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Full text of "Les gazettes de Hollande et la presse clandestine aux XVIIe et XVIIIe siècles"

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1 



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loo exemplaires numérotés sur grand papier de Hollande à 8 fr. 

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1 — peau de vélin * 

20 — papier de Chine 15 

20 — papier chamois 10 

Chacun des exemplaires de ces trou derniers tirages contient deux épreuves 
d'état différent de l'eau-forte. 



l'Iti.l-A't *>M. rfJtl-hJftiflf 



GAZETTES 



HOLLANDE 

ET LA 

PRESSE CLANDESTINE 

AUX XVII' ET XVIII' SIÈCLES 

KUGÈNE HATIN 
EaU'foTtt de (Jim 



PARIS 

CHEZ HENË PINCEBOUHDE. EDITEUR 

A LA LIBRAIRIE RICHELIEU 



AVANT-PROPOS 



Il n'est personne qui n'ait entendu parler des gazettes de 
Hollande, ou plutôt de la Gazette de Hollande, comme on 
disait presque toujours absolument. Ce nom éveille dans l'es- 
prit l'idée vague d'une feuille assez indiscrète de sa nature , 
le « véhicule des médisances de l'Europe » , comme l'avait 
baptisée Bayle, presque à sa naissance ; d'une sorte de pam- 
phlet périodique qui aurait causé aux ministres de Louis XIV, 
et au grand roi lui-même , de cruelles insomnies. 

Mais qu'est-ce , en somme , que cette Gazette de Hollande? 
Voilà ce que savent peu de personnes. 

Depuis qu'au défaut d'un plus capable, j'ai osé entre- 
prendre d'écrire les annales de la presse périodique française, 
demeurée deux cents ans sans historien , malgré les plus pres- 
santes invitations , on m'a plus d'une fois fait l'honneur de me 
consulter sur ce sujet, on est venu plus d'une fois me deman- 
der des renseignements sur ces gazettes auxquelles font si sou- 
vent allusion les écrivains des XVII e et XVIII e siècles, dont le 
nom revient si fréquemment dans les documents diplomatiques 
de cette époque , et que Louis XIV lui-même , au témoignage 



de Saint-Simon, u avait soin de se faire lire toutes ». A-mon 
grand regret , je ne pouvais répondre que d'une façon très-in- 
suffisante à ces questions. Je n'avais point fait entrer dans mon 
plan primitif les écrits périodiques publiés en français à l'étran- 
ger : la matière était déjà assez vaste, la tâche assez difficile, 
à m'en tenir aux journaux publiés en France. J'avais néan- 
moins consigné — tels quels — dans le troisième volume de 
mon Histoire de la presse les quelques renseignements sur ce 
sujet que, dans mes recherches, j'avais rencontrés sur mon 
chemin. Ce devait être, dans ma pensée, comme autant de 
jalons pour les travailleurs; je n'y avais pas attaché d'autre 
importance. Il en résultait déjà , cependant, un premier éclair- 
cissement, à savoir qu'il n'y a jamais eu de gazette ponant le 
titre de Gazette de Hollande, que l'usage s'était introduit de 
désigner sous ce nom toutes les feuilles venant de la république 
des Provinces-Unies, et aussi, puis-je ajouter aujourd'hui, de 
mettre en masse sur le compte des gazettes toutes les iniquités 
imputables à une foule d'écrits de toute nature , plus ou moins 
périodiques, que la Hollande déversait sur la France. 

Pressé depuis par de nouvelles sollicitations , et sachant moi- 
même combien les gazettes étrangères , et surtout celles de 
Hollande, intéressent notre histoire, je résolus de leur donner 
place dans la Bibliographie générale de la presse périodique 
française à laquelle je travaille depuis longues années , et qui 
ne tardera pas à voir le jour, s'il plaît à Dieu , et à mes édi- 
teurs très-honorables , mais vraiment par trop rigoureux ob- 
iervateurs du Festim lente. 

Mais il me paraissait difficile d'éclairer suffisamment une 



question aussi obscure sans aller l'étudier sur les lieux. A 
cela, malheureusement, il y avait, pour moi du moins , des 
obstacles de plus d'une nature. Ils ont été levés avec la plus 
rare bienveillance par un ministre libéral dont j'ai à peine be- 
soin de dire le nom. Grâce à l'assistance qu'a daigné me prê- 
ter M. Duruy, j'ai eu la possibilité de fouiller les dépôts pu- 
blics et particuliers de la Hollande et de la Belgique , d'aller 
interroger les souvenirs des hommes les plus érudits de ces 
contrées, l'un des berceaux du journalisme. 

Je dirai tout de suite que je n'ai pas trouvé ce que j'espé- 
rais ; je dois même avouer que mon désappointement n'a pas 
été médiocre. Un fait suffira pour en donner une idée. Il y a 
à Amsterdam un bibliopole dont la réputation est presque 
européenne. Dès mes premiers pas en Belgique, on m'avait 
conseillé d'aller droit à cet oracle , qui mieux que personne me 
dirait si et où je trouverais ce que je cherchais. Je vis, en effet, 
un homme profondément versé dans la science des livres, et, 
par-dessus le marché, très-aimable , très-disposé à m'obliger; 
mais quand je lui parlai d'une gazette française d'Amsterdam , 
il faillit tomber de son haut : de sa vie — et elle est longue 
— il n'avait vu un numéro de ces feuilles qui pendant un 
siècle et demi ont alimenté la curiosité de l'Europe. 

Par là on peut juger du reste. A Leyde seulement j'ai pu 
voir chez l'honorable héritière des derniers propriétaires- rédac- 
teurs une collection, et encore incomplète, de la gazette qui 
a, si l'on pouvait ainsi dire, repopularisé en Europe, à la fin 
du XVIII e siècle, le nom de cette antique cité. Mais à La Haye, 
à Rotterdam, à Utrecht, comme à Amsterdam, c'est à peint 



— 4 — 
si j'ai trouvé quelques faibles traces des gazettes, pourtant si 
persistantes, qui ont porté le nom de ces villes. Depuis mon 
passage à La Haye, M. Bakhuizen van den Brink, le savant 
directeur des archives de l'État, et son digne adjoint, M. Van 
den Bergh, se sont donné beaucoup de peine pour me venir 
en aide ; ils ont fouillé dans tous les sens le riche dépôt confié 
à leur garde , et leurs recherches ont abouti à la découverte 
d'un registre contenant copie de quatre octrois ou privilèges 
accordés ou renouvelés pour la publication de journaux français 
à Amsterdam , Rotterdam , Leyde et La Haye ; d'un numéro et 
de deux suppléments de la Gazette d'Amsterdam ; enfin de 
quelques pièces où se lisent les titres de trois ou quatre jour- 
naux, et encore par à peu près. 

Cette disparition des journaux français , ce profond oubli 
dans lequel ils sont tombés, tiennent, m'a-t-on répété pres- 
que partout , à ce que ces feuilles n'avaient pour la Hollande 
qu'un mince intérêt, faites qu'elles étaient en vue de la France, 
où elles s'en allaient directement. 

Mauvaise excuse , même quand on l'étayerait de l'opi- 
nion de Bayle , qu'on ne m'a point opposée, il est vrai, 
mais que pourtant je ne veux pas dissimuler. « A l'égard des 
gazettes rationnées, écrivait -il de Rotterdam à Lenfant, le 
18 janvier 1685 , il y a trois personnes qui passent pour en 
faire , et qui ni les unes ni les autres ne distribuent ici qu'à 
très-peu de gens leur écrit. Ils ne le destinent presque qu'aux 
pays étrangers; et ainsi cela ne fait guère de bruit en Hol- 
lande, si ce n'est quand l'ambassadeur de France s'en plaint 
quelquefois. » 



Cela signifie simplement que les éditeurs des premières ga- 
zettes françaises publiées en Hollande comptaient plus sur l'é- 
tranger , pour le succès de leurs publications , que sur les Hol- 
landais eux-mêmes, plus occupés généralement de leur négoce 
que de politique. C'est même pour cela , parce qu'elle leur pro- 
mettait plus de lecteurs , qu'ils avaient adopté la langue fran- 
çaise, qui était alors la langue la plus répandue, et en quel- 
que sorte la langue de la politique , de préférence à l'idiome du 
pays, idiome légèrement barbare et peu entendu au .delà des 
frontières des Provinces-Unies. Le même fait d'ailleurs s ; est 
reproduit dans presque tous les Ëtats de l'Europe , et ces 
nombreuses gazettes françaises publiées hors de France à cette 
époque ne sauraient pas plus être regardées comme des jour- 
naux français ,- être rangées parmi les journaux français propre- 
ment dits, que celles qui aujourd'hui encore s'impriment en 
notre langue dans les cinq parties du monde, que le Courrier 
des États-Unis , par exemple , ou le Journal de Constantinople , 
ou ; sans aller chercher si loin , que l'Indépendance belge, qui 
a en France une si grande vogue, et si méritée. Que ces ga- 
zettes françaises étrangères, celles de Hollande surtout, aient 
eu en France leur principal écoulement, cela se comprend 
de soi; mais la France, en somme, n'y occupait pas plus de 
placé que les autres nations, auxquelles elles s'adressaient 
également, qu'elles intéressaient également, comme on le 
verra par les réclamations qu'elles soulevèrent à diverses re- 
prises dans, les États du nord aussi bien que chez nous. C'é- 
taient , si l'on veut, en raison de la langue qu'elles parlaient , 
des gazettes internationales, comme le journal belge que je 



— 4 — 
si j'ai trouvé quelques faibles traces des gazettes, pourtant si 
persistantes , qui ont porté le nom de ces villes. Depuis mon 
passage à La Haye, M. Bakhuizen van den Brink, le savant 
directeur des archives de l'Etat, et son digne adjoint, M. Van 
den Bergh , se sont donné beaucoup de peine pour me venir 
en aide ; ils ont fouillé dans tous les sens le riche dépôt confié 
à leur garde , et leurs recherches ont abouti à la découverte 
d'un registre contenant copie de quatre octrois ou privilèges 
accordés ou renouvelés pour la publication de journaux français 
à Amsterdam , Rotterdam , Leyde et La Haye ; d'un numéro et 
de deux suppléments de la Gazette d'Amsterdam ; enfin de 
quelques pièces où se lisent les titres de trois ou quatre jour- 
naux, et encore par à peu près. 

Cette disparition des journaux français, ce profond oubli 
dans lequel ils sont tombés, tiennent, m'a-t-on répété pres- 
que partout , à ce que ces feuilles n'avaient pour la Hollande 
qu'un mince intérêt, faites qu'elles étaient en vue de la France, 
où elles s'en allaient directement. 

Mauvaise excuse , même quand on l'étayerait de l'opi- 
nion de Bayle , qu'on ne m'a point opposée , il est vrai , 
mais que pourtant je ne veux pas dissimuler. « A l'égard des 
gazettes raxsonnies y écrivait -il de Rotterdam à Lenfant, le 
18 janvier 1685 , il y a trois personnes qui passent pour en 
faire , et qui ni les unes ni les autres ne distribuent ici qu'à 
très-peu de gens leur écrit. Ils ne le destinent presque qu'aux 
pays étrangers; et ainsi cela ne fait guère de bruit en Hol- 
lande, si ce n'est quand l'ambassadeur de France s'en plaint 
quelquefois. » 



Cela signifie simplement que les éditeurs des premières ga- 
zettes françaises publiées en Hollande comptaient plus sur l'é- 
tranger, pour le succès de leurs publications , que sur les Hol- 
landais eux-mêmes , plus occupés généralement de leur négoce 
que de politique. C'est même pour cela , parce qu'elle leur pro- 
mettait plus de lecteurs , qu'ils avaient adopté la langue fran- 
çaise, qui était alors la langue la plus répandue, et en quel- 
que sorte la langue de la politique , de préférence à l'Idiome du 
pays, idiome légèrement barbare et peu entendu au .delà des 
frontières des Provinces-Unies. Le même fait d'ailleurs s ; est 
reproduit dans presque tous les États de l'Europe , et ces 
nombreuses gazettes françaises publiées hors de France à cette 
époque ne sauraient pas plus être regardées comme des jour- 
naux français , être rangées parmi les journaux français propre- 
ment dits, que celles qui aujourd'hui encore s'impriment en 
notre langue dans les cinq parties du monde, que le Courrier 
des États-Unis, par exemple, ou le Journal de Constantinople , 
ou ; sans aller chercher si loin , que Y Indépendance belge, qui 
a en France une si grande vogue, et si méritée. Que ces ga- 
zettes françaises étrangères, celles de Hollande surtout, aient 
eu en France leur principal écoulement, cela se comprend 
de soi; mais la France , en somme , n'y occupait pas plus de 
placé que les autres nations, auxquelles elles s'adressaient 
également, qu'elles intéressaient également, comme on le 
verra par les réclamations qu'elles soulevèrent à diverses re- 
prises dans, les États du nord aussi bien que chez nous. C'é- 
taient, si Ton veut, en raison de la langue qu'elles parlaient , 
des gazettes internationales, comme le journal belge que je 



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si j'ai trouvé quelques faibles traces des gazettes, pourtant si 
persistantes , qui ont porté le nom de ces villes. Depuis mon 
passage à La Haye, M. Bakhuizen van den Brink, le savant 
directeur des archives de l'État , et son digne adjoint, M. Van 
den Bergh, se sont donné beaucoup de peine pour me venir 
en aide ; ils ont fouillé dans tous les sens le riche dépôt confié 
à leur garde , et leurs recherches ont abouti à la découverte 
d'un registre contenant copie de quatre octrois ou privilèges 
accordés ou renouvelés pour la publication de journaux français 
à Amsterdam , Rotterdam , Leyde et La Haye ; d'un numéro et 
de deux suppléments de la Gazette d'Amsterdam ; enfin de 
quelques pièces où se lisent les titres de trois ou quatre jour- 
naux, et encore par à peu près. 

Cette disparition des journaux français, ce profond oubli 
dans lequel ils sont tombés, tiennent, m'a-t-on répété pres- 
que partout , à ce que ces feuilles n'avaient pour la Hollande 
qu'un mince intérêt, faites qu'elles étaient en vue de la France, 
où elles s'en allaient directement. 

Mauvaise excuse , même quand on l'étayerait de l'opi- 
nion de Bayle , qu'on ne m'a point opposée , il est vrai , 
mais que pourtant je ne veux pas dissimuler. « A l'égard des 
gazettes rationnées, écrivait -il de Rotterdam à Lenfant, le 
18 janvier 1685 , il y a trois personnes qui passent pour en 
faire , et qui ni les unes ni les autres ne distribuent ici qu'à 
très-peu de gens leur écrit. Ils ne le destinent presque qu'aux 
pays étrangers ; et ainsi cela ne fait guère de bruit en Hol- 
lande, si ce n'est quand l'ambassadeur de France s'en plaint 
quelquefois. » 



Cela signifie amplement que les éditeurs des premières ga- 
zettes françaises publiées en Hollande comptaient plus sur l'é- 
tranger, pour le succès de leurs publications , que sur les Hol- 
landais eux-mêmes, plus occupés généralement de leur négoce 
que de politique. C'est même pour cela , parce qu'elle leur pro- 
mettait plus de lecteurs , qu'ils avaient adopté la langue fran- 
çaise, qui était alors la langue la plus répandue, et en quel- 
que sorte la langue de la politique , de préférence à l'idiome du 
pays , idiome légèrement barbare et peu entendu au .delà des 
frontières des Provinces-Unies. Le même fait d'ailleurs s'est 
reproduit dans presque tous les Etats de l'Europe , et ces 
nombreuses gazettes françaises publiées hors de France à cette 
époque ne sauraient pas plus être regardées comme des jour- 
naux français , être rangées parmi les journaux français propre- 
ment dits, que celles qui aujourd'hui encore s'impriment en 
notre langue dans les cinq parties du monde, que le Courrier 
des États-Unis, par exemple, ou le Journal de Constantinople , 
ou ; sans aller chercher si loin , que Y Indépendance belge, qui 
a en France une si grande vogue, et si méritée. Que ces ga- 
zettes françaises étrangères , celles de Hollande surtout , aient 
eu en France leur principal écoulement, cela se comprend 
de soi; mais la France, en somme, n'y occupait pas plus de 
placé que les autres nations, auxquelles elles s'adressaient 
également, qu'elles intéressaient également, comme on le 
verra par les réclamations qu'elles soulevèrent à diverses re- 
prises dans, les États du nord aussi bien que chez nous. C'é- 
taient, si Ton veut, en raison de la langue qu'elles parlaient , 
des gazettes internationales, comme le journal belge que je 



— 4 — 
si j'ai trouvé quelques faibles traces des gazettes, pourtant si 
persistantes , qui ont porté le nom de ces villes. Depuis mon 
passage à La Haye, M. Bakhuizen van den Brink, le savant 
directeur des archives de l'État , et son digne adjoint, M. Van 
den Bergh, se sont donné beaucoup de peine pour me venir 
en aide ; ils ont fouillé dans tous les sens le riche dépôt confié 
à leur garde , et leurs recherches ont abouti à la découverte 
d'un registre contenant copie de quatre octrois ou privilèges 
accordés ou renouvelés pour la publication de journaux français 
à Amsterdam , Rotterdam , Leyde et La Haye ; d'un numéro et 
de deux suppléments de la Gazette d'Amsterdam ; enfin de 
quelques pièces où se lisent les titres de trois ou quatre jour- 
naux, et encore par à peu près. 

Cette disparition des journaux français, ce profond oubli 
dans lequel ils sont tombés, tiennent, m'a-t-on répété pres- 
que partout , à ce que ces feuilles n'avaient pour la Hollande 
qu'un mince intérêt, faites qu'elles étaient en vue de la France, 
où elles s'en allaient directement. 

Mauvaise excuse , même quand on l'étayerait de l'opi- 
nion de Bayle , qu'on ne m'a point opposée, il est vrai, 
mais que pourtant je ne veux pas dissimuler. « A l'égard des 
gazettes rationnées, écrivait -il de Rotterdam à Lenfant, le 
18 janvier 1685 , il y a trois personnes qui passent pour en 
faire , et qui ni les unes ni les autres ne distribuent ici qu'à 
très-peu de gens leur écrit. Ils ne le destinent presque qu'aux 
pays étrangers ; et ainsi cela ne fait guère de bruit en Hol- 
lande, si ce n'est quand l'ambassadeur de France s'en plaint 
quelquefois. » 



Cela signifie simplement que les éditeurs des premières ga- 
zettes françaises publiées en Hollande comptaient plus sur l'é- 
tranger, pour le succès de leurs publications , que sur les Hol- 
landais eux-mêmes , plus occupés généralement de leur négoce 
que de politique. C'est même pour cela, parce qu'elle leur pro- 
mettait plus de lecteurs, qu'ils avaient adopté la langue fran- 
çaise, qui était alors la langue la plus répandue, et en quel- 
que sorte la langue de la politique , de préférence à l'idiome du 
pays , idiome légèrement barbare et peu entendu au .delà des 
frontières des Provinces-Unies. Le même fait d'ailleurs s'est 
reproduit dans presque tous les États de l'Europe, et ces 
nombreuses gazettes françaises publiées hors de France à cette 
époque ne sauraient pas plus être regardées comme des jour- 
naux français , être rangées parmi les journaux français propre- 
ment dits, que celles qui aujourd'hui encore s'impriment en 
notre langue dans les cinq parties du monde, que le Courrier 
des États-Unis , par exemple , ou le Journal de Constantinople , 
ou ; sans aller chercher si loin , que V Indépendance belge, qui 
a en France une si grande vogue, et si méritée. Que ces ga- 
zettes françaises étrangères, celles de Hollande surtout, aient 
eu en France leur principal écoulement., cela se comprend 
de soi; mais la France, en somme, n'y occupait pas plus de 
placé que les autres nations , auxquelles elles s'adressaient 
également, qu'elles intéressaient également, comme on le 
verra par les réclamations qu'elles soulevèrent à diverses re- 
prises dans, les États du nord aussi bien que chez nous. C'é- 
taient, si Ton veut, en raison de la langue qu'elles parlaient, 
des gazettes internationales, comme le journal belge que je 



viens de citer. A ce titre déjà elles intéresseraient la Hollande 
à Tégal des antres Etats ; mais elles l'intéressent plus étroite- 
ment comme produit de ses presses, de son industrie, ettn* 
core par les particularités locales qu'elles contiennent , particu- 
larités peu nombreuses , il est vrai , parce qu'alors les journaux, 
eri Hollande comme ailleurs, ne pouvaient toucher qu'avec la 
plus grande discrétion aux affaires intérieures, mais qui enfin, 
et telles quelles , leur donnent un caractère essentiellement 
hollandais. 

m 

J'insiste, parce que j'ai rencontré, à Paris même, des gens, 
et des gens d'esprit, qui en étaient encore à croire que les ga- 
zettes de Hollande étaient fabriquées en France. 

Après tout, on ne s'est pas montré, en Hollande, beaucoup 
plus soucieux de la conservation des journaux écrits dans la 
langue du pays que de ceux qui l'étaient dans la nôtre , et je 
ne sache pas qu'il en existe nulle part de collection. C'est que, 
par une aberration commune du reste à toute l'Europe , on n'y 
a longtemps tenu les gazettes et les gazetiers qu'en une très- 
médiocre estime, et qu'on parait à peine y avoir soupçonné 
jusqu'ici l'importance, au point de vue de l'histoire» de ces 
feuilles en apparence si légères. 

Ce m'a été une raison pour redoubler d'efforts > puisque le 
résultat de mes recherches n'intéressait plus seulement les tra- 
vailleurs français, mais encore ceux de Hollande. C'est aussi ce 
qui m'a déterminé à donner à cette monographie plus de déve- 
loppement que je ne l'avais projeté d'abord, et à en faire l'objet 
d'une publication à part. Mon intention ne saurait être évidem- 
ment d'écrire l'histoire en règle des gazettes. hollandaises; j'ai 



— 7 - 
voulu seulement dresser la bibliographie de celles qui ont été 
écrites dans notre langue, mais bibliographie raisonnée et ac- 
compagnée de tous les renseignements en mon pouvoir, et pré- 
parer ainsi la voie au futur historien de la presse périodique en 
Hollande, lequel, on peut l'espérer, ne tardera pas à surgir. 

Partout, en effet, j'ai trouvé l'attention éveillée sur ce sujet; 
on commençait à s'apercevoir du vide que laissait dans les 
études historiques l'absence des andens journaux, et combien 
était regrettable le manque de toute espèce de documents sur 
ce chapitre si intéressant de l'histoire d'un peuple. Déjà même 
une dès sociétés littéraires les plus actives du royaume, la So- 
ciété provinciale des arts et sciences d'Utrecht, avait mis au 
concours une histoire littéraire et critique des journaux et 
autres écrits périodiques politiques publiés en Hollande jus- 
qu'en 1830. 

Aussi ai-je été accueilli je dirais presque comme un homme 
qu'on attendait. On me devinait au premier mot ; on compre- 
nait le mobile qui m'avait conduit là, on y applaudissait ; on 
mettait à ma disposition, avec un empressement et une bonne 
grâce qui m'ont fort touché, tout son savoir et tout son bon 
vouloir. Moi parti, on ne s'est pas tenu quitte : on a fouillé plus 
profondément encore, et tout ce que l'on a pu découvrir, on 
me l'a envoyé. C'est ainsi qu'en ont agi, nommément, le vé- 
nérable M. Delprat, membre de l'Académie royale et l'un des 
plus savants historiens des Pays-Bas; M. Vreede, professeur à 
l'université d'Utrecht, connu par de nombreux travaux sur 
Fhistoire de la diplomatie hollandaise; M. Campbell, biblio- 
thécaire à La Haye, qui n'a cessé de chercher pour moi par- 



— 8 — 

tout où il espérait trouver quelque chose, qui a eu notam- 
ment le courage rare et bien méritoire de dépouiller à mon in* 
tendon la collection des résolutions des Etats de Hollande , 
400 volumes in-folio ! — et vingt autres que je regrette de ne 
pouvoir nommer ici. 

Mon butin fait, butin, il faut le dire, assez léger, malgré 
toute ma bonne volonté et celle de mes honorables collabora- 
teurs, je me suis remis à compulser les écrivains contemporains 
— les modernes disent à peine quelques motxle ces gazettes 
étrangères, et encore n'en parlent-ils que de la façon la phis 
étrangement inexacte (1) — ; à feuilleter, avec tout le courage 
dont je suis capable, les in-4 poudreux rangés dans nos biblio- 
thèques, plus riches heureusement sous ce rapport que celles 
des Pays-Bas, sous cç titre fallacieux de Gazette de Hollande, 

(1) En veut-on un exemple? Parmi toutes les gazettes de Hollande, il 
en est une plus célèbre, et qui devrait, ce semble, être mieux connue : c'est 
la Gazette de Leyde. On rappela ainsi du nom de la ville où elle se publiait , 
mais son véritable titre était : Nouvelles extraordinaires de divers endroits; elle 
n'en porta jamais d'autre. Elle remonte à 1680, et eut pour fondateur un 
certain de La Font. Or, voici ce que je lis dans Y Histoire des réfugiés protes- 
tants de France de M. Ch. Weiss, ouvrage récent, dont l'auteur est ailé cher- 
cher les matériaux sur les lieux : « La feuille périodique intitulée Nouvelles 
extraordinaires... fut créée par Etienne Luzac , né à Leyde en 1706. Elle se 
transforma depuis, et devint la célèbre Gazette de Leyde, qui fut supprimée par 
Napoléon, — en 1798 !!. E. Luzac se chargea en outre de la gazette qui parais- 
sait sous le nom d'Antoine de La Font, et dont il devint propriétaire en 1738. » 
On voit combien l'honorable écrivain a été mal renseigné ; mais ce qui paraî- 
tra plus étrange encore , c'est que la même inexactitude se retrouve dans une 
autre histoire des réfugiés français aux Pays-Bas, écrite par un Hollandais 
celle-là, M. Kœnen, imprimée à Leyde même, en 1846, et couronnée. Après 
avoir dit qu'il n'est pas certain que les réfugiés aient rédigé les journaux fran- 



— 9 — 
et, à force de patience, j'oserais presque dire de divination/ je 
suis parvenu à dresser le tableau , que j'offre aujourd'hui aux 
travailleurs, de la presse périodique française aux Pays-Bas 
dans les deux derniers siècles, les priant d'excuser son insuffi- 
sance. On me permettra de le faire précéder de quelques con- 
sidérations générales qui l'expliqueront et le compléteront. 

Ce que j'ai entendu faire, c'est, avant tout, une étude histo- 
rique et bibliographique des écrits périodiques français publiés 
en Hollande dans le cours des XVII e et XVIII e siècles, et plus 
particulièrement des gazettes; je me suis proposé de montrer 
comment la presse française s'était implantée sur ce sol hospi- 
talier, les développements qu'elle y avait pris, les différentes 
formes qu'elle y avait revêtues, et finalement la grande impor- 
tance, pour notre histoire, des produits de cette presse, éclos 



çais d'Amsterdam qui, entre 1679 et 1685 , ont donné lieu à tant de récrimi- 
nations, il ajoute : « Les Nouvelles extraordinaires..,, qui ont précédé l'excel- 
lente Gazette de Leyde , ont été fondées par les frères Luzac, réfugiés français. » 
Et cela dit, il passe à Pierre Bayle et à son « nouveau journal ». 

Enfin, M. Charles Louandre, rendant compte dans la Revue des Deax- 
Mondes de l'ouvrage de M. Weiss, renchérit encore sur ces belles inventions. 
« C'est en Hollande , dit-il , qu'est née la presse périodique ; c'est là qu'ont 
été fondées les premières Revues, telles que la GAZETTE de Harlem (!), le 
Mercure historique et politique, qui devint plus tard la Gazette de Leyde (VA)... » 
Si je relève ces inexactitudes , c'est uniquement parce que , sur la foi due aux 
honorables écrivains auxquels elles sont échappées, on les pourrait prendre 
pour des vérités. C'est ce qui est arrivé notamment pour cette assertion de 
M. Louandre sur l'origine de la Gazette de Leyde : un fureteur hollandais l'avait 
relevée comme un fait bon à noter, dans cette grande disette de renseigne- 
ments sur la presse française en Hollande, et a pris la peine de me la si- 
gnaler* 



— 10 — 

au soleil dé la liberté. Mais pour justifier cette importance que 
j'attribue à la presse française exotique , il me fallait de toute 
nécessité parier de l'état de la presse en France à l'époque 
que j'étudie, état d'où précisément elle découle. On était % 
alors, chez nous, doua le régime du privilège et du mono- 
pole , et la conséquence forcée de ce régime , c'est la contre- 
bande, ce sont les entreprises souterraines. J'ai donc été forcé- 
ment amené à dire quelques mots de la presse clandestine, et 
j'entends par là non pas les journaux d'outre-frontière, qui cir- 
culaient plus ou moins librement en France, et que j'appellerais 
volontiers la presse de contrebande, mais ces petites gazettes, 
manuscrites ou imprimées, ces nouvelles à la main, comme on 
disait , produit de la médisance parisienne, qu'on se passait 
sous le manteau , et dont le caractère était plutôt scandaleux 
que politique. 



PREMIÈRE PARTIE 



GÉNÉRALITÉS 



I 



ÉTAT DE LA PRESSE EN FRANCE AUX XVII e ET XVI II* SIÈCLES. 

LA PRESSE CLANDESTINE. 



Le journal est à la fois un instrument politique et un instru- 
ment historique. 

Comme instrument politique, il a des partisans et des ad* 
versaires également décidés, entre lesquels je n'ai point à me 
prononcer ici ; *ce que d'ailleurs je ne saurais faire avec l'im- 
partialité du juge : mes travaux sur la presse montrent trop clai- 
rement de quel côté sont mes sympathies. 

Comme instrument historique, le journal ne saurait avoir que 
des partisans. Les journaux, en effet, et quoi qu'on puisse leur 
reprocher, sont) dans leur ensemble, une des sources histo- 
riques les plus précieuses ; je serais même tenté de dire la plus 
précieuse. Interprète fidèle des temps qu'il a traversés, le jour- 
nal en reproduit la physionomie exacte ; il est pour le moral des 
peuples ce que l'invention de Daguerre est pour les formes 
matérielles. C'est seulement en interrogeant ces mille échos de 
l'opinion publique, ces témoins imperturbables des événements) 
en les confrontant et les contrôlant les uns par les autres, qu'on 



— 14 — 
peut arriver à la vérité. Nulle part ailleurs on ne trouverait 
des renseignements plus nombreux, plus sûrs, pour l'histoire 
morale, politique et littéraire des diverses nations. « Les plus 
mauvais journaux, disait le regrettable M. de Reiffenberg (Bul- 
letin de V Académie royale de Belgique, i re série, t. XIII, n° 7}, 
les plus mauvais journaux, d'une date déjà éloignée, sont cu- 
rieux à parcourir : ils offrent à qui sait lire des enseignements 
de plus d'une espèce. » C'est là une vérité sur laquelle tout le 
monde est d'accord aujourd'hui. 

Malheureusement on ne s'est avisé que bien tardivement de 
l'utilité des journaux au point de vue de l'histoire. « En France, 
où l'on ne sait rien conserver, écrivait il y a six ou sept ans un 
bibliophile fameux, on ne conserve pas les journaux, qui sont 
pourtant les meilleurs instruments de l'histoire d'une époque, 
à quelque point de vue qu'on la veuille étudier. La France, 
qui a produit tant de journaux en tout genre et de si remar- 
quables, ne leur ouvre pas même le refuge de ses bibliothèques 
publiques ! Ces pauvres journaux s'en vont tristement au néant, 
à l'oubli ; et plus tard, demain peut-être, on les payera au poids 
de l'or. Ce sont les oracles de la Sibylle écrits sur des feuilles 
de chêne. N'est-il pas étonnant que notre dix-neuvième siècle 
laisse s'anéantir chez la beurrière et chez l'épicier les pièces 
les plus précieuses, les plus authentiques, de l'esprit national ? 
Quand songera-t-on à créer un dépôt des archives de la presse, 
une bibliothèque de journaux ? » 

On y a songé enfin. Depuis quelques années, en France, on 
s'est mis à collectionner les journaux, même avec une ardeur 
quelque peu désordonnée, au prix de sacrifices parfois vrai- 



\ 



— M — 
ment excessifs. Ce que prévoyait le bibliophile Jacob est déjà 
arrivé ; j'ai vu, par exemple, un établissement public payer six 
cents francs, l'année dernière, un journal — 117 numéros — 
que deux ou trois ans auparavant on aurait pu avoir pour quinze 
francs y — et cela quand on était déjà en pourparlers pour l'ac- 
quisition d'une collection où se trouvait au moins un exemplaire 
de cette feuille, qu'on a ainsi en double aujourd'hui, si ce n'est 
en triple. 

Ce n'est point une critique que j'entends faire ; je constate 
un fait qui m'a paru significatif à plus d'un point de vue. Il y 
aurait bien à dire sans doute sur la manière dont on procède à 
la réparation d'un oubli assurément regrettable ; mais l'impor- 
tant, c'est que cet oubli soit réparé, et tous les hommes qui 
s'intéressent à la conservation de nos richesses littéraires, à 
l'avancement des sciences historiques, applaudiront aux efforts 
tentés dans cette voie. Que les matériaux soient réunis d'abord, 
et il se trouvera bien un jour quelque architecte pour les mettre 
en œuvre et édifier ces archives de la presse depuis si long- 
temps réclamées, ce musée historique qui permettrait de suivre 
pas à pas, jour par jour, presque heure par heure, et en quelque 
sorte jusque dans ses moindres pulsations, la vie de la nation. 

Et ce qui se fait en France sous ce rapport, il serait fort à 
désirer qu'on le fit dans tous les autres États, surtout dans ceux 
où la presse est entièrement libre : cela dans l'intérêt non-seu- 
lement de l'histoire internationale , mais encore de celle de 
chaque nation. 

Qu'on voie, en effet, ce qui se passe aujourd'hui. La liberté 
de la presse, — l'idée tout au moins, — s'est implantée dans 



— i6 — 

presque tous les pays, et y a poussé des racines plus ou moins 
profondes ; mais quelles entraves ne mettent pas encore à l'é- 
mission de la pensée, dans la plupart des États, ce qu'on ap- 
pelle les nécessités politiques ! A quelles réticences ne sont pas 
obligés les journaux ! Et combien n'a-t-on pas à apprendre des 
feuilles qui viennent d'outre-frontière ! 

C'était bien autre chose avant cette grande explosion de la 
liberté qui a immortalisé la date de 89. Dans presque tous les 
pays, même les plus libres, il était interdit aux journaux de 
s'occuper des affaires intérieures, et la latitude qui leur était 
laissée quant aux affaires extérieures suivait les incessantes 
variations de l'atmosphère politique. 

En France, pendant un siècle et demi, nous n'eûmes qu'un 
journal politique proprement dit, qu'une gazette, inféodée au 
pouvoir et n'écrivant rien que sous sa dictée. Le privilège ac- 
cordé à Renaudot, en 163 1, lui assurait le monopole non- 
seulement de la Gazette, devenue plus tard Gazette de France, 
mais de tous « autres papiers généralement quelconques con- 
tenant le récit des choses passées et avenues ou qui se passe- 
raient tant dedans que dehors le royaume », et de plus, encore, 
de la publicité commerciale. Quand, trente-quatre ans après, 
en 1665, le fondateur du Journal des Savants, Denis de Sallo, 
imagina le journal littéraire et scientifique, il avait également 
obtenu un privilège exclusif. En 1672 était né le Mercure galant, 
le prototype des petits journaux : en alliant la politique à la lit- 
térature, ou, si l'on veut, l'histoire à la fantaisie, de Visé avait 
créé, entre le journal politique et le journal littéraire, un genre 



— *7 — 
mixte dont le monopole lui avait été pareillement concédé. 
Ainsi les approches de la presse périodique étaient, de tous les 
côtés, défendues par le privilège. La concurrence cependant 
n'avait pas tardé à tourner l'obstacle; des journaux spéciaux 
avaient réussi à se produire : journaux de médecine et de juris- 
prudence, journaux administratifs, religieux, techniques; le 
domaine du Journal des Savants avait fini par être complète- 
ment envahi, et celui du Mercure avait été profondément en- 
tamé ; mais le domaine officiel de la Gazette était demeuré in- 
tact, en apparence tout au moins, et jusqu'au bout elle avait 
été assez puissante pour empêcher qu'aucune feuille rivale ne 
s'imprimât ouvertement en France. 

Hâtons-nous de dire que la Gazette de France fut tout ce 
qu'il était possible qu'elle fût dans sa position, qu'elle donna 
tout ce qu'on en pouvait raisonnablement attendre. Bayle, écri- 
vant à Minutoli, le 7 mars 1675, le renvoie pour les nouvelles 
à notre Gazette, comme à la plus véridique de toutes. « On s'est 
mis, dit-il, au Bureau d'adresse (le bureau de la Gazette), sur 
le pied de ne rien dire que sur de bons mémoires. D'ailleurs, 
le style de la Gazette est fort beau et fort coulant. On m'a as- 
suré que M. de Guilleragues et M. de Bellizani, tous deux 
beaux esprits, la revoient fort exactement, et en ôtent non- 
seulement ce qu'il y a de fabuleux, mais aussi ce qui n'est pas 

■ 

élégant. » Un siècle après, Voltaire répétait le même éloge : 
« Les gazettes de France, dit-il dans un article destiné à l'En- 
cyclopédie, ont été revues par le ministère. Ces journaux pu- 
blics, qui peuvent fournir de bons matériaux pour l'histoire, 
parce qu'on y trouve presque toujes les pièces authentiques, 



— 18 — 

que les souverains mêmes y font insérer, n'ont jamais été sorti- 
es par la médisance et ont toujours été assez correctement 
écrits. Il n'en est pas de même des gazettes étrangères... » 
Bayle, comparant les unes aux autres, disait encore : « Les 
étrangers s'accordent à taxer les Français d'une indiscrète et 
téméraire vanité, d'aimer l'éclat, le faste, la fanfare et choses 
semblables. Cependant, si on compare les gazettes de Paris à 
celles des autres nations, on verra que nous sommes incompa- 
rablement plus modestes et plus réservés que tous nos voisins. 
On n'y fait point de menaces aux ennemis du roi ; on n'y étale 
ni ses forces ni ses* armements; on n'y fait pas l'almanach de 
la campagne ; on n'y étoniîe personne par des prédictions fu- 
nestes; en un mot, l'article de Paris et de Saint-Germain ne 

m 

donne pas le moindre soupçon que la France soit en guerre 
présentement. Pour les autres gazetiers, ils ont une tout autre 
méthode : ils ne vous parlent que de ligues, que de grands 
projets ; leurs menaces vont si loin qu'on dirait que la conquête 
de la France ne sera que le coup d'essai de l'avant-garde de 
ses ennemis. » (A Minutoli, i er mai 1675.) 

On voit que je ne dissimule rien ; et ce n'est point, en effet, 
à l'aide de réticences ou d'autres artifices oratoires que j'espère 
arriver à faire partager mon opinion sur l'utilité des gazettes 
étrangères. 

La différence relevée par Bayle entre le ton de ces gazettes 
et cehii de la nôtre — cela, d'ailleurs, dans une circonstance 
toute particulière — est facile à comprendre ; elle s'explique 
par les mêmes raisons qui serviraient à expliquer aujourd'hui, 
si besoin en était, la différence entre les allures du Moni- 



— 19 - 
teur et celles des autres journaux, non-seulement étrangers, 
mais français; en un mot, par son caractère officiel. Il serait 
inutile d'insister sur ce point, non plus que sur les conséquences 
de ce caractère de la Gazette; on croira aisément qu'elle ne pré- 
sentait pas toujours les faits sous leur vrai jour, dans toute leur 
vérité, et que même il est de certains ordres de faits qu'elle 
devait absolument passer sous silence. C'est ainsi, pour n'en 
citer qu'un exemple, à peine croyable, qu'en 1789 elle garda 
le silence le plus profond sur tous les événements de la Révo- 
lution, voire dés plus retentissants, comme la prise de la Bas- 
tille, et même sur les opérations de l'Assemblée nationale. 
Heureusement qu'alors cela n'avait plus d'inconvénients; mais 
on peut juger par là de la circonspection avec laquelle on doit 
user des gazettes les plus « véridiques », de la nécessité de les 
contrôler, de les compléter les unes par les autres, et finale- 
ment de l'importance, pour la France surtout, des gazettes 
étrangères, qui sont assurément le moyen de contrôle le plus 
sûr pour qui sait s'en servir, et à la condition de les contrôler 
elles-mêmes les unes par les autres. 

Cette insuffisance de la Gazette était d'ailleurs très-vivement 
sentie par les contemporains , qui de tout temps protestèrent , 
de façon ou d'autre , contre le maigre régime auquel on les 
voulait soumettre. Delà les efforts auxquels j'ai fait allusion 
pour tourner son privilège ; de là ces publications clandestines 
de toutes les formes et de toutes les couleurs , brochures , épi- 
grammes, satires, chansons surtout, qui venaient chaque jour 
défrayer la malice des salons et des Cafés , en dépit des favoris 



— 20 — 

et des gouvernants qu'elles déchiraient ; de là ces gazettes 
clandestines , ces nouvelles à la main si vivement pourchas- 
sées, mais si persistantes. 

« Un peuple qui veut s'instruire, disait, dans son langage 
quelque peu abrupte , l'auteur de la Police de Paris dévoilée , 
Manuel , ne se contente pas de la Gazette de France. Que lui 
importe que le roi ait lavé les pieds à des pauvres qui ne les 
avaient pas sales; que la reine ait fait ses Pâques avec le coftite 
d'Artois ; que Monsieur ait daigné agréer un livre que peut-être 
il ne lira pas, et que le Parlement en robes ait harangué un 
dauphin en maillot? Il veut, à la fin, savoir tout ce qui se 
dit et tout ce qui se fait à la cour , pourquoi et pour qui un 
cardinal de Rohan s'amusait à enfiler des perles; s'il est vrai 
que la comtesse Diane nommait les généraux d'armée , et la 
comtesse Jules des évêques; combien le ministre de la guerre 
donnait de croix de Saint-Louis à sa maîtresse pour ses 
étrennes. C'est au crayon des malins à fixer ces notes scanda- 
leuses, qui , chaque jour, se succèdent et s'envolent. » C'était 
le rôle des nouvelles à la main» 

Ces petites gazettes. clandestines ont de beaucoup précédé 
le journal. On peut dire que la passion dès nouvelles est aussi 
ancienne que le monde, et de tout temps il a dû se trouver 
des hommes pour spéculer sur cette passion , d'ailleurs fort 
naturelle. Aujourd'hui nous avons dans le journal un intaris- 
sable causeur qui satisfait amplement notre curiosité; mais 
usqu'au XVII e siècle ce n'était que par oui-dire que les ci- 
toyens pouvaient connaître même les événements qui intéres- 
saient le plus leur repos , leur fortune , leur vie. 



— 21 

Le besoin de se renseigner avait fait organiser sur divers 
points de Paris des centres auxquels venaient aboutir , comme 
à un commun écho, tous les bruits sur les choses de l'intérieur 
et de l'extérieur. Là affluaient les nouvellistes par caractère et 
les nouvellistes de profession , apportant et venant chercher le 
butin quotidien, nouvelles politiques et littéraires, bruits de la 
ville et de la cour. 

Dans l'origine , les nouvellistes se bornaient à se communi- 
quer les nouvelles qu'ils avaient recueillies chacun de son côté, 
ou tirées de leur imagination , et , en se séparant , ils les ré- 
pandaient de vive voix par la ville. Mais bientôt on en était 
venu, dans certains cercles , à en tenir registre; on en discu- 
tait la valeur, et, si elles le méritaient, on leur donnait place 
dans une sorte de journal, dont les copies manuscrites étaient 
répandues à profusion dans Paris. Telle est l'origine de ces 
fameuses nouvelles à la main, dont on à tant parlé. Le com- 
merce s'en était même à la fin régularisé, autant que le per- 
mettait leur nature clandestine ; chaque cercle avait son bu- 
reau de rédaction et de copie , ses correspondants en province, 
et les gazettes manuscrites, qu'on appelait aussi gazetins, 
comptaient un grand nombre d'abonnés, auxquels on les 
adressait moyennant une somme qui variait suivant qu'elles se 
composaient de plus ou moins de pages. 

Il semblerait que les nouvelles à la mali eussent dû dispa- 
raître devant les gazettes imprimées. Il n'en fat rien cepen- 
dant, grâce à l'avantage qu'elles avaient sur ces dernières 
d'être plus libres et plus complètes. Le même fait se produisit 
en Angleterre, où la presse, cependant, était relativement 



— 22 — 

beaucoup plus libre , et il fallut longtemps pour que la feuille 
imprimée s'y substituât complètement à la gazette manuscrite 
des nouvellistes. Les raisons en sont bien simples. Les premiers 
journalistes étaient fort mal renseignés, et quiconque appro- 
chait un peu des grands était mieux instruit qu'eux. Et puis, 
dans la crainte de s'attirer des persécutions , ils s'aventuraient 
rarement à parler des affaires intérieures ; les nouvellistes , au 
contraire, en faisaient le principal sujet de leurs lettres, et 
non-seulement ils racontaient les faits, mais ils y joignaient 
des jugements , des appréciations qu'ils n'eussent osé impri- 
mer. Aussi les Lettres de nouvelles (News-Letters), comme on 
appelait en Angleterre les nouvelles à la main , beaucoup plus 
intére$santes que le journal imprimé, lui demeurèrent-elles 
pendant un demi-siècle fort supérieures en circulation et en 
importance. Ce fut au point que plusieurs feuilles, pour sou- 
tenir la concurrence , avaient imaginé de paraître avec deux 
pages imprimées et deux pages en blanc, afin qu'on pût se 
servir de son journal en guise de papier à lettre, et, chaque 
fois qu'on écrivait à ses amis, leur envoyer les nouvelles du 
jour , revues , commentées et augmentées. 

En France , ce qui surtout fit la fortune des nouvelles à la 
main , indépendamment des restrictions apportées à la liberté 
de la presse , ce fut leur caractère éminemment satirique ; c'est, 
en effet , de scandale que vivaient la plupart de ces gazettes 
clandestines, du moins à l'époque qui nous .occupe. Dans l'o- 
rigine , durant les guerres de religion surtout , le plus grand 
nombre étaient de véritables libelles, des instruments de guerre 
dans les mains des partis; mais sous Louis XIV déjà elles avaient 



— a* — 
changé de nature et perdu de leur violence, c'étaient des 
chroniques scandaleuses plutôt que politiques. Elles n'en 
étaient pas moins sévèrement proscrites, et la police était sans 
cesse à la poursuite des « personnes malveillantes qui s'ingé- 
raient de composer des libelles séditieux qu'ils intitulaient ga- 
zettes secrètes , qu'ils faisaient écrire à la main ou même qu'ils 
se permettaient d'imprimer , et que non-seulement ils fai- 
saient distribuer toutes les semaines dans les villes et pro- 
vinces du royaume, mais aussi qu'ils envoyaient en pays étran- 
gers ; et d'autant que cette licence était une entreprise faite par 
des personnes privées, ignorantes de la vérité des choses, 
qu'ils écrivaient inconsidérément, ce qui pouvait apporter un 
grave préjudice au service du roi, à cause des suppositions et 
calomnies dont lesdites gazettes étaient remplies. » (Arrêt du 
22 août 1656 et ordonnance du 26 février 1658). Un arrêt de 
1666 avait donné le droit aux officiers ordinaires de juger en 
dernier ressort les auteurs des gazettes à la main. En 1670 La 
Reynîe demande à Colbert la prolongation de ce pouvoir ex- 
traordinaire accordé aux juges inférieurs. « Il y a nécessité , 
disait-il, de réprimer par les voies les plus rigoureuses la li- 
cente que l'on continue de se donner d'envoyer dans les pays 
étrangers des libelles manuscrits et gazettes à la main ; mais 
il serait d'une fâcheuse conséquence de traduire les écrivains 

■ 

pernicieux qui débitent de semblables pièces du premier tribu- 
nal au supérieur, et d'exposer à la vue de plusieurs et d'un 
grand nombre de juges de pareils libelles , qu'on ne saurait 
tenir trop secrets , ni trop tôt supprimer. » 

Entre autres condamnations portées par le Parlement contre 



4 » 
>* 



— J4 — 

les nouvellistes, je vois un arrêt du 24 septembre 1663 qui 
condamne un certain Blanchard , pour avoir composé et écrit 
des gazettes , à être battu et fustigé au milieu du pont Neuf, 
ayant pendus au cou deux écriteaux , devant et derrière , con- 
tenant ces mots : Gazetieràla main. 

Je trouve encore parmi les écrivains frappés pour des faits 
de ce genre, qui le croirait? l'auteur de Manon Lescaut, ce 
pacifique , ce débonnaire abbé Prévost. C'est précisément une 
gazette. manuscrite qui nous apprend ce fait curieux. Je lis dans 
une correspondance émanée du salon fameux de M me Doublet, 
d'où sont sortis les Mémoires secrets de la république des lettres , 
qui ne sont qu'une réimpression de nouvelles à la .main fort 
courues au XVIII e siècle, ce qui suit, sous la date du 27 jan- 
vier 1741 : « Depuis quelque temps il se distribue à Paris une 
gazette à la main remplie de chronique scandaleuse. Les fac- 
teurs ont été arrêtés et mis en prison. Un d'eux a dénoncé 
l'abbé Prévost pour lui en avoir fourni trois. En conséquence 
l'abbé Prévost a reçu Tordre de sortir du royaume, et il est 
parti ce matin pour Bruxelles. » Et plus loin : « L'abbé Prévost 
a écrit à tous ses amis qu'il partait innocent, que M. le prince 
de Condé et M. de Maurepas en pouvaient répondre. Ce qu'il 
y a de sûr est qu'il n'a pas eu mauvaise intention : Une voulait 
qu'obliger un facteur à qui un auteur ne donnait plus de ga- 
zette à copier ; il a compté lui donner du pain en lui en faisant 
une à sa guise. Il faut avouer que c'est une pauvre tête. » Que 
n'y en a-t-il davantage , des pauvres têtes de cette façon ! 

Mais toutes ces rigueurs n'empêchaient pas les petites feuilles 



— 2$ — 

des nouvellistes de circuler dans Paris et dé pénétrer dans les 
provinces les plus reculées ; ce qui, par parenthèse, tendrait à 
prouver que le métier ne laissait pas d'être lucratif. « Quant 
aux gazetiers dont vous me parlez, écrivait le prince de Condé, 
gouverneur de Bourgogne, au président du Parlement de cette 
province; c'est un mal sans remède. Il n'y a pas longtemps 
qu'on en a mis à la Bastille une douzaine tout en un coup, et 
cela ne les rend pas plus sages. » 

En présence de cette opiniâtreté d'une part, de cette impuis- 
sance de l'autre, on voit parfois le gouvernement hésiter ; il 
essaye d'autres moyens, il se résout à faire en quelque sorte la 
part du feu. C'est ainsi, cerne semble, qu'on peut expliquer ce 
fait qu'on lit, à la date de mai 174;, dans le journal de Bar- 
bier, si fécond en révélations de cette nature : 

« Un particulier, dit-il, avait obtenu une permission tacite 
de délivrer des nouvelles à la main, qui étaient censées visées 
et approuvées à la police par quelque commis qui avait cette 
inspection. Cela se distribuait dans les maisons et dans les 
cafés deux fois la semaine. On donnait trente ou quarante sous 
par mois, et cela rapportait un produit considérable. Dans ces 
nouvelles à la main, qui contenaient une feuille de papier à 
lettre, il y avait souvent des fausses nouvelles ; on y insérait 
des faits sur les particuliers, comme mariages, charges, succes- 
sions, et, sous ce prétexte, il y avait des faits faux ou injurieux, 
dont l'on est toujours curieux. Voyant l'abus , on obtint du 
Parlement un arrêt qui défendait, sous peine du fouet et du 
bannissement pour la première fois, tous écrits qualifiés de 
gazettes ou nouvelles à la main. » 



- 26 — 

Mais qu'arriva-t-il ? C'est le Journal de la police sous Louis XV 
qui va nous l'apprendre : « Depuis que les nouvelles à la main 
sont supprimées, quelque auteur anonyme continue à fournir 
une feuille à Cologne ; l'embarras où il se trouve de la remplir 
le fait recourir à des conjectures, et le gazetier, qui n'a point 
d'autres nouvelles que les siennes, en fait usage dans l'article 
de Paris, sans s'embarrasser si elles sont sensées ou si elles ne 
le sont pas. » 

Du reste l'arrêt de 174; fut aussi vite oublié que tant d'au- 
tres, assez fréquents, qui l'avaient précédé, et je vois encore 
en 1 78 j des plaintes adressées au lieutenant de police à l'occa- 
sion « d'un bulletin qui se distribuait par un homme qu'on 
prétendait avoué. » 

« Il 7 a en France, disait encore Barbier à ce même propos 
des nouvelles à la main , de fort beaux règlements sur toutes 
choses, mais qui ne s'exécutent point, et auxquels on a recours 
quand l'abus devient excessif. » 

On comprend néanmoins qu'ainsi pourchassé, ce journalisme 
clandestin ait éprouvé de fréquentes intermittences, qu'il se 
soit souvent transformé, et que les gazettes manuscrites soient 
devenues extrêmement rares. Mais il nous en est resté dans 
les Mémoires de Bachaumont et dans la Correspondance littéraire 
secrète de Métra deux monuments éloquents , qui permettent 
de se faire une idée de ce qu'était cette petite presse , laquelle 
devait nécessairement prendre le ton de la société du temps. 
C'était, en somme, le résumé de tout ce qui se disait dans le 
monde. On y trouvait l'analyse 8es pièces de théâtre, le compte 



— 27 — 
rendu des assemblées littéraires et des procès célèbres, la no- 
tice des livres nouveaux, et en particulier des livres clandestins 
et prohibés, auxquels la saveur du fruit défendu donnait plus 
de piquant et de relief; des pièces rares ou inédites, en vers et 
en prose, dont beaucoup n'eussent pu être imprimées sans 
péril ; les chansons et les vaudevilles satiriques, les anecdotes 
et les bons mots, qu'on était d'autant plus attentif à recueillir 
qu'ils étaient plus méchants ; les aventures de société, les faits 
et gestes de la cour, bien souvent embellis par la médisance ; 
enfin toute cette chronique scandaleuse dont les Français, les 
Parisiens surtout, ont de tout temps été si friands. 

Je parle là des nouvelles à la main qui ont duré, qui ont 
constitué jusqu'à un certain point une entreprise; et c'est le 
très-petit nombre. La plupart de ces feuilles, sans suite, sans 
consistance, ne faisaient que paraître et disparaître. 

Manuscrits ou imprimés, les bulletins de nouvelles s'en* 
voyaient généralement sous enveloppe , dans la forme d'une 
lettre, et ne portaient aucune espèce de titre. On vit cepen- 
dant, comme j'ai eu occasion de le faire remarquer dans mon 
Histoire de la presse, quelques petites gazettes, il serait peut- 
être mieux de dire quelques pamphlets, s'abriter sous le nom 
de feuilles autorisées. 

Ainsi, à la fin de 177 1 , on lança dans Paris, sous le titre de 
Supplément à la Gazette, une feuille qui n'était d'abord qu'un 
pamphlet dirigé contre le chancelier Maupeou, mais»qui, pre- 
nant déplus en plus de consistance, était devenue une « gazette 
scandaleuse très en règle, à laquelle on courait comme au feu, 
tant l'homme a d'ardeur pour le mensonge. » 



— 28 — 

Ainsi, au commencement de 1784, un bel esprit, on va 
même jusqu'à nommer le fils d'un ministre, s'emparait du titre # 
d'une feuille d'annonces très en vogue , les Annonces, affiches 
et avis divers, ou Journal générai de France, alors rédigée par 
l'abbé Aubert, et faisait courir des Affiches, annonces et avis, 
ou Journal général de la Cour, qui s'attaquaient, en effet, à la 
cour et aux grands seigneurs , et portaient cette épigraphe : 
Régis ad exemplum totus componitur orbis. 

<k Le rédacteur de cette feuille, disait le prospectus, n'a pas 
« sans doute le sarcasme à la main comme l'abbé Aubert, il 
« manque de ce fonds de méchanceté inépuisable qui le dis- 
« tingue ; mais il se pique d'avoir la même prudence, de ne 
« dire jamais de mal de ceux dont il a à craindre ou à espérer 
« quelque chose. Et comme la cour est la source des grâces, 
« des pensions et des récompenses, le modèle des vertus et des 
<c perfections, qu'il n'aura qu'à louer, il espère réussir en ce 
« genre autant que le rédacteur des Petites Affiches. 

« On ne recevra d'articles que signés au moins d'un cheva- 
« lier de Saint-Louis. » 

Puis venaient, sous des rubriques imitées de celles des Petites 
Affiches, des annonces dans le genre de celles-ci : 

Biens seigneuriaux à vendre. 

On continue la vente de. toutes les terres, seigneuries et châteaux 
du prince de Guéméné. Le mobilier est presque entièrement fondu , 
et Ton recevra un à compte incessamment. Chaque créancier recevra 
sur loo livres 1 écu, sur quoi à payer 30 sous pour la quittance, et 



- ,29 - 

3 livres pour le certificat de vie seulement , attendu que le tout se 
fait sans frais. 

— Les biens du marquis de Brancas ne tarderont pas à être 
vendus. Il annonce qu'il se dispose à faire une banqueroute la plus 
considérable qu'il pourra ; mais à tout seigneur tout honneur : elle 
n'approchera pas de celle du prince de Guéméné. 

Maisons à vendre ou appartements à louer. 

La plus grande partie du pourtour des nouveaux bâtiments du 
Palais-Royal à louer. On avertit qu'on n'y recevra que des filles , 
des brocanteurs, des libertins, des intrigants, des escrocs, des fai- 
seurs de projets , des chefs de musée , de lycée , des inventeurs de 
ballons, des fabricants de gaz inflammable, comme plus en état de 
s'y plaire et de bien payer. 

Office à vendre. 

L'office d'espion de M. le contrôleur général dans le Parlement est 
vacant : l'abbé Sabatier de Castres , le titulaire , ayant été démasqué , 
ne peut plus l'exercer utilement ; il voudrait s'en défaire. 

Effets perdus ou trouvés. 

M. le comte de Gamache offre une forte récompense à ceux qui lui 
rendront son honneur, perdu depuis son procès avec le comte de 
Malderé. 

— M. le comte de Grasse en offre autant à l'avocat qui aura le 
talent de le blanchir dans l'esprit du public. 

Annonces particulières. 

M. le comte d'Aranda ayant trouvé sa femme morte en Espagne, 
et se disposant à se remarier avec sa nièce , mademoiselle Flir, sa 
maîtresse , sera vacante. C'est une jeune et jolie personne , qui a 
des dispositions à devenir hommasse , comme les Allemandes , mais 
fraîche quant à présent; c'est une rose qui , d'ailleurs, a des talents. 



_ ja _ 

méritant vraiment ce titre : ce sont les Nouvelles ecclésiastiques, 
qu'on trouve plus ordinairement désignées dans les auteurs con 
teiqporains, dans Voltaire surtout, qui en parle très-fréquem- 
ment, sous le nom de Gazette ecclésiastique. De tous les jour- 
naux clandestins, aucun ne fit autant de bruit, aucun non plus 
n'eut une aussi réelle importance que celui-là. C'était l'œuvre, 
l'instrument d'opinions religieuses surexcitées à un degré que 
l'on n'aurait pas cru possible à cette époque sceptique et rail- 
leuse, où l'on croyait si peu, où l'on se moquait si volontiers 
de tout ; c'était une sorte de catapulte destinée à battre en 
brèche cette fameuse bulle Unigenitus, qui causa en France tant 
de scandale et souleva tant de passions, qui « était devenue la 
propre affaire de chacun, et presque son unique affaire, dont 
on attendait des nouvelles avec une sorte d'impatience, nou- 
velles qu'on recevait avec empressement et une avidité sem- 
blable à celle d'un marchand qui en reçoit d'un vaisseau sur 
lequel on a placé son bien et sa fortune. » 

Il est à peine besoin de dire quelles colères cette feuille, que 
,1'on répandait avec profusion, excita tout d'abord dans le camp 
des Jésuites. Mais d'où sortait-elle? Quel en était l'auteur? 
Voilà ce que, malgré toute leur habileté, et bien qu'ils eussent 
pour eux le lieutenant de police, il leur était impossible de dé- 
couvrir. Elle s'imprimait en effet partout, tantôt ici et tantôt là, 
aujourd'hui dans une ville, demain dans quelque village, dans 
une cave ou dans un grenier, et jusqu'au fond des bois. Et 
quant à la manière dont elle était répandue, voici ce qu'en dit 
le journal de Barbier : « Il n'est pas possible de découvrir 
l'auteur des Nouvelles ecclésiastiques; cela fait tant de cascades 



— 33 — 
entre les mains de plusieurs personnes, d'ailleurs tous honnêtes 
gens, que cet auteur n'est jamais connu de ceux qui peuvent 
être arrêtés. Quand cet auteur a composé sa feuille sur les ma- 
tériaux qu'il a, il jette les mémoires au feu, il donne sa minute 
à un autre ; on la copie, alors on jette la minute au feu. Une 
autre personne porte la minute chez un imprimeur. Cette per- 
sonne vient prendre les exemplaires pour les distribuer dans 
Paris. Il y a peut-être vingt bureaux, dans plusieurs quartiers, 
c'est-à-dire vingt particuliers qui en prennent cent , supposé, 
chacun. Ce n'est pas la même personne qui porte les cent à ces 
vingt bureaux ; ce sont vingt personnes différentes; et celui qui 
tient ce bureau paye les cent exemplaires à celui qui les lui 
apporte. Il en a un pour lui gratis, de même que de tout ce qui 
s'imprime sur les affaires du temps. Et cet homme sait à qui 
ddhner ces exemplaires pour retirer son argent. Si on arrêtait 
aujourd'hui matin un de ces particuliers ayant un bureau, sur- 
le-champ on avertit tous les autres, et on transporte les exem- 
plaires dans un autre endroit, crainte de découverte, en sorte 
que, quelque personne que l'on arrête, la manivelle va toujours, 
et il n'est quasi pas possible d'arrêter le cours de ces nou- 
velles. » (Novembre 17 31.) 

Et de fait « les Nouvelles ecclésiastiques coururent pendant de 
longues années sans que le lieutenant de police en pût décou- 
vrir ni l'auteur, ni le lieu où on les imprimait ; ce qui ne laissait 
pas d'être humiliant pour le gouvernement de ne pouvoir être 
obéi, et de ne pouvoir découvrir où cela se faisait. » En vain 
le roi menaçait les imprimeurs du carcan pour la première fois, 

et les auteurs du bannissement ; en vain le Parlement faisait 

3 



— Î4 — 
brûler par la main du bourreau cette feuille séditieuse» « où 
chacun avait son paquet » ; en vain l'archevêque de Paris dé- 
fendait sous peine d'excommunication de la lire ou de la garder, 
en dépit de la police et de la Bastille, elle reparaissait toujours 
plus vive, plus provocante, plus audacieuse, et, les philosophes 
aidant, — les philosophes qu'elle n'aimait guère, pourtant, — 
elle finit par triompher de ses adversaires. 

Les Nouvelles ecclésiastiques, après avoir circulé quelque temps 
manuscrites, commencèrent à être imprimées en 1728, et per- 
sistèrent jusqu'en 180 j. Pendant la tourmente révolutionnaire, 
elles s'étaient réfugiées à Utrecht, où elles furent publiées 
depuis 1794 jusqu'à leur fin. 

On comprend qu'il ait existé peu de pareils journaux. Pour 
soutenir un journal clandestin, il faut un parti, un intérêt, des 
passions, la foi, des conditions telles enfin qu'en rencontra la 
feuille janséniste. 



Il 



LA PRESSE FRANÇAISE A L'ÉTRANGER. — LES GAZETTES 

DE HOLLANDE. 



La même cause qui faisait courir après les nouvelles à la 
main faisait également rechercher les journaux venant de l'é- 
tranger. L'intérêt qu'ils offraient était même d'un ordre plus 
élevé que celui qu'on trouvait généralement dans la lecture de 
ces publications clandestines , qui, la plupart, ne s'adressaient 
qu'à une vaine, pour ne pas dire à une malsaine curiosité. 
Aussi les feuilles étrangères ont-elles été de tout temps recher- 
chées avec un empressement qui, augmentait encore lorsque 
les gazettes à la main étaient plus vivement pourchassées et 
devenaient plus rares. Quand je dis les feuilles étrangères , je 
n'entends évidemment parler que de celles qui étaient écrites 
dans notre langue. 

Contrairement, en effet, à ce qui s'était passé chez nous, 
les journaux s'étaient rapidement multipliés chez nos voisins , 
particulièrement en Hollande et en Angleterre , où ils jouis- 
saient d'une plus grande liberté. Un grand nombre étaient 
écrits dans notre langue, alors la langue diplomatique et en 



- 36- 

quelque sorte internationale. Ceux-ci surtout pénétrèrent de 
bonne heure en France , où, comme je l'ai dit, ils étaient avi- 
dement lus, la curiosité publique ne trouvant dans le journal 
officiel et dans les autres journaux français , obligés à une 
extrême réserve, qu'un aliment très-insuffisant. Ce que voyant 
même, quelques habiles s'en allèrent établir dans des villes 
frontières de véritables manufactures de gazettes, politiques et 
littéraires , spécialement destinées à l'importation. 

On s'étonnera , et non sans quelque raison , de cette tolé- 
rance du gouvernement à l'égard des gazettes étrangères, 
quand, à l'intérieur, il se montrait si opposé au développe- 
ment de la presse périodique. Mais ne voyons-nous pas aujour- 
d'hui encore quelque chose d'à peu près semblable ? Ne laisse- 
t-on pas aux journaux étrangers une liberté plus grande que 
celle qu'on accorde à nos propres journaux? Et cela, hâtons- 
nous de le dire , à la grande satisfaction du public , et sans le 
moindre danger pour l'Etat. Sans chercher d'autres raisons , on 
pourrait penser que le gouvernement voulait, ici encore, faire 
la part du feu. En autorisant l'entrée en France des gazettes, 
qui auraient pénétré quand même, qui d'ailleurs couraient toute 
l'Europe, il pouvait espérer, sinon les rendre favorables à sa 
politique , tout au moins les obliger à une plus grande cir- 
conspection. C'est dans ce but qu'on le vit essayer, comme il 
l'avait déjà fait pour les auteurs des gazettes à la main, de 
donner une attache officielle à leurs correspondants à Paris , 
aux bulletiniers , ou bulletinistes, comme on les appelait. 

Mais la tolérance en pareille matière présentait des dangers 
sur lesquels il était impossible qu'on s'aveuglât. Un jour Suard 



— 37 — 
avait écrit au lieutenant de police pour lui recommander un 
bulletinier. « C'est, lui disait-il, un honnête homme; je le 
connais beaucoup. Pendant quarante ans il a vécu dans l'ai- 
sance; des malheurs le réduisent aux ressources. On lui propose 
d'envoyer un bulletin à un gazetier de Hollande. Il s'engage à 
ne mander jamais que des faits publics, sans aucune réflexion : 
il s'interdirait toutes les aventures qui pourraient blesser la 
délicatesse d'un citoyen , à plus forte raison d'une personne 
considérable. Son caractère répond de sa circonspection. » 
M. de Vergennes, à qui la demande a été transmise, refuse 
son assentiment. « Après avoir tout pesé , écrit-il , je pense 
que les inconvénients de la tolérance en pareille matière l'em- 
portent de beaucoup sur l'utilité qu'on pourrait s'en promettre, 
même sous la surveillance de l'administration. L'expérience 
nous a convaincus que, de toutes les classes des écrivains , 
celle des nouvellistes à gages est la plus difficile à contenir. 
Quel homme sage osera se rendre garant de la conduite d'un 
bulletiniste qui calcule ses profits sur le nombre d'anecdotes 
secrètes qu'il peut recueillir ? Et quel homme honnête se per- 
mettra d'accepter une pareille commission après l'abus que 
d'autres en ont fait et la honte qu'ils y ont imprimée?... » Et 
le ministre concluait « qu'on ne devait point autoriser ni recon- 
naître de correspondants français avec les gazetiers étrangers , 
que ce genre de commerce devait être prohibé, et que ceux 
qui s'y livreraient malgré la prohibition devraient être sévère- 
ment réprimés. » Mais « ce genre de commerce » est de ceux 
qu'il est impossible d'empêcher. Cent cinquante ans aupara- 
vant, le créateur du premier journal français disait déjà, en 



- j8- 
déclarant qu'il ne répondrait plus aux objections qu'avait sou- 
levées la Gazette : « Seulement ferai-je aux princes et aux 
États étrangers la prière de ne perdre point inutilement le 
temps à vouloir fermer le passage à mes nouvelles, vu que c'est 
une marchandise dont le commerce ne s'est jamais pu dé- 
fendre, et qui tient de la nature des torrents qu'il se grossit par 
la résistance. » 

Mais il faut bien reconnaître aussi que la position du minis- 
tère était des plus difficiles, entraîné qu'il se sentait par le cou- 
rant de l'opinion publique : impuissant quand il voulait sévir, 
il était débordé quand il voulait essayer de la conciliation. Je 
ne saurais mieux faire pour donner une idée de ses perplexités 
que de raconter tout de suite ici quelques épisodes de la vie 
d'une gazette anglo-française qui fit beaucoup de bruit dans 
les dernières années de la monarchie , le Courrier de P Europe, 
imprimé à Londres : on y trouvera l'explication d'une tolérance 
que de loin on a quelque peine à comprendre. 

C'était à l'époque où la guerre d'Amérique occupait tous les 
esprits; de plus, une rupture paraissait imminente entre l'An- 
gleterre et la France. Or, si la guerre venait à éclater, l'avidité 
bien connue des Français pour les nouvelles devrait encore re- 
doubler. Cette idée conduisit un réfugié français, nommé 
Serre de Latour, au projet d'une gazette qui serait composée en 
français à Londres et distribuée en France ; et il s'associa à 
cet effet avec une sorte de chevalier d'industrie anglais. Mais 
comment faire admettre cette gazette en France ? L'intérêt 
aplanit tout. Le ministère français avait besoin de connaître à 



— j 9 — 
fond l'Angleterre : de Latour fit adroitement sentir de quelle 
utilité pouvait être pendant le cours de la guerre prête à s'en- 
gager un journal qui , entre autres choses , donnerait des ex- 
traits fidèles des cinquante-trois gazettes qui paraissaient à 
Londres toutes les semaines; il vaudrait au gouvernement 
cent espions, et il lui rapporterait au lieu de lui coûter. 

M. de Vergennes donna son consentement. Mais il était bien 
difficile qu'un journal écrit dans un pareil milieu n'oubliât pas 
la mesure qui convenait de l'autre côté du détroit. Et de fait, 
dès le second numéro le Courrier de l'Europe était proscrit en 
France. On trouva qu'il critiquait notre ministère d'une façon 
indécente, insolente même, et que les termes dans lesquels il 
parlait du roi et de la reine ne pouvaient être tolérés. La police 
le fit saisir dans tous les lieux publics ; le roi même se montra 
si irrité de l'audace de ces nouveaux gazetiers que non-seule- 
ment il ordonna d'empêcher l'introduction du Courrier par la 
poste, mais qu'il défendit à ses ministres mêmes d'en recevoir 
aucun exemplaire. 

Cette proscription était un coup mortel pour la nouvelle 
feuille. C'est ce que comprirent parfaitement ses entrepreneurs. 
Ils députèrent vers M. de Vergennes pour obtenir la levée de 
l'interdit, rejetant la faute du passé sur le sieur Morande , l'au- 
teur tristement fameux du Gazeder cuirassé, et promettant de 
se renfermer dans les bornes de l'honnêteté des autres gazettes 
étrangères introduites en France. M. de Vergennes réussit à vaincre 
la répugnance du roi , auquel il représenta que le meilleur moyen 
d'arrêter les sarcasmes de cette feuille était de lui permettre Ventrée 
delà France. 



- 40 — 

Les portes furent donc de nouveau ouvertes au Courrier , 
qui se montra d'abord aussi obséquieux pour le ministère qu'il 
avait été indécent dans l'origine. Mais , quelques promesses 
qu'il eût faites d'être sage , il lui arrivait de temps en temps de 
s'oublier, et, « malgré l'excessive indulgence du ministère à 
son égard , sans doute à raison de sa nature anglaise , qui sup- 
posait une indépendance particulière, il fut plus d'une fois 
saisi , disent les Mémoires secrets , et il en résultait une frayeur 
continuelle de le voir supprimer. L'abondance des matières 
qu'on y traitait lui procurait nécessairement beaucoup plus de 
lecteurs qu'aux autres gazettes, d'autant que l'on s'y permet- 
tait de fréquents écarts et une liberté infiniment plus grande 
qu'ailleurs. Aussi les différents partis de ce pays-ci , dans tous 
les genres, eussent-ils été désolés d'un événement qui les au- 
rait privés de ce réceptacle de leurs querelles et de leurs in- 
jures. » 

C'était là , en effet , une des utilités des gazettes étrangères. 
La Harpe, dans sa Correspondance littéraire (Lettre LX), ra- 
conte, à ce sujet, une piquante anecdote qui se rapporte préci- 
sément à notre gazette anglo-française. « Le rédacteur du 
Courrier de l'Europe , dit-il , menacé de perdre le privilège de 
faire entrer ses feuilles en France à cause de l'article de M. de 
P"*, s'est justifié d'une manière qui a étonné bien du monde : 
il a montré une lettre qui lui recommandait cet article de la 
part d'une des premières personnes de l'État (le comte de 
Mau repas). On s'est tu à la vue de ce nom qu'on ne s'attendai* 
pas à trouver là. » 

Et non-seulement on ne le supprime pas , on va jusqu'à lui 



— 41 — 
tendre la main dans un moment où il est près de sombrer. Un 
jour le ministère anglais vient à s'aviser du tort que cette 
feuille , qu'un de ses hommes d'État appelait un espionnage 
public, peut faire à l'Angleterre , en répandant sur ses affaires 
intérieures une lumière indiscrète. On cherche s'il n'y aurait pas 
quelque moyen légal d'en arrêter la publication; mais la loi est 
muette , ou plutôt la loi permet d'imprimer en français , en 
grec , en hébreu , tout ce que les journalistes anglais impriment 
dans leur langue, et il fallait respecter la loi , ou en faire une nou- 
velle : tel était l'avis de quatre célèbres jurisconsultes consultés 
à ce sujet. Que fait alors le ministère anglais ? Ne pouvant em- 
pêcher l'impression du Courrier, il imagine d'en arrêter du moins 
l'expédition pour la France : il prétend que les ballots du jour- 
nal sont autant de ballots de marchandises, et il fait mettre - 
l'embargo sur les paquets qui s'expédiaient deux fois la se- 
maine par les paquebots. 

On pensera que le ministère français va applaudir à une me- 
sure qui le débarrasse d'un auxiliaire très -incommode. Pas 
du tout : M. de Vergennes permet aux éditeurs du Courrier d'é- 
tablir une imprimerie à Boulogne-sur-Mer pour y imprimer 
leur journal à mesure de sa publication à Londres. Il y mit, il 
est vrai , la condition que la reproduction faite ainsi en France 
serait soumise à la censure de l'abbé Aubert,-mais le Courrier 
n'en continua pas moins à être pour le gouvernement un objet 
de continuels ennuis , et on le croira aisément quand j'aurai 
dit que l'écrivain chargé de cette reproduction libre fut Brissot, 
celui-là même qui, dix années plus tard, devait jouer un si 
grand rôle dans la Révolution française , et il n'avait accepté 



- 42 — 
ces « occupations de journaliste, alors si peu estimées, c'est 
lui qui le dit , que pour avoir à ses ordres un papier qui pouvait 
répandre des principes dont il était un fervent enthousiaste. » 

On peut juger par cet exemple des perplexités d'un gouver- 
nement qui ne savait où il allait. Et il aurait' fait plus encore 
pour le Courrier de l'Europe , si l'on en croit la Correspondance 
secrète : il lui aurait acheté au prix de quatre mille souscrip- 
tions la promesse qu'il ne parlerait qu'en faveur de la France. 
Ce qui est certain, c'est que l'ancienne monarchie eut recours 
à ce moyen, que presque tous les gouvernements ont employé 
depuis. « Jamais nous n'avons tant dépensé qu'aujourd'hui à 
gagner les gazetiers », écrivait, à la date du 6 janvier 1749, 
un homme dont on ne saurait suspecter le témoignage, le mar- 
quis d'Argenson {Mémoires, édit. elzévir., t. III, p. 257). 
C'était une faiblesse que des flibustiers littéraires devaient ex- 
ploiter avec la dernière effronterie. 

Il y avait, contre tous ces embarras, un expédient, un re- 
mède bien plus simple et plus efficace : c'eût été de donner 
une plus grande liberté à la presse nationale. On ne s'en avisa 
pas, ou l'on ne crut pas devoir en essayer. 

Quoi qu'il en soit, les gazettes étrangères circulaient assez 
librement en France, et cela, paralt-il, dès l'origine des jour- 
naux. C'est du moins ce qui résulte d'un factum lancé en 1648 
par Renaudot contre un gazetier de Cologne qui l'avait atta- 
qué. « Si vous voulez , répond-il à son agresseur, persuader à 
yn chacun que le gazetier de Cologne puisse corriger celui qui 
foit les gazettes à Paris , qu'il commence à en faire de meil* 



— 4? — 
leures que lui , et qu'il le fasse croire au peuple, juge qui ne 
flatte point, et à qui vous vous devez prendre de ce que celles 
que vous envoyez sont d'un si mauvais débit qu'il y a peu 4p 
personnes qui en veuillent pour le port, et moins pour leur 
prix, quelque petit qu'il soit, et moindre que le parisis des 
nôtres..., tandis que celles de Paris manquent plutôt que les 
curieux pour les arracher des mains des colporteurs , encore 
toutes moites de l'impression. » 

Outre le fait de leur circulation en France, il résulte de ce pas- 
sage que les gazettes étrangères se colportaient dans les rues, 
comme la gazette de Renaudot , et que le prix en était très- 
minime. On les lisait dans les cafés, sur le quai des Augustins, 
dans les Charniers des Innocents; plus tard, dans les cabinets 
littéraires, qui datent du milieu du XVIII e siècle, et dans les 
clubs, importation anglaise que l'on trouve à Paris dès le corn- 
mencement de ce même siècle. François Colletet, dans son 
Tracas de Paris (1660), parle des curieux qui se pressaient dès 
lors sur le quai des Augustins pour lire les gazettes : 

Mais, en faisant chemin, regarde, 
Sans t'amuser à la moutarde, 
. Tous ces lecteurs de nouveautés 
Dans ces boutiques arrêtés. 
L'un sur son nez met sa lunette 
Afin de lire la gazette , 
Écrite en prose , écrite en vers , 
Des nouvelles de Punivers. 
C'est un plaisir, pour ces lectures , 
De voir les diverses postures. 
Parmi ces gens , en voilà deux 



— 44 — 

Fichés tout droits comme des pieux ; 
D'autres rangés sous étalages, 
Tout ainsi comme des images ; 
♦ Ceux-là dessus un banc pressés, 

Ceux-ci sous la porte entassés : 
Car chaque boutique est si pleine 
Qu'on n y saurait tenir qu'à peine. 
Celui qui lit plus promptement 
Prête à l'autre un commencement (1). 
Un autre curieux demande 
Une gazette de Hollande, 
Et celui-ci celle d'Anvers.... 

Cette circulation des journaux étrangers était-elle , dans les 
commencements , assujettie à quelque condition , c'est ce que 
je ne saurais dire ; mais plus tard les propriétaires de ces feuilles 
achetèrent le droit de les faire entrer en France par une con- 
tribution versée dans la caisse du ministère des affaires étran- 
gères , et dont la quotité variait suivant des considérations de 
diverse nature. 

Ce qui est certain, dans tous les cas, c'est que les journaux 
étrangers de toute sorte ont toujours abondé à Paris, à la 
grande satisfaction du public , qui y trouvait un dédommage- 
ment de la stérilité de la Gazette , et en dépit de la feuille offi- 
cielle , qui aurait voulu se réserver le privilège exclusif « de ne 
rien dire , ou de dire des riens. » On pense bien , en effet, que 

(i) Renaud Qt avait partagé les huit pages de sa gazette en deux cahiers de 
quatre pages chacun , « cela , dit-il , pour la commodité de la lecture , qui 
est plus facile à diverses personnes étant en deux cahiers. » Nous verrons la 
plupart des gazettes de Hollande divisées de même en deux parties , dont la 
dernière porte ordinairement le titre de Suite ou de Supplément. 



— 45 — 
la tolérance de l'administration à l'égard des journaux étran- 
gers n'était pas du goût des propriétaires de la Gazette , qui ne 
cessèrent, depuis Renaudot, de réclamer contre ce qu'ils appe- 
laient la violation de leur privilège. J'ai trouvé sur ce sujet un 
mémoire de l'un d'eux , le chevalier de Meslé , publié vers le 
milieu du XVIII e siècle, et qui m'a paru renfermer des parti- 
cularités assez curieuses pour que je l'analyse ici. 

« La Gazette de France, y est-il dit, était autrefois très-inté- 
ressante, elle était le précis vrai des gazettes étrangères; mais 
depuis que les fermiers des postes les introduisent toutes dans 
le royaume, elle ne peut plus satisfaire la curiosité : toutes les 
nouvelles sont lues dans les gazettes étrangères avant que celle 
de France paraisse. 

« Les fermiers des postes, en effet, non contents du bénéfice 
que leur donnait le transport de ces gazettes, avaient d'abord 
essayé de les débiter à la poste même. Les libraires-imprimeurs 
s'y étanr opposés , ils tournèrent la difficulté en établissant un 
bureau de débit chez l'un de ces libraires, nommé David. Ils 
vendaient chaque gazette de Hollande aux sujets du roi 40 écus 
par an, qui ne leur coûtait qu'environ 24 livres d'achat en Hol- 
lande : ils gagnaient donc 96 livres pour le port et le débit, ce 
qui était exorbitant. Tandis que lui, de Meslé, ne vendait celle 
de France que 18 francs par an, et que , pour faire participer 
tous les sujets du roi aux nouvelles qui pouvaient lès intéresser, 
il la faisait réimprimer en petits caractères sur une demi-feuille, 
et l'envoyait dans toutes les provinces à 7 livres 10 sous par 
an, franche de port. 
« Et les fermiers avaient fait plus : ils avaient établi chez le 



- 4 <S- 
même David un bureau de correspondance où tout le monde 
pouvait porter des avis pour les faire insérer dans les gazettes 
de Hollande , en payant 20 sous par ligne : n'était-ce pas ou- 
vrir une voie à tous les mauvais citoyens qui auraient voulu 
faire mettre dans ces gazettes des articles contre l'Etat ou des 
épigrammes contre les particuliers ? 

« Il était défendu par les ordonnances des rois de faire entrer 
en France , sans permission , tous papiers imprimés chez les 
étrangers; or, les plus dangereux, sans contredit, étaient les 
gazettes étrangères, qui se débitaient dans le royaume avant 
que les ministres fussent informés de ce qu'elles contenaient. 
Le ministère veillait attentivement sur la Gazette de France, 
qui était composée sous ses yeux : il savait qu'une fausse 
nouvelle peut causer de grands inconvénients ; mais ne perdait- 
il pas tout le fruit de sa vigilance, s'il était permis à messieurs 
des postes d'inttoduire et de faire débiter à Paris et dans tout 
le royaume des gazettes étrangères ? Les gazettes de Hollande 
étaient depuis trois ans de vrais libelles, qui attaquaient la re- 
ligion, l'autorité royale, le ministère, et l'honneur des parti- 
culiers. Toutes les gazettes étrangères étaient remplies de 
maximes anglaises et républicaines , qui inspiraient l'indépen- 
dance et qui ne causaient que trop de fermentation dans les 
esprits. 

« Enfin , les imprimeurs de province réimprimaient les ga- 
zettes de Hollande, auxquelles ils ajoutaient des articles de leur 
façon, pour les rendre encore plus intéressantes; ils impri- 
maient toutes sortes de nouvelles et de relations , vraies ou 
fausses. Leur licence était effrénée. » 



— 47 — 

Cette dernière assertion, qui , dans tous les cas , prouverait 
la grande vogue dont jouissaient les gazettes de Hollande, me 
parait difficile à admettre ; mais le fait de leur contrefaçon à 
l'étranger est incontestable, comme nous le verrons plus loin. 
En 1728 la Gazette d'Amsterdam était réimprimée à Liège et 
à Genève, et en 1786 le représentant de la Hollande près la 
cour d'Autriche mandait à son gouvernement qu'un journal de 
Vienne annonçait qu'incessamment il serait publié de la Gazette 
de Leyde, six heures après son arrivée, une reproduction ver- 
bale , qui serait donnée à moitié prix ; qu'un certain Charles 
Grandmenil avait obtenu à cet effet un privilège de six années ; 
et quelque temps après le même diplomate annonçait l'appa- 
rition du premier numéro de cette contrefaçon, qui portait au 
front les armes de Hollande. 

Les récriminations de la Gazette demeurèrent d'ailleurs sans 
effet, et les feuilles étrangères continuèrent à circuler en France. 
Je n'ai pas besoin de dire que pour se conserver cette faveur, 
qui pouvait à chaque instant leur être retirée , elles étaient te- 
nues à une certaine circonspection. Il y avait pour elles, à la 
poste, un bureau spécial, qu'on trouve assez fréquemment 
mentionné dans les chroniqueurs , et où , très-probablement Y 
elles aboutissaient toutes, comme cela se pratique encore au- 
jourd'hui. La distribution et le débit en étaient ensuite opérés 
par des particuliers. C'est ce qui résulte implicitement du factum 
du chevalier Je Meslé, et encore d'un fait que je rencontre dans 
les Mémoires de Palissot placés en tête de l'édition de ses 
œuvres donnée à Liège. Deux individus, dit-il , étaient venus 
en 1759 lui proposer le débit et la distribution des gazettes 



- 4»- 
étrangères dans tout le royaume, comme une idée nouvelle, qui 
pouvait être très-avantageuse, et qu'on pouvait solliciter avec 
d'autant plus d'espoir de succès que cette distribution n'appar- 
tenait à personne. Palissot se mit en campagne et obtint l'au- 
torisation nécessaire. Mais , au moment d'en venir à l'exécu- 
tion , il fut arrêté par les réclamations de David , qui prétendit 
être en possession du débit de ces gazettes. Cette affaire fit 
beaucoup de bruit, dénaturée qu'elle fut par les nombreux 
ennemis de Palissot. Quoi qu'il en soit , David , qui n'avait 
joui, comme ses pires, que sur de simples concessions des ad- 
ministrateurs des postes, consentit à s'associer Palissot, à con- 
dition que celui-ci obtiendrait du duc de Choiseul des lettres 
patentes qui confirmeraient et légaliseraient sa possession, et 
de la compagnie des postes un abonnement qui le mit à même 
de donner au public les gazettes étrangères au prix de $6 livres, 
au lieu de 120, prix ordinaire de ces gazettes jusqu'alors. 

Palissot , qui avait l'honneur de partager sa maîtresse avec 
M. de Choiseul, obtint l'une et l'autre faveur; et il faut que 
l'opération, dans ces nouvelles conditions, fût encore assez 
bonne , car il y trouva , de son aveugle moyen de réparer des 
pertes considérables qu'il avait faites dans une faillite où la 
presque totalité de sa fortune avait été engloutie. 

Dans tous les cas, cette révolution radicale dans le prix des 
gazettes étrangères mérite d'être remarquée; elle rappelle, 
quoique d'un peu loin , celle, plus radicale encore, que devait 
opérer dans la presse française , trois quarts de siècle après, 
M. Emile de Girardin. 

En 1779, on recevait à Paris, outre un certain nombre 



— 49 — 
de journaux de genrçs divers , neuf gazettes étrangères : la 
Gazette d'Amsterdam, la Gazette de La Haye, la Gazette de Leyde 
(Nouvelles extraordinaires de divers endroits) , la Gazette dVtreckt, 
la Gazette de Clives , dite Courrier du Bas-Rhin; la Gazette d?Al- 
tona, la Gazette de Bruxelles, h Gazette de Cologne, et la Gazette 
des Deux-Ponts .Ces gazettes paraissaient deux fois par semaine, 
excepté celle de La Haye, qui paraissait trois fois. Elles coû- 
taient : celle d'Amsterdam , 48 livres ; celle de Clèves , 42 ; les 
autres, 36. 

A ces gazettes il faudrait ajouter le Courrier de l'Europe, 
dont nous avons parlé ci-dessus, qui ne figure pas sur la liste 
à laquelle j'ai emprunté le renseignement qui précède , sans 
doute parce que la circulation en était interdite au moment où 
cette liste fut dressée. 

Comme on le voit, les gazettes de Hollande sont les plus 
nombreuses. Et de fait nul autre pays n'a enfanté autant d'é- 
crits périodiques français de toute nature; ce sont aussi les plus 
intéressants pour notre histoire, les seuls à peu près dont il 
soit parlé, qui aient joué une sorte de rôle. 

Cela a tenu à des raisons diverses : aux persécutions reli- 
gieuses qui ont peuplé la Hollande de réfugiés français ; à la 
liberté qu'y trouvaient les écrivains, liberté qu'on a bien un 
peu surfaite, mais plus grande néanmoins que celle qu'ils 
eussent trouvée partout ailleurs; enfin, au génie mercantile de 
la nation. 

« Les gazettes, écrivait l'abbé Bianchi , ont pris naissance 
à Venise, dans un temps où cette république était le centre 



— so- 
dés négociations de l'Europe. Depuis que les Hollandais ont 
acquis l'indépendance et formé une république de négociants , 
ils sont devenus les nouvellistes des nations les plus éloignées : 
à Constantinople , à Smyme, au Caire, dans le Levant, dans 
les deux Indes , on lit les gazettes hollandaises comme à La 
Haye et dans les cafés d'Amsterdam. » Et il ajoutait : « Le 
Courrier du Bas-Rhin , qui a fait diverses réflexions sur la na- 
ture, la multiplicité et la libre communication des feuilles pé- 
riodiques, prétend que les villes libres ou impériales sont plus 
favorables à ce commerce que les monarchies, et qu'il se publie 
un plus grand nombre de feuilles périodiques dans les villes de 
Cologne, de Francfort, de Hambourg, etc., que dans les 
royaumes d'Espagne, de Portugal, de France , de Suède, de 
Daneraarck , où il semble que la maxime d'État exige qu'il n'y 
ait qu'une seule loi et une seule gazette (i). » 

Ce n'est point ici le lieu d'approfondir la question de savoir 
où est né le journal, dont on s'est disputé le berceau avec une 
grande vivacité, comme autrefois celui d'Homère. Je me bor- 
nerai à dire que les prétentions de Venise reposent uniquement 
sur l'étymologie, évidemment italienne, du mot gazette, ce 
qui me parait loin d'être une preuve concluante ; que celles de 
l'Angleterre, aujourd'hui hors de cause , s'appuyaient sur quel- 
ques numéros d'un Mercure apocryphe , fait , avec beaucoup 
d'habileté, il est vrai , pour les besoins de la cause ; et que celles 
de l'Allemagne ne me paraîtraient pas plus admissibles si elles 

(i) Lettre au prince de Beaumont-Vintimille , reproduite par YEsprit des 
Jounuuu, d'après le* NonlU litcraru. 



— S' — 
n'avaient en leur faveur des arguments plus sérieux que ceux 
dont les étaye l'historien de la presse allemande , le docteur 
Prutz. Cet écrivain, aussi érudit d'ailleurs qu'il est original , a 
une manière de raisonner à lui. Après s'être fortement élevé 
contre les écrivains qui, dans cette question, se laissent guider 
par l'amour louable, mais intempestif, du clocher, il se pro- 
nonce carrément pour l'Allemagne; sans se préoccuper des 
preuves que d'autres peuples pourraient apporter à l'appui de 
leurs prétentions, il proclame que la nation allemande était 
seule apte par son génie particulier, par son organisation dé* 
mocratique, à inventer le journal, comme elle seule avait pu 
inventer l'imprimerie. Cette philosophie de l'histoire , si elle 
pouvait être admise , dit avec infiniment de raison M. Ruelens, 
simplifierait sans doute beaucoup la solution des grandes ques- 
tions litigieuses; mais le moindre document est plus concluant 
que toutes les preuves abstraites, et, en fait de documents, 
M. Prutz ne produit rien de plus que ces feuilles volantes qui 
abondent dans presque toutes les bibliothèques. 

De bonne heure, en effet, après l'invention de l'imprimerie, 
l'usage était devenu général d'imprimer sur des feuilles sépa- 
rées et de vendre à bas prix les relations de tous les événements 
remarquables , de tous les faits propres à affriander les lecteurs. 
Ces récits, n'ayant trait en général qu'à un seul fait, se pu- 
bliaient sous des titres divers, comme Relations, Nouvelles, Lettres , 
Avis, Courrier, et d'autres encore, dont ceux-là eurent le plus 
de succès, et sont restés, qui exprimaient de la manière la 
plus simple l'objet auquel ils se rapportaient ; tels sont les mots 
Gazette, Journal, en français; en allemand, Zeitung; en fia- 



— J2 _ 

mand , Ty dirige, etc., etc. Ces relations détachées devaient na- 
turellement conduire au journal ; mais ce ne sont point assuré- 
ment des journaux , elles n'en ont aucun des caractères consti- 
tutifs, ni uniformité de titre, ni succession régulière, ni pério- 
dicité fixe. 

On ne peut pas davantage regarder comme des journaux ces 
correspondances commerciales, écrites dans toutes les langues, 
que Jes grandes maisons de commerce faisaient multiplier par 
des copies et échangeaient entre elles , afin de se tenir au cou- 
rant des événements politiques de nature à influer sur les af- 
faires. 

La première publication quelque peu régulière qui soit venue 
jusqu'ici à ma connaissance vit le jour dans les Pays-Bas, à 
Anvers, au commencement du XVII e siècle. Un imprimeur de 
cette ville, Abraham Verhoeven, obtint en 1605 des archiducs 
Albert et Isabelle le privilège « d'imprimer et de graver sur 
bois ou sur métal, et de vendre dans tous les pays de leur 
juridiction, toutes les nouvelles récentes (Aile de nieuwe Tydin- 
ghen), les victoires, les sièges et prises de villes que lesdits 
princes feraient ou gagneraient. » Il n'est pas question des ba- 
tailles qu'ils pourraient perdre ; et on peut aisément supposer 
qu'il n'eût pas été permis à Verhoeven de les imprimer, pas 
plus que de les graver sur bois ou sur cuivre. 

On ne connaît d'ailleurs ce privilège que par la confirmation 
qui en fut accordée à Verhoeven en 1620. En profite-t-il im- 
médiatement, et dans quelle mesure, c'est ce qu'on ne saurait 
dire, les plus anciens numéros des Nieuwe Tydinghen que pos- 
sède la Bibliothèque royale de Bruxelles ne remontant pas au 



— 53 — 
delà de 1616. Mais on peut présumer que cette petite feuille 
parut d'abord à des intervalles indéterminés , suivant les évé- 
nements. Cela résulte, au surplus, d'un avis du 19 avril 1617 
disant qu'à l'avenir l'imprimeur fera paraître régulièrement, 
tous les huit ou neuf jours , les principales nouvelles de ce qui 
se passe dans les pays étrangers. En 162 1 les numéros ont un 
numéro d'ordre, et ils se succèdent dès lors plus rapidement; 
ainsi les années 1622 et 1623 ont 179 et 141 numéros, ce qui 
fait environ trçis numéros par semaine , et il en parait toujours 
au moins un , même quand les nouvelles font absolument dé- 
faut : tout est bon alors à l'éditeur pour remplir son cadre, 
une pièce devers, une ballade, un pamphlet, quoi que ce soit. 
Le numéro se compose le plus souvent de huit pages in-8, dont 
la première est occupée par un grand titre et une vignette em- 
pruntée d'ordinaire du principal événement dont il est ques- 
tion, et qui par conséquent varie chaque fois ; la huitième page 
aussi est assez souvent remplie par une vignette. 

Ce n'était là encore , tout illustré qu'il était, qu'un journal 
bien élémentaire; mais enfin c'était un journal. 

Pour ce qui est des Provinces-Unies, de la Hollande, on 
croit avoir, à Amsterdam, quelques raisons de penser qu'il 
existait dans cette ville vers 1617 ou 1619 des gazettes, ou 
au moins une , paraissant deux fois par semaine ; et l'on con- 
naîtrait deux imprimés de l'apnée 161 9, l'un de Leyde, l'autre 
de La Haye, ayant les apparences d'un numéro de journal. 

m 

Mais ce ne sont là que de bien faibles indices; et, en résumé, 
la plus ancienne gazette de Hollande aujourd'hui est celle de 



— 54 - 
Harlem, Haarlemsche Courant, qui ne remonte qu'à 1656. 
C'est là , j'en conviens , une antiquité fort respectable déjà , 
mais qui ne suffit pas pour qu'on décerne à cette feuille le 
titre de « patronne de toutes les gazettes de l'Europe », comme 
l'a fait, dans ses Lettrés sur la Hollande, M. Xavier Marinier, 
qui aurait pu , sans quitter Paris, voir, rue Coq-Héron, n° 5 , 
un journal français, la Gazette de France, qui daté de vingt- 
cinq ans plus haut, de 16} 1 . 

Bien longtemps auparavant , sans aucun doute , il parut en 
Hollande de ces feuilles volantes dont j'ai parlé , qui se pu- 
bliaient après chaque événement remarquable, et avaient trait 
le plus généralement aux faits militaires. Même les premières 
publications de ce genre que l'on trouve en Angleterre à la fin 
du XVI e siècle et au commencement du XVII e , et qui se mul- 
tiplièrent rapidement sous le nom de News (Nouvelles), étaient, 
pour ce qui concernait les affaires du continent, traduites le 
plus souvent du hollandais : les éditeurs avaient le soin de l'in- 
diquer sur le titre. On pourrait voir là un argument en faveur 
de la Hollande dans la question de l'origine des journaux ; 
mais , je le répète , on manque absolument de renseignements 
sur les premiers essais de a presse dans ce pays, essais, d'ail- 
leurs, 'qui n'étaient probablement, comme la traduction, que 
d'imparfaites ébauches , et il ne s'y est point conservé que je 
sache de corps de journal antérieur à la seconde moitié du 
XVII e siècle. 

Mais , chose étrange , nous sommes plus riches sous ce rap- 
port que les Hollandais eux-mêmes. J'ai été assez heureux pour 
déterrer à la Bibliothèque Mazarine quatre gazettes hollandaises 



— 55 — 
des années 16)7 et 1639, dont je donne plus loin la descrip- 
tion. Les deux premières, Tydingen uyi verscheydtn Quartier en, 
et Courante uyt Italien ende Duytschlandt, partent du même jour, 
30 juin 1637, et du même numéro 25 , et s'arrêtent l'une et 
l'autre à la fin de 1643 ; ce qui peut faire supposer un double 
abonnement, pris et quitté pour les deux feuilles à la même 
époque , et en même temps autorise à leur attribuer une exis- 
tence plus prolongée, comme une origine plus reculée. 

Comment naquirent ces premières gazettes, à quel mobile 
cédèrent leurs fondateurs, je ne puis le savoir; mais on voit 
de bonne heure ces derniers préoccupés d'ouvrir à leurs publi- 
cations un plus vaste champ. Éminemment doués, comme 
c'est le propre des Hollandais, de l'esprit des affaires, ils 
avaient bien vite compris quel excellent article d'exportation 
ce pouvait être que ces feuilles de nouvelles dont le public se 
montrait si avide, mais à la condition d'être écrites dans une 
langue plus universellement entendue que le hollandais. Le 
français était , je l'ai déjà dit et tout le monde le sait d'ailleurs, 
l'idiome le plus poli que l'on parlât alors en Europe , et le plus 
répandu , même en Hollande. La langue et la littérature fran- 
çaises étaient familières aux classes élevées dans toutes les pro- 
vinces de la république. « La langue française est si connue 
dans ce pays-ci , écrivait Bayle en 1684, que les livres-français 
y ont plus de débit qu'aucuns autres , et il n'y a guère de gens 
de lettres qui n'entendent le français, quoiqu'ils ne le sachent 
pas parler. » Cependant l'usage de s'exprimer dans notre langue 
avait été adopté de bonne heure par la plupart des grandes fa- 



-$6- 

milles, et quand vinrent les réfugiés, ils en popularisèrent la 
connaissance par leurs prédications, par leurs écrits, par les 
nombreuses écoles qu'ils fondèrent dans presque toutes les 
villes. Le français n'avait pas tardé à faire partie de l'ensei- 
gnement public, et même à être substitué au latin dans l'en- 
seignement des lettres et des sciences (i). 

Quand donc les éditeurs hollandais songèrent à faire com- 
merce de nouvelles, ils choisirent la langue française comme 
celle qui leur promettait le plus de lecteurs; ils trouvaient, 
d'ailleurs, parmi les réfugiés français, des plumes toujours 
prêtes, sinon toujours habiles. Quelques-uns firent aussi 
usage de l'allemand et de l'italien ; mais les gazettes françaises 
ont toujours été de beaucoup les plus nombreuses, et aussi les 
plus courues. 

La première gazette française de Hollande que je connaisse 
date de 1639. Elle a pour titre : Nouvelles des divers Quartiers. 
C'est la traduction littérale des Tydingen uyt verscheyden Quar- 
tieren , publiée parallèlement par le même éditeur, Broer Jansz, 
jadis courantier de Son Excellence. Elle s'arrête, comme l'ori- 

(1) Voici une annonce que j'ai rencontrée dans la Gazette d'Utrecht de il 
fin de 1757, et qui m'a paru offrir son petit intérêt : 

« Les bourgeois et régent de la ville de Veere avertissent que , la place de 
maître d'école française de cette ville étant devenue vacante , ils sont d'inten- 
tion d'en disposer, le I er avril 1738, en faveur d'une personne capable d'en- 
seigner à la jeunesse les fondements de la langue française , comme aussi à 
lire , écrire et chiffrer, et qui ait une femme qui possède les qualités requises 
pour enseigner toute sorte d'ouvrages aux jeunes demoiselles et filles, moyen- 
nant qu'ils soient l'un et l'autre de la religion réformée. L'appointement est 
de 200 risdales par an; on lui donnera aussi une maison , avec franchise des 
taxes de la ville et autres profits , outre ce que les enfants payent par mois. » 



.j 



-57- 
ginal, à la fin de 1643, du moins à la Bibliothèque Mazarine, 
où je l'ai rencontrée. 

A la même époque , un libraire d'Anvers publiait aussi pa- 
rallèlement une gazette française et une gazette hollandaise , 
portant le même titre : Den ordinarissen PostUlbn , — Le Pos- 
tillion ordinaire y — mais différant complètement par le texte. 

Depuis lors, depuis le milieu du XVII e siècle jusqu'au com- 
mencement de celui-ci, Amsterdam n'a cessé d'avoir une ou 
plusieurs gazettes françaises , autant du- moins qu'on peut le 
conjecturer, et, dans tous les cas, à de très-faibles internait? 
tences près. J'en trouve une à Leyde en 1678, laquelle fut, 
deux ans après, remplacée par les Nouvelles extraordinaires, de- 
venues fameuses sous le nom de Gazette de Lëyde. Rotterdam 
a la sienne vers 1680 ; La Haye vers 1690 , Utrecht en 17 10. 

Toutes ces gazettes, si ce n'est peut-être les toutes pre- 
mières, étaient écrites par des réfugiés, et dans un français 
contre lequel s'insurgeaient nos grands écrivains. « Les ga- 
zettes françaises faites à l'étranger, dit Voltaire , ont été rare- 
ment écrites avec pureté, et n'ont pas peu servi quelquefois à 
corrompre la langue. » Et Racine écrivait à son fils, en 169 1 : 
« Mon cher fils, vous me faites plaisir de me donner des nou- 
velles; mais prenez garde de ne les pas prendre dans les ga- 
zettes de Hollande, car, outre que nous les avons comme vous, 
vous y pourriez apprendre certains termes qui ne valent rien , 
comme celui de recruter, dont vous vous servez , au lieu de 
quoi il faut dire faire des recrues. » Il parait que ce mot de re- 
cruter avait quelque chose de bien étrange , car nous voyons 
Bayle, dans un passage que je cite plus loin, le défendre contre 



-5»- 
je ne sais plus quel critique , en alléguant l'emploi qu'on en 
faisait à l'étranger, et qu'en faisait notamment le gazetier fran- 
çais de Hollande alors le plus renommé. 

Cette faiblesse des gazettes françaises de Hollande sous le 
rapport du style n'a rien qui puisse surprendre. « Il est diffi- 
cile , disait dès ce temps-là un des plus célèbres réfugiés, Sau- 
rin , que ceux qui ont sacrifié leur patrie à leur religion parient 
leur langue avec pureté. » Cette dégénérescence d'une langue 
transplantée sur un sol étranger est, d'ailleurs, un fait qui s'est 
reproduit partout et dans tous les temps. 

Ajoutons que ce n'étaient pas les plumes les plus habiles qui 
se vouaient à ce métier de gazetier, alors très-peu honoré, 
même dans la républicaine Hollande. « Ce qu'il y a de vrai, 
dit Bayle , qui lui-même regardait ces pauvres gazetiers du 
haut de sa philosophie , c'est qu'en ce pays-ci on ne fait aucun 
cas des gazettes, et qu'on en regarde les auteurs comme des 
gens qui vivent de cela, et qui, pour avoir du pain, glosent 
et médisent avec la dernière indiscrétion, et quelquefois sans 
aucune sorte de jugement. » (8 mai 1684.) 

Des gens qui vivent de cela ! Voilà qui est un peu bien su- 
perbe pour un philosophe , et l'on pourra s'étonner de trouver 
un pareil langage dans la bouche de Bayle; on se demandera 
comment un pareil homme a pu ne pas comprendre ce qu'il y 
avait en germe dans ce nouvel instrument de propagande , si 
imparfaits qu'en fussent les premiers essais. Les gouvernements 
l'avaient bien mieux compris, à en juger par les efforts qu'on 
leur voit faire dès l'origine pour museler le journal; s'ils ne 
l'ont pas étouffé dans son berceau , c'est que fort heureusement 



— 59 - 
ils s'avisèrent du parti Qu'ils en pouvaient tirer eux-mêmes , et 
que plus tard il fut souverainement protégé par l'opinion pu- 
blique. 

Ce n'était point, d'ailleurs, un fait particulier à la Hollande, 
que ce dédain pour les gazetiers : il était universel; et c'est 
vraiment une chose étrange que cette répulsion de l'opinion 
publique venant s'ajouter aux persécutions du pouvoir contre 
une institution si éminemment utile aux intérêts des masses. 
Mais le fait est certain , les esprits eurent quelque peine à s'ha- 
bituer à l'idée qu'on pût faire commerce public de nouvelles. 
En Angleterre même cela parut une nouveauté Si suprenante et 
fit tant de bruit qu'un poète dramatique, Ben Jonson, crut 
qu'il y avait là matière à un excellent sujet de comédie , et en 
composa l'Approvisionnement des nouvelles. Dans cette pièce , il 
ridiculise l'entreprise des Weetty News, la première publication 
périodique quelque peu régulière qu'ait produite l'Angleterre , 
et leur rédacteur Butter, qu'il appelle maître Cymbal , mais 
dont le vrai nom , qui, en anglais , signifie beurre , revient à 
chaque instant sous forme de calembour. Ben Jonson lui donne 
pour collaborateurs réguliers quatre coureurs de nouvelles ou 
émissaires , chargés de recueillir tout ce qui se dit à la cour, au 
cloître de Saint-Paul, rendez-vous des badauds de Londres, 
à la Bourse, et à Westminster, où siégeaient les tribunaux. A 
ces quatre nouvellistes en titre il adjoint un mauvais poète , 
un docteur en médecine, et, comme rédacteur irrégulier, 
Lèche-ses-Doigts , cuisinier-poète qui consacre ses loisirs à 
faire des devises et autres vers de confiseurs. Le personnel ad- 



*■ i 



— '6o - 
ministratif se compose de maître Cymbal , d'un secrétaire qui 
enregistre les nouvelles à mesure qu'elles arrivent , de deux 
commis, et d'une foule de cartons avec de grandes étiquettes. 
Une brave paysanne se présente au bureau de maître Cymbal , 
et demande pour deux liards de nouvelles, afin d'en faire pré- 
sent à son curé. On la prie d'attendre quelques instants, parce 
que, si elle était servie à la minute, le public pourrait croire 
qu'on fabrique les nouvelles, au lieu de les recueillir. 

Voilà ce qu'on applaudissait en Angleterre en 1625. Long- 
temps encore après , les écrivains politiques dédaignèrent de 
se mêler aux conteurs de nouvelles /auxquels ils refusaient le 
titre d'écrivains. « Un journaliste , écrivait Cléveland , a autant 
de droit au titre d'écrivain qu'un colporteur au titre de com- 
merçant; quant à l'appeler historien, autant vaudrait qu'on 
appelât ingénieur un faiseur de souricières. » 

En France non plus on n'avait qu'une très-médioçre estime 
pour les gazetiers en général, et une plus mince encore pour 
les gazetiers de Hollande, si l'on en pouvait croire l'article que 
leur a consacré un recueil d'ailleurs fort estimable, article que 
je n'aurais certes pas songé à exhumer, si l'on n'avait pris la 
peine de me le signaler du fond de la Hollande. 

Dans son numéro de mars 1845 , le Magasin pittoresque a 
reproduit , sous le titre de « le Gazetier de Hollande , vieille 
allégorie », une « grotesque figure, copiée dans le recueil des 
vieilles caricatures internationales », et représentant une « ma- 
nière d'Esope, figure triviale mais expressive, les traits forte- 
ment marqués, le dos rond , les genoux cagneux, bizarrement 
accoutré », une latte au côté , et à son bonnet , en guise de 



— 6i — 

panache , une cuillère de bois, lequel, les yeux hagards et la 
langue pendante, fait effort pour soulever un broc. 

Pour voir là dedans rien qui rappelle , de si loin que ce soit , 
un gazetier, un marchand, si l'on veut, un fabricant de nou- 
velles, il faut avoir assurément « le sens de l'allégorie bien 
fin », suivant l'expression du Magasin pittoresque lui-même. 
J'avoue que, pour ma part, j'ai eu beau tourner et retourner 
cette grotesque figure, l'examiner à la loupe, écarquiller les 
yeux , je n'ai pu y découvrir le moindre des traits caractéris- 
tiques du gazetier, et vingt personnes que j'ai interrogées, et 
des plus compétentes, n'ont pas été plus habiles. Je n'en ai 
que plus admiré la pénétration du rédacteur du commentaire 
qui accompagne la gravure. Écoutez-le : « Voici une grotesque 
figure. Est-ce la Hollande, demanderez-vous , la Hollande re- 
tranchée derrière son énorme broc, au lieu de l'urne classique 
de Boileau, et prête à inonder ses campagnes de sa boisson 
favorite, un océan de bière où se noieront les Français ? Nos 
pères avaient le sens de l'allégorie un peu plus fin, et les goûts 
mythologiques du temps le leur raffinaient encore. Ceci donc 
nous représente , s'il vous plaît , un journaliste, je me trompe, 
un gazetier hollandais. La Hollande, pays libre, compta bien 
vite, parmi les fruits de la liberté, la gazette. Voyez cette ma- 
nière d'Esope.... Ce broc qu'il tient devant lui, et où vont 
plonger ses regards (erreur d'optique de la part du commenta- 
teur), n'est-ce pas l'emblème de sa feuille d'où sort cet in- 
tarissable flot d'encre qui menace de couvrir le monde ? Tou- 
jours plein et toujours vide , rempli le matin , épuisé le soir ; 
non plus le verre ni la bouteille qui suffisent à peine à étancher 



— 6l — 

la soif d'un seul buveur, mais le broc vaste et profond où 

peuvent se désaltérer largement toutes les lèvres ; non plus le 
vin généreux coulant goutte à goutte comme une liqueur cor- 
diale, mais la bière abondante comme Peau , et vous noyant 
le gosier et l'estomac sans aller au coeur; non plus le livre, 
mais la gazette. Oui , regardez-le bien , c'est là ce redoutable 
nouvelliste qui sème par toute l'Europe ces bruits alarmants; 
qui parie des Turcs comme s'il assistait en personne aux déli- 
bérations du divan , et menace de cent mille janissaires Bel- 
grade , le boulevard de la chrétienté. Mais où donc a-t-il vu 
toutes ces belles choses ? Dans son broc, dans le fond de son 
énorme broc. Quel brasseur, grands dieux!... Oh! c'est un 
terrible homme! Le secret des ambassadeurs et aussi des na- 
tions est dans sa main. Voyez comme il est armé en guerre ! 
Approchez un peu : un sabre au côté ; par malheur, c'est un 
sabre de bois. Puis ce panache que de loin vous aperceviez à 
son bonnet , c'est une cuillère à bière, l'emblème de sa plume- 
fontaine. Et ces bottes éculées, prenez-y garde, ce ne sont 
rien moins que les merveilleux houzeaux du grand ogre , les 
bottes de sept lieues qui vous mènent en dix pas notre homme 
d'Amsterdam ou de La Haye à Paris , à Londres, à Madrid, 
sans qu'il sorte de son cabinet noir. » 

Voilà qui est fort spirituel , sans doute ; malheureusement 
tout cela porte complètement à faux, et, le dirai- je? ce n'est 
pas sans quelque chagrin que j'ai rencontré dans un recueil 
foncièrement libéral cette plaisanterie surannée, qui prouve 
qu'on n'a jamais vu une de ces gazettes de Hollande dont se 



J 



-6j - 

préoccupait si fort Louis XIV, qu'on ne sait même pas ce que 
c'était qu'une gazette. 

Et puis on semble oublier que ces gazetiers hollandais 
étaient, en somme, des écrivains français; car, je ne saurais 
trop le répéter, ces gazettes de Hollande qui alimentaient le 
monde de nouvelles, autour desquelles il s'est fait tant de bruit, 
c'étaient les gazettes écrites en français , et non celles écrites 
en hollandais, que personne n'eût comprises hors des Pro- 
vinces-Unies, 4 et dont, par conséquent, on se souciait aussi 
peu en France, et ailleurs, qu'on se soucie aujourd'hui des 
gazettes turques ou chinoises, ou même des journaux hollan- 
dais actuels. 

Us faisaient cela pour vivre! Mais où donc est le mal? et en 
est-il si différemment aujourd'hui, je ne dirai pas seulement 
dans la profession de journaliste, mais dans toutes les autres, 
si libérales qu'elles soient ? C'était pour eux un métier, soit, — 
et il y a de mauvaises langues qui prétendent que ce n'est pas 
autre chose de nos jours, — mais ce métier, sciemment ou non, 
ils l'exerçaient au profit de l'affranchissement des corps et des 
âmes. 

Et songe-t-on aux difficultés qu'il présentait, ce métier, 
alors qu'il n'y avait ni chemins de fer, ni télégraphes, ni agence 
Reuter, ni manufacture Havas , et aux aptitudes qu'il exi- 
geait? « Il faut, écrivait en 1700 le critique qui s'est caché 
sous le nom de Vigneul-Marville, il faut tant de sortes de 
connaissances pour bien écrire une gazette , que la plupart des 
gens regardent comme une chose de rien, que je ne sais corn- 



-6 4 - 
ment on a osé l'entreprendre. » Et il ajoute : « Il n'y a qu'une 
seule chose qui fait tort à celui qui l'écrit , c'est qu'il n'est pas 
entièrement le maître de son ouvrage, et que, soumis à des 
ordres supérieurs, il ne peut dire la vérité avec la sincérité 
qu'exige l'histoire. Si on lui accordait ce point-là, nous n'au- 
rions pas besoin d'autres historiens. » Un autre critique, qui 
eut la velléité d'écrire l'histoire des journaux, Camusat, ap- 
puie cette opinion de Bonaventure d'Argonne sur l'utilité des 
gazettes, mais il se prononce, lui, pour la liberté restreinte. 
Je demanderai la permission de citer ce passage, curieux au 
point de vue général, et, de plus, intéressant d'une façon 
toute spéciale notre sujet : 

« Comme les gazetiers, dit-il, tendent fréquemment des 
pièges à notre crédulité, la prudence exige que nous apportions 
à la lecture de leurs ouvrages toute la circonspection qui nous 
peut empêcher d'être leurs dupes. Par exemple, ces messieurs 
ne manquent jamais de relever avec emphase le moindre avan- 
tage que remporte leur parti , et ils ont le même soin d'atténuer 
les bonnes fortunes du parti contraire. Il est vrai qu'ils ne font 
souvent en cela que suivre la loi qu'on leur impose, et qu'ils 
sont rarement les maîtres de raconter les événements tels qu'ils 
arrivent. Peut-être même qu'à peser les choses au poids de la 
politique , la violence qu'on leur fait sur cet article n'est pas 
condamnable. Une fausse nouvelle débitée en de certaines cir- 
constances , une nouvelle véritable supprimée pendant vingt- 
quatre heures, sont souvent le salut d'un grand État, et peuvent 
être l'origine des intrigues les plus importantes. Croit-on que » 
s'il y avait eu des gazettes à Rome du temps de Claude, 






_6 5 - 

Agrippine eût trouvé bon qu'un gazetier indiscret eût annoncé 
la mort de cet empereur, et rompu par là les mesures qu'elle 
prenait pour faire tomber l'empire à son fils ? Non certaine- 
ment; et elle eût eu raison. 

« Il n'est rien de si raisonnable que cette gêne que les princes 
imposent aux gazetiers, quand c'est pour une fin légitime, et 
en général il ne serait point à propos de laisser à ces sortes 
d'écrivains une liberté sans bornes, ni de leur permettre les 
réflexions hardies plutôt que sensées qui ne leur sont que trop 
ordinaires en certains pays. L'arrangement de la société de- 
mande qu'on les réprime, et l'expérience apprend que, dans 
les pays où les nouvellistes se piquent de sincérité , leurs ga- 
zettes sont moins des relations que des satires. En voici un 
exemple dont toute l'Europe a été témoin : 

« Les Hollandais ont affecté autrefois de maintenir une 
grande liberté d'écrire , et en cela ils suivaient les vues d'une 
politique saine et éclairée. Mais qu'en est-il aussi arrivé? C'est 
que, le gazetier s'étant emporté à parler insolemment de 
Louis XIV, déjà irrité des libelles insultants et des médailles 
frappées contre lui , le prince s'en prit à ses maîtres , et leur fit 
payer chèrement leur condescendance. M. de La Fare attribue 
en partie la guerre de 1672 à cette cause. Dans la suite, il s'est 
trouvé d'autres auteurs qui ont poussé si loin leurs invectives 
contre les têtes couronnées, et eu si peu de ménagements pour 
les puissances , que les Etats généraux ont été dans l'obliga- 
tion de mettre ordre eux-mêmes à tant d'excès. C'est ce qu'ils 
ont fait, par exemple, à l'égard des Nouvelles des cours de l'Eu- 
rope, publiées par Gueudeville. Sur les plaintes que M. d'A- 



\ 



- 66 — 
vaux leur porta de l'extravagante fureur de ce moine défroqué, 
ils lui défendirent de se mêler d'un métier où le savoir-vivre, 
le sang-froid et l'observation des bienséances sont d'un si grand 
usage. » 

Que les insolences des gazetiers de Hollande aient été la 
cause déterminante de l'invasion de 1672, il est permis d'en 
douter; c'a pu être tout au plus un prétexte, et, à défaut de 
celui-là, d'autres n'auraient pas manqué au conquérant. 

Voici d'ailleurs le passage du marquis de La Fare , qui ne 
donne pas précisément tort au gazetier : « On recommença la 
guerre , qui n'avait d'autre but que l'abaissement de la Hol- 
lande , dont le gazetier avait été trop insolent , et d'autre fon- 
dement que l'envie que Louvois, secrétaire d'État de la guerre, 
fils de Tellier, conçut alors de se faire valoir et d'embarrasser 
Colbert , leur ennemi , en l'obligeant de fournir des sommes 
immenses. Cette guerre s'entreprit d abord de concert avec 
Charles II, roi d'Angleterre, qui avait envie d'abaisser les 
Hollandais, en quoi il avait plus de raison que nous, car il 
attaquait les ennemis naturels du commerce d'Angleterre, et 
pour nous, nous attaquions des gens dont le commerce et 
l'alliance nous étaient avantageux. » Et plus loin il ajoute en* 
core : « Un État ne doit jamais agir contre de certains inté- 
rêts fondamentaux , à moins qu'il ne soit résolu de pousser les 
choses à l'extrémité et ne voie de l'apparence au renversement 
total de la puissance qu'il attaque. Nous n'avons jamais songé 
à prendre la Hollande , mais à la châtier. Mauvais dessein ! 
car nous avons imprimé la crainte et la haine dans le cœur de 
gens qui par leur intérêt propre étaient naturellement nos al- 



-6 7 - 
liés , et nous l'y avons imprimée de manière qu'ils ont prodi- 
gué leurs biens et risqué leur liberté pour nous abattre (i). » 

Je trouve dans ces mêmes Mémoires du marquis de La Fare 
une curieuse particularité , que je rapporterai tout de suite ici. 
On connaît la folle entreprise du chevalier de Rohan, en 1674, 
pour ouvrir la Normandie aux Hollandais. Les États de Hol- 
lande, dit notre auteur, étaient convenus, entre autres choses, 
que, quand tous leurs préparatifs seraient achevés , ils feraient 
mettre certaines nouvelles dans leur gazette. Elles y furent 
mises en effet , et pendant qu'une flotte hollandaise cinglait 
vers les côtes de France, les conjurés accouraient en Nor- 
mandie. On sait le reste. 

1 

L'histoire de notre Gazette offre une particularité du même 
genre. Le numéro du 31 décembre 1683 parut avec la lettre 
initiale du titre imprimée en rouge, ce qui ne manqua pas, on 
le pense bien , d'intriguer les lecteurs, et donna lieu à toutes 
sortes de suppositions. C'était, dit-on, un signe convenu entre 
le chancelier de France et le révélateur d'un complot tramé 
par les jésuites contre la vie de Louis XIV. 

Pour en revenir à l'invasion de 1672, nos lecteurs sont 
maintenant à même d'apprécier pour combien l'insolence du 
gazetier d'Amsterdam a pu entrer dans cette entreprise , dont 
les conséquences ont été si graves , et qui , à elle seule , expli- 
querait de bien autres emportements. 

Cependant, je l'ai déjà dit, le grand roi se préoccupait fort 

(1) Mémoires et réflexions sur les principaux événements du règne de 
Louis X!V, et sur le caractère de ceux qui y ont eu la principale part, par 
M. L. M. D. L. F. (Rotterdam, 1716, in-8), p. 66, 74. 



— 68 — 

des gazettes de Hollande; répétons-le, car nous ne sachions 
pas de meilleur argument en faveur de leur importance, il avait 
soin de se les faire lire toutes. La vérité, qu'il eût difficilement 
accueillie de la bouche de ses conseillers, il la cherchait dans 
ces feuilles damnées. Il y devait trouver souvent sur sa poli- 
tique , je ne dirai pas des réflexions, — il y en avait peu , — 
mais des mots malsonnants , qui pouvaient faire trembler le 
foudre dans ses mains ; et nul doute qu'il eût écrasé ces auda- 
cieux , s'ils n'eussent été hors de ses atteintes. 

Cela m'amène à m'expliquer sur une histoire de gazetier de 
Hollande enlevé par ordre de Louis XIV et enfermé au Mont- 
Saint-Michel , histoire forgée , ou tout du moins très-dénatu- 
rée par une imagination inventive, et qui va, comme tant 
d'autres, se répétant de livre en livre , si bien que les fouilleurs 
hollandais ont dû en prendre note comme d'un fait intéressant 
l'histoire de la presse dans leur pays. C'est ainsi qu'elle m'a été 
signalée par M. Campbell, qui l'avait relevée dans Y Histoire des 
Montagnards, d'Alphonse Esquiros, édition illustrée , où « il 
serait question d'un gazetier de Hollande qui , sous Louis XIV, 
aurait été tenu prisonnier dans les oubliettes du Mont-Saint- 
Michel, et y serait mort dans des tortures atroces. Ce mal- 
heureux s'appelait Franchin , et aurait été invité par Louis XIV 
à se rendre en France, où il aurait été fait prisonnier, et gardé 
pendant dix-sept ans dans une cage de fer, que Louis-Phi- 
lippe aurait fait détruire lors de son voyage en Normandie. » 

M 'étant reporté à l'Histoire des Montagnards, dont je n'ai 
trouvé à la Bibliothèque impériale qu'une édition, non illus- 
trée , j'y ai vu , en effet, que, dans un passage de l'introduc- 



- 6 9 - 
tion où il est question des prisonniers d'État, M. Esquiros en 
impute deux à Louis XIV : l'homme au masque de fer et le 
gazetier de Hollande, sans autre détail. J'ai voulu alors re- 
monter à la source , et voici ce que j'ai lu dans une Histoire 
du Mont-Saint-Michel comme prison dÊtat : 

« Parmi les détenus, il en est un qui a laissé dé profonds 
souvenirs : c'est un journaliste hollandais nommé Henri Du- 
bourg. (Ici ce n'est plus Franchin , altération probable du nom 
de Tronchin, rédacteur de la Gazette d'Amsterdam.) fcet écri- 
vain rédigeait à Francfort une feuille politique que son indé- 
pendance et son courage avaient entourée de l'estime publique. 
Louis XIV ayant été plusieurs fois l'objet de ses vives critiques, 
le journaliste vit l'intimidation et la séduction tenter tour à tour 
d'obtenir son silence. Vains efforts! le patriote fut inflexible; 
on ne put acheter sa plume, ni la briser; sa verve indépen- 
dante n'en prit qu'un essor plus hardi. Il attaqua même l'am- 
bition et la tyrannie du grand roi avec une vigueur et une jus- 
tesse qui allumèrent dans le cœur de ce souverain le vœu et le 
besoin d'être vengé. Il fit appeler le lieutenant général de po- 
lice , et , après lui avoir communiqué un des articles , il lui 
déclara que ni la nationalité de l'auteur ni l'inviolabilité du 
sol ne pouvaient le soustraire au châtiment. Des émissaires 
affidés reçurent des instructions et partirent immédiatement pour 
la Hollande. Arrivés à Francfort, ils étudièrent d'abord les ha- 
bitudes du journaliste. Un soir que, seul et plein de sécurité, 
il quittait l'imprimerie de sa gazette, il est saisi par quatre 
hommes, bâillonné, et jeté dans une chaise de poste qui prend 
au galop la route de France. » 



— 7© — 
Oites , voilà une mise en scène dont je ne voudrais pas nier 
l'habileté; j'admire surtout le flair de ces limiers lancés contre 
Du bourg, et qui, envoyés en Hollande, ne s'amusent pas, 
comme l'auraient fait de moins fins , à aller le chercher à La 
Hâve ou Amsterdam , repaires ordinaires de ces terribles gaze- 
tiers, mais poussent droit à Francfort. Malheureusement cette 
gazette phénoménale, ces tentatives de séduction , ce patrio- 
tisme inflexible , tout cela n'est que de la fantasmagorie. Une 
seule chose est vraie , c'est l'enlèvement, mais en 1745, c'est- 
à-dire trente ans après la mort de Louis XIV, d'un certain 
Henri Dubourg, Français, et non Hollandais, pamphlétaire, et 
non journaliste, qui fut en effet enfermé au Mont-Saint-Michel 
et j mourut dans une cage de fer. Voici , du reste, toute cette 
lamentable histoire, d'après les documents officiels conservés 
encore aujourd'hui dans les archives du département du Cal- 
vados, et une curieuse notice de M. Eugène de Robillard de 
Beaurepaire basée sur ces pièces, et insérée dans le tome 26 
des Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie; il 
m'a semblé qu'elle se rattachait assez étroitement à mon sujet. 
Dubourg était né a Espalion , dans le Rouergue , province 
du Midi de la France, en 1715, d'une famille catholique. Son 
véritable <nom était Victor de La Castagne ; suivant un usage 
assez commun alors , il avait quitté le nom de son père et pris 
celui de sa mère quand il s'était enrôlé parmi ces hommes que 
Voltaire a si bien peints dans une page de ses Remarques sur 
les mensonges imprimés , page écrite précisément à propos de 
Dubourg, ou du moins à laquelle le souvenir de Dubourg n'a 
pas été étranger. 



— 71 — 

<r Combien de mémoires secrets , d'histoires de campagnes, 
de journaux de toutes les façons , dit le célèbre écrivain , dont 
les préfaces annoncent l'impartialité la plus équitable et les 
connaissances les plus parfaites ! On dirait que ces ouvrages 
sont faits par des plénipotentiaires à qui les ministres de tous 
les Etats et les généraux de toutes les armées ont remis leurs 
mémoires. Entrez chez un de ces grands plénipotentiaires, 
vous trouverez un pauvre scribe en robe de chambre et en 
bonnet de nuit , sans meubles et sans feu , qui compile et qui 
altère des gazettes. Quelquefois ces Messieurs prennent une 
puissance sous leur protection : on sait le conte qu'on a fait 
d'un de ces écrivains qui, à la suite d'une guerre, demanda 
une récompense à l'empereur Léopold pour lui avoir entretenu 
sur le Rhin une armée complète de 50,000 hommes pendant 
cinq ans. Ils déclarent aussi la guerre , et font des actes d'hosti- 
lité; mais ils risquent d'être traités en ennemis. Un d'eux, qui 
tenait son bureau à Francfort, y fut malheureusement arrêté 
par un officier de notre armée en 1745 > et conduit au Mont- 
Saint-Michel dans une cage. Mais cet exemple n'a pas refroidi 
le magnanime courage de ses confrères. » 

C'est évidemment de notre Dubourg qu'il s'agit ici. Après de 
brillantes études faites à Toulouse et à Paris, il avait réussi, 
grâce à son esprit souple et délié, à se créer dans cette der- 
nière ville des relations honorables. Outre plusieurs ouvrages 
demeurés manuscrits, il publia, de 1743 à 1745, des traduc- 
tions du Montezuma de Dryden, de la Mirope de Maffei et du 
grand Dictionnaire géographique de Laurent Echard. Mais il n'a- 
vait pas tardé à se mêler à des intrigues politiques , et il avait 



— 72 — 

fini par mettre sa plume au service des cours étrangères : si 
bien que, ne se croyant pas en sûreté à Paris, il en sortit fur- 
tivement à la fin de 1 744, et se réfugia à Francfort , où , pour 
nous servir des termes des instructions envoyées pour son in- 
terrogatoire , « il distribua et fit distribuer des feuilles pério- 
diques, qu'il composait avec la licence la plus effrénée et sans 
aucun égard au respect qui est dû aux tètes couronnées. » 

Je ne connais de ces feuilles périodiques, ou plutAt.de ce li- 
belle, qu'un exemplaire, probablement unique, à la Bibliothèque 
de l'Arsenal. Il est sous forme de lettres, et se compose de 
deux petits tomes, contenant ensemble vingt-cinq lettres d'é- 
tendue fort inégale, et intitulés, le i cr , L'Espion, et le 2 e , Le 
Mandarin chinois en Europe; à Pékin, chez Ochaloulou, libraire 
de l'empereur Choanty, dans la rue des Tigres; avec cette épi- 
graphe : Quidquid délirant reges, plectuntur AchivL 

Le premier tome est terminé par une clef historique; il est 
dédié à S. A. S. le duc de Virtenberg. Le second tome J'est « à 
Sa Majesté Impériale le Bon Sens », à qui Dubourg promet de 
« faire pleuvoir sur les calyphes et les visirs qui s'affranchiraient 
de ses lois la dragée amère de la satire, et de mêler d'une main 
respectueuse de l'absinthe dans le nectar de la flatterie qui les 
enivre sans cesse. » Du reste, il assure, dans sa préface, qu'on 
« ne trouvera point chez lui cette basse partialité qui dégrade 
les ouvrages de ce genre. » Ecoutez plutôt. Dans sa douzième 
lettre, il supplie ceux qui n'ont souscrit que pour trois mois de 
revenir à la charge pour le reste de l'année, sans quoi c'est la 
dernière feuille qu'ils recevront, et il insiste particulièrement 
auprès des calyphes et de leurs mandarins du premier ordre, 



. V 



— 73 - 
auxquels il essaye de faire comprendre qu'il est de leur intérêt 
de souscrire aux Lettres chinoises. « Malheur à celui qui les 
« aura dédaignées , s'il joue un rôle éclatant sur le théâtre du 
« monde! Orosmane se charge de l'en faire repentir. » Et 
ailleurs : « La plupart des mandarins de l'Europe sont brouillés 
« avec la vérité depuis bien longtemps : aussi la nouvelle que 
« je leur annonce ne coulera pas agréablement dans leurs 
« oreilles. N'importe; je suis payé pour venger les outrages 
« que Jes grands font à la raison , je m'acquitterai de mon de- 
ce voir. Il n'y a qu'un seul moyen défaire tomber la plume de mes 
« mains, c'est d! éblouir mes yeux par t éclat de Vor. » (Lettre 1 5 , 
t. 1, p. 107.) 

Voilà l'homme. Quant au pamphlet , une courte citation suf- 
fira pour en donner une idée. « Il y a une Agrippine en Eu- 
« rope. Son époux Claudius ne règne point , il ne sait qu'obéir ; 
« il adopte, il approuve, il applaudit : voilà ses occupations. 
« Agrippine commande avec un empire absolu ; ses avis do- 
« minent dans les conseils; elle punit, elle récompense, elle 
« condamne et elle absout : son pouvoir est sans bornes. Si le 
jeune Néron n'est point encore à la place de Britannicus , 
« c'est que Claudius est encore en vie. D'ailleurs, toutes les 
« mesures sont prises. Grand Dieu ! quelles ressources ne trouve- 
« t-on pas dans les secrets de la chimie ! La tendresse tune mère 
« est bien ingénieuse! » (T. 1, p. 85.) 

Si l'on veut bien se rappeler quels rapports existaient à ce 
moment entre les cours de Paris et de Madrid , on comprendra 
la sensation que dut produire une attaque aussi odieuse. Quoi 
qu'il en soit, vivement traqué par la police française, Dubourg 



- 74 — 
finit par être arrêté à Francfort , et il fut immédiatement dirigé 
sur le Mont-Saint-Michel. Les instructions envoyées pour son 
interrogatoire à l'intendant de la généralité de Caen sont des 
plus rigoureuses. « S'il ne répondait pas clairement, écrivait 
Voyer-d'Argenson, je ne craindrais pas de lui dire qu'il s'expose 
à une question inévitable, parce que tout ce qui est crime d'État 
se règle par des maximes différentes du droit commun. » Il ne 
parait pas qu'il ait été nécessaire de recourir aux moyens d'in- 
timidation insinués par le ministre. Dubourg s'avoua sans 
trop de difficulté l'auteur de l'Espion chinois , et confessa même 
qu'il avait agi à l'instigation de certaines cours d'Allemagne. 
Mais si ces aveux lui épargnèrent la torture , ils ne rendirent 
point sa captivité plus douce. On en jugera par un extrait d'un 
rapport dressé par un agent qui avait été envoyé au Mont pour 
vérifier l'état des dépenses relatives au prisonnier, dont les re- 
ligieux réclamaient le remboursement. 

« Premièrement, lit-on dans ce curieux document, j'ai vu 
qu'ils onl fait faire deux portes neuves, épaisses de plus de 
deux pouces , larges de trais pieds , sur sept à huit de hauteur, 
dont une sert à l'entrée de la voûte, et l'autre à l'appartement 
où est la cage ; toutes les deux bien garnies de bandes de fer, 
avec deux serrures et deux forts verrous à chaque porte. Il y 
avait à la fenêtre de l'appartement , qui est une grande voûte , 
une grille de fer que la rouille avait minée en haut et en bas 
des barreaux. Ce prisonnier leur étant si étroitement recom- 
mandé , ces religieux ont été obligés de faire placer deux fortes 
grilles à cette fenêtre, une en dedans, l'autre en dehors. La 
première pèse 1 ;o livres, la seconde joo, suivant les mémoires 



- 75 — 
que ces messieurs m'ont représentés. Il a été aussi besoin de 
près de 30 livres de plomb pour enclaver ces grilles. On a 
aussi été obligé de faire réparer la cage, qui est de huit à neuf 
pieds en tous sens, et pour ce il a été besoin de crampons, 
ceintures et bandes de fer. On a aussi fait couvrir la cage avec 
sept à huit grosses planches de bois, l'eau filtrant dans le 
mauvais temps à travers la voûte et qui tombait dans la cage , 
ce qui incommodait beaucoup le prisonnier. Pour toutes ces 
dépenses, ces messieurs me les font monter à 420 livres. » 
Les religieux , du reste , se montrèrent , à ce qu'il parait , com- 
patissants pour leur prisonnier; mais les quelques adoucisse- 
ments qu'ils purent apporter à sa cruelle situation n'étaient que 
des palliatifs bien insuffisants pour combattre l'influence délé- 
tère d'un souterrain où le froid et l'humidité étaient tels, qu'a- 
près six heures de séjour le président de l'élection d'Avranches 
avait été forcé d'interrompre l'interrogatoire du prisonnier, et 
de se retirer, après avoir consigné dans son procès-verbal qu'il 
y était contraint par la température glaciale du lieu , qu'il lui 
était impossible de supporter davantage. Dubourg y résista 
pendant un an et quatre jours ; il mourut dans un accès de folie 
furieuse, « sans repentir et en désespoir, dit le rapport officiel, 
après avoir déchiré tous ses habits, » le 26 août 1746. 
Voilà toute cette histoire, qu'on a si étrangement défigurée. 
Ce n'est pas moi assurément qui chercherai à atténuer l'o- 
dieux de pareilles atrocités ; tout ce que je veux faire remar- 
quer , c'est que ce ne fut point par les gazettes de Hollande 
qu'elles furent provoquées. Ces gazettes , en effet , ont un peu 
joué le rôle du bouc émissaire : on a volontiers mis sur leur 



— 7<S — 
compte toutes, les iniquités imputables aux écrits plus ou moins 
périodiques de toute nature publiés en Hollande, — et même 
ailleurs, comme on vient de le voir, — dans les XVII e et 
XVIII e siècles, et que, pour la forme au moins, il importe de 
distinguer. 

Nous avons dit comment s'était faite d'abord la propaga- 
tion des nouvelles, au moyen de feuilles volantes publiées à 
mesure que les événements se produisaient, et, en général, 
n'ayant trait chacune qu'à un seul événement. L'expansion du 
commerce, les relations plus multipliées entre les diverses 
nations, leurs luttes mêmes, surtout les guerres, rendirent ces 
publications plus fréquentes ; on fut naturellement conduit à 
réunir plusieurs événements sur la même feuille ou dans le 
même cahier ; enfin on en vint à donner un titre uniforme à 
ces feuilles volantes, à établir entre elles un ordre de succes- 
sion et à leur assigner un retour périodique : on eut alors ce 
qu'on appela, suivant les pays, tydinghen, zeytung > gazette, ce 
qu'on désigna plus tard sous le nom, parfaitement approprié, 
de papier-nouvelles, ce qu'aujourd'hui enfin nous nommons, en 
France, journal, nom réservé, dans l'origine, aux écrits pério- 
diques littéraires. 

C'était, à cette époque, je l'ai déjà fait observer, une grosse 
affaire que la composition d'une gazette. « Si, dit le créateur de 
notre première feuille périodique, Théophraste Renaudot, si la 
crainte de déplaire à leur siècle a empêché les bons auteurs de 
toucher à l'histoire de leur âge, quelle doit être la difficulté 
d'écrire celle de la semaine, voire du jour même où elle est 



— 77 — 
publiée ! Joignez-y la brièveté du temps que l'impatience de 
votre humeur me donne, et je suis bien trompé si les plus 
rudes censeurs ne trouvent digne de quelque excuse un ouvrage 
qui se doit faire en quatre heures de jour que la venue des 
courriers me laisse, toutes les semaines, pour assembler, ajus- 
ter et imprimer ces lignes. En une seule chose , ajoute-t-il, ne 
céderai-je à personne, en la recherche de la vérité, de laquelle 
néanmoins je ne me fais pas garant, étant malaisé qu'entre 
cinq cents nouvelles écrites à la hâte, d'un climat à l'autre, il 
n'en échappe quelqu'une à nos correspondants qui mérite d'être 
corrigée par son père le temps. » C'est là un inconvénient 
inévitable, qui n'a rien de bien dangereux quand la mauvaise 
foi n'y est pour rien ; « peut-être même se trouvera-t-il des 
personnes curieuses de savoir qu'en ce temps-là tel bruit était 
tenu pour véritable. » Cependant, pour en atténuer encore les 
conséquences, Renaudot prit le parti de publier à la fin de 
chaque mois un numéro supplémentaire qui en résumait et en 
éclairait les événements; mais, « quelques-uns trouvant trop 
libre la naïveté des jugements qu'il croyait être obligé de faire 
dans ces relations des mois, sous le titre d'État général des 
affaires, » il fut bientôt obligé d'y renoncer, pour s'en tenir à 
son rôle de greffier, et il les remplaça par des suppléments con- 
tenant « la seule et simple narration des choses qui se trou- 
vaient le mériter, à mesure qu'elles se présentaient. » 

Cependant l'idée dont Renaudot avait déposé le germe dans 
ses relations des mois porta ses fruits ; elle fut reprise par d'au- 
tres novateurs, qui firent de ces résumés mensuels des publica- 
tions spéciales et régulières, auxquelles on courut comme aux 



- 7 8- 
gazettes, tant la soif des nouvelles étah bientôt devenue 
grande. De là ce que nous appelons aujourd'hui des revues, et 
qu'on désigna alors sous le nom général de mercures, nom 
donné auparavant à des sortes d'annuaires, comme le Mercure 
français de Richer, fondé en 1605, dont on fait généralement, 
mais très à tort, la tête du Mercure galant, avec lequel il n'a 
aucune espèce de connexité. 

Entre les gazettes et les mercures, un troisième genre s'était 
fait jour à la faveur des troubles de la Fronde, le petit journal, 
le journal frondeur, satirique, ou plutôt le pamphlet périodique. 
On sait avec quelle force éclata, en France, à cette époque, 
l'esprit polémique ; il n'est personne qui n'ait entendu parler 
de ces myriades de libelles, connus aujourd'hui sous le nom de 
mazarinadeSy qui, pendant près de quatre années, vinrent cha- 
que jour alimenter, aviver la curiosité et les passions de la 
multitude. Quelques-uns de ces libelles revêtirent la forme du 
journal; mais ces publications, qui, en général, ne valaient pas 
mieux parle fond que parla forme, disparurent — momentané- 
ment — avec la cause qui les avait produites, et quand, après 
la guerre, la Gazette rentra à Paris, d'où elle avait été obligée 
de s'exiler, et réclama sa place, elle ne trouva devant elle que des 
cadavres ou des fantômes. Cependant il resta de ce mouvement 
les gazettes en vers, nommées aussi gazettes burlesques, aux- 
quelles succéda, après une vingtaine d'années, le Mercure galant, 
qui mêla les vers à la prose et allia la politique à la littérature, 
ou, si l'on veut, l'histoire à la fantaisie. 

En Hollande, la presse périodique suivit absolument la 



— 79 — 
même marche. Les premières publications à périodicité régu- 
lière que l'on y trouve, dans la première moitié du XVII e siècle, 
ce sont les feuilles de nouvelles, les gazettes. Ces publications, 
qui sont à peu près toutes de format petit in-folio ou in-4 à 
deux colonnes, paraissaient d'abord une, puis deux, et quel- 
ques-unes même trois fois par semaine. Les nouvelles y sont 
rangées par pays, en partant des plus éloignés, ce qui revient 
à dire suivant l'ordre des dates. Les nouvelles de l'extérieur 
leur sont fournies en partie, sans doute, par les papiers étran- 
gers ; mais elles ont dès l'origine des correspondants dans les 
principales villes de l'Europe. (Voyez ci-dessous le Nouveau 
journal universel.} L'insuffisance et l'irrégularité des communi- 
cations les obligent à donner de fréquents suppléments, et 
bientôt l'abondance des matières est telle que ces suppléments 
deviennent de très-bonne heure réguliers, que chaque numéro 
a son supplément, sa suite. L'intérêt de cette seconde partie 
est souvent plus grand que celui de la première, et il va tou- 
jours en augmentant; on y trouve les relations développées 
des principaux événements, les documents historiques, et aussi 
des correspondances détaillées, dans le genre — toute propor- 
tion gardée — de celles de V Indépendance belge. 

Le ton général de ces feuilles, surtout dans l'origine, est 
calme, monotone. Ce sont de simples chroniques, qui s'adres- 
sent moins à la passion du public qu'à sa curiosité. Les faits y 
sont simplement enregistrés, sans presque jamais de réflexions; 
mais on comprend qu'ils pouvaient, dans leur vérité même, y 
être présentés d'une façon qui ne plût pas toujours en France. 
Je ne prétends pas dire, d'ailleurs, que la vérité y fût toujours 



_ 80 - 
respectée, ni les faire meilleures qu'elles n'étaient. C'étaient des 
gazettes, avec tous les vices originels de ces sortes de publi- 
cations, vices que le baptême de la civilisation est loin d'avoir 
complètement effacés. Bayle, que je cite souvent, moins à cause 
de la valeur de son témoignage que parce que c'est à peu près 
le seul écrivain contemporain chez lequel j'aie trouvé , noyées 
dans l'immensité de ses oeuvres, quelques particularités sur les 
gazettes de Hollande, qu'il connaît du reste assez mal , il en 
convient lui-même , sur la valeur desquelles son jugement pa- 
rait hésitant, Bayle, dis-je, a fait de ces gazettes avec quelques 
autres un parallèle dont j'ai déjà cité quelques traits, et que je 
demanderai la permission de reproduire tout au long. 

<( Le roi part aujourd'hui, et c'est un avertissement aux ga- 
zetiers de faire provision de plumes et d'encre , comme le dit 
l'empereur Charles V à Paul Jove lorsqu'il se préparait à son 
expédition de Provence. Je trouve le gazetier de Bruxelles 
d'un caractère d'esprit fort enveloppé ; il narre fort désagréa- 
blement, et son style est horrible. Celui d'Amsterdam a l'esprit 
net ; il fait bien un conte ; il a le style fort propre pour la nar- 
ration, mais non pas tout à fait exempt de fautes; il badine 
quelquefois et donne dans le quolibet fort souvent. Celui de 
France tient fort sa gravité, et on dirait qu'il tranche de l'histo- 
riographe d'importance ; ses railleries sont d'honnête homme, 
éloignées du burlesque, du caractère bas : cette gravité lui fait 
tort, car on s'imagine qu'il y a de l'hyperbole en tout ce qu'il 
dit, sous prétexte qu'il soutient fort majestueusement son style. 
Je crois qu'ils mentent tous trois, mais avec cette différence, 
que celui de Hollande est le plus menteur de tous, ensuite 



— 8i — 
celui de Bruxelles, et puis le nôtre. La raison de cela n'est pas 
que les Français soient moins hardis que les autres à débiter 
une fausseté ; c'est que M. Guilleragues, homme qui fait pro- 
fession d'honneur et de bel esprit, serait berné dans le grand 
monde, où il est fort connu, s'il lui échappait des bévues ou 
faussetés grossières. Ainsi, étant le garant du gazetier de 
Paris, il corrige si bien son travail qu'il le garantit ensuite 
pour bon devant toute sorte de critiques. Je vous assure, mon* 
sieur, qu'on ne lui fait point grâce, soit qu'il se trompe sur la 
géographie, soit qu'il se serve de mots impropres en parlant de 
la marine ou de l'art militaire ; et cela l'oblige de se tenir bien 
sur ses gardes. Il est vrai qu'il est paresseux naturellement, et 
qu'outre cela il est horriblement persécuté par ses créanciers. 
On connaît que ses créanciers le harcèlent lorsque la gazette est 
plus faible que de coutume ; et ceux qui savent le mal que c'est 
d'être endetté lui pardonneront plus aisément. 

<c Pour le gazetier de Hollande, il ne se met guère en peine 
de sa réputation de bonne foi ; c'est un gaillard qui tombe sur 
tout le monde, et qui publie généralement tout ce qu'on lui 
écrit. De là vient qu'il fait si souvent changer le caractère de 
l'impression dans une même gazette, afin d'avoir place pour 
mettre tout. Sa gazette est le véhicule des médisances de toute 
l'Europe ; car, quand on veut se venger de quelqu'un, on n'a 
qu'à forger un conte malicieux ou ridicule de lui, et l'envoyer 
a Amsterdam : vous le verrez en beaux draps blancs par le 
premier ordinaire. C'est ainsi que les ennemis de Baptiste lui 
ont fait pièce deux ou trois fois ; et c'est une menace qu'on se 
fait assez ordinairement : Je te ferai coucher sur la Gazette de 

6 



- 8a — 
Hollande. Au reste, il craint fort peu les reproches qui lui pour- 
raient être faits ; il croit qu'il en sera quitte pour dire qu'on lui 
a envoyé de faux mémoires. » 

Et quelle autre réponse pourrait-il faire, en effet? N'est-il 
pas de toute impossibilité qu'un journaliste vérifie l'exactitude 
de tous les renseignements qui lui sont transmis ? Bayle en 
convient lui-même un autre jour, et n'hésite pas à admettre la 
bonne foi. « Les gazetiers, dit-il ailleurs, ne sont pas respon- 
sables des faussetés qu'ils débitent ; leur bonne foi se conserve 
tout entière pourvu qu'ils n'impriment rien qui ne leur soit 
mandé par leurs correspondants. » Et somme toute , il admet 
que les gazettes peuvent être citées par des auteurs graves — 
question débattue alors ; on allait même jusqu'à discuter celle de 
savoir si on pouvait les lire, — et nous l'entendrons tout à l'heure 
exprimer le vœu qu'on ne tardât pas à en donner l'histoire. 

Après tout , ces a médisances », ces « contes malicieux ou 
ridicules », n'avaient rien de bien méchant. En veut-on un 
exemple ? En voici un que j'emprunte à Saint-Simon : « Le 
prince d'Orange, dit-il , avait investi Namur les premiers jours 
de juillet 1695, avec une partie de son armée, laissant le reste 
sous les ordres de M. de Vaudemont. Le maréchal de Villeroy 
serrait le plus près qu'il pouvait ce dernier, qui, de beaucoup 
plus faible, mettait toute son industrie à esquiver. L'un et 
l'autre sentaient que tout était entre leurs mains : M. de Vau- 
demont que de son salut dépendait lé succès du siège de Na- 
mur, et le maréchal de Villeroy qu'à sa victoire était attaché le 
sort des Pays-Bas, et très-vraisemblablement une paix glo- 
rieuse. Il prit donc si bien ses mesures, et il s'approcha telle- 



-8,- 

ment de M. de Vaudemont le i ? au soir qu'il était impossible 
qu'il lui échappât le 14, et il le manda ainsi au roi par un cour- 
rier. Le 14, dès le petit jour tout fut prêt. C'était à la gauche, 
placée sous les ordres de M. du Maine, à commencer, parce 
qu'elle était la plus proche. Le maréchal manda donc au prince, 
dès qu'il fit jour, d'attaquer et d'engager l'action. Mais M. du 
Maine voulut d'abord reconnaître, puis se confesser, après 
mettre son aile en ordre, qui y était depuis longtemps et qui 
pétillait d'entrer en action; bref, il fit si bien, malgré les 
ordres réitérés du maréchal , que M. de Vaudemont s'échappa. 
Toute notre armée était au désespoir. M. de Villeroy était plus 
outré que personne ; mais il était trop bon courtisan pour s'ex- 
cuser sur autrui. Il se borna à mander au roi que la diligence 
dont M. de Vaudemont avait usé dans sa retraite l'avait sauvé 
de ses espérances, qu'il avait cru certaines. Le roi, qui, depuis 
vingt-quatre heures, les comptait toutes, dans l'attente si déci- 
sive d'une victoire, fut aussi surpris que touché quand il apprit 
la tranquillité de cette journée. Un compte si général et si court 
rendu d'un événement si considérable et si imminent réduit à 
rien le tint en inquiétude ; il se contint en attendant un éclair- 
cissement du temps. Il avait soin de se faire lire toutes les 
gazettes de Hollande. Dans la première qui parut, il lut une 
grosse action à la gauche , des louanges excessives de la va- 
leur de M. du Maine ; que ses blessures avaient arrêté le succès 
et sauvé M. de Vaudemont, et que M. du Maine avait été em- 
porté sur un brancard. Cette raillerie fabuleuse piqua le roi ; 
mais il le fut bien davantage de la gazette suivante, qui se ré- 
tracta du combat qu'elle avait raconté , et ajouta que M. du 



-8 4 - 
Maine n'avait pas même été blessé. Tout cela donna au roi des 
soupçons qui l'agitèrent, et il n'eut de cesse qu'il ne connût 
la vérité, et la douleur lui en fut insupportable. Il sentit pour 
ce cher fils tout le poids du spectacle de son armée et des 
railleries que les gazettes lui apprenaient qu'en faisaient les 
étrangers, et son dépit en fut inconcevable. » 
. Que le grand roi fût piqué de cette raillerie fabuleuse, que 
le duc du Maine fût mortifié , furieux, d'être ainsi couché dans 
la gazette de Hollande, on le comprend aisément ; mais où est 
le mal, en somme ? Et la vérité n'eût-elle pas pu être dite plus 
durement ? Enfin c'est la vérité , singulièrement altérée dans 
cette circonstance par notre gazette , comme les curieux pour- 
ront s'en assurer, et nous devons de la connaître à la gazette 
de Hollande, et aux Mémoires de Saint-Simon, une gazette 
qui ne le cède à aucune autre en malice. 

Pour comprendre l'émotion que causaient ces hardiesses des 
gazettes de Hollande, il faut se remettre en situation. Le 
journal ne faisait que de naitre ; il venait jeter sur les hommes 
et sur les choses un jour auquel oh n'était pas habitué, toute 
espèce de publicité ayant à peu près fait défaut jusque-là. Bien 
plus , car l'essence du journal c'est la critique , il s'arrogeait 
un droit de censure, d'examen tout au moins, qu'on devait 
difficilement accepter, qui que l'on fût. Quand Denis de Sallo 
fonda le premier journal littéraire et s'avisa de donner son avis 
sur les œuvres de celui-ci et de celui-là, bien qu'il ne s'écartât 
jamais, dans ses critiques, des règles de la politesse et de la 
modération , une hardiesse si nouvelle souleva des tempêtes 



parmi le gênas irtitabile vatum. La république. des lettres, qui 
n'était pas accoutumée alors à cette autocratie du journalisme, 
se révolta contre ce censeur d'un nouveau genre, qui venait, 
de son autorité privée, se poser en arbitre suprême des sciences, 
de la littérature et des arts. Jusque-là les auteurs siffles avaient 
trouvé dans les petites coteries des applaudissements qui les 
dédommageaient de la prétendue jalousie de leurs rivaux; 
mais un journal qui citait impérieusement à sa barre les écri- 
vains grands et petits , qui venait donner une voix publique 
aux critiques sourdes et cachées et les révéler à l'Europe, un 
pareil journal portait une atteinte impardonnable à l'inviola- 
bilité que s'étaient décernée les auteurs. Ménage, dont l'éru- 
dition avait été critiquée, et plusieurs autres, blessés dans leur 
amour-propre, se coalisèrent pour étouffer la feuille coupable 
de lèse- vanité littéraire , et , aidés des jésuites , qui n'avaient 
pu voir sans déplaisir s'élever un tribunal littéraire et philoso- 
phique qui ne relevait pas d'eux, ils obtinrent qu'il serait fait 
défense à de Sallo de continuer sa publication. Colbert lui- 
même, qui aimait et protégeait le journal et son auteur, n'avait 
pu s'opposer au coup qui le frappa; mais, heureusement, cet 
esprit éclairé avait trop bien compris ce qu'un ouvrage de la 
nature du Journal des Savants répandait d'émulation, et com- 
bien il pouvait être utile au progrès des lettres, pour souffrir 
que le projet en fût à jamais abandonné. 

Par ce qui se passa dans la république des lettres, on peut 
juger comment fut accueilli cet impertinent censeur dans les 
classes qui ne se piquaient pas de républicanisme, dans les 
hautes sphères. Toute vérité de sa part était regardée comme 



Un outrage , la moindre critique , la raillerie la plut innocente , 
comme une satire et une offense. 

Chez nous, on le sait, l'opinion publique n'eut point, jus- 
qu'en 1789, d'organe régulier, de tribune habituelle. Notre 
unique gazette avait toutes les réserves d'une feuille officielle. 
La censure publique ne pouvait se produire que dans ces pu- 
blications clandestines dont j'ai parlé , et cela aux risques et 
périls de leurs auteurs, exposés, s'ils étaient découverts , à 
être attachés au pilori , battus de verges, bannis, sinon à se 
voir diminués de leur nez ou de leurs oreilles par quelque 
gentilhomme qui trouvait la justice trop lente. 

Dans de pareilles conditions , cette petite presse de con- 
trebande, qui, politiquement parlant, d'ailleurs, n'était pas 
bien séditieuse, ne pouvait avoir, si avidement recherchée 
qu'elle rut , qu'une publicité très-restreintc ; mais elle était en 
quelque sorte complétée par la presse étrangère. Les nouvelles 
à la main , en effet , s'en allaient à l'extérieur, et il était impos- 
sible que leurs indiscrétions, ou même leurs petites méchan- 
cetés, ne trouvassent pas de l'écho dans les gazettes du dehors, 
notamment dans celles de Hollande, écrites par des hommes 
justement ulcérés; il était impossible que, dans ce XVIII* sièck 
si éminemment frondeur, les correspondances spéciales adres- 
sées à ces feuilles, souvent par les auteurs mêmes des gazettes 
clandestines, ne se ressentissent pas du milieu dans lequel elles 
étaient écrites, n'en. prissent pas le ton. C'est ainsi qu'à une 
certaine époque on vit la Gazette d'Utreckt prendre les allures 
du pamphlet, visant à l'effet, au bruit; elle put réussir ainsi, 



-8 7 - 
comme je l'ai lu quelque part , à « amuser pendant un certain 
temps les oisifs par ses bavardages, sa gaieté et sa malignité, » 
mais elle fut bientôt obligée de rentrer dans le devoir, dans les 
convenances, et l'écrivain .qui Pavait engagée dans ces voies 
périlleuses y perdit son privilège. 

Il est bon qu'on sache, en effet , que les gazettes en Hol- 
lande , comme partout ailleurs , existaient en vertu d'un privi- 
lège, d'un octroi qui leur était concédé : « Avec privilège de 
Nosseigneurs les Etats généraux de Westfrise et de Hollande », 
lit-on dans le titre ou dans la souscription de chacun de leurs 
numéros. Cela montre déjà que la liberté de la presse n'était 
pas aussi absolue dans la république des Provinces-Unies qu'on 
est généralement porté à le penser ; ce que je crois pouvoir 
faire remarquer sans blesser les souvenirs d'un passé dont on y 
est justement fier, sans offenser ce sentiment inné de l'indé- 
pendance et de la liberté dont s'honore ce peuple hospitalier, 
sentiment que, tout récemment encore, glorifiaient à l'envi les 
orateurs du Congrès de l'association internationale pour le pro- 
grès des sciences sociales , et qui était déjà affirmé par nos di- 
plomates près de trois cents ans auparavant. « C'est une liberté 
propre de ces peuples d'y dire et discourir tout ce qu'on pense, » 
écrivait en 1 599 à M ..de Villeroy l'ambassadeur de Henri IV à 
La Haye, Paul Choart, seigneur de Buzanval. — « Nous 
sommes, écrivait-il encore, parmi un peuple qui estime une 
partie de la liberté en la franchise de parler. » 

Jusqu'à quel point cette franchise de parler pouvait-elle se 
traduire par la voie de l'impression, c'est ce que je n'ai pas 



— 88 — 
à examiner ici en thèse générale. Si l'on en jugeait par ce que 
nous connaissons, par cette multitude de pamphlets contre 
Louis XIV. que les presses d'Amsterdam, de La Haye, de 
Leyde, déversèrent sur la France , il semblerait que les livres 
et les brochures avaient un cours absolument libre. Il y aurait 
pourtant à se demander si ce n'était pas là un fait particulier, 
qui tenait à un état d'hostilité presque permanent entre la Hol- 
lande protestante et libérale et la France catholique et intolé- 
rante de Louis XIV , et encore à examiner pour combien la 
question du lucre a pu entrer dans cette immense fabrication 
de livres prohibés en France et uniquement destinés à l'expor- 
tation. 

Mais je n'ai à m'occuper ici que des gazettes , et il est cer- 
tain qu'elles n'ont jamais été complètement libres. Indépen- 
damment du privilège dont elles durent être revêtues de bonne 
heure, si ce n'est de tout temps (i), il leur était absolument 
interdit de discuter les actes du pouvoir local, et ce n'est 
qu'avec une extrême circonspection qu'elles pouvaient parler 
des affaires intérieures. Une plus grande liberté leur était lais- 
sée quant aux affaires extérieures, mais cette liberté même — 
sans parler de l'intérêt qu'elles avaient à se conserver ouvertes 
les portes des États où elles avaient leur principal écoulement, 
de la France surtout — était singulièrement tempérée par les 
nécessités internationales. D'incessantes réclamations de la part 

(i) On lit dans une gazette d'Amsterdam du 19 janvier 1 668 : « Comme 
messieurs les bourgmestres nous ont fait la grâce de nous donner la per- 
mission d'imprimer une gazette italienne... Nous en allons voir plus d'une 
autre preuve. 



■—89 — 
des gouvernements voisins arrivaient aux magistrats de la ré- 
publique, qui ne pouvaient toujours, quel que fût leur senti- 
ment intime , y fermer l'oreille : alors ils décrétaient contre le 
gazetier incriminé, ou bien ils lançaient contre la presse en 
général un édit, qu'ils laissaient bientôt ensuite tomber en 
désuétude , jusqu'à ce que de nouvelles plaintes les contrai- 
gnissent à le remettre en vigueur, ne fût-ce que pour la forme. 
De nombreuses traces de ces incidents diplomatiques se sont 
conservées dans les archives de La Haye. J'ai dit que "M. Camp- 
bell avait eu l'extrême obligeance de relever pour moi dans 
l'immense collection des Résolutions des États de Hollande ce 
qui concernait les gazettes françaises. Voici le résultat des re- - 
cherches de cet infatigable fouilleur, complété et commenté 

• 

par ce que j'ai recueilli moi-même çà et là , notamment chez 
M. Ch. Ruelens, un des conservateurs de la Bibliothèque royale 
de Bruxelles , homme aussi modeste et obligeant qu'il est in- 
struit, et dont l'assistance m'a été d'autant plus précieuse qu'il 
s'est lui-même occupé de recherches sur l'origine des jour- 
naux (i) ; c'est un tableau qui m'a semblé plein d'intérêt. 

(i) M. Ruelens n'est pas le seul Belge auquel j'aie des obligations, et je 
demanderai la permission , en attendant que je puisse m'acquitter plus conve- 
nablement envers tous ceux qui m'ont fait accueil dans ce pays si largement 
hospitalier, de leur payer ici tout au moins un à-compte sur la dette de recon- 
naissance que j'ai contractée. Mon but était la Hollande, mais je devais de 
toute nécessité, chemin faisant, explorer la Belgique. Elle ne m'offrait pas 
sans doute le même intérêt que les Provinces-Unies , parce qu'elle n'a jamais 
été libre au même degré; cependant elle a donné le jour à de nombreux jour- 
naux , qui méritent de fixer l'attention de l'historien , comme j'espère en don- 
ner bientôt la preuve, si le public accueille favorablement ce premier essai. En 
attendant, je ne crois pas m'écarter de mon sujet, du but que je me suis pro- 



— sk> - 

Le premier fait relevé par M. Campbell ne remonte qu'à 
1 679 ; mais dès 1 6 5 $ , à je ne sais quelle occasion, les États de 
Hollande et de Westfrise font défense d'imprimer des gouttes 

posé, en signalant dès a présent ceux dont j'ai gardé le meilleur souvenir : 
n'est-ce pas rendre service aux chercheurs que de leur indiquer quelques portes 
où ils peuvent aller frapper en toute confiance ? 

Je nommerai donc : parmi les écrivains, M. Warzée, auteur d'un très-re- 
marquable Essai historique et critique sur Us journaux belges (1844, in-8); 
M. Ulysse Capitaine, qui a publié , à un âge où l'on songe tout au plus 1 ri- 
mer un bouquet à Chloris, de très-curieuses Recherches historiques et biblio- 
graphiques sur les journaux et les écrits périodiques liégois (1850, in- 12); 
M. Emile de Borchgrave, un jeune diplomate qui consacre* ses loisirs à la 
culture des arts 'et des lettres, et vient d'être couronné par l'Académie royale 
pour un volume sur les colonisations flamandes en Allemagne au moyen âge ; 
— parmi les journalistes, M. Bourson, rédacteur en chef du Moniteur belge; 
M. Bérardi, directeur de l'Indépendance belge, et ses collaborateurs, — - une 
vraie famille , gaie , spirituelle , pas du tout rogue , — qui m'ont fait un ac- 
cueil tout fraternel , et parmi lesquels j'ai été assez heureux pour retrouver 
l'auteur — dont j'avais vainement , dans le temps, cherché à savoir le nom — 
du seul article, à peu près, qui ait été consacré par un journal à mon Histoire 
du Journal y embryon de mon grand travail sur la presse périodique, article 
beaucoup trop flatteur sans doute, mais dont, en vérité, je ne pouvais, après 
dix ans, garder rancune à M. Considérant; — parmi les bibliothécaires, 
M. Alvin, conservateur de la Bibliothèque royale de Bruxelles, une biblio- 
thèque où rien n'est mis sous le boisseau , où tout est i tous , i la différence 
de certaine autre que je pourrais nommer, si ce n'était parfaitement inutile; et 
M. le baron de Saint-Génois, conservateur de la bibliothèque de Gand; — 
parmi les collectionneurs, M. le baron de Vinck , possesseur d'une riche col- 
lection d'estampes et ouvrages à figures , parmi lesquels de nombreux journaux 
de mode , et qui a sur cette dernière spécialité des connaissances dont il a bien 
voulu me promettre qu'il ferait profiter la bibliographie de la presse; enfin, et 
tout particulièrement, M. Ph. Van der Maelen, « le héros de la classification, 
du travail patient, méthodique, intelligent, universel, » comme l'a appelé 
M. Jules Duval, lequel, avec ses seules forces, a doté la capitale de la Bel- 
gique d'un établissement unique au monde , et qui peut être considéré comme 
une des gloires du pays : je veux parier de V Etablissement géographique de 






— 9i — 
françaises , et enjoignent aux gazetiers hollandais de veiller à 
ce que dans leurs feuilles il ne se trouve aucune critique , soit 
contre les personnes , soit contre les institutions politiques et 
religieuses, sous peine de correction facultative selon les 
cas. 

Je trouve dans les Lettres du comte d'Estrades, sinon le 
corps, du moins les prodromes d'un incident qui montre que la 
Hollande aussi avait ses bulletiniers. Louis XIV écrit à son am- 
bassadeur à La Haye, à la date du 1 1 mai 1663 : « Enquérez- 
vous sous main , sans qu'il paraisse encore , qui est un certain 
Italien, Génois de nation, qui demeure à Amsterdam, qui se 

Bruxelles , ainsi appelé parce que , dans l'origine, H fut spécialement consacré 
à la géographie , non pas à cette connaissance un peu sèche des divisions na- 
turelles ou arbitraires de la surface du globe, mais à la science vaste et féconde 
qui embrasse l'étude de l'univers, de ses productions et de ses habitants, sans 
négliger les relations historiques et sociales de ceux-ci. Cet établissement, au-' 
quel son fondateur consacre depuis bientôt cinquante ans tout son temps et 
toute sa fortune, sans lui en dérober une minute ou un centime, est aujour- 
d'hui comme une encyclopédie pratique , vivante. Là prés de trois millions de 
cartes ou étiquettes , relevées jour par jour sur tous les principaux recueils , 
revues et journaux du monde , admirablement distribuées , et communiquées 
avec une obligeance qui n'a d'égale que la science et la modestie du directeur, 
vous mettent au courant de tout ce qui a été publié sur un sujet quelconque. 
Je oe saurais , d'ailleurs , mieux faire , pour donner une idée des richesses 
de toute nature qu'a su amasser la persévérance infatigable d'un seul homme, 
que de dire ce que j'ai trouvé là concernant l'objet spécial de mes recherches. 
A ma grande mais très-agréable surprise , je l'avoue , j'y ai vu un millier de 
journaux, belges, français, anglais, allemands, russes, hollandais, la plu- 
part complets , et , de plus , six ou sept mille spécimens de journaux de 
toutes les contrées du monde, dont les plus curieux sont disposés dans de 
nombreuses vitrines , et parmi lesquels se fait remarquer par ses dimensions 
colossales le Quadruple Boston Notion , qui ne mesure pas moins de 2 mètres 
70 centimètres de hauteur sur 1 mètre .80 centimètres de largeur. 



— 92 — 

mêle d'envoyer des gazettes à Venise, écrites à la main et fa- 
briquées avec beaucoup d'impudence, de l'état dé mes affaires 
et de mes desseins , et , si vous en découvrez quelque chose , 
vous m'en donnerez avis avant que de rien faire pour réprimer 
l'insolence de ce galant homme. » 

Je n'ai pas rencontré la réponse que le comte d'Estrades a dû 
faire, nécessairement dans un bref délai, à cet ordre du roi ; mais 
je lis, à trois ans de là, dans une de ses dépêches, du 3 juin 
1666 : «J'exécuterai ponctuellement tout ce que Votre Majesté 
me fait l'honneur de m'ordonnèr, et, après avoir eu la réponse 
du sieur de Wit sur ce qui regarde ce Génois qui continue à 
faire des gazettes contre les intérêts de Votre Majesté et contre 
sa personne, j'en porterai mes plaintes à Messieurs les États et 
poursuivrai le châtiment. Mais il serait nécessaire que j'eusse 
quelques-unes de ses gazettes, parce qu'il ne manquera pas de 
nier le fait, et il faut que j'aie de quoi le convaincre en justice, 
l'ordre étant qu'après une plainte le magistrat ordonne à celui 
qu'on accuse de comparaître dans la maison de ville ; on lui 
expose la plainte qu'on fait de lui, et, s'il ne se justifie pas, on 
le condamne par une sentence. Ce sont les privilèges des villes, 
car les Etats généraux, sur un tel fait, ne peuvent qu'écrire au 
magistrat d'Amsterdam de faire justice d'un tel sur une telle 

plainte (1). » 

On voit par là combien il eût été difficile au gouvernement 

des Provinces-Unies de réprimer les irrévérences des journaux 

envers les potentats étrangers, alors même qu'il en eût eu la sé- 

(1) Lettres, mémoires et négociations du comte d'Estrades (La Haye, 1719? 
in-12), t. II, p. 171 ; t. IV, p. 255. 



— 93 — 
rieuse intention. Cela ressort mieux encore d'un passage d'une 
lettre de M. Delprat, que je suis d'autant plus hçureuxde pou- 
voir transcrire ici , qu'il aidera à comprendre ce qui va suivre. 
« Il est certain, m'écrivait naguère le savant historien, que 
dans ce pays on a beaucoup imprimé et beaucoup pu imprimer, 
non pas toujours parce qu'on y était plus libre qu'ailleurs , 
mais par suite de la constitution toute spéciale du gouverne- 
ment parmi nous. Il n'existait aucune autorité centrale armée 
du pouvoir de réprimer les abus de la presse , supposé qu'il y 
en eût. Chaque ville avait ses lois propres , son autonomie , 
dont elle était jalouse, et aucune n'aurait toléré l'immixtion 
d'un autre pouvoir, quel qu'il fût , dans sa police intérieure. 
Les stathouders, lorsqu'il en existait, n'avaient autorité que 
sur l'armée et la marine ; ils n'avaient rien à voir en matière 
de lois, ni même d'impôts. C'était aux États, composés de 
députés responsables de chaque ville , à formuler des décisions 
à cet égard; et encore ces décisions n'étaient-elles guère autre 
chose, le plus souvent, que des exhortations ou des conseils, 
dont les grandes villes se permettaient de discuter l'opportu- 
nité. Seule, la commune de La Haye était sous la férule du 
pouvoir exécutif; aussi n'envoyait-elle point de représentants 
aux Ëtats de Hollande. » 
On va voir l'effet de cette étrange organisation. 

1679, l ? septembre. Le comte d'Avaux se plaint de ce que 
la gazette française d'Amsterdam a publié des extraits de li- 
belles imprimés en France, notamment contre un arrêt du Par- 
lement, et contre un des prélats les plus éminents du pays, que 



— 94 — 
le pamphlétaire avait décrié sous prétexte de faire l'éloge des 
évêques d'Alet et de Pamiers. Cette plainte est renvoyée aux 
députés d'Amsterdam , pour qu'ils y donnent telle suite qu'ils 
aviseront. Le 16 , rapport de ces derniers : ils ont entendu le 
gazetier français et lui ont recommandé la plus grande pru- 
dence. Cette admonestation ne parait pas suffisante aux États, 
qui étaient alors vis-à-vis de la France dans une situation 
très-délicate, dont ceux-là seuls peuvent se faire une idée qui 
ont eu la patience de lire les Négociations 'du comte d'Avaux : 
ils édictentun décret portant défense absolue de publier des jour- 
naux français dans la province. 

1680, 3 août. Résolu, conformément au décret précédent , 
qu'il est et reste interdit d'imprimer des journaux français dans la 
province de Hollande , et que les bourgmestres et régents des 
villes, de Leyde nommément, seront invités à tenir la main à 
l'exécution de ce décret. 

1683, 17 février. Le Pensionnaire se plaint, au nom du 
prince d'Orange, d'un passage d'un journal français d'Amster- 
dam — passage reproduit dans la plainte — duquel il résul- 
terait que le Dauphin est somnambule. — Renvoyé aux dé- 
putés d'Amsterdam. 

— 16 mars. Le Pensionnaire informe les États que l'am- 
bassadeur d'Angleterre lui a déféré, en sjen plaignant vive- 
ment, un numéro, du 1 1 de ce mois, d'un journal français inti 
tulé Nouvelles solides et choisies , lequel contenait des détails 
malveillants pour plusieurs personnes de la cour d'Angleterre. 
(Avec l'extrait.) — On renouvelle les décrets des 16 septembre 
1679 et 20 novembre 1681, avec ordre de poursuivre dans les 



— 95 — 

villes où s'impriment ces Nouvelles , qui ne portent pas de nom 

de lieu. 

1683 , 21 juillet. Le même diplomate se plaint d'un article 
— dont copie — d'un numéro du 1 $ de ce mois d'un journal 

qui n'est point nommé, mais probablement d'Amsterdam. — 

Même décision. 

Presque en même temps, l'ambassadeur hollandais à la cour 
de Londres se plaint, au nom du roi d'Angleterre, que le jour- 
naliste français ait inséré dans sa gazette un article offensant 
pour Sa Majesté. — Résolu de prier les régences d'Amsterdam 
et de Leyde de s'informer auprès de l'auteur et de l'imprimeur 
de ladite gazette. 

1684. Le magistrat d'Amsterdam , s'étant aperçu que l'on 
imprimait clandestinement dans cette ville des gazettes ou nou- 
velles dans lesquelles les faits étaient exposés seulement selon les 
opinions de l'auteur et de l'éditeur, sans considération de la vé- 
rité, ce qui fourvoie le lecteur et offense les potentats étran- 
gers , fait défense d'en [imprimer à l'avenir, sous peine de cent 
ducats d argent, d une année de bannissement de la ville, etc. 

On voit encore quatre ordonnances du même genre, à quel- 
ques années de distance ; ce qui montre avec quelle facilité on 
les laissait tomber en désuétude. 

1686, 14 février. Résolu de prier les régences des villes de 
Harlem, Leyde et Amsterdam , où s'imprimaient des journaux 
français et hollandais, de faire en sorte que dans ces journaux 
il ne soit pas publié de détails sur la fuite, sur le nombre, etc., 
des réfugiés français venus dans la province. 

C'était là une mesure prise uniquement dans l'intérêt des 



-96- 

réfugiés , et plus encore dans l'intérêt de leurs coreligionnaires 
restés derrière eux en France. Mais, quelques jours après, sur 
les plaintes réitérées de notre ambassadeur, un nouveau coup 
frappe les journaux français : 

1686, 21 février. Sur la proposition des députés d'Amster- 
dam, édit qui défend d'imprimer ou défaire imprimer aucun jour- 
nal français, sous les noms de Courantes, Gazettes, Gazettes 
raisonnées, Nouvelles choisies , Lardons, ou autres. 

Le comte d'Avaux s'applaudit de cette victoire apparente. 
On lit dans ses Négociations, à la date du 7 mars de cette an- 
née : « Les Etats généraux défendirent toute sorte de Gazettes, 
de Billets raisonnes et de Nouvelles extraordinaires en français, 
quelque nom qu'on leur pût donner; ils ont fait aussi défense, 
sous peine d'amende , d'imprimer ni de vendre aucun livre ou 
mémoire où il fût parlé de ce qu'ils appellent la persécution de 
France. » — Et à la date du 14 juillet : « Il me parait que 
Messieurs d'Amsterdam sont dans de très-bonnes dispositions ; 
ils ont marqué dans le châtiment de Lucas, leur gazetier, l'en- 
vie qu'ils ont de plaire à Votre Majesté. » 

L'ambassadeur du roi de France ne pouvait parler autrement 
à son maître ; mais , dans son for intérieur, le comte d'Avaux 
ne se faisait point illusion sur la valeur de ces concessions arra- 
chées à Messieurs d'Amsterdam par des considérations d'un 
ordre supérieur. Il était impossible , il le savait bien , que ces 
magistrats ne partageassent pas l'émotion produite parmi leurs 
administrés, et dans tout le monde protestant, par la révocation 
de Tédit de Nantes, émotion qui devait forcément trouver un 
écho retentissant dans les journaux français , rédigés tous par 



— 97 - 
des réfugiés. Et, de fait, il ne parait pas qu'on ait tenu bien ri- 
goureusement la main à l'exécution de cet éditde 1686, pas 
plus d'ailleurs qu aux précédents, car nous voyons que les États 
sont forcés de le renouveler, pour la forme, le 16 septembre 
1 687 et le 18 janvier 1 69 1 . 

Cette dernière fois, cependant, la défense fut formulée dans 
des termes, ou plutôt, peut-être, dans des circonstances telles, 
, que les éditeurs crurent ne pouvoir sans danger faire davantage 
la sourde oreille. Ils s'adressèrent donc aux États pour en obte- 
nir la permission de continuer leurs publication?, ou d'en entre- 
prendre d'autres, offrant de se soumettre aux conditions qu'on 
voudrait leur imposer. L'autorisation leur en fut accordée à 
la condition qu'ils ne composeraient leurs feuilles que d'extraits 
ou traductions des journaux hollandais. Cette clause singu- 
lière figure dans tous les privilèges ou octrois accordés pour 
des journaux français jusqu'en 1704. Il serait curieux de vé- 
rifier à quel point on y eut égard. 

1706, 29 octobre. L'envoyé de la république des Grisons se 
plaint d'un article blessant pour lui inséré dans le journal fran- 
çais de Rotterdam du 2 5 octobre. — Renvoyé aux députés de 

Rotterdam. 

1722. Le prince Kourakin , ambassadeur extraordinaire de 

Russie, se plaint de divers articles du journal français d'Amster- 
dam. Les États généraux s'occupent de cette plainte les 10 et 
17 juin, et la renvoient aux États de Hollande, qui , le 20 juin, 
après en avoir délibéré , chargent une commission d'instruire 
l'affaire. Le 17 septembre, rapport des commissaires : ils ont 

mandé devant eux Du Breuil, l'imprimeur dudit journal, et, 

7 



- 9 8- 

après l'avoir admonesté , ils lui ont enjoint de se rétracter et 
d'être plus réservé à l'avenir. 

172$, i) février. Rapport sur une plainte adressée le 
26 janvier par le gouvernement archiépiscopal de Munster 
contre la Gazette de Leyde : les articles incriminés ont été tra- 
duits du journal français d'Utrecht de l'année précédente. 

1727, 24 mai. Le comte de Konigsegg, envoyé extraor- 
dinaire de l'Empereur, dénonce quelques articles offensants 
pour la maison d'Autriche insérés dans le journal français 
d'Amsterdam ; il se plaint surtout d'une feuille publiée d'abord 
sous le titre de Quintessence, et, depuis qu'elle a été suppri- 
mée , sous celui de Nouvelles historiques, critiques et galantes. — 
Renvoyé aux députés d'Amsterdam. 

1728, 2} juin. L'ambassadeur hollandais à Copenhague 
mande qu'il vient de recevoir une plainte du grand chancelier 
au sujet d'un article du journal français de Leyde. 

— 17 décembre. L'envoyé extraordinaire à la cour de l'Em- 
pereur transmet une plainte qui lui a été adressée au sujet 
d'une reproduction incomplète et malveillante des Idées gêné- 
raies de l'amnistie faite dans la Suite des nouvelles de Du Breuil. 
Ayant été amené à comparer plusieurs exemplaires de ladite 
suite, il a acquis la conviction que le journaliste d'Amsterdam 
faisait imprimer deux éditions de sa feuille, une pour l'intérieur 
et l'autre pour l'étranger. L'affaire est renvoyée à une com- 
mission, qui fait son rapport le 8 janvier suivant. Elle a en- 
tendu Du Breuil : il a affirmé qu'on réimprimait ses gazettes 
et leurs suites à Liège et à Genève ; il a de plus fait observer 
qu'il pouvait arriver que des nouvelles survenues durant l'im- 



— 99 — 
pression du numéro fussent imprimées dans les derniers exem- 
plaires tirés et ne se trouvassent pas dans les premiers , et , en 
résumé, qu'il avait reproduit les Idées générales d'après le 
Postboy anglais. 

1728, 2 1 décembre. Le résident à la cour de Saxe se plaint 
de deux articles insérés dans les suppléments 86 et 87 du jour- 
nal français de Leyde. — Le 12 janvier 1729, les députés de 
cette ville, auxquels la plainte avait été renvoyée, rapportent 
qu'ils ont interpellé le journaliste français La Font, et lui ont 
enjoint de rétracter ces deux articles ; ce que celui-ci a déclaré 
avoir déjà fait. 

1730, 14 juin. Le, secrétaire de l'ambassade hollandaise à 
Moscou mande que le vice- chancelier de l'empire de Russie 
s'est plaint à lui du contenu du n° 20, du 6 avril, de la Quin- 
tessence ou des Nouvelles historiques, politiques, critiques et 
galantes , imprimées depuis quelque temps à Amsterdam. 

1731, 21 juin. Plainte contre le n° du 19 juin du journal 
français d'Utrecht. 

1734, 23 octobre. L'ambassadeur espagnol dénonce le 
journal français d'Amsterdam du 6, ou du 9, comme contenant 
des faits inexacts concernant sa cour. 

1736, 30 mars. Une plainte ayant été portée au sujet de 
nouvelles inexactes publiées dans le journal français de Co- 
logne sous la rubrique de La Haye , il est pris une décision 
prohibant l'introduction en Hollande de tout journal français venant 
de l'étranger, sous les noms de Courantes, Gazettes raisonnées, 
Nouvelles choisies , Lardons , Postillons , ou tous autres , à l'ex- 
ception seulement des gazettes de Paris, et défendant abso- 



— 100 - 

lument la réimpression de ces journaux dans les Provinces- 
Unies. 

1741, 18 février. Le gouvernement polonais se plaint d'un 
article offensant de la courante française de Leyde ou Nouvelles 
extraordinaires. 

1745, novembre. Le ministre russe dénonce plusieurs pas- 
sages malveillants pour sa souveraine du numéro d'octobre du 
Journal universel, imprimé à La Haye. — Dans les pièces re- 
latives à cette plainte se trouvent une déclaration de l'éditeur 
du journal, portant que l'auteur de l'article incriminé est un 
nommé P. Béhard, résidant à Viane , et une lettre confirmative 
de ce Bénard. Or, Viane était alors une ville libre ou franche 
où se réfugiaient tous ceux qui craignaient les atteintes de la 
justice, tels que les banqueroutiers, et aussi, comme on le voit, 
les journalistes. 

1755 et 1756. Des plaintes arrivent de Madrid, de Londres, 
de Bruxelles, contre la licence du journal français d'Utrecht 
et contre les suppléments de la Gazette d'Amsterdam. 

1776, 29 mars. Rapport des députés de Leyde sur une plainte 
du grand maître de Malte reçue le 16 février : ils ont répri- 
mandé le journaliste de Leyde, Etienne Luzac, et lui ont en- 
joint de se borner dorénavant à publier les faits, sans y ajouter 
ses raisonnements ni ses commentaires. 

La Gazette de Leyde avait acquis alors une importance euro 
péenne, grâce à l'esprit libéral dans lequel elle était rédigée; 
mais sa franchise et sa hardiesse ne pouvaient manquer de sou- 
lever et soulevèrent en effet de nombreuses plaintes. Voyez, 
d'ailleurs, l'article consacré à cette feuille. 



I 



— 10! — 

Je ne pousserai pas plus loin la kyrielle de ces plaintes, 
toujours les mêmes et aboutissant toutes au même résultat , un 
résultat à peu près négatif. Je terminerai par la mention de 
quelques édits de la fin du XVIII siècle , non moins absolus 
que ceux du commencement du XVII e , et qui compléteront 
ma démonstration. 

Le 8 décembre 1784, un placard du magistrat de Rotterdam 
défend aux imprimeurs de publier aucun autre journal que ceux 
qui auront été approuvés par la régence. 

Le 8 septembre 1 786, édit des États de Gueldre qui renouvelle 
toutes les sévérités des édits antérieurs, défend spécialement 
de faire paraître aucun journal sans la permission du magistrat 
des villes ou des baillis du plat pays , et fait en outre défense 
aux journaux autorisés de publier aucun document officiel , sous 
peine de 1,000 florins d'amende. Ce placard, ajoute M. Rue- 
lens, auquel je dois la connaissance de ces derniers édits 
contre la presse , est connu en Hollande sous le nom de Bleed- 
plakkat , placard de sang. 

Enfin, le 2 5 du même mois, les Ëtats de Frise prohibent là 
publication de tout écrit dans lequel on discuterait les actes du 
gouvernement de la république , des Etats des provinces ou 
des régences des villes, etc., sous peine de bannissement ou 
de châtiment encore plus fort. 

De tout cela je ne veux tirer d'autre conclusion que celle-ci , 
à savoir que les gazettes françaises de Hollande n'étaient point, 
comme on est assez porté à le croire, des pamphlets périodiques 
abandonnés à toutes les ardeurs des passions malsaines. Elles 



— 102 — 

étaient ce qu'ont été toujours et partout les gazettes, des 
feuilles de nouvelles, avec seulement un grain de sel de plus, 
mais qui ne fait qu'en rehausser la saveur ; avec une plus 
grande somme de liberté, mais dont elles usaient , en général, 
avec une modération qui , à mon sens , ressort de ce tableau 

même que je viens d'esquisser de leurs démêlés avec la dipio- 

• 

raatie, et qui , aujourd'hui , nous paraîtrait faiblesse et timidité, 
comparée à la hardiesse insolente de certains journaux anglais, 
par exemple, envers les gouvernements étrangers. On n'y 
trouve point , il est vrai , de premiers-Amsterdam ou La Haye, 
ni d'articles de fond, point par conséquent de ces tartines in- 
digestes que certains journaux se croient dans l'obligation de 
servir chaque matin à leurs abonnés , mais des faits abondants 
et de nombreuses correspondances, qui donnent à quelques- 
unes, à la Gazette de Leyde notamment , un intérêt au moins 
égal à celui qu'offrent certains de nos grands carrés de papier, 
si vastes, mais si vides quelquefois. J'ajouterai qu'elles con- 
tiennent, dans presque tous les numéros, des annonces qui 
intéressent non-seulement l'histoire politique et morale des 
Pays-Bas, mais encore, et à un haut degré, notre propre 
histoire littéraire. 

La polémique , ou , pour mieux dire , le raisonnement poli- 
tique , était plutôt le fait des mercures , qui étaient venus à 
la rescousse aux gazettes à la fin du XVII e siècle. 

Bayle appelle les gazettes les mères nourrices des mercures; 
il eût été plus juste de dire de l'histoire : car les mercures ne 
sont eux-mêmes, comme les gazettes, que des matériaux histo- 



— 10} — 

riques, seulement plus condensés et quelque peu dégrossis. 
La définition de Bayle est juste pourtant en ce sens que 
c'est à l'aide des gazettes que se composaient les recueils dé- 
signés sous ce nom générique de mercure* , qui paraissaient le 
plus généralement une fois par mois , et , les premiers, dans un 
format des plus exigus, quelque chose comme notre in-; 2. 
Les faits, en raison de leur périodicité trop restreinte, y sont 
naturellement plus groupés , présentés dans un certain ensem- 
ble, et, quelquefois, raisonnes. Ce genre, tout du moins, se 
prête mieux à l'examen , à la discussion , à la critique même, 
et il en est dans le nombre qui poussaient jusqu'à l'invective : 
telles étaient ces Nouvelles, ou plutôt cet Esprit des cours de 
V Europe, que Camusat donne comme une gazette supprimée 
sur les plaintes de notre ambassadeur. 

On sait assez le genre d'intérêt, le degré d'utilité que pré- 
sentent les mercures, les revues, pour que je n'aie pas be- 
soin d'y insister. Bayle en fait très-grand cas, et parait les 
mettre au-dessus des gazettes, sans lesquelles pourtant ils 
n'existeraient pas. Dans ses Réponses aux questions d'un pro- 
vincial (ch. 47), après avoir beaucoup loué le Mercure français 
de Richer, qui , j'ai déjà eu occasion de le remarquer, n'était 
point une revue , mais un annuaire , il ajoute : « Tout ce que 
je viens de dire se peut appliquer au Mercure galant (et pour- 
tant a-t-il été assez ridiculisé de nos jours, précisément par 
ceux qui le pillaient et vivaient de sa substance !), au Mercure 
hollandais , au Mercure historique , et à cent autres ouvrages qui , 
sans être intitulés mercures* sont pourtant de la même étoffe... 
Au reste, le nombre des mercures ou des ouvrages qui mérite- 



— 104 — 

raient ce nom s'est si fort multiplié, qu'il serait temps que 
l'on en donnât l'histoire, comme, par la même raison, on â 
donné celle des journaux de littérature (i). Il faudrait marquer 
où , quand et par qui chacune de ces compilations a été com- 
mencée, par qui elle a été continuée , quand elle a fini , ou si 
elle dure encore. Il ne faudrait pas oublier les différences des 
unes aux autres, ni refuser un appendice aux gazettes, mères 
nourrices des mercures, afin de faire savoir quand elles ont 
commencé dans chaque ville, par qui et comment, etc. Je ne 
saurais vous marquer si c'est à Paris qu'on a commencé de 
publier des gazettes à certains jours fixes et avec la permission 
de l'État; mais, en quelque lieu que cette invention ait eu son 
commencement , elle a trouvé bien des copistes : le nombre 
des gazettes qui se publient régulièrement par toute l'Europe 
est prodigieux. On leur peut appliquer à proportion ce que j'ai 
dit touchant les mercures : c'est qu'elles peuvent être citées 
par des auteurs graves. M. Arnauld n'a point fait difficulté de 
citer celles de Hollande dans des ouvrages de controverse, et 
je pourrais vous alléguer bien d'autres exemples. » 

Les mercures ne font leur apparition en Hollande qu'assez 
tard et longtemps après les gazettes; c'est en 1686 seulement 
que l'on voit naître à La Haye le premier recueil de ce genre, 
et aussi le plus important, le Mercure historique et politique, 
fondé par Sandras de Courtilz ; mais il est bientôt suivi par 
d'autres, assez nombreux, dont on trouvera plus loin la no- 
tice historique. Parmi ces recueils, il en est qui se montrent, 

(1) Bayle fait allusion ici à un article de l'Histoire des ouvrages des Savants 
de mars 1692. 



— 10$ — 

par moments, et suivant la main qui tient la plume, très-osés, 
très-agressifs ; cependant on ne voit pas qu'ils aient donné lieu 
à d'aussi fréquentes réclamations que les gazettes , sans doute 
à cause de leur moindre publicité. Leurs plus grandes vio- 
lences, d'ailleurs, pâlissaient auprès de celles de ces innom- 
brables libelles dont la Hollande était devenue de bonne heure 
la vaste officine. * 

L'hospitalité donnée par ce pays de tolérance et de liberté 
aux libres penseurs, à tous les martyrs de leur foi politique ou 
religieuse, lui sera un étemel honneur ; malheureusement l'ivraie 
n'avait pas tardé à s'y mêler au bon grain. « Le spectacle que 
nous présente la Hollande au commencement du XVIII e siècle 
est étrange, dit M. Sayous (Le XVI II* siècle à Pétranger); on 
dirait les coulisses du grand théâtre littéraire de la France, 
d'où s'élancent, pour entrer en scène, d'un côté des théolo- 
giens, des critiques , des penseurs, des historiens, en un mot 
le petit monde des écrivains sérieux (!); de l'autre, la foule des 
aventuriers de la littérature facile , des compilateurs de rapso- 
dies , des romanciers à la tâche et de misérables libellistes. La 
marchande Hollande faisait alors un immense commerce de ces 
misérables productions fabriquées chez elle ou au dehors par 
des plumes faméliques à la solde de ses libraires. » Voltaire 
parle également avec indignation de ce commerce , dont il eut 
personnellement beaucoup à se plaindre. « Il se fait ici, écri- 
vait-il à Thuriot, parmi quelques malheureux réfugiés, un 
commerce de scandale et de mensonges à la main, qu'ils dé- 
bitent chaque semaine dans tout le monde pour de l'argent. 
On paye deux, trois cents, quatre cents florins par an, à des 



— io6 — 

nouvellistes obscurs de Paris , qui griffonnent toutes les infa- 
mies imaginables, qui forgent des histoires auxquelles les re- 
grattiers de Hollande ajoutent encore , et tout cela s'en va 
réjouir les cours d'Allemagne et de Russie. » Les couleurs de 
ce tableau sont bien un peu forcées, mais le fond n'est mal- 
heureusement que trop vrai (i). 

Parmi ces pamphlétaires , quelques-uns s'avisèrent, comme 
cela était arrivé en France durant la Fronde , de donner à leurs 
libelles une périodicité plus ou moins régulière , et il parait y 
avoir eu en Hollande , dès la fin du XVII e siècle , une petite 
presse très-batailleuse et très-bruyante ; mais c'est à peine s'il 
nous est parvenu quelques lambeaux de ces feuilles légères, 
satiriques , burlesques, en prose, en vers, car il y en eut dans 
tous les genres, jusqu'au genre galant; mais il faut dire, à 
l'honneur des dames hollandaises , que ce dernier genre ne put 
prendre racine : « Ils ne sont point ici , écrivait Bayle à propos 
d'un Courrier galant tenté à Amsterdam, et qui était réduit à 
donner des aventures amoureuses qui étaient dans le Mercure 
galant depuis cinq, six ou sept ans, ils ne sont point ici en 
pays à fournir comme Paris fournit au sieur de Vizé ample ma- 
tière tous les mois. » 

On désignait , paraît-il , tous ces produits de la petite presse 
sous le nom générique de Lardons. Au propre, on le sait, un 

(i) M. Frédéric Muller, libraire d'Amsterdam , bien connu des bibliophiles, 
bibliophile très-distingué lui-même , et, ce qui ne gâte rien , d'une obligeance 
dont j'ai eu beaucoup à me louer moi-même , a publié une Bibliographie des 
pamphlet* de 1482 à 1702, qui contient près de dix mille articles, — ré- 
impressions comprises , — et il prépare un supplément qui en aura presque 
autant. 



— 107 — 
lardon c'est un petit morceau de lard, coupé en long, dont on 
pique la plupart des viandes que l'on fait rôtir; au figuré, et 
dans le style familier, c'est un brocard , un mot piquant contre 
quelqu'un. Le Dictionnaire de Trévoux, composé à une époque 
presque contemporaine , après avoir donné cette définition du 
mot Lardon, ajoute: 

« Se dit aussi d'un petit feuillet de nouvelles que l'on donne 
outre la gazette (pas celle de France, bien certainement). On 
a appelé ce feuillet Lardon parce qu'il renferme ordinairement 
quelque brocard , quelque piquante raillerie contre quelqu'un. 
On a vu des lardons qui n'étaient que de grossières satires; il 
y en a d'autres dont les traits sont fins et délicats. » 

Et encore : 

« Espèce de gazette de Hollande. Ayant , dit Ménage dans 
son Dictionnaire étymologique, consulté M. Bayle, professeur 
de Rotterdam, touchant l'étymologie du mot Lardon dans 
cette signification de gazette, voici ce qu'il me répondit : « Je 
« crois que c'est à Paris que le titre de Lardon a été donné à 
« nos petites nouvelles raisonnées , car, dans le temps que per- 
ce sonne ne les appelait de la sorte en Hollande et qu'elles n'y 
« étaient connues que de peu de gens, mon frère décrivait 
« de Paris qu'on y voyait le Lardon toutes les semaines, s'ex- 
« primant comme si c'eût été un nom déjà établi. On croit 
« qu'on a nommé ces gazettes de la sorte du mot de Lardon 
« dans la signification d'un trait piquant, et que la figure 
« longue et étroite du papier sur lequel on imprime ces nou- 
« velles y a aussi contribué. » 

J'ai eu la curiosité de chercher dans la correspondance de 



— 108 — 

Bayle si j'y trouverais trace de la lettre de son frère à laquelle 
il est fait ici allusion , et j'y ai rencontré deux passages ayant 
évidemment trait à cet incident. Dans une lettre à ce frère, en 
date de Rotterdam le 10 avril 1684 > H toi dit : « Ce que vous 
appelez Lardon s'appelle ici la Gazette burlesque, qui est dans 
le dernier mépris. Il y a d'autres petites feuilles de nouvelles 

raisonnées en prose » Et le 17 du même mois : « Quant à 

l'auteur des Lardons, je vous ai déjà dit que vous m'avez en- 
voyé un extrait en vers sur la diète de Ratisbonne qui est tiré 
de la Gazette burlesque , qu'un nommé Crosnier fait à Amster- 
dam, laquelle gazette est ici dans le dernier mépris. » 

Entre cette explication et la définition envoyée à Ménage 
l'accord est loin d'être parfait : ici les Lardons sont des gazettes 
burlesques, là ce sont des petites nouvelles, des petites ga- 
zettes raisonnées; et ailleurs, répondant à Lenfant au sujet des 
gazettes raisonnées , les grandes peut-être , il lui dit qu'il y a 
trois personnes qui « passent pour en faire... On croit que celles 
du sieur La Font, que je n'ai jamais vues, sont les meilleures. » 
Le pauvre philosophe se perd au milieu de ce brouhaha , dont 
il voudrait détourner ses yeux et ses oreilles ; il en est tout 
étourdi. 

Les quelques données que j'ai pu recueillir chez des écri- 
vains du temps ne sont guère plus concordantes, ni sur l'appli- 
cation de ce nom, d'ailleurs si expressif, de Lardon, ni, en 
général, sur les diverses formes qu'avait revêtues la presse 
périodique en Hollande. L'auteur de Y Avis aux réfugiés , leur 
reprochant l'abus qu'ils ont fait de la presse , s'exprime ainsi : 
« Vous avez des écrivains qui ont eux-mêmes réglé les accès 



— 109 — 
de leur fièvre : les uns à la quinzaine, les autres à une fois le 
mois , les autres à trois fois ou même à quatre fois par semaine. 
Vous en avez plusieurs de ce dernier ordre, et, comme la se- 
maine ne leur saurait suffire s'ils voulaient avoir chacun son 
jour à part, c'est une nécessité pour eux de tomber sur le 
même jour. Ainsi voilà de la manne qui non-seulement vous 
tombe devant la porte chaque matin, comme du pain quoti- 
dien, mais aussi qui multiplie la mesure en certains jours d'une 
terrible manière. Cette nécessité de se rencontrer au même 
jour oblige les gazetiers à se donner plus de peine pour em- 
porter la préférence ; c'est à qui débitera plus de fausses nou- 
velles et plus de prédictions de mauvais augure contre nous, 
et à qui les accompagnera de railleries plus passionnées et 
plus insultantes. Que dirai- je de ces Nouvelles raisonnées qui 
ne courent que comme des anecdotes, auxquelles vous donnez 
le nom burlesque de Lardons, et qui nous viennent assassiner 
par toute la France toutes les postes? Je vous en fais juge, 
monsieur; se peut-il rien faire de plus insolent? et si les sau- 
vages de l'Amérique, retenant toute leur férocité anthropo- 
phage, devenaient un jour gazetiers, pourraient-ils fouler aux 
pieds plus qu'on le fait parmi vous les mesures et les égards 
les plus inviolables ? » 

Voilà qui est aller un peu bien loin ! Quelle algarade ! Que 
réquisitoire ! Et dire qu'il s'est trouvé des gens pour mettre sur 
le compte de Bayle de pareilles choses et un pareil style ! 

Un autre juge, payé celui-là pour être sévère, — après tout, 
rien ne prouve que l'autre ne le fût pas , — se montre beau- 
coup moins rude envers ces insolents lardonniers. Le Mercure 



— 110 — 

galant s'était chargé ou avait été chargé de réfuter les Lardons. 
Voici comment il prélude à cette tâche difficile dans son nu- 
méro de janvier 1 684 : 

« On ne noircit pas en France les réputations de ceux qui 
s'en déclarent les ennemis; on n'y écrit contre personne. 
Cependant on 7 apporte toutes les semaines six cahiers volants 
d'impression de Hollande qui paraissent sans permission et 
sans nom d'auteur, et l'on tient ces riens spécieux, dont la 
calomnie fait le fondement, d'autant meilleurs qu'on suppose 
qu'ils ne sont pas permis. Ils sont composés par deux auteurs, 
dont l'un est domestique d'un prince qui ne respire que la 
guerre , et , par conséquent , à ses gages. Son principal but est 
de parler toujours contre la France ; qu'il dise vrai ou non , il 
est payé pour cela... Comme on voit en même temps trois de 
ces cahiers volants , il y en a un qu'on nomme le Cahier secret 
de la Gazette de Hollande. Ces auteurs prétendent savoir ce qui 
se passe de plus particulier dans les conseils les plus secrets de 
tous les souverains, et surtout dans les conseils de Sa Majesté. » 

Et dans le numéro de février : « Ces nouvelles secrètes, 
mais pourtant publiques, qu'on envoie de Hollande en France 
deux fois la semaine, n'ont pour titre que la date qui est au- 
dessus, mais ils ne laissent pas d'être connus dans toute l'Eu- 
rope par le nom de Lardons qu'on leur a donné. J'avais voulu 
éviter ce mot dans ma lettre de janvier ; mais, comme il est ici 
aussi commun que chez tous les étrangers, et que l'usage 
semble avoir adouci ce qu'il a de rude et de grossier, je crois 
ne le devoir plus envelopper, pour n'être point obligé d'user si 
souvent de circonlocutions. Après vous avoir dit le nom de ces 



— III — 

feuilles , je vais vous apprendre en général , et une fois pour 
toutes , quel en est le but. Elles n'en ont qu'un, sur lequel elles 
roulent toutes : c'est de faire croire à tous les princes , aussi 
bien qu'à tous les peuples , par des raisonnements sur toutes 
les choses qui arrivent, qu'on doit faire la guerre au roi. Que 
cette conclusion soit juste ou non, ces feuilles sont faites pour 
conclure ainsi, et, quoiqu'elles parlent d'affaires diverses et 
dont les conséquences doivent être différentes, puisque les ma- 
tières sont opposées , tout se termine toujours à cela , soit qu'il 
y ait de la vraisemblance ou non... On trouve aussi quelques 
nouvelles dans ces feuilles, dont la plupart, pour ne pas dire 
toutes, ne sont fondées que sur on dit, et ces auteurs n'en 
rapportent que de celles qui sont avantageuses au parti qui les 
fait parler... Je n'expose rien touchant le sujet de ces feuilles 
qui ne soit de fait constant , et l'on n'en a jamais vu une, sur- 
tout de celles qui s'appellent le grand Lardon, qui n'ait conclu 
à la guerre contre le roi , après des articles même dont natu- 
rellement la conclusion devait être toute contraire. » 

A la bonne heure, on commence à comprendre. A côté des 
gazettes proprement dites , des grandes gazettes, des gazettes 
permises, gazettes aux allures graves, qui ne faisaient, qui ne 
pouvaient qu'enregistrer les faits , il y avait des petites gazettes, 
légèrement équipées, comme il convient à des tirailleurs , ga- 
zettes non autorisées , du moins ostensiblement , qu'on voit 
d'abord désignées sous le nom de gazettes, nouvelles, billets rai- 
sonnés, c'est-à-dire raisonnant, ou raisonneurs, qui ne se 
bornaient pas à donner les nouvelles toutes sèches, mais les 
raisonnaient, les expliquaient, les commentaient, les tortu- 



— 112 — 

raient même) pour les faire aboutir à cette conclusion toujours 
la même : Delenda Carthago ! Guerre au roi dont l'intolérance 

« 

a fait des blessures si profondes et béantes encore , dont l'am- 
bition menace la sûreté de l'asile où se sont réfugiées ses 
victimes! Encore une fois, cela se comprend et s'explique faci- 
lement. Et cet orgueilleux monarque, elles le harcèlent sans 
trêve ni merci , elles le criblent, elles le lardent de leurs traits 
aigus. 

De là le nom si expressif sous lequel on en vint à désigner 
ces petites feuilles aux allures agressives. Il pourrait se faire 
que ce nom ait été réellement porté dans l'origine par quel- 
qu'une d'elles, cela même semblerait résulter des termes de 
l'édit du 21 février 1686 défendant l'impression de tous jour- 
naux français, sous quelque titre que ce soit, Courante, Gazette, 
Gazette rationnée, Nouvelles choisies, Lardon, ou autres; mais 
je n'ai point rencontré de feuille de ce nom , et nous venons 
de voir, par le passage du Mercure galant que j'ai cité, qu'un 
des traits caractéristiques des premiers Lardons , c'était préci- 
sément de n'avoir point de titre. On étendit ensuite cette 
appellation à certains suppléments de gazettes qui avaient em- 
prunté la forme légère des lardons, à certaines petites gazettes 
publiées dans la même forme , et finalement à tout ce que 
nous appelons la petite presse. 

Je n'ai point trouvé trace de ces premiers Lardons connus 
dans toute l'Europe vingt ans avant la fin du XVII e siècle. Il me 
serait donc impossible de me prononcer à leur sujet en connais- 
sance de cause ; et sur leurs auteurs, qui n'ont jamais dû être 
bien connus, je ne puis que présenter une hypothèse. Des deux 



— II? — 

écrivains auxquels le Mercure galant les attribue, l'un, dit-il, 
était domestique d'un prince qui ne respirait que la guerre. 
Pour ce prince, on sait qui il est. Quant au domestique, il est 
évident que ce mot ne doit pas être pris dans le sens restreint 
qu'on lui donne aujourd'hui ; il ne peut s'agir ici que d'une 
personne attachée au prince d'Orange par une charge libérale. 
Or, je trouve dans une lettre de.Bayle à son frère ce passage, 
dont j'ai déjà cité les premières lignes : « Il y a (outre la Ga- 
zette burlesque) d'autres petites feuilles de nouvelles raisonnées 
en prose, dont l'auteur s'appelait Saint-Guislain , qui faisait 
aussi une gazette en français et en prose sous le titre de 
Nouvelles solides et choisies, » Saint-Guislain est là pour Saint- 
Glain , suivant que -ce nom se trouve rétabli dans d'autres 
endroits , et , d'après une note de l'éditeur de Bayle , Des- 
maizeaux, ce Saint-Glain, Angevin d'origine, était capitaine au 
service de Messieurs les États. Cette petite feuille de nouvelles 
raisonnées qu'il faisait en même temps, ou à peu près, qu'une 
gazette française , — ce qui, par parenthèse, marque bien la 
différence de ces deux genres d'écrits , — ne serait-elle pas 
un des Lardons auxquels le Mercure galant avait à répondre ? 
C'est une simple conjecture, mais qui ne manque pourtant pas 
de probabilité. 

Ce qui précède était composé quand une nouvelle lecture du 
Mercure galant de 1684 m'a fait rencontrer cette espèce de 
calembour, qui vient à l'appui de mon hypothèse : « Les Nou- 
velles solides (car leurs auteurs — les auteurs des Lardons — 
leur donnent quelquefois ce nom) paraissent épuisées dans les 

feuilles du 10 février. On y suppose... » J'y ai encore lu dan 

8 



— H4 — 
le numéro de .mars que « le Lardon du 24 février apprenait la 
mort de celui qui composait ce qu'ils contenaient de plus sati- 
rique , et qui était reconnu pour domestique d'un prince qui 
voulait mettre l'Europe en confusion », ce qui concorde avec 
un passage de fiayle que je cite plus loin, à l'article des Nou- 
velles solides et choisies. 

Quant aux Lardons eux-mêmes, je n'en ai trouvé que de 
{Aies échantillons, et d'une époque assez tardive, dans quel- 
ques volumes de la Gazette de Rotterdam que possède notre 
grande bibliothèque. D'abord le supplément de cette gazette 
est imprimé, d'un seul côté, sur une bande de papier longue 
et étroite , toute semblable à un feuillet d'un de nos agendas 
de cabinet actuels, ce qui est un des caractères du Lardon; 
mais il porte un intitulé et le nom de l'éditeur. A ce supplément 
est quelquefois joint un feuillet de la même forme, évidem- 
ment indépendant de la gazette , qui n'a celui-là pour tout titre 
que la date, et souscrit ainsi : « Imprimé à Amsterdam, aux 
dépens dei'auteur D. L. M. » C'est bien là un véritable Lardon. 
Enfin on y trouve encore intercalés , toujours dans l'ordre des 
dates , des numéros en assez grand nombre d'une petite feuille 
qui , pour le fond , ressemble assez au Mercure galant, mais qui 
avaît adopté cette forme étrange des Lardons, la Quintessence, 
dont je donne plus loin la bibliographie. Dans tout cela je n'ai 
rien vu de saillant , et , pour y trouver quelque chose à citer, 
il aurait fallu y regarder dé beaucoup plus près que je nç le 
pouvais faire , et encore ! 

Ce qui , dans tous les cas, est bien certain , c'est que cette 



— 11$ — 

petite presse donna beaucoup de souci au gouvernement de 
Louis XIV, et que le grand roi lui-même se montra très-sen- 
sible à ses attaques; on en trouve de nombreuses preuves 
dans ses lettres à ses ambassadeurs en Hollande. 'Quelques-uns 
de ses conseillers auraient voulu qu'on se défendit par les mê- 
mes armes. Vauban , par exemple, proposait la création d'un 
escadron d'anti-lardonniers } ayant pour mission de repousser 
les coups de cette terrible phalange qui faisait pleuvoir sur la 
tête de la royauté une grêle incessante de traits si cruefs. 
« Les ennemis de la France , lit-on dans le manuscrit original 
des Oisivetés, ont publié et publient tous les jours une infinité 
de libelles diffamatoires contre elle et contre la sacrée personne 
du roi et de ses ministres... La France foisonne en bonnes 
plumes... Il n'y a qu'à en choisir une certaine quantité des 
plus vives , et à les employer. Le roi le peut aisément sans 
qu'il lui en coûte rien , et, pour récompenser ceux qui réussi- 
ront, leur donner des bénéfices de deux, trois, quatre, cinq 
à six mille livres de rente ; ériger ces écrivains les uns en anii- 
lardonniers, les autres en anti-gazetiers.... » 

L'idée de l'illustre tacticien ne pouvait évidemment pas être 
mise en pratique telle qu'elle était présentée ; mais plusieurs 
écrivains se constituèrent, plus ou moins spontanément, les dé- 
fenseurs de la monarchie , et l'on peut croire que les encoura- 
gements ne leur manquèrent pas. Nous avons vu tout à l'heure 
que le Mercure galant avait entrepris, en 1684, de réfuter les 
Lardons; c'était, chaque mois, l'objet d'un chapitre spécial, où 
l'écrivain officiel « séparait ses réponses selon les dates de ces 
Lardons, afin de ne point jeter d'embarras dans l'esprit de ceux 



— i\6 — 

qui les liraient, et que ceux qui les avaient lus connussent plus 
facilement qu'il ne faisait dire à leurs auteurs que ce qu'ils di- 
saient effectivement... » Mais c'était, paraît-il, en pure perte. 
« J'ai lu, écrit Bayle à son frère, les trois tomes du Mercure 
galant de cette année , et j'ai vu qu'il se fait une grande affaire 
de réfuter les Lardons, et qu'il le fait assez mal. Votre ami a eu 
raison de le mépriser. Ce qu'il dit est pitoyable , et je ne sais 
ce qu'il a fait de l'esprit qui paraît dans la tournure agréable 
qu'il donne à une petite historiette. C'est son fait ; mais pour 
réfuter les gazetiers de Hollande, il n'y entend rien. » 

Je crois pouvoir me dispenser de citer des exemples à l'ap- 
pui du jugement de Bayle ; les curieux pourront se reporter 
au texte du Mercure galant. Ce qui en ressortira pour eux , et 
c'est la seule chose que je veuille faire remarquer, c'est le 
caractère bénin de ces feuilles satiriques. Ce que leur contra- 
dicteur met à leur charge, ce qu'il s'efforce de combattre, ce 
sont « des raisonnements politiques par lesquels on veut éblouir 
et surprendre les peuples, des endroits où l'on tâche à noircir 
la France», des imputations tendant, par exemple, à faire 
croire : « que Louis XIV aspire à la monarchie universelle; que 
les succès de la France sont dus à son bonheur ; que les finan- 
ces du roi sont épuisées, ce que l'on contredit ailleurs en di- 
sant que la France a toute l'Europe à ses gages, qu'elle achète 
des dignités souveraines pour des princes déjà souverains, 
qu'elle a voulu prendre Luxembourg avec des boulets d'or, en 
lui faisant tout faire, en un mot, par le moyen de son argent. » 
Il leur reproche de « faire dire à la France toutes les semaines 
qu'elle ne veut point la guerre, et de ne lui faire tenir ce langage 






i 



— !I7 — 

que pour exciter ses alliés à se déclarer contre elle, afin de la 
pouvoir allumer plus tôt. Et qu'entendent-elles par la France 
qu'elles font ainsi parler? La France ne dit jamais rien; ses ga- 
zettes sont sages, et n'entrent point dans de pareilles affaires. » 

Voici enfin quelques échantillons des assertions du « critique 
intéressé » auxquelles on croit devoir répondre : 

« La France est la source des agitations de l'Europe. On ne 
« doit point tarder à lui demander, les armes à la main , raison 
« du passé et de l'avenir, et jamais prince n'eut plus d'ambition, 
« et ne fut plus âpre à se servir de l'occasion et du temps.... 
« Tout le malheur cependant ne doit pas être imputé au roi , 
« mais aux princes de l'Europe , qui , tous ensemble ou séparé- 
« ment, se tiennent incapables de tenir tête à un seul monar- 
<t que. Mais il est encore temps de se reconnaître et d'agir. Le 
« roi veut parvenir à ses fins par des moyens doux ; il emploie 
« l'or et les alliances, et il en fera bientôt pour lui donner 
« moyen d'entrer aux Indes. » 

— « Il est amer de se joindre avec une puissance qui dans 
« le fond n'a point d'amitié ni d'égard pour personne , et qui 
« ne connaît point d'autre foi que celle de son intérêt. » 

Voilà ce que j'ai trouvé de plus méchant dans les citations 
du Mercure. 

Il devait arriver aux Lardons , comme à toutes les autres 
feuilles, d'accueillir pour vrais des faits, des bruits inexacts. 
Leur adversaire triomphe alors : « Comme il courut ici un faux 
bruit, il y a quelque temps, qu'un courrier d'Allemagne avait 
passé, et qu'il portait en Espagne la résolution de la trêve, on 
trouve cette fausse nouvelle dans le Lardon du 10 avril. Après 



- ii8- 
cela, doit-on ajouter foi à ce que disent ces raisonneurs qui veu- 
lent faire croire qu'ils savent les secrets des princes , et qui ne 
savent pas seulement les faits publics ? C'est pourtant par eux 
que toute l'Europe consent à être trompée , puisque les Lardons 
sont vus dans toutes les cours, et qu'il n'y a aucun paysan en 
Flandre qui ne les lise. Ce sont même ces derniers qui ont donné 
à ces écrits le nom de Lardon. On peut juger après cela si les 
impressions qu'on prend de la France sur des écrits de cette 
nature ne sont pas tout à fait fausses, et même hors de toute 
vraisemblance. » 

Les Lardonniers, du reste , étaient loin de se donner comme 
infaillibles , de l'aveu même du Mercure, qui cite ce début d'un 
Lardon du 7 mars : 

<( Puisque je me fais une religion de ne pas m'éloigner tout 
« à fait de dire la vérité dans ces billets, autant qu'elle m'est 
« connue, il faut que je débute par avouer que j'ai reçu, cet or- 
« dinaire, beaucoup de mémoires, mais peu que je puisse, sans 
« m'exposer aux reproches de mes lecteurs , copier à la lettre. 
« Tout le monde en impose selon ses intérêts, et j'aurais besoin 
« de plus de pénétration que je n'en ai pour mettre en évidence 
« les. impostures délicates des uns et des autres. C'est donc à 
« tout hasard que je vais débiter des nouvelles que je ne crois 
« pas aussi pures que j'étais chaste lorsque je professais le 
« monachisme dans la célèbre abbaye de Saint-Germain-des- 
« Prés à Paris. » 

Je passe les réflexions que la crudité de cet aveu inspire à 
l'écrivain ministériel : ces premiers essais de polémique parais- 
sent bien pâles aujourd'hui.. Conduite d'ailleurs, comme elle 



- ny- 

l'était par le Mercure galant , cette polémique allait 1 directement 
contre l'intention de ses inspirateurs, en donnant un pîus grand 
retentissement aux attaques quelconques des gazetiers hollan- 
dais , en inspirant à des gens qui n'y auraient pas pensé l'envie 
de lire ces feuilles secrètes dont le gouvernement paraissait se 
préoccuper si fort. C'est ce qu'on en vint bientôt à penser, car 
après six mois il n'est plus du tout question des Lardons dans le 
Mercure. Pour combler le vide , il offre sa publicité , comme 
nous le verrons plus loin , aux auteurs qui voudront répondre 
aux critiques des Nouvelles de la République des lettres. 

Quelques années après se présentait dans la lice un lutteur 
plus habile, un écrivain qui se fit une grande réputation, à la 
fin du XVIII e siècle, par ses talents, et peut-être plus endore 
par les désagréments que lui attira sa mauvaise conduite, et par 
ses aventures avec une certaine belle épUiire. Eustache Le 
Noble de Tennelières, baron de Saint-Georges — c'est ainsi 
qu'il signait, — publia à diverses reprises, de 1688 à 1709, une 
douzaine de volumes de pamphlets mensuels, sous forme de 
dialogues, qui firent beaucoup de bruit. Il leur avait donné le 
titre général de Pierre.de touche politique, avec cette double épi- 
graphe : Ridendo dicere verum quid vetati — Utile dulci; mais on 
les désigna tout d'abord dans le public sous le nom de Pasqui- 
nades } parce que les premiers dialogueurs sont Pasquin et 
Marforio. La conversation se continue ensuite entre la Gloire 
et l'Envie, — entre Hemskerke et Milord Paget, mars 169} , 
— entre le ministre Jurieu et l'esprit de Van Buninghen, 
août i 69} , — entre Grue et le bourguemestre Oyzon, — entre 



— 120 — 

le Rhin et le Danube , — entre la Suisse et la Hollande , — 
entre Namur et Liège , mai 1693 , — entre M. Hop et le sieur 
Van Lewarden, l'un des députés de Frise, octobre 1693 , — 
entre les ombres de Philippe II et de dom Emmanuel de Lira, 
janvier 1694, — entre les ombres des amiraux Ruyter et Whe- 
ler, mai 1694, etc. Chaque dialogue a d'ailleurs un titre par- 
ticulier. Quelques-uns de ces titres ressemblent à des titres de 
fables ou à des proverbes : le Renard à bout, — A beau jeu 
beau retour, — l'Etui de chagrin, — le Pas de clerc, — les 
Poules folles, — l'Ours piqué, ou les Abeilles vengées, etc. D'au- 
tres ont une signification plus précise , par exemple : 

Le Jean de retour. Jouxte la copie imprimée à Loo , chez 
Guillaume Pied-de-Nez, rue Perdue, au Bien-revenu. Octo- 
bre 1691. 

Le Riveille-matin des alliés. Jouxte la copie imprimée à 
Monts, chez Guillaume le Chasseur, rue des Sept-Dormantes, 
au Coq qui les réveille. Mai 1691. 

Le Couronnement de Guillemot et de GuiUemette, avec le ser- 
mon du grand docteur Bumet. Jouxte la copie imprimée à 
Londres, chez F. Benn, 1689. Satire violente contre le roi 
Guillaume. — Il y a encore : Le Festin </< Guillemot , 1689; là 
Bibliothèque du roi Guillemot, 1690. * 

Le Carnaval de La Haye. Jouxte la copie imprimée à La 
Haye, chez Guillaume l'Emballeur, rue du Renard, aux Ours 
bridés. Mars 1791. 

La Bataille d 9 Agnadel, ou le Renard pris à la chausse-trappe. 
Extraordinaire de septembre 1705. 
Un autre roule sur ces médailles qui firent presque autant de 



— 121 — 

brait que les pamphlets. En un mot, « la matière qu'on traitait 
dans chaque numéro était toujours prise des principaux événe- 
ments du mois précédent. » 

Le Noble donne à entendre quelque part qu'il recevait des 
ministres de Louis XIV des communications officieuses ; et il 
est permis de le croire, car il est généralement bien informé. 
Peu d'écrivains, dans tous les cas, ont défendu le grand 
roi avec autant de feu et d'habileté , et aucun des pam- 
phlétaires de cette époque n'a déployé plus d'esprit et plus de 
verve. La forme de ses pasquinades est généralement vive et 
légère; on y trouve beaucoup d'épigrammes et de saillies heu- 
reuses. Bayle faisait grand cas des talents de Le Noble : « Il 
a, dit-il, infiniment d'esprit et beaucoup de lecture; il sait 
traiter une matière galamment, cavalièrement ; il connait l'an- 
cienne et la nouvelle philosophie .... » Il s'était proposé 
pour modèle l'auteur des Dialogues des Dieux; seulement, 
tandis que Lucien « a renfermé sa satire dans la seule morale 
populaire, lui, sous le voile d'une badinerie plaisante, il en- 
veloppe les secrets de la plus profonde politique du siècle, et 
pénètre les ressorts qui ont donné à l'Europe une si terrible 
secousse. Le satirique grec a mis en scène les dieux de l'an- 
tiquité ; lui , il y mettra les dieux modernes de la terre », — 
les dieux ennemis, bien entendu, et, entre tous, Guillaume III 
et les Etats généraux de Hollande. 

Si l'attaque était vive, la riposte l'était tout autant, et il est 
remarquable que l'émotion produite par cet échange d'amé- 
nités n'était pas moindre dans le camp républicain que dans le 
camp monarchique. Tandis que le gouvernement de Louis XIV 



— 111 — 

s'ingéniait àréfoter les Lardons, celui de Hollande faisait -brûler 
les Pasquinades par la main du bourreau. C'est le sort qu'é- 
prouva notamment le numéro de décembre 1690, qui par son 
seul titre — Les Mercure:, ou la Tabatière des Etats d'Hollande, 
jouxte la copie imprimée à Hennstat, chez Emerilc Hospodar, 
— devait appeler mon attention, et dont voici le cadre : 

Le Mercure galant et le Mercure hollandais, qui n'avaient pu 
se joindre depuis la guerre, se sont rencontrés par le hasard 
d'une averse qui les a forcés d'interrompre leur vol. Le pre- 
mier invite son confrère a causer ensemble des affaires en se 
reposant : « Je te tiens, lui dit-il galamment, pour le plus grand 
et le plus effronté menteur du monde; mais je suis persuadé 
que pour moi tu ûteras ton masque. — Soft, répond l'autre ; 
je te jure, foi de Mercure, que pour une heure de- temps je 
renonce à toutes mes impostures, et que je parlerai avec toi 
comme si mon ami Guillaume et mes Hautes Puissances ne 
me pavaient pas pour mentir historiquement et politiquement. 
Mais jure-moi aussi, par la subtilité de tes énigmes, par les 
délices de tes chansonnettes, par le sel attique de tes narrations 
et par toutes tes quincailleries galantes, jure-moi, dis-je, par 
toutes ces choses précieuses qui font l'admiration des pro- 
vinces et de la rue Saint-Honoré, que tu me répondras par 
des raisonnements sérieux, et non par des riens enfermés dans 
de belles périodes. » Là-dessus, ils se retirent dans une 
arrière-boutique, parce qu'ils n'ont pas l'habitude de dire la 
vérité en public , et ils se mettent à déblatérer contre la poli- 
tique de la Hollande et de maître Guillaume, qu'ils suivent sur 
tous les terrains, ils raillent notamment la belle expédition du 



- 12J — 

roi-stathouder dans l'Irlande , ses cagades d'Àthlône et de 

Limerix. On dit que ce grand triomphateur, retourné si couvert 

de lauriers qu'il en a de quoi fournir tous les jambons de 

Mayence, songe à aller les promener en Hollande. Croit-on 

que les Etats généraux le recevront comme le premier sujet de 

la république? Non, ce beau temps est passé; il faut que les 

bourgeois plient l'épaule et courbent la tête sous le joug; ce 
seront les obsèques de la pauvre liberté belgique. 

Quant à cette tabatière dont parle le titre, c'est un présent 
aussi plaisant que magnifique dont les États de Hollande ve- 
naient d'être régalés. C'était une grosse boîte de fin or, remplie 
du plus pur ellébore du monde, qui leur fut envoyée par le roi 
d'Anticyre, avec une lettre de compliment par laquelle il les 
priait tous d'en prendre exactement chacun deux ou trois 
prises avant que de délibérer dans leurs assemblées. Mais ce 
qu'il y avait de plus agréable, c'était la gravure délicate dont 
tout le contour était orné. On y voyait, fort ingénieusement 
gravé, le portrait au naturel de Madame la République d'Hol- 
lande sous la figure d'une grosse banquière assise à son comp- 
toir, et entourée d'un grand nombre de coffres ouverts et 
presque vides. On voyait sous la porte le ministre du roi- 
stathouder qui, par quantité de crocheteurs, faisait emporter 
les principales dépouilles de ces coffres, tandis que les créan- 
ciers de la République, avec des mines piteuses, tendaient leurs 
titres, dont ils réclamaient en vain le payement. 

Telles sont les gentillesses que les États de Hollande con- 
damnaient au feu. Il faut dire que les Pasquinades de Le Noble, 
où ils sont généralement fort maltraités, et dont ils s'çflfor- 



— 124 — 
çaient en vain d'interdire la circulation, étaient recherchées en 
Hollande même avec un empressement assez peu patriotique, 
et dont ils devaient être au moins peu flattés. . On lit, par 
exemple, dans une lettre de Bayle à Minutoli, du 3 décembre 
1 691 : « Le libraire qui contrefaisait à Amsterdam les libelles 
du sieur Le Noble est en prison, et le marchand qui lui en avait 
fait venir un exemplaire de Paris a été mis à l'amende. » 

Je terminerai par ce trait caractéristique ce que je voulais 
dire de cette guerre de plume, en somme peu meurtrière, soit 
dit sans que je me refuse à reconnaître ce qu'elle avait de 
malsain et de dangereux. 

Il me faut ajouter encore, cependant, que, malgré la grande 
facilité que les libellistes trouvaient à se faire imprimer en 
Hollande, il venait encore de ce pays en France des pamphlets 
manuscrits, soit que leurs auteurs ne pussent payer les frais de 
l'impression, soit qu'ils espérassent réussir ainsi plus facilement 
à tromper la vigilance de la police française. Ainsi, je trouve 
dans les extraits des Résolutions des Etats de Hollande qui 
m'ont été fournis par M. Campbell ce fait curieux : L'ambas- 
sadeur de la république* à Paris mande aux Etats, à la date 
du 23 mars 1735, 4 ue ' e public de France devient de plus en 
plus opposé au plan de pacification, et cela par suite de l'op- 
position qu'y fait l'auteur de certaine. petite gazette de Hollande 
manuscrite qu'on trouve dans tous les cafés à Paris , et qu'on 
présume envoyée dans une intention malveillante. Ensuite de 
quoi , il est décidé qu'on recherchera l'auteur de cette publi- 
cation clandestine. 



— . -•.» 



— iaj - 

Cette esquisse, si rapide qu'elle soit, suffira pour donner une 
idée du développement qu'avait pris la presse politique française 
en Hollande dans les deux derniers siècles, et, en montrant les 
voies diverses où elle était entrée, dégagera, je l'espère, la 
question des gazettes des obscurités qui l'entouraient. Pour 
compléter ce tableau, il me reste à dire quelques mots de la 
presse littéraire, dont le rôle, pour avoir été moins bruyant, 
n'a pas été sans éclat, et qui, dans tous les cas, a laissé des 
traces plus durables. Les journaux des Bayle, des Basnage, des 
Leclerc, sont encore aujourd'hui dans toutes les grandes biblio- 
thèques, et ils sont d'ailleurs assez connus pour que je puisse 
être bref sur ce chapitre. Je me bornerai donc ici à marquer 
les circonstances dans lesquelles la presse littéraire est née en 
Hollande. 

C'est en 1665 qu'un conseiller au Parlement de Paris, Denis 
de Sallo, homme aussi judicieux qu'érudit, avait imaginé de 
faire pour la république des lettres ce que d'autres avaient fait 
pour la politique, et créé le Journal des savants. L'idée avait 
paru si heureuse et si simple à la fois qu'elle avait été immé- 
diatement imitée en Angleterre, en Italie, en Allemagne. La 
Hollande était demeurée en arrière; elle n'avait point encore de 
journal littéraire quand Bayle vint y fixer son séjour, et notre 
philosophe s'en étonne : « Il est surprenant, dit-il, que la 
république de Hollande, qui s'est toujours signalée par la cul- 
ture des beaux-arts, aussi bien que par ses victoires et par son 
commerce, n'ait point pris part jusqu'ici à l'émulation générale 
dont j'ai parlé (l'émulation avec laquelle on était entré dans la 
voie ouverte par de Sallo). Elle a même un avantage qui ne se 



— 126 — 

trouve en aucun autre pays : c'est qu'on y accorde aux impri- 
meurs une liberté d'une assez grande étendue pour faire qu'on 
s'adresse à eux de tous les endroits de l'Europe quand on se 
voit rebuté par les difficultés d'obtenir un privilège. » 

Plus d'un* fois, paraît-il, la pensée était venue à Bayle de 
remplir cette lacune, car, il le dit lui-même, « cette fonction 
de journaliste était l'occupation qui convenait le mieux à son 
humeur ; » mais il avait toujours reculé devant les difficultés 
de l'entreprise. Une circonstance enfin le décida. Il y avait à 
Paris un certain Nicolas de Blégny, se disant médecin artiste 
ordinaire du roi. C'était un homme à projets, disons le mot, un 
'charlatan , courant après la renommée par tous les moyens 
propres à répandre son nom. Il avait fondé en 1679 ' e premier 
journal de médecine — Nouvelles découvertes dans toutes les par- 
ties de la médecine 9 — et il l'avait continué tant bien que mal 
pendant cinq années ; mais les plaintes soulevées par ia licence 
de sa plume devinrent telles qu'il lui fut fait défense, par arrêt 
du Conseil, de continuer sa publication. Alors il tourna les yeux 
du côté de la Hollande, où il savait trouver des presses tou- 
jours prêtes à imprimer ce qui ne se pouvait imprimer ailleurs. 
Il s'associa avec un nommé Gauthier, médecin originaire de 
Niort qui s'était fixé à Amsterdam, et lui envoya ses élucubra- 
tions. De cette collaboration naquit, au commencement de 
1684, un Mercure savant, qui n'était qu'une misérable rapsodie. 
Les amis de Bayle insistèrent alors de plus fort pour qu'il mit 
son dessein à exécution, et s'emparât d'une place si mal occu- 
pée. Il se laissa déterminer par leurs instances, et il traita avec 
l'éditeur même du Mercure savant, lequel, ainsi, n'alla pas au 



— 127 — 
elà de deux numéros. Il en informe aussitôt ses amis de 
France. « L'auteur du Mercure, écrit-il à son frère, voulait 
continuer ; mais, le libraire lui ayant appris qu'il avait traité 
avec un autre, la chose en demeura là. Cet autre s'engage à 
faire un journal des. savants qui sera écrit avec beaucoup de 
ménagements, qui ne dira rien contre les puissances, et qui 
parlera avec respect des catholiques. Assurez de cela tous nos 
bons amis. » 

Les amis de Bayle ne pouvaient qu'applaudir à son des- 
sein. « On avait remarqué, par ce qu'il avait écrit, qu'il était 
capable de parler des intérêts des princes et de faire des in- 
flexions de politique. » Ils espéraient donc que le nouveau 
journal serait un instrument au service de leurs passions ; mais 
Bayle refusa de s'engager dans cette voie. « Je remarque, 
écrit-il encore à son frère, que nos amis de delà ont conçu 
le plan que nous avons fait autrement qu'il ne fallait le 
concevoir. Je vois qu'ils croient que l'on y parlera des affaires 
de la paix et de la guerre, comme on fait dans le Mercure ga- 
lant ; mais ce n'est pas du tout notre dessein. Nous voulons 
nous renfermer dans les bornes des journaux d'Allemagne et 
de France, etc., et laisser aux gazetiers et au Mercure galant le 
soin d'apprendre les nouvelles courantes. Je vous ai déjà dit 
aussi que l'ouvrage ne pouvait pas prendre les airs et les dé- 
marches des 27 lettres. Il faut s'attacher à bien faire con- 
naître les livres dont on parle , aller serré , parler en historien, 
et , si l'on y mêle quelque raillerie , il faut que ce soit fort so- 
brement, car autrement on se mettrait sur le pied des gaze- 
tiers, qui se sont décriés par toute l'Europe, et qui, dans le 



y 



— 128 — 

fond, ne le sont pas selon leur mérite... Je parlerai indifférem- 
ment des livres catholiques et des livres réformés , et honnête- 
ment de tout le monde. A l'égard de la politique, je n'aurai 
guère à en parler; ce que je compose ressemble au journal de 
M. de La Roque (le Journal des Savants), et non pas au Mercure 
de M. de Vizé. La République des lettres ne parlera ni de paix 
ni de guerre ; cela n'est bon que pour les gazetiers ou pour 
d'autres nouvellistes. » 

Il faut donc qu'on en prenne son parti. Du moins on ne 
lui épargnera pas les objections; mais Bayle a réponse à 
tout. 

« Les difficultés qu'on trouve au dessein du journal, i° qu'il 
faudrait être à La Haye ou à Amsterdam , 2° qu'il est incer- 
tain si le débit s'en permettra en France, j° qu'on déplaira à 
quelques théologiens, 4 qu'on déplaira quelquefois aux puis- 
sances , ces quatre difficultés, dis-je , ne sont rien , parce que 
Rotterdam est si près de La Haye et d'Amsterdam qu'on peut 
y apprendre tout ce qui se fait de nouveau aux autres villes; 
et quand même le livre ne se débiterait pas publiquement en 
France, il en entrera à la sourdine , et, à tout le moins, on le 
débitera en ce pays, en Angleterre , en Allemagne, etc.; et 
comme on parlera des choses, non pas en prenant parti, quand 
on y verra de la difficulté , mais en simple historien, on ne 
s'exposera pas à des affaires... » 

— « On serait d'avis, dites- vous, que notre journal eût la 
forme de lettres. J'y avais songé; mais, après tout, il n'est pas 
possible de se donner carrière dans une chose qui doit être 
narrative et historique, et aussi courte qu'on le pourra. Il faut 



— 129 — 

être sage dans ces sortes de discussions , désintéressé et hon- 
nête. » 

— « On souhaite que nos nouvelles viennent tous les 
quinze jours ; mais, comme elles sont trop grosses pour être 
envoyées par la poste , peu de gens les feraient venir tous les 
quinze jours. Ainsi, après avoir tout pesé, on s'est résolu de 
ne les donner que tous les mois, en livret de cent pages ou en- 
viron. Le retardement serait dur si la chose se faisait comme 
on se le figure, c'est-à-dire si c'étaient des nouvelles de poli- 
tique ; mais comme ce n'en seront point , on ne s'impatien- 
tera pas d'attendre quelquefois trois mois. En effet, on ne 
pourra en faire tenir en France que par la voie des vais- 
seaux, qui, quelquefois, attendent le bon vent deux ou trois 
mois. » 

Quelles que soient d'ailleurs les difficultés, « après tout 
le bruit que notre dessein de journal a fait, il faut l'essayer. » 

Et il l'essaye en effet, et le 8 mai enfin il peut écrire à son 
frère : « Les Nouvelles du mois de mars sont achevées d'im- 
primer ; mais le libraire ne les distribue pas encore, je ne sais 
pourquoi. Il ne m'en a pas seulement envoyé un exemplaire ; 
il imprime cependant celles d'avril. » Et qu'on ose encore se 
plaindre des éditeurs du XIX e siècle ! 

On sait le succès qu'obtinrent tout d'abord les Nouvelles de 
la république des lettres, l'extrême avidité avec laquelle elles 
furent recherchées dans toute l'Europe. A une époque où la 
critique naissait à peine , où les journaux savants , créés de la 
veille , étaient hérissés de longues et lourdes dissertations , 

9 



- 1J0 — 

faites pour effrayer les lecteurs les plus intrépides, on rut char- 
mé de ces analyses sobres, rapides, claires, bienveillantes; de 
ce talent, que peu d'hommes ont possédé, même depuis, dans 
l'an d'exprimer et de résumer les idées d'autrui. Bayle, du 
reste, avait fini par faire quelques concessions au goût domi- 
nant, v Plusieurs personnes, et surtout de Paris, écrit-il à 
Lenfant le 1 8 juin 1684, l'avaient puissamment exhorté à ne 
point faire un journal uniquement pour les savants; elles lui 
avaient dit qu'il fallait tenir un milieu entre les nouvelles de 
gazettes et les nouvelles de pure science , afin que les cavaliers 
et les dames , et en général mille personnes qui lisent et qui ont 
de l'esprit sans être savantes , se divertissent à la lecture des 
Nouvelles. Elles lui avaient fait comprendre que par ce moyen 
le débit serait grand partout; qu'il fallait donc égayer un peu 
les choses , y mêler de petites particularités , quelques petites 
railleries, des nouvelles de roman et des comédies, et diversi- 
fier le plus qu'on pourrait. » Et l'on peut croire qu'il avait cédé 
assez facilement , car il était naturellement amateur de curio- 
sités, de faits singuliers et inconnus, d'anecdotes; le côté de 
l'amusement de l'esprit le frappait et le séduisait en toute 
chose ; les nouvelles mêmes l'amusaient, il était noaveuute à 
toute outrance. 

Selon que l'avaient prévu Bayle et ses amis, on voulut d'a- 
ord fermer les portes de la France au nouveau journal; mais 
y entra a la sourdine, et même on peut croire que le gou- 
emement ne lui fut pas trop rigoureux. Il existait à peine, en 
ffet, depuis quelques mois, qu'un écrivain officiel, le ré- 



— I3i — 

dacteur du Mercure galant , lui rendait un public et éclatant 
hommage. Cet article du Mercure, — que je ne connaissais pas 
quand j'écrivis , dans mon Histoire de la presse, l'article des 
Nouvelles de la république des lettres, non plus que les lettres de 
Bayle d'où j'ai tiré les détails qui précèdent, lettres qui ne se 
trouvent pas dans l'édition de ses oeuvres que j'avais à ma dis- 
position, — m'a paru assez curieux pour que je le reproduise. 
Le voici donc tel qu'il se trouve en tête du numéro de no- 
vembre 1684, sous la forme d'un avis au lecteur : 

« On imprime en Hollande un livre qu'on donne tous les 
« mois au public, intitulé Nouvelles de la république des lettres. 
« Ce livre est une espèce de Journal des savants, mais plus 
« étendu, parce que les journaux ne sont qu'en feuilles. On 
« en estime l'auteur, et l'ouvrage est bien reçu ; il a beaucoup 
« de sel, ce qui ne contribue pas peu à son succès. Peut-être 
« que , s'il était permis à beaucoup de gens d'en user de 
« même, leurs écrits auraient le même agrément. On voit dans 
<c ce livre non-seulement les sujets et les beautés des livres 
« nouveaux, mais encore les défauts que cet auteur prétend 
« y avoir trouvés. Ces défauts y peuvent être en effet, 
« mais ce qu'il en dit n'est pas une conséquence qu'ils y 
« soient. Les auteurs qui ne demeurent pas d'accord de ses 
a remarques, et qui croient avoir de bonnes raisons pour s'en 
« défendre , se trouvent embarrassés sur les moyens de faire 
« voir au public qui lit ce qu'on écrit contre eux les réponses 
<c qu'il leur serait facile d'y faire. Ce serait pour eux un em- 
« barras et une dépense tout ensemble que de faire imprimer 
« leurs répliques ; et quand ils le feraient, elles seraient vues 



— 1}2 — 

« de fort peu de monde , puisqu'on ne s'aviserait pas toujours 
« d'acheter une réponse à une seule critique , quand on en 
« voudrait voir à cent autres. Ainsi ie public a souhaité que 
« l'on eût dans le Mercure les réponses que les auteurs, de 
« quelque nation qu'ils soient, pourraient faire aux critiques 
« de l'auteur hollandais. On y à consenti , pourvu que ces ré- 
« pliques ne soient point injurieuses, et qu'en parlant des 
« écrits on n'attaque point les personnes. Cela sera cause que 
« Fauteur de la République des lettres sera plus retenu qu'il 
« n'est à parler contre les livres qui s'impriment dans toute 
« l'Europe, parce qu'il craindra devoir les défauts dont il 
« reprend les auteurs trop fortement défendus , et qu'il se hâ- 
te sardera moins à critiquer que lorsqu'il pouvait tout écrire, 
« parce qu'il ne voyait pas d'apparence qu'on lui répliquât, 
« ou du moins que ces répliques fussent fort connues. Le pu- 
ce blic profitera de ces différends d'esprit, parce que les uns 
« et les autres travailleront avec plus de soin. 

« Je crois que l'auteur de la République des lettres ne doit 
« avoir aucun chagrin de ce qu'on répond aux intentions, 
« pour ne pas dire aux prières du public. Son livre, quoique 
(( déjà connu et estimé, le sera encore davantage , et, s il fait 
« bien, il triomphera, au lieu qu'il n'y avait point de victoire 
« à remporter pour lui lorsqu'il combattait tout seul. 

« Les auteurs , tant étrangers- que français , doivent con- 
« naître par cet avis qu'ils peuvent envoyer les réponses aux 
« critiques qu'on fera de leurs ouvrages dans le livre imi- 
te tulé la République des lettres, et qu'on les mettra dans le 
« Mercure. » 






— «33 — 

Etait-ce bien aux prières du public que cédait de Vizé dans 
cette circonstance , ou n'obéissait-il pas plutôt à ces mêmes 
inspirations qui lui avaient fait entreprendre à lui-même de ré- 
futer les Lardons ? Je serais tenté , pour ma part, de voir là 
moins une fiche de consolation offerte à l'amour-propre des 
auteurs critiqués qu'une charge sonnée contre le philosophe 
sceptique, contre le libre penseur hollandais, qu'un appel fait à 
la contradiction. Ce qui est certain, c'est qu'on ne s'empressa 
pas d'y répondre, d'un côté ni de l'autre. Je n'ai pas, dans 
toute l'année du Mercure qui suivit l'insertion réitérée de cet 
avis, trouvé une seule ligne à l'adresse des Nouvelles de la 
République des lettres, et Bayle continua à combattre et à triom- 
pher tout seul. 

Lorsqu'en 1687, la fatigue et la maladie le contraignirent 
d'abandonner cette fonction de journaliste qui était si bien dans 
son goût et dans ses aptitudes , sa succession fut recueillie par 
Basnage, Leclerc, Chauvin, J. Bernard, La Roque, et quel- 
ques autres, la plupart ses amis, qui se montrèrent ses dignes 
continuateurs et maintinrent la critique littéraire dans les 
sphères élevées et sereines où il l'avait placée. Parmi ses 
successeurs se firent remarquer aussi quelques littérateurs 
hollandais, notamment Van Effen, qui non -seulement prit 
une large part à la rédaction des journaux français, mais 
encore , pour intéresser plus directement ses compatriotes et 
leur frayer la voie nouvelle, publia en hollandais une Répu- 
blique des savants et plusieurs autres recueils du même genre. 

Mais à peine la presse littéraire comptait-elle en Hollande 
une douzaine d'années d'existence, qu'au dire de Bayle, « on 



— IJ4 - 
commençait à s'y lasser de ces sortes d'écrits. » C'est qu'à la 
suite des maîtres s'étaient précipités une foule d'aventuriers 
sans vocation ni talent, pour lesquels un journal n'était autre 
chose qu'une affaire de spéculation. 

Enfin , une remarque à faire en terminant , c'est qu'après en 
avoir tant produit , la Hollande aujourd'hui , du moins à ma 
connaissance , n'imprime pas un seul journal ou écrit pério- 
dique français; mais tous nos journaux, toutes nos revues, se 
trouvent dans ses nombreux clubs, si largement organisés 
et si hospitaliers , et les vitrines de ses libraires sont remplies 
de nos livres. 



DEUXIÈME PARTIE 



BIBLIOGRAPHIE 



I 



GAZETTES 



Voici d'abord, à l'intention de mes lecteurs néerlandais, les gazettes 
hollandaises dont j'ai parlé p. $ $, et qui se trouvent à la bibliothèque 
Mazarine : 

Tydingen uyt veAscheyden Quartieren. Gedruckt l'Amster- 
dam by Broer Jansz, out Courantier in't Léger van Sijn princel : 
Excellente 1637-1643, in-fol. 

Courante uyt Italien ende Duytschlandt, etc. Ghedruckt 
tôt Amsterdam voor Ian van Hilten..., by Ian Fredericksz Stam. 
1637-1643, in-fol. 

Extra- ordinaire of Middel-Weeckse Courante. Anno 1639. 
Ghedruckt tôt Amsterdam voor Françoys Lieshout, in-fol. 

Courante extraordinaire, t' Amsterdam, ghedruckt by Joost 
Broersz, 1639, in-fol* 

Ces quatre feuilles ont le même format et la même périodicité : elles 
paraissaient une fois par semaine, en une demi-feuille in-folio à 2 co- 
lonnes. On aperçoit de temps en temps au bas de la dernière colonne 
une ou deux annonces, et quelques numéros ont un supplément. C'est 
tout ce que mon ignorance de la langue hollandaise me permet d'en 
dire. Je ne saurais non plus rien préciser quant à leur origine et à la 
durée de leur existence, qui cependant , comme je l'ai dit, ne me pa- 



-,j8- 

rait pas devoir être renfermée dans les dates que je donne d'après 
seulement ce que j'en ai vu. 

Je noterai encore ici que notre Bibliothèque impériale possède les 
années 172 5-1 728 des gazettes hollandaises de La Haye, d'Amster- 
dam , de Leyde et d'Utrecht. 

Voici maintenant, dans leur ordre chronologique, les gazettes 
françaises que j'ai pu déterrer , et qui se trouvent pour la plupart à 
notre grande Bibliothèque, représentées par des parties plus ou moins 
considérables, reliées ensemble, au moins les plus anciennes, et for- 
mant ainsi un recueil factice , où elles sont cependant rangées par 
ordre de dates. 

La plus ancienne gazette française imprimée à Amsterdam , â ma 
connaissance, est une traduction qui m'a paru littérale de la première 
des gazettes hollandaises dont je viens de donner les titres , des Ty- 
dingen uyt verscheyden Quartieren : 

Nouvelles de divers quartiers. Amsterdam, chez Broer Jansz, 
jadis courantier au camp de Son Excellence , demeurant à l'ensei- 
gne du Pot d'argent, près la Brasserie du Fenil, 1639-1643, 
2 pages in-fol. à 2 colonnes. 

Ce sont, comme, du reste, toutes ces premières gazettes, de 
simples nouvelles, classées par pays. Le français en est assez correct 
pour qu'on doive attribuer cette traduction â une plume française. J'y 
ai aperçu , entre autres expressions qui ont vieilli , celle-ci , qui re- 
vient assez fréquemment , et qui m'a paru n'être pas sans un certain 
charme : « L'on bruit que le nonce du pape insiste par devers le roi 
de France et autres potentats pour une cessation d'armes. Ce qui en 
est, le temps nous en fera l'évidence. » {i« r août 1639.) 

"Nouvelles ordinaires. Imprimé chez Otto Barnert Smient, cou- 
rantier auctorisé de Mess, les Bourgemaistres , Régents de la ville 
d 5 Amsterdam], rue de Réguliers, dans la neufve imprimerie, le.... 
1655 , gr. in-4 à 2 col., feuillet simple. 

Jç ne connais de cette feuille, qui paraissait tous les huit jours, 



— i*9 — 

que 3 n 08 , 2 de 1660, n° s 43 et 44, des 25 octobre et i« r novembre, 
et le n° 4 de 166?, 22 janvier. Mais, d'après un renseignement qui 
m'a été fourni par M. Delprat , on saurait que les imprimeurs Otto 
Barent Smient ( 1 ) et fils sollicitèrent en 1655 la permission de publier 
une gazette hollandaise tous les quinze, et une gazette française tous 
les huit jours, le lundi, en remplacement des anciens éditeurs Jean Van 
Hilten et successeurs , de la maison desquels , en effet, était sortie la 
Courante ayt Italien ende Duytschlandt , ci -dessus. Or il est plus que 
probable que la gazette française pour laquelle les Smient obtinrent 
un privilège en 1655 est celle qui nous occupe. Mais la commencé 
rent-ils immédiatement , et jusqu'où alla-t-elle, c'est ce que je ne sau- 
rais dire. Elle semblerait avoir été continuée par la Gazette ordinaire 
d'Amsterdam (Voyez plus loin) , qui sortait de chez les mêmes édi- 
teurs. 

La Gazette d'Amsterdam. Imprimé chez Corneille Jansz, mar- 
chand libraire, derrière la Neuve Église, le... 1663. Avec permis- 
sion. In-4. 

Le premier numéro que je connaisse est du i er mars 1663 ; en 
tête, à droite, à la place delà pagination, on lit :< Fol. 5. 

En 166$, le titre est orné de deux vignettes : à gauche un Mercure 
courant, à droite un postillon. L'année suivante, ces vignettes sont 
remplacées , la première par les armes d'Amsterdam, la seconde par 
la marque de l'éditeur, un écusson soutenu par deux anges, au centre 
duquel se lisent, dans un cœur, les lettres : G. I. S., initiales de 
Corneille Jansz Zwol, dont le domicile est transféré sur le Dam, 
proche la maison de ville. On peut supposer que ce Corneille Jansz 
était un héritier de l'éditeur des Tydingen. 

Cette première Gazette d'Amsterdam ne parut d'abord qu'une fois 
par semaine; ce n'est qu'à partir de 1672 qu'elle devint bihebdoma- 
daire. On lit cependant cet avertissement dans le n° du 8 avril 1666 : 
« Gomme nous aurons dorénavant de fort bonnes correspondances 

(1) St trouve le nom et le prénom de ces éditeurs imprimés de trois ou 
quatre manières différentes : Smient et Sminth; Barent, Barnert et Barnart. 



— 140 — 

« dans les pays étrangers et dans les places les plus considérables de 
« ces provinces, par le moyen desquelles nous pourrons savoir tout 
« ce qui s'y passe de particulier, outre la gazette ordinaire du jeudi, 
a nous vous en donnerons une extraordinaire tous les lundis de cha- 
« que semaine, pour vous faire part de ce que nous aurons de plus 
« nouveau et de plus curieux. » Mais je n'ai pas trouvé trace de cet 
extraordinaire ; je rencontre an contraire vers la même époque une 
nouvelle Gazette d'Amsterdam , paraissant précisément le lundi, mais 
portant le titre de Gazette ordinaire, et sortant de chez un autre éditeur. 
(Voir infra.) 

En revanche, la feuille de Jansz Zwol eut dès l'origine de fréquents 
suppléments, qui sont annoncés à la fin de la gazette, ainsi : 

17 juin 1666 : a Vous aurez à 7 heures du soir le détail- de la vie- 
« toire que nous venons d'obtenir sur les Anglais et de tout ce qui 
a s'est passé sur notre flotte depuis qu'elle est sortie du Texel jusqu'au 
« 1 s de ce mois, en forme de Relation, qui satisfera assurément votre 
« curiosité. » 

— 3 mars 1667. « Vous aurez à l'heure de la bourse la lettre du 
« roi d'Angleterre à Nosseigneurs les Estât s, avec la liste des mar- 
te chandises que la Compagnie des Indes d'Orient doit vendre en peu 
« de temps, le tout en un quart de feuille de papier fin. — 17 octobre. 
« Vous aurez aussi la suivante charge (Charge générale de 1 2 vais- 
ce seaux revenant des Indes) plus correcte que celle qu'on vous a 
« donnée il y a un jour ou deux, dans le 8« d'une feuille de papier 
« fin , très-commode pour inclure dans des lettres. » 

On y trouve aussi quelques annonces dans des genres divers : ventes 
de livres, de tableaux, départs et arrivées de navires, ainsi que des ré- 
clames dans le genre de celle-ci : « Gaspart Cassan, dit Orviétan, natif 
« de Rome, pour faire voira tous les habitants de cette ville la bonté 
a de son orviétan, s'empoisonna sur son théâtre, le 8 de ce mois, en 
« présence d'une foule incroyable de peuple , et prit deux crapauds 
« vifs, 30 grammes d'arsenic, 30 de ringal (?), et 60 d'antimoine, 
« après les avoir fait visiter par plusieurs médecins, apothicaires et 
(( droguistes là présents , qui avouèrent que c'était du poison et du 



1 



— 141 — 

« meilleur ; et le lendemain il parut sain sur le même théâtre , sans 
« avoir usé, pour se désempoisonner, que de l'orviétan qu'il vend en 
« sa boutique sur le Dam, à Amsterdam. » (18 octobre 1668.) 

On lit à la fin du n° du 15 septembre 1 667 : ce Les curieux auront 
«à l'heure de la bourse la Gazette burlesque de Paris. » Et le 22 : 
« Vous aurez aujourd'hui , et, dorénavant, le mercredi de chaque se- 
« maine , la Gazette burlesque de Paris , en demi-feuille de papier. » 
Je ne sais trop quelle était cette Gazette burlesque. On donnait vul- 
gairement ce nom à la Muse historique de Loret ; mais elle avait cessé 
depuis mars 1665. Il s'agit probablement de quelqu'une de ses imi- 
tations. 

L'exemplaire de la Gazette d'Amsterdam de notre grande Bi- 
bliothèque s'arrête au 4 mars 1677. Si ce n'est pas à cette date 
qu'elle mourut, ce ne saurait être bien longtemps après, car nous en 
rencontrerons bientôt une résurrection. Du reste, sa carrière ne 
fut pas sans encombre. C'est ainsi que le n° du 14 avril 1672 est 
suivi de 2 n°% des 18 et 22, ayant, au lieu du titre ordinaire, 
le suivant : Relation désintéressée de eelui qui faisait la Gazette d'Ams- 
terdam; et à la place du nom de l'imprimeur, on lit: a Imprimé en 
c chemin, allant en lieu neutre, pour nous y établir, et vous envoyer 
a de là les... » (La suite rognée par les ciseaux stupides du re- 

lieur.) 

Le titre et la signature ordinaire reparaissent au numéro du 28 avril, 
à la fin duquel on trouve cet Advertissement : « Ne sachant quelle 
« place serait neutre aux environs de ce pays, nous reprenons nos 
« premières erres, jusqu'à ce que la Providence divine en ait autre- 
ce ment disposé. » ( Voyez encore ci-dessous la Gazette ordinaire 
d'Amsterdam.) 

Je n'ai rencontré aucun indice qui pût mettre sur la trace du ré- 
dacteur de cette feuille. On lit à la fin du numéro du 26 dé- 
cembre 1 669 cet avertissement assez amphigourique , qui pourrait 
avoir trait aussi bien au fond qu'à la forme du journal : « Nous 
« avons quelquefois des expressions que quelques-uns trouvent 
« dures ; mais si elles choquent des oreilles un peu trop délicates, 



— 142 — 

a nous protestons que c'est contre notre dessein , et qu'à l'avenir 
« nous aurons soin de les mieux adoucir. » 

Jansz Zwol avait aussi entrepris la publication d'une gazette ita- 
lienne. Il annonçait ainsi ce projet à ses lecteurs le 19 janvier 1668 : 
« Comme Messieurs les bourgmestres nous ont fait la grâce de nous 
a donner la permission d'imprimer une gazette ea italien, nous vous 
a donnons avis que nous commencerons à la débiter dès que nous 
« pourrons avoir. assez de bonnes nouvelles à y mettre; et ce sera 
a bientôt, s'il plaît à Dieu. » Il la commença le 2 mars , et continua 
à la donner chaque vendredi, « bon matin, et pour le même prix que la 
française. » 

La Gazette ordinaire d'Amsterdam. A Amsterdam, chez Otto 
Barnart Smient, imprimeur et libraire, demeurant dans la rue des 
Réguliers, à la neufve imprimerie, 1667, in-folio. 

Le titre est flanqué de deux vignettes grossières, représentant, 
l'une les armes d'Amsterdam , l'autre un gros bateau dans lequel deux 
hommes qui semblent des soldats. 

L'auteur de cette feuille , qui sort , comme on le voit, de chez le 
même éditeur que les Nouvelles ordinaires (suprà, p. 138), m'a été ré- 
vélé d'une façon assez insolite, par un portrait conservé à la Biblio- 
thèque impériale, et dont je dois la connaissance, avec d'autres non 
moins bons renseignements, à* M. Henry Lavoix, l'aimable critique 
du Moniteur (1), lequel avait un instant songé à donner l'histoire de 
cette guerre de pamphlets et de médailles faite à Louis XIV par la 
Hollande. 

C'était un certain de La Font (qu'on trouve quelquefois écrit La 
Fond), un Français évidemment, mais sur lequel il m'a été impossible 
de savoir rien de positif ; son nom ne figure dans aucune biographie 
ni bibliographie. Et pourtant il a joui dans son temps d'une assez 
grande notoriété. Bayle en parle à plusieurs reprises comme d'un 
homme qui avait « mis les gazettes de Hollande françaises dans la 

(1) Je l'ai depuis rencontré chez M. le baron de Vinck, à Bruxelles, et à 
Amsterdam , chez M. Sautyn Klait. 



— *4i — 

plus haute réputation où elles aient été » ; et il existe de lui, comme 
je viens de le dire , un très-beau portrait in-folio — dont nous don- 
nons une esquisse en tête de ce volume , — gravé par Lambert, d'a- 
près un tableau de H. Gascar, et orné d'un distique de Santeuil, le- 
quel portrait a été classé par le père Lelong parmi ceux des Français 
et Françaises illustres, en ces termes : « Fond(N. de la), fameux ga- 
zetier de Hollande ....» Je ferai remarquer, parce qu'on sy est trompé, 
que le N. de la parenthèse n'est pas l'abréviation du prénom de de 
La Font, qu'il en tient seulement la place ; c'est l'x, l'inconnue du sa- 
vant bibliographe : notre gazetier avait pour prénoms Jean-Alexan- 
dre. Il paraît, sur son portrait, avoir une quarantaine d'années. Il y 
est représenté tenant de la main gauche une gazette déployée, qu'il 
montre de la main droite avec sa plume, et en tête de laquelle on 
lit : La Gazette ordinaire d'Amsterdam du lundi } décembre 1667. 
C'est bien évidemment la feuille qui nous occupe, dont le titre est 
très-fidèlement reproduit, avec ses vignettes même. En bas on lit : 

In effigiem Domini de La Fond, Galli, 
Festivissimi apud Batavos Ephemeridum historicarum scriptoris, 

DISTICHON. 

Mille oculisyidet hic Fondus, mille auribus audit; 
Plus audit naso, plus videî ille suo. 

Santolius Victorinus. 

La gravure ne porte d'autre millésime que celui qui se lit sur la 
gazette, 1 667 ; cependant le P. Lelong lui donne la date de 1680. 
On doit supposer que ce n'est pas sans fondement, et, pour ma part, 
je serais disposé à admettre une date postérieure à 1667, époque où 
il paraît difficile que La Font fût déjà arrivé à la célébrité comme ga- 
zetier. Peut-être est-ce son point de départ qu'il a voulu marquer en 
se faisant représenter avec la Gazette ordinaire d f Amsterdam ; à moins 
qu'on ne le veuille considérer comme le rédacteur de la gazette de 
Jansz Zwol, dont il se serait alors séparé. 

On ne peut surtout cela que faire des conjectures. Toutes mes re- 
cherches, toutes mes interrogations pour avoir quelques renseigne- 



1 

L 



— «44- 
ments sur ce «fameux gazetier», qui avait de si bons yeux, de si bonnes 
oreilles, et plus de nez encore, sont demeurées sans le moindre résultat. 
Dans le passage auquel je faisais tout à l'heure allusion , Bayle s'ex- 
prime ainsi : « La Font, qui a mis les gazettes de Hollande françaises 
dans la plus haute réputation où elles aient été, et qui vivait quelques 
années avant la guerre de 1672, se servait souvent de ce mot (le mot 
recruter), qui est depuis longtemps fort en usage dans les pays étran- 
gers, quand on y écrit ou que Ton y parle français. » (Lettre à l'abbé 
Du Bos, Rotterdam, ) janvier 1697.) Il semblerait résulter de ce 
passage que La Font était mort depuis longtemps, antérieurement 
même à 1672; mais dans une lettre d'une époque bien antérieure, où 
ses souvenirs devaient être plus présents, de 1685, répondant à Len- 
fant, qui lui demandait, dans le désir de se les procurer, de le rensei- 
gner sur les gazette rationnées, il disait : a On croit que celles du sieur 
La Font, que je n'ai jamais vues, sont les meilleures. » 

Tout cela n'est pas très-clair ; et ce qui suit, malheureusement, ne 
l'est pas non plus autant que je le voudrais. 

Il me serait, par exemple, impossible de dire quelle fut la durée de 
la Gazette ordinaire ; les numéros contenus dans le recueil où je l'ai 
rencontrée, et où elle alterne avec la Gazette d'Amsterdam, qui parais- 
sait le jeudi, vont du 17 janvier 1667 au 1 3 juillet 1671 ; mais quelques 
indices me porteraient à croire qu'elle vivait encore en 1675. Dans le 
volume des gazettes de cette année-là, à notre Bibliothèque impériale, 
le numéro du 1 3 août de la feuille de Jansz est suivi de Mémoires qui 
devaient servir à la composition de la Gazette d'Amsterdam du jeudi 
1 $ août. La forme de ce numéro extraordinaire est, du reste, absolu- 
ment la même que celle du numéro qui précède ; mais on lit à la fin : 
Imprimé pour J.A. delà Font. Et ensuite vient un numéro de la Ga- 
zette d'Amsterdam du lundi 19 août, sortant de chez Otto Barent 
Sminth {sic), marchand libraire sur la Reguliers-Bree-Straet. Les ca- 
ractères du titre sont bien évidemment les mêmes que ceux de la ga- 
zette de Jansz, mais les vignettes sont celles de la Gazette ordinaire, 
qui aurait donc eu, à cette époque , abandonné l'épithète qui la dif- 
férenciait de sa rivale, — ou consœur. 



— 145 — 

La gazette de Jansz reprend ensuite son cours ordinaire ; cependant 
le* numéros entre le 19 novembre et le 10 décembre sont encore rem- 
placés par des Mémoires qui serviront à la place de la Gazette d'Amster- 
dam, mais sortant, ceux-ci, de chez Jacques Du Mas, près la Bourse. 

Sur tout cela je ne puis que m'en référer à la sagacité du lecteur. 
L'important, d'ailleurs, c'est la filiation des gazettes françaises en 
Hollande, et je ne me suis étendu sur les détails qui précèdent qu'à 
raison de l'intérêt qu'ils peuvent avoir pour la biographie de La Font, 
dont la vie, à cette époque, paraît avoir été assez accidentée , qui 
aura sans doute été plus d'une fois en butte aux tracasseries des puis- 
sants, forcé peut-être de quitter Amsterdam. C'est à Leyde, en effet, 
que nous allons le retrouver. 

Traduction libre des gazettes flamandes et autres. A Lcidt, 
chez J. van Gelder, à la Tortue, 1678- 1679, in-4. 

C'est la seule gazette française dont j'aie trouvé la trace à Amster- 
dam; encore puis-je ajouter que personne n'en soupçonnait l'exi- 
stence. J'en dois la connaissance à M. Sautyn KJuit, un jeune avo- 
cat plein des meilleures dispositions, qui sera peut-être cet historien 
de la presse qu'attend la Hollande. 

Cette petite gazette commence, du moins chez M. Sautyn KJuit, le 
4 janvier 1678; elle paraissait deux fois par semaine. Au mois de 
juillet , le titre s'orne des armes de Leyde et d'un cartouche abso- 
lument semblable à celui de la Gazette d'Amsterdam ; seulement, au 
lieu des initialesde Corneille Jansz Zwol, on lit les suivantes : D. L. F., 
qui sont évidemment celles de de La Font. — Le dernier numéro sous 
ce titre un peu prosaïque de Traduction est du 8 juin; vient ensuite : 

— La Gazette d'Amsterdam du mardi 13 juin 1679. A Amster- 
dam, chez Corneille Jansz Zwol, au Mercure, derrière la maison 
de ville, in-4. 

Les armes d'Amsterdam ont remplacé celles de Leyde, mais . la 
marque reste la même. C'est, en un mot, en tout la Gazette d'Amster- 
dam que nous connaissons déjà, sauf que les initiales de La Fon- 

10 



— 146 — 

ont remplacé celles de l'éditeur. Que s'était-il passé à Leyde ? Rien 
ne le dit. On peut supposer que La Font , frappé d'interdiction à 
Leyde , sera retourné à Amsterdam et y aura repris, — ou continué , 

— avec Jansz Zwol, la Gazette d'Amsterdam. 

L'exemplaire de M. Sautyn Kluit s'arrête au 26 septembre 1679, 
et je perds la trace des gazettes françaises d'Amsterdam jusqu'en 
1688; mais nous avons vu, supra, p. 94, par une plainte du prince 
d'Orange, qu'il en existait une au commencement de 1683 ; ce qui 
s'accorde avec ce que m'écrit M. Delprat, que la gazette fran- 
çaise d'Amsterdam fut supprimée en 1683. 

Voyez ci-dessous Nouveau Journal un'mrsel. — Voyez aussi les 
Nouvelles solides et choisies, qui pourraient bien être cette gazette in- 
terdite en 1683. D'ailleurs il paraît bien certain que la place ne de- 
meurait jamais longtemps vacante ; un journal supprimé , un autre 
apparaissait presque immédiatement , et c'est bien le cas de dire : 
Uno avulso, non déficit aller. Ainsi il résulte d'un passage des Négo- 
ciations du comte d'Avaux cité plus haut, p. 96, qu'en 1686 encore 
Amsterdam avait une gazette française, rédigée par un certain Lucas, 
sur lequel je manque complètement de renseignements. 

Gazette de Leyde. 1 680-1 814, in-4. 

Je me sers de cette appellation pour la facilité des recherches, et 
pour me conformer à l'usage du temps qui faisait qu'on désignait les 
gazettes sous le nom de la ville où elles s'imprimaient , en dépit du 
titre qu'elles s'étaient donné. C'est ce qui arriva notamment pour les 
feuilles de Leyde, pour celle dont .nous venons de parler, et peut-être 
encore pour d'autres antérieures à 1680; mais le nom de Gazette de 
Leydc,<\m, de fait, n'a jamais existé, est plus particulièrement de- 
meuré attaché à une feuille qui, créée à cette époque, vraisemblable- 
ment par La Font, persista jusqu'au commencement du XIX e siècle, 
et non sans jeter un assez vif éclat. Nous voulons parler des 

— Nouvelles extraordinaires de divers endroits. 1680- 
14 mai 1798, in-4. 

Les commencements de cette feuille célèbre, qui m'a , par cela 



y 



— 147 — 

même, beaucoup préoccupé, sont assez obscurs. J'avais espéré en 
trouver sur tes lieux au moins une collection bien complète; j'ai 
été trompé dans mon attente : l'exemplaire de M me veuve Luzac , 
l'héritière des publicistes qui ont porté si haut la réputation de 
cette gazette, ne remonte pas au delà de 1712. Mais il paraîtrait, 
d'après ce que je tiens de M. Sautyn Kluit, qu'elle fut, en 1738, 
de la part d'un secrétaire de la ville de Leyde , l'objet d'un rapport 
qui aurait été inséré dans un des livres de privilèges de l'antique cité, 
et duquel il résulterait « qu'un Français, nommé Jean-Alexandre 
de La Font, imprimeur à Leyde, a été le premier qui, vers l'année 
1680, a imprimé cette gazette, laquelle faisait probablement suite au 
Mercure historique et politique. » 

Que La Font soit le créateur de la Gazette de Leyde, cela ne fait 
pas doute pour moi ; mais qu'il l'ait imprimée , qu'il fût imprimeur, 
cela me paraît contredit par tout ce que j'en ai dit jusqu'ici, et par 
ce qui suivra. Quant à l'assertion qui fait de cette gazette la suite 
du Mercure historique et politique, elle ne mérite pas assurément qu'on 
s'y arrête. 

Pour ce qui est de la date de sa fondation , on ne saurait la fixer 
d'une manière certaine, absolue. Le premier numéro que j'aie ren- 
contré est du i cr octobre 1680 ; il est signature Klçkk, ce qui, à rai- 
son de deux numéros par semaine, la ferait commencer au plus tard 
avec cette année 1680. Dans tous les cas, elle ne saurait l'avoir de- 
vancée de beaucoup, étant admis que La Font en ait été le fondateur, 
puisqu'il était encore à la Gazette d'Amsterdam à la fin de septem- 
bre 1679. 

Les deux premières années ne portent point de nom de lieu ni d'im- 
primeur; c'est seulement le 16 décembre 1681 qu'on lit in fine: «A 
Leide, de l'imprimerie de la veuve van Gelder », — la veuve de l'im- 
primeur de la Traduction des gazettes ci-dessus; et, à partir du 10 fé- 
vrier 1682 : « A Leide, de l'imprimerie de la veuve Gelder, pour 
de la Font. » En 1684, le nom de l'éditeur a disparu, et le nom de 
l'auteur se lit au bas de la première colonne ainsi : PourJ. A. D.L. F. 
— L'année 1687 est sans aucune souscription ; il est probable que 



— 148 — 

La Font était devenu de bonne heure, s'il ne Pavait pas été tout d'a- 
bord, propriétaire de la feuille qu'il rédigeait. Je dois ajouter que, 
comme on le verra plus loin, à l'article du Nouveau Journal universel, 
elle parait avoir eu pendant quelque temps pour éditeur, dans ces 
premières années, soit avant, soit après la veuve van Gelder, un li- 
braire du nom de Claude Jordan , que nous retrouverons à Amster- 
dam, et auquel on a attribué, vraisemblablement à tort , la création 
du Journal de Verdun. 

J. A. de La Font paraît être mort en 1689. On voit en effet son fils 
admis, par une résolution de la régence de Leyde du mois de dé- 
cembre de cette année, à lui succéder dans son œuvre. Ce fils, An- 
tony ou Antoine, était né en Languedoc, suivant le rapport que j'ai 
déjà cité, ce qui viendrait à l'appui de ce que je disais en commen- 
çant, que Jean-Alexandre était le premier des La Font connu comme 
gazetier, l'homme du portrait. Pour s'assurer le débit exclusif de son 
journal, Antoine sollicita et obtint des États de Hollande un octroi 
ou privilège pour quinze années, lequel lui fut renouvelé en 1706, 
1721 et 1736. 

A sa mort, arrivée le 9 février 1738, la gazette devint la propriété 
de sa fille, à qui elle fut achetée, moyennant une pension de 1 500 flo- 
rins et une contribution annuelle de 300 florins au profit de la caisse 
communale, par Etienne Luzac, qui avait été l'un des collaborateurs 
de son père, et dont le nom se lit au bas des Nouvelles extraordinaires 
jusqu'au milieu de l'année 1 798, pendant soixante ans ! 

Etienne Luzac était fils d'un marchand de Bergerac, qui avait 
réussi à sortir de France après la révocation de l'édit de Nantes, 
emmenant avec lui, outre Etienne, un autre de ses fils, Jean, qui 
fonda à Leyde une maison de librairie. On sait, sans que nous ayons 
besoin de le dire , quel rang honorable la famille Luzac a conquis 
dans sa patrie adoptive. 

Le nouveau propriétaire de la Gazette de Leyde sut lui imprimer 
un cachet de véracité, de bonne foi, d'exactitude , qui lui fit bientôt 
une réputation européenne. Mais sa franchise , sa hardiesse, soulevè- 
rent aussi contre lui bien des haines, bien des colères, et provoqué- 



— 149 — 

rent de nombreuses plaintes et réclamations. C'est ainsi que le fa- 
meux Poninski, dont la Gazette de Leyde n'avait pas été la dernière 
à démasquer les intrigues, écrivait de Varsovie, au commencement 
de 1 774, au grand pensionnaire de Hollande, pour se plaindre de 
l'insolent gazetier. Etienne ne comprend pas ce qui peut avoir si fort 
allumé la bile du maréchal et excité son esprit de vengeance «contre 
une feuille (il ne la nomme pas) qui ne fait que répéter ce qui se dit 
partout, et en termes plus forts » , et il continue à louer les a grandes 
ressources d'un homme qui, dans l'espace de quelques mois, était 
monté d'un état médiocre à celui de la plus magnifique opulence. » 
Le prince, alors, voyant que sa vengeance n'avait rien à attendre 
des magistrats hollandais, qui avaient pour l'intègre journaliste au- 
tant de considération qu'ils devaient en avoir peu pour l'intrigant 
maréchal, s'adressa à la diète de Pologne, qu'il avait dans sa main , et 
il obtint qu'elle fulminât, le 23 août, un décret contre la Gazette de 
Leyde. On lit à ce propos dans le numéro du 1 3 septembre : « L'ar- 
rêt lancé contre une feuille étrangère devenue odieuse au prince Po- 
ninski et à ses partisans , peut-être par son trop de véracité, a été 
exécuté aujourd'hui. On se rappelle à ce sujet, et à plusieurs autres 
qui arrivent de nos jours , le mot de Tacite : Quo magis socordiam 
tOTum irridcrt libtt qui prasenti pottntia credunt extingai possc etiam 
sequentis avi mtmoriam. En effet , il est malheureux pour le pouvoir 
qu'il ait un terme d'existence, et que, souvent plus tôt qu'on ne s'y 
attend, la vérité soit à même de ne plus le respecter. » Je ne sais en 
quoi pouvait consister l'exécution de cet arrêt : Luzac ne le cite 
pas; il dit seulement, en le discutant au point de vue juridique dans 
le supplément du 27 septembre, qu'il a était faux que l'entrée de la 
Gazette de Leyde eût été défendue en Pologne sous peine de 
2,000 florins d'amende; que la peine statuée était celle de Y infamie. » 
(Voyez les Nouvelles extraordinaires des 6, 13 et 27 septembre 1774.) 
Quelques jours après, c'était du gouvernement prussien que ve- 
naient les plaintes ; une autre fois du grand maître de l'ordre de 
Malte; une autre fois des envoyés d'Angleterre, de Danemark, etc. 
Je ne parle pas de la France, ses réclamations contre les ga- 



— Mo — 

zetiers hollandais étaient perpétuelles. Et à ce sujet je ne pois ré- 
sister au plaisir de reproduire une sorte de mémoire jusificatif 
qu'Etienne Luzac adressa en 1772 à Desnoyers, qui gérait la lé- 
gation de France en l'absence de l'ambassadeur, fe marquis de 
Noailles. 

« J'ai eu plus d'une fois, dit l'honorable publiciste, l'honneur d'ex- 
« poser mes sentiments et mes idées à messieurs vos prédécesseurs, en 
a dernier lieu à M. l'abbé Duprat, et toujours j'ai eu la satisfaction 
a de les voir approuver. Comme je l'ai déjà dit, sous tous les mi- 
ce nistères de France, y compris celui du cardinal de Fleury, quisûre- 
« ment était le plus grand politique je ne dirai pas de son temps, 
a mais peut-être de tout le siècle, et dont la sévérité, toujours mêlée 
« d'une prudente équité, a été universellement reconnue , je n'ai ja- 
« mais reçu des reproches tels que ceux que j'essuie aujourd'hui. 
« M 'assujettir à ne répéter, pour ce qui regarde la France, que la 
« seule Gazette de Paris, ce serait faire apercevoir au public français 
« une retenue qui produirait un effet contraire à celui qu'on s'en 
« promet. Déjà depuis quelque temps l'on ne s'aperçoit que trop des 
a ménagements que j'observe. D'ailleurs toutes les cours de l'Europe 
a n'ont-elles pas le même droit d'exiger que je ne copie que ce que 
« leurs gazettes publient des affaires intérieures sous leurs yeux ? Or, 
a Monsieur, je vous le demande à vous-même, si cela avait lieu, quel 
« cas feriez-vous de ma gazette ? quel cas en feraient ceux qui ne veu- 
« lent que le tableau actuel des affaires du monde ? Si les faits qu'on 
« rapporte sont faux , si les pièces qu'on communique sont suppo- 
rt sées, ces faits , ces pièces, ne sauraient se soutenir devant un pu- 
« blic éclairé; si les faits sont vrais, si les pièces sont authentiques, 
« il n'y a aucun motif de les supprimer, et l'exiger, ce serait se désho- 
ot norer. Il me semble que ce raisonnement est trop simple et trop 
a naturel pour le rejeter. La Gazette de France, écrite par autonté et 
« sous les yeux du ministre , trace elle-même la route que doit tenir 
« un annaliste public. Voyez, Monsieur, ce qu'elle dit des pays 
« étrangers, surtout de la Pologne et de tout ce qui concerne la con- 
« duite de la Russie. Consultez, par exemple, l'article de Dantzig, 



— i5i - 

« dans la dernière qui vient d'arriver, — Cette feuille est écrite non 
« en langue de ce pays, mais en français, j'en conviens; mais vous 
u voudrez bien convenir aussi que la langue française est depuis 
a longtemps une langue universelle, que par toute l'Europe un 
« homme de naissance ou de quelque éducation se pique d'entendre 
« presque aussi bien que sa langue maternelle , et ce n'est pas le 
a petit peuple qui raisonne de la politique ou dont on craint le ju- 
« gement. 

« Ce n'est pas que j'aie la moindre démangeaison de mendier le 
« suffrage ou l'empressement du public par des assertions hardies ou 
« qui sentent la satire. Ce ne fut jamais mon caractère et ce ne le 
« sera jamais. S'il l'eût été , j'aurais transcrit dans mes nouvelles de 
« Pologne bien des choses qui, vraies ou fausses, n'auraient certai- 
« nement pas fait plaisir au ministère de France* 

« Enfin, Monsieur, au cas que quelque malheur m'arrivât, le nil 
a conscire sibi fera toute ma consolation. Pardonnez , au reste, si je 
« vous parle avec tant de franchise ; pardonnez à la sensibilité d'un 
« homme qui a blanchi dans sa profession, qui croit avoir appris ses 
« devoirs par une expérience d'un demi-siècle, et qui se voit dans la 
ce triste nécessité de justifier des droits qui ne lui ont jamais été con- 
a testés. » 

« Ce noble et mâle langage prouve, à lui seul, à quelle hauteur la 
Gazette de Leyde s'était élevée dès cette époque », ajoute avec infi- 
niment de raison M. Vreede, auquel je dois ces particularités diplo- 
matiques, qu'on trouvera plus au long dans son Introduction à l'His- 
toire de la diplomatie holfandaise (Inleiding tôt une Geschiedcnis der 
Ncderlandsche Diplomatie, Utrecht, 1858), appendice, n° 19, pages 
50-64. 

Etienne Luzac s'était associé, en 1772, son neveu Jean, fils du li- 
braire, savant helléniste et jurisconsulte éminent, qui devait succéder 
à l'illustre Walkenaer dans la chaire de littérature grecque et dans 
celle d'histoire nationale à l'université de Leyde; il ne tarda pas, 
orcé qu'il était par l'âge , à lui abandonner à peu près complètement 
a direction , et pendant quelque temps on voit le nom du neveu fi- 



gurer avec celui de l'oncle au bas des numéros. Jean , du reste , était 
de tout point digne de recueillir un pareil héritage; il porta la Gazette 
de Leyde plus haut encore dans l'opinion que ne l'avait fait son oncle, 
et il la plaça au premier rang parmi les gazettes de l'Europe. Ami et 
correspondant de John Adams et de Washington, il recevait d'Améri- 
que, pendant cette guerre de l'indépendance qui passionnait si fort 
les esprits , les premières et les plus sûres nouvelles , et cela ne con- 
tribua pas peu au grand succès auquel atteignirent, à cette époque , 
les Nouvelles extraordinaires. 

Jean Luzac , qui était libéral , mais non jacobin , ne traversa pas 
sans tribulations l'époque révolutionnaire. Il finit même par être dé- 
possédé de ses chaires, sur la plainte du gouvernement français, pour 
un article du 7 décembre 1795 , où, sous la rubrique de Paris, et à 
propos du rapport de Lafond-Ladébat au nom de la commission 
des cinq , il était parlé en termes peu révérencieux du gouvernement 
révolutionnaire , « qui était dès lors l'opprobre de l'humanité , et qui 
serait à jamais l'exécration des siècles à venir, » Les pièces du pro- 
cès, l'acte d'accusation et la défense du courageux publiciste se 
trouvent dans un recueil de documents, Verzameling van Stukken, 
publié à Leyde en 1 797. 

'■ Jean Luzac reporta alors toute son énergie sur sa gazette, et plus 
d'une fois encore il eut maille à partir avec le gouvernement révolu- 
tionnaire. C'est ce qui arriva notamment après le coup d'État du 
18 fructidor, qu'il n'avait pas craint de flétrir dans les termes les plus 
sévères. Dès le 28, François Noël , ministre de la république fran- 
çaise, présentait au comité diplomatique de la Convention nationale 
batave une note par laquelle il exigeait la punition immédiate d'un 
écrivain « téméraire et licencieux , qui avait forfait à la justice et à la 
vérité. » (Voyez , pour cet incident et les débats auxquels il donna 
lieu à l'assemblée des représentants du peuple, l'Histoire de la diplo- 
matie de la République batave de M. Vreede, Gesch. der Diplomatie 
de Bataafsche Republick, I, 297.) 

Enfin les Nouvelles extraordinaires furent supprimées par décret du 
pouvoir exécutif de la république batave en date du 23 avril 1798 ; 



- IJÎ.- 

mais elles furent reprises quelques jours après, par Abraham Blussé 
le jeune, sous le titre de 

— Nouvelles politiques publiées a Leyde. i i octobre 1798- 
5 octobre 1804, in-4. 

C'était une continuation déguisée des Nouvelles extraordinaires , 
à laquelle, on le pense bien , ne manqua pas le concours de Jean Lu- 
zac , qui ne paraît s'être retiré de la lice que depuis 1 800. Un article 
inséré dans le n° 71, du 4 septembre 1804, touchant l'indemnité que 
la République batave devait payer à son ancien stathouder,. émut le 
gouvernement impérial, et, à la sollicitation de l'ambassadeur français, 
les Nouvelles politiques furent suspendues, pour six semaines; mais, 
pour échapper au préjudice qu'aurait pu lui causer cette suspension , 
Blussé recourut de nouveau au subterfuge déjà employé par son pré- 
décesseur, et quinze jours après il fit reparaître sa feuille sous le 
titre légèrement déguisé de 

— Journal politique publié a Leyde, par J. C. Texier West- 
muller. 23 octobre 1804-29 novembre 181 1. 

Blussé , malgré les apparences, continua d'être le seul rédacteur ; 
Westmuller n'était qu'un prête-nom , chargé de la partie matérielle 

* 

de l'entreprise. Le 22 mai 18 10, son nom est remplacé au bas du 
journal par cette mention : De l'imprimerie du Journal politique. 

La fin de cette feuille célèbre est entourée d'obscurité. La propriété 
en avait été acquise en 1807 par le roi Louis; elle disparaît à la fin 
de 181 1, sans qu'on en voie le motif, peut-être par une application 
qui lui aurait été faite tardivement du décret impérial du $ août 1810, 
qui réduisait les feuilles politiques à une par département. Elle avait, 
du reste , perdu toute son importance depuis la réunion de la Hol- 
lande à l'empire français. Elle fut reprise en 1814, par Texier West- 
muller, qui, le i er mars, rétablit sur son titre le lion de Hollande, 
avec cette devise à double entente : Resurrexit, Cette reprise se trouve 
à la Bibliothèque royale de Bruxelles; j'ignore où elle s'arrête. 

J'en ai dit assez pour qu'on puisse se faire une idée de l'importance 



- «54 - 
de la Gazette de Leyde. Elle est surtout précieuse pour l'histoire de 
la seconde moitié du XVIII e siècle , et tout particulièrement Jtour la 
guerre de l'indépendance américaine, en raison des relations que j'ai 
dites de Jean Luzac avec les chefs du mouvement. C'est dans cette 
feuille, rédigée, comme nous l'avons vu, avec une complète indépen- 
dance, et longtemps regardée comme le seul journal véridique, qu'on 
trouve les documents les plus authentiques sur les événements con- 
temporains. 

Dès l'origine, les Nouvelles extraordinaires publièrent de fréquents 
suppléments, qui devinrent bientôt réguliers, permanents, et de bonne 
heure chaque numéro est suivi d'un supplément également de 4 pages, 
en lignes pleines et caractère serré. Ces suppléments sont peut-être 
la partie la plus importante du journal ; c'est là qu'on trouve généra- 
ement les articles raisonnes, les articles de fonds, et aussi de longues 
correspondances , particulièrement de Paris, dans le genre de celles 
que l'on voit aujourd'hui dans V Indépendance belge. On ignore de qui 
émanaient ces correspondances ; parmi les collaborateurs français de , 
Luzac , je puis seulement nommer Cerisier, qui devait se faire un 
nom parmi les journalistes constitutionnels de la Révolution fran- 
çaise. 

La collection relativement la plus complète que je connaisse de la 
Gazette de Leyde est celle de la famille Luzac , aujourd'hui chez la 
veuve de Louis Caspar, le frère , je crois , et sans doute le collabora- 
teur de Jean , et qui fut pendant plusieurs années le chef de l'opposi- 
tion libérale dans la seconde chambre des états généraux : elle em- 
brasse une période non interrompue de quatre-vingt-dix-huit années, 
de 1712 au 29 septembre 1809. Notre Bibliothèque impériale possède 
des parties incomplètes des premières années, depuis 1680, et une 
suite à peu près ininterrompue de 1 760 à 1810. La bibliothèque Sainte- 
Geneviève a les années 1682 et 1687; celle de l'Arsenal, les an- 
nées 1769-1788. 

On a publié à la Haye, en 1802 et 1803 , une Chronique ou Ex- 
posé succinct des événements relatifs, en particulier, à la révolution 
française et à ses suites, depuis 1788 jusqu'en 1803,-» u livraisons 



— tÇ5 - 

de plus de 100 pages in-8° chacune, — composée d'artides extraits 
de la Gazette de Leyde. 

Nous savons que les Nouvelles extraordinaires furent contrefaites , 
notamment^ Vienne en 1786. (Vojez ci- dessus, p. 47.) 

Les Nouvelles du temps. 5. /., 1681,10-4. 

Je ne connais de cette feuille que deux numéros, sans lieu ni date, 
mais de la fin d'août et du commencement de septembre 1681, que j'ai 
trouvés â la Bibliothèque impériale , au milieu de numéros des Nou- 
velles extraordinaires, dans un volume de gazettes diverses. La dernière 
rubrique est d'Amsterdam. 

Nouvelles solides et choisies. S. / , 1683-1685, in-4. 

Sans nom d'imprimeur, non plus que de lieu, probablement d'Am- 
sterdam. Les numéros que j'en ai rencontrés, dans le même recueil de 
gazettes diverses que ci-dessus, vont de septembre 1684 à la fin 
de 1685 ; mais il est certain qu'elles remontent plus haut. Nous avons 
vu , en effet, supra, p. 94, l'ambassadeur d'Angleterre se plaindre du 
contenu du numéro du 1 1 mars 1683. Bayle parle à diverses reprises 
de cette feuille au titre quelque peu ambitieux , mais toujours d'une 
façon peu claire. Écrivant" à son frère, et après lui avoir parlé des 
Lardons, c il y a , lui dit-il , d'autres petites feuilles de nouvelles rai- 
sonnées, en prose, dont l'auteur s'appelait Saint-Guislain, qui faisait 
aussi une gazette en français et en prose , sous le titre de Nouvelles 
solides et choisies., \\ est mort depuis quelque temps. On m'a dit que 
sa veuve continuait la même chose. » (Rotterdam, 1 1 avril 1684.) 

J'ai déjà dit ce qu'était ce Saint-Guislain, ou plutôt Saint-Glain, 
auteur, entre autres ouvrages, d'un Traité des cérémonies supersti- 
tieuses des Juifs, traduction pure et simple du Tractatus theologico- 
politicus de Spinosa, et qui avait ensuite travaillé à la gazette d'Am- 
sterdam. 

L'année suivante , répondant à Lenfant, qui lai demandait des ren- 
seignements sur les gazettes de Hollande , Bayle s'exprimait ainsi : 
« A l'égard des gazettes raisonnées , je vous dirai qu'il y a trois per- 



/ 



- . 5 8- 

faire briller ses talents: la révolution d'Angleterre fournissait un vaste 
champ à ses réflexions ; il en fit le sujet des Lettres sur les matières du 
temps. Comme elles se publiaient par feuille , chaque quinzaine, sans 
nom d'auteur, et que le secret fut bien gardé , on demeura longtemps 
sans savoir qui les composait , et on les attribua aux plus habiles po- 
litiques de l'Europe, notamment à Bayle, qui , d'ailleurs, en faisait 
le plus grand cas. On peut voir, Cabale chimérique, chapitre 4 , com- 
bien longuement et dans quels termes il en parle. 
Nous allons retrouver Du Breuil au journal qui suit. 

Nouveau Journal universel, où l'on voit tout ce qui se passe 
de considérable dans toutes les cours de l'Europe , contenant aussi 
une relation exacte des principaux exploits des armées qui sont 
présentement en campagne. Amsterdam, 18 novembre 1688- 1792, 
in-4. 

C'est une nouvelle Gazette d'Amsterdam , la plus connue, parce 
qu'elle fut la plus persistante ; elle vécut en effet plus d'un siècle , 
sous des titres différents , le plus longtemps même sans titre, comme 
nous Talions voir, mais toujours dans la même forme. 

La première année ne porte pas de nom d'éditeur; mais on sait, à 
n'en pas douter, que cette feuille importante fut fondée par un libraire 
du nom de Claude Jordan, que nous avons vu établi à Leyde, où , 
d'après ce qu'il nous dira lui même tout à l'heure , il aurait eu part 
à la publication des Nouvelles extraordinaires , et qui aurait ensuite 
transporté son industrie à Amsterdam. Son nom ne figure au bas du 
Nouveau Journal qu'à partir de 1690; mais on lit à la fin du numéro 
du 20 janvier 1689 cet avertissement très-remarquable : 

« Un de nos correspondants de France étant venu à mourir, quoi- 
« que nous en ayons encore deux autres , nous serions bien aises 
« d'en augmenter le nombre , afin d'être d'autant mieux en état de 
« satisfaire le public. C'est pourquoi , s'il y a quelque personne qui 
« veuille remplir sa place, elle peut se présenter et faire ses propo- 
<( sitions les plus accommodantes. Cependant nous avertissons que 
a nous ne souhaitons pas de ces esprits satiriques qui ne s'attachent 



- 159 — 

« qu'à déchirer les réputations ou chagriner quelque particulier. 
« Nous n'aspirons pas non plus aux nouvelles du cabinet : nous sa- 
« vons que peu de gens y ont accès et que la matière est trop déli- 
ft cate. Nous ne demandons que les nouvelles dont le public peut être 
« informé, et desquelles il peut tirer de la satisfaction et de l'utilité; 
« et , sur toutes choses , qu'on s'attache à la certitude et à la so- 
ft lidité. 

« Écrire à l'auteur du Nouveau Journal universel , sous le couvert 
« de Claude Jordan, à Amsterdam. » 

On ne peut qu'applaudir à ce programme , aussi bien qu'à la leçon 
donnée en passant aux gazetiers pamphlétaires. 

On remarquera que Jordan ne se donne que comme l'éditeur du 
Nouveau Journal, l'intermédiaire entre les correspondants et l'auteur; 
mais quel était cet auteur ? C'est ce qu'il ne m'a pas été possible jus- 
qu'ici de découvrir. 

A 1 partir de 1690 le journal est souscrit : « A Amsterdam, chez 
« Claude Jordan. » Le numéro du 20 mars se termine par cet aver- 
tissement, auquel nous faisions allusion tout à l'heure : 

« Claude Jordan, ayant pendant plusieurs années fait imprimer 
« avec succès la gazette intitulée Nouvelles extraordinaires de divers 
« endroits, et depuis quelque temps Nouveau Journal universel, donne 
«avis au public que, Messeigneurs les Magistrats d'Amsterdam 
« l'ayant autorisé pour faire imprimer, lui seulj la gazette française 
« de leur ville , il commencera la semaine prochaine de donner ses 
« nouvelles au public sous le titre de Gazette d'Amsterdam. 

« On avertit en particulier les libraires , imprimeurs et autres per- 
« sonnes particulières de la ville d'Amsterdam , que le bon plaisir de 
« Messieurs les Magistrats est qu'il ne s'imprime ou délivre dans 
« leur ville d'autres nouvelles que celles qui sont autorisées. » 

A la façon dont cette note est rédigée , il semblerait que le Nou- 
veau Journal était la suite immédiate des Nouvelles extraordinaires, qui 
n'auraient fait que changer de nom. Cela conduirait à supposer que 
Jordan, qui serait devenu éditeur de cette dernière feuille à la placé 
de la veuve van Gelder, l'aurait abandonnée, de gré ou de force, et 



— 160 — 

serait venu foncier à Amsterdam une nouvelle gazette, qu'il aurait pré- 
sentée comme fa suite de celle de Leyde. Nous en sommes réduits là- 
dessus aux conjectures, car je n'ai point rencontré l'année 1690 des 
Nouvelles extraordinaires; mais il n'en est pas moins certain qu'elles 
furent continuées à Leyde, après ou sans interruption. 

Comme il avait été annoncé, le nouveau journal parut, le 27 mars, 
sous le titre de : 

— Gazette d'Amsterdam. A Amsterdam, chez Claude Jordan, 
dans le Berg-straat; et se vendent sur te Dam, chez A. D. Oos- 
saan, 1690, in-4. 

Le titre est coupé par les armes d'Amsterdam , que surmonte le 
numéro d'ordre. Mais, chose étrange et dont je ne saurais donner 
d'explication, ce titre, dont se prévaut si hautement Jordan, dispa- 
raît dès la fin de 1690, ainsi que le nom de Jordan lui-même (1), et 
je trouve dans l'exemplaire de la Bibliothèque impériale, cqmmt 
suite immédiate de la Gazette d'Amsterdam : 

— Recueil des nouvelles du.... 1691-22 octobre 1693, in-4. 

Sans nom de lieu ni d'éditeur, sans armes ni privilège. Je trouve 
seulement le nom d'un M. Maussy, dans deux Nota bene qui m'ont 
semblé bons à reproduire : ils montrent qu'il y avait dès lors, comme 
il y en a encore aujourd'hui , des gens qui s'imaginaient que les ga- 
zettes de Hollande s'imprimaient en France ; les voici : 

1 1 février 1692 : a N. B. Nous sommes avertis que quelques per- 

(1) J'ai encore rencontré, à vingt et trente ans de là, des annonces de la 
librairie de Claude Jordan , notamment , dans la Quintessence du 1 3 octobre 
171 8 , la suivante : « On trouve chez le sieur Claude Jordan, libraire d'Am- 
sterdam, dans le Gapersteegh , proche la Bourse, la Clef du cabinet des Princts, 
ou Journal historique du mois de septembre passé, et tous ceux qui l'ont pré- 
cédé depuis 1704, par le même auteur, ce qui forme une quarantaine de vo- 
lumes fort intéressants. » Était-ce encore le Claude Jordan du Nouveau Journal 
universel, ou son fils? et quel rapport y a-t-il entre ce ou ces libraires et 
l'auteur de la Clef du cabinet, autrement dite le Journal de Verdun ? Je laisse 
aux Saumaises futurs à résoudre ces questions. 



— i6i — 

« sonnes croient que ces Mémoires sont écrits ailleurs que dans Ams- 
« terdam. Afin qu'elles s'en désabusent, nous prions ceux qui au- 
« raient de bonnes nouvelles à y faire insérer de les adresser à 
« M. Maussy, à Amsterdam , et , pourvu qu'ils en payent le port, ils 
« les y trouveront l'ordinaire suivant. » 

27 octobre même année : « Nota : Que, pour désabuser quelques 
a personnes , persuadées par des gens jaloux du débit et de la répu- 
cc tation que ces Recueils ont par toute l'Europe , qu'ils n'étaient 
« pas faits en Hollande , nous les priâmes , par un avertissement , de 
« nous adresser quelques nouvelles, en affranchissant le port , ce qu'ils 
« firent , et eurent la satisfaction de les y trouver insérées l'ordinaire 
« suivant. On nous a depuis averti que ce faux bruit se renouvelait, 
« et nous avons cru que nous n'en pouvions mieux désabuser le pu- 
« blic qu'en le priant d'observer que , presque tous les ordinaires, à 
« peine les lettres d'Angleterre étaient arrivées en Hollande qu'elles 
« se trouvaient imprimées dans les Recueils , ce qui est une preuve 
« convaincante de cette fausseté , n'étant pas possible autrement. 
« C'est pourquoi, s'il y a encore des incrédules sur ce fait, qu'ils 
* adressent leurs mémoires à M. Maussy, à Amsterdam, en affran- 
« chissant le port : ils les y trouveront sans faute l'ordinaire suivant, 
« pourvu qu'ils ne blessent point le respect dû aux têtes cou- 
ce ronnées. » 

Il n'en reste pas moins que les auteurs du Recueil des nouvelles 
s'entouraient d'un certain mystère , par prudence sans doute, et pour 
plus de liberté. 

Le Recueil finit, sous ce titre, le 22 octobre 1693, n ° 87, et les 
suivants portent simplement entête, avec les armes de Hollande, 
les mots : 

— Avec privilège de Nos-Seigneurs les États de Hollande et de 
Westfrise. 26 octobre 1693-novembre 1703. 

Les dates, comme on le voit , se suivent immédiatement; mais 

la différence entre les deux titres est si brusque , si grande , qu'on 

se prend à douter, malgré l'affirmation d'une note manuscrite que 

11 



— 162 — 

j'ai trouvée sur la garde d'un volume de la Bibliothèque impériale, 
qu'il n'y ait là qu'un simple changement de titre. 

Quoi qu'il en soit , la gazette se continua dans cette forme jusqu'à la 
fin de 1703. Les numéros portent d'abord in fine: « Publié à Amster- 
dam , le .... » Le 7 janvier 1694, cette formule est remplacée par 
celle-ci : « A Amsterdam , chez le sieur J. T. Dubrtuil, et se ven- 
dent.... »; en 1695 : * Publié à Amsterdam, et se vendent chez 
Pierre Brunel , près ta Bourse »; en 1696 et années suivantes : 
a Chez J. T. Dubreuil. » Ce Du Breuil est, on l'aura deviné, le 
même que l'auteur des Lettres sur les matières du temps, ci-dessus. 
Cette disparition, pendant une année, du nom de Du Breuil, ex- 
plique, sans la justifier, l'assertion de la note manuscrite dont je 
viens de parler, que « Du Breuil a imprimé cette gazette et vendue 
pour la première fois, et souscrite à la fin, le 2) janvier 1696. 
Il est même probable que Du Breuil y eut une part quelconque 
dès avant 1695 , l"* sa ptame ne sera pas restée si longtemps inac- 
tive après la cessation de ses Lettres, Suivant un renseignement qui 
m'a été donné par M. Delprat, d'après la Description d'Amsterdam 
de Jean Wagenaar, « en 1694, l'imprimeur Gaspard Comrnelin ayant 
obtenu privilège pour la publication des gazettes hollandaises , alle- 
mandes et françaises, se serait associé dans ce but avec Jean Tron- 
chin Du Breuil, déjà admis comme gazetier français en 1690. » 
Jusqu'à quel point cette assertion au fond, et la date de 1690, sont- 
elles exactes , c'est sur qupi je ne saurais me prononcer. Ce qui est 
certain, c'est que Du Breuil obtint un privilège pour quinze années, 
le I er août 1691. Cela résulte authentiquement du registre d'octrois 
conservé aux Archives de l'État à La Haye, Mais je dois ajouter 
que ce même jour, i« août 1691 , et le 24 du même mois, trois 
autres privilèges furent donnés pour Rotterdam, Leyde et La Haye; 
ce qui nous porte à croire que ce n'étaient que des renouvellements 
de privilège accordés dans les circonstances que nous avons rappor- 
tées page 97, et cela, notamment, est certain pour Leyde, dont la 
gazette existait depuis onze ans déjà, en vertu d'un octroi de la ré- 
gence de la ville. D'un autre côté, on lit dans Bayte : « M. Tron- 



chin Du Breuil, qui faisait autrefois les Lettres sur les matières du 
temps, a obtenu le privilège de faire une gazette. S'il était le seul qui 
eût ce privilège en ce pays, il y gagnerait beaucoup. » (27 août 1 69 1 .) 
Enfin , Limiers s'exprime ainsi dans l'éloge de Du Breuil que j'ai 
déjà cité : « Il commença en 1691 la Gazette française, et son nom 
la fit rechercher davantage. Comme il avait l'art de dire la vérité 
d'une manière dont chaque parti était également satisfait, on le lisait 
partout avec plaisir, et l'on était surpris de trouver dans un écrit 
qui se fait en poste toute la délicatesse des pensées et toute la force 
des expressions de l'ouvrage le plus médité. Surtout les Récapitulations 
qu'il publiait chaque année, où, dans une demi-feuille, il rappelait 
d'une manière claire et concise tout ce que l'année avait de plus im- 
portant, seront à jamais et l'admiration du public et le plus parfait 
modèle qu'on puisse se proposer en ce genre. » 

A la fin de 1703, le titre de la gazette de Du Breuil s'augmente 
du mot Amsterdam , qui le domine , en gros caractères , et semble le 
nom du journal , ainsi : 

— Amsterdam. Avec privilège 13 novembre 1 703-1792, 

Les mots : Avec privilège , etc., coupés, comme auparavant , par 
les armes de Hollande. 

De ce moment les Extraordinaires deviennent plus fréquents , et 
bientôt chaque numéro a son supplément, sous le titre de Suite des 
nouvelles d'Amsterdam, et même deux quelquefois. On trouve aussi 
intercalées dans les volumes de la Bibliothèque impériale des pièces 
diverses, qui se vendaient, comme la gazette, chez Dirck Schouten, sur 
le Dam. 

Chaque numéro se termine par des annonces plus ou moins nom- 
breuses, qui m'ont paru, dans leur ensemble, intéresser vivement 
l'histoire littéraire et artistique des Pays-Bas, même leur histoire 
morale, et qui ne sont pas non plus sans intérêt pour notre littérature, 
ajoutons encore pour l'histoire de l'empirisme, si quelqu'un jamais 
s'avisait de l'écrire. 

Les dernières années ont une table des principales matières. 



— i64 — 

Du Breuil , dit Limiers, avait préparé de loin ses successeurs , en 
orraant lui-même ses fils à l'emploi qu'il devait leur laisser. II paraît 
être mort en i 72 1 , probablement au mois d'octobre ; le 2 1 de ce 
mois, en effet, la gazette est souscrite : Par C. T. Du breuil, au lieu 
de Par J. T., et en 1767 : Par le sieur J. P. TRONCHIN du 
Breuil. Le registre des octrois dont nous parlions tout à l'heure 
constate que le privilège fut renouvelé le 27 septembre 1704 en fa- 
veur de Du Breuil, le 10 janvier 1715 et le 17 septembre 1733 en 
faveur de son fils, enfin le 17 juillet 1743 en faveur de Louise de Rous- 
sillon, veuve de César Tronchin du Breuil, et de ses six enfants. 

La Bibliothèque impériale possède de cette gazette une collec- 
tion à laquelle il ne manque qu'un nombre de volumes relativement 
peu considérable; elle s'arrête à 1792. Sainte-Geneviève en a envi- 
ron 60 volumes, de 1727 à 1785 , avec 30 à 40 doubles; l'Arsenal 
55 volumes, de 1726 à 1779, et la Mazarine 53 volumes, de 1739 
à 1791. Il y a là évidemment une superfétation dont on pourrait faire 
profiter les bibliothèques de Hollande, auxquelles cette gazette fait 
absolument défaut. 

Nous avons vu que la Gazette d'Amsterdam fut contrefaite dans 
plusieurs villes , notamment à Liège et à Genève. 

Gazette de Rotterdam. 168., in-4 . 

Rotterdam paraît avoir eu de bonne heure une gazette française. 
D'après les notes conformes de MM. Defprat et Campbell , il s'y en 
publiait une en 1689; mais l'éditeur, qui était, croit-on, un certain 
J. F. Du Four, n'ayant pas réussi , transporta ses presses à La Haye, 
où la régence l'admit en 1690. (Voyez infra.) 

D'après mes conjectures , ce serait plus haut qu'il faudrait chercher 
l'origine des gazettes françaises dans la patrie d'Erasme , — un jour- 
naliste venu avant l'heure. Je lis, en effet, dans une lettre de Bayle du 
12 août 1683, écrite de Rotterdam, où il demeurait alors : « Pour 
ce qui est de notre gazetier, on l'a prié de divers endroits de France 
de ne parler de nos affaires ni en bien ni en mal. Il est devenu si 
complaisant pour la France qu'il supprime presque tout ce qui pour- 



— i6$ — 

rait déplaire à M. d'Avaux, ambassadeur de cette couronne à la 
Haye. » 

H s'agit évidemment ici du gazetier de Rotterdam; mais quel était 
ce gazetier, quelle était sa gazette , voilà ce que je ne saurais dire. 
Je rappellerai seulement un autre passage de l'illustre philosophe, que 
j'ai cité p. 156, où il parle des gazettes que faisait faire en 1685 
M 11 * de Saint-Glain, veuve d'un gazetier d'Amsterdam de ce nom , 
tantôt par de Versé, tantôt par Flournois. Or j'ai trouvé à notre 
grande bibliothèque une Gazette de Rotterdam sortant précisément de 
chez la veuve de Saint-Glain, qui avait donc quitté Amsterdam, peut- 
être pour venir prendre la succession de Du Four. Le plus ancien 
numéro que j'aie vu de cette gazette est du 3 mai 1694 ; mais dans le 
registre des octrois dont j'ai parlé s'en voit un accordé, ou renou- 
velé, pour quinze ans, en 1691, à Marie Patoillat, veuve de Gabriel 
de Saint-Glain , à Rotterdam. 

J'ai pu suivre cette feuille jusqu'à la fin de 1716. Elle porte les 
armes de Hollande et le privilège des États généraux. Quelques nu- 
méros de 171 5 sont signés : Par S. A. de Saint-Glain , docteur en 
droit, probablement le fils de l'éditeur. On sait qu'entre autres rédac- 
teurs elle compta Janiçon , que nous retrouverons à Utrecht. 

Dans l'origine, la Gazette de Rotterdam ne paraissait qu'une fois par 
semaine ; elle se doubla ensuite d'un Journal historique , avec lequel , 
autant qu'on le peut conjecturer, elle parut d'abord alternativement ; 
mais bientôt on la trouve, du moins dans l'exemplaire de la Bibliothè- 
que impériale, tantôt sous l'un de ces titres, tantôt sous l'autre , sans 
qu'on voie rien qui puisse expliquer cette anomalie. Ainsi l'année 1701 
commence ainsi : Lundi 3, Journal historique, n° 1 ; — jeudi 6, Ga- 
zette de Rotterdam , n° 1 ; — lundi 10, Journal historique, n° 2; — 
jeudi 13, Journal historique, n°2; — lundi 17, Journal historique , 
n° 3 ; — jeudi 20, Journal historique, n° 3 ; et ainsi de suite. On re- 
marquera cette particularité, que présentent d'autres gazettes, que 
les deux numéros d'une semaine portent le même numéro d'ordre. 
En 1701 et 1702, la feuille de la veuve de Saint-Glain porte le 
titre primitif de Gazette de Rotterdam; en 1703, elle reprend le titre de 



— i66 — 

Journal historique, jusqu'au 26 novembre, où reparaît le premier titre, 
et à la fin du numéro de ce jour on lit cette note : « On avertit le pu- 
blic que nous continuerons à donner la gazette le lundi et le jeudi, et . 
que l'essentiel des lettres qui arrivent après l'impression se trouvera 
toujours dans le supplément. » En 1704, c'est tantôt l'un } tantôt 
l'autre titre; le* années suivantes, ce n'est plus que \t Journal histo- 
rique 

Comme on le voit parla note qui précède, la gazette de la veuve 
Saint-Glain avait, ainsi, du reste, que toutes les gazettes de Hol- 
lande, un supplément régulier ; mais ce supplément offrait cette par- 
ticularité, qu'il consistait en un simple feuillet, long et étroit, im- 
primé d'nn seul côté. J'en ai parlé, d'ailleurs, supra, p. 114. 

Gazette de La Haye. 1690, in-4. 

Dans un historique du journal officiel de La Haye publié en 1856, 
et dont la substance m'a été transmise par M. Campbell, il est con- 
staté que des journaux hollandais ont été publiés dans cette ville de- 
puis 1657 au moins jusqu'à nos jours, sans interruption. On y lit en- 
core que J. F. Du Four, l'imprimeur dont nous avons parlé à l'arti- 
cle de la Gazette de Rotterdam, obtint en 1690 la permission de publier 
en langue française les nouvelles courantes, Postydingen, littéralement 
les nouvelles arrivant par la poste. Mais l'auteur de la notice ignorait 
quelle autorité avait conféré ce droit à Du Four, et ne savait pas 
davantage quel titre celui-ci avait donné à sa feuille. Je suis assez 
heureux pour pouvoir combler cette lacune. La première feuille fran- 
çaise publiée à La Haye aurait été, si mes conjectures ne me trom- 
pent, une 

— Histoire journalière de ce qui se passe de plus considérable 
en Europe. Avec privilège de Nosseigneurs les États généraux de 
Hollande et de Westfrise (et les armes de Hollande). A La Haye, 
chez Jean- François Du Four; et se vendent.... à Amsterdam, 
chez Jean Potgieter. In-4 . 

Je dis : Si mes conjectures ne me trompent, car je ne connais 



— 167 — 

VHutoin journalfai que depuis 1697; e,,e est publiée alors par la 
veuve de Du Four. 

Il est plus que probable , d'ailleurs, que ce dernier n'en était que 
l'éditeur, et le rédacteur était vraisemblablement un Paul Acéré, sei- 
gneur des Forges, réfugié français, à La Haye, auquel on voit les 
États accorder, à la date du 24 août 1691, un privilège qui n'était 
selon toutes les probabilités qu'un renouvellement , rendu nécessaire 
par les circonstances que j'ai dites (p. 97), du privilège précédemment 
octroyé à Du Four. 

L'Histoire journalière paraissait deux fois par semaine , avec supplé- 
ment in-folio format d'agenda , tiré en blanc, comme celui de la Ga- 
zette de Rotterdam. L'Arsenal possède les années 1697- 1698 î ^ Bi- 
bliothèque impériale a les mêmes années, plus Tannée 1699 et quel- 
ques numéros de 1701 . 

Suivant la notice que je viens de citer , un éditeur du nom de Ste- 
phanus de Groot publiait ea 1 764 un journal français portant le titre 
de Gazette de La Haye. Cette gazette, d'après le registre de privilèges 
déjà cité, remonterait à 1744. On y voit, en effet, qu'à cette date les 
Du Breuil portèrent plainte contre un certain Anthonie de Groot , 
journaliste hollandais, qui depuis le i er mars faisait paraître trois fois 
par semaine, à La Haye, une gazette française, ce qui, à les entendre, 
allait contre le droit exclusif qu'ils prétendaient avoir de publier un 
journal français dans la province. 

Je vois cette gazette , dont je n'ai pu , du reste , trouver un seul 
numéro , figurer encore dans une liste des journaux qui se lisaient à 
Paris en 1 779, et il est probable même qu'elle alla bien au delà. En 
effet, le 9 janvier 1783, le représentant de la république de Fri bourg 
se plaint d'un article inséré dans le numéro 1 40 du journal français de 
La Haye, et du rapport auquel cette plainte donna lieu il résulte que 
le journaliste de La Haye publiait simultanément une gazette hollan- 
daise et une gazette française. Enfin M. Vreede, dans son Introduc- 
tion à l'histoire de la diplomatie hollandaise (t. II, i re partie, p. 24), 
parle d'une plainte adressée par le prince-évêque de Liège, en 1788, 
au grand pensionnaire Van de Spiegel , contre des invectives ques'é- 



— 168 — 

tait permises le gazetier de La Haye. Je ne saurais dire cependant 
s'il s'agit dans ce dernier cas du gazetier français ou du gazetier 
hollandais. 

Gazette d'Utrecht. 1710-1787, in-4. 

On pense qu'Utrecht n'a point eu de gazette française avant 1710. 
Cette année-là, suivant ce qu'a bien voulu me mander M. Delprat, 
la régence de la ville accorda la permission d'en publier une à Nico- 
las Chevalier, qui s'est fait un nom comme archéologue (V. Ban- 
duri, Bibliotheca nummaria, n. clxx, p. 189, et Sax, Onoma- 
sticon Utterarium, t. v, p. 422). A la fin de 1720 on lui donna pour 
successeur Fr. M. Janiçon, littérateur originaire de Paris, jouissant 
alors d'un certain renom, et auteur, notamment, d'un Etat prisent de 
la République des Provinces-Unies assez estimé. Janiçon était connu à 
Utrecht; il y avait un oncle pasteur, et, à son instigation, il était 
venu achever ses études à l'université de cette ville , qui s'honorait 
alors de compter parmi ses professeurs des hommes d'un rare mérite, 
tels que Grœvius, de Vries, etc. S'étant plus tard fixé à Amsterdam, 
il s'y était fait connaître avantageusement , dit la Biographie univer- 
selle, par les articles qu'il fournissait à la gazette de cette ville; 
il s'était ensuite chargé de continuer celle de Rotterdam , et enfin , 
sur l'invitation des magistrats, il aurait entrepris celle d'Utrecht, 
ce que le public distingua bientôt de la foule des écrits périodiques 
qui inondaient alors la Hollande, » Son privilège lui fut retiré par 
le fait d'un de ses amis, qui aurait, dit-on , abusé de sa confiance 
pour faire imprimer chez lui un écrit condamnable , que M. Delprat 
croit être le Nouvelliste sans fard (1). 

(1) Ce que je puis affirmer, c'est que le Nouvelliste sans fard , ou la Gazette 
sans privilège, parut sous la rubrique de Cologne et de Clèves, d'octobre 172) 
au 27 avril 172a, et forme vingt-sept numéros in-8. On lit dans le préam- 
bule : « II faut des privilèges pour manifester la vérité : privilège en France, 
« privilège en Italie , mais privilège qui ne s'accorde pas plus aujourd'hui à 
« Paris et à Rome que l'entrée du Sérail à Constantinople. Cependant , dire la 
« vérité sans privilège, c'est s'exposer à perdre la liberté... Malgré ces dan- 



— 169 — 

Mais il paraît qu'on sentait à Utrecht le besoin d'une gazette fran- 
çaise. Une résolution du magistrat, en date du 14 février 1724, 
nomma, en effet, comme successeur de Janiçon, H. Ph. de Limiers, 
lui accordant en même temps, ainsi qu'à sa famille, le droit de bour- 
geoisie et un subside annuel de 1 50 florins pour trois ans. On ne dit 
pas combien de temps Limiers, qui était né en Hollande de parents 
français réfugiés, et fut l'un des plus infatigables écrivains de son 
temps (1), rédigea la gazette d' Utrecht, « la plus mauvaise de toutes 
celles qui paraissaient en Hollande.» — Ce jugement est, comme 
celui porté ci-dessus sur le même journal, à propos de Janiçon, de 
la Biographie universelle, et du même écrivain, M. Weiss, qui 
ajoute, d'après l'abbé Lenglet, a que Limiers reçut plus d'une 
fois des réprimandes des Etat? généraux pour quelques impertinences 
qu'il y avait insérées. » 

Quoi qu'il en soit, Limiers eut pour successeur son fils , qui conti- 
nua la publication du journal jusqu'en, 1758, époque où on lui 
permit de céder le privilège à E. E. Peuch, moyennant un versement 
de cent ducats comptant et une redevance annuelle de deux à trois 
cents florins au profit des écoles publiques. 

A ces renseignements, que je dois pour la plupart à l'obligeance 
de M. Delprat, j'ajouterai ceux que m'ont fournis mes propres re- 
cherches ; ils compléteront l'histoire de cette feuille, qui ne m'a paru 
valoir ni plus ni moins que les autres gazettes de Hollande. 

Le plus haut que remontent les collections que j'en ai rencon- 
trées, non pas à Utrecht, où je ne sais s'il en existe un numéro, 
mais à Paris, c'est à l'année 1734. Elle est alors souscrite Par le 
sieur H. P. de Limiers, sans doute le fils du savant, qui aurait 

« gers évidents , j'ai toujours senti la même difficulté à me taire que le barbier 
« de Midas... Je ne suis ni pensionné ni privilégié pour mentir... Je suis, à 
« Cologne , dans une sécurité parfaite. . » 

(1) On lit, à la date du 19 août 1720, dans la Quintessence , une petite 
feuille dont je parlerai bientôt : « Je dirai comme le singe : Du nouveau ! Et 
« où y en a-t-il ? M. Arouet pille Racine... M. Limiers pille les gazettes, et , 
« nous autres gazètiers, nous nous pillons les uns les autres : c'est la mode. » 



— 170 — 

porté les mêmes prénoms que son père, lequel, d'après la Biographie 
universelle, serait mort en 1725. En 1750, elle l'est par H. F. de 
Limiers, « sur ta place de Saint-Jean. » 

En 1 75 1 , le 2 1 décembre, elle ajoute à son titre , qni est orné déjà 
des armes de la ville : « Avec privilège exclusif* » 

H. F. de Limiers se retira en 1758, devant certaines préventions, 
devant je ne sais quelle imputation , qui , autant qu'on peut le deviner, 
s attaquaient à son impartialité. Voici, du reste, comment il s'en ex- 
plique dans le supplément du jo juin ; peut-être cela aidera-t-il les 
Saumaises de la localité à trouver le mot, asstz connu alors, de ce 
qui est pour nous une énigme. La pièce , d'ailleurs , est assez cu- 
rieuse. 

« L'auteur de cette gazette termine aujourd'hui l'occupation à la- 
ce quelle il a été attaché depuis Tannée 1728, et prend congé du 
« public. Malgré le peu d'étendue de ses lumières et la médiocrité de 
« ses talents, sa gazette n'a pas laissé de parvenir à un degré de suc* 
« ces qui a surpassé de beaucoup son attente. Il remercie ceux qui 
« ont eu de l'indulgence. Si les bonnes intentions, si l'envie de con- 
fie tenter avaient suffi pour lui assurer une entière approbation , peut- 
a être fût-il parvenu à la mériter; mais les bonnes intentions sont 
a souvent infructueuses quand elles ont à combattre le préjugé, et 
« quand un auteur, avec les peines quSl se donne pour informer 
« exactement le public des événements du temps, se voit encore 
« obligé de lutter contre les effets de la prévention. Dès lors l'ému- 
« lation, qui, dans un ouvrage de cette nature, a besoin d'être en- 
« couragée, commence à languir, et un écrivain , pour peu qu'il soit 
« sensible à l'honneur, n'est qu'imparfaitement consolé par le gain. 
« Si l'intérêt avait été le seul motif qui ait animé l'auteur, il aurait 
« borné sa satisfaction au profit que lui rapportait un débit considé- 
« rable , mais il fallait quelque chose de plus pour la remplir ; elle 
« aurait dû n'être pas traversée par des reproches non fondés, ni par 
a l'injustice de certaine imputation assez connue. Quelque sujet qu'il 
« ait eu de s'en plaindre, il préfère de garderie silence sur cet ar- 
« ticle, plutôt que d'entrer dans une explication qui le mènerait trop 






— I7i — 

« loin \ il ne pourrait s'y engager sans mettre au jour toute la fausseté 
« des conséquences du principe sur lequel porte cette imputation. 
« Comme si les variations d'idées que la différence des temps fait 
« naître devaient être la règle du respect qu'un écrivain doit aux 
« puissances, et comme si les réserves que la bienséance prescrit de- 
« vaient être taxées de partialité dès qu'elles déplaisent à un certain 
a ordre de lecteurs ! Sur ce pied-là, un auteur de gazettes devra 
a moins consulter la vérité que les passions de ceux auxquels il aspi- 
« rera de plaire. Tout particulier même qui ne voudra pas asservir 
« son opinion à des jugements outrés passera pour mauvais citoyen. » 
Et il terminait en exprimant les sentiments dont il était rempli envers 
e vénérable magistrat d'Utrecht pour les bienfaits qu'il en avait reçus 
et la protection qu'il en avait éprouvée , et en souhaitant bonne 
chance à celui qui prenait sa place. 

Le 4 juillet, le nom de Limiers est remplacé au bas de la gazette 
par celui d'Etienne-Elie Peuch, sur le Ganse-Markt, et un peu plus 
tard, par celui de Claude-Isaac Peuch, sur le Guzze-Markt. 

Ce dernier, qui posséda la gazette pendant d'assez longues années, 
finit, à ce qu'il parait, par une déconfiture. On lit, en effet, dans 
plusieurs numéros du milieu de 1781 et du commencement de 1782, 
cet avis : 

a Tous les débiteurs du sieur et maître Peuch pour les gazettes, 
« annonces et autres objets, sont priés d'envoyer en droiture les 
« sommes dont ils lui sont redevables à monsieur et maître Antoine 
« Du Cloux, avocat à la cour provinciale, et à monsieur Jean 
« Klemmé, notaire et procureur de la ville d'Utrecht, directement 
« autorisés par le vénérable magistrat pour les gazettes d'Utrecht et 
« les affaires y relatives. » 

Et en même temps un autre avis était inséré dans toutes les gazettes 
de Hollande à l'effet d'informer le public que le privilège exclusif 
pour écrire, imprimer et débiter les gazettes hollandaise et française 
d'Utrecht, allait finir incessamment, et prévenant tous ceux^ui dési- 
reraient d'en jouir que les conditions y relatives se trouvaient, quant 
à la gazette hollandaise, au bureau de police de ladite ville, et, à 



r 



— 172 — 

regard de la gazette française , chez MM. Du Cloux et Kleoimé. 

Enfin, on lit en tète du numéro du 20 février 1782 : « Notre vé- 
« nérable magistrat a accordé avant-hier à M. Des Essarts, rédacteur 
« actuel de cette gazette, le privilège exclusif de récrire , de l'impri- 
me mer et de la débiter à commencer du i* r avril prochain; » et de 
ce jour, en effet, elle sort de l'imprimerie d'Alexandre Des Essarts , 
auteur et propriétaire. 

Je ne sais d'où venait ce Des Essarts; ce qui est certain, c'est qu'il 
ne tarda pas à attirer sur sa tête les foudres de Versailles. Voici ce 
qu'écrivait M. de Vergennes au lieutenant de police le 7 septembre 
1782 : 

« Le sieur Des Essarts , auteur de la gazette française d'Utrecht , 
« a donné lieu , monsieur, à plusieurs plaintes sur la licence de cette 
« feuille , et récemment encore à l'occasion de deux articles calom- 
« nieux et outrageants pour MM. de Fleury et de Grasse, insérés 
« dans le n° 6$. Sur la réclamation des parties offensées, j'en ai écrit 
« à l'ambassadeur du roi à La Haye, qui a fait réprimander l'auteur 
« par les magistrats de la ville d'Utrecht. 

a Cet écrivain a reçu la réprimande avec quelque apparence de re- 
« pentir ; mais il a en même temps adressé à son correspondant à 
« Paris une lettre dans laquelle il tourne en ridicule les bourgmestres 
« hollandais et leur mercuriale, et recommande au correspondant de 
a ne rien changer à sts bulletins , résolu de conserver à sa gazette 
« l'avantage défaire du bruit, suivant son expression. L'insolence 
a obstinée de ce gazetier nous a déterminés à interdire l'entrée et le 
a débit de sa feuille dans le royaume. Je marque à M. d'Oigny (le 
« directeur des postes) de donner des ordres en conséquence au bu- 
a reau des gazettes étrangères. J'en informe M. de La Vauguyon, et 
« lui mande de prévenir le sieur Des Essarts, en l'avertissant que, 
« s'il retombait dans' des écarts du genre de ceux qu'il a à se repro- 
« cher, nous poursuivrions sa punition personnelle auprès des États 
& généraux de la province d'Utrecht. 

« Le correspondant de Des Essarts, qui l'est en même temps 
« d'autres gazetiers, tels que celui de Bruxelles, etc. , est un sieur 



— 175 — 

« Fouilhoux , logé maison du magasin des eaux minérales, rue Pla- 
ce trière, à Paris. Il reçoit ses lettres sous l'adresse de demoiselle 
« Rosalie Thomas, qui n'est autre que sa femme. II s'est avoué au- 
« teur du bulletin dont le gazetier a tiré les deux articles qui forment 
« le corps du délit. Une pareille indiscrétion mériterait un châtiment 
« exemplaire; mais son aveu , -d'un côté, et la présomption qu'il y a 
a eu plus d'imprudence que de mauvaise intention dans sa conduite, 
« nous ont déterminé à user d'indulgence envers lui. Vous voudrez 
« bien cependant le mander par-devant vous , lui faire une sévère 
« réprimande , et lui défendre d'avoir désormais aucune correspon- 
« dance avec Des Essarts, sous peine de désobéissance et de puni- 
ce tion. » 

Je dirai tout de suite, pour ce qui est de Fouilhoux, qu'il ne se 
corrigea point. Ordre fut donné, au commencement de 1786, d'arrê- 
ter l'obstiné bullttinicr, ou bulletiniste, comme on appelait les faiseurs 
de bulletins , correspondants des gazettes étrangères , ou auteurs de 
nouvelles à la main. Voici le signalement qui accompagnait cet or- 
dre : « Cinq pieds, quatre pouces, larges épaules, long visage, plein 
et rond , haut en couleur, cheveux châtain clair, yeux hagards et in- 
quiets, habit de camelot gris de lin très-clair, veste et culotte de 
nankin, catogan. Il est souvent au Caveau ; sa place ordinaire est du 
côté de Philidor. » Ainsi renseigné , l'exempt chargé du mandat 
posta un soir ses hommes au café du Caveau. Fouilhoux fut reconnu 
par eux dès qu'il se présenta ; ils ne le perdirent pas de vue jusqu'à 
minuit moins un quart , et, quand il sortit, ils le suivirent pour s'as- 
surer de sa demeure. Le lendemain , de grand matin , son domicile 
était envahi par la police. « Nous avons, dit le rapport de l'exempt, 
cherché avec beaucoup de soin les preuves de sa correspondance, 
mais il parait. qu'il brûle tous les papiers dont il n'a plus besoin. In- 
terrogé sur les différents articles de ses bulletins qui ont donné lieu à 
sa punition , il a assuré , comme de règle , n'avoir été que l'écho des 
bruits publics, et n'avoir eu aucune intention de blesser le gouverne- 
ment ni les particuliers. Pour éviter l'éclat qu'il aurait pu faire et la 
scène à laquelle la douleur de sa femme n'aurait pas manqué de don- 



~ «74 — 

ner lieu au moment de la séparation , j'ai cru devoir lui laisser igno- 
rer le lieu où j'allais ie conduire. Aussi, croyant n'aller qu'à la Bastille 
ou à l'hôtel de la Force , il a soutenu courageusement son extraction ; 
mais , lorsqu'il s'est vu sur la route de Bicêtre , il s'est fait chez lui 
une révolution qu'il serait difficile de vous peindre, et toute sa phi- 
losophie l'a abandonné. » Et certes l'on trouvera qu'il y avait bien de 
quoi, si l'on considère les torts possibles d'un gazetier, et que l'on 
songe que Bicêtre était alors la sentine de tous les vices. 

Quant à Des Essarts, s'il n'avait pas, heureusement pour lui, à 
redouter un pareil abus de pouvoir, il n'était cependant pas complè- 
tement à l'abri des atteintes de notre diplomatie. Je ne sais ce qui peut 
s'être passé relativement à lui, mais ce qui est certain , c'est que son 
nom disparaft de la gazette vers le milieu de l'année suivante; le nu- 
méro du ij août 178) commence par un Hommage — très-plat 
et très-insignifiant — du nouvel auteur de cette feuille, L. F. de 
Gilbal. 

J'ai eu la curiosité de rechercher les articles qui avaient si fort ému 
M. de Vergennes. Voici tout ce que j'ai lu dans le numéro 63, du 
undi $ août 1 782 : 

ce Jeudi dernier, le libidineux, et, ce qui en est une conséquence, 
« morbifique de Grasse, évêque d'Angers, est mort comme il devait 
« mourir, corrompu, infect et insolvable. Malgré ie cercueil de plomb 
« qui enveloppait sts membres putrides, ceux qui l'ont suivi jusqu'au 
« caveau de l'église de Saint-Sulpice , où il devait être déposé, s'en 
« sont enfuis le plus tôt qu'il leur a été possible : ils périssaient, s'ils 
« n'avaient promptement changé d'atmosphère. Il est célèbre pour le 
ce soufflet qu'il donna au pauvre de Fleury, archevêque de Cam- 
ée brai. » 

Ce petit fait peut donner une idée du ton auquel était montée la 
gazette de Des Essarts, au moins dans ses correspondances pari- 
siennes , qui devaient forcément se ressentir de l'état des esprits en 
France à cette époque éminemment sceptique et frondeuse. 

La Gazette d'Utrecht avait, comme les autres, un supplément 



— I7J — 

régulier. Vers 1 760 , elle avait commencé à donner dans les premiers 
numéros de Tannée une chronologie historique des principaux événe- 
ments de Tannée précédente. 

L'année 1787 est la dernière que j'en connaisse. Son titre alors est 
ainsi modifié : Gazette ou Nouvelles impartiales d'Utrecht; et la sou- 
scription est : Chez Detune, avec privilège exclusif. 

Voici d'ailleurs ce que nos grandes bibliothèques possèdent de cette 
feuille: Arsenal, 1734-1773 ; Sainte-Geneviève, 1740-1784; Im- 
périale, 1 767-1 787. 



Il 



REVUES ET PETITS JOURNAUX 



/ 



La Gazette burlesque. Amsterdam, 1684. Envers. 

Je ne connais cette feuille que par la mention réitérée que j'en 
ai rencontrée, à la date de 1684, dans la correspondance de Bayle, 
qui l'attribue à un nommé Crosnier. C'était une imitation de la 
Muse historique de Loret, vulgairement nommée Gazette burlesque, la 
transplantation d'un genre fort à la mode en France du temps de 
la Fronde. 

Mercure historique et politique, contenant l'eut présent de 
l'Europe, ce qui se passe dans toutes les cours, l'intérêt des prin- 
ces, leurs brigues, et généralement tout ce qu'il y a de curieux , 
le tout accompagné de réflexions politiques sur chaque Ëtat. La 
Haye, 1686- 1782, environ 200 vol. in-12. 

Un des plus importants parmi. les recueils historiques du siècle 
dernier. « Il n'y a rien, lit-on dans l'avant-propos, après quoi nous 
courions avec plus d'avidité .qu'après les nouvelles, et celles des mois 
ne sont pas moins impatiemment attendues que celles des semaines... 
Mais il y a encore une autre raison qui m'oblige à faire un mercure : 
je vois que celui de Paris est si partial que ceux qui voudraient y 
puiser quelque chose pour l'histoire courraient risque de s'y tromper. 
Ce ne sont que perpétuelles flatteries... » Le nouveau Mercure, bien 
entendu, ne dira, lui, que la vérité. Et de fait, il poussa la franchise 



— «77 — 

jusqu'à la rudesse, quelquefois même jusqu'à la calomnie. Il y avait 
ainsi contre-poids. 

L'auteur de cette première des revues hollandaises est un com- 
pilateur bien connu , Sandras de Courtilz. « C'était , dit Bayle, un 
petit particulier sans biens, sans fortune, et qui apparemment n'écri- 
vait tout cela que pour le vendre aux libraires de Hollande. Il fallait 
pourtant qu'il eût quelque habitude avec les fainéants de Paris, qui lui 
apprenaient tout ce qui s'y contait de vrai ou de faux entre les nou- 
vellistes. On souhaiterait, ajoute notre philosophe , que dans quelque 
journal on décréditât les ouvrages de cet homme-là, qui infatué une 
infinité de lecteurs. » Bayle revient très-souvent sur le compte de 
Courtilz, qu'il appelle un a grand registre d'anecdotes », un « embal- 
leur sans pareil de toute sorte, de contes », et finalement il avoue que^ 
si ses écrits sont romanesques , il a néanmoins du vif et de la clarté 
dans le style. 

Au bout de quelques années , Courtilz fut obligé d'abandonner le 
journal qu'il avait créé, parce qu'il « ne pouvait assez contraindre sa 
partialité pour la France ». Si cette phrase signifie bien ce qu'elle 
semble vouloir drie, Courtilz ne pouvait être mieux remplacé qu'il ne 
le fut. Il eut en effet pour successeur principal Jean Rousset de 
Missy, qui, celui-là, ne péchait certainement pas par tendresse pour 
la France. Rousset, dit M. Sayous, est un type achevé du réfugié 
vindicatif. La persécution, qui avait ruiné sa famille, l'avait rendu or- 
phelin, et à dix-huit ans il s'était échappé du collège Du Plessis pour 
aller s'enrôler dans les rangs des cadets français à la suite de l'armée 
hollandaise. Il se battit contre sa patrie à Malplaquet et il la combat- 
tit jusqu'à la fin de sa vie dans les journaux où il travailla et dans tous 
ses écrits. 

Rousset déploya cependant dans la rédaction du Mercure des 
qualités qu'on ne saurait méconnaître. Il avait la pénétration et la sa- 
gacité de l'historien et possédait une connaissance approfondie des 
affaires et des intérêts politiques de l'Europe. Malheureusement il se 
laissait tellement emporter par la passion qu'un anonyme crut devoir 
lui opposer : 

12 



. I 



- i 7 8- 

— Le Courrier véridïque, ou l'Ànti-Rousset , mémoires pour 
servir à l'histoire du siècle présent. Genève* 1743, in-8. 

« C'est probablement le premier anti-périodique, dit Prosper Mar- 
chand [Dictionnaire historique , I. 55), à qui nous devons ce curieux 
détail. C'est une réfutation du Mercure historique et politique , présen- 
tement dirigé par Jean Rousset, auteur et éditeur de quantité d'autres 
ouvrages, composés et recueillis quelquefois à la hâte et publiés sou- 
vent avec indiscrétion. Rousset répondit dans le Mercure de mai 
1743 (t. 114, p. 483). Là il se félicite d'aller de pair avec les Rous- 
seau , avec les Baillet, les Saumaise , les Bellarmin, les Machiavel, et 
tant d'autres savants généralement reconnus pour tels, comme si, pour 
être nommé parmi beaucoup de savants réels, l'on méritait place 
parmi eux. Au reste, son antagoniste, qui fait tant le zélé pour la vé- 
rité et qui donne ses Courriers pour le correctif et l'antipode du sieur 
Rousset, ment encore plus impudemment en faveur de la France que 
lui en faveur des alliés, et surtout de la Russie, et à cet égard un lec- 
teur impartial peut très-légitimement appliquer également à tous deux 
ce trait de paroli : 

L'un dit que le Mercure est plat et pitoyable, 
L'autre que le Courrier est un menteur affreux ; 
Et le grand Apollon , toujours juge équitable, 
Trouve qu'ils ont raison tous deux. 

Le Mercure historique a été contrefait. Rousset, dans une publica- 
tion postérieure, l'Epilogucur, se plaint que « tous les mois un misé- 
rable bouquiniste de Liège imprime en papier gris et avec des têtes de 
clous son Mercure, qu'il sabre , châtre, rogne et défigure comme il 
lui plaît. » 

Nous retrouverons les deux principaux rédacteurs du Mercure his- 
torique. On cite encore, comme y ayant travaillé, La Brune, Lefèvre, 
Saint-Ëlier, Saint-Bonnet, Guiot de Morville, etc. 

Citons pour mémoire et pour n'être pas taxé d'omission : 

— Mercure hollandais, contenant les choses les plus remarqua- 



— «79 — 

bies de toute la terre, et surtout dans les guerres de France, d'An- 
gleterre et de Hollande. Amsterdam , 1672-1684, 1 3 vol. in-12. 

— Mercure hollandais, ou l'Histoire des guerres de l'Europe 
depuis 1672, par P. Louvet. Lyon, 1673 etsuiv., 15 vol. in-12. 

Ces deux publications ne sont pas des journaux, comme leur ti- 
tre pourrait le faire croire, mais de pures annales historiques, dans le 
genre du Mercure français de Richer, dont nous avons parlé. 

Disons enfin que le Mercure de France fut, au moins à une certaine 
époque, contrefait en Hollande, et que cette contrefaçon, comme 
celle qui fut faite également du Journal des Savants, est beaucoup plus 
intéressante que l'original ; elle est augmentée, en effet , d'Additions 
politiques de Hollande, et d'Additions de Hollande, additions littéraires, 
celles-ci, contenant même, sous une rubrique spéciale, une Correspon- 
dance littéraire secrète, qui est peut-être une reproduction de celle de 
Métra... — La Bibliothèque impériale possède un volume de ces Ad- 
ditions, année 1780. 

Histoire abrégée de l'Europe, par Jacques Bernard. Ltydt, 
juillet 1686-décembre 1688, $ vol. in-12. 

Ce recueil, comme on le voit, suivit de près te Mercure historique; 
les mêmes motifs présidèrent à sa création , et Ton retrouve dans sa 
préface les arguments de Renaudot en faveur de ses Relations des mois. 
« Il n'y a peut-être, y lit-on, jamais eu de siècle si soigneux d'in- 
« struire le public de tout ce qui se passe de curieux dans le monde 
« que le nôtre. Un événement n'est pas plutôt arrivé qu'on en voit 
ce paraître plusieurs relations différentes. Chaque pays a ses journaux, 
ce il y en a même quelques-uns qui en ont de plus d'une sorte, et il 
« semble que, bien loin qu'on ait encore quelque chose à souhaiter 
a sur ce sujet, on ait au contraire quelque raison de se plaindre d'être 
« comme accablé de la multitude de ces ouvrages* Cependant en voici 
« encore un nouveau que nous donnons au public. Non-seulement le 
« grand nombre qu'il y en a ne nous a pas pu détourner de ce des- 
« sein, mais même c'a été la principale raison qui nous l'a fait entre- 



— 180 — 

« prendre. La plupart de ces relations ne parlent que de certaines 
a matières particulières..., et ne consistent qu'en des feuilles volan- 
te tes, qui se perdent bientôt. Il faut aussi remarquer que, comme on 
« se hâte souvent de donner ces relations au public sur le premier 
« bruit qui court, il y en a un très-grand nombre de fausses et sur 
« lesquelles on ne peut point faire de fonds. » 

L'auteur de cette revue est assez connu pour que nous n'ayons pas 
besoin de nous y arrêter. L'éditeur était ce même Claude Jordan 
dont nous avons eu plus d'une fois déjà l'occasion de parler. On lit 
dans plusieurs numéros successifs de l'année 1687 du Nouveau Jour- 
nal universel (ci-dessus, p. 1 58 ) : « L'on continue d'imprimer tous 
les mois à Leyde, chez Claude Jordan, un journal intitulé Histoire 
abrégée de ï Europe, qui, dans son petit volume , renferme tout ce qui 
se passe de considérable chaque mois dans les Etats, dans les armes, 
dans la nature, dans les arts et dans les sciences.... La bonté et l'uti- 
lité de ce livre a obligé quelques libraires d'une ville frontière de le 
contrefaire... L'impression de Leyde contient ordinairement cinq 
feuilles chaque mois, et elle est faite sur du papier fin d'Italie, pour la 
commodité de ceux qui la font venir par la poste. » 

En tête du troisième volume est une dédicace « aux très-nobles et 
très-illustres seigneurs le grand baillif, les bourgmestre, échevins et 
conseillers de la ville de Leyde.» Jordan y remercie ces magistrats de 
ce qu'ils ont bien voulu le recevoir au nombre de leurs sujets ; il a été 
l'un des premiers à ressentir les effets de cette généreuse hospitalité 
qui devait bientôt s'exercer si largement envers les réfugiés. Si celui 
qui est l'auteur du recueil qu'il leur offre, et que les étrangers lui font 
l'honneur d'appeler Journal de Leyde, n'a pas joint son nom au sien, 
c'est parce qu'il n'est pas connu des honorables régents. 

Lettres historiques, contenant ce qui s'est passé de plus im- 
portant en Europe, et les réflexions convenables à ce sujet, de- 
puis janvier 1692 jusqu'à juin 1728, par Jacques Bernard, Bas- 
nage, Jean du Mont, etc. La Haye, in-12. 

La collection de ce recueil , non moins important que le Mercure 



— i8i — 

historique, doit, selon Barbier, se composer de m volumes. La 
bibliothèque de l'Arsenal en possède 85 ; la Bibliothèque impé- 
riale, 73. 

L'auteur de la préface fait appel à tous ceux qui pourront lui en- 
voyer des nouvelles ; mais il n'insérera jamais ni satires personnelles , 
ni rien qui puisse choquer la religion des particuliers ou qui soit 
contre le respect qui est dû à toutes les puissances de la terre. Il avait 
exigé de l'éditeur la promesse qu'il ne le ferait jamais connaître. Il 
ne promettait pas d'être impartial à la façon de certains auteurs. 
a Je déclare, dit-il, que je suis Hollandais par inclination et par de- 
ce voir, si je ne le suis pas par la naissance. La prospérité de la Hol- 
« lande fait le plus ardent de tous mes souhaits, et, si elle ne peut 
a arriver qu'au préjudice de ses ennemis , je souhaite leur abaissé- 
es ment de tout mon cœur. Je ne suis pas non plus de l'avis de ceux 
« qui croient qu'un historien ne doit point avoir de religion : j'ai une 
<c religion, et cette religion est la protestante; aucune considération 
ce ne m'obligera d'en trahir la cause. » 

La Quintessence des nouvelles historiques, critiques, poli- 
tiques, morales et galantes. La Haye et Amsterdam, 1689-1730, 
in-fol. 

C'est d'après Barbier, et sous toutes réserves, — car la biblio- 
graphie des journaux était bien peu avancée à l'époque où écrivait le 
savant bibliographe, — que je marque le point de départ de cette 
« petite feuille satirique, publiée, dit-il, en Hollande vers 1689, et 
dirigée contre Louis XIV », niais qu'il parait n'avoir point vue, car 
il n'en indique pas le format et il n'en donne même le titre que d'une 
façon très-insuffisante. Elle aurait été, ajoute-t-il, successivement 
rédigée par Lucas, disciple de Spinosa, de l'origine à 1714, puis par 
M me Du Noyer, qui aurait été remplacée en 1730 par Jean 
Rousset. 

Pour ma part, je n'en connais rien avant 1707. II est vrai que sa 
forme étrange et plus légère encore que celle des autres feuilles devait 
en rendre la conservation d'autant plus difficile. C'est un in-folio 



— i8a — 

format d'agenda et imprimé d on seul cftté, quelque chose comme uoe 
colonne d'un de nos grands journaux, seulement un peu plus large. 
C'était, nous le savons, la forme des lardons, forme que quelques ga- 
zettes avaient également adoptée pour leurs suppléments. Elle n'a 
cependant jamais porté le titre de Lardon, comme le dit par erreur 
la Biographie universelle, à l'article de M mc Du Noyer, mais il serait 
possible que, dans l'usage» on l'eût désignée sous ce nom. Cela sem- 
blerait même résulter d'un remerciement en vers adressé par M * Du 
Noyer à la princesse de Conti (n° du 30 juillet 1716), et dont voici 
le commencement et la fin : 

On dit que l'aimable Bourbon 
S'amuse quelquefois un instant à me lire, 
Et que les traits de mon Lardon 
Plus d'une fois Pont fait sourire. 



Mais ma verve m'emporte un peu loin du rivage , 

Et le prend sur un trop haut ton. 
Rapprochons-nous du port, de crainte du naufrage : 

C'en est asses pour un Lardon. 

Quoi qu'il en soit, le titre de cette feuille, que le biographe de 
M me Du Noyer qualifie un peu légèrement de libelle, le nom de 
Quintessence, était heureusement trouvé et attrayant. Je ne sais com- 
ment s'en expliquait son fondateur, si tant est qu'il s'en soit expliqué, 
mais le rédacteur de 1719 en donne ainsi, tout en maugréant, la 
définition : 

« Maugrebleu de celui qui a inventé le titre de Quintessence! 
« Pourquoi n'avoir pas suivi le torrent et pris le nom de Gazette ? 
a Quelle facilité alors à remplir sa tâche 1 II ne faudrait que piller 
« adroitement ses confrères les gazetiers, et, à la faveur d'une tra- 
ce duction , revendre en français ce que d'autres ont déjà débité en 
a flamand, ou, faisant venir les mêmes nouvelles de trois ou quatre 
« endroits différents, remplir son papier à peu de frais. Mais donner 
« la quintessence des nouvelles, c'est-à-dire séparer le faux du vrai, 



- .8} - 

a et ne donner que ce qu'il y a de plus pur en politique, en morale, 
a en galanterie, etc., c'est ce qui s'appelle une tâche aussi difficile à 
« remplir que » (aj novembre 1719.) 

Si les auteurs de la Quintessence eussent fait de cette définition leur 
règle de conduite, leur feuille eût été le phénix des gazettes ; malheu- 
reusement il fut loin d'en être ainsi. La manière dont les nouvelles y 
sont généralement présentées, en botte, si je pouvais ainsi dire, ne 
dénote pas un grand effort fait pour les trier. Et si l'on veut chercher 
dans ce chaos l'intention, on ne l'y découvrira pas aisément. Je parle 
en général, car le ton en change, et quelquefois de la façon la plus 
frappante, à chaque changement de rédacteur. 

Quant à ces rédacteurs, voici ce qu'on lit en tète du numéro du 
4 octobre 1729 : 

« Cette feuille a passé, depuis son institution > par tant de mains 
a différentes que, quoiqu'elle ait toujours porté le même titre, on 
« pourrait presque dire que ce n'a pas toujours été le même ouvrage, 
a Le sieur Lucas , son fondateur, écrivait Dieu sait comment ; son 
a style bas, sa fade poésie, et les flots d'impertinences qu'il répandait 
« sur le parti qu'il pouvait insulter impunément, font son caractère : 
« que le lecteur juge là-dessus d'un tel écrivain. Le sieur Véron, qui 
a lui a succédé, était assez bon horlogeur et honnête homme. De ses 
« mains la Quintessence est passée dans celles de M"* Du Noyer, 
« après avoir fait un court séjour sous la direction de M. Gueude» 
« ville. Je ne parlerai pas de celui-ci : ses écrits et sa réputation dans 
oc la république des lettres m'en dispensent. La même raison m'impo- 
« serait silence par rapport à M mc Du Noyer, si je n'avais à dire 
a qu'elle a donné à cette feuille toute sa réputation, par la manière 
« agréable dont elle débitait et les nouvelles et les aventures. On 
« peut y reprendre un peu trop de flatterie dans certains endroits, 
« maison lui a volontiers passé ce défaut, pour des raisons auxquelles 
a il n'y a rien à répondre. Après M me Du Noyer, MM. Rousset 
« et Guyot l'ont composée successivement : comme ce sont des per- 
ce sonnes d'étude, dont le dernier a de beaux talents pour la poésie , 
« on a vu un changement assez remarquable et dans le style et dans 



— 184 — 

« les choses; la narration était plus claire, et on y trouvait une 
« connaissance plus exacte de l'histoire, de ia géographie et des raté- 
ce rets des princes, qu'on n'y avait pas vue auparavant; on ne pouvait 
a y critiquer que le génie véridique et libre du premier. Après ceux- 
ci ci est venu le sieur D. C. et B., auquel je succède. Et voilà, en 
« peu de mots, la généalogie de cette feuille. Je ne ferai pas de ma- 
a gnifiques promesses à mes lecteurs : ils savent ce que signifie le 
« nom de Quintessence; il me prescrit mes obligations, que je 
« tâcherai de remplir en ne leur donnant que ce qui me paraîtra de 
a plus sûr dans les nouvelles, de plus agréable dans les historiettes et 
« de meilleur dans les petites pièces. Je me bornerai à ce qu'on peut 
« nommer nouvelles politiques, critiques et galantes. » — Et de fait le 
titre est ainsi modifié. 

Ce Lucas qui aurait fondé la Quintessence serait-il le même que ce 
gazetier d'Amsterdam châtié en 1686 sur la plainte du comte d'Avaux 
(supra y p. 96) ? Cela parait assez vraisemblable. 

Je ne saurais d'ailleurs rien dire autre chose des commencements de 
cette petite gazette , qui se recommande par-dessus toutes celles du 
même genre par sa longue durée. Je n en connais qu'une suite un peu 
importante, à la bibliothèque de l'Arsenal , qui en possède une série 
non interrompue du 3 octobre 171a au 22 décembre 1727. J'en ai 
rencontré , en outre , d'assez nombreux numéros intercalés dans les 
recueils de gazettes de Hollande qui se trouvent à la Bibliothèque 
impériale; les plus anciens, je l'ai dit, remontent à 1707. Elle est 
alors sans lieu ; mais en 1 708 elle se vend à La Haye , chez la veuve 
de Meyndert Uytwerf ; à Amsterdam, chez Steenhouwer et Uytwerf , 
sur le Rokin. Elle paraissait deux fois par semaine. 

En 1712, à l'époque où commence la collection de la bibliothèque 
de l'Arsenal , elle est rédigée par M me Du Noyer, et ce n'est rien 
moins alors qu'un pamphlet. Après le paquet de nouvelles vient ordi- 
nairement quelque historiette fort innocente, quelque poésie, le tout 
on ne peut plus anodin, et propre à être lu par les altesses sérénis- 
simes. On connaît la vie aventureuse de cette dame, qui eut au moins 
le mérite de trouver dans sa plume des moyens d'existence pour elle 



- i8 S - 

et pour ses deux filles, dont la cadette, Pimpette, faillit devenir 
M m * Arouet de Voltaire. Elle mourut en 1719, « après une vie de 
cinquante et un ans passés dans la tribulation, dit son successeur 
dans un éloge funèbre qui commence le numéro du i er juin 1719. 
Quatre traits, ajoute-t-il, qui se trouvent rarement réunis dans une 
même personne, font tout le portrait de cette dame : je veux dire une 
naissance distinguée , jointe à un grand attachement à sa religion , un 
esprit au-dessus de son sexe, qui a brillé au milieu de longues et con- 
tinuelles adversités. » Il paraîtrait que, outre la Quintessence, qu'elle 
« composa avec succès, pendant huit années , M me Dunoyer avait 
commencé à donner au public un Mercury galant, sur le plan de celui 
de Dufresny de Paris, et qu'elle ne l'avait discontinué qu'à cause de 
la mort du libraire. 

« Devenu son successeur dans la composition de cette feuille, con- 
tinue le nouveau rédacteur, il serait peut-être nécessaire de me faire 
connaître et d'avertir les lecteurs du plan que je vais tenir, mais je 
n'ai à lui donner pour tout avertissement que ce vers de Boileau : 

J'appelle un chat un chat, et Rollet un fripon ; 

c'est-à-dire qu'amateur sincère de la vérité, je la mettrai au jour 
toutes les fois que je serai sûr de la connaître. » C'était, paraît-il, un 
mauvais plan, car il abandonnait la partie dès la fin de l'année, « con- 
vaincu par une expérience de sept mois qu'il n'y avait rien qui plût 
moins aux hommes que la vérité. » 

Pendant cette courte période, les lettres sont adressées à M. G**, 
probablement Guyot, d'après la note ci-dessus, qui donne pour suc- 
cesseurs à M me Du Noyer Jean Rousset et Guyot. 

Le numéro du 28 août 1 72 1 est signé : Par M Ile de Saint-G*** , 
et débute ainsi : 

« Me voilà enfin auteur en titre d'office , et il n'y a plus de moyen 
ce de m'en dédire. Pour en commencer les fonctions dans les formes , 
« je devrais débuter aujourd'hui par une préface ; mais , ma foi , je 
« ne sais qu'y mettre. Vous devez me croire, puisque j'en jure : car 



— i86 — 

« femme qui jure que la langue lui manque doit être crue sur sa pa- 
« rôle.... Entrons donc en matière. Si je veux suivre l'ordre de mon 
« titre (modifié), j'entamerais une tirade de conjectures politiques. 
<v Mais une femme parler politique ! Montez vos coiffures ! dira quel- 
a qu'un ; parlez de falbalas , de pélicans , de venez- y-voir y de tâtez-j ! 
a Voilà un plaisant quelqu'un I Hé 1 pourquoi une femme ne pariera- 
« t-elle pas politique , puisque ce sont les femmes qui gouvernent la 
« plupart des cours et la tête de tous les ministres 1 » 

Et on lit dans le numéro du 2 1 décembre 1 722 que , « le public 
ayant témoigné que M 11 * de Saint- G***— qui, probablement n'a jamais 
existé — n'était plus de son goût, elle était remplacée par M. D. C. », 
auquel succéda l'auteur de la notice du 4 octobre 1725. 

A partir du 1 9 juin 1 724, les numéros sont ainsi souscrits : « Im- 
primé aux dépens de l'auteur, et se vend chez tous les libraires. » 
Cet auteur se nomme le 17 août : c'est J. de Cœur, et à partir du 30 
novembre , il ajoute à son nom la qualité de notaire et traducteur à 
La Haye. Son nom disparaît à partir du 1 1 avril 1726, et la feuille 
est souscrite alors : « A Amsterdam, chez Herm. Uytwerf, et se vend 
à La Haye, chez Moetjens , etc. » Le 29 juillet, elle est signée par le 
sieur Dumont-des-Creutes. 

La Quintessence a pris à cette époque un assez grand développe- 
ment. Dès 1724 les nouvelles, avec quelques annonces, avaient com- 
mencé à déborder sur le verso de l'unique feuillet dont elle se com- 
posait ; bientôt cela était devenu l'état normal, et il lui arrivait même 
quelquefois de donner un feuillet double. On y trouve alors de la mu- 
sique notée, des gravures de mode au trait; c'est tout à fait un jour- 
nal du beau monde. 

La collection de l'Arsenal s'arrête, comme je l'ai dit, à 1727. II 
paraîtrait que la Quintessence fut supprimée cette année-là, mais qu'elle 
aurait bientôt reparu sous le titre de Nouvelles historiques, politiques, 
critiques et galantes : cela résulte d'une plainte de l'ambassadeur d'Au- 
triche que j'ai relatée p. 98, et la façon dont en parlent les Lettres 
sérieuses et badines, dont la publication commença en 1729, porterait 
à croire qu'à cette époque elle avait repris son premier titre. 



- t8 7 - 

L'auteur de ces Lettres, La Barre de Beaumarchais, avait été le 
collaborateur de Rousset au Mercure historique, et en avait reçu, 
parait-il, d'importants services; mais la jalousie les avait ensuite 
brouillés , et on les vit bientôt se jeter mutuellement à la tête les plus 
violentes injures. Or les premiers numéros des Lettres sérieuses et ba- 
dines sont consacrés à Yéreintement, comme on dirait aujourd'hui, de 
Fauteur de la Quintessence. « Qu'y a-t-il de plus inutile au monde, 
de plus abject , de plus méprisable que toi 1 Qu'on t'ôte les bouffon- 
neries grossières contre l'Église romaine, les satires impertinentes 
contre les puissances, les traits piquants et outrés contre toute sorte 
de personnes, et quelques lambeaux ennuyeux de poésie que tu couds 
sur ton armure comme un charme puissant pour répandre sur tes 
ennemis un profond assoupissement , que te restera-t-il ? » Rousset 
n'est pas nommé , mais il est désigné de façon à ce qu'on ne puisse 
s'y méprendre , notamment par la nomenclature critique de ses nom- 
breux écrits. Parmi ces écrits que La Barre attribue à Rousset , je 
vois figurer : un Censeur, a premier ouvrage de l'auteur de la Quintes- 
sence , ouvrage malin s'il en fut jamais , et qui ne fut pourtant pas 
goûté, parce qu'il était aussi sot que malin » , mais que je ne connais 
pas autrement ; — un Courrier, « commencé par deux hommes d'es- 
prit, Potin et Van Effen , des mains desquels il ne passa dans celles 
de l'homme en question que pour y finir avec honte une course heu- 
reuse et honorable dans le commencement » , très-probablement la 
petite feuille que j'enregistre ci-dessous; enfin une Gazette des Sa- 
vants, «qui passait pour être imprimée à Anvers, chez..., et se vendait 
à la Haye, chez.... » Pour ce qui est de cette dernière feuille, je puis 
dire qu'il se publia, en effet, à Anvers, ou du moins sous la rubrique 
d'Anvers, en 1729, une Gazette des Savants, ou Relation des livres qui 
paraissent dans toute l'Europe » , qui fut continuée , en 1730, à La 
Haye , sous le titre de Supplément à la Gazette des Savants, et qui n'é- 
tait proprement qu'une annonce des livres nouveaux , dont on expo- 
sait le sujet et le plan , mais sans aucun examen ni critique , ce qui 
semblerait peu s'accorder avec le tempérament de Rousset. 

Une autre plainte portée contre la Quintessence par le gouvernement 



— i88 — 

russe (supra, p. 99) prouve qu'elle existait encore au milieu de 1750. 
En résumé , cette petite feuille, outre sa longue durée, a un carac- 
tère à elle propre qui doit la faire remarquer au milieu des écrits pério- 
diques français publiés à l'étranger à l'époque où elle vécut ; mais elle 
ne vaut guère que comme signe du temps , pour me servir d'une ex- 
pression aujourd'hui consacrée. Du reste, son caractère a varié avec 
ses nombreux rédacteurs; ainsi , dans les mains de M« e Du Noyer, 
c'était une sorte de Mercure galant ; dans celles de Rousset , ce fut 
de plus un journal satirique, un lardon. 

— Courrier de la paix, passe-temps utile et agréable. Par J. 
de Cœur, et se vend à La Haye, chez A. van Dolen, 1731-1732, 
in-4. 

L'astre qui préside aux saisons , 
En commençant le cours de ses douze maisons , 
Annonce à l'univers une nouvelle année ; 
Et moi , qui la désire heureuse et fortunée , 
J'annonce, pour chasser la tristesse et l'ennui, 
Que mon défunt Courrier ressuscite aujourd'hui. 

Sur ce début on peut juger du talent poétique de J. de Cœur, que 
nous connaissons déjà comme l'un des rédacteurs de la Quintessence; 
sa prose vaut ses vers , et le fond ne m'a pas paru valoir beaucoup 
mieux que la forme. Voici, du reste , comment l'auteur expose son 
plan : « 1 . Je broderai les nouvelles qui seront susceptibles de quel- 
ce ques réflexions historiques , politiques, critiques, poétiques, véridi- 
« ques ou étiques, suivant que mon imagination sera féconde ou sté- 
« rile, ou suivant que les jours seront longs.' — 2. Je ferai chanter et 
a danser mes lecteurs , et tous ceux qui voudront les accompagner, 
« en leur donnant les airs et les chansons notés. Cependant j'obser- 
« verai qu'il n'y ait rien d'obscène ni de contraire aux bonnes mœurs. 
« — 3. J'avertis néanmoins qu'à l'égard de la chansonnette il faudra 
« qu'on use de quelque condescendance, parce que l'équivoque bien 
« ménagée fait souvent tout le prix de la chanson , sauf à l'abbesse 
a du couvent à examiner s'il n'y a rien qui soit contraire à la règle 



— 189 — 

* du couvent. — 4. Pour ce qui concerne les faits de religion , 
a tâcherai de satisfaire là-dessus tous mes lecteurs, de quelque reli- 
« gion qu'ils puissent être, en observant la règle que je me suis près- 
a crite de n'en plus parler. — 5. Ma morale, ma critique et mon 
a style, on l'aura comme à l'ordinaire. J'éviterai de dire des vérités 
a imprudentes, et, quand il faudra mentir avec les autres, j'avi- 
(f serai.... » 

J'ai trouvé cette feuille à la bibliothèque Sainte-Geneviève, inter- 
calée dans un volume de la Gazette d'Amsterdam. Elle paraissait deux 
fois par semaine. Il résulte du début en vers que j'ai cité, et de quel- 
ques phrases de l'avant-propos, que c'était une reprise d'un Courrier 
que J . de Coeur avait entrepris probablement en quittant la Quintes- 
sence. Je n'ai point rencontré cette première^ série, et je l'ai peu re- 
gretté. 

Le Courrier galant. Amsterdam, 1693, in-12. 

Je ne connais cette petite feuille, dont j'ai déjà parlé, que par la 
mention qu'en fait Bayle dans une lettre à M in u toi i, du 16 mars 1693. 
« On a commencé à Amsterdam , y dit-il , un ouvrage semblable au 
Mercure galant. On le publie le 2 de chaque mois. Cela s'appelle le 
Courrier galant, et ne vaut pas grand'chose. On nous y donne des 
aventures amoureuses qui sont dans le Mercure galant depuis cinq, six 
ou sept ans. Ils ne sont point ici en pays à fournir, comme Paris 
fournit au sieur de Visé, ample matière tous les mois. Un autre li- 
braire s'est avisé d'imprimer le Nouvelliste galant, qui est un tissu d'a- 
ventures d'amourette où les noms sont le plus souvent déguisés. » 

Je trouve encore, à une date postérieure, la mention d'un recueil 
dans le même genre : 

— Amusements du beau sexe, ou Nouvelles historiques et aven- 
tures galantes, tragiques et comiques. Lu Haye, 1740- 1741, in- 12. 

L'Élite des nouvelles de toutes les cours de l'Europe, par San- 
dras de Courtilz. Amsterdam, 1698, in-12. 
Ce n'était pas sans regret que Courtilz s'était vu forcé d'aban- 



— 190 — 

donner son mercure. H en commença donc un autre après ta paix de 
Riswic ; mais il paraît qu'il ne s'était pas corrigé de sa partialité 
pour la France, car au bout de trois mois, dit Bayle, son libraire fut 
chassé à cause de cette impression. —Je n'ai, du reste, rien pu trou- 
ver de cette petite feuille. 

L'Esprit des cours de l'Europe, où l'on voit ce qui s'y passe 
de plus important sur la politique , et en général ce qu'il y a de 
plus remarquable dans les nouvelles , par Gueudeville* La Haye et 
Amsterdam, juin 1699-avril 1710, 19 vol. in-12. 

Supprimé en 1701, comme nous l'avons déjà vu plus haut (p. 65), 
sur les plaintes du comte d'Avaux , ce recueil , qui fit un certain 
bruit , fut continué pendant quelque temps sous le titre de Nouvelles 
des cours de /' Europe; on trouve même les deux titres concurrem- 
ment, ce qui produit une certaine confusion. Bayle nous donne l'ex- 
plication de cette anomalie dans une lettre à Marais, du 6 mars 1702, 
où il entre, sur l'auteur et son journal, dans des détails qui ne lui sont 
pas habituels, a Gueudeville, dit-il, est fils d'un médecin de Rouen. 
Il a été bénédictin , et commençait à devenir célèbre prédicateur. 11 
vint en ce pays environ l'an 1690, et se fit huguenot dans Rotterdam, 
et il y demeura plusieurs années, s'occupant à enseigner le latin chez 
lui et à tenir des pensionnaires. S'ennuyant de cette occupation, et se 
sentant capable de se signaler par sa plume , il fut s'établir à La 
Haye en mai 1699; et dès le mois suivant il publia, sans y mettre 
son nom, un petit livre intitulé l'Esprit des cours de l'Europe, ce qu'il 
a continué de faire chaque mois jusqu'à présent, hormis que l'an passé 
il cessa pendant trois mois, à cause que M. d'Avaux demanda qu'un 
livre aussi satirique contre la. France que celui-ci fût défendu. Ces 
trois mois furent remplis par le sieur Lamberty, Grison de nation, 
mais , au lieu de l'Esprit des cours de l'Europe, il prit pour titre Nou- 
velles des cours de l'Europe, Notre ex-bénédictin, s'étant remis sur les 
rangs quelque temps après le départ de M. d'Avaux, a pris le même 
titre de Nouvelles... C'est lui qui a fait la critique de TêUmaque. Je le 
connais assez particulièrement. Il est fort agréable en conversation, et 



- I9i - 

ne hait pas le plaisir. » Cet amour du plaisir, il le porta , paraît-il, 
jusqu'à la débauche. » C'était, ditLeclerc dans sa Bibliothèque ancienne 
et moderne, un libertin déclaré , et qui , sur la fin de sa vie , s'enivrait 
d'eau-de-vie, comme il avait fait de vin quand il en avait eu. (On attri- 
bue à Gueudeville un Éloge de l'ivresse.) Il est mort à peu près comme 
il avait vécu , aussi bien que Gabillon , autre moine défroqué qui ne 
valait pas mieux que lui. » 

Ce qui est certain néanmoins, c'est que Y Esprit des cours de l'Eu- 
rope eut une grande vogue tant que les circonstances fournirent à son 
auteur les moyens d'amuser la malignité publique. Une citation per- 
mettra de juger de son genre : 

a Le 17 e de mai (1703), jour que les chrétiens célébraient en 
ce mémoire de la triomphante entrée du Sauveur dans le ciel, le se- 
« rénissime doge se remaria, suivant la coutume, avec la mer, et les 
« noces furent d'une magnificence proportionnée à la dignité des 
a époux. Cette cérémonie, pesée à la balance de la saine raison, n'a 
« rien que d'absurde et que de choquant.... En effet, quel rapport 
« de l'union conjugale avec la puissance que les Vénitiens s'arrogent 
a sur un espace de mer? La mer, je l'avoue , tient assez du naturel 
a qu'on attribue aux femmes, avec plus de malignité pourtant que 
« de justice : inconstante, perfide, orgueilleuse, emportée, insatiable ; 
a mais en est-elle plus habile et plus propre à la génération hu- 
a maine? Je ne crois pas que le doge s'avise jamais de caresser sa 
ce chère moitié : la copulation serait mortelle et la couche nuptiale se- 
a rait infailliblement le tombeau du mari.... Les seuls Vénitiens sont 
a épris et touchés de tendresse pour cette prostituée, et, l'aimant en 
a tout bien et en tout honneur, ils contractent avec elle une alliance 
« monstrueuse et l'épousent dans toutes les formes. Encore si cette 
« bizarre cérémonie se proposait comme un divertissement et comme 
« un jeu, l'on n'aurait rien à dire : il faut amuser les peuples, et la 
« politique leur coûte assez cher pour les repaître de spectacles con- 
« formes à leur faible portée. Mais ce n'est pas cela ; on agit très-sé- 
« rieusement.... Après tout, le mariage est d'une teneur bien fragile, 
« et je ne m'étonne point qu'on le renouvelle tous les ans. L'épouse 



x 



— \$2 — 

« ne fait pas grand cas du marché, et, sans avoir égard à la persévé- 
« rance inimitable de monsieur son mari, elle est toujours prête à se 
« donner au premier venu. Cette coquette achevée ne s'abandonne 
« pas au plus riche ; non, sa galanterie n'est pas mercenaire, et Pin- 
ce térêt ne la domine point, mais le plus fort l'accommode, et celui chez 
« qui la munition se trouve la plus copieuse jouit de cette lubrique 
« sans qu'elle fasse la moindre résistance. Les Français , non moins 
« grands perturbateurs du repos conjugal que de la tranquillité pu- 
« blique, fournissent actuellement des preuves de ce que je dis ; la 
« mariée se divertit impunément avec eux à la barbe de son époux, 
« et le chevalier de Forbin a déjà fait, je ne sais combien de fois, le 
« sérénissime doge cocu. Qu'il est bon ce mari, non-seulement de 
« ne se point rebuter des fréquentes infidélités de sa femme , mais 
« même de resserrer tous les ans avec elle le nœud de la conjonction 
« matrimoniale 1.... » 

Nouvelles politiques. Amsterdam,* 1704, in-4. 

Sous forme de lettres. L'auteur supplie son correspondant de ne 
pas trouver mauvais qu'il laisse de côté les relations ordinaires, qui 
sont l'ouvrage des gazettes; il s'attachera à l'entretenir sur certaines 
matières principales, à mesure qu'elles se présenteront. 

Journal historique , politique, critique et galant. 17 19, 2 part. 
in-12. 

Attribué par le Journal des Savants à Van Effen. Les auteurs, di- 
sent les Nouvelles littéraires, s'étaient proposé pour modèle les Lettres 
sur les matières du temps, ouvrage bien écrit, rempli de réflexions so- 
lides et judicieuses. 

Mémoires historiques et critiques. Amsterdam, 1722, 2 yoI. 
in-12. 

La préface de ce recueil, qui se trouve à la bibliothèque de l'Ar- 
senal, et qui n'est guère historique que littérairement parlant, m'a ré- 



- i 9 j - 

vêlé un fait assez curieux ; on y lit : « Les gros livres ne sont pas à 
« la portée de beaucoup de gens qui aiment sincèrement la vérité, 
te mais qui, ne s'instruisant que dans les journaux, sont exposés à 
« devenir les victimes de la passion ou de la politique des journalis- 
te tes. Je m'explique : les journalistes des savants évitent de parler de 
a ces matières délicates (les intérêts de la religion et les maximes du 
« royaume), ceux de Trévoux les embrouillent et cherchent à sur- 
« prendre les faibles par leurs airs triomphants et leurs déclamations 
« outrées. Ce n'est pas seulement sur le fond des matières que Ton 
« veut nous en imposer, c'est presque sur les faits qui se passent 
« sous nos yeux. On voit un malheureux libelle anathématisé par les 
« puissances ecclésiastiques et séculières ; on voit, dis-je, ce malheu- 
« reux libelle, ce supplément fade et informe, se répandre dans tout 
« le royaume et séduire une multitude ignorante, qu'il empoisonne 
» insensiblement par des principes séditieux dont on ne verra que trop 
« les pernicieux effets. » 

Or ce libelle était un « Supplément à la Gazette de Hollande qui s'im- 
primait à Lyon, chez les Jésuites ou du moins par leurs soins, et qui 
avait été condamné par l'évêque d'Agen, par le parlement de Besan- 
çon et par les lieutenants de police de Bourges et de Lyon. » On 
conviendra que l'invention était jolie et qu'il eût été difficile de s'y 
prendre plus adroitement pour faire succéder immédiatement l'antidote 
au poison : je n'ai pas besoin de dire, en effet, que les Jésuites étaient 
peu ménagés par les journaux de Hollande. Mais leurs batteries ne 
tardèrent pas à être démasquées ; on lit dans le numéro du 1 5 février 
de la même feuille : « On a enfin surpris en flagrant délit le libraire 
de Lyon qui imprimait le calomnieux et extravagant Supplément à la 
Gazette de Hollande, dont les Jésuites sont les auteurs et les Capucins 
les colporteurs. Ce libraire s'appelle Chise et est beau-frère des 
Bruisset, imprimeurs et agents de la Société. Il a pris la fuite. » Et 
dans le numéro du 19 mars : « Les Jésuites ont changé le titre et la 
forme de leur gazette depuis l'accident arrivé au capucin de Lyon ; ils 
ne la nomment plus Supplément à la Gazette de Hollande, mais Lettres 
curieuses; in-12. » 



— >94- 

Trente ans après, les Jésuites employaient un expédient semblable 
contre les Nouvelles ecclésiastiques. Ne pouvant avoir raison de cet 
ennemi invisible qui les harcelait sans trêve ni merci, ils résolurent de 
le combattre avec les mêmes armes, d'opposer journal â journal, et ils 
lancèrent, au commencement de 1734, un Supplément des Nouvelles 
ecclésiastiques qui demeura sur la brèche jusqu'en 1748. Dès aupara- 
vant, si nous en croyons leur adversaire, ils avaient essayé la publi- 
cation d'une autre gazette, que « le mépris et l'indignation du public 
les avaient obligés d'abandonner. » Serait-ce celle dont les Mémoires 
historiques nous ont révélé l'existence ? 

Revenant à ces Mémoires , j'ajouterai que j'ai encore rencontré 
dans la Goztttt d'Utrecht du 3 janvier 1741 l'annonce de Mémoires his- 
toriques et politiques qui se publiaient à Amsterdam et qui étaient, dit- 
on , remplis de faits curieux et intéressants. 

Le Courrier. Amsterdam, 1723-1724, pet. in-8. 

Je n'en ai vu que les numéros 30-47 , de 1724, que j'ai trouvés 
intercalés dans un volume de la Quintessence. Un avis prévient le 
public qu'on trouvera encore chez l'éditeur, Herman Uytwerf , quel- 
ques exemplaires des huit tomes précédents du Courrier, à 20 sous le 
volume. 

D'un passage des Lettres sérieuses et badines que je cite à l'article de 
la Quintessence il résulterait que cette petite feuille eut pour auteurs 
Potin , Van Effen et Rousset. Plus loin nous verrons Rousset s'at- 
tribuer un Courrier politique, qui est probablement le même. 

Le Nouvelliste politique, galant et savant. La Haye, 1728, 

in- 12. 
Mentionné dans les Lettres sérieuses et badines de La Barre de 
Beaumarchais, qui lui donne pour auteur un ingénieur français. 

Dans le dossier, conservé aux archives de l'Etat, à La Haye, d'un 
procès intenté en 1724 à un certain Gosier, pour avoir fourni des nou- 
velles aux journaux , se trouve une liste de journaux français et hol- 
landais parmi lesquels un Nouvelliste universel , que je n'ai pas ren- 
contré. 



- !9) — 

Lettres sérieuses et badines sur les ouvrages des savants et 
sur d'autres matières, par La Barre de Beaumarchais. La Haye, 
1729, 5 vol. in-8. 

« On s'efforce, disait la Critique désintéressée, de faire passer ces 
Lettres pour un journal littéraire, parce que les auteurs joignent 
à plusieurs réflexions énigmatiques des extraits de quelques livres 
nouveaux; mais cet ouvrage roule presque tout sur des démêlés 
de particuliers à particuliers ; ou n'y trouve que des particulari- 
tés injurieuses qui servent à caractériser certains auteurs. » Le 
Nouvelliste du Parnasse, sous ces mêmes réserves quant au fond, 
mais des deux premiers volumes seulement , où il n'est guère parlé , 
en effet , que des aventures secrètes des écrivains hollandais et de 
leurs querelles particulières , et où les faiseurs de rapsodies politi- 
ques et littéraires sont accablés de railleries , n'hésite pas à reconnaî- 
tre le mérite de ce recueil , écrit avec feu , bien que le style se sente 
un peu du terroir. L'auteur, dit-il, a du talent pour railler agréable- 
ment et pour traiter avec succès les matières sérieuses. 

Les Lettres sérieuses et badines , « composées , disait le Glaneur du 
2 août 1731 , par un certain qui se fait appeler Barre de Beau Mar- 
chais, ci-devant chanoine de Saint-Victor à Paris, à présent écolier 
en médecine dans l'académie de Leyde , quoique marié et âgé de plus. 
de,; $ ans » , furent supprimées par arrêt de la cour de Hollande du 
26 juillet 1731, pour avoir soutenu des propositions scandaleuses au 
sujet du mensonge officieux. * 

Quelques années après, La Barre entreprit la publication d'un 
autre recueil dans le même genre, les 

— Amusements littéraires, ou Correspondance politique , his- 
torique, philosophique , critique et galante. Francfort et La Haye , 
1739, 1740, 3 vol. in- 12. 

« Cette feuille, dit le Journal des savants, n'est pas toute litté- 
raire , car l'auteur y fait entrer beaucoup de nouvelles et de raison- 
nements politiques, des généalogies, des phénomènes extraordinaires, 
de petits contes , des aventures singulières , des vers choisis , des 



— 196 — 

chansons ingénieuses. Sa critique n'est ni amère ni maligne, quoi- 
qu'il ne néglige pas l'avantage que lui donne la Hollande de parler 
librement de toute sorte de choses. » 

Le Glaneur historique , moral , littéraire , galant et calottin , par 
J. B. de LaVarenne. Amsterdam, Utrecht et La Haye, «731-1755, 
3 vol. in-12. 

En 1 73 3, le titre s'augmente des adjectifs critique et politique. Les 
titres des volumes portent en plus : a ou Recueil des principaux évé- 
nements arrivés dans le cours de cette année , accompagnés de ré- 
flexions. On y trouve aussi les pièces fugitives les plus curieuses qui 
aient paru, tant en vers qu'en prose, sur toute sorte de sujets, et en 
particulier .sur les affaires du temps. » 

Les deux premiers numéros seulement furent publiés à Amsterdam , 
les I er et 4 janvier. Le troisième parut, un mois après, à Utrecht. 
L'auteur explique ce retard par une envie de courir les champs qui 
lui aurait pris subitement; a pour ce qui est de son changement de 
résidence , il importe peu au lecteur. » Nouveau déménagement au 
commencement du mois de novembre suivant, 1731 ; notre Glaneur 
quitte Utrecht pour La Haye, mais cette fois sans donner la moindre 
raison. 

L'auteur de la table du Journal des savants assigne au Glaneur la 
date de 1728 , Amsterdam , et s'exprime ainsi à son sujet : « L'abbé 
de La Varenne passa pour l'auteur de cette espèce de gazette litté- 
raire, qu'il faisait distribuer par feuille de 4 pages chaque semaine , e 
dont il y a eu une centaine de feuilles, ce Ouvrage bien écrit, dit le 
« Nouvelliste du Parnasse , et , d'ordinaire , rempli de traits ingénieux 
« et satiriques. Il y a dans le style un air cavalier qui divertit, et cer- 
« taines nouvelles y sont tournées assez agréablement. L auteur avait 
« pris le ton ironique, parce qu'il est quelquefois dangereux de dire 
« crûment les vérités désagréables , qui ne perdent rien de leur mérite 
ce lorsqu'elles sont cachées sous une enveloppe ingénieuse. On les 
« trouve mieux écrites aujourd'hui , et le tour des réflexions et des 
« plaisanteries est d'un meilleur goût. » Quelques pages plus loin, le 



— 197 — 

même écrivain , à propos d'un Glaneur français qui parut à Paris de 
1734 à 1737, s'exprime ainsi : « V Observateur sur les écrits modernes, 
en annonçant ce Glaneur français , en prit occasion de tomber de la 
manière ia plus forte sur le Glaneur de La Haye, qui parût â peu près 
dans le même temps, et qu'il faut bien distinguer d'un troisième 
Glaneur, imprimé à Amsterdam, dont j'ai parlé plus haut, a Le Gla- 
« neur français, disait l'abbé Desfontaines , n'est point un glaneur de 
« plates médisances , d'horribles calomnies et de mensonges irapu- 
« dents, tel que le libelle diffamatoire qui s'imprimait à La Haye 
« sous le même titre , ouvrage audacieux , digne du dernier mépris et 
« de la punition la plus exemplaire. Les magistrats de la république 
« firent la grâce au moine métamorphosé qui en était Fauteur de sup- 
« primer seulement son libelle, où tout ce qu'il y a de plus respecta- 
« ble dans la société était déchiré par cette main téméraire. » 

Il y a là une confusion évidente. Le premier numéro de 1731 du 
Glaneur commence par une courte préface qui ne permet pas de dou- 
ter que ce soit là le début de l'entreprise; et , d'un autre côté, l'au- 
teur s'y montre animé des intentions les plus sages. « Les auteurs de 
quelques feuilles, dit-il, abusant de la pensée d'Horace, Ridendo di- 
cere verum quid vetat ? ont poussé si loin la liberté de débiter leurs im- 
prudentes vérités ou leurs fades plaisanteries , qu'ils ont avec raison 
soulevé contre eux tout le monde en général , et par là ont mérité que 
leurs écrits fussent supprimés par l'autorité publique... 

instruit par leur malheur, je veux être plus sage. 

«Je déclare donc formellement que je ne m'écarterai jamais du respect 
que tout bon citoyen doit aux princes, aux souverains et à la religion, 
et je proteste que mon unique but sera d'instruire ou de divertir mes 
lecteurs, et que j'éviterai soigneusement tout ce qui pourrait sentir la 
satire et surtout le libertinage. » C'était parler d'or; mais LaVarenne 
eut probablement des collaborateurs , et dans le nombre il put s'en 
trouver de moins sages. Ainsi , par exemple , nous entendrons tout à 
rheure Rousset, dans VÊpilogueur, se vanter d'avoir eu une large 
part dans la rédaction du Glaneur , et nos lecteurs savent que le ré- 



— 198 — 

dacteur du Mercure historique et de la Quintessence était incapable de 
ménagements* Je dois dire cependant que tous les numéros du GIa- 
juur, de celui de La Haye aussi bien que de celui d'Amsterdam, 
portent la signature de J. B. de La Varenne. Je manque, du reste, 
de renseignements sur cet écrivain. 

Quoi qu'il en soit, le jugement porté sur cette petite feuille poli- 
tique et littéraire par le Nouvelliste du Parnasse nous a paru bien 
fondé ; c'est assurément une des plus instructives, à la fois, et des plus 
agréables à lire. 

La Bibliothèque impériale possède 9 du Glaneur, qui paraissait 
deux fois par semaine, les années 1751, 88 numéros, et 1732, 
104 numéros. Je ne connais de Tannée 1733 que quelques numéros 
que j'ai trouvés dans un recueil factice, à l'Arsenal, et dont le dernier 
est du mois d'avril. M. Barbier, le conservateur si bienveillant delà 
bibliothèque du Louvre, en possède un volume dans cette précieuse 
collection voltairienne que lui a léguée M. Beuchot. 

On attribue encore à La Varenne le recueil suivant, que je ne 
connais pas autrement : 

— L'Observateur, ouvrage polygraphique et périodique. Amster- 
dam, 1736, 12 vol. in-8. 

Le Postillon, ouvrage historique, critique, politique, moral, 
littéraire et galant, par François Bruys. Utreeht , Cologne et Ntu- 
wicd y 1733-1736, 4 vol. in- 1 2 . 

Les pérégrinations de cette feuille prouvent son peu de consis- 
tance. Son auteur, pauvre diable pressé par la misère, s'était mis aux 
gages d'un libraire, pour lequel il composa divers ouvrages qui se 
ressentent tous de l'aiguillon du besoin. Il avait fini par devenir 
secrétaire du comte de Neuwied. Nous le retrouverons. 

L'Argus de l'Europe , ouvrage historique , politique, critique, où 
l'on développe les intérêts et les maximes des souverains depuis 
la mort de Charles VI jusqu'à la fin de la guerre que son auguste 



— 199 — 

fille, Marie-Thérèse, reine de Hongrie, grande-duchesse de Tos- 
cane, soutint avec beaucoup de gloire; par M. G. de F.... 
(Forget), docteur en médecine. Amsterdam, chez Henri Boussière, 
libraire sur le Dam , 1741, 30 numéros ou coups d'œil, in- 12. 

Avec cette épigraphe : Lux in tenebris , et une épttre dédicatoire 
aux animaux partisans du bon sens. 

Les Crjblures politiques, ou Réflexions bourgeoises, en forme 
de dialogues , sur les matières et les ouvrages politiques du temps, 
par maître Jérôme. Amsterdam, 1 74 1 , in- 1 2 . 

Je ne connais ce recueil que par la mention que j'en ai trouvée 
dans le Sage Moissonneur, et la manière élogieuse dont il en parle 
m'a fait regretter de ne le point rencontrer, a Pour peu , dit-il , 
qu'on ait d'esprit et de goût , on avouera ingénument que cette 
feuille l'emporte sur toutes les feuilles périodiques qui paraissent 
aujourd'hui, et bien des gens penseront que messire Jérôme n'est 
rien moins qu'un maître d'école , et que cet ouvrage n'est assurément 
pas son coup d'essai. » 

Le Cyclope errant , ou Lettres allégoriques sur les affaires du 
temps, politiques et galantes. Amsterdam, 1741 , 24 numéros in-8. 

Dans le genre des Spectateurs. J'ai vu cette petite feuille chez 
M. Ulysse Capitaine, à Liège. La première lettre est adressée au 
Secrétaire d'Etat de l'Europe, et une note dit que tel est le titre d'un 
journal politique paraissant tous les mois en Hollande. 

Il y eut dans le même genre : un Misanthrope, Amsterdam, 
1711-1712, 2 vol. in-12 , par Van Effen, qui publia aussi un Spec- 
tateur français , lequel, d'après le Journal des savants, aurait eu 
28 numéros ;— un Censeur, ou Caractère des mœurs de la Haye, par 
M. de G., et un Inquisiteur, fondés l'un et l'autre en 1714, à 
l'imitation du Misanthrope, qui avait rencontré le succès; — un 
Fantasque, par Du Sauzetfils, Amsterdam, 24 mai- 16 août 1 74 \, 
1 3 numéros in-12, etc., etc. Et je ne parle pas des traductions qui 
furent faites des Spectateurs anglais. 



!•* 



— 200 — 

Les Hollandais s'exercèrent aussi dans ce genre ; je ne bornerai 
à citer de Hollandsche Spectator (le Spectateur hollandais), Amsterdam , 
1731 , œuvre bien pensée et bien écrite, qui dut bientôt doubler sa 
périodicité et paraître deux fois par semaine , au lieu d'une , pour 
répondre à l'empressement du public. Il y avait eu dès auparavant 
un Babillard, den Babbelaer, et une Contrôleuse spirituelle, de 
Verstandige Bedilster; mais, disent les Nouvelles littéraires, ces pré- 
tendus Spectateurs avaient la vue si courte qu'ils ne voyaient que ce 
que tout le monde voit ou dédaigne de voir. 

Le Magazin des événements de. tous genres , passés , présents 
et futurs, historiques, politiques et galants, etc., etc., recueillis 
par une société d'amis. Amsterdam, 1741-1742, 4 vol. in- 12. 

Au tome $ , le titre est devenu le suivant : 

— L'ÊPILOGUEUR politique, galant et critique, pour servir de suite 
au Magazin des événements, composé par une société d'amis. 
1743-février 1745, 8 vol. in-12. 

En tout 12 volumes. Une seconde édition en a été faite en 
1 3 volumes, sous le double titre de : le Magazin des événements... , 
ou VEpilogueur... On lit dans la préface à propos de ce changement 
apporté dans le titre après les quatre premiers volumes : « Il faut 
a vous avouer que , dans nos courses , nous avons été arrêtés par un 
« mécontentement^dont nous n'avons jamais pu découvrir la cause. 
« C'est ce qui nous a fait quitter notre premier titre pour lui sub- 
« stituer celui à'Epilogueur. Ce contre-temps nous a fait d'autant 
« plus de peine que nous sommes remplis d'une admiration égale à 
« notre respect pour l'auguste personne à qui nous avons eu le 
a malheur de déplaire. » 

Le titre de cette deuxième édition porte : « Par M. de R. de M. » 
Ce sont les initiales de Rousset de Missy, que nous connaissons 
déjà comme rédacteur du Mercure historique et de la Quintessence, et 
qui paraît avoir été le principal auteur du Magazin des événements. 
Cela résulte encore d'un avis au public , très-curieux du reste , placé 



— 201 — 

en tête du tome 7 ; voici ce qu'on y lit : « Grâce à vos bontés, j'ai 
« poussé cette feuille périodique jusqu'au 7* tome inclusivement. 
« L'empressement avec lequel vous l'avez recherchée m'est une 
« caution que vous en êtes content. C'est ainsi que vous avez bien 
« voulu favoriser ci-devant la Quintessence, le Courrier politique , le 
« Glaneur, que j'ai publiés ou auxquels j'ai eu bonne part. C'est là 
ce le plus grand encouragement que puisse avoir un auteur; et quant 
ce à moi , je tâcherai par de nouveaux efforts de mériter la continua- 
<c tion des applaudissements dont vous avez bien voulu m'honorer , 
a pendant que le contraire a fait plier bagage à plusieurs de mes 
ce confrères. Le Cyclope est retourné dans ses cavernes, Mercure a 
« étoufé Argus, le Sansonnet se tait, le gnome de V Esprit des cours 
« est rentré d'abord dans le sein de la terre; il n'est pas jusqu'à 
« VOmbre de Dimocrite qui n'a pu soutenir vos regards et qui d'abord 
ce a regagné les champs Ëlysées. Leur départ a contribué au profit 
ce de mon libraire et à ma gloire ; et c'est là votre ouvrage. » 

Je n'ai rencontré ni le Sansonnet, ni Y Ombre de Dimocrite, en sup- 
posant que ce soient là les vrais titres de petits journaux. 

UEpilogueur est rédigé dans la même forme que le Glaneur, avec 
autant d'esprit et plus de malice encore. Il avait pris pour devise 
dans ses dernières années ce vers de Boileau : 

Des sottises du temps je compose mon fiel. 

C est un des recueils les plus curieux à consulter. La vogue dont 
il ]ouit auprès des contemporains est attestée par les contrefaçons 
qui en furent faites, notamment à Liège, et encore par l'empresse- 
ment qu'on mit à recueillir sa succession quand il mourut, le 22 fé- 
vrier 1745, et, paraîtrait-il, de mort violente. 

Les recueils suivants se présentèrent comme ses continuateurs : 

— Le Démosthènes moderne, ou Réflexions sur les affaires pré- 
sentes de l'Europe. Utrecht, 1745-1746, 2 vol. 
C'est pour céder aux instances de ses amis que ce Démosthènes 
s'est décidé, quoique indigne, à prendre Vintérim de VEpilogueur, dont 



— 202 — 

il partage, du reste, ta façon de penser, et avec la formelle intention 
de lui rendre sa place aussitôt qu'il lut sera permis de la reprendre. 

— L'Avocat pour et contre, ou Réflexions pour servir de suite 
au Dèmosthenes moderne. Amsterdam, 1746, 5 vol. 

— Le Vrai Patriote hollandais, ou Réflexions... pour servir 
de suite à V Avocat pour et contre. Amsterdam, 1748, 5 vol. 

— L'ÉPiLOGUEUR MODERNE, historique, galant et moral. 16 vol. 

— Correspondance générale du cœur et de l'esprit. 1 vol. 

— Le Nouvelliste du Parnasse, de Cythère et de la cour. 2 vol. 

Je ne connais ces trois dernières séries que par une annonce de 
la Gazette d'Amsterdam du 2 janvier 1 770, qui les présente comme 
faisant corps avec les précédentes , mais sans indication de lieu ni 
d'année. Dans tous les cas, et à en juger par le titre, elles auraient 
un caractère beaucoup plus léger. 

Une annonce du Vrai Patriote offrait quelques exemplaires des 
feuilles qui l'avaient précédé, sous les titres de Magazin, d'Epilogueur, 
de Dèmosthenes et d'Avocat, au prix de 1 florin le volume, 1 1/2 sol 
le numéro. 

Le Sage Moissonneur, ou le Nouvelliste historique, politique, 
critique, littéraire et galant. Utrecht, 174 1-1742, 6 vol. in- 18. 

L'Arsenal possède 4 volumes de cette petite feuille, qui m'a paru 
assez légère. Imitant le vieux Mercure français, où l'on trouvait toute 
sorte d'actes publics, des arrêts, des édits, enfin tous les extraits des 
pièces les plus authentiques, parce que tous ces monuments peuvent 
beaucoup servir dans la suite des temps et fournir d'excellents mé- 
moires aux auteurs qui écriront dans cent ou deux cents ans , le Sage 
Moissonneur consacra d'abord un supplément à ces documents histo- 
riques; mais ayant ensuite remarqué qu'ils se trouvaient avec bien 



— 20J — 

du discernement et de l'exactitude dans les Mémoires historiques par 
M. Rousset, il jugea que ce supplément serait parfaitement inutile. 

Le Journal universel , ou Mémoires pour servir à l'histoire ci- 
vile, politique, ecclésiastique et littéraire du XVIII e siècle. La 
Haye, Utrecht et Amsterdam, 1 743-1 747, 14 vol. in-12. 

Un des recueils de ce genre les plus importants. Je ne sais quels 

en furent les auteurs. Après s'être publié trois ans à La Haye, il fut 

transféré à Utrecht en janvier 1 746, et on lit à ce propos en tête du 

numéro de mars : 

« Mon dessein n'est pas de faire illusion au public en lui faisant 
« passer ce qui s'imprimera dans la suite sous le titre de Journal 

« universel pour une production du même auteur... Pour pousser la 

oc sincérité encore plus loin , je déclare que ceux qui n'ont cherché 

« jusqu'ici dans le Journal universel que des déclamations contre le 

« pape, les cardinaux , les évêques, les jésuites, des réflexions viru- 

a lentes contre la France, l'Espagne, le Prétendant, et autres ob- 

« jets des traits satiriques du premier auteur, ne trouveront rien de 

« pareil ni dans ce mois-ci ni dans les suivants. Je n'ai nulle envie 

« de faire coûter au libraire des amendes , ni de m'attirer la sévère 

« censure des magistrats... 

« Ne vous figurez pas que je veuille pour cela vous promettre un 
ce journal dont tout le monde soit content : je sais qu'il est impos- 
es sible qu'il s'en trouve jamais un tel tant que les hommes seront 
« partagés entre différents partis ; et quand ne le seront-ils plus ?... 

« Ne fera-t-on jamais comprendre aux auteurs de mercures, de 
« mémoires, de journaux, que leur partialité ne fait aucun bien au parti 
« qu'il leur plaît d'embrasser; qu'une vérité simple et historique 
a trouverait infiniment plus d'approbateurs que tous ces traits où il y 
u a plus de malignité que d'esprit, que la plupart des réflexions dont 
« ils lardent le peu de faits qu'ils rapportent sont presque toujours 
« de trop, parce qu'elles sont souvent ou fausses ou triviales et uni- 
« quement fondées sur des conjectures téméraires, et qu'enfin le pu- 
« blic demande à l'auteur d'un journal universel des faits constatés, 



— 204 — 

« rapportés sans passion , sans préférence de nation, de religion, 
« sans prédilection de parti, et non point de longs raisonnements qui 
« portent à faux... 

« Pour moi, je déclare que je n'apporte à cet ouvrage ni haine 
ce personnelle , ni prédilection nationale, ni zèle désordonné pour la 
c( religion que je professe... Je ne suis ni esprit fort ni déiste, ni ul- 
« tramontain ni janséniste, ni Piémontais ni Génois , ni royaliste ni 
« jacobite. Ainsi on ne doit point s'attendre à trouver ici une satire 
« amère des uns, ni une chaude apologie des autres. L'exactitude, la 
ce vérité, l'impartialité et la modération, voilà ce que je me pro- 
« pose... » 

On peut juger par cette citation de l'esprit de cette feuille dans les 
deux phases de son existence , et même du caractère général des 
journaux de Hollande à cette époque. En 1747 elle est imprimée 
à Amsterdam, sans qu'on voie le motif de ce nouveau changement de 
lieu. 

Nous avons fait mention, supra, p. 100, d'une plainte portée 
contre le Journal universel par le ministre russe. 

L'Observateur hollandais, par une société de gens de lettres 
(de Francheville et autres). Leuwarde, 1745, 100 numéros in-8. 

Je n'ai pas vu cette feuille. 
Il y eut encore un Observateur hollandais, ou Lettres de M. Van*** 
à M. H***, de La Haye, par Moreau, 175 S -1 7S9> S v0 ^ * n -8> P u ~ 
blié sous la rubrique de la Haye, mais imprimé à Paris. 

Lettres curieuses, instructives et amusantes , ou Correspondance 
historique, galante, critique, morale, philosophique, littéraire, etc., 
entre une dame de Paris et une dame de province , contenant un 
grand nombre d'histoires-anecdotes et d'aventures aussi vraies 
que curieuses et intéressantes, publiées par madame de Beau. 
La Haye, 1759, in-12. 
« Les Lettres que je donne ici sont un larcin que je fais à l'amitié 

« dont m'ont honoré et m'honorent encore deux dames illustres et 



— 20$ — 

« peut-être des plus aimables qui soient en France. La solidité des 
« instructions qui s'y trouvent répandues, l'agrément du style, le 
« tableau historique du grand monde , qui s'y trouve peint d'après 
« le naturel , la vérité, l'intérêt et la variété presque infinie des évé- 
« nements-anecdotes qui y sont rapportés , m'ont fait prendre la 
« hardiesse de les publier , et pour cela j'ai* cru devoir recourir à 
« l'étranger, et les ai envoyées dans cet heureux pays où la Vérité, 
« soutenue par sa sœur la Liberté, jouit de l'inestimable privilège de 
« pouvoir faire entendre sa voix sans avoir rien à craindre des in- 
a fâmes délateurs, dont le nombre est si grand dans ce pays-ci... 
« Par un mélange aussi heureux que nouveau , et qui était réservé 
« aux dames de notre siècle , dont on ne borne plus aujourd'hui le 
a talent à savoir simplement aimer, coudre et filer, on trouve dans 
« ces Lettres une partie de ce que tous les autres genres d'écrire ont 
ce d'instructif et d'amusant. » 

La Bigarrure, ou Mélange curieux, instructif et amusant, de 
nouvelles, de critiques...., d'événements singuliers et extraordi- 
naires..., avec des réflexions critiques sur chaque objet. La Haye, 
sept. 1749-mars 1753, 20 tom. in- 12. 

A partir du tome 4, le sous-titre devient : « ou Gazette galante, 
historique, littéraire, critique, morale, satirique, sérieuse et badine, 
contenant les événements journaliers les plus curieux et les plus 
amusants... » 

— La Nouvelle Bigarrure 1753-juin 1754, 16 tomes in-12. 

Cette dernière série, composée en grande partie d'articles extraits 
du Mercure de France, est moins curieuse que la première, qui 
contient de nombreuses anecdotes inédites. 
Continué par 

— Le Nouvelliste (économique et littéraire, ou Choix d 
ce qui se trouve de plus curieux et de plus intéressant dans les 
journaux, ouvrages périodiques et littéraires, qui paraissent en 
France et ailleurs. 1 754-1 76 1 , 38 vol. in-12. 



— 206 — 

Dans le même genre , et non moins intéressant : 

— Les Sottises du temps, ou Mémoires pour servir à l'histoire 
générale et particulière du genre humain , ouvrage critique et 
moral, badin et sérieux, amusant et instructif, contenant les sottises 
qui se font journellement dans le monde, ainsi que les nouveautés 
curieuses et amusantes qui y paraissent. La Haye, 1754, 2 tom. 
en 1 vol. in-12. 
Attribué à Clément. 

L'Observateur des spectacles, ou anecdotes théâtrales, ou- 
vrage périodique, par M. de Chevrier. La Haye, 1762-1763, 
in 12. 

Toujours prêt à me rendre à vos justes raisons, 

Je vous donne un conseil , et non pas des leçons. 

Voltaire 

C'est, à ma connaissance , le premier journal de théâtre. Je n'en 
connais qu'un volume, qu'un heureux hasard a fait tout dernièrement 
tpmber dans les mains d'un amateur parisien. Il contient le premier 
tome, ou trimestre, de 1762, et le premier également de 1763. Voici 
un extrait du prospectus : 

a Le discrédit dans lequel les trois quarts des ouvrages pério- 
« diques sont tombés vient de deux causes également nuisibles au 
« progrès des lettres : je veux dire de la ressemblance monotone qui 
« règne dans toutes ces feuilles, et des personnalités dont elles sont 
a remplies. On n'aura pas à reprocher ces deux défauts à l'Obser- 
« vatear des spectacles. L'objet de cette feuille est aussi neuf qu'il 
« est varié ; et l'on ose dire que les vues qu'on se propose en la 
« composant honoreront tout à la fois les mœurs, les talents et les 
« lettres. 

« L'Observateur embrassera tous les spectacles de l'Europe. Ce 
* projet avait d'abord paru trop composé ; mais on a su le simplifier 
« en établissant dans chacune des villes où il y a un spectacle, n'im- 
a porte en quelle langue et en quel genre , un correspondant im- 



— 207 — 

« partial, qui n'aura d'autre soin que d'envoyer les nouveautés 
« originales, telles qu'elles auront été représentées , et de faire le 
« détail des anecdotes qui mériteront de fixer l'attention des lecteurs 
« délicats..,. 

« L'Observateur des spectacles a quatre objets , tous également 
« intéressants : les pièces et les ballets, les auteurs, les acteurs et les 
« danseurs, et enfin les mœurs... 

ce L'auteur, qui n'aura pour guide que la vérité, se propose de 
« rendre un compte exact de toutes les pièces jouées sur tous les 
« théâtres de l'Europe, en observant de dire un mot de la manière 
« dont elles auront été rendues ; seul moyen de flatter l'acteur à 
« talents, d'encourager celui qui donne des espérances, et d'éloigner 
« du théâtre les sujets qui ne promettent que de l'ennui... Et comme 
« cette feuille doit amuser et instruire le lecteur, on sera exact à 
a détailler toutes les anecdotes relatives aux pièces dont on parlera. 
« qui seront suivies de quelques éclaircissements sur les auteurs de 
ce ces mêmes pièces. 

a La danse, qui n'était autrefois qu'un accessoire du spectacle, 
« en étant devenue la partie principale, grâce à la stérilité des écri- 
« vains dramatiques, qui n'ont plus le talent de faire rire, parce 
« qu'en courant après l'esprit ils ont perdu le ton de la belle nature, 
« nous nous ferons une loi de rendre compte de tous les ballets 
a nouveaux... 

a La partie la plus essentielle de nos feuilles est celle qui concerne 
« les mœurs des comédiens, et surtout des actrices. On embrasse 
« cet objet moins pour égayer les lecteurs que pour réconcilier le 
« théâtre avec les personnes austères et lui donner toute la décence 
« et l'honnêteté dont il est susceptible... Il est inutile de remarquer 
« ici que YObservateur n'ira point porter un œil indiscret et curieux 
a dans les intrigues des actrices. Une passion est moins un vice 
ce qu'une faiblesse de l'humanité : celles qui en sont exemptes sont 
« bien respectables ; mais doit-on moins estimer celles dont le cœur 
« paye, en se rendant, un tribut à la fragilité?... » 

Chevrier ne tint pas sans doute tout ce que promettait ce beau 



— 20& — 

programme ; sa feuille cependant ne laisse pas d'offrir un assez vif 
intérêt. Le temps, d'ailleurs, lui manqua pour donner à son plan la 
perfection qu'il était capable de lui donner. Il mourut en juillet 1762, 
et ce qui a pu être publié de YObservateur des spectacles après cette 
époque n'est, par conséquent, pas de lui. 

Feuille sans titre. Amsterdam, i« février-31 décembre 1777, 
334 numéros in-4. 

Journal quotidien, entièrement calqué sur le Journal de Paris, au- 
quel il empruntait la plupart de^es articles. L'éditeur explique ainsi 
la dénomination bizarre qu'il lui avait donnée : « D'après la foule in- 
nombrable de journaux et d'ouvrages périodiques qui couvrent la sur- 
face de l'Europe, on n'est pas peu embarrassé de trouver, pour une 
feuille à naître, un titre dont la différence avec les autres soit mar- 
quée ; c'est pour cette raison que nous n'en donnons aucun à la nô- 
tre. » J'ai trouvé cette feuille à Liège, chez M. Ulysse Capitaine, qui 
a cru avoir de bonnes raisons pour la classer, malgré la rubrique 
d'Amsterdam, parmi les journaux sortis des presses liégeoises. 

Pour ne rien omettre , enfin , de ce que j'ai rencontré , je citerai 
encore un Journal du citoyen, La Haye, 1754, in- 8, dont j'ai trouvé 
l'indication dans un catalogue; et une Correspondance politique sur les 
affaires présentes de la Hollande, feuille périodique pour servir à l'his- 
toire du siècle, avec cette épigraphe : « Je ne sers ni Baal ni le 
Dieu d'Israël », que la Gazette d'Amsterdam du 7 décembre 1781 an- 
nonce comme ayant commencé à paraître le 1 5 octobre précédent. 



III 



RECUEILS LITTÉRAIRES. 



Le nombre des journaux littéraires français publiés en Hollande 
n'est pas moins grand que celui des journaux politiques. En France, 
dans l'origine, la presse littéraire n'était pas plus libre que la presse 
politique ; il n'était pas plus permis d'empiéter sur le domaine du 
Journal des savants que sur celui de la Gazette. On finit, il est vrai, 
par comprendre qu'on pouvait sans inconvénient laisser un champ 
plus libre à la critique littéraire, que la rigueur sur ce point était au 
moins inutile; on capitula, et, moyennant un tribut — 2 ou 300 fr. 
— payé au suzerain des recueils littéraires, le premier venu à peu 
près obtint la permission d'avoir son petit journal. Mais il fallut des 
années pour qu'on en vînt là, et, pendant trente ou quarante ans, 
tous ceux qui, soit par vocation, soit par spéculation, voulaient fon- 
der un recueil littéraire, durent recourir aux presses étrangères. 
Bayle avait montré aux esprits curieux de liberté et de discussion le 
chemin de la Hollande, et cette petite république était bientôt deve- 
nue le refuge de tous les libres penseurs. Les persécutions religieuses 
jetèrent en outre sur cette terre hospitalière une foule d'hommes ins- 
truits, qui devaient chercher dans cette nouvelle voie une diver- 
sion aux ennuis de l'exil ou des moyens d'existence. C'est en Hol- 
lande que prit véritablement naissance la critique périodique, et 
qu'elle s'est développée. A la suite des Bayle, des Leclerc, des Bas- 
nage, qui en furent les créateurs, se précipitèrent, nous l'avons déjà 

«4 



— 210 — 

dit, une foule d'esprits aventureux, enflammés par l'exemple et le 
succès de ces maîtres, ou tout simplement aiguillonnés par le besoin. 
Nous allons passer rapidement en revue les principales publica- 
tions issues de ce mouvement : l'histoire de ces premiers essais du 
journalisme littéraire est aussi curieuse qu'instructive. 

Nouvelles de la république des lettres, par Bayle et 
autres. Amsterdam, mars 1684-juin 1718, 56 vol. in-12. 
Recueil suffisamment recommandé par le nom de son auteur. 
Nous croyons donc pouvoir nous borner à donner un court extrait 
de la préface : 

« On se croit obligé, y lisons-nous, d'avertir de bonne heure le pu- 
ce bhc, à cause de ce qui a été touché ci-dessus de la liberté dont jouis- 
a sent nos libraires, qu'on ne prétend point établir un Bureau à 'adresse 
a de médisance, ni employer les mémoires qui n'auraient pour but 
« que de flétrir la réputation des gens : c'est une licence indigne 
« d'un honnête homme... On se tiendra dans un raisonnable milieu 
« entre la servitude des flatteries et la hardiesse des censures. Si l'on 
« juge quelquefois d'un ouvrage, ce sera sans prévention et sans au- 
« cune malignité, et de telle sorte que l'on espère que ceux qui sont 
« intéressés à ce jugement ne s'en irriteront point; car nous décla- 
« rons premièrement que nous ne prétendons pas établir aucun pré- 
ci jugé pour ou contre les auteurs : il faudrait avoir une vanité ridi- 
« cule pour prétendre à une autorité si sublime. Si nous approuvons 
« ou si nous réfutons quelque chose, ce sera sans conséquence; nous 
«c n'aurons pour but que de fournir de nouvelles occasions aux sa- 
« vants de perfectionner l'instruction publique. Nous déclarons, en 
« second lieu, que nous soumettons, ou plutôt que nous abandon- 
ce nons nos sentiments à la censure de tout le monde... Les goûts 
« sont si différents, même parmi les grands esprits, même parmi 
a ceux qui passent pour les meilleurs connaisseurs, qu'on ne doit ni 
* s'étonner ni se fâcher de n'avoir pas l'approbation de tous les bons 
« juges; cela ne doit nullement troubler la satisfaction que les au- 
c teurs ont d'eux-mêmes et de leurs ouvrages...» 



\ 



— 211 — 

Nous avons dit le succès européen qu'obtinrent tout d'abord les 
Nouvelles de la république des lettres. Pendant trois ans Bayle fut! 
comme le rapporteur universel de l'Europe, entretenant chaque mois 
le public de la plupart des ouvrages qui paraissaient dans l'Europe. 
Une remarque à faire , cependant , parce qu'elle a son importance, 
comme on le verra bientôt, c'est qu'il n'est guère question dans sa 
feuille que de livres latins et français, et d'un petit nombre d'anglais; 
il n'y est rendu compte d'aucun ouvrage allemand ou espagnol , et 
seulement de deux italiens , et encore n'en dit-il autre chose que ce 
qu'on lui en avait mandé. Malheureusement le mauvais état de sa 
santé força Bayle à interrompre son journal en février 1687; il tut 
continué jusqu'en 1718, mais non sans interruptions, par La Roque, 
Barrin, Jacques Bernard et Jean Leclerc. 

Bibliothèque universelle et historiée, par J. Leclerc. Ams- 
terdam, 1686-1693, 26 vol. in-12. 

— Bibliothèque choisie, par le même. Amsterdam, 1703*1713, 
27 vol. in-12, plus 1 vol. de tables. 

— Bibliothèque ancienne et moderne, parle même. La Haye, 
1714-1727, 29 vol. in-12, dont un de tables. 

On trouve dans ces trois recueils justement estimés, et qui peu- 
vent être considérés comme n'en formant qu'un, outre des jugements 
et des extraits des ouvrages de toute nature qui se publièrent en Eu- 
rope, une foule d'articles originaux, de dissertations, de biogra- 
phies, etc., à peu près comme dans nos revues modernes. — Leclerc, 
que nous venons de nommer parmi les continuateurs de Bayle, dont 
il approcha , fut un des plus éminents critiques et des auteurs les plus 
féconds du dix-septième siècle. Dans sa préface il annonçait qu'à 
parlerait de toutes sortes d'ouvrages, en quelque langue qu'ils fussent 
écrits ; qu'il en donnerait des extraits plus étendus et plus exacts , 
surtout des livres de quelque importance, que n'avaient fait les jour- 
nalistes précédents; mais qu'il ne s'étendrait pas sur les louanges des 



— 212 — 

auteurs , ni sur la critique des écrits , ne voulant ni louer ni blâmer 
personne. 

J'ai trouvé à la Bibliothèque royale de La Haye un petit volume 
intitulé le Gazetier menteur, ou Leclerc convaincu de mensonge et de 
calomnie, par F. Budman, Utrecht, 1710, in-12. 

Histoire des ouvrages des savants, par H.. Basnage de 
Beauval. Rotterdam, septembre 1687-juin 1709, 24 vol. in-12, 

«g- 

L'un des meilleurs recueils littéraires qui aient été publiés à l'é- 
tranger. On en fera l'éloge en un mot, en disant qu'il n'est pas resté 
trop au-dessous des Nouvelles de Bayle, dont il est une sorte de con- 
tinuation. Lorsque celui-ci , en effet , se vit dans la nécessité d'aban- 
donner son journal, il jeta les yeux sur Basnage , avec lequel il s'était 
lié depuis son séjour en Hollande , comme sur l'homme le plus capa- 
ble de continuer sa publication. Basnage voulut bien accepter l'héri- 
tage de son ami , mais non pas pourtant à titre de continuateur des 
Nouvelles. « On aurait toujours cherché , dit-il , dans la continuation 
des Nouvelles, l'illustre auteur qui leur a donné naissance, et le même 
titre mal soutenu n'aurait servi qu'à redoubler les regrets d'avoir 
perdu un homme inimitable. » 

Journal sur toutes sortes de sujets, par Gabriel d'Artis. 
Amsterdam et Hambourg, 169 3- 1696, 5 vol. in-8<\ 

Commencé à Amsterdam en septembre 1693, continué à Ham- 
bourg depuis le 3 septembre 1694 jusqu'au 27 avril 1696. Dans une 
épître dédicatoire aux très-illustres et très-magnifiques seigneurs les 
seigneurs du sénat et régence de la ville et république de Hambourg, 
l'auteur dit « qu'il était tout porté à Amsterdam , mais que son 
inclination donnait la préférence à Hambourg , pour plusieurs raisons 
qu'il estimait des plus importantes ; c'est ce qui l'avait fait résoudre 
à commencer son journal sous le titre de Journal d'Amsterdam , et à 
prendre en même temps les mesures nécessaires pour le pouvoir con- 
tinuer sous le titre de Journal de Hambourg. » — Gabriel d'Artis était 



un réfugié français. Bâyle , dans ses lettres , parle de ce journaliste , 
mais il parait en faire peu de cas. Son journal cependant se recom- 
mande par une particularité : la numismatique y occupe une assez 
large place, et Ton y trouve la représentation de médailles rares et 
curieuses. 

Nouveau Journal des savants, dressé à Rotterdam par le 
sieur C. Rotterdam et Berlin, 1694- 1698, 4 vol. in 8°. 

Sous cette initiale se cachait Et. Chauvin, réfugié français d'un 
grand savoir, également lié avec Bayle , qu'il suppléa dans sa chaire 
de philosophie pendant une longue maladie. On lit dans l'avertisse- 
ment de son journal, qu'on a pu comparer à celui de Bayle : « L'uni- 
« que but des journaux doit être d'informer de bonne heure le public 
« de ce qui se passe dans le monde savant, et de lui donner des ex- 
« traits fidèles des livres nouveaux, afin que l'on en puisse juger sai- 
a nement sur leur rapport. Une simple analyse, tout instructive qu'elle 
« est, ne saurait guère plaire, non plus qu'un squelette n'est agréable 
« à voir, quoiqu'il nous fasse bientôt connaître tous les ossements 
« d'un animal, en nous les présentant dans leur véritable situation. » 
D'où la conclusion qu'il faut dans les journaux de longs extraits, ac- 
compagnés de réflexions tirées directement du sujet. C'est ce que fit 
Chauvin, et non sans quelque succès. 

Bayle, en annonçant la première livraison de cette feuille, disait : 
« On commence à se lasser de ces sortes d'écrits , et je ne sais si le 
se) et les agréments de ce nouveau journal réveilleront le goût lan- 
guissant ; j'en doute. » Chauvin n'eut pas à en faire l'expérience ; 
appelé par l'électeur de Brandebourg, il alla, après une année , le 
continuer à Berlin, où il devint pasteur de l'église française, profes- 
seur de philosophie et inspecteur perpétuel du Collège royal français, 
et enfin membre de la Société royale des sciences de Prusse. 

Dans ce même passage que nous venons de citer, Bayle ajoutait qu'il 
se publiait alors à Rotterdam un journal en flamand, dont il parais- 
sait tous les deux mois un cahier de 1 2 feuilles, et qui avait beaucoup 
de débit. Cette feuille, intitulée Boekzaal van Europa (Bibliothèque de 



— 214 — 

l'Europe), avait pour aateur Rabus, et vécut, je crois, de 1692 à 
1702. 

Histoire critique de la RtPUBLiqyE des lettres, tant 
ancienne que moderne, par Philippe Masson. Utrecht et Amster- 
dam f 1712-1718, 15 vol. in-12. 

Le principal but de l'auteur, réfugié français et ministre de l'église 
réformée à" Dort, était « de faciliter aux gens de lettres les moyens 
de communiquer au public leurs pensées. » C'était une de ces tribunes 
comme on a tant de fois essayé depuis d'en élever, et qui ont eu 
généralement si peu d'éeho. 

Journal littéraire.^ Hayc y 1713*1722, 1729-1736, 24 vol. 
in-12* 

Le mieux écrit, selon l'abbé Desfontaines, des journaux composés 
par des étrangers (c'est-à-dire à l'étranger) , et l'un des meilleurs qui 
existent. Il est précédé d'une préface que nous ne pouvons que re- 
commander à certains critiques d'aujourd'hui. Les auteurs y exposent 
l'utilité des journaux, et même de leur multiplicité, les principes qui 
constituent un bon journal, et la grande difficulté, pour ne pas dire 
l'impossibilité, qu'un seul auteur travaille avec succès à un ouvrage 
dont la bonté dépend de bien des qualités différentes et souvent op- 
posées. Ils y abordent aussi une question que nous avons déjà ren- 
contrée : a Les journalistes, disent-ils, se font ordinairement un de- 
« voir de ne pas décider du mérite d'un livre , et de laisser deviner 
« dans leurs extraits à quel degré de bonté un ouvrage doit être 
« mis. Nous croyons cette prudence excessive et inutile, et nous 
a avons résolu de nous expliquer sans détour sur ce que nous trou- 
ce verons de bon et de mauvais dans un livre. » Ils exceptent cepen- 
dant les matières de théologie et les sujets philosophiques qui influent 
sur la religion : là-dessus ils ne diront jamais leur sentiment ; ils se 
contenteront de faire des extraits fidèles , et de mettre les opinions 
différentes dans tout leur jour. 
Le Journal littéraire de La Haye fut fondé en mai 1713 par une 



société de jeunes gens tous distingues, dit Prosper Marchand* par 
leur génie et leur savoir , et étroitement unis par les liens de l'estime 
et de l'amitié. Les principaux étaient S' Gravesende, Marchand, van 
Effen, Sallengre, Alexandre et Saint-Hyacinthe. Les articles fournis 
pour le journal par chacun d'eux étaient examinés dans une assemblée 
générale de la société avec toute la sévérité possible, et ceux qui n'é- 
taient pas approuvés de. tous étaient rejetés sans miséricorde. Cette 
première société continua le journal sans interruption jusqu'en 1722, 
et en composa 10 volumes, pkis la première partie des tomes 1 1 et 
12. L'éditeur J. Johnson ayant été obligé alors de quitter son com- 
merce, la publication du journal fut interrompue, et les auteurs se 
dispersèrent. 

Sept ans après, en 1729, le Journal littéraire ht repris par S' Gra- 
vesende et Marchand, avec le concours de Superville et de de Jon- 
court, et les nouveaux éditeurs, Gosse et Neaulme, pour rendre 
l'ouvrage complet, firent achever les tomes 1 1 et 12 par des auteurs 
étrangers à la nouvelle société. Celle-ci publia les tomes 13-19, jus- 
qu'au 30 juin 1732, époque où elle se brouilla avec les éditeurs, qui 
firent continuer le journal par d'autres. 

a Persistant néanmoins dans le dessein de continuer leur travail , 
S' Gravesende et ses amis jugèrent à propos de lui donner un nouveau 
titre » et de le transporter à Leyde, où, dès le mois suivant, ils firent 
paraître le 

—Journal historique de la république dçs lettres. Leyde, 
juillet 1732-décembre 1733, 3 vol. in-12. 

Nouvelles littéraires, contenant ce qui se passe de plus consi- 
dérable dans la république des lettres , par du Sauzet et autres. 
La Haye, 171 $-1720, 12 vol. pet. in-8°. 

Ces nouvelles, extraites de tous les journaux du temps, se recom- 
mandent par un grand nombre de pièces fugitives sur toutes sortes de 
matières, même sur les disputes qui agitaient alors l'Église, et surtout 
par une multitude d'anecdotes littéraires de cette époque qui ne se 



— Jl6 - 

rencontrent pas ailleurs. L'éditeur, qui en était aussi le compilateur, en 
donnait toutes les semaines une feuille volante, qui avait cela de com- 
mode , dit-il , qu'on pouvait l'envoyer d'abord par la poste à ceux qui 
sont impatients de savoir ce que contiennent les journaux. En effet , 
outre les nouvelles, il donnait des extraits des journaux qui leur ser- 
vaient comme de table raisonnée , et informaient les curieux de ce 
qu'ils y trouveraient d'intéressant, extraits d'autant plus utiles, comme 
il le fait remarquer, que plusieurs journaux sont écrits dans des lan- 
gues qui ne sont pas entendues de tout le monde. 

MÉMOIRES DE littérature, par Sallengre. La Haye, 171 5, 2 vol. 
in-12. — Continuation par Desmolets. Paris, 1726, 1 1 vol. in-12. 

BiBLlOTHÈQyE anglaise, ou Histoire littéraire de la Grande- 
Bretagne, par Michel de La Roche et Armand de La Chapelle. 
Amsterdam, 1716-1728, 17 vol. in-12. 

Michel de La Roche était un réfugié français, homme d'esprit et 
bon littérateur. Il avait commencé par publier à Londres , à l'usage 
des Anglais, des Memoirs of littérature, 1710- 17 '4, 4 vol. in-fol. et 
in-4 , dans lesquels il faisait entrer les articles les plus curieux et les 
plus intéressants des journaux de France, de Hollande et d'Allemagne. 
Cette entreprise n'ayant pas eu le succès qu'il en espérait, il l'aban- 
donna pour celle de la Bibliothèque anglaise. Le but du nouveau re- 
cueil était d'instruire les étrangers , et surtout ceux qui n'entendent 
pas l'anglais , des livres qui s'impriment dans la Grande-Bretagne, 
«c C'est un pays, disait-il, où les sciences et les arts fleurissent autant 
qu'en aucun lieu du monde ; ils y sont cultivés dans le sein de la li- 
berté. Il est donc important qu'il y ait quelqu'un qui soit capable 
d'informer de ce qui s'y passe. » 

La Bibliothèque anglaise fut bien accueillie, et les journaux du 
temps s'accordent à en faire l'éloge. Cinq volumes étaient publiés 
quand une brouille survint entre l'auteur et l'éditeur, qui refusa de 
continuer l'impression du journal , et en même temps engagea sous 
main Armand de La Chapelle, célèbre ministre de la religion ré- 



— 217 — " 

formée, à le continuer sous le même titre. Ainsi dépossédé, La Roche 
alla poursuivre ses projets à La Haye , où il publia des 

— Mémoires littéraires de la Grande-Bretagne. La Haye, 
1720-1724, 16 vol. in-12. 

Il reprit ensuite ses Memoirs of littérature, qu'il fit réimprimer , en 
1722, en 8 vol. in-8°, auxquels il donna une suite de six nouveaux 
volumes, qui finissent en 1727. 

— BiBLlOTHÈQyE britannique, ou Histoire des ouvrages des sa- 
vants de la Grande-Bretagne, par Desmaizeaux , Bernard et au- 
tres. La Haye, 1733-1747, 25 vol. in 12, dont un de tables. 

Se donnait comme étant la suite de celle de La Roche et La 
Chapelle. 

— Journal britannique, par Maty. La Haye, 1750-1757, 
25 vol. in-8°. 

Contrairement à une opinion que nous avons eu plusieurs fois 
l'occasion de citer, le nouveau journaliste croit que « pour penser 
avec liberté, il faut penser seul. » C'était, du reste , un homme très- 
capable. Il est rare, dit Clément , de trouver réuni dans la même 
personne autant d'érudition, de connaissances variées, d'esprit, de 
goût et d'impartialité, a Tout homme qui pense , disait-il dans sa 
préface, est mon ami, et ce principe influera sur mes critiques autant 
que sur mes éloges. » 

L'Europe savante. La Haye, 1718-1720, 12 vol. in-8. 

Recueil regardé comme un des meilleurs qui aient été publiés 
dans le dernier siècle. C'était l'œuvre d'une société qui avait pour 
chef l'auteur du Chef-d'œuvre d'un inconnu, Themiseul de Saint-Hya- 
cinthe , et pour principaux membres le savant Hollandais Juste van 
Effen , et les trois frères de Pouilly, de Burigny et de Champeaux. 
Les auteurs, dans leur préface, se prononcent pour une thèse que 
nous avons déjà vu plaider plus d'une fois par les entrepreneurs de 



-118 — 

journaux : tk s'attachent à prouver qu'une société composée d'écri- 
vains dont chacun s'applique à une science particulière est plus 
capable de faire un bon journal qu'un seul auteur, et le doit faire avec 
plus d'impartialité. Ils ne se dissimulaient pourtant pas les inconvé- 
nients des sociétés ; ils reconnaissaient « qu'il est difficile d*y main- 
tenir l'union , et qu'ainsi les ouvrages qu'elles entreprennent ne sont 
pas de durée* » — L'Europe savante promettait une innovation im- 
portante : elle devait donner à la fin de chaque année — mais cela 
n'a eu lieu que pour la première — un supplément contenant par ordre 
alphabétique tous les ouvrages dont les autres journaux auraient parlé, 
avec les jugements qu'ils en auraient portés. 
Van Effen publia encore, en 1726, une 

— Histoire littéraire de l'Europe, contenant l'extrait des 
meilleurs livres, un catalogue choisi des ouvrages nouveaux, les 
nouvelles les plus intéressantes de la république des lettres, et les 
pièces fugitives les plus curieuses. 6 vol. in-8. 

« Les journaux, disait-il dans la préface de ce dernier ouvrage, 
« doivent ressembler à une histoire : donc il faut que l'auteur écrive 
« comme s'il n'avait ni religion ni patrie; c'est de la science seule qu'il 
« s'agit dans un journal. » 

L'abbé Desfontaines fournit, dit-on, à ce recueil, quelques articles 
qui lui firent fermer les portes de la France. 

Bibliothèque germanique, ou Histoire littéraire de l'Allemagne, 
de la Suisse et des pays du Nord, par Jacques Lenfant, Beau- 
sobre, Mauderc et Formey. Amsterdam, 1720-1740, 50 vol. 
in-12. 
Créée à l'imitation de la Bibliothèque britannique, dans le but de 
rendre compte en français d'un grand nombre d'ouvrages importants 
et curieux qui s'imprimaient journellement en Allemagne, et qui de- 
meuraient à peu près inconnus à l'étranger, parce qu'il n'en était 
rendu compte qu'en latin et en allemand. Le promoteur de ce projet 
fut Jacques Lenfant , ministre protestant , connu par de nombreux 



— 219 — 

ouvrages, et qui , au témoignage de Voltaire, « contribua phis que 
personne à répandre les grâces et la force de la langue française aux 
extrémités de l'Allemagne. » La Bibliothèque germanique promettait de 
n'accueillir ni les satires, ni les invectives, ni les écrits aigres et 
propres à mettre la désunion dans la république des lettres , et de ne 
donner qu'une très-petite place aux controverses de religion. 

Formey, resté seul maître du journal en 1741 , en changea le titre 
pour celui de : 

—Journal littéraire d'Allemagne, de Suisse et du Nord, 
par les auteurs de la Bibliothèque germanique. La Haye, 1 741-1 743, 
4 vol. in-12. 

Formey travailla seul à ce recueil jusqu'en 1746, époque à la- 
quelle s'était associé avec Peyrard, pasteur français à Stettin, il re- 
commença une 

— Nouvelle Bibliothèque germanique, par Formey et Pey- 
rard. Amsterdam y 1746-17591 26 vol. in-12, dont 1 de tables. 

Formey , enfin , eut encore la principale part à 1a 

— Bibliothèque impartiale. Leyde , 1750-1758, 18 vol. in-12. 

Mémoires historiés et critiques , par Camusat et Bruzen 
de La Martinière. Amsterdam, 1722, 3 vol. in-12. 

L'auteur principal de ce journal , Camusat, est auteur d'une his- 
toire ou plutôt d'un projet d'histoire des journaux , dont il ne sera 
pas inutile de dire quelques mots. Il en avait formé le dessein de 
très-bonne heure; il en avait même publié une ébauche en 1716, à 
peine Agé de vingt- deux ans. Son projet était de faire l'histoire de 
tous les journaux depuis leur origine , avec un abrégé de la vie des 
auteurs de chaque journal , l'examen de leur plan , de leur méthode et 
de leur style, les jugements des savants sur le tour, le caractère, le 
mérite et les défauts des extraits donnés par les journalistes. Il aurait 
ajouté sa propre critique à ces jugements. Il nous aurait encore ap- 



— 220 — 

pris le succès et la durée des journaux; il aurait fait l'histoire cri- 
tique des disputes qu'ils ont excitées. Et toutes ces. matières, qui 
étaient le fond de l'ouvrage, devaient être ornées d'une infinité d ac- 
cessoires non moins précieux. Mais, absorbé par d'autres préoccupa- 
tions, et prévenu par une mort prématurée, il n'alla pas plus loin 
que l'histoire du Journal des savants, et quelques notes sur cinq on six 
autres ouvrages périodiques, le tout en un petit volume in-8, imprimé 
à Besançon en 1719. En 1734, un libraire d'Amsterdam, J. Ber- 
nard , en donna une nouvelle édition en deux petits tomes in-i 2 , ré- 
unis ordinairement en un volume, qu'il augmenta d'une histoire du 
Mercure galant, et de deux notes sur Vertot et Fontenelle. Il travailla 
tout cela sur des matériaux qui lui furent fournis de Paris, et qui de- 
venaient inutiles faute d'ouvriers pour les mettre en œuvre. Ce n'est 
pas, ajoute ce brave libraire , qu'ils manquassent d'ouvriers : le pays 
où il écrivait était pourvu de manufactures considérables. Il pouvait y 
avoir recours ; mais on avait éveillé en lui l'idée de se mettre auteur, et 
il avait cédé à la tentation, tout en s'avouant que c'était peut-être une 
sottise à lui d'être sorti de la classe des libraires pour entrer en celle 
des ouvriers en littérature. 

Voilà ce qu'est au vrai Y Histoire critique des journaux, dont te titre 
a pu et pourrait encore induire en erreur plus d'un écrivain. Ce petit 
volume, néanmoins, tel que Bernard l'a donné, est plein de recherches 
curieuses, de renseignements précieux , et l'on ne peut que regretter 
qu'il n'ait point eu de suite. 

Camusat avait composé pour son Histoire des journaux une préface 
qu'il a cru devoir supprimer avant sa mort , on ne sait trop pour quel 
motif. Il y donnait des règles pour bien faire les journaux , et accom- 
pagnait ces règles de réflexions justes et solides. Un journal écrit se- 
lon les règles qu'il émettait dans cette préface eût été, selon l'expres- 
sion de J. Bernard , un livre parfait, un phénomène dans la répu- 
blique des lettres. Mais ce critique si judicieux, et qui connaissait si 
bien le fort et le faible des ouvrages, devait lui-même fort mal réussir 
dans l'exécution. Il avait une fougue de caractère qui ne tarda pas à 
se révéler dans les Mémoires historiques; il souleva contre lui tant 



— 221 — 

d'animosité par l'amertume et la causticité de ses critiques qu'il fut 
obligé d'abandonner la place à La Martinière. 

Mais il remonta bientôt sur la brèche , et forma , dès l'année sui- 
vante, le plan d'une publication uniquement destinée aux ouvrages 
composés par des Français, en quelque langue qu'ils fussent écrits; il 
l'intitula : 

— Bibliothèque française , ou Histoire littéraire de la France. 
Amsterdam, 1723-1746, 42 vol. in- 12. 

Camusat n'a composé que les trois premiers volumes de cette 
feuille, que les excès de sa plume le forcèrent également d'abandon- 
ner, et qui fut continuée par Dusauzet et les abbés Goujet et Grasset, 
de manière à lui concilier la faveur publique. 
Nous indiquerons tout de suite ici une 

— Nouvelle bibliothèque, ou Histoire littéraire des principaux 
écrits qui se publient, par Chaix, Barbeyrac, d'Argens, La Cha- 
pelle et autres. La Haye, octobre-1738-juin 1744, 19 vol. in-12. 

a II importe peu au public, lisait-on dans la préface, de connaître 
les auteurs de cette nouvelle Bibliothèque : ces sortes d'ouvrages 
n'ont d'agrément qu'autant que les auteurs en sont inconnus. » On y 
expose ensuite au long les inconvénients de la critique , dont le prin- 
cipal est qu'un journaliste , obligé de montrer également les beautés 
et les défauts des ouvrages, court risque de se faire tous les jours de 
nouveaux ennemis, tandis qu'en louant également les bons et les mau- 
vais livres, si on prévient le mécontentement des nouveaux auteurs, 
on tombe dans un inconvénient plus fâcheux encore que le premier : 
on trompe le public. 

Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de 
l'Europe, par Armand de La Chapelle, Barbeyrac et Desmai- 
zeaux. Amsterdam, 1728-1753, 52 vol. in-8, dont 2 de tables. 
Présentée comme une suite des Bibliothèques de Leclerc,qui venait 

de quitter la carrière. On lit dans la préface que les auteurs ne veu- 



— 111 — 

lest pas être connus, qu'ils ne se connaissent même pas entre eux, et 
qu'ils travaillent à l'insu l'un de l'autre; que les matières sont parta- 
gées entre eux suivant leur profession, leurs talents et leurs études ; 
et qu'en supposant la bonté du choix, l'ouvrage devait être plus par- 
fait que si un seul homme y travaillait. On justifiait l'incognito des 
auteurs par cette raison, qu'un journaliste connu ne saurait être im- 
partial et distribuer avec équité la louange et le blâme. On offrait 
aux auteurs mécontents d'insérer dans le journal tous les éclaircisse- 
ments et mémoires qui pourraient servir à leur faire rendre justice. 
On assurait qu'on ne sortirait jamais des bornes du respect dû â la 
religion, aux bonnes mœurs et aux lois, mais qu'après cela il n'y au- 
rait point d'égards humains qui empêchassent de prononcer hardi- 
ment sur les livres, de quelque ordre qu'ils fussent, et de quelque 
plume qu'ils partissent. 

Critique désintéressée des journaux littéraires et des 
ouvrages DES savants, par une société de gens de lettres. La 
Haye, 1730, 3 vol. in-12. 

Par François Bruys, que nous avons déjà rencontré, auteur fa- 
mélique principalement connu par une Histoire des Papes qui eut à son 
apparition un succès de scandale. Fut supprimée par arrêt de la cour 
de Hollande, en même temps que les Lettres sérieuses et badines, pour 
avoir pris avec trop de vivacité le parti de Jacques Saurin contre Ar- 
mand de La Chapelle en faveur du mensonge officieux. Obligé de 
quitter la Hollande, Brnys alla fonder à Utrechtun Postillon que nous 
avons mentionné parmi les journaux politiques. 

L'abbé Joly a publié en 175 1 des Mémoires historiques critiques et 
littéraires, par feu M. Bruys, avec la vie de l'auteur et un catalogue 
de ses ouvrages» 

Mercure ecclésiastique, ou Journal historique des ouvrages du 
temps, avec un examen critique de chaque ouvrage. Utrecht, 1733, 
in- 12. 

Cette feuille, que j'ai rencontrée à la Bibliothèque du Louvre, 



^J 



— 22; — 

se proposait de « purger la république des lettres de cette (ouïe de 
petits écrivains qui inondaient tons les jours le public d'un torrent 
d'ouvrages n'ayant pour la plupart d'autre mérite que celui de la 
nouveauté du titre. » 

MÉMOIRES SECRETS DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES, OH le 

Théâtre de la vérité, par l'auteur des Lettres juives (le marquis d'Ar- 

gans). Amsterdam, 1744-1748, 7 vol. in-12. 
Se proposait « de développer au public les causes des erreurs des 
grands hommes, de fournir les moyens de s'en garantir, de parler des 
intrigues littéraires et de montrer les ressorts cachés qui font agir les 
savants. » 

Ces mémoires, où l'auteur poussait, comme dans tous ses écrits,' 
la hardiesse jusqu'à l'audace, out joui dans leur temps d'une certaine 
vogue, et ne laissent pas d'être curieux. D'Argens y montre une in- 
struction grande et variée, mais employée avec trop peu de goût, 'de 
critique et de bonne foi. — Il en a été publié à Berlin, en 1765- 
1768, une nouvelle édition, entièrement refondue, sous le titre de : 
Histoire de V esprit humain , ou Mémoires secrets et universels de la 
république des lettres, 14 vol. in-8. 

Bibliothèque des sciences et des beaux-arts, par Chais, de 
Joncourt, etc. La Haye, 1754-1780, 50 vol. pet. in-8, dont 2 de 
tables. 
Citons encore une Gazette littéraire de La Haye, ou Correspon- 
dance des Savants, 1744, in-12, qui, chose rare alors, paraissait deux 
fois par semaine. Dans la même ville avait déjà paru, en 1730, une 
Gazette des savants, feuille purement bibliographique , qui avait été 
commencée en 1729 à Anvers. 

Enfin nous terminerons cette revue des journaux littéraires par un 
recueil qui s'annonçait comme devant en être la quintessence, c'est 1' 

Esprit des journalistes de hollande les plus célèbres, ou' 
Morceaux précieux de littérature tirés de l'oubli et recueillis dans 



- «4- 

les journaux de renom , tels que la République des lettres, de Bayle; 
les Ouvrages des savants, de Basnage ; les Bibliothèques de Leclerc , 
le Journal littéraire, etc.; ouvrage également curieux et instructif 
par les anecdotes, traits d'histoire, dissertations, réflexions, et par 
la grande variété d'articles intéressants choisis dans ce nombre 
infini de livres dont les littérateurs ont rendu compte; le tout mis 
dans l'ordre le plus naturel des matières. Paris, 1777, in* 12. 

Ce titre interminable semblerait annoncer une inftnense collec- 
tion ; or, l'Esprit des journalistes de Hollande ne forme que deux 
volumes ; du moins est-ce tout ce qu'en possèdent la Bibliothèque 
impériale et P Arsenal, et je ne l'eusse pas enregistré si son titre ne 
m'en avait pas, en quelque sorte, fait une obligation. 



ÉPILOGUE. 



Je me trouvais tout récemment, à la Bibliothèque impériale, 
côte à côte d'une de nos notabilités littéraires , Tenue là pour 
je ne sais quelle recherche. J'entendis un des conservateurs 
adjoints, un autre érudit, qui s'était mis à sa disposition, lui 
offrir, pour suppléer à une lacune existant dans la série des 
mémoires sur le XVIII e siècle, la Gazette de France et LA 
Gazette de Hollande , et bientôt après je le vis apporter deux 
ou trois années de notre Gazette, et quelques volumes qu'à 
leur couverture je reconnus pour des volumes de la Gazette 
d'Amsterdam. 

Si j'avais cédé à mon premier mouvement, je serais inter- 
venu , et voici ce que j'aurais dit à ces honorables érudits ; ce 
sera le résumé de cette étude : 

Les mémoires sont comptés avec raison parmi les sources 
historiques les plus précieuses ; mais ils ne sont pourtant pas, 
sous ce rapport , supérieurs aux journaux , et l'on risquerait 
de faire fausse voie, ou , tout du moins, de n'atteindre qu'im- 
parfaitement le but , si l'on ne consultait ces derniers qu'au 
défaut des premiers. 

M 



— 226 — 

Les mémoires sont le complément ou le supplément des 
journaux; ils les complètent, les commentent, ou bien ils y 
suppléent là où ces derniers manquent. 

C'est dans cette dernière hypothèse surtout qu'ils sont 
utiles - y ce qui précisément fait la valeur des mémoires pour les 
siècles antérieurs au XIX e , c'est le manque de journaux ou leur 
rareté , c'est le défaut de liberté pour la presse. 

En France, par exemple , jusqu'en 1789, nous n'avons 
guère en fait de journaux , que la Gazette. J'ai dit le fort et le 
faible de cette feuille ; je me plais à répéter que c'est , malgré 
tout, pour la période qu'elle embrasse , le répertoire historique 
relativement le plus sûr ; mais je crois inutile d'insister sur la 
nécessité de la contrôler : cette nécessité ressort suffisamment 
de ses attaches officielles. 
Il y a bien encore : 

Le Mercure galant ou Mercure de France, remontant à 1672, 
et qui a une valeur historique beaucoup plus grande qu'on ne 
le soupçonne généralement; 

La Clef du cabinet des princes de l'Europe, plus connue sous le 
nom de Journal de Verdun, 1697-1776, recueil historique et 
littéraire justement estimé , auquel son impartialité , notam- 
ment, « valut l'applaudissement de Londres et de Vienne, 
aussi bien que de Versailles et de Madrid » , et dont « les 
relations, au jugement de l'abbé Prévost, devaient être, et 
sont en effet , une des meilleures sources de l'histoire de son 
. temps » ; 

Et pour les années qui précédèrent plus immédiatement la 
Révolution : 



- 227 - 

Le Journal historique et politique, autrement dit Journal de 
Genève, 1772- 1792, résumé fidèle de toutes les gazettes et 
papiers publics de l'époque ; 

Le Journal de politique et de littérature, connu sous le nom de 
Journal de Bruxelles, 1774-1783 , dont Voltaire fait l'éloge à 
plusieurs reprises ; 

Le Courrier de l'Europe, 1776-1792, que j'ai déjà fait con- 
naître, un des recueils les plus importants à consulter, non- 
seulement pour l'histoire politique, mais encore pour l'histoire 
morale et littéraire de la fin du siècle dernier. 

Les Annales politiques, civiles et littéraires, de Linguet, 
1777-1792, si étrangement hardies pour l'époque, dont il se 
fit, ce sera tout dire, jusqu'à quatorze contrefaçons à la fois. 

Enfin je pourrais nommer encore le Journal de Paris, le 
premier de nos journaux quotidiens , né en 1777, et qui, pour 
n'être pas, dans ses commencements , ce que nous appelons 
un journal politique, mais simplement un journal de faits, 
n'en reflète pas moins vivement, en raison même de sa pério- 
dicité et de son milieu, le mouvement des esprits. 

Mais tous ces journaux, sur lesquels on trouvera d'amples 
détails dans mon Histoire de la presse , ou dans ma Bibliogra- 
phie historique et critique, ne sauraient dispenser de recourir aux 
gazettes étrangères ; j'en ai dit les motifs , et ils sont trop évi- 
dents pour que j'aie besoin d'y revenir. 

Parmi ces feuilles imprimées dans notre langue à l'étranger, 
celles qui intéressent le plus notre histoire , et que l'on devra 
consulter les premières, ce sont les gazettes de Hollande. 



L.. 



— 228 — 

Je dis les, et non la gazette de Hollande. Il n'y eut jamais 
en effet dé journal portant le titre de Gazette de Hollande , et il 
n'en est point à qui on puisse le donner par préférence aux 
autres. Chacune des villes principales des Provinces-Unies 
eut sa gazette française , portant généralement son nom , fic- 
tivement du moins quand ce n'était pas réellement; ainsi il 

y a : 

La Gazette d'Amsterdam, qui, née vers 1680, a traversé 
tout le XVIII e siècle, non sans éprouver plusieurs variations 
dans son titre , mais toujours rédigée dans le même esprit par 
les Du Breuil, qui « avaient l'art de dire la vérité d'une manière 
dont chaque parti était également satisfait, et de faire ainsi que 
leur journal était lu partout avec plaisir » ; 

La Gazette de Leyde, — dont le véritable nom était : Nouvelles 
extraordinaires de divers endroits, — qui n'a pas fourni une 
carrière moins longue ni moins brillante que la Gazette d'Ams- 
terdam , qui lui est même , à certains égards , supérieure en 
importance , rédigée qu'elle était avec une complète indépen- 
dance , et regardée comme la gazette diplomatique de l'Europe, 
celle, enfin, où l'on trouve les documents les plus authen- 
tiques sur les événements contemporains ; 

La Gazette (PUtrecht , qui « amusait les oisifs par ses bavar- 
dages, sa gaieté et sa malignité » ; 

La Gazette de La Haye et la Gazette de Rotterdam , dans les- 
quelles on trouverait également d'utiles renseignements, mais 
dont nous ne possédons que de faibles parties. 

Toutes ces gazettes sont taillées sur le même patron , ont le 
même cadre ; ce sont toutes , malgré leur titre en apparence 



— 229 — 

restrictif, des gazettes universelles. Il peut suffire, dans la plu- 
part des cas, de consulter les deux* premières, de beaucoup les 
plus importantes, et qui se complètent l'une l'autre ; il ne sera 
pourtant jamais inutile d'interroger les autres : il est certains 
ordres de faits, par exemple tenant à la petite chronique , ou 
même à la chronique scandaleuse, qu'on trouvera plutôt dans 
la Gazette d'Utrecht que dans celles de Leyde ou d'Am- 
sterdam. 

Et à ce propos, je retrouve un fait assez curieux qui aura 
parfaitemement sa place ici. Le fameux Arnaud Baculard 
avait été attaqué dans la Gazette d'Utrecht ; je ne sais ce dont 
on l'accusait, mais, à l'entendre, on croirait qu'il s'agissait 
d'un de ces crimes qui font reculer le soleil. Il écrit au lieu- 
tenant de police : 

« Monsieur, daignez recevoir un hommage qui vous est dû 
« à tant de titres. Je vous prie de ne pas oublier que ma vie est 
« conforme à mes écrits, et, en conséquence, j'implore votre 
« justice contre ce scélérat obscur de Boyer, qui m'a diffamé 
« dans la Gazette d'Utrecht du 7 juin (1 78;). Je vous en con- 
« jure : si vous me refusiez ce que l'humanité même outragée 
« exige, considérez à quelle extrémité vous me réduiriez! 
« J'ai l'honneur d'être gentilhomme et attaché à Monseigneur 
« le comte d'Artois. Je porte aussi mes plaintes à M. de Ver- 
« gennes. J'irai me jeter aux pieds du roi, s'il le faut. . . » 

Et quelques jours après, en effet, il s'adresse à M. de Ver- 
gennes : 

« Ce n'est point ce Boyer, qui, pourtant, est un ouvrier de 
« gazette. Ce scélérat est un nommé Fouilhoux, mauvais sujet, 



— ajo — 
« etc. Il ne suffit pas que sa rétractation soit consignée dans 
« les papiers publics ; je me flatte que votre équité si connue 
« plongera, pour quelque temps, ce monstre dans une prison 
« infamante : c'est un assassin moral..... On lit en Allemagne, 
« en Angleterre y partout, ses horreurs, qui ont des ailes. Encore 
« une fois, ce n'est point le gentilhomme , l'homme de lettres 
« attaché à M. le comte d'Artois en qualité de son secrétaire, 
« c'est l'homme dépouillé de tous les vains alentours qui em- 

« brasse vos genoux » 

J'ai dit, à l'article de la Gazette d'Utrecht, quel avait été le sort 
de Fouilhoux. Quanta Boyer, c'était, comme le dit Baculard, un 
ouvrier de gazette, qui eut aussi plus d'une fois maille à partir 
avec la police. Après avoir, dit-il lui-même dans un prospectus 
que j'ai sous les yeux , « rédigé le Courrier de l'Europe pendant 
ses six premières années, il s'était ensuite chargé de la com- 
position des articles de France de la Gazette de Leyde, qu'il 
n'abandonna que pour venir fonder à Paris, en 1 789, la Ga- 
zette universelle y entreprise pour laquelle il s'était adjoint 
Cerisier, qui avait rédigé pendant longtemps et successivement 
les Gazettes d'Amsterdam et de Leyde. » 

Je reviens à mon sujet. 

Dans ce qui précède je n'ai point parlé des gazettes fran- 
çaises publiées dans d'autres pays que la Hollande ; je me 
propose d'en faire l'objet d'une étude spéciale. 

Mais celui qui voudra aller au fond des choses ne s'en tien- 
dra pas aux gazettes ; il compulsera également les mercures , 
dont on connaît le genre d'intérêt et le degré d'utilité, où les 



faits, plus condensés , plus détaillés , sont examinés , discutés , 
éclairés par mille particularités qui ne sont point du domaine 
des gazettes. J'ai fait connaître tous ceux de ces recueils qui 
sont venus à ma connaissance. 

Enfin il n'est pas jusqu'aux journaux littéraires qu'on pourra 
quelquefois consulter avec fruit, pour certaines questions, les 
questions religieuses notamment, qui occupent une si grande 
place dans des préoccupations publiques aux XVII e et au 
XVIII e siècle. On sait d'ailleurs quelles entreprises la presse 
a pu de tout temps oser sous le pavillon littéraire. 

Ces recherches demandent du temps , sans doute , et beau- 
coup de patience, je le sais mieux que personne; mais enfin, 
si l'on veut rencontrer la vérité, il faut bien avoir le courage 
d'aller la chercher au fond de son puits. J'aime à penser, du 
reste, que les abords en seront désormais moins difficiles; c'est 
à les déblayer que je me suis efforcé dans cette étude histo* 
rique et bibliographique , dont j'espère qu'on voudra bien me 

pardonner l'imperfection en considération des difficultés qu'elle 
présentait. 

Il ne me reste plus, pour terminer, qu'un vœu à exprimer : 
c'est que les parties de gazettes de Hollande disséminées 
dans nos différentes bibliothèques , où personne ne songe à 
aller les chercher , soient rassemblées à la Bibliothèque impé- 
riale, de manière à former, sinon un tout complet, au moins un 
ensemble aussi complet que possible. Cela ne porterait pas le 
moindre préjudice aux bibliothèques auxquelles on les reti- 
rerait , et l'avantage qui en résulterait pour les travailleurs n'a 



— 2?2 — 

pas besoin d'être démontré.. Il resterait d'ailleurs des doubles, 
et même des triples, qu'on pourrait laisser aux dépôts qui en 
sont en possession* Ou bien encore ces doubles pourraient eue 
employés à des échanges avec les grandes bibliothèques de 
Hollande , auxquelles ces gazettes, qui les intéressent pourtant 
de si près, font presque absolument défaut; à moins qu'on 
n'aime mieux leur en faire don , et assurément ce ne serait 
point une libéralité mal placée. 



TABLE DES MATIÈRES. 



Pages. 

Avant-Propos i 

Première partie. Généralités n 

I. Etat de la presse en France aux XVII e et XVIIIe 

siècles. La presse clandestine 13 

II. La presse française à l'étranger. — Les Gazettes de 

Hollande 3$ 

Deuxième partie. Bibliographie 135 

I. Gazettes 137 

II. Revues et petits journaux 176 

III. Recueils littéraires 209 

Épilogue 225 



406. — Paris, imprimerie de Jouaust, rue Saint-Honoré , 338. 



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