HANDBOUND
AT THE
UNIVERSITY OF
TORONTO PRESS
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University of Ottawa
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TOÉSIES C^N^DIE'KMMS
^
LOUIS FRÉCHETTE
LES
LEURS BORÉALES
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LES OISEAUX DE NEIGE
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POÉSIES CANADIENNES
COURONNÉES PAR L^ACADàMIE FRANÇAISE
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PARIS
E. ROUVEYRE | Em. TERQUEM
ÉDITEUR > ÉDITEUR
t, Rue des Saints-Pères. ^ Boulevard St-Martin, i$
M DCCC LXXXI
PS
LA DECOUVERTE DU MISSISSIPI
Q/i M. Xavier Marinier de l'Académie Française.
E grand fleuve dormait couché dans la savâue.
Dans les lointains brumeux passaient en caravane
De farouches troupeaux d'élans et de bisons.
Drapé dans les rayons de l'aube matinale,
Le desejt déployait sa splendeur virginale
Sur d'insondables horizons.
Juin brillait. Sur les eaux, dans l'herbe des pelouses.
Sur les sommets, au fond des profondeurs jalouses,
L'Eté fécond chantait ses sauvages amours.
Du Sud à l'aquilon, du Couchant h l'Aurore,
Toute l'immensité semblait garder encore
La majesté des premiers jours.
I
— 6
Travail mystérieux ! les rochers aux fronts chauves,
Les pampas, les bayous, les bois, les antres fauves,
Tout semblait tressaillir sous un souffle effréné ;
On sentait palpiter les solitudes mornes.
Comme au jour où vibra, dans l'espace sans bornes,
L'hymne du monde nouveau-né.
L'Inconnu trônait là dans sa grandeur première,
Splendide, et tacheté d'ombres et de lumière.
Comme un reptile immense au soleil engourdi,
Le vieux Meschacébé, vierge encor de servage.
Déployait ses anneaux de rivage en rivage
Jusques aux golfes du Midi.
Echarpe de Titan sur le globe enroulée,
Le grand fleuve épanchait sa nappe immaculée
Des régions de l'Ourse aux plages d'Orion,
Baignant le steppe aride et les bosquets d'orange.
Et mariant ainsi, dans un hymen étrange,
L'Equateur au Septentrion.
Fier de sa liberté, fier de ses flots sans nombre,
Fier du grand p.ia touffu qui lui verse son ombre,
Le Roi-des-Eaux n'avait encore, en aucun lieu
Où l'avait promené sa course vagabonde,
Déposé le tribut de sa vague profonde,
Que devant le soleil et Dieu !,..
II
JoUiet ! Jolliet! quel spectacle féerique
Dut frapper ton regard, quand ta nef historique
Bondit sur les flots d'or du grand fleuve inconnu 1
Quel sourire d'orgueil dut effleurer ta lèvre !
Quel éclair triomphant, à cet instant de fièvre.
Dut resplendir sur ton front nu !
r
Le voyez-vous, là-bas, debout comme un prophète.
Le regard rayonnant d'audace satisfaite,
La main tendue au loin vers l'Occident bronzé.
Prendre possession de ce domaine immense,
Au nom du Dieu vivant, au nom du roi de France,
Et du monde civilisé !
Puis, bercé par la houle, et bercé par ses rêves,
L'oreille ouverte aux bruits harmonieux des grèves,
Humant l'acre parfum des grands bois odorants,
Rasant les îlots verts et les dunes d'opale,
De méandre en méandre, au fil de l'onde pâle,
Suivre le cours des flots errants !
A son aspect, du sein des flottantes ramures,
Montait comme un concert de chants et de murmures ;
Des vols d'oiseaux marins s'élevaient des roseaux,
Et, pour montrer la route à la pirogue frêle,
S'enfuyaient en avant, traînant leur ombre grêle
Dans le pli lumineux des eaux.
Et, pendant qu'il allait voguant à la dérive,
L'on aurait dit qu'au loin les arbres de la rive,
En arceaux parfumés penchés sur son chemin,
Saluaient le héros dont l'énergique audace
Venait d'inscrire encor le nom de notre race
Aux fastes de l'esprit humain!
— 0 —
III
O grand Meschacébé ! — Voyageur taciturne,
Bien des fois, au rayon de l'étoile nocturne,
Sur tes bords endormis je suis venu m'asseoir;
Et là, seul et rêveur, perdu sous les grands ormes.
J'ai souvent du regard suivi d'e'tranges formes
Glissant dans les brumes du soir.
Tantôt je croyais voir, sous les vertes arcades,
Du fatal de Soto passer les cavalcades,
En jetant au de'sert un défi solennel!
Tantôt c'était Marquette errant dans la prairie.
Impatient d'offrir un monde à sa patrie,
Et des âmes à l'Eternel !
— 10
Parfois, sous les taillis, ma prunelle trompée
Croyait voir de La Salle étinceler l'épée ;
Et parfois, groupe informe allant je ne sais où,
Devant une humble croix, ô puissance magique 1
De farouches guerriers à l'œil sombre et tragique
Passer en pliant le genou !
Et puis, berçant mon âme aux rêves des poètes,
J'entrevoyais aussi de blanches silhouettes,
Doux fantômes flottante dans le vague des nuits,
I
Atala, Gabriel, Chactas, Evangeline,
Et l'ombre de René, debout sur la colline,
Pleurant ses immortels ennuis.
Et j'endormais ainsi mes souvenirs moroses...
Mais de ces visions poétiques et roses
Celle qui plus souvent venait frapper râon œil,
C'était, passant au loin dans un reflet de gloire,
Ce hardi pionnier dont notre jeune histoire
Redit le nom avec orgueil.
— 11 —
IV
Jolliet! JoUiet! deux siècles de conquêtes,
Deux siècles sans rivaux ont passé sur nos têtes,
Depuis l'heure sublime où, de ta propre main,
Tu jetas, d'un seul trait, sur la carte du monde
Ces vastes régions, zone immense et féconde,
Futur grenier du genre humain!
Deux siècles sont passés depuis que ton génie
Nous fraya le chemin de la terre bénie
Que Dieu fit -avec tant de prodigalité.
Qu'elle garde toujours dans les plis de sa robe,
Pour les déshérités de tous les coins du globe,
Du pain avec la liberté !
— 12 —
Oui, deux siècles ont fui 1 La solitude vierge
N'est plus là ! Du progrès le flot montant submerge
Les vestiges derniers d'un passé qui finit.
Où le désert dormait grandit la métropole ;
Et le fleuve asservi courbe sa large épaule
Sous l'arche aux piliers de granit!
Plus de forêts sans fin : la vapeur les sillonne !
L'astre des jours nouveaux sur tous les points rayonne;
L'enfant de la nature est évangélisé ;
Le soc du laboureur fertilise la plaine;
Et le surplus doré de sa gerbe trop pleine
Nourrit le vieux monde épuisé !
— 13 —
V.
Des plus purs dévoûments merveilleuse semence !
Qui de vous eût jamais rêvé cette œuvre immense,
O Jolliet, et vous apôtres inge'nus,
Hunables soldats de Dieu, sans reproche et sans crainte,
Qui portiez le flambeau de la vérité' sainte
Dans ces parages inconnus ?
Des volontés du ciel exécuteurs dociles,
Vous fûtes les jalons qui rendent plus faciles
Les durs sentiers où doit marcher l'humanité...
Gloire à vous tous ! du Temps franchissant les abîmes
Vos noms environnés d'auréoles sublimes
Iront à l'immortalité 1
— H —
Et toi, de ces héros généreuse patrie,
Sol canadien, que j'aime avec idolâtrie,
Dans l'accomplissement de tous ces grands travaux,
Quand je pèse la part que le ciel t'a donnée,
Les yeux sur l'avenir, terre prédestinée,
J'ai foi dans tes destins nouveaux !
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A M. L'ABBÉ TANGUAY
A uteur du « Dictionnaire généalogique des Familles
canadiennes ».
Quand l'Histoire, prenant son austère burin,
Des âges qui s'en vont, sur ses tables d'airain,
Fixe l'empreinte ineffaçable,
Son œil impartial n'a pas de trahisons,
Mais forcé d'embrasser d'immenses horizons,
Il ne'glige le grain de sable.
— i6 —
Le pic au front altier lui cachant le sillon,
Elle n'aperçoit point le timide oisillon
Qui bâtit son nid dans les seigles ;
Son fier regard, qui va de sommets en sommets.
Toujours tourné là-haut, ne s'arrête jamais
Qu'à regarder voler les aigles.
Empereurs, potentats, capitaines fameux.
Chefs d'un jour surnageant sur les flots e'cumeux
Des de'chaînements populaires.
Eclatante victoire ou drame ensanglanté,
Grands hommes ou hauts faits ont seuls droit de cité
Dans ses annales séculaires.
Quand Turenne, frappé d'un boulet de canon,
Rend l'âme au champ d'honneur, elle redit son nom.
Et va s'incliner sur sa tombe :
Elle donne des pleurs au général mourant;
Mais passe sans regrets, d'un pas indifférent,
Devant l'humble conscrit qui tombe.
— 17 —
Les peuples, sous ses yeux, roulent en tourbillon ;
Et comme, lorsque au loin défile un bataillon,
Les hauts cimiers seuls sont en vue,
Des héros et des grands elle compte les jours ;
Mais des petits, hélas! oubliés pour toujours,
La foule est à peine entrevue.
Amant passionné des temps qui ne sont plus,
Quand j'évoque, rêveur, des siècles révolus
L'image au fond de ma mémoire ;
Ou quand, ceignant le front de nos nobles aïeux
D'un diadème d'or, Garneau fait sous mes yeux
Surgir tout un passé de gloire ;
Alors, dans les reflets d'un songe vaporeux,
Je vois passer au loin les mânes de nos preux
En cohorte resplendissante.
Jetant à l'Angleterre un sublime cartel.
Et gravant sur nos bords un poème immortel.,
De leur épée éblouissante.
Je compte nos grands noms, soldat, prêtre, trappeur,
Pionniers, chevaliers sans reproche et sans peur,
Tous ceux dont notre orgueil s'honore :
Depuis l'humble martyr qui convertit les cœurs,
Jusqu'au vaillant tribun foudroyant nos vainqueurs
Des éclats de sa voix sonore.
Mais, dans les rangs pressés de ce groupe charmant,
D'un regard anxieux je cherche vainement,
Quel que soit le livre que j'ouvre,
Tous ces he'ros obscurs qui, pour ce sol naissant.
Versèrent tant de fois leurs sueurs et leur sang.
Et qu'aujourd'hui l'oubli recouvre.
Ils furent grands pourtant, ces paysans hardis
Qui, sur ces bords lointains, défièrent jadis
L'enfant des bois dans ses repaires,
Et perçant la forêt l'arquebuse à la main,
Au progrès avenir ouvrirent le chemin...
Et ces hommes furent nos pères 1
— 19 —
Quand la France peuplait ces rivages nouveaux,
Que d'exploits étonnants, que d'immortels travaux,
Que de légendes homériques.
N'eurent pour tous héros que ces preux inconnus.
Soldats et laboureurs, cœurs de bronze, venus
Du fond des vieilles Armoriques !
Le temps les a plongés dans un gouffre béant...
Mais d'exhumer au moins leurs beaux noms du néant,
Qui fera l'œuvre expiatoire ?...
C'est vous, savant abbé 1 c'est votre l^ivre, ami.
Qui se fait leur vengeur, et répare à demi
L'ingratitude de l'Histoire!
I
A M. PAMPHILE LEMAY
*Poète Lauréat de l'Université-Laval.
Poète, on t'applaudit ! poète, on te couronne !
Le laurier du vainqueur sur ta tête rayonne ;
Le passant jette à flots des fleurs sur ton chemin ;
Au tournoi de la lyre on t'a cédé l'arène ;
Ta muse à ses rivaux sourit en souveraine :
Et je ne suis plus là pour te serrer la main !
2.
— 22 —
Pourtant, naguère encore, suivant la même étoile.
Nous n'avions qu'une nef, nous n'avions qu'une voile ;
Nos luths comme nos cœurs vibraient à l'unisson.
Poètes de vingt ans, c'étaient luttes sans trêve :
C'était à qui de nous ferait le plus beau rêve.
C'était à qui ferait la plus belle chanson.
Nous rêvions, nous chantions, — c'était là notre vie.
Et, rivaux fraternels, sans fiel et sans envie,
A la muse des vers nous faisions notre cour.
Tu charmais les zéphyrs, je narguais la bourrasque;
Et nous voguions tous deux, toi songeur, moi fantasque,
L'âme ivre de parfums, de soleil et d'amour.
Nos soirs étaient sereins, nos matins étaient roses,
Tout était calme et pur; nuls nuages moroses
N'estompaient l'horizon, — ô présage moqueur!
J'aimais... et je croyais à l'amitié fidèle ;
Tout me parlait d'espoir, quand le sort d'un coup d'aile
Brisa mes rêves d'or, ma boussole et mon cœur !
— 23 —
L'orage m'emporta loin de la blonde rive
Où ton esquif flottait toujours à la dérive,
Bercé par des flots bleus pleins d'ombrages mouvants.
Et depuis, ballotté par la mer écumante,
Hochet de l'ouragan, jouet de la tourmente,
J'erre de vague en vague à la merci des vents.
Oui, je suis loin, ami ! mais souvent les rafales
M'apportent des lambeaux de clameurs triomphales;
Et j'écoute, orgueilleux, ton nom que l'on redit...
Alors je me demande, en secret, dans mon âme.
Si tu songes parfois, quand la foule t'acclame,
A celui qui jadis tant de fois t'applaudit.
Chicago, octobre 1869.
PAPINEAU
Seul de ces temps féconds en dévoûment épique ;
Seul de tous ces grands cœurs à la trempe olympique
Qui défendaient jadis notre droit menacé,
Sur notre âme imprimant sa gigantesque empreinte,
Il restait là, debout dans sa majesté sainte.
Comme un monument du passé !
- 26 -
/
Les ans n'avaient point su courber son front superbe ;
Et, comme un moissonneur appuyé sur sa gerbe,
Regarde, fatigué, l'ombre du soir venir,
Calme, il se reposait, laissant, vaincu stoïque,
Son œil, encor baigné de lueur héroïque,
Plonger serein dans l'avenir.
Aux bruits de notre époque il fermait sa grande âme ;
Et, sourd aux vains projets dont notre orgueil s'enflamme.
Avec ses souvenirs de gloire et de douleur,
Il vivait seul, laissant ses mains octogénaires,
Qui des forums jadis remuaient les tonnerres,
Vieillir en cultivant des fleurs !
Sa voix, sa grande voix aux sublimes colères,
Sa voix qui déchaînait sur les flots populaires
Tant de sarcasme amer et d'éclats triomphants.
Sa voix qui, des tyrans déconcertant l'audace,
Quarante ans proclama les droits de notre race,
Enseignait les petits enfants !
— 27 —
Lui, le puissant tribun de la foule en démence
Saluait tous les jours d'une clameur immense.
Relégué désormais dans un monde idéal,
Drapé dans sa fierté qu'on croyait abattue,
Il dormait dans l'oubli, gigantesque statue
Arrachée à son piédestal !
Souvent, lorsque le soir de ses lueurs mourantes
Dorait de l'Ottawa les vagues murmurantes,
Au-dessus des flots noirs, sur le coteau penchant,
Où l'aigle canadien avait plié son aile.
On le voyait, debout comme une sentinelle,
Regarder le soleil couchant.
Alors le bruit des eaux brisant sur les écores,
Les murmures du vent dans les grands pins sonores,
La chanson des oiseaux, la plainte des bois sourds.
Tout ce concert confus de rumeurs innommées
Qui s'élèvent, la nuit, de l'onde et des ramées,
Tout lui parlait des anciens jours.
— 28 —
Ouvrant au souvenir l'essor de ses pensées,
Ce débris glorieux de nos grandeurs passées,
Géant d'une autre époque oublié parmi nous.
Comme il vous écrasait de sa hauteur sereine,
Colosses d'aujourd'hui, tourbe contemporaine
Qui n'alliez pas à ses genoux !
Semblable à ces hauts pics dont les cimes neigeuses,
Emergeant au dessus des zones orageuses.
Dressent dans le ciel pur leurs altières splendeurs.
Des brouillards et des bruits du présent dégagée,
Son âme s'élevait radieuse, et plongée
Dans de célestes profondeurs.
Gloire, succès, revers, douleurs, luttes sans trêve,
Tout un monde endormi s'éveillait comme un rêve;
Il lui semblait entendre, au milieu des rumeurs,
Appel désespéré d'un peuple qui s'effare.
Son grand nom résonner, ainsi qu'une fanfare,
Au dessus d'immenses clameurs.
— 29 —
Mystérieux échos du passé ! les rafales
Lui jetaient comme un bruit de marches triomphales
Puis son oeil s'allumait d'une étrange clarté :
Aux éclats de la poudre, au son de la trompette,
11 avait entendu claquer dans la tempête
Le drapeau de la liberté !
11 regardait passer, dans ui\ songe extatique,
Tous ces héros d'un jour sortis d'un moule antique,
Immortelle phalange au courage invaincu
Qu'il commandait jadis ; et, la main sur l'histoire,
Il comptait en pleurant les compagnons de gloire
Auxquels il avait survécu.
Puis la scène changeait. Insondable mystère
Qui fait presque toujours succéder sur la terre
Aux triomphes d'hier les r-evers d'aujourd'hui !
Sur des débris fumants, gémissante et meurtrie,
Comme un spectre livide, il voyait la Patrie
Pâle se dresser devant lui!...
3
— 3o —
Puis les longs jours d'exil, puis les regrets sans nombre.
Les rêves envolés, l'espe'rance qui sombre,
Les chagrins du vaincu, la morgue des vainqueurs,
La trahison, l'oubli, l'âge, la solitude ;
Enfin l'inévitable écueil, l'ingratitude.
Où se heurtent tous les grands cœurs 1
Et pourtant, — ô chaos de la pensée humaine !
Ce génie, héritier de quelque ombre romaine,
Avait encore en lui des éblouissements ;
Par moments son regard se remplissait d'aurore ;
Et, penché sur la tombe, il méditait encore
De sublimes enfantements 1
Vain héroïsme 1 Un soir, la mort, la mort brutale
Vint le toucher au front de sa marque fatale ;
Vaincu par l'âge, hélas ! ce mal sans guérison,
Il voulut voir encore, assis à sa fenêtre.
Pour la dernière fois, plonger et disparaître
L'astre du jour à l'horizon.
— 3i —
Le spectacle fut grand, la scène saisissante !
Des derniers feux du soir la lueur pâlissante
Eclairait du vieillard l'auguste majesté;
Et dans un nimbe d'or, clarté mystérieuse,
L'on eût dit que déjà sa tète glorieuse
Rayonnait d'immortalité !
Longtemps il contempla la lumière expirante ;
Et ceux qui purent voir sa figure mourante,
Que le reflet vermeil de l'Occident baignait,
Crurent, — dernier verset d'un immortel poème,
Voir ce soleil couchant dire un adieu suprême
A cet astre qui s'éteignait !
Ce n'était pas la mort, c'était l'apothéose 1...
Maintenant parlons bas : il est là qui repose
Au détour du sentier si sauvage et si beau
Qu'il aimait tant, le soir, à gravir en silence ;
Et les grands ormes verts que la brise balance
Soupirent seuls sur son tombeau.
— 32 —
Passants qui visitez cet endroit solitaire,
Inclinez-vous ! c'est plus qu'un puissant de la terre,
C'est presque un siècle entier qui dort là ; car celui
Qui mit sur Papineau la dalle mortuaire,
Avait enveloppé dans 1^ même suaire
Tout un passé mort avec lui !
Il fut toute une époque, et longtemps notre race
N'eut que sa voix pour glaive, et son corps pour cuirasse.
Courbons-nous donc devant ce preux des jours anciens.
S'il ne partagea point nos croyances augustes.
N'oublions pas qu'il fut juste parmi les justes,
Et le plus grand parmi les siens !
!^
A HENRY W. LONGFELLOW
Q^ l'occasion de son voyage en Europe.
Un soir, tu t'envolas comme l'oiseau de mer
Dont le coup d'aile altier nargue le gouffre amer ;
Et moi, debout sur la colline.
Murmurant à la brise un chant d'Hiawatha,
Longtemps je regardai le flot qui t'emporta,
O doux chantre d'Evangeline !
3;
-34-
Comme on voit l'astre d'or, plongeant au sein des eaux,
Laisser derrière lui de lumineux réseaux
Dorer les vagues infinies,
Quand ta barque sombrait à l'horizon brumeux,
On entendit longtemps sur l'abîme écumeux
Flotter d'étranges harmonies.
Tu caressais ton luth d'un doigt mélodieux,
O barde ! et je t'ai vu d'un long regard d'adieux
Embrasser nos rives aimées.
Rêvant pour ton retour d'innombrables moissons
De poèmes ailés, de sublimes chansons
Et de légendes parfumées.
Tu partis, et longtemps ta lyre résonna
Des vallons de Kildare aux penchants de l'Etna,
Sur le Danube et sur la Loire ;
Et, brillante fanfare ou fier coup de canon,
La brise qui soufflait nous apportait ton nom
Dans un long murmure de gloire !
— 33 —
Dans ces pays dorés où l'art a des autels,
Tu passais, saluant tous les fronts immortels
De l'Europe, en grands noms féconde ;
Et, de Rome à Paris, de Londres à Guemesey,
Les maîtres t'acclamaient, rival improvisé
Qui surgissais du Nouveau-Monde...
Mais, comme une aile blanche ouverte dans le vent,
J'ai vu poindre une voile aux lueurs du Levant,
Dans un rayonnement féerique !
Le bronze de Cambridge a grondé dans sa tour ;
Et, dans son noble orgueil, d'un long frisson d'amour
Tressaille la jeune Amérique !
Ecoutez !... mille voix s'élèvent dans les airs.
De la cité vivante et du fond des déserts
Monte une immense symphonie.
Ecoutez ces accents, par la brise portés
Des bords de la Floride aux coteaux enchantés
De la blonde Pensvlvanie !
— 36 —
Des gorges du Catskill au rivage lointain
Où le vieux Missouri, dans son cours incertain,
Roule ses eaux couleur d'orange ;
Sous les arceaux touffus des grands bois ténébreux,
Au bord des lacs géants et des bayous ombreux,
S'élève une cantate étrange.
Hosanna ! ces rumeurs, ces chants mystérieux,
C'est un monde hélant son barde glorieux;
Car le flot dont tu t'environnes,
O vieux roc de Plymouth, berce encor ton enfant,
Poète bien-aimé qui revient triomphant.
Le front tout chargé de couronnes !
Août 1869.
m^im
A MON FILLEUL
L,-H.'A, Archambault.
Toi que la vie à peine effleure de son aile ;
Toi qui de l'innocence, au fond de ta prunelle,
Gardes encore l'e'clat vermeil ;
Enfant ! toi dont les jours sont pleins de douces choses,
Et qui ne vois, la nuit, que des chimères roses
Qui se penchent sur ton sommeil !
— 38 —
Toi qui goûtes encore les tendresses sans nombre
De celle devant qui s'effacent comme une ombre
Toutes nos amitiés d'un jour !
Qui de purs dévoûments n'est jamais assouvie ;
Qui nous donne son sang, et qui nous fait la vie
Douce comme un baiser d'amour !
Toi qui sais les effets sans deviner les causes,
Et qui souris de voir nos figures moroses
S'e'panouir à tes ébats ;
Toi dont le cœur est comme une onde transparente,
Et dont la foi naïve est encore ignorante
Des tristes choses d'ici-bas !
Ecoute! il est un temps dans l'existence humaine,
Où, sous le lourd fardeau que l'âge nous amène,
Le front se penche soucieux;
Où le cœur se flétrit, où l'âme desséchée,
Comme une pauvre fleur à sa tige arrachée,
S'effeuille à tous les vents des cieux !
-39-
Un temps où les soucis, de leurs ongles arides,
Sur nos traits fatigués ont buriné leurs rides
Au milieu d'étranges pâleurs ;
Où l'homme mûr qui sent venir sa fin prochaine.
Traîne derrière lui comme une immense chaîne
Dont les anneaux sont des douleurs 1
Une époque où souvent, gémissante et blessée,
Après avoir du ciel où planait sa pensée
Vu fuir les blanches visions,
L'âme humaine, égarée aux détours de la route,
S'achemine à tâtons dans les sentiers du doute,
Veuve de ses illusions 1
Tu ne sais pas encor par quel triste mystère
L'on rencontre, parmi les puissants de la terre,
Tant de fronts sombres et rêveurs...
Crois-moi, même ceux-là sont peu dignes d'envie,
Car les fruits les plus beaux de l'arbre de la vie
Ont souvent d'améres saveurs !
— 40 —
Ah ! si l'ange qui tient le fil des destine'es,
A jamais suspendant le cours de tes années,
Pouvait, d'un arrêt souverain,
Eterniser un jour sous ta paupière humide
Le rayon saint et pur que ton âme candide
Fait luire dans ton œil serein !
Si tu pouvais garder ton enfance suave ! . . .
Mais tu vieillis aussi ; ton front devient plus grave ;
Bientôt ta raison va s'ouvrir
Aux secrets d'ici-bas qu'il nous faut tous connaître
Tôt ou tard, ô mon ange 1 — et ce sera peut-être
Demain à ton tour de souffrir !
Mais non ! de miel doré ta coupe est pleine encore
Souris à l'avenir ; ta radieuse aurore
Brille d'un éclat triomphant !
Mais aux déceptions que ton cœur s'accoutume !
Et qu'il arrive tard le jour plein d'amertume
Où tu regretteras de n'être plus enfant !
LA DERNIERE IROQUOISE
o^ Paul Blanchemain.
Nous sommes sur les bords du Saint-Laurent sauvage.
Le fleuve, déployant l'orbe de son rivage,
En gracieux ovale épanche son flot pur.
Avec ses roseaux verts chantant comme une harpe,
La rive se déroule en amoureuse écharpe
Encadrant un miroir d'azur.
' 4
_ 42 —
Du fond de la forêt montent des voix sans nombre.
Comme un œil entr'ouvert au fond de la nuit sombre,
La lune, projetant ses longs rayons blafards,
Découpe des grands pins les ramures e'tranges,
Dont l'ombre se dessine en gigantesques franges
Flottant parmi les nénuphars.
L'oiseau de nuit, quittant sa pose taciturne,
S'envole en tournoyant, et sa clameur nocturne
Eveille des grands bois l'écho retentissant.
Tout est calme ; et pourtant, dans le couchant rougeâtre.
Sinistre précurseur, un nuage grisâtre
Etend son voile menaçant.
II
Voyez là-bas, longeant les détours de la grève,
Comme un vague fantôme entrevu dans un rêve,
Une ombre se glisser d'un pas lent elt discret.
Aux lueurs de la nuit, sa silhouette grise
Se détache, en passant, vacillante, indécise,
Sur le fond noir de la forêt.
-43 -
La brise nous apporte une plainte étouffée ...
Est-ce l'Esprit des bois ? Est-ce un spectre, une fée,
Qui vient gémir au bord des flots silencieux ?
Non, c'est un être humain ; c'est l'enfant des savanes.
Qui vient parfois la nuit rêver sous les platanes,
L'œil hagard, le front soucieux.
Roseau longtemps en butte au vent de la tempête,
C'est une femme ; l'âge appesantit sa tête,
Et la ride du temps creuse ses traits flétris.
Fille de l'Iroquois à l'âme sanguinaire.
De tout son peuple éteint rejeton centenaire.
C'est le seul et dernier débris.
Dans les drames sanglants que raconte l'histoire.
Elle vit sa tribu périr au champ de gloire ;
Et quand eut succombé le dernier de ses preux.
Elle se retira dans un antre sauvage,
Pour pleurer sa grandeur et mourir au rivage
Du fleuve aimé de ses aïeux.
— 44 —
Elle s'est arrêtée au pied d'un chêne énorme ;
Et, tout en dérobant quelque chose d'informe
Sous les plis déchirés d'un large manteau gris,
Elle parle, et sa voix lugubre et monotone
Semble le grincement et la bise d'automne,
Dans les vieux ormes rabougris :
III
« O fleuve qui sans fin roules tes noires ondes 1
Forêts dont j'aimai tant les retraites profondes !
Sentiers que tant de fois j'ai parcourus le soir !
Collines qui bordez ces berges solitaires !
Rochers silencieux 1 antres pleins de mystères !
Pour la dernière fois j'ai voulu vous revoir.
Vos maîtres ont passé comme le flot qui coule
Sur ces grèves ! ainsi que le vent qui roucoule,
La nuit, de sapins en sapins !
Comme un esquif léger qu'entraîne la dérive . .
Et mon œil fatigué cherche en vain sur la rive
La trace de leurs mocassins.
— 43 —
Fleuve, te souvient-il de ces jours sans nuage,
Quand, dressant au printemps son wigAvam sur ta plage,
L'Iroquois sur tes bords venait chasser le daim !
De nos courses sans fin te souvient-il encore,
Quand le vol cadencé de l'aviron sonore
Emportait nos canots bondissant sur ton sein ?
Te souvient-il encor de la brune Indienne,
Dont la voix se mêlait, sonore, aérienne,
Aux mille murmures du soir,
Quand elle suspendait à la frêle liane,
Et balançait au vent sa mouvante nâgane,
Berceau d'un guerrier à l'oeil noir ?
Te souvient-il aussi, quand, vengeurs intrépides,
Nos bandes poursuivaient de leurs flèches rapides
Leurs ennemis fuyant la rage dans le cœur ?
Ou bien, sortant soudain de leur mille embuscades,
Couvraient de leurs clameurs la voix de tes cascades,
Et brandissaient dans l'ombre un tomahawk vainqueur?
4-
-46-
Hélas ! ils ne sont plus ... et sous les sombres dômes
De tes forêts, la nuit, on entend leurs fantômes
Mêler leur plainte au bruit du vent.
Ils sont morts ! et tes flots qu'ils dominaient naguère,
Tes flots ont oublié le noble chant de guerre
Qu'ils entendirent si souvent !
Malheur ! malheur ! malheur ! à ces Visages-Pâles
Dont les rangs hérissés de foudres infernales
Ont fait de nos guerriers un carnage inouï !
Leurs victimes encore attendent la vengeance . . .
Puisse de ces vautours l'exécrable puissance
S'écrouler sous le bras du fier Areskouï !
Puisse-t-il, dévastant leurs retraites impures,
Les traquer, les saisir, scalper leurs chevelures,
Broyer leurs membres palpitants,
Entonner sur leurs corps l'hymne de la victoire ;
Rougir ses mocassins dans leur sang, et le boire
Dans leurs crânes encor fumants ! »
— 47 —
IV
Elle se tait. Sa voix, comme les cris funèbres
Que poussent dans la nuit les oiseaux des ténèbres,
Va d'échos en échos mourir dans la forêt ;
Son œil sombre, où s'allume une clarté féroce,
A semblé refléter quelque pensée atroce.
Quelque épouvantable projet !
Un sourire infernal se crispe sur sa bouche ;
Son sourcil se contracte, et son regard farouche
Lance au ciel un éclair amer et triomphant ;
Sa main s'arme soudain d'une lame acérée ;
Et le large manteau dont elle est entourée
S'entr'ouvre et nous montre un enfant !
Un tout petit enfant doux et blond comme un ange
Inconscient acteur de cette scène étrange,
Il ouvre en souriant son œil de séraphin ;
Sa blancheur, son regard pur comme l'innocence,
Ses riches vêtements, tout trahit sa naissance :
C'est le fils du seigneur voisin !
Sous les épais rideaux d'une alcôve fermée.
Il dormait, et, planant sur sa couche embaumée.
L'essaim des rêves d'or baisait son front si beau ;
Quand, nourrissant déjà son projet de vengeance,
L'Iroquoise au manoir se glissait en silence,
Et l'arrachait à son berceau.
Pauvre mère, tu dors; et tandis que les songes,
Bercent ton cœur aimant de leurs riants mensonges.
Le malheur sur ton front pose sa lourde main ;
Peut-être crois-tu voir un ange au doux sourire.
Qui presse dans ses bras ton enfant qui soupire ;
Quel sera ton réveil demain ! . . ,
— 49
Cependant sur les flots s'épaississent les ombres :
Le ciel voile ses feux sous des nuages sombres;
Le vent dans la forêt a soufflé sourdement ;
La cime des grands pins se courbe et se relève ;
Et le fleuve écumeux vient balayer la grève
De son flot naguère dormant.
La tempête partout jette son cri sublime ;
Le tonnerre roulant au-dessus de l'abîme,
Comme un boulet d'airain sur un dôme de fer,
Eclate, et tout d'un coup, d'un jet de flamme horrible,
Embrase un vieux tronc sec, dont la lueur terrible
Eclaire un spectacle d'enfer.
- 5o —
L'Iroquoise était là, comme ces noirs génies
Que l'on croit voir parfois dans les nuits d'insomnies ;
Ses cheveux hérissés se tordaient sous le vent ;
L'enfant, paralysé sous sa farouche étreinte,
Immobile semblait l'oiseau saisi de crainte
Que fascine l'oeil du serpent.
Horrible cauchemar ! sa prunelle de louve
Fixe avec volupté sa victime, et la couve
D'un regard infernal ; puis le monstre en fureur,
L'élevant tout à coup au-dessus de sa tête.
Pousse un cri . . . mais en vain, la voix de la tempête
Est plus forte que sa clameur.
Ombres de ses sachems, manitous de la plage.
Esprits, éveillez-vous 1 C'est vous que dans sa rage
Elle veut pour témoins de son acte sanglant !
Elle veut sous vos yeux finir son existence,
En vous offrant au moins pour dernière vengeance,
Le sang d'un jeune guerrier blanc !
— 31 —
Horreur ! Elle soutient sa victime éperdue
D'une main ; et, de l'autre un instant suspendue,
Elle lui plonge au cœur son arme qui reluit...
Un cri part, un seul cri ; puis un hoquet, un râle ;
Une goutte de sang sur une lèvre pâle :
Et la petite âme s'enfuit.
Puis la rage du monstre atteint son apogée ;
En un délire affreux sa fureur s'est changée ;
Elle foule du pied le cadavre meurtri ;
Et poussant des éclats d'un rire satanique,
Elle danse alentour une ronde cynique,
Comme en rêvait Alighieri.
Ainsi qu'un tourbillon dans l'angle d'un abîme,
L'Iroquoise tournait autour de sa victime,
Aux lueurs du flambeau par la foudre allumé ;
Puis, saisissant soudain la frêle créature,
Elle scalpe en hurlant sa blonde chevelure
De son poignard envenimé !
— 52 —
Puis se ruant encor sur la froide dépouille,
La frappe, la déchire, et dans sa rage fouille
La blessure béante ouverte dans son flanc ;
Comme un vautour féroce, aux entrailles s'attache,
Lui découvre le cœur, de ses ongles l'arrache,
Et le dévore tout sanglant !
VI
Plongeant dans les ajoncs et les algues verdâtres,
Une roche là-bas baigne ses flancs grisâtres,
Comme un nid d'alcyon caché dans les roseaux ;
C'est là qu'elle s'enfuit, mi-nue, échevelée.
Et le vent se heurtant sur la roche ébranlée,
Lui jette l'écume des eaux.
Là, debout sur le roc, et promenant dans l'ombre
Ses regards où fulmine un feu terrible et sombre,
Le monstre pousse encore un cri rauque et perçant :
« Je suis vengée enfin ! » . . . Elle dit et s'élance . . .
Et la fille des bois meurt avec sa vengeance
Au fond du gouffre mugissant.
— 53 —
VII
ÉPILOGUE
Le lendemain matin, deux pêcheurs du village,
Passant près de l'endroit, trouvèrent sur la plage
Les seuls restes épars de ce drame émouvant.
On planta sur la rive une croix ignorée,
Kt l'on dit que le soir une mère éplorée
Y revint pleurer bien souvent.
Et depuis lors, la nuit, sur la vague dormante,
On voit courir, dit-on, une torche fumante
Projetant sur les flots comme un long filet d'or ;
Est-ce l'enfant des bois qui pleure sa victime ?
Est-ce l'ange vengeur du crime ?
Nul mortel ne le sait encor !
1861.
LA FORET CANADIENNE
c^ Laurent'Pichat.
C'est l'automne. Le vent balance
Les ramilles, et par moments
Interrompt le profond silence
Qui plane sur les bois dormants.
I
Des flaques de lumière douce
Tombant des feuillages touffus,
Dorent les lichens et la mousse
Qui croissent au pied des grands fûts.
— 56 -
De temps en temps, sur le rivage,
Dans l'anse où va boire le daim.
Un écho s'éveille soudain
Au cri de quelque oiseau sauvage.
La mare sombre aux reflets clairs
Dont on redoute les approches
Caresse vaguement les roches
De ses métalliques éclairs.
Et sur le sol, la Heur et l'herbe,
Sur les arbres, sur les roseaux,
Sur la croupe du mont superbe.
Comme sur l'aile des oiseaux,
Sur les ondes, sur la feuillée.
Brille d'un éclat qui s'éteint
Une atmosphère ensoleillée : -
C'est l'Été de la St-MartinI
- ^7 —
L'époque où les feuilles jaunies
Où le ciel brode un retiet d'or
Emaillent la forêt qui dort
De leurs nuances infinies.
O fauves parfums des forêts !
O doux calme des solitudes !
Qu'il fait bon, loin des multitudes.
Rechercher vos âpres attraits !
Ouvrez-moi vos retraites fraîches !
A moi votre dôme vermeil,
QiJ^^transpercent comme des flèches
Les tièdes rayons du soleil 1
Je veux, dans vos sombres allées,
Sous vos grands ormes chevelus,
Songer aux choses envolées
Sur l'aile des temps révolus.
b.
— 58 —
Rêveur ému, sous votre ombrage,
Oui, je veux souvent revenir,
Pour e'voquer le souvenir
Et le fantôme d'un autre âge.
Aux profondeurs de vos taillis,
Je veux lire votre poème,
O mes belles forêts que j'aime !
Vastes forêts de mon pays !
Oui, j'irai vojir si les vieux hêtres
Savent ce que sont devenus
Leurs rois d'alors, vos anciens maîtres,
Les guerriers rouges aux flancs nus.
Vos troncs secs, vos buissons sans nombre
Me diront s'ils n'ont pas jadis
Souvent vu ramper dans leur ombre
L'ombre de farouches bandits.
— 39 —
J'interrogerai la ravine
Où semble se dresser encor
Le tragique et sombre décor
Des sombres drames qu'on devine
La grotte aux humides parois
Me dira les sanglants mystères
De ces peuplades solitaires
Qui s'y blottirent autrefois.
Je saurai des pins centenaires,
Que la tempête a fait ployer,
Le nom des tribus sanguinaires
Dont ils abritaient le foyer.
J'irai, sur le bord des cascades,
Demander aux rochers ombreux
A quelles noires embuscades
Servirent leurs flancs ténébreux.
— 6o —
Je chercherai, dans les savanes,
La trace des grands élans roux
Que riroquois, l'œil en courroux,
Chassait jadis en caravanes.
Enfin, quelque biche aux abois,
Dans mon rêve où le tableau change,
Fera surgir le type étrange
De nos hardis coureurs des bois.
Et... brise, écho, feuilles légères,
Souples rameaux, fourrés secrets,
•Oiseaux chanteurs, molles fougères
Qui bordez les sentiers discrets,
Bouleaux, sapins, chênes énormes,
Débris caducs d'arbres géants,
Rocs moussus aux masses difformes,
Profondeurs des antres béants,
— 6i -
Sommets que le vent décapite,
Gorge aux imposantes rumeurs,
Cataracte aux sourdes clameurs :
Tout ce qui dort, chante ou palpite.
Dans ses souvenirs glorieux
La forêt entière drapée,
Me dira l'immense épopée
De son passé mystérieux !
Mais, quand mon oreille attentive
De tous ces bruits s'enivrera
Tout près de moi retentira...
Un sifflet de locomotive 1
ttttttttttttttttttttttttttttt
REMINISCOR
04 Alphonse Lusignan.
D'un poète aimé j'ai fermé le tome,
Et pensif je songe à toi, mon ami ;
Car le souvenir, gracieux fantôme,
Hante bien souvent mon cœur endormi.
- (34 -
Je pense au passé, beaux jours de jeunesse,
Des illusions âge décevant,
Songe passager, temps de folle ivresse,
Flot de poudre d'or qu'emporte le vent !
Nous avions pour nid la même mansarde ;
Le coeur près du cœur, la main dans la main,
Nous allions gaîment... Oh! oui, Dieu me garde
D'oublier ces jours, fleurs de mon chemin !
Ah! je l'aime encor ce temps de bohème,
Où chacun de nous par jour ébauchait
Un roman boiteux, un chétif poème
Où presque toujours le bon sens louchait.
Oui, je l'aime ençor ce temps de folie
Où le vieux Cujas, vaincu par Musset,
S'en allait cacher sa mélancolie
Dans l'ombre où d'ennui Pothier moisissait.
— 65 —
Nos quartiers étaient à peine accessibles ;
Splendide grenier, mais logis mesquin ;
Confuse babel d'objets impossibles :
La toge romaine au dos d'Arlequin !
C'était un spectacle à rompre la rate
Que ce galetas à moitié salon,
Où Scarron faisait la nique à Socrate,
Où Scapin donnait réplique à Solon.
Partout des chiffons et des paperasses,
Croquis et bouquins, fleurets et débris,
Pandémonium d'articles cocasses,
Jonchant, constellant parquets et lambris.
Flanqué d'un cummer et d'une chibouque.
Suspendu dans l'ombre au mur vacillant.
Un portrait en cap du nègre Soulouque
Faisait la grimace à mon chien Vaillant.
6
— 66 —
En face, perché sur une corniche,
Un plâtre poudreux nous montrait à nu
Diane chassant avec son caniche
Aux bords de l'Ismène Actéon cornu.
Sur un vieux rayon tout blanc de poussière,
Rabelais donnait le bras à Caton ;
Pascal et Newton coudoyaient Molière,
Gérard de Nerval masquait Duranton.
Il me semble voir la table rustique
A la jambe torse, au pied de travers,
Où nous écrivions en style emphatique
Nos lettres d'amour et nos premiers vers.
Et tous ces amis à la joue imberbe,
Que les soirs d'hiver chez nous rassemblaient,
Ministres futurs, grands hommes en herbe.
Que les noirs soucis jamais ne troublaient.
-67-
Gaudemont vantait son Italienne ;
Sur un pan du mur Moreau crayonnait;
Buteau nous chantait quelque tyrolienne ;
Pendant que Faucher ratait un sonnet;
Henri nous gâchait de la politique ;
Arthur de son geste éclipsait Talma ;
Vital aiguisait sa verve caustique,
Et Lemay rêveur chantait Sélima.
Il me semble voir la piteuse lippe
Que tu nous faisais quand, tant soit peu gris,
Un profane osait, allumant sa pipe,
Déclarer la guerre à tes manuscrits.
Musique, peinture, amour, poésie.
Jeunesse et gaîté, brillants tourbillons,
Vous nous embaumiez de votre ambroisie :
Vous tissiez nos jours avec nos rayons 1
— 68 —
Et quand venait mai dorer notre chambre,
Ouvrant la fenêtre au printemps vermeil,
Nous respirions l'air tout parfumé d'ambre
Qui venait des prés tout pleins de soleil.
Bientôt, à son to ur , la croisée !
Et chaque matin, au sortir du lit,
Nous allions aux champs, malgré la rosée,
Surprendre les fleurs en flagrant délit.
Oh ! qu'il faisait bon aller sous les ormes,
Guetter l'alouette au bord des ruisseaux,
Voir glisser la nue aux flocons énormes.
Ecouter chanter les petits oiseaux 1
Te souvient-il bien de nos promenades,
Quand, flâneurs oisifs, les cheveux au vent,
Nous allions rôder sur les Esplanades,
Où l'on nous lançait maint coup d'oeil savant ?
-69-
Tout était pour nous sujet d'amusettes ;
Sans le sou parfois, mais toujours contents,
Nous suivions aussi le pas des grisettes...
Nous rendions des points à Roger Bontemps.
Je t'ai vu souvent faisant pied de grue,
Pour lorgner dans l'ombre un joli chignon,
Ou pour voir comment, traversant la rue.
Une jambe fine orne un pied mignon.
Et nous rêvions gloire, amour et fortune...
Et, comme en rêvant l'homme s'étourdit,
Nous nous découpions des fiefs dans la lune,
Le soir, en allant souper à crédit.
Nous aurions voulu, tant nous sentions battre
D'ardeur et d'espoir nos cœurs de vingt ans,
Ivres de désirs, monter quatre à quatre,
— Fous que nous étions ! — l'échelle du temps.
6.
70 —
Nos âmes brûlaient pour la même cause ;
Nos cœurs s'allumaient au même foyer;
Et quand arrivait l'heure où tout repose,
Nous nous partagions le même oreiller.
Nos soirs n'avaient point de songes moroses ;
Tu rêvais à tout ce que nous aimions ;
Moi, je rêvais à... mais, comme les roses,
Le souvenir même a ses aiguillons.
Et pourtant celui de ce temps m'enivre...
Beaux jours sans soucis et nuits sans remords.
Où le seul bonheur de se sentir vivre
Remplissait d'émoi nos cœurs jusqu'aux bords!
Mais plus tard, hélas ! le vent de la vie
Sur notre lac pur soufflant sans pitié,
Il nous fallut fuir la route suivie
Depuis si longtemps par notre amitié !
— 71
Petit à petit vinrent les jours sombres :
Chaque lendemain nous désabusait...
Mais l'éclair ne luit que mieux dans les ombres;
A l'or le plus pur il faut le creuset.
Aux réalités il fallut se rendre,
Quand un beau matin l'âge nous parla;
Il restait encor deux chemins à prendre;
Je choisis l'exil, toi l'apostolat.
C'étaient deux billets à la loterie :
Le plus triste lot me fut départi...
Le sort me traitait sans cajolerie : ^
Je lui ris au nez et pris mon parti!
Depuis lors, narguant tout ce qui me froisse,
En vrai Paturot passé bonnetier,
J'amasse un pécule, et de ma paroisse
J'aspire à l'honneur d'être marguillier.
— 72 —
Je me moralise et j'envoie au diantre
Murger et Musset, surtout Béranger;
Je ne chante plus, mais je prends du ventre.
On nomme cela, je crois, se ranger.
Cependant, le soir, au feu qui pétille,
Quand passe ma main sur mon front lassé.
Parfois une larme à mon œil scintille :
Ah ! c'est que, vois-tu, j'aime le passé.
J'aime le passé, qu'il chante ou soupire,
Avec ses leçons qu'il faut vénérer,
Avec ses chagrins qui m'ont fait sourire.
Avec ses bonheurs qui m'ont fait pleurer !
Et puis, à tous bruits fermant ma fenêtre,
Divisant mon cœur moitié par moitié,
J'ai fait pour toujours deux parts de mon être
L'une est au devoir, l'autre à l'amitié !
Chicago, mars 1868.
fffffffffffffffffffffff
SUR LE MISSISSIPI
cY mon compagnon de voyage Alphonse Leduc.
Salut! Père-des-Eaux, fécond Meschacébé,
Fleuve immense qui tiens tout un monde englobé
Dans tes méandres gigantesques !
Toi dont les flots sans fin, rapides ou dormants,
A des bords tout peuplés de souvenirs charmants
Chantent cent poèmes dantesques !
I
— 74 —
Comme l'antique Hercule, ô colosse indompté,
Tu t'en vas promenant ta fière majesté
De TEquinoxe jusqu'à l'Ourse ;
Et ton onde répète aux tièdes océans
L'épithalame étrange et les concerts géants
Des glaciers oîi tu prends ta source.
Tu connais tous les cieux, parcours tous les climats.
La pirogue indienne et le pesant trois-mâts
Te parlent de toutes les zones.
L'aigle ami des hivers, le pélican frileux,
Le sombre pin du Nord, et le coton moelleux
Se mirent dans tes vagues jaunes.
Vois ! tandis qu'à tes pieds, sur ton cours attiédi,
L'oranger qui se berce aux brises du midi,
Verse ses parfums et son ombre,
A ton front les sapins, accroupis à fleur d'eau,
Te tressent, blancs de givre, un éternel bandeau
De leurs arabesques sans nombre.
-75-
Là, sur tes bords glacés où mugit l'aquilon,
Les chasseurs vont traquant l'ours du Septentrion
De leurs flèches et de leurs piques ;
Ici, dans les détours où dorment tes remous.
Les noirs alligators, foulant tes sables mous,
Bâillent au soleil des tropiques.
Et puis, ô fleuve ! il semble, indécises rumeurs,
Que la voix du passé chante dans tes clameurs,
Quand ton flot se frange d'écume ;
Et qu'au fond des grands bois sur la rive penchés
On entrevoit, la nuit, l'ombre des vieux Natchez
Errer vaguement dans la brume.
O Chactasl Atala! c'est vous qui revenez,
A l'abri des vieux troncs par l'orage inclinés.
Voir passer les eaux murmurantes ;
Et toi, chantre immortel qui fis leurs noms si beaux.
Quittes-tu quelquefois la poudre des tombeaux.
Pour suivre leurs formes errantes ?
-76-
Oui, fantômes aimés, vous y venez souvent ;
Et voilà ce qui fait que, dans la voix du vent.
Soit qu'elle brame dans les landes,
Ou ronfle sur ta berge, ô vieux Meschacébé !
Le passant croit ouïr, quand le soir est tombé,
De mystérieuses légendes !
Beau fleuve! emporte-moi dans ta course sans frein.
Souffle-moi tes senteurs, chante-moi ton refrain,
Endors-moi sur ta large lame ;
Que tes rayons dorés baignent mon front pâli !
Nouveau René, vers toi je viens chercher l'oubli :
Donne-moi son amer dictame !
Novembre 1870.
RENOUVEAU
q4 ma Femme.
\
Il faisait froid. J'errais dans la lande de'serte,
Songeant, rêveur distrait, aux beaux jours envole's ;
De givre étincelant la route était couverte,
Et le vent secouait les arbres de'solés.
7
-78-
Tout à coup, au détour du sentier, sous les branches
D'un buisson de'pouille', j'aperçus, entr'ouvert,
Un nid, débris informe où quelques plumes blanches
Tourbillonnaient encor sous la bise d'hiver.
Je m'en souviens : — c'était le ht d'une linotte
Que j'avais, un matin du mois de mai dernier,
Surprise, éparpillant sa merveilleuse note
Dans les airs tout remplis d'arôme printanier.
Ce jour-là, tout riait ; la lande ensoleillée
S'enveloppait au loin de reflets radieux ;
Et, sous chaque arbrisseau, l'oreille émerveillée
Entendait bourdonner des bruits mélodieux.
Le soleil était chaud, la brise caressante ;
De feuilles et de fleurs les rameaux étaient lourds...
La linotte chantait sa gamme éblouissante
Près du berceau de mousse où dormaient ses amours.
— 79 —
Alors, au souvenir de ces jours clairs et roses,
Qu'a remplacés l'automne avec son ciel marbré.
Mon cœur, — j'ai quelquefois de ces heures moroses,-
Mon cœur s'émut devant ce vieux nid délabré.
Et je songeai longtemps à mes jeunes années,
Frêles fleurs dont l'orage a tué les parfums;
A mes illusions que la vie a fanées,
Au pauvre nid brisé de mes bonheurs défunts !
Car quelle âme ici-bas n'eut sa flore nouvelle,
Son doux soleil d'avril et ses tiédes saisons ?
Epanouissement du cœur qui se révèle I
Des naïves amours mystiques floraisons 1
O jeunesse! tu fuis comme un songe d'aurore...
Et que retrouve-t-on, quand ton rêve est fini >
Quelques plumes, hélas ! qui frissonnent encore
Aux branches où le coeur avait bâti son nid.
8o —
II
Et je revins chez moi, ce soir-là, sombre et triste...
Mais quand la douce nuit m'eut versé son sommeil.
Dans un tourbillon d'or, de pourpre et d'améthyste,
Je vis renaître au loin le beau printemps vermeil.
Je vis, comme autrefois, la lande, ranimée.
Etaler au soleil son prisme aux cent couleurs ;
Des vents harmonieux jasaient dans la ramée,
Et des rayons dorés pleuvaient parmi les fleurs !
La nature avait mis sa robe des dimanches...
Et je vis deux pinsons, sous le feuillage vert.
Qui tapissaient leur nid avec ces plumes blanches
Dont les lambeaux flottaient naguère au vent d'hiver.
— 8i —
O Temps ! courant fatal où vont nos destinées,
De nos plus chers espoirs aveugle destructeur,
Sois béni ! car, par toi, nos amours moissonnées
Peuvent encor revivre, ô grand consolateur!
Dans l'épreuve, par toi, l'espérance nous reste...
Tu fais, après l'hiver, reverdir les sillons ;
Et tu verses toujours quelque baume céleste
Aux blessures que font tes cruels aiguillons.
Au découragement n'ouvrons jamais nos portes :
Après les jours de froid viennent les jours de mai ;
Et c'est souvent avec ces illusions mortes
Que le cœur se refait un nid plus parfumé !
^î4^?^4^p$^^4sf$'«^î^^f^î^tf$î
LE PREMIERS JANVIER
q4 N. Legendre.
Tempns edax rernin.
Vents qui secouez les branches pendantes
Des sapins neigeux au front blanchissant;
Qui mêlez vos voix aux notes stridentes
Du givre qui grince aux pieds du passant;
-84-
Nocturnes clameurs qui montez des vagues,
Quand l'onde glacée entre en ses fureurs ;
Bruits sourds et confus, rumeurs, plaintes vagues
Qui troublez du soir les saintes horreurs ;
Craquement du froid, murmures des ombres,
Frissons des forêts que l'hiver étreint.
Taisez-vous!... Du haut des vastes tours sombres,
La cloche a jeté ses sanglots d'airain !...
Voix mystérieuse au fond du ciel blême.
Le bronze a sonné douze coups, — minuit
C'est le dernier mot, c'est l'adieu suprême
Que le présent jette au passé qui fuit.
Minute fatale, insensible étape.
Rapide moment si tôt emporté.
Cet instant qui naît et qui nous échappe
A fait faire un pas à l'Eternité !
— 85 —
Plus prompt que l'éclair ou l'oiseau qui vole,
Ce temps qu'on dépense en vœux superflus,
Ce temps qu'on gaspille en calcul frivole,
Quand on va l'atteindre, il n'est déjà plus!
Un an vient de fuir, un autre commence...
Penseurs érudits, raisonneurs subtils,
Vous qui disséquez la nature immense,
Ces ans qui s'en vont, dites, où vont-ils ?
Ils vont où s'en va'tout ce qui s'effondre ;
Où vont nos destins à peine aperçus ;
Dans l'abîme abrupt où vont se confondre
Avec nos bonheurs nos espoirs déçus ;
Ils vont où s'en va la vaine fumée
De tous nos projets de gloire et d'amour ;
Où va le géant, où va le pygmée,
L'arbre centenaire et la fleur d'un jour;
— 86 —
Où vont nos sanglots et nos chants de fête.
Où vont jeunes fronts et chefs tremblotants,
Où va le zéphyr, où va la tempête,
Où vont nos hivers, où vont nos printemps !...
Temps ! Eternité ! mystère insondable !
Tout courbe le front devant vos grandeurs.
Problème effrayant, gouffre inabordable,
Quel œil peut plonger dans vos profondeurs ?
Atomes sans nom perdus dans l'espace,
Nous roulons sans cesse en flots inconstants ;
Seul le Créateur, devant qui tout passe.
Immuable, plane au-dessus des temps.
1^^
i^^
LE PRINTEMPS
ÇA M" C. G. Gosselin,
Bientôt viendra le doux printemps
Chasser la neige, les autans,
Les jours moroses ;
Bientôt les feuilles renaîtront,
Et les oiseaux nous reviendront
Avec les roses.
Bientôt, de nos rudes climats,
Disparaîtront les blancs frimas,
Les froids sévères ;
Et nous pourrons, d'un oeil charmé,
Voir éclore aux rayons de mai
Les primevères.
Sur la route, chaque bosquet.
Dans l'arceau pimpant et coquet
De ses ramures.
Le soir comme au soleil levant.
Rendra sous les baisers du vent
Mille murmures.
Les ruisseaux transparents et frais
Mêleront au bruit des forêts
Leur voix si douce;
Et sous les branches qui plieront.
Des chants joyeux s'envoleront
Des nids de mousse.
-89-
Dans les guérets et sur les eaux.
Sous les sapins, dans les roseaux
Qu'un souffle ploie,
Sur les rochers, dans les buissons,
Tout sera parfums et chansons,
Lumière et joie.
Partout mille édens gracieux
Feront remonter vers les cieux
L'âme bercée ;
Et, sous l'empire d'Ariel,
La terre semblera du ciel
La fiance'e.
Alors on vous verra souvent
Au balcon vous pencher rêvant
Tout éveillée,
Pour écouter le bruit de l'eau
Fredonnant son gai trémolo
Sovis la feuillée.
— 90 —
L'on vous verra plus d'une fois
Devenir pensive à la voix
Eolienne
Des petits maestros aile's,
Chantant leurs amours module's
En tyrolienne.
Sous les peupliers, vers le soir,
Vous irez souvent vous asseoir,
Rêveuse et lasse,
Humant la brise et ses parfums,
Et dénouant vos cheveux bruns,
Au vent qui passe.
Et, lorsque tout vous sourira,
Que l'enivrement vous fera
Oublier Theure,
Alors, l'œil à demi voilé,
Songerez-vous à l'exilé
Qui souffre et pleure ?
— 91 —
Hélas ! le beau printemps doré
N'est plus pour le cœur ulcéré
Qu'un vain fantôme.
Quand l'âme a des chagrins navrants,
Les souffles les plus enivrants
N'ont plus d'arôme.
De tout son œil est attristé :
Pour lui la rose est sans beauté,
Et l'aubépine
Lui parle encor de sa douleur,
Car il sait que la blanche fleur
A son épine.
Il sait que l'automne viendra,
Que la terre se jonchera
De feuilles d'arbres ;
Et la brise au vol caressant
Sur son front ne laisse en passant
Qu'un froid de marbre.
— 92 —
Ni le gazouillement des eaux,
Ni le ramage des oiseaux,
Troupes aimées,
Ni les frais ombrages mouvants,
Ni la douce chanson des vents.
Dans les ramées,
Ni ces mille aspects enchantés
Qu'on découvre de tous côtés,
Quand la nature.
Pour célébrer les jours nouveaux.
Fait briller les plus beaux joyaux
De sa parure ;
Rien pour lui n'a d'émotions ;
Son cœur pour les illusions
N'a pas de place ;
Et son pas foule, indifférent.
Fleur nouvelle ou gazon mourant.
Pelouse ou glace.
-93-
Pour lui les beaux jours de printemps
N'ont plus ni reflets éclatants
Ni folle ivresse ;
L'homme que la vie a froissé
N'a qu'un printemps, c'est son passé,
C'est sa jeunesse !
Mais il est un baume odorant
Donné parfois au cœur souffrant
Par Dieu lui-même :
Ce doux baume, trop rare, hélas !
C'est l'assurance que là-bas
Quelqu'un nous aime !
Chicago, mars 1868.
^^^^^^1"^^^^^^^^^
SUR SA TOMBE
G^ ma Cousine,\M'^ P. Saint-Jean.
Dix printemps n'avaient pas encore
Fleuri sur son front pâle et doux ;
De ses grands yeux fixés sur nous
S'échappaient des rayons d'aurore.
-96-
L'enfance, avec tous ses parfums,
Rayonnante comme un symbole,
Enveloppait d'une auréole
Les ondes de ses cheveux bruns.
Sa petite âme, à la lumière,
Rose mystique, s'entr'ouvrait ;
Auprès d'elle l'on respirait
Une atmosphère printanière.
Et cependant, reflet furtif.
Malgré la jeunesse et sa sève,
On pouvait voir le pli du rêve
Contracter* son sourcil pensif.
C'était une fleur fraîche éclose
Qui sur sa tige se penchait ;
Et la main qui s'en approchait
Craignait d'effeuiller une rose.
— 97 —
Souvent, — beaucoup s'en souviendront,
Malgré l'éclat de sa prunelle,
L'on croyait voir l'ombre d'une aile
Passer vaguement sur son front.
Puis, tout à coup, lueurs étranges,
Tout son visage rayonnait ;
On eût dit qu'elle revenait
D'une entrevue avec les anges...
Hélas ! tout n'est que vanité 1
Tout en ce monde est éphémère !
Et Dieu t'enlève, ô pauvre mère,
Ce trésor qu'il t'avait prêté 1
Cette âme était une exilée
Sur cette terre et parmi nous...
Ce sont les chérubins jaloux
Qui l'ont auprès d'eux rappelée.
-98-
C'était, dans son prisme vermeil,
La goutte d'eau du ciel venue.
Et qui remonte dans la nue
Avec un rayon de soleil !
SUR LA TOMBE DE CADIEUX
Sur un îlot désert de l'Ottawa sauvage,
Le voyageur remarque, à deux pas du rivage,
Un tertre que la ronce achève de couvrir :
Un jour quelqu'un, ici, s'arrêta pour mourir.
— lOO —
L'humble tombe des bois n'a ni grille ni marbre ;
Mais, poète naïf, à l'écorce d'un arbre
Cet étrange mourant confia son regret,
Jetant sa plainte amère au vent de la forêt.
La légende a doré cette histoire touchante ;
L'arbre n'est plus debout ; mais le peuple qui chante,
Bien souvent, au hameau, fredonne en soupirant
La complainte qu'alors chanta Cadieux mourant.
O sinistre Ottawa, combien de sombres drames
Dieu n'a-t-il pas écrits dans le pli de tes lames
Et sur les flancs rugueux de tes âpres récifs !
Dans les ombres du soir, combien de cris plaintifs,
Combien de longs sanglots, combien de plaintes vagues.
Ne se mêlent-ils pas aux clameurs de tes vagues ?
Ah ! c'est que, sous tes flots et dans les sables mous,
Bien des corps délaissés dorment dans tes remous !
— lOI —
Ceux-là n'ont pas même eu leurs quelques pieds de terre ;
Leur linceul est l'oubli ; leur tombe est un mystère.
Jamais, au fond des bois, le touriste rêvant
Ne lira leurs adieux sur le bouleau mouvant ;
Et, le soir, au foyer, nulle voix printanière
Ne mêlera leurs noms aux chants de la chaumière.
Pour eux nuls souvenirs, nul bruit de pas aimés...
Dans vos tombeaux errants, pauvres perdus, dormez !
Ottawa, novembre 1866.
fê^e&^e|i3^eê8^e|î^eg3*e|î3^e©^ee§^
NUIT D'ÉTÉ
o^ M^ Louise ***
Q.nel bean soir! tout riait et tout chantait en cboenr,
Le bois et U prairie et la vigne et mon cœur.
AKSiXB HOCSUTK.
Vous étiez là, Louise; et vous savez sans doute
Ce que mon cœur rêva tout le long de la route.
104 —
C'était un soir d'été, calme et silencieux,
Un de ces soirs charmants qui font rêver aux cieux,
Un soir pur et serein. Les vastes solitudes
Semblaient prêter l'oreille aux étranges préludes.
Aux premiers sons perdus du sublime concert
Que l'orchestre des nuits dit au vent du désert.
Le firmament s'ornait de brillants météores ;
La brise roucoulait dans les sapins sonores
Et les petits oiseaux, dans le duvet des nids.
Chantaient sous l'œil de Dieu leurs amours infinis !
Vous étiez là, Louise ; et vous savez sans doute
Ce qu« mon cœur disait tout le long de la route.
io5 —
Les arbres du chemin, sous les baisers du vent,
Secouaient soais nos fronts leur éventail mouvant
De feuilles, où perlaient des gouttes de rosée
Qui troublaient du ruisseau la surface irisée ;
Et tous quatre, égrenant, sans songer au sommeil.
Des heures de la nuit le chapelet vermeil.
Nous cheminions gaîment, — ô bonheurs éphémères !■
L'âme dans le ciel bleu, le front dans les chimères..
Et moi, tout rajeuni, j'écoutais plein d'émoi
Les chœurs harmonieux qui s'éveillaient en moi.
Vous étiez là, Louise ; et vous savez sans doute
Ce que mon cœur chantait tout le long de la route.
9-
— io6
Soudain, au flanc moelleux d'un nuage qui dort,
La lune, dans le ciel, montre sa corne d'or...
C'est l'heure des adieux, cette heure solennelle
Où l'Ange des regrets emporte sur son aile,
Pour que notre bonheur ne dure pas toujours,
Les rêves de jeunesse et les serments d'amours !
Il fallait nous quitter... Longtemps nous hésitâmes,
Comme si nous laissions quelque part de nos âmes.
La brise du matin soufflait dans les tilleuls :
Longs furent les adieux; — puis nous revînmes seuls.
Vous n'étiez plus là, non ; mais vous savez sans doute
Que mon cœur soupira tout le long de la route !
*S'*S^^S'^S'^S'^S'^S/^2/^S«axSAS/^a
LE QUÉBEC
Par nobile fratram.
HosACE.
Le Couchant luit là-bas comme un vaste incendie ;
Le soleil sur les flots sème un rayon mourant :
Les derniers bruits du jour chantent leur mélodie ;
Et, dressant fièrement sa carène hardie,
Le Québec fend au vol les eaux du Saint-Laurent.
— io8 —
Le long panache dont sa tête est couronnée
Déroule dans les airs ses ondoyants réseaux ;
Il tourmente à grand bruit la vague déchaînée.. -
Il passe, il fuit, laissant une longue traînée
Noire dans le ciel pur et blanche sur les eaux.
O fleuve, qu'ils sont loin les jours où nul servage
N'avait encor dompté ton orgueil éclatant;
Où de légers wigwams ornaient seuls ton rivage ;
Où tu n'avais bercé sur ta houle sauvage
Que la frêle pagaie et le bouleau flottant !
Penchant leur front pensif sur ton urne qui gronde,
O vieux Niagara, qu'ont donc dit tes forêts.
En voyant, jusqu'au fond de ta grotte profonde,
Ta sombre royauté crouler comme ton onde,
Et s'éclipser devant ce géant du progrès ?
— log —
Vous êtes rois tous deux, étonnante structure,
Et toi, fier Saint-Laurent, au cours majestueux;
Si l'un est couronné par sa belle nature.
L'autre, voguant drapé dans son architecture,
Est noble comme lui, comme lui fastueux !
A bord du Québec,
2 juillet 1866.
-^l^^l^r^^^m^^llfir^m^^^,^^!^^^
A UN PEINTRE
L'aigle, ami «It» déserts, dédaigne ainsi la plaine.
IjUtARTOCE,
Quand l'aigle est fatigué de planer dans la nue,
Retraversant l'espace en son vol triomphant,
Il revient se poser sur la montagne nue,
Qui tressaille d'orgueil en voyant son enfant !
— 112 —
Peintre, tu nous reviens, ainsi que l'aigle immense
Qui, faisant trêve un jour à son sublime essor.
Avant que dans les deux sa course recommence.
Se repose un instant pour disparaître encor.
Arrivé tout à coup des sphères immortelles,
Où sans craindre leurs feux tes pieds se sont posés,
Tu resplendis encore, et l'on voit sur tes ailes
La poudre des soleils que ton vol a rasés.
Un jour, jeune inconnu, sentant dans ta poitrine
Couver du feu sacré l'étincelle divine
Et ton destin se révéler.
Tu dis : Quittons ces lieux aux muses trop acerbes !
A moi le large espace! à moi les- monts superbes !
Je suis aigle, je puis voler!
— ii3 —
Et tu partis. Longtemps la foule indifférente
Ne daigna du regard suivre ta course errante,
Comme un oiseau perdu dans l'air,
Nos rives t'oubliaient, lorsque la renommée
A ta patrie, encor si tendrement aimée,
Jeta ton nom dans un éclair.
Enfin, tout enrichi des trésors du vieux monde,
Où la gloire, enchaînant ta palette féconde,
Tavait trop longtemps retenu.
Tu reviens visiter, après seize ans d'absence.
Le vieux foyer béni qui t'a donné naissance :
O peintre, sois le bienvenu 1
Mais, confiant dans ton étoile,
O noble fiancé des arts.
Demain tu remets à la voile
Pour le vieux pays des Césars ;
10
— 114 —
Tu retournes au champ fertile,
Où croît le laurier de Virgile,
Où dort le luth d'Alighieri.
Florence, la ville artistique,
Réclame ton pinceau magique
Et ton talent qu'elle a mûri.
Va ! quitte nos climats de neige !
Pour toi trop sombre est notre ciel;
Il te faut le ciel du Corrège,
Le ciel d'azur de Raphaël ;
Il te faut la douce Ausonie,
Ses horizons pleins d'harmonie,
Ses chants, ses échos, ses zéphyrs ;
Il te faut ses blondes campagnes.
Ses bois, ses fleuves, ses montagnes,
Ses chefs-d'œuvre, ses souvenirs !
Va 1 poursuis ta noble carrière !
Jusqu'au sommet porte tes pas !
Tu ne peux rester en arrière :
Ta gloire ne t'appartient pas !
— I o —
I86I
Ouvrant l'essor à ton génie,
Va cueillir la palme bénie
Qui doit un jour ceindre ton front.
Pars ! et nos rives étonnées,
En contemplant tes destinées,
Avec orgueil te nommeront !
^^^^^^^^^^^^k^h^^^^^
SEUL
Un jour, errant, perdu dans un désert sans borne,
Un pâle voyageur cheminait lentement;
Autour de lui dormait la solitude morne,
Et le soleil brûlait au fond du firmament.
Pas une goutte d'eau pour sa lèvre en de'tresse !
Pas un ombrage frais ! pas un souffle de vent !
Nulle herbe, nul gazon; et la plaine traîtresse
N'offre à son pied lassé que du sable mouvant.
lO.
— ii8 —
Il avance pourtant ; mais la route s'allonge ;
Il sent à chaque pas son courage tarir;
Un sombre de'sespoir l'envahit quand il songe
Qu'il va falloir bientôt se coucher pour mourir.
Il se roidit en vain sous le poids qui l'accable ;
Il marche encore, et puis s'arrête épouvanté ;
Sur son sein haletant, cauchemar implacable.
Il sent avec efiroi peser l'immensité !
Fatigué de sonder l'horizon qu'il implore,
Sans force, il tombe enfin sur le sable poudreux ;
Et son regard mourant semble chercher encore
Les vertes oasis et leurs palmiers ombreux.
Voyageurs égarés au désert de la vie,
Combien de malheureux, vaincus par la douleur.
Dans leur illusion sans cesse poursuivie.
Meurent sans avoir vu l'oasis du bonheur !
1875.
'^g:g:^^s^s:^K^â.~^Hi:
VIEILLE HISTOIRE
C4 Achille M illien.
C'était un lieu charmant, une roche isole'e,
Seule, perdue au loin dans la bruyère en fleur ;
La ronce y rougissait, et le merle siffleur
Y jetait les éclats de sa note perlée.
C'était un lieu charmant. Là, quand les feux du soir
Empourpraient l'horizon d'une lueur mourante ,
En écartant du pied la luzerne odorante.
Tout rêveurs, elle et moi, nous allions nous asseoir.
— 120 —
Ce qui se disait là d'inefFablement tendre,
Quel langage jamais pourrait le répe'ter !...
La brise se taisait comme pour écouter ;
Des fauvettes, tout près, se penchaient pour entendre.
Propos interrompus, sourires e'piés,
Ces serrements de cœur que j'éprouvais prés d'elle,
Je me rappelle tout, jusqu'à mon chien fidèle
Dont la hanche servait de coussin pour ses pieds.
O mes vieux souvenirs ! O mes blondes années !
Quand remonte mon cœur vers ces beaux jours passés
Je pleure à chaque pas, car vous m'apparaissez
Comme un parquet de bal jonché de fleurs fanées.
Le temps sur nos amours jeta son froid linceul...
L'oubli vint ; et pourtant, — colombes éplorées,
Vers ce doux nid, témoin de tant d'heures dorées,
Plus tard, chacun de nous revint souvent... mais seul ,
— 121 —
Et là, du souvenir en évoquant l'ivresse, [tout bas ?]
Qui cherchions-nous des yeux ? qui nommions-nous
— L'un l'autre, direz-vous? — Oh ! non : c'était, hélas 1
Le doux fantôme blanc qui fut notre jeunesse 1
ÉLÉGIE
Les jours de soleil sont passés,
Et l'automne fait sa vendange ;
Dans l'enceinte des trépassés,
La feuille tombe à flots pressés
Dors, mon doux ange !
— 124 —
Il était frais et blond comme un Enfant-Jésus...
Dieu nous envoie, hélas 1 des douleurs bien cruelles.
Un soir, je le berçais ; des anges sont venus
Qui l'ont emporté sur leurs ailes.
J'épiais son sommeil, et, quand il remuait,
Je baisais à genoux ses petites mains blanches.
Il est là maintenant, sous ce tertre muet,
Prisonnier entre quatre planches.
Les jours de soleil sont passés.
Et l'automne fait sa vendange ;
Dans l'enceinte des trépassés,
La feuille tombe à flots pressés :
Dors, mon doux ange !
Et quand je caressais ses petits pieds frileux,
Lui que je n'aurais pas donné pour des empires !
Sur sa lèvre de rose, au coin de ses yeux bleus,
Nageaient des groupes de sourires.
Il bredouillait des mots d'une étrange douceur,
Des mots incohérents, indécis, adorables ;
Et moi qui l'écoutais, je sentais dans mon cœur
Courir des frissons ineffables.
Les jours de soleil sont passés,
Et l'automne fait sa vendange ;
Dans l'enceinte des trépassés,
La feuille tombe à flots pressés ;
Dors, mon doux ange !
II
— 126 —
Il est là qui repose en son linceul glacé.
Au cimetière, hélas ! sa dernière demeure,
Songe-t-il quelquefois, le pauvre délaissé,
A sa mère qui souffre et pleure ?
Oh ! oui ; car, je le sens, si dans la tombe dort
Son petit corps roidi, froid, immobile, blême.
Son âme plane au ciel avec des ailes d'or,
Devant la face de Dieu même !
Le dernier beau jour est passé ;
L'automne a fini sa vendange ;
La neige tombe à flot pressé...
Dans le ciel où Dieu t'a placé,
Pense à ta mère, mon doux ange !
MILLE FLEURS ET SOUS LES ORMES
Q/i M"^ A. Boyer et R. Thibaudeau
Ce sont deux frais séjours, deux vrais nids de fauvettes,
Faits pour des heureux ;
Deux villas comme seuls en rêvent les poètes
Et les amoureux.
L'une est couleur de rose, et l'autre toute blanche ;
Leurs toits sont couverts.
Le printemps et l'e'té, comme d'une avalanche
De grands rameaux verts.
Sous le dais parfumé que leur font les vieux ormes,
Gracieux tableau,
On voit, dans le lointain, leurs élégantes formes
Se mirer dans l'eau.
Là l'amour et la joie ont fixé leur empire,
Et dans les échos
L'on entend se mêler de francs éclats de rire
Au chant des oiseaux.
Au dedans, l'on ne voit que merveilleuses choses,
Que riens enchanteurs ;
Et ce n'est, au dehors, que frais buissons de roses,
Et tapis de fleurs.
Et le passant charmé s'arrête et se demande,
En voyant cela.
Si, quelque beau matin, la blonde fée Urgande
A passé par là.
On le croirait vraiment ; mais toute la féerie,
C'est qu'en vérité
Sous ces lambris joyeux le bonheur se marie
Avec la gaîté !
LES PINS
O mes vieux pins touffus, dont le tronc centenaire
Se dresse, défiant le temps qui détruit tout,
Et, le front foudroyé d'un éclat de tonnerre,
Indomptable géant, reste toujours debout !
J'aime vos longs rameaux étendus sur la plaine,
Harmonieux séjours, palais aériens,
Où les brises du soir semblent à chaque haleine
Caresser des milliers de luths éoliens.
II.
— IJO
J'aime vos troncs noueux, votre tête qui ploie
Quand le sombre ouragan vous prend par les cheveux,
Votre cime où se cache un nid d'oiseau de proie,
Vos sourds rugissements, vos sons mystérieux.
Un soir, il m'en souvient, distrait, foulant la mousse
Qui tapisse en rampant vos gigantesques pieds,
J'entendis une voix fraîche, enivrante, douce,
Ainsi qu'un chant d'oiseau qui monte des halliers.
Et j'écoutais rêveur... et la note vibrante
Disait : Ever of thee! — C'était un soir de mai ;
La nature était belle, et la brise odorante...
Tout, ainsi que la voix, disait : Aime ! — et j'aimai.
O mes vieux pins géants, dans vos concerts sublimes,
Redites-vous parfois ce divin chant d'amour
Qui résonne toujours dans mes rêves intimes.
Comme un écho lointain de mes bonheurs d'un jour ?
— i3i —
Puissé-je, un soir encor, sous vos sombres ombrages,
Rêver en écoutant vos bruits tumultueux.
Ou vos longues clameurs, quand l'aile des orages
Vous secoue en tordant vos bras majestueux !
Malheur à qui prendra la hache sacrilège
Pour mutiler vos flancs par de mortels affronts !...
Mais non, ô mes vieux pins, le respect vous protège,
Et des siècles encor passeront sur vos fronts.
UN SOIR A BORD
Q/l Théodore de Banville.
O soir charmant ! La nuit aux voix mystérieuses
Nous caressait tous trois de ses molles clartés;
Et nous contemplions, moi rêveur, vous rieuses,
De la lune et des flots les magiques beautés.
Le steamer qu'emportait la roue au vol sonore,
Eparpillait au loin, sur le fleuve écumeux.
Des gerbes de lumière et des reflets d'aurore,
Qui s'éteignaient bientôt dans le lointain brumeux.
- i34 -
L'horizon se tordait en silhouette e'trange ;
Et, sondant de la nuit les vagues profondeurs,
Nous regardions passer, comme un de'cor qui change,
La rive déroulant ses mobiles splendeurs.
Oh ! comme il faisait bon ! Nous causions, gais, frivoles ,
Vos rires éclataient comme des chants d'oiseaux ;
Et, quand nous nous taisions, de joyeuses paroles
Arrivaient jusqu'à nous avec le bruit des eaux.
Tout à coup, une voix fraîche, mélodieuse,
Fit flotter dans la nuit son timbre plein d'émoi...
Oh ! qui dira jamais l'extase radieuse
Dont nous fûmes bercés, ce soir-là, vous et moi l
Vous en souviendrez-vous ? Hélas ! vos jours de rose
Laissent bien peu de place aux regrets superflus...
Mais moi, de cette nuit je garde quelque chose ;
Car j'emporte en mon cœur un souvenir de plus.
LES OISEAUX DE NEIGE
SO'K.'K.ETS
PROLOGUE
12
LES OISEAUX DE NEIGE
UJND le rude Equinoxe, avec son froid cortège,
Quitte nos horizons moins inhospitaliers^
Sur nos champs de frimas s'abattent par milliers
Ces visiteurs ailés qu'on nomme oiseaux de neige.
Des graines nulle part! nul feuillage aux halliers!
Contre la giboulée et nos vents de Norvège,
Seul le regard d'en haut les abrite, et protège
Ces courriers du soleil en butte aux oiseliers.
140 —
Chers petits voyageurs, sous le givre et la grêle.
Vous voltige:^ gaîment, et l'on voit sur votre aile
Luire un premier rayon du printemps attardé.
Alle^, tourbillonne!^ autour des avalanches ;
Sans peur, aux flocons blancs mêle:( vos plumes blanches
Le faible que Dieu garde est toujours bien gardé !
LES OISEAUX BLANCS
Q^i M*>» Yan d'Argent
Quand, sur nos plaines blanches,
Le givre des hivers
Commence à fondre aux branches
Des sapins toujours verts ;
Quand chez nous se four^'oie
Avril, le mois des fleurs.
Le printemps nous envoie
Ces gais avant-coureurs.
— 142 —
Du froid, de la neige.
Des vents et des eaux,
Que Dieu vous protège,
Petits oiseaux !
Loin des rives plus douces,
Loin des climats bénis,
Où d'autres dans les mousses
Cachent déjà leurs nids,
Votre essor se déploie
Vers nos pâles séjours :
C'est mai qui vous envoie
Nous parler des beaux jours.
Du froid, de la neige,
Des vents et des eaux.
Que Dieu vous protège,
Petits oiseaux !
- 143 -
Quand votre aile soyeuse,
Petits oiseaux, paraît.
Plus d'une âme est joyeuse,
Qui naguère pleurait;
Oui, vous faites de joie
Bien des cœurs s'émouvoir :
C'est Dieu qui vous envoie,
Doux messagers d'espoir !
Du froid, de la neige,
Des vents et des eaux.
Que Dieu vous protège,
Petits oiseaux !
LA LOUISIANAISE
C^ 3/"« A. Le Duc de la Nouvelle-Orléans.
Je sais une rive sereine
Qui, sur un frais lit de roseaux,
S'endort au chant de la sirène,
Et s'éveille au chant des oiseaux.
Pays de douce nonchalance,
Où le hameau toujours balance,
A l'ombre des verts bananiers.
Son heureuse indolence
Aux souffles printaniers !
— 146 —
Je sais une ville rieuse,
Aux enivrements infinis,
Qui, fantasque et myste'rieuse,
Règne sur ces climats bénis ;
Ville où l'orange et la grenade
Parfument chaque promenade ;
Où, tous les soirs, les amoureux
Chantent la sérénade
Sous des balcons heureux.
Je sais une femme divine,
Au teint pâle, aux yeux andalous,
Si belle que chacun devine
Que le ciel même en soit jaloux :
C'est la brune Louisianaise,
Dont la splendeur brille à son aise
Dans cet éternel messidor :
Toile de Veronèse
Dans un beau cadre d'or 1
fffffffffffffffffff'
IMPROMPTU
Des vastes forêts la splendeur m'enchante ;
J'aime à contempler les sommets altiers.
Rien ne vaut pourtant la grâce touchante
De la fleur qui luit au bord des sentiers.
O caps entassés dont l'orgueil se mire
Dans les flots profonds du noir Saguenay!
Falaises à pic que la foule admire !
Rocher que la foudre a découronné !
— 148 —
Promontoires nus dont la cime touche
Aux derniers confins de l'immensité,
Mon front qu'a couvert votre ombre farouche
S'incline devant votre majesté.
Mais, ô pics géants que le ciel décore.
Monts qui défiez le regard humain,
A tout votre éclat je préfère encore
La douce amitié qui me tend la main
Chicoutimi, i*"" juillet 1875.
L'ANNÉE CANADIENNE
(a mon père)
i3
0^^^^^^^^^^^^
JANVIER
La tempête a cessé. L'éther vif et limpide
A jeté sur le fleuve un tapis d'argent clair,
Où l'ardent patineur, au jarret intrépide.
Glisse, un reflet de flamme à son soulier de fer.
La promeneuse, loin de son boudoir tépide,
Bravant, sous les peaux d'ours, les morsures de l'air,
Au son des grelots d'or de son cheval rapide,
A nos yeux éblouis passe comme un éclair.
— l52 —
Et puis, pendant les nuits froidement idéales,
Quand, au ciel, des milliers d'aurores boréales
Battent de l'aile ainsi que d'étranges oiseaux.
Dans les salons ambrés, nouveaux temples d'idoles,
Aux accords de l'orchestre, au feu des girandoles.
Le quadrille joyeux déroule ses réseaux !
M-fX
FEVRIER
Aux pans du ciel l'hiver drape un nouveau décor ;
Au firmament, l'a/ur de tons roses s'allume ;
Sur nos trottoirs, un vent plus doux enfle la plume
Des petits moineaux gris qu'on y retrouve encor ;
Maint coup sec retentit dans la forêt qui dort ;
Et, Tdans les ravins creux qui s'emplissent de brume,
Aux franges du brouillard malsain qui nous enrhume,
L'Orient plus vermeil met une épingle d'or.
i3.
— i54 —
Folâtre, et secouant sa clochette argentine,
Le bruyant carnaval fait sonner sa bottine
Sur le plancher rustique et le tapis soyeux ;
Le spleen chassé s'en va chercher d'autres victimes ;
La gaieté vient s'asseoir à nos cercles intimes !
C'est le mois le plus court : passons-le plus joyeux !
MARS
Adieu les jours sereins, et les nuits étoilées !
La neige à flocons lourds s'amoncelle à foison,
Au penchant des coteaux, dans le fond des vallées
C'est le dernier effort de la rude saison.
C'est le mois ennuyeux, le mois des giboulées ;
Des frimas cristallins l'étrange floraison
Brode ses fleurs de givre aux branches constellées ;
Là-bas un trait bronzé dessine l'horizon.
— i56 —
Le vieux chasseur des bois dépose ses raquettes ;
Plus d'orignaux géants, plus de biches coquettes,
Plus de course lointaine au lointain Labrador !
Il s'en consolera, dans la combe voisine,
En regardant monter, sur un feu de résine,
La sève de l'érable en brûlants bouillons d'or.
S^M}?
AVRIL
La neige fond partout ; plus de sombre avalanche !
Le soleil se prodigue en traits plus éclatants ;
La sève perce l'arbre en bourgeons palpitants
Qui feront sous les fruits, plus tard, plier la branche.
Un vent tiède succède aux farouches autans ;
L'hirondelle est encore au loin; mais, en revanche.
Des milliers d'oiseaux blancs couvrent la plaine blanche
Et de leurs cris aigus rappellent le printemps.
— i58 —
Sous sa féconde effluve, il faut que tout renaisse !
Avril c'est le re'veil, avril c'est la jeunesse !
Mais quand la poe'sie ajoute : mois des fleurs^
Il faut bien avouer, — nous que trempe l'averse,
Qu'entraîne la débâcle, ou qu'un glaçon renverse.
Que les poètes sont de charmants persifleurs !
MAI
Hozanna ! La forêt renait de ses ruines ;
La mousse attache au roc son manteau de velours ;
La grive chante ; au loin, les grands bœufs de labours
S'enfoncent tout fumants dans les chaudes bruines ;
Le soleil agrandit l'orbe de son parcours ;
On ne sait quels frissons passent dans les ravines ;
Et dans l'ombre des nids, — fidèle aux lois divines,
Bientôt va commencer la saison des amours !
— i6o —
Aux échos d'alentour chantant à gorge pleine,
Le semeur, dont la main fertilise la plaine,
Jette le froment d'or dans les sillons fumés.
Sortons tous ; et, groupés sur le seuil de la porte,
Respirons à loisir le vent qui nous apporte
Comme un vague parfum de lilas embaumés !
JUIN
L'Eté met des fleurs à sa boutonnière ;
Au fond des taillis et dans les roseaux,
Ivres de soleil, les petits oiseaux
Entonnent en chœur l'hymne printanière ;
Sur les clairs sommets, les champs et les eaux,
Tombent de l'azur des jets de lumière ;
Au nid, au palais et sous la chaumière.
Le parfait amour tourne ses fuseaux.
— 102 —
Sous les bois toufîus la source murmure ;
La brise en jouant berce la ramure ;
Le papillon vole au rosier fleuri ;
Tout chante, s'émeut, palpite, étincelle.
Transports infinis ! joie universelle !
A son créateur la terre a souri !
MIIMMilMMMMlMIl
JUILLET
Depuis les feux de l'aube aux feux du crépuscule,
Le soleil verse à flots ses torrides rayons;
On voit pencher la fleur et jaunir les sillons :
Voici les jours poudreux de l'âpre canicule !
Le chant des nids a fait place au chant des grillons ;
Une efiiuve brûlante autour de nous circule ;
La nature, qui vit dans chaque animalcule,
Fait frissonner d'émoi tout ce que nous voyons.
— 164 —
Mais quand le bœuf qui broute à l'ombre des grands chênes
Se tourne haletant vers les sources prochaines,
Quels sont donc, dites-vous, ces groupes affolés
Déroulant sous les bois leur course furieuse ?
C'est la vacance, ami, la vacance rieuse !
Comme ils sont loin de nous ces beaux jours envolés !
AOUT
C'est la fenaison ; tout le reste chôme.
Dès qu'on voit du jour poindre les blancheurs,
En groupes épars, les rudes faucheurs
Vont couper le fçin au sauvage arôme.
Au bord des ruisseaux, d'indolents pêcheurs,
Des saules pensifs dorment sous le dôme ;
Et. le soir venu, l'air qui nous embaume
Apporte déjà d'étranges fraîcheurs.
14.
— i66 —
Mais, quand midi luit sur les fondrières,
Deux à deux, cherchant de blondes clairières,
Le panier au bras, — sur le tapis vert, —
Des couples charmants vont sous la feuille'e
Par un beau ciel d*or tout ensoleillée,
Riant et chantant, mettre le couvert !
SEPTEMBRE
L'atmosphère dort, claire et 1 umineuse ;
Un soleil ardent rougit les houblons ;
Aux champs, des monceaux de beaux épis blonds
Tombent sous l'effort de la moissonneuse.
Sonore et moqueur, l'écho des vallons
Répète à plaisir la voix ricaneuse
Du glaneur qui cherche, avec sa glaneuse.
Pour s'en revenir des sentiers plus longs.
— i68 —
Tout à coup éclate un bruit dont la chute
Retentit au loin, et que re'percute
Du ravin profond le vaste entonnoir.
Quelle est la raison de ce tintamarre ?...
C'est quelque chasseur qui, de mare en mare,
Poursuit la bécasse ou le canard noir !
fMif^fl^rVISrlSr^rt^fM^fVISr^
OCTOBRE
Les feuilles des bois sont rouges et jaunes ;
La forêt commence à se dégarnir ;
L'on se dit déjà : l'hiver va venir,
Le morose hiver de nos froides zones.
Sous le vent du nord tout va se ternir...
Il ne reste plus de vert que les aulnes,
Et que les sapins dont les sombres cônes
Sous les blancs frimas semblent rajeunir.
— lyo —
Plus de chants joyeux ! plus de fleurs nouvelles !
Aux champs moissonnés les lourdes javelles
Font sous leur fardeau crier les essieux.
Un brouillard dormant couvre les savanes ;
Les oiseaux s'en vont, et leurs caravanes
Avec des cris sourds passent dans les cieux !
(îtxlxfectbcti
NOVEMBRE
Jours de deuil! plus de nids sous le feuillage vert!
Les chantres de l'été désertent nos bocages ;
L'on n'entend que le cri de l'oiseau dans les cages,
Avec les coups de bec sonores du pivert.
De jaunissants débris le gazon s'est couvert;
Les grands bœufs tristement reviennent des pacages ;
Et la sarcelle brune, au bord des marécages,
Prend son essor pour fuir l'approche de l'hiver.
— 172 —
Aux arbres dépouillés la brise se lamente ;
A l'horizon blafard, l'aile de la tourmente
Fouette et chasse vers nous d'immenses oiseaux gris.
Des passants tout en noir gagnent le cimetière ;
Suivons-les, et donnons notre pensée entière.
Pour un instant, à ceux que la mort nous a pris 1
eêl3^eêâ^eê8^f|i3^e©3^e8â*eê3*eê3*eê8*
DECEMBRE
Le givre étincelant, sur les carreaux gelés,
Dessine des milliers d'arabesques informes ;
Le fleuve roule au loin ses banquises énormes ;
De fauves tourbillons passent échevelés.
Sur la crête des monts par l'ouragan pelés,
De gros nuages lourds heurtent leurs flancs difformes ;
Les sapins sont tout blancs de neige, et les vieux ormes
Dressent dans le ciel gris leurs grands bras désolés.
i5
— 174 —
Des hivers boréaux tous les sombres ministres
Montrent à l'horizon leurs figures sinistres ;
Le froid darde sur nous son aiguillon cruel.
Evitons à tout prix ses farouches colères ;
Et, le verre à la main, narguant les vents polaires,
Réchauffons-nous autour de l'arbre de Noël !
PAYSAGES
A SON EXCELLENCE LUC-LETELLIER DE ST-JUST,
GOUVERNEUR DE LA PROVINCE DE QUÉBEC
SPENCER WOOD
A M^ Letellier de St-Just.
' N remontant le fleuve, on fait la découverte
D'un pavillon tout blanc coquettement assis
Sur un épais massif de tuf aux flancs noircis
Et dont la large cime est de grands bois couverte.
Si l'on cherche à sonder des yeux les éclaircis,
On aperçoit, plus loin, sur la pelouse verte,
Une altière villa dont la porte entrouverte
Sourit hospitalière à vos pas indécis.
i5.
- 178 -
Vaste piazza, sentiers fleuris, fraîches ramures,
Bosquets pleins de parfums, d'oiseaux et de murmures,
Site le plus charmant que l'œil ait contemplé !
C'est Spencer Wood, joli tableau, riant poème,
Foyer que la Patrie offre à son chef suprême.
Et qui jamais ne fut plus noblement peuplé 1
LE LAC DE BELŒIL
A Caroline D.
Qui n'aime à visiter ta montagne rustique,
O lac qui, suspendu sur vingt sommets hardis,
Dans ton lit d'algue verte, au soleil resplendis,.
Comme un joyau tombé d'un écrin fantastique ?
Quel mystère se cache entes flots engourdis ?
Ta vague a-t-elle éteint quelque cratère antique
Ou bien Dieu mit-il là ton urne poétique
Pour servir de miroir aux saints du paradis ?
— i8o —
Caché, comme un ermite, en ces monts solitaires,
Tu ressembles, ô lac 1 à ces âmes austères
Qui vers tout idéal se tournent avec foi.
Comme elles, aux regards des hommes tu te voiles ;
Calme, le jour, — le soir, tu souris aux étoiles ;
Et puis il faut monter pour aller jusqu'à toi !
m
-Sife^ilig^îli&^^^^^îl^^
LE CAP ETERNITE
C'est un bloc écrasant dont la crête surplombe
Au-dessus des flots noirs, et dont le front puissant
Domine le brouillard, et défie en passant
L'aile de la tempête ou le choc de la trombe.
Enorme pan de roc, colosse menaçant
Dont le flanc narguerait le boulet et la bombe,
Qui monte d'un seul jet dans la nue, et retombe
Dans le gouffre insondable où sa base descend !
__ i82 —
Quel caprice a dressé cette sombre muraille ?
Caprice ! qui le sait ? Hardi celui qui raille
Ces aveugles efforts de la fécondité !
Cette masse nourrit mille plantes vivaces ;
L'hirondelle des monts niche dans ses crevasses ;
Et ce monstre farouche a sa paternité 1
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Ç^ Ç^ Ç^ C^ Ç^ Ç^ Ç£^ Ç^ Ç^ Ç£^ Ç£> Ç^ C£^ Ç£> t£^
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LE NIAGARA
L'onde majestueuse avec lenteur s'écoule ;
Puis, sortant tout à coup de ce calme trompeur,
Furieux, et frappant les échos de stupeur.
Dans l'abîme sans fond le fleuve immense croule.
C'est la chute ! son bruit de tonnerre fait peur
Même aux oiseaux errants, qui s'éloignent en foule
Du gouffre formidable ou l'arc-en-ciel déroule
Son écharpe de feu sur un lit de vapeur.
— i84 —
Tout tremble ; en un instant cette énorme avalanche
D'eau verte se transforme en monts d'écume blanche,
Farouches, éperdus, bondissant, mugissant...
Et pourtant, ô mon Dieu, ce flot que tu déchaînes,
Qui brise les rochers, pulvérise les chênes,
Respecte le fétu qu'il emporte en passant !
LONGEFONT
O^ Prosper Blanchemain.
Ce fut, dit-on, jadis un paisible couvent
Coquettement caché sur les bords où la Creuse
Avec un bruit d'écluse, en serpentant se creuse
Un lit sonore et frais sous le saule mouvant.
Des grands arbres perçant la voûte ténébreuse,
Sa tour jumelle luit sous le soleil levant...
Je ne l'ai jamais vu ; mais, en rêve, souvent
J'ai suivi les détours de son allée ombreuse.
i6
— i86 —
Près du parterre en fleurs, un homme au front serein
Où le génie a mis son cachet souverain,
Contemple avec amour l'ange de sa famille ;
Son fils est là, tout près, qui se penche à demi
Sur trois gais chérubins jouant sous la charmille.
Je n'en connais aucun, mais je suis leur ami !
LE LAC DE BEAU PORT
Quel frais miroir ! Sa nappe humide se découpe,
Dans les sables, un lit paisible, au creux d'un val ;
Les montagnes lui font un cadre sans rival ;
Et lui, dans son flot clair, mire leur ronde croupe.
Sur la rive, un balcon d'aspect oriental
Emerge d'un massif d'érables qui se groupe
Au fond de l'anse où dort une svelte chaloupe
Dont le flanc touche à peine au limpide cristal.
— i88 —
C'est le lac de Beauport, ce joyau solitaire,
Ce petit coin béni, ce paradis sur terre,
Ce croquis merveilleux, ce délicat pastel.
Où la blonde légende, en repliant ses voiles,
Laissa tomber, avant de monter aux étoiles,
De sa robe d'azur un reflet immortel !
LE RAPIDE
L'eau qui se précipite en énorme volume,
Heurtant l'angle des rocs sur leur base tremblants,
Avec de longs cris sourds, roule en tourbillons blancs:
C'est le fleuve qui prend sa course dans la brume !
Comme un cheval fougueux dont on saigne les flancs,
Il se cabre d'abord, puis court, bondit, écume,
Et va dans le lointain cacher son flot qui fume
Sous le rocher sonore ou les grands bois ronflants.
i6.
— 1Ç)0 —
De partout l'on entend monter des clameurs vagues ;
On voit de gros oiseaux pêcheurs suivre les vagues,
De remous en remous plongeant et tournoyant ;
par un dernier effort cramponnés au rivage,
Les vieux troncs rabougris penchent leur front sauvage.
Noirs fantômes, au bord de l'abîme aboyant !
LE CAP TOURMENTE
Robuste, et largement appuyé sur sa base,
Le colosse trapu s'avance au sein des flots ;
Sur son flanc tout couvert de pins et de bouleaux,
Un nuage s'étend comme un voile de gaze.
Sur son vaste sommet, de merveilleux tableaux
Se déroulent devant le regard en extase ;
Et vous suivez des yeux chaque voile qui rase,
Dix-huit cents pieds sous vous, le fleuve aux verts îlots.
— 192 —
Autrefois c'était là presque un pèlerinage.
Un jour, il m'en souvient, écoliers tout en nage.
Nous gravîmes gaîment ses agrestes sentiers.
Je crois revoir encor notre dîner sur l'herbe
Qui tapisse ta croupe immense, ô mont superbe !
Et je rêve, à l'aspect de tes plateaux altiers.
LE MONTMORENCY
Au détour du courant où le flot qui la ronge
Embrasse les contours de l'Ile d'Orléans,
Comme une énorme trombe, entre deux caps géants,
La blanche cataracte au fond du gouffre plonge.
Indicibles attraits des abîmes béants !
Imposantes rumeurs que la brise prolonge 1
Lourds flocons écumeux qui passez comme un songe,
Et que le fleuve emporte aux mornes océans !
— ^94 —
Spectacle saisissant, grandiose nature,
A vous interroger quand l'esprit s'aventure,
Le cœur revient toujours dans un trouble nouveau ;
Le bruit, le mouvement, le vide, le vertige.
Tout cela va, revient, tourbillonne, voltige.
Ivre et battant de l'aile aux voûtes du cerVeau !
LES MILLE-ISLES
Massifs harmonieux, édens des flots tranquilles,
D'oasis aux fleurs d'or innombrables re'seaua,
Que la vague caresse et que les blonds roseaux
Encadrent du fouillis de leurs tiges mobiles !
Bosquets que l'onde berce aux doux chants des oiseaux,
Des zéphyrs et des nids pittoresques asiles,
Mystérieux et frais labyrinthe, Mille-Isles !
Chapelet d'émeraude égrené sur les eaux.
— ig6 —
Quand, la première fois, je vis, sous vos ombrages,
Les magiques reflets de vos brillants mirages,
Un chaud soleil de juin dorait vos verts abris ;
D'enivrantes senteurs semblaient monter des grèves ;
Et je crus entrevoir ce beau pays des rêves
Où la sylphide joue avec les colibris !
+
LE SAGUENAY
Cela forme deux rangs de massifs promontoires.
Gigantesque crevasse ouverte, aux premiers jours.
Par quelque cataclysme, et qu'on croirait toujours
Prête à se refermer, ainsi que des mâchoires.
Au pied de caps à pic dressés comme des tours,
Le Saguenay profond roule ses ondes noires ;
Parages désolés pleins de mornes histoires !
Fleuve mystérieux pleins de sombres détours !
ï7
— 198 —
Rocs foudroyés, sommets aux pentes infe'condes,
Sinistres profondeurs qui défiez les sondes,
Vaste mur de granit qu'on nomme Eternité,
Comme on se sent vraiment chétif, quand on compare
A vos siècles les ans dont notre orgueil se pare.
Et notre petitesse à votre immensité !
^^^^^^^^^^^^^
LES MARCHES NATURELLES
Encaissé dans un lit aux arêtes rugueuses,
Entre deux pans abrupts rongés par le courant,
Tout au fond d'un ravin sinueux, le torrent,
Avec un bruit confus, roule ses eaux fougueuses.
Du rivage escarpé jusqu'au bois odorant
Dont l'ombre couvre au loin ces grèves rocailleuses,
Des gradins naturels aux formes merveilleuses,
Taillés dans le granit, s'élèvent rang par rang.
Mystérieux degrés, colossales assises,
Vastes couches de roc bizarrement assises,
Dites, n'êtes-vous pas les restes effondrés
D'une étrange Babel aux spirales dantesques.
Ou bien quelque escalier aux marches gigantesques
Bâti pour une race aux pas démesurés ?
'^^^^
LE PLATON
04 M" H. G. Joly.
Sa double vérandah couronne un monticule,
Que la montagne porte à son flanc adossé ;
On l'aperçoit du large, à mi-côte exhaussé,
Au pied du rocher sombre où sa masse s'accule.
C'est un château qui n'a ni herse ni fossé ;
Une simple charmille autour de lui circule ;
Mais quand le tout se dore aux feux du crépuscule,
C'est un tableau superbe, et largement brossé.
17'
202
De grands arbres touffus pleins de lumière et d'ombre,
Rejoignant les arceaux de leurs rameaux sans nombre,
Font à la villa blanche un dais aérien.
La porte ouverte anime encor le paysage :
Entrons 1 c'est le foyer hospitalier d'un sage,
D'un aimable convive, et d'un grand citoyen !
AMITIÉS
A THEODORE VIBERT
voÈTE, dont la muse oubliant la distance
Franchit les vastes mers pour me serrer la main,
iJe te bénis, ô toi qui parles d'espérance
Quand la morne douleur assombrit mon chemin !
Ami, je t'ai compris : aux longs jours de souflFrance,
Comme aux heures de joie, il faut un lendemain ;
Et ce mot seul, venu des rives de la France,
Me fait déjà trouver le sort moins inhumain.
206 —
A tout enfantement pre'side le malaise ;
Et, sur l'humanité la main de fer qui pèse,
Me fait mieux espérer et croire en l'avenir.
Trop faible pour lutter, je me fais sentinelle ;
Et tous les jours mon œil, du haut de la tourelle,
Demande à l'horizon s'il ne voit rien venir.
^^^^^^^^^^^^^^^
A PROSPER BLANCHEMAIN
Toi dont l'aile plana sur notre aurore, ô France !
Toi qui de l'idéal connais tous les chemins !
Toi dont le nom, fanfare aux éclats surhumains,
De tout peuple opprimé sonne la délivrance !
Terre aux grands deuils suivis d'éclatants lendemains !
Noble Gaule, pays de l'antique vaillance,
Qui sus toujours unir, merveilleuse alliance.
Au pur esprit des Grecs, l'orgueil des vieux Romains !
— 208
Toi qui portes au front Paris, l'auguste étoile
Qui de l'humanité dirige au loin la voile,
Nous, tes fils éloignés, nous t'aimons, tu le sais !
Nous acclamons ta gloire et pleurons tes défaites...
Mais c'est en écoutant le chant de tes poètes
Que nous sentons surtout battre nos cœurs français !
A M»* ELISA FRANK
Quand la nuit tombe, — au bord secret des étangs clairs,
Où le flot balancé dans son urne trop pleine
Inonde vaguement de ses pâles éclairs
Un fouillis d'ajoncs d'or qui tremble à chaque haleine,
Avez- vous entendu, — voix d'ange ou de sirène,
Animant tout à coup l'ombre des bois déserts,
D'un rossignol ému la cantate sereine
S'élever lentement dans le calme des airs ?
i8
— 2IO
Tout fait silence alors — souffles, soupirs, murmures,
Lyres des soirs que Dieu suspendit aux ramures,
De la brise et des nids colloques enchantés...
Madame, vous avez de l'oiseau solitaire
L'accent victorieux, et chacun doit se taire
Dans le ravissement sitôt que vous chantez !
A DE BERLUC-PERUSSIS
Poète, hier encore, en humant quelques verres
De votre fin muscat de Provence, — frileux,
Je me pris à rêver aux climats fabuleux
De votre beau Midi, doux pays des trouvères.
Souffles tièdes berçant de frais papillons bleus,
Ciel d'azur, rayons d'or, roses et primevères l.
Désespérant contraste avec les froids sévères
De nos zones qu'attriste un soleil nébuleux I
De vie et de parfums brises exubérantes !
Aux chansons des oiseaux forêts toujours vibrantes !
Langue au rythme sonore et plein de nonchaloir !
Ces horizons vermeils ! cet hiver chimérique 1
Dites, n'est-ce pas là quelque monde féerique
Où pour être poète on n'a qu'à le vouloir ?
A RAOUL BONNERY
A l'heure où le loup rôde en cherchant sa pâture,
Heure sombre où l'enfant tressaille au moindre bruit!
Quand, au fond du ciel morne où nul astre ne luit,
L'ombre, sinistre oiseau, plane sur la nature,
Souvent le voyageur, égaré dans la nuit,
Laisse flotter la rêne au col de sa monture ;
Et l'animal, cessant d'aller à l'aventure,
D'un pas ferme, tout droit au gîte le conduit.
i8.
— 214 —
Ta muse, c'est la sûre et fidèle cavale,
Poète ! et tu pourrais errer par intervalle,
Tâtonnant sur la voie où le doute est vainqueur;
Mais à son noble instinct toujours tu t'abondonnes,
Certe ! et voilà pourquoi même quand tu fredonnes,
Tu sais si bien trouver tous les chemins du cœur!
A PAUL VIBERT
Ce soir, mon ami, les pieds aux chenets,
Dont un froid de loup attisait la flamme,
J'ai pu savourer tes charmants sonnets,
Et, le cœur ému, ma muse t'acclame!
Je ne dirai point que je m'y connais;
On prendrait cela pour de la réclame ;
Mais en te lisant je te devinais,
Et ces beaux vers-là m'ont remué l'âme.
— 2l6 —
D'aube et de jeunesse ils sont lumineux;
Pourtant du passé, l'on respire en eux
Je ne sais quel doux et suave arôme :
Bercé par leur rythme, on croit, par instants,
— Vaine illusion ! — de ses dix-huit ans,
Voir passer au loin le vague fantôme !
Jr,
A NÉRÉE BEAUCHEMIN
J'aime à gravir les monts sauvages, le matin,
A l'heure harmonieuse et pleine de mystère
Où le brouillard des nuits, rafraîchissant la terre,
Perle en bruines d'or au feuillage du thym.
Et si, du fond du val, quelque timbre argentin
Soudain dans l'air sonore éclate solitaire,
Toutes les autres voix pour moi semblent se taire,
Et j'écoute ravi la chanson du lointain.
Poète, ouvre joyeux l'aile de ton ge'nie,
Chante I ton chant si pur rompt la monotonie
Des vulgaires accents du grand concert banal ;
Et moi — dont le soleil à l'horizon décline,
Je veux monter souvent sur la sainte colline
Pour entendre de loin ton refrain matinal !
t^■9••1^^■*•i^■^•1^•1^■1i^^•*•■1^'ï^i^■«•1î^'S*■*•1!^■*-*•^
A M"»* JEHIN-PRUME
Aux frais bourdonnements des abeilles dorées,
Aux chants du rossignol se prolongeant sur l'eau,
Aux confuses rumeurs des limpides soirées,
Aux duos amoureux de l'onde et du roseau,
A l'orchestre enivrant des brises éplorées
Qui bercent des forêts l'harmonieux réseau,
N'as-tu pas dérobé ces notes inspirées
Qui vibrent, Rosita, dans ton gosier d'oiseau ?
220 —
Mais non, ô douce artiste ! ô belle charmeresse !
Des sons les plus divins la troupe enchanteresse
Devant tes fiers accents a pâli mille fois ;
Car, vois-tu, quand la foule à ton chant suspendue,
Frémit d'enthousiasme et t'acclame, éperdue,
C'est un ange du ciel qui chante par ta voix !
If
A CALIXA LAVALLÉE
Oui, berce-nous toujours dans des flots d'harmonie,
O pianiste ! la foule acclame ; et pour ma part.
Même quand ta main court sur l'ivoire au hasard,
J'éprouve les frissons d'une ivresse infinie !
Mais quand ton poing bondit sur un clavier d'Erard,
En voyant tant de force à tant de grâce unie.
Chacun sent que la Muse alluma ton génie
A l'immortel flambeau des grands maîtres de l'Art.
*9
— 222
Fanfares du clairon, doux cri des hirondelles,
Grondement du tonnerre ou bruissement d'ailes,
La nature à ton jeu prête ses mille voix.
Comme Litz et Thalberg, ces nouveaux Prométhées,
Tu sais donner une âme aux touches enchantées
Du royal instrument qui chante sous tes doigts I
fM^rt^r1Sf1«îf1Srt^rM^V^^^^
A Miss WINNIE HOWELLS
Bravant dans ses rigueurs notre zone neigeuse,
Tourterelle échappée à l'Orient vermeil,
Qui donc a dirigé ton aile voyageuse
Vers nos pays du Nord oubliés du soleil ?
Toi dont Venise, au chant de sa lagune heureuse,
Berça le premier rêve et le premier sommeil !
Quel caprice a conduit ta course aventureuse
Vers ces bords où l'été n'a qu'un tardif réveil ?
— 224 —
Oh 1 je le sais, enfant ! A la plus pure flamme
Ton père, doux poète, alluma ta belle âme ;
Et, fier de nous montrer un cœur comme le tien.
Après avoir,— ô barde à la voix sympathique !
Chanté notre pays sur la lyre exotique,
Il t'envoya vers nous pour faire aimer le sien !
ESPAGNE
A S. E. le C'« de Prémio-Réal, Consul d'Espagne à Québec.
Charmant pays du Cid et de Don Diego,
Espagnes, Aragon, Castille, Andalousie,
Doux climats où les vents sont chargés d'ambroisie,
Sol qu'adora Musset, et que chanta Hugo :
Souvent, l'aigrette au front comme un noble hidalgo,
Dans un nimbe vermeil, j'ai vu ma fantaisie
Cueillir dans tes jardins la fleur de poésie,
Et sous tes balcons d'or danser le fier tango.
'9
— 226 —
J'ai mainte fois erré dans tes vieux palais maures ;
Je me suis endormi sous tes verts sycomores ;
J'ai vu, près du flot clair qui baigne tes coteaux,
La tzigane à l'œil noir mirer l'or de son pagne...
Et, sous ton beau ciel bleu j'ai bâti cent châteaux
Merveilleux; mais c'étaient des châteaux en Espagne !
m?^ ?^?^?^m?^^?^m^
ENVOI
Chez nous, un sentiment qui ne saurait périr,
C'est l'amour du vieux sol qu'à bénir on s'obstine,
Du vieux sol poétique où chanta Lamartine,
Sol maternel pour qui nous voudrions mourir !
Bon sang ne ment jamais ; bon sang ne peut tarir :
La France ! nous l'aimons d'une ardeur enfantine ;
Mais, après elle, ami, vive sa sœur latine !
Nous l'admirions déjà : vous l'avez fait chérir
— 228 —
O VOUS, le noble enfant de la verte Hispanie,
Nature chaleureuse, artiste de ge'nie.
Vers vos frères, un jour, si vous portez vos pas,
Dites-leur qu'un grand vide est fait à votre place ;
Que nos âmes n'ont rien de nos plaines de glace,
Et que chez nous les cœurs sont chauds comme là-bas !
l3^e88^e&5^ee§^eê§^eêâ^eS8^eê§^
A ALFRED GARNEAÙ
Pourquoi chanter, ami, lorsque l'homme n'écoute
Que le son du métal, et qu'il va, délirant
Comme un triste insensé, laisser indifférent
Ses lambeaux de croyance aux épines du doute ?
Bien longtemps j'ai voulu résister au torrent,
M'attacher aux rameaux dont s'ombrageait ma route ;
Mais des illusions le baume goutte à goutte
S'échappa de mon cœur pour suivre le courant.
— 23o —
A bien des chocs cruels ma lyre s'est brise'e ;
A lutter sans espoir ma main s'est épuisée ;
J'ai fui le sol mouvant qui manquait sous mon pié;
Et si, barde vaincu, parfois je chante encore,
C'est qu'il reste en mon âme une corde sonore
Qui vibrera toujours au nom de l'amitié !
INTIMITÉS
LUI
q4 Gustave Dro:{.
' L a bientôt deux ans. Parfois, quand je le gronde,
II baisse ses grands yeux qu'une larme a ternis;
Et puis, avec des airs de douceur infinis.
Il relève vers moi sa belle tête blonde.
Et tout à coup, — l'enfance a ces retours bénis,
D'un sourire joyeux sa figure s'inonde ;
Il jase en éclatant de rire, et sa faconde
Semble un gazouillement d'oiseaux au bord des nids.
20
— 234 —
Alors au fond de moi quelque chose remue ;
De tendresses sans nom ma pauvre âme est émue ;
Sous mes cils, k mon tour, je sens des pleurs venir.
Soyez aimé, mon Dieu, vous dont l'omnipotence
A créé la famille, et, pour nous rajeunir,
Nous donne les enfants, ces fleurs de l'existence !
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A MON FRERE ACHILLE
Frère, tu veux causer; tu veux que je rassemble
Mes souvenirs ; tu veux, me tenant par la main,
Comme un vieillard penché sur son bâton qui tremble,
Des jours qui ne sont plus remonter le chemin.
Il fut bien rude, hélas ! ce long passé qui semble
Pourtant si court, plus tard, au pauvre cœur humain !
Nous n'avons pas fléchi, car nous étions ensemble ;
Nous le sommes encor : le serons-nous demain ?
— 236 —
C'est l'avenir, vois-tu, qui frappe à notre porte ;
Laissons le passé fuir avec ce qu'il emporte ;
Oublions s'il fut triste ou s'il fut caressant :
Et, pour braver le sort et ses coups arbitraires,
Rendons grâces au ciel qui nous fit deux fois frères ;
L'une par la pensée et l'autre par le sang !
99
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If.
A M"" CHAUVEAU
A quoi donc rêvent-ils, vos beaux yeux andalous,
Quand, voilant à demi sa lueur incertaine,
Votre regard s'en va se perdre loin de nous,
Comme s'il contemplait quelque image lointaine ?
Quand vous semblez chasser toute pensée humaine
Et que, sur le clavier au son plaintif et doux,
Sans but, las et distrait, votre doigt se promène.
Jeune fille rêveuse, à quoi donc songez-vous i"
20.
— 238 —
Oh ! sans doute qu'alors votre âme ouvre ses ailes,
Et s'en va retrouver, dans des sphères nouvelles,
Ceux que le ciel emporte, hélas ! et ne rend pas!
Nous vivons dans un monde où presque tout s'oublie ;
Mais il reste toujours quelque chaînon qui lie
Les an-ges de là-haut aux anges d'ici-bas !
A M°>« OSCAR DUNN
Cousine, j'aime à voir sourire vos dents blanches ;
J'aime entendre éclater votre rire mutin :
Jamais son plus joyeux, timbre plus argentin.
N'ont encor résonné sur des lèvres plus franches.
On dirait un oiseau lançant, de branche en branches,
Dans l'éther du ciel pur son hymne du matin...
Ah ! c'est que le bonheur que vous fit le destin
Luit dans vos grands yeux bleus, bleus comme les per-
[venches.]
— 240 —
Le bonheur ! le bonheur ! ô trésor précieux
Que notre sphère envie à la splendeur des cieux I
Rose du paradis que tout homme a rêvée !
Mot de l'immense énigme où le cœur se confond I
Mot qui pour l'âme humaine est un gouffre profond !
Bonheur ! perle sans prix que vous avez trouvée !
^^^^mmmimi^mm^m^.
IN MEMORIAM
Oui, je suis revenu sous la fenêtre aimée,
Dérobée à moitié sous les grands arbres verts,
Où, pour ouir du soir les murmures divers,
Vous penchiez si souvent votre tête charmée.
Les oiseaux gazouillaient dans les sentiers couverts,
Les fleurs ouvraient au vent leur corolle embaumée ;
Et, saluant de loin la fenêtre fermée.
Je m'arrêtai pensif pour crayonner ces vers.
— 242 —
La brise au vol serein jouait dans les ramilles ;
D'acres senteurs montaient des épaisses charmilles ;
Le Couchant teignait d'or le front de la villa ;
Et, cependant, malgré ces splendeurs réunies,
Ces rayons, ces parfums, ces fleurs, ces harmonies,
Le deuil planait partout, car vous n'étiez plus là !
4*^
^
A MA BELLE-SŒUR
M** J. Léman
Madame, quand le ciel vous fit dépositaire
De ces deux chers enfants qui sont votre fierté,
Avez-vous réfléchi que Dieu, — charmant mystère !
Triplait ainsi chez vous la grâce et la beauté ?
Vous le savez sans doute, il n'est rien sur la terre.
Non, rien de comparable à cette majesté
Que, dans son doux éclat et sa splendeur austère.
Sur un front calme et pur met la maternité !
— 244 —
Madame, j'aime à voir cette auréole sainte
Resplendir où déjà brillait la double empreinte
De la pensée unie à tous les dons du cœur ;
Et c'est parce qu'en vous j'admirais tant la mère,
Que je vous ai voué la tendresse d'un frère
Avant d'avoir le droit de vous nommer ma soeur !
A Mnic VICTOR BEAUDRY
Au beau pays de l'or quel attrait vous enchaîne,
Vous, la plus fraîche fleur de nos cercles aimés,
Vous qu'on ravit un soir à nos regards charmés,
Mais qu'on devait nous rendre à la saison prochaine !
Qui sait ? Peut-être, hélas ! qu'en ces lieux embaumés
Où le jour est si pur et la nuit si sereine.
Et puis où vous régnez sans doute en suzeraine.
Vous oubliez un peu nos cieux moins parfumés î
21
— 246 —
Oh ! revenez ! Là-bas, sur ces rives fleuries,
Plus doux sont les parfums, plus vertes les prairies,
Les bosquets plus touffus, les échos plus charmants ;
Les oiseaux plus dorés ont la voix plus étrange...
Mais ici l'on soupire à votre cher nom d'ange :
Nos climats sont plus froids, mais nos cœurs plus aimants.
*^'V^v^^ v^!'N^;»v^*^|r*^*^v^v^^v^\^v^v^
A M" ARMAND PREVOST
Ma sœur, comme l'oiseau qui traverse la nue,
Quand le soleil d'avril sur ses ailes a lui.
Enfant naïve hier, femme heureuse aujourd'hui.
Au doux nid paternel vous voilà revenue.
Celui que votre cœur s'est donné pour appui
Vous avait loin de nous bien longtemps retenue ;
Il vous ramène enfin : soyez la bienvenue I
Le cercle du foyer s'ouvre pour vous et lui.
— 248 —
Venez ; asseyons-nous autour du feu qui tremble ;
Nos âmes et nos mains se mêleront ensemble :
Quand il est partagé le bonheur est plus grand.
Puis, en vous souhaitant des jours exempts de larmes,
Nous nous demanderons lequel a plus de charmes,
L'ange qu'on nous ravit ou l'ange qu'on nous rend 1
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A M'^o CAUCHON
Madame, vous aimez l'artiste de génie,
Ce sculpteur inspiré dont le ciseau savant
Sut si bien reproduire, en ce marbre vivant,
De vos traits fins et doux la suave harmonie.
Vous l'avez dit : plus tard, quelqu'un viendra souvent.
Pour consoler un peu son âme endolorie.
Relire, ému, devant cette image chérie.
De votre souvenir le poème émouvant.
— 25o —
Oui, c'est vrai ; mais lors même où, fruit tombé de l'arbre,
Votre fils n'aurait pas ce beau buste de marbre
Pour lui parler de vous et de ses premiers jours,
II saurait retrouver dans les cœurs, chose rare,
Mieux que vos traits charmants dans ce bloc de carrare.
Votre douce me'moire empreinte pour toujours !
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POUR L'ALBUM DE M»" H. MERCIER
Avant d'écrire un mot sur cette page blanche,
Sur ses sœurs, en rêvant, j'ai promené mon œil ;
Et, sur ce frais vélin où tant d'amour s'épanche,
L'avoûrai-je ? j'ai craint de trouver un écueil.
J'hésite encore, ainsi qu'un oiseau sur la branche;
Mais, puisque de ce temple il faut franchir le seuil,
Je m'exécute, et risque une parole franche.
En songeant à celui dont vous êtes l'orgueil.
— 252 —
Car vous aimez, madame, un homme au cœur d'élite ;
Votre âme suit son âme en fidèle acolyte,
Répandant sur sa vie un vase au doux parfum ;
Et, lorsque l'on vous voit si charmante et si bonne.
On sent qu'il a voulu mêler, dans sa couronne,
La fleur de poésie aux lauriers du tribun.
MON BOUQUET
A Auguste Lacaussade
Je possède un bouquet de pauvres fleurs fanées,
Que je garde, jaloux, comme on garde un trésor ;
Car dans ce cher débris je crois trouver encor
Le parfum de la main qui me les a données.
Et quand mon souvenir remonte en son essor
De mes jours de bonheur les rives fortunées,
Sur ces roses, que seul le temps a profanées,
Un doux rayon d'amour sème des reflets d'or.
- 254 -
Pauvres fleurs !... bien souvent, inutiles rosées,
Les larmes de mes yeux vous auront arrosées,
Sans rien vous rendre, hélas 1 de votre éclat vermeil.
N'importe, je vous aime, ô reliques bénies!
Restez là sur mon coeur ; et mes lèvres ternies
Vous presseront encor dans mon dernier sommeil !
A MA FEMME
Hélas ! ma douce amie, elle fut bien ardue
La route que sans toi j'avais à parcourir;
Et de tout ce qu'on peut endurer sans mourir
Mon cœur a bien des fois mesuré l'étendue.
Souvent j'ai failli croire, à force de souffrir,
A la fatalité sur mon front suspendue ;
Et si mon âme, enfant, dans l'orage éperdue,
N'a pas senti parfois son courage tarir.
256 —
C'est que, lorsque le vent du Nord battait ma voile,
L'Espérance était là, resplendissante étoile,
Dont le rayon béni venait sécher mes pleurs.
Cette étoile, aujourd'hui, c'est ton sourire d'ange,
O femme ! et, pour payer ce bonheur sans mélange.
C'est encore trop peu que vingt ans de douleurs l
ÉPILOGUE
22
A MES SONNETS
\auvres petits oiseaux que le caprice enlève
Aux paisibles abris de vos taillis secrets,
Vousalle^ demander aux regards indiscrets
Un peu de cet éclat que toute enfance rêve.
Pauvres petits oiseaux, sur vos humbles attraits
Vous voule'{, dites-vous, que l'aurore se lève...
Mais dans les pleurs souvent un beau songe s* achève.,
Et la gloire a coûté bien des cuisants regrets !
— 200 —
N'importe ! ouvre^ au vent vos ailes frémissantes !
Brave:^, petits oiseaux^ nos saisons menaçantes :
La tempête a toujours son lendemain vermeil ;
La pelouse a des tons plus verts après l'averse ;
Et l'azur vif oîi nul nuage ne se berce
Ne sait pas refléter les raj-ons du soleil I
TABLE
La découverte du Mississipi 5
A M. l'abbé Tanguay i5
A M. Pamphile Lemay 21
Papineau 25
A Henry W. Longfellow 33
A mon Filleul 37
La dernière Iroquoise 41
La Forêt canadienne 55
Reminiscor 63
Sur le Mississipi 73
Renouveau 77
Le premier Janvier °3
Le Printemps °7
Sur sa Tombe 9^
Sur la Tombe de Cadieux 99
Nuit d'Été ïo3
Le Québec '°7
A un Peintre "^
22.
— 202 —
Seul 117
Vieille histoire , iig
Elégie 123
Mille Fleurs et sous les Ormes 127
Les Pins 129
Un soir à bord 1 33
LES OISEAUX DE NEIGE
Les Oiseaux de neige iSg
Les Oiseaux blancs 141
La Louisianaise 146
Impromptu 147
L'ANNÉE CANADIENNE
Janvier i5i
Février i53
Mars i55
Avril 157
Mai ibg
Juin 161
Juillet i63
Août i65
Septembre 167
Octobre 169
Novembre 171
Décembre 173
PAYSAGES
Spencer Wood 177
Le Lac de Belœil 179
Le Cap Éternité 181
— 263 —
Le Niagara jg3
Longefont jg5
Le Lac de Beauport igy
Le Rapide igq
Le Cap Tourmente loi
Le Montmorency iq3
Les Mille-Iles loS
Le Saguenay loy
Les Marches naturelles igg
Le Platon 201
AMITIÉS
A Théodore Vibert 2o5
A Prosper Blanchemain 207
A Madame Elisa Frank 209
A de Berluc-Pérussis 211
A Raoul Bonnery 2i3
A Paul Vibert 2i5
A Nérée Beauchemin 217
A Madame Jehin-Prume 219
A Calixa Lavallée 221
A Miss Winnie Howells 223
Espagne 225
Envoi 227
A Alfred Garneau 229
INTIMITÉS
Lui =^33
A mon Frère Achille ^35
A Mademoiselle Chauveau ^37
A Madame Oscar Dunn *^9
In Memoriam ^^^
— 264 —
A ma Belle-Sœur 243
A Madame Victor Beaudry 245
A Madame Armand Prévost 247
A Madame Cauchon 249
Pour l'Album de Madame H. Mercier 25 1
Mon Bouquet 253
A ma Femme 255
ÉPILOGUE
A mes Sonnets 259
ACHEVÉ d'imprimer
le 2S Février 1881.
DARANTIERE, IMPRIMEUR
A DIJON
ERRATA
" Page 57, ir ligne, lise^ : que transpercent, et non: qui
transpercent.
V Page 78, 5« ligne, lise:( : nid, et non : lit.
V- Page io5, 28 ligne, lisej : sur, «f non : sous.
o
BINDING SECT. JAN 3 1 1968
PS Fréchette, Louis Honoré
9^61 Les fleurs boréales
Ri;3F5
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY