Skip to main content

Full text of "Les griseries"

See other formats


This is a digital copy of a book that was preserved for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 
to make the world's books discoverable online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that' s often difficult to discover. 

Marks, notations and other marginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book' s long journey from the 
publisher to a library and finally to y ou. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prevent abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automated querying. 

We also ask that y ou: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain from automated querying Do not send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a large amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attribution The Google "watermark" you see on each file is essential for informing people about this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are responsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can't offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
any where in the world. Copyright infringement liability can be quite severe. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full text of this book on the web 



at jhttp : //books . qooqle . corn/ 




A propos de ce livre 

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec 
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en 
ligne. 

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression 
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont 
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 
trop souvent difficilement accessibles au public. 

Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. 

Consignes d'utilisation 

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 

Nous vous demandons également de: 

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. 

+ Ne pas supprimer V attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans 
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère. 

À propos du service Google Recherche de Livres 

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 



des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse |http : //books .qooqle . corn 




•' 



HN T32X L 



ce 



^33 






11 



< 
i 






ce € 




1&?CS X P3./4.3 2- 



HARVARD COLLEGE 
LIBRARY 




THBGIFTOF 

CHARLES SHEPARD LEE 
Class of 19x0 





vit' " 



ï 



LES GRISERIES 



DU MÊME AUTEUR 



Le Sang des Dieux, poésies 
La Forêt bleue, poésies. 
Modernités, poésies. 
Viviane, un acte en vers. 
Les Lepillier, roman. 
Très Russe, roman. 



L'Auteur et les Éditeurs déclarent réserver leurs droits de traduction 
et de reproduction. 

Ce volume a été déposé au Ministère de l'Intérieur (section de la 
Librairie, en novembre 1886.) 



LES 



GRISERIES 



PAR 



JEAN LORRAIN 




PARIS 

TRESSE & STOCK LIBRAIRES-ÉDITEURS 

8, 9, 10, il, Galerie du Théâtre-Français. 

PALAIS-ROYAL 

1887 

Tous droits réservés 



f^&z.z^^f-'Ç^ 



IL A ÉTÉ TIRÉ A PART, DE CET OUVRAGE 

io exemplaires sur papier de Hollande, numérotés à la presse. 




LES GRISERIES 



Mais pour chanter la griserie 
Errante en ces luxes défunts, 
Volupté savante et meurtrie 
De vieux baisers, d'anciens parfums, 

Il faudrait sous mes doigts dociles 
Les cordes d'un basson d'amour 
Au long manche de bois des Iles, 
Peint de bergères Pompadour, 



L'ARRIVÉE 



POUR M. EDMOND DE GONCOURT 



Holà oh ! La porte est fermée ! 
Ouvrez. Aux grilles des vieux parcs 
Grelotte une troupe enrhumée 
D'Amours, de pied en cap armée 
De carquois neufs et de grands arcs. 

Je les ramène d'Italie 

Où, d'un plafond de Tipolo 

Échappés un soir de folie, 



LES GRISERIES 



Ils pleuraient la mélancolie 
Du carnaval tombé dans l'eau. 

Ils viennent dans l'ancien Versailles, 
Jadis enchanté par Lulli, 
Demander asile aux Rocailles 
Ou sinon au parc en broussailles, 
Et tout en ronces de Marly ! 

Quoique romains et catholiques, 
Rien ne peut les effaroucher; 
Et dans vos grands jardins auliques 
Ils vous diront des bucoliques 
Dignes des amours de Boucher. 

Pétillants d'une adresse exquise, 
Caressants, prompts et dérobés, 
Dans l'art d'ôter à Cydalise, 
Qui tremble et dit non, sa chemise 
Ils ont des malices d'abbés. 



l'arrivée 



Mes Cupidons en sentinelles 
Sont là. Maintenant, Chateauroux, 
Dubarry, Romans, Mailly-Nesles 
Aux bleus éclairs de vos prunelles 
Mettez Louis Quinze à genoux ; 

Voici des carquois et des flèches. 
Offrez aux traits des arcs vainqueurs 
La nacre vivante et les pêches 
De vos seins nus et dans les mèches 
De vos nuques roulez les cœurs. 



FRAGONARD 



POUR M. LOUIS DE FOURCAUD 



Comme un vieux flacon, qu'on débouche, 
D'une salive de plaisir 
Vous humecte soudain la bouche, 
Tant son essence est un désir, 

Désir d'une âme évaporée, 
Ainsi des souvenirs grisants 
D'un âge d'ivresse enivrée 
Un nom jeté trouble nos sens :. 



LES GRISERIES 



Fragonard ! et les griseries 
D'un siècle d'ambre et de satin, 
De grâce et de coquineries, 
Léger, athée et libertin 

Reparaissent soudain, Paigrette 
Au front, le regard aimanté 
A ce nom plein d'une secrète 
Et délirante volupté. 

Fragonard ! Duchesses, marquises, 
Nymphes errantes des vieux parcs, 
Que parmi des poses exquises 
Des dieux visaient de leurs grands arcs, 

Avec quelle ardeur pétulante 
Il savait, le divin rôdeur, 
Fourrager d'une main galante 
Dans Técrin de votre pudeur ? 



FRAGONA.RD 



Au pied des hêtres, qui grandissent 
Dans le bleuissement du soir, 
Ces escarpolettes, qui glissent 
Mystérieuses dans le noir, 

Quel raffiné sut les surprendre 
Au-dessus d'un étang bavard 
Dans l'ombre observé par Léandre ? 
Dites, nymphes de Fragonard... 

Sous la chemise, qu'il retrousse, 
Qui sut au bord des ruisseaux clairs 
Au vert sombre et frais de la mousse 
Allumer le rose des chairs ? 

Et ces mains d'homme entreprenantes, 
Ces yeux de langueur attendris 
Et sur les gorges frissonnantes 
Ces longs baisers pris et surpris ! 



10 LES GRISERIES 



Ces glacis d'étoffes changeantes, 
Ces bras comme un filet jetés 
Autour des tailles voltigeantes, 
Au creux des seins nus révoltés ! 

Ces aveux dans l'ambre des nuques 
Et sous les bottes de lilas, 
Loin des laquais et des heiduques, 
Ces chutes en grands falbalas ! 

Ces pirouettes, comme ailées, 
Des amoureux et Dieu sait où, 
Parmi les jupes envolées, 
Le galant poussant le verrou ! 

Des clairs d'épaules satinées 
Flamboient au fond des boulingrins ; 
Des cris de femmes lutinées 
Meurent au bruit des tambourins. 



FRAGONARD II 



Amour triomphe, et Cydalise 
Devient une nymphe aux abois, 
Qu'un faune pille et dévalise 
Comme un voleur au coin d'un bois. 

Ces résistances de rouées, 

Ces cris, ces assauts libertins, 

Ces larmes de pudeur jouées 

Des soirs de pourpre aux bleus matins, 

C'est ton âme et tout ton poème, 
Siècle embaumé, rose et doré 
Comme une aurore, ô dix-huitième 
Siècle, des rêveurs adoré, 

Et je veux de tes griseries 
Faire un parfum vif et glacé, 
Comme le souffle des prairies, 
Où le froid de l'aube a passé ! 



FÊTE GALANTE 



FÊTE GALANTE 



POUR M. EDMOND DE GONCOURT 



Ah ! si fines de taille, et si souples, si lentes . 
Dans leur étroit peignoir enrubanné de feu, 
Les yeux couleur de lune et surtout l'air si peu 
Convaincu du réel de ces fêtes galantes ! 

Ah ! le charmant sourire ailleurs, inattentif 
De ces belles d'antan, lasses d'être adorées 
Et graves, promenant, exquises et parées, 
L'ennui d'un cœur malade au fond seul et plaintif. 



l6 LES GRISERIES 



Qu'importe à Sylvanire et les étoffes rares 
Et les sonnets d'Orante et les airs de guitares, 
Qu'éveille au fond des parcs l'indolent Mezzetin ? 

Auprès de Cydalise à la rampé accoudée, 
Sylvanire poudrée, en grand habit, fardée 
Sait trop qu'Amour, hélas ! est un songe lointain. 



FÊTE GALANTE 17 



CHANSON 



II 



L'Amour ? Un oiseau bleu. La vie ? Un oiseau triste, 
... Le plaisir de passer et d'être une égoïste, 
Effeuiller lentement un rêve entre ses doigts... 

Si quelque papillon, vivant joyau, voltige, 
L'écraser : c'est charmant.., une fleur sur sa tige 
Etincelle, on la brise, un ramier dans les bois 

Roucoule, on lé persifle; et cela sans envie, 

Pour une vanité de coquette assouvie, 

Car il est de bon goût, le soir, quand les hautbois 



LES GRISERIES 



Et les flûtes d'amour enchantent le silence, 
De s'accouder hautaine et belle d'indolence 
Avec des yeux méchants, qui raillent Autrefois. 



FÊTE GALANTE 19 



III 



Là-bas, où l'ancien parc envahi de grands arbres 
S'ensauvage, hanté la nuit de pas divins 
De Dyrades; là-bas, où deux rangs de Sylvains 
Veillent, blancs prisonniers de leurs gaines de marbre, 

Sylvandre, en effleurant du bout de ses doigts fins 
Sa viole, soupire et sa voix affaiblie, 
Lointaine, s'harmonise à la mélancolie 
Des cascades tombant des vasques à dauphins. 

Dans l'ombre au pied des ifs en cercle réunie, 
Des beaux diseurs de riens la folle compagnie, 
Pensive, a mal au cœur d'un nostalgique ennui. 



20 LES GRISERIES 



Car là-bas sous la lune errante, qui se lève, 
Une autre voix soupire et répond dans un rêve, 
Douce comme un regret d'amour évanoui ! 



FÊTE GALANTE 21 



CHANSON 



IV 



L'Amour ? Un oiseau bleu. La Vie ? Un oiseau triste. 
Avoir été la fleur qu'un passant égoïste 
Arrache, et par caprice effeuille entre ses doigts... 

Avoir été l'œillet qui flambe sur sa tige, 

Le papillon ailé qui palpite et voltige, 

Le ramier roucouleur qui pleure au fond des bois, 

Et puis, la volupté du baiser assouvie, 

Se réveiller brisée... Amour, est-ce la Vie ? 

Et ne vaut-il pas mieux, à l'heure où les hautbois 



LES GRISERIES 



Et les flûtes d'ébéne enchantent le silence, 
S'accouder incrédule et belle d'indolence 
Avec des yeux savants, qui raillent Autrefois ! 



FÊTE GALANTE 



V 



Et chacune et chacun, charmés de les entendre, 
Sous le bleu clair de lune inondant la forêt, 
Sentait poindre en leur cœur un vague et sourd regret, 
Voyant qu'amours, serments, tout ici-bas est cendre... 

Au tournant d'un sentier, calme et le pas distrait, 
Sylvanire apparut et regardant Sylvandre 
« N'éveille pas les morts... à quoi bon redescendre 
« Les degrés parcourus ! ami, soyons discret. 

« Une tombe sans nom est la plus éloquente, 
« Si mon cœur a sommeil, respecte son repos, 
« Une longue douleur cesse d'être élégante. » 



24 LES GRISERIES 



Et très fine de taille et très souple et très lente 
En son léger peignoir à grands plis dans le dos 
Elle dit, un peu triste : 

« Adieu, fête galante ! » 



LES BOULINGRINS 



POUR MADAME JULIA DAUDET 



Dans la ronce et dans l'herbe humide 
De l'ancien parc à l'abandon 
Songe, étrange cariatide, 
Un morne et lépreux Cupidon. 

Soulevant entre ses mains vides 
Un vieux cadran solaire absent, 
Dieu du passé, ses vœux avides 
implorent en vain le présent. 

3 



lG LES GRISERIES 



Le cadran, qu'effleuraient les heures, 
Dans la folle avoine est tombé 
Et, pareil aux vieilles demeures, 
Un lierre aux yeux l'a dérobé. 

Avec un bruit d'eau monotone 
Là-bas, au fond des boulingrins 
Une fine averse d'automne 
Mouille et détrempe les terrains 

Resté, lui, fidèle à sa pose, 
L'Eros, ailé comme jadis, 
Dans un geste d'apothéose 
Tend vers le ciel deux bras verdis. 

Au loin l'interminable allée, 
Mourante au bord d'un saut de loups, 
Laisse apparaître désolée, 
Une plaine où pomment des choux, 



LES BOULINGRINS ■ 27 



Et sur son socle, qui s'écaille, 
Le dieu mythologique et fier, 
— Des siècles juste représaille — 
A ce plant de choux pour enfer. 

Avec un bruit d'eau monotone. 
Là-bas, au fond des boulingrins, 
Une fine averse d'automne 
Mouille et détrempe les terrains. 



ROCAILLES 



POUR M. EDMOND DE GONCOURT 



La lune à travers les quinconces 
Erre, illuminant les ronces 
Du parc, illustre endormi, 

Et le bassin des Rocailles, 
Où rôde un reflet ami, 
Songe, dans l'ombre à demi 
Plongé, de l'ancien Versailles. 



30 LES GRISERIES 



Fille et sœur des dieux augustes, 
La lune en domino blanc 
Glisse et d'un baiser tremblant 
Effleure en passant les bustes, 

Et sur un rythme très lent, 
Au loin sur les gazons jaunes, 
Tourne une ronde de faunes. 



FANERIE 



POUR SARAH 



Des vieilles étoffes fanées 
Je suis le maladif amant. 
J'en veux dire l'enchantement 
Et les nuances surannées ; 

Leurs tons discrets et douloureux 
De vivantes choses anciennes 
Et les langueurs patriciennes 
Des vieux orfrois cadavéreux. 



32 LES GRISERIES 



Mon âme, qui s'avive et souffre, 
Adore les sourires las 
Et fatigués des satins soufre, 
Rayés de rose et de lilas ; 

Et c'est une aventure exquise 
De retrouver dans un reflet 
Tout un bleu passé de marquise 
Fleurant la jonquille et l'œillet. 

Les vieux lampas aux tons d'agate, 
Lustrés sous l'ongle aigu du temps, 
Ont la hautaine et délicate 
Tristesse des lointains printemps ; 

Les frais printemps de la jeunesse, 
Avrils emportés sans retours, 
Et dont les lys de soie épaisse 
S'effeuillent dans les gros de Tours. 



FANERIE 33 



Mais pour chanter la griserie 
Errante en ces luxes défunts, 
Volupté savante et meurtrie 
De vieux baisers, d'anciens parfums, 

Il faudrait sous mes doigts dociles 
Les cordes d'un basson d'amour 
Au long manche de bois des Iles 
Peint de bergères Pompadour : 

Et dans l'ombre aimable et dévote 
D'un boudoir obscur et fardé, 
Sur des airs dansants de gavotte, 
Moi-même, en habit démodé, 

Des vieilles étoffes fanées 
J'évoquerai l'esprit charmant 
Et le rêveur enchantement 
Des nuances, ces raffinées ! 



LES PAONS BLANCS 



POUR M. EDMOND DE GONCOURT 



La demeure humide et noire 
Est close, un reflet de moire 
Baigne le perron désert ; 

Et du sommet des grands hêtres 
Des grands paons blancs, essaim clair, 
Calme s'abattant dans l'air, 
Tombent au bord des fenêtres. 



}é LES GRISERIES 



Dans leur suaire argenté 
On dirait un troupeau d'âmes, 
Ames d'implorantes femmes 
Autour d'un logis hanté 

Et le vieux, parc enchanté, 
Est plein de frissons de soie 
Et de satin, qu'on déploie. 



COIN DE PARC 



POUR MADAME CHARLES HAYEM 



C'est, rongé de lierre et de ronces 
Et d'eau dormante environné, 
Là-bas dans l'ile des Quinconces, 
Un petit temple abandonné ; 

Un petit temple de Cythére 
Où, déguisée en pèlerin, 
Jadis Aminthe avec mystère 
Venait marivauder un brin, 



38 LES GRISERIES 



Et, sous le camail à coquille 
Belle à miracle et faite au tour, 
Rythmait en domino jonquille 
Des révérences à l'Amour, 

Et sous le ciel mélancolique 
Et bas traversé de vents froids 
Voilà qu'en la crypte idyllique 
S'entassent les feuilles des bois. 

Il bruine, et sous les cassures 
Des grands nuages amaigris 
Le marbre, veiné de fissures, 
A des pâleurs de vert-de-gris ; 

Et les soirs, à l'heure où le dôme 
Orné d'attributs Pompadour 
Apparaît, comme un blanc fantôme, 
Sur ses colonnettes à jour ! 



COIN DE PARC 39 



De l'oseraie humide et brune 
Glissant jusqu'au parvis muet, 
Les bleus rayons du clair de lune 
Seuls y dansent le menuet. 

C'est, rongé de lierre et de ronces 
Et d'eau dormante environné, 
Là-bas, dans l'île des Quinconces, 
Un petit temple abandonné. 



LE VOYAGEUR 



4- 



LE VOYAGEUR 



A SUTTER LAUMAN 



I 



Le visage si pâle et le regard si triste ! 
De grands yeux dévorants et sur un cou de lait 
Des boucles d'un noir d'encre au bleuâtre reflet, 
Enténébrant l'éclat d'un grand col de batiste ! 

Oh ! ces longs cils frangés, où nage une améthyste ! 

Ces prunelles d'iris, qui tourne au violet 

Et, comme déjà las, ce sourire muet 

D'âme aimante égarée en un monde égoïste ! 



LES GRISERIES 



Tout et le feutre gris, où la plume de paon 
Traîne, et jusqu'au manteau relevé d'un seul pan 
Sur le pourpoint moiré de satin, qui se froisse, 

Un satin gris d'argent, où semble s'être pris 
Le clair de lune, font de leurs tons attendris 
Une aube à ce visage adorable d'angoisse ! 



_^g 



LE VOYAGEUR 45 



II 



Un ciel de fin d'octobre, où la vague rougeur 
D'un lointain crépuscule agonise et frissonne, 
Un banal horizon de coteaux monotone, 
Et dans un angle inscrit, ce mot : Le Voyageur. 

Avec quelle tristesse et quel ennui vengeur, 

Fatal, inéluctable il retombe et résonne, 

Ce nom, morne et charmant comme un adieu d'automne 

Le Voyageur ! 

Hélas ! beau cavalier songeur, 



46 



LES GRISERIES 



Sous les lunes d'hiver et les midis de flamme 
Les chemins parcourus et le regret laissé 
Dans l'ignoré village, où peut-être un baiser 



S'égrena de ta bouche aux lèvres d'une femme, 
Ont-ils si puissamment ulcéré ta jeune âme, 
Que le désir de vivre en toi soit épuisé ? 



LE VOYAGEUR 47 



III 



Pour les yeux noir d'enfer d'une comédienne, 

Au nom de fleur ou d'astre, aux falbalas royaux 

Suivrais-tu par hasard, fol épris d'oripeaux, 

Le char de quelque troupe errante ? et las d'antienne, 

De prêche et de sermon, fils de amille ancienne, 
N'as-tu pas quelque part deux vieux parents dévots, 
Qui t'ont fait dans un gîte obscur aux bleus vitraux 
Une enfance assombrie, austérement chrétienne ? 



48 LES GRISERIES 



Un jour que tu songeais au balcon de la rue, 
Célidée en tournée ou Florise apparue 
Auront réalisé ton rêve adolescent, 

Et voilà qu'aujourd'hui ta jeunesse regrette 
Et le vieux et la vieille en blanche collerette 
Seuls au logis désert, d'où le fils est absent ! 



LE VOYAGEUR 49 



IV 



Et l'homme au feutre gris sourit. Sa mine lasse, 
Sa pâleur, sa main longue et l'exquis jionchaloir 
De sa pose et ses yeux ivres de désespoir 
Contaient tout un hautain passé de grande race : 

Une enfance princiére au fond d'un vieux manoir 
Entre des lévriers et des chevaux de chasse 
Et des longs entretiens les soirs à la terrasse 
Avec des cavaliers masqués de velours noir ; 

5 



50 LES GRISERIES 



Des femmes aux yeux peints bruissantes de moire, 
Des grands étangs royaux, où les biches vont boire 
Au fond d'un parc ancien, hanté de demi-dieux 

Et, triomphant Olympe animé sous les nues, 
Étincelants d'écume au coin des avenues 
Des groupes de Tritons et d'Eros radieux. 



LE VOYAGEUR 51 



Et puis las, un beau soir, de l'éternel mensonge 
Des sourires de femme et des bonheurs offerts, 
Las du plaisir facile et des baisers soufferts, 
Tu partis amoureux d'on ne sait quel grand songe ! 

Adieu, fête galante ! adieu, divins concerts ! 
Et depuis tu poursuis sous les grands ciels de cuivre 
Le nuage éphémère aux bords nacrés de givre 
Fuyant, comme ton rêve éperdu dans les airs ! 



52 LES GRISERIES 



Le visage si pâle et le regard si triste ! 

De grands yeux dévorants et sur un cou de lait 

Des boucles d'un noir d'encre au bleuâtre reflet, 

Oh ! ces longs cils rangés, où nage une améthyste ! 
Et dédaigneux et doux, ce sourire muet 
D'âme errante oubliée en ce monde égoïste ! 



MAUSSADERIE 



A MON AMI JOSEPH BOUFART 



Sur un ciel lavé d'aquarelle 
C'est en taffetas rose et gris, 
La taille fine et la main frêle, 
Ses cheveux blonds poudrés d'iris, 

Une marquise délicate, 
Qui semble avec ses yeux noyés 
Pleurer des larmes d'automate 
Dans un parc aux bosquets rouilles. 

5- 



54 LES GRISERIES 



Cette fausse angoisse attendrie 
N'est dans ce falbalas vainqueur 
Qu'une exquise minauderie 
D'un fade à vous tourner le cœur ! 

Et pourtant une acre tristesse, 
Acre comme un parfum ranci, 
Vous navre devant cette Altesse, 
Se pavanant dans son souci. 

C'est qu'en cette belle maussade, 
Traitant les rêves d'importuns, 
Revit l'âme sèche et malade 
D'un siéce énervé de parfums ; 

Et c'est le navrement des choses 
Et des rires trop tôt mûris, 
Qui chatoie en reflets moroses 
Dans ce taffetas rose et gris. 



WÊÊÊÊÈÊ 



MAUSSADERIE * 55 



Sur un ciel lavé d'aquarelle 
C'est dans un falbalas vainqueur 
Une marquise vague et frêle 
D'un fade à vous tourner le cœur ! 



EMBARQUEMENT 



POUR MONSIEUR EDMOND DE GONCOUR1 



Adieu, bergères, adieu, Gilles! 
Voici les voiles de satin 
De la barque aux agrès fragiles , 
Qui va vous conduire au lointain 
Et bleu pays des coeurs futiles. 

Là-bas dans la brume empourprée, 
Parmi les falbalas du ciel, 
L'île adorable et désirée 
Vous attend, chercheurs d'irréel, 
O troupe amoureuse et parée ! 



58 LES GRISERIES 



Pour la rougissante Cythére, 
Dans Por incandescent du soir, 
Vous quittez sans regret la terre, 
Pour l'île errante du Mystère 
Et le doux pays de l'Espoir. 

« Malheur à celui qui s'exile, 
Dit un maussade et vieux refrain; 
« En Sardaigne comme en Sicile 
« Il retrouvera son chagrin ; 
« L'éviter est peine inutile. » 

Mais quand Amour est du voyage, 

On rit à ces oracles-là ! 

Le crépuscule est sans nuage 

Et Gille avec Pulcinella 

Met en musique le présage. 

Four le bleu pays des chimères 
Au son des violes d'amour 



l'embarquement 59 



Embarquez-vous, bergers, bergères; 
Si vous devez pleurer un jour, 
Que les larmes vous soient légères. 

Bonsoir, Arlequins, adieu, Gilles ! 
Surtout emmenez Mezzetin. 
Peut-être un soir ses doigts agiles 
Distrairont-ils votre destin 
Dans la plus lointaine des îles. 



PREMIER SINET 



PREMIER SINET 



POUR MADEMOISELLE LOUISE ABBEMA 



I 



L'or empourpré des capucines 
S'envole à travers le ciel gris. 
Ah, sous les falaises voisines 
Revivre les amours guéris ! 

Les grands iris au clair de lune 
Bleuissent au bord de la mer, 
Et l'odeur du varech amer 
Se change en encens sur la dune. 



64 PREMIER SINET 

Mais dans la pâle transparence 
Des nuits que peuvent ces parfums, 
Quand le froid de Pindifférence 
A figé nos rêves défunts ! 

Rien ne frissonne et ne s'éveille, 
Et la monotone chanson 
Des vagues attriste la veille 
Du clair de lune à l'horizon. 

L'or empourpré des capucines 
S'envole à travers le ciel gris ! 
Ah, sous les falaises voisines 
Revivre les amours guéris î 



LA DAMNATION DE PIERROT 



LA DAMNATION DE PIERROT 



FANTAISIE EN UN ACTE 



PREMIER ACTE 

Le décor est exquis : un jardin Louis Seize, 
Charmilles et quinconce obscur. 

Un grand mélèze 
A gauche, vers la droite un immense escalier 
Aux degrés envahis d'herbes folles : au pied 
Une vasque de bronze, où pleure une fontaine. 
Mais la source est tarie et Ton entend à peine 



68 LES GRISERIES 



Le bruit de l'eau perlant sur le torse ébréché 
Des naïades. 

Le sol est humide et jonché 
De feuilles; c'est l'automne et la nuit va descendre. 
On perçoit au lointain un air joyeux et tendre 
Et tout en satin blanc, d'un pas vif et discret 
Entre en scène Pierrot, le Pierrot de Lancret. 
Poudré, pantalon court, la casaque Louis Quinze 
A gros boutons s' ouvrant sur la blancheur du linge, 
La guitare à la main et le mollet cambré, 
Il est musqué, pimpant, fanfreluche, lustré 
Et semble en ce décor austère et froid d'automne 
Un brin de lilas blanc, qui valse et tourbillonne. 

Une figure étrange et sinistre le suit. 

Si Pierrot est le jour, son comparse est la nuit 

Et le cœur est saisi d'une angoisse profonde. 

Drapé d'un grand manteau, masqué, la tête blonde 
D'un blond roux, crespelé comme une mousse d'ors, 



LA DAMNATION DE PIERROT 69 



Cet homme est tout en noir, en étroit justaucorps 
De velours, svelte et fier et sanglé de cuir jaune. 
Sous son loup de satin luisent deux yeux de faune. 
Fendu comme un compas, il marche à grands pas lents 
Fantasques, inégaux; et, tintinnabulants, 
De clairs grelots d'argent sonnent à ses chevilles. 

Ce que. cet homme en noir a dû tromper de filles 
Est effrayant ! Ses yeux sont d'un bleu dévorant; 
Il est pétri d'horreur et de charme attirant. 
Enfin, détail affreux, l'homme à la cape noire 
A la place d'un luth porte une bassinoire. 

Pierrot, pauvre âme blanche, ivre, joyeux, séduit, 
Gambade sur ses pas ; l'Homme en noir le conduit. 
Ils font halte tous deux; pas un arbre ne bouge, 
Le ciel à l'horizon est barré d'un trait rouge. 

PIERROT 

C'est ici ? 



70 LES GRISERIES 



L HOMME EN NOIR 

C'est ici : Lancret ipse pinxit. 

PIERROT 

Mon père ! 

l'homme en noir, à part 

Il en est mort (à Pierrot), mais quel air déconfit ? 
Ce parc a deux cents ans : les autans et la bise 
L'ont un peu chiffonné : d'où vient cette surprise ? 
Parce que par oubli le Temps, ce niveleur, 
A respecté ton front poudré de bateleur, 
Prince au trumeau dormant d'un boudoir de marquise 
Tu croyais éternel ton siècle... erreur exquise ! 
Les peuples ont marché pendant que tu dormais, 
Et les Amours ont fui, mais non pas à jamais : 
Vois, je porte avec moi la lyre évocatoire. 
Ecoute ma chanson. 

PIERROT 

Ah ! pas de bassinoire"! 



LA DAMNATION DE PIERROT 71 



Je rêvais si tranquille en mon cadre endormi ; 
Cruel, pourquoi m'as-tu réveillé ? 

l'homme en noir 

Pauvre ami, 
Ce parc abandonné te rend-il si morose ! 
Je peux le repeupler. Chante-nous quelque chose 

PIERROT 

Moi, chanter ! 

l'homme en noir 
Ta guitare est muette ? 

PIERROT 

Ton nom ? 

L'HOMME EN NOIR 

Je te l'ai déjà dit, blême et doux compagnon, 
L'homme en noir. 

PIERROT 

L'homme en noir ! Dans monsieur Benserade 
Je ne t'ai jamais vu. 

l'homme en noir 
Parbleu. La bergerade 



72 LES GRISERIES 



A Thorreur du Bon Sens. Je reviens de l'exil. 

PIERROT 

Cet homme me fait peur avec son air subtil. 
Jamais du bon vieux temps le ciel n'était si rouge. 
Ce parc humide et froid a l'âpre horreur d'un bouge 
Et ce bois tout l'aspect d'un endroit mal hanté. 

l'homme en noir 

Dont Pierrot pourrait faire un séjour enchanté. 
C'est l'heure noire et bleue où tout s'idéalise ; 
Veux-tu voir apparaître Aminthe et Cydalise, 
Doriméne ou Florinde, étoiles d'opéra; 
Vite un air de guitare et tradéri déra 
Le jardin s'emplira de songe et de mirage. 
Le charme évocatoire opère d'âge en âge. 
Vois, la rougeur s'éteint à l'horizon sanglant 
Et, blanche comme toi dans son domino blanc, 
Vois monter au ciel bleu la reine des féeries. 
Des bosquets rajeunis, des pelouses fleuries 
ux-tu voir accourir en habits d'apparat, 



LA DAMNATION DE PIERROT 73 

Tout le monde enchanté, que ton rêve adora ! 
Chante, Pierrot, courage. 

PIERROT 

A toi donc, adorée , 
O lune, ô confidente à la face nacrée. 

Pierrot s'assied au pied de l'escalier désert. 
Il chante, et tout à coup déployant en flot clair 
Sa robe de lumière au-dessus des quinconces, 
Surgit la lune; un bleu reflet baigne les ronces. 

CHANSON DE PIERROT 

Tel un doux baiser se pose 
Au front d'un amant discret, 
Apparaît la lune rose 
Dans un ciel gris de Lancret. . 

Dans la nuit et le mystère 
Sur des vieux airs de Lulli 
Embarquons-nous pour Cythère 
Louveciennes ou Marly. 



74 LES GRISERIES 



L'ombre emplit des avenues 
Et dans le vague et l'embrun 
Des parcs les naïades nues 
Ont dit le nom de Lauzun. 

C'est l'heure des sérénades, 
Où les beaux esprits rôdeurs 
Encombrent les promenades 
De rondeaux et de fadeurs. 

En grands chapeaux de bergères, 
En corsets de frais linon 
Des rimes folles, légères 
Font voile pour Trianon. 

C'est l'heure d'être marquise 
Et de permettre à l'abbé 
Le baiser, praline exquise, 
Sur la nuque dérobé. 



LA DAMNATION DE PIERROT J$ 



Je respecterai la mouche 
Que posa le chevalier, 
Et nous aurons Scaramouche 
Pour chanteur et gondolier. 

Tel un doux baiser se pose 
Au front d'un amant discret, 
Apparaît la lune rose 
Dans un ciel gris de Lancret. 

Et dans le parc ombreux se perd la mélodie, 
Et Pierrot stupéfait, la prunelle agrandie, 
Voit paraître au tournant d'un chemin écarté 
Une femme en paniers fleuris : une clarté 
La suit : un cavalier l'accompagne en silence. 
Sous la lune, à pas lents, le beau couple s'avance. 

PIERROT 

Cydalise ! 

l'homme en noir 
Elle-même. 



j6 LES GRISERIES 



PIERROT 

Et souple et voltigeant 
Sur ses pas, tout en soie et taffetas changeant, 
Ce soupirant pâmé, c'est lui, le beau Léandre. 
O falbalas glacés de rose et de vert tendre, 
Cliquetants éventails, chimère, ô pur trésor, 
Cydalise est vivante, Amour triomphe encore ! 
C'est bien elle, un peu lasse et la canne à béquille 
A la main, dans sa robe à fleurs sur fond jonquille 
Et si mince de taille entre ses falbalas, 
Qu'on dirait une guêpe en habits de gala. 

l'homme en noir 
Modère tes transports. 

PIERROT 

Juste au coin de la bouche 
Cydalise autrefois possédait une mouche ! 
• Ah ! ce grain de beauté, quel appel au baiser ! 
Laisse-moi le revoir. 



LA DAMNATION DE PIERROT 77 



L HOMME EN NOIR 

Veux-tu bien t'apaiser ! 
Le galant, qui paonne et roucoule auprès d'elle, 
N'est pas d'humeur à te... 

PIERROT 

Je lui cherche querelle 
Et lui cloue... 

l'homme en noir 
Un moment écoute. 

VOIX LOINTAINES 

Ça ira 
Ça ira, ça ira 
Les aristos à la lanterne. 

pierrot 
Quel est cet air lugubre ? 

l'homme en noir 

Un refrain d'opéra, 
Un bon final de drame. 



78 LES GRISERIES 



PIERROT 

Et sous la lune terne 
Rougissant au milieu d'un ciel soudain plombé, 
Quel est donc ce forban sinistre au dos bombé ? 

l'homme en noir 
Ce comparse ? Le peuple. 

PIERROT 

Un mot pompeux et vide. 

l'homme en noir v 
En effet. 

les voix lointaines, plus rapprochées 
On les guillotinera 
Messieurs les propriétaires, 
On les guillotinera, 
Et le peuple sourira. 

pierrot, avec terreur 

Cydalise a la face livide ! 
Pourquoi cet œil vitreux ? Un effroi m'a glacé. 



LA DAMNATION DE PIERROT 79 

Léandre à ses côtés a l'air d'un trépassé. 
Horreur, leur cou branlant sur leurs épaules bouge ! 
A ces joyaux mêlé quel est ce collier rouge 
Qui coule sur sa gorge ? 

l'homme en noir 

Hé, tes sens sont troublés, 
Tes yeux voient mal. 

pierrot, au comble de l 'épouvante 

J'ai peur. Ces yeux froids et collés, 
Cette bouche entr'ouverte et ce cou blanc qui saigne... 
Ils chancellent tous deux ; leur sang tiède me baigne. 
Grâce, grâce, j'étouffe, ô l'effroyable nuit ! 

La vision sanglante au loin s'évanouit. 

l'homme en noir 
Qu'en dit l'ami Pierrot ? 

pierrot tombe à genoux 

O bon roi Louis Seize ! 



80 LES GRISERIES 



L HOMME- EN NOIR 

La rime juste et bonne en est quatre-vingt-treize. 
Brisés les bleus trumeaux, les Watteau, les Lancret. 
Du pays des baisers au pays du regret 
Il suffit d'un Marat pour faire le voyage ! 
A Paris maintenant, au Présent. 

Un nuage 
Enveloppe Pierrot roulant des yeux hagards. 
La vasque, l'escalier, le vieux parc aux regards 
S'effacent, et l'on voit pointer dans la nuit brune 
Les dômes de Paris dormant au clair de lune. 



LE COIN DES ESTHETES 



SECOND S1NET 



SECOND SINET 



POUR MADEMOISELLE LOUISE ABBEMA 



L'or affaibli des chrysanthèmes 
S'allume, jaune et sulfureux, 
Dans un ciel aux nuages blêmes, 
Qu'écarte un souffle douloureux 

Et; par la campagne épandues, 
Les tristesses du Jour des Morts 
Font plus seules et plus perdues 
Ces tristes fleurs et leurs vieux ors 



84 LES GRISERIES 



Pareils à des rieurs défeuillées 
Mortes sous un soleil éteint, 
J'adore leurs pourpres rouillées 
Et leurs pâleurs de viel étain, 

Car dans mes songes, où détonne 
L'éclat des sons et des couleurs, 
Ils mettent un parfum d'automne 
Précoce et doux, sans cri ni pleurs. 

L'or affaibli des chrysanthèmes 
S'allume, jaune et sulfureux, 
Dans un ciel aux nuages blêmes, 
Qu'écarte un souffle douloureux. 



PRINTEMPS MYSTIQUE 



POUR BURNE JONES 



Sous la lune bleue aux caresses molles, 
Par le clair obscur des bois épineux, 
Le printemps s'avance aux sons lumineux 
Des flûtes mêlés aux voix des citholes. 

Entre des fronts blancs nimbés d'auréoles 
Et des yeux rieurs d'enfants curieux, 
Il passe à pas lents et mystérieux 
Et sur ses pieds nus plcuvcnt des corolles. 



88 LE COIN DES ESTHÈTES 



Cressons argentés, violettes fines, 
Primevères d'or, pâles aubépines, 
Tombent sur ses pas en clairs encensoirs, 

Et par les ravins l'odorante neige 

Des pommiers, fumant dans l'ombre des soirs, 

Illumine Avril et son doux cortège. 



RECURRENCE 



POUR PAUL BOURGET 



Des longs enchantements versés par les regards 
Des vieux portraits de femme, apparus dans les Louvre, 
Plus d'un porte une plaie au flanc, qui pleure et s'ouvre 
Et ui fait un front blême et des gestes hagards. 

Ces sourcils triomphants, et, saignantes de fards 
Ces bouches du Vinci férocement royales, 
Ces cheveux roux nimbés de rubis et d'opales 
Ont fait de ma jeunesse une souffrance d'arts. 



90 LE COIN DES ESTHÈTES 

Désormais obsédé des grâces captivantes 

Des Mortes, -insensible au charme des Vivantes, 

Mon cœur au seul passé veut trouver des attraits, 

Et, comme un envoûté des gothiques magies, 
En proie aux vains regrets des vaines nostalgies, 
Je suis un triste et fol amant d'anciens portraits. 



DEVANT UN CRANACH 



POUR MAURICE BARRÉS 



Sous un grand chaperon de peluche écarlate 

Un clair escoffion brodé de perles rondes 

Enserre un front de vierge aux courtes mèches blondes, 

Une vierge à la fois féroce et délicate. 

Des chaînons ciselés, des colliers, vieux ors mats 
Bossues de saphirs et de gemmes sanglantes, 
Étreignent un cou frêle aux inclinaisons lentes, 
Jaillissant comme un lys d'un corset de damas. 



92 LE COIN DES ESTHÈTES 

La robe est en velours verdâtre à larges manches, 
Le corset couleur feu ; les doigts de ses mains blanches 
Sont surchargés d'anneaux de verre de Venise ; 

Et de cette main longue et comme diaphane, 
La Judith allemande, enfant naïve, aiguise 
Les dents d'un Holopherne égorgé, qui ricane. 



DEVANT UN LARGILLIÈRE 



POUR PAUL BOURGET 



Au fond d'un ancien parc, idéal Empyrée, 
Une svelte marquise, Eliante ou Chloris, 
D'un flot de clairs satins aurore et bleu d'iris 
Dresse un front rayonnant de déesse poudrée. 

Un sourire hautain sur la lèvre pourprée, 
Les yeux d'un noir de jais par le fard attendris, 
Au front le croissant d'or étoile de rubis 
Et le carquois d'argent sur l'épaule nacrée, 



94 LE COIN DES ESTHÈTES 



La déesse apparaît en superbe apparat ; 

Mais malgré Tare d'ébêne et le grand air sauvage, 

La femme, qu'un Bourbon, roi de France, aimera, 

La favorite rit dans cet altier visage, 

Diane est Cythérée et, comme à l'Opéra, 

Au fond du parc ombreux brûle un beau ciel d'orage. 



DEVANT UN FRANTZ HALZ 



POUR EMILE HENNEQ.UIN 



Dans un corps baleiné, renflé comme un ciboire, 
Tout de satins crémeux et d'opaques velours, 
C'est une dame étrange aux traits heurtés et courts, 
D'une laideur fantasque et rare de grimoire. 

En sa jupe espagnole à la fois blanche et noire 
Elle a Pair de sourire aux baroques amours 
Et montre avec orgueil, entre les tuyaux lourds 
De sa fraise,^ une gorge aux tons de vieil ivoire. 



96 LE COIN DES ESTHÈTES 



Bouche épaisse et gourmande, œil dévot, air narquois, 
Elle rit et d'un geste auguste et fier d'Infante 
Elle pince un bouton de rose entre ses doigts. 

De sa mine fallote heureuse et triomphante, 
Elle rit, se sachant, à défaut de traits droits 
Et fins, une laideur en voluptés savante. 



DEVANT UN FRAGONARD 



POUR PAUL BOURGET 



Au fond d'un parc immense, adorable, irréel, 
D'un vaporeux de songe, où les lointaines lieues 
Font les eaux couleur d'aube et les charmilles bleues, 
Au bord d'un clair étang, nuancé comme un ciel, 

Tourne un colin-maillard de rêveuses marquises 
Et de gais Alcindors aux gestes envolés, 
Tandis qu'au loin s'enfonce et fait à travers blés 
Un chemin de campagne aux lignes indécises. 



98 LE COIN DES ESTHÈTES 

Quel conte ce Léandre au corps svelte et cambré 

Dit-il à cette femme assise nonchalante ? 

L'heure est encore plus tendre et douce, que galante, 

Et, pour bien indiquer que l'endroit est sacré, 
Là-bas dans le chemin des blés, de rieurs coiffées, 
Veillent en habits blancs deux formes, qui sont fées. 



EFFEUILLEMENT 



POUR JORIS-KARL HUYSMANS 



Dans un vieux ciboire d'étain 
S'effeuille, morne et douloureuse, 
Une rose d'automne ocreuse, 
D'un jaune de soleil éteint. 

Prés d'un grand verre de Venise, 
Sur un tapis d'ancien lampas 
La rose malade agonise 
D'un lent et somptueux trépas 



IOO LE COIN DES ESTHÈTES 

Parmi les étoffes brochées, 
Dont les vieux ors appesantis 
Semblent réfléchir amortis 
Les tons de ses feuilles séchées. 

Au fond dans Pombre des tentures 
Un grand vitrail limpide et clair 
Laisse apparaître les mâtures 
D'un port de pêche, un ciel d'hiver, 

Un ciel tiède et doux de Décembre, 
Dont les gris de cendre attendris 
Font de la rose aux tons pourris 
Une transparente fleur d'ambre ; 

Et cette hautaine agonie 
De fleur parmi ce luxe ancien 
Est bien dans l'âme et l'harmonie 
De ce logis patricien, 



EFFEUILLEMENT 101 

Ce logis, où sous de longs voiles 
De grands archiluths attristés 
Font de leurs manches incrustés 
De nacre et d'or autant d'étoiles. 

Un doux relent de frangipane, 
A force de douceur malsain, 
Discrètement monte et s'émane 
D'un angle, où dort un clavecin, 

Et cette chose pauvre et laide, 
Qu'est PefFeuillement d'une fleur, 
Devient une exquise douleur 
Dans cette chambre haute et tiède. 

Dans un vieux ciboire d'étain 
S'effeuille, morne et douloureuse, 
Une rose d'automne ocreuse 
D'un jaune de soleil éteint. 



INTÉRIEUR 



INTÉRIEUR 



POUR LE DUC JEAN DES ESSEINTES 



I 



Un retrait calme et sombre, au plafond vert de mer, 

Aux murs de vieille étoffe éclatante flétrie, 

Où le feu des béryls à largent se marie 

Dans un fond lumineux d'argyrose et d'or clair, 

Sur de sveltes bahuts drapés de satin chair 
Des ciboires massifs en lourde orfèvrerie, 
Des missels et, venus à grands frais de Syrie, 
D'étroits coffrets de nacre à serrure de fer ; 

* 9 



106 LE COIN DES ESTHÈTES 



Une vierge d'émail, un crucifix d'albâtre 
Presque décomposé dans la clarté bleuâtre 
D'épais culs de bouteille éraflés de points d'or, 

Un jour malade et faux de verre de Venise 
Qui, parmi l'équivoque et somptueux décor, 
Met un mystère ancien de bysantine église. 



INTÉRIEUR 107 



II 



Et là, sur un grand lit à colonnes d'ébéne, 

Aux longs rideaux taillés dans de vieux étendards, 

Surgirait imposante et farouche aux regards, 

Les cheveux micacés d'or jaune, une enfant reine, 

Une Infante espagnole en jupe à large traîne, 
Pesante de ferrets et raide de brocarts 
Et, sous l'auguste enduit des poudres et des fards, 
Nous suggérant l'effroi d'une vie incertaine... 



108 LE COIN DES ESTHÈTES 



Et cela d'autant plus que dans un coin discret, 
En face de Fenfant, assise triomphante, 
Resplendirait dans l'ombre un étrange portrait, 

Représentant assise en sa robe bouffante, 

Raide d'ancien brocart et lourde de ferret, 

Une autre enfant royale, aux airs glacés d'Infante. 



INTÉRIEUR 109 



III 



Et calmes, Tune et l'autre appuieraient à la fois 
Leur main droite, un peu grêle, au pommeau d'une Épée 
Et de leur gauche, avec un geste de poupée, 
Érigeraient un Lyséclos entre leurs doigts... 

Et chacune à ses pieds aurait, fille de rois 
Et d'archiducs d'Autriche, une Chimère ailée 
Et derrière elle un Paon, toute queue étalée, 
Déploierait ses cent yeux d'émeraude et d'orfrois. 

9- 



110 LE COIN DES ESTHÈTES 



Mais, pour bien indiquer l'entière obédience 
Due aux augustes fronts ceints du nimbe étoile. 
La roide fleur de Lys serait en or filé, 

L'héraldique Chimère une antique faïence 
Et, chef-d'œuvre ambigu d'art et de patience, 
Le Paon multicolore en métal émaillé. 



INTÉRIEUR III 



IV 



Oh ! dans la chambre obscure, où l'or des saints ciboires 

Etincelle, évoquant dans ses fauves reflets 

D'exquises trahisons de prélats violets, 

Oh I renifler l'encens des sanglants oratoires ! 

Devant un flot bouffant de lampas et de moires 
Où s'ébauche une pâle Infante aux doigts fluets, 
Revivre, ô rois d'Espagne, au fond de vos palais 
Sinistres, vos édits et vos horribles gloires. , . 



112 LE COIN DES ESTHÈTES 



Rouges autodafés, bûchers à peine éteints, 
Chiens de juifs égorgés au seuil des basiliques, 
Sous Pceil indifférent d'Infants mélancoliques, 

Et tous de père en fils scrofuleux, leurs destins 
Étant de naître ainsi, pourris et catholiques, 
Avec des cœurs d'apôtre et des reins incertains. 



1 



INTÉRIEUR II3 



Un retrait calme et sombre, au plafond vert de mer, 
Aux murs tendus d'étoffe ancienne et flétrie, 
Où le feu des béryls à l'argent se marie 
Dans un fond lumineux d'argyrose et d'or clair, 

Dans l'éclat amorti d'une blême soierie, 
Surpendre un bout d'épaule, un implorant éclair 
De regard d'hérétique et tout l'horrible enfer 
Des vieux peuples dévots à la Vierge Marie ! 



114 LE COIN DES ESTHÈTES 

N'est-ce pas un plaisir esthétique et royal, 
A l'heure où la clarté du vitrail agonise 
De revivre les mœurs d'un vague Escurial, 

Et, dans un jour faussé, qui verdit et s'irrise, 
D'aimer une automate au charme glacial 
D'enfant reine, attifée en madone d'église ? 



ÉVANGILE 



SELON JORIS-KARL HUYSMANS 



Des nuances, des demi-teintes : 
Evite le cri des couleurs, 
Fuis Péclat des tons querelleurs 
Et brutaux ; hors de leurs atteintes 

Parmi les étoffes éteintes 
Et les vieux satins receleurs 
D'exquises et vagues pâleurs, 
Sois Pérmile de des Esseintes. 



Il6 LE COIN DES ESTHÈTES 

Eveille en frôlant les velours 
D'une frêle main de phtysique 
La soyeuse et fine musique 
Des reflets délicats et courts. 

Sois le morne amant des vieux roses, 
Où l'or verdâtre et l'argent clair 
Brodent d'étranges fleurs de chair, 
Où s'appâlissent des chloroses. 

Mais avant tout aime et cultive 
La gamme adorable des blancs : 
Dans leurs frissons calmes et blancs 
Dort une ivresse maladive. 

Leur fausse innocence perverse, 
Où, pourpre entre tant de candeurs, 
Le rêve d'un bout de sein perce, 
Est un poème d'impudeurs ! 



L*E COIN DES ESTHÈTES II7 

Aux bleus de lin mêlant le mauve, 
Sache avec des tons effacés 
Évoquer un songe d^alcôve 
Et de baisers éternisés ; 

Puis, pour fixer ta rêverie 
Revenue enfin du Japon, 
Qu'aux murs une tapisserie 
Vert pistache ou bleu céladon 

Déroule un rang de Canéphores 
Et de Vestales de Leroux 
Inclinant de sveltes amphores 
Sur la sveltesse de leurs cous. 



Des nuances, des demi-teintes : 
Évite le cri des couleurs, 
Fuis l'éclat des tons querelleurs 
Et discordants, sois Des Esseintes. 



\ 



7 



VIEUX CONTE 



VIEUX CONTE 



POUR LE PRINCE EDMOND DE POLIGNAC 



C'était une pensive et douce créature 
Aux épaules frêles, froides, comme azurées, 
Aux petites oreilles jamais effleurées 
D'aveux d'amour. 

Un parc à l'ondoyant murmure 
La gardait dans son ombre invisible et murée. 
Parmi la clématite et la pourpre des mûres 
Elle errait, blanche et calme, écartant les ramures, 
Et les lilas neigeaient sur sa tête dorée. 

7- 



122 LE COIN DES ESTHÈTES .♦ 

Son père, un vieux baron, guerroyait dans de vagues 
Et très lointains pays pour un roi de Bohême, 
Et l'enfant solitaire, assise entre les vagues 

De verdure, épelait quelqu'antique poème 
Ou suspendait distraite une à une ses bagues 
Aux tiges des roseaux empanachés d'or blême. 



VIEUX CONTE I23 



II 



Bossue de béryls et de gemmes sanglantes, 
Là-bas dans une antique, austère et vaste salle 
Resplendissait, posé dans un coffret d'opale, 
Un épais tortil d'or; et des lueurs brûlantes 
Brazillaient dans le clair obscur. 

Un peu tremblante 
La belle, en étouffant sourdement sur la dalle 
Son pas, y pénétrait parfois et, toute pâle 
De crainte, essayant la tiare étincelante ; 

Minute exquise, où l'âpre effroi d'une agonie 
Poignait son juste orgueil de ceindre la couronne, 
Un vieux conte enfantin voulant, sombre ironie 



124 LE COIN DES ESTHÈTES 



Que le nimbe étoile, qui rayonne et fleuronne 
Aux tempes du baron, face dure et jaunie, 
Se brisât au front blanc de la jeune baronne. 



VIEUX CONTE 125 



III 



La vaste salle au Sud, au Nord, devant, derrière 
Baignait et ses piliers et ses voûtes poudreuses 
Aux lourds entablements de pierre, aux vaporeuses 
Et fuyantes clartés d'une immense verrière. 

Là dans le noir châssis de plomb, vertes, affreuses 
Vivaient en verre peint trois vieilles filandiéres, 
Groupe horrible accroupi sur trois rouges chaudières, 
Pleines de jaune écume et d'œuvres ténébreuses. 

Nuit et jour, aux reflets de la lune argentée, 
Aux obliques rayons du mourant crépuscule 
Des trois spectres hideux la salle était hantée ; 



126 LE COIN DES ESTHÈTES 



Et l'enfant, de parure et de rêve occupée, 

Et dans leur trame, hélas ! vivante enveloppée, 

Elle, ne voyait pas leur conciliabule. 



VIEUX CONTE 127 



IV 



De violettes, d'iris et de clématites 
La belle avait tressé sa lourde, souple et blonde 
Chevelure, et prenait pour s'en coiffer la ronde 
Et massive couronne... 

Horreur ! ses deux petites 
Mains ont lâché le nimbe, une sueur inonde 
Son ront blême. 

Edentée, ignoble et décrépite 
Une mégère est là qui ricane et s'agite, 
Puis une autre hideuse et puis une autre immonde. 



128 LE COIN DES ESTHÈTES 



L'hostile vision grandit, flamboie et rampe 

Aux murailles... l'enfant tombe en criant... sa tempe 

Vient heurter au tortil, dont l'or pesant éclate. 

L'éclat luit et pénétre en sa chair délicate, 

Sur sa nuque de neige un long jet d'écarlate 

Se mêle à sa toison jaune et, comme une lampe. 



VIEUX CONTE 129 



Agonise la svelte et douce créature, 
L'enfant aux épaules froides, comme azurées, 
Aux petites oreilles jamais effleurées 
D'aveux d'amour. 

Un parc à l'ondoyant murmure 
La tenait dans son ombre invisible et murée. 
Parmi la clématite et la pourpre des mûres 
Elle errait blanche et calme, écartant les ramures, 
Et les lilas neigeaient sur sa tête dorée. 

Son père, un vieux baron, guerroyait dans de vagues 
Et très lointains pays pour un roi de Bohême, 
Et l'enfant solitaire, assise entre les vagues 



I30 LE COIN DES ESTHÈTES 



De verdure, épelait quelqu' antique poème, 
Ou suspendait distraite une à une ses bagues 
Au* tiges des roseaux empanachés d'or blême. 



PRINTEMPS CLASSIQUE 



POUR GUSTAVE MOREAU 



Debout contre un cippe, au pied d'un portique 
Dont un lierre étreint l'épais marbre roux, 
Ses doigts caressant sa flûte à sept trous, 
Un beau pâtre nu siffle un air antique. 

Il siffle; et les dieux, le ciel de l'Attique, 
Et la mer Egée aux flots lents et doux 
Et la terre Hellas, dont il est l'époux, 
Vivent dans son rêve et son chant rustique. 



I32 LE COIN DES ESTHÈTES 



Il chante ; et là-bas sur les promontoires, 

Dans leurs temples d'or assis dans leurs gloires, 

Les dieux t'ont souri, Grec au front pensif, 

Et font sur la roche, où ta main les cueille, 
Pour ta chèvre grasse et ton bouc lascif 
Fleurir le cythise et le chèvrefeuille. 



TABLE 



Les Griseries 

Arrivage 3 

Fragonard 7 

Fête galante, sonnets 1 15 

- II 17 

- III 19 

- IV 21 

- V 23 

Les Boulingrins 25 

Rocaille, sonnet 29 

Fanerie 31 

Les Paons blancs, sonnet 3$ 

Coin de parc 37 



134 TABLE 

Le Voyageur, sonnets I 43 

II 45 

— m 47 

IV 49 

V si 

Maussaderie 53 

Embarquement 57 

Premier sinet 63 

La damnation de Pierrot 67 

Second sinet 84 

Le Coin des Esthètes 

Printemps mystique . . 87 

Récurrence , sonnet 89 

Devant un Cranach, sonnet 91 

Devant un Largillière , sonnet 93 

Devant un Frantz Halz, sonnet 9$ 

Devant un Fragonard, sonnet ....... 97 

Effeuillement 99 

Intérieur, sonnets I 105 

— II .107 

— III . 109 

— IV ni 

— V 115 



TABLE 135 

Evangile 115 

Vieux Conte, sonnets I 121 

— II 123 

— III 125 

— IV 127 

— V 129 

Printemps classique 131 



ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CH. HERISSEY 



i:t,V 



This book should be returned to 
the Library on or before the last date 
stamped below. 

A fine is incurred by retaining it 
beyond the specified time. 

Please return promptly.