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LES^ GUEKRES%E LA RÉVOLUTION
(troisième sérib)
WISSEMBOURG
(1793)
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
Le général Chanzy. (1883.)
(Courouné par l'Académie française, prix Montyon.)
LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION
PHBlilÈRB 8ÉRIB.
I. La première Invasion prussienne. (1886.)
II. Valmy. (1887.)
III. La Retraite de Brunsiviok. (1887.)
[Couronnés par l'Académie française el par TAcadémie des
sciences morales el politiques, prix Gobert et grand prix
Audiffred.)
DEUXIÈME SÉRIE.
ly. Jemappes et la Conquête de la Belgique. (1890.)
V. La Trahison de Dumouriez. (1891.)
(Couronnés par l'Académie française, grand prix Gobert.)
TROISIÈME SÉRIE.
VI. L'Expédition de Custine. (1892.)
YII. Mayenoe. (1892.)
Jeâ.n-Jagques Rousseau (1893J.
GŒTHE. — Campagne de France, avec introduction el
commentaire. (1884.)
GŒTHE. — GôTz DE Berlichingen, id. (1885.)
GŒTHE. — Hermann et Dorothée, id. (1886.)
SCHILLER.— Le Camp de Wallenstein, id. (1888.)
LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION
(tiiois:6hb sfiitiB)
WISSEMBOURG
(1793)
ARTHUircHUQUET
Danxlème EdiUon
PARIS
LIBRAIRIE LÉOPOLD CERF
13, RUK DK MtiDlClS, 13
Tdui draitB rMarvéi
PREFACE
Deux volumes précédents ont retracé la pointe de
Custine en Allemagne et le siège de Mayence. Le
présent volume, qui s'étend de la première semaine
d'avril aux derniers jours d'octobre 1793, décrit les
mouvements des deux armées de la Moselle et du
Rhin, braves, ardentes, exaltées, mais indisciplinées,
désorganisées, vouées à la défaite, et, sans les dis-
sentiments des alliés, à Técrasement. Après mille
péripéties singulières, ces deux armées, vivement
attaquées par les Autrichiens, mollement entamées
par les Prussiens, sont rejetées. Tune derrière la
Sarre, l'autre sous le canon de Strasbourg.
CHAPITRE 1
BR
RULZHEIM
I. Custiae rejeté sur Landau. — Ses premières alarmes. -~ Ses mesures
de défense. — Il reçoit da nouveau le commandement des deux
armées de la Moselle et du ]^in. — Mission de Berthelmy. — Hou-
chard remplace d'Àboyille à l'armée de la Moselle. — Custine à Sarre-
brûck. — Indiscipline. — II. Les représentants du peuple. — Lettre
du général au duc de Brunswick. — Querelle avec Montaut, Ruamps
et Soubrany. — Custine à l'armée du Nord. — III. Landremont à
Herxheim. — Affaire du 17 mai. — Panique,. — Rôle de Ferrier. —
Ses démêlés avec Custine. — Positions des armées de la Moselle et
da Rhin. — Le camp de Hornbacb.
I. Rejeté sur Landau dans les derniers jours de mars
1793, après les combats de Waldalgesheim et de Bingen,
coupé de cette ville de Mayence qu'il avait conquise à la
République française et qu'il abandonnait avec la cer-
titude qu'elle ne pourrait être secourue et que, dans six
mois au plus, elle tomberait fatalement aux mains des
Prussiens, Custine fut un instant éperdu. Après s'être
vanté de répandre en Allemagne les principes de la
Révolution et d'ébranler dans ses fondements le saint
Empire germanique, après avoir caracolé par les rues de
Francfort en triomphateur, après avoir reçu les clefs de
Coblenz et envoyé des lettres de sauvegarde à la Chambre
WISBBMBOURa. 1
8 WISSBMBOURa
de Wetzlar et à TUaiversité de Gôttîngae, il se voyait
réduit à regagner précipilamment TAlsace et à défendre
la frontière.
Aussi, plus que jamais, accusait-il tout le monde,
excepté lui-môme. Pourquoi le laissait-on manquer d'ar-
tillerie? Pourquoi ne lui donnait-on pas la cavalerie
qu*il réclamait depuis si longtemps avec les plus vives
instances ? Son armée n'existait que sur le papier ; elle
n'avait qu^une apparence d'organisation; et quelle orga-
nisation ! Pas d'ofSciers-généraux, très, peu de canons,
huit à dix escadrons de dragons et de chasseurs. Voilà
où aboutissaient les brillantes mesures de ce Beurnon-
ville dont Timprévoyance soldatesque avait entassé
fautes sur fautes ! Et que d'ennemis s*oppos9ient à lui 1
Plus de quatre-vingt mille, disait-il ; et il les énumérait
exactement, comme s'il avait eu sous les yeux Tordre
de bataille des alliés : 39,000 Prussiens, 22,000 Autri-
chiens, \ 2,000 Hessois. Il calculait le chiflre de leur cava-
lerie, qui comptait, à n'en pas douter, 50 escadrons de
hussards et 20 escadrons de dragons; il ignorait tou-
tefois le nombre des cuirassiers.
Que faire, s'écriait-il, contre cette irruption? Gom-
ment arrêter cette « inondation de barbares esclaves i ?
Ne fallait-il pas céder au torrent, du moins pendant
quelques jours? Il proposait d'évacuer Lauterbourg, d'é-
vacuer Wissembourg, d'évacuer les lignes de la Lauter
qu'il jugeait mauvaises et dégradées*, d'évacuer Dru-
senhcim et la Basse-Alsace. Il abandonnerait à elles-
1 Lettre que Laveauz reproduisît le 20 juillet dans le Journal de
la Montagne pour prouver que Custine voulait c décourager les pa-
triotes ». Selon Legrani, le général ne pensait pas à celte retraite : il
avait le plus grand besoin de fourrages et de farines ; il voulait faire
peur aux administrations et stimuler leur zèle.
RULZHfilM 3
mêmes les forteresses, Fort -Louis, la Petite - Pierre ,
Lichtenberg, Strasbourg, Schlestadt ; déjà les adminis-
trateurs du Bas-Rhin avaient ordre d^amasser dans ces
cinq places tous les magasins du plat pays; déjà le
commandant de Schlestadt devait dresser Tétat de ses
munitions de guerre et de bouche et prescrire aux habi-
tants de s'approvisionner pour six mois. Gustine sup-
posait môme qu'il serait rejeté dans la plaine au-delà
des gorges de Phalsbourg.
Mais les Âustro-Prussiens ne bougèrent pas. Fré-
déric-Guillaume n'avait d'autre dessein que de prendre
Mayence. Wurmser se contentait d'observer Landau,
tandis que Brunswick établissait son quartier-général à
Edenkoben. Seul, Hohenlohe-Iogelfingen s'avança jusque
dans le pays de Deux- Ponts : dans un dîner, qu'il avait
offert au roi de Prusse, le duc Charles avait sollicité le
secours du généreux prince qu'il appelait le protecteur
des peuples germaniques, et Frédéric-Guillaume avait
ordonné que Hohenlohe occuperait Hombourg et Deux-
Ponts pour préserver de l'invasion française le magni-
fique château du Garlsberg *.
Les frayeurs de Gustine se calmèrent. Il respira, re-
prit haleine, et devenu plus froid, plus rassis, il fit sans
hâte fébrile, sans précipitation étourdie, ses préparatifs
de défense. Il porta son armée en arrière de Landau,
entre cette place et Billigheim. Il nomma Gilot com-
mandant de Landau, lui donna une garnison de 7,400
hommes, et lui enjoignit de ne rendre la ville que lors-
qu'elle serait un monceau de cendres. Il forma un corps
de pionniers qui devait faciliter les communications et
* Massenbach, Jfetnoiren^ 1803, 1, 175-176 ; Remling, Die Shein-
pfaU inder Revolutionneit^ 1865, I, p. 319-326; Gesch. der Kriege
in Europa, I, 181-185.
4 WISSEMBOURQ
diminuer les obstacles de la marche en un pays difficile
et monlueux : chaque bataillon de Tarmée enverrait à
Haguenaa un soldat sur cinquante, et ce soldat serait
choisi parmi les hommes les plus robustes et les plus
accoutumés à remuer la terre. Il requît les départements
du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Haute-Saône, du Jura,
du Doubs, des Vosges de faire occuper les postes de la
rive gauche du Rhin par une partie de la garde natio-
nale sédentaire. Il pria le général d'Abo ville, qui com-
mandait Tarmée de la Moselle S de rassembler ses troupes
dans le Deux-Ponts et de dresser un camp sous les
murs d^ Bitche : les deux armées devaient se coller aux
Vosges, se prêter mutuellement appui, arrêter Tenva-
hisseur dans les montagnes, le forcer à des combats
toujours hasardeux en cette région malaisée, et, autant
que possible, le prendre à revers. Enfin, il demanda,
comme lieutenant, au Conseil exécutif, Achille Du Ghas-
tellet, dont il vantait les talents ', et choisit pour chef
d'état-major un officier vaillant et passablement instruit,
Baraguey d'Hilliers, qui venait d'organiser à Villefranche
la légion des Alpes *.
» Cf. L'expédition de Custine, 249.
* Cusline au Conseil exéc, 12 mai (A. G.]. Cf. sur Du Chastellet,
Trahison de Dumouriez, i4.
3 Louis Baraguey d'Hilliers, successivement volontaire au 53* rég.
(i783), sous-lieutenant (1" avril 1784), lieutenant en 2* (23 nov. 1787),
lieutenant en \" (!•' avril 1791), démissionnaire (l*' mai 1791), capi-
taine au 11* d'inf. (15 nov. 1791), aide-de-campdeCrilloa (10 févr. 1792)
et de La Bourdonnaye (27 mai 1792), lieulenant-colouel de légion
(28 juillet 1792), avait été nommé général de brigade le 4 avril 1793. Il
fut suspendu le 27 juin suivant, remis en activité le \" prairial an III,
destitué et arrêté le 19 vendém. an IV, réintégré le 23 brumaire an IV,
et promu général de division le 20 ventôse an V. Ct*. sur lui les Mém,
de Lavallette (1831, I, 97-119); Lavallelte, le futur directeur-général
des postes, servait alors dans la légion des Alpes et suivit Baraguey
d'Hilliers à l'armée du Rhin comme sous-lieulenant au 93* régiment
BULZHEIM 5
Dans le premier moment, il avait offert sa démission^
et il informait le Comité de défense générale qu'il atten-
dait son successeur avec impatience ^ Mais bientôt,
ressaisi par l*ambition, il écrivit à ses amis de Paris
qu'on devait lui confier le commandement de toute la
frontière entre Longwy et Bâle. Le 6 avril, son désir
était exaucé; il redevenait général en chef des deux
armées de la Moselle et du Rhin, et il marquait aussitôt
à d'Aboville : a ce ne sont plus des prières, ce ne sont
plus des invitations que je vous adresserai désormais :
ce seront des ordres. » Et les ordres que reçut d'Abo-
ville furent de former sous Bitche un camp de 6,000
hommes, de rassembler dans le Deux-Ponts la partie
disponible de son armée et de pousser avec la plus
grande célérité son avant- garde jusqu'à Hombourg.
Pour hâter l'exécution des mesures qu'il avait pres-
crites, Gustine envoya l'adjoint Berlhelmy à d'Aboville.
Il se rappelait, sans doute, que Frédéric II avait coutume
de dépêcher à ses généraux un aide-de-camp qui les
dirigeait et leur imposait la volonté du maître. Ber-
lhelmy, que Custine nommait un homme probe et vrai-
ment civique, devait « anéantir toutes les hésitations,
lenteurs et retards » ; sa mission durerait jusqu'au jour
où l'armée de la Moselle aurait couvert les issues de la
frontière et garni les débouchés de la Petite-Pierre et de
Bitche •.
et aide-de-camp. Un des officiers de d'Hilliers ie juge ainsi : c c^est
un homme rempli de l'amour de sa patrie et de |çéaie qui, je suis sûr
un jour sera un grand général; il en à tous les moyens t.
^ Il s^imaginait que ce serait Deprez-Crassier. Cf. sur ce point et
sur tout ce qui précède sa correspondance dans les premiers jourt
d'avril (À. G.).
* Custine a d'Aboville, 9, il, 12 avril ; au Comité de salut publie
et à Bouchotte, 12 avril (Â. G.).
6 WISSBMBOUBG
Le vieux d'Abo ville ne demeura pas longtemps sous
la tutelle de Berlhelmy. Le 29 avril, Houchard le rem-
plaçait. Gustine jugea que le ministre Bouchotte faisait
à Houchard'un funeste présent; l'ancien colonel du
2«» chasseurs, disait-il, t est excellent pour commander
une avant-garde; je crains qu'il n*échoue dans le com-
mandement d'une armée ' s>. Mais il savait que Houchard
serait docile et suivrait aveuglément son impulsion. Lui-
même se rendit bientôt à Tarmée de la Moselle pour la
passer en revue et voir de près les officiers-généraux ;
if dans cet instant critique on ne pouvait plus connaître
les hommes ».
Il trouva l'armée postée selon ses désirs : deux batail-
lons près de Sarrelouis; Tavant-garde, sous les ordres
du général Delaage, en avant de Sarrelouis ; dix-huit
bataillons et le parc d'artillerie à Forbach ; les carabi-
niers entre Sarrebrùck et Sarreguemineé ; trois régi-
ments de cavalerie, de Sarrebriick à Sarrelouis; six ba-
taillons, ainsi que le \^' dragons et cent hussards de la
légion de la Moselle à Biieskastel ; la réserve com-
mandée par PuUy, en avant de Bilche, à Hornbach, où
elle formait un corps dit le corps des Vosges et commu-
niquait par sa gauche avec Biieskastel et par sa droite
avec l'armée du Rhin. C'étaient environ 30,000 hommes
qui gardaient les frontières de la Lorraine, et les recrues
ne cessaient d'arriver. Mais les troupes ne s'étaient pas
remises encore de l'expédition de Trêves. Au mois de
janvier, le commissaire national Simon qui les visitait,
écrivait que leur indiscipline dépassait tou(e imagina-
tion, que les détails faisaient horreur. Au mois d'avril,
elles ne s'étaient pas amendées. Il y avait, sans doute,
> Cusline à Bouchotte, 15 avril [A. G.).
BUI.ZHBIM 7
d'excellents régiments de ligue, comme le 5°, le %î^, et de
solides bataillons de volontaires : le 4°' de Saône-et-Loire
assistait l'année précédente à la canonnade de Valmy ;
le V de la Meurthe semblait animé du meilleur esprit ;
le 2^ de Seine-et-Marne était tout à fait remarquable par
la composition de ses officiers. Néanmoins Tarmée res-
tait désobéissante, insubordonnée, avide de butin. La
trop fameuse légion de la Moselle, ce ramassis de voleurs
et de brigands, était toujours la terreur du pays de Sarre-
brûck. On ne voyait dans les marches que des traînards
qui s'attardaient aux cabarets. Houchard se plaignait
que le pillage fût devenu de mode; a les ordres journa-
liers, disait-il, ne sont pas lus à la troupe; quelquefois
même personne ne les lit ; les rassemblements des corn*
pagnies, les appels, la police, tout est oublié. » Les offi-
ciers n'osaient réprimander et châtier leurs hommes ;
s'ils voulaient se montrer sévères, le soldat les traitait
d'aristocrates et menaçait de les dénoncer, a Vite un
code militaire, s'écriait La Barolière, vite la peine de
mort, et que les formes soient promptes; une tête de
moins en sauvera mille ' I »
L'armée du Rhin ofi'rait un spectacle semblable. Cus-
tine accusait les officiers d'abandonner leurs compa-
gnies à elles-mêmes et de « laisser tout périr » ; on
devait, ajoutait-il, a ranimer la machine » pour empê-
1 Blaùx à ses collègues, 6 et 7 avril (Rec. Âulard ou Recueil des
Actes du Comité de salut public avec la correspondance officielle des
représent afUs en mission et le registre du Consul exécutif provisoire ^
m, 130 et 149); d'Aboville au ministre, 26 avril (A. G.); Simon et
Grégoire à Le Brun, 12 janvier (A. N. Fi* 40-41) ; Schauenburg à
Houchard, 12 juin; La Barolière aux citoyens..., 19 avril (A. G.);
Corresp, des jacobins, n* 188, 22 avril, Houchard à lavant-garde;
cf. Sxpéd, de Custine, 159-172, Tétat de celte môme armée, et Trahison
de Dumouriez, 52-54, Tétat de Tarmée de la Belgique.
8 WISSEMBOURa
cher une complète désorganisation^ et il se promettait
d'user d'une sévérité terrible et salutaire*.
Il n'osa faire les exemples qu'il annonçait. Mais il
s'efforça tant bien que mal de discipliner l'armée, de la
pourvoir d'artillerie et de cavalerie, de former et de
dresser les nouveaux venus. Les commissaires le pres-
saient de marcher sur Mayence et de dégager la ville-
assiégée : « On ne peut espérer des succès, répondait
Gustine, qu'avec des troupes exercées. »
II. Un décret du 30 avril avait nommé quatre repré-
sentants du peuple près l'armée de la Moselle : Le Vas-
seur de la Meurthe, Maîgnet, Maribon-Montaut et Sou-
brany. Dix autres représentants étaient attachés à
l'armée du Rhin. Ils se partageaient la besogne. Merlin
de Thionville et Reubell étaient enfermés dans Mayence.
Ferry, Laurent, Ruamps surveillaient le Doubs et les
départements du Rhin. Tout ce qui appartenait à la dé-
fense des places et au développement des forges, fa-
briques nationales et manufactures d'armes, était du
ressort de Ferry, ancien professeur à l'Ecole du génie
de Mézières. Les opérations propres au Comité central
de correspondance roulaient sur Louis et Pflieger qui
séjournaient à Strasbourg. Les camps, armées et canton-
nements étaient dans les attributions de Haussmann, de
Du Roy et de Ritter '.
Tant de commissaires qui portaient sur toutes choses
leurs regards soupçonneux, gênaient et importunaient
Gustine. Il se plaignit à Bouchotte de leur continuelle
intervention dans les affaires militaires : les représen-
> Gustine à Le Brun, 10 avril (A. E.).
* Recueil Aulaid, IV, 135.
BÛLZEiBlSf 9
tants, disait-il, tranchaient les questions sans lui donner
avis, et se mêlaient des objets dont il était seul respon-
sable. Il fut bientôt en lutte avec eux ^
Il avait prié Brunswick de comprendre le traître Boos
dans un échange de prisonniers *, et sa lettre prodiguait
à Tauteur du Manifeste leis compliments et les louanges;
il le qualifiait d* a Altesse Sérénissime » et vantait sa
grande âme; il assurait que la sagesse de Guillaume-
Ferdinand, sa philosophie, son amour pour le peuple de
son duché rappelaient à être le soutien de l'opprimé et
le pacificateur du monde *. Cette missive excita Tindi-
gnation de Maribon-Montaut, de Ruaraps et de Sou-
brany. Quoi ! un général français rendait hommage aux
vertus de Brunswick 1 Une pareille lettre ne suffisait-
elle pas pour lui retirer toute confiance 1 Et cet homme
osait se dire le sauveur de la patrie ! Il osait rêver la
dictature, écrire à la Convention qu'il fallait au pays un
homme à grand caractère * ! Et rassemblée entendait
avec indifférence cette profession de foi ! Elle ne punis-
sait pas cet excès d*audace, n^envoyait pas le coupable
au tribunal révolutionnaire 1 Elle ne se souvenait donc
ni de Lafayette, ni de Dumouriez! Elle laisserait Cus-
' Custine à Bouchotte, l*** mai [A.. G.}.
« Mayence, 178-179.
' Custine à Brunswick, 5 mai (A. N. d. xlii 4] ; Mon., 14 mai;
Révolution de Paris, n* 201, p. 346 (c il y a dans cette lettre, dit
Prudhomme, des expressions qui sentent l^esclaya^çe *] ; Le Batave,
n* 90 (avec des notes de Custine qui c servent de correctif et d'expli-
cation • ; il assure, par exemple, qu'il voulait dire que la philosophie
de Brunswick Rappelait avant la guerre à être le pacificateur du
inonde). Plus tard, dans une adresse du 30 juin à la Convention, les
Jacobins de Strasbourg reprochèrent à Custine de prodiguer l'encens
et les caresses à Brunswick, au lieu de le battre.
* Cf. Sxpédit. de Custine, 263, la lettre où Custine demandait, à
mots couverts, de pleins pouvoirs pour sauver la France,
40 WISSBMBOURO
tine tenter à lui seul, ce que tous les rois coalisés de
l'Europe avaient Inutilement tenté I
Les commissaires interpellèrent Gustine en présence
de son état-major. Il leur répondit-qu'il ne pouvait écrire
à Brunswick une lettre injurieuse. « Mais, lui dit Mon-
tant, il y avait, entre les injures et les flagorneries, un
style noble et fier qui convient au général d*une armée
républicaine, et ce style, vous ne Tavez pas pris. » Gus*
tine s'échauffa, a Je suis républicain, s'écriait-il^ et je
hais les rois. i> — « Soit, répliquèrent les représentants,
mais vous devez comprendre Thorreur que le nom seul
des rois inspire aux républicains. Jamais le peuple fran-
çais ne reconnaîtra dans Brunswick le pacificateur du
monde ; jamais il ne louera la vertu, la philosophie des
despotes qui veulent étouffer le génie de la liberté dans
son berceau. Si nos armées étaient bien conduites, elles
dicteraient elles-mêmes les conditions de la paix. » Gus-
tine offrit sa démission à plusieurs reprises. Les com-
missaires lui répondirent froidement qu'ils ne pouvaient
Taccepter, mais que le sort de la France ne dépendait
pas d'un individu. Enfin, voyant que Gustine parlait
trop haut, ils lui rappelèrent qu'ils étaient les représen-
tants de la nation '.
Le général manda sur-le-champ cet entretien à la Gon-
vention. Devait-on, disait-il, mépriser tous les rois
parce qu'ils ont eu le malheur de naître sur le trône !
Mais^ puisqu'il avait perdu la confiance des commis*
saires, puisque Montaut et ses collègues l'accusaient de
développer dans sa lettre à Brunswick des sentiments
indignes d'un républicain, il ne pouvait plus comman-
der les armées françaises, et il attendait un successeur*.
» Rec. Aulard, IV, 16-17,65.
> Mon., 14. mai 1793.
BiJLZHBIM 44
L'assemblée accueillit par des murmures le tilre
d' « Altesse Sérénissime s que Gustine donnait à Bruns-
wick. Toutefois, elle parut blâmer ses commissaires, et
plusieurs membres demandèrent leur rappel : Gustine
était Tunique général de la République, et Tarmée du
Nord le réclamait à grands cris comme le seul qui pût
remplacer Dampierre, et arrêter la marche victorieuse
de Gobourg. Le 43 mai, à deux heures du matin, le
Gomité de salut public conférait à Gustine le comman-
dement des armées du Nord et des Ardennes, et le môme
jour, dans la séance de la Gonvenlion, il déclarait par
la voix de Barëre que la lettre du général au duc de
Brunswick ne contenait rien de suspect. On ne pouvait,
disait Barère, désapprouver Montant et ses deux col-
lègues ; ils avaient agi par excès de zèle ; ils pensaient
avec raison qu*un général ne doit jamais politiquer avec
Tennemi ; mais n'avaient-ils pas dépassé les bornes et
ne s'étaient-ils pas emportés trop passionnément contre
un homme dont les sentiments républicains ne faisaient
aucun doute? Gustine, ajoutait-il, avait su résister à la
manie diplomatique, établir la discipline, assurer la
comptabilité, imposer les assignats ; il avait envoyé le
plus exactement les états de revue ; le Gomité cédait au
désir de l'armée du Nord veuve de son général ; Gus-
tine irait en Flandre ; Dieltmann commanderait pro-
visoirement Tarmée du Rhin et serait subordonné à
Houchard *.
III. Gustine accepta : il quittait avec regret une armée
qu'il avait, disait-il, organisée, et un pays où il servait
depuis le commencement de la guerre ; mais les ordres
« Mon., 15 mai; Le Batave, n» 90; Rec. Aulard, IV, 129 el 137.
12 WlSSSlf BOURG
du Comité étaient précis ; il partait donc pour prouver
son obéissance ^
Par malheur, avant de s'éloigner, il s'avisa de tenter
une fois encore la fortune des armes. Il avait eu le 6 mai
un léger avantage. Il voulait introduire dans Landau
un certain nombre de recrues, et pour faciliter Topéra-
lion, il avait chargé Landremont, qui commandait son
avant-garde^ d'occuper l'adversaire sur un autre point.
Au lieu de faire une simple feinte, Landremont agit
offensivement afin de montrer aux ennemis c un petit
essai du courage des républicains i. Le 6 mai, à cinq
heures du matin, il marcha sur Rheinzabern et refoula
un avant-poste autrichien. Sa troupe formait deux co-
lonnes qui devaient tourner Herxheim, Tune par la
droite, Tautre par la gauche. Mais Seriziat, qui dirigeait
la colonne de droite, commença l'attaque une heure trop
tôt : sa cavalerie impatiente se jeta dans Herxheim à
bride abattue, sans attendre de signal, et il dut la suivre
en faisant un feu violent d'artillerie et de mousqueterie.
Les Impériaux purent se sauver dans la forêt voisine et
gagner Rûlzheim. L'affaire était néanmoins honorable
pour les Français. L'ennemi laissait plus de deux cents
morts et blessés sur le terrain, et l'infanterie légère,
commandée par Delmas et Ferino, avait déployé la plus
brillante valeur; les chasseurs du Rhin, disait Landre-
mont, et les volontaires du \^^ bataillon de la Gorrèze
ont chassé tout ce qui se trouvait devant eux*.
> Gustine à Houcbard et au Conseil exécutif, 15 mai [A. G.] ; cf.
Mon.^ 20 mai.
' Lettres de Gustine {Afon., 14 mai ; Batave^ 15 et 18 mai], de Lan-
dremont aux représentants et à ses troupes, 7 mai; de Montaut,
Ruamps et Soubrany à la Gonventioo, 8 mai [A. N. D xlii 4); de
Chassaigcac [De Seilhac, Les bataillons de volontaires de la Corrète,
RiJLZHBIU 43
Ce combat de Herxheim encouragea GustioB. Il réso-
lut de frapper un grand coup, de faire conlre les lignes
autrichiennes une éclatante démonstralion, de couron-
ner la fin de son commandement d^Alsace par un succès
retentissant. Les deux armées de la Moselle et du Rhin
eurent ordre de se porter en avant dans la journée du
17 mai : il fallait, disait Gustine, les aguerrir, augmen-
ter leur ardeur, leur donner les moyens de tenter de
plus hardies entreprises; il fallait montrer aux coalisés,
par une attaque « leste et vigoureuse », qu*ils avaient
devant eux des républicains qui ne leur laissaient pas
de repos ; il fallait les étriller et accroître « le dégoût qui
naissait parmi les troupes prussiennes ».
Le but du général Moustache était d'enlever un corps
de trois bataillons et de trois escadrons que les Autri-
chiens avaient poussé vers Rûlzheim. Mais, pour que
Topération réussît, il fallait contenir de toutes parts les
alliés. Gustine mil en braule Tarmée de la Moselle. Hou-
chard dut, le 17 mai, au matin, avec trois brigades d'in-
1882, p. 51). Charles Seriziat, d*abord commandant du 1*' bataillon de
RhÔne-et'Loire, puis adjudant-p^énéral, avait pris part a Texpédilion
de Trêves (Expéd, de Custinê^ 166) et Beurnon ville le protégeait. « Il
s^est toujours parfaitement conduit, rapporte Legrand, mais ses enne-
mis voulaient le perdre. • (Cf. au procès de Cusline la déposition de
Treutel, Mon,^ 3 sept.]. Il était depuis le l*" février 1793 général de
brigade. Le 7 mai, il fut suspendu par Haussmann, Montaut, Ruamps
et Soubrany. C'était Ruamps qui Tattaquait avec le plus de violence :
t Ce Seiiziat, écrivait-il, disait au commencement de la guerre quMl
voulait faire la guerre i tous les jacobins ; ami servile de Broglie, il
protesta conlre la suspension du roi, et au lieu d'être suspendu lui-
même, fut nommé commandant amovible à Bitche, puis général de
brigade, et envoyé comme commandant à Strasbourg, d'où il fut
chassé par le vœu des jacobins ; à Herxheim, il a donné des preuves
de son ineptie et de sa perfidie en n^exécutant aucun des ordres
donnés par Landremont ; nous le suspendîmes et, cependant, il a été
nommé, par un ordre du 11 juin, général de brigade dans Tarmée des
Alpes. » (Ruamps au Comité, 19 juin, À. N. Dxlii, 4.)
44 WISSBMBOURa
fanlerie et sa cavalerie entière, débusquer les Prussiens
de Limbach en les prenant à revers ; puis se porter vive-
ment sur le Garlsberg et, « après avoir fait ses efforts
pour détruire les ennemis, se retirer tranquillement sur
sa position primitive ». Custine rengageait à faire un
grand nombre de prisonniers : « ce sont des Prussiens ;
il ne faut pas tout tuer ; quant aux Autrichiens et aux
Hessois, je vous les abandonne, faites-en chair à pâté » :
phrase malheureuse qui fut tournée plus tard contre
Custine et devint un des griefs principaux de ses adver-
saires politiques*.
PuUy seconderait Houchard. Sa division porterait en
face de Deux-Ponts une tête de colonne ; une autre co-
lonne attaquerait les ennemis à Plrmasens en tâchant
de tomber sur leurs derrières ; le mouvement terminé,
Pully rentrerait dans son camp *.
Restait Tarmée du Rhin. Falck, avec neuf bataillons
et quelques cavaliers, se dirigerait sur Annweiler pour
inquiéter les Prussiens. La garnison de Landau, ap-
puyée par le colonel O'Meara et le 6* bataillon d'infan-
terie légère, occuperait Queichheim, jetterait des tirail-
leurs dans les vignes de Nussdorf et de Dammheim, et
ferait jusqu*à la nuit close de nombreux simulacres de
marches pour alarmer les Impériaux. Ghamharlhiac, qui
commandait Fort-Vauban, ci-devant Fort-Louis, opére-
rait une semblable démonstration sur la rive droite du
Rhin : il s'efforcerait de refouler tous les postes autri-
chiens, mais se bornerait à des menaces *.
i Cf. le procès de Cusliae, Mon., 19 août 1793.
» Custine à Pully, 15 mai (A. G.).
» D'Hilliers i Gilot, à O'Meara, à Cbambarlhiac, 16 mai (A. G.).
Dominique- André Chambarlhiac avait été successivement cadet au
Régiment du Roi (janvier 1763), lieutenant en second à TÊcole de
RÛLZHBIM 45
Ferrier, qui conduisait la droite de rarmée» avait pour
iastruction de s'engager lorsquUl entendrait la canon-
nade tonner à Riilzheim : certain de n'être pas tourné
sur son flanc droit, il pousserait en avant, placefait ses
troupes en échelons et chasserait les Autrichiens de la
forêt de Bienwald, puis de Rheinzabero. Quant à Gus-
tine, il se proposait d*attaquer Riilzheim et de faire
main basse sur les Impériaux qui gardaient ce village.
Ces dispositions furent exécutées sur presque tous les
points mollement et sans entrain. Pully attaqua plu-
sieurs postes en avant de Deux-Ponts et à Gontwig sur
la route de Pirmaseus, et fit quelques prisonniers*.
Houchard se porta sur Limbach ; il vit de loin les
Prussiens se replier vers Hombourg ; mais à une lieue et
demie du Carlsberg, il commanda la retraite. Pourquoi
se serait-il emparé du château? Custine lui prescrivait
de lâcher la position sitôt qu'elle serait prise. Dès lors,
à quoi bon la prendre? Fallait- il sacrifier inutilement
quelques braves gens pour s'établir sur une montagne
qu'on abandonnerait ensuite ? Les représentants Mai-
gnel. Montant, Soubrany accompagnaient l'armée; ils
refusèrent absolument de se prononcer; ils s'étaient fait
une loi, disaient-ils, de ne se mêler des opérations mili-
taires que lorsqu'elles pourraient compromettre le salut
de la République ; mais ils mandèrent à Paris que les
Prussiens avaient fui et que les républicains^ fatigués
Mézières (1773],iDgéDieur (18 janvier 1775), capitaine (30 mars 1786),
lieutenant-colonel [8 novembre 1792). Le {•' germinal an 111, il était
nommé chef do brigade-directeur des fortifications ; le 6 frimaire an V,
général de brigade à l'armée d'Italie. Un agent de Bouchotte, Garne-
fin, le regardait comme < un des plus chauds et des plus zélés défen-
seurs de la République par ses principes prononcés et par ses talents
militaires >. [Garnerin aux jacobins, 20 juin 1793, A. Q.)
« Mémoire de Pully (A. G.).
16 WISSRMBOURQ
de poursuivre des fuyards, et désireux de se battre,
n'avaient reçu qu'avec douleur Tordre de regagaer leurs
cantonnements '.
Falck imita Houchard. Il entra dans Annweiler à dix
heures du malin et passa la journée à charger sur des
voitures toute Favoine qu'il trouva ; au soir, il rebrous-
sait chemin sans avoir tiré un coup de fusil '.
La garnison de Landau fit tranquillement une prome-
nade hors des murs.
Ghambarlhiac voulait traverser le Rhin. Mais les artil-
leurs autrichiens, postés sur la rive droite, ouvrirent
leur feu sur les premières barques qui tentaient le pas-
sage, et malgré les menaces du capitaine et du lieute-
nant des pontonniers, les bateliers refusèrent de démar-
rer. Néanmoins, écrivait Ghambarlhiac, « le but de
Gustine était rempli, puisqu'on avait attiré du monde
dans cette partie* ».
Gustine enfin, qui se réservait, comme à Spire, le rôle
principal, échoua piteusement. Il était parti le 46 mai,
à huit heures du soir avec Diettmann, vingt-six batail-
lons d'infanterie, trois régiments de cavalerie, trois
régiments de dragons et deux régiments de chasseurs
à cheval. Mais les inévitables lenteurs d'un état-major
qui entrait en exercice et opérait pour la première fois,
avaient singulièrement retardé la marche. Les soldats,
fatigués, accablés par la chaleur du matin, n'avaient ni
eau dans leurs gourdes, ni rien pour se rafraîchir. Saus
tenir compte de leur lassitude, le général ordonna de
* Lettre des représentants, 19 mai {Mon. du 25) et rapport d'Hé-
douville, 20 mai (A. G.].
« Falck à d'Hilliers, 18 mai (A. G.).
» Ghambarlhiac à d'Hiliiers, 17 mai; Gebler, Oesteir. milit. Zeit-
ehrift, 1834, IV, p. 13.
rOlzhbim 17
marcher plus vile encore. Au sortir d'Iasheim appa-
rurent les premiers postes autrichiens ; ils se retirèrent
aussitôt. Gusline remarqua leur honne contenance :
« Les Autrichiens, dit-il à Baraguey d'Hilliers, sont
prévenus de notre attaque, nous ne trouverons rien. »
On était aux abords de Herxheim. Delmas mit en fuite
un détachement de pandours qui tentait de résister, et
le 40^ régiment de chasseurs à cheval entra dans le vil»
lage. A. peine cette troupe débouchait-elle de Herxheim
qu'elle vit s'avancer à sa rencontre les dragons de TEm-
pereur et trois escadrons de la légion de Mirabeau. Elle
chargea sur-le-champ, sans reconnaître l'adversaire, et
fut ronopue. Gustine envoya le 9^ régiment de chasseurs
à son secours. Malgré le feu de l'artillerie que les Impé-
riaux avaient cachée dans les seigles, le 9® chasseurs
s'élança résolument, culbuta les dragons de l'Empereur
et les hussards de Mirabeau, s'empara des deux canons
du bataillon Gyulai, et se laissa, dans l'ardeur de la
poursuite, entraîner jusqu'à Rûlzheim. Mais, accueilli
presque à bout portant par une fusillade bien nourrie,
chargé parla réserve de la cavalerie autrichienne, il dut
bientôt tourner bride et abandonner les canons qu'il
avait pris. Gustine le rallia, arrêta les Impériaux et se
retira sur sa colonne d'infanterie.
Gette colonne, que commandait Diettmann, s'achemi-
nait à une lieue derrière Tavant-garde^ dans les bas*
fonds qui bordent le Klingbach, et après une marche
pénible, elle sortait du vallon et atteignait la hauteur^
Mais le bataillon de tête, le W^ des volontaires du
Doubs, n'avait pas encore vu la guerre. A l'instant où
il se déployait sur le plateau, deux pièces de canon
arrivaient au galop et soulevaient un gros nuage de
poussière. Dans le même temps accourait le 9*^ régiment
WISSEMBOURG. 2
18 WISSBMBOUBa
de chasseurs en pleine déroute, puis se monlraient le
40^ chasseurs, ainsi que Custine et son étal-major. Le
bataillon du Douhs, croyant avoir les Autrichiens sur
les hras, fait un feu roulant de toutes ses armes et se
met à fuir. Le 2® bataillon du Haut-Rhin, composé pour
la moitié de recrues qui n'avaient quitté leurs villages
que depuis quinze jours, imite l'exemple des volontaires
francs-comtois. Lui aussi tire sur les chasseurs, puis
lâche pied. La panique saisit la colonne d'infanterie.
On n'entend partout qu'une clameur d*elfroi : sauve gui
peut! nous sommes perdus I Bataillons et pelotons se ren-
versent les uns sur les autres. En moins d'un quart
d'heure, six mille hommes se répandent, s'éparpillent
dans le vallon du Klingbach et se précipitent à toutes
jambes vers la route de Wissembourg, criant à la trahi-
son, jetant leurs havresacs, leurs gibernes et leurs
fusils, pour courir plus vite.
Un monticule dérobait aux ennemis cette débandade
inattendue. Le désordre fut promptement réparé. Cus-
tine, Baraguey d'Hilliers, les principaux officiers, les
représentants, Haussmann, Du Roy, Ferry, allaient de
tous côtés rallier les fuyards. < Français, disait Custine,
ne faites point feu, c'est voire cavalerie! » Baraguey
d'Hilliers gagnait l'extrémité du vallon et agitait un
drapeau qu'il avait ramassé. Des officiers et des sous-
officiers de serre-file de l'infanterie se détachaient de
leurs bataillons et, le sabre à la main, secondaient les
efforts du chef d'état-major. Le 3« et le 46« de ligne, le
l®*" des volontaires de l'Ain, plusieurs autres encore
restaient fermes au milieu de la dispersion générale et
gardaient leurs rangs. Le lieutenant-colonel Mengaud
avait, au bout de cinq minutes, ramené le 2® bataillon
du Haut-Rhin. Bref, après quelques moments d'affreux
BÛLZHSIM 49
désarroi, les brigades, remises de leur frayeur, "fee re-
formèrent, se rapprochèrent, et la cavalerie, elle aussi
rassurée, vint s'abriter derrière l'infanterie *.
Pendant ce temps Landremont repoussait les Autri-
chiens qui venaient de Germersheim. La retraite qu'il fit
avec autant d'intelligence que de valeur, sans se laisser
entamer, lui valut, outre les éloges de Cusline, le grade
de général de division. Ainsi que lui se signalèrent,
dans cette journée, le vieux Lafarelle, qui reçut au front
une grave contusion, le colonel Labarbette et le lieute-
nant-colonel Neuilly, du 41« dragons, le capitaine Desaix
et un homme qui fut un des instruments les plus utiles
de Napoléon, Glarke, alors lieutenant-colonel du 2« cava-
lerie. Glarke avait eu son cheval tué sous lui ; il prit le
fusil d'un blessé et se rangea dans le 2^ bataillon du
Haut-Rhin, qu'il ne quitta qu'à la fin de l'action. Les
représentants, admirant son sang-froid, le nommèrent
sur-le-champ générai de brigade, puis le firent chef de
l'état-major. L'afiaire du 47 mai est la dernière à la-
quelle ait assisté le futur duc de Feltre '.
Durant l'échauffourée, qu'avait fait Ferrier qui com-
> Cf. sur Taffaire de Rûlzheim la lettre de Cusline du 18 mai
{Mon, du 23), la lettre des représentants Haassmann, Du Roy,
Ferry et celle de Meojçaud du même jour, la relatioa d'Hilliers,
20 brum. an IV (A. G.) ; Gouvion Saint-Cyr. I, 56-62 ; Lavallette,
Mém,, I, 121 ; Gay-Vemon, Custinâ et Bouchard, 158-164 ; D'Ec-
quevilly, I, 72-75 ; De Vivie, Un cadet en 419^^ Charles de Cornier,
1886, p. 24-25; Oesch. der Kriege in £uropa,lf 194-195; Gebier,
Oesi. fnilit, Z., 1834, IV, p. 11. Le lieutenant-colonel du 11* batail-
lon du Doubs, Pergaud, fut arrêté et c se fit justice en se donnant la
mort ». Les Français eurent 400 morts et blessés; les Impériaux, 129.
* Cf. Saint-Cyr et surtout Lavallette, I, 124 < Glarke joignait au
goût et à rhabitude du travail d'état-major toute la souplesse d'un
bomme qui veut parvenir et cet esprit de conduite dont on accuse les
Irlandais. •
tO WISSBMBOUBa
mandait la droile ? Il devait s'ébranler dès qu'il enten-
drait le canon. Mais vainement Ferino l'avertit que le
signal était donné. Vainement, un aide-de-camp, envoyé
par Gustine, l'informa que le moment de Tatlaque était
venu. Ferrier ne bougea pas. L'aide-de-camp lui proposa
de pousser une reconnaissance, a Votre général, s*écria
Ferrier, m'a député un trop jeune maître pour me dicter
ma leçon », et il resta, comme auparavant, inactif)
inerte. Il ne fît marcher ses bataillons qu'avec une len-
teur extrême. Il prit les plus minutieuses précautions
pour assaillir les postes autrichiens épars dans la forêt
de Bienwald, et s'arrêta sur la rive droite du Klingbach,
à l'entrée du bois de Herxheim. Baraguey d'Hilliers
l'accuse d'avoir causé le désastre par son « silence
inouï », par sa • lâcheté », par sa « trahison » ; Ferrier,
dit-jl, avait l'ordre précis d'attaquer vigoureusement
l'ennemi en avant de lui; lise tint sur la défensive, ne
montra aucune troupe hors des bois, ne lira pas un coup
de canon *.
Pourtant, ce Ferrier n'était pas incapable. Très métho-
dique et tellement circonspect qu'il paraissait timide et
irrésolu, il réparait son indécision par sa bravoure et sa
connaissance du métier. « Ni fort aimable, ni fort so-
ciable, écrit l'indulgent Biron, il est très patriote et très
militaire, et cela doit faire passer sur le reste. » Il avait
un beau renom de jacobinisme ; lorsqu'il commandait
dans le Vaucluse, il acceptait la présidence du club
d'Orange, et l'on prétendait qu'il avait dansé avec Jour-
dan Coupe-Tête une farandole que les émigrés ne lui
pardonneraient pas. Le camp de Huningue le deman-
dait comme général à l'Assemblée législative. Les jour-
1 Noie de Legrand et relaliga de Baraguey d'Hilliers (A. G.).
RULZHEIM 21
nalistes, et surtout Laveaux, exaltaient son caractère
civique, assuraient qu*il parlait en républicain dans les
sociétés populaires, qu'il était digne de conduire des
sans-culottes, qu'il ne se plaignait jamais de Tindisci-
pline de ses troupes^ qu'il ne jouait pas au grand sei-
gneur, qu il traitait ses soldats sans morgue, comme s'il
eût été leur camarade et leur ami. Mais une ambition
insatiable dévorait Ferrier ; il frondait ses chefs, ne ces-
sait de les contredire et de les dénigrer, et, secrètement,
par tous les moyens, même les plus vils, cherchait à les
supplanter. On l'accusait de correspondre sous main
avec Ronsin et Vincent et de faire le délateur. Depuis
longtemps, il détestait Gustine. Il avait organisé le déta-
chement qui chassa les Autrichiens des gorges de Por-
rentruy vers la fin d'avril 1792, et il fut très mortifié
que Gustine reçût le commandement de l'expédition. Il
déchaîna contre son rival les clubs de Belfort et de
Huningue qu*il tenait sous son ascendant et qui repro-
chèrent à Gustine d'avoir permis aux Impériaux d'échap-
per. Le général Moustache lui rendit la pareille ; il pro-
posa de lui confier la défense de Landau, mais il le
nommait le plus grand brouillon^ le plus grand bavard
et l'homme le plus incapable du monde, absolument im-
propre à former un plan de guerre et à l'exécuter * .
> Biron à Servan, 22 sept. 1792; Gustine à Biron, 8 sept., et à
Pache, 14 nov. 1792 (Â. G.) ; Bœpéd. de Custine^ 3. Cf. le Journal
de la Montagne^ n*« 28, 29, 33, 88 ; le jugement que portent sur Ferrier
le 27 octobre 1792 Guyton, Prieur et Deydier (A. G.) ; Aulard, Soc,
des Jacobins, 1892, II, 123, et le rapport de Gâteau [2.^ juin, A. G. :
« on lui reproche d'être tremblant dans Pexécution >]. Ferrier, dit
Legrand, « attaché de \ieilie date à d'Orléans, était toujours, maigre
ses efforts, suspect dlntriguer en faveur de ce prince. Avec de Pesprit,
il B^est constamment trompé sur les moyens ; avec des talents, et tout
en discutant le plan d^une opération militaire, il n'en a jamais exé~
cuté une passable ; brave comme individu, il était irrésolu et indécis
22 WISSRMBOURQ
Dès le lendemain du combat de Rûlzheim, Gustine
appelait Ferrier à Wissembourg et Tapostropliait en
termes sanglants : « Vous n*avez pas exécuté mes ins-
tructions et vous avez fait preuve d'ineptie ou de mau-
vaise volonté. )» Ferrier répondit sans s'émouvoir à ces
invectives : Diettmann, disait -il, commandait doréna-
vant l'armée du Rhin, et Gustine n'avait plus aucune
autorité ; lui, Ferrier, ne devait de compte qu'à Diett-
mann, et s'il se présentait au quartier-général, c'était
pour montrer qu'il savait obéir. « On veut, ajoutait-il,
contrôler ma conduite ; c'est moi qui contrôlerai celle
des autres ; votre état-major met udc telle négligence
dans son service qu'il ne m'a pas donné la série des
mots d'ordre pour la seconde quinzaine du mois de
mai. » Gustine sortit des gonds, et, dans sa lettre au
ministre de la guerre^ déclara qu'il n'avait vu paraître
aucune des troupes de Ferrier à la journée de Rûlzheim.
Ferrier se vengea ; il dénonça Gustin« et envoya son
confident, l'adjudant-général Gousso, soutenir à Paris sa
dénonciation *. Gustine releva le défi : « Si Ferrier, écri-
comme chef ; il s^est retiré paisible dans ses foyers, bien corrigé de
l'ambition de paraître sur un grand théâtre. » Joseph Fenier du Chft-
telet était né, le 25 mai 1739, a Bavilliers, près de Belfort; succes-
sivement mousquetaire (avril 1754), lieutenant au régiment de Bouil-
lon {{•' février 1757), capitaine dans la légion de Soubise (1«' juillet
1766), employé dans Pétat-major (1770), lieutenant-colonel dUnfan-
terie [17 juin 1770], lieutenant-colonel des grenadiers royaux de U
Guyenne avec rang de colonel (8 avril 1779], il avait été promu maré-
chal-de-camp le 21 septembre 1788 et Ueutenant-généralie 7 septembre
1792. Il fut réformé le 17 octobre 1793 et retraité le 1*' vendémiaire
an VllI. U ne mourut que le 29 novembre 1828^ à Tfige de quatre-
vingt-neuf ans.
* Aussi Ferrier et Cousso étaient-ils exécrés des ofBciers de Parmée
du Rhin. En 1817, Gousso, devenu très royaliste, se présenta dans
les salons de Gouvion Saint-Cyr, alors ministre de la guerre ; les offi-
ciers lui firent un très mauvais accueil, et Rapp le nomma tout haut
BULZHEIM 23
vait-il, n'a pas suivi mes ordres, s'il n'a pas tourné le
flanc gauche des ennemis, s'il s'est arrêté à l'entrée du
bois d'Herxheim, il doit payer de sa tête. Il a beau m'ac-
cuser d'impéritie; il n'est que peu d'individus dans
l'armée qui doutent de la sienne », et il priait la Conven-
tion de le débarrasser de ce frelon qui bourdonnait sans
cesse à ses oreilles *.
Riilzheim fut le dernier acte de Custine en Alsace. Se-
lon sa coutume, il pallia son échec : il voulait n'entre-
prendre l'opération que dans les premiers jours de juin,
lorsque ses troupes seraient plus exercées, et il eût sû-
rement remporté le plus brillant succès; il avait brus-
qué l'affaire parce que les ennemis auraient pu profiter
de son départ pour assaillir inopinément Dietlmann qui
ne connaissait pas le pays ; enfin, il avait eu pendant la
marche des coliques affreuses et il éprouvait encore des
douleurs très vives qui ne le laissaient dormir ni jour ni
nuit. Mais ce revers du 47 mai fut une des causes de sa
perte. « Dans quelles mains nous trouvons-nous î »
mandait un officier à Euloge Schneider*, et trois mois
plus tard, devant le tribunal révolutionnaire, Gâteau
accusait Custine d'avoir conçu l'attaque de Rûlzheim
pour décourager les troupes et précipiter la reddition de
Mayence.
Mais les Jacobins exaltés étaient les seuls qui murmu-
raient contre Custine. Lorsque, le 23 mai, le général
Moustache dit adieu à l'Alsace, il emporta les regrets
de l'armée du Rhin. Le soldat aimait ses façons fa-
milières et gaillardes : il appréciait ses talents ; il le
le dénonciateur de Custine. Cousso s'éloigna sans avoir parlé au mi-
nistre. (Gay-Vernon, 167-168.)
* Custine au président de la Convention, 23 juin, Mon, du 27.
* Argos, !•' juin 1793, p. 465.
24 WISSBMBOUBQ
tenait pour l'unique homme de guerre qu'eût alors la
République. « Quelques méchants et désorganisateurs,
écrit un officier, ont cherché à peindre Custine comme
un traître, et parfois il a été forcé à une grande dureté
qu'on appelle despotisme; mais sa juste fermeté, la
bonne tenue de son armée, ses sentiments républicains
lui ont valu l'estime et Tamour du soldat *. »
On ne doit pas oublier qu'il avait fixé pour longtemps,
sur de belles et importantes positions, les emplacements
des armées. Il avait réparé les anciennes lignes de Wis-
sembourg en plusieurs points, à Saint-Remy, au mou-
lin de Bienwald, à Scheibenhard. Loin d'occuper forte-
ment la rive gauche de la Lauler, et d'y construire trop
de redoutes, comme firent ses successeurs, il avait mis la
plus grande partie de l'armée du Rhin sur les hauteurs
avantageuses de l'autre bord, au camp du Geissberg, en
arrière de Wlssembourg. Il avait envoyé la gauche dans
les gorges de Lembach, jusqu'à Fischbach et Dahn, pour
défendre la route de Bitche et tous les débouchés des
Vosges. Enfin, il avait créé la division qu'on nomma le
corps des Vosges, et qui fut commandée d'abord par
PuUy, ensuite par René Moreaux. Ce corps des Vosges
avait son quartier-général à Hornbach, entre les deux
ruisseaux de la Horn et de la Schwalb ; il occupait les
villages voisins de Hornbach et poussait jusqu'au Eet-
terich. Il protégeait Bitche contre un ennemi qui vien-
drait de Deux-Ponts et de Hombourg ; il préservait le
revers des Vosges, assurait la gauche des lignes de
"Wissembourg, couvrait la communication entre la Lor-
raine et l'Alsace, reliait à l'armée du Rhin l'armée de la
Moselle, dont il formait la droite. La position de Horn-
> Lavallette, Mim,, 1, 122 ; lettre de Grandjean, 17 juin 1793.
RÙLZHEIM 23
bach, inattaquable de front, était donc superbe, selon le
mot de Pully, et, comme dit un officier prussien, excel-
lemment cboisie, non seulement à cause de sa propre
force, mais parce qu*elle répondait à de grands desseins :
en s'installant à Hornbach et au poste avancé du Ketle-
ricb, tout en s^appu^^ant au Rhin, les Français étaient
maîtres de la montagne et pouvaient s'établir avec avan-
tage partout où il leur plairait, sur la rive droite de la
Lauter *.
• Mémoire de Pully (A. G.) ; [Massenbach], Kuri^ Uebersicht des
Feldiuges im Jàhr 4793 awischen dem Rhein und der Saar^ 1793,
p. 10 et 30.
CHAPITRE II
ARLON
I. Dieltmann. — Beauharnais, général en chef de l'armée du Rhin. —
Plan de Kilmaine. — Diversion sur Arlon. — Marche de Delaage. —
Arrivée de Beauregard. — Bataille sanglante et inutile. — Chasseloup-
Laubat et Sorbier. — II. Le grand plan de Custine. — Opposition
de Bouchotte, de Beauharnais, de Houchard, des représentants. — Le
plan approuvé, puis rejeté par le Comité de salut public.
I. Diettmaiia* n'avait accepté la succession de Custine
qu'avec une vive répugnance. C'était un officier de cava-
lerie d'un âge avancé, d'une extrême médiocrité, et,
comme on disait dès cette époque, une vieille culotte de
peau. Il déclara, au sortir du combat de Rùlzheim, qu'il
ne pouvait garder le commandement : il ne connaissait
ni les positions, ni les mouvements, ni les cartes, et ne
savait rien de ce que doit savoir un général en chef.
Après un long entretien avec Custine, les représentants
*■ Cf. sur Dominique Dieltmann, Valmy^ 51, et Trahison de Du^
mouriez, 228. Il était fils d^un vitrier de Lunéville {Journal de la
Montagne, n» 67) ; il avait été nommé en 1792 maréchal-de-c^mp
(22 mai\ et lieutenant-général (12 septembre) ; il mourut Tannée sui'
vante, laissant une veuve et cinq petits enfants (Du Roy au Comité,
8 germinal an II, À« N. AF ii 247).
ABLON 27
Ruamps^. Ferry , Rilter, Du Roy, Haussmann, résolurent
de confier provisoirement Tarmée du Rhin à Beauhar-
nais, et le 29 mai le Comité de salut public ratifiait leur
choix ".
Pendant que Tarmée du Rhin passait dans les mains
de Beauharnais, l*armée de la Moselle livrait la bataille
inutile d*Arlon. Kilmaine rassemblait alors à Sedan un
petit corps de 8,300 hommes qu'on nommait pompeuse-
ment Tarmée des Ardennes. II forma le projet d'opérer
en Belgique une grande diversion qui forcerait les Impé-
riaux à lever le siège de Valenciennes et de Condé.
Prendre Liège, enlever les magasins autrichiens, inter-
cepter les convois qui partaient d'Aix-la-Chapelle, dé-
truire rimmense quantité de fourrages et de munitions
que Cobourg faisait venir par les bateaux de la Meuse,
tel était le plan conçu par Kilmaine et approuvé par les
représentants Hentz et De La Porte. Mais il fallait, pour
assurer la réussite de l'entreprise, que l'armée de la
Moselle agit de concert avec l'armée des Ardennes. Le
chef d'état-major de Kilmaine, Gobert, vint proposer à
Houchard de s'emparer d'Arlon. Tandis que Kilmaine,
disait Gobert, se porterait de Givet sur Dînant et Cirey,
1 Custine à Beauharnais, 23 mai ; les représentants Ruamps,
Ferry, Ritter, Du Roy et Haussmann à Beauharnais, 23 mai; Du
Roy et Haussmann au Comité, 24 mai (A. G.); Àfon, du 31 mai.
Houchard désira, plus tard, passer de l'armée de la Moselle à l'armée
du Rhin ; mais Beauharnais refusa rechange ; il était < connu de
Tarmée du Rhin et connaissait les localités » (10 juin, Beaubarnais au
Comité, A. G.). Néanmoins, le 13 juin, lorsque Beauharnais fut
nommé ministre de la guerre, la Convention, sur la proposition du
Conseil exécutif, approuvée par le Comité de salut public (Rec. Au-
lard, IV, 526), le remplaça par Houchard. Le 22 juin, sur le rapport
du Comité, elle révoquait ce décret et arrêtait que Houchard conser«
verait le commandement de Tarmée de la Moselle, et Beauharnais, le
commandement de l'armée du Rhin.
28 WISSBMBOURQ
son lieutenant Beauregard pousserait par Neufchâteau
et Saint-Hubert sur Arlon. Que les troupes de Hou-
chard, ajoutait Gobert, débouchent en môme temps par
Longwy; qu'elles fassent leur jonction avec le détache-
ment de Beauregard, et attaquent Arlon quî renferme
des entrepôts considérables d'avoine ; puis, qu'une fois
en marche et dans Tentrainement du succès, elles se
rabattent sur Bastogne, La Roche, Durbuy pour gagner
Liège et donner la main à Tarmée des Ardennes.
Houchârd répondit qu'il marcherait en aveugle, à con-
dition de faire une simple pointe sur Arlon et de ne pas
s'écarter trop longtemps; il craignait de compromettre
la frontière dont il avait la garde et n'avancerait vers
Liège que sur Tordre du Conseil exécutif ou des repré-
sentants du peuple. Il chargea de l'expédition le géné-
ral DelaageS mais Delaage ne dépasserait pas Arlon: il
devait se saisir de la ville et, durant deux jours, inquié-
ter l'adversaire et le tenir en haleine; il rentrerait en-
suite à Longwy, après avoir « figuré des marches » et
f décampé partiellement ».
La diversion que rôvait Kilmaine njeut pas lieu. Il
prenait le chemin de Givet lorsqu'il reçut de Gustine
l'ordre positif de suspendre son mouvement. Mais l'ex-
pédition d'Arlon n'était pas contremandée, et Beaure-
gard put assister à la bataille*.
< Delaajçe ou De Laage (Amable-Henrj) était général de division
depuis le 11 février 1793 ; cf. sur lui et sur son rôle dans Texpéditiou
de Trêves Custine^ p. 166-169,
« Houchârd à Kilmaine, 24 mai, 1" et 2 juin; à Delaage, 2 juin ;
Kilmaine à Houchârd, 1*' juin, et à Bouchotte, 18 juin ; Hentz et
De La Porte au Comité, 2 juin (A. G.) ; Gol»ert, Exposé de la conduite
du général Qohert^ 11. Pierre-Raphaël Paillot de Beauregard, nommé
maréchal-de-camp le 1*' mars 1791, était général de division depuis le
15 mai 1793.
ARLON 29
Le 7 juin, Delaage quitta Longwy avec 9,500 hommes
d'infanterie et 4,000 de cavalerie. L'avant-garde et la ca-
valerie avaient à leur tête l'intrépide Tolozan. L'infante-
rie formait trois brigades : Laubadère menait la pre-
mière ;' Desperrières, la seconde ; Châteauthierry, la
troisième*. ,Le parc d'artillerie marchait entre la pre-
mière et la deuxième brigade.
Delaage était faible, irrésolu, tremblant, et, disent avec
raison les commissaires, il ne déploya pas l'activité
qu'ils auraient désirée. Il fallait partir de Longwy dans
la nuit, et fondre soudain à la pointe du jour sur les
cantonnements autrichiens. L'armée ne se mit en route
que vers quatre heures du matin, et il était neuf heures
lorsque Tolozan rencontra les avant-postes ennemis. Des
soldats du 53®, ci-devant Alsace, avaient abandonné leur
drapeau et donné l'alarme au village de Messancy. Tolo-
* Cf. sur Louis Tolozan, colonel du !«' dragons, et général de bri-
gade (depuis le 8 mars 1793), Vaîmy^ Î94 ; — Laubadère (Germain-
Félix) était né à Bassoues d'Ârmagnac, près Mirande, le 20 février
1749 ; soldat au régiment d'À.uvergne (11 mai 1772), sous-lieuienant
(25 août 1773], lieutenant en second (26 sept. 1778], et en premier
(8 janvier 1780), capitaine en second (4 juillet 1784), capitaine de la
compagnie des grenadiers (1*'' sept. 1784), lieutenant-colonel du 12* ré-
giment d'infanterie (4 février 1792\ colonel du 30* (26 oct. 1792), il
était général de brigade depuis le 8 mars 1793 et fut nommé général
de division le 30 juin 1793; — Gabriel-Adrien-Marie Poissonnier Des
Perrières, chef de brigade du 49* régiment d'infanleiie, fut promu gé-
néral de brigade le 30 juin 1793; — Claude- Antoine Cappon Châ-
teauthierry, natif de Paris, avait alors soixante-douze ans. Il avait
commandé dans la garde nationale parisienne le bataillon de la sec-
tion du Mail ; puis, nommé colonel au 102* régiment, il avait pris part
à Texpédilion, ou, comme on disait, à la course de Trêves ; il était
général de brigade depuis le 8 mars 1793. Il devait bientôt quitter le
service et revenir à Paris, le 28 juin de la même année ; mais accusé
d'avoir fait scier l*arbre de la liberté planté à la porte de la caserne
des Cordeliers et d'avoir excité son bataillon contre le peuple dans la
journée du 20 juin, il fut condamné à mort par le tribunal révolution •
naire le 3 frimaire an II. (A. N. W. 297.)
30 WlSSBMBOURa
zan laDça son infanterie légère et deux régiments de ca-
valerie, le 4<» hussards et le 4<'' chasseurs. Mais il ne traî-
nait avec lui qu*une pièce de canon, et la cavalerie
impériale avait la supériorité du nombre. Elle fit une
charge si vigoureuse qu'elle culbuta Tinfanterie et dis-
persa chasseurs et hussards. L'ingénieur de Longwy,
Ghasseloup-Laubat, suivait Tavant-garde. Il vint aussi-
tôt demander à Delaage du renfort et deux canons. Le
général envoya trois cents carabiniers, mais il n'osa
faire davantage. La pluie tombait ; les soldats étaient
épuisés par une marche forcée; Tavant-garde autri-
chienne avait gagné la chaussée d'Arlon et jetait une
grêle de boulets et d'obus sur les troupes de Tolozan qui
se dérobaient dans un pli de terrain et laissaient les
projectiles passer par dessus leurs têtes. Delaage donna
Tordre à Tolozan de se retirer et de prendre position
à sa droite. Toute l'armée campa sur les hauteurs
d'Udange.
Le lendemain, 8 juin, Delaage voulut revenir à
Longwy. Derechef, il prétextait la fatigue, le mauvais
temps, les averses de la nuit précédente. En réalité, il
avait reçu, la veille au soir, une lettre de Houchard qui
lui prescrivait de faire aussitôt sa retraite, puisque
Gustine s'opposait à la grande diversion projetée par
Kilmaine. a Je pressentais, mandait Houchard, ce qui
vient d'arriver, et il est malheureux que ce mouvement
ait eu lieu; nos ennemis sauront notre marche pour une
autre fois ^ » Déjà les équipages de Delaage filaient sur
Longwy ; déjà les bœufs allaient être répartis entre les
brigades. Mais, à cet instant, Beauregard arrivait de Se-
* Voir la lettre de Houchard à Kilmaine, 6 juin 1793 (A. N. w,
280).
ARLON 34
dan par Montmédy avec 2,000 hommes. Etait-ce la peine
de parcourir tant de chemin pour ne pas se battre? Il
vole à la baraque où délibèrent les commissaires de la
Convention; il leur déclare qu'il n'est pas venu de si
loin pour reculer, et demande qu*on tienne sur-le-champ
eonseil de guerre. Delaage se résigna. Il consentit à s*em.
parer d*Ârlon dans la matinée du 9 juin. Mais cette fois
encore, au lieu d'attaquer à la pointe du jour, on ne se
mit en marche qu'à neuf heures : les distributions de
viande s'étaient faites trop tard. Les Autrichiens eurent
donc le loisir de préparer leur défense.
Arlon s'élève sur un petit monticule d'où Ton voit le
terrain descendre et -fuir en pente douce à perte de vue
vers tous les points de l'horizon. C'était alors le carre-
four des ôommunications du pays environnant. Quatre
chaussées principales y aboutissaient : celle de Luxem-
bourg, celle de Longwy, et les deux routes de Namur,
l'une plus ancienne où passait la poste, Tautre récente,
plus longue, mais plus belle et fréquentée par les voi-
tures lourdement chargées.
Schrôder, qui commandait les Autrichiens^ ne dispo-
sait que de sept bataillons et de huit escadrons. Il mit
entre les deux routes de Namur un détachement qui
protégeait ses derrières. Lui-môme, avec le gros de ses
forces, occupait, en avant d' Arlon, un peu en arrière du
village de Weiler, entre la route de Longwy et celle de
Luxembourg, une ligne qui tenait une demi-lieue.
Quatre colonnes assaillirent Schrôder : à droite, Lauba-
dère secondé par la cavalerie de Tolozan ; au centre^ Des-
perrières; à gauche, Château thierry et Beauregard. Un
bols qui se trouvait en avant de la Chapelle-Sainte-Croix,
était le point où devait se faire le développement géné-
ral. Desperrières avait ordre de longer ce bois ; Lauba-
32 WISSBMBOURe
dère de le tourner par la droite ; Ghâteauthierry de se
porter sur la gauche, en conservant entre Desperrières
et lui Tintervalle nécessaire à une brigade. Quant à
Beauregard, il marcherait à la hauteur des colonnes.
Tous ces mouvements étaient appuyés par Tartillerie lé-
gère et par quatre pièces de position ^
Il y eut d*abord un instant d^affreuse confusion. Les
brigades de Laubadère et de Desperrières parvinrent à
se déployer, non sans obstacles. Mais celles de Ghâteau-
thierry et de Beauregard ne purent se mettre en bataille
qu'avec une extrême difficulté; leurs officiers étaient
encore peu exercés ; elles se rejetèrent trop à droite, et
les bataillons manquèrent d'espace pour se développer.
Enfin, toute la ligne s* ébranla. On battit la charge au
même moment. Uardeur était peinte sur les visages, et
de toutes parts retentissaient les cris de Vite la Repu-
aligne. La cavalerie de Beauregard se joignait à celle de
Tolozan, et Tartillerie volante flanquait la gauche de
Desperrières.
Mais Laubadère, entraîné par sa fougue, dépassa la
ligne. Ses bataillons, exposés soudainement au feu de
l'infanterie autrichienne, furent saisis d'épouvante et lâ-
chèrent pied. Les chevau-légersde Kinsky les chargèrent
aussitôt. Il se produisit une Véritable déroute : des sol-
dats, des officiers s'enfuirent jusqu'à Longwy, semant
l'alarme, disant que les ennemis avaient écrasé l'armée
française sous le nombre.
Les carabiniers se précipitèrent pour rétablir le com-
bat. Tous leurs efl'orts furent repoussés. Quatre fois ils
s'élancèrent sur un carré d'infanterie autrichienne qui
* Lcgrand remarque justement que Delaage n^avait pas su se mé-
nager une réserve et quUl dut secourir sa droite avec sa gauche et son
centre.
ARLOK 33
faisait le feu le plus violeat; quatre fois, malgré leur
héroïsme, ils durent plier sous une grêle de balles ; la
moitié d*entre eux restèrent sur la place ; quelques-uns
s'abîmèrent dans le ravin, à gauche de la route de
Luxembourg; neuf officiers furent tués et sept blessés *.
Mais l'artillerie volante, commandée par Sorbier, ac-
courut ventre à terre. Elle mit ses obusiers en batterie à
quatre-vingts pas des Impériaux et leur tira quatre à cinq
coups d'obus à mitraille qui portèrent le désordre dans
leurs rangs. Bientôt arriva la brigade de Desperrières,
déployée en deux colonnes serrées. Puis, se montra Ghâ*
leaulhierry qui suivait le mouvement de Desperrières.
Enfin apparut Beauregard ; il avait marché droit sur
Arlon, dispersé les Autrichiens qui se trouvaient entre
les deux chemins de Namur, et, après avoir installé ra-*
pidement plusieurs postes dans la ville, il venait renfor-
cer l'armée de là Moselle et prendre en flanc les troupes
de Schrôder sur la roule de Luxembourg.
Ces secours achevèrent la débandade des Autrichiens.
Vainement Schrôder tenta de ressaisir le terrain perdu
en débouchant de nouveau par la gauche avec de Tin-
fanterie et tout ce qu'il avait de cavalerie. Desperrières
se jeta vivement à sa rencontre et lui envoya quelques
volées de canon. Schrôder craignit d'èlre enveloppé ; il
gagna les bois et de là Luxembourg, en laissant aux
mains des Français cinq caissons et trois pièces.
* Chayanne, Histoire du 44* cuirassiers, 1889, p. 157-159. De cô
jour grandit la réputation des carabiniers commencée à l'affaire de la
Lune (Fa/my, 190-191 et 247) ; chaque carabinier, disait-on, est un
Tancrède (Le Batave^ n» 237) ; Houchard nomma le régiment Véton-^
nant régitnent et les représentants Prieur et Jeanbon Saint-Ândré
l'appelaient ■ le plus beau corps que nous ayons et le plus coura-
geux ».
WISSBUBOURO. 3
34 WISSEMBOURQ
L'affaire d'Arloa commença la réputation de deux of-
ficiers appelés à uu brillaut avenir : Ghasseloup-Laubat
et Sorbier. Les commissaires de la Convention et Delaage
prodiguaient les éloges à Ghasseloup : non seulement il
avait relevé, réparé les fortifications de Longwy» mai's,
par son activité, par ses conseils, il avait décidé la vic-
toire du 9 juin. On le fit chef de bataillon du génie. De-
laage voulait se l'attacher et demanda pour lui le grade
d*adjudant-généra1. Mais Houchard déclara que les offi-
ciers du génie étaient difficiles à remplacer, quon avait
tort de les employer dans Tétai-major et d'ôter aux villes
fortes de la frontière des sujets utiles, que Ghasseloup
rendait à Longwy les plus grands services et devait y
restera Sorbier, alors capitaine do Tartillerie légère,
avait reçu dans Faction au parement de son habit une
balle qui le contusionna. Delaage obtint pour lui le com-
mandement de deux compagnies d'artillerie volante et
le grade de chef d'escadron *.
A quoi servait néanmoins cette sanglante bataille, tant
vantée par les journaux du temps ? A quoi servait ce
combat que les représentants nommaient avec emphase
un des plus violents de l'histoire, un de ceux qui de-
vaient faire époque dans les annales des guerres de la
liberté? Les Autrichiens avaient opéré tranquillement
leur retraite. Grâce aux lenteurs de Delaage, ils avaient
eu le temps d'évacuer une partie de leurs magasins, et
* Houchard à Bouchotte, 16 juin; les représeutanls au Comité,
21 juin (A. G.).
* C^est ce Sorbier qui devint inspecteur-général de Tartillerie. Son
frère Jean-FranQois servait dans le gén e à Parmée du Rhin, et le
conventionnel Ferry le citait avec éloge : « Sorbier et Catoire, disait-il,
ont surû seuls aux travaux extraordinaires des trois places de Stras-
bourg, de Ncuf-Brisach et de Iluningue. » (Ferry au Comité
12juillet, A. G.)
ARLON 35
les Français ne trouvèrent dans Arlon que 1,5C0 quintaux
de foin, 1,500 quintaux de paille, 4,2100 sacs de farine et
40,000 sacs d'avoine. Encore la farine était-elle détes-
table, et, disent les commissaires, bonne pour les bes-
tiaux; ils la firent distribuer aux habitants \
II. Tandis qu*avait lieu la bataille d'Arlon, une lettre
de Gustine jetait Talarme dans les états-majors des ar-
mées de la Moselle et du Rhin. Le général Moustache
avait exposé, le S8 mai, un vaste plan d*opérations au
Comité de Salut public. Il voulait, disait-il, frapper en
Flandre un coup vigoureux. Peu importait Mayence,
du moins pour l'instant. Mayence se défendait héroïque-
ment ; Mayence détruisait une partie des forces de la
coalition; Mayence obligeait les Austro-Prussiens à faire
d*énormes dépenses ; on avait le temps de délivrer cette
place, et la débloquer sur-le-champ serait rendre un très
mauvais service à la République. Selon Gustine, il fal-
lait dégarnir sans crainte les frontières de TEst et gros-
sir à tout prix l'armée du Nord. Il appelait à lui le
corps de bataille qui campait à Forbach et toute la cava-
lerie de Houchard. Il appelait à lui les plus beaux régi-
ments de Beauharnais : le 42^ bataillon d'infanterie
1 Cf. sur la bataille d'Arlon, la lettre des représentants et le rap-
port de Delaage [Mon.^ 14 et 19 juin ; Rec. Âulard, V, 18-20), la
Relation de ce qu'ont fait les carabiniers à la journée d^Ârlon, signée
Danglars [Journal de la Montagne^ 9 juillet, n« 38] ; note de Legrand
(A. G.) ; Vie politigue et militaire du général À.-M,^&, Poisson-
nier-DesperrièreSf écrite par lui-même, 1824, p. 107-117 (ouvrage
inexact et jactantieux] ; Gebler, Oesterr, milit, Zeitschrift^ 1834, IV,
p. 17-18. Les Autricbiens avaient 32 officiers et 519 soldats hors de
combat ; les Français eurent 194 tués et 632 blessés, mais Legrand
croit, avec raison, que notre perte a été considérablement diminuée.
Un aide-de-camp de Delaage et son adjudant-général restèrent sur le
champ de bataille.
36 WISSBMBOURe
légère, le 8« et le 10* régimeat de chasseurs à cheval, le
44® régiment de dragons et une hatterie d'artillerie vo-
lante. Il appelait à lui Tadjudant- général de Tarmée du
Rhin, Tholmé, et les meilleurs officiers de Tarmée de la
Moselle, le général de division Schauenburg, le chef de
Tétat-major Hédouville, et l'adjudant-général Berlhelmy.
Ne suffisait-il pas de confier la garde des frontières, de
Sarrebrûck à Sarrelouis, au général La Grange et de
donner à La Grange une brigade d*infanterie, les batail-
lons qui faisaient le service des troupes légères, le régi*
ment de dragons et la gendarmerie nationale ? Quant à
Tarmée nouvelle qui compterait 25,000 hommes bien or-
ganisés, et que Gustine formait aux dépens de Houchard
et de Beauharnais, elle se mettrait aussitôt en marche,
sous le commandement de Pully, pour se porter sur
Arlon et de là sur Givet. Après avoir détruit les maga-
sins d'Arlon et refoulé les Autrichiens, Pully reviendrait
à Forbach ; mais il laisserait à Landremont une très
grosse avant-garde, qui comprendrait deux brigades
d*infanterie, trois régiments de cavalerie, deux régi-
ments de dragons, deux régiments de chasseurs à che-
val, le 3<> régiment de hussards, ci-devant Esterhazy,
quatre bataillons d'infanterie légère et la compagnie
d'artillerie volante, tirée du Bas-Rhin. Landremont con-
tinuerait sa route par Pbilippeville, par Beaumont, par
Maubeuge, et ferait sa jonction avec les armées du Nord
et des Ardennes. On aurait ainsi, dans les premiers
jours de*juiilet, des forces considérables qui pourraient
accabler Cobourg. Une fois les Impériaux battus, Tarmée
du Nord occuperait une position imposante. Alors, au
mois d'août, l'armée des Ardennes, unie au détachement
de Landremont, prendrait à revers le pays de Luxem-
bourg et se dirigerait sur Trêves, pendant que Tarmée de
ARLON 37
la Moselle, augmentée d'une division de Tarmée du
Rhin, longerait les Vosges et entrerait dans le Palatinat.
Voilà, concluait Gustine, comment 11 faut rétablir nos
affaires ; voilà comment nous rendrons leur gloire aux
armes de la République ; ce plan de campagne assure le
salut de la Flandre et le déblocus de Mayence tout en-
semble *.
Le 4 juin, dans une conférence à laquelle assistaient
Laubadère, Rivas et Du Ghastellet, les ministres approu-*
vèrent ce plan. Gustine ferait ses dispositions avec la plus
grande célérité. On lui donnerait les objets de tout genre
qu'il demandait, dix mille piques de Tarsenal de Paris et
les fusils qu'on pourrait trouver dans les manufactures
d'armes. Les généraux des armées de la Moselle et du
Rhin avaient ordre de concourir à Texécution de ce beau
dessein sans aucun délai. Houchard enverrait le chef
d'état-major et les officiers supérieurs que désirait Gus?
line '.
Mais Bouchotte avait refusé de signer Tarrèté du Gon-*
seil exécutif provisoire. Il soutenait, non sans raison,
qu'on devait secourir Mayence avant le mois d'août ; il
avait consulté les états d'approvisionnements envoyés
par Gustine, et il déclarait que la place n'aurait pas
assez de munitions de guerre et de bouche pour résister
aussi longtemps. D'ailleurs, ajoutait-il, les frontières du
département de la Moselle seraient-elles suffisamment
couvertes pendant que les bataillons et les escadrons
que commandaient Landremont et PuUy, marcheraient
sur la Flandre et participeraient aux opérations de l'ar-
mée du Nord • ?
1 Custioe au Comité, 28 mai (Â. G.).
» Rec. Aulard, IV, 492-493.
' Boucholte au Comité, 6 juin (À, G.),
38 WlSSSMBOURa
Beauharnais, Houcliard, les commissaires aux armées
du Rhin et de la Moselle joignirent leurs protestations
aux objections de Bouchotte. Les arguments de Beau-
harnais étaient très vigoureux, et il les développait avec
une singulière vivacité. On renonçait donc à délivrer
Mayence sur-le-champ! On désorganisait les deux ar-
mées du Rhin et de la Moselle qui ne seraient plus que
des débris d*armées ! On dérangeait les embrigadements
déjà faits 1 On envoyait en Flandre des troupes qui se-
raient fatiguées, harassées et qui n'apporteraient qu*un
secours tardif! On exposait les départements de la
Moselle et du Bas-Rhin à Tinvasion étrangère 1 II s'éle-
vait contre c rimagination ardente i de Gustine et le
représentait au Comité de Salut public comme un ambi-
tieux qui rêvait la puissance suprême. Un seul bomme
pouvait-il ainsi disposer des ressources militaires de la
France et commander aux armées, de Dunkerque à
Lyon? N'était-ce pas lui donner une influence dictatO'
rialef « Il est reconnu par tous les républicains, disait
Beauharnais, que si la liberté peut être menacée, c'est
par un général. N'y a-t-il pas lieu de s'effrayer de la
force immense qu'un tel fonctionnaire public a dans les
mains * ? »
Houchard n'était pas moins irrité. Il avait sur le cœur
un mot de Gustine imprudemment publié par les jour-
naux, c La conduite de deux armées, écrivait Gustine,
est au-dessus des forces de Houcbard, et la conduite
d'une armée même serait au-dessus de ses forces, s'il
n était dirigé. » Toute vérité n'est pas bonne à proclamer.
Le brave Houchard avait conscience de sa faiblesse et
priait Bouchotte de ne lui confier d'autre armée que
* Beauharnais à Bauchotte, 16 juin [A. G.).
ARLON 39
celle de la Moselle. Mais il gardait rancune à Custine.
Le ^7 mai, il se préseD^Bit devant le Directoire du dépar-
tement de la Moselle et lui demandait justice. Séance
tenante, le Directoire déclara que Houchard ne méritait
pas le jugement que Custine avait porté sur son compte :
Houchard devait tout à la Révolution et n'avait éprouvé
sous raucien régime que Tinjustice et les dégoûts ; Cus-
tine désirait, sans doute, conserver le commandement
des deux armées, ou leur donner des généraux qui lui
seraient dévoués ; mais nul ne pourrait enlever à Hou-
chard la confiance qu'inspiraient ses talents ; Taccuser
d'incapacité, c'était le calomnier, et tout patriote devait
réprimer celte calomnie *.
Le reitre lorrain rejeta donc le pian de Custine sans
égard ni ménagement. Quoi I on lui ôtait ses meilleurs
officiers, Schauenburg, Hédouville, Berthelmy, qui ren-
daient à l'armée de la Moselle de si précieux services et
lui étaient absolument nécessaires l II jura qu'il ne
pouvait se passer de ces trois hommes. Un grand gé^
néral, comme l'était Custine, n'avait que faire d'officiers
intelligents ; lui, Houchard, devait s'entourer de gens
habiles et capables de le soulager, et, sur ses pressantes
instances, les représentants suspendirent le départ de
Schauenburg, de Hédouville et de Berthelmy *.
Les commissaires mirent dans leur opposition plus
d'âpreté, plus de rudesse encore. Seuls, Le Yassear de
la Meurlhe et Haussmann approuvaient les projets de
Custine, et Haussmann, son intime ami, se rendit à
Paris pour les appuyer de toute son inûuence. Mais les
> Houchard à BouchoUe, 30 juillet (A. G.); extrait du registre deB
délibérations du Directoire du département de la Moselle, et lettre
d'envoi au Conseil exécutif, 3 juillet (A. N. AF ii 281),
* Houchard à Bouchotle, \k juin (A. G.).
40 WISSKBl BOURG
autres représentants étaient ennemis personnels du gé-
néral Moustache. Deux d'entre eux, Maribon-Montaut et
Du Roy, accompagnés de Berlhelmy, coururent à Paris.
Ils combattirent avec véhémence le plan de Gusline, ce
chasse-croisé qui jetait le trouble et la confusion dans les
armées de l'Est. Montaut ne tarissait pas en invectives
contre le vaincu de Ruizheim et ses combinaisons per-
fides; « cet homme, s*écriait-il, aime mieux sa gloire
personnelle que celle de la République », et il l'accusait
d*user du mode de contre-révolution qu'avaient employé
Lafayette et Dumourlez ^
Un agent de Bouchotte, Gâteau, s'emportait pareille-
ment contre Gustine. Le Conseil exécutif et le Comité
consentiraient à suivre son plan, c'est-à-dire à morceler
les armées I Ils voulaient faire généralissime un inca-
pable dont Turenne n'eût pas voulu pour aide-de-camp,
un traître qui n'avait d'autre dessein que d'égorger la
République • !
De son côté, Ruamps écrivait au Comité de Salut pu-
blic. Il lui reprochait d'arrêter un plan d'opérations sans
consulter Beauharnais et les commissaires de la Con-
vention. Il se moquait de Haussmann qui patronnait
Gustine : Haussmann ne parlait pas au nom de ses col-
lègues et n'était pas leur Interprète ; il n'avait qu'une
mission de comptabilité ; il devait demander à l'Assem-
blée quelques lois et règlements militaires ; mais il ne
lui appartenait pas de se prononcer sur la guerre,
N'était-ce pas Haussmann qui, dans les derniers jours
de mars, en pleine déroute de Biugen, alfîrmait que
1 Montaut au Comité, 19 juin, et à Bouchotte, 23 juin, Â. G. [il
fait allusion au « cbas8é-croisé > du mois de juin 1792 ; cf. Invasion
prussienne f 49 et Jemappes^ 60).
> Gâteau à Bouchotte, 29 juin (A. G.).
ARLON 44
Gustine ne reculait pas d'une semelle; qui Tautorisait
à faire la brillante sortie du 47 mai ; qui, même après
Bûlzheim, souhaitait que le général pût garder son com-
mandement en Alsace ? Non^ disait Ruamps, nous avons
organisé les armées du Rhin et de la Moselle ; nous les
avons « mises sur un pied respectable » ; elles n'ont
d'autre destination, d'autre but, que de délivrer
Mayence *.
Le Comité céda. Le 49 juin, il suspendait Texécution
du plan proposé par Gustine. c Yous avez, lui mandait
Ruamps, mérité la reconnaissance publique ! »
* Ruamps au Gomilé, 19 juin (Â. N. dxlii 4). Cf. sur les rapports
de Haussmann et de Custine, Cusiine, 264, la déposition du conven-
iionnel au procès du général [Mon,, 3 sept.], Argos^ !•' juin, p. 465
(« Dur Haussmann hftlt ihn noch >]. Laveaux dénonça Haussmann
comme le complice de Custine et son < prônear effronté » [Journal de
la Montagne^ n^^ 67 et 68). 11 dénonçait également le frère de Hauss-
mann • espèce d'intrigant germanique >, apparenté à deux feuillants,
Baob et Schœll, et qui demandait à la Convention, au nom de la
Tille de Nuremberg, le paiement d^une vieille dette.
CHAPITRE III
MAYENCE OU LA MORT
I. Beaoharnais. — Conférences de Bitche. — Plan d'attaque. — Dispo-
sitions des alliés. — II. La marche en avant. — Engagements du 19 et
du 22 juillet. -* Capitulation inattendue de Mayence. — Retraite de
l'armée du Rhin. — III. L'armée de la Moselle. — Leimen. — Fureur
de Houchard. — Incendie du Carlsberg. — IV. Houchard, général en
chef de l'armée du Nord. — Schauenburg lui succède.
I. Alexandre, vicomte de Beauharnais, était major en
second du régiment de La Fère-infanterie, plus tard le
52% lorsqu'il fut envoyé par la noblesse du bailliage de
Blois aux Elats-Généraux. Il embrassa les idées nou-
velles avec ardeur, proposa dans la fameuse nuit du
4 août régalité des peines et Tadmissibilité des citoyens
à tous les emplois, déclara que le roi ne devait ni jouir
du droit de paix et de guerre, ni posséder une maison
militaire, ni mener les troupes en personne. Un des
premiers, il avait compris que Theure linale de Tancien
régime avait sonné, s J'éiais, disait-il, républicain dans
le sein de la Constituante ; c*est moi qui ai fait les mo-
tions d'autoriser le mariage des prêtres et de leur faire
quitter le costume, d'approuver le divorce ; je n'ai cessé
MAYKNCB OU LA MORT 43
de combattre les rois, les nobles et les modérés de tout
genre. » Sa chaude recommandation valut à Grégoire le
siège épiscopal de Blois. Deux fois, il présida TAssem-
blée, et ses collègues applaudirent au saog-froid et au
tact qu'il montra dans cette fonction difficile ; il occu-
pait le fauteuil lorsqu*éut lieu Tévénemeut de Vareuoes.
Après la session, il reprit du service et devint succes-
sivement adjudant-général à Tarmée du Nord, chef de
rétat-major de Biron et de Deprez-Grassier, comman-
dant de la division du Haut-Rhin. On le vit a Strasbourg
se prononcer avec éclat pour le parti populaire; il pro-
posait au club que la sainte ampoule fût portée à Paris
et rhuile qu'elle renfermait, brûlée solennellement en
présence de la Gonvention, sur Tautel de la patrie ; il
signait une adresse qui demandait la mort de Louis XVI;
il sollicitait la suspension des administrateurs du Bas-
Rhin qu*il accusait de royalisme; il offrait douze louis
d'or à Fauteur du meilleur discours sur les moyens de
susciter Tesprit public en Alsace.
Il avait alors trente-trois ans. Fait au tour, comme
dit un de ses contemporains, aussi beau que Hérault de
Séchelles et que Lauzun, il avait par ses succès de bou-
doirs excité la jalousie de sa femme Joséphine Tascher
de la Pagerie. Mais à sa jolie figure, à son air noble, à
sa tenue élégante, à ses manières douces et aimables,
il joignait une façon de s'exprimer pleine d'aisance et
d'esprit, une vive intelligence, un jugement droit, et
partout où il passa, à l'Assemblée électorale de Blois, à
la Constituante, dans les clubs et les armées, il séduisit
à première vue, enleva les suffrages et ne trouva que des
prôoeurs de son mérite. Luckner faisait son éloge. Gus-
tine vantait sa sagesse et son zèle. Biron le regardait
comme le meilleur chef d'état-major qu'on pût avoir.
ii WISSUMBOURa
d^aulant, ajoutait-il, qu' « il y a dans sa vie de brillantes
époques de patriotisme qui sont d'un excellent exemple ».
Les plus farouches Jacobins Testimaient ; quelques-uns
blâmaient sa liaison avec une jeune Strasbourgeoise, la
fille du commissaire des guerres Rivage ; tous recon-
naissaient qu'il avait la confiance et TafTection du sol-
dat : c'était le général qui déployait la plus grande acti-
vité et les talents les plus remarquables, celui qui
témoignait le plus pur républicanisme, le seul, disait
Garnerin, qui se soit entouré de francs patriotes et
n'ait pas la morgue de ses prédécesseurs. Gâteau le féli-
citait d'avoir rétabli la société patriotique et militaire de
Wissembourg qui, «. par ses soins, marchait vigoureu-
sement ». Laveaux lui reprochait de traiter Ferricr
d'intrigant, mais avouait qu on pouvait tout exiger et
tout attendre de lui. Lacoste le nommait le premier
général de la République. Ruamps louait ses vertus
civiques qui n'étaient pas plus équivoques que ses con-
naissances en tactique et en stratégie.
Mais, suivant le mot d'un bon juge, Beauharnais était
instruit et peu guerrier. Il n'avait pas le coup d'œil,
l'instinct du champ de bataille. Faible, timide, il man-
quait, dans le péril pressant, de nerf et de hardiesse.
Gomme Biron, auquel il ressemble par certains côtés,
il craignait de se compromettre, et se défiait de lui-
même. Ce qui lui faisait défaut, rapporte Legrand, c'était
« une audace de conception et d'exécution qui, jointe à
un grand fonds d'instruction, constitue l'habile général
en chef ou le ministre capable de diriger la guerre x>.
Le Comité de salut public lui proposait la succession de
Bouchotte; Beauharnais objecta que ses talents ne ré-
pondraient pas À son zèle et qu'il fuirait toujours les
postes éminents ; il n'osait se jeter au milieu des
UATENCEC OU LA MORT 45
a orages d'une révolutioD, ea un moment où la consti-
tution n^était pas forte, en un temps où divers partis
divisaient l'opinion publique et empêchaient les fonc-
tionnaires d'avoir un guide constant dans leur con-
duite* ».
Beauharuais resta donc à la tète de Tarmée du Bhin
et tenta de débloquer Mayence en concertant ses opé-
rations avec Houchard. Mayence était le mot de ral-
liement; Mayence ou la mort! criaient les troupes;
conventionnels, journalistes, officiers de Tétat- major,
soldats ne s'entretenaient que de Mayence et des moyens
qu'il faudrait mettre en œuvre pour délivrer la ville
assiégée; les armées de la Moselle et du Rhin ne se-
raient-elles jamais que les « armées de Tarme au
bras » * ?
Le 7 juin se tint à Bitclie une conférence à laquelle as-
sistaient, outre Beauharnais et Houchard, les commis-
saires Du Roy, Laurent, Ruamps et Montant. Beauhar-
uais représenta qu'il fallait secourir Mayence dans le
délai le plus court et profiter de la supériorité du nom-
bre : les ennemis, afôrmait-il, se sont sûrement dégarnis
* Mon,^ 17 mars et 10 nov, 1790; Journal de la Montagne^
no* 28, 29, 49, 57; Chronique de Paris, 31 oct. 1792; Luckner à
Servan, !•' juin 1792 [< Beauharnais dont je fais grand cas »); Cus-
tine à Beauharnais, 23 mai 1793^ et au Comité de défense, 5 avril
1793; Biron à Servan, 23 août 1792 (Â. G.]; Blanier à Le Brun,
16 déc. 1792 ; Dupérouet Boyer à Le Brun, 4 mai 1793 ; Duhuisson à
Le Brun, 18 mai 1793 ; Desfieux à Proli, 27 mai 1793 (A. E.) ; Gar-
nerin aux Jacobins, 20 juin, et Gâteau à Bouchotte, 29 juin ; Lacoste
à Barèie, 19 août (A. G.) ; Ruamps au Comité, 19 juin 1793 (A. N.
DXLii 4) ; Gouvion Saint-Cyr, 1, 62 ; Wafçner, 53 (« es fehlte ihm an
jener moralischen Kraft, die allein zu Thaten anreizt >] ; note de
Legrand {A. G.) ; Recueil Aulard, IV, 482 et 526 ; Dufort de Che-
verny, Mém., II, 77, 80, 111, 247, 302 ; Lavallette, I, 122-123.
* Beauharnais au Comité, 16 juin 1793 (A. G.) ; Lecomte, Voher^
valeur impartial aux armées ^ 1797, p. 4.
46 WISSEMBOURa
sur la frontière de TÂlsace, soit qu'ils nous croient pour
longtemps dans Vétat de stagnation, soit qu'ils aient
besoin de toutes leurs forces pour attaquer sérieusement
la place. Mais Houchard, moins impatient que Beauhar-
nais, jugeait que ses bataillons n'avaient pas une organi-
sation assez solide. « Si chacun, disait-il, était à sa be-
sogne et savait ce qu'il doit faire, et si l'on y tenait la
main, nous gagnerions prodigieusement. » Il déclara
donc que son armée n'était pas prête. Pouvait-elle
« manœuvrer en grand i contre lès Prussiens ? N'avait-
elle pas une quantité considérable de recrues qu'on de-
vait dresser et former plusieurs semaines encore avant
de les mener à l'ennemi ? Beauharnais répliqua que les
circonstances lui semblaient « impératives )», qu'il serait
plus utilrî de lancer les troupes en pleine expédition que
de les exercer à de petites manœuvres souvent inexécu-
tables, qu'un simple mouvement en présence de l'ad-
versaire valait mieux que toutes les menues prescrip-
tions du métier. On se sépara sans rien décider *•
Une seconde conférence eut lieu le 27 juin à Bitche.
Cette fois, on résolut de marcher en avant et de délivrer
Mayence sans retard. Généraux et commissaires étaient
d'accord. Il fallait faire diligence pour sauver la forte-
resse. Les troupes murmuraient, s'indignaient de leur
inaction; elles paraissaient suffisamment instruites;
elles connaissaient leur force ; elles avaient reçu tant de
recrues que l'armée du Rhin comptait 60,000 combat-
tants et l'armée de la Moselle 40,000. On pouvait donc,
en moins de huit jours, jeter une masse de 400,000
hommes sur les lignes ennemies et, par la puissance du
1 Baauharnais au Comité, 10 juin; cf. Houchard au Comiié, 3 juin
(A. G.).
MATKNGE OU LA MORT 47
nombre, rompre le cordon d'investissement. D'ailleurs,
la mpisson allait s^ouvrir et Ton aurait devant soi les
plaines immenses du. Palatinat couvertes d'une récolte
abondante ^
On convint d'occuper Pirmasens et tous les postes
intermédiaires, depuis cette ville jusqu'aux débouchés
des gorges d'Annweiler, afin d'assurer les communica-
tions entre Beauharnais et Houchard. L'armée du Rhin,
poussant sa droite à Germersheim et appuyant sa
gauche à Annweiler, emporterait les lignes de la Queich,
puis celles de Neustadt et de Spire pour marcher de là
sur Worms et Falkenstein. L'armée de la Moselle longe*
rait la Glan, par Waldmohr et Kusel, tournerait ainsi
Kaiserslautern et gagnerait Kreuznach. Elle laisserait la
Lorraine à découvert, mais elle avait donné, dans sa ré-
cente expédition d'Arlon, une rude leçon aux Impériaux.
Son ûanc gauche serait garanti par un corps qui se diri-
gerait vers Saint-Wendel,sous les ordres de Delaage, pour
se rabattre ensuite sur Lauterecken. Son flanc droit se-
rait protégé par la division des Vosges qui s'avancerait
sur Landstuhl, sous la conduite de Pully, et attaquerait
de front la position de Kaiserslautern, tout en se liant à
Weidenthal avec la gauche de Beauharnais, par un déta-
chement que commanderait René Moreaux. Les deux
armées attaqueraient en même temps^ selon les forces
qu'elles auraient en opposition ; celle de la Moselle ne
ferait qu'une fausse attaque ; celle du Rhin refoulerait
vigoureusement Tadversaire. On userait de prudence et
de circonspection tant qu'on ne serait pas maître du
' Assistaient à la conférence, outre Beauharnais et Houchard, deux
représentants près Tarmée de la Moselle ainsi que Laurent, Louis,
Pflieger et Ruamps (lettre de Montant, Maignet, Soubrany et Gentil,
7juillel, A. G.).
48 WISSBMBOURO
défilé de Neustadt. Mais une fois à Neusladt, on se
porterait en avaot avec audace pour précipiter la re-
traite des eonemis, ou pour les enfoncer impétueuse-
ment s^Jls s'arrêtaient sur les hauteurs en arrière de
GôUheim ^
Mais les alliés étaient sur leurs gardes. lis pré-
voyaient que les armées de secours se mettraient en
marche lorsqu'elles pourraient fourrager dans la cam-
pagne et ils savaient que Beauharnais viendrait néces-
sairement par Edenkoben, entre la montagne et le Rhin,
et Houchard, soit par Kaiserslautern, soit par Kreuz-
nach. Ils prirent leurs mesures en conséquence. Wurm-
ser s'établit à Edenkoben; Brunswick^ à Kaiserslautern,
dans une de ses positions favorites; Hohenlohe, tout
près de lui^ au ramp de Ramstein. Brunswick et Hohea-
lohe avaient ensemble un corps de 48,000 hommes qui
suffirait, croyaient-ils, à contenir les 40,000 Français
commandés par Houchard. Si Tarmée de la Moselle re-
fusait de livrer une bataille rangée et^ se bornant à ma-
nœuvrer, tournait Kaiserslautern et poussait sur Kreuz-
nach par Kusel, Hohenlohe, lâchant Ramstein, se
jetterait aussitôt, en deux marches, au-devant de Tagres-
seur à Lauterecken et à Meisenheim pour lui fermer la
•
route de la Glan*.
II. Enfin, Tarmée du Rhin s'ébranla. « Nous allons,
s'écriait Beauharnais, revoir cette ville célèbre d'où nos
frères nous tendent les bras », et, le 14 juillet, lorsque
les troupes acclamaient, au bruit des salves d'artillerie,
la Constitution de 4793, il exprimait l'espoir que les dé-
' Projet de marche pour les armées combinées, 13 juillet ; mémoire
de Puliy ; Schauenborgà Houchard, 12 juin (Â. G.).
* Massenbacb, I, 181.
MATBNCB OU LA MORT 49
feaseurs de Mayence mettraient bientôt leurs noms au
bas de cette charte immortelle'. Mais Tarmée comptait
un trop grand nombre de conscrits qui ne s'étaient pas
encore, suivant le mot de Tépoque, débarrassés de leur
timidité villageoise : les municipalités avaient envoyé
des hommes incapables de servir, les uns estropiés, les
autres tombant d'épilepsie, d'autres couverts de plaies
incurables*. Même dans sa proclamation, Beauharnais
ne dissimulait pas les craintes que lui inspirait Tiudis-
cipline de ses bataillons : il y avait^ disait-il, des traîtres
et des lâches qui semaient dans les rangs la terreur et le
désordre ; les soldats se croyant vendus, abandonnaient
quelquefois leurs positions, et la défection d'un déta*
chement entraînait celle d'une brigade, d'une division ;
la déroute devenait générale, a Ouvrez les yeux, con-
cluait Beauharnais, livrez à la vengeance des lois ceux
qui jettent répouvante. »
Mais, au lieu d'enlever son armée et de s'avancer rapi-
dement avec la ôère assurance qu'il devait prendre en
sa supériorité numérique, Beauharnais tâtonna ; il usa,
à la Brunswick, de subtiles et minutieuses précautions;
il perdit son temps à refouler les avant-postes et les
petits détachements épars dans les bois. Avec un peu de
hâte et de hardiesse, il aurait gagné Dûrkheim le 20 juil-
let et la hauteur de Grtinstadt dès le lendemain ; le 22,
de Mayence, D'Oyré entendait son canon et rompait
aussitôt les pourparlers '.
Ce fut le 19 juillet que Beauharnais commença l'at-
* Ia Bdtavét^ D« 163, et proclamation de Beauharnais, Mon, du
12 juillet.
* Lettre de Wissembourpr, 28 juin (Batave du 8 juillet] ; cf. une
lettre de RiUer au Comité, 15 juillet (À. N. af 247).
» Gouvion Sainl-Cyr, I, 67.
WI88BXB0UR0. 4
50 WISSBMBOURa
taque. Pendant que 3,000 hommes de la garnison de
Landau, commandés par Gilot, tenaient l'adversaire en
respect à la lisière des forêts, Ferrier, qui cooduisait la
droite de Tarmée, opérait de vigoureuses démonstra-
tions sur la ligne de la Queich et notamment contre Ger-
mersheim. Depuis le 3 juillet, il était en avant de Jock-
grimet, dès le 6, il occupait les villages de Rûlzheim, de
Kuhardt et de Hoerdt. Il dispersa les tirailleurs autri-
chiens et se saisit de trois autres bourgades, Otters-
heim, Knittelheim et Bellheim ^
La gauche de Tarmée du Rhin eut le même succès.
D'Arlande, avec la brigade du 13® régiment, s'empara
des gorges d*Annwei1er. Meynier, avec la brigade du
67<', se rendit maître d'Albersweiler. Landremont, Lou-
bat et Delmas, à la tète de Tavant-garde, chassèrent de
Franckweiler, après une fusillade assez vive, les émi-
grés et le corps franc de Wurmser *.
Beauharnais établissait aiosi ses communications
avec Tarmée de la Moselle par le pays de Deux-Ponts.
Mais 11 négligeait de pousser sa pointe et de profiter
de Tardeur de ses soldats. Il n'assaillait de nouveau
les alliés que le 22 juillet. Néanmoins, il eut encore
l'avantage. La brigade Meynier et les bataillons d'in-
fanterie légère que commandait Delmas tournèrent les
hauteurs de la Chapelle Sainte-Anne, où s'élevaient
plusieurs redoutes. Les Austro-Prussiens conduits par
Spleny, Hotze et Thadden firent leur retraite le long des
Vosges, de village en village, de Sainte-Anne à Burr-
weiler, de Burrwei'er à Weyher, de Weyher à Rhodt et
» Mon,, 25 juillet ; Gesch, der Kriege^ I, 198.
* Beauharnais à la Conventiou, 20 juillet [Mon, du 24) ; Batave^
n* 165 (lettre du 20 juillet) ; Journal de la Montagne, n» 57 ; Gebler,
p. 24.
MAYBNGB OU LA MORT 51
à ËdenkobeQ. L*acliOQ, entamée vers neuf heures du
matiu, ne se termina qu'à la nuit close. Si Beauharnais
avait su ce qui se passait I Pris d*une terreur panique,
les ennemis se croyaient cernés et se débandaient dans
Tobscurité ; seul, le bataillon autrichien Terzy ne faiblit
pas et couvrit la fuite.
Ferrier avait moins de bonheur à Taile droite. Sa di-
vision s'était portée en deux colonnes entre les hauteurs
d'Essingen et les bols de Bornheim, contre un corps
d'émigrés et les troupes légères du général Meszaros. Elle
refoula Tadversaire sur toute la ligne et s'avança témé-
rairement d'Ottersheim jusqu'à Niederhochstadt.Mais les
Impériaux reçurent des renforts. Malgré leurs assauts
réitérés, les carmagnoles ne purent enlever les retran-
chements de Niederhochstadt. Ils durent reculer après
avoir perdu deux canons. Le 9° régiment de cavalerie,
vigoureusement chargé par les carabiniers de TEmpe-
reur, ne se rallia que derrière l'infanterie. Heureuse-
ment le 3<) et le 46<* de ligne soutinrent le choc avec
fermeté; le premier rang croisa la baïonnette, le
deuxième et le troisième rangs firent le feu de file, et la
cavalerie autrichienne qui s'était lancée dans les chemins
creux, au milieu des vignes, tourna bride sous une
grêle de balles.
Pourtant, la journée était gagnée. Officiers et soldats
avaient vaillamment combattu. On citait plusieurs traits
de courage héroïque. Le maréchal-des-logls Guéret,
porte-drapeau du 9® cavalerie, serré de près par quatre
impériaux qui le sommaient de se rendre, en avait tué
deux et blessé le troisième ; renversé par le quatrième,
il se dégageait de dessous son cheval et revenait au ré«
giment avec son étendard brisé. D'autres encore s'étaient
signalés ; Beauharnais louait la valeur distinguée de
52 WISSBMBOURQ
Delmas, rintelligence et Tactivité de radjudant-géaéral
Abbatucci, et les soins infatigables du chirurgien Larrey.
Le représentant Ruamps exaltait la bravoure des volon-
taires qui gravissaient des pentes escarpées sous une
pluie de projectiles et, parvenus au sommet des hau-
teurs, mettaient leurs chapeaux au bout de leurs baïon-
nettes pour acclamer la République victorieuse. Toute
Tarmée, ûère de son triomphe, criait Mapence, Maymce!
< L*espoir de délivrer la ville, rapporte un contempo-
rain, enfantait des prodiges; il est certain, à en juger
par Tenthousiasme que les troupes avalent montré et
par Tensemble qui présidait aux opérations, qu'une ar-
mée beaucoup moins forte que la nôtre eût fait lever le
siège de Mayence, si Mayence eût résisté quelques jours
de plus *. »
Déjà Wurmser reculait. Il avait ordre de tenir à Eden-
koben, ou du moins en arrière d*Edenkoben, pour cou-
vrir Neustadt. Daus la nuit du 2i au 25 juillet il se
rabattit sur la route du Rhin : Edenkoben était aban-
donné ; le chemin de Neustadt ouvert ; la communica-
tion entre les Prussiens et les Autrichiens interceptée.
Mais le 23 juillet Mayence capitulait, et cette nouvelle,
éclatant de même qu'un coup de foudre au milieu de
Tarmée du Rhin, y répandait Tindignation et le déses-
poir. Dans le premier moment, les soldats jurèrent de
regarder les Mayençais comme des traîtres et de ne pas
fraterniser avec eux. Mais lorsqu'ils virent arriver la
garnison, lorsquils apprirent les périls qu'elle avait es-
suyés, leur colère s'apaisa et ils se jetèrent tout émus
dans les bras de leurs frères d'armes. Quant à Beauhar-
* D'Ecquevilly, I, 9o ; Gesch, der KHege, I. 199; Gebler, 25-26;
Beaubarnais à la Convention, 23 juillet {Mon, du 27}; Journal de la
Montagne f u** 69 ; noie de Legrand [À.. G.).
MATSNCU OU LA MORT 53
nais, il était consterné ; il comprenait les conséquences
de la reddition de Mayence et songeait douloureuse-
ment que les coalisés, maîtres désormais de leurs mou-
vements, allaient fondre sur TAlsace avec toutes leurs
forces. « Cet événement, écrivait-il au Comité, change tous
les plans de la campagne », et il déclara dans une pro-
clamation que son armée, dorénavant incapable de jouer
an rôle offensif, devait « former une barrière » et s'op-
poser à l'irruption imminente K
Il voulut un instant faire face derrière les lignes de la
Queich. Ces lignes, presque ruinées et négligées depuis
longtemps, n'étaient pas en meilleur état que celles de
la Lauter, mais elles offraient quelques ressources à la
défense. Landau donnait à la gauche de Tarmée un appui
plus solide que la mauvaise position de Wissembourg,
et si Germersheim, qui formait la droite des lignes de la
Queich, ne valait pas Lauterbourg, on pouvait, à Taide
des inondations, mettre cette ville à l'abri d'un coup de
main. Elle n*eût pas résisté deux heures ; elle n'avait
que trois petites redoutes détachées, un ouvrage sans
consistance, et le cimetière dont les terres étaient rele-
vées par un mur intérieur. Klablio à Germersheim,
Tarmée française gardait les lignes de la Queich ; elle
préservait de l'invasion le riche pays qui s'étend entre
celte rivièie et la Lauter; elle empêchait le blocus de
Landau ; postée à l'extrême frontière et en territoire
ennemi, elle reprenait cœur*.
Mais Beauharnais s'imaginait que Germersheim était
une place de guerre, et il écouta Ferrier qui lui mon-
* Wagner, Der Feldzug der Preuisischen Armée am Rhêin im Jahre
4195, 1831, p. 58-59; Mon, des 14 et 19 août 1793 ; note de Legrand
(A. G.).
* Note de Legnind. (.\.. G.)
54 WISSBMBOUBO
trait un plan inexact où la ville était présentée sous un
aspect imposant. Devenu très consultatif, déterminé à
ne plus rien ordonner de son chef, il convoqua le 26 juil-
let chez Buamps, le seul des commissaires de la Conven-
tion qui fût alors à Tarmée, les généraux divisionnaires
Munnier, Dieltmann, Lauhadère, Gilot, Landremont. Il
exposa son plan d'attaque contre Germersheim ; mais il
eut soin d'ajouter qu'on ne devait rien donner au hasard
et qu'il y aurait des risques à courir, parce que les Au-
trichiens avaient fait autour de la place des ouvrages
multipliés. Tous les généraux l'approuvèrent; suivant
eux, le moment de tenter une pareille entreprise était
passé ; la cavalerie manquait; un revers causerait l'irré-
médiable déroute. Mais si la droite de l'armée ne pouvait
s*appuyer à Germersheim, ne fallait-il pas regagner les
lignes de la Lauler? C'était l'opinion de Beauharnais ;
toutefois il n'osa l'exprimer nettement; il craignait de
déplaire aux représentants et il assura même qu'il ne
ferait la guerre défensive qu'à la dernière extrémité,
après avoir assemblé ses généraux de division et re-
cueilli leurs avis \
Une vive et brusque attaque de Wurmser précipita sa
résolution. Wurmser avait cru que Frédéric-Guillaume
lui enverrait des renforts; mais, loin de le secourir, le
1 Compte^rtndu par Ruamps, Boiie, etc., 28 ; Beauharnais a Bou>
chotte, 25 juillet, et au Comiié, 26 juillet; note de Legrand (A. G.).
Ferino proposa vainement de tenir la crête du chemin de Landau à
Spire en avant de la Queich et au delà de la forôt, d'envoyer douze
a quinze bataillons dans les gorges des montagnes, d'occuper la posi-
tion entre Hochsletten et Trippstadt, de faire retrancher par l'armée
de la Moselle le poste de Kaiserslautern où Tennemi n'était pas en-
core; le projet, dit Legrand, était fort militaire et les alliés n'auraient
pu s'avancer dans la Basse-Alsace, sans courir le danger d'être cul-
butés dans le Hhin.
MATENCE OU LA MORT 55
roi lui conseillait de refuser sa gauche et de se retirer
sur Neustadt. Wurmser, indigaé, exaspéré, convaincu
qu*il aurait facilement raison d'un adversaire démora-
lisé, aima mieux livrer bataille, et le 27 juillet il assaillait
à Rûlzheim Taile droite de l'armée française commandée
par Ferrier. Après une canonnade qui ne lui coûta
qu*un seul homme, Ferrier, comme saisi de panique,
abandonna successivement Rûlzheim, Uerxheim, Ins-
heim, sans informer le général en chef, san3 même
avertir les brigades de Lafarelle et de Mequillet qu'il
laissait à découvert et que Beauharnais avait placées en
échelons pour le soutenir. Tourné par sa droite, voyant
à son centre Mezsaros s'emparer au bout de cinq heures
de combat des villages d*Ofïenbach, de Bornheim et de
Dammheim, redoutant que Wurmser ne vint par la plaine
et les bois s'établir sur les crêtes de Barbelroth et lui
fermer rentrée de l'Alsace, Beauharnais ordonna la re-
traite. Elle eut lieu tristement et dans la plus grande
confusion. Morne, sombre, rebutée, l'armée sentait son
courage se glacer : « £lle se croyait trahie, dit un offi-
cier ; la reculade inouïe de Ferrier lui donnait la crainte
d'être coupée; la méfiance dans les chefs était extrême;
Tobéissance, nulle; la désorganisation, complète ^ »
III. Houchard n'avait pas été plus heureux. Il quitta
Sarrebrûck le 46 juillet et une semaine plus tard, par
Waldmohr, J&gersberg, Kiebelberg, il poussait ses avant-
postes à Eusel, tandis que le corps des Vosges, sous les
> &e»ch. der Kriege, I, 202; Zeissber^, I, 210; note de Legrand ;
Beauharnais au Comité, 29 juillet (A. G.); Borle, Milbaud, Ruamps
an Comité, 2 août (À. N. dxlii 4 et Rec. Aulard, V, 453) ; Argos,
leUre de Wissembourf^, 28 juillet, n» du 30, p. 102 ; Journal de lu
Montagne^ n» 69 ; SainlCyr, ï, 65 ; Soult, Jlf/m., I, 33.
56 WISSEMBOURG
ordres de Pully, se dirigeait de Deux-Ponts sur Miihlbach
et Landstuhl, et qu*UQ détachement, commandé par
René Moreaux, marchait de Pirmasens sur Klausen et
Leimen. Mais, comme Beauharnais, Houchard, qui se dé-
fiait de son armée si peu aguerrie et si peu manœuvriëre,
n'avançait qu'avec lenteur. Les soldats se plaignaient
d*ôtre exercés eu temps de guerre comme en temps de
paix. Ils ne parcouraient au plus que deux lieues par
jour. A tout instant, ils s'arrêtaient, non pour se re-
poser, mais pour aligner les tentes, pour porter et pré^
senter les armes, pour emboîter et cadencer le pas. Il
semble, disaieut-ils> qu*on marche uniquement pour se
donner de Tappétit *.
Brunswick eut donc le temps de faire ses dispositions.
Hohenlohe vola de Ramstein à Lauterecken. Le colonel
Sanitz couvrit la route de Pirmasens à Trippstadt. Ce fut
sur ce chemin, dans la montagne, à Leimen, le 23 juillet,
que se produisit le choc le plus mémorable. Une com-
pagnie de chasseurs et 80 grenadiers défendaient une
hauteur contre 4^500 Français conduits par René Mo-
reaux. Le colonel Sanitz vint au secours du poste avec
470 fantassins, un parti de cavalerie et deux canons.
C'était le même Sanitz qui, quatre mois auparavant, avait
sauvé le roi de Prusse soudainement attaqué dans le
village d'Alsheim par les troupes du général de Blou. Il
réunit tout son monde — quatre cents hommes — et
simulant des tètes de colonnes, faisant battre la charge,
il s'avance avec hardiesse à la rencontre des assaillants.
Après une courte fusillade, les Français reculèrent sur
Pirmasens. Sanitz s'étonna de son facile succès, et, avec
1 Journal de la Montagne, d« 82 ; Booneville de Marsaogj, Journal
d'un volontaire de 4791, 1888, p. 102-103.
MAYBNCB OU LA MORT 57
une spirituelle modestie, il assurait que les carmagnoles,
rapercevant de loin sous ruuiforme du régiment Ho-
henlohe et au milieu d'une brillante escorte, l'avaient
pris pour le prince lui-même *.
Mais le 23 juillet on apprenait au camp prussien la
capitulation de Mayence. Le prince de Hohenlohe se
hâta d'envoyer la nouvelle au quartier-général français.
Houchard refusait de le croire: si Mayence, disait-il
avait capitulé, les Prussiens viendraient- ils fraternel-
lement Ten informer? Non, ils faisaient cette ridicule
balourdise parce qu'ils étaient dans la détresse, et ils
lui contaient des sornettes pour modérer son ardeur I II
répondit. donc à Hohenlohe stir un ton de raillerie qu'il
connaissait depuis quatre jours par un déserteur la
reddition de la place, que ce transfuge était mieux ins-
truit que les généraux, et il ajoutait avec une ironie
soldatesque qu'il continuerait sa marche, non qu'il fût
entêté, mais il avait à Mayence une maîtresse qu'il
voulait voir absolument*. Il dut pourtant se rendre à la
vérité, et, plein de rage, il s'écriait que la garnison de
Mayence avait fait son devoir, mais que sa patience,
son courage, son dévouement contrastaient étrangement
avec la lâcheté de ses chefs. Il osait écrire à Kalkreuth
que les soldats n'avaient pas été consultés et n'étaient
nullement liés par l'infamie d*un état- major qui leur
cachait tout : « Je vous déclare et vous direz à votre
maître que suis prêt à employer cette même garnison
« Valentini, 36 (cf. Sxpéd. de Cnstine, 256) ; Pullj à Houchard et
Houchard à Moreaux, 23 juillet (A. G.) : Pullj croit que rennemi uV
pas autant de forces que le dit Moreaux ; Houchard reproche à Moreaux
d'avoir < lait une fausse bravade * en attaquant le poste de Leimea
avec 1,500 hommes seulement et un canon.
* Houchard à Hohenlohe, 23 juillet (A. G.) ; il étoit, dit Masses-
bach, rim politesse même {Mém.j I, 182).
^8 WISSEMBOURa
contre vous * I » Mais, quelle que fût sa <5olère, il ne
pouvait aller plus avant. Son armée recula vers la Sarre.
Hohenlohe désirait la poursuivre, la presser, no la lâcher
que sur le glacis de Sarrelouis. Brunswick lui commanda
de s'arrêter. « Houchard, dit Massenbach, aurait dû
laisser ses cheveux dans les défilés et les mauvais che -
mins ; mais nous étions si généreux * I »
Houchard se vengea de sa déconvenue en livrant à la
dévastation et au pillage ce malheureux pays de Deux-
Ponls que les commissaires à grippe avaient près que
épuisé. Le 28 juillet, il fit brûler le château du Garlsberg.
Quelques heures suffirent pour réduire en cendres cette
superbe résidence, gardée naguère comme une sorte de
jardin des Hespérides par des grenadiers moustachus,
ce palais que TAUemagne comparait au séjour enchanteur
d'une fée, et que le duc Charles avait rempli des meubles
les plus précieux et des plus magnifiques collections.
On dit que les soldats saccagèrent le cabinet d*hisloire
naturelle, qu'ils mirent à leurs chapeaux les plumes des
oiseaux les plus rares et burent sans façon Tesprit de
vin dans lequel étaient conservés les fœtus. Le château
de Hombourg subit le môme sort que le Garlsberg. « Je
ne puis croire, écrivait un volontaire, que de pareils
ordres émanent de la Convention ; elle est trop juste et
trop humaine pour ne pas comprendre de quelle horreur
elle se couvrirait ; mais nos agents nous font détester
des braves gens qui admirent notre belle Révolution * I •
i Houchard à Boucbotle et à Kalkreulb, 30 juillet (Â. G.] ; cf.
Mayence^ 292,
* Massenbacb, 1, 182 c wir waren so buman >.
» Remling, I. 350-358 ; Un volontaire de l79i, p. 118-119 ; Breton,
Voyage dans la cUdevant Belgique it sur la rive gauche du jBAt»,
1802, 11, 119; cf. sur les commissaires à grippe et notamment sur
IdAYEMCB OU LA UORT 59
IV. A peine Houchard regagnait-il la Sarre qu*il rece-
vait Tordre de remplacer Custiiie dans les Flandres. Le
Conseil exécutif avait d'abord nommé Diettmann *. Mais,
de môme qu'il avait refusé le commandement de l'armée
du Rhin^ Diettmann refusa le commandement de Tarmée
du Nord ; il déclara qu'il élait attaché à sa division, qu'il
n'avait pas les aptitudes nécessaires pour conduire une
armée et qu'il resterait à son poste. Après avoir tenté de
fléchir r « Inaltérable modestie » de Diettmann, les com-
missaires de la Convention, Louis et Pflieger, proposèrent
au Comité de salut public Houchard que « ses longs
services rendaient presque également propre à comman-
der avec succès l'une ou l'autre des armées de la Répu-
blique V. N'avait-il pas écrit tout récemment aux fédéra-
listes de Bordeaux et de Lyon qu'il était le chef des
soldats sans-culottes de Tarmée de la Moselle et qu'il ne
pactiserait pas avec les complices de Dumouriez ? Le
Comité de salut public nomma Houchard : le danger^
lui mandait-il, était extrême ; Yalencieunes avait capitulé
le 28 juillet; la consternation régnait à Paris ; dans cette
crise terrible, le Comité jetait les yeux sur Houchard ;
le général méritait la confiance de la patrie; on chéris-
sait son nom depuis longtemps; « il n'écouterait aucune
des considérations qui pourraient le retenir à l'armée de
la Moselle ; le point du plus grand péril était le poste
d'un républicain ^ »
Boutay, une lettre iostructive du représentaut Blaux [Rec. Aulard,
III, 496, et IV, 198).
* Arrêté du 22 juillet ; Dietlmann à Boucbolte, 26 juillet [A. G.}.
Déjà, le 12 juillet, Bouchotte avait fait choix de Diettmann pour com-
mander Tarmée de La Rochelle ; mais Delacroix ayant remarqué que
Dietlmann avait refusé le commandement de l'armée du Rhin parce
qu'il • était pour la cavalerie et ne connaissait pas les manœuvres de
l'infanterie >, la Convention avait nommé Bejsser [Mon., 14 juillet).
« Paieger et Louis au Comité, 26 juULet ; le Comité à Houchard,
60 WISSEMBOURa
Quel serait le successeur de Houchard ? Ferrier avait
été proposé par Bouchotte et accepté, par le Comité de
salut public comme par la Convention *. Mais les soldats
ne voulaient plus de Ferrier. Ils reconnaissaient enfin
qu*on avait eu raison de lui refuser les qualités d'un
général, la présence d'esprit, la résolution, le courage
même. Sa propre division exigeait sa destitution. Les
Jacobins de Wissembourg et de Strasbourg le traitaient
de lâche et Taccusaient de devoir son avancement à la
faction d'Orléans. Les commissaires de la Convention
assuraient que sa réputation d'ineptie était faite, qu'on
le regardait partout comme ignorant et poltron, qu'un
pareil homme ne pouvait ni commander une division ni
même rester à Tarmée. Ferrier eut peur; il refusa les
fonctions que Bouchotte lui offrait, et, lorsqu'il se ravisa
quelques jours après et demanda le commandement en
jurant qu'il l'acceptait et l'accepterait cent mille fois, il
était trop tard : le 3 août les représentants avaient nommé
provisoirement Schauenburg*.
Alsacien de naissance, Français de cœur et de langue,
Schauenburg comptait trente-trois années de services ;
il avait passé par tous les grades et, durant six mois,
dirigé Tétat-major de l'armée de la Moselle. Il craignait
la responsabilité du commandement et protestait que les
talents lui manquaient^ qu'il serait mieux au second
31 juillet ^A. G.) ; décret de la Convention, du l**^ août (Rec. Âulard,
V, 443) ; cf. Mon. du 22 juillet.
' * Mon,, 3 août 1793.
* Mon , 14 août; Argos^ 30 juillet, p. 103,* Journal de la Mon'
tagne^ n<** S 8 et 96 (réponse de Laveaux au club de Wissembourg] ;
les jacobicB de Strasbourg aux jacobins de Paris, 9 août ; Richaud,
Scubiany, EbiDnann au Ci mité, 5 août ; Lacoste à Barère, 19 août;
•Ferrier a Boucbolte, 13 acût (Â. G.}; Scbaueuburg a la Conven-
tioD, 1.
MAYENCE OU LA. MORT 6t
rang qu'au premier : écrirây disait-il, est peu mon fait ;
il préférait obéir, dresser le soldat. Mais les commissaires
le savaient « brave et manœuvrier ». Le chef de brigade
Yalory attestait aux Jacobins de Paris qu'il était excel-
lent tacticien et que l'armée lui devait son instruction.
Les troupes Testimaient et Faimaient ; il n'avait pas la
rudesse de Houchard et sa figure rébarbative; « il était
bel homme et affable, dit un de ses subordonnés, et il
commandait Tinfanterie avec autant d'amabilité que de
sagesse ; on avait du plaisir à servir sous lui •. D'ailleurs,
qui pouvait-on choisir? Delaa^^e? Mais Delaage appar-
tenait à la môme caste que Schauenburg, et le nombre
et la valeur de ses soldats, et non sa propre habileté,
avaient décidé la victoire d'Arlon. Puliy ? Mais Pully, lui
aussi, était noble, et Bouchotte se disposait à le suspendre.
Le choix des représentants s'arrêta donc sur Schauen-
burg ; ils le jugeaient l'homme c nécessaire », le seul
capable, sinon de mener, du moins de réorganiser l'armée
delà Moselle; son républicanisme ne semblait pas très
prononcé ; mais il était simple^ honnête, et « entouré de
bons patriotes, il irait bien, car il avait Tenvie de bien
aller * » .
^ Schauenburg aux représentants, 3 août, et a Bouchotte, 7 sept. ;
Lacoste et Guyardin au Comité, 4 août ; Kichaud, Ehrmann,' Her-
mand, Soubrany au Comité, 4 août ; Prieur et Jeanbon Saint^Aodré
au Comité, 12 août [A. G.) ; Journal de la Montagne^ n* 46 ; Le Comte,
LOhterv. impartial^ 10. Bahhazar Schauenbur^, né au château de
Jungholtz, près Soullz f Haut-Rhin], le 31 juillet 1745, entré comme
volontaire au régiment de Nassau cavalerie (1759), passé en cette
qualité au 53* rég. d'inf. (1762), sous -lieutenant au même régiment
(l*'mars 1764) et aux grenadiers (1766), lieutenant de la compagnie
de Doulach (22 sept. 1767) et des grenadiers (1768), capitaine en
deuxième (2 juin 1777), capitaine-cojamandant (25 mai 1781), major
au 96* régiment (24 mars 1785), lieutenant-colonel (l*' janvier 1791),
colonel (23 nov. 1791), maréchal-de-camp (7 septembre 1792), chef
62 WISSBMBOURG
d*élat-major de l'armée du centre, ensaite armée de la Moselle (du
7 sept. 1792 au 8 mars 1793), géoéral de division (8 mars 1793). Il
avait fait en Corse les campagnes de 1770 et 1771, et devait com-
mander Tarmée d'Helvélie en 1798. Il est mort en 1832, à l'âge de
87 ans. « Sa naissance, a dit un contemporain, un certain air de hau-
teur et une fermeté inébranlable pour la discipline, qu^il avait puisée
de bonne heure à Fécole allemande, le faisaient alors suspecter vio-
lemment d'aristocratie. Ses talents et une loyauté qui no s*est jamais
démentie, le portèrent au grade de général en chef. Il a, en qualité
dMnspecteur-général de Tiofanterie, rendu à Tarmée de Rhin et Mo-
selle les plus grands services. C'est lui, pins que tout autre, qui a
formé des officiers et créé des soldats. Nul corps ne fut envoyé a
fermée active sans être exercé par ses soins, peu d^officiers-généraux
en Europe entendent mieux la manœuvre des troupes et les principes
de détail que Schauenburg. (Notes de Legrand, A. G.) Cf. Invasion
prussienne f 212.
CHAPITRE IV
LES REPRÉSENTANTS
Mission de Prieur de la Marne et de Jeanbon Saint- André. — Renforts
foamis par l'armée de la Moselle à l'armée du Nord. — Conférences de
Bitche. — Désorganisation. — Remplacement des ofdciers nobles. —
Bouchotte. — Les commissaires du pouvoir exécutif. — Les représen-
tants du peuple aux arn^ées du Rhin et de la Moselle. — Leur con-
duite à regard des ci-devant. — Leurs pouvoirs et leur rôle. — Gentil,
Cusset, Lacoste, Ruaoips. — Services qu'ils ont rendus. — Sentiments
de l'armée. — L'habit bleu. — L'amalgame. — L'avancement,
Schauenburg élait à peine général en chef, qu'il vit
son armée bouleversée. Le Comité de salut public, effrayé
par la prise de Gôndé, de Yalenciennes et de Mayence,
avait envoyé deux de ses membres, Prieur de la ^.'arne
et Jeanbon Saint-André, aux frontières de TEst et du
Nord. Les deux commissaires devaient se concerter avec
les représentants et les généraux sur le meilleur emploi
des forces de la République et porter en Flandre des
secours considérables. Le 8 et le 9 août, ils tinrent à
Bitche une sorte de conseil de guerre. Les représentants
Milhaud, Soubrany, Richaud, Ehrmann, Guyardin, La*
coste et les généraux Beauharnais, Schauenburg, Pully,
Hédouvllle et*Guénand* assistaient à la conférence.
•
* Guénand, disait Schauenburg, « joint aux vertus civiques le
6i WlSSiSUBOURG
Prieur et Jeanbon posèrent des questions auxquelles les
généraux répondirent : 4» fallait-il envoyer des renforts
en Flandre, et les deux armées du Rhin et de la Mo-
selle qui comptaient, Tune, cinquante mille hommes,
rautre, quarante mille, avaient-elles assez de monde pour
rafraîchir Tarmée du Nord? » Les généraux votèrent una-
nimement raffîrmative.
2^ Devait-on, avant le départ de ces secours, entre-
prendre une expédition profitable et décisive ? Une
armée de républicains ne pouvait-elle tenter la fortune ?
Les soldats ne se plaignaient-ils pas de leur inaction?
Ne brûlaient-ils pas de Timpatience du combat? Ne se-
raient-ils pas vainqueurs? Et une fois Tennemi chassé
des gorges, ne vivraient-ils pas à ses dépens? Ne feraient-
ils pas du Palatinat le grenier de la France^ — Les géné-
raux ne partagèrent pas ravis des représentants. Tous
déclarèrent qu'ils n'avaient que des forces inférieures,
qu'ils manquaient de cavalerie, quils seraient infailli-
blement défaits s'ils se hasardaient à livrer bataille dans
le Palatinat. Mieux valait, selon eux, approvisionner les
places de la frontière et demeurer sur une respectable
défensive. Du reste, ajoutaient-ils, ils étaient nobles et,
par suite, dépouillés de toute confiance; même victo-
rieux, ils seraient soupçonnés; pouvaient-ils mener
leurs troupes à de si grandes entreprises ?
30 Combien d'hommes les armées de la Moselle et
zèle, les talents et la judiciaire la plus recommandable, non seulement
pour instruction, mais pour des opérations plus étendues, et j'ap-
précie dans cet officier la vraie connaissance de Thomme. > Grou et
Yalmont demandaient pour lui, le 22 juin, le grade de maréchal-
de-camp, parce qu^il faisait depuis deux mois le service d'officier-
générai. Mais le 1" septembre, il annonçait que, noble, il quittait le
service.
LES REPRÉSENTANTS 6S
du Rhia fourniraient-elles ? — Après une longue dis-
cussion, les généraux répondirent qu'elles ne pourraient
fournir que 42,000 hommes : celle du Rhin, 7,200 et celle
de la Moselle, 4,000. Ce n'était pas assez au gré des com-
missaires. Ils auraient voulu 30,000 hommes qui seraient
arrivés dans le Nord, tout organisés et tout prêts à com-
battre. Mais ils n'insistèrent pas. Beauharnais, Schauen-
burg et les autres annonçaient à Tavance l'invasion du
Bas-Rhin et de la Moselle, la prise des forteresses, la con-
quête de TAlsace et de la Lorraine. Si les conventionnels
avaient exigé davantage, n'aurait-on pas rejeté sur eux
les futurs échecs? Les généraux n'essayaient -ils pas de
se décharger de toute responsabilité ? Nous vous donne-
rons, disaient-ils aux commissaires, tout ce que nous
avons ; mais signez-nous une réquisition I
4^ Combien de cavaliers fourniraient les deux armées ?
— A cette question, les généraux se récrièrent. Naguère,
Bouchotte désirait tirer de l'armée de la Moselle un peu
de cavalerie légère pour l'envoyer dans les Alpes, et
Houchard répondait qu'il ne disposait que de 4,700 che-
vaux pour garder la frontière entre Bitche et Longwy *.
El l'on voulait aujourd'hui prendre encore de la cavale-
rie aux deux armées 1 Non, après mûre réflexion, les
généraux ne pouvaient donner que 400 cavaliers de l'ar-
mée du Rhin et les 75 hommes qui formaient à l'armée
de la Moselle la compagnie d'artillerie légère du capi«
taine Détrès.
50 On avait ainsi 4 1 ,375 hommes *. Mais comment les
1 Houchard a Deforgue, 22 juin (A. G.).
* L'armée de la Moselle fournit 1,000 hommes de la garnison de
Longwy, 2,000 de celle de Metz, 1 ,000 de celle de Thionville. et les
75 canonniers de Détrès ; l'armée du Rhin : 4,000 hommes de Parmée
active du Bas-Rhin, 2,000 de la division du Haut-Rhin, 1,200 tirés
WieSBHBOURG. ^
14 WISSBMBOURa
em«rr8it-on promptement dans les Flandres? Fallait-il
les envoyer en poste ou les réunir à Fontoy et les faire
marcher le long de la frontière ? — Les généraux objec-
tèrent que les troupes tirées du Haut-Rhin ne seraient
à Fontoy que dans trois semaines. On résolut de les di-
riger sur Metz et de là, en poste, sur Péronne. Quant
aux troupes extraites de Tarmée de la Moselle et de rar«-
mée active du Bas-Rhin, elles marcheraient en corps
d'armée et militairement sur Mézières où elles rece-
vraient les instructions de Houchard*.
Prieur et Jeanbon-Saint-Ândré partirent mécontents.
Ils sentaient que les secours accordés par les généraux
étaient insuffisants. Mais le 8 août, pendant les confé-
rences de Bitche, le Comité de salut public, redoutant
les c progrès rapides » de Gobourg, arrêtait, de concert
avec les ministres, que 30,000 hommes seraient tirés des
armées de la Moselle et du Rhin pour être transportés
en poste dans un camp intermédiaire à Péronne et à
Saint-Quentin, et il consacrait une somme de cinq mil-
lions aux frais de Topération.
Les envoyés du Comité prirent aussitôt de nouvelles
mesures. Sans hésitation, sans retard, par voie de ré-
quisition directe, ils tirèrent de Tarmée de la Moselle les
30,000 hommes qu'exigeait l'arrêté du 8 août et qui
durent se diriger sur-le-champ vers Cambrai*.
des {çaroisons et 100 chevaux. Prieur et Jeaobon remplacèreiU les
troupes de Metz et de Thionville par des troupes de réquisition ; Ils
envoyèrent à Metz Ja cavalerie de la légion de la Moselle ; l'infanterie
de cette légion qui comptait 700 déserteurs prussiens et autrichiens,
fut dirigée sur les Pyrénées.
' Lettre de Prieur et Jeanbon au Comité, 9 août, et Bapport^ 7-8,
31-31.
* Prieur et Jeanbon, Rapport^ 9. Mais il faut ajouter que sur les
3O,aB0 hommes, 22,000 seulement rejoignirent Taraée du Nord, c Les
LES REPRÉSENTANTS 6t
C'est ainsi que rarmée de la Moselle devenait la pépi-
nière des autres armées, et après tout, disaient Hentz
et De La Porte, elle ne servait à rien pour Tinstant K Mais
elle ne comptait plus que 40,000 soldats ; il fallait la réor-
ganiser, lui rendre au moins les deux tiers du monde
qu'elle perdait. Prieur et Jeanbon-Saint-André décidèrent
qu'elle se grossirait dans le plus bref délai des
44,375 hommes qu'ils avaient obtenus des généraux à la
conférence de Bitche, et de 7,000 hommes que l'armée
du Rhin fournirait en sus.
L'armée de la Moselle se composait donc en très grande
partie de troupes nouvelles et ses bataillons renfer-
maient une foule de recrues dont l'instruction n'égalait
pas la bonne volonté*. Aussi Boucholte se plaignait-il que
le service des avant-postes ne se fit pas avec soin ; on
l'avait informé que les officiers s'éloignaient de leur dé-
tachement et couchaient dans des lits ainsi que les sol-
dats, qu'on se laissait aisément surprendre, qu'on n'avait
jamais le temps de se former en bataille. Schauenburg
protestait faiblement ; i le zèle et la quantité des bons
officiers, disait>i], nous sauvent du mal qu'on éprouve de
la négligence et de l'ignorance des mauvais. » Mais il
avouait qu'il y avait dans son armée des « paresseux »,
des « insouciants »,.et que la plupart des oUiciers étaient
neufs et inexpérimentés : les uns avaient quitté leurs
foyers pour commander les bataillons ou les compagnies
de volontaires, les autres étaient d'anciens capitaines,
circonstaBces, écrivait BoucboUe au Comité [29 août, Â. G.) déran-
gent un peu les dispositions que vous avez prises et je crois que les
forées extraites ne s'élèveront pas à plus de 22,000 hommes; ceci va
contrarier Houchard qui comptait sur 30,000 hommes. >
* Rec. Aulard, IV, 581 ; cf. Prieur et Jeanbon à Bouchotte, \\ août
(A. G.).
* Uédouville à Boucholte, 44 août [k. G.}.
68 WISSEMBOURG
rouilles par rinaction et la vie monotone des garnisons ;
les sous-officiers, choisis par leurs subordonnés, et « en-
core pleins de reconnaissance, arrêtaient Faction des
lois » *.
La principale cause de la désorganisation était le rem-
placement soudain, précipité, inévitable des officiers
nobles. Depuis le 40 août, le soupçon universel planait sur
les militaires de cette classe ; on se défiait d*ëux ; on les
accusait de conserver dans le secret de leur âme le culte
de la royauté ; on assurait qu'ils méditaient la trahison.
Dès le 6 septembre 4792, le corps du Haut-Rhin sollicitait
de la Législative un général qui « n*eût pas dans les veines
un sang corrompu ». Il faut, écrivait Ghépy, remplacer
par des talents plébéiens tous ceux qui « traînent dans
les camps des souvenirs de noblesse ». La défection de
Dumouriez fit déborder la haine qu'inspiraient les ci-
devant. De toutes parts on proposa de les exclure des
emplois. Ronsin s*écriait que cette perfide désertion
devait guérir la France dé sa fatale manie de mettre des
nobles à la tèle de ses armées. Marat voulait qu'on leur
défendit de commander les troupes à moins qu'ils
n'eussent donné des preuves irrésistibles de civisme.
Delacroix obtenait qu'aucun d'eux ne serait admis dans
l'armée qui couvrirait la capitale. Prudhomme impu-
tait toutes les défaites à ces « gens pourris dans le fu-
mier des cours ». La Commune arrêtait qu'ils ne pour-
raient être fonctionnaires publics. Yarlet demandait
qu'un décret de la Convention leur interdit d'occuper
une seule place. Vinrent les pétitions des sections de
Paris et des sociétés populaires. « Plus de parjures,
t Boucholte à Schauenburg, 1*^ septembre; Schauenburg à Bou-
choiie, 8 sept., et à Houchard, 12 juin (A. G.).
LES REPRÉSENTANTS 69
disait Pio ; nous avoas des citoyens, nous avons des
soldats, donc nous avons des généraux. Thémistocle ne
possédait que du bon sens et passait sa jeunesse dans
les clubs. Les antagonistes de Pyrrhus et d'Annibal
ignoraient jusqu'aux premiers éléments de leur métier.
Marius était un vrai général sans-culoite. Glodius et
César ont été plus pernicieux à leur patrie que toute
Tinexpérience et la brutalité de ceux qui ne faisaient
pas profession de la conduite de TEtat et des armées. »
Le 21 juillet^ aux Jacobins, Hébert réclamait le bannis-
sement de tous les nobles ; le peuple devait se rendre à
la Convention et demeurer en permanence jusqu'à ce
qu'il eût arraché Texpulsion des aristocrates ; plus de
nobles^ ajoutait Hébert aux applaudissements de toute la
salle, les nobles nous assassinent ; destitution des noUes^ et
nous aurons triomphé ! Trois jours plus tard, Chasles
proposait « d*anéantir le règne des nobles » ; à Fentendre,
il fallait les destituer irrévocablement ; on excepterait
ceux qui sauraient mériter pendant dix ans Testime
populaire et par ce « baptême de régénération » recouvrer
leurs droits de citoyens. Et le 2 août Valcour opinait que
les vieux soldats, les sans-culottes couverts de blessures
fussent enfin, après avoir obéi durant trente années,
appelés aux premières places de Tarmée ^
Le ministre de la guerre Bouchotte était entièrement
jacobin : il recommandait aux clubs d'examiner les choses
et les personnes, et de dénoncer et de réprimer les abus
comme ils avaient dénoncé et réprimé l'aristocratie * ; il
* Prudhomme, Rév, de Paris, n» 195, p. 42 et 76 ; Chépy à
Le Brun (mars 1793] ; Ronsin au Comité, 5 avril (A. G.) ; Mon.^
8 septembre 1792, 4 et 9 avril, 5 et 17 juin, 1«' juillet 1793 ; Journal
de la Montagne, n«« 53, 55, 64, 68 ; Le Batave, n« 176 (9 août).
* Circulaire de Bouchotte aux sociétés populaires, 21 septembre, à
70 ^ISSBMBOURG
engageait Tarmée à se défier des faux patriotes qui
voulaient la « subjuguer par une discipline d'automate t
et lui soustraire les journaux a propres à l*instruire
sur les mouvements révolutionnaires' ». Il entreprit de
purçêr les états-majors et de toucher à la graine d'épi-
nards *. Le premier Comité de salut public ne l'appré-
ciait pas; il trouvait que Boucbotte « ne tenait pas les
rênes de son département avec Ténergie qu'appelaient
les besoins du moment ». Gambon déplorait son inertie
et son ignorance en matière d'approvisionnements :
« quand on lui demande combien il a de fusils à sa dis-
position, quels sont les moyens qu'il prend pour les
faire réparer et transporter, on est quinze jours sans
avoir de réponse, et tout languit. » Dès le 27 mai, Bou-
cbotte offrait sa démission. Mais Beaubarnais, que le
premier Comité proposait au choix de la Convention^
refusa le ministère. Boucbotte resta, et le second Comité
le garda, le maintint envers et contre tous : Boucbotte
était son homme. Vainement Haussmann proclamait
en pleine séance V a ineptie inconcevable » du ministre
et assurait que ses fautes compromettaient chaque jour
le sort de la République. Vainement Dartigoeyte le ju-
geait incapable et indigne de confiance. Boucher et Le-
quinio prétendirent qu'une cabale s'était formée contre
lui. Chabot déclara qu'il pouvait, au moins provisoire*
ment, « gouverner la machine » et qu'on ne devait pas
remplacer un homme qui commençait à se mettre au
fait de sa besogne ; Boucbotte, ajoutait-il, « est patriote,
la suite da décret du 13 septembre par lequel les clubs devaient en-
voyer au Comité de salut public la liste de tous les agents infidèles
dont Tincivisme était connu.
1 Boucbotte à ses concitoyens aux armées, 2 aodt.
* Mot de Milbaud aux Jacobins, 21 nov. 1793.
LES REPRÉSENTANTS 71
et c*en est assez». Le 25 juillet, la Gonvenlion décidait
de dresser le jour suivant une liste de caudidals au mi-
nistère de la guerre. Mais les députatloDS des Gordeliers
et de la Société républicaine du \0 août vinrent plaider
à la barre de TÂssemblée la cause de Bouchotte et affir-
mer sou civisme, son intégrité : on employait, pour
récarter, les manœuvres dont on avait usé contre Pache;
la Convention ferait bien de conserver Boucbotle, et de
confier la direction supérieure des administrations à des
patriotes et non à des scientifiques, Robespierre appuya
les pétitionnaires. Déjà, aux Jacobins il avait pris la
défense de Bouchotte qui lui semblait un vrai républi-
cain, un sincère ami de la patrie, animé d'un zèle pur.
Il vanta derechef la sévère droiture du ministre; 11 jura
qu'on imputait aveuglément à Bouchotte les fautes de
ses agents et de ses eunemis ; Bouchotte, s'écriait-il,
avait la confiance des montagnards; Bouchotle s'était
attiré la haine des aristocrates et des généraux perfides ;
Bouchotte ne serait jamais un Beurconville et il saurait
s'opposer aux criminelles menées des nouveaux Bumou-
riez ; si la Convention voulait donner quelque assiette
au gouvernement et de la suite, de la consistance
aux opérations de la guerre, elle devait rapporter le
décret qui prononçait implicitement le renvoi de Bou-
chotte. L'Assemblée rapporta le décret au milieu des
applaudissements réitérés du public, et le 28 juillet, elle
décidait que le ministre pourrait non seulement sus-
pendre et remplacer les officiers-généraux et les officiers
des états-majors, mais choisir dans tous les crades^ sans
être astreint aux dispositions des lois précédentes ^
> Rec. Aulard, IV, 482, 526 ; Ls Bat ave ^ 28 mai ; Mon.^ séances
du 30 mai et des 8 et 13 juin (n** du 31 mai, des 9 et 16 juin); Jour^
nal de la Montagne, n* 39 (discours de Ciiabot aux Jacobins, 5 juil-
72 WISSEMBOURQ
Cependant, Boucholte fut encore attaqué. Le 42 août,
Gossuin le traita de mannequin, Taccusa de ne rien faire
pour repousser les ennemis, et Delacroix, s*unissant à
Gossuin, obtint que le Comité de salut publia ferait
séance tenante un rapport sur le ministre. Mais Barère
protesta sur-le-champ au nom du Comité : Bouchotte était
très laborieux; il joignait un sûr républicanisme à la
probité la plus exacte ; il mettait cinq cent mille hommes
en mouvement, et l'administration de la guerre n'avait
jamais eu, même sous le règne de Louis XIV, un travail
aussi considérable K
Une suprême attaque contre le ministre eut lieu dans
les derniers jours de 1793. Le 30 novembre, Bourdon de
l'Oise informa l'Assemblée que les commis de Bouchotte
allaient aux Cordeliers et ailleurs dénoncer et calomnier
les députés. Cette fois encore, et avec plus de chaleur
que jamais, Barère ût le panégyrique de Bouchotte :
Bouchotte avait la passion de la liberté, Bouchotte
s'était engagé dans la voie de la Révolution, Bouchotte
se rendait assidûment au Comité pour recevoir ses
ordres. Bourdon ne se rebuta pas; le 4 décembre, il
demandait la suppression des ministères et notamment
du ministère de la guerre dont les agents, disait-il,
entravaient les mesures des représentants. Robespierre
répondit sèchement que le Comité surveillait les minis-
tres et que le caractère de Bouchotte opposait à tous les
conspirateurs une barrière insurmontable \
Fort de l'appui du Comité, Bouchotte frappa sans
et) ; Mon,, séances des 25 et 26 juillet .[n^' du 27 et du 28); Journal
de la Mont., n» 41 (Robespierre aux Jacobins, 10 juillet) ; décret du
28 juillet.
« Séance du 12 août [Mon, du 14).
* Séances du 30 nov. et du 4 déc. (Mon, des 2 et 6 déc).
LES REPRÉSENTANTS 73
ménagement, sans pitié les officiers nobles. Il voulait
patriotiser Tarmée. Puisque les hommes de talent et
d'expérience n'approuvaient pas la République monta-
gnarde, il fallait, suivant Boucholte, choisir d'autres
hommes qui sauraient c faire aller le système popu-
laire » ; ceux-là n'auraient pas d'abord de grandes facul-
tés ; mais peu à peu ils se développeraient ; n'avaient-
ils pas le premier de tous les moyens, la volonté d'aller?
Oui, disait Boucholte, en ce moment il faut Hrer parti
du moral, il faut inspirer la confiance, et pour Tinspirer,
se montrer à la hauteur de la Révolution ; il faut écouter
son cœur et non son esprit ; le régime actuel est celui
des sans-culottes, et pour qu'il dure, les sans-culottes
doivent occuper toutes les places sans exception ^
Afin de mieux « républicaniser » et « sans^culottiser »
le corps des officiers, Bouchotte envoya dans les armées
des agents ou commissaires dits du pouvoir exécutif,
mais qui ne dépendaient en réalité que de l'administra-
tion de la guerre et ne correspondaient qu'avec le
ministre ou avec son secrétaire-général Vincent et ses
adjoints Jourdeuil et Sijas. Ces commissaires devaient,
selon leurs inslructions, « surveiller le matériel et le
personnel*». Dans toutes ses lettres, Bouchotte leur
i Bouchotte à Krieg, 9 août (A. G.].
* Voir la correspondance de Bouchotte avec les commissaires,
22 mai, 14 juin, 30 août, etc. L^armée du Rbio eut d'abord deux.com-
missaires du pouvoir exécutif, Garnerin et Gâteau (cf. sur Garnerin
le tome IV de Wallon, Les représentants en mission^ 1890, p. 452, et
sur Gâteau, intime ami de Saint-Just et, comme lui, originaire de
Blérancourt, V Intermédiaire du 25 août 1891), et celle de la Moselle,
\ quatre : François Gémond, qui fut bientôt rappelé ; Grammont, qui
regagna Paris le \^^ mai pour devenir chef au bureau central du mi-
nistère et qui fut remplacé par Grou [Louis-Guillaume-Jean-Bap-
tiste), ancien capitaine de dragons ; Valmont qui, l'année précédente,
parcourait les armées de TÂrgonne et de la Belgique (Retraite de
74 WiSSE&IBOURa
recommandait de s'attacher à connaître les officiers, de
connaître les bons et les mauvais, d'entretenir le patrio-
tisme des soldats, de répandre les journaux ou, comme
on disait alors, les papiers nouvelles ou les papiers publies,
le Pire Duchesne et le Journal de la Montagne '.
Ils surent s'acquitter de leurs fonctions et garantir le
soldat des a poisons du fédéralisme ». Ils dénoncèrent les
officiers nobles et ceux qu'ils soupçonuaieot de roya-
lisme, ces hommes « indignes du beau nom de répu-
blicains », ces ce êtres corrompus qui déshonoraient
f armée » et qu'on devait expulser au plus tôt, sans user
de « demi-mesures » ni de « partis mitoyens et concilia-
toires ».
Ils dénoncèrent le chef de Télat-major de Parmée de
Brunsioick, 144), et Mourgoin, que les commissaires nommaient « ie
plus pur et le plus chaud patriote, guidé par la sagesse et la maturité
des réflexioQS > [Ëhrmann, Richaud et Soubrany àBouchotte,26aotkt).
Ces commissaires furent rappelés le 23 août lorsqu^on décréta la
réquisition; mais le 11 septembre, sur la proposition de Barère, le
Conseil exécutif eut de nouveau la permission d*enToyer des agents
qui seraient sous la surveillance des commissaires de la Convention
et qui devaient « répandre partout les lumières et purifier Topinion
qui, semblable à l'atmosphère, se corrompait de deux en deux mois >.
Le Conseil exécutif provisoire eut désormais deux agents auprès de
chaque armée : ce iurent, à Tarmée de la Moselle, Mourgoin et Del-
teil ; à Tarmée du Rhin, Berger et Renkio. Ce dernier écrivait le
22 septembre, à Bouchotte, que Dièche (le commandant de Stras-
bourg) devait être soutenu par c une forte garnison de sans-culottes ;
des Parisiens surtout, bien prononcés ; et si Ton joint à cela une pro-
menade patriotique de l'armée révolutionnaire , accompagnée de
quelques guillotines, le mal se trouvera coupé dans sa source »•
^ Cf. sur le Père Duchesne aux armées, les discours de Montant et
de Momoro [Mon, du 29 oct.). Pache, le premier, avait envoyé des
journaux dans les camps et il faisait distribuer, tous les jours, 6,000
exemplaires du Bulletin de la Convention (500 aux armées du Nord,
des Ardennes, de la Moselle, du Rhin, des Vosges, des Pyréaées et
de l'Intérieur, 400 à celle du Var, 300 à celle des Alpes, etc. A. N.,
DXL 281.
LES RBPRÂSBNTANTS 75
la Moselle, Hédouville ; cet Hédouville, écrivaienUils,
avait été la créature des Lamelh, de Luckner, de Ber-
thier ; il était mielleux, perfide, plein d'une impudence
anticivique et de principes dangereux qui révolteraient
les plus froids patriotes, et s'il travaillait bien, « ce
n'était pas dans le genre patriotique t> ; tout Fétat-major
« portait la teinte de son opinion K »
Ils dénoncèrent Gustine qu'ils qualifiaient de traiôrCj
dHntriçantf de hourreau-né de la République, de « com-
plice des royalistes, des feuillants, des rolandistes et des
aristocrates de toutes couleurs ». Gustine, assuraient-ils,
avait fait autant de mal que Dumouriez. « Et sa tôte est
encore sur ses épaules I Que disons-nous ! Il va com-
mander Tarmée du Nord I » Ils envoyèrent à Paris le
factum du lieutenant Forel qui se prénommait Misobasile
ou ennemi des rois, et prétendait que Gustine avait
engagé le combat du M mai pour e. redonner des fers à
la nation ». L*un d'eux, Gâteau, mandait à Vincent, six
jours avant la reddition de Mayence, que Gustine avait
«i livré la garnison à la férocité des brigands couron-
nés • ».
Ils dénoncèrent Houchard^ l'accusèrent de maltraiter
ses soldats et d'avoir transpercé de son épée un pauvre
maraudeur qui volait des choux '.
Ils dénoncèrent Beaubarnais, et lorsque la Gonvention
l'élut ministre à la place de Boucholte, leur patron et
^ Cf. leurs lettres du 25 mai et des 4, 12 et 25 juin à Bouehotte
(A. G.).
* DéDonciation de Misobasile Forel^ lieutenant de la 1'« compagnie
du2« bataillon du Puy-de-DÔme, 18 mai; Gâteau à Bouehotte, 29 juin,
à Vincent, 17 juillet [Â. G.), et discours aux Jacobins, 5 juillet.
* Cf. la lettre désespérée de Houchard à Bouehotte sur cette ca-
lomnie de Valmont, 7 août (A. G.].
76 ^ISSEMBOURa
protecteur, ils jetèrent les hauts cris : les Jacobins des
bureaux voudraient-ils travailler sous un homme qui ne
partageait pas leurs principes * ?
La plupart des officiers nobles que les commissaires
du pouvoir exécutif poursuivaient de leurs dénoncia-
tions, rendaient cependant à la République de fidèles et
loyaux services. Ils s'entendaient aux choses de la
guerre et en savaient plus long sur leur métier que les
officiers de naissance roturière ; les chasser, c'était
désorganiser l'armée.
Aussi les représentants du peuple refusèrent -ils
d'abord de les renvoyer *. Blaux plaidait leur cause avec
^ Grou, Mourgoin, Valmont à Duverger, 19 juin [À.. G.). Ils dé-
nonçaient môme les commissaires de la Convention, leur nombreux
cortège de secrétaires et d^adjoints, leur luxe: < cinq décharges d'artil-
lerie annoncent partout leur arrivée ou leur départ, et les superbes
chevaux de la princesse de Nassau-SarrebrQck, estimés de trois à cinq
mille livres Tun dans Tautre, ont l'honneur de porter gratis les repré-
sentants d'un peuple libre ennemi du faste •• (Lettre da 9 juin à
Bouchotle. A. G.)
* Le 30 avril [cf. p. 8) quatre représentants avaient été envoyés
à Parmée de la Moselle : Le Vasseur de la Meurlhe [qui fut remplacé,
le 22 juin, par Gentil du Mont-Blanc), Maignet, Montant et Soubrany»
auxquels on adjoignit^ le 29 juin, Cusset, — qui prétendait avoir des
intelligences dans Luxembourg, — et dix représentants à l'armée du
Rhin (outre Merlin et Reubell), Ferry, Laurent, Ruamps, Louis,
Pflieger, Haussmann, Du Roy, Rilter. Le 19 juillet, le Comité renou-
vela les missions. Jusqu'au 5 novembre, les représentants à l'armée
de la Moselle furent Richaud, Soubrany, Ëhrmann, Cu^set (Hermand
ne fit que passer dans les premiers jours d'août), et à Tarmée du
Rhin : Ruamps, — qui restait seul de l'ancienne mission, — Borie,
Milhaud, tous trois désignés, le 19 juillet, par le Comité, et Niou qui
fut adjoint le 29 août. Mallarmé fut nommé, le 23 août, par la Con-
vention, pour exécuter, de concert avec les représentants, le décret de
réquisition. Avant lui, le 25 juillet, J.-B. Lacoste et Guyardin
avaient été pareillement adjoints aux représentants près des deux
armées, pour ■ faire le remplacement des garnisons >. Ruamps, Borie,
Milhaud, Niou, Mallarmé, Guyardin ont retracé, dans un rapport con-
fus, leurs actes auxquels ils associent Lacoste. Ajoutons que Lacoste et
LES REPRÉSENTANTS 77
ardeur : puisqu'ils restaient à leur poste, malgré les
dégoûts qu'ils essuyaient à chaque instant, n'aimaient-
ils pas sincèrement la patrie, et dès lors ne pouvait-on
les conserver? B6 blâmait le ministre d'enlever à Tarmée
ses vrais défenseurs; selon lui, ceux qu'on devait
destituer, c'étaient les muscadins, et non les officiers
dont les soldats, les chefs, les représentants attestaient
le civisme et la vaillance. Jusqu'au dernier moment, les
commissaires de la Convention gardèrent les généraux
qu'ils voyaient de près et qu'ils savaient expérimentés et
instruits. Ils disaient avec Richaud qu'entre les géné-
raux et leurs délateurs ils n'hésitaient pas : les dénon-
ciations^ presque toujours vagues ou erronées, venaient
d'ambitieux qui désiraient de l'avancement, et quant
aux généraux, s'il était difficile de lire dans leur âme,
ils montraient de bonnes intentions et de l'activité. Les
représentants gardèrent donc Schauenburg. Ils gardèrent
Pully que Moreaux, blessé, n'avait pu remplacer; son
républicanisme n'était pas très décidé; mais il avait de
l'intelligence, des talents militaires, la parfaite connais-
sance du pays, et il leur semblait très propre à diriger le
courage des troupes du camp de Hornbach. Ils gardè-
rent d'Aboville, le véritable vainqueur de Valmy ; il
était c absolument nécessaire ». Ils gardèrent Landre-
mont et d'Arlandes : « il est malheureux qu'ils soient des
ci-devant y mais il serait peut-être plus malheureux
qu'une loi générale les force à la retraite. » Ils gardèrent
HédouvlUe et affirmèrent la purelé de ses principes:
Mallarmé partis pour Paris a6n de demander la suspension du général
Landremont, furent, par un arrôté du Comilé, en date du 6 octobre,
maintenus aux armées de la Moselle et du Rhin < et investis de tout
pouvoir pour requérir les armes et les gardes nationales des départe-
ments environnants, destituer et remplacer les généraux suspects et
autres agents, sauver Landau et les lignes de Wissembourg * .
78 WISSSMBOURO
< pourquoi le destiluer? Ces changements paralysent
tout. » Ils gardèrent le jeune et valeureux Desaix. Ils
gardèrent Campagnol qui commandait le h^ bataillon
de Lot-el-Oaronne avec aulant de courage que de pru-»
deoee*.
Mais Bouchotte l'emporta sur les représentants, et
eux-mêmes finirent par reconnaître qu'il était impos-
sible de confier a des ci-devant la direction des armées.
Le cri de trahison retentissait partout et Topinion publi-
que se prononçait contre les castes privilégiées avec une
puissance irrésistible. Quelques-uns des officiers nobles
ne pouvaient renier leur passé monarchique, prendre
les façons du sans-culottisme et cacher le dépit qu'ils
éprouvaient de commander à des officiers plébéiens. « Il
est encore de ces messieurs en petit nombre, écrivait-on
de Tarmée de la Moselle, qui conservent le ton, Tesprit et
le faste de Tancien régime; ils aiment Tadulation ; ils ne
sortent point sans une grande suite ; ils ont le propos
dur B, et Ton accusait des chefs de brigade ou d'esca-
dron du corps des Vosges d'avoir servi d'aides-de-camp à
Narbonne et à Valence *. Enfin, beaucoup de ces <k aristo-
crates » se savaient guettés, espionnés, et craignaient le
tribunal révolutionnaire, e La plupart des généraux qui
1 Blaux à ses collègoes, 7 avril 1793 (A. G. et Rec. Aulard, IXI,
149); Bô i Bouchotte, 9 nov. ; Richaud, Ehrmanii et Soubrany au
Comité, 13 août, et à Bouchotte, 26 août ; Lacoste et ses oollè^aes au
Comité, 19 août ; Richaud à Barère, 2 sept. ; Montant, Maigaet,
Soubrany, Grentil à Bouchotte, 10 juillet, etc. (A. G.). Cf. Garnerin
aux Jacobins, 20 juin A. G. : « Les vices ni les vertus ne sont point
départis sans exception à telle caste; rendons hommage aux prin~
cipes, mais n'éloignons pas des hommes qui ne nous ont encore
rendu que des services ; éloignons les traîtres, quelle que soit leur
origine. >
> Lavfeliette, Afém.^ I, 144 ; lettre du 28 juin {Journal de U Mon-
tagne, n» 40) ; Thuillier à Barère, 10 ocl. (A. N. A. F, II, 30).
LES RSPBÉSBNTANTS 79
ont figuré sur notre scène politique, lisaient-ils dans le Ba-
twœ du 3 août, sont actuellement dans les prisons, occu-
pés à méditer sur la fragilité des grandeurs humaines ».
Ils ne pensaient donc qu*à sauver leur tète et se sou-
ciaient, selon le mot d'un représentant, plus de leur
propre sûreté que de la chose publique. Ils refusaient
tout avancement, ou s'ils acceptaient le commandement
qu*on leur imposait^ ils disaient, comme Schauenburg,
que leur origine les ferait environner de soupçons. Ils
s'effrayaient de leur responsabilité; ils n'osaient agir
hardiment et avec vigueur ; ceux mêmes qui les défen-
daient, leur reprochaient de se tenir toujours sur une
extrême réserve et de n'avoir pas cette humeur entre-
prenante, résolue, qui sied à Thomme de guerre, et des
lignes de la Lauter on mandait au Journal de la Mon--
iagne qu'ils étaient tièdes, qu'ils mettaient dans leurs
actes je ne sais quel air de mollesse et d'apathie, qu'ils
*'. laissaient détraquer la machine ty qu'on devait par une
loi claire, positive, ou les rassurer ou, ce qui valait
mieux, les frapper. « Gomment voulez-vous, s'écriait
Génissieu, que, dans leur situation précaire, ils servent
avec zèle la patrie ^ ? »
^ Le Batave^ 3 août ; Journal de la Montagne, ii« 104; lettre de Ri<
chaud; séance du 12 sept. Mon. du 15 ; Gâteau à Bouchotte, 29 juin
[A. G. il faut « exclure tous ces hommes d'aucien régime dont le cœur ne
peut aller de front avec leurs devoirs et chez lesquels quelques talents
d'exercice ne peuvent compenser la répugnance quHls mettent à les
remplir. >) Cf. Prieur et Jeanbon au Comité, 12 août ; Lacoste à Ba-
rère, 19 août ; et la]^belle lettre du général d'Âboville aux représen*
tants à l'armée de la Moselle, 17 août, : ■ On ne peut qu'approuver
la méfiance générale de la nation contre tous les ci-devant nobles in-
distinctement. Je cède sans murmure une place où, devenu suspect,
il ne me serait plus possible de rendre les mêmes services qu'un suc-
cesseur qui aura la conûance. Je me bornerai, comate Séitsaire, à
faire des vœux pour la prospérité de ma patrie. • (A.. G») Veir aussi.
80 WISSBMBOURa
Toutefois les représentants eurent raison de laisser
quelque temps les nobles à la tèle des troupes. Certes»
ils ont commis des fautes ; ils ont fait des choix mal-
heureux ; ils ont parfois, sans le vouloir, jeté le désordre
dans les armées; leur impatience impétueuse demandait
toujours une victoire qui tardait et devait tarder encore
jusqu'à la fin de Tannée 4793 ; leur fougue imprudente
causa le désastre de Pirmasens et les passages déplo-
rables du Rhin. Quelques-uns abusèrent des pouvoirs
illimiiés dont la Convention les avait investis. La loi du
9 avril leur permettait d'employer autant d'agents qu'il
leur plairait ; les dépenses extraordinaires qu'ils auto-
risaient seraient acquittées par le Trésor public, et tous
leurs arrêtés mis à exécution, s'ils étaient adressés dans
les vingt- quatre heures à T Assemblée ou au Comité de
salut public. Puis un décret du 30 avril leur avait donné
le droit de requérir les gardes nationales des dépar-
tements, de nommer sur-le-champ à toutes les fonctions
vacantes, selon le mode usuel d'avancement, et, en cas
d'urgence ou si les sujets manquaient, de confier les
emplois pour quinze jours à ceux qu'ils jugeraient di-
gnes, de suspendre et de remplacer provisoirement les
agents militaires, de faire arrêter les généraux et d'en-
voyer au tribunal révolutionnaire quiconque conspirerail
contre la République et machinerait la désorganisation
de l'armée. Eafin^ un décret du 46 mai enjoignit aux
corps administratifs et municipaux d'exécuter toutes les
délibérations qu'ils auraient prises. Ils étaient quatre
auprès de chaque armée et on les renouvelait mensuelle,
ment par moitié. Mais leur autorité ne cessa de grandir :
la lettre d'Aagttste, soldat dans l'armée des Vosges. Lettres de soldats
nst-nSS, p. L. G. PéHsBier, p. 5.
LES REPRÉSENTANTS 81
le décret du 30 avril portait qu'ils ne pourraient agir
qu*au nombre de deux ; par un décret du 29 août, ils
purent seuls et de leur propre impulsion prendre des
arrêtés.
Armés d'une semblable puissance, plusieurs de ces
hommes éprouvèrent une sorte de vertige et leur âme
ne sut garder l'équilibre.
Gentil eut le bon esprit dé demander son rappel et
d'avouer qu'il n'y voyait goutte/.
Gusset se rendit méprisable par son outrecuidance et
ses habitudes de crapule. Il annonçait aux populations
que la Convention avait mis à son côté une plume de fer
avec laquelle il devait écrire dans le sang autrichien,
et il reprochait brutalement à Schauenburg la « stagna-
tion j> de l'armée de la Moselle. A l'entendre, quarante
mille Autrichiens se trouvaient au camp d'Arlon ; l'inci-
visme, la trahison étaient partout; il y avait dans la pe-
tite ville républicaine de Thionville une « immensité d'a-
ristocrates de tout genre » et dans les villages patriotes
de la frontière beaucoup de scélératesse. Mais les jacobins
de Metz attestaient qu'au lieu de remplir sa mission, il
s'enivrait à Beauregard et oubliait sa dignité dans les
fumées du vin de Champagne et du brandevin des Ar-
dennes '.
Jean-Baptiste Lacoste était uménergumène, un forcené
qui dégoûta par ses violences son collègue Guyardin
a le meilleur des humains » : 11 proposait de décapiter le
quart des Alsaciens, de ne garder dans les départements
du Rhin que ceux qui avaient pris une part active à la
« Genlilà Dumas, 18 et 19 juillet (A. N. af xi, 246).
* Gusset, Compte rendu ^ 3, 80-83 ; Le Bat ave ^ n» 247 ; cf. ses lettres
{^Mon., 6 sept.) et VEœpédition de Custine, 160-161.
WI88E1CB0URG. 6
8S WISSBMBOURG
Révolution et de chasser tous les autres, après avoir sé-
questré leurs biens '.
Baudot avait de Tesprit, des talents, de Tamabilité ;
mais il était jeune et sans expérience ; gâté par Lacoste,
il ne parlait plus que de fusillade, de guillotine, et sans
cesse il disait : « Il faut fusiller... Je ferai guillotiner*. »
La probité de Ruamps et son patriotisme étaient à
toute épreuve ; on loue ses vertus publiques et privées ;
mais à Tarmée duRhio, en plusieurs circonstances, il
se conduisit comme un fou. Cet homme qui manquait
de lumières, se grisait de son autorité souveraine'.
Les représentants envoyés en Alsace avant Sainl-Just
et Le Bas, croyaient se rendre populaires ; ils affec-
tèrent le ton soldatesque et agirent à la hussarde ; ils
tranchèrent lestement et de la façon la plus irréfléchie
les affaires les plus épineuses, et un témoin véridique,
un de leurs propres auxiliaires , nous assure qu'ils
avaient peu d'ordre dans les idées et peu d'aptitude
au travail, qu'ils ne se réunissaient que pour pérorer et
qu'aucun d'eux ne savait écouter. Ils s'imaginèrent
qu*on vaincrait les alliés en les inondant d'un flot
d'agricoles ; ils suspendirent les généraux à tort et à Ira.
vers; ils laissèrent les intrigants et les mauvais sujets
quitter leur poste et déblatérer au club de Wissembourg
contre les chefs. L'armée les avait attendus comme des
f anges libérateurs » ; elle les maudit à leur départ, et
Ruamps fut maltraité, non par les généraux qu'il avait
vexés et tourmentés, non par les officiers qu'il avait per-
sécutés, mais par les soldats qu'il avait flagornés^.
1 Lacoste au Comité, 4 frimaire an 11 (A. N. àf ii 247]; note de
Legrand (A. Q.)«
* » ♦ Noie de Legrand (A. G.).
LES REPRÉSENTANTS $3
NéanmoinSy quels que soient leurs torts, les représen-
tants eurent du courage, de l'application, du patriotiflme.
Ils payèrent constamment de leur personne avec la
même valeur que les plus braves grenadiers, et Ton vit
Soubrany, à la bataille d'Arlon, marcher au premier
rang et se jeter dans la mêlée sous le feu le plus meur-
trier. Ils hâtèrent l'arrivée des chevaux que l'entrepre-
neur Lanchère devait fournir, et ils obtinrent de
Bouchotte la formation de deux compagnies d'arlillerie
légère et de quatre nouvelles compagnies de pionniers.
Ils conseillèrent — et leur conseil fut suivi — de
dégarnir les places et d'envoyer les garnisons à la
frontière. Ils requirent les gardes nationales de faire
le service militaire dans les villes et les camps, et leur
allouèrent le même traitement qu'aux troupes soldées
par la République. Ils demandèrent des fusils. Ils déve-
loppèrent la manufacture d'armes de Klingenthal en
augmentant à la fois le nombre et le salaire des ouvriers.
Ils rehaussèrent le crédit des assignats ; ils dénoncèrent
les fournisseurs qui livraient des marchandises de la
plus mauvaise qualité ; ils menacèrent de peines rigou-
reuses tous les fripons, agioteurs, accapareurs qui pous-
saient à l'excès dans les départements du Rhin l'audace
de la cupidité. Ils assurèrent le service des subsistances
et des approvisionnements de toute espèce ; ils firent ame-
ner les blés dans les dépôts de l'armée ; ils stimulèrent,
éperonnèrent les administrations. Grâce à leurs soins
infatigables, les forteresses et les magasins échelonnés
dans l'intérieur du pays reçurent les grains et les four-
rages dont l'envahisseur aurait pu s'emparer ; grâce à
leurs réquisitions incessantes, les soldats ne manquèrent
jamais de vivres et de munitions ; « sans la présence des
députés aux armées, a dit justement Soubrany, elles
84 WISSBMBOURa
n'auraient jamais été pourvues de ce qui était néces-
saire *. »
De môme qu'ils gardaient les généraux suspendus par
Boucholte, ils réclamaient quelquefois contre les arrê-
tés qu'ils jugeaient inutiles et funestes. Lorsque le mi-
nistre, cédant aux instances de Houchard, appelait en
Flandre les carabiniers, ils retenaient à Tarmée de la Mo-
'selle ces deux régiments qui comprenaient plus delà moi-
tié de la cavalerie de ligue *. Le Comité faisait décider le
5 septembre que tous ceux qui avaient servi dans la
maison militaire de Louis XVI et de ses frères ou dans
la garde décrétée par la Législative, devaient se retirer à
vingt lieues des frontières. Les états-majors se dépeu-
plèrent incontinent, et des sujets excellents, tout ce qu'il
y avait de plus intrépide, s'éloignèrent des camps,
au grand désespoir des généraux. Les représentants
n'hésitèrent pas à surseoir provisoirement à l'exécu-
tion du décret ; ils autorisèrent les soldats et officiers
de toute arme et de tout grade à rejoindre leurs corps :
n y avait-il pas dans le nombre des hommes de cœur
et surtout de ces gardes-françaises qui s'étaient si bien
*■ Note de Legrand; Montaut à Boucholte, 23 juin; Haussmann au
Comité, 15 avril et 4 mai (Â. N. dxlii, 4] ; Le Vasseur et Maignet
au Comité, 28 juin; Jeanbon-Saiut- André et Prieur de la Marne au
Comité, 4 et 12 août; proclamation de Jeanbon, Prieur, Soubrany,
Ehrmann, Richaud, 10 août (k. G.) ; Mon. 2 oct. [lettre des repré-
sentants près l'armée de la Moselle) ; Compte rendu par Ruamps, Bo-
rie, etc., 31, 83, etc.; Doniol, Diœ-neuf lettres de Souhrany, 1867,
p. 23.
* Houchard aux représentants, 13 avril; Richaud, Ehrmann, Sou-
brany à Bouchotte, 26 août; arrêté des mêmes, 27 août; Jourdeuilau
ministre, 1«' septembre (Â. G.]; le 27 septembre, le Comité de salut
public ordonnait que les carabiniers seraient envoyés à l'armée du
Nord et que le ministre de la guerre ne pourrait sous aucun prétexte
retarder d'un instant l'exécution de cet arrêté ; les représentants gar-
dèrent les carabiniers à l'armée de la Moselle.
LfiS REPRÉSENTANTS 85
battus pour établir la République et affermir la li-
berté » ?
Ils rendirent Tarmée entièrement républicaine. A la
voix des représentants, elle accueillait sans murmurer
le décret qui défendait la vente du numéraire. Elle rece-
vait sa solde en criant Vivent les assignais, la République
eu point de m /Elle attendait la constitution d3 4793,
comme «t la manne céleste » et Tacclamait avec transport
comme « le gage assuré de ses triomphes ». Elle saluait^
au camp de Hornbach, les commissaires du pouvoir
exécutif par les cris de Vive la République! Vivent les Pa-
risiens! et les agents de Boucbotle racontent que les
soldats s'arrachaient le Journal de la Montagne et le
Père Duchesne et qu'ils auraient sacrifié gaiement deux
jours de leur paie pour avoir trois exemplaires de ces
« papiers » par compagnie. Les volontaires du i®"^ batail-
lon de TAin s'amusaient à juger en conseil de guerre un
mannequin de Dumouriez et, après ravoir attaché pen-
dant quatre heures à un arbre de la route^ le brûlaient
sur un bûcher. Ceux du 4* bataillon du Jura sommaient,
du poste de Bundenthal, les administrateurs de leur
déparlement, de se réunir autour de la sainte Montagne.
Ceux du 2^ bataillon du Doubs félicitaient la Convention
de la ce bienfaisante » révolution du 34 mai et applaudis-
saient à la mesure sage et ferme qui purgeait d'une
manière si admirable la représentation. « La République
^ Décret du 5 sept. art. viii; Landremont à Schauenburg, 25 sept.
(A. G.); arrêté du 29 sept, pris par Guyardin, Niou, Mallarmé, La-
coste, Ruamps, Borie et Milhaud (A. G.) ; un décret du 6 octobre
décida que ceux qui avaient servi comme sous-officiers et soldats dans
les gardes françaises, les grenadiers à cbeval et les gendarmes de Lu-
néville, ne seraient pas compris dans les dispositions du décret du
5 septembre.
86 WISSBMBOURa
une et iudivisible, écrivait un ofticier à Gasparin, est
notre seul poiût de ralliement *. »
Ce fut surtout après l'écrasement de la Gironde que
^es représentants du peuple acquirent une grande
influence dans les armées. La journée du 34 mai avait
produit sur les âmes une impression profonde. Les con-
ventionnels ne manquèrent pas de porter aux nues
cette victoire de la Montagne sur le Marais, et presque
tous les officiers se déclarèrent, comme eux, « bons et
francs montagnards ». Ceux qui naguère étaient rudes
et brusques, se radoucirent, traitèrent avec indulgence
les subordonnés qu'ils avaient dédaignés et rabroués.
Ceux qui ne parlaient qu'avec regret de Tancienne
armée royale, devinrent d'enragés démocrates et cor-
respondirent avec les sociétés populaires de Metz et de
Strasbourg *.
Les commissaires répandirent ainsi parmi les troupes
une fâcheuse exaltation. L'armée, comme la Convention,
comme la nation môme, fut en proie aux factions. Il y
eut dans les camps des maraiistes qui, par la hardiesse
de leurs opinions, par la force de leurs poumons, se
firent une réputation de beaux parleurs et de révolution-
naires ardents. Pas une ville de garnison, pas un lieu
de cantonnement qui n'eût son cjub. Les militaires y
dominaient, et ils insultaient, opprimaient, chassaient
les citoyens qu'ils qualifiaient de modérés et de fédéra-
listes ; ils se disputaient entre eux avec un acharnement
> Le Batave, n»* 83, 89, 100 (le l*" dragons à Houchard) ; Journal
de U Montagne, n©" 39, 53, 54, 57; Mon.^ 11 juillet; Grou, Valmont,
Mourgoin à Bouchotte, 22, 25, 27 juin; lettre du 2* bataillon du
Doubs à la ConTention, 18 juillet [Â. G.) .
* Lecomte, L* Observateur impartial aux arm€e$ de Rhin et Moselle^
1797, p. 6; cf. Richaud, Ehrmann et Soubrany au Comité, 15 août.
LES REPRéSBNTA.NTS 87
frénétique ; ils envoyaient adresse sur adresse et dénon-
ciation sur dénonciation à TAssemblée, à la Commune,
au ministre de la guerre, aux Sociétés de Paris et des dé-
partements. Beaucoup, surtout les jeunes gens et, comme
dit Alexandre Courtois, les officiers a imberbes et viciés
de Tesprit d'intrigue », ne cherchaient qu'à monter en
grade et ne demandaient la destitution de leurs chefs que
pour se mettre à leur place. Mais tous les dissentiments
politiques, de môme que toutes les querelles particu-
lières, étaient oubliés dès que tonnait le canon, et en
face des Autrichiens, les partis n'existaient plus : il n'y
avait que des Français, des républicains^ des soldats
déterminés à vendre chèrement leur vie ; et combien
d'actions héroïques éclatèrent aux jours de combat dans
ces orageuses armées de la Moselle et du Rhin que
déchirait l'anarchie ^ !
Enfîn^ les représentants fireot exécuter les décrets de
la Convention, et notamment celui du 30 avril qui ren-
voyait des cantonnements et des camps toutes les
femmes, à l'exception des blanchisseuses et des vivan-
dières*. Ils effacèrent le désaccord entre les troupes de
ligne et les volontaires. Les officiers des régiments ne
renonçaient pas de bon cœur à l'uniforme de la monar-
chie et ils gardaient sur Thabit bleu les boutons blancs
et les épaulettes blanches; on les voyait, hors du ser-
vice, endosser Thabit blanc et se coiffer d'un chapeau au
* Le Batav^^ n* 239 et note de Legrand (A. G.).
* Cf. sur les femmes dans les premières armées de la République
Trahison de Dumouriez, 54. Le décret du 30 avril ne gardait que les
blADchisseuses et les vivandières. Il y avait quatre blanchisseuses par
bataillon. Elles devaient, ainsi que les vivandières, porter sur le
bras gauche une plaque de fer blanc où étaient écrits les mots : c blan-
chisseuse . ou f vivandière de tel bataillon » (ordre d'Hédouville,
10 juin (A. G.).
88 WISSBMBOURa
panache vert ou noir, surmonté de quelques plumes
blanches. Les moindres agents singeaient les officiers.
Les commis de Tadministration portaient Tépaulette et
le sabre. Chacun, écrit Schauenburg, a se masquait aux
dépens de Tordre et de la raison ». Les soldats mêmes
étaient vôlus parfois avec une ridicule coquetterie. Les
représentants rappelèrent l'armée à la simplicité répu-
blicaine. Ils prohibèrent les emblèmes de la royauté. Ils
imposèrent Thabit national à toutes les troupes, et ils
menacèrent de destituer ceux qui n'adopteraient pas les
couleurs de la liberté ou qui n'auraient pas sur Tuni-
forme bleu les boutons à la République et les épaulettes
jaunes. Ils interdirent aux états-majors les plumets ou
pompons blancs ^ Ils pressèrent, comme ils disaient, la
fusion de Tarmée, et commencèrent le mode d'amalgame
autorisé le 41 juin et décrété le 42 août par la Conven-
tion ; sous leurs yeux, à l'armée de la Moselle, Hédou-
Tille formait déjà des demi-brigades ^
> Montaut, Maignet, Soubrany, Le Vasseur a Houchard, 26 mai ;
Schauenburg à Houchard, 12 juin; ordres de Hédouville et de Tétai-
major, 5 et 10 juin; les commissaires du pouvoir exécutif à Bouchotte,
20 et 27 juin (A. G.). Le 6 mai, la Convention avait décrété qu'a
partir du 15 juin les officiers dUnfanterie ne porteraient d'autre uni-
forme que Tuuiforme aux couleurs nationales, déjà décrété par la loi
du 23 février. Le 24 août, le Comité de salut public arrêtait que tous les
officiers des ci-devant troupes de ligne qui n^auraient pas pris Puni—
forme conformément a la loi, ou qui auraient conservé quelques signes
de l^ancien uniforme, , seraient, sur-le-champ, destitués. Cet arrêté,
converti en décret le 29 août, fut envoyé, dans les premiers jours de
septembre, à tous les généraux, par Prosper Sijas, adjoint de la 4* di-
vieion du département de la guerre.
• Cf. Rec. Aulard, IV, 15. Voici peut-être la première tentative
d'amalga-ne. Elle fut opérée à Tarmée de la Moselle, 4^ demi-bri"
gode : 4** batail'on : 13* bat. inf. légère, 1/6* de la légion de la Mo-
selle ; JS* bataillon : comp. franches de Billard, de Saint-Maurice, de
Millon, 1'* du Louvre, 1/6 d^inf. de la légion de la Moselle; 5* ba^
taiîîon : 1" bat. des chasseurs de Reims, 1/6 d'inf. de la légion. —
LES RBPRéSBKTANTS 89
Ce furent les représeutanls qui tirèrent de l'obscurité
la plupart des hommes destinés à s'illustrer sur les
champs de bataille. La loi portait que le tiers des places
yacantes serait accordé à l'ancienneté de service à grade
égal^ Qu'arrivait-il? Si l'on avait besoin de choisir un
sergent, on nommait le plus ancien caporal, un blan-
chisseur de la compagnie ou un vieux soliat qui avai t
grisonné sous le hamois. Le lendemain, il fallait un sous-
lieutenant, et le blanchisseur devenait sous-lieutenant.
Huit jours plus tard, il était chef de bataillon ou de bri-
gade. Mais ordinairement, cet homme ne savait ni lire ni
écrire ; il n'avait plus la force de faire quoi que ce fût ;
il ne pouvait commander. « Nous avons, disaient les re-
présentants^ des officiers et sous-officiers incapables de
remplir leurs fonctions; le service en souffre, et cela
provient de leur ineptie, de leur faiblesse et de leur né-
gligence. » Et le général Krieg s'indignait que des igno-
^ demi-hrigade : ^*' bataillon : 15* bat. d'inf. légère (employé à
la Vendée) ; 1/6 de la légion ; — ^ bat. : compagnie franche de
Guillaume, 3* comp. franche du Louvre, 1'* comp. franche de TOb-
servatoire, !'• comp. franche des Bons-Tireurs, 1/6 de la légion ; —
' 3* bat. comp. franche de Metz, 4* comp. franche du Louvre, comp.
franche des Sans- Culottes, 1/6 de la légion.
^ D*après la loi du 23 février 1793 (section 11, art. 1-7, du mode
é? avancement), Pemploi de colonel ou chef de brigade appartenait tou-
jours au cbef de bataillon le plus ancien, d^abord de service, puis de
grade, et ainsi alternativement. Les caporaux étaient choisis à la ma-
jorité absolue, dans tout le bataillon, par la compagnie où la place
était Tacante. Pour tous les autres grades, Tavancement avait lieu de
deux manières : le tiers, par ancienneté de service à grade égal, et
les deux tiers au choix ou à Télection. Lorsque trois capitaines, trois
lieutenants, trois sous-lieutenants, trois sergents avaient été nommés,
le premier à Tancienneté, et les deux autres au choix, on reprenait
le tour de l'ancienneté pour la quatrième nomination et le choix pour
les deux suivantes, et ainsi de suite. Le chef de bataillon était élu
par tout le bataillon ; les autres places étaient données par la compa-
gnie où vaquait l'emploi.
dO WISSRMBOUBa
raats, des illettrés eussent sous leurs ordres des compa-
gnies et des bataillons : ce quelle conâance voulez-vous
qu*on ait dans des chefs de cette espèce, auxquels de-
puis trente et quarante ans on n'a pas osé confier seule-
ment la bourse de Tordinaire d'une chambrée, ni quatre
hommes de garde, puisqu'ils ont passé tout le temps de
leur service, soit au cabaret, soit à l'hôpital ou à la
prison *? »
Ce système ne dura pas. On l'abandonna pour se jeter
dans l'autre excès. Sans tenir compte de l'ancienneté de
service ou de grade, les représentants conférèrent les
places d'officiers supérieurs dans les bataillons, les régi-
ments et les états-majors. Ils se trompèrent souvent, car
beaucoup de gens, et des plus habiles, redoutaient l'a-
vancement, fuyaient les regards des conventionnels, et
se faisaient petits et modestes. Ils excitèrent des mécon-
tentements, a Les avancements arbitraires, disait Beau-
harnais, sont une grande cause de désorganisation et
l'esprit républicain n'est pas assez répandu parmi les
vieux militaires pour qu'ils ne soient pas sensibles à des
passe-droits. » Un lieutenant-colonel de volontaires de-
venait général de brigade sans avoir passé par les grades
inférieurs et enlevait d'emblée par le seul vote de son
bataillon ce qu'un officier des troupes de ligne ne pou-
vait obtenir après trente années de services dans les
emplois subalternes. Des hommes, écrivait Erieg, qui,
toute leur vie, ne s'étaient appliqués qu'à un art méca-
*■ Haussmann, Ferry, Du Roy, Louis et Pflieger au Comité, 15 mai
(A. N. ▲Fii247); Haassmaun et Du Roy au Comité, 24 mai (Rec.
Aulard, IV, 315); Krieg à Bouchotte, 9 août; cf. Deville et Milhaud
au Comité, 13 Juin; Gâteau à Bouchotte, 29 Juin [À. G.). « Le mode
d'avancement, écrivait Gâteau, élève aux premières places une foule
d'anciens serviteurs qui n^y sont pas propres par le défaut de lu-
mières. •
LES REPRÉSENTANTS 9^
nique, au commerce ou à la chicane, arrivaient « comme
des éclairs » du fond de leur boutique ou de leur ate-
lier à la tète des armées. Mais les représentants surent
revenir de leurs erreurs ; ils ôtaient les grades qu'ils
avaient donnés et qui n'étaient que provisoires; ils
abaissaient celui qu'ils avaient élevé et le rendaient à sa
brigade ou à son bataillon ; ils suspendaient tous ceux
qu'ils jugeaient incapables, ce Le remède, reconnaît Saint-
Cyr, était bien près du mal, et c'est de ce nouveau mode
d'avancement que sortirent les meilleurs généraux de la
République. » Quelle belle promotion que celle du 49 mai,
faite au surlendemain de Rûlzheim, par les représen-
tants RuampSj Du Roy, Ritter, Laurent, Haussmann et
Ferry l Landremont, général de division ; Colle, Mé-
quillet, Me3'nier, Michaud, Loubat, Delmas^ d'Arlandes,
Clarke, généraux de brigade; Miribel, Desaix, Tholmé,
Malet, Demont , adjudants-généraux , avec grade de
lieutenant-colonel ! N'étaient-ce pas les plus dignes et
les plus méritants de l'armée du Rhin * ?
*■ Krieg à Bouchotte, 9 aoûl ; Beauharnais aa Comiié, 1*' juia
(Al. g.) ; nominations provisoires faites par Ruamps, Du Roy, Ritter,
Laurent, Haussmann et Ferry, 19 mai (A. N. ap ii 247); Saint-Cyr,
Mém., I, 84-86.
CHAPITRE V
LE KETTERICH
J. Les théoristes prussiens. — Stratégie lente et compassée. — Raisons
politiques plus puissantes encore. — Dessein du roi de Prusse. —
Mission de Waldeck. — IJ. Positions de l'armée de la Moselle. — Mou-
vements des Prussiens. •» Combat du 13 août. — Le ehef de brigade
Félix. — Le Ketterich enlevé le 17 août. — Fuite de Reubell sur
Bitcbe. — Le Ketterich repris et perdu le 20 août par Lagoublaje. —
La Main du Prince, — Inaction de Brunswick.
L Après la capitulation de Mayence comme après la
défaite de Biogen, rien n'empêchait les alliés de péné-
trer en Alsace. Brunswick et Wurmser se réunissaient
sur le Speierbach en face de Landau ; Hohenlohe était
à Kaiserslautern ; les troupes légères du roi de Prusse
fouillaient les bois dans les gorges d'Annweiler et tout
le pays de Pirmasens à Deux-Ponts.
Wurmser proposait de pousser sur Bitche et Wissem-
bourg, et de là sur Strasbourg. L'idée était bonne, dit
un contemporain, et la plus raisonnable de toute la cam-
pagne *. En quatre marches, Hohenlohe gagnait Bitche ;
i ValenUoi, 30.
LE KETTERICH 93
Brunswick, Wissembourg ; Wurmser, Laulerbourg. Une
fois à Bitche, Hohenlohe s'avançait par Reichshoffen sur
Haguenau et faisait sa joncUon avec Brunswick, pen-
dant que Wurmser franchissait le cercle magique des
lignes de Wissembourg. Attaquée de front, pressée sur
son flanc gauche et ses derrières, Tarmée du Rhin était
inévitablement défaite, et Strasbourg n'aurait recueilli
que ses débris. Quant à Tarmée de la Moselle et aux
places de Bitche et de Landau, il suffisait de laisser
devant elles de petits corps d'observation.
Mais les théoristes réprouvaient ce plan d*opérations au
nom de leur savante et stérile méthode. Vainement on
leur remontrait qu'il faut, avant de s'emparer des forte-
resses, balayer l'armée qui les peut débloquer. Vaine-
ment on leur objectait que les provisions de bouche ne
manqueraient pas, que la grasse et fertile Alsace saurait
nourrir les coalisés, que le soldat vivrait sur ,1e paysan
et trouverait au sortir des Vosges des villes bien situées
où s'établirait la boulangerie militaire, qu'après tout il
pouvait manger d'autre pain que le pain de munition.
Vainement on leur disait que les troupes n'étaient pas
dans la lune, et que les montagnes, les vallées, les forôts
de la région rhénane ne différaient pas des forêts, des
vallées et des montagnes du reste du monde. Vainement
on leur reprochait d'oublier, à force d'érudition straté-
gique, que les suites d'une bataille gagnée sont incal-
culables et qu'une victoire donne^ non pas une parcelle
du sol, mais vingt, trente, quarante lieues de territoire,
et des provinces entières.
On ne pouvait, répondaient Brunswick et ses parti-
sans, s'enfourner dans un pays sans prendre ses précau-
tions, et il était très imprudent et très périlleux de
laisser des places fortes sur ses derrières. L'armée
94 WISSB3L1B0URO
devait avoir des vivres pour neaf jours, et, à chaque
mouvement, traîner avec elle ses fours de campagne. La
contrée où Ton s'enfonçait était inconnue ; il fallait se
tenir sur ses gardes, n'avancer que pas à pas et avec
circonspection. A quoi bon livrer de sanglants et meur-
triers combats ? L'ennemi, môme battu, se bornerait à
reculer et trouverait derrière lui de nouveaux plis de
terrain qui lui fourniraient des positions avantageuses ^
Mais les raisons politiques étaient plus puissantes
encore que la stratégie lente et compassée de Brunswick.
Les Prussiens disaient hautement que la lutte n avait
plus d'objet depuis la prise de Mayence, et la guerre
contre la France leur semblait une horreur, Orâiiel. « Il
ne faut plus rien faire », wir milssen nichts mehr thun,
s*écriaitle major PhuU, etraide-de-camp Manstein* sou.
tenait que Frédéric-Guillaume devait penser aux vrais
intérêts de FEtat prussien et non aux petits profits de
rAulriche, qu'il n'avait d'autre rôle que celui d'auxi-
liaire, qu'il pouvait se chamailler avec les républicains
jusqu'à la fin de l'année, mais qu'il ferait bien de ne pas
s'engager trop loin, de ne pas dresser de plans, de ne
pas entamer d'opérations sérieuses : on atteindrait le
dernier Jour de décembre, on ne serait lié nulle part, et
alors, quoi de plus simple que de fermer le livre * ?
Lucchesini partageait Topinion do Manstein, et ce
diplomate joignait ses objections insinuantes aux vives
remontrances des hommes d'épée. Il disait depuis long-
* Cf. sur cette stratégie du temps, Invaiion pmstienne, 112-113,
125-126.
• Cf. sur Manslein, Retraite de Brunswick, 75.
» Massenbach, I, 183, 202; Hausser, Deutsche Gesch., I, 488; Sorel,
VBurope et la Révol., III. 491-492; cf. Rivalz à Deforgues, 4 sept.
(Papiers de Barthélémy, p. Kaulek, III, 17, 30, 59).
LE KKTTERICH 93
temps qu'il fallait finir la guerre le plus tôt possible, et
dès le 3 octobre 1792 il avait écrit à Berlin : a II est im-
portant que nous n'allions pas de Tavant en tout ceci, et
je mettrai tous mes soins à Tempôcher. » Aussi prèchait-
il l'inaction militaire ; il recommandait au roi de ne pas
faire de trop grands sacrifices ; il lui représentait les
dangers d'une troisième campagne : obtenir de sûrs
dédommagements, ne plus « rentrer en lice » et se tirer
de cette campagne qui n'était qu'un « labyrinthe inex-
tricable », telle devait être, selon Lucchesini, la conduite
de la Prusse*.
Le roi, ardent, fougueux, martial, rongeait son frein
et maudissait parfois la politique. Il désirait acquérir
quelque gloire *, et il résolut un instant de marcher vers
la Sarre, de s'emparer de Sarrelouis, de Thionville, de
Metz; il s'établissait ainsi sur la Moselle; il faisait la
conquête de la Lorraine et préparait celle de l'Alsace.
Gobourg qui guerroyait en Flandre, approuvait le
dessein royal : si les Prussiens, disait-il, se rendaient
maîtres de Sarrelouis, il croirait « avoir fait de.vant tout
le monde une belle campagne » puisqu'on aurait recouvré
les Pays-Bas, enlevé quelques places et installé de sûrs
quartiers d'hiver en pays ennemi. Frédéric-Guillaume
fixait déjà le jour où ses troupes se porteraient sur
Sarrelouis, lorsqu'un général autrichien, le prince de
Waldeck, lui apprit sa prochaine arrivée et le pria
de suspendre tout mouvement sur la droite, parce
que Sa Majesté impériale voulait diriger les opérations
vers un autre point. Les Prussiens s'arrêtèrent et at-
* H&usser, I, 431, 500, 516.
* « Giorie erwerben' > , c^est le mot de Manstein et de Bischoifswerder
(Hftusser, I, 488, et Zeissberg, I, 226).
96 WlSSBMBOURa
tendirent patiemment les instructions de Waldeck ^
Waldeck se présenta le 6 août au quartier général
d*Ëdenkoben'. Il déclara que la cour de Vienne s'opposait
absolument à toute entreprise sur Sarrelouis : selon la
volonté de l'empereur, Wurmser envahirait TAlsace et
attaquerait de front les lignes de la Lauler; quant au
roi de Prusse, il devait à la fois bloquer Landau et fran-
chir les Vosges pour prendre Wissembourg à revers.
Waldeck ajoutait, de son propre chef, qu'on pourrait
agir en môme temps dans la Haute-Alsace : quoi de plus
aisé que de former des troupes du Brisgau et du Tyrol
un corps de 48,000 Autrichiens qui passerait le Rhin
entre Huningue et Brisach ' ?
Les Prussiens se récrièrent. Evidemment Tambitieuse^
l'avide, la rapace Autriche désirait se saisir des dépar-
tements du Rhin ! Lucchesini, Manstein, PhuU et les offi-
ciers deTétat-majorne cachaient pas leur indignation: la
Prusse allait-elle s'épuiser pour agrandir sa rivale ? Les
émigrés éclatèrent en invectives contre l'empereur qui
profitait des malheurs de leur patrie pour la dépouiller,
a Quel procédé généreux ! disait le prince de Gondé, on
veut prendre l'Alsace au lieu de sauver la reine de
France » et Frédéric-Guillaume, en un accès de franchise,
assurait à Wurmser que la maison d'Autriche pouvait
élever des prétentions sur le Sundgau, mais non sur la
1 Massenbach, I, 187 ; Zeissberg, Quellen gur Geschichte der
âeuUehen Kaiterpolitih Oesterreichs. 1882, tome I, p. 198, 204, 223;
Wagner, 71; Hausser, I, 497.
* Zeissberg, 1, 192-193, 204 ; Vivenot, Herzog Albreeht von Saehsen-
Tetchen. 1866, 11, 635. Wurmser avait conçu dès le mois d'avril un
plan semblable : passer le Rhin, s'emparer de Scblestadt, prendre
au milieu de la province Pexcellente position de Cbfttenois, couper
ainsi TAlsace en deux parties, attendre dans ce camp sa grosse artille-
rie pour bombarder Huningue et Neuf-Brisach (Zeissberg, I, 38).
LK KBTTBRICH 97
Basse-Alsace qui ferait retour à Tempire germanique.
Poussé par Manslein, le roi de Prusse refusa donc
d*entrer en Alsace avec toutes ses forces. Il objecta que
Waideck n*avait que des instructions verbales et qu'on
devait attendre un deuxième envoyé du cabinet autri-
chien, le comte de Lehrbach, qui s'était mis en route
pour Edenkoben. Pourtant, sur les instances de Waldeck,
il consentit à bloquer Landau et à jeter dans les
Vosges un corps qui déboucherait derrière les lignes de
Wissembourg •.
Mais ce mouvement était encore trop considérable au
gré de Manstein et des ennemis de TAutriche. On se
contenta de donner un coup, un seul coup, et sans trop
de vigueur. Au lieu de frapper l'adversaire avec rudesse,
on se borna, pour ainsi dire, à lui faire peur. On pouvait
débusquer tout le corps des Vosges, tourner et prendre
son camp de Hornbach ; on attaqua simplement son
avant-garde. On avait les moyens de disperser l'armée
de la Moselle ; on ne ât qu'écorner l'extrémité de son
aile droite, et l'on n'entama même pas l'armée du Rhin.
II. Schauenburg qui commandait Tarmée de la Moselle,
avait établi le corps de bataille sur les hauteurs de Sar-
rebrûck. Son avant-garde occupait Saint-Imbert et tous
les points qui pouvaient défendre le passage de la Biles
depuis Neunkirchen jusqu'à Blieskastel. Sa droite, con*
duite par Pully, tenait le camp de Hornbach. Quatre ba-
taillons de cette droite , aux ordres du chef de brigade
Reubell, s'adossaient à la forteresse de Bitche et met«
taienl l'armée de la Moselle en communication avec celle
du Rhin; l'un d'eux, le 40î«, avait pris possession de l'im-
portante hauteur du Ketterich.
1 Zeissberg, I, 176, 220, 245 ; Wagner, 75.
W188EMB0UR0. 7
98 WlSSEMBOURa
Uarmée de Brunswick, qui s'ébranlait contre Tarmée
de la Moselle, se composait de trois corps. Le premier
corps, guidé par Kalkreuth, s'établit à Neunkirchen et
tint en échec Tavant-garde française à Saint-Imbert et à
Blieskastel. Le deuxième corps, mené par le prince de
Hobenlohe, s'installa sur les collines qui dominent le
terrain entre Hombourg et Deux-Ponts. Le troisième
corps que le duc de Brunswick dirigeait en personne,
occupa la Husterbôhe, derrière Pirmasens.
Tous ces mouvements eurent lieu sans encombre.
Seul, Hohenlohe en vint aux prises le 43 août, à Lim-
bach, avec un détachement de Tavant-garde que com-
mandait le général Ormescheville. L'affaire fut très
chaude. Les Français perdirent près de cinq cents
hommes et deux canons, et se replièrent sur Saint-Im-
bert. Le chef de brigade Félix courut à Sarrebrûck,
criant que tout était désespéré et que les ennemis
avaient haché le 44° d'infanterie. Les représentants le
firent arrêter, après s'être convaincus qu'il avait lâche-
ment abandonné le champ de bataille et que les soldats
du 4i® s'étaient bravement défendus pendant que leur
commandant « montrait, comme Mercure, qu'il avait des
ailes au talon* ».
Le Kelterich n'est qu'à deux heures de Pirmasens. Que
Brunswick s'en saisît, et il coupait la ligne française en
deux tronçons, séparait violemment Tarmée de la Mo-
selle et l'armée du Rhin.
1 Ormescheville à Schauenburg, 13 août ; les représentants au Gû-
milé, 15 août |Â. G.); Schauenburg à Boucholte, 22 août [Mon,
du 29) ; Le Batave, n« 203 (lettre de Bitche, 1" sept. ) ; Wagner, 78;
Geseh. der Kriege^ I, 205 ; Félix fut traduit devant le tribunal révo-
lutionnaire, et, le 26 nivôse an 11, acquitté. Né à Vézelise, dans la
LE KETTEBICH 19
Le 47 août, Ealkreuth et Hohenlohe opéraient des
démoDstratious contre Tavant-garde des républicains, et
le général Desperrlères, assailli soudain à Blieskastel,
craignant d'être tourné par sa gauche, faisait inconti-
nent sa retraite. Les Prussiens entrèrent dans Blies-
kaslel ; mais le soir môme, ils évacuaient la ville où
Desperrières rentrait le lendemain ma tin, sans coup férir.
Durant celte échauiïourée, le Ketterich tombait au pou-
voir de Brunswick. Le 102® qui tenait la hauteur, ne se
gardait pas. Entre deux et trois heures du matin, les
Prussiens commencèrent Tattaque ; le commandant du
402® se contenta d'envoyer au hasard trois ou quatre
boulets, et sur-le-champ^ sans lâcher un seul coup de
fusil, sans prendre les ordres de son chef de brigade,
sans le faire prévenir par un des quatre gendarmes que
Reubell lui avait donnés, il quitta la position. Reubeli
crut entendre le bruit d'une escarmouche entre des
patrouilles isolées, et son camp resta dans la plus pro*
fonde sécurité. Mais bientôt, du Ketterich, les obus
pleuvent comme grêle sur les tentes. Le trouble se met
aussitôt dans la brigade. Les soldats éperdus se jettent
sur la route de Bitche. Les officiers essaient inutilement
de les arrêter et de les rallier : il faut suivre les fuyards.
En un instant, l'unique chemin qui menait du Eette*
rich à Bitche est obstrué par les voilures, par les cais*
sons, et, pour augmenter la confusion, voici que le 402*
traverse le village où se trouve le quartier-général, et
coupe la colonne des équipages. Déjà se montrent les
hussards ennemis. Un grand nombre de conducteurs,
serrés de près, tranchent les traits et se sauvent en
Meorthe, Jean- Joseph Félix servait depuis 1758 et avait été capitaine,
puis lieutenant- colonel du régiment de la Martinique, plus tard le
109- {A. N. w. 310).
-• ---
4 00 WISSKMBOURQ
hâte. Deux caissoûs se rompent. L'encombrement de*
vient affreux, presque inextricable, et un cavalier prus-
sien profite de ce désarroi pour enlever à lui seul un
canon à la barbe de toute une compagnie. Pendant que
des grenadiers débarrassent la route, il s'approche de
la pièce et lève son sabre sur le charretier qui se laisse
tomber à terre pour esquiver le coup. Avertis par les
cris du charretier, les grenadiers tirent sur Taudacieux,
le manquent, et les chevaux d'uttelage, épouvantés par
le feu, se retournent et suivent le hussard qui emmène
la pièce et rejoint ses camarades au milieu des hurrahs.
La brigade Reubell perdit tous ses effets de campe*^
ment, ses équipages, un canon, trois caissons, et rega-
gna Bitche dans un indicible désordre. Les soldats,
pleins de mauvaise humeur, imputaient la débâcle au
bataillon de Nassau qu'ils accusaient de royalisme. Les
bourgeois de Bitche, partageant leur méfiance contre
Nassau, refusèrent de lui vendre de la viande ; Nassau,
disaient-ils, ne comptait dans ses rangs que des aris-
tocrates, des lâches, nullement faits pour manger de
la viande et qui ne méritaient que la corde. Nassau
fut outré, et, dan? un transport de rage, 41 chasseurs
et 38 fusiliers du bataillon passèrent aux Prussiens.
Schauenburg ordonna sur-le-champ à Puliy de re-
"jirendre le Ketterich. Le 20 août, le chef de brigade
Lagoublaye marchait sur la position avec quatre batail-
lons d'infanterie, les chasseurs des Bons Tireurs , le
4^ régiment de cavalerie, trois pièces de 8 et un obusier.
Brunswick n'avait laissé au Ketlerichque 80 hussards.
Ils s'enfuirent aux premiers coups de canon. Lagoublaye
se hâta de placer ses postes et de relever les retranche-
ments détruits par l'ennemi. Mais tandis qu'il rédigeait
son rapport dans une maison du village, les Prussiens
LE KttTTERiCH 401
reveDaient à la charge. Brunswick avait compris sa faute
et la réparait aussitôt. Son artillerie légère eut bientôt
démonté l'obusier de Lagoublaye et une pièce de 8. Ju-
geant qu'il ne pouvait tenir plus longtemps et craignant
d'être cerné, Lagoublaye abandonna le Ketterich. Il fut
très vivement harcelé dans sa retraite et dut laisser sur
la route les deux canons de campagne du bataillon de la
Manche. Enfin, à moitié chemin de Bitche, les hussards
prussiens renoncèrent à la poursuite. Brunswick fit oc-
cuper le Ketterich par le général de Kleist qui eut sous
ses ordres quatre bataillons d'infanterie, deux compa«*
gnies de chasseurs, sept escadrons de dragons et de
hussards et deux batteries d'artillerie'.
L'échec était grave. Pourtant, Schauenburg essaya de
remédier au mal. Il établit une forte avant-garde à la
Main du Prince ou Herzogshand entre Bitche et StiirzeK
bfonn ; le nouveau poste, assurait-il aux commissaires
de la Convention, était meilleur que le Ketterich et liait
plus étroitement encore Tarmée de la Moselle à la
gauche de l'armée du Rhin.
En réalité, si la Prusse l'avait voulu, c'en était fait
des Français ; un choc brusque et violent suffisait pour
les rejeter dans la plaine : on n'avait, d'une part, qu'à faire
une vigoureuse attaque contre le camp de Hornbach et
bien que ce camp fût, dit Pully, redoutable par sa posi-
tion et par la liaison des postes qui le couvraient, on
l'eût enlevé comme avait enlevé Blieskastel ; d'autre
part, qu'à s'emparer de la Main du Prince qu'on aurait
1 Lagoublaye et Reubell à Pully, 20 et 22 août ; Schauenburg à
Bouchotte, 19 août, et aux représeutaots, 20 août (A. G.). Lagou-
blaye, chef de brigade du 4* régiment de cavalerie, donna bientôt sa
démission qui fut acceptée le 30 janvier 1794 par le Conseil exécutif»
402 WISSEMBOURQ
prise aussi facilement que le Ketterich, puis à descendre
soit par le vieux château de Philippsbourg et Nieder-
bronn, soit à travers bois, sur Reichshoffen, et à dé-
boucher près de Haguenau. Brunswick ne s'y trom-
pait pas et sentait bien qu'il manquait le moment,
qu^il laissait échapper une belle occasion qui ne se pré-
senterait plus. Il exigea des instructions formelles : « je
puis, en deux marches, disait-il, tomber sur le dos des
ennemis et leur faire sûrement un grand mal ; c'est
pourquoi, si des considérations politiques défendent en
cet instant tout mouvement offensif, je désire, pour me
justifier et me couvrir aux yeux de Tarmée, un ordre
ostensible du roi, portant que je ne dois pas franchir la
frontière ; cela seul peut me dégager de toute responsa-
bilité ; autrement, je me vois d*avance exposé à la cri-
tique la plus mordante. » On lui répondit qu'il ne devait
pas bouger avant l'arrivée du ministre autrichien Lehr-
bach : le roi ne voulait guerroyer que selon les vœux de
son allié, et il craignait d'agir contrairement au plan
d'opérations qu'il attendait ; provisoirement, le mieux
était donc de mettre TÂllemagne à l'abri des invasions*.
Le duc s'arrêta ; « oa ne nous permet même pas, man-
dait-il a Hohenlohe, de profiter des conjonctures avanta-
geuses qui s'ofi*riraient pour nuire à l'adversaire. »
Les armée^s républicaines étaient à deux doigts de leur
perte ; elles furent sauvées par la politique prussienne.
» Massenbach, M(fm,, 1, 189-191; Wagner, 82-89.
CHAPITRE VI
BERGZABERN
I. Wurmser. — Son armée. — Les émigrés. — II. Combats du 20, du 51,
du 33 et du 34 août. — Le maire de Bergzabern, Adam Majer. — Re-
culade des Français. — Doléances de Beaubarnais. — Sa démission.
I. Pendant que les Prussiens faisaient contre Tarmée
de la Moselle une démonstration menaçante^ Wurmser
attaquait Tarmée du Rhin. Cet Alsacien, passé au ser*
vice de TAutriche en 4762, avait alors soixante-neuf ans,
et on le nommait déjà un a respectable vieillard >. Hus-
sard de pied en cap, hussard non seulement par Tunî-
forme, mais par Thumeur et les façons, il allait de Tavant,
aveuglément, à bride abattue, et, jusqu'à là fin de sa
carrière, il conserva cette folle bravoure, cette fougue
impétueuse. L*armée le tenait pour le plus intrépide de
ses généraux de cavalerie, et les jeunes officiers regar-
daient avec admiration ce vaillant reîlre aux cheveux
blancs, au teint coloré, au saog vif et chaud, qui payait
si volontiers de sa personne et qui courait tout le jour
sans que rien trahit en lui la moindre fatigue. Ce qu*oa
lui reprochait, c'était sa surdité, c'était son entêtement,
104 WISSËMBOURa
c'était sa soumission à son fils, grand étourdi qui pré-
tendait diriger les opérations et qui choquait par son
arrogance Prussiens et Impériaux *.
Mais le vieux soudard s*éiait promis de conquérir
TAlsace, ou mieux, et comme il disait, de Tafïranchir. Il
ne cessait de penser à sa chère province, et, de loin, la
couvait des yeux. Fouler de nouveau ce sol maternel,
reprendre possession des domaines de sa race, reparaître
en héros et en libérateur, au milieu des cris d'allégresse
et des transports de ses amis, dans ce pays où les
Wurmser avaient fait figure, tel était son unique désir. Il
déplorait, il maudissait de tout son cœur la mollesse et le
le iaisser-aller des Prussiens ; mais, à force de vigilance,
d*ardeur inquiète, d'infatigable activité, il comptait maî-
triser la fortune*.
Son armée se composait dlmpériaux et d'émigrés. Les
émigrés formaient plusieurs corps : une avant-garde con-
duite par Vioménil; le régiment de Hohenlohe, com-
mandé par M. de Béthisy ; un régiment de deux bataillons
qui réunissait, sous les ordres de M. de Gelb, toutes les
compagnies d'infanterie noble ; trois divisions de cava-
lerie. Mais ils ne dépassaient pas 5.000 combattants, et le
nombre des officiers était presque aussi considérable que
celui des soldats. Il y avait un état-major général de
l'armée, un état-major de Tinfanterie, un état-major de
la cavalerie et une quantité d'aides-marécbaux-des-
logis, de sous-aides, de secrétaires, de copistes. On se
serait cru dans une armée de cent mille hommes. Les
princes et les officiers généraux s'entouraient chacun de
huit à dix aides-de-camp. Gondé en avait trente, outre
» Zeissberpr, I, 197, 208,263; d'Ecquevilly, I, 141.
• Gebler, Oesterr. milU, Zeitsckrift, 1834, IV, 116.
BBRGZABBRN 405
trois aumôniers et six cuisioiers. Bien que le corps reçût
sa subsistance des Impériaux, les commissaires des
guerres, les adjoints, les gardes-magasins pullulaient.
Ecclésiastiques, vieillards, femmes, domestiques, rem-
plissaient les contrôles. L'Autriche s'irrita, menaça de
dissoudre les Condéens, Mais les gentilshommes-soldats
n^étaient pas moins mécontents : ils trouvaient que cette
nuée d'officiers d'élat-major ne servait qu'à les couvrir
de poussière et de boue, que la besogne se faisait mal,
qu'on donnait de fausses directions, qu'on ne savait pas
reconnaître les approches et les débouchés, déterminer
les positions. « Nous végétons, écrivait l'émigré Corbière,
avec onze sols par jour; une livre et demie de pain de
munition ; nous sommes habillés de toutes pièces et cou-
leurs, très mal armés; nous avons l'air de la misère
même; personne ne me (tarait content; tout le monde
veut commander : bref, je vois ici tous nos anciens vices
et pas une vertu*. » *
Aussi Wurmser ne se fiait-il qu'aux Impériaux. La
plupart avaient senti la poudre. « Quotidiennement, disait
le major de KÔckeritz, j'ai motif de vénérer le soldat
autrichien : malgré ses fatigues et son dévouement, trop
souvent inutiles, il est docile, sobre et brave. » Les capo-
raux étaient excellents, et lorsqu'ils se promenaient dans
le camp, une baguette de coudrier à la main, ils avaient
la mine des centurions antiques : plusieurs obtinrent,
par leur vaillance et leurs sérieuses qualités, le comman-
dement d'une compagnie*.
Les Croates, Szekler, corps francs hongrois, Serviens
ou manteaux rouges qui formaient les troupes légères,
> SaÎDt-Cjr, 1, 304-319 [mém. inédit sur le corps de Gondé] ; Zeiss-
berg, I, 221 ; Corbière à Regnouf, 14 juin 1793 (A. G.).
* Wagner, 182; Valenlini, 60.
406 WISSBMBOURGh
étaient indisciplinés et moins propres à vaincre qu*à
piller les vaincus. Durant le jour, ils prenaient leurs
aises et flânaient avec insouciance à travers les tentes ou
dans les bois d'alentour. Dès que tombait la nuit, ils
éteignaient leurs feux et couraient de tous côtés se
mettre aux aguets, soit pour recevoir Tennemi, soit pour
lui jouer un méchant tour. Un chef habile en aurait pu
tirer grand parti; mais Laudon n'avait pas fait d'élèves,
et c'était chez les Prussiens qu'on trouvait les batteurs
d'estrade les plus actifs, les plus audacieux ^
II. Sitôt que Wurmser sut que Brunswick était à Pir*
masens, il se mit en marche et, le 20 août, à Taube, il
assaillait l'armée du Rhin en avant de la forêt de Bien-
wald. Il avait formé ses troupes en cinq colonnes. La
première, commandée par Hotze, se dirigea sur Erlen-
bach; la deuxième, que menait Waldeck, sur Barbelroth;
la troisième, sous les ordres de Meszaros, sur Miofeld.
La quatrième, que conduisait Kavanagh, attaqua Jock-
grim. La cinquième, composée en grande partie de
Condéens, se porta sur Wœrlh. La journée fut san-
glante, mais les Impériaux demeurèreut maîtres du
champ de bataille. Hotze s'empara d'Erlenbach. Waldeck,
dont la coloDue servait de pivot au reste de l'armée»
s'établit à Barbelroth. Meszaros se logea sur les hauteurs
de Freckenfeld. Kavanagh enleva le village de Jockgrim,
s'avança jusqu'au Bieowald, franchit un abalis et poussa
sur Wœrlh, après avoir capturé cinq pièces de canon. Le
corps de Gondé prit possession de Pfortz. En vain le
« V»lenUDi,66; Romain, II, 367-369; D'Ecquevilly, I, 140. Wurm-
ser avait en outre deux bataillons et trois escadrons de Hesse-Cassel
(contingent d'Empire) ainsi que plusieurs bataillons et escadrons du
cercle de Souabe.
BBRGZABBR!4 107
général Ihler fondit sur les Hessois de Kavanagh à I9
tète des dragons du 41» régiment. En vain il reçut deux
blessures et répondit, par deux fois, à ceux qui le
priaient de s'éloigner : « Ce n*est rien ! Chargeons ces
bougres-là et vive la République 1 t En vain, lorsqu'il
tomba frappé à mort, il animait encore ses cavaliers :
c courage, mes amis, et ôtez-moi mes épaulettes pour
qu'on ne me reconnaisse pas M » En vain Tadjudanl-
général Desaix fut atteint à la figure, et, tout saignant de
sa plaie, rallia deux bataillons*. « Nous essuyâmes, dit
un patriote, des pertes considérables; les ennemis enle-
vèrent notre artillerie volante; notre retraite fut forcée
et même un peu précipitée '. »
Mais le lendemain matin, 21 août, les Français resai-
sirent TofTensive, et, sortant du Bienwald, dirigèrent leur
principal effort contre les colonnes de Kavanagh et de
Condé. Ils surprirent Tadversaire. Condé et son fils
étaient au lit lorsque l'agresseur parut à l'entrée de
Pfortz. Si Gilot\ qui commandait Tatlaque, eût fait
1 C*él8it cet Ibler qui menait le vieux maréchal Luckner, et le
Journal de la Montagne [do' 88 et 89] qui le traite de misérable înlri-
gant, déclara que la perte n'était pas grande, et qu'au plus, i\ avait
«réparé Ea conduite avec Luckner *. Dili'urih [Die Hesten in den
Féldzûgen am Maine nnd JRheine, 1881, p. 328) dit quUhier tua de Ea
main le lieutenant Winzingerode et tut tué aussitôt par le domestique
de Winzingerode, un chasseur du nom d'Ëngel. Il y avait deux frères
Ihler dans Tarmée française, tous deux de Thanr, en Alsace; Pdiné,
Jean- Alexandre, se trouvait alors à Tarmée du Nord ; le cadet. Louis-
Théobald, né en 1756, est celui qui périt le 20 août 1793 à Jockgrim ;
« c*était un brave républicain », écrit le procureur-syndic du district
de Wissembourg, Lambert, • et qui emporte tous nos regrets»
(20 août, A. G.); cf. Et. Charavay^ Les généraux morts pour la
fatrie, 1893,1, p. 9.
s Milhaud, Borie, Ruamps, au Comité, 25 août (A, G.).
» Gesck, der Kriege, I, 209; Gebler, 117-119; Zeissberg, I, 207;
Journal de la Montagne^ n<" 89 et 96.
* Gilot avait, le 27 juin, quitté le commandement de Landau, que
408 WlSSBMBOUBa
donner sa réserve qu'il avait envoyée avec Isambert
sur la route de Scliaidt, les émigrés étaient culbutés dans
le Rhin, et déjà Gondé appelait des bateliers au bord
du fleuve. Mais Tafiaire, commencée avec énergie, ne fut
que mollement soutenue. Wurmser rétablit le combat.
Lui aussi s'était laissé surprendre, et on dit qu'il n'eut
que le temps de se jeter sur le premier cheval qu'il
trouva. Il se mit à la tête des trois compagnies de
Gyulai qui bivaquaient dans les pâturages sur le
chemin de Jockgrim à Woerth ; il reçut des renforts ; il
assaillit Gilot impétueusement ; il lui prit six canons ; il
le chassa de Hagenbach et de Bichelberg ; il le refoula
sur Lauterbourg*.
L'armée du Rhin, écrivaient les représentants, montre
un courage opiniâtre. Le 23 août, elle tentait une nou-
velle attaque contre Taile droite des Impériaux. On lutta
de part et d'autre avec la plus vive animosité jusqu'à la
nuit. Mais les Autrichiens ouïrent par triompher. Mes-
zaros menaça le flanc droit des républicains et poussa
ses avant-postes à Dierbach et à Schaidt *.
Le 24 août, les deux armées en vinrent derechef aux
mains. Holze avait ordre de marcher sur Bergzabern.
Le village fut pris et repris sept fois dans la même
journée avec un acharnement dont celte campagne offre
peu d'exemples. Le maire, Adam Mayer, le futur gé-
néral, le patriote, dont Tinitiative vigoureuse avait dé-
cidé l'annexion de Bergzabern % combattait à la tête des
les représentants avaient confié à Laubadère {Compte rendu^ par
Ruamps, Borie, etc., 290).
> Oescà, der Kriege, l, 210 ; Gebler, 119; note de Legrand (A. Q.);
La Boutetière, L'Armée de Condé, 1881, p. 14.
• Gebler, 121-122 ; Gesch. der Kriege, I, 210.
* Cf. Mayencey 43. Jean-Adam Mayer, né le 25 décembre 1748,
BBRGZABERN 109
gardes nationaux de Tendroit. Mais, quelle que fût Tin-
trépidité de Mayer et des carmagnoles, il fallut céder
aux assauts multipliés des Autrichiens et à leur artil-
lerie qui remportait par le nombre et le calibre. Les
Français abandonnèrent Bergzabern, et, par les vignes et
les sentiers couverts de cadavres, se replièrent sur les
lignes de Wissembourg.
Wurmser gagnait ainsi plusieurs lieues de terrain. Il
s'installait en pleine forêt de Bienwald, entre la droite et
le centre de Tarmée du Rhin. Aussi, cette droite se sen-
tait si gravement compromise qu'elle se rejetait aussitôt
dans Lauterbourg. Ferino, qui commandait Tavant-garde,
était tellement inquiet qu'il fit placer sur le front des
troupes vingt-deux pièces d'artillerie volante chargées à
mitraille. Il n'avait plus d'autre cavalerie que soixante
dragons; il les envoya battre la campagne en avant de
était entré comme soldat au régiment des gardes suisses (13 février
1768) et y avait obtenu le grade de sergent (2 juillet 1769). Le
17 mai 1771, il recevait un congé absolu et rentrait à Bergzabern.
Grand, bien fait, doué d'une force prodigieuse, et d'une bravoure
à touie épreuve, bon chasseur, connaissant le moindre buisson deS
alentours, il rendit à Tarmée républicaine des services signalés. Par-
fois, lorsque les Autrichiens occupaient Bergzabern et logeaient
dans sa propre maison, il disait aux soldats : c J'ai du bon vin
dan^ ma cave, et ces bougres-là le boivent ; il n'est pas à moi, il
est à la République ; allons le boire à ma santé I > On se rendait
à Bergzabern, on chassait Tennemi, on poussait droit à la maison
de Mayer, on buvait son vin, c et il est de fait, dit un officier,
que lorsqu'il demandait des gens de bonne volonté, il s'en trou-
vait un plus grand nombre que s'ils eussent été demandés par le gé-
néral en chef, et ces parties de plaisir, qui se renouvelèrent souvent
pendant plus d'un mois, finirent par vider une certaine quantité des
foudres qui remplissaient les caves de Mayer. i Après la retraite du
13 octobre, Mayer se fit partisan et l'on conte qu'armé de sa cara-
bine et posté en tirailleur, il tua, dans une journée, jusqu^a dix-sept
ennemis. Saint-Just et Le Bas lui donnèrent un brevet d'adjudant-
général, chef de bataillon (9 brumaire an II] ; il le refusa. « Tu seras
nommé, lui dit ^aint-Just; si tu refuses, tu seras considéré comme
410 WISSBMBOURCI
sa division el leur ordonna de se montrer partout, tant
pour imposer à l'adversaire que pour rassurer l'infanterie
et lui persuader qu'elle avait un puissant soutien *.
Il était impossible, après de semblables revers, de con-
server Beauharnais. Depuis la chute de Mayence et
réchec de Germersheim, le jeune général, dégoûté de
son rôle et comme accablé, ne cessait de se lamenter et
de gémir. Il voyait l'armée se désaffectionner, lui im-
puter sa reculade, lui refuser toute confiance. Les atta-
ques des jacobins contre les nobles achevèrent de le
pousser au désespoir. Vainement, dans un plaidoyer
éloquent, encore qu'un peu long, il accusait d'ingratitude
une nation qui proscrivait indistinctement ses amis et ses
ennemis. Vainement il rappelait que certains membres
des classes privilégiées avaient contribué de toutes leurs
forces à détruire le despotisme et à rendre aux hommes
démissionnaire, et, d'après la loi, envoyé à vingt lieues des frontières;
choisis. > Mayer échangea contre un baudrier Técharpe tricolore quHl
avait conservée. Mais un jour, Saint-Just et Le Bas le mandèrent de
nouveau pour avoir des renseignements sur les redoutes de Woerth ;
après quelques minutes d'entretien, Saint-Just écrivit trois lignes sur
une table et remit le papier plié à Mayer : c Tu liras ceci en sortant
dUci , nous t'ordonnons au nom de la République, d'attaquer les re-
doutes ; lu les prendras ou tu seras guillotiné ; sors. * Mayer sort et
lit le billet : c'était un brevet do général de brigade {\" nivôse an II] .
Il attaque les redoutes et les prend. Devenu général de division
(16 lloréal au II), il servit à l'armée du Nord, puis à celle de Sambre-
et-Meuse. Son fils aîné, Adam, âgé de vingt et un ans, raccompa-
gnait partout comme aide-de-camp et devint capitaine de cavalerie ;
on jugeait qu'il < remplissait ses devoirs avec bravoure et exactitude »«
Un autre de ses ûls, plus jeune, chargea deux fois l'ennemi, le sabre
à la main. Mayer était modeste et nullement fanfaron. Legrand le vit
à Bergzabern au mois de vendémiaire an IV; il venait d'être réformé
après neuf ans et huit jours de services, et ne s'en plaignait pas ; il
maniait la charrue avec autant de plaisir que son sabre ou sa cara-
bine. (Note de Legrand, A. G.)
* Note de Legrand (A. G.j.
BBRGZABERN 144
Texercice de leurs droits, que de bons curés combaltaienl
les rebelles sur les bords de la Loire et se distinguaient
dans les armées do la Révolution, que des nobles, des
ecclésiastiques s'honoraient d'appartenir aux sociétés
populaires. Les clubs assaillirent la « caste nobiliaire »
avec un redoublement de fureur et celui de Strasbourg
pria la Convention de décréter que les ci-devant n'occu-
peraient plus une place quelconque dans toute la Répu-
blique. Beaubaruais, de plus en plus triste et abattu»
déclara que, dans de telles conditions, sa tâche était trop
lourde, qu'il succomberait sous le faix, qu'il aimait
mieux servir comme volontaire. « Il a de l'esprit, disaient
les commissaires, et peut-être du patriotisme, mais son
amour-propre est blessé. » A chaque instant, dans ses
conversations et ses lettres aux représentants, au
Comité, au ministre, avec une singulière insistance et
comme sous l'obsession d'une idée fixe, Beauharnais
répétait qu'il était noble et entaché d'un péché originel.
Trois semaines durant, il ofîrit sa démission en affirmant
qu'il n'avait ni la vigueur physique ni l'énergie morale
nécessaires au chef d'une armée républicaine. Enfin, il
devint malade et tomba dans un tel état de faiblesse et
de langueur que Landremont dut prendre le commande-
ment provisoire. Vinrent les combats du 20 août et des
jours suivants. Beauharnais perdit la tramontane ; il fit
sortir précipitamment de Wissembourg le trésor et la
poste ; il ordonna d'envoyer sur le Geisberg toutes les
troupes à l'exception de l'avant-garde, au-delà de Ha-
guenau tous les équipages, et au parc d'artillerie les
pièces qui se trouvaient sur des points très élevés. Les
soldats, énervés par ses doléances perpétuelles, décou-
ragés, méfiants, crièrent aussitôt qu'ils allaient battre en
retraite. Cette fois, les commissaires, Borie, Milhaud«
442 WISSEMBOURa
Buamps, poussés à bout, n'hésitèrent plus; le 23 août
ils acceptaient enfin la démission de Beauharnais et le
sommaient de s'éloigner dans les six heures, à vingt
lieues de la frontière. Bouchotte proposait de le rem-
placer par Gllot. Les représentants firent agréer Lan-
dremout qui avait, disaient-ils, montré dans les récents
combats le plus grand sang-froid et la plus grande
activité *.
*■ Jfoff., 17 juin, 14 juillet, 24 et 27 août; Heitz, Les sœ. polit, dé
Strasbourg, 1863, p. 272 ; lettres de Beauharnais, 3, 6, 11,18, 19 août;
lettre du même à Méquillet, 22 août (c demain matin les lignes se-
ront forcées à la droite ■), à Xaintrailles, Lafarelle et Beaurevoir,
23 août, 1 heure 1/2 du malin; arrêté de Milbaud, Ruamps et Borie,
23 août; les mêmes au Comité, 25 août (fV. G.) ; Compte rendu par
Ruamps, Borie, etc., 6-9, 219-220; Sxposé de la conduite de Landre^
mont, 6. On sait que la guillotine attendait Beauharnais; c il est, disait
Fouquier-Tinville, le complice des trahisons de Custine et sa retraite du
commandement n*a été qu^une manœuvre pour faciliter la prise de
Mayence en retardant la marche et les opérations de l'armée 1! *
(A. N. w. 429.)
CHAPITRE VU
LA LEVEE EN MASSE
I. Landremont. — II. Décrets da 16 et du 33 août. — La réquisition et la
levée en masse. — Proclamations des représentants «t des généraux.
*• Illusions de Landremont. — Désertion des agricoles. — Parodie da
mouvement de 1793. — Témoignage d'un Alsacien. — III. Pandouradei
de Wurmser et sa colère contre les Prussiens.
I. Landremont servait depuis trente-cinq ans et
comptait sept campagnes. Tous ses grades, jusqu'à
celui de colonel, avaient été gagnés dans le môme régi-*
ment, le 47^ dragons, ci-devant Schomberg. Noble comme
Beauharnais et dévoué, comme lui, au système popu-
laire, il avait obtenu, comme lui, Téclalante et prompte
récompense de son civisme. Une année lui suffit pour
devenir successivement colonel, général de brigade, gé«
néral de division et général d'armée. Peu d'ofQciers ont
eu, sous la Révolution, un avancement plus rapide. Il
gardait néanmoins son franc parler et osait critiquer
Bouchotle, Ses lettres, qu'il termine volontiers parles
mots c salut et vicioire », respirent Tamour de la Répu-
blique, l'ardeur de combattre, le désir de sauver l'Alsace
WIS8BHB0URO. 8
144 WISSKMBOUBa
et la confiance dans le succès. « Nous liendroos ferme,
écrivait-il, et mourroos lé; il faudra que renoemi nous
passe sur le ventre ; je ne redoublerai ni de zèle ni de
soins; j*ai toujours joué tout mon jeu. > Il joint à son
fervent patriotisme un esprit réfléchi qui pressent les
dangers et calcule toutes les chances: il met Schauen-
burg en garde contre une surprise ; il ne s'abuse pas
sur la force réelle de son armée et sur la valeur des
lignes de Wissembourg ; il propose à Bouchotte de tâter
Frédéric-Guillaume pour le détacher de la coalition ;
mais Bouchotte répond que cette politique est « peu
éclairée, peu nerveuse » et que les desputes ne traiteront
jamais avec la France que pour la tromper ! Par mal-
heur, la tâche qu^acceplait Landremont était immense,
et, comme on Ta dit, il fallait plus que du courage et du
talent pour commander Tarmée du Rhin dans un pareil
état de désorganisation et de crise. Si Landremont ne
manquait ni de bravoure ni d'activité, il n'avait pas
l'expérience du monde; il ne connaissait pas les hommes;
il n'avait pas encore dirigé de grandes opérations : aussi
prit-il quelquefois d'imprudentes mesures et fit-il de
mauvais choix *.
^ Cf. Landremont à Bouchotte, 31 août ; Bouchotte au Comité,
17 sept, et note de Legrand [Â. G.). Charles-Hyacinthe Le Clerc de
Landremont était né à Fenestrange, le 21 août 1739. Engagé à la fin
de 1758, au 17* dragons, cornette le 23 août 1760, lieutenant en second
le 2 mars 1762, lieutenant en ptemier.ie 1" décembre 1763, capitaine,
le 25 avril 1772, et pourvu d une compagnie le 5 mai suivant, com-
-mandant le dépôt des recrues à la formation de 1776, capitaine en
second le 30 janvier 1778, capitaine-commandant, le 5 avril 1780;
Landremont était chef d'escadron depuis le 1*' mai 1788, lorsqu'éclata
''laHévo'ulion. Pendant rannée 1790, avec cent dragons, il fut détaché
: dans le Limousin pour protéger la circulation deô grains, et y organisa
les volontaires. H rejoignit son régiment, en 1791, et Tannée suivante
le mena dans l'Argonne. Sa nomination de lieutenant-colonel date du
^3 novembre 1791, et celle de colonel, du 12 juillet 1792. Général de
LA LEVÉE EN MASSE 445
II. Il eut d'abord à surmonter les obstacles qu*il ren*
contra dans la letée en masse.
La Convention avait décrété le 46 août que le peuple
français se lèverait tout entier pour défendre son indé-
pendance et que les autorités constituées marcberaient à
sa tè(e. Les généraux, disait Barère, méconnaissaient le
tempérament national et laissaient leurs troupes mol-
lir dans Toisiveté des camps. L*irruption soudaine était
le seul moyen qui convint aux Français. lis devaient at-
taquer les tyrans et les foudroyer ; au lieu de prolonger
patiemment le tournoi, de jouer un jeu de calcul et de
combinaison, d'opposer tactique à tactique, ils devaient,
comme les Gaulois, n'employer que la rudesse et la bra«
voure; ils devaient, par leur impétuosité naturelle,
abattre le colosse de la coalition ; plus de guerres des
rois ; il fallait faire la guerre de la liberté ! Semblable à
Tinondation, la liberté c couvrirait des flots bouillon*
nauts du courage et du patriotisme les hordes ennemies
et renverserait en un instant les digues du despotisme I »
Le 23 août paraissait un nouveau décret moins vague
et emphatique. Tous les Français étaient en réquisition
permanente; pendant que les hommes mariés forge-
raient des armes et transporteraient des subsistances,
que les femmes feraient des tentes et des habits, que les
enfants mettraient le linge en charpie, que les vieillards
prêcheraient la haine des rois, pendant que les maisons
brigade, le 5 octobre 1792, il commanda successivement Pavant-garde
de l'armée de la Moselle, sous Ligniviile, puis celle de Parmée du
Rbio, sous Custine et Beaubarnais. Cf. sur lui, Mayence^ p. 85 et
110, et son Eofposé de la conduite de Landremont, « Nous étions, dit-
il dans VSxpozé {^. 71), neuf^ à l'armée du Rhin, de la même famille,
non compris cinq qui servaient à Tarmée du Nord, et deux à Parmée
de la Moselle ; pas un n'a émigré et ne porte les armes contre sa
patrie. »
116 WISSKMBOURa
Batioaales se changeraient en casernes, les places pu-
bliques en ateliers et les caves en mines de salpôlre, les
jeunes gens de dix-huit à vingt-cinq ans iraient au
combat, et se formeraient en bataillons, sous une
bannière qui porterait rinscrlption : le peuple français
debout contre les tyrans.
Mais les représentants avaient devancé les décrets de
TAssemblée et proclamé la levée en masse. Le Comité»
plus sage, ne mettait sur pied que les citoyens dits de la
première réquisition, les célibataires de dix-huit à vingt -
cinq ans, qui s*organiseraient à peu près comme les vo«
lontaires de 4791, en baladions de district^ composés
chacun de neuf compagnies, commandés par un chef de
bataillon et payés comme les autres troupes d infante-
rie'. Les représentants allèrent plus loin. Le 2i août,
Lacoste et Guyardin appelaient aux armes les départe-
ments du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Moselle et des
Vosges : les administrateurs devaient se répandre dans
les communes; de toutes parts retentiraient les cloches
et les tambours ; le tocsin sonnerait ; les habitants, munis
de leurs instruments offensifs, se dirigeraient a grands
pas vers les centres de rasseiiblement.
Les généraux se joignaient aux représentants. Schauen-
burg sommait ses compatriotes de défendre leurs mon-
tagnes. Les tyrans, disait-il, se vantaient de conqué-
rir l'Alsace et la Lorraine ; mais a devant la massue du
peuple disparaîtrait cet échafaudage de ruses ». Il don-
nait des instructions détaillées : tous les hommes dési*
. ■ Armée de la Moselle : Moselle, 9 bataillons ; Meurthe, 9 ; Vosges,
9; Hauie-Marae, 6 ; Côte-d'Or, 7 ; Nièvre, 9. Armée du Khin : Bas-
Rhin, 4 ; Haui-Rtiin, 3; Doubs, 6 ; Haute-Saôoe, 6; Jura, 6; Ain, 9;
Saôue-et- Loire, 7 ; Allier, 7 ; Indre, 6 ; Uhdae-et-Loire, 6. (if?».,
9 septembre.)
LA LBVâB BN HASSB 417
gnés par les représentants se réuniraient au chef*lieu
du district où ils trouveraient un officier d'état- major
tiui les conduirait à leur poste, et il prescrivait de ti-
rer de ces attroupements les gens les plus entrepre-
nants, de mettre à leur tête d'anciens militaires qui se-
raient en môme temps de chauds républicains et de les
placer dans les défilés et les bois.
Landremont agitait des mesures plus hardies. Il
voulait amalgamer à ses bataillons les « braves » cam-
pagnards. Il envoyait à la découverte, avec ses tirail-
leurs, vingt-cinq villageois de Bischwiller, et il projetait
de faire la guerre de paysans ^ d'attaquer crânement les
Autrichiens avec huit à neuf mille montagnards qull
attendait des Vosges.
Les représentants Borie, Milhaud et Ruamps approu-
vaient Landremont. Ils s^éiaieut transportés à Wissem-*
bourg et ils voyaient avec joie les lignes de la Lauter se
hérisser de piques et de faux manchées; ils passaient en
revue plus de vingt mille agricoles accourus à leur
voix; ils croyaient que cet élan soudain allait refouler
les Austro-Prussieus ; ils se glorifiaient de lever une
armée révolutionnaire capable, dans une bataille raugée,
d'enfoncer Tadversaire et de Tanéanlir pour jamais. Leur
collègue Lacoste, plus éloigné de la frontière, s'imaginait
déjà que llnvasion était repoussée et osait écrire de
Nancy à la Convention que plus de cent quarante mille
hommes armés et formés en bataillons se rendaient sur
la Lauter, que rien n'égalait leur Intrépidité, que les
citoyens du district de Wissembourg s'étaient battus
comme des lions, et avaient fait une boucherie des Impé-
riaux, qu'un maire avait tué dix-sept ennemis et un
autre patriote neuf ^
^ Borie au Comité ; Huamps et Milhaud à Borie, 22 août ; Schauea-
448 WISSEMBOURO
« On D'à pas besoio, disait Rûhl, d'être discipliné pour
Taincre des brigands enrégimentés ^ » Il fallut bientôt
eu rabattre. Schauenburg reconnut que la levée du dé-
partement de la Moselle ne serait pas aussi nombreuse
qu'on rayait cru ; il vit, en parcourant les postes, les
deux tiers des bommes armés de fourches ou de longues
perches surmontées d'un morceau de fer ; il avoua que
les bandes du pays de Briey inspiraient plus de pitié
que de peur *.
Il en fut de môme à Tarmée du Rhin. Non seulement
quelques communes du district de Barr se révoltèrent,
et Ton dut dépêcher contre elles un bataillon de la garde
nationale et les menacer du sort de la Vendée, déclarer
dans une proclamation que tous les rebelles seraient
passés au fil de Tépée, leurs maisons rasées et les forêts
où ils se retranchaient, livrées aux flammes. Mais au
bout d'un mois, tous ces nouveaux Spartiates qui, selon
le mot des représentants, juraient de mourir à leur
poste, avaient décampé ; c'était, non plus la levée en
masse, mais la désertion en masse. Douze cents tenaient
la position de Weiler; le jour suivant, ils n'étaient
plus que cent cinquante ; chaque commune avait laissé
deux ou trois des siens pour garder les baraques et les
armes. De Lautcrbourg à Scheibenhard, on n'en trou-
vait plus un seul, et ceux qu on avait aperçus n^étaient
que des enfants. A Laulerbourg, sur six mille qu*on
l)urg, proclam, du 24 août et lettre à Landremont, 28 août, et aux
administrateurs de la Moselle, 31 août ; Landremont à Boucholtc,
28 août ; Borie, Milhaud, Ruamps au Comité, 28 août et 19 «oûfc
{Mon., du 24); Mon., du 8 sept, (lettre des représentauts près Parmée
de la Moselle) ; Lacoste au Comité, 13 août (Â. G., et Mon,, 6 sept.) ;
Rousset, Les Volontaires, 241 •
i 29 août {Mon. du 31).
* Schauenburg à Bouchotte, 7 septembre (A. G.).
LA LEVÉE EN MASSE 419
annonçait, (rois cents seulement se présentaient, et, la
semaine écoulée, ils se hâtaient de rentrer au logis;
d'un bataillon du district de Strasbourg, il ne restait
que trois hommes. Les agricoles des Vosges avaient été
envoyés à Schleilhal; mais ils partaient les uns après
les autres; vainement l'adjudant général Wolff les for-
mait en compagnies et leur faisait nommer des chefs
provisoires : après avoir refusé de remplir leurs fonc-
tions, parce qu'ils n'étaient que provisoires et ne tour
chaient pas la paye de leur grade, les chefs improvisés
de la levée vosgienne regagnaient leurs montagnes. La
procession ou la naveile, comme dit le fils de Landre-
mont, était continuelle ; les agricoles arrivaient un jour
et détalaient le lendemain sans qu'on pOt les retenir;
ils atteignirent une fois le nombre de huit à neuf mille,
mais dans l'après-midi, la moitié disparaissait et vingt-
quatre heures plus tard ils n'étaient pas deux mille. Ils
finiront tous par s'évader, s'écriait Dubois *.
Aussi Landremont fut-il aise de se débarrasser de ces
auxiliaires qu'il avait exaltés d'abord et qui ne lui don-
naient plus que du dégoût ; « s'ils étaient restés avec
nous, disait-il, ils nous auraient peut-être causé une
déroute. » Plusieurs passèrent à l'ennemi. Des pelotons
entiers se mêlèrent aux bataillons autrichiens dans la
forêt de Bienwald. Et pour ceux qui semblaient pa-
triotes, avaient-ils « la résolution de combattre intrépi-
dement » ; avaient-ils a une vive ardeur de tomber sur
A Renkin et Berger à Bouchotte, 28 août {Mon, 3 sept.) ; proclama -
tion de Ruamps à Milhaad, 24 août (Â. N. af ii> 135). Wolif à Lan-
dremont, 9 sept.; Offenstein et Gilot à Landremont, 10 sept.; Duboiâ
à X. . ., 22 sept.; Landremont à Bouchotte, 10 et 22 sept. ; Duvignau
aux représentants, 15 sept.; mémoire du fils de Landremont, 9 nov*
(â. g.) ; Rousset, Les Volontairt$, 246-254.
420 WISSBMBOUBG
Fadversaire »; montraient-ils une c contenance ferme » ?
Landremont ne garda que les bataillons de Ghaumont,
de Mirecourt, de Neufchâteau, de Toul ; encore étaient-
ils presque incapables d'un seryice régylier^
Gouvion-Saint-Gyr raille justement cette parodie du
mouvement de 4792. « Ces hommes enlevés à leurs
familles, sans volonté décidée, sans ordre, sans disci-
pline, presque sans chefs, oublièrent bientôt les grands
mots avec lesquels on les avait persuadés. La plupart
n'étaient pas encore hors de leur banlieue qu'ils retour-*
nèrent dans leurs foyers, entraînés par leurs femmes et
leurs enfants. Ceux qui joignirent Tarmée étaient mé-
contents et en si mauvais état qu'il parut impossible
d'en tirer le moindre service, de sorte que quand les
plus éloignés arrivèrent, ils avaient déjà croisé en route
les premiers qui avaient été renvoyés *• »
Loin d'être utile aux armées, la levée en masse leur
fit un tort considérable en leur ôtant une partie de leurs
subsistances. Elle a, disait Euloge Schneider, c causé
des frais énoimes, amené la disette et rendu la France
ridicule aux yeux de l'adversaire' ». Les Allemands ne
faisaient que rire de ces immenses et grotesques rassem-
blements. « Ne tremblez pas pour les alliés, mandait-on
^ Cf. les lettres de Landremont, et Gouvion Saint- Cjr, Mém,, I,
79-SO. Mais voyez la confiance que les Mémoires doivent inspirer.
D*après Saint-Cyr qui loue volontiers ses compatriotes touiois, le ba-
taillon de Toul se composait presque entièrement d^anciens militaires
et n^avail pas perdu le tiers de son effectif pendant la route. Or,
Carez, commandant du bataillon, écrit qu'il est parti de Toul avec
525 bommes ; à Blamont, il n'en avait plus que la moitié c et le plus
grand nombre voulaient reconduire le drapeau a Toul • ; à Climbacby
il n'a plus que 264 bommes, et, le 13 septembre, il ne commande qu'à
150 bommes • peu ou point exercés » ! (A. G.)
• » Saint-Cyr, I, 79-80.
» Argos, \*' octobre 1793, p. 317.
LA LBVâB EN MASSE 1^4
de Sarrebrûck; la levée en masse ne les vaincra pas;
ce n*est au fond qu'une farce dont les soldats français
se moquent eux-mêmes, un spectacle nouveau pour
amuser le peuple et détourner ses regards de la situa-
tion ; ou bien ces hordes pacifiques fuiront à la vue de
Tennemi, ou bien le mal qu'elles feront, forcera le gou-
vernement de les envoyer à leurs troupeaux : le paysan
mange en un jour la ration de quatre soldats. » Et bien-
tôt le môme témoin ajoutait : « La farce n'a duré que
trente jours, et pendant ces trente jours^ les paysans
ont consommé des vivres pour plus de trois mois et
demi*. »
On Alsacien a décrit en traits saisissants cette levée
d*bommes de (out âge et de toute condition, vêtus de
blouses noires, blanches ou vertes, suivis de bœufs et
de moutons^ traînant avec eux des voitures chargées de
sacs de farine et de blé. Les généraux, dit-il, virent sur-
le-champ que de pareils guerriers ne pourraient soute-
nir la moindre attaque et ils les postèrent en seconde
ligne, sans doute pour augmenter le désordre, si la re-
traite devenait nécessaire. Cet Alsacien faisait partie
d'un bataillon qui campait entre Bitche et la Petite-
Pierre, dans un défilé, bien loin derrière Tarmée, sans
artillerie et sans autres armes que des fusils de chasse
ou des instruments de labourage. On se mit d'abord à
son aise. On avait construit des huttes avec des branches
d*arbres, comme à la fête des tabernacles ; on couchait
paresseusement sur la paille; on mangeait le pain de
la nation, et le dimanche les femmes et les filles du
village, juchées sur des charrettes, apportaient à leurs
hommes des jambons, des gâteaux et des fruits. Mais
* Die Franzosen im Saargau^ 96-97.
422 WISSEKIBOURQ
on eut des paniques, de fausses alertes, tantôt parce
qu'un chien aboyait dans le lointain, tantôt parce qu'une
sentinelle avait tiré sur un renard qui flairait la soupe
du bivouac ou sur un charbonnier qui passait. La
viande, les légumes, le vin, la bière, l'eau-de-vie finirent
par manquer. On ne touchait pas un sou. Le bruit du
canon se rapprochai !• Peu à peu tout le bataillon s'es-
quiva ; il ne resta que les officiers ^
Voilà où aboutit la levée en masse, c Nous avions fait
poser un cordon à Haguenau, disent les représentants,
pour arrêter les fuyards ; en peu de jours, nous filmes
réduits à nos premières forces. » Dès le 28 août, ils au-
torisaient le général en chef à renvoyer dans les com-
munes les boulangers, les meuniers et leurs premiers
garçons ainsi que les hommes nécessaires au battage et
au transport des grains, et le 23 septembre, ils arrê-
taient que les citoyens de la deuxième et de la troisième
classe retourneraient dans les campagnes pour faire la
vendange et ensemencer les terres. Seuls, les jeunes
gens de la première classe de la réquisition devaient
s'organiser en bataillons et ne s'absenter deTarmée sous
aucun prétexte. Mais ceux-là mêmes se laissaient en-
traîner par le courant de là désertion, et une nuit, mal-
gré les ordres des représentants, la cavalerie du Bas-
Bhin, nombreuse, bien montée, bien armée, quitta le
camp de Wissembourg pour ne plus revenir'.
' Dis Frankenrepublik^ Briefe uebfr Ft'ankreichs gegenwârtigen Zu-
stand und ucberden Feldzug von 479S mit bssonderer Rûck$icht a»f
dos Ehass^ Ton einem Âugenzeugen, 1793, p. 126-156 •
* Arrêtés des* représentants du peuple, 28 août et 23 septembre
(A. G.); Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., p. 14; cf. Véron-Ré-
ville, Hist. de la Bévol. franc, dans U d€part, d» Saut-Min, 1865,
p. 124.
LA LKYBB BN MASSE 4 23
III. Ce ne fut donc pas la l6vée en masse qui sauva
rarmée du Rhin dans les journées du 20, du 24, du 22
et du 23 août, lorsqu'elle était aux prises avec Wurmser.
Les soldats luttaient sur un sol accidenté, et animés par
la présence des représentants Milhaud, Borie et Ruamps,
qui se portaient au milieu du feu le plus vif de mous-
queterie, ils disputaient le terrain pouce à pouce avec une
vaillance obstinée. L'artillerie française qui, selon le mot
de Saint-Gj^r, était alors ce qu'il y avait de plus instruit,
ne cessait de riposter à Tartillerie autrichienne et d'en-
tretenir des canonnades dont plusieurs, ignorées aujour-
d'hui, égalaient en intensité celle de Valmy. Enfin, et
surtout, Wurmser agissait seul et ne recevait des Prus-
siens que plaintes et railleries. Frédéric-Guillaume lui
reprochait de s'isoler et de s'enfoncer trop loin. Luc*
cfaesini demandait qu'on a ôlât cette pierre d'achoppe-
ment 9. Les officiers de Tétat-major se moquaient de ses
pandourades, le traitaient de spadassin et de ferrail-
leur^ disaient plaisamment qu'il allait tous les jours à
la chasi^e aux Français et supputaient avec uoe joie
maligne les pertes qu'il avait essuyées : er muss sehr
geschlagen sein. Et, en effet, que pouvait Wurmser avec
ses 30,000 Impériaux contre toute l'armée du Rhin? Il
n'avait pas assez de monde, et Waldeck le blâmait jus-
tement de mettre dans ses mouvements plus de housar-
derle que de prudence : « On se canonne et se chamaille
journellement, écrivait Waldeck, et on sacrifie inutile*
ment des troupes dont le sang est si précieux à l'Etat *. »
1 Ssinl-Cyr, I, 76 ; Zeissberp^, 1.208, 209, 227; Massenbach, I,
186; rauftn, Raufer^Rauf^inn^ tels soDt les mois que les Prussiens
emploient toujours en parlant de Wurmser ; cf. le Brieftoechsel dei
Herzogs Karl Augtut mit Gœthe, 1863, I, 181 (le duc de Weimar
parle ainsi de Wurmser: « er that ailes dièses fQr sich, ohne Befehl
424 WISSEMBOURG
Aussi Wurmser dut-il s*arrèter. Il n'engagea le 25 août
que des escarmouches insignifiantes dans les environs
de Schaidt et se borna, le 26, à faire une grande recon-
naissance vers Steinfeld et Schweighofen'.
Il ne renonçait pas toutefois à son dessein de forcer les
lignes de Wissembourg. Il avouait que les Français
étaient <k extraordinairement retranchés » et « pourvus
d'une nombreusd artillerie >; qu'ils occupaient une
« avantageuse position ». Mais, à diverses reprises, il
pria Brunswick d'attaquer Wissembourg sur les der-
rières : le duc, assurai t-jl. ne trouverait pas une vigou-
reuse résistance, et l'armée du Rhin, prise à dos^ ne
saurait repousser les assauts que les Impériaux tente-
raient sur son front en différents points. Frédéric-Guil-
laume, de plus en plus irrité contre l'Autriche, répondit
sèchement à Wurmser qu'il attendait un plan d'opé-
rations ; qu'il ne bougerait pas tant que Lehrbach ne
serait pas arrivé ; que Brunswick n'avait pas emporté le
camp de Hornbach et ne pouvait, en conséquence, tour-
ner les lignes de Wissembourg; que Wurmser devait
reculer, se poster entre Jockgrim et Offenbach, se lier
davantage avec le corps d'armée que le roi commandait
à Edenkoben ; a je ne vous donne pas un ordre exprès,
disait le monarque, faites ce que bon vous semble, mais
vous aurez l'entière responsabilité de vos actes. »
Wurmser répliqua poliment qu'il resterait où il était;
Tom KCnig dazu zu erhalten, oder von seinem Vorhaben za averti-
ren ; so stockt die Sache), i
» Zeifsberg, I, 213; Gesch. der Kriege, I, 211; Gebler, 124;
Wurmser établit son quartier - général a Freckenteld; Waldeck et
Gondé campèrent sur les hauteurs de Barbelrolh ; Uotze se trouyait
au centre, à Bichelberg, dans le Bienwald ; Jellachich, à gauche, 8*t-
dossait au Rhin,
LA LBVÉB EN MASSE 4 25
qu^il avait conquis le Bienwald après d'extrêmes efforts
et ne désirait pas le reconquérir au môme prix; qu'il
espérait obtenir encore des succès marqués; qu'en se
repliant sur Jockgrim, il abandonnait à l'adversaire un
c avantage inQni ». Mais il exhala son indignation dans
ses rapports au cabinet de Vienne. Quoi! il regagnerait
son ancienue position pour se lier au roi, comme si cette
liaison, cette Verbindunç, servait à quelque chose ! Non,
il tiendrait ferme ; il ne ferait pas les « démarches si nui*
sibles » que Frédéric-Guillaume exigeait à cause des
« affaires politiques »; il ne lâcherait pas, à son regret et
à sa honte, le terrain qu'il avait arrosé du sang de ses
braves troupes et si chèrement payél Et il maudissait
ces Prussiens qui le tracassaient continuellement, ces
fl perfides alliés » qui se fourraient dans leurs cantonne-
ments et n'avaient plus envie de tirer un coup de fusiU
Il était navré de voir comme l'empereur, son bon souve*
rain, était joué et trompé M
t Zeissberg, 215-217.
CHAPITRE VIII
LES PASSAGES DU RHIN
Lehrbach au camp prussien. — Négociations inutiles. — Incendie de la
forêt de Bienwald. — Projet de diversions sur le Rbin. — Combats du
13 septembre. — Girardot au fort Vauban. — Sparre et Bizy. — In-
cendie de Kehl. — La division du Haut-Rhin. — Falck, Monter, Yieus*
seux. — Labruyère. — Passage de Huningue. — Embrasement de
Vieux-Brisach. — Passage de Niffer.
Le comte Lehrbach, ce diplomate autrichien que Fré-
déric-Guillaume attendait, se présenta le 30 août au
quartier général d'Ëdenkoben. Le roi déclara que Tinac-
tion nuisait non seulement à la cause commune, mais à
ses propres finances et à Thonneur ; la saison s'avançait;
Farmée de Wurmser s*obstinait à forcer les lignes de
Wissembourg que les plus grands stratégistes n'avaient
emportées qu'avec beaucoup de temps et de prévoyance.
Il soumettait donc à l'empereur un plan d'opérations
qui, selon lui, réunissait tous les avantages: Wurmser
se contenterait de couvrir les magasins de Frankenlhal
et de Mosbach, et de garder la défensive entre Edenkoben
et le Rhin ; l'armée prussienne, grossie de 8,000 Impé-
riaux, tâcherait de prendre Sarrelouis eu y jetant des
LES PASSAGBS DU RHIN 427
bombes; sinon, elle bloquerait cette place et observerait
Tbionville.
« On ne veut pas, écrivit Lehrbach à Vienne, pour des
raisons militaires et peut-être politiques, agir sur TAl-
sace. » Mais s'il accusait les Prussiens de duper TAu-
triche, rAulriche ne cherchait-elle pas à duper les Prus-
siens? Lehrbach n'avait d'autres instructions que
d' « amuser le tapis », et sa négociation, disait le mi-
nistre Thugut, ne devait pas aboutir. Aussi ne parlait-il
que d'équivalents, de dédommagements et du principe
de la parité. C'était, comme on sait, le jargon diploma-
tique de l'époque '•
Durant ces pourparlers, les représentants, toujours
inquiets, ardents, avides d'action , persuadés qu'une
attaque générale ferait plier aisément les « satellites des
despotes », excitaient Landremont à prendre l'offensive
Ne s'avisèrent-ils pas de mettre le feu à la forêt de Bien-
wald pour en déloger les Autrichiens ? Par malheur, il
n'y avait dans le Bienwald que de grands arbres très
espacés entre eux. A force de fagots goudronnés, un seul
brûla * !
Le 8 septembre, se tint un Conseil de guerre auquel
assistaient les représentants Milhaud, Ruamps. Borie,
Mallarmé, Lacoste, Richaud, et les généraux Landre-
mont, Ravel, Diettmann, Ferino, Munuier, Méquiilet,
Meynier et Dubois. On décida d'assaillir l'adversaire
dans la matinée du 42 septembre sur le haut, le moyen
et lé bas Rhin '.
* Wajçner, 90 ; Zeissberpj, I, 226-228 ; Hermann, Diplom, Corres'
pondenztH, 1867, p. 399 ; Sorel, III, 494.
* Ce fut le 2 septembre; cf. une lettre du 4 danâ le no 104 du Jour»
nal de la Montagne et une note de Lep;raad [cV. G*)*
■ Compte reniu par Ruamps, Borie, etc., il et 22o«
428 WISSSMBOURa
Mais, disent les commissaires, cette journée du 42 sep-
tembre, qui devait être célèbre, ne présenta que tra-
hison.
Trois colonnes, dirigées par Dubois, Desaix et Mi'*
chaud, poussèrent vigoureusement les Autrichiens dans
la forêt de Bienwald. Landremont prétend qu'elles au*
raient tué 2.000 hommes, emporté deux batteries, en-
cloué trois canons et un obusier, fait toute une com-
pagnie d'artillerie prisonnière. En réalité, les Impériaux
eurent 30 officiers et 4,426 soldats hors de combat. Mais
ils conservèrent le champ de bataille. Holze et Jellachich
refoulèrent les patriotes sur Lauterbourg. La colonne
frapçaise qui marchait contre le prince de Gondé, se re-
tira lorsque Waldeck menaça son flanc et ses derrières.
La garnison de Landau qui tentait une sortie, fut re-
poussée à Imsheim par le général Spleny. « Nous n*avons
pas perdu de terrain, écrivait Ravel, mais nous n'avons
pas fait de progrès; nous sommes toujours dans la môme
position ^ »
Quant au passage du Rhin, il n'eut lieu nulle part, et
la grande tentative que prônaient les commissaires de la
Convention, avorta sur tous les points, à Fort-Louis, à
Strasbourg, à Huningue et à Niffer.
Le commandant temporaire de Fort-Louis était Gham-
barlhiac; mais* pour mieux assurer le succès, Landre*
mont avait donné mission au général Girardot de diriger
le passage. Girardot trouva dans Fort-Vauban une gar-
nison de 4,400 hommes dont 800 de la réquisition de
Strasbourg; la plupart n'avaient pas encore dix-huit
» Geseh. der Kriege, J, 213; Gebler, 125-127; Remling, I, 372;
Mon, du 25 sept.; D*Ecquevilly, 1, 154-158; le général d'arlUlerie
Ravel à l'adjoiut Pupin, 13 sept. (A. G.).
i
LES PASSAaES DU RHIN 429
ans ; ils ne faisaient que d'arriver ; ils étaient armés de
piques ou de fusils qu'ils ne savaient pas charger. Gi-
rardot demanda des pontonniers et des bateliers : les uns
avaient été requis par la place de Strasbourg; les autres
se cachaient. On ne put ramasser que hjuit pêcheurs
nullement exercés et qu'il fallut enlever de force à leurs
villages. Chambarlhiac conseillait à Girardot de ne tenter
qu'un simulacre d'attaque. Ëtalt-il sensé de jeter un
pont sans avoir au préalable débusqué l'adversaire de la
rive opposée ? Ne voyait-on pas deux batteries qui don-
naient sur le lieu du passage? Girardot allégua ses ins-
tructions. Il ordonna de jeter le pont, et toute la nuit fut
employée au travail. Mais, à six heures du matin, on
n'avait assemblé que deux bateaux, et lorsque les
ennemis ouvrirent leur feu, les mariniers s'enfuirent*
Girardot voulait néanmoins achever la besogne corn**
mencée et ponter des bateaux jusqu'au parapet des
batteries autrichiennes. Il finit par comprendre qu'on
n'opère pas ainsi le passage d'un grand fleuve ^
Même échec à Strasbourg. Sparre, qui commandait
dans la Basse- Alsace, devait assaillir Kehl le 12 sep-
tembre, à quatre heures et demie du matin. Il répartit
ses troupes en trois colonnes. La colonne de droite, con*
duite par le général Bizy, marcherait sur le Neuhof et
la redoute du polygone ; un détachement formant l'avant*
garde, traverserait le Rhin sur des bateaux et emporte-
rait une batterie autrichienne dont le feu rendrait le
passage difficile ; le reste de la division s'embarquerait
ensuite. La colonne du centre comprenait 4,500 hommes ;
> Note de Legrand [A^ G.]; Compte re^di^^^x Raamps, Borie, etc.,
226.
Wl88BMB0URa. 9
4aO WISSBMBOUBa
elle camperait dans llle du Rhin, à rextrémité de la cita-
delle ; puis elle filerait par le grand pont et pénétrerait
dans Eehl au même instant que la colonne de droite. La
colonne de gauche, aux ordres du général Thévenot' et
de Tadjudant général Jullien, gagnerait la Robertsau et
la redoute de la Carpe Haute, mais ne ferait qu'une
fausse attaque.
Le 1 4 septembre, à six heures du soir, les troupes dont
se composait la colonne de droite, partirent de Stras-
bourg par différents points pour cacher leurs mouve-
ments. Mais on avait oublié de leur donner des guides
qui connaissaient les routes. Deux heures leur suffi-
saient pour atteindre le lieu de rassemblement ; elles
s'égarèrent dans les ténèbres et il fallut leur envoyer
ordonnance sur ordonnance pour les remettre sur le bon
chemin. A minuit, elles n'étiaient pas encore à leur
poste. Enfin, elles arrivèrent toutes et s'apprêtèrent à
s'embarquer. Mais la plupart des bateliers refusèrent
leurs services, et Bizy ne disposa que de onze petits
bateaux, capables de porter chacun une dizaine d'hommes,
t Le cœur navré de douleur, écrivait-il à Sparre, je vous
annonce la trahison des fameux bateliers de ce pays. »
Néanmoins, cent dix volontaires, commandés par le chef
du 42^ bataillon du Jura, entrèrent dans les bateaux. A
peine au milieu du fleuve, les mariniers déclarèrent
qu'ils n'iraient pas plus loin. On usa de prières, de me*
naces, et ils consentirent à pousser jusqu'à Eehl. Mais
Tendroil où Ton se proposait d'atterrir n'avait pas été
reconnu. On rôda longtemps et à l'aveuglette parmi les
lies Innombrables qui couvraient le Rhin ; on dériva>
puis on remonta le courant pour dériver de nouveau ; on
* François Thetenot était général de brigade depuis le 30 juin 1793«
LBS PASSAGBS DU BHIN 434
perdit plusieurs heures ; le jour parut, et l'opération fut
abandonnée. Le 4^'^ bataillon de la légion strasbour-
geoise s'était si mal comporté que Bizy, indigné de cet
« égarement funeste », jura d'employer la rigueur si
« la discipline et la tranquillité ne renaissaient pas »•
Sparre commandait la colonne du centre. Il détacha
150 chasseurs du Rhin qa*il chargea de traverser lo
fleuve et d'examiner les mouvements de l'adversaire au
dessus du pont, à droite de Kehl. Les chasseurs débar-
quèrent dans une île séparée de la rive allemande par un
petit bras qui ne contenait que très peu d'eau. Le capi«
faine et un officier du génie passèrent facilement ce bras,
et virent une batterie rasante dont on avait jusqu'alors
Ignoré rexistence. Ils allèrent plus loin; une sen*
tinelle fit feu, et à ce coup de fusil, les Autrichiens tiré-
rent de toutes parts sur rile où étaient les chasseurs.
On regagna l'autre bord au milieu des boulets. 7 hommes
furent blessés et un bateau coula, heureusement tout
près de la rive française .
Cependant Sparre s'elforçait de rétablir la dernière
travée du pont qu'on avait coupée après la déclaration
de guerre. Mais l'ennemi s*aperçut du travail ; il
comprit que les républicains se préparaient à passer, et,
sur-le-champ, il mit le feu à Tautre extrémité du pont*.
c Le coup est manqué, on brûlera Kehl I » s'écria le
représentant du peuple, lorsqu'il entendit tonner les
> Legrand prétend qu'on n'aurait pas dû, dès le début de la guerre,
couper la dernière travée du côté français. Un bras du Rhin ne sépa*
rait-il pas le pont et la citadelle? Les ennemis pouvaient-ils surprendre
la garde du pont, et, cette garde surprise, s'établir dans l'ile, à l'ex*
irémité du pont, sous le feu même de la citadelle ? Bizy avait proposé
de faire soutenir la travée sur des bateaux attachés à un câble très
fort : il suffisait de couper le câble au dernier moment, et la rapidité
du courant entraînait la travée.
432 WISSBMBOURG
pièces d*artillerie de la rive droite. Eehl fut brûlé. Le
43 septembre, à cinq heures du matin, Sparre installait
sept batteries de douze mortiers et huit canons servis
à boulels rouges. Le bombardement dura trois jours et
trois nuits. La maison Oii Beaumarchais avait établi son
imprimerie, plusieurs maisons du village, toutes les
maisons du fort furent consumées par les flammes.
Mais à quoi bon ces incendies ? Kehl n^appartenait pas
à TAutriche, et les Strasbourgeois y avaient un très
grand nombre de villas et de propriétés. La citadelle
était abandonnée depuis longtemps. Ne devait-on pas
songer que Kehl fournissait une excellente tète de pont,
soit qu'on voulût franchir le Rhin pour entrer en Alle-
magne sans obstacle, soit qu'on dût, après des revers^ y
chercher un abri pour repasser le fleuve et préparer vi-
vement un retour offensif * ?
« Il est urgent, disaient les commissaires de la Con-
vention, de prolonger les attaques dans le Haut-Rbin. «
Il y avait, en cette partie de TAlsace, une division im-
proprement qualifiée d'armée. Elle était naguère com-
mandée par Falck, homme infatigable qui passait le jour
et la nuit à cheval, veillait sans cesse à toutes choses et
semblait se multiplier. Mais les volontaires du 4<' ba-
taillon du Yar arrêtèrent le général Monter dont ils dé-
testaient la sévérité, sous prétexte qu'il portait un sabre
fleurdelisé. Falck, indigné, se plaignit aux représentants.
' ' Note de Legrand ; rapport de Tofficier • placé à Pobservatoire de
la plateforme de la métropole de Strasbourg • ; Tholmé à Diècbe,
10 sept.; Dièche à Bouchotte, 14 sept.; Landremont a Schauenburg,
13 et 15 sept. ; Bizy à Sparre et au commandant de la 1'* lésion stras-
bourgeoise, 12 sept. (A. G.) ; Compte rendu par Ruamps, Borie, etc.,
p. 229 (lettre de Kaclot à Sparre); StrobeUEngelbardl, Vaterl. Gesch,
des Slsarses, V, 1849, p. 196.
LES PASSAGES DU BHIN 433
Malgré ses plaintes, Ruamps et Borie envoyèrent Monter ^
et son aide-de-camp Mathieu dans les prisons de Stras-
bourg, puis au tribunal révolutionnaire de Paris. Falck
donna sa démission : pouvait-il rester dans une armée
qui se mettait en insurrection et qui menaçait de pendre
ses chefs ou de leur couper la tête? Vieusseux le rem-
plaça. Plein d'activité, d'intelligence, il aurait été, avec
le temps et un peu plus d'expérience, un excellent gé-
néral ; mais son commandement ne dura pas un mois.
Les représentants Lacoste et Guyardin étaient venus
à Huningue et ordonnaient de passer le Rhin dans la
matinée du 4 2 septembre. Vieusseux tint conseil de guerre
eJt répondit aux commissaires que l'entreprise était im-
possible : il n'avait pas de cavalerie ; sa division manquait
de tout et se composai! de nouvelles levées ; pas de ra-
deaux, pas d'ouvriers pour les construire, pas de pon-
tonniers : il faudrait, durant plusieurs jours au moins,
à l'aide des bateliers du pays, dresser des volontaires
à monter et à démonter un pont. Les membres du Con-
seil, l'adjudant-général Fontenay, le capitaine d'artille-
rie Fuchsamberg, l'ofûcier de son arme le plus instruit
peut-être et le plus actif qui servît la République, le
général d'Arçon qui visitait alors les frontières du nord-
est, les chefs de bataillon^ tous partagèrent l'opinion de
Vieusseux. Mais Lacoste, à demi couché sur la table,
s'écria que le passage devait s'exécuter. Vainement
Guyardin essayait de l'apaiser. Lacoste, en proie à un
accès de colère, ne cessait de répéter que les satellites
des tyrans avaient passé le Rhin et que les hommes
libres ne pouvaient être moins hardis que les esclaves,
c Nous oserons tout, dit un des officiers, et nous pas-
serons le Rhin sur l'heure, si vous nous fournissez les
moyens. — Ces moyens, répondit Lacoste, je vous les
134 WlSSBMBOURa
promets. — Eh bien, nous passerons », répliquèrent
unanimement les membres du Conseil.
Vieusseux demanda des renforts à Landremont. Mais le
général objecta que les ennemis ne lui donnaient pas de
relâche, qu*il se battait soir et matin, qu'il réclamait lui-
même de la cavalerie, qu'il était obligé de renforcer son
infanterie par les agricoles des districts de Wissembourg
et de Haguenau. Quelques jours plus tard, Vieusseux fut
destitué et remplacé par Labruyère '.
Labruyère semblait tomber des nues; il ne connaissait
personne dans la division du Haut-Rhin, il n'avait jamais
vu le terrain et il venait diriger une opération difficile.
Il s'empressa de déférer à la volonté des représentants*
Le commandant de Huningue eut ordre de faire cons-
truire sans délai, pour le 43 septembre, quatre grands
radeaux, capables de porter chacun une pièce de cam-
pagne et cent soldats. Ces radeaux ne furent achevés que
le 46 septembre; mais le 47, sur Tinjonction des com-
missaires, le passage eut lieu. On avait vaqué, la veille
au soir et jusque dans la nuit, à tous les préparatifs. On
entraîna de vive force les bateliers de Village-Neuf. On
prit, où Ton put, de méchantes cordes qui servirent de
câbles. On transporta sur la grève les radeaux démontés,
on les assembla tant bien que mal et, à la pointe du
jour, on les mit à l'eau. Les bateliers reculèrent d*effroi :
les poutres, disaient-ils, étaient d'un bois trop vert; elles
avaient été grossièrement réunies; ils n'oseraient jamais
diriger vers l'autre bord ce plancher si frôle, si peu so-
lide, qui s'affaisserait sûrement sous la charge des soldats
^ Parce qu'il avait alarmé les Suisses en rétablissant la batterie de
Huniogue qui menaçait Bâle, et n'avait pas su c concilier les mesures
qu'exigeait la sûreté de nos frontières avec les égards que commandait
la neutralité helvéUque . (Papiers de Barthélémy, III, 28).
LES PASSAGES DU BHIN 435
et du canon. Mais Labruyère menaça de les fusiller, et
ils ne soufflèrent plus mot. On monta sur trois radeaux;
le quatrième restait inutile faute d'agrès et de mariniers.
Les craintes des bateliers se vérifièrent aussitôt : il était
impossible de mettre sur chaque radeau, comme La-
bruyère l'exigeait, une centaine d'hommes et une pièce
d'artillerie. On n'embarqua donc que deux compagnies
de grenadiers, du 4® et du 40® bataillons du Doubs; en-
core ces braves gens, au nombre de deux cents, avaient-
ils de Teau jusqu'aux genoux. Ils dérivèrent cependant
aux cris de : Vive la République ! qu'une foule de specta-
teurs répétait avec enthousiasme.
Les Autiichiens avaient installé des batteries en face
de Huningue : ils tirèrent sur les radeaux et ne bles-
sèrent personne; la distance les empêchait de bien
ajuster. Par malheur, au premier coup de canon, les
volontaires se baissèrent instinctivement et le radeau
s'enfonçant sous leur poids, l'eau s'éleva jusqu'au-
dessus des genoux et mouilla les cartouches dans les
gibernes. Enfin, on atteignit la rive allemande. Mais on
ne sut pas arrimer les radeaux ; on manquait de câbles,
parce qu'on les avait soit coupés, soit oubliés au départ ;
on craignait que les bateliers n'eussent l'idée de regagner
Huningue. Quelques soldats demeurèrent avec les mari-
niers, et les trois radeaux, entraînés par le courant,
butant de distance en distance contre les épis, criblés de
balles et de mitraille, ne tardèrent pas à couler. Tous
ceux qui les montaient furent tués ou pris ; deux bate-
liers périrent, trois autres se rendirent, le reste put se
sauver à la nage. Quant aux volontaires débarqués sur
la rive droite, que pouvaient-ils faire contre les Autri-
chiens ? Devaient-ils les attaquer dans leurs redoutes ?
Ils étaient en trop petit nombre ; ils n'avaient que des
136 WISSEMBOURGh
cartouches mouillées ; ils n^attendaient pas de secours.
Ils se jetèrent en pays neutre, au Petit-Huningue, sur le
territoire de Bâle. Désarmés et ramenés à la limite de
TEmpire, ils passèrent le Rhin sur des nacelles et ren*
trèrent dans la place. Les Autrichiens tentèrent le même
jour de bombarder Huningue, et, de huit heures du matin
à dix heures et demie, tirèrent cinq cents coups sur la
Tille ; ils ne tuèrent pas un seul homme et ne ârent que
dégrader quelques toits. En revanche, les Français dé-
montèrent un de leurs canons et endommagèrent consi'
dérablement leurs parapets et leurs redoutes; une seule
volée leur enleva trois artilleurs '.
Les représentants répondirent au bombardement de
Huningue par Tincendie de Vieux-Brisach. Le général
Gromard ' ne devait d'abord exécuter qu'un simulacre
d'agression pour détourner Tattention des Autrichiens.
Mais Lacoste ordonna de détruire Vieux-Brisach. Le 45
septembre, à cinq heures du soir, quatre mortiers et sept
canons de 46 et de 24, installés au fort Mortier, jetèrent
sur la ville une grêle de projectiles. Une petite batterie
1 Ordre de Borie et de Ruamps, 7 août; Faick à Beauharnais,
8 août; Landremont à Vieusseuz, 30 août; ordres de Labruyère,
12 sept., et de Sorbier, 16 sept.; le commandant de Huningue à Bou-
chotte, 22 sept.; Milhaud, Lacoste et Guyardin au Comité, 18 sept.;
note de Legrand (À. G.) ; Bacber et Hivalz à Deforgues, 19 et
20 sept. {Papiers de Barthélémy, III, 62-63 et 65-66); cf. sur Falck
Sapei, de Custine, 2, et Cbaravay, Corresp. de Carnot, I, 76; sur
Monter, Cbaravay, Corresp, de Carnot, 1, 416 ; sur Vieusseux, général
de brigade depuis le !«' septembre 1792, Retraite de Brunswick^ 16 ;
Eickemeyer, Denkw., 203 ; Papiers de Barthélémy, III, 19; Sedilloi
disait de lui que f noble genevois et marié en Suisse, il déplaisait à
l'armée • (aux représentants, 16 août 1793. A. G.).
* Gromard [Jean-Gaston-Quentin] était général de brigade depuis
le 7 septembre 1792, et de division depuis le 8 mars 1793. il fut rem-
placé à Neuf-Brisach le 4 octobre par OfTenstein.
LBS PASSAGES DU RHIN 437
de quatre pièces, établie à droite, dans Vile de Reinacb,
faisait avec la grande batterie du fort un feu croisé. On
tira jusqu'au 49 septembre et on dépensa quatorze mil-
liers de poudre. La vieille cité fut réduite en cendres.
Les flammes qui la dévoraient répandaient une telle
clarté qu'on pouvait lire un journal en pleine nuit à
plus d'une lieue. Pas une maison n'était intacte. Trois
ans après, Vieux-Brisacb n'offrait aux regards que des
décombres, des pans de mur calcinés, des rues encore
pavées et couvertes d'berbe ; tous les habitants avaient
fui ; il ne restait de la population qu'une poignée de
malheureux qui vivaient sous les voûtes des caves ou
dans des huttes au pied de la montagne.
Voilà, écrivaient les représentants, un repaire de moins j
et l'on mandait de Bâle au Moniteur que la foudre répu-
blicaine avait anéanti la ville : « effet terrible de la juste
vengeance d'un peuple libre I » Mais qu'était Vieux-Bri-
sacb, sinon un grand village ouvert, depuis que les
Impériaux avaient, en 1744, rasé tous ses remparts?
Livrer Vieux-Brisach à ce cruel et inutile embrase-
ment, n'était-ce pas se priver d'une tête de pont qui
ferait défaut aux républicains lorsqu'ils passeraient pluà
tard sur l'autre bord ? N'était-ce pas s'aliéner le Brisgau,
et ne vit-on pas aussitôt les paysans indignés se lever
en masse et s'attrouper sur la rive pour interdire le pas-
sage aux carmagnoles ?
Les Autrichiens essayèrent de prendre leur revanche
le 6 octobre. Ils bombardèrent le fort Mortier de dix
heures du matin à huit heures du soir. Mais eux aussi
perdirent leur temps et leur peine. Le fort n'était qu'une
demi-lune retranchée à la gorge qui s'ouvre sur le Rhin.
Yainement les canonniers impériaux tirèrent avec une
merveilleuse adresse et lancèrent sur le fort plus de dix
438 WISSBMBOURa
mille projectiles ; ils ne tuèrent qu*un seul homme et
tant de fracas n*aboutit qu'à briser des tuiles, des lattes
et quelques chevrons '.
L'incendie de Vieux - Brisach et la tentative de
Huningue n'étaient que des diversions. La véritable
altaque fut celle de Nlffer. Le 40 septembre, Labruyère
avait reçu de Landremont l'ordre de traverser le Rhin
entre Neuf-Brisach et Huningue avec toute sa division
et de marcher sur Fribourg-en-Brisgau. Le général
donna sur-le-champ les instructions nécessaires. Mais
les bateaux destinés au passage étaient restés longtemps
sur le glacis de Huningue, exposés aux intempéries des
saisons, et Beauharnais les avait fait récemment trans-
porter à Golmar, sur la rivière d'IU, pour les réparer. Il
fallait les raccommoder et les mettre en état de servir ; il
fallait en outre se procurer douze cents chevaux pour les
retirer de rill et les conduire au Rhin, à quelques lieues
de là. Le passage ne pouvait donc s'exécuter le 44 sep-
tembre, comme le voulaient Landremont et Labruyère.
En vain les représentants Lacoste, Milhaud, Guyardin
se rendirent à Golmar et déclarèrent que la division du
Haut-Rhin devait franchir le fleuve sans nulle remise.
On leur prouva qu'il était impossible d'entreprendre
aussitôt l'opération. Ils accordèrent, tout en maugréant,
un délai de plusieurs jours et fixèrent le passage au 44,
puis après de nouveaux et inévitables retards, au 46
septembre.
1 Milhaud, GuyardiD, Lacoste au Comité, 18 sept., note de Legrand
(A. G.) ; Aug. Stoeber, Curiosités de voyages en Alsace^ 1874, p. 297 ;
Sigmuad BilliDg, Kleine Chronik der Stadt Colmar^ p. Waltz, 1891,
p. 299-301 ; Coste, Not, sur Vieux^Brisach, 1860, p. 285; E. Martin,
Die Zerstôrung Breisachs durch die Frantosen^ 1874^ p. 1-22.
LBS PASSAGES DU RHIN 439
Niffer avait été choisi comme lieu d*embarquemeQt :
en cet endroit, le Rhin était assez resserré, et Ton pou-
yait y jeter un pont avec le petit nombre de bateaux
qu*on avait. Mais les bords opposés offraient, ainsi que
sur toute la rive droite, un escarpement difficile, et des
hauteurs de Rheinweiler, l'ennemi découvrait sans peine
les moindres mouvements des républicains.
Enfin, parut le 46 septembre, impatiemment souhaité
par les commissaires de la Convention. Les bateaux
envoyés de Colmar se trouvaient sur leurs baquets der-
rière la forêt de la Hart, et devaient être à minuit sur la
rive et à trois heures sur le fleuve. Mais Tordre du départ
ne parvint que très tard à Tofficier qui les gardait. Les
chemins n'étaient pas jalonnés à travers les bois ; les
ordonnances chargées du message, puis les officiers,
puis Tadjoint, puis Tadjudant-général Fontenay qui '
coururent successivement hâter rarrivée des bateaux,
s'égarèrent dans la Hart par la nuit obscure et la pluie
battante. Au lieu de partir à dix heures du soir^ le
convoi ne s*ébranla qu*au grand jour.
Les représeatants auraient mieux fait de remettre
l'entreprise au lendemain. Ils commandèrent de jeter le
pont incontinent et de lancer les bateaux au fur et à
mesure qu'ils arriveraient. En attendant, deux batail-
lons passeraient sur l'autre bord pour se saisir des hau-
teurs de Rheinv^eiler et douze canons protégeraient leur
descente. Mais, sur Tordre des représentants, les pièces
tirèrent aussitôt, avant l'embarquement des troupes,
comme pour avertir Tadversaire et annoncer Tattaque.
On accouple les bateaux trois à trois. Un intrépide offi-
cier, Roumilhac, adjoint à Pétat-major et capitaine au 33*
régiment, part avec 430 hommes. Mais au milieu du
fleuve il est assailli par un feu roulant; les bateliers
140 WISSBMBOURO
effrayés ne veulent pas accoster, et voilà Roumilhac qui
dérive au gré des eaux. On vole à son aide; trois autres
bateaux sont à peine assemblés que le brave Goste,
commandant du i^ bataillon de la G6te-d'0r, s'élance
avec une partie de ses volontaires ; il a le môme sort que
Roumilhac; il essuie une grêle de balles et ses mariniers
épouvantés refusent d'atterrir. On fait un troisième
accouplement de bateaux, et dans leur impatience de
secourir leurs frères d*armes, les républicains n'at-
tendent môme pas que la troisième barque soit ajoutée.
Mais eux aussi sont accueillis par une violente mous-
queterie, et que peut leur feu divergent contre le feu
convergent de Tennemi qui tire sur eux à coup sûr?
Vainement un bataillon, posté dans une petite île près
de NifTer, les soutient de son mieux par une très vive
fusillade. Les trois détachements, emportés par le cou-
rant, finirent par prendre terre, et criblés de projec-
tiles, accablés sous le nombre, incapables de se déployer
sur un bord escarpé, se rendirent à merci.
Pendant ce temps Labruyère et les représentants
s'efforçaient d'attacher et de jeter le pont. Mais les pon-
tonniers rassemblés à la hâte ne se connaissaient pas les
uns les autres et n'étaient aucunement exercés à des
manœuvres qui demandent une longue habitude et une
parfaite entente. Quelques-uns disparurent à la première
salve. Des volontaires du 3^ bataillon de la Gironde se
présentèrent en assurant qu'ils étaient experts dans la
navigation. Mais ils avaient plus de bon vouloir que
d'expérience. Bientôt le désordre fut extrême ; chacun
mettait la main à la besogne et ne prenait conseil que
de son zèle ; les matériaux s'accumulaient inutilement
sur la grève. Les murmures succédèrent aux cris d'en-
thousiasme. On plaignit Roumilhac et ses compagnons.
LES PASSAGES DU RHIN 444
Od déclara la partie perdue. Etait-il possible, tant que les
ennemis ne seraient pas délogés de Rheinweiler, de faire
un pont jusqu'à la rive droite ? Les représentants per-
sistaient encore dans leur dessein. Enfin, après un con-
seil tumultueux, leur obstination fut vaincue.
Mais Lacoste ne renonçait à Tentreprise qu'en frémis-
sant de rage. Il se vengea sur les ofâciers : le général
Labruyère, Tadjudant-général Fontenay, le capitaine
d'artillerie Fucbsamberg. le chef du 44<» bataillon du Jura
Yuillerme, le lieutenant des pontonniers Trost furent
jetés dans les prisons de Huningue K
Tels ont été les premiers passages que les armées de
la Révolution tentèrent sur le Rhin. Les représentants
et les généraux attribuèrent ces échecs répétés à la scélé-
ratesse des bateliers, a J*ai affaire, écrivait Landremont,
à des gens qui trouvent tout difficile », et les commis-
saires mandaient que les pontonniers fuyaient lâche-
ment à la vue de TAutrichien, qu'il fallait employer
envers eux les plus terribles moyens de coercition et
guillotiner au moins la moitié de ces misérables. En
réalité, tous ces passages témoignent de Timpéritie, de
l'imprévoyance et du désordre qui régnaient alors
dans les armées. Pas un seul ne fut sagement conçu, pas
un seul ne fut exécuté par des hommes qui eussent une
* Sigmund Billing, Kleine Chronik, p. Waltz, 300 [avec une vue du
passage) ; Milhaud, Guyardin, Lacoste au Comité, 18 sept.; ordres de
Labruyère, de Fontenay, etc. Mé^m.de Bach; note de Legrand(Â. G.];
Gebler, 131 (les Autrichiens firent prisonniers outre Roumilhac et huit
officiers, 133 soldats). Etienne Labruyère, Nicolas-François Arnoux
Fontenay, Thomas-Gabriel Fuchsamberg, JacqueS'Antoine Vuillerme
(qui escortait les bateaux) et Henri Trost furent absous par le tribunal
militaire du second arrondissement ; mais, à l'instigation de Lacoste,
le représentant Hentz fit réincarcérer les officiers et arrêter les juges ;
.e 9 thermidor les sauva.
142 WlSSBMBOURa
connaissance môme superficielle de Topération. On ne
prévit rien ; on ne prit aucune mesure pour triompher
des obstacles qui devaient nécessairement se présenter ;
on lança de vaillants soldats sur Tautre rive pour les
abandonner à Tennemi. Il eût fallu tenter, non des pas-
sages partiels, mais un seul passage et lopérer avec
audace et vigueur, sans tergiversation, sans tâtonne-
ment ; 11 eût fallu ne faire sur divers points que des
simulacres ; il eût fallu patienter, user de précautions,
se préparer à loisir et sans bruit. Mais on voulut passer
partout sur-le-champ témérairement et à Tétourdle ;
on*ne passa nulle part. On ne sut môme pas Intimider
Tadversaire, et les Impériaux ne dégarnirent pas d*un
seul bataillon leur armée de la Lauter : ils n'avaient en
face de Nifler que trois compagnies du régiment Terzy I
Trois ans plus tard, Moreau franchit le fleuve ; lui aussi
n'avait pas de grandes ressources à sa disposition ;
mais la bravoure des soldats était alors guidée par Tin-
telligence des généraux, et non par la funeste précipita-
tion des représentants.
CHAPITRE IX
BUNDENTHAL
I. Les gorges de la Laater. — Nothweiler. — Bandenthal. — Fuite de
d'Arlande. — Pejacsevich à Bundentbal. — II. Gouvion Saint-Cyr. — Le
LindeDschmidt et le Hohenburg. — Malet. — Le canon da Kappen-
•tein. — Victoire des républicains. — L*éinigré Mauny.
I. Landremont échouait dans toutes ses tentatives.
Les efforts opiniâtres de ses batailioDS ne pouvaient
briser la résistance des Impériaux dans la forêt de Bien-
-wald. Ses essais de diversion sur la rive droite du Rhin
avaient avorté; comme disait le commandant de Stras-
lK>urg, Dièche, on devait passer le fleuve, et on ne l'avait
pas fait. Eafin, le 41 septembre, à la veille des mouve^
ments que ses troupes allaient opérer sur tous les
points, Landremont apprenait que le camp de Bunden-
tbal était forcé : au premier pas que feraient les ennemis,
les communications seraient coupées entre les deux
armées delà Moselle et du Rhin.
La gauche de l'armée du Rhin qu*on nommait la dici^
non des montagnes^ campait dans les gorges de la Lauter
U4 WISSEMBOURa
et s'élendait depuis le Pigeonnier jusqu'aux environs de
Dahn. Postée à la fois sur la Sauer, à Lembacb, à Schô-
nau, à Fiscbbach, sur le Steinbacb, affluent de la Sauer,
à Niedersteinbacb et à Obersteinbacb, sur la Lauter, à
Bobentbal et à Bundentbal, elle gardait ainsi la cbaussée
de Bitebe et tous les cbemins et sentiers des Vosges, et
empècbait les alliés de percer entre les deux armées, de
tourner les lignes de Wissembourg.
La position la plus importante, comprise entre les deux
rivières de la Lauter et de la Sauer qui coulent parallè-
lement avant de se jeter toutes deux dans le Rbin, était
celle de Nolbweiler ou, comme les Allemands rappellent
plus justement, de Buadentbal. Il y avait là plusieurs
routes : celle de Wissembourg à Bitebe qui remonte
quelque temps le cours de la Sauer et la francbit à un
pont dit la Tannenbrûcke, à une lieue au nord de Lem-
bacb ; celle qui, se détacbant à cet endroit du cbemin de
Wissembourg, déboucbe à Scbônau et plus loin à Fiscb-
bacb ; celle qui mène à la ferme du Litscbbof, puis au
village de Notbweiler, et par un plateau d*une pente
rapide et continue, à Bundentbal.
Pour défendre toutes ces routes, on avait mis des dé-
iacbements à la Tannenbracke, à Nolbweiler, à Bunden-
tbal qu*on regardait avec raison comme la clef de la po-
sition, et Ton avait garni d*abatis, d*épaulements et de
petites redoutes les mamelons qui se dressent entre
Notbweiler et Bundentbal, TEsslersberg, le Weibbilbl,
la Dennenbalde, le Màuerle.
Le pays n'offre d'ailleurs que des sables, d'étroites et
sombres vallées, des bois touffus, de bauts rocbers
abrupts sur lesquels s*élèvent de vieux cbâteaux célé-
brés par la légende et détruits au xvii* siècle par Mont-
elat et les lieutenants de Louvois. Les pics qui dominent
BUNDBNTHAL 145
le "vallon de Nolhweiler sont, du nord au sud : la Wegeln-
burg, des cimes de laquelle on aperçoit les clochers.de
Strasbourg ; le Kuhnenkopf ; le Kappenstein ; le Hohen-
burg où séjourna Franz de Sickingen ; le Lindeaschmidt
ou LÔwenstein dont le seigneur, dit-on, sort la nuit avec
fracas et chevauche dans les airs à la tôle de sa bande,
lorsqu'une guerre est imminente ; le Fleckenstcin qui
passait autrefois pour imprenable et appartenait à Tune
des plus puissantes familles de la Basse-Alsace *.
Wurmser résolut de s'emparer de Bundenthal. On
croit ordinairement qu'un émigré l'avait encouragé dans
ce dessein. Le 24 août, le général d'Arlande qui com-
mandait à Nothweiler, arrivait en déserteur au camp
prussien. Il donna de grands détails sur la position.
Mais il ne trahit pas, comme on Ta prétendu, les secrets
de la défense. Il déclarait au contraire qu'on ne pourrait
forcer les passages, et Brunswick n'hésitait pas à dire
que les hauteurs de Bundenthal et de Nothweiler assu-
raient complètement l'aile gauche des Français, que l'en-
nemi chassé de ce poste irait se retirer au Pigeonnier,
que les débouchés de Fischbach à Lembach étaient cou-
verts d'abatis et garnis de troupes, bref, que les alliés ne
devaient pas s'engager entre l'armée du Rhin et la for-
teresse de Bitche, dans une montagae inaccessible, par
d'étroites vallées et des chemins très difficiles, sans avoir
fait au moins des préparatifs considérables *.
Mais Wurmser avait juré qu'il ne se fierait plus qu'à
* Cf. Aug. Lufft,'Z)tfr Feldzug am Mitte^rhein^ von Mitte Augun bis
Snde December 419S^ 4881. p. 24-28 [ouvrage très confus qui ne fait
guère que traduire Saint-Cyr et ne vaut que par les détails topo-
graphiques).
« Zeissberg, I, 207, 213 ; Wagner, 79-80.
-WISSBMBOURG. 10
146 WISSBMBOURa
ses propres et seules forces. « Avaat de faire des sièges»
écrivait-il fièrement, il faut que je batte les ennemis, et
je les battrai, j'en suis sûr; les braves généraux, les
braves troupes, Texcellenle artillerie que j*ai Thonneur
de commander, me donnent cette certitude. » Il chargea
Pejacsevicb, un de ses lieutenants, de prendre Bunden-
thaï et mit sous ses ordres 3,500 Autrichiens et Gon-
déens ^
Ferey remplaçait d'Arlande au camp de Nothweiler. Cet
adjudant-major du 10^ de la Haute-Saône avait fait ré-
cemment un mémoire sur la défense des lignes de Wis*
sembourg. Les commissaires de la Convention le crurent
homme de guerre. Il était vieux et comptait plusieurs
campagnes : il reçut le grade de général de brigade et le
commandement de Taiie gauche de Tarmée du Rhin ;
c'est, disait Landremont, un c très ancien militaire, bon
républicain et brave soldat * ».
^ Zeissberg, I, 243. Gebler, 125 (dix compagnies du régiment dUn-
fanterie de HutF et un escadron de hussards partirent, le 7 septembre,
en avant-garde ; le lendemain, arrivèrent deux autres compagnies de
Huff, deux compagnies de Valaques, deux compagnies de Szekier, la
légion de Mirabeau, et sept canons}.
* Claude-François Ferey, né le 22 décembre 1723, a Gray, était le
fils d'un marchand de bœufs. Lieutenant au régiment de Royal-
Lorraine, capitaine de grenadiers au bataillon de Dôle, il avait obtenu
la croix de Saint- Louis en 1763 et s*était retiré du service le 23 oc-
tobre 1783, avec une pension. Capitaine, puis commandant de la
garde nationale de Gray dans les premières années de la Révolution,
il fut élu, le 10 août 1791, adjudant-major au 10* bataillon de la
Haute-Saône, et il le resta jusqu^au 26 août 1793 où les représen-
tants le nommèrent général de brigade. Il devait être commandant de
Bitche. Moreaux le jugeait • peu propre, à cause de son âge, à être
employé à Tarmée ■ (30 Tructidor an II) . Saint-Cyr prétend, à tort,
qu'il n^avait jamais vu la guerre, et le traite, ce semble, trop dédai-
gneusement ; c dans la journée du 14 septembre, écrit Landremont.
à Bouchotte, Ferey s'est porté au milieu du feu et a montré autant
d'activité que de zèle et de courage^ malgré toute son ancienneté ••
BUNDBNTHAL U7
Ferey avait trois bataillons à BuDdenthal. Mais per-
sonne ne soupçonnait que les troupes de Pejacsevich
étaient depuis quelques jours à Dahn, à moins de deux
heures. Le 44 septembre, avant l'aube, trois colonnes
assaillirent Bundenthal. Des paysans les guidaient. Une
d'elles, commandée par le lieutenant-colonel Beaumont,
s'égara dans les bois. Mais les deux autres, menées par
Pejacsevich et le major Schrôckinger, attaquèrent avec
vigueur le centre et la droite de la position française.
Les républicains, bien que surpris, se défendirent vail-
lamment, mais enfîn le colonel Baader, à la tête de deux
compagnies d'infanterie de Huff, chargea leur gauche à la
baïonnette et franchit les abatis. Ils s'enfuirent sur Noth-
weiler, y trouvèrent trois autres bataillons qui les re-
cueillirent, et gagnèrent avec eux la Tannenbriicke*.
IL Landremont, désespéré, maudit d'abord le scélérat
d'Arlande. Sûrement, si les ennemis avaient pris Bun-
denthal, c'est que d'Arlande les guidait, d'Arlande qui,
depuis six mois, commandait dans le pays et avait
établi tous les postes, d'Arlande qui connaissait le fort
et le faible de la position : n'avait-on pas entendu les
émigrés crier, pendant l'attaque, Vite d'Arlande * ? Que
^ Gebler, 125-126. Les Autrichiens avaient 20 morts et 51 blessés;
les Français, 33 prisonniers et 250 hommes hors de combat.
* € C'était alors Pusage, a dit Legrand, de persuader aux soldats ré-
publicains quHls étaient continuellement trahis ; que sans la trahison,
ils ne seraient jamais battus par les satellites des despotes ; c^était La
politique du jour. D^Arlande, à la tôte du 13* régiment d'infanterie,
avait fait toutes les campagnes, depuis le commencement de la guerre,
avec la plus grande bravoure, la plus grande intelligence et le zèle le
plus soutenu pour les intérêts de la République. Ex-noble et proscrit
à cette époque, il eût dû, comme Beauharnais et tant d^autres, se
laisser suspendre, enfermer, guillotiner plutôt que d'abandonner son
pays. Son émigration fut un crime aux yeux de tout républicain pro*
4 48 WISSBMBOURO
faire désormais? « De Biindenlhal, disait Landremont,
dépend la conservation des lignes, le salut de l'armée 1 »
Il se voyait tourné, forcé d'évacuer Wissembourg et,
dans le premier émoi, il ordonna de transférer sur-le-
cbamp à Haguenau l'ambulance, le trésor, la poste, tous
les gros équipages, tous les prisonniers ^ Mais bientôt il
reprit cœur. Ne pouvait-on, par un violent et décisif
effort, ressaisir Bundentbal ?
Il pria Scbauenburg de lui c donner un coup de main»*
Lui-même se rendit à Lembacb, pour s'entretenir avec
Ferey et l'adjudant général Miribel. Mais dans la conver-
sation, Miribel excusa d'Arlande et assura qu'il n'avait
pas émigré. Landremont parla d'une route de la mon-
tagne qu'il savait praticable ; Miribel prétendit qu'elle
était coupée. Le général en cbef, très alarmé, revint
aussitôt à Wissembourg et dénonça Miribel. Les repré-
sentants ne balancèrent pas ; ils mandèrent Miribel, le
suspendirent comme suspect et le mirent en état d'ar-
restation*.
Déjà quatre bataillons avaient ordre de partir pour
Lembacb. Ils devaient défendre les gorges autant que
possible, protéger la retraite de Ferey, ralentir la pour-
suite de l'adversaire, et par leur résistance, laisser le
temps à l'armée de quitter les lignes de Wissembourg
s'il fallait eu venir à cette extrémité. Gouvion Saint-Gyr
les commaqdait. Il remplaçait Miribel, et les représen-
tants croyaient gagner au change : il était énergique et
nonce, mais la trahison particulière qu'on lui supposa, ne fut crue
que par ces gens qui, depuis le premier moment de la Révolution
jusqu'à nos jours, ont cru tout ce qui s'est dit ou imprimé, »
* Ordre, non exécuté, du 11 septembre (A. G.}.
* Landremont à Schauenburg; Duvignau aux représentants, 9 et
11 septembre (A. G.); Compte rendu^ par Ruamps, Borie, etc., 192,
BUNDENTHAL 449
patriote ; il connaissait la montagne ; son civisme, ses
talents inspiraient la confiance. On lui donna pour se-
cond Tadjudant-général Malet qui servait sur le Rhin
depuis le commencement de la guerre et dirigeait la
partie des reconnaissances ; c'était ce Malet qui devait
tenter avec une incroyable audace dans la nuit du 23
octobre 4842 le renversement de TEmpire. Saint -Gyr, et
Malet, disait Landremont, étaient deux. francs républi-
cains qui seconderaient activement Ferey K
Sans attendre ses bataillons, Saint-Gyr court vers
Notbweiler. Il traverse Lembach; il voit des troupes
effarées qui se préparent à faire leur retraite ; il leur
annonce des secours et leur enjoint de rester où elles
sont. Il conlinue sa route, atteint la Tannenbrûcke et y
rencontre Ferey. Le vieux général voulait reculer sur
Lembacb ; mais Saint-Gyr lui déclare que Landremont
ordonne de reprendre la position perdue ; il l'engage à
défendre le terrain pied à pied jusqu'à la venue des
renforts; il garnit d'infanterie les hauteurs boisées qui
dominent le chemin ; lui-môme se porte en avant pour
reconnaître l'ennemi.
Heureusement Pejacsevich n'avait pourchassé Ferey
1 Duvignau aux représentants, 14 septembre; Landremont à
Schauenburg et à Bouchotte, 17 et 18 septembre [A. G.) ; Compte
rendu par Ruamps et Borie, etc., 13; cf. sur Saint-Cyr, Bxpéd, de
Custine^ 211, et sur Malet, Mayence, 42. Le 18 septembre, par un
arrêté des représentants, Malet fut chargé de recevoir et de payer
tous les fusils enlevés sur l'ennemi et de les faire porter à l'arsenal de
Wissembourg {Compte rendu^ 167). On devait lui donner bientôt les
notes suivantes : < sert depuis 1789 ; mœurs douces et philanthropiques;
la manière dont il remplit ses fonctions, comme son ancienneté dans
le grade d*adjudant-général, le rendent susceptible de celui de chef
de brigade *. Chose curieuse, le futur complice de Malet, Lahorie,
servait également à cette époque dans Tarmée du Rhin ; il avait été
secrétaire de Beauharnais et un de ses officiers d^état-major (Laval-
lette, I, 127).
150 WISSBUBOURO
qu*avec mollesse, et ses éclaireurs n'osaient dépasser la
ferme du Litschhof. Saint-Gyr retourne au devant de ses
quatre bataillons qu'il trouve près de Lembach. Landre-
mont arrivait à cet instant et il écoutait avec mauvaise
humeur le rapport de Ferey . Il eut un instant l'idée d'as-
saillir aussitôt Pejacsevich. Mais les troupes étaient, les
unes, démoralisées, les autres, exténuées par une
marche forcée. Il remit l'attaque au jour suivant et
revint à "Wissembourg avec Saint-Cyr. o Ce sera pour
demain », disait-il aux soldats qu'il rencontrait. Quel-
ques-uns haussèrent les épaules, comme s'ils doutaient
de sa parole. « Ce sera, répondit l'un d'eux, comme tant
d'autres fois où l'on nous a promenés sur divers points
sans nous faire donner. » Mais Landremont jura qu'ils
se battraient dans la journée du lendemain et que Saint-
Cyr serait à leur tète.
Le soir du 42 septembre, Saint-Cyr, qui n'était qu'ad-
joint, fut nommé par les représentants du peuple adju-
dant-général ; il lui fallait ce titre pour ménager l'amour-
propre des chefs de bataillon et du général de brigade
qui recevraient ses instructions ou ses avis. Saint-Cyr
refusa d'abord ; comme beaucoup de ses camarades, il
redoutait l'avancement, et il proposa d'envoyer aux
gorges l'adjudant-général Montrichard dont il était l'ad-
joint. Mais Landremont et les représentants insistèrent ;
Saint-Cyr reçut à minuit le grade d'adjudant- général
chef de bataillon.
Il revole à Lembach. Il réveille Ferey et ses aides-de-
camp, leur demande où sont les troupes ; ni Ferey ni
ses officiers ne le savent. Il consulte le livre d'ordres ; ce
n'est qu'un informe brouillon. Il prend le parti de se
poster tout près des ennemis avec les quatre batailions
qui n'avaient pas bougé et d'attendre les autres pour les
BUKDfiNTHAL 454
diriger au fur et à mesure quMls se préseDteront. Tous
les bataillons paraissent en effet dans la journée du 43
septembre, à de grands intervalles, les premiers à cinq
beures du matin, les derniers à cinq beures du soir.
Mais à midi, Saint-Cyr en avait assez pour faire un
simulacre d*attaque : il désirait s'instruire des forces
réelles de l'adversaire et par le bruit du feu donner une
direction certaine aux bataillons qui s'étaient égarés
dans les bois.
Pejacsevicb avait très babllement cboisi sa position :
sa droite, composée d'émigrés, était entre la Wegelnburg
et le Kubnenkopf ; son centre, entre le Kuhnenkopf et le
M&uerle ; sa gaucbe sur le Mâuerle, en face du Litschbof.
* Sur Tordre de Saint-Cyr, deux bataillons de volon-
taires» le 2"" de Rb6ne-et-Loire et le 4^'' de Lot-et-Garonne
gravirent la montagne sur laquelle s'élèvent, à peu de
distance Tun de l'autre, les cbâteaux ruinés .de Linden-
scbmidt et de Hobenburg. Puis, longeant la lisière de la
forêt sur les pentes du cône où se trouve la Wegelnburg,
ils marcbèrent vers le Kubnenkopf. La fusillade s'enga-
gea des deux parts. Les Gondéens, guidés par Betbisy,
déployèrent une valeur toute française. Mais les deux
bataillons républicains n'avaient pas moins d'intrépidité.
Le cbef de Rbône-et-Loire, Desgranges ', encourageait les
1 Antoine Grange, dit Desgranges, né a Lyon le 4 janvier 1757,
était marchand de vin et, suivant ses propres expressions, travaillait
sur la rivière avant la Révolution. Mais il avait servi durant huit an-
nées dans le régiment de Custine-dragons (2 mars 1775-2 mars 1783)
comme aide de manège et brigadier. Il fut élu, le 13 octobre 1791,
capitaine des grenadiers et, le l'i" juillet 1793, chef du 2* bataillon des
Tolontaires de Rhône- et-Loire. Le 23 prairial an II, il était nommé gé-
néral de brigade par le représentant Hentz. Saint-Cyr lui rendait ce
témoignage : « Il s^est distingué dans les gorges de Lembach où il a.
été blessé, et, depuis quMl a été fait général, il a toujours donné des
preuves de bravoure et d^ntelligence. •
452 WISSBMBOURa
siens par son exemple et reçut au front une balle amortie
qui Tétourdit un instant. Le commandant de Lot-et-Ga-
ronne, le vieux Campagnol \ agitait son chapeau et du
geste montrait à ses jeunes soldats, tout pleins d'enthou-
siasme et d'admiration, le sommet qu'ils devaient attein-
dre : « mes enfants, s'écriait-il, c*est là qu'il faut tirer. »
Ses longs cheveux blancs, assure un témoin oculaire,
faisaient Tefiet de ce panache dont on raconte des mer-
veilles. Un moment, Théroïque vieillard sentit ses forces
physiques Tabandonner; ses volontaires lui firent un
brancard et le portèrent au premier rang de la colonne.
Cependant les Condéens, vivement pressés, s'étaient
repliés sur la crête du Kuhnenkopf. Saint-Cyr avait
pensé qu'ils descendraient de leur poste, et, pour les atti-
rer dans le vallon où il comptait les cerner, il envoya
dire aux deux bataillons de céder le terrain et de reculer
par la Wegelnburg sur le Litschhof. La ruse n'eut au-
cun succès. Les émigrés se contentèrent d'occuper le
Liudenschmldt et le Hohenburg sans poursuivre les pa-
triotes.
Pejacsevich prit cette démonstration pour une attaque
sérieuse et crut avoir repoussé les Français. Saint-Gyr
profita de cette imprudence. Il masqua dans les bois^ en
arrière du Litschhof, ses troupes du centre. Il établit
à Schônau deux bataillons chargés d'arrêter les renforts
*■ Campagnol était né le 4 septembre 1734 a Saint-Léger, près de
Penne en Agenois. 11 avait servi trente-six ans dans Partillerie et,
quoique noble et peu instruit du détail, il passait pour un bon tacti-
cien, propre à choisir des positions heureuses, et plein de sang-froid
dans un combat. Uatry disait plus tard qu'il était sage,, prudent,
brave et quMl serait bien placé comme général de brigade. On lit dans
ses notes, a propos de la journée du 14 septembre 1793, qu' c à Lem-
bach il a disposé Pattaque • et que c le camp retranché a été em-
porté ».
BUNDBNTHAL 453
qui viendraient peut-être à Pejacsevich. Il détacha sur
la droite, à Bobenthal,le \^^ bataillon de la Haute-Saône,
le 40* bataillon des Vosges et le V bataillon d'infanterie
légère qu*il mit sous les ordres de Malet. Enfin, il posta»
comme en réserve, à Wingen, les bataillons de Toul, de
Mirecourt et de Neufchâteau qui n'avaient d'autres armes
que des piques.
Son plan était d'assaillir les deux ailes de Tadversaire,
puis de se jeter sur le centre et de l'enfoncer. La gauche
devait entamer le combat en attaquant de nouveau les
GoDdéens à Lindenschmidt et [à Hohenburg. La droite,
commandée par Malet, essaierait d'attirer dans le vallon
la gauche de Pejacsevich. Le centre, que Saint-Gyr diri-
geait en personne, frapperait le grand coup. Pour mieux
ébranler le moral des ennemis, Saint-Cyr fit monter dans
la nuit une pièce de 4 sur le sommet du Kappenstein qui
plongeait sur le village de Notbweiler et dominait la po-
sition des Impériaux. Un habitant de la contrée, Jacques
Hauswald *, avait indiqué le chemin à travers les taillis.
Soldats et paysans hissèrent la pièce à force de bras. Les
femmes de Wingen les suivaient, portant des cartouches
sur leur tête. Le canon fut placé près d'un rocher, der-
rière des arbres *.
^ Cet Hauswald qui rendit de grands services aux Français, était
de Wingen. < J'ai rencontré, dit Legrand, peu de campagnards plus
intelligents. * Il allait au loin remplir de difficiles missions. Un jour
que Ferey l'avait chargé de remettre une lettre à Deux-Ponts et de
rapporter la réponse, Hauswald fut arrêté par des hussards prussiens»
Hardiment, il déclare qu'il est sujet du prince de Nassau-SarrebrQck.
On le conduit au prince ; il dit qu'il est garçon tonnelier, qu'il habite
Sarrebrûck, mais que contraint de servir dans les rangs des Français,
il s'échappe et retourne dans son pays. Le prince, satisfait, le relâche
et lui donne un louis d'or. Hauswald passe la Sarre a la nage«
retrouve le billet qu'il devait porter à Ferey et qu'il avait jeté dans un
buisson à la vue des hussards, et regagne ensuite le camp français.
* Cf. Saint-Cyr, Mém,^ I, 98. Legrand confirme le témoignage de
464 WISSBMBOURG
Le 44 septembre, entre sept et huit heures du matin,
lorsque le brouillard se fut dissipé, Saint-Gyr donna le
signal du combat. Les républicains, sortant du Flecken-
stein, s'élancent aussitôt sur les Condéens, et les chassent
des ruines du Lindenschmidt et du Hohenburg. Mais
Pejacsevich envoie sa réserve au secours des émigrés, et
les carmagnoles se débandent à leur tour. Heureusement,
dans le même instant avait lieu l'attaque de Malet. Le
général autrichien rappela sa réserve et les Français re-
prirent possession des ruines du Hohenburg.
Malet avait ce jour-là une rage de dents et un accès de
fièvre. Néanmoins, il lutta contre le mal, et ne pensa qu*à
remplir ses instructions. Il assaillit vigoureusement la
gauche des Impériaux, et fit semblant de reculer pour
les attirer vers Bobenthal. Mais Pejacsevich ne donna pas
dans .le piège, et, refusant toute poursuite, demeura sur la
hauteur. Malet revint à la charge avec ses trois bataillons
renforcés d*un des meilleurs régiments de Tarmée, le 43^
ci-devant Bourbonnais. Cette fois encore, Pejacsevich ju-
gea que Malet tentait une fausse attaque et ne lui opposa
qu'une partie de ses Yalaques et de ses Szekler. Mais
voici que le 43® régiment gravit avec audace le plateau du
Mauerle. Voici que ses tirailleurs gagnent rapidement les
crêtes. En vain le régiment autrichien de HuiT. décon-
certé, se serre et se forme à peu près en carré; les soldats
du 43^^, éparpillés sur les pentes et couverts par Tescarpe-
ment, ne souffrent pas du feu divergent des ennemis et
Saint-Cyr. « Les citoyennes de Wingen eurent part à ce succès. Mais
leurs maris et les citoyens de Lembach partagèrent aussi la gloire de
cette journée. Le maire de Lembach, se battant en tirailleur, tua sept
des ennemis ; mais cet intrépide républicain, enlevé de sa maison ,
lorsque les alliés prirent les lignes de la Lauter, fut garrotté, transféré
à Mayeoce et de là daiis les prisons de Wesel où il est mort de
misère. >
BUNDBNTHAL 155
leur font au contraire beaucoup de mal par leur feu con-
centrique.
Saint-Cyr croit le moment venu. Soudain, la pièce de 4
qu'il avait établie sur le Kappenstein commence à tirer :
moyen bien pauvre, disait-il plus tard, et peu imposant,
mais elle était à belle portée, elle surprit les Impériaux
et agit grandement sur leur moral '. En même temps dé-
boucbent des bois la colonne du centre, et de la ferme
du Litscbhof, des pièces de canon, des obusiers, un
escadron de cbasseurs, des gendarmes. Pejacsevich dé-
moralisé recula sur Dahn ; il croyait avoir sur les bras
vingt à trente bataillons ; il craignait d*ètre assailli sur
ses derrières et enveloppé. Déjà , Tartillerie française,
accourant à la tète des colonnes, se mettait en batterie
et crachait sa mitraille. Autrichiens et Condéens précipi-
tèrent leur marche. Yioménil voulait tenir encore avec
la légion de Mirabeau; il fut culbuté, et les patriotes en*
tendirent les émigrés crier en fuyant : nous sommes perdus.
Quelques instants après, la retraite se changeait en dé-
route. Sans Brunswick, les Autrichiens auraieut laissé
sur la place toute leur artillerie et leurs bagages. Mais la
veille, un détachement composé de deux bataillons, de
deux escadrons et de six canons, avait quitté le camp
prussien, afin de couvrir la droite de Pejacsevich. Il arriva
trop tard pour prendre part à Taction ; toutefois, à la vue
des dragons de Tavant-garde, Saint-Gyr s'arrêta.
Les Impériaux avaient plus de sept cents hommes hors
de combat '. Ils ne s'étaient repliés qu'après avoir éner-
> Les habitants du pays parlent encore du canon du Kappenstein.
* 6 ofGciers et 76 soldats tués, 24 officiers et 516 soldats blessés,
89 disparus, telles étaient les pertes des Autrichiens (outre deux ca-
nons et quinze cents fusils). Les Français n^avaient que dix tués et
qaatre-yingts blessés. (Landremont à Schauenburg, 15 sept. [Â. G.);
Gebler, 129.)
456 WISSBMBOURa
giquement lutté depuis cinq heures du matin jusqu^à
midi ; ils avaient épuisé leurs cartouches et ne pouvaient
tenir dans les mains leurs fusils échauffés ; quelques-uns
tombaient de fatigue à force de tirer. Tous les officiers de
Tétat-major étaient blessés et Pejacsevlch fut surnommé le
lion autrichien, der Ostreichische Lôwe. Mais , en rendant
hommage à la bravoure des Impériaux^ les Prussiens les
accusaient d'imprudence et, comme toujours, imputaient
réchec à Wurmser qui guerroyait pour son propre compte
et n'en faisait qu'à sa tète. Voilà, disaienUils, voilà en-
core une wurmseriade et la chose du monde la plus irré-
fléchie et la plus mal ordonnée 1 Etait-il sage d'envoyer
ainsi Pejacsevich en pleine montagne au milieu des gorges,
loin du gros de son armée * ?
Avaient-ils fait néanmoins ce que doivent faire de bons
et fidèles alliés ? Pejacsevlch n'était battu que parce qu'ils
ravalent abandonné. Lorsque l'Autrichien informait
Brunswick de Taltaque qu'il projetait sur Bundenthal, le
duc lui répondait qu'il ne pouvait bouger sans Tordre
exprès de son souverain, et Frédéric-Guillaume recom-
mandait à son général de secourir Pejacsevich par une
simple démonstration, sans trop engager ses troupes, et
en se bornant à couvrir la retraite des Impériaux, s'ils
étaient refoulés.
Les troupes françaises^ a dit Saint- Gyr, donnèrent
« avec l'ensemble et la décision qui assurent les succès,
et ce combat fit présager tout ce qu'on pouvait attendre
^ BtHefioeehsel des fferzogs Karl August mit Gœthe, I, 185-1S6.
Lettre du 13 septembre : c Wurmser thut Ailes was er will und fûhrt
Krieg fur sich. Die Expédition des Geuerals Pejacsevich ist die unû-
berlegteste uod sehlechtgeordoetste von der elt, Wund eine wahre
Wurmseriade; nur gegea eiaen soâusserst schlechten Feind, wieder
jetzige Republikaner, ist es mdglîch dass dergleichen Dinge nicht
ftusserst schlimm ausgeheo. •
BUNDBNTHAL 457
d'elles dans la suite. » On occupa derechef Nothweiler
et Bundenthal, on s'y établit solidement, on répara et
perfectionna les retranchements. Landremont était ravi
de cette victoire aussi brillante qu'inespérée. « La car-
magnole a bien été », mandait-il à Schauenburg, et il écri-
vait à Saint-Gyr : « Vive à jamais la République ! Hon-
neur à nos braves troupes et à leurs chefs ; haine aux
tyrans ; ça va, ça ira ! Je suis aux anges, mon cher Saint-
Gyr; le jour oh je vous donnais à cette division, est un
de mes beaux jours 1 » Il vint avec les représentants vi-
siter le champ de bataille. Les commissaires louèrent
l'adresse et la bravoure de Saint-Gyr ; ils applaudirent
aux bataillons des Vosges qui avaient quitté leurs pi-
ques pour s'armer des fusils autrichiens. Desaix, géné-
ral de brigade depuis le 20 août, reçut le commandement
du poste de Bobenthal ; il était l'ami de Saint-Gyr, et
Landremont comptait sur le bon accord de ces deux
hommes qui dirigeraient les opérations sous le nom de
Ferey et repousseraient de concert les nouvelles tenta-
tives des alliés '.
Un émigré, le comte de Mauny , avait été fait prison-
nier dans cette journée du 44 septembre. On le fusilla le
lendemain. Il montra jusqu'au dernier moment le plus
grand courage. Landremont s'entretint avec lui : Mauny
lui déclara que Gustine avait fini lâchement et en capucin,
mais qu'il saurait mieux mourir que le général Mous-
tache ; il assura que les républicains ne conserveraient
pas trois jours les lignes de la Lauter et que là France
» Saint-Cjr, Àfén,,ly 97-106; Soult, Àfém , I, 60 ; Compte rendu
par Ruamps, Borie, etc., 13; Mon., 25 sept.; Le Batave^ n« 219,
22 sept.; Landremont à Schauenburg, 15 sept, et à Bouchotte, 18 sept.
(A, G.); d'Ecquevilly, 145-149 et 166; Wagner, 94-103; Gebler,
128-129; Remling, I, 376 ; Lufft, 28-54.
458 WISSBMBOURa
aurait un roi avant trois mois ; il ajouta que d*Arlande
était méprisé et regardé comme un traître parce qu'il avait
trop tard embrassé la bonne cause. Lorsqull tomba sous
les balles, il criait encore : « Vive le roi et la maison de
Bourbon » ; les patriotes qui assistaient à l'exécution, ré-
pondirent Vive la République et, dit Landremont répé«
tèrent longtemps après lui ce cri si cber à l'armée du
Rbin.
CHAPITRE X
PIRMASENS
René Moreaux. — Démonstration du 12 septembre. — Conseil de
gaerre da 13 septembre. — Marche de nuit du corps des Vosges.
— Dispositions de Brunswiclc. » Ardeur des représentants. — Déploie-
ment des colonnes. — Charge des dragons et des chasseurs. — Le
ravin du Blumesthal. — Déroute. — Le général Guillaume. — Diversion
de Schauenburg.
L'armée du Rhin avait repris le poste si important de
Nothweiler. Mais» au même instant, Tarmée de la Mo-
selle essuyait un cruel revers, et le U septembre était
pour elle, comme dit un de ses généraux, une journée de
malheur et de désastre.
On se rappelle qu*à la nouvelle du succès de Pejacse-
vich, Landremont avait prié Schauenburg de lui prêter
main-forte. « Il est essentiel, lui mandait-il, que demain
matin, avant le jour, le camp de Hornbach se porte du
côté de Pirmasens ; les ennemis sont ici en pointe ; si
vous poussez sur Pirmasens, moi sur Nothweiler, ils se
verront cernés et nous les chasserons à notre tour '. »
* Landremont à Schauenburg, 11 sept. (Â. G,}.
460 WISSBMBOUBa
Schauenburg, docile aux pressanles recommandations
de Landremont, chargea René Moreaux de tâter Pirma-
sens. Moreaux remplaçait Pully *. C'était un ancien gre-
nadier du régiment d'Auxerrois-infanlerie qui avait
combattu en Amérique et reçu dans Taffaire de Sainte-
Lucie un coup de feu à la jambe droite. Il était, en 4789,
entrepreneur de bâtiments à Rocroy, sa ville natale,
lorsqu'il fut élu lieuienant-colonel du 4^" bataillon des
volontaires des Ardennes. Gomme Hoche et Sémélé, il
avait assisté Tannée précédente au siège de Thionville et
mérité les éloges de Wimpffen. Houchard lui reprochait,
non sans raison, d'avoir échoué devant Leimen et a fait
une école en se mettant dans le cas d'être repoussé ' )» ;
mais on le tenait pour un brave sans-culotte, et on l'avait
nommé, le 45 mai, général de brigade, puis le 30 juillet,
général de division.
Moreaux quitta le camp de Hornbach dans la matinée
du 42 septembre. Il était accompagné des commissaires
de l'Assemblée, Ehrmann, Richaud et Soubrany, qui dé-
siraient voir de près la vaillance de leurs frères d'armes
et partager leurs dangers. Il n'y eut qu'une insignifiante
canonnade. Mais les conventionnels trouvèrent que le
corps des Vosges avait courage et bon vouloir, et lé len-
^ Le Vasseur, président du tribunal révolutionnaire du district de
Sarrebourg, avait, après la prise du Kettericb, dénoncé Pully à sou
frère, le conventionnel Le Vasseur de la Meurthe (Mon., 30 août) :
Pully, disait-il, voulait livrer Bitcbe et avait émigré. Vainement Pully
répondit qu'il n'avait pas émip;ré (4 sept., Mon, y du 12). Dénoncé, le
2 septembre aux Jacobins, par Auger qui demandait son arrestation
[JourtMl de la Montagne, n» 95), il fut suspendu le 5 septembre et le
12, les représentants annonçaient qu'il so rendait, sur-le-cbamp, au
Comité, pour exposer sa conduite. Cf. sur Moreaux le livre de son
petit-fils, Léon Moreaux, Le Général René Moreaux et V armée de la
Moselle, 419^-419$. 1886, paseim.
* Cf. plus baut, p. 56-57.
PIRMâSBNS 464
demaîQ, 4 3 septembre, à trois heures de raprès-midî,
dans une conférence quïls eurent avec les généraux, ils
déclarèrent qu'on devait profiter de Texcellente disposi-
tion des troupes et tenter contre l'adversaire une puis-
sante entreprise où les soldats de la liberté déploieraient
leur impétuosité naturelle. Freytag proposa d'aller droit
à Pirmasens et les trois représentants l'approuvèrent.
Moreaux fit quelques objections. Pendant qu'il aborde-
rait Pirmasens, les Prussiens ne pouvaient-ils assaillir
Hornbach ? Mais on lui répondit que le camp de Horn-
bacb serait renforcé par trois bataillons de Blieskastel,
et le camp de Blieskastel, par trois bataillons de Saint-
Imbert. Moreaux céda. 11 fut convenu que les troupes
de Hornbach partiraient à minuit et qu'elles prendraient
la route de Deux«Ponts à Pirmasens. On comptait sur
le succès. Mourgoin, l'agent de Bouchotte, jugeait le
projet tout ensemble sage et vigoureux. Soubrany et ses
collègues ne cessaient de dire qu'on attaquait ainsi les
Prussiens sur leurs derrières, qu'on les étonnerait en
leur opposant à Timproviste des forces considérables,
qu'on les délogerait sûrement de Pirmasens et par suite
du Ketterich désormais intenable. Schauenburg applau-
dissait à cette résolution et s'empressa d'exécuter les
ordres des représentants : il envoya trois bataillons à
Saint-Imbert, trois autres à Blieskastel, trois autres au
camp de Hornbach ; il promit de se jeter le lendemain, à
la pointe du jour, sur tous les postes qu'il avait devant
lui et d'appuyer par ses démonstrations l'attaque de
Pirmasens qui lui semblait très militaire. « Vive le mois
de septembre, mandait-il à Landremont, déjà Tannée
dernière 11 a été l'époque de nos succès 1 » Le dessein
était en effet grand et hardi ; s'il eût réussi, Brunswick,
coupé de l'Alsace, subissait un irréparable désastre;
WI88BMBOURO. 44
462 WISSEMBOURa
mais les Allemands étaient encore supérieurs aux Fran-
çais, et le combat de Pirmasens allait démontrer une fois
de plus cette supériorité de la tactique prussienne sur
rindxpérience des républicains ^
Dans la nuit du 43 au U septembre, 14,000 hommes
quittèrent le camp de Hornbach en très bon ordre et
s'engagèrent au milieu d'un profond silence sur la route
qui mène de Deux-Ponts à Pirmasens. Mais bientôt
Moreaux avoua ses inquiétudes : il espérait faire des
prisonniers, et les ennemis ne paraissaient pas. Avaient-
ils appris le départ de Tarmée ? Avaient-ils entendu le
roulement de l'artillerie répété par Técho des mon-
tagnes ? Evidemment Ils étaient sur leurs gardes, et on
ne les prendrait pas au dépourvu. Toutefois Tardeur de
ses troupes et le courage qu'elles annonçaient, firent
oublier à Moreaux ce qu'il nommait un léger malheur.
Enfin, à Taube, Tavant-garde aperçut quelques pa-
trouilles. Elle voulut les chasser sans bruit; elles avaient
du canon et tirèrent à pleines volées. Brunswick était
donc averti et il essaierait de se mettre en mesure. Mais
on pouvait le gagner de vitesse. Le général Guillaume
qui commandait l'avant-garde, hâta sa marche, et, sui-
vant la chaussée par Staffelhof et Faehrbach, arriva
promptement en vue de Pirmasens.
Le duc de Brunswick allait monter à cheval vers six
heures et demie lorsqu'un chasseur, arrivant ventre à
terre, l'informa que la tète des colonnes françaises avait
atteint la Briqueterie de l'Ours. Brunswick prévoyait une
attaque; la veille, il disait à Massenbach que l'adver-
saire tenterait probablement de l'assaillir sur ses der«
^ Moreaax et les représentants aa Comité, et à Schauenburg ;
Schauenburg aux représentants et à Landremont ; Mourgoin à Bou-
chotte, 13 sept. (A. G.) ; Massenbach, Mém,^ 194-195.
PJR3JÂSBNS 463
rières, et le major lui répondait qu'un général républi-
cain était incapable d'une si audacieuse pensée. Le duc
ne fut donc pas élonné, et toujours calme, froid, plein de
présence d'esprit au fort du danger, il pourvut sur-le-
champ aux dispositions les plus urgentes. Le régiment
des dragons de Tschiersky et le régiment des cuiras-
siers de Borstell, formant dix escadrons, se jetèrent sur
la chaussée entre le Steinbach et le Blûmesthal ; ils de-
vaient arrêter l'agresseur aussi long4emps que possible
et donner à rinfanlerie prussienne le temps d'accourir
de toutes parts et de se ranger en arrière, sur la Hus-
terhôhe. Des batteries d'artillerie volante allèrent au
galop s'établir en divers endroits, les unes pour faire
face à l'ennemi, les autres pour le prendre en écharpè.
La batterie du lieutenant Haho, une des batteries de
Valmy, s'installa sur la roule en avant de la cavalerie.
Les deux batteries de Wundersilz et de Pototzky gar-
nirent la Husterhôhe. Deux canons de la batterie Po-
totzky, appuyés par un bataillon de grenadiers que le
duc conduisit en personne, se placèrent au Ruppértswald
à droite de la chaussée. Plus haut, sur la lisière du bois
qui longeait le Steinbach, se postèrent un canon et un
obusier de la batterie de Wundersilz : ces deux pièces
qui flanquaient la gauche de l'assaillant, lui causèrent
un grand mal, et, dit un officier, le gênèrent beaucoup
pour l'arrangement de ses colonnes.
Il était neuf heures, et Tavant-garde française, com-
mandée par Guillaume, entrait à Faehrbach. Le général
avait fait battre la charge à trois kilomètres du camp
prussien et ses soldats, épuisés, respiraient à peine. Ils
s'arrêtèrent pendant que le capitaine Debelle mettait en
batterie ses six pièces d'artillerie légère et engageait
une vive canonnade. Peu à peu arriva l'artillerie du
46i WISSRMBOURQ
parCy composée de viogt-deux pièces de position; le
générai Mauscourt qui ia commandait, la fit jouer aussitôt,
et, durant près de deux heures, un feu des plus violents
régna des deux côtés ; mais, écrit un volontaire, « ce feu
qui produisait un bruit épouvantable, n'eut d'autre
effet que d'étourdir, et quelques bommes seuls furent
atteints. »
Cependant Moreaux tenait conseil de guerre dans une
ferme. Guillaume, Freytag, Lequoy, les représentants
Soubrany, Ricbaud, Ehrmann assistaient à la délibéra-
tion. Moreaux déclara qu'on devait, comme dans la
Journée du 42 septembre, opérer une simple reconnais-
sance ; on comptait surprendre les ennemis, mais ils
avaient eu le loisir de se préparer et tiraient de toutes
parts ; il était impossible de les culbuter môme par un
cboc énergique. Les conventionnels, et surtout le fou-
gueux Soubrany, se récrièrent. Ils « opposèrent, rap-
porte un témoin, à ces sages représentations les plus
fortes et les plus justes, la plus vive résistance et crurent
qu'il était aussi facile de monter sur les retranchements
que dans la tribune aux harangues ». Suivant eux,
l'occasion était belle et il fallait la saisir ; l'armée mon-
trait une ardente et patriotique impatience ; elle force-
fait la position à la baïonnette; bref» ils prenaient tout
sur eux, et, au nom de la patrie, ils ordonnaient l'at-
taque. Moreaux n'hésita plus.
Tandis que les Français se disposaient à livrer ba-
taille, Brunswick, entendant au loin une canonnade,
s'imaginait qu'ils dirigeaient leur principal efTort sur
Hohenlohe, à Deux-Ponts, et qu'ils se borneraient à
faire une démonstration contre Pirmasens. Il avait
mandé ses généraux sur la Husterhôhe et leur commu-
niquait ses instructions : il allait, sous la protection de
PIRMASBNS 465
son artillerie, assaillir les républicains avec la plus
grande vigueur ; ou leur attaque était réelle, et il les
refoulerait, grâce à son canon et à la bravoure prus-
sienne ; ou elle était fausse et il donnerait de Vair à
Hohenlohe. Mais, pendant qu*il annonce sa résolution,
le feu des carmagnoles se tait tout à coup. Brunswick
s'étonne de ce silence soudain, braque sa lorgnette sur
la chaussée et voit Tartillerie française se porter vers la
route et les têtes de colonnes déboucher de Faehrbach à
pas précipités. Incontinent, il fait avancer les batteries
de Pototzky et de Wundersilz ; il leur joint les canons
des bataillons; il appelle la batterie volante de Hahu à
son aile gauche. Presque toute Tartillerie prussienne est
ainsi rangée sur une seule ligne et prête à saluer les
assaillants par une grêle de boulets. La cavalerie s'écarte ;
les cuirassiers de Borstell, passant dans les intervalles
de l'infanterie, se postent derrière le régiment Henri ; les
dragons de Tschiersky se forment^ à gauche, en échi-
quier.
Moreaux avait, à Tabri de fermes entourées de ver-
gers, distribué ses troupes en trois colonnes. Guillaume
commande la colonne de droite; Freytag, celle du centre;
Lequoy, celle de gauche. I/artillerie du parc et les
pièces de 4 attachées aux bataillons remplissent les in-
tervalles entre les colonnes. Les représentants du peuple
vont de rangs en rangs; ils enflamment les courages;
ils disent que l'instant est venu de chasser les esclaves
des tyrans, et se placent chacun en tète d'une colonne, à
celé des généraux. La charge bat. Les colonnes s'é-
branlent aux crix de Vite la Nation! Vive la République!
A bas la tyrannie! Elles semblent avoir des ailes ; lors-
que Moreaux ordonne de les déployer et de les mettre
en bataille, elles ont parcouru la moitié de la distance et
466 WISSEMBOURQ
elles marchent sous un feu terrible avec la plus franche
gaieté.
Déjà la cavalerie se mesurait avec Jes dragons de
Tschiersky. Elle appartenait à la colonne de gauche et
se composait du 9« régiment de chasseurs et du 14* ré-
giment de dragons. Elle s'élance au galop, devance la
colonne de droite, qu'elle traverse dans les intervalles
des pelotons, et par le Blûmeslhal et le Scfaachberg ar-
rive comme la foudre sur les escadrons de Tschiersky
qui se portaient sur deux lignes à sa rencontre ; elle les
enfonce, elles les pousse les uns sur les autres, elle cul^
bute un escadron des cuirassiers de Borstell qui tente de
les dégager, elle les cloue au mur de la ville.
La colonne de droite suit au pas de course la cavalerie
victorieuse. Elle comprend la compagnie franche de
Guillaume, que commande le fils du général, deux com-
pagnies de grenadiers du 8» dlofanterie, le i^ bataillon
des volontaires de la Haute-Saône et le 30* régiment de
ligne. La compagnie franche de Guillaume et les deux
compagnies de grenadiers s'avancent jusqu'aux palis-
sades de la ville qui n'est gardée que par deux cents
hommes ; elles touchent à la porte Neuve ; elles pénè-
trent dans les jardins ; elles vont s'emparer de Pirma-
sens. Soudain le jeune Guillaume se retourne : « Général,
dit-il à son père, Tarmée se retire et votre colonne vous
abandonne ! »
Moreaux et ses lieutenants, ne connaissant guère le
terrain, n'avaient pas prévu que les colonnes manque-
raient d'espace pour se développera Trois bataillons,
< « Je devais croire, écrit Schauenburg [A la Convention^ p. 5) que
Moreaux avait une coonaissance exacte de la position des eoDemis,
de leurs forces et qu'il ferait toutes les dispositions nécessaires, pour
attaquer avec succès, » Legrand dit de mênae ; « Ce ne sont pas les
PIRMASSNS 467
chargés d'emporter le Sleinbach, reculent sous le feu des
tirailleurs prussiens et des deux canons que Brunswick
avait postés à la lisière du bois. Ils se rejettent sur la
colonne de gauche, celle-ci sur la colonne du centre,
celle du centre sur celle de droite, et toutes les colonnes
dans le ravin du Bliimesthal. Aucune ne voulait fuir ; au-
cune ne croyait faire un faux mouvement ni causer du dé-
sordre; toutes suivaient la même pente et dans le ravin
môme les tambours battaient encore la charge. Mais en
un clin d*œil, en un tour de main, comme dit Moreaux,
malgré les cris et les ordres réitérés du général en chef,
malgré les jurons de Freytag^ les bataillons et les com-
pagniejs se choquèrent, se mêlèrent, se confondirent. Les
canons, les caissons tombèrent au fond du ravin en
écrasant les soldats. On entendit les clameurs habi-
tuelles : Nous sommes trahis! et Sauve qui peut!
Brunswick profite du désarroi des colonnes françaises
pour les accabler par le feu de la mousqueterie et de la
mitraille: il fait venir sur la gauche les deux bataillons
de son régiment avec leurs canons ainsi que les batte-
ries de Hahn et de Wundersilz; il établit à la Nouvelle-
Briqueterie Tarlillerie de la brigade du prince de Bade,
accourue en toute hâte du Ketterich. Ganonnés de front
par Brunswick et sur leur flanc droit par le prince de
Bade, les républicains ne pensent plus qu*à s'échapper ;
Fennemi, dit l'un d*eux, semblait multiplier son artil-
lerie ; on en trouvait partout.
repréâentanis qui ont dirigé la marche et ordonné chaque mouTement.
Mais a-t-on jamais attaqué un camp considérable d'un seul côté ,
comme on le fit en cette circonstance ? Mais jamais en présence de
Vennemi a-t-on fait marcher tout un corps d^armée comme en pro«
cession et entre deux montagnes escarpées ? Mais a-t-on jamais or-
donné un déplacement d^armée en présence de Tennemi dans un Tal-
ion resserré où un seul bataillon n^eût pu se mettre en bataille ? >
468 WlSSBMBOURa
Bientôt Tarmée entière se disperse et s*éparpille : la
cavalerie qui touchait de Tépée la muraille de Pirmasens,
rinfanterie de Guillaume, la colonne de Freytag et celle
de Lequoy. A une heure de l'après-midi le corps des
Vosges n'est plus qu'un troupeau de fuyards. On ne
peut, raconte un des vaincus, « dépeindre la terreur qui
s'empare de tous : ces mêmes hommes qui, une heure
auparavant, auraient franchi tous les obstacles et affronté
mille morts, on les voyait maintenant épouvantés par
leur ombre, par le vol d'un oiseau ».
Guillaume couvrit tant bien que mal la retraite. Blessé
à l'épaule par un éclat d'obus, il ne pouvait s'aider de
son bras droit, et on dut le hisser sur un cheval. Son
fils, frappé de trois coups de sabre, s'affaissait sans con-
naissance au pied d'un arbre et les Prussiens le captu-
raient. Pourtant, avec quatre compagnies de volontaires
que commandait le chef de bataillon Guillot et quelque
cavalerie que le capitaine Geoffroy du 9^ chasseurs et le
capitaine Perrin du U® dragons parvinrent à rallier, le
brave Guillaume sauva l'ambulance et Tartillerie lé-
gère *.
> Paul Guillaume, fils de paysan, était né le 4 mai 1744, à Cour-
celles-Cbaussy [Moselle). Après avoir servi dans le corps des mineurs
de 1761 à 1764, il entra au régiment de Toul-artillerie et y resta huit
ans. En 1772, il se rendait en Prusse où il obtenait le grade de capi-
taine et devenait examinateur des élèves de Partillerie et du génie.
De retour en France (1782), il fut nommé professeur au corps de la
gendarmerie; il enseignait la tactique et les évolutions. En 1788, on
rappela à Paris pour la rédaction des nouvelles manœuvres. Après la
réforme de la gendarmerie^ il se retira dans la Moselle, à Vau-
doncourt, près de Boula j. Procureur de la commune, comman-
dant de la garde nationale, électeur du département, commissaire
chargé d'estimer les biens nationaux et de surveiller les municipalités
dans leur travail sur les contributions foncières et mobilières, il de-
manda du service après la déclaration de guerre et fut nommé par
Li\ckner capitaine-commandant de la première compagnie franche de
PIRMASBNS 469
Mais la déroute était complète, et, disent les représen.
tants, affreuse, désespérante. Malgré les difficultés d'un
sol coupé de ravins et de fondrières, les dragons de
Tschjersky, les cuirassiers de Borstell^ les hussards de
Wolfradt, qui s'étaient mis aux trousses des fugitifs,
firent près de deux mille prisonniers. Le reste des répu-
blicains, harassé, mourant de faim et de soif, regagna
le camp de Hornbach dans la soirée. Le drapeau du 30»
régiment y arriva sans autre escorte que trois officiers
et un fourrier. La confusion était si grande qu'on dormit
pèle-môle, où Ton voulut, et qu*^oa ne chercha son ba-
taillon que le lendemain. Beaucoup ne rentrèrent que
trois ou quatre jours après le désastre; ils avaient
poussé jusqu'à Bitche, à Sarreguemines, à Phalsbourg ■.
Tarmée de la Moselle. Ce fut lui qui Torma cette compagnie, qui lui
rournit les galons et le prix de la façon des uniformes. 11 assista au
siège de Thionville et, sous les ordres de Erieg, détruisit les maga-
sins des ennemis et enleva leurs bateaux. Employé sans cesse, avec
sa compagnie, aux avant- postes de l'armée de la Moselle, sous Fré-
gl^viile et sous Pully, il attira sur lui Tattention des représentants
Soubrany^ Ehrmann et Richaud, qui le nommèrent chef de brigade
(16 juillet 1793), lui donnèrent le commandement en second de Tavant-
garde et, le 5 septembre, relevèrent au grade de général de brigade
provisoire.
^ Cf. sur la bataille de Pirmasens, Un Volontaire de 4794, p. 132-
137; Léon Moreaux, René Mor eaux ^ 47-55; toute la correspondance
du 13, du 14 et du 15 sept.; le rapport de Duvignau ; la relation de
Guillaume (reproduite à peu près daDS sa brochure Paul Guillaume
à la Convention nationale) et sa lettre au Comité, 13 octobre; la
lettre de Moreaux à Schauenburg, 17 sept.; celle des représentants
Soubrany, Richaud, Ehrmann au Comité, 15 sept. (A. G.) ; celle de
Bouchotte à la Convention [Mon, du 23 sept.) ; L'Observateur impar^
tialt p. 10; Gesch. der Kriege in Europa, I, 216-220; Grawert,
Ausfûhrliche Besehreibung der Schlacht von Pirmasent. Les Prussiens
n'avaient que 7 oHiciers et 161 soldats morts ou blessés. Le corps des
Vosges avait 226 blessés et perdait 1 ,788 hommes tués ou prisonniers,
301 chevaux, 19 canons, 29 caissons. Etaient présents à la bataille ;
30*inf.; 4* Haute-Saôae ; 3* bat. de la République; comp. franche de
170 WISSBMBOURQ
Par bonheur, Schauenburg avec fait une efficace dé-
monstration contre Hohenlohe. Le prince désirait suivre
les Français sur Pirmasens avec cinq bataillons et quinze
escadrons. Mais, dès la pointe du jour, tous ses postes
étaientattaqués. Le colonel Radot,du U« dragons, jeta des
boulets sur Deux-Ponts. Un détachement, parti de Blies-
kastel, inquiéta les avant-postes de Birnbach. Un autre
détachement plus considérable, venu de Rohrbach, assail-
lit à Limbach le général Eôhler. Deux colonnes du camp
de Saint-lmbert engagèrent, Tune à Spiesen, une longue
canonnade, Tautre, à Bidstock, un vif combat de cavale-
rie contre les troupes de Kalkreuth. Aussi Hohenlohe
ne put-il troubler ni couper la retraite de Moreaux'.
Guillaume; 2* de l'Obserratoire ; 3* du Louvre; 9* chasseurs à che-
val ; 14* dragons; l*' iuf. : l*' Meuse; 24* inf. ; 6* Haute-Saône;
4* Manche; 2* Moselle; 4* Seine > Inférieure ; détachement du
1*' Yonne attaché à Tartilierie; 96* inf.; 3* Manche; 9* Meurtbè;
4* caval.; 102* inf.; chasseurs des Bons-Tireurs (A. G.).
* Cf. les lettres des généraux à la date (A. G.) et Schauenburg à la
Convention ^ 5.
CHAPITRE XI
HORNBACH
I. Ferraris au quartier-général prussien. — Plan de Tétat-major. -^
Hornbacbf clef de la position française. — Prise de Blieskastel, de
Saint-Imbert et de Hornbacb. — E^roi et désorganisation de l'armée
de la Moselle. — Retraite sur la rive gauche de la Sarre. — II. Traité
de Pétersbourg. — Diète de Grodno. — Le roi de Prusse quitte l'armée,
— Ascendant de Manstein. — Inaction de firunswick. — Sécurité de
l'armée de la Moselle.
I. La coalition ne recueillit aucun fruit de la victoire
de Pirmasens. Le jour même où le duc livrait ce glorieux
combat, le troisième envoyé du cabinet de Vienne, le
comte feldzeugmestre Ferraris, vice-président du Conseil
aulique de la guerre, se présentait à Edenkoben au roi
de Prusse. Il apportait le plan d'opérations. Envabir la
Basse-Âlsace, bloquer Landau, forcer les lignes de Wis-
sembourg, s'emparer du camp de Hornbach et tourner
ainsi Tennemi sur son flanc gaucbe, tel était ce plan qui,
suivant Ferraris, convenait à la situation et assurait aux
armées de bons quartiers d'biver. Ferraris flatta ses al-
liés; il « lava la tête » au fils de Wuimser; il exigea du
vieux général la plus grande déférence pour Frédéric-
172 WISSBMBOURa
Guillaume, et Wurroser jura de s'amender, d*avoir l'hu-
meur plus conciliante, de ne jamais faire le moindre
mouvement sans l'agrément de Sa Majesté prussienne.
Déjà Ferraris mandait à Vienne qu'il y aurait désormais
intelligence et harmonie, que Brunswick tournerait les
lignes et descendrait dans la plaine derrière Wissem-
bourg, que le roi bombarderait Landau et même Stras-
bourg ; sans doute, disait-il, la Prusse ne veut pas aller
trop vite en Alsace^ mais un « souverain ne peut terminer
la campagne sans avoir sauvé sa gloire par quelques pro-
grès ».
Tout s'animait ; tout respirait la guerre. Un diplomate
anglais , lord Yarmoulh , arrivait au camp pour exciter
encore cette ardeur martiale; il signait un traité de sub-
sides avec le margrave de Bade, le landgrave de Hesse-
Gassel^ le landgrave de Hesse-Darmstadt. Le roi de
Prusse, si longtemps inactif, paraissait avoir un réveil
d'honneur et le vif désir de rentrer en scène, de se si-
gnaler par de beaux exploits et des prouesses héroïques.
Il quittait Edenkoben et rejoignait le duc de Brunswick.
Il écrivait à Ferraris qu'il voulait de tout cœur servir la
bonne cause et qu'il allait faire une expédition, exécuter
le dessein de la cour impériale, se jeter entre les deux
armées du Rhin et de la Moselle, s'emparer du camp de
Hornbach *.
Depuis plusieurs jours , on ne s'entretenait que de
Hornbach au quartier-général prussien. Ce n'est pas sur
la Lauter, disaient les officiers de l'état- major, ce n'est
pas sur le front de l'armée du Rhin, ce n'est pas à Bun-
denthal et à Nothweiler, qu'il faut chercher la clef des
' Zeissberg, I, 298; cf. Erdmannsdôrffer, Polit. Correspondenz Karl
Friedrichs von Bad$n, 1892, II, p. 62 (traité du 21 sept., qui met
754 Badois au service d'Angleterre) ; H&usser, I, 504.
HORNBACH 473
lignes de Wissembourg. La proposition, ajoutaient-ils,
semble paradoxale , mais elle est juste. Môme si Ton
tient Pirmasens et la hauteur du Ketterich, on ne peut
entamer de solides opérations dans la montagne entre
Bitche et Wissembourg qu'après s être saisi de Hornbaoh.
Voyez Pejacsevicb , disaient encore ces officiers, il avait
pris Bundenthai, mais 11 aurait dû prendre Lembach,
prendre le Pigeonnier et par suite s*engager dans un
pays de chicane ; il tournait l'adversaire et se faisait
tourner, er war àeim Tourniren tournirt. Non, c'était Horn-
bacb qu*on devait occuper tout d'abord. Que Hornbach
tombe, et les postes de la montagne tombent à leur tour,
et les lignes de Wissembourg tombent Tune après l'autre
comme un château de cartes. Sans doute Hornbach était
inattaquable de front. Mais il suffisait, pour s'en rendre
maître, de tourner l'extrême gauche de Tarmée de la Mo-
selle établie à Saint-Imbert. Sitôt que les Français auraient
lâché Saint-Imbert, ils lâcheraient nécessairement Horn-
bach *.
Les stratégistes de Tétat-major prussien avaient raison.
Leur manœuvre réussit. En trois jours, ils s'emparèrent
de Saint-Imbert, de filieskastel, de Hornbach, et il ne te-
nait qu'a eux, après ce mouvement décisif, de se rabattre
sur l'armée du Rhin et de la prendre à revers dans sa
position de Wissembourg.
Le 26 septembre, Kalkreuth marchait contre le camp
de Blieskastel avec deux mille hommes en quatre co-
lonnes, et les généraux français Prilly^ Ormescheville,
' Kurw Uebertieht des Feldzuges im Jahr 4795 zwisehen dem Rkein
und der Saar^ 1793, p. 30 (ouvrage tout prussien dont Massenbach
est l'auteur et qu'il a reproduit dans Tappendice du premier tome de
ses Mémoires). Legrand dit de mÔme : « Le camp de Blieskastel
étant évacué, celui de Hornbach, qui faisait une pointe en avant et
pouvait être entouré, n'était plus teoable. *
474 WISSEMBOURa
Delaunay *, débordés sur leur gauche à Nieder-Wùrzbacli,
se hâtaient d^opérer leur retraite : les Prussiens avaient
3 morts et 4 1 blessés !
Le lendemain, Hohenlohe tournait le fameux camp de
Hornbach, et Moreau s'empressait de reculer sur Bitche,
sans prévenir Schauenburg : il abandonnait les trois ba-
taillons qui formaient son extrême droite à la Main-du-
Prince, en leur disant qu'ils seraient désormais aux
ordres de Landremout, qu'ils devaient s'appuyer sur la
gauche de l'armée du Rhin, à laquelle ils appartenaient
dorénavant • !
Le surlendemain, Enobelsdorf* s'emparait de Saint-
*■ Nous retrouverons Delaunay daas le volume suivant. — Marie-
Pierre-Hippoljte Monnier de Prilly était né le 12 août 1737. Volon-
taire au 17* dragons en 1757, coruette le 9 avril 1758, lieutenant en
second le 14 avril 1759, lieutenaut le 3 octobre 1761, capitaine le
14 du même mois, capitaine-commandant de la compagnie du mestre
de camp le 28 avril 1765, passé à une autre compagnie le 11 aodt
1768, major le 3 mars 1774, capitaine-commandant a la formation de
1776, lieutenant-colonel le 24 juin 1780, et titulaire de ce grade le
15 avril 1784, colonel le 25 juillet 1791, général de brigade, il com-
mandait en chef, à Parmée de la Moselle, les deux régiments des
carabiniers et le camp de Blieskastel. — Joseph de Bexon, baron
d'Ormescheville, ancien lieutenant-colonel du régiment des chasseurs
à cheval des Pyrénées^ né à Volmunster, président de la municipalité
de Sarralbe au début de la Révolution, avait quitté ses fonctions ad-
ministratives en octobre 1790 pour reprendre du service [Revue d'Al-
sace, 1892, I, p. 79], et il était général de brigade depuis le 7 sep-
tembre 1793.
* Schauenburg à la Convention^ p. 6; Moreaux a Landremont,
30 septembre; Clarke a Boucholte, 2 oct. (A. G.). Clarke jugeait sé-
vèrement la conduite de Moreaux : « Il s'est replié, laissant un vide
de huit lieues entre les deux armées, abandonnant Bitche qui se
trouve exposé à être cerné, et donnant à Tennemi la facilité de
rompre la communication entre les deux armées ; il s^est, d'ailleurs,
borné à prévenir le général en chef de sa retraite, sans en faire con-
naître le motif, et il a remis trois bataillons à la disposition de
Ferey \ »
s 11 venait des Pays-Bas [Trahison de Dumouriez, 123 ; cf. Wa-
gner, 62).
HORNBAGH 475
Imbert et s'unissant à Kalkreuth, refoulait sur Sarrebrùck
l'avant-garde française.
Encore un seul coup, et Tarmée de la Moselle était re-
jetée en Lorraine. « La désorganisation, écrit un contem-
porain^ était à Tordre du jour, et nul doute que, si les
Prussiens Tavaient voulu, ils auraient forcé toutes nos
positions sur la Sarre. » La consternation régnait parmi
les troupes. On n*entendait de tous côtés que les mots
nous sommes coupés. Les jacobins, la tête basse et le visage
allongé, faisaient leurs paquets et se disposaient à gagner
la France. Les équipages, les ambulances, le trésor pas-
saient la Sarre. On vidait les magasins ^
Les destitutions qui pleuvaient sur l'armée augmen-
taient encore le désordre. Boucbotte ordonnait à Guil-
laume de venir à Paris et de rendre compte de sa
' Note de Legrand (A. G.) ; Horstmann, Die Franzosen im Saar-
ffaUf 103-104, 138. L'armée de la Moselle était ainsi composée au
21 septembre. Avant-garde : \" dragons, 3* hussards, i*^ chasseurs à
cheval; 2* comp. art. légère ; 13* inf. légère; chasseurs de Reims;
comp. franche de Metz ; 4* comp. du Louvre ; 2* comp. des Saas-
cuiottes ; 91* et 44« inf.; 4« Meurtbe ; 2* Haute-Marne; détache-
ments du 89». — Corps détachés de Vavant-garde : légion de la Mo-
selle ; comp. franches de MiUon, de Saint-Maurice, de Billard ;
!'• comp. du Louvre; 188 hussards du 7* régiment. — Corps de ba-
taille : les deux régiments de carabiniers; 5* inf.; 1" Saôae-et -Loire;
l*' de la République; 58« inf.; 1«' RhÔne-et-Loire ; 6* Vosges;
7* Meurtbe; 2« Seine-et-Marne ; 103* rég.; 55» rég. ; 1«r Lot ; 4» Mo-
selle ; 17* rég. ; 10* et 11* caval. ; deux comp. de pionniers. — Corps
des Vosges (avant-garde) : 9* chasseurs a cheval ; 14* dragons; comp.
franche de Guillaume ; 3* comp. franche du Louvre ; 1'* comp. franche
de l'Observatoire; [corps de bataille] i 30* rég.; 4* Haute-Saône;
3* de la République ; 1*' régiment ; 1'* Meuse ; 1'* Indre ; 24* rég. ;
2* Moselle ; 4* Manche ; 4* demi-brigade d'inf. ; 1'* comp. de pion-
niers ; 4* caval. ; 3* Manche ; 102* rég.; comp. des chasseurs Bons-
Tireurs ; 2* comp. des chasseurs du 96* rég. En tout : avant- garde:
6,276 hommes ; corps détachés, 2,011 ; corps de bataille, 12,598 ; corps
des Vosges, 14,255. 22 bouches a fèu à l'avant-garde ; 77 au corps de
bataille ; 41 au corps des Vosges.
476 WISSBMBOURa
conduite. Il suspendait Delaage, Linch, Desperrières,
Prilly, La Grange et quatre adjudants-généraux. De nou-
veaux chefs étaient nommés ; Delaunay et Vincent deve-
naient généraux de division, et les commandants de
bataillon Olivier, Lombard, Pierre Huet, généraux de
brigade; Delaunay remplaçait Delaage à Tavant-garde ;
Olivier succédait à Prilly. Mais tous étaient inexpéri-
mentés, découragés, rebutés. En vain Schauenburg leur
prescrivait de prendre l'offensive, d'assaillir Saint-Imbert
et Blieskastel, de rentrer au camp de Hornbach. En vain
les représentants du peuple, accourus de Metz à Sarre-
brûck, décidaient que 1 armée de la Moselle attaquerait
i*ennemi dans la matinée du 29 septembre, pour recon-
quérir les positions perdues. Moreaux,tout décontenancé
depuis son échec de Pirmasens et convaincu que le corps
des Vosges ne pouvait rien contre Brunswick, refusa de
quitter Bitche, de marcher sur Hornbach, et, pour se
mettre à couvert, il convoqua ses généraux : tous opi-
nèrent que les soldats ne cessaient de bivouaquer, qu'ils
n'avaient pas mangé la soupe depuis plusieurs jours,
qu'ils étaient excédés de fatigue, que les chevaux man-
quaient d'avoine et de foin ; attaquer Hornbach, c'était
exposer le corps des Vosges à un désastre. Les généraux
Olivier, Lombard, Lequoy, chargés de reprendre Blies -
kastel, signèrent une semblable déclaration ; ils se
trouvaient, disaient-ils, dans la même posture que Mo-
reauXf et s'ils tentaient quelque entreprise sans être
appuyés sur leur droite, ils seraient coupés, obligés de
livrer Sarreguemines ; les chemins, ajoutaient-ils, étaient
défoncés ou tellement étroits que les pièces ne pour-
raient faire demi-tour en cas de retraite : l'adversaire
avait établi des batteries masquées ; bref, ils renonçaient
unanimement à toute attaque.
HORNBACH 177
Schauenburg se résigna. Il tint chez les représentants
un conseil de guerre. Devait-on réunir les troupes cam-
pées à Sarrebrûck au corps des Vosges qui s*était replié
sous les murs de Bitche? Ou bien ce corps se joindrait-
il au reste de Tarmée ? On convint d'abandonner Bilcbe
à ses propres forces et de masser tous les bataillons sur
la rive gauche de la Sarre, de Sarreguemines à Sierck.
Un détachement envoyé à Rohrbach, entre Bitche et
Sarreguemines, défendrait la trouée de Phalsbourg. Après
tour, disaient les représeutants, Tarmée de la Moselle
couvrirait, comme auparavant, dans des positions avan-
cées, les frontières de la Lorraine, et sa situation n'était
changée que sur la droite.
Si Schauenburg et les conventionnels avaient su ce
qui se passait au quartier-général prussien, ils auraient
été rassurés. Le 29 septenibrc, pendant que les Français
éperdus se préparaient à traverser la Sarre, Frédéric-
Guillaume regagnait ses états, et Manstein écrivait à
Ferraris que les républicains se retiraient partout avec
tant de rapidité qu*on ne pouvait les battre, que, par
suite, le mouvement tournant des Prussiens n'aurait,
sans doute^ aucun efTetl Ferraris comprit cette politique
qui ne cessait d'élever des difficultés factices : « Nos
alliés, s'écriait-il, se tiendront à des démonstrations, la
machine n'ira pas, et le temps précieux qui reste de
cette année sera aussi complètement gaspillé que son
commencement M »
1 Bouchotte à Guillaume, 26 sept. : Schauenburg à Boucholte, 25
et 29 sept., à Mor^aux, 27 sept. ; lettres et délibérations des géné-
raux, 28 sept. ; les représeatanls au Comité, 30 sept. [A.. G. et Afon,
du 5 octobre]; Schauenburg à la Convention^ 6-7 ; Léon Moreaux, Mené
Moreaux, 60-61, 285; Gesch. der Kriege in Buropa, 1, 225-228; Zeiss-
berg, I, 302-303.
WISSSMBOURG. 12
478 WISSBMBOURa
II. Le traité de Pétersbourg, conclu le 23 janvier, don-
nait à Frédéric-Guillaume Thorn, Danzig, Posen, avec
quinze cent millions d*âmes et à la tsarine la Yolhynle,
la Podolie, Kiev et Yilna avec trois millions d'habitants.
Mais après avoir ratifié, sous la pression des baïon-
nettes, les démembrements qu'exigeait la Russie, la
Diète polonaise de Grodno ne consentit à signer avec la
Prusse qu*une convention de commerce* A celte nou-
velle, les faiseurs de Frédéric-Guillaume, ses ministres,
ses confidents, frémirent d'indignation. Quoi, les Polo-
nais s'insurgeaient contre le cabinet de Berlin 1 Allait-
on leur faire la guerre en même temps qu'aux Fran-
çais? Faudrait-il combattre à la fois sur la Vistule et
sur le Rhin ? « A celte pensée, disait Schulenbourg, mes
cheveux se hérissent », et il conseillait d'abandonner la
frontière d*Alsace et de se tirer d'un « jeu funeste ».
Les craintes des faiseurs étaient d'autant plus vives
que la Russie et l'Autriche excitaient la résistance de la
Diète. L'envoyé de Catherine II, Sievers, déclarait que
les Polonais avaient droit à la protection de l'impéra-
trice et ne pouvaient être livrés à la merci du roi de
Prusse. L'Autriche n'accédait pas encore à la convention
de Pétersbourg, et, sous main, elle encourageait les
députés de Grodno. Lorsque les confédérés décrétaient la
mort contre quiconque émettrait le vœu d'un démem-
brement au profit de la Prusse, l'agent impérial Caché
gardait le silence. « Ce qui nous arrive à Grodno, écri-
vait-on de Berlin, ne saurait être l'efiet du hasard ; le
coup part de plus loin et la cour de Vienne s'en est
mêlée. »
Le ministère prussien jugea que Frédéric-Guillaume
devait quitter son armée et intervenir personnellement
dans le débat : le roi montrerait par cet acte éclatant et
HORNBACH 479
cette «c mâle démarche » que la Pologne était Tobjet es-
sentiel de ses préoccupations ; il sauverait la « considé-
ration politique » de la Prusse ; il imposerait à ses ad-
versaires secrets et les ferait réfléchir.
Frédéric-Guillaume hésitait. Ses instincts de guerrier
et de monarque se révoltaient contre ce brusque départ.
Il haïssait la Révolution et désirait l'écraser. S'éloigner
du Rhin, n'était-ce pas compromettre sa réputation mi-
litaire ? Ne Taccuserait-on pas de déserter la cause des
souverains? Manstein et Lucchesini l'emportèrent. Dès
le 49 septembre, Frédéric-Guillaume annonçait sa réso-
lution à Brunswick; il devait, mandait-il au duc, assu-
rer ses propres frontières et il courait en Pologne. Dix
jours plus lard il partait. « Quand votre maison brûle,
disait-il à l'Autrichien Wartensleben, il faut l'éteindre
avant toute autre, d II ajoutait qu'il ne pouvait plus
longtemps sacrifier le principal à l'accessoire. Pourquoi
l'Autriche ne signait-elle pas la convention de Péters-
bourg? Pourquoi prescrivait-elle à son envoyé de
Grodno un rôle passif et silencieux? Pourquoi ne pres-
sait-elle point la conclusion des affaires de Pologne par
l'expression puissante de sa volonté ' ?
Les « affaires de Pologne » ont ainsi préservé d'une
catastrophe certaine les armées françaises. C'est à cause
des « affaires de Pologne » que les Prussiens ne don-
nèrent aux Autrichiens qu'une mince et dérisoire assis-
tance. L'alliance de3 deux monarchies était rompue ou
peu s'en fallait. « Tout travaille contre elle, écrivait
Lehrbach, et l'on met tout en œuvre pour nuire à la
cour impériale. L'armée prussienne est lasse, elle sou-
* Zeissberg, I, 293-294, 304, etc. ; Hausser, I, 514 ; Hermann, /)•-
plom, Corresp, 429; Sybel, II, 380 ; Sorel, VJSurope et la lUvol., III,
495. Ci. les réflexions curieuses du Mon. du 23 octobre.
480 WISSBMBOURa
pire après la paix, el Ton entend dire partout : le roi a
son dédommagement en Pologne et TAutriche a recou*
vré ses Pays-Bas; que la France soit République s*il lui
plaît M »
Brunswick comprenait ce qu'une telle façon de faire
la guerre avait de louche et d*embarrassant.Il se plaignit
au roi et lui remontra les dangers de sa situation ; il
avait le sentiment de sa dignité et ne voulait pas se
déshonorer, ni porter tout l'odieux d'un désastre'. Son
devoir était de donner sa démission; mais faible et in-
capable de prendre un parti vigoureux, il garda le com-
mandement et ne fut que l'instrument de Manstein.
Manstein, dit un contemporain, avait emmené le roi
loin de ses troupes et renfermait comme dans une cage
de fer. Ce fut Manstein qui dirigea les opérations prus-
siennes sur les confins de la Lorraine et de TAlsace.
Brunswick demandait les instructions, non du roi, mais
de Manstein, et Manstein lui répondait de Rawa, de
Gzenslochau et autres lieux sarmales. Vainement le duc
prolestait qu'on devrait faire davantage en faveur des
Autrichiens et au moins entreprendre de courtes expé-
ditions à leur profit. Vainement il insinuait qu'il pour*
rait agir encore et tenter quelque chose, qu'il saurait
passer la Sarre et vaincre l'adversaire •.
La Diète de Grodno capitulait. La Prusse recevait sa
part de la Pologne. Pourquoi se chamailler encore sur
la Sarre et le Rhin? Après tout, l'honneur était sauf;
on avait pris Saint-Imbert, Blieskastel, Hornbach ; on
> Zeissberg, I, 279.
* Cf. sa lettre du 6 janvier 1794 au roi (Massenbach, I, 447).
» Massenbach, I, 202 ; Valentini, 46; Wagner, 151, 153, 154 (. cin
Mehreres leisten. . . . , kurze Expedilionen .... noch elwas unlernch-
men.. agiren >).
HORNBACH 181
avait chassé les Français du sol de TEmpire et délivré la.
région rhénane do ses « cruels oppresseurs » qui par-
tout « signalaient leur férocité incendiaire * ». L'Autriche,
disaient Lucchesini et Manstein, a veut nous user et faire
des conquêtes en France; mais nous allons sortir de
cette guerre, la plus coûteuse que nous ayons jamais
eue, exploiter nos acquisitions, pourvoir à la défense des
nouvelles frontières, combler les vides du trésor, conso-
lider de plus en plus nos bons rapports avec la Russie^
et, sans nous soumettre aux caprices de la politique an-
glaise, surveiller en silence Tambition de TAutriche,
notre rivale naturelle. » Sur les injonctions de Manstein,
Brunswick dut rester inactif, immobile : « Si je perds
un cheval de bât, avouait-il à Wartensleben, Manstein
criera comme un aigle * 1 »
L'armée de la Moselle, qui pouvait être écrasée, se for-»
tifia donc tout tranquillement et à son aise sur la rive
gauche de la Sarre. On mit une avant-garde à l'autre
bord, en face de Sarrebrûck, au faubourg Saint-Jean:
entouré d'un vieux mur, défendu par quelques batte-
ries et par des redans en terre, le faubourg Saint-Jean
était une excellente tète de pont ; il assurait le passage
de la rivière et donnait les moyens de reprendre l'offen-
sive. Un gros détachement fut placé au gué de Qudin-
gen, un des meilleurs de la Sarre, et où la pente des
collines qui bordent Teau est plus douce qu'ailleurs. Le
centre de l'armée s'établit à Sarrebriîck et la droite à
> Btieftoechiel des Hertogs Karl Attgust mit Oœthe, I, 188; cf.
Zeissberg, I, 223.
« Hausser, I, 516 ; Zeissberg, I, 358 (Wartensleben à Waliis : t der
Herzog selbst sagte mir, wenn ich nur ein Packpferd vor dem Feind
Terliere, so wird der Oberst Manstein wie ein Adler Bchreien. >}; cf.
àîon. des 25 et 28 octobre.
182 'WISSBHBOURa
Sarreguemines, un corps assez considérable occupa
Grossblittersdorf ; les troupes légères étaient à Sarrelouis
et àBouquenom*.
Ces mouvements se firent comme en pleine paix, et
jusqu'à la fin du mois d'octobre, Tannée de la Moselle
Técut dans la sécurité la plus profonde. On aurait dit
que Tennemi n'existait pas.
« Tout dort, et Tarmée, et les vents, et Neptune,
écrivait-on à Paris, des gardes avancées se fusillent de
temps à autre, et voilà tout *. »
1 Note de Legrand [Â. G.].
* Journal de la Montagne, n« 137 (Lettre du 10 octobre).
CHAPITRE XII
WISSEMBOURG
I. Combats du 18, du 19 et du 2C septembre. — Acharnement des deuK
partis. — • Craintes de Landremont. — II. Recrudescence de colère contre
les otâciers nobles. — Suspension de Landremont. — Delmas et Piche»
gru. — Message alarmant de Clarke. — L'intérim de Munnier. — Car*
lenc, général en chef de l'armée du Rhin. — III. Le plan de Carlenc.
— Ses lieutenants. — Suspensions sur suspensions. — Les lignes de la
Lauter. — IV. Entrevue . de Pirmasens. — Ferraris et Brunswick. —
Bataille du 13 octobre. — Waldeck à Seltz. — Jellachich à Lauterbourg.
— Hotse dans le Bienwald, à Saint-Remy et à Schleithal. — Meszaros à
Steinfeld. — Prise de la grande redoute. — ^ Meynier et Combez. —
Victoire de Wurmser. — Eatrée des Autrichiens à Wissembourg. — >
V. La division des montagnes. — Retraite de Ferey. — Brunswick
maître, des gorges.
I. Landremont n*était pas resté dans Tinaction depuis
qu'il avait si heureusement ressaisi le poste de Bunden-
thal. Le 18» le 49, le 20 septembre il dirigeait contre les
Impériaux de Holze et de Jellachich campés dans la
forêt de Bienwald, des attaques sérieuses *. L'acharne-
ment était égal des deux parts. Les Autrichiens épui-
* Gebler, 131-132 t die wûlhenden Angriffe... die Reiben bedeu-
tend gelichtet. . . die Krâfte erscbdpft. . . > Les Impériaux eurent, dans
ces trois jours, 17 officiers et 727 soldats hors de combat.
4 84 WISSKMBOURG
sèrent toutes leurs muDitions et durent emprunter aux
Prussiens de la poudre et des balles. Leurs pièces
s'échauflFaient tellement à force de tirer qu'il fallut, pour
s'en servir encore, les rafraîchir à de fréquents inter-
valles. Mais les Français n'étaient pas moins obstinés.
Le 48, dans les bois de Schaidt, leurs blessés crièrent
Vite la République et firent le coup de fusil jusqu'à la
nuit close. Un caporal du \^ bataillon de la Corrèze ne
cessa de se battre, bien qu'il eût un doigt de la main
gauche emporté. Des Corréziens pissaient sur le canon
de leur arme pour le refroidir et le charger sans enflam-
mer la poudre. D'autres pissaient dans le canon môme,
pour le laver et le frotter ensuite avec un lambeau de
leur chemise. Le bataillon finit par manquer de car*
touches. Il fonça, la baïonnette en avant ; les ennemis
s'enfuirent en laissant sur la place les marmites avec
leur soupe, les pots remplis de pommes de terre, les
écuelles pleines de café au lait et sur un autel, dans une
baraque de branchages, un pâté tout frais '.
La lutte s'opiniâtra surtout à la droite de l'armée fran-
çaise. Le 49 septembre, les républicains, conduits par
Legrand et Dubois, se portèrent dans le Bienwald ; mais
l'adversaire, dit Dubois, était fortement retranché dans
un ravin, et à peine lui voyait-on le nez ; les patriotes
durent céder. Le 20, ils revinrent à la charge. On fut
aux prises de quatre heures du matin jusqu'à deux
heures de l'après-midi avec une rage indescriptible. Le
soldat, écrit un général, écumait de colère. Cette fois
encore, il fallut plier sous le nombre : notre droite avait
plus de trois cents hommes hors de combat, et l'on
^ Lt Batavét, n»' 220 et 227 ; Rapport de Borie^ RuampSy etc., 14;
cf. d'Ecquevilly, I, 167-170.
WISSEMBOURG^ 185
comptait parmi les blessés une foule d'officiers et la
plupart des colonels, entre autres le commandant du
4* bataillon des volontaires du Bas-Rhin, Ortlieb, qui ve-
nait de recevoir son brevet de général. Dubois avouait
que, si de semblables « revers • se produisaient souvent,
les troupes ne pourraient plus tenir les lignes '.
Gomme toujours, Landremont n'assaillait les Impé-
riaux que partiellement, et n'osait entreprendre une
attaque générale. « Personne ne commandait, a dit un
contemporain, personne n'obéissait ; on dénonçait, on
destituait, le désordre était extrême ; le courage indivi-
duel ne faisait pas faute au moment de Faction ; mais
chacun allait à sa guise et l'ensemble manquait ; deman-
der pourquoi on ne fit pas telle ou telle chose, c'est
demander pourquoi le chaos est la confusion '. »
Il est vrai que Landremont ne disposait que de 31,000
hommes; 7,000 formaient l'a vant-garde ; 41,000 proté-
geaient Lauterbourg et la droite de la position ; 7,000
occupaient les gorges de Nothweiler ; 4,000 composaient
sa cavalerie. Bouchotle prétendait lui démontrer par les
états de situation que l'armée du Rhin comprenait plus
de 450,000 hommes. Le général soutenait que sa force
réelle, effective, combattante, ne montait qu'à 34,000
hommes, et encore ne se défendait-ll qu'en jetant sur
Tendroit menacé les troupes qu'il avait sous la main et
en ce mettant tous ses œufs dans un même panier d.
Mais il doutait du succès et assurait qu'il ne pourrait
garder plus longtemps les lignes de Wissembourg, s'il
ne recevait des renforts. Que les ennemis, disait-il,
attaquent tous les points à la fois, et ils feront leur
1 Dubois a Landremont et auxreprésenlanls, 19 et 20 sept. (A. G.);
cf. Gebler, 131-132 et Remling, I, 377-378.
* Noie de Legrand [À. Q.}.
<86 M^ISSEMBOURa
trouée d*un côté ou de l'autre. Il n'avait plus d'obus,
plus de munitions. Son armée vivait au jour le jour, et
sans l'infatigable Yillemanzy, elle eût déjà manqué de
pain. Enfin, il se plaignait des représentants qui contrô-
laient ses moindres actes et le gênaient cruellement
dans ses opérations. « Tous les pouvoirs, marquait-il à
Schauenburg dans une lettre confidentielle, se contra-
rient et semblent vouloir tout désorganiser *. »
Qu'on juge de son désespoir lorsqu'il apprit que les
Prussiens avaient rejeté Tarmée delà Moselle sur l'autre
rive de la Sarre ! Depuis quelques jours il redoutait ce
fatal événement, et, avec une anxiété croissante, il
recommandait à Scbauenburg de ressaisir le Eettericb,
d'où l'adversaire pouvait gagner Niederbronn ; il le
priait instamment de défendre la Main-du-Prince et de
mettre René Moreaux sur ses gardes. Aussi, lorsqu'il sut
la nouvelle, « les Prussiens, s'écriait-il, vont me tourner
par ma gauche, pendant que les Autrichiens attaqueront
mes ligoes ! Je n'ai pas assez de monde pour me ûatter
de conserver ma position! Ah ! si j'avais 45,000 hommes
de plus, les ennemis ne passeraient pas ! » Néanmoins il
fit sagement, secrètement, ses préparatifs de retraite.
Il craignait surtout pour Strasbourg; là place, disait-il,
était absolument dépourvue de vivres ; elle n'avait pas le
cinquième de ses munitions de siège, elle ne tiendrait
même pas trois jours. Il ordonna de pourvoir à sa dé-
fense, mais silencieusement et sans fracas; «n'ébruitez
* Landremont à Schauenburg, au Comité, à Boucbotte, 23 et 25 sep-
tembre ; Duvigoau aux représentants, 15 sept. (27,000 d'infanterie et
3,000 de cavalerie) ; Laadremont avait d'autant plus raison que les
représentants priaient en même temps le Comité de rendre a Tarmée
du Rhin et de renvoyer eu poste les 15,000 hommes qu'on lui avait
pris au mois d'août et qui se trouvaient alors aux environs de Châ-*
ions [Rappoi-t de Borie, Ruamps, etc., 15, 302-306).
WISSBMBOURa 487
rien, écrivait-il à Dièche^ paraissez occupé du passage
du Rhin et faisons tout pour sauver Strasbourg ^ *^
II. Mais à Tinstant où le vaillant soldat se préparait
à défendre avec plus d*ardeur que jamais la frontière de
TAlsace, le Comité de salut public le dépouillait de son
commandement. Il jugeait que le général exagérait la dé*
tresse de Tarmée et le dénuement de Strasbourg : la plus
forte place de l'Alsace ne tiendrait-elle que trois jours et
pouvait-on compter sur l'homme qui faisait une pareille
déclaration? D'ailleurs, Landremont était noble, et la fuite
d'Arlande, son lieutenant, avait accru la haine contre les
ci-devant. Les représentants Lequinio et Lejeune ordon-
naient Tarrestation de tous les nobles du département de
l'Aisne, et Milhaud écrivait des bords du Rhin qu'on ne
*■ Landremont à Diècbe, 28 sept. (A. G.). Dièche (Antoine- Claude],
né le 18 juin 1753, au bourg de Rhodes, dans les Basses- Pyrénées,
avait été successivement gendarme de la garde ordinaire du roi
[\*' juin 17G8), sous- lieutenant au régiment de Piémont infanterie
(5 mai 1772], lieutenant en second dans la compagnie de chasseurs
{7 août 1778), piemier lieutenant [16 oct. 1782], capitaine en second
[1*' juillet 1785), capitaine de grenadiers (17 mai 1786), lieutenant-
colonel au 27* régiment [29 oct. 1792). Il avait fait la campagne
d'Amérique (1782-1783), et reçu la croix de Saint-Louis, le 3 avril
1791. Général de brigade, le 14 août 1793, et de division, le 23 août
suivant, il commandait la citadelle de Sirasbourg à la grande joie des
Jacobins. N*était-ce pas lui qui dénonçait Custine dès l'expédition de
Spire? (Expédition de Custine, 59, note 1.) N'écrivait-il pas à Bou^
chotte, le 29 août, qu'il c était républicain dans son ftme avant qu'on
songeât en France à une République > ? Berger et Renkin faisaient
son éloge et craignaient qu'il ne fût éloigné ; c^était, disaient-ils, un
citoyen bien nécessaire à Strasbourg et le seul homme propre à faire
rentrer dans Tordre les malveillants et les anti-révolutionnaires, dont
la ville fourmillait. Bouchotle répondit que Dièche ne quitterait
pas Strasbourg tant que les bons citoyens et Dièche lui-même « y
verraient le moindre inconvénient > (lettres des 3, 4 et 7 sept.).
Dièche passa le 3 thermidor an Vil a l'armée des Alpes, fut mis en
réforme le 9 nivôse an VIII, obtint une solde de retraite en 1811, et
mourut à Paris cette même année, le 18 février.
4S8 WISSBMBOURa
devait mettre à la tète des Français que des hommes du
peuple : « il faut détruire CarthagCy il faut détruire )a no-
blesse. ■ Les commissaires des assemblées primaires
demandaient qu'aucun noble ne fût admis aux emplois
civils et militaires avant la fin de la guerre. La citoyenne
Lacombe, guidant une députation de la Société des Répu-
blicaines, sommait la Convention de décréter la destitu-
tion de tous les aristocrates. Les Jacobins de Paris
exigeaient davantage : « avant tout, disaient-ils à TAssem-
blée, bannissez cette classe chargée de crimes qui occupe
encore insolemment les premiers postes de nos armées ;
les nobles furent toujours les ennemis irréconciliables de
Tégalité et de Thumanité entière ; qu'on leur ôte tout
moyen de grossir les hordes de nos adversaires ; qu'ils
soient mis en prison jusqu*à la paix. • Et la Convention,
intimidée, décidait que les sociétés populaires dresse-
raient la liste des suspects qui servaient dans les ar-
mées '.
Le 2& septembre, Bouchotte annonçait qu'il destituait
Houchard, Schauenburg et Landremont : Houchard était
remplacé par Jourdan; Jourdan qui commandait Tarmée
des Ardenues, par Jacques Ferrand ; Schauenburg, par
René Moreaux ; Landremont, par Delmas. Les quatre ar-
mées qui protégeaient la frontière du nord-est chan-
geaient donc de général I La Convention s'émut. Du Roy
prit la défense de Landremont avec une généreuse cha-
leur : Landremont, disait-il, possédait la confiance de ses
soldats, il rendait de grands services à la République, il
se montrait excellent patriote. Quant à Delmas, ajoutait
> Le Comité aux représentants, 25 sept. [Rapport de Borie,
Ruamps, etc., 259, 260) ; Journal de la Montagne, n© 68 ; séances de
la Convention, 20, 26, 27 août et 4 sept. ; décret du 13 sept., Mon.
du 15.
WlSSKMBOURa 489
DU Roy, il avait déployé sa bravoure à la lête du i®"^ ba-
lailloQ des volontaires de la Gorrèze, mais il était jeuae
encore et incapable d'arrêter un plan, de diriger de vastes
mouvements. « Craignez, conclut Du Roy, de nuire aux
intérêts delà France par des destitutions trop précipitées ;
il ne suffit pas d'avoir fait la Révolulionà Paris pour être
général babile ; ne confiez vos armées qu'à des hommes
instruits et laissez-leur des ofliciers qui, pour avoir le
malheur d'être nés nobles, n'en sont pas moins sans-
culottes. » Ce discours excita des murmures. Duhem ré-
pondit qu'il fallait, pour éviter toute trahison, ne plus
employer la noblesse ; Rafiron, que les patriotes com-
mettraient peut-être quelques fautes, mais qu'ils sau-
raient promptement s'instruire et ne trahiraient jamais ;
Jeanbon-Saint-André , que le courage et l'impétuosité
des soldats suppléeraient aux talents des généraux. La
Convention décréta que le Comité de salut public lui fe-
rait un rapport sur la lettre de Bouchotte.
Le lendemain, Barère prit la parole, au nom du Comité.
Tous les nobles, disait il, étaient des traitres commencés,
et la voix du peuple s'élevait contre eux. Quoi ! on les
combattait et ils menaient la guerre! Ne fallait-il
pas mettre à leur place des sans-culottes d'état et de
principes ? Le Comité avait donc, de concert avec Bou-
chotte et les représentants, destitué les nobles et les gens
suspects. Robespierre appuya Barère, et le même jour,
à la séance des jacobins, il déclara queLandremont, noble
et très noble, comblé des faveurs du tyran, n'avait rien
fait de son armée, et que si le « jeune Delmas le rempla-
çait, c'est qu'aucun vieillard n'avait donné autant de
preuves de talent et de patriotisme * ».
> Séance du 25 S6pt. [Mon, du 27.) La nomination de Delmas fut
assez défavorablement accueillie. « Les vrais républicains la désap-
490 WISSKMBOURa
Mais Delmas était enfermé dans Landau. Le ministre
nomma Pichegru qui commandait la division du Haut*
Rtiin. Deux fois de suite, Pichegru refusa, soit par mo-
destie, soit plutôt, dit un contemporain, parce qu'il con-
naissait la situation ^
prouvent, écrivait Dupérou a Bouchotte, il est noble et étourdi >
(30 sept. A.G.],ei le l*'août les Jacobins de Strasbourg avaient voué
son nom à rexécration des amis de rbumanité parce qu'il avait refusé
disait-on, Tenlrée de I^andau aui blessés de la garnison de Majeace
[Heitz, Soe, polit, f 273). Mais Delmas s'était signalé depuis le com-
mencement de la guerre. « C'est un chaud Jacobin, écrivait-on au
Journal de la Montagne (n» 96), et brave dans toute la force du
terme. > Boucbotte pensait un instant à le nommer commandant de
Strasbourg, à la place du général Sparre, suspendu. Le 8 mai 1793,
Monlaut, Huamps et Soubrany le déclaraient < aussi intrépide qu'in-
telligent > et assuraient qu'à Bingen, il avait tué de sa main un ca-
valier prussien qui emportait le drapeau des volontaires de la Corrèze
(A. N. DXLii, 4). 11 est vrai que le sous-lieutenant Blanchard prétend
que c le drapeau était tenu par un homme qui avait peine à suivre »
et que Delmas, qui était bien monté, « se chargea de le porter et ne
mauqua pas de dire qu'il Tavait arraché des mains de Pennemi •
{Journal des événements gvi ont eu lieu pendant le hlocvs de Zat^dau
p. 19). Quoi qu'il en soit, Delmas ne put sortir de Landau assiégé.
Le 9 octobre Ruamps le pria de quitter la place et d'emmener avec
lui Treich, qui remplacerait Clarke comme chef d'état-major [Compte
rendu, par Huamps, Borie, etc., p. 310), et Trenlinian reçut môme,
le 12 octobre, Tordre précis de se rendre, le lendemain, dans les
gorges et d'aller aussi avant que possible, pour faciliter la sortie du
jeune général qui devait, sous un déguisement, arriver à Nothweiler
[Rapport de Desaix, A. G.). Mais Delmas fit dire aux représentants
qu'il ne pouvait accepter sa nomination ni mâme 8'écha.pper de Lan-
dau [Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., p. 16). Cf. sur Delmas
(Antoine-Guillaume), général de brigade depuis le 30 juin 1793, et de
division depuis le 19 septembre, les Afém, de Lavallette, 1, 126
[« plein de mérite, mais alors d^une expérience bien faible >) ; Eicke-
meyer, Lenkto., 281-282, et surtout De Seilhac, Les Volontaires de
la Corrèze, 11-13. 11 éUit né, le 22 juin 1768, à Argentat, et tenait à
la noblesse par sa mère et sa famille.
* Note de Legrand [A. G.]. C'est le 2 octobre que « sur la propo-
sition de Boucbotte, le Conseil exécutif nomme provisoirement au
commandement de l'armée du Rhin le citoyen Pichegru en Pabsence
WISSEMBOURG 194
Les représentants avaient sollicité la destitution de
Landremont et dans une conférence secrète à la Petite-
. Pierre, ils décidaient d'envoyer deux d'entre eux, Lacoste
et Mallarmé, au Comité de salut public pour demander
que les nobles fussent expulsés des armées. Landremont,
écrivaient-ils, ne servait pas de bonne foi ; il avait des
forces considérables dont il ne faisait aucun usage ; il dé-
goûtait les agricoles qu'il ne savait pas employer à propos ;
il exécutait maladroitement l'attaque générale du 4 2 sep-
tembre Mais, pendant que Lacoste et Mallarmé prenaient
le cbemin de la capitale^ un courrier extraordinaire ve-
nait annoncer aux représentants que Landremont était
destitué et remplacé par Delmas. Ils le firent aussitôt ar-
rêter et conduire à Paris. Si Tarmée du Rhin se trouvait
dans une position critique, n'était-ce pas l'effet de combi-
naisons perfides avec les ennemis, et ne pouvait -on
soupçonner Landremont d'avoir trempé dans le com-
plot * ?
Ils étaient néanmoins fort embarrassés. « Oii prendre
un général, se disaient>ils, nous n'en connaissons pas. »
Et, dans le môme moment, ils recevaient de Glarke la
lettre la plus désespérée, la plus navrante*. Le péril
n'avait jamais été si grave, et la crise, si violente. Pas de
chef, pas de plan. Il fallait un général, et un général qui
eût du patriotisme, qui eût des vues militaires, qui eût
le plus grand génie ; « envoyez-le, si vous le connaissez,
de Delmas. > (Reg. du Cons. exéc.), et le 3 octobre, le Comilé de
Salut public ratifia la nomiualion.
» Compte rendu par Ruaraps, Boric, etc. 15, 29 , 200, 266 267, 302-
306. Le 15 octobre, Landremont était enfermé à l'Abbaye (i/o».,
du 24). Caroot le fit relâcher le 12 fructidor au II.
* Clarke aux représentants, 30 septembre [Â.. G.); Compte rendu
par Ruamps, Borie, etc., 266-267.
192 WISSEMBOURa
qu'il vole, qu'il ne perde pas un seul instant », et au nom
de la patrie, Glarke suppliait les commissaires d'arriver
sur-le-champ pour remonter le moral d'une armée qui
ne pouvait se passer de leur présence *.
Munnier, le plus ancien divisionnaire^ n'avait pu re-
fuser l'intérim. Mais il ne voulait pas se charger de
la responsabilité qu'entraîne le commandement d'une
armée. A toute minute il réclamait^ un successeur et,
pour ne pas se compromettre, il ne donnait aucun ordre.
Saint-Cyr vint à Wissembourg demander ses instruc-
tions. Que devait faire la division des montagnes que
les Prussiens tourneraient sûrement ? Munnier se pro-
mena longtemps dans la chambre sans ouvrir la bouche.
Saint-Cyr crut qu'il méditait. Mais le général gardait
1 L^armée du Htiin était, au 30 octobre, aiusi composée : Arant-
garde : !• (général Meynier), chasseurs du Uhin, 6" et 12* inf. légère ;
!«' Corrèze, 1" Jura, !•' et 2» grenadiers, 2" Lot-et-Garonne, 48* rég.,
105« rég.; 2* (général Loubat), 7« hussards, 8* et 10* chasseurs, 8*,
11 • et 17* dragons. — Aile droite (Dubois), 1® (général Michaud),
40" rég., 3" Haute-Saône, 5« Ain, 37« rég., 7« Haute-Saône, 3* Cha-
rente-Inférieure, \\* inf. lég., l"f Pyrénées-Orientales, une compa-
gnie franche, 79» rég., 3" Rhône-et- Loire ; 2* (général Legrand),
9* Vosges, 75* rég., 4« Bas-Rhin, 4* Eure, 37« rég., 8" Jura, gendar-
merie nationale, 2* chasseurs à cheval, 4* dragons. — Centre (Mun-
nier et Méquillet); 1<* les deux balaillons du 3* rég., 1'^ Doubs,
1" Ain, 3« Ain ; 2" 3- Doubs, M* Jura, 30» rég., 3« Haut-Rhin;
Z* (général Isambert), 46" rég., 3* Bas-Rhin, 11* Doubs, 46» rég.,
2* Puy-de-Dôme, 2« Eure-et-Loir ; 4** (général Dauriol), les deux bal.
du 93« rég., 2« grenadiers Rhône-et-Loire , 1" Lot-et-Garonne,
5» Seine-et-Oise. — Aile gauche (Ferey), 1» (général Desaix),les deux
bat. du 13* rég., \** Vosges, 4» Jura, !•' Haut-Rhin, 3" Indre-et-
Loire, i" Indre, 27« rég. ; 2° 3« Haut-Rhin, !• Rhône-et-Loire,
4« Saône-et-Loire, !•' Haute-Saône, 7* inf. légère, 10* Vosges, 7* chas-
seurs à cheval, 92 hommes du 2* cavalerie, 70 gendarmes. — Ré"
serve, (Diettmann), 1» (général Lafarelle), 2% 12» et 14* cavalerie,
29* division de gendarmerie ; 2" 9« et 19* cavalerie, l" et/ 3* division
de gendarmerie ; 3*» [général Ravel), 5* rég. d'artillerie, !•' Bas-Rhin,
— 22 guides et 1 bal. d'ouvriers pionniers. Force eifective : 57,369
hommes ; force active : 42,420 hommes.
WISSEMBOURG 493
toujours le silence. Enfin, Saint-Cyr le pria de notifier
sa volonté. « Répétez -moi, répondit Munnier, ce que
vous m'avez dit. » Saint-Cyr le répéta, en ajoutant qu'il
était nécessaire de prendre un parti, quel qu'il fût. Mun-
nier répartit qu'il ne donnerait aucun ordre : « Allez-
vous-en et faites ce que vous voudrez *. » Les représen-
tants, persuadés qu'ils ne pourraient vaincre cette obsti-
nation stupi'le, lui cherchèrent un successeur et ne
trouvèrent personne.
Mais Ruamps s'était lié avec Borel, officier du 11« régi-
ment de dragons et adjoint à l'état-major. Il invita Borel
à lui désigner quelques sujets et Borel indiqua son cama-
rade et ami, le chef d'escadron Garlenc qui commandait
le dépôt du 44® dragons à Benfeld ; s^elon Borel, Garlenc
était du bois dont on fait un général, il avait du civisme
et il entendait la guerre. Le 20 septembre, Ruamps et
Borie nommaient Garlenc général de brigade et l'appe-
laient de Benfeld à Wissembourg. Le 4««' octobre Ruamps,
Borie et Mallarmé lui conféraient le grade de général
de division : il fallait, disaient- ils, donner à l'armée
des généraux qui par leurs connaissances pussent
triompher des ennemis qui la cernaient de toutes parts.
Le 2 octobre, à huit heures du matin, Ruamps, Borie et
Niou lui offraient le commandement en chef de Parmée
du Rhin. Garlenc refusa de toutes ses forces cet avance-
ment qu'il qualifiait de prématuré ; il déclara que le far-
deau l'écraserait. Mais les représentants le sommèrent
*■ Tel est le récit de Saint-Cyr ; mais le maréchal oublie d'ajouter
que Clarke prit sur lui d'envoyer des renforts à la division des mon-
tagnes ; cf. la lettre de.Ciarke, du 2 octobre, < Munnier a l'ait diriger
sur ce point quelques rentorls qui lui arrivaient du Moyen-Rhin et
tous les détachements qu'il a été possible de tirer de l'armée, t
(A. G.)
-WIPSBMBOURG. 13
49i WISSEMBOURa
d'obéir, d'entrer sur-le-champ en fonctions, et le brave
Garlenc laissa mettre sa nomination à Tordre K II était
dragon et n*était que dragon ; il pouvait commander un
escadron, un régiment, voire une avant-garde ; il ne
possédait ni Texpérience ni les talents qu*ex)ge la con-
duite d'une armée ; il ne savait môme pas ce que c'est
qu'une armée. Mais aux yeux des représentants, qui
cherchaient des Washington sous la tente *, c'était un
officier de fortune, méconnu par l'ancien régime, et il
avait une grande réputation de patriotisme. Depuis
trente-trois ans Garlenc servait dans un régiment qui le
considérait comme son conseil et son plus ferme appui.
Il avait adopté les principes de la Révolution, sans
craindre les tracasseries et les vexations de ses cama-
rades de la noblesse. Un instant, pour échapper aux.
dégoûts dont l'abreuvaient les aristocrates, il avait aban-
donné sa place de lieutenant et accepté les fonctions
d'aide-de-camp du général Ferrier. Mais le M° dragons
Tavait bientôt rappelé comme chef d'escadron, et tout le
régiment vantait son dévouement à la chose publique,
sa loyauté parfaite, sa conduite irréprochable et l'austé-
rité de ses vertus républicaines '.
' Le récit de Sainl-Cyr est inexact [M^m.^ 1, 106-111). Suivant lui,
les représentants auraient tenu conseil de guerre pour choisir un gé-
nérai en chef, et Ferino, que plusieurs proposaient, aurait répondu
qu'il était étranger et recommandé Garlenc^ que personne ne connais^
sait et qui s'appuyait près de la chemiuée. Il y eut peut-être un
conseil de guerre, mais Ferino qui, selon Saint-Gyr, assistait à cette
réunion et y joua le rôle principal, avait été, le 1" octobre, arrôté par
les représentants et envoyé à Nancy.
' Cf. une de leurs proclamations, Compte rendu^ p. 255.
' Garlenc (Jean-Paschal-Raymond) , iils de Jean- Baptiste Garlenc et
de Gabrielle Tridoulat, était né, le 19 septembre 1743, à Alby. Il
s'engagea, le 24 février 17P0, au régiment de La Rochefoucauld, de-
venu plus tard Angoulôme, puis 11* régiment de dragons, et 6t les
campagnes d'Allemagne de 1760, de 1761 et de 1762. Successivement
WISSBMDOURG 195
III. Gjrlenc se renfermait volontiers en lui-même et
aucun de ceux qui rapprochaient ne put d'abord péné-
trer ses desseins. Il disait seulement qu'il ne voulait pas
de petits moyens, ni des mesures partielles ou mes-
quines ; il méditait un vaste plan d'opérations, et sûre-
ment il terminerait la campagne par un coup décisif. On
maréchal-des-logis (21 mars 1763), adjudant (24 juin 17*7), lieutenant
en second (17 septembre- 1782), lieutenant en premier (1®' juillet 1787)
lieutenant surnuméraire à la formation de 1788, capitaine (3 juin
1792], chef d'escadron (8 mars 1793), il fut nommé général de brigade
provisoire, le 20 septembre, et général de division, le 1" octobre 1793.
Mais le 23 octobre, Bouchotte ordonnait de l'arrêter et de le conduire
à Paris. Le Comité de Salut public le fit remettre en liberté (2 nivôse
an II). après une lettre du 11« dragons qui défendait Carlenc f il a été
prit .
commandement de Dunkerque et du camp retranché (lettre d'Ernouf
23 nivôse an II) ; mais, écrit-il, t Saint-Just et Le Bas avaient juré
ma perte parce que je m'opposai fortement à l'exécution du plan
sanguinaire qu'ils avaient conçu ; ils m'avaient fait conduire dans une
maison d'arrêt, à Paris, d'où je sortis peu après, et je servais sous
les ordres de Pichegru depuis cinq mois lorsque, par une fatalité peu
commune, ils parurent à l'armée du Nord ; deux jours après leur ar-
rivée, je fus destitué, mais non arrêté, et me retirai dans ma famille. »
Il fut, en effet, suspendu le 19 ventôse an II, par le Comité de Salut
public et, le 15 pluviôse an III, autorisé à prendre sa retraite. Le
25 octobre 1795, il obtenait une pension qui fut convertie en solde de
retraite le 23 septembre 1799. Il vécut longtemps encore. Le 30 jan-
vier 1822, de Saint-Pons, dans l'Hérault, il écrivait au ministre, duc
de Bellune, qu' t âgé de quatre vingts ans, couvert d'honorables cica-
trices et chargé d'infirmités », il sollicitait l'augmentation de sa solde
ou une indemnité ; le ministre lui répondit le 3 mars suivant que les
lois étaient contraires à sa demande. Cf. les arrêtés de Ruamps et
Borie, 20 septembre; de Borie, Ruamps et Mallarmé, 1" octobre ; de
Borie, Ruamps et Niou, 2 octobre ; la lettre du 11» dragons au Co-
mité, datée du bivouac devant Hoerdt, 8 frimaiie an II, et celle de
Carlenc au ministre, 24 vendémiaire an IX. Citons encore sur Car-
lenc un témoignage, évidemment trop favorable, de Delmas qui, le
11 octobre 1793, écrivait a ses amis Borie et Ruamps: « Carlenc est
un bien brave homme, dont les talents me sont connus, ayant le
grand sang-froid qui n'est accordé qu'aux hommes braves » (A. G.) .
496 WlSSBMBOURa
coDcevait déjà la plus haute idée de son mérite et nul
n'osait troubler le sublime projet qui germait et grandis-
sait dans son cerveau. Quelle fat la surprise de Tétat-
major lorsqu il donna ses premiers ordres I II fallait
placer tous les troupes de Tarmée du Rhin à leur rang
de bataille et les échelonner selon les numéros des régi-
ments : le 1«f régiment irait occuper Huningue à l'ex-
trême droite et le 400* régiment Lauterbourg à Texlrème-
gauche. Voilà où aboutissaient les longues réflexions de
Garlenc * I
Conduite par un pareil homme, l'armée était certaine
de la défaite. Mais la plupart des lieutenants ne valaient
pas mieux que le général. Le commandant de Tartillerie
Ravel et le chef du génie Glémencet n'étaient jamais con-
sultés •. Ferino, indigné de la destitution de Landre-
moDt, partait le l^*" octobre après s'être pourvu d'un cer-
tificat de maladie ; les représeotants le firent aussitôt
arrêter et conduire à Nancy ; « n'était-ce pas la maladie
de Beaubarnais, lorsqu'il voulut quitter les lignes ' ? d
L'intrépide Meynier, le glorieux défenseur de Kônigstein,
tout récemment échangé, remplaçait Ferino à l'avant-
garde ; mais il n'avait pas encore un état de situation
exact et il ignorait le nombre de ses bataillons ^. Mun-
*■ Saint-Cyr, Mém.^ I, 116; mais faut-il le croire absolument?
* Note de Legrand (A. G.U
* Ferino, réprimandé, le 3 septembre, par Kuamps, déclarait à
LandremoDt, qu'il ne voulait plus servir, puisqu^ f on lui mettait des
entraves > ; Landremont le pria de rester à son poste : • Ma confiance
en vous, lui disait- il, est telle que je donnerai ma démission de gé-
néral, si vous abandonnez le commandement de Pavant-garde > [Ren-
kin à Boucbotle, 4 sept. A. G.). Cf. Ruamps et Borie au Comité,
!•' octobre, et Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., 201. On retrou-
vera Ferino dans le volume suivant.
^ Cf. sur Meynier, Expédition de Custine, 229. Jean-Baptiste Mey-
nier, né le 22 avril 1749, i Avignon, était entré au service, en 1765,
•*,j
<•!•
WISSEMBOURQ 197
nier, le vieil el imbécile Munnier, ce Munnier dont la
nullilé épouvanlait Gustine, ce Munnier dont le soldat ne
connaissait que les lésineries el les ladreries, comman-
dait le centre de Farmée *. La droite avait été confiée
provisoirement à un protégé du représentant Niou, un
cousin de Jean De Bry, le général de brigade Alexis
Dubois ; mais Dubois se déclarait franchement incapable
de diriger un corps de dix mille hommes : il servait
depuis son enfance dans les troupes à cheval et ne dési-
rait qu*une brigade de cavalerie... à moins qu*il ne fût
nommé définitivement général de division *,
Et chaque jour les représentants prononçaient des sus-
pensions. Borie et Ruamps, a dit Desaix, a ne savaient
que désorganiser Tarmée ; Ils lui ôtaient ses meilleurs
daos le régiment de Saintonge et avait fait la guerre d'Amérique.
Successivement sous- lieutenant (1*'' août 1788), lieutenant (15 sep-
tembre 1791), capitaine [29 avril 1792), il avait été fait prisonnier à
Eônigstein. Il fut échangé et nommé per saîtum général de brigade
(20 mars 1793). Il venait d'être promu général de division le 27 sep-
tembre. Il fit la campagne d'Italie (1795), et devint commandant
d^armes à Mayence [20 août 1803); cVst dans cette ville qu'il mou-
rut (3 décembre 1813).
> Custine à Beurnonville, 26 mars 1793 (A. G.}; ^Expédition de
Cuaine, 10, 53. 96 et surtout 235.
s Dubois à Carlenc, 6 octobre 1793 [A. G.), Paul- Alexis Dubois,
qui fut promu général de division, le 30 mars 1794, devait mourir à
Roveredo (4 septembre 1796). Il était chef d'escadron au 17* dragons
lorsque Milhaud et Borie le nommèrent, le 24 août, général de bri-
gade, parce qu'il leur amenait un renfort à^ agricoles y mille hommes
à pied et un escadron de c cavalerie nationale de campagne > que
Dubois avait, à force de belles paroles et de menaces, fait partir de
Bischwiller et de Soufflenheim. Il succédait à G ilôt dans le comman-
dement de la droite et, dit une note du cabinet topograph que, < la
suspension de Gilet fut, de Paveu de tous les officiers, Touvrage de
son successeur qui sut profiler de sa disgrâce ; tel était alors Tesprit
dominant que les intrigants, pour obtenir des places, commençaient
par faire chasser ceux qui les occupaient. > Cf. sur ce général que ses
camarades ont peut-être jugé trop sévèrement, l'étude de M. Hennet
[1893).
498 WJSSBMBOURa
officiers et cro^aienl par là s'assurer la victoire ï> *. Ils
ne faisaient ea réalité qu*exécuter les ordres réitérés du
Comité de salut public. « Ne cessez pas un seul instant,
leur écrivait-on, de veiller sur les généraux, ne leur par-
donnez rien, c'est presque toujours par leur trahison que
Tarmée est compromise et dès qu'elle n'aura plus à sa
tète que des francs républicains, elle pourra tomber sur
les cohortes des tyrans. » Mais les représentants
oublièrent que le Comité leur enjoignait de toucher aux
états-majors sans secousse et sans danger pour les
troupes •. Ils suspendaient le 23 août le général Xain-
trailles *. Ils suspendaient le 27 août le général Beau-
revoir*. Us suspendaient le 42 septembre le général
Gilot qui leur semblait manquer de décision". Ils sus-
« Mémoire de Desaix, 12-20 oct. (A. G.).
* Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., 260 et 267-268.
^ Compta rendu par Ruamps, Borie, etc.; Xaintrailles était suspendu
pour < ses intrigues inciviques » ; cf. sur lui Charavay , Corr. de
Carnotj I, 416.
* Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., 194; cf. sur Louis-Fer-
dinand Baillart de Beaurevoir, nommé général de brigade le 8 mars
1793, Expédition de Custine, 11 et 244, il commandait la 2^ brigade
de cavalerie.
B Compte rendu par Ruamps, Borie, etc. 187, 233. Ils accusent
Gilot d'avoir • donijé des preuves d^impéritie militaire, de n'oser
prendre aucune mesure sans y être autorisé par écrit du général en
chef, de témoigner dans toutes les circonstances une incertitude dan-
gereuse aux armées. > Joseph Gilot, né en 1734, soldat en 1750,
grenadier en 1755, sous-lieutenant en 1776, à quarante-deux ans, lieu-
tenantrcolonel du 7' bataillon d'infanterie légère, puis colonel du
93* régiment d'infanterie, maréchal de camp (6 déc. 1792), général de
division (27 mai 1793], était, dit un observateur, < connu par le pa-
triotisme le plus éclairé > et < jouissait de toute la confiance que lui
méritait son infatigable activité >. (Lettre du 18 août 1792.) Custine
le regardait comme < un officier précieux par son expérience, par sa
fermeté qui le faisait respecter du soldat, et par son civisme t (à Pache,
31 octobre 1792). Gilot, écrit Legrand, a toujours montré, d£ns la
campagne de 1793, < les sentiments d'un homme de bien, les vertus
WISSEMBOURG 199
pendaient le 10 octobre le général Loubat, un ex-noble,
qu'ils accusaient de tenir des propos inciviques et de
garder un reste d'affection pour les privilèges de l'aris-
tocratie *. Ils suspendaient le 8 octobre le vieux Colle qui
commandait à Haguenau : Colle, disaient-ils, avait un
fils émigré; il n'avait pas mis le fort de Lichtenberg en
état de défense ; il confiait les postes du Rhin à des
blancs-becs, à des gens inexpérimentés et équivoques*.
Et quel successeur les représentants lui donnaient- ils?
Desaix 1 Le jeune, le brave, l'actif Desaix avait été en-
voyé à Bobenthal ; il connaissait les gorges de la Lauter
et il était mieux fait pour conduire une avant-garde
d'un républicain et le courage d'un soldat fraLçais, mais il n'avait
pas des talents assez émioents pour être général en chef. > Il avait
pris part à l'assaut de Port-Mahon (1756), et il mourut, en 1812, à
Nancy, où il commandait, à soixante-dix- huit ans, la 4* division mi-
litaire.
* Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., 53, 191. Cf. sur Loubat
de Bohan, Thoumas, Les grands cavaliers du premier Empire, 1892,
II, p. 6-7, et Martimprey, Historique du 9« cuirassiers^ 1888, p. 288.
* Lettre du 11 octobre 1793 (A.. N. afii, 427), et Compte rendu par
Ruamps, Borie, etc., 188. Théodore Colle élait né le 17 mai 1734, à
Lorquin, dans la Meurlhe. Successivement soldat au régiment de la
Dauphine (!•' avril 1753), lieutenant à la suite (14 mai 17:8), lieute-
nant en second (28 janvier 1759), lieutenant en premier (20 avril 1768),
capitaine (12 novembre 1770), pensionné en août 1768, rentré au ser-
vice et nommé lieutenant-colonel du 77» régiment (6 ^novembre 1791),
puis premier lieutenant- colonel du 30*, puis colonel du 31* (20 jan-
vier 1793), il avait reçu le brevet de général de brigade, le 19 mai
1793, et commandait, depuis le 1'"' juin, la division territoriale du
Bas-Rhin à Haguenau. Il avait fait les campagnes de la guerre de
Sept-Âns, et le 16 juillet 1760, à Ensdorf, il avait été blessé et pris.
Le conventionnel Blaux était son beau-père et plaida chaudement sa
cause. Colle, écrit Beauharnais à Pache (10 nov. 1792, f s'est occupé,
avec beaucoup de zèle, malgré son âge avancé, de remplacement des
postes sur le Rhin ; il est travailleur infatigable et m'est extrêmement
utile au bureau de Tétat-major >. Desaix le nomme < Testimable et
excellent Colle t.
SOO wissBMBOuaa
dans les montagnes que pour diriger le dépôt de Hague-
nau. Mais vainement ses officiers le prièrent de différer
son dépari ; vainement ses soldats témoignèrent leur
douleur en le voyant s^éloigoer; Desaix était noble et
craignait de devenir suspect. Il part donc en laissant ses
pouvoirs au colonel du 7^ bataillon dlnfanterie légère,
Trentinian^ et, le 42, à onze heures du soir, il entre dans
Haguenau. A deux heures du matin, il reçoit Tordre de
retourner à son poste . il se remet en roule à cinq heures
et regagne Bobenthal à midi, après une course inutile,
pendant que le canon tonne de toutes parts * 1
L'incurie était si grande qu'on laissait les Autrichiens
préparer ouvertement leur attaque, sans môme les in-
quiéter. Une nuit, ils palissadèrent un chemin creux et
très éiroit aux abords de Schaidt. Feiino s'aperçut que
ces palissades éiaient de grosses poutres qui devaient
faire bascule et en s'appuyani sur les deux bords de la
route, servir de pont à Tartillerle. Mais on ne tint aucun
compte de l'observaiion, et personne n'eut l'idée d'in-
terrompre ou de détruire le travail des Impériaux*.
Tout était pôle-môle. Des bataillons campaient au mi-
lieu d'une division à laquelle ils n'appartenaient pas, et
durant l'acliou, reçurent de différents côtés des ordres
contiadicloires. Clarke, chef de l'état- major, tâcha de
mieux disposer les troupes et de les remettre à leur
place dans la ligne de bataille ; mais il n'eut pas le
temps de régler et de diriger les mouvements ; il fut,
lui aussi, suspendu le 10 octobre : il avait eu, disaient
les représenlants, des liaisons avec la maison d'Orléans,
il n'aimait pas la Révolution, et it était de cette caste
* Rapport de Desaix, 12-20 cet. (A, G.), et Saint-Cyr, Mém,^ I,
106, 118, 128.
' Note de Legrand ;A. G.).
WISSEMBOURG 204
que tous les sincères républicains suspectaient ^ Enfin,
Tarmée, aguerrie par ]es combats qu*eile avait livrés
quotidiennement sous la conduite de Beaubaruais et de
Landremont, commençait à se lasser et n'allait plus au
feu avec le même entrain.
Il est vrai que les lignes de la Lauter passaient pour
inattaquables. Toutes les gazettes vantaient la puissance
de ce boulevard de TAlsace. Le Moniteur les proclamait
inexpugnables et assurait que Wurmser ne les empor-
terait pas tant que Brunswick n'essaierait pas de les
prendre à revers ; suivant ce journal, il fallait, pour les
assaillir de front, sacrifier une prodigieuse quantité
d'bommes sans certitude de succès, et.il ajoutait que les
forces de la République, depuis Landau jusqu'à Hu-
ningue, présentaient un tableau dont Tbistolre ne four-
nissait pas d'exemple, et une barrière si formidable que
l'imagination la plus ardente pouvait à peine s'en faire
une Idée'.
Ces lignes fameuses ont aujourd'hui disparu presque
entièrement. Le fer de la charrue les a nivelées, et les
sapins couvrent et cachent sous leur verdure les re-
doutes qui subsistent encore. Ébauchées en 4705 par le
margrave Louis de Bade, renversées la môme année par
les Français, reconstruites aussitôt et considérablement
accrues sur l'ordre de Villars par Tingénieur Regemorte,
franchies aisément pendant la guerre de la succession
d'Autriche par les pandours de Nadasty, négligées plus
1 Compta rendu j par Huamps, Borie, etc. 33, 190, 311. Clarke fut
remplacé provisoirement par l'adjudaDt-général Demont, puis ('22 oc-
tobre) par le général de brigade Bourcier.
* Mon.^ du 30 septembre et des 3 et 24 octobre 1793 (Parlicle du
3 octobre est emprunté à udo dépêche de Bâcher) (Papiers de Barthé-
lémy, lli, 64).
S02 WISSBMfiOURa
tard, elles avaient été rétablies tant bien que mal et
sans beaucoup de discernement par Gustine et les géné-
raux de Tarmée du RhiD.
Wissembourg et Lauterbourg, sur la rive droite de
la Lauter, formaient, comme aulrefois, les deux ex-
trémités de la ligne. Wissembourg n'était, selon le mot
de Yan Heldeu, qu'un simple contour, dominé de tous
côlés ^ Mais, si Ton n*avait pas relevé les épaulemenls
qui couronnaient la montagne du Pigeonnier, les hau-
teurs du Geisberg, en arrière de Wissembourg, étaient
garnies de troupes, et Ton avait retranché le village
d'Altenstadt et réparé le petit fortin dit de Saint-Remy.
A Tautre bout, Laulerbourg, protégée par un marais,
entourée d'une muraille et d*un fossé, n'avait plus sa
force principale qui consistait dans TinoDdation : une
crue d'eau extraordinaire avait récemment emporté ses
digues faites d'un sable mobile. Toutefois on avait mis
en état de défense, aux environs de la ville, quelques
parties des lignes, et une redoute s'élevait au moulin de
Bienwald.
La position française dite de Wissembourg ou de la
Lauter avait donc une longueur considérable, et les déta-
chements chargés de la garder, étaient trop éloignés les
uns des autres. Elle offrait en outre un grave inconvé-
nient : en face d'elle et tout près des retranchements, sur
la rive gauche, s'étendait la forêt de Bienwald. Les Au-
trichiens occupaient la plus grande moitié de cette forêt
qui se liait à celle de Germersheim. Il fallait les observer,
les tenir en respect, et pour mieux découvrir le revers
du Bienwald, on avait dû poster une grosse avant-garde
au village de Steinfeld. Mais celte avant-garde s'était re-
> Van Helden i Gustine, 6 octobre \19% (A. G.).
WISSBMBOUBG 203
tranchée à son lour ; on Tavait nécessairement renfor-
cée, et la position française, appuyant sa droite à Kaps-
weyer, son centre au château de Ha f tel et sa gauche à
Oberotlerbach, s'allongeait démesurément sur Tautre
bord de la Lauler. Au lieu de se placer, comme il était
naturel, derrière la rivière, Tarmëe du Rhin presque
entière se trouvait en avant des lignes de Wissembourg
et avait un défilé à dos.
Et quel singulier et confus assemblage de retranche-
ments ! Jamais on n'entassa sur un terrain étroit autant
de fortifications. On transformait en batteries à barbette,
puis en redoutes, tous les emplacements des bouches à
feu. Chaque chef, chaque commandantdeposte, ~et ces
chefs et commandants se succédaient avec une prodi-
gieuse rapidité — commençait un ouvrage et ne Tache-
vait pas. Il y avait doue un nombre infini de redoutes,
incomplètes d'ailleurs, imparfaites et sans rapport entre
elles. Les chemins qui menaient aux batteries n*étaient
pas praticables ; le temps avait manqué pour les cons-
truire, et les représentants faisaient un crime aux géné-
raux de préparer à l'avance une route qui servirait à la
retraite. Retraite 1 Un pareil mot ne devait pas être pro-
noncé. On ne voulait pas l'entendre ; on le proscrivait
comme indigne des Français, des républicains, des sans-
culottes, et, au lieu d'une retraite, on eut une déroute
où presque toute l'artillerie tomba dans les mains de
l'adversaire I
On a dressé la liste des principaux ouvrages qui for-
maient sur la rive gauche de la Lauter les lignes de
Wissembourg. C'était d'abord, à la lisière du Bienwald
et jusqu'à la hauteur de Steinfeld, une longue suite
d'abatis couverte au sud de Schaidt par deux lunettes et
près du moulin de Bienwald par une redoute.
204 WlSSBMBOURa
Puis venaient une flèche, sur la pente qui descend de
Schweigen au Windhof ;
Une deuxième flèche sur Téminence qui domine
Altenstadt;
Une grosse redoute dite de Schweigen et une troisième
flèche sur le Woifsberg ;
Une autre redoute, moins considérable^ entre Kaps-
weyer et le château de Hdfiel.
Devant ces fortifications se développait le véritable
front de défense. On y trouvait, outre les deux lunettes
qui couvraient les abalis du Bienwald, la grande redoute
établie entre Gross Steinfeld et Klein Steinfeid, à Tex-
trème droite de Tavant-garde et sur la ligne des vedettes.
Elle passait pour un chef-d'œuvre et les soldats la nom-
maient la Bastille, Mais, dit un officier, elle valait comme
ouvrage de campagne ce que la Bastille valait comme
forteresse ; ce n'était qu'un simple épaulement qui cou-
vrait canons et canonniers contre une attaqué de front.
Glémencety ajouta quelques flancs qui protégeaient les
approches, et, sur l'ordre de Ferino, il fit combler une
tranchée qu'on avait étourdiment pratiquée à gauche et
qui, dépourvue de saillant, de rentrant et d'intervalle,
offrait aux ennemis une sorte de chemin couvert. Mais
la redoute était ouverte par derrière, et pour la soutenir
ou empêcher qu'elle ne fût tournée, il fallut mettre au bi-
vouac un corps de cavalerie qui restait sur le qui- vive
et avait ses chevaux toujours bridés. Enfin, les repré-
sentants eurent l'imprudence d'y installer deux pièces
de 24 venues de Strasbourg, sans comprendre que ces
lourdes machines qui ne pouvaient avancer ni reculer à
temps, seraient absolument inutiles.
A. l'ouest de la Bastille et au nord de Niederotterbach
une lunette défendait la route ;
WISSEMBOURG 205
La hauteur qui s'élève de Steinfeld au château de
Haftel et qui atteint au Galgenberg son point culminant,
portait cinq ouvrages dont trois redoutes à droite, et
deux flèches à gauche du Haftelhof ;
Plus loin se dressaient sur le Wachlberg une flèche
et une lunette ;
Sur la HornhÔhe, au Heyhof, une redoute ;
Sur le Wonneberg, au sud de Bergzabern, une dernière
redoute *.
La défense de cette ligne de retranchements était ainsi
répartie. L*avant-garde, commandée par Mej'^nier, ap-
puyait sa droite à Schaidt^ poussait sa gauche au-delà de
Bergzabern, et gardait, avec Oberotterbacb, les deux
grandes redoutes de Schweigen et de Steinfeld. Le centre,
sous les ordres de Munuier, occupait le Bienwald. La
droite, conduite par Dubois, s*étenddit du moulin de
Bienwald à Laulerbourg et protégeait Laulerbourg, Schei-
benhard et Seltz. La réserve, confiée à Dietlmann, était
postée sur le Geisberg et devait couvrir la retraite de
Tarmée *.
* Wissmann, Die Weissenôurger Linien, 2-" Teil. 1888, p. 28;
Lufft, 8-13; Saint-Cyr, I, 120; note de Legrand (A. G.).
' L'armée française, grossie tout récemment de recrues et de
renforts que Dièche lui avait envoyés de Strasbourg (Dièche à
Bouchotte, 3 oct. (A. G.), comptait 38,483 hommes : Avant^garde
(Meyuiep), 10,382, dont 2,937 cavaliers, devant Steinfeld et Nie-
derotterbach, derrière le Caplaneihof et la Deutscher Hof, devant
Oberotterbacb; aile droite (Dubois), 10,912, dont 881 cavaliers, i
Sellz (2,280), Laulerbourg (3,730), Scheibenhard 4,341) et Niederlau-
terbach (56t); centre (Munnier), 12,353, dans les lignes (^5,069) et au
moulin de Bienwald (3.137), de là à Saint-Remy [S304), au fort
Saint-Remy (628), de Steinfeld à la montagne par le Haftelhof
(7,284); réserve (Dieitmann) 4,851, dont 2,193 cavaliers, à Wissem-
bourg (1,633), au Geisber;< (1,344), à Rott, Steinsellz, Riedseltz. L'ar-
mée autrichienne comptait 43,185 hommes : droite (Kospoth) à Barbel-
roth avec 14,755 hommes, dont 3,825 cavaliers ; extrême droite :
206 WISSBUBOURQ
IV. Le roi de Prusse avait promis à Ferraris que son
armée ferait un mouvement pour tomber sur le flanc
gauche des patriotes et que, si Wurmser emportait les
lignes de Wissembourg, elle bombarderait et bloquerait
Landau. Le 2 octobre, Brunswick et Ferraris traçaient à
Pirmasens un plan d'opérations. Ferraris déclarait éner-
giquement qu'il fallait déloger Tennemi de Wissembourg.
On convint que Wurmser attaquerait les lignes dans la
matinée du 13 octobre et que les Prussiens lui prêteraient
main-forte, qu'ils chasseraient les Français de Lembach,
pousseraient sur Wœrth, détacheraient à droite jusqu'à
Saverne un corps de cavalerie , et se lieraient aux Autri_
chiens dans la forêt de Haguenau. Ce plan adopté, Ferraris
partit pour Vienne, en souhaitant à Wurmser santé, bon-
heur et beau temps, a Ces souhaits sont accomplis, écri-
vait Wurmser quelques jours après, ma santé est excel-
lente, le bonheur suit mes pas, et le 43 octobre était un
jour d'été et le plus beau de ma vie *. »
Le 43 octobre, en effet, avec 43 bataillons et 67 esca-
drons, il avait attaqué les lignes de Wissembourg. Son
armée formait sept colonnes qui s'ébranlèrent à cinq
heures du matin, au signal de trois coups de canon. Le
spectacle était imposant. 11 faisait encore nuit, et soudain,
comme par enchantement, sur une étendue de plusieurs
lieues, s'illumina l'horizon. On distinguait à perte de vue
deux lignes de tirailleurs qui se fusillaient Tune l'autre.
Puis l'aurore se leva ; tout s'anima ; tout s'emplit de mou-
5,692 émigrés, dont 1,603 cavaliers; centre (Kayanagb] a Frecken-
feld, où était aussi le quartier général, avec 9,143 hommes, dont 2,143
cavaliers; gauche (Holze) au Bienwald avec 11,120 hommes, dont
1,910 cavaliers ; sur la rive droite du Rhin, près de Rastadt, 8,169
hommes, dont 1,718 cavaliers (Waldeck). Cf. Gebler, 129-134 ; (note de
Clarke interceptée par les Autrichiens).
* Zeissberg, I, 305, 321, 347.
WISSEMBOURG 207
vement et de bruit; on découvrit des troupes d'infanterie,
de cavalerie, d'artillerie s'avançant de tous côtés, à tra-
vers la campagne, sur les sommets des coteaux, à la
lisière des bois, et annonçant de loin par Tordre et la ré-
gularité de leur marche, par la fierté de leur allure, le
courage qui les animait et leur résolution de vaincre *.
La première colonne, commandée par le prince de Wal-
deck, passa le Rhin à Plittersdorf sur des pontons et
entra dans la petite ville de Sellz % où elle fit quelques
prisonniers et s'empara de deux pièces. Mais Waldeck
n'entendit pas le canon de Lauterbourg ; il crut que l'at-
taque des lignes avait échoué ; il n'osa , au milieu du
brouillard, dépasser Mothern ; il fut, comme dit Wurmser,
déroutéy et, dans la soirée, il regagnait l'autre bord*
La deuxième colonne que conduisait Jellachich, assail-
lait l'extrême droite de la position française. Elle emporta
la redoute la plus proche du Rhin et, franchissant les
lignes, marcha sur Lauterbourg. Le général Dubois éva-
cua la ville et se relira vers Surbourg. Mais au lieu de
serrer de près les républicains ou de courir au secours
de la colonne voisine, Jellachich resta dans Lauterbourg.
c II n'a rien fait, écrivait Wurmser, de tout ce qui a été
ordonné. » Sa cavalerie mit pied à terre entre Niederlau-
terbach et Neeweiler, et son inaction était si profonde, si
rassurante que les Français revinrent à la charge. Sans
un escadron qui donna l'éveil et se jeta courageusement
à la rencontre des agresseurs, la cavalerie de Jellachich
aurait été taillée en pièces. Aussi a-t-on pu dire que la
» Romain, II, 466-467.
« Il y avait la le 1«' bataillon des Pyrénées-Orientales et le 3« de la
Haute-Saône {Mém, de Desaix) .
208 WISSEMBOURQ
gauche autrichienne n'eut aucune influence sur la ba-
taille et sembla ne pas exister. Timides, irrésolus, Jella-
chich et Waldeck n'avaient pas cette rapide et heureuse
décision qui sait agir au moment propice, suivant les
circonstances, et sans autres instructions que celles du
bon sens. Mais les généraux français qui combattaient
en cette partie étaient-ils moins incapables et moins
faibles? L'un d'eux, perplexe, ne sachant que faire, con-
sultait le commissaire des guerres Martellière et, sur
son refus, le sommait, au nom de la loi, de lui donner
son avis. Uo autre n'annonçait pas au général en chef le
passage de Waldeck, mais envoyait la nouvelle aux Ja-
cobins de Strasbourg et leur demandait sur quel point
il devait opérer sa retraite!
La troisième colonne, aux ordres du général Hotze,
avait la tâche la plus ardue. Elle ne se composait que de
6,500 hommes, et devait passer la Lauter entre le Bien-
wald et Saint-Remy, emporter Schleithal et prendre Wis-
sembourg à revers. Mais elle s*ébrania résolument. Uoe
de ses avant-gardes se fit jour à travers les abatis, enleva
lestement la redoute du moulin de Bienwald et chassa
les postes français sur Tautre rive. Une deuxième, que
menait le lieutenant-colonel Gyulai, franchit la Lauter
et après un chaud et difficile combat, escalada les lignes.
Une troisième, formée des dragons de Waldeck et des
hussards hessois, découvrit un gué, traversa la rivière et
se réunit aux deux autres détachements. Le gros de la
colonne suivit ses avant-gardes. A huit heures, Hotze
était en deçà des lignes et menaçait Schleithal. Les gé-
néraux français Carlenc, Munnier, Isambert, avaient
rendu sa besogne plus aisée. Munnier, s'obstinanl à ne
donner aucun ordre, ne commandait môme pas aux ca-
WISSBMBOURG 209
nonniers de tirer sur les Autrichiens qui débouchaient
de la forêt. Garlenc, plus inepte encore, enjoignait à
Munnier d*évacuer la redoute du moulin de Bienwald.
Le brave Isambert, perdant la tète, abandonnait le petit
fort Saint-Remy, puis, se ravisant, regrettant sa faute,
il voulait ressaisir le fortin, mais il n'avait plus avec lui
qu'un seul canon, et ses troupes refusaient de le suivre.
Pourtant les Impériaux n'avançaient que très lente-
ment et avec une extrême circonspection. Hotze craignait
d'être attaqué sur son flanc gauche et n'atteignit que
vers midi la lisière de la forêt. Du moins, il arrêta toutes
les ordonnances qui portaient des messages de la droite
au centre, et pendant la journée ni Munnier ni Dubois
n'eurent des nouvelles l'un de l'autre. Comme si, dit un
officier, on n'aurait pu convenir à l'avance des mesures
qu'il faudrait prendre en cas d'échec, et comme si c'était
un crime d'user de précautions ! Les soldats tentèrent de
réparer par leur vaillance la sottise des généraux et Tim-
prudence des représentants. De midi à trois heures, ils
luttèrent aux alentours de Schleithal avec une telle obs-
tination que Hotze eut un instant Pidée de battre en re-
traite. Vers trois heures, les républicains, faisant un vi-
goureux effort, se jetèrent sur les deux batailloos de
l'Empereur et les mirent en fuite. Mais une charge au-
dacieuse des dragons de Waldeck et des hussards hes-
sois rétablit le combit en faveur des alliés. Les deux
bataillons de TEmpereur se rallièrent à la voix de leur
colonel, Roselmini; ils reçurent des renforts, ils reprirent
l'ofiTensive, et les Français, désespérant de Tissue de la
bataille, se retirèrent à quatre heures vers le Geisberg,
en laissant à l'ennemi cinq pièces de canon.
La quatrième colonne, conduite par Meszaros, devait
WISSBMBOURa. 14
210 WISSEMBOURG
prendre deux lunettes et un abatis ainsi que la grande
redoute de Sleinfeld. Mais le 93» régiment, ci-devant En-
ghien, défendit Tabatis avec une héroïque valeur; le ba-
taillon autrichien de Pellegrlni perdit la moitié de son
monde et le colonel Suel, qui dirigeait Tattaque, r.esta
parmi les morts. Malheureusement le 93^ ne fut pas sou-
tenu. Grammont reçut une blessure grave après une
résistance que Desaix qualifie de prodigieuse. Ënghien
dut lâcher pied. Les Impériaux et les chasseurs hessois
qui tiraient les uns sur les autres, dans le brouillard, et
ne s'étaient reconnus qu'au cri de Marie-Thérèse^ em-
portèrent enfin Tabatis et les deux lunettes. Puis, mar-
chant sur Steinfeld et Kapsweyer, ils prirent à revers la
ligne des retranchements.
Mais déjà la grande redoute était au pouvoir des Au-
trichiens. Ils avaient eu recours à la ruse. Au milieu de
Tobscurité, peu d'instants avant Tassaut général, queL
ques-uns se présentent sur le pont de Schaidt aux pre-
miers postes français. On leur crie $^wiw>e? Ils répon-
dent A déserteurs ». On leur ordonne de mettre bas les
armes. Ils répondent qu'elles ne sont pas chargées. Ils
passent et, profitant des ténèbres, arrivent jusqu'à la
grande redoute. La garde s'approche pour les reconnaître
et les voit munis chacun d'une fascine. Aussitôt les
coups de sabre et de baïonnette commencent ; mais des
hussards s'étaient glissés entre les avant-postes à la fa-
veur du brouillard. En un moment, la grande redoute,
la fameuse BastiVe tombe, presque sans combat, aux
mains des Impériaux. Les républicains se dispersent de
tous côtés dans la plus afifreuse confusion. L'artillerie
volante brise les caissons et les affûts de ses pièces sur
les ponts de la Lauter. On ne rencontre que des fuyards
et lorsqu'on leur demande où ils vont, ils disent qu'ils
WISSEMBOUBG 241
n'en savent rien; si l'on insiste, ils ajoutent qu'ils n'ont
pas d'ordre, qu'ils ne connaissent pas leurs généraux, et
ils errent à Taventure.
Aux premières volées de canon, le commandant de
Tavanl-garde, Meynier, avait couru dans le bois à l'en-
droit qui lui semblait le plus menacé. Il crut voir que le
95« régiment et le 42® bataillon d'infanterie légère fai-
saient bonne contenance. Mais la nuit et la fumée ne lui
permirent de distinguer nettement, au milieu du tu-
multe, que les hourras des manteaux rouges. Il se diri-
gea vers la grande redoute et tomba parmi des soldats
en pleine débandade. Vainement il essaya de les rallier.
Il ne parvint à rassembler que deux bataillons, le 2« de
Lot-et-Garonne et le 4® d'Eure-et-Loir. Néanmoins, sans
perdre courage et sans ralentir son activité, il animait
ces volontaires et marchait à leur tête, lorsqu'il reçut
dans le gras de la ^cuisse un biscaien qui lui fracassa
l'os. On dut le transporter aussitôt à Wissembourg et le
panser *. Il eut le temps d'ordonner au général Combez
qui se trouvait à ses côtés, de faire sa retraite pas à pas
et de s'établir entre Kapsweyer et Schweighoffen. Com-
bez obéit; il réunit tous les hommes qu'il put ramasser
et se retira sur Schweighoffen ; mais il laissait aux Au-
trichiens, outre la grande redoute, seize canons et deux
obusiers.
La cinquième colonne, dirigée par Kavanagh, eut le
môme succès que la colonne de Meszaros. Elle s'empara
de la lunette et du village d'Oberotterbach, puis se tourna
contre le château de Haftel.
* Meynier fut transporté le môme jour à Haguenau et le lende-
main à rhôpital de Strasbourg, où il resta 179 jours sur le fçrabat (cf.
sa relation).
242 WISSBMBOURa
La sixième colonne, menée par Kospolh, canonna
d*abord sans résultat les retranchements du Haftelhof.
Mais bientôt les Français, se voyant menacés sur leur
droite et leurs derrières par les colonnes de Meszaros et
de Kavanagb, abandonnèrent la position. Gombez les
recueillit. Ce vieil et brave officier, un des vétérans de
la guerre de Sept-Ans et Tun des héros de cette triste
journée, résistait toujours entre Kapsweyer et Schweig-
hoffen, et, avec les soldats qui venaient à lui, les uns
du Bienwald, les autres de Steinfeld, il arrêta quelque
temps la marche victorieuse des Autrichiens. Mais Car-
lenc lui commauda de se replier sur Wissembourg, et de
là sur le Geisberg *.
La colonne des émigrés ou septième colonne compre-
nait deux corps, conduits Tun par Vioménil, l'autre par
le prince de Gondé. Elle s'empara de Bergzabern, des
retranchements élevés entre Bergzabern et Dôrrenbach, de
la redoute de la Hornhôhe. Puis elle marcha sur Oberot-
terbach pour enlever les deux ouvrages que les républi-
cains avaient construits près de ce village. Mais les pa-
triotes tenaient ferme, et, dit un Autrichien, on ne peut
^ François Combcz, né à Besançon le 12 juin 1732, était fils d^un
homme de loi et avait d'abord étudié le droit. Il s^engagea le 15 jan-
vier 1753 au régiment de Monsieur cavalerie et devint succes&ivement
maréchal-des- logis (12 janvier 1757), cornette au régiment des Volon-
taires du Dauphiné (7 mars 1760), lieutenant de dragons dans la légion
de Flandre (5 avril 1772), capitaine au 2% plus tard 8' chasseurs à
cheval (7 mai 1785), chef d'escadron (15 avril 1792), chef de brigade
(16 mars 1793), général de brigade (28 janvier 1794). Il fit toutes les
campagnes de la guerre de Sept-Ans et il avait été blessé à Bergen,
à Minden et dans la haute-Frise, le 1«' octobre 1761. 11 reçut pareil-
lement trois blessures en 1793, près de Bingen (21 mars], a Betten-
holTen (12 frimaire), à la Wantzenau (5 brumaire). Michaud le jugeait
ainsi : « Excellent officier de cavalerie très brave, vertueux républi-
cain, propre à être général de division dans une place sédentaire. •
WISSBMBOURQ 213
refuser son estime à leur bravoure. La légion de Mira-
beau eut 30 officiers et plus de 400 soldats tués ou
blessés ; le régiment de Hohenloh*» perdit son lieutenant-
colonel et une vingtaine d'hommes. On dut, pour faire
lâcher prise aux carmagnoles, envoyer entre Oberotter-
bach et Rechtenbach deux bataillons et un escadron de
la colonne Kospolh. Craignant d'être coupés du gros de
l'armée et de se rendre à merci, les Français se retirèrent
en toute hâte le long de la montagne et gagnèrent Wis-
sembourg.
Wurmser avait eu le tort d*éparpiller ses forces et de
donner à ses généraux des instructions qui manquaient
de précision et de clarté. Il eut le tort, plus grave, de ne
pas poursuivre les vaincus. Tandis que les Français recu-
laient sur Wissembourg, les Autrichiens ne pensaient
qu*a prendre possession des redoutes, des canons et des
tentes. A midi, Garlenc occupait le Geisberg, non seule-
ment avec sa réserve, mais avec Tavant-garde ramenée
par Combez, et son centre disputait encore à Holz'3 les
alentours de Schleithal. Aussi les représentants le pres-
saient-ils de hasarder une nouvelle action : « Il faut, lui
disaient-ils, rester à Wissembourg et s'y battre. » Gar-
lenc refusa, à moins que les conventionnels ne prissent
un arrêté qui ordonnait la bataille. Ils n'insistèrent pas,
de peur d'assumer la respousabilité d*un désastre, et
Garlenc, persuadé que la journée était perdue sans re-
tour, décida que la retraite aurait lieu sur Soultz et
Surbourg.
A trois heures et demie, un parlementaire venait som-
mer le commandant de Wissembourg, Fririon, capitaine
au 48" régiment : "Wurmser allait attaquer la place avec
huit bataillons, et toute résistance était inutile puisque
214 WISSKMBOURe
le prince de Waldeck avait passé le Rhin et assailli les
derrières de Tarmée française. Hastrel, adjoint aux aidju-
danls-généraux, était à la barrière : il répondit que
Wissembourg ne se rendrait pas sans un ordre du géné-
ral en chef, et celte déclaration fut confirmée par le capi-
taine Fririon*. Une heure plus tard, Carlenc ordonnait
d'évacuer Wissembourg, Fririon portait les clefs de la
ville à la maison commune, et le 48« régiment, ci-devant
Artois, allait, sans être inquiété, rejoindre Tarrière-garde
sur les pentes du Geisberg.
Wurmser entra dans Wissembourg après avoir tiré
contre une des portes cioq à six coups de canon. Il au-
rait pu couper ou détruire en grande partie la ditùion
des montagnes y qui formait la gauche de Tarmée du Rhin;
elle ne savait pas encore ce qui se passait à sa droite;
assaillie soudain par les Autrichiens sur la route de
Bilche à Lembach, la seule qui servait à sa retraite, atta-
quée en môme temps par les Prussiens, mise entre deux
feux, elle aurait subi Pinévilable ignominie d'une capi-
tulation. Mais Wurmser n'était pas homme à profiler
ainsi de son avantage. Il se contenta d'occuper le Geis-
berg, de jouir de sa bataille gagaée et des deux bonnes
* Etienne d'Haslrel de Rivedoux était né le 7 février 1766, à la
Poiute-aux-Trembles de Québec en Canada, d'un père qui fut tué au
sièfçe de Pondichéry en 1783, après quarante et un aas de services, et
d'une mère canadienue qui mourut en 1784, a l'île de Rhé. 11 avait
été conduit en France au mois de mai 1770. Élève de TÉcole mili-
taire, il entra au 48* régiment en mai 1784 et y deviut successi * ement
sous-lieulenant, lieutenant, capitaine. 11 avait fait les campagnes du
Rhin de 1792 et de 1793. 11 fut promu général de brigade le 26 jan-
vier 1807 et général de division le 25 mars 1811. Bourcier le jugeait
ainsi : « Les talents qu'il a reçus de la nature, étendus par une édu-
cation soignée, l'activité de ses services comme adjoint à Tétat-major,
le rendent susceptible d'être promu à un grade supérieur. » Cf. sur
François-Nicolas Fririon, général de brigade le 17 juillet 1800 et de
division 21 juillet 1809, Gemâhling, Les Fririon, 1886, p. 6.
WISSBMBOURa 215
villes de Wissembourg et de Lauterbourg. où il trou-
vait, disait-il, farine, avoine, sel, armes, papier et Dieu
sait quoi ^
V. Pendant que Wurmser emportait les lignes de Wis-
sembourg, le duc de Brunswick débusquait la division
des montagnes et, suivant sa promesse, se saisissait de
Lembach et de Wœrth*.
Ses disciples et ses prôneurs racontèrent qu'il avait
fait dans les Vosges une marche savante, comparable à
celle d'Annibal à travers les Alpes. Massenbach prétendit
qu'elle méritait d'être conservée dans les annales du
monde jusqu'en ses moindres détails et qu'elle passerait
toujours pour un chef-d'œuvre militaire. C'était ou-
trer, écrit avec raison Valentini, tout ce qu'ont jamais
dit les Gascons \
» Wagner, 127-149 ; Gebler, Œsterr. milit. Zeitschrift, 1834, III,
135-152; Zeissberg, I, 321; Compte rendu par Ruamps, B >rie, etc.,
30; relalioii de Meynier, 13 oct.; Rapport de Desaix, 12--0 oct.
(A. G.) ; d'Ecquevillv, I, 181-197 ; Romain, II, 473; SaintCyr, I. 120-
124 ; Soult, I, 65.
< La division des montagnes occupait les positions suivantes. Sa
droite était concentrée dans le camp de Noth^'eiler où se trouvaient
dix bataillons : le 27% le 13-, le 102% le 1*' du Haut-Rhin, le 2" de
Rhôoe-el-Loirc et le 4« du Jura. Le 7* bataillon d'infanterie légère et
le 1" de la Haute-Saône étaient à Bobenthal. Le 10" des Vosges Jfor-
mant Tavant-garde à Bundenthal et à Rumbach, éclairait tout le front
du camp. — Le centre, composé d'un bataillon du 13' régiment, ci'
devant Bourbonnais, d^un bataillon du 33', ci-devant Tuuraine, et de
quelques compagnies du bataillon des agricoles de Mirecourt, occupait
:a Tannenbriicke et avait détaché en avant-garde à Schdnau le 4* ba-
taillon de Saône-et-Loire et, plus loin encore, à Fischbach, plusieurs
coj)p8gnies aux ordres du capitaine Cunéo. — La gauche était dissé-
minée sur une ligne très étendue : un bataillon du 102' gardait la Main-
du Prince; la 3* d'Indre-e .-Loire, l'abLaye de Stiirzelbrcnn; le l"des
Vosges, la ferme de Kobrett; le 1«' de l'Indre, le village de Nieder-
steinbach .
» Kurze Uebersicht, 29; Valentini, 47; Saiat-Cyr, I, 131.
SI 6 WISSKIIBOURO
Que fut celle marche fameuse? Le due partit le 17 oc-
tobre du Ketterich et vint à Ramsbronn. Le 42, il était à
Rôsselbrono. et deux détachements envoyés, Tun à
droite, Tauire à gaucbe, chassèrent les républicains de
la ferme de Kobrett et du village de Flscbbach. Le 43^
tandis que Wurmser attaquait les lignes, avaient lieu les
opérations que Télat- major prussien jugeait admirables.
Hobeniobe, suivi de cinq bataillons et de six escadrons,
tournait Bitche par Egelshardt, enlevait, après une
courte résistance du 102* régiment, la Main-du-Prince et
regagnait, par Haspelscbeidt, son camp d*Eschweiler
pour tenir en respect Tarmée de la Moselle : mouvement
bardi, s*écriait Massenbach, mais calculé selon de justes
principes 1 En même temps , Brunswick s^emparait
d'Obersteinbacb et menaçait la gauche des cantonne-
ments de Nolhweiler.
Saint-Cyr, qui dirigeait celte gauche, commandée no-
minalement par Ferey, avait concentré ses forces à Nie-
dersleinbach : cent chevaux et trois bataillons, le 4<^ des
Vosges, le l**" de Tlndre et le 3« d'Indre-et-Loire. Sa posi-
tion élait excellente. Il avait construit quelques retran-
chements, dont une ûèche et une redoute qui se faisaient
face : la ûèche dominait le chemin d'Obersteinbach ; la
redoute balayait la roule de Bitche à Wisrsembourg.
Brunswick voulait épargner le sang du soldat, et il sa-
vait que la victoire de Wurmser lui livrerait les défilés
sans combat. Il se contenta de manœuvrer sous les yeux
de Saiut-Cyr, pendant que son aide-de-camp, le colonel
Hirschfeld, paradait devant Bundenthal, à la vue de
Desaix*. Il aurait mieux fait d'attaquer résolument
^ Saint'Cyr s'imagiae, dans ses Mémoires, quMl a repoussé, le
13 octobre 1793, les attaques de Hohenlohe et que Brunswick en per-
sonne a canonné la position de Desaix.
WISSBMBOURQ 217
Niedersleinbach. Une fois ce point emporté, — et sans
beaucoup d'efforts — la chaîne des postes français était
rompue, et les troupes du camp de Nothweiler n'avaient
plus d'autre ressource que d'abandonner leurs canons
et de se jeter dans les bois. Mais, à minuit, Ferey appre-
nait que les lignes de Wissembourg étaient forcées, et il
recevait de Garlenc Tordre de se replier sur Wœrth et
Bouxwiller. On partit sur-le-champ, à la faveur du
brouillard, par la Tannenbrûcke et par Lembach. La re-
traite ne se fit pas aussi tranquillement que rassure
Saiiit-Gyr. Un lièvre passa; on lui tira des coups de fu-
sil : à ce bruit, Talarme se répandit de rang en rang, et
un lièvre seul, dit Desaix, porta le plus grand désordre
dans les brigades. Heureusement le 33° régiment, ci-
devant Touraine, se mit en bataille à toutes les avenues
où l'adversaire pouvait déboucher; sa contenance rassura
le reste de la colonne; les fuyards, ne voyant pas Ten-
nemi, se rallièrent et rirent de leur terreur. Le 16 octobre,
la division des montagnes, qui devait s'appeler désor-
mais le corps de Saverne, était derrière la Zorn. Elle jetait
une garnison dans le fort de Lichtenberg, envoyait un
détachement à Saverne et s'établissait à Hochfelden,
tandis que Brunswick, maître, sans coup férir, des
gorges de Nothweiler et de Lembach, s'avançait jusqu'à
Wœrth*.
« Saint-Cyr, I, 130 ; Rapport de Desaix, 12-20 oct. (A. G.) ; Wa-
gner, 148-150.
CHAPITRE XIII
HAGUENAU
Découragement de l'urmée du Rhin. — Les lignes de la Moder. — Combat
de Brumath. — Alian Ion de Drusenheira. — Dubois et La Boissière à
Gambsheim — Coii'iril de guerre. — Opinion de Villemanzy. — L'armée
derrière la bo itfeJ. — Surprise dd la Wantzenau. — Desaix à Reich-
stett. — AutrioUiens et Condéens à Wissembourg et à Haguenau. —
Brunswick et Wurmser. — > Appréhensions de Thugut.
I. Contrainte d'abandonner les lignes qu'elle regardait
à tort comme imprenables, l'armée du Rhin était exaspé-
rée, et, dans sa rage, elle attribuait la défaite aux com-
missaires de la Convention. Les représentants furent
hués plusieurs fois, et, de leur aveu, exposés aux pro-
pos les plus indécents. Ruamps se vit assailli par des
hussards et dut chercher un refuge dans la division de
Ferey. c II s'humanisa à un tel point, dit Saint-Cyr,
qu'il finit par nous paraître un bon homme *. »
Mais la division de Ferey, qui formait la gauche de
l'armée, était encore intacte, encore solide, vigoureuse,
* Les représenlanis au Comité, 18 oct. 1793 (A. G.) ; Saint-Cyr,
I, 132.
HAGUENAU 249
et n'avait pas essuyé de revers. Le centre et la droite,
entraînés par le courant de la déroule, n'offraient plus
de consistance sérieuse, a Les chefs, écrivait l'accusa-
teur militaire Clément, n'ont montré Di tête ni courage.
Nos soldats ne savaient où se rallier. J'ai vu des canon-
niers pleurant, et je les vois encore demandant des
chefs. J'ai vu, non une retraite, mais une confusion;
rien n'était ordonné ; peu de monde a fait son devoir. »
6,000 hommes, criant à la trahison des généraux, avaient
fui sur le chemin de Haguenau et jusqu'à plus de douze
lieues. Ils remplissaient Schiltigheim et assiégeaient les
portes de Strasbourg. Plus de mille furent ramassés en
vingt-quatre heures par les commandants des places;
les autres échappèrent à toutes les recherches et rega-
gnèrent leurs foyers *.
L'indiscipline n'avait jamais été si grande. Les offi-
ciers, les soldats se divertissaient dans les villes et
ne répondaient pas aux appe'.s. Ils passaient le temps
à la taverne et rentraient au camp, « énervés par la
fureur des libations ». Quelques-uns se querellaient et
en venaient aux coups, d'autres ne payaient pas leur
écot. La plupart craignaient de faire le moindre effort
et de supporter la plus légère fatigue. Il y en eut qui
refusèrent d'aller au feu. « La bravoure individuelle,
écrivait l'adjudant-géuéral Demont, ne suffit pas ; il faut
une parfaite harmonie et un juste ensemble. » Aussi,
l'armée du Rhin ne put-elle disputer le terrain aux en-
vahisseurs'.
*■ Clément à BouchoUe, 14 oct. ; Dièche à Bouchotte, 15 oct. ; les
représentaats au Comilé, 18 oct. ; note de Legrand (Â. G.) ; Mon,,
du 22 oct.
* Charlemagne à Dupin, 21 oct.; Pichegru à Bouchotte, 13 nov.;
Demont au Comité, 16 oct. (â. G.). Demont (Joseph-Laurent), né à
2^0 WISSBMBOURO
Elle s'était retirée dans la soirée du 13 octobre sur
Soultz et Surbourg. Mais Dubois, qui commandait la
droite, avait reculé trop loin ; elle dut occuper une se-
conde position entre Haguenau et Bischwiller. Elle
tenait ainsi les ligues de la Moder.
Ces lignes, construites pendant les campagnes de
Turenue, s'étendaient dlogwiller à Druseoheim et pré-
sentaieot une suite de redans qui formaient avec les
courtines, selon la configuration du sol, un angle plus
ou moins droit. Elles étaient, sur certains points^ en
aussi bon état que les lignes de Wissembourg. Ailleurs,
et notamment aux environs de Haguenau, elles avaient
presque entièrement disparu du sol sablonneux. Situées
sur la crête d'une éminence de médiocre élévation, elles
dominaient la vallée, fort large et peu profonde, de la
Moder; mais elles étaient trop éloignées de la rivière et
pouvaient en défendre d'autant moins le passage que
la Forêt sainte ou forêt de Haguenau, très rapprochée
de la Moder, masquait l'attaque des ennemis. Elles
offraient toutefois quelques avantages. L'armée qui les
occupait, s'appuyait en même temps aux montagnes et
au Rhin. Au centre, il est vrai, se trouvait Haguenau,
et il ne restait des fortifications de la ville que des ou-
vrages avancés où la cavalerie montait aisément à Tas-
sant, UQ chemin couvert à peine reconnaissable et boule-
Sartrouville (Seine-et-Oisc), était ûls d'un chevalier de Saint-Louis,
oflicier aux gardes Suisses ; successivr ment cadet au régiment suisse
de Vigier, sous-lieutenant, lieutenant, aide-major avec brevet de ca-
pitaine au licenciement des régimenls suisses, adjoint à Fétal-major
de Purmée du Rhin [1*' oct. 1792), adjudant- général avec grade de
lieutenant-colonel (19 mai 1793], ii devait être suspendu par Bou-
chotte, puis remis en activité sur la proposition de Clarke. Il fut
promu général de brigade le 17 pluviôse an VII et général de divi-
sion le 21 décembre 1805.
HAGUBNAU 224
versé chaque année par la bêche ou par le soc de la
charrue, une muraille flanquée de tourelles et protégée
de distance en distance par des demi-lunes dont le
parapet, formé de sable mobile, n'avait pas la moitié de
répaisseur convenable. Mais, à droite de la position, le
bourg de Drusenheim, entouré de retranchements bien
fraisés et bien palissades, fournissait sur la Moder une
solide tète de pont qui facilitait un retour offensif et
Tapprovisionneraent de Fort- Louis. Telles quelles, les
lignes de la Moder valaient celles de la Lauter ou toute
autre position de la basse Alsace et du Palatinat. entre
Rhin et Vosges *.
Mais Garlenc craignait d*èlre enveloppé par les vain-
queurs. Il évacua Haguenau, après avoir fait remuer à
deux bataillons quelques pelletées de terre, et vint éta-
blir son quartier-général à Hoerdt, derrière la Zorn.
Il n'avait pas néanmoins lâché Drusenheim. Sa droite
s'adossait à ce poste et s'étendait sur la Zorn par Herr-
lisheim et Offendorf. Son centre campait parallèlement
à la rivière et barrait le chemin de Bischwiller à Stras-
bourg. Ses troupes légères observaient la chaussée de
Brumath à Stephansfeld. Son avant-garde occupait
Weyersheim \
Il ne resta pas longtemps dans cette position. Wurm-
ser poussait sa pointe. Le 45 octobre, les Impériaux
étaient à Soultz. Ils y célébrèrent une messe solennelle,
et, après avoir chanté le Te Deum au milieu des salves
de mousqueterie et d'artillerie, ils brûlèrent en un feu
de joie des drapeaux républicains, des écharpes muni-
cipales et un gros amas d'exemplaires des décrets de la
» Note de Legrand (A. G.) ; Gebler, 134 « lignes insigniEanleg,
mais qui servaient à gagner du temps et à rallier une armée >.
• Demont au Comité, 17 octobre (A. G.).
222 wissBMBOUBe
Convention. Le 17, ils prenaienl possession de Hague-
nau. Le 18, ils s'ébranlaient pour camper entre Bat zen-
dorf et Kriegsheim. Les rapports des éclaireurs et des
paysans leur avaient fait croire que les Français
s'étaient déjà repliés derrière la SoufTel, et tranquille-
ment, sans souci, sans précaution aucune, ils mar-
chaient sur Brumath. L'avant-garde, commandée par
Meszaros, entrait à peine dans le village qu*elle fut
saluée par un feu d^artillerie qui partait du pont, et par
une grêle de coups de fusil qu'on lui tirait de toutes les
fenêtres. Meszaros recula. Mais Tavant-garde française,
sortant de Weyersheim, l'attaqua sur les flancs, pen-
dant que la cavalerie assaillait ses derrières à Weit-
bruch et menaçait de lui couper la retraite. Un hasard
le sauva. Kavanagh avait quitté Soultz deux heures plus
tôt que ne le prescrivaient ses instructions : il eut le
temps d'accourir à Weitbruch avec les brigades Kos-
poth et Brunner *.
L'action était honorable pour les Français. Si la cava-
lerie légère méritait les blâmes de Carlenc, les dragons
avaient exécuté des charges vigoureuses. Donadieu,
capitaine au 11 ^^ régiment de cette arme, prit un éten-
dard qu'il offrit dix jours plus lard à la Convention.
Deux escadrons du môme régiment dégagèrent brillam-
ment une compagnie d'artillerie volante qui s'était laissé
envelopper et qui perdit une de ses pièces.
Mais, comme à son ordinaire, la droite n'avait pas fait
son devoir. Dès que Dubois vit le prince de Waldeck
marcher à sa rencontre, il abandonna Drusenheim, et à
tire d'aile gagna la Wantzenau. Un instant, il avait mis
1 Gebler 135-136 (les Autrichiens avaient 127 hommes tués ou
blessés); Demont au Comité, 19 octobre (Â. G.) ; Mon,^ du 29 oc-
tobre 1793; d'Ecquevilly, I, 201-206.
HAGUBNAU 223
sa division en ordre de bataille dans la plaine entre
Offendorf et Gambsheim. Soudain, on vint lui dire
qu'un corps considérable filait le long du Rhin, à deux
lieues derrière lui. La nouvelle était fausse et invrai-
semblable. Dubois déclara la retraite nécessaire. Elle
fut couverte par La Boissière, un de nos meilleurs offi-
ciers de cavalerie *. La Boissière, a dit un contemporain,
se replia « à la tète d'un petit corps avec cette bravoure
et cette intelligence qui caractérisent un militaire con-
sommé, ne cédant de terrain que ce qu'il voulait en
céder, présentant toujours à Tennemi une attitude im-
posante, multipliant ses forces par la fréquence et la
rapidité de ses mouvements V »
Cette reculade de la droite entraînait celle du centre!
Garlenc tint un Conseil de guerre auquel assistaient
sept représentants du peuple. Il fallait prendre une ré-
solution décisive. La plupart des conventionnels propo-
saient de se jeter sur la roule de Saverne. D'autres
demandaient naïvement si Ton ne pourrait pas ranger
les troupes en baie sur la chaussée. Le commissaire-
ordonnateur Villemanzy et le chef du génie Clémencet
l'emportèrent. Ils opinèrent que l'armée du Rhin devait
conserver ses communications avec l'armée de la Mo-
selle, laisser sa gauche à Saverne et placer sur-le-champ,
dans la nuit même, sa droite et son centre derrière
la Souffel. La place de Strasbourg, ajoutait Villemanzy,
a constamment approvisionné les camps ; ses magasins
1 La Boissière était noble ; il commandait naguère le 2* régiment
de chasseurs à cheval et il était, depuis le 7 octobre, général de bri-
gade provisoire.
* Note de Legrand (Â. G.). Le rédacteur du Cabinet topographique
rapporte qu'il se rendit à Strasbourg le 16 et qu'il demanda auparavant
les ordres de Dubois ; • nous nous Terrons bientôt dans celte place > ,
lui répondit le général.
224 WISSKMBOURa
de vivres et de munitions sont épuisés ; elle ne peut sou-
tenir un siège ; l'abandonner à elle-même, c*est signer à
Tavance sa capitulation '.
L'armée du Rhin se retira donc le 48 octobre, à huit
heures du soir, derrière la petite rivière de la Soufifel,
sous le canon de Strasbourg. Uavant-garde commandée
par Gombez, campait à la Wantzenau et détachait un
bataillon au Jardin d'Angleterre. La droite avait pris
position à Souffelweyersheim , et le centre, à Ven-
denheim, à Lampertheim, à Mundolsheim, à Nieder*
> Noie ÎDédite de Clémencet ; note de Legrand [Â. G.) ; Lavallette,
Mém.^ I, 130. Voir sur Villemanzy, outre Sépur, Mém ^ 1834, I,
252 et 415, Invasion prussien» e, 87; Eœpéd, de Custine^ 217; Mayence^
69, et plus haut, p. 186. Dans cette môme soirée du 18 octobre, où
il donnait un si sage conseil, Villemanzy était pris à Brumatb par des
hussards autrichiens pendant quHl faisait emballer et charger ses pa>
piers. On Taccusa d'avoir exprès relardé son départ, et le 13 dé-
cembre, Dubois - Craucé , ignorant sa capture, demandait que le
Comité de Salut public ouvrît enfin les yeux sur « cet agent vil et
bas des Lameth, qui était parvenu à se faire employer >. [Mon» y du
15 décembre.] 11 est certain que Villemanzy se laissa prendre (cf.
les témoignages de Baudot, Mon., 17 mars 1794; d'Eickemeyer,
Denkw., 184, d'Ecquevilly, I, 207-208; de Wurmser, Wagner, 279),
qu'il correspondait avec Vioménil et qu'il ne cacha pas à Wurmser la
triste situation de l'armée. Mais, dit Legrand, t je n'ai pas ren-
contré un soldat, un officier, un commissaire des guerres, un admi-
nistrateur militaire, qui ne déclarât hautement que Villemanzy joi-
gnait à une activité infatigable des talents prodigieux pour la partie
si imporlante qui était confiée à ses soins. Sa facilité, suite ordinaire
de l'ordre qu'il mettait dans son travail, était admirable, et on
convient que dans les temps difficiles, l'armée aurait marqué vingt
fois de subsistances sans les ressources étonnantes qu'il trouvait là où
les autres n'en voyaient aucune. Les représentants du peuple, qui ne
l'aimaient pas, n'avaient jamais osé le destituer, dans l'impossibilité
de le remplacer. > Custine le nommait t un homme de la plus haute
intelligence et grand travailleur > [lettre à Pache, 31 oct.) et Biron
écrivait .que bien que « terriblement étourdi > par la journée du
10 août, il était c précieux à conserver i et « avait tout ce qu'il faut
pour taire un bon intendant d'armée > [à Servan, 17 sept, 1792,
A. G.).
HAQUEMA.U 225
hausbergen. La cavalerie qui formait deux corps, sous
Diettmann et Lafarelle, occupait Hœnheim, Miltelhaus-
bergen et Oberhausbergen. Le quartier-général était à
Scbiltigheim et Tambulance à la Robertsau.
Mais cette suite de revers et de retraites avait achevé
de rebuter Tarmée. Les soldats étaient entièrement démo-
ralisés. Un coup de canon les mettait hors d'eux-mêmes ;
la plus légère alerte les livrait à la panique; on avait
une peine extrême à rétablir dans leurs rangs un peu
d'ordre et de calme, a II règne, mandait Demont au Go-
mité, une faciliié à s'étonner du moindre événement im-
prévu i>, et il ajoutait que les entreprises les mieux com-
binées ne dépendaient plus que du hasard. Garlenc, saisi
de désespoir, ne cessait d'offrir sa démission ; il assurait
qu'il n'avait accepté le commandement que dans l'espoir
d'être remplacé sous peu de jours, qu'il servirait plus uti-
lement à la tête d'une division, qu'il ne savait conduire
une armée. Les représentants ne cachaient pas leur dou-
leur : ils voyaient les troupes « épouvantées par le nombre
des ennemis, manquant de confiance aux lumières des
généraux, confondant Tincapacilé avec la trahison » ; ils
jugeaient que le soldat n'avait plus « cette assiette tran-
quille qui mène aux grandes vertus » ; ils se plaignaient
de ne trouver que des chefs ignorants qui faisaient des
fautes. Il fallait donc, disaient- ils, employer de puissants
moyens ; il fallait réveiller le courage abattu ; il fallait
envoyer un bon général et un renfort de douze à quinze
mille hommes ; il fallait mettre Strasbourg en état de dé-
fense ; la place serait incessamment assiégée, elle avait
vingt-huit mille sacs de grains, mais toute sa provision
de poudres était consommée ^
1 Demont et les représentants au Comité, 19 oct.; Carlenc à Bou-
chotte, 14 et 20 oct. (A. G.}.
WISSEMBOURG. 15
226 WISSBMBOURa
Heureusement Wurmser perdit du temps. Ou croyait
qu'il ferait le 20 octobre un nouvel effort* Il ne bougea
pas; il établissait son quartier-général à Bcumath^ « point
central, dit Demont, autour duquel son. armée formait
une espèce de croissant * 9.
Pourtant, le 26 octobre, à la pointe du jour, Waldeck
assaillit Tavant-garde française dans la Wantzenau. L'at-
taque, rapporte Demont, se fit « avec une violence et une
vivacité surprenantes ». Tout favorisait les Autricbiens :
ils connaissaient le mot d'ordre que leur avait livré le
domestique de Béril, cbef de brigade du 8^ chasseurs à
cheval ; ils avançaient à la faveur du brouillard ; ils abor-
daient une position dont le front était trop étendu, et des
marais, des fossés, un seul pont à demi-portée de canon
de la ligne de bataille, rendaient la retraite des républi-
cains très difficile. D'ailleurs, les Français ne se gardaient
pas, et leur cavalerie se mettait en selle que Fennemi
poussait ses hourras au milieu du village. Ils s'enfuirent
précipitamment en laissant aux mains de Tagresseur
cent soixante prisonniers, quatorze canons et deux obu-
siers. Mais le brave Gombez les rallia derrière la Souffel
et parvint à se maintenir dans le Jardin d'Angleterre,
En même temps les avant-postes de Meszaros et du co-
lonel prince Hohenlohe se jetaient sur une brigade qui
campait en arrière d'une ligne d'abatis dans le bois de
Reicbstett. La brigade fut un instant refoulée. Mais De-
saix la ramena ; après un combat meurtrier, à la troisième
charge, il réussit à reprendre le bois de Reicbstett et
chauffa^ selon le mot de l'époque, les Impériaux jusqu'à
l'entrée de Hoerdt. L'affaire, lit-on dans les relations au-
trichiennes, fut sanglante et indécise *.
1 Demont au Comité, 23 oct. [A.. G.).
* Demont au Comité, 26 et 28 octobre, note de Legrand (A. G,] ;
HAGUENAU 227
Tels furent les résultats de cette victoire de Wissem-
bourg que les journaux allemands élevaient aux nues.
Trois semaines après son triomphe, Wurmser était à
Brumath^ et les Français, étonnés de son état de tran-
quillité absolue, se demandaient s'il ne projetait pas
quelque vaste entreprise : il se contentait de couvrir le
blocus de Fort-Louis *.
A\^urmser comptait s'avancer sur Strasbourg sans ren-
contrer d'obstacle, 11 s'imaginait que les Alsaciens rece-
vraient les Impériaux à bras ouverts. N'affirmait- il pas
depuis le mois d'avril les « bons sentiments i de la pro-
vince? L'accueil que lui firent les habitants de Wissem-
bourg le détrompa. Vainement son fils cassait la muni-
cipalité républicaine et confiait l'administration à des
royalistes. Vainement on disait une messe solennelle
pour le repos de l'âme de Louis XVI. Vainement on ex-
humait le corps de Mauny, cet émigré fusillé par les car-
magnoles, pour l'ensevelir en grande pompe dans le ci -
metière de la ville. Vainement les patriotes, ceux qu'on
nommait les gueux, durent, le bonnet rouge sur la tète,
balayer les rues; « ils sont suivis, écrit un gentilhomme,
par un caporal -schlague et je trouve la punition char-
mante ». Vainement les Gondéens qui traversaient Wis-
sembourg avaient ordre de crier Vive le Roi, et lorsqu'ils
passèrent devant la maison commune, les princes de
Condé, de Bourbon et d'Enghien, debout au balcon, uni-
rent leurs acclamations à celles de leurs soldats. La po-
pulation demeurait froide et gardait le silence ; pas la
i/o»., 10 nov. (lettre de Milbaud et de Guyardin); Saint-Cyr, I, 139;
d'Ecquevilly, I, 216; eesck. der Kriege^ 1, 234; Gebler, 138; les
Autrichiens avaient, dans celte journée, 22 officiers et 454 soUals
tués ou blessés.
1 Demont au Comité, 30 oct (â. G.].
228 WISSBMBOURG
moindre marque d^enlhousiasme, pas le moindre vivat ;
seules, les femmes osaient avouer leurs préférences mo-
narchiques.
Les émigrés accusèrent Wissembourg de circonspection.
Haguenau leur parut moins tiède ; là du moins, les cœurs
s'ouvraient» s'échauffaient, et le peuple, tout catholique
et nullement gangrené, « pensait à merveille» . Hommes,
femmes, enfants arborèrent spontanément la cocarde
blanche et se jetèrent aux genoux du prince de Gondé
pour lui baiser les mains. Durant plusieurs jours, d'une
porte à Tautre, dès que se montrait un Gondéen décoré
du brassard, on n'entendait que les cris : Vit)e le Edi,
Vive Condéy Vive Varmée des nobles^ Vive la noblesse ! La
ville, livrée naguère aux jacobins, recouvrait son ancien
aspect; ses deux églises étaient rendues au culte; les
stettmestres, les conseillers, tous les ennemis du nou-
veau régime, enfuis sur Fautre rive, reprenaient posses-
sion de leurs maisons et de leurs biens ; les vieux cos-
tumes et les longues perruques reparaissaient dans les
rues ; on reconnaissait des visages qu on n'avait pas vus
depuis deux, trois années '.
Mais, lorsque Gondé désira réunir sous ses drapeaux
quelques milliers d'Alsaciens fidèles, Wurmser s'emporta :
la cour de Vienne ne souffrirait sous aucun prétexte que
le prince grossît sa petite armée Les émigrés comprirent
que TAulriche voulait s'approprier TAlsace. Leur colère
s'accrut lorsqu'ils virent dresser sur les routes du Bas-
Rhin des poteaux où figurait, au lieu des fleurs de lys,
l'aigle autrichienne. Les habitants partageaient leur in-
dignation. Wurmser venait donc en conquérant, et non
> Du Rosier à Linape, 16 oct. (A. G.): d'Ecquevilly, I, 193-198,
201-204 ; Romain, il, 476-478 ; Klelé, Haguenau zur Zeit der Révo-
lution, 1885, p. 179 ; note de Legraud (A. G.).
hâGUBNau 229
en libérateur I Plusieurs, oulrés, exaspérés, s'enrôlèrent
dans les troupes républicaines. Gomme Ta dit Lavallette,
on était Français en Alsace et Ton détestait encore plus
les Autrichiens que les révolutionnaires *.
A ce sentiment de patriotisme se joignit Thorreur que
soulevèrent les cruautés des manteaux rouges. Élevés et
organisés à la turque, ils coupaient la tête aux chrétiens
qu'ils avaient tués. Leurs ravages, leurs excès de toute
sorte firent exécrer le nom autrichien. On ne parlait
qu'avec effroi de ces cavaliers aux cheveux noirs, aux
pommettes saillantes, au regard farouche, à la taille co-
lossale *.
Enfin les Prussiens ne secondaient leurs alliés qu'à
contre-cœur et avec leur mollesse coutumière. Brunswick
avait rendu visite à Wurmser après la prise des ligne?
de Wissembourg. Il le félicita, l'embrassa, le nomma le
vainqueur de la Lauter, lui dit les choses les plus obli-
geantes du monde, assura que cette expédition était la
plus sérieuse, la plus belle qu'il eût jamais vue, et
Wurmser, de son côté, remercia Brunswick de son assis-
tance et rappela son sauveur ; « les Prussiens, répétait-il,
sont venus à propos et m'ont fait grand bien ». Mais,
lorsqu'au sortir des compliments et des congratulations,
les deux généraux s'entretinrent des mouvements ulté-
rieurs des armées, ils ne s'accordèrent plus. Wurmser
invitait le duc à faire des démonstrations sur sa droite»,
et le duc répondait : « Non seulement des démonstrations t
J'attaquerai aussi; les Prussiens rougiraient de n'être
que des spectateurs. » Wurmser insista ; Brunswick ne
« Lavallelle, Mifm., I, 131 ; dEcquevilly, I, 204-205 ; SouU, I, 69.
* Laukhards Leben und Schicksale, 1796, 111, 482 ; Remintseemen
aus dem Feldzuge am Rkein^ von einem Mitgliede der damaligea
preuss. Rheiu-armee, 1802, p. 54.
230 WISSEMBOURG
pourrait- il assiéger Sarrelouis? Le duc répliqua froide-
ment que les ordres de son roi lui liaient les mains ; qu'il
ne saurait dépasser Wœrth ni engager ses troupes dans
des opérations que Sa Majesté prussienne n'approuverait
pas ; qu'il prendrait bientôt ses quartiers de cantonne-
ment, la droite à Kaiserslautern et la gauche à Spire.
Wurmser pria le duc de s'emparer des forts de Lichlen-
berg et de la Petite-Pierre ; Brunswick objecta qu'il n'avait
pas d'artillerie de siège. Pourtant, il envoya le général-
major duc de "Weimar reconnaître la contrée ; mais le duc
de Weimar rapporta que les forts de Lichtenberg et de
la Petite-Pierre étaient défendus chacun par cinq cents
républicains et abondamment pourvus de vivres et de
munitions. Finalement, Brunswick consentit à détacher
de son armée un corps de six mille hommes qui bloque-
rait Landau *.
« Il n'y a rien à espérer des Prussiens », mandait
Wurmser à Ferraris, ils ne veulent rien faire du tout,
a sie wollen gar nichts thun », et il annonçait qu'ils traî-
neraient en longueur le siège de Landau, comme celui
de Mayence. Ferraris et Thugut partageaient l'avis du
vieux général '. Ferraris disait tristement que les Prus-
siens étaient résolus à ne plus agir, qu'on ne pouvait plus
« considérer pour quelque chose » l'armée de Brunswick,
qu'on ne devait même pas demander à de tels alliés une
« coopération quelconque », et il conseillait à Wurmser
d'assurer aussitôt ses quartiers d'hiver. Thugut flétris-
sait dans ses dépêches a l'inactivité » de Frédéric-Guil-
laume, sa « conduite vraiment inouïe », ses « procédés
1 Zeissberg, I, 321-322, 329; Wagner, 150, 153; d'Ecquevilly,
I, 200.
» Zeissberg, I, 329, 330, 341, 3o2.
HAGUENAU 231
révoltants s> ; mais il mêlait aux invectives de noires
prévisions. N'est-il pas à craindre, écrivait-il, que les
Français, revenant à la charge avec des forces infini-
ment supérieures, n'obligent Wurmser d'abandonner
l'Alsace et « ne nous privent de tout le fruit d'une cam-
pagne qui a coûté tant de sang et tant de dépense » ?
Il devinait juste.
FIN.
6
I
1 !
TABLE
CHAPITRE pr
RULZHEIM
1. Gusliae rejeté sur Landau. — Ses premières alarmes. —
Ses mesures de défense. — Il reçoit de nouveau le commande-
ment des deux armées de la Moselle et du Rhin. — Mission
de Berthelmy. — Houchard remplace d'Abo ville à Tarmée de
la Moselle. — Custine à SarrebrQck. — Indiscipline. — IL Les
représentants du peuple. *- Lettre du général au duc de Bruns-
V7ick. — Querelle avec Montaut, Ruamps et Soubrany. —
Custine à Tannée du Nord. — IIL Laadremont à Herxheim. —
Affaire du 17 mai. — Panique. — Rôle de Ferrier. — Ses dé -
mêlés avec Custine. — Positions des armées de la Moselle et
du Rhin . — Le camp de Hornbach 1
CHAPITRE II
ARLON
I. Dietlmann. — Beauharnais, général en chef de l*armie du
Rhin. — Plan de Eilmaine. — Diversion sur Arlon. — Marche
de Delaage. — Arrivée de Beauregard. — Bataille sanglante et
inutile. — Chasseloup-Laubat et Sorbier. — II. Le grand plan
de Custine. Opposition de Bouchotte, de Beauharnais, de Hou-
chard) des représentants. — Le plan approuvé puis rejeté par le
Comité de Salut public 26
234 TABLE
CHAPITRE III
MAYBNCE OU LA MORT
I. Beauharnais. — Conférence de Bitche. — Plan d'attaque.
— Dispositions des alliés. — II. La marche en avant. — En-
gagements du 19 et du 22 juillet. — Capitulation inattendue de
Mayence. — Retraite de l'armée du Rhin. — III. L'armée de
la Moselle. — Leimen. — Fureur de Houchard. — Incendie du
Carlsberg. — IV. Houchard, général en chef de Tarmée du
Nord. — Schauenburg lui succède 42
* CHAPITRE IV
LES REPRÉSENTANTS
Mission de Prieur de la Marne et de JeanlMD Saint-André.
— Renforts fournis- par l'armée de la MoseMe à Tarmée du Nord.
— Conférences de Bitche.- — Désorganisation. -^ Remplaetment
des officiers nt)bles.— - Bouchotte. ^- Les commiscaires du pou-
voir exécutif. -^ -Les repréBantants du peuple aux 'années du
Rhin et de la Moselle. — Leur conduite à Tégard ttescirdevant.
— L-eurs pouvoirs et leur rôle. — Gentil, Cusset, Lacoste,
Ruamps. -^ Services qu'ils ont rendus. — ^ Sentiments de l'ar-
mée. — L'habit bleu.— L'amalgame. — L'avaiieement . ..... 63
CHAPITRE V
LE KETTERIGH
I. Les théoristes prussiens. — Stratégie lente et compassée.
— Raisons politiques plus puissantes encore. — Dessein du roi
de Prusse. — Mission de Waldeck. — II. Positions de l'armée
de la Moselle. — Mouvements des Prussiens. — Combat du
13 août. — Le chef de brigade Félix. — Le Ketteiich enlevé le
17 août. — Fuite de Reubell sur Bitche. — Le Ketterich repris
et perdu le 20 août par Lagoublaje. — La Main-du-Prince. —
Inaction de Brunswick 92
TABLB t^^
CHAPITRE VI
BERGZABEBN
I. Wurmser. '~- Son armée. — Les émigrés. — II. Combats
du 20, du 21, du 23 et du 24 août. — Le maire de Bergzabern,
Adam Mayer. — Reculade des Français. — Doléances de Beau-
harnais. — Sa démission 103
CHAPITRE VII
LA LEVÉE EN MASSE
I. Landremont. — IL Décrets du 16 et du 23 août. — La ré-
quisition et la levée en masse. — Proclamations des représentants
et des généraux. — Illusions de Landremont. — Désertion des
agricoles. — Parodie du mouvement de 1792. — Témoignage d'un
Alsacien. — III. Pandourades de Wurmser et sa colère contre
les Prussiens 111
CHAPITRE VIII
LES PASSAMES DU RHIN
Lehrbach au camp prussien. — Négociations inutiles. -^ In-
cendie de la forêt de Bienwald. — Projet de diversions sur le
Rhin. — Combats du 12 septembre. — Girardot au fort Vau-
ban. — Sparre et Bizy. — Incendie de Eehl. ^- La division
du Haut-Rhin. — Faick, Monter, Vieusstux. — Labruyère.
— Passage de Huningue. — Embrasement de Vieux-Brisach.
— Passage de Niffer 126
GHAPITRE^IX
BUNDEKTHAL
L.Les gorges de la Lauter. — Nothweiler. — Buadenthal.
— Fuite de d'Arlande. — Pejacsevich à Bundenthal. — IL Gou-
236 TABLE
vioo SainUCjr. — Le Lindenscbmidt et le Hohenburg. —
Malet. ^- Le canoa du KappensteiD. — Victoire des républicaiDS.
— L'émigré Mauny 143
CHAPITRE X
PIRMA5BNS
René Moreaux. — Démoostretion du 12 septembre. — Conseil
de guerre du 13 septembre. — Marche de nuit du corps des
Vosges. — Dispositions de Brunswick — Ardeur des repré-
sentants. — Déploiement des colonnes. — Charge des dragons
et des chasseurs. — Le ravin du Blûmesthal. — Déroute. —
Le général Guillaume. — Diversion de Schauenburg 159
CHAPITRE XI
HORNBACH
L Ferraris au quartier-général prussien. — Plan de Tétat-
major. — Hornbach, clef de la position françùse. — Prise de
Blieskastel, de Saint Imbert et de Hornbach. — Effroi et désor-
ganisation de l'armée de la Moselle. — Retraite sur la rive
gauche de la Sarre. — H. Traité de Pétersbourg. — Diète de
Grodno. — Le roi de Prusse quitte l'armée. — Ascendant de
Manslein* ~- Inaction de Brunswick. — Sécurité de Tarmée de
la Moselle 171
CHAPITRE XII
WI^SBMBOURQ
L Combats du 18, du 19 et du 20 septembre. — Acharne-
ment des deux partis. — Craintes de Landremont. — IL Re-
crudescence de colère contre les ofBciers nobles. — Suspension
de Landremont. — Delmas et Pichegru. — Message alarmant
de Clarke. — L'intérim de Muinier. — Carlenc, général en chef
de Tarmée du Rhin. — III. Le plan de Carlenc. — Ses lieute-
nants. — Suspensions sur suspensions. — Les lignes de la
TABLE 237
Lauter. — IV. Eotrevue de Pirmasens. — Ferraris et Brun-
swick. — Bataille du 13 octobre. — Waldeck à Seltz. — Jel-
lachich à Lauterbourg. — Hotze dans le Bieuwald, à Saiat-Remy
et à Schleithal. — eMszaros à Steinfeld. ~- Prise dé la grande
redoute. — Meynier et Combez. — Victoire de Wurmser. —
Entrée des Autrichiens à Wissembourg. — V« La division des
montagnes. — Retraite de Ferey. — Brunswick maître des
gorges • 183
CHAPITRE XIII
HAGUENAU
Découragement de Tarmée du Rhin. — Les lignes de la
Moder. — Combat de Brumath. — Abandon de Druseuheim.
— Dubois et La Boissière à Gambsheim. — Conseil de guerre.
— Opinion de Villemanzy. — L'armée derrière la Souffel. —
Surprise de la Wantzenau. — Desaix à Reichslett. — Autri-
chiens et Condéens à Wissembourg et à Uaguenau. — Brunswick
et Wurmser, — Appréhensions de Thugut 218
VERSAILLES, IHP. CERF ET C'', RUE DUPLE8SIS,
59.