule caule pourquoy
nous ne pouuions arriuer à la grand ur d'aine et de conoissancc des
anciens Grecs èc Romains. le ne croy pas que ce en foit la feule 25
caufe. Tant y a que l'expédient que mon père y trouua, ce fut que,
en nourrice & auant le premier defnouement de ma langue, il me
Texte 88. — 8) les miens. Zenon — 23) langues, clloii la — 24) àla peikciion
de fcicnce, des — 25) Romains, d'autant que le langage ne leur coutoit rien : ie ne
les en croy
\'ak. ms. — 1) poiiil, les oiitfiiiciis cl tu rcbc i'iiiipniiilciil. La plm — 5) pari qui
iHf 1.1... piirldil ivwc /('.< (■.<>■«?.<
I.IVRK !, CHAPITRE XXVI. 22)
donna en charge à vn Allcman, qui dépuis cft mort tamcux mcdccin
en France, du tout ignorant de noftre langue, ic trellnen verfé en
/(/ Latine. Cettuv-cv, qu'il auoit faict venir exprès, <bc qui ei1:oit bien
chèrement gagé, m'auoit continuellement entre les hras. Il en euft
S auffi auec luy deux autres moindres en Içauoir pour me siiiiirc,
ik Ibulager le premier. Ceux-cy ne m'entretenoient d'autre langue
que Latine. Quant au relk de fa mailbn, c'eftoit vne reigle inuiolable
que ny luy mefme, ny ma mère, ny valet, ny chambrière, ne
parloyent en ma compaignie qu'autant de mots de Latin que chacun
10 auoit apris pour iargonner auec moy. C'eft merueille du fruict que
chacun y fit. Mon père 6c ma mère y apprindrent allez de Latin pour
l'entendre, & en acquirent à fuffifance pour s'en leruir à la neceflité,
comme firent aufli les autres domefliques qui eftoient plus attachez
à mon leruice. Somme, nous nous Latinizames tant qu'il en regorgea
15 iniques à nos villages tout autour, où il y a encores, & ont pris
pied par l'viiige plufieurs appellations Latines d'artilans & d'vtils.
Quant à moy, i'auois plus de fix ans auant que i'entendifie non plus
de François ou de Pcrigordin que d'Arabefque. Et, ians art, ûms
liure, iiuis grammaire ou précepte, fans fouet & Ians larmes, i'auois
20 appris du Latin, tout aufli pur que mon maiftre d'elchole le fçauoit :
car ie ne le pouuois auoir méfié ny altéré. Si, par eflity, on me
vouloit donner vn thème, à la mode des collèges, on le donne aux
autres en François; mais à moy il me le Atlloit donner en mauuais
Latin, pour le tourner en bon. Et Nicolas Groucchi, qui a elcrit
25 « de comitiis Romanorum », Guillaume Guerente, qui a commenté
Ariftote, George Bucanan, ce grand poëte EfcofTois, Marc ^Antoine
Muret, que la france et l'italie recouoil pour le lucillur onitur du [temps],
nu's précepteurs domeftiques, m'ont dict fouuent que i'auois ce
langage, en mon enfance, fi preft & fi à main, qu'ils craingnoient
Texte 88. — 5) pour m'accompagncr & feruir, & foulagcr — 19) & fans
contrainte, i'auois — 27) Muret, qui m'ont efté précepteurs — 29) craingnoient
eux mefnies à
226 ESSAIS DE MONTAIGNE.
à m'accofter. Bucanan, que ie vis depuis à la fuite de feu monfieur
le Marefchal de BrifTac, me dit qu'il eftoit après à efcrire de l'infti-
tution des enians, & qu'il prenoit Yexamplaire de la mienne : car il
auoit lors en charge ce Comte de Briflac que nous auons veu depuis
fi valeureux & fi braue. 5
Quant au Grec, duquel ie n'ay quafi du tout point d'intelligence,
mon père desscigiui me le faire apprendre par art, mais d'vne
voie nouuelle, par forme d'ébat & d'exercice. Nous pelotions nos
declinaifons à la manière de ceux qui, par certains ieux de tablier,
apprennent l'Arithmétique & la Géométrie. Car, entre autres chofes, lo
il auoit elle confeillé de me faire goufter la fcience & le deuoir par
vne volonté non forcée (lie de mon propre defir, & d'elleuer mon
ame en toute douceur & liberté, fans rigueur & contrainte. le dis
iufques à telle fuperflition que, par ce que aucuns tiennent que cela
trouble la ceruelle tendre des enfans de les efueiller le matin en 15
furfaut, & de les arracher du fommeil (auquel ils font plongez
beaucoup plus que nous ne fommes) tout à coup & par violence,
il me faifoit efueiller par le fon de quelque inftrument; & ne lus
iamais fans homme qui m'en feruit.
Cet exemple fuflîra pour en iuger le relie, & pour recommander 20
aufli & kl pnidititce & l'affection d'vn 11 bon pcre, auquel il ne le laut
nullement prendre, s'il n'a recueilly aucuns fruits refpondans à vne
fi exquife culture. Deux choies en furent caufe : le champ llerile
& incommode; car, quoy que i'euffe la fanté ferme & entière, & quant
& quant vn naturel doux ii: traitable, i'eflois parmy cela li poilant, 25
mol & endormi, qu'on ne me pouuoit arracher de l'oiliueté, non
pas pour me faire iouer. Ce que ie voyois, ie le voyois bien, îs: foubs
Texte 88. ^- 5) prenoit le patron de — 7) père dclTcignoit me — 11) confeillé
fur tout, de — 15) matin en cflVoy & en — 21) aulfi & le ingénient & — 27) pas
mcfme pour me mener iouer. Ce que ie voyois, ie le voyois d'vn ingénient bien feur
& OUUert, & foubs Les mots d'vn iugement et feur & OUUert ont été biffés, puis rétablis, puis
de nouveau biffés. Cf. p. 229, 1. i^.
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 227
cette complexion lourde, nourriffois des imaginations hardies & des
opinions au deffus de mon aage. Uefprit, ie l'auois lent, & qui n'alloit
qu'autant qu'on le menait; l'apprehenfion, tardiue; l'inuention, lâche;
& après tout vn incroiable défaut de mémoire. De tout cela il n'eft
5 pas merueille s'il ne fceut rien tirer qui vaille. Secondement, comme
ceux que prefle vn furieux defir de guerifon, fe laiflent aller à toute
forte de confeil, le bon homme, ayant extrême peur de faillir en
chofe qu'il auoit tant à cœur, fe laiflli en fin emporter à l'opinion
commune, qui fuit toufiours ceux qui vont deuant, comme les
10 grues, & fe rengea à la couftume, n'ayant plus autour de luy ceux
qui luy auoient donné ces premières inftitutions, qu'il auoit aportées
d'Italie; & m'enuoya, enuiron mes fix ans, au collège de Guienne,
tres-floriflant pour lors, & le meilleur de France. Et là, il n'eft
poflible de rien adioufter au foing qu'il eut, & à me choifir des
I ) précepteurs âe chambre fuffifans, & à toutes les autres circonftances
de ma nourriture, en laquelle il referua plufieurs façons particulières
contre l'vfage des collèges. Mais tant y a, que c'eftoit toufiours
collège. Mon Latin s'abaftardit incontinent, duquel depuis par defa-
couftumance i'av perdu tout vfage. Et ne me feruit cette mienne
20 nouuelle infiitution, que de me faire eniamber d'arriuée aux premières
classes : car, à. treize ans que ie fortis du collège, i'auoy acheué mon
cours (qu'ils appellent), & à la vérité fans aucun fruit que ie peufle
à prefent mettre en compte.
Le premier gouft que \eus aux Hures, il me vint du plaifir des
25 fables de la Metamorphofe d'Ouide. Car, enuiron l'aage de fept ou
huict ans, ie me defrobois de tout autre plaifir pour les lire : d'autant
que cette langue eftoit la mienne maternelle, & que c'eftoit le plus
Texte 88. — i) complexion endormie, nourriffois des imaginations bien hardies,
& des opinions eflcuécs au — 2) auois mouffc, & Avant de remplacer moufle par leiil,
Montaigne efface l'accent sur le — 3) ie guidoit : l'apprehenfion tardiue : l'inuention
ftupide, & — 10) rengea à l'vfage & à la — 19) tout l'vfage — 20) premières
chaffes : car — 24) i'euz aux
228 F.SSAIS DE MONTAIGNE.
aile liurc que ie cogneufle, & le plus accommodé à la foiblcflc de
mon aage à caufe de la matière. Car des Lancelots du Lac, des
Amadis, des Huons de Bordeaus, & tels fatras de liures à quoy
l'oifaiicc s'amufe, ie n'en connoiflbis pas feulement le nom, ny iic
fais encore le corps, tant exacte cftoit iiia àisciplim. le m'en rendois 5
plus iioncbalanf à Feftude de mes autres leçons prcscripics. Là, il me
vint fmgulierement à propos d'auoir affiiire à vn homme d'enten-
dement de précepteur, qui fçeut dextremcnt conniuer à cette mienne
defbauche, & autres pareilles. Car, par là, i'cnfilay tout d'vn train
Vergile en LLneide, & puis Terence, & puis Plante, & des comédies 10
Italienes, lurré toufiours par la douceur du fubiect. S'il eut efté fi
fol de rompre ce train, i'eftime que ie n'eufle raporté du collège que
la haine des liures, comme fait quafi toute noilre noblefle. Il s'y
goiiiicnia ingcmcuscmcnt. Faifant femblant de n'en voir rien, il aiguifoit
ma foim, ne me laiiLuit que à la defrobée gourmander ces liures, 15
& me tenant doucement en office pour les autres eftudes de la rcglc.
Car les principales parties que mon père cherchoit à ceux à qui il
dbnnoit charge de moy, c'eftoit la debonnaireté & facilité de com-
plcxion. Auffi n'auoit la mienne autre vice que hvigiir & parelTc.
Le danger n'eftoit pas que ie fiiTe mal, mais que ie ne fiffe rien. 20
Nul ne prognofliquoit que ie deufle deuenir mauuais, mais inutile.
On y preuoyoit de hfninctuilisc, non pas de la malice.
le sens qu'il eu est adueuu de iiiesiues. Les pleiiites qui me eornent dus
oreilles soit eounue eela : Oisif; /mil [aus] offices d'amitié el de parante
[el\ aus offices publiques; trop particulier. 'Les] plus iuiurieus ne disèt 25
Texte 88. — 5) quoy la ieuncfR; s'amufe — 5) cftoit le foing qu'on auoit à mon
inftitution. le — 6) plus lâche à... leçons contraintes. Là, — 15) !• s'y porta bien
dextrement, faifant — 16) eftudes plus necelTaires. Car — 19) que la pefanteur &
— 22) preuoyoit de la ftupidité, non
A'ar. ms. — 24) cela : Où Oisif : iwiiclmlâl [des] siens froit a ses amis : niiarc a ses
, , ^ i" : [lie] ce qui se passe ■ , ^. ,.
pnraiis : mvichaïal C ., r j 1 /• • , j- i • ^ hop paiiiciUier.
' ^ 2° : au jnu't cl autrui . ' '
I.IVRH I, CHAPITRH XXVI. 229
pas : Pourquoi a il prius? Pourquoi n'a il pciïc? Mais : Pourquoi ;/<■
quitte il ? ne doue il ?
[le] receiierois a faneur [qtî] 'on ne désirât en moi que tels effaicis de
supererogiition. Mais ils sont iniustes d'exiger ce que ie ne dois '\pas\, plus
5 rigoreusemcnt beaucoup qu'ils \n'ex\igent d'eus ce qu'ils doiuent. En m'y
condamnant ils effacent la gratification de l'actio)! & la gratitude qui m 'eu
seroit due : la ou [le] bien faire actif deuroit plus poiser de ma main, en
considération de ce que ie n'en ay passif nul qui soit. le puis \d'\autant
plus librement disposer [de] ma fortune qu'elle est plus niiene. Toutesfois,
10 si i'estois grand enlumineur de mes actions, a l'auàturc rembarrerois ie bien
ces reproches. [Et a] quelques uns aprandcrois, qu 'ils ne sont [pas si] offance:^
que ie ne face pas asses, [que] de quoi ie puisse faire asses [plus j que ie
ne fois.
Mon ame ne laiffoit pourtant en mefme temps d'auoir à part loy
i) des remuemens fermes et des' iugemaiis scurs & ouucrs autour des obiets
qu'elle conessoit, et les digeroit feule, lans aucune communication.
Et, entre autres choses, ie croy à la vérité qu'elle euft efté du tout
incapable de fe rendre â la force & violence.
Mettray-ie en compte cette taculté de mon enfance : vnc aflcu-
2o rance de vifage. & fouppleffe de voix & de gefte, à m'appliquer aux
relies que i'entreprenois ? Car, auant l'aage,
Alter ab vndecimo tum me vix ceperat annus,
Ti-XTE 88. — 15) fermes qu'elle digeroit feule, & fans — 18) & A la violence
V'ar. ms. — i) Mais pourquoi m doue — 3) [le] prendetois a... on me ne désirai de
moi — 4) iniustes de les exiger et de ' m']ohliger a ce a quoi nul [d'\eus n'aspire. En m'y
— 4) ce qu'a la rigur ie ne — 6) ils oslent la — 7) due. El : le] bien faire actif deuroit
plus [fai]re en moi qui hUh ai tml passif d'autant que ie n'en ay 1° : nul passif 2° : de
passif — 8) soit. l'arois (?) d'autant plus librement a disposer — 9) est plus quite.
Toutesfois — 10) mes bienfaicls a — 11) reproches. [Et leur apranderois
' et des... et les Cette addition est .intérieure aux deux alinéas précédents : le Sens qu'il et le
receuerois a cf. p. 226, variante de la 1. 27.
230 ESSAIS DE MONTAIGNE.
i'ai fouftcnu les premiers perfonnages es tragédies latines de
Bucanan, de Guercnk & de Muret, qui fe rcprcsentairent en noftre
collège de Guienne auec dignité. En cela Andréas Goueanus, noftre
principal, comme en toutes autres parties de ûa charge, fut fans
comparaifon le plus grand principal de France : & m'en tenoit-on
maiftre ouurier. C'eft vn exercice que ie ne meflouë poinct aux
ieunes enfans de maifon : & ay veu nos Princes s'y adonner depuis
en perfonne, à l'exemple d'aucuns des anciens, honneftement
& louablement.
// cstoiV loisible mcsme d'en faire mcsticr ans gens d'bomir en gréa :
« Aristoni tragico aetori rem aperit : huic et genus etforttwa honesta erant;
nec [flr^], qnia nibil taie apud Graros pudori est, ea deformahctt. »
Car i'ay toufiours accufé d'impertinence ceux qui condemnent ces
efbattemens, & d'iniuftice ceux qui refufent l'entrée de nos bonnes
villes aux comédiens qui le valent, & enuient au peuple ces plaifirs
publiques. Les bonnes polices prennent foing d'affembler les citoyens
& les rallier, comme aux offices ferieux de la deuotion, auffi aux
exercices & ieux; la focieté & amitié s'en augmente. Et puis on ne
leur fçauroit concéder des pafTetemps plus réglez que ceux qui fe font
en prefence d'vn chacun & à la veuë mefme du magiflrat. Et trouue-
rois raisonahle que le magiftrat, & le prince, à fes defpens, en gratifiaft
quelquefois la commune, d'vne affection & bonté comme paternelle;
Texte 88. — 2) de Pucrcnte & de... fe reprefent.irent en — 5) dignité : En
quoy Andréas — 5) grand, & plus noble principal — 19) fç.iuroit condonner des
— 20) trouuerois iufte que
\'ar. ms. — 5) grand, & dig»
> Montaigne écrit d'abord : Il estoit loisible mcstlIC cTcil faire llICStief. Plus tard, sans avoir
biffé ces mots, il reprend à la suite, d'une encre et d'une écriture différentes : il CStoil t'XfUse loisible
aux gens d'-houup d'bomir mesme d'en faire mestier en grecc : Aristoni... dcformabai. Dans
cette nouvelle phrase, il biffe les mots qui font double emploi avec la première : tl t'stoit loisible
et mesme d'en faire mestier. Puis il efface tout l'ensemble de ce passage par un trait en diagonale;
mais il se ravise, et au-dessus il écrit Bon,
LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 23I
et qu'ans uilks populeuses il y eut des lieus destine^ et dispûse:^^ pour ces
spectacles : quelque diuertissement de pires actions & occultes.
Pour reuenir à mon propos, il n'y a tel que d'allécher l'appétit
& l'affection, autrement on ne faict que des aines chargez de liures.
On leur donne à coups de loùet en garde leur pochette pleine de
fcience, laquelle, pour bien faire, il ne faut pas feulement loger chez
Iby, il la fout elpoufer.
\'ar. ms. — i) nus g|■lllld^;s uilles cl pt'piiliuscs — 2) diucrtisicmcnl des pins
Chapitre XXVII,
C EST rOLIli DE RAPPORTER LE VRAY ET LE FAVX
A NOSTRE SVFFISANCE.
Ce n'eft pas à l'aduenture fans raifon que nous attribuons à fim-
plcfle & ignorance la fiicilité de croire & de fe laifler perfuader : car
il me kmble auoir apris autrefois que la créance, c'eftoit comme
m' impreflion qui fe faifoit en noftre ame; &, à mefure qu'elle fe
trouuoit plus molle & de moindre refiflance, il eftoit plus ayfé à y 5
empreindre quelque chofe. « Vt necesse est lanccm in lihra poiideribiis
iiiipositis deprimi, sic animitm pcrspiciiis ccdcrc. » D' aida ni que rame est
plus uuidc cl sans cont repois, elle se baisse plus faeileinent sous la charge
de la première persuasion. Voyla pourquoy les enfans, le vulgaire, les
femmes & les malades sont plus fubiects à eftre menez par les oreilles. 10
Mais auflî, de l'autre part, c'efl: vne fotte prefumption d'aller defdai-
gnant & condamnant pour fliux ce qui ne nous fcmble pas vray-
femblable : qui eft vn vice ordinaire de ceux qui pcnfcnt auoir
quelque fuflifance outre la commune, l'en faifoy ainfm autrefois,
lis: fi i'oyois parler ou des efprits qui reuiennent, ou du prognortique 13
TiiXTE 88. — 10) malades eftoyoïit plus
\'ak. ms. — 8) plus nue uuidc
LIVRE I, CHAPITRE XXVII. 233
des chofes futures, des cnchantemens, des forcelerics, ou foire
quelque autre compte où ie ne peufle pas mordre,
Somnia, terrores magicos, niiracula, i'agas,
Nocturnes lémures portentàque Theffala,
5 il me venoit compaflion du pauure peuple abulé de ces tolies. Et,
à prefent, ie treuue que i'eftoy pour le moins autant à plaindre moy
mefme : non que l'expérience m'aye dépuis rien fait voir au dcfTus
de mes premières créances, & fi n'a pas tenu à ma curiofité; mais la
raifon m'a inflruit que de condamner ainli refoluement vne choie
10 pour fauce & impoflîble, c'eil le donner l'aduantage d'auoir dans la
telle les bornes & limites de la volonté de Dieu & de la puiflance
de noftre mère nature; & qu'il n'y a point de plus notable folie au
monde que de les ramener à la mefure de noftre capacité & luffiliince.
Si nous appelions monftres ou miracles ce où noftre raifon ne peut
15 aller, combien s'en prefente il continuellement h noftre veuë? Confi-
derons au trauers de quels nuages & commant à taftons on nous
meine à la connoilTance de la plufpart des chofes qui nous font
entre mains : certes nous trouuerons que c'eft pluftoft accouftumance
que fcicnce qui nous en ofte l'eftrangeté,
20 i^m nemo, feflus latiate videndi,
Sufpicere in cœli dignatur lucida templa,
& que ces choies là, li elles nous eftoyent prefentées de nouueau,
nous les trouuerions autant ou plus incroyables que aucunes autres,
fi nunc primuni niortalibus adfint
25 Ex improuifo, ceu fuit obiecta repente,
Nil magis his rébus poterat mirabile dici,
Aut minus antc quod audercnt fore crederc gentcs.
Texte 88. — 16) de combien de nuages
234 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Ccluv qui n'auoit iamais veu de riuiere, à la première qu'il ren-
contra, il penla que ce fut l'Océan. Et les chofes qui font à noftre
connoiffance les plus grandes, nous les iugeons eflre les extrêmes
que nature face en ce genre,
Scilicet & fluuius, qui non eft maximus, eij eft 5
Qui non ante aliquem maiorem vidit, & ingens
Arbor homôque videtur; *& omnia de génère omni
Maxima quse vidit quifque, hxc ingentia fingit.
(( ConsuetudiiK ocidonmi assiicscuiit aiiinii, iicque admirantur, neque
requirùf ratioms ciinnii rcnim qiias scmpcr iiidêt. » lo
La noinidctc des choses nous incite plus que leur grandur a eu rechercher
les causes.
Il taut iuger auec plus de reuerence de cette infinie puiffance de
nature & plus de reconnoiffance de noftre ignorance & foibleffe.
Combien y a il de chofes peu vray-femblables, tefmoignées par 15
gens dignes de foy, defquelles fi nous ne pouuons eftre perfuadez,
au moins les flmt-il laifler en fufpcns : car de les condamner
impoflibles, c'eft le faire fort, par vne téméraire prefumption, de
fçauoir iufques où va la poflîbilité. Si Von entandoit bien la differance
qu'il y a mire l'impossible et l'inusité, et entre ce qui est contre l'ordre du 20
cours de nature, et contre la commune opinion des homes, en ne croyant
pas temererement, ny aussi ne descroyant pas facilement, on obserueroit la
règle de : Rien trop, comandec par Chilou.
Quant on trouue, dans Froiffard, que le conte de Foix Içcut, en
Bearn, la défaite du Roy lean de Caftille, à luberoth, le lendemain 25
qu'elle fut aduenue, & les moyens qu'il en allègue, on s'en peut
moquer; i^; de ce mefme que nos annales difent que le Pape Honorius,
le propre iour que le Roy Philippe Augufte mourut à Mante, fit fiiire
Texte 88. — 13) iugcr des chofes auec... puifi.ince de Dieu, &
\'ar. ms. — 10) tiidcl proiiiâe quasi iwiiitas nos magis quaw niagiiiliido rcniiii debeal
ad cxquireudas causas excitarc. 11 faut — 19) hieu, dkl] un aiitieii, la — 21) en ae
LIVRE I, CHAPITRE XXVH. 2^)
fcs funérailles publiques & les manda h'nc par toute l'Italie. Car
l'authorité de ces tel'moins n"a pas à l'aduenture aflez de rang pour
nous tenir en bride. Mais quoy? fi Plutarque, outre plufieurs
exemples qu'il allègue de l'antiquité, dict fçauoir de certaine fcience,
5 que, du temps de Domitian, la nouuelle de la bataille perdue par
Antonius en Allemaigne, à plufieurs iournées de la, fut publiée
à Rome & femée par tout le monde le mefme iour qu'elle auoit
efté perdue; & fi Caîfiir tient qu'il eft fouuent aduenu que la rcnomce
a deuancé l'accident : dirons nous pas que ces fimples gens la fe
lo font laifTez piper après le vulgaire, pour n'eftre pas clair-voyans
comme nous? Eft-il rien plus délicat, plus net & plus vif que le
iugement de Pline, quand il luy plaift de le mettre en ieu, rien plus
efloingné de vanité? ie laifle à part l'excellence de fon fçauoir, duquel
ie fay moins de conte : en quelle partie de ces deux là le furpaflbns
I) nous? Toutesfois il n'eil fi petit efcolier qui ne le conuainque de
menfonge, & qui ne luy iiciiiJk faire leçon fur le progrez des ouurages
de nature.
Quand nous lifons, dans Bouchet, les miracles des reliques de
fainct Hilaire, paffe : fon crédit n'eft pas aflez grand pour nous ofler la
20 licence d'y contredire. xMais de condamner d'vn train toutes pareilles
hiftoires me femble finguliere impiideme. Ce grand fainct Auguftin
tefmoigne auoir veu, fur les reliques Sainct Geruais & Protaife, à Milan,
vn enfant aueugle recouurer la veùe; vne femme, à Carthage, eftrc
guérie d'vn cancer par le figne de croix qu'vne femme nouuelle-
25 ment baptifée luv fit; Hefperius, vn fien familier, auoir chafle les
efprits qui infefloient ûi maifon, auec vn peu de terre du Sepulchre
de noft;re Seigneur, &, cette terre dépuis tranfportée à l'Eglile, vn
paralitique en auoir eflé foudain guéri; vne femme en vne procefiion,
ayant touché à la chafle Sainct Ellienne d'vn bouquet, & de ce
Texte 88. — 8) la nouuelle a — 16) luy face fa leçon — 21) finguliere impru-
dence. Ce — 28) pamlitique v cftant apporté, auoir
2-\6 ESSAIS DE MONTAIGNE.
bouquet s'eftant frottée les yeux, auoir recouuré la veuë, pieça perdue;
& plufieurs autres miracles, où il dict luy mefmes auoir aflifté.
Dequoy accuferons nous & luy & deux Saincts Euefques, Aurelius
& Maximinus, qu'il appelle pour fes recors? Sera ce d'ignorance,
lîmplelTe, focilité, ou de malice & impofture? Eft-il homme, en noftrc 5
fiede, fi impudent qui penfe leur eftre comparable, foit en vertu
& pieté, foit en fçauoir, iugement & fuffifance ? « Oui, ut rationan
mtJlam affcrrent, ipsa autboritate me frangèrent. »
C'eft vne hardiefle dangereufe & de confequence, outre l'abfurde
témérité qu'elle traine quant & foy, de mefprifer ce que nous ne 10
conceuons pas. Car après que, félon voftre bel entendement, vous auez
eftably les limites de la vérité & de la menfonge, & qu'il fe treuue
que vous auez neceflairement à croire des chofes où il y a encores
plus d'eftrangeté qu'en ce que vous niez, vous vous eftez des-ja
obligé de les abandonner. Or ce qui me femble aporter autant de 15
defordre en nos confciences, en ces troubles où nous fommes, de
la religion, c'eft cette difpenfation que les Catholiques font de leur
créance. Il leur femble faire bien les modérez & les entenduz, quand
ils quittent aux aduerfaires aucuns articles de ceux qui font en débat.
Mais, outre ce, qu'ils ne voyent pas quel auantage c'eft à celuy qui 20
vous charge, de commancer à luy céder & vous tirer arrière,
& combien cela l'anime à pourfuiure h poincte, ces articles la qu'ils
choififlent pour les plus legiers, font aucunefois tres-importans.
Ou il faut fe fubmettre du tout à l'authorité de noftre police eccle-
fiaftique, ou du tout s'en difpenfer. Ce n'eft pas à nous à eftablir 25
la part que nous luy deuons d'obeïftiince. Et dauantagc, ie le puis
dire pour l'auoir eflayé, ayant autrefois vfé de cette liberté de mon
chois & triage particulier, mettant à nonchaloir certains points de
l'obferuance de noftre Eglife, qui femblent auoir vn vifage ou plus vain
Texte 88. — i) vcuc qu'elle auoit pieç.i — lo) nous n'entendons pas.
18) femble qu'ils font bien — 19) quittent & cèdent aux — 22) fa victoire : ces
LIVRn I, CHAPITRE XXVII. 257
OU plus cftrangc, venant à en communiquer aux hommes Içauans, i'ay
trouué que ces chofes là ont vn fondement maflif & treffolide, & que
ce n'eft que beftife & ignorance qui nous fait les receuoir auec
moindre reuerence que le refle. Que ne nous fouuient il combien
nous fentons de contradiction en noftre iugement mefmes? combien
de chofes nous feruoyent hier d'articles de foy, qui nous font fables
auiourd'huy? La gloire & la curiofité font les deux fléaux de noftre
ame. Cette cy nous conduit à mettre le nez par tout, &: celle là nous
defant de rien laifler irrefolu & indécis.
Texte 88. — i) fçauans & bien fondez, i'av — 6) font auiourd'huv vaincs
menfonges ? La
Chapitre XXVIII.
DE L AMITIE.
Confiderant la conduite de la belbngne d'vn peintre que i'ay, il
m'a pris enuie de l'enfuiure. Il choifit le plus bel endroit & milieu
de chaque paroy, pour y loger vn tableau élabouré de toute fa
fuffifance; &, le vuide tout au tour, il le remplit de crotefques, qui
font peintures fiintafques, n'ayant grâce qu'en la variété & eftrangeté. 5
Que font-ce icy auffi, à la vérité, que crotefques & corps monftrueux,
rappiecez de diuers membres, fans certaine figure, n'ayants ordre,
fuite ny proportion que fortuite ?
Définit in pifcem mulier formofa fuperne.
le vay bien iufques à ce fécond point auec mon peintre, mais ie 10
demeure court en l'autre & meilleure partie : car ma fuffifance ne
va pas fi auant que d'ofer entreprendre vn tableau riche, poly
& formé félon l'art. le me fuis aduifé d'en emprunter vn d'Eftienne
de la Boitie, qui honorera tout le refte de cette befongne. C'cft vn
difcours auquel il donna nom La Servitvde Volontaire; mais 15
ceux qui l'ont ignoré, l'ont bien proprement dépuis rebaptifé
Le Contre Vn'. Il l'efcriuit par manière d'eflliy, en fa première
Texte 88. — 2) plus noble endroit
' Ce titre : Le CoMTRE V\ est imprimé en romain, tandis que La SeRVITVDE Voi.OKTAIRE
est en italique; aussi Montaigne le souligne et écrit dans la marge : eit (Itllrc Ictlre.
LIVRE 1, CHAPITRE XXVllI. 259
ieunefle, à l'honneur de la liberté contre les tyrans. 11 court pieça
es mains des gens d'entendement, non lans bien grande & méritée
recommandation : car il eft gentil, & plein ce qu'il ell poffible. Si y a
il bien à dire que ce ne Ibit le mieux qu'il peut faire; & fi, en l'aage
que ie l'ay conneu, plus auancé, il eut pris vn tel defleing que le
mien, de mettre par efcrit fes fantafies, nous verrions plufieurs
choies rares & qui nous approcheroient bien près de l'honneur de
l'antiquité : car, mtemmeni en cette partie des dons de nature, ie
n'en connois point qui luy foit comparable. Mais il n'eft demeuré
de luy que ce difcours, encore par rencontre, & croy qu'il ne le veit
onques depuis qu'il luy efchapa, & quelques mémoires fur cet edict
de lanuier, fameus par nos guerres ciuiles, qui trouueront encores
ailleurs peut estn leur place. C'eft tout ce que i'ay peu recouurer de
fes reliques, moi qu'il laissa, d'une si amoureuse recomandation, la mort
entre le dents, par son testament, heretier de sa bibliothèque [et] de ses
papiers, outre le liuret de fes œuures que i'ay fait mettre en lumière.
Et fi fuis obligé particulièrement à cette pièce, d'autant qu'elle a feruy
de moyen à noilre première accointance. Car elle me fut montrée
longue pièce auant que ie l'eufle veu, & me donna la première
connoiffance de fon nom, acheminant ainfi cette amitié que nous
auons nourrie, tant que Dieu a voulu, entre nous, fi entière & fi
parfaite que certainement il ne s'en lit guiere de pareilles, &, entre
nos hommes, il ne s'en voit aucune trace en vfage. Il faut tant de
reiuontres a la baflir, que c'eft beaucoup fi la fortune y arriue vne
fois en trois fiecles.
Il n'eft rien à quoy il femble que nature nous aye plus acheminé
qu'à la focieté. Et dict Aristote que les bons Icgislaturs ont eu plus [de]
Texte 88. — i) ieuncffe, n'ayant pas attaint le dixhuitiefmc an de fon aage,
à l'honneur — 8) car notamment en — 23) Il faut que tant de chofes fe rencontrent
pour la baftir,
Vak. ms. — 8) car iiomiiianenl en — 14) recomamiatioii eu son — 15) ses en
240 ESSAIS DE MOXTAIGXE.
soin de J'aniitie que de la iusfice. Or le dernier point de fa perfection,
eft cetu\'-c}'. Car, en gênerai, toutes celles [que] la uoliipte ou le profit,
le besoin publique ou priue forge et nourrit, en sont d'autant moins belles
et généreuses, et d'autant moins aniilie:^, qu'elles iiwslent autre cause et but
et fruit en l'amitié, qu'elle nwsine. 5
Ny ces quatre espèces antienes : naturelle, sociale, hospitalière, ueneriene,
particulièrement n'y conuienent, ny coioinctement.
Des enfans aux pères, c'eft pluftoft refpect. L'amitié fe nourrit
de communication, qui ne peut fe trouuer entre eux pour la trop
grande difparité & ofFenceroit à Taduenture les deuoirs de nature. 10
Car ny toutes les fecrettes penfées des pères ne fe peuuent commu-
niquer aux enfans pour n'y engendrer vne meffeante priuauté, ny
les aduertiffemens & corrections, qui eft vn des premiers offices
d'amitié, ne fe pourroyent exercer des. enfans aux pères. Il s'eft
trouué des nations où, par vfage, les enfans tuoyent leurs pères, 15
& d'autres où les pères tuovent leurs entans, pour euiter l'empefche-
ment qu'ils fe peuuent quelquefois entreporter, & naturellement l'vn
dépend de la ruine de l'autre. 11 s'eft trouué des philofophes defdai-
gnans cette coufture naturelle, tefmoing Aristippus : quand on le
preflbit de Yaffection qu'il deuoit à l'es enfons pour eftre fortis de luy, 20
il fe mit à cracher, disant que cela en estoit auffi bien forty; que nous
engendrions bien des pouz & des vers. Et cet autre, que Plutarque
vouloit induire à s'accorder auec fon frère : le n'en fais pas, dict-il,
Texte 88. — i) perfection c'eft cetuy-cy. Car des enfans aux — 8) refpect
qu'amitié : l'amitié fe — 18) l'autre : l'amitié n'en vient iamais là. Il s'eft trouué
iufques à des — 19) tefmoing celuy qui quand on le preflbit de l'affect.ition qu'il —
21) cracher : Et* cela, dict-il, en eft aufli bien forty : nous engendrons auflî bien
^'AK. Ms. — i)soii!qudc i° : iwslte accoit cl coiiuciiaiicc que de 2° : noslre conuenaiice
que de 5° : l'amitié entre nous que de — 2) Car celles que les loix que [le] uoisiiiage
le sang ou le hcsoin et utilité publique ou priuee force (?) ." en sont d'autant moins libres cl
généreuses qu'elles mcslcut en autre cause et bui autre but et autre fruit — 7) conuienent
ny a l'anàture & coioinclciuent.
' Et bille puis rétabli.
LIVRE I, CHAPITRE XXVllI. 24I
plus grand eftat, pour eftrc Ibrty de melme trou. Ccft, à la veritc,
vn beau nom & plein de dilection que le nom de frère, & à cette
caufe en fifmes nous, luy & moy, noftre alliance. Mais ce nieflange
de biens, ces partages, & que la richelîe de l'vn loit la pauureté de
5 l'autre, cela detrampe merueilleufement ik relalche cette foudure
fraternelle. Les frères ayants à conduire le progrez de leur auance-
ment en mefme fentier & mefme train, il eft force qu'ils fe hurtent
& choquent fouuent. D'auantage, la correfpondance & relation qui
engendre ces vrayes & partaictes amitiez, pourquoy fe trouuera elle
10 en ceux cy? Le père & le lils peuuent eftre de complexion entière-
ment eflongnée, & les frères aulTi. C'ell: mon fils, c'eft mon parent,
mais c'efl vn homme farouche, vn mefchant ou vn fot. Et puis,
à mefure que ce font amitiez que la loy & l'obligation naturelle nous
commande, il y a d'autant moins de noftre chois & liberté volontaire.
15 Et noftre liberté volontaire n'a point de production qui foit plus
proprement fienne que celle de l'affection & amitié. Ce n'eft pas
que ie n'aye efliiyé de ce cofté la tout ce qui en peut eftre, ayant
eu le meilleur père qui fut onques, & le plus indulgent, iulques à Ion
extrême vieilleflc, & eftant d'vnc fomille fameufe de père en fils,
20 & exemplaire en cette partie de la concorde fraternelle,
& ipfc
Notus in fratres animi paterni.
D'y comparer l'affection enuers les femmes, quoy qu'elle naiffc
de noftre choix, on ne peut, ny la loger en ce roUe. Son teu, ie le
25 confefle,
neque enini efl: dea iificia iiollri
Q.LUC Julcem curis mifcet amaritiem,
eft plus actif, plus cuifant & plus afpre. Mais c'eft vn feu téméraire
Texte 88. — 23) iiaiirc .1 l.i vcrito Je nollrc
242 ESSAIS DE MONTAIGNE.
& volage, ondoyant & diuers, feu de fiebure, lubiect à accez & remiles,
& qui ne nous tient qu'à vn coing. En l'amitié, c'ell: vne chaleur
générale .i;c vniuerlelle, tempérée au demeurant & égale, vne chaleur
confiante & raflize, toute douceur & polliffure, qui n"a rien d'afpre
& de poignant. Qui plus eft, en l'amour, ce n'ei^ qu'vn defir forcené s
après ce qui nous tuit :
Corne fegue la lèpre il cacciatore
Al freddo, al caldo, alla montagna, al lito;
Ne piu l'eftima poi che prefa vede.
Et fol dietro a chi fugge afFretta il piede. 10
Auffi toft qu'il entre aux termes de l'amitié, c'eil à dire en la conue-
nance des volontez, il s'efuanouift & s'alanguift. La iouyflance le
perd, comme avant la fin corporelle & fuiecte à facieté. L'amitié,
au rebours, eft iouve à mefure qu'elle eft defirée, ne s'efleue, le
nourrit, nv ne prend accroilî^ince qu'en la iouylïiince comme eftant 15
fpirituelle, & l'ame s'affinant par l'vfage. Sous cette parfaicte amitié
ces affections volages ont autrefois trouué place chez moy, affin
que ie ne parle de luy, qui n'en confeffe que trop par ces vers. Ainfi
ces deux paffions font entrées chez moy en connoiffance l'vne de
l'autre; mais en comparaifon, iamais : la première maintenant fa 20
route d'vn vol hautain & fuperbe, & regardant defdaigneulement
cette cv paffer l'es pointes bien loing au delToubs d'elle.
Quant aux mariages, outre ce que c'eft vn marché qui n'a que
l'entrée libre (fa durée eftant contrainte & forcée, dépendant d'ailleurs
que de noftre vouloir), & marché qui ordinairement le fait à autres 25
fins, il v furuient mille fufées eftrangeres à defmeler parmy, fuffilantes
à rompre le fil iSc troubler le cours d'vne viuc affection; là où, en
l'amitié, il n'v a affiire nv commerce, que d'elle nielme. loint qu'à
dire vrav la fuffifance ordinaire des femmes n'eft pas pour relpondre
I'kxti: SS. — 15) fuicctc la facictti — 29) ilirc le vray
LIVRE I, CHAPITRE XXVIII. 243
à cette conférence & communication, nourriflc de cette laincte
couture; ny leur ame ne lemble aflez ferme pour fouftenir l'eftreinte
d'vn neud fi prefle 6t fi durable. Et certes, fans cela, s'il le pouuoit
drefler vne telle accointance, libre & volontaire, où, non feulement
5 les âmes euffcnt cette entière iouyffance, mais encores où les corps
enflent part à l'alliance, ou l'home fui ciioagc tout entier: il est eerlein
que l'amitié en feroit plus pleine & plus comble. Mais ce fexe par
nul exemple n'y ell; encore peu arriuer, et par le commun eousuiitenuil
des eschoks antienes en est reietté.
ro Et cet' autre licence Grecque eft iuflement abhorrée par nos
meurs. La quelle pourtant, pour auoir, selon leur usage, une si necesserc
disparité d'eages [efj differance d'offices entre [les~\ amans, ne respondoit
non plus asses a la parfaicte union et conuenance qu'icv nous denutndons :
(( Quis est enim iste amor aniicitia' ? Cur twque déforment adolescenteni
15 quisquani amat, neque formosum senem?» Car la peinture nwsnies qu'eu
faict l'Académie ne me desaduouera pas, corne ie pense, de dire ainsi de sa
part : que cette première furur inspirée par le fil.x de Fenus au ceur de
l'amant sur l'ohiet de la flur d'une tendre iunesse, a la quelle ils permet teni
tous les insolens et passioue::^ ejfors que peut produire un' ardu r immodérée,
20 estait simplemant fondée en une beauté externe, fauce image de la génération
corporelle. Car en l'esperit elle ne pouuoit, du quel la montre estait encores
caclxe, qui n'estoit qu'en sa naissance, et auant l'eagc de germer. Qiw si
cette furur sesissoit un bas corage, les moiens de sa poursuite c'estoint
Texte 88. — 6) l'alliance, il eft vray-femblablc que
Var. ms. — 8) arriuer, 1° : et par les esclwlcs île lu plnlosopliie en a esté reicllé. Et
cet' autre 2° : et* aianl est et phrase inadicvce. 3" : et par le eommuii eoiisaiitemàt des
eschoks delà philosophie en est reiel lé. Et ctt' Aulrc — 11) usage \° : une par trop necessere
disparité 2° : et une uefisure si necessere disparité — 12) amans ne responl non plus asses
e.xactemaiit a la parf parfaicte — 1 5) demandons. Cette tendrur d'eage ans et cette si
imu fleur de beauté tant recherchée montre par effaict en la description mesme de V Académie
quoi quelle s'en defande que le eor^ps que, le corps y tenait une part bien bien principale
et que le dangier y estoit grâd de uariation et d'inconstance. Au demeurant, p. 245, 1. 5.
— 18) sur l'-obei — 19) tous les iuseltus — 22) Que quand cette
244 ESSAIS DE MONTAIGNE.
richesses, présents, faneur a Vauauceinatii des dignités, et telle antre basse
marchandise, qu'ils repronuent. Si elle tnnûxnt en nn corage plus generns,
les entremises cstoint gencruscs de mesme : instructions philosophiques,
enseigncmcns a rcucrer la religion, obéir ans loix, mourir pour le bien de
son pais, cxamples de uaiUance, prndance, justice : s'est udiant l'amant de s
se rendre acceptable par la bone grâce et beauté de son anie, celle de son
corps estant pieç a fanie, et espérant par cette société mentale establir un
marché pins ferme & durable . Quand cette poursuite arriuoit a l'effaict en
sa saison (car ce qu'ils ne requièrent point en l'amant, qu'il aportat loisir
[& discrétion en son\ entreprinse, ils le requièrent exactemant en l'aimé : lo
d'autant qu'il luy faloit juger d'une beauté interne, de difficile conoissancc
et abstruse descouuertc) lors naissoit en l'aymé le désir d'une conception
spirituelle par l'entremise d'une spirituelle beauté. Cettecv estojt ic\ prin-
cipale; la corporelle, accidentale [et] seconde : tout le rebours de l'amant.
A cette cause préfèrent ils l'aime, et uerifent que les dieus aussi le préfèrent, 15
et ta usent grandemant le poète Jzschilus d'à noir, en î 'amour d'Achilles et
de Patroclus, doné la part de [llamant a Jchilles qui estoit en la première
et imberbe uerdur de son adolescence, et le plus beau des Grecs. Apres cette
communauté générale, la maistresse et plus digne partie d'icelle exerçant
ses offices & prédominant, ils disent [qu] 'il en prouenoit dts fruits tresutilles 20
au priué et au pnbliq; que c'estoit la force des pais qui en receuoint l'usage,
[et~\ la principale defance de l'équité et de la liberté : tesmoin les sahiteres
amours de Hermodius et d'Aristogiton. Pourtant la tioment ils sacrée et
diuine. Et n'est, a leur conte, que la uiolance des tirans & lâcheté des
peuples qui luy soit aduersere. En fin tout ce qn 'on peut douer a lafaueur de 25
l'Académie, c'est dire que c'estoit un anwur se terminant en amitié : chose
V'ar. ms. — 2) tiianlmiidisc .■ Quand Me tumlmi e qu'ils irprciitienl. Quand elle —
5) ramant de s'en rendre — 7) cette conueiiaiicc spiriludli: mentale rendre son marché —
8) asoiicffaicl — 17) de Patrocles doné — 18) cette mixtion générale — 26) c'est de dire
— 26) amitié. le reuiens a ma description : i° : qui est de tonte autre façon et plus pure
& plus conforme. Au demeurant, p. 245, 1. 5. ^° : qui est d'autre façon plus pure esgale
et conforme»*' l'amour eut este plus décemment a (Cette rcMaction est restée inachevée; plusieurs
mots en sont illisibles.) 5° : de façon plus équitable plus equal'k. Au demeurant.
I.IVRl- I, CHAPITKi; XXVIII. 245
qui iw se rapork pus mal a la dcliiiilioii Sloiqiic ik l'amour : « Amorcm
œnalum cssc amicitia' JaciciuLr ex pulchritudinis spccic.» le \rcuicn a ma
description, de façon plus équitable & plus equahlc] : « Omniiio amicitia',
corroboratis [jam confirmatisque iiigeiiijs et aiatihus, judicandcv sunt.]»
5 Au demeurant, ce que nous appelions ordinairement amis
& amitiez, ce ne font qu'accoinctances & fiimiliaritez nouées par
quelque occaiion ou commodité, par le moyen de laquelle nos
âmes s'entretiennent. En l'amitié dequoy ie parle, elles le meflent
& confondent l'vne en l'autre, d'vn mélange fi vniuerfel, qu'elles
10 efïiicent & ne retrouuent plus la couture qui les a iointes. Si on me
prefTe de dire pourquoy ie l'aymois, ie fens que cela ne le peut
exprimer, qu'eu respomlaut : Par ce que c'estoit lu\; par ce que c'estoit
moy\
II y a, au delà de tout mon difcours, & de ce que l'en puis dire
I ) particulièrement, ne Içay quelle force inexplicable & fatale, médiatrice
de cette vnion. Nous iwus cherchions auani que de [nous estre veiis, & par
des rapports que nous oyions l'un de l'autre,] qui faisoint en nostre affection
plus d'effort que ne porte la raison des rappors, ie croi par quelque ordo-
nance du ciel : nous nous enhrassions par nos noms. Et a nostre première
20 rencontre, qui fut par hasard en une grande feste & compaignie de uile,
nous nous trouuames si prins, si conus, si oblige^ entre nous, que rien des
lors ne nous fut si proche que l'un a l'autre. Il escriuit une Suivre Latine
excellante, qui est publiée, pur la quell' il excuse et explique [la] praxipitation
de nostre intellijunce, si promptemunt puruenue u sa perfection. Aiant si
25 peu u durer, et u'iant si turd comunce, cur nous estions tous deus homes
faicts, [et] luy plus de quclqu' unnee, elle n'uuoit point a perdre temps, [et]
Texte 88. — 14) Il y a ce femble au — 15) force diuine &
Var. ms. — i) pas trop [mal — 3) Omnino enim amicilix — 12) qu'en disant :
Par ce que — 18) par l'iti finance de quelque constellaliou : vous — 20) en tw une
[gra]nd feste — 21) trouuames si sesis si conus — 25) comance : estant homes tous deus
[et] luy plus qu4 moi a l'auanture de quelqu année :
' Par ce que c'estoit moy. addition ultérieure.
246 ESSAIS DE MONTAIGNE.
a se regJer an patron des amitiés molles & régulières, ans quelles il faut
tant de praxautions de longue [ei'] préalable côuersation. Ceteci n'a point
d'autre idée [que] d'elle mesme, et ne se peut raporter qu'a soi. Ce n'eft
pas vne spéciale confideration, ny deux, ny trois, ny quatre, ny
mille : c'eft ie ne Içay quelle quinte eflence de tout ce mellange, 5
qui, ayant faifi toute ma volonté, l'amena fe plonger & fe perdre
dans la fienne; qui, aiant sesi toute sa uolante, l'amena se plonger et se
perdre en [la] miene, d'une faim, [d'aune concurrance pareille, le dis
perdre, à la vérité, ne nous referuant rien qui nous fut propre, ny qui
fut ou sien ou mien. 10
Quand Lœlius, en prefence des Confuls Romains, lefquels, après
la condemnation de Tiberius Gracchus, pourfuiuoyent tous ceux qui
auoyent eflé de Ion intelligence, vint à s'enquérir de Caius Blofius
(qui eftoit le principal de les amis) combien il eut voulu faire pour
luy, & qu'il eut refpondu : Toutes chofes; — Comment, toutes 15
chofes ? fuiuit-il. Et quoy s'il t'eut commandé de mettre le feu en
nos temples ? — Il ne me l'eut iamais commandé, replica Blofius.
-^ Mais s'il l'eut fait? adiouta Lœlius. — l'y eufTe obey, refpondit-il.
S'il eftoit fi parfiiictement amy de Gracchus, comme difent les
hiftoires, il n'auoit que faire d'offenfer les confuls par cette dernière 20
& hardie confeflion; & ne fe deuoit départir de l'afleurance qu'il
auoit de la volonté de Gracchus. Mais, toutefois, ceux qui accufent
cette refponce comme feditieufe, n'entendent pas bien ce myftere,
& ne prefuppofent pas, comme il eft, qu'il tenoit la volonté de
Gracchus en la manche, & par puiflance & par connoiflance. [Ils] 25
estoint plus amis que citoiens, plus amis [qu']amis et qu'enemis de leur
Texte 88. — 4) vue particulière confideration — 9) ne luy referuant rien qui luy
fut — 10) fut fien. Quand — 22) Gracchus, de laquelle il fe pouuoit refpondre, comme
de la fienne. Mais — 25) connoiflance : & qu'ainfi la refponce ne fonne p. 247, 1. 7.
Var. ms. — i) des amours molles — 7) sesi sa... et perdre — 20) hiftoires 01/
pour miens dire corne est ma peinture il n'auoit — 25) connoiflance, C'est un ame eu
deus corps dict singulièrement bien Aristote Et qu'ainfi fa refponce ne fonne p. 247, 1. 7.
— 26) citoiens : plus amis entre eus [qu'](tmis qu'enemis
LIVRE I, CHAPITRE XXVllI. 247
pais, {qii']aniis d'ambition et de trouble. S'estant piirfaictemcnt commis l'un
a l'antre, ils tenoint parjaictement les renés [de l']inclination l'un de l'autre;
[d] faictes guider cet Imrnois [par] la uertu et conduite de [la] raison
(corne aussi est il du tout impossible de l'atteler sans cela), la responcc [de |
S Blosius est telle qu'elle deuoit estre. [Si] leurs actions se desmancharent, ils
n'estoint ny amis selon ma mesure l'un [de l']autre, ny amis a eus mesmes.
Au demurant cette responce ne fonne non plus que feroit la mienne,
à qui s'enquerroit à moy de cette façon : Si voûre volonté vous
commandoit de tuer vollre fille, la tueriez vous? & que ie l'accor-
10 dafle. Car cela ne porte aucun tefmoignage de confentement à ce
faire, par ce que ie ne fuis point en doute de ma volonté, & tout
auflî peu de celle d'vn tel amy. Il n'eft pas en la puiffance de tous
les dilcours du monde de me defloger de la certitude que i'ay, des
intentions & iugemens du mien. Aucune de l'es actions ne me
15 fçauroit eftre prefentée, quelque vifage qu'elle eut, que ie n'en
trouuafle incontinent le reflbrt. Nos âmes ont charrié fi uniement
enfemble, elles le font confiderées d'vne li ardante affection, & de
pareille affection defcouuertes iufques au fin fond des entrailles l'vne
à l'autre, que, non feulement ie connoiflby la fienne comme la
20 mienne, mais ie me fuffe certainement plus volontiers fié à luy de
moy qu'à moy.
Qu'on ne me mette pas en ce reng ces autres amitiez communes :
l'en ay autant de connoiflance qu'vn autre, & des plus parfaictes de
leur genre, 'mais ie ne conleille pas qu'on confonde leurs règles :
25 on s'y tromperoit. Il faut marcher en ces autres amitiez la bride
à la main, auec prudence & précaution; la liailon n'eft pas nouée en
manière qu'on n'ait aucunement à s'en deffier. Aymés le (diloit
Chilon) comme ayant quelque iour à le haïr; haïflez le, comme
Texte 88. — 16) le vray rcffort... li long temps cnrcniblc — 21) qu'à moy
mefme. Qu'on — 22) communes : car l'en
Var. ms. — 2) 'di'lauoïanUruii — 4) l'alleler aulivw — 5) estre Au demuniiil
elle ne fonne — 6) amis sur iiostre mesure — 7) demurant elle ne fonne
24bv ESSAIS DE MONTAIGNE.
ayant à raymer. Ce précepte qui eft 11 abominable en cette Ibuueraine
& maiftrelTe amitié, il eft falubre en l'vfage des amitiés ordinaires
et costumières, a l'endroit des quelles il faut emploïer le mot qu'Aristoie
auoit tresfamilier : 0 mes amis, il n'y a nul ami.
En ce noble commerce, les offices & les bienfaits, nourriffiers des 5
autres amitiez, ne méritent pas feulement d'eftre mis en compte :
cette confufion fi pleine de nos volontez en eft caufe. Car, tout ainfi
que l'amitié que ie me porte, ne reçoit point augmentation pour le
fecours que ie me donne au befoin, quoy que dient les Stoïciens,
& comme ie ne me fçay aucun gré du feruice que ie me fay : auffi 10
l'vnion de tels amis eftant véritablement parfaicte, elle leur faict
perdre le fentiment de tels deuoirs, & haïr & chafler d'entre eux
ces mots de diuifion & de différence : bien faict, obligation, recon-
noiffance, prière, remerciement, & leurs pareils. Tout eftant par
effect commun entre eux, volontez, penlemens, iugemens, biens, 15
femmes, enfans, honneur & vie, et leur conucnancc n'estant qu'un ame
en deus cors selon la trespropre définition d'Arislole', ils ne ie peuuent ny
prefter ny donner rien. Voila pourquoy les faifeurs de loix, pour
honorer le mariage de quelque imaginaire reffemblance de cette
diuine liaifon, défendent les donations entre le mary & la femme, 20
voulant inférer par là que tout doit eftre à chacun d'eux, & qu'ils
n'ont rien à diuifer & partir enfemble. Si, en l'amitié dequoy ie
parle, l'vn pouuoit donner à l'autre, ce feroit celuy qui receuroit
le bien-fait, qui obligeroit fon compagnon. Car cherchant l'vn
& l'autre, plus que toute autre chofe, de s'entre-bien faire, celuy 25
qui en prefte la matière & l'occafion eft celuy-là qui faict le libéral,
donnant ce contentement à fon amy, d'effectuer en fon endroit ce
qu'il délire le plus. (2uand le philosofe Dioi^encs auoit faute {d'^ari^ellt,
Ti;\Ti: 88. — 2) rvHii^c ordin.iirc. I-"n ce — 1;) dill'cix-iicc, coniiiK, bien f.iicl,
— 26) l'aict l'honnc'ftc & le courtois, donnnnt
' Cf. p. 2.|6, var. nis. de la 1. 2;.
I.IVKH I, CHAl'lTKi: XXVllI. 249
// disait qu'il le\ rcdiimiiidoit a ses amis, non qu'il le deniaiidoil. Et,
pour montrer comment cela le practique par effect, l'en reciteray
vn ancien exemple, llngulier.
Eudamidas, Corinthien, auoit deux amis : Clnirixenns, Svcionien,
5 & Aretheus, Corinthien. Venant à mourir eftant pauure, 6c l'es deux
amis riches, il fit ainli l'on teftament : le lègue à Aretheus de nourrir
ma mère & l'entretenir en l'a vieillelTe; à Charixenus, de marier ma
fille & luy donner le douaire le plus grand qu'il pourra; &, au cas
que l'vn d'eux vienne à dehiillir, ie luhftitue en la part celuv qui
lo l'uruiura. Ceux qui premiers virent ce tefiament, s'en moquèrent;
mais fes héritiers, en ayant efié aduertis, l'acceptèrent auec vn
finguHer contentement. Et l'vn d'eux, Charixenus, ellant trel'paffé
cinq iours après, la luhftitution eftant ouuerte en faueur d'Aretheus,
il nourrit curieulement cette mère, &, de cinq talens qu'il auoit en
15 les biens, il en donna les deux & demy en mariage à vne fienne
fille vnique, & deux & demy pour le mariage de la fille d'Eudamidas,
defquelles il fit les nopces en melme iour.
Cet exemple eft bien plein, fi vne condition en ertoit à dire, qui
eft la multitude d'amis. Car cette parfiiicte amitié, dequoy ie parle,
20 eft indiuifible : chacun le donne fi entier à l'on amy, qu'il ne luy
refte rien à départir ailleurs; au rebours, il eft marry qu'il ne loit
double, triple, ou quadruple, & qu'il n'ait plufieurs âmes <Sc plufieurs
volontez pour les conférer toutes à ce lubiet. Les amitiez communes,
on les peut départir : on peut aymer en cettuy-cy la beauté, en cet
25 autre la fixcilité de l'es meurs, en l'autre la libéralité, en celuy-là la
paternité, en cet autre la fraternité, ainfi du refte; mais cette amitié
qui poflede l'ame & la régente en toute fouueraineté, il eft impolfible
qu'elle foit double. Si deux en niesine temps denuiiidoient à estre seeotirus,
Textk 88. — 3) exemple, tiui y eft (ingulitrcmcnt propre. Kudaniidas — 4) amis,
Chariexenes Sycionicn, — 12) l'vn d'entr'cux
\'.\R. .MS. — i) (L-iiinihhil. Ili /.' luy ilciioiiil piir ihoil il'iimUic. El pour
250 ESSAIS DE MONTAIGNE.
iiiiqiieJ] coiirries nous? S'ils requcroint de nous des offices confrères, quel
ordre y trouuerries vous? Si l'un commetoit a uostre siJance chose qui fut
utille a Vautre de sçauoir, cornant nous en desmesleries nous ? L'unique et
principale amitié descoiit toutes autres obligations. Le secret que i'ay iurc
ne déceler a nul autre, ie le puis, sans pariure, communiquer a celuy qui 5
n'est pas autre : c'est moy. C'est un asses grand miracle [de] se doubler;
et n'en conessent pas la hauteur, cens qui parlent de se tripler. Rien n'est
extrême, qui a son pareil. Et qui présupposera que de deus i'en aime autant
l'un que l'autre, et qu'ils s'entraiment et m'aiment autant que ie les aime,
il mtdtiplie [en] confrérie la chose la plus une et unie, et de quoi une suie 10
est encore la plus rare a trouuer au monde.
Le demeurant de cette hiftoire conuient très-bien à ce que ie
difois : car Eudamidas donne pour grâce & pour faueur à les amis
de les employer à fon befoin. Il les laiflc héritiers de cette tienne
libéralité, qui confifte à leur mettre en main les moyens de luy 15
bien-taire. Et, lans doubte, la force de l'amitié le montre bien plus
richement en fon foit qu'en celuy d'Aretheus. Somme, ce font effects
inimaginables à qui n'en a goufté, et qui me fout honorer a mcrucilles
la responce de ce ieune soldat a Cyrus s'enqueranl a luv pour côbien il
uoudroit douer un chenal, par le nioien du quel il venait de guigner le pris 20
(/(' ht course, et s'il le voudroit eschanger a vu Royaume : Non certes, Sire,
mais bien le lairrois ie uolontiers pour en acquérir un ami, si ie trouuois
home digne [de] telle alliance.
Il ne di soit pas mal : si i'en trouuois; car on treitue facilemant des Imncs
propres a une superficielle acointancc. Mais eu ceteci, en la quelle on uegolie 25
Texte 88. — 18) goufté : & tout ainfi p. 251, 1. 16.
Var. ms. — i) de nous choses contrercs — 5) déceler a un autre... comtiiuiiiquer
a un qui — 8) Et qui euiatidera que — 9) ui'ainieul cfiun ic les a — 10) la plus nue
et de quoi une et suie — 11) monde. L'encheineurc amouruse de ces trois philosofes Polemon
Craies Crantor, iuge[ans] de mesme, uiuans & mourons ensemble Cette phrase, restée in.ichevéc,
est une .iddition ultérieure. — 22) mais bien pour en — 25) honic de uerlu digne de telle
alliance. Ht tout ainfi p. 251, 1. 16. — 24) mal s'il s'en trouuoil : car — 23) une (ouuer-
salio» conionction superficielle mais
LIVRE I, CHAPITRE XXVIII. 251
du fin foyvs] de son coragc, qui >ic fiiict rien de reslc, certes il est besoin que
tous les ressors soint neti et surs parfaictemanl.
Ans confédérations qui [ne] tienent que par un bout, on n'a a pouruoirs
qu'ans iniperfirtions qui particulièrement intéressent ce bout [la.] Il ne peut
5 chaloir de quelle rclligion soit mon médecin et mon aduocat. Cette considé-
ration n'a rien de commun aiieq les offices de l'amitié qu'ils me doiueut. Et,
en Vacouintance domestique que dressent aueq moi cens qui me seruenl, l'en
fois de mesmes. Et m'enquiers peu, d'un laquai, s'il est chaste; ie cherche
s'il est diligent. Et ne crcins pas tant un muletier loueur que imbécilk, ny
10 ;/;/ cuisinier inreur qu'ignorant. le ne me mesie pas de dire ce qu'il faut
faire au monde, d'autres asses s'en meslent, mais ce que l'y fois.
Mihi sic usas est ; tiH, ut opiis est facto, face
A la familiarité de la table i' associe le plesant, non le pendant; au licl, la
beauté auant la bonté; en la société du discours, la sufiisancc, noire sans
15 la preud'homie. Pareillement ailleurs.
Tout ainfi que cil qui fut rencontré à cheuauchons iur vn bâton,
fe iouant auec fes enfans, pria l'home qui l'y lurprint, de ncn rien
dire, iufques à ce qu'il fut père luy-mefme, eftimant que la paflion
qui luy naiflroit lors en l'ame, le rendroit iuge équitable d'vne telle
20 action : ie fouhaiterois aufli parler à des gens qui euflent effayé ce
que ie dis. Mais, fçachant combien c'efl chofe ellongnée du commun
vfage qu'vne telle amitié, & combien elle eft rare, ie ne m'attcns pas
Texte 88. — 16) que celuy qui — 17) pria ccluy qui
Var. ms. — i) corage qui emploie tout qui ne — 3) Ans spéciales alliances qui \ne]
se tienent — 4) particulièrement les l'intéressent. Il — 7) domestique de — 9) que
foible : ny un secretere iureur qu'ignorant. le ne dis pas que ie fois bien mais ie dis que
ie fois ainsi : Miln sic usus est, tihi ut opus est facto face.' D'autres diront sur ce premier
article. A la familiarité — 10) de prescher ce — 11) monde mais — 13) plesant plus
tost que le prudant — 14) en l'acointance du discours qu'il soii pnud'-home s^il ueut mais
qu^ seii s aduisé la suffisance auant la preud'homie.
' Cette citation a été ajoutée dans l'interligne. '
^)-^
HSSAIS DE MONTAIGNE.
d'en trouuer aucun bon iuge. Car les dilcours melmcs que Fantiquité
nous a laifle fur ce fubiect, me lemblent lâches au pris du scniimcnt
que i'en ay. Et, en ce poinct, les effects furpaflent les préceptes
mefmes de la philofophie :
Nil ego contulerim iucundo fanus amico. 5
L'ancien Menander difoit celuy-là heureux, qui auoit peu ren-
contrer feulement l'ombre d'vn amy. 11 auoit certes raifon de le dire,
mefmes s'il en auoit tailé. Car, à la vérité, fi ie compare tout le refle
de ma vie, quoy qu'aueq la grâce de Dieu ie l'aye paflee douce, aifée
&, fauf la perte d'vn tel amy, exempte d'affliction poifante, pleine 10
de tranquillité d'efprit, ayant prins en payement mes commoditez
naturelles & originelles fans en rechercher d'autres: fi ie la compare,
dis-ie, toute aux quatre années qu'il m'a efté donné de iouyr de la
douce compagnie & focieté de ce perfonnage, ce n'eft que fumée, ce
n'efl qu'vne nuit obfcure & ennuyeufe. Depuis le iour que ie le 15
perdy,
quem femper acerbum',
Semper honoratum (fie, Dij, voluiftis) haheho,
ie ne fiiy que trainer languilfant; <:\: les plaifirs mefmes qui s'offrent
à moy, au lieu de me confoler, me redoublent le regret de la perte. 20
Nous eftions à moitié de tout; il me femble que ie luy defrobe fa
part,
Nec fas efTc vUa me voluptate hic frui
Decreui, tantifper dum illc abeft meus particcps.
Texte 88. — i) trouuer nul bon — 2) du a;ouft que — 3) ce feul poinct —
9) quoy que par la — 10) pleine de contentement & de tranquillité — 15) quatre
ou cinq années
' A droite de cette lin de vers Momaione écrit : plin: ni ça, pour en reciitier In disposition
typographique.
L1VR1-: 1, CHAl'lTKU XXVlll. 2)^
l'eftois delîa li tait i^; accoulUinic à cl\rc dcuxicfmc par tout, qu'il
me l'cmblc n'eftrc plus qu'à deniy.
Illam mca- li partcm animée tulit
Maturior vis, quid moror altéra,
5 Nec charus :equè, nec fuperftes
Integer? Ille dies vtramque
Duxit ruinam.
Il n'cft action ou imagination où ie ne le trouue à dire, comme fi
eut-il bien faict à moy. Car, de melme qu'il me lurpaffoit d'vne
lo diftance infinie en toute autre luffilance & vertu, aulîi failoit-il au
deuoir de l'amitié.
Quis defiderio fit pudor aut modus
Tarn chari capitis ?
O mifero frater adempte niihi!'
ij Omnia tecum vna perierunt gaudia noftra,
Quï tuus in vita dulcis alebat amor.
Tu mea, tu moriens fregifti commoda, frater;
Tecum vna tota eft noftra fepulta anima,
Cuius ego interitu tota de mente fugaui
20 Hœc ftudia atque omnes delicias animi.
Alloquar ? audiero nunquam tua verha loquentcm ?
Nunquam ego te, vita frater amabilior,
Afpiciam pofthac? At certè femper amabo.
Mais oyons vn peu parler ce garlon de scsc ans.
25 Parce que i'av trouué que cet ouurage a efté depuis mis en lumière,
& à mauuaile fin, par ceux qui cherchent à troubler & changer l'eftat
de noftre police, lans fe Ibucier s'ils l'amenderont, qu'ils ont niellé
Texte 88. — 24) de dixhuict ans
' A droite de celte lin de vers Montaigne écrit : plus Cil Ça, pour en rcctilicr la disposition
typographique.
254 ESSAIS DE MONTAIGNE.
à d'autres clcris de leur farine, ie me fuis dédit de le loger icy. Et affin
que la mémoire de l'auteur n'en foit intereflee en l'endroit de ceux
qui n'ont peu connoiftre de près fes opinions & fes actions, ie les
aduife que ce lubiect fut traicté par luy en fon enfance, par manière
d'exercitation feulement, comme fubiet vulgaire & tracaffé en mille 5
endroits des Hures. le ne fliy nul doubte qu'il ne crciist ce qu'il
efcriuoit, car il eftoit aflez confcientieux pour ne mentir pas mefmes
en fe iouant. Et fçay d'auantage que, s'il eut eu à choifir, il eut
mieux aimé eftre nay à Venife qu'à Sarlac : & aucq raifon. Mais il auoit
vn' autre maxime fouuerainement empreinte en fon ame, d'obeyr 10
& de fe foubmettre tres-religieufement aux loix fous lefquelles il
eftoit nay. 11 ne fut iamais vn meilleur citoyen, ny plus affectionné
au repos de son pats, ny plus ennemy des remuements & nouuelletez
de fon temps. Il eut bien pluftoft employé fa fuffifance à les efteindre,
que à leur fournir dequoy les émouuoir d'auantage. Il auoit fon 15
efprit moulé au patron d'autres fiecles que ceux-cy.
Or, en efchange de cet ouurage ferieux, l'en fubftitueray vn autre,
produit en cette mefme faifon de fon aage, plus gaillard & plus
enioué.
Texte 88. — 6) ne creut ce — 9) & auoit raifon. — 15) repos de fa patrie,
ny — 19) enioué. Ce font 29. fonnets que le fieur de Poiferré homme d'aftaires,
& d'entendement, qui le connoiffbit long temps auant moy, a retrouué par fortune
chez luy, parmy quelque autres papiers, & me les vient d'enuoyer : dequoy ie luy
fuis tres-obligé, & fouhaiterois que d'autres qui détiennent plufreurs lopins de fes
efcris, par-cy, par-là, en fiflent de mefmes.
Chapitre XXIX.
VINGT ET NEVF SONNETS DESTIENNE DE LA BOETIE.
A Madame de Granimont, Comtesse de Guissen.
Madame, ie ne vous offre rien du mien, ou par ce qu'il eft délia
voftre, ou pour ce que ie n'y trouue rien digne de vous. Mais i'ay
voulu que ces vers, en quelque lieu qu'ils le viflent, portalTent voftre
nom en tefte, pour l'honneur que ce leur fera d'auoir pour guide
S cette grande Corifande d'Andoins. Ce prefent m'a lemblé vous eftre
propre, d'autant qu'il eft peu de dames en France qui iugent mieux
& fe feruent plus à propos que vous de la poëlie : & puis qu'il n'en
efl point qui la puilfent rendre viue & animée, comme vous foites
par ces beaux & riches accords dequoy, parmy vn million d'autres
10 beautez, nature vous a eftrenée'. Madame, ces vers méritent que
vous les cherilfcz; car vous ferez de mon aduis, qu'il n'en eft point
forty de Gafcoigne qui eulfent plus d'inucntion & de gentillelfe,
& qui tefmoignent eftre lortis d'vne plus riche main. Ht n'entrez pas
en ialoufie dequov vous n'auez que le reftc de ce que pieç' a l'en
15 ay faict imprimer fous le nom de monlîeur de Foix, voftre bon
* Les éditions de 1580, 1582 et 1587 mettent une virgule après CSlrenée, et l'édition de 1595 deux
points, ce qui change le sens. Le point est peut-être une faute d'impression de l'éditeur de 1 588. .Monlaignc
ne l'a pas corrigé. 11 n'a fait, il est vrai, aucune correction nianuscriic dans le corps de cet Essai.
2)6 ESSAIS DE .MOXTAIGNE.
parent : car certes ceux-cy ont ie ne l'çay quoy de plus vif & de
plus bouillant, comme il les fit en fa plus verte ieunefle, & efchaufé
d'vne belle & noble ardeur que ie vous diray, Madame, vn iour
à l'oreille. Les autres furent faits depuis, comme il eftoit à la pourfuite
de fon mariage, en laueur de fii femme, & fentent défia ie ne fçay 5
quelle froideur maritale. Et moy ie fuis de ceux qui tiennent que la
poëfie ne rid point ailleurs, comme elle faict en vn fubiect folâtre
it defreglé'.
Ces tiers se uoieiil ailleurs.
' A la suite venaient les vingt-neuf sonnets d'Esticnuc de la Boetic. Montaigne les a rayés d'un
grand trait en diagonale, du haut en bas de chaque page.
CHAPITRE XXX.
DE LA MODERATION'.
Commt; li nous auions rattouchcment infect, nous corrompons
par noftrc maniement les choies qui d'elles melmes lont belles
& bonnes. Nous pouuons laillr la vertu de façon qu'elle en deuiendra
vicieule, si nous l'embraflbns d'vn deiir trop afpre & violant. Ceux
5 qui dil'ent qu'il n'y a iamais d'excès en la vertu, d'autant que ce n'ell
plus vertu 11 l'excès y eft, le louent des parolles :
Infiini fapiens nonien tenit, iequus iiiiqui,
Vitra quam latis eft virtutem û petat ipfam.
C'eft vne lubtile confideration de la philolbphie. On peut & trop
10 aimer la vertu, & le porter cxcessiiieincnt en vne action iulle. A ce
biaiz s'accommode la noix diuine : Ne l'oyez pas plus lages qu'il ne
faut, mais foyez fohremcnt fages.
l'ay lieu kl grand blesser la réputation de sa religion pour se montrer
relligieus outre tout exatnpk des homes de sa sorte.
Texte 88. — 4) vicicufc : conmiL- il aduioiU quand nous (.Momaignc se conicnu J'aborJ
J'ciTacer il aduicMit) — 4) & trop violant — 6) eft, ils fe ioucnt de la fubtilitédcs —
10) porter immodérément en... iuftc & vcrtueufe. A — 11) biaiz fe peut accom-
moder la parollc diuine,
Var. ms. — 13) tel blesser
33
2)8 ESSAIS DE MONTAIGNE.
l'ciiDic des iialiiirs tempérées et moienes. L'inimoderalioii tiers le bien
mcsme, si elle ne ni'offanee, elle m'estone et me met eu peine de la hahtiser.
Nv la mère de Paiisanias, qui dona la première instruetion et porta la
première pierre a la mort de son Jilx, ny le dictatur Posthiimius qui fit
mourir le sien que l'ardur de iunesse auoit pousse hureusement sur les euemis, 5
//// peu a lia ut sou ranc, lie me semble si i liste eonie est range. Et n'aime ny
a conseiller \jiy\ a siiiure une uertu si saunage et si chère.
L'archer qui outrepasse le blanc, fitut corne celliiy qui n'y arriiie pas.
Et les veiis me troublent a monter a [coup] uers une grande lumière egalemêt
come a deualer a l'ombre. [Callicle:^, en Platon, dit l'extrémité de la philo- 10
Sophie estre dommageable, et conseille de ne s'y] enfoncer outre les bornes du
[profit]; que, prinse aiieques modération, elV est plaisante et commode, [mais
qu'en fin elle] rant un home saunage et ni tiens, desdeigneiis des religions
et loix communes, enemi de la conucrsation eiiiile, enemi des iioluptes
humaines, incapable de tout' administration politique et de secourir aiitruy 15
et de se secourir a soi, propre a estre impiineemaiit souffleté. Il dict urai, car,
en son exce:^, elle esclaue nostre naturelle franchise, et nous destioie, par
un' imporliinc subtilité, du beau et plein chemin que nature nous a tracé.
L'amitic que nous portons à nos femmes, elle efl: tres-legitime :
la théologie ne laifTe pas de la brider pourtant, & de la reftraindre. 20
11 me femble auoir leu autresfois chez fainct Thomas, en vn endroit
où il condamne les mariages des parans es degrez deffandus, cette
raifon parmy les autres, qu'il y a danger que l'amitié qu'on porte
à vne telle femme loit immodérée : car, li l'affection maritalle s'y
trouue entière & perfaite, comme elle doit, & qu'on la furcharge 25
encore de celle qu'on doit à la parantelle, il n'y a point de doubte
Texte 88. — 22) des parantes es
Vak. ms. — • 3) incrc de Mt^ — 4) pierre pouf: — 5) muni porte suf^ hi M^tuis
Ijureusemciil — 6) si piirciiieiil iiisle — 7) « prescticr [ny'\ — 9) monter a [/rtj
lumière — 11) honies de V utilité : que — 15) polUique el de loul commerce cl de secourir
— 1 6) secourir soi mesmes : capable d'csirc foulé nus pieds sam se pleindiv iiiipinieciiiaiil . . .
urai : iju'eu son excei elle gourmande el esclaue
LIVRK I, CHAPITRE XXX. 259
que ce lurcroift n'emporte vn tel mary hors les barrières de la
raifon.
Les fciences qui règlent les meurs des hommes, comme la thcohgie
& la philofophie, elles fe méfient de tout. 11 n'eft action fi priuée
S & fecrette, qui fe defrobe de leur cognoilîance ix iurifdiction. Bien
aprantis sœit cens qui syndiquent leur liberté. Ce sont les femmes qui
communiquent tant qu'on ueut leurs pièces a garsoner; a medeciner la honte
le défaut. le veux donc, de leur part, apprendre cecy aux maris, s'il
s'en treuue encores qui y soint trop acharne^ : c'eft que les plaifirs melmes
10 qu'ils ont à l'acointance de leurs femmes, font reprouuez, fi la
modération n'y eft obferuée; & qu'il y a dequoy faillir en licence
& defbordement, comme en vn fubiet illégitime. Ces encherimans
desJmite:^ que la chalur première nous suggère en ce ieu, sont, non indccem-
mant sulemant, mais domageahlemenl emploie:^ enuers nos famés. Qu'elles
15 aprenncnt Vimpudance au moins d'un' autre main. Elles sont tousiours
asses esueillees pour nostre besoin. le ne m'y suis serui que de l'instruction
naturelle et simple.
C'eft vne religieufe liaifon & deuote que le mariage : voila pour-
quov le plaifir qu'on en tire, ce doit eftre vn plaifir retenu, ferieux
20 & méfié à quelque feuerité; ce doit eftre vne volupté aucunemant
prudente & confcientieufe. Et, parce que fa principale fin c'eft la
génération, il y en a qui mettent en doubte fi, lors que nous fommes
fans l'efperance de ce fruit, comme qiuind elles font hors d'aage, ou
enceinte, il eft permis d'en rechercher l'enbrassemant. Ces! un homicide
Texte 88. — 2) raifon, foit en l'amitic, foit aux cftects de la iouïlTance. Les —
5) la religion & — 8) apprendre encore cecy aux maris (car il y a grand dangicr
qu'ils ne fe perdent en ce débordement) c'eft que — 10) femmes, ils font merueilleu-
fement reprouuez — 12) defbordement en ce fubiet là, comme en vn fubiet eftranger
&illegitime. — 20) quelque peu de feuerité — 25) de cet vfige, comme lors que les
femmes font — 24) rechercher cette accointancc : cela tiens ie pour certain qu'il eft
beaucoup plus fainct de s'en abftenir. Certaine nation abomine la conionction p. 260, 1. 2.
Var. ms. — 5) iurifdiction. Vrais ueaus el bien aprantis qui symiiqucni — 7) pièces
a m — 13) nous fetttm — 24) rechercher /'accointance.
260 ESSAIS DH MONTAIGNE.
a lit mode de Philoii. Certaines nations, et entre cintre la Mabiiiiietuiie,
ahonriiièt la conionction auec les femmes enceintes; plusieurs auflî,
auec celles qui ont leurs flueurs. Zenobia ne receuoit fon mary que
pour vne charge, &, cela fait, elle le laiffoit courir tout le temps de fa
conception, luy donnant lors feulement loy de recommencer : hraue s
& généreux exemple de mariage.
C'est de quelque poète diseteus & affamé de ee déduit, que Platon eiipruiita
cette narration, que luppiter fit a sa fiinie une si chahtreuse charge un iour
que, ne poiniât auoir paiiance qu'eW eut gaigné son lict, il la uersa sur le
planchier, et, par la uehemance [du^^ plaisir, oblia les resolutions grandes lo
et importantes qu'il uenoit de prandre aueq les autres dieus en sa court
céleste : [se] uantant qu'il l'auoit trouué aussi bon ce coup la, que lors que
premieremant il la dépucela [a] cachettes de leurs parans.
Les Roys de Perfe appelloient leurs femmes à la compaignie de
leurs feftins; mais quand le vin venoit à les cfchaufcr en bon efcient 15
& qu'il falloit tout à fait lafcher la bride à la uolupté, ils les r'enuoioient
en leur priué, pour ne les faire participantes de leurs appétits immo-
derez, & faifoient venir, en leur lieu, des femmes aufquelles ils
n'euflent point cette obligation de refpect.
Tous plaifirs & toutes gratifications ne font pas bien logées en toutes 20
gens : Epaminondas auoit foit emprifonner vn garfon defbauché;
Pelopidas le pria de le mettre en liberté en fa laueur : il l'en refufa,
& l'accorda à vne fienne garfe, qui aufli l'en pria : dilant que c'eftoit
vne gratification deuë à vne amie, non à vn capitaine. Sophocles,
estant compaignon \_en] la Fracture aueq Pericles, uoiant de cas de jortune 25
passer [»//] hemi garçon : 0 le beau garçon que uoila, fit il a Pericles.
Cela serait bon a un autre qu'a un Praiur, luy dict Pericles, qui doit auoir,
I non i les mains sulenmnt, mais aussi les veus chastes.
Tf.xti; 88. — 2) enceintes, comme elle Hiict aufll — 3) recommencer : noble &
— 16) à la (iefbauche, ils — 17) participantes des excez de leurs appétits defres^lez
& immoderez, — 19) obligation & ce refpect. — 20) bien emploiées à toutes
\'ar. ms. — 7) poêle diseU... déduit 1° : que Platon 2° : de qui PJalou
I.IVKH I, CHAPriKl- XXX. 261
yElius Vcrus, riimpcrcur, rclpondit à la Icmmc, comme clic le
plaignoit dequoy il le lailToit aller \ Xamoiir d'autres femmes, qu'il le
fiiilbit par occafion confcientieule, d'autant que le mariage eftoit vn
nom d'honneur & dignité, non de folaftre & lalciue concupisccmc. Et
S nos àtum iiiitbciirs ecclésiastiques font aiieq Ijoiuir nmnlioii d'une [famé] qui
répudia son mari pour ne uouhir seconder ses trop lasciues et immodérées
amours. Il n'eft en lomme aucune li iufte volupté, en laquelle l'excc/
& l'intempérance ne nous foit reprochable.
Mais, à parler en bon elcient, efl-ce pas vn milerable animal que
10 l'homme? A peine elHl en fon pouuoir, par l'a condition naturelle,
de goûter vn leul plaifir entier & pur, encore fe met-il en peine de
le retrancher par dilcours : il n'eft pas afle/ chetif, fi par art & par
cftude il n'augmente la mifere :
Fortunx miferas auximus arte vias.
15 La sagesse hunuine faict lyien sotlcmant \J'\ingenieuse de s'exercer [a]
rabattre le nombre & Ja] douceur des iiolupte:^ qui nous apartieiu')il, couk
elle faict fauorableiiult & iudustrieusemàt [d'ymploier ses artifices a nous
peigner et farder les maus & [en] alléger le sentimant. Si l'eusse esté chef
de part, l'eusse pris autre uoye, plus naturelle, qui est a dire uraïe, commode
20 & saincte; et nw fusse peut estre randu asses fort pour la borner.
Quoy que nos médecins fpirituels & corporels, comme par
complot tait entre eux, ne trouuent aucune voyc à la guerilon, ny
remède aux maladies du corps & de l'ame, que par le tourment, la
douleur & la peine. Les veilles, les ieufnes, les haires, les exils
25 lointains & folitaires, les priions perpétuelles, les verges &: autres
afflictions ont efté introduites pour cela; mais en telle condition
Texte 88. — i) femme fur ce propos, comme — 2) .i l'amitié d'autres —
4) lafciue volupté. Il n'cft — 23) par le torment, la
Var. ms. — 5) nos autheurs — 15) sagesse fai — 17) d'emptoier d'tmphiei: ses
arf artifices — 18) peigner el caclier les — 19) autre route plus... urai et commode
262 ESSAIS DE MONTAIGNE.
que ce lovent véritablement afflictions & qu'il y ait de l'aigreur
poignante; '& qu'il n'en aduienne point comme à vn Gallio, lequel
ayant efté enuoyé en exil en l'ifle de Leftos, on fut aduerty
à Romnie qu'il s'y donnoit du bon temps, & que ce qu'on luy
auoit enioint pour peine, luy tournoit à commodité : parquoy ils 5
fe rauiferent de le rappeler près de fa femme & en fa maifon, & luy
ordonnèrent de s'y tenir, pour accommoder leur punition à fon
reffentiment. Car à qui le ieufne aiguiferoit la fanté & l'alegrefle,
à qui le poiffon feroit plus appetiffant que la chair, ce ne feroit plus
recepte falutaire; non plus qu'en l'autre médecine les drogues 10
n'ont point d'effect à l'endroit de celuy qui les prend auec appétit
& plaifir. L'amertume & la difficulté font circonftances feruants
à leur opération. Le naturel qui accepteroit la rubarbe comme
familière, en corromproit l'vfage : il faut que ce loit chofe qui blefle
noftre eftomac pour le guérir; & icy faut la règle commune, que les 15
chofes fc gueriffent par leurs contraires, car le mal y guérit le mal.
Cette impreffion fe raporte aucunement à cette autre fi ancienne,
de penfer gratifier au Ciel & à la nature par noftre maifacre & homi-
cide, qui fut vniuerfellement embraflee en toutes religions. Encore du
temps [del nos pères, Amurat, en [la] prinse de l'Istme, immola six cens 20
iunes Immes grecs a l'ame de son père, affin que ce sang seruit de propiiiafion
a l'expiation des pèches du trespassé. Et en ces nouuelles terres, del-
couuertes en noftre aage, pures encore & vierges au pris des noftres,
l'vfage en eft aucunement receu par tout : toutes leurs Idoles
s'abreuuent de fang humain, non fans diuers exemples d'horrible 25
cruauté. On les brûle vifs, &, demy rôtis, on les retire du brafier
pour leur arracher le cœur & les entrailles. A d'autres, voire aux
femmes, on les efcorche vifues, & de leur peau ainfi fanglante en
Texte 88. — 4) ce que l'on luy — 7) leur chafticment à — 11) auec gouft &
• 19) religions. Car en ces
\'ar. ms. — 21) rt l'omhre de... sang luy sentit de propitiatiou et a
LIVRE I, CHAPITRF. XXX. 265
rcucft on & mafque d'autres. Et non moins d'exemples de confiance
is; refolution. Car ces pauures gens facrifiablcs, vieillars, femmes,
enfans, vont, quelques iours auant, queftant eux mefme les aumofnes
pour l'offrande de leur facrifice, & fe prefentent à la boucherie
5 chantans & dançans auec les affiftans. Les ambaffadeurs du Roy de
Mexico, faifant entendre à Fernand Cortez la grandeur de leur
maiftre, après luy auoir dict qu'il auoit trente vaffaux, defquels
chacun pouuoit affembler cent mille combatans, & qu'il fe tenoit en
la plus belle & forte ville qui fut foubs le ciel, luy adioufterent
10 qu'il auoit à facrifier aux Dietix cinquante mille hommes par an.
De vray, ils difent qu'il nourriffoit la guerre auec certains grands
peuples voifms, non feulement pour l'exercice de la ieuneffe du
païs, mais principallement pour auoir dequoy fournir à fes facrifices
par des prifonniers de guerre. Ailleurs, en certain bourg, pour la
15 bien venue du dit Cortez, ils facrifierent cinquante hommes tout
à la fois. le diray encore ce compte. Aucuns de ces peuples, ayants
efté batuz par luy, enuoyerent le recognoillre & rechercher d'amitié;
les meffagers luy prefenterent trois fortes de prefens, en cette
manière : Seigneur, voyla cinq efclaues; fi tu es vn Dieu fier, qui te
20 paiffes de chair & de fang, mange les, & nous t'en amerrons d'auan-
tage; fi tu es vn Dieu débonnaire, voyla de l'encens & des plumes;
fi tu es homme, prens les oileaux & les fruicts que voicy.
Chapitre XXXL
DES CANNIBALES.
Quand le Rov Pvrrhus pafla en Italie, après qu'il eut reconneu
l'ordonnance de l'armée que les Romains luy enuovoient au deuant :
le ne fçay, dit-il, quels barbares font ceux-ci (car les Grecs
appelloyent ainsi toutes les nations eftrangieres), mais la difpofition
de cette armée que ie voy, n'eft aucunement barbare. Autant en 5
dirent les Grecs de celle que Flaminius fit palTer en leur païs, et
Philippiis, ndiant d'un tertre l'ordre et distribution du camp Romein en
[son'\ roxaume, sous Puhlius Sulpicius Galba. Voyla comment il fe faut
garder de s'atachcr aux opinions vulgaires, & les faut iuger par la
voye de la raifon, non par la voix commune. 10
l'ay eu long temps auec moy vn homme qui auoit demeuré dix
ou douze ans en cet autre monde qui a efté defcouuert en nofl:re
fiecle, en l'endroit où Vilegaignon print terre, qu'il furnomma
la France Antartique. Cette defcouuerte d'vn païs infini femble estre
de confideration. le ne fçav fi ie me puis refpondre que il ne s'en 15
face à l'aducnir quelqu'autre, tant de perfonnages/)///.s\<,''/v//;(/.s- que nous
ayans elle trompez en cette-cy. l'ay peur que nous auons les yeux
Texie 88. ■ — 4) cftrangiercs barbares) mais — 9) iuger les choies par —
10) non de la — i |) infini de terre ferme, l'enible de grande confideration. —
16) tant de grands perfonnages ayans
\'ar. ms. — 7) h-tivc 1(1 di!:f>i>!ii
LIVRE I, CHAPITRE XXXI. 26)
plus grands que le ventre, cl plus de curiofité que nous n auons de
capacité. Nous embralTons tout, mais nous n'étreignons que du vent.
Platon introduit Solon racontant auoir apris des Preflres de la ville
de Sais en ^Egypte, que, iadis 6c auant le déluge, il v auoit vne
5 grande Ille, nommée Athlantide, droict à la bouche du deftroit de
Gibaltar, qui tenoit plus de pais que l'Afrique & l'Afie toutes deux
eniemble, (b^ que les Roys de cette contrée la, qui ne pofledoient
pas leulement cette ille, mais s'eftoyent eftendus dans la terre ferme
fi auant qu'ils tenovent de la largeur d'Afrique iniques en ^Egypte,
10 & de la longueur de l'Europe iniques en la Toicane, entreprindrent
d'eniamber iniques lur l'iAlle, & lubiuguer toutes les nations qui
bordent la mer Méditerranée iul'ques au golfe de la. mer Maiour:
6c, pour cet effect, trauerferent les Efpaignes, la Gaule, l'Italie, iufques
en la Grèce, où les Athéniens les fouilindrent : mais que, quelque
15 temps après, & les Athéniens, & eux, & leur ifle furent engloutis
par le déluge. Il eft bien vray-femblable que cet extrême rauage
d'eaux ait faict des changemens eftranges aux habitations de la terre,
comme on tient que la mer a retranché la Sycile d'auec l'Italie,
Hœc loca, vi quondam & vafta conuuH'a ruina,
20 DiffiluiiTe ferunt, cùm protinus vtrdque tellus
Vna foret ;
Chipre d'auec la Surie, Fille de Negrepont de la terre terme de la
Bœoce; & ioint ailleurs les terres qui efloyent diuifees, comblant de
limon & de fable \cs fosses d'entre-deux,
25 fterlHfque diu palus aptdque remis
\'icinas vibes alit, & "rauc fentit aratruni.
Texte 88. — i) ventre, comme on dict, & le dit on de ceux, aufqucls l'appétit
& la faim font plus defirer de viande, qu'ils n'en peuuent empocher : le crains aulTi
que nous auons beaucoup plus de curiofité — 2) mais ic crains que nous n'étrei<!;nons
rien que du — 5) apris de Preflres — 2 |) les foffez d'entre-deux
266 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Mais il n'y a pas grande apparence que cette Ille loit ce monde
nouueau que nous venons de defcouurir : car elle touchoit quafi
l'El'paigne, & ce feroit vn effect incroyable d 'inundation de l'en
auoir reculée, comme elle eft, de plus de douze cens lieues; outre
ce que les nauigations des modernes ont des-ja prefque delcouuert 5
que ce n'efl point vne ifle, ains terre ferme & continente auec l'Inde
orientale d'vn cofté, & auec les terres qui font foubs les deux pôles
d'autre part; ou, fi elle en eft feparée, que c'eft d'vn fi petit
deftroit & interualle qu'elle ne mérite pas d'eftre nommée ifle pour
cela. 10
11 femble qu'il y aye des mouuemens, naturds les uns, les autres
fieureux, en ces grands corps, comme aux noftres. Quand ie confldere
l'impreffion que ma riuiere de Dordoigne faict de mon temps vers
la riue droicte de fa delcente, & qu'en vingt ans elle a tant gaigné,
& defrobé le fondement à plufieurs baftimens, ie vois bien que c'eft 15
vne agitation extraordinaire : car, fi elle tut toufiours allée ce train,
ou deut aller à l'aduenir, la figure du monde feroit renuerfée. Mais
iMeur prend des changements : tantoft elles s'efpendent d'vn cofté,
tantoft d'vn autre; tantoft elles fe contiennent. le ne parle pas des
foudaines inondations de quoy nous manions les caules. En Medoc, 20
le long de la mer, mon frère, Sieur d'Arfac, voit vne fiene terre
enfeuelie foubs les fables que la mer vomit deuant elle; le fefte
d'aucuns baftimens paroift encore; fes rentes & domaines fe font
éfchangez en pafquages bien maigres. Les habitans difent que,
depuis quelque temps, la mer fe pouffe fi fort vers eux qu'ils ont 25
perdu quatre lieues de terre. Ces fiibles font fes fourriers : et uoions
des gniiulcs inoiiioies d'areiie mou uu nie, qui iiuireheiil d'une demi lieue
dauant elle, el indignent païs.
Texik 88. — II) niouucniens maladifs & lifurcux — 26) terre, & marche ainfi :
ces fables
Yak. ms. — 26) uoions de granâcs — 27) d'iiifiic qui marchent ihmaiU elle
LIVRE I, CHAPITRE XXXI. 267
L'autre tefmoignage de l'antiquité, auquel on veut raportcr cette
delcouuerte, ell; dans Ariltote, au moins li ce petit liuret des mcrueilles
inouies eft à luy. Il raconte là que certains Carthaginois, s'eilant iettez
au trauers de la mer Athlantique, hors le deftroit de Gibaltar,
5 & nauigué long temps, auoient delcouuert en fin vne grande ifle
fertile, toute reueftuë de bois & arroufée de grandes & profondes
riuieres, fort efloignée de toutes terres fermes; 6c qu'eux, & autres
dépuis, attirez par la bonté & fertilité du terroir, s'y en allèrent auec
leurs femmes & enfans, & commencèrent à s'y habituer. Les Seigneurs
10 de Carthage, voyans que leur pays fe dépeuploit peu à peu, firent
deffence exprefle, fur peine de mort, que nul n'eut plus à aller là,
& en chaflerent ces nouueaux habitans, craignants, à ce que l'on
dit, que par fucceflion de temps ils ne vinfent à multiplier tellement
qu'ils les fupplantaffent eux mefmes, & ruinaffent leur eftat. Cette
15 narration d'Ariftote n'a non plus d'accord auec nos terres neufues.
Cet homme que i'auoy, efloit homme fimple & groflier, qui eft
vne condition propre à rendre véritable tefmoignage : car les fines
gens remarquent bien plus curieufement & plus de chofes, mais ils
les glofent; &, pour faire valoir leur interprétation & la perfuader,
20 ils ne fe peuuent garder d'altérer vn peu l'Hiftoire : ils ne vous
reprefentent iamais les chofes pures, ils les inclinent & mafqucnt félon
le vifage qu'ils leur ont veu; &, pour donner crédit à leur iugement
& vous y attirer, preftent volontiers de ce cofté la à la matière,
l'alongent & l'amplifient. Ou il faut vn homme tres-fidelle, ou fi
25 fimple qu'il n'ait pas dequoy baftir & donner de la vray-femblance
à des inuentions fauces; & qui n'ait rien cfpoufé. Le mien eftoit tel;
&, outre cela, il m'a faict voir à diuerfes fois plufieurs matelots
& marchans qu'il auoit cogneuz en ce voyage. Ainfi ie me contente
de cette information, fiins m'enquerir de ce que les colmographes
30 en difent.
Il nous faudroit des topographes qui nous filîent narration parti-
culière des endroits où ils ont efté. Mais, pour auoir cet auantagc
208 ESSAIS DE MONTAIGNE.
fur nous d'auoir veu la Paleftine, ils veulent ioiiir de ce priuilege de
nous conter nouuelles de tout le demeurant du monde. le voudroy
que chacun elcriuit ce qu'il fçait, & autant qu'il en içait, non en cela
feulement, mais en tous autres fubiects : car tel peut auoir quelque
particulière fcience ou expérience de la nature d'vne riuiere ou d'vnc 5
fontaine, qui ne fçait au refte que ce que chacun fçait. Il entreprendra
toutes-fois, pour faire courir ce petit lopin, d'efcrire toute la phyfique.
De ce vice fourdent plufieurs grandes incommoditez.
Or ie trouue, pour reuenir à mon propos, qu'il n'y a rien de
barbare & de lauuage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, 10
finon que chacun appelle barbarie ce qui n'eft pas de Ion vfage;
comme de vrav il femble que nous n'auons autre mire de la vérité
& de la raifon que l'exemple & idée des opinions & vûinces du païs
où nous fommes. La cil touliours la parfaictc religion, la parfoicte
police, perfect & accomply vlage de toutes choies. Ils lont iauuages, 15
de mefmes que nous appelions Iauuages les fruicts que nature, de foy
& de fon progrez ordinaire, a produicts : là où, à la vérité, ce font
ceux que nous auons altérez par noftre artifice & détournez de l'ordre
commun, que nous deurions appeller plutoft Iauuages. En ceux là
font viues & vigoureuies les vrayes, & plus vtiles liic naturelles vertus 20
& proprietez, lefquelles nous auons abaftardies en ceux-cy, & les
auons feulement accommodées au plaifir de noftre gouft corrompu.
Et si pourtant la saiicur mesiiie et delieatesse se trémie a mstre goût
excellante, a Venui des nosires, en diuers fruits de ces contrées la, sans
culture. Ce n'eft pas raifon que l'art gaigne le point d'honneur fur 25
noftre grande & puiftante mère nature. Nous auons tant rechargé
la beauté & richefte de fes ouurages par nos inuentions, que nous
l'auons du tout eftouff^ée. Si eft-ce que, par tout où la pureté
Texte 88. ■ — i) veulent auoir ce — 12) autre touche de
Var. ms. — 22) coxrom^M : et ta fa saueur — 25) liriiiw sans nrl & sans culture,
se tienne excellante... eiî pi fruits des ces contrées la. Ce n'eft pas
I.IVRK I, CHAIMTRI: XXXI. 269
reluit, L'Ile tait vnc nierueillculc honte à nos vaines & triuoles
entreprinles,
Et veniunt cdenv fponte fua melius,
Surgit & in folis formoilor arbutus antris,
5 Et volucres nulla dulcius arte canuiit.
Tous nos efforts ne peuuent feulement arriuer à reprefenter le nid
du moindre oyfelet, fa contexture, fa beauté & l'vtilité de fon vlage,
non pas la tiflure de la chetiue araignée. Toutes choses, liicl Platon,
sont produites par la nature, ou par la fortune, ou par l'art; les plus
10 faraudes et plus belles, par l'une ou l'autre des deus premières; les moindres
et imparfaictes, par la dernière.
Ces nations me femblent donq. ainfi barbares, pour auoir rcceu
fort peu de foçon de l'efprit humain, & élire encore fort voifmes de
leur naifueté originelle. Les loix naturelles leur commandent encores,
15 fort peu abaftardies par les noflres; mais c'eft en telle pureté, qu'il
me prend quelque fois defplaifir dequoy la cognoifllmce n'en foit
venue plutoft, du temps qu'il v auoit des hommes qui en euffent
fceu mieux iuger que nous. Il me defplait que Licurgus & Platon
ne l'ayent eue; car il me femble que ce que nous voyons par expe-
20 rience en ces nations la, furpafle, non feulement toutes les peintures
dequoy la poëfie a embelly l'âge doré, & toutes ses inuentions
Texte 88. — 8) chetiue & vile araignée.
V'ar. ms. — 8) cIjoscs i° : selon Platon produites 2° : selon eei^* rédaction iiuchevce.
3» : dit Platon sont produites 4° : selon Platon sont 5" : dict Platon sont — 9) nature
la fortune ou l'art — 10) belles choses sont produises par l'une... premières ca uses les
moindres et moins parfaictes par l'art. Ces nations
' Cer lecture Jouteuse. Ce pass.agc est pris aux Lois (888 1;). La tr.iduction de Marsilc l'icin, dont
Montaigne s'est ser\i, porte dans la marge : » Iles onines vel natura vcl fortuna vel arte fieri » ; Montaigne
.ittribue cette pensée à Platon, et écrit : Selon Platon. Mais, en se reportant au texte, il s'aperçoit que
cette pensée est attribuée par Platon lui-même .i d'autres sages. « Res omnes nonnuUi aïunt ■>, etc., et plus
loin « non absurdum est viros sapientes probe dixisse ». Il rectifie donc sa preniiire formule, efface le nom
de Platon pour le remplacer par un équivalent de . nonnulli • et de • viros sapientes», probablement
par : Certains fages ; mais il se ravise, et, sur le mot commencé, il met en surcharge dit ()• variante).
270 ESSAIS DE MONTAIGNE.
à feindre vne heureufe condition d'hommes, mais encore la concep-
tion & le defir mefme de la philofophie. Ils n'ont peu imaginer vne
nayfueté fi pure & fimple, comme nous la voyons par expérience;
ny n'ont peu croire que noftre focieté fe peut maintenir auec fi peu
d'artifice & de foudeure humaine. C'efl; vne nation, diroy ie à Platon, 5
en laquelle il n'y a aucune efpece de trafique; nulle cognoiflance de
lettres; nulle fcience de nombres; nul nom de magiftrat, ny de
fuperiorité politique; nul usage de feruice, de richefle ou de pauureté;
nuls contrats; nulles fijcceflions; nuls partages; nulles occupations
qu'oyfiues; nul refpect de parenté que commun; nuls vefl;emens; 10
nulle agriculture; nul métal; nul vfage de vin ou de bled. Les paroles
mefmes qui fignifient la menfonge, la trahifon, la diflîmulation,
l'auarice, l'enuie, la detraction, le pardon, inouies. Combien trouue-
roit il la republique qu'il a imaginée, efloignée de cette perfection :
« uiri a dijs récentes ». 15
Hos natura modos primum dédit.
. Au demeurant, ils viuent en vne contrée de pais tres-plaifante
& bien tempérée : de façon qu'à ce que m'ont dit mes tefmoings,
il efi: rare d'y voir vn homme malade; & m'ont affeuré n'en y auoir
veu aucun tremblant, chaflieux, edenté, ou courbé de vieilleffe. Ils 20
font afiîs le long de la mer, & fermez du cofté de la terre de grandes
& hautes montaignes, ayant, entre-deux, cent lieues ou enuiron
d'eftendue en large. Ils ont grande abondance de poiflbn & de chairs
qui n'ont aucune reflemblance aux noflres, & les mangent fans autre
artifice que de les cuire. Le premier qui y mena vn cheual, quoi qu'il 25
les eut pratiquez à plufieurs autres voyages, leur fit tant d'horreur
en cette afliete, qu'ils le tuèrent à coups de traict, auant que le
pouuoir recognoiftre. Leurs baftimens font fort longs, & capables
de deux ou trois cents âmes, eftoffez d'efcorfe de grands arbres,
Texte 88. — 8) nul gouft de — 25) cheual, qui les auoit pratiquez —
26) voyages, il leur
LIVRE I, CHAIMTRR XXXI. 27I
tenans à terre par vn bout & le fouftenans & appuyans l'vn contre
l'autre par le fefte, à la mode d'aucunes de noz granges, defquelles
la couuerture pend iulques à terre, & fert de flanq. Ils ont du bois
fi dur qu'ils en coupent, & en font leurs efpées & des grils à cuire
5 leur viande. Leurs lits font d'vn tiflu de coton, fufpenduz contre
le toict, comme ceux de nos nauires, à chacun le fien : car les femmes
couchent à part des maris. Ils fe leuent auec le foleil, & mangent
foudain après s'eflre leuez, pour toute la iournée; car ils ne font
autre repas que celuy là. Ils ne boyuent pas lors, comme' Suidas
10 dict de quelques autres peuples d'Orient, qui beuuoient hors du
manger; ils boiuent à plufieurs fois fur iour, &. d'autant. Leur
breuuage efl faict de quelque racine, & efl de la couleur de nos vins
clairets. Ils ne le boyuent que tiède : ce breuuage ne fe conferue que
deux ou trois iours; il a le gouft vn peu piquant, nullement fumeux,
15 falutaire à l'eftomac, & laxatif à ceux qui ne l'ont accoullumé; c'eft
vne boiflbn tres-agreable â qui y est duit. Au lieu du pain, ils usent
d'vne certaine matière blanche, comme du coriandre confit. l'en ay
tafté : le gouft en est doux & vn peu fiide. Toute la iournée fe
pajffe à danccr. Les plus ieunes vont à la chafle des beftes à tout
20 des arcs. Vne partie des femmes s'amufent cependant à chauffer leur
breuuage, qui eft leur principal office. Il y a quelqu'vn des vieillars
qui, le matin, auant qu'ils fe mettent à manger, prefche en commun
toute la grangée, en fe promenant d'vn bout à autre, & redifant
vne mefme claufe à plufieurs fois, iufques à ce qu'il ayt acheué le
25 tour (car ce font baftimens qui ont bien cent pas de longueur). Il ne
leur recommande que deux chofes : la vaillance contre les ennemis
is; l'amitié à leurs femmes. Et ne faillent iamais de remerquer cette
Texte 88. — 5) flanq & du paroy. Ils — 4) dur & li ferme qu'ils... à cuyure
leur — 15) boyuent pas que — 15) l'ont guiere accouftunié — 16) tres-agreable
à ceux qui y font duits. Au... ils mangent d'vne — 18) tafté, il a le gouft doux —
2!) qui eft le principal office qu'ils reçoiuent d'elles. Il y a
' comme... liors du manger addition de 1588.
2-j2 ESSAIS DE .MOXTAIGXE.
obligation, pour leur refrein, que ce l'ont elles qui leur maintiennent
leur boiflbn tiède & alTailbnnée. Il ie void en plufieurs lieux, & entre
autres chez moy, la forme de leurs lits, de leurs cordons, de leurs
efpées & braflelets de bois dequoy ils couurent leurs poignets aux
combats, & des grandes cannes, ouuertes par vn bout, par le Ion 5
defquelles ils fouftiennent la cadance en leur dancer. Ils font ras
par tout, & fe font le poil beaucoup plus nettement que nous, lans
autre ralbuër que de bois ou de pierre. Ils croyent les âmes éternelles,
& celles qui ont bien mérité des dieux, élire logées à l'endroit du
ciel où le foleil fe leue; les maudites, du collé de l'Occident. 10
Ils ont ie ne fçay quels preflres .:>c prophètes, qui le prelentent
bien rarement au peuple, ayant leur demeure aux montaignes.
A leur arriuée il le faict vne grande felle 6c affemblée folennelle de
plufieurs \ilages (chaque grange, comme ie l'ay delcrite, faict vn
vilage, & font enuiron à vne lieuë Françoile l'vne de l'autre). Ce 15
prophète parle à eux en public, les exhortant à la vertu & à leur
deuoir; mais toute leur fcience éthique ne contient que ces deux
articles, de la relblution à la guerre & affection à leurs femmes.
Cettuy-cv leur prognoflique les chofes à venir & les euenemens
qu'ils doiuent efperer de leurs entreprinfes, les achemine ou dellourne 20
de la guerre ; mais c'ell par tel si que, ou il fout à bien deuiner, & s'il
leur adulent autrement qu'il ne leur a prédit, il eil haché en mille
pièces s'ils l'attrapent, & condamné pour faux prophète. A cette
caufe, celuy qui s'eft vne fois mefconté, on ne le void plus.
C'est don de dieu que \]a\ diuimtiou : uoih pourquoi ce deuroit estrc une 25
imposture punissable, \d'^en abuser. Entre les Scythes, quand les diuins
auoinl failli de rencontre, [on'] les couchoit, enforgei [de] pieds et de mains,
sur des eharriotes pleines de brniere, tirées par des beufs, en quoi on
les faisoit brûler. Cens qui manient les choses sulnecies | a'] la conduite de
TiATK S8. — 21) c'uft 11 uUc condition, que s'il faul
\'ar. ms. — 26) Scythes u — 27) triiamhr [ils] les couchoiiil ciifoigci — 28) hciifs
a quoi ou mcUoU le ftu
LlVRi: I, CHAPITRE XXXI. 275
l'hiinuiiih' suffisance, sont exriisitblcs \d\'y faire ce qu'ils peuueiit. Mais ces
autres, qui nous uiencnt pipant des assurances d'une faculté exiraordiuere
qui est hors de nostre conoissance, faut [il] pas les punir de ce qu'ils ne
uuiintienent l'effaict de leur promesse, et de la témérité de leur imposture!
S Ils ont leurs guerres contre les nations qui l'ont au delà de leurs
montaignes, plus auant en la terre ferme, aulquelles ils vont tous
nuds, n'ayant autres armes que des arcs ou des efpées de bois,
apointées par vn bout, à la mode des langues de nos elpieuz. C'eft
chofe efmerueillable que de la fermeté de leurs combats, qui ne
10 finilTcnt iamais que par meurtre &: effufion de fang; car, de routes
& d'effroy, ils ne fçauent que c'eft. Chacun raporte pour fon trophée
la tefte de l'ennemy qu'il a tué, & l'attache à l'entrée de fon logis.
Apres auoir longtemps bien traité leurs prifonniers, & de toutes
les commoditez dont ils fe peuuent auifer, celuy qui en ell; le
15 maiftre, faict vnc grande affemblée de fes cognoiflans : il attache
vne corde à l'vn des bras du prifonnier, par le bout de la quelle il le
tient, eslouignê de quelques pas, de peur d'en estre offancé, & donne au
plus cher de fes amis l'autre bras à tenir de mefme; & eux deux, en
prefence de toute l'aflemblée, l'aflbmment à coups d'efpée. Cela faict,
20 ils le roftifîent & en mangent en commun & en enuoient des lopins
à ceux de leurs amis qui font abfens. Ce n'eft pas, comme on penfe,
pour s'en nourrir, ainfi que fiiifoient anciennement les Scythes : c'eft
pour représenter vne extrême vengeance. Et qu'il foit ainiî, ayant
apperceu que les Portuguois, qui s'eftoient r'alliez à leurs aduertaires,
25 vfoient d'vne autre forte de mort contre eux, quand ils les prenoient,
qui eftoit de les enterrer iufques à la ceinture, & tirer au demeurant
du corps force coups de traict, «Se les pendre après : ils pcnferent que
CCS gens icy de l'autre monde, comme ceux qui auoyent femé la
connoiftancc de beaucoup de vices parmy leur voiftnage, & qui
Texte 88. — 18) plus fidellc de — 19) cfpcc. Apres cela, ils
Var. ms. — 2) pipant ila promesses 'et' assuraiiees — 3) punir s'ils
274 ESSAIS DE MONTAIGNE.
cftoient beaucoup plus grands maiftres qu'eux en toute forte de
malice, ne prenoient pas fans occafion cette iorte de vengeance,
& qu'elle deuoit eftre plus aigre que la leur, commencèrent' de quitter
leur façon ancienne pour fuiure cette-cy. le ne fuis pas marry que
nous remerquons l'horreur harbarefque qu'il v a en vne telle action, 5
mais ouy bien dequoy, iugeans bien de leurs foutes, nous foyons fi
aueuglez aux noftres. le penfe qu'il y a plus de barbarie à manger
vn homme viuant qu'à le manger mort, à defchirer, par tourmens
& par geénes, vn corps encore plein de fentiment, le faire roftir par
le menu, le faire mordre & meurtrir aux chiens & aux pourceaux 10
(comme nous l'auons, non feulement leu, mais veu de treiche
mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voifins
& concitovens, &, qui pis eft, fous prétexte de pieté & de religion),
que de le roftir & manger après qu'il eft trefpalTé.
Chryfippus & Zenon, chefs de la fecte Stoicque, ont bien penfé 15
qu'il n'y auoit aucun mal de fe feruir de noftre charoigne à quoy
que ce fut pour noftre befoin, & d'en tirer de la nourriture : comme
nos anceftres, eftans aftiegez par Caviar en la ville de Alexia, fe
refolurent de fouftenir la faim de ce fiege par les corps des vieillars,
des femmes & autres perfonnes inutiles au combat. 20
Vafcones, fama efi:, alimentis talibus vfi
Produxere animas.
Et les médecins ne craignent pas de s'en feruir à toute lortc d'viage pour
noftre fanté, foit pour l'appliquer au dedans, ou au dehors; mais il ne
se trouua iamais aucune opinion fi defreglée qui excufat la trahiion, 25
la defloyauté, la tyrannie, la cruauté, qui font nos fautes ordinaires.
Nous les pouuons donq bien appcllcr barbares, eu efgard aux
règles de la raifon, mais non pas eu clgard à nous, qui les lurpaft"ons
Texte 88. — 20) & loulcs nulrcs — 24) ne s'y trouua
' l-'édition de ij9; iIoiiik- : dont ils ConiIlK'ncclL'lU
LIVRH 1, CHAIMTRH XXXI. 275
en toute forte de barbarie. Leur guerre eft toute noble & genercufe,
& a autant d'excufe & de beauté que cette maladie humaine en peut
receuoir : elle n'a autre fondement parmy eux que la feule ialoufie
de la vertu. Ils ne font pas en débat de la conquefte de nouuelles
5 terres, car ils iouyifent encore de cette vberté naturelle qui les
fournit fans trauail & fans peine de toutes chofes neccflaires, en
telle abondance qu'ils n'ont que faire d'agrandir leurs limites. Ils
font encore en cet heureux point, de ne defirer qu'au tant que leurs
neceffitez naturelles leur ordonnent : tout ce qui eft au delà, eft
10 fuperflu pour eux. Ils s'entr'appellent généralement, ceux de mcfme
aage, frères; enfans, ceux qui font au deffoubs; & les vieillards font
pères à tous les autres. Ceux-cy laiflent à leurs héritiers en commun
cette pleine pofleflion de biens par indiuis, lans autre titre que celuy
tout pur que nature donne à fes créatures, les produifant au monde.
15 Si leurs voiftns pafl'ent les montaignes pour les venir affaillir, & qu'ils
emportent la victoire fur eux, l'acqueft du victorieux c'eft la gloire,
& l'auantage d'eftre demeuré maiftre en valeur & en vertu : car
autrement ils n'ont que fiire des biens des vaincus, & s'en retournent
à leur pays, où ils n'ont faute de aucune chofe necefliiire, ny faute
20 encore de cette grande partie, de fçauoir heureufement iouyr de leur
condition & s'en contenter. Autant en font ceux-cy à leur tour. Ils
ne demandent à leurs prifonniers autre rançon que la confefllon
& recognoiflance d'eftre vaincus; mais il ne s'en trouue pas vn, en
tout vn fiecle, qui n'ayme mieux la mort que de relalcher, ny par
25 contenance, ny de parole, vn feul point d'vne grandeur de courage
inuincible : il ne s'en void aucun qui n'ayme mieux eftre tué
& mangé, que de requérir feulement de ne l'eftre pas. Ils les traictent
en toute liberté, affin que la vie leur foit d'autant plus chère; & les
entretiennent communément des menaftcs de leur mort future, des
Texte 88. — 19) de nulle chofe — 28) liberté, & leur fournifTcnt de toutes les
commoditcz, dequoy ils fe peuuent aduifer, aflin
276 ESSAIS DE MONTAIGNE.
tOLirmens qu'ils y auront à l'ouffrir, des apprcfts qu'on drefle pour
cet cffect, du detranchement de leurs membres, è;^ du teftin qui le
fera à leurs defpens. Tout cela le faict pour cette feule lin d'arracher
de leur bouche quelque parole molle ou rabaiflee, ou de leur donner
enuie de s'en fuyr, pour gaigner cet auantage de les auoir elpouuantez, 5
& d'auoir taict force à leur confiance. Car auflî, à le bien prendre,
c'eft en ce feul point que conlifte la vrave victoire :
iiictoria nu lia csl
Ouaiii quœ confessas an'nno quoque suhiugat hosics.
Les Hoiif^irs, ircshclUqucus conihahvis, ne poiirsiiiuoint idâis leur pointe, 10
outre auoir reudu l'cueiui a leur uwrei. Car, eu aiaut arraehe eette eoiijessiou,
ils le Jaissoiut aller sans offauee, sans rançon, sauf, pour le plus, d'eu tirer
parole de ne s'arnuv des lors en auant contre eus.
Asses r/'auantages gaignons nous fur nos ennemis, qui lont auan-
tages empruntez, non pas noftres. C'eft la qualité d'vn portefaix, non 15
de la vertu, d'auoir les bras & les iambes plus roides; c'eft vne
qualité morte & corporelle que la difpofition; c'eft vn coup de la
fortune de fiiire broncher noftre ennemy, & de luy eshlouir les yeux
par la lumière du Soleil; c'eft vn tour d'art & de fcience, & qui peut
tomber en vne perfonne lâche & de néant, d'eftre fuffifant à l'efcrime. 20
L'eftimation & le pris d'vn homme conlîfte au cœur & en la volonté;
■c'eft là où gift fon vray honneur; la vaillance, c'eft la fermeté, non
pas des iambes & des bras, mais du courage & de l'ame; elle ne
confifte pas en la valeur de noftre cheual, ny de nos armes, mais
Texte 88. — 6) force à leur vertu & leur confiance. — 7) vraye & folide
victoire : tous les autres auantages que nous gaignons fur nos ennemis, ce font auan-
tages empruntez, ils ne font pas noltres (A\nnt de r^-l'aire cette phr.isc, Montaigne se contente
d'effacer Ics autres) — 1 8) luy faire fillcr les yeux
Var. ms. — lo) ne poursuiiieni iamais tciir — ii) a sa mem leur merei sans meurtre
sans rançon. Car en aiant tire cette — 12) ils le laissent aller — 13) parole ne... ens.
Tous autres auantaoes
LIVRH I, CHAl'ITRi; XXXI. 277
en la noftre. Celuy qui tombe obrtinc en Ion courage, «si siuxiikiil,
ik a;i'iiii piigiuit ». Qui pour quelque dangier de la mort voifme
ne relalche aucun point de son alTcurancc; qui regarde encores,
en rendant Famé, Ion ennemy d'vne veuë ferme & dei'daigneule,
5 il eft battu, non pas de nous, mais de la fortune; il cft tue, itoit pus
iiaiiicii.
Les plus vaillans font par fois les plus infortunée.
Aussi y a il des pertes triomphantes a l'eniii des iiietoires. Ny ces quatre
uictoires seurs, les plus belles que le soleil ayc onques ueu de ses ycus, de
10 Sala mi ne, de Flattées, de Mvcale, de Sicille, osarent onques opposer toute
leur gloire ensemble a la gloire de [la] desconfiture du Roy Leonidas et des
siens, au pas des Thcrmopyles.
Qui courut ianiais d'une plus glorieuse enuie et plus andntieuse au guein
d'un combat, que le capiteine Ischolas a [la] perte ? Qui plus ingenieuseniàt
15 [et] curieusemant s'est assuré de son salut, que luv de sa ruine? Il estoit
commis a dejandre certein passage du Peloponesse contre les Arcadiens.
Pourquoi faire se trouuant du tout incapable, ueu la nature du lieu et
inégalité des forces, et se rcsoluant que tout ce qui se presanteroit ans enemis,
aroit de nécessite a y demurer; d'autre part estimant iiuligne et de sa propre
20 uertu et magnanimité & du nom lacedemonien, de faillir a sa charge : il
print entre ces deus extrémité:^ un moicn parti, de telle sorte. Les plus innés
et dispos de sa trope, il [les] conserua a la tuition et seruice de leur pais,
& les y renuoia; et aucq cens desquels lle\ défaut estoit moindre, il délibéra
de soutenir ce pas, &, par leur nuvt, en faire acheter ans enemis l'entrée
25 la plus chère qu'il luy seroit possible : come il aduint. Car, estant tantost
cnuirone de toutes pars par les Arcadiens, après en auoir jaict une grande
boucherie, luy et les siens furent tous )nis au fil de l'espee. Est il quelque
Texte 88.— 3) point de fa confiance & afleuraiicc — 5) il cft vaincu par effcct,
& non pas par raifon : c'eft fon mal'heur qu'on peut accufer, non fa Ikheté : les
plus vaillans
Var. ms. — II) descoiifiture el perle du Roy Leonidas [et] de ses compaigiwns au pas
de T — 20) magnanimité & de la — 22) les] couserue a
270 ESSAIS DE MONTAIGNE.
trophée assigne pour les ueincurs, qui ne soit miens den ci ces nciucus?
Le urai neincre ha pour son roUe î'estour, non pas le salut; et consiste
l'honur de la iiertu a combattre, non a battre.
Pour reuenir à noftre hiftoire, il s'en faut tant que ces prifonniers
fe rendent, pour tout ce qu'on leur fait, qu'au rebours, pendant ces 5
deux ou trois mois qu'on les garde, ils portent vne contenance
gaye; ils preffent leurs maiflres de fe hafter de les mettre en cette
efpreuue; ils les deffient, les iniurient, leur reprochent leur lâcheté
& le nombre des batailles perdues contre les leurs. l'ay vne chanfon
faicte par vn prifonnier, où il y a ce traict : qu'ils viennent hardiment 10
tretous & s'affemblent pour difner de luy; car ils mangeront quant
& quant leurs pères & leurs ayeux, qui ont feruy d'aliment & de
nourriture à fon corps. Ces mufcles, dit-il, cette cher & ces veines,
ce font les voflres, pauures fols que vous eftes; vous ne recognoiffez
pas que la fubftancc des membres de vos anceflres s'y tient encore : 1 5
fauourez les bien, vous y trouuerez le gouft de voflre propre chair.
Inuention qui ne fent aucunement la barbarie. Ceux qui les peignent
mourans, & qui reprefentent cette action quand on les aflbmme, ils
peignent le prifonnier crachant au vifage de ceux qui le tuent & leur
faifant la moue. De vray, ils ne ceflent iniques au dernier foufpir 20
de les brauer & deffier de parole & de contenance. Sans mentir, au
pris de nous, voila des hommes bien fauuages; car, ou il faut qu'ils
le foyent bien à bon efcient, ou que nous le foyons : il y a vne
merueilleufe diftance entre leur /orme & la noftre.
Les hommes y ont plufieurs femmes, & en ont d'autant plus grand 25
nombre qu'ils font en meilleure réputation de vaillance : c'eft vne
beauté remerquable en leurs mariages, que la mefme ialoufie que
nos femmes ont pour nous empefcher de l'amitié & bien-veuillance
d'autres femmes, les leurs l'ont toute pareille pour la leur acquérir.
Texte 88. — 24) leur confiance & la
Var. ms. — 2) rolle le combattre non pas l'eschapcr et m consiste pas Vbonur
LIVRE I, CHAPITRE XXXI. 279
Eftans plus Ibigneules de l'honneur de leurs maris que de toute
autre chofe, elles cherchent & mettent leur lolicitude à auoir le plus
de cûmpaigiies qu'elles peuuent, d'autant que c'eft vn tefmoignage
de la vertu du mary.
5 Les nostrcs crieront au mirade; ce m l'est pas : c'est une uertu proprement
matrimoniale, mais du plus haut estage. Et, en la Bible, Lia, Rachel,
Sara et les famés de lacop fournirent leurs belles seruantes a leurs maris;
et Liuia seconda les appétits d'Auguste, a son interest; et la fanw du Roy
Deiotarus, Stratonique, presta non sulemant a l'usage de son mari une fort
10 belle iune file de chambre qui la seruoit, mais en nourrist souigneusement
les enfans, & leur fit espaule a succéder ans estais de leur père.
Et, afin qu'on ne penfe point que tout cecy fe face par vne fimple
& feruile obligation à leur vfance & par l'impreflion de l'authorité
de leur ancienne couftume, fans difcours & fans iugement, & pour
15 auoir l'ame fi ftupide que de ne pouuoir prendre autre party, il faut
alléguer quelques traits de leur fuffifance. Outre celuy que ie vien
de reciter de l'vne de leurs chanfons guerrières, l'en ay vn' autre,
amoureufe, qui commence en ce fens : Couleuure, arrefte toy; arrefte
toy, couleuure, afin que ma fœur tire fur le patron de ta peinture
20 la façon & l'ouurage d'vn riche cordon que ie puiffe donner à m'amie :
ainfi foit en tout temps ta beauté & ta difpofition préférée à tous
les autres ferpens. Ce premier couplet, c'eft le refrein de la chanfon.
Or i'ay affez de commerce auec la poëfie pour iuger cecy, que non
feulement il n'y a rien de barbarie en cette imagination, mais qu'elle
25 eft tout à fait Anacreontique. Leur langage, au demeurant, c'eft ////
doux langage & qui a le l'on aggreable, retirant aux terminailons
Grecques.
Texte 88. — 3) de compagnes qu'elles — 25") c'eft le plus doux langage du
monde, & qui a le fon le plus aggreable à l'oreille, il retire fcnt aux terniinaifons
Var. ms. — 4) marj'. Ce n'est nullement miracle corne diront les nosires : c'est —
7) leurs seruantes — 8) Auguste iusques a son — 10) mais Us n — 11) succéder a l'csiat
de — 26) fon très aggreable à l'oreille, retirant aux
280 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Trois d'entre eux, ignorans combien coûtera vn iour à leur repos
& à leur bon heur la connoilîiince des corruptions de deçà, & que
de ce commerce naiftra leur ruyne, comme ie preluppofe qu'elle Ibit
defia auancée, bien milerables de s'eilre laiflez piper au dellr de la
nouuelleté, & auoir quitté la douceur de leur ciel pour venir voir 5
le noftre, turent à Rouan, du temps que le feu Rov Charles neufielme
y eftoit. Le Roy parla à eux long temps; on leur fit voir nortre façon,
noftre pompe, la forme d'vne belle ville. Apres cela quelqu'vn en
demanda leur aduis, ôt voulut Içauoir d'eux ce qu'ils v auoient
trouué de plus admirable : ils refpondirent trois choies, d'où i'ay 10
perdu la troilîefme, & en luis bien marrv; mais l'en av encore deux
en mémoire. Ils dirent qu'ils trouuoient en premier lieu fort el1:range
que tant de grands hommes, portans barbe, forts ix armez, qui etfoient
autour du Roy (il eft vray-femblable que ils parloient des SuifTes de
fa garde), fe foubs-miffent à obeyr à vn enfant, & qu'on ne choifilToit 15
plus tofl quelqu'vn d'entr'eux pour commander; fecondement (ils
ont vne fiiçon de leur langage telle, qu'ils nomment les hommes
moitié les vns des autres) qu'ils auoyent aperçeu qu'il y auoit parmy
nous des hommes pleins & gorgez de toutes fortes de commoditez,
& que leurs moitiez el1;oient mendians à leurs portes, décharnez de 20
faim & de pauureté; & trouuoient effrange comme ces moitiez icv
necefTiteufes pouuoient l'ouffrir vne telle iniuftice, qu'ils ne prinfent
les autres à la gorge, ou milTent le feu à leurs mailons.
le parlay à l'vn d'eux fort long temps; mais i'auois vn truchement
qui me fuyuoit fi mal, & qui efloit fi empefché à receuoir mes 25
imaginations par fii beftifc, que ie n'en peus tirer guiere de plaifir.
Sur ce que ie luv demandav quel fruit il receuoit de la luperiorité
qu'il auoit parmv les liens (car c'elfoit vn Capitaine, & nos matelots
le nommoient Rov), il me dict que celloit marcher le premier à la
guerre; de combien d'hommes il eÛoit kivuv, il me montra \nc 30
Te.xte 88. — 19) CDiiiiiioditcz & bien fouis, & que leurs
L1VK1£ I, CHAPITRE XXXI. 281
clpacc de lieu, pour llgniticr que c'eûcit autant quil en pourroit en
vne telle elpace, ce pouuoit élire quatre ou cinq mille hommes;
fi, hors la guerre, toute l'on authorité eftoit expirée, il dict qu'il luy
en reftoit cela que, quand il vifitoit les vilages qui dépendoient de
luy, on luy drelîbit des fentiers au trauers des hayes de leurs bois,
par où il peut pafler bien à l'aile.
Tout cela ne va pas trop mal : mais quoy, ils ne portent point
de haut de chaufles.
Chapitre XXXII.
Q.V IL lAVT SOBREMENT SE MESLER DE IVGER
DES ORDONNANCES DIVINES.
Le vray champ & fubiect de l'impofture font les chofes inconnues.
D'autant qu'en premier lieu l'eflrangeté mefme donne crédit; & puis,
n eflant point iubiectes à nos difcours ordinaires, elles nous oflent
le moyen de les combatre. A cette cause, âkt Platon, est il bien plus
aise de satisfaire, parlant de la nature des dicus, que de la nature des homes, 5
par ce que l'ignorance des auditeurs preste une belle et large carrière et toute
liberté au inanieiuent d'une matière cachée.
Il adulent de la qu'il n'eft rien creu i\ fermement que ce qu'on
fçait le moins, ny gens fi affeurez que ceux qui nous content des
fables, comme Alchimiftes, Prognoftiqueurs, ludiciaires, Chiroman- 10
tiens. Médecins, «id genus omne». Aufquels ie ioindrois volontiers,
fi i'olois, vn tas de gens, interprètes & contrerolleurs ordinaires des
deflains de Dieu, failans eftat de trouuer les caufes de chaque
accident, & de veoir dans les lecrets de la volonté diuine les motifs
incomprehenfibles de fes œuures; ik. quoy que la variété & difcordance 15
Textk 88. — 4) combatre, d'où il adulent qu'il n'eft — 15) fes opérations, &
T \ 1 .-i /, NI ^ ^" '■ il'<"iltiiil ^
\ AK. Ms. — • 4) combatre /:/ rt a'//f — 5) bonus C „ (iiic I nviornitce
■' ■' 2° : a cause ' ' -^
^>uuu une bcUii et- ^eili eamei^ des audiieun — 7) matière imenu-t
LIVRE I, CHAPITRH XXXII. 28^
continuelle des euenemcns les reiette de coin en coin, & d'orient
en occident, ils ne laiffent de fuiure pourtant leur efteuf, &, de mefme
creon, peindre le blanc & le noir.
En vne nation Indienne, il y a cette louable obferuance : quand il
5 leur mcs-aduient en quelque rencontre ou bataille, ils en demandent
publiquement pardon au Soleil, qui eft leur Dieu, comme d'vne
action iniufte, raportant leur heur ou malheur à la raifon diuinc,
& luy fubmettant leur lugement & difcours.
Suffit à vn Chreftien croire toutes chofes venir de Dieu, les
10 receuoir auec reconnoiflance de fa diuine & infcrutable fapience,
pourtant les prendre en bonne part, en quelque vifage qu'elles luy
loient enuoyees. Mais ie trouue mauuais ce que ie voy en vfage,
de chercher à fermir & appuyer noftre religion par le bon-heur
& profperité de nos entreprifes. Noftre créance a aflez d'autres
15 fondemens, fans l'authorifer par les euenemens : car, le peuple
accouftumé à ces argumens plaufibles & proprement de fon gouft,
il eft dangier, quand les euenemens viennent à leur tour contraires
& delauantageux, qu'il en eltranle fii fov. Comme aux guerres où
nous fommes pour la religion, ceux qui eurent Faduantage au
20 rencontre de la Rochelabeille, faifans grand fefte de cet accident,
& le leruans de cette fortune pour certaine approbation de leur
party, quand ils viennent après à excufer leurs defortunes de
Mont-contour & de larnac fur ce que ce font verges & chaftiemens
paternels, s'ils n'ont vn peuple du tout à leur mcrcv, ils luy font
25 aflez aifément fentir que c'eft prendre d'vn fac deux mouldures,
& de mefme bouche fouffler le chaud & le froid. Il vaudroit mieux
l'entretenir des vrays fondemens de la vérité. C'eft vne belle bataille
nauale qui s'eft gaignée ces mois paflez contre les Turcs, loubs la
conduite de don loan d'Auftria; mais il a bien pieu à Dieu en taire
30 autres-fois voir d'autres telles à nos defpens. Somme, il eft mal-aylé
de ramener les chofes diuines à noftre balance, qu'elles n'y fouftrent
du defchet. Et qui voudroit rendre raifon de ce que Arrius & Léon,
284 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Ion Pape, chefs principaux de cette herefie, moururent en diuers
temps de mors fi pareilles & Il eftranges (car, retirez de la difpute par
douleur de ventre à la garderobe, tous deux y rendirent lubitement
l'ame), & exagérer cette vengeance diuine par la circonftance du
lieu, y pourroit bien encore adioufter la mort de Heliogabalus, qui 5
fut aufli tué en vn retraict. Mais quoy? Irenée fe trouue engagé en
mefme fortune. Dieu nous uoulant aprcindre que les bons ont autre chose
a espérer, & les mauues autre cljose a creindre que les fortunes ou infortunes
de ce monde, [il] les manie et applique selon sa disposition occulte, et nous
oste le moïen d'en faire sottement nostre profit. Et se moquent cens qui s'en 10
ueulcnt preualoir selon l'humaine raison. Ils n'en douent iamais une touche,
qu'ils n'en refoiuent deus\ S. Augustin en faict une belle prenne sur ses
aduerseres. C'est un conflict qui se décide par les armes de la mémoire plus que
par celles de la raison. Il fe faut contenter de la lumière qu'il plait au
Soleil nous communiquer par fes rayons; &, qui efleuera fes yeux 15
pour en prendre vne plus grande dans fon corps mefme, qu'il ne
trouue pas eftrange fi, pour la peine de fon outrecuidance, il y perd
h. veue. «Qiiis Jmniiunn potcst scire consiliuni dei? aut quis potcrit cogitare
quid uelit doniiuus? »
Yak. ms. — 8) fortunes et — 9) sa raison occulte el impetielraHe et se moquent —
II) touct'c a leur aduersere qu'ils — 12) deus mm celuy qui a plus de raison mais cchty
qui a plus de mémoire y gaigne sa cause. Il fe faut — 12) faict sentir une belle preuue
a ses — 19) dominus? Ou la ueue de son entaudement pour corne il auit a Anaxagoras pour
trop hautemant uouloir pénétrer les choses célestes.
1 Peut-être faut-il lire dueS
Chapitre XXXIII.
DE FVIR LES VOLVPTEZ AV PRIS DE LA VIE.
l'auois bien vcu conuenir en cccv la plufpart des anciennes
opinions : qu'il eft heure de mourir lors qu'il y a plus de mal que
de bien à viure; & que, de conferuer noftre vie à noftre tourment
& incommodité, c'eft choquer les Joix mefmes de nature, comme
5 difent ces vieilles règles :
H Zr,'i x.'/.\)-::(i):, r, Oxvîîv £Ù9a!;xsvu>ç.
KaXsv Ovr,îX£'.v oîç ûSptv to Çv^v sÉpï'..
Kpîtsîîv t: [jly] ÇtJv Irr'tv ■^ Çr,v aÔAÎur.
Mais de pouflcr le melpris de la mort iniques à tel degré, que de
lo l'employer pour fe diftraire des honneurs, richefles, grandeurs
& autres faueurs & biens que nous appelions de la fortune, comme
fi la raifon n'auoit pas aflez affiiire à nous perfuader de les aban-
donner, fans y adiouter cette nouuelle recharge, ie ne l'auois veu ny
commander nv pratiquer, iufques lors que ce paffiige de Seneca
15 me tomba entre mains, auquel confeillant à Lucilius, perionnage
puiflant & de grande authorité autour de l'Empereur, de changer
cette vie voluptueufe & pompeuse, & de fe retirer de cette ciiiihitioit du
Texte 88. — 4) les reigles niefmcs — 17) voluptueufe & lunniltuairc, &... cette
preffe du
286 ESSAIS DE MONTAIGNE.
monde à quelque vie folitaire, tranquille & philofophique, furquoy
Lucilius alleguoit quelques difficultez : le fuis d'aduiz (dict-il) que
tu quites cette vie la, ou la vie tout à faict; bien te confeille-ie de
fuiure la plus douce voye, & de deftacher plufloft que de rompre
ce que tu as mal noué, pourueu que, s'il ne fe peut autrement 5
deftacher, tu le rompes. Il n'y a homme fi couard qui n'ayme mieux
tomber vne fois que de demeurer toufiours en branle. l'eufle trouué
ce confeil lortable à la rudefle Stoïque; mais il eft plus eftrange
qu'il foit emprunté d'Epicurus, qui efcrit, à ce propos, chofes toutes
pareilles à Idomeneus. 10
Si eft-ce que ie penfe auoir remarqué quelque traict femblable
parmy nos gens, mais auec la modération Chreftienne. S. Hilaire,
Euefque de Poitiers, ce fameux ennemy de l'herefie Arriene, eftant
en Syrie, fut aduerti qu'Abra, la fille vnique, qu'il auoit laifTée par
deçà auecques fa mère, eftoit pourfuyuie en mariage par les plus 15
apparens Seigneurs du païs, comme fille très-bien nourrie, belle,
riche & en la fleur de fon aage. Il luy efcriuit (comme nous voyons)
qu'elle oftat fon affection de tous ces plaifirs & aduantages qu'on luy
prefentoit; qu'il luy auoit trouué en fon voyage vn partv bien plus
grand «Se plus digne, d'vn mary de bien autre pouuoir & magnificence, 20
qui luy feroit prefens de robes & de ioyaux de pris ineftimable.
Son deffein eftoit de luy faire perdre l'cippefit & l'vfage des plaifirs
mondains, pour la ioindre toute à Dieu; mais, à cela le plus court
«Se plus certain moyen luy femblant eftre la mort de fa fille, il ne
cefla par veux, prières & oraifons, de faire requefte à Dieu de l'ofter 25
de ce monde & de l'appeller à foy, comme il aduint : car bien-toft
après fon retour elle luy mourut, dequoy il montra vne finguliere
ioye. Cettuy-cy femble enchérir fur les autres, de ce qu'il s'adrcfle
à ce moyen de prime face, lequel ils ne prennent que fubfidieremcnt,
«Se puis que c'eft à l'endroit de la fille vnique. Mais ie ne veux obmettre 30
Texte 88. — 22) perdre le gouft & — 27) fingiiliere allegrelTe. Cettuy-cy
LIVRE 1, CHAPITRE XXXIII. 287
le bout de cette hiftoire, encore qu'il ne loit pas de mon propos.
La femme de Sainct Hilaire, ayant entendu par luy comme la mort
de leur fille s'eftoit conduite par l'on deflein & volonté, & combien
elle auoit plus d'heur d'eftre deflogée de ce monde que d'y eftre,
print vne fi viue apprehenfion de la béatitude éternelle & celefle,
qu'elle folicita fon mary auec extrême infiance d'en faire autant pour
elle. Et, Dieu à leurs prières communes l'ayant retirée â foy bientoft
après, ce fut um mort embraflee auec singulier contentement commun.
Texte 88. — 8) après, il ne fut iamais mort cmbraffée auec fi grand contentement.
Chapitre XXXIV.
LA FORTVXE SE RENCONTRE SOV\"ENT AV TRAIN DE LA RAISON.
L'inconftance du branflc diuers de la fortune fait qu'elle nous
doiue prefenter toute efpece de vifages. Y a il action de iuftice plus
expreffe que celle cy? Le Duc de Valentinois, ayant refolu d'empoi-
fonner Adrian, Cardinal de Cornete, chez qui le Pape Alexandre
lixiefme, fon père, & luy alloyent louper au Vatican, enuoya deuant 5
.quelque bouteille de vin cmpoifonné, & commanda au lommelier
qu'il la gardafl bien loigneulement. Le Pape y eftant arriué auant
le fils & ayant demandé à boire, ce lommelier, qui penfoit ce vin
ne luy auoir elle recommandé que pour la bonté, en leruit au Pape;
& le Duc melme, y arriuant fur le point de la collation, & fe fiant 10
qu'on n'auroit pas touché à la bouteille, en prit à fon tour : en
. manière que le père en mourut foudain ; & le fils, après auoir efté
longuement tourmenté de maladie, fut referué à vn' autre pire
fortune.
Quelquefois il femble à point nommé qu'elle fe ioiic à nous, is
Le Seigneur d'Eflrée, lors guidon de Monfieur de \'andome, & le
Seigneur de Liques, lieutenant de la compagnie du Duc d'Alcot,
efians tous deux leruiteurs de la kvur du Sieur de Lounguelelles,
quoy que de diuers partis (comme il adulent aux voifins de la
Texte 88. — 5) celle icy? Le
LIVRE I, CHAPITRE XXXIV. 289
fronticrc), le Sieur de Licques l'emporta; mais, le mefme iour des
nopces, &, qui pis eit, auant le coucher, le marié, ayant enuie de
rompre vn bois en taueur de la nouuelle elpoul'e, fortit à l'efcar-
mouche près de Sainct Omer, où le Sieur d'Eftrée, le trouuant le
S plus fort, le feit l'on prilbnnier; &, pour laire valoir ion aduantage,
encore faufit il que la Damoifelle,
Coniugis ante coacta noui dimittere colluni,
Quam veniens vna atque altéra rurfus liyems
Noctibus in longis auidum faturalTet amorem,
10 luy fit elle melme requefle par courtoifie de luy rendre ion prilbnnier,
comme il fift : la noblelTe Françoife ne refuûint iamais rien aux Dames.
Sciiihlc il pas que ce soit un sort artiste ? Constantin, Jilx de Helcine,
fonda [V\empire de Constantinopk; et, tant de sieeJes après, Constantin,
Jilx [de'\ Helcine, le finit.
15 Quelque fois il luy plait enuier l'ur nos miracles. Nous tenons que
le Roy Clouis, aflîegeant Angoulefme, les murailles cheurent d'elles
mefmcs par fiiueur diuine; & Bouchet emprunte de quelqu' autheur,
que le Roy Robert, aflîegeant vue ville, & s'eftant delrobé du fiege
pour aller à Orléans Iblemnizer la fefte Sainct Aignan, comme il
20 eftoit en deuotion, fur certain point de la mefle, les murailles de la
ville aflîegée s'en allèrent lans aucun effort en ruine. Elle fit tout
à contrepoil en nos guerres de Milan. Car le Capitaine Renie
afl!îegeant pour nous la ville d'Eronne, & ayant fait mettre la mine
foubs vn grand pan de mur, & le mur en eftant brufquement enleué
25 hors de terre, recheut toutes-fois tout empanné, fi droit dans fon
fondement que les alTiegez n'en vaufirent pas moins.
Qiielquefbis elle faict la médecine, lafon Phereus, etlant aban-
donné des médecins pour vne apoflume qu'il auoit dans la poitrine,
ayant enuie de s'en défaire, au moins par la mort, fe ietta en vne
30 bataille à corps perdu dans la prefîe des ennemis, où il fut blefTé
à trauers le corps, fi à point, que fbn apoffume en creua, & guérit.
290 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Surpafla elle pas le peintre Protogenes en la Icience ele Ion art?
Cettuv-cy, ayant parfaict l'image d'vn chien las & recreu, à Ion
contentement en toutes les autres parties, mais ne pouuant repre-
fenter à fon gré l'efcume & la baue, defpité contre la befongne,
prit fon efponge, &, comme elle eftoit abreuuée de diuerfes peintures, 5
la ietta contre, pour tout effacer : la fortune porta tout à propos le
coup à l'endroit de la bouche du chien, & y parfournit ce à quoy
l'art n'auoit peu attaindre.
N'adreffe elle pas quelquefois nos confeils & les corrige? Ilabel,
Royne d'Angleterre, avant à repafler de Zelande en ion Royaume, 10
auec vne armée en taucur de fon fils contre fon mary, eftoit perdue,
fi elle fut arriuée au port qu'elle auoit proieté, y eftant attendue par
fes ennemis; mais la fortune la ietta contre fon vouloir ailleurs, où
elle print terre en toute feurté. Et cet ancien qui, ruant la pierre à vn
chien, en afl"ena <:s; tua la maral^rc, eui^ il pas raifon de prononcer 15
ce vers :
la fortune a meilleur aduis que nous?
Icctes auoit pratiqué deus soldats pour hier Timokou, seiouriiant a
Adrane, en la SicilJe. Us prindrent heure sur le point qu'il fairoit quelque 20
sacrifice; et, se mtslans parmi la multitude, corne ils se guignoint l'un
l'autre que l'occasion estoit propre a leur hcsouigne : uoicy un tiers qui,
d'un grand coup d'espee, en assené l'un par la teste, et le rue nwrl par terre,
[et] s'en fuit. Le compaignon, se tenant pour decouuert et perdu, recourut
a l'autel, requérant franchise, aiieq promesse de dire toute la uerite. Ainsi 25
(/;('// faisoil le conte de la eoniuration, uoicy le tiers qui auoil este airapé,
lequel, come ninrtrier, le peuple pousse et saboule autrauers la presse, uers
Tinioleon ci les plus apparans de l'assamhlec. La, il crie merci, et dici auoir
Texte 88. — 2) Ccttuv-cy eftoit peintre, & avant — 6) à point le
Var. ms. — 27) peuple poff... autriuien de la
LIVRK 1, CHAPITRH \XX1V. 29I
iiiskim'iit tue l'assassin de son père, uerifiant sur le ehanip, par des tesnioins
que son bon sort luy fournit tout a propos, qu'en la uillc des Leontins son
père, de vray, auoit este tue par celuy sur lequel il s'estoit uan\gé]. On luy
ordona dix mines Attiques pour auoir eu cet heur, prenant raison de la
S mort de sô père, d'atioir retire de mort le père commun des Siciliens. Cette
fortune surpasse en règlement les règles [de] l'humaine prudance.
Pour la fin. En ce faict icy fe defcouure il pas vnc bien cxpreflc
application de fa faueur, de bonté & pieté finguliere? Ignatius Père
& fils, profcripts par les Triumuirs à Romme, fe refolurent à ce
10 généreux office de rendre leurs vies entre les mains l'vn de l'autre,
& en fruftrer la cruauté des Tyrans : ils fe coururent fus, l'efpee au
poing; elle en drelTa les pointes & en fit deux coups elgallement
mortels, & donna à l'honneur d'vne fi belle amitié, qu'ils enflent
iuftement la force de retirer encore des playes leurs bras fanglants
15 & armés, pour s'entrembraflTer en cet eftat d'vne fi forte eflrainte,
que les bourreaux coupèrent enfemble leurs deux teftes, laiflîint les
corps toufiours pris en ce noble neud, & les playes iointes, humant
amoureufement le fang & les reftes de la vie l'vnc de l'autre.
Texte 88. — 16) bourreaux couparent enfemble
\'ar. ms. — i) lue le iiniririer de
Chapitre XXXV.
D V\ DEFAVT DE NOS POLICES.
Feu mon père, homme, pour n'ertre avdé que de l'expérience
(Is: du naturel, d'vn iugement bien net, ma dict autrefois qu'il auoit
déliré mettre en train qu'il v eull; es iiillcs certain lieu deligné, auquel
ceux qui aiviiit beloin de quelque choie, le peulTent rendre & faire
enregiftrer leur affaire à vn officier eftably pour cet effect, comme : 5
/(' cherche a uaiidre des perles, ic cherche des perles a iiendre. Tel lient
compagnie pour aller à Paris; tel s'euqiiiert d'xn feruiteur de telle
qualité; tel J'vn maiilre; tel demande vn ouurier; qui cecy, qui
cela, chacun lelon Ion beloing. Et lemble que ce moven de nous
entr' aduertir apporteroit non legiere commodité au commerce 10
publique : car à tous coups il v a des conditions qui s'entrecherchent,
•&, pour ne s'entr'enieiidre, laiflent les hommes en extrême neceffité.
l'entens, auec vne grande honte de noihe liecle, qu'à noflre veùc
deux tres-excellens perfonnages en fçauoir l'ont morts en eftat de
n'auoir pas leur foui à manger : Lilius Gregorius Giraldus en Italie, 15
& Sebaftianus Caftalio en Allemagne; & croy qu'il y a mil' hommes
Texte 88. — 2) autrefois, qu'es comni.iiidenicns qui luv eftoyent tombez en
main, il auoit dcfirc de mettre — 4) qui cuflcnt bcfoin — 6) tel cherche compagnie
— 7) tel cherche vn feruiteur — 8) tel clicrche vn maiftre — 12) pour ne fe
pouuoir rencontrer, laiflent
LivRi- I, ciiAriTRi; XXXV. 293
qui les eulïcnt appelle/ auec tres-aduantageules conditions, o/nrroz/n/.s-
()// ils i'stoint, s'ils l'euflent fçeu. Le monde n'efl pas 11 généralement
corrompu, que ie ne l'çache tel homme qui fouhaiteroit de bien
grande affection que les moyens que les liens luy ont mis en main,
5 le peuffent employer, tant qu'il plaira à la fortune qu'il en ioûiffe,
à mettre à l'abry de la necelTité les perfonnages rares 6c remarquables
en quelque espar de valeur, que le mal'heur combat quelquefois
iniques à l'extrémité, & qui les Dwttrdït pour le moins en tel eftat,
qu'il ne tiendroit qu'à taute de bon difcours, s'ils n'eftoyent contens.
10 Eii la police aroiiomiqiie mon pcrc auoit cet ordre, que ie sçcu louer,
mais miUemant ensuiure. C'est qu'outre [le] registre des négoces [du]
nu'snage ou se logent [les] menus contes, paiemàs, marche::^, qui ne requièrent
lu main du notere, le quel registre un receueur a en charge, il ordonoit
a celuy de ses gens qui lux scruoit a escrire, un papier iournal a insérer
1 5 toutes les suruenances de quelque remarque, [et] iour par iour les mémoires
de l'histoire de sa maison, tresplcsante a uoir quand le temps comance [a]
en effacer la somicnance, et tresapropos pour nous oster sonnant de peine :
quant fut entamée telle hesouigne? quand acheuee? quels treins y ont passe?
combien arreste? nos uoiagcs, nos ahsances; mariages; mors; la réception
20 des hureuses [ou] malancôtreuses nouuelles; changemant des seruiturs prin-
cipaus; telles matières. Vsagc antien, que ie treuue bon a refrcschir, chacun
en sa chacuniere. [Et] me treuue un sot d'y anoir failli.
Texte 88. — 7) quelque forte de (lorie faute dimpassion.) — S) les nietlroii pour
V'ar. ms. ^ i) secourus m kuf: — lo) œcimomique il auoil — 15) iwlere eeluy
de ses gens qui senwit a csenm — 15) remarque i«ui^ — 16) temps animnçoit a —
17) soiiueimiice el tresutillc a lu'us — 18) fui conuincce telle — 21) hou de refreschir
Chapitre XXXVI.
DE LVSAGE DE SE VESTIR.
Ou que ie vueille donner, il me fout forcer quelque barrière de
la couftume, tant elF a loigneulcment bridé toutes nos auenues.
le deuifoy, en cette faifon frileule, li la façon d'aller tout nud de
ces nations dernièrement trouuées, eft vne façon forcée par la chaude
température de l'air, comme nous difons des Indiens & des Mores, 5
ou II c'eft Foriginele des hommes. Les gens d'entendement, d'autant
que tout ce qui efl; foubs le ciel, comme dit la laincte parole, eft
fubiect à mefmes loix, ont accouftumé, en pareilles confiderations
à celles icy, où il faut diflinguer les loix naturelles des controuuées,
de recourir à la generalle police du monde, où il n'y peut auoir 10
rien de contrefaict. Or, tout eftant exactement fourny ailleurs de
filet & d'éguille pour maintenir fon élire, il eft, à la vérité, mécreable
que nous foyons feuls produits en eftat deffectueux & indigent, & en
eftat qui ne fe puifTe maintenir fans lecours efl;rangier. Ainfi ie tiens
que, comme les plantes, arbres, animaux <S: tout ce qui vit, fe treuue 15
naturellement equippé de fuffifante couuerture, pour fe deftendre
de l'iniure du temps,
Proptereàque ferè res omnes aut corio funt,
Aut fêta, aut concliis, aut callo, aut cortice tect;v,
LIVRE I, CHAPITRE XXXVI. 295
aufli cftions nous; mais, comme ceux qui efteignent par artiticicUc
lumière celle du iour, nous auons efteint nos propres moyens par
les moyens empruntez. Et eft aile à voir que c'eit la couftume qui
nous taict impoflîble ce qui ne l'eft pas : car, de ces nations qui
5 n'ont aucune connoilTance de vertemens, il s'en trouue d'aflii'es
enuiron Ibubs mel'me ciel que le noftre; în: puis la plus délicate partie
de nous eft celle qui le tient toufiours del'couuerte : les vcits, la bouche,
le ne:^ les oreilles ; a nos eontadius, corne a nos ayeuls, la partie pectoralk
et le neutre. Si nous fuflions nez auec condition de cotillons & de
10 greguelques, il ne faut taire doubte que nature n'euft armé d'vne
peau plus elpoilTe ce qu'elle euft abandonné à la baterie des lailbns,
comme elle afaict le bout des doigts & plante des pieds.
Pourquoi semble il difficile a croire? Entre ma façon d'estre uestu, et
celle d'un paisan de mon pals, ie treuue bien plus de distance qu'il n'y a de
15 sa façon a un home qui n'est uestu que de sa peau.
Combien d'homes, et en Turquie sur tout, vont nuds par deuolion.
le ne fçay qui demandoit à vn de nos gueux qu'il \ovoit en
chemife en plain hyuer, aulîî fcarrebillat que tel qui fe tient emmitoné
dans les martes iulques aux oreilles, comme il pouuoit auoir patience :
20 Et vous, monlieur, relpondit-il, vous auez bien la face delcouuerte;
or moy, ie fuis tout face. Les Italiens content du fol du Duc de
Florence, ce me lemble, que ion maiftre s'enquerant comment, ainli
mal veftu, il pouuoit porter le froid, à quoy il eftoit bien empefché
luy-mefme : Suiuez, dict-il, ma recepte de charger fur vous tous
25 vos accouftremens, comme ie lay les miens, vous n'en louffrirez
non plus que moy. Le Roy Mafliniflii iufques à l'extrême vieillefTe
ne peut eftre induit à aller la tefte couuerte, par froid, orage & pluye
qu'il lit. Ce qu'on dicl aussi de [l'jemperur Seuerus.
Texte 88. — 2) cfteint & eftoufté nos — 3) empruntez & c-ftrangiers. Et —
12) a garny le — 18) tient ammitoné dans
Var. ms. — 12) pieds. Poiirifui — 15) croire. Ul If — 14) plus de di^iMHn —
1 5) home iiiid. le
2^6 ESSAIS DH .MONTAIGNE.
Ans luitaiUcs douces entre les .Egiptiens et les Perses, Hérodote dict aiioir
este remarque et par d'autres & par liiy, que, [di\ cens qui y demuroini
mors, Je test estait sans comparaison plus dur aus ^Jzgiptiens qu 'ans Persiens,
a raison que cens icy portent leur testes tousiours couucrtes de béguins &puis
[de] turbans, cens la rases des [l'^enfancc & dcscouucrtes. 5
Et le roy Agefilaus obferua iufques à l'a décrépitude de porter
pareille vefture en hyuer qu'en efté. Crelar, dict Suétone, marchoit
toullours deuant fa troupe, & le plus fouuent à pied, la tefte
defcouuerte, loit qu'il fit Soleil ou qu'il pleut; & autant en dict on
de Hannibal, 10
tum vertice nudo
Excipere infanos imhres cœlique ruinam.
/'// ucniticn qui s'v est tenu long temps, & qui ne faict que d'en uenir,
escrit qu'an Rovauine du Pcgu, les autres parties du cors ucstues, les hotms
et les famés udt tousiours les pieds nuds, mesme \jf\ chenal. 15
Et Platon conseille merueilleusemât, pour la sàte de tout le corps, Uie]
' ne douer aus pieds [et] a la teste autre couuertnrc que celle que natura
y a mise.
Celuv que les Polonnois ont choifi pour leur Roy après le noftre,
qui eft à la vérité vn des plus grands Princes de noftre llecle, ne 20
porte iamais gans, ny ne change, pour hyuer & temps qu'il tace,
le mefine bonnet qu'il porte au couuert.
Comme ie ne puis fouffrir d'aller defboutonné & deftaché, les
laboureurs de mon voilinage le lentiroient entrauez de l'eftre. \'arro
tient que, quand on ordonna que nous tinfions la tefte defcouuerte 2j
en prefence des Dieux ou du Magiftrat, on le fit plus pour noftre
Texte 88. — 24) .\arro Jict que
V.\R. MS. — i) aiioir eUi^ m — 2) tu\ iiicsiuc que — 5) test des lestes csloit... /i/w
_/*)... ans .Egiplieiies qu'ans Pcrsieiies et que la raison estait qnc tes Pemem Perses portent
— 5) turbans tes .Egipliens rases — 15) famés marctiêt tousiours les pieds nnds cl tes
portêt [^de] niesnie dans tes estriefs. Ccluy — 1 7) natura y a uo lu
LIVRE I, CHAPITRE XXXVl. 297
lanté, & nous termir contre les iniurcs du temps, que pour compte
de la reuerence.
Et puis que nous l'ommes lur le froid, 6c François accouftumez
à nous higuarrer (non pas' moy, car ie ne m'habille guiere que de
5 noir ou de blanc, à l'imitation de mon père), adiourtons, d'vne
autre pièce, que le Capitaine Martin du Bellay dict, au voyage de
Luxembourg, auoir veu les gelées il alpres, que le vin de la munition
fc coupoit à coups de hache & de coignée, le debitoit aux Ibldats
par poix, & qu'ils l'emportoient dans des paniers. Et Ouide, à deux
10 doigts prez :
Nuddque confiftunt forinam leruantia tefta;
Vina, nec haufta meri, l'ed data frufta bibunt.
Les gelées font û afpres en Xcinhouchcurc des Palus Mo^otides,
qu'en la mefme place où le Lieutenant de Mithridates auoit liuré
i) bataille aux ennemis à pied fec & les y auoit destaicts, l'efté venu
il y gaigna contre eux encore vne bataille nauale.
\Lcs Romains souffrirent grciiul iksaduantagc an] combat qu'ils curent
contre les Carthaginois près de Plaisance, de ce qu'ils alarent a la charge
le sang fige et les membres contreins de froit, la ou Annibal auoit faict
2o espandre du feu par tout son ost, pour eschauffer ses soldats, et distribuer
de l'Jniile par les bandes, affin que, s'ouignant, ils randissent leurs nerfs
plus soupples cl desgourdis, et encroustassent les pores contre les coups de
l'air et du uent gelé qui tirait lors.
[La reirailte des Grecs, de Babylone en leurs pais, est fameuse des diffi-
25 cullci] et mesaises qu'ils eurent a surnumter. Ccttecy en fut, qu'accueillis
ans montaignes d'Arnuiùe d'un horrible rauage de neges, ils en perdirent
Texte 88. — 15) en l'enibouchcrc des
Var. ms. — 20) tûui pour cscbauffcr les skiis il — 21) affui qu'en s'cnouigiiaut —
25) qu'il eiireiil a !,upp9i4ei:
' non pas... perc addiiioii de ij88.
298 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Ja conoissancc du pais ci des chenils, et, en estant assiège:;^ tout court, furent
un iour et une nuit sans boire et sans manger, la plus part de leurs testes
mortes; d'entre eus plusieurs morts, plusieurs aueugles du coup du grésil
et lueur de la nege, plusieurs stropiei par les extrémité:^, plusieurs roidcs,
transis et immobiles d{ froit, aïant encore le sens entier.
Alexandre nid une nation en laquelle on enterre les arbres fruitiers en
Muer, pour les defandre de la gelée.
Sur le fubiect de veflir, le Roy de la Mexique changeoit quatre
fois par iour d'accouftremens, iamais ne les reiteroit, employant fa
desferre à fes continuelles liberalitez & recompenfes; comme auflî
ny pot, ny plat, ny vtenfile de fa cuifme (it de la table ne luy eftoient
fcruis à deux fois.
Texte 88. — 10) auffi iamais nv pot,
\'.\R. MS. — ■ 1) lOiwissaiicc qu ittt puis cl tks iviila li cslaiit — 3) coup du uciil cl
Chapitre XXXVII.
DV lEVXE CATO\.
le n'ay point cette erreur commune de iuger d'un nuire félon que
ie suis. l'eu croy ayfément des chofes diuerses a luoy. Pour tue sentir
engagé a une forme, ie n'y oblige pas le monde, come chacun faict; cl crois
et conçois mille contreres façons de nie; ci, au rebours du coinmii, reçois
5 plus facilement la differâcc que la rcssamblancc en nous. le descharge tant
qu'à ueut un autre estre de mes conditions & principes, et le considère
simplemât en luy mesme, sans relation, l'esioffant sur son propre modelle.
Pour n'est re continant, ie ne laisse d'aduouer sinceremant la conlinance des
FeniUens et des Capuclnns, et de bien treuucr l'air de leur trein : ie m 'insinue,
10 par imagination, fort bien en leur place.
Texte 88. — i) iuger d'autruy félon moy, & de rapporter la condition des autres
hommes à la mienne : ie croy ayfément d'autruy beaucoup de chofes, où mes forces
ne peuuent attaindre : la foihleffe (p. 500, 1. 4.)
Var. ms. — i) 1° : félon que ie suis & de rapporter la condition des autres
hommes à la mienne : ie croy ayfément des chofes, où mes forces ne peuuent attaindre :
La foiblefle (p. 500, 1. 4.) 2° : félon que ie suis Et ue louer qu'autant que ie sçai imiter :
ie croy ayfément des chofes, où mes forces ne peuuent attaindre. La foibleffe 5° : félon
que ie suis Et ne louer qu'autant que ie sçai imiter : t'en croy ayfément des chofes diuerses
— 2) me uoir engagé — 4) contreres figures de uie : en nous : et aus rehours — 5) plus
aiseemàt la... ressamhlauce en nos estres : ie descharge aiseemât un autre — 6) principes
et la considère puremant en elk mismc mm luy mesme, — 7) 1° = relation a mon modelle
et l'cstoffant 2° : relation et l'estoffanl
500 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Et si les aime et les honore d'autàt plus qii 'ils sont autres que moi. le désire
singulièrement qu'on nous iuge [cbascun a part soy, et qu'on ne\ me tire en
conscquance [des communs exemples.]
Ma foiblefle n'altère aucunement les opinions que ie dois auoir
de la force & uigeur de ceux qui le méritent. « Sunt qui nihil laudent, 5
)iisi quod se imitari posse confidunt.^ » Rampant au limon de la terre,
ie ne laifle pas de remerquer, iufques dans les nues, la hauteur
inimitable d'aucunes âmes héroïques. Ceft beaucoup pour moy
d'auoir le iugement réglé, fi les effects ne le peuuent eftre, & main-
tenir au moins cette maiflreffe partie exempte de corruption, C'efl 10
quelque choie d'auoir la volonté bonne, quand les iambes me
foillent. Ce fiecle auquel nous viuons, au moins pour noftre climat,
ell fi plombé que, ie ne dis pas l'exécution, mais l'imagination mesme
de la vertu en eft à dire; & femble que ce ne loit autre chofe qu'vn
iargon de colliege : iS
iiirtiilciii uiihn pulant , ut
Lvcnm ligua.'
« Qjutm uereri dehereni, etiamsi pereipere non possent. »
C'est un ajjiquet a pendre en un cabinet, ou au bout de la langue, conie
au bout de l'oreille, pour parement. 20
Texte 88. — 4) foiblefle que ie fens en moy, n'altère — 5) de la vertu & valeur
de — 10) exempte de la corruption & débauclie : c'eft (Montaigne efface la avant d'effacer
& débauche) — 13) que le gouft melhic de la vertu
\'ar. ms. — 1) El en outre les aime — 5) de la vertu & »i"fiu/r de — 8) héroïques
et par quel inoien elles s'y sont montées quel tour elles se douent pour s'esleuer corne ie n'admire
aucune action ou pansée pour sa bassesse, ic i'ay et rcconois en mon anie, les semâces i" : de
tous CCS nwuuemàs. 2": de ces mouucinàs. 3°: i/i' ;« /ro^'rr:;. C'eft beaucoup
' Cette citation, écrite une première fois dans l'interligne, est rayée et récrite dans la marge. Voir
l'héliogravure qui est en tête de ce volume.
2 Cette citation fai-sait partie du texte de 1 588 ; mais elle était imprimée comme Je la prose. Montaigne
l'a récrite en marge sous la forme de vers.
LIVRE I, CHAPITRK XXXVII. 5OI
Il ne le recogm)it plus d'action vertueule : celles qui en portent le
vilage, elles n'en ont pas pourtant l'effence, car le profit, la gloire,
la crainte, l'accoutumance & autres telles caules eftrangeres nous
acheminent à les produire. La iuflice, la vaillance, la debonnaireté,
5 que nous exerçons lors, elles peuuent eftre ainsi iioniccs pour la
confideration d'autruy, & du vilage qu'elles portent en public, mais,
chez l'ouurier, ce n'ell aucunement vertu; il y a vne autre lin
propolée, antre cause inonnante. Or la iiertii n'aduoue rien que ce qui
fe faict par elle & pour elle feule.
10 En ccte grande \ bataille de Pot idée que les Grecs sous Pausanias] gai-
gnarent contre Mardonius et les Perses, les uictorieus, suiuant leur costume,
uenans a partir entre eus la gloire de l'exploit, attribuareiit a la nation
Spartiate la prarellance de nalur en ce combat. Les Spartiates, excellans
iuges de la uertu, quand ils nindrent décider a quel particulier deuoil
15 deniurer l'honur de auoir [/f] mieus jaict en cette iournee, Ireuuarent
qu' Aristodeme s'estoit le plus corageusement hasarde; mais pourtant ils [ ne]
hiy eu douarenl point le pris, par ce que 'isa j uertu auoit este incitée du
désir de se purger [dti] reproche qu'il auoil encorii au faict des Thermopiles,
et d'un appétit \de^ mourir corageusement pour garantir sa honte passée.
20 Nos iugemens font encores malades, & luyuent la depraualiou
de nos meurs. le voy la plufpart des efprits de mon temps faire
les ingénieux à obfcurcir la gloire des belles & genereules actions
anciennes, leur donnant quelque interprétation vile, & leur con-
trouuant des occafions & des caufes vaines.
25 Grande fubtilité! Qu'on me donne l'action la plus excellente
&: pure, ie m'en vois y fournir vraylemblablenient cinquante vitieules
Texte 88. — i) d'action purement vertueufe — 5) eftre dictes telles, pour —
8) propofée : elle n'aduoue — 9) faict en fa confideration & pour elle feule. Qui
plus eft, nos iugemens (1. 20.) — 20) fuyuent la corruption de nos
Var. ms. — 10) grande h Ç:) — 12) uemus a iugei^ — 12) aUrihiiareiit aus
Ijnedemonieiis la pnecellaiice de ueUu — 14) iiitidreiil 1°: rt /nVc /w«« (phrase inaclievcc.)
2° : a décider a quel — 17) pris d'aulaut que — i8) au (i>
302 ESSAIS DE MONTAIGNE.
intentions. Dieu fçait, à qui les veut eftendre, quelle diuerfité d'images
ne Ibuffre noftre interne volonté. Ils m' font pas tant maliticuscmèt que
lourdement et grossièrement les ingenieus a tout leur mcsdisancc.
[La] mesme peine qu'on prent [a] detraeter de ces grands noms, et h
mesme licence, [zV] la prandcrois uolantiers \a] leur prester quelque tour 5
[d']espaule a les hausser. Ces rares figures, et triées pour [l'ex]ampk du
motidepar le consantemant des sages, ie [ne] me feinderois pas de les recharger
d'honur, autàt que mon inuantion pourroit [en] interprétation et fauorahle
circmistana. Mais [if] faut croire que les effors de nostre conceptiô sont loin
au dessous de leur mérite. C'est l'office des gens de Inen de peindre [la] uertu 10
/(/ plus belle qui se puisse; et ne nous messieroit pas, quant la passion nous
transporter oit a la faneur de si sainctes formes. [Ce] que cens ci font au
contrere, ils le font ou par malice, ou par ce vice de ramener leur
créance à leur portée, dequoy ie viens de parler, ou, comme ie penfe
pluftoft, pour n'auoir pas la veuë affez forte & aflez nette pour 15
conceuoir la fplendeur de la vertu en fa pureté naifue, ny dressée a cela :
comme Plutarque dict que, de fon temps, aucuns attribuoient la caufe
de la mort du ieune Caton à la crainte qu'il auoit eu de Cnsfar :
dequoy il fe picque auecques raifon; & peut on iuger par là combien
il fe fut encore plus offencé de ceux qui l'ont attribuée à l'ambition. 20
Soties gens! Il eut bien faict une belle action, généreuse et iuste, plus tost
aueq ignominie, que pour la gloire. Ce perfonnage là fut véritablement
vn patron que nature choifit pour montrer iufques où l'humaine
uertu et fermeté pouuoit atteindre.
Texte 88. — 15) font foit par — 14) parler : foit, comme — 15) pour imaginer
& conceuoir — 17) temps, il y en auoit qui attribuoient — 23) l'humaine fermeté
& confiance pouuoit
\'ar. ms. — 2) Ih foui bien lourdement — 4) peine qu'ils prenent \a\ detrader des
— 10) au dessous deus. — • 11) belle qu'ils peuueni et ne leur messieroit pas quant
I** '. UCTS
la passion les emporleroit «<•■« (eUe d'affection C „ ^ <•'« \s*\>*i '" sainctes —
r r jj -^ 2° : eniiers " "" '
21) action aueq la honte plus tost que pour la gloire.
LIVRE I, CHAPITRF. XXXVII. 505
Mais ie ne luis pas icy à mcl'mes pour traictcr ce riche argument.
le veux feulement fixire luiter enlemble les traits de cinq poètes
Latins fur la louange de Caton, et pour l'interest de Caton, et, par
incident, pour le leur aussi. Or deura l'enfant bien nourri trouuer, [au]
5 pris des autres, les deus premiers treinans, le troisième plus uert, mais qui
s'est ahatu par l'extrauagance de sa force; estimer que \la\ il y aroit place
a un ou deus degre:^ l d l 'inuantion encores, pour arriuer au quatriesme, sur
le point du quel il iouindera ses mains par admiration. Au dernier, premier
de quelque espace, mais la quelle espace il iurera m pouuoir estre remplie
10 par nul esperit humain, il s'estonera, il se transira. Voicy merueille : nous
auons Inen plus de poètes, que de iuges et interprètes de poésie. Il est plus
aise de la faire, que de la conoistre. A certeine mesure basse on la peut
iiiger par les pra'ceptes et par art. Mais la bone, l'excessiue, la diuine est
audessus des règles & de la raison. Quiconque en discerne la beauté d'une
1 5 ueue ferme et rassise, il ne la uoit pas, non plus que la splandur d'un esclair.
Elle ne pratique point nostre ingénient : elle le rauist et rauage. La furur
qui espoiiiçone celuy qui la sçait pénétrer, fart encores un tiers a la luy ouir
traicter & reciter : come l'aimant, non sulement attire un eguille, mais
infont encores en icelle sa faculté d'en attirer d'autres. Et il se uoit plus
20 cleremant ans théâtres, que l'inspiration sacrée des muses, aiant premiercmèt
agité le poète a la cholere, au deuil, a la heine, et hors de soi, ou elles ueulent,
frape encores par le poète l'actur, et par l'actur consecutiuement tout un
peuple. C'est l'enjîlure de nos eguilks, suspendues l'une de l'autre. Des ma
première enfance, la poésie a eu cela, de me transpercer et transporter. Mais
25 ce ressentiment bien uif qui est naturellement en moi, a este diuersemcnt
manie par diuersite de formes, non tant plus hautes et plus basses (car
\'ar. ms. — 4) trouuer la — 6) cxirauagauce 1° : ik Ui^ sa force 2° : de sa
pointe. Estimer — 6) place pour deus ou trois in» dci^re^ d'innnntion a les atacher. Au
quatriesme il iouindera — 8) premier de si longue espace — 16) pratique pas nostre...
furur et la rage qui — 17) ouir Iml — 20) inspiration uiolanle des... premieremêt
transporte le poète — 21) ou elle neut frape encores l'actur et par l'actur Tiu terprele, tout
un peuple. Et se faict ainsi l'enfilure de plusieurs eguilles pendantes l'une
304 ESSAIS DE MONTAIGNE.
c'estoiiil toiisioltrs des plus hautes en ehiiqite espeee) coine dilferaiites en
coliir : preiuiereuieiit une fluidité gaye et ingénieuse; despuis une subtilité
[aigiie] et relleuee; enfin une foire meure et eonstante. L'exaniple le dira
micus : Guide, Lueain, J'ergile. [Mais voyla nos gens sur la earrierc]
Sit Cato, Jum viuit, lane vel Cxlare maior. 5
dict l'vn.
Et inuictum, deuicta morte, Catonem,
dict l'autre. Et l'autre, parlant des guerres ciuiles d'entre Cx-far
et Pompeius,
Victiix caul'a diis placuit, led victa Catoni. 10
Et le quatrielme, lur les louanges de Cxlar :
Et cuncta terrarum fubacta,
Prœter atrocem animum Catonis.
Et le maillre du ehivur, après auoir étalé les noms des plus grands
Romains en la peinture, finit en cette manière : 15
liis dantein iura Catonem.
Texte 88. — 14) du cœur après
Var. ms. — i) cil fbif — 2) ingciiicusc qui me flalasl Dfspuis — 5) lyllaifc qui
me picast. Enfui... meure avislaiile solide L'cxample
Chapitre XXXVIII.
COMML NOVS PLEVRONS ET RIONS D VXE MESME CHOSE.
Qiiand nous rencontrons dans les hiftoires, qu'Antîgonus kcut
tres-mauuais gré à l'on fils do luy auoir prelcntù la tcftc du Roy
Pyrrhus l'on cnnemy, qui venoit l'ur l'heure melme d'eftre tué
combatant contre luy, & que, l'ayant veuë, il le print bien fort
) à pleurer; & que le Duc René de Lorraine pldiisit aufl'i la mort du
Duc Charles de Bourgoigne qu'il venoit de deffaire, (^ en porta le
deuil en l'on enterrement; & que, en la bataille d'Auroy que le
Comte de Montfort gaigna contre Charles de Blois, la partie pour
le Duché de Bretaigne, le victorieux, rencontrant le corps de Ion
10 ennemy trelpalTé, en mena grand deuil, il ne laut pas s'elcrier
loudain :
Et cofi auen che l'animo ciafcuna
Sua palTion fotto el contrario manto
Ricopre, con la vida hor' chiara hor bruiia.
15 Quand on prel'enta k Civl'ar la telle de Pompeius, les hilloires dil'ent
qu'il en détourna la veué comme d'vn vilain <S: mal plailant fpectacle.
11 y auoit eu entr' eux vue i\ longue intelligence ^: locieté au manie-
ment des affaires publiques, tant de communauté de iortunes, tant
Texte 88. — 5) I.orrainc, pleura aulTi
30é ESSAIS DE MONTAIGNE.
d'offices rcciproqucs & d'alliance, qu'il ne faut pas croire que cette-
contenance lut toute tauce & contretaicte, comme eftime cet autre :
tutùmque putauit'
lam bonus efle focer; lachrimas non fponte cadentes
Effudit, gemitûfque expreffit pectore lœto. 5
Car, bien que, à la vérité, la plufpart de nos actions ne foient que
mafque & lard, & qu'il puilTe quelquefois eftre vray,
Hseredis fletus fub perfona rilus eft,
û efl-ce qu'au iugement de ces accidens il fiiut confiderer comme
nos âmes le trouuent iouuent agitées de diuerles paffions. Et tout lo
ainfi qu'en nos corps ils difent qu'il y a vne aflemblée de diuerfes
humeurs, deiquclles celle là eft maiftreffe qui commande le plus
ordinairement en nous, lelon nos complexions : auffi, en nos âmes,
bien qu'il y ait diuers mouuemens qui l'agitent, fi faut-il qu'il y en
■ ait vn à qui le champ demeure. Mais ce n'eft pas auec fi entier 15
auantage que, pour la volubilité & foupplelîe de noftre ame, les plus
foibles par occafion ne regaignent encor la place & ne lacent vne
courte charge à leur tour. D'où nous voyons non leulement les
enfans, qui vont tout naifucment après la nature, pleurer 6v rire
Iouuent de melme chofe; mais nul d'entre nous ne fe peut vanter, 20
quelque voyage qu'il lace à Ion louhait, que encore au départir de
la lamille tk de les amis il ne fe fente friflbnner le courage; &, Il les
larmes ne luy en efchappent tout à faict, au moins met-il le pied
à Vestrié d'vn vifage morne & contrifté. Et, quelque gentille llamme
qui efchaufe le cœur des filles bien nées, encore les dcsprciid on 25
Thnih 88. — iS) feulement aux enfans — 24) à Teftiieu d'vii — 25) les
defpend on
' tires cil Ç<l Lcrit Mom.iignc à droite de cette lin de vers.
LIVRE I, CHAPITRl- XXXVIII. 507
à force du col de leurs mercs pour les rendre à leur efpous, quoi-
que die ce bon compaignon :
Eft ne nouis nuptis odio venus, anne parentum
Fruftrantur falfis gaudia lachrimulis,
5 Vbertim thalami quas intra limina fundunt ?
Non, ita me diui, vera gemunt, iuuerint.
Ainlîn il n'eft pas eftrange de plaindre celuv-là mort, qu'on ne
voudroit aucunement eftre en vie.
Quand ic tance auec mon valet, ie tance du meilleur courage
10 que i'aye, ce lont vrayes & non feintes imprécations; mais, cette
fumée paflee, qu'il ayt befoing de moy, ie luy bien feray volontiers :
ie tourne à l'inftant le fueillet. Quand ie l'appelé un badin, un ueau, ic
[n']entreprans pas de luy coudre a ianiais ces tiltrcs; nv ne pense me desdire
pour le notner tantost }x)neste home. Nulle qualité nous entrasse piircmant
15 et uniucrsellemant . Si ce nestoii la contenance d'un fol de parler sul, il
n 'est iour au quel on ne ni'ouit grofider en moi mesmes et contre mox :
Bran du fat. Et si n'entans pas que ce soit ma définition.
Qui pour me voir vne mine tantoft froide, tantoft amoureufe
enuers ma femme, eftime que l'vne ou l'autre foit feinte, il efl vn
20 fot. Néron, prenant congé de fa mère qu'il enuoyoit noyer, fentit
toutesfois l'émotion de cet adieu maternel, & en cuft horreur
& pitié.
On dict que la lumière du Soleil n'eft pas d'vne pièce continue,
mais qu'il nous élance fi dru fans cefTe nouueaux rayons les vus fur
25 les autres, que nous n'en pouuons apperceuoir l'entre deux :
Largus enim liquidi fons luminis, ;i.tlierius fol
Inrigat aflidue cœluin candore recenti,
Suppeditdtque nouo confeftim luniine lumen;
\'ar. ms. — 12) had'w nu sol if — 14) pour le iuoei: — 1 5) t»/ cl ii pari soi il u'esl
— 16) ouil crier a moi mesmes O le badin O le sol. Qui pour
5o8 ESSAIS DE MONTAIGNE.
ainlin ellancc noftre amc ics peintes diucrlcmcnt & impercepti-
blement.
JrIcilHiiiiis surprit Xerxcs, sou iwiieu, cl le tança de ht soucleiue uiutatiou
de sa contenance. Il estoit a considérer la orandur desincsiircc de ses jorces
au passage de l'Helespont pour l'eut reprinse de la Graxe. Il lity print 5
premieremct vu tressaillimant d'aise a voir tant de milliers d'homes a son
seruice, et le tesmouigua par l'alegresse et Jeste de son uisage. Et, tout
Soudan, eu mesme instant, sa pensée lux suggérant corne tant de aies auoint
a défaillir au plus louin dans un siècle, il refrouigna son front, et s'attrista
iusqu' ans larmes. 10
Nous auons pourl'uiuy auec rel'oluë volonté la vengeance d'vne
iniure, & refenty vn fingulicr contentement de la victoire, nous en
pleurons pourtant; ce n'efl pas de cela que nous pleurons; il n'y
a rien de changé, mais noftrc ame regarde la choie d'vn autre œil,
& le la reprelente par vn autre vilage : car chaque choie a plufieurs 15
biais & plufieurs luftres. La parenté, les anciennes accointances
& amitié/ laififTent nostre imagination & la paffionnent pour l'heure,
■félon leur condition; mais le contour en eft li bruique, qu'il nous
cfchappe.
Nil adeo fieri céleri ratioiie videtur 20
Quam fi mens fieri proponit & inchoat ipfa.
Ocius ergo animus quam res fe perciet vila,
Alite oculos quarum in promptu natura videtur.
Et, à cette caufe, voulans de toute cette luite continuer vn corps,
nous nous trompons. Quand Timoleon pleure le meurtre qu'il auoit 25^
commis d'vne li meure & genereufe délibération, il ne pleure pas la
liberté rendue à fa patrie, il ne pleure pas le Tyran, mais il pleure
fon frère. L'vne partie de l'on deuoir eft iouée, lailfons luy en iouer
l'autre.
Tkxte 88. — 17) faififlent fon imagination
\'ar. ms. — 3) ncucu et le repriiit de — 6) Iresfnillirinvil de ccui- d de d'aise de voir
Chapitre XXXIX.
DE LA SOLITVDE.
Lailîons à part cette Ionique comparail'on de la vie folitairc à l'actiiie;
& quant à ce beau mot dequoy le couure l'ambition (^ l'auarice : Qiie
nous ne fommes pas nez pour noflre particulier, ains pour le publicq,
rapportons nous en hardiment à ceux qui font en la danfe; & qu'ils
5 fe battent la conlcience, fi, au rebours, les eftats, les charges, è^ cette
tracaflerie du monde ne le recherche plutoll; pour tirer du publicq
l'on profit particulier. Les mauuais moyens par où on s'y poufle en
noftre fiecle, montrent bien que la fin n'en vaut gueres. Relpondons
à l'ambition que c'eft elle mefme qui nous donne gouft de la folitude:
10 car que fuit elle tant que la focieté? que cherche elle tant que les
coudées franches? Il y a dequoy bien & mal faire par tout : toutefois,
fi le mot de Bias efl vray, que la pire part c'eft la plus grande, ou ce
que dit l'Ecclefiaftique, que de mille il n'en eft pas vn bon,
Rari quippe boni : numéro vix funt totidem, quot
'S Thebarum portœ, vel diuitis oftia Nili,
la contagion eft tres-dangereufe en la prefle. Il laut ou imiter les
vitieux, ou les haïr. Tous les deux font dangereux, & de leur
Texte 88. — 5) battent fur la
3IO ESSAIS DE MONTAIGNE.
reflembler, par ce qu'ils sont beaucoup; & d'en hair beaucoup, parce
qu'ils font diflemblables.
Et les manhans qui iioiit en nier, ont raison de regarder que cens qui
se mettït en mesnie ucsseau, ne soint dissolus, hlasphematurs, meschans :
estimans telle société infortunée. 5
Parquoi Bias, plaisammant, a cens qui passoint aucq luy le dangier
d'une grade tourmante, et apeloint le secours des dieus : Taises nous, fit il,
qu'ils ne sentes point que nous soies icy aueq moi.
Et, d'un plus pressant exemple, Albuquerque, niceroy en l'indc pour
le Roy Emanuel de Portugal, en un extrême péril de fortune de mer, print 10
sur ses espaules un ieune garçon, pour cette suie fin, qu'en la société de leur
fortune son innocence luy seruit de garant & de recomâdation emiers la
faneur diuine, pour le mettre a sanuete.
Ce n'efl; pas que le fage ne puifle par tout viure content, voire
& feul en la foule d'vn palais; mais, s'il eft à choifir, il en fuira, 15
dit-il, mefmes la veue. Il portera, s'il efl; befoing, cela; mais, s'il eft
en luy, il eflira cecy. Il ne luy femble point fuffilamment s'eftre
"desfait des vices, s'il faut encores qu'il contefte auec ceux d'autruv.
Charondas chaftioit pour mauuais ceux qui eftoient conuaincus
de hanter mauuaife compaignie. 20
// n'est rien si dissociable et sociable que l'home : l'un par son uice, l'autre
par sa nature.
Et Antisthoies ne me semble auoir satisfaict a cclux qui lux reprochoit
' sa conucrsation aueq les meschans, en disant que les médecins uiuoint Inen
entre les malades, car, s'ils seruct a la saute des malades, ils détériorent 25
la leur par la eôtagion, la mue continuelle et pratiij^ des maladies.
Texte 88. — i) ils font beaucoup — 19) chaftioit de griefues punitions ceux
Var. ms. — 3) marcJjaiis qui se mettent en — 4) soint irrcligkus dissotiis — 6) Bias
a cens... luy en le — 10) perd de lormante print — 20) compaignie. Sninct Augustin
did tresbien qu'il n'est rien si dissociable par son uice que l'home : rien si sociable par sa
nature. — 25) auoir suffisaniniant salisfaict — 24) médecins hantoint bien les malades
— 26) eôtagion du mauues air & de la ueue mcsnie continuelle et gouuerucmêt des maladies.
LIVRE I, CHAPITRE XXXIX. 51I
Or lii fin, ce crois-ie, en cft tout' vnc, d'en viure plus à loifir
iS: à Ion aile. Mais on n'en cherche pas toufiours bien le chemin.
Souuent on penle auoir quitté les affaires, on ne les a que changez.
Il n'y a guiere moins de tourment au gouuernement d'vne famille
5 que d'\n eifat entier : où que famé foit empefchée, elle y eil toute;
&, pour eftre les occupations domelfiques moins importantes, elles
n'en lont pas moins importunes. D'auantage, pour nous elfre deffaits
de la Cour & du marché, nous ne fommes pas detfaits des principaux
tourmens de noftre vie,
10 ratio & prudentia curas,
Non locus effufi latè maris arbiter, aufert.
L'ambition, l'auarice, l'irrefolution, la peur & les concupifcences ne
nous abandonnent point pour changer de contrée,
Et poft equitem fedet atra cura.
1 5 Elles nous fuiuent louuent iulques dans les cloillres & dans les efcoles
de philolbphie. Ny les defers, ny les rochers creufez, ny la hère, ny
les ieunes ne nous en démeflent :
h«ret lateri letalis arundo.
On difoit à Socrates que quelqu'vn ne s'eftoit aucunement amendé
20 en fon voyage : le croy bien, dit-il, il s'eftoit emporté auecques foy.
Quid terras alio calentes
Sole mutamus ? patria quis exul
Se quoque fugit ?
Si on ne fe defcharge premièrement & fon ame, du fais qui la
25 prelTe, le remuement la fera fouler dauantage : comme en vn nauire
Texte 88. — 4) famille qu'en vn cftat
\'ar. ms. — 24) premièrement soy &
312 ESSAIS CE MONTAIGNE.
les charges empelchent moins, quand elles font ralliles. Vous faictes
plus de mal que de bien au malade, de luy faire changer de place.
Vous enfachez le mal en le remuant, comme les pals s'enfoncent
plus auant & s'affermilTent en les branlant & fecouant. Parquoy ce
n'eil pas aflez de s'eftre efcarté du peuple; ce n'eft pas alTez de changer s
de place, il fe faut efcarter des conditions populaires qui font en
nous : il fe faut fequeftrer & r'auoir de foy.
Rupi iam vincuLi dicas :
Xam luctata canis nodum arripit; attanien illi,
Ciim tugit, à collo trahitur pars longa catens. lo
Nous emportons nos fers quand .^ nous : ce n'eft pas vne entière
liberté, nous tournons encore la veuë vers ce que nous auons laifle,
nous en auons la fontafie plaine.
Xili purgatum eft pectus, qu.t pra;lia iiobis
Atque pericula tune ingratis iniinuandum ? Ij
Quant^e confcindunt hominem cuppedinis acres
Sollicitum cura;, quantique période timorés ?
Quidue fuperbia, fpurcitia, ac petulantia, quantas
Elîiciunt clades ? quid luxus defidiéi'que ?
Xoftre mal nous tient en Famé : or elle ne fe peut échapcr à elle 20
mefme.
In culpa eft aninius qui le non effugit vnquam.
Ainiin il la faut ramener i:x retirer en ibv : c'eil la vraie lolitude,
& qui le peut ioùir au milieu des villes & des cours des Roys; mais
elle le iouyt plus commodément à part. 25
Or, puis que nous entreprenons de viurc leuls iv de nous palier
de compagnie, failons que noftre contentement delpende de nous;
delprenons nous de toutes les liailons qui nous attachent à autruy,
LIVRH I, CHAl'lTKH XXXIX. 313
gaignons fur nous du pouuoir à bon cfcicnt viurc kuls 6c v viurc
à noftr' aile.
StiJpon cftant cfchappc de rembralement de l'a ville, où il auoit
perdu femme, enlans ai: cheuance, Démetrius Poliorcetes, le voyant
5 en vne lî grande ruine de la patrie le vilage non effrayé, luy demanda
s'il n'auoit pas eu du dommage. Il relpondit que non, & qu'il n'y
auoit. Dieu mercy, rien perdu de lien. C'est ce que le pbilosofcAntislheiics
disoit plaisiiiiiiiniiit : que Vhome [se^i deuoit pouruoir de muni lions qui
flottisseut sur Ij'u^iu et peiisseiil ci lutge eschaper aueq luy du naufrage.
lo Certes l'homme d'entendement n'a rien perdu, s'il a foy mefme.
Quand la ville de Xole fut ruinée par les Barbares, Paulinus, qui
en efloit Euélque, y avant tout perdu, & leur prifonnier, prioit ainli
Dieu : Seigneur, garde moy de fentir cette perte, car tu fçais qu'ils
n'ont encore rien touché de ce qui eft à moy. Les richelTes qui le
15 tailoyent riche, & les biens qui le faifoient bon, cftoyent encore en
leur entier. \'oyla que c'ell de bien choifir les threlors qui le puiffent
affranchir de l'iniure, & de les cacher en lieu où perlonne n'aille,
& lequel ne puilTe eftre trahi que par nous melmes. Il faut auoir
femmes, enfans, biens, & fur tout de la lanté, qui peut; mais non
20 pas s'y attacher en manière que noflre heur en defpende. Il le faut
releruer vne arriereboutique toute noftre, toute franche, en laquelle
nous eftablilTons noffre vrave liberté & principale retraicte 6c lolitude.
En cette-cy iaut-il prendre noftre ordinaire entretien de nous à nous
mefmes, & fi priué que nulle acointance ou communication eftran-
25 giere y trouue place; difcourir îx y rire comme fans femme, fans
enfans & fans biens, lans train 6c fans valet/, afin que, quand l'occafion
aduiendra de leur perte, il ne nous loit pas nouueau de nous en
palier. Nous auons vne ame contournable en loy melme; elle le
Texte 88. — 16) puillcnt garantir de — 20) que tout noftre — ^4) eftrangiere
n'y
\'ak. ms. — 9) peufsciil cKimpcr... naufrage a vagc. Certes
314 ESSAIS DE MONTAIGNE.
peut taire compagnie; elle a dequoy aflaillir & dequoy défendre,
dequoy receuoir .!■ dequov donner : ne craignons pas en cette lolitude
nous croupir d'oilîueté ennuyeule,
in folis fis tibi turba locis.'
hi iicrtit, dicl Jntisthenes, se contante de soi : sans disciplines, sans paroles, 5
sans effaicts.
En nos actions accouftumées, de mille il n'en efl pas vne qui nous
regarde. Celuy que tu vois grimpant contremont les ruines de ce
mur, furieux & hors de foy, en bute de tant de harquebuzades;
& cet autre, tout cicatrice, tranfi (bi; palle de faim, délibéré de creuer 10
plutoft que de luy ouurir la porte, penfe tu qu'ils y foyent pour eux?
Pour tel, à l'aduenture, qu'ils ne virent onques, & qui ne fe donne
aucune peine de leur faict, plongé cependant en l'o^-fiueté & aux
délices. Cettuy-cy, tout pituiteux, chaflîeux & craffeux, que tu vois
fortir après minuit d'vn eflude, penfes tu qu'il cherche parmy les 15
liures comme il fe rendra plus homme de bien, plus content & plus
fage? Nulles nouuelles. Il y mourra, ou il apprendra à la pofterité
la mefure des vers de Plaute & la vraye orthographe d'vn mot Latin.
Qui ne contre-change volontiers la fanté, le repos & la vie à la
réputation & à la gloire, la plus inutile, vaine & fauce monnoye qui 20
foit en noflre vfage? Noftre mort ne nous faifoit pas affez de peur,
chargeons nous encores de celle de nos femmes, de nos enfans & de
nos gens. Nos affaires ne nous donnoyent pas affez de peine,
prenons encores à nous tourmenter & rompre la tefte de ceux de
nos voifins & amis. 25
Vah ! quemquamne hominem in aninium inftituere, aut
Parare, quod lit cliarius quam ipfc cil fibi ?
Tt\TE 88. — 18) vrayc orthographie d'vn
Eli ça ijcrit .Montaigne à droite de cette tin de vers.
LIVRE I, CHAPITRF XXXIX. 315
La sflJlliitc nie semble ciiioir plus d'iippnniuee et \ de] raison a eeiis qui oui
doue an monde leur eage plus actif & fleurissant, suiuant l'exemple de Thaïes.
Ceft affez vefcu pour autruy, viuons pour nous au moins ce bout
de vie. Ramenons à nous iic à noilre aise nos pensées 6c nos intentions.
5 Ce n'cfl; pas vne Icgiere partie que de taire leurement fa retraicte;
elle nous empefche affez fans y méfier d'autres entreprinles. Puis que
Dieu nous donne loifir de difpoler de noftre dellogement, préparons
nous v; plions bagage; prenons de bon' heure congé de la compaignie;
defpetrons nous de ces violentes prinles qui nous engagent ailleurs
10 & efloignent de nous. Il faut defnoùer ces obligations li fortes,
& melliuv avmer ce-cy & cela, mais n'elpouler rien que foy. Ceft
à dire : le refte foit à nous, mais non pas ioint & colé en taçon qu'on
ne le puiffe defprendre fans nous cfcorcher & arracher enfemble
quelque pièce du noftre. La plus grande choie du monde, c'eft de
15 fçauoir eftre à loy.
// est temps de nous desnouer de la société, puis que nous n'y pouuons
rien apporter. Et, qui ne peut presler, qu'il se défende d'emprunter. Nos
forces nous faiUent; retirons les et resserrons en nous. Oui peut reuuerser
et côfondre en soi les offices de l'amitié et de [la\ compaii^nie, qu'il le face.
20 En celé chute, qui le rant inutil le, poisant et importun ans autres, qu'il se
garde d'estre importun a soi mesuws, et poisant, et inutile. Qu'il se flate,
et caresse, et surtout se régente : respectât et creignant sa raison et sa côsciance,
si qu'il ne puisse sans honte broncher en leur présence. «Rarum est enini
ut satis se quisque uereatur. »
25 Socrates dict que les innés se doiucnt faire instruire, les homes s'exercer
a bien faire, les uieils se retirer de tout ' occupation ciuile et militere, uiuans
a leur discrétion, saiis obligation a nul certeiu office.
Texte 88. — 2) TImles. Or c'eft — .1) noftre vr.iy profit nos cogitations & nos
Var. ms. — 2) actif & florissant suiiiaiil — 19) face qu4l se — 20) ivulille cl
importun — 21) mesmes. Qu'il se flate se chatouille et sur tout qu'il se régente : et iustmise
qu'il respecte et creigne sa raison — 22) côsciance et »^* si qu'il n'ose clocher en sa leur
presance Rarum est ut — 25) instruire Homes s'exercer... faire J'ieus se
3l6 ESSAIS DK MONTAIGNE.
11 V a des complexions plus propres ;ï ces préceptes de Iii relrete les
vues que les autres. Celles qui ont l'apprehenfion molle & lâche,
& vn' affection & volonté dcUcaie, & qui ne s'asscruist uy s'onphye pas
aylément, delquels ie fuis & par naturelle condition & par difcours,
ils se plieront wicus h ce conleil que les âmes actiues & occupées qui s
embraffent tout & s'engagent par tout, qui le paflîonnent de toutes
choies, qui s'offrent, qui le prefentent & qui fe donnent à toutes
occalions. Il fe faut feruir de ces commoditez accidentales & hors
de nous, en tant qu'elles nous font plaifantes, mais (ans en faire
noftre principal fondement : ce ne l'eft pas; ny la raifon ny la nature lo
ne le veulent. Pourquoy contre fes loix afferuirons nous noftre
contentement à la puiffance d'autruy? D'anticiper auffi les accidcns
de fortune, le priuer des commoditez qui nous font en main,
comme plufieurs ont faict par deuotion & quelques philofophes par
difcours, fe feruir foy-mefmes, coucher fur la dure, le creuer les 15
yeux, ietter fes richeffes emmy la riuiere, rechercher la douleur
(ceux là pour, par le tourment de cette vie, en acquérir la béatitude
d'un autre; ceux-cy pour, s'eftant logez en la plus baffe marche, fe
mettre en feurté de nouuelle cheute), c'eft l'action d'vne vertu
exceffuie. Les natures plus roides & plus fortes fiicent leur cacheté 20
mefmes, glorieule & exemplaire :
tuta & paruul.T laudo,
Cum res deficiunt, fatis inter vilia fortis :
Verùm vbi quid melius contingit & vnctius, idem
Hos fapere, & lolos aio henè viuere, quorum 25
Confpicitur nitidis fundata pecunia villis.
Il V a pour moy affez affaire fans aller fi auant. Il me fuffit, fous la
laueur de la fortune, me préparer à fa défaueur & me reprefenter.
Texte 88. — i) à ce précepte les — 3) volonté difficile, & qui ne fc prciul pas
ayfémcnt — 5) plieront plus aifément à... actiues & tendues, qui
i.iVKi: I, CHAi'iTRi: XXXIX. 317
cftant à mon aile, le mal aducnir, autant que Timagination y peut
attaindro : tout ainli que nous nous accouftumons aux ioutes & tour-
nois, & contretailons la guerre en pleine paix.
le ii'cstiiuc point Arccsihuts le philosophe moins reforme, pour Je sçaitoir
5 aitoir lise d'ntaiisiles d'or & d'argent, selon que la condition de sa fortune
Je luv pennetoit; et l'estime inieiis que s'il s'en fut desniis, de ee qu'il en
usoit modereement et libéralement.
le vov iniques à quels limites va la necedlté naturelle; &, confi-
derant le panure mendiant à ma porte louuent plus enioué & plus
10 lain que mov, ie me plante en la place, i'elîiiyc de chauffer mon ame
à fon biaiz. Et, courant ainfi par les autres exemples, quoy que
ie penl'e la mort, la pauureté, le mcfpris & la maladie à mes talons,
ic me relous aifément de n'entrer en effroy de ce qu'vn moindre
que mov prend auec telle patience. Et ne puis croire que la balTelTe
15 de l'entendement puilTe plus que la vigueur; ou que les effects du
dilcours ne puiffent arriuer aux effects de l'accourtumance. Et,
connoiffint combien ces commodité/ acccffoires tiennent à peu,
ie ne laiffe pas, en pleine iouvffance, de lupplier Dieu, pour ma
louueraine requefte, qu'il me rende content de mov-melme & des
20 biens qui naiffent de moy. le vov des ieunes hommes gaillards,
qui ne laiffent pas de porter dans leurs coffres vne maffe de pillulcs
pour s'en leruir quand le rheume les preffera, lequel ils craignent
d'autant moins qu'ils en penfent auoir le remède en main. Ainfi
faut il lairc : & encore, fi on fe lent fubiect à quelque maladie plus
25 forte, fe garnir de ces medicamens qui affopiffent & endorment la
partie.
L'occupation qu'il faut choifir à vne telle vie, ce doit eftre vne
occupation non pénible ny ennuveule; autrement pour néant terions
nous eftat d'y eftre venuz chercher le feiour. Cela dépend du gouft
\'ar. ms. — 4) pnhil lu nie (rArce.^iliius... imiin: refùrnice pour liiy noir user des iinses
d'or d & d'ari'cul
3l8 ESSAIS DE MONTAIGNE.
particulier d"vn chacun : le mien ne s'accommode aucunement au
ménage. Ceux qui l'aiment, ils s'y doiuent adonner auec modération,
Conentur fibi res, non le fubmittere rébus.
C'efl autrement vn office feruile que la mefnageric, comme le nomme
Saluftc. Eir a des parties plus excufables, comme le foing des iardi- 5
nages, que Xenophon attribue à Cyrus; & fe peut trouuer vn moyen
entre ce bas & vile foing, tandu & plein de folicitude, qu'on voit aux
hommes qui s'y plongent du tout, & cette profonde & extrême
nonchalance laifllint tout aller à l'abandon, qu'on voit en d'autres,
Democriti pecus edit agellos 10
Cultdque, dum peregre eft animus fine corpore velox.
Mais oyons le confeil que donne le ieune Pline à Cornélius Rufus,
fon amy, fur ce propos de la folitude : le te confeille, en cette pleine
& graffe retraicte, où tu es, de quiter à tes gens ce bas & abiect foing
du mefnage, & t'adonner à l'eftude des lettres, pour en tirer quelque 1 5
chofe qui foit toute tienne. Il entend la réputation : d'vne pareille
humeur à celle de Cicero, qui dict vouloir employer fa folitude
& feiour des affaires publiques à s'en acquérir par fes efcris vne vie
immortelle :
vfque adeo ne 20
Scire tuum nihil eft, nifi te fcire hoc fciat alter ?
[// semble que ce soit raison, puis qu 'ou parle de se retirer du uuvide,
qu'on regarde hors de'\ luy : ccusci ne le font qu'a demi. [Us] dressent bien
leur partie, pour quand ils n'y seront plus : mais le fruit de leur dessein,
ils pretandent le tirer encore lors du monde, absans, par une ridicule contra- 25
diction. L'imagination de cens qui, par deuotion, recherchent la solitude.
Texte 88. — 5) plus nobles & cxcufiiblcs
LlVRli 1, CHA1'ITR1£ XXXIX. ^19
rcniplissans leur coragc de la eertitiide des promesses diuines en l'autre uie,
est bien plus seinenuint assortie. Ils se proposent dieu, obiect infini et en
bonté et en puissanee : l'ame a de quoi \ ressasier ses désirs en toute liberté.
Les afflictions, les dolurs leur uiencnt a profit, emploices a l'acquêt d'une
5 santé et reiouissance éternelle; la mort, a souhet, passage a un si parfaict
estât. L'asprete de leurs règles est inconlinant applanie par l'acoslumance;
et les appetis charnels, rebute:^ et endormis par leur refus, car rien ne les
entretient que l'usage et exercice. Cette suie fin d'une autre uie hureusemant
immortele, mérite loialement que nous abandonons les commodité^ et douceurs
10 de cette uie nostre. Et qui peut embraser son ame de l'ardur de cette uiue
foi et espérance, reelenuiut et constammant, il se bastit en la solitude une
uie uoluptueuse et délicate au delà de tout' autre fornu: de uie.
Ny la fin donq, ny le moyen de ce confeil ne me contente : nous
retombons tous-iours de fieure en chaud mal. Cette occupation des
15 Hures eft aufll pénible que toute autre, & autant ennemie de la fanté,
qui doit eftre principalement conllderée. Et ne ic faut point laifTer
endormir au plaifir qu'on y prend : c'ell; ce melme plaifir qui perd
le mefnagier, l'auaricieux, le voluptueux (:>: l'ambitieux. Les fages
nous apprennent affez à nous garder de la trahifon de nos appétits,
20 & à difcerner les vravs plaifirs, & entiers, des plaifirs meflez
& bigarrez de plus de peine. Car la plulpart des plaifirs, difent ils,
nous chatouillent & embraffent pour nous efl;rangler, comme
faifoyent les larrons que les ^Egyptiens appelloient Philifl:as. Et, fi
la douleur de tefte nous venoit auant l'yurefle, nous nous garderions
25 de trop boire. Mais la volupté, pour nous tromper, marche deuant
& nous cache fa fuite. Les Hures font plailans; mais, (\ de leur
fréquentation nous en perdons en fin la gayeté & la ianté, nos meil-
leures pièces, quittons les. le fuis de ceux qui penfent leur Iruict ne
Texte 88. — 14) de la fieuro en chaud mal. Prcmicrcmcnt cette occupation —
28) penfent que leur fruict ne fçauroit contrepoifcr
\'ar. ms. — 8) d'ittie uie — 12) aulre nie. Ny — 15) confeil de Pline ne
320 ESSAIS DE MONTAIGNE.
pomioir contrepoifer cette perte. Comme les hommes qui le l'entent
de long temps aft'oiblis par quelque indilpolition, le rengent à la lin
à la mercv de la médecine, & le tont delTeigner par art certaines
règles de viure pour ne les plus outrepalTer : aulTi celuv qui le retire,
ennuie & dégoufté de la vie commune, doit lormer cette-cy au.\ 5
règles de la railon, l'ordonner èc renger par préméditation & dilcours.
Il doit auoir prins congé de toute elpece de Iniiiail, quelque vilage
qu'il porte; & fuir en gênerai les palTions qui empelchent la tran-
quillité du corps & de lame, '& choiiir la route qui efl; plus lelon
Ion humeur, 10
Vnul'quirque fua nouerit ire via.
Au ménage, à leftude, à la chalTe (b;: tout autre exercice, il finit
donner iniques aux derniers' limites du plaifir, & garder de s'engager
plus auant, où la peine commence à le nieller parmy. Il faut releruer
d'emheloignement & d'occupation autant feulement qu'il en ell 15
beloing pour nous tenir en haleine, & pour nous garantir des
incommodité/ que tire après lov l'autre extrémité d'vne JacJx ovliueté
& aflbpie. Il y a des Iciences lleriles (Se épineules, & la plus part
forgées pour la prefle : il les faut lailTer à ceux qui lont au leruice
du monde, le navme, pour mov, que des Hures ou plailans & taciles, 20
qui me chatouillent, ou ceux qui me conlolent & conleillent à régler
ma vie <S; ma mort :
tacitum fyluas intcr rt-jitaïc falubics,
Curantcm quidquid di_>;num lapientt bonoqut eft.
Les gens plus fages peuuent le forger vn repos tout Ipiritucl, ayant 25
l'ame forte iv vigoureule. Moy qui fay commune, il huit que i'ayde
Texte 88. — 7) cfpccc de tourment, quelque — 17) d'vnc molle ovliueté —
19) pour le feruice de la prelTe — 26) l'ay molle 6c commune
' derniers .idaition de 158S.
LIVRE I, CHAPITRE XXXIX. 52I
à me l'outcnii" par les commoditcz corporelles; &, l'aage m'ayant
tantort del'robé celles qui eftoyent plus (/ ma fcuitcisic, i'inftruis
& aiguile mon appétit à celles qui reftent plus l'ortahles à cette autre
l'aifon. Il faut retenir à tout nos dents & nos griffes l'vlage des plaifirs
5 de la vie, que nos ans nous arrachent des poingts, les vns après
les autres :
carpamus dulcia; iioftrum eft
Quod viuis : cinis & mânes & fiibula fies.
Or, quant à la lin que Pline & Cicero nous propolent, de la gloire,
10 c'eft bien loing de mon compte. La plus contraire humeur à la retraicte,
c'eft l'ambition. La gloire & le repos l'ont choies qui ne peuuent
loger en mefme gifle. A ce que ie voy, ceux-cy n'ont que les bras
& les iambes hors de la prefle; leur ame, leur intention y demeure
engagée plus que iamais :
15 Tun', vetule, auriculis alienis colligis efcas?
Ils le font feulement reculez pour mieux fauter, & pour, d'vn plus
fort mouuement, laire vne plus viue faucée dans la trouppe. Vous
plaift-il voir comme ils tirent court d'vn grain? Mettons au contre-
pois l'aduis de deux philofophes, & de deux fectes tres-differentes,
20 efcriuans, l'vn a Idomeneus, l'autre à Lucilius, leurs amis, pour,
du maniement des affaires è^c des grandeurs, les retirer à la Iblitude.
Vous auez (dilent-ils) velcu nageant & flotant iufques à prefent,
venez vous en mourir au port. Vous auez donné le refle de voftre
vie à la lumière, donnez cecy à l'ombre. Il ell impoffible de quitter
25 les occupations, fi vous n'en quittez le fruit : à cette caule, défaites
vous de tout Ibing de nom & de gloire. Il eft dangier que la lueur
de vos actions paffées ne vous efclaire que trop, & vous fuiue iulques
dans voftre tanière. Quitez auecq les autres voluptez celle qui vient
Texte 88. — 2) plus fclon mon goiift, i'inftruis
322 ESSAIS DE MONTAIGNE.
de l'approbation d'autruv; &, quant à voftre fcience 6c luffifance, ne
vous chaille, elle ne perdra pas l'on effect, fi vous en valez mieux
vous melme. Souuienne vous de celuv à qui, comme on demandait
à quoy faire il fe pénoit li fort en vn art qui ne pouuoit venir à la
cognoiffance de guiere de gens : l'en ay aiTez de peu, refpondit-il. 5
l'en ay affez d"vn, l'en av affez de pas vn. Il difoit vrav : vous & vn
compagnon eftes affez fuffifant théâtre l'vn à l'autre, ou vous à vous-
melmes. Que le peuple vous l'oit vn, & vn vous foit tout le peuple.
C'eft vne lafche ambition de vouloir tirer gloire de l'on oyliueté
& de sa cachette. Il faut faire comme les animaux qui effacent la trace, 10
à la porte de leur tanière. Ce n'eft plus ce qu'il vous faut chercher,
que le monde parle de vous, mais comme il faut que vous parliez
à vous mefmes. Retirez vous en vous, mais préparez vous première-
ment de vous y receuoir : ce l'eroit folie de vous lier à vous mefmes,
li vous ne vous Içauez gouuerner. Il v a moven de taillir en la 15
lolitude comme en la compagnie. Iniques à ce que vous vous l'oiez
rendu tel, deuant qui vous n'oliez clocher, & iufques à ce que vous
ayez honte & relpect de vous mefmes, « obseniciitur spccics honestx
animo», prelentez vous touliours en l'imagination Caton, Phocion
1^ Arillides, en la prefence defquels les fols mefme cacheroient leurs 20
fautes, & eftabliffez les contrerolleurs de toutes vos intentions :
fi elles fe détraquent, leur reuerence les remettra en train. Ils vous
contiendront en cette voie de vous contenter de vous mefmes, de
n'emprunter rien que de vous, d'arrefter & fermir voftre ame en
certaines & limitées cogitations où elle fe puiffe plaire; &, ayant 25
entendu les vrays biens, delquels on iouit à melure qu'on les entend,
s'en contenter, lans delir de prolongement de vie ny de nom. \'oyla
le conleil de la vraye & naifue philofophie, non dvne philolophie
oftentatrice & parliere, comme eft celle des deux premiers.
Texte 88. — 10) & de fon repos : il faut
\'ar. .ms. — 17) clocher ranim est eiiim iil salis si- qiiistjiii- ucrcatur (citation reportée
p. ji;, 1. 25.)
Chapitre XL.
CONSIDERATION SVR CICERON.
Encor' vn traict à la comparaifon de ces couples. Il fc tire des
efcris de Cicero & de ce Pline Çpeii retirant, à mon aduis, aux
humeurs de fon oncle), infinis tefmoignages de nature outre mefure
ambitieufe : entre autres qu'ils follicitent, au fceu de tout le monde,
5 les hiftoriens de leur temps de ne les oublier en leurs regiftres; & la
fortune, comme par defpit, a faict durer iufques à nous la vanité de
ces requeftes, & pieça faict perdre ces hiftoires. Mais cecy furpaflc
toute balTefle de cœur, en perfonnes de tel rang, d'auoir voulu tirer
quelque principale gloire du caquet & de la parlerie, iufques à y
10 employer les lettres priuées écriptes à leurs amis : en manière que,
aucunes ayant failly leur foifon pour eftre enuoyées, ils les font ce
neantmoins publier auec cette digne excufe qu'ils n'ont pas voulu
perdre leur trauail & veillées. Sied-il pas bien à. deux confuls Romains,
fouuerains magiflrats de la chofe publique emperiere du monde,
15 d'employer leur loifir à ordonner & fagoter gentiment vne belle
miflîue, pour en tirer la réputation de bien entendre le langage de
leur nourriffe? Que feroit pis vn fimple maiftre d'école qui en
gaignat fa vie? Si les gelles de Xenophon & de Ca.'far n'euflent de
Texte 88. — 2) Pline (nullement retirant
324 ESSAIS DE MONTAIGNE.
bien loing furpaiïc leur éloquence, ie ne cro}- pas qu'ils les euflent
iamais efcris. Ils ont cherché à recommander non leur dire, mais
leur faire. Et, fi la perfection du bien parler pouuoit apporter quelque
gloire fortable à vn grand perfonnage, certainement Scipion & Lcelius
n'euflent pas refigné l'honneur de leurs comédies & toutes les 5
mignardifes & délices du langage Latin à vn ferf Afriquain : car, que
cet ouurage foit leur, fa beauté & fon excellence le maintient aflez,
& Terence l'aduoùe luy mefme. On me feroit defplaifir de me
delloger de cette créance.
C'eft vne efpece de mocquerie & d'iniure de vouloir fiiire valoir 10
vn homme par des qualitez mes-aduenantes à fon rang, quoy qu'elles
foient autrement louables, & par les qualitez aufTi qui ne doiuent
pas eftre les Tiennes principales : comme qui loûeroit vn Roy d'eflre
bon peintre, ou bon architecte, ou encore bon arquebouzier, ou
bon coureur de bague; ces louanges ne font honneur, fi elles ne 15
font prefentées en foule, & à la fuite de celles qui luy font propres :
à fçauoir de la iuftice & de la fcience de conduire fon peuple en paix
•& en guerre. De cette façon faict honneur à Cyrus l'agriculture,
& à Charlemaigne l'éloquence & connoiflance des bonnes lettres.
l'ay ueii de mon temps, en plus fors termes, des pcrsonages qui tiroiiit 20
d'escrire et leurs titres et leur uocation, dcsaduouer leur aprantissage, corrôpre
leur plume et affecter l'ignorance de qualité si uulguere et que nos trc peuple
tient ne se rècontrer gutre en mains sçauaiites : se recomaudaus par meillurcs
' qualité:^.
Les compaignons de Demofthenes en Fambafllide vers Philippus 25
loùoient ce Prince d'eftre beau, éloquent & bon beuueur : Demofthenes
Texte 88. — 8) mefine, & on
^'AR. MS. — 20) temps des — 21) lilrcs cl leurs richesses âcsaduouer 1": leur
sciaiicc corne iiile cl populcre corrôpre 2" : leur aprantissage et corrôpre — 22) si uulguere
1° : ê^ peu fwemaudabk pour 2°: cl que neslre peuple iieul sur ec 3°: que vostre peuple
lient cette qualité ne se rècontrer — 23) Au dessus de sçauniiles sont trois lettres eflacées,
peut-être le commencement du mot che:^
LIVRE I, CHAPITRi: XL. :; 2 )
dilbit que cVitoicnt louanges qui appartcnoicnt mieux à vue femme,
à vn aduocat, à vue efponge, qu'à vn Roy.
Imperet bellante prior, iacenteni
Lenis in hoftem.
5 Ce n'eft pas la profeflîon de fçauoir ou bien chafTer ou bien dancer,
Orabunt caufas alij, cœlique meatus
Defcrihent radio, & fulgentin fidera diccnt;
Hic regerc imperio populos fciat.
Plutarque dict d'auantage, que de paroiftre li excellent en ces
10 parties moins necelTiiires, c'efi; produire contre foy le telmoignage
d'auoir mal difpencé Ion loilir & l'eftude, qui deuoit eftre employé
à chofes plus neceffaires & vtiles. De façon que Philippus, Roy de
Macédoine, ayant ouy ce grand Alexandre, fon fils, cbanter en vn
feftin à l'enuy des meilleurs muficiens : N'as tu pas honte, luy
15 dict-il, de chanter li bien? Et, à ce mefme Philippus, vn muficien
contre lequel il debatoit de fon art : la à Dieu ne plaife, Sire, dit-il,
qu'il t'aduienne iamais tant de mal que tu entendes ces chofes là
mieux que moy.
Vn Roy doit pouuoir refpondre comme Iphicrates refpondit
20 à l'orateur qui le preflbit en fon inuectiue, de cette manière : Et bien,
qu'es-tu, pour faire tant le braue? es-tu homme d'armes? es-tu
archier? es-tu piquier? — le ne fuis rien de tout cela, mais ie luis
celuy qui fçait commander à tous ceux-là.
Et Antifthenes print pour argument de peu de valeur en Ifmenias,
25 dequoy on le vantoit d'eflre excellent ioûeur de flûtes.
le sçai bien, quand [i']oi quckïi qui s'amtc au langage des essais, que
[i']aimerois mieus qu'il [s''\en teust. Ce n'est pas tant esleuer les mots, corne
Var. ms. — 27) lavt 1° : eslciicr les 2° : déprimer les
326 ESSAIS DE MONTAIGNE.
c'est déprimer le sens, d'autant plus piqua nnnant que plus obliquement.
Si suis ie trompé, si guère d'autres donct plus a prendre en la matière;
et, cornant que ce soit, mal ou bien, si nul escriiœin [/'a] semée ny guère .
plus matérielle ny au moins plus drue en son papier. Pour en ranger
dauantage, [ie'] n'en entasse que les testes. Que i'y atache leur suite, ie s
multiplierai plusieurs fois ce uolume. Et combien y ai ie espendu d'histoires
qui ne disent mot, les quelles qui uoudra esplucher un peu ingénieusement,
en produira infinis essais. Ny elles, ny mes allégations ne seruent pas tousiours
simplement d'exemple, d'authorite ou d'ornement. le ne les regarde pas
sulement par l'usage que t'en tire. Elles portent souuant, hors de mon 10
propos, la semancc d'une matière plus riche et plus hardie, et sonent a gauche
un ton plus délicat, et pour moi qui n'en ueus exprimer dauantage, et pour
cens qui rencontreront mon air. Reuenant a la uertu parliere, ie ne treum
pas grand chois entre ne sçauoir dire que mal, ou ne sçauoir rien que Inen
dire. «Non est ornamentum uirilc concinnitas.» 15
Les fages disent que, pour le regard du fçauoir, il n'efi: que la
philofophie, &, pour le regard des effets, que la vertu, qui genera-
"lement foit propre à tous degrez & à tous ordres.
Il y a quelque chofe de pareil en ces autres deux philofophes, car
ils promettent auffi éternité aux lettres qu'ils elcriuent à leurs amis; 20
mais c' eft d'autre façon, & s'accommodant pour vne bonne fin à la
vanité d'autruy : car ils leur mandent que fi le foing de le faire
connoift;re aux fiecles aduenir îs: de la renommée les arrefte encore
au maniement des affaires, & leur fiiit craindre la folitude & la
retraicte où ils les veulent appeller, qu'ils ne s'en donnent plus de 23
Texte 88. — 15) coiicinnitas. Et difent les fages que
\'ar. ms. — i) c'est ahhaUre la matière. Ex à\itnx\tsitigts (1. i6.) — i) piquammani
\° : que suhUltmeni plus subtilement. Si suis ie 2° : que plus courtoisement et plus subti-
lement. Si 3° : que plus courtoisement et couuertement . Si — 2) (z mordre en — 3) bien
a tort ou a droict si nul — 4) matérielle ny plus 1° : riche en 2° : drue au moins en
— 5) n'en assamble que les teste. N^n est «fnamenlum uiriU cencinnitas que i'y atache leur
suite ' ie triplerai ce uolume Ne» est oi^uamentum uidU mnciumUis le ne ireuue (1- '5-) —
9) d'exemple ny d'authorite — 10) tire. Ge — 12) délicat pour
LIVRE I, CHAPITRU XL. 327
peine : d'autant qu'ils ont aflez de crédit auec la pollerité pour leur
refpondre que, ne fut que par les lettres qu'ils leur efcriuent, ils
rendront leur nom auflî conneu & fameus que pourroient faire leurs
actions publiques. Et, outre cette différence, encore ne font ce pas
S lettres vuides & defcharnées, qui ne fe foutiennent que par vn délicat
chois de mots, entaffez & rangez à vne iufte cadence, ains farcies
& pleines de beaux difcours de fapience, par lefquelles on fe rend
non plus éloquent, mais plus fage, & qui nous aprcnnent non
à bien dire, mais à bien faire. Fy de l'éloquence qui nous lailîe enuie
10 de foy, non des chofes; fi ce n'eft qu'on die que celle de Cicero,
eftant en fi extrême perfection, fe donne corps elle mefme.
l'adioufteray encore vn conte que nous lifons de luy à ce propos,
pour nous faire toucher au doigt fon naturel. Il auoit à orer en
public, & eftoit vn peu prefTé du temps pour fe préparer à fon aife.
15 Eros, l'vn de fes ferfs, le vint aduertir que l'audience eftoit remife
au lendemain. Il en fut 11 aife qu'il luy donna liberté pour cette
bonne nouuelle.
Sur ce fubiect de lettres, ie veux dire ce mot, que c'eft vn ouurage
auquel mes amys tiennent que ie puis quelque chose. Et eusse prins
20 plus uolontiers cette forme a publier nies uerucs, si i' eusse eu a qui parler.
Il me f al oit, corne ie l'ai eu autresfois, un certein commerce qui m'attirast,
qui rue soustint et sousleuat. Car de negotier au ucnt, corne d'autres, ie ne
saurais que de songes, ny forger des ueins noms a entretenir en chose
sérieuse : encmi iure de toute falsification. l'eusse este plus attantif et plus
25 seur, aïant un' adresse forte et amie, que ie ne suis, regardant les diuers
uisages d'un peuple. Et suis dcceu, s'il ne m'eut micus succède. l'ay natu-
rellement vn ftilc comique & priué, mais c'eft d'vnc forme mienne,
inepte aux negotiations publiques, comme en toutes façons eft mon
Texte 88. — i) peine, car ils — 19) cliofc : i'ay naturcllcmeiU
Var. .ms. — 20) ucrues que celle que i' ai prinsc si — 21) commerce qui fut et sorlnhle
el ueritable qui m'ultirasl qui me soustint qui me sousle sousleuat. (qui fut est une »dJiiioii
ultérieure.) — 24) serieuse. l'eusse
328 HSSAIS DE MONTAIGNE.
langage : trop ferré, delordonné, couppé, particulier; !k ne m'entens
pas en lettres ceremonieufes, qui n'ont autre luhftance que d'vne
belle enfileure de paroles courtoifes. le n'ay ny la faculté ny le gouft
de ces longues offres d'affection & de feruice. le n'en crois pas tant,
& me defplaift d'en dire guiere outre ce que i'en crois. C'eft bien 5
loing de l'vlage prefent : car il ne fut iamais li abiecte & feruile
proftitution de prefentations; la vie, l'ame, deuotion, adoration,
lert, efclaue, tous ces mots y courent li vulgairement que, quand ils
veulent faire fentir vne plus expreffe volonté & plus refpectueufe,
ils n'ont plus de manière pour l'exprimer. 10
le hay à mort de fentir au flateur : qui taict que ie me iette
naturellement à vn parler fec, rond et criid qui tire, à qui ne me
cognoit d'ailleurs, vn peu vers le dédaigneux. l'honore le plus cens que
i'honore le moins; et, ou mon arne marche d'une grande allégresse, i'ohlie
les pas de la contenance. Et m'offre maigrement & fièrement à ceux 15
à qui ie luis. Et me presante moins a qui ie me suis le plus donc : il me
femble qu'ils le doiuent lire en mon cœur, & que l'expreffion de mes
■ paroles fait tort à ma conception.
A hienueigner, a prandre co)igé, a remercier, a saluer, [rt] presanter
mon seruice, et tels complinwns uerheus des loix cérémonieuses de nostrc 20
ciuilite, ie ne conois persone si sottement stérile de langage que moi.
Et n'ai iamais este emploie a faire des lettres de fauur et recomandatiô,
que celuy, pour qui c'estoit, n'axe trouuees sèches et lâches.
Ce iont grands imprimeurs de lettres que les Italiens. l'en ay, ce
crois-ie, cent diuers volumes : celles de Annihale Caro me femblent 25
Texte 88. — i) couppù, & difficile : & — 12) fec, & qui — 13) dédaigneux :
Ceux que i'ayme me mettent en peine, s'il faut que ie le leur die, & m'offre —
15) & fièrement ciTacé puis rétabli — 25) de Hannibal Caro
\'ak. ms. — 9) plus scricusc, ils — 20) icruicc, ic iic coiwissc pcnoiic si soUviiiaiil
Stcrilc de tailgai^e que moi. Ce font (En ref.-iis.-im plus t.iul ccltc plir.ise. Mom.iigiic a Wffc tout
ce qui prcccde, i partir de seruice') — 2o) lieibetlS de HCsii:f (iu — 22) recotiiaiidiitiô pour
un autre qu'it ue les ayc Irouuecs secljcs et stériles. Ce font
LIVRE I, CHAPITRE XL. 329
les meilleures. Si tout le papier que i'ay autresfois barbouillé pour
les dames, eftoit en nature, lors que ma main eftoit véritablement
emportée par ma palfion, il s'en trouueroit à l'aduenture quelque
page digne d'eftre communiquée à la ieuneffc oyfiue, embabouinée
5 de cette turcur. l'elcris mes lettres toulîours en pofle, & fi precipi-
teulement que, quoy que ie peigne inkipportablement mal, i'ayme
mieux efcrire de ma main que d'y en employer vn' autre, car ie n'en
trouue poinct qui me puifle fuyure, & ne les tranfcris iamais. l'ay
accouftumé les grands qui me connoiflent, à y fupporter des litures
10 & des trafleures, & vn papier fans plieure & fans marge. Celles qui
me couftent le plus font celles qui valent le moins : depuis que
ie les traine, c'efl figne que ie n'y fuis pas. le commence: volontiers
fans proiect; le premier traict produict le fécond. Les lettres de
ce temps font plus en bordures & préfaces, qu'en matière. Comme
15 i'ayme mieux compofer deux lettres que d'en clorre & plier vne,
6c refigne toufiours cette commission à quelque autre : de melme,
quand la matière eft acheuée, ie donrois volontiers à quelqu'vn la
charge d'y adioufter ces longues harengues, offres & prières que
nous logeons fur la fin, & defire que quelque nouuel vfage nous en
20 defcharge; comme auflî de les infcrire d'vne légende de qualitez
& tiltres, pour aufquels ne broncher, i'ay maintesfois laiffé d'elcrire,
& notamment à gens de iuftice & de finance. Tant d'innouations
d'offices, vne fi difficile difpenfation & ordonnance de diuers noms
d'honneur, lefquels, eftant fi chèrement acheptez, ne peuuent eftre
25 efchangez ou oubliez fans offence. le trouue pareillement de mauuaile
grâce d'en charger le front & infcription des Hures que nous tailons
imprimer.
Texte 88. — 16) celte charge à
Chapitre XLI.
DH NE COMMVXiaVER SA GLOIRE.
De toutes les refueries du monde, la plus receuë & plus vniuer-
felle eft le foing de la réputation & de la gloire, que nous efpoufons
iufques à quitter les richeffes, le repos, la vie & la iluité, qui font
bien effectuels & fubftantiaux, pour l'uyure cette vaine image & cette
fimple voix qui n'a ny corps ny pril'e : S
La lama, ch' inuaghisce a vn dolce fuono
Gli fuperbi mortali, & par fi bella,
E vn écho, vn fogno, anzi d'vn Ibgno vn ombra
Ch' ad ogni vento 11 dilegua & fgombra.
Et, des humeurs des-raifonnables des hommes, il femble que les lo
philofophes mel'mes fe défacent plus tard & plus enuis de cefte-cy
que de nulle autre.
Ceft la plus rcuelche & opiniaftre : « Quia ctiaiii hcnc pwficicutcs auimos
kutarc non cessai.» Il n'en eft guiere de laquelle la railbn accule fi
clairement la vanité, mais elle a les racines fi vifues en nous, que 15
ie ne içav fi iamais aucun s'en eft peu nettement descharger. Apres
que vous auez tout dict & tout creu pour la dcladuouer; elle produict
contre voftre difcours vue inclination li intcftinc que vous aucz peu
que tenir à l'encontre.
Texte 88. — 6) ch' inuahifcc a — 16) ncticnitiu dcrt'airi:. .\prcs
LIVRE I, CHAPITRI-; XLI. 33I
Car, comme dit Ciccro, ceux mclmcs qui la combatcnt, cncorcs
veulent-ils que les Hures qu'ils en el'criuent, portent au front leur
nom, & fe veulent rendre glorieux de ce qu'ils ont mefprifé la gloire.
Toutes autres chofes tombent en commerce : nous preftons nos
5 biens & nos vies au beloin de nos amis; mais de communiquer
l'on honneur 6i; d'eftrcner autruv de la gloire, il ne fc voit guicres.
Catulus Luctatius, en la guerre contre les Cymbres, ayant laict tous
fes efforts d'arreftcr les Ibldats qui fuyoient deuant les ennemis,
fe mit luy-mefmes entre les fuyards, & contrefit le couard, affin
10 qu'ils femblaffent pluftoft fuiure leur capitaine que fuyr l'ennemy :
c'effoit abandonner fa réputation pour couurir la honte d'autruy.
Quand l'Empereur Charles cinquiefme paffa en Prouence, l'an mil
cinq cens trente fept, on tient que Anthoine de Leue, voyant l'on
maiftre rel'olu de ce voiage & l'eftimant luy eftre merueilleufement
15 glorieux, opinoit toutefois le contraire & le defconfeilloit, à cette fin
que toute la gloire & honneur de ce confeil en fut attribué à l'on
maiftre, & qu'il fut dict fon bon aduis & (a preuoiance auoir elle
telle que, contre l'opinion de tous, il euft mis à fin vne fi belle
entreprinfe : qui eftoit l'honnorer à fes defpens. Les AmbalTiideurs
20 Thraciens, confolans Archileonide, mère de Brafidas, de la mort
de Ion fils, & le haut-louans iufques à dire qu'il n'auoit poiiil laiffé
fon pareil, elle refuûi cette louange priuée & particulière pour la
rendre au pubhc : Ne me dites pas cela, fit-elle, ie fçay que la ville
de Sparte a plufieurs citoyens plus grands & plus vaillans qu'il
25 n'eftoit. En la bataille de Crecy, le Prince de Gales, encores fort
ieune, auoit l'auant-garde à conduire : le principal effort du rencontre
fuft en cet endroit : les feigneurs qui l'accompagnoicnt, le trouuans
en dur party d'armes, mandarent au Roy Edouard de s'approcher
pour les fecourir : il s'enquit de l'eftat de fon fils, &, luy ayant efté
30 refpondu qu'il eftoit viuant & à cheual : le luy ferois, dit-il, tort de
Texte 88. — 21) n'auoit pas laiffil-
532 ESSAIS DE MONTAIGNE.
luy aller maintenant delVober l'honntur de la victoire de ce combat
qu'il a fi long temps fouftenu; quelque hazard qu'il v ait, elle fera
toute fienne. Et n'y voulut aller ny enuoier, fçacliant, s'il y fuft
allé, qu'on euft dict que tout efloit perdu fans fon fecours, & qu'on
luy eut attribué l'aduantage de cet exploit : « sempcr eiiiin qiiod postre- 5
nium adiectiiin est, id rem totaiu iiidetur traxisse. »
Plufieurs eftimoyent à Romme, & fe difoit communément, que
les principaux beaux-foits de Scipion eftoyent ai partie deus à Lcelius,
qui toutesfois alla toufiours promouuant & fécondant la grandeur
& gloire de Scipion, lans aucun foing de la fienne. Et Thcopompus, 10
Roy de Sparte, à celuv qui luv diloit que la chofe publique demeu-
roit fur fes pieds, pour autant qu'il Içauoit bien commander : Ceft
plufloft, dict-il, parce que le peuple fçait bien obeyr.
Corne les famés qui sitecedoint ans pairies, auoiiit, nonobstant leur sexe,
droit d'assister et opiner aus causes qui apartieiieiit a la iurisdiction des 15
pairs : aussi les pairs ecclésiastiques, nonobstant leur profession, estoint tenus
d'assister nos roys en leurs guerres, non sulemaiit de leurs amis et seruiturs,
'niais de leur persone aussi. L'euesque de Beauuais, se trouuant aueq Philippcs
Auguste en la bataille de Bouuincs, participoit bien fort coragcusemant
a l'effaict; nuiis il luv scnû'loit ne deiioir toucher an fruit et gloire de cet 20
exercice, senglant et iiiolant. Il mena, de sa main, plusieurs des eneniis
a raison ce iour la; et les donoit au premier gentillhome qu'il trouuoit,
a csgosiller ou prendre prisoniers : luv en résignant toute l 'exécution; et le
fit eiusiii de guillaume conte de Salsberv a messire lan de Nesle : d'une
pareille subtilité de consciancc a cet t' autre : il uonloit bien assoiner, mais 25
non pas blesser, et pourtant ne combatoit que de masse. Quelciin, en mes
ioiirs, estant reproche par le Ro\ d'aiioir mis les mains sur un prestre,
\le nioit fort et ferme : c'estoit qu'il Vauoit i battu et foule aus pieds.
Texte 88. — 5) de tout cet
Vau. ms. — 14) auoiiil droit — • i6) profession pacifique cl nerhatc csloiiil —
22) trouuoit prcs de luy a — 25) prisoniers : t^ome si luy en resignaiil loul l'exploit :
et le fil — 27) estant w
Chapitre XLII.
DE L IXRQVALITK QVI EST ENTRE XOVS.
Plutarquc dit en quelque lieu qu'il ne trouue point i\ grande
diftance de hefte à befte, comme il trouue d'homme à homme.
II parle de la fuffifance de l'ame & qualités internes. A la vérité,
ie trouue fi loing d'Epaminundas, comme ie l'imagine, iufques à tel
5 que ie connois, ie dy capable de fens commun, que i'encherirois
volontiers fur Plutarque; & dirois qu'il y a plus de diftance de tel
à tel homme qu'il n'y a de tel homme à telle befte :
hem tiir iiiro quid prœstat ;^
Et qu'il y a autant de def^n'i d'esprits qu'il y a d'icy au ciel de brasses,
10 et autant inmtmerahks.
Mais, à propos de l'eftimation des hommes, c'cft merueille que,
Texte 88. — 6) & pcnfe qu'il — 7) befte : c'eft à dire, que le plus excellent
animal, eft plus approchant de l'homme, de la plus baffe marche, que n'eft cet homme,
d'vn autre homme grand & excellent. Mais
\'ar. ms. — 9) d'esprits qu'il y en a d'icy aufsi ciel el aillant
' .\u dessus de cette citation .Montaigne écrit tiers
334 ESSAIS DE MOXTAIGXE.
faut nous, aucune choie ne s'eftime que par fes propres qualitez.
Nous louons vn cheual de ce qu'il eft vigoureux & adroit,
volucrem'
Sic laudamus equum, facili cui plurima palma
Feruet, & exultât rauco Victoria circo, 5
non de fon harnois; vn leurier de fa viteffe, non de l'on colier : vn
oyfeau de fon aile, non de fes longes & fonettes. Pourquoy de
mefmes n'ellimons nous vn homme par ce qui eft fien ? Il a vn
grand train, vn beau palais, tant de crédit, tant de rente : tout cela
eft autour de luy, non en luy. Vous n'achetez pas vn chat en poche. 10
Si vous marchandez vn cheual, vous luy oftez fes bardes, vous le
voyez nud & à defcouuert; ou, s'il eft couuert, comme on les
prefentoit anciennement aux Princes à vandre, c'eft par les parties
moins neceffaires, afin que vous ne vous amufez pas à la beauté
de fon poil ou largeur de fa croupe, & que vous vous arreftez 15
principalement à confiderer les iambes, les yeux & le pied, qui font
"les membres les plus vtiles,
Regibus hic mos eft : vbi equos mercantur, opertos
Infpiciunt, ne, fi faciès, vt fœpe, décora
Molli fulta pede eft, emptorem inducat hiantem, 20
Quod pulchrs clunes, hreue quod caput, ardua cervix.
Pourquoy, eftimant vn homme, Feftimez vous tout enueloppé
& empacqueté? Il ne nous f;nct montre que des parties qui ne font
aucunement liennes, & nous cache celles par Icfquelles feules on
peut vrayement iuger de fon eftimation. C'eft le pris de l'efpée que 25
vous cherchez, non de la guaine : vous n'en donnerez à l'aduenture
pas vn quatrain, fi vous l'auez delpouillé. Il le laut iuger par luy
Texte 88. — 17) membres les plus nobles & les plus vtiles
' en ça écrit Monuigne i droite de ce mot.
LIVRE I, CHAPITRE XLII. 335
mefmc, non par les atours. Et comme dit trcs-plaifamment vn ancien :
Sçauez vous pourquoy vous l'ellimez grand? Vous y comptez la
hauteur de fes patins. La bafe n'eft pas de la ftatue. Mefurez le fans fes
efchaces : qu'il mette à part fes richeffes & honneurs, qu'il fe prefente
5 en chemife. A il le corps propre à fes functions, iain & allègre'?
Quelle ame a il ? eft elle belle, capable & heureufement pourmue de
toutes fes pièces? Eft elle riche du fien, ou de l'autruy? la fortune
n'y a elle que voir? Si, les yeux ouuerts, elle attend les efpées traites;
s'il ne luy chaut par où luy forte la vie, par la bouche ou par le
10 gofier; fi elle eft raflife, equable & contente : c'eft ce qu'il fiiut veoir,
& iuger par la les extrêmes différences qui font entre nous. Eft-il
fapiens, fibique imperiofus,
Quem neque pauperies, neque mors, neque vincula terrent,
Refponfare cupidinibus, contemnere honores
15 Fortis, & in feipfo totus teres atque rotundus,
Externi ne quid valeat per Isue morari,
In quem manca ruit (emper fortuna?
vn tel homme eft cinq cens bralTes au defliis des Royaumes & des
duchez : il eft luy mefmes à foy fon empire.
20 Sapiens pol ipse Jingit fortunam sibi.'
Que luy reste il a désirer?
Non ne videmus"
Nil aliud fibi naturam latrare, nifi ut quoi
Corpore feiunctus dolor abfit, mente fruatur,
25 lucundo fenfu cura femotus metûque ?
Tkxte 88. — 6) heureufement garnie de — 19) empire & fes richelTes : il vit
fatis-fait, content & allègre. Et à qui a cela, que refte-il? Non ne videmus
' Au dessus Je celle cilation, Moiit.iignc écrit tlCt'S
- A droite de cette hii Je vers, .Montaigne écrit : /</-' Cil fil
330 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Comparez luy la tourbe de nos hommes, flupide, bafle, feruile,
inftable ts: continuellement flotante en l'orage des paffions diuerfes
qui la pouffent & repoussent : pendant toute d'autruy; il y a plus
d'efloignement que du Ciel à la terre : & toutefois l'aueuglement de
noftre vfage eft tel, que nous en faifons peu ou point d'eftat, là où, 5
fi nous confiderons vn paifan & vn Roy, //// iiohlc et un uiJlaiii, un
magistrat et un home priue, un riehe et un poure, il le prefente Ibudain
à nos yeux vn' extrême difparité, qui ne font différents par manière
de dire qu'en leurs chauffes.
En Thrace le Roy [estoit] distingue de sou [peuple d'une plaisante 10
manière,^ et bien rencherie. Il auoit une religion a part, un dieu tout a luy
qu'il napartenoit a ses suhiets d'adorer : c'estoit Mercure; et luy dcsdeiguoit
les leurs, Mars, Bacclnis, Diane.
Ce ne so)it pourtât que peintures, qui ne font aucune dissemblance
essentielle. 1 5
Car, comme les loueurs de comédie, vous les voyez fur l'efchafîiiut
faire vne mine de Duc & d'Empereur; mais, tantoft après, les voyia
'deuenuz valets & crocheteurs miferables, qui eft leur nayfue îx origi-
nelle condition : auffi l'Empereur, duquel la pompe vous eiblouit
en public, 20
Scilicet & grandes viridi cuiii luce fmaragdi
Auro includuntur, teriti'irque Tlialalîlma veftis
Affiduè, & Veneris fudorem exercita potat,
voyez le derrière le rideau, ce n'eft rien qu'vn homme commun,
&, à l'aducnture, plus vil que le moindre de fes fuhiects. «Ille beatus 25
introrsuni est. Istius bracteata Ja'licitas est. »
Texte 88. — i) comp.art-z à ccluy là, la... honinics, ignorante, llupidc&cndoniiic,
balTc, fcruilc, plcini.' de fic-burc & de tVaicur, inftabic — 5) & lenipcftent, pendant
\'ar. .ms. — 7) magistrat un... riil.'c li I' — y) cliauffes. Bradcala isla f.rlicilas csl.
Car comme — 10) Roy est ilislinguc — 11) loiil u s — 14) aucune dislhiclum cssentictte.
— 25) fubiccts. Mmckala ida f^lidUii al. llle... csl. Smckaia isla jadUikn eut. Islius
LIVRE I, CHAPITRK XLII. 337
La coùardile, l'irrclblution, rambition, le dcfpit & l'cnuic l'agitent
comme vn autre :
Xon enini gaz>t neque confularis
Siinimouet lictor niiferos tumultus
5 Mentis & curas laqueata circuiii
Tecta volantes;
& le l'oing & la crainte le tiennent à la gorge au milieu de l'es armées, B
Re veràque nietus hominum, eunuque fequaces,
Nec metuunt fonitus armorum, nec fera tela;
10 Auiiactérque inter reges, rerûnique potentes
\'erfantur, neque fulgorem reuerentur ab auro. •
La fiebure, la niicntinc & la goutte lelpargnent elles non plus que A
nous? Quand la vieillefle luy fera fur les efpauies, les archiers de
fa garde l'en defchargeront ils? Quand la frayeur de la mort le
15 tranfira, fe r'affeurera il par ralfillance des gentils-hommes de (a
chambre ? Quand il fera en ialoufie & caprice, nos bonnettades le
remettront elles? Ce ciel de lict tout enflé d'or & de perles, n'a aucune
vertu à rappaifer les tranchées d'vne verte colique :
Nec calid;c citius decedunt corpore febres,
20 Textilibus fi in picturis oftrôque rubenti
lacteris, quam fi plebeia in verte cubanduni eft.
Les flateurs du grand Alexandre luy faifoyent à croire qu'il eftoit
fils de lupiter : vn iour, eftant blefle, regardant efcouler le fang de
fa plaie : Et bien, qu'en dites vous? fit-il, efl-ce pas icy vn fang
25 vermeil & purement humain ? Il n'efl pas de la trampe de celuy que
Homère fait efcouler de la playe des dieux. Hermodorus, le poète,
auoit fait des vers en l'honneur d'Antigonus, où il l'appelloit fils du
Texte 88. — 12) la migraine & — 17) lict de velours tout — 25) la façon de
3^8 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Soleil; & luv au contraire : Celuy, dit-il, qui vuide ma chaize percée,
Içait bien qu'il n'en efl: rien. C'eft vn homme pour tous potages;
& fi, de Iby-mefmes, c'eft vn homme mal né, l'empire de l'vniuers
ne le fçauroit rahiller :
puelkt 5
Hune rapiant; quicquid calcauerit hic, rofa fiât,
quoy pour cela, li c'eft vne amc grofliere & ftupide? La volupté
meftîic & le bon heur ne se pcrçoiuciil point fans vigueur (S; sans esprit :
L-EC perinde funt, vt illius aninius qui ea poffidet.
Qui vti fcit, ei bona; illi qui non vtitur rectè, mala. lo
Les biens de la fortune, tous tels qu'ils font, encorcs faut il auoir
du sentinuiiit pour les fauourer. C'eft le iouir, non le pofl"eder, qui
nous rend heureux :
Non domus & fundus, non sris aceruus & auri
^groto domini deduxit corpore febres, 15
Non animo curas : valeat poffelTor oportet,
Qui comportatis rébus benè cogitât vti.
Qui cupit aut metuit, iuuat illum fie domus aut res,
\'t lippuni pictïe tabulœ, fomenta podagram.
Il eft vn fot, fon gouft eft moufle & hebeté; il n'en iouit non plus 20
qu'un morfondu de la douceur du vin Grec, ou qu'vn cheual de la
richeffe du harnois duquel on l'a paré; tout ainsi, corne Platon dict,
que la santé, la beauté, la force, les richesses, et tout ce qui s'apele bien, est
egalemant mal a l'iniustc corne bien au iuste, et le mal au rebours.
Et puis, où le corps & l'efprit font en mauuais eftat, à quoy faire 25
ces commoditcz externes? veu que la moindre picqueure d'elpingle.
Texte 88. — 8) ne s'aperçoiuent point fans vigueur & fuffifance : hiKC —
12) du gouft pour — 19) podagram. Sinccrum eft nifi vas, quodcunque infiindis
aceflit. Il eft — 26) efpingle, veu que la moindre palFion
Var. ms. — 23) et es — 24) et du mal
LIVRE I, CHAIMTRH XLII. 3}9
('/ paflion de l'ame cil: luffiûmtc à nous oÛcr le plaifir de la monarchie
du monde. A h pixiiiiiir ftrette que luy donne la goutte', il a beau
élire Sire & Majerté,
Totus & arqcnto confl:itus, totus & auro,
5 'perd il pas le fouuenir de l'es palais & de fes grandeurs? S'il eft en
colère, la principauté le garde elle de rougir, de paflir, de grincer
les dents, comme vn fol? Or, li çeft vn habile homme & bien né,
la royauté adioute peu à fon bonheur :
Si ventri bene, fi lateri eft pedibûfque tuis, ni!
lO Diuitis poterunt regales addere maius;
il voit que ce n'eft que biffe & piperie. Oui, à Taduenture il lera de
l'aduis du Rov Seleucus, que, qui fçauroit le poix d'vn fceptre, ne
daigneroit l'amalTer, quand il le trouueroit à terre; il le difoit pour
les grandes & pénibles charges qui touchent vn bon Roy. Certes, ce
I) n'eft pas peu de choie que d'auoir à régler autruy, puis qu'à régler
nous mefmes il le prefente tant de difficultez. Quant au commander,
qui femble eftre 11 doux, conliderant l'imbécillité du ingénient
humain ix la difficulté du chois es choies nouuelles & doubteufes,
ie fuis fort de cet aduis, qu'il eft bien plus aifé & plus plaifant de
20 fuiure que de guider, & que c'eft vn grand feiour d'efprit de n'auoir
à tenir qu'vne voyc tracée & à refpondre que de loy :
Vt latiùs multo iam lu parère quietum,
Quam regcre iniperio res velle.
joint que Cyrus difoit qu'il n'appartenoit de commander à homme
25 qui ne vaille mieux que ceu\ à qui il commande.
Texte 88. — 2) A la moindre ftrette — S) royauté n'aJioutc rien à —
1 1) piperie : voire à
340 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Mais le Roy Hieron, en Xenophon, dict dauantage : quen la
iouyflance des voluptez mefmes, ils font de pire condition que les
priuez, d'autant que l'ayfancc ix la facilité leur olfc l'aigrc-douce
pointe que nous y trouuons,
Pinguis amor nimiûmque potens, in tœdia nobis 5
Vertitur, & ftomacho dukis vt efca nocet.
Penfons nous que les enfans de cœur prennent grand plaifir à la
mufique? la facieté la leur rend plufloft ennuyeufe. Les feftins, les
danfes, les mafquarades, les tournois, reiouyfTent ceux qui ne les
voyent pas fouuent & qui ont defiré de les voir; mais, à qui en faict 10
ordinaire, le gouft en dénient fade & mal plaifant; ny les dames ne
chatouillent celuy qui en ioyt à cœur faoul. Qui ne fe donne loifir
d'auoir foif, ne fçauroit prendre plaifir à boire. Les farces des bateleurs
nous res-iouilTent, mais, aux loueurs, elles feruent de coruée. Et
qu'il foit ainfi, ce font délices aux Princes, c'ei^ leur ferte, de fe 15
pouuoir quelque fois traueftir & démettre à la façon de viure baffe
& populaire,
Pleri'imque gratae principibus vices,
Munda;que paruo fub lare pauperum
Cœnœ, fine aulseis & oftro, 20
Solicitam explicuere frontem.
// n'est rien si empeschant, si desgouté, que l'abondance. Quel appétit ne
se rehuteroil a noir trois cens femmes a sa merci, corne les ha le grand
seign[eur^ en son serrail? Et quel appétit et uisage de chasse s'estait reseruc
celuy de ses ancestres qui n'aloit ianniis ans champs a mois de sept mille 25
fauconiers ?
Texte 88. — i) qu'à la — 15) Princes, & c'eft
Var. ms. — 24) chasse celuy
LIVRE I, CHAPITRE XLII. 34I
Et, outre cela, ie croy que ce lullre de grandeur apporte non
legieres incommodités à la iouylTance des philsirs plus dons : ils font
trop elclairez ^; trop en butte.
Ht, ie ne Içay comment, on requiert plus d'eux de cacher & couurir
5 leur faute. Car ce qui eÛ à nous indilcretion, à eux le peuple iuge
que ce loit tyrannie, melpris & deldain des loix; &, outre rinclination
au vice, il lemble qu'ils v adiouftent encore le plaiiir de gourmander
& loulmettre à leur pieds les ohleruances publiques. De iinii Platon,
en son Gorgias, definil Ivntn cehty qni ci liù-)ur en nne cite de faire tout
10 ce qui luy pJait. Et louuent, à cette caufe, la montre & publication
de leur uice blefle plus que le vice melme. Chacun craint à ertre
elpié & contrerollé : ils le l'ont iuiques à leur contenances & à leurs
penlees, tout le peuple ertimant auoir droict & interert d'en iuger;
outre ce que les taches s'agranditTent l'elon l'eminence (\: clarté
I) du lieu où elles lont afliles, & qu'vn leing & vue verrue au front
paroillent plus que ne taict ailleurs vue balafre.
N'oyla pourquoy les poètes feignent les amours de lupitcr conduites
loubs autre vilage que le fien; îx, de tant de practiques amoureufes
qu'ils luy attribuent, il n'en ell qu'vne feule, ce me lemble, où il fe
20 trouue en ia grandeur & Majellé.
Mais reuenons à Hyeron : il recite aufli combien il fcnt d'incom-
moditez en la royauté, pour ne pouuoir aller & vovager en liberté,
eftant comme prifonnier dans les limites de l'on pais; & qu'en
toutes les actions il fe trouue enueloppé d'vne facheule prelTe.
25 De vray, à voir les noftres tous feuls à table, aflîegez de tant de
parleurs' & regardans inconnuz, l'en ay eu louuent plus de pitié
que d'enuie.
Texte 88. — i) croy à dire la vérité, que — 2) des principales voluplez : ils
— Il) leur vie, blefle — 15) au vifage, paroiflcnt
\'ar. ms. — 9) lyrati eduy a qui l«u
' parleurs & addition de Ij8«.
342 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Le Rov Alphonfe dilbit que les afncs eftoyent en cela de meilleure
condition que les Rovs : leurs maiftres les laiffent paiflre à leur aife,
là où les Roys ne peuuent pas obtenir cela de leurs feruiteurs.
Et ne m'eft iamais tombé en fantafie que ce fut quelque notable
commodité a la vie d'vn homme d'entendement, d'auoir vne vingtaine s
de contrerolleurs à fa chaife percée; ny que les feruices d'vn homme
qui a dix mille Hures de rente, ou qui a pris Cafal, ou défendu
Siene, luy Ibyent plus commodes & acceptables que d'vn bon valet
& bien expérimenté.
Les auantages principefques font quafi auantages imaginaires. lo
Chaque degré de fortune a quelque image de principauté. Caîfar
appelle Roytelets tous les Seigneurs ayant iuftice en France de fon
temps. De vray, fauf le nom de Sire, on va bien auant auec nos
Rovs. Et voyez aux Prouinces efloingnées de la Cour, nommons
Bretaigne pour exemple, le train, les fubiects, les officiers, les occu- 15
pations, le feruice & cerimonie d'vn Seigneur retiré & cafanicr, nourry
entre fes valets; & voves auffi le vol de fon imagination : il n'eft
"rien plus Roval; il ovt parler de fon maiftre vne fois l'an, comme
du Rov de Perle, & ne le recognoit que par quelque vieux couiinage
que fon fecretaire tient en regiftre. A la vérité, nos loix font libres 20
affez, & le pois de la fouueraineté ne touche vn gentil-homme
François à peine deux fois en fa vie. La fubiection eflentielle & effec-
tuelle ne regarde d'entre nous que ceux qui s'y conuient & qui
avment à s'honnorer & enrichir par tel feruice : car qui le veut tapir
en fon fover, & fçait conduire h maifon fans querelle & fans procès, 25
il eft aufli libre que le Duc de Venife : « Paucos scniitiis, pliircs scnii-
iiikm Iciicnl. »
Mais fur tout Hieron faict cas dequoy il fe voit priué de toute
amitié & focieté mutuelle, en laquelle confifte le plus partait iS: doux
fruict de la vie humaine. Car quel tefmoignage d'affection & de 30
bonne volonté puis-ie tirer de celuy qui me doit, veuille il ou non,
tout ce qu'il peut? Puis-ie faire eftat de fon humble parler & courtoile
LIVRE 1, CHAPITRE XI. II. 343
reuerencc, veu qu'il n'cft pas en luy de me la rcfulcr? L'honneur
que nous rcceuons de ceux qui nous craignent, ce n'efl; pas honneur;
ces refpects le doiuent à la royauté, non à moy :
maximum lioc regni honum cft,
5 Quod facta domini cogitur populus fui
Quam ferre tam lauJarc.
Vois-ie pas que le melchant, le bon Roy, celuy qu'on hait, celuy
qu'on ayme, autant en a l'vn que l'autre : de melmes apparences,
de melme cerimonie eftoit l'eruy mon predeceiïeur & le fera mon
H) fucceiïeur. Si mes lubiects ne m'oftencent pas, ce n'eil; telmoignage
d'aucune bonne aftection : pourquov le prendray-ie en cette part-là,
puis qu'ils ne pourroient quand ils voudroient ? Nul ne me luit pour
l'amitié qui foit entre luy & mov, car il ne s'v Içauroit coudre amitié
où il y a lî peu de relation & de correfpondance. Ma hauteur m'a
I) mis hors du commerce des hommes : il y a trop de dilparité & de
dilproportion. Ils me luiuent par contenance & par coultume ou,
plus tost que niov, ma forluuc, pour eu aceroistre la leur. Tout ce qu'ils
me dient et font, ce n'ert que fard. Leur liberté eftant bridée de toutes
pars par la grande puilTance que i'ay lur eux, ie ne voy rien autour
20 de moy, que couuert & malqué.
Ses courtiliins loiioient vn iour lulien l'Empereur de faire bonne
iuftice : le m'en orgueillirois volontiers, dict-il, de ces louanges, fi
elles venoient de perlonnes qui ozaiïent acculer ou melloiier mes
actions contraires, quand elles v leroient.
25 Toutes les vraies commoditez qu'ont les Princes, leur lont
communes auec les hommes de moyenne fortune (c'eit à taire aux
Dieux de monter des chenaux aillez & le pairtre d'Ambrolie) : ils
n'ont point d'autre lommeil & d'autre appétit que le nollre; leur
Texte 88. — lé) ou pour en tirer leurs aggrandifTemeiis & commoditez parti-
culières, tout ce — 18) dient, tout ce qu'ils me font... fard & piperie, leur liberté
eftant toute bridée, par
344 ESSAIS DE MONTAIGNE.
acier n'eft pas de meilleure trempe que celuy dequoy nous nous
armons; leur couronne ne les couure nv du foleil ny de la pluie.
Diocletian, qui en portoit vne fi reuerée & ii fortunée, la refigna
pour fe retirer au plaifir d'vne vie priuée; &, quelque temps après,
la neceffité des affaires publiques requérant qu'il reuint en prendre 5
la charge, il refpondit à ceux qui l'en prioient : \'ous n'entreprendriez
pas de me perfuader cela, û vous auiez veu le bel ordre des arbres
que i'ay movmefme planté chez moy, & les beaux melons que i'y
ay femez.
A l'aduis d'Anacharfis, le plus heureux eftat d'vne police l'eroit 10
où, toutes autres choies eftant eigales, la precedence ie iiicsitroil à la
vertu, 1^ le rebut au vice.
Quand le Roy Pyrrhus entreprenoit de paffer en Italie, Cvneas,
Ion lage confeiller, luy voulant faire fentir la vanité de ion ambition :
Et bien! Sire, luv demanda-il, à quelle lin dreffez vous cette grande 15
entrcprinle? — Pour me laire mairtre de l'Italie, relpondit-il loudain.
— Et puis, luvuit Cvneas, cela fiiict? — le pafferav, dict l'autre, en
"Gaule & en Elpaigne. — Et après? — le m'en irav lubiuguer
l'Afrique; & en hn, quand i'aurav mis le monde en ma lubiection,
ie me repoferav & viuray content & à mon aile. — Pour Dieu, Sire, 20
rechargea lors Cyneas, dictes moy à quov il tient que vous ne foyez
dés à prefent, fi vous voulez, en cet eftat? pourquov ne vous logez
vous, des cette heure, où vous dictes alpirer, 6c vous efpargnez tant
de trauail & de hazard que vous iettez entre deux?
Nimirum quia non hene norat qiut eiret liabeiidi 25
Finis, & omnino qiio.id crcfcat vera voluptas.
le m'en vais clorre ce pas par ce verlet ancien que ie trouue
lingulierement beau à ce propos : « Mores cuique fui fingunt
fortunam. »
Texte 88. — 11) fe mcfurcroit à — 20) Sire, fit lors
Chapitre XLIII.
DES LOIX SOMPTVAIRES.
La façon dequoy nos loix eflayent à régler les foies & vaines
defpences des tables & veftemens, femble eftre contraire à fa fin.
Le vray moyen, ce feroit d'engendrer aux hommes le mefpris de
l'or & de la foye, comme de chofes vaines & inutiles; & nous leur
S augmentons l'honneur & le prix, qui eft vne bien inepte façon pour
en dégonfler les hommes : car dire ainfi, qu'il n'y aura que les
Princes qui mangent du turbot et qui puilTent porter du velours & de
la treffe d'or, & l'interdire au peuple, qu'eft-ce autre chofe que mettre
en crédit ces choses là, & faire croiftre l'enuie à chacun d'en vfer ?
10 Que les Roys quittent hardiment ces marques de grandeur, ils en
ont aflez d'autres : tels' excez font plus excufables à tout autre qu'à
vn prince. Par l'exemple de plufieurs nations, nous pouuons
apprendre aflez de meilleures façons de nous diftinguer extérieu-
rement ik nos degrez (ce que i'eftime à la vérité élire bien requis
15 en vn eftat), fans nourrir pour cet effiect cette corruption & incom-
modité i\ apparente. C'eft merueille comme la couflume, en ces chofes
indifférentes, plante aifément & foudain le pied de fon authorité.
Texte 88. — 9) ces vanitez là
' tels... prince, addition de 1588.
346 ESSAIS DE MONTAIGNE.
A peine fuimes nous vn an, pour le dueil du Roy Henry lecond,
à porter du drap à la cour, il eft certain que defia, à l'opinion d'vn
chacun, les foyes eûoient venues à telle vilité que, li vous en voyez
quelqu'vn veftu, vous en faifiez iiicotitiiiant quelque homme de iiWc.
Elles eftoient demeurées en partage aux médecins & aux chirurgiens; 5
&, quoy qu'vn chacun fuft à peu près veftu de melme, fi y auoit-il
d'ailleurs aflex de diftinctions apparentes des qualitez des hommes.
Combien Ibudainement viennent en honneur parmy nos armées
les pourpoins craffeux de chamois & de toile; (^ la polliffeure
c\: richefTe des veftements, à reproche & à mefpris! 10
Que les Rois commencent à quitter ces deipences, ce lera taict
en vn mois, fans edict & lans ordonnance : nous irons tous après.
La Lov deuroit dire, au rebours, que le cramoify & l'orfeuerie eft
défendue à toute efpece de gens, fauf aux hafteleurs & aux courtiianes.
De pareille inuention corrigea Zeleucus les meurs corrompues des 15
Locriens. Ses ordonnances eftoient telles : que la femme de condition
libre ne puifle mener après elle plus d'vne chambrière, finon lors
qu'elle fera vure; nv ne puifle fortir hors de la ville de nuict; ny
porter iovaux d'or à l'entour de fa perlbnne, ny robbe enrichie de
broderie, fi elle n'eft publique & putain; que, fauf les ruffîens, 20
à l'homme ne loife porter en ion doigt anneau d'or, ny robbe
délicate, comme font celles des draps tilTus en la ville de Milet.
Et ainfi, par ces exceptions honteufes, il diuertilfoit ingenieufement
SCS cHoicns des fuperfluitez & délices pernicieufes.
C'eftoit vne tres-vtile manière d'attirer par honneur & ambition 25
les hommes à Fobeiflance. Nos Roys peuuent tout en telles refor-
mations externes; leur inclination y fert de loy. iiQuidqiiid principes
Texte 88. — 4) faifiez foudain argument, que c'eftoit quelque homme de peu,
elles eftoient — il) Rois & les Princes commencent — 12) irons treftous après.
— 1}) dire tout au — 23) ingenieufement les perfonnes, des — 27) loy, car le refte
Var. ms. — 27) loy, 1° : quidquid principes facial pr^cipere uideiitur : Le refte
2° : car corne dici un atitien tout ce que le prime faici il semhlea uoir qu'il le comaude. Le refte
LIVRE I, CHAPITRE XLIIl. 347
faciinil, praxipcre iiidcnliir. » Le relie de la France prend pour règle la
règle lic la court. Qu'ils le delplailent de cette vilaine chaulTure qui
montre fi à defcouuert nos membres occultes; ce lourd grolîîlTement
de pourpoins, qui nous fiiict tous autres que nous ne l'omines, fi
5 incommode à s'armer; ces longues trelTes de poil efTeminées; cet
vfage de baifer ce que nous prelentons à nos compaignons & nos
mains en les faluant, cérémonie deuë autresfois aux feuls Princes;
& qu'vn gentil-homme fe trouue en lieu de relpect, lans efpée à Ion
cofté, tout eltraillé & deftaché, comme s'il venoit de la garderobbe;
10 & que, contre la forme de nos pères & la particulière liberté de la
noblefle de ce Rovaume, nous nous tenons defcouuerts bien loing
autour d'eux en quelque lieu qu'ils foient; & comme autour d'eux,
autour de cent autres, tant nous auons de tiercelets & quartelets de
Roys; & ainlî d'autres pareilles introductions nouuelles & vitieules :
1 5 elles le verront incontinent efuanouyes & defcriées. Ce font erreurs
fuperficielles, mais pourtant de mauuais prognoftique; & fommes
aduertis que le malTif fe defment, quand nous voyons fendiller
l'enduict & la croufte de nos parois.
Platon, eu ses loix, u 'estime peste du monde plus domageahlc a sa cite,
20 que de laisser prendre liberté a la iuuessc de changer en acoustremens,
en gestes, en danses, en exercices et en chançons, d'une forme a autre :
remuant son ingénient tantost en cete assiete, tantost en cetela, courant après
les nouuelete::^, Imiorant leurs inuanturs; par ou les meurs \se] corrompent,
et toutes antiencs institutions uienent a desdein & a inespris. En toutes
25 cijoses, sauf simplemcnl ans mauucses, la mutation est a crcindre : la
mutation des saisons, des uens, des uiures, des bunwurs; et nulles loix ne
Texte 88. — i) pour patron, ce qui fe faict à la court : ces façons vitieules
naiflent près d'eux : qu'ils fe — 3) membres plus honteux, ce monftrueux grolTilTe-
menl — 5) incommode à ceux qui ont à s'armer
Var. ms. — 20) que de dDUfi^ lUeute a II mnci!.( — 21) danses el en cl>aiiçoiis —
22) iiigenuiit d'une en nuire assicle courant a(ires tes nouuclelei cl leurs inuanturs
348 ESSAIS DE MONTAIGNE.
sont en leur uray crédit, que celles ans quelle dieu a done quelqu antiene
durée, de mod[e] que pcrsone ne sache leur naissance, ny qu'elles ayent
iamais este autres.
Var. ms. — i) en crédit ... dieu donc — 2) mod[e] que nul sache qu'elles aient iamais
este autres. — 2) naissance et qu'elles
Chapitre XLIV.
DV DORMIR.
La rail'on nous ordonne bien d'aller toufiours mefme chemin,
mais non. toutesfois mefme train ; & ores que le fage ne doiue
donner aux paflions humaines de le fouruoier de la droicte carrière,
il peut bien, fans intereft de l'on deuoir, leur quitter aufli, d'en hafter
5 ou retarder fon pas, & ne fe planter comme vn Colofle immobile
& impaflible. Quand la vertu mefme feroit incarnée, ie croy que
le poux luy battroit plus fort, allant à l'aflaut, qu'allant difner : voire
il eft neceffaire qu'elle s'efchauflfe & s'efmeuue. A cette caufe, i'ay
remarqué, pour chofe rare, de voir quelquefois les grands perion-
o nages, aux plus hautes entreprinfes & importans affaires, le tenir fi
entiers en leur afTiette, que de n'en accourcir pas feulement leur
fommeil.
Alexandre le grand, le iour afligné à cette furieufe bataille contre
Darius, dormit fi profondement & fi haute matinée, que Parmenion
5 fut contraint d'entrer en ûi chambre, &, approchant de fon lit, l'appeller
deux ou trois fois par fon nom pour l'efuciller, le temps d'aller au
combat le preffant.
L'Empereur Othon, ayant refolu de fe tuer, cette mefme nuit,
après auoir mis ordre à fes affaires domefliques, partagé fon argent
330 ESSAIS DE MONTAIGNE.
à fes l'eruiteurs & affile le tranchant d'vnc elpée dequoy il fe vouloit
donner, n'attendant plus qu'à fçauoir fi chacun de fes amis s'eftoit
retiré en feureté, fe print 11 profondement à dormir, que les valets
de chambre l'entendoient ronfler.
La mort de cet Empereur a beaucoup de choies pareilles à celle 5
du grand Caton, & mefmes cecy : car Caton eftant prefl; à fe deffaire,
cependant qu'il attendoit qu'on luy rapportait nouuelles fi les fenateurs
qu'il faifoit retirer, s'eftoient eflargis du port d'X'tique, fe mit fi fort
à dormir, qu'on l'ovoit fouffler de la chambre voifine; &, celuv qu'il
auoit enuové vers le port, l'ayant efueillé pour luy dire que la 10
tourmente empefchoit les fenateurs de faire voile à leur aile, il y en
renuova encore vn autre, &, fe r'enfonçant dans le lict, le remit
encore à Ibmmeiller iniques à ce que ce dernier l'afTeura de leur
partement. Encore auons nous dequoy le comparer au faict
d'Alexandre, en ce grand & dangereux orage qui le menaflbit par 15
la fedition du Tribun Metellus voulant publier le décret du rappel
de Pompeius dans la ville auecques Ion armée, lors de l'émotion
"de Catilina; auquel décret Caton feul inlîfloit, & en auoient eu
Metellus & luv de grolTes paroles & grands menaffes au Sénat : mais
ceftoit au lendemain, en la place, qu'il tailloit venir à l'exécution, 20
où Metellus, outre la faueur du peuple & de Cxfar confpirant lors
aux aduantages de Pompeius, fe deuoit trouuer, accompagné de
force efclaues eftrangiers & elcrimeurs à outrance, & Caton fortifié
de ia feule confiance : de forte que fes parens, fes domeftiques
& beaucoup de gens de bien en ertovent en grand foucv; & en 25
y eut qui paflerent la nuict enfemble fans vouloir repofer, ny boire,
nv manger, pour le dangier qu'ils luv voiovent préparé; mcfme la
femme & les fœurs ne faifovent que pleurer & fe tourmenter en fa
maifon, là où luv au contraire recontortoit tout le monde; &, après
auoir louppé comme de coullume, s'en alla coucher & dormir de tort 30
profond fommcil iufques au matin, que Y\n de fes compagnons au
Tribunat le vint elueiller pour aller à l'efcarmouche. La connoiflance
LIVRE I, CHAPITRE XLIV. 35I
que nous auons de la grandeur de courage de ccl homme par le rerte
de sa vie, nous peut taire iuger en toute leureté que cecv lui partoit
d'vne ame li loing csiciicc au deiïus de tels accidents, qu'il n'en
daignoit entrer en ccnwUc, non plus que d'accidens ordinaires.
5 En la bataille nauale que Auguilus gaigna contre Sextus Pompeius
en Sicile, fur le point d'aller au combat, il fe trouua preOe d'vn li
profond fommeil qu'il taulît que les amis l'efueillalTent pour donner
le figne de la bataille. Cela donna occalion à M. Antonius de luv
reprocher depuis, qu'il n'auoit pas eu le cœur leulement de regarder,
10 les yeu.K ouuerts, l'ordonnance de fon armée, iS; de n'auoir ofé fe
prelenter aux foldats iniques à ce qu'Agrippa luy vint annoncer la
nouuelle de la victoire qu'il auoit eu iur les ennemis. Mais quant
au ieune xMarius, qui fit encore pis (car le iour de la dernière iournée
contre Svlla, après auoir ordonné Ion armée (b^ donné le mot & ligne
I ) de la bataille, il fe coucha delToubs vn arbre à l'ombre pour le
repofer, (S: s'endormit fi ferré qu'à peine fe peut-il efueiller de la
route & fuitte de fes gens, n'ayant rien veu du combat), ils diient
que ce fut pour eftre fi extrêmement aggraué de trauail & de taute
de dormir que nature n'en pouuoit plus. Et, à ce propos, les médecins
20 aduiferont fi le dormir eft il neceflaire, que noilre vie en dépende :
car nous trouuons bien qu'on fit mourir le Roy Perfeus de Macédoine
prifonnier à Rome, luv empefchant le fommeil; mais Pline en allègue
qui ont vefcu long temps fans dormir.
Chs Hérodote, il y a des tmiioiis ans quelles les homes dornieiil et ueillciil
25 par demi années.
Et eeiis qui eseriueiit la nie du sa^e Epinienides, disent qu'il dornut
cinqna)ite sept ans de suite.
Texte 88. — i) courage, de ces trois hommes, par le rcfte de leur vie — 2) cecy
leur partoit — 3) loing enleuée au... qu'ils n'en daignoient entrer en limotion, non
\'ar. ms. — 4) I" : en ceruelte, non 2" : en nllenilion, non — 26) du p1)Uouipl>f
Epimenidei
Chapitre XLV.
DE LA BATAILLE DE DREVX.
Il y eut tout plein de rares accidens en noftre bataille de Dreux;
mais ceux qui ne tauorifent pas fort la réputation de monfieur
de Guife, mettent volontiers en auant qu'il ne le peut excufer d'auoir
foict alte & temporile auec les forces qu'il commandoit, cependant
qu'on enfonçoit monfieur le Conneflable, chef de l'armée, auecques 5
l'artillerie, & qu'il valoit mieux fe bazarder, prenant l'ennemy par
flanc, qu'attendant l'aduantage de le voir en queue, fouffrir vne li
lourde perte; mais outre ce, que l'iffuë en tefmoigna, qui en débattra
fans paflîon, me confeffera aifément, à mon aduis, que le but & la
vifée, non feulement d'vn capitaine, mais de chafque foldat, doit 10
regarder la victoire en gros, & que nulles occurrences particulières,
quelque intereft qu'il y ayt, ne le doiuent diuertir de ce point là.
Philopœmen, en vne rencontre contre Machanidas, ayant enuoyé
deuant, pour attaquer l'efcarmouche, bonne trouppe d'archers & gens
de traict, & l'ennemy, après les auoir renuerfez, s'amufant à les 15
pourfuiure à toute bride & coulant après fa victoire le long de la
bataille où eftoit Philopœmen, quoy que fes foldats s'en émeufTent,
il ne fut d'aduis de bouger de fa place, ny de fe prefenter à l'ennemy
pour fecourir fes gens; ains, les ayant laifTé chafler & mettre en
pièces à fa veue, commença la charge fur les ennemis au bataillon 20
LIVRE I, CHAPITRE XLV. 353
de leurs gens de pied, lors qu'il les vit tout à fait abandonnez de
leurs gens de cheual; &, bien que ce fuflent Lacedemoniens, d'autant
qu'il les prit à heure que, pour tenir tout gaigné, ils commençoient
à fe defordonner, il en vint aifément à bout, &, cela tait, fe mit
5 à pourfuiure Machanidas. Ce ats eft germain à celuy de Moniieur
de Guife.
En cette alpre bataille d'Agefilaus contre les Bœotiens, que
Xenophon, qui y efloit, dict élire la plus rude qu'il euft onques veu,
Agefilaus refufa l'auantage que fortune luy prefentoit, de laiffer
10 paffer le bataillon des Bœotiens & les charger en queue, quelque
certaine victoire qu'il en preuift, eftimant qu'il y auoit plus d'art que
de vaillance; &, pour montrer fa proëffe d'vne merueilleufe ardeur
de courage, choilit pluftoft de leur donner en tefte : mais auflî y fut-il
bien battu & blefle, & contraint en fin de fe demefler & prendre le
15 party qu'il auoit refufé au commencement, taifant ouurir fes gens
pour donner pafTage à ce torrent de Bœotiens; puis, quand ils furent
paffez, prenant garde qu'ils marcheoyent en defordre comme ceux
qui cuidoient bien eftre hors de tout dangier, ils les fit fuiure
6c charger par les flancs; mais pour cela ne les peut-il tourner en
20 fuite à val de route; ains fe retirarent le petit pas, montrant
toufiours les dens, iufques à ce qu'ils le furent rendus à fauueté.
Texte 88. — 5) Ce faict cft
Chapitre XLVl.
DES NOMS.
Quelque diuerfité d'herbes qu'il y ait, tout s'enueloppe fous le nom
de fiilade. De mcfme, fous la confideration des noms, ie m'en vov
taire icy vne galimafrée de diuers articles.
Chaque nation a quelques noms qui fe prennent, ie ne fçay
comment, en mauuaife part : ^- à nous Ichan, Guillaume, Benoit. 5
Item, il femble y auoir en la généalogie des Princes certains noms
fatalement affectez : comme des Ptolomées à ceux d'vîigypte, de
Henris en Angleterre, Charles en France, Baudoins en Flandres,
& en noftre ancienne Aquitaine des Guillaumes, d'où l'on dict que
le nom de Guienne eft venu : par vn froid rencontre, s'il n'en y auoit 10
d'aulTi cruds dans Platon mefme.
Item, c'eft vne chofe legiere, mais toutefois digne de mémoire
pour fon eftrangeté & efcripte par tefmoing oculaire, que Henrv,
Duc de Normandie, fils de Henry fécond, Roy d'Angleterre, faifant
vn feflin en France, l'affemblée de la noblelTe v fut fi grande que, 15
pour pafle-temps, s'eftant diuifée en bandes par la relTemblance des
noms : en la première troupe, qui fut des Guillaumes, il fe trouua
cent dix Cheuaiiers aflis à table portans ce nom, ians mettre en
conte les fimples gentils-hommes & feruiteurs.
Il eft autant plaiûint de diftrihuer les tables par les noms des 20
allirtans, comme il eftoit à l'iùiipereur (ieta de faire diftribuer le
LIVRF: I, CHAIMTKU XI. VI. 3)3
fcruicc de les mets par la coniîdcration des premières lettres du nom
des viandes : on leruoyt celles qui le commençoient par M : mouton,
marcaflin, merlus, marlbin; ainll des autres.
Item, il le dit qu'il faict bon auoir bon nom, ceft à dire crédit
5 cS; réputation; mais encore, à la vérité, eft-il commode d'auoir vn
nom beau & qui ailément le puilTe prononcer tk retenir, car les Rovs
& les grands nous en connoiflent plus aifément & oublient plus mal
volontiers; &, de ceux melmcs qui nous feruent, nous commandons
plus ordinairement & employons ceux delquels les noms le prelen-
10 tent le plus facilement a la langue, l'ay veu le Roy Henry fécond ne
pouuoir iamais nommer à droit vn gentil-homme de ce quartier
de Gascouigne; <S;, à vne fille de la Royne, il fut luy mefme d'aduis
de donner le nom gênerai de la race, parce que celuy de la mailon
paternelle luy fembla trop reuers.
15 /:/ Sivrales estime digne du soin palernel de douer un beau nom uns
en/ans.
Item, on dit que la fondation de noftre Dame la grand à Poitiers
prit origine de ce que vn ieune homme débauché, logé en cet endroit,
ayant recouuré vne garce & luy ayant d'arriuée demandé fon nom,
20 qui eftoit Marie, fe fentit fi viuement efpris de religion & de refpect,
de ce nom • Sacrofainct de la Vierge mère de noftre Sauueur, que
non feulement il la chaffa foudain, mais en amanda tout le refte de
fa vie; & qu'en conlideration de ce miracle il fut bafti, en la place
où eftoit la maifon de ce ieune homme, vne chapelle au nom de
2) noftre Dame, 6., depuis, l'Eglife que nous y voyons.
Cette correction uoïeUe et auriculere, deuoticuse, lira droit a l'ame;
cet t' autre, de mesmc genre, s'insinua par les sens corporels : Pytbagoras,
estant en compaignie de iunes homes, les quels il sentit comploter, eschauffe:^
Texte 88. — 6) puifTc comprendre, & mettre en mémoire : car — lo) facilement
en la bouche. l'ay — 12) de Gafcougne, & — 14) trop diuers. Item
\'ar. ms. — I)) estime du — 26) auriculere, reUi^ieuse, doua droit
356 ESSAIS DE MONTAIGNE.
de la fcsk, d'ciUcr niolcr une uunson pudique, eomauda a ht ineueslriere
de changer de ton, et, par une iinisique poisante, seuere et spondaique,
enchanta tout douceniant leur ardur, et l'endormit.
Item, dira pas la pofterité que noftre reformation d'auiourd'huy
ait efté délicate & exacte, de n'auoir pas leulement combatu les 5
erreurs & les vices, & rempli le monde de deuotion, d'humilité,
d'obcïiïiince, de paix & de toute elpece de vertu, mais d'auoir pafle
inique à combatre ces anciens noms de nos baptelmes, Charles,
Loys, François, pour peupler le monde de Mathufalem, Ezechiel,
Malachie, beaucoup mieux Icntans de la foy? Vn gentil'homme 10
mien voifin, cftimant les commoditez du vieux temps au pris du
noftre, n'oublioit pas de mettre en conte la fierté & magnificence
des noms de la noblefle de ce temps. Don Grumedan, Quedragan,
Agefilan, & qu'à les ouïr feulement fonner, il le fentoit qu'ils auoyent
efté bien autres gens que Pierre, Guillot & Michel. 15
Item, ie fçay bon gré à lacques Amiot d'auoir laifTé, dans le cours
d'vn' oraifon Françoife, les noms Latins tous entiers, lans les bigarrer
"& changer pour leur donner vne cadence Françoife. Cela fembloit
vn peu rude au commencement, mais des-ia l'vfage, par le crédit
de fon Plvtarqve, nous en a ofté toute l'eftrangeté. l'ay fouhaité 20
fouuent que ceux qui efcriuent les hiftoires en Latin, nous laiflaffent
nos noms tous tels qu'ils font : car, en faifant de Vaudemont,
Vallemontanus, & les Metamorpholant pour les garber à la Grecque
ou à la Romaine, nous ne Içauons où nous en fommes & en perdons
la connoifïlince. 25
Pour clorre noftre conte, c'eft vn vilain vfage, & de trefmauuaifc
confequence en noftre France, d'appeller chacun par le nom de fa
terre & Seigneurie, & la choie du monde qui faict plus mefler
& mefconnoiftre les races. Vn cabdet de bonne maifon, ayant eu
pour fon appanage vne terre ious le nom de laquelle il a efté connu 30
& honoré, ne peut honneftement l'abandonner; dix ans après fa mort,
la terre s'en va à un eftrangier qui en faict de mefmes : deuinez où
LIVRE 1, CHAPITRE XLVl. T^-^-j
nous fommes de la connoi(î;incc de ces hommes. II ne faut pas
aller quérir d'autres exemples que de noftre maifon Royalle, où
autant de partages, autant de furnoms : cependant l'originel de la
tige nous eft efchappé.
5 II y a tant de liberté en ces mutations que, de mon temps, ic n'ay
veu perfonnc, cfleué par la fortune à quelque grandeur extraordinaire,
à qui on n'ait attaché incontinent des titres généalogiques nouueaux
& ignorez à fon père, & qu'on n'ait anté en quelque illuftre tige.
Et, de bonne fortune, les plus obfcures familles font plus idoyncs
lo à falfification. Combien auons nous de gentils-hommes en France,
qui font de Royalle race félon leurs comptes ? Plus, ce croys-ie, que
d'autres. Fut-il pas dict de bonne grâce par vn de mes amys? Ils
eftoyent plufieurs aflemblez pour la querelle d'vn Seigneur contre
vn autre, lequel autre auoit à la vérité quelque prerogatiue de titres
15 & d'alliances, efleuées au deffus de la commune nobleffe. Sur le
propos de cette prerogatiue chacun, cherchant à s'efgaler à luy,
alleguoit, qui vn' origine, qui vn' autre, qui la refTemblance du nom^
qui des armes, qui vne vieille pancarte domeftique : & le moindre
fe trouuoit arrière fils de quelque Roy d'outremer. Comme ce fut
20 à difner, cettuy cy, au lieu de prendre fa place, fe recula en profondes
reuerences, fuppliant l'afliftance de l'excufer de ce que, par témérité,
il auoit iufques lors vefcu auec eux en compaignon; mais, qu'ayant
efté nouuellement informé de leurs vieilles qualitez, il commençoit
à les honnorer félon leurs degrez, & qu'il ne luy appartenoit pas de
25 fe foir parmy tant de Princes. Apres fa farce, il leur dict mille
iniures : Contentez vous, de par Dieu, de ce de quoi nos pères se sont
contante^, et de ce que nous fommes; nous fommes aflez, fi nous le
fçauons bien maintenir; ne defaduouons pas la fortune ik condition
de nos ayciils, & oftons ces fotes imaginations qui ne peuuent faillir
30 à quiconque a l'impudence de les alléguer.
Texte 88. — 7) incontinent de titres — 29) nos pères, &
3)8 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Les armoiries n'ont de l'eurté non plus que les kirnoms. le porte
d'azur lemé de trèfles d'or, à vne pâte de Lyon de melme, armée
de gueules, mife en face. Quel priuilege a cette figure pour demeurer
particulièrement en uni mailon? Vn gendre la tranfportera en vne
autre famille; quelque clietif acheteur en fera les premières armes : 5
il n' eft chofe où il le rencontre plus de mutation & de confufion.
Mais cette coniideration me tire par force à vn autre champ.
Sondons vn peu de près, ik, pour Dieu, regardons à quel fondement
nous attachons cette gloire & réputation pour laquelle le bouleuerfe
le monde. Où alTcons nous cette renommée que nous allons queftant 10
auec li grand peine? C'efi: en lomme Pierre ou Guillaume qui la
porte, prend en garde, & à qui elle touche. 0 la' courageuse faculté,
que Vesperance qui, en un subiet mortel et eu un moment, iia usurpant
l'infinité. Fini ma usité, Va'ternilé : nature nous ha la doué un plaisant iouet.
Et ce Pierre ou Guillaume, qu'eft ce, qu'vne voix pour tous potages? 15
ou trois ou quatre traicts de plume, premièrement fi aifez à varier,
que ie demanderois volontiers à qui touche l'honneur de tant de
victoires, à Guelquin, à Glefquin ou a Gueaquin ? 11 y auroit bien
plus d'apparence icv qu'en Lucien, que ï. mit T. en procez, car
non leuia aut ludicra petunlur 20
Prxmia ;
. il y va de bon : il eft queftion laquelle de ces lettres doit eftre payée
de tant de fieges, batailles, blefTures, priions & feruices faits à la
couronne de France par ce fien fameux conneftable. Nicolas Denifot
n'a eu loing que des lettres de Ion nom, ^: en a changé toute la 25
contexture, pour en baftir le Conte d'Alfinois qu'il a eftrené de la
gloire de la poéfie îs; peinture. Et l'Hiftorien Suétone n'a aymé que
Texte 88. — i) furnoms. 11 porte — 4) en vne maifon
' O la... iouet. Cette phrase était primitivement insérée après peine (1. il).
LIVRE I, CHAPITRE XI.VI. 359
le lens du fien, &, en ayant priué Lénis, qui ertoit le lurnom de l'on
père, a lailTé Tranquillus lucceffeur de la réputation de fes el'crits.
Qui croirait que le Capitaine Bayard neut honneur que celuy qu'il a
emprunté des faicts de Pierre Terrail? i;c qu'Antoine Efcalin ie laiflc
S voler à la \-euë tant de nauigations & charges par mer & par terre
au Capitaine Poulin & au Baron de la Garde?
Secondement, ce font traicts de plumes communs à mill' hommes.
Combien y a il, en toutes les races, de perfonnes de mel'mc nom
& furnom? Et en diiicrses races, siècles & pais, combien? [L']histoire a
10 coiiii trois Socrales, cinq Piatons, hnici Arislotes, sept Xenophons, iiint
Demetrius, uint Theodores : et diuines combien elle n'en a pas conii. Qui
empefche mon palefrenier de s'appeller Pompée le grand? Mais,
après tout, quels moyens, quels reflbrs v a il, qui attachent à mon
palefrenier trefpaffé, ou à cet autre homme qui eut la tefte tranchée
15 en /Egypte, & qui ioignent à eux cette voix glorifiée & ces traicts
de plume ainfin honorez, ajjin qu'ils s'en aduentagent?
Id cinerem & mânes credis curare fepultos ?
Quel ressentimant ont les deiis compaignons en principale uahtr entre les
Ikvnes, Epaminondas de ce glorieus ners qui court pour liiv en )ios bonches :
20 Cousit ijs nostris tans est allonsa Lacoiniiii ?
[et] Aphricanns de cet antre :
\A ! sote exorietUe supra Mœolis pattides
Neiiio est qui Jadis un- œquiparare queat?
Texte 88. — 3) Qui coroit que — 9) furnom? Et puis qui cnipcfchc —
16) honorez, pour qu'ils
\'ar. ms. — 9) races combien ? — 10) Socrales, deus six Auaximaudres Craies,
quatre Amxagores, sept Xeiwptjovs, uint Tlieodores : et — 18) ont les premiers homes qui
lurent onques. h'paminonJin de ce gol glorieus & niaiinifique ners... pour s
360 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Les suruiuam se chatouillent de [la] douceur de ces uoix, et, par icelles
sollicites [de] ialousie et désir, transmetU iiiconsidereemeut par fantasie aus
très passeTi cettuy leur propre ressentiment, et d'une pipeuse espérance se douent
a croire [d']en estre capables a leur tour. Dieu le sçait!
Toutesfois,'
ad haec fe
Romanus, Graii'ifque, & Barbarus Induperator
Erexit, caufas difcriminis atque laboris
Inde habuit, tanto maior famit fuis eft quam
Virtutis.
^'AR. MS. — i) uoix pour les trespasses a qui elles ne uieiiêt plus et sont par icelles...
désir transmetât pai^ ftiHiuiii' iiiconsidereemenl — 5) et se pipant 1": [de] l'espérance
2° : {pa]r espérance
' Toutesfois eftacé puis rétabli.
Chapitre XLVII.
DE L INCERTITVDK DK NOSTRE IVGEMENT.
C'eft bien ce que dict ce vers :
Ezîojv 3î T.sVj^ ''i;j.;ç è'vOz v.x: îvGa,
il V a prou loy de parler par tout, & pour & contre. Pour exemple
Vinfe Hannibal, & non feppe vdir' poi
Ben la vittoriofa fua ventura.
qui voudra eftre de ce party, &: faire valoir auecques nos gens la faute
de n'auoir dernièrement pourfuiuy noflre pointe à Montcontour,
ou qui voudra accufer le Roy d'Efpagne de n'auoir fçeu fe feruir de
l'aduantage qu'il eut contre nous à Sainct Quentin, il pourra dire
lo cette faute partir d'vne ame enyurée de fa bonne fortune, & d'vn
courage, lequel, plein & gorgé de ce commencement de bon heur,
perd le gouft de l'accroiftre, dcs-ia par trop empelché à digérer ce
qu'il en a; il en a fa brallée toute comble, il n'en peut iaifir dauantage,
indigne que la fortune luy aye mis vn tel bien entre mains : car
15 quel profit en fent-il, fi neantmoins il donne à fon ennemy moyen
de fe remettre fus? quell' efperance peut on auoir qu'il ofe vn' autre
fois attaquer ceux-cv ralliez &: remis, & de nouueau armez de defpit
362 ESSAIS DE MONTAIGNE.
& de vengeance, qui ne les a ol'c ou fçeu pourfuiurc tous rompus
& effrayez?
Duin fortuiia calet, dum conticit oninia terror.
Mais en fin, que peut il attendre de mieux que ce qu'il vient de
perdre? Ce n'eft pas comme à l'efcrime, où le nombre des touches 5
donne gain : tant que l'ennemy eft en pieds, c'eft à recommencer
de plus belle; ce n'eft pas victoire, fi elle ne met fin à la guerre.
En cette efcarmouche où Caefar eut du pire près la Ville d'Oricum,
il reprochoit aux Ibldats de Pompeius qu'il euft efté perdu, fi leur
Capitaine euft Içeu vaincre, & luy chaufla bien autrement les efperons 10
quand ce fut à Ion tour. Mais pourquov ne dira l'on auflî au
contraire, que c'eft l'eftect d'vn efprit precipiteux & inlatiable de ne
fçauoir mettre fin à fa conuoitife; que c'eft abuler des faneurs de
Dieu, de leur vouloir faire perdre la mefure qu'il leur a prefcripte;
& que, de fe reietter au dangier après la victoire, c'eft la remettre 15
encore vn coup à la mercy de la fortune; que l'vne des plus grandes
fagefles en l'art militaire c'eft de ne poufler fon ennemy au delefpoir.
Sylla & Marius en la guerre fociale ayant défaict les Maries, en
vovant encore vne trouppe de refte, qui par defefpoir le reuenoient
ietter à eux comme beftes furieules, ne furent pas d'aduis de les 20
attendre. Si l'ardeur de Monfieur de Foix ne l'eut emporté à
pourfuiure trop afprement les reftes de la victoire de Rauenne, il ne
l'eut pas fouillée de la mort. Toutesfois encore feruit la récente
mémoire de fon exemple à conleruer Monfieur d'Anguien de pareil
inconuenient à Serifoles. Il faict dangereux alT;iillir vn homme 25
à qui vous auez ofté tout autre moven d'elchaper que par les
armes : car c'eft vne violente maiftrefle d'elcole que la iiccellité :
« i^'idiiissiiiii siiiil iiiorsiis irriUila' iicccssiUilis. »
\'incitur liaud gratis iugulo qui prouocat iioflcm.
\Fovhi pouvijuox Plhinix ouprscl.ui Ir Rov de l .accdomuic, ijiii iioioil de ^0
LIVRE I, CHAI'ITKI-. XLVII. 563
i^tiii^iicr 1(1 loiinnr coiilir les Miiiitlnccs, de n'aller dlfroiilci mille Aif^iciis
qui cstoiiit «r/.w/)é'^ cntieis de la deseoiifitnre, aiiis les hiisser eoiiler en Hherle
pour ne uenir a essaier la nertu piquée & despilee par le nuil heur. Clodomire,
Roy d'Aquitaine, après la victoire pourl'uyuant (iondemar, Rov de
5 Bourgogne, vaincu & tuiant, le força de tourner telle; mais fon
opiniâtreté luv ofta le truict de la victoire, car il v mourut.
Pareillement, qui auroit à choilir, ou de tenir les loldats richement
i!s: lomptueulement armez, ou armez leulement pour la neceUité,
il le prelenteroit en faueur du premier party, duquel elloit Sertorius,
10 Pliilopremen, Brutus, Caelar & autres, que c'efl: touliours vn éguillon
d'honneur & de gloire au loldat de le voir paré, & vn' occafion de
le rendre plus obftiné au combat, avant à lauuer l'es armes comme
fes biens (N: héritages : Raison, diet Xemphon, pourquoi les Asiatiques
nuiioint en leur guerres james, eoncuhines, aueq leurs ioxeaus i et i richesses
15 plus chères. Mais il s'oftViroit aulîi, de l'autre part, qu'on doit pluftoft
oller au loldat le loing de le conleruer, que de le luv accroiftre; qu'il
craindra par ce moyen doublement à le bazarder : ioint que c'ell
augmenter à l'ennemv l'enuie de la victoire par ces riches delpouilles;
& a l'on remarqué que, d'autres fois, cela encouragea merueilleu-
20 fement les Romains à l'encontre des Samnites. Antiochus montrant
à Hannibal l'armée qu'il preparoit contr' eux, pompeule & magnifique
en toute forte d'équipage, & luy demandant : Les Romains fe conten-
teront ils de cette armée? — S'ils s'en contenteront? refpondit-il;
vravement c'eft mon, pour auares qu'ils lovent. Licurgus deftendoit
2) aux fiens, non leulement la lumptuolité en leur équipage, mais
encore de delpouiller leurs ennemis vaincus, voulant, diloit-il, que
la pauureté & frugalité reluilit auec le relk de la bataille.
Aux fieges & ailleurs, où l'occafion nous approche de Tennemy,
nous donnons volontiers licence aux foldats de le brauer, defdaigner
Textk 88. — 20) Samnites. Car Antiochus — 22) demandant ainli : Les
\'.\R. MS. — i) (/<• l'aller
364 ESSAIS DE MONTAIGNE.
& iniurier de toutes façons de reproches, & non fans apparence de
raifon : car ce n'eft pas faire peu, de leur ofter toute efperance de
grâce & de compofition, en leur reprefcntant qu'il n'y a plus ordre de
l'attendre de celuy qu'ils ont fi fort outragé, & qu'il ne refte remède
que de la victoire. Si eft-ce qu'il en mefprit à Vitellius : car, a^-ant 5
affaire à Othon, plus foible en valeur de foldats, des-accouftumez
de longue main du taict de la guerre & amollis par les délices de la
ville, il les agaflli tant en fin par tes paroles picquantes, leur repro-
chant leur pufillanimité & le regret des Dames & fefU-s qu'ils venoient
de laiffer à Rome, qu'il leur remit par ce moyen le cœur au ventre, 10
ce que nuls enhortemens n'auoient fceu faire, & les attira luymefme
fur fes bras, où l'on ne les pouuoit pouffer : &, de vrav, quand ce
font iniures qui touchent au vif, elles peuuent faire ayféement que
celuy qui alloit lâchement à la hefongne pour la querelle de fon
Roy, y aille d'vn autre affection pour la fienne propre. 15
A confiderer de combien d'importance efl la conferuation d'vn
chef en vn' armée, & que la vifée de l'ennemv regarde principalement
"cette teffe à laquelle tiennent toutes les autres & en dépendent, il
femble qu'on ne puiife mettre en doubte ce confeil, que nous voions
auoir elfe pris par plufleurs grands chefs, de fe traueftir & defguifer 20
fur le point de la méfiée; toutefois l'inconuenient qu'on encourt
par ce moyen n'efl pas moindre que celuy qu'on penfe fuir : car le
capitaine venant à eflre mefconu des flens, le courage qu'ils prennent
de fon exemple & de fa prefence, vient aufTi quant & quant à leur
faillir, &, perdant la veuë de fes marques & enfeignes accoufliumées, 25
ils le iugent ou mort, ou s'effre defrobé, defefperant de Faffaire. Et,
quant à l'expérience, nous luy voyons fauorifer tantofl l'vn, tantofl
l'autre party. L'accident de Pyrrhus, en la bataille qu'il eut contre le
conful Leuinus en Italie, nous fert à l'vn & l'autre vifage : car, pour
seÛTC voulu cacher fous les armes de Demogacles & luy auoir donné 30
Texte 88. — 29) l'vn & à l'autre
LIVRE I, CHAPITRE XLVII. 365
les fienncs, il lauua bien fans tloutc fa vie, mais aufli il en cuida
encourir l'autre inconuenient, de perdre la iourncc. Alexandre, Ca'sar,
Liieiilliis ei 1)10! lit a se iiiarqnei- au eoiiihai par des aeostreiiiaiis& armes riehes,
de eoliir reluisante o~ parlieidiere : Agis, Agesilaiis et ce grand Gylippiis,
S an rebours, aloint a la guerre obscurément couuers et sans alour impérial.
A la bataille de Pharlale, entre autres reproches qu'on donne
à Pompeius, c'efl d'auoir arrefté fon armée pied cov, attendant
l'enneniv : pour autant que cela (ie des-roberay icy les mots mefmes
de Plutarque. qui valent mieux que les miens) affoiblit la violence
lo que le courir donne aux premiers coups, &, quant & quant, ofte l'eflan-
cement des combatans les vns contre les autres, qui a accouftumé
de les remplir d'impetuofité & de fureur plus que autre choie, quand
ils viennent à s'entrechoquer de roideur, leur augmentant le courage
par le cry & la courle, & rend la chaleur des loldats, en manière
15 de dire, refroidie & figée. Voila ce qu'il dict pour ce rolle : mais fi
Cseiar eut perdu, qui n'eufi peu auffi bien dire qu'au contraire la
plus forte & roide alfiette efi celle en laquelle on fe tient planté fans
bouger, & que, qui eft en fa marche arrefté, reflerrant & efpargnant
pour le befoing fa force en foymefmes, a grand auantage contre
20 celuv qui eft efbranlé & qui a défia consommé à la courle la moitié
de ion haleine? outre ce que, l'armée eftant vn corps de tant de
diuerfes pièces, il eft impoffible qu'elle s'elmeuue en cette furie d'vn
mouuement li iufte, qu'elle n'en altère ou rompe ion ordonnance,
& que le plus dilpoft ne foit aux prifes, auant que Ion compagnon
25 le fecourc. En cette uileine bataille des deus frères perses, Ckarchus, Lace-
demonien, qui comandoit les grecs du parti de Cirus, les mena tout beUemant
a la charge sans soi haster; mais, a cinquante pas près, il les mit a la course,
espérant par la briefuete de l'espace mcsnager et leur ordre & leur haleine.
Tf-XTE 88. — 2) la bataille. A la — 18) fa dcmarche arreftc — 20) défia employé à
Var. ms. — 3) armes de — 5) guerre uilemanl eouuers et au dessous du commun
soldai. A la — 25) uileine et malancoiilreuse Imtaille — 26) tout le pas a
366 ESSAIS DE MONTAIGNE.
leur clomiiil ccpitmhuit \ya\ii(iuiitgc de rimpcliiosiU' pour leurs persanes et
pour leurs armes a trait. D'autres ont réglé ce douhte en leur armée de
cette manière : li les ennemis vous courent lus, attendez les de pied
cov; s'ils vous attendent de pied cov, courez leur lus.
Au paflage que l'Empereur Charles cinquielme fit en Prouence, 5
le Roy François fuft au propre d'eflire ou de luy aller au deuant en
Italie, ou de l'attendre en les terres; &, bien qu'il coniiderall combien
c'eft d'auantage de conleruer la mailon pure & nette de troubles
de la guerre, afin qu'entière en les forces elle puilTe continuellement
fournir deniers & lecours au beloing; que la neceffité des guerres 10
porte à tous les coups de faire le gal1:, ce qui ne le peut faire
bonnement en nos biens propres, & fi le paifant ne porte pas fi
doucement ce rauage de ceux de Ion partv que de l'ennemv, en
manière qu'il s'en peut avlément allumer des feditions & des troubles
parmv nous; que la licence de defrober & de piller, qui ne peut el^re 15
permife en Ion pays, ell vn grand lupport aux ennuis de la guerre,
iS:, qui n'a autre el'perance de gaing que la Ibide, il efi mal aile qu'il
loit tenu en office, efl:ant à deux pas de fa femme & de fa retraicte;
que celuv qui met la nappe, tombe toufiours des delpens; qu'il y a
plus d'allegreffe à affaillir qu'à deffendre; & que la fecoulTe de la 20
perte d'vne bataille dans nos entrailles ell fi violente qu'il efl malaile
qu'elle ne crolle tout le corps, attendu qu'il n'efl pafTion contagieufe
comme celle de la peur, ny qui fe preigne fi avféement à crédit,
& qui s'efpandc plus brufquement; & que les villes qui auront ouv
l'efclat de cette tempefk' à leurs portes, qui auront recueilly leurs 25
(Capitaines & foldats tremblans encore & hors d'haleine, il efl dange-
reux, fur la chaude, qu'ils ne fe iettent à quelque mauuais party : fi
efl-ce qu'il choifit de r'appeller les forces qu'il auoit delà les monts,
& de voir venir l'ennemv : car il peut imaginer au contraire, qu'eftant
chez luy & entre les amis, il ne pouuoit faillir d'auoir planté de 30
toutes commoditez : les riuieres, les paffages, à fa deuotion, luv
conduiroient & viurcs & deniers en toute leureté & fans befoinc
LIVRE I, CHAPITRE XLVII. 367
(J'efcorte; qu'il auroit les lubiects d'autant plus atiectionnez, qu'ils
auroient le dangicr plus prcs; qu'ayant tant do villes is; de barrières
pour la leureté, ce leroit à luy de donner lov au combat félon l'on
opportunité & aduantage; &, s'il luv plailoit de teniporifer, qu'à
5 l'abrv & à Ion aile il pourroit voir morfondre Ion ennemv, & le
défaire loy mefmes par les difficultés qui le combatrovent, engagé
"en vne terre coiitrere, où il n'auroit deuant, nv derrière luv, nv à cofté,
rien qui ne luy fit guerre, nul moven de refréchir ou ellargir fon
armée, fi les maladies s'v mettoient, nv de loger à couuert les blefiez;
10 nuls deniers, nuls viures qu'à pointe de lance; nul loifir de le repofcr
6.: prendre haleine; nulle Icience de lieux /;v de pavs, qui le Içeut
deft'endre d'embufches & furpriles; &, s'il venoit à la perte d'vne
bataille, aucun moven d'en lauuer les reliques. Et n'auoit pas laute
d'exemples pour l'vn .S: pour l'autre partv. Scipion trouua bien
I) meilleur d'aller affaillir les terres de Ion ennemv en Afrique, que de
défendre les fiennes (S; le combatre en Italie oii il efioit, d'où bien
luv print. Mais, au rebours, Hannibal, en cette melme guerre, le ruina
d'auoir abandonné la conquefte d'vn pays elfranger pour aller
deffendre le fien. Les Athéniens, avant lailTé l'ennemv en leurs terres
20 pour palTer en la Sicile, eurent la fortune contraire; mais Agathocles,
Rov de Siracufe, l'euft fauorable, avant palfé en Afrique & laifie la
guerre chez lov. Ainfi nous auons bien accouflumé de dire auec
railon que les euenemens & iffuës dépendent, notamment en la
guerre, pour la plulpart, de la tortune, laquelle ne le veut pas renger
25 & afTuiectir a notre difcours (!>>: prudence, comme diient ces vers :
Et maie confultis pretium eft : prudentia fallax,
Nec fortuna probat caufas fequitûrque merentcs;
Sed vaga per cunctos nulio difcrimine fertur;
Scilicet cft aliud quod nos cogdtquc rej^àtquc
30 Maius, & in proprias ducat niortalia legcs.
Texte 88. — 7) terre eftrangierc, où — 11) lieux, & Ju pays — 17) luy en
print : mais au contraire, Hannibal — 22) (o\. ;\in(in nou^
368 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Mais, à le bien prendre, il femble que nos confeils & délibérations
en dépendent bien autant, è>: que la fortune engage en soi trahie et
incertitude aussi nos dilcours.
Nous raisonons hasardeiisenient et inconsidereement, dici Tirna'us en
PJatoii, par ce que, came nous, nos discours ont grande participation au
hasard.
Texte 88. — 2) fortune n'eft pas plus incertaine & téméraire que nos difcours.
Chapitre XLVIII,
DES DESTRIES.
Me voicv dcLiciiLi Grammairien, mov qui n'apprins iamais langue
que par routine, & qui ne l'çay encore que c'eft d'adiectif, coniunctif
& d'ablatif : il me femhle auoir ouy dire que les Romains auoient
des cheuaux qu'ils appelloient fvnales ou dextrarios, qui le
5 menoient à dextre ou à relais, pour les prendre tous frez au befoin :
& de là vient que nous appelions deûriers les cheuaux de feruice.
Et nos Romans difent ordinairement adeftrer pour accompaigner.
Ils appcllovent aufli desvltorios eq.vos, des cheuaux qui eftoyent
dreflez de façon que, courans de toute leur roideur, accouplez cofté
lo à cofté l'vn de l'autre, lans bride, ians felle, les gentils-hommes
Romains, voire tous armez, au milieu de la courfe le iettoient
& reiettoient de l'vn à l'autre. Les Niiiiildes gendarmes mcnoint en main
un seamt cbeual pour changer au plus chaut de la mesh'c : « quitus,
desuhorù in inodiim, lu nos trabenlihus equos, inter acerrinuim sa'pe pugnam
1 5 in recentein eqnum ex fcsso armatis transsnltare nios eral : tanla uelocitas
ipsis, lani \ que] docile equoruin goius. »
Il se treuue plusiurs cheuaus dresse::^ a secourir leur maislre, courir sus
a qui leur presantc un' espee nue, se iefter des pieds & des dans sur cens qui
les ataquenl et affrontent; mais il leur auient plus souuàt de nuire ans amis
Var. ms. — 17) w/.î s'ili V fi ou leur
370 ESSAIS DE MONTAIGNE.
qu'ans enemis. loiiif que nous m les desprem\pas a iiosire poste, quand ils
soi une fois haipex^; et deniure::^a Ja miséricorde de leur combat. Il mesprit
lourdcmant a Artihie, gênerai de V armée de Perse, comhatàt contre Onesile
Roy de Salamis, de persone a persone, d'est rc monte sur un chenal façone
en cette escole, car il fut cause de sa mort : le coustiller d'Onesile l'a'iant 5
aaeuilli d'une Jauls entre les deus espaules, come il s'estoit cabre sur sou
maistre.
Et ce que les Italiens disent, qu 'en la bataille de Formtoue le chenal du
Roy^ le deschargea, a ruades et coups de pied, des enemis qui le pressoint,
et qu'il estoit perdu sans cela : ce Jut un grand coup de hasard, s'il est urai. 10
Les Mammelus se nantent d'auoir les plus adroits chcuaus de gendarmes
du monde. Et dict on que, par nature et par costume, ils sont faicts par
certeins signes & noix, a ramasser aueq les dans les lances et les darts, et
a \ks offrir a leur] maistre en pleine meslee et a conoistre et discernera *^
On dict de Caefar, & auflî du grand Pompeius, que, parmy leurs 15
autres excellentes qualitez, ils eftoient fort bons hommes de cheual;
& de Cœlar, qu'en fa ieunefTe, monté à dos fur vn cheual & lans
■ bride, il luy tailoit prendre carrière, les mains tournées derrière le
dos. Comme nature a voulu taire de ce perfonnage & d'Alexandre
deux miracles en l'art militaire, vous diriez qu'elle s'eft aufli 20
efforcée à les armer extraordinairement : car chacun fçait du cheual
d'Alexandre, Buccfal, qu'il auoit la tefte retirant à celle d'\n toreau,
\'ar. ms. — 2) etdgmuse... miséricorde hup... combat . Ariibie — 3) Perse eombairt
de persmte a persiine — 4) un iet cljcuat qui fui cause — 9) le descluiri'c a — 10) cela :
c'est un — 12) dicl que cl par nature — i.() connistre les enemis
' L'édition de 1595 ajoute : Charles
* La suite de cette phrase se trouvait sur une partie de la page qui a été rognée; on distingue
cependant le dernier mot qui est délits. L'édition de 159$ donne de ce passage la rédaction suivante :
Les Mammelus fc vantent, d'auoir les plus adroits chcuaux de genfdarmes du monde.
Que par nature & par couftumc, ils font faits a cognoiftre & diftingiier l'ennemy, fur
qui il faut qu'ils fe ruent de dents & de pieds, félon la voix ou fignc qu'on leur fait.
Et pareillement, à rcleuuer de la bouche les lances & dards cminv la place, & les
offrir au maiftre, félon qu'il \e.\ir commande.
LIVRE 1, C.HAIMTR1-: X1.\I11. 57]
qu'il ne le l'ouffroit monter à perlbnnc qu'à Ion maiftre, ne peut
élire drefle que par luy mefmc, fut honoré après fa mort, & vue
ville baftie en fon nom. CxfAr en auoit aufli vn autre qui auoit les
pieds de deuant comme vn homme, ayant l'ongle coupée en forme
S de doigts, lequel ne peut eflre monté ny drefle que par Cx'far, qui
dédia fon image après fa mort à la déeffe Venus.
le ne démonte pas volontiers quand ie fuis à cheual, car c'eft
l'alîiette en laquelle ie me trouue le mieux, & fain 6c malade.
Phikm ht raviinuidc pour ht sctnte; auffi dict Pline qu'elle eft falutaire
lo à l'eftomach 6< aux iointures. Pourluiuons donc, puis que nous
V iommes.
On lict en Xenophon la lov deflendant de voyager ;i pied
à homme qui eufl cheual. Trogus & luftinus dilent que les Parthes
auoient accouftumé de faire à cheual non ieulement la guerre, mais
1 5 auffi tous leurs affaires publiques & priuez, marchander, parlementer,
s'entretenir & le promener; & que la plus notable différence des libres
6c des ferfs parmy eux, c'eft que les vns vont à cheual, les autres
à pié : iiislitulion uec du Roy Cxrus.
Il y a plufieurs exemples en l'hiftoire Romaine (& Suétone le
2() remarque plus particulièrement de Ca:far) des Capitaines qui com-
mandoient à leurs gens de cheual de mettre pied à terre, quand ils
le trouuoient preffez de l'occafion, pour ofter aux foldats toute
elperance de fuite, et pour Vauantai^e qu'ils csperoiut eu cette sorte de
combat, (f quo haud duhie superat Ronuiuus, » dict Tite Liue.
2), Si est il que \la] première prouision de quoi ils se seruoint a brider la
rebeUiou des peuples de uouucUc conqueste, c'estoit leur oster âmes' et
Texte 88. — 9) eft trcs-faluiaire — 12) loy de Cyius, dt-ftciidani — 17) clicunl
& les — 23) fuite : mais nos anceftres (p. ;72, 1. 5.)
\'ar. ms. — 24) conilml i" : qtio haud duhie supeial Romaiiiis dict Tite Liue:
Nos 2° : (jui ciloit plus propre et aduautageus aus R«nieius corne dict Tite Liue. Nos —
25) la l^wmicre... quoi les Roiiieins se
' âmes lapsus pour armes
372 ESSAIS DE MONTAIGNE.
cheiMus : pcnir tant iioïons nous si sonnent en César : (.( arma proferri,
iwnenta produci, obsides dari iuhet. » Le grand Seignur ne permet auioiir-
d'hui nv a Cbrestien u\ a Iiiif d'aiioir eheiial a soi, a eeiis qui sont sous
son empire.
Nos anceilres, & notammant du ttnips dt la guerre des Anglois, 5
en tous les combats folennels & iournées aflîgnées, le mettoient
la plus part du temps tous à pié, pour ne le lier à autre chofe qu'à
leur force propre & vigueur de leur courage & de leurs membres,
de choie fi chère que l'honneur & la vie. Vous engagez, quoi que die
Chrysante:ien Xenophon, voftre valeur & voftre fortune à celle de voftre 10
cheual : fes playes & la mort tirent la voftre en conlequence; ion
effray ou fa fougue vous rendent ou téméraire ou lâche; s'il a fiiute
de bouche ou d'efperon, c'eft à voftre honneur à en relpondre.
A cette cauie, ie ne trouue pas eil:range que ces combats là fuiîent
plus fermes & plus iurieux que ceux qui fe tout à cheual, 15
ccdebant pariter, paritérque ruehant
Victores victique, neque his fuga nota neque illis.
Leurs batailles se noient bien miens contestées; ce ne sont asture que roules :
« primus clamor atxj} impctns rem decernit.» Et chofe que nous appelions
à la focieté d'vn fi grand hazard, doit eftre en noftre puiflance le 20
plus qu'il fe peut. Comme ie confeilleroy de choifir les armes les
plus courtes, & celles dequoy nous nous pouuons le mieux relpondre.
Il eft bien plus apparent de s'afleurer d'vne efpée que nous tenons
au poing, que du boulet qui efchappe de noftre piftole, en laquelle
il y a plufieurs pièces, la poudre, la pierre, le rouët, delquelles la 23
moindre qui viendra à faillir, vous fera faillir voftre fortune.
On assené peu fcurement le coup que l'air vous conduict,
Ht quo ferre velint permittere vulnera ventis :
Enfis habet vires, & gens quxcuiiquc virorum eft,
Bella gerit gladiis. 30
Texte 88. — 12) fa fureur vous — 27) On alfcurc peu
LIVRE- I, CHAPITRE XLVIII. 373
Mais, quant à cett' arme là, i'cn paricray plus iiiupkmcul où ie
fera}' comparailon des armes anciennes aux noftres; &, faut' l'efton-
nement des oreilles, à quoy désormais chacun eft appriuoifé, ie croy
que c'eft \n arme de fort peu d'etfect, & efpcre que nous en
5 quitterons ///; iour l'vlage.
Celle de quai les j Italiens \ se senioiiU, de iel el a feu, esloil plus effiotable.
Ils nomoint phalariea une certeinc espèce de iauelitie, armée par le haut d'un
fer de trois pieds, affin qu'il peut percer d'outre en outre un home arme;
et se lançait lantost de la main en la câpaigne, tantost a tout des engins
10 p(vir defandre les liens assiège:^ : la hante, reuestue d'cstaupc empaixec et
huilée, s'enflammait de sa course; et, s'atachant au \cars^^ ou au bouclier,
ostoit tout usage d'armes et de numbres. Toutes/ois il me samble que, pour
ucnir au ionindre, elle portât aussi empeschemant a l'assaillant, et que le
champ, ionchc de ces tronçons bruslans, produisit en la nieslee une commune
15 incommodité,
iiiagniini sir'ukns loiilorin plinlarica ncnil
Fui mini s acta modo.
Ils auoint d'antres maieus, a quoi l'usage les adressait, & qui nous
semblent incroïables par imxperiance, par ou ils suppleoint au défaut de
20 nostre poudre & de nos boulet:;^. Ils dardoini leurs piles de telle roidur que
sonuàt ils en enfiloint deus boucliers & deus homes arme:^, et les cousoint.
Les coups de leurs fondes n 'estoint pas moins certeins & loninteins : « saxis
glohosis funda mûre apertum incessenies : coronas modici circuli, nuigno
ex internallo loci, assueti traijcere : non capita modo hostium uulnerabant,
25 sed quem locum destinassent. » Leurs pièces de batterie represantoinl, come
l'effaict, aussi le tintamarre des nosires : « ad ictus mœniuni cuin Icrribili
sonitu editos paiior et trepidatio cepit. » Les gaulois nos cousins en Asw,
Texte 88. — i) plus largement, où — 5) quoy mcshuy cliacuii — 5) quitterons
bien toft l'vfagc
Var. ms. — 6) /« Romeins se — 8) percer de part en pari un — 9) de la m —
20) leurs pilles de U — 21) homes et — 22 à 25 et 26 i 27) Citations cffjcics puis rétablies.
374 ESSAIS DE MONTAIGNE.
baïssoiiit CCS ciniics tntbist cesses et iiohiiitcs : diiits a cuiiihcihc main a tnaiu
aiiec plus de corage. «Non Uiin pcileutihus plagis moucntiic : ubi lalior
qiiani allior plaga est, etiarn gbnosiiis se pugnace piiUiiil : idem, cuiii
aciilcus sagitta' cuit glaiidis abdiix intcorsus teuui uuhicce lit spcciem ucii,
tuiii, iii cahicui cl piidocein tam parux periinentis pestis uccsi, pcosUrmmt 5
cocpora hunii : »
pcintucc bien uoisi)ic d'une acquchusade.
Les dix mille gceqs, en leuc longue ci fameuse rciraiclc, cencontrerct
[ ////(' nation qui les endommagea merueilkusemeni] a coups de grands arcs
et fors, et des sagcttes si longues qu'a les reprandre a la main on les pouuoit 10
reieter [a] la mode d'un dart, et perçoint de part en part le bouclier & un
bomc armé. Les engins que Dionisius inuanta a Siracuse a tirer gros traicts
massifs & des pierres d'horrible grandur, d'une si longue uoice cl impé-
tuosité, represantoint de bien près nos inuantions.
Encore ne faut-il pas oublier la plaifante afliette qu'auoit sur sa 15
mule vn maiftre Pierre Pol, Docteur en Théologie, que Monftrelet
recite auoir accouftumé fe promener par la ville de Paris, aflis de
collé, comme les temmes. Il dit aufli ailleurs que les Gafcons auoient
des cheuaux terribles, accouftumez de virer en courant, dequoy les
François, Picards, Flamens & Brabançons foifoient grand miracle : 20
pour n'auoir accouflumé de le voir, ce font ces mots. Caefar, parlant
de ceux de Suéde : Aux rencontres qui fe font à cheual, dict-il, ils
le iettent fouuent à terre pour combattre à pié, ayant accouftumé
leurs cheuaux de ne bouger ce pendant de la place, aufquels ils
recourent promptement, s'il en ell befoing; &, félon leur courtume, 25
il n'ell rien û vilain & lî lâche que d'vfer de felles & bardelles,
Texte 88. — 15) auoit à chenal vn — 17) Paris, & ailleurs, affis — 21) mots,
le ne fçay quel maniement ce pouuoit cftre, fi ce n'eft celuy de nos paflades. Qcfar
Var. ms. — 2) corage. Quemadmodù commùius ubi iiiukem pati ac inferre uuliicra
licet, acceiidil ira aiiimos : ila ubi ex occullo uuhicravtur quo ruant cœco iiiipetu non habeitl.
Celte autre raison est plus Inmiie. Non tant — 7) bien expresse d'une — 10) fors de ifuci
ik les — 13) uolee et si Imrible impétuosité — 14) de pi bien près nostre effaici . Encore
LIVRE I, CHAPITRE XLVIII. 375
& mefprifent ceux qui en vient, de manière que, fort peu en nombre,
ils ne craignent pas d'en aflaillir pluiieurs.
Ce que i'ay admiré autrestbis, de voir vn cheual drefle à le manier
à toutes mains auec vne baguette, la bride auallée fur l'es oreilles,
S eftoit ordinaire aux Malfiliens, qui le feruoient de leurs chenaux
lans lelle & lans bride.
Et gens qu>t iiudo refidens Mallilia dorfo
Ora leui flectit, fr;enorum nefcia, virga.
El Nuiiiidœ infnviii cinginil :
10 (( equi sine jicuis, dcjorniis ipsc cursus, riificld ccniicc cl cxlcnlo Ciipitc
currentiuw'. »
Le Roy Alphonce, celuy qui dreiïa en Elpaigne l'ordre des
cheualliers de la Bande ou de L'efcharpe, leur donna, entre autres
règles, de ne monter ny mule ny mulet, fur peine d'vn marc
I) d'argent d'amende, comme ie viens d'apprendre dans les lettres de
Gueuara, defquelles ceux qui les ont appellées dorées, fliifoient
ingénient bien autre que celuy que i'en fay.
Le cortisan dici qu'aitant son temps \c\'estoit repnxhe a un genliWmne
d'en cheuaucher. Les Abyssins, a mesure qu'ils sont plus grands & pins
20 nuances près le Preteian, leur tnaistre, affectent au rebours des mules
a monter par Imieur. Xenofon, que les Assyriens tenoint leurs cheuaus
tousicntrs entraue:;^ au logis, tant ils estoint facheus & farouclxs, & qu'il
faloit tant de temps j a ] les destacher et harnacher que, pour que cette longur
a la guerre ne leur aportat domage, s'ils uenoint [a] estre en dessoude surpris
25 par les enemis, ils ne logeoint iamais j en i camp qui ne fut jossoié & reniparc.
\'ar. ms. — 8) virga. El les Niimidieiis : equi — 9) infrarni terrent : equi —
18) geutilthome de les cheuaucher. Xenofou dict que les Assyriens Montaigne efface dict avant
dTnsérer, au dessus de la rédaction primitive, la phrase Les AbySStlIS... houeur, qui est une addition
ultérieure, et il oublie ensuite de le rétablir. L'édition de 1595 donne ; Xcnopnon rCClte.
' Un peu i la suite vient dans la marge une citation antérieure qui a été biffée et Joui le signe de
raccord a disparu : generosisiinuiium geuliuiH (quiles Jreiuiloi cl iiifrenaloi
376 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Son Cirus, si grand maistre au faict de chcualeric, mettait les cbeiunis
de son escot, [et] ne leur faisait bailler \a\ manger, qu'ils [)ie l'jeussent
gaigné par la sueur de queh]^ exercice.
Les Scythes, où la neceffité les preffoit en la guerre, tiroient du
l'ang de leurs cheuaux, & s'en abreuuoient & nourriflbient, 5
Venit & epoto Sarniata paftus equo.
Ceux de Crotte, aflîegéz par Metellus, fe trouuerent en telle difette
de tout autre breuuage qu'ils eurent à le leruir de l'vrine de leurs
cheuaux.
Pour uerifier combien les armées Turquesques se conduisêt et maintienent 10
(/ meillure raison que les nostres, ils disent qu'outre ce que les soldats ne
hoiuent que de l'eau et ne )nû agent que ris et de la cher salée mise eu poudre,
de quoi chacun porte aiseement sur soi prouision pour un mois, ils sçauent
aussi uiure du sang de leurs cheuaus, come les Tartares & Moscouites,
& le salent. 15
Ces nouueaux peuples des Indes, quand les Efpagnols v arriuerent,
cftimerent, tant des hommes que des cheuaux, que ce tulïent ou
Dieux ou animaux, en nobleffe au-dclTus de leur nature. Aucuns,
après auoir efté vaincus, venant demander paix & pardon aux
hommes, & leur apporter de l'or & des viandes, ne faillirent d'en 20
aller autant offrir aux cheuaux, auec vne toute pareille harengue
à celle des hommes, prenant leur hannilTcmcnt pour langage de
compofition & de trefue.
Aux Indes de deçà, c'eftoit anciennement le principal & rc^yal
honneur de cheuaucher vn éléphant, le fécond d'aller en coche, 25
trainé à quatre cheuaux, le tiers de monter vn chameau, le dernier
& |ihis vile degré d'élire porté ou charrié par vn cheual leul.
Texte 88. — 6) cpoto Sarmatus paftus
Var. ms. — 1) iiHihIri' fil d'eimlene -- 12) stitcc p — 14) niissi itii
LIVRE I, CHAPITRE XLVIII. 377
Qiickun de nosfre tunips cscrit aiioir mu, en ee elinuit la, des pats ou
l'on cheuauche les heufs aueq hasiines, estriei et brides, et [s'^eslre bien
trouué de leur porture.
Quintus Fabius Maxiinus Rufilianus, contre les samnites, uoiàt que ses
5 i^ens de chenal a trois on quatre chari^ns auoint failli d'enfoncer le bataillon
des enemis, print ce conseil, qu'ils débridassent leurs cheuaus et [bouchassent
a toute force des espérons, si que, rien ne les pouuant arrêter, autrauers des
armes et des homes renuerse^ ouurirent le pas a leurs gens de pied, qui
parjirèt une tressanglante desfaicte.
10 Jutant en comâda Quintus Fuluius Flaccus contre les Celtiberiens :
(( Id cum inaiore ni equornm Jacielis, si effrenaios in hostes equos immittitis;
quoil sa^pe romatios équités cum lande fecisse sua, ma:morix proditum est.
Detraclisque jrenis, \bis ultro cil roque cum magna strage hostium, infractis
omnibus hastis, transcurrerunt. ]
15 Le Duc de Molcouie deuoit anciennement cette reuerence aux
Tartares, quand ils cnuoioyent vers luy des AmhafTadeurs, qu'il
leur alloit au deuant à pié & leur prefentoit vn gobeau de lait de
iunient (breuuage qui leur ci\ en délices), lSc fi, en beuuant, quelque
goutte en tomboit lur le crin de leurs chenaux, il eftoit tenu de la
20 lécher auec la langue. lin Rulîie, larmée que l'Empereur Baiazet
y auoit enuoyé, fut accablée d'vn fi horrible rauage de neiges que,
pour s'en mettre à couuert & sauner du froid, plufieurs s'aduiferent
de tuer & euentrer leurs cheuaux, pour le getter dedans & iouyr de
cette chaleur vitale.
25 Paia:{et, après cet aspre estour ou il fut rompu par Tamburlan, se sauuoit
beir erre sur une iumant Arabesque, s'il n'eut este contrcinl de la laisser
boire son soiil au passage d'un ruisseau, ce qui la rendit si facque et refroidie,
qu'il jut bien aiseemanl après aconsuiui par cens qui le poursuiuoint.
Texte 88. — 22) & garcntir du
Var. ms. — 2) aueq boues Inislines — 5) trois q — 6) print cet estrange conseil —
10) Autant en fit Fuluius Flaccus pt^ — 10) les Celtiberiens ifu<^ mf>e Romatws équités
— Il) Id cum maiore... proditum est. Cii.itiDn birtïc puis rcublie.
378 ' ESSAIS DE MONTAIGNE.
On dict bien qu'on les hube, les laissant pisser; mais le boire, i 'eusse plus
tost estime qu'il l'eut refrechie et r'enforeee.
Crœsus, passant le long de la uille de Sardis, v trouua des pastit:^ ou
il y auoit grande quantité de serpans, des quels les eheuaus de son armée
mangeoint de bon appétit, qui fut un mauues prodige a ses affaires, diet 5
Hérodote.
Nous appelions vn cheual entier, qui a crin & oreille; & ne
pafTent les autres à la montre : les Lacedemoniens, ayant desfiiit les
Athéniens en la Sicile, retournans de la victoire en pompe en la
ville de Siracule, entre autre brauades, tirent tondre les chenaux ro
vaincus & les menèrent ainfin en triomphe. Alexandre combatit vne
nation Dahas : ils alloyent deux à deux armez à cheual à la guerre;
mais, en la méfiée, l'vn defcendoit à terre; & combatoient ore à pied,
ore à cheual, l'vn après l'autre.
[le n'estime point, qu'en suffisance et en grâce a cheual, )iulle nation 15
vous emporte. I Bon home de cheual, a l'usage de nostre parler, samble plus
regarder au corage qu'a l'adresse. Le plus sçauant, le plus seur et miens
'aduenant a nwner un cheual a raison que i'ave conu, fut a mon gré le sieur
de Carneualet, qui en seruoit nostre Roy Henry secont. Vax ueu home douer
carrière a deus pieds sur sa selle, démonter sa selle, &, au retour, la relleuer, 20
reaccommoder & s'y rassoir, juiant tousiours a bride auallee; aiant passe
par dessus un bonet, y tirer par derrière des bons coups de son arc; amasser
ce qu'il uouloit, se iettani d'un pied a terre, tenât l'autre en l'estrie : et autres
pareilles siiigeries, de quoi il uiuoit. On a \cu de mon temps, à Conlhui-
tinople, deux hommes fur vn cheual, lefqucls, en fa plus roide courfe, 25
le reiettoyent à tours à terre iv puis fur la felle. Et vn qui, feulement
des dents, bridoit (^ harnachoit fon cheual. Vn autre qui, entre deux
chenaux, vn pied lur vne lelle, l'autre fur l'autre, portant vn fécond
Texte 88. — 11) les nienarent ainiln — 15) comb.iioieiit alturc à pied, alhiie
à cheual
\'ar. .ms. — 5) de in âd appétit, el foi ce d'oii il piinl un — i6) emporte, l'ii km —
23) uoultiit a terre se
LIVRK I, CHAPITRE XLVIII. 379
lur les bras, couroit à toute bride : ce l'econd, tout debout sur Iiiv,
tirant en la courle des coups bien certains de Ion arc. Plulieurs qui,
les iambes contre-mont, couroyent la telle plantée fur leurs felles,
entre les pointes des limeterres attachez au harnois. En mon enfance
le Prince de Sulmone, à Naples, maniant vn rude cheual de toute
forte de maniemens, tenoit foubs fes genouz & foubs fes orteils
des reaies, comme fi elles y euffent efté clouées, pour montrer ht
fcrmeic de son assick.
\'ar. ms. — 7) realcs (vu/:... cloutes : mauli^i^
Chapitre XLIX.
DES COVSTVMES ANCIENNES.
l'excuferois volontiers en noflre peuple, de n'auoir autre patron
& règle de perfection que i'es propres meurs <S: viances : car c'eft
vn commun vice, non du vulgaire feulement, mais quafi de tous
hommes, d'auoir leur viiée & leur arreft fur le train auquel ils lont
nais. le fuis content, quand il verra Fabritius ou LxHus, qu'il leur 5
"trouue la contenance & le port barbare, puis qu'ils ne font ny veftus
ny façonnez à noitre mode. Mais ie me plains de la particulière
indilcretion, de fe laiffer li fort piper & aueugler à l'authorité de
l'vlage prefent, qu'il foit capable de changer d'opinion & d'aduis
tous les mois, s'il plait à la courtume, & qu'il iuge fi diuerfement 10
de foy melmes. Quand il portoit le bulc de Ion pourpoin entre les
mamelles, il maintenoit par viues railons qu'il eftoit en son mai lieu;
quelques années après le voyla aualé iniques entre les cuiffes, il le
moque de Ion autre vfage, le trouue inepte & infupportable. La façon
de fe veftir prefente luy faict incontinent condamner l'ancienne, 15
d'vne refolution fi grande & d'vn conlentement fi vniuerfel, que
vous diriez que c'eft vne espèce de manie qui luy ioiirnehonle ainli
Texte 88. — 5) ou Scipion, qu'il — 12) eftoit trefbien : quelques —
15) condamner & mefprifer l'ancienne — 17) vne vraye manie, qui luy roule ainfi
LIVRE I, CHAPITRE XLIX. 381
rentcndement. Par ce que noftrc changement ell fi fubit & fi prompt
en cela, que l'inuention de tous les tailleurs du monde ne Içauroit
fournir affez de nouuelletez, il eft force que bien fouuent les formes
mefprifées reuiennent en crédit, & celles là mefmes tombent en
5 mel'pris tantoft après; & qu'vn mefme iugement preigne, en l'efpace
de quinze ou vingt ans, deux ou trois, non diuerfes feulement, mais
contraires opinions, d'vne inconftance & légèreté incroyable. // n'va
si fin d'entre nous qui ne se laisse enihahouiner de eelle eontradiction,
& esbiouir tant les xeus internes que les externes insensiblement.
[o le veux icy entafler aucunes fiiçons anciennes que i\iv en mémoire,
les vnes de mefme les noftres, les autres différentes, afin qu'ayant
en l'imagination cette continuelle variation des choies humaines,
nous en ayons le iugement plus efclaircy & plus ferme.
Ce que nous dilons de combalre à l'efpce & la cape, il s'vfoit
1 5 encores entre les Romains, ce dict Cajfar : « Siniftris fagos inuoluunt,
gladiôlque diftringunt. » Et remerque des lors en noftre nation ce
vice, qui v ell encore, d'arrefter les paffans que nous rencontrons en
chemin, & de les forcer de nous dire qui ils font, & de reeeuoir
à iniure & occafion de querelle, s'ils refuient de nous refpondre.
îo Aux bains, que les anciens prenoyent tous les iours auant le
repas, & les prenoyent auflî ordinairement que nous faiions de l'eau
à lauer les mains, ils ne le lauoyent du commencement que les bras
& les iambes; mais dépuis, & d'vne coulhime qui a duré plufieurs
fiecles & en la plus part des nations du monde, ils fe lauoyent tous
55 nudz d'eau mixtionnée & parfumée, de manière qu'ils eniploioint
pour telmoignage de grande fimplicité de fe lauer d'eau limple. Les
plus affetez & delicatz fe parfumoyent tout le corps bien trois ou
quatre fois par iour. Ils fe faifoyent fouuent pinceter tout le poil.
Texte 88. — 10) aucunes couftumes anciennes — 18) & de prendre à —
25) qu'ils prenoyent pour — 27) parfumoyent bien... iour tout le corps. Ils —
28) pinceter le poil par tout, comme
382 ESSAIS DE MONTAIGNE.
comme les tcmnics l'iançoilcs ont pris en viage, depuis quelque
temps, de laire leur front,
Quod pectus, quLid crura tibi, quod br.icliia vcllis,
quov qu'ils eulTent des oignemens propres à cela :
Pfilotio nitft, aut arida latet oblita creta. 5
Ils avmoient à fe coucher mollement, & allèguent, pour preuue
de patience, de coucher lur le matelas. Ils mangeoyent couchez
lur des lits, à peu prez en mehne alhete que les l'urcs de noftre
temps,
Inde tboro pater iEncas fie orfus ab alto. 10
Et dit on du ieune Caton que, depuis la bataille de Pharfale, eflant
entré en deuil du mauuais eftat des affaires publiques, il mangea
toufiours aflis, prenant vn train de vie plus auftere. Us bailoyent
les mains aux grands pour les honnorer ibc careffer; &, entre les
amis, ils s'entrebaifoyent en le laluant, comme font les \'enitiens : 15
Gratatiifque darem cum dulcibus olcula verbis.
Et toucholt iiits gcnoiis pour requérir ou saluer un grand. Pasicles Je
philosofe, frère de Crûtes, au lieu de porter la main au genou, la porta
aus genitoires. Celui a qui il s'adressoit Valant rudenièl repousse : Cornant,
dit il, eeev n'est il pas uostre aussi bien que les gênons? ^ci
Ils mangeoyent, comme nous, le fruict à l'yffue de table. Us le
torchoyent le cul (il faut laiffer aux femmes cette vaine fuperftition
des parolles) auec vne elponge : vovla pourquov spongia efl vn
Texte 88. — 4) oignemens, qui feruovent .i cela, de faire tomber le poil,
l'filotro
\'ar. ms. — 17) giaiid : El Ptuidcs
LIVRH I, CHAPITRK XI.IX. 383
mot obfcœne en Latin; & clloit cette el'ponge attachée au bout d'vn
ballon, comme telmoigne l'hilloirc de celuv qu'on menoit pour
eftre prelenté aux belles deuant le peuple, qui demanda congé d'aller
à les affaires; &, n'ayant autre moyen de le tuer, il le fourra ce
5 ballon & efponge dans le gofier & s'en eftouffli. Ils selluvoient le
catze de laine perfumée, quand ils en auovent laict :
At tihi nil t'aciani, fed Iota mentula lana.
Il y auoit aux carrefours à Rome des vailTeaux & demv-cuues pour
y appreller à piffer aux palTans,
10 Pufi ktpe lacuni propter, fe ac dolia curta
Somno deuincti creduiit cxtollere vertcm.
Ils lailoyent collation entre les repas. Et y auoit en elle des vendeurs
de nege pour retréchir le vin; & en y auoit qui le feruoyent de nege
en hyuer, ne trouuans pas le vin encore lors aflez froid. Les grands
15 auoyent leurs efchançons & trenchans, & leurs fols pour leur donner
plailîr. On leur leruoit en hyuer la viande fur des fouyers qui fe
portoient lur la table; & auoyent des cuiiines portatiues, conie l'en
ai //('//, dans lelquelles tout leur leruice le traint)it après eux,
Has vobis epulas liabcte lauti ;
20 Nos offendiniur ambulante civiia.
Et en eflé ils faifoyent fouuent, en leurs fales baffes, couler de l'eau
frefche & claire dans des canaus, au deffous d'eux, où il y auoit
force poilTon en vie, que les alfiftans choififlbyent & prenoyent en
la main pour le faire aprefter chacun à sd poste. Le poiffon a touliours
25 eu ce priuilege, comme il a encores, que les grans le niellent de
le f^auoir aprelkr : aulîi en ell le goull beaucoup plus exquis que
Te.vte 88. — 15) donner Ju plailir — 24) à fon gouft : car le poiiron
584 ESSAIS DE MONTAIGNE.
de la chair, au moins pour moy. Mais, en toute forte de magni-
ficence, de defbauche & d'inuentions voluptueufes, de moliefle & de
lumptuofité, nous faifons, à la vérité, ce que nous pouuons pour
les égaler, car noftre volonté efl bien auflî gaftée que la leur; mais
noftre iuffifance n'y peut arriuer: nos forces ne font non plus capables 5
de les ioindre en ces parties la vitieufes, qu'aux vertueufes : car les
vues & les autres partent d'vne vigueur d'efprit qui eftoit fans
comparaifon plus grande en eux qu'en nous; & les âmes, à mefure
qu'elles font moins fortes, elles ont d'autant moins de moyen de
fiiire ny fort bien, ny fort mal. 10
Le haut bout d'entre eux, c'eftoit le milieu. Le deuant & derrière
n'auoyent, en efcriuant & parlant, aucune fignification de grandeur,
comme il fe voit euidemment par leurs efcris : ils diront Oppius
& Cc-efiU- auflî volontiers que Caviar & Oppius, & diront moy & toy
indifféremment comme toy & mov. Vovla pourquoy i'ay autrefois 1 5
remarqué, en la vie de Flaminius de Plutarque François, vn endroit
où il femble que l'autheur, parlant de la ialoufic de gloire qui eftoit
entre les vEtoliens & les Romains pour le gain d'vne bataille qu'ils
auoyent obtenu en commun, tace quelque pois de ce qu'aux chanfons
Grecques on nommoit les ^Ltholiens auant les Romains, s'il n'v a de 20
l'Amphibologie aux mots François.
Les Dames, eftant aux eftuues, y receuoyent quant & quant des
hommes, & fe feruoyent la mefme de leurs valets à les frotter
(iSc oindre,
Inguina fucciiictus nigra tibi feruus aluta 25
Stat, quoties calidis nuda foueris aquis.
Elles fe fliupoudrovent de quelque poudre pour reprimer les fueurs.
Les anciens Gault)is, dict Sidonius ApoUinaris, portovent le poil
long par le deuant, ^i le derrière de la tefte tondu, qui eft cette
façon qui vient à cllre reiu)uuclléc par rvfage efteminé ^\; lâche de 30
ce liecle.
LIVRE I, CHAPITRE XLIX. 385
Les Romains payoient ce qui eftoit deu aux bateliers pour leur
noUeage, des l'entrée du bateau; ce que nous faifons après eftre
rendus à port,
dum as exigitur, duni inula ligatur',
5 Tota abit hora.
Les femmes couchovent au lict du col1;c de la ruelle : voyla
pourquoy on appelloit Cx'tar « Ipondam Régis Nicomedis. »
Ils prenoyent aleine en beuuant. Ils baptiloient le vin, B
quis puer ocius
10 Reftinguet ardentis falerni
Pocula praetereunte lympha ?
Et ces champiflTes contenances de nos laquais v eftovent aufli,
O lane, à tergo quem nuUa ciconia pinfit,
Ncc manus auriculas imitata eft mobilis albas,
15 Nec lingua; quantum iitiet canis Apula tantum.
Les Dames Argienes & Romaines portoyent le deuil blanc, comme
les noftres auoient accouftumé, & deuoyent continuer de faire, fi
i'en eftois creu.
Mais il y a des Hures entiers faits fur cet argument. A
Texte 88. — i) leur voiture, des
' En ça L-cril .Montaigne à droite de cette fin de vers imprimée trop à gauche.
Chapitre L.
DE DEMOCRITVS ET HERACLITVS.
Le iugcment eft vn vtil à tous lubiects, & fe mefle par tout. A cette
caufe, aux effais que i'en fay ici, i'y employé toute forte d'occalion.
Si c'eft vn fubiect que ie n'entende point, à cela niefme ic l'ciïiiye,
fondant le gué de bien loing; & puis, le trouuant trop profond pour
ma taille, ie me tiens à la riue : & cette reconnoiflance de ne pouuoir 5
pafler outre, c'eft vn traict de fon effect, voire de ceux dequov
il fe vante le plus. Tantoft, à vn fubiect vain & de néant, i'eflaye
voir s'il trouuera dequoy luy donner corps, & dequov l'appuyer
& eftançonner. Tantoft ie le promené à vn fubiect noble & tracafle,
auquel il n'a rien à trouuer de foy, le chemin en eftant l\ frayé qu'il 10
ne peut marcher que fur la pifte d'autruy. Là il fait fon icu à eilire
la route quy luy femble la meilleure, &, de mille fentiers, il dict que
cettuy-cy, ou celuy là, a efté le mieux choili. le preiis de la fortune Je
Texte 88. — 9) noble & fort tracaffc — lo) foy-mcfmc, k-,.. iVavé & fi b.itu,
qu'il — 13) choifi. Au demeurant ic lailTe la fortune me fournir les fubiects, d'autant
qu'ils me font également bons : & fi n'entrcprens pas de les (p. 587, 1. 2.) Dms une première
correction m.-muscritc Mont.iigne efface d'autant qu' et met une majuscule i ils. Hn même temps il
remplace bons : & par bons. Et et il efface fi. Du reste ces corrections qui clicvanclieni du verso
du folio 125 :iu r.'ctd Jii folio 126, sont extrêmement confuses.
LIVRE 1, CHAPITRE I.. 387
premier (Vi^uiiicnt. Ils me font également bons. Et ne ilessei^^iie iamais
de les produire entiers. [Crtr ie ne ti([v le tant de rien : Ne font pas,] cens
qui promettent de nous le faire noir. De eeni membres et iiisages qu'a
ehaque el.wse, t'en praus un taniost a leseher sukmanl, tantost a efflorer,
S et par fois a pinser iusq[u'a\ l'os. l'y doue une poincle, non pas Je plus '
largement, mais le plus profoudennint que ie sçay. Et aime plus souuant
a les sesir par quelque lustre inusité, le me hasarderois de Iraieler a fous
quelque matière, si ie me eonessois moins. Semant iev un moi, icv un autre,
esehantillons despris de leur pièce, escarte:^, .'sans dessein et sans promesse,
to ie ne suis pas tenu d'en faire bon, nv de m'y tenir nn>i mesine sans naricr
quand il me plait; et me randre au double et ineerlilude, & a uni maistresse
forme, qui est l'ignorance.
Tout nuviuemanl nous descouure'. Cette mefme ame de Civfar, qui
liiXTE S8. — 2) de Ic^ traictcr entiers & à Ions de cuue : de mille vifages qu'ils
ont chacun, i'eu prens celuy qu'il me plait : ie les f'aifis volentiers par quelque luftre
extraordinaire : i'en trieroy bien de plus riches & pleins, fi i'auoy quelque autre fin
propofée que celle que i'ay. Toute action eft propre à nous faire connoiftre : cette
mefme ame (le mot entiers a été effacé puis rétabli; les mots & a fons de cuue ont été effacés,
rétablis, puis dérmitivement effaces.}
\'aR. MS. — 2) En s'aidant de ce qui reste des lettres rognées de cette ligne, M. (^agnleul
conjecture avec beaucoup de vraisemblance la variante suivante : pOS guerc tllieuS quC lltoy ceilS
— 3) promelleiit de le uoir et traicter. De mille membres et uisages qu'ils ont i'en
1° : quelque brin . ,,n , , ,■ . ^ • •
plans r , , , 2: a cscorcber et t>ms(r (0 teschcr par ois. par fois piiisi-r
' ^ 2° : un iautost -^ i \ j t j t j t
iusques au sang, sinon te plus largement que ie sçai an moins le f^lus profondemant et] inte-
rieuremant . Et aime (1. 6.) — 7) quelque poinct inusité plus souuaui 4 de mille vifages
qu'ils ont chacun, i'en prens celuy qu'il me plait, et n'en dis que qu'autant qu'il me
plait. le me tiasarderois par fois a des matières riches et grattes Ci i'auoy quelque autre fin
propofée, et si ie nie eonessois moins. Si l'v tumbe c'est acccssoirentant. En semant icy —
8) autre Ese^hatiiillom des hors de leur Iheme — 9) escarle^. Sans corps, sans preposilieu ;
ie den suis pas Umt dessein et mus promesse. Partant ne suis ie- pas tenu
' Pour bien marquer le raccord, .Montaigne écrit deux fois cette phrase : une première fois dans le
corps du texte de 1588 avant Cette mefmc ame et il orthograpliie moUUement ; une seconde fois
dans la marge à la suite de l'addition manuscrite précédente. (Voir la reproduction phototypique de cette
page de l'Exemplaire de Bordeaux dans Jullian, Histoire de Bordeau.x, in-4"', Bordeaux, 1895, p. 385.)
' En corrigeant cette variante, Montaigne a oublié d'effacer ce IC; aussi lit-on sur le ms. te ne
SUIS te, le premier le étant ajouté dans l'interligne.
388 ESSAIS DE MONTAIGNE.
ie faict voir à ordonner & dreffcr la bataille de Pharfale, elle fe faict
aufli voir à drefler des parties oyfiues & amoureufes. On iuge vn
cheual, non feulement à le voir manier fur vne carrière, mais encore
à luy voir aller le pas, voire & à le voir en repos à l'eftable.
Entre les fumtions de l'aivc il en est de basses : qui ne la iioit encores 5
par la, n'acheue pas de laconoistre. \Et^^ a l'auantitre la remarque l'on miens
ou elle ua son pas simple. Les uans des passions la prenent plus en ces hautes
assietes. loint qu'elle se couche entière sur chaq^ nmtiere, et s'y exerce entière,
et n'en trete iamais plus d'uiw [a] la fois. Et la traicte, mn selon elle,
mais selon soy. Les choses [a~\ par elles ont peut estre leurs pois et mesures et 10
conditions; mais au dedans, en nous, elle [les] leur taille corne elle l'entant.
La mort est effroiahle a Ciceron, désirable a Caton, iruiifferante a Socrates.
La santé, la consciance, l'authorite, la sciance, la richesse, la beauté et leurs
contrcres se despouillent a l'entrée, et reçoiiœnt de l'anu: nouuelle uesture,
et [ài\ la teinture qu'il luy plait : brune, uerte, clere, obscure, aigre, douce, 15
profonde, superficielle, et qu'il plait a chacune d'elles : car elles n'ont pas
uerifie en commun leurs stilles, /rj^'^/n" et formes : chacune est roinc en son
•estât. Parquoi ne prenons plus excuse des externes qualité:^ des clmses : c'est
a nous a nous en rendre conte. Nostre bien et nostre nml ne tient qu'a nous.
Offrons y )U)s offrandes et nos mus, non pas a la fortune : elle ne peut rien 20
sur nos meurs : au rebours, elles l'entreinent a leur suite, et la moulent
a leur forme. Pourquoi ne iugcrai ie d'Alexandre a table, deuisant et
heuuant d'autant; ou s'il manioit des eschet:^. Quelle corde de son esperit
■ m touche et n'emploie ce niais et puerille ieu. le le bai et fuis, de ce qu'il
n'est pas asses ieu, et qu'il nous esbat trop serieusemant, ayant honte d'\ 25
fournir l'attantion qui suffiroit a quelque bom chose. Il ne fut pas plus
enbesotiigné a dresser son glorieus passage aus Indes; ny cet autre, a desnouer
un passage du quel despant le salut du genre humain. Foies combien nostre
Var. ms. — 2) amoureufes : et n'est non plus ouuerte et entière a faire les aproches
d'un siège qu'a un ieu d'esche^ ou autre pareil ieu de son usage : On iuge — 7) pas. Les
— 8) matière : et n'en trete — 15) luy brune utrle (kre (j/wm« uigre dcufe pp«fe»de
superficielle — 17) chacune roiite — 23) ou maniant des
LIVRE I, CHAPITRE L. 389
aine >;rossit li cspcssil ccl tuiiiisfnunil ridicule; si lotis ses nerfs ne kindenl;
combien (iniplenianl elle doue u chacun loi en cela, de se eonoistre, et de
iiii^H-r droicleniant de soi. le ne nie iiois cl retasle plus uniiiersellcmanl en
null' autre posture. Quelle passion ne nous v exerce? la cholere, le despit,
) la heine, l'inipatiance et une ueheniante anihition de ueincre, en chose en
la quelle il seroll plus excusable d'est re âbilieus d'estre ueincu. Car la
prarel lance rare et audessus du commun messict a vn home d'honur en
clx)sc friuole. Ce que ie dis en cet exaniple, se peut dire en tous autres :
clmp, parcelle, chaque occupation [de l'home l'accuse | et le montre esgallemant
10 qu'un' autre.
Dcmocritus & HcraclyUis ont elle deux philofophes, defquels le
premier, trouuant vainc & ridicule riuiniaine condition, ne ibrtoit
en public qu'auec vn vilage mocjueur & riant; Heraclitus, avant pitié
& compadion de cette melmc condition noftre, en portoit le vifagc
15 continuellement atrifté, & les yeux chargez de larmes,
alter
Ridebat, quoties à limine mouerat vnum
Protuleràtque pedeni; flebat contrarius alter.
l'ayme mieux la première humeur, non par ce qu'il ell plus plaifant
20 de rire que de pleurer, mais par ce qu'elle cil: plus deldaigneule,
& qu'elle nous condamne plus que l'autre : & il me lemble que nous
ne pouuons iamais eftre allez melprilez lelon noftre mérite. La plainte
& la commileration font niellées à quelque ellimation de la chofe
qu'on plaint; les choies dequov on le moque, on les ellime fans
25 pris, le ne penle point qu'il y ait tant de malheur en nous comme
il y a de vanité, ny tant de malice comme de fotile : nous ne
lommes pas si pleins de mal comme d'inanité; nous ne lommes pas
Texte 88. — 21) nous accufe plus — 24) eftimc vaincs & fans — 27) fommes
pas tant pleins... pas tant mifcrablcs
V'ar. ms. — 5) de un siirtmmler, en — 6) âhilieuf de perdre. Car — 10) autre.
Otrniin omiiiuw rerum '•••!
390 . ESSAIS DE MONTAIGNE.
si mifcrablt'S comme nous fommcs viles. Ainfi Diogenes, qui bague-
naudoit apart foy, roulant fon tonneau & hochant du nez le grand
Alexandre, nous eftimant des mouches ou des veflies pleines de
vent, eftoit bien iuge plus aigre & plus pouignant, & par conséquent
plus iufte, à mon humeur, que Timon, celuy qui fut furnomme 5
le haifleur des hommes. Car ce qu'on hait, on le prend à cœur.
Cettuy-cy nous fouhaitoit du mal, eftoit paflîonné du delir de noftre
ruine, fuioit noftre conuerfation comme dangereufe, de mefchans
& de nature deprauée; l'autre nous eftimoit fi peu que nous ne
pourrions ny le troubler ny l'altérer par noftre contagion, nous ro
laiflbit de compagnie, non pour la crainte, mais pour le defdain
de noftre commerce : il ne nous eftimoit capables nv de bien, ny
de mal faire.
De mefme marque fut la refponce de Statilius, auquel Brutus
parla pour le ioindre à la confpiration contre Qtfar : il trouua 15
l'entreprinie iufte, mais il ne trouua pas les hommes dignes pour
Iclquels on ie mit aucunement en peine : coiifoninriiiciil a la discipline
•de Hegesias qui disait le sage ne deiioir rien faire que pour sov : \d]'autant
que sul il est digne pour qui on face; {ei\ a eelle de Theodorus, que c'est
iniustice que le sage se hasarde pour \le] bien de son pn'is, et qu'il mette en 20
péril la sagesse pour des fols.
Nostre propre et peculiere condition est autant ridicule que risihle.
Texte 88. — 5) Lllilliant Ircllous des Av.mi JVtr.Kcr treftous, Montaigne iest contente
d'effacer trcf — 4) & plus piquant, & par
Var. ms. — 17) peine. Nostre (l. 22.) — iS) tt 'aulaiil i" : qu'il n'y a que luy
qui mérite qu'on face pour luy Nostre 2" : que sut il mérite qu'on face pour luy Nostre
— 20) sage hasarde sa
Chapitre LI.
DE LA VANIT1-: DES PAROLES.
Vn Rhctoricicn du temps pa(Té difoit que Ion nieftier cftoit,
de choies petites les faire paroiftre & trouuer grandes. Cci\ \n'
cordonnier qui Içait faire de grands louliers à vn petit pied. On luy
eut taict donner le fouet en Sparte, de faire profefTion d'vn' art
5 piperefTe .i^ menfongere. Et crov que Archidamus, qui en elloit Roy,
n'ouit pas fans eftonnenient la refponce de Thucidide/:, auquel
il s'enqueroit qui elloit plus fort à la luicte, ou Pericles ou luy :
Cela, fit-il, feroit nial-ayfé à vérifier; car, quand ie fay porté par
terre en luictant, il perfuade à ceux qui l'ont veu qu'il n'eft pas
10 tombé, & le gaigne. Ceux qui mafquent & fardent les temmes, font
moins de mal; car c'efi; chofe de peu de perte de ne les voir pas en
leur naturel; là où ceux-cy font eûat de tromper, non pas nos yeux,
mais noftre iugement, & d'abaftardir & corrompre l'eflence des choies.
Les republiques qui fe font maintenues en vn eftat réglé & bien
15 policé, comme la Cretenfe ou Lacedemonienne, elles n'ont pas laict
grand compte d'orateurs.
Arision dcfiiiit siif^t'iinll la rh'torujiw : sciaiice a pcruiiukr le peuple;
' C'cft vn... pied. aJdilion de 1588.
392 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Socrates, Platon, art de tromper et de flater; et cens qui le nient en la
générale description, le uerijient par tout en leurs préceptes.
Les nmhunietans en defandoit l'instruction a leurs enfans, pour son
inutilité.
Et les Athéniens, s'aperceuens combien son usage qui auoit tout crédit 5
(7/ leur uille, estoit pernicieus, ordonarent que sa principale partie, qui est
emouuoir les ajfections, en Jut ostee ensawhlc les exordes et perorations.
C'eft vn vtil inuenté pour manier & agiter vne tourbe & vne
commune deireiglée, & est vtil qui ne s'emplove qu'aux ertats
malades, comme la médecine; en ceux où le uulguere, où les 10
ignorans, où tous ont tout peu, comme celuy d'Athènes, de Rhodes
& de Rome, & où les chofes ont efté en perpétuelle tempefte, là ont
ajjlué les orateurs. Et, à la vérité, il fe void peu de perfonnages, en
ces republiques là, qui fe foient pouffez en grand crédit fans le fecours
de l'éloquence : Pompeius, Caefar, Craffus, Lucullus, Lentulus, 15
Metellus ont pris de la leur grand appuy à fe monter à cette grandeur
d'authorité où ils lont en fin arriuez, lïc s'en font avdez plus que des
armes : contre l'opinion des meilleurs temps. Car L. Volumnius, parlant en
puhliq en faneur de l'élection au côsulat faicte des persanes de Q. Fabius
& P. Decius : Ce sont gens nais a la guerre, grans ans efaicts; au conduit 20
du babil, rudes : esperits uraiement consuleres; les subtils, eloquans et sçauans
sont bons pour la uille, prœturs a faire iustice, dict il.
l'éloquence a fleury le plus a Rome, lors que les affiiires ont efté
Texte 88. — 10) ceux où le peuple, où les — 12) là ont foifonné les —
18) armes. On remarque auffi que l'art d'éloquence (I. 2;.)
Var. ms. — i) Platon Celsus Jll.'œiwus art — 2) préceptes. Socrates disait sa fui
11' estre qu'adulation. Cii^ — 4) inutilité conie Postel escrit. C'cfi — 6) que la principale
— 18) temps. La sciance et le bien dire on l'assignait ans iuges & praiurs : ans consuls la
uerlii & le bien faire : L. Volumnius consul parlant — 20) Decius : Esse p>^ prxterea
uiros natos militiœ, faclis magnos ad uerharù linguœ que ccrtaniina rudes : ea ingénia consu-
laria esse : callidos salertesque, iuris atque elaquentia' consultas urhi acforo pnvsides hahendos,
prœioresque ad reddenda iura creandos esse. On remarque aufli que l'art d'éloquence —
20) guerre propres aus — 21) esperits consuleres — 22) iustice /.'éloquence
LIVRE I, CHAPITRE LI. 393
en plus mauuais cftat, .S: que l'orage des guerres ciuiles les agitait :
comme vn champ libre it indompté porte les herbes plus gaillardes.
11 femble par là que les polices qui dépendent d'vn monarque, en
ont moins de befoin que les autres : car la beftife & facilité qui
5 fe trouue en la commune, & qui la rend fubiectc à eftre maniée
& contournée par les oreilles au doux l'on de cette harmonie, fans
venir à poifer & connoiftre la vérité des choies par la force de la
raifon, cette facillité, dis ic, ne le trouue pas li aifément en vn feul;
& eft plus ailé de le garcntir par kvic iusiitulion et bon confeil de
10 l'impreflion de cette poifon. On n'a pas veu iortir de Macédoine, ny
de Perfe, aucun orateur de renom.
l'en ay dict ce mot iur le fubiect d'vn Italien que ie vien d'entre-
tenir, qui a feruv le feu Cardinal Carafte de maiftre d'holU-l iufques
à fa mort, le luy taifoy compter de la charge. Il m'a fait vn difcours
I ) de cette fcience de gueule auec vne grauité & contenance magiftrale,
comme s'il m'euft parlé de quelque grand poinct de Théologie.
II m'a dechifré \ne différence à\ippctis : celuy qu'on a à ieun, qu'on
a après le fécond & tiers leruice; les moyens, tantoll de luy plaire
fimplement, tantoft de l'eueiller & picquer; la police de fes fauces,
20 premièrement en gênerai, & puis particulariiant les qualitez des
ingrediens c\; leurs effects; les différences des lalades félon leur
faifon, celle qui doit eftre refchaufée, celle qui veut eftre feruie
froide, la façon de les orner & embellir pour les rendre encores
plaifantes à la veuë. Apres cela, il eft entré fur l'ordre du leruice,
25 plein de belles 6v importantes confiderations,
nec niinimo fane difcriniine refert
Quo geftu lepores, & quo i^allina fecetur.
Et tout cela enflé de riches & magnifiques parolles, & celles mcfmes
Texte 8S. — i) les a agitez : comme — 3) les eftais, qui — 17) différence
de goufts : celuv
394 ESSAIS DE MONTAIGNE.
qu'on employé à traiter du gouuernement d'vn Empire. Il m'eft
fouuenu de mon homme :
Hoc falfum eft, hoc aduftum eft, hoc lautum eft parum,
Illud rectè; iterum fie mémento; fedulo
Moneo qux poflum pro mea fapientia. 5
Poftremo, tanquam in fpeculum, in patinas, Demea.
Infpicere iubeo, & moneo quid focto vfus fit.
Si eft-cc que les Grecs mefmes louèrent grandement l'ordre & la
difpofition que Paulus ^Emilius ohlerua au feftin qu'il leur iit au
retour de Macédoine; mais ie ne parle point icy des effects, ie parle 10
des mots.
le ne Içay s'il en aduient aux autres comme à moy; mais ie ne
me puis garder, quand i'oy nos architectes s'enfler de ces gros mots
de pilaftres, architraues, corniches, d'ouurage Corinthien & Dorique,
& femblables de leur iargon, que mon imagination ne fe faififle 15
incontinent du palais d'Apolidon; &, par eftect, ie trouue que ce font
"les chetiues pièces de la porte de ma cuifine.
Oyez dire metonomie, métaphore, allégorie, & autres tels noms
de la grammaire, Icmble-il pas qu'on lignifie quelque forme de
langage rare & pellegrin? Ce font titres qui touchent le babil de 20
voflre chambrière.
C'eft vne piperie voifine à cettecy, d'appeller les offices de noilre
eftat par les titres luperbes des Romains, encore qu'ils n'avent
aucune reflemblance de charge, (!^ encores moins d'authorité & de
puilTance. Et cette-cy auffi, qui feruira, à mon aduis, vn iour de 25
tefmoignage d'vne fînguliere iiieplic de noflre fiecle, d'employer
indignement, à qui bon nous lemble, les furnoms les plus glorieux
dequoy l'ancienneté ait honoré vn ou deux perfonnages en plufieurs
Texte 88. — 26) fînguliere vanité di'... d'employer vainement iS: fins confule-
ration à qui
LIVRH I, C.HAIMTRl; II. 593
ficcIes. Platon a cin}iortc ce l'urnom de diuiii par vn confentement
viiiucrrd, que aucun n'a effayé luy enuier; & les Italiens, qui fe
vantent, & auecques railon, d'auoir communément l'efprit plus
efueillé & le dilcours plus fain que les autres nations de leur temps,
5 en viennent d'eftrener l'Aretin, auquel, lauf vne façon de parler
bouffie 6c bouillonnée de pointes, ingenieules à la vérité, mais
recherchées de loing & fantafques, (S; outre l'éloquence en fin,
telle qu'elle puifTe eftre, ie ne vov pas qu'il y ait rien au dessus des
communs autheurs de fon fiecle; tant s'en faut qu'il approche de
10 cette diuinité ancienne. Et le furnom de grand, nous l'attachons
à des Princes qui n'ont rien au deffus de la grandeur popiilcrc.
Texte 88. — 11) n'ont eu rien... grandeur commune.
Chapitre LU.
DE LA PARSliMONIE DES ANCIENS.
Attilius Regulus, gênerai de l'armée Romaine en Afrique, au
milieu de fa gloire & de fes victoires contre les Carthaginois, .
efcriuit à la chofe publique qu'vn valet de labourage qu'il auoit
laifle feul au gouuernement de fon bien, qui eftoit en tout fept
arpents de terre, s'en efloit enfuy, ayant defrobé fes vtils de labou- 5
rage, & demandoit congé pour s'en retourner & y pouruoir, de peur
que fa femme & fes enfans n'en enflent à fouff^rir : le Sénat pourueut
à commettre vn autre à la conduite de fes biens & luy fift reftablir
ce qui luy auoit efté defrobé, & ordonna que fa femme & enfans
feroient nourris aux defpens du public. 10
Le vieux Caton, reuenant d'Efpaigne Conful, vendit fon cheual
de feruice pour efpargner l'argent qu'il eut coûté à le ramener par
mer en Italie; &, eftant au gouuernement de Sardaigne, faifoit fes
viiîtations à pied, n'ayant auec luy autre fuite qu'vn officier de la
choie publique, qui luy portoit fa robbe, (S; vn vafe à f^iire des 15
ûicrifices; & le plus fouuent il pourtoit fa maie luy mefme. Il fe
vantoit de n'auoir iamais eu robbe qui euft courte plus de dix efcus,
ny auoir enuoyé au marché plus de dix fols pour vn iour; &, de
fes maifons aux champs, qu'il n'en auoit aucune qui fut crépie
Texte 88. — 14) que d'vn
LIVRE I, CHAPITRE LU. ^97
& enduite par dehors. Scipion iiimilianus, après deux triomphes
& deux Conlulats, alla en légation auec fept feruiteurs feulement.
On tient qu'Homère n'en euft iamais qu'vn; Platon, trois; Zenon,
le chef de la fccte Stoique, pas vn.
11 ne' tut taxé que cinq lois cV demv, pour iour, à Tvberius
Gracchus, allant en commiflion pour la chofe publique, eftant lors
le premier homme des Romains.
' Il ne... Romains. Dans l'éJition de i ,X8 celte- plir.isc était pLicic entre leuleniCIlt cl On
tient (ï. 2 cl 3.) Montaigne, d.ins l'Exemplaire de Bordeaux, reni'ernie entre crochets, cl écrit dans la
marge : Mellei celle clause enfermée, a la fin du chapitre.
Chapitre LUI.
D VN MOT DE CitSAR.
Si nous nous amufions par fois à nous confiderer, & le temps
que nous mettons à contreroller autruy & à connoiftre les chofes
qui font hors de nous, que nous l'emploiflîons à nous fonder
nous mefmes, nous fentirions aifément combien toute cette noftre
contexture eft baftie de pièces foibles & défaillantes. N'eft-ce pas 5
vn fmgulier tefmoignage d'imperfection, ne pouuoir r'aflbir noflre
contentement en aucune chofe, & que, par defir mefme & imagi-
nation, il foit hors de noflre puiflance de choifir ce qu'il nous faut?
Dequoy porte bon tefmoignage cette grande dilpute qui a toufiours
efté entre les Philofophes pour trouuer le louuerain bien de l'homme, 10
«Se qui dure encores & durera éternellement, ians refolution & fans
accord :
duni aheft iiuod auennis, id cxuperare videlur
Cittera; poft aliud cùm contigit illud auenius,
Et fuis ivqua tenet. 15
Quoy que ce foit qui tombe en noftre connoifTimce & ioutdance,
nous fentons qu'il ne nous latistaict pas, & allons béant après les
chofes aduenir 6c inconnues, d'autant que les prelentes ne nous
Texte 88. — 6) imperfection, de ne — 9) grande & noble difpute
LIVRE I, CHAPITRE LUI. 399
foulent point : non pas, à mon aduis, qu elles n'avent afTez dequoy
nous louler, mais c'eft que nous les lailllTons d\ne prife malade
& defregléc,
Nam, ciim vidit hic, ad vfum qu;t flagitat vfus,
5 Omnia iani ferme mortalibiis elle parata,
Diuitiis homines & honore & laude potentes
Affluere, atque bona natoriiin excellere fama,
Nec minus elle domi cuiquam tamen anxia corda,
Atque animum infeftis cogi feruire querelis :
10 Intellexit ibi vitium vas efficere ipfum,
Omnidque illius vitio corrumpier intus,
Qu;c collata foris & commoda qu;vque venirent.
Noftrc appétit eft irrelolu & incertain : il ne Içait rien tenir, ny rien
iouyr de bonne façon. L'homme, ertimant que ce foit le vice de ces
1 5 chofes, ie remplit ^: le paift d'autres chofes qu'il ne fçait point
& qu'il ne cognoit point, où il applique fes defirs & fes efperances,
les prend en honneur & reuerence : comme dict Caefar, « communi
fit vitio naturœ vt inuifis, latitantibus atque incognitis rébus magis
confidamus, vehementiùfque exterreamur. »
Texte 88. — 13) Noftre gouft eft — 19) exterreamur. Il fe fait par vn vice
ordinaire de nature, que nous ayons & plus de fiance, & plus de crainte des chofes,
que nous n'auons pas veu, & qui font cachées & inconnues. Passage biflé par Montaigne
de quatre barres transversales.
Chapitre LIV.
DES VAINES SVBTILITEZ.
Il eft de ces lubtilitez friuolcs & vaines, par le moven defquelles
les hommes cherchent quelquesfois de la recommandation : comme
les poètes qui font des ouurages entiers, de vers commençans par
vne mefme lettre : nous voyons des œufs, des boules, des aifles,
des haches façonnées anciennement par les Grecs auec la mefure 5
■de leurs vers, en les alongeant ou accourfiffant, en manière qu'ils
viennent à reprél'enîer telle ou telle figure. Telle eftoit la fcience
de celuy qui s'amufii à conter en combien de fortes fe pouuoient
renger les lettres de l'alphabet, & y en trouua ce nombre incroiable
qui fe void dans Plutarque. le trouue bonne l'opinion de celuv 10
à qui on prefenta vn homme apris à ietter de la main vn grain de
mil auec telle induftrie que, fans faillir, il le pafToit toufiours dans
le trou d'vne efguille, & luy demanda l'on, après, quelque prefent
pour loyer d'vne fi rare fuffifance : furquov il ordonna, bien plai-
famment, & iufiement à mon aduis, qu'on fit donner à cet ouurier 15
deux ou trois niinots de mil, atfin qu'vn fi bel art ne demeurafi
fans exercice. C'ert vn tefmoignage mcnicilkus de la foiblefle de
nollre iugement, qu'il recommande les chofes par la rareté ou
I'extk SS. — 18) iugement, de icconinuiuler les
LIVRE I, CHAPITRE LIV. 4OI
nouuelleté, ou encore par la difficulté, li la bonté & vtilité n'y font
ioinctes.
Nous venons prefentement de nous iouër chez nioy à qui pourroit
trouuer plus de chofes qui le tiennent par les deux bouts extrêmes :
5 comme Sire, c'eft vn tiltre qui fc donne à la plus efleuée perfonne
de noftre eftat, qui eft le Roy, & le donne aullî au vulgaire, comme
aux marchans, & ne touche point ceux d'entre deux. Les femmes
de qualité, on les nomme Dames; les movennes, Damoifelles;
& Dames encore, celles de la plus balTe marche.
10 Les dez qu'on eftend fur les tables, ne font permis qu'aux maifons
des princes & aux tauernes.
Democritus diloit que les dieux & les belles auoient les fentimens
plus aiguz que les hommes, qui font au moyen eftage. Les Romains
portoient mefme accoutrement les iours de deuil & les iours de
1 5 lefte. Il eft certain que la peur e.xtreme & l'extrême ardeur de courage
troublent également le ventre & le lafchent.
Le suiibriquel de tremblant, du quel le 12 Roy de Nauarre, Sancho, fut
surnome, aprant que la hardiesse aussi bien que la peur font Iresmousser
nos membres. Et eeluv a qui ses ians qui l'armoint, uoiant frissoner la
20 peau, s'essaioint de le r' assurer en apetissant le hasard au quel il s'aloit
presanter, leur dict : Vous me conesses mal. Si ma cher sçauoit ou mon
corage la portera tantost, elle s'en tràsiroit tout a plat.
La foiblefle qui nous vient de froideur et defgoutement aux
exercices de Venus, elle nous vient auffi d'vn appétit trop véhément
2) & d'vne chaleur defreglée. L'extrême froideur & l'extrême chaleur
cuifent & rotiffent. Ariftote dict que les cueus de plomb fe fondent
& coulent de froid & de la rigueur de l'hyuer, comme d'vne chaleur
véhémente. Le désir et la satietc remplissent de dolur les sièges audessus
et audessous de la uolupte. La beftife & la fagefle fe rencontrent en
Var. ms. — 17) Lemulili — 18) suriwme nous apraiil... font frissoner et treniwusscr
— 19) frissoner lii f>e4tu le corps s'essaioint — 20) r'tissurer et — 22) tout a fiiicl. La —
28) vchcniciili.-. I. Il soif et lu
402 ESSAIS DE MONTAIGNE.
mefme point de sentiment & de relolution à la fouffrance des accidens
humains : les Sages gourmandent .^ commandent le mal, & les
autres l'ignorent : ceux-cy font, par manière de dire, au deçà des
accidens, les autres au delà; lel quels, après en auoir bien poifé
& confideré les qualitez, les auoir melurez & iugez tels qu'ils l'ont, 5
s'eflancent au delîus par la torce d'vn vigoureux courage : ils les
defdaignent & foulent aux pieds, ayant vne ame forte & folide,
contre laquelle les traicts de la fortune venant à donner, il eft force
qu'ils reialiflent & s'émoufTent, trouuant vn corps dans lequel ils
ne peuuent faire impreflion : l'ordinaire & movenne condition des 10
hommes loge entre ces deux extremitez, qui eft; de ceux qui apper-
çoiuent les maux, les sentent, 6v ne les peuuent fupporter. L'enfance
& la décrépitude le rencontrent en imbécillité de cerueau; l'auarice
& la profulion, en pareil defir d'attirer & d'acquérir.
Il fe peut dire, auec apparence, qu'il y a ignorance aheeedere, qui 15
ua deucint la scianee, un' autre, doctorale, qui nient après la sciance :
ignorance que la sciance faict et engendre, tout aisi corne elle desfaict et
' destruit la première.
Des elprits fimples, moins curieux & moins instruits, il s'en fliict
de bons Chreftiens qui, par reuerence & obeifTance, croient simplement 20
& fe maintiennent loubs les loix. En la movenne vigueur des efprits
& moyenne capacité s'engendre l'erreur des opinions : ils fuvuent
l'apparence du premier iens, & ont quelque tiltre d'interpréter à
fimplicité & hcstise, de nous voir arrefter en l'ancien train, regardant
Texte 88. — i) point de gouft & de refolution — 12) maux, les gouftent, & ne
— 15) apparence, que des efprits — 19) moins fçauans, il — 22) moyenne fciLiice,
s'engendre — 24) & ignorance, de
^'AR. Ms. — 1 5) apparence 1° : que l'infime estage est le giste de l'igiioratice le
secoiit de la sciance. Le suprême de l'ignorance encores. Et se peut dire aussi que des efprits
Montaigni; efface ensuite Et Se peut dire auSsi que, et met une ni.ijusculc ù des 2° : qu'il y « uue
ignorance aheeedere qui précède la sciance un'aulre doctorale et Socratique qui suit la sciance.
Des efprits (Ces deux v.iriantes, enchevêtrées Tune dans l'autre, ont été complètement effacées. La le^ou
définitive a été écrite à la suite.) — ij) qui deuance la — i6) doctorale et Socrutiquc qui suH
la sciance — 17) faict et dicte tout... desfaict la — 22) moyenne doctrine s'engendre
LIVRE I, CHAIMTKK I.IV. 4OJ
à nous qui n'y fonmies pas inllruicis par clludc. Les <;rands cfprits,
plus raflîs & clairuoians, font vn autre genre de bien croyans;
lefquels, par longue & religieule inuertigation, pénètrent vne plus
profonde 6\; abftrule lumière es elcriptures, & l'entent le mifterieux
5 eS: diuin i'ecret de noftre police Ecclefiartique. Pourtant en voyons
nous aucuns eftre arriuez à ce dernier eflage par le fécond, auec
nierueilleux fruict 6;; confirmation, comme à l'extrême limite de la
Chreftienne intelligence, & iouyr de leur victoire auec confoiation,
action de grâces, reformation de meurs ix grande modeflie. Et en
10 ce rang n'entens-ie pas loger ces autres qui, pour fe purger du
foubçon de leur erreur pafle & pour nous alTeurer d'eux, le rendent
extrêmes, indifcrets & iniuftes à la conduicte de noftre caufe, & la
talchent d'infinis reproches de violence.
Les paisans simples sont honestes gens, et honesles gens les philosophes,
I) ('//, selon nostre temps, des natures fortes [f/] cleres, enrichies d'une large
instruction de sciances utilles. Les niestis qui ont desdeigné le premier siège
d'ignorance de lettres, et n'ont peu iouindre l'autre (le cul entre dcus selles,
des quels \ie\ suis, et tant d'autres,) sont dangereus, ineptes, importuns:
cens icy Iroblèt [le] monde. Pourtant de ma part ic me recule tant que
20 ie puis dans le premier & naturel siège, d'où ie me suis pour néant essaie
de partir.
La poésie populere et purement naturelle a des naïfuetei et grâces par
ou elle se compare a la principale beauté de la poésie parfaictc selon l'art;
come il se uoit es uillanelles \de] gascouigne et ans chançons qu'on nous
25 raporte des nations qui n'ont conoissance d'aucune sciance, ny mesmcs
d'escriture. La poésie médiocre qui s'arrête entre deus, est desdcignee, sans
honur et sans pris.
Var. ms. — I.}) I": l^aisaiis sont 2": paisans Ions cens (jui uiiienl sans lellres sont
3" : paisans tous cens en fin qui uiuenl sans lellres sont — i6) ont [pe\iuiu U pt^... siège
et n'ont peu — 20) naturel \sie]gk siège d'où ie suis pour néant parti. Mais parce
que (p. 404, 1. I.) — 22) purement a — 25) conoissance de nulle sciance — 26) est
mesprisee des maistrcs. Mais — 26) desdeignee des
404 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Mais parce que, après que le pas a efté ouucrt à l'efprit, i'ay trouué,
comme il aduient ordinairement, que nous auions pris pour vn
exercice malaifé & d'vn rare liibiect ce qui ne l'eft aucunement;
& qu'après que noftre inuention a efté efchaufée, elle defcouure vn
nombre infiny de pareils exemples, ie n'en adiouftcray que cettuy-cy :
que fi ces effays eftoyent dignes qu'on en iugeat, il en pourroit
aduenir, à mon aduis, qu'ils ne plairoient guiere aux efprits communs
& vulgaires, ny guiere aux fmguliers & excellens : ceux-là n'y enten-
droient pas aflez, ceux-cy y entendroient trop; ils pourroient
viuoter en la moyenne région.
Chapitre lv.
DES SENTEVRS.
Il fe dict d'aucuns, comme d'Alexandre le grand, que leur Tueur A
efpandoit vn' odeur fouefue, par quelque rare & extraordinaire
complexion : dequoy Plutarque & autres recherchent la caufe. Mais
la commune taçon des corps el1; au contraire; & la meilleure condition
5 qu'ils aient, ceft d'cstrc cxcinps de sciitur. La douceur mei'mcs des
halaines plus pures n'a rien de plus excellent que d'eftre lans aucune
odeur qui nous offence, comme l'ont celles des enfans bien fains.
Voyla pourquoy, dict Plaute,
Mulier tum benc olet, vbi nihil olet :
10 la plus parfaicte fenteur d'vne femme c'eft ne fentir à rien, 'comme R
on dict que la meilleure odeur de fes actions ceft qu'elles lovent
infenfibles & lourdes. Et les bonnes fenteurs eftrangieres, on a raifon A
de les tenir pour fufpectes à ceux qui s'en feruent, & d'eflimer
qu'elles foyent employées pour couurir quelque défaut naturel de
Texte 88. — 4) condition qui foit en cela, c'cft de ne fentir rien de mauuais.
Et la douceur — 6) halaines les plus pures, elle n'a... eftrc fimplc & fans
406 ESSAIS DE MONTAIGNE.
ce cortc-la. D'où naiffcnl ces rencontres des Poêles anciens : c'efi;
puïr que de fantir bon,
Rides nos, Coraciiie, ni! olentes.
M.ilo quam bene olere, nil olere,
Et ailleurs : 5
Pulliiunif, non benc olet, qui benc lemper olet.
1 avilie pourtant bien tort à élire entretenu de bonnes lenteurs,
& hav outre mefure les mauuailes, que ie tire de plus loing que
tout autre :
Namque fagacius vnus odoror, lo
Polypus, an grauis hirl'utis cubet liivcus in alis,
Quam canis acer vbi lateat fus.
Les senilirs plus simples et iniliirelles me senibleiil pJtis agréables. Et
'touche ce soiu priueipalemeut les dames. Eu la plus espaisse barbarie, les
James Scitbes, après s'estre lauecs, se saupoudrent et encrousteut tout le cors 15
et le uisagc de certeine drogue qui liait eu leur terroir, odoriférante; et, pour
aprochcr les homes, aiaut osle ce fart, elles s'en treuuent et polies et parfumées.
Quelque odeur que ce loit, c'eft merueille combien elle s'attache
a niov, & combien i'av la peau propre à s'en abreuuer. Celuv qui fe
plaint de nature, dequoy elle a lailTé l'homme fans inftrument 20
à porter les lenteurs au nez, a tort, car elles fe portent elles mefmes.
Mais à mov particulièrement, les mouftaches, que i'ay pleines, m'en
feruent. Si l'en approche mes gans ou mon mouchoir, l'odeur y
tiendra tout vn iour. Elles accusent le lieu d'où ie viens. Les eftroits
baifers de la ieunelTe, fauoureux, gloutons et gluans s'y colloyent 25
Texte 88. — 25) mouchoir la fcntcur y — 24) elles rcl'poiuiciit du lieu
25) fauoureux & gourmans, s'y
LIVRE I, CHAPITRE LV. 4.O7
autresfois, & s'y tenoient pluiicurs heures après. Et fi pourtant ie me
trouue peu lubiect aux maladies populaires, qui ie chargent par la
conuerfation, & qui naiffent de la contagion de l'air; & me fuis saiiiic
de celles de mon temps, dequoy il y en a eu plulieurs fortes en nos
) villes & en noz armées. On Ut de Socrates que, n'estant iamais parti
d'Athènes, panda nt plusieurs rechutes de peste qui h tourmantarent tant
[de] fois, luy su! ne s'en trouua iamais plus mal. Les médecins pourroient,
croi-ie, tirer des odeurs plus d'vfage qu'ils ne font : car i'ay fouuent
aperçeu qu'elles me changent, & agilTent en mes efprits félon qu'elles
ro font : qui me fiiict approuuer ce qu'on dict, que l'inuention des
encens & parfuns aux Eglifes, û ancienne & efpandue en toutes
nations & religions, regarde à cela de nous refiouir, efueiller
& purifier le lens pour nous rendre plus propres à la contemplation.
lie \ uodroi bien, pour en iuger, auoir eu ma part [de] l'art de ces cuisiniers
1 5 qui sçauent assaisoner | les] odurs estrangieres aucq la saueur des uiandes,
corne singulièrement on remerqua au seruice de ce Roy de Thunes, qui, de
nostre eage,prini terre a Naple s pour s'aboucher aueq [l']Empereur Charles.
On farcissoit ses uiandes de drogues odoriférantes, de telle sumptuosité
[qu]'un Paon & deus faisans reuenoint \a] cent ducats, pour les aprester
20 selon leur manière; et, quâd on les despeçoit, remplissoint, non sulement
[la] sale, mais toutes les châbres [de] son palais, & iusques aus maison du
uoisinage, d'une tressouefue uapur qui ne se perdoit pas si tost.
Le principal foing que i'aye à me loger, c'eft de fuir l'air puant
i<: poifant. Ces belles villes, Venife & Paris, altèrent la faueur que
25 ie leur porte, par l'aigre fenteur, l'vne de fon niarels, l'autre de la
boue.
Texte 88. — 3) fuis garantv de celles — 8) plus d'vfagcs qu'ils — 11) Eglifes,
qui cft (i — 25) c'eft à fuir
\'ar. ms. — 5) On licl ce nu- semble île — 14) \dc, l'cippresl de ces — 1 5) (nuiiunier
titif — ly) Jiiiuins se tnuiiiiirêl iiuoir cosie eeiil dncnis a nprester • n ■■ii ninile
Chapitre LVI,
DES PRIERES.
le propofe des fantafies informes & irrefolues, comme font ceux
qui publient des queftions doubteufes, à débattre aux efcoles : non
pour eftablir la vérité, mais pour la chercher. Et les foubmets au
iugement de ceux à qui il touche de régler, non feulement mes
actions & mes efcris, mais encore mes penfées. Efgalement m'en
fera acceptable & vtile la condemnation comme l'approbation, tenant
■pour exécrable, s'il se treuue chose dicte par moy ignorament ou inaduer-
tanict contre les sainctes prescriptions de l'église catJjolique, apostolique et
Rornciiie, en la quelle ie meurs et en la quelle ie suis nai. Et pourtant,
me remettant toufiours à l'authorité de leur cenfure, qui peut tout
fur moy, ie me méfie ainfin témérairement à toute forte de propos,
comme icy.
le ne fçay fi ie me trompe, mais, puis que, par vne laueur parti-
culière de la bonté diuine, certaine façon de prière nous a efté
prefcripte & dictée mot à mot par la bouche de Dieu, il m'a toufiours
femblé que nous en deuions auoir l'vfage plus ordinaire que nous
n'auons. Et, fi l'en eftov creu, à l'entrée \- à l'iffue de nos tables,
'Ikme 8S. — i) propofe icv Jcs
V AR. MS. — 6) teimiil sérieusement pour — yj dklc par mon ignorance ou inaducr-
tauce couircre ans sainctes prescriptions de l'eolise eu lu quelle ie meurs et eu lu tfuelle ie
suis H'// cathotique
LIVRE I, CHAPITRE LVI. 4O9
à nortre Icucr & coucher, & à toutes actions particulières aufquelles
on a accourtunié de meller des prières, ie voudroy que ce fut le
patenortre que les Chrelliens y emplovalîent, sinon snlenicnl, du moins
toitsiours. L'Eglife peut eÛendre & diuerfitier les prières félon le
5 befoing de noflre inflruction : car ie fçav bien que c'eft toufiours
mefme fubÛance & mefme chofe. Mais on deuoit donner à celle là
ce priuilege, que le peuple l'euft continuellement en la bouche : car
il eft certain qu'elle dit tout ce qu'il faut, ik qu'elle eft trefpropre
à toutes occalions. C'est l'unique prière de quoi ie me sers par tout, et la
10 répète au lieu d'en changer.
D'où il adulent que ie n'en ai aussi bien en mémoire que cellela.
l'auov prefentement en la penfée d'où nous vcnoit cett' erreur
de recourir à Dieu en tous nos deffeins & entreprinfes, ' ik. l'appeller
à toute forte de befoing & en quelque lieu que noftre foiblefle ueut
15 de l'aide, ûms confiderer fi Foccafion eft iufte ou iniufte; & de efcrier
fon nom & fa puifliince, en quelque eftat & action que nous foyons,
pour vitieufe qu'elle foit.
Il eft bien noftre feul & vnique protecteur, et peut toutes choses a nous
aider; mais, encore qu'il daigne nous honorer de cette douce aliance
20 paternelle, il eft pourtant autant iufte comme il eft bon et corne il est
puissant. Mais il use bien plus sonnant de sa iustice que de son poinioir,
ik nous fauorife félon la raifon d'icelle, non félon nos denumdes.
Platon, en ses loix, faict trois sortes d'iniurieuse créance des Dieus :
Quil n'y en aïe pouint; qu'ils ne se meslent pas de nos affaires; qu'ils ne
25 refusent rien a nos uens, offrandes et sacrifices. La première errur, selon
son auis, ne dura iamais immuable en home despuis son enfance iusques
a sa uieilksse. Les deus suinantes peniièt souffrir de la constance.
Texte 88. — 2) fut le fcul patenoftre — 8) ce qui nous fert, & — 14) foiblefle
requiert de — 15) & defcrier fon — 22) raifon de fa iuftice, non félon nos incli-
nations & volontés. Sa iuftice (p. 410, 1. i.)
Var. ms. — 3) employaflent d en use ainsi. I,'F^glife — 10) irpele j' - 2(1) ianuiis
fn tiome m>ii es — 27) suiuanles oui. S;i
410 ESSAIS DE MONTAIGNE.
Sa iuftice & ûi puiffance font infeparables. Pour néant implorons
nous fa force en vne mauuaife caufe. Il taut auoir l'amc nette, au
moins en ce momcut auquel nous le prions, & defchargée de pallions
vitieufes; autrement nous luy prefentons nous mefmes les verges
dequoy nous chaftier. Au lieu de rabiller noftre fiiute, nous la 5
redoublons, prefentans à celuv à qui nous auons à demander pardon,
vne affection pleine d'irreuerence & de haine. Voyla pourquoy ie ne
loue pas volontiers ceux que ie voy prier Dieu plus fouuent 6c plus
ordinairement, fi les actions voifines de la prière ne me tefnioignent
quelque amendement & reformation, 10
ii, nocturnus adulter,
Tempora Sanctonico vêlas adoperta cucullo.
Et Vassicte cl 'un home, mcslàl a une uie exécrable lu deuotion, semble estre
aucunement 1)1 us coiukimuable que celle d'un home conforme a soi, et dissolu
par tout. Pourtant refuse nostre esglise tous les iours la Jaueur de son entrée 1 5
et société ans nwurs obstinées a quelque insii^nie malice.
Nous prions par vfage & par couftume, ou, pour mieux dire, nous
lifons ou prononçons nos prières. Ce n'eft en fin que mine.
Et me defplait de voir faire trois fignes de croix au benedicite,
autant à grâces (& plus m'en dcfplaiil: il de ce qi c'est un si»ue que i'av 20
en reuerance et continuel usa^^e, mesmcmant au bailler), ik ce pendant,
toutes les autres heures du iour, les voir occupées à la haine, l'auarice,
l'iniustice. Aux vices leur heure, fon heure à Dieu, comme par
compenfation & compofition. C'eft miracle de voir continuer des
actions fi diuerfes, d'vne fi pareille teneur qu'il ne s'y fente point 25
d'interruption & d'altération aux confins mefme & partage de l'vne
à l'autre.
Texte 88. — 3) ce temps là, auquc-l — i8) que contenance : & me —
20) grâces (& d'autant plus m'en defplaift il, que ce font façons que i'honore & imite
fouuent) & ce pendant — 22) occupées a vfuies, veniances & paillaidifcs : aux vices
\'ak. ms. — 15) luisliït iiii-'iiInnU — 20) iS: d'aut.int plus... il que ( Vv/ ini
LIVRE I, CHAPITRE LVI. 4II
[Qiu'Ui' (yrodii^ieitsc loiisiit'iur se pciil donner repos, noiirrlssaiil en inesnic
^isk, d'une siKieté si \ aceordanle & si paisible le crime et le iui^e? Vn home
de qui la paillardise • sans cesse i regenle la teste, et qui la iui^e Iresodieuse
a la neue diuine, que dici il a dieu, quand il lux en parle? Il se rameine;
5 nuiis soudein il reclxnt. Si l'obiect de la diuine iustice et sa presance frapoint
coin' il dict, et chastioini son ame, pour courte qu'en fut la pa-nitance,
la creinte mesmes v reieteroit si saunant sa pensée, qu'incontinàt il se uerroii
maislre de ces uices qui sont habitue:^ et acharne:^ en luv. Mais quov! cens
qui couchent une nie entière sur le fruit et esniolument du péché qu'ils
10 scaiwnt mortel? Combicns anons nous de nwstiers et uacations receucs,
de quoi l'essancc \ «/] uiticuse. El celuv qui, se confessant a moi, me récitait
auair tant un cai!;c faict profession \et' les effaicts d'une religion damnahie
selon lu\, & contradictoire a celle qu'il auait \cn\ son ceur, pour ne perdre
son crédit & l'Ixmur de \ ses | charges : comant pastissait il \ ce j discours en son
15 corage? De quel langage entretienent ils sur ce snbicct la iustice diuine?
Leur repentance consistant en uisible \et^ nniniable réparation, ils perdit
\el\ enuers dieu et enuers nous le moyen de l'alléguer. Sont ils si hardis de
demander pardon sans salisfactian et sans repanlance? le tiens que de \ces\
premiers il [en | ua comede cens icv; mais Vabstination n'y j est] pas si aisce a
20 canueincrc. Cette contraritc [f/] uolubilite d'opinion si soudeine, si nialanle,
qu 'ils nous feignent, sent pour inay au miracle. Ils nous represantcnt l'estat
ïd' \un' indigestible agonie. Que l'imagination [nu] scmbloit fantastique, de
cens qui, ces années passées, auaint \ en] usage de reprocher a tout chacun [en]
\'ar. ms. — 5) la ptiillardc fDuduiUQ) mumougn {^), uaiiiaiice regenle... qui les lieiil
Iresodieuses a — 7) meamei meUivi — 9) de leur pèche qu'ils liment m sçnil mortel
[hrig]ans : uolurs : achelurs et uciidurs de bénéfices : usuriers : et c. Tout le monde en fin.
[Vn]se — 12) damnable pour liiy... a celle de son ame (juil — 14) crédit mondein &
— 18) pardon sans repantance le tiens que de celte première repanlance qu'il 'en] ua corne
de celtecy a peu près mais p — 19) si descomtepU — 20) uiolante 1°: ha pour moy
quelqu image de miracle. le pense auoir dresse mon trein aueq un peu plus de conformité
Ils nous represantcnt 2° : sent pour moy au miracle et U suite comme dans la première
variante. — 22) agonie ne faisant qu'aller et uentr come pois en pot. Que — 23) reprocl)er
aus esptdts [un] ptu elainfaisa
412 ESSAIS DE MONTAIGNE.
qui il reliiisoit quelque clarié [d'cs 'périt, professant la reUigion Catholique,
que c'estoit a feinte, [et] teuoint mcsmes, pour luy faire honeur, quoi qu'il
dici par apparance, [qii']il ne pouuoit faillir au dedans [d'jauoir sa créance
reformée a leur pied. Fâcheuse maladie, [de] se croire si fort, qu'on se
persuade qu'il ne se puisse croire [au] confrère. Et plus fâcheuse encore s
qu'on se persuade d'un tel esperit, qu'il préfère ie ne sçai quelle disparité
de fortune presante, ans espérances et menaces de la nie éternelle. Ils m 'en
peuuent croire. Si rien eut deu tenter ma iunesse, \r\amhition du hasard
et difficidte^ qui suiuoint cette récente entreprinse, y eut eu hone part.
Ce n'efl; pas fans grande raifon, ce me femble, que l'Eglife défend ro
l'vfage promifcue, téméraire & indifcret des fainctes & diuines
chanfons que le Sainct Elprit a dicté en Dauid. 11 ne tant meiler Dieu
en nos actions quauecque reuerence & attention pleine d'honneur
& de refpect. Cette voix eli trop diuine pour n'auoir autre vfage
que d'exercer les poulmons & plaire à nos oreilles : c'efl; de la 15
confcience qu'elle doit eftre produite, lit non pas de la langue. Ce
n'eft pas raifon qu'on permette qu'vn garçon de boutique, parmy
ces vains & friuoles penfemens, s'en entretienne & s'en iouë.
Nv n'eft certes raifon de voir tracaffer par vne fale & par vne
cuyfine le Sainct liure des facrez myfteres de noftre créance. C'estoint 20
autresfois mystères; ce sont a presant desduif:;^ et esbat:^. Ce n'eft pas en
paffiint & tumultuairement qu'il faut manier vn eftude fi ferieuz
& vénérable. Ce doiht eftre vne action deftinée & ralftfe, à laquelle
on doibt toufiours adioufter cette préface de noftre office : «Surium
corda», ii: y apporter le corps mefme difpolé en contenance qui 25
tefmoigne vne particulière attention <^ reuerence.
Ce n'est pas l'cstude de tout [le] monde, c'est l'estude des persones qui
Texte 88. — 10) Eglifc Catholique défend — 14) Cette vois eft — 19) tracaffer
entre les mains de toutes pcrfonncs, par vne fale — 26) reuerence. Et croi d'auantage,
que la liberté (p. 413, 1. 9.)
Var. ms. — 3) apparance ne — 8) 51 i^fusse
LIVRE I, CHAPITRE LVI. 4IJ
V sont iioinrs, que dieu y a pelé. Les inesebuus, les ii^iiontns s'v empire ni.
Ce n'est piis une histoire a conter, c'est une histoire \a\ reuerer, ereldre,
et adorer. Plesùtcs gens, qui pensent l'auoir rendue maniable au peuple,
pour l'auoir mise en langage populere! Ne tient il qu'ans mots, qu'ils
5 n'entandent tout ce qu'ils trenuent par eserit? Dirai ic plus? Pour l'en
aprocher de ce peu, ils l'en recnlèt. \L' [ignorance pure et remise tonte en
autruy estoil bien plus salulere et plus sçauanle que u 'est ccte sciance uerbale
\et\ ueine, nourrisse de présomption et de lemerite.
le croi aussi, que !a liberté à chacun de difTiper vue parole iî
10 religicufe & importante à tant de lortes d'idiomes, a beaucoup plus
de danger que d'vtilité. Les luifs, les Mahometans, & quafi tous
autres, ont elpoufé & reuerent le langage auquel originellement
leurs mvfteres auovent efté conceu/; (S; en eft défendue l'altération
& changement : non lans apparance. Sçauons nous bien qu'en
15 Bafque & en Bretaigne, il v ayt des luges affez pour eftablir cette
traduction faicte en leur langue ? L'Eglife vniuerfelle n'a point de
lugement plus ardu à taire, et plus folenne. Hn prelchant (S: parlant,
l'interprétation eft vague, libre, niuable, & d'vne parcelle; ainfi ce
n'eft pas de mefme.
20 [L'un de no:;^ historiens Grecs accuse iustemcnt son siècle, de ce qiw les
secrets de la religion Chrestienne estoieul cspandus emmx la place, es mains
des nwindres artisans; que chacun cn\ peut débattre et dire selon son sens;
et que ce nous deuoit esire grande honte, qui, par la grâce de Dieu, iouissons
des purs mystères de la pieté, de les laisser profaner en la bouche de persanes
25 ignorantes et populeres, ueu que les Gentils interdisoint a Sacrâtes, a Platon
et ans plus sages, de parler et s'enquérir des choses commises aus Prcstres
de Delphes. Dicl aussi que les factions des Princes sur le subiect de la
Texte 88. — 9) chacun de le traduire & difTiper
Var. ms. — 2) af*eUtPf-*sl — 6) aprocher ù peu — 9) aussi que cette loi ite
la quelle Platon Jaicl la première des sienes qui défaut aus iunes gens de mettre eu question
et phrase inachevée, antérieure à Ce u'est pas l'estude.. . — 24) delautHU... bouche des persoues
414 ESSAIS DE MONTAIGNE.
TIxologic sont aiDurs, non de -(7/f, iiutis de cbolere; que le ::s^le tient de
la diuine raison et iustice, se conduisant ordoneenient et niodtreenunt ; mais
qu'il se change en haine et enuie, & produit, au lieu du froment et du
raisin, de l'yuraïe et des horties, quand il est conduit d'une passion humaine.
Et iustemant aussi cet autre, conseillant l'Empereur Theodose, disait les 5
disputes n'endormir pas tant les scisnu^s de l'Eglise, que les esueiller et
animer les Hxresies; que pourtant il faloit fuir toutes contantions et argu-
mentations dialectiques, et se raporter nueiuant aus prescriptions et formules
de la foi establies par les antiens. Et l'Empereur Androdicus, aïant rencontre
en son palais deus grands homes ans prises de parole contre Lopadius w
sur un de nos poins de grande importance, les tança iusques a menacer de
les ietter en la riuiere s'ils conlinuoinl.
Les enfans et les femmes, en nos iours, régentent les plus uieus et experi-
nuinte:^ sur les loix ecclésiastiques, la ou la première [de^ celles de Platon
leur défaut de s'enquérir sulement de la raison des loix ciuilles qui doiuent 1 5
tenir lieu d'ordonances diuines; et, permeiant ans uieus \iî]'en communiquer
entre eus & aneq le magistrat, il adioute : pourueu que ce ne soit pas en
presance des iunes et persanes profanes.
Vn euesque a laisse par escrit que, en l'autre haut du mande, il v a un
Isle que les anciens namoint Diascaride, commode en fertilité de toutes sortes 20
d'arbres & fruits et salubrité d'air : de la quelle le peuple est Chrestien,
aiant des esglises et des autels qui ne sont pare:^ que de croix, sans autres
images; grand obseruatur de iusnes & de festcs, exacte païeur de dismes
ans prestres, et si chaste que nul d'eus ne peut conestre qu'une feme en sa
uie; au demurant si contant de sa fortune qu'au milieu de la mer il ignare 25
l'usage des nanires, et si simple que, de la relligion qu'il ahserue si souigueu-
sonent, il n'en entant un seul )nat : chose iiicroiable a qui ne saurait les
\"ar. ms. — 10) Lopadius s' eu fcuf^ikm — 13) ciifaus m — 14) sur les poiiis de lu
ffliawn l'esglise et en lieiieiil escolc La ou la première to\ de Plaloii — 15) loix 1° : receties
eu sa police et défaut aus uieillan de sulemaui eu pai^kt: eu leui: la presauee des iuuei gfut^
les receuoir corne ordouauces diuiues sans s'amuser a eu iuger et permetaiit 2° : ciuilles et
les receuoir et b suite comme ci-dessus. — 1 8) iuues gens. Vn — 20) en leu
LIVRE I, CHAPITRE I.VI. 415
païens, si deuots idolâtres, ne eonoisire de leurs dieiis que simpkmenl le
nom & hi statue.
L'autieu [eoniuieinriiieiil de Meiialippe, Irai^n'die il'l'uripides, portait
ainsi
O hippiter, car de toy rien sinon
le ne cognais seulement que le now.J
l'ay veu aufli, de mon temps, faire plainte d'aucuns el'cris, de
ce qu'ils font purement humains & philofophiques, fans meflange
de Théologie. Qui diroit au contraire, ce ne feroit pourtant fans
II) quelque railon : Que la doctrine diuine tient mieux fon rang à part,
comme Royne & dominatrice; Qu'elle doibt eftre principale par
tout, poinct fuftVagante & fublidiaire; Et qu'a i'auanture se tireroint
les exemples à la grammaire, Rhétorique, Logique, plus fortablement
d'ailleurs que d'vne fi fiiinte matière, comme aufli les arguments
15 des Théâtres, ieuz & fpectacles publiques; Que les raifons diuines
fe confiderent plus venerablement & reueramment feules & en leur
rtile, qu'appariées aux difcours humains; Qu'il fe voit plus louuent
cette faute que les Théologiens efcriuent trop humainement, que
cett' autre que les humaniftes efcriuent trop peu theologalement :
20 la Fhilofophie, dict Sainct Chryfoftome, eft pieça banie de l'efcole
fainte, comme feruante inutile, & eftimee indigne de voir, leulement
en paiTant, de l'entrée, le facraire des faints Threfors de la doctrine
celefte; Que le dire humain a fes formes plus baffes & ne fe doibt
feruir de la dignité, majefté, régence, du parler diuin. le luy laifle,
25 pour moy, dire, « ucrbis indisciplinatis, » fortune, d'eftinée, accident,
heur & malheur, & les Dieux & autres frafes, félon fa mode.
Texte 88. — 12) fubûdiairo. Que les exemples — 13) Logique, i"e tirent plus
— 26) mode vulgaire. Et ne
Var. .ms. — i) païiui lie
4l6 ESSAIS DE MONTAIGNE.
le propose les fantasies humaines et micms, simpJemant corne humaines
fantasies, et separeemant considérées, mm corne arrêtées et réglées par
Vordonance céleste, incapables de double et d'altercation : matière d'opinion,
non matière de foi; ce que ie discours selon moi, non ce que ie crois selon
dieu, côme les enfans proposent leurs essais : instruisables, non instruisans; 5
d'une^ manière laïque, non cléricale, mais très religieuse tousiours.
Et ne diroit on pas aufli lans apparence, que l'ordonnance de ne
s'entremettre que bien referueement d'efcrire de la Religion à tous
autres qu'à ceux qui en font exprefle profeflion, n'auroit pas faute
de quelque image d'vtilité & de iuftice; &, à moy aucq, à l'auanture, 10
de m'en taire?
On m"a dict que ceux mefmes qui ne font pas des nostres, défendent
pourtant entre eux l'vlagedu nom de Dieu en leurs propos communs.
Ils ne veulent pas qu'on s'en férue par vne manière d'interiection
ou d'exclamation, ny pour tei'moignage, nv pour comparaifon : en 15
quoy ie trouue qu'ils ont raifon. Et, en quelque manière que ce foit
que nous appelions Dieu à noftre commerce & focieté, il faut que
Ce foit ferieufement & religieufement.
II y a, ce me lemhle, en Xenophon vn tel difcours, où il montre
que nous deuons plus rarement prier Dieu, d'autant qu'il n'ell pas 20
aifé que nous puiflions fi ibuucnt remettre nortre ame en cette
aflîete réglée, reformée & deuotieufe, où il faut qu'elle foit pour ce
taire; autrement nos prières ne font pas ieulemcnt vaines ^; inutiles,
mais vitieules. Pardonne nous, difons nous, comme nous pardon-
nons à ceux qui nous ont offencez. Que difons nous par là, finon 25
que nous luy offrons noffre ame exempte de vengeance & de
Texte 88. — 10) moy mcfme à — 12) p.is de noftrc aduis, défendent
\'ar. .ms. — 1) d Us miciies, d^ — 4) foi. Ce que ie crois selon moi... dieu. El côme
6) manière non (leneaU mais laïque
' d'une... lousiours. adJiiion ulttricurc. I.VJition Je ijg? I.i pl.nce av.int CÔme les enfanS
LIVRE I, CHAPITRE LVI. 4iy
rancune? Toutesfois nous appelions Dieu et son ayde au complot de
nos fautes, et le conuiom a l 'iiiiustice.
Qux, nifi feductis, nequeas committere diuis.
L'auaricieux le prie pour la confcruation vaine & fuperflue de fes
S threfors; l'ambitieux, pour fes victoires & conduite de fa passion;
le voleur l'employé à fon ayde pour franchir le hazart & les difficultez
qui s'oppofent à l'exécution de fes mefchantes entreprinfes, ou le
remercie de l'aifance qu'il a trouué à defgoliller vn paflant. Au pied
de la maison qu'ils iiont escJxUer ou petarder, [//i] font leurs prières,
lo l'intâtion et l'espérance pleine \de] cruauté, de luxure, d'auarice.
Hoc ipfum quo tu louis aurem inipellere tentas,
Die agedum, Staio, pro luppiter, ô bone clamet,
luppiter, at fe fe non clamet luppiter ipfe.
La Royne de Nauarre, Marguerite, recite d'vn ieune prince,
15 &, encore qu'elle ne le nomme pas, fa grandeur l'a rendu affez
connoiflable, qu'allant à vne aflignation amoureufe, & coucher auec
la femme d'vn Aduocat de Paris, fon chemin s'adonnant au trauers
d'vne Eglife, il ne paflbit iamais en ce lieu faint, alant ou retournant
de fon entreprinfe, qu'il ne fit fes prières & oraifons. le vous lailîe
20 à iuger, l'ame pleine de ce beau penfement, à quoy il employoit la
faueur diuine : toutesfois elle allègue cela pour vn tefmoignage de
finguliere deuotion. Mais ce n'efi; pas par cette preuue feulement
qu'on pourroit vérifier que les femmes ne font guieres propres
à traiter les matières de la Théologie.
25 Vne vraye prière & vne religieufe reconciliation de nous à Dieu,
elle ne peut tomber en vne ame impure & foubmiie lors niefmes
Texte 88. — i) Toutesfois ie voy qu'en nos vices mefmes, nous appelions Dieu
à noftre ayde & au — 5) fa fortune : le — 24) les myfteres de
\'a\{. ms. — m) rinlâtimi f'iiiui- Ji' ii^uiiuk th- iHKure d'autiruf H l'-eipertmte
4l8 ESSAIS DE MONTAIGNE.
à la domination de Satan. Celuy qui appelle Dieu à fon affillancc
pendant qu'il eft dans le train du vice, il fait comme le coupeur de
bourfe qui appelleroit la iuftice à fon ayde, ou comme ceux qui
produifent le nom de Dieu en tefmoignage de menfongc :
tacito mala iio/a fururro 5
Concipimus
Il efl peu d'hommes qui ozaflent mettre en euidance les requeftes
fecretes qu'ils font à Dieu,
Haud cuiuis proniptuiii cft murmurque humilelque iuiuiros
Tollere de remplis, & aperto viuere voto. 10
Voyla pourquoy les Pythagoriens vouloyent cruelles fulTent publiques
& ouyes d'vn chacun, afin qu'on ne le requit de chofe indécente
& iniurte, comme celuv là,
clare cuni dixit : Apollo !
Labra mouet, metuens audiri : pulchra Lauerna, 15
Da mihi fallere, da iuftum fanctùmque videri.
Noctem peccatis & fraudihus obiice iiuhem.
Les lUcus punirent i^riejuenianl les iniques uœus d'Œdippus en les liiv
ûttrcnant. Il auoit prie ijue ces enjans uuidassent par armes entre eus la
succession de son estât. Il fut si misérable de se noir prins au mot. Il ne 20
Jaut pas demander que toutes choses suiuent nostre uoloiité, mais qu'elle
suiue la prudance.
Texte 88. — 5) mala nota fufurro — 7) euidance & prclenter en public les
requeftes, & prières fecretes — 11) vouloyent que les prières qu'on tailoit à Dieu,
t'uffent — • 12) requit pas de — 15) comme faifoit celuy là,
\'ar. MS. — 19) Il Ici auoit prieuie faire ijiie cei — 20) wiscialilc iVi-sIrf ptiiis —
21) nostre opinion mais
LiVRK I, c:n.\PiTRn Lvi. 419
Il lemble, à la vcritc, que nous nous Icruons de nos prières conic
d'un iiiro;oii et comme ceux qui employent les paroles fainctes
& diuines à des l'orcelleries & efFects magiciens; & que nous facions
noftre conte que ce foit de la contexture, ou fon, ou fuite des motz,
5 ou de noftre contenance", que dépende leur efFect. Car, avant l'ame
pleine de concupilccnce, non touchée de repentance ny d'aucune
nouuelle reconciliation enuers Dieu, nous luv alons prefenter ces
parolles que la mémoire prelk à nt)i1re langue, & elperons en tirer
vne expiation de nos fautes, il n'ert rien fi aifé, fi doux & l"i iauorable
10 que la loy diuine : elle nous appelle à foy, ainfi fiiutiers iS: detef^ables
comme nous fommes; elle nous tend les bras & nous reçoit en ion
giron, pour vilains, ords & bourbeux que nous iovons & que nous
ayons à eflre à l'aduenir. Mais encore, en recompenfe, la faut il
regarder de bon œuil. Encore faut-il receuoir ce pardon auec action
15 de grâces; &, au moins pour cet inlUnt que nous nous addrefTons
à elle, auoir l'ame defplaifante de i'es iautes & ennemie des passions
qui nous ont poussé à l'ofTencer : jVv les dicus, uv les gens dt bien, diet
Platon, n'aeeeptenl le presanl d'un nwsebàl.
Immunis aram fi tetigit nianus,
20 Non fomptuofa blandior iioftia
Molliuit auerfos Pénates,
Farre pio & faliente mica.
Texte 88. — 9) cxpi.irion générale de — 16) des concupifcences qui
17) ont pouffez à
' Ou de noflre contenance, aJdiiion Je 1588.
Chapitre LVII.
DE LAAGE.
le ne puis receuoir la façon dequoy nous eflabliflbns la durée de
noitre vie. le voy que les fages l'acourfiffent bien fort au pris de la
commune opinion. Comment, dict le ieune Caton à ceux qui le
vouloyent empefcher de fe tuer, fuis ie à cette heure en aage où
l'on me puiffe reprocher d'abandonner trop toft la vie ? Si n'auoit il 5
que quarante & huict ans. Il eilimoit cet aage la bien meur & bien
auancé, confiderant combien peu d'hommes y arriuent : & ceux qui
s'entreiienent de ce, que ie ne fçay quel cours, qu'ils nomment naturel,
promet quelques années au delà, ils le pourroient faire, s'ils auoient
priuilege qui les exemptaft d'vn fi grand nombre d'accidents aufquels 10
chacun de nous eft en bute par vne naturelle fubiection, qui peuuent
interrompre ce cours qu'ils fe promettent. Quelle refuerie efl-ce
de s'attendre de mourir d'vne défaillance de forces que l'extrême
vieillefle apporte, & de fe propofer ce but à noflre durée, veu que
c'eft l'espèce de mort la plus rare de toutes & la moins en vfage? 15
Nous l'apellons feule naturelle, comme fi c'eiloit contre nature de
voir vn homme fe rompre le col d'vne cheute, s'eftoufer d'vn
naufrage, fe laiffer furprcndrc à la perte ou à vne pleurefie, & comme
Texte 88. — 7) qui fe confolent en ce, que — 15) c'cft la façon de
LIVRE I, CHAPITRE LVU. 421
fi noflrc condition ordinaire ne nous prcfentoit à tous ces inconue-
nients. Ne nous flatons pas de ces beaux mots : on doit, à l'auenture,
appeller pluftofl naturel ce qui eft gênerai, commun & vniuerfel.
Mourir de vieillefle, c'eft vne mort rare, finguliere & extraordinaire,
5 & d'autant moins naturelle que les autres; c'eft la dernière & extrême
forte de mourir : plus elle eft efloignée de nous, d'autant eft elle
moins efperablc; c'eft bien la borne au delà de laquelle nous n'irons
pas, & que la loy de nature a prelcript pour n'eftre poinct outre-
paflee; mais c'eft vn fien rare priuilege de nous faire durer iufques là.
10 C'eft vne exemption qu'elle donne par faueur particulière à vn feul
en l'efpace de deux ou trois fiecles, le defchargeant des trauerfes
& difficultez qu'elle a ietté entre deux en cette longue carrière.
Par ainfi, mon opinion eft de regarder que l'aage auquel nous
fommes arriuez, c'eft vn aage auquel peu de gens arriuent. Puis que
15 d'vn train ordinaire les hommes ne viennent pas iniques là, c'eft
figne que nous fommes bien auant. Et, puis que nous auons paffé
les limites accouftumez, qui eft la vraye mefure de noftre \-ie, nous
ne deuons efperer d'aller guiere outre : ayant eichappé tant d'occa-
fions de mourir, où nous voyons trébucher le monde, nous deuons
20 reconnoiftre qu'vne fortune extraordinaire comme celle-là qui nous
maintient, & hors de l'vfage commun, ne nous doit guiere durer.
C'eft vn vice des loix mefmes d'auoir cette fauce imagination :
elles ne veulent pas qu'vn homme foit capable du maniement de
fes biens, qu'il n'ait vingt cS: cinq ans; & à peine conferuera-il iufques
25 lors le maniement de ia vie. Augufte retrancha cinq ans des
anciennes ordonnances Romaines, & déclara qu'il luffiioit à ceux
qui prenoient charge de iudicature, d'auoir trente ans. Seruius Tullius
difpenfa les cheualiers qui auoient paffé quarante fept ans, des
couruées de la guerre; Augufte les remit à quarante & cinq. De
30 renuoyer les hommes au feiour auant cinquante cinq ou foixante
Texte 88. — i) prcfeiuoil poinct ;i — 25) le manimcni de
422 ESSAIS DE MdXTAlGNE.
ans, il me iemble n"v auoir pas grande apparence. le lerois daduis
qu'on eftandit nortre vacation & occupation autant qu'on pourroit,
pour la commodité publique; mais ie trouue la faute en l'autre cofté,
de ne nous v embelongner pas aflez tort. Cettuv-cv auoit efté iuge
vniuerlel du monde à dix & neuf ans, 6^ veut que, pour iuger de la 5
place dvne goutiere, on en ait trente.
Quant à mov, i'eftime que nos âmes font denoiiées à vingt ans
ce quelles doiuent crtre, & qu'elles pivmclloil tout ce quelles pourront,
lamais ame, qui n'ait donné en cet aage iinr bien euidente de {a force,
/; 'fil donna depuis la prenne. Les qualitez & vertus naturelles cmcigucnt 10
dans ce terme là, ou iamais, ce qu'elles ont de vigoureux & de beau :
Si refpine nou pique quand nai,
A pêne que pique iamai,
difent-ils en Dauphiné.
De toutes les belles actions humaines qui font venues à ma 15
connoirt^ince, de quelque forte qu'elles foient, ie penferois en auoir
plus grande part, à nombrer celles qui ont efté produites, & aux fiecles
anciens & au noftre, auant l'aage de trente ans, que après; Ouï, en la
nie de mesmes homes sonnant. Ne le puis ie pas dire en tonte surté de celle
de Hannihal, & de Scipion son grand adnersere ? 20
La belle moitié de leur nie, ils h neseurent de la gloire aeqnise en lenr
ieniiesse : graiis homes despnis an pris de tons antres, mais nnllemant au
pris d'eusmesmes. Quant à moy, ie tien pour certain que, depuis cet
aage, & mon efprit & mon corps ont plus diminué qu'augmenté,
& plus reculé que auancé. Il eft pofTible qu'à ceux qui emploient 25
bien le temps, la fcience & l'expérience croifTent auec la vie; mais
Texte 88. — 8) & qu'elles peuucnt tout — 9) aage, là, preuue bien euidente
& certaine de (ii force, ne la donna depuis. Les — lo) naturelles produilent dans
— 18) que celles qui l'ont efté après.
\'ar. ms. — 19) Hi'f cffiici; puis rC-Libli — 2o) SOU gai^ — 2i) leur cagc ih la uiuciit
de — 22) homes lousiours au
LIVRE I, CHAPITRE I.VII. 403
la viuacitc, la promptitude, la fermeté, & autres parties bien plus
noftres, plus importantes & eflentielles, fe tanifTent & s'alani^uifTent.
Vbi iam validis qu.ifiatuni eft viribus aui
Corpus, & obtufis cecideruiit viribus artus,
5 Claudicat ingenium, dclirat lingu;iquc mcnl'quo.
Tantoft c eft le corps qui fe rend le premier à la vieillelTe, par fois
auflî c'eft l'ame; & en ay affez veu qui ont eu la ceruelle affoiblie
auant l'eftomac & les iambes; & d'autant que c'eft vn mal peu ienlîble
à qui le fouffre & d'vne obfcure montre, d'autant eft-ii plus dange-
10 reux. Pour ce coup, 'ic me plains des loix, non pas dequoy elles
nous laifl"ent trop tard à la befongne, mais dequoy elles nous v
employent trop tard. Il me femble que, conlîderant la foiblefle de
noftre vie, & à combien d'efcueils ordinaires & naturels elle eft exposée,
on n'en deuroit pas faire fi grande part à la naifliince, à roilîueté,
I) & à l'apprentiflage.
Texte 88. — 11) tri)p long temps à — 13) efl oppoféc, on
Ei\ DV i>ri:.\iii:k livre.
s
t=}
-4 K *^ s
^ 5 '^ » !<^ i r ^
, 3.
-V,
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^^.
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v: ^ " V — ^
APPENDICE 1.
VARIANTES D'ORTHOGRAPHE
ET DE PONCTUATION.
NOTE DE MONTAIGNE
Sur le verso du titre de l'Exemplaire de Bordeaux Moiuaigin: a écrit, à ditt'éreiites
reprises, les recommandations suivantes pour l'imprimeur.
Les alinéas sont de Montaigne. Les intervalles que nous laissons entre certains
alinéas, marquent les arrêts et les reprises de rédaction que nous indiquent dans le
manuscrit les différences d'encre et d'écriture.
I Mon tic montrer remontrer etc. escriiies les sans /s/ ci la i dif Jeruncc
de monstre momtrueiis
[Cet] home cette famé escriiies le sans jsj a la differâce de c'est c' estait
Ainsi mettes te sans /;//' ijitàd une iiovelle suit et aneq jnj'- si c'est une
côsonàte ainsi marcha ainsiii alla"
. Câ\paigne espaigne gascouigne &c. mette^^ vn /i/ dauàl le /g, corne
a montaigne non pas sans jij campagne espagne
Mette:;^ mon nô tout du long sur chaque face Essais de niichet de
[M onlaiguc lin. /.'
Ne mettei en grande lettre que les noms propres ou au moins' ne
diuersifies pas'' corne en cet exâplere que vu mesnw mol soit làlost en
grande lettre tantost en petite
Ij.1 prose Latine grecque ou autre estrâgiere il la Jaiit mettre parmi la
prose françoise eu caractère différant Les tiers a part et les placer selon
' sans jtij autt
* aiuq jnj aiui'm
■■' Montaigne i dit Ici le contraire Uc ce tiuil voulait dire, mais l'eNeiuplc rectilie l'erreur Je la règle.
' En effet, .i titre deseniple, au v du l' i et au r° du f" 2 portant : ESSAIS DE M. DE MONTA. (l v)
LIVRE PREMIER (2 r) Montaigne efface M. DE MOS'TA. LIVRE PREMIER et écrit au-dessus en
grandes capitales MICHEL DE (i v MONTAIGNE LIV. I. (2 r").
'■ moins ftui qu(
" pas lu
Jcur nature pentainettirs sapbiqucs Les demi uers les comancemâs an
bout de la ligne la fin sur la fin en eet examplere il y a mille finîtes en '
tout cela
Mettes règles régler non pas reigles reigler
Suives l'orthografc antienc
Outre les corrections qui sont en cet exàplaire il y a infinies autres a
faire de quoi [l'i^niprimur se pourra auiser, mais regarder de près' a us
pouints qui sont en ce [sti]le de grande importance
[S']il treuue une mcsnic chose en mesme sens' deus fois qu'il en oste l'une
ou il ucrra qu 'elle sert le moins
[C']est un langage coupé / qu'il n'y espargne les poulets & lettres
maiuscules. Moimesme ai failli [souquant a les oster & a mettre des
conima ou il faloit un poinct.
Qu'il noie e plusieurs lieus ou il y a des parâtheses s'il ne suffira de
distinguer [le'] sens aueq des poincts.
Qu'il mette tout au long les dates & sans chiffre
Qu'il serre les mots autremàt qu'icy les vus ans autres.
' en eela
' tmis ne se Imsarder guiere ans
^ treuue un allesatiô deus
VARIANTES D'ORTHOGRAPHE ET DE PONCTUATION
L'Exemplaire de Bordeaux contient beaucoup de corrections d'orthographe et de
ponctuation. Nous les donnons toutes, sauf la correction de test et de cesie en cet et celle,
qui est constante.
On remarquera que l'emploi des majuscules ou des minuscules, auquel Montaigne
apporte une extrême attention, est en grande partie indépendant des signes de
ponctuation, et forme une ponctuation supplémentaire. On remarquera en outre que
la ponctuation ne joue pas pour Montaigne le rôle qu'elle joue pour nous; elle ne suit
pas le mouvement de la période, elle n'est pas une analyse logique; elle sépare, clic
met en relief les différentes parties de la pensée, parfois contrairement à la construc-
tion de la phrase, et elle indique l'intonation, et non les pauses de la voix.
Nous représentons par des caractères romains , : . les signes de ponctuation
du texte de 1588 que Montaigne n'a pas corrigés; nous représentons par de petits
caractères placés un peu au-dessous de la ligne , . . les signes de ponctuation de ce
texte, qu'il a effacés ; nous représentons enfin par des caractères ég}i'ptiens , : . les
ponctuations manuscrites qu'il a introduites. Une majuscule ou une minuscule italique
en tête d'un mot qui est imprimé en romain « £t, prince», signifie que .Montaigne a,
dans ce mot, remplacé une minuscule initiale par une majuscule ou réciproquement.
Ainsi «l'homme., /l » signifie que le texte de 1588 portait «l'homme : il»; que
Montaigne a effacé les deux-points, les a remplacés par un point, et a substitué dans
le mot « il » une majuscule à une minuscule.
Comme dans le reste de l'ouvrage, le romain représente le texte de 1 588, YiUiliquc,
les additions ou corrections manuscrites.
Le lecteur aura donc ici les ponctuations (ponctuation proprement dite, et majus-
cules ou minuscules initiales) que Montaigne a corrigées sur l'Exemplaire de Bordeaux,
et aussi celles qu'il a substituées définitivement a ces ponctuations supprimées. En
revanche pour les corrections d'orthographe, nous n'inscrivons ici que les leçons
effacées, et non les bonnes leçons puisque celles-ci se trouvent dans le corps du texte.
AV LEGTEVR. = P. i, 1. 2) priuéc.. 7e — 4) gloire : Aies
CHAPITRE I. = P. 3, 1. 3) mercy., — 4) pitié., '/"outcsfois — 6) prince —
7) Guienne,:
P. 4, 1. 6) cholere,» Ex — 7) trois, — 9) /)rince — 10) tuer.j — 11) fuppli-
cation, — 12) poing.. Cette — 15) pnncc — 16) <fuc — 24) aife,« £t —
25) Duc : Ex — 27) ayfement,. Car — 30) effimation : S\
430 APPENDICE J.
P. 5.1. i) Stoiques.. /Is — affligez,: Afais — 3) propos.: Z)'autant — 7) mol-
leffe : D'où — 9) fubicttes,: Mais — 13) admiration, — 14) eftect.. Tefmoin —
Thebain,: — 17) obiections, — 18) fupplications : El — 20) peuple. — 22) main;
Et fe départit l'aflemblée.
P. 6, 1. 5) I" (7 2'' /•;/ — 16) riiomme.. I\ — 21) ;nllc — 25, \"ak. 88) onques. —
25) difficultez,
P. 7, 1. i) merueilleufes,: — • 4) parts -.El — 6) perlbnne. . 7'ii — Betis : /-'ais
— 8) L'autre, — 10) Alexandre, — silence : //-il — 13) gcmifTement : 7{t —
16) Seroit-ce.
CHAPITRE II. = P. y. I. 7) dit, — 8) Cambilcs — 11) terre : Z:"t — 12) conte-
nance : Mais — 16) noftres, Oui
P. 10, 1. i) maifon, El — 2) efperance, El — 3) exemplaire. Comme —
4) accident, El — refolution, — 5) regrets, £n — 7) lecouffe : Mais — 9) hiftoire,
-V'eftoit — 12) amis,: C'eft — r6) Iphigenia, — 18) innocente,: — 19) art.: —
20) couuert, Comme — 21) poêles — 24) malis : Pour — 28) actions : Comme
P. Il, 1. i) mouuemcns, i)e — 4) aife., — 8) iieiis — 16) infupportable. :
P. 12, 1. 6) perfuafious : L'amc — 8) amour.. £t — 10) faifon, £t — 11) e.\-
treme, — 13) mefme.. — 17) vidit, — 22) aife : El — 23) décerne;:; A'ous
P. 1 3, 1. 7) dure; £t
CHAPITRE III. = P. 14, 1. 2) futures, £t — 4) venir.: — 5) erreurs : .Vils
— 7) imprimeni — 10) aduenir,: — 17, Var.) qu'ih
P. 15, 1. 8) mon.. 71s — loix : Ce — 10) fucceffeurs.: Choies -— 13) /irinces
P. 16, 1. 18) prœoeeupatioiif
P. 17, 1. 2) Auuergne : Les — 8) Vérone.. Mais — 10) combat : Alertant —
15; trophée.. A — 17) Corinthiens : El — 22) vie,: — 29) mourant,
P. 18, I. i) EfcolTois,. Comme — 5) ennemis : fftimant — 6) eus — 14) palTées :
Mais — 15) capitaine — 17) refpondit, — 18) enncmv : El — 21) arbre.. Mais
— 27) fmguliere : Mais — 29) percée : C'eft
P. 19, 1. i) garderobbe.. 71 — 3) fut, — 4) Moy, — 5) celle honte.. .S'i —
6) volupté, — 8) couuertes : 7'y — contrainte, — 9) homme.: £t fur tout, —
10) profelFiou : Mais — 18) allié,: — 23) vifitoit, — 25) trouuer, £mplovant
P. 20, 1. i) forte,: £t — content, — 3) meurtre — 5) cefte-cv. D'aller —
12) i» Hoila 2° Foila — 18) cerimonie, £t
P. 21, 1. i) ceux, — 2) refpirans, — fepulture, £t — 3) marbre. — Heureux,
4) fens. par l'infenfibilité, — 13) premntoini
CHAPITRE IV. --^ P. 23. !. 4) prendre,. 7:t — 8) vent : .^uOi — 11) diftance.,
— 15) prinfe : £t
P. 24, 1. 5) blefl'ees, 7;t — 6) fentent.. ^- 11) aduiennent? A — 15) ayme :
Prens — 22) mer, — 25) Athos : £t — 25) paflant : Et
P. 25, I. r,^) s'efcriant,. \'arus — 15) Ibldats : Car — 17) fortune, Comme
CHAPITRE V. — P. 26, 1. \) iours : Z-'ourniU'ant — 5) s'armer : D'oix
P. 27, I. 24) profit, £t
AIM'KXDICI-: 1. 431
P. 28, 1. 5) praticquc : i't — 5) caule, — 8) seigneurs — 9) i:onnc — 10) conte,
11) coftc : Comme — i2,Var. 88) /Honficiir — 14) parlementer : Car — lé) />ar-
lement — 20) \'îllc.. — 24) fort : .-/près — 26) confentit. — 27) ncpueu. —
demandoit..
P. 29, 1. i) l'aflaillani.. 'fefmoing — iheualier — 2) chafteau — (■>) protict, i
Comme — 7) quatriefmc,: — 8) ennemy : .^ — 9) mine. — 12) autriiv,. .Uais
— 15) fairoi — iu!:;er.
CHAPITRE VI. = F. 50, 1. 4, \'ar. 88) /)arlemcni — 5) pièces : Chofe —
6) fiecle,. Mais — 7) reigies : Et — 8) pafle : Encore
P. 31, I. 7) hommes.. Et — 9) délîct, .■alléguant — 10) nuicls : .\/ais —
12) parhiimiil
P. 32, 1. 5) reuanche.: Le /marquis — 10) planiere : Et — 14) cofa., —
16) ils : wiais — aduis. Et — 17) peu : Car — 18) vifteffe,. Mais — 20) cheoir..
Et — 23) Darius.: i"/)oint 2° Point — 24) defrobées : .Walo
CHAPITRE VII. = P. 55, I. i) obligations., /'en — 6) rofc — 8) Duc :
7'outesfois — 12) remarquables -.Et — 13) premier : Jffin — 18) donnée, £t
P. 54, 1. 10) delloyauté.. -Von — 22) ttoJaities
CHAPITRE VIII. = P. 55, I. 2) inutiles, i't — 7) femence : .-/infin —
S) efpris.. S\ — 9) contraigne — 10) imaginations.,
P. 56, 1. i) perd : Car — 6) vie,: — 8) fov : Ce — 10) meur : .\/ais —
13) autruy : Et — 16) rolle, £fperant
CHAPITRE IX. = P. 57, 1. 2) en moy,. £t — 4) communes,. Mais en —
10) mémoire : Et — 12) infenfé,. 71s — 13) marché : .V/ais — tort,. Car
P. 58, 1. i) mémoire,. £t — 5) promeffe.. 71 — aniys.. 71 — 7) malice : £t —
18) court,. Car — 22) pitié,. 7e — 23) amys,. A — 26) bonté,. 5'il
P. 39, 1. 19) mentir : £t difent, — 20) vraye,. £t — 22) confcience,. £t
P. 40, 1. i) desferrent : Par — 5) raflîs : Et — 8) faict,: — 13) l'expérience..
El — defpens, — 15) negotient, Et — 18) quand,. D'où — 19) iaune : A —
20) autre : Et — 23) fouuent : Car — 26) prudence,. Qui
P. 41, I. 10) 1° termes, car 2° termes. Car
P. 42, I. 2) particulières : D'autant — 10) ambaffadeur, Et — 12) montre. Eut
— 13) Empereur,. Oui — 14) penfons : Qui — 18) hifloire,: — 19) mcimes,:
— 21) faict : Que — 24) vifage, Defaduouant
P. 13, 1. 9) raifons,. 7. 'ambaffadeur — 14) Prance,. Et
CHAPITRE X. = P. 44, 1. 4) prefts : 7^es — 7) beau,. S\ — 11) aduocat : Par
— 12) préparer, £t — 13) interruption, Là — 14) lice : Et — 18) rebours, Que
P. 45, I. 4) lieu,. Mais — 5) trauaillé.. De — 9) Prefcheur, £t —
11) Prefcheurs,. A\x — 14) préparer. Et — 17) penfé, Qu'il — 18) diligence.
Qu'il — parlant.. Et — 22) laborieufe : .Si
P. 46, 1. 2) cela,. Qu'elle — 4) félicitée : Elle — 6) prefentes, & fortuites. 1
1° SX 1° S\ — 7) languir.. 7,'agitation — S) difpofition.. Le — 9) moy,. L'oc-
cafion — 11) fonde, — 12) efcripts,. -S'il — 14) i" </;/<■ 2" Que
432 APPENDICE I.
CHAPITRE XI. ;= P. 47, I. 2) crédit : Car — 4) ses — 6) cotilcmpsiiis ; Mais
— 16) ailleurs,. .Votable
P. 48, 1. 5) prefentes.: — 12) remarcable.. Car /ieutenant — 14) frère : Au —
15) faire,: — 21) ruine : Qu'après — 25) party -.A — 25) paflions : Car —
28) fift. : 1° rar 2° Car
P. 30, I. 6) Almanach — 10) rencontre.: 1° ce 2° Ce — certitude,
P. 51, 1. 13) luv, — fonfeil — 14) fienne.,
CHAPITRE XII. = P. 52, 1. 3) menaffent,. Ny — 4) rebours,
P. 53, 1. 3, \'ar.) tout — 19) coup : D'autant — 20) ineuitable,. £t
P. 54, 1. i) arènes.. Lefquels — 8) cane,. Car — 11) difcours : Car —
12) foudaine? Et — 18) treffaille : Ce — 26) sagc^ il
CHAPITRE XIII. = P. 56. 1. 2) reigles — 4) venir.. Foire — 8) foit ; £t —
9) route : £t — 11) offices : Comme — 15) offence : Qu'y — 14) iours : Ce
P. 57, 1. 3) cerimonie — 6) afiigné.. Foyre — 7) affemblée : £t — 8) biais.
Que — 14) 1° cnsuiurc, 2° etisiiiiire : — 18) 1° ciuilité, 2° citiilité :
CHAPITRE XIV. = P. 38, 1. Il) changer,: Et — 14) ennuyeux : Et —
15) bon,. £t
P. 59, 1. 7) tous : Car — 9) iuger.. Mais — 11) compofition : Tel — 22) fa-
cilité.,
P. éo, 1. 6) affeurance, 1° . Qui 2° , qui — 8) ordinaire,: £ftabliflans — 9) peu-
ple : Foire — 15) chatouilleux : L'autre — 22) vie,. Luy
P. 61, 1. i) luy, £t — 13) mefme,: Celuy — 14) s'efcria. Fogue la gallée,. Qui
— 17) tcnoit, £ntre — refpondit-il. : 1° et 2° Et — 19) maladie,. Fous —
20) iambes. : fa 2° A — 21) Dieu, Qui — demanda-il : £t — refpondant, Ce —
22) plait,. Y — 23) replica-il : iJecommandez — 24) toft.. 71
P. 62, 1. 3) fepmaine.. accident — 4) Xantiens,. Lefquels — 7) vie : £n
P. 64, 1. 3) rabatre, : £t — 6) temps, — 12) volontairement,: £t — 13) vie,
Afais — 14) viure, £t — 15) faict 1° : et 2° . £t — 18) feulement 1° : 2° . —
Philofophe, — 19) monftroit — 25) chofes, — 27) cela, El
P. 63, 1. 4) indigence? Que — 3) mal,: — 9) Philofophie.: — 11) parler : £t
— 12) douleur,. Mais — 13) inceffamment : A — s'efcrioit.. Tu — 15) douleur?
71 — 17) propos? Pourquoy — 20) rolle : Nos — 21) iuges., — 24) chatouillent?
£t — • oriaues — 25) efcot, . I\ ■ — 26) tourmente : forcerons
P. 66, 1. 2) inftant., — 11) 1° et 2° Et — 21) cela, — 21, Var. 88) douleur,
P. 67, 1. 2) volontiers.: 1° rar 2° Car — 4) elle. Mais — • 6, Var.) Qu'il —
7) trampe,: — 9) refolution : Où — 10) deffier. : rtuida — 11) dure,. 5ouftenir —
12) midy, .5e — afne, .Se — 13) pièces, £t correction effacée .iv.int que l'encre ne fut sèclic.
— OS,. 5e — 22) menées., — 24) confoler : Que
P. 68, 1. i) trop, £lle — toy : L'vn
P. 69, 1. r) naïfs : 1° & 2° Et — 2) espèce : 1° conte 2° Coiiie — 4) 1° et 2° Et
— 6) dolur. 1° et 2° Et — 13) tefte.. /l — 20) moy : Où — 22) couche, £t
P. 70, 1. 7) vous? 5inon — 8) ventre : £t
APPKNDICK I. 435
P. 71, 1. 7) nionftrer — 12) faifuii : /Je — 13) Cvfar. — 26) beaiiù-., —
29) point
P. 72, I. 2) elles. — 5) nmglées. — colk/, — 4) viuc? Oiiy — 19) affaires
lar — 24) Hendredis
P. 75, 1. 4) religieux, — 10) enchantement.: £t — 12) autruv,. Par —
13) grand, — 28) partie, hardie, — 29) repos, qu'Alexandre,
P. 74, 1. i) Teres — 2) Sitalces — 7) maifons, — 8) inhabitables,: — 9) qui
le font — 14) hyuer.. A''auoit — 15) paille : £t — 17) liure,: Oui — 21) plai-
fant.: Mais — 23) engendrer.. Toutesfois — 24) mortelle,. Pour - avniables,. El
— 25) valeur.: 1° autant 2° voûtant
P. 75, 1. 21) fortuites,. Ex — 26) clofe : .Vfeftant — 27) m'acquilei\. Lequel
P. 76, 1. 2) fatisfaire : £n — 4) payer.. Comme — 5) feruitude,: i" nulfi
2° ^urtî — 6) autruy. i" : 2". — 9) puis.. De — 11) marchander: C'eft —
12) impudence.: i" flpres 2" .4pres — 15) defaduentage. : i" car 2° Car 3° car
4" Car — lé) papier. Qui — i8~) aftres. librement. — 20) horrible, —
21) incertitude,. Et
P. 77, 1. i) collèges — 2) ciel — 5) pas, — certitude, — 5) niifere, —
7) 1° n'y 2° N'y — 9) fraiigilur : Et — 12) point : £t - 15) 1° elUs 2° Elles
— 22) prins. — 23) condition.. .V'eftimant
P. 78, 1. i) ordinaire.. N'v — 4) accident? £t — 6) inconueniens : £t ^
7) infiny,: — 14) prouueu,. £t — 15) cmnU\. ïantoft — chemins, îantoft —
19) efpineux,: — incommunicables,. 7'auois — 23) commodité. — 24) Bion. —
25) poil.. £t — 27) feruice.: c'eft p. 79, 1. i.
P. 79, 1. 2) touchez.. 71 — 3) entamer : £t — 4} cheual, — 8) efpargne : On
— 10) biens., £t — 19) threfor,. 71 - 20) apporter.. Ce — 2O partie,, .-/uec
— 25) threfor, Difant — 26) point., h
P. 80, 1. i) Siracufain, £t — 2) abandon, 7.e — 3) imagination.. Par —
4) vie (/e — 5) reiglée.: C'eft — 6) recepte, Tantoft — 7) l'autre.. Afais —
8) iournée.. £t — 9) ordinaires.: au\ — 12) i'amafle. — 15) emploite. s —
lé) m'augmente,. — 19) auarice,: — 20, V'ar. 88) vieux,. Laquelle
P. 81, 1. 18) chacun,. £t
P. 82, 1. 2) conftitution,. Comme — efchauftent, — 5) noftre.. Laquelle —
4) nourrir : Qui — 5) froideur : A\n(\ — 6) tourment,. A — ~) vin.. La —
luxurieux, £t — 8) oifif : ^infm — 10) mefmes.: — 20) lenitiue. 24) demeu-
rant. — 25) humaine
CHAPITRE XV. = P. 84, 1. i) vertus.: — 2) vice : En 4) bornes.: malaife/
— 13) dedans : £t — 17) raifon : Comme
P. 8), 1. i) Bony,: — 3) lieu. — 4) l'afLullent,: - 6) canons,: - 12) dure :
Comme
CHAPITRE XVI. = P. 86, 1. 8) nous : £t — 10) deffaillance : De —
12) confcience : £t — 14) mefcreans : £t — 15) nduocat - l'uge - 17) coiiardife,
P. 87, 1. i) bataille,, 7.à — 22") armes : £t - 25) entra.:
434 APPENDICE I.
CHAPITRE XVII. = P. 88, 1. 9) fien,. TTftimant — 10) acquife.. refmoing —
12, Var. 88) poote,: Par... vaille.:
P. 89, 1. 15) refte, — 15) efcriuains : Si (de même pour tous les Si de cette phrase).
P. 90, 1. 5) Maçon — 7) nous, Ex. — 12) mots : ^uffi — 18) maiftre,: —
24) party.i — 25) affaires,: — 29) façon, — 32) 1° chacun 2° Chacun
CHAPITRE XVIII. — P. 92, 1. 4) pafTion : ft — 6) raffis, — 7) dure,
P. 95, 1. 1) ville, Et — 7) Reu.: car — 9) pièces, par les aifaillans,. El —
II) brefche, — 13) multitude.. En — 18) premiers., Tantoft — entraue, Comme
— 21) s'enfuyr., — formidat, ; — 24) dit,. S\ — tueray.,
CHAPITRE XIX. = P. 96, 1. 4) propos : Lequel — 6) Solon : Cela —
8) Solon, Que — 11) vie,. Pour — 15) eftat,. 1° ouy 2" Ou\ — 17) Rome : Dos
— 18) Corinthe : D'vn
P. 97, 1. 3) Egj'pte. . Tant — 6) Loches : Mais — 11) bas., — 16) monftrer
— 17) années, JEt — 18) Laberius,. — 22) mal'heur : Et
P. 98, 1. 2) mafque : Ou — 4) contenance,. Ou — 7) monftrer — 8) pot.,
CHAPITRE XX. — P. 100, 1. 4) mort : Ou — 11) arriuée.: car
P. 102, 1. 8) accord, — to) foing. . Tant — neceflité, La — 12) maladie,
Comme — 13) fanté : (2u'auflî — 16) ineuitable. ,
P. 103, 1. i) commis : Durant — 2) plaira., — 6) reducent., i°^enfez 2° Penfez"
— Il) futura.. — 15) vifée : Si — 19) gens, — 22) fentence.: 1" et 2'= £t
— 26) perifrazes.: 1° rtu 2° Au — 27) vefcu.: 1° /^ourueu 2° Pourueu
P. 104, 1. 5) trois., — 7) autant. : cependant — 9) quoy, — Var. 88) autres.:
et ■ — lé) viure : Lt — 18) atteint : Et — 19) gageure, — 20) mors — 22) lefus-
Chrift, : — 23) Alexandre,
P. 105, 1. i) pleurefis — 4) iouant : Et — 7) l'air : L'autre — 8) raifm : J'n
— 10) huis : £t — 15) Papes. Le — Bebius, l'uge — 17) expiré : Et — 18) mefler :
— 19) S. Martin, — 22) bleifure..71 — 23) repofa.,
P. loé, 1. i) reculaffe : Car — 2) aife,: — 3) voudrez., — 8) beau : A/ais —
10) tourmens», crisi, ragei, — 13) heure : Et — 16) coûardife., A/ais —
18) homme., — 22) couure., — 24) caput., «prenons — 25) combattre.. Et —
27) commune., 1° oftons 2° Oftons
P. 107, 1. i) accouftumons le, ATayons — 2) mort : A — 3) vifoges : Au —
4) foudain,. £t — 6) ioye, — 9) allegreffe, — 11) feftins, — chère, — 18) mou-
rir, — 23) triomphe,. Qu'il — ?6) fongecreux.. 71 — 27) mort,: Toire —
28) aage., — 29) ageret., ï° parmy 2° Parmy
P. 108, 1. 5) oreille.: — 9) imaginations.. Afais — lo) doubte : ^Jutrement —
11) frenefie : Car — 18) fin : Lt — 21) repos, — 26) mort.. le
P. 109, 1. 5) eft,: £t — foy.: — 8) furcrois — 10) victoire,: L'autre — 11) en-
fans : L'vn — 13) eftre.: — 22) £t
P. 110, 1. 3, Var.) debout., — é) chous,: — 8) extrémité, — 17) mort : £t
— 18) condition.: — 22) parco, — 23) coma — 26) bouche.: 1° et 2° £t
P. III, 1. i) hommes,: — 9) là : Laiffez — 10) auantage : £t — 12) plus.:
Nature — main, — 14) craindre -.Si — 15, Var. 88) l'édition de 1588 porte auennes,
APPExniCE I. 453
— 17) fieure.. D'autant — 26) fenties : L'alegrclTe
P. 112, 1. 5) efpaules.. /'efpere — 14) changement : Mais — 16) £t correction
cflFacce avant que l'encre ne fut sèche. — appriuoife,. Si — 17) fccouire., — 18) dure., —
19) vieille(Tc. . D'autant — 25) amc. : il — 24, Var. 88) aife,
P. II}, 1. 2) elle., — 7) concupifcences,» — 9) pourra : C'eft — 11) fers.,
18) appelle, Car — 19) regrettée : £t — 20, \'ar. 88) pas,
P. 114, 1. 2i) vniucrs, C'eft — 22) monde.,
P. 115, 1. i) chofes? C'eft — 5) viure., — 16) fatisfaict.,
P. n6, I. i) veu.. Vn — 4) arrierc-nepueux : £t au (1. 7) — 10) ieu.. h —
II) recomencer,. Ce — mefme., — 14) pafte-temps., — 21) mort : C'eft pour
néant,: AvlGx — 25) nourrifle.,
P. 117,1. 2) mefcontentement., — 5) te, — 4) peremptum, — 6) tant., —
10, \'ar. 88) rien., — 15) heure,. Ce — 17) plus., — 24) cefte.i
P. 118, 1. 6) Mourez.:
P. 119, 1. 18) plcurars : El — 22) qu'elle : /'ne
P. 120, 1. 2) perfonnes. : ofté
CHAPITRE XXI. =r P. 121. 1. 2) imagination,. Chacun
P. 122, 1. 7) remettre : £t — 9) bourreau,. £t — 12) imaginations, £t —
I)) defirs., — 20) mémorable,. Lequel
P. 123, 1. i) d'autres, — 3) mère., — 5) Françoys, — 6) Germain, —
10) produifirent,: — 14) fréquent : Car — 19) imagination,
P. 124, 1. 2^) seiitimaiit 1° : 2° , — 6, ^'AR. 88) refiftance.: 1° on 2" On —
8, \'ar. 88) plein, — 14) compagnon, — lé) occafion,: — 18) rechoir i" , 2'> :
— 20) resueric 1° , c'est 1° . C'est
P. 125, 1. 5) prenantes.:
P. 126, 1. 14) moi
P. 127, 1. 16) allarmcs, — aifement : £t — 18) afpres,:
P. 130, 1. 8) imagination, — lo) chofes, — 16) l'opération : £t — 19) men-
fongiere : D'auoir — 22) mal : .-apportez — 25) accouftumées : 5ouuent —
24) chauds.. Le
P. 151,1. 22) l'imagination.. Tefmoing — 24) maiftres : A'ous — 25) debatre :
.\/ais — 27) chofe,. Que — 29) autruy : £t
P. 132, 1. 9) veuë,: — 11) nuifans., — 14) expérience, — 15) fantafies,
refmoing — 20) mefmes,. Tefmoing
P. 133, 1. 2) preiis.. Les — 4) l'expérience,: Chacun — exemples,: £t —
8) moiiiienicnl
P. 134, 1. 4) iuge : 1° et 2° Et — 14) iiaille 1° s ignorant 2° . Ignorant
CHAPITRE XXII. — P. 136, 1. 2) police : Car — 4) autre.,
CHAPITRE XXm. = P. 157, 1. 14) art : £t — 15) poifon : £t — 16) arai-
gnées : £t
P. 138, 1. 7) sens 1° il 2" . //
P. 140,1. 18) col,
P. 141, 1. 18) nous : i" que 2" Que — 19) tout — 27) ses
436 APPENDICH I.
F. 1^2, 1. 5) inonlbcnt — 7) ailleurs. — 10) ailleurs, — 14) marie.
F. 145, 1. 4) remarier, — 20) démons., — 24) principaux,:
F. 144, 1. 14) teiiii.<: — 17) terre.. — 22) efloingné, — 28) herbes, —
30) foyent,
P. 145, 1. 2), \'ar. 88) mefpriféc,: — aliegreffe.. Ex
P. 146, 1. 14) > i°c/ 2° Et
P. 147, 1.18) adresses
P. 148, 1. 9) cliofes, — 14) nous..
F. 149, 1. 14) arraché, — 19) achapts,
P. 150, I. 14) nobleffe, — 15) venge, — 16) capitale» i — 17) defhonnore.,
— 18) loix.. Et — 19 à 23) L'édition de 1588 met deux-points là où nous mettons point-virgule.
M.tis une virgule .lyant étù laissée p.ir erreur .iprès vaillance et après force, Montaigne a corrigé
la faute en y substituant deux-points. — 23) partaige — 26) Originelle., — 27) autres,
F. 151, 1. 9) feruice, — lo) vie, — 13) eft., — 16) receue, — 18) enfemble,
23) chacun, — 27) mieux,
P. 152, 1. 3) porte,: — 6) apparence, que par accident, — 7) engendré,: —
14) ans,
P. 153, 1. i) cntreprilcs -.Ex — 5) doux, — 5) créances,. Honefta — 12) poix
P. 154, 1. 5) progrez, — 7) innocent, — S) anneees (faute d'impression.) —
10) dire, — 13) face,
P. 155, 1. 17) fçache,
P. 156, 1. 5) s'introduire, — par tout. — 6) reigle. — 16) Calon, — 20) tefl:e,
— 25) heures : Et — 26) calendrier: 1° et 2° £t
P. 157, 1. 5) ambafnideurs, — 9) Philopaîmen.
CHAPITRE XXIV. ::= P. 159, 1. 24) Cinna,:
F. 160, 1. lé) Cœpio.: commence — 18) /y,:
P. 161, I. 4) efcrié, — 14) Qucv, — que à — 21) vie,
F. 162, 1. 6) appelions (faute d'impression).
F. 165, 1. 15) perfuafions, : Qu'il
P. ié6, 1. Il) monflrant — 14) paroles,: — 25) vaiJle.. C'ert
P. 167, 1. 2) furieux : Pour — 3) eftoit., — 5) tué.. Mais — • 9) remontrant.:
— 18) perfonage : La — 21) pœininucc 1° cherchant 2° Cherchant
P. 168, 1. 2) ou, — 23) fortune.: car — 24) tout,
P. 169,1. 28, V.AR. 88) hardy^,
P. 170, I. 2) remède.. Mms
CHAPITRE XXV. = P. 171. I. i) enfance. — 2) badin, £t — 7) fçauoir :
D'autant — 15) ancienne : Car
F. 172, 1. i) efueillée, 7;t — 12) defuiefler,. Et — 14) remplit, Et
P. 173, 1. 18) vfage : Ceux-cy
P. 174, 1. 10) manufacture,:
P. 175, 1. 4) expérience,: — 13) fciences : Et
P. 176,1. 15) plus,: — 17) contes,:
P. 177, 1. 15) tout.. 71 — 26) Cicero. . /e
APPENDICK I. 45 j
P. 178) 1. 2) lageire., — 17) befongnc, fout
P. 179, 1. 6) satisfisceiit — lé) enpetrant — 17) accommode : /Is — 18) malade..
/Is — 20) caule. . /Is
P. 180,1. i) faifoit, Et — 2") robe,: — 14) neain,: Ex — 18) vCage.: —
21) fortes..
P. 181, 1. 2) ftile : ift — 5) iugemcin.. Cette — 12) incorporer,: — 15) teindre.:
— 14) là,.C"eft— 18) lames,: At — 21) lettres,: — 22) mieux,: — 26) lettres,:
— 28) Roys : £t
P. 184, 1. 4) gitte — 14) leçon.:
P. 185, I. 21) refpondirent, — 26) l'oit,: — 27) sacrâtes
CHAPITRE XXVI. — P. 1S7, 1. 2) laiflaift — auoùer.. .Von
P. iSS, 1. 8) papier i" t a 2° . A 5" . a — 10) inclination : Car - 13) charge :
Afes — 17) chopant : £t — 20) dçfmeler : Fi
P. 189, 1. 3) imagination.: a — 9) moy : £t — 15) contraire.: Car
P. 190, 1. i) paflage.. /'auois — 3) nues : Si — 7) excufable : Celloit —
8) monde : De
P. 191, 1. 21) opinions : le — 22) croire : le
P. 192, 1. 6) viendra : Outre — 8) touche.. .V/ais — 19) obfcure,: —
25) monftrent — 26) naturelles : D'où
P. 193, 1. Il) peuple,: — 15) dialectique,: — appel,: — 16) lettrée : Car —
18) defcendus : £t — 21) fiecles.. 7e — 22) vfagc : C'eft
P. 194^ 1- 15) partie,: — 16, \'aR.) Montaigne avant J'efl'accr celte v.iriante corrige
monftrant en montrant
P. 195, I. 8) Qu'il — i)) auallée : L'crtomac — 17, \"ar. 88) dire : Leur —
18) crédit,: — 21, Var. 88) allures : Leur — 24) reigle
P. 196, 1. 7) Epicuriens : Qu'on — 8) peut,: — 9) double., — 16) préceptes :
L't qu'il oblie — 22) mariolaine : ^^infi — 24) iugement : 6on
P. 198, 1. 1) fuftifant : La — 4) eftrangers, . .Yon — 12) enfance : £t —
17) parents : Cette — 18) fages. . /Is — 19) hasardeusemail.. /Is — 23) icuneffe, :
— médecine.,
P. 199, 1. 19) puis, — 23) vice. Qu'au
P. 200, 1. 3) acquife : A — 4) prefence.. Car — 6) i" et 2° Et — 16) luitc : £t
— 20 apperceura : Soit — '23) prefcript, : 71 — 24) appreuue, . Ny
P. 201, 1. 21) corriger : 1° abandoner 2" Abandoner — 23) tout : Car
P. 202, 1. 2) chacun,: — 3) partant,: — 4) mefnage : La — 9) chofes.. Tout
— 10) verra : Vn — 11) Charlemaignc.. — 13) ferat,. — 24) charge.. £t —
27) là : Qu'il
P. 203, 1. 5) eftandus, — 7) befongne.. A/ais — fmiplement.. /l — S) plaift,: —
15) pas,: — difcours,. C'eft — 16) briefueté : 5ans — 19) fçauoir,: — 20) dire.:
P. 204, 1. 3) ville,: — 4) humain : -Von — 9) collet : 5ans — 14) orage : £t
— 21) variété.: — 22) tres-delicate, : — 28) noftres,:
P. 203, 1. Il) monde : y^infi — 19) philofophie,: — 20) dira., — 25) gigni-
mur : i» i/ue 2" Que — 26) eftude, : Que — 27) iuftice : Ce
438 APPENDICE I.
P. 206, 1. 2) libertc : A — contentement : /ufques — 3) honte.: — 4) laborem.:
I» çuel 2° Quel — 8) fens,. Qui — 9) viure.i — 19) 1° icelles : 2°icelles; —
21) !/iucndi — 25) a;uum.. — 24) enfans., — 26) aqua., /a
P. 207, I. 2) propres., — 8) ahiii i" cstiinl 2° Estant — 12) Rhétorique : El —
2)) cfprit : En
P. 20S, 1. 6) terrible : Oui — 9) temps.. Fne — 12) dit,. Ou — 14) refpondit :
C'eft — 17) fcience. . Mais — 20) contriftcr. : — 25) corps : £lle — 26) aife :
Doit
P. 209, 1. 3) enfumes, Ce — elle,: — 4) dire». — 5) rire.. Won
P. 211, 1. 13) /vr((/;/« : i" et 2° Et
P. 212, 1. i) craindre -.Et — 8) ccrtum, milerifque, — 15) garçoii^^ /c —
13) d'efcole. . /e — 20) rent — 25) Ny
P. 21}, 1. i) conceuë, : — é) compagnie — 7) eftude : Car — 10) refpondre :
I\ — 12) faire : Car — 16) fciences. . Mais -^ 19) ieux : £t — 22) falutaires.:
— 25) autres.. Mais
P. 214, 1. 4) eftude : La — lé) cruauté : Oftez — 18) née,: Si — 19) pas :
fndurcifTez — 21) mefprifer : Oftez — 22) tout : Que
P. 2ié, 1. 5) harquebufades,: — 6) fouris,: — 14) couftumcs : El — 16) com-
paignies, . Foire — 22) prince : /e — 23) compagnons,: Ex
P. 217, 1. i) Allemagne.. I\ — 6) (iinté,. 5urpaflant — 8) Lacedemoniene, : —
9) lonië.,
P. 218, 1. 10) poilîbn, — 17) gens,: — 24) claufes,. /incores — 25) parties,. Et
P. 219, 1. 3) l'autre.. Plus — 5) La Rochefoucaut. . Vn — 6) luy, Luy —
8_) plaifamment,. 71 — 16) euidence : C'eft — 17) cela? Ce — 20) dehors : i» j'is
2" /Is — mefmes : Et — 25) muet.,
P. 220, 1. 2) grammaire.: — 9) naifue : Ces — 11) ferme,: — monftrc —
14) Policrates : ^pres — 15) refpondit : Quant — 17) vieux — 20) fabrique,: Le
— 22) faueur : Mais — 25) mots : Seigneurs
P. 221, 1. 4) verfus,. — 13) main : Llle — 18) eux 1° t plus 2° .Plus —
19) poètes : Mais — 22) mais, que fera-ii, — 24) i" (pi'il s'en moque : il 2° Qu'il
s'en moque. Il
P. 222, 1. 5, Wr. 88) finiffe — 19) bouche : Fn — 22) Pluftoft — que
cnnuieus,. Efloingné — affectation; Defreglé — 23) hardy : Chaque — corps : Non
P. 223, 1. 2) veftemens,. 1° un 2° Vn — 4) l'art : Mais — 7) i" et 2° Et —
10) paroiffeut (faute d'impression).. Tout
P. 224, 1. 7) langage : Ceux-cy — 15) commerce : C'eft — i8) moymefmes,.
5"en — 21) vfage : Lt
P. 225, 1. 6) premier : Ceux-cy — 11) fit.. Mon — 12) l'entendre,: — neceflité,
Comme — 15) autour,: - — 18) Arabefque : Lt — 20) fçauoit : Car — 23) Fran-
çois,:
P. 226, 1. 3) mienne : Car - — 7) art, Mais — 8) d'exercice : Nous — 9) déclinai-
fons I", 2" : — 12) forcée, — 13) contrainte,: /e — 15) tandre — 23) caufc,
Le — 24) incommode : Car — 27) bien, Lt
P. 227, 1. 3) mcnoit : L'apprehenfion — tardiue : L'inuention laehe : Et —
APPENDICE I. 459
5) Secondement,* — 10) grues,» — 12) d'Italie : El — 16) nourriture,: —
17) collèges.. Afais — iS) incontinent,» — 19) vfage, Fa — 21) classes : Car —
25) Ouidc.: 1° CAT 2° Car
P. 228, I. 2) matière : Car — 10) l'jEneide, — 14) iiigfiiieusciiicnt^. Faifant —
18) complexion : AxifCi — 21) inutile : On
P. 229, 1. 16) 1° conessoil, 2° cotiessoit t — 19) enfance.: /'ne — 21) aage, —
22) annus,
P. 250, 1. 5) dignité.» 1°*;;; 2° En — 5) France,» £t — 6) me loue (ûme dim-
pression). — 7) maifon,» El — 14) efbattcmens, s £t — 15) valent,» — 18) ieux :
La — augmente, i El — 20) magiftrat, » El
P. 231, 1. i) I" et qu'ans 2° Et qu'ans — destines — 5) propos, 71 — 4) liures :
On — 6) fcience,»
CïIAPITRE XXVU. = P. 232, 1. 2) perfuader : Car — 4) anie,s — 7) l'amc
et plus — 1 2) vray-femblable : Qui
P. 235, 1. 5) Theffala, il — 7) mefme : Non — 8) curiofité : Mais — 12) na-
ture : £t — 19) eftrangeté., — 23) autres.,
P. 234, 1. 2) rOcean,. £t — 4) genre., — 17) fufpens : Car — 27) moquer : £t
P. 235, 1. 8) perdue : £t — 9) l'accident : Dirons — 12) ieu,» — 13) vanité,»
— 15) nous,. Toutesfois — 18) dens — 19) Hilaire : Pafle — 20) contredire,.
Afais — 23) veùe.. Fae — 25) fit.. — 28) guéri.. Tne
P. 25e, 1. i) veuë, — perdue » £t — 4) recors : Scn ce — 18) créance.. 71 —
25) difpenfer : Ce
P. 257, 1. 2) treffolide,»
CHAPITRE XXVIU. = P. 258, 1. 4) fuftifance,» £t — 11) partie : Car —
15) VoLOXTAiRE : A/ais
P. 239, 1. 8) antiquité : Car — 22) pareilles,
P. 240, 1. 8) refpect. L'amitié — 10) nature : Car — 15) pères,» — 18, Var. 88)
l'autre : L'amitié — 19) naturelle,» — Aristippus 1° , 2» » — 23) frère,» le
P. 241, I. 3) alliance : Mais — é) fraternelle.. Les — 11) auflï : Ceft —
14) volontaire : £t — 17) eftre, .4yant — 20) fraternelle., — 25) confeffe, «eque
— 27) amaritiem,
P. 242, I. 12) s'alanguift : La — 20) iamais : La — 22) cy. — 25) vouloir,»
£t — 27) affection.. Là
P. 243, 1. 2) couture : Ny — 7) comble.. Mais
P. 245, 1. 10) retOUruent (faute d'impression). — I2) /îOV — I9) 1° et 2° Et —
21) obliges — 26) perde
P. 246, I. 15) luy,: & — 17) Blofius : Mais — 18) Lœlius : i'y — 21) con-
fefTion., £t — 23) myftere., £t — 24) pas, — 25, Var. 88) connoiflance., £t
P. 247, 1. 8) façon : 5i — 9) l'accordaffe. , Car — 14) mien., vifucune —
24) genre., — règles,» — 25) tromperoit.. /l — 26) précaution : La — 27) Aymes
— 28) haïr,»
P. 248, 1. 6) compte : Cette — 7) caufe.. Car — 8) porte, — 12) deuoirs, El
— 13) différence,» — 19) refemblance — 20) femme,. Foulant
440 APPENDICE I.
P. 249, 1. 2) monltrur — 5) Corinthien : Tenant — 8) pourra.: et — lo) mo-
quèrent., — 19) amis : Car — 20) indiuifible : Chacun — 21) ailleurs : Au
rebours, — 23) communes, — 24) départir. On — 26) refte : Mais
P. 250, I. 13) difois : Car — 14) befoin.. 71 — lé) monftre
P. 251, 1. 13) 1° au 2° An — 18) luy-mefme_: — 20) action.. 7e — 22) vlage,
P. 252, 1. 3) ay : Et — poinct, — 7) amy.. 71 — 8) tafté : Car — 1 1) d'efprit,
^)-ant — 12) d'autres, ^i — 19) languiffant, i Et
P. 255, 1. 8) dire_: ~ 9) moy : Car
P. 254, 1. 3) actions : 7c — 7) efcriuoit., — 8) iouant. : 7^t — 9) Sarlac.s —
raifon : Mais — 14) temps : 71 — 15) d'auantage.. 71
CHAPITRE XXX. = P. 257, 1. 6) parolles.: — 11) diuine,:
P. 258. 1. 23) autres : Ou'il — 24) immodérée : Car
P. 239. 1. Il) obferuée : Ex — 18) mariage,: Foila — 20) feuerité : Ce
P. 260, 1. 22) faueur, :
P. 261, 1. 9) efcient., — 10) l'homme? A — 26) cela.. Afais
P. 262, 1. 2) poignante.. El — é) rauilerent. — 14) Tvlage : 71 — 15) guérir :
Ex (correction eft'acée).
P. 263, 1. 6) Merico — Fernaud — 9) ciel,: — 21) débonnaire.
CHAPITRE XXXI. = P. 265, 1. 2) capacité : .Vous — iS) Italie.. — 21) foret.,
24) d'entre-deux.,
P. 266, 1. 14) gaigné,: El — 15) baftimens,:
P. 267, 1. 20) l'Hiftoire : ;ls — 23) collé la, — 27) cela. — 31) narration,
P. 268, 1. i) priuilege,
• P. 269, 1. 2) entreprinfes.. i;t — 13) façon.
P. 270, I. 14) perfection.:
P. 271, 1. 16) pain, — 17) confit.: l'en
P. 272, 1. 18) articles, — 25) cette, caufe, — 24) mefconté,
P. 273, 1. 15) cognoiffans. : /Is — 18) niefme,: — 22) Scythes,: — 23) ven-
geance. . £t
P. 275, 1. 6 ncceflaires.. — 8) point. — 10) généralement. — 11) enfans, —
deffoubs,: — 26) inuincible. : i\
■ P. 27e, 1. 13) noftres : C'eft — 18) fortune, — 21) homme.
P. 277, 1. i) conriLot, si... pngnat. Qm — 4) l'ame, — 25) 1° car 1" Cm
P. 279, 1. 18) fens : couleuure — 22) chanfon.: or
P. 280, 1. 10) chofes, — 16) commander : .secondement — 17) langage, telle,
CHAPITRE XXXII. = P. 282, 1. i) inconnues,. D'autant — 2) crédit,: —
9) moins,: — 10) fables,:
P. 283, 1. 18) foy.. Comme — 22) party..
CHAPITRE XXXIU. = P. 283, 1. 8) a9).iwt.:
P. 286, 1. 14) aduerti, — 21) ineftimable.. Son — 27) monilra
CHAPITRE XXXIV. = P. 288, !. 2) vifages,: — 9) Pape,: — u) tour,:
P. 289. 1. 3) prifonnier,: — 17) diuine : Ex
ApPEXDici-; I. 441
p. 290, 1. 2) las, — 17) pou>6vtT«., Iz
P. 291, I. 8) finguliere.: — 11) Tyran,: — 13) mortels., — i.j) plavcs, —
15) eftat,: — 18) amoureufement,
CHAPITRE XXXV. — P. 292, 1. 5) comme,: — 8) ouurier.:
P. 295, 1. 5) fortune,
C2LAPITRE XXXVI. = P. 295, 1. 8) oreillei 1° a 2" .4 — 17) qui.
P. 296, 1. 10) Haiinibal..
P. 297, 1. 10) prez., — 15) desfaicls,:
CHAPITRE XXXVU. = P. 299, 1. 3) fntcl : 1° et 2° El — 4) nie : i" cl 2» Et
— 7) modelh 1° pour 2° . Pour
P. 300, 1. 8) héroïques: Cetl — 9) eftre, : — 10) corruption : C'ell — 14) dire,
Et
P. 501, 1. i) vertueufe : Celles — 2) l'elTence : Car — 7) vertu : 1\ — 17) le
prins — 21) meurs., /e — temps, — 24) vaines : Grande — 25) fubtilité.. Qu'on
P. 302, I. lé) conceuoir. — naïfue. «v dressée a cela. Comme — 18) Ca;far :
Dequoy — 19) raifon : £t — 23) monftrer — 24) atteindre.. A/ais
P. 503, 1. i) argument., /c — 3) Caton,. — 4) iiicidaut — 26) formes i" non
2° . Non
P. 304, 1. 6) l'vn,. — 8) l'autre.. £t l'autre. — 11) Cœfar., — 14) chœur, —
15) peinture. — manière.,
CHAPITRE XXXVIII. = P. 305. 1. 10) trefpafle. — 11) foudain,
P. 506, 1. 2) autre, /utùmque
P. 307, 1. i) force, — 10) i'aye, : — imprécations,: — 11) volontiers,: —
25) l'entre deux., — 28) lumen,:
P. 308. 1. 12) victoire.: — 19) efchappe., — 22) vlla.
CHAPITRE XXXIX. = P. 309, 1. i) l'actiue : £t — 8) monftrcnt — 9) Ibli-
tude, Car — 12) Biais — 15) portas, — Xili., — 16) preffc.: — 17) haïr.. 7bus
P. 310, 1. 4) soit — r6) veue. . /l
P. 311, 1. 2) chemin : 5ouuent — 3) changez.. Il — 5) entier : Ou — toute :
£t — 9) vie., — 15) contrée., — 14) equidem — 17) démeflent., — r8) haret
— lïetalis — 20) voyage.. le — foy. 1° , 2° : — 25) dauantage. Comme
P. 312, 1. i) raflifes : Fous — 2) place,: Fous — 3) remuant : Comme —
10) calena;.: 1° «ous 2° A'ous — 11) nous : Ce — 23) foy : C'eft — 27) nous :
Defprenons — 28) autruy : Gaignons
P. 513, 1. 6) dommage. 71 — 25) place : Difcourir
P. 514, 1. Il) eux? Pour — 17) fage? .VuUes — 19) vie, — 21) vfage..
iVoftre — 25) amis.,
P. 515,1. 4) vie: Ramenons — 10) fortes., — 11) cela.. — 13) efcorcher,
— 14) monde, — 25) i" si 2° Si
P. 316, 1. 5) confeil,: — 9) plaifantes, Afais — 10) fondement : Ce — 11) veu-
lent : Pourquov — 16) douleur : Ceux — 27) auant, 71
442 APPENDICE I.
P. 317,1. 2) attaindre.. Tout — 14) patience : Ex — 13) vigueur^: Ou —
24) faire : £t
P. 318, 1. i) chacun : Le — 2) l'aiment, — 5) Salufte : EWz — 6) Cyrus : i't
— 8) tout_: — 9) d'autres., — lé) tienne.. Il — réputation : D'vne — 19) im-
mortelle.:
P. 319, 1. 3) puissance : 1° l'ame 2° L'amc — 5) eterncUe : i" la 2" La —
13) contente.: «ous — 17) prend : Ceft — 24) Philiftas : £t — 25) boire,. Mais
28) les, . /e
P. 320, 1. 8) porte_. Et — 10) humeur, — 21) chatouillent,: ■ — 22) mort.:
— 26) vigoureufe : A/oy
P. 321, 1. i) corporelles : Et — 10) compte : La. — 11) l'ambition : La —
12) gifte : A — 14) iamais.: — 18) grain : A/ettons — 23) port.. T'eus —
24) l'ombre.. 71 — 26) gloire.. 71 — 28) tanière : Quitez
P. 322, 1. i) d'autruv : 7:t — 3) mefrae : Jouuienne — 5) gens : Len —
6) vn. . 71 — 8) peuple ; Ceft — 10) cachette.. 71 — 11) tanière : Ce —
13) mefmes : i?etirez — 14) receuoir : Ce — 15) gouuerner. . 71 — 16) compa-
gnie : 7ufques — 21) intentions : Si — 22) train.. 71s — 25) plaire : Lt
CHAPITRE XL. = P. 323, 1. i) couples.. 71 — 4) ambitieufe : TTntre —
5) regiftres : £t — 7) hiftoires : Mais — 10) amis : En
P. 324, 1. 2) efcris.. 71s — 3) faire,. Et — 6) Afriquain : Car — 8) mefme,. On
— 12) louables,. Lt — 13) principales : Comme — 15) bague : Ces — lé) pro-
pres : J — 18) guerre : De — 23) ce recomandant
P. 325, 1. 14) muficiens, ATas — 16) art, 7a — 20) manière : TTt — 26) hngadcQ')
- P. 32e, 1. 19) philofophes : Car — 20) amis,. Afais — 22) autruy : Car —
23) renommée, — 25) appeller, :
P. 327, 1. 4) différence,: — 6) cadence,: — 7) fapience, : — 9) dire., —
10) chofes : 51 — lé) lendemain.. 71 • — 27) priué.. Mais
P. 328, 1. i) langue.. Trop — 7:t — 2) cerimonieufes — 3) courtoifes.. 7e —
4) feruice.. 7e — 5) crois : Ceft — 7) prefentations : La — 11) flateur, Qui faict,
— 12) tire, — 13, \'ar. 88) die,: £t — 24) Italiens., L'en — 25) volumes : Celles
P. 329, 1. 7) autre, Car — 8) iamais : 7'ay — 10) marge.. Celles — 11) moins.:
1° depuis 2° 7)epuis — 14) matière.. Comme — 20) defchargc.. Comme —
22) finance.. 1° /ant 2° Tât
CHAPITRE XLI. = P. 330, 1. 2) gloire, Que — 12) autre : Ceft — 14) 71
— 15) vanité.,
P. 332, 1. 7) Romme, — communément, ■ — 9) promouuent — 11) Spartes, —
26) blesser i": 2°;
CHAPITRE XLII. = P. 333, 1. u) merueille,
P. 334, 1. 10) poche -.Si — 12) defcouuert : Ou — 23) monftre — 24) (ienncs..
— 26) cherchez, — guaine : Fous — 27) defpouillé.. 71
P. 335, 1- i) ancien., Sçauez — 3) patins : La — 4) efchaces : Qu'il — $) che-
mife : \" a 2° A — allègre? Qu'elle (faute d'impression). — 6) il? cft — 7) autruy? l.\
— 11) il. — 17) fortuna.: un — 19) foy, — 22) «on
APPENDICE I. 44',
P. îj6, 1. 5) repoussent j — 8) difparité.:
P. 557, 1. 6) volantes : £t — 7) armées., — 14) ils? Quand — 18) colique.»
— 24) plaie.: Et — 26) pocte,
P. 338, I. 4) rabiller.s — 6) fiât., i/uoi — 12) fauourer : C'cft — 15) heureux.:
20) hebeté,:
P. 559, 1. 2) monde : 1° a 20 A — 4) auro., — 7) dents, — 11) pipcrie.:
i^ oui 2° Oui — 17) doux.: — 20) guider,: — 22) quietum, — 25) velle..
P. 340, 1. i) dauantage,: — 5) priuez,, — 4) trouuons. , — 8) mufiquc? h —
17) populaire., — 20) cœnœ, — oftro,
P. 541, 1. 5) faute., car — ii) plus, — 15) penfces,: — luger — 15) alFifes.,
— 18) fien :
P. 342, 1. 10) imaginaires : Chaque — 13) auant, — 17) valets,: — 19) Perle,:
22) vie.. La
P. 343, 1. 3) moy. : — 10) lucceireurs.. Si — 11) affection : Pourquoy —
15) moy., — lé) difproportion.. 71s — 17) Tout — 18) fard,: Leur — 19) eux.,
— 20 moy»
P. 344, 1. 7) arbres, — 10) Anacharfis. — feroit, — 22) eftat? /lourquoy —
28) propos.,
CHAPITRE XLIII. = P. 345, 1. 16) apparente : C'eft
P. 546, 1. 4) tiilh\. Elles — 12) moins, (faute d'impression). — ordonnance,:
P. 347, 1. 2) court.. Qu'ils — 3) occultes^z — 14) vitieufes.,
CHAPITRE XLIV. = P. 349, 1. 4) quitter, aufli,
CHAPITRE XL V. = P. 353, 1. 12) vaillance.: — monftrer — 14) bleffeS —
20) monrtrant
CHAPITRE XLVI. = P. 355, 1. 8) volontiers.: — 11) droit,
P. 356, 1. 12) par une faute d'impression visible, le texte de 1588 donne niagnificncé.
Montaigne efface l'accent sans rétablir le C. — 2o) eftrangeté.. /'ay — 23) Vallemontanus,
P. 357, 1. 8) tige : El
P. 358, 1. 5) famille.: — 21) prjemia, il
P. 359, 1. lé) aduentagent.,
P. 360, 1. 5) Toutesfois.
CHAPITRE XLVII ('). = P. 361, 1. 5) ventura, qui — 15) dauantage, —
16) fus? ^uell'efperance
P. 362, 1. 10) vaincre., — 12) contrairei, — infatiable, — 27) ncceflité.,
P. 363, 1. 3) Clodomite (faute d'impression). — 22,\'.\R. 88) ainfi.: /es — 25) armée?
5'ils — 24) mon, — 25) fiens,
P. 364, l. 2) raifon.: car — 11) faire., — 28) party.. L'accident
P. 365, 1. 2) inconuenient, — 14) courfe., — 25) ordonnance..
' Ce chapitre dans les éditions publiées du vivant de Montaigne est divisé en alinéas. C'est le seul
qui présente cette particularité.
444 APPENDICE I.
P. 366, 1. 4) coy.. — 16) guerre., — 29) rcnnemv.: rar
P. 567, 1. lé) Italie. — 17) print : Mais — 25) dépendent. — 24) fortune..
CHAPITRE XL VIII. = P. 370, 1. 5) cousteillier
P. 371, 1. 17) cheual, — 23, Var. 88) fuite : Mais
P. 372, 1. Il) cheual,: — confequence,: — 12) lâche_: — 13) refpondre, . -■/
15) cheual., — 21) peut.. Comme — 28) ventis,:
P. 374, 1. 12) aiigiiis — 18) cofté, — 20) Piccards — 22) Suéde : .-fux
P. 375, 1. i) vfent., — 6) bride.,
P. 576, 1. 18) nature. . aucuns
P. 377, 1. 4) ces — 16) Ambaffadeurs ; — 26) coiilrciiis — 27) sou
P. 378, 1. 12) Dahas,: — 26) selle,. El
P. 379, 1. 7) clouées.:
CHAPITRE XLIX. = P. 380, 1. 1) peuple, — 4) arreft,
P. 381, 1. 16) lors, — 22) mains,: — 26) fimplicité, — 27) parfumoyent,
P. 382, 1. 9) temps., — 15) Vénitiens.,
P. 383, 1. 9) paflans., — 24) poste : Le
P. 384, I. 23) mefme, — 24) oindre.,
P. 385, 1. 3) port., — 3) Tota — 12) aulfi.,
CHAPITRE L. = P. 38e, 1. 4) loing, £t — 5) riue,: El — 12) meilleure.,
P. 387, 1. i) argument^: 71s — bons : £t — 2, \'ar. 88) volentiers corrigé en
volontiers — 6) sçai — eimc — 9) 1° eschaiitilloiis 2" Eschaiilillons — 15) Cette
P. 388, I. 2) amoureufes. . On — 22) Alexaiide
• P. 389, 1. 15) larmes.,
CHAPITRE LI. = P. 391, 1. 2) grandes.: t'eft — 16) orateurs,:
P. 392, 1. 10) médecine : £n — 18) 1° contre 2" Contre — 21) 1° les 2° Les
P. 593, 1. 8) raifon,: — 12) mot, — 19) fauces,: — 25) confiderations. ,
P. 394, 1. 9) iEmilius, — 14) corniches, — 20) pellegrin, : — 27) femble,
CHAPITRE LU. — P. 396, 1. 16) mefmc : 71
P. 397, 1. 5) demy, par iour,
CHAPITRE LUI. = P. 598. 1. 12) accord.:
P. 399, 1. 3) dcfreglée.,
CHAPITRE LIV. = P. 400, 1. 5) entiers, de vers, — 14) phiifomment,
P. 401, I. 8) moyennes,
P. 402, 1. 6) courage : /Is — 11) e.Ktremitez.,
CHAPITRE LV. = P. 405, 1. 8) Plante.,
P. 406, 1. i) anciens.: c'eft — 2) bon., — 9) autre., — 21) tort., car elle (faute
d'impression). — 23) feruent : Si — mouchoir, — 24) iour : 7:lles
P. 407, 1. 3) air, : & — 6) pestes — 10) font : Qui — 18) ces
CHAPITRE LVI. = P. 408, 1. 2) efcoles : A'on — 3) chercher: ft — 11) pro-
pos : Comme — 13) trompe., Mais — 17) n'auons : £t
APPENDICE 1. 44)
P. 409, 1. 6) choie.. jVfais — 7) bouche : Car — 15) aide,. Sms — iniufte.. /:t
— 18) protecteur,: — 20) bon,:
P. 410, 1. i) infeparables.. Pour — 2) caufe : I\ — 6) redoublons,, frefentans
— 10) retormation., — 12) ^anctonico — 17) couftume : Ou — 18) prières : Ce
— 22, Var. 88) vaniance corrigé en vengeance — 23) Dieu.,
P. 411, 1. 8) {jiioi — I)) 1° de 2° De — lé) uisibks — iitaiiiablea
P. 412, 1. 15) oreilles.: 1° c'eft 2" C'eft
P. 413, 1. Il) Mahometants — 14) changement,. A'on — 16) langue : L'Eglife
— 17) folenne : £n
P. 414, 1. 6) 1° egliie 2° Eglise — 11) point — 15) raisons — 18) prcsances
P. 415, 1. 14) matière,. Comme — 15) publiques). — 17) ftile, — 18) humai-
nement,: que — 19) theologalement : La — 23) baffes,:
P. 41e, 1. 10) iuftice,: & — 15) communs.. /Is — 15) comparaifon : En —
25) faire^,
P. 417, 1. 7) entreprinfes., — 21) diuine : Toutestois
P. 418, 1. 4) menfonge.: — 8) Dieu., Haud — 13) celuy là.,
P. 419, 1. 14) œuil : fncore — 15) grâces : £t
CHAPITRE LVII. = P. 421, 1. lé) auant,. E\.
P. 422, 1. Il) beau.: — 14) Dauphiné,. — 25) auancé : 71
P. 423, 1. 14) l'oihueté.
APPENDICE 11,
LEÇONS DES ÉDITIONS DE 1380 & 1382.
LEÇONS DES ÉDITIONS DE 1580 & 1382.
Quoique l'édition de 1588, à laquelle appartient I'Exempiaire de Bordeal'x, porto
le titre de ciiujuiesme, nous n'en connaissons que trois qui l'aient précédée; la première
en 1580; la seconde, rcucuc & aiiginciitce, en 1582; la troisième en 1587. Les travaux
de M. P. \'illey et nos recherches nous ont convaincu que cette troisième édition est
une réimpression fautive de la seconde, elle n'en diffère que pat quelques fautes
d'impression corrigées et par beaucoup de fautes d'impression nouvelles. Il nous
parait inutile de donner ces leçons que l'on retrouvera d'ailleurs dans l'excellente
édition du texte de 1580 publiée par MM. Dezeimeris et Barckhausen. En revanche,
nous avons recueilli des éditions de 1580 et 1582 toutes les leçons qui diffèrent du
texte de 1588.
Nous désignons par a les leçons de 1580, et par /' celles de 1582.
Pour les leçons communes à a et /', nous suivons l'orthographe de celle des deux
éditions qui a été revue et corrigée par Montaigne, celle de 1582.
AV LECTEVR. = P. i, 1. 2) a, b : propofé nulle fin
P. 2, 1. 6) a, b : ce premier de Mars. 1580.
CHAPITRE I. = P. 5, 1. 2) a : ayant vengeance
P. 4, 1. 2) il, /' : iufques a — 9) c, fr : Scanderbech — 17) (7, b : a nulles plus
P. 5, 1. 8) rt, i : celle
P. 6, 1. lé et Var. 1. lé) n, h : eftablir nul ingénient — 22) a, b : pour aulruy.
CHAPITRE II. = Dans a, b ce chapitre commence par Le COnte (1. 7).
P. 10, I. 8) rt, /> : comble
P. II, i. 16) a, b : infupportable. Ce qu'exprime naifuement le diuiii poème.
mifero
P. 12, 1. 9) a, b : de la fe peut engendrer par — 24) a, b : que Pape
CHAPITRE III. = P. 17, 1. 4) a, b : Berthelemi — 25) a, b : que l'en fuurnilfe.
Edouard — 27) a, b : combien la prefence
P. 18, 1. 13) a, b : premiers ne — 14) a, b : mais cetuy cy y veut encore
traîner la — 2;) rt : cet exemple — 27) a : parmy fes humeurs
P. 19, 1. 2) rt, /' : defroboit & cachoit pour — 4) a, b : cachées : & iufques a
telle (I. 10).
450 APPENDICE II.
CHAPITRE IV. = P. 23, 1. 2) a : ne donne ni du tOUt (1- 2), ni foit (1. 3).
P. 24, 1. 12) a, b : OU droit
P. 25, 1. 16) (7 : ou la
CHAPITRE V. = P. 26, 1. 6) a : dernier
P. 28, 1. 13) a, b : Guichardin
P. 29, 1. 3) fl : Berthelemy
CHAPITïlE VI. = P. 30, I. 3) a, b : leur part, cryoient
CHAPITRE VII. = P. 33, 1. 5) rt : Philippe lui remettroit — /' : luy remettoit
• — 7) a, b : eftoit enfuy — 12) a,b : d'Aiguemond, aufquels il fit trancher la tefte, il
CHAPITRE VIII. = P. 56, 1. 2) a, b : en nul lieu — 10) a : trouue comme
vanam lemper — b : trouue comme variam
CHAPITRE IX. = P. 37, 1. 1) a, b : de la mémoire, qu'a moy. Car —
2) a, b : quafi nulle traffe chez moy : — 3) ^, ^ : vue fi — 6) a,b : réputation. l'en
pourrois faire des contes merueilleux, mais pour cefte heure il vaut mieux fuiure mon
thème. Ce n'eft pas (p. 39, ]. 16).
P. 40, 1. 6) rt, /' : tous les coups — 11) a, b : prife, il cfchape
CHAPITRE X. — P. 44, I. i) a : Onques — 14) a, b : toute heurte de —
15) a, b : Ex puis les
P. 45, 1. 2) a. b : d'autres Princes — 13) «, b : donne nul aduantage —
20) a, b : le cognois bien priuement & par ordinaire expérience, cefte condition de
nature, qui ne peut fouftenir vne véhémente préméditation, tant pour le défaut
(i : pour défaut) de la mémoire & difficulté du chois des chofes & de leur difpofition,
que pour le trouble qu'vne attention véhémente luy aporte d'ailleurs. Nous difons —
24) a, b : imprime es ouurages, ou — 25) rt : il y a — 27, \"ar.) a, b : trouble.
En (p. 46, 1. I).
P. 46, 1. 3) a, b : par ("es paflîons — i} C '■ recueillie (dans quelques exemplaires). —
y) a, b : l'agitation, c'eft la vie & la grâce de fon langage : fes efcris le monftrent au
pris de fes paroles : au moins s'il v peut auoir du chois, ou il n'y a point de valeur.
CHAPITRE XI. = P. 47, 1. 9) rt : trepillement — 10) des foudres... riuieres
(addition de 1588).
P. 48, 1. 19) a, b : en l'Italie
P. 49, 1. 5) a : ne donne p.is fui
CHAPITRE XII. = P. 53, 1. 25) a, b : molin
P. 54, 1. i) a, b : théâtre des arcnes — 2) a, b : colluurine — 13) ii : fortune
ait ia fauorifé leur
CHAPITRE XIII. = P. 57, 1. 3) (7 : a l'entreuë aufli
CHAPITRE xrv. = P. 58, \. 12) a, b : eftrangement fous de
P. éi, 1. I, Var. 88) a : que de fc
P. 62, I. 7) a : pour finir la — a : Brutus a tout fon armée on
P. 64, 1. 8) a, b : donnez la — 13) a, b : pour finir les
P. 65, 1. 6) û : par l'eft'ect — 9) « : l'a Dieu — 24) a, b : que de l'aloé
APPEXDICE II. 4jl
P. 69, 1. 20) a, h : foibles des reins
P. 71, 1. 21) a, b : peau? & l'en furnommoit on Madame refcorclicc. Il —
22) a, b : en acquérir la
P. 72, 1. 3) a : coftcs — 24) (7, b : preftre a tout cinq
P. 82, 1. 6) a, b : tout ainfi qu'a — 7) a, b : aux luxurieux — 9) a, b : ne font
ny doulorcufes, nv — 13) " • courbé — /' : courbe
CHAPITRE XV. — P. 84, 1. 9) ((, /; : poullailler
CHAPITRE XVI. = P. 86, 1. 12) a : contre confcience
P. 87, 1. 22) (ï, /' : roiturier
CHAPITRE XVII. = P. 88, 1. 5) Bafti... armenti addition de 1582.
P. S9, 1. 18) (I : température, de — 23) a, b : cerimonies
P. 90, 1. 15) a : poingnard
CHAPITRE XVIII. = P. 92. 1. 4) a, b : cft nulle, qui — 17) /' : première
a l'arme
P. 93, 1. 8) « ; hors la ville — 25) a. b : fomnc — 25) a, b-. perdez (LVditioii
de liS; donne perdiez)
. CHAPITRE XIX. = P. 96, 1. 17) a, b : menufiers — 18) a, b : Cicile
P. 97, 1. 27) a, b : réglée & bien aliénée, ne
P. 98, I. 7) a, /' : parler bon François
CHAPITRE XX. = P. 102, 1. iij a, b : hommes paffant leur
P. 104, 1. )) tj : 1553 — /' : 1532 - 25) a, b : terme, & ce fameux Mahumet
aufli. Combien
P. 105, 1. 6, \'.\R.) a, b : a l'airte — i8) a : qui luv cloft — 22) a, b : bleflure,
& qui l'eftonna Ci peu, qu'il ne s'en affit, ny repofa, iufqu'a ce que le voyla perdu
cinq ou fix heures après d'vne Apoplexie. Ces exemples
P. loé, 1. j) a, b : c'eft vne folie — 9) a, b : eux mefmes, ou — 12) a : meilleur'
heure
P. 107, 1. 7) a : condition : ne
P. 108, 1. 13) a, b : prefent heureufe, ne m'en — 21) a : en bataille
P. iio, 1. 9) 17 : le 15. ou 16. de — b : \e quinziefme ou 16. de
P. 112, 1. 2) (7 : fes — 5) fl : les en trouue — 22) /' : courbé — 25) a : qu'elle le
craint
P. Il), 1. i) a, /' : pas par vous — 7) a, b : pendet. Et ne mourez iamais trop
toft. Si (p. 116, 1. i).
P. 116, 1. 8) rt : parfournit, & en — 20) rt : rabatrez — 25) a, b : manebit.
Dauantage nul (p. 117, 1. 15).
P. 119, 1. 21) a, b : elFrayables — 26) & de prefcheurs addition de 1582.
CHAPITRE XXI. = P. 121, 1. 2) a, b : de l'aprehention, chacun
P. 122, 1. -) a,b : ne l'y peut — 12) a, b : plume nous fentons — 22) a : les
produit en
P. 123, 1. 20) a, b : s'en enleuent
P. 124, I. 12) a, b : pouuoit efchoir nul foupçon
452 APPENDICE II.
P. 12), I. 5) a : & notamment cela eft a craindre, ou les commoditez fe rencontrent
improueues & preffantes. A qui a affez de loifir pour fe rauoir & remettre de ce
trouble, mon confeil eft qu'il diuertiffe ailleurs fon penfement, ou qu'on luy perfuade,
qu'on luy fournira des contreenchantemens (1. 5, Var. 88). — b est identique au texte 88
sauf les variantes suivantes : difficile, qu'il fe (faute d'impression probablement)... feruy, a y...
contrenchantemens. . . cerimonieufes.
P. 127, 1. 15) de l'affaillant addition de 1588. — lé) a, b : diuerfes al'armes elle
— Ï-) a, b : ne les faict — 20, \'ar. 88) luy addition de 1588.
P. I 30, 1.8) a: imagination en raporte les efcruelles en Efpaigne, que fon compai-
gnon laiffe icy. Voila — 10) rt : a l'on — 14) a, b : apofime — 18) domeftiquc
addition de i;S8.
P. 131, 1. 9) a : efplingue quant & quant fon
P. 152, 1. 9) a, b : veuë, c'eft figne — 21) a : montaignes. Mon parc vit vn iour
vn chat — 28) a, b : veùe de le
CHAPITRE XXIII. = P. 137, 1. 16) a, b : araignes
P. 140, 1. 13) a: cartes, aux dez — 14) « : quclqu'vn autre — 17) « : mains,
vne hallebarde — 23) a, b : il nulle opinion
P. 145, 1. 20) a, b : N'a elle pas faict encore — 23) a, b : ce que la raifon & toute
— 25, Var. 88) a, b : l'heure
P. 149, 1. lé) a, b : lors, qu'il peut
P. 150,1. 2) fl, & : Qu'eft-il de plus — 6) «,/>: eftat des gens — 15) rt, />: venge
il encoure
P. 151, 1. 2) fl : toutes ces façons — 9) comme... tres-inique addition de 1582. —
II) d'vn magiftrat addition de 1588. — 17) a, b : police bien inftituée c'eft —
22) a, b : afin que fi la... chacun il fut
P. 15e, 1. 25) a, b : dormiffent pour vint
P. 157, 1. 9) a, b : loue Flaminius qu'eftant
CHAPITRE XXTV. = P. 159, 1. 10) a, b : n'eftoit nulle occafion — 19) a, b : eftoz
— 23) a, b : pour c'eft eftect a lendemain (a : cet)
P. léo, 1. 9) a, fc : n'y aura il nulle fin (a : ara) — 27) a, b : entre les mains
P. léi, 1. 13) a, b : procès en la — lé) a, b : Fabius Maximus, que —
2-2) a, b : commence des ce
P. 162, 1. 27) a, b : authcur mefnic &
P. 163, 1. i) a, b : auoir nullement en — 18) le... Sylla addition de 1582. —
23) fl, b : difcours de raifon. Il — 26) a, b : fondé en difcours & apparence
P. 164, 1. 4) a,b: tirent quant & elle, le — a : y conduiroit, eft — 6) & puis...
le droit addition de 1582. — 18) a, b : dangier, il ne
P. 169, 1. 15) fl, b : autresfois ccfte hiftoirc — i6) a, b : Triumuirat de Rome,
auoit — 19) fl : chaual, qui auoient — 23) a, b : tout le monde, le —
24) fl, b : mieux de pafler... que de demeurer — 25) n, b : cefte trampc, luy
P. 170, \. 2) a, b : remède : & puifque
CHAPITRE XXV. = P. 171, 1. 2) /' : de mon magifter i.mtc din.pr«sion. —
5) a : n'auoir guiere
APPENDICE II. _|j3
P. 172, 1. 15) a, b : au maniemens
P. 174, 1. 22, Var. 88) a, b : faifoit
P. 175, 1. 18, Var. 88) a, b : vray
P. 177, 1. I, Var. 88) a : qu'opinions nous — )) a: cfoheoit — 22) a, b : prifci:
P. 178, 1. 3, Var. 88) le haï... foy-mefmcs est de 1580.
P. 179, 1. 12) b : reualez
P. 184, l. 6) a, b : vertu nieimes, on — 20) a : failloit
P. 185, 1. 21) a, b : aymeroient
CaHAPITRE XXVI. ^ P. 188, 1. 20) a, b : defmeler, & puis me niellant de parler
P. 1S9, 1. 10) d : refouder — b : recoudre L'édition de 1587 donne recoudre —
16) a, b : ett. du leur
P. 190, 1. 7) a : efté vn peu excul'able
P. 192, 1. 19) a, b : obfcure, & les — 20) a, b : eftablir nul folide
P. 195, 1. I, Var. 88) a, b : prendre nul gouft — 15) a, b : aucz bien auant
fauouré — 18) a, fr : eftez
P. 194, 1. i) a, t : car vne fi vile fin & fi abiectc — 12) a, b : que de redire
P. 195, 1. 14) a, b : &. d'indigeftion — 17) a, b : cuire. Q.u'il (p.ige 196, 1. 5).
P. 196, 1. 10) Che... m'aggrada addition de 1582. — 25) a, b : confondra
P. 197, 1. 9) b : laiiTer fa liberté — 10) de la Rhétorique & de la Grammaire
addition de 1588. — 2o) de mOn temps addition de 1588.
P. 198, 1. 4) b : pais effranges — 13) a, i : voifines qui ont le
P. 200, 1. 14) a, b : apprendra a n'entrer en difcours & conteflation —
23) a, b : a nulle caufe
P. 202, 1. 4) a, b : fcrt a mcfnage — 20) a, b : cftude qui veut, & qui ne fe
propofe autre fin, que le plaifir : mais
P. 203, 1. 7) a b : mille & mille qu'il — 8) a, h : feulement au doigt —
14, Var. 88) a, b : Plutarque trier vne — 22) a, b : Ephores de bons
P. 204, 1. 5) a, i : en fon vilage — 16) a, b : conceuoit nulle plus
P. 205, \. 6) a b : poullailler
P. 206, 1. 5) a, fc : tant de diuers
P. 207, 1. 13, Var. 88) a, b : des-ia gouft — 22) a, h : leçon qui eft la philofo-
phie, ne — 24) a, b : a nulle prife
P. 208, 1. 4) a, b : faifi toutes fes
P. 209, 1. 5) a, /) : rire, & non
P. 212, 1. 13) a : la ghene &
P. 213, 1. 2) a, b : voit nulle excellence
P. 214, 1. 6) a, b : l'entre-gens fe façonnent — 20) a, b : vent & au foleil
P. 216, 1. 6) a : rendre leur gorge
P. 219, 1. 22) a, b : n'efl nullement a
P. 220, 1. 7) a : beneuolance
P. 221, 1. 5) a, fc : ces — 17) a, b : a plus près
P. 222, 1. 17) a, b : n'aie nulle fouuenance — 24) a, b : non fratrcfque, non —
25) a, b : Gefar. Qu'on luy reproche hardiment ce qu'on reprochoit a Scnecque, Q.ue
fon langage eftoit de chaux viue, mais que le fable en efloit a dire. le (p. 225, 1. 10).
454 APPENDICE II.
P. 224, 1. 26) a, h : ce fut que iuftement au partir de la nourrice il me donna
P. 225, I. 2) a, h : en la Latine — 3) a : qu'on auoit — 26) Marc Antoine
Muret addition de 1582. — 28) (ï, /) : précepteurs, m'ont dict fouuent defpuis, que
P. 226, 1. i) fl, /;: am'acointer. Bucanan — lé) /' : furfaut, de — 18) a: inftru-
ment : & auoit vn loueur d'efpinette pour cet effect. Cet exemple — b : inftrunient.
Ceft exemple — 22) a, b : recueilli nuls fruitz
P. 227, 1. 2, \'ar. 88) a : mouffe — 15) «, /' : précepteurs tres-fuffifans —
20, Var. 88) a, b : premières claffes : car — 22) a, h : fans nul fruict
P. 228, 1. 2) des Amadis addition de i;88. — 4) a, b : ny ne fais — 13, Var. 88)
a, b : dextrement, car faifant — 18) a, h : c'eftoit la douceur & facilité des meurs :
auffi n'auoint les miennes autre — 19) a, /' : & molleffe. Le
P. 229, 1. 18) a, b : violence. Il n'y a (p. 2;i, 1. ;).
CHAPITRE XXVII. = P. 252, 1. 2) a, /' : & a ignorance
P. 233, 1. 19) a, b : que la fcience — 23) a, b : que nulles autres
P 234, 1. 28) a Mante addition de 1588.
P. 235, 1. 21, \'ar. 88) a, b : impudence — 25) a, b : fit deffus : Hefperius —
26) a : qu'infefl:oient fa
P. 236, 1. Il) a, b : voftre beau entendement — 28) a, b : particulier, en mettant
P. 237, 1. j) a, b : curiofité ce font
CHAPITRE XXVXII. = P. 238, 1. 13) a, b : nom De la
P. 239, 1. 3) a, b : plein tout ce — 9) a, b : connois nul qui — 11) a,b: onques
puis qu'il — 22) a, b : pareilles. Entre — 23) a, b : voit nulle trace
P. 240, 1. 19, \'ar. 88) a, b : de l'affection qu'il — 21) a, b : fort}'. Et ceft autre
■ P. 241, 1. 8) fl : & fe choquent
P. 242, 1. 15, Var. 88) a, b : fubiecte a facieté — 26) a, b : fins : comme de la
génération, alliances, richeffes, il
P. 243, 1. 2) a, b : femble eftre aflez — 10) a, b : ceft autre
P. 245, 1. 9) a, b : Sz fe confondent — 14) a : dire, le ne
P. 247, 1. 10) a, b : porte nul tefmoignage — 11) a, b : fuis en nul doute —
14) fl, b : mien : nulle de — 15) a, b : fçaroit
P. 248, 1. 8) a, b : reçoit nulle augmentation — 10) a, b : fçay nul gré —
26) a, b : l'occafion, c'eft
P. 249, 1. 4, Var. 88) a, b : Charixenus
P. 254, 1. 9, \'àr. 88) & auoit raifon addition de 1582. — 15) /' : émouuoir :
dauantage il (L'édition de 1580 ponctue comme l'édition de 1588.)
CHAPITRE XXIX. — P. 255, 1. 2) a, b : ou par ce
P. 256, 1. 3) b : Madame, vn' autrefois. Les L'édition de 1580 donnait déjà : vn iour
a l'oreille
CHAPITRE XXX. = P. 257, 1. 4) a, b : &i trop violant
P. 259, 1. 4) a. b : n'eft null' action — 5) a,b: &. fi fecrette — 20) a, b : volupté
aucunement confcientieufe — 24, Var. 88) Le texte Je a et b s'arrête .i s'en abftenir pour
reprendre i Les Roys (p. 260, L 14).
P. 261, 1. 7) a, b : fomme nulle fi — 22) a, b : trouuent nulle voye
AHPEND1C1-: 11. .(^j
CHAPITRE XXXI. = P. 264, I. 4) a, b : nations barbares) mais — 1 5) <i : que
céte cy roit eiiciire la dernière qui fe fera, tant — 17) a : en l'autre. l'ay
P. 265, 1. 5, Var. 88) rt, h : apris des preftres
P. 267, 1. 22) a, b : viHige qu'ils les ont gouftées : & pour — 51) d, fc : filTent
des narrations particulières
P. 270, 1. 5) rt, fc : & fi fimple — 6) <;, /> : a nulle efpece — 18) a,b: Si très-bien
— 20) a,b : veu nul tremblant — 25) a : chair — 24) a, b : n'ont nulle reflemblance
-r- a, b : fans aucun autre — 27) a, b : qu'ils le mirent en pièces a coups
P. 271, 1. 4, Var. 88) a, b : a cuyre leur — 9) a, h : lors mais ils boiuent —
13) a, b : boyuent pas autrement que — 22) a, b : manger, les prefche —
25) a, b : toute vne grangée
P. 272, 1. i) a : font celles qui — 6) n, b : cadancc de leur dance. Ils —
7) a,b : fans rafouër. Ils — 15) a,b : aflemblée folenne de — 21 , \"ar. 88) a, b : c'ert
en telle
P. 275, 1. 7) (I : ou ces efpées — 12) ii,b : & la plante a — 16) n : atache vn
cordon a
P. 274, 1. lé) a, b : auoit nul mal — 25) a, b : iamais nulle opinion
P. 27s, 1. 9) a, fc : eftdela — 12) a, b : leurs fuiuans & enfans en — 26) a, b : void
nul qui — 30) a : communément de menaifes
P. 276, 1. 7) a : c'eft a ce
P. 277, 1. ï) a, b : courage, qui pour — 3) a, b : relafche nul point —
5, Var. 88) a : accufer non pas fa
P. 278, 1. 16) a, b : chair. Qui eft vne inucntion — 17) a, b : fent nullement la
— 19) '' : qui les tuent — 23) a : foions : car il
P. 279, 1. 4) a, b : la valeur du — a : mary, d'auoir plufieurs efpoufées. Et afin
P. 280, 1. 8) a, /; : quelqu'vn leur en — 13) a, /) : barbe, roides, forti:
CHAPITRE XXXII. = P. 285, 1. il) a, b : vifage & gouft qu'elles —
31) a, /» : noflre kiffifance, qu'elles
P. 2S4. 1. 6) a, b : quoi? le martyr Irenée — y) a, b : fortune. Somme il fe faut
CHAPITRE XXXIU. = P. 286, 1. 29) a, b : face, qu'il;:
CHAPITRE XXXIV. = P. 288, I. 2) a, b : il nulle action — 5) a, b : ayant
enuie d'empoifonner
P. 289, 1.9) a,b: amorem, Poffet vt abrupto viuere coniugio, luy — 19) a !» : telle
de Sainct — 24) a, b : de muraille, &
P. 290, 1. 13) a : fortune la print en mer, la ietta — /' : mer, & la
CHAPITRE XXXV. = P. 295, 1. 6) a : les perfonnes rares
CHAPITRE XXXVI. = P. 294, 1. 2) a : couftume, (i foij^neufement a elle bridé
P. 295, 1. 18) a : fcarrabillat — b : fcarbillat
P. 296, 1. 19) Celuy... au couuert addition de i>82.
CHAPITRE XXXVII. = P. 300, 1. 16) virtutem... ligna .iddiiion de 1582.
P. 301, 1. 24) a, b : vaines foit par malice (p. 302, I. 15).
4)6 APPENDICE II.
P. 502, 1. 20) a, h : l'ambition : & de ceux qui font l'honneur la fin de toutes
actions vertueufes. Ce perfonnage
P. 504, 1. 6) b : dict vn — 14, \'ar. 88) a : chœur
CHAPiTRE XXXVIII. := P. 305, 1. 8) a : pour la Duché
P. 506, 1. 25, \'ar. 88) a, b : defprend
P. 307, 1. 8) a, b : voudroit nullement eftre
CHAPITRE XXXIX. = P. 309, 1. Il) a, b : franches & point de compaignon? Il
P. 310, 1. I, \'ar. 8S) a, b : font
P. 311, 1. 7) a, b : importunés (b : importunes) pourtant. Dauantage —
19) a, b : s'eftoit nullement amendé a fon — 22) a : patriîe
P. 312, 1. 3) comme... fecouant addition de 1582. ' — 23) a, b : Ainfi
P. 313, 1. 7) a, b : perdu du fien — 18) a,b : & qui ne — 20) a, b : que noftre
bon heur — 24) a : priuée
P. 314, 1. 12) a : tel aduenture — a, b : donne nulle peine
P. 317, 1. 15) a, b : vigueur, ny que — 25) a, b : remède plus a main —
P. 518, 1. i) a, b : s'accomode nullement au — 13) a, b : propos. le
P. 319, 1. 15) a, b : liures fi elle a faute de règle & de mefure, elle eft — a, b : que
nulle autre & auili ennemie — 18) a : l'auaricieus, & le voluptueux, &
P. 320, 1. 18) a, b : fciences feches &
P. 321, 1. 6) a, b : autres : & les alonger de toute noftre puiffance.
Quamcumque Deus tibi fortunauerit horam,
Grata fume manu, nec dulcia differ in annum.
Or — 19) a : & des deux fectes
P. 322, 1. 7) a, b : eftez
CHAPITRE XL. = P. 324, 1. 16) a, b : font plus propres
P. 325, I. 15) H, b : muficien auecques qui il — 16) a : la Dieu — a, h : Sire,
luy dit-il
CHAPITRE XLI. = a : de commvkiqver
P. 330, 1. 6) La fama... fgombra addition de 1582. — 6, \'ar. 88) inuaghifce
P. 331. 1. I S) a : en fin — 20) a, b : Achileonide
CHAPITRE XLII. = P. 333, 1. 3) a : internes. Car quant a la forme corporelle
il eft bien euident, que les efpeces des beftes font diftinguées de bien plus apparente
différence, que nous ne fommes les vns des autres. A la vérité — 5) a : commun
(car les folz & infenfez par accident ne font pas hommes entiers) que i'encherirois
P. 334, 1. i) a, b : nous, nulle chofe s'eftime — 23) a, b : font nullemeat fiennes
P. 337, 1. 17) a, /' : n'a nulle vertu
P. 342, 1. 29) a, b : mutuele. En laquelle amitié confifte
P. 343, 1. 10) a, b : n'eft pas tefmoignage — 22) a, b : orguillerois
P. 344, 1. 19) a, b ponctuent ainsi : l'Afrique. Et en fin? Quand, mettant Et en fin
dans la boucliu de Cyneas.
CHAPITRE XLIII. = P. 345, 1. n) a, /' : d'autres : & par l'exemple
APPENDICE II. 4)7
P. 546, I. 4) a, b : de néant. Elles — 6) n : a plus près — 11) a ponctue ainsi :
faict en vn... ordonnance : nous — b ponctue faict : en vn... ordonnance nous —
15) (j, /' : corrigea ce grand Zeleucus — 23) a : par fes exceptions
CHAPITRE XLIV. = P. 549, 1. 2) a, b : doiue pas donner — 5) a, h : planter
pas comme — 18) (i, /' : tuer, & cefte — 19) a, b : domeftiques, party fon
P. 350, 1. 19) a : paroUes & menalTes — 30) « : & dormit de
P. 551, 1. 25) a, b : dormir vne feule goûte.
CHAPITRE XLV. = P. 552, 1. 2) a. b : fort a la — ii) a, b : regarder feu-
lement la
CHAPITRE XL VI. — P. 354, 1. 6) a : generalogie
P. 5)5, I. 8) a, b : volontiers (a : volentiers) : outre ce qu'a la vérité de ceux
mefmes — 12) a : Guafcogne — b : Gafcogne
P. 356, I. 13) a : Grumegan
P. 558, 1. 15) a : voix par tous — 18) a : ou a Gueaquin
P. 559, 1. 3, Var. 88) a, b : Qui croiroit que — 17) Id... fepultos addition de i;82.
CHAPITRE XL VII. ^= P. 361, 1. 9) a,b: duintin — l'y) a,b : fi-ce neantmoins
P. 562, 1. 12) (7, b : efprit précipitant & — 14) a, b : Dieu, que de 1 —
1-) a, b : pouffer pas fon — 19) a, fc : reuenoit
P. 363, 1. 16) a : accroiftre : & qu'il — 18) o : fes — 27) a, Zi : de fa bataille
P. 364, 1. 2) a, b : peu que de
P. 365, I. 9) a, t : de noftre Plutarque — 12) a, /' : que nulle autre —
17) a, b : afliete c'eft
P. 366, 1. Il) a,b: le degaft, ce — 30) a, b : plante (L'édition de 1587 donne planté)
— 32) a, b : conduiroient fans ceffe &
P. 367, 1. Il) a : fcience des lieux — 25) a : les aduenemens & — a, b : dépen-
dent mefme en
CHAPITRE XL VIII. ;= P. 569, 1. i) a, b : iamais nulle langue
P. 370, 1. 16) a, h : fort bien a cheual — 22) a : Bucefal, qui auoit... d'vn
toreau, qui ne
P. 371, 1. 5) a,b: doigts, qui ne — a,b: Ca;far, lequel dédia — 17) a, b : cheual
&les
P. 372, 1. 6) a, b : affignées ils fe — 7) a, /> : a nulle autre — 23) a, /' : plus
feur de
P. 374, 1. 21) a, b : fes — 26) & bardelles addition de 1582.
CHAPITRE XLIX. = P. 380, 1. 17) a, b : ainfi fon entendement
P. 381, 1. 14) a, b : combatre l'efpée
P. 382, 1. 4, Var. 88) a, b : poil qu'ilz appelloint Psilotrv.vi Pfilotro — 8) a, b: fur
des materaz. Hz — a : Turs — 15) comme... Vénitiens addition de 1582.
P. 383, 1. 4) a, b : Se la n'aj'ant — 13) a, b : feruoint mefme de cefte nege —
19) a : lautas — 26) a, b : aprefter. Car auffi
P. 384, 1. 3) a : nous y faifons — 4) a : mais la fuffifance ne les peut égaler : nos
— 30) a, b : vient eftre
4)8 APPENDICE II.
CHAPITRE L. = P. 586, \. 11) a, h : a trier la — 15, \'ar. 88) a, h : fournir
elle mefme les
P. 587, 1. 2, Var. 88) a, b : extraordinaire & fantafque. l'en
P. 589, 1. 12) a, h : fortoit guiere en — 23) a, b : commiferation elles font
P. 390, 1. 4) a, i : vent, il eftoit
CHAPITRE LI. := P. 391, 1. 15) (I, & : ou la Lacedemonienne
P. 392, 1. lé) a, b : leur plus grand
P. 393, 1. &) a, b : cefte défaillance ne — 11) a, b : Perfe nul orateur —
25) a, b : de mille belles
P. 594, 1. 14) a, b : cornices — 23) a, b : n'ayent nulle reffemblance —
26) a, b : d'employer vainement & fans aucune confideration les furnoms... fiedes,
a qui bon nous femble. Platon (p. 39;, 1. i).
P. 395, 1. 2) a, b : que nul n'a effayé de luy
CHAPITRE LII. = P. 39e, 1. 6) fl : retourner y poumoir — 14) a, b : luy nulle
autre — 15) «, ft : qui le fuiuoit, luy portant fa — 17) a, b : iamais porté robe —
18) û. b : & des maifons qu'il auoit aux — 19) a, b : auoit nulle qui
CHAPITRE LUI. = P. 398, 1. 7) a, b : en nulle chofe
P. 399, 1. i) a, b : foulent pas. Non — 14) a, b : vice des chofes, il fe —
15) rt : & fe plait d'autres
CHAPITRE LIV. = P. 400, 1. 16) a, b : vne fi belle art — 18) a, b : rarité
P. 402, 1. 5) a : font, ils s'eflancent — 6) a, b : par force
P. 404, 1. 7) a : efpritz groffiers & ignorans, ny guiere aus delicatz et fauans.
Ceux la — 9) « : trop : ils trouueroint place entre ces deux extrémités.
-CHAPITRE LV. = P. 405, 1. 2) rt : vne odeur — fc : vn odeur — 4, Var. 88)
a, b : fentir a rien
P. 40e, 1. 2) a, b : fantir a bon
CHAPITRE LVI. = P. 408) le propofe... icy (1. 12.) addition de 15S2. — b : propofe
icy des
P. 410, 1. 3) a, è : defchargée des paillons
P. 412, 1. 17) a : parmy fes vains
P. 416, 1. 12, Var. 88) a, b : aduis en cela, defindent — 24) a, b : vitieufcs
& deteftables. Pardonne
P. 417, 1. 18) a : Eglife, qu'il — 19) a, b : lailfe a penfer l'ame — 20) a, b : beau
defir, a — 26) a, b : fubmife
P. 418, 1. 4) fl : en tefmoing de
CHAPITRE LVn. = P. 420, 1. 3) a : \e veulent empefcher — 4) a, b : ou on
— 6) 1;, b : quarante huict — iS) a, b : a. \n pleurefi, &
P. 421, 1. 2) fl, 6 : flatons point de — 24) a, b : vingt cinq — 29) a, b : quarante
cinq
P. 422, 1. 5) a, b : dixneuf — 8) « : qu'elles le doiuent — a, b : pourront
iamais. Iamais — 9, Var. 88) a : céte aage la preuue plus euidentc — b : ceft aage,
la preuue bien euidente — 25) a : cet' aage — b : ceft' aage
P. 423, 1. 10) a, b : pleins donc des
APPENDICE III
LEÇONS DE L'ÉDITION DE 1593,
LEÇONS DE L'ÉDITION DE 1595.
Avant de donner un choix de leçons de l'Édition de 1595, qu'on me permette de
compléter ce que j'en ai dit dans I'Introdvctiox.
Des renseignements mêmes que M"'^ de Gournay nous donne dans la préface de
l'édition de 1595, il suit : 1° qu'il a existé deux copief du livre préparé par Montaigne
(copie ne voulant pas dire transcription d'un manuscrit, mais manuscrit préparé pour
l'impression); 2° que l'une des deux a été faite après la mort de Montaigne par
les soins de M""' de Montaigne et de Pierre de Brach; 3" que l'autre, faite d'original,
est restée en la maison de Montaigne et qu'elle était sans doute écrite de la main de
l'auteur, puisque c'est cette copie que M"*^ de Gournay appelle en témoignage ; 4" que
la copie seconde ou transcription, envoyée à Paris, a été imprimée sous la surveil-
lance de M""^ de Gournay avec une minutieuse fidélité.
Or la «copie» originale ne peut être que I'Exemplaire de Bordeaux'. Quant à
l'autre «copie» elle devait, comme le modèle, être faite sur un exemplaire de 1588;
le copiste y transcrivit les corrections et les additions manuscrites de Montaigne, mais
avant sans doute une écriture plus large, il recourut plus souvent que Montaigne
à des pages intercalées qui suppléèrent à l'insuffisance des marges.
En résumé, de I'Exemplaire de Bordeaux à l'édition de 1595, il y a eu les étapes
suivantes : 1° déchiffrement, revision et transcription, à Bordeaux, de I'Exemplaire;
2" revision à Paris par M"= de Gournay et impression de la transcription de Bordeaux,
chez L'Angelicr. par les soins de M''^ de Gournay.
Les différences qui existent entre l'Exemplaire de Bordeaux et l'édition de 1593
proviennent donc ou du travail fait à Paris, et Montaigne n'y est pour rien; ou du
travail fait à Bordeaux, et dans ce cas le transcripteur et les personnes qui l'ont
surveillé, ont pu avoir des notes et des indications de Montaigne.
' Aux arguments que j'ai donnes dans l'Introduction, et i ceux que je donne ici, s'ajouteraient ceux
que fournit l'examen de l'Édition de 1598, » prise, dit le titre, sur l'exemplaire trouvé après le décis de
l'auteur.. Sans parler de ce titre, pourtant assez significatif, V.lvis au Lecteur, de .Montaigne, l'épigraphe
Vireit/ue acquirit eundo et quelques autres détails, montrent que pour cette édition M"" de Gournay
a recouru à l'ExEMPLAtHE de Bordeaux, comme au manuscrit original.
462 APPENDICE III.
M"'^ de Gournay a prétendu qu'a elle a secondé les intentions de Montaigne jusqu'à
l'extrême superstition». Cependant elle n'est pas à l'abri de tout soupçon d'erreur.
Par exemple, elle avait égaré la page qui contenait l'Avis de Montaigne au lecteur;
elle l'a retrouvée sans doute, mais cet Avis manque dans un certain nombre d'exem-
plaires et eût pu manquer dans tous. De même en est-il arrivé pour un autre long
passage (de p. 154, 1. 18, à p. 155, 1. 17. de notre édition) : au verso du folio 21 de
l'Exemplaire de Bordeaux, les additions manuscrites qui occupent les marges étant
considérables, l'auteur de la transcription avait mis sur une feuille détachée une
partie de ces additions; la feuille détachée s'égara, fut retrouvée, mais trop tard, et
M"= de Gournay dut faire, pour restituer cette omission, un carton qui n'existe que
dans quelques exemplaires. Ces omissions sont certes réparées, mais parle hasard;
elles nous font légitimement craindre que d'autres aient été commises, qui n'ont pas
été si heureusement réparées. Voici enfin un dernier exemple plus caractéristique : au
verso du folio 17 (p. 62, 1. 16, de notre édition) Montaigne nous dit que le « Roy lan de
Portugal uandit» aux Juifs, «a huit efcus pour tefte», la «retrete» dans ses terres,
«a condition que dans certein iour ils aroint a les vuider»; net luy, prometoit,
continue Montaigne, leur fournir de uesseaus a les traiecter en Afrique». La virgule qui
sépare luy de prometoit, rend le texte très clair. Mais l'imprimeur de 1595 — ou peut-
être le copiste de Bordeaux — oublie cette virgule, et prenant sans doute «luy» pour
un datif, estime que luy fait double emploi avec leur, si bien qu'il supprime leur;
et nous avons dans l'édition de 1595 : & luy promeltoit fournir. M"'= de Gournay
s'étonne à son tour; ce luy est bien incorrect; elle le remplace par leur; désormais
c'est le texte courant : « & leur promettait fournir de ivsseaux » .
.Gardons-nous donc de prendre pour des corrections de Montaigne des erreurs de
M"*^ de Gournay.
Mais le plus grand nombre des leçons nouvelles que fournit l'édition de 1595, est
dû soit à des erreurs, soit à des modifications volontaires, commises par la personne
qui a transcrit l'Exemplaire de Bordeaux ou par ceux qui ont dirigé son travail. Des
notes ou des indications laissées par Montaigne y auraient-elles été utilisées?
Mille fautes proviennent de ponctuations négligées ou omises. Le lecteur a vu dans
l'appendice I la quantité de ponctuations que Montaigne sème dans son livre : ponc-
tuations très irrégulières, quoique très expressives. Il y en a tant que le copiste les a
oubliées quelquefois; il v en a de si singulières qu'il s'est cru autorisé à les corriger;
et la phrase autrement coupée change de sens. «Il (le peuple) n'eut pas le cœur, dit
l'édition de 1588, de prendre feulement les balotes en main; & fe départit rafTcmblée
louant grandement la hauteffe du courage de ce perfonnage» (p. 5 de notre édition);
Montaigne a renforcé le point-virgule en remplaçant & par El; mais le point-virgule
est une ponctuation rare au temps de Montaigne et dans le livre de Montaigne ; le
copiste ne la connaît sans doute pas; il la remplace par une simple virgule; il ne
s'explique pas pourquoi cet Et est substitué à &, il ne tient pas compte de cette
majuscule; il écrit main, et se départit l'assemblée. Départit semble rapproché de i7; le
contre-sens devient facile; le voilà fait et lourdement appuyé : l'édition de 1595
imprimera : « il n'eut pas le cœur de prendre feulement les balotes en main, & fe
APPENDICH 111. ^65
départit : l'aiTeniblee louant grandement la liautefTe du courage de ce perlbnnane. » De
même, p. 16, 1. 16 de notre édition, le manuscrit porte : « Donons a l'ordre politique
de les ibuffrir patiammant indignes, de celer leurs vices.» L'édition de 1595 imprime :
«de les fourtrir patiammant, indignes de celer leurs vices. »
De telles fautes quelquefois entraînent la modification d'une phrase entière, comme
nous l'avons vu plus haut avec .\1"' de Gournay.
D'autres erreurs sont de simples confusions et proviennent d'une lecture rapide :
à une ligne d'intervalle (p. 153 de notre édition, 1. 22 et 23), l'édition de 1595 donne
souciassent pour sottignassent et substitue prouiioir à poiinioir.
Voici maintenant d'autres cas où il nous semble qu'une intervention réfléchie
a volontairement altéré le texte de Montaigne.
A la page 124 de notre édition, ligne 3, Montaigne nous dit : « Il cft vray femblable
que le principal crédit des miracles, des vifions, des enchantemens, & de tels effccis
extraordinaires, vienne de la puiflance de l'imagination.» L'édition de 1595 supprime
«des miracles», et cela nous indique que M"" de Montaigne, sinon Pierre de Brach,
était d'une dévotion un peu timorée. A la page 401, 1. 17, Montaigne dit encore :
«Et celuv a qui fes ians qui l'armoint, voïant friflbner la peau, s'eflaioint de le
r'affurer en apetiffant le hafiird au quel il s'aloit prefimter, leur dict : Vous me coneflcs
mal. Si ma cher fçauoit ou mon corage la portera tantoft. elle s'en tranfiroit tout
a plat.» L'allusion est claire; les éditeurs de 1595 y trouveront trop de hardiesse; ils
impriment : «Ceux qui armoient ou luy (Montaigne vient de parler de Sancho de
Navarre) ou quelque autre de pareille nature, à qui la peau friffonoit, effayercnt à le
raffeurer; appetiflans le danger auquel... »
Enfin il existe une série de corrections systématiques, qu'on peut tout aussi bien
attribuer à M"= de Gournay qu'à Pierre de Brach et aux hommes de lettres que consulta
probablement .M""= de Montaigne, mais nullement à Montaigne. Estienne Pasquier et
d'autres délicats, reconnaissaient dans les Essais «je ne sçav quoy du ramage gascon »;
de fait, si, comme l'a démontré M. Lanusse, les gasconismes sont en somme assez rares
dans les Essais, il n'y manque pas de termes et de tours qui sentent leur vieux temps,
qui sentent la province, l'Italie, Rome, et dont le ww siècle naissant se défera. Montaigne
ne redoutait pas ces archaïsmes et ces locutions; c'est sur eux que s'est exercée systéma-
tiquement la sévérité des éditeurs de 1595. Faiisil est remplacé par fallut. L'indicatif
dans certaines propositions subordonnées ou incidentes est remplacé par le subjonctif.
fay peur que nous auous est corrigé en que nous ayons (p. 264, 1. 17). Il se faut reseruer
vue arrière boutique... en laquelle nous eslablissons devient II se faut... en laquelle nous
establissions (p. 515, 1. 20); mérite que nous abandonons devient que nous abandonions (p. jig,
1. 9); et afin que vous ne vous amuseipas, que vous ne vous amusiei pas. Le conditionnel
est substitué à l'indicatif avec les verbes indiquant une obligation : les Dames... dcuoycnt
sera les Dames... deuroienl (p. 385, 1. 17); et cette dernière correction se reproduit à
chaque instant.
En tout cela encore, rien de Montaigne.
Quant on a fait la somme de ces erreurs et de ces modifications qui sont purement
et simplement des altérations du texte vrai de .Montaigne, on s'aperçoit qu'on
464 APPENDICE III.
a expliqué la plupart des leçons par où l'édition de 1595 diffère de ['Exemplaire de
Bordeaux. Et le peu qui restera alors de ces leçons, à la rigtieur on y peut voir la
mise en valeur de quelque brouillon de Montaigne; mais on y peut voir aussi
ou quelque glose des gens qui ont eu en mains le manuscrit de Montaigne, ou un
essai de restitution d'un passage mal transcrit, déchiré peut-être et maculé par l'envoi
à Paris.
Je ne veux pas en conclure que toutes les leçons nouvelles apportées par
l'édition de 1595 sont des erreurs ou des falsifications; seulement j'ai le droit d'affirmer
que presque toutes sont en effet des erreurs ou des falsifications. Dans cette Edition
Municipale, où nous nous flattons de ne donner que du Montaigne authentique,
et où nous avons rapporté toutes les leçons des éditions de 1580 et 1582, nous ne
traiterons pas avec le même respect l'édition de 1595; si le lecteur est curieux de la
connaître intégralement, il recourra à la belle et parfaitement exacte réimpression
de MM. Courbet et Royer. Nous n'insérerons ici que les leçons qui ajoutent quelque
chose au texte de Montaigne, et qui l'éclairent d'un renseignement nouveau, d'une
indication imprévue. Déjà nous en avons reproduit quelques-unes en note : les plus
précieuses et les plus importantes. En voici d'autres; elles sont sans doute intéres-
santes, elles demeurent suspectes, du moins à mes yeux.
CHAPITRE III. = P. 15,1.2) inutiles. Comme la folie quand on luy octroyera
ce qu'elle defire, ne fera pas contente : auffi eft la fageffe contente de ce qui eft prefent,
ne fe defplait iamais de foy. Epicurus (1. 5.)
P. lé, 1. 6) iamais, à luy, & à tous mefchans, comme luy, de fes
CHAPITRE VII. = P. 34, 1. 29) dit & apertement.
CHAPITRE XII. = P. 53, 1. 16) parler tout fon faoul. Toutes-fois
CHAPITRE XXII. = P. 56, 1. 12) maifon autant que ie puis de la cerimonie.
P. 57, 1. n) cité & chafque vacation a
■ CHAPITRE XIV. = P. 63, 1. 2) Emmanuel fucceffeur de lehan, venu —
5) Oforius, non mefprifable hiftorien — 27) contreinte. En la ville de Castelnau
Darr}-, cinquante Albigeois hérétiques, fouffrirent à la fois, d'vn courage déterminé,
d'eftre bruflez vifs en vn feu, auant defaduouer leurs opinions. Quoties
P. 65, 1. 27) générale loy de nature
P. 72, 1. 25) effet on portoit emmy fes befongnes de nuict. Guillaume
P. 73, 1. 20) print à faueur & gratification finguliere du ciel. le n'enfuis pas ces
humeurs monftrueufes : mais l'en ay perdu en nourrice, deux ou trois, finon
CHAPITRE XIX. = P. 97, 1. 8) bourreau : indigne & barbare cruauté! Et mille
P. 109, 1. 13) L'édition de 1595 supprime fi cc n'eft de la vie, fi fa perte vient à me
poifer.
P. III, 1. 8) loing la penfee, qu'il
APPENDICE III. 46)
CHAPITRE XXI. = P. 121, 1. 4) elchapper, par faute de force à luy icfifter —
15) iour à Thouloul'e chez
P. 124, l. 3) L'édition de 159; supprime des miracles — 8) encore en ce double, que
P. 126, 1. 20) ayant à la dernière fois bien
P. 135, I. 19) i'av leu, ouï
CHAPITRE XXIU. = P. 138, 1. 10) folides, polis, & — 13) créatures de çà bas,
endormies
P. 145, 1- 12) s'entrepreftent fans diftinction de parenté les
P. 146, 1. 21) & plus par
P. 148, l. 19) les des-naturces & prepofteres amours de
P. 154, 1. l8) Le passage Car qui... fequor (p. 155, 1. 16) manque dans la plupan des exem-
plaires de l'édition de 1595; quelques-uns le donnent dans un carton qui a été annexé à la page 6j.
CHAPITRE XXIV. — P. 164, 1. 15) d'vne telle humanité. Il
CHAPITRE XXV. = P. 176, 1. 24) Gafcon tiré d'vne chalemie, eft-il — 25) mais
à remuer les doits, nous en fommes là. Nous fçauons
P. 183, I. 5) reformé, & couftumierement vn
P. i8é, 1. 19) huictieme, quafi fans
CHAPITRE XXVI. = P. 188, 1. 2) L'édition de 1595 supprime au moins felon icelle.
P. 201, 1. 9) \'n pur Courtifan
P. 223, 1. 18) ambition fcholaftique & puérile. Peufle-ie
CHAPITRE XXX. = P. 261, 1. 4) concupifcence. Etnoftre hiftoire Ecclefiaftique
a confcrué avec honneur la mémoire de cette femme, qui répudia fon mary, pour ne
vouloir féconder & fouftenir fes altouchemens trop infolens & defbordez. II
CHAPITRE XXXI. = P. 280, 1. 26) tirer rien qui vaille. Sur
CHAPITRE XXXVI. = Page 295, 1. 6) noftre, & foubs bien plus rude ciel que le
noftre; Et
P. 298, 1. 7) gelée : & nous en pouuons aulTi voir. Sur
CHAPITRE XXX'VII. = P. 301, 1. 14) particulier de leur nation debuoit
CHAPITRE XXX"VIII. = P. 307, 1. 16) iour ny heure à peine, en laquelle on
CHAPITRE XL VI. — P. 358, 1. 14) l'immenfité, & rempliffant l'indigence de
fon maiftre, de la poITeffion de toutes les chofes qu'il peut imaginer & defirer, autant
qu'elle veut! Nature
P- 359, 1. 19) court tant de fiecles pour
CHAPITRE XL VII. = P. 368, 1. 5) participation à la témérité du hazard
CHAPITRE XL'VIII. = P. 375, 1. 19) Les Abyflins au rebours : à mefure qu'ils
font les plus aduancez près le Pretteian leur prince, affectent pour la dignité & pompe,
de monter des grandes mules. Xenophon
CHAPITRE LIV. = P. 402, 1. 25) àniaiferie&beftifeque nous foyonsarreftezen
466 APPENDICE m.
CHAPITRE LV. = P. 407, 1. 19) Faifans, fe trouuerent fur fes parties, reuenir
à cent ducats, pour les apprefter félon leuj manière. Et quand on les defpeçoit, non
la falle feulement, mais toutes les chambres de fon Palais, & les rues d'autour, efl:oient
remplies d'vne très foûefue vapeur qui ne sefuanouiflbit pas fi foudain. Le
CHAPITRE LVI. = P. 408, 1. 7) pour abfurde & impie, fi rien fe rencontre
ignorammcnt ou inaduertamment couché en cette rapfodie contraire aux fainctes
refolutions & prefcriptions
TABLE DE CONCORDANCE
DES PAGES DE L'EXEMPLAIRE DE BORDEAUX
AVEC
LES PAGES DE L'ÉDITION MUNICIPALE
X. B. — Les exemplaires de l'édition de 1588 sont numérotés par folio : aussi
indiquons-nous le recto (r°) et le verso (v°). Il y a des fautes nombreuses dans la
numérotation. Elles ont été corrigées à la plume sur I'Exemplaire de Bordeaux,
à une époque assez récente. Nous donnons ces chiffres ainsi rectifiés, mais nous
maintenons, au dessous du chiffre rectifié, entre parenthèses, le chiffre erroné.
Pour I'Edition" Municipale, les chiffres en romain indiquent la page, les chiffres
en italique, la ligne.
I
r°
Chap. I.
\°
toute
2
T°
ver- 1 tu
yO
frefches
3
r"
féconde
yO
aux larmes
4
r»
Cor- 1 fegue
yo
ap- 1 porte
5
r"
premier
yo
Maximilian
6
r"
veu
yo
nous
7
r"
Gyn- 1 dus
yo
dolus
8
r"
en- 1 cores
yo
treue
9
r»
vie- 1 toires
yo
efcient
.Mu
nicip.
Ix. de Bordeaux.
2
10
r°
L'ame
4,
10
yo
d'eftre
5,
10
II
r"
porte
7>
5
yo
cette
10,
2
12
r"
&
II)
2
yo
Chap. X.
12,
22
13
j-o
demeuroit
i5>
II
yo
&
17,
2/
14
r"
con- 1 fifqué
18,
24
yo
paf- 1 fent
20,
}
15
r"
rire
23.
7
yo
il
24,
24
16
r"
Chap. XIV.
27>
/
yo
autres
28,
28
17
r"
vn
31.
7
yo
appro- 1 chant
32,
24
18
ro
fe- 1 rions'
34,
2
yo
qu'on
Éd. Municlp
36,
/
57>
12
39,
21
40,
25
42,
21
44
45.
6
46,
S
48,
14
S''.
7
5 5.
22
56.
4
58
59.
12
éo,
2}
62,
}
64,
26
65,
29
■ La tin de l'addition manuscrite (pages 62 et 63) qui occupe le verso du folio 17, déborde sur le recto
du folio tS, à partir de SU{9V4i p. 6;, I. 24, Var.
468
TABLE DE CONCORDANCE.
E.1. de Bordea
ux.
Éd. Mu
nkip.
Es. de Borde
UX.
Éd. M
UDicip
19
r"
que
67,
22
34
ro
Tout
118,
4
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prochai- | ne
70,
II
yO
Chap. XXI.
121
20
r°
Combien
71,
2i
35
r"
Vota
123,
4
V"
grand
73>
13
yO
&■-
124,
13
21
r»
la
73,
16
3é
1°
vne
130,
10
v°
mefna- | gers
7é,
20
yo
ietta
I3Ï,
14
22
r°
ima- ! ginations
78,
5
37
r°
aux
132,
14
v°
quel- 1 que
79,
21
yO
ieunef- [ fe
135,
9
23
1°
Car- 1 tes
82,
6
38
r"
nour- 1 rir'
137,
iJ
yO
auroit
84,
9
yo
humaine
141,
3
24
r°
Chap. XVI.
86
39
r"
Prince
142,
26
yO
contre
87
S
(29^
yo
fans
144,
1}
25
r"
reproche
88,
10
40
r°
frangées
145,
19
v°
redi- | re'
90,
II
yo
crédit
147,
9
26
1°
fortis
92,
9
41
ro
qu'il
149,
19
v°
Manuel
93,
22
yo
les
150,
26
27
r°
Ce
97,
4
42
r°
La- 1 cedemone
151,
24
yO
Nam
98,
9
yo
eftablir
153,
9
28
1°
de
100,
6
43
r"
& aigries
155,
25
\'°
non
103,
3
yo
preffez
15e,
28
29
1°
lanuier
104,
6
44
r°
pallir
158,
15
yO
huis
105,
10
yo
pour
159,
25
30
T»
decouuert
loé,
10
45
r°
ie
léo,
2;
yO
Omnem
107,
14
yo
il luy
161,
2J
31
r»
approchent
108,
U
46
r°
a
162,
26
yO
le
IIO,
;
yo
la
165,
27
32
r°
mefu- 1 re
m,
14
47
r°
Pourtant
164,
28
yO
que le
112,
19
yo
l'autho- 1 rite
166,
14
33
r"
vous
114,
19
48
r°
auoir
167,
18
yO
le
116,
14
yO
ma- 1 chineroyent
ié8,
26
' L'addition mmuscrite de la page 91 occupe le verso du folio 2; et, à partir de nUllS (1. 16) le
recto du folio 26.
■■î Les additions manuscrites des pages 124-130 sont disposées de la façon suivante : el de la...
subiei (p. 124, 1. iy-26) pour endormir... puissant (p. 125,1. 7-9) Les marie:;^... membres (p. 127,
1. 22 — p. 128, 1. 15) occupent les marges du verso du folio 35. tel autre... fut (p. 125, 1. 9-11)
et Or... cotillon (p. 127, 1. 12-15) ^ont écrits en interligne au verso du même folio. Tout le reste
occupe le recto du folio 36.
3 L'addition manuscrite des pages Ij8 et 139 occupe le recto du folio 38,~mais la tin à partir de
Uices (p. 159, 1. 22) est rejetée sur le verso du folio 37.
TABLE DK CONCORD AXCH .
469
Ex. de Bordeaox
Ed M
inicip.
E>. de BorJcJiu
Éd. Municip
49
r°
d'in- 1 quictudc
170,
i
67
r"
quelque- | fois
230, 22
\°
volontiers
172,
9
yO
ainfi
235, 9
50
r°
groflîe
174
';
68
r"
igno- 1 rancc
234, 14
V"
autre
176
17
yo
Ce
235, 2/
51
r»
Mtait
178
i
69
r»
pour- 1 fuiure
236, 22
V
auoit
180
2
yo
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238, 10
52
r°
pièces
181
i
70
r»
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2j(Var.88)
V
aux
18;
10
yo
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241, 10
53
r°
refolution
18.,
2,S
71
ro
iouyflance*
242, 12
yO
Chap. XXVI.
187
yo
l'autre
245, 9
54
r°
dans
189
I
72
r"
de celle
247, J2
V"
veux- 1 ie
191
18
yo
fe
248, 17
55
r"
dif- 1 ficile
192
26
75
r»
qu'il
249, 27
yO
pour
194
I
V"
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56
r»
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20
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r°
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197
9
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19 (Var. 88)
57
r°
qui
198
2i
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81
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v°
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201
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58
r"
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24
82
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2) (Var. 88)
59
r°
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265, 16
61
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27
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266, 27
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2
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267, 24
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220
20
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272, 70
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88
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274, 2/
65
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225
12
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275, 22
v"
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226
1-4
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r"
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278, 29
v°
la
228
"J
yo
cho- 1 fes
280, 70
« L'addition manuscrite de la page 209 EU'a (1. 6) est écrite sur le recto du folio 60, mais i partir
de Angélique (1. 29) toute la suite jusqu'à ame (p. 211, 1. 4) a éli rejetée sur la marge gauche du
verso du folio $9.
« La fin deladdition manuscrite (pages 24), 24.) et 245 jusqu'à la ligne 4) ^ été rejetéc au verso du
folio 70 à partir de d'une (p. 244, 1. 11).
470
TABLE DE CONCORDANCE.
Ex. de Bordeaux
Éd. Mu
nidp.
Es. de Bordeau
Éd. Ml
n.cip
91
1-0
Chap. XXXII.
282
109
r»
lacteris
337,
21
yO
argu- 1 mens
283,
16
yo
com- 1 moditez
338,
26
92
r»
Chap. XXXIII.
28s
IIO
r"
\'ertitur
340,
6
\°
eft-ce
28e,
II
yo
ail- 1 leurs
341,
16
93
r°
Chap. XXXIV.
288
III
r"
que
342,
20
yo
luy fit
289,
10
yo
que
343,
18
94
r°
nnry
290,
II
112
r°
pourquoy
344,
22
v°
qui cela
292,
S
yo
foudain 346,
4 Var.
88
95
r°
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294,
9
113
r"
ce
547,
6
\°
comme
295>
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yo
par
349,
16
96
r°
liuré
297.
14
114
r°
que
350,
28
\°
autre
301,
7
yo
Chap. XLV.
352
97
r°
Et
304,
12
115
r"
le
353,
10
v°
Hîeredis
306,
8
yo
paf- 1 fe-temps
554,
16
98
1-0
feinte
307,
19
lié
r»
d'auiour- | d'huy
55e,
4
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v°
Chap. XXXIX.
309
yo
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99
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pour
558,
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Combien
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r°
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118
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314,
17
yo
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r"
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6
119
r°
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J
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3i7>
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yo
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r"
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13
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r»
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II
yo
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320,
6
yo
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367,
8
103
r"
gloire
321,
9
121
r"
Chap. XLVIII.
369
yo
chercher
322,
II
yo
aux
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10
104
r°
par- 1 lerie
323.
9
122
I-o
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372,
25
yo
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324,
26
yo
Et
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7
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r"
d'au- 1 tre
326,
21
123
r"
mettre
377,
22
yo
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328,
5
yo
la
380,
6
106
r»
cette
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16
124
r«
prehoyent
381,
20
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330,
17
yo
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385,
2
107
r°
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331.
27
125
r°
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6
yo
par
534,
I
yo
pre- 1 noyent
385,
8
108
r"
efcha- 1 ces
335,
4
126
r»
en- 1 tiers'
387,
2
yo
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33e,
9
yo
mou- 1 ches
390,
i
• La fin de l'addition manuscrite qui occupe les pages 573 et 574 a été rejetée sur le verso du folio 121
à partir de d des Sagettes (p. J74, 1. 10).
' La fin de l'addition manuscrite qui occupe les pages 588 et 589 a été rejetée sur le verso du folio 12;
il partir de SOn (p. 388, 1. 27).
Hx. de Bordeaux.
127 r»
noftre
V°
Théologie
128 r"
ra- 1 re
\o
com- 1 mettre
129 r°
qui
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Chap. LI\'.
150 r"
auoient
(122) v°
à
131 r"
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fauoureux
TABLE DE CONCORDANCE.
Éd. Municip. Ex. de Borde.
391,
1}
132 r"
n auons
393.
16
v°
fi
394,
20
133 ro
diffipcr
396,
8
vo
fans
398,
9
134 r
luppiter
400
v
Noctem
401,
12
135 r"
confi- 1 dcrant
403,
I
vo
d'aller
405,
4
136 1°
ans
406,
-S
4
71
Ëd. M
iDÎcip
408,
17
410,
II
413,
9
416,
7
417.
1}
418,
J7
420,
7
421,
18
422,
18
TABLE DES MATIÈRES
DU PREMIER VOLUME
Lettre de M. de la ^'lLLE de Mirmont, a M. le Maire de Bordeaux. i
Introduction , \-
Indications et Signes xxiii
Errata xxiii
Av Lectevr r
LRRE PREMIER
Chapitre I. Par diuers moyens on arriue à pareille fin 3
— II. De la triftefle 9
— III. Nos affections s'emportent au delà de nous 14
— I\'. Comme l'ame defcharge Tes paflions fur des obiects laux,
quand les vrais luy défaillent 23
— \'. Si le chef d'vne place affiegée doit lortir pour parlementer 26
— \l. L'heure des parlemens dangereufe 30
— VIL Que l'intention iuge nos actions 3 3
— VIII. De l'oifmeté 35
— IX. Des menteurs 37
— X. Du parler prompt ou tarait 44
— XL Des prognoftications 47
— XII. De la confiance 52
— Xni. Cérémonie de l'entreucuë des Roys 5^
— XIV. Que le gouft des biens & des maux dépend en bonne
partie de l'opinion, que nous en auons 58
474 TABLE DES MATIERES.
Chapitre XV. On eft pun}- pour s'opiniaftrer à vne place fans
laifon 84
— X\l. De la punition de la couardile 86
— XVII. Vn traict de quelques ambaffadeurs 88
— X\^I. De la peur 92
— _XIX. Qu'il ne faut iuger de noftre heur, qu'après la
mort 96
— XX. Que philofopher c'eft apprendre a mourir 100
— XXI. De la force de l'imagination 121
— XXn. Le profit de l'vn eft dommage de l'autre 135
— XXni. De la couftume & de ne changer aifément vne loy
receùe 137
— XXIV. Diuers euenemens de mefme confeil 158
— XXV. Du pedantifme 171
XXVI. De l'inftitution des enfans 187
— XXVII. C'eft folie de rapporter le vray et le taux à noftre
fuffifance 232
— XXVIII. De l'amitié 238
— XXIX. Vingt & neuf fonnets d'Eftienne de la Boetie 255
— XXX. De la modération 257
— XXXI. Des cannibales 264
— XXXII. Qu'il faut fobrement fe meller de iuger des ordon-
nances diurnes 282
— XXXni. De fuir les voluptez au pris de la vie 285
— XXXIV. La fortune fe rencontre fouuent au train de la raifon 288
— XXXV. D'vn défaut de nos polices 292
. — XXXVI. De l'vfage de fe veftir 294
— XXX\'TI. Du ieune Caton 299
— XXXVIII. Comme nous pleurons & rions d'vne mefme chofe. 305
— XXXIX. De la folitude 309
— XL. Confideration fur Ciceron 323
— XLI. De ne communiquer fa gloire 330
— XLII. De l'inequalité qui eft entre nous 333
— XLin. Des loix fomptuaires 345
— XLIV. Du dormir 349
— XLV. De la bataille de Dreux 352
— XLVI. Des noms 354
TABLE DES MATIÈRES. 475
Chapitre XLVII. De l'incertitude de noftre iugement 361
— XLVin. Des deftries ^ 369
— > XLIX. Des couftumes anciennes 380
— L. De Democritus & Heraclitus 38e
— LI. De la vanité des paroles 391
— LU. De la parfimonie des anciens 396
— LUI. D'vn mot de Qular 398
— LIV. Des vaines fubtilitez 400
— L\'. Des fenteurs 405
— L\"L Des prières 408
— L\'IL De l'aage 420
Appendice L — Variantes d'oitlxigraphe et de ponctuation.
Note de Montaigne 427
Variantes 429
Appendice IL — Leçotis des Éditions de i)So et 1^82 447
Appendice IIL — Leçons de l'Édition de ij^j 459
Table de Concordance 467
TABLE DES GRAVURES
Une page de l'Exemplaire de Bordeaux (hélivgravure) m
Page du Titre de l'Exemplaire de Bordeaux (pljototypie) xxiv
Trois Fragments (plx)totypie) , 424
1
Bordeaux. — Imprimerie Nouvelle F. Pech et G'', 7, rue de la Merci.
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottawa
Date Due
l^lWf-
C£
a 390 0 3 Gû:3 33ÙDbb
CE PQ 1641
,A1 1906 VI
COO MCNTAlONEt
ACC« I3e7340
M LES ESSAIS