Skip to main content

Full text of "Les fleurs boréales; les oiseaux de neige, poésies canadiennes"

See other formats


HANDBOUND 
AT  THE 


UNIVERSITY  OF 
TORONTO  PRESS 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  witli  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/lesfleursboralOOfruoft 


??y 


TOÉSIES  C^N^DIE'KMMS 


^ 


LOUIS  FRÉCHETTE 


LES 


LEURS  BORÉALES 


^AV^A/v>^^A/w^A• 


LES  OISEAUX  DE  NEIGE 


W«AWWVWV 


POÉSIES  CANADIENNES 

COURONNÉES  PAR  L^ACADàMIE  FRANÇAISE 


(pS'^7« 


l3.(o  -3  » 


PARIS 
E.  ROUVEYRE        |        Em.   TERQUEM 

ÉDITEUR  >  ÉDITEUR 

t,  Rue  des  Saints-Pères.  ^  Boulevard  St-Martin,  i$ 

M  DCCC  LXXXI 


PS 


LA  DECOUVERTE  DU  MISSISSIPI 


Q/i  M.  Xavier  Marinier  de  l'Académie  Française. 


E  grand  fleuve  dormait  couché  dans  la  savâue. 
Dans  les  lointains  brumeux  passaient  en  caravane 
De  farouches  troupeaux  d'élans  et  de  bisons. 
Drapé  dans  les  rayons  de  l'aube  matinale, 
Le  desejt  déployait  sa  splendeur  virginale 
Sur  d'insondables  horizons. 


Juin  brillait.  Sur  les  eaux,  dans  l'herbe  des  pelouses. 
Sur  les  sommets,  au  fond  des  profondeurs  jalouses, 
L'Eté  fécond  chantait  ses  sauvages  amours. 
Du  Sud  à  l'aquilon,  du  Couchant  h  l'Aurore, 
Toute  l'immensité  semblait  garder  encore 
La  majesté  des  premiers  jours. 

I 


—  6 


Travail  mystérieux  !  les  rochers  aux  fronts  chauves, 
Les  pampas,  les  bayous,  les  bois,  les  antres  fauves, 
Tout  semblait  tressaillir  sous  un  souffle  effréné  ; 
On  sentait  palpiter  les  solitudes  mornes. 
Comme  au  jour  où  vibra,  dans  l'espace  sans  bornes, 
L'hymne  du  monde  nouveau-né. 


L'Inconnu  trônait  là  dans  sa  grandeur  première, 
Splendide,  et  tacheté  d'ombres  et  de  lumière. 
Comme  un  reptile  immense  au  soleil  engourdi, 
Le  vieux  Meschacébé,  vierge  encor  de  servage. 
Déployait  ses  anneaux  de  rivage  en  rivage 
Jusques  aux  golfes  du  Midi. 


Echarpe  de  Titan  sur  le  globe  enroulée, 
Le  grand  fleuve  épanchait  sa  nappe  immaculée 
Des  régions  de  l'Ourse  aux  plages  d'Orion, 
Baignant  le  steppe  aride  et  les  bosquets  d'orange. 
Et  mariant  ainsi,  dans  un  hymen  étrange, 
L'Equateur  au  Septentrion. 


Fier  de  sa  liberté,  fier  de  ses  flots  sans  nombre, 
Fier  du  grand  p.ia  touffu  qui  lui  verse  son  ombre, 
Le  Roi-des-Eaux  n'avait  encore,  en  aucun  lieu 
Où  l'avait  promené  sa  course  vagabonde, 
Déposé  le  tribut  de  sa  vague  profonde, 
Que  devant  le  soleil  et  Dieu  !,.. 


II 


JoUiet  !  Jolliet!  quel  spectacle  féerique 
Dut  frapper  ton  regard,  quand  ta  nef  historique 
Bondit  sur  les  flots  d'or  du  grand  fleuve  inconnu  1 
Quel  sourire  d'orgueil  dut  effleurer  ta  lèvre  ! 
Quel  éclair  triomphant,  à  cet  instant  de  fièvre. 
Dut  resplendir  sur  ton  front  nu  ! 


r 


Le  voyez-vous,  là-bas,  debout  comme  un  prophète. 
Le  regard  rayonnant  d'audace  satisfaite, 
La  main  tendue  au  loin  vers  l'Occident  bronzé. 
Prendre  possession  de  ce  domaine  immense, 
Au  nom  du  Dieu  vivant,  au  nom  du  roi  de  France, 
Et  du  monde  civilisé  ! 


Puis,  bercé  par  la  houle,  et  bercé  par  ses  rêves, 
L'oreille  ouverte  aux  bruits  harmonieux  des  grèves, 
Humant  l'acre  parfum  des  grands  bois  odorants, 
Rasant  les  îlots  verts  et  les  dunes  d'opale, 
De  méandre  en  méandre,  au  fil  de  l'onde  pâle, 
Suivre  le  cours  des  flots  errants  ! 


A  son  aspect,  du  sein  des  flottantes  ramures, 
Montait  comme  un  concert  de  chants  et  de  murmures  ; 
Des  vols  d'oiseaux  marins  s'élevaient  des  roseaux, 
Et,  pour  montrer  la  route  à  la  pirogue  frêle, 
S'enfuyaient  en  avant,  traînant  leur  ombre  grêle 
Dans  le  pli  lumineux  des  eaux. 


Et,  pendant  qu'il  allait  voguant  à  la  dérive, 
L'on  aurait  dit  qu'au  loin  les  arbres  de  la  rive, 
En  arceaux  parfumés  penchés  sur  son  chemin, 
Saluaient  le  héros  dont  l'énergique  audace 
Venait  d'inscrire  encor  le  nom  de  notre  race 
Aux  fastes  de  l'esprit  humain! 


—  0  — 


III 


O  grand  Meschacébé  !  —  Voyageur  taciturne, 
Bien  des  fois,  au  rayon  de  l'étoile  nocturne, 
Sur  tes  bords  endormis  je  suis  venu  m'asseoir; 
Et  là,  seul  et  rêveur,  perdu  sous  les  grands  ormes. 
J'ai  souvent  du  regard  suivi  d'e'tranges  formes 
Glissant  dans  les  brumes  du  soir. 


Tantôt  je  croyais  voir,  sous  les  vertes  arcades, 
Du  fatal  de  Soto  passer  les  cavalcades, 
En  jetant  au  de'sert  un  défi  solennel! 
Tantôt  c'était  Marquette  errant  dans  la  prairie. 
Impatient  d'offrir  un  monde  à  sa  patrie, 
Et  des  âmes  à  l'Eternel  ! 


—    10 


Parfois,  sous  les  taillis,  ma  prunelle  trompée 
Croyait  voir  de  La  Salle  étinceler  l'épée  ; 
Et  parfois,  groupe  informe  allant  je  ne  sais  où, 
Devant  une  humble  croix,  ô  puissance  magique  1 
De  farouches  guerriers  à  l'œil  sombre  et  tragique 
Passer  en  pliant  le  genou  ! 


Et  puis,  berçant  mon  âme  aux  rêves  des  poètes, 
J'entrevoyais  aussi  de  blanches  silhouettes, 

Doux  fantômes  flottante  dans  le  vague  des  nuits, 

I 

Atala,  Gabriel,  Chactas,  Evangeline, 
Et  l'ombre  de  René,  debout  sur  la  colline, 
Pleurant  ses  immortels  ennuis. 


Et  j'endormais  ainsi  mes  souvenirs  moroses... 
Mais  de  ces  visions  poétiques  et  roses 
Celle  qui  plus  souvent  venait  frapper  râon  œil, 
C'était,  passant  au  loin  dans  un  reflet  de  gloire, 
Ce  hardi  pionnier  dont  notre  jeune  histoire 
Redit  le  nom  avec  orgueil. 


—  11  — 


IV 


Jolliet!  JoUiet!  deux  siècles  de  conquêtes, 
Deux  siècles  sans  rivaux  ont  passé  sur  nos  têtes, 
Depuis  l'heure  sublime  où,  de  ta  propre  main, 
Tu  jetas,  d'un  seul  trait,  sur  la  carte  du  monde 
Ces  vastes  régions,  zone  immense  et  féconde, 
Futur  grenier  du  genre  humain! 


Deux  siècles  sont  passés  depuis  que  ton  génie 
Nous  fraya  le  chemin  de  la  terre  bénie 
Que  Dieu  fit -avec  tant  de  prodigalité. 
Qu'elle  garde  toujours  dans  les  plis  de  sa  robe, 
Pour  les  déshérités  de  tous  les  coins  du  globe, 
Du  pain  avec  la  liberté  ! 


—    12   — 


Oui,  deux  siècles  ont  fui  1  La  solitude  vierge 
N'est  plus  là  !  Du  progrès  le  flot  montant  submerge 
Les  vestiges  derniers  d'un  passé  qui  finit. 
Où  le  désert  dormait  grandit  la  métropole  ; 
Et  le  fleuve  asservi  courbe  sa  large  épaule 
Sous  l'arche  aux  piliers  de  granit! 


Plus  de  forêts  sans  fin  :  la  vapeur  les  sillonne  ! 
L'astre  des  jours  nouveaux  sur  tous  les  points  rayonne; 
L'enfant  de  la  nature  est  évangélisé  ; 
Le  soc  du  laboureur  fertilise  la  plaine; 
Et  le  surplus  doré  de  sa  gerbe  trop  pleine 
Nourrit  le  vieux  monde  épuisé  ! 


—  13  — 


V. 


Des  plus  purs  dévoûments  merveilleuse  semence  ! 
Qui  de  vous  eût  jamais  rêvé  cette  œuvre  immense, 
O  Jolliet,  et  vous  apôtres  inge'nus, 
Hunables  soldats  de  Dieu,  sans  reproche  et  sans  crainte, 
Qui  portiez  le  flambeau  de  la  vérité'  sainte 
Dans  ces  parages  inconnus  ? 


Des  volontés  du  ciel  exécuteurs  dociles, 
Vous  fûtes  les  jalons  qui  rendent  plus  faciles 
Les  durs  sentiers  où  doit  marcher  l'humanité... 
Gloire  à  vous  tous  !  du  Temps  franchissant  les  abîmes 
Vos  noms  environnés  d'auréoles  sublimes 
Iront  à  l'immortalité  1 


—  H  — 

Et  toi,  de  ces  héros  généreuse  patrie, 
Sol  canadien,  que  j'aime  avec  idolâtrie, 
Dans  l'accomplissement  de  tous  ces  grands  travaux, 
Quand  je  pèse  la  part  que  le  ciel  t'a  donnée, 
Les  yeux  sur  l'avenir,  terre  prédestinée, 
J'ai  foi  dans  tes  destins  nouveaux  ! 


c*jSa;  ^«^a; '.«^^  ;«>>«;  v»<^  c«c«j  <«<^  (^«^^ 

•^  -^  «^  M^  >iA.  W^  >^  ^  M|^  ^  W^  -A.  M^ 


A  M.  L'ABBÉ  TANGUAY 


A  uteur  du  «  Dictionnaire  généalogique  des  Familles 
canadiennes  ». 


Quand  l'Histoire,  prenant  son  austère  burin, 
Des  âges  qui  s'en  vont,  sur  ses  tables  d'airain, 

Fixe  l'empreinte  ineffaçable, 
Son  œil  impartial  n'a  pas  de  trahisons, 
Mais  forcé  d'embrasser  d'immenses  horizons, 

Il  ne'glige  le  grain  de  sable. 


—  i6  — 

Le  pic  au  front  altier  lui  cachant  le  sillon, 
Elle  n'aperçoit  point  le  timide  oisillon 

Qui  bâtit  son  nid  dans  les  seigles  ; 
Son  fier  regard,  qui  va  de  sommets  en  sommets. 
Toujours  tourné  là-haut,  ne  s'arrête  jamais 

Qu'à  regarder  voler  les  aigles. 


Empereurs,  potentats,  capitaines  fameux. 
Chefs  d'un  jour  surnageant  sur  les  flots  e'cumeux 

Des  de'chaînements  populaires. 
Eclatante  victoire  ou  drame  ensanglanté, 
Grands  hommes  ou  hauts  faits  ont  seuls  droit  de  cité 

Dans  ses  annales  séculaires. 


Quand  Turenne,  frappé  d'un  boulet  de  canon, 
Rend  l'âme  au  champ  d'honneur,  elle  redit  son  nom. 

Et  va  s'incliner  sur  sa  tombe  : 
Elle  donne  des  pleurs  au  général  mourant; 
Mais  passe  sans  regrets,  d'un  pas  indifférent, 

Devant  l'humble  conscrit  qui  tombe. 


—  17  — 

Les  peuples,  sous  ses  yeux,  roulent  en  tourbillon  ; 
Et  comme,  lorsque  au  loin  défile  un  bataillon, 

Les  hauts  cimiers  seuls  sont  en  vue, 
Des  héros  et  des  grands  elle  compte  les  jours  ; 
Mais  des  petits,  hélas!  oubliés  pour  toujours, 

La  foule  est  à  peine  entrevue. 


Amant  passionné  des  temps  qui  ne  sont  plus, 
Quand  j'évoque,  rêveur,  des  siècles  révolus 

L'image  au  fond  de  ma  mémoire  ; 
Ou  quand,  ceignant  le  front  de  nos  nobles  aïeux 
D'un  diadème  d'or,  Garneau  fait  sous  mes  yeux 

Surgir  tout  un  passé  de  gloire  ; 


Alors,  dans  les  reflets  d'un  songe  vaporeux, 
Je  vois  passer  au  loin  les  mânes  de  nos  preux 

En  cohorte  resplendissante. 
Jetant  à  l'Angleterre  un  sublime  cartel. 
Et  gravant  sur  nos  bords  un  poème  immortel., 

De  leur  épée  éblouissante. 


Je  compte  nos  grands  noms,  soldat,  prêtre,  trappeur, 
Pionniers,  chevaliers  sans  reproche  et  sans  peur, 

Tous  ceux  dont  notre  orgueil  s'honore  : 
Depuis  l'humble  martyr  qui  convertit  les  cœurs, 
Jusqu'au  vaillant  tribun  foudroyant  nos  vainqueurs 

Des  éclats  de  sa  voix  sonore. 


Mais,  dans  les  rangs  pressés  de  ce  groupe  charmant, 
D'un  regard  anxieux  je  cherche  vainement, 

Quel  que  soit  le  livre  que  j'ouvre, 
Tous  ces  he'ros  obscurs  qui,  pour  ce  sol  naissant. 
Versèrent  tant  de  fois  leurs  sueurs  et  leur  sang. 

Et  qu'aujourd'hui  l'oubli  recouvre. 


Ils  furent  grands  pourtant,  ces  paysans  hardis 
Qui,  sur  ces  bords  lointains,  défièrent  jadis 

L'enfant  des  bois  dans  ses  repaires, 
Et  perçant  la  forêt  l'arquebuse  à  la  main, 
Au  progrès  avenir  ouvrirent  le  chemin... 

Et  ces  hommes  furent  nos  pères  1 


—  19  — 

Quand  la  France  peuplait  ces  rivages  nouveaux, 
Que  d'exploits  étonnants,  que  d'immortels  travaux, 

Que  de  légendes  homériques. 
N'eurent  pour  tous  héros  que  ces  preux  inconnus. 
Soldats  et  laboureurs,  cœurs  de  bronze,  venus 

Du  fond  des  vieilles  Armoriques  ! 


Le  temps  les  a  plongés  dans  un  gouffre  béant... 

Mais  d'exhumer  au  moins  leurs  beaux  noms  du  néant, 

Qui  fera  l'œuvre  expiatoire  ?... 
C'est  vous,  savant  abbé  1  c'est  votre  l^ivre,  ami. 
Qui  se  fait  leur  vengeur,  et  répare  à  demi 

L'ingratitude  de  l'Histoire! 


I 


A  M.  PAMPHILE  LEMAY 


*Poète  Lauréat  de  l'Université-Laval. 


Poète,  on  t'applaudit  !  poète,  on  te  couronne  ! 
Le  laurier  du  vainqueur  sur  ta  tête  rayonne  ; 
Le  passant  jette  à  flots  des  fleurs  sur  ton  chemin  ; 
Au  tournoi  de  la  lyre  on  t'a  cédé  l'arène  ; 
Ta  muse  à  ses  rivaux  sourit  en  souveraine  : 
Et  je  ne  suis  plus  là  pour  te  serrer  la  main  ! 

2. 


—   22   — 


Pourtant,  naguère  encore,  suivant  la  même  étoile. 
Nous  n'avions  qu'une  nef,  nous  n'avions  qu'une  voile  ; 
Nos  luths  comme  nos  cœurs  vibraient  à  l'unisson. 
Poètes  de  vingt  ans,  c'étaient  luttes  sans  trêve  : 
C'était  à  qui  de  nous  ferait  le  plus  beau  rêve. 
C'était  à  qui  ferait  la  plus  belle  chanson. 


Nous  rêvions,  nous  chantions,  —  c'était  là  notre  vie. 

Et,  rivaux  fraternels,  sans  fiel  et  sans  envie, 

A  la  muse  des  vers  nous  faisions  notre  cour. 

Tu  charmais  les  zéphyrs,  je  narguais  la  bourrasque; 

Et  nous  voguions  tous  deux,  toi  songeur,  moi  fantasque, 

L'âme  ivre  de  parfums,  de  soleil  et  d'amour. 


Nos  soirs  étaient  sereins,  nos  matins  étaient  roses, 
Tout  était  calme  et  pur;  nuls  nuages  moroses 
N'estompaient  l'horizon,  —  ô  présage  moqueur! 
J'aimais...  et  je  croyais  à  l'amitié  fidèle  ; 
Tout  me  parlait  d'espoir,  quand  le  sort  d'un  coup  d'aile 
Brisa  mes  rêves  d'or,  ma  boussole  et  mon  cœur  ! 


—  23  — 

L'orage  m'emporta  loin  de  la  blonde  rive 

Où  ton  esquif  flottait  toujours  à  la  dérive, 

Bercé  par  des  flots  bleus  pleins  d'ombrages  mouvants. 

Et  depuis,  ballotté  par  la  mer  écumante, 

Hochet  de  l'ouragan,  jouet  de  la  tourmente, 

J'erre  de  vague  en  vague  à  la  merci  des  vents. 


Oui,  je  suis  loin,  ami  !  mais  souvent  les  rafales 
M'apportent  des  lambeaux  de  clameurs  triomphales; 
Et  j'écoute,  orgueilleux,  ton  nom  que  l'on  redit... 
Alors  je  me  demande,  en  secret,  dans  mon  âme. 
Si  tu  songes  parfois,  quand  la  foule  t'acclame, 
A  celui  qui  jadis  tant  de  fois  t'applaudit. 

Chicago,  octobre  1869. 


PAPINEAU 


Seul  de  ces  temps  féconds  en  dévoûment  épique  ; 
Seul  de  tous  ces  grands  cœurs  à  la  trempe  olympique 
Qui  défendaient  jadis  notre  droit  menacé, 
Sur  notre  âme  imprimant  sa  gigantesque  empreinte, 
Il  restait  là,  debout  dans  sa  majesté  sainte. 
Comme  un  monument  du  passé  ! 


-    26   - 

/ 

Les  ans  n'avaient  point  su  courber  son  front  superbe  ; 
Et,  comme  un  moissonneur  appuyé  sur  sa  gerbe, 
Regarde,  fatigué,  l'ombre  du  soir  venir, 
Calme,  il  se  reposait,  laissant,  vaincu  stoïque, 
Son  œil,  encor  baigné  de  lueur  héroïque, 
Plonger  serein  dans  l'avenir. 


Aux  bruits  de  notre  époque  il  fermait  sa  grande  âme  ; 
Et,  sourd  aux  vains  projets  dont  notre  orgueil  s'enflamme. 
Avec  ses  souvenirs  de  gloire  et  de  douleur, 
Il  vivait  seul,  laissant  ses  mains  octogénaires, 
Qui  des  forums  jadis  remuaient  les  tonnerres, 
Vieillir  en  cultivant  des  fleurs  ! 


Sa  voix,  sa  grande  voix  aux  sublimes  colères, 
Sa  voix  qui  déchaînait  sur  les  flots  populaires 
Tant  de  sarcasme  amer  et  d'éclats  triomphants. 
Sa  voix  qui,  des  tyrans  déconcertant  l'audace, 
Quarante  ans  proclama  les  droits  de  notre  race, 
Enseignait  les  petits  enfants  ! 


—   27   — 

Lui,  le  puissant  tribun  de  la  foule  en  démence 
Saluait  tous  les  jours  d'une  clameur  immense. 
Relégué  désormais  dans  un  monde  idéal, 
Drapé  dans  sa  fierté  qu'on  croyait  abattue, 
Il  dormait  dans  l'oubli,  gigantesque  statue 
Arrachée  à  son  piédestal  ! 


Souvent,  lorsque  le  soir  de  ses  lueurs  mourantes 
Dorait  de  l'Ottawa  les  vagues  murmurantes, 
Au-dessus  des  flots  noirs,  sur  le  coteau  penchant, 
Où  l'aigle  canadien  avait  plié  son  aile. 
On  le  voyait,  debout  comme  une  sentinelle, 
Regarder  le  soleil  couchant. 


Alors  le  bruit  des  eaux  brisant  sur  les  écores, 
Les  murmures  du  vent  dans  les  grands  pins  sonores, 
La  chanson  des  oiseaux,  la  plainte  des  bois  sourds. 
Tout  ce  concert  confus  de  rumeurs  innommées 
Qui  s'élèvent,  la  nuit,  de  l'onde  et  des  ramées, 
Tout  lui  parlait  des  anciens  jours. 


—   28    — 


Ouvrant  au  souvenir  l'essor  de  ses  pensées, 
Ce  débris  glorieux  de  nos  grandeurs  passées, 
Géant  d'une  autre  époque  oublié  parmi  nous. 
Comme  il  vous  écrasait  de  sa  hauteur  sereine, 
Colosses  d'aujourd'hui,  tourbe  contemporaine 
Qui  n'alliez  pas  à  ses  genoux  ! 


Semblable  à  ces  hauts  pics  dont  les  cimes  neigeuses, 
Emergeant  au  dessus  des  zones  orageuses. 
Dressent  dans  le  ciel  pur  leurs  altières  splendeurs. 
Des  brouillards  et  des  bruits  du  présent  dégagée, 
Son  âme  s'élevait  radieuse,  et  plongée 
Dans  de  célestes  profondeurs. 


Gloire,  succès,  revers,  douleurs,  luttes  sans  trêve, 
Tout  un  monde  endormi  s'éveillait  comme  un  rêve; 
Il  lui  semblait  entendre,  au  milieu  des  rumeurs, 
Appel  désespéré  d'un  peuple  qui  s'effare. 
Son  grand  nom  résonner,  ainsi  qu'une  fanfare, 
Au  dessus  d'immenses  clameurs. 


—   29  — 

Mystérieux  échos  du  passé  !  les  rafales 
Lui  jetaient  comme  un  bruit  de  marches  triomphales 
Puis  son  oeil  s'allumait  d'une  étrange  clarté  : 
Aux  éclats  de  la  poudre,  au  son  de  la  trompette, 
11  avait  entendu  claquer  dans  la  tempête 
Le  drapeau  de  la  liberté  ! 


11  regardait  passer,  dans  ui\  songe  extatique, 
Tous  ces  héros  d'un  jour  sortis  d'un  moule  antique, 
Immortelle  phalange  au  courage  invaincu 
Qu'il  commandait  jadis  ;  et,  la  main  sur  l'histoire, 
Il  comptait  en  pleurant  les  compagnons  de  gloire 
Auxquels  il  avait  survécu. 


Puis  la  scène  changeait.  Insondable  mystère 

Qui  fait  presque  toujours  succéder  sur  la  terre 

Aux  triomphes  d'hier  les  r-evers  d'aujourd'hui  ! 

Sur  des  débris  fumants,  gémissante  et  meurtrie, 

Comme  un  spectre  livide,  il  voyait  la  Patrie 

Pâle  se  dresser  devant  lui!... 

3 


—  3o  — 

Puis  les  longs  jours  d'exil,  puis  les  regrets  sans  nombre. 
Les  rêves  envolés,  l'espe'rance  qui  sombre, 
Les  chagrins  du  vaincu,  la  morgue  des  vainqueurs, 
La  trahison,  l'oubli,  l'âge,  la  solitude  ; 
Enfin  l'inévitable  écueil,  l'ingratitude. 
Où  se  heurtent  tous  les  grands  cœurs  1 


Et  pourtant,  —  ô  chaos  de  la  pensée  humaine  ! 
Ce  génie,  héritier  de  quelque  ombre  romaine, 
Avait  encore  en  lui  des  éblouissements  ; 
Par  moments  son  regard  se  remplissait  d'aurore  ; 
Et,  penché  sur  la  tombe,  il  méditait  encore 
De  sublimes  enfantements  1 


Vain  héroïsme  1  Un  soir,  la  mort,  la  mort  brutale 
Vint  le  toucher  au  front  de  sa  marque  fatale  ; 
Vaincu  par  l'âge,  hélas  !  ce  mal  sans  guérison, 
Il  voulut  voir  encore,  assis  à  sa  fenêtre. 
Pour  la  dernière  fois,  plonger  et  disparaître 
L'astre  du  jour  à  l'horizon. 


—  3i  — 

Le  spectacle  fut  grand,  la  scène  saisissante  ! 
Des  derniers  feux  du  soir  la  lueur  pâlissante 
Eclairait  du  vieillard  l'auguste  majesté; 
Et  dans  un  nimbe  d'or,  clarté  mystérieuse, 
L'on  eût  dit  que  déjà  sa  tète  glorieuse 
Rayonnait  d'immortalité  ! 


Longtemps  il  contempla  la  lumière  expirante  ; 
Et  ceux  qui  purent  voir  sa  figure  mourante, 
Que  le  reflet  vermeil  de  l'Occident  baignait, 
Crurent,  —  dernier  verset  d'un  immortel  poème, 
Voir  ce  soleil  couchant  dire  un  adieu  suprême 
A  cet  astre  qui  s'éteignait  ! 


Ce  n'était  pas  la  mort,  c'était  l'apothéose  1... 
Maintenant  parlons  bas  :  il  est  là  qui  repose 
Au  détour  du  sentier  si  sauvage  et  si  beau 
Qu'il  aimait  tant,  le  soir,  à  gravir  en  silence  ; 
Et  les  grands  ormes  verts  que  la  brise  balance 
Soupirent  seuls  sur  son  tombeau. 


—    32    — 

Passants  qui  visitez  cet  endroit  solitaire, 
Inclinez-vous  !  c'est  plus  qu'un  puissant  de  la  terre, 
C'est  presque  un  siècle  entier  qui  dort  là  ;  car  celui 
Qui  mit  sur  Papineau  la  dalle  mortuaire, 
Avait  enveloppé  dans  1^  même  suaire 
Tout  un  passé  mort  avec  lui  ! 


Il  fut  toute  une  époque,  et  longtemps  notre  race 
N'eut  que  sa  voix  pour  glaive,  et  son  corps  pour  cuirasse. 
Courbons-nous  donc  devant  ce  preux  des  jours  anciens. 
S'il  ne  partagea  point  nos  croyances  augustes. 
N'oublions  pas  qu'il  fut  juste  parmi  les  justes, 
Et  le  plus  grand  parmi  les  siens  ! 


!^ 


A  HENRY  W.  LONGFELLOW 


Q^  l'occasion  de  son  voyage  en  Europe. 


Un  soir,  tu  t'envolas  comme  l'oiseau  de  mer 
Dont  le  coup  d'aile  altier  nargue  le  gouffre  amer  ; 

Et  moi,  debout  sur  la  colline. 
Murmurant  à  la  brise  un  chant  d'Hiawatha, 
Longtemps  je  regardai  le  flot  qui  t'emporta, 

O  doux  chantre  d'Evangeline  ! 

3; 


-34- 

Comme  on  voit  l'astre  d'or,  plongeant  au  sein  des  eaux, 
Laisser  derrière  lui  de  lumineux  réseaux 

Dorer  les  vagues  infinies, 
Quand  ta  barque  sombrait  à  l'horizon  brumeux, 
On  entendit  longtemps  sur  l'abîme  écumeux 

Flotter  d'étranges  harmonies. 


Tu  caressais  ton  luth  d'un  doigt  mélodieux, 
O  barde  !  et  je  t'ai  vu  d'un  long  regard  d'adieux 

Embrasser  nos  rives  aimées. 
Rêvant  pour  ton  retour  d'innombrables  moissons 
De  poèmes  ailés,  de  sublimes  chansons 

Et  de  légendes  parfumées. 


Tu  partis,  et  longtemps  ta  lyre  résonna 

Des  vallons  de  Kildare  aux  penchants  de  l'Etna, 

Sur  le  Danube  et  sur  la  Loire  ; 
Et,  brillante  fanfare  ou  fier  coup  de  canon, 
La  brise  qui  soufflait  nous  apportait  ton  nom 

Dans  un  long  murmure  de  gloire  ! 


—  33  — 

Dans  ces  pays  dorés  où  l'art  a  des  autels, 
Tu  passais,  saluant  tous  les  fronts  immortels 

De  l'Europe,  en  grands  noms  féconde  ; 
Et,  de  Rome  à  Paris,  de  Londres  à  Guemesey, 
Les  maîtres  t'acclamaient,  rival  improvisé 

Qui  surgissais  du  Nouveau-Monde... 


Mais,  comme  une  aile  blanche  ouverte  dans  le  vent, 
J'ai  vu  poindre  une  voile  aux  lueurs  du  Levant, 

Dans  un  rayonnement  féerique  ! 
Le  bronze  de  Cambridge  a  grondé  dans  sa  tour  ; 
Et,  dans  son  noble  orgueil,  d'un  long  frisson  d'amour 

Tressaille  la  jeune  Amérique  ! 


Ecoutez  !...  mille  voix  s'élèvent  dans  les  airs. 
De  la  cité  vivante  et  du  fond  des  déserts 

Monte  une  immense  symphonie. 
Ecoutez  ces  accents,  par  la  brise  portés 
Des  bords  de  la  Floride  aux  coteaux  enchantés 

De  la  blonde  Pensvlvanie  ! 


—  36  — 

Des  gorges  du  Catskill  au  rivage  lointain 

Où  le  vieux  Missouri,  dans  son  cours  incertain, 

Roule  ses  eaux  couleur  d'orange  ; 
Sous  les  arceaux  touffus  des  grands  bois  ténébreux, 
Au  bord  des  lacs  géants  et  des  bayous  ombreux, 

S'élève  une  cantate  étrange. 


Hosanna  !  ces  rumeurs,  ces  chants  mystérieux, 
C'est  un  monde  hélant  son  barde  glorieux; 

Car  le  flot  dont  tu  t'environnes, 
O  vieux  roc  de  Plymouth,  berce  encor  ton  enfant, 
Poète  bien-aimé  qui  revient  triomphant. 

Le  front  tout  chargé  de  couronnes  ! 


Août  1869. 


m^im 


A     MON    FILLEUL 


L,-H.'A,  Archambault. 


Toi  que  la  vie  à  peine  effleure  de  son  aile  ; 
Toi  qui  de  l'innocence,  au  fond  de  ta  prunelle, 

Gardes  encore  l'e'clat  vermeil  ; 
Enfant  !  toi  dont  les  jours  sont  pleins  de  douces  choses, 
Et  qui  ne  vois,  la  nuit,  que  des  chimères  roses 

Qui  se  penchent  sur  ton  sommeil  ! 


—  38  — 

Toi  qui  goûtes  encore  les  tendresses  sans  nombre 
De  celle  devant  qui  s'effacent  comme  une  ombre 

Toutes  nos  amitiés  d'un  jour  ! 
Qui  de  purs  dévoûments  n'est  jamais  assouvie  ; 
Qui  nous  donne  son  sang,  et  qui  nous  fait  la  vie 

Douce  comme  un  baiser  d'amour  ! 


Toi  qui  sais  les  effets  sans  deviner  les  causes, 
Et  qui  souris  de  voir  nos  figures  moroses 

S'e'panouir  à  tes  ébats  ; 
Toi  dont  le  cœur  est  comme  une  onde  transparente, 
Et  dont  la  foi  naïve  est  encore  ignorante 

Des  tristes  choses  d'ici-bas  ! 


Ecoute!  il  est  un  temps  dans  l'existence  humaine, 
Où,  sous  le  lourd  fardeau  que  l'âge  nous  amène, 

Le  front  se  penche  soucieux; 
Où  le  cœur  se  flétrit,  où  l'âme  desséchée, 
Comme  une  pauvre  fleur  à  sa  tige  arrachée, 

S'effeuille  à  tous  les  vents  des  cieux  ! 


-39- 

Un  temps  où  les  soucis,  de  leurs  ongles  arides, 
Sur  nos  traits  fatigués  ont  buriné  leurs  rides 

Au  milieu  d'étranges  pâleurs  ; 
Où  l'homme  mûr  qui  sent  venir  sa  fin  prochaine. 
Traîne  derrière  lui  comme  une  immense  chaîne 

Dont  les  anneaux  sont  des  douleurs  1 


Une  époque  où  souvent,  gémissante  et  blessée, 
Après  avoir  du  ciel  où  planait  sa  pensée 

Vu  fuir  les  blanches  visions, 
L'âme  humaine,  égarée  aux  détours  de  la  route, 
S'achemine  à  tâtons  dans  les  sentiers  du  doute, 

Veuve  de  ses  illusions  1 


Tu  ne  sais  pas  encor  par  quel  triste  mystère 
L'on  rencontre,  parmi  les  puissants  de  la  terre, 

Tant  de  fronts  sombres  et  rêveurs... 
Crois-moi,  même  ceux-là  sont  peu  dignes  d'envie, 
Car  les  fruits  les  plus  beaux  de  l'arbre  de  la  vie 

Ont  souvent  d'améres  saveurs  ! 


—  40  — 

Ah  !  si  l'ange  qui  tient  le  fil  des  destine'es, 
A  jamais  suspendant  le  cours  de  tes  années, 

Pouvait,  d'un  arrêt  souverain, 
Eterniser  un  jour  sous  ta  paupière  humide 
Le  rayon  saint  et  pur  que  ton  âme  candide 

Fait  luire  dans  ton  œil  serein  ! 


Si  tu  pouvais  garder  ton  enfance  suave  !  . . . 

Mais  tu  vieillis  aussi  ;  ton  front  devient  plus  grave  ; 

Bientôt  ta  raison  va  s'ouvrir 
Aux  secrets  d'ici-bas  qu'il  nous  faut  tous  connaître 
Tôt  ou  tard,  ô  mon  ange  1  —  et  ce  sera  peut-être 

Demain  à  ton  tour  de  souffrir  ! 


Mais  non  !  de  miel  doré  ta  coupe  est  pleine  encore 
Souris  à  l'avenir  ;  ta  radieuse  aurore 

Brille  d'un  éclat  triomphant  ! 
Mais  aux  déceptions  que  ton  cœur  s'accoutume  ! 
Et  qu'il  arrive  tard  le  jour  plein  d'amertume 

Où  tu  regretteras  de  n'être  plus  enfant  ! 


LA  DERNIERE  IROQUOISE 


o^  Paul  Blanchemain. 


Nous  sommes  sur  les  bords  du  Saint-Laurent  sauvage. 
Le  fleuve,  déployant  l'orbe  de  son  rivage, 
En  gracieux  ovale  épanche  son  flot  pur. 
Avec  ses  roseaux  verts  chantant  comme  une  harpe, 
La  rive  se  déroule  en  amoureuse  écharpe 
Encadrant  un  miroir  d'azur. 

'   4 


_  42   — 

Du  fond  de  la  forêt  montent  des  voix  sans  nombre. 
Comme  un  œil  entr'ouvert  au  fond  de  la  nuit  sombre, 
La  lune,  projetant  ses  longs  rayons  blafards, 
Découpe  des  grands  pins  les  ramures  e'tranges, 
Dont  l'ombre  se  dessine  en  gigantesques  franges 
Flottant  parmi  les  nénuphars. 


L'oiseau  de  nuit,  quittant  sa  pose  taciturne, 
S'envole  en  tournoyant,  et  sa  clameur  nocturne 
Eveille  des  grands  bois  l'écho  retentissant. 
Tout  est  calme  ;  et  pourtant,  dans  le  couchant  rougeâtre. 
Sinistre  précurseur,  un  nuage  grisâtre 
Etend  son  voile  menaçant. 


II 


Voyez  là-bas,  longeant  les  détours  de  la  grève, 
Comme  un  vague  fantôme  entrevu  dans  un  rêve, 
Une  ombre  se  glisser  d'un  pas  lent  elt  discret. 
Aux  lueurs  de  la  nuit,  sa  silhouette  grise 
Se  détache,  en  passant,  vacillante,  indécise, 
Sur  le  fond  noir  de  la  forêt. 


-43  - 

La  brise  nous  apporte  une  plainte  étouffée ... 
Est-ce  l'Esprit  des  bois  ?  Est-ce  un  spectre,  une  fée, 
Qui  vient  gémir  au  bord  des  flots  silencieux  ? 
Non,  c'est  un  être  humain  ;  c'est  l'enfant  des  savanes. 
Qui  vient  parfois  la  nuit  rêver  sous  les  platanes, 
L'œil  hagard,  le  front  soucieux. 


Roseau  longtemps  en  butte  au  vent  de  la  tempête, 
C'est  une  femme  ;  l'âge  appesantit  sa  tête, 
Et  la  ride  du  temps  creuse  ses  traits  flétris. 
Fille  de  l'Iroquois  à  l'âme  sanguinaire. 
De  tout  son  peuple  éteint  rejeton  centenaire. 
C'est  le  seul  et  dernier  débris. 


Dans  les  drames  sanglants  que  raconte  l'histoire. 
Elle  vit  sa  tribu  périr  au  champ  de  gloire  ; 
Et  quand  eut  succombé  le  dernier  de  ses  preux. 
Elle  se  retira  dans  un  antre  sauvage, 
Pour  pleurer  sa  grandeur  et  mourir  au  rivage 
Du  fleuve  aimé  de  ses  aïeux. 


—  44  — 

Elle  s'est  arrêtée  au  pied  d'un  chêne  énorme  ; 
Et,  tout  en  dérobant  quelque  chose  d'informe 
Sous  les  plis  déchirés  d'un  large  manteau  gris, 
Elle  parle,  et  sa  voix  lugubre  et  monotone 
Semble  le  grincement  et  la  bise  d'automne, 
Dans  les  vieux  ormes  rabougris  : 


III 


«  O  fleuve  qui  sans  fin  roules  tes  noires  ondes  1 
Forêts  dont  j'aimai  tant  les  retraites  profondes  ! 
Sentiers  que  tant  de  fois  j'ai  parcourus  le  soir  ! 
Collines  qui  bordez  ces  berges  solitaires  ! 
Rochers  silencieux  1  antres  pleins  de  mystères  ! 
Pour  la  dernière  fois  j'ai  voulu  vous  revoir. 


Vos  maîtres  ont  passé  comme  le  flot  qui  coule 
Sur  ces  grèves  !  ainsi  que  le  vent  qui  roucoule, 

La  nuit,  de  sapins  en  sapins  ! 
Comme  un  esquif  léger  qu'entraîne  la  dérive  . . 
Et  mon  œil  fatigué  cherche  en  vain  sur  la  rive 

La  trace  de  leurs  mocassins. 


—  43  — 

Fleuve,  te  souvient-il  de  ces  jours  sans  nuage, 
Quand,  dressant  au  printemps  son  wigAvam  sur  ta  plage, 
L'Iroquois  sur  tes  bords  venait  chasser  le  daim  ! 
De  nos  courses  sans  fin  te  souvient-il  encore, 
Quand  le  vol  cadencé  de  l'aviron  sonore 
Emportait  nos  canots  bondissant  sur  ton  sein  ? 


Te  souvient-il  encor  de  la  brune  Indienne, 
Dont  la  voix  se  mêlait,  sonore,  aérienne, 

Aux  mille  murmures  du  soir, 
Quand  elle  suspendait  à  la  frêle  liane, 
Et  balançait  au  vent  sa  mouvante  nâgane, 

Berceau  d'un  guerrier  à  l'oeil  noir  ? 


Te  souvient-il  aussi,  quand,  vengeurs  intrépides, 
Nos  bandes  poursuivaient  de  leurs  flèches  rapides 
Leurs  ennemis  fuyant  la  rage  dans  le  cœur  ? 
Ou  bien,  sortant  soudain  de  leur  mille  embuscades, 
Couvraient  de  leurs  clameurs  la  voix  de  tes  cascades, 
Et  brandissaient  dans  l'ombre  un  tomahawk  vainqueur? 

4- 


-46- 

Hélas  !  ils  ne  sont  plus ...  et  sous  les  sombres  dômes 
De  tes  forêts,  la  nuit,  on  entend  leurs  fantômes 

Mêler  leur  plainte  au  bruit  du  vent. 
Ils  sont  morts  !  et  tes  flots  qu'ils  dominaient  naguère, 
Tes  flots  ont  oublié  le  noble  chant  de  guerre 

Qu'ils  entendirent  si  souvent  ! 


Malheur  !  malheur  !  malheur  !  à  ces  Visages-Pâles 
Dont  les  rangs  hérissés  de  foudres  infernales 
Ont  fait  de  nos  guerriers  un  carnage  inouï  ! 
Leurs  victimes  encore  attendent  la  vengeance . . . 
Puisse  de  ces  vautours  l'exécrable  puissance 
S'écrouler  sous  le  bras  du  fier  Areskouï  ! 


Puisse-t-il,  dévastant  leurs  retraites  impures, 
Les  traquer,  les  saisir,  scalper  leurs  chevelures, 

Broyer  leurs  membres  palpitants, 
Entonner  sur  leurs  corps  l'hymne  de  la  victoire  ; 
Rougir  ses  mocassins  dans  leur  sang,  et  le  boire 

Dans  leurs  crânes  encor  fumants  !  » 


—  47  — 


IV 


Elle  se  tait.  Sa  voix,  comme  les  cris  funèbres 
Que  poussent  dans  la  nuit  les  oiseaux  des  ténèbres, 
Va  d'échos  en  échos  mourir  dans  la  forêt  ; 
Son  œil  sombre,  où  s'allume  une  clarté  féroce, 
A  semblé  refléter  quelque  pensée  atroce. 
Quelque  épouvantable  projet  ! 


Un  sourire  infernal  se  crispe  sur  sa  bouche  ; 
Son  sourcil  se  contracte,  et  son  regard  farouche 
Lance  au  ciel  un  éclair  amer  et  triomphant  ; 
Sa  main  s'arme  soudain  d'une  lame  acérée  ; 
Et  le  large  manteau  dont  elle  est  entourée 
S'entr'ouvre  et  nous  montre  un  enfant  ! 


Un  tout  petit  enfant  doux  et  blond  comme  un  ange 
Inconscient  acteur  de  cette  scène  étrange, 
Il  ouvre  en  souriant  son  œil  de  séraphin  ; 
Sa  blancheur,  son  regard  pur  comme  l'innocence, 
Ses  riches  vêtements,  tout  trahit  sa  naissance  : 
C'est  le  fils  du  seigneur  voisin  ! 


Sous  les  épais  rideaux  d'une  alcôve  fermée. 
Il  dormait,  et,  planant  sur  sa  couche  embaumée. 
L'essaim  des  rêves  d'or  baisait  son  front  si  beau  ; 
Quand,  nourrissant  déjà  son  projet  de  vengeance, 
L'Iroquoise  au  manoir  se  glissait  en  silence, 
Et  l'arrachait  à  son  berceau. 


Pauvre  mère,  tu  dors;  et  tandis  que  les  songes, 
Bercent  ton  cœur  aimant  de  leurs  riants  mensonges. 
Le  malheur  sur  ton  front  pose  sa  lourde  main  ; 
Peut-être  crois-tu  voir  un  ange  au  doux  sourire. 
Qui  presse  dans  ses  bras  ton  enfant  qui  soupire  ; 
Quel  sera  ton  réveil  demain  ! . . , 


—  49 


Cependant  sur  les  flots  s'épaississent  les  ombres  : 
Le  ciel  voile  ses  feux  sous  des  nuages  sombres; 
Le  vent  dans  la  forêt  a  soufflé  sourdement  ; 
La  cime  des  grands  pins  se  courbe  et  se  relève  ; 
Et  le  fleuve  écumeux  vient  balayer  la  grève 
De  son  flot  naguère  dormant. 


La  tempête  partout  jette  son  cri  sublime  ; 
Le  tonnerre  roulant  au-dessus  de  l'abîme, 
Comme  un  boulet  d'airain  sur  un  dôme  de  fer, 
Eclate,  et  tout  d'un  coup,  d'un  jet  de  flamme  horrible, 
Embrase  un  vieux  tronc  sec,  dont  la  lueur  terrible 
Eclaire  un  spectacle  d'enfer. 


-  5o  — 

L'Iroquoise  était  là,  comme  ces  noirs  génies 
Que  l'on  croit  voir  parfois  dans  les  nuits  d'insomnies  ; 
Ses  cheveux  hérissés  se  tordaient  sous  le  vent  ; 
L'enfant,  paralysé  sous  sa  farouche  étreinte, 
Immobile  semblait  l'oiseau  saisi  de  crainte 
Que  fascine  l'oeil  du  serpent. 


Horrible  cauchemar  !  sa  prunelle  de  louve 
Fixe  avec  volupté  sa  victime,  et  la  couve 
D'un  regard  infernal  ;  puis  le  monstre  en  fureur, 
L'élevant  tout  à  coup  au-dessus  de  sa  tête. 
Pousse  un  cri . . .  mais  en  vain,  la  voix  de  la  tempête 
Est  plus  forte  que  sa  clameur. 


Ombres  de  ses  sachems,  manitous  de  la  plage. 
Esprits,  éveillez-vous  1  C'est  vous  que  dans  sa  rage 
Elle  veut  pour  témoins  de  son  acte  sanglant  ! 
Elle  veut  sous  vos  yeux  finir  son  existence, 
En  vous  offrant  au  moins  pour  dernière  vengeance, 
Le  sang  d'un  jeune  guerrier  blanc  ! 


—    31    — 

Horreur  !  Elle  soutient  sa  victime  éperdue 
D'une  main  ;  et,  de  l'autre  un  instant  suspendue, 
Elle  lui  plonge  au  cœur  son  arme  qui  reluit... 
Un  cri  part,  un  seul  cri  ;  puis  un  hoquet,  un  râle  ; 
Une  goutte  de  sang  sur  une  lèvre  pâle  : 
Et  la  petite  âme  s'enfuit. 


Puis  la  rage  du  monstre  atteint  son  apogée  ; 
En  un  délire  affreux  sa  fureur  s'est  changée  ; 
Elle  foule  du  pied  le  cadavre  meurtri  ; 
Et  poussant  des  éclats  d'un  rire  satanique, 
Elle  danse  alentour  une  ronde  cynique, 
Comme  en  rêvait  Alighieri. 


Ainsi  qu'un  tourbillon  dans  l'angle  d'un  abîme, 
L'Iroquoise  tournait  autour  de  sa  victime, 
Aux  lueurs  du  flambeau  par  la  foudre  allumé  ; 
Puis,  saisissant  soudain  la  frêle  créature, 
Elle  scalpe  en  hurlant  sa  blonde  chevelure 
De  son  poignard  envenimé  ! 


—  52  — 

Puis  se  ruant  encor  sur  la  froide  dépouille, 
La  frappe,  la  déchire,  et  dans  sa  rage  fouille 
La  blessure  béante  ouverte  dans  son  flanc  ; 
Comme  un  vautour  féroce,  aux  entrailles  s'attache, 
Lui  découvre  le  cœur,  de  ses  ongles  l'arrache, 
Et  le  dévore  tout  sanglant  ! 


VI 


Plongeant  dans  les  ajoncs  et  les  algues  verdâtres, 
Une  roche  là-bas  baigne  ses  flancs  grisâtres, 
Comme  un  nid  d'alcyon  caché  dans  les  roseaux  ; 
C'est  là  qu'elle  s'enfuit,  mi-nue,  échevelée. 
Et  le  vent  se  heurtant  sur  la  roche  ébranlée, 
Lui  jette  l'écume  des  eaux. 


Là,  debout  sur  le  roc,  et  promenant  dans  l'ombre 
Ses  regards  où  fulmine  un  feu  terrible  et  sombre, 
Le  monstre  pousse  encore  un  cri  rauque  et  perçant  : 
«  Je  suis  vengée  enfin  !  »  . . .  Elle  dit  et  s'élance . . . 
Et  la  fille  des  bois  meurt  avec  sa  vengeance 
Au  fond  du  gouffre  mugissant. 


—  53  — 
VII 

ÉPILOGUE 

Le  lendemain  matin,  deux  pêcheurs  du  village, 
Passant  près  de  l'endroit,  trouvèrent  sur  la  plage 
Les  seuls  restes  épars  de  ce  drame  émouvant. 
On  planta  sur  la  rive  une  croix  ignorée, 
Kt  l'on  dit  que  le  soir  une  mère  éplorée 
Y  revint  pleurer  bien  souvent. 


Et  depuis  lors,  la  nuit,  sur  la  vague  dormante, 
On  voit  courir,  dit-on,  une  torche  fumante 
Projetant  sur  les  flots  comme  un  long  filet  d'or  ; 
Est-ce  l'enfant  des  bois  qui  pleure  sa  victime  ? 

Est-ce  l'ange  vengeur  du  crime  ? 

Nul  mortel  ne  le  sait  encor  ! 


1861. 


LA  FORET  CANADIENNE 


c^  Laurent'Pichat. 


C'est  l'automne.  Le  vent  balance 
Les  ramilles,  et  par  moments 
Interrompt  le  profond  silence 
Qui  plane  sur  les  bois  dormants. 


I 


Des  flaques  de  lumière  douce 
Tombant  des  feuillages  touffus, 
Dorent  les  lichens  et  la  mousse 
Qui  croissent  au  pied  des  grands  fûts. 


—  56  - 

De  temps  en  temps,  sur  le  rivage, 
Dans  l'anse  où  va  boire  le  daim. 
Un  écho  s'éveille  soudain 
Au  cri  de  quelque  oiseau  sauvage. 


La  mare  sombre  aux  reflets  clairs 
Dont  on  redoute  les  approches 
Caresse  vaguement  les  roches 
De  ses  métalliques  éclairs. 


Et  sur  le  sol,  la  Heur  et  l'herbe, 
Sur  les  arbres,  sur  les  roseaux, 
Sur  la  croupe  du  mont  superbe. 
Comme  sur  l'aile  des  oiseaux, 


Sur  les  ondes,  sur  la  feuillée. 
Brille  d'un  éclat  qui  s'éteint 
Une  atmosphère  ensoleillée  :  - 
C'est  l'Été  de  la  St-MartinI 


-  ^7  — 

L'époque  où  les  feuilles  jaunies 
Où  le  ciel  brode  un  retiet  d'or 
Emaillent  la  forêt  qui  dort 
De  leurs  nuances  infinies. 


O  fauves  parfums  des  forêts  ! 
O  doux  calme  des  solitudes  ! 
Qu'il  fait  bon,  loin  des  multitudes. 
Rechercher  vos  âpres  attraits  ! 


Ouvrez-moi  vos  retraites  fraîches  ! 
A  moi  votre  dôme  vermeil, 
QiJ^^transpercent  comme  des  flèches 
Les  tièdes  rayons  du  soleil  1 


Je  veux,  dans  vos  sombres  allées, 
Sous  vos  grands  ormes  chevelus, 
Songer  aux  choses  envolées 
Sur  l'aile  des  temps  révolus. 

b. 


—  58  — 

Rêveur  ému,  sous  votre  ombrage, 
Oui,  je  veux  souvent  revenir, 
Pour  e'voquer  le  souvenir 
Et  le  fantôme  d'un  autre  âge. 


Aux  profondeurs  de  vos  taillis, 
Je  veux  lire  votre  poème, 
O  mes  belles  forêts  que  j'aime  ! 
Vastes  forêts  de  mon  pays  ! 


Oui,  j'irai  vojir  si  les  vieux  hêtres 
Savent  ce  que  sont  devenus 
Leurs  rois  d'alors,  vos  anciens  maîtres, 
Les  guerriers  rouges  aux  flancs  nus. 


Vos  troncs  secs,  vos  buissons  sans  nombre 
Me  diront  s'ils  n'ont  pas  jadis 
Souvent  vu  ramper  dans  leur  ombre 
L'ombre  de  farouches  bandits. 


—  39  — 

J'interrogerai  la  ravine 
Où  semble  se  dresser  encor 
Le  tragique  et  sombre  décor 
Des  sombres  drames  qu'on  devine 


La  grotte  aux  humides  parois 
Me  dira  les  sanglants  mystères 
De  ces  peuplades  solitaires 
Qui  s'y  blottirent  autrefois. 


Je  saurai  des  pins  centenaires, 
Que  la  tempête  a  fait  ployer, 
Le  nom  des  tribus  sanguinaires 
Dont  ils  abritaient  le  foyer. 


J'irai,  sur  le  bord  des  cascades, 
Demander  aux  rochers  ombreux 
A  quelles  noires  embuscades 
Servirent  leurs  flancs  ténébreux. 


—  6o  — 

Je  chercherai,  dans  les  savanes, 
La  trace  des  grands  élans  roux 
Que  riroquois,  l'œil  en  courroux, 
Chassait  jadis  en  caravanes. 


Enfin,  quelque  biche  aux  abois, 
Dans  mon  rêve  où  le  tableau  change, 
Fera  surgir  le  type  étrange 
De  nos  hardis  coureurs  des  bois. 


Et...  brise,  écho,  feuilles  légères, 
Souples  rameaux,  fourrés  secrets, 
•Oiseaux  chanteurs,  molles  fougères 
Qui  bordez  les  sentiers  discrets, 


Bouleaux,  sapins,  chênes  énormes, 
Débris  caducs  d'arbres  géants, 
Rocs  moussus  aux  masses  difformes, 
Profondeurs  des  antres  béants, 


—  6i  - 

Sommets  que  le  vent  décapite, 
Gorge  aux  imposantes  rumeurs, 
Cataracte  aux  sourdes  clameurs  : 
Tout  ce  qui  dort,  chante  ou  palpite. 


Dans  ses  souvenirs  glorieux 
La  forêt  entière  drapée, 
Me  dira  l'immense  épopée 
De  son  passé  mystérieux  ! 


Mais,  quand  mon  oreille  attentive 
De  tous  ces  bruits  s'enivrera 
Tout  près  de  moi  retentira... 
Un  sifflet  de  locomotive  1 


ttttttttttttttttttttttttttttt 


REMINISCOR 


04  Alphonse  Lusignan. 


D'un  poète  aimé  j'ai  fermé  le  tome, 
Et  pensif  je  songe  à  toi,  mon  ami  ; 
Car  le  souvenir,  gracieux  fantôme, 
Hante  bien  souvent  mon  cœur  endormi. 


-  (34  - 

Je  pense  au  passé,  beaux  jours  de  jeunesse, 
Des  illusions  âge  décevant, 
Songe  passager,  temps  de  folle  ivresse, 
Flot  de  poudre  d'or  qu'emporte  le  vent  ! 


Nous  avions  pour  nid  la  même  mansarde  ; 
Le  coeur  près  du  cœur,  la  main  dans  la  main, 
Nous  allions  gaîment...  Oh!  oui,  Dieu  me  garde 
D'oublier  ces  jours,  fleurs  de  mon  chemin  ! 


Ah!  je  l'aime  encor  ce  temps  de  bohème, 
Où  chacun  de  nous  par  jour  ébauchait 
Un  roman  boiteux,  un  chétif  poème 
Où  presque  toujours  le  bon  sens  louchait. 


Oui,  je  l'aime  ençor  ce  temps  de  folie 
Où  le  vieux  Cujas,  vaincu  par  Musset, 
S'en  allait  cacher  sa  mélancolie 
Dans  l'ombre  où  d'ennui  Pothier  moisissait. 


—  65  — 

Nos  quartiers  étaient  à  peine  accessibles  ; 
Splendide  grenier,  mais  logis  mesquin  ; 
Confuse  babel  d'objets  impossibles  : 
La  toge  romaine  au  dos  d'Arlequin  ! 


C'était  un  spectacle  à  rompre  la  rate 
Que  ce  galetas  à  moitié  salon, 
Où  Scarron  faisait  la  nique  à  Socrate, 
Où  Scapin  donnait  réplique  à  Solon. 


Partout  des  chiffons  et  des  paperasses, 
Croquis  et  bouquins,  fleurets  et  débris, 
Pandémonium  d'articles  cocasses, 
Jonchant,  constellant  parquets  et  lambris. 


Flanqué  d'un  cummer  et  d'une  chibouque. 
Suspendu  dans  l'ombre  au  mur  vacillant. 
Un  portrait  en  cap  du  nègre  Soulouque 
Faisait  la  grimace  à  mon  chien  Vaillant. 

6 


—  66  — 

En  face,  perché  sur  une  corniche, 
Un  plâtre  poudreux  nous  montrait  à  nu 
Diane  chassant  avec  son  caniche 
Aux  bords  de  l'Ismène  Actéon  cornu. 


Sur  un  vieux  rayon  tout  blanc  de  poussière, 
Rabelais  donnait  le  bras  à  Caton  ; 
Pascal  et  Newton  coudoyaient  Molière, 
Gérard  de  Nerval  masquait  Duranton. 


Il  me  semble  voir  la  table  rustique 
A  la  jambe  torse,  au  pied  de  travers, 
Où  nous  écrivions  en  style  emphatique 
Nos  lettres  d'amour  et  nos  premiers  vers. 


Et  tous  ces  amis  à  la  joue  imberbe, 
Que  les  soirs  d'hiver  chez  nous  rassemblaient, 
Ministres  futurs,  grands  hommes  en  herbe. 
Que  les  noirs  soucis  jamais  ne  troublaient. 


-67- 

Gaudemont  vantait  son  Italienne  ; 
Sur  un  pan  du  mur  Moreau  crayonnait; 
Buteau  nous  chantait  quelque  tyrolienne  ; 
Pendant  que  Faucher  ratait  un  sonnet; 


Henri  nous  gâchait  de  la  politique  ; 
Arthur  de  son  geste  éclipsait  Talma  ; 
Vital  aiguisait  sa  verve  caustique, 
Et  Lemay  rêveur  chantait  Sélima. 


Il  me  semble  voir  la  piteuse  lippe 
Que  tu  nous  faisais  quand,  tant  soit  peu  gris, 
Un  profane  osait,  allumant  sa  pipe, 
Déclarer  la  guerre  à  tes  manuscrits. 


Musique,  peinture,  amour,  poésie. 
Jeunesse  et  gaîté,  brillants  tourbillons, 
Vous  nous  embaumiez  de  votre  ambroisie  : 
Vous  tissiez  nos  jours  avec  nos  rayons  1 


—  68  — 

Et  quand  venait  mai  dorer  notre  chambre, 
Ouvrant  la  fenêtre  au  printemps  vermeil, 
Nous  respirions  l'air  tout  parfumé  d'ambre 
Qui  venait  des  prés  tout  pleins  de  soleil. 


Bientôt,  à  son  to  ur ,  la  croisée  ! 

Et  chaque  matin,  au  sortir  du  lit, 
Nous  allions  aux  champs,  malgré  la  rosée, 
Surprendre  les  fleurs  en  flagrant  délit. 


Oh  !  qu'il  faisait  bon  aller  sous  les  ormes, 
Guetter  l'alouette  au  bord  des  ruisseaux, 
Voir  glisser  la  nue  aux  flocons  énormes. 
Ecouter  chanter  les  petits  oiseaux  1 


Te  souvient-il  bien  de  nos  promenades, 
Quand,  flâneurs  oisifs,  les  cheveux  au  vent, 
Nous  allions  rôder  sur  les  Esplanades, 
Où  l'on  nous  lançait  maint  coup  d'oeil  savant  ? 


-69- 

Tout  était  pour  nous  sujet  d'amusettes  ; 
Sans  le  sou  parfois,  mais  toujours  contents, 
Nous  suivions  aussi  le  pas  des  grisettes... 
Nous  rendions  des  points  à  Roger  Bontemps. 


Je  t'ai  vu  souvent  faisant  pied  de  grue, 
Pour  lorgner  dans  l'ombre  un  joli  chignon, 
Ou  pour  voir  comment,  traversant  la  rue. 
Une  jambe  fine  orne  un  pied  mignon. 


Et  nous  rêvions  gloire,  amour  et  fortune... 
Et,  comme  en  rêvant  l'homme  s'étourdit, 
Nous  nous  découpions  des  fiefs  dans  la  lune, 
Le  soir,  en  allant  souper  à  crédit. 


Nous  aurions  voulu,  tant  nous  sentions  battre 
D'ardeur  et  d'espoir  nos  cœurs  de  vingt  ans, 
Ivres  de  désirs,  monter  quatre  à  quatre, 
—  Fous  que  nous  étions  !  —  l'échelle  du  temps. 

6. 


70  — 


Nos  âmes  brûlaient  pour  la  même  cause  ; 
Nos  cœurs  s'allumaient  au  même  foyer; 
Et  quand  arrivait  l'heure  où  tout  repose, 
Nous  nous  partagions  le  même  oreiller. 


Nos  soirs  n'avaient  point  de  songes  moroses  ; 
Tu  rêvais  à  tout  ce  que  nous  aimions  ; 
Moi,  je  rêvais  à...  mais,  comme  les  roses, 
Le  souvenir  même  a  ses  aiguillons. 


Et  pourtant  celui  de  ce  temps  m'enivre... 
Beaux  jours  sans  soucis  et  nuits  sans  remords. 
Où  le  seul  bonheur  de  se  sentir  vivre 
Remplissait  d'émoi  nos  cœurs  jusqu'aux  bords! 


Mais  plus  tard,  hélas  !  le  vent  de  la  vie 
Sur  notre  lac  pur  soufflant  sans  pitié, 
Il  nous  fallut  fuir  la  route  suivie 
Depuis  si  longtemps  par  notre  amitié  ! 


—  71 


Petit  à  petit  vinrent  les  jours  sombres  : 
Chaque  lendemain  nous  désabusait... 
Mais  l'éclair  ne  luit  que  mieux  dans  les  ombres; 
A  l'or  le  plus  pur  il  faut  le  creuset. 


Aux  réalités  il  fallut  se  rendre, 
Quand  un  beau  matin  l'âge  nous  parla; 
Il  restait  encor  deux  chemins  à  prendre; 
Je  choisis  l'exil,  toi  l'apostolat. 


C'étaient  deux  billets  à  la  loterie  : 
Le  plus  triste  lot  me  fut  départi... 
Le  sort  me  traitait  sans  cajolerie  :  ^ 
Je  lui  ris  au  nez  et  pris  mon  parti! 


Depuis  lors,  narguant  tout  ce  qui  me  froisse, 
En  vrai  Paturot  passé  bonnetier, 
J'amasse  un  pécule,  et  de  ma  paroisse 
J'aspire  à  l'honneur  d'être  marguillier. 


—  72  — 

Je  me  moralise  et  j'envoie  au  diantre 
Murger  et  Musset,  surtout  Béranger; 
Je  ne  chante  plus,  mais  je  prends  du  ventre. 
On  nomme  cela,  je  crois,  se  ranger. 


Cependant,  le  soir,  au  feu  qui  pétille, 
Quand  passe  ma  main  sur  mon  front  lassé. 
Parfois  une  larme  à  mon  œil  scintille  : 
Ah  !  c'est  que,  vois-tu,  j'aime  le  passé. 


J'aime  le  passé,  qu'il  chante  ou  soupire, 
Avec  ses  leçons  qu'il  faut  vénérer, 
Avec  ses  chagrins  qui  m'ont  fait  sourire. 
Avec  ses  bonheurs  qui  m'ont  fait  pleurer  ! 


Et  puis,  à  tous  bruits  fermant  ma  fenêtre, 
Divisant  mon  cœur  moitié  par  moitié, 
J'ai  fait  pour  toujours  deux  parts  de  mon  être 
L'une  est  au  devoir,  l'autre  à  l'amitié  ! 

Chicago,  mars  1868. 


fffffffffffffffffffffff 


SUR  LE  MISSISSIPI 


cY  mon  compagnon  de  voyage  Alphonse  Leduc. 


Salut!  Père-des-Eaux,  fécond  Meschacébé, 
Fleuve  immense  qui  tiens  tout  un  monde  englobé 

Dans  tes  méandres  gigantesques  ! 
Toi  dont  les  flots  sans  fin,  rapides  ou  dormants, 
A  des  bords  tout  peuplés  de  souvenirs  charmants 

Chantent  cent  poèmes  dantesques  ! 


I 


—  74  — 

Comme  l'antique  Hercule,  ô  colosse  indompté, 
Tu  t'en  vas  promenant  ta  fière  majesté 

De  TEquinoxe  jusqu'à  l'Ourse  ; 
Et  ton  onde  répète  aux  tièdes  océans 
L'épithalame  étrange  et  les  concerts  géants 

Des  glaciers  oîi  tu  prends  ta  source. 


Tu  connais  tous  les  cieux,  parcours  tous  les  climats. 
La  pirogue  indienne  et  le  pesant  trois-mâts 

Te  parlent  de  toutes  les  zones. 
L'aigle  ami  des  hivers,  le  pélican  frileux, 
Le  sombre  pin  du  Nord,  et  le  coton  moelleux 

Se  mirent  dans  tes  vagues  jaunes. 


Vois  !  tandis  qu'à  tes  pieds,  sur  ton  cours  attiédi, 
L'oranger  qui  se  berce  aux  brises  du  midi, 

Verse  ses  parfums  et  son  ombre, 
A  ton  front  les  sapins,  accroupis  à  fleur  d'eau, 
Te  tressent,  blancs  de  givre,  un  éternel  bandeau 

De  leurs  arabesques  sans  nombre. 


-75- 

Là,  sur  tes  bords  glacés  où  mugit  l'aquilon, 

Les  chasseurs  vont  traquant  l'ours  du  Septentrion 

De  leurs  flèches  et  de  leurs  piques  ; 
Ici,  dans  les  détours  où  dorment  tes  remous. 
Les  noirs  alligators,  foulant  tes  sables  mous, 

Bâillent  au  soleil  des  tropiques. 


Et  puis,  ô  fleuve  !  il  semble,  indécises  rumeurs, 
Que  la  voix  du  passé  chante  dans  tes  clameurs, 

Quand  ton  flot  se  frange  d'écume  ; 
Et  qu'au  fond  des  grands  bois  sur  la  rive  penchés 
On  entrevoit,  la  nuit,  l'ombre  des  vieux  Natchez 

Errer  vaguement  dans  la  brume. 


O  Chactasl  Atala!  c'est  vous  qui  revenez, 
A  l'abri  des  vieux  troncs  par  l'orage  inclinés. 

Voir  passer  les  eaux  murmurantes  ; 
Et  toi,  chantre  immortel  qui  fis  leurs  noms  si  beaux. 
Quittes-tu  quelquefois  la  poudre  des  tombeaux. 

Pour  suivre  leurs  formes  errantes  ? 


-76- 

Oui,  fantômes  aimés,  vous  y  venez  souvent  ; 
Et  voilà  ce  qui  fait  que,  dans  la  voix  du  vent. 

Soit  qu'elle  brame  dans  les  landes, 
Ou  ronfle  sur  ta  berge,  ô  vieux  Meschacébé  ! 
Le  passant  croit  ouïr,  quand  le  soir  est  tombé, 

De  mystérieuses  légendes  ! 


Beau  fleuve!  emporte-moi  dans  ta  course  sans  frein. 
Souffle-moi  tes  senteurs,  chante-moi  ton  refrain, 

Endors-moi  sur  ta  large  lame  ; 
Que  tes  rayons  dorés  baignent  mon  front  pâli  ! 
Nouveau  René,  vers  toi  je  viens  chercher  l'oubli  : 

Donne-moi  son  amer  dictame  ! 

Novembre  1870. 


RENOUVEAU 


q4  ma  Femme. 


\ 


Il  faisait  froid.  J'errais  dans  la  lande  de'serte, 
Songeant,  rêveur  distrait,  aux  beaux  jours  envole's  ; 
De  givre  étincelant  la  route  était  couverte, 
Et  le  vent  secouait  les  arbres  de'solés. 

7 


-78- 

Tout  à  coup,  au  détour  du  sentier,  sous  les  branches 
D'un  buisson  de'pouille',  j'aperçus,  entr'ouvert, 
Un  nid,  débris  informe  où  quelques  plumes  blanches 
Tourbillonnaient  encor  sous  la  bise  d'hiver. 


Je  m'en  souviens  :  —  c'était  le  ht  d'une  linotte 
Que  j'avais,  un  matin  du  mois  de  mai  dernier, 
Surprise,  éparpillant  sa  merveilleuse  note 
Dans  les  airs  tout  remplis  d'arôme  printanier. 


Ce  jour-là,  tout  riait  ;  la  lande  ensoleillée 
S'enveloppait  au  loin  de  reflets  radieux  ; 
Et,  sous  chaque  arbrisseau,  l'oreille  émerveillée 
Entendait  bourdonner  des  bruits  mélodieux. 


Le  soleil  était  chaud,  la  brise  caressante  ; 

De  feuilles  et  de  fleurs  les  rameaux  étaient  lourds... 

La  linotte  chantait  sa  gamme  éblouissante 

Près  du  berceau  de  mousse  où  dormaient  ses  amours. 


—  79  — 

Alors,  au  souvenir  de  ces  jours  clairs  et  roses, 
Qu'a  remplacés  l'automne  avec  son  ciel  marbré. 
Mon  cœur,  —  j'ai  quelquefois  de  ces  heures  moroses,- 
Mon  cœur  s'émut  devant  ce  vieux  nid  délabré. 


Et  je  songeai  longtemps  à  mes  jeunes  années, 
Frêles  fleurs  dont  l'orage  a  tué  les  parfums; 
A  mes  illusions  que  la  vie  a  fanées, 
Au  pauvre  nid  brisé  de  mes  bonheurs  défunts  ! 


Car  quelle  âme  ici-bas  n'eut  sa  flore  nouvelle, 
Son  doux  soleil  d'avril  et  ses  tiédes  saisons  ? 
Epanouissement  du  cœur  qui  se  révèle  I 
Des  naïves  amours  mystiques  floraisons  1 


O  jeunesse!  tu  fuis  comme  un  songe  d'aurore... 
Et  que  retrouve-t-on,  quand  ton  rêve  est  fini  > 
Quelques  plumes,  hélas  !  qui  frissonnent  encore 
Aux  branches  où  le  coeur  avait  bâti  son  nid. 


8o  — 


II 


Et  je  revins  chez  moi,  ce  soir-là,  sombre  et  triste... 
Mais  quand  la  douce  nuit  m'eut  versé  son  sommeil. 
Dans  un  tourbillon  d'or,  de  pourpre  et  d'améthyste, 
Je  vis  renaître  au  loin  le  beau  printemps  vermeil. 


Je  vis,  comme  autrefois,  la  lande,  ranimée. 
Etaler  au  soleil  son  prisme  aux  cent  couleurs  ; 
Des  vents  harmonieux  jasaient  dans  la  ramée, 
Et  des  rayons  dorés  pleuvaient  parmi  les  fleurs  ! 


La  nature  avait  mis  sa  robe  des  dimanches... 
Et  je  vis  deux  pinsons,  sous  le  feuillage  vert. 
Qui  tapissaient  leur  nid  avec  ces  plumes  blanches 
Dont  les  lambeaux  flottaient  naguère  au  vent  d'hiver. 


—  8i  — 


O  Temps  !  courant  fatal  où  vont  nos  destinées, 
De  nos  plus  chers  espoirs  aveugle  destructeur, 
Sois  béni  !  car,  par  toi,  nos  amours  moissonnées 
Peuvent  encor  revivre,  ô  grand  consolateur! 


Dans  l'épreuve,  par  toi,  l'espérance  nous  reste... 
Tu  fais,  après  l'hiver,  reverdir  les  sillons  ; 
Et  tu  verses  toujours  quelque  baume  céleste 
Aux  blessures  que  font  tes  cruels  aiguillons. 


Au  découragement  n'ouvrons  jamais  nos  portes  : 
Après  les  jours  de  froid  viennent  les  jours  de  mai  ; 
Et  c'est  souvent  avec  ces  illusions  mortes 
Que  le  cœur  se  refait  un  nid  plus  parfumé  ! 


^î4^?^4^p$^^4sf$'«^î^^f^î^tf$î 


LE  PREMIERS  JANVIER 


q4  N.  Legendre. 


Tempns  edax  rernin. 

Vents  qui  secouez  les  branches  pendantes 
Des  sapins  neigeux  au  front  blanchissant; 
Qui  mêlez  vos  voix  aux  notes  stridentes 
Du  givre  qui  grince  aux  pieds  du  passant; 


-84- 

Nocturnes  clameurs  qui  montez  des  vagues, 
Quand  l'onde  glacée  entre  en  ses  fureurs  ; 
Bruits  sourds  et  confus,  rumeurs,  plaintes  vagues 
Qui  troublez  du  soir  les  saintes  horreurs  ; 


Craquement  du  froid,  murmures  des  ombres, 
Frissons  des  forêts  que  l'hiver  étreint. 
Taisez-vous!...  Du  haut  des  vastes  tours  sombres, 
La  cloche  a  jeté  ses  sanglots  d'airain  !... 


Voix  mystérieuse  au  fond  du  ciel  blême. 
Le  bronze  a  sonné  douze  coups,  —  minuit 
C'est  le  dernier  mot,  c'est  l'adieu  suprême 
Que  le  présent  jette  au  passé  qui  fuit. 


Minute  fatale,  insensible  étape. 
Rapide  moment  si  tôt  emporté. 
Cet  instant  qui  naît  et  qui  nous  échappe 
A  fait  faire  un  pas  à  l'Eternité  ! 


—  85  — 

Plus  prompt  que  l'éclair  ou  l'oiseau  qui  vole, 
Ce  temps  qu'on  dépense  en  vœux  superflus, 
Ce  temps  qu'on  gaspille  en  calcul  frivole, 
Quand  on  va  l'atteindre,  il  n'est  déjà  plus! 


Un  an  vient  de  fuir,  un  autre  commence... 
Penseurs  érudits,  raisonneurs  subtils, 
Vous  qui  disséquez  la  nature  immense, 
Ces  ans  qui  s'en  vont,  dites,  où  vont-ils  ? 


Ils  vont  où  s'en  va'tout  ce  qui  s'effondre  ; 
Où  vont  nos  destins  à  peine  aperçus  ; 
Dans  l'abîme  abrupt  où  vont  se  confondre 
Avec  nos  bonheurs  nos  espoirs  déçus  ; 


Ils  vont  où  s'en  va  la  vaine  fumée 
De  tous  nos  projets  de  gloire  et  d'amour  ; 
Où  va  le  géant,  où  va  le  pygmée, 
L'arbre  centenaire  et  la  fleur  d'un  jour; 


—  86  — 

Où  vont  nos  sanglots  et  nos  chants  de  fête. 
Où  vont  jeunes  fronts  et  chefs  tremblotants, 
Où  va  le  zéphyr,  où  va  la  tempête, 
Où  vont  nos  hivers,  où  vont  nos  printemps  !... 


Temps  !  Eternité  !  mystère  insondable  ! 
Tout  courbe  le  front  devant  vos  grandeurs. 
Problème  effrayant,  gouffre  inabordable, 
Quel  œil  peut  plonger  dans  vos  profondeurs  ? 


Atomes  sans  nom  perdus  dans  l'espace, 
Nous  roulons  sans  cesse  en  flots  inconstants  ; 
Seul  le  Créateur,  devant  qui  tout  passe. 
Immuable,  plane  au-dessus  des  temps. 


1^^ 
i^^ 


LE  PRINTEMPS 


ÇA  M"  C.  G.  Gosselin, 


Bientôt  viendra  le  doux  printemps 
Chasser  la  neige,  les  autans, 

Les  jours  moroses  ; 
Bientôt  les  feuilles  renaîtront, 
Et  les  oiseaux  nous  reviendront 

Avec  les  roses. 


Bientôt,  de  nos  rudes  climats, 
Disparaîtront  les  blancs  frimas, 

Les  froids  sévères  ; 
Et  nous  pourrons,  d'un  oeil  charmé, 
Voir  éclore  aux  rayons  de  mai 

Les  primevères. 


Sur  la  route,  chaque  bosquet. 
Dans  l'arceau  pimpant  et  coquet 

De  ses  ramures. 
Le  soir  comme  au  soleil  levant. 
Rendra  sous  les  baisers  du  vent 

Mille  murmures. 


Les  ruisseaux  transparents  et  frais 
Mêleront  au  bruit  des  forêts 

Leur  voix  si  douce; 
Et  sous  les  branches  qui  plieront. 
Des  chants  joyeux  s'envoleront 

Des  nids  de  mousse. 


-89- 

Dans  les  guérets  et  sur  les  eaux. 
Sous  les  sapins,  dans  les  roseaux 

Qu'un  souffle  ploie, 
Sur  les  rochers,  dans  les  buissons, 
Tout  sera  parfums  et  chansons, 

Lumière  et  joie. 


Partout  mille  édens  gracieux 
Feront  remonter  vers  les  cieux 

L'âme  bercée  ; 
Et,  sous  l'empire  d'Ariel, 
La  terre  semblera  du  ciel 

La  fiance'e. 


Alors  on  vous  verra  souvent 
Au  balcon  vous  pencher  rêvant 

Tout  éveillée, 
Pour  écouter  le  bruit  de  l'eau 
Fredonnant  son  gai  trémolo 

Sovis  la  feuillée. 


—  90  — 

L'on  vous  verra  plus  d'une  fois 
Devenir  pensive  à  la  voix 

Eolienne 
Des  petits  maestros  aile's, 
Chantant  leurs  amours  module's 

En  tyrolienne. 


Sous  les  peupliers,  vers  le  soir, 
Vous  irez  souvent  vous  asseoir, 

Rêveuse  et  lasse, 
Humant  la  brise  et  ses  parfums, 
Et  dénouant  vos  cheveux  bruns, 

Au  vent  qui  passe. 


Et,  lorsque  tout  vous  sourira, 
Que  l'enivrement  vous  fera 

Oublier  Theure, 
Alors,  l'œil  à  demi  voilé, 
Songerez-vous  à  l'exilé 

Qui  souffre  et  pleure  ? 


—  91  — 

Hélas  !  le  beau  printemps  doré 
N'est  plus  pour  le  cœur  ulcéré 

Qu'un  vain  fantôme. 
Quand  l'âme  a  des  chagrins  navrants, 
Les  souffles  les  plus  enivrants 

N'ont  plus  d'arôme. 


De  tout  son  œil  est  attristé  : 
Pour  lui  la  rose  est  sans  beauté, 

Et  l'aubépine 
Lui  parle  encor  de  sa  douleur, 
Car  il  sait  que  la  blanche  fleur 
A  son  épine. 


Il  sait  que  l'automne  viendra, 
Que  la  terre  se  jonchera 

De  feuilles  d'arbres  ; 
Et  la  brise  au  vol  caressant 
Sur  son  front  ne  laisse  en  passant 

Qu'un  froid  de  marbre. 


—  92  — 

Ni  le  gazouillement  des  eaux, 
Ni  le  ramage  des  oiseaux, 

Troupes  aimées, 
Ni  les  frais  ombrages  mouvants, 
Ni  la  douce  chanson  des  vents. 

Dans  les  ramées, 


Ni  ces  mille  aspects  enchantés 
Qu'on  découvre  de  tous  côtés, 

Quand  la  nature. 
Pour  célébrer  les  jours  nouveaux. 
Fait  briller  les  plus  beaux  joyaux 

De  sa  parure  ; 


Rien  pour  lui  n'a  d'émotions  ; 
Son  cœur  pour  les  illusions 

N'a  pas  de  place  ; 
Et  son  pas  foule,  indifférent. 
Fleur  nouvelle  ou  gazon  mourant. 

Pelouse  ou  glace. 


-93- 

Pour  lui  les  beaux  jours  de  printemps 
N'ont  plus  ni  reflets  éclatants 

Ni  folle  ivresse  ; 
L'homme  que  la  vie  a  froissé 
N'a  qu'un  printemps,  c'est  son  passé, 

C'est  sa  jeunesse  ! 

Mais  il  est  un  baume  odorant 
Donné  parfois  au  cœur  souffrant 

Par  Dieu  lui-même  : 
Ce  doux  baume,  trop  rare,  hélas  ! 
C'est  l'assurance  que  là-bas 

Quelqu'un  nous  aime  ! 


Chicago,  mars  1868. 


^^^^^^1"^^^^^^^^^ 


SUR  SA  TOMBE 


G^  ma  Cousine,\M'^  P.  Saint-Jean. 


Dix  printemps  n'avaient  pas  encore 
Fleuri  sur  son  front  pâle  et  doux  ; 
De  ses  grands  yeux  fixés  sur  nous 
S'échappaient  des  rayons  d'aurore. 


-96- 

L'enfance,  avec  tous  ses  parfums, 
Rayonnante  comme  un  symbole, 
Enveloppait  d'une  auréole 
Les  ondes  de  ses  cheveux  bruns. 


Sa  petite  âme,  à  la  lumière, 
Rose  mystique,  s'entr'ouvrait  ; 
Auprès  d'elle  l'on  respirait 
Une  atmosphère  printanière. 


Et  cependant,  reflet  furtif. 
Malgré  la  jeunesse  et  sa  sève, 
On  pouvait  voir  le  pli  du  rêve 
Contracter*  son  sourcil  pensif. 


C'était  une  fleur  fraîche  éclose 
Qui  sur  sa  tige  se  penchait  ; 
Et  la  main  qui  s'en  approchait 
Craignait  d'effeuiller  une  rose. 


—  97  — 

Souvent,  —  beaucoup  s'en  souviendront, 
Malgré  l'éclat  de  sa  prunelle, 
L'on  croyait  voir  l'ombre  d'une  aile 
Passer  vaguement  sur  son  front. 


Puis,  tout  à  coup,  lueurs  étranges, 
Tout  son  visage  rayonnait  ; 
On  eût  dit  qu'elle  revenait 
D'une  entrevue  avec  les  anges... 


Hélas  !  tout  n'est  que  vanité  1 
Tout  en  ce  monde  est  éphémère  ! 
Et  Dieu  t'enlève,  ô  pauvre  mère, 
Ce  trésor  qu'il  t'avait  prêté  1 


Cette  âme  était  une  exilée 
Sur  cette  terre  et  parmi  nous... 
Ce  sont  les  chérubins  jaloux 
Qui  l'ont  auprès  d'eux  rappelée. 


-98- 

C'était,  dans  son  prisme  vermeil, 
La  goutte  d'eau  du  ciel  venue. 
Et  qui  remonte  dans  la  nue 
Avec  un  rayon  de  soleil  ! 


SUR  LA  TOMBE  DE  CADIEUX 


Sur  un  îlot  désert  de  l'Ottawa  sauvage, 
Le  voyageur  remarque,  à  deux  pas  du  rivage, 
Un  tertre  que  la  ronce  achève  de  couvrir  : 
Un  jour  quelqu'un,  ici,  s'arrêta  pour  mourir. 


—    lOO   — 

L'humble  tombe  des  bois  n'a  ni  grille  ni  marbre  ; 
Mais,  poète  naïf,  à  l'écorce  d'un  arbre 
Cet  étrange  mourant  confia  son  regret, 
Jetant  sa  plainte  amère  au  vent  de  la  forêt. 
La  légende  a  doré  cette  histoire  touchante  ; 
L'arbre  n'est  plus  debout  ;  mais  le  peuple  qui  chante, 
Bien  souvent,  au  hameau,  fredonne  en  soupirant 
La  complainte  qu'alors  chanta  Cadieux  mourant. 


O  sinistre  Ottawa,  combien  de  sombres  drames 
Dieu  n'a-t-il  pas  écrits  dans  le  pli  de  tes  lames 
Et  sur  les  flancs  rugueux  de  tes  âpres  récifs  ! 
Dans  les  ombres  du  soir,  combien  de  cris  plaintifs, 
Combien  de  longs  sanglots,  combien  de  plaintes  vagues. 
Ne  se  mêlent-ils  pas  aux  clameurs  de  tes  vagues  ? 
Ah  !  c'est  que,  sous  tes  flots  et  dans  les  sables  mous, 
Bien  des  corps  délaissés  dorment  dans  tes  remous  ! 


—    lOI    — 


Ceux-là  n'ont  pas  même  eu  leurs  quelques  pieds  de  terre  ; 
Leur  linceul  est  l'oubli  ;  leur  tombe  est  un  mystère. 
Jamais,  au  fond  des  bois,  le  touriste  rêvant 
Ne  lira  leurs  adieux  sur  le  bouleau  mouvant  ; 
Et,  le  soir,  au  foyer,  nulle  voix  printanière 
Ne  mêlera  leurs  noms  aux  chants  de  la  chaumière. 
Pour  eux  nuls  souvenirs,  nul  bruit  de  pas  aimés... 
Dans  vos  tombeaux  errants,  pauvres  perdus,  dormez  ! 

Ottawa,  novembre  1866. 


fê^e&^e|i3^eê8^e|î^eg3*e|î3^e©^ee§^ 


NUIT  D'ÉTÉ 


o^  M^  Louise  *** 


Q.nel  bean  soir!  tout  riait  et  tout  chantait  en  cboenr, 
Le  bois  et  U  prairie  et  la  vigne  et  mon  cœur. 

AKSiXB  HOCSUTK. 


Vous  étiez  là,  Louise;  et  vous  savez  sans  doute 
Ce  que  mon  cœur  rêva  tout  le  long  de  la  route. 


104  — 


C'était  un  soir  d'été,  calme  et  silencieux, 
Un  de  ces  soirs  charmants  qui  font  rêver  aux  cieux, 
Un  soir  pur  et  serein.  Les  vastes  solitudes 
Semblaient  prêter  l'oreille  aux  étranges  préludes. 
Aux  premiers  sons  perdus  du  sublime  concert 
Que  l'orchestre  des  nuits  dit  au  vent  du  désert. 
Le  firmament  s'ornait  de  brillants  météores  ; 
La  brise  roucoulait  dans  les  sapins  sonores 
Et  les  petits  oiseaux,  dans  le  duvet  des  nids. 
Chantaient  sous  l'œil  de  Dieu  leurs  amours  infinis  ! 


Vous  étiez  là,  Louise  ;  et  vous  savez  sans  doute 
Ce  qu«  mon  cœur  disait  tout  le  long  de  la  route. 


io5  — 


Les  arbres  du  chemin,  sous  les  baisers  du  vent, 

Secouaient  soais  nos  fronts  leur  éventail  mouvant 

De  feuilles,  où  perlaient  des  gouttes  de  rosée 

Qui  troublaient  du  ruisseau  la  surface  irisée  ; 

Et  tous  quatre,  égrenant,  sans  songer  au  sommeil. 

Des  heures  de  la  nuit  le  chapelet  vermeil. 

Nous  cheminions  gaîment, —  ô  bonheurs  éphémères  !■ 

L'âme  dans  le  ciel  bleu,  le  front  dans  les  chimères.. 

Et  moi,  tout  rajeuni,  j'écoutais  plein  d'émoi 

Les  chœurs  harmonieux  qui  s'éveillaient  en  moi. 


Vous  étiez  là,  Louise  ;  et  vous  savez  sans  doute 
Ce  que  mon  cœur  chantait  tout  le  long  de  la  route. 

9- 


—  io6 


Soudain,  au  flanc  moelleux  d'un  nuage  qui  dort, 
La  lune,  dans  le  ciel,  montre  sa  corne  d'or... 
C'est  l'heure  des  adieux,  cette  heure  solennelle 
Où  l'Ange  des  regrets  emporte  sur  son  aile, 
Pour  que  notre  bonheur  ne  dure  pas  toujours, 
Les  rêves  de  jeunesse  et  les  serments  d'amours  ! 
Il  fallait  nous  quitter...  Longtemps  nous  hésitâmes, 
Comme  si  nous  laissions  quelque  part  de  nos  âmes. 
La  brise  du  matin  soufflait  dans  les  tilleuls  : 
Longs  furent  les  adieux;  —  puis  nous  revînmes  seuls. 


Vous  n'étiez  plus  là,  non  ;  mais  vous  savez  sans  doute 
Que  mon  cœur  soupira  tout  le  long  de  la  route  ! 


*S'*S^^S'^S'^S'^S'^S/^2/^S«axSAS/^a 


LE   QUÉBEC 


Par  nobile  fratram. 

HosACE. 


Le  Couchant  luit  là-bas  comme  un  vaste  incendie  ; 
Le  soleil  sur  les  flots  sème  un  rayon  mourant  : 
Les  derniers  bruits  du  jour  chantent  leur  mélodie  ; 
Et,  dressant  fièrement  sa  carène  hardie, 
Le  Québec  fend  au  vol  les  eaux  du  Saint-Laurent. 


—  io8  — 

Le  long  panache  dont  sa  tête  est  couronnée 
Déroule  dans  les  airs  ses  ondoyants  réseaux  ; 
Il  tourmente  à  grand  bruit  la  vague  déchaînée.. - 
Il  passe,  il  fuit,  laissant  une  longue  traînée 
Noire  dans  le  ciel  pur  et  blanche  sur  les  eaux. 


O  fleuve,  qu'ils  sont  loin  les  jours  où  nul  servage 
N'avait  encor  dompté  ton  orgueil  éclatant; 
Où  de  légers  wigwams  ornaient  seuls  ton  rivage  ; 
Où  tu  n'avais  bercé  sur  ta  houle  sauvage 
Que  la  frêle  pagaie  et  le  bouleau  flottant  ! 


Penchant  leur  front  pensif  sur  ton  urne  qui  gronde, 
O  vieux  Niagara,  qu'ont  donc  dit  tes  forêts. 
En  voyant,  jusqu'au  fond  de  ta  grotte  profonde, 
Ta  sombre  royauté  crouler  comme  ton  onde, 
Et  s'éclipser  devant  ce  géant  du  progrès  ? 


—  log  — 

Vous  êtes  rois  tous  deux,  étonnante  structure, 
Et  toi,  fier  Saint-Laurent,  au  cours  majestueux; 
Si  l'un  est  couronné  par  sa  belle  nature. 
L'autre,  voguant  drapé  dans  son  architecture, 
Est  noble  comme  lui,  comme  lui  fastueux  ! 


A  bord  du  Québec, 
2  juillet  1866. 


-^l^^l^r^^^m^^llfir^m^^^,^^!^^^ 


A  UN  PEINTRE 


L'aigle,  ami  «It»  déserts,  dédaigne  ainsi  la  plaine. 

IjUtARTOCE, 


Quand  l'aigle  est  fatigué  de  planer  dans  la  nue, 
Retraversant  l'espace  en  son  vol  triomphant, 
Il  revient  se  poser  sur  la  montagne  nue, 
Qui  tressaille  d'orgueil  en  voyant  son  enfant  ! 


—    112   — 

Peintre,  tu  nous  reviens,  ainsi  que  l'aigle  immense 
Qui,  faisant  trêve  un  jour  à  son  sublime  essor. 
Avant  que  dans  les  deux  sa  course  recommence. 
Se  repose  un  instant  pour  disparaître  encor. 


Arrivé  tout  à  coup  des  sphères  immortelles, 
Où  sans  craindre  leurs  feux  tes  pieds  se  sont  posés, 
Tu  resplendis  encore,  et  l'on  voit  sur  tes  ailes 
La  poudre  des  soleils  que  ton  vol  a  rasés. 


Un  jour,  jeune  inconnu,  sentant  dans  ta  poitrine 
Couver  du  feu  sacré  l'étincelle  divine 

Et  ton  destin  se  révéler. 
Tu  dis  :  Quittons  ces  lieux  aux  muses  trop  acerbes  ! 
A  moi  le  large  espace!  à  moi  les- monts  superbes  ! 

Je  suis  aigle,  je  puis  voler! 


—  ii3  — 

Et  tu  partis.  Longtemps  la  foule  indifférente 
Ne  daigna  du  regard  suivre  ta  course  errante, 

Comme  un  oiseau  perdu  dans  l'air, 
Nos  rives  t'oubliaient,  lorsque  la  renommée 
A  ta  patrie,  encor  si  tendrement  aimée, 

Jeta  ton  nom  dans  un  éclair. 


Enfin,  tout  enrichi  des  trésors  du  vieux  monde, 
Où  la  gloire,  enchaînant  ta  palette  féconde, 

Tavait  trop  longtemps  retenu. 
Tu  reviens  visiter,  après  seize  ans  d'absence. 
Le  vieux  foyer  béni  qui  t'a  donné  naissance  : 

O  peintre,  sois  le  bienvenu  1 


Mais,  confiant  dans  ton  étoile, 
O  noble  fiancé  des  arts. 
Demain  tu  remets  à  la  voile 
Pour  le  vieux  pays  des  Césars  ; 

10 


—  114  — 

Tu  retournes  au  champ  fertile, 
Où  croît  le  laurier  de  Virgile, 
Où  dort  le  luth  d'Alighieri. 
Florence,  la  ville  artistique, 
Réclame  ton  pinceau  magique 
Et  ton  talent  qu'elle  a  mûri. 


Va  !  quitte  nos  climats  de  neige  ! 
Pour  toi  trop  sombre  est  notre  ciel; 
Il  te  faut  le  ciel  du  Corrège, 
Le  ciel  d'azur  de  Raphaël  ; 
Il  te  faut  la  douce  Ausonie, 
Ses  horizons  pleins  d'harmonie, 
Ses  chants,  ses  échos,  ses  zéphyrs  ; 
Il  te  faut  ses  blondes  campagnes. 
Ses  bois,  ses  fleuves,  ses  montagnes, 
Ses  chefs-d'œuvre,  ses  souvenirs  ! 


Va  1  poursuis  ta  noble  carrière  ! 
Jusqu'au  sommet  porte  tes  pas  ! 
Tu  ne  peux  rester  en  arrière  : 
Ta  gloire  ne  t'appartient  pas  ! 


—    I  o  — 


I86I 


Ouvrant  l'essor  à  ton  génie, 

Va  cueillir  la  palme  bénie 

Qui  doit  un  jour  ceindre  ton  front. 

Pars  !  et  nos  rives  étonnées, 

En  contemplant  tes  destinées, 

Avec  orgueil  te  nommeront  ! 


^^^^^^^^^^^^k^h^^^^^ 


SEUL 


Un  jour,  errant,  perdu  dans  un  désert  sans  borne, 
Un  pâle  voyageur  cheminait  lentement; 
Autour  de  lui  dormait  la  solitude  morne, 
Et  le  soleil  brûlait  au  fond  du  firmament. 


Pas  une  goutte  d'eau  pour  sa  lèvre  en  de'tresse  ! 
Pas  un  ombrage  frais  !  pas  un  souffle  de  vent  ! 
Nulle  herbe,  nul  gazon;  et  la  plaine  traîtresse 
N'offre  à  son  pied  lassé  que  du  sable  mouvant. 

lO. 


—  ii8  — 

Il  avance  pourtant  ;  mais  la  route  s'allonge  ; 
Il  sent  à  chaque  pas  son  courage  tarir; 
Un  sombre  de'sespoir  l'envahit  quand  il  songe 
Qu'il  va  falloir  bientôt  se  coucher  pour  mourir. 


Il  se  roidit  en  vain  sous  le  poids  qui  l'accable  ; 
Il  marche  encore,  et  puis  s'arrête  épouvanté  ; 
Sur  son  sein  haletant,  cauchemar  implacable. 
Il  sent  avec  efiroi  peser  l'immensité  ! 


Fatigué  de  sonder  l'horizon  qu'il  implore, 
Sans  force,  il  tombe  enfin  sur  le  sable  poudreux  ; 
Et  son  regard  mourant  semble  chercher  encore 
Les  vertes  oasis  et  leurs  palmiers  ombreux. 


Voyageurs  égarés  au  désert  de  la  vie, 
Combien  de  malheureux,  vaincus  par  la  douleur. 
Dans  leur  illusion  sans  cesse  poursuivie. 
Meurent  sans  avoir  vu  l'oasis  du  bonheur  ! 
1875. 


'^g:g:^^s^s:^K^â.~^Hi: 


VIEILLE   HISTOIRE 


C4  Achille  M  illien. 


C'était  un  lieu  charmant,  une  roche  isole'e, 
Seule,  perdue  au  loin  dans  la  bruyère  en  fleur  ; 
La  ronce  y  rougissait,  et  le  merle  siffleur 
Y  jetait  les  éclats  de  sa  note  perlée. 


C'était  un  lieu  charmant.  Là,  quand  les  feux  du  soir 
Empourpraient  l'horizon  d'une  lueur  mourante , 
En  écartant  du  pied  la  luzerne  odorante. 
Tout  rêveurs,  elle  et  moi,  nous  allions  nous  asseoir. 


—    120   — 

Ce  qui  se  disait  là  d'inefFablement  tendre, 

Quel  langage  jamais  pourrait  le  répe'ter  !... 

La  brise  se  taisait  comme  pour  écouter  ; 

Des  fauvettes,  tout  près,  se  penchaient  pour  entendre. 


Propos  interrompus,  sourires  e'piés, 
Ces  serrements  de  cœur  que  j'éprouvais  prés  d'elle, 
Je  me  rappelle  tout,  jusqu'à  mon  chien  fidèle 
Dont  la  hanche  servait  de  coussin  pour  ses  pieds. 


O  mes  vieux  souvenirs  !  O  mes  blondes  années  ! 
Quand  remonte  mon  cœur  vers  ces  beaux  jours  passés 
Je  pleure  à  chaque  pas,  car  vous  m'apparaissez 
Comme  un  parquet  de  bal  jonché  de  fleurs  fanées. 


Le  temps  sur  nos  amours  jeta  son  froid  linceul... 
L'oubli  vint  ;  et  pourtant,  —  colombes  éplorées, 
Vers  ce  doux  nid,  témoin  de  tant  d'heures  dorées, 
Plus  tard,  chacun  de  nous  revint  souvent...  mais  seul , 


—    121    — 


Et  là,  du  souvenir  en  évoquant  l'ivresse,  [tout  bas  ?] 
Qui  cherchions-nous  des  yeux  ?  qui  nommions-nous 
—  L'un  l'autre,  direz-vous?  —  Oh  !  non  :  c'était,  hélas  1 
Le  doux  fantôme  blanc  qui  fut  notre  jeunesse  1 


ÉLÉGIE 


Les  jours  de  soleil  sont  passés, 
Et  l'automne  fait  sa  vendange  ; 
Dans  l'enceinte  des  trépassés, 
La  feuille  tombe  à  flots  pressés 
Dors,  mon  doux  ange  ! 


—   124  — 

Il  était  frais  et  blond  comme  un  Enfant-Jésus... 
Dieu  nous  envoie,  hélas  1  des  douleurs  bien  cruelles. 
Un  soir,  je  le  berçais  ;  des  anges  sont  venus 
Qui  l'ont  emporté  sur  leurs  ailes. 


J'épiais  son  sommeil,  et,  quand  il  remuait, 
Je  baisais  à  genoux  ses  petites  mains  blanches. 
Il  est  là  maintenant,  sous  ce  tertre  muet, 
Prisonnier  entre  quatre  planches. 


Les  jours  de  soleil  sont  passés. 
Et  l'automne  fait  sa  vendange  ; 
Dans  l'enceinte  des  trépassés, 
La  feuille  tombe  à  flots  pressés  : 
Dors,  mon  doux  ange  ! 


Et  quand  je  caressais  ses  petits  pieds  frileux, 
Lui  que  je  n'aurais  pas  donné  pour  des  empires  ! 
Sur  sa  lèvre  de  rose,  au  coin  de  ses  yeux  bleus, 
Nageaient  des  groupes  de  sourires. 


Il  bredouillait  des  mots  d'une  étrange  douceur, 
Des  mots  incohérents,  indécis,  adorables  ; 
Et  moi  qui  l'écoutais,  je  sentais  dans  mon  cœur 
Courir  des  frissons  ineffables. 


Les  jours  de  soleil  sont  passés, 
Et  l'automne  fait  sa  vendange  ; 
Dans  l'enceinte  des  trépassés, 
La  feuille  tombe  à  flots  pressés  ; 
Dors,  mon  doux  ange  ! 


II 


—    126    — 

Il  est  là  qui  repose  en  son  linceul  glacé. 
Au  cimetière,  hélas  !  sa  dernière  demeure, 
Songe-t-il  quelquefois,  le  pauvre  délaissé, 
A  sa  mère  qui  souffre  et  pleure  ? 


Oh  !  oui  ;  car,  je  le  sens,  si  dans  la  tombe  dort 
Son  petit  corps  roidi,  froid,  immobile,  blême. 
Son  âme  plane  au  ciel  avec  des  ailes  d'or, 
Devant  la  face  de  Dieu  même  ! 


Le  dernier  beau  jour  est  passé  ; 
L'automne  a  fini  sa  vendange  ; 
La  neige  tombe  à  flot  pressé... 
Dans  le  ciel  où  Dieu  t'a  placé, 
Pense  à  ta  mère,  mon  doux  ange  ! 


MILLE   FLEURS  ET  SOUS  LES  ORMES 


Q/i  M"^  A.  Boyer  et  R.  Thibaudeau 


Ce  sont  deux  frais  séjours,  deux  vrais  nids  de  fauvettes, 

Faits  pour  des  heureux  ; 
Deux  villas  comme  seuls  en  rêvent  les  poètes 

Et  les  amoureux. 


L'une  est  couleur  de  rose,  et  l'autre  toute  blanche  ; 

Leurs  toits  sont  couverts. 
Le  printemps  et  l'e'té,  comme  d'une  avalanche 

De  grands  rameaux  verts. 


Sous  le  dais  parfumé  que  leur  font  les  vieux  ormes, 

Gracieux  tableau, 
On  voit,  dans  le  lointain,  leurs  élégantes  formes 

Se  mirer  dans  l'eau. 

Là  l'amour  et  la  joie  ont  fixé  leur  empire, 

Et  dans  les  échos 
L'on  entend  se  mêler  de  francs  éclats  de  rire 

Au  chant  des  oiseaux. 

Au  dedans,  l'on  ne  voit  que  merveilleuses  choses, 

Que  riens  enchanteurs  ; 
Et  ce  n'est,  au  dehors,  que  frais  buissons  de  roses, 

Et  tapis  de  fleurs. 

Et  le  passant  charmé  s'arrête  et  se  demande, 

En  voyant  cela. 
Si,  quelque  beau  matin,  la  blonde  fée  Urgande 

A  passé  par  là. 

On  le  croirait  vraiment  ;  mais  toute  la  féerie, 

C'est  qu'en  vérité 
Sous  ces  lambris  joyeux  le  bonheur  se  marie 

Avec  la  gaîté  ! 


LES   PINS 


O  mes  vieux  pins  touffus,  dont  le  tronc  centenaire 
Se  dresse,  défiant  le  temps  qui  détruit  tout, 
Et,  le  front  foudroyé  d'un  éclat  de  tonnerre, 
Indomptable  géant,  reste  toujours  debout  ! 


J'aime  vos  longs  rameaux  étendus  sur  la  plaine, 

Harmonieux  séjours,  palais  aériens, 

Où  les  brises  du  soir  semblent  à  chaque  haleine 

Caresser  des  milliers  de  luths  éoliens. 

II. 


—    IJO 


J'aime  vos  troncs  noueux,  votre  tête  qui  ploie 
Quand  le  sombre  ouragan  vous  prend  par  les  cheveux, 
Votre  cime  où  se  cache  un  nid  d'oiseau  de  proie, 
Vos  sourds  rugissements,  vos  sons  mystérieux. 


Un  soir,  il  m'en  souvient,  distrait,  foulant  la  mousse 
Qui  tapisse  en  rampant  vos  gigantesques  pieds, 
J'entendis  une  voix  fraîche,  enivrante,  douce, 
Ainsi  qu'un  chant  d'oiseau  qui  monte  des  halliers. 


Et  j'écoutais  rêveur...  et  la  note  vibrante 
Disait  :  Ever  of  thee!  —  C'était  un  soir  de  mai  ; 
La  nature  était  belle,  et  la  brise  odorante... 
Tout,  ainsi  que  la  voix,  disait  :  Aime  !  —  et  j'aimai. 


O  mes  vieux  pins  géants,  dans  vos  concerts  sublimes, 
Redites-vous  parfois  ce  divin  chant  d'amour 
Qui  résonne  toujours  dans  mes  rêves  intimes. 
Comme  un  écho  lointain  de  mes  bonheurs  d'un  jour  ? 


—  i3i  — 

Puissé-je,  un  soir  encor,  sous  vos  sombres  ombrages, 
Rêver  en  écoutant  vos  bruits  tumultueux. 
Ou  vos  longues  clameurs,  quand  l'aile  des  orages 
Vous  secoue  en  tordant  vos  bras  majestueux  ! 


Malheur  à  qui  prendra  la  hache  sacrilège 
Pour  mutiler  vos  flancs  par  de  mortels  affronts  !... 
Mais  non,  ô  mes  vieux  pins,  le  respect  vous  protège, 
Et  des  siècles  encor  passeront  sur  vos  fronts. 


UN  SOIR  A  BORD 


Q/l  Théodore  de  Banville. 


O  soir  charmant  !  La  nuit  aux  voix  mystérieuses 
Nous  caressait  tous  trois  de  ses  molles  clartés; 
Et  nous  contemplions,  moi  rêveur,  vous  rieuses, 
De  la  lune  et  des  flots  les  magiques  beautés. 


Le  steamer  qu'emportait  la  roue  au  vol  sonore, 
Eparpillait  au  loin,  sur  le  fleuve  écumeux. 
Des  gerbes  de  lumière  et  des  reflets  d'aurore, 
Qui  s'éteignaient  bientôt  dans  le  lointain  brumeux. 


-  i34  - 

L'horizon  se  tordait  en  silhouette  e'trange  ; 
Et,  sondant  de  la  nuit  les  vagues  profondeurs, 
Nous  regardions  passer,  comme  un  de'cor  qui  change, 
La  rive  déroulant  ses  mobiles  splendeurs. 


Oh  !  comme  il  faisait  bon  !  Nous  causions,  gais,  frivoles , 
Vos  rires  éclataient  comme  des  chants  d'oiseaux  ; 
Et,  quand  nous  nous  taisions,  de  joyeuses  paroles 
Arrivaient  jusqu'à  nous  avec  le  bruit  des  eaux. 


Tout  à  coup,  une  voix  fraîche,  mélodieuse, 

Fit  flotter  dans  la  nuit  son  timbre  plein  d'émoi... 

Oh  !  qui  dira  jamais  l'extase  radieuse 

Dont  nous  fûmes  bercés,  ce  soir-là,  vous  et  moi  l 


Vous  en  souviendrez-vous  ?  Hélas  !  vos  jours  de  rose 
Laissent  bien  peu  de  place  aux  regrets  superflus... 
Mais  moi,  de  cette  nuit  je  garde  quelque  chose  ; 
Car  j'emporte  en  mon  cœur  un  souvenir  de  plus. 


LES  OISEAUX  DE  NEIGE 


SO'K.'K.ETS 


PROLOGUE 


12 


LES  OISEAUX  DE  NEIGE 


UJND  le  rude  Equinoxe,  avec  son  froid  cortège, 
Quitte  nos  horizons  moins  inhospitaliers^ 
Sur  nos  champs  de  frimas  s'abattent  par  milliers 
Ces  visiteurs  ailés  qu'on  nomme  oiseaux  de  neige. 


Des  graines  nulle  part!  nul  feuillage  aux  halliers! 
Contre  la  giboulée  et  nos  vents  de  Norvège, 
Seul  le  regard  d'en  haut  les  abrite,  et  protège 
Ces  courriers  du  soleil  en  butte  aux  oiseliers. 


140  — 


Chers  petits  voyageurs,  sous  le  givre  et  la  grêle. 
Vous  voltige:^  gaîment,  et  l'on  voit  sur  votre  aile 
Luire  un  premier  rayon  du  printemps  attardé. 


Alle^,  tourbillonne!^  autour  des  avalanches  ; 

Sans  peur,  aux  flocons  blancs  mêle:(  vos  plumes  blanches 

Le  faible  que  Dieu  garde  est  toujours  bien  gardé  ! 


LES  OISEAUX  BLANCS 


Q^i  M*>»  Yan  d'Argent 


Quand,  sur  nos  plaines  blanches, 
Le  givre  des  hivers 
Commence  à  fondre  aux  branches 
Des  sapins  toujours  verts  ; 
Quand  chez  nous  se  four^'oie 
Avril,  le  mois  des  fleurs. 
Le  printemps  nous  envoie 
Ces  gais  avant-coureurs. 


—  142  — 

Du  froid,  de  la  neige. 
Des  vents  et  des  eaux, 
Que  Dieu  vous  protège, 
Petits  oiseaux  ! 


Loin  des  rives  plus  douces, 
Loin  des  climats  bénis, 
Où  d'autres  dans  les  mousses 
Cachent  déjà  leurs  nids, 
Votre  essor  se  déploie 
Vers  nos  pâles  séjours  : 
C'est  mai  qui  vous  envoie 
Nous  parler  des  beaux  jours. 


Du  froid,  de  la  neige, 
Des  vents  et  des  eaux. 
Que  Dieu  vous  protège, 
Petits  oiseaux  ! 


-  143  - 

Quand  votre  aile  soyeuse, 
Petits  oiseaux,  paraît. 
Plus  d'une  âme  est  joyeuse, 
Qui  naguère  pleurait; 
Oui,  vous  faites  de  joie 
Bien  des  cœurs  s'émouvoir  : 
C'est  Dieu  qui  vous  envoie, 
Doux  messagers  d'espoir  ! 


Du  froid,  de  la  neige, 
Des  vents  et  des  eaux. 
Que  Dieu  vous  protège, 
Petits  oiseaux  ! 


LA  LOUISIANAISE 


C^  3/"«  A.  Le  Duc  de  la  Nouvelle-Orléans. 


Je  sais  une  rive  sereine 
Qui,  sur  un  frais  lit  de  roseaux, 
S'endort  au  chant  de  la  sirène, 
Et  s'éveille  au  chant  des  oiseaux. 
Pays  de  douce  nonchalance, 
Où  le  hameau  toujours  balance, 
A  l'ombre  des  verts  bananiers. 
Son  heureuse  indolence 
Aux  souffles  printaniers  ! 


—  146  — 

Je  sais  une  ville  rieuse, 
Aux  enivrements  infinis, 
Qui,  fantasque  et  myste'rieuse, 
Règne  sur  ces  climats  bénis  ; 
Ville  où  l'orange  et  la  grenade 
Parfument  chaque  promenade  ; 
Où,  tous  les  soirs,  les  amoureux 
Chantent  la  sérénade 
Sous  des  balcons  heureux. 


Je  sais  une  femme  divine, 
Au  teint  pâle,  aux  yeux  andalous, 
Si  belle  que  chacun  devine 
Que  le  ciel  même  en  soit  jaloux  : 
C'est  la  brune  Louisianaise, 
Dont  la  splendeur  brille  à  son  aise 
Dans  cet  éternel  messidor  : 
Toile  de  Veronèse 
Dans  un  beau  cadre  d'or  1 


fffffffffffffffffff' 


IMPROMPTU 


Des  vastes  forêts  la  splendeur  m'enchante  ; 
J'aime  à  contempler  les  sommets  altiers. 
Rien  ne  vaut  pourtant  la  grâce  touchante 
De  la  fleur  qui  luit  au  bord  des  sentiers. 


O  caps  entassés  dont  l'orgueil  se  mire 
Dans  les  flots  profonds  du  noir  Saguenay! 
Falaises  à  pic  que  la  foule  admire  ! 
Rocher  que  la  foudre  a  découronné  ! 


—  148  — 

Promontoires  nus  dont  la  cime  touche 
Aux  derniers  confins  de  l'immensité, 
Mon  front  qu'a  couvert  votre  ombre  farouche 
S'incline  devant  votre  majesté. 


Mais,  ô  pics  géants  que  le  ciel  décore. 
Monts  qui  défiez  le  regard  humain, 
A  tout  votre  éclat  je  préfère  encore 
La  douce  amitié  qui  me  tend  la  main 

Chicoutimi,  i*""  juillet  1875. 


L'ANNÉE    CANADIENNE 
(a  mon  père) 


i3 


0^^^^^^^^^^^^ 


JANVIER 


La  tempête  a  cessé.  L'éther  vif  et  limpide 
A  jeté  sur  le  fleuve  un  tapis  d'argent  clair, 
Où  l'ardent  patineur,  au  jarret  intrépide. 
Glisse,  un  reflet  de  flamme  à  son  soulier  de  fer. 


La  promeneuse,  loin  de  son  boudoir  tépide, 
Bravant,  sous  les  peaux  d'ours,  les  morsures  de  l'air, 
Au  son  des  grelots  d'or  de  son  cheval  rapide, 
A  nos  yeux  éblouis  passe  comme  un  éclair. 


—    l52    — 

Et  puis,  pendant  les  nuits  froidement  idéales, 
Quand,  au  ciel,  des  milliers  d'aurores  boréales 
Battent  de  l'aile  ainsi  que  d'étranges  oiseaux. 


Dans  les  salons  ambrés,  nouveaux  temples  d'idoles, 
Aux  accords  de  l'orchestre,  au  feu  des  girandoles. 
Le  quadrille  joyeux  déroule  ses  réseaux  ! 


M-fX 


FEVRIER 


Aux  pans  du  ciel  l'hiver  drape  un  nouveau  décor  ; 
Au  firmament,  l'a/ur  de  tons  roses  s'allume  ; 
Sur  nos  trottoirs,  un  vent  plus  doux  enfle  la  plume 
Des  petits  moineaux  gris  qu'on  y  retrouve  encor  ; 


Maint  coup  sec  retentit  dans  la  forêt  qui  dort  ; 
Et,  Tdans  les  ravins  creux  qui  s'emplissent  de  brume, 
Aux  franges  du  brouillard  malsain  qui  nous  enrhume, 
L'Orient  plus  vermeil  met  une  épingle  d'or. 

i3. 


—  i54  — 

Folâtre,  et  secouant  sa  clochette  argentine, 
Le  bruyant  carnaval  fait  sonner  sa  bottine 
Sur  le  plancher  rustique  et  le  tapis  soyeux  ; 


Le  spleen  chassé  s'en  va  chercher  d'autres  victimes  ; 
La  gaieté  vient  s'asseoir  à  nos  cercles  intimes  ! 
C'est  le  mois  le  plus  court  :  passons-le  plus  joyeux  ! 


MARS 


Adieu  les  jours  sereins,  et  les  nuits  étoilées  ! 
La  neige  à  flocons  lourds  s'amoncelle  à  foison, 
Au  penchant  des  coteaux,  dans  le  fond  des  vallées 
C'est  le  dernier  effort  de  la  rude  saison. 


C'est  le  mois  ennuyeux,  le  mois  des  giboulées  ; 
Des  frimas  cristallins  l'étrange  floraison 
Brode  ses  fleurs  de  givre  aux  branches  constellées  ; 
Là-bas  un  trait  bronzé  dessine  l'horizon. 


—  i56  — 

Le  vieux  chasseur  des  bois  dépose  ses  raquettes  ; 
Plus  d'orignaux  géants,  plus  de  biches  coquettes, 
Plus  de  course  lointaine  au  lointain  Labrador  ! 


Il  s'en  consolera,  dans  la  combe  voisine, 
En  regardant  monter,  sur  un  feu  de  résine, 
La  sève  de  l'érable  en  brûlants  bouillons  d'or. 


S^M}? 


AVRIL 


La  neige  fond  partout  ;  plus  de  sombre  avalanche  ! 
Le  soleil  se  prodigue  en  traits  plus  éclatants  ; 
La  sève  perce  l'arbre  en  bourgeons  palpitants 
Qui  feront  sous  les  fruits,  plus  tard,  plier  la  branche. 


Un  vent  tiède  succède  aux  farouches  autans  ; 
L'hirondelle  est  encore  au  loin;  mais,  en  revanche. 
Des  milliers  d'oiseaux  blancs  couvrent  la  plaine  blanche 
Et  de  leurs  cris  aigus  rappellent  le  printemps. 


—  i58  — 

Sous  sa  féconde  effluve,  il  faut  que  tout  renaisse  ! 
Avril  c'est  le  re'veil,  avril  c'est  la  jeunesse  ! 
Mais  quand  la  poe'sie  ajoute  :  mois  des  fleurs^ 


Il  faut  bien  avouer,  —  nous  que  trempe  l'averse, 
Qu'entraîne  la  débâcle,  ou  qu'un  glaçon  renverse. 
Que  les  poètes  sont  de  charmants  persifleurs  ! 


MAI 


Hozanna  !  La  forêt  renait  de  ses  ruines  ; 

La  mousse  attache  au  roc  son  manteau  de  velours  ; 

La  grive  chante  ;  au  loin,  les  grands  bœufs  de  labours 

S'enfoncent  tout  fumants  dans  les  chaudes  bruines  ; 


Le  soleil  agrandit  l'orbe  de  son  parcours  ; 
On  ne  sait  quels  frissons  passent  dans  les  ravines  ; 
Et  dans  l'ombre  des  nids,  —  fidèle  aux  lois  divines, 
Bientôt  va  commencer  la  saison  des  amours  ! 


—  i6o  — 

Aux  échos  d'alentour  chantant  à  gorge  pleine, 
Le  semeur,  dont  la  main  fertilise  la  plaine, 
Jette  le  froment  d'or  dans  les  sillons  fumés. 


Sortons  tous  ;  et,  groupés  sur  le  seuil  de  la  porte, 
Respirons  à  loisir  le  vent  qui  nous  apporte 
Comme  un  vague  parfum  de  lilas  embaumés  ! 


JUIN 


L'Eté  met  des  fleurs  à  sa  boutonnière  ; 
Au  fond  des  taillis  et  dans  les  roseaux, 
Ivres  de  soleil,  les  petits  oiseaux 
Entonnent  en  chœur  l'hymne  printanière  ; 


Sur  les  clairs  sommets,  les  champs  et  les  eaux, 
Tombent  de  l'azur  des  jets  de  lumière  ; 
Au  nid,  au  palais  et  sous  la  chaumière. 
Le  parfait  amour  tourne  ses  fuseaux. 


—    102   — 


Sous  les  bois  toufîus  la  source  murmure  ; 
La  brise  en  jouant  berce  la  ramure  ; 
Le  papillon  vole  au  rosier  fleuri  ; 


Tout  chante,  s'émeut,  palpite,  étincelle. 
Transports  infinis  !  joie  universelle  ! 
A  son  créateur  la  terre  a  souri  ! 


MIIMMilMMMMlMIl 


JUILLET 


Depuis  les  feux  de  l'aube  aux  feux  du  crépuscule, 
Le  soleil  verse  à  flots  ses  torrides  rayons; 
On  voit  pencher  la  fleur  et  jaunir  les  sillons  : 
Voici  les  jours  poudreux  de  l'âpre  canicule  ! 


Le  chant  des  nids  a  fait  place  au  chant  des  grillons  ; 
Une  efiiuve  brûlante  autour  de  nous  circule  ; 
La  nature,  qui  vit  dans  chaque  animalcule, 
Fait  frissonner  d'émoi  tout  ce  que  nous  voyons. 


—  164  — 

Mais  quand  le  bœuf  qui  broute  à  l'ombre  des  grands  chênes 
Se  tourne  haletant  vers  les  sources  prochaines, 
Quels  sont  donc,  dites-vous,  ces  groupes  affolés 


Déroulant  sous  les  bois  leur  course  furieuse  ? 

C'est  la  vacance,  ami,  la  vacance  rieuse  ! 

Comme  ils  sont  loin  de  nous  ces  beaux  jours  envolés  ! 


AOUT 


C'est  la  fenaison  ;  tout  le  reste  chôme. 
Dès  qu'on  voit  du  jour  poindre  les  blancheurs, 
En  groupes  épars,  les  rudes  faucheurs 
Vont  couper  le  fçin  au  sauvage  arôme. 


Au  bord  des  ruisseaux,  d'indolents  pêcheurs, 
Des  saules  pensifs  dorment  sous  le  dôme  ; 
Et.  le  soir  venu,  l'air  qui  nous  embaume 
Apporte  déjà  d'étranges  fraîcheurs. 


14. 


—  i66  — 

Mais,  quand  midi  luit  sur  les  fondrières, 
Deux  à  deux,  cherchant  de  blondes  clairières, 
Le  panier  au  bras,  —  sur  le  tapis  vert,  — 


Des  couples  charmants  vont  sous  la  feuille'e 
Par  un  beau  ciel  d*or  tout  ensoleillée, 
Riant  et  chantant,  mettre  le  couvert  ! 


SEPTEMBRE 


L'atmosphère  dort,  claire  et  1  umineuse  ; 

Un  soleil  ardent  rougit  les  houblons  ; 

Aux  champs,  des  monceaux  de  beaux  épis  blonds 

Tombent  sous  l'effort  de  la  moissonneuse. 


Sonore  et  moqueur,  l'écho  des  vallons 
Répète  à  plaisir  la  voix  ricaneuse 
Du  glaneur  qui  cherche,  avec  sa  glaneuse. 
Pour  s'en  revenir  des  sentiers  plus  longs. 


—  i68  — 

Tout  à  coup  éclate  un  bruit  dont  la  chute 
Retentit  au  loin,  et  que  re'percute 
Du  ravin  profond  le  vaste  entonnoir. 


Quelle  est  la  raison  de  ce  tintamarre  ?... 
C'est  quelque  chasseur  qui,  de  mare  en  mare, 
Poursuit  la  bécasse  ou  le  canard  noir  ! 


fMif^fl^rVISrlSr^rt^fM^fVISr^ 


OCTOBRE 


Les  feuilles  des  bois  sont  rouges  et  jaunes  ; 
La  forêt  commence  à  se  dégarnir  ; 
L'on  se  dit  déjà  :  l'hiver  va  venir, 
Le  morose  hiver  de  nos  froides  zones. 


Sous  le  vent  du  nord  tout  va  se  ternir... 
Il  ne  reste  plus  de  vert  que  les  aulnes, 
Et  que  les  sapins  dont  les  sombres  cônes 
Sous  les  blancs  frimas  semblent  rajeunir. 


—  lyo  — 

Plus  de  chants  joyeux  !  plus  de  fleurs  nouvelles  ! 
Aux  champs  moissonnés  les  lourdes  javelles 
Font  sous  leur  fardeau  crier  les  essieux. 


Un  brouillard  dormant  couvre  les  savanes  ; 
Les  oiseaux  s'en  vont,  et  leurs  caravanes 
Avec  des  cris  sourds  passent  dans  les  cieux  ! 


(îtxlxfectbcti 


NOVEMBRE 


Jours  de  deuil!  plus  de  nids  sous  le  feuillage  vert! 
Les  chantres  de  l'été  désertent  nos  bocages  ; 
L'on  n'entend  que  le  cri  de  l'oiseau  dans  les  cages, 
Avec  les  coups  de  bec  sonores  du  pivert. 


De  jaunissants  débris  le  gazon  s'est  couvert; 
Les  grands  bœufs  tristement  reviennent  des  pacages  ; 
Et  la  sarcelle  brune,  au  bord  des  marécages, 
Prend  son  essor  pour  fuir  l'approche  de  l'hiver. 


—  172  — 

Aux  arbres  dépouillés  la  brise  se  lamente  ; 
A  l'horizon  blafard,  l'aile  de  la  tourmente 
Fouette  et  chasse  vers  nous  d'immenses  oiseaux  gris. 


Des  passants  tout  en  noir  gagnent  le  cimetière  ; 
Suivons-les,  et  donnons  notre  pensée  entière. 
Pour  un  instant,  à  ceux  que  la  mort  nous  a  pris  1 


eêl3^eêâ^eê8^f|i3^e©3^e8â*eê3*eê3*eê8* 


DECEMBRE 


Le  givre  étincelant,  sur  les  carreaux  gelés, 
Dessine  des  milliers  d'arabesques  informes  ; 
Le  fleuve  roule  au  loin  ses  banquises  énormes  ; 
De  fauves  tourbillons  passent  échevelés. 


Sur  la  crête  des  monts  par  l'ouragan  pelés, 
De  gros  nuages  lourds  heurtent  leurs  flancs  difformes  ; 
Les  sapins  sont  tout  blancs  de  neige,  et  les  vieux  ormes 
Dressent  dans  le  ciel  gris  leurs  grands  bras  désolés. 

i5 


—  174  — 

Des  hivers  boréaux  tous  les  sombres  ministres 
Montrent  à  l'horizon  leurs  figures  sinistres  ; 
Le  froid  darde  sur  nous  son  aiguillon  cruel. 


Evitons  à  tout  prix  ses  farouches  colères  ; 

Et,  le  verre  à  la  main,  narguant  les  vents  polaires, 

Réchauffons-nous  autour  de  l'arbre  de  Noël  ! 


PAYSAGES 

A   SON   EXCELLENCE  LUC-LETELLIER  DE  ST-JUST, 
GOUVERNEUR  DE  LA  PROVINCE  DE  QUÉBEC 


SPENCER  WOOD 


A  M^  Letellier  de  St-Just. 


'  N  remontant  le  fleuve,  on  fait  la  découverte 
D'un  pavillon  tout  blanc  coquettement  assis 
Sur  un  épais  massif  de  tuf  aux  flancs  noircis 
Et  dont  la  large  cime  est  de  grands  bois  couverte. 


Si  l'on  cherche  à  sonder  des  yeux  les  éclaircis, 
On  aperçoit,  plus  loin,  sur  la  pelouse  verte, 
Une  altière  villa  dont  la  porte  entrouverte 
Sourit  hospitalière  à  vos  pas  indécis. 

i5. 


-  178  - 

Vaste  piazza,  sentiers  fleuris,  fraîches  ramures, 
Bosquets  pleins  de  parfums,  d'oiseaux  et  de  murmures, 
Site  le  plus  charmant  que  l'œil  ait  contemplé  ! 


C'est  Spencer  Wood,  joli  tableau,  riant  poème, 
Foyer  que  la  Patrie  offre  à  son  chef  suprême. 
Et  qui  jamais  ne  fut  plus  noblement  peuplé  1 


LE    LAC   DE   BELŒIL 


A  Caroline  D. 


Qui  n'aime  à  visiter  ta  montagne  rustique, 
O  lac  qui,  suspendu  sur  vingt  sommets  hardis, 
Dans  ton  lit  d'algue  verte,  au  soleil  resplendis,. 
Comme  un  joyau  tombé  d'un  écrin  fantastique  ? 


Quel  mystère  se  cache  entes  flots  engourdis  ? 
Ta  vague  a-t-elle  éteint  quelque  cratère  antique 
Ou  bien  Dieu  mit-il  là  ton  urne  poétique 
Pour  servir  de  miroir  aux  saints  du  paradis  ? 


—  i8o  — 


Caché,  comme  un  ermite,  en  ces  monts  solitaires, 
Tu  ressembles,  ô  lac  1  à  ces  âmes  austères 
Qui  vers  tout  idéal  se  tournent  avec  foi. 


Comme  elles,  aux  regards  des  hommes  tu  te  voiles  ; 
Calme,  le  jour,  —  le  soir,  tu  souris  aux  étoiles  ; 
Et  puis  il  faut  monter  pour  aller  jusqu'à  toi  ! 


m 


-Sife^ilig^îli&^^^^^îl^^ 


LE  CAP   ETERNITE 


C'est  un  bloc  écrasant  dont  la  crête  surplombe 
Au-dessus  des  flots  noirs,  et  dont  le  front  puissant 
Domine  le  brouillard,  et  défie  en  passant 
L'aile  de  la  tempête  ou  le  choc  de  la  trombe. 


Enorme  pan  de  roc,  colosse  menaçant 
Dont  le  flanc  narguerait  le  boulet  et  la  bombe, 
Qui  monte  d'un  seul  jet  dans  la  nue,  et  retombe 
Dans  le  gouffre  insondable  où  sa  base  descend  ! 


__    i82    — 

Quel  caprice  a  dressé  cette  sombre  muraille  ? 
Caprice  !  qui  le  sait  ?  Hardi  celui  qui  raille 
Ces  aveugles  efforts  de  la  fécondité  ! 


Cette  masse  nourrit  mille  plantes  vivaces  ; 
L'hirondelle  des  monts  niche  dans  ses  crevasses  ; 
Et  ce  monstre  farouche  a  sa  paternité  1 


'^a^'^ 

^m^ 


Ç^  Ç^  Ç^  C^  Ç^  Ç^  Ç£^  Ç^  Ç^  Ç£^  Ç£>  Ç^  C£^  Ç£>  t£^ 
W     m      m      m      m     W     W     W    W    W    W    W    W     w    W 


LE  NIAGARA 


L'onde  majestueuse  avec  lenteur  s'écoule  ; 
Puis,  sortant  tout  à  coup  de  ce  calme  trompeur, 
Furieux,  et  frappant  les  échos  de  stupeur. 
Dans  l'abîme  sans  fond  le  fleuve  immense  croule. 


C'est  la  chute  !  son  bruit  de  tonnerre  fait  peur 
Même  aux  oiseaux  errants,  qui  s'éloignent  en  foule 
Du  gouffre  formidable  ou  l'arc-en-ciel  déroule 
Son  écharpe  de  feu  sur  un  lit  de  vapeur. 


—  i84  — 

Tout  tremble  ;  en  un  instant  cette  énorme  avalanche 
D'eau  verte  se  transforme  en  monts  d'écume  blanche, 
Farouches,  éperdus,  bondissant,  mugissant... 


Et  pourtant,  ô  mon  Dieu,  ce  flot  que  tu  déchaînes, 
Qui  brise  les  rochers,  pulvérise  les  chênes, 
Respecte  le  fétu  qu'il  emporte  en  passant  ! 


LONGEFONT 
O^  Prosper  Blanchemain. 

Ce  fut,  dit-on,  jadis  un  paisible  couvent 
Coquettement  caché  sur  les  bords  où  la  Creuse 
Avec  un  bruit  d'écluse,  en  serpentant  se  creuse 
Un  lit  sonore  et  frais  sous  le  saule  mouvant. 


Des  grands  arbres  perçant  la  voûte  ténébreuse, 
Sa  tour  jumelle  luit  sous  le  soleil  levant... 
Je  ne  l'ai  jamais  vu  ;  mais,  en  rêve,  souvent 

J'ai  suivi  les  détours  de  son  allée  ombreuse. 

i6 


—  i86  — 

Près  du  parterre  en  fleurs,  un  homme  au  front  serein 
Où  le  génie  a  mis  son  cachet  souverain, 
Contemple  avec  amour  l'ange  de  sa  famille  ; 


Son  fils  est  là,  tout  près,  qui  se  penche  à  demi 
Sur  trois  gais  chérubins  jouant  sous  la  charmille. 
Je  n'en  connais  aucun,  mais  je  suis  leur  ami  ! 


LE   LAC  DE   BEAU  PORT 


Quel  frais  miroir  !  Sa  nappe  humide  se  découpe, 
Dans  les  sables,  un  lit  paisible,  au  creux  d'un  val  ; 
Les  montagnes  lui  font  un  cadre  sans  rival  ; 
Et  lui,  dans  son  flot  clair,  mire  leur  ronde  croupe. 


Sur  la  rive,  un  balcon  d'aspect  oriental 
Emerge  d'un  massif  d'érables  qui  se  groupe 
Au  fond  de  l'anse  où  dort  une  svelte  chaloupe 
Dont  le  flanc  touche  à  peine  au  limpide  cristal. 


—  i88  — 

C'est  le  lac  de  Beauport,  ce  joyau  solitaire, 
Ce  petit  coin  béni,  ce  paradis  sur  terre, 
Ce  croquis  merveilleux,  ce  délicat  pastel. 


Où  la  blonde  légende,  en  repliant  ses  voiles, 
Laissa  tomber,  avant  de  monter  aux  étoiles, 
De  sa  robe  d'azur  un  reflet  immortel  ! 


LE   RAPIDE 


L'eau  qui  se  précipite  en  énorme  volume, 
Heurtant  l'angle  des  rocs  sur  leur  base  tremblants, 
Avec  de  longs  cris  sourds,  roule  en  tourbillons  blancs: 
C'est  le  fleuve  qui  prend  sa  course  dans  la  brume  ! 


Comme  un  cheval  fougueux  dont  on  saigne  les  flancs, 
Il  se  cabre  d'abord,  puis  court,  bondit,  écume, 
Et  va  dans  le  lointain  cacher  son  flot  qui  fume 
Sous  le  rocher  sonore  ou  les  grands  bois  ronflants. 

i6. 


—     1Ç)0    — 

De  partout  l'on  entend  monter  des  clameurs  vagues  ; 
On  voit  de  gros  oiseaux  pêcheurs  suivre  les  vagues, 
De  remous  en  remous  plongeant  et  tournoyant  ; 


par  un  dernier  effort  cramponnés  au  rivage, 

Les  vieux  troncs  rabougris  penchent  leur  front  sauvage. 

Noirs  fantômes,  au  bord  de  l'abîme  aboyant  ! 


LE   CAP  TOURMENTE 


Robuste,  et  largement  appuyé  sur  sa  base, 
Le  colosse  trapu  s'avance  au  sein  des  flots  ; 
Sur  son  flanc  tout  couvert  de  pins  et  de  bouleaux, 
Un  nuage  s'étend  comme  un  voile  de  gaze. 


Sur  son  vaste  sommet,  de  merveilleux  tableaux 

Se  déroulent  devant  le  regard  en  extase  ; 

Et  vous  suivez  des  yeux  chaque  voile  qui  rase, 

Dix-huit  cents  pieds  sous  vous,  le  fleuve  aux  verts  îlots. 


—    192    — 

Autrefois  c'était  là  presque  un  pèlerinage. 

Un  jour,  il  m'en  souvient,  écoliers  tout  en  nage. 

Nous  gravîmes  gaîment  ses  agrestes  sentiers. 


Je  crois  revoir  encor  notre  dîner  sur  l'herbe 
Qui  tapisse  ta  croupe  immense,  ô  mont  superbe  ! 
Et  je  rêve,  à  l'aspect  de  tes  plateaux  altiers. 


LE  MONTMORENCY 


Au  détour  du  courant  où  le  flot  qui  la  ronge 
Embrasse  les  contours  de  l'Ile  d'Orléans, 
Comme  une  énorme  trombe,  entre  deux  caps  géants, 
La  blanche  cataracte  au  fond  du  gouffre  plonge. 


Indicibles  attraits  des  abîmes  béants  ! 
Imposantes  rumeurs  que  la  brise  prolonge  1 
Lourds  flocons  écumeux  qui  passez  comme  un  songe, 
Et  que  le  fleuve  emporte  aux  mornes  océans  ! 


—  ^94  — 

Spectacle  saisissant,  grandiose  nature, 

A  vous  interroger  quand  l'esprit  s'aventure, 

Le  cœur  revient  toujours  dans  un  trouble  nouveau  ; 


Le  bruit,  le  mouvement,  le  vide,  le  vertige. 
Tout  cela  va,  revient,  tourbillonne,  voltige. 
Ivre  et  battant  de  l'aile  aux  voûtes  du  cerVeau  ! 


LES   MILLE-ISLES 


Massifs  harmonieux,  édens  des  flots  tranquilles, 
D'oasis  aux  fleurs  d'or  innombrables  re'seaua, 
Que  la  vague  caresse  et  que  les  blonds  roseaux 
Encadrent  du  fouillis  de  leurs  tiges  mobiles  ! 


Bosquets  que  l'onde  berce  aux  doux  chants  des  oiseaux, 
Des  zéphyrs  et  des  nids  pittoresques  asiles, 
Mystérieux  et  frais  labyrinthe,  Mille-Isles  ! 
Chapelet  d'émeraude  égrené  sur  les  eaux. 


—   ig6  — 

Quand,  la  première  fois,  je  vis,  sous  vos  ombrages, 
Les  magiques  reflets  de  vos  brillants  mirages, 
Un  chaud  soleil  de  juin  dorait  vos  verts  abris  ; 


D'enivrantes  senteurs  semblaient  monter  des  grèves  ; 
Et  je  crus  entrevoir  ce  beau  pays  des  rêves 
Où  la  sylphide  joue  avec  les  colibris  ! 


+ 


LE  SAGUENAY 


Cela  forme  deux  rangs  de  massifs  promontoires. 
Gigantesque  crevasse  ouverte,  aux  premiers  jours. 
Par  quelque  cataclysme,  et  qu'on  croirait  toujours 
Prête  à  se  refermer,  ainsi  que  des  mâchoires. 


Au  pied  de  caps  à  pic  dressés  comme  des  tours, 
Le  Saguenay  profond  roule  ses  ondes  noires  ; 
Parages  désolés  pleins  de  mornes  histoires  ! 
Fleuve  mystérieux  pleins  de  sombres  détours  ! 

ï7 


—  198  — 

Rocs  foudroyés,  sommets  aux  pentes  infe'condes, 
Sinistres  profondeurs  qui  défiez  les  sondes, 
Vaste  mur  de  granit  qu'on  nomme  Eternité, 


Comme  on  se  sent  vraiment  chétif,  quand  on  compare 
A  vos  siècles  les  ans  dont  notre  orgueil  se  pare. 
Et  notre  petitesse  à  votre  immensité  ! 


^^^^^^^^^^^^^ 


LES   MARCHES  NATURELLES 


Encaissé  dans  un  lit  aux  arêtes  rugueuses, 
Entre  deux  pans  abrupts  rongés  par  le  courant, 
Tout  au  fond  d'un  ravin  sinueux,  le  torrent, 
Avec  un  bruit  confus,  roule  ses  eaux  fougueuses. 


Du  rivage  escarpé  jusqu'au  bois  odorant 
Dont  l'ombre  couvre  au  loin  ces  grèves  rocailleuses, 
Des  gradins  naturels  aux  formes  merveilleuses, 
Taillés  dans  le  granit,  s'élèvent  rang  par  rang. 


Mystérieux  degrés,  colossales  assises, 
Vastes  couches  de  roc  bizarrement  assises, 
Dites,  n'êtes-vous  pas  les  restes  effondrés 


D'une  étrange  Babel  aux  spirales  dantesques. 

Ou  bien  quelque  escalier  aux  marches  gigantesques 

Bâti  pour  une  race  aux  pas  démesurés  ? 


'^^^^ 


LE  PLATON 


04  M"  H.  G.  Joly. 


Sa  double  vérandah  couronne  un  monticule, 
Que  la  montagne  porte  à  son  flanc  adossé  ; 
On  l'aperçoit  du  large,  à  mi-côte  exhaussé, 
Au  pied  du  rocher  sombre  où  sa  masse  s'accule. 


C'est  un  château  qui  n'a  ni  herse  ni  fossé  ; 
Une  simple  charmille  autour  de  lui  circule  ; 
Mais  quand  le  tout  se  dore  aux  feux  du  crépuscule, 
C'est  un  tableau  superbe,  et  largement  brossé. 

17' 


202 


De  grands  arbres  touffus  pleins  de  lumière  et  d'ombre, 
Rejoignant  les  arceaux  de  leurs  rameaux  sans  nombre, 
Font  à  la  villa  blanche  un  dais  aérien. 


La  porte  ouverte  anime  encor  le  paysage  : 
Entrons  1  c'est  le  foyer  hospitalier  d'un  sage, 
D'un  aimable  convive,  et  d'un  grand  citoyen  ! 


AMITIÉS 


A  THEODORE  VIBERT 


voÈTE,  dont  la  muse  oubliant  la  distance 
Franchit  les  vastes  mers  pour  me  serrer  la  main, 
iJe  te  bénis,  ô  toi  qui  parles  d'espérance 
Quand  la  morne  douleur  assombrit  mon  chemin  ! 


Ami,  je  t'ai  compris  :  aux  longs  jours  de  souflFrance, 
Comme  aux  heures  de  joie,  il  faut  un  lendemain  ; 
Et  ce  mot  seul,  venu  des  rives  de  la  France, 
Me  fait  déjà  trouver  le  sort  moins  inhumain. 


206  — 


A  tout  enfantement  pre'side  le  malaise  ; 
Et,  sur  l'humanité  la  main  de  fer  qui  pèse, 
Me  fait  mieux  espérer  et  croire  en  l'avenir. 


Trop  faible  pour  lutter,  je  me  fais  sentinelle  ; 
Et  tous  les  jours  mon  œil,  du  haut  de  la  tourelle, 
Demande  à  l'horizon  s'il  ne  voit  rien  venir. 


^^^^^^^^^^^^^^^ 


A   PROSPER  BLANCHEMAIN 


Toi  dont  l'aile  plana  sur  notre  aurore,  ô  France  ! 
Toi  qui  de  l'idéal  connais  tous  les  chemins  ! 
Toi  dont  le  nom,  fanfare  aux  éclats  surhumains, 
De  tout  peuple  opprimé  sonne  la  délivrance  ! 


Terre  aux  grands  deuils  suivis  d'éclatants  lendemains  ! 

Noble  Gaule,  pays  de  l'antique  vaillance, 

Qui  sus  toujours  unir,  merveilleuse  alliance. 

Au  pur  esprit  des  Grecs,  l'orgueil  des  vieux  Romains  ! 


—   208 


Toi  qui  portes  au  front  Paris,  l'auguste  étoile 
Qui  de  l'humanité  dirige  au  loin  la  voile, 
Nous,  tes  fils  éloignés,  nous  t'aimons,  tu  le  sais  ! 


Nous  acclamons  ta  gloire  et  pleurons  tes  défaites... 

Mais  c'est  en  écoutant  le  chant  de  tes  poètes 

Que  nous  sentons  surtout  battre  nos  cœurs  français  ! 


A  M»*  ELISA  FRANK 


Quand  la  nuit  tombe, —  au  bord  secret  des  étangs  clairs, 
Où  le  flot  balancé  dans  son  urne  trop  pleine 
Inonde  vaguement  de  ses  pâles  éclairs 
Un  fouillis  d'ajoncs  d'or  qui  tremble  à  chaque  haleine, 


Avez- vous  entendu,  —  voix  d'ange  ou  de  sirène, 
Animant  tout  à  coup  l'ombre  des  bois  déserts, 
D'un  rossignol  ému  la  cantate  sereine 
S'élever  lentement  dans  le  calme  des  airs  ? 


i8 


—   2IO 


Tout  fait  silence  alors  —  souffles,  soupirs,  murmures, 
Lyres  des  soirs  que  Dieu  suspendit  aux  ramures, 
De  la  brise  et  des  nids  colloques  enchantés... 


Madame,  vous  avez  de  l'oiseau  solitaire 
L'accent  victorieux,  et  chacun  doit  se  taire 
Dans  le  ravissement  sitôt  que  vous  chantez  ! 


A  DE   BERLUC-PERUSSIS 


Poète,  hier  encore,  en  humant  quelques  verres 
De  votre  fin  muscat  de  Provence,  —  frileux, 
Je  me  pris  à  rêver  aux  climats  fabuleux 
De  votre  beau  Midi,  doux  pays  des  trouvères. 


Souffles  tièdes  berçant  de  frais  papillons  bleus, 
Ciel  d'azur,  rayons  d'or,  roses  et  primevères  l. 
Désespérant  contraste  avec  les  froids  sévères 
De  nos  zones  qu'attriste  un  soleil  nébuleux  I 


De  vie  et  de  parfums  brises  exubérantes  ! 

Aux  chansons  des  oiseaux  forêts  toujours  vibrantes  ! 

Langue  au  rythme  sonore  et  plein  de  nonchaloir  ! 


Ces  horizons  vermeils  !  cet  hiver  chimérique  1 
Dites,  n'est-ce  pas  là  quelque  monde  féerique 
Où  pour  être  poète  on  n'a  qu'à  le  vouloir  ? 


A  RAOUL  BONNERY 


A  l'heure  où  le  loup  rôde  en  cherchant  sa  pâture, 
Heure  sombre  où  l'enfant  tressaille  au  moindre  bruit! 
Quand,  au  fond  du  ciel  morne  où  nul  astre  ne  luit, 
L'ombre,  sinistre  oiseau,  plane  sur  la  nature, 


Souvent  le  voyageur,  égaré  dans  la  nuit, 
Laisse  flotter  la  rêne  au  col  de  sa  monture  ; 
Et  l'animal,  cessant  d'aller  à  l'aventure, 
D'un  pas  ferme,  tout  droit  au  gîte  le  conduit. 

i8. 


—  214  — 


Ta  muse,  c'est  la  sûre  et  fidèle  cavale, 
Poète  !  et  tu  pourrais  errer  par  intervalle, 
Tâtonnant  sur  la  voie  où  le  doute  est  vainqueur; 


Mais  à  son  noble  instinct  toujours  tu  t'abondonnes, 
Certe  !  et  voilà  pourquoi  même  quand  tu  fredonnes, 
Tu  sais  si  bien  trouver  tous  les  chemins  du  cœur! 


A  PAUL  VIBERT 


Ce  soir,  mon  ami,  les  pieds  aux  chenets, 
Dont  un  froid  de  loup  attisait  la  flamme, 
J'ai  pu  savourer  tes  charmants  sonnets, 
Et,  le  cœur  ému,  ma  muse  t'acclame! 


Je  ne  dirai  point  que  je  m'y  connais; 
On  prendrait  cela  pour  de  la  réclame  ; 
Mais  en  te  lisant  je  te  devinais, 
Et  ces  beaux  vers-là  m'ont  remué  l'âme. 


—   2l6   — 

D'aube  et  de  jeunesse  ils  sont  lumineux; 
Pourtant  du  passé,  l'on  respire  en  eux 
Je  ne  sais  quel  doux  et  suave  arôme  : 


Bercé  par  leur  rythme,  on  croit,  par  instants, 
—  Vaine  illusion  !  —  de  ses  dix-huit  ans, 
Voir  passer  au  loin  le  vague  fantôme  ! 


Jr, 


A   NÉRÉE   BEAUCHEMIN 


J'aime  à  gravir  les  monts  sauvages,  le  matin, 
A  l'heure  harmonieuse  et  pleine  de  mystère 
Où  le  brouillard  des  nuits,  rafraîchissant  la  terre, 
Perle  en  bruines  d'or  au  feuillage  du  thym. 


Et  si,  du  fond  du  val,  quelque  timbre  argentin 
Soudain  dans  l'air  sonore  éclate  solitaire, 
Toutes  les  autres  voix  pour  moi  semblent  se  taire, 
Et  j'écoute  ravi  la  chanson  du  lointain. 


Poète,  ouvre  joyeux  l'aile  de  ton  ge'nie, 
Chante  I  ton  chant  si  pur  rompt  la  monotonie 
Des  vulgaires  accents  du  grand  concert  banal  ; 


Et  moi  —  dont  le  soleil  à  l'horizon  décline, 
Je  veux  monter  souvent  sur  la  sainte  colline 
Pour  entendre  de  loin  ton  refrain  matinal  ! 


t^■9••1^^■*•i^■^•1^•1^■1i^^•*•■1^'ï^i^■«•1î^'S*■*•1!^■*-*•^ 


A  M"»*  JEHIN-PRUME 


Aux  frais  bourdonnements  des  abeilles  dorées, 
Aux  chants  du  rossignol  se  prolongeant  sur  l'eau, 
Aux  confuses  rumeurs  des  limpides  soirées, 
Aux  duos  amoureux  de  l'onde  et  du  roseau, 


A  l'orchestre  enivrant  des  brises  éplorées 
Qui  bercent  des  forêts  l'harmonieux  réseau, 
N'as-tu  pas  dérobé  ces  notes  inspirées 
Qui  vibrent,  Rosita,  dans  ton  gosier  d'oiseau  ? 


220  — 


Mais  non,  ô  douce  artiste  !  ô  belle  charmeresse  ! 
Des  sons  les  plus  divins  la  troupe  enchanteresse 
Devant  tes  fiers  accents  a  pâli  mille  fois  ; 


Car,  vois-tu,  quand  la  foule  à  ton  chant  suspendue, 
Frémit  d'enthousiasme  et  t'acclame,  éperdue, 
C'est  un  ange  du  ciel  qui  chante  par  ta  voix  ! 


If 


A  CALIXA   LAVALLÉE 


Oui,  berce-nous  toujours  dans  des  flots  d'harmonie, 
O  pianiste  !  la  foule  acclame  ;  et  pour  ma  part. 
Même  quand  ta  main  court  sur  l'ivoire  au  hasard, 
J'éprouve  les  frissons  d'une  ivresse  infinie  ! 


Mais  quand  ton  poing  bondit  sur  un  clavier  d'Erard, 
En  voyant  tant  de  force  à  tant  de  grâce  unie. 
Chacun  sent  que  la  Muse  alluma  ton  génie 
A  l'immortel  flambeau  des  grands  maîtres  de  l'Art. 

*9 


—   222 


Fanfares  du  clairon,  doux  cri  des  hirondelles, 
Grondement  du  tonnerre  ou  bruissement  d'ailes, 
La  nature  à  ton  jeu  prête  ses  mille  voix. 


Comme  Litz  et  Thalberg,  ces  nouveaux  Prométhées, 
Tu  sais  donner  une  âme  aux  touches  enchantées 
Du  royal  instrument  qui  chante  sous  tes  doigts  I 


fM^rt^r1Sf1«îf1Srt^rM^V^^^^ 


A  Miss  WINNIE  HOWELLS 


Bravant  dans  ses  rigueurs  notre  zone  neigeuse, 
Tourterelle  échappée  à  l'Orient  vermeil, 
Qui  donc  a  dirigé  ton  aile  voyageuse 
Vers  nos  pays  du  Nord  oubliés  du  soleil  ? 


Toi  dont  Venise,  au  chant  de  sa  lagune  heureuse, 
Berça  le  premier  rêve  et  le  premier  sommeil  ! 
Quel  caprice  a  conduit  ta  course  aventureuse 
Vers  ces  bords  où  l'été  n'a  qu'un  tardif  réveil  ? 


—    224  — 


Oh  1  je  le  sais,  enfant  !  A  la  plus  pure  flamme 
Ton  père,  doux  poète,  alluma  ta  belle  âme  ; 
Et,  fier  de  nous  montrer  un  cœur  comme  le  tien. 


Après  avoir,—  ô  barde  à  la  voix  sympathique  ! 

Chanté  notre  pays  sur  la  lyre  exotique, 

Il  t'envoya  vers  nous  pour  faire  aimer  le  sien  ! 


ESPAGNE 
A  S.  E.  le  C'«  de  Prémio-Réal,  Consul  d'Espagne  à  Québec. 

Charmant  pays  du  Cid  et  de  Don  Diego, 
Espagnes,  Aragon,  Castille,  Andalousie, 
Doux  climats  où  les  vents  sont  chargés  d'ambroisie, 
Sol  qu'adora  Musset,  et  que  chanta  Hugo  : 


Souvent,  l'aigrette  au  front  comme  un  noble  hidalgo, 
Dans  un  nimbe  vermeil,  j'ai  vu  ma  fantaisie 
Cueillir  dans  tes  jardins  la  fleur  de  poésie, 
Et  sous  tes  balcons  d'or  danser  le  fier  tango. 

'9 


—   226  — 

J'ai  mainte  fois  erré  dans  tes  vieux  palais  maures  ; 
Je  me  suis  endormi  sous  tes  verts  sycomores  ; 
J'ai  vu,  près  du  flot  clair  qui  baigne  tes  coteaux, 


La  tzigane  à  l'œil  noir  mirer  l'or  de  son  pagne... 
Et,  sous  ton  beau  ciel  bleu  j'ai  bâti  cent  châteaux 
Merveilleux;  mais  c'étaient  des  châteaux  en  Espagne  ! 


m?^  ?^?^?^m?^^?^m^ 


ENVOI 


Chez  nous,  un  sentiment  qui  ne  saurait  périr, 
C'est  l'amour  du  vieux  sol  qu'à  bénir  on  s'obstine, 
Du  vieux  sol  poétique  où  chanta  Lamartine, 
Sol  maternel  pour  qui  nous  voudrions  mourir  ! 


Bon  sang  ne  ment  jamais  ;  bon  sang  ne  peut  tarir  : 
La  France  !  nous  l'aimons  d'une  ardeur  enfantine  ; 
Mais,  après  elle,  ami,  vive  sa  sœur  latine  ! 
Nous  l'admirions  déjà  :  vous  l'avez  fait  chérir 


—   228    — 


O  VOUS,  le  noble  enfant  de  la  verte  Hispanie, 

Nature  chaleureuse,  artiste  de  ge'nie. 

Vers  vos  frères,  un  jour,  si  vous  portez  vos  pas, 


Dites-leur  qu'un  grand  vide  est  fait  à  votre  place  ; 
Que  nos  âmes  n'ont  rien  de  nos  plaines  de  glace, 
Et  que  chez  nous  les  cœurs  sont  chauds  comme  là-bas  ! 


l3^e88^e&5^ee§^eê§^eêâ^eS8^eê§^ 


A  ALFRED  GARNEAÙ 


Pourquoi  chanter,  ami,  lorsque  l'homme  n'écoute 
Que  le  son  du  métal,  et  qu'il  va,  délirant 
Comme  un  triste  insensé,  laisser  indifférent 
Ses  lambeaux  de  croyance  aux  épines  du  doute  ? 


Bien  longtemps  j'ai  voulu  résister  au  torrent, 
M'attacher  aux  rameaux  dont  s'ombrageait  ma  route  ; 
Mais  des  illusions  le  baume  goutte  à  goutte 
S'échappa  de  mon  cœur  pour  suivre  le  courant. 


—  23o  — 


A  bien  des  chocs  cruels  ma  lyre  s'est  brise'e  ; 

A  lutter  sans  espoir  ma  main  s'est  épuisée  ; 

J'ai  fui  le  sol  mouvant  qui  manquait  sous  mon  pié; 


Et  si,  barde  vaincu,  parfois  je  chante  encore, 
C'est  qu'il  reste  en  mon  âme  une  corde  sonore 
Qui  vibrera  toujours  au  nom  de  l'amitié  ! 


INTIMITÉS 


LUI 


q4  Gustave  Dro:{. 


'  L  a  bientôt  deux  ans.  Parfois,  quand  je  le  gronde, 
II  baisse  ses  grands  yeux  qu'une  larme  a  ternis; 
Et  puis,  avec  des  airs  de  douceur  infinis. 
Il  relève  vers  moi  sa  belle  tête  blonde. 


Et  tout  à  coup,  —  l'enfance  a  ces  retours  bénis, 

D'un  sourire  joyeux  sa  figure  s'inonde  ; 

Il  jase  en  éclatant  de  rire,  et  sa  faconde 

Semble  un  gazouillement  d'oiseaux  au  bord  des  nids. 

20 


—  234  — 

Alors  au  fond  de  moi  quelque  chose  remue  ; 

De  tendresses  sans  nom  ma  pauvre  âme  est  émue  ; 

Sous  mes  cils,  k  mon  tour,  je  sens  des  pleurs  venir. 


Soyez  aimé,  mon  Dieu,  vous  dont  l'omnipotence 

A  créé  la  famille,  et,  pour  nous  rajeunir, 

Nous  donne  les  enfants,  ces  fleurs  de  l'existence  ! 


■^^(^^mm^mm^m^/^m^ 


A  MON    FRERE  ACHILLE 


Frère,  tu  veux  causer;  tu  veux  que  je  rassemble 
Mes  souvenirs  ;  tu  veux,  me  tenant  par  la  main, 
Comme  un  vieillard  penché  sur  son  bâton  qui  tremble, 
Des  jours  qui  ne  sont  plus  remonter  le  chemin. 


Il  fut  bien  rude,  hélas  !  ce  long  passé  qui  semble 
Pourtant  si  court,  plus  tard,  au  pauvre  cœur  humain  ! 
Nous  n'avons  pas  fléchi,  car  nous  étions  ensemble  ; 
Nous  le  sommes  encor  :  le  serons-nous  demain  ? 


—  236  — 


C'est  l'avenir,  vois-tu,  qui  frappe  à  notre  porte  ; 
Laissons  le  passé  fuir  avec  ce  qu'il  emporte  ; 
Oublions  s'il  fut  triste  ou  s'il  fut  caressant  : 


Et,  pour  braver  le  sort  et  ses  coups  arbitraires, 
Rendons  grâces  au  ciel  qui  nous  fit  deux  fois  frères  ; 
L'une  par  la  pensée  et  l'autre  par  le  sang  ! 


99 


:%'■ 


If 


If. 


A  M""  CHAUVEAU 


A  quoi  donc  rêvent-ils,  vos  beaux  yeux  andalous, 
Quand,  voilant  à  demi  sa  lueur  incertaine, 
Votre  regard  s'en  va  se  perdre  loin  de  nous, 
Comme  s'il  contemplait  quelque  image  lointaine  ? 


Quand  vous  semblez  chasser  toute  pensée  humaine 
Et  que,  sur  le  clavier  au  son  plaintif  et  doux, 
Sans  but,  las  et  distrait,  votre  doigt  se  promène. 
Jeune  fille  rêveuse,  à  quoi  donc  songez-vous  i" 

20. 


—  238  — 

Oh  !  sans  doute  qu'alors  votre  âme  ouvre  ses  ailes, 
Et  s'en  va  retrouver,  dans  des  sphères  nouvelles, 
Ceux  que  le  ciel  emporte,  hélas  !  et  ne  rend  pas! 


Nous  vivons  dans  un  monde  où  presque  tout  s'oublie  ; 
Mais  il  reste  toujours  quelque  chaînon  qui  lie 
Les  an-ges  de  là-haut  aux  anges  d'ici-bas  ! 


A   M°>«  OSCAR  DUNN 


Cousine,  j'aime  à  voir  sourire  vos  dents  blanches  ; 
J'aime  entendre  éclater  votre  rire  mutin  : 
Jamais  son  plus  joyeux,  timbre  plus  argentin. 
N'ont  encor  résonné  sur  des  lèvres  plus  franches. 


On  dirait  un  oiseau  lançant,  de  branche  en  branches, 

Dans  l'éther  du  ciel  pur  son  hymne  du  matin... 

Ah  !  c'est  que  le  bonheur  que  vous  fit  le  destin 

Luit  dans  vos  grands  yeux  bleus,  bleus  comme  les  per- 

[venches.] 


—    240    — 

Le  bonheur  !  le  bonheur  !  ô  trésor  précieux 
Que  notre  sphère  envie  à  la  splendeur  des  cieux  I 
Rose  du  paradis  que  tout  homme  a  rêvée  ! 


Mot  de  l'immense  énigme  où  le  cœur  se  confond  I 
Mot  qui  pour  l'âme  humaine  est  un  gouffre  profond  ! 
Bonheur  !  perle  sans  prix  que  vous  avez  trouvée  ! 


^^^^mmmimi^mm^m^. 


IN  MEMORIAM 


Oui,  je  suis  revenu  sous  la  fenêtre  aimée, 
Dérobée  à  moitié  sous  les  grands  arbres  verts, 
Où,  pour  ouir  du  soir  les  murmures  divers, 
Vous  penchiez  si  souvent  votre  tête  charmée. 


Les  oiseaux  gazouillaient  dans  les  sentiers  couverts, 
Les  fleurs  ouvraient  au  vent  leur  corolle  embaumée  ; 
Et,  saluant  de  loin  la  fenêtre  fermée. 
Je  m'arrêtai  pensif  pour  crayonner  ces  vers. 


—  242  — 

La  brise  au  vol  serein  jouait  dans  les  ramilles  ; 
D'acres  senteurs  montaient  des  épaisses  charmilles  ; 
Le  Couchant  teignait  d'or  le  front  de  la  villa  ; 


Et,  cependant,  malgré  ces  splendeurs  réunies, 
Ces  rayons,  ces  parfums,  ces  fleurs,  ces  harmonies, 
Le  deuil  planait  partout,  car  vous  n'étiez  plus  là  ! 


4*^ 
^ 


A  MA  BELLE-SŒUR 
M**  J.  Léman 


Madame,  quand  le  ciel  vous  fit  dépositaire 
De  ces  deux  chers  enfants  qui  sont  votre  fierté, 
Avez-vous  réfléchi  que  Dieu,  —  charmant  mystère  ! 
Triplait  ainsi  chez  vous  la  grâce  et  la  beauté  ? 


Vous  le  savez  sans  doute,  il  n'est  rien  sur  la  terre. 
Non,  rien  de  comparable  à  cette  majesté 
Que,  dans  son  doux  éclat  et  sa  splendeur  austère. 
Sur  un  front  calme  et  pur  met  la  maternité  ! 


—  244  — 

Madame,  j'aime  à  voir  cette  auréole  sainte 
Resplendir  où  déjà  brillait  la  double  empreinte 
De  la  pensée  unie  à  tous  les  dons  du  cœur  ; 


Et  c'est  parce  qu'en  vous  j'admirais  tant  la  mère, 
Que  je  vous  ai  voué  la  tendresse  d'un  frère 
Avant  d'avoir  le  droit  de  vous  nommer  ma  soeur  ! 


A  Mnic  VICTOR   BEAUDRY 


Au  beau  pays  de  l'or  quel  attrait  vous  enchaîne, 
Vous,  la  plus  fraîche  fleur  de  nos  cercles  aimés, 
Vous  qu'on  ravit  un  soir  à  nos  regards  charmés, 
Mais  qu'on  devait  nous  rendre  à  la  saison  prochaine  ! 


Qui  sait  ?  Peut-être,  hélas  !  qu'en  ces  lieux  embaumés 
Où  le  jour  est  si  pur  et  la  nuit  si  sereine. 
Et  puis  où  vous  régnez  sans  doute  en  suzeraine. 
Vous  oubliez  un  peu  nos  cieux  moins  parfumés  î 

21 


—  246  — 

Oh  !  revenez  !  Là-bas,  sur  ces  rives  fleuries, 

Plus  doux  sont  les  parfums,  plus  vertes  les  prairies, 

Les  bosquets  plus  touffus,  les  échos  plus  charmants  ; 


Les  oiseaux  plus  dorés  ont  la  voix  plus  étrange... 

Mais  ici  l'on  soupire  à  votre  cher  nom  d'ange  : 

Nos  climats  sont  plus  froids,  mais  nos  cœurs  plus  aimants. 


*^'V^v^^  v^!'N^;»v^*^|r*^*^v^v^^v^\^v^v^ 


A  M"  ARMAND   PREVOST 


Ma  sœur,  comme  l'oiseau  qui  traverse  la  nue, 
Quand  le  soleil  d'avril  sur  ses  ailes  a  lui. 
Enfant  naïve  hier,  femme  heureuse  aujourd'hui. 
Au  doux  nid  paternel  vous  voilà  revenue. 


Celui  que  votre  cœur  s'est  donné  pour  appui 
Vous  avait  loin  de  nous  bien  longtemps  retenue  ; 
Il  vous  ramène  enfin  :  soyez  la  bienvenue  I 
Le  cercle  du  foyer  s'ouvre  pour  vous  et  lui. 


—  248  — 

Venez  ;  asseyons-nous  autour  du  feu  qui  tremble  ; 
Nos  âmes  et  nos  mains  se  mêleront  ensemble  : 
Quand  il  est  partagé  le  bonheur  est  plus  grand. 


Puis,  en  vous  souhaitant  des  jours  exempts  de  larmes, 
Nous  nous  demanderons  lequel  a  plus  de  charmes, 
L'ange  qu'on  nous  ravit  ou  l'ange  qu'on  nous  rend  1 


t^^ 

►«H^^ 


4|-^^^4l+^|^<^^^^<^-f+^4l^4fî> 


A  M'^o  CAUCHON 


Madame,  vous  aimez  l'artiste  de  génie, 
Ce  sculpteur  inspiré  dont  le  ciseau  savant 
Sut  si  bien  reproduire,  en  ce  marbre  vivant, 
De  vos  traits  fins  et  doux  la  suave  harmonie. 


Vous  l'avez  dit  :  plus  tard,  quelqu'un  viendra  souvent. 
Pour  consoler  un  peu  son  âme  endolorie. 
Relire,  ému,  devant  cette  image  chérie. 
De  votre  souvenir  le  poème  émouvant. 


—  25o  — 

Oui,  c'est  vrai  ;  mais  lors  même  où,  fruit  tombé  de  l'arbre, 
Votre  fils  n'aurait  pas  ce  beau  buste  de  marbre 
Pour  lui  parler  de  vous  et  de  ses  premiers  jours, 


II  saurait  retrouver  dans  les  cœurs,  chose  rare, 

Mieux  que  vos  traits  charmants  dans  ce  bloc  de  carrare. 

Votre  douce  me'moire  empreinte  pour  toujours  ! 


^++^ 


^?^?^?^?%m^?%^?%?^ 


POUR    L'ALBUM  DE  M»"   H.    MERCIER 


Avant  d'écrire  un  mot  sur  cette  page  blanche, 
Sur  ses  sœurs,  en  rêvant,  j'ai  promené  mon  œil  ; 
Et,  sur  ce  frais  vélin  où  tant  d'amour  s'épanche, 
L'avoûrai-je  ?  j'ai  craint  de  trouver  un  écueil. 


J'hésite  encore,  ainsi  qu'un  oiseau  sur  la  branche; 
Mais,  puisque  de  ce  temple  il  faut  franchir  le  seuil, 
Je  m'exécute,  et  risque  une  parole  franche. 
En  songeant  à  celui  dont  vous  êtes  l'orgueil. 


—   252    — 

Car  vous  aimez,  madame,  un  homme  au  cœur  d'élite  ; 
Votre  âme  suit  son  âme  en  fidèle  acolyte, 
Répandant  sur  sa  vie  un  vase  au  doux  parfum  ; 


Et,  lorsque  l'on  vous  voit  si  charmante  et  si  bonne. 
On  sent  qu'il  a  voulu  mêler,  dans  sa  couronne, 
La  fleur  de  poésie  aux  lauriers  du  tribun. 


MON  BOUQUET 
A    Auguste   Lacaussade 

Je  possède  un  bouquet  de  pauvres  fleurs  fanées, 
Que  je  garde,  jaloux,  comme  on  garde  un  trésor  ; 
Car  dans  ce  cher  débris  je  crois  trouver  encor 
Le  parfum  de  la  main  qui  me  les  a  données. 


Et  quand  mon  souvenir  remonte  en  son  essor 
De  mes  jours  de  bonheur  les  rives  fortunées, 
Sur  ces  roses,  que  seul  le  temps  a  profanées, 
Un  doux  rayon  d'amour  sème  des  reflets  d'or. 


-  254  - 

Pauvres  fleurs  !...  bien  souvent,  inutiles  rosées, 
Les  larmes  de  mes  yeux  vous  auront  arrosées, 
Sans  rien  vous  rendre,  hélas  1  de  votre  éclat  vermeil. 


N'importe,  je  vous  aime,  ô  reliques  bénies! 
Restez  là  sur  mon  coeur  ;  et  mes  lèvres  ternies 
Vous  presseront  encor  dans  mon  dernier  sommeil  ! 


A  MA  FEMME 


Hélas  !  ma  douce  amie,  elle  fut  bien  ardue 
La  route  que  sans  toi  j'avais  à  parcourir; 
Et  de  tout  ce  qu'on  peut  endurer  sans  mourir 
Mon  cœur  a  bien  des  fois  mesuré  l'étendue. 


Souvent  j'ai  failli  croire,  à  force  de  souffrir, 
A  la  fatalité  sur  mon  front  suspendue  ; 
Et  si  mon  âme,  enfant,  dans  l'orage  éperdue, 
N'a  pas  senti  parfois  son  courage  tarir. 


256  — 


C'est  que,  lorsque  le  vent  du  Nord  battait  ma  voile, 
L'Espérance  était  là,  resplendissante  étoile, 
Dont  le  rayon  béni  venait  sécher  mes  pleurs. 


Cette  étoile,  aujourd'hui,  c'est  ton  sourire  d'ange, 
O  femme  !  et,  pour  payer  ce  bonheur  sans  mélange. 
C'est  encore  trop  peu  que  vingt  ans  de  douleurs  l 


ÉPILOGUE 


22 


A  MES  SONNETS 


\auvres  petits  oiseaux  que  le  caprice  enlève 
Aux  paisibles  abris  de  vos  taillis  secrets, 
Vousalle^  demander  aux  regards  indiscrets 
Un  peu  de  cet  éclat  que  toute  enfance  rêve. 


Pauvres  petits  oiseaux,  sur  vos  humbles  attraits 
Vous  voule'{,  dites-vous,  que  l'aurore  se  lève... 
Mais  dans  les  pleurs  souvent  un  beau  songe  s* achève., 
Et  la  gloire  a  coûté  bien  des  cuisants  regrets  ! 


—    200   — 

N'importe  !  ouvre^  au  vent  vos  ailes  frémissantes  ! 
Brave:^,  petits  oiseaux^  nos  saisons  menaçantes  : 
La  tempête  a  toujours  son  lendemain  vermeil  ; 


La  pelouse  a  des  tons  plus  verts  après  l'averse  ; 
Et  l'azur  vif  oîi  nul  nuage  ne  se  berce 
Ne  sait  pas  refléter  les  raj-ons  du  soleil  I 


TABLE 


La  découverte  du  Mississipi 5 

A  M.  l'abbé  Tanguay i5 

A  M.  Pamphile  Lemay 21 

Papineau 25 

A  Henry  W.  Longfellow 33 

A  mon  Filleul 37 

La  dernière  Iroquoise 41 

La  Forêt  canadienne 55 

Reminiscor 63 

Sur  le  Mississipi 73 

Renouveau 77 

Le  premier  Janvier °3 

Le  Printemps °7 

Sur  sa  Tombe 9^ 

Sur  la  Tombe  de  Cadieux 99 

Nuit  d'Été ïo3 

Le  Québec '°7 

A  un  Peintre "^ 

22. 


—    202   — 

Seul 117 

Vieille  histoire , iig 

Elégie 123 

Mille  Fleurs  et  sous  les  Ormes 127 

Les  Pins 129 

Un  soir  à  bord 1 33 

LES  OISEAUX  DE  NEIGE 

Les  Oiseaux  de  neige iSg 

Les  Oiseaux  blancs 141 

La  Louisianaise 146 

Impromptu 147 

L'ANNÉE  CANADIENNE 

Janvier i5i 

Février i53 

Mars i55 

Avril 157 

Mai ibg 

Juin 161 

Juillet i63 

Août i65 

Septembre 167 

Octobre 169 

Novembre 171 

Décembre 173 

PAYSAGES 

Spencer  Wood 177 

Le  Lac  de  Belœil 179 

Le  Cap  Éternité 181 


—  263  — 

Le  Niagara jg3 

Longefont jg5 

Le  Lac  de  Beauport igy 

Le  Rapide igq 

Le  Cap  Tourmente loi 

Le  Montmorency iq3 

Les  Mille-Iles loS 

Le  Saguenay loy 

Les  Marches  naturelles igg 

Le  Platon 201 

AMITIÉS 

A  Théodore  Vibert 2o5 

A  Prosper  Blanchemain 207 

A  Madame  Elisa  Frank 209 

A  de  Berluc-Pérussis 211 

A  Raoul  Bonnery 2i3 

A  Paul  Vibert 2i5 

A  Nérée  Beauchemin 217 

A  Madame  Jehin-Prume 219 

A  Calixa  Lavallée 221 

A  Miss  Winnie  Howells 223 

Espagne 225 

Envoi 227 

A  Alfred  Garneau 229 

INTIMITÉS 

Lui =^33 

A  mon  Frère  Achille ^35 

A  Mademoiselle  Chauveau ^37 

A  Madame  Oscar  Dunn *^9 

In  Memoriam ^^^ 


—  264  — 

A  ma  Belle-Sœur 243 

A  Madame  Victor  Beaudry 245 

A  Madame  Armand  Prévost 247 

A  Madame  Cauchon 249 

Pour  l'Album  de  Madame  H.  Mercier 25 1 

Mon  Bouquet 253 

A  ma  Femme 255 

ÉPILOGUE 

A  mes  Sonnets 259 


ACHEVÉ  d'imprimer 
le  2S  Février  1881. 


DARANTIERE,    IMPRIMEUR 


A     DIJON 


ERRATA 

"    Page    57,  ir  ligne,  lise^  :  que  transpercent,  et  non:  qui 

transpercent. 
V  Page  78,  5«  ligne,  lise:(  :  nid,  et  non  :  lit. 
V-  Page  io5,    28  ligne,  lisej  :  sur,  «f  non  :  sous. 


o 


BINDING  SECT.  JAN  3 1  1968 


PS  Fréchette,   Louis  Honoré 

9^61  Les  fleurs  boréales 

Ri;3F5 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY