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LES HISTORIETTES
TÂLLEMÀNT DES BEAUX
TROISIEME EDITION
ENTIEREMENT HEVUE SUR LE MANUSCRIT ORIGINAL
ET DISPOSÉE DANS C N NOUVEL ORDRE
MM. DE MONMERQUÉ ET PAUFJN PARIS
TOME DEUXIEME
/ Le dernier volume contiendra la table générale \
de tous les noms cités dais l'ouvrage. J
PARIS
CHEZ J. TECHENER LIBRAIRE
PLACE DE LA C0L0NMAD8 DU LOUTRE
M DCCC LIV
LES HISTORIETTES
TALLEMANT DES REAUX
TVPOGRAPHIE DE A. WITTERSHEIM,
IDB KOMIBOBBHCT, 8.
LES HISTORIETTES
TALLEMANT DES REAUX
TROISIEME EDITION
ENTIEREMENT REVCE SCU LE MANUSCRIT ORIGINAL
ET DISPOSÉE DANS UN NOUVEL ORDRE
MM. DE MONMERQUÉ ET PAULIN PARIS
TOME DEUXIEME
PARIS
CHEZ J. TECHENER LIBRAIRE
PLACE DE LA COIONHADE DU LODTRE
M DCCC LIV
LES
HISTORIETTES.
LXX.
LE CARDINAL DE RICHELIEU.
(Armand-Jean du Plessis , évêque de Ltiçon , vurdinal-duc de Richelieu;
7tc à Paris, 5 septembre 1585, mort à Paris k décembre 1642. )
Le père du cardinal de Richelieu estoit fort bon
gentilhomme. Il fut grand prévost de l'Hostel, et che-
valier de l'Ordre; mais il embrouilla furieusement
sa maison. Il eut trois filz et deux filles. L'aisnée fut
mariée à un gentilhomme de Poitou, nommé Yigne-
rot. Qui estoit un homme dubiœ nobilitatis*. Il se René de vignerot,
' 1 sieur de Pont de
poussoit pourtant à la Cour, et estoit tousjours avec ^""'"'^y-
les grands seigneurs : il jouoit avec M. de Crequy et
M. de Rassompierre. L'autre espousa le marquis de
Rrezé *, depuis mareschal de France. L'aisné des gar- ^quis'^de Brezé! '
çons* estoit un homme bien fait et qui ne manquoit ^^""'^icheueu'^"^''
pas d'esprit : il avoit de l'ambition et vouloit plus des-
penser qu'il ne pouvoit ; il affectoit de passer pour un
des Dix-sept seigneurs : en ce temps-là on appella
ainsy les dix-sept de la Cour qui paroissoient le plus.
2 LES HISTORIETTES.
Marguerite fiuyot Qn (lit ouG SIX femiiiG *, coiiime iiii taillGui' luv de-
(les t;linrraeaux. n ' J ^^
mandoit de quelle façon il liiy feroit une robe :
« Faittes-la, » dit-elle, « comme pour la femme d'un
» des Dix-sept seigneurs. « Mais, quoyqu il fist fort le
seigneur, et qu'effectivement il fust de bonne nais-
sance, il ne passoit pas pourtant pour un homme de
qualité : c'est ce qui est cause que le cardinal de Ri-
chelieu a eu tant de foiblesses sur sa noblesse et sur
sa naissance. Ce M. de Richelieu se mit bien auprès
d'Henry 1V% qui vouloit tout sçavoir, en luy contant
ce qui se passoit à la Cour et à la Ville, car ilprenoit
un soin particulier de s'en informer. Il fut tué en duel
En avril 1619, par par Ic marQuis de Themines* filz du Mareschal, à
Cliarles , seigneur (\e '^ '■ '
qu'islre i^L^minés.'"" Angoulesmc, quand la Reyne-mere y estoit , et ne
laissa point d'enfans. Le deuxicsme a esté le cardinal
Alphonse du piessis- (\q Lvou ^, ct Ic dcmier le cardinal de Richelieu.
Richelieu. •> '
Le père avoit fait donner l'evesché de Luçon ' à son
Fin de 160S. second filz, qui le quitta* pour se faire chartreux. Le
troisiesme fut destiné à l'Eglise, et eut cet evesché au
lieu de son frère. Estant sur les bancs de Sorbonne,
il eut l'ambition de faire un acte sans président ; il
27 octobre 1607, (jesdla ses thèses au roy Henry I V" *, et quoyqu'il
fust fort jeune, il luy promettoit dans cette lettre de
rendre grands services, s'il estoit jamais employé. On
a remarqué que de tout temps il a tasché à se pous-
ser, et qu'il a prétendu au maniement des affaires ^.
* C'est peu de chose.
Le 17 avril 1607. ^ Il alla à Rome et y fut sacré evesque*. Le Pape luy demanda
s'il avoit l'âge; il dit que ouy, et après il luy demanda l'absolution de
luy avoir dit qu'il avoit l'âge, quoyqu'il ne l'eust pas. Le Pape dit :
« Questo giovane sara un gran furbo. »
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 3
Les Estats-erenéraux où il fut député *, luy don- Kni6n,pourieciergé
nerent lieu d'acquérir de la réputation. Il fit quel-
ques harangues qu'on trouva admirables*; on ne s'y J^ulefie asflvrier
connoissoit guères alors.
Après la mort d'Henry IV% Barbin , surintendant
des Finances, qui estoit son amy , le fit faire secré-
taire d'Estat par le mareschal d'Ancre*. ^^ novembre tw.
Il y a un assez meschant historien, nommé Tous-
saincts le Grain, qui a mis, dans l'Histoire de la ré-
gence de Marie de Medicis, que le Roy dit à M. de
Luçon, qu'il rencontra le premier dans la galerie,
après que le mareschal d'Ancre eust esté tué * : « Me " ''^"' ^^^''■
» voylà deslivré de vostre tyrannie, monsieur de
» Luçon. » Le cardinal de Richelieu, quand il fut le
tout-puissant, ayant eu avis de cela, crut qu'il luy
importoit de faire supprimer cette histoire. Il en
fit rechercher avec seing les exemplaires, et cette
recherche fut cause que tout le monde achetta ce
livre, et qu'on a sceû ce qu'on n'auroit peut-estre
jamais appris sans cela.
La Reyne-mere ayant esté reléguée à Blois, M. de
Luçon fut relégué à Avignon*, afin qu'ils n'eussent Avruieis.
aucune communication ensemble. Mais quand feu
M. d'Espernon mena la Reyne à Angoulesme, M. de
Luçon l'y fut trouver*. Ce fut là que l'abbé de Rus- •*^"' ""•
cellai florentin et luy disputèrent dix ou douze
jours de la faveur auprès de la Reyne-mere, et
l'Abbé l'alloit emporter sur l'Evesque, si M. d'Es-
pernon, tout-puissant en cette petite cour, n'eust
combattu de toute sa force l'inclination de la Reyne.
A une Ueiie d'An-
gers, sur la Loire; 7
août 1620.
vol
gneur de Combalet
a LES HISTORIETTES.
La droslerie des Ponts-de-Sé * vint en suitte : le
baron de Fœneste s'en mocque assez plaisamment,
et le nom qu'on a donné à cette belle expédition
tesmoigne assez que ce ne fut qu'un feu de paille.
Bautru, dont nous parlerons assez désormais, y avoit
un régiment d'infanterie au service de la Reyne-
mere , et il luy disoit un jour : « Pour des gens de
» pré , madame , en voyià assez ; pour des gens de
» cœur, c'est une autre affaire. » Il dit encore, quand,
pour asseurance d'amitié entre MM. de Luynes et
M. de Luçon, on fit le mariage de M"^ du Pont-de-
Antoine de Beau- Courlay ' avoc Combalct*, que les canons du costé
jlr (lu Roure, sei- «^ ' i
du Roy disoient Combalet^, et ceux du costé de la
Reyne-mere , Pont-de-Couiiaij,
M. de Luynes, à qui le père Arnoul- commençoit
à rendre de mauvais offices auprès du Roy , estant
mort, le Père Souffrant*, autre jésuite, confesseur de
la Reyne-mere , fit une telle peur au Roy du traitte-
ment qu'on avoit fait à la Reyne-mere , qu'il croyoit
desjà que le Diable le tenoit au collet ; car jamais
homme n'a moins aimé Dieu et plus craint le Diable
que le feu Roy . Ces deux confesseurs remirent donc
bien ensemble la mère et le filz , et par ce moyen ,
M. de Luçon se rendit insensiblement le maistre des
affaires, et eut le chapeau de cardinal *.
» mal 16S6. Quand il fit arrester à Fontainebleau * le mareschal
1 C'est Vignerot, aujourd'huy M"* d'Aiguillon.
2 Un jésuite, confesseur du Roy. Il voulut obliger ce Père à luy
révéler sa confession ; le Père n'y voulut jamais consentir, quoyque sa
Ou .les gros-bonnets. Soci(5té l'y voulust obliger. Il en fut tourmenté parles magni-magnos* ^
et en8n on fit prendre un autre confesseur an Roy.
Sufften .
Ko uovembre 16!!.
LE CARDINAL DB RICHELIEU. 5
d'Ornane', Monsieur, dont ce mareschal estoit gou-
verneur , alla à dix heures du soir pester dans la
chambre du Roy à qui il fit peur, et luy dit qu'il
vouloit sçavoir qui le luy avoit conseillé. Le Roy dit
que ç' avoit esté son conseil. Monsieur fut trouver le
chancellier Aligre , qui luy respondit en tremblant
que ce n'estoit pas luy. Monsieur re\dnt, et pesta tout
de nouveau. Le Roy, ne sçachant que luy dire , en-
voya quérir le Cardinal, qui dit asseurément et sans
hésiter que c'estoit luy qui avoit conseillé au Roy de
faire arrester M. le mareschal d'Ornane, et qu'un
jour Monsieur l'en renier cieroit. Monsieur luy dit :
« Vous estes un j — f — » et s'en alla après ces belles
paroles.
Je mettray en passant ce que c' estoit que le chan-
cellier Aligre*. 11 estoit de Chartres, et d'assez mé- en^ueSTmorl^n'ciét
diocre naissance. Il fut du conseil de M. le comte *=^"''"^"^'-
de Soissons , le père. C estoit un homme fort labo-
rieux, un vray cul de plomb, et un esprit assez doux
et assez timide. Après la mort de son maistre, insen-
siblement on le mit du nombre de ceux à qui on
pourroit donner les Sceaux, et en efîect on les luy
donna. Le cardinal de Richelieu ne le gousta pas, et
l'envoya à sa maison de la Rivière, auprès de Char-
tres. Comme ce n'estoit pas un grand génie , on
disoit qu'on l' avoit envoyé à /a rivière*. M. de Maril- ^Th^yau'h/llây''
lac eut les Sceaux.
* Qui empeschoit Monsieur de se marier, parce qu'il voyoit bien que
la maison de Guise i"emporteroit sur luy, et qu'il n'auroit plus de
crédit.
6 LES HISTORIETTES.
* Le Cardinal haïssoit Monsieur ; et craignant, veû
le peu de santé que le Roy avoit, qu'il ne parvinst à
la couronne, il fit dessein de gaigner la Reyne, et de
luy ayder à faire un dauphin. Pour parvenir à son but,
il la mit, sans qu'elle sceust d'où cela venoit, fort mal
avec le Roy et avec la Reyne-mere, jusques là qu'elle
estoit fort maltraittée de l'un et de l'autre. Après, il
Historiette. j^y ^j^ (|jj.ç p^^j. ]^me ^j^ Paj^gig*^ dame d'atours, que
si elle vouloit, il la tireroit bientost de la misère
dans laquelle ellevivoit. La Reyne, qui ne croyoit
point que ce fust luy qui la fist maltraitter, pensa
d'abord que c'cstoit par compassion qu'il lay oflroit
son assistance , souffrit qu'il luy cscrivist, et luy fit
mesme response , car elle ne s'imaginoit pas que ce
commerce produisist autre chose qu'une simple ga-
Calanteric • attcii- lanteric *.
tions snns consé-
Muence. (t'urcticre .) j^^ Cardinal , qul voyoit quelque acheminement à
son affaire, luy fit proposer par la mesme M"" du
Fargis - de consentir qu'il tinst auprès d'elle la place
du Roy; que si elle n' avoit point d'cnfans, elle seroit
Lignes biffées. * * [Le Cardinal se voulut servir de M"* du Fargis, qu'il avoit fait
dauic d'atours do la Reyne régnante, pour la galanterie politique (car
on la peut appeller ainsy) qu'il vouloit faire avec la Reyne. ]
2 Le Cardinal donnoit des rendez-vous à M"* du Fargis chez le car-
Pieire caid. «le Be- dinal de Bcrulle*, à Fontainebleau et ailleurs, de peur de faire trop
eu'iejs?""'^ ^^""*' d'csclat si c'estoit chez luy-mesme, et aussy à cause que ce cardinal
passoit pour un béat. Berulle ci'oyoit que c'estoit pour quelque autre
chose. — 11 parla aussy d'amour à M"" du Fargis, et luy mit le marché
au poing. — Ce fut la cabale des Marillac qui fit Berulle, leur amy, car-
dinal et ministre. Le feu Roy disoit que c'estoit le plus vilain homme
y%lainhotté:how- botté* de tout le royaume. Malleville disoit qu'en trois semaines qu'il
«eois qui fait l'impor- ,. , , „ ,, , ,,^ • -i -^ , i /■ u •
tnnt. fut au cardmal de Berulle, à l'Oratoire, il apprit plus de fourberies
qu'en tout le reste de sa vie. Il y avoit bien de l'hypocrisie ; on l'a veù
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 7
tousjours mesprisée, et que le Roy, malsain comme
il estoit, ne pouvant pas vivre long-temps, on la
r'envoyeroit en Espagne; au lieu que si elle avoit
un filz du Cardinal, et le Roy venant à mourir bien-
tost, comme cela estoit infaillible , elle gouverneroit
avec luy , car il ne pourroit avoir que les mesmes
interests, estant père de son enfant ; que pour la Reyne-
mere, il l'esloigneroit dez qu'il auroitreçeû la faveur
qu'il demandoit.
La Reyne rejetta bien loing cette proposition*; diMf'.'e'-S'reb.ma
mais on ne voulut pas rebutter le Cardinal ; il fit tout
ce qu'il put pour la voir une fois dans le lict, mais
il n'en put venir à bout '.
La Reyne-mere , durant cette intrigue , eut une
passer dans le fond d'un carrosse, par le millieu du Cours, son bré-
viaire à la main, luy qui ne pouvoit quasy lire au grand soleil, tant il
avoit la veûe courte.
1 II ne laissa pas d'avoir tousjours quelque petite galanterie avec
elle ; mais enfin tout fut rompu, quand il descouvrit que la Porte, un
des officiers de la Reyne, alloit recevoir les lettres qui venoient d'Es-
pagne, et que le duc de Lon-aine avoit parlé à elle, desguisé, au Val-
de-Grace ; il y avoit un peu de galanterie parniy. Il fit arrester la Porte*, 12 août ie39.
et le Garde des sceaux, Seguier, interrogea la Rejue au Val-dc-Grace.
Depuis, le Cardinal a tousjours persécuté la Reyne, et pour la faire en-
rager, il fit jouer une pièce appellée Mirame *, où on voit Boucquinquant En i6ii .
plus ajmé que luy, et le héros, qui est Boucquinquant , battu par le
Cardinal. (Desmaretz fit tout cela par son ordre et contre les règles.)
Il la força de venir voir cette pièce.
— Variante: M. de la Rochefoucault dit que le Cardinal estoit fort
amoureux de la Rej'ue, et que de rage, il la vouloit faire répudier ; mais
M"' d'Aiguillon l'en empescha. On accusa la RejTie d'intelligence avec
le marquis de Mirabel, ambassadeur d'Espagne; et le garde des sceaux
Seguier ne l'interrogea pas seulement , mais il la fouilla en quelque sorte ;
car il luy mit la main dans son corps*, pour voir s'il n'y avoit point de Corps fie juppe, i-or-
lettres; au moins y regarda-t-il,et a])procha sa main de ses tétons. Dans -T^age.
le desespoir où il la mit, elle avoit une fois résolu de s'enfuir à Brus-
8 LES HISTORIETTES.
telle jalousie de la Reyne, qu'elle rompit hautement
avec le Cardinal '. La Reyne-mere, qui vouloit domi-
ner, et qui avoit fait eslever le Roy à dessein de le
rendre incapable de faire son mcstier luy-mesme^,
avoit eu peur que la Reyne n'eust du pouvoir sur
son esprit; et pour empescher cette princesse de
s'appliquer à gaigner l'affection de son mary, elle
selles. Le prince de Marsillac, jeune homme de vingt ans, depuis M. de
la Rochefoucault de la Fronde, la devoit mener en croupe ; M""' d'Haute-
fort estoit de la partie : M"^ de Clievreuse, desjà exilée à Tours, devoit
se sauver en Espagne si on luy envoyoit des Heures reliées de rouge, et
si on luy en envoyoit de vertes elle ne devoit bouger. La Reyne réso-
lue de ne point partir, M"* d'Hautefort, par mesgarde ou ayant oublié
ce dont elles cstoient convenues, envoya les Heures rouges. Cela fut
Jiist., t. I, p. 404. cause que M"' de Chevreuse * se desguisa en homme et alla chez le
prince de Marsillac, qui luy donna des gens pour la conduire; cela
fut cause qu'on le tint quelque temps en prison. Depuis, le Cardinal le
prit en amitié et luy offrit de le recevoir au nombre de ses amys. Luy
n'osa l'accepter sans le consentement de la Reyne, qui ne le luy voulut
pas permettre.
— La Reyne régnante avoua qu'on luy pouvoit faire un meschant tour
en cette occasion, car elle avoit esté au Val-de-Grace, où l'ambassadeur
d'Espagne Mirabcl , contre la défense qu'on luy avoit faitte d'aller plus
au Louvre comme il faisoit (car il y alloit sans cesse, et auparavant la
Reyne-mere l'admettoit au conseil) , avoit esté parler à elle, et elle en
avoit quelque reconnoissance. Sur cette affaire de l'ambassadeur d'Es-
pagne, au commencement elle dit bien des sottises ; que son frère la
vengeroit, etc., et atousjours eu intelligence avec luy. Elle ne pouvoit
cacher le chagrin qu'elle avoit des prosperitez de la France, quand c'es-
toit au préjudice de sa maison.
* Et chassa M"°^ d'Aiguillon et M. de la Meilleraye, qui estoit son
capitaine des Gardes. — On a fortmesdit du cardinal de Richelieu, qui
estoit bel homme, avec la Reyne-mere. Durant cette galanterie, elle
s'avisa, quoyqu'elleeust desjà de l'âge, de se remettre à jouer du luth ;
elle en avoit joué un peu autrefois. Elle prend Gaultier chez elle : voylà
tout le monde à jouer du luth. Le Cardinal en apprit aussy, et c'estoit
la chose la plus ridicule qui se pust imaginer, que de le voir prendre
des leçons de Gaultier.
2 Elle ne baisa pas une fois le Roy en toute la Régence.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 9
mit auprès d'elle M""' de Chevreuse et M"*" de la Va-
lette*, deux aussy folles testes qu'il y en eust à la
Cour. La princesse de Conty avoit eu aussy ordre de
la Reyne-mere de prendre garde à tout ce qu'on
feroitchez la Reyne; et celle-cy qui, quoyque vieille,
avoit encore l'amour en teste, estoit bien aise qu'on
fist galanterie. Ce fut elle qui apprit à la Reyne à
estre coquette ^.
En ce temps-là on parla du mariage de la Reyne
d'Angleterre*. Le comte de Carlile et le comte d'Ol- cef mar!"e%''n mTà
land, qui furent envoyez icy pour en traitter, don- ^^^ "'
nerent avis à Bouquinquant, favory du Roy, qui
avoit le roman en teste, qu'il y avoit en France une
jeune reyne galante, et que ce seroit une belle con-
queste à faire ; dez lors il y eut quelque commerce
^ M"= de Verueuil, sœur de M. de Metz.— M""* de la Valette estoit fort
bien avec la Reyne-niere ; M""^ de Verneuil, sa mère, luy dit un jour :
« Madame, mais qu'est-ce que ma fille a donc pour vous plaire ? Cela
» me surprend; car le feu Roy estoit un fort bonhomme, mais il a bien
n fait les plus sots enfans du monde. » • — Elle (M°* de Verneuil) devint
si grosse, que Bautru, en l'allant voir, vouloit payer à la porte, comme
pour voir la baleine. Elle ne s'amusa plus qu'à faire des ragousts, quand
elle vit Henry IV" mort. Elle ne luy a pas esté infidelle : c'est la seule.
2 II arriva une chose assez bizarre en ce temps-là. Le jour que le
Cardinal alla à Luxembourg*, où la Reyne et luy rompirent, le procu- au palais
reur général Mole, qu'il avoit dessein de faire premier président, n'ayant *^" Luxembourg,
pas trouvé M. le Cardinal chez luy, alla le chercher à Luxembourg.
Par malheur le Cardinal, descendant par le grand escalier, le vit qui
montoit par le petit. Il crut que cet homme venoit offrir son service à
la Reyne-mere, et il ne s'en desabusa que long-temps après, qu'il le fit
premier président. Il fut trompé au jugement qu'il fit de luy et du
président Melian. Ce Melian, président des enquestes, avoit plus de
réputation qu'il n'en meritoit. Le Cardinal le fit procureur général, et
il se trouva que ce n'estoit nullement un habile homme ; et, au con-
traire, le procureur général qu'il fit premier président, parce qu'il ne
passoit pas pour un grand clerc, se trouva plus habile qu'on necroyoit.
10 LES HISTORIETTES.
entre eux, par le moyen de M"'" de Chevreuse, à qui
le comte d'Olland en contoit; de sorte que quand
Bouquinquant arriva pour espouser la reyne d'An-
gleterre, la Reyne régnante estoit toute disposée à
le bien recevoir. Il y eut bien des galanteries ; mais
ce qui fit le plus de bruit, ce fut que quand la Cour
alla à Amiens, pour s'approcher d'autant plus de la
mer, Bouquinquant tint la Reyne toute seule dans
un jardin ; au moins il n'y avoit qu'une M™' du Ver-
fe*mml"de*'Bart'ho& uct *, sœuY dc fcu M. dc Luyucs, dame d'atours de
inj,!,iei.rdu veintt. jjj j^^yj^g . jj^g^jg q\\q estolt d'intelligcnce et s'estoit
assez esloignée '. Le galant culebutta la Reyne, et luy
escorcha les cuisses avec ses chausses en broderies ;
mais ce fut en vain, car elle appella tant de fois que
la dame d'atours, qui faisoit la sourde-oreille, fut
contrainte de venir au secours -.
Le Cardinal prit soupçon de toutes les galanteries
de Bouquinquant, et empescha qu'il ne retournast en
France ambassadeur extraordinaire, comme c'estoit
son dessein. Ne pouvant faire mieux, il y vint avec
1 Cette M"^ du Vcrnet fut chassée pour cela ; mais comme elle avoit
gaigné du bien, feu M. de Bouillon la Mark l'espousa. On disoit que
ce du Vernct avoit esté violon, et avoit monstre à danser aux pages du
connestable de Montmorency, en Languedoc. Cependant ils le firent
gouverneur de Calais.
2 Quelques jours après, la Reyne régnante estant demeurée à Amiens,
soit qu'elle se trouvast mal ou qu'elle ne fust pas nécessaire pour ac-
compagner la reyne d'Angleterre à la mer, car cela n'eust fait que de
l'embarras, Boucquinquant, qui avoit pris congé de la Reyne comme
les auti'cs, retourna quand il eut fait trois lieues ; et comme la Reyne
ne songcoit à rien, elle le voit à genoux au chevet de son lict. Il y fut
quelque temps, baise le bout des draps, et s'en va.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. H
une armée navale attaquer Tisle de Ré '. A son arri-
vée, il prit un gentilhomme de Xaintonge , nommé
Saint-Surin, homme adroit et intelligent et qui sça-
voit fort bien la Coar. Il luy fit mille civilitez, et luy
ayant descouvert son amour, il le mena dans la plus
belle chambre de son vaisseau. Cette chambre estoit
fort dorée; le plancher estoit couvert de tapis de
Perse, et il y avoit comme une espèce d'autel oii estoit
le portrait de la Reyne, avec plusieurs flambeaux
allumez. Après, il luy donna la liberté, à condition
d'aller dire à M. le Cardinal qu'il seretireroit et
livreroit la Rochelle, en un mot, qu'il offroit la carte
blanche, pourveû qu'on luy promist de le recevoir
ambassadeur en France. Il luy donna aussy ordre de
parler à la Reyne de sa part. Saint-Surin vint à Paris,
et fit ce qu'il avoit promis. Il parla au Cardinal, qui
le menaça de luy faire couper le cou s'il en parloit
davantage. Depuis, quand la Reyne apprit la mort
de Bouquinquant*, elle en fut sensiblement touchée. '^'â'septembrS'.*''
Au commencement elle n'en vouloit rien croire, et
disoit : « Je viens de recevoir de ses lettres. » Le Car-
dinal apparemment avoit desjà en teste ce que je
vais raconter.
* Il y avoit une littiere et des chevaux de bague* dans ses vaisseaux, sans doute : de car-
voîiscl
— On a sceù du cardinal Spada, alors nonce en France (il l'a dit à
M. de Fontenay-Mareuil, (juand il estoit ambassadeur à Rome) , que
la France et l'Espagne estant sur le poinct de se liguer pour attaquer
l'Angleterre (c'estoitle cardinal de Berulle , alors général de l'Oratoire
et non encore carllinal, qui pressoit cette alliance ) , le comte d'Oli-
varès avertit le duc de Bouquinquant du dessein, et cela le fit venir
dans l'isle, une campagne plustost qu'il n'avoit résolu. L'Espagne
vouloit que les Huguenots brouillassent tousjours la France.
12 LES HISTORIETTES.
s<fpteinbre 16S0. Au voyage de Lyon, où le Roy fut si mal*, la
Reyne-mere demanda en grâce au Roy qu'il chas-
sast le Cardinal. Il luy promit de le chasser dez que
la paix d'Allemagne seroit faitte , mais qu'il avoit
affaire de luy jusques là. Le Roy estant guéry, part
et va à Rouane. La Reyne-mere estoit demeurée à
Lyon, à cause qu'elle avoit mal à un pied. De Rouane,
le Roy luy escrivit qu'elle se guérist, qu'il luy don-
neroit bientost contentement, que la paix d'Alle-
magne estoit faitte, et qu'il en envoyoit la ratifica-
tion *.
La Reyne-mere fut si aise de cette nouvelle, qu'à
la chaude elle fit brusler quelques fagots, comme
pour faire une espèce de feu de joye. Le Cardinal
sceut qu'elle avoit fait ce feu, et il se douta de quel-
que chose. Il presse le Roy; le Roy luy confesse
tout : la Reyne-mere vient à Rouane. Le Cardinal,
comme elle communioit à l'église, s'approcha d'elle,
et fit signe à Saint-Germain^, qui comme aumos-
nier estoit auprès d'elle, de se retirer. Il la conjura
de luy pardonner : elle le rebutta : « Madame, » luy
dit-il, « j'en feray bien périr avec moy. » C'est de là
qu'est venue la rupture sans rime ny raison de la paix
1 Par grimasse , il composa un conseil, et fit Saint-Chaumont mi-
nistre d'Estat ; car il ne vouloit pas dos gens bien forts. Saint-Chau-
mont, qui croyoit qu'on donnoit cela à son mérite, en eut bien de la
joye. Il rencontra Gordes, capitaine des Gardes du corps, à qui il le
dit : « O, ô, » dit Gordes, « tu te mocques ! » Il entre en riant à gorge
desployée et dit au Roy : « Sire, Saint-Cliaumont dit que Votre Majesté
» l'a fait ministre d'Estat; quelque sot croiroit cela. »
Mathieu de Mor- 2 Celui qui a tant cscrit contre le Cardinal. Il s'appelle de Mourgues*,
eues, abbé de Saint- , _
Ocrmain. et est de Pans.
LE CARDINAL DE hICHELIEU. 13
de Ratisbonne. A Lyon, tout le monde, c'est-à-dire
toutes les caballes, estoient contre le Cardinal. Au
retour, il fit arrestcr le mareschal de Marillac ; et le
Garde des sceaux fut mené à Angoulesme*; M. de 12 novembre leso.
Chasteauneuf eut les Sceaux '. Cela irrita furieuse-
ment la Reyne-mere. Le Cardinal luy fit parler plu-
sieurs fois, et comme le premier président de Verdun
luy eust dit que Son Eminence en avoit pleuré cinq
fois différentes : « Je ne m'en estonne pas, » respon-
dit~elle , « il pleure quand il veut. » Bonnœil , intro-
ducteur des Ambassadeurs, homme dévot, mais qui
estoit tousjours dans l'adoration du Ministère, et
qu'on appelloit vulgairement le dévot de la Cour, dit
aussy à la Reyne-mere qu'il aVoit veû le Cardinal si
abattu et si changé qu'on ne le connoissoit plus.
Elle dit qu'il se changeoit comme il vouloit, et qu'a-
près avoir paru gay, en un instant il paroissoit demy-
mort. Il y eut pourtant je ne sçay quelle reconcilia-
tion. Peu de temps après, se fit la grande caballe des
1 Ce fut à Ruel, dans la propre maison du Cardinal, que le mares-
chal de Marillac estoit gardé. M. de Chasteauneuf servit bien le Car-
dinal : car il ne laissa lire les avis qu'une fois au lieu de trois fois, et
puis dit : H II y a arrest. » Chastellet vouloit revenir. Quand cela fut
fait*,le Cardinal leur dit: « Messieurs, il faut avouer que Dieu donne mal i63î.
» des connoissances aux juges qu'il ne donne pas aux autres hommes;
)) je ne croyois pas qu'il meritast la mort. » En effect, on ne luy fit son
procez que sur des ordres de tirer tant et tant de certains villages
du Verdunois pour les exempter de gens de guerre, et l'on disoit qu'il
avoit employé cet argent à bastir la citadelle de Verdun. Mais il
n'en avoit point d'ordre. Chasteauneuf en a esté bien payé depuis.
Bretagne, conseiller de Dijon, fut pour cela premier président de Metz.
On le trouva bruslé ; car un jour estant demeuré seul, il estoit tombé
dans le feu, et comme il estoit foible, il ne s'en put tirer.
14 LES HISTORIETTES.
deux Reynes , de Monsieur et de toute la maison de
Guise. Le Cardinal désespéré se vouloit retirer,
mais le cardinal de la Valette luy remit le cœur au
ventre. M. de Rambouillet gaigna Monsieur ' , et comme
on croyoit le Cardinal perdu, le Roy se déclara pour
luy. C'est ce qu'on a appelle la Journée des cluppes.
^Xml'xVvuia ^^ ^^^ ^ 1^ Saint-Martin, au retour de la Rochelle *.
RmmieonLyon. '"^ M"" du Fargis fut cliasséc à cause de ses caballes
et non à cause de ses galanteries. Elle s' estoit jointe à
Vaultier et à Bcringhen, aujourd'huy premier es-
cuyer de la petite escuric. Elle fut quelque temps
cachée aux environs de Paris, mais on la descouvrit
bientost, et il fallut aller plus loin.
né'''éTîs89- mort en ^^ mcttray icy ce que j'ay appris de Vaultier *. Un
1652.
^ Monsionr, par les caballes de la maison de Guise, dm duc de Lor-
Marsi63i. rainc et de la r.eyne-mere, sortit de France*, mais principalement ;\
cause qu'on n'avoit pas tenu parole à le Cogncux, chancellier de Mon-
sieur, et à Puylaurcns. M. de Rambouillet, par cette négociation, avoit
promis à le Cogneux une charge de président au mortier qu'il eut, et
un chapeau de cardinal ; et à Puylaurcns un brevet de duc. On n'escrivit
point à Rome pour le chapeau, le brevet ne s'expédia point. Ces deux
Antoine de Lange , hommes aigrissent leur maistre et le font partir. Puylaurens * croyoit
sieur de Puylaurens. gspouser M'"^ de Phalsbourg, qui estoit veuve. Saint-Chaumont, qui
faisoit le siège de Nancy que M""' de Phalsbourg delTcndoit, laissa es-
chapper la princesse Marguerite k cheval, et fut disgracié pour cela.
Depuis, elle espousa Monsieur, en Flandres.
— On a dit que Puylaurens avoit esté empoisonné avec des champi-
gnons, et on disoit que les champignons du bois de Vincennes estoient
Juin 1635. hien dangereux. Mais il mourut*, comme le grand-prieur de Vendosme
et le mareschal d'Ornane, à cause de l'humidité d'une chambre voustée
et qui a si peu d'air que le salpestre s'y forme. M™'= de Rambouillet
disoit plaisamment que cette chambre valloit son pesant d'arsenic,
comme on dit son pesant d'or. Le cardinal de la Valette luy redisoit
tousjours cela.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 15
cordellier, nommé père Crochard ', l'avoit pour do-
mestique, comme un pauvre garçon ; M"'" de Guer-
cheville le fit médecin du Commun chez la Reyne-
mère, à trois cens livres de gages. Or, quand elle
fut à Angoulesme, et que de Lorme Feust quittée à
.. j, . ,.,,.., ,1 ,11 Bourg de l'ancien
Aigre , aux enseignes qu il disoit en son style qu elle Angoumois.
luy avoit dit des paroles plus aigres que le lieu où.
elles avoient esté dittes, elle eut besoing d'un méde-
cin. Il ne se trouva que Vaultier que quelqu'un,
qui en avoit esté bien traitté, luy loua fort. Il la
guérit d'une heresipelle, et en suitte il réussit si bien
et se mit si bien dans son esprit, qu'il estoit mieux
avec elle que personne : d'où vint la grande haine
du Cardinal contre luy. C'estoit un grand homme
bien fait, mais qui avoit de grosses espaules ; il fai-
soit fort l'entendu. Il estoit d'Arles; sa mère gai-
gnoit sa vie à filer, et on disoit qu'il ne l'assistoit
point.
Le cardinal de Richelieu, dans le dessein qu'il
feignoit d'avoir de se reconcilier avec la Reyne-
mere encore une fois*, envoya quérir Vitray, aujour-
d'huy imprimeur du Clergé , homme de bon sens et
qui faisoit profession d'amitié avec Vaultier , et luy
dit qu'il le prioit de porter les paroles de part et
d'autre. Yitray luy dit qu'il le prioit de l'en dis-
penser ; que souvent on sacrifioit de petits compa-
gnons pour appaiser les puissances. « IN on, « reprit
le Cardinal , « ne craignez rien. — Puisque vous
» voulez donc, » dit Vitray, « que j'aye cet honneur,
1 Qui suivoit partout M. de la Rocheguyoïi.
Novembre 1830.
16 LES HISTORIETTES.
» ne me donnez point à deviner; dittes-moy les
)' choses sincèrement. — Allez dire à Vaultier cela
') et cela, » adjousta le Cardinal. 11 y eut bien des
allées et des venues ; enfin la chose en vint à ce point,
que le Cardinal fit dire à Vaultier, par Yitray, qu'il
falloit faire une entreveue chez Vitray mesme, et que
de peur de trop d'esclat, le Père Joseph iroit au lieu
de luy. Vaultier respondit : « C'est un piège ; après,
» le Cardinal ne manquera pas d'avertir la Reyne-
» mère de cette conférence , et de luy dire que j'ay
» commerce avec luy ou avec ses gens. Je ne sçau-
» rois , » adjousta-t-il , « empcscher la Reyne-mere
» d'aller à Compiegne. » Or, le Cardinal ne deman-
doit pas mieux que la Reyne fist la sottise d'aller à
Compiegne, quoyqu'il fist semblant de contraire,
qu'il eust offert toutes choses à Vaultier, et qu'il
eust résolu d'aller jusqu'au chapeau de cardinal.
Car la Reyne-mere vouloit régner, et ne se conten-
toit pas de donner charges et bénéfices, et d'avoir
autant d'argent qu'elle en vouloit. La princesse de
Conty, et par elle toute la maison de Guise et M. de
Bellegarde, la portoient sans cesse à perdre le Car-
dinal. Elle va donc à Compiegne ; on l'y arreste, et
on ordonne à Vaultier de retourner à Paris. En che-
min on le prend et on le meine à la Bastille. Le Car-
dinal fait dire à Vitray qu'il estoit fort content de
son entreprise; qu'il n'avoit qu'à voir son amy tant
qu'il voudroit. Vitray respondit : « Je m'en garde-
» ray bien , c'est un homme qui a eu le malheur de
» tomber dans la disgrâce du Prince : je le serviray
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 17
» assez sans le visiter. » Le Cardinal luy manda qu'il
y allast librement, qu'il n'y avoit rien à craindre
pour luy : il y fut donc. Vaultier luy dit : « Me voylà
» bien bas, mais je seray quelque jour le premier
» médecin du Roy. » Cela est arrivé , mais non pas
comme il l'entendoit, car il croyoit que ce seroit du
feu Roy, et c'a esté d'un roy qui n'estoit pas encore
au monde. Nous l'avons veu, riche de vingt mille
escus de rente, vivre comme un gredin, et prendre
de l'argent des malades qu'il voyoit. A la fm il en
eut honte et n'en prit plus.
Pour achever ce cfue je sçay de la Reyne-mere,
j'adjousteray qu'elle ne se put garantir à Brusselles
mesme des finesses du Cardinal pour l'esloigner de ■
là ; car elle estoit assez près pour faire tousjours des
caballes contre luy. Il luy fit accroire que si elle rom-
poit avec les Espagnols, il la feroit revenir. Elle fei-
gnit donc d'aller à Spa, et deux mille chevaux hol-
landois la vinrent prendre. Après, il ne se soucia
plus d'elle \ On dit qu'en ce temps-là elle n' avoit
autre but que de jouir de Luxembourg et du Cours
qu'elle avoit fait planter, sans se mesler plus de rien.
Ainsyelle sortit sottement de Brusselles, où elle estoit
bien traittée par les Espagnols, qui luy donnoient
douze mille escus par mois, dont elle estoit fort bien
1 Le Cardinal négocia si bien qu'il fit revenir Monsieur. II maria
peu de temps après trois de ses parentes à M. de la Valette, à Puy-
Laurens et au comte de Guiche. — Ce fut pour l'attrapper * qu'il luy fit m. de la Valette^
espouser sa parente. M. d'Espemon, pour avoir mal vescu avec sa non"'veuf'de*^MM?de;
femme, s'est attiré toutes les calamités qu'il a eues. vememi.
II. 2
18 LES HISTORIETTES.
payée, et depuis cela ne fit qu'errer et vivotter misé-
rablement. Saint-Germain ne sçavoit rien du des-
sein de la Reyne-mere : le Cardinal-infant en estoit
persuadé, et luy donna pour vivre une prévosté de
douze millô livres de rente; peut-estre vouloit-il l'a-
voir pour le faire escrire contre le Cardinal. Cet
homme revint à Paris à la mort du cardinal de Riche-
lieu, car il avoit autant de revenu que cela en une
autre prévosté, en Provence, et n'a point voulu jouir
de celle de Flandres, afin qu'on ne le peûst pas accu-
ser d'avoir commerce avec l'ennemy. Il vit icy chez
sa sœur, à qui il donne douze mille livres de pen-
sion. Il a encore trois mille livres de rente d'ailleurs,
et quand il tire quelque chose de ses appointemens,
car il a je ne sçay quel employ, ou quelque pension,
il le distribue aux deux filles de cette sœur. Il ne
veut point disposer de ces deux prévostez, parce qu'il
dit que c'est usurper le droit des collateurs.
Le bonhomme d'Espernon avoit esté un des plus
c'est-à-dire^<endre fcrmcs, mais il fut cufin coutraint de boucquer *, et
vint à cheval à Montauban voir le Cardinal. « Vous
» voyez, » luy dit-il , « ce pauvre vieillard. » Le Car-
dinal luy en vouloit, parce que, durant le siège de la
Rochelle, quelqu'un l'ayant trouvé avec un bréviaire,
il dit : « Il faut bien que nous fassions le mestier des
» autres, puisque les autres font le nostre. « Il appel-
foy. tom. I, p. 176. loit son filz le cardinal Valet*. En revanche, il fit
grand peur au Cardinal à Bordeaux, car il l'alla voir
suivy de deux cens gentilshommes, et le Cardinal
estoit seul au lict. Le Cardinal ne luy a jamais par-
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 19
donné depuis. Ce bonhomme dit plaisamment, quand
le Cardinal fut fait généralissime en Italie, que le
Roy ne s'estoit réservé que la vertu de guérir des
escrouelles^ ; et quand M. d'Effiat fut fait mareschal
de France*, il luy dit : « Eh bien, monsieur d'Effiat, Janvier im.
» vous voylà mareschal de France. De mon temps
» on en faisoit peu, mais on les faisoit bons. »
Le Cardinal ne pouvoit digérer qu'on luy re-
* Le Cardinal, pour avoir l'amirauté et estre absolu aussy bien sur
mer que sur terre, fit courir le bruit * que quelques galions d'Espagne 16**-
de la flotte des Indes s'estoient perdus vers Rayonne, et fit sçavoir ceste
nouvelle au Roy. Au mesme temps, plusieurs personnes apostées di-
soient à Sa Majesté que, faute d'avoir quelqu'un qui prist soin des
naufrages, on pcrdroit toute la charge de ces galions, et qu'il seroit
nécessaire de faire un maistre et surintendant de la Navigation; et
tout d'un train ils se mirent à examiner qui pourroit bien s'acquitter
comme il faut de cet employ ; et après avoir nommé bien des gens, ils
ne trouvoient que M. le Cardinal capable de cette charge ; de sorte
qu'ils persuadèrent au Roy de luy en parler. Sa Majesté le proposa au
Cardinal, qui d'abord dit qu'il n'estoit desjà que trop occupé, qu'il suc-
comberoit sous le faix, et se fit bien prier pour la prendre. Cette charge
rendoit celle d'amiral inutile ou superflue : aussy M. de Montmorency
fut bien aise de traitter de celle d'amiral de Ponent, qu'il possedoit.
M. de Guise, pour celle de Levant fit plus de cérémonies, et enfin on
luy osta et l'amirauté et le gouvernement de Provence.
— Pour monstrer la grande puissance du Cardinal, on faisoit un conte
dont Roisrobert divertit Son Eminence. Le colonel Hailbrun , Ecossois,
homme qui estoit considéré, passant à cheval dans la rue Tictonne, se
sentit pressé. Il entre dans la maison d'un bourgeois, et descharge
son paquet dans l'allée. Le bourgeois se trouve là et fait du bruit ; ce
bonhomme estoit bien empesché. Son valet dit au bourgeois : « Mon
» maistre est à M. le Cardinal. — Ah ! Monsieur, « dit le bourgeois,
i( vous pouvez chier partout, puisque vous estes à Son Eminence. »
C'est ce colonel qui disoit en son baragouin que quand la balle
avoit sa commission, il n'y avoit pas moyen de l'eschapper. — Le père
Joseph monstroit avec son doit sur la carte : « Nous passerons la ri-
20 LES HISTORIETTES.
prochast qu'il n'estoit pas de bonne maison , et rien
ne luy a tant tenu à l'esprit que cela *. Les pièces
» viere là. — Mais, Monsieur Josepli,»luy disoit-il, « vostre doit n'est
» pas un pont. »
— Le Cardinal fit en sorte que le Roy jotta les yeux sur la Folone,
gentilhomme de Touraine, pour luy donner ordre, sans qu'il parust
que le Cardinal en sccust rien, de se tenir auprès de Son Eminence
et d'cmpeschcr qu'on ne l'accablast, et qu'on ne luy parlast que
lorsque l'on auroit quelque chose d'important à luy dire. C'estoit
avant qu'il eust un maistre de chambre et des gardes. Ce la Folone
estoit le plus beau mangeur de la Cour. Quand les autres disoient :
« Ah ! qu'il feroit beau chasser aujourd'liuy ! — Ah ! qu'il fcroit
» beau se promener! — Ah! qu'il feroit beau jouer à la paume,
"danser, etc., » luy disoit : « Ah! qu'il feroit beau manger aujour-
» d'huy! » En sortant de table, ses grâces cstoient : « Seigneur, fay-
» moy la grâce de bien digérer ce que j'ay mangé. »
1 Hocquincourt le perc, grand-prévost, ayant demandé à estro chan-
cellier de l'Ordre, le Cardinal luy dit : « Vraj^ment voylà une belle
•) dignité! — C'est pourtant cette dignité-là qui fit vostre père cheva-
» lier. » Il n'en fut pas mieux en cour pour cela. — Le grand-prieur de
la Porte, voyant que le cardinal de Richelieu ne donnoit pas la main
chez luy au prince de Piémont, depuis duc de Savoye, dit tout haut:
» Qui eust jamais pensé que Je petit-filz de l'advocat la Porte eust passé
«devant le petit-filz de Charles-Quint? »
— Au siège de la Rochelle, M. de la Rochcfoucault, alors gouverneur
de Poitou , eut ordre d'assembler la noblesse de son gouvernement. En
quatre jours, il assemble quinze cents gentilshommes, et dit au Roy :
« Sire, il n'y en a pas un qui ne soit mon parent. » M. d'Estissac, son
cadet, luy dit : « Vous avez fait là un pas de clerc. Les nepveux du
)) Cardinal ne sont encore que des gredins, et vous allez faire clacquer
» votre fouet. Gare vostre gouvernement. » Dez le mois suivant, le Car-
dinal le luy fit oster pour le donner à un homme qui n'eust pas tant de
crédit. Ce fut Parabelle.
— Quand le duc de Weymar vint à Paris*, le comte de Parabelle,
assez sot homme, l'alla voir comme un autre, et fut si impertinent que
de luy aller demander pourquoy il avoit donné la bataille de Nortlingue.
Le Duc dit à l'oreille au mareschal de la Mcillcrayc : « Qui est ce fat
» de cordon-bleu ? » Le Mareschal luy dit : « C'est une espèce de fou ;
» ne vous arrestez pas à ce qu'il dit. — Pourquoy l'a-t-on donc fait
» cordou-bleu ? — Il n'estoit pas si extravagant en ce temps-là. »
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 21
qu'on imprimoit à Bruxelles contre luy le chagri-
noient aussi terriblement \ Il en eut un tel despit,
que cela ne contribua pas peu à faire desclarer la
guerre à l'Espagne : mais ce fut principalement pour
se rendre nécessaire. L'année que les ennemis pri-
rent Corbie *, quoyqu'il y eust tousjours une petite '^^*-
espargne de cinq cens mille cscus chez Mauroy l'in-
tendant, le Cardinal cstoit pourtant bien empesché.
Le bonhomme BuUion, surintendant des finances,
l'alla voir : « Qu'avez-vous , monseigneur-? je vous
» trouve triste. » Il avoit un ton de vieillard un peu
grondeur, mais ferme. « Hé, n'en ay-je pas assez de
» sujet? » dit le Cardinal, « les Espagnols sont entrez,
» ils ont pris des villes ^ ; Monsieur le Comte a esté
» poussé de deçà l'Oise, et nous n'avons plus d'armée.
y> — Il en faut lever une autre , Monseigneur. — Et
» avec quoy? — Avec quoy? je vous donneray de
» quoy lever cinquante mille hommes et un million
» d'or en croupe* » (ce sont ses termes). Le Cardinal se?l''eT maî^ ' du
l'embrassa. Bullion avoit tousjours six millions chez
le trezorier de TEspargne Fieubet; car c'estoit celuy
à qui il se fioit le plus. De là vient la prodigieuse for-
' L'escrit qui l'a le plus fait enrager depuis cela, a esté cette satire
de mille vers, où il y a du feu, mais c'est tout. Il fit emprisonner bien
des gens pour cela ; mais il n'eu put rien descouvrir. Je me souviens
qu'on fermoit la porte sur soy pour la lire : ce tyran-là estoit furieu-
sement redouté. Je croy qu'elle vient de chez le cardinal de Retz ; on
n'en sçait pourtant rien de certain.
2 Le Cardinal a affecté de se faire appeller Monseigneur.
' Il fut surpris ; car il croyoit que les HoUandois mettroient en cam-
pagne, et luy vouloit cependant raffler la Franche-Comté.
ââ LES HISTORIETTES.
tune de Lambert \ le commis du comptant de Fieubet,
car il faisoit profiter cet argent ; et tel à qui il pres-
toit cinquante mille livres , quand il le pressoit de
payer, comme il faisoit exprès, luy jettoit un sac de
mille francs pour avoir respit. Le Cardinal pourtant
n'estoit guères bien informé des choses, de ne sçavoir
pas ce qu'on faisoit de fargent, ny s'il n'y en avoit
pas de réserve; mais c'est qu'il vouloit voler, et
laissoit voler les autres.
En ce temps-là, il alla par Paris sans Gardes;
mais il avoit du fer à l'cspreuve dans les mantelets
et dans les cuirs du devant et du derrière de son
carrosse , et tousjours quelqu'un en la place des la-
quais. Il menoit tousjours le mareschal de la Force
avec luy, parce que le peuple l'aymoit. Le Roy alla
à Chantilly , et envoya le mareschal de Chastillon
pour faire rompre les ponts de l'Oise. Montatere,
gentilhomme d'auprès de Liancourt, rencontra le
Mareschal et luy dit : « Que ferons-nous donc , nous
» autres de delà la rivière? il semble que vous nous
» abandonniez au pillage. — Envoyez, » dit le Mares-
sauve-gardes. chai, « dcmandcr des gardes* à M. Picolomini; je
» vous donneray des lettres, il est de mes amys ; nous
» en usasmes ainsy en Flandres, après la bataille
» d'Avein. »M. de Liancourt et M. d'Humieres ayant
appris cela, se joignent à Montatere. Le Mares-
chal escrit : Picolomini envoyé trois gardes, et mande
'Ce Lambert est mort jeune, et se tua tellement à amasser du bien
qu'il n'en a point jouy. II laissa cent mille livres de rente à son frère.
Ce sont les filz d'un procureur des Comptes.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 23
auMareschal que si c'eust esté lemareschal de Brezé,
il ne les auroit pas eus. Picolomini estoit homme
d'ordre; car ayant logé chez un gentilhomme, il
conserva jusqu'aux espalliers, et fit donner le fouet
à un page qui y estoit entré par-dessus les murs.
M. de Saint-Simon *, chevalier de l'Ordre et capitaine ^^''^ jtf%L'o"r«"''*"
de Chantilly , pour faire le bon valet , alla dire au
Roy ciu'il y avoit un garde à Montatere ; que c'es-
toit un lieu fort haut , que de là on pouvoit descou-
vrir quand le Roy ne seroit pas bien accompagné ,
et le venir enlever avec cinq cens chevaux , car il y
avoit, disoit-il, des guez à la rivière. Yoylà la frayeur
qui saisit le Roy ; il se met à pester contre Monta-
tere , et dit qu'il vouloit que dans trois jours il eust
la teste coupée , et que c'estoit luy qui avoit donné
ce bel exemple aux autres. Montatere ne se monstre
point , quoyque ce fust au mareschal de Chastillon
qu'il s'en falloit prendre. Le Roy luy-mesme avoit
donné lieu à la terreur qu'on avoit dans le pays, car
il avoit fait desmeubler Chantilly , qui a de bons fes-
sez , et qui est au deçà de la rivière. Cette colère
dura deux jours , au bout desquels Sanguin , maistre
d'hostel ordinaire, servit au Roy des poires qu'il
avoit eues de Montatere. Le Roy les trouva bonnes,
et demanda d'où elles venoient. : « Sire, » luy dit-il
en riant, « si vous sçaviez d'où elles viennent, vous
» n'en voudriez peut-estre plus manger; mangez,
» mangez , puis je vous le diray. » Après il luy dit :
« C'est cet homme contre qui vous pestiez tant
» hier qui me les a données pour vous les ser-
24 LES HISTORIETTES.
» vir. ') Il se mit à rire, et dit qu'il en vouloit avoir
des grefles. Enfin M. d'Angoulesme fit la paix de
Montatere, à condition qu'il ne parleroit point. En
elTect, le Roy luy dit : « Montatere , je te pardonne,
» mais point d'esclaircissement, » et il tourna le dos.
Il eust bien mieux fait, ou le Cardinal pour luy, de
chastier ceux qui s'enfuirent si vilainement de Paris ;
car en ce temps-là le chemin d'Orléans estoit tout
couvert des carrosses des gens qui croy oient n'estre
pas en seureté à Paris. Barentin de Charonne en fut
un. Il falloit en faire un exemple , et le condamner
à une grosse amende, riche comme il estoit et sans
enfans.
Dans le dessein de faire une duché à Richelieu ,
il voulut avoir l'Isle-Bouchard, qui estoit à M. de
la Trimouille ; et pour le faire donner dans le pan-
neau, il envoya des mouchards , qui dirent que le
Cardinal en donneroit tant ; c'estoit plus que cette
terre ne valoit : le Duc le crut. Le Cardinal luy de-
mande s'il la luy vouloit vendre. L'autre luy dit que
ouy, et qu'il luy en donnoit sa parole. « Et moy, » dit
le Cardinal , « je vous donne aussy ma parole de
» l'achepter : il faut donc voir, » adjouste-t-il , « com-
» bien elle sera estimée , car vous ne voudriez pas
» me survendre. — Ah! on m'avoit dit, » respondit
le Duc , « que vous en donneriez tout ce qu'on vou-
» droit. » Cependant il fallut en passer par là. La
forcst seule valoit les cent mille escus qu'il en donna.
M. de la Trimouille a bien fait de plus fous marchez
LE CARDINAL DE RICHELIEU. '25
que celuy-là. La Moussaye , son beau-frere , a tiré
de la forest de Quintin *, qu'il luy vendit avec la terre et'ire/«,1-e''forérdl
^ c 1 ' 1 liroceliande.
de Quintin , les cinq cens mille francs qu a couste le
tout. 11 a donné une forest avec le fonds pour moins
que le bois ne vaut.
Il eschangea le domaine de Chinon avec le Roy ;
et pour n'avoir pas une belle maison dans son voi-
sinage et qui ne pouvoit pas manquer d'estre à un
prince, puisqu'elle appartenoit à Mademoiselle, il
obligea M. d'Orléans, comme tuteur, à faire l'es-
change de Champigny contre le Bois-le- Vicomte, et
de razer le chasteau. Il voulut aussy faire razer la
Sainte-chapelle qui y est, et où sont les tombeaux de
MjM. de Montpensier. Pour cela , il avoit exposé au
Pape (car une Sainte-chapelle dépend directement
du Pape) qu'elle menaçoit ruine. Innocent X% alors
dataire du cardinal Barberin légat en France, fut
délégué pour faire une descente sur les heux. Il
trouva que la Chapelle estoit magnifique et en fort
bon estât; et son rapport fut contraire au Cardinal,
qui n'osa faire une mine sous la chapelle, et dire * que on ut .• et m.
c' estoit le feu du ciel. Depuis, c'est ce qui est cause
que Mademoiselle a voulu rentrer dans Champigny,
comme nous dirons dans les Mémoires de la Ré-
gence, et qu'elle y est rentrée. Regardez quelle
foiblesse à cet homme , qui eust pu rendre illustre
le lieu le plus obscur de France , de croire qu'un
grand bastiment adjousté à la maison de son père
feroit beaucoup pour sa gloire; sans considérer,
outre tous les embarras de ce domaine du Rov et de
26 LES HISTORIETTES.
Champigny, que le lieu n'estoit ny beau ny sain; car
avec tous les privilèges qu'il y a mis, on ne s'y habi-
tue point. Il y a fait des fautes considérables ; le
principal corps-de-logis est trop petit et trop estroit,
par la vision qu'il a eue de conserver une partie de
la maison de son père, où l'on monstre la chambre
dans laquelle le Cardinal est né , et cela pour faire
voir que son peru avoit une maison de pierre de
taille, couverte d'ardoise, en un pays oiiles maisons
des paysans sont de mesme. Il a encore affecté de
laisser , au coing de son parterre , une église assez
grande, à cause que ses ancestres y sont enterrez.
La cour est fort agréable et fort ornée de statues ; il
n'y a rien plus doré ny plus embelly de tableaux que
les dedans; mais du costé du jardin, la face du logis
est ridicule. On y a fait venir des eaux jaillissantes
en assez grande quantité'. Dans le chasteau ny dans
la ville, on ne sçauroit faire une cave ; on en a fait au
bout du jardin. La basse-cour est belle, la ville riante,
car c'est une ville de carte ; l'église est fort agréable ;
les maisons de la ville sont toutes d'une mesme struc-
ture, et toutes de pierre de taille. Elles ont esté bas-
ties par ceux qui estoient dans les finances, dans les
partys et dans la maison du Cardinal. Il n'a pas eu la
satisfaction de voir Richelieu ; il avoit trop d'affaires.
» Les canaux sont de belle eau. C'est une petite rivière qui les fait
et les fossez sont aussy pleins qu'ils sçauroient estre. Le parc et les
jardins sont beaux. {Mots biffés.) [Le bois n'y est pas beau ; car les
chesnes n'aiment pas tant le marescage que ces grandes allées de peu-
pliers. Il eust fait quelque chose de bien plus beau àl'Isle-Bouchard.l
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 27
A Paris, il s'est amusé encore à garder une cliam-
bre de l'hostel de Rambouillet \ et par cette fantai-
sie a gasté son principal corps-de-logis : il a basty
à la ville et aux champs en avaricieux. Il faut dire
aussy, comme il est vray, que d'abord il n'a pas eu
un si grand dessein, et que tout n'a esté fait qu'à
bastons rompus. Pour avoir la place nécessaire , il
voulut achepter la maison où pendoit l'enseigne des
Trois Pucelles. Au commencement , il y alla par la
douceur et se mit à la raison ; mais le bourgeois à
qui elle appartenoit disoit sottement que c'estoit l'hé-
ritage de ses pères. Le Cardinal s'irrita enfin, et le
fit mettre, par une vengeance honteuse, à la taxe
des Aisez. Après, il eut sa maison comme il voulut^.
Il laissa mettre à cette taxe Barentin de Charonne,
qui avoit esté son hoste tant de fois'''. Ce n'est pas
qu'il ne le meritastbien, car il estoit fort riche, et luy
avoit fait une sottise, en criaillant pour un bout de
chandelle qu'on avoit mis contre une muraille, qui
1 L'hostel de Rambouillet d'aujourd'huy estoit à M. de Pisani.
2 II laissa le Palais-Cardinal , comme on voit par son testament ,
au Dauphin, pour loger le dauphin ou du moins l'héritier présomptif
de la Couronne. Quant la Cour y alla loger peu de temps après la
mort du feu Roy, on fit mettre : Palais-Royal. Cela fut fort ridicule de
changer cette inscription. En 47, M""* d'Aiguillon prit son temps, et
ayant représenté le tort que cela faisoit à son oncle, on luy permit de
remettre : Palais-Cardinal. Le peuple disoit que c'estoit que la Reyne
l'avoit donné au cardinal Mazarin.
— M"* de Rambouillet disoit à M""^ d'Aiguillon : « Madame , s'il
» plaisoit à M. le Cardinal de traitter M. de Rambouillet comme son
» hostcl, il l'agrandiroit honnestement. » Le service qu'il luy a rendu,
en gaignant Monsieur à la Journée des duppes, le meritoit bien.
' Dans sa maison de Charonne.
28 LES HISTORIETTES.
noircit quelque misérable destrempe ; pensez que ce
n'estoit pas du consentement du Cardinal, qui cstoit
fort propre et qui ne gastoit jamais rien. On n'a point
veu de maison mieux tenue ny mieux réglée que la
sienne. Barentin fut si sot qu'il en mourut d'afflic-
tion, tant il estoit vilain et intéressé. Pour excuser le
Cardinal, on disoii que deux ou trois petits desordres
comme cela qui estoient arrivez à Charonne, et le peu
de civilité de ces gens-là, qui ne luy cedoient pas
toute leur maison, quoyqu'elle ne fust pas trop
grande, le dispensoient de les exempter de la taxe,
et qu'il a voit peur qu'on ne criast contre luy d'espar-
gner Barentin, quand des gens médiocrement à leur
aise estoient taxez. Cependant cela ne sonna point
bien dans le monde.
A Ruel, pour parler tout de suitte de ses basti-
mens, on ne trouvera pas non plus grand' chose;
mais il affectoit d'estre auprès de Saint-Germain \
Le Père Caussin, jésuite, qui a voit eu la place
m7. du Pere Arnoul, s'avisa* de faire une caballe contre
le Cardinal avec la Fayette , fille de la Reyne , dont
le Roy estoit amoureux à sa mode. M. de Limoges,
oncle de la demoiselle, y entroit aussy. M°" de Sene-
cey, qui estoit sa bonne amie, en fut chassée, et la
Fayette rehgieuse. Voicy comme cela se descouvrit.
M. d'Angoulesme^, alors veuf, estoit allé prier le
1 Pour la Sorbonne, c'est sans doute une belle pièce, mais sa niepce
ne fait point achever l'autel, etc., quoyqu'elle y soit obligée, aussy bien
qu'à faire faire son tombeau.
2 C'est le bas^tard de Charles IX«,
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 29
Cardinal de souffrir qu'une Ventadour, abbesse de...
en basse Normandie, à qui le Cardinal avoit fait
oster son abbaye pour des libelles qu'elle avoit faits
contre luy, pust estre reçeûe dans quelque religion à
Paris, afin qu'elle ne fust pas sur le pavé. Le Car-
dinal le luy accorda. En s'en retournant, il fut aux
Jésuites de la rue Saint-Antoine, où le père Caussin
luy dit que le Roy, touché de compassion pour son
peuple, avoit résolu de chasser le cardinal de Riche-
lieu ; que c'estoit le plus scélérat des humains, et
qu'il avoit jette les yeux sur luy * pour le faire Car- m. d'Angouiesme.
dinal et le mettre en la place de l'autre. Voyez
l'homme de bien qu'il prenoit ! Le bonhomme, qui
connoissoit bien le Roy, remercia le père Caussin ;
il part, et se met à resver à ce qu'il avoit à faire :
il conclut de parler sur l'heure à M. de Chavigny.
Chavigny l'embrasse et luy dit : «Vous nous donnez
» la vie ! il y a six mois qu'on ne peut deviner ce
» qu'a le Roy. » Chavigny, sans attendre davantage,
court viste à Ruel. Le lendemain M. d'Angoulesme
s'y rend, et ils vont tous ensemble trouver le Roy.
Le Cardinal en riant dit : « Sire , voicy ce mes-
» chant , ce perfide , ce scélérat ; il faut mettre
» M. d'Angoulesme en sa place. » Le Roy se mit à
rire avec eux, mais du bout des dents, et dit : « Il
» y a quelque temps que je m'aperçois que le pauvre
') père Caussin s'affoiblit. » M. le comte d'Alais* eut fus de m. d'Angon-
^ lesme.
pour cela le gouvernement de Provence.
Un peu après cela, comme M. d'Angoulesme
couroit un daim avec le Roy dans le bois de Vin-
30 LES HISTORIETTES.
cennes, le Roy luy dit : « Bonhomme, voyez-vous ce
» dongeon? Il n'a pas tenu à M. le Cardinal qu'on ne
» vous y ayt mis. — Par le corps-dieu, Sire, » dit le
bonhomme, « je l'avois donc mérité, car il ne vous
» l'auroit pas conseillé autrement. »
Le Père Caussin est mort d'une bizarre manière.
Il se mesloit d'astrologie, et trouva qu'il devoit mou-
rir un certain jour ; ce jour-là, sans autre mal, il se
met en son lict et meurt. — La Reyne-mere croyoit
aussy très-fort aux prédictions, et elle pensa enrager
quand on l'asseura que le Cardinal prospereroit et
vivroit long- temps \
Le Cabinet asseurement donnoit de l'exercice au
Cardinal; aussy despensoit-il fort en espions. Le
Roy estoit foible et n'osoit rien faire de luy-mesme.
Une fois on trouva qu'il avoit esté bien hardy de
donner un evesché : ce fut celuy du Mans, va-
charies de Beau- caut par la mort d'un Lavardin *. Le Roy le sceût
manoir - Lavardin ; '■ •'
mort 17 novembre ^^^^^ ^^^^^ j^ Cardinal cu cust cu l'advis, et dit à un
EmeryMarciaFerté. dc SCS aumosnlcrs nommé la Ferté *, qu'il le luy
donnoit. La Ferté alla trouver le Cardinal, et luy dit
en tremblant que le Roy luy avoit donné l'evesché du
Mans, sans qu'il le luy eust demandé. « 0 ! voire ! »
dit le Cardinal , « le Roy vous a donné l'evesché
» du Mans ; il y a grande apparence à cela ! » Ce
garçon croyoit qu'on le luy osteroit, et qu'on luy
* La Reyne-mere croyoit que les grosses mousches qui bourdonnent
entendent ce qu'on dit et le vont redire. Et quand elle en voyoit quel-
qu'une, elle ne disoit plus rien de secret.
ment.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 31
donneroit quelque petite chose en la place. Mais
le Roy dit au Cardinal, la première fois qu'il le vit :
« J'ay donné l'evesché du Mans à la Ferté. » Le
Cardinal, voyant cela, porta ce respect au Roy que
de ne pas desfaire ce qu'il avoit fait. Ce la Ferté
estoit filz d'un conseiller de Rouen * qui ne le put des? non°"î'u''pariil
pas faire conseiller d'église dans son parlement,
car il estoit cadet. A Paris, il trouva une charge
d'aumosnier, pour vingt mille livres; le père, quoy-
que assez mal intentionné pour luy, y consentit :
une sœur qu'il avoit à Paris le nourrissoit. Il se ren-
dit fort assidu, et le Roy l'aimoit sans le tesmoigner.
La première conqueste qu'on fit en Flandres, ce
fut celle de Hesdin *. Le grand-maistre de la Meille-
raye commandoit une attaque, et Lambert l'autre ;
Lambert avoit un ingénieur qui avoit servy les Estats ;
cet homme fit les choses dans l'ordre et comme il
les falloit faire. Le Grand-maistre ne voulut pas
avoir la patience ; il fit tuer bien des gens, et avan-
çoit moins que l'autre. Il envoyé quérir cet ingé-
nieur, cf Combien me demandez-vous de jours ? —
)) Monsieur, ne plus ne moins qu'à l'autre attaque.
» Il faut tant de temps pour passer le fossé. » Il
fallut, afin que le Grand-maistre eust l'honneur de
la prise et qu'on le fist mareschal de France sur
la bresche, retarder l'attaque de Lambert. Ce fut là
que le Grand-maistre, dans une disette d'argent,
proposa au Cardinal de faire quatre autres inten-
dans des Finances à deux cens mille livres pièce. Le
32 LES HISTORIETTES.
Cardinal luy dit : « Monsieur le Grand-maistre, si
» on vous disoit : Vous avez un maistre d'hostel qui
» vous vole ; mais vous estes trop grand seigneur
» pour n'estre volé que par un homme, prenez-en
» encore quatre; le feriez-vous? » Une autre fois il
luy dit, du temps que Laffemas faisoit la charge
de lieutenant civil par commission, qu'il connoissoit
un homme qui donneroit huit cens mille livres de
cette charge. « Ne me le nommez pas , » dit le Car-
dinal, « il faut que ce soit un voleur. »
Hesdin se rendit huit jours plus tost qu'il n'auroit
fait, à cause d'une lettre en chiffres qu'on inter-
cepta, par laquelle ceux de dedans demandoient
secours. Rossignol la deschiffra, et fit respondre en
mesme chiffre, au nom du Cardinal-infant, qu'on
ne les pouvoit secourir, et qu'ils traittassent. A la
Rochelle, il deschiffra aussy une lettre qui donna
courage au Cardinal, et l'affermit dans son dessein *.
Ce Rossignol estoit un pauvre garçon d'Alby,
qui n'estoit pas mal habile à deschiffrer. Le Car-
dinal le gardoit bien autant pour faire peur aux
gens que pour autre chose. Il a fait fortune, et est
1 Durant le siège de la Rochelle, feu Monsieur le Prince comme on
estoit en peine de deschiffrer des lettres en chiffre, se ressouvint
qu'il avoit veu à AJby un jeune homme appelle Rossignol, qui avoit du
talent pour cela. Il en donna avis au Cardinal qui le fit venir. Il ren-
contra d'abord et dit à Son Eminence : « L'espérance des Rochclois
» n'est que du vent. Ils s'attendent à un secours par mer; les Anglois
» leur en promettent. » Le Cardinal fit fort valoir cette science et il
tascha le plus qu'il put de faire croire qu'il n'y avoit point de chiffre
que Rossignol ne deschiffrast. Cela ne luy fut pas inutile contre les ca-
balles.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 33
aujourd'hui maistre des comptes à Poitiers. 11 estoit
devenu dévot jusqu'à se donner la discipline. En
1653, il receut quatorze mille escus pour trois ans
de pension. Le cardinal Mazarin a cru qu'il luy
estoit utile pour les chitTres mentaux * : ny luy ny o« de convention.
teste d'homme ne les sçauroit deschiffrer que par
hazard ; on dit qu'il n'en a jamais deschiffré qu'un.
Au reste, c'estoit une pauvre espèce d'homme. 11
comptoit familièrement au cardinal de Richelieu les
honneurs qu'on luy avoit faits k Alby : «Monsei-
» gneur, » disoit-il, « ils n'osoient m' approcher. Ils me
» regardoient comme un favory ; moy, je vivois avec
» eux comme auparavant. Us estoient tout estonnez
» de ma civilité. » Le Cardinal levoit les espaules,
et dit à Desmaretz , après que l'autre fut sorty :
« Je vous prie, tirez-luy les vers du nez. » Desma-
restz l'accoste et luy dit : « Vous en avez tantost
» bien donné à garder à Monseigneur. — Pardieu, »
dit Rossignol, « point du tout, je ne luy en ay pas
» dit la moitié; mais je vous veux tout conter à
» vous. » Là-dessus, il hable tout son saoul. « Mais il
» faut, » adjousta-t-il, « que je vous die quelques-uns
» de mes bons mots. Il y avoit un juge qui n'osoit
» quasy m'approcher; je l'embrasse, et luy dis en
)) riant : Souvenez-vous de l'Alhergat. » C'estoit un
cabaret où ils avoient bu ensemble *.
' On a sceû du mareschal de la Meillera3'e qu'un homme vestu à
Tespagnolle vint demander à parler au cardinal de Richelieu teste à
teste, et qu'après bien des allées et des venues, voyant qu'il s'obstinoit
à parler sans tesmoins, on fut obligé de le fouiller. Il luy proposa,
moyennant une somme de douze mille escus par mois, de luy faire
II. 3
su LES HISTORIETTES.
Quand le duc de Lorraine manqua * au traitté
qu'il avoit fait à Saint-Germain avec le Roy,
le Cardinal , pour consoler Sa Majesté par quelque
espargne, car rien ne le consoloit tant , se doutant
que dix mille pistolles que le Duc avoit receues es-
toient encore à Paris, mit le commissaire Coiffier en
queste, et luy en promit six cens. Coiffier, par
hazard, connoissoit un lorrain qui estoit assez bien
avec le Duc ; il va chez cet homme, et luy dit : « On
» veut vous arrester pour telle chose. » Le lorrain
luy advoue qu'il avoit cet argent: « Eh bien! don-
» nez-le-moy, et on ne vous arrestera pas, je vous en
» donne ma parole. » Le lorrain le lui donne ; Coif-
fier le porte au Cardinal, et le Cardinal au Roy. Les
six cens pistolles promises furent payées.
Le Cardinal tenoit parole ; on le verra en ce que
je vais conter. Il y avoit un ingénieur nommé de
Meuves, qui, un jour, avoit dit estourdiment : « Il
» ne faut qu'achetter deux maisons vis-à-vis , dans
» la rue Saint-Honoré , et par-dessous la rue faire
» une mine , et y mettre le feu quand le Cardinal
» passera. » Jugez si cela est fort faisable. Le Car-
dinal a avis de cela , et que cet homme avoit un
secret pour rompre le fer avec une certaine liqueur.
Cela luy fait peur, il résout de se desfaire de cet
sçavoir tout ce qui se passeroit dans le conseil d'Espagne. Le Car-
dinal accepta le party, résolu de hazarder le premier moys. Depuis,
il continua. On portoit l'argent dans un certain esgoust, vers Fon-
tarabie, où l'on trouvoit des relations de tout ce qui s'estoit passé.
Je ne sçay pas précisément quand cela a commencé et combien cela
a duré.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 35
homme. Ce de Meuves avoit entrée à l'Arsenal, et
le Grand-maistre pretendoit tirer de grands avanta-
ges de ce secret , en surprenant des villes où il y a
des grilles de fer pour donner passage à quelque
ruisseau. Un soir , cet homme avoit promis à quel-
qu'un d'aller coucher à Saint-Cloud; il estoit tard,
il s'advise d'aller rompre la chaisne de quelque ba-
teau avec sa drogue, prend son laquais avec un
flambeau allumé pour passer sous les ponts. Cette
mesme nuict-là le feu se prit au Pont-au-Change.
Voylà un beau prétexte : on accuse de Meuves d'y
avoir mis le feu, et par malice. Le Cardinal nomme
pour chef de ses commissaires (tous conseillers au
Chastelet qui jugent prevostalement * les incen- En dernier ressort,
diaires) M. des Cordes, un homme qui a mérité
qu'on escrivist sa \ie\ afin que, ce juge incorrup-
tible ne l'emportant pas sur les autres, on pust dire
cependant : « Il a esté condamné par M. des Cordes. »
Le Cardinal songea à avoir le secret : il envoyé qué-
rir le clerc de M. des Cordes , nommé de Nieslé, de
qui nous tenons cette particularité. De Nieslé luy
apporta de la drogue, car on en avoit trouvé chez
de Meuves quand on le prit. Le Cardinal en voulut
voir l'expérience : on en frotta les fiches d'une ar-
moire : au bout d'un demy-quart d'heure, les aix de
l'armoire tombent à terre. Le Cardinal voyant cela
ne s'obstina plus à vouloir avoir ce secret comme il
avoit fait, «parce, » dit-il, « qu'il n'y auroit plus
» rien de seur. » Avant cela, il l'avoit fait demander
* M. de Vence, Antoine Godeau, l'a escritte.
36 LES HISTORIETTES.
à de Meuves , qui respondit qu'il ne le donneroit
point si on ne luy promettoit la vie. « Je ne la luy
» promettray point, «dit le Cardinal, « car il luy fau-
)) droit tenir parole , et je veux qu'il meure. » En
effect, il fut pendu. Voyez le plaisant scrupule ! il ne
veut pas manquer de parole , et fait mourir un inno-
cent. Un politique, ou plutost un tyran comme luy,
regarde que manquer de parole descrie, au lieu
que peu de gens sçauront qu'on a fait mourir cet
homme injustement '.
1 Un baron du Languedoc dont j'ay oublié le nom, parent de M. de
Cavoye, avoit trouvé une sorte de boulets creux qu'on emplissoit de
poudre à canon, et qui, avec certaine mesche qui s'allumoit quand on
tiroit le canon, crevoient en terre et faisoient quasy autant d'effect
qu'une mine. Le feu roy Louis XHP en fit l'cspreuve à Versailles, où
exprès on fit construire une demy-lune de terre. Saint-Aoust, lieute-
nant général de l'artillerie, envoya par malice de meschante poudre :
le baron s'en plaignit; le Roy se fascha. Saint-Aoust vint et en apporta
de bonne. L'effect fut grand. Le Roy présenta le Raron au Cardinal à
Ruel : le Cardinal feignit d'estre ravy ; mais à cause que cela ostoit le
grand proffit à l'Artillerie, en réduisant l'équipage au quart des char-
rettes, il fit si bien qu'on ordonna à cet homme de se retirer. Rien
n'estoit plus utile pour les ouvrages de terre.
DES VALLÉES. — U Y avolt à Vitray, en Bretagne, un advocat peu employé, nommé
des Vallées. Cet homme estoit si né aux langues, qu'en moins de rien
il les devinoit et en faisoit la syntaxe et le dictionnaire. En cinq ou six
leçons, il monstroit l'hébreu. U prétendoit avoir trouvé une langue
matrice qui luy faisoit entendre toutes les autres. Le cardinal de Ri-
chelieu le fit venir icy ; mais il se brouilla avec de Muys, le professeur
Gabriel Slonita, sa- en langue hébraïque, et un autre, peut-être estoit-ce Syonita*, cet homme
vant maronite mort , ^ ., . •„ • , , t^-, , , , ^ t t^ n • . -^
a l'aris en 1648. du Liban qui travailloit a la Bible de le Geay. Le Pailleur, qui estoit
de ses amys, luy avoit demandé sur toutes choses de ne les point
chocquer. Un jour que le Pailleur, en voyant quelques espreuvesde ce
travail, demanda si cela estoit corrigé, des Vallées dit : « Voire ! ce ne
» sont que des ignorans. » De Muys sceùt cela et le descria. Le cardi-
nal de Richelieu vouloit pourtant qu'il fist imprimer ce qu'il sçavoit de
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 37
Par ambition, le Cardinal vouloit accommoder les
religions, et meditoit cela de longue main. 11 avoit
desjà corrompu quelques ministres en Languedoc ;
ceux qui estoient mariez avec de l'argent, et ceux
qui ne Festoient pas en leur promettant des béné-
fices. Il avoit dessein de faire faire une conférence,
et d'y faire desputer ceux qu'il avoit gaignez, qui,
donnant les mains, engageroient le reste à faire de
mesme. En cette intention, il jette les yeux sur l'abbé
de Saint-Cyran, homme de grande réputation et de
grande probité , pour le faire le chef des docteurs
qui disputeroient contre les ministres. Saint-Cyran
luy dit qu'il luy avoit fait beaucoup d'honneur de le
croyre digne d'estre à la teste de tant d'habiles gens,
mais qu'il estoit obligé en conscience de luy dire que
ce n' estoit point la voye du Saint-Esprit ; que c'estoit
plustost la voye de la chair et du sang , et qu'il ne
falloit convertir les hérétiques que par les bons
exemples qu'on leur donnera. Le Cardinal ne gousta
nullement cette remonstrance, et ce fut la véritable
cause de la prison de Saint-Cyran.
En Languedoc, le Cardinal envoya quérir un des
ministres de Montpellier, nommé le Fauscheur, natif
de Genève. Il le vouloit gaigner à cause de sa répu-
tation ; il luy envoya dix mille francs. Ce bonhomme
fut fort surpris. « Hé ! pourquoy m' envoyer cela ? »
dit-il à celuy qui le luy apportoit. — « M. le Cardi-
cette langue matrice : « Mais (disoit-il) vous me faittes divulguer mon
» secret, donnez-moy donc de quoy vivre. » Le Cardinal le négligea, et
le secret a esté enterré avec des Vallées.
38 LES HISTORIETTES.
» nal , » dit cet homme , « vous prie de prendre cette
» somme comme un bienfait du Roy. » Le Faus-
cheur n'y voulut point entendre. Le Cardinal le
trouva mauvais, et le pauvre ministre fut interdit
fort long-temps, jusqu'à ce qu'il eust permission de
prescher à Paris. — Un de ses confrères, nommé
Mestrezat, rapporta dix mille escus aux héritiers d'un
homme qui les luy avoit donnez en despost, sans
qu'eux ny qui que ce soit au monde en sceust rien \
1 J'ay appris qu'une des choses qui donna autant d'occasion à la
A l'Instigation du réforme des Monastères, principalement de dames*, fut la folie d'une
père osep . ^^^ ^^ Frontenac , religieuse à Poissy , qui , non contente de faire
l'amour, s'avisa de danser un ballet avec cinq autres religieuses et
leurs six galans. Ils allèrent à Saint-Germain, où le Roy estoit. On
crut d'abord que ce ballet vcnoit de Paris ; mais dez le lendemain ma-
tin on sceut l'affaire, et le jour mesmc les six religieuses furent
envoyées en exil. Avant cela, elles avoient chascune leur logement à
part et leur jardin, et mangeoient en leur particulier, si elles vou-
loient.
Variante : Ce qui luy fit venir la pensée de reformer, fut l'insolence
de deux religieuses de Poissy, qui vinrent danser une entrée de ballet
à Saint-Germain, devant le Roy, avec leurs deux galans. On les suivit,
on les reconnut. L'une estoit fille de M. de Frontenac, premier maistre
d'hostel, et l'autre aussy estoit de bon lieu , mais je n'ay pu sçavoir
son nom. Elles furent cachées à Poissy, je ne sçay combien de jours ;
on ne put jamais obtenir de la Prieure qu'elle leur pardonnast et les
receust à faire pénitence ; disant qu'elles gasteroient les autres. La
Frontenac n'en a jamais eu de véritable repentir ; ses parensluy firent
donner un hospital à Dourdan, où elle a vescu avec beaucoup de
scandale. L'autre fut receue dans un monastère de Provence, où elle
fit de grandes austeritez et mourut peu de temps après.
— Le Cardinal, qui avoit alors besoin de la cour de Rome, envoya
l'evesque de Chartres, Valençay, trouver un vieux docteur de Sorbonne
nommé Filesac, et luy dit, de la part de Son Eminence, qu'on le prioit
d'examiner telle et telle affaire, et de voir en quoy on pouvoit gratifier
le Pape. Ce bonhomme luy respondit : « Monsieur, j'ay passé quatre-
» vingts ans ; pour examiner ce que vous me proposez, il me faut six
» mois: car je seray obligé de revoir six gros volumes de recueils que
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 39
Le Cardinal a eu quelquefois bien autant d'iieur
que de science ' ; car, après avoir poussé M. le comte
de Soissons à bout, il luy oppose à la vérité un
bon chef, mais une très-foible armée. Lamboy n'eut
pas de peine à desfaire le mareschal de Chastillon.
En conscience, nMmportoit-il pas au moins autant
au Cardinal que le Grancl-maistre eust la gloire de
prendre Aire, que de battre Monsieur le Comte-? On
» voylà! — Bien, » dit le prélat, «je reviendray dans le temps que vous
» me marquez. » Le terme venu, M. de Chartres retourne : le vieillard
luy dit : « On a bien des incommoditez à mon âge ; je n'ay pu lire
» encore que la moitié de mes recueils. » Le prélat voulut gronder et
l'intimider : « Voyez-vous, » luy respondit-il^ « Monsieur, je ne crains
» rien. Il n'y a pas plus loin de la Bastille au Paradis que de la Sor-
» bonne : vous faittes un mestier bien indigne de vostre rang et de vostre
» naissance; vous en devriez mourir de honte. Allez et ne mettez ja-
» mais le pié dans ma chambre. »
— Un autre, nommé Richer, proviseur du collège du cardinal le
Moine, fut plus tourmenté. On luy deffendit de sortir de son collège :
on le luy donna pour prison. Après, on l'obligea, dans la chambre du
père Joseph, chez le cardinal de Richelieu, de signer des choses qu'il
ne vouloit point signer. On le vouloit ensuitte renvoyer en carrosse,
comme on l'avoit amené, il dit qu'il vouloit faire exercice; mais c'es-
toit qu'il vouloit entrer chez le premier notaire, où il fit des protesta-
tions contre la violence qu'on luy avoit faitte.
— Le livre intitulé Optatus Gallus fut fait par le docteur Arsent *, Charles Hersent
docteur de Sorbonne,
de concert avec le Nonce du Pape, pour monstrer que le cardinal de mort en leeo.
Richelieu tendoit à faire un schisme en France.
* Mal informé de la disposition où estoient les Catalans, il leur donna
la carte blanche, au lieu qu'eux la luy eussent donnée; car ils estoient
résolus d'appeler le Turc , s'il faut ainsy dire , plustost que de se sou-
mettre à l'Espagne. Cette faute a horriblement cousté à la France ; car
la Catalogne a tiré bien de l'argent. On payoit tout comme dans une
hosteUerie, et cette principauté, et par conséquent l'Espagne, s'enri-
chissoit à nos despens.
2 Ayant appris la desfaite du mareschal de Chastillon , à Sedan , il
envoya ordre au mareschal de laMeilleraye* de laisser l'armée au ma- Le Grand-Maistre.
reschal de Guiche, et de l'aller trouver à Rhetel avec son régiment de
cavalerie, celuy de la Meillera3'e. Depuis, le Mareschal fut contremandé.
liO LES HISTORIETTES.
a cru sur c^a qu'il estoit asseuré de le faire tuer dans
le combat; c'est une chanson : cela se seroit descou-
vert avec le temps. Tout le monde croit que Monsieur
le Comte, en voulant lever sa visière avec le bout de
son pistollet, se tua luy-mesme; et s'il ne se fust
point tué, où en estoit l'Eminentissime? Toute la
Champagne, dont Monsieur le Comte estoit gouver-
neur, eust ouvert les portes au victorieux. Tous les
malcontens se fussent joints à luy ; le Roy mesme eust
peut-estre esté bien aise d'avoir une occasion de
se desfaire d'un ministre qui luy estoit à charge,
et qu'il craignoit ; car le Cardinal n'estoit pas
le cardinal Mazaiiu. commc ccluy-ci * ; il avoit de véritables amys, et des
créatures qui ne luy eussent jamais manqué.
Quand on apporta la nouvelle de la desfaite de
M. de Chastillon, le Cardinal fut cinq heures durant
au desespoir, et ne se remit que quant on luy vint dire
la mort de Monsieur le Comte '. Dans ce combat, le
1 M. de Bouillon, après cela, fit une paix de pair à pair avec le Roy.
Le Cardinal en achevant le traitté dit : (( Il y a encore une condition à
» adjouster; c'est que M'"^ de Bouillon croira que je suis son très-
» humble serviteur. » Après cela, M. de Bouillon se va sottement en-
En iiiis. gager* avec M. d'Orléans et Monsieur le Grand. Son père luy avoit
tant recommandé de se tenir dans son petit corps de garde, et il va
caballer quand il commande en Piémont. On le prist à la teste de son
armée, et sa femme fut contrainte de rendre Sedan pour luy sauver la
vie. Il ne tesmoigna pas grande constance dans la prison.
Monsieur le Comte avoit mis dans ses enseignes : l'oiir te Roy,
contre le Cardinal; M. de Bouillon : Antij du Roy, ennemy du Cardinal:
i\I. de Guise une chaise renversée et un chapeau rouge dessus, avec ces
mots : Deposuit potentem de sede.
Le prince de Simmeren, de la maison palatine, estoit à Sedan lors-
que Monsieur le Comte s'y retira. Estant retourné en son pays, quand
la bataille de Sedan fut donnée, il escrivit naîfvement cette lettre à
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 41
marquis de Praslin*, filz du Mareschal, eut cent coups m^a°rquis''^de'pS.
après sa mort. On croit qu'il avoit donné parole à
Monsieur le Comte, et puis luy avoit manqué; c'estoit
un homme de service, mais un meschant homme. Il
avoit fait long-temps l'impie ; et pour se remettre en
bonne réputation de ce costé-là, il feignit une appa-
rition. Mais le Cardinal de Richelieu s'en mocqua '.
Cela me fait souvenir d'un sçavant médecin de la
Faculté, nommé Patin, qui tout de mesme a feint
qu'un de ses malades à qui il fit promettre à l'ar-
ticle de la mort de luy venir dire s'il y avoit un pur-
gatoire, luy estoit apparu un matin, mais sans luy
rien dire ; car ces gens qui reviennent de l'autre
monde ne parlent jamais.
Le Cardinal estoit avare; ce n'est pas qu'il ne
fist bien de la despense, mais il aimoit le bien. M. de
Crequy* ayant esté tué d'un coup de canon en Ita- ■ff'st.tom. i,p. m.
lie, il alla voir ses tableaux, prit tout le meilleur au
prix de l'inventaire , et n'en a jamais payé un sol.
Il fit pis; car Gilliers, intendant de M. de Crequy,
luy en ayant apporté trois des siens par son ordre,
et luy en ayant présenté un qu'il le prioit d'accep-
ter , le Cardinal dit : « Je les veux tous trois, » et
les doit encore.
Il ne payoit guères mieux les demoiselles que les
M. le comte de Boissons : u Le bruit court icy que vous avez gaigaé la
u bataille, mais que vous y avez esté tué. Mandez-moy ce qui en est,
» car je serois très-fasché de vostre mort. » Le comte de Roussy m'a dit
avoir veu la lettre.
' Saint-Hibar a esté la cause du malheur de Monsieur le Comte ;
car il luy mit dans la teste de faire le fier et de terrasser le Cardinal.
42 LES HISTORIETTES.
Historiette. tableaux. Marion de Lorme* alla deux fois chez luy *.
A la première visite, il la récent en habit de satin
gris-de-lin , en broderie d'or et d'argent, botté et
avec des plumes. Elle a dit que cette barbe en pointe
et ces cheveux au-dessus de l'oreille faisoient le plus
plaisant effect du monde. Après ces deux visites, il
luy fit présenter cent pistolles par des Bournais,
son valet de chambre qui avoit fait le maquerellage.
Elle les jetta et se mocqua du Cardinal.
On l'a veu plusieurs fois avec des mouches, mais
il n'en mettoit pas pour une.
Une fois, il voulut desbauscher la princesse Marie,
aujourd'huy la reyne de Pologne. Elle luy avoit en-
voyé demander audience. Il se tint au lict ; on la fit
entrer toute seule, et le capitaine des Gardes fit reti-
rer tout le monde. «Monsieur, » luy dit-elle, « j'estois
» venue pour... » Il l'interrompit : « Madame, » luy
dit-il , « je vous promets toute chose ; je ne veux
» point sçavoir ce que c'est : mais. Madame, que
» vous voylà propre ! Jamais vous ne fustes si bien.
» Pour moy, j'ay tousjours eu une inclination parti-
» culiere à vous servir. » En disant cela , il luy prend
la main ; elle la retire, et luy veut conter son affaire.
Il recommence et luy veut prendre encore la main,
elle se levé et s'en va.
Pour M"" d'Aiguillon et M°'' de Chaune, nous di-
rons cela en suitte, quand nous viendrons à l'histo-
riette de M"" d'Aiguillon. Le Cardinal aimoit les
* J'ay ouy dire qu'une fois elle y entra en homme : on dit que c'es-
toit un courrier. Elle-mesme l'a conté.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 43
femmes ; mais il craignoit le Roy qui estoit mes-
disaiit '.
Le Cardinal railloit quelquefois assez fortement
et sans grand fondement '-. Durant le siège d'Arras,
il m' arriva d'escrire une epistre en vers au petit
Quillet, médecin du mareschal d'Estrées. Il estoit
alors à la Cour, à Amiens, pour cette belle guerre -
de Parme*. Le paquet estoit adressé chez Bautru, ^°y-^%^^gi' p-
amy de Quillet. Par hazard on le porta à Nogent,
son frère, qui voulut avoir le plaisir de l'ouvrir, puis-
qu'il luy avoit cousté un quart d'escu ; car c'est le
1 La Rivière, qui est mort evesque de Langres, disoit que le cardinal
de Richelieu estoit sujet à battre ses gens ; qu'il a plus d'une fois
battu le chancellier Seguier et Rullion. Un jour que ce surintendant
des Finances refusoit de signer une chose qui suffisoit pour luy faire
faire son procez, il prit les tenailles du feu et luy serroit le cou en luy
disant : «Petit ladre, je t'estraugleray. » Et l'autre respondoit : « Es-
» tranglez, je n'en feray rieu. » Enfin, il le lascha, et le lendemain,
Bullion, à la persuasion de ses amys qui luy remonstrerent qu'il estoit
perdu, signa tout ce que le Cardinal voulut.
— Le Cardinal estoit rude à ses gens et tousjours en mauvaise hu-
meur. Il est vi-ay qu'il se contraignoit assez aisément.
— Il a, dit-on, quelquefois frappé Cavoye, son capitaine des gardes,
et autres, transporté de colère. On dit que le Mazarin en a fait autant
à JVoailles, quand il estoit son capitaine des Gardes.
2 M. de Chavigny délibéra de faire appeller l'hostel de Saint-Paul
l'hostel de Bouteillier, et de le mettre sur la porte. Le cardinal de
Richelieu s'en mocqua, et luy dit : « Tous les Suisses y voudront aller
» boire : ils liront l'hostel de la Bouteille. » L'archevesque de Tours
signoit tousjours le Bouteillier, prétendant venir des comtes de Senlis.
Dans la vérité, ils sont venus d'un paysan de Touraine qui se trans-
planta à Angoulesme; son filz eut quelque charge. Du costé des
femmes, ils viennent de RaVaillac, c'est-à-dire d'une sœur de Ravail-
lac : au moins en sont-ils bien proches. Le père de l'Archevesque et
du Surintendant estoit advocat à Paris, et avoit escrit l'histoire de
Marthe Brossier, cette fille qui faisoit la possédée ; ils l'ont supprimée
autant qu'ils ont pu.
Ud LES HISTORIETTES.
plus avare des humains. Nogent porta cette baga-
telle chez le Cardinal pour l'en faire rire. Son Emi-
nence prit occasion de railler (à cause qu'il y a voit
quelques endroits qui pouvoient convenir à M. de
Bullion ' qui estoit, aussy bien que Quillet, petit,
gros, rouge et de bonne chère) , il prit occasion de
railler Senetere^ qui estoit le courtisan de Bullion ;
et Senetere luy ayant remonstré que le nom de Quil-
let y estoit : « Qu'importe, » dit-il, « que ce soit pour
» M. de Bullion ou pour le médecin de vostre amy?
» c'est à vous à faire faire response , » et luy mit la
lettre entre les mains. II la rendit depuis à Quillet,
et luy dit d'un air fort chagrin , car il avoit peur
que Bullion ne le sccust, qu'il recommandast bien à
ses amys de n'escrire jamais, aux lieux où seroit la
Cour, des choses qui pussent s'appliquer à plus
d'une personne. Si mon père eust sceû cela, et qu'a-
près il luy fust arrivé cpelque desordre dans ses
affaires, il m'eust voulu faire accroire que ma poésie
en eust esté cause.
En ce temps-là, il dit en riant à Quillet qui est
de Chinon : « Voyez-vous ce petit homme-là? il est
» parent de Rabelais , et médecin comme luy. — Je
» n'ay pas l'honneur, «dit Quillet, «d'estre parent de
» Rabelais. — Mais, » adjousta le Cardinal , « vous
» ne nierez pas que vous ne soyez du pays de Ra-
» bêlais. — J'avoue , Monseigneur, que je suis du
» pays de Rabelais , » reprit Quillet, « mais le pays
^ On appelloit Bullion le Gros Guillaume raccourci/. Les gens de lettres
le haïssoient, car il faisoit profession de les mespriser.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. ^5
» de Rabelais a Thonneur d'appartenir à votre Emi-
» nence \ »
Cela estoit assez hardy. Mais un M. Mulot, de Pa-
ris, qu'il avoit fait chanoine de la Sainte-Chapelle,
luy parloit bien encore plus hardiment. Il est vray que
le Cardinal avoit bien de l'obligation à cet homme;
car lorsqu'il fut relégué à Avignon, Mulot vendit
tout ce qu'il avoit, et luy porta trois ou quatre mille
escus, dont il avoit fort grand besoing. Ce M. Mulot
n' avoit rien tant à contre-cœur c{ue d'estre appelle
aumosnier de son Eminence. Une fois le Cardinal ,
pour se divertir, car il se chatouilloit souvent pour
se faire rire, fit semblant d'avoir receu une lettre où
il y avoit : A monsieur, monsieur Mulot, aumosnier
de son Eminence, et la luy donna. Cela le mit en
colère, et il dit tout haut c{ue c'estoient des sots qui
avoient fait cela. « Ouais ! » dit le Cardinal , « et si
)> c'estoitmoy? — Quand ce seroit vous, » respondit
Mulot, « ce ne seroit pas la première sottise que vous
» auriez faitte. » Une autre fois, il luy reprocha qu'il
ne croyoit point en Dieu, et qu'il s'en estoit confessé
à luy. Le Cardinal fit mettre une fois des espines
sous la selle de son cheval : le pauvre M. Mulot ne
fut pas plus tost dessus, que la selle pressant les
espines, le cheval se sentit piqué et se mit à regim-
ber d'une telle force, que le bon chanoine se pensa
rompre le cou. Le Cardinal rioit comme un fou : Mu-
lot trouve moyen de descendre, et s'en va à luy tout
' Par engagement*. AiiénaUon^tempc»
46 LES HISTORIETTES.
bouillant de colère : « Vous estes un meschant homme !
» — Taisez-vous, taisez-vous! » luy dit l'Eminentis-
sime; « je vous feray pendre; vous révélez ma con-
» fession. » Ce M. Mulot avoit un nez qui faisoit voir
qu'il ne haïssoit pas le vin. En effect, il l'aimoit tant
qu'il ne pouvoit s'empescher de faire une aigre répri-
mande à tous ceux qui n'en avoient pas de bon ; et
quelquefois, quand il avoit disné chez quelqu'un
qui ne luy avoit pas fait boire de bon vin, il faisoit
venir les valets et leur disoit : « Or çà, n'estes-vous
» pas bien malheureux de n'avertir pas vostre maistre,
» qui peut-estre ne s'y connoist pas, qu'il se fait tort
» de n'avoir pas de bon vin à donner à ses amys * ? »
Il avoit beaucoup d'amitié pour M""" de Ram-
bouillet ; et ayant descouvert que M. de Lizieux ^,
quoyqu'il eust du bien de reste, jouissoit tousjours
d'une petite terre, qui luy avoit esté donnée autrefois,
^ Le Cardinal avoit deux petits pages, dont l'un s'appelloitMeniguet
et l'autre Saint.... j'ay oublié le nom de ce saint-là. Ils rencontroient
admirablement à faire des équivoques sur-le-cliamp ; le Cardinal s'en
ArtusdeSaint-Gelais, divertissoit. Un jour M. de Lansac* entre; Son Eminence dit : « Meni-
sieur e ansac. ^^ ^^^^ ^ ^^^^ équivoque sur M. de Lansac. — Monseigneur, il me faut
)) une pistolle, sans cela je ne sçaurois equivoquer. — Comment, une
» pistolle? » dit le Cardinal. — «Ouy, Monseigneur, il m'en faut une,
» et si je n'equivoque bien, je me soumets à avoir le fouet. » Le Cardi-
nal luy en donne donc une. Le petit page la met dans sa poche et dit :
« Pistolle Lansac n (pistole en sac). Le Cardinal la trouva si plaisante
qu'il luy en fit donner dix.
— Il luy prenoit assez souvent des mélancolies si fortes, qu'il en-
voyoit chercher Boisrobert et les autres qui le pouvoient divertir , et
il leur disoit : « Resjouissez-moy, si vous en sçavez le secret. » Alors
chascun bouffonnoit, et quand il estoit soulagé, il se remettoit aux
affaires.
2 Voyez Lizieux {Historiette de l'evesque de).
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 47
par le beau-pere de cette dame, pour en jouir sa
vie durant, il ne le pouvoit souffrir, et à tout bout
de champ il le luy vouloit aller dire. Toutes les fois
qu'il voyoit M"^ de Rambouillet, la première chose
qu'il luy disoit c'estoit : « Madame, M. de Lizieux
» a-t-il rendu cette terre? » Enfin il fallut que M"'" de
Rambouillet se mist à genoux devant luy pour ob-
tenir qu'il n'en parleroit jamais. M. de Lizieux avoit
oublié d'oii luy venoit cette terre, ou, pour mieux
dire, il avoit oublié qu'il l' avoit. Jamais homme n'a
moins sceû ses affaires que cetuy-là.
On a remarqué que le Cardinal de Richelieu avoit
puny fort sévèrement la sédition des Piez-nus en
Normandie*, parce que cette province a eu des sou-
verains autrefois, qu'elle le porte plus haut qu'une
autre province, qu'elle est voisine des Anglois, et
qu'elle a peut-estre encore quelque inclination à
avoir un duc.
On a remarqué aussy que ce fut une grande bé-
veue que de deffendre de peser les pistolles ; car on
roigna si bien qu'elles ne pesoient plus que six livres,
et que le Roy se ruinoit quand il falloit porter de
l'or hors de France; enfin cela fit ouvrir les yeux
au Cardinal. Il est vray qu'il prit le chemin qu'il
falloit pour arrester ce desordre, car il les descria
tout d'un coup. Il fallut après faire un party des
roigneurs. Montauron en donnoit tant au Roy, et les
faisoit condamner à la plus grosse somme qu'il pou-
voit. Il y en avoit tant que toute la corde du Royaume
48 LES HISTORIETTES.
n'eust pas suffy pour les pendre. Quelques particu-
liers du Conseil, qui avoient de l'or léger, furent
cause qu'on donna ce ridicule arrest qui deffendoit de
Les premiers sontde pescr Ics pistollcs. Cela obllgca à fairclcs Louis d'or
Le cardinal de Richelieu ayant harangué au Par-
is janvier i6S4. lement en présence du Roy*, sa harangue, qui fut
assez longue, fit bien du bruit. L'orateur y servit
beaucoup, car effectivement ce n'estoit pas grand-
chose '. On parla de la faire imprimer. Il pria le
cardinal de la Valette d'assembler quelques per-
jv««'r-*des^pi?iî"- sonnes intelligentes ; cefutchezBautru\ M. Godeau,
cnamps. ^ Chapelain, M. Gombaud, M. Guyet, M. Desma-
retz que Bautru y mit de son chef, en estoient. On
la lut fort exactement, car le Cardinal le souhaittoit.
Ils furent depuis dix heures du matin jusqu'au soir
à ne marquer que le plus gros; dez qu'il sceût qu'on
avoit esté si long-temps à l'examiner, il renguaisna
et ne pensa plus à la faire imprimer. Bautru ne fut
pas d'avis qu'on luy monstrast les marques qu'on
avoit faittes, car il y en avoit trop, et cela l'auroit
fasché ^. Depuis, il ne fut pas si docile ; il croyoit es-
* Talon l'aisné, advocat-genéral, homme de petite cervelle, alla sot-
tement, en présence du Roy au Parlement, louer le cardinal de Riche-
lieu par-dessus les maisons. En sortant, le Cardinal luy dit : «Monsieur
» Talon, vous n'avez rien fait aujourd'huy , ny pour vous ny pour
» moy. »
2 Elle estoit pleine de fautes contre la langue, aussy bien que son
Cathéchisme ou Instruction chrétienne. Il voyoit bien les choses,
mais il ne les estendoit pas bien. A parler succinctement, il estoit
admirable et délicat. II n'y a que V Instruction des Curez qui soit de
luy ; encore a-t-il pris des uns et des autres ; pour le reste, la matière
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 69
crire mieux en prose que tout le reste du monde ; mais
il ne faisoit estât que des vers. Il a escrit un caté-
chisme qu'il fit imprimer, où il dit en un endroit :
« C'est comme qui entreprendroit d'entendre le More
» de Terence sans commentaire. » C'est signe qu'il
a voit bien lu Terence '.
Il y a encore deux autres livres de luy; le pre-
mier s'appelle la Perfection du Chrétien. Dans la
préface il dit qu'il a fait ce livre durant les desor-
di^es de Corbie : c'est une vanité ridicule. Quand
cela seroit, à quoy il n'y a nulle apparence, car i(
n'en avoit pas le loisir et avoit assez d'autres choses
dans la teste, il ne faudroit pas le dire. M. Desma-
retz, par l'ordre de M'"'^ d'Aiguillon, et M. de Char-
tres, Lescot, qui avoit esté son confesseur, ont un
peu reveû cet ouvrage.
L'autre est intitulé : Traité enseignant la méthode
la plus aisée et la plus asseurée pour convertir ceux
qui se sont séparez de l'Eglise'^. M. de Chartres et
M. l'abbé de Bourzez l'ont reveû. Après eux, elle * ^"" ••'^'g""'"»-
est de Lescot, et le françois de Desmarestz. — Il avoit fait une comédie
qui estoit fort ridicule, et il la vouloit faire jouer. Madame d'Aiguillon
et le mareschal de la Meilleraye firent agir Boisrobert pour l'en des-
toumer ; le pauvre homme en fut disgracié quinze jours. Desmarestz
avoit des peines enragées avec luy. Il falloit se servir de ses pensées,
ou du moins les desguiser.
i Le Catéchisme a esté corrigé depuis par Desmarestz, qui l'a mis
en l'estat où on le voit aujourd'huy.
2 Beaucoup de gens croyent que ce dernier ouvrage est de M. de
Cha.<"tres, car le style est assez conforme (autant qu'on en peut juger
par un escliantillon) à l'approbation que ce prélat a mise au-devant
du livre. Le Cardinal faisoit travailler plusieurs personnes aux ma-
tières; après il les choisissoit, et choisissoit passablement bien.
II. U
50 LES IIISTORIKTTES.
pria M. Chapelain de refondre une Invocation à la
Vierge: il le fit; mais elle n'y changea rien, par
scrupule, ou par vénération pour son oncle.
Une chose m'a encore surpris de cet homme, c'est
qu'il n'avoit jamais lu les Mémoires de Charles IX%
En voicy une preuve convaincante. Quelqu'un luy
ayant parlé de la Servitude volontaire d'Estienne de
la Boetie, c'est un des Traittés de ces Mémoires (et
un Traitté, pour dire ce que j'en pense, qui n'est
qu'une amplification de collège, et qui a eu bien
plus de réputation qu'il n'en mérite), il eut envie de
voir cette pièce : il envoyé un de ses gentilshommes
par toute la rue Saint- Jacques demander la Servitude
volontaire. Les libraires disoient tous : « Nous ne
» sçavons ce que c'est. » Ils ne se ressouvenoient point
que cela estoit dans les Mémoires de Charles IX\
Enfin le filz de Biaise, un libraire assez célèbre, s'en
ressouvint et le dit à son père ; et quand le Gentil-
homme repassa : « Monsieur, » luy dit-il, « il y a un
» curieux qui a ce que vous cherchez, mais sans cstre
» relié, et il en veut avoir cinq pistoUes. — N'im-
» porte ! » dit le Gentilhomme. Le galant sort par la
porte de derrière et revient avec les cahiers qu'il
avoit descousus, et eut les cinq pistolles '.
^ Le Cardinal a aussy laissé des Mémoires pour escrire l'histoire de
son temps. M"'' d'Aiguillon s'informa depnis de M"" de Rambouillet,
de qui elle se pouvoit servir. M""^ de Rambouillet en voulut avoir
l'avis de M. de Vaugelas, qui luy nomma M. d'Ablancourt et M. Pa-
tru. Elle ne voulut pas du premier à cause de sa religion. Pour Patru,
à qui elle en fit parler par M. Desmarestz, il luy fit dire que pour bien
escrire cette histoire il falloit renoncer à toute autre chose ; qu'ainsy,
1" édition 16S3.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 51
Pour r A-cadémie, que Saint-Germain appelloit assez
plaisamment la volière de Psaphon , je n'ay rien à
adjouster à ce qu'en a dit M. Pellisson dans V His-
toire qu'il en a faitte^ Je diray seulement que le
Cardinal estoit ravy quand on luy remettoit la déci-
sion de quelque difficulté. H en faisoit faire compli-
ment aux Académiciens, et les prioit de luy en en-
voyer souvent de mesme. Mais son avarice en cecy
n'a-t-elle pas esté ridicule? S'il eusfc donné à Vau-
gelas de quoy subsister honorablement ' sans s'oc-
cuper à autre chose qu'au Dictionnaire, le Diction-
il seroit obligé de quitter le palais; qu'il luy fist donc donner un béné-
fice de mille escus de rente, ou une somme une fois payée. Elle luy
envoya offrir la charge de lieutenant-général de Richelieu. 11 respondit
que pour cent mille escus il ne quitteroit pas la conversation de ses
amys de Paris. Depuis, il m'a juré qu'il estoit ravy de n'avoir pas esté
pris au mot, et qu'il auroit enragé d'estre obligé de louer un tyrau
qui avoit aboly toutes les lois et qui avoit mis la France sous un joug
insupportable. II n'y a pas plus de quatre ans que M. de Montauzier
croyoit avoir fait quelque chose pour faire avoir cet employ à M. d'A-
blancourt, car M"" du Vigean , à qui luy et Chapelain en avoient
parlé par rencontre, s'en alla persuadée que la religion n'estoit d'au-
cun obstacle à cela, et que M"" d'Aiguillon ne pouvoit mieux faire.
Mais cela n'a rien produit, quoyqu'on l'en quittast pour deux mille
livres de pension. On a dit que l'evesque de Saint-Malo, Sancy *, tra- roy. tom. i, p. ijo.
vailloit à l'histoire, sur les Mémoires du Cardinal, mais cela n'a point
paru. Ce M. de Saint-Malo estant ambassadeur à la Porte, son secré-
taire, nommé Martin, trouva le moyen de faire eschapper des Sept-
Tours de grands seigneurs Polonois et une dame qui luy avoit promis
de l'espouser. Il se sauva avec eux. Sancy en eut cent coups de latte
sur la plante des piez. Il n'estoit pas evcsque alors. — On trouva, après
la mort du Cardinal, ce qu'on a appelle son Journal. Il est imprimé.
Là on voit que beaucoup de ceux qu'on croyoit ses ennemis luy don-
noient des avis contre leurs propres amis.
* Il establit la pension de Vaugelas , qui estoit de douze cens e.^cus ;
mais Vaugelas n'eu fut point payé.
5:2 LES HISTORIETTES.
foi^'1l"i)fctionn^?e t^slIï^ eust Bsté fait de son vivant, car après *, on en
^'^^^''^- eust esté quitte pour nommer des commissaires qui
eussent reveû chaque lettre avec luy. Il eust fallu
payer aussy ces commissaires : mais cela luy cous--
toit-il rien? estoit-ce de son fonds qu'il payoit les
gens? Cela eust esté utile et honorable à la France.
Il a négligé aussy de faire un bastiment pour cette
pauvre Académie.
Il estoit avide de louanges. On m'a asseuré que
dans une epistre liminaire d'un livre cju'on luy des-
dioit, il avoitrayé héros pour mettre demy-dieu*.
J'ay desjà dit qu'il n'aimoit que les vers. Un jour
qu'il estoit enfermé avec Desmarestz, que Bautru
avoit introduit chez luy, il luy demanda : « A quoy
» pensez-vous que je prenne le plus de plaisir? — A
» faire le bonheur de la France, » luy respondit Des-
marestz. « Point du tout , » respliqua-t-il , « c'est à
» faire des vers. » Il eut une jalousie enragée contre
le Cid, à cause que ses pièces des Cinq-Auteurs
n'avoient pas trop bien réussy. Il ne faisoit que des
tirades pour des pièces de théâtre; mais quand il
travailloit,- il ne donnoit audience à personne. D'ail-
1 Une espèce de fou, nommé la Pcyre, s'advisa de mettre au-devant
d'un livre un grand soleil, dans le millieu duquel le Cardinal estoit
représenté. Il ei> sortoit quarante rayons, au bout desquels estoient
les noms des quarante académiciens. M. le Chancelier, comme le
plus qualifié, avoit un rayon direct. Je pense que M. Servien , alors
secrétaire d'Estat, avoit l'autre; Bautru en suitte, et les autres «au pro-
» rata de leurs qualitez » pour user des termes du surintendant de la
Vieuville. II y mit Cherelles-Bautru , qui n'en estoit point, au lieu du
commissaire Habert. C'estoit un Auvergnat qui a fait de ridicules
traittez do chronologie.
LE CARDINAL D !■ RICHELIEU. 53
leurs, il ne vouloit pas qu'on le reprist. Une fois
, l'Estoile, moins complaisant que les autres, luy dit
le plus doucement qu'il put qu'il y avoit quelque
chose à refaire à un vers. Ce vers n'avoit seulement
que trois syllabes de plus qu'il ne luy falloit. « Là,
.. là, monsieur de l'Estoile, » luy dit-il, comme s'il '
eust esté question d'un edict , « nous le ferons bien
» passer'. »
Pour l'ordinaire, il traittoit les gens de lettres fort
civilement. Il ne voulut jamais se couvrir parce que
Gombaud voulut demeurer nu-teste ; et mettant son
chapeau sur la table, il dit : « Nous nous incommo-
.. deronsl'un et l'autre. « Cependant, regardez si cela
s'accorde : il s'assit, et le laissa lire une comédie
tout debout, sans considérer que la bougie qui estoit
1 U fit une fois un dessein de pièce de théâtre avec toutes les pen-
sées; il le donna h Boisrobert, en présence de M"= d'Aiguillon qui
suivit Boisrobert quand il sortit., pour luy dire qu'il trouvast le moyen
d'empescher que cela ne parust, car il n'y avoit rien plus ridicule.
Boisrobert, quelques jours après, voulut prendre ses biais pour cela.
Le Cardinal, qui s'en aperceut, dit : « Apportez une chaise à du Bois
,, (je diray pourquoy iU'appelloit ainsy *), il veut prescher. » M. Cha-
pelain après fit des remarques sur ce dessein par l'ordre du Cardinal ;
elles estoient les plus douces qu'il se pouvoit. L'Emmentissime des-
chira la pièce, puis il fit recoller les deschirures, le tout dans son lict,
la nuict, et enfin conclut de n'en plus parler.
— n avoit assez meschant goust. On luy a veu se faire rejouer plus de
trois fois une ridicule pièce eu prose que la Serre avoit faille. C'est
Thomas Monts. En un endroit, Aune de Boulen disoit au roy Henri VHP
qui luy offroit une promesse de mariage : « Sire, des promesses de
» mariage les petites filles s'en mocquent. » En un autre, elle mora-
lisoit sur la fragilité des choses humaines, et disoit au Roy que letrosne
des Rois estoit un Irosne de paille : « C'est donc, » disoit le Roy, « de
» paille de diamant. » On appelle une ;»flî7/e certaine marque dans les
diamans, qui est un défaut.
Historiette.
5/t LES IIISTOIUETTES.
sur la table, car c'estoit la nuict, estoit plus basse que
luy. Cela s'appelle obliger et désobliger en mesme
temps \ On l'a pourtant loué de sçavoir obliger de
bonne grâce quand il le vouloit".
Historiette. [| avoit, à cc quo dit la Mesnardiere*, dessein de
faire à Paris un grand collège avec cent mille livres
de rente, où il prétendoit attirer les plus grands
hommes du siècle. Là, il y eust eu un logement pour
l'Académie, qui eust esté la directrice de ce collège.
C'estoit à Narbonne, un peu devant sa mort, que la
Mesnardiere dit qu'il le fit venir sept ou huit fois
pour luy en parler; et il avoit cela si fort dans la
teste que, malgré son mal et toutes les affaires qu'il
avoit alors sur les espaules, il y pensoit fort souvent.
Il avoit, adjouste la Mesnardiere, desjà achepté quel-
que collège. Il laissa une assez belle bibliothèque ;
mais l'avarice de M""= d'/Viguillon, et le peu de soing
Montieuii-i-omrii- Qu'elle Qï! Si OU, la laisso fort dépérir. Feu Fourrille*.
le, gouverneur ilAu- * ' l ^ ?
grand mareschal-des-logis, quand le Roy alla loger au
Au Palais noyai. Pakis * voulut à touto force en avoir la clef. Après,,
on y trouva pour sept à huit mille livres de livres à
^ Cela ne luy arrivoit guercs. Vingt Ibis il a fait couvrir et asseoii-
Desmarestz dans un fauteuil comme luy, et vouloit qu'il no l'appellast
que Monsieur.
2 Le Cardinal donna à M""' la duchesse d'Anghicn une petite chambre
ovl il y avoit six pouppées, une femme en couche, une nourrice quasy
au naturel, un enfant, une garde, une sage-femme et la grand'maman.
M"^ de Rambouillet, M"^ de Bouteville et autres jouoient avec elle. On
deshabillolt et couchoit tous les soirs les pouppées ; on les rhabilloit le
lendemain ; on les faisoit manger, on leur faisoit prendre médecine.
Vu jour elle voulut les faire baigner, et l'on eut bien de la peine à l'en
iM-npescher. u Ah! » disoit-elle, « que Raint-Maigrin est un bon garçon !
» f|ii'il joue bien avec les poupiiécs I »
gers.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 55
dire. Ce fat de la Serre y] loge présentement , et y a
tait je ne sçay quel taudis.
Le Cardinal faisoit escrir-e la nuict quand il se
resveilloil. Pour cela on luy donna un pauvre petit
garçon de Nogent-le-Rotrou, nommé Cheret. Ce
garçon plut au Cardinal, parce qu'il estoit secret et
assidu. Il arriva quelques années après qu'un cer-
tain homme ayant esté mis à la Bastille, Laffemas,
qui fut commis pour l'interroger, trouva dans ses
papiers quatre lettres de Cheret, dans l'une des-
quelles il disoit à cet homme : « Je ne puis vous
» aller trouver, car nous vivons icy dans la plus
» estrange servitude du monde, et nous avons affaire
» au plus grand tyran qui fut jamais. » Laffemas
porte ces lettres au Cardinal, qui aussytost fait appel-
1er Cheret. «Cheret,» luy dit-il, « qu'aviez-vous
» quand vous estes venu à mon service? — Rien,
» monseigneur.' — Escrivez cela. Qu'avez-vous main-
» tenant? — Monseigneur, » respondit le pauvre gar-
çon bien estonné, « il faut que j'y pense un peu. — Y
» avez-vous pensé? » dit le Cardinal, après quelque
temps. — « Ouy, monseigneur, j'ay tant en cela, tant
» en telle chose, etc. — Escrivez. » Quand cela fut
escrit : « Est-ce tout? — Ouy, monseigneur. — Yous
» oubliez, » adJQusta le Cardinal, « une partie de cin-
» quante mille livres. — Monseigneur, je n'ay pas
» touché l'argent. — Je vous le fcray toucher; c'est
» moy qui vous ay fait faire cette affaire. » Somme
toute, il se trouva six vingt mille escus de bien.
Alors il luy monstra ses lettres. « Tenez, n'est-ce pas
12 septeinl)re I6'i2.
56 LES HISTORIETTES.
» là votre escriture? lisez. Allez, vous esles un co-
» quin ; que je ne vous voye jamais. » M"" d'Aiguillon
et le Grand-maistre le firent reprendre au Cardinal ;
peut-estre sçavoit-il des choses qu'ils craignoiejit
qu'il divulguast. Ce n'est pas que le Cardinal ne fust
terriblement redouté : pour moy, je trouve que l'Emi-
nentissime, cette fois, fut assez clément. Ce Cheret
est maistre des Comptes. 11 avoit placé un de ses
frères chez le Grand-maistre, qui, je croy, a fait
^'*- '"choV""'"^ aussy quelque chose* \
Ru'è^"'"mai^q°ui's"''dê H Gst tcmps dc parler de Monsieur le Grand*. Le
In"^ 1620^ '%c/jît6 Clardinal, qui ne s'estoit pas bien trouvé de la Fayette,
et qui voyoit bien qu'il falloit quelque amusement
au Roy , jetta les yeux sur Cinq-Mars , second
filz du mareschal d'Effiat. Il avoit remarqué que le
Roy avoit desjà un peu d'inclination pour ce jeune
seigneur, qui estoit beau et bien fait, et il crut qu'es-
tant le filz d'un homme qui estoit sa créature, il
seroit plus soumis à ses volontez qu'un autre. Cinq-
Mars fut un an et demy h s'en deffendre ; il aimoit
ses plaisirs et connoissoit assez bien le Roy; enfin
son destin l'y entraisna. Le Roy n'a jamais aimé
1 Le Cardinal avoit un premier secrétaire un peu plus lionime de
bien : il s'appelloit Charpentier. Cet homme n'a jamais voulu prendre
la moindre confiscation, a refusé des dons, et s'est contenté de peu de
chose.
— Un jeune garçon, dont je n'ay pu sçavoir le nom, commençoit à
estre fort bien avec luy. Mais un jour, il vit que ce monsieur lisoit quel-
ques papiers qui cstoient sur la table. Cette curiosité hiy desplut, il le
regarda d'un reil de despit, et le lendemain, il le congédia sans luy en
dire la raison.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 57
personne si chaudement'. Au siège d'Arras, quand
Cinq-Mars y fut avec le mareschal de L'Hospital
mener le convoy *, il falloit que Monsieur le Grand •'""''^' ^^**''
escrivist deux fois le jour au Roy ; et le bon sire se
mit à pleurer, une fois qu'il tarda trop à luy faire
sçavoir de ses nouvelles. Le Cardinal vouloit qu'il
luy dist jusqu'aux bagatelles ; luy ne vouloit dire
que ce qui importoit au Cardinal ; leur mésintelli-
gence commença à esclatter quand Monsieur le
Grand prétendit entrer au conseil '.
C'est apparemment Fonterailles '^ qui irrita le plus
Cinq-Mars contre l'Eminentissime, car il estoit en-
ragé contre le Cardinal, et voicy pourquoy. Fonte-
railles, Ruvigny et autres estoient à Ruel dans
l'antichambre du Cardinal; on vint dire que je ne
sçay quel ambassadeur venoit ; le Cardinal sort au-
1 Le Roy l'appelloit cher amij.
2 Le Cardinal ne trouva pas bon non plus que Cinq-Mars eust voulu
estre grand-escuyer au lieu de premier escuyer de la petite Escurie.
Le Roy disoit tout en sa présence; il sçavoit toutes les affaires: le
Cardinal en représenta tous les inconvéniens au Roy, et que c'estoit
un trop jeune homme. Cela outra le Grand-escuyer, qui fit maltraitter
son espion, la Chesnaye premier valet de chambre, par le Roy qui le
chassa honteusement. Le Roy, en maltraittant la Chesnaye, disoit aux
assistans : « Il n'est pas gentilhomme, au moins. » Il l'appella coquin,
et le menaça de coups de baston. Cinq-Mars s'en lava comme il put
auprès du Cardinal, en luy disant que cet homme, le mettant mal
avec le Roy, l'eust empesché de rendre à Son Eminence ce qu'il luy
devoit. La Meilleraye, son beau-frere *, luy proposa à Ruel, où il fit son Mari de Marie Ruzé-
apologic, de donner un escrit signé de sa main, par lequel il s'obligeroit
de dire au Cardinal tout ce que le Roy luy diroit. Il respondit que ce
seroit signer sa condamnation.
3 Homme de qualité de Languedoc*, bossu devant et derrière, et fort Louis d'Astarac,
, ., , . . . , . ,, ,, „ . vicomte de Fontrail-
laid do visage, mais qui na pas la mine d un sot. Il est fort petit et les.
gros.
58 LES HISTORIETTES.
devant de luy dans l'antichambre, et ayant trouvé
Fonterailles, il luy dit, le rnillant un peu fortement :
« Rangez-vous, monsieur de Fonterailles, ne vous
» monstrez point, cet ambassadeur n'aime pas les
» monstres. » Fonterailles grinça les dents, et dit en
luy-mesme : « Ah ! schelme, tu me viens de mettre
» le poignard dans le sein, mais je te l'y mettray à
» mon tour, ou je ne le pourray. » Après, le Cardi-
nal le fit entrer, et goguenarda avec luy pour
raccommoder ce qu'il avoit dit. Mais l'autre ne luy
a jamais pardonné. Cette parole-là a peut-estre fait
faire la grande conjuration qui pensa ruiner le
Cardinal.
Avant que de dire le reste, il faut parler de la
Catalogne et du Roussillon , puisque aussy bien
fut-ce à Perpignan que la catastrophe arriva. Au
commencement, le Cardinal fit peu d' estât de la Ca-
talogne, car je croy qu'il n' avoit pas lu les Mé-
moires de la Ligue, non plus que ceux de Charles IX%
et qu'il ne sç avoit pas que c'estoit par les Pyrénées,
et non par les Alpes, qu'il falloit chasser les Espa-
gnols d'Italie et des Pays-Bas. Peut-estre le sçavoit-
il, mais il vouloit faire durer la guerre. Quoy que
c'en soit, la Motte-Houdancourt luy ayant envoyé
par la Vallée, qui estoit l'homme du Roy en l'ar-
mée de Catalogne, des mémoires par lesquels il luy
monstroit clairement qu'il avoit de grandes intelli-
gences dans l'Arragon et dans la Valence, le Cardi-
nal, touchant dans la main de cet envoyé, luy dit :
« Asseurez IVI. de la Motte que dans peu de temps
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 59
» je meneray le Roy en personne en Espagne. » Je
pense que, le Roy estant las de la guerre *, le Car- Srain^r'fa guerr'e""
dinal y eust esté tout de bon cette* fois-là. Pour cet
effect, il fit faire au Roy le voyage de Perpignan.
Durant ce siège, les plus riches de Sarragosse se
retirèrent dans la Castille et ailleurs. Le dessein du
Cardinal estoit de mener le Roy à Barcelonne avec
une armée de quarante mille hommes, d'envoyer
un des meilleurs généraux avec quelques troupes en
Portugal et de faire assiéger en m.esme temps Fon-
tarabie, qui estant prise (car apparemment le roy
d» r? ' X • \ * n ' Répondre à cette
Espagne n eust pu couvrir ce momon) , 1 armée attaque imprévue.
. C'est uHtermedejeu.
eust passé le long des Pyrénées pour se venir join-
dre après à celle du Roy. Il n'y avoit que Pampe-
lune dans toute la Navarre à assiéger. Le Roy
goustoit assez cette entreprise, et avoit ordonné à
la Vallée de faire accommoder le chemin de Nostre-
Dame de Mont-Serrat. En effect, on y dépensa
huit mille livres, mais on y fit de l'ouvrage pour
plus de cent mille francs; car les paysans, sçachant
que c' estoit pour le roy de France, ne vouloient
point prendre d'argent. On prit Colioure avant Per-
pignan, mais ce fut par le plus grand hazard du
monde: le chasteau, qui est sur le roc, et qui a
des murs d'une espaisseur effroyable, ne craint ny
le canon ny la mine. Le mareschal de la Meilleraye
fit pourtant jouer un fourneau, sans rime ny raison,
et ce fourneau combla le seul puits qu'ils eussent.
Ainsy il se fallut rendre pour ne pas mourir de soif.
Salses vaut beaucoup mieux. Feu Monsieur le
60 LES HlSTORlJiTTES.
Prince la prit. Bautru disoit qu'on en feroit un Extra-
suppiément^ à la ordinaire*, car il avoit manqué Dole et Fontarabie.
Un homme qui sçaura son mestier, avec cinq cens
hommes y fera périr une armée de quarante mille.
Espenan y alla mettre trois mille hommes qui s'affa-
mèrent l'un l'autre. Depuis , elle fut surprise comme
on alloit à Perpignan. Cet Espenan estoit un grand
ignorant : il alla mettre de la cavalerie en grand
nombre dans Tarragone, et après se rendit on ne
sçait comment. 11 est mort gouverneur de Philips-
bourg. Au commencement de la guerre il estoit aisé
de faire fortune ; pour peu qu'on eust ouy parler
du mestier, on estoit recherché, car personne ne le
sçavoit.
En allant en Roussillon , le Cardinal apprit à
Tarascon que Machault, maistre des requestes, avoit
fait pendre fort légèrement des marchands de blé
à Narbonne. 11 voulut sçavoir le destail de cette
affaire. On luy dit qu'il y avoit dans la ville un
advocat de Paris qui s'appelloit Langlois (au Palais
on l'appelloit Langlois tireur d'armes, parce que son
père estoit de ce mestier-là, afin de le distinguer
des autres qui s'appelloient comme luy). Cet advo-
cat avoit esté procureur de roy de l'intendance de
Machault. Langlois vient, et en contant l'affaire, il
ne disoit jamais que Monsieur. Tous ceux qui es-
toient là luy disoient tout bas : « Dittes Monseigneur. »
L'autre continuoittousj ours à dire Monsieur. Le Car-
dinal se crevoit de rire de l'empressement de tous
ces flatteurs, et escouta Langlois fort attentivement.
dinal.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 61
L'A-dvocat, quand il fut hors de là, dit: « Nous ne
r> parlons au Palais que par Monsieur ; je suis du
» Palais, et je ne sçay point d'autre langage. »
Pour revenir à Monsieur le Grand, l'amiral de Brezé
ne faisoit que d'arriver (c'estoit vers l'Avent 1641),
quand le Cardinal, qui vouloit partira la fin de jan-
vier pour Perpignan, luy dit qu'il falloit se préparer
pour armer les vaisseaux à Brest , et puis passer le
destroit pour s'aller planter devant Barcelonne, afin
d'empescher le secours de Perpignan. Quelques
jours après, Brezé entra dans la chambre du Roy :
pensez que l'huissier ne le laissoit pas gratter deux
fois*. Le Roy et Monsieur le Grand parloient dans neroit neveu du car-
la ruelle. Brezé entend , sans estre veu , que Mon-
sieur le Grand disoit le diable du Cardinal. Il se
retire; il consulte en iuy-mesme. Il n'avoit pas
vingt-deux ans encore ; il avoit peur de n'estre pas
cru. Il se résout de suivre le Roy à la chasse le plus
souvent qu'il pourroit, et s'il trouv^siit Monsieur le
Grand à l'escart, de luy faire mettre l'espée à la
main. Une fois il le trouva assez à propos; mais
voyant venir un chien, il crut qu'il y auroit des
gens après. Le lendemain, le Cardinal luy ordonna
de partir le jour suivant. Il fut deux jours caché,
faisant travailler à son équipage. L'Eminentissime
le sceut, l'envoya quérir et le malmena. Enfin,
le jeune homme, ne sçachant plus que faire, va
trouver M. de Noyers et luy dit ce qu'il avoit en-
tendu, et ce qu'il avoit eu dessein de faire. M. de
Noyers luy dit : « Monsieur, ne partez point encore
6'2 LES HISTORIETTES.
» demain. » Le Cardinal , averty de tout, le mande ,
le remercie de son zèle, et le fait partir après luy avoir
dit qu'il y mettroit ordre.
Dans le voyage les choses s'aigrirent. Le Cardinal
vouloit qu'on chassast Monsieur le Grand'. Le Roy
ne le vouloit pas, à cause que le Cardinal le vouloit ;
non, comme vous allez voir, qu'il aimast encore
Monsieur le Grand. L'Eminentissime se retire à Nar-
bonne^, sous prétexte de son mal, et laisse Fabert%
capitaine aux Gardes, mais qui estoit bien dans
l'esprit du Roy, et à qui le Roy avoit mesme dit un
jour qu'il se voudroit servir de luy pour se desfaire
du Cardinal. On l'avoit choisy comme un homme de
1 Le bruit ayant couru qu'il avoit fait venir des gens pour assassiner
le Cardinal, M. le duc d'Angliien offrit à Son Eminence de le tuer. Le
marquis de Piennc le sccut et le dit à Ruvigny, qui conseilla à Mon-
sieur le Grand de le dire au Roy. Il dit le lendemain à Ruvigny : « Le
n Roy m'a dit : Prends de mes gardes, cher amy. » Ruvigny, le regardant
entre deux yeux, luy dit: « Eh ! pourquoy n'en avez-vous pas pris '.' Vous
» ne dittes pas vray. » Le jeune homme rougit. « Au moins, » adjousta
Ruvigny, « allez chez Monsieur le Duc accompagné de trois ou quatre
» de vos amys, pour luy faire voir que vous n'avez point de peur. » Il y
fut. Monsieur le Duc jouoit; on le receut fort bien, et l'on causa fort
gayement. Ruvigny l'y accompagna.
2 Le mareschal de la Motte, sous prétexte d'empcscher le secours de
Perpignan, car exprès il faisoit courir le bruit que les ennemys avoient ce
dessein-là, s'avança à trente lieues près de la ville. Le Mareschal manda
au Cardinal qu'il s'estoit avancé pour le servir, et qu'il luy donnoit sa
parole de le desgager quand il voudroit, et de le venir enlever à la porte
du logis du Roy ; qu'il avoit mille hommes dont il luy respondoit comme
de luy-mesme. Le Cardinal dit qu'il admiroit l'adresse qu'avoit eue le
Mareschal, et luy manda qu'il n'avançast pas davantage. Monsieur le
Grand, qui avoit plus d'esprit que de cervelle, se douta du dessein du
Mareschal, et en avertit le Roy.
' Créature du cardinal de la Valette.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 63
cœur et un homme de sens. M. de ïhou sonda un
jour Fabert pour luy faire prendre le party de Mon-
sieur le Grand. Fabert luy fit sentir qu'il en sçavoit
bien des choses, et le pria de ne luy rien dire qu'il
fust obligé de descouvrir. « Mais vous n'avez, » luy
dit l'autre, « aucune recompense; vous avez achepté
1) vostre compagnie aux Gardes. — Et vous, « res-
pondit Fabert, « n'avez-vous point de honte d'estre
» comme le suivant d'un jeune homme qui ne fait
» que sortir de page? Vous estes dans un plus mau-
» vais pas que vous ne pensez. »
Or, voicy comment on descouvrit que le Roy n'ai-
moit plus Monsieur le Grand. Un jour, en présence du
Roy, on vint à parler de fortifications et de sièges.
Monsieur le Grand disputa long-temps contre Fabert,
qui en sçavoit un peu plus que luy. Le feu Roy luy
dit: « Monsieur le Grand, vous avez tort, vous qui
» n'avez jamais rien veu , de vouloir l'emporter
» contre un homme d'expérience, » et en suitte dit
assez de choses à Monsieur le Grand sur sa présomp-
tion, puis s'assit. Monsieur le Grand enragé luy alla
dire sottement : « Vostre Majesté se seroit bien pas-
)) sée de me dire tout ce qu'elle m'a dit. » Alors le
Roy s'emporta tout à fait. Monsieur le Grand sort,
et en s'en allant il dit tout bas à Fabert : « Je vous
)) remercie, monsieur Fabert! » comme l'accusant
de tout cela. Le Roy vouloit sçavoir ce que c'estoit ;
Fabert ne luy voulut jamais dire. « Il vous menace
)• peut-estre? » dit le Roy. — « Sire, on ne fait point
" de menaces en vostre présence, et ailleurs on ne le
64 LES HISTORIETTES.
» souffriroit pas. — Il faut vous dire tout, monsieur
» Fabert, il y a six mois que je le vomis » (ce sont
les propres termes du Roy) . « Mais pour faire croire
» le contraire, et qu'on pensast qu'il m'entretenoit
» encore, après que tout le monde estoit retiré, »
continua le Roy, « il demeuroit une heure et demie
» dans la garde-robe à lire l'Arioste ; les deux pre-
» miers valets de garde-robe estoient à sa dévotion.
» Il n'y a point d'homme plus perdu de vices, ny si
» peu complaisant. C'est le plus grand ingrat du
» monde. Il m'a fait attendre quelquefois des heures
» entières dans mon carrosse, tandis qu'il crapuloit.
» Un royaume ne suffiroit pas à ses dépenses. Il a,
» à l'heure que je vous parle, jusqu'à trois cens
» paires de bottes '. » La vérité est que Monsieur le
Grand estoit las de hi ridicule vie que le Roy menoit,
et peut-estre encore plus de ses caresses. Fabert
* Variante. Il se brouilla avec le Roy par sa faute, et ce ne fut que
quinze jours avant qu'il fust arresté. Ce fut dans une conversation où
il contesta sur la guerre contre le maroschal de la Meillcraye. Le ROy
luy dit que c'estoit bien à luy qui n'avoitricn veu à disputer contre un
homme qui faisoit la guerre depuis si long-temps. « Sire, » rcspondit-
11, (( quand on a du sens et de la lumière, on sçait les choses sans les
» avoir veues. » Quoyque Ruvigny pust luy dire , il négligea de se
remettre bien avec le Roy; il se fioit sur son traitté avec l'Espagne.
Il avoit envoyé Montniort, parent de Fonterailles, au comte de Brion,
car on n'osoit, à cause de la Rivière, s'adresser à Monsieur directe-
ment. Par malheur pour luy, M. de Brion estoit à Paris aux nopces
de Mademoiselle de Bourbon et de M. de Longueville. Cela cmpescha
qu'il n'cust response, et donna le temps d'avoir le traitté d'Espagne.
— La princesse Marie luy avoit promis de l'espouser quand il se seroit
plus cslevé : cela avoit contribué à luy faire tourner la teste.
— Le feu Roy, en faisant des confitures, dit : « L'ame de Cinq-Mars
» estoit aussy noire que le cù de ce poislon. »
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 65
donna avis de tout cecy au Cardinal. M. do Cha-
vigny, qu'il envoya trouver Fabert, ne pouvoit croire
ceVil cntcndoit. Gela donna courage au Cardinal,
qui, voyant qu'après cela Monsieur le Grand faisoit
tousjours bonne mine, conjectura qu'il y avoit
quelque grande caballe qui le soustenoit; c'estoit
ce traitté d'Espagne.
Avant que de dire mes conjectures sur le moyen
par lequel il l'eut, je diray quelle estoit la resolution
du Cardinal. Un peu devant ^ le Cardinal dictoit un Jf^,i,,fJ%v;,l
. r 1 1 Ti ^l/^U prétexte (le sa mala-
manifeste dont les cahiers ont este bruslez. Il parloit aie.
de se retirer en Provence, à cause du comte d'Alais :
il esperoit que ses amys l'y viendroient joindre. Il
partit effectivement, après s'estre fait dire par les
médecins que l'air de la mer luy estoit si contraire
qu'il ne guériroit point, s'il ne s'en esloignoit davan-
tage. Et au lieu d'aller par terre, pour plus grande
seureté, il se mit sur le lac pour aller à Tarascon,
disant que le branle de la litière luy faisoit mal *. En i«.n .e;..
Comme il estoit près de passer le Rhosne, on dit
qu'un courrier, qui ne F a voit point trouvé à Nar-
bonne, arriva avec un paquet du mareschal de
Brezé, vice-roy de Catalogne, qui, en quatre lignes,
luy mandoit qu'une barque ayant eschoué à la coste,
on y avoit trouvé le traitté de Monsieur le Grand,
ou plustost le traitté de Monsieur d'Orléans avec l'Es-
pagne, et qu'il le luy envoyoit.
Voylà le bruit qu'on fit courir, mais ce n'est pas
la vérité, comme nous dirons en suitte. Aussy n'y a-t-
il guères d'apparence h ce qu'on disoit là , et ceux
66 LKS lUSTOlUETTES.
qui l'ont cru sont de facile croyance. Le Cardinal
(à ce qu'a dit Charpentier, son premier secrétaire,
qui peut avoir esté trompé comme un autre, et qui a
conté l'aventure de la barque), fort surpris, com-
manda que tout le monde se retirast, excepté Char-
pentier. « Faittes-moy apporter un bouillon, je suis
» tout troublé. » Charpentier le va prendre à la porte
de la chambre, qu'on ferme après au verrouil. Alors
le Cardinal levant les mains au ciel dit : « 0 Dieu !
» il faut que tu ayes bien du seing de ce royaume et'
» de ma personne ! Lisez cela, » dit-il à Charpentier,
« et faittes-en des copies. » A.ussytost il envoyé un ex-
près à M. de Chavigny, avec ordre de le venir trou-
ver, quelque part qu'il fust. Chavigny le vint trouver
à Tarascon , car il jugea à propos de passer le
Rhosne. Chavigny , chargé d'une copie du traitté,
va trouver le Roy ; le Cardinal l'avoit bien instruit.
« Le Roy vous dira que c'est une fausseté, mais pro-
» posez-luy d'arrester Monsieur le Grand, et qu'après
» il sera bien aisé de le délivrer, si la chose est fausse;
» mais que si une fois l'ennemy entre en Champagne,
» il ne sera pas si aisé d'y remédier. » Le Roy ne
manqua pas ; il se mit en une colère horrible contre
M. de Noyers %et M. de Chavigny , et dit que c' es-
toit une meschanceté du Cardinal, qui vouloit perdre
11 juin. Monsieur le Grand *. Ils eurent bien de la peine à le
ramener ; enfin pourtant il fit arrester Monsieur le
Grand, et puis alla à Tarascon s'esclaircir de tout
avec le Cardinal.
Or, comme Fonterailles vit que le Roy estoit si
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 67
longtemps avec M. de Noyers et M. de Chavigny
sans qu'on y appellast Monsieur le Grand, il luy dit :
« Monsieur, il est temps de se retirer. « Monsieur le
Grand ne le voulut pas. « Pour vous, » luy diMl,
« Monsieur, vous serez encore d'assez belle taille
» quand on vous aura osté la teste de dessus les es-
» paules, mais en vérité je suis trop petit pour cela. »
Il se sauva en habit de capucin, comme il estoit allé
faire le traitté en Espagne'.
La vérité touchant le moyen qu'on a tenu pour
avoir le traitté n'est point encore divulguée. Fabert
a dit que le feu Roy l'avoit sçeû, ainsy que M. de
Chavigny et M. de Noyers, et qu'il n'y avoit plus
que la Reyne, M. d'Orléans, M. le cardinal Mazarin
^ Avant que de se mesler d'intrigues, Fonterailles avoit mis tout son
bien à couvert. Il est de bonne maison de Languedoc, et a vingt-deux
mille livres de rente en fonds de terre, sans un sou de dettes. II dit
une plaisante chose au feu Roy, qui luy monstroit des louis : « Sire, »
luy dit-il, « j'ayme les vieux amys et les vieux escus. » Il ne veut point
qu'on raille de sa bosse ; sur tout le reste, il entend raillerie. Il estoit
des esprits forts du Marais. Ces Messieurs se mirent, il y a près de
vingt ans, à porter des bottes qui avoient de fort longs pieds, mais non
pas si longs qu'on les a portez depuis. Quelques capitaines aux Gardes
dansèrent un ballet des longs pieds : Fonterailles alla prendre cela pour
eux, et engagea le comte de Fiesque et Ruvigny à se battre. Le Comte
et son homme se blessèrent ; Fonterailles fut cullebutté par le sien, et
Ruvigny desarma le troisiesme. Ces Messieurs du Marais chargèrent les
filous, et leur enjoignirent de ne voler plus dans le Marais. Ainsy le
Marais fut quelque temps un lieu de seuretô. En despit de luy, Espe-
nan, soldat de fortune, qui avoit esté garde de M. d'Espernon, espousa
sa sœur; il avoit gaigné la mère et le cadet de Fonterailles. Cet Espe-
nan avoit esté en crédit pour avoir déposé contre M. de la Valette à
l'affaire de Fontarabie*. Fonterailles le fit appeller en vain plusieurs fois
en duel. Le cadet se mit si fort contre l'aisné qu'il luy envoya un
cartel; Fonterailles en eut horreur, et, par l'avis de Ruvigny, conta cela
h tout le monde. Le cadet fut blasmé ; il est mort à la guerre en Catalogne.
68 LES HISTORIETTES.
et luy qui le sçeussent, mais qu'il se gardera bien de
le dire. Un jour quelqu'un demanda à Monsieur le
Prince par quelle invention on avoit descouvert ce
traitté? Monsieur le Prince dit quelque chose tout
bas à cet homme ; Voiture, qui avoit veu cela, dit à
M. de Chavigny : « Vous faittes tant le fin de ce grand
» secret, cependant Monsieur le Prince l'a dit à un
» tel. — Monsieur le Prince ne le sçait pas, » dit Cha-
vigny; « puis quand il le sçauroit, il n'oseroit le
» dire. »De là Voiture conjecturoitque cela venoit de
la Reyne, et pour preuve de cela, on remarquoit
qu'après avoir long-temps parlé de luy ester ses en-
fans, on cessa tout à coup d'en parler. On dira à
Françoise de Sou- Cela Quc sl la choso avolt csté ainsy. M"'' deLansac*,
vré, sœur de M""» de *■
s^"»'^- qui tenoit la place de M"'" de Senecey et qui estoit
en mesme temps gouvernante de Monsieur le Dau-
phin, n'eust pas tiré le rideau de la Reyne si brus-
quement, pour luy insulter, en luy disant d'un ton
aigre que Monsieur le Grand estoit arresté. Cela n'y
fait rien, car, pour donner le change, on laissa appa-
remment faire tout cela à M""' de Lansac, et peut-
estre le luy fit-on faire exprès. Le temps nous en
apprendra davantage.
Monsieur le Chancellier dit tant h Monsieur le Grand
que le Roy l'aymoit trop pour le perdre, que cela
n'iroit qu'à quelque temps de prison, que Sa Majesté
auroit esgard à sa jeunesse ; que le pauvre Monsieur le
Grand en crut quelque chose et confessa tout, après,
de peur de la question qu'on luy présenta, et qu'on
luy eust donnée jusqu'à la mort, il persista.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 69
Pour M. de Thou, il n'avoit pas esté d'avis du
traitté d'Espagne; mais il avoit tousjours brouillé:
on trouva la piste de toutes ses menées. C'cstoit le
plus inquiet de tous les hommes \ Monsieur le Grand
V avoit a])i)el\é Son Inquiétude. Quand il sortoit, il
estoit quelquefois une heure sans pouvoir se détermi-
ner oii il iroit. Par une ridicule afîectation de généro-
sité, dez qu'un homme estoit disgracié, il le vouloit
connoistre, et luy alloit faire offres de services.
Monsieur le Grand estoit plein de cœur, il ne s'es-
branla point d'un si grand revers; au contraire, il
escrivit de fort bon sens et mesme élégamment, à la
mareschale d'Effiat, sa mère. Il mourut en galant
homme ; mais M. de Thou fit le cagot. Il demandoit
sans cesse s'il n'y avoit point de vanité dans son
hmnilité. Il fit des inscriptions pour mettre à des
offrandes qu'il faisoit-. Enfin il paillarda furieuse-
ment son vin, comme on dit; et il sembloit avec
ses longs propos qu'il voulust se familiariser avec la
mort. Je trouve qu'il mourut en pédant, luy qui avoit
tousjours vescu en cavalier, car sa soutane ne tenoit
à rien. Les grands seigneurs et les grandes dames
Tavoient gasté, et aussy l'opinion d'estre descendu
des comtes de Tout ; eux qui se dévoient contenter
* Estant conseiller, ou maistre des Requestes, il alla voir le cardinal
de la Valette à Mayence, et fut à la guerre, d'où il revint avec un
bras cassé. On se mocqua de luy. — Il faisoit le coup de pistollet ; es-
tant intendant de l'armée, il logeoit M. de Turenne ; il estoit amou-
reux de M°^ de Guimené. Ou dit qu'il luy escrivit après avoir esté
condamné : au moins, escrivit-il à une dame. C'estoit un vilain rousseau.
2 Variante : Il fit des inscriptions, des vœux, des fondations et autres
choses semblables.
70 LliS HISTORIETTES.
d'estre d'une maison illustre par de belles charges
et des escrits célèbres. Si on cherchoit, on trouveroit
qu'ils viennent de peu de chose; j'ay ouy dire d'un
paysan d'Atis \
Le Cardinal , qui avoit traisné M. de Thou après
luy sur le Rhosne, eut bien de la peine à gaigner la
Loire*. On le portoit dans une machine, et pour ne
le pas incommoder , on rompoit les murailles des
maisons où il logeoit, et si c'estoit par haut, on fai-
soit un rampant dcz la cour, et il entroit par une
fenestre dont on avoit osté la croisée. Vingt-quatre
hommes le portoient en se relayant. Une fois qu'il
eut attrapé la Loire, on n' avoit que la peine de le
* Cyprien Perrot, conseiller de la Grand chambre, aniy intime du pré-
sident de Thou l'historien, trouva un jour, par hazard, un acte par
lequel il paioissoit que l'advocat de Thou, de qui venoit le président
et le premier président du Parlement, cstoit filz d'un habitant d'Atis,
village qui est à une journée de Paris. Cela le fit rire : il l'envoya au
Président, et luy manda que par cette pièce il prouveroit nettement
qu'il venoit des comtes de Toul ; c'estoit la chimère de la famille. Le
Président prit cela comme il devoit, il n'en fit que rire, ot M. Perrot
fut un de ses exécuteurs testamentaires. Perrot, sieur d'Ablancourt, y
estoit quand on trouva cette pièce. C'est de luy que nous le tenons.
Farianie : Cyprien PeiTOt, père du président Perrot, en cherchant
du papier, trouva un contrai de mariage, par lequel on voyoit que
MM. de Thou venoient d'un paysan d'Atis, qui estoit pcre, je pense,
de cet advocat-genéral de la cour des Aydes qui fut père du président
au mortier, père du premier président. Notez que celuy qui fut pre-
mier président, quoyque filz d'un président au mortier, fut advocat.
M. Perrot dit en riant à son clerc : « Tenez, portez cela à mon bon
amy M. de Thou (c'estoit l'historien), voylà les comtes d'Allemagne. »
2 II passa aux bains de Bourbon-Lausy ; mais ce remède ne luy servit
guëres. On trouva dans Pline que deux consuls Romains cstoient
morts de furuncles qu'ils prirent, comme luy, dans la Gaule narbon-
noise. Le Cardinal estoit sujet aux hémorroïdes, et Juif l'avoit une
fois charcuté h bon escient.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 71
porter du batteau à son logis. M""" d'Aiguillon le sui-
voit dans un batteau à part; bien d'autres gens en
firent de mesme. G'estoit comme une petite flotte.
Deux compagnies de cavalerie, l'une deçà, l'autre
delà la rivière, l'escortoient. On eut soin de faire des
routes pour réunir les eaux qui estoient basses; et
pour le canal de Briare qui estoit presque tary, on y
lascha les escluses. M. d'Anguien eut ce bel employ.
Quand il fut de retour à Paris, il fit adjouster à
V Europe la prise de Sedan, qu'il appelloit dans la
pièce : l'Jntre des monstres. Cette vision luy estoit
venue dans le dessein qu'il a voit de destruire la mo-
narchie d'Espagne. G'estoit comme une espèce de
manifeste. M. Desmarestz en fit les vers et en dis-
posa le sujet*. Imprlmée^l3 janvier
Le Cardinal, s'il eust voulu, dans la puissance
qu'il avoit, faire le bien qu'il pouvoit faire, auroit
esté un homme dont la mémoire eust esté bénite à
jamais. Il est vray que le cabinet luy donnoit bien
de la peine. On a bien perdu à sa mort, car il
choyoit tousjours Paris; et puisqu'il en estoit venu
si avant, il estoit à souhaitter qu'il durast assez
pour abattre la maison d'Austriche. La grandeur de
sa maison a esté sa plus grande folie.
Pour monstrer combien le cabinet luy donnoit de
peine, il ne faut que dire combien Treville luy causa
de mauvaises heures. Il avoit sçeû, peut-estre par la
déposition de Monsieur le Grand, que le Roy, en.
monstrant Treville, avoit dit : « Monsieur le Grand,
» voylà un homme qui me desfera du Cardinal quand
72 LES niSTORIETTES.
» je voudray. » Treville commandoit les Mousquetaires
à cheval que le Roy avoit mis sur pié pour en estre ac-
compagné partout, à la chasse et ailleurs, et il en choi-
sissoit luy-mesme les soldats. On y a veu des filz de
M. d'Usez. On faisoit sa cour par ce moyen-là. Tre-
ville est un Béarnois, soldat de fortune. Le Cardinal
avoit gaigné sa cuisinière ; on dit qu'elle avoit quatre
cens livres de pension. Le Cardinal ne vouloit point
laisser auprès du Roy un homme en qui le Roy avoit
tant de confiance : M. de Chavigny fut, de la part
du Cardinal, presser le Roy de le chasser. Le Roy
bien humblement luy dit : « Mais, monsieur de Cha-
» vigny, que Ton considère qu'on me perd de reputa-
» tion, que Treville m'a bien servy, qu'il en porte des
» marques, qu'il est fidèle. — Mais, Sire, » dit M. de
Chavigny, « vous devez aussy considérer que M. le
» Cardinal vous a bien servy , qu'il est fidèle, qu'il
» est nécessaire à vostre Estât, et que vous ne devez
» point mettre Treville et luy dans la balance. —
» Quoy! monsieur de Chavigny, » dit le Cardinal à
qui il faisoit ce rapport, « vous n'avez pas plus pressé
» le Roy que cela? vous ne luy avez pas dit qu'il le
') falloit? La teste vous a tourné, monsieur de Cha-
» vigny, la teste vous a tourné. » Chavigny en suitte
luy jura qu'il avoit dit au Roy : « Sire, il faut que
') vous le fassiez. » Le Cardinal sçavoit bien à qui il
avoit affaire. Le Roy craignoit le fardeau, et de plus,
il avoit peur que le Cardinal , qui tenoit presque
toutes les places, ne luy fist un meschant tour ; enfin,
il fallut chasser Treville.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 73
L'Eminentissime croyoit revenir de sa maladie;
toutes les déclarations contre M. d'Orléans en sont
une marque. Il le haïssoit et le mesprisoit, et il le
vouloit faire dcsclarer incapable de la couronne, afin
que le Roy, qui ne pouvoit pas vivre longtemps, ve-
nant à mourir, ce prince ne pust avoir part au gou-
vernement.
Il y en a qui ont cru que le Cardinal avoit fait
dessein de gouverner la Reyne par le cardinal Ma-
zarin; qu'il l'avoit fait exprès cardinal. Il est vray
que M. de Chavigny y servit fort pour empescher
M. de Noyers de l'estre. On a mesme cru qu'il
y avoit desjà de l'intelligence entre la Reyne et le
cardinal de Richelieu, et qu'elle avoit commencé
dez le temps qu'il eut d'elle le traitté d'Espagne.
J'ay ouy dire à Lyonne que la première fois que le
cardinal de Richelieu présenta Mazarin à la Reyne
(c'est oit après le traitté de Cazal)*, il luy dit : « Ma-
» dame, vous l'aimerez bien, il a de l'air de Rouquin-
» quant. » Je ne sçay si cela y a servy, mais on croit
que la Reyne avoit de l'inclination pour luy de longue
main, et que le cardinal de Richelieu s'en estoit
aperceû, ou que cette ressemblance luy donnoit lieu
de l'espérer.
Quand on joua V Europe, il n'y estoit pas ; il l'avoit
bien veu repéter plusieurs fois avec les habits qu'il
fit faire à ses despens ; son bras ne luy permit pas
d'y aller. Au retour, il dit à sa niepce, luy montrant
le cardinal Mazarin : « Ma niepce, j'instruisois un
y> ministre d'Estat, tandis que vous estiez à la corne-
74 LES HISTORIETTES.
» die. » Et on dit qu'il le nomma au feu Roy, et qu'une
autre fois il dit : «Je ne sçache qu'un homme qui me
» puisse succéder, encore est-il estranger. «D'autres
pensent que c'est trop subtiliser que de dire ce que
j'ay dit du dessein de gouverner la Reyne par le car-
dinal Mazarin ', et croyent que son intention n'a
esté autre que de mettre dans les affaires un homme
qui, estant estranger et sa créature, par gratitude et
par le besoing qu'il auroit d'appuy, s'attachcroit ap-
paremment à ses héritiers et à ses proches ; mais ce
n'est pas la première fois qu'il s'est trompé. Il pre-
noit M. de Chavigny pour le plus grand esprit du
monde, et Morant, maislre des Requestes, pour le
premier homme de la robe. On parlera ailleurs de
Tom. I, p. 469 et 471, fuu ct dc Tautro*.
et ailleurs.
Le Roy ne fut voir le Cardinal qu'un peu avant
qu'il mourust^, et l'ayant trouvé fort mal, en sortit
fort gay. Le curé de Saint-Eustache vint pour l'as-
sister. On dit qu'il luy dit qu'il n'avoit d'ennemys
que ceux de l'Estat, et que M""^ d'Aiguillon estant
entrée toute eschauffée, et luy ayant dit : « Monsieur,
» vous ne mourrez point ; une sainte fille, une brave
1 Arnoul, qui travailloit à la marine, dit que le dessein du cardinal
de Richelieu estoit d'envoyer le cardinal Mazarin à Rome pour y servir
le Roy, et qu'il luy dit en sa présence: «Monsieur Arnoul, dans combien
» de temps pouvez-vous apprester un vaisseau pour passer M. le cardinal
» Mazarin en Italie? — Monseigneur, » dit Arnoul, « il y en aura un de
» prest au premier jour. » Le Mazarin alla supplier Arnoul de différer,
et cependant le Cardinal se porta plus mal. Jamais le Mazarin n'a
reconnu ce service.
2 II se fit fermer son cautère, parce que son bras maigrissoit trop.
Cela pourroit bien l'avoir tué ; il ne vescut plus guères après.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 75
» carmélite, en a eu une révélation. — Allez, allez, »
luy dit-il, « ma niepce, il faut se mocquer de tout
» cela, il ne faut croire qu'à l'Evangile. »
On a dit qu'il estoit mort fort constant. Mais Bois-
robert dit que les deux dernières années de sa vie,
le Cardinal estoit devenu tout scrupuleux, et ne vou-
loit pas souffrir le moindre mot à double entente. Il
adjouste que le curé de Saint-Eustache, à qui il en
avoit parlé , ne luy avoit point dit que le Cardinal
fust mort si constamment qu'on l'avoit chanté. M. de
Chartres, Lescot, a dit plusieurs fois qu'il ne connois-
soit pas le moindre péché en M. le Cardinal. Par ma
foy ! qui croira cela pourra bien croire autre chose'.
1 11 est fort parlé, dans le Journal du Cardinal, de la petite Lavau,
Voicy ce que c'estoit:
L'infante Claire-Eugénie envoya une naine à la Deyne dans une
cage. Le gentilhomme qui la luy présenta dit que c'estoit un perro-
quet, et offrit à la Reyne, pourveu qu'on n'ostast point la couverture,
de peur de l'effaroucher, de luy faire faire par ce perroquet un com-
pliment en cinq ou six langues différentes. En effect, elle en fit en es-
pagnol, en italien, en françois, en auglois et en hoUandois. On dit
aussytost : « Ce ne sauroit estre un perroquet. » 11 osta la couverture,
on trouva la naine. Elle crut assez pour estre une fort petite femme,
et on la maria à un assez grand homme, nommé la Vau-lrland, qui
estoit à la Reyne. Elle fut femme de chambre, et mourut au bout de
quelques années en mal d'enfant.
— Mademoiselle a eu une naine qui estoit la plus petite qu'on eust
jamais veue. Elle n'avoit pas deux piez de haut, estoit bien propor-
tionnée, hors qu'elle avoit le nez trop grand ; elle faisoit peur. Les
médiocres poupées estoient aussy grandes. Je croy qu'elle est morte.
— Le feu roy d'Angleterre avoit un fort petit nain, nommé Geoffroy,
mais fort bien proportionné. 11 avoit un portier qui avoit huit pieds de
haut, et on trouva en ce temps-là un paysan qui avoit cent trente-sept
ans, de sorte que ce prince se vantoit d'avoir le plus grand, le plus
petit et le plus vieil homme de l'Europe.
76 LES HISTORIETTES.
COMMENTAIRE,
I. — P. 1, lig, 1«.
Le père du cardinal de Richelieu estait fort bon gentilhomme.
Le Plessis est une terre du Poitou , possédée par ^es ancêtres du
cardinal de Richelieu depuis lexiii* siècle. François du Plessis, père
du Cardinal, fut seigneur de Richelieu comme ses trois aïeux immé-
diats, et mourut le 10 juillet 1500, chevalier des Ordres, conseiller d'E-
tat, capitaine des Gardes du corps et grand prévôt de l'Hôtel. Sa femme,
Suzanne de la Porte, etoit, en 1580, dame de la reine Louise de Lor-
raine; leurs deux filles avoient nom Françoise et Nicole; la première,
d'abord mariée à Jean de Beauvau seigneur de Pimpean, auquel on
n'avoit rien sans doute à demander sous le rapport de la naissance ;
puis, le 28 août 160.3, à René de Vignerod, seigneur de Pont de Cour-
lay. La seconde épousa Urbain de Maillé , marquis , puis maréchal
de Brezé ; des Réaux en reparlera.
«Le père de René de Vignerod, François de Vignerod, seigneur de
» Pont de Courlay,se prétcndoit bien noble. Il avoit assez bien servi,
» s'etoit trouvé à Arques, où il avoit été blessé en même temps que son
» frère utérin, qui portoit le nom de la Rochejacquelein. » (Note com-
muniquée par M. le marquis de Pastoret.)
René eut deux enfans : 1° François de Vignerod, marquis de Pont
de Courlay, gouverneur du Havre et général des Galères après M. do
Gondy, le 15 mars 1G35; marié à la veuve de ce plaisant marquis
d'Assigny, dont on a parlé ( tom. i , p. /i90 ), et qui avoit fait avec elle
« le plus chien de mesnage. » La preuve de ce deuxième mariage
d'Hélène de Beaumanoir, marquise d'Assigny ou Acigné, se trouve
dans l'extrait d'un plaidoyer de Sébastien Frain, édition de 1684,
tom. II, p. 907. Ainsi je n'aurois pas dû avancer dans une manchette
de V Historiette du marquis d'Assigny, que sa veuve etoit morte veuve.
Le second enfant de René fut Marie-Magdelaine Vignerod, la célèbre
M""* de Combalet, depuis duchesse d'Aiguillon.
Les bruits de petite naissance des Vignerod etoient pourtant assez
suffisanniient répandus, pour que Gauthier se permît d'y faire de fré-
quentes allusions, dans ses plaidoyers contre la duchesse d'Aiguillon
pour le prince de Condé, à propos du testament du Cardinal.
SousleDnnt que l'extraction
Des vignerots n'avoit noblesse,
Tmw tant porter nosiro rluchessc;
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 77
Qu'elle tenoit d'un chastelain.
Qui ne fut autre que vilain ;
J'entensd'un juge de village
Qui valoit bien moins qu'un baillape;
Aussy curé son oncle estoit,
( Ainsy que l'advocat contoit)
Du village de Bressuire.
(Laffemas, Procès burlesque entre M. le prince et ma-
dame la duchesse d'Aiguillon, Paris, 1649, p. 23 et 24.)
IL — P. 1, lig. 13.
// affectait de passer pour un des Dix-sept seigneurs.
Nous avons déjà vu, tom. i, que le duc de Mayenne le fils , et le
comte de Cramail etoient de ces, Dix-sept.
m. — P. 3, lig. 12.
Me voylà deslîvré de vostre tyrannie.
Tous les historiens contemporains , c'est-à-dire tous les Mémoires
composés avant le retour du Cardinal à la direction des affaires, ont dit
avec le Grain que le jeune Richelieu fut renvoyé en dépit de son ar-
dent désir de conserver le portefeuille de secrétaire d'Etat. Richelieu
seul a voulu donner un autre tour à sa conduite: « Je preferay, » dit-il
dans ses Mémoires , « l'honneur de suivre la Reyne-mere en son af-
» fliction à toute la fortune que l'on me faisoit espérer. » D'ailleurs
on ne peut ici tirer aucun parti du témoignage de Deageant, ancienne
créature du connétable de Luynes il est vrai, mais qui plus tard écrivit
ses Mémoires uniquement pour rentrer en grâce auprès du cardinal de
Richelieu.
Voici les passages qui dans (a Décade du roy Louis le Juste, par Bap-
tiste (non Toussaincts) le Grain, se rapportent à l'evôque de Luçon :
En 1616 «M. de Richelieu, evesque de Lusson, se jetta aux affaires,
» se mit en crédit à la faveur de Barbin, et fit tant qu'il parvint enfin
11 à ladite charge de premier secrétaire d'Estat... en attendant il entra
» au conseil d'Estat et secret , et ces trois personnages (Mangot, Bar-
» bin et Richelieu) joints avec le mareschal d'Ancre et sa femme ,
1) entreprirent tout le gouvernement de l'Estat; car il ne fut plus men-
)) tion de monsieur le Garde des sceaux... on le vouloit à tout propos
» contraindre à sceller des dons immenses, des Edicts pernicieux et
» des commissions ruineuses, au profit du mareschal d'Ancre...»
(p. 313.)
1617. «Quant à M. de Richelieu, evesque de Lusson, qui se portoit
78 ' LES HISTORIETTES.
» premier secrétaire d'Estat et en faisoitla fonction, estant à la relevée
» du mesme jour entré dans la chambre du Roy, Sa Majesté Tadvi-
» sant, luy dit ces mots : Monsieur, nous sommes avjourd'luaj dcsh'vrez
» de voslre tijrannie. Apics lesquelles paroles ce fat à liiy à hausser
» lesespaulesetdire adieu à la Cour. » (P. 391.)
Plus loin le Grain transcrit quelques passages des lettres de l'evôque
de Luçon au maréchal d'Ancre; passages qu'on avoit allégués dans le
procès fait à la mémoire de Concini , et dont le souvenir ne pouvoit
être agréable à l'evèque cardinal, premier ministre.
Charles Sorel parle aussi de tout cela dans la deuxième édition
de sa Bibliothèque françoise, livre fort précieux et que peut-être ou ne
recherche pas autant qu'il le mérite : « Comme la Décade de Louis XIII
» estoit une histoire publiée dans le temps et le crédit de ceux dont
» elle parloit, les affaires d'auparavant y sont fort décriées. Le mares-
» chai d'Ancre et ceux de son party y sont très-mal traitez. Les bons
» serviteurs de la Reyne-mere n'y sont pas mesme épargnez, tellement
» qu'autrefois cela faisoit foi-t rechercher ce livre qne les uns vou-
» loieut garder par curiosité, et les auties avoient dessein de le sup-
» pi'imer. On remarque principalement qu'en ce qui touche l'eve^que
» de Luçon, cet auteur rapporte de luy une lettre adressée au mares-
» chai d'Ancre, laquelle on prétend estre en termes fort soumis...,
» mais les termes n'en sont pas si bas que cela piist faire tort à celuy
>> qui les escrivoit, puisqu'on sçait le langage ordinaire des cours, et ce
» que les lois de la bienséance obligent de dire aux personnes en cré-
» dit. On s'est encore arresté à ce que l'historien raconte de quelques
» paroles fascheuses dites par le feu P.oy, quand il apperceut l'evesque
» de Luçon dans sa chambre, quelque temps après la mort du Mares-
» chai : mais on sait que si le feu Roy a fait quelque chose de sem-
» blable, ce n'estoitque selon les impressions qu'on luy avoit données.»
(Bibliothèque françoise de M. C. Sorel. Paris, 1667, p. 353.)
IV. — P. 3, lig. 24.
M. de Luçon fut tramer la Reyne à Angoulesme.
En 1619. Il paroît que tenant alors jeu double, l'evôque avoit de-
mandé à Luynes la permission de se rendre auprès de la Reine, pour
la mieux disposer en faveur de la Cour.
V. — P. 3, lig. 25.
Ce fut là que l'abbé Ruscellai florentin et luy disputèrent...
L'incident de Ruccellai est emprunté par des Réaux aux Entretiens
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 79
de Balzac^ p. 67. « Cet abbé,» dit encore Balzac, «etoit fils d'Annibal
') Ruccellai , et petit-neveu du célèbre poëte Giovani délia Casa. Il
» mourut à Montauban, de la maladie de l'armée. »
VL — P. 4, lig. 1".
Le baron de Fcencsle s'en mocque assez plaisamment.
«Ouy, » dit Fœneste, « j'estois au pont de Sey, et fis bingt et dus
» Hues en bingt-quatre heures... — Beaujeu : Qui commença cette de-
» route du pont de Sey? — Fœneste : Ce fut un vrabe duc qui boiant
» les approches prit une gaillarde resolution, et lebant la main haute
» s'escria : qui m'aime si me suibe, saube qui peut. Il dit cela de si
» vone feiçon qu'il fut ovei en despit d'un bieux mestre de camp,
» nommé Voisguerin, et quelques Huguenots qui bouloient coiivattre.»
{Avantures du baron de Fœneste, nouvelle édition, Amsterdam, 1731,
tom. II, p. 109.) Les Ponts-de-Cé etoicnt quatre ponts qui entouroient
une forteresse, et qui défendoient l'entrée du Poitou. On désigne or-
dinairement l'aflaire du 8 août 1C20 sous le nom d'echau/fourée du
Pont-de-Cé. C'est-à-dire à peu près : feu de paille.
VII. — P. 5, lig. 15.
Le chancellier Alîgre.
On ecrivoit alors souvent Hatigre; c'est d' Alîgre aujourd'hui.
Raoul, père du chancelier Etienne I, etoit déjà seigneur de la Ri-
vière et de Chouilliers. De la femme d'Etienne, Elizabeth Chappelier,
est venu Etienne II Haligre, chancelier de France comme son père, de
janvier 1674 au 25 octobre 1677. Celui-ci , trois fois marié , laissa de
sa première femme dix-huit enfans; l'un desquels, Michel d'Aligre, a
continué honorablement la postérité en ligne directe et masculine,
jusqu'au dernier marquis d'Aligre, dont la grande fortune et le nom
sont passés à M. Etienne dePommereu, son petit-fils, aujourd'hui mar-
quis d'Aligre.
L'origine médiocre du premier chancelier Aligre etoit bien connue;
mais Saint-Simon l'a sans doute amoindrie quand il a fait du grand
père d'Etienne I un apothicaire, et de son père un homme de né-
goce. (Tom. xviii, p. 178.) En tous cas, ce qu'on en savoit au xvii« siè-
cle n'empechoit pas un poëte de quelque nom, le sieur de la Luzerne,
de dire au fils aîné du Chancelier, conseiller du Roi :
Vouloir flescrire icy la trace
Par où ses ayeux sont montez,
Rechercher d'une bonne race
Les vertueuses qualitez;
80 LES HISTORIETTES.
l'alre esclatter qu'il a pour père
Celuy que pour Dieu tutelaire
La France avoit auprès du Roy,
C'est une gloire trop petite
A celuy de qui le mérite
Peut tout faire espérer de soy.
(Les Essays poetiqties dv sieur de la Luzerne
Paris, 1642, in-S».)
On fit le sixain suivant, à propos d'un cierge que le Chancelier avojt
voué pour la santé du Roi , vers 1630, devant une image de Notre-
Dame, à Chartres :
Nous prions Dieu et Nostre-Dame
Que monsieur Haligre et sa femme.
Afin d'appaiser nos tourmens
En faveur de iiostre bon sire,
Puissent répandre autant de cire
Comme ils ont fait de passemens.
VIII. —P. 6, ligne 17.
Le Cardinal.,, luy fit proposer par yi/""* du Far gis...
Il faut avouer pourtant que si le Cardinal s'ctoit autant compromis
auprès de M""* du Fargis, il n'auroit pas réduit cette dame à, la der-
nière extrémité, comme il fit un peu plus tard. « R eût été difficile, »
dit M. Bazin , « qu'un amour pressant dans le téte-à-tête et s'expri-
n mant dans le public par des persécutions , ne laissât pas à la Reine
» de quoi éclairer un mari foible sans doute, mais chatouilleux sur les
» torts de cette espèce. » {Hist. de France sous Louis XIII, tom. n, p. likli.)
Tous ces bruits ne prirent donc une sorte de consistance que par les
pamphlets de l'abbé de Saint-Germain, qui attribua l'eloignement de
]yjme (jy Fargis à la répugnance qu'elle avoit témoignée pour le rôle
qu'on lui proposoit. Mais il y avoit à sa disgrâce des causes politi-
ques, et des Réaux lui-môme le dira tout à l'heure.
Les pièces originales relatives aux correspondances d'Anne d'Au-
triche avec l'Espagne et au procès de la Porte faisoient partie des
manuscrits de Richelieu. Le Père Grilfet les a eues sous les yeux,
quand il a écrit son Histoire de Louis XIII., car il en rend un compte
très-fidèle. Elles ont été acquises à la vente de M. Bruyères de Cha-
labre par la Société des Bibliophiles français, qui les a cédées en 1850
à la Bibliothèque nationale.
IX. — P. 7, note lig. 2.
La Porte, un des officiers de la Beyne.
C'est ce Pierre de la Porte, porte-manteau de la Reine, dont il
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 81
nous reste des Mémoires, après tout assez méprisables, puisqu'ils sont
dictés par la rancune d'un valet contre ceux qu'il avoit longtemps
servis, le cardinal Mazarin et la Reine elle-même. On cite de ces Mé-
moires une certaine aventure du bain de Louis XIV , à laquelle ceux
qui connoissent un peu les habitudes de ce temps-là n'ajoutent pas
la moindre foi. Mais enfin, on pourroit en distinguer les premiers
fondemens dans un passage des Mémoires de M"' de Mottcville. Cette
dame, on le sait, n'avoit guères eu plus que la Porte à se louer du
cardinal Mazarin :
« Le Cardinal s'appliqua avec soin à éloigner d'auprès du Roy ceux
I) qui y avoient été mis par la Reyne sa mère. La Porte, à qui elle
avoit fait donner une charge de premier valet de chambre, pour le
recompenser de sa fidélité à la servir, et des persécutions qu'il avoit
souffertes pour elle, du temps du cardinal de Richelieu, fut obligé
1) de s'en deffaire. Il me dit que mon frère (Bertaut) neseroitpas long-
tems sans se sentir du même malheur, et que le Cardinal, entrant
') un jour dans la chambre du Roy qui etoit couché, et voyant que
mon frerc luy lisoit quelque chose auprès de son lit, pour le diver-
) tir, il avoit remarqué que le Cardinal en avoit du chagrin, blas-
') mant cela comme si c'eust esté un grand crime. La Reyne avoit
i> donné à mon frère la charge de lecteur de Ja Chambre, et le Roy la
» luy faisoit exercer souvent, particulièrement dans les voyages et
) lorsqu'il gardoit le lit. Il luy faisoit quelquefois chanter des dialo-
gues avec la Chesnaye, gentilhomme de la Manche, et, dans les con-
certs de guitarre qu'il faisoit C[uasy tous les jours, il luy donnoit une
) partie à jouer avec Cominge, capitaine des Gardes de la Reyne...
» Mais ce qui luy desplut davantage, fut les premiers jours que le
Roy entra au Conseil : comme il s'y ennuyoit assez souvent, une fois
il alla entrouvrir la porte pour voir qui estoit dans le vestibule; où
) ayant vu mon frère, il luy fit signe et luy dit d'entrer, et de le suivre
I) dans le cabinet des bains, où on ne pouvoit entrer alors que par là,
soit pour luy parler d'un dessein de ballet, pour accorder sa guitarre
ou lui lire quelque bagatelle. De sorte qu'il demeura seul avec luy,
tout le temps que le conseil dura. Le Cardinal ne manqua pas de
) représenter au Roy qu'il ne falloit pas qu'il se familiarisast avec per-
sonne j usqu'à ce point, et fit si bien que tous mes amis furent d'avis
que mon frère s'abseutast pour quelque temps ; la Reyne me le con-
seilla elle-même. » (Année 1G58, tom. iv, p, 302.) ,
X. — P. 7, note l", lig. 8.
H fit jouer une pièce appellée Mirame.
Mirame fut représentée en IGZil, à l'ouverture de la grande salle du
Palais-Cardinal. Le sujet en est fort simple; l'héroïne de la pièce
II. 0
82 LES HISTORIETTES.
méprise l'hommage du roi de Phrygie, et lui préfère Arimant , favori
du roi de Colchos.
L'abbé Arnauld assistoit à cotte représentation : « J'eus ma part
» de ce spectacle, » dit-il, « et m'etoniiay, comme beaucoup d'autres,
» qu'on eût eu l'audace d'inviter Sa Majesté à être spectatrice d'une
» intrigue qui sans doute ne devoit pas lui plaire, et que par respect
» je n'expliqueray point. Mais il lui fallut souffrir cette injure, qu'on
» dit qu'elle s'etoit attirée par le mépris qu'elle avoit fait des recher-
» elles du Cardinal. » {Mémoires de l'abbé Arnauld.)
Montchal, archevêque de Toulouse, dit de son côté, dans ses pas-
sionnés Mémoires : « On avoit joué, peu de jours auparavant l'assem-
» blée du Clergé , la grande comédie de V Histoire de Buckingham , et
» dansé le célèbre ballet au Palais-Cardinal, auxquels les prélats furent
» invités et quelques-uns s'y trouvèrent. L'appareil fut si magnifique
» qu'on l'estima des sommes immenses, et il fut dit que le Cardinal,
» ayant voulu que les Prélats y fussent invités par les agens, entendoit
» qu'ellefût jouée aux dépens du Clergé. L'evèquc de Chartres» (Valen-
çay), « y avoit paru rangeant les sièges, donnant les places aux dames,
)) et enfin s'etoit présenté sur le théâtre à la tète de vingt-quatre pages
» qui portoient la collation, luy étant vcstu de velours, en habit court,
» disant à ses amis qui trouvoicnt à redire à cette action, qu'il faisoit
» toutes sortes de métiers pour vivre. Il prit aussi le soin de disposer
» les plats du festin de M""" la duchesse d'Enghien. {Mém. de Montchal,
I, p. 107.)
Toutcl'ois il ne faut pas oublier qu'à l'époque de la première repré-
sentation de Mirame, il y avoit treize ans que Buckingham etoit mort.
Et cette pièce où les courtisans virent (ce que les auteurs n'avoient
pas vu), une allusion aux folies de Buckingham, n'estoit qu'un lieu
commun de comédie héroïque, où la Reyne ne dut pas se reconnoître.
Campion, un des agens du comte de Soissons les plus animés
contre le Cardinal, parle de ces représentations de Mirame auxquelles
il assista, et ne semble pas supposer dans la pièce les allusions qu'y
découvroient plus tard des Réaux, l'abbé Arnauld, Montchal et Ma-
rolles. « Je fais ici ce que je peux pour vos affaires... et j'ay si peu
» d'appréhensions que j'ay esté à la comédie de Mirame^ dans le ca-
» rosse de Madame la Princesse, où cstoient M"" de Bourbon et
» Mademoiselle vostre niepce... Je mé suis trouvé assis assez près de
)) Monsieur le Cardinal, qui avoit tant d'attention au récit de sa comé-
» die , qu'il ne pensoit qu'à s'admirer soy-mesme en son propre
» ouvrage... J'y trouve quantité de défauts qu'il faudroit estre bien
» hardy pour publier icy, veu qu'il s'intéresse plus en l'honneur de
» ceste pièce qu'il n'a jamais fait à l'événement de toutes les cam-
» p'agnes passées. » (Lettre au comte de Soissons, 21 janvier 16/(1.)
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 83
XL — P. 10, lig. 12.
Le galant culebntta la Reijne.
Dans tout ce qu'on a écrit au temps de cette folle hardiesse de
Buckingliam, il y a de vrai ce qui ne peut compromettre l'honneur
d'Anne d'Autriche. Suivant la Rochefoucauld, « la Reyne fut contrainte
» d'appeler ses femmes. » M""" de Motteville : « surprise de se voir
» seule, et apparemment importunée par quelque sentiment trop, pas-
» sionné du duc de Buckingham, la Reyne s'écria, et appelant son
» ecuyer, le blâma de l'avoir quittée. » Il faut lire le résumé de tout
cela dans Vllistoire de France sous Louis XIII, par feu Bazin, ii, p. 255
à 257. La Porte dit bien, qu' « on résolut d'assoupir la chose autant
» qu'on pouvoit, » mais cela est un mauvais propos, auquel répond le
renvoi immédiat de M""^ du Vernet, exigé par la Reine.
Pour la seconde scène, celle des adieux, voici comme un pam-
phlétaire de la Fronde , des plus violents et des plus grossiers, la ra-
conte :
« J'ay oiiy dire que lorsque Bouquinqnant, grand-amiral d'Angle-
» terre, arriva en France, la Reyne en devint passionnément amoureuse,
» et le Roy extresmement jaloux; jusques-lù. mesme que Bouquinquant
» l'allant visiter dedans son lict, où elle cstoit incommodée, contre l'or-
» dinaire des princesses qui en cest estât ne reçoivent point de visites,
» prenant congé d'elle et luy baisant la main, en tira le gant qu'il
» monstra peu après à plusieurs courtisans de la cour, par une vanité
» extraordinaire. Kcantmoins n'en dites mot. Crie huissier : paix !
» paix ! » (Le silence au bout du doigt, 16/i9, p. 4.)
jyjme (jy Vernet, que des Réaux accuse d'avoir été d'intelligence avec
Buckingham, épousa en secondes noces Henry Robert de la Marck,
duc de Bouillon et comte de Braine. Elle mourut à Paris le 22 mai
1644. Le Contadin provençal, pamphlet sanglant fait au temps de la
faveur du connétable de Luynes, son frère, ne l'a pas épargnée. (P. 22.)
Dans un autre libelle, la Chronique des favoris, écrit peu de jours après
la mort du Connétable , Luynes, s'adressant à Henry IV dans l'autre
monde : « Ces messieurs, nos ennemis, ne parloient de nous que par
» envie, et vomissoient leur rage, non-seulement contre moy, mais
» contre mes frères et leurs femmes, qui vrayes amazones, ne se sont
» jamais rendues, en tous les combats où elles se sont trouvées; en-
)) couragées à cela par les conseils de la Guimbarde et de ma sœur du
' 1) Vernet, vray miroir de chasteté , de laquelle j'ay appris qu'il ne se
)> faut jamais chagriner de ce qu'on dit, pourveu qu'on fasse bien. »
(V.lili.)
84 LES HISTORIETTES.
XII. — P. 11, lig. 21.
Le Cardinal apparemment avait desjà en teste ce que je vais raconter.
Si des Réaux n'a pas perdu le fil de son discours, et s'il n'est pas brus-
queœent passé à un autre sujet, au lieu de continuer l'article des dé-
mêlés d'Anne d'Autriche avec le Cardinal , il faut entendre que dès ce
temps-là, le Cardinal s'inquiétoit d'un autre réseau d'intrigues ourdies
par la Reine-mère. Mais la liaison dans les idées n'est pas ici des
plus faciles à reconnoître.
XIII. — P. l/i, note 1, lig. 8.
Puylanrens croyait espouser flP'^ de Phalsbourg.
Cette princesse , Henriette de Lorraine , le trompoit réellement , et
Sandras des Courtilz a eu tort dans son roman des Mémoires de M. de B.
secrétaire du C. de iî., de nous la montrer désespérée de ne pouvoir
vaincre les incertitudes de Puylanrens. « S'il eust fait cette folie, »
dit le romancier, « c'eust esté allier la faim avec la soif. Taschantdonc
» tousjours de le renvoyer en Lorraine, elle prit un jour une arme à
» feu et le fut attendre sur l'escalier du palais où logeoit le duc d'Or-
)) léans. Mais la grande précipitation qu'elle eut à tirer luy ayant fait
» manquer son coup , le gouverneur des Pays-Bas, à la prière du duc
» d'Orléans, qui eut peur pour son favory, fit commandement à la
» princesse de sortir des Etats du roy d'Espagne. » (P. 548.)
Conférez avec la note judicieuse de des Réaux sur la mort de Puy-
lanrens, ce passage des lettres de Guy-Patin, 4 juillet 1G35 :
« Dimanche au matin mourut au bois de Vincennes M. de Puylau-
» rens, ex fluxu dysenteretico et alrabilario. Il y avoit longtemps qu'il
» y estoit malade. Il avoit eu une fièvre continue, accompagnée de
» pourpre, et depuis estoit devenu très-enflé. »
XIV. — P. 17, lig. 8.
Nous l'avons veu... prendre de l'argent des malades qu'il voyait.
Cette remarque est singulière ; du moins pourra-t-elle aujourd'hui le
paroître ; car je ne sache pas que Messieurs les médecins du Roi refu-
sent de prendre l'argent de leurs malades aussitôt que leur fortune est
faite ; mais nous nous trompons sans doute.
Vauthier mourut en 1652. Le maréchal de Bassompierre n'en parle
pas mieux que des Réaux : « Vaultier, » dit-il dans un album manus-
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 85
crit conservé à la Bibliothèque Nationale , « Vaultier se poussa à la
» Cour eà parte qnâ fiunl homines, et. quâ poUebat. » Et dans ses Mé-
moires : « J'eus plusieurs desplaisirs domestiques dans la Bastille »
(vers la fin de 1637), « tant causés par un maraut de médecin, nommé
» Vaultier, que par une cabale qui se fit contre moy par son induc-
•> tion. » (Tom. iv, p. 359.)
Mais pour achever de peindre le personnage, il faut rapporter l'e-
pitaphe qu'il composa lui-mûme apparemment , et qu'on voyoit aux
Carmélites du faubourg Saint-Jacques, rue d'Enfer :
« Franciscus Vautier, archiatrorum cornes, latet hic, qui divinœ artis
» claritudine innotuit omnibus, scmper notissimus ipse sibi, antiquam
I) Arelatensis iniperii gloriam restituons natalibus suis, palamfecit
» perfectis medicis deberi jus regnandi etiam in Reges, Obiit anno
» 1652. » O bonnes gens de médecins! vous avez toujours été les
mômes, avant comme après Molière.
Antoine Vitré dont on parle ici, célèbre imprimeur du Roi pour les
Langues orientales, a publié la Bible polyglotte de le Jay, avec les ca-
ractères rapportés d'Orient par M. de Brèves. Il est mort en 167^. On
ne peut ajouter que ce passage de des Réaux à l'excellent article de
M. Daunou sur Antoine Vitré ou Vitray, dans la Biographie univer-
selle.
XV. — P. 17, lig. 20.
On (lit qu'elle n'avoit autre but que de jouir de Luxembourg,
Le palais de ou du Luxembourg, commencé en 1615, ne fut achevé
qu'en 1620. Il avoit été bâti sur l'emplacement de l'hôtel du duc de
Luxembourg-Piney, qui l'avoit vendu 90,000 livres à Marie de Medicis,
en 1611. La Reine voulut que l'architecte, Jacques de Brosse, imitât
autant que possible l'ordonnance du palais Pitti, à Florence.
J'ai retrouvé dans le fonds des anciens manuscrits de Colbert (n° 88
des Cinq-Cents), la lettre suivante adressée par la Reine-mère à la
grande duchesse de Toscane :
« Ma tante, estant eu volonté de faire bastir et accommoder une
» maison à Paris pour me loger, et voulant en quelque chose me régler
» sur la forme et le modelle du palais de Piti, lequel j'ai tousjours es-
» timé pour l'ordre de son architecture et grandes commodités qui y
» sont, je vous fais celle-cy pour vous dire que j'auray à singulier
» plaisir que vous m'en fassiez faire le plan en son entier, avec les
» eslevations et perspectives des bastimens, tant du costé de devant
» ledit palais qu'au derrière d'iceluy du costé des terrasses, salles,
» chambres et autres stances de ladite maison, pour m'en ayder et
86 LES HISTORIETTES.
» servir en la structure et décoration de la mienne. Et m'asseurant
» que vous recevrez cette prière en très bonne part de nioy, je i,e lu
» feray plus longue que pour prier Dieu, etc.
» Marie.
» A Fontainebleau, le wi" jour d'octobre 1611. »
C'est à la fin de l'année 1620 que Rubens, appelé par Marie de
Medicis, commença la fameuse galerie dont les tableaux ont été trans-
portés au Louvre. Ils sont au nombre de vingt-et-un, et furent achevés
en 1623 ; mais il ne faut pas oublier, pour la gloire de Rubens, que ces
tableaux ont été rentoilés et retouchés vers le milieu du xviii* siècle
par quatre artistes assez médiocres, Godefroy, Fallens, Van Breda et
CoUens. La Reine, comme on sait, quitta au mois de février 1631 son
palais enchanté, pour n'y plus revenir.
Le Cours-la-Reine avoit été planté aux frais et par les soins de cette
princesse en 1628. C'est la première partie des Cliamps-Elisces que l'on
ait ainsi « garnie d'ormes. » Le Cours longeoit la Seine jusqu'à Passy.
Le reste des Champs-Elisées fut planté eu 1670.
XVL —P. 18, lig. 11.
// (Saint-Germain) vit icy chez sa sœur.
Il mourut le 17 décembre 1070, et son epitaphe etoit aux Incu-
rables. Il l'avoit lui-même composée : « Hic conditœ sunt mor-
» taies exuviae Mathaei de Morgues, sacerdotis qui 60 annis verbi
M Del priBconis officio functus, Regibus, Reginis Rcgumquc filiis a
» consiliis et concionibus fuit, multa mente voluit, lingua protulit,
» exaravit manu, opère implevit ; quorum (si quid in eis mali), pœni-
» tens, ut veuiam consequeretur inter misericordiam Dei et Christi
» Redemptionem infinitas, se ad nihilum rcdactum constituit. Vale ,
» fac similiter, et huic sanus sano consilio preccs repende. »
Les détails qu'on trouve ici sur le fameux abbé de Saint-Germain
sont honorables pour cet habile pamphlétaire, qui, du moins, eut le
courage de braver le cardinal de Richelieu, sans le haïr pour des ran-
cunes personnelles, comme faisoient la plupart des flatteurs du grand
ministre. Ce n'etoit pas Yauri sacra famés qui l'inspiroit non plus, car
il avoit du bien et n'etoit pas intéressé ; il n'ecoutoit qu'un sincère
attachement pour sa maîtresse, la Reine-mère.
Voici une lettre que nous avons retrouvée dans les papiers du prési-
dent d'Hozier, et que Mathieu de Morgues écrivit à Pierre d'Hozier
peu de temps avant son départ de Bruxelles : « Monsieur, votre af-
» fection est accompagnée de prudence, lorsque vous conseillez mon
I) retour avec seureté et honneur. Mes sentimens sont conformes aux
LE CARDIjNAL de RICHELIEU. 87
» vostres. Il me semble pourtant que je ne peus, sans mespris de la
» grâce de la Reyne, négliger de faire retirer mon passeport, qui me
» donnera quelque temps pour disposer mes affaires et attendre que
» celles du lieu où vous estes changent en mieux. J'espère cependant
» de la généreuse bonté de nostre brave abbé qu'il faira agir ses amis
» près de S. A. Monsieur le duc d'Orléans, pour luy représenter le
» tort qu'il fera à sa réputation, s'il ne protège haultement celui qui
)) l'a haultement deffendue avec celle de la Reyne sa mère, jusques à
» s'estre exposé mDle fois au martj^re.
» Quant à ce que vous me demandez si je suis bien avec M""* de
» Chevreuse, je vous diray qu'ayant esté employé pour son accommo-
)i dément avec le duc d'Elbeuf, elle a tesmoigné que la sincérité qui
» accompaigne toutes mes actions et paroles ne luy estoit pas agréa-
» ble ; elle eust pourtant évité de très-grands desplaisirs si elle m'eust
n fait l'honneur de me croire, ne luy ayant rien conseillé qui ne fust à
» son advantage. Je fus malheureux , n'ayant pas réussj' en ma négo-
» dation, et elle malheureuse pour ne m'avoir point creu. Je ne scay
» pas à quoy son esprit la portera, ou pour ou contre moy; d'une
» chose suis-je bien assuré, que je l'honore et voudrois la pouvoir ser-
» vir. Du reste, j'attends ce que la providence de Dieu ordonnera de
» moy, voulant plus defférer aux sentimens de mes amys qu'aux miens
» propres, et ne désirant ny biens nj' crédit que pour avoir le dessein
M d'en tesmoigner ma reconnoissance à ceux qui m'ont ajTné durant
» mes afflictions, et à vous particulièrement, à qui je suis de tout mon
» cœur, Monsieur, votre tres-humble et tres-affectionné serviteur.
n M. de Saint-Germain.
» A Bruxelles, 3 de juillet 1643. «
XVII. — P. 20 , suite de la note de la page précédente, lig. 1.
Mais, Monsieur Joseph, vostre doit n'est pas un pont.
On a quelquefois attribué au duc de Weymar tm mot analogue :
« C'est très-bien. Monsieur Joseph, si on reprenait les villes avec le bout du
» doigt. » La leçon de des Réaux est bien meilleure. Sandras des Cour-
tils, paraphrasant le mot, le donne également au colonel Ilebron ou
Uailbron, dans le roman des Mémoires de M. de B., secrétaire du C.
de R., 1713, p. 370.
L'autre mot sur la balle qui a sa commission, répond aux super-
stitions ecossoises, fondement de la légende de Robin des Bois.
XVm. — P, 20, note 1, lig. h.
Le grand-prieur de la Porte.
Des Réaux a bien l'air d'emprunter ce mot d'Amador de la Porte
88 LES HISTORIETTES.
(oncle maternel du Cardinal, et mort en 1040 à l'âge de quatre-vingts
ans) à l'un des meilleurs pamphlets de l'abbé de Saint-Germain : « Pour
» sa généalogie, » y lit-on, « je te renvoy à la cordonnitre de Loudun,
» qui estoit ù, ta bonne maistresse ; elle te rendra sçavant sur ce poinct.
» J'ay seulement ouy dire avec grande ingénuité au bon homme com-
» mandcur de la Porte, oncle de ce Cardinal, qu'il n'eut jamais pensé
» que le filz de Suzanne de la Porte eust entrepris de vouloir mettre
» sous le fouet les petits-filz de Saint-Louis. » [Conversation de M" Guil-
laume avec la princesse de Couty, 1631.)
On fit sous le nom de cette cordonnière de Loudun une célèbre chanson
contre le Cardinal, attribuée dans le temps à Urbain Grandier, et qui,
disoit-ou, ne fut pas étrangère au procès qu'on lui suscita. Il faut
pourtant avouer que ce ne fut pas le père Joseph qui le premier put
décider les sottes Ursulines de Loudun à se dire possédées du démon de
Grandier. (Voyez Vllislorietle du père Joseph.)
Guy Patin , fort crédule sur certains bruits, accuse le Cardinal
d'avoir fait mourir M. de Thou, par rancune d'un passage de
l'Histoire universelle de son grand-père. «J'ay tousjours dans l'esprit
» le passage de l'histoire du président de Thou où il est parlé d'An-
» toine de Richelieu, appelé vulgairement le Moine, qui a cousté la vie
1) à son petit-filz. On n'eut pas coupé la teste à M. de Thou si M. le
» cardinal de Richelieu n'eut cherché l'occasion de se venger. » (Lett.
du 8 novembre 1G58.)
XIX.— P. 21, notel,lig. 5.
On n'en sçait pourtant rien de certain { de l'auteur de la Satyre de
mille vers).
La Milliade a passé pour Être de l'abbé comte d'Etlan ou Este-
lan, fils du maréchal de Saint-Luc ; mais des Réaux, qui donnera
l'Historiette du comte d'Etlan, ne confirme pas cette attribution. La
Porte, juge moins sûr, n'hésite pas à dire : « La Milliade de l'abbé
» Estelan, pour laquelle il y avoit alors (en 1637) quatre ou cinq pri-
» sonniers à la Bastille. » [Mémoires, p. 140.)
XX. —P. 21,lig. 7.
Mauroy l'intendant.
Il deraeuroit en 1647 dans la rue Saint-Honoré, et ce fut chez lui
que l'on conduisit Monsieur pendant la petite-vérole du Roi, parce
que la maison, située près de la porte Saint-Honoré, etoit en bel air
et voisine du Palais-Royal. Je ne crois pas que l'iiitendant soit le
même que l'ancien commis de l'intendant Cornuel ; ce deuxième
Mauroy demeuroit en 1640 rue de Poitou au Marais. [Cataloçine
des Partisans.)
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 89
XXI. — p. 21, lig. dernière.
De là vient (a prodigieuse fortune de Lambert.
Voici comment Guy Patin raconte la mort et l'histoire de Lambert :
« Le 22 décembre dernier (1645) est icy mort un commis de M. Fieu-
» bet, trésorier de l'Espargne, nommé Jean-Baptiste Lambert, filz d'un
n procureur des Comptes, petit-fllz d'un médecin de Paris et neveu de
» M. Guillemeau, notre collègue. J'ay esté son médecin depuis huit
. » ans. Il m'a laissé par son testament, par son codicile, la somme de
» trois mille livres et un autre article qui vaudra plus que cela. Il
» avoit le rein droit tout consumé et purulent, dans le pellicule duquel
» il y avoit seize pierres qui pesoient quatre onces... Il est mort tout
» sec sans aucune violence... Il estoit riche de trois millions : il avoit
» gagné ses grands biens, 1" dans les partis, estant commis de M. de
» BuUion ; 2° pour avoir esté commis de l'Espargne pendant dix-huit
» ans; 3° par son grand ménage, n'ayant eu maison faite que depuis
» Pâques dernières. J'estois fort en ses bonnes grâces; mais j'ay tous-
» jours mesprisé la fortune dont il me vouloit faire part. » (Lettre à
Spon du 20 janvier 16il5.)
Son frère, Nicolas Lambert, maître des Comptes et son héritier, lui
fit dresser une fort belle epitaphe aux Incurables, la voici :
Joannes Lambertus
Fui;
At tu. Domine, qui solus es, qui salus et vita es.
Qui omnium judex venturus es,
Dele In opère tuo quod meum est; in meo
Quorl tuum non est;
Tune cognosce bonus et ignosce.
Joannes Lambertus rarisinus
Régi a consiliis et secretis,
Beatus esse cceperat fortunie bonis,
At morbi violentia insanabilis
Beatiorem reddidlt.
Nam cum ea luctatus quatuor annis
Invicta patientia,
Tandem ehrlstianœ fidei munitus sacramentis
Humanis rébus clausit oculos, divinis
Aperuit.
Anne Domini 1644, aetatis trigesimo septimo
Hic jacet.
Hoc fratri suo de se optime merito,
Nicolaus Lambertus
Regiorum computorum magister, ex asse
Hœres
Moprens monumentum posuit.
90 LES HISTORIETTES.
XXII. — p. 22, lig. 17.
Monlatere^ gentilhomme d'auprès de Liancourt.
Isaac de Madaillan, seigneur de Montataire, plus tard marquis de
Lassay. C'est l'aieul du célèbre mai-quis de Lassay, auteur du necueil
de différentes choses. Montataire est à deux Jieues de Senlis. Le vieux
château des Madaillan subsiste encore.
XXIIL — P. 24, lig. 10.
Barentin de Cliaronne en fut un (des fugitifs). Il fallait en faire un
exempte.
Vous allez voir un peu plus loin des Réaux faire un sujet de repro-
che au Cardinal d'avoir inscrit le mfme Barentin sur la Taxe des aisés.
Voilà la passion prise sur le fait. Qui cependant auroit été mis à cette
taxe, plutôt qu'Honoré Barentin, maître de la Chambre aux deniers ?
On peut lire sur ce personnage la Chasse aux larrons, par Jean Bour-
goin, p. 88. C'est im libelle curieux, qui montre, dans un jour assez
peu llatté, les conimencemens de bien des gens avec lesquels il a
fallu compter plus tard.
Montglat dit aussi dans ses Mémoires : « Tout fuyoit dans Paris, on
» ne voyoit que carrosses, cochers et chevaux sur les chemins d'Orléans
» et de Chartres... On n'entendoit que murmures de la populace contre
» le Cardinal, qu'elle mcnaçoit comme estant cause de ces desordres.
» Luy, qui estoit intrépide, pour faire voir qu'il n'appréhendoit rien,
» monta dans son carrosse, et se promena sans gardes dans les rues de
» Paris, sans que personne osast luy dire un mot. »
XXIV. — P. 25, lig. 1.
La Moussaye a tiré de la forest de Quintin, qu'il luij vendit,....
C'est-à-dire que Henry de la Trimouille lui vendit. Cette forêt, à trois
lieues de Saint-Brieux , est fameuse dans nos anciens romans pour la
fontaine de Barenton et le séjour de Merlin. Depuis la fin du xvii^ siè-
cle on ne la nomma plus que la forêt de Larges.
XXV. — P. 25, lig. 12.
Il voulut aussy faire razer la Sainte-Chapelle.
La Sainte-Chapelle et ses beaux et anciens vitraux existent encore.
Champigny est à trois lieues de Chinon. Au mois de juillet 1655, Ma-
demoiselle rentra dans la possession de Champigny par arrêt du
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 91
Parlement. Elle parle comme des Réaux des nouveaux bâtimens
de Richelieu : « Les appartemens repondent mal... à la beauté
» du dehors ; j'appris que cela venoit de ce que le Cardinal avoit
» voulu que l'on conservast la chambre où il estoit né. » Mais rien
ne seroit plus facile à justifier que les motifs et les scrupules du Car-
dinal. S'il avoit agi autrement, ses ennemis n'auroient pas manqué de
dire qu'il avoit voulu détruire la trace du modeste manoir de ses
pères. La dernière réflexion de des Réaux nous paroît surtout intolé-
rable ; mais il etoit l'echo du sentiment public à cette époque. Aujour-
d'hui il suffiroit, pour justifier le Cardinal, des motifs qui cxcitoient la
pitié de notre auteur.
La Fontaine a décrit agréablement le château de Richelieu dans une
lettre adressée à sa femme et publiée par M. Monmerqué , à la suite
des Mémoires de Coulangcs. Perelle en a dessiné et gravé de fort belles
vues.
Revenant h Champigny, Mademoiselle raconte ainsi l'acquisition
qu'en fit le Cardinal : « Je passay dans un bourg appelle Champi-
gny, qui m'avoit appartenu et qui venoit de MM. de Montpensier.
C'estoit de leur vivant leur demeure de plaisir ; et ce qui me fit
perdre cette terre fut qu'elle estoit jointe à une autre dont Richelieu
relevoit en partie. Le Cardinal voulut l'avoir, Monsieur n'osa le
refuser, de sorte que, comme mon tuteur, il en fit un échange avec
Rois-le-Vicomte, et consentit mesme à la démolition de ma maison,
que le Cardinal voulut estrc faite avant que d'exécuter l'échange.
Monsieur donna les mains à tout pour deux raisons : la première,
parce que le Cardinal estoit tout puissant, et la seconde, parce que
j'estois mineure et que je me releverois, quand je serois en âge, de
ce qu'il auroit fait... Pour preuve de l'abus que le Cardinal fit en
cela de son autorité, c'est que les ordres aussi bien que le contrat
que Monsieur signa pour cet échange furent signez à Blois peu de
jours après la mort de Puylaurens (1635). L'on peut juger, après la
violence exercée en la personne de son favory, avec quelle liberté le
maistre pouvoit agir... Arrivé à Champigny, j'allay d'abord à la
Sainte-Chapelle comme dans un lieu où la mémoire de mes prede-
cesseui-s, qui l'avoient bastie et fondée, serabloit m'obliger à ce de-
voir, afin d'y prier Dieu pour le repos de leurs âmes. Le cardinal
de Richelieu avoit encore voulu faire abattre cette chapelle, et pour
avoir permission du Pape, il exposa qu'elle estoit ruinée et qu'on
n'y pouvoit dire la messe. Urbain VIII, qui régnoit alors, se souvint
que pendant qu'il estoit nonce en France, il y avoit célébré la messe
et qu'elle estoit fondée par des personnes trop illustres, qui avoient
laissé des héritiers qui l'estoient trop aussi, pour n'avoir pas eu le
soin de conserver un édifice qui sert de monument à des princes
92 LES HISTORIETTES^
» dont la mémoire devoitestre trop chère pour, etc., etc. » (Edition de
1730, tom. I, p. 15.)
XXVI. — P. 27, lig. 3.
Il a basty à la ville et aux champs en avaricieux.
Le Palais-Cardinal fut en effet construit moitié dans la ville et moitié
dehors : c'est-à-dire à la ville et aux champs. M. de Sisniondi s'est
donc lourdement trompé quand il a fait un reproche à Richelieu d'a-
voir choisi, pour bâtir son palais, précisément le quartier central et le
plus opulent de la ville. (Voyez Sauvai, que des Héaux avoit sans doute
consulté pour tous ces détails, tom. ii, p. 159.)
Le vieux hôte! Rambouillet^ dont l'entrée principale a été remplacée
par la grande entrée du Palais-Roijal, avoit été vendu, en 1606 et par
le conseil de tutelle de Charles et Marie d'Angennes, à Pierre Forget
sieur du Fresne, pour trente-quatre mille cinq cents livres. Du Fresne
le revendit plus tard au Cardinal pour soixante-dix mille livres. Quant
au second hôtel de Rambouillet , renouvelé par la marquise de Ram-
bouillet qui devoit le rendre si célèbre, il venoit du pure de cette dame,
et porta le nom d'hôtel /'wahî jusqu'à la mort du Marquis. Il ctoit,
comme on sait, dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre , qui, je crois,
elle-même n'existe plus ; car n'ayant pas voulu se ranger devant le
nouveau Louvre, clic aura été renversée.
XXVIL — P. 28, note première.
Le tombeau du Cardinal, dessiné plus tard par Lebrun qui acheva
l'autel de l'église, a été exécuté par Girardon et découvert seulement
en 1694. Il fut transporté au Musée (les Petits-Augustins pendant la
première Révolution ; puis on l'a replacé dans l'oglise de Sorbonne,
quand cette église restaurée a été rendue à sa vraie destination.
XXVin. — P. 28, lig. 21.
La Fayette, fille de la Reync.
Louise Motier de la Fayette, fille de Jean de la Fayette, seigneur
de Hautefeuille. Le faussaire Courchamp, auteur des Mémoires de la
marquise de Crequy, se donne un grand mal pour prouver que le der-
nier général la Fayette n'etoit pas gentilhomme de race, et n'appar-
tenoit pas à la famille de l'ancien maréchal de la Fayette et de l'amie
de Louis XIII. La seule preuve qu'il donne de cette allégation, c'est
que le premier nom du général etoit Motier. Voyez le bel argument!
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 93
— L'oncle de M"' de la Fayette etoit François Motier de la Fayette,
evêque de Limoges en 1627 et premier aumônier d'Anne d'Autriche.
Il mourut le 3 mai 1676.
XXIX. — P. 28, lig. 23.
^/™* de Scnccey.... en fut chassée.
C'etoit Marie Catherine de la Rochefoucault , comtesse puis du-
chesse de Randan, femme de Henry de BauftVemont, marquis de Se-
necey. «Elle avoitcté exilée, » ditM"^ de Motteville, «pour des raisons
» que je n'ay pas sceues. » [Mém.^ i, p. 112.)
XXX. — P. 29, lig. 1.
Vne Ventadour^ abbesse de.... en Basse-Normandie.
Je n'ai pas trouvé qu'une seule Levy-Ventadour ait été abbesse d'un
monastère de Normandie, haute ou basse, au temps du cardinal de
Richelieu. Des Réaux, qui a laissé le nom de l'abbaye en blanc, n'etoit
guères plus sûr de la province qu'il ne l'etoit du lieu.
Le Père Caussin a fait le récit des circonstances de l'entrée en reli-
gion de M"' de la Fayette, dans une lettre fort curieuse écrite à cette
dame, et que M. Jay a publiée dans son Histoire du ministère du car-
dinal de Richelieu. (Tom. ii, p. 71.)
XXXL — P. 33, lig. 8.
Rossignol estait une pauvre espèce d'homme.
Rossignol, né en 1590 et mort eu 1673, eut un fils président à la
chambre des comptes de Poitiers, et son père paroissoit lui avoir
transmis le talent de déchiffrer les écritures. Voilà pourquoi on les
confond souvent l'un avec l'autre. Ils avoient bâti à Juvisy, village à
cinq lieues de Paris, route de Fontainebleau, une maison où Louis XIV
n'avoit pas dédaigné de s'arrêter. Dans la Muse de la Cour du 21 juillet
1657, précisément à l'époque où des Réaux ecrivoit ce qu'on vient de
lire, on trouve la mention du beau talent de Rossignol. C'est à l'occa-
sion d'un paquet de lettres saisi sur un courrier espagnol :
Pour cela monsieur Rossignol
De qui l'on connoist la science.
Et dont on sçait l'expérience.
Est mandé pour aller en cour
Et mettre ce paquet au jour.
Les lettres les plus ambiguës
I.uy sont en un moment conneties;
94 LES HISTORIETTES.
11 en viendra bieutost à bout,
Car son esprit penestre tout;
Et des clioses les plus obscures
lien fait de belles peintures.
(La Muse de la Cour, à Mademoiselle.)
Il faut remarquer que des Réaux ne met pas en doute le talent de
Rossignol pour trouver le sens des écritures en chiffres ; il ne lui con-
teste que celui de lire les chiffres |de convention, dont la clef est
seulement dans le caprice mental ou arbitraire de ceux qui les em-
ploient. Je croirois assez que de cet habile homme vient le nom de
Rossignols., donné aux c\ek-passe-partont.
XXXII. — P. 35, lig. 6.
// estoit tard ; il s'advisa d'aller rompre la cliaisne de quelque bateau.
Il faut qu'en ce temps-là, la nuit une fois venue, les portes de Paris
fussent toutes fermées. Je suppose que de Meuves, demeurant vers V Ar-
senal, sera entré dans un bateau et aura dans ce bateau passé sous le
pont au Change et les autres ponts, jusqu'à Saint-Cloud.
Au reste, môme après le récit de des Réaux, il est permis de
croire que de Meuves, par hasard ou volontairement, avoit été cause
de l'incendie. Comment pour un délit aussi particulier, les juges
auroient-ils condamné un innocent avéré? Mais on pouvoit lui re-
mettre la peine, comme cela arrivoit fréquemment en pareil cas, et
c'est à quoi le Cardinal ne voulut pas entendre.
XXXIII. — P. 35, lig. 15.
31. des Cordes, un homme qui a mérité qu'on escrivist sa vie.
« L'idée d'un bon magistrat en la vie et en la mort de M. de Cordes,
» conseiller du Chastolet de Paris, par A. G. E. D. V. » (Antoine Go-
deau evesque de Vence.) Paris, 16i5, in-12. Il s'appeloit Denis de
Cordes, mourut en novembre 1641, et fut inhumé à Saint-Mery.
XXXIV. — P. 3G, note, lig. 1.
Un baron du Langxœdoc... avoit trouvé une sorte de boulets creux.
Ces boulets ressemblent bien aux bombes. Cependant le maréchal
de la Force se servit de bombes au siège de la Motte, en 1634,
comme on le voit par la relation du Mercure François de cette année ,
p. 158 et 164. Il paroît, au reste, que c'est le premier usage bien
authentique de la bombe en France. Mais la proposition du baron
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 95
languedocien pouvoit être antérieure, et des Réaux, assez mal informé
des perfectionnemens de l'artillerie, peut à la rigueur avoir oublié
vingt-deux ans plus tard qu'heureusement l'invention n'avoit pas été
perdue.
XXXV, — P. 36, note 1.
Des l'allées.
Sous le nom de ce possesseur de la pierre philosophale des gram-
mairiens, parut eu 1631, la première édition du virulent pamphlet de
l'abbé de Saint-Germain : Conversation de maistre Guillaume avec la
princesse de Couty. Le véritable auteur trouva plaisant, sans doute,
d'affubler de son œuvre la tète fort peu politique du bonhomme des
Vallées.
XXXVI. — P. 37, ]ig. 9.
Il jette les yeux sur l'abbé de Saint-Cyran.
Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-C}Tan, fut mis à la
Bastille le 14 mai 1638, et mourut peu de temps après être sorti de
prison, en 1613. On a plus souvent, mais non peut-être plus exacte-
ment, attribué sa captivité au refus d'opiner pour la nullité du
mariage de Gaston avec Marguerite de Lorraine. Ici , chacun se
mettra facilement à la place de l'illustre docteur : il ne s'agissoit, en
effet, que d'un semblant de dispute avec des ministres déjà gagnés et
qui ne dévoient pas répondre sérieusement. Le jeu dut lui paroître
indigne de la vérité catholique.
XXXVn. — P. 37, lig. 22.
Un des ministres de Montpellier, nommé te Fausclieur.
Celui qui figure dans la célèbre chanson d'un Chanoine de l'Auxer-
rois, composée vers cette époque :
tin jour le ministre Faucheur,
Discourant des faits du Seigneur,
Prit en main un grand voire,
Etprescha d'un ton tout nouveau
Que le miracle le plus beau
Qu'il fîst jamais sur terre,
Ce fut de changer l'eau en vin.
Pour chanter comme Jean Calvin :
Eh! bon, bon, bon,
Que le vin est bon.
On n'en sanroit trop boire.
96 LES HISTORIETTES.
XXXVIII. — p. 39, fin de la note de la page précéd., lig. IG.
Rîcher... fit des protestations contre la violence qu'on luy avait faille.
Cette scène odieuse eut lieu en 1630. Elle est racontée tout au long
dans la Vie d'Edmond Riclier, par Adrien Baillet, Amsterdam, 1715,
p. 347. Mais peut-être l'auteur janséniste a-t-il exagéré les dangers
courus en cette occasion par Riclier: « Le P. Joseph,» dit-il, «mon-
» trant à Richer une rétractation de son livre, lui dit d'un ton de voix
» qu'il éleva extraordinaircmcnt pour servir de signal à des gens
» apostés : C'est anjourd'huy qu'il faut mourir ou rétracter votre livre.
» A ces paroles on vit sortir de l'antichambre deux assassins qui se
» jetèrent sur Richer, et qui le saisissant chacun par un bras lui
» présentèrent le poignard, l'un par devant, l'autre par derrière;
» tandis que le P. Joseph lui mit le papier sous la main et lui fit signer
» ce qu'il voulut. »
XXXIX. — P. ÛO, note, lig. 3.
C'est que M'^^ de Bouillon croira que je suis son très-humble serviteur.
Léonore Catherin^ Febronie de Bergh, fille du comte de Bergh,avoit
épousé, en 1(334, Frédéric Maurice de la Tour, comte de Bouillon,
frère aîné du grand maréchal de Turenne. Elle mourut à Paris, âgée
de quarante-deux ans, le 14 juillet 1657. « Cette dame, » dit M""" de
Motteville (m, p. 315), « a été illustre par l'amour qu'elle a eu pour
» son mary , par celuy que son mary a eu pour elle , par sa beauté et
» par la part que la fortune luy a donnée aux evénemens de la Cour.
» Elle accoucha le môme jour qu'elle fut arrêtée (fin de janvier 1650). »
XL. — P. 41, note.
Saint-Hibar a esté la cause du malheur de Monsieur le Comte.
Bien que le nom de Saint-Ibal ou Saint-Hibar revienne à chaque
instant sous la plume du cardinal de Retz, peintre de portraits si habile,
on ne peut y retrouver un moyen de connoître au juste le caractère de ce
personnage. Henry d'Escars de Saint-Bonnet, seigneur de Saint-Ibal, fut
mêlé à tous les troubles de la première partie du xvu^ siècle. Lenet dit
assez bien dans le iv' livre de ses Mémoires : « Saint-Thibart avoit du
» cœur et de l'expérience, mais il cachoit sous les apparences d'une vertu
» stoîque et d'une humeur libre et indépendante beaucoup de choses
» fâcheuses. Il jugeoit mal de tout le monde, ne pouvoit souffrir tous
» ceux qui gouvernoient les affaires, et n'avoit ni le talent ni la vo-
» lonté de les conduire. Il méditoit toujours des bons mots pour tourner
» en ridicule la conduite des autres. Il etoit mélancolique, chagrin
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 97
» et iiKl-gal, mais très-brave et très-bon ofticicr, dont pourtant il ne
» vouloit point faire do fonctions, se contentant du rôle do censeur
)) de ceux qui etoicnt au-dessus de luy par leurs emplois et par leur
I) crédit. » Saint-Evremont, dans le piquant pamphlet de la Retraite
du duc de Longucville, en a jugé différemment; il le représente comme
un homme à projets fous : «Il demanda (au parlement de Normandie)
)) l'honneur de faire entrer les ennemis en France, et on luy respondit
)) que MM. les généraux de Paris se le reservoient. Il demanda un
» plein pouvoir de traitter avec les Polonois, les Tartares et les Mos-
» covites, et l'entière disposition des affaires chimériques, ce qdi luy
» fut accordé. » (A la suite des Mémoires de M, de la RocUcfoitcaiilt,
édition de lC6i, p. 106.)
Les contemporains varioient beaucoup sur l'orthographe du nom.
Lenet écrit Saint-TUibart, et Costar, ce puriste grammairien, dit dans
la Deffense des œuvres de M. Voiture : « Il y a parmy nous des saincts
» profanes, comme les saincts Pavins, les saincts Tibals, les saincts
» Gelais et les saincts Sibardeaux , si vous le voulez. » (P, m.)
Lui-môme signoit Saint-Tibal , comme on peut s'en assurer dans
plusieurs lettres écrites à M. de Thou. Elles ne sont pas datées ; en
voici une :
« Monsieur,
» Je vous rans mille grases de tant de soint que votre générosité
)) vous fit prandrc pour moy et vous suplie très umblement de vouloir
» continuer seluy de mes interes auprès de mon frère que sil peut
» me fere toucher la somme quil vous a dit me rester du bien de ma
» mère il mobligera estremement. Je vous prie ausi de luy temoi-
» gnier que dans un autre estât je ne l'incommoderes pas et que jan
» suis plus fâché que luy à qui je ne manque re jamai a se que je dois.
» Je prendre ausi la liberté de vous suplier de vouloir voir un gen-
» tilomme de monsieur Leletteur palatin que vous trouvères logé ou le
» biliet enfermé dans selle si vous dira pour luy donner vos avis sur
» les soUisitations quil fet des aferes de son mètre a la court. Je suis
» obhgé par baucoup de resons a vous fere sette prière laquelle je con-
» firmeré de rechef par les sivilités que j'ay resu de tout te leur meson
» auquelles ne pouvant re pondre que par vos ofices que je vous prie
» de leur randrc en sette occasion, avet autant de soint que votre bonté
» vous aura fet prandre pour tout se qui me touche don gauré de ternels
I) resant timens. Je vous suphe de me pardonner de tant d'inportunité
» et croyre que je suis parfettemant
» Monsieur
)) Vostre très umble serviteur,
» Saint Tibal.
» De la Hay se cjuinsiesme mars. »
II. 7
98 LES HISTORIETTES.
XLI. — P. /il,lig. 8.
Un sçavant médecin de la Faculté nommé Patin.
Apparemment le fameux Guy Patin , sceptique par excellence, et
qui ne blâmoit l'incrédulité que chez les partisans de l'emétique.
XLII. — P. /Il, lig. 20.
ailiers, intendant de M. de Crcqtnj.
Ce Gilliers, grand ami de Pierre d'Hozier, lui ecrivoit régulière-
ment les nouvelles de l'armée, quand il suivoit M. de Crequy. Ses
lettres sont conservées dans la correspondance d'Hozier, au Cabinet
des titres de la Bibliothèque Nationale.
XLHI. — P. 42, lig. 26.
Pour l/"* d'Aiguillon et J/™" de Chaune...
On croiroit qu'ici des Réaux a eu connoissance de V Album de Bas-
sompiene que j'ai déjà cité, et qui se conserve au cabinet des manus-
crits de la Bibliothèque Nationale (n° 2036, supplément français). On y
trouve la môme mention des trois prétendues maîtresses de Richelieu :
(1 Le cardinal de Richelieu, deux ans avant que de mourir, n'avoit que
» trois maistresses : sa nicpce ; la Picarde, femme de M. le mareschal
» de Chaulncs, et Marion de Lorme, p — publique. » (P. hk.) — Guy
Patin fait le môme compte.
XLIV. — P. 43, note 1, lig. 1.
La Rivière qui est mort evesque de Langres.
Tout le monde aujourd'hui connoît cet abbé-prelat, cardinal manqué,
favori de Gaston, contraint enfin par la disgrâce à la résidence. Louis
Barbier de la Rivière etoit né en 1595 d'Antoine Barbier, sieur de la
Rivière, commissaire de l'artillerie en Champagne. Il fut d'abord ré-
gent au collège du Plessis ; puis, l'evôque de Gahors, Pierre Habert,
auquel il s'attacha, le présenta à Monsieur, qui bientôt séduit par
l'agrément de son entretien le nomma son premier aumônier. On peut
savoir aisément le rôle qu'il joua durant la Fronde. « Quand la paix
» est rétablie, » trouvons-nous dans les notes que M. le marquis de Pas-
torct avoiî réunies sur les Historiettes, et qu'il a bien voulu nous
communiquer, « la Hiviere entre au Conseil comme ministre d'Etat.
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 99
» Il s'attache au prince de Condé; Monsieur s'en irrite ; mais, au lieu
» de céder, la Rivière le prend de haut avec son bienfaiteur, et
» Monsieur le disgracie. Un jour suffit pour renverser cet édifice si p6-
» niblement élevé de sa fortune. Il quitte le Conseil, la Cour, sa
» charge de chancelier dos Ordres. Vous le croyez perdu î Mon
» Dieu non :
, »... Le sort burlesque, en ce siècle de fer,
>> D'un pédant, quand il veut, sait faire un duc et pair,
» a dit Boileau, peut-être en pensant à lui. La Rivière devient évoque
» de Langres ; il est pair, il est sur le banc des ducs. II meurt le
» 30 janvier 1G70, vieux, riche et presque dévot. C'est hiy qui avoit
» rebâti Petit-Bourg près de Paris, terre qui a passé du duc d'Antin
» à un fermier-général, puis à M""^ la duchesse de Bourbon, puis à un
» fermier des Jeux. »
Dans une Mazarinade que je crois de Guy Patin {la Conférence du
Cardinal avec le Gazetticr, 1649), on revient sur la naissance et la
jeunesse du pauvre abbé de la Rivière : « Vous devez sçavoir que ce
» nom de la Rivière n'est pas celuy de son père ny de sa famille. Son
» père etoit un gaigne-deniers ou chargeur de gros bois en grève, qui
» s'appeloit Barbier ; lequel par raillerie ou mespris fut surnommé
» la Rivière par ses camarades , comme on appelle un lacquais
1) la Verdure, ou la Rose. Sa naissance vile n'a pas esté suivie d'une
» meilleure éducation ; il n'y a point de collège dans l'Université qui
» ne retentisse encore de ses friponneries, et toute la Cour sçait par
» quels services il a mérité les bonnes grâces de son maistre. »
Dans mic autre Mazarinade : « Le sieur de la Rivière, abbé de
n quinze abbayes, n'est-il pas filz d'un pauvre cousturier de Montfort-
» l'Amaury ; n'a-t-il pas esté cuistre et valet au collège de Navarre? »
{Advertissement à Cohon, evesque de Dol et de Fraude, par les Cuistres de
l'Université.)
XLV. — P. 43, note 2, lig. 1.
M. de chavigny délibéra de faire appeller l'hostel de Saint-Paul,
l'hostcl de Bouteillier.
Cet hôtel etoit situé à l'extrémité de la rue du Roi-de-Sicile , et
la rue fut ainsi nommée parce que l'hôtel avoit d'abord été la rési-
dence du célèbre Charles d'Anjou roi de Sicile, et de son fils
Charles II. Charles II le légua au comte de Valois ; il fut transmis plus
tard aux comtes d'Alençon, puis en 1389, acheté par Charles VI. Au
commencement du xvi'^ siècle, les rois de Navarre en etoient en posses-
sion ; c'étoit Antoine de Roquelaure au commencement du xvii', lequel
100 LES HISTORIETTES.
le vendit à François d'Orléans-Longueville, comte de Saint-Paul, De là
le nom qu'il avoit, lorsque Léon Bouthillier, comte do Cliavigny,
l'acheta. Il a passé en 1698 i\ Heniy Jacques do Caumont, duc de la
Force, dont il conserve encore aujourd'hui le nom, bien qu'on en eût
vendu, en 1711, la moitié à Jacques Poultier, intendant des Finances,
(lui lui donna un aspect plus moderne, et en 1715 l'autre moitié aux
célèbres frères Paris du Verncy.
XLVI. — P. 43, note 2, lig. 9,
Lepereclç l'Arclievesque avoit escrit l'histoire de Marthe Brossier,
« Le Discours véritable sur le fait de Marthe Brossier, Paris, 1599,
» in-8", » est attribué au médecin Marescot : mais celui do Bou-
thillier en diffère peut-être. Marthe Brossier ctoit la fille d'un tisse-
rand de Romorantin : elle fut conduite à Paris, dans les derniers jours
de mars 1598, et occupa l'attention publique, mais seulement pendant
quelques mois; comme aujourd'hui, depuis un an, ceux qui font parler
les tables, et depuis dix ans les somnambules. On peut lire, dans les
Additions anonymes faites au Journal de l'Estoile, le récit de toutes ces
jongleries, constamment renouvelées avec un égal succès.
XLVIl. — P. /|5, lig. 3.
Un M. Mulot ^ de Paris.
Mulot est également signalé dans la Vie de Costar et dans le san-
glant pamphlet intitulé 5rt/?/re d'Estat contre le Cardinal, où l'on prête
à Mulot un discours dont l'insolence pouvoit être justifiée par la répu-
tation de grande franchise qu'il s'ctoit faite dans le monde. Dans un
autre pamphlet, le Catholicon françois, on raconte sérieusement qu'un
jour Mulot étant en carrosse avec le Cardinal et l'archevêque de Bor-
deaux, le Cardinal prit le chapeau du Docteur, pissa dedans et l'en
coifla, disant que le sel de cette eau le ren droit apparemment plus
sage. Il mourut le 2 décembre 1653, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans.
(( L'evêquo d'Orléans appeloit le docteur Mulot : Teston rogné. Capul
sine litteris. » M. de Bassompierre, parlant de lui , disoit que chez
M. le cardinal de Richelieu tout y est grand; il n'est pas jusqu'à son
fou qui ne soit docteur de Sorbonne. » (Mémoires mss. de Hugues
de Salins, médecin, communiqués par M. Feuillet de Conches.)
Guy Patin fait cet autre conte : « Le cardinal de Richelieu, qui ai-
» moit assez à rire lorsqu'il n'etoit point tourmenté de sa bile noire,
» demanda un jour au docteur Mulot, son confesseur, combien il falloit
» de messes pour tirer une ame du purgatoire. Le docteur lui res-
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 101
!) pondit quo l'on ne sçavoit pas cela, et que l'Eglise ne i'avoit pas de-
» finy. Le Cardinal luy répliqua : C'est que tu n'es qu'an ignorant. Je
» le sçay bien, moi ! il en faut autant qu'il faudroit de pelotes de neige
» pour chauffer un four. » (Lettre du 8 juin 1G57.)
XLVIII. — P. 49 , lig. 3.
// dit en un endroit : C'est comme qui entreprendrait d'entendre le More
de Terence sans commentaire.
Non pas dans le Catéchisme, ou Instruction du chrétien, mais dans
les Principaux points de la foy catholique deffendues contre l'écrit
adressé au Roy par les ministres de Charenton, Poitiers, 1G17, in-8°,
et Paris, jouxte la copie, 1618.
C'est une citation de saint Augustin que l'evêque de Luçon traduisit
par « le Maure de Terence , » Tereniianmn Maurum. Il est assez
probable qu'ayant un souvenir confus du fameux passage du Pœnulus
de Plaute, Richelieu aura cru retrouver une allusion à cette comédie,
dans le Terentianus Morus du père de l'Eglise.
XLIX. — P. /i9, lig. 19.
M. de Chartres et M. l'abbé de Bourzez l'ont reveù.
Jacques Lescot, évoque de Chartres : « C'est, » disent les pamphlets,
« le filz d'un petit porteballe de Saint-Quentin, abbé de trois belles
» abbayes et evesque de Chartres : ceiuy que le curé de Maizieres a
» surnommé le Pédant mitre. N'a-t-il pas esté comme nous au collège
» de Calvi, au logis du bon docteur M. le Clerc? » (Advertissement à
Cohoti, evesque de Dol et de Fraude., par les cuistres de l'Université.
1049.)
Amable de Bourzeys, abbé de Saint-Martin-de-Cores , et de l'Aca-
démie françoise, originaire d'Auvergne. « Il n'y a, » dit Pelisson, « rien
» d'imprimé sous son nom qu'une Lettre au princç, Edouard, palatin,
» qui est un traité de religion. »
L. — P. 50, lig. 5.
Il n'avoit jamais lu les Mémoires de Charles IX".
Le beau traité de la Servitude volontaire d'Etienne de la Boetie a
été imprimé pour la première fois dans le troisième volume des Mémoires
de l' Estât île la France sous Charles IX, 1598. On l'a, depuis, réuni
à plusieurs éditions de Montaigne, et de notre temps deux éditions sé-
parées ont été données l'ime par M. Feugere, l'autre par M. le docteur
\0'2 LES HISTORIETTES.
Payen. L'anecdote que cite des Réaux ne prouve pas que Richelieu
n'etit jamais lu ces Mémoires, mais qu'il n'avoit pas gardé un souvenir
précis de toutes les pièces qu'on y avoit réunies ; et surtout, que Biaise
père et fils etoient deux fripons.
LI. — P. 50, note, lig. 1.
Le Cardinal a aussy laissé des Mémoires.
Cette note de des Réaux ajoute beaucoup à tout ce qu'on avoit déjà
çà et là recueilli sur l'histoire et la destinée de ces fameux Mémoires.
En 1730, un libraire d'Amstei'dam avoit eu communication de la
première partie, trouvée dans les papiers de Mezeray, sans doute
parce que cet historien avoit eu charge de les mettre en ordre et
de les pubher. Cette partie parut donc sous le titre ^'Histoire de
la mère et du fils,... depuis l'an 1616 jusqu'en 1019, par François-
Eudes de Mezeray, Amsterdam, Charles-Michel la Cure. Mais quarante
ans plus tard, Foncemagnc voulant démontrer, contre le sentiment
passionné de Voltaire, que le Tcstametit politique etoit bien du Car-
dinal, trouva, au lieu du texte original de ce testament, le texte ou les
copies originales des Mémoires dont faisoit partie V Histoire de la mère
et du fils. Les huit volumes etoient alors déposés au Louvre, et ils ne
furent pour la première fois publiés qu'en 1823 par feu Pctitot. Ils sont
compris dans la double collection générale des Mémoires du même
Petitot et de Michaud et Poujoulat.
On voit ici toutes les peines mutiles que se donna la duchesse d'Ai-
guillon pour trouver un arrangeur de ces précieux papiers. Si Patru,
d'Ablancourt, Mezeray, ou Sancy avoient répondu à ses avances, l'ou-
vrage nous présenteroit sans doute aujourd'hui une lecture agréable,
mais un récit moins immédiat et moins authentique. Tout a donc été
pour le mieux.
LU. — P. .^l, suite de la noie, lig. 10.
Ce M. de Saînt-Malo estant ambassadeur à la Porte...
Achille de Harlay, sieur de Sancy, dont on a déjà dit quelque chose,
tom. I, p. 110 et 120, fut ambassadeur à Constantinople de 1611 à
1618. L'aventure fâcheuse dont il est ici parlé, et dont on chercheroit
vainement ailleurs le véritable caractère, lui arriva en cette dernière
année. La France ressentit d'abord, comme elle devoit, ime pareille
injure : elle encouragea les arméniens particuliers du duc de Guise et
du duc de Nevers ; elle envoya ostensiblement proposer aux gouver-
nemens d'Espagne, d'Angleterre et de Venise, une ligue formidable
contre le Turc, qu'il falloit enfin chasser de l'Europe. (Comme si l'Eu-
""ope eût pu, sans le Turc, rester en équilibre!) Louis XIII, ou plutôt
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 103
le connétable de Luynes, révoqua Sancy désormais indigne, par le
traitement qu'il avoit subi, de représenter la France; enfin, on fit de-
mander satisfaction par le sieur de Namps (sans doute le mari de Mar-
guerite d'Estrées, sœur de Gabrielle. Voij. tom. i, p. 6 et 22.) Mais
avant l'arrivée de M. de Namps, le visir caymacan, auteur de l'in-
sulte, avoit dépêché un pauvre diable de cliiaoux, pour annoncer un
changement de règne, et pour dire quelques mots d'excuse au sujet du
traitement infligé à Sancy. Le Roi ne parut pas satisfait de la répara-
tion ; mais quand Sancy partit de Constantinople, il fut admis à l'au-
dience du nouveau Sultan ; on lui fit un beau présent, et l'on ne parla
plus des cent coups de latte. Il faut avouer qucle gouvernement françois
montra dans cette circonstance une indulgence bien coupable ; et il le
sentit si bien, que tous les historiens de Louis XIII ont passé rapidement
sur les motifs du rappel de Sancy, afin de n'avoir pas à constater qu'on
n'en avoit tiré aucune satisfaction.. On trouve dans un volume de la
Bibliothèque Nationale (Suite de Mortemar, n" 14), la Relation des am-
bassades de Sancy et de Namps (ou Nans) ; de plus, une très-curieuse
Relation de l'Enwy d'un Chaoux nommé Houssan par le Grand Sei-
gneur sultan Osman au Roy 1res Chrestien, en 1G19. L'auteur de cette
Relation parle assez mal de Sancy ; par exemple, voulant expliquer
pourquoi ce chiaoux avoit été dépêché, d'après les suggestions de
Sancy, il dit :
« Les interests de M. de Sancy en cette aiîaire estoient : 1° qu'il ne
» vouloit pas qu'on approfondist trop en Cour le sujet de ses disgrâces,
» crainte que l'on ne connust quelques-unes de ses exactions et vio-
» lences ; ce qui arriveroit si le Roy envoyoit des commissaires au Le-
» vant pour en rapporter les informations au conseil... 2" M. de Sancy
» esperoit ainsy de continuer son ambassade, parce qu'il y trouvoit
» bien son compte ; car en six ou sept ans, et lorsqu'il n'estoit que
■> novice en cette charge et jeune bachelier, il avoit em bourse quatre
» ou cinq cens mille francs en argent, bagues et hardes. Que n'eust-il
» point fait s'il y fust demeuré encore autant de temps, et lorsqu'il y
» eust esté plus que docteur? 3° Au pis-aller et en cas de rappel, M. de
» Sancy vouloit faire sa dernière main et faire payer les estoeufs à
» qui n'avoit pas esté de la partie. Pour cela, il résolut de mettre une
» imposition et comme une taxe sur toutes les eschelles du Levant,
» pour se re nbourser (ce disoit-il) des frais et cousts de son emprison-
» nement ; et l'eschelle d'Alexandrie fut seule par luy taxée pour cette
» quote-part à la somme de trois mille piastres. Or, l'envoy de ce
» Chaoux luy facilitoit ce dessein, parce qu'il devoit passer de France
» en Angleterre, de là en Hollande, et ainsy faire durer longtemps son
» voyage, pendant lequel il auroit fort bon loisir de faire sa cueillette
» sans estre controllé... Vovlà les interests du sieur de Sancy. »
ÎO/l LES HISTORIETTES.
Achille de Ilarlay, qui d'abord engagé dans les Ordres et abbé de
Saint-Benoit et de Villoloin, avoit, en (juittantla robe ecclésiastique à
la mort de son frère, pris le nom de sieur de Sancy, reprit à son retour
la soutane, devint Père de l'Oratoire, puis enfin cvèquc de Saint-Malo.
Il mourut le 20 novembre 16^0.
— Le titre sous lequel parut le Journal dont parle des Kéaux deux
ligues plus bas est : Journal de Monsieur le Cardinal de Richelieu^ qu'il
a fait durant le grand orage de la Cour, en l'année 1G30 et 1G31. Tiré
des Mémoires qu'il a escrit de sa main. 1048, in-12. C'est une sorte
de calepin ou mémorandum à l'usage particulier du Cardinal, et qui
ne fait pas grand honneur à l'élévation de son caractère ; ramas de
propos do femmes et de valets recueillis par d'autres et dont il n'etoit pas
fâché de tirer parti contre la Reine et ceux qui lui faisoient ombrage.
LUI. — P. 51, lig. 1.
L'Académie, que Saint-Germain appclloit la volière de Psaphon.
On sait que Psaphon, voulant être reconnu pour dieu, avoit réuni
un grand nombre d'oiseaux, et leur avoit jappris h répéter les mots :
Psaphon est un dieu. Voici maintenant le passage de l'abbé de Saint-
Germain, Jugement sur la Préface, f° 2, édition in-Zi". « Le Cardinal,
» affamé de louanges et en disette de louangeurs, a dressé une école
» ou volière de Psaphon, dans l'Académie qui s'assemble chez le Gaze-
I) tier, c'est-à-dire , le père du mensonge. Là se ramasse un grand
» nombre de pauvres ardelions qui apprennent à composer des fards
» pour plastrer les laides actions, et à faire des onguens pour mettre
» sur les plaies du public et du Cardinal. Il promet quelque advance-
» ment et jette quelques petites assistances à cette canaille qui combat
» la vérité pour du pain. »
Des Réaux va pourtant reprocher à Richelieu de n'avoir pas fait un
bâtiment pour cette pauvre Académie. Il faut avouer que l'Académie
françoise qui, durant plus d'un siècle, couronnoit toutes ses séances
pubUques par l'éloge du Cardinal, ne lui en a pas tenu rancune. Aussi
les reproches de notre auteur sentent-ils trop la prévention aveu-
gle. On accuse Richelieu d'avarice quand il ménage les deniers de
l'Etat : on ne le loue pas d'avoir beaucoup fait ; mais on le blâme de
n'avoir pas tout fait.
LIV. — P. 52, note, lig. 1.
Une espèce de fou, nommé la Peyre.
Voici le titre du livre dont parle des Réaux et la façon dont l'au-
teur s'y nomme lui-mOmc : « Eclaircissemens chronologiques et neces-
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 105
» saires pour les véritables positions des matières qui sont dans les
» poètes et autres historiens fabuleux... par Jacques d'Auzoles la
» Peyre, filz de Pierre d'Auzoles et de Marie de Fabry d'Auvergne. »
Paris, Allyot, 1G35. Cet homme mourut en 1G42.
Le poëte la Luzerne lui a adressé des stances ; et dans la quatrième
se trouve la liste de ses ouvrages :
Au temple que iuy doit la France en son histoire
Chacun de ces travaux fera (lart de sa gloire.
Son Panthéon, son Grand Miroir,
La Bible, la Chronologie,
V Ariadne, V Apologie
Nous le feront tousjours revoir.
{Les Essay s poétiques, 1642.»
Telle etoit la complaisance qu'on avoit pour ce savantas, qu'on frappa
môme une médaille en son honneur, où il est nommé le Prince des
Généalogistes.
« Le sieur de la Peyre, » dit Pelisson [Relation de l'Académie fran-
çaise) , « en l'année 1G35, dédia son livre de Y Eclaircissement des
» Temps, avec une lettre à VEmiticnte, qui a fait croire depuis à plu-
» sieurs qu'elle s'appcloit l'Académie Eminente. Il fut ordonné que
» MM. de Gomberville etMalleville iroicnt l'en remercier chez Iuy. Ce
» fut en ce livre que ce bonhomme... fit mettre le pourtraict du Car-
» dinal en taille-douce avec une couronne de rayons tout autour,
» chascuu desquels estoit marqué par le nom d'un Académicien. Ce
» qui est du meilleur, c'est qu'il mit entre ces Académiciens M. de
» Bautru-Cherelles, qui ne l'estoit pas ; et celuy qui a fait V Estât de la
» France eu l'année 1G52 * est tombé dans la mesme faute. » Louis Trabouiiiet,
Dans cette gravure, le Cardinal en buste est coiffé d'une barette, "^ »n°'"e c e eaux.
avec le cordon du Saint-Esprit et ces mots en exergue : Son Eminence
ducale.
Il ne sortoit pas de ce médaillon central quarante, mais bien trente-
huit rayons, nombre des Académiciens en 1G35, date de la fondation
de l'Académie. — Près du garde des sceaux Seguier est, en effet, le
nom de M. de Cherelles, un des trois frères cousins-germains de Bau-
tru. Cherelles u'etoit pas de l'Académie, non plus que M. de la Brosse,
également honoré par le sieur de la Peyre du rayon qui appartenoit à
Philippe Habcrt, commissaire de l'artillerie et membre de l'Académie
depuis l'origine. Habert etoit alors célèbre par son poëme du Temple
de la Mort, oublié aujourd'hui.
LV. — P. 52, note, lig. 6.
Au prorata de leurs qualitez.
C'est-à-dire : dans la proportion de leurs titres et qualités. Des Réaux
106 LES HISTORIETTES.
blâme ici moins le sens du mot, que l'emploi vicieux qu'en faisoit
la Vieuville, en l'empruntant au style des gens de finance.
LVI. — P. 53, note,lig. 12.
On luy a veu se faire rejouer plus de trois fois une ridicule pièce en
prose... C'est Thomas Morus.
Gueret, dans le Parnasse reformé, fait ainsi parler la Serre : « Mon-
» sieur le cardinal de Richelieu, qui m'entend, a pleuré dans toutes les
» représentations qu'il a veues de Thomas Morus. Il luy a donné des
» témoignages publics de son estime, et toute la Cour ne luy a pas esté
» moins favorable que Son Eminence. Le Palais-Royal estoit trop petit
» pour contenir ceux que la curiosité attiroit à cette tragédie. On y
» suoit au mois de décembre, et l'on tua quatre portiei's, de compte
» fait, la première fois qu'elle fut jouée. Voilà ce qu'on appelle de
)» bonnes pièces! Monsieur Corneille n'a point de preuves si puissantes
» de l'excellence des siennes ; et je luy cedcray volontiers le pas quand
■> il aura fait tuer cinq portiei's en un seul jour. »> (Edition de 1669,
p. 31.)
LVIL — P. 56, note, lig. 1.
Le Cardinal avait un premier secrétaire qui s'appelloit Charpentier.
Charpentier eut pourtant à se louer de la générosité du Cardinal,
témoin un passage de son testament :
« Je ne donne rien au sieur Charpentier, mon secrétaire, parce
» que l'ay eu soin de luy faire du bien pendant ma vie; mais je veux
» rendre ce tesmoignage de luy, que durant le long temps qu'il m'a
» servy, je n'ay point connu de plus homme do bien, ny de plus loyal
» et sincère serviteur» (Testament du cardinal de Richelieu.)
Charpentier etoit au service de Richelieu dès l'année 1609. M. Ave-
nel croit avoir retrouvé une lettre de cette année, écrite par lui pour
l'evêque de Luçon. Il eut plus tard le titre de » conseiller secrétaire
» du Roy, maison et couronne de France. »
En général, l'habile et judicieux ediîeur des Lettres et papiers d'Es-
tat du cardinal de JUcheiieu, M. Avenel, ne rend pas assez justice à la
véracité de des Réaux. Après avoir rappelé l'anecdote de Cheré : « Si
» V Historiette est vraie^, » dit-il, <( on voit que Richelieu avoit entiere-
» ment oublié les torts de Cherê. » M. Avenel se fonde sur cet autre
passage du testament : « Je ne donne rien aussy au sieur Cheré,
)) nton autre secrétaire, parce que je le laisse assez accommodé;
» estant néanmoins satisfait des services qu'il m'a rendus. » Mais ces
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 107
lignes lie Justifient pas rewrière/ne/jt de M. AveneL — Avec le bien amassé
chez le Cardinal, Cberé acheta une charge de maître des Comptes.
LVIII. — P. 58 , lig. 11.
Cette parole-là a peut-estre fait faire la grande conjuration qui pensa
ruiner le Cardinal.
Fontrailles , comme on le pense bien, n'avoue pas le motif dans sa
relation. Il dit que Monsieur le Cardinal ayant embrassé la cause de
d'Espenan contre lui , dans une querelle qui s'etoit élevée entre eux
deux, (( avoit pris ce différend avec tant d'aigreur, qu'il avoit publié
)) que Fontrailles avoit fait des monopoles en Guyenne pour M. d'Es-
» pernon, et qu'il falloit le prendre mort ou vif. » Il ajoute que M. le
Grand l'ayant généreusement défendu, ce procédé l'avoit attaché in-
violablement à sa fortune. (Voyez dans les Mémoires de Jlontresor,
tom. I, p. 291.)
Le mot allemand sclielme, drôle, misérable, est encore un terme
d'opprobre chez les Russes. Sclielma ! « Toutes les actions des dames
» à la mode s'appellent d'un seul mot : coquetteries, comme clielme si-
» gnifie toutes injures, en allemand. » {Conversation de 3r Guillaume
avec la princesse de Conty, 1631.)
LIX. — P. 60 , lig, 2.
Batitru dit qu'on en feroit un Extraordinaire.
On appeloit Extraordinaire une addition supplémentaire à la
Gazette. Bautru, comme on voit, joue sur le mot, parce que le Prince,
en prenant Salces, etoit sorti de ses habitudes. C'est de ce double
échec que Richelet, dans son Dictionnaire, avoit pris exemple au mot
zeste. « Il prendra Dole zeste, comme il a pris Fontarahie. » On prétend
que le grand prince de Condé, fils de Henry II, qui avoit manqué
Dole, fit donner des coups de bâton à Richelet. Il est permis d'en
douter. En général, on multiplie trop les coups de bâton sur les épau-
les des écrivains satiriques.
LX. — P. 60 , lig. 8.
Cet Espenan estait un grand ignorant.
Roger de Bossort, comte d'Espenan , ofBcier dans le régiment des
Gardes , maréchal de camp en 1637; le prince de Condé, alors duc
d'Enghien, lui avoit donné en septembre 16^2 le gouvernement de Per-
pignan, où il mourut en mai 1646.
108 LES HISTORIETTES.
LXI. — P. 67, note, lip;. 2.
Il est de bonne maison de Languedoc.
Fontraillcs tiroit ce nom d'un jietit village à quatre lieues de Taibcb.
Il reparut durant la Fronde, et Blot l'a signalé plusieurs fois dans ses
couplets comme un gourmet, un libertin, un mécréant accompli. Chapelle
et Bachaumont le retrouvèrent en Gascogne dans leur fameux voyage
de 1G55, dans sa maison de Castille, près d'Agen ; ils lui donnent le
titre de sénéchal d'Armagnac : « Un carrosse que M. le sencchal d'Ar-
» magnac avoit envoyé nous mena bien à notre aise chez luy, à Cas-
» tille, où nous fumes receus avec tant de joie, qu'il cstoit aisé de
» juger que nos visages n'estoient point desagréables au maistre de la
» maison :
C'est chez cet illustre Fontrailles
Oii les tourtes, les ortolans,
Les perdrix rou(;es et les cailles.
Et mille autres vols succulens.
Nous firent horreur des nian(;eailles
Dont Carbon et tant de canailles
Vous affrontent depuis vingt ans.
» Vous autres casaniers, qui ne connoissez que la Vallée de misère
» et vos rostisseurs de Paris, vous ne sçavez ce que c'est que la bonne
» chère ; si vous vous y connoissez, et si vous l'aimez comme vous le
» dites,
Soyez donc assez braves gens
Pour quitter enfin vos murailles.
Et si vous estes de bon sens.
Allez, et courez chez Fontrailles,
Vous gorgcr de mets excellens.
» Vous y serez bien receus assurément, et vous le trouverez tous-
I) jours le mesme. Sans plus s'embarrasser des affaires du monde, il se
» divertit à faire achever sa maison, qui sera parfaitement belle. Les
» honnestes gens de sa province en sçavent fort bien le chemin ; mais
» les autres ne l'ont jamais pu trouver. » [Voxjage de Bach, et Cha-
pelle., édition de 1663, p. 54.)
LXII. — P. 68, lig. 22.
Le temps nous en apprendra davantage.
Fontrailles, aussi bien que des Réaux, semble convaincu de la révé-
lation du complot par la Reine. Cependant, avant d'avoir le texte du
traité, la conspiration et le crime de Cinq-Mars ctoicnt Iiors de toute
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 109
espèce de doute. Ou accusa aussi Marie de Gonzague des premières in-
discrétions. » Je fus, )) dit Fontraillos, « de nuit à Perpignan (au retour
» d'Espagne), et Monsieur le Grand me fit voir une lettre de M"* la
» princesse Marie, qui luy mandoit que son affaire estoit sceue aussi
» communément à Paris comme l'on sçavoit que la Seine passoit sous le
» Pont-Neuf.» (Relation de Fontrailles, p. 329.) Mais après tout, les Mé-
moires de M"^ de Motteville, et le détail des ennuis qui assiégèrent
alors la Reine, enfin ses craintes d'être compromise par les dépositions
de l'abbé de la Rivière prouvent évidemment que la Reine n'avoit
rien révélé.
LXIII. — P. 69, lig. !i.
Monsieur le Grand l'avait appelle Sou Inquiétude.
Saint-Amand paroît avoir voulu désigner de Thou dans sa chanson
des Loisirs bachiques :
Que Lisidor soit obsédé
Uu démon de l'inquiétude.
Qu'ayant plus qu'un l'anle raudé,
II s'obstine en cette habitude;
Qu'il joigne la guerre à l'estude.
Je trouveray cela fort bien,
Pourveu qu'exempt de servitude.
Je frippe et hume tout mon bien .
Paillarder son vin, qu'on trouve plus bas, c'est prendre bien des
précautions, faire bien des arrangements, des préparatifs. Allusion à la
façon d'obtenir le vin de paille ; on etendoit les raisins sur des couches
de paille, et on ne les en retiroit qu'après un certain temps, quand ils
etoient suffisamment ;^«(ï/rtrrfc5 ; ou bien allusion à la façon d'expédier
les bouteilles de vin, qu'on enveloppoit d'un bouchon de paille pour plus
de précaution.
Au reste, des Réaux se montre ici fort injuste pour l'illustre victime
du cardinal de Richelieu. On lit dans le Journal de ce qui s'est passé à
l'arrestation de Monsieur le Grand, dans les Mémoires de Montrésor
que « le père gardien du convent des Pères Observantins de Tarascon
» l'approcha pour luy demander quelle inscription il vouloit qu'on
» mist sur la chapelle qu'il avoit fondée en leur convent. Il respoudit :
» Comme il vous plaira, mon père. Mais celuy-ci le pressant de re-
» chef, il demanda une plume, et avec une vitesse admirable il fit
» cette inscription :
» Christo liberatori
» Votum
» In carcere pro libertate
» Conceptum
» Fr. Aug. Thuanus
» E carcere vitre jamjam liberandus
» Merito sol vit. »
110 LES HISTORIETTES.
Cette présence d'esprit, dans un tel moment, devoit inspirer plutôt
de l'admiration que des dédains.
La mère de Cinq-Mars, Marie de Fourcy, maréchale d'Effiat, mou-
rut au mois de janvier 1670 :
Ayant un siècle, moins seize ans.
Avec tout le mesine bon sens
Et la vigueur de corps et d'ame
Qu'auroit eu la plus jeune dame,
Et pour vous dire encore plus,
Maintes excellentes vertus.
Entre lesquelles un veuvage
De trcnte-huict ans et davantage.
Passé dedans la piété,
Doit, je croy bien, cstre compté.
(Lettre en vers de iJo&inet, 25 janvier 1670.^
LXIV. —P. 70, note 1 , lig. 17.
Tenez... voytà les comtes d'Allemagne.
Des Réaux fait pcut-ôtre ici quelque confusion. II n'y avoit réel-
lement rien de commun entre les de Thou, les comtes de Toul et les
comtes d'Allemagne. Mais le deuxième auteur certain des de Thou,
Jacques, qui avoit pris le parti de la robe, avoit épousé, dans les pre-
mières années du XVI' siècle, Geneviève le Moine des Allemans ou Lal-
lemant (voyez les Mémoires de la vie de J. A. de Thou). De là peut-être
l'erreur ; les de Thou pouvoient n'alléguer les comtes d'Allemagne
qu'en raison de cette alliance.
Le même Jacques de Thou eut une sœur qui paroît avoir porté
dans la maison d'Anglure, une des premières de Champagne, la terre
de Thou ou du Thoiilt, en Brie, à trois lieues de Sezannc. La famille
de Thou avoit pris de ce lieu le seul nom qu'on lui ait connu.
La relation qu'on va maintenant lire est si belle qn'elle doit avoir
été déjà imprimée. Mais en ce cas même, on ne la trouvera pas dépla-
cée ici, ne seroit-ce que pour venger l'illustre de Thou des préventions
de des Réaux.
Belation sur la mort de Monsieur le Grand et de M. de Tliou.
(Ce traité est escript Par M. Gabriel Chassebras, conseiller du Roy, en sa Cour
des Monnoyes, sieur de la Grand-Maison.)
« M. de Thou ayant esté complètement déchargé du traité d'Es-
» pagne par Monsieur, frère du Roy, et par M. de Bouillon, fut con-
» fronté, le vendredy 12 septembre, dans le palais de Lyon, à Monsieur
» le Grand, qui d'abord le deschargea aussy : et estant sorty hors de la
» chambre des juges, (soit qu'il esperast sauver sa vie ou qu'il âpre-
ll; cardinal de Richelieu. 111
hcndast lo tourment de la question,) il rentra disant : Messieurs, j'ay
pensé à ma conscience ; puisque l'on ne m'a pas tenu la foy, je ne
suis pas obligé de la tenir aussy : M. de Tliou sçavoit le traité d'Es-
pagne. Lors M. do Thou luy répliqua : Ce n'est pas moy qui vous ay
manqué de foy. Non, dit Monsieur le Grand, car vous m'avez gardé
le secret, je l'avoue, et mesme vous m'avez voulu détourner de ce des-
sein, et je vous l'avois promis en vous conjurant de ne me dénoncer
pas. Lors M. de Thou dit : Il est tout vray, Messieurs, comme a dit
Monsieur le Grand, que j'ay manqué en ne révélant pas une chose
de cette importance, que je croyois avoir rompue; et quand je l'efisse
révélée, Monsieur, frère du Roy, l'eust désavouée, M. de Bouillon de
mesme, et Monsieur le Grand aussy, si bien que, faute de le pouvoir
prouver, j'eusse passé pour un délateur faux, et j'estois deshonoré
pour toute ma vie, que je n'estime rien au respect de mon honneur.
Et s'apercevant que Monsieur le Procureur du Roy prenoit ses con-
clusions sur-le-champ, il se douta bien ce que cela vouloit dire, veû
cette voye si extraordinaire. Alors, d'une contenance admirable, il dit
à Monsieur le Chancelier : Monsieur, voulez-vous quelqu'autre chose
de moy. Pourquoy ? dit Monsieur le Chancelier. Pai'ce, respliqua-
t-il, que je voy bien où tout cela va. Je vous demande une chambre
en mon particulier. Ce qui luy fut accordé, et bientost après fut
rappelé avec Monsieur le Grand, et leur fut leù leur arrest de mort,
sur le sujet duquel un des juges (dont il n'avoit pas sujet de se
louer) luy faisant exhortation pour le résoudre, sans l'escouter et
avec grand desdain de ce qu'il luy disoit, il appella le prevost de
Lyon, qu'il connoissoit, luy disant : M. Thomé, que je vous entre-
tienne ; et s'estant approché de luy, dit : Vous allez perdre un bon
amy, qui pouvoit mieux défendre sa vie en chicanant; mais j'ay
jugé qu'au temps où nous sommes, on ne pardone point à des per-
sones hayes comme moy, à qui les tourmens d'une question pouvoient
estre donez, et après une prison perpetuele, où je me suis tellement
ennuyé, que la mort m'est plus douce que de retomber entre les
mains de mon exempt, qui m'a traité en barbare, ce que je ne pouvois
plus suporter ; je pouvois mourir ou dans les tourmens ou dans la
prison, moins préparé pour le ciel que je ne suis, je ne veux pas
perdre une si bonne ocasion : la plus grande peine est à s'y résoudre,
cela est desjà fait. Ma mort ne doit point aporter de tache à ma race,
n'y ayant rien de noir dans mon crime ; joint que le paradis est
préférable à tout cela. Je vous suplie de dire à M. le cardinal de
Lyon que j'ay vescu et meurs son très humble serviteur, et que je le
prie de demander pardon à Monsieur le Cardinal pour moy, non
pas pour avoir hay sa persone, j'en prens Dieu à tesmoin, mais
pour la hayne que j'ay eu contre son gouvernement. Je ne me suis
112 LES HISTORIETTES.
i) jamais tant aymé que j'ay honoré le Roy et chéri la conservation de
l'Estat, n'ayant jamais esté Espagnol. Asscurez aussy Monsieur lo
Chancelier que je meurs son très humble serviteur, bien marry qu'on
> me puisse reprocher qu'estant venu d'un nom qui a si bien et si fide-
I) lement servy tant de roys, j'ay failly à révéler un secret important;
j'en ay dit mes raisons à mes juges. Là-dessus arriva le sieur Roy,
maistre d'hostel de M"* de Pontac, qu'il embrassa, et luy dit de dire
à sa sœur qu'il luy demandoit des prières et point de larmes, qu'il
l'assurast qu'il mouroit en bone dévotion, qu'il donoit son ame à
Dieu et son corps à elle, dont elle a eu tous les soins imaginables et
avec fruit. Il prioit le mesme de faire ses recommandations à Mon-
sieur son frère, à M. de Thoulon, à M. de Pontac, et surtout à ses pe-
tits neveux, qu'il les prie de prier Dieu pour luy. Cela fait, demanda
du papier et une escritoire, et escrivit deux lettres de grand sens,
une à M. du Puys, dont il chargea M. Thomé ; l'autre à une dame,
sans qu'il y cust de suscription, dont il chargea son confesseur, luy
en disant le nom, avec promesse qu'il tira de luy de ne la nommer à
persone. L'heure se présente pour aller à la mort, on les rassemble.
Monsieur le Grand et luy, ils s'embrassent. Monsieur le Grand de-
manda pardon ;\ M. de Thon. M. de Thou luy pardone et l'em-
brasse, et sont mis tous deux dans le derrière d'un caresse, sans
estre atachez ny liez, seuls avec leurs confesseurs; et ne virent leur
boureau que sur l'cchafaut, lequel abordant, M. de Thou dit à Mon-
sieur le Grand : Mon maistre, voicy la séparation de nos corps et l'u-
nion de nos âmes ; mais prenons cecy doucement : ne vous souvenez,
plus que vous estes grand , l'admiration de tous ceux qui vous
voyoient, l'espoir de ceux qui pouvoient vous aprocher, jeune avec
tous les avantages imaginables, que pour mépriser tout cela comme
passager et périssable, en considérant le paradis qui est éternel. Et
dit pour lors : Lœtatiis sum in las quse dicta sunt mihi, in domtim
Domini ibimus; demande où il avoit plus d'horreur de mourir le pre-
mier ou le dernier : on luy dit que le dernier souffroit davantage; lors
il embrasse Monsieur le Grand : Allez, mon maistre, l'honneur vous
apartient, et faites voir que vous sçavez bien mourir. Ce qui fut exé-
cuté avec grande constance. Cela fait, on mit le corps à costé du po-
teau sur l'eschafaut, M. de Thou monte tout seul dessus, voit \c
poteau tout sanglant, le corps mort à son costé: tous ces objets jus-
que-là ne l'cfrayent point, il prie le peuple assemblé de prier Dieu
pour luy, et dit un pseaume de David : Credidi propter, etc., etc.; et
se tournant devers le boureau, luy baise la main qui le devoit tuer,
l'embrasse, luy pardone et le prie de le bander ; le boureau luy dit
Je n'ay rien pour ce faire; lors M. de Thou se tourne vers la com-
pagnie, disant : Je suis homme, je crains la mort, ces objets (mons-
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 113
» trant le corps de Monsieur le Grand, sur lequel il avoit mis son
» chapeau) me font mal au cœur, je demande par aumosne de quoy
1) me bander les yeux. Pour lors, luy fut tiré deux mouchoirs, dont
» l'un tombant entre ses mains, il dit : Dieu vous le rende en paradis!
» et s'en fit bander. Pour ce qui s'est passé entre luy et son confes-
» seur, il sera rédigé par escrit par luy-mesme ; il le pria de voir sa
» sœur et la consoler, et embrasser le gentilhomme qui estoit avec
» elle, qu'il remercia de tout son cœur. Cecy bien considéré, où il y a
n plustost de l'omission que de l'augmentation, il y a grand sujet de
» consolation, que si on n'a plus cet amy en terre, on l'a pour, saint
» dans le ciel. Vous sçavez que le jugement fut si précipité, que le Pro-
» cureur du Roy de la Commission prist ses conclusions ^'debout au
» bout de la table, et fut l'arrest fait en aussy grande précipitation,
» M"* de Pontac, la veille de l'arrest, demanda à Monsieur le Chan-
» celier qu'on donast conseil à M. de Thou, ce qui luy fut refusé. »
LXV. — P. 70 , note 2 , lig. dernière.
Jinf l'avoit charcuté à bon escient.
Jacques Juif, fameux médecin, mourut en 1658, et des Réaux sur la
fin de son manuscrit le désignera « feu Juif. » Mais j'ai trouvé qu'en
1650, il faisoit encore baptiser un enfant. On se souvient des vers de
Voiture :
J'ay receu deux coups de cizeau
Dans un lieu bien loin du museau,
Landerirette ;
Je m'en porte mieux, Dieu merci !
Landeriri.
J'en mettrois encore plus de six *, Couplets.
Mais je ne puis plus estre assis,
Landerirette;
Je m'en vas trouver monsieur Juls,
Landeriri.
LXVI. — P. 71, lign. 26.
// ne faut que dire combien Treville luy causa de mauvaises heures.
Henry Joseph de Peyre, comte de Troisville, dont les curieux con-
servent d'agréables lettres, mourut dans un âge très-avancé, sur la
fin du XVII* siècle. « Un pauvre gentilhomme de notre voisinage s'en
» estoit allé à Paris avec une petite malle sur le dos, et il avoit fait
» une si grande fortune à la Cour que s'il eust esté aussy souple qu'il
u. 8
114 LES HISTOIUETTKS.
» avoit de courage, il n'y eust eu rien h quoy il n'eust pu aspirer. Le
» Roy luy avoit donné sa compagnie de Mousquetaires, qui estoit
« unique en ce temps-là. Ce gentilhomme s'appeloit Troisville, vulgai-
» rement appelé Treville^ et a eu deux enfans, etc. » (Sandras des
Courtilz, roman des Mémoires d'Artagnan.)
Les personnes qui aiment à prendre une idée fausse des hommes et
des usages anciens trouveront de grands détails sur Trévilie dans ces
Mémoires d'Artagnan, ou bien mieux encore dans les Trois Mousque-
taires d'un de nos illustres contemporains. — Trévilie ne fut renvoyé
que trois jours avant la mort du Cardinal; il se retira à Montierender
en Champagne, dont un de ses parens, son fils peut-être, etoit abbé
commendataire ; mais sans doute il revint bientôt à Paris.
LXVIL — P. 74, lig. 17.
Le Roy... l'ayant trouvé fort mat., en sortit fort gay.
Cela, de la part de Louis XIII, n'est pas tout à fait invraisemblable ;
mais peut-être prenoit-on chez luy pour un signe de gaîté une sorte de
crise nerveuse dont la cause etoit toute différente. Un contem-
porain, malveillant il est vrai, raconte quelque chose d'approchant:
«Mardy (2 décembre, avant-veille de sa mort) le Roy vint le voir...
» et luy tesmoignant plus de tendresse qu'il n'en avoit, luy fit prendre
» luy-mesme deux jaunes d'œuf. Après qu'il fut sorty de sa chambre,
» il entra dans sa galerie, et l'on remarqua qu'en se promenant et
» remarquant les tableaux qui y estoient, il n'avoit pu s'empescher de
» rire plusieurs fois. » {Récit de ce qui se passa un peu avant ta mort
du Cardinal, dans les Mémoires de Mo7Uresor, tom. ii, p. 174.)
Quant aux sentimens de pieuse confiance du Cardinal, à cette
heure suprême, l'archevêque de Toulouse Montchal les confirme :
«Le Père Léon, Carme reformé qui l'exhortoit, et, encore après,
» son curé qui luy portoitle Saint-Sacrement le sollicitant à pardonner
» à ses ennemis, il fit response qu'il n'en avoit point que ceux de l'Estat ;
» continuant, jusqu'au dernier soupir, la méthode qu'il avoit tenue
)) contre ceux qu'il haïssoit, de les faire passer pour criminels de leze-
» majesté. En tous ses discours, il tesmoigna si peu de repentance
» de ses fautes, que l'evesque de Lizieux, qui s'estoit tousjours con-
» serve une grande liberté auprès de luy, s'estant présenté pour l'exhor-
» ter en sa dernière heure, et ayant appris la grande asseurance qu'il
» tesmoignoit, dit à ses amis : Profectà, nimium me terret magna illa
» securitas. » {Mémoires, éd. de 1718, t. ii, p. 268.)
On a vu plus haut, dans l'Historiette , que vers les derniers temps
de sa vie, le Cardinal etoit devenu beaucoup plus rigide sur les points
LE CARDINAL DE RICHELIEU. 115
de morale religieuse, et que, sans doute, il s'etoit préparé longtemps à
l'avance à la mort.
LXVm. — P. 75, note, lig. 11.
On la maria à un assez grand homme nommé la Vau.
La petite Lavau quitta la Cour avec son mari au commencement de
1631, à peu près en même temps que M"' du Fargis, et pour la même
cause. La Porte, dont ils etoient les amis particuliers , les nomme
M. et M"^ de Lavau-Irlan. Ils se retirèrent au Bourget, ensuite au Pies-
sis de Roye, près Compiegne ; puis, sur de nouveaux soupçons on les
envoya à Poitiers, « où M'"^ Lavau mourut de la peste, et eut en mou-
» rant cet avantage que laReyne la pleura et en eust un extresme re-
» gret. Aussy estoit-ce une personne qui valoit beaucoup. » (La Porte,
Mémoires, edit. de 1755, p. 59.)
Pour la Naine de Mademoiselle, elle mourut au commencement de
février 1653. Loret nous l'apprend agréablement, dans la Muse histo-
rique du 15 février :
Ces jours passez vint à mourir
Une mignonne incomparable
Qui passoit pour chose admirable;
Que l'on alloit voir tour à tour.
Et que jadis imesmei à la Cour
On ne voyoit qu'avec merveille.
Quoique ny blanche ny vermeille:
Personne enfin de grand renom.
Etoit-ce une baronne? non...
C'etoit, ô fortune cruelle !
La naine de Jlademoiselle,
Dont le très-chetif petit corps
Est maintenant au rang des morts...
Quand une puce la raordoit
Et qu'icelle se deffendoit,
La puce, pour finir la guerre,
La mettoit aisément par terre.
Et la moindre haleine du vent
La faisoit tomber bien souvent.
Enfin elle etoit si petite
(Quoiqu'aucunement favorite)
Que, dans un petit balancier
De cuivre, d'airain ou d'acier.
Etant par plaisir un jour mise
Avec robe, juppe et chemise.
Et de plus sa coiffure encor,
Tout ne pesoit qu'un louis d'or.
Elle mourut vierge et pucelle,
Car, pour apparier icelle
Dans un hymen bien assorty.
Il ne se trouva nul party,
116 LES HISTORIETTES.
Que Godenot et Jean des Vignes,
Deux marionnettes insignes.
Mais par des signes apparens
On trouva qu'ils etoient parens.
Or, en faveur delà Princesse
Qui fut son illustre inaistresse,
J'ay fait ce huitain, laid ou beau.
Pour estre mis sur son tombeau :
Dans cette fosse souterraine
Gist une naine plus que naine.
Mais j'ay tort de parler ainsy.
Elle n'est plus gisante Icy .
Ce tombeau rien d'elle n'enserre.
Car deux très-petits vers de terre
En firent un maigre repas,
Le propre jour de son trépas.
On a vu quelle etoit la maison de Plessis-Richelieu avant le Cardi-
nal ; disons rapidement ce qu'ensuite elle est devenue.
La postérité directe masculine s'etrignit dans le Cardinal et ses
deux frères. Leur sœur, Françoise du Plessis-Richelieu, eut de René de
Vignerot, sieur du Pont de Courlay, un fils et une fille ; celle-ci la cé-
lèbre duchesse d'Aiguillon.
Le fils, François, gouverneur du Havre et marquis de Pont de Cour-
lay, eut deux enfans, que le Cardinal substitua à son nom et à ses
armes.
Le second, Jean-Baptiste Amador, fut marquis de Richelieu, et
mourut en 1C62. Son petit-fils, duc d'Aiguillon, termina cette branche.
L'aîné, Armand-Jean, duc de Richelieu et de Fronsac, fut le célèbre
maréchal de Richelieu , le fastueux vainqueur de Mahon , et le mau-
vais génie de Louis XV. Il mourut le 8 août 1788, et son noble et
loyal petit-fils Armand, duc de Richelieu, ministre du roi Louis XVIII,
mourut le 18 mai 1822 sans laisser de postérité.
Alors les enfans de sa sœur, Armande-Simplicie-Gabrielle de Riche-
lieu , mariée à Antoine-Pierre-Joseph de Chapelle marquis de Jumil-
hac, furent substitués, par Ordonnance royale, au nom et armes de
Richelieu.
C'est ainsi que M. le duc de Richelieu d'aujourd'hui est, de son nom,
Armand-François-Odet de Chapelle, marquis de Jumilhac. Il n'a pas
cinquante ans.
LXXI.
LE MARESGHAL DE MARILLAC.
{Louis de Marillac , né en juillet 1572, décapité 10 mai 1632.)
Le mareschal de Marillac estoit filz d'un advocat.
En ce temps-là véritablement les advocats estoient
plus considérez qu'à cette heure , à cause que la
paulette n' estoit pas encore establie, et qu'on pre-
noit de leur corps les Présidens et les Gardes des
sceaux. On disoit que Marillac estoit gentilhomme,
mais c'estoit un gentilhomme duhiœ nohilitatis. Cet
homme , dans le dessein de se pousser à la Cour,
prit l'espée : il estoit grand et bien fait, robuste et
adroit à toutes sortes d'exercices. Il se mesle parmy
les grands seigneurs; et comme il avoit de l'esprit
et du sens, il s'avisa de demander en mariage une
fille de la Reyne-mere, qui estoit Medicis *, mais ^mone u slpt^ïéîl!'
d'une branche si esloignée que la Reyne ne la re-
connoissoit en aucune façon pour sa parente. Ce
nom de Medicis ne fut point inutile à Marillac : il le
fit valoir comme il avoit prétendu. C'estoit luy qui
estoit tousjours despesché pour les affaires de la
118 LES HISTORIETTES.
Reyne-mere ; et comme il s'acquittoit bien de toutes
ses commissions, insensiblement il se rendit consi-
dérable. M. de Luçon crut que cet homme ne luy
seroit pas inutile ; les voylà unis. Dans les guerres
d'Italie, Marillac demande de Temploy; il en a, et
hors de payer de sa personne, il faisoit tout admira-
blement bien. ^^On croit qu'il eust pu devenir grand
capitaine, car il y en a eu qui ont fait bien du bruit
sans aller aux coups. Il est vray qu'en France cela
est plus difficile qu'en Espagne et qu'en Italie. On
disoit qu'à Rouen, ayant pris querelle à la paulme
avec un nommé Caboche, et ayant esté séparez, il
le rencontra après, et le tua avant que l'autre eust
eu le loisir de mettre l'espée à la main. C'estoit de-
vant qu'il eust de l'employ. Il prétendit estre ma-
reschal de France et le fut*, et son frère aisné, qui
estoit de robe, garde des Sceaux. Depuis, ils cabal-
lerent pour débusquer le Cardinal , et Yaultier crai-
gnoit qu'ils eussent toute l'autorité chez la Reyne.
Le Cardinal, qui dans son Journal appelle tousjours
ce mareschal Marillac l'Espée, le fit arrester, et le
fit condamner fort légèrement. Comme ce mares-
chal n'estoit pas un sot, il déclina, et ne vouloit
point reconnoistre des commissaires. Enfin on l'en-
geolla, et ses propres parens y servirent innocem-
ment. On luy fit accroire qu'il ne pouvoit courir
risque de la vie; mais que s'il ne reconnoissoit ses
juges, il seroit prisonnier pour le reste de ses jours.
Il les reconnut, et eut le cou coupé. Il faut dire, à
la louange d'un M. Frotté, son secrétaire, que le
LB MARKSCHAL DE MARILLAC. 119
Cardinal fit tout ce qu'il put au monde pour le gai-
gner, mais il n'en put venir à bout '.
* M. de Chasteauneuf presidoit à ce jugement *. Il n'estoit pas trop yoy. tom. r, p. «7.
bien avec le Cardinal, il s'y remii bien par ce bel arrest. On dit que
le Cardinal dit, comme si cela l'eust lavé en quelque sorte : « Je ne
» croyois pas qu'il y eust de quoy faire mourir M. de Marillac ; mais
a Dieu donne des connoissances aux juges qu'il ne donne pas aux
') autres hommes. Il faut croire qu'il estoit coupable, puisque ces
» messieurs l'ont condamné. »
COMMENTAIRE.
I. — P. 118, lig. 10.
On disait qu'à Rouen, ayant pris querelle avec un nommé Caboche...
C'etoit sous Henry IV. Dans un pamphlet de 1631 , soufflé par le
Cardinal, on fait dire à Henry IV par Villeroy : « Vostre Majesté
» sçaitbien qu'elle n'en avoit jamais fait d'estat, depuis le faitdeCabo-
» che ; et qu'une fois disnant chez Bastien » (Sebastien Zaraet), n disant
» à tout plein de seigneurs : Disnons, mes cnfans, mettez-vous à table
» avec moy, il s'y voulut mettre avec les auti'es, et vous le fistes lever,
» disant que par vos enfans vous n'entendiez pas ceux de sa sorte. »
{Les Entretiens des Cltamps-Elysées, in-8°, 1631, p. /j8.)
II. — P. 118, lig. 16.
Son frère aisné qui estoit de robe.
Michel Marillac, ou de Marillac, seigneur de Fayet et de Ferrieres,
né le 9 octobre 1563 à Paris, conseiller au parlement en 1586, maître
des Requêtes en 1595, surintendant dos Finances en 1624, et garde des
Sceaux du l*' juin 1626 au 12 novembre 1630, lendemain de la Jour-
née des dupes. Conduit au château de Caen, puis transféré dans celui
de Châteaudun, il y mourut le 7 août 1632. C'est dans ces jours de cap-
tivité qu'il refit la belle traduction de Y Imitation de Jésus-Christ ., pu-
bliée dix années auparavant, et dont M. Silvestre de Sacy vient de
donner une nouvelle et charmante édition. Michel de Marillac avoit
toujours montré des sentimens de piété sincère ; son corps fut déposé
dans une chapelle de l'église des Carmélites , au faubourg Saint-Jac-
ques. Il avoit établi ces religieuses en France.
120 LES HISTORIETTES.
m. — p. 119, fin.
Les recueils manuscrits conservent un sonnet sur la mort du maré-
chal de Marillac :
Non, l'infanie cousteau ne trancha point la gloire
Ny l'honneur que s'acquit par ses braves exploits ,
Au milieu des combats et par mainte victoire ,
Ce vaillant niareschal,tres-lidele à ses roys.
Son innocente mort fait vivre sa mémoire.
Puisqu'il meurt condamné contre toutes les loix,
Et que ceux qui verront sa véritable histoire
Liront avec sa fin cette commune voix.
O spectacle ! ô fureur ! le chef de la justice,
Un demi-prestre fut le chef de l'injustice.
Ses juges ennemis, sans pouvoir, sans serment!
Un prestre de son sanjî vit sa rage assouvie.
Un juste roy permit l'injuste jugement,
Treize infâmes bourreaux luy estèrent la vie.
Les Marillac venoient d'Aigueperse en Auvergne, et appartenoient à
la haute bourgeoisie ou petite noblesse de la province. Leur bisaïeul,
suivant le Père Anselme, etoit, sur la fin du xv* siècle, capitaine du
château de Lastic, dans la baronnie de Mercoeur. Leur oncle , Charles
de Marillac, mourut , en 1557, archevêque de Vienne; et leur père,
Guillaume de Marillac, etoit mort en j573, contrôleur général des Fi-
nances. Il eut de sa première femme, Marie Aligret, le garde des sceaux
Michel, et de Geneviève de Boislevesque, sa seconde femme, le Maré-
chal et Valence de Marillac, femme d'Octavicn Doni, seigneur d'Attichy,
la mère de la célèbre comtesse de Maure.
Le Maréchal n'a pas eu d'enfans ; le Chancelier laissa Octavien,
nommé à l'evèché de Saint-Malo, mort en 1631; René, maître des
Requêtes, mort devant Montauban le 29 septembre 1631, et Louise, ma-
riée à ce M. le Gras, secrétaire de Marie de Medicis, dont des Réaux
parlera quelquefois.
La postérité de René s'est éteinte dans les enfans de son petit-fils
René, seigneur d'Ollainville, d'Attichy, etc., intendant et conseiller
d'Etat, mort le 15 septembre 1719. {Voy. J.-B. Bouillet ; Nobiliaire
d'Auvergne, tom. iv, p. 44. )
LXXII.
MADAME DU FARGIS.
Magdeleine de Sitlij, fille d'Antoine de Silly, comte de Hochepot, et de
Marie de Launoij, dame de Cotnmercij, mariée à Charles d'Angennes,
comte du Fargis; morte en 1639.)
M™* du Fargis estoit fille d'un M. de la Roche-
pot, qui estoit venu de ce M. de Silly qui avoit
espousé l'heritiere de la Roche-Guyon. Elle avoit
une sœur aisnée qui fut mariée au général des Ga-
lères, aujourd'huy le père de Gondy. Pour elle, son
père s' estant remarié avec la marquise de Roisy,
mère du marquis de Boisy père du duc de Rouan-
nez', elle fit bien des galanteries avec ce jeune
homme, qui estoit dans le mesme logis qu'elle. Gela
fit bien du bruit, et on fut contraint de la mettre chez
M""" de Saint-Paul", où elle ne fut pas plus sage. En
ce temps- là, il luy vint une fantaisie d'estre aimée du
comte de Gramail*; et elle disoit à ceux qui la vou- Histoneue ^omt i,
loient cageoller : « Attendez à une autre fois ; à cette
» heure je n'ay que le comte de Cramail en teste. »
* Ce duc de Rouannez suivit la Reyne-mere. Son filz est celuy qui
s'est retiré et a marié sa sœur à la Feuillade.
' De la maison de Caumont.
122 LES HISTORIETTES.
M. de Crequy ne laissa pas de luy en conter ; il eut un
rendez-vous d'elle à Amiens, lorsque la Cour y estoit.
Il y alla desguisé : M. de Chaudebonne estoit avec
luy. Cramail eut aussy un rendez-vous de mesme ; et
cela fit un si grand esclat que M""" de Saint-Paul ne
la voulut plus souffrir, et le Général des galères fut
contraint de la retirer. On croira peut-estre que
c' estoit une fort belle personne ; non : elle estoit
marquée de petite-verole ; mais elle estoit fort agréa-
ble, vive, pleine d'esprit et la plus galante per-
sonne du monde. Elle s'ennuya bientost chez sa
sœur qui estoit une dévote, et comme ils estoient à
Montmirail en Champagne , un beau jour elle s'en
Nqnnauis'diScèsëdê ^Ua au Charmc * ! c'est un prieuré de Dames, depen-
soissons. ^^^^ ^g Fontevrault. Elle dit qu'elle vouloit estre
religieuse. Elle n'y fut pas long-temps qu'elle de-
manda à aller aux Carmélites du faubourg Saint-
Jacques, parce que les Carmélites sont lez-Paris. Le
Cardinal a mis dans son Journal que ce fut par
desespoir du grand scandale arrivé à Amiens qu'elle
s'estoit jettée dans les Carmélites. Ce fut I;\ qu'elle
fit connoissance avec le cardinal de Berulle qui
estoit directeur des Carmélites. Toutes les religieuses
Dirent au Cardinal, hiy cu dirciit * dcs merveiUcs ", car comme elleavoit
l'esprit fort adroit , et que ces filles , qui , à tout
prendre, sont les plus habiles et les plus esclairées
de toutes les religieuses, peuvent mieux voir les
dons qu'a une personne, elle passa là-dedans pour
tout ce qu'elle voulut : on la croyoit une sainte.
M*"" de Rambouillet y fut attrappée comme les autres.
MADAME DU FARGIS. 123
Elle dit qu'un jour la Reyne-mere y estoit allée ;
quand la Reyne sortit , tous les seigneurs de la Cour
se présentèrent à la porte. M""^ de Rambouillet eut
peur que la veûe du comte de Cramail qui y estoit ne
destournast cette fille du bon chemin, et elle dit:
« Ah ! mon Dieu, qu'il fait froid ! » et en disant cela,
elle baissa le voile de M"' de la Rochepot.
Il y avoit trois ans qu'elle estoit Carmélite, quand
son père vint à mourir. Elle estoit seule héritière avec
la Générale des galères; cela luy fit quitter le cou-
vent. Elle n' avoit point fait les vœux, disant tous-
jours qu'elle ne se trouvoit pas encore en assez bon
estât. Elle sort sous prétexte de n'avoir pas assez de
santé pour observer la règle. M. du Fargis d'An-
gennes, cousin-germain du marquis de Rambouillet,
homme de cœur, d'esprit et de sçavoir mesme, mais
d'une légèreté estrange, l'espouse. Il va en ambas-
sade en Espagne, elle l'y suit ; M. de Rambouillet y
alla un peu après ambassadeur extraordinaire. Au
retour, le cardinal de Rerulle et les Marillac en parlent
au Cardinal qui, sur sa bonne réputation, la fait dame
d'atour de la Reyne. M°'' d'Aiguillon luy servit ex-
tresmement à gaigner des procez qu'elle avoit. Elle
recommence ses galanteries avec le comte de Cra-
mail; elle se mesle de toutes sortes d'intrigues. 11 y a
dans le Journal que le président le Bailleul * la trouva ^''^ort eà^ess 'Ih"' *
une fois sur un lict qui estoit contre terre, n'ayant
qu'un drap sur elle, et Beringhen, aujourd'huy Mon-
sieur le Premier *, enfermé avec elle. Il estoit de la ^^iî^f^^^ie*?^ '"
cabale de Vaultier et elle aussy. Son plus grand crime
124 LES HISTORIETTES.
fut que le Cardinal crut qu'elle l'avoit mal servy au-
près de la Reyne dans son amourette, et quand il la
chassa, il publia des lettres, qui sont imprimées,
d'elle au comte de Cramail. Il y a plus d'intrigue que
d'amour dans ces lettres, mais il y en a pourtant hon-
nestement, comme : Aimez qui vous adore ; et elles
estoient dattées, au moins l'une, du jour de la Pen-
tecoste. M"'" de Rambouillet a veià les originaux '.
Enfin, quand elle fut hors de France, le Cardinal
luy fit couper le col en effigie. M. du Fargis estoit à
Monsieur, et le suivit'.
* Il (le Cardinal) fit faire par Chastellet, le maistre des Requestes,
une prose riniée latine contre elle et le Garde des sceaux de Marillac.
Il y avoit en un endroit :
Fargia, die inihi, sodés,
Qiiantas commisisti sordes
Inter Primas atque I.aiides;
Quando spnex, vultii gravi,
Caudâ imilceliat suavi .
car il y avoit tousjours une ombre de di'votion. — J'ay ouy dire une
plaisante vision de ce garde des Sceaux de Marillac. Pour mortifier
des religieuses, il leur fit faire des contrcfeux de cheminée où il y
avoit de gros K entrelassez, afin que le feu les ayant rougis, cela leur
donnast des pensées lubriques et qu'elles eussent plus de mérite à y
résister. Le marchand qui les fit faire l'a dit à un de mes amys.
2 M"^ de Rambouillet dit que M""* du Fargis devoit estre la mère du
Coadjuteur.
COMMENTAIRE.
I. — P. 121, lig. 3.
Elle avoit une sœur nisnée, qui fut mariée au général des Galères, au-
jourd'hmj le père de Gondy.
Françoise Marguerite de Silly, morte en 1626, à quarante-deux ans,
MADAME DU FARGIS. 125
après avoir fondé l'ordre des Pères de la Mission. Elle avoit épousé
Philippe-Emmanuel de Gondj', comte de Joigny et baron de Montmi-
rel ou Montmirail , mort le 29 juin 1662, après avoir été général des
Galères , puis prêtre de l'Oratoire. Ce M. de Gondy fut , comme on
sait, le père du célèbre cardinal de Retz, dont M°" du Fargis etoitpar
conséquent la tante. Quand M"' de Rambouillet disoit agréablement
que M"^ du Fargis devoit être la mère du Coadjuteur, elle rappeloit les
rapports d'esprit et de turbulence bien plus frappans de la tante au
neveu, que du fils à la vertueuse Marguerite de Silly.
II. — P. 121, lig. 5.
Son père s'estant remarié avec la marquise de Boîsy.
Dans le calcul de la maison de GoufiBer, des Réaux va confondre un
peu les titres.
Jeanne de Cessé avoit épousé 1° Gilbert GoufiSer, duc de Roannois et
marquis de Boisy, mort en 1582 ; 2° Antoine de Silly, comte de la Ro-
chepot , père de notre M"' du Fargis. Du premier lit Jeanne eut Louis
GoufBer, duc de Roannois, mort en 1642.
Le fils de Louis fut Henry Gouffier, marquis de Boîsy, mort avant son
père, le 24 août 1639, et père d'Artus , duc de Roannois, lequel vendit
ses terres à son beau-frère, François d'Aubusson. Henry, celui qui sui-
vit la Reine-mère, etoit né en 1605, et c'est lui qui galantisa sa jeune
tante, Magdeleine de Silly. Il ne fut jamais duc de Roannois.
m. — P. 121, lig. 10.
On fut contraint de la mettre chez nr^ de Saint-Paul.
Anne de Caumont, cousine du maréchal de la Force, mariée en se-
condes noces, vers 1595, à François d'Orléans-Longueville , comte de
Saint-Paul, celui qui, l'année suivante, laissa prendre Amiens par les
Espagnols, et qui redevint sous Louis XIII gouverneur d'Amiens.
IV. — P. 122, lig. 16.
EUn demanda à aller aux Carmélites du faubourg Saint-Jacques.
Le couvent des Carmélites avoit été achevé en 1605, par les soins de
Catherine d'Orléans , duch*se de LongueviUe. L'église, qui renfermoit
une foule de tableaux excellens, a été détruite en 1790; mais une partie
des anciens bàtimens a été rendue en 1815 à quelques anciennes car-
mélites, qui ont restauré la communauté. C'est aujourd'huy le n° 27
de la rue d'Enfer. On y conserve le tombeau du cardinal de Bérulle.
126 LES HISTORIETTES.
On lit dans le Journal du Cardinal : « M"« du Tillet dit quelle ne
» s'estonna pas quand on osta la Fargis de chez la Reyne ; mais bien
» quand on l'y avoit mise, veû la vie qu'elle avoit tousjours faitte.
» Qu'elle s'estoit jettée dans les Carmélites par desespoir du scandale
1) qui cstoit arrivé à Amiens, lorsqu'elle estoit avec Madame » (Hen-
riette de France) « où Crequy et Cramail l'estoient venus trouver des-
» guises. » (Journal, édition de lG/i8,p. 68.) Mais ici. M"* du Tillet di-
soit une impertinence. Trois ans passés aux Carmélites, dans les pra-
tiques d'une dévotion outrée et surtout remarquée par le cardinal de
BéruUe, justifioient assez le choix de la Reine.
V.— P. 123, lig. 17.
M. du Fargis d'Angennes... va en ambassade en Espagne.
On peut voir dans les Mémoires de Bassompierre , tom. ii, p. 252 , un
récit de l'avanie qu'il s'attira à Madrid, en 1621, à l'occasion d'un hôtel
qu'il vouloit occuper en dépit des privilèges accordés au propriétaire
de cet hôtel.
VI. —P. 123, lig. 25.
ïl y a dans le Journal que le président le Bailleul la trouva une fois
sur un lict.
« Le président Bailleul a dict à M. le Cardinal que Belingan , à ce
» qu'il croyoit, couchoit avec la Fargis ; qu'il l'avoit trouvée un matin
» à Lyon, couchée sur un lict qui estoit contre terre, n'ayant qu'un
» linceul sur elle, et luy estant fermé avec elle lorsqu'il entra. » On voit
nettement, d'après ce passage, que ce qu'on'appelle le Journal du Car-
dinal est la transcription faite par un secrétaire de tous les propos
qu'on tenoit devant le Cardinal, de première ou de seconde main. Le
Cardinal lisoit ces misères -là le soir et n'y repensoit plus. Mais lui
qui prûtoit l'oreille à de pareils caquets , avoit-il droit de se plaindre
quand Mathieu de Morgues faisoit dire à la princesse de Conty : « Ne
» me parlez pas des motifs de la hayne du Cardinal contre la vertueuse
n M"' du Fargis; mais j'aime mieux vous dire que ce Cardinal de la
» trahison voulut une fois forcer ma sœur de Chevreuse, qu'il trouva
n au lict; et si elle n'eust crié, je ne sçay ce qui en fust arrivé. Je le
» tiens d'elle-mesme qui m'a assuré que c'estoit la cause de tout ce que
» le Cardinal luy avoit fait. » (Conversation de M' Guillaume avec la
princesse de Conlij dans tes Champs-Elisées, 1631.)
Voici la prose tout entière :
Venite ad solemnia :
Faciamus praeconia,
Duin Dobis rident oninla.
MADAME DU FARGIS. 127
Dna turris tenet lllum
Qui opprimebat pupillura,
Quando tenebat sigillum.
Quantum flevit Carmelita,
Tantum ri^it Jesuita,
Cum captus est hypocrita.
Magna fuit Ixtitia
In hac urbe Lutetia,
Cum privatus est gratia.
Quantum scelus, quantum nefas,
Judas dixit et Caiphas,
Cum fratribus inter offas.
Si qua fldes Monticaldo,
Si quid credendum Senaldo,
Si quid stipanti Macaldo,
Magna plaga fit cucuUis,
Quod habetur in vinculis
Magister in ridiculis.
Sancta Fargis, dicas sodés,
Quantas tecum lecit sordes,
Inter primas atque laudes.
Dicunt boni, dicunt pravi,
Quod te seiiex vultu gravi
Caudâ muleebat suavi.
Pnedicabas, doctor Petre,
Quod non erant creaturre
In hoc mundo raagis purse.
Sed faciunt Lothareni
Quod fecere jam Hispani
Etfaetm-i sunt Germani.
Ne Isetare, gens BeruUa,
Urbani non decet bulla,
Quod fecerit miracula.
Erant claustra deliclœ,
Erat splendor in facie ,
Sed In corde fallaciae.
Dicas, pauper carceratus,
Quid putabas, quid es ratus,
Quando factus es ingratus.
Nuncrecipis salaria,
Quod pro fallaci gloria
lllusa fuit Maria.
Frater plus fur quam Barabas,
Cujus manu rapiebas,
Suspendetur aiite turbas.
128 LES HISTORIETTES.
Kœdus Inltum Lugdunl
Dissipntum est Glalini
In festum sancli Martini.
Hue HarUeus, hue Thuanus,
A te (luetus Puteanus,
€bi nunc dicis in nianus.
O rebelle dœmoniura,
Votis mitteris omnium
Quo mislsti Brissonium.
Sanguis erit suffocatus
Quo signasti fœderatus
Mortem régis atque status.
(Msc.de la Biblioth. imp. — Suppl. fr. n» 4255. j
« Cette prose, » dit le copiste, « m'a été envoyée de Paris par M. de
Beauvais, plus de neuf mois avant la mort des deux frères de Marillac. »
jyjme ^jj pargis eut encore en Belgique bien des tracas. On lui avoit
promis la place de dame d'honneur de Madame, duchesse d'Orléans;
une autre lui fut préférée : « Je vous diray qu'il y a du mescontente-
1) ment entre nos dames, parce que Monsieur avoit promis à M""* du
» Fargis la charge de dame d'honneur de Madame , et mesme l'avoit
» laissée à Namur auprès d'elle, non pas en cette qualité, mais pour
» la servir. Tout le monde la félicita ; mais elle ne voulut pas en faire
n la charge sans premièrement avoir receu l'approbation de la Reyne,
» laquelle avoit d'autres pensées en faveur de la princesse de Salme,
» concurremment à l'affection de Madame, qui la tient pour sa pa-
rt rente... Un autre mescontentement, c'est qu'on a donné à la ditte
)i princesse de Salme et à la princesse de Chimay le tabouret chez
» Madame, au grand mescontentement de la Jonchere, de celle à qui
» on a disputé le rang (M"* de Fresnois), et de M""^ du Fargis, qui
» s'estiment au moins autant que ces privilégiées. » (Lettre anonyme
à Pierre d'Hozier, sans date.)
Une autre lettre, adressée à M. de Combaut, et datée du 1" octobre
1633, revient sur les mêmes tracasseries :
« Nous avons icy bien du desordre parmy nos dames françoises. La
» princesse de Salme et M"' du Fargis aspirent toutes deux à la charge
» de dame d'honneur de Madame, prétendant toutes deux qu'elle leur
» a esté promise... Cecy a reveillé de vieux contes qui sembloient estre
» morts dans la mémoire des hommes ; et certes, si une de ces dames
» là l'eust pu prévoir, elle eust esté fort bien conseillée de ne penser ja-
» mais à aucune charge. »
On rappellera les différentes branches de la maison d'Angennes, à la
suite de V Historiette du marquis de Rambouillet.
LXXIII.
LE MARESGHAL D'EFFIAT.
{Antoine Coefjïer, marquis d'Effiat, né en 1581, mareschal de France le
1" janvier 1631, mort 27 juillet 1632.)
Voicy encore un mareschal de France duhiœ no-
hilitatis ' : il s'appelloit Coiffier en son nom. On a dit,
pour le déprimer encore davantage, que la Coiffier,
cette traitteuse, estoit sa parente. G'estoit un fort
bel homme et fort adroit. Quand le duc de Savoye, le
bossu, vint à Paris*, Henry IV^ fit faire une grande En 1599.
course de bague, il garda d'Effiat pour la fm : il mit
dix dedans, tout de suitte. Il ne donna qu'une atteinte
à la onziesme; mais pour reparer cela, il jetta sa
lance en avant, la reprit, et finit en mettant dedans.
Tout le monde l'admira.
Beaulieu-Ruzé *, un secrétaire d'Estatqui portoit son grand^oncie ma-
l'espée, le fit son héritier, à condition qu'il prendroii
' n estoit pourtant gentilhomme. Son ayeul ou son bisayeul, général
des Finances, fut fait noble pour avoir demandé une pique à la bataille
de CerizoUes, et y avoitbien fait. — J'ay trouvé dans l'Histoire de Me-
zeray ces mots, parlant de Gilbert Coiffier d'Effiat, à cause de la fa-
veur de Henry \W qui luy avoit donné charge d'agir en Auvergne :
« Il avoit pris rang parmy les gentilshommes, quoyqu'il ne fust pas de
» race noble. »
II. 9
130 LES HISTORIETTES.
son nom et ses armes. D'EfTiat estoit adroit courti-
san ; il plut au cardinal de Richelieu. Il fut envoyé
pour le mariage de la reyne d'Angleterre*, en Angle-
terre ; on le blasma d'avoir mis le pavillon bas, sur
le commandement que luy en firent des vaisseaux
anglois. Cela n'empescha pas qu'il ne parvinst à estre
grand-maistre de l'Artillerie et surintendant des
Finances*, où il apprit à voler à ceux qui l'ont suivy.
Ce n'estoit pas un sot; mais il avoit esté si mal
élevé qu'il escrivoit ainsy octobre : auquetaubraj. Il
eut l'ambition, quoy qu'il ne sceust nullement la
guerre, de vouloir commander une armée en Alle-
magne : il y mourut. On disoit qu'il pretendoit estre
Connestable. Le Cardinal l'eust perdu.
COMMENTAIRE.
I. — P. 129, lig. 3.
La Coîffler, cette traîtteuse...
« Traitteuse, » qui tenoit une maison de traiteur. Le mot vieillit, du
moins n'est-il plus aussi bien porté. On l'avoit substitué à cabaret,
comme avant lui le cabaret à la taverne. Le traiteur est aujourd'hui
supplanté par le restaurateur. Il y a même plus : on revient au cabaret,
.'i la taverne; le traiteur reste seul à l'écart du mouvement rétros-
pectif.
La Coiffier, des Réaux le dit ailleurs, fut la première traiteuse qui
s'avisa de recevoir à prix fixe, tant par tôte, ou mieux, par bouche.
Voiture a fait un très - agréable rondeau, à l'occasion d'un de ses
dîners :
Chez la Coiffier une demy-douzaine
Des nourrissons de l'enfant de Silène
Se trouveront, ce soir, asseurement.
Wy manquez pas; diable emporte qui ment.
LE MARESCHAL d'eFFIAT. iâi
l^'affaire est faitte et la chose est certaine
Vous y verrez une table bien pleine,
Tous les poissons, jusques A la baleine.
Iront, ce soir, voguant horriblement.
Chez la Coiffier.
Nous chanterons, jusqu'à perte d'haleine.
Nous y dirons mille bons mots sans peine,
Car là Phœbus est en son elémcnl:;
Et si ces vers ne coulent doucement.
Nous en ferons d'une meilleure veine.
Chez la Coiffier.
II. — P. 129, lig. 12.
Beaulieu-Ruzé... te fit son lier Hier.
Martin Ruzé, seigneur de Beaulieu, de Chilly, Longjumeau, etc., se-
crétaire d'Etat, trésorier des Ordres, gouverneur du château de Blois
et grand-maître des mines de France. Il mourut le 16 novembre 1613,
et fut inhumé dans l'église de Chilly, où l'on voyoit, avant la Révo-
lution, sa figure en marbre blanc et son epitaphe. Malherbe annonça
ainsi sa mort à Peiresc : « M. de BeauIieu-Ruzé, premier et ancien se-
» cretaire d'Estat, a passé de cette à meilleure vie. En quoy je fais une
» notable perte, pour estre un de mes meilleurs seigneurs et amys. »
(Lettres, p. 316.)
Les Coefïier etoient de fort petits gentilshommes anoblis par les
charges de finance et de judicature, jusqu'à notre maréchal d'Effiat,
père de Cinq-Mars. Sa postérité directe s'est éteinte le 3 juin 1719
dans Antoine Coeffier-Ruzé, marquis d'Effiat, et gouverneur de Mon-
targis.
Une branche collatérale etoit représentée vers le milieu du xviii' siè-
cle par Louis Coefïier, seigneur de Breuil , lieutenant de vaisseau et
chevalier de Saint-Louis.
LXXIV. — LXXV.
LE PERE JOSEPH.
RELIGIEUSES DE LOUDUN.
François Leclerc du Tremblay, né à Paris li novembre 1577, morl
18 décembre 1G38.)
Le Père Joseph, Capucin, se nommoit Leclerc
en son nom, et estoit frère de M. du Tremblay
Ajouté plus tard, [qu'il fit] * gouvcmeur de la Bastille. Le Cardinal fit
connoissance avec luy en Poitou, comme il y fut
envoyé par ses supérieurs. Jamais il n'y eut un
homme plus intriguant ny d'un esprit plus de feu.
Il a tousjours eu de grands desseins en teste; un
temps, il ne faisoit que prescher la guerre sainte.
Charles de Gonza- M. do Mautouc, M. de Brovos*, M""" de Rohan et
ïue, père de \a reine
?SirS.T Te'^nre'- luy prcnoieut fort souvent tout l' Estât du Turc.
Depuis, il prit la maison d'Austriche pour but, et
il travailla fort avec M. de Charnassé à faire entrer
le roy de Suéde en Allemagne : il se vantoit d'estre
né pour abattre la maison d'Austriche. Effective-
ment ce n' estoit pas un sot ; il soulageoit fort le
Cardinal, et le Cardinal ne faisoit pas un pas sans
luy. Au commencement il alloit à cheval : le Père
ves, mort eu 1C28.
LE PERE JOSEPH. 133
Ange Soubini avoit un jour un cheval entier, et luy
une jujnent ; ce cheval grimpe la jument, et les ca-
puchons des deux moines faisoient la plus plaisante
figure du monde'. Pour esviter ce scandale, on luy
donna un carrosse. Depuis, il eut littiere et toute
chose - ; et il alloit estre Cardinal s'il ne fust mort.
On a cru que la diablerie de Loudun ne fust
point arrivée sans luy, car Grandier% et les capucins
de Loudun disputoient à qui auroit la direction des
Religieuses qui furent ou qui firent les possédées %
et il y eut un capucin tué. Les Capucins, se voyant
appuyez du père Joseph, poussèrent Grandier, et
comme ces religieuses estoient pauvres , ils leur
persuadèrent que bientost elles deviendroient toutes
d'or ; on les instruisit donc à faire les endiablées.
' Le Père Joseph dit : « Vojià un impudent animaL » Depuis on ap-
pelia ce clieval V Impudent.
2 En une petite ville de quelque province de France, un homme de
la Cour alla voir un capucin. Les principaux le vinrent entretenir ; ils
luy demandèrent des nouvelles du Roy, puis du cardinal de Richelieu.
« Et après, » dit le gardien, « ne nous apprendrez-vous rien de notre
» bon Père Joseph 1 — Il se porte fort bien ; il est exempt de toutes
» sortes d'austeritez. — Le pauvre homme ! » disoit le gardien. —
« Il a du crédit ; les plus grands de la Cour le visitent avec soin. —
» Le pauvre homme ! — Il a une bonne littiere quand on voyage.
)) — Le pauvre homme ! — Un mulet porte son lict. — Le pauvre
» homme ! — Lorsqu'il y a quelque chose de bon à la table de
)i Monsieur le Cardinal, il luy en envoie. — Le pauvre homme!»
Ainsy à chaque article le bon gardien disoit : « Le pauvre homme ! »
comme si ce pauvre homme eust esté bien à plaindre. C'est de ce conte-
là que Molière a pris ce qu'il a mis dans son Tarluffe, où lemary, coifië
du bigot, répète plusieurs fois: le pauvre homme !
' Curé.
' 11 y avoit de l'amour sur le jeu.
UELIGrECSES
DE LOUDUW.
134 LES HISTORIETTES.
Pour du latin, elles n'en sçavoient guères, et on disoit
que les diables de Loudun n'avoient estudié que jus-
"nwg^'Zc'X"' qu'en troisiesme. Le Couldray-Montpensier* y avoit
maréchal -de -camp.
deux filles qu il retira chez luy, les fit bien traitter
et bien fouetter ; le Diable s'en alla tout aussytost. Il
pouvoit y en avoir qui ne sçavoient pas le secret, et
qui, par melancholie ou parce qu'on le leur disoit,
croyoient estre possédées. On leur apprit, au moins
à la pluspart, quelques mots de latin et bien des
ordures. M""" d'Aiguillon y fut et M"'= de Ram-
bouillet, depuis M"'" de Montauzier. Elles virent faire
quelc{ues tours de sauteurs, qu'elles firent faire après
à leurs laquais. La ville et surtout les hosteliers
s'y enrichirent ; on y couroit de toutes parts. Dun-
can, médecin huguenot et principal du collège de
Jnte^%l J^ionllis- Saumur*, y fut appelle. 11 s'en mocqua. C'est celuy
qui disoit qu'un médecin estoit animal incombusti-
bile propter religionem. Quillet y fut aussy appelle,
et des religieuses de Chinon ayant voulu imiter celles
de Loudun, il en fit une satyre en vers latins, pour
laquelle Bautru luy conseilla de s'esloigner, et le
donna au mareschal d'Estrées, avec lequel il fut à
Rome en son ambassade extraordinaire.
Le ministre de Loudun, comme on le deffioit de
mettre ses doits dans la bouche des religieuses ,
comme les prestres y mettoient ceux dont ils tiennent
l'Hostie , respondit « qu'il n' avoit nulle familiarité
» avec le Diable, et qu'il ne se vouloit point
« jouer à luy. » Un diable s' estoit vanté d'enlever
le Ministre dans sa chaire sur la tour de Loudun.
LE Pli RE JOSEPH. 135
Il n'en fit rien : cependant, cette badinerie ' fut cause
que Grandier fut bruslé tout vif; car Laubarde-
mont^, qui estoit bon courtisan, le sacrifia au crédit
du père Joseph. Ce Grandier avoit esté galant, et
avoit fait quelques ennemys dans la ville qui luy nuy-
sirent. Le Diable dit une fois : « M. de Laubarde-
» mont est cocu. » Et Laubardemont , à son ordi-
naire, mit le soir : « Ce que j'atteste estre vray, »
et signa. Enfin insensiblement cela se dissippa à
mesure que le monde se desabusoit.
* Ou plustost ce désir de vengeance des Capucins.
2 Un maistre des Requestes.
COMMENTAIRE.
I. — P. 132, lig. 3.
Le Cardinal fit connoissanee avec luy en Poitou.
Vers IGll, l'evôquede Luçon etoit, en même temps, abbé de Roches,
maison voisine de Fontevrault ; et le père Joseph introduisoit alors la
réforme monastique dans l'Ordre. Ou cite un poëme latin intitulé la
Turciade, que le célèbre capucin auroit rédigé pour animer tous les
princes chrétiens contre les Turcs.
L'abbé Richard a fait deux ou trois des ouvrages intitulés : L'His-
toire de la vie du père Joseph Leclerc du Tremblay, capucin, instituteur
des filles du Calvaire, 1702, 2 vol. in-12. — Le véritable père Joseph,
1 vol. in-12. — Réponse au véritable père Joseph, que l'abbé Richard
s'empressa de publier après le Véritable, pour aller au-devant des
soupçons.
IL — P. 133, note 2, lig. 13.
De ce contc-tà Molière a pris ce qu'il a mis dans son Tartuffe.
Voilà donc encore un bon mot rendu à ses véritables auteurs et à sa
première origine. On lit dans les Commentaires de M. Auger sur JIo-
136 LES HISTORIETTES.
liere (tom. vi, p. 52), que pendant la campagne de 1062, Louis XIV,
en se mettant à table, dit un soir à Perefixe, évoque de Rhodez, son
ancien précepteur, qu'il lui conseilloit d'en aller faire autant. C'ctoit
jour de jeûne. Le prélat dit en se retirant qu'il n'avoit qu'une légère
collation à faire : une personne présente ayant souri, le Roi voulut en
savoir le motif : le rieur dit que Sa Majesté pouvoit être tranquille sur
le compte de M. de Rhodez , et il fit un détail exact du dîner de l'e-
vêque dont il avoit été témoin. A chaque plat recherché qu'il nom-
moit, le Roi s'ecrioit : Le pauvre homme! variant à chaque fois l'in-
flexion de sa voix. Molière , qui assistoit à cette scène , en fit son
profit, et la rappela au Roi lorsqu'il lui fit la lecture des trois pre-
miers actes. ■
C'est Bret qui, le premier, dans son édition de Molière de 1773,
tom. IV, p. Zi02, avoit mis cette anecdote en vogue. Bret se fondoit sur
l'abbé d'Olivet, « qu'on avoit souvent entendu raconter la môme his-
» toire. » Mais l'autorité de l'abbé d'Olivet ne peut subsister devant
celle de des Réaux, qui certainement ecrivoit la note qu'on vient de
lire peu de temps après les premières représentations de Tartufe.
Louis XIV d'ailleurs, si réservé pour tout ce qui tenoit aux conve-
nances, n'eût pas ainsi parlé, devant les courtisans, d'un prélat res-
pecté qu'il avoit eu pour précepteur. La première représentation de
Tartufe fut donnée à Versailles en petit comité, le 12 mai 166/j ; on en
connoissoit même des fragmens manuscrits longtems auparavant.
III. — P. 134, lig. 20.
Quitlet fit une satyre... Bautru luij conseilla de s'esloigner.
On a bien brodé sur la disgrâce, ou plutôt la crainte de disgrâce
qu'éprouva Quillet {a). Le Sorberiana, édition de 1691, p. 291,etChal-
mel. Histoire de Touraine, disent que : « Dans une des séances ridi-
» cules où l'on faisoit parler les diables, Satan menaça, par la bouche
)) d'une de ces religieuses, d'enlever jusqu'à la vouste de l'église celuy
» qui doutcroit de leur possession. Quillet eut l'imprudence de défier
» le diable, qui, ne s'attendant pas à une telle provocation, en fut pour
)) sa courte honte. C'etoit défier le Cardinal. Quillet le sentit assez
» tost pour en prévoir et en prévenir les suites. En efifect, peu de jours
» après, Laubardemont lança contre luy un décret de prise de corps. »
Voilà comme on juge trop souvent les hommes qui jouent un rôle
public. Le père Joseph, capucin, est-il soupçonné de soutenir la cause
d'un couvent de capucins ? Bientôt des rêveurs se rencontrent pour
dire que le Cardinal excitoit le père Joseph, et que Grandier devoit
{a\ Voypi tomp i", VHistoriette dv mnreschal d'Estrees, p. 387 et S91 .
LE PERE JOSEPH. 137
être l'ennemi personnel du grand ministre qui , peut-être , ne le
connoissoit môme pas. Des Réaux, écrivain protestant, ami de Quillet,
est ici bien autrement digne de foi ; et notez qu'il ne suppose pas la
moindre intervention du Cardinal dans l'affaire.
IV. — P. 135, lig. 2.
Laubardemonl.
Laubardemont mourut en mai 1653, et Loret mentionne ainsi sa
mort : ,
Laubardemont, homme d'Estat,
Duquel on faisoit de l'estat,
A senty son heure mortelle;
Il eut jadis grosse querelle
Avec les diables de Loudun,
Dont il fist enrager plus d'un,
Lorsque, par un arrest tragique.
Grandier i'ut, en place publique,
Bruslé bien ou mal à propos;
Mais laissons les morts en repos.
(Gazette du 24 may 1653.)
Son frère, qu'on appeloit M. du Matras, mourut en bonne réputation
au mois de mars 1659 :
Le pieux monsieur du Matras
Qui demeuroit aux Incurables,
Homme issu de gens honorables
Et le t'rere unique ou second
De feu monsieur Laubardemont.
(Lettre du 29 mars 1659.}
J'ignore quel est l'auteur d'une « Relation de tout ce qu'a vu à Lou-
» dun l'abbé D., en neuf jours qu'il a visité les possédées. » Après tout,
ce pourroit bien être Quillet. Elle est fort curieuse,et nous a été con-
servée dans le msc. 540 du suppl. fr., f°* 1 à 10. L'auteur etoit venu
à Loudun avec M"* d'Aiguillon , M"^ de Rambouillet, Voiture, la Ver-
gne et quelques autres.
Le fils de Laubardemont eut une bien triste fin, du moins sui-
vant le récit de Guy-Patin : « Le 9 de ce mois, à neuf heures du soir,
» un carrosse fut attaqué par des voleurs. Le bruit qu'on fit obligea
» le bourgeois de sortir de sa maison... On tira de part et d'autre;
» un des voleurs fut couché sur le carreau... Ce blessé mourut le lende-
» main, sans rien dire, sans se plaindre et sans déclarer qui il estoit.
» Il a esté enfin reconnu. On a sceû qu'il estoit filz d'un maistre des
» Requestes, nommé Laubardemont, qui condamna à mort, en 1633, le
» pauvre curé de Loudun, Urbain Grandier... Ne voylà-t-il pas une pu-
» nîtion divine dans la famille de ce malheureux juge?» (Lettre du
22 décembre 1651.)
LXXVl. ~ LXXVIl.
M. DE NOYERS ET L'EVESQUE DE MANDE.
{François Sublet de Noyers, né en 1578, mort 20 octobre IQh'ô.— Daniel
de la 3fotte-Houdancoîtrt , evcquc de Mende, mort 3 mars 1628.)
M. de Noyers s'appelloit Sublet. Il estoit parent
de MM. de la Motte-Houdancourt ; le deuxiesme de
Lefrère du maréchal, ces messieurs-là * estoit evesquG de Mande, et fort
bien auprès du cardinal de Richelieu : ce fut luy qui
luy donna M. de Noyers. Je diray ce que j'ay appris
de ce M. de Mande. C'estoitun homme actif et fier,
et qui vouloit qu'on luy tinst ce qu'on luy avoit
promis. Une fois M. Bouthillier, qui estoit jaloux de
luy, luy refusa l'entrée dans la chambre du Cardi-
nal, disant, comme il estoit vray, qu'il avoit ordre
de ne laisser entrer personne , et qu'il s'en alloit
dire à S. E. que M. de Mande estoit là. La porte
estoit entr' ouverte, M. de Mande la pousse : M. Bou-
thillier tombe, l'evesque passe brusquement à la
ruelle, le Cardinal estoit au lict : « Monsieur, » luy
dit-il, « je trouve fort estrange que M. Bouthillier me
» vienne fermer la porte au nez : je suis bien asseuré
» que vous ne luy avez pas ordonné de me traitter
» ainsy. » Le Cardinal ne dit rien. M. de Mande
s'en va chez luy en Picardie, et ne voulut pas s'en
M. DE NOYERS ET l'eVESQUE DE MANDE. 139
tourmenter davantage. « S'ils me laissent icy, » di-
soit-il, « ils me feront plaisir; j'estudieray; j'ay du
» bien plus qu'il ne m'en faut. » Le Cardinal ne s'en
put passer ; il le renvoya quérir. Ce fut luy qui dis-
posa tout pour le siège de la Rochelle ; et en mou-
rant, car il mourut durant le siège, il ordonna qu'on
l'enterrast dans la ville, lorsqu'elle seroit prise. Ce
fut luy qui fit résoudre Barradas * à donner sa démis- *•'" «*« •«"•
sion de la charge de premier escuyer de la petite
escurie, pour cent mille escus. Le Roy a voit impa-
tience de l'avoir pour Saint-Simon. Le Cardinal vou-
loit différer à payer cette somme , et faire que cela
n'allast à rien avec le temps; TEvesque luy dit :
« Monsieur, c'est sur ma parole que M. de Barradas
» a traitté ; je vendray plustost mes bénéfices que de
» ne tenir pas ce que j'ay promis. » Le Cardinal ne
put résister, et Barradas fut payé.
M. des* Noyers avoit une vraye ame de valet. Mon-
tereul, secrétaire des commandemens de M""" d'Or-
léans, l'estoit de feu Madame qui, estant grosse,
estoit regardée comme la Reyne et faisoit un party
dans la Cour. Madame tesmoignoit assez de bonne
volonté à Montèrent, qui avoit esté précepteur de
M. de Guise d'aujourd'huy. Un jour, des Noyers,
qui estoit allié de Montereul, se promenoit avec luy :
« Ne craignez-vous point, » luy dit Montereul en
riant, « que cela ne vous nuyse de vous voir ainsy
» promener avec moy ? » Des Noyers le quitte aus-
sytost, et depuis ne luy parla point que Madame ne
Ainsi écrit.
iliO LES HISTORIETTES.
fust morte. 11 est vray que quand il se vit en faveur,
il se ressouvint un peu de luy.
Ce petit homme vouloit tout faire et estoit jaloux
de tout le monde. Il a nuy en tout ce qu'il a pu à
Desmarestz , qui s'entend à tout et qui a beaucoup
d'inclination pour l'Architecture, de peur que cet
homme ne luy ostast quelque chose ; car il s'est assez
tourmenté de faire sa charge de Surintendant des
bastimens, et il avoit bonne envie d'achever le Lou-
vre et de faire dorer la galerie tout du long ,
comme il y en a un bout: ce fut luy qui le fit faire*.
Une fois que le Cardinal vouloit faire venir un
notaire : « 11 n'est pas besoing, IMonseigneur, » luy
dit-il , « je suis secrétaire du Roy, je feray bien ce
» qu'il faut. » Le Cardinal rompit un jour par hazard
une petite canne fort jolie qu'il aimoit assez. Le
petit bonhomme la prend, la rajuste et la rapporte
h Son Eminence. On disoit qu'il ne voloit pas, mais
il laissoit voler soubs luy. Il avoit fait les vœux de
Jésuite depuis son veuvage, mais il estoit exempt de
porter l'habit et de vivre autrement qu'un séculier :
il fit tout le pis qu'il put à l'Université. Il a laissé
Ajouté plus tard un [pauvrc benais de *] filz -. Ce fut luy qui descouvrit
' Sa cagottcrie parut furieusement en ce qu'il brusla quelques nuditez
de grand prix qui estoient à Fontainebleau. En récompense il entrc-
tenoit assez bien les maisons du Roy. Il estoit concierge de Fontai-
nebleau.
2 Le filz de M. de Noj^ers, appelle la Boissierc, ne manque nullement
d'esprit; c'est une espèce de visionnaire et d'avaricieux qui mené une
vie retirée, et qui ne s'occupe quasy à rien. On a relire sur luy la
terre de Dangu que son père avoit acheptée sans prendre bien garde
à ses seiiretez ; il l'a perduo. — Il vit encore, on l'an 1672.
M. DE NOYERS ET l'eVESQUE DE MANDE. l^l
au feu Roy que le Cardinal avoit cinq cens mille
escus chez Mauroy. Sa disgrâce est dans les Mé-
moires de la Régence \
' Le mareschal de Brezé, pour le faire enrager, mettoit tousjours
des ordures dans les lettres qu'il luy escrivoit, comme : « Allez vous
» faire f... avec vosf... ordres! — Le mo3-en, » disoit le petit homme,
« que les affaires du Roy prospèrent, après ces abominations-là!» H
avoit le département de la Guerre.
Ce fut luy qui fut cause de la mort de Saint-Prueil*, et Saint-Prueil François de Jussac,
I J-. 1 • /~.î i ^ -1 j • • r^ • i seigneur de Saint-
le dit bien : « C est un cagot; il ne me pardonnera jamais.» Saint- Prueii, décapité 9 no-
Prueil avoit donné sur les oreilles à un petit d'Aubray qu'il avoit mis ■*'e"^'"e i64i.
à Arras pour les finances. Ce n'est pas que Saint-Prueil ne fust un
violent et un tjnan, mais galant homme du reste et qui despensoit
tout. H y a dans son procez imprimé une lettre * du feu Roy, qui est Ou plutôt : des ex-
une ridicule lettre. La voicy : « Brave et généreux Saint-Prueil, vivez joumai de Richelieu,
» de concussions, plumez la poule sans crier; faittes comme font tels i^-A^e part., p. ii6.
» et tels, faittes ce que font beaucoup d'autres dans leurs gouverne-
» mens ; tout est bien fait pour vous ; vous avez tout pouvoir dans
» votre empire ; tranchez, coupez ; tout vous est permis ! »
; 'j, COMMENTAIRE.
I. — P. 139, lig. 7.
Ce fut luy qui fit résoudre Barradas à donner sa démission de premier
escuyer de la petite escurie.
François de Baradas, fils de Guillaume de B., seigneur de Damery
en Champagne, près d'Epernay. Malherbe, qu'il faut citer souvent
pour justifier et compléter des Réaux, écrit à Peiresc, le 19 décembre
1626 : « Vous avez sceu le congé donné à Baradat. Nous avons im sieur
» Simon » (il faudroit : un Saint-Simon), <( page de la mesme escurie,
» qui a pris sa place... La mauvaise conduite de l'autre luy sera une
» leçon. J'ay ouy dire à M"' la princesse de Conty qu'elle avoit veu
» qu'un jour le Roy, par carresse, luy jetta quelques gouttes d'eau de
» naffé au visage, dans la chambre de la Reyne. n se mit en telle co-
» 1ère, qu'il sauta sur les mains du Roy, luy arracha le petit pot où
» estoit l'eau, qui est un pot de porcelaine, et le luy cassa à ses
» pieds. Ce n'est pas là l'action d'un homme qui vouloit mourir dans
» la faveur... »
142 LES HISTORIETTES.
La faveur de Claude, marquis puis duc de Saint-Simon, père du
célèbre auteur des Mémoires, date donc, comme la disgrâce de Baradas,
du mois de décembre 1626.
II. — P. 139, lig. 16.
Le Cardinal ne put résister, et Barradas fut payé.
Malherbe a écrit à l'evêque de Mende une curieuse lettre, dans la-
quelle il le prie de rappeler au Cardinal deux promesses relatives, la
première aux arrérages de sa pension, la deuxième à la charge récente
de trésorier de France dont on l'avoit gratifié. Il faut lire en entier
cette lettre : Malherbe s'y plaint amèrement d'un personnage qui
avoit précédemment refusé de lui rendre un service ; je crois qu'il en-
tend le sieur de Noyers, parent de l'evêque, et le but du poète est
autant de se venger de l'un que de mettre fièrement l'autre à une
épreuve analogue. « Je fus dernièrement, » dit-il, « trouver un homme
» pour quelque petite affaire, et je croy que sans offenser sa cons-
» cience, il luy estoit aisé de me satisfaire. La peur que j'ay d'estre
» refusé me fait tousjours prendre garde de ne jamais rien demander
» qui ne soit raisonnable : et d'ailleurs j'avois quelque sujet de croire
» que cet homme aimoit les vers. Je le trouvois toutefois si peu cour-
» tois et si fort résolu de ne me point gratifier, que je m'en revins avec
» un grand desplaisir do luy avoir jamais rien demandé, et avec une
» protestation de ne luy demander jamais rien. Je suis encore en ceste
» mesme opinion. La nécessité est forte, mais, à ce que je voy, elle ne
» l'est pas assez pour me faire faire une seconde prière à un homme à
» qui la première n'a de rien scrvy. Il me pouvoit faire du bien ; je luy
» pouvois donner des louanges; il me semble que ce qu'il eust eu de moy
» valoit bien ce que j'eusse receu de luy. Puisqu'il ne l'a pas fait, il
» le faut laisser là... Pour vous, Monsieur, en la peine que vous pren-
» drez de faire souvenir de moy ce grand Cardinal, vous aurez ce
» desplaisir d'avoir obligé un homme incapable de toute revanche ;
» mais vous vous consolerez, s'il vous plaist, du contentement de vous
» estre acquis un tres-humble et tres-aflfectionné serviteur. F. deMal-
» herbe. » (Œuvres, 1659, p. 72.)
III. — P. 139, lig. 18.
Montèrent, secrétaire des commandemens de M^' d'Orléans, t'estoit
de feu Madame.
De la première femme de Gaston, Marie de Bourbon, duchesse de
Montpensier, qui mourut le /i juin 1627, cinq jours après avoir mis au
M. DE NOYERS ET l'eVESQUE DE MANDE. 143
jour son unique enfant, la grande Mademoiselle. Ainsi le Montereul
dont on parle ici ne peut être un des deux frères Montereul, Jean ou
Mathieu de Montereul, qui, à l'époque de la mort de la duchesse d'Or-
léans, n'etoient pas encore adolescens.
IV. — P. 140, lig. 9.
Il avait bonne envie d'achever le Louvre.
Détails d'un grand prix et assez peu connus. Sublet de Noyers a la
gloire d'avoir fait revenir de Rome Nicolas Poussin, vers 16/i0, fiour
luy confier la direction de l'ordonnance de la belle galerie des Anti-
ques, dont des Réaux parle ici. C'est à lui qu'on doit encore la part
principale à la fondation de l'Imprimerie royale, d'abord établie au
Louvre. Enfin, il a fait bâtir à ses frais l'église du Noviciat des Jé-
suites, où il voulut être inhumé.
Il avoit effectivement le titre de capitaine et concierge de Fontai-
nebleau : titre que ne prendroit certainement pas aujourd'hui un mi-
nistre d'Etat.
Dans le nombre des nuditez qu'on accuse Sublet de Noyers d'avoir
brûlées à Fontainebleau, on cite une Léda (il en reste heureusement
beaucoup d'autres), dont on voit encore les infortunés vestiges. Fran-
çois l" l'avoit, dit-on, achetée au duc de Ferrare; c'etoit un tableau
de petite dimension, qu'on attribuoit à Michel-Ange. Dans les nouvelles
histoires des Environs de Paris, la destruction de la Léda est reprochée
à « un Sublet de Bruyère, instrument de la dévotion outrée de la re-
» gente Anne d'Autriche. » Mais Sublet de Noyers, le vrai coupable de
cet attentat à la beauté peinte, se retira de la Cour en 1643, à la mort
de Louis XIII. La dévotion outrée d'Anne d'Autriche n'a donc rien à
faire là.
Je lis encore dans le journal la Presse du 3 juin 1853 (il faut bien
citer les journaux, car on fait bien souvent avec eux des livres), une
histoire particulière de ce tableau : « Michel-Ange, » y dit-on, « l'exé-
» cuta pour le duc de Ferrare. On connoît la répugnance qu'avoit Mi-
» chel-Ange pour les tableaux de chevalet; aussi les souverains se dis-
» putoient la faveur d'obtenir un morceau de cette main immortelle. »
(L'argument ne paroît pas sans réplique.) « Le duc de Ferrare attendit
« donc sa Léda avec la plus vive impatience; mais, par un motif que
» l'on ne connoît pas bien, Michel-Ange changea la destination du ta-
» bleau, en l'envoyant à François I". Le surintendant des bâtimens,
» de Noyers, trouvant le sujet indécent, le fit jeter au feu. Cet acte de
» vandalisme dut être commis après la mort de Richelieu, car ce
» ministre aimoit trop les beaux-arts pour autoriser une pareille bar-
» barie. »
illll LES HISTORIETTES.
Ne croiroit-on pas que Mazarin, successeur de Richelieu , etoit un
ennemi des beaux-arts ?
V. — P. 1/iO, lig. 22.
Il a laissé un pauvre benais de fdz.
On voit ici combien il importe de séparer les notes de des Réaux du
texte courant. Le texte écrit en 1657 est redressé en 1672.
Jean Megret, le collecteur et faiseur d'cpitaphes, ajoute à l'éloge de
Sublet de Noyers père : « Son filz a hérité de ses vertus et inclina-
» tiens : et comme j'ay eu l'honneur de l'entretenir un fort long temps
» à Abbeville, en 1633, j'ay bien voulu, en souvenance de ses mérites,
» insérer icy ce petit éloge de sa vie. »
Ce la Boissière pourroit bien Ctre celui qu'on a mis dans un couplet
fait sur le voyage de M""* de Chevreuse, et cité précédemment, tom. i'',
p. 406.
VI. — P. m, note, lig. 7.
Saint-l'rueil avait donné sur les oreilles à un petit d'Aubray...
Bussy-Rabutin, qui donne sur Saint-Preuil de précieux détails, dit
que d'Aubray etoit parent de Sublet de Noyers. {Mém. secr., i,p. 125.)
VU. — Fin.
Le fils de M. de Noyers, nommé Guillaume Sublet, sieur de la Bois-
sière et baron de Daugu, ne paroît pas avoir laissé de postérité. Une
branche collatérale des Sublet s'est honorablement prolongée dans le
xviii* siècle, avec le titre de marquis d'Heudicourt. J'ignore si elle
subsiste encore.
LXXVIII.
M. DE BULLION.
(Claude de Bullion, seigneur de Bonnetles, mort 22 décembre 1640.)
M. de Bullion estoit conseiller au Parlement'. 11
rapporta je ne sçay quelle affaire pour la comtesse
de Sault-, mère de M. de Crequy. — Elle l'avoit eu
du premier lict ; puis le comte de Sault, filz du se-
cond lict, l'ayant faitte héritière, M. de Crequy eut
ce bien-là ^ — La comtesse de Sault eut de l'affection
pour ce petit M. de Bullion à cause, dit-on, que le
proverbe : De petit chien belle queue estoit fort véri-
table en luy. Elle le poussa, luy donna du bien,
et luy fit avoir de l'employ \ On dit qu'un jour elle
disoit à la Reyne-mere : « Ah ! Madame , si vous
» connoissiez M. de Bullion comme moy î — Diou
» m'en garde, Madame la Comtesse, » dit la Reyne.
(Car elle n'a jamais sceû prononcer le françois, et
^ Son père estoit maistre des Requestes *. Jean de Bullion.
2 II estoit conseiller au parlement de Paris, et par hazard fut son
rapporteur. ^ On monstra à Pompeo Frangipaui M, de Montmorency,
M. de Bassompierre et ce petit bout d'homme ; et on luy dit : « Devi-
» nez lequel des trois a fait fortune par les femmes? » Il se mit à rire,
et dit : « Seroit-ce ce petit vilain ? — Ouy ; les autres, tout beaux qu'ils
» sont, y ont dépensé cinq cens mille escus chascun. »
' C'est pays de droict escrit que le Dauphiné.
* II fut président aux Enquestes.
II. 10
Anne d'Autriche.
En 1632.
Sous le nom de Biil-
llon.
146 LES HISTORIETTES.
elle disoit Fa cho, pour dire : Il fait chaud. Celle-cy *
le prononce comme si elle estoit née à Paris. )
Cette M'"" de Sault fit avoir à Bullion l'intendance
de l'armée de M. le comiestable de l'Esdiguieres
contre les Génois, et il n'y fit pas mal ses affaires ;
le Connestable et luy s'entendoient fort bien. Le
cardinal de Richelieu le fit après * surintendant des
Finances avec M. Bouthillier, père de M. de Cha-
vigny ; mais Bullion faisoit quasy tout. G'estoit un
habile homme, et qui avoit plus d'ordre que tous
ceux qui sont venus depuis '. Il disoit : « Fermez-
» moy deux bouches, la maison de Son Eminence et
» l'Artillerie; après je respondray bien du reste*. »
Cornuel faisoit presque tout sous luy *, mais de
sorte qu'il sembloit qu'il ne fist rien sans en parler
au Surintendant ; car le bonhomme se divertissoit.
Il alloit souvent chez la Brosse, son médecin, qu'il
avoit estably au Jardin des Plantes du faubourg
Saint- Victor ^ : là, il avoit des mignonnes et cra-
1 II avoit tousjours sept ou huict millions en reserve, et je ne sçay
combien chez un homme d'Orléans,
- Quand les premiers louis d'or furent faits, il dit à ses bons amys :
« Prcncz-en tant que vous en pourrez porter dans vos poches. » Bautru
fut ccluy qui en porta le plus; il en mit trois mille six cens; le bon-
homme Seneterre en estoit. Je doute de cela. On m'a dit depuis que
cela estoit vray, et qu'il le fit pour gaigner Seneterre. — Le Cardinal
luy fit avoir le Cordon bleu, en disant au Roy : « Sire, ce seroit une
» plaisante chose que cette figure avec le Cordon. »
3 La Brosse disoit que le vin qui croissoit sur cette petite butte, qui
est dans l'enclos de ce jardin, estoit assez bon, mais que si on le gar-
doit plus de deux ans il sentoit la gadoue. C'est qu'autrefois on la
jettoit en cet endroit-là, et que cette butte en a esté composée, sinon en
tout au moins en partie.
M. DE BULLION. 147
puloit* tout à son aise. Il se faisoit donner des lave- buvou.
mens pour manger après tout de nouveau '. Il avoit
des raffinemens pour le vin tout extraordinaires. Il
ne vouloit pas qu'on bust immédiatement après avoir ,
mangé du lapin , parce, disoit-il, que cette viande
avoit je ne sçay quoy qui empeschoit de le bien
gouster. Je vous laisse à penser s'il en avoit du
meilleur ; tous les gens d'affaires se tuoient à luy en
chercher.
Madelenet* s'avisa, quoyque Bullion n'aymast pas pp^telalin! mort en'
. 1662.
les vers, de luy faire une ode latme. Il y avoit une
comparaison au commencement qui me fit bien rire;
il le comparoit à un petit baril bien plein : c'est qu'il
disoit qu'un baril bien plein ne porte point envie à
l'abondance de la mer, et que Bullion, se conten-
tant de ce qu'il avoit, ne portoit point envie aux
threzors des roys. Voyez la grande modération de
cet homme! il se contentoit de huict millions, et
d'estre président au mortier. Il est vray que sa
charge estoit une charge nouvelle *, et il ne la faisoit
point. Une autre chose fut encore assez plaisante. Il
achepta une chapelle à Saint-Eustache : le peintre
qui la peignit et la dora vint un jour luy parler.
1 n avoit des cerneaux tout le long de l'année, et tousjours de la
poudre de champignons dans sa poche. H n'avoit que peu de gens à
crapuler avec luy ; Seneterre en estoit tousjours et, quand ils sortoient
de Paris, le bonhomme de Montbazon, exprès pour avoir des Gardes ;
car, comme gouverneur de Paris, il avoit tousjours quelqu'un. Ce n'es-
toit pas comme à cette heure, qu'on en a donné cinquante au mares-
chal de l'Hospital. — En allant à Ruel, où il falloit aller en tout temps
et l'hyver, Bullion disoit tousjours : « Faisons printemps, faisons prin-
temps, » c'estoit à dire : « bouclons la portière du vent. »
! en février 1636.
148 LES HISTORIETTES.
« Allez, mon amy, allez, » (car il commençoit tous-
jours ainsy) , « que voulez-vous ? — Monsieur, c'est
» pour votre chapelle. — Eh bien, mon amy, ma
» chapelle ? — Monsieur, c'est qu'on a accoustumé
» de les dédier à quelque saint. — Eh bien , mon
» amy, à quel saint? — Monsieur, à saint Paul, à
» saint André, à saint François, à saint Antoine.
» — Eh bien, mets-y saint Antoine, mon amy. »
Sur cela, on disoit qu'il avoit eu raison, et que
c'estoit aussy bien desjà la chapelle du petit co-
chon.
Il craignoit terriblement les bonnes odeurs. Mon-
sansfioute^pieiTese- gieur le Chanccllier * avoit tousjours des gants d'Es-
pagne au Conseil ; cela incommodoit fort BuUion. Il
s'en plaignit , comme si l'autre l'eust fait exprès.
Le Cardinal dit au Chancellier : « Puisque j'oste
» mes gants de senteur pour l'amour de M. de Bul-
» lion, vous pouvez bien ester les vostres. » Il trait-
toit le Chancellier d'escollier, et le Chancellier, qui
vouloit estre payé , ne disoit mot et avalloit cela
doux comme de l'eau.
Il appelloit sa femme la grosse amie. C'estoit une
bonne femme, mais un peu hypocondriaque; on
dit qu'elle donne aux pauvres '.
* On m'a asseuré, et cela vient de le Camus, son advocat, que l'in-
ventaire de Bullion montoit à sept cens mille livres de rente. On di-
soit, en 22 *, qu'il avoit desjà soixante mille escus de revenu : il ne
fut fait surintendant que dix ans après. Richer, notaire, comme on
fit l'inventaire, dit à M""" de Bullion : « Voyez, Madame, si vous avez
» encore quelque chose à dire. Est-ce là tout ? il ne faut rien cacher. »
Cette bonne grosse dame crut qu'il la soupçounoit, et changea de cou-
M. DE BULLION. 149
Je trouverois assez à propos de faire une com-
paraison de Bullion avec les surintendans d'aujour-
d'huy. Ceiix-cy, à leur table, à leurs bonnes for-
tunes, à leurs maisons, dépenseront plus en six
ans que Bullion n'a laissé; par exemple, la table
de Fouquet couste deux cens mille livres, je veux
dire la despense du Maistre d'hostel est de cinq cens
livres par jour. A Vaux , il y a six cens personnes
nourries : jugez du reste. Bullion, une fois qu'il a
eu un million, a pu espargner, car il ne tenoit point
table , et n'avoit qu'un équipage fort médiocre.
Bien loing de bastir, il jettoit à bas le bastiment des
terres qu'il acheptoit au loing, pour avoir moins
d'entretien. A Pari.^, i! n'a point de palais.
Le cardinal de Richelieu souhaitta queBonnelle*, mm?ifeifie3^"chari
lotte de Prie, fille du
filz aisné de Bullion, espousast M"' de Toussy, marqua de Toucy.
qui estoit un peu parente de Son Eminence. Bon-
nelle n'en avoit point d'envie. Il estoit amou-
reux de M""" de Montbazon ; mais le père le luy
fit faire en despit de luy. 11 a esté malheureux en
enfans, ce bonhomme ; il n'y en a pas un qui ayt
réussy. L'abbé de Saint-Faron, qui avoit soixante
mille livres de rente, sans ce qu'il attendoit de sa
mère , a assez fait le niais avec la vieille Martel ; et
leur. « Si vous ne sçavez rien de plus, » adjousta-t-il, << j'ay à vous
» dire, moy, que je sçay où feu Monsieur vostre mary avoit déposé cent
» vingt mille escus d'or en espèces ; c'est chez moy. Il n'en avoit aucune
» reconnoissance , et je voy bien qu'il n'y en a point de registre
» chargé. » Il les restitua, et on luy donna dix mille escus pour cela et
pour le reste.
150 LES HISTORIETTES.
après, en une maladie, la peur du Diable le saisit
tellement, qu'il se mit dans l'Oratoire'.
Nous parlerons ailleurs de Bonnelle et de sa
femme : et du reste, j'ay ouy dire que quand il maria
sa fille avec feu M. le premier président deBellievre,
alors maistre des Requestcs, il y avoit cent mille es-
cus dans le contract ; mais comme le notaire vint à
lire cent mille escus , Bullion dit : « Adjoustez d'or,
» monsieur le Notaire. )• G'estoit alors, je pense, cin-
quante mille escus au moins plus qu'il n' avoit promis.
Le bonhomme mourut de crapule en moins de
rien ^.
1 La Taulade le filz, un gentilhomme béarnois, un peu maquereau,
s'estaut attaché à luy, a fait aussy le dévot par nécessité, et l'a suivy
à Saint-Magloirc. Il arriva une fois au perc de ce la Taulade une plai-
sante chose. C'est un fort gros homme : un jour le fond de sa chaise
s'enfonça ; le voylà les piez à terre ; les porteurs , par malice ou autre-
ment, ne faisoient pas semblant d'entendre. Il alla dans les crottes
tout du long du Pont-Neuf, comme s'il eust esté sous un dais.
2 Cornuel ne mourut pas si commodément. Il eut le loisir d'avoir
bien peur du Diable, et comme il se tourmentoit comme un procuceur
qui se meurt, Bullion luy disoit : « Ne vous inquiettcz point, tout est au
1) Roy, et le Roy vous l'a donné. »
— On m'a dit, mais je ne voudrois pas l'asseurer, que Bullion mou-
rut de dcsplaisir pour avoir rcccù un coup de pied du cardinal do Ri-
chelieu. Le feu Roy vouloit avoir cent mille livres pour quelque chose ;
le Cardinal luy dit que M. de Bullion estoit chargé de despenscs pres-
sées, et que cela seroit diflicilc pour le présent. Bullion parla comme le
Cardinal vouloit. A quelque temps de là. Coquet, confident de Bullion,
avertit le Roy qu'on avoit des fonds; il fallut donner cet argent au Roy.
Le Cardinal crut que Bullion avoit voulu faire sa cour à ses despens,
car le feu Roy avoit dit quelque chose sur cela au Cardinal qui ne luy
L'alliance de Bon- avoit pas plu. Il luy reprocha son alliance*, le malmena et le frappa. Ce
Toussy"^^"^ '^'"° ^^ "'^st pas la première fois que cela luy est arrivé dans la colère ; il
donna un soufflet à Cavoye pour avoir changé un ordre. Cela est de
conséquence en fait de Gardes; Cavoye avoit tort. A quelques jours de
là, il luy en demanda pardon.
M. DE BULLION. 151
COMMENTAIRE.
I. — P. 145, lig. 2.
La comtesse de Sauli mère de M. de Creqmj.
Chrestienne d'Aguerre, veuve en premières noces d'Antoine de Blan-
chefort-Crequy , et en secondes noces de François-Louis d'Agoult,
comte de Sault. De son premier mariage elle eut Charles de Crequy, duc
de Lesdiguieres, dont l'historiette est au premier volume, et qui porta
le titre de comte de Sault, après la mort de son frère utérin, Louis
d'Agoult, comte de Sault. En mourant , ce dernier avoit fait un testa-
ment en faveur de sa mère ; le testament fut attaqué par Jeanne d'A-
goult, veuve du comte de Montrevel, et belle-sœur de la comtesse de
Sault. C'est de ce procès que des Réaux entend parler. M"^ de Sault
etoit une femme de grand courage et d'une indomptable activité.
« Elle mourut en 1611, et légua six mille livres de rente à BuUion. Il
» avoit tousjours esté dans ses interests, et cette libéralité fut le paye-
» ment des bons offices qu'elle en avoit receus. Dans des occasions im-
» portantes, Crequy eut en luy un secours qui ne luy manqua jamais. »
(Chorier, Histoire du mareschal de Crequy, p. 122.)
Rappelons ici le duel de Louis d'Agoult, fils de la comtesse de Sault,
avec Michel-Antoine du Prat, baron de Nantouillet, au mois de mars
1606. Nantouillet d'abord avoit appelé Charles de Crequy; mais
Henry IV, averti, leur avoit défendu de se battre. Cependant Nantouil-
let rencontre le comte de Sault , il lui parle de sa querelle avec son
frère utérin : le comte de Sault, que n'atteignoit pas la défense du Roi,
se propose pour remplacer Crequy. L'offre est acceptée et Nantouillet
meurt percé d'un coup d'epée. Le Parlement prévenu envoie des com-
missaires sur le champ du combat ; ils trouvent Nantouillet baigné dans
son sang : «Qui vous a assassiné? » luy demandent-ils. — « Un gentil-
» homme d'honneur, messieurs, à qui les armes ont été plus favorables. :>
Il expira peu de temps après. (Voyez le Mercure françois.) Pour le comte
de Sault, il mourut le 1" janvier 1609, victime d'une drogue, l'huile
d'ambre , qu'il avoit prise pour faire mieux son devoir auprès d'une
maîtresse. {Journal de l'Estoilc.)
Ces d'Agoult etoient de leur nom Mautauban, et avoient été substi-
tués, à défaut des mâles, aux biens et au nom des anciens comtes de
Sault. Ils s'éteignirent avec notre Louis d'Agoult, comte de Sault.
Les d'Agoult d'aujourd'hui descendent directement de Raimond II
d'Agoult, mari de la célèbre comtesse de Die, émule des Troubadours.
Ils n'ont jamais porté le titre de comtes de Sault.
152 LES HISTORIETTES.
II. — P. 146, note 2, Ilg. li-
on m'a dit depuis que cela estait vraij, et qu'il le fit pour guigner
Seneterre.
Mais des Réaux auroit dû ajouter qu'en IG.'iO, date do la fabrica-
tion des premiers louis d'or, M. do Senneterre ctoit gagné depuis long-
temps, du moins au Cardinal. (Historiette, tom. i, p. 22G.)
Claude Cornuel, dont on parle aussitôt après, fut intendant des
Finances, puis président de la chambre des Comptes. C'etoit le frère
cadet du mari de la célèbre M""' Cornuel, qui aura son Historiette.
Guy de la Brosse, médecin ordinaire de Louis XIII, etoit intendant
du Jardin Royal dès 1616, mCme avant la grande faveur de Bullion.
La butte du Jardin des Plantes est depuis plus d'un siècle couverte
d'arbres qui forment assez de détours pour mériter le nom de labyrin-
the qu'on lui donne aujourd'hui. Des Réaux nous paroît le seul qui
ait mentionné la vigne plantée sur les flancs de la butte. Mais, pour ce
qui regarde la Brosse, on nous pardonnera de citer ici le bon Guy
Patin, qui d'aventure en auroit mieux parlé, si la Brosse n'avoit pas
usé d'emétique, « La Drosse qui avoit ici le Jardin du Roy, au fau-
» bourg de Saint-Victor, est mort le samedy , dernier jour d'aoust (1641).
» Il avoit un flux de ventre d'avoir trop mangé de melons et trop bu
1) de vin. Pour ce dernier ce n'etoit point tant sa faute que sa cou-
» tume. Il se plaignoit d'une grande puanteur interne... Il se fit frot-
» ter tout le corps d'huile do carabe quatre jours durant le matin et
» avaloit à jeun un grand dcmy-septier d'eau-de-vie, avec un peu de
» quelque huile astringente. Quand il vit que cela ne luy servoit de
» rien, il se ht préparer un emétique qu'il prit le vcndredy au soir,
» dans l'opération duquel il mourut le lendemain matin. Sic impuram
» vomuit animant impunis ille nebulo, in necandis hominibus exercita-
n tissimus. Comme on luy parla ce mesme vcndredy d'cstre saigné, il
» repondit (\uc c'etoit le remède des pedans sanguinaires (il nous fai-
» soit l'honneur de nous appeler ainsi), et qu'il aimoit mieux mourir
» que d'estre saigné. Aussi a-t-il fait. Le diable le saignera en l'autre
» monde, comme mérite un fourbe, un athée, un imposteur, un homi-
» cide et bourreau public, tel (ju'il etoit ; qui mesme en mourant n'a eu
» non plus de sentiment de Dieu qu'un pourceau, duquel il imitoit la
» vie et s'en dounoit le nom ; comme un jour il monstroit sa maison à
» deux dames , quand il vint à la chapelle du logis, il leur dit : Voilà
» le saloir où on mettra le pourceau, quand il sera mort. Il se nommoit
» assez souvent : pourceau d'Epicure , etc. » ( Lettre du h septembre. )
Crapulcr avoit au xvn* siècle une acception moins défavorable. Il
signifioit boire avec excès. « Crapule » dit Nicot , « cbrietas. »
M, DE BULLION. 153
m. — p. ui , lig. 1.
// se faisait donner des lavemens pour manger après tout de nouveau.
Ce procédé etoit peut-être préférable à celui qui n'est pas inusité en
Angleterre et qui consiste à rejeter ce qu'on a pris du premier ser-
vice, avant de faire honneur au deuxième. Les Romains, arbitres des
anciennes élégances, agissoient comme nos chers voisins.
Quant à la poudre de champignons , BuUion l'employoit pour les
ragoûts qu'on lui servoit chez les autres. « La poudi-e, de champignon ,
» seichée au soleil, est excellente pour faire des sausses. » (Furetiere.)
IV. — P. Ii7, Ug. 10.
Madelenet s'avisa... de luy faire une ode latine.
Voici les deux stances rappelées :
Quale vas suuKno tenus ore plénum
Fontis infuso vitrei liquore,
Kon maris vasti nimium profundis
Invidct undis,
Kostra te talem veneratur setas,
Ante quirsitis opibus beatum,
Quam reluctanti tibi crederetur
Regia gaza.
(G. M.VDZLZj\-ETi Carminum libellus, Parisiis, 1662, p. 25.)
V. — P. l!il, note, lig. dernière.
Faisons printemps, faisons printemps. C'estoit à dire : « Bouclons la
» portière du vent. »
La portière d'un carrosse se fermoit ou boucloit en dehors ; mais
Bullion vouloit qu'on fermât encore en dedans les ouvertures ména-
gées pour la vue, et c'est là ce qu'il appeloit : faire printemps. Peut-
être encore etoit-ce le refrain d'une chanson connue.
VL — P. 148, lig. 8.
Eh bien, mets-y saint Antoine.
Cela est bien plus joli que la version pincée du P. Bouhours, dans ses
Remarques sur La langue française : u Je ne scay, » dit-il, « si le surinten-
» dant Bullion parla fort juste, quand, ayant fait hast ir une chapelle
» aux Cordeliers, il repondit aux Pères qui vinrent luy demander à quel
» saint il vouloit qu'elle fust dédiée : — Helas, mes Pères, ils me sont
» tous indi/férens, je n'en affectionne aucun en particulier. »
154 LES HISTORIETTES.
Bullion contribua surtout à l'achèvement de l'église deSaint-Eustu-
che. Cette église, commencée par David en 1532, avoit été terminée en
1642 ; mais les travaux depuis exécutés d'après les vœux de Colbert
ayant ébranlé la façade, qui etoit en parfaite harmonie avec le reste de
l'édifice, comme on peut juger par les anciennes gravures, Colbert en
mourant légua quarante mille francs pour contribuer à sa reconstruc-
tion. En 1752 les intérêts successifs avoient fait élever cette somme à
cinquante mille ecus. Alors on commença cette malheureuse façade
qui, d'abord objet de l'admiration publique, choque aujourd'hui tout le
monde. Deux chapelles, peintes à fresque par Mignard et par Lafosse,
furent sacrifiées : cependant ce portail ne doit pas empocher d'admirer
le caractère étrange, imposant, grandiose du vaisseau de Saint-Eus-
tachc, de ces colonnes, il est vrai anguleuses et tourmentées, mais har-
dies et jointes plus gracieusement qu'on ne sauroit dire aux nervures
de la voûte. C'est d'ailleurs le seul monument religieux de premier ordre
où l'on ait voulu marier les traditions de l'art grec à celles de l'art go-
thique ; et l'on croiroit que l'architecte de Saint-Eustachc dût avoir été
celui de Chambord. Malheureusement, commencée sous François I",
achevée sous Louis XIII, Louis XIV et Louis XV, l'église de Saint-Eus-
tache a été depuis dépouillée de ses principaux orncmens, de la plupart
de ses tombeaux, de ses tableaux, de ses fresques, de ses statues, de son
chœur, de ses chapelles. On ne sait plus môme aujourd'hui où se trou-
voit l'ancienne chapelle de saint Antoine, qu'on auroit dû conserver,
ne fût-ce qu'en mémoire de l'un des plus généreux bienfaiteurs de l'église.
VII. — P. U9 , lig. 14.
A Paris il n'a point de palais.
Nous avons vu détruire il y a peu de temps son hôtel, situé rue Pld-
tribre (aujourd'hui Jean-Jacqjtes-Rousseau ) , n" 3. C'etoit une maison
assez modeste pour un riche surintendant; quelle distance de là aux
hôtels de Fouquet et de Colbert ! Mais deux charmantes galeries, exé-
cutées vers 1634 par Sarrasin, Blanchard et Simon Vouct, font regretter
la barbarie du peintre Paillct, qui ayant acheté l'hôtel Bullion vers 1780,
s'empressa de les détruire pour former de vastes salles, destinées aux
ventes publiques de livres et de tableaux.
Vouet avoit, dans la galerie haute, retracé l'histoire d'Ulysse; Blan-
chard, cet émule du Titien qui mourut en 1638 à trente-sept ans, pour
avoir, si l'on en croit Sauvai, trop aimé sa femme, Blanchard s'etoit
surpassé en représentant dans la galerie basse les douze mois de l'an-
née. « J'ay, » dit Sauvai , « admiré dans le mois de may, un certain pe-
M. DE BULLION. 155
» tit amour en l'air, qui vole ; mais si rond, si tendre, si délicat , l'air
» de la teste est si enfantin, ses yeux si doux et si rians, son action si
» ingénue, sa chair enfin si blanche que le lait dont on nourrit les en-
» fans ne l'est pas plus... Mais surtout je ne saurois me taire d'une
» Diane sur une nue, qu'on voit au mois de novembre ; ce n'est qu'une
» demi-figure; mais il s'y voit tant de belles parties, qu'il est fascheux
M que le reste soit enveloppé de nuages. Ses yeux gracieux et bien fen-
» dus, ses joues fraisches et vermeilles, ses bras ronds, sa gorge blan-
» che, son air noble, sa teste bien coiffée et couronnée d'un croissant,
» donnent de la tentation à ceux qui la regardent trop curieusement.
)) Les autres histoires sont plus négligées , et néanmoins, il n'y en a
» pas une où il ne se remarque quelque chose d'admirable. La plus
M estimée est celle du mois d'aoust... vis-à-vis de la porte. Dans cette
» histoire, Cerès et Flore assistent au défi de Pan et d'Apollon , et
» toutes deux écoutent attentivement ce concert. A la vérité Flore est
» une très-belle déesse, la beauté de Cerès néanmoins est toute autre.
» Cette divinité est assise sur des gerbes de bled et coiffée d'une guir-
» lande d'epis, entrelacée de salsifies et de ces autres fleurettes dont
» les bleds d'ordinaire sont entremeslés. Qu'une coiffure si simple est
» galante, et qu'elle accompagne bien son beau visage ! Il ne se peut
» rien voir de plus gracieux que sa teste, de plus amoureux que ses
» yeux, de plus doux, de plus noble que son air, rien enfin de plus
» rond que son sein, ses bras, ses mains et ses jambes; sajuppe est
» bien drapée, en un mot c'est une des beautés les plus innocentes et
)) les plus parfaites qu'ait produit le pinceau.» (Tom. ii, p. 19i.)
Vm. — P.149,lig. 15.
Le Cardinal souhaitta que Bonnetle... espousast J/"^ de Toussy.
On lit dans un recueil manuscrit de lettres écrites de Paris par
Henry Arnault, au président de Barillon durant sa disgrâce, 1639-
1643, à la date du 16 février 1639 : « La maistresse de M. de Bonnel-
» les arrive aujourd'huy à Eponne , on croit qu'ils seront mariés à
)) Videville. Une personne m'a dit aujourd'huy avoir veu les presens
» qu'il luy fait. Ils consistent en un filet de perles parfaitement beau,
» xme paire de peudans d'oreille, trois diamans , une boete de dia-
» mans et trois mille pistoles en argent. M. de Bullion donne à son fils
» soixante-sept mille livres de rentes en fonds de terre, et pour deux
» cens mille francs de bagues et de meubles. Il fait meubler la maison
» qu'il a achettée pour luy de toutes les choses imaginables , depuis le
') premier jusqu'à la cave. » Le mariage se fit bieniost après, car le
» 16 mars suivant: «il y a desjà mésintelligence entre M. de Bonnelles
1) et sa femme. »
156 LES HISTORIETTES.
IX. — P. 149, lig. 22.
Vahhé de Saint-Far on...
Pierre de BuUion, abbé de Saint-Faron, mourut aux Carmélites de
la rue d'Enfer, le 28 novembre 1Gj9, et fut enterré dans cette église,
sous une belle tombe de marbre :
Monsieur ilo Biillion l'al)bé
La nuict dernière a sueeombé
Sous la sévérité mortelle
D'Atropos la parque cruelle.
Et tiré droit vers paradis.
Il fut un peu gaillard jadis,
Mais son anie au monde engagée
S'estoit si saintement ebangée,
C'est-à-dire de pis en mieux.
Qu'on le croit maintenant aux oieux.
(LoRET, Muse historique du 29 novembre 1689 )
X.— P. 150, lig. 8.
« Adjoustez d'o>\ monsieur le Notaire. »
C'est-à-dire : payez en or. Les ecus avoient été dépréciés depuis
l'émission des louis d'or, et cela permet de bien entendre l'anec-
dote précédente de l'offre de louis faite à Bautru , Senneterre , etc.
C'ctoit donner un bon conseil à ces messieurs que de les engager à se
défaire de leurs ecus pour la môme somme en louis. Mais personne
ne doit admettre que l'économe Bullion ait invité ses convives à
prendre dans les coffres du Roi, qui dix, qui vingt ou quarante mille
francs en espèces. Voyez pourtant ce que cela est devenu : dans les
Pièces intéressantes et peu connues de la Place , la même anecdote est
ainsi transformée : » Le Surintendant ayant donné à dîner au premier
» mareschal de Grammont, au mareschal de Villeroy, au marquis de
» Souvré et au comte d'Hautefcuillc, fit servir au dessert trois bassins
» remplis de louis, dont il les engagea :\ prendre ce qu'ils voudroient.
» Ils ne se firent pas trop prier, et s'en retournèrent les poches si
» pleines qu'ils avoient peine à marcher, ce qui faisoit beaucoup rire
» Bullion. » Dulaure exagère la même aventure qui d'abord avoit été
mise sur le compte de Souscarrière , dans le roman des Mémoires du
marquis de Montbrun. Ailleurs, le même Dulaure, en alléguant Dan-
geau, dit que Bullion « avoit toujours une boîte remplie non de tabac,
mais à'excrémens Immains. » C'est ainsi qu'on traduit la poudre de
champignons dont des Réaux a parlé plus haut.
M. DE BULLION. 157
XI. — P. 150, note 2, lig. 3.
Ne vous înquîettez point ; tout est au Roy, et le Roy vous l'a donné.
L'anecdote est autrement racontée par Amelot de la Houssaye :
« Estant, » dit-il, « au lit de la mort, Cornuel se confessa au vicaire
» de sa paroisse, qui luy refusa l'absolution, s'il ne restituoit aupara-
» vant deux cent mille escus qu'il avoit mal acquis. Le malade en
» parla à M. de Bullion, qui alla consulter le cas avec le cardinfil de
» Richelieu. La réponse du Cardinal fut que toutes ces sortes de res-
» titutions appartenoient au Roy, comme seigneur de tous les biens ;
» que le Roy donnoit en pur don les deux cent mille escus dont il s'a-
» gissoit au président Cornuel pour les bons services qu'il avoit rendus
» à l'Estat, et qu'ainsy le Président pouvoit se faire donner l'absolution.
» Cornuel, muni de ce sauf-conduit, passa paisiblement en l'autre vie. »
{Mém. de la Houssaye, tom. ir, p. 428.)
Il est prol)able que la Houssaye est le moins exact. Autrement, Mont-
chal, archevûque de Toulouse, cet ardent ennemi de Richelieu, le lui
auroit reproché , au lieu de seulement dire que Bullion , homme de
grand esprit , avoit formé cette maxime , que tout estait au Roy, ne
trouvant point d'autre remède pour apaiser les remords de sa cons-
cience. « Et on sait, » ajoute-t-il, « qu'il s'en servit pour consoler Cor-
» nuel mourant, qui estoit comme au desespoir de son salut. » (J/<?-
moires, édition de 1718, tom. ii, p. 3.)
Dans une bonne Mazarinade de 1649, le Confiteor du Chancellier au
temps de Pasques, on fait ainsi parler Seguier : « Je me ressouviens
» que feu M. de Bullion, mon tres-clier confrère et bon amy, avoit fait
» présent d'un parement complet et fort riche à Messieurs de l'abbaye
» de Saint-Victor. Ces vénérables religieux députèrent quelques-uns
» de leur corps pour luy tesmoigner leur reconnoissance. M. de Bul-
» lion leur repartit : Messieurs, vous ne m'avez point d'obligation du
)» présent que je vous ay fait, sinon que je vous ay choisis. C'est l'ar-
» gent du Roy que je vous ay donné; priez Dieu pour luy, nous n'en
1) sommes que les dispensateurs. » (P. 6.)
XII. — P. 150, note 2, lig. 10.
Coquet, confident de Bullion.
François Coquet, financier habile, nommé dans la Milliade :
Le gros Coquet, ce gros taureau. . .
158 LES HISTORIETTES.
Et dans un couplet de vaudeville :
Paris, qu'on t'est redevable
D'avoir proiUiit à la fois
Un beau couple de François,
Tous deux si channans i"i table ;
François Coquet le premier,
Comme le plus honorable,
François Coquet le premier.
Et l'autre, François Pommier.
« Ces jours passés fut enterré icy un nommé François Coquet, con-
» trollcur de la maison de la Reyne. Il avoit les cheveux blancs, et
» n'avoit que quarante-quatre ans. Il estoit le plus beau disncur et le
» plus grand buveur de Paris. Bon compagnon et fort friand... Enfin,
» il est mort avec grand jugement et grand regret de sa vie passée.
» Le vin pur qu'il a bu a fait tout cela. » { G. Patin, 2 juin 1645. )
XIII. — P. 150, lig. derniëre.
Le bonhomme mourut... en moins de rien.
D'apoplexie, suivant Guy-Patin : « Il tomba malade vendredy après
» midy, il fut confessé, communié, saigné deux fois du bras, une fois
1) au pié. Monsieur le Cardinal, sçacliant la grandeur de son mal, le
» vint voir, et le trouva sans voix et sans connoissance. Ayant veû
» quoy, solulus in lacrijmas. princeps purpuratus recessit. Le malade
» mourut ex su/focatiotie cerebri. » (Lettre du 26 décembre 16ii0.)
Le tombeau de BuUion ornoit une des chapelles de l'église Saint-André-
des-Arts. Il etoit en marbre noir surmonté d'un buste en marbre blanc.
Les epitaphes satyriques tombèrent sur Bullion comme grûle. Voici
les plus remarquables :
I.
Icy dessoubs gist Bullion,
A qui la taille et le taillon.
Et la paulelte et la gabelle,
Passa pour une bagatelle.
C'est par luy qu'on sçait ce que c'est
Aujourd'huy que payer le prest.
C'est par luy qu'on apprist en France
Ce que c'estoit que subsistance.
C'est par luy qu'amortissemens
Furent tirez du monument;
Pour lequel il eut grande prise
Avec prélats et gens d'egUse.
Mesme il voulut .sans leur congé
Imposer dessus le clergé.
M. DE BULLION. 159
Comme il faisoU sur la canaille,
Il mit les nobles à la taille.
Comme à la taxe les aisez,
Qui n'en sont encor appaisez;
Il establit le sol pour livre ;
Mais enfin Dieu nous en deslivre.
Porté de la table au tombeau.
Vivant et mourant en pourceau.
Subitement le ladre crevé.
C'est grand dommage, car en Grève,
Avec un plus juste destin.
Il eust fait une belle fin.
II.
Cy-dessoubs gist un bon larron.
Paillard, gourmand, grand biberon.
Un homme de naissance obscure.
Qui fut disciple d'Epicure.
Je veux icy, d'un bref recueil ,
Garantir ses faits du cercueil.
Et rendre l'histoire commune
De ses faits et de sa foi-tune.
Il fut à son avènement
Conseiller dans le Parlement,
Où, par son infâme avarice.
Il commettoit mille Injustices.
Ce petit chicanneur ruzé.
D'une vieille ayant abuzé,
Fist si bien tester la donzelle.
Qu'il tira cent mille escus d'elle;
Apres il se list couratier
De cire, et par ce beau mestier,
S'accrut de bien et d'alliances .
Il fut intendant des Finances,
Sous un grand chef, de là les monts.
Il y voila des millions
Sur les vivres et sur les payes
De ceux qui n'eurent que des plaies
Et des travaux pour tout butin,
Cependant que ce gros mastin
Devoroit toute leur substance.
Apres il s'en revint en France,
Et par cent mil escus comptans
Il appaisa les dieux du temps.
Qui, luy faisant miséricorde.
Le garantirent de la corde.
Et devenus ses protecteurs.
Le firent un des directeurs.
Avec le titre de ministre.
Après par l'accident sinistre
De la mort du bon d'Effiat,
On vit monter le scélérat
Dessus le trosne des Finances ;
Exerçant là ses violences.
160 LES HISTORIETTES.
Il fit cstablli- (les Impôts
Pour troubler le commun repos;
Chacun n'en sçait que trop l'histoire,
Et nos maux nous la font bien croire.
Il opprima grands et petits
Sous le faix <le nouveaux edits.
Et remplit tant son escarcelle
De la misère universelle.
Qu'enfin il estoit parvenu
Aux millions de revenu.
Gorgé de biens, nourry de vice.
Il appréhenda le supplice.
Dont pour csvitcr l'accident.
Il se lit faire président.
Puis «l'un remords de conscience,
Craignant la divine vengeance.
Et que le diable ne le prist.
Il eut la croix du .Saint-Esprit.
Par ce moyen, franc de scrupule,
Il continua sa crapule.
Et hors quelque heure le matin
11 grcnouilloil dedans le vin.
Après, pour soulager nature.
Haut et bas rouluit la pilure.
Ou de tiuelque fort lavement
Barbouilloit son gros fondement.
Tanilis que d'humeur il se charge.
Pour assouvir son ventre large.
Un soir, après un grand repas.
Le vin avança son trespas.
Et sa desbausche fut suivie
De la prompte fin de sa vie.
Ainsy vescut, ainsy mourut
Dullion, filz de Bclzebut,
Qui dans l'enfer enseigne aux diables
Ses malices abominables.
Et là bas pour emplir son sac.
Mettra Pluton uiesme en bissac.
(Malleville.)
Les Bullion ctoient originaires de Mâcon. Ils tenoient dans le pays
un rang honorable. Le père du Surintendant ctoit mort vers 1588 , maî-
tre des RequCtes. Le fils aîné de Claude, Noël de Bullion, mort le 3 août
1670 , fut auteur des seigneurs de Bonnelie, marquis de Gaillardon et
de Fervaqucs, éteints dans la première partie du xviii* siècle.
Deux autres branches, les seigneurs, comtes et marquis de Fontenay
et de Courcy , les seigneurs, comtes et marquis de Montlouct et de
Saint-Amant semblent exister encore.
LXXIX.
MADàME D'AIGUILLON.
[Marie Magdetaine de Vignerot, duchesse d'Aiguillon en 1638; morte
en Î675.)
J'ay desjà dit* qui elle estoit et comment elle /fist.deRicheueu.
fut mariée à Combalet, qui estoit mal basty et
couperosé, et qui n'avoit rien que la jeunesse.
Elle avoit une telle aversion pour luy, qu'elle ne
le pouvoit souffrir et estoit dans une mélancolie
effroyable. Quand il fut tué aux guerres des
Huguenots*, de peur que, par quelque raison Devant Momauban,
d'Estat, on ne la sacrifiast encore, elle fit vœu un
peu brusquement de ne se marier jamais et de se
faire Carmélite. Ce fut aux Carmélites* mesmes Aujourd'hui rued-Eu-
fer, n» 67.
qu'elle f;t ce vœu ; elle s'habilla aussy modestement
qu'une dévote de cinquante ans. Elle n'avoit pas
un cheveu abattu. Elle portoit une robe d' esta-
mine *, et ne levoit jamais les yeux. Avec ce sortedeiauieecme.
harnois-là elle estoit dame d'atour de la Reyne-
mere, et ne bougeoit de la Cour ; c'estoit alors la
grande fleur de sa beauté. Cette manière de faire
dura assez long-temps. Enfin, son oncle devenant
plus puissant , elle commença à mettre des lan-
II. 11
162 LES HISTORIETTES.
guettes, après elle fit une boucle, ou mit un petit
ruban noir à ses cheveux ; elle prit des habits de
soye, et peu à peu elle alla si avant, que c'est elle
qui est cause que les Veuves portent toutes sortes de
couleurs, hors du vert. Le cardinal de Richelieu
ayant esté déclaré premier ministre, le comte de
Bethune fut le premier qui se présenta pour espou-
ser M""= de Gombalet. Le comte de Sault, aujour-
'"■^Siguièrcs*'"^' d'huy M. de Lesdiguieres * (ce devoit estre un des
plus riches gentilshommes de France) , fut le second
qui se fit refuser. Il est vray que le Cardinal ne la
pressa pas trop pour celui-cy, non plus que pour
l'autre.
On a fait autrefois un vaudeville où je ne voy
pas grand fondement, car je ne croy pas qu'on ayt
jamais parlé de la marier avec M. de Mantoue,
auparavant M. de Nevers :
On dit que monsieur de Mantoue
S'appreste à danser un ballet.
Où madame de Gombalet
Ne verra rien qu'elle n'avoue
Que les vieux sçavent les bons tours.
IVhessieurs, voylà le Mot qui court^.
Tome ier,p. 228. \ V Hîstonette de Seneterre * j'ay parlé de Monsieur
le Comte, et le Journal du Cardinal en parle aussy.
M"' de Combalet renouvelloit tous les ans son
vœu de Carmélite ; elle l'a renouvelle jusqu'à sept
fois. Le Cardinal fit consulter s'il estoit obligatoire;
on hiy respondit que non. Cependant, pour se des-
' On appelloit ainsy ces vaudevilles.
MADAME d'aiguillon. 163
charger entièrement, elle fonda une place de Car-
mélite qui doit estre receûe pour rien. Je croy
pourtant qu'elle se fust résolue à espouser Monsieur
le Comte s'il l'eust voulu, et, comme j'ay desjà
remarqué , il l'eust espousée si elle eust esté veuve
d'un homme plus qualifié. On fit courir le bruit, en
ce temps-là, que le mariage n'avoit point esté con-
sommé avec Combalet: cependant il passoit pour
l'homme le mieux fourny de la Cour, et qui estoit le
plus grand abatteur de bois. J'ay ouy dire mesme
que dans l'action, transporté de joye ou autrement,
il avoit appelle un valet de chambre qui avoit esté
tesmoing de ce qui s'estoit passé '.
Dalot, ce fou de poète royal et archiépiscopal,
dont nous parlerons ailleurs, fit l'anagramme que
voicy sur cette prétendue virginité : Marie de Vi-
GNEROT, vierge de ton mary. M""^ de Rambouillet
m'a pourtant asseuré que jamais elle n'avoit re-
connu que M"'' d'Aiguillon voulust passer pour fille -.
On a fort mesdit de son oncle et d'elle ; il aimoit
les femmes et craignoit le scandale. Sa niepce estoit
belle, et on ne pouvoit trouver estrange qu'il vescust
familièrement avec elle. Effectivement elle en usoit
peu modestement ; car, à cause qu'il aimoit les bou-
quets, elle en avoit tousjours, et l'alloit voir la gorge
1 J'ay ouy dire encore que son mary n'avoit pas trop bien vescu
avec elle, et qu'il disoit qu'elle avoit quelque chose sous le linge qui
desgoustoit fort. Je donne cela pour tel qu'on me l'a donné.
2 Cependant elle a pris des armes à lozange; il est vray qu'il y aune
cordelière ; ainsy elle est fille et veuve tout ensemble, car il n'y a point
d'armes de son mary.
16/i LES HISTORIETTES.
descouverte. Un soir qu'il sortoit assez tard de chez
M"* de Chevreuse : « Ne laissons pas , » dit-il ,
» d'aller chez ma niepce ; car que diroit-elle si je
» n'y allois '? »
Ce qui a le plus fait de bruict, ça esté cette bouteille
d'eau qu'on jetta à M""" de Chaulne. Voicy comment
une personne qui y estoit l'a conté. Sur le chemin de
Saint-Denis, six officiers du régiment de la Marine,
achevai, voulurent casser deux bouteilles d'encre sur
le visage à M"^ de Chaulne ; mais elle mit la main
devant, et tout tomba sur l'appuy de la portière oià
elle estoit. C'estoient des bouteilles de verre ; le
verre coupe et l'encre entre dedans les coupures ;
cela ne s'en va jamais. M"' de Chaulne n'en osa
faire aucune plainte. On croit qu'ils n'avoient ordre
que de luy faire peur. M""" d'Aiguillon, par jalousie
d'amour ou d'authorité, ne vouloit point que per-
sonne fust si bien qu'elle avec son oncle. Le Car-
dinal ne faisoit pas trop grand cas de M°"= de
Chaulne ; elle n'estoit plus dans une grande jeu-
nesse ; sa beauté desclinoit, et le reste n'estoit pas
grand' chose. Il tesmoigna assez ce qu'il en pen-
demil'Te "eœnue! soit , uu jour qu'cstaut à Chaulne *, durant le
siège d'Arras, il trouva que M"'" de Chaulne
s' estoit fait peindre dans un vestibule avec tous
ses gens autour d'elle, qui luy apportoient ce qu'ils
1 La Re3me-mere envoya des gens pour l'enlever comme elle devoit
aller à Saint-Cloud, afin de mettre le Cardinal à la raison, quand elle
auroit ce qu'il aimoit tant ; mais Bezançon descouvrit toute l'entre-
prise.
MADAME d'aiguillon. 165
avoient achepté ; car voyant cela, il ne put s'em-
pescher de dire avec un sousris mesprisant : « C'est
» bien cette fois, Madame nostre hostesse. » Elle
avoit pourtant quelque pouvoir sur son esprit, ou
bien elle demandoit si hardiment qu'il ne pouvoit
le refuser. En effect, quoyqu'il n'eust point d'envie,
à ce qu'on dit, de luy donner une abbaye de vingt-
cinq mille livres de rente aux portes d'Amiens, il la
luy donna pourtant. Par vanité elle vouloit que tout
le monde crust que le Cardinal l'aimoit ; et il y a
eu bien des gens qui, sçachant que M"^ de Chaulne
avoit une fois conté qu'un jour qu'elle estoit seule,
je ne sçay quel monstre à quatre pieds luy estoit
apparu dans sa chambre et avoit disparu aussytost ;
il y a eu bien des gens qui ont dit que c'estoit une
invention pour se faire de feste ' ; mais je le sçay
de trop bon lieu pour en douter. Comme le Car-
dinal avoit esté plus d'une fois à Chaulne, Bautru
dit un jour que Monsieur le Cardinal s'y plaisoit ;
mais le feu Roy, qui avoit tourné tout son esprit du
costé de la malignité, et qui harpignoit tousjours le
Cardinal, dit que Bautru avoit dit que Monsieur le
Cardinal se delassoit chez M""" de Chaulne. Bautru
fit son apologie au Cardinal, qui luy dit en propres
termes : « Vous mériteriez des coups de baston, si
» vous aviez dit cela. »
Le mareschal de Brezé, enragé de ce que M"' d'Ai-
* Et d'autres ont dit qu'une dame de Picardie, dont on ne m'a pu dire
le nom, estoit ennemye de M'"^ de Chaulne et luy avoit fait faire cette
insulte.
16G LES HISTORIETTES.
guillon ne l'a pas voulu aimer ( car quoyque ce
fust la niepce de sa femme, il en a esté amoureux
à outrance) , et peut-cstre aussy de despit de ce que
son filz n'estoit pas principal héritier % en a fait tous
les contes qui ont couru. Il disoit toutes les circon-
stances de la naissance et de l'éducation de cha-
cun des Richelieux , et qu'ils estoient tous trois à
M""-' d'Aiguillon ', et mesme qu'elle en avoit eu un
quatriesme. « O ! » dit la Reyne, « il ne faut jamais
» croire que la moitié de ce que dit Monsieur le ma-
» reschal de Brezé. » Ainsy elle n'en auroit eu que
deux.
11 se trouve que M"" d'Aulroy, autrefois M""' du
Pont-de-Courlay , générale des Galères % présenta,
durant le procez de M"" d'Aiguillon et du duc de
Richelieu, une requeste qu'on supprima bien viste,
par laquelle elle exposa au prevost de Paris qu'on
luy avoit supposé ces trois Richelieux, au lieu de ses
enfans. D'ailleurs M'"" d'Aiguillon, quand il a esté
question de la majorité de son ncpveu, le duc de
Richelieu, a dit que le baptistaire n'est qu'en une
feuille volante ; qu'il n'y en a eu ny du premier ny
du second , qui sont baptisez tous deux en mesme
jour et en mesme lieu. L'aisné avoit cinq ans. Quelle
1 Cela est faux; au moins feu M. de la Galissonnicre, qui cstoit pré-
sent, comme parent et tuteur, ;\ l'ouverture du testament, dit que le
mareschal de Brezé ne s'emporta pas, et ne dit rien de tout ce qu'on
luy a fait dire.
2 Pour les deux filles, il n'en disoit rien.
roij. sur ce nom ' Elle s'appcUoit Gueraadeux *, d'une bonne maison de Bretagne : elle
r//is<.deLouisXiii. gj.^ ^jj pg^ f^jjg^ qq Pont-de-Courlay estoit un bossu bien ridicule ; une
beste.
MADAME d'aiguillon. 167
apparence, s'il n'y avoit eu du mystère, que le Car-
dinal de Richelieu n'eustpas fait charger le registre !
Dans le procez qu'elle eut contre feu Monsieur le
Prince pour la succession du Cardinal, on la traitta
de gourgandine. Gautier dit délicatement, parlant
du crédit qu'elle avoit auprès de son oncle : <■ Ce
» Samson n' avoit plus de force quand il estoit entre
» les bras de cette Dalila. » Elle, en revanche, luy
fit reprocher par Hilaire, son advocat, qu'il s'estoit
mis à genoux devant le Cardinal de Richelieu pour
avoir M"'' de Rrezé pour M. d'Anghien. Il se leva
et dit que cela estoit faux, mais il n'y a rien de
plus vray. Il offrit au Cardinal M"' de Bourbon
pour son nepveu de Brezé ; et le Cardinal dit en
cette occasion une des plus raisonnables choses qu'il
ayt dites de sa vie : « Une demoiselle peut bien
» espouser un prince, mais une princesse ne doit
» point espouser un gentilhomme. » Feu Monsieur
le Prince fit tant de fautes dans les employs de
guerre qu'il eut, qu'il fut réduit à offrir ses enfans ;
encore le Cardinal les alloit-il malmener, s'ils ne se
fussent bien réduits. Il vouloit que M. d'Anghien,
pour avoir négligé de voir M. le cardinal de
Lyon, à Lyon, au retour de Perpignan, retournast
le chercher à Marseille : mais il n'y alla pas ; on
trouva le moyen de l'en exempter.
Feu Monsieur le Prince fit à M"' d'Aiguillon un
meschant tour pour la duché d'Aiguillon \ Par une
pendarderie du lieutenant civil Moreau, cette duché
1 G'estoit à feu M. de Mayenne, !e filz.
168 LES HISTORIETTES.
A M" .lecombiUet. fut adjugée* à quatre cens mille livres; et les créan-
ciers de M. de Mayenne en offroient huit cens mille !
Or, durant ce procez, se voyant assistez d'un prince
du sang, ils offrirent encore quatre cens cinquante
mille livres , et il fallut que M""' d'Aiguillon , qui
n'eust plus esté duchesse sans cela (car, quand elle
eust achepté une autre duché , on n'eust pas receu
aisément une femme, et il falloit attendre pour cela
''""'■ 'chfd'A.'""^"' la majorité) , les payast* dans la journée. Monsieur le
Prince, après la mort de son père , du mareschal et
du duc de Brezé, s'empara de tout leur bien et en
jouissoit par force, quoyque sa femme n'eust rien à
prétendre à tout cela par le testament du Cardinal.
M"" d'Aiguillon ne voulut jamais s'accommoder, de
peur qu'on ne dist que ç'avoit esté aux despens des
nepveux. Le règne de son oncle l'a rendue fort
impérieuse ' ; elle ne sçauroit quitter sa première
fierté ^ Elle a de l'esprit, du sens et de la fermeté ;
mais elle est brusque et testuc. Nous parlerons
après de son avarice.
On a fait bien des médisances d'elle et de M"" du
Vigean ' ; on dit que quelquefois elles se levoient
* Elle s'est maintenue , et a traitté dans le commencement de la
Régence, plusieurs fois, la Cour à Ruel.
En pareil cas, nu- 2 Un jour que M""* de la Trimouillc avoit fait mettre des pieux* pour
jouril'liui on ne pcr- , , . ,,
met «lue la paille. la maladie d un de ses enfans, M""* d'Aiguillon, en allant aux Carmé-
lites, les fit arracher. M'""' delà Trimouillc s'en plaignit; M. le Cardinal
ordonna à sa nicpce de luy en faire faire excuse. Elle luy en fit faire
compliment, disant que ses chevaux, qui cstoient neufs, n'avoient ja-
mais voulu tourner.
3 j^jme (ji, Vigean a accoustumé de se chaufTer la juppe troussée. Une
fille à qui elle la faisoit tenir, lasse de cela, l'attache avec une épingle
à son corps : il vient compagnie, elle la reçoit et monstroit sa chemise.
MADAME d'aiguillon. 169
avec les yeux battus jusqu'à la moitié des joues ;
elles s'escrivoient les lettres les plus amoureuses du
monde. M""' du Vigean se jetta à corps perdu entre
les bras de M"" d'Aiguillon ; c'eust esté une tygresse
si elle l'eust rejettée. Elle a esté son intendante, sa
secrétaire, sa garde-malade, et a quitté son mes-
nage pour se donner entièrement à elle. Il y a, eu
des chansons terribles contre M"" du Vigean , jus-
qu'à dire de son mary :
Dans l'abondance de ses cornes
On ne sçauroit trouver de bornes.
Cependant on ne m'a sceû nommer un seul galant
de cette femme. A la vérité, on avoit un grand
mespris pour le mary ; et le duc de Lorraine voyant
que cet homme avoit levé un régiment : « Hélas ! »
ce dit-il, « il faut que je sois bien hay en France,
» puisque , jusqu'au petit Vigean , on y prend les
» armes contre moy. »
Feu Madame la Princesse avoit recherché l'amitié
de M""" d'xiiguillon pour avoir la protection du Car-
dinal, car elle craignoit que son mary ne la con-
fmast à Bourges *. M"*" de Rambouillet, depuis
M"* de Montausier, estoit admirablement bien avec
elle, et y est encore, mais non pas avec tant de
chaleur. Nous en parlerons ailleurs.
Il est temps de parler de son avarice et de sa
dévotion. Elle ne daigna pas escouter ceux qui luy
^ Elle appelloit le cardinal de la Vallette mon rspoux, et luy l'appel-
loit mon espoiise.
170 LES HISTORIETTES.
conseilloient de donner cinq cens mille livres à feu
Monsieur le Prince pour avoir sa protection. Il luy
en cousta plus d'un million d'or à elle et à ses nep-
veux. Elle a eu trois cens procez, et pas un en
demandant. Sans parler de toutes les grivellées
qu'elle a faittes, je diray simplement ses vilainies.
Voyant Cornuel à l'extrémité, elle envoya emprun-
ter six chevaux blancs qu'il avoit ; et quand il fut
mort et qu'on les luy revint demander, elle dit
que les morts n'avoient que faire de chevaux. Le
frère aisné de M. de Noailles disoit que pour
espargner son carrosse, toutes les fois qu'elle alloit
à Ruel, elle prenoit un beau carrosse que le bon-
homme M. de Noailles avoit eu à Rome, en son
ambassade, et le renvoyoit tousjours tout crotté.
On a dit qu'elle avoit emprunté des juppes, et
qu'au bord crotté on avoit reconnu qu'elle les avoit
portées. Si cela luy fust arrivé un de ces jours
qu'elle a rencontré le corpus Domini, cela eust esté
plaisant, car, quelque part qu'elle le trouve, elle le
suit dans les crottes , jusqu'au premier lieu où il se
doit arrester '. Gela se fait en Espagne, et le Roy
mesme le suit. Un Espagnol disoit cela à un Fran-
çois : « Je croy bien , » dit l'autre ; « en France il
» est parmy ses anciens amis, il n'a que faire
1 Elle donue aux églises , et ne paye pas ses dettes. Dans sa vision
de bigotterie, elle dit à toute chose : « En vérité, cela fait dévotion, >k
et le dira quelquefois en parlant d'une chose qui n'y aura aucun rap-
port. C'est simplement pour dire : « Cela touche. »
Elle a passé quelquefois des nuits entières le ventre à terre dans
l'église de Saint-Sulpice.
MADAME d'aiguillon. 171
» qu'on l'accompagne ; mais parmy des Marranes,
» il en a besoing. »
Un marchand luy ayant apporté des parties de
choses dont le prix estoit fait, elle dit qu'elle vou-
loit voir son journal pour vérifier si elles estoient
conformes. Quand elle eut le journal et les parties,
il fallut composera
Les deux mariages de ses nepveux sont si
brouillez avec la Cour, que je les mettray dans les
Mémoires de la Régence.
* On dit que présentement, 1659, elle fait ramasser le sucre que
l'on met sur le bord de ses plats de dessert.
COMMENTAIRE.
L — P. 161, lig. dernière.
Elle commença à mettre des languettes...
« Il y a eu, » dit Furetiere, « une mode où le linge et les habits es-
» toient taillez et decouppez en languettes ; ce qui leur servoit d'or-
» nement. »
On va voir que jusqu'à M""* de Combalet, les veuves ne portoient
pas de robes de couleur; aujourd'hui, hors le temps du deuil (un an à
Paris et deux ans en province) , elles acceptent toutes les couleurs,
même le vert.
IL— P. 162, lig. 6.
Le comte de Betkune fut le premier qui se présenta...
Hippolyte, comte de Bethune, neveu du Surintendant et père de la
maréchale d'Estrées, mourut le 2i septembre 1665. Il eut grande part
aux affaires et à la bonne conduite de Mademoiselle, et à n'eu juger
même que par les Mémoires de cette princesse, il en fut payé d'une vé-
ritable ingratitude. C'est lui qui réunit la belle collection de papiers et
de manuscrits, dont la plus grande partie est aujourd'hui une des ri-
chesses de la Bibliothèque nationale.
172 LES HISTORIETTES.
III. — P. 163, iig. 5.
// l'eust espousce si elle eust esté veuve d'un homme plus qualifié.
De plus haute qualité que celle de seigneur de Combalet; non de plus
haute naissance : car, à moins d'épouser un prince du sang ou de
quelque maison souveraine, M""-' d'Aiguillon n'avoit guère pu trouver
un nom plus illustré que celui de du Roui'e.
A travers tous les récits et toutes les médisances qu'on va lire, il
sera bien facile encore de distinguer dans la duchesse d'Aiguillon une
personne sage , pieuse , estimée de tout le monde , même de la Reine
et de M""* de Rambouillet, d'ailleurs fort étrangère aux combinaisons
politiques de son oncle. Son premier mouvement l'avoit porté à renon-
cer au monde, aussitôt la mort de son mari : le vœu qu'elle en avoit
fait, elle le renouvela pendant la toute-puissance du Cardinal. Ne
pouvant lui trouver des amans, on lui supposa de mauvaises habitudes,
suivant l'usage des cnlimniatcurs de cour. Et quant à la nature de ses
relations avec le Cardinal, c'ctoit un aliment inévitable de la médisance.
La postérité n'en a pourtant pas recueilli d'autres preuves que les al-
légations contemporaines de la Milliade et des Ponts-Bretons ; on ne
doit pas s'y arrêter. L'abbé de Saint-Germain lui-même, et ceux qu'il
mit à contribution pour ses pamphlets, n'ont jamais mal parlé de
M"'^ de Combalet.
Il est plus malaisé de la défendre d'avarice et de lésinerie. De ce
vice réel est venue la force des mauvais bruits répandus, quand elle
etoit déjà vieille, sur sa jeunesse. Mais le procès qu'elle soutint contre
la maison de Condé donna seul une sorte d'importance à toutes les
calomnies que l'on va retrouver ici.
IV. — P. 103 , note 2.
Cependant elle a pris des armes à lozange...
Des Réaux pourroit bien se tromper ici : l'ecu en losange apparte-
noit aux veuves aussi bien qu'aux filles. Il sufiisoit d'être femme pour
en justifier l'emploi. Cependant il se peut qu'au xvii" siècle et jusqu'à
M"* d'Aiguillon, à laquelle les veuves doivent tant de privilèges, le lo-
sange fût encore réservé aux filles. Laiïemas, auteur présumé de la
Mazarinade du Procez burlesque, justifie l'opinion de des Réaux :
Cette dame se voyant vefve,
Sentit une iloiiletir Rriefve;
i:t qiio> que sa grande beauté
.'ointe avee sa pndieité
MADAME d'aiguillon. 173
Donnast tie l'amour à grands princes
Comme à gouveraeurs de provinces.
Voulut vivre en viduité.
Vouant à Dieu virginité.
D'où vient qu'elle a fait mettre en bosse
Au deiTiere de son carrosse,
Avec admirable fasson,
D'une pucellel'escusson.
(Page 6.1
V. — P. 163, lig. dernière.
Elle avait des bouquets et t'alloit voir la gorge descouverte...
C'est-à-dire en costume de cour, ou, comme nous disons aujourd'hui,
de soirée. Apparemment s'il y eût eu quelque galanterie réelle, la nièce
eût évité d'aller voir son oncle en habit de combat , et à toutes les
heures.
Et plus bas , si le Cardinal parloit si volontiers du plaisir que M"« de
Combalet trouvoit dans ses visites, lui qui craignoit le scandale ne sup-
posoit donc pas qu'on pût mal interpréter les soins et les prévenances
dont il entouroit son aimable nièce.
VI. — P. 16A, note.
La Reyne-mere envoya des gens pour l'enlever...
Voiture avoit écrit dans sa lettre xxviii' : « Après l'extresme hon-
» neur qu'elle (Madame la Princesse) me fait, il ne me resteroit rien à
» désirer pour ma gloire, si ce n'est que la demoiselle que l'on voulut
» enlever à Lima se fust souvenue de moy. » A ce propos , notre des
Réaux a noté sur les marges de l'exemplaire que nous avons sous les
yeux : » Quand la RejTie-mere envoya des gens pour enlever M™* d'Ai-
» guillon, afin de mettre par ce moyen le cardinal de Richelieu à la
M raison, M"^^ de Rambouillet estoit avec elle. Elles alloient, de com-
» pagnie, voir M°"^ de Rambouillet, qui estoit allée prendre l'air à
» Saint-Cloud, où le coup se devoit faire. Bezançon descouvrit l'entre-
» prise. On a mis Lima au lieu de Saint-Cloud, de peur qu'on ne
» deviuast la chose. »
La Porte dit de son côté : « On me mit (en 1630), au sortir de mon
» cachot de la Bastille, avec le comte d'Achon, gentilhomme très-sage,
» plein d'honneur, neveu du Père de Chanteloube , qui estoit avec la
» reyne Marie de Medicis en Flandres, et qui fut du conseil de faire
» prendre M"^ d'Eguillon, pour sauver la vie de M. de Montmorency.
)i Ce fut le comte d'Achon qui conduisit cette entreprise, avec M. de
» Bezançon l'aisné, qui, s'estant sauvé du Fort-l'Evesque, où il estoit
174 LES HISTORIETTES.
» prisonnier, par le moyen d'une machine qu'il avoit inventée, se re-
n tira en Flandres avec la Reync-mere. Leur dessein etoit d'enlever
» M"* d'Eguillon, lorsqu'elle se promeneroit sur une haquenée dans
» le parc de Vincennes, et de la mener en Flandres, pour donner la
» peur à Monsieur le Cardinal que la Reyne-mcre n'usast de repre-
» sailles sur cette dame, s'il faisoit mourir M. de Montmorency. Il y
» eut quelque faux frère qui descouvrit la chose. Un soldat fut pendu,
» M. le comte d'Achon et un valet de chambre de la Reyne furent mis
» à la Rastillc... il y demeura sept ans; et il n'en cust pas esté quitte
» pour cela, sans M'"° d'Eguillon, qui ne voulut pas qu'on ostast la vie
» à un gentilhomme pour l'amour d'elle... Cependant, ses parens s'es-
» toient saisis de tout son bien ;... de quoy m'entretenant avec luy, il
» me vint en pensée que M"^ de Rambouillet, depuis M™" de Montau-
» zier, estoit fort aimée de M"^ d'Eguillon... Elle fit si bien auprès
» de M""-" d'I'guillon, que celle-cy fit la chose de la meilleure grâce du
» monde, elle prit son temps, lors du mariage de M. de Saint-Sauveur,
» parent de Monsieur le Cardinal, avec M"° do Jalaine, et de la Bas-
» tille elle le fit venir à ces noces.... Et M""^ d'Eguillon, non contente
» de cela, prit ses interests en main, et luy aida à solliciter ses procez,
» qu'il gagna tous, et le fit ainsi rentrer dans la possession de son bien. »
{Alémoires de la Porte, p. 189.)
VII. — P. 16/1, lig. 5.
Ce qui a le plus fait de bruict, ça esté cette bouteille d'eau qu'on
jetta à 31^" de Citaulnc.
Claire-Charlotte d'Ailly, comtesse de Chaulncs, fille du vidame
d'Ailly et de Pecquigny, le dernier rejeton de cette grande maison.
Elle avoit épousé en 1619 Honoré d'Albert, seigneur de Cadenet,
frère du Connétable ; en sa faveur, le comté de Chaulnes fut érigé
en duché. C'est une petite ville de Picardie, à trois lieues et demie de
Péronne.
Il faut comparer le récit de des Réaux avec celui de Bassompierre,
alors à la Bastille : « Il arrive en ce môme mois (avril 1639), une chose
» fort extraordinaire, qui est que M"'' la duchesse de Chaulnes estant
» allée aux Carmélites de Saint-Denis dans un carrosse à six chevaux le
» mardi de la semaine sainte, ayant avec elle trois femmes et un gen-
» tilhomme, deux laquais et ses cochers, fut à son retour attaquée par
» cinq cavaliers, portant cinq fausses barbes, qui firent arrêter son car-
)) rosse, tuèrent un des laquais, et un d'eux vint luy jetter une bouteille
» pleine d'eau forte au visage. Elle qui vit venir le coup mit son man-
» chon, qu'elle avoit en ses mains, devant son visage, qui fut cause
» qu'elle ne fut point offensée... On n'a sceû depuis qui a fait ou fait
» faire cette meschanceté. » (Tom. iv, p. 415.)
MADAME d'aiguillon. 175
VIII. — p. 1G6, lig. 9.
« 0 ! » dit la Reync , (( il ne faut croire que (a moitié de ce que dit
M. le mareschal de Brezé. »
Ce bon mot a été fait et refait cent fois ; il est de ceux qu'il n'est plus
permis d'alléguer, Ninon, Boisrobert, des Yvcteaux le répéteront môme
dans nos Historiettes. Cependant, on l'a réellement mis un instant sur
le compte de la Reine (sans doute Marie de Medicis), témoin cette
epigramme :
Pliilis, pour soulager sa peine,
Hier se plaignolt à la Reyne
Que Brezé disolt hautement
Qu'elle avoit quatre filz d'Armand.
Mais la Reyne, d'un air fort doux,
Luy dit : « Philis, consolez-vous,
» Chacun seait que Brezé ne se plaist qu'à mesdire,
" Ceux qui pour vous ont le moins d'amitié
" Luy feront trop d'honneur, de tout ce qu'il peut dire,
» De n'en croyre que la moitié. »
{Tableau de la vie et du gouvernement de MM. les Cardi-
naux Richelieu et Mazarin. Cologne, 1693, page 195.)
Le maréchal de Brezé avoit épousé la seconde sœur du Cardinal, et
M""^ de Combalet etoit fille de l'aînée.
IX. — P. 167, lig. 1«.
Quelle apparence, s'il n'y avoit eu du mystère, que le Cardinal rCeust
pas fait charger le registre.
Il faut entendre cette phrase : Quelle apparence que pour le nom
des neveux du Cardinal, on n'ait pas convenablement fait les mentions
sur les registres, et que le Cardinal n'en ait pris aucun soin? Il y avoit
donc du mystère.
Je suis fâché pour notre auteur de lui voir répéter ces ridicules
médisances. Il est vrai que d'abord il nous prévient que la dame d'Aul-
roy etoit un peu folle et que son mari valoit encore moins qu'elle;
mais des Réaux lui-môme ne pouvoit croire que M™* d'Aiguillon eût pu
mettre au monde deux, trois ou quatre enfans ; qu'elle eût tenté de les
substituer à d'autres, quand le plus difficile étant fait (l'accouchement
secret), elle n'avoit plus qu'à laisser dans le môme mystère la naissance
de ceux qu'elle devoit au Cardinal. Ces bruits après tout sont fondés
sur un désordre alors fort commun dans les livres tenus par les curés ;
désordre dont les parens se préoccupoient peu, dans la conviction qu'on
n'auroit jamais besoin d'y recourir. D'ailleurs si jamais M""* d'Aiguil-
176 LES HISTORIETTES.
Ion avoit été dans une position délicate, en raison de ses relations avec
son oncle, n'auroit-elle pas aussitôt consenti à l'un des mariages qu'on
ne cessoit de lui proposer ?
X. — P. 167, lig. 5.
Gautier dit délicatement...
Et surtout lâchement ; car il parloit pour un prince du sang tout-puis-
sant contre une femme qui avoit perdu tout son ancien pouvoir. L'a-
vocat Gautier fut j)our la maison de Richelieu un ennemi redoutable.
Ses plaidoyers ont été réunis en deux volumes in-4° ; à la fin du premier
volume, on proraettoit de donner les discours prononcés dans ce fameux
procès ; mais Gueret, éditeur du second volume, préféra ne pas les y
insérer,
Gautier mourut en septembre 1666, âgé de soixante-seize ans, comme
nous l'apprend Guy Patin, dans une lettre à Spou du lendemain 17 sep-
tembre.
Voici quelques extraits du Procès burlesque qui se rapportent à l'his-
toriette :
Or, le premier huissier ne tarde
Ceste grande eause appeler;
Et se plaist bien d'articuler
D'une voix presque musicale
Dont retentit toute la sale;
II se rompt presque le gozier.
Nommant le procureur Mazier;
Bourdon pareillement il nomme.
Qui passe pour tres-honncste homme.. .
Le Mazier est pour la Duchesse,
Qui jadis fut plus que princesse;
Bourdon appelle l'advocat
Gaultier, à qui faut maint ducat
Pour faire plaider une cause.
Car peu d'argent ne l'y dispose;
Aussy beaucoup cet homme vaut,
A son client qui point ne faut.
Et s'il prend avec allégresse,
II les deffend avec adresse.
D'où vient que monsieur de Condé
De le prendre n'a point tardé.
Le Mazier d'appeler Ililaire
S'esgoziUe et se désespère :
Advocat grandement s(;avant
Grandes causes plaide souvent.
Très excellent jurisconsulte,
Et que forre monde consulte.
Gaultier son plaidoyer commence. . .
Apres, il dit que la Duchesse
Estoit bien pleine de finesse.
MADAME d'aiguillon. 177
Qu'elle avolt par suggestion
Fait une forte impression
Dans cette puissante cervelle,
Soubinis l'ayant à sa tutelle,
La comparant à Dalila
Qui (le Samson corps affola.
Aussy (lespens il demanda.
Finissant sa cause par là
Qu'il appartenoit à justice
Et qu'il e.stolt de son office
D'empescher que tous ces thresors
Qui sont dans la France et dehors,
A la Combalet appartiennent '
Et que-Jes Vignerots les prennent ;
îlals il faut avecques raison
Que ceux de royale maison ,
Illustres dedans leur naissance
Et presque de di\-ine essence.
Tel qu'est monsieur le duc d'Anghlen ,
Prennent bonne part dans ce bien .
Alnsy, que dans son origine ,
•^ Et dedans sa source pristine.
Ce grand avoir retournera.
Et le public content sera .
(Pages 11 à 16.)
Mais ce qui prouve combien Gauthier risquoit peu de chose en atta-
quant aussi violemment M°"= d'Aiguillon, c'est le récit que le même
Mazarineur fait des débats :
Hilaire quelques lerti-es lut
De quoy fort bien passé se fût.
Et de dire quelque autre chose
Que repeter encor je n'ose.
Et je m'estonne fort comment
II parla tant ouvertement;
Car quant àmoy, je vous assure,
Que dans une telle adventure.
Je m'en fusse fort bien gardé.
Crainte d'estre bastonnade.
Et faire rude pénitence
D'un discours de telle importance.
[Procès burlesque, p. 18. i
Gauthier, dans sa réplique, afin d'effrayer Hilaire, commença par
rappeler l'histoire de tous ceux que l'on avoit mis à mort pour avoir
médit des princes du sang, comme Marigny, d'Oyac et autres. Le
conteur burlesque nous permet de deviner qu'on approuva le courage
d'Hilaire, car après avoir rendu compte du plaidoyer de Gauthier :
Je confesse que j'eus croyance
Qu'on conclueroit à l'audience
Ace qu'Hilaire on estranglast.
De verges Rozée on sanglast,
II. 12
178 LES HISTORIETTES.
Et qu'ainsy l'advocasserle
S'en allast par la pciiderii-.
Et les plus huppés du barreau
Devinssent gibier du bourreau :
Il est vray que dedans leurs causes
Ils avoient dit d'estranges choses.
De quoy le prince de Condé
Eust fort bien raison demandé ;
Mais non pas à ce que je pense
Pour les attacher à potence.
Non plus que les essoriller
Ny de verges les estriller.
Aussy vis-je en grant colère
(Illaire ne se pouvant taire.
Disant que mémoires avoit
Sur lesquels plaider il pouvoit.
XI. — P. 167, lig n.
Le Cardinal dit en cette occasion une des plus raisonnables choses
qu'il ayt dittes en sa vie...
Mademoiselle rapporte précisément la môme chose : « Monsieur le
» Prince demanda au Cardinal , comme ;\ genoux, M"* de Brezé , et fit
I) pour l'avoir ce qu'il auroit fait s'il avoit eu l'intention d'avoir pour
» son fils la Reync de tout le monde; et mesmc... il le pria de marier
» en mesnie temps M"* de Bourbon à M. le marquis de Brezé. M. le
» Cardinal respondit qu'il vouloit bien donner des demoiselles à des
» princes, et non pas des gentilshommes à des princesses. » (Edition de
1730, I, p. 36.)
XII. — P. 168, note 1", lig. 1.
Elle s'est maintenue dans le commencement de la Régence.
Voici des couplets fournis parles recueils manuscrits, et qui furent
composés peu de temps après la mort du Cardinal :
I
Enfin, belle de Combalet
Il faut finir votre rolet,
Vostre oncle est mort et vosfre gloire;
Vos ans et vos yeux sont passez,
Le goust n'en vaut pas le debolre.
Dites aux plaisirs : Cest assez.
II.
Cette pompe qui vous sulvoit.
Et l'espoir qui vous decevolt
N'est plus, la fortune est tournée;
Les ducs, les princes et les rois
Qui recherchoient vostre hymenée
Ne seront plus h vostre choix.
MADAME d'aiguillon. 179
III.
Que ce feu bruslant de vos yeux
D'un rayon d'amour, odieux
Au prince tombé sous les armes
Vengeresses de son refus,
S'esteigne à présent dans les larmes,
Voyant tous vos desseins confus.
XIII.— P. 168, note 3.
M"* du Vîgean a accoustumé de se chauffer.
Le conte a été souvent renouvelé. Je l'ai entendu faire de la duchesse
de Berry fille du Régent , et de M""* de Staël. Prenons acte d'antério-
rité pour Anne de Neubourg, dame du Vigean. Sans les médisances de
des Réaux au sujet de M™'' d'Aiguillon et du Vigean, il seroit assez
difficile de comprendre une page singulière des Mémoires de Made-
moiselle. C'est quand, dans sa grande jeunesse, elle passa par Riche-
lieu : « M"" d'Aiguillon m'y reçut fort bien ; M"" du Vigean et M'"' de
» Rambouillet luy aidèrent à faire l'honneur du logis. M. du Vigean,
« que j'avois trouvé à Blois... m'avoit accompagné : cela ne luy réussit
» pas. Je fus toute estonnée de voir sa femme embarrassée de sa pré-
» sence, et que cela troublast la joie de ma visite. M"® d'Aiguillon me
» demanda pourquoy je l'avois amené ; je luy respondis qu'il avoit
» accompagné Coulas, qui m'avoit suivie dans son carrosse, avec un
» gentilhomme de S. A. R. , nommé Chabot, qui est à présent M. de
» Rohan, et qui estoit alors si mal dans ses affaires, qu'il estoit bien
» heureux d'avoir son ordinaire à la table de Coulas. Toutes les façons
» qui furent faites sur le sujet de M. du Vigean nous rejouirent fort,
» quand nous fumes seules (M''*') Beaumont , Saint-Louis et moy, et
» mesme M"" de Saint-Georges, que son âge n'empeschoit pas d'estre
» de très-belle humeur. » {Mémoires., édition de 1730, tom. i, p. 18.)
XIV. — P. 169, lig. 12.
Cependant on ne m'a pas sceû nommer un seul galant de cette
femme.
Bel exemple, entre mille, de la valeur historique des vaudevilles. Les
cornes abondent sur le mari ; d'où viennent-elles ? On ne peut citer
un seul galant de M""» du Vigean. Le deshonneur de la femme et du
mari n'en vont pas moins à la postérité.
Dans la satire des Contreveritez , il y a :
Les bigots de ce temps mesprisent Chaudebonne,
Madame d'Aiguillon a chassé la Baronne.
180 LES HISTORIETTES.
Cette contre-vérité devint pourtant une vérité, quand M"' du Vigean
devint duchesse de Richelieu.
XV. — P. 1G9, lig. dernière.
Elle ne daigna pas écouter ceux qui Imj conseillaient de donner cinq
cens mille livres à feu Monsieur le Prince.
Des Réaux en présente une bonne raison dans la page précédente ;
elle ne vouloit pas donner cinq cent mille francs, qui etoient le bien
de ses neveux, pour satisfaire d'injustes prétentions.
XVI. — P. 170, lig. 10.
Le frère aisné de M. de Noaittes.
Sans doute Antoine de Noailles comte d'Aycn, de 1643, date de la
mort de son frère aîné, à 1645, date de la sienne. Le plus jeune fils de
François de Noailles, l'ambassadeur à Rome, etoit Anne, qui fut premier
duc de Noailles et maréchal de France.
XVII. — P. 170, note, lig. 2.
En vérité cela fait dévotion.
Note de dgs Réaux sur la 129" lettre de Voiture : « M"* d'Aiguillon
» disoit de toute chose : Devant Dieu, cela fait dévotion. En racontant à
» M"° de Rambouillet ce que luy disoit M. de Montauzier, quand il
» recherchoit cette demoiselle, elle disoit: Ma fille, ma fille, devant
» Dieu, cela est touchant, cela fait dévotion. »
XVm. — P. 171, lig, 8.
Les deux mariages de ses nepveux sont si brouillez avec la Cour....
C'est-à-dire : ont tant de rapports avec les affaires de la Cour. Le pre-
mier de ces deux neveux, Armand-Jean de Vignerot du Plessis , duc de
Richelieu, avoit épousé le 26 décembre 1649, à l'âge de vingt ans, Anne
Poussart , veuve de François-Alexandre d'Albret sire de Pons , et fille
de François Poussart baron du Vigean et d'Anne de Neubourg. Le
mariage déplut à M""' d'Aiguillon et M""" du Vigean s'y opposa d'abord ;
écoutons le bon Loret, lettre du 8 juillet 1650 :
Certaine dame de Paris
Qu'en ce lieu Je nomme Clorls,
MADAME d'aiguillon. igi
Tres-prude et tres-habile femme.
Chanta fort hautement la gamme
A certains quidams père et filz.
Qui furent un peu desconfiz.
En un hostel ils s'assemblèrent.
D'abord, les deux hommes tremblèrent.
Mais pour la dame, il est certain
Qu'elle avoit un port si hautain,
Paroissoit si ferme et si sage.
Et parloit un si beau langage.
Que tous les cœurs en vérité
Se rangèrent de son costé.
Plusieurs fois ils se querellèrent ,
Puis ils se réconcilièrent ;
Mais la dame soustint tousjours,
Par de très-solides discours.
Que sa fille (a) estoit une ingrate
Qui luy causoit un mal de rate.
Tant elle avoit d'affliction
De sa téméraire action ;
Et d'avoir, suivant son caprice,
Desobligé letir bienfaitrice,
Ayant espousé sans aveu.
Monsieur son très-jeune neveu.
Enfin, très-fort ils contestèrent.
Sept heures durant ils parlèrent.
Mais sans faire ny mal ny bien,
Parce qu'ils ne conclurent rien;
Leur parler fut de nul usage,
Et laissèrent, dont c'est dommage,
Les choses qui se debattoient
Au mesme estât qu'elles estoient.
Après donc cette conférence.
Ils se firent la révérence ;
Le mary chez soy retourna.
Avec son fils qu'il emmena,
Et l'autre qui ne tarda mie
Se retira avec sa mie.
La semaine suivante, Loret nomme en toutes lettres M"* d'Aiguillon,
qui avoit voulu faire renvoyer le duc de Richelieu aux Galères, dont il
etoit général :
La sage dame d'Esguillon,
Ayant au cœur un aiguillon
De ce que son neveu rebelle
Dort en repos avec sa belle.
Pour leur jouer un mauvais tour.
Essaye d'obliger la Cour
De prendre part en ses colères
Et les envoyer aux Galères.
Mais la duchesse d'Aiguillon fut bien autrement désolée du mariage
(a) M'ie du Vigean.
182 LES HISTORIETTES.
de sou deuxième neveu, Jean-Baptiste-Amador de Vignerot du Plessis,
marquis de Richelieu, également âgé de vingt ans, avec Jeanne-Bap-
tiste de Beauvais, fille de la célèbre Catherine-Henriette Bélier, long-
temps favorite d'Anne d'Autriche. Ce mariage eut lieu le 6 novembre
1652.
On ne parle en toute rencontre
Que (lu sort heureux ou mauvais
De la mignonne de Beauvais,
Qui maintenant dit qu'elle est femme.
Et que la Cour nomme Madame, etc.
(Muse historique du 16 novembrej
« Ce garçon, » dit Mademoiselle, « estoit bien fait, jeune, plein d'es-
» prit et de courage. Son frère aisné n'a point d'enfans et est fort
» malsain ; ainsi toute la dépouille du Cardinal le regardoit et le re-
» garde encore, mais beaucoup moins à présent que dans ce temps-là,
1) parce que M""* d'Aiguillon, qui en possède une bonne partie, luy en
» ostera tout ce qu'elle pourra. Ce mariage surprit tout le monde:
» quoyque cette fille soit jolie et aimable, elle n'est pas assez belle
» pour faire passer par-dessus mille considérations qu'il devoit avoir.
» Ainsi, dès le lendemain, M-"" d'Aiguillon l'enleva et l'envoya en Ita-
>i lie, pour voir s'il persevereroit ù, l'aimer. Il revint et l'a tousjours
» fort aimée. Elle disoit dans sa douleur : Mes neveux vont tousjours
» de pis en pis, j'espère que le troisième épousera la fille du bourreau.
1) M°* de Beauvais ne luy avoit nulle obligation, et n'estoit point
» obligée de négliger son bien à ses despens, comme estoit M"" de
» Pons, fille de M""* du Vigean, dont la mère est comme la femme de
» charge de sa maison. » (Edition de 1730, ii, p. 170.)
LXXX. - LXXXI.
LE CARDINAL DE LYON
ET LOPEZ.
{Alphonse Louis du Plessis de Richelieu , cardinal , archevêque de Lyon,
mort 23 mars 1653.)
Alphonse Louis du Plessis estoit l'aisné du cardi-
nal de Richelieu. Il fut destiné à estre chevalier de
Malte; en ce dessein on luy voulut apprendre à
nager , mais il ne put jamais en venir à bout. Ses
parens luy en faisoient des reproches et luy disoient
qu'il ne vouloit estre bon à rien : enfin, las de leurs
crieries, un jour que par hazard il n'y avoit personne
avec luy qui sceust nager, il se jetta dans l'eau si
follement, que sans un pescheur qui y accourut avec
sa nacelle , il estoit noyé. Il le fallut donc faire
d'église. Il fut, comme j'ay dit*, nommé evesquede
Luçon, et quitta cetevesché à son frère pour se faire
Chartreux.
Cet homme avoit naturellement quelque pente à
la folie; la solitude l'achevoit. Pour cela, les char-
treux de la grande Chartreuse, où il estoit, le firent
Procureur. Dans une contestation avec un gentil-
homme fort brutal , il eut des coups de baston ; il
Tome u, p. 2.
18/l LES UISTORIETTES.
porta cet outrage patiemment , et ne voulut jamais
s'en venger quand il se vit cardinal. On dit qu'un
astrologue luy avoit prédit, avant qu'il fust Procu-
reur, qu'il seroit en grand danger d'une grande
blessure faitte à la teste avec du fer. Mais, estant de-
venu Procureur, comme il entroit dans Avignon, une
chaisne du pont-levis luy tomba sur la teste, et il en
pensa mourir. Le cardinal de Richelieu le fit sortir
de la Chartreuse, et le fit archevesque d'Aix , puis
arche vesque de Lyon, cardinal, grand aumosnier de
France, et luy donna de grands bénéfices '. A Aix,
aussy bien qu'à Lyon, il a fait la fonction d'un bon
evesque. Le Cardinal l'envoya à Rome pour autho-
rizer d'autant plus la poursuitte de la dissolution du
mariage de M. d'Orléans. Là il acquit la réputation
d'un homme fort charitable. A Lyon, durant la peste,
il alla partout, comme s'il n'eust pas eu tout sujet
d'aimer la vie. On ne luy peut reprocher qu'une ac-
tion qui fut, ce me semble, bien inhumaine; mais il
faut croire que, ce jour-là, il avoit quelqu'un de ces
accez de folie. Estant à Marseille, où il avoit l'ab-
baye de Saint-Victor, il alla voir les galères. Or le
cardinal de Richelieu y avoit fait mettre le baron de
Roman, qui avoit voulu lever quelques troupes pour
la Reyne-merc, traittement bien indigne d'un gentil-
homme. Mais .comme on avoit eu pitié de ce cava-
lier , il estoit à son ordinaire, hors qu'il portoit un
1 On a remarqué que le cardinal de Richelieu et son successeur, le
cardinal Mazarin, ont eu tous deux chascun un frerc moine, fou et ar-
chevesque d'Aix.
LE CARDINAL DE LYON. 185
petit fer à la jambe. Le cardinal de Lyon le fait
prendre , le fait razer et le fait attacher à la rame.
Ce pauvre gentilhomme se coucha dans le banc et
s'y laissa mourir de regret.
On dit qu'entre autres visions, il croyoit quelque-
fois estre Dieu le Père. Un jour qu'il couchoit dans
une maison où on luy donna un lict dans la brode-
rie duquel il y avoit quelques testes d'anges ou de
chérubins : « Vrayment, » dirent ses gens, « c'est
» bien à cette fois que notre maistre croira estre Dieu
» le Père. » M"*' d'Aiguillon disoit à Ferdinand * : Maune°7oy.iom.l
« Peignez-moy Monsieur le cardinal de Lyon en Dieu
)' le Père, bien dévot. »
Il estoit familier et aimoit la conversation des da-
mes. Berthod le chastré, de la musique du Roy,
m'a juré qu'il l'avoit veu auprès de Lyon, en un lieu
où il y avoit bonne compagnie ; on badinoit , on se
desguisoit. Il se desguisa en berger comme les au-
tres, et fit desguiser toutes les dames en bergères. Il
a esté amoureux plusieurs fois , mais cela ne passa
pas de petits présens. Il ne laissoit pas d'avoir de
l'esprit, mais il paroissoit presque tousjours hébété.
Un homme de qualité du diocèse de Lyon avoit un filz
fort contrefait, et le vouloit faire d'église. Le car-
dinal de Lyon ne voulut jamais le tonsurer, disant
qu'on se mocquoit d'offrir à Dieu le rebut du monde.
Un abbé ' dont j'ay oublié le nom, l'estant venu
voir, luy dit en entrant : « Monseigneur, je suis l'abbé
' De Caderousse, du Comtat.
186 LES HISTORIETTES.
»d'un tel lieu... — Que voulez-vous que j'y fasse? »
respoiidit-il en T interrompant. — « Qui suis venu
«pour faire la révérence... — Faittes-la donc, » ad-
jousta-t-il.
Estant h Bourbon , quelqu'un luy envoya une
charge de melons ; il la fit jetter dans l'eau, disant
que cela n'estoit pas bon à des gens qui estoient dans
les remèdes ; mais cela estoit bon à ceux qui ne bu-
voient pas.
Le cardinal de Richelieu, qui le connoissoit bien,
ne voulut pas qu'il le fust trouver à Narbonne ; aussy
l'autre ne le voulut point aller trouver à Lyon, quand
on y coupa le cou à Monsieur le Grand.
Le cardinal Mazarin, qui ne fit pas ce qu'il devoit
dans le procez pour la Charité (que le cardinal de
Lyon eut contre des Landes-Payen , à qui le car-
dinal de Richelieu, à ce qu'on dit, l'avoit osté par
violence), envoya offrir l'abbaye de Mauzac , dont
il estoit titulaire , au cardinal de Lyon , pour le re-
compenser de ce prieuré ; mais il ne la voulut point
prendre. Cette ingratitude le fascha : car le cardinal
pauie payeu. Mazarlu souffrit que Lyonne, dont la femme * est pa-
rente de des Landes-Payen, sollicitast contre luy, et
c'estoit, ce semble , se déclarer, Lyonne estant ce
qu'il estoit auprès de luy. Mais les mariages de ses
petits-nepveux de Richelieu le fascherent bien davan-
tage.
^'^'^'«BMtMï''.*' *"' Celui qui a escrit sa vie en latin * le veut faire passer
pour un grand homme, et dit que l'emprisonnement
Ko 165». du cardinal de Retz *, à cause du mauvais exemple,
LE CARDINAL DE LYON. 187
l'affligea sensiblement. Il mourut environ vers ce
temps-là '.
» LOPEZ.
{Alphonse Lopez, mort à Paris, 29 octobre 1649.)
Lopez, et quelques autres comme luy, vinrent en France pour traitter
quelque chose pour les Mo risques, dont il estoit. On les adressa à
M. le marquis de Rambouillet, comme à un homme qui entendoit l'es-
pagnol. Lopez avoit de l'esprit, et estoit homme de bon conseil. Il donna
icy avis à des marchands de draps d'en envoyer à Constantinople ; ils
y gagnèrent cent pour cent, et, pour son droit d'avis, ils luy donnè-
rent une part, à quoy il ne s'attendoit pas. Après il achepta un gros
diamant brut , le fit tailler et y gagna hounestement. Cela le mit en
réputation. De toutes parts on luy envoyoit des diamans bruts. Il avoit
chez luy un homme à qui il donnoit huit mille livres par an, et le
nourrissoit luy sixiesme : cet homme tailloit les diamans avec une di-
ligence admirable, et avoit l'adresse de les fendre d'un coup de mar-
teau quand il estoit nécessaire. En suitte, toutes les belles pierreries luy
passèrent par les mams. En ce temps-là, par envie ou autrement, on
l'accusa d'estre espion, et de payer les pensions d'Espagne *. Un maistre Ou les pensionnai-
des Requestes nommé Ledoux en croyoit avoir une conviction entière France. ^^
par le livre de Lopez, où il y avoit : « Guadamasilles por el senor de
» Bassompierre — tant de milliers de maravedis, » et autres articles
semblables. Lopez pria M. de Rambouillet de voir ce bon maistre des
Requestes. Le maistre des Requestes luy dit : c( Monsieur, y a-t-il rien
)) de plus clair? Guadamasilles., etc. » M. de Rambouillet se mit à rire :
<( Hé , Monsieur, » luy dit-il, « ce sont des tapisseries de cuir doré qu'il
» a fait venir d'Espagne pour M. de Bassompierre ; » et luy fait venir
un dictionnaire espagnol. Lopez fut absous, et le maistre des Requestes
interdit, parce que Lopez prouva que, sous prétexte de les achepter, il
luy avoit pris pour quatre mille livres de bagues.
Le cardinal de Richeheu, pour se divertir, un jour que Lopez reve-
noit de Ruel avec toutes ses pierreries que le Cardinal avoit voulu
voir exprès, le fit attaquer par de feints voleurs, qui pourtant ne luy
firent que la peur. Il y alloit de tout son bien ; aussy la peur fut-elle
si grande, qu'il fallut changer de chemise au pont de Nully, tant sa
chemise estoit gastée. Le Chancellier, dans le carrosse duquel il estoit,
dit qu'il se présenta assez hardiment aux voleurs. Le Cardinal eut du
desplaisir de luy avoir fait ce tour-là, car il avoit joué à faire mourir
ce pauvre homme; et pour racommoder cela, il le fit manger à sa
188 LES HISTORIETTES.
table. Ce n'estoit pas un petit honneur. Un jour il y fit mettre M. Tu-
beuf, qui en fut si surpris, à ce que dit Boisrobert, que, tout hors de
luy, il mettoit les morceaux dans ses yeux, au lieu de les mettre dans
sa bouche.
Une fois que l'abbé de Ccrisy et Lopez faisoient des complimens à
qui passeroit le premier, Chastcllet, le maistre des Requestes, dit : « Le
» vieux Testament va devant le nouveau ; » car on le vouloit faire
passer pour Juif, luy qui estoit Maliometan. On a dit de ce fat de
Montmaur le Grec, qu'il avoit dit à Montmor le riche, pour le faire
passer devant: aPrimùm Hebreeo, deindè Grxco. » Mais je ne le croy
pas, il n'auroit osé ; quelqu'un a dit cela pour luy.
Lopez vendoit un crucifix bien cher : « Hé, » luy dit-on, « vous avez
» livré l'original à si bon marché ! »
Le feu Cardinal l'employa à faire faii'c des vaisseaux en Hollande,
et au retour il le fit conseiller d'Estat ordinaire. En Hollande, il
achcpta mille curiositez des Indes, et icy il fit chez luy comme un in-
ventaire: on crioit avec un sergent. C'estoit un abrégé de la foire
Saint-Germain : il y avoit tousjours bien du beau monde.
Il avoit six chevaux de carrosse. Jamais carrosse ne fut tant au-de-
vant des Ambassadeurs que celuy-là.
Je me crcvois de rire, car mon père estoit son voisin, de le voir
manger du pourceau quasy tous les jours. On ne l'en croyoit pas meil-
leur chrestien pour cela.
Il fit rajuster une assez belle maison dans la rue des Petits-Champs,
et il disoit : « Il y a une quantité immense de cheminées dans mon logis. »
La Reyne luy dcvoit vingt mille escus pour des perles ; et comme il
pressoit d'Esmery pour estre payé , l'autre luy donna en payement
une taxe A'aisé de soixante mille livres.
Il se disoit des Abcncerrages de Grenade. Il mourut après la confé-
rence de 1649.
COMMENTAIRE.
I. — P. 185, lig. 5.
// croyoit quelquefois estre Dieu le Père.
L'auteur du pamphlet de l'Ambassadeur chimérique, 1637, dit aussi ;
« L'ambassadeur taschera d'enchanter, avec l'escarlate et lettres d'or,
» quelques dragons en ce pays-là; et pour cet effet, il portera la robbe
n de satin rouge en broderie d'or que le cardinal de Lyon avoit, lors-
» qu'il croyoit estre Dieu le Père. »
LE CARDINAL DE LYON. 189
IL — P. 185, note.
De Caderousse, du Comtat.
Sans doute Philippe-Guillaume d'Ancezune-Caderousse, abbé de Se-
nanques. Cette maison s'est fondue dans celle des Gramont de Dau-
phiné et elle a cru pouvoir, mais sans trop de succès, se rattacher à la
grande maison des Gramont de Navarre. Le marquisat de Caderousse
fut érigé on duché par le pape Alexandre VII en 1633, et le chef de la
famille n'est plus guère aujourd'hui désigné que comme duc de Gra-
mont. Il faudroit dire : duc de Caderousse.
IIL — P. 186, lig. 8.
Mais cela estait bon à ceux qui ne buvoient pas.
Je crois que des Réaux veut dire : « Au lieu de les jeter à l'eau,
» il eût pu les donner à ceux qui l'entouroient et qui n'etoient pas
» obligés de prendre les eaux comme lui. »
IV. — P. 186, lig. 19.
Le cardinal Mazarin... pour le recompenser de ce prieuré.
C'est-à-dire pour compenser la perte de ce prieuré de la Charité.
La Gallia Christiana dit seulement qu'après une possession de dix-sept
ans, le cardinal de Lyon fut en 1646 obligé de résigner le prieuré,
edicto Magni Consilii, et que son successeur fut Pierre Payen des
Landes, conseiller au Parlement, qui demeura commendataire jus-
qu'en 1663. Saint-Amand, qui le nomme aussi des Landcs-Payen, fit
pour lui ses belles stances sur la Pluye. (Rouen, 1642, p. 95.) Payen
fut ensuite un des frondeurs les plus avancés dans le parti de Mon-
sieur le Prince , et il se chargea de présenter au Parlement la requête
de la princesse de Condé contre la prison des Princes, en 1650. Il finit
par tomber dans une grande dévotion. Vers 1660, on communiquoit
officieusement à Fouquet la note suivante : « Des Landes-Payen, homme
» ci-devant attaché à ses plaisirs, particulièrement à ceux de la table,
» s'est mis depuis peu à une très-grande reforme. Il s'est donné entie-
» rement à la dévotion, va peu au Palais , y rapporte peu, estant la
» pluspart du temps à son prieuré de la Charité. A souvent promis
» sans efifect; de peu d'assurance. Il a esté attaché à Monsieur le
» Prince, et s'est chargé pendant tous nos mouvemens de toutes les
» choses qui le concernoient. Est gouverné de peu de personnes. M. le
» président la Grange a quelque crédit auprès de luy. » {Portraits des
membres du Parlement., msc. de Saint-Victor, 1096.)
190 LES HISTORIETTES.
Le procès du prieuré de la Charité-sur-Loire fit pour le moins autant
de bruit que celui de la duchesse d'Aiguillon contre Monsieur le Prince ;
et ce fut encore le terrible Gauthier qui fut chargé de défendre Payeu
des Landes contre le cardinal de Lyon. Ce prieuré, d'abord possédé
par le duc de Nevers, avoit été cédé au prieur claustral, moyennant
de grandes réserves simoniaques et frauduleuses. Ces réserves etoient,
il faut le dire, assez en usage ; car les bénéfices ecclésiastiques étant
souvent très-considérables , le gouvernement du Roi fermoit les yeux
sur des stipulations particulières qui répandoient entre plusieurs la
pluie d'or de ces investitures, appelées le patrimoine des pauvres. Or
Payen des Landes avoit acheté en 1639 le prieuré du successeur ap-
parent du duc de Nevers ; mais ayant ensuite quitté la France pour
raison de mauvaises affaires, et étant alors entré dans le parti de la
Reine-mère , le cardinal de Richelieu l'avoit impliqué dans une accu-
sation de crime de lèse-majesté, puis l'avoit fait condamner au bannis-
sement perpétuel et à la confiscation de ses biens. Le cardinal de
Lyon acquit en ce temps-là le prieuré de la Charité-sur-Loire, et le
conserva tranquillement jusqu'à la mort de son frère. Mais alors
Pierre Paycn sieur des Landes revint en France, obtint une abolition
complète et réclama le prieuré de la Charité contre l'archevOque de
Lyon. L'affaire dura cinq ou six ans, et se termina à l'avantage du
sieur des Landes.
U me paroît évident que Racine a voulu railler l'éloquence de Gau-
thier, quand il a fait la tirade des Plaideurs :
Tout ce qui peut estonner un coupable, etc.
On en va juger par quelques extraits de ce beau plaidoyer de Gau-
thier, prononcé au mois d'août 1646 :
« Messieurs,
» Si le nom et la qualité des personnes, plustost que la considération
» du droit et de l'équité, faisoicnt la décision des différons qui s'agit-
» tent devant vous, j'aurois lieu de me défier du succez de cette cause-,
1) les titres relevez de notre partie adverse m'epouvanteroient d'abord,
» l'éclat de la pourpre m'eblouiroit, et je craindrois que l'ombre seule
» du grand nom qu'il porte ne cachast, comme sous un voile épais,
» la vérité que vous cherchez.
» Mais nous ne vivons plus dans le siècle de la violence; la justice
» a repris son ancienne liberté, les magistrats ne souffrent plus de con-
» trainte dans leurs suffrages, leurs jugemens ne reçoivent plus les im-
» pressions d'une autorité dominante, et la mort d'un ministre violent
» et impétueux a mis fin à cette tyrannie dangereuse, qui corrompoit
» les plus pures sources de la justice...
LE CARDINAL DE LYON. 191
» Quand je vois dans cette cause ce concours de tant de puissances ;
» quand je considère ce partage de brigues et de faveurs, et que toute
» la Cour assemblée dans le barreau s'efforce de combattre la liberté
» de vos jugemens, il me souvient de cette fameuse division des Dieux,
» à l'occasion du siège de Troj-e.
» Mais que servent à M. le cardinal de Lyon tous ces grands prepa-
» ratifs devant des juges qui n'ont des yeux que pour regarder la ve-
» rite ? L'on ne voit plus le maistre de la fortune triompher de la foi-
» blesse des misérables. La justice qui nous accompagne a son destin
» immuable, qui brave les vains efforts de nos adversaires. Que dirai-je
» davantage ? Le ciel , qui décide du droit des combats , a pris nostre
» party contre vous :
» Victrix causa diis placuit, sed victa Catonl. »
Ce plaidoyer, sauf la citation , n'etoit pas assez ridicule pour mé-
riter la parodie que Racine en a faite : mais Gauthier etoit apparem-
ment l'ennemi de Patru ; de là la mauvaise réputation qu'il a conservée
dans la postérité. Je ne puis m'empôcher de citer encore ici deux
pages dans lesquelles, non pas en pleine Fronde mais en 1C46, Gau-
thier s'arme du fouet de la vengeance pubhque pour peindre le gouver-
nement tj-^rannique de Richelieu. On remarquera sans doute la plai-
sante interruption du duc de Gramont, assistant au débat avec les
plus grands seigneurs de la Cour.
« Rappellerai-je en vostre mémoire l'horreur de la plus injuste con-
» damnation qui fut jamais? Ferai-je le tableau d'un ministère plein de
» tyrannie; et faut-il vous représenter la justice captive, servir aux
» passions violentes d'un homme qui ne connoissoit point de lois?
» Vous sçavez. Messieurs, tout ce que je puis dire sur ce sujet : le
» sang des plus illustres familles de toute la France parle pour moy
» dans cette rencontre : on voit partout les tristes restes de la desola-
» tion qu'il a portée en tant de lieux ; et sa violence est écrite dans les
» registres des cours souveraines d'un style de fer et d'une encre de
» sang qui épouvantera la postérité.
» Il n'epargnoit rien pour l'établissement de sa grandeur ; les obstacles
» qu'il y voyoit enfloient son courage ; il aimoit à s'élever par les ruines
» des autres , et il luy sembloit qu'il auroit manqué tousjours quel-
» que chose à son bonheur, s'il n'avoit fait une infinité de malheureux.
» C'est ce Promethée qui avoit dérobé le feu du ciel pour en former
» les éclairs et le tonnerre, dont il epouvantoit et detruisoit tous les
» peuples, et je ne puis. Messieurs, vous le représenter plus fidèlement
» que par ces vers d'un ancien :
» Terrarum fatale malum, fulmenque quotl omnes
» Percuteret populos pariter et sidus iniquum
» Gentibus. . . »
192 LES HISTORIETTES.
( En cet endroit , M. de Gramont m'interrompit , et addressant sa
parole à M. de la Meilleraye : Quoy^ Monsieur le Grand-Maistre, dit-il,
vous dormez pendant qu'on diffame la mémoire de Monsieur le Cardinal !
Et alors je repris la parole de cette sorte : )
« Il est estrange, Messieurs, que l'on n'ose pas se plaindre à la face
» de la justice. Veut-on faire revivre le siècle de la violence 1 Et après
» qu'un exil de quatorze années nous a estoufl'é la voix, nous sera-t-elle
» encore arrachée lorsque la justice nous l'a rendue ? On m'accuse de
» déchirer la réputation de dcffunt Monsieur le Cardinal : je n'avois
» encore nomme personne. Mais puisque l'indiscrétion de nos advcr-
» saires ne mérite pas que je garde de mesure, il faut parler mainte-
<( nant à descouvert. Ouy, Messieurs, c'est de M. le cardinal de Riche-
» lieu que je parle, c'est ce ministre qui, voulant asseurer à son frère
» la possession du prieuré de la Charité et se délivrer en mesme temps
» d'un homme qui luy estoit suspect, chercha de faux prétextes pour
» le rendre criminel d'Estat et armer les lois à sa ruine.
» En vain l'innocence eust voulu implorer les cœurs des magistrats,
» ils n'ont plus d'oreilles pour l'entendre ; leur autorité n'agit plus que
» par les influences d'un astre malin qui les domine, et il n'y a que la
» mort du persécuteur qui puisse finir la persécution.
» Cet heureux moment qui devoit rendre la liberté à toute la France
» n'estoit pas prest d'arriver; il y avoit encore beaucoup à languir;
» mais enfin le ciel, qui se lasse de l'iniquité des mechans, écouta les
» soupirs des malheureux, et trancha les jours du tyran qui les oppri-
» moit... »
(Les Plaidoyers de M. Gauthier, advocat au Parlement, Paris, 1659,
tom. II, deuxième plaidoyer.)
V. — P. 18G, lig. 21.
Le cardinal Mazarin sonffn'st que Lyonne, dont la femme est parente
de des Landes-Payen, soUicitast contre luy.
Cette dame se nommoit Paule Payen. Elle etoit jolie, mais fort pe-
tite. A son retour d'Espagne, où la Reine l'avoit envoyée en 1660 pour
savoir comment l'infante Marie-Thérèse etoit faite, elle parut avec un
vertugadin semblable à celui que la princesse portoit à Madrid. « Elle
» a, » dit-elle, « absolument le mesme air que moy ; la mesure du tail-
» leur a esté prise sur elle, car nous sommes absolument de la mesme
» taille. » Le Roy s'approchant alors de la Reine : « Vous voulez donc,
» Madame, que j'épouse une naine? » Cela fit grand tort à M"" de
Lyonne dans l'esprit d'Anne d'Autriche. [Voy. les Mémoires de CosnaCy
tom. 1, p. 27.)
LE CARDINAL DE LYON. 193
VL — P. 187, note, lig. 1".
Lopez et quelques autres comme luy vinrent en France.
Alfonse Lopès etoit en France dès 1604, ainsi que l'atteste la cor-
respondance de Henry IV avec le sieur depuis maréciial de la Force.
Il arrivoit pour ménager un traité secret contre l'Espagne entre les
Morisques ses compatriotes et le roi de France. Ces Morisques, des-
cendans des anciens Maures, etoient demeurés en Espagne et avoient
embrassé le christianisme auquel ils mèloient beaucoup de supersti-
tions mahométanes ; Henry IV, avec l'intention de les attirer en
France avoit donc chargé M. de la Force de traiter avec eux. (Voyez
les Mémoires du duc de la Force.) La mort de Henry IV mit fin à
tous ces projets ; mais Lopès resta en France, où il ne tarda pas à
faire fortune dans le commerce des diamans. On le prenoit ordinaire-
ment pour un Portugais. Dans le roman des Amours du duc de Nemours
et de la marquise de Poyanne{edition de 1715, p. 99) , le Duc consulte
sur la beauté d'une parure de pierreries « un certain Portugais nommé
» dom Lopès qui s'y connoissoit mieux que personne. » Il mourut à
Paris, le 29 octobre 1649 , à l'âge de soixante-sept ans, et l'on grava
sur le marbre de son tombeau, dans l'église de Saint-Eustache :
Xatus Iber, \ixit Gallus, legeiiiquesecutus,
Auspice nunc Christo, mortuus astra tenet.
Il est souvent question de Lopès dans le Journal du cardinal de
Richelieu, comme un des espions ordinaires du grand ministre. C'est
encore lui dont vient à parler Balzac quand, faisant à sa manière le
modeste sur le mérite de ses lettres , il dit : « Je ne pense pas que
» le seigneur Lope fust assez hardy pour me prester vingt escus
)> dessus. » (Entretiens, p. 253.)
VIL — P. 187, note, lig. 1.3.
Un maistre des Requestes nommé Ledoux.
Claude le Doulx, ecuyer puis chevalier seigneur de Malleville,
Outrebois, etc., d'abord lieutenant au bailliage d'Evreux, puis maître
des Requêtes, « fut, » disent les généalogistes, « employé en diverses
» et honorables coromissions importantes à l'Estat et en quasy toutes
» les provinces du royaume. » Les généalogistes se taisent sur ce petit
épisode de la vie de messire Claude le Doulx.
Vm. — P. 187, note, lig. 23.
Lopez prouva qu'il luy avoit pris pour quatre mille livres de bagues...
Des Réaux avoit d'abord écrit : <( Quatre mil escus de hardes, car
n. 13
194 LES HISTORIETTES.
» inseusiblement il s'estoit mis à vendi-e de tontes sortes do choses. »
La môme anecdote sera racontée ailleurs, et Bassompierre , dans son
Journal, année 1624, on confirme la vérité. « Le Doux avoit trouvé,
» dans le livre-raison de Lopez, ces mots : « El senor mareschal de
» Bassompierre pcr gadameciles, quarante mille livres, qui estoient
» deux cens mille escus. » (T. m, p. 257.)
IX. —P. 188, lig. 1".
Un jour te Cardinal fit mettre à sa table M. Tubcuf.
Le président Tubcuf, que Mazarin, dans ses Carnets encore inédits,
nomme toujours M. Toubouf. C'est lui qui fit bâtir la partie de la
Bibliothèque nationale, aujourd'hui n° 12 de la rue Ncuvc-des-Petits-
Champs , et la maison de la rue Vivienne, n° 12, qui fut ensuite
l'hôtel de Torcy, en face de la rue Colbert, Les Tubeuf passoient
pour tirer leur origine des bouchers de Paris. « Le sieur Tubcuf
» n'est-il pas petit-fils d'un boucher ? « (Advertissement à Cohon ,
Mazarinadc de 1649.)
X. — P. 188, lig. 16.
Il fit chez luij comme un inventaire.
Nous appellerions cela aujourd'hui une vente à la criée. En ce
temps, comme on voit, c'etoit un expédient inusité.
XL — P. 188, hg. 25.
Il y a une quantité immense de cheminées dans mon logis.
Des Beaux se moque ici de la vanité de Lopès, qui lui faisoit em-
ployer cette expression exagérée : quantité immense de cheminées. Au-
jourd'hui cela passeroit inaperçu.
Dans VUistoriettc de l'archevêque de Reims, Eléonor de Valcnçay,
il est encore parlé de cette grande maison, achetée, après la mort de
Lopès, par le maréchal de la Ferté ; témoin Loret :
Le mareschal de la Ferté,
Durant la saison de l'esté,
Des villes pour le Roy conqueste;
Et pendant l'hyver il aqueste,
A ce qu'on m'a dit aujourd'huy,
Des logis dans Paris pour luy :
Achetant celuy de feu Lope,
Non pas le plus beau de l'Europe,
Mais bien basiy, commode et tel
Qu'il peut passer pour un hostel.
Lettre du JS mars 1656.
août 1635.
LXXXIÏ. ~ LXXXIll.
LE MARESGH.4L DE BREZÉ
ET MADEMOISELLE DE BUSSY.
{Urbain de Maillé, marquis puis maréchal de Brezé; né vers 1597,
mort 13 février 1G50.)
Le mareschal de Brezé estoit de la maison de
Maillé; mais celle de Brezé estoit entrée dedans
celle-là, et ils en dévoient porter le nom. Il espousa
la sœur du cardinal de Richelieu *, alors evesque de Richeîîeu.'liîorteillô
Luçon. Cette femme estoit folle , et est morte liée,
ou du moins enfermée'. Elle s'appelloit Nicole; et
Cohon, en faisant son oraison funèbre, disoit : « La
» grande Nicolle du Plessis, » comme on dit la
grande Anne -, Quand elle fut mariée , elle ne vou-
loit point retourner k la province : que fit-il un beau
jour? il fit oster tous les meubles, jusqu'aux rideaux
du lict de Madame, et la laissa là. Elle fut enfin
toute glorieuse d'aller en Anjou.
1 Elle croyoit avoir le cul de verre, et ne vouloit point s'asseoir. Elle
eut un temps une plaisante folie ; elle croyoit avoir froid à un petit
endroit au-dessus de la main, et passoit tout le jour à y mettre des
(gouttes) de résine, quelquefois jusques à cinq cens, et puis à les oster,
selon qu'il luy sembloit que la partie se reschauffoit.
2 Une chanson de ce temps-là :
Avec !a tille à la grande A A A A A Anne.
196 LES HISTORIETTES.
Il fut capitaine des Gardes-du-corps, puis mares-
chal de France et gouverneur d'Anjou et de Sau-
mur. Le Cardinal desgagea tout son bien, ou, pour
mieux dire, l'achetta; mais il l'en laissoit jouir.
L'amour luy a fait faire d'estranges choses, outre
qu'il n'estoit pas trop sage naturellement, non plus
que sa femme.
11 y avoit à Angers une jeune fille qui travailloit
pour les tailleurs, sur leur boutique, selon la mode
du pays. Un laquais du mareschal de Brezé la des-
bauscha et l'amena à Paris. Il dit à son maistre, car
on ne vivoit pas autrement dans l'ordre avec luy,
qu'il avoit une jolie maistresse, et la luy fit voir. Elle
plut au Mareschal, et leur servit quelque temps à
tous deux. Il fit ce garçon valet de chambre, et la
luy fit espouser : il s'appelloit Dervois. Cette femme
avoit du sens et de l'esprit; elle empaume le Mares-
chal, s'en rend la maistresse et luy fait traitter la
Mareschale comme il luy plaisoit. Une des choses
qui servit autant à achever la grande Nicole, ce fut
que le Mareschal luy osta ses pendants, et les mit en
sa présence aux oreilles de la Dervois.
Après la mort de la Mareschale, elle eut l'ambi-
tion d'espouser M. de Brezé, et pour cela elle fit tuer
Dervois à l'affust. Je ne sçay si ce fut par l'ordre
du Mareschal, ou s'il en estoit seulement consentant,
mais on assure que depuis il s'esvanouissoit quand
il voyoit un lapin '. Cette femme pourtant ne vint
^ Variante : Voicy la vérité : M. de Brezé, estant capitaine des Gardes
de la Reync-mere Marie de Medicis, alla aux bains dans les Pyrénées,
LE MARESCHAL DE BREZÉ. 197
point à bout de son dessein. Peut-estre craignit-elle
le cardinal de Richelieu qui, apparemment, n'eust
pas trouvé ])on qu'on eust ainsy contaminé sa no-
blesse'.
La Dervois faisoit tout cliez le Mareschal et dans
la province. Elle se levoit dez quatre heures, estoit
servante et maistresse tout à la fois, faisoit ses af-
où il trouva un prestre de C-.italogne qui avoit avec luy deux petits
garçons que les galères d'Espagne avoient pris sur les costes d'Afri-
que. Ce prestre les luy donna ; l'un fut son laqnais, et se nomma la
Ramée ; l'autre, qu'on appella tantost le Catelan, tantost Dervois, ne
fut point habillé de livrée ; il senit d'abord à luy porter son fusil à la
chasse : après il le mit en apprentissage chez un tailleur à Angers, où
il devint amoureux d'une belle fille qui travailloit en linge dans une
boutique vis-à-vis ; les tailleurs en ce pays-là ont des boutiques et y
travaillent. Elle avoit desjà eu quelques aventures, et on disoit qu'elle
avoit suivy un homme jusqu'en Lorraine, où elle fut quelque temps
au service de quelque dame de la Duchesse; mais elle fut obligée d'en
revenir bientost. Dervois l'espousa, et en suitte il retourna au serv ice
de M. de Brezé, alors mareschal de France et gouverneur d'.\njou et
de Saumur. Avril, homme de bonne famille d'Angers, voisin du Ma-
reschal à la campagne et bien dans son esprit, obtint de luy de loger
le mary et la femme dans le chasteau de Milly. Comme elle estoit
propre et jolie, qu'elle avoit du sens, elle régla cette maison et se mit
bien dans l'esprit du Mareschal. Depuis, le Catelan ou Dervois s'ad-
visa de se faire appeller de Doré ; on ne sçait pas sur quoy il se fou-
doit, mais il dit qu'il avoit descouvert que c'estoit son véritable nom.
Le mary devint un peu dévot, et disoit parfois à sa femme qu'il falloit
changer de vie. Il y a apparence que le Mareschal s'en desfit à cause
de cela, car il fut tué à l'affust, le Mareschal estant de la partie : ils
estoient trois à l'affust. Depuis il croyoit voir un lièvre blanc, et sou-
vent luy et ses gens crioient : « Ne le voyez-vous pas, il court par la
» chambre. » Avril, dont j'ay parlé ci-dessus, et son filz, seneschal de
Saumur, qui m'a conté ce que je viens d'escrire, n'ont jamais rien veu.
Il y en a qui ont cru que le cardinal de Richelieu luy avoit fait mettre
cette vision dans l'esprit pour le tenir à la province.
' Il y en a pourtant qui ont cru qu'il l'avoit espousée ; je ne le croy
pas.
Historiette.
198 LES HISTORIETTES.
faires et celles du Mareschal en mesme temps, et
estoit plus habile que tout son conseil. Il luy est
arrivé souvent de deschirer tout ce qu'on avoit
dressé, et de dicter les actes elle-mesme. Elle en-
voyoit des gens de guerre où elle vouloit, et à An-
gers mesme, à cause qu'elle estoit mal satisfaitte
d'un des officiers du Presidial. Pour complaire au
Mareschal, qui estoit le plus grand tyran du monde
pour la chasse (jusques-là que les personnes de qua-
lité n'osoient avoir un chien ny une arquebuse, pour
tirer seulement dans leur parc ; car il fit une fois
rompre la porte d'un parc, parce qu'il y avoit ouy
tirer, et on tua les chiens et cassa les arquebuses) ,
la Dervois fit attacher un prestre au pié d'un arbre
tout un jour, avec un lièvre qu'il avoit tué autour
du cou.
11 avoit mis sur la porte de Milly, car il estoit hon-
nestement hargneux : Nidli nisi vocati. Sur cela on
fait un conte : on dit que quelques advocats estant
allez pour luy parler, il les gronda fort, et leur de-
manda qui les avoit faits si hardys que de venir
sans estre mandez, et s'ils n'avoicnt pas lu ce qui
estoit sur la porte : « Ouy, Monseigneur, » dit l'un
d'eux, « il y a 7ii(lli nisi vocati ; rien que des advo-
cats. » Il se mit à rire, et les escouta. Un jeune
homme de Saumur y estoit allé une fois pour jouer
à la longue paulme avec le marquis de Brezé *. On
luy donna avis qu'il se retirast : c'est qu'outre cela
le Mareschal estoit jaloux de la Dervois comme d'une
belle créature ; on ce temps-là elle estoit passée.
LE MARESCUAL DE BREZÉ. 199
Pour la Province, en général il la conservoit, et
ils ont perdu à sa mort.
Pensez que sans le cardinal de Piichelieu, il n'eust
pas esté autrement en estât de faire tout ce qu il fai-
soit; cependant il ne se tourmentoit pas trop de luy,
et ne luy a jamais guères fait la cour.. Je me sou-
viens d'un couplet qui disoit ' :
Buvons à l'illustre Brezc ,
Qui s'est si bien desabusé
De ceUe chimère importune
De la fortune.
Cependant le Cardinal luy faisoit du bien , de peur
qu'on ne creûst que quelqu'un se pouvoit passer de
luy '.
Il luy arriva une assez plaisante chose à son en-
trée à Barcelonne, quand il y fut envoyé vice-roy *. En mi.
Il s'estoit fait tout le plus beau qu'il a voit pu : quel-
ques Catalans disoient : « Es muy bizarro este ma-
» reschal. » Un bon gentilhomme de sa suitte, estonné
de ce mot bizarro ^ disoit à un autre : « Qui diable
» a desjà dit l'humeur de Monsieur le Mareschal à
» ces gens-cy ? »
Il escrivoit bien, et estoit galant et civil quand
l'humeur luy en prenoit. Il a escrit à Ménage un mil-
1 Sur l'air de : Daye, Dandaye.
2 n disoit de sa fille*, comme si c'eust esté la fille d'un autre : « Ils ciaire-ciemence de
' . AiaïUe, prmcesse de
» vont faire cette petite fille princesse, » et ne s en esmouvoit pas plus condé.
que cela.— Monsieur le Prince alloit voir la Dervois avant que de voir le
Mareschal : ce fut elle qui le * fit résoudre à vendre le gouvernement Breze.
d'.\njou à Monsieur le Prince.
• Galant.
TVl'i» Dl£ BUSST.
200 LES HISTORIETTES.
lion de fois ; et comme il aimoit à lire, Ménage luy
envoyoit des livres qu'il prenoit fort bien, sans son-
ger à luy faire le moindre présent. Ce n'estoit pas
pourtant par avarice; mais il luy demandoit souvent
son mémoire, que l'autre n'avoit garde de luy en-
voyer.
Retournons à ses amours. Il y avoit ;\ Saumur,
chez la Seneschale, une belle fille qui estoitsaniepce.
Elle s'appelloit Honorée de Bussy, fille d'une veuve
bien demoiselle '. Le Mareschal s'en esprit. Il la mena
avec cette tante voir le sacre d'Angers, et luy avoit
fait faire une espèce d'eschafaud, oîi il y avoit des
degrez. Elle estoit seule tout au haut, et il avoit fait
mettre à ses piez les plus belles filles de la ville.
C estoit proprement la Gloire de Niquée. Il y avoit
des gardes pour faire avancer le monde à mesure
qu'on avoit contemplé cette nouvelle infante.
jyfmc d'Aiguillon prenoit le soing d'envoyer tous les
habits qu'il falloit pour cette fille, qui se vante que
le Mareschal la voulut cspouser secrètement , et luy
assurer vingt mille livres de rente, mais qu'elle
avoit trop de cœur pour souffrir du clandestin. Elle
eust pourtant fort bien fait, comme vous verrez par
la suitte ; mais je doute qu'en l'âge oh elle estoit
alors, elle ayt pu avoir tant de courage.
M"" Dervois rompit le cou à cette amourette. Le
1 Molière luy lisoit toutes ses pièces, et quand V Avare sembla estre
tombé : « Cela me surprend, » dit-il, « car une demoiselle de très-bon
» goust et qui ne se trompe gnères, m'avoit respondu du succez. » En
effect la pièce revint et plut.
tuai--
qùis de Boisy.
MADEMOISELLE DE BUSSY. 201
marquis de Boisy *, père du duc de Rouannez d'au- ""'q'îîi^dë^ioh
jourd'huy, en conta aussy à Honorée. 11 y eut
quelques billets que la Dervois escamotta, et les fit
voir au Mareschal. La Seneschale avoit tousjours
espéré que sa niepce se marieroit pour sa beauté. La
fille m'a conté elle-mesme que sa tante luy fit faire
une robe neufve, à elle qui n' avoit jamais eu que de
la vieillerie, pour donner dans la veûe à je ne sçay
quel prince allemand qui estoit à Saumur. Cette
^ante proposa à M"^ Bigot, qui n' avoit garde de
le faire ' , de marier Honorée avec M. Servien , rel-
legué à Angers. Servien, qui desjà avoit failly de se
brouiller avec le Mareschal en je ne sçay quelle ga-
lanterie , n' avoit pas seulement voulu voir cette
fille, de peur d'irriter le dragon.
Depuis, Honorée se trouva à Poitiers quand Che-
merault , aujourd'huy M""^ de la Baziniere , y vint
après avoir esté chassée de chez la Reyne *. l\ y
avoit encore une M"^ de la Vacherie et une autre
belle fille. Chemerault avoit un grand avantage, car
elle avoit le bel air. Mais M. de Chasteauneuf se
déclara pour la Vacherie, et Villemontée *, inten-
dant de la province, pour Honorée. Toute la ville se
partagea et toute la noblesse qui y passe l'hiver.
On se demandoit : « Qui vive ? « Villemontée s'amu-
soit fort à cette fille et y faisoit assez de despense ;
cela fit crier les Poitevins et les Receveurs géné-
raux. On disoit que c' estoit elle qui faisoit l'inten-
* l'oy. ïffiston'ettc de M. Servien.
202 LES HISTORIETTES.
dance : il fallut qu'il s'en separast au bout de deux
ans. Il dit qu'elle n'est point intéressée , et que, si
elle eust voulu, elle eust gaigné cinquante mille escus
avec luy. La pauvre fille n'en a rien tiré que du
mauvais bruit. Son plus grand malheur, à ce qu'elle
dit, c'est la mort de Villandry, qui fut tué par Mios-
d'Aib?et!%oSfe"'fie seus*, commc ils servoient tous deux le chevalier de
M^.^tue en ue en j^j^,jgj.g g^ Vassé , qui nc 86 firent point de mal. Ils
estoient amys, et se battirent pour autruy. Villandry
l'alloit espouser, et desjà les bands se jettoient en
Poitou. Si cela est, il a quasy aussy bien fait de se
faire tuer, car la demoiselle estoit un peu bien des-
criée. Elle estoit à Paris en ce temps-là ; jamais on
n'a veû un tel abord de gens : sa mère estoit encore
en vie. C'a tousjours esté une évaporée, et, présen-
tement, en Poitou où elle est, c'est elle qui met tout
en train, quoyqu'elle soit fort âgée.
Valliconte vouloit l' espouser ; il estoit parent de
M. Cornuel. Il s'est ruiné depuis; mais alors il
avoit du bien. Elle s'alla esprendre de la Mous-
nial^Tir^de ^la^l^ ' sayc*, ct ellc avoit quelque espérance qu'il l'espou-
mort en novembre •, i
16B0. seroit'.
Depuis la mort de la Moussaye elle quitta sa
mère , et se retira avec la femme de la Mothe
le Vayer, qui est sa tante; mais elle n'estoit plus
belle. Elle a soing aujourd'huy du ménage de son
* Elle en receùt les complimcns, comme si c'eust esté sou accordé
qui fust mort. Arnaut, mareschal de camp, dit qu'il y avoit appa-
rence que la Moussaye l'cust espouséc ; pour un petit maistro, ce n'es-
toit pas avoir le goust trop fin.
MADEMOISELLE DE BLSSY. 20S
oncle, car sa tante est morte'. Elle s'est remise un
peu en réputation ".
Elle a l'esprit agréable, elle dit bien les choses,
sçayt vivre et est bonne amye ^.
J'oubliois que la Dervois, pour faire voir aux
dames d'Anjou jusqu'où alloit son pouvoir, rom-
pit une partie qu'il * avoit fait avec des dames "^ Marédmi.
de qualité , sans luy en dire autre raison , sinon
qu'elle ne le vouloit pas ; et il n'osa souffler.
Après cela , il prit fantaisie au Mareschal d'en
conter à cette M*"^ Bigot , et elle qui ne vouloit
pas perdre Servien ny avoir affaire à cet extra-
1 Le filz de la Mothe le Vayer, qui estoit abbé, estant mort, le bon-
homme se remaria. C'estoit un des plus faux philosophes qu'on eust
jamais veùs. Feu Madame luy dit un jour qu'il n'avoit rien de philo-
sophe que ses bottines. Il estoit si colère que lorsqu'un tison l'incom-
modoit, il le jettoit dans la place et le fouloit aux piez. Il alloit quel-
quefois, pour faire despit à son filz et à sa niepce, souper avec eux,
avec le visage tout gras de suif, car en se mettant au lict, il se frot-
toit de suif tout le visage. Quand sa niepce s'excusoit sur la messe et
qu'elle n'avoit pas pu quitter Dieu : « Je veux que vous le quittiez, et
» que vous ne me fassiez point attendre. »
2 On a cru que sa mère avoit tout le tort, et qu'il est aisé à une
fille de faire des imprudences quand elle n'est pas bien conduitte. Il y
peut avoir un an et demy qu'elle se blessa fort à la teste ; elle en fut
en danger. Il y avoit plus de six mois qu'elle estoit guérie, quand elle
se creva de cochon de lait, à disner, chez une de ses amies : ce cochon
luy fit du mal et luy donna le desvoyement. Après elle fut voir Maule-
vrier, qui estoit mort * d'un mal dans la teste. Son cochon la travail- C'est-à-dire .- Qui ve-
loit; elle oublie que c'estoit cela, et va se mettre dans l'esprit que
c'estoit sa playe. Elle envoyé quérir médecins et chirurgiens, et, pour
la satisfaire, il luy fallut mettre un emplastre. Je l'ay veù se confesser
parce qu'il estoit mort un cocher subitement dans son voisinage.
3 Mais elle se pique un peu de bonne maison, et veut se mesler de
prendre le dessus sur les femmes de la ville qui ne sont pas des prin-
cipales. Il n'y a rien plus inégal ny plus soupçonneux; elle se faschc
de rien.
noit de mourir.
204 LES HISTORIETTES.
vagant, esvitoit tousjours de se trouver avec luy. Un
jour qu'à son goust elle avoit trop tesmoigné de
le fuir, il s'en alla un peu fasché. Servien le
sceût : le voyla en alarme ; et , sous prétexte de
je ne sçay quelle partie de jeu , il envoya Lyonne
chercher le Mareschal par toute la ville. 11 fai-
soit un chaud enragé ; Lyonne trotta partout, et
ne trouva le Mareschal qu'après avoir sué tout
son saoul, car il estoit au parloir de je ne sçay
quelles religieuses. 11 ne voulut pns venir. 11 s'ap -
paisa pourtant après , et disoit à cette M""' Bigot :
« Vostre mary n'a qu'à continuer dans son employ,
» je feray noyer quiconque voudra venir prendre sa
» place. » A Paris où elle estoit retournée , quand
le duc de Brezé fut tué , elle alla voir le Mareschal,
qui luy fit le meilleur accueil du monde et la fit
mettre sur son lict, parce que Madame la Princesse,
la jeune, tenoit le fauteuil. Il obligea mesme M. de
mstoriette^^tom.i, Ccsy * à recommoncer une histoire du Sérail qu'il
avoit presque à moitié ditte. 11 y en avoit trop là pour
ne pas mettre martel en teste à M"' Dervois : elle fit
toutes les mesdisances imaginables. Cependant le
bonhomme, soit qu'il commcnçast à secouer le joug
ou qu'il l'eust appaisée, alloit faire société avec la
dame et quelques autres femmes, ses voisines, lors-
que la goutte le prit et qu'il se fit porter en Anjou,
où il mourut. Je n'ay que faire de dire que ce nc's-
toit ny un bon soldat ny un bon capitaine : l'histoire
le dira assez.
LE MARESCHAL DE BREZÉ. 205
COMMENTAIRE.
I. —P. 195, lig. 3.
// espovsa la sœur du cardinal de Richelieu.
Nicole du Plessis-Richelieu etoit bien connue pour avoir la tète peu
solide, et l'abbé de Saint-Germain ne pouvoit manquer cette occasion
de blesser le Cardinal. « Le repos et vostre esprit, » lui dit-il dans
la Satyre d'Estat, « ne se sont point veùs depuis que vous estiez au
') berceau, et si vous luy donniez seulement quatre jours de relasche,
» il s'en iroit promener aux Indes avec celuy de vostre sœur. »
La maréchale de Brezé, morte le 30 août 1635, fut ensevelie à Sau-
mur dans la cliapelle de Notre-Dame-des-Ardilliers. J'ai retrouvé dans
la correspondance de Pierre d'Hozier une lettre assez curieuse, qui fut
adressée au célèbre généalogiste par un sieur de Malabre-Rizier. La
voici :
« Monsieur, vous estes trop serviteur de monseigneur le Cardinal-
» duc, pour ne contribuer pas de ce que vous pouvez aux honneurs
» funèbres que S. E. fait rendre à feu Madajue la mareschale de Brezé,
» sa sœur. Ce sera jeudy matin aux Grands-Augustins. Monseigneur
» de Bordeaux fera l'ofBce, assisté de tous les prélats, députez et
» autres. L'oraison funèbre est tombée au partage de Monsieur de
» Nismes, qui a besoing d'avoir cognoissance de la généalogie de
» Maillé que l'on ne peut trouver en son entier, par l'absence de
» Monsieur le Mareschal. Je luy ay fait entendre que vous en pouviez
)i mieux fournir qu'homme de Paris. C'est pourquoy je vous prie
» prendre la peine de faire quelques extraits historiques dans ce soir,
)' afin que demain matin, si vous l'avez agréable, nous alUons, vous et
» moy, veoir Monsieur de Nismes et les luy offrir en luy demandant à
» disner. Je suis cependant, — Monsieur, — vostre très humble et
» fidèle serviteur. De Malabre-Rizier. A Paris, ce samedy 8 septembre
). 1635. »
Anthj-me-Denis Cohon, évoque de Nîmes, avoit une grande célébrité
comme orateur ; ce fut lui qui prononça à Saint-Germain-l'Auxerrois
l'oraison funèbre de Louis XIII, comme il avoit auparavant prononcé
celle de la grande Nicole. Attaché profondément au parti du Roi contre
les Frondeurs, il écrivit alors plusieurs pamphlets honnêtes qui lui
valurent de cruelles représailles. Par exemple, dans le Conseil néces-
saire donné aux bourgeois de Paris, Paris, 1649, on le déclare « un
» comédien dans la chaire, filz d'un cabaretier du pays du Maine. »
206 LES niSTORTETTES.
On va plus loin encore dans V Avertissemenl à Cohon, evesque de Dot et
de Fraude, par les cuistres de l'Université, 1649. « Hé quoy ! » lui dit-
on, « ne vous souvient-il plus de vostre vie passée, quand vostre arro-
gance et vostre gloire vous fit chasser du collège ? La charité des
) escoliers et ceux à qui vous tendiez la main vous donnèrent de quoy
» vivre en un grenier, en la rue des Quatre-Vens, chez une fruitière.
I) Là, comme vous estiez filz d'un pauvre savetier, et par conséquent
> exempt d'apprentissage, vous travailliez en toute seureté... On dit
bien vray que les honneurs changent les moeurs ; depuis le commen-
cement de vostre fortune, vous estes devenu extresmement insolent...
Peut-estre si vous eussiez gardé devant les yeux une boitte garnie
i) d'outils de savetier, pour vous retirer dans la modestie, cela vous
auroit servy beaucoup, et vous auroit exempté de ce qui vous arriva
à Nismes, que tout le monde sçait trè's-bien, lorsque vous fustes
atteint et convaincu du crime de fausse monnoye et d'avoir desbau-
> ché ))onne partie des dames de la ville, quand le défunt cardinal de
Richelieu, par un arrest du conseil, fit évoquer le tout et vous sauva
la vie... Vous avez quitté Nismes pour aller à Dol ; vostre vie scan-
> daleuse et de mauvais exemple vous a suivy partout, et vous a fait
> chasser honteusement de ce beau séjour. Et comme le vice cherche
le vice, vous vous estes jeté entre les bras et donné entièrement à
Jules Mazarin, le plus méchant, le plus fourbe, etc., etc. »
IL — P. 196, lig. 5.
Outre qu'il n'estait pas trop sage naturellement.
«C'estoit, » dit le cardinal de Retz, « un extravagant, mais qui es-
» toit assez gousté du Roy, et se permettoit souvent auprès de Sa
» Majesté des tirades contre les plus grands personnages. » {Mémoires,
édition de M. Champollion, p. 18.)
IIL —P. 190, lig. 8.
// y avoit à Angers une jeune fille qui travailloit pour les tailleurs,
sur leur boutique.
C'est-à-dire apparemment sur l'etal ou devant de boutique : on
voit encore souvent aujourd'hui dans les campagnes les garçons tail-
leurs assis à la turque et jouant ainsi de l'aiguille.
Lenet parle à peu près comme va le faire des Réaux de la Dervois,
mais sans la nommer : « Le mareschal de Brezé estoit possédé par une
» femme, veuve d'un de ses valets, laide, mais d'unesprit vif et hardy,
» qui a disposé de toute sa fortune, jusqu'au dernier soupir de sa
» vie.» (Tom. ii, édition de 1729, p. 574.)
LE MARESCHAL DE BREZÉ. 207
IV. — P. 197, note, lig. 14.
Avril, homme rie bonne famille d'Angers... et son filz, seneschal rie
Saumttr...
Charles Colbert, maître des requêtes, fait en 1604 le rapport sui-
vant sur Avril le fils : « Le seneschal de Saumur, le sieur Avril
'1 homme de mérite, d'une intégrité congneue, bon serviteur du Roy,
» très-habile, homme de cœur et qui en a donné des marques dans
» Saumur, pour le service de S. M. pendant les guerres civiles. Il n'est
» pas riche, mais il mérite de l'estre; faisant sa charge avec beaucoup
» d'honneur, et est fort au-dessus de l'interest. Il seroit seulement à,
» souhaitter qu'il eust plus de sévérité contre les sergens et autres
» officiers subalternes... » (Bibl. nat. — Cinq-Cens C.o\h. .,n° 277, f° 113.)
V. — P. 198, lig. 17.
// avait mis sur la porte rie Milly... NuUi nisi vocati.
Ce qu'il avoit accompagné de la traduction suivante :
Dans ce lieu de repos on ne veut point de bruit.
Et nul n'y doit entrer qu'invité ou conduit.
«Cette inscription, » dit Lenet, « me surprit fort; sa singularité
» m'obligea d'en demander la raison, et ses anciens domestiques me
» dirent que le duc de la Trimouille luy rendit une fois visite avec
» tant de cérémonie et qu'il le reçut avec tant de contrainte, qu'à son
» départ il fit venir les ouvriers nécessaires à cet ouvrage, afin que
» personne n'allast plus chez luy, sans sçavoir s'il le trouveroit bon. »
[Mém., tom. ii, p. 575.)
« Le Mareschal, » dit encore Lenet, (( se divertissoit à la chasse, et
» véritablement je n'ay guère veu de lieu où elle soit plus belle et
» plus commode qu'en ce lieu de Milly. » La môme résidence devoit
encore au maréchal de Brezé un jeu de paume, des salles ornées de
peintures mythologiques, et des écuries pour quatre-vingts chevaux.
Ce magnifique château de Milly-le-Mengon, près de Saumur, rési-
dence des Maillé pendant près de trois siècles, n'est plus aujourd'hui
qu'un amas de ruines : elles appartiennent à un banquier de Saumur,
nommé M. Defosse, qui conserve, à ce qu'il paroît, le chartrier de la
grande maison de Maillé.
VI. — P. 200, lig. 7.
Il y avoit à Saumur chez la Seneschale.
Cette Sénéchale etoit-elle M'"« Avril; et, dans ce cas, etoit-ce la
208 LES HISTORIETTES.
mère, etoit-ce la belle-fille ? Avril fils etoit bien sénéchal en 1650,
mais l'etoit-il déjà vers 1630 : enfin, avant lui, son père avoit-il possédé
cette charge? Notre auteur semble donner le contraire à penser quand
il dit plus haut, dans une note, qu'Avril etoit homme de bonne famille
d'Angers et père d'Avril, sénéchal de Saumur. Cependant, après tout,
des Réaux auroit sans doute mieux désigné le Sénéchal et sa femme,
s'il n'avoit eu les Avril en tête. Ainsi, Avril fils aura été sénéchal de
Saumur, sous Louis XIII, sous Mazarin et sous les Colbert. M"* de
Russy devoit avoir le même nom de famille que M"* Avril ; je n'ai pu
le retrouver.
VII. — P. 200, note.
Molière luij lisait toutes ses pièces...
Et sans doute avec plus de profit qu'il ne le faisoit à sa ser-
vante. Cette note doit avoir été ajoutée par des Réaux après le
5 février 1669, date de la reprise heureuse de l'Avare. La première re-
présentation avoit été donnée le 9 septembre 1668. {Votj. M. Tasche-
reau, Ilist. de Molière, liv. m, p. 225.)
VIIL— P. 200, lig. 10.
// la mena avec sa tante voir le sacre d'Angers.
C'etoitune procession célèbre et magnifique, qui se faisoit à Angers le
jour de la fête du Saint-Sacrement : ce qu'ailleurs on apjJcUe le Reposoir.
Pour la Gloire de Niquée, cela est pris du huitième livre de l'Ama-
dis de Gaule, quand Zirphée voulant mettre la belle Ni(iuée, sa nièce,
à l'abri des sollicitations de son frère Anastarax, « commanda de dres-
) ser un théâtre à quinze marches, le tout couvert d'un grand drap
i) d'or, et mit au plus haut une chaize tout enrichie de perles et orfè-
vrerie que sa pareille ne fut oncqucs veue. Le plancher de la salle
) fut mué par magie soudainement en une route de cristal soustcnue
par piliers... à chascun desquels se representoit la statue d'une
i> femme si au vif qu'il sembloit proprement vouloir remuer les doigts
pour sonner la harpe ou violon qu'elle tenoit entre ses mains. Lors
appel! a Zirphée, sa nièce, laquelle elle fit vestir d'un acoustrement
» tant canetillé et brodé que... ne se pourroit vanter dame ou demoi-
) selle d'un si excellent. Puis lui posa sur le chef qu'elle avoit nu et
les cheveux espars un diadcsme d'imperatrix : la faisant asseoir en la
) chaize de parement, et les deux princesses Brizele et Todomire à
> genoux devant elle... » (Ch. xxiv.)
MADEMOISELLE DE BUSSY. 209
IX. — P. 201, lig. 9.
Cette tante proposa à M^^ Bigot.... de marier Honorée avec M. Servien.
Marie Charles , fille de Jean Charles secrétaire du Roi , et femme
de Jacques Bigot frère de M"* Rambouillet ; c'etoit par conséquent la
belle-tante de M""* des Réaux. De^ Réaux parlera beaucoup d'elle
dans l'Historiette de Servien ; mais il y racontera les mêmes choses
un peu différemment. Là, c'est l'abbé Servien qui auroit prié M"** Bigot
de détourner son frère Abel d'un projet de mariage avec une demoi-
selle Avril : et le prince allemand dont on parle ici semble y être
transformé en Jerzay.
X. — P. 201, lig. 16.
Cfiemerauli, aujonrd'Imy M^" de la Baziniere.
Françoise de Barbezieres demoiselle de Chemerault, fille de la Reine,
fut accusée d'abord d'être l'espion du Cardinal auprès de la Reine ;
puis , le Cardinal craignant son influence près du Roi et près de la
Reine, fit demander son renvoi et celui de M™* d'Hautefort par le
jeune Cinq-Mars : la Reine fut obligée de consentir à leur eloigne-
ment. Le reste des aventures de M"* de Chemerault se trouvera dans
l'Historiette de la Baziniere. On s'accordoit pour sa grande beauté ,
moins pour la sûreté de son commerce : la Porte parle d'elle assez
mal dans ses Mémoires., et Henry Arnauld, correspondant du président
de Barrillon , ecrivoit le 20 mars 1639 : « M°" d'Autefort est encore
» brouillée avec le Roj'. Elle a une furieuse jalousie de Chemerault et
I) appréhension qu'elle ne prenne sa place. » (Msc. Mortemar, n" 70.)
L'exil d'Hautefort et de Chemerault fut prononcé huit mois plus tard,
en novembre 1639.
Des Réaux dit qu'à Angers : « On se demandoit: Qui vive?» On
se repondoit sans doute : Bussu ! — Chemerault ! ou la Vacherie !
XI. — P. 202, lig. 6.
Villandry, qui fut tué par Miossens., comme ils servaient tous deux le
chevalier de Rivière et Fossé.
Henry-François, marquis de Vassé, aura son Historiette.
Pour le chevalier de Rivière, si célèbre par son esprit et ses vaude-
villes, il se retira de la Cour en 1658, dans l'intention de finir ses jours
en Guyenne, son pays natal. Il avoit longtemps auparavant acheté de
Pierre de Piedefer, marquis de Saint-Mard, la charge de premier gen-
II. 14
210 LES HISTORIETTES.
tilhommc de la cliambrc de Monsieur le Prince. On peut voir dans les
Mémoires de Cosnac^ ii, p. 17, comment M. de Turenne, fort ami de
Rivière, sollicita pour lui un bénéfice de Guyenne, alors possédé par
l'evôque de Valence, Cosnac. « Il n'avoit pas fait ou commencé, » dit
celui-ci, « une fort grande fortune, et choisissant pour retraite le lieu
» de sa naissance, qui estoit une paroisse dont j'etois seigneur, en qua-
» lité du bénéfice qu'il desiroit, il rcgardoit ce bénéfice comme un
» grand et désirable établissement. »
XII. —P. 202, lig. 13.
Elle estoit à Paris dans ce temps-là ; jamais on n'a veu un tel abord
de gens.
Nous dirions aujourd'hui : uyie telle ajjluence de gens. M"^ de Bussy
voyoit alors :\ Paris ce qu'il y avoit de mieux : Boisrobert, en écrivant
de Poitiers à Scarron, au nom de M"^ de Neuillan, depuis M"* de
Navaillcs, n'oublie pas cette belle personne :
On doit beaucoup priser aussy
L'oblif^cantc et belle liussy.
{Épitreen vers, 1659, p. 87.)
Et Scarron répondoit :
Belle Keuillan, fille charmante,
Beaucoup aimée et point aimante. . .
Bussy, qu'on surnomme la belle.
Et .Scarron, chetive haridelle.
Vous baisent mille fois les mains. . .
Bussy, charmante au dernier point,
Kt moy, qui charmant ne suis point.
Vous composons ces rimes plattes, etc.
{OEuvres de Scarron, 1752, tom. vu, p. 116.)
Il faut croire que le logis de M"* de Bussy etoit bien près de celui de
Scarron.
XIII. — P. 202, lig. 18.
Valliconte voutoit l'espouser...
C'etoit le beau-frère de l'intendant Cornuel, et il demeuroit dans le
Temple en 16/|9. (Catalogue des Partisans, mazarinade.)
XIV. — P. 202, lig. 2/|,
La femme de ta Mothe le Vayer., qui est sa tante.
François de la Mothe le Vayer avoit épousé, le 11 juillet 1622, la
MADEMOISELLE DE BUSSY. 211
fille d'Adam Blackwood, célèbre jurisconsulte, conseiller au présidial
de Poitiers. Cette dame et oit alors veuve de Jacques Cri ton, profes-
seur de grec au Collège Royal, dont la Mothe le Vayer fut accusé d'a-
voir mis les manuscrits à profit. {Sorberiana.) Elle mourut le 23 dé-
cembre 1655, comme l'apprend une lettre inédite de la Mothe le Vayer
qui appartenoit à M. de Monmerqué.
Le Vayer, âgé de soixante-dix-huit ans, se remaria, le 30 décembre
166i, à la fille de M. de la Haye, l'ancien ambassadeur à Constanti-
nople : « Elle a bien quarante ans, » dit Guy Patin, « et estoit deraeu-
» rée pour estre sybille. Non invenit vatem seu virum, sed vetulum. »
(Lettre du 30 décembre lC6/i.) La note de des Réaux est donc posté-
rieure à cette date.
Le second mariage de le Vayer suivit de trois mois à peine la mort
de son fils : « Nous avons icj% » ecrivoit Guy Patin, 22 septembre
1664, « un honneste homme bien affligé. C'est M. de la Mothe le Vayer,
» célèbre escrivain et cy-devant précepteur de M. le duc d'Orléans,
» âgé de soixante-dix-huit ans. Il avoit un filz unique d'environ trente-
» trois ans, qui est tombé malade d'une fièvre continue, à qui
11 MM. Esprit, Brayer et Bodineau ont donné trois fois le vin emetique,
» et l'ont envoyé au paj's dont personne ne revient. » C'est à l'abbé le
Vayer que Despréaux avoit adressé sa quatrième satire.
XV. — P. 203, note, lig. 13.
Il peut y avoir un an et demy qu'elle se blessa fort à la teste.
Cet accident de M"' de Bussy est raconté par Loret dans sa Gazette
du 8 juillet 1656 :
Mademoiselle de Bussy,
(Je ne scay pas tout à fait sy
C'est cette aimable Poitevine
Dont la grâce presque divine
Dans Paris a tant de renomi :
Une enfin qui porte ce nom.
Soit belle blonde ou belle brune,
Par une terrible infortune,
A le chef tout défigure
Qui fut jadis tant admiré.
Estant en bonne compagnie
D'où la tristesse estoit bannie,
Jeudy dernier, jour assez beau.
Vers le faubourg de Saint-Marceau,
Ils faisoient rouler le carrosse.
Quand la vivacité féroce
De chevaux neufs, fougueux, ardens.
Qui prirent lors le frein aux dens.
Courant d'un mouvement rapide
Sans respecter ni jnwg ni bride,
212 LES HISTORIETTES.
La voiture bouleversa,
Et par cet échec renversa
Cocher, laquais, hommes et femmes,
A qui lesfllts chevaux Inrames
Rompirent cuisses, jambes, bras. . •
Le cocher y demeura mort.
Et la belle, faisant effort
Pour se dégager, une roue
Luy froissa frout, oreille et joue,
On voyolt des sources de sang
Qui i-uisseloient sur son teint blanc.
On la ramena de la sorte.
Presque pâmée et demy morte.
En son logis, dans un brancart, etc.
XVI. — P. 203, note, lig. 16.
Maulevrier, qui etoit mort d'un mal dans ta teste.
Le marquis de Maulevrier, apparemment de la maison de Gouf-
fier, avoit une certaine célébrité comme faiseur de chansonnettes ,
sarabandes et vaudevilles de Cour. Le poëte Bouillon a jeté sur son
tombeau des fleurs assez piquantes dans le conte de VOiseau de
passage :
Je pleure un homme d'importance
Connu de Paris il Bysance,
Le marquis de Maulevrier.
Il estoit le bon ouvrier
Des courantes, des chansonnettes,
Des billets doux et des fleurettes;
Il ne se passoit pas de jour
Qu'il ne fist naistre quelque amour.
Et son ame en amours féconde
Seule en pouvoit peupler le monde.
Les Amours, ;» ce que je croy.
En ont pris le deuil comme moy.
Pour honorer sa sépulture
Comme celle du grand Voiture. . .
Il almoit les gens de musique.
Il avoit le cœur hi^roîque.
Et ce cœur tousjours amoureux
N'en estoit pas plus daugereux.
Les dames estoient son affaire.
Mais ce n'estoit pas pour mal faire.
Et s'il en a pu pervertir.
Elles me peuvent démentir.
(OEuvres de feu M. de Bouillon, Paris, Barbin, 1663, p 44.)
C'est à ce marquis de Maulevrier qu'etoient pourtant adressées les
fameuses lettres que M""' de Montbazon attribua à M"* de Longueville;
M""' de Fouquerolles les avoit écrites. {Mémoires de Mademoiselle^ i,
p. 59.)
LXXXIV.
LE DUC DE BREZÉ.
{Jean-Armand de Maillé-Brezé , duc de Brezé , amiral de France, né
en 1619, tué le lU juin 1646. )
Le duc de Brezé fut eslevé par les seings du
cardinal de Richelieu. Il n'avoit pas un grand
esprit ; il estoit timide et embarrassé'. Le cardinal
de Richelieu, en le voyant, levoit les espaules et
disoit à M""^ d'Aiguillon : « Ma niepce, quel succes-
» seur ! » Il estoit brave cependant et libéral ; il
donnoit beaucoup aux autheurs : Bensserade * avoit Historiette
trois mille livres de pension de luy.
Avant que d'aller à Orbitelle, où il fut tué faisant
sa charge d'amiral, il voulut voir de quoy on paye-
roit ses créanciers s'il mouroit, et s' estant satisfait
sur cela , il partit content. On trouva après sa
mort qu'il donnoit près de cinquante mille livres
tous les ans. Son précepteur, l'abbé d'Aubignac,
en a eu pour rescompense quatre mille livres de
pension viagère : Monsieur le Prince les luy a
disputez, et le pauvre abbé n'en jouit que depuis
1 II ne laissoit pas pourtant d'estre glorieux, et se tenoit descouvert
tout le matin, afin qu'on ne se couvrist pas.
''2ili LES HISTOIUEÏTES.
que ce héros est hors de France; il s'est accom-
i.es i„ten.u.ns du ^^^^ ^^^^ j^g œconomes *.
Le malheur du duc de Brezé fut d'avoir trouvé
du Dognon * , qui rempauhïia de telle sorte qu'on
pouvoit dire qu'il ne faisoit que ce que l'autre
vouloit. A la mort du Duc, du Dognon, qui estoit
vice-amiral, quitta tout et s'alla saisir de Brouage
et de la Rochelle. Les Mémoires de la Régence
diront le reste.
C'a esté un grand tyi'an. 11 fit faire un balustre
dans le chœur de l'église de Brouage , où il enten-
doit seul la messe ; pas une femme n'y cust osé
entrer. On fermoit les portes de la ville quand
il disnoit. 11 avoit cent Gardes, montez comme
des saint Georges, et rançonnoit fermiers et mar-
chands. Grande maison, grand équipage, tout cela
biv.n réglé et point de desordre, pourveù qu'on fist
tout ce qu'il vouloit.
' Second fils de Saint-Germain Beauprc'. Voij. V Historiette du père.
COMMENTAI ni:.
1. — p. 213, lig. 5.
Ma niepcc^ quel successeur !
Le portrait tracé par des Réaux, d'accord avec la giande opiniuii
<(ue la postérité conserve de l'amiral de Brezé, ressemble assez mal, il
faut on convenir, à celui que M. Godard Faultrier en a fait, dans
l'Anjou et ses Monumens (toin. ii, p. 112). Ce livre, écrit d'un stylo
prétentieux, est cependant rempli de curieuses et intéressantes recher-
ches et embelli de dessins nombreux des principaux monumens de
l'Anjou. 11 j)résentc une mine très-féconde et l'on est heureux d'y pou-
voir puiser ; mais, cnthi, il faut le faiie avec précaution.
LE DUC DE BREZÉ. 215
II. — P. 21?i, lig. 7.
Du Dognon s'alla saisir de Brouage.
Louis Foucault comte du Daugnon , d'abord page du cardinal de
Richelieu , puis par la faveur du duc de Fronsac (depuis notre duc
de Brezé ), créé vice-amiral de France. « Le comte d'Oignon, » dit le
maréchal de Navailles, « au lieu de profiter de l'avantage qu avoit
„ l'amiral de Brezé, au moment de sa mort, prit le party de se retirer,
„ et ramena l'armée navale à Toulon, pour aller en diligence sfe rendre
,. maistre de Brouage, de Rhé, d'Oleron et des tours de la Roche le,
„ où il commandoit sous l'autorité du duc de Brezé; cette démarche
» qui devoit le perdre, servit beaucoup à sa fortune. » [Man., p. 36 )
En effet, les troubles de la Fronde survenant bientôt, il profita de
sa position pour rendre service au prince de Condé, dont il parut
embrasser vivement les intérêts ; en 1653, il fit son marché avec le Roy
pour le bâton de maréchal de France; puis il ne tarda gueres à se
déshonorer tout à fait en consentant à figurer parmi les juges du prince
de Condé. Il mourut à Paris, le 10 octobre 1659, à l'âge de quarante-
trois ans. On verra plus loin l'Historiette de son père Saint-Gcrmain
Beaupré, de son frère aîné et de ses sœurs.
III. — Fin.
Comme le remarque des Réaux, le Maréchal et son fils, le duc de
Brezé, etoient de la grande maison des Maillé de Touraine. Sur la fin
du XV» siècle, Hardouin de Maillé , en épousant Françoise de la Tour
joignit au nom de ses aïeux celui de la Tour-Landry; et sa postérité
directe porte encore ce double nom.
Près de deux siècles auparavant, Payen de Maillé etoit devenu sei-
gneur de Brezé, par sa femme, Jeanne de Beauçay; et de là le nom
de Brezé qui finit par Être, pour ainsi dire, substitué à celui de
Maillé, quand cette première baronnie de Touraine eut été acquise
par le Connétable de Luynes,. et convertie en duché de Lnynes. U^
maréchal de Brezé n'avoit eu que deux enfans : l'amiral, qui ne laissa
pas de postérité, et Claire-Clémence de Maillé, princesse de Condé. La
terre de Brezé revint, après la mort du maréchal de Brezé, à la mai-
son de Condé , qui bientôt après la vendit à Thomas Dreux, conseiller
au Parlement, auteur des marquis de Dreux-Brezé, dont le nom, si
honorablement mêlé à nos mouvemens révolutionnaires et à nos li-
bertés nouvelles, est aujourd'hui populaire en France. Toutefois les
Dreux n'ont vraiment aucun rapport d'origine avec la maison de
France, comme l'admettent assez légèrement MM. Filleau, dans leur
iHriionnnirc des familles de l'ancien Poitou. Poitiers, 18;^^.
LXXXV.— LXXXYI.
LE MARESCHAL DE LA MEILLERAYE
ET LES SœURS DE LA MARESCHALE.
{Charles tic la Porte, duc de la Mcilkrayc; n(- vers 1602, mort
8 fHrier 1G04.)
Le mareschal de la Meilleraye est cousin ger-
main du cardinal de Richelieu ; car la mère du
Cardinal, le Grand-prieur et le père du Mareschal
estoient tous trois enfans d'un advocat au parle-
ment de Paris , nommé la Porte , qui se disoit
d'une bonne maison de Poitou , appellée la Porte-
Vezins; et voicy, dit-on, comme cela arriva. Une
jyjmc fi^Q Vezins avoit la Porte pour advocat ; il se
disoit son parent, elle en rioit: « Il ne l'est pas, »
disoit-elle ; « mais il me fait service, il luy faut don-
» ner cette petite satisfaction. » Cet homme avoit
tous les tiltres de cette maison entre les mains, et
en fit comme il voulut. C'est peut-estre sur ces
tiltres-là que M" Charles du Moulin luy a donné
la qualité de nobilissimus, et c'est sur ces mesmes
tiltres-là que le Grand-prieur avoit esté receû che-
valier de Malte '.
Il y avoit une M""" de Chausseraye en Poitou,
1 Ce grand-prieur du la Porto ostoit un lioinme de bien et un homme
fils naf'd ' Il *'*' îv' fl''i<^""<-Hir. Quand le grand-prieur deVendosme fut mort*, le cardinal
mort en février 1629.' de Uidielieu le voulut faire grand-prieur, encore qu'il y eust un corn-
LE MARESGHAL DE LA MEILLEttAYE. 217
fille de ce petit de Vezins, qui fut trouvé h Genève ' ,
quisoutenoitque lemareschal de la Meilleraye venoit
d'un notaire d'Ervaux, qui est une abbaye en Poi-
tou ; et un gentilhomme de mes alliez m'a dit avoir
veû une cession d'un abbé d'Ervaux, où il y a : « J'ay
)) quitté à mon compère Jean de la Porte, notaire ,
» la rente du blé qu'il me devoit, mais non celle des
j) chapons. » Et le filz de ce notaire fut advocat à Paris.
Le mareschal de la Meilleraye estoit huguenot ,
et a estudié au collège de Saumur ; mais il changea
bientost de religion. 11 fut d'abord escuyer du Car-
dinal, lorsqu'il estoit evesque de Luçon ; car le car-
dinal de Richeheu, en quelque fortune qu'il ayt esté,
mandeur plus ancien que luy, et il avoit assez de pouvoir pour cela ;
mais il ne le voulut jamais, et dit que c'estoit une injustice. 1\ laissa
passer l'autre devant ; mais il n'attendit gueres, car cet homme mou-
rut bientost après. J'ay veû ce grand-prieur fort aymé à la Rochelle,
dont il estoit gouverneur avec le pays d'Aulnis, Brouage et les Isles.
Depuis sa mort, la religion de Malte a desmembré le Grand-prieuré, à
cause qu'il n'estoit plus que pour des princes et des gens de la faveur.
1 C'estoit un héritier qu'on avoit fait enlever ; la Noue, dit Bras-de-fer,
son parent, le reconnut à Genève. Cet enfant estoit chez un cordonnier.
( Lignes biffées :) [Il est vray que M* Charles du Moulin appelle cet
advocat nobilissimus, et qu'il espousa la fille d'un conseiller de la Grand-
chambre. Ils prétendent que cet advocat estoit d'une bonne maison
de Poitou qu'on appelle la Porte-Vezins. Je mettray icy ce que j'en
ay appris : M. de la Porte-Vezins * s'estant remarié, en faveur de sa Jacques de la p. v.,
, » • •. j i- j 1 .-. £1 marié lo à Claude de
seconde femme qui avoit eu des enfans de luy, consentit que son iilz la soue; 2° à Fraa-
du premier lict fust enlevé et mené où Dieu voulut. M. de la Noue,
Bras-de-Fer, cousin-germain de Vezins, estant à Genève, envoya quérir
un cordonnier, qui amena avec luy un jeune garçon. L'âge, l'air et la
bonne grâce de cet enfant donnèrent quelque soupçon à M. de la
Noue. Il se confirma dans ses soupçons en l'examinant. On plaida, le
petit garçon fut reconnu ; le père estoit mort auparavant. On dit que
la Porte ayant gaigné la cause de ce petit garçon, on hiy pcnnit de
prendre les armes de Vezins et de ?:o dire leur parent.]
coise de Maillé.
Mnjtilelaine
l'or'te
<;helles en 1645; morte
218 LES HISTORIETTES.
a tousjours eu un équipage raisonnable. Après il fut
enseigne des gardes de la feu Reyne-mere ; et
après la droslerie des Ponts-de-Sé, il fut capitaine de
SCS gardes'. En cetemps-l;), le Cardinal mit aussy
ilJlîLé" de M"'= de la Meilleraye* auprès de la Reyne-mere. C'est
enVé??."" ^"'■""'■^ g|]g qui est encore aujourd'huy abbesse de Chelles ;
cette abbaye jusqu'à lors n'avoit esté tenue que par
des princesses. Le Cardinal fit M. de la Meilleraye
chevalier de l'Ordre et, après, luy fit espouser la fille
du mareschal d'Effiat - qu'on desaccorda exprès
d'avec un gentilhomme d'Auvergne, nommé M. de
Beauvais ^ C'estoit une extravagante. Elle mourut
En 1633, à vintît ans. jcunc *, après avoir eu un filz, qui est aujourd'huy
1 Le marcsclial de la Meilleraye conte que le feu Roy ne le pouvoit
souffrir, et que le cardinal de Richelieu luy ayant dit cela, il s'en
alla dans l'antichambre; de rage, il mangea toute une chandelle. Le
CardJJial le vit faire, sans rien dire, et ne pouvoit s'empescher d'en
rire. La Meilleraye s'en va, vend tout ce qu'il avoit ; sa terre de la
Meilleraye cstoit alors de deux mille livres de rente. Il vient trouver
le Cardinal, et luy déclare qu'il s'en alloit trouver le roy de Suéde.
Le Cardinal luy dit : « Puisque vous avez ce courage-là, attendez ; je
» tenîeray tout pour vous. » Il fit i omprc le contrat de vente, et le poussa.
— Le feu duc de Rouanez, grand-pere de celuy-ci, fit faire une pein-
ture à Oiron, vers Loudun, où le cardinal de Richelieu est peint habillé
comme la Fortune, qui donne des canons à un petit grimault qui re-
présente la Meilleraj'e, une ancre à une espèce de gobin, le gênerai
Us motsfermvs, hi}- des Galères Pont de Courlay, f* et les enseignes des Suisses au colonel
des Suisses, le marquis de Coislin, autre bossu.] Le Duc y est repré-
senté en habit de jardinier beschant la terre.
2 On luy avoit refusé M™" de Courcelles d'aujourd'huy (autrefois
M"' de Villeroy), du temps qu'il estoit capitaine des gardes de la Reyne-
mere, et qu'on l'appelloit le petit Meilleraye.
^ lis avolont esté espousez; mais, à cause de la jeunesse de la fille,
M. d'Efliat emmena le comte de Beauvais en Angleterre. Elle soutint
que le mariage estoit consommé, car Beauvais estoit bien fait. Elle
estoit belle, et traitta tousjours la Meilleraye du haut en bas. Elle
nionrnt d'une fausse couche.
LE ÎHARESCHAL DE LA MEILLERAYE. '219
grand-maistre de T Artillerie. M. de la Meilleraye eut
cette charge après la mort de son beau-pere *. ^" a^ltï^eums!"'^
Par son second mariage avec M"^ de Brissac,
il eut la lieutenance de roy de Bretagne et le Port-
Louys. Il est gouverneur de Nantes, où il a vescû
encore plus tyranniquement qu'ailleurs.
C'est un grand assiégeur de villes ; mais il n'en-
tend rien à la guerre de campagne. 11 est brave,
mais fanfaron, violent à un point estrange'.
Je pense que la meilleure action qu'il ayt faitte
de sa vie fut au blocus de la Rochelle qu'on fit
avant le dernier siège. Il envoya, par bravoure,
un trompette dans la ville pour sçavoir s'il n'y avoit
personne qui voulust faire le coup de pistolet. Ce
trompette, au plus avancé corps de garde, trouva
un gentilhomme, nommé la Coustanciere *, qui ac- °" '^ jfe"s*JLv°""^'
cepta le party. 11 se rend à l'assignation : M. de
la Meilleraye , mieux monté que luy, après avoir
tiré ses deux pistolets sans le blesser, luy gaigne '
facilement la croupe; mais la Coustanciere, qui
avoit encore un pistolet à tirer, le tire par-dessus
l'espaule, et fut si heureux que de donner dans la
1 A la campagne de Charlemont où tout alla si mal*, pour estre party Mal i640.
avant qu'il y eust du fourrage et que les chemins fussent beaux, Ruvi-
gny le trouva qui crioit dans sa chambre comme un desespéré : « X'ay-
» je point un amy au monde qui me donne un coup de pistolet dans
» la teste ? » Ruvigny fit fermer la porte, de peur qu'on ne vist le Géné-
ral en cet estât, et luy remonstra que le Cardinal entendroit ses raisons,
qu'il avoit voulu qu'on mist trop tost en campagne, que le pays estoit
gras, et que le canon ne pouvoit marcher. Le Mareschal envoya à la
Cour, et les ennemys n'ayant point encore mis en campagne, il ne re-
ceût point d'eschec. Si on l'eust pu attaquer, il estoit perdu, car il avoit
esté obligé de séparer ses troupos.
220 LES IIJSTOIUETTES.
teste du cheval de son ennemy, et ainsy eutl'advaii-
tage. M. de la Meilleraye, bien loing de haïr ce gen-
tilhomme, luy fit donner une compagnie dans son
régiment, et luy a tousjours tesmoigné de l'affection.
Juillet 1637. A l'armée*, il leva la canne sur le colonel Gassion,
depuis mareschal de France ; mais il avoit trouvé
chaussure ù son pic , car l'autre mit le pistolet à
la main , et pour cela n'en fut point mal avec le
cardinal de Richelieu '.
Sa femme est jolie et chante bien. Le cardinal
de Richelieu s'en esprit ; il avoit tousjours affaire à
l'Arsenal : c'estoit sa bonne cousine. Voylà le Grand-
maistre dans une mélancolie espouvantable. Il avoit
un peu de goutte, il feint d'en avoir bien davantage ;
il ne sçavoit où il en estoit. Le Cardinal estoit dan-
gereux ; il n'y avoit point de quartier avec luy. La
* Hors la tranchée qu'il outciidoit assez bien, il ne sçavoit rien à la
En 1641. guerre. Entre autres occasions, il y parut bien à Aire *. Les cnnemys
furent si fous que de passer, sur six ponts qu'ils avoient faits, une
petite rivière, en plein jour, en présence de notre armée. Ranzeau,
depuis mareschal de France, qui se trouva en cet endroit-là, dit à
Ruvigny qui commandoit le régiment de cavïlerie du Mareschal : « Ils
» ont perdu le sens ; il les faut laisser passer :\ dcmy, et puis les char-
» gcr; envoyons avertir le Mareschal. » On y envoyé, il vient, et ne
voulut jamais donner. Il n'y avoit pas un goujat qui ne criast qu'il
falloit donnei'. Cela fut cause de la perte d'Aire qu'il venoit de prendre ;
car les ennemys se mirent dans nos lignes. Depuis il reconnut sa faute
et envoya Ruvigny prendre les devans auprès du Cardinal. Ruvigny
Au Cardinal. luy * fit entendre que la place estoit bien munie, que M. le Grand-mais-
tre pouvoit ravager le pays ennemy et attaquer une autre place, dez
qu'on l'auroit fortifié des troupes revenues de Sedan. Le Cardinal le
remit au lendemain, et luy fit quelques propositions qu'il n'avoit garde
de ne pas approuver. « Voylà pour vous monstrer, » disoit-il, « mon-
» sieur de Ruvigny, que le cardinal de Richelieu, quoyqu'il n'aille pas
» ^ la gueiTe, ne laisse pas d'estrc grand capitaine. »
LE MARESCHAL DE LA MEILLERAYE. 221
Mareschale pouvoit, si elle eiist voulu, le faire enra-
ger impunément ; elle, qui ne manque pas d'esprit,
s'apperceût de cela ; et un beau jour, par une reso-
lution assez rare en l'âge où elle estoit alors, elle
va trouver le Grand-maistre, et luy dit que l'air de
Paris ne luy estoit pas bon et qu'elle seroit bien
aise, s'il l'approuvoit, d'aller chez sa mère en Bre-
tagne. « Ah! madame, » luy dit le Grand-maistre,
» vous me donnez la vie ; je n'oublieray jamais la
«grâce que vous me faittes. » Le Cardinal, par
bonheur, n'y songea plus; mais sans doute il s'al-
loit enflammer d'une estrange sorte.
Tournons la médaille. Au mesme temps, M^"' de
la Meilleraye se va mettre dans la teste que
MM. de Cossé viennent de l'empereur Gocceius
Nerva, qui n'eut point d'enfans. Buchanan avoit
bien plus de raison d'appeller Timoleon de Gossé
le sang de Gossus, un dictateur romain ; mais cela
est permis à un poète. Sa folie alla jusqu'au point
de faire passer ses sœurs devant elle, disant qu'elle
a desgénéré en espousant un autre qu'un prince ;
et dans le cabinet de l'Arsenal, où tous les grands-
maistres de l'Artillerie sont peints, elle a fait mettre
le titre de prince à M. de Brissac, son grand-pere.
Depuis , je ne sçay si elle l'a fait effacer, car elle
est revenue de cette grotesque \ Elle faisoit mettre
1 MM. de Brissac, ses frères, ne furent guères plus sages. Cerisay
fit une chanson contre eux sans se nommer ; ce fut pour complaire à
M. do la Rochefoucauld. La voicy :
Petit Brissac chacun baise les mains
A vos ayeiils les empereurs romains,
222 LES HISTORIETTES.
comme des princesses romaines, ses sœurs au-dessus
d'elle, en des fauteuils, et elle se mettoit après sur
une chaise à l'ordinaire. A Nantes, car c'est son
empire, elle faisoit asseoir toutes les principales fem-
mes de la ville autour d'elles, sur de petits tabou-
rets hauts de demy-pied, et s'il y en avoit quel-
qu'une qui eust la taille gastée, elles la faisoient
tourner de tous costez, faisant semblant d'admirer
sa taille. A une d'elles qui estoit un peu pelée sur
le front, elles se tuoient de luy dire qu'elle avoit la
plus grande quantité de cheveux du monde. Une
fois elle se coiffa ridiculement, pour leur faire ac-
croire que c' estoit la mode; mais il n'y en eut guères
d'assez simples pour donner dans le panneau. On
n'osoit danser sans le luy faire sçavoir, et quand
elle avoit promis de s'y trouver, elle attendoit que
tout le monde fust assemblé, et puis elle mandoit
qu'elle n'y pouvoit aller; et alors il falloit r' envoyer
On s«;ait assez comme la chose va.
Et n'est autem-
Qui ne soit serviteur
De Cocceius Nerva .
Vostre cadet, le prince de Cessé,
Tranche le mot et franchit le fossé;
De cette histoire on sçait tout le détail.
Et comme on va
' De Cocceius Nerva
Jusqu'à Rocher-Portail.
J'ay ouy dire que la maison de Cossé, quoyque illustre, n'est pas
trop ancienne. Le premier raareschal de Brissac fit sa fortune par les
femmes. M°* d'Estampes l'aimoit, et François 1" venant chez elle, il
se cacha sous le lict. Le Roy ne l'ignoroit pas, et comme il mangeoit
du cotignac, il en jetta une boiste sous le lict, en disant : « Tiens,
Brissac, il faut que tout le monde vive. » M"^ d'Estampes luy fit don-
ner de l'employ.
LE MARESCHAI. DK LA MEILLERAYE. 223
les violons, car c'eust esté un crime capital que
d'avoir fait une assemblée quand Madame avoit tes-
moigné qu'elle n'en pouvoit estre.
Comme on se moule aisément sur un mauvais pa-
tron, le gouverneur du chasteau de Nantes, nommé
Chalusset, vouloit faire aussy le petit tyranneau au
bal , quand le Grand-maistre n'y estoit pas. Il fit une
assemblée au Chasteau, et, pour se parer, il avoit
mis un hausse-col , et ne faisoit danser que ceux de
la cabale de la Gouvernante, sa femme. Il y avoit
une autre cabale à Nantes, qu'on appelloit vulgai-
rement le frettin, dans laquelle pourtant estoient les
plus jolies de la ville. Cette pauvre caballe ne faisoit
que regarder les autres. Enfin un gentilhomme
nommé Bois-Yvon ', qui avoit ses inclinations dans
le frettin, prit sa dame par la main , et , de concert
avec elle, comme monsieur le Gouverneur alloit pren-
dre une dame pour danser, l'arresterent, et, se met-
tant à genoux, luy chantèrent tous deux ce couplet :
Qu'il plaise à voire Hausse-cou ,
Monsieur, d'avoir pitié de nous ,
Landrirette ,
Le frettin vous crie mercy ,
Landriry.
^ Ce Bois-Yvon estoit un homme persuadé de la mortalité de l'ame,
et quand on luy voulut parler de se confesser, il s'en mocqua et dit
qu'il luy restoit trente solz qu'on donneroit à des porteurs qui , dans
leur chaise, le porteroient à la voyrie. l\ mourut ainsy, et on n'en
put obtenir autre chose. — Estant malade une autre fois, je ne sçay
quel jeune moine luy parloit fort de Dieu ; « Frère Jean, » luy dit-il,
« ne me parle point tant de Dieu : tu m'en desgoustes. » Des Barreaux
luy amena un confesseur : « \\ n'est pas de ma croyance, » dit-il. Il
224 LES HISTORIETTES.
Le couplet achevé , ils se mettent à danser, lais-
sant Ghalusset tout estourdy de cette aventure. Ainsy
le frettin entra en danse et eut sa revanche tout
le reste de la soirée.
Or , puisque nous avons trouvé Ghalusset en nostre
chemin, nous dirons ce que nous en sçavons. Ce bon
gentilhomme avoit autrefois enlevé une fille ; il cou-
cha avec elle, mais il ne luy put rien faire. Le len-
demain, cette pauvre fille pria ceux qui avoient as-
sisté Ghalusset de la renvoyer à ses parens ; ce qu'ils
firent : depuis elle fut mariée à un autre. En ce temps-
là, pour dire un Jean qui ne peut, on disoit un
Ghalusset. Il a pourtant trouvé une femme et a des
enfans : cette femme a l'honneur de vérifier le pro-
verbe qui dit: Grosse teste et peu de sens. Bois-
sat, l'esprit, la trouva une fois en visite ; cette grosse
teste l'estonna; il fit ce quatrain :
Dieu, qui gouverne tout par de secrets ressorts ,
En faveur d'une dame accorde ma requcste :
Donne-luy le corps de sa teste.
Ou bien la teste de son corps.
Elle s'est mis en fantaisie qu'il n'y a rien de si
beau que de bien escrire; que sans cela on n'est
qu'une beste : elle a persuadé cela à trois femmes
aussy sages qu'elle : elles s'exercent toutes quatre
à bien escrire , et on les a trouvées plusieurs fois
luy dit aussy : « Faire ce que vous dittes n'est pas de la vie que j'ay
» faitte, et ce que vous faittes n'est pas de la vie que vous menez. »
Bois-Yvon, comme on luy parla de Dieu, dit : « Dieu est si grand
» seigneur, et moy si petit compagnon (que) nous n'avons jamais eu de
» communication ensemble. »
LE MARESCHAL DE LA MEILLERAïE. 225
aux quatre coings d'une chambre, avec chacune une
table, s'escrivant des douceurs les unes aux autres.
Revenons à la Mareschale. Elle disoit qu'elle
rendoit grâces à Dieu de deux choses : Tune ,
d'estre née princesse ; et l'autre, d'estre la femme
de M. le mareschal de la Meilleraye : « Car, » di-
soit-elle, « si je ne l'avois espousé, je ne pourrois
» pas m'empescher de l'aimer d'amour. » Elle ment
comme tous les diables : c'est un petit homme mal
fait et jaloux, et je sçay bien qu'un jour, à Bour-
bon , une de ses femmes de chambre luy ayant es-
sayé en riant le bandeau d'une veuve qui estoit là,
et luy ayant dit : « Madame, que cela vous sieroit
)) bien ! » elle se mit à rire, et luy dit : « Que tu es
» folle! )) Sans la peur du diable, elle l'auroit fait
mille fois cocu ; elle croit qu'il n'y a point de par-
don pour l'adultère. Elle est coquette , badine et
follette naturellement, mais cela la retient ; peut-
estre l'humeur violente de cet homme luy fait-elle
peur aussy. On dit qu'elle seroit fort plaisante en
amourette. Nous parlerons encore bien des fois d'elle
et de son mary, dans les Mémoires de la Régence. Je
diray seulement, pour faire voir son humeur fiere,
qu'un jour* qu'elle se trouva chez la Reyne au r,ni548.
Palais-Royal, où M""^ de Longueville et M"' de
Guise vinrent, on parla d'aller à la Comédie. Or il
y avoit tousjours assez de presse, parce qu'il n'en
couste rien*; la Mareschale pria M'"'^ de Lon- ^""^^'^,^1^ ^^„^^^:'^"
gueville de la laisser passer devant, parce qu'après
elle on n' avoit plus de considération pour personne ;
15
226 LES HISTORIETTES.
M'"' de Longueville la fait passer. La Mareschale
entre la première , et se place bien à son aise sur
un banc qu'on avoit gardé pour M""' de Longue-
ville, qui fut contrainte de donner la moitié de sa
place à M"' de Guise, et fut si incommodée, que
la pluspart du temps elle aima mieux se tenir de-
bout. La Mareschale , au lieu de se lever, disoit :
« Je veux avoir place , moy. » On vit bien que
c'estoit pour cela qu'elle avoit demandé à passer
devant.
Pour le mareschal de la Meilleraye, il n'y a pas
grand plaisir d'avoir affaire à luy. Il a tyrannisé
et tyrannise encore tous ceux sur qui il a quelque
pouvoir. 11 a fait battre des gens, il en a fait jetter
par les fenestres. 11 a fait interdire les officiers qui
n'ont pas jugé à sa fantaisie; il a fait affront à tous
ceux dont les femmes n'estoient pas allées assez tost
voir la sienne. Enfin, c'est un diable d'homme;
mais il n'est pas si ineschant à ceux qui sont mal
endurants: il est fanfaron, comme j'ay desjà dit,
et pourtant il ne le veut pas paroistre. A Graveline,
il avoit la goutte, et alloit sur un fort petit bidet à
la tranchée , le jour qu'on l'ouvrit ; il y alla sans
nécessité, et se tint quelque temps à descouvert sur
un rideau. On luy tira vingt volées de canon, et
un boulet fut si près que son cheval en fut effrayé.
Les Officiers le prièrent de se retirer : « Quoy ! vous
)' avez peur? » leur dit-il. — « Nous avons peur
» pour vous. Monsieur, » luy respondirent-ils. —
« Pour moy? » reprit-il, « 0! ce n'est point à un
LE MARESCHAL DE LA MEILLERA YE. 227
» général d'armée, et encore moins à un mareschal
» de France, à avoir peur. »
Au siège de Perpignan , il envoya à dom Florès
d'Avila, gouverneur de la place, des noix confittes,
pour luy reconforter le cœur, à cause de la faim
qu'il enduroit. L'autre luy envoya deux cappes à
l'espagnole, fourrées d'hermine, pour luy signifier
qu'il se morfondroit devant cette place.
Voicy ce que j'ay appris des deux sœurs de
la Mareschale. L'aisnée, toute princesse romaine
qu'elle estoit, et prétendant le tabouret chez la
Reyne, devint amoureuse d'un gros homme qui
n' estoit plus jeune, et qui estoit de fort basse nais-
sance et, de plus, réfugié, de peur de ses créan-
ciers. C estoit un nommé Sabattier, à qui le car-
dinal de Richelieu, le croyant fort riche, fit espouser
l'aisnée de la Roche-Posay, qui estoit un peu sa
parente; mais elle mourut bientost. Sans cela, le
Cardinal eust soutenu cet homme qui , faute de
conduitte et d'appuy, donna du nez en terre et fit
banqueroute. Il avoit connoissance avec le mares-
chal de la Meilleraye ; cela fut cause qu'il se retira
en Bretagne chez M. le duc de Brissac, et il se mit
aux bonnes grâces du Duc et de la Duchesse. Ce fut
là que M"*" de Brissac *, qui jusques alors s' estoit »">« de br.ssac.
picquée d'une grande pruderie , trouva cet homme
à son goust, et l'aima si esperduement qu'on a dit
qu'elle luy tiroit ses bottes. Elle l'espousa en ca-
chette'. Le bruit en courut quelque temps, mais il
* Il y a * un couplet du chevalier de Rivière. Sur cei.T.
228 LES HISTORIETTES.
s'appaisa, jusqu'à la mort de Sabattier, qu'elle prit
le clueil. Le mareschal de la Meilleraye dit qu'il ne
le souffriroit pas ; elle luy respondit que si on re-
cherchoit de qui il venoit, on ne trouveroit pas que
sa sœur eust espousé un homme de meilleure mai-
son que M. Sabattier.
Depuis, un parent du mareschal de la Meille-
raye, la Porte Vezins, gentilhomme de huit mille
livres de rente, l'a espousée. Il faut qu'il ayt bien
sceû qu'il y a voit quelque sij, puisqu'on luy donnoit
une fille de cette qualité ; ou il se prend bien pour
un autre. Elle n'en est pas moins fiere. A Angers ,
plusieurs dames de qualité ayant des fauteuils au
bal, elle s'assit sur le dos du sien pour estre plus
haut que les autres, et le lendemain elle y fit ap-
porter un tapis et un carreau, comme auroit pu faire
la Reyne.
inS!fFnwof>f<^^^^ 1-» troisicsmo sœur a espousé M. de Biron*. Celle-
Gontaut, marquis (le , i - f •,, ii i , i • l- l
B., morte en 1679. cy cst bicu laittc , ellc S est divertie avant que
d'estre mariée. Un jour Ruvigny, comme le capi-
taine des gardes du Mareschal, nommé Piailliere,
se plaignoit à luy de l'humeur de son maistre :
« Eh ! » luy dit-il , « que ne quittez-vous un homme
» fougueux et ingrat? » — « Mordieu, » dit Piail-
liere, « je n'y demeure que pour tascher de mettre
» sa femme à mal, car pour sa belle-sœur elle est
» depeschée. » On a dit mesme que ce Monsieur le
capitaine des gardes n'estoit pas le seul. Cet
homme, comme on luy demandoit ce que c'estoit
i*™f;Me'Ma- que le grand-maistre d'aujourd'huy * : « C'est, »
xariii.
LK MARESCHAL DE LA MEILLERAYE. 2:29
dit-il , « bouche fermée et bouche ouverte. » Il a
tousjours la bouche ouverte , et est de fort mau-
vaise grâce.
COMMENTAIRE.
I. —P. 216, lig. 11.
Cet homme avoit tous les filtres de cette maison entre les mains et en
fit comme il voulut.
Les contemporains du maréchal de la Meilleraye ont été, pour ainsi
dire, unanimes contre ses prétentions à une noblesse de race. Montglat
en parle à peu près comme des Réaux ; le cardinal de Retz dit : « Il
» n'avoit apporté dans son alliance avec une cousine du Cardinal
» qu'une roture fort connue et la plus petite mine du monde. » Un
autre Frondeur dit à son tour : « Celuy qui possède aujourd'huj^ la
» charge de Grand-maistre de l'artillerie, n'est-il pas petit-fils d'un
» misérable notaire de village? » (Advertissement à Cohon, 1649.) —
On a fait sur lui ce couplet fréquemment imité depuis :
retit-fils de notaire.
Mine à quatre deniers,
Je ne me sraurois taire
De te voir cauonnier.
Toy qui u'es que de poudre.
Gouverneur de la foudre !
retit la Meillerays,
Va te pendre au Marais.
Enfin le père Anselme, dans l'article consacré au duché-pairie de
la Meilleraye, ne remonte pas au delà de cet avocat François de la
Porte, qu'il désigne non pas comme Fezin, mais seulement comme
seigneur de Boisliet, etc. Cependant tout cela ne sauroit empêcher que
du Moulin n'ait appelé cet avocat nobilissimus; que les la Porte-
Vezins n'aient accueilli la prétention de communauté d'origine ; qu'il
n'ait marié très-honorablement ses filles, et que son fils aîné, reçu dans
l'ordre de Slalte, n'jr ait bientôt obtenu la dignité de grand-prieur.
De sa première femme, Claude Bochart, François de la Porte eut
Suzanne de la Porte, mère du cardinal de Richelieu ; de la seconde,
Magdelaine-Charles du Plessis-Picquet , il eut Amador, grand-prieur,
mort subitement le 31 octobre 1644, et Charles, seigneur de la Meilleraye,
père du Maréchal. Celui-ci épousa en premières noces Marie Ruzé
d'EflSat , et en secondes noces, en 1637, Marie Cossé de Brissac, fille
230 LES HISTORIETTES.
du duc de Brissac et de Guyonne Ruellan. Celle-ci ne mourut qu'en
1710, à l'âge de quatre-vingt-neuf ans.
II. — P. 216, lig. dernière.
Une iM"* de Chausserayc, fille de ce petit de Vezins.
Anne de la Porte, femme de Louis le Petit de Verno, sieur de Chaus-
serayc, gentilhomme de la Chambre et chevalier de l'Ordre. Anne etoit
lille de René le Porc ou de la Porte , marquis de Vezins. C'est leur fils
qui plus tard semble avoir épousé, comme nous verrons, Anne-Ursule
de Cossé-Brissac, sœur de la maréchale de la Mcilleraye, et veuve alors
de Charles de la Porte marquis de Vezins. De ceux-ci naquit la célèbre
mademoiselle de Chausserayc, dont Saint-Simon a tant parlé.
III. — P. 218, note, lig. 10.
Le feu duc de Rouanez, etc.
Louis Gouffier, duc de Roannez , aieul d'Artus Gouflfier, gouver-
neur du Poitou. Artus transmit plus tard le duché de Roannez au
mari de sa sœur, François d'Aubusson, comte de la Feuilladc. — Oiron,
où l'on trouvoit ce curieux tableau , est près de Thouars en Poitou.
Le mot gobin se prenoit dans le sens de bossu ; témoin ce vers
de Boursault dans V Esope à la Cour :
. . . Maudit Cobin, que le diable t'emporte !
Vull:'t pour Euphrosine un amant bien tourne.
IV. — P. 219, note, lig. 5.
Ruvigny fit fermer la porte.
Henry de Massues sieur de Ruvigny, marquis de Bonneval, connu
sous le nom de marquis de Ruvigny, n'a pas d'Historiette parti-
culière , mais son nom est mêlé à un grand nombre de nos récits.
Des Réaux , dont il avoit épousé la sœur du premier lit , Marie
Tallemant, a dû beaucoup à ses souvenirs, et Ruvigny devra plus
encore au livre de son beau-frère. Nous l'avons déjà vu cité dans le
premier volume, à propos de la princesse d'Orange ; puis, dans le se-
cond, comme ami et conseiller assez mal écouté de Fontrailles et de
Cinq-Mars. Il etoit fils d'un bon oflicier que le duc de Sully avoit dis-
tingué : pour lui il commandoit un régiment de cavalerie devant
Aire, sous le maréchal de la Meilleraye ; et après avoir eu dans sa
jeunesse de très-brillantes bonnes fortunes, il eut une vieillesse très-
honorable. En secondes noces, il épousa la sœur du duc de Southamp-
ton , et fut choisi à plusieurs reprises comme député général des
Eglises réformées de France.
LE MARESCUAL DE LA MEILLERAYE. 231
V. —P. 221, lig. 2.
Elle qui ne manque pas d'esprit.
Le cardinal de Retz qui, dans sa jeunesse, fut amant assez heureux
de la Maréchale, ne parle pas aussi avantageusement de son esprit ni
de sa vertu : « M-^ de la Meilleraye de qui, toute sotte qu'elle estoit,
.. j'estois devenu amoureux, plust à M. le Cardinal; et au point que
» le maréchal mesmc s'en estoit apperceu et en avoit fait la guerre à
). sa femme. Elle le craignoit terriblement, elle n'aimoit point le Car-
» dinal... Elle m'avoit dit le détail des avances qu'il luy avoit faites,
» qui estoient effectivement ridicules. Il les continua jusqu'à Uiy faire
» faire des séjours de temps mesme considérables à Ruel ; je m'ap-
.. perceus que la petite cen-elle de la demoiselle ne resisteroit pas
» longtemps au brillant de la faveur... J'avois trouvé beaucoup de
» satisfaction à triompher du cardinal de Richelieu dans un champ
» de bataille aussy beau que celuy de l'Arsenal. » {Mém., p. 22.)
M-°^ de Motteville parle aussi de ce couple illustre avec une malice
particuhère. « Le Mareschal estoit goutteux, et sans avoir les infir-
mités que donne la vieillesse, son corps etoit plus cassé que ceux
qui en peuvent compter quatre-vingts. Il etoit perclus des mains et
des pieds, et souvent il avoit des emplastres sur toute sa personne, ce
qui etoit sa plus ordinaire parure. Mais enfin il etoit honneste homme
et bon amy, et vivoit tout à fait en grand seigneur. Il avoit une belle
et jeune femme, fille du duc de Brissac. Sa beauté consistoit dans la
délicatesse des traits de son visage, dans un grand agrément et une
belle taille. Elle etoit sage, mais elle avoit un trop grand désir qu'on
le sceust. Elle repandoit sa vertu prétendue en mille petites façons
extérieures, et ces façons... se mesloient avec son agrément naturel,
qui de toute manière la faisoit paroître aimable. Elle avoit si peur
qu'on ne crust qu'elle n'aimoit point son mary, à cause de ses maux,
qu'elle alloit disant à tout le monde qu'elle le trouvoit beau et à son
gré. Ce n'est pas une chose impossible à une honneste femme d'aimer
un mary goutteux et malade... mais cette affectation etoit cause
qu'elle ne trouvoit point de créance parmi ses auditeurs. » {Mémoires,
m, p. 70.)
VI. —P. 221, lig. 16.
Buchanan avoit bien plus de raison d'appeller Timoléon de Cossé,
le sang de Cossus.
Plusieurs généalogistes ont fait sérieusement remonter les Cossé à
Cocceius Nerva ; Brantôme penchoit pour les Cossa de Naples, et Bu-
232 LES HISTORIETTES.
chanan, comme on voit, pour le consul Cossus. Il paroît qu'ils sont
de vieille souche angevine, et qu'ils sortent de la paroisse de Cossé-le-
Vivien, dans le petit pays de Craonois, Ce village avoit un château
de toute ancienneté.
La branche directe des' ducs de Brissac s'éteignit en 1698 avec
Henry Albert de Cossé, neveu de notre duchesse de la Meilleraye.
Artus Timoléon de Cossé, cousin de Henry Albert, et comme celui-ci
neveu de la duchesse de la Meilleraye, hérita de la duché-pairie ; son
petit-flls, Louis Hercule Timoléon, duc de Brissac, fut massacré à
Versailles, le 9 septembre 1792, ne laissant qu'une fille, mère de
M. le duc de Ivlortcmart d'aujourd'hui. Elle est morte en 1818.
Le titre de duc passa alors à Hyacinthe Timoléon, cousin-germain
du précédent duc de Brissac, mort en 1813. Ses petits-fils sont :
M. le duc de Brissac d'aujourd'hui (Marie Artus Timoléon de Cossé),
né en 1813, et Aimé Maurice Artus Timoléon de Cossé, marciuis de
Brissac. Il y a encore deux oncles du duc de Brissac, le comte de
Brissac et le marquis de Cossé. Tous deux ont des enfans.
Et enfin M. le comte de Cossé-Brissac, qui forme la branche non
ducale, et qui n'a pas d'enfans.
VIL — P. 223, note.
Cerîsay fit une chanson — la voicy.
Le premier couplet a été imprimé dans un Recueil d'airs et vaude-
villes de Cour. Paris, Sercy, 1665, p. 147.
On trouve dans les manuscrits de Conrart, conservés dans la Bi-
bliothèque de l'Arsenal, un troisième couplet qui semble une va-
riante du second :
Vaï bonne foy vous avez bien raison
De tant vanter votre illustre maison.
De cette histoire on sçait tout le détail,
Et comme on va
De Cocceius Nerva
Jusqu'à Rocher-Portail.
VIII. — P. 224, fin de la note.
Tiens, Brissac, il faut que tout te monde vive.
Cette anecdote a été, depuis, mise sur le compte de Henry IV ; la
scène alors se seroit passée chez Gabrielle d'Estrées, et l'amant caché
auroit été le duc de Bellegarde. Jean de Cossé, en tout cas, n'avoit pas
besoin de la duchesse d'Estampes pour élever son nom : du temps du
roi René, Jean de Cossé etoit sénéchal de Provence; sou-^ Charles VIII
LE MARESCHAL DE LA MEILLER AYE. 233
et Louis XII, René de Cossé etoit familier de ces deux rois, avant
d'être gouverneur des enfans de François I*'. Personne ne croit aux
contes de ce genre, et tout le monde les répète.
IX. — P. 224, lig. 6.
Chalusset... ce bon gentilhomme^ avait autrefois enlevé une fille.
Peut-être y a-t-il ici confusion ; des Réaux attribueroit au mari ce
que le mari se contenta de réparer; ce seroit M"* de Chalusset qui
d'abord auroit été enlevée par un autre. « Urbaine de Maillé , » dit
du moins le père Anselme, « fut enlevée à onze ans par le baron de
» Tigny; depuis mise auprès de la Reine, et mariée * par autorité du En févTierjest.
» Roy à Jean François de Ronnin, marquis de Chalusset. »
L'académicien Pierre deRoissat, qui va chansonner M"^ de Chalusset,
est auteur d'un volume de Poésies et d'une Morale chrétienne. Son
démêlé avec le comte de Sault fut le malheur de la dernière partie de
sa vie ; l'Académie françoise j' prit une grande part, comme on peut
voir dans la. Relation de l'Académie de Pelisson. Boissat mourut en 1662,
X, — P. 225 , lig. 9,
C'est un petit homme mal fait et jaloux.
Surtout il avoit le nez court et camus. Bensserade lui faisoit dire
dans le Ballet royal de la Xuict, dansé en 1653 (la Meilleraye y faisoit
le rôle de Medor, amant d'Angélique ) :
Ha ! vous me flattez, Arioste,
Et vous faites, à vostre poste,
La beauté que vous me donnez;
Mais auriez-vous bien le courage
D'oser soustenir, à mon nez.
Que je sois si beau de visage?
Pour moy cependant on soupire.
Tandis qu'en l'amoureux empire
Languissent tant d'infortunez;
Et près de la belle que j'aime.
Mes rivaux ont un pié de nez,
Mais moy, je n'en suis pas de mesme.
{OEuvres, tom. ii, p. 37.)
XI. — P. 229, lig. 15.
Sabattier... fit banqueroute.
Cette banqueroute vint apparemment de tous les embarras dans
lesquels il se mit en 1639 : « Sabattier, qui avoit desjà une charge de
2â/i LES HISTORIETTES.
trésorier des parties casuelles, a traitté encore de ccllo de leu M. Mar-
tineau, moyennant 000,000 liv. et 200,000 fr. de taxe que le deffunt
n'avoit pas payées. Il veut encore traitter de celle de Garnier, afin
d'avoir toutes les trois. Outre cela, il a traitté avec Bezic et Guilloré
des consignations du Chastelet, moyennant 11 ou 12,000 fr. Cela
seroit incompréhensible si on ne tenoit pour asseuré qu'il ne fait que
prester son nom. » (Lettre au Pr. Barrillon, du 20 avril 1639.)
L'histoire des bottes de Sabattier a depuis été , comme on sait,
rajeunie par Voltaire, mais avec bien plus d'invraisemblance, puisque
ce seroit la grande Mademoiselle qui auroit tiré les bottes de Lauzun;
des deux parts, cela est insupportable îi admettre.
Voici le couplet du chevalier de Rivière fait sur le bruit du ma-
riage de François Sabattier avec M"' de Cossé :
Sabattier, nous dit-on, se vante
D'avoir, dessous son bonnet vert.
Bien linenient mis A couvert
l'ius (le vingt mille eseus de rente
Pour la maison Sabateius,
Mot latin comme CocceittS.
[Cfiaiisons mmiuscrites.)
C'est elle, Anne Ursule de Cossé, marquise de la Porte-Vezins, qui
devint, après la mort de son premier mari, M""" de la Chausseraye.
La Piaillière qui vouloit mettre à mal M"' de Biron, est nommé
M. de la Pihaliere dans une lettre d'Alexandre Campion, 8 novembre
16/|8 {Recueil de lettres qui peuvent servir à l'histoire, Rouen, 1G57), et
dans les Mémoires plus connus de Henry Campion, frère d'Alexandre ;
il etoit capitaine des gardes du Maréchal et commandant de son ré-
giment d'infanterie. {Mém. de Campion, p. 254.)
XIL — Fin.
De son premier mariage avec Marie d'Effîat, le maréchal de la Meil-
leraye eut un fils, Armand-Charles de la Porte, le célèbre et fâcheux
époux de la belle Hortense Mancini. Il hérita de la charge de grand-
maître de l'Artillerie, prit le nom de duc de Mazarin en épousant la
nièce du Cardinal, et mourut le 9 novembre 1713. Dans son petit-fils,
Guy-Paul-Julcs de la Porte, duc de Mazarin, s'éteignit la descendance
masculine de cette famille dont l'héritage passa en grande partie à la
grande maison de Duras, par le mariage de Charlotte-Antonie de la
Porte-Mazarin, fille unique du dernier duc, avec Emmanuel-Félicité de
Durfort, duc de Duras, mort en 1737.
LXXXVIÏ.
LOUIS TREIZIESME.
(.Ve à Fontainebleau, 27 septembre 1601; mort 14 tnai 1643.)
Louis XIIP fut marié encore enfant '. Il com-
mença par son cocher Saint-Amour à tesmoigner
de l'affection à quelqu'un. En suitte il eut de la
bonne volonté pour Haran , valet de chiens. Le
grand-prieur de Yendosm.e , le commandeur de
Souvray et Montpouillan-la-Force , garçon d'esprit
et de cœur, mais laid et rousseau^, furent esloi-
gnez l'un après l'autre parla Reyne-mere*. Enfin ^oy-tom.^^p. 399,
M. de Luynes vint ; nous en avons parlé ailleurs et
de d'Esplan aussy. Nogent Bautru, capitaine de la
Porte, n'a jamais esté favory, à proprement parler;
mais il estoit bien dans l'esprit du Roy avant que
le cardinal de Richelieu fust son ministre ^. Nous
parlerons des autres à mesure qu'ils viendront.
Le feu Roy ne manquoit pas d'esprit; mais,
comme j'ay remarqué ailleurs, son esprit tournoit
* Il voulut envoyer quelqu'un qui luy pust bien rapporter comment
la princesse d'Espagne estoit faitte ; il se servit pour cela du père de
son cocher, comme si c'eust esté pour aller voir des chevaux.
- Il mourut depuis aux guerres des Huguenots.
■-• Il y a beaucoup gaigné.
236 LES HISTORIETTES.
du costé de la mesdisancc ; il avoit de la difficulté
à parler', et estant timide, cela faisoit qu'il agis-
soit encore moins par luy-mesme. Il estoit bien fait,
dansoit assez bien un ballet, mais il ne faisoit ja-
mais que des personnages ridicules. Il estoit bien à
cheval, eust enduré la fatigue en un besoing, et met-
toit bien une armée en bataille.
Le cardinal de Richelieu, qui craignoit qu'on ne
Tappellast Louis le Bègue, fut ravy de ce que l'oc-
casion s' estoit présentée de le surnommer Louis le
Juste. Cela arriva lorsque M""" de Guemadeux,
femme du gouverneur de Fougères, se jetta à ses
pieds , pleura et lamenta , et qu'il n'en fut point
esmeû, encore qu'elle fust fort belle-. A la Rochelle,
ce nom luy fut confirmé à cause du traittement
qu'on fist aux Rochellois. En riant , quelques-uns
ont adjousté arquebusier^ et disoient : Louis, le
juste arquebusier ^.
Il estoit un peu cruel, comme sont la pluspart
des sournois et des gens qui n'ont guères de cœur,
* M. d'Alambon est fort beguc. Le Roy, la première fois qu'il le vit,
luy demanda quelque chose en bégayant. Comme vous pouvez penser,
l'autre luy respondit de mesme. Cela surprit le Roy, comme si cet
homme eust voulu se mocquer de luy. Voyez quelle apparence il y
avoit à cela ! et si on n'eust asseuré le Roy que ce gentilhomme estoit
bègue, il l'eust peut-estre faict maltraitter.
2 Depuis, le Pont-de-Courlay espousa la fille de cette femme. C'est
la merc du duc de Richelieu, aujourd'huy M""" d'Aulroy. Guemadeux
eust la teste coupée ; il se révolta le plus sottement du monde.
3 Un jour, mais longtemps après, Nogent, en jouant à la paume
ou au gros volant avec le Roy, luy cria : « A vous, Sire. » Le Roy
manqua : « Ah ! vrayment, » dit Nogent, « voylà un beau Louis le
Juste. » Il ne s'en fascha point.
LOUIS TREIZIESME. 237
car le bon sire n'estoit pas vaillant, quoyqu'il vou-
lust passer pour tel. Au siège de Montauban, il vit
sans pitié plusieurs huguenots, de ceux que Beau-
fort avoit voulu jetter dans la ville, la pluspart avec
de grandes blessures, dans les fossez du chasteau
où il estoit logé *; (ces fossez estoient secs ; on les ,/„SMàata'u^ban.
mit là comme en un lieu seur) , et ne daigna jamais
leur faire donner de l'eau. Les mousches man-
geoient ces pauvres gens.
Il s'est diverty long-temps à contrefaire les gri-
maces des mourans. Le comte de la Rocheguyon* ^^rrançois^de^siuy,
estant à l'extrémité \ le Roy luy envoya un gen- -«"^rsieV-
tilhomme pour sçavoir comment il se portoit :
« Dittes au Roy, » dit le Comte, « que dans peu il
» en aura le divertissement. Vous n'avez guères à
» attendre, je commenceray bientost mes grimaces.
» Je luy ay aydé bien des fois à contrefaire les au-
» très, j'auray mon tour à cette heure. » Et quand
Monsieur le Grand fut condamné, il dit : « Je vou-
» drois bien voir la grimace qu'il fait à cette heure
» sur cet eschafaud. »
Quelquefois il a raisonné passablement dans un
conseil, et mesme il sembloit qu'il avoit l'avantage
sur le Cardinal. Peut-estre l'autre avoit-il l'adresse
de luy donner cette petite satisfaction. La fainéan-
tise l'a perdu. Pisieux gouverna un temps *, puis la ^^y- tom. i,p.*68,
Vieuville, surintendant des Finances, fut comme une
espèce de ministre, avant la grande puissance du
C'estoit lin homme qui disoit les choses plaisamment.
238 LES HISTORIETTES.
cardinal de Richelieu , et pensa faire enrager tout
le monde. Il vouloit faire danser des courantes aux
dames qui luy alloient parler. Quand on luy de-
mandoit de l'argent , il se mettoit à faire des bras
comme s'il eust nagé, et disoit : « Je nage, je nage,
» il n'y a plus de fonds. » Scapin luy alla une fois
demander je ne sçay quoy ; voylà la Vieuville, dez
que cet homme paroist, qui se met à faire le zani.
Scapin le regarde, et puis luy dit : « Monsou , vous
» avez fait mon mestier; faittes à cette heure le
» vo§tre. » Le Roy, après luy avoir fait manger du
foin confit, pour le traitter de cheval, le lendemain
luy donne la surintendance des Finances. Lequel, à
votre avis, méritoit le mieux de manger de l'herbe?
Enfin, M. le mareschal d'Ornane s' estant mis dans
la Bastille volontairement, pour se justifier des choses
dont il disoit qu'on l'accusoit, le bruit courut que
c'estoit la Vieuville qui en estoit cause. Les gens de
Monsieur irritèrent leur maistre, qui gronda tant
En 1624. qu'il fist donner congé à la Vieuville* : ce fut à Saint-
Germain ; et ce jour-là, comme il partoit, on luy
fit faire un charivary espouvantable par tous les
marmitons, pour luy jouer, disoit-on, un bransle de
sortie \
* Rebutté des desbausches de Moulinier et de Justice , deux de ses
Le Roy. musiciims de la Chapelle, qui ne le servoient pas trop bien, il * leur fit
retrancher la moitié de leurs appointemens. Marais , le bouflfon du
Roy, leur donna une invention pour les faire restablir. Ils allèrent
avec luy au petit coucher danser une mascarade demy-habillez ; qui
avoit un pourpoint n'avoit pas de haut-de-chausses. « Que veut dire
» cela? » dit le Roy. — «C'est, Sire, » respondirent-ils, « que gens qui
LOUIS TREIZIESME. 239
Au voyage de Lyon, en une petite ville nommée
Tournus ', un gardien des Cordeliers voulut faire
accroire à la Reyne-mere que le Roy en passant y
avoit fait parler une muette en la touchant comme
si elle eust eu les escrouelles ; on luy monstra la fille.
Ce bon Père disoit l'avoir veû, et après luy toute
la ville le disoit aussy *. Le Père Souffran fit faire Mots uf/és ■. La
■' Reyne arrivée k
une procession et chanter. La Reyne prend ce bon ^^'*"-
religieux et ayant joint le Roy, elle luy dit qu'il de-
voitbien louer Dieu de la grâce qu'il luy avoit faitte
d'opérer par luy un si grand miracle. Le Roy dit
qu'il ne sçavoit ce qu'on vouloit dire, et le Corde-
lier disoit : « Voyez la modestie de ce bon prince ! »
Enfin le Roy déclara que c'estoit une fourberie et
vouloit envoyer des gens de guerre pour punir ces
imposteurs ".
Dez lors, il aimoit desjà M™<= d'Hautefort*, qui de'îfJs'nfSat?^
n estoit encore que iille de la Keyne. Les autres luy "^'•
» n'ont que la moitié de leurs appointemens ne s'habillent aussy qu'à
)) moitié. » Le Roy en rit et les reprit en grâce.
1 C'est entre Chalon et Mascon.
2 Le Roy estant au siège de la Roclielle , un de ses officiers *, nou- Gens de sa maison,
vellement marié, escrivoit à sa femme qui estoit à la Reyne. Un com-
mis de la Poste, nommé Colot, porta le paquet de la Reyne ; cette lettre
estoit dedans. La Reyne ouvroit toutes les lettres qui s'adressoient à
ses femmes ; elle ouvre donc celle-là. Cet homme raandoit à sa femme
qu'il enrageoit de ne la pas tenir, et que , pour luy monstrer en quel
estât il estoit tousjours, il luy en envoyoit la figure. La Reyne lisoit à
la chandelle ; Colot estoit de façon qu'il voyoit à travers le papier un
gros cazzo en bon arroy. La Reyne, d'abord, ayant apperceû quelques
traits de crayon, avoit dit : « Asseurement, c'est le plan de la ville...
» O le bon mary d'avoir tout ce soing-là pour sa femme ! » Depuis, on
appcila cela le plan de la ville.
240 LES HISTORIETTES.
disoient : « Ma compagne , tu ne tiens rien ; le Roy
» est sainct \ »
Ses amours estoient d'estranges amours; il n'avoit
1 M"* de la Flotte, veuve d'un de MM. du Bellay, chargée d'affaires
et d'enfans, s'offrit, quoyque ce fust un eniploy au-dessous d'elle, d'es-
tre gouvernante des filles de la Reyne-mere, et elle l'obtint par impor-
tunité. Elle donna la fille de sa fille, dez l'âge de douze ans, à la
Reyne-mere : c'est M"" d'Hautefort. Elle estoit belle. Le Roy en devint
amoureux et la Reyne jalouse, ce dont le Roy ne se soucioit pas au-
trement. Cette fille, songeant à se marier, ou voulant donner quelque
inquiétude au Roy, souffrit quelques cajolleries. Huit jours il estoit bien
avec elle ; huit autres jours il la liaïssoit quasy. Quand la Reyne-mere
Morte le ioavrili6B6. fut ari'estée à Compiegne, on fit M"»* de la Flotte * dame d'atours en la
place de M"'* du Fargis, et sa petite-fille fut receue en survivance.
En je ne scay quel voyage, le Roy alla i\ un bal dans une petite ville ;
unefllle, nommée Catin Gau, à la fin du bal, monta sur un siège pour
prendre, non un bout de bougie, mais un bout de chandelle de suif
dans un chandellier de bois. Le Roy dit qu'elle fit cela de si bonne
grâce qu'il en devint amoureux. En partant, il luy fit donner dix mille
escus pour sa vertu.
Le Roy s'esprit après de la Fayette. La Reyne etHautefort se ligue-^
rent contre elle, et depuis cela lurent bien ensemble. Le Roy retourne
à Hautefort , le Cardinal la fait chasser; cela ne la desunit point
d'avec la Reyne.
Un jour, M"^ d'Hautefort tenoit un billet. Il le voulut voir; elle ne
voulut pas. Enfin, il fit effort pour l'avoir; elle, qui le connoissoit bien,
se le mit dans le sein et luy dit : « Si vous le voulez, vous le prendrez
» donc là? » Sçavez-vous bien ce qu'il fit ? il prit les pincettes de la che-
minée, de peur de touscher à la gorge de cette belle fille.
Le feu Roy commençoit ;\ cajoller une fille en luy disant : « Point
)) de mauvaises pensées, » Pour une femme mariée, il n'avoit garde.
Une fois il avoit fait un air qui luy plaisoit fort, il envoya quérir Bois-
robert pour luy faire faire des paroles. Boisrobert en fit sur l'amour
que le Roy avoit pour Hautefort. Le Roy luy dit : « Ils vont bien, mais
» il faudroit ester le mot de désirs, car je ne désire rien. » Le Cardinal
luy dit : « Le Rois, vous estes en faveur, le Roy vous a envoyé que-
» rir. » Boisrobert luy conta la chose. « O ! devinez ce qu'il faut faire :
» ayons la liste des mousquetaires. » Il y avoit des noms béarnois du
pays de Treville, qui estoient des noms à tuer chien ; Boisrobert en fit
une chanson: le Roy la trouva admirable.
LOUIS TREIZIESME. 241
rien d'un amoureux que la jalousie '. 11 entretenoit
■jyjme d'Hautefort de chevaux, de chiens, d'oiseaux
et d'autres choses semblables. Mais il estoit jaloux
d'Esguilly-Vassé ; et il fallut qu'on luy fist accroire
qu'il estoit parent de la belle. Le Roy le voulut sça-
voir de d'Hozier - : d'Hozier avoit le mot et dit tout
ce qu'on voulut. Ce M. d'Esguilly estoit un fort ga-
lant homme '^ ; il fit long-temps l'amour à la Reyne
avec des révérences, et c'est assez dire à une Reyne :
le Cardinal l'esloigna, parce que c' estoit un garçon
qui ne craignoit rien ; il avoit morgue le Grand-
maistre en cajoUant M"'' de Chalais sous sa mousta-
che *. C'estoit un homme froid : il avoit une galère, v. imstonette ne
^ Chalais et sa femme.
et après avoir fait des merveilles au combat cjui se
donna auprès de Gènes , à la naissance de Mon-
sieur le Dauphin, où il fit des protestations contre
le Pont-de-Courlay qui ne vouloit pas donner, il
receût un coup de mousquet dans le visage qui le
desfiguroit tout. Il ne voulut plus vivre, et ne souf-
frit pas qu'on le pansast.
La Reyne , à ce que dit le Journal du Cardi-
nal, s' estoit blessée* pour avoir mis une emplastre. '^'■*''' [i'j*^^^ *"^"^^^
Avant que d'estre grosse de Louis XIV, le Roy
couchoit fort rarement avec elle. On appelloit cela
mettre le chevet, car la Reyne n'en mettoit point
pour l'ordinaire. Il dit, quand on luy vint annon-
cer que la Reyne estoit grosse : « Il faut donc que
* II la fit dame d'atours en survivance -, elle eut quelques dons.
2 Voyez page *. C'est-à-dire .- Vov.
3 On l'appelloit le beau d'Esguilly. r Historiette (\ed'iio-
Ji. 10
"242 LES HISTORIETTES.
» ce soit d'un tel temps. » Pour une pauvre fois, il
prenoit quelque rafraischissement et on le saignoit
souvent : cela ne servoit pas à sa santé. J'oubliois
que son premier médecin , Herouard , a fait plu-
^'•''{e'Roy afau.''"'" sicurs volumes *, qui commencent depuis l'heure de
sa naissance jusqu'au siège do la Rochelle, où
vous ne voyez rien sinon i^ quelle heure il se res-
veilla, desjeusna, cracha, pissa, chia, etc. '
Au commencement, le Roy estoit assez gay, et
se divcrtissoit assez avec M. de Bassompierre. Il
a dit quelquefois de plaisantes choses. Le filz de
Sebastien Zamet, qui mourut mareschal de camp à
Montauban (c'estoit beaucoup en ce temps-là) , avoit
avec luy la Vergne, depuis gouverneur du duc de
Brezé, qui estoit curieux d'architecture et y enten-
doit un peu. Or ce Zamet estoit un homme fort
grave, et qui faisoit des révérences bien compas-
sées. Le Roy disoit qu'il luy sembloit, quand Za-
met faisoit ses révérences, que la Vergne estoit
derrière pour les mesurer avec sa toise. Ce fut
luy qui fit la chanson :
Semez graine de coquette ,
Et vous aurez des cocùs.
11 aima Barradas violemment; on l'accusoit de
faire cent ordures avec luy; il estoit bien fait.
Les Italiens disoient : La biigera ha passato i monti,
1 Marais disoit au Roy : « 11 y a deux choses dans vostre mestier dont
11 je ne me pourrois accommoder. — Hé ! quoy 1 — De manger tout seul
11 ot de chier en compagnie. »
LOUIS TREIZIESME. 2^5
passera ancora il concilio. J'ay ouy dire à Barradas,
qui est un assez pauvre homme, que le cardinal
de Richelieu et la feu Reyne-mere avoient bien
brouillé l'esprit au feu Roy. Ils faisoient venir des
gens supposez, qui apportoient des lettres contre les
plus grands de la Cour. La Reyne-mere escrivoit
au Roy : « Vostre femme fait galanterie avec M. de
» Montmorency, avec Bouquinquant, avec cetuy-cy,
» avec cetuy-là. » Les confesseurs, gaignez, ne luy
disoient que ce qu'on leur faisoit dire. Ce Barradas
n'estoit qu'un brutal ; il donna bientost prise sur
luy '. Le voylà relégué chez luy ; Saint-Simon prend
sa place". 11 estoit page de la chambre aussy bien que
Barradas; mais c' estoit, et c'est encore, un homme
^ Le Royne vouloit pas qu'il se raariast, et luy, amoureux delà belle
Cressias, fille de la Reyne, voulut l'espouser à toute force. Le Cardi-
nal se servit de l'indignation du Roy pour s'en desfaire.
— A la poursuit';' des financiers*, la Reyne-mere estoit implacable
pour Beaumarchais, à cause du mareschal de Vitry, son gendre. On
s'avisa pour l'en sauver d'offrir M"^ de la Vieuviile, fille de l'autre gen-
dre *, à Barradas avec huit cens mille livres. Le Roy en fut fort aise :
« Mais, » dit-il, « il faut faire le compte rond; il faut un million. »
Barradas ledit à quelque babillard; le cardinal de Richelieu, qui ne
vouloit point que la Vieuviile eust de l'appuy, et qui vouloit peut-
estre satisfaire la Reyne-mere, dit au Roy : « Sire, voylà qui est bien ;
» mais il m'a offert (cela estoit faux) un million de sa charge de tré-
» zorier de l'Espargne, ((ui en vaut encore autant. » Gela cabra Vitry
et la Vieuviile ; l'affaire fut rompue. Outre cela, Beaumarchais fut
pendu en effigie dans la cour du Palais ; il laissa encore des biens
prodigieux. Il avoit l'isle de l'Eguillon , près de la Rochelle , et six
vaisseaux qu'il envoyoit aux Indes. Il faisoit accroire que sa richesse
venoit de là.
2 II prit amitié pour Saint-Simon , à cause, disoit-il, que ce garçon
luy rapportoit tousjours des nouvelles certaines de la chasse ; qu'il ne
tourmentoit point trop ses chevaux, et que, quand il portoit son cor,
il ne bavoit point dedans. Voylà d'où vint sa fortune.
C'est-à-dire .- Durant
la poursuite.
L'autre f^eudre de
Beaumarchais.
HhU LES HISTORIETTES.
qui n'a rien de recommandable , et qui est mal t'ait.
Cetuy-cy dura plus longtemps que l'autre, et alla à
deux ou trois ans près de Monsieur le Grand ; il y a
fait fortune, et est duc et pair, receû au Parlement.
Le Cardinal se servit encore de quelque desgoust
^si& ^'""** du Roy *, car il ne vouloit pas que ces petits favorys
s'ancrassent trop.
Depuis, M. de Chavigny, que Barradas n'avoit
point salué en je ne scay quel lieu, à cause que
l'autre luy avoit fait une incivilité en une rencontre ,
entreprend de le faire reléguer. On luy envoyé un
ordre d'aller en une province esloignée. Le Roy
dit: « Je le connois, il n'cbéyrapas. » L'exempt qui
fut chez Barradas, voyant qu'il vouloit aller faire sa
response luy-mesme au Roy, aima mieux la recevoir
par escript, et le Cardinal dit que l'exempt avoit fait
sagement; mais il gronda M. de Chavigny et luy
dit: « Vous l'avez voulu, M. de Chavigny, vous l'a-
» v£z voulu, achevez donc. » Cela n'eut pas de suitte,
et durant le siège de Corbie , oia Barradas eut per-
mission de voir le Roy, il proposa à Monsieur le
Comte d'arrester le Cardinal. Il demandoit pour
cela cinq cens chevaux-, et, suivy de ses amys et
de ses parens, avec un Cordon bleu et un baston
de Capitaine des gardes, il faisoit estât d'attendre
le Cardinal à un défilé ; qu'il y avoit apparence
que le Cardinal, surpris de voir un homme que le
Roy aimoit encore, et n'ayant pas le don de ne
se pas estonner, perdroit la tramontane, et qu'on le
meneroit où on voudroit; que, pour le Roy, il estoit
LOUIS TREIZIESME. ^2ll6
en colère de l'insulte des Espagnols et du manque
de toutes choses, et on estoit asseuré qu'il haïssoit
desjà le Cardinal : « J'en parleray à Monsieur, » dit
Monsieur le Comte. — « Monsieur ! » dit Barradas ,
«je ne veux point avoir affaire à Monsieur. » Cela se
sceût. Barradas eut ordre de se retirer à Avignon,
et y' obéyt.
Le seing qu'on avoit eu d'amuser le Roy à la
chasse servit fort à le rendre sauvage \ Mais cela
ne l'occupa pas si fort qu'il n'eust tout le loisir de
s'ennuyer. On ne sçauroit quasy conter tous les
beaux mestiers qu'il apprit , outre tous ceux qui
concernent la chasse ; car il sçavoit faire des ca-
nons de cuir, des lacets, des filets, des arquebuzes ,
de la monnoye ; et M. d'Angoulesme luy disoit plai-
samment : « Sire, vous portez vostre abolition avec
)> vous. » 11 estoit bon confiturier, bon jardinier. Il fit
venir des pois verts, qu'il envoya vendre au marché.
On dit que Montauron les achepta bien cher, car
c'estoient les premiers venus. Montauron achepta
aussy, pour faire sa cour, tout le vin de Ruel du
cardinal de Richelieu, qui estoit ravy de dire : « J'ay
» vendu mon vin cent livres le muid. »
Le Roy se mit à apprendre à larder. On voyoit
' Une fois , qu'il * dansoit je ne sçay quel ballet de la Chasse aux
Merles, qu'il aimoit tendrement , et qu'il avoit nommé la Merlaison ,
un M. de Bourdonné , qui connoissoit M. Godeau , depuis evesque de
Grasse, à cause qu'il est voisin de Dreux d'où est ce prélat, luy
escrivit : « Monsieur, sçachant que vous faittes gentiment en vers, je
» vous prie de faire les vers du ballet du Roy dont j'ay l'honneur
» d'estre, et d'y mettre souvent le mot Merlaison, parce que Sa Ma-
» josté l'aime. » M. Godeau est encore à faire ci'* vers.
246 LES HISTORIETTES.
venir l'escuyer George avec de belles lardoires et
de grandes longes de veau. Et une fois, je ne sçay
qui vint dire que Sa Majesté lardoit. Voyez comme
cela s'accorde bien : Majesté et larder!
.T'ay peur d'oublier quelqu'un de ses mestiers. 11
rasoit bien ; et un jour il coupa la barbe à tous ses
officiers, et ne leur laissa qu'un petit toupet au men-
ton '. On en fit une chanson:
Hélas ! ma pauvre barbe ,
Ou'est-ce qui t'a faitte ainsy ?
C'est le grand roy Louis ,
Treizicsme de ce nom ,
Qui a toute esbarbé sa maison.
— Çà, monsieur de la Force.
Que je vous la fasse aussy.
— Hélas î Sire, nenny !
Ne me la faittes pas ,
Plus ne me connoislroient vos soldais.
Laissons la barbe en pointe
Au cousin de Hichelieu ,
Car, par la vertndieu !
Qui seroit assez ozé
Pour prétendre la luy raser ?
11 composoit en musique , et ne s'y connoissoit
pas mal ". 11 peignoit un peu. Enfin, comme dit son
epitaphe :
Il eut cent vertus de valet ,
Et pas une vertu de maistre.
' Depuis ceux qui ne sont pas trop agcz l'ostent, et on n';i que les
moustaches.
2 II mit un air au rondeau sur la mort du Cardinal :
Il flst passe, il a plié bagage, efr.
Miioi), maistre des Compte^, l'avoitfait.
LOUIS ÏKlilZlESME. 247
Son dernier mestier fut de faire des châssis avec
M. de Noyers. On luy a trouvé pourtant une vertu
de roy, si la dissinuilation en est une. La veille
qu'on arresta MM. de Vendosme'', il leur fit mille ABiois.iesiuimeïe.
caresses; et le lendemani, comme il disoit à M. de
Liancourt : « Eussiez-vous jamais crû cela ? — Non ,
» Sire, » dit M. de Liancourt, « car vous aviez trop
» bien joué vostre personnage. » 11 tesmoigna que
cette response ne luy avoit pas esté trop agréable ;
cependant il sembloit qu'il voulust qu'on le louast
d'avoir si bien dissimulé '.
Le Roy ne vouloit pas que ses premiers valets de
chambre fussent gentilshommes ; car il disoit qu'il
vouloit pouvoir les battre , et il ne croyoit pas pou-
voir battre un gentilhomme sans se faire tort. A
ce compte, il ne prenoit pas Beringhen pour un
gentilhomme.
J'ay desjà dit qu'il est (-oit) naturellement mesdi-
sant. 11 disoit : « Je pense que tels et tels soni bien
» aises de mon edict des duels. » Il se railloit de ceux
qui ne se battoientpas, au mesme temps cju'il faisoit
une desclaration contre ceux qui se battoient. Il
avoit cjuelque chose de hobreau *", car il croyoit o« : hobereau.
1 n fit une fois une chose que son frère n'eust pas faitte *. Plessis-Be- voy. VHistoriette de
. , , Gaston,
sançon luy alloit rendre de certauis comptes; et comme c est un homme
assez appliqué à ce qu'il Tait, il estale ses registres sur la table du ca-
binet du Roy, après avoir mis, sans y penser, son chapeau sur sa teste.
Le Roy ne luy dit rien. Quand il eut fait, il cherche son chapeau par-
tout ; le Roy luy dit : « Il y a long-temps qu'il est sur vostre teste. -> —
M. d'Orléans envoya offrir un carreau à un homme, qui, sans y pen-
ser, s'estoit assis dans une salle, comme Son Altesse Royale s'y pro-
menoit.
'2/|<S LES IIISTOIIIKTTES,
(ju'il y alloit de son honneur qu'un sergent enlrasl
chez kiy, et il en vouloit faire battre un qui estoit
venu faire sa charge dans la cour de Fontaine-
bleau , pour debte , sans capture. Mais quelque
conseiller d' Estât \ qui se trouva \h, luy dit : « Sire,
» il faudroit sçavoir au nom et en l'autorité de (jui il
» fait cela. » On apporte les pièces : « Eh ! Sire, »
luy dit-on, « c'est de par le Roy, et ces gens-là sont
» des ministres de vostre justice. » Philippe II, roy
d'Espagne, ordonna que les sergens entreroient
dans toutes les maisons des Grands, et depuis cela
on leur porte respect partout.
On l'a reconnu avare en toute chose. Mezeray
luy présenta un volume de son Histoire de France.
Le Roy trouva le visage de l'abbé Suger à sa fan-
taisie ; il en fit le crayon sans rien dire, bien loing
de rien donner à l'autheur-.
Depuis la mort du Cardinal, M. de Schomberg
luy dit que Corneille vouloit luy dédier la tragédie
"f.^npSfen"6w."' dc Polyeucte*, Cela luy fit peur, parce que Montau-
ron avoit donné deux cens pistoUes à Corneille pour
Cinna. « Il n'est pas nécessaire , » dit-il. — « Ah !
» Sire, » reprit M. de Schomberg, « ce n'est point
» par interest. — Bien donc, » dit-il, « il me fera plai-
» sii'o » Ce fut à la Reyne qu'on la dédia, car le Roy
mourut entre deux.
Hhtorictte ' Ce fut le fou président le Bailleul *, qui dit : « Il faut voir. — C'est
» de par le Uoy ? dit-il ; d'abord, si c'est de la jiart du roy d'Es-
» pagne, il faut chastier cet insolent. »
~ 11 raya après la mort du Cardinal toutes les pensions de gens de
lettres, en disant : « INous n'avons plus atTairr de >'ela. >•
LOUIS TREIZIESME. 249
Une fois , à Saint-Germain , il voulut voir Testât
de sa maison pour la bouche. Il retrancha un po-
tage au laict à la générale Coquet, qui en man-
geoit un tous les matins. II est vray qu'elle estoit
assez truye sans cela '. En revanche, il parut bien
libéral quand , en lisant : Un pot de gelée pour un
tel, qui estoit malade, il dit : « Jevoudrois qu'il m'en
» eust cousté six, et qu'il ne fust pas mort -. » Il re-
trancha trois paires de mules de sa garde-robe ; et
M. le marquis de Rambouillet, qui en estoit grand-
maistre, luy ayant demandé ce qu'il vouloit qu'on fist
de vingt pistoUes qui estoient restées de ce qu'on avoit
donné pour achepter des chevaux pour le charriot du
lict, il luy dit : « Donnez-les à un tel mousquetaire, à
» qui je les dois. Il faut commencer par payer ses
» debtes. » Il rabattit aux fauconniers du Cabinet les
bouts quarrez qu'ils acheptoient pour peu de chose des
escuyers de cuisine, et les leur fit donner pour leurs
oiseaux, sans rescompenser* les escuyers de cuisine. cest-à^re^Dédom-
11 n' estoit pas humain. En Picardie, il vit des
avoines toutes fauchées, quoyqu' elles fussent encore
toutes vertes, et plusieurs paysans assemblez autour
de ce degast, mais qui, au lieu de se plaindre de ses
Chevaux-legers qui venoient de faire ce bel exploit,
se prosternoient devant luy et le benissoient. « Je
^ Il trouva, sur le compte, des biscuits que l'on avoit donnez à M. de
la Vrilliere. Dans ce raesrae moment M. de la Vrilliere entra. Il luy dit
brusquement : « A ce que je voy, la Vrilliere , vous aimez fort les bis-
» cuits. »
2 Un jour que Nogent entra dans sa chambre, il luy dit : « Ah i que
» je suis aise de vous voir ; jf rrnyois que vous fussiez exilé. »
"2^)0 LES HlSTOlUKlTJiS.
» suis bien fasché, » leur dit-il, « du dommage qu'on
» vous a fait là. — Cela n'est rien, Sire, » luy dirent-ils,
« tout est à vous ; pourveû que vous vous portiez
» bien, c est assez. — Voylà un bon peuple! » dit-il ù
ceux qui l'accompagnoient. Mais il ne leur fit rien
donner, ny ne songea à les faire soulager des tailles.
Je pense qu'une des plus grandes humanitez
qu'il ayt eues en sa vie, ce fut en Lorraine. Le
paysan chez qui il disnoit, dans un village où ils
estoient bien à leur aise avant cette dernière guerre,
fut tellement charmé d'un potage de perdrix aux
choux, qu'il le suivit jusque sur la table du Roy. Le
Roy dit: « Voylà un beau potage! — C'est bien l'avis
» de vostre hoste. Sire, «dit le Maistre-d'hostel, «il
» n'a pas osté les yeux de dessus. — Vrayment, » dit
le Roy, « je veux qu'il le mange. » Il le fit recouvrir,
et ordonna qu'on le luy servist.
Le Cardinal ayant chassé Hautefort, et la Fayette
s' estant faitte religieuse, le Roy dit qu'il vouloit aller
au bois de Vincennes, et, en passant, fut cinq heures
Le 2 juillet 1637. aux Filles de Sainte-Marie, où estoit la Fayette*. En
soi'tant, Nogent luy dit : « Sire, vous venez de voir
» la pauvre prisonnière ! — Je suis plus prisonnier
» qu'elle, » respondit le Roy. Le Cardinal eut du
soupçon de cette longue conversation, et y envoya
M. de Noyers, à qui M. de Tresmes n'osa refuser la
porte ; cela rompit les chiens '.
' Il y il ou un Boisauifil, inemicr valet du Gaide-robc, <|ul ustoit bien
auprès du H'vv. Il fut chasst'' avpc la Fayiîtte.
LOLIS TREIZIESME. 251
L'Eminentissime, voyant bien qu'il falloit quelque
amusement au Roy, jetta les yeux, comme j'ay desjà
dit *, sur Cinq-lMars, qui desjà estoit assez agréable "nTdeRichinZ^''
au Roy. 11 avoit ce dessein de longue main , car
le marquis de la Force fut trois ans sans se pou-
voir desfaire de sa charge de grand-maistre de la
Garde-robe *. Le Cardinal ne vouloit pas qu'autre
que Cinq-Mars l'eust. En effect, M. d'Aumont, frère
aisné de Villequier aujourd'huy mareschal d'Au-
mont, ne put y estre receû, quoyqu'il eust de bonnes
paroles du Roy.
Au commencement. M. de Cinq-Mars faisoit faire
desbauche au Roy ; on dansoit, on beuvoit des sau-
tez. Mais comme c'estoit un jeune homme fougueux
et qui aimoit ses plaisirs, il s'ennuya bientost d'une
vie ciu'il n'avoit prise qu'à contre-cœur. D'ailleurs la
Chesnaye, premier valet de chambre, qui estoit son
espion*, le mit mal avec le Cardinal : car il luv disoit cest-à-^ire .- chargé
t ' -J de l'espionner.
cent bagatelles du Roy, que l'autre* ne luy disoit cinq-Mars,
point et que le Cardinal vouloit qu'on luy dist.
Cinq-Mars, devenu grand-escuyer - et comte de Dam-
pmartin, fit chasser la Chesnaye; mais aussy la
guerre fut déclarée par ce moyen entre le Cardinal
et luy.
Nous avons dit comme le Roy l'aimoit esperdu-
ment. Fonterailles dit qu'estant entré une fois à
1 Je pense qu'on luy avoit donné celle-cy au lieu de celle de capi-
taine des Gardes-du-corps.
2 On avoit obligé M. de Bellegarde à prendre quelque petite récom-
pense de cette charge, et pour cela il eut permission de revenir à la
Cour.
252 LES niSTORTETïES.
Saint-Germain fort brusquement dans la chambre
de Monsieur le Grand, il le surprit comme il se fai-
soit frotter depuis les piez jusqu'à la teste d'huile de
A Fonteraiiies. jasmin, et se mettant au lict il luy dit* d'une voix peu
asseurée : « Cela est plus propre. » Un moment après
on heurte, c'est le Roy. il y a apparence, comme
LSX"!'Thap"ne. dit le filz de feu l'Huillier*, à qui on contoit cela,
qu'il s'huisloit pour le combat.
On m'a dit aussy qu'en je ne sçay quel voyage,
le Roy se mit au lict dez sept heures. Il estoit fort
négligé ; à peine avoit-il une coiffe à son bonnet.
Deux grands chiens sautent aussytost sur le lict,
le gastent tout, et se mettent à baiser Sa Majesté.
11 envoya deshabiller Monsieur le Grand, qui revint
paré comme une espousée : « Couche-toy, couche-
toy, )) luy dit-il d'impatience. Il se contenta de chas-
ser les chiens sans faire refaire le lict, et ce mignon
n'cstoit pas encore dedans, cju'il luy baisoit desjà les
mains. Dans cette grande ardeur, comme il ne trou-
voit pas que Monsieur le Grand correspondist trop ,
car il avoit le cœur ailleurs, il luy disoit : « Mais,
» mon cher amy, qu'as-tu ? que veux-tu ? tu es tout
» triste. De Niere', demande-luy ce qui le fasche ;
» dis-moy , as-tu jamais veû une telle faveur ? »
H le faisoit espier pour sçavoir s'il alloit en ca-
chette cjuelque part. Monsieur le Grand avoit esté
amoureux de Marion- plus qu'il ne l'estoit alors.
1 Premier valet, de chambre.
2 Marion do Loroïc
LOUIS TREIZIESME. 253
Une fois, comme il alloit la trouver en Brie*, il fut tem"deTye"te.Te
pris pour un voleur par des gens qui effectivement ^^p^rede Manon,
couroient après des voleurs. Ils l'attachèrent à un
arbre , et sans quelqu'un qui le reconnut , ils
l'eussent mené en prison. M'"" d'Effiat eut peur qu'il
n'espousast cette fille, et eut des défenses du Parle-
ment. Il a fait enrager sa mère quelque temps, car
elle est avare, et luy, par despit, changeoit d'habits
quatre fois le jour, et l'alloit voir autant de fois.
Elle estoit pourtant revenue de cette adversion de-
puis qu'il estoit en faveur. Elle pouvoit bien l'aimer,
car il n'y avoit que luy qui valust quelque chose ;
il avoit du cœur : il s' estoit battu, et fort bien,
contre du Dognon, aujourd'huy le mareschal Fou-
cault*. Il avoit de l'esprit, et estoit fort bien fait comTi' /eTogùon.
de sa personne. Son aisné est mort fou ; il faisoit des
semelles de souliers des plus belles tapisseries de
Chilly : et l'Abbé est fort peu de chose'.
La plus grande amour de Monsieur le Grand en ce
temps-là, c' estoit Chemerault, aujourd'huy madame
de la Baziniere. Elle estoit alors en religion à Paris".
Un soir à Saint -Germain il rencontra Ruvigny,
et luy dit : « Suivez-moy, il faut que je sorte pour
» aller parler à Chemerault. Il y a un endroit des
» fossez par où je prêtons passer : on m'y attend
» avec deux chevaux. » Us sortent ; mais le palefre-
nier s' estoit endormy à terre, et on luy avoit pris
1 Quoyqu'il ayt assez d'esprit.
2 Elle avoit esté chassée à cause de luy, et cufin on l'envoya en
„ . * roij- VHistor. de
Poitou*. MlledeBussy.
25/i LES HISTORIETTES.
ses deux chevaux. Voylà Monsieur le Grand au des-
espoir. Ils vont dans le bourg pour tascher à avoir
d'autres chevaux, et ils aperçoivent un homme qui
'"'•'^scéSTTis*'" ''^ ^^^ suivoit de loing. G'estoit* un chevau-léger de la
Garde, le plus grand espion qu'eust le Roy pour
Monsieur le Grand. Monsieur le Grand l'ayant re-
connu, l'appelle et luy parle. Cet homme leur vou-
loit faire accroire qu'ils s'alloient battre; il luy pro-
testa que non : enfin cet homme se retira. Ruvigny
conseilla h Monsieur le Grand de s'en retourner, de
peur d'irriter le Roy, de se recoucher et, à deux
heures de \h, envoyer prier quelques officiers de la
Garde-robe de le venir entretenir, parce qu'il ne
pouvoit dormir ; qu'ainsy il osteroit pour un temps
la créance h ses espions, car on ne manquercit pas
le lendemain de dire au Roy qu'il estoit sorty.
Monsieur le Grand crut ce conseil. Le lendemain,
le Roy luy dit: « Ah! vous avez esté à Paris? »
Luy produit ses tesmoins. L'espion fut confondu,
et il eut le loisir de faire trois voyages nocturnes à
Paris.
Pour dire le vray, la vie que le Roy luy faisoit
faire estoit une triste vie. Le Roy vraisemblablement
fuyoit le monde et surtout Paris, parce qu'il avoit
honte de la calamité du peuple. On ne crioit pres-
que point vive le Roy, quand il passoit; mais il n'es-
toit pas capable de mettre ordre à rien. Il ne s' es-
toit réservé que le soing de pourvoir aux compagnies
du régiment des Gardes et des vieux corps, et
estoit jaloux de cela plus que de toute autre chose.
LOUIS l'ULlZlESME. 255
On a remarqué que le Roy aimoit tout ce que
Monsieur le Grand haïssoit et que Monsieur le Grand
haïssoit tout ce que le Roy aimoit. Us ne s'accor-
dèrent qu'en une chose, c'est à haïr le Cardinal.
J'ay desjà dit ailleurs toute cette histoire '. Monsieur
^ Voicy ce que j'ay appris depuis de M. Esprit, l'académicien, qui
estoit alors domestique* de Monsieur le Chancellicr. M. de Thou dit à Commensal.
Fonterailles : « Vous avez esté en Espagne ; moy, ne me faittes point
» le fin : Monsieur le Grand m'a tout dit. » M. le Cardinal, retiré
à Narbonne, sur ce que le Roy luy donnoit de grandes défiances, fit
tout ce qu'il put , mais en vain , pour obliger le Roy à y venir. H ne.
sçavoit où il en estoit, et se retiroit, escorté du Grand-maistre, taschant
de gaigner l'estang d'Aigues-Mortes , quand M. de Chavigny le vint
trouver et luy dit (lu'il avoit descouvert l'intrigue. Après, il luy mons-
tra le traitté d'Espagne, qui n'estoit à la vérité qu'une copie pleine de
fautes. Avec cela, il retourna à la Cour. Là, en causant avec le Roy et
Monsieur le Grand, il tira le Roy par la basque, ce qu'il avoit accous-
tumé de faire quand il avoit quelque chose à dire en particulier au
Roy. Le Roy passe aussy-tost dans une autre chambre. Monsieur le
Grand vouloit suivre ; Chavigny luy dit, d'un ton d'authorité : « Mon-
» sieur Monsieur le Grand, j'ay quelque chose à dire au Roy. » L'autre,
en jeune homme, les laissa ensemble ; comme on verra icy quelque
part, le Roy ne Faimoit plus. Là, c'estoit à Narbonne, M de Chavigny
fit résoudre le Roy de faire arrester Monsieur le Grand. Monsieur le
Grand se sauve ; j'ay oublié ( de dire ) que Fonterailles s'estoit sauvé
huict jours devant, voyant que leurs aflaires n'alloient pas assez viste
pour aller bien. Il* estoit caché chez un bourgeois. Le soir il dit à un Cinq-Mars.
de ses gens : « Va voir si, par hasard, il n'y auroit point quelque porte
» de la ville ouverte. » Le valet neghgea d'y aller, parce qu'on estoit
soigneux de les fermer de bonne heure. Cependant, regardez quel mal-
heur! Il y en avoit eu une ouverte toute la nuict, pour faire entrer le
train du mareschal de la Meilleraye. Son hoste le descouvrit, de peur
d'encourir les peines, etc. * Ainsi, dans le msc
— Le cardinal Mazarin passa le premier à Lyon et alla voir M. de
Bouillon à Pierre-Encize, à qui il dit : « Vostre traitté est descouvert, »
et luy en dit par cœur quelques articles. Celaestonna fort l'autre, qui
crut que M. d'Orléans avoit tout dit. Il confessa tout , quand on Tas-
seura de la vie. Comme on y menoit Monsieur le Grand, un petit la-
quais catelan luy jetta une boulette de cire dans laquelle il y avoit un
petit papier avec quelques avis assez mal digérez. Ce petit garçon, qui
256 LES FllSTORIETTES.
le Grand s'enfuit trop tard ; il s'estoit sauvé à INar-
bonne chez un particulier dont la fille estoit bien
avec son valet de chambre, Belet, qui l'y con-
duisit. Il y avoit vingt-quatre heures qu'il y estoit,
quand le père de cette fille, qui estoit un vieux bon-
homme, qui ne sortoit guères, estant allé à la messe,
estoit à luy, s'estoit mis en ce hasard et venoit de la part de la princesse
Marie.
— Ce qui fit que Monsieur le Grand confessa tout , c'est qu'il crut
tousjours que le Roy ne soufl'riroit jamais qu'on le fist mourir, mais que
seulement on l'esloigneroit ; et qu'estant si jeune, il auroit le loysii- de
laisser mourir le Cardinal, qu'après il reviendroit à la Cour. D'a-
bord, il confessa tout en secret à M. le Chancellier. — Quand le Roy
passa, il dit cent puerilitez au Chancellier, et entr'autrcs qu'il n'avoit
jamais pu accoustumcr ce mcschant garçon à dire son Pater tous les
jours. Le Chancellier dit au Cardinal : « Pour Monsieur le Grand, cela
» va bien ; mais pour l'autre, je ne sçay comment nous ferons. »
Monsieur le Grand, conduit enfin , après divers interrogatoires , au
palais de Lyon , on le fit venir devant les Commissaires , car pas un,
non pas mesme M. de Thou qui devoit sçavoir cela , ne déclina. Là,
dans l'opinion qu'il avoit que le Roy ne demandoit pour satisfaction si-
non qu'il dcclarast publiquement son crime, il fit d'une manière tout-
à-fait desbarrassée et en termes dignes d'un cavalier, toute l'histoire
de sa faveur. Ce fut là qu'il avoua que M. de Thou sçavoit le traitté,
mais qu'il l'en avoit tousjours destourné. On le confronta après à M. de
Thou qui ne fit que lever les espaules, comme en le plaignant, mais ne
luy reprocha point de l'avoir trahy. M. de Thou allégua la loy Cotiscii,
sur laquelle a esté faitte l'ordonnance de Louis XP, qui n'a jamais eu
lieu. Mais il expliqua mal cette loy, prenant tousjours Conseil pour
complices : il y a bien de la différence. M. de Miromesnil eut le cou-
rage d'ouvrir l'avis de l'absolution pour luy. Le Cardinal , s'il eust
vescû plus longtemps, ne luy en eust pas voulu du bien. Un exemple
qu'on allégua d'un homme de qualité nommé ***, que le premier pré-
sident de Thou fit mourir pour la mesme chose, nuysit fort à son
petit-filz.
Monsieur le Grand croyoit si peu mourir, que, comme on le voulust
faire manger pour luy prononcer après sa sentence, il dit : « Je ne
» veux point manger; on m'a ordonné des pillules, j'ay besoin de me
» purger, il faut que je les aille i)rendre. » H mangea peu. Après on
LOUIS TREIZIESME. 257
entendit crier à son de trompe que quiconque des- ^
couvriroit Monsieur le Grand auroit tant de rescom-
pense, et défense de le cacher sur peine de la vie.
« Hé ! » dit-il , « ne seroit-ce point cet homme qui
)) est chez nous? Gomment est-il fait? » Ainsy on
prit le pauvre Monsieur le Grand.
Après la mort du cardinal de Richelieu', le Roy
tesmoignoit de la joye de recevoir les paquets luy-
leur prononça leur sentence. Une chose si dure et si peu attendue ne
luy fist pourtant tesmoigner aucune surprise. Il fut ferme, et le com-
bat qu'il souffroit en luy-mesme ne parut point au dehors. Quoyqu'on
eust résolu de ne luy point donner la question, comme portoit la sen-
tence, on ne laissa pas de la luy présenter. Cela le touscha mais ne luy
fîst rien faire qui se desmentist, et il desfaisoit desjà son pourpoint
quand on luy fist lever la main pour dire vérité. II persévéra et dit
qu'il n'avoit plus rien à dire. Il mourut avec une grandeur de courage
estonnante, ne s'amusa point à haranguer et salua seulement ceux
qu'il reconnut aux fenestres, se depescha, et quand le bourreau luy
voulut couper les cheveux, il luy osta les ciseaux et les donna au frère
du Jésuite. Il ne voulut pas qu'on luy en coupast qu'un peu derrière ;
il retira le reste en devant. Il ne voulut point qu'on le bandast. Il avoit
les yeux ouverts quand on frappa et tenoit le billot si ferme, qu'on eut
de la peine à en retirer ses bras. On luy coupa la teste du premier coup.
1 Juif*, au retour de Savoye dit à Esprit, à Lyon, que M. le Cardi- y-'oy.^^pius haut,
nal ne vivroit pas long-temps, à cause qu'il avoit fait fermer son char-
bon*. Par propreté, il fit cette extravagance-là. Le voylà à Ruel, où Tumeur cancéreuse,
la Reyne l'alla voir. Il n'osoit aller à Saint-Germain, et le Roy n'osoit
aller à Ruel. Il entreprit de gaigner Guitaut ; car (outre Treville),
Guitaut, Tilladet, des Essarts *, Castelnau et la Salle, capitaines aux Beau-frère de Tre-
Gardes, estoient des gens qu'il n'avoit pu gaigner ; ceux-là s'attachoient
au Roy. Il fit donc prier Guitaut de le venir voir, le receût le plus
civilement du monde, ordonna qu'on le menast disner, et qu'on luy
fist bonne chère. Apres disner, il le fait venir seul, et luy demande
s'il ne vouloit pas estre de ses amys. « Monseigneur, j'ay tousjours
)) esté attaché au Roy. » « Hé ! » dit le Cardinal, en levant le bras par
trois fois par mespris, « monsieur de Guitaut, vous vous mocquez;
» allez, allez, monsieur de Guitaut. d L'affaire de Treville le troubla
fort : cela ayda à le faire mourir.
II. 17
258 LES HISTORIETTES.
mesme. Il disoit qu'il n'auroit jamais de favory h
Ayant des Gardes. Gardes*. Il affectioiinoit , ce sembloit, M. de
Noyers plus que pas un autre ; et quand on parloit
de travailler, si M. de Noyers n'y estoit pas :
«Non, non, » disoit-il, «attendons le petit bon-
» homme. » L'autre venoit avec sa bougie en cati-
Avec un^air de mys- niiul * ; il cstolt bou pour sorvlr sous un autre. Il
estoit, disoient les gens, Jésuite gaUochc\ car il l'es-
toit sans porter l'habit et sans demeurer avec eux.
Ce fut luy pourtant qui fit chasser le Père Sirmond,
mais c'estoit pour mettre un autre qui fust plus jé-
suite , s'il faut ainsy dire ; car ce bon Père est un
peu trop franc et il ne fait que de petits livres, eux
veulent qu'on fasse de gros volumes. Le petit bon-
homme, se fiant à l'affection du Roy, se trouva
attrappé, car le cardinal Mazarin et Chavigny don-
noient à ceux qui approchoient le Roy, et quoy-
qu'il fust tousjours à Saint-Germain et eux presque
tousjours à Paris, ils le dcsbusquerent pourtant ".
Il mourut peu après à Dangu, une maison à luy,
auprès de Pontoise. On grattoit desjh à sa porte
comme à celle du Cardinal.
Le feu Roy mourust bientost après. II avoit tous-
jours craint le diable, car il n'aimoit point Dieu,
mais il avoit grand'peur de l'enfer. Il luy prit une
vision, il y a vingt ans, de mettre son royaume sous
1 On appelle les filles de la Rejme de dehors Galloches, car on laisse
les galloches à la porte.
2 II (le Roy) fit baptiser Monsieur le Dauphin : le cardinal Mazarin
le tint pour le pape.
LOUIS TRlilZIESAIli. 259
la protection de la Vierge, et dans la Déclaration* Le lo février less.
qu'il en fit il y avoit : « Afin que tous nos bons su-
» jets aillent en paradis, car tel est nostre plaisir. »
C'est ainsy que finissoit cette belle pièce. Dans sa
dernière maladie, il estoit estrangement supersti-
tieux. Un jour qu'on lui parloit de je ne sçay quel
béat qui avoit un don tout particulier pour descouvrir
les corps saints, et qui, en marchant, disoit: « Fouil-
» lez là, il y a un corps saint, » sans y manquer* une S""» mander d-en
seule fois, Nogent dit ' : « Si je le tenois, je le me-
» nerois avec moy en Bourgogne, il me trouveroit
» bien des truftles. » Le Roy se mit en colère, et luy
cria : « Maraut, sortez d'icy. » Il mourut assez con-
stamment, et disoit en regardant le clocher de Saint-
Denis qu'on voit du chasteau neuf de Saint-Ger-
main, où il estoit malade : « Voylà oi^i je seray bien-
tost. » Tldità Monsieur le Prince : « Mon cousin, j'ay
» songé que mon cousin, vostre filz, estoit aux mains
» avec les ennemys, et qu'il avoit l'advantage. » C'est
la bataille de Rocroy. Il envoya quérir le Parlement,
pour leur faire promettre qu'ils observeroient la dé-
claration qu'il avoit faitte : c'estoit sur celle du car-
dinal de Richelieu, dont il n' avoit fait que changer
quelque chose. Par cette déclaration, la Reyne avoit
un conseil nécessaire , et n' avoit que sa voix non
plus qu'un autre. Il leur dit qu'elle gasteroit tout,
s'ils la faisoient régente comme la feu Reyne-mere.
' « A sa manière de mauvais bouffon, » comme dit le Journal du
Cardinal.
260 LES HISTORIETTES.
Elle se jetta à ses genoux : il la fit bientost relever ;
il la connoissoit bien, et la mesprisoit.
On disoit quand feu Monsieur le Prince mourut,
et qu'il eut aussy tesmoigné de la fermeté, qu'il n'y
avoit plus d'honneur à bien mourir, puisque ces
deux hommes-là estoient si bien morts. On alla à
l'enterrement du Roy comme aux nopces, et au de-
vant de la Reyne comme à un carrouzel '. On avoit
pitié d'elle, et on ne sçavoit pas ce que c'estoit.
^ Comme les prisonniers de la Bastille ne sortoient point, on disoit
qu'il n'y avoit que la Reyne qui fust sortie de prison.
COMMENTAIRE.
I. — P. 235, lig. h.
Le grand-prieur de Vendosme, le commandeur de Souvré, et Montpouil-
lan-la Force.
Le grand-prieur de Vcndosmc etoit Alexandre, deuxième fils de
Henry IV et de Gabrielle d'Estrées, mort au cliàteau de Vincennes le
8 février 1629. — Giles de Souvré, marquis de Courtanvaux, appelé le
Commandeur de Souvré, etoit gouverneur du jeune roi. — Le marquis
de Montpouillan, mort fort jeune devant Montauban, en 1622, a laissé
des Mémoires que M. le marquis de la Grange a publiés à la suite
de ceux du père, le maréchal de la Force. — Nous avons déjà parlé
(tom. I, p. Û12) d'Esprit Alart, seigneur d'Esplan, marquis de Gri-
mault. C'etoit un contadin, de naissance obscure, qui se fit, après la
mort de son patron le Connétable, plus d'une mauvaise affaire comme
duelliste. On trouve dans le Recueil £, 1760, la réimpression d'un pam-
phlet intitulé : Placet au lioy, contre un tiommé Alard Desplans, qui
avoit enfreint les edits contre les duels. « Desplans, » y lit-on, k s'est
» retiré des appréhensions de la mort, méritée par le meurtre d'un
LOUIS TREIZIESME. 261
» homme gros excessivement et inhabile , qui se fust glorieusement
» garanty de ses mains, si la rencontre d'une pierre en reculant ne
» l'eust fait tomber, auquel temps Desplans luy porta le coup... Je ne
» toucheray pas à sa façon désagréable, ny à sa laideur... il ne laisse
» pas d'estre grand-mareschal des logis de France, gouverneur de Pecay
» et de Melun, capitaine de vos cent carabins, seigneur de la Tour,
» abbé à la mode de deux bonnes abbayes et puis prieur de deux ou
» trois prieurez, etc. »
— Le comte de Nogent, frère de Bautru, dont il sera parlé souvent,
fut capitaine des archers de la PurtJj. « Il arriva, » dit le Menagiana,
« à Paris, n'ayant que huit cens livres de rentes ; il en avoit quatre-
» vingt mille lorsqu'il mourut. Le premier jour qu'il parut à la Cour,
n il porta le Roy sur ses épaules pour le passer en un endroit où il y
» avoit de l'eau. C'estoit aux Tuileries. » Nogent mourut en sep-
tembre 1661.
Monsieur le comte de Nogent
Dont l'entretien et l'entregent,
Autrement le charmant génie
Plaisoit en toute compagnie^
Decetla, dit-on, l'autre jour.
Au regret de toute la Cour.
Car cetuy comte estoit un comte
Qui sçavoit fort bien faire un conte,
Ayant en cet art excellent
Un rare et singulier talent;
Et frère estant, par sa naissance.
D'un des meilleurs cerveaux de France,
Assavoir monsieur de Botru
Tousjours disert, tousjours congru,
Et dont les sublimes pensées
Agréablement énoncées.
Soit par discours, soit par escrit.
L'ont fait nommer Botru-l'Esprit.
Dudit mort, dez l'autre semaine.
On célébra, chose certaine.
Le service à Sainct-Nicolas,
Où plusieurs crièrent : « Hélas! »
Disant que c'estoit grand dommage
Que si tost ce bon personnage
Eust passé le moment fatal;
Que c'estoit un original.
Et que la Cour, errante ou stable,
K'auroit de longtems son semblable.
On m"a plusieurs fois rapporté
Qu'il avoit animosité
Contre ma muse et ma personne;
Mais de gi-and cœur je luy pardonne,
Et c'est tout de bon que je dis :
" Que Dieu le mette en paradis! »
iLoRET, Jituse hiitor. du 17 septembre 1661.',
262 LES HISTORIETTES.
« Dans ce mois de septembre, » dit M"'" de Motteville, » mourut
» Nogent, ce grand parleur, qui par ses bouffonneries avoit acquis
» plus de cent mille livres de rente. Ce mauvais plaisant qui avoit
» tant parlé pendant sa vie, ne fit parler personne aprîis sa mort. »
(Mémoires, v, p. 70.) Foy. plus bas Vllislor. de Beautru.
Revenons ù. la première enfance de Louis XIII, et rappelons ici quel-
ques curieux passages do l'Estoile, insérés pour la jn-emiève fois dans
l'édition de M. Aimé ChampoUion, p. CIO.
« Quant à nostre Roy, on n'en f^vit pas jugement d'un si grand es-
prit que de son frère, bien que généreux et guerrier ; mais fort co-
lère, opiniattre et malaisé à desmouvoir de ce qu'il veut.
1) Il aime la chasse et la peinture, science de laquelle on dit que
jamais teste de lourdaud ne fust capable. En ses autres actions enfant
enfantissime.
» Il no monstre poinct aimer beaucoup aucun prince ny soigneur
de la Cour, fors le chevalier de Vendosme » (depuis grand-prieur) ;
mais particulièrement on n'a peu jusques i\ aujourd'huy luy faire
gouster son frère aisné, M. de Vendosme, moins encore le marquis
d'Ancre. Ung petit pied-plat de Saint-Germain-en-Laye , nommé
Pierrot, qui luy faisoit passer le temps à jouer, et luy fournissoit des
moineaux pendant qu'il y demeuroit, estant Monsieur le Dauphin,
seroit des premiers de la Cour, s'il estoit creu. » {Juin 1610.)
« En ce mois (d'aoust IGIO), un nommé Pierrot de Saint-Germain,
plus content de sa fortune que le premier de la cour du Roy, voire
que le Roy mesmc, lequel l'aimoit... vint à Paris, et sçachant que
Sa Majesté estoit aux Tuilleries l'y alla trouver. Le Roy qui s'amu-
soit à regarder l'estang, accompagné de force noblesse, aussitost
qu'il eust advisé Pierrot, son ancien compagnon, qui ne l'appelloit
encore que Monsieur le Dauphin, les quitte trestous pour aller voir
Pierrot, auquel il saute au col et le baise devant tout le monde :
dit à M. de Souvray qu'il veut qu'on l'habille dès le lendemain et
qu'on le retienne près de sa personne. Mais Pierrot s'en excuse et
dit qu'il faut qu'il s'en retourne : autrement qu'il seroit battu, pour
ce que son père et sa mère ne vouloient pas qu'il vînt à Paris voir
Monsieur le Dauphin. (Ainsi tout naïfvement apeloit-il le Roy ,
auquel il avoit apporté des moineaux). »
<( En ce temps-là, » dit de son côté Bassompierre, « le Roy qui etoit
fort jeune, s'amusoif h force petits exercices de son âge, comme de
peindre , do chanter, d'imiter les artifices des eaux de Saint-Ger-
main, par des petits canaux de plume; de faire de petites inventions
de chasse, de jouer du tambour; à quoy il réussissoit fort bien.
» Un jour je le lounis de ce f|u'il etoit fort |u<>pro à tout ce qu'il
LOLIS TREIZIESME. 263
» vouloit entreprendre, et que n'ayant jamais été montré à battre le
» tambour, il y réussissoit mieux que les autres. Il me dit : « Il faut
» que je me remette à jouer du cor de chasse, ce que je fais fort bien,
» et veux Être tout un jour à sonner. Je lui dis : Sire, je ne conseille pas
» à vostre Majesté d'en sonner trop souvent ; car outre que cela fait
» venir des hargnes*, il nuyt encore grandement au poulmon. Et j'ay Hernies.
» ouy dire que le feu roy Charles, à force de sonner du cor se rompit
» une veine dans le poulmon qui luy causa la mort. — Vous vous
» trompez, me répliqua-t-il, le sonner du cor ne le fit pas mourir,
» mais c'est qu'il se mit mal avec la reine Catherine, sa mère, à
» Monceaux, qu'il quitta et s'en vint à Meaux. Mais si à la persua-
» sion du mareschal de Retz, il n'y fust pas revenu, il ne fust pas
» mort sitost. Et comme je ne luy respondois rien sur ce sujet, Mont-
» pouillan qui etoit présent là me dit : Vous ne pensiez pas. Monsieur,
» que le Roy sceust ces choses là comme il les sçait, et beaucoup
1) d'autres encore. Je luy dis : Vraiment, non. Monsieur, je ne le
» pensois pas. Cela me fit connoistre que l'on luy donnoit beaucoup
» d'appréhensions de la Reyne, sa mère, de laquelle je me garday
» bien à l'avenir de luy parler. » {Journal de ma Fie, édition de 1721,
tom. II, p. 142.)
II. — P. 236, note 1".
M. d'Alambon est fort bègue.
Je ne sais s'il etoit déjà gouverneur de Montmédy ; il y fut tué d'un
coup de canon sur la brèche de cette ville, qu'il gardoit pour le
prince de Condé, la veille de l'entrée du roi Louis XIV et de la ca-
pitulation, en août 1657. La Mesnardière a fait sur sa mort un assez
mauvais sonnet :
Fidèle à soo monarque et bi-usiant pour sa gloire,
D'Alambon des François soustient les longs efforts.
Et sur un mont fameux moissonnant mille morts.
Il meurt dans les combats pour vivre dans l'histoire.
Jusqu'au dernier souspir suspendant la victoire.
Il excite sa troupe à suivre ses transports,
Et vengeant son trespas par son illustre mort.
Orné d'un nom célèbre, il passe l'onde noire, etc.
C'etoit apparemment le père de Charles de Rousse, marquis d'Alam-
bon, maréchal de camp en 1632, mort en décembre 1682. Henry de
Campion [Mémoires^^. 322), parle, à cette date de 1652, de ses rapines
et exactions.
:2()/i LES m s 10 h un TES.
III. — p. 236, lig. 8.
Le Cardinal de Richelieu. .. fut ravy de ce que l'occasion s'estoil
présentée de le surnommer Louis le juste.
Les historiens modernes, M. Bazin lui-même, pensent et disent que
Louis XIII fut appelé le Juste à l'occasion de l'assassinat de Concini.
Ils ont été trompés par quelques harangues faites après coup. Des
Réaux mérite, de son côté, moins de confiance que Malherbe, lequel
ecrivoit, bien avant la mort du maréchal d'Ancre et l'aft'aire de
Guemadeuc :
« M. de Moiichy, gentilhomme de Picardie, enseigne de la compa-
» gnie de feu M. le prince de Conty, se plaignit devant luy au Roy, dt;
» ce que un qu'il avoit fait condamner à avoir la teste tranchée, pour
» un assassinat qu'il avoit fait, vcnoit au Louvre sous l'appui de
» Monsieur le Prince au mépris du Roy et de la justice. Le Roy le
» dit à la Reync les larmes aux yeux, tant il se sentoit touché de ce
» mépris... L'on m'a dit que l'autre jour le Roy, parlant de sem-
» blables choses, dit qu'il ne vouloit pas qu'on l'appelast Louis le
n bègue mais Louis le Juste, et certainement on m'a assuré que depuis
» peu de jours (jnelqu'un luy faisant une plainte, le Roy luy repon-
» dit : Mon amy, je vous ay présenté une oreille, je garde l'autre
» pour votre partie. Ce prince donne de très-grands témoignages
» qu'un jour il sçaura se faire obéir et qu'il aime la justice. » (Lettre
du 17 octobre 1614.)
Ce passage, écrit à cette date par un homme qui voyoit tous les
jours le Roy et la Reyne, tranche les incertitudes. Il est vrai qu'un
autre hasard ne nuisit point à la vogue du surnom : Louis XIII
ctoit né en septembre, sous le signe de la Balance. Un portrait gravé
en 1601 le représente étouffant dans ses mains des serpens, comme
un autre Hercule : à la droite du portrait sont les armes de France
et Dauphiné ; à la gauche le signe de la Balance, entouré de la
légende : Libra ejus crescet in orbem. C'est apparemment là ce qui a
fait croire à bien des gens que le surnom de Juste n'avoit pas d'autre
origine. Il falloit seulement reconnoître que les astres n'y avoient
pas nui.
Thomas, baron de Guemadeuc et gouverneur de Fougères, avoit tué,
durant la tenue des Etats de Bretagne, en 1616, le baron de Nevet ;
obligé de venir à Paris pour se justifier, il n'avoit pas attendu le
résultat redouté de l'enquête, et vers le mois de juin 1617, s'etant
esquivé de Paris, il etoit revenu à Fougères, reprendre, violemment
le gouvernement du rhàtean. Le maréchal de Vitry n'avoit pas eu de
LOUIS TUEIZIESME. 265
peine à le soumettre, et Gueuiadeuc, appuyé des recommandations du
duc de Vendôme et du maréchal de Vitry, espéroit tout de la clé-
mence royale. Il se trompa ; il fut condamné à mort, et exécuté le
27 septembre. « Pour toutes les supplications de ses amis et de sa
» femme qui s'alla jetter aux pieds de Sa Majesté, dez qu'elle sceust
» son arrest, demandant miséricorde, elle n'eust d'autre response du
M Roy, sinon : C'est la justice qui fait régner les Roys, je la dois à
» mes subjects, et en cet endroit, je la dois préférer à la miséricorde.
» Pour ces biens qui me sont confisquez, je vous les redonne. » {Mer-
cure français, tom. i, p. 95.)
Marie Françoise de Guemadeuc, fille de ce baron de Guemadeuc,
ayant perdu son premier mari, le marquis de Pont de Courlay, se
remaria à Jacques de Grivel de Gamaclies, comte d'Orouer, Ouroy
ou Aulroy, gonverneur de Fougères. De son premier mariage etoient
nés cinq enfans dont l'aîné, Armand Jean, fut, comme nous avons
dit à la fin du commentaire de Richelieu, substitué au nom et armes
de son oncle le Cardinal.
IV. — P. 237, lig. 18.
Quand Monsieur le Grand fut condamné, il dit : Je voudrais bien
voir la grimace qu'il fait.
Le mot a probablement été mis à tort sur le compte de Louis XIII.
Pierre de l'Estoile, écho fort aveugle des plus mauvais bruits popu-
laires, l'enregistroit en 1583 au profit du duc d'Alençon, frère de
Henry III, C'est quand il apprit le tumulte d'Anvers, arrivé le 17 jan-
vier, et la mort du comte de Saint-Aignan qu'on tenoit pour un de
ses grands favoris. « J'en suis bien marry, dit-il. Souldain se prenant
» à rire : Je croy, dit-il, que qui eust pu prendi'e le loisir de contem-
» pler à cette heure là Saint-Aignan, qu'on luy eust veu faire alors
» une plaisante grimace. » (Journal, édition nouvelle, p. 157.)
V. — P. 237, lig. 26.
Puis la Vieuville... fut comme une espèce de ministre.
Tout ce que des Réaux va rapporter de Charles, marquis puis duc
de la Vieuville, surintendant des Finances, est un résumé de trois re-
marquables pamphlets du temps intitulés : Le Mot à l'oreille de M. te
marquis de la Vieuville. — La Voix publique, au Roij. — Remercîment
de la Voix publique au Roy, au sujet de la disgrâce de M. de la Vieu-
ville. 162/1.
Dans le Mot à l'oreille : « Scapin, aux trois choses que le proverbe
266 LES HISTORIETTES.
» de son pays fait les plus difficiles , c'est assavoii' cuire un œuf, faire
» le lict d'un chien , et enseigner un Florentin , a depuis quelque
» temps ajouté pour la quatriesme : Avoir une audience de M. de la
» Vieuville. »
Vers la fin de la régence d'Anne d'Autriche, on alla rechercher la
Vieuville auquel on rendit la Surintendance, apri-s une disgrâce de
vingt-six années. Il ne jouit pas longtemps de ce retour de faveur; moins
de trois ans après, le 2 janvier 165/i, il mourut généralement peu
regretté. Les gens de lettres esperoicnt de Fouquct bien davantage,
et ils avoieut raison.
Le surintendant fies Finances
Ne signera plus d'ordonnances;
II a termine son destin
Kf ilecede jeiidy matin.
Je pense que messieurs les Suisses,
Dont il payoit mal les services,
Quand ils apprirent son trespas,
Ne se flesespeièrent pas.
(LORET, Museà\i i janvier 1654.)
VL — P. 238, note.
Louis XIII' rebutte des desbansches de Moulinier...
Il reste de Moulinier une foule d'airs très-goûtés autrefois et im-
primés dans les Recueils de vaudevilles et airs de Cour. Il mourut
malheureusement le 18 août 1635 ; c'est Loret qui va nous l'apprendre
encore :
INIercredy, Moulinier mourust,
Qui possedoif par excellence
Cette harmonieuse science.
Vers le soir, retournant chez luy,
■' <) pour ses amys quel ennuy !
\o pour la France quelle pert
La trappe de sa cave ouverte
Fist que dedans il trebuseha.
Le haut du crâne il s'escorcha.
Versa du sang en abondance.
Perdit lumière et connoissanee.
Sentiment, mouvement, couleur.
Et bref, par ce triste malheur,
La voix «le ce nouvel Orphée
Fust pour tout jamais étouffée.
{Muse du 21 août 1655.1
Pour Marais, le bouffon de Louis XIII, il n'est guères cité que par
des Réaux. Dreux du Radier, historien des Fous en titre d'office,
semble avoir ignoré jusqu'à son nom. Un vers de Saint-Amant attesta
jy ! \
•rte' /
1,0 Ul s TKEIZIESME. 267
pourtant le talent de Marais comme danseur bouffon; peut-être par
ce dernier mot des Réaux n'entendoit-il qu'un farceur ou danseur
italien. Voici les vers de Saint-Amant :
Un chat enragé que l'on berne,
Un jeune valet de taverne,
Les (lents d'un page en appétit.
Le jaret d'un {,'aigne-petit.
Marais dansant la beigamasque,
Le vray Hailequin sous le masque,
Des anguilles dans un pannier, ,
Des chenilles sur un prunier.
N'entendent rien à la souplesse,
Au prix des ressorts de sa fesse, etc.
(La Gazette du Pont-Neuf.)
Marais etoit aussi compositeur. J'ai retrouvé des sarabandes, dont il
avoit fait les airs, dans un curieux recueil manuscrit écrit de la main
du petit père Ange et dont je parlerai plusieurs fois. Dès 1613 il fai-
soit les délices de la Cour. « Ce ne fut rien que le ballet du Louvre, »
ecrivoit Malherbe le 28 février de cette année, « tout ce qui m'en
» plut fut un nommé Maret, habillé en berger, qui menoit un homme
» habillé en chien, et le fit danser avec des bouffonneries si agréables
» que je croy que jamais je ne vis rire personne, comme je vis rire
» la Reyne. »
VII. — P. 240, note, lig. 18.
La Reyne et Ilautefort se liguèrent contre elle {la Fayette).
La Reyne qui n'avoit pas en ce temps-là la tenue grave et réservée
qu'on remarquoit en elle durant la Régence, jouoit à la pauvre la
Fayette de mauvais tours, comme on en pourra juger d'après l'aven-
ture saugrenue que raconte la Porte : « Le grand divertissement du
» Roy chez la Reyne etoit d'entretenir M"" de la Fayette et de la faire
» chanter... Elle chantoit, elle dansoit, elle jouoit aux petits jeux
» avec toute la complaisance imaginable. Elle etoit sérieuse quand
» il falloit l'èti'e, elle rioit aussy de tout son cœur dans l'occasion,
» et mesme quelquefois un peu plus que de raison. Car un soir, à
» Saint-Germain, en ayant trouvé sujet, elle rit si fort qu'elle en pissa
» sous elle, si bien qu'elle fut longtemps sans oser rire; le Roy
» l'ayant laissée, la Reyne la voulut voir lever, et aussitôt on apperçut
» une grande mare d'eau. Celles qui n'etoient pas de son parti ne
» purent se tenir de rire, et la Reyne surtout ; ce qui offensa la ca-
» baie, d'autant plus que la Reyne dit très-haut que c'etoit la Fayette
» qui avoit pissé. M"' de Vieuxpont soustenoit le contraire en face de la
» Reyne, disant que ce qui paroissoit etoit du jus de citron, et qu'elle
268 LES HISTORIETTES.
» en avoit dans sa poche qui s'etoient écrasés. Ce discours fut«auso
» que la Reyne me commanda de sentir ce que c'etoit; je le fis
» aussitôt et luy dis que cela ne sentoit point le citron. De sorte
» que tout le monde demeura persuadé que la Reyne disoit vray.
» Toute cette histoire ne plut point au Roy et moins encore la chan-
» son qui en fut faite. » (Mém., 1755, p. 95.)
Maintenant voici la chanson, retrouvée dans les Recueils du temps ;
elle courut même sous le nom du Roy, qui dans une de ses lubies
pouvoit bien l'avoir réellement composée :
Petite la Fayette,
Vostre cas n'est point net.
Vous avez fait pissette
Dedans le cabinet,
A la barbe royale,
Kt inesmeaux yeux <lc tous,
Vous avez fait la sale,
Ayant pissé sous vous.
VIII. — P. 240, note, lig. 29.
Une fois il avoit fait un air qui luy plaisoit fort...
Dans le recueil de Chansons écrit, vers 1700, de la main du petit-
père Ange, se trouvent deux couplets qui attestent parfaitement la pu-
reté de Louis XIII et, sur ce point, les récits de d« Réaux. On en va
juger :
AIR DE M. BOESSET LE PERE POUR LOUIS XIII
Paroles de M. Desmarets.
Du plus doux de ses traits Amour blesse mon cœur.
Pour l'aimable Sylvie;
Je l'ayme sans désirs, aussy jamais langueur
Ne vient troubler ma vie.
O bienheureuse flamme!
Qui conservez l'amour et la paix dans mon ame.
Les regards de ses yeux ne décochent sur moy
Qu'une pointe innocente;
Je n'en crains point l'atteinte, et près d'elle je voy
Que nul ne s'en exempte.
O bienheureuse flamme !
Qui conservez l'amour et la paix dans mon ame.
IX — P. 241, lig. 1".
Il entretenoit y)/°' d'Uautcfort de chevaux, etc.
C'est précisément ce que dit M""» de Motteville : « Dez que le Roy
LOUIS TRKIZIESME. 269
> la vit, il eut de l'inclination pour elle. Mais la dcvotion du Roy fit
) qu'il s'y attacha si pou que j'ay ouy dire depuis à M°' de Haute-
> fort qu'il ne luy parloit que de chiens, d'oiseaux et de chasse. Je
> l'ay veue, avec toute sa sagesse, en me contant son histoire, se
1) mocquer de luy, de ce qu'il n'osoit s'approcher d'elle, quand il
l'entretenoit. « Il faut citer aussi les Mémoires de Mademoiselle : « La
Cour etoit fort agréable alors, les amours du Roy pour M"^ de
Hautefort qu'il taschoit de divertir tous les jours y contribuoient
beaucoup. La chasse etoit un des plus grands plaisirs du Roy;
nous y allions avec luy, M"^ de Beaufort, Chcmeraut et Saint-Louis,
filles de la Revne, d'Escars* sœur de M'"^ de Hautefort, et Beaumont Charlotte de Haute-
• . i»T .• X . . j 1 Ar. fort, demoiselle (l'Es-
venoient avec moy. Nous étions toutes vestues de couleur, sur de cars.
belles haquenées richement caparaçonnées, et pour se garantir du
soleil, chacune avoit un chapeau garny de quantité de plumes. Au
retour le Roy se mettoit dans un carrosse entre M"^ d'Hautefort
et moy. Quand il etoit de belle humeur, il nous entretenoit fort
agréablement de toutes choses... L'on avoit régulièrement trois fois
par semaine le divertissement de la musique que celle de la
chambre du Roy venoit donner, et la plupart des airs etoient de
sa composition ; il en faisoit même les paroles, et le sujet n'etoit
jamais que M"* d'Hautefort. Le Roy etoit quelquefois dans une si
galante humeur qu'aux collations qu'il nous donnoit à la campagne,
il ne se mettoit point à table et nous servoit presque toutes, quoique
sa civilité ii'eust qu'un seul objet. Il mangeoit après nous et sem-
bloit n'affecter pas plus de complaisance pour M™* d'Hautefort que
pour les autres, tant il avoit peur qu'on ne s'apperceust de sa galan-
terie. S'il arrivoit quelque brouillerie entre eux, tous les divertisse-
mens etoient sursis, et si le Roy venoit en ce temps là chez la
Reyne, il ne parloit à. personne et personne aussy n'osoit luy par-
ler. Il s'asseyoit dans un coin où le plus souvent il bailloit et s'en-
dormoit. C'etoit une mélancolie qui refroidissoit tout le monde, et
pendant ce chagrin, il passoit la plus grande partie du jour à écrire
ce qu'il avoit dit à M"' d'Hautefort et ce qu'elle luy avoit repondu.
Chose véritable, qu'après sa mort on a trouvé dans la cassette des
grands procès-verbaux de tous les demeslez qu'il avoit eu avec ses
maistresses, à la louange desquelles on peut dire aussi bien qu'à la
sienne, qu'il n'en a jamais aimé que de très-vertueuses. » {Mé-
moires, édition de 1730, tom. i. p. 28.)
On trouve dans un livre de morale ascétique du père Barry, jé-
suite, deux anecdotes qui se rapportent parfaitement à l'idée qu'on
s'est faite de la réserve ordinaire de Louis XIII, et ces faits nom-
breux et bien constatés doivent nous mettre en garde contre certains
détails que des Réaux nous donnera tout à l'heure, sur la nature des
270 LES HISTORIETTES.
rapports de ce vertueux prince avec les Barradas et les Cimi-Mars. Ces
deux jeunes gens, légers et bavards, auront pu fort bien donner le
change, comme pour s'en faire une espèce d'honneur, sur les véri-
tables sentimens du Roy à leur égard.
« Estant à Dijon, il y eut une demoiselle qui demanda au capi-
» taine des Gardes, la presse estant assez grande, de luy permettre de
» se mettre assez près du Roy. Il estoit tout prest de le faire ; mais
» s'estant apperceû qu'elle avoit le sein descouvert, il luy dit : Made-
» moiselle , ou couvrez-vous , ou retirez-vous ; le Roy ne vous verra
» pas de bon œil en cet estât. Sçachez que ces nuditez l'offensent.
» Le lendemain, estant permis au peuple de le voir disner, il y eut
» une demoiselle, vis-à-vis de Sa Majesté, habillée et descouverte à la
» mode. Le Roy s'en prit garde et tint son chapeau enfoncé et l'aisle
» abattue tout le temps du disner, du costé de cette curieuse. Et
» la dernière fois qu'il but, il retint une gorgée de vin en la bouche,
» qu'il lança dans le sein descpuvcrt de cette demoiselle, qui en fut
» bien honteuse. Aussy, pourquoy paroissoit-elle en cet estât, en présence
»> de Louys le chaste? Sa gorge meritoit bien cette gorgée.» {Lettres
de Paulin et d'Alexis à diverses personnes, pour des sujets hicn im-
portans. Lyon, 1658.) ,
X. — P. m, lig. 3.
Mais il estoit jaloux d'Esguilhj-Vassé...
René de Vassé, seigneur d'Esgvilly, deuxième fils de Lancelot, sieur
de Vassé, baron de la Rochc-Mabile et chevalier des Ordres, et de Fran-
çoise de Gondy, tante du cardinal de Retz. En 16/|1, trois ans après
la mort du beau d'Egvilly, Scarron ecrivoit à propos de son neveu :
Monsieur de Vassé, le .Manceau, ^
Qui n'est encor tiue jouvenceau,
Mais dont le bien, que je ue mente,
Vaut quinze mille eseiisde rente;
S'il peut devenir accomply
Comme estoit son oncle Egvily,
Il fera bien; car renommée
Vaut mieux que ceinture dorée.
[La Lege7\de de Bourbon. OEiirres diverses, W partir,
édition de 16S4.)
XL — P 241, lig. 21.
La Reyne, à ce que dit le Journal du Cardinal, s'estoit blessée...
Voici le passage : « M"* Bellier a dit an sieur Cardinal en grandis-
» sime secret, comme la Reyne avoit esté grosse dernièrement, qu'elle
I.OUIS TREIZIESME. 271
» s'estoit blessée ; que la cause de cet accident estoit un emplastre
» qu'on luy avoit donné , pensant faire bien. Depuis Patrocle m'en a
» dit autant, et le médecin ensuite. »
On lit aussi dans les Mémoires de Rassompierre : a La Reyne se blessa
» en courant dans une salle du Lou\Te. Elle donnoit le bras à la con-
» nestable de Luynes et à M"* de Verneuil. »
Ce Patrocle avoit une jolie femme, qui avoit eu la petite vérole en
Î652:
Patrocle, encore une autre belle, '
Mais mariée et non pucelle.
Qui fust un rare objet d'araour.
Qui plust tant à toute la Cour,
Qui charraoit de sa seule veue
Tant elle estoit d'attraits pourveue,
A le visage aussy gasté
De ce mal plein de cruauté...
On reparlera d'elle, comme le type de l'Elmire du Tartufe, dans 17/i5-
toriette de Charpy. Pour son mari, il etoit ecujer ordinaire de la Reine
en 1637. {Mémoires de Lapone, 1755, p. 17/i.)
XII. — P. 242, lig. II.
Son premier médecin Herouard a fait plusieurs volumes...
Histoire particulière du roi Louis XIII^, depuis le moment de sa
naissance jusqu'au 29 janvier 1628 , par Jean Herouard , premier
médecin du prince. Six énormes volumes in-f", écriture très-fine,
conservés en manuscrit dans notre Bibliothèque Impériale , sous le
n° 8943. Je les ai parcourus, et j'avoue n'y avoir remarqué d'intéres-
sant que les passages suivans. D'autres apparemment seront plus heu-
reux que moi.
« TROISIESME AXNÉE (1601).
» Est foueté la première fois en octobre pour avoir fait l'opiniastre.
— Mathurine portoit un hault déchausse. — Est fort cholere et pour
cela foueté en décembre. — Fort opiniastre. — Crie parfois tout le
long du jour.
» En janvier, on remarqua que le Roy l'ayant fait railler avec le petit
Frontenac qui begayoit, depuis cela il bégaya et se faschoit de ne pou-
voir parler.
» Avoit pour violon Boileau et pour joueur de luth Florent Hindrect
d'Orléans, qui l'eudormoient.
» Opiniastre. — Foueté par le commandement du Roy. — Le Roy
le foupto quplquefois, en septembre, sans qu'il pust li^ faire fleschir. —
272 LES HISTORIETTES.
Estoit glorieux. — Ne vouloit pas qu'on fist comme luy. — Entroit
souvent en mauvaise humeur. — Estoit fort absolu.
» Le jeune du Mousticr tire son crayon. — Depuis qu'il estoit levé,
ne s'asseoit qu'à disner et souper. — Joue souvent au mail. — Entroit
souvent en cholere contre le Roy, qui aussy le traitoit un peu sévère-
ment. — Ne voyoit guère le Roy qu'il ne le mist eu mauvaise humeur.
» Ayant fait gageure et perdu un escu contre M"* Vantelet, est es-
tonné et ne veut point entendre au payement. — Les soldats qu'il
avoit pris pour faire l'exercice luy demandant quelque chose pour
leur colation, bat le tambour et leur dit : « Tenez , vêla du vent pour
» vostre colation. »
» Estoit jaloux de M. de Vendosme, qui souppoit quelquefois de ses
restes, sur une escabclle au bout de la table. — Avoit aversion pour
jime (Je Verneuil et pour ses enfans. — Elle, semblablement, le voyoit à
contre-cœur.
» QIATRIESME ANNÉE (1605).
» Rioit quand il voyoit faire du mal à quelqu'un. » (On tire de cela
quelques exemples.) — « Estes-vous marry que Madame soit malade ?
— Non. — Aymé la musique et à entendre jouer des instrumens. —
Craint la pluye. — Disoit souvent les vilains mots de eu et de merde. —
Est tousjours opiniastre et aussy mal mené du Roy. — Tousjours
opiniastre. — Le Roy une fois le foueta luy-mesrae par deux fois et
puis le quitta là.
» Dansant, comme il vit qu'on sousrioit de le voir si joliment faire :
— Non, je ne veux pas qu'on rie, je ne veux pas donner du plaisir. »
» SIXIESME ANNÉE (1607).
» Estoit mesnager. — Se faisoit souvent foueter pour opiniastreté.
— Estoit grand observateur des gestes des personnes.
» DIXIESME ANNÉE (1611).
» Foueté le 10 mars (après la mort du Roy). — Le 2G juillet, on
luy oste des Yveteaux et on luy donne Lefevre. — On envoyé le cheva-
lier de Vendosme à Malthe ; il s'en tourmente fort et le Chevalier
aussy : — « On me l'oste , parce que je l'ayme. »
)) DODZIESME ANNÉE (1613).
» Est foueté deux fois en quinze jours. — Disoit qu'il ne vouloit point
aller au sermon de Valadier, parce qu'il ne faisoit que crier contre
Pouillan (Montpouillan), un de ses enfans d'honneur, et Beringhen, son
premier valet de chambre.
LOUIS TREIZIliSMli. 273
» (IGl'i).
„ Apres le 25 novembre *, flançaiUes du marquis de Sablé avec M"' de De VM^^ p. -^ é-
Souvré.
H TREIZIESME ANNÉE (ICIÙ).
» Une petite marcassine, nourrie par Bonart, porteur d'eau dans la
cuisine du Roy : lorsque cet homme fust mort, elle se coucha la nuit
contre le corps, le cherchoit tousjours quand il fust enterré et ne vou-
lust plus manger, mais mourut de desplaisir. Dont le Roy fist ces
quatre vers :
a II y avoit en ma cuisine
11 Une petite marcassine,
» Laquelle est morte de douleur
•> D'avoir perdu son gouverneur. »
)) Part de Paris le 25 juillet, pour son voyage contre les Princes, —
Va à Orléans le 8, de là à Blois le 25, puis à Tours le 29, et, par toutes
ces villes, gaigne le prix de l'arquebuse au blanc contre les Bourgeois.
» QUATORZIESME ANNÉE (1615).
» Un lundy 6 juillet, monte à cheval la première fois pour y ap-
prendre sous Pluvinol. — Le 13, Monsieur (Gaston) fut mis entre les
mains de M. de Brèves.
» Le 18 octobre. Madame, fiancée au Roy d'Espagne. — Le 21, le
Roy va chez Beaumont-Mcnardeau, où Madame estoit logée, pour luy
dire adieu.
)) Le jour de son mariage, qui se fist à Sainct-André, le soir, MM. de
Guise et Graniont hiy font des contes gras pour l'asseurer; ils eurent
de la peine. Enfin, il s'asseure ; et deux fois, à ce qu'il nous dit. Il y
paroissoit à son balanus rouge. Je luy ai demandé si elle vouloit bien ;
m'a dit que le vouloit bien.
» (1616).
). Mai ou juin, en cholere contre les Espagnoles, filles de la Reyne,
qui luy avoient desrobe mie linote ; fait rouler un petit canon et menace
qu'il le tireroit contre leur porte , n'estoit qu'il craint d'offenser la
Reyne sa mère. — Une autre fois, cadenasse leur porte, parce qu'elles
avoient osté les clefs à Louyse, fille de sa nourrice.
» (1617).
» Part de Paris pour Rouen le 11 novembre. — A Dieppe le 28î
L'hostesse de VEscu de Bretagne luy dit : <* Dieu vous donne bonne vie
M. 18
274 LES HISTORIETTES.
et longue, Sire ; autrefois j'ay baisé vostre père, mais je voy bien que
je ne vous baiseray pas.
» (1619).
» Le 25, à onze heures du soir, sans qu'il y pensast, M. de Luynes le
vient quérir pour coucher, etc. » (c'est-à-dire avec la Reyne). « Y résiste
jusqu'aux lannes; y est emporté. S'efforce deux fois; (à ce qu'il dit. Me
inscio).
» (1623).
» Permission de transmuer du fer en acier pour Louys Leroux, avec
dcffcnse d'imiter les secrets dudit Leroux dans . . . ans, sous peine de
deux mille francs d'amende. »
XIII. — P. 243, note, lig. 1.
Luy (Barradas), amoureux de la belle Cressias.
Gabrielle deColigny, lillc de Marc, soigneur de Cressia(ou Crecia),
Barradas l'opousa plus tard, à Bruxelles, le 21 septembre 1632.
On trouve dans les Recueils manuscrits ce couplet sur la belle Cressia :
Crescia, je s»ils bien roarry,
Vous voy.int si belle et si sage
Que vous ne trouviez un mary;
Vous en cherchez un, je le gag:e.
XIV. — P. 243, note, lig. 2.
Le Cardinal se servît de l'indignation -du Jioy pour s'en desfaire(de
Barradas).
Voyez pour l'Historiette Barradas le commentaire de M. de Noyers,
tom. II, pp. 139 et 141.
Le Menagiana assigne une autre cause à la disgrâce de Barradas :
« Il estoit un jour à la chasse avec le Roy, lorsque le chapeau de ce
» prince estant tombé, alla justement sous le ventre du cheval deBar-
» radas. Dans ce moment-là ce cheval estant venu à pisser gasta tout le
» chapeau du Roy, qui se mit dans une aussy grande colère contre le
» maistre du cheval que s'il l'avoit fait exprès. Cet accident, qui en
n auroit fait rire un autre, fut pris en très-mauvaise part par le Roy,
n qui commença, dez ce temps-là, à ne plus aimer Barradas. » {Mena-
giana, tom. I, p. 254, édition de 1715.)
XV. — P. 243, note, lig. 4.
La Rcijne-mere estoit implacable pour Beaumarchais , à cause du ma-
reschal de Vitry, son gendre.
Nicolas de l'Hospital, marquis puis maréchal de Vitry, meurtrier du
LOUIS TREIZIESME. 275
maréchal d'Ancre, avoit épousé Lucrèce-Marie Bouhier, fille aînée de
Vincent Bouhier sieur de Beaumarchais , trésorier de l'épargne. La
sœur de la maréchale de Vitry avoit épousé le surintendant la Vieu-
ville.
XVL — P. 245, lig. 5.
Cela se sceût ; Barradas eut ordre de se retirer à Avignon.
Alexandre de Campion, dans son rare Recueil de lettres qui peuvent
servir à l'histoire, Rouen 1G57, p. 31, laisse deviner et le projet et les
incertitudes du comte de Soissons : « Si les ennemys poussent du costé
» de Paris, » ecrit-il le 9 août 1636, « ils esbranleront le grand ministre
1) qui seroit blasmé du Roy et de tout le monde d'avoir laissé les places
» de Picardie despourveues de tout, et la France sans poudre, à cause
» d'un certain party qu'on a fait à Sabatier, qui est cause qu'il en faut
» attendre de Hollande ; et mesme l'on pourroit faire souvenir Sa Ma-
» jesté de l'année passée, où nous fusmes réduits à mander les arriere-
» bans... Mon avis est que ceux qui haysseut Monsieur le Cardinal ne
» sçauront se servir du temps pour le pousser ; mais s'ils tesmoignent
» leurs intentions et qu'ils le manquent, il n'en fera pas de mesme, s'il
» peut sortir de l'embarras présent. C'est de quoy vous vous souvien-
» drez, et peut-estre dont je souffriray un jour en mon particulier,
» comme les autres qui n'en seront pas plus coupables que moy. »
XVII. — P. 245, lig. 13.
// sçavoit faire des canons de cuir.
Il faut, je crois, entendre ici la partie du vêtement qui descendoit de
la moitié des cuisses à la moitié de la jambe, et qu'on appelloit aussi
des tuyaux de chausse.
Le mot cité plus bas de M. d'Angoulôme est excellent, parce que le
bon seigneur avoit eu plus d'une fois besoin d'une véritable abolition
pour délits du môme genre.
XVIII. — P. 245, note, lig. dernière.
3f. Godeau est encore à faire ces vers.
On lit, sous la date de 1635, dans le livre des Ballets, opéras et autres
ouvrages lyriques, attribué au duc de la Valliere, Paris, Bauche, 1760,
in-8°, p. 62 : c( Ballet de la Merlaison, à seize entrées, dansé par Sa
» Majesté , au chasteau de Chantilly, le 15 mars 1635. » Paris, Jean
Martin, 1635, in-4".
^76
LES HISTORIETTES.
XIX. — p. 2Z|6, lig. y.
On en fist une chanson.
Elle est intitulée , dans les Recueils manuscrits de des Réaux con-
servés k l'Arsenal : Chanson sur ce que le Roy ne laissa plus qu'un tou-
pet sur la lèvre d'en bas, et coupa luy-mcsme la barbe ou la fist coupe^'
en sa présence à tous ses officiers et courtisans.
Dans le Recueil de Maurepas, les couplets, car il y en a plusieurs,
sont attribués au prince de Condé.
Voici nn autre couplet sur un autre air :
Beuvons h ce niareschal.
Sans Cffal,
Et père de Raineval,
Dont la barbe a près d'une auoe;
C'est monsieur le duc de Chaune.
En cfl'ot, de tous les courtisans, le duc de Chaulnes et le cardinal
de Richelieu avoient seuls conservé leur longue barbe, sans la couper
k la Royale, comme Louis XIII en avoit fait venir la mode. Cette royale
est devenue aujourd'hui V Impériale, et, comme on voit, elle doit son
origine k l'une des rares espiègleries de Louis XIII.
XX. — P. 246, lig. 25.
Il peignoît un peu.
Dubois, valet de chambre de Louis XIII, a écrit : « Le premier jour
» d'avril (1643), le Roy se leva et fust quasy tout le jour hors du lict
» et travailla fort longtemps à peindre certains grotesques, à quoy il se
» divertissoit ordinairement. » {Mémoire des choses qui se sont passées à
la mort de Louis XIII, dans le Recueil : Curiosités historiques , Amster-
dam, 1759, tom. II, p. liU.)
Le rondeau cité sur la mort du Cardinal est imprimé dans le Tableau
de ta vie et du gouvernement de MM. les cardinatix Richelieu et Mazarin,
Cologne, Pierre Marteau, 1603, p. 125.
XXI. — P. 249, lig. 16.
// rabattit aux fauconniers du Cabinet tes bouts quarrez qu'ils achep-
toient... des escuyers de cuisine...
Bouts quarrés ou de quartier; quelque chose apparemment comme
|cs bouts soigneux de Fureticre : <( L'extrémité d'un quartier de veau
» ou (le mouton, du costéde la gorge, où il demeure tousjoursdu sang
» de ces animaux, quand on les tue. »
LOUIS TKEiZIESME. 277
L'anecdote dos paysans de Picardie qu'on lit ensuite , pouvoit ûtre
citée comme une preuve de la bonté naturelle de Louis XIII ; car il est
peu de souverains qui veuillent bien exprimer tout haut leur chagrin
du mal qu'on a fait pour les mieux servir. Mais des Réaux racontoit
cela d'après M""" de Rambouillet et dans les dispositions d'esprit de
cette dame, qui n'avoit guère aimé Henry IV et ne pouvoit souffrir
Louis XIII. Le reflet de cette antipathie est marqué dans nos Histo-
riettes.
XXII. —P. 251, lig. 1,
L'Eminentissime... jetta les yeux sur Cinq-Mars.
Ici, des Réaux va continuer l'Historiette de Cinq-Mars, déjà fondue
dans celle du cardinal de Richelieu. Il va tantôt répéter, tantôt modi-
fier plusieurs points de sa première relation. Comme s'il eût été fâché
d'avoir trop maltraité M. de Thou, il accordera quelque réparation à
cet illustre malheureux.
Mais il paroît se tromper en conjecturant que le marquis de la Force
avoit eu la charge de Grand-maître de la Garde-robe, en compensation
de celle de capitaine des Gardes-du-corps. Armand de Caumont, baron
puis marquis de la Force, l'avoit reçue du maréchal de la Force, lequel
avoit obtenu la permission, eu 1632, de s'en défaire en faveur de son
fils aîné.
M. Bazin remarque qu'un singulier témoignage du crédit de Cinq-
Mars fut d'avoir fait prendre le goût des plaisirs de la table et l'usage
du vin au Roi, qui, jusqu'alors, n'avoit bu que de l'eau. Grotius eut
grand soin do le mander en Suède. {Histoire de Louis Xlll, t. ni, p. 43.)
XXIII. — P. 252, lig. 9.
Oh m'a dit aussy qu'en je ne sçay quel voyage...
Voilà un préambule bien vague pour une anecdote aussi scandaleuse.
Comment le témoin on n'avoit-il conservé ni la date ni le but du
voyage ? D'abord, on sait que Louis XIII avoit coutume de partager son
lit avec ceux qu'il aimoit : c'etoit une façon d'agir assez commune,
môme à la Cour ; tout le reste est une conjecture de la malignité : car,
remarquez-le bien, ce prince, ordinairement si timoré, n'éconduit pas
môme le valet de chambre; que pour partager la nuit du Roi, le jeune
favori juge à propos de se tenir propre et parfumé, cela n'a rien de
bien extraordinaire. Mais si je cherche à mettre en garde le lecteur
contre de pareils récits, c'est que, dans ma conviction, ils auront été
dénaturés : pour donner lieu aux mauvaises interprétations, il suf-
fisoit que Louis XIII ne pût se passer d'avoir un favori, d"aimor vio-
278 LES HlSTORriîTTKS.
lemment quelqu'un. Nous avons vu, do notre temps, un des descendans
de Louis XIII, l'immortel fondateur du gouvernenuMit représentatif en
France, témoigner les mômes penchans, les mêmes foiblesses. En 1819,
les chansons des rues le disoient, et chacun le répétoit à qui mieux
mieux le plus bruyamment du monde, mais qui ajoutoit la moindre;
foi à tous ces flons-flons ? Je crois donc qu'il ne faut guère prendie
plus au sérieux ce que des Réaux nous dit ici des relations de
Louis XIII avec le laid Banadas, le déplaisant Saint-Simon ou le
jeune Cinq-Mars.
XXIV. — P. 253, lig. 16.
Son aisné est mort fou... L'Abbé est fort peu de chose.
Cet ahié de Cinq-Mars est Martin Ruzé , maniuis d'Efiiat , mort en
\&l\h. Chilly ctoit un maniuisat , près de Longjumeau. Pour l'Abbé,
c'etoit Jean Ruzé , abbé de Saint-Sernin de Toulouse et pn'eur de
Saint-Eloy de Lougjumeau. 11 mourut à l'Arsenal en 1608.
XXV. — P. 256, note, lig. 21.
M. de Thott allégua la loij Couscii... mais il expliqua mal celte loy.
Voici le texte : « Vlrum ^\m occidcrunt parentes an etiam conseil
» pœna parricidii adliciantui', (iua3ri potest? Et ait Marcianus etiam
» conscios eadcm pœna adlicicndos, non sohim parricidas. » (L. vi. Dig.
de Lege Pompcia.) Toute la question repose sur le vrai sens de conscins;
et dans ce cas, entendu de bonne foi, il signifioit le complice, non celui
qui auroit seulement eu connoissance du crime.
XXVI. —P. 258, lig. 12.
te bon père (Sirmond)... ne fait que de petits livres...
Le père Sirmond, mort en 1651, ne méritoit pas ces reproches. Il a
fait beaucoup de volumes in-f" très-estimés, et Sublet des Noyers avoit été
la cause bien involontaire de sa disgrâce, arrivée en mars 1643, vingt
jours avant la sienne, [t'oi/. Bazin, Histoire de Louis XIII, tom. iii,
j). 2 0/J-206.) Peut-être au lieu de Sirmond, des Réaux a-t-il pensé ccrii-e
Caussin, lequel, ayant succédé en 1637 au père Sirmond, fut lui-même
remplacé par le père Dinei, celui qui assista Louis XIII h ses derniers
momens.
LOUIS TREIZIESME. !279
XXVII. — p. 258, note 2.
// fist baptiser le Dauphin, etc.
Louis XIV fut baptisé le mardi 21 avril 1643, à Saint-Germain. La
marraine fut M""^ la princesse Charlotte-Marguerite de Montmorency ;
le cardinal Mazarin ( des Réaux est du petit nombre de ceux qui le
remarquent ), ne fut parrain que par représentation du Pape.
Blot, à la mort de Louis XIII, fit ces couplets, qu'il présenta à Gaston
et qu'il convient de réunir à son œuvre :
Un mort causoit nostre resjoulssance,
Les gens <ie bien vivoient en espérance ;
Mais
Je crains que sous la Régence
On ne soit pis que jamais.
On va disant que la Reyne est si bonne,
Qu'elle ne veut faire mal à personne.
Mais
' Si lestranger en ordonne.
Tout ira pis que jamais.
Le Cardinal est mort, je vous asseure,
O le grand mal pour la race future !
Mais
La présente, je vous jure.
Ne s'en faschera jamais.
Il a vescu d'une vie non commune.
Qu'il a quitté plus tost que sa fortune -
Mais
Que deviendra sa pecune,
Ne la verrons-nous jamais?
S'il eust vescu, prince de haut mérite,
Il s'en alloit renverser ta marmite;
Mais
Donnous-luy de l'eau bénite.
Et qu'on n'en parle jamais.
Voyez dans le Commentaire de V Historiette de Gaston , ce qu'on dit
de Blot et de ses chansons.
XXVm. — P. 259, lig. 2.
Afin que tous nos bons sujets aillent en paradis, car tel est nostre
plaisir.
On devine bien que la citation du des Réaux rend la formule plus
plaisante qu'elle n'est en effet : « Afin que sous une si puissante pa-
280 LES IIISTORIE^TIÎS.
» troue, notre royaume soit à couvert de toutes les eui reprises de ses
i> enncniys ; qu'il jouisse longuement d'une bonne paix, que Dieu y soit
» servy et révéré si saintement que nous et nos sujets puissions arriver
» heureusement à la dernière fin pour laquelle nous sommes créés. Car
» tel est notre plaisir. «
XXIX. — P. 259, lig. 14.
Il disoit, en regardant le clocher de Saint-Denis : « l'oijlà oit je seray
bientost. »
Cela se trouve , avec d'autres curieux détaiis sur la mort de
Louis XIII, dans la Relation de Dubois, un de ses valets de chambre.
Ce Mémoire est fort honorable pour le bon Dubois ; mais on ne peut
gul-re s'empêcher de sourire de la iiaïveté du conteur; par exemple
quand il dit : « Je l'observay recevant le saint viatique. Je voyois d(ï
1. grosses larmes qui luy tomboient des yeux, avec des élévations con-
» linuelles, qui faisoient cnnnoistre évidemment un conniierce d'amoui-
» entre Leurs Majcstcz divine et humaine. »
XXX. — P. 259, lig. pénultiî-mc.
// leur dit qu'elle (jasteroit tout, s'ils la faisoient régente comme la feu
lieyne-mere.
C'est-à-dire avec toute l'autorité qu'avoit eue la Reine Marie de Me-
dicis; car la déclaration du Roi donnoit la Régence à Anne d'Autriche.
On peut voir, d'après les réflexions de des Réaux, dans (luelles disposi-
tions d'esprit il fit ou auroit fait les Mémoires de la Régence.
Les termes de la déclaration de Régence ne parurent pas blesser la
Reine ; après les avoir entendus, elle se mit t\ genoux pour recevoir la
bénédiction du Roi mourant. Et (|uant aux mépris de Louis XIII, Anne
d'Autriche, comme épouse, pouvoit avoir d'assez bons motifs pour les
lui rendre.
LXXXVllI. - LXXXIX.
M. D'ORLEANS (GASTON)
ET SAUVAGE.
{Gaslon-Jean-Baptisle de France, duc d'Orléans^ né 25 avril 1608,
mort 2 févriei' 16G0. )
avenant,
ble
M. d'Orléans estoit fort joly * en son enfance, et on ^,,^^l^^'u7a|Xf
luy faisoit dire, il y a sept ou huict ans, en voyant
le Roy et M. d'Anjou : « Ne vous estonnez de rien ;
» j'estois aussy joly que cela. » Il fit pourtant une
chose fort ridicule à Fontainebleau où il fit jetter
dans le canal un gentilhomme qui, à son avis, ne luy
avoit pas porté assez de respect. 11 y eut du bruict
pour cela ; il ne vouloit point demander pardon à ce
gentilhomme, — quoyqu'on luy rapportast l'exemple
de Charles IX' qui estoit roy : car ayant sceû qu'un
homme auquel, dans l'ardeur de la chasse, il avoit
donné un coup de houssine ( l'autre s' estant mis mal
à propos dans son chemin ) , estoit gentilhomme, il
dit : « Je ne suis que cela, » et luy en fist satisfac-
tion. L'autre pourtant ne voulut jamais paroistre à la
Cour. — La Reyne-mere vouloit qu'il * cust le fouet,
et cela l'v fist résoudre.
282 LES HISTORIETTES.
M. d'Orléans s'est plaint plusieurs fois qu'on ne
luy avoit donné pour gouverneurs qu'un Turc et
u,arqùr'fie ^r7v7s: qu'uu CoTse, M. de Brèves"', et le mareschal d'Or-
{,'ouverncur en 1615. ^ _,
mort A''vJèn™eT"n "^"^ "" ^^ marcsclial * avoit un plaisant scrupule : il
^^^^' n'osoit toucher à pas une femme qui eust nom Ma-
rie, tant il avoit de dévotion pour la Vierge. Amou-
reux de M"' de Gravelle, il la fit peindre avec des
rayons qui luy sortoient des yeux , et il y avoit au
bas :
Et de ses yeux sortoient de grands rayons.
M. d'Orléans a tousjours esté assez bon % et il ne
manque point d'esprit. Il a beaucoup de mémoire ;
il sçait tous les simples par cœur. A propos de cela,
Brunier, son premier médecin , un jour que dans
le Jardin des simples il luy contoit je ne sçay quoy
qu'il avoit fait qui n'cstoit pas trop raisonnable, luy
dit naïfvement : « Monsieur, les aliziers font les
» alizés, et les sottisiers font les sottises \ »
* n avoit esté si longtemps à Constantinoplc qu'il en estoit devenu
tout mahomûtan.
"- Fils d'Alphonse, Corso.
■' Un jour, comme il y avoit beaucou)) de courtisans avec luy à son
lever, une monstre d'or sonnante qu'il aimoit fort fut volée. Quelqu'un
dit : « Il faut fermer les portes et fouiller tout le monde. » Monsieur
dit humainement : « Au contraire, messieurs, sortez tous, de peur que
n la monstre ne vienne à sonner et à descouvrir celuy qui s'en est acco-
modé. » Et il les fit tous sortir.
Il voyoit les personnes de qualité, et ne faisoit point comme on
Philippe <lc France, veut que M. d'Anjou * fasse,
auteur de la branche , _,, ,
'l'Orléans. '' C est un proverbe.
— Monsieur s'avisa une fois de faire une espèce d'académie chez luy,
où il mit pour rire plus de qualre personnes qui sçavoient à peine
lire. Il disoit que c'i^stoit pour voir connncnt ils se débarrasseroient
M. D'ORLEANS (gASTOIN). 283
La plus belle chose qu'il ayt faitte en sa vie, c'est
d'avoir gardé la foy à sa seconde femme *, et n'avoir "'"'^"*'?aine!"' '"'"
jamais voulu l'abandonner. C'est une pauvre idiote'.
Quand on les remaria à Meudon, après la mort du
Cardinal , elle pleuroit , parce qu'elle croyoit avoir
esté en péché mortel jusques là -.
En une desbausche où chacun contoit quelque
chose poui- se mocquer du cardinal de Richelieu %
M. de Ghavigny en fit aussy un conte. M. d'Orléans
luy dit en souriant : Et tu quoque, fili? car on di-
soit qu'il estoit filz du Cardinal qui, estant jeune,
avoit couché avec M'"*^ Bouthillier '*. C'est cette
de cette uffairc-là. Le Boulay-BruLart, neveu du chancellier de Sillery,
capitaine de Luxembourg*, eut quinze mille livres pour accommoder Où logcoit Monsieur,
la salle, fournir de papier, d'encre, de quelques livres, etc. On trouva
qu'il n'avoit rien fait de ce qu'il falloit. Monsieur le fait venir : « Je
» vous diray la vérité *, dez que j'ay esté ti-esorier, je suis devenu vo- nitBouiay.
» leur comme les autres, et j'ay tout mis dans ma bourse. » Voylà tout
le monde à se ruer contre luy ; il se sauve ; il en fut quitte pour quel-
ques livres qu'on luy jetta à la teste, et l'Académie alla à vau l'eau.
C'estoit un assez plaisant homme que ce Boulay: quelqu'un l'avertit
qu'il sentoit fort mauvais et qu'il y devoit mettre ordre : « C'est, »
respondit-il, « à ceux qui en sont incommodez à y mettre ordre ; pour
» moy, cela ne me fait aucune peine. »
Un jour, entre chien et loup, dans les rues de Paris, il fut arresté
par des voleurs. « Ah ! Messieurs, » leur dit-il en riant, « vous ouvrez
» de bonne heure aujourd'huy. »
1 Et qui pourtant a de l'esprit.
2 Elle est belle, mais elle a les dents gastées et tient la teste entre
les espaules. 11 est vray qu'elle se redresse en dansant et danse bien.
C'est tout le contraire de sa devancière, qui estoit fiere comme un
dragon. — Le Roy se resjouit fort quand il vit qu'elle n'avoit fait
qu'une fille, et cria : « Tout est fendu. »
^ Luy qui s'est laissé tousjours gouverner , se plaignoit que le
raidinal de Richelieu gouvernast le Roy, son frère.
'• Elle est Bragelonne *. j^'''"'c f)c ^-
284 LES HISTORIETTES.
femme qui a lait la fortune de la maison. Elle fit
mettre son mary chez la Reyne-mere, et en suitte il
devint surintendant des Finances. Elle fit aussy don-
ner la coadjutorcrie de Tours à son beau-frere.
Parlons un peu de ses amours : Monsieur estant
veuf, il estoit bien jeune encore, disoit : « Je ne suis
» guères propre à la galanteria qui règne encore,
» de faire le malade , d'estre pasle et de s'esva-
» nouir. » En elîect, il a tousjours esté vermeil. Je
pense qu'il a eu des amourettes en Flandres, mais je
n'ay rien trouvé de mémorable. A son retour, il de-
vint amoureux d'une belle personne du quartier
Saint-Paul , nommée M'"" de Ribaudon : elle estoit
Bragelonne. On en fit des vaudevilles :
I^a Ribaudon, quand Monsieur le regarde,
Père, frère, mari, tout le monde est en garde.
Tout doux, etc
Autres
Monsieur dit à la Ribaudon :
Si tu le veux nous le ferons,
Tutainc, tuton, tulaine,
Tutu,
Ton mari cocu ;
Ton, ton
Monsieur Ribaudon,
Tulaine, tuton, tutaine.
La belle luy a respondu :
Vous estes un beau Lanlurlu,
Tutaine, tuton. tutaine,
Tutu,
M. d'ORLEANS (GASTON ). î285
Pour faii'e cocu
Ton, ton,
Monsieur Ribaudon,
Tu laine, tuton, tutaine.
En ce temps-là, il jouoit et mangeoit fort souvent
avec les dames du voisinage de cette belle. Il fai-
soit cas de M"''' de Ribaudon, mais on ne dit point
qu'il en ayt receû aucune faveur. Depuis, elle mou-
rut pour ne s'estre pas assez conservée*. Elle estoit on «liroit anjour-
•* *■ a nui : soignée.
délicate, et vouloit faire tout ce que font les plus
robustes.
Après M"' de Ribaudon , Monsieur aima une fille
de Tours, appellée Louyson Roger. Elle apparte-
noit aux principaux de la ville. M. de Montbazon,
avant cela \ luy avoit donaé une petite plaque d'ar-
gent; Monsieur luy en donna une grande. Cette
fille estoit plaisante et avoit l'esprit vif; un jour,
comme ils causoient , elle se mit à crier : « Ah !
» mon Dieu ! la grande plaque de Monsieur a pensé
» engloutir la petite plaque de M. de Montbazon. »
Elle fut deux ans à ne vouloir pas souffrir que Mon-
sieur luy parlast qu'en présence de deux prudes.
Une fois il fit semblant de se vouloir tuer. Les pa-
ïens, lasches et intéressez, fermoient les yeux à
tout ; il en jouyt à la fin. Elle en devint si sotte ,
qu'elle ne faisoit pas asseoir les dames de la ville.
Il y eut bien des resjouissances durant cette amou-
rette; mais la jalousie s'y mit bientost, car l'Espi-
' Il avoit du bien auprès de Tours et y estoit souvent.
286 LES HISTORIETTES.
nay, gentilhomme de Normandie qui esloit alors
comme le favory de Monsieur, fut disgracié et
Louyson aussy. Ce l'Espinay, à ce qu'on dit, avoit
scrvy si fidèlement son maistre auprès de cette
fille, qu'on a cru qu'il y avoit passé le premier. Il
vescut avec si peu de discrétion, que le bruit en
vint aux oreilles du Roy. 11 ne manqua pas d'en
railler Monsieur, (jui jusques là ne s'estoit douté de
rien, quoyqu'il soit honnestement soupçonneux. La
première fois qu'il vit la belle, il luy fit tout con-
fesser, et l'Espinay, sçachant cela, fut si impru-
dent , qu'au lieu de luy escrire qu'il s'estonnoit
qu'elle dist le contraire de ce qu'elle sçavoit, luy
escrivit par le comte de Brion une lettre par la-
quelle il la prioit de luy envoyer de ses cheveux '.
Louyson ne la voulut pas recevoir et en avertit
Monsieur. Il fit fouiller Brion, et ne luy trouva point
la lettre ; mais quand on fut chercher à son logis ,
elle fut trouvée dans la paillasse de son lict*.
1 On dit <]ue ce fut des cheveux d'un certain endroit.
2 La Rivière disoit que M. d'Orléans avoit trouvé dans les chausses
de M. de Brion une lettre de Louyson à l'Espinay ; il délibéra de le
faire poignarder, il en parla au feu Roy qui en fut d'avis, car, outre
qu'il estoit naturellement un peu cruel, il croyoit que cet exemple
reticndroit ceux qui s'esmancipoient d'en conter à M"* de Hautefort ;
mais le cardinal de Richelieu, qui fut de ce conseil, empescha la chose.
Monsieur fit pourtant mettre des gardes autour du logis de Louyson,
la nuict, avec ordre de tuer l'Espinay, s'il y venoit.
— Variante : La Rivière disoit que Monsieur avoit demandé conseil
au Roy, et que le Roy, qui estoit alors amoureux et jaloux d'Hautefort,
pour faire un exemple, luy conseilla de le faire tuer. « Cependant, »
adjousta Monsieur, « il seroit bon d'avoir sur cela l'avis du cardinal
» de Richelieu. » Le Cardinal, qui n'aimoit pas que la Cour s'accoustu-
yoy. tom. I, p. 492
et 49*.
M. d'orleaas (gaston). 287
L'Espinay chassé s'en alla en Hollande, où il eut
facilement accez chez la reyne de Bohême*. Gomme
il y entra avec la réputation d'un homme à bonne
fortune , il y fut tout autrement regardé qu'un
autre, et, dans l'ambition de n'en vouloir qu'à des
princesses ou à des maistresses de princes, on dit
qu'il cajolla d'abord la mère, et après la princesse
Louyse , car les Louyses estoient fatales à ce gar-
çon. On cUt que cette fille devint grosse, et qu'elle
alla pour accoucher à Leyde, où l'on n'en faisoit
pas autrement la petite bouche. La princesse Elisa-
beth, son aisnée, qui est une vertueuse fille, une
fille qui a mille belles connoissances et qui est bien
mieux faitte quelle, ne pouvoit souffrir que la Reyne
sa mère vist de bon œil un homme qui avoit fait un
si grand affront à leur maison. Elle excita ses frères
contre luv ; mais l'Electeur * se contenta de luy ietter charies-Louis,eiec-
" teur-palatin, dépos-
son chapeau à terre, un jour qu'estant à la prome- sefu^> p"*» létabu en
nade à pié, il s'estoit couvert, par ordre de la
Repaie , à cause qu'il pleuvoit un peu. Mais le plus
mast à faire assassiner les gens, luy dit qu'il n'estoit point de cet avis-là.
— Autre variante: J'ay sceû d'un de mes amys, qui le tenoit de
l'abbé de la Rivière, que l'Espinay s'en allant à Paris, après que
Monsieur l'eust chassé, rencontra M. de Brion à Estampes, à qui,
conune à son amy, il donna une lettre pour Louyson, où il y avoit que
sa disgrâce n'estoit un malheur pour luy qu'à cause qu'elle l'esloi-
gnoit de ce qu'il aimoit, et qu'il n 'avoit pour toute consolation que le
plaisir de baiser le brasselet de cheveux d'où elle sçavoit, qu'elle luy
avoit donné. Monsieur est averty que M. de Brion avoit veù l'Espi-
nay en chemin. D attend que Brion fust couché, puis il va dans sa
chambre, et se saisit de son haut-de-chausses où estoit la lettre,
Voylà ce qui l'acheva de persuader que Louyson luy avoit fait infi-
délité.
288 LliS HISTORIETTES.
jeune de tous, nommé Philippe ', ressentit plus vive-
ment cette injure, et un soir, proche du lieu où l'on
se promené à la Haye, il attaque l'Espinay, qui
estoit accompagné de deux hommes, et luy n'en
avoit pas davantage. Ils se battirent quelque temps:
il survint des gens qui les séparèrent. Tout le monde
conseilla à l'Espinay de se retirer, mais il n'en vou-
lut jamais rien faire. Enfin, un jour qu'il avoit disné
Gaspard coignet, chcz M. dc la Tuillcric*, ambassadeur de France, il
comte de Coiirson ,
morten'i'eM';""''""'' sortit avcc dcs Loges '\ Si l'on eust cru que le prmce
Philippe eust osé le faire assassiner en plein jour,
on n'cust pas manqué de le faire accompagner, et
il s'en fallut peu que M. de la Vieuville% qui avoit
aussy disné chez l'Ambassadeur, ne prist le mesme
chemin. 11 fut donc attaqué par huit ou dix Anglois,
en présence du prince Philippe. Des Loges ne mit
point l'espée à la main ; l'Espinay seul se défend
le mieux qu'il put ; mais il fut percé de tant de
coups que les espées se rencontroient dans son
corps. Il voulut taschcr à se sauver, mais il tomba ;
toutefois il fit encore quelque résistance à genoux,
et enfin il rendit l'esprit.
Pour ce qui est de la princesse Louyse \ M"'' de
Longueville escrivoit de la Haye, où elle la vit,
allant à Munster : « J'ay veû la princesse Louyse,
1 II fut tu(î depuis à la bataille de Rhetel.
2 Le filz de M'"" des Loges, Voy. — (L'Historiette de cette dame.)
' Le duc aujourd'huy.
'' Elle a changé de religion et est abbesse de Maubuisson, oi'i elle
mené une vie exemplaire.
M. d'orleans (gastoîn). :289
» et je ne croy pas que personne envie à l'Espinay
» la couronne de son martyre. » Pour la reyne de
Bohême, on croit seulement qu'elle estoit bien aise
que sa fille se divertist. L'Espinay estoit bien à la
cour du prince d'Orange, quin'estoit pas fasché qu'il
fust souvent avec son filz; il a voit l'esprit adroit,
et asseurément il y auroit fait quelque fortune.
Cependant la pauvre Louyson, voyant que Mon-
sieur ne vouloit pas reconnoistre le filz dont elle
estoit accouchée, se mit en religion à Tours ', donna
à ses amies tout ce qu'elle a voit pu avoir de chez
elle et de Monsieur , et ne laissa que vingt mille
hvres à son filz, du revenu desquelles on l' entretien-
droit jusques à ce qu'il fust reconnu, ou qu'il fust en
estât de s'aller faire tuer à la guerre, si on ne le
vouloit pas reconnoistre -. Ce petit garçon mit une
fois l'espée à la main ; quelqu'un luy dit : « Ren-
» guaisnez , petit vilain ; voylà le vray moyen de
» n'estre jamais reconnu ^. » Elle vit bien ; et estant
supérieure du Couvent, on luy vint dire : « Madame,
» on a fait quatre cens toises de muraille. — Je
» n'entends point cela, » respondit-elle , «combien
» sont-ce d'aunes? » Il n'y a que quatre ans que
Monsieur passant à Tours eut envie de la veoir;
^ Aux Filles de la Visitation.
2 Le filz de Louyson est mort en Espagne, au service des Espagnols.
5 Monsieur n'est nullement brave. — Le vieux. .Lambert, gcnverneur
de Metz, qui avoit servy longtemps sans recevoir une esgrati^ure,
disoit en riant : « Un tel (j'en ay oublié le nom), M. d'Orléans et ùioy,
» quoyque nous ayons bien" esté aux coups, n'avons pourtant jamais
» esté blessez. »
H. 19
290 LES HISTORIETTES.
Madame l'en empescha. Elle envoya du fruict à Ma-
dame. Mademoiselle a pris amitié pour ce petit gar-
çon, qui est fort joly, et elle Ta auprès d'elle. Mon-
sieur n'a garde de le reconnoistre , car, outre qu'il
croit que l'Espinay en est le père, il luy faudroit
donner du bien.
M. d'Orléans a tousjours l'esprit un peu page \
Un jour qu'il vit un des siens qui dormoit la bouche
ouverte, il luy alla faire un pet dedans. Ce page,
demy-endormy, cria : « Bougre ! je te chieray dans la
» gueule. » Monsieur avoit passé outre. Il demande
à un valet de chambre nommé du Fresne : « Qu'est-
' Il a un peu fait le fou eu sa jeunesse, et la nuict, il a bruslé plus
Du Pie3sis-Besan- d'un auvent de savettier. — Bezançon *, qui le quitta depuis , luy
çoiijd'aborïl au non- , . . , , , • , >
nestabie de Lesdi- chanta, une fois en une desbausche, un impromptu sur une chanson
'^"' "^^^^ à boire qui couroit à la louange du cabaret, et dont la reprise estoit:
Mais parce qu'au tac du couteau
On a tout ce que ron demande.
C.aston, qui sçavez mieux que nous
Tous les secrets de la taverne,
De cetuy-ey souvenez-vous.
Du bien je crains qu'on ne vous berne.
Ma foy, nefaittcs pas le veau.
Frappez si fort qu'on vous entende ;
Puisqu'au seul tac tac ilu <'outeau
l)n a tout ce que l'on demande.
— Blot fut une fois bien malade -, quelqu'un dit à Monsieur : « Vous
» avez pensé perdre un de vos serviteurs. — Ouy, » respondit-il, « un
» beau f.... serviteur. » Blot, guery, ayant appris cela, fit un couplet
qui finissoit ainsy :
S'il perd un fichu serviteur,
Ferd»ol9-ie pas un flchu maistre?
C'jla fut rapporté à Monsieur, il en rit, et bien loin de s'en fascher,
il fit une desbausche, le jour mesme, où Blot fut convié, et on y chanta
ce couplet plus de cent fois.
M. d'ORLEANS (GASTON). 291
» ce qu'il dit? — Il dit, Monseigneur, » dit grave-
ment le valet de chambre, « qu'il chiera dans la
» gueule de Votre Altesse Royale \ »
Ce mesme homme, qui fait comme cela des tours
de page , a une sotte gloire , comme de ne vouloir
pas qu'on se couvre jamais dans son carrosse , non
pas mesme en voyage. Le feu Roy s'en mocquoit
hautement. Il est si inquiet, qu'il faut le boutonner* Finir de ihabnier
en courant. Il a tousjours son chapeau comme un
gloriot, siffle tousjours, et a tousjours la main dans
ses chausses. Nous dirons le reste dans les Mé-
moires de la Régence^.
1 Cela me fait souvenir de ce qui arriva à un conseiller au Grand
conseil, nommé du Bugnon, en un bal où Monsieur estoit, au quar-
tier Saint-Paul. C'estoit chez une M'""^ Gaillard. Ce pauvre garçon
avoit un peu fait la desbausche, de sorte que tout à coup, il luy
prit un desvoyement horrible. Par respect, il n'osa sortir du lieu où
il estoit, mais il se glissa dans un petit cabinet dont par hazard il
trouva la porte ouverte. A tastons, il rencontra une boiste de pru-
neaux où il sentit du vuide. Ce fut là qu'il se deschargea de son
pacquet. Il estoit encore dans ce cabinet, quand M'°'= Gaillard y vint.
Il se range en un coing, elle y vouloit prendre des pruneaux dans
cette boiste ; mais elle y trouva de la marmelade. La voylà à faire du
bruit. « Madame, » luy dit ce garçon, «je suis un tel. Ne me diffa-
» mez point, c'est un accident, je suis malade. » Cette femme en co-
lère le chassa comme un foireux.
2 SAUVAGE.
Sauvage estoit à M. d'Orléans. C'estoit un goinfre fort agréable ;
il contrefaisoit admirablement bien les chansons du Pont-Neuf. Mon-
sieur s'estant retiré en Lorraine, il le voulut aller trouver, et pour
avoir des bottes à bon marché, il en commanda à dix ou douze cor-
donniers différents, à qui il donna diverses heures. A chacun, il dit
qu'il y avoit une botte trop estroite, et leur donna alors une mesme
292 LES HISTORIETTES.
heure pour la rapporter. Quand ils vinrent, ils ne trouvèrent plus
personne.
De Brusselles, Sauvage envoyoit des Gazettes pleines de chimères
f oy. toin. j, p. 2U pour contrecarrer celles de Renaudot*, qui conimençoient à avoir
cours. On aimoit bien mieux la Gazette de Sauvage que l'autre. Outre
cela, tous les jours pour se divertir, il faisoit quelque imposture. Ce
fut luy qui fit graver la figure d'un poisson qu'il appelloit la carpe
ftdriatfqtie, dans Je corps duquel on avoit trouvé, à ce que disoit
l'escript, je ne sçay combien de mousquets, des hallebardes, des
croix, etc. Gela courut par toute la France. La dernière imposture
qu'il ayt faitte, c'a este un arrost du Parlement de Grenoble, par lequel
un enfant cstoit dcsclaré légitime, quoyquc sa more confessast l'avoir
conccû durant l'absence de son mary, et cela par la force de l'imagi-
nation, en songeant qu'il habitoit avec elle. Les noms y estoient, et
aussy ceux des médecins et de la sage-femme. Assez de bonnes gens
le crurent; c'estoit le vray style de Grenoble. Le procureur-général
de Paris escrivit à celuy de Grenoble touchant cet arrest, c't ce parle-
ment-là en donna un contre l'autheur, dont il se mocqua. Dans
les escoles de médecine, on agita la question, à sçavoir si la force de
l'imagination pouvoit suffire pour faire concevoir. — II faisoit aussy
quelquefois des Gazettes de raillerie, comme une où il disoit : « Ce Dieu
» de la Charente qui apparut à Balzac est arrivé icy, aussy peu Dieu
» que jamais. « Bien des fois il a pris les devants, et il se mettoit à
chanter sous l'orme, dans les villages, quand Monsieur passoit.
Il gagea qu'il diroit à Monsieur : L'Aze vous f — , sans qu'il s'en
faschast, et voicy comme il s'y prit : dcz que Monsieur le voyoit :
(( Hé bien. Sauvage,» luy disoit-il, «n'y a-t-il rien de nouveau? —
» Si fait, » respondit-il, « on dit qu'il y a une femme qui esternue
» par où vous sçavez, et au lieu de Dieu vous bénie, on luy dit : l'Aze
» vous f. » — Monsieur se mit à rire. — <i Par ma foy, » reprit ledrosle,
<( j'ay gaigné. »
COMMENTAIRE.
L— P. 281, lig. 1.
J/. d'Orléans cstoit fortjolij en son enfance.
Joly n'avoit pas avant le xvin* siècle le sens que nous lui attribuons
aujourd'hui. Il répondoit h : agréable, ouvert et gai; et voilà comment
les chansonniers du moyen âge se promettent fréquemment d'être gais
et jolis. « C'est, » dit Furetiere, « mal louer une femme, un bâti-
» ment, etc., (jue de leur donner du joly; le joly est le cousin-germain
M. d'orleains (gaston). 293
» du laid. » Si l'on ne faisoit cette remarque, on ue comprcndroit pas
le pourtant de la phrase suivante-
II y a un livre intitulé : La santé du Prince, ou les soinr/s qu'on y
doibt observer^ 1616, in-12. On l'attribue au médecin Herouard, sieur
de la Vaugrigneusc, le môme qui s'est rendu coupable de la Vie de
Louis XUl dont on a parlé plus haut. Une partie du livre contient les
Rencontres et promptes reparties de Monsieur le duc d'Anjou. Il y en a
une pour chaque jour du mois : mais, comme on le devine, les bons
mots qu'on prête à cet enfant de six ou huit ans sont généralement
assez mauvais.
II. — P. 281, lig. 16.
La Reijne-mere voulait qu'il eust le fouet., et cela l'y fit résoudre.
A l'occasion de cet insolent orgueil de Gaston, on fit ce couplet :
Slonsieur veut que l'on assomme
De basions les gentilshommes :
C'est son plus doux passe-temps.
O dieux! l'estrange nouvelle!
Qu'en dis-tu, Jean de Nivelle?
Je crains d'en avoir autant.
(Recueils manuscrits .)
III. — P. 228, lig. il.
Ce mareschal... amoureux de M^^ de Gravelle.
Cette dame se nommoit Marie Crcton d'Estourmel, dame de Gra-
velle ; il en sera reparlé plus d'une fois, surtout à l'Historiette de sa
fille. M"* de Coustenan. Des Réaux rappellera la bizarre dévotion du
maréchal d'Ornano , dans l'Historiette de M""= de Montbazon.
IV. — P. 282, note 3.
Au contraire. Messieurs, sortez tous.
Voilà un mot charmant, qui seul doit faire pardonner beaucoup à
Gaston. — Pour justifier d'ailleurs ce que des Réaux vient de dire,
il faut rapprocher le témoignage de M""* de Motteville et celui de la
Porte. La première :
« Monsieur estoit aimable de sa personne ; il avoit le teint et les
» traits de visage beaux ; sa physionomie estoit agréable ; ses yeux
» estoient bleus, ses cheveux noirs. A son inquiétude habituelle et à
» ses grimaces, il estoit aisé de voir en sa personne sa naissance et sa
» grandeur. Il estoit bon et de facile accès ; il avoit de l'esprit, parloit
» bien et railloit agréablement. Il avoit beaucoup lu, savoit l'histoire
"294 LKS IIISTOIUETTES.
I) parfaitement, avec beaucoup d'autres sciences curieuses. Rien ne
). manquolt à ce prince pour la société, sinon qu'il cstoit un peu glo-
» rieux, de cotte gloire grossière qui ne l'empesclioit pas de bien trai-
» ter ceux qui l'approcboient , mais qui lui faisoit garder son rang
n trop régulièrement. J'ai vu des femmes de qualité se tenir debout
)) dans le lieu où il estoit pour lui rendre le respect qu'elles lui de-
» voient, sans qu'il eust l'honnesteté de leur ordonner de se seoir : et
» les hommes se plaindre que dans les saisons les plus rudes, il ne leur
i> commandoit pas de se couvrir, ce que le Roi son frère faisoit tous-
» jours. » {Mém., i, p. 372.)
La Porte : « Quand Monsieur se représenta devant le Roy après sa
» disgrâce de 1636, le Roy me commanda de lui donner un siège, ce
» qu'il n'avoit jamais eu; et il ne s' estoit jamais couvert devant luy,
» sinon en carrosse, à table ou à cheval, qui sont des libertés que
» tout le monde a, et que cependant Monsieur ne donnoit pas à ceux
» qui alloient dans son carrosse ; ce que le Roy désapprouvoit fort, et
» s'en mocquoit luy-mesme en usant d'une auti-e manière. » (Mém. de
Lap., p. 117.)
V. — P. 282, lig. \h.
Brunicr, son premier médecin.
Abel Brunyer, premier médecin de Gaston, dirigea la création du
Jardin des simples au château de Blois, et fit le catalogue métho-
dique : Ilorlus regius Blesensis, 1653,
Il etoit protestant, et Scarron a parlé honorablement de lui dans la
légende de Bourbon, 16^2 :
Son Altesse peu de jours but,
Car dessus ses jambes il chul
Une tres-douloureuse goûte.
Mal où nul vivant ne voit goûte,
Kiist-ce IJrunier, son médecin.
N'en desplaisc à feu Jean Calvin,
C'est grand dommage que cet hoiinne
Ne croit pas au pape de Rome,
Car .'i tout le monde il est cher,
Ouoiqu'en caresme mangeant chair.
(Edition de 1752, tom. vu, p. so.)
Voyez sur Brunier l'Histoire du château de Blois, par M. de la
Saussaye, in-f, 1840, p. 209, et la Notice de M. de Petigny sur Abel
Brunier, dans le troisième volume dos Mémoires de la Société des scien-
ces, etc., de Blois.
M. D'oULlîArSS (GASTON). 295
VI. — p. 283, note 5.
Le Boulaij-Bruslarl, neveu du chancellier de Sillery.
Non pas neveu, mais cousin issu de germain du Chancelier. Nicolas
Bruslart seigneur du Boulay etoit, de plus, frère cadet du célèbre
gastronome Broussin, inventeur de la sauce Robert. Il fut chambellan
de Gaston et capitaine du Luxembourg. Loret, qui le comptoit parmi
ses amis, nous a raconté sa mort, lettre du l*' novembre 1659 : '
Celuy-là mourust l'autre jour.
Qui (lu palais de IjUxeinbourg,
Depuis mainte et mainte semaine,
Estoit le digne capit<iine,
Assçavoir monsieur du Bonllé
Qui dans le ciel s'en est allé ;
Qui fut, autant qu'on le peut estre.
Serviteur de Gaston, s6n maistre.
Qui de l'honneur fut araoureax.
Qui fut bon, qui fut généreux ,
Bref, le meilleur aniy que j'eusse, etc.
Le Boulay fut le père de François Bruslart, sieur d'Opsonville et du
Boulay, capitaine du régiment du duc d'Orléans et longtemps amant
de la célèbre marquise de Courcelles, dont M. Walckenaer a rappelé
les aventures dans son Histoire de 31"^'= de Sévigné, tom. iv, p. 146. On a
souvent confondu François avec Nicolas. Mademoiselle, qui, pendant
ses démêlés avec Gaston, se brouilla avec tous ceux qui l'entouroient
et se déficit de tout le monde, a mal parlé de du Boulay et lui a sup-
posé des intentions perfides qu'il n'avoit probablement pas. C'est en
1656 : « Le Boulay fut un peu embarrassé d'une affaire qui luy estoit
» arrivée. Son fils avoit esté pris prisonnier à Valenciennes par les
» troupes de Monsieur le Prince. Il m'écrivit, pour me supplier d'écrire
» pour sa liberté. Il me mandoit : Je sçay bien que vous dites à tout
» le monde que vous n'avez point de commerce en Flandres ; mais à un
» vieux domestique du Pape, on ne luy fait point de ces finesses. Je
» trouvay cette lettre fort artificieuse et meschante, et je ne doute
» pas que Goulas, son amy particulier, n'ait aidé à la faire. Il croyoit
» me tendre un piège et que j'y donnerois, etc. » (Tom. m, p. 6/j.)
Pour ce qui est de Madame, femme de Monsieur, on peut souhaiter
de rapprocher ce qu'en dit aussi Mademoiselle :
« Pendant que j'estois à Tours,... Monsieur ne revenoit jamais de
» ses visites qu'il ne passast à ma chambi-e. Il me faisoit éveiller, et se
» doutoit bien que j'aurois plus de plaisir à le voir qu'à dormir. Et
» après avoir appelé M"' de Saint-Georges, Beaumont et Saint-Louis,
» il nous cntretenoit de tontes ses aventures passées, et cela fort agréa-
296 LES IIISTOIUETTES.
» bleinent, comme l'homme du monde qui a le plus de grâce et de
» facilité naturelle à bien parler. Je le mettois, le plus souvent qu'il
» m'estoit possible, sur le chapitre de ma belle-mere, pour (|ui je me
» scntois beaucoup d'amitié... Nous luy finies conter un jour comme il
» en estoit devenu amoureux, et Puylaurens de M""" de Phalsbourg.
» M"* de Beaumont, qui parle franchement et avec liberté, luy dit :
» Avouez que ce fut l'amour de vostrc favori qui vous maria, et non
» pas le vostre. Il n'y respondit rien... » (Mémoires, édition de 1730,
tom. I, p. 24.)
Puis Mademoiselle rétablit les faits un peu dérangés par la mali-
gnité de des Réaux :
« Pendant la maladie dont le feu Roy est mort... le Roy luy permit
de faire venir Madame, à condition que lorsqu'elle scroit à Paris, ils
declareroient tous deux à M. l'Archevesque, qu'afin de ne rien
laisser à désirer pour la validité de leur mariage, ils le confirmoient
autant que cela pouvoit estre nécessaire... Madame estoit encore
à Cambray lorsque cette proposition là luy fut faite ; clic ne l'eut
pas plutost ouye, qu'elle fust preste à s'en retourner plus loin ;
I elle disoit (|ue lorsqu'il y alloit de l'honneur, l'on ne devoit avoir
' de complaisance pour qui que ce soit... Elle se rendit avec une re-
I pugnance extresme... Monsieur dit à M. l'Archevesque qu'encore
qu'il fust assuré qu'il n'y eust aucune nullité en son mariage, il ve-
' noit avec Madame luy faire la déclaration que Sa Majesté avoit de-
i sirée ; Madame, de son costé, dit, les larmes aux yeux, que rien
1 n'estoit moins nécessaire que cette démarche ; que cependant le Roy
1 l'avoit voulu. Chacun fit la révérence, et aussitost après on se retira.
1 Madame n'avoit plus cette grande beauté dont Monsieur avoit esté
' autrefois charmé, et la manière dont elle estoit habillée ne contri-
< buoit pas à reparer le tort que les chagrins de plusieurs années luy
< avoient causé. Elle ne connoissoit personne à la Cour, et ne sçavoit
> pas trop bien la façon dont on y vivoit ; cela fit que je ne luy fus pas
) inutile. » {Mémoires, tom. i, p. 63.)
M°"^ de Motteville, de son côté, justifie longuement le court portrait
|ue Tallcmant des Réaux fait de Madame :
« Elle estoit belle par les traits de son visage; mais elle n'estoit
I point agréable, et toute sa personne manquoit d'un je ne sçay quoy
I qui plaist; car do laideur manifeste, elle n'avoit que les dents, qui,
) dans le temps dont je parle (I6/47), estoient desjà gastécs. On alou-
) jours dit de cette princesse qu'elle estoit belle sans l'estre ; qu'elle
) avoit de l'esprit et n'en paroissoit point avoir, parce qu'elle n'en
> faisoit nul usage... Elle estoit grasse et maigre tout ensemble; elle
> avoit le visage plein et la gorge belle, à ce que disoient ses femmes ;
mais elle avoit les bras ci les mains fort maigres. Enfin, il estoit im-
M. d'orleaivs (gaston). 297
» possible de parler d'elle que dans une ambiguïté qui n'a jamais esté
» trouvée qu'en elle. » {Mémoires, tom. i, p. 371.)
VU. — P. 284, lig. 7.
// devint amoureux d'une belle personne nommée i»/""' de lii-
baudon.
Marie de Bragelongne, fille de Jérôme de Bragelongne, doyen ,des
conseillers de la Cour des Aides, mort en 1658; mariée à M. de Ri-
baudon, trésorier de France à Soissons. C'etoit une femme délicate,
dont alors on parla beaucoup, et qui mourut à l'âge de vingt-cinq ans.
En 16/jl, elle etoit aux eaux de Bourbon; Scarron ne l'a pas oubliée
dans sa Légende :
La Ribaudon, belle et charmante.
Qui but aussi de l'eau bouillante.
C'estoit pour avoir embonpoint
Qu'alors son gent corps n'avoit point.
Son espou.x estoit avec elle.
Qui n'est pas si lieau qu'elle est belle.
Dieu luy donne soulagement,
Quand elle aura quelque tourment !
Et que mauvaise haleine aucune
Jamais son beau nez n'importune.
D'autres vaudevilles furent encore faits sur elle :
Ribaudon suit à la piste
Monsieur, le frère du Roy;
Son mary en est si triste
Qu'il ne mange ni ne boit;
Ni tous ses gens, Guillemetle,
Lon, lan, la,
Que tous ces gens vivent mal .
(Bibliothèque de M. de Monmerqué.)
Les beaux yeux de la Ribaudon
Luy ont donné bien du renom.
Le reste n'est rien qui vaille,
Daille,
Dandaille '
La l'vibaudon fait que Monsieur soupire ;
De jour en jour sa maladie empire.
Mais
De soulager son martii-e.
Cela ne sera jamais.
Monsieur s'en plaint, et fait grand doleancc,
" Hélas! » dit-il, •< je suis un filz de France,
» Mais
" Ma longue persévérance
'' Ne la touchera jamais. »
298 LES HISTORIETTES.
La façon dont on voit racontées les amours de Monsieur avec M"* de
Ribaudon et Louison Roger prouve assez bien qu'au xvii* siècle, tous
les parens ne rcgardoient pas comme un honneur pour leurs filles
d'attirer l'attention et de favoriser les avances des Princes de la maison
royale.
VIIL — P. 285, lig. 13.
Louyson Roger.
Louise Roger de la Marbeliere, née vers 1621. Son pt-re, qui n'exis-
toit plus quand Monsieur la distingua, ctoit lieutenant-criminel au pré-
sidial de Tours. {Mémoires mss. rie ta Mothe-Goulas.) Elle avoit seize
ans seulement lorsque Mademoiselle la vit pour la premièie fois. « Elle
» cstoit, » 'dit Mademoiselle, » brune, bien faite et de beaucoup d'esprit,
» pour une fille qui n'avoit pas esté à la Cour. »
IX. — P. 285, lig. dernière,
L'Espinay, gentilhomme de Normandie.
Jacques d'Espinay, sieur de Vaux et de Mezieres, gentilhomme de la
vénerie de Gaston, duc d'Orléans. Il ne le faut pas confondre avec
René, sieur de Lespine, poëte assez remarquable, dont on parloitsous
Henry IV, et dont on trouve dan? le Nouveau Recueil des plus beaux
vers de ce temps, 1609, p. 387 i\ 436, VOde sur le refus d'un baiser, et
d'autres pièces.
X. — P. 286, lig. 11.
L'Espinay... lutj escrivit par le comte de Brion.
François Christophe de Levis-Ventadour , comte do Brion , alors
premier ecuyer de Monsieur, et créé duc d'Amville, après la mort
de son oncle maternel Henry II, duc de Montmorency. Scarron le
nomme aussi dans la Légende de Bourbon, de 16/i2 :
De Brion, parent de la Vierge.
On voit que les prétentions aux liens de parenté entre Notre Sei-
gneur Jésus-Christ et la maison de Levis sont anciennes. Au temps
de François I"', un comte de Villars, qui etoit de cette illustre mai-
son, avoit déjà fait un livre en l'honneur des perfections de la sainte
Vierge; et ce livre sembloit surtout inspiré par un bon sentiment de
famille.
M. d'orleans (gaston). 299
Notre comte de Brion mourut en 1061 :
Ce duc avoit. le caractère
D'un seigneur bien franc et sincère.
Et tous ceux de ce beau sang-là
Sont à peu près comme cela...
On (lit qu'il voulut prendre fin
Dans un liabit de capucin.
Et qu'on le mit en sépulture
Avec cette saincte vesture :
Ce qui doit estre interprété
Pour un signe de pieté, '
Qui, d'âge en âge, esclatte et brille
Dans cette tres-noble famille.
(LoRET, Muse du 24 septembre 1661.)
La disgrâce de Brion et de l'Espinay arriva en mai 1639. « Mon-
» sieur, frère du Roy, » dit Bassompierre, « fit ce mois là, pour sa
» maistresse Louyson, un grand escart en sa maison, de laquelle il
» chassa Brion et l'Espinay. » (Tom. iv, p. 427.)
Pendant la Régence, en 1647, Gaston devint encore amoureux de
M"« de Saint-Maigrin, fille de la Reine. « Cette amitié, » dit M"" de
Motteville, « n'avoit produit en luy nul autre effet que d'avoir
)) obligé ce prince à luy donner un beau tour de perles. Par ce pre-
» sent, il prétendit qu'elle luy estoit assez obligée pour ne souffrir les
» soins d'aucun autre que de luy. Elle qui avoit inclination à se
» divertir... s'amusa à rire et causer publiquement avec Gerzay. Cet
» amy nouveau estoit porté à la plaisanterie, il avoit de l'esprit et il
» témoigna vouloir prendre soin de luy plaire. Son amant de sang
» royal fut si mal content de son infidélité, que Gerzay allant un jour
» à Luxembourg, un matin, pour faire sa cour à Monsieur, ce prince
» commanda à son capitaine des Gardes de l'aller jetter par les fe-
)) nestres. Ce commandement d'un si bon prince surprit infiniment
» tous les assistans ; mais l'abbé de la Rivière qui courut à Gerzay
» pour l'avertir, le sauva de ce péril, et on eut sujet de s'étonner de ce
» que la plus faible passion du monde pensa produire une des plus vio-
» lentes actions que la jalousie ait pu causer. » {Mém., tom. i, p. 368.)
XL — P. 287, lig. 6.
On dit qu'il cajolla après ta princesse. Louise.
Louise Hollandine, qui abjura en 1658 et entra six ans plus tard
dans l'abbaye de Maubuisson, dont elle fut abbesse bientôt après. Elle
mourut en 1709, en odeur de sainteté. Elle savoit peindre ; mais elle
eut bien fait de ne jamais employer son talent à effacer la peinture
des autres. « Pingere gnara, » dit la Gallia Christiana, « geiitilitia in
300 LKS niSTOR[ETTES.
» altaris latcrc depicta insignia delevit, pluresquc tabcllas tani pro
» domo quam pro vicinis parocliiis ipsa dcpiaxit. »
Pour sa sœur, la princesse Elizabeth, et le prince Philippe sou
frère, tué à la bataille do llhetcl le 15 décembre 1650, ni l'Art de
vérifier les dates ni l'auteur de la Fie de Charles-Louis électeur-
palatin, leur frcfre, n'en disent un mot.
XII. — P. 290, lig. 2.
Mademoiselle a pris amitié pour ce petit (f arçon.
La princesse elle-même est le garant de notre auteur : <( J'allay à
» Villandry me promener (en 1653) Je trouvay là le petit fils de
)) Louison... il me parut qu'il cstoit assez joly... il alloit aux Jésuites,
» et seurement parmy les bourgeois de Tours il ne se fust pas formé. Je
» le pris avec moy. Je songeay que pcut-estre si j'en dcmandois la pcr-
» mission ;\ Monsieur, il me la refuseroit... que si le bonheur de cet en-
» fant vouloit qu'il ne dist rien, on tascheroit d'en faire un honneste
» homme. On ne l'avoit nommé jusque alors que /<? J/i'^rnon, ilestoittrop
» grand pour l'appeller ainsy... Je me souvins que j'avois une terre près
» de Saint-Fargeau, qui s'appcUoit Charny... Je le fis appeller le cheva-
» lier de Charny... Monsieur s'enquit de tout ce que j'avois fait et je
» lui parlai de tous les parens et de la mère de Louison ; il ne me dit
» rien d'elle ni de son fils. » [Mémoires de Montpensier, édition de
1730, p. 206.)
Le jeune Charny passa en Espagne avec le maréchal de Gramont
qu'on y envoyoit pour ramener la princesse Maric-Thcrcse, fiancée
de Louis XIV. Loret l'a môme cité parmi les cavaliers dont les dames
espagnoles admiroient le plus la bonne mine. Il avoit dit auparavant
de la mère et du fils :
Ue Gaston la première fille
Fut voir, l'autre jour, à la grille.
Dans son monastère ou maison,
L'aimable mère Louyson,
Qui fut «le la Royale Altesse
Jadis l'agréable maistresse.
Elle luy fist de l'amitié
Et tesmoigna quelque pitié.
De voir illec si retirée
Cette belle claquemurée.
Elle eust un furieux soucy
De voir son cher enfant aussy . . .
De bons pois sucrez- luy donna.
Avec elle A Blois l'emmena,
Et l'on dit mesme qu'elle espère
Trier si Ineri monsicui- son père.
M. D'ORLEANS (gASTON). âOl
Qu'il avoûra ce beau garçon
Pour un enfant de sa façon .
{Lettre du 28 août 1652.)
Le comte de Cliarny, c'est le nom qu'il avoit gardé, fut fait géné-
ral des armées de la côte de Grenade, puis gouverneur d'Oran, Il
mourut en 1692, laissant un fils naturel, appelé Louis, comme lui.
Xin. — P. 290, note, lig, 15.
niot fut une fois bien malade.
Sur une copie du Voyage de Chapelle^ chargée des notes de des
Réaux (M. de Monmerqué en parle dans la Notice biographique), on
trouve les lignes suivantes : « Blot , un gentilhomme qui estoit à
» M. d'Orléans. C'estoit un grand desbausché, qui ne croyoit pas beau-
» coup de choses. Il a fait mille chansons. »
Voi ci les deux couplets de Blot, dont notre Historiette cite deux vers :
Si Monsieur ne veut plus me ■voir,
Si ma présence l'importune.
Je n'en suis point au desespoir,
Je n'y fay pas si grant fortune.
A.h! le voyi.'i; alil le voicy,
Celuy qui n'en prend nul soucy .
Je ne suis point hardy menteur.
Je ne suis ny fourbe ny tralstre,
S'il perd un fichu serviteur,
Je perds aussy un fichu maistre;
Ah ! le voylà, ah! le voicy,
Celuy oui n'en a nul soucy.
Blot, ce reprouvé de tant d'esprit, passe encore pour avoir fait ces
autres couplets qui sont autant de petits chefs-d'œuvre :
Que Gaston prétende à l'histoire,
Et le père Gauffre à la gloire,
La Rivière au cardinalat,
Que Coudé n'aime que l'inceste;
l'our moy je n'aime que le plat.
Et me mocque de tout le reste.
L'histoire avec la Renommée
N'est rien que vent et que fumée ;
Pour la Gloire, je n'y croy pas
La Pourpre n'est que bagatelle.
Et l'Inceste ne me plaist pas,
Car ma soeur n'est pas assez belle.
Puis sur le môme air, un autre satirique ajouta le troisième
couplet :
302 LES HISTORIETTES.
Adieu la Flandre, adieu l'Espagne !
Gaston va se mettre en campagne,
Accompagné de son pédant.
Flandre, ta ruine est certaine,
Par les conseils du confident
Et la valeur du capitaine.
Nous citons dans l'occasion les couplets de Blot qui touchent aux
autres Historiettes; mais nous réunirons ici ceux qui ne seroient pas
mieux ailleurs ; ainsi, s'adressant au chevalier d'Aubeterre, à propos
des généreuses et inutiles promesses du cardinal Mazarin :
Chevalier, je bois à ton maistre!
Je luy ay obligation :
Et pour te le faire connoistre,
C'est qu'il m'a donné pension.
La chose ne fut point frivole.
Il m'a bien tenu sa parole,
Car le jean f— me dit bien :
« Cela ne tiendra lieu de rien. •>
Desnos, un apothicaire, ayant dit quelques paroles de bon sens à
l'Hôtel de ville, en faveur de la paix :
Desnos, fameux apothicaire.
De toy je veux prendre un clistere ;
M'en dust-il couster un escu.
Je n'en plaindray pas la despense;
Car je fe veux monstrer mon cû.
Tu m'as monstre ton éloquence.
Ses impiétés etoient les plus insolentes du monde; tout au plus
peut-on rappeler ces boutades longtemps fameuses :
Le party des bons catholiques
Boit à vous autres hérétiques;
Mes chers amis, prenons du vin.
Et pour que personne n'eschappe.
Vous direz : « F. de Calvin! >>
Et je diray : « — du Pape . »
Je veux sortir de cette ville.
On y amasse trop de bile ;
Je m'y trouve tout désolé.
Je suis chagrin, je suis colère.
C'est, je croy, l'air du jubilé
Qui m'est entièrement contraire.
Que ce maudit air incommode
Ceux qui vivent à nostre mode!
Le pauvre Noble ne boit plus,
Nostre cher chevalier * succombe.
Le bon Sainct-Pavin est perclus,
Et François Coquet dans la tombe.
M. d'orleans (gaston). âOâ
Fonterallles », sans révérence. Le fameux couspl-
Torcha son c— d'une indulgence rateur.
Et iiiesprisa la station;
Mais le Seigneur luy bailla belle,
Car il en souffrit passion.
Entre les mains de l'impernelle *. Célèbre chirurgien.
Eh ! quoy, pouvons-nous voir Fontrailles,
Ce plaisant desvot de crevailles,
Ce grand protecteur du plot.
Ce desbauché illustre et rare,
Jeusner ainsy qu'un idiot.
Et croire ce flchu Cornare *. yoy. tom. r, p. 478.
Quoyqu'à son retour d'Angleterre
Il ne vuidast jamais de verre.
Que remply de desvotion.
Je n'en dis pas une parole.
Mais je suis en affliction
De le voir sobre et sans v— .
SANTE AU MARESCHAL DE CLE R E M B A U I.T.
A ce grand mareschal de France,
Favory de Son Eminence,
Qui a si bien battu Persan,
l'alluau, ce grand capitaine,
Qui prend un chasteau dans un an
lit perd trois places par semaine.
Blot mourut à Blois dans l'impénitence finale, le 13 mars 1655 ; et
Scarron l'a regretté dans une de ses Lettres de la Samaritaine, hor-
loge du Pont-Neuf, à Jaquemard, horloge de Saint-Paul.
De Blot est raort, cet esprit rare;
Il seroit d'aine bien barbare
Celuy qui ne pleureroit pas
Un si déplorable trespas.
Si ce n'est que tout brancart tombe,
J'irois escrire sur sa tombe :
" Icy gist le pauvre de Blot,
» Qui fust l'antipode du sot. >-
(Recueil des Epistres en vers burlesques de M . Scarron,
Paris, in-4o. Al. Lesselin, 1656.)
Quand Chapelle et Bachaumont , deux autres viveurs de la
môme mode, passèrent à Blois dans leur fameux voyage : « Nous
I) trouvasmes, » disent-ils, « M. Colomb à Blois dont il faisoit les
» honneurs. Nous eusmes, quoyqu'avec un extresme regret, curio-
1) site d'apprendre de luy, comme de la personne la plus instruite,
» et que nous sçavions avoir esté le seul tesmoing de tout le
» particulier :
30/| LES HISTORIETTES.
Ce que lit en mourant nostre pauvre amy Blot,
Et ses moindres discours, et sa moindre pensée;
La douleur nous deffend d'en dire plus d'un mot:
Il fit tout ce qu'il fit d'une ame bien sensée.
(Recueil de quelques pièces nouvelles et galantes, Cologne,
1663, p. M.)
C'est-à-dire qu'î7 ne fit n'en. Pour en finir avec Blot , voici l'epi-
taphe que lui composa son ami Saint-Pavin ; je la crois inédite :
Cy-gist un docteur non commun.
Qui, peu sçavant, mais fort habile,
Prescba souvent, jamais <» jeun.
Et coniprist tout, hors l'Evangile.
En homme sage et bien sensé.
Du présent il a dit merveille;
Uu futur, ce qu'il a pensé
Ne s'est revellé qu'à l'oreille :
Mais chacun tient pour vérité
Que jamais il n'en a douté.
XIV, — P. 292.
Sauvage envoyait des Gazettes pleines de chimères...
J'ai un bonheur que les amateurs apprécieront ; je possède une de
ces Gazettes de Sauvage. Elle est in-4° et porte le titre de : Lettre du
marquis de Vislempenard au baron d'Anconaris. On y donne les Nou-
velles de l'Univers pour les mois de janvier et février 1632 ; c'etoit un
an après la fondation de la Gazette de Renaudot. La première Nouvelle
est celle de la mort du Phœnix, à Nizardrodan, en Arabie.
Sauvage est cité dans la Légende de Bourbon de 1642. Il va sans
dire que le voyage dont y parle Scarron est imaginaire :
Et mon bon amy le Sauvage,
Rare d'esprit et de corsage.
De grande science chargé.
Et qui beaucoup a voyagé.
I.e livre de ses longs voyages.
Et ce qu'il vit aux mariages
De deux parentes du Grand-Cham,
Ne se voit point dans Amstredam ;
Mais quand vous l'aurez agréable.
De nioy qui suis très-veritable
Vous sçaurez la relation
De sa pérégrination :
Et, ce qui vous doit bien plus plaire,
I.uy-mesme il offre de la faire.
{OEuvres, 1782, tom. vri, p. 19.1
M. DORLEAiVS (GASTO^). 505
XV. — P. 2()i>, lîg:. 10.
La dcrnUrc imposture t/u'il ni/l faille, c'a esté un arrest du l'itrlc-
ment de f>rcnol)k.
Ce prôtendu arrût aurait oté du 13 février 1G37. «Ne vous snu-
» vient-il point, » dit Guy-Patin (7 décembre 1G61), « de l'arrcst de
» Grenoble controuvé par Sauvage, d'une religieuse qui avoit conçu
» par imagination ? » Cependant, l'arrCt a été cité très-séricusenient
dans le livre: Lucina sine concubitii; Lucine affranchie des lois du
concours. Lettre adressée à la Société royale de Londres, dans laquelle
on prouve par une évidence incontestable... qu'une femme peut concevoir
et accoucher sans avoir de commerce avec un homme. Traduit de l'an-
glais d'Ahr. .Johnson., 1750, in-12. L'oiiginal auglois est de S. John
Hill; Moet on fut le traducteur et l'arrrt de Grenoble esl rapi)orté
textuellement., note des pages 39 et /|3.
Sur un exemplaire de cet ouvrage que M. Bouju pèie a communiqué
à M. de Monmerqué, Montesquieu a de sa main écrit une note assez
plaisante : « Voilà une pièce curieuse et qui meriteroit d'être tirée
» de l'oubli. On suppose que la dame d'Aiguemere fit ce songe
» une nuit d'été : que sa fenêtre etoit ouverte, son lit exposé au cou-
» chant et sa couverture en desordre. On ne peut plus douter de la
«nouvelle découverte, physiquement, métaphysiquement , poetique-
» ment et Juridiquement prouvée. Quelle consolation pour les femmes
» éloignées de leurs maris ! Une fille etoit soupçonnée de galanterie,
» pour avoir été raere avant l'hymen : quelle calomnie ! Elle avoit
» pris l'air du couchant. Une jeune veuve etoit accouchée d'un fils
» un peu trop posthume : c'est cet ait qu'elle avoit respiré, .lubilate
n gentes ! Vous allez renaître désormais sans difficulté, sans mariage,
» au moindre souffle de vent. Ce n'est pas qu'il faille abolir absolu-
» ment l'ancien usage, on i)eut le laisser subsister pour l'amusement
» de quelques femmes bizarres, qui préféreront peut-être encore les
•) outrages des hommes aux tendres égards du zephir amoureux. Ce
» que c'est que le préjugé ou la force do l'habitude! On aura peine
» à luy persuader qu'un coup de vent puisse luy fairt; autant de
» plaisir qu'une caresse vulgaire. Mais que feront les hommes, sine
» concuhitu? Ma foy, le Juge n'en dit rien. »
Il parut, quelque temps après, une autre brochure, apparemment
du même auteur, dont l'intention est de ne rien innover en ce qui
touche à ce qu'on appelle le bonheur des femmes, tout en leur épar-
gnant la douleur et souvent la honte de l'accouchement, concnbitus
sine Lucina., ou le plaisir sans peine. C'est un badinage sui- les fours
de fumier de M. Réaumur, et sur son art de faire erloro des poulefs sans
le secours des poules.
"• 20
xc.
M. DE MONTMORENCY.
[Ucnrij (le Montmorency, né à Chantillii, 30 avril 1595; décapité à
Toulouse, 30 octobre 1 032. )
Le dernier duc de Montmorency demeura maistre
de son bien à dix-neuf ans ; mais M. de Portes, son
oncle, qui estoit un homme d'esprit, prit le soin
de sa conduitte, et fit aller long-temps toute sa mai-
son. Quoyqu'il eust les yeux de travers, M. de
Montmorency estoit pourtant de fort bonne mine :
il avoit le geste le plus agréable du monde, aussy
parloit-il plus des bras que de la langue. On dit, à
propos de cela, que M. de Montmorency estant
entré en une compagnie où estoit feu M. de Can-
dale, tout le monde luy fit feste, quoyqu'il n'eust
fait proprement que remuer les bras : « Jésus ! » dit
M. de Caudale , « que cet homme est heureux d'a-
» voir des bras ! » M""' de Rambouillet dit qu'une
fois il voulut conter quelque chose qu'il sçavoit fort
bien; mais il s'embrouilla tellement que le cardinal
de la Valette, par pitié, fut contraint de prendre la
parole et d'achever le conte. Il commençoit souvent
M. DE MONÏMOKRNCY. 3()7
(les compliniens et demeuroit h my-chemin '. 11 ne
disoit pas de sottises, mais il a voit l'esprit court.
En recompense, il estoit brave, riche, galant, libé-
ral, dansoit bien, estoit bien à cheval, et avoit tous-
jom's des gens d'esprit à ses gages, qui faisoient des
vers pour luy ', qui l'entretenoient d'un million de
choses, et luy disoient quel jugement il falloit faire
des choses qui couroient en ce temps-là. Il donnoit
beaucoup aux pauvres^; il estoit aimé de tout le
monde, mais adoré en son quartier*. renc^%itn.e"S
II aima d'abord la Choisy, fille de bon lieu, hôteirie.'fiesmes^'"
mais très-galante. Elle fut mariée depuis, et fit
mettre sur son tombeau, comme l'on voit à Saint-
Paul, qu'elle avoit esté fort estimée des Grands et
qu'elle avoit eu l'amitié de plusieurs.
Après, il fut amoureux de la Reyne; les A.n-
glois* l'interrompirent : c'estoit en mesme temps Buckingham.
que M. de Bellegarde. Il recommença après. Il en
avoit un portrait, et une fois il fit mettre un homme
l\ genoux pour le luy monstrer.
Bassompierre et luy eurent querelle. Bassompierre
dansoit mal, il s'en mocqua à un bal. « Il est vray, »
' On avoit quelquefois bien de la peine à s'empescher de rire.
2 Théophile, Mairet.
5 II estoit fort libéral. Il entendit qu'un gentilhomme disoit : « Si je
» trouvois vingt mille escusà emprtinter seulement pour deux ans, ma
» fortune seroit faitte. » Il les luy presta. Au terme, le gentilhomme
luj' rapporte l'argent: «Allez, » luy dit-il, « c'est assez que vous
') m'ayez tenu parole; je vous les donne de bon cœur. »
— On dit qu'il envoj-a une fois à la marquise de Sablé, durant sa
grande passion , une donation de quarante mille livres de rente en
fonds de terre, mais qu'elle ne la voulut pas recevoir.
o08 LES HISTOIUETTES.
luy dit Bassompierre, « que vous avez plus d'esprit
» que moy aux piez, mais j'en ay aussy ailleurs plus
» que vous. — Si je n'ay pas aussy bon bec, j'ay
» bien aussy bonne espée, » respondit Montmorency.
— « Ouy dea ! » répliqua Bassompierre, « vous avez
» celle du grand Asne de Montmorency '. » On les
accorda avant qu'ils se séparassent.
Henry de oondi , H eut cncoro uuc qucrellc avec le duc de Retz"*,
duc df U., oncle du ^
coadjuteur. petlt-filz d'Albcrt de Gondy et filz du marquis de
Belle-Isle. M. de Montmorency avoit esté accordé et
mesme marié, mais sans coucher, avec l'heritiere
Jeanne de scepeaux. (Je Bcauprcau * ; mais la Reyne-mere fit rompre le
'*'s!nî^néè''cn!6oo^'" Glanage pour luy donner une de ses parentes* de
la maison des Ursins ^ qu'elle fit venir exprès.
Depuis, M. de Retz espousa M"^ de Beaupreau, et
M. de Montmorency, au lieu de duc de Retz, l'ap-
pela duc de mon reste. On les accorda sur l'heure.
Sa femme, qui n'estoit pas une fort agréable per-
sonne, devint bientost jalouse de luy. Cependant
pourveû qu'il luy fist confidence de ses galanteries,
elle ne luy donnoit point de peine, mais elle ne vou-
loit pas qu'il luy mentist. M. de Montmorency
avoit une telle vogue qu'il n'y avoit pas une femme
de celles qui avoient un peu la galanterie en teste,
qui ne voulust, à toute force, en estre cajoUée ; et il
en est venu des provinces, exprès pour tascher à luy
donner dans la veûe. C'est pour cela que la mar-
* II jouoit sur Anne.
2 II vit pncore, et a marié sa fille au frère aisné du cardinal de Retz.
^ Un Ursin espousa la sœur du grand-pere de la Reyne-mere.
M. DE MONTMORENCY. 3G9
quise de Sablé, toute délicate qu'elle a tousjours
esté en gens, en faisoit un très-grand cas; et c'est
avec luY Qu'elle a le plus fait de galanteries *. yoy.vfnstonettedo.
•' ^ ^ M'"« de Sablé.
Pour la guerre, c'estoit un fort ignorant homme;
il le fist bien voir quand il se fist prendre. On en
trouva une centurie dans Nostradamus qui est es-
tonnante '.
Mené à Toulouse, au commencement il desclina,
disant que c'estoit au parlement des Pairs à le juger;
mais il s'en désista en disant : « A quoy servira de
» chicaner ma vie? Je seray aussy bien condamné
» à Paris qu'icy. » Il envoya sa moustache , sa ca-
denette (on n'en portoit qu'une au costé gauche en
ce temps-là) à sa femme avec une lettre. Cette
pauvre femme se retira à Moulins dans un couvent
où elle pleura tant, que de voustée qu'elle estoit
devenue d'une grande fluxion, elle devint droite
comme auparavant, sa fluxion s' estant escoulée par
les yeux. Mairet, en luy dédiant une tragédie, luy
donna la qualité de Très-inconsolable princesse. Elle
a fait faire un tombeau magnifique à son mary , et
après (cette année) , elle a pris l'habit de rehgieuse.
1 II y a :
Keiifve obturée au grand Montmorency,
Hors lieux prouvez livré à claire peine.
Neuve^ Casteliiaudary, Obturée, fermée ; on ne voulut pas ouvrir
les portes. Prouvez^ publics ; on ne le fit pas mourir en place publique.
Claire peine, manière de prononcer du Parlement de Toulouse.
310 LliS UJSTOIUETTKS.
GOMMKNTAIRE.
I. — P. 306, lig. 2.
M. de Portes, son oncle.
Henry P% duc de Montmorency, père de Henry II, avoit épousé, en
premières noces Louise de Budos, fille du vicomte de Portes. (Voy.
tom. !"■, p. 16^ et 166.) Le marquis de Portes dont on parle ici fut le
véritable Mentor du duc de Montmorency ; il assista à tous ses com-
bats, même à ses duels; enfin il mourut au siège de Privas, en 1629.
On raconte qu'ils s'etoient promis, l'oncle et le neveu, d'apparoître
l'un à l'autre au moment où le premier des deux viendroit à mourir,
et qu'en effet, le Duc dormant dans sa tente fut éveillé cette nuit-là par
une voix semblable ;\ celle du Martjuis, lequel lui disoit tristement :
Adieu! (Mémoires du duc de Montmorency, 1666, p. 175.)
II. — P. 306, lig. 0,
QuoyqtCil eust les tjeux de travers.
Dans un couplet de vaudeville, on le désigne par k\ :
Belle «le Guiinciié,
SuiSNons vous a laisse
Avec son inconstance;
Mais les yeux de travers
VQusont mis ix l'envers.
III. — P. 307, note 3.
Allez, luy dit-il, c'est assez que vous m'ayez tenu parole.
Ce trait est mieux raconté dans la yic de J/""-" la duchesse de Mont-
morency, 1684. « Un jour qu'il jouoit, il se trouva sur le jeu environ
» trois mille pistoUes. Un gentilhomme qui estoit présent dit tout bas
» à un autre que cette somme feroit sa fortune. Le Duc ne fit pas sem-
» blant de l'entendre, mais l'ayant gagnée un moment après, il se
» tourna vers luy : Je voudrais, dit-il, qtce votre fortune fusi plus grande,
» et le pria de recevoir cet argent. »
IV. — P. 307, lig. 11.
// aima d'abord In Choisy.
Une des filles de Jacques de l'Hospital, marquis de Choisy ; soit Louise,
M. DE MOMMORKNCV. 311
comtesse de Castrics, soit Fraiicienne, M'"* de la Grange-Quincy. Elle
avoit déjà galantisé avec l'archcvôque do Reims, depuis M. de Guise, qui
l'accusoit, suivant le récit de Malherbe (lettre du 25 mars IGIO), d'avoii'
[lar jalousie dérouvert au Roi le secret de ses tendres relations avec
M""" des Essarts.
V. — P. 307, lig. 18.
// en avoil un porlraict.
Vittorio Siri a écrit qu'une chose rendit Louis XIII inflexible, quand
on l'eut condamné ; ce fut la découverte d'un bracelet de diamants au
milieu duquel etoit le portrait de la Reine. On l'avoit trouvé sur lui,
quand il fut pris devant Castelnaudary. [Uemorie recondite, tom. vu.)
VI. — P. 308, lig. 10.
M. de Montmorency avoit esté accordé.... avec l'Iieritiere de Beau-
preau.
Jeanne de Scepeaux, fille de Guy de Scepeaux comte de Chemillé et
duc de Beaupreau, portoit alors, c'est-à-dire en 1610, le nom de M'"= de
Chemillé ou Cliamilly. Montmorency n'avoit gueres plus de quinze ans,
s'il est vrai qu'il fût né en 1595. «On tient,» écrit Malherbe, «le mariage
» de M. de Montmorency défait ; ensuite de cela, je sçay qu'on a parlé
» de M"* la comtesse de Chamilly à M. du Maine, pour M. d'Aiguillon.
» L'on m'a dit qu'on luy offre de luy faire valoir son bien sept cent
» mille escus. » (Lettre du 2 février.) — « M°" de Montmorency, je
» l'appelle encore ainsy, fut assignée, il y a quatre ou cinq jours, pour
» venir voir déclarer nul son mariage avec M. de Montmorency. Elle
» n'y mit point d'empeschement. » (Lettre du 6 février.) — « M"* de
» Chamilly, je luy rens son premier nom, a pris logis dans le cloistre
» Nostre-Dame, pour y estre plus seurement. M. de Soubise et peut-
» estre quelque autre la tient en alarmes, encore que je croye que per-
» sonne ne pense à une recherche si violente. On croit que ce sera pour
» M. le duc de Raix. » (Lettre du 12 février.) — « M. de Raix fut hier
1) fiancé avec M"^ de Chamilly, où estoit toute la Cour, hormis M. de
» Montmorency. Samedy se doibvent faire les noces. » (Lettre du 6 mai
1610.)
VIL — P. 308, lig. 12.
La Reyne-tnere fit rompre le mariage pour luy donna' une de ses pa-
rentes de la maison des Ursins.
Marie Felicc des Ursins etoit ni(''ce à la mode de Bretagne de la Reine-
312 l-JiS lUSrORiETÏfiS.
mère, par Elizabeth de Medicis, duchesse de Bracciaiio, sœur du père
(non du grand-père) de Marie de Medicis.
Pour les traits du visage de cette dauie, on i)cut voir les Mémoires du
duc de Montmorency, par Simon Ducros, f|ui travailloit à la demande
de l'illustre veuve : « Cette princesse ressemble à son père, le prince
» Virginie Ursini, premièrement dans les traits du visage et dans les
» infirmités du corps, secondement dans les vertus et dans les avan-
» tages de l'esprit. »
« Triste de l'infidélité de son mari, » dit ailleurs Ducros, « il luy de-
» manda si elle estoit malade, (;t luy ayant respoiidu (lu'elle se portoit
» bien: Cependant, Madame, re\n-'\t-ï\, votre visage parait cliungé. — Il
» est vra\i, dit^elle en rougissant, mais mon cœur ne l'est pas; et cela
» vous doit suffire. »
VIII. — P. 309, lig. U.
l'our ta guerre c'estoit un fort ignorant homme.
Des Réaux est ici bien rigoureux. Le duc de Montmorency lit presque»
toujours la guerre, et n'avoit jamais cessé de la faire heureusement
jus<iu'au jour fatal où il fut pris devant Castelnaudary.
La lettre qu'il écrivit à sa femme avant son jugement a été repro-
duite par Simon Ducros, p. 267. Elle est courte, pieuse et très-conve-
nable.
M""-" de Montmorency, après la mort de son époux, se retira à Mou-
lins, dans le couvent de la Visitation ; elle y mourut, le 5 juin 1666. Le
tombeau qu'elle fit ériger au duc de Montmorency est devenu l'objet dp
la curiosité et de l'admiration de tous les étrangers qui passent par
Moulins; il a été souvent gravé.
Terminons ce commentaire par la citation d'un précieux passage des
Mémoires de Mademoiselle (édition de 1730, tom. iv, p. 129).
u On avoit assez d'envie d'aller passer le reste de l'hyver (1660) ;i
« Paris.... On alla jus<iu'à Moulins sans séjourner,... La Reyne alla voir
» M""' de Montmorency, religieuse aux filles de Sainte-Marie. Le chà-
» teau de Moulins avoit esté le lieu de son exil et de sa prison (on l'y
» avoit gardé quelque temps), et il luy estoit arrivé là une aventure fort
» extraordinaire. Un jour qu'elle estoit dans son petit cabinet, toute
'> seule, occupée de la perte qu'elle avoit faite (il est certain que per-
» sonne n'a jamais eu une si véritable douleur ni ne l'a poussée si loin
» par la mort de son mary ; elle n'en est pas encore consolée), elle vit
I) sortir d'une muraille un petit serpent, ce «luiest assez ordinaire dans
» de vieux ciiasteaux inhabitez ; elle avança son pié dans le dessein que
)) ce serpeiit la mordist. Elle sentoit quelque joie de pouvoir avancer
» ses jours, pour aller retrouver celuy qui causoit sa douleur. Dans ce
M. DE MONTMORENCY. 313
)) moment, il entra une dame qui estoit à elle : le serpent entendit du
» bruit et s'en alla. Elle conta cela à cette dame, qui luy en fit un scru-
» pule et la fit souvenir qu'elle estoit chrétienne. Elle se retira dans les
» filles de Sainte-Marie, où elle a esté quelque temps à demander à
» Dieu la grâce de pouvoir pardonner au cardinal de Richelieu ; elle
» dit qu'elle a esté longtemps sans pouvoir l'obtenir. Elle renvoj'a à ses
» parens le bien qu'elle avoit eu de sa maison ; elle est de la maison
>> des Ursins et nièce, à la mode de Bretagne, de la Reyne, ma grand-
n mère. Elle ne garda que cent mille escus qu'elle avoit eus en ma-
» riage, dont elle recompensa ses gens et fit bastir le couvent où elle
» est, et un superbe tombeau à M. de Montmorency, qui est tout devant
» la grille : ainsi, elle peut le regarder sans cesse. Quand tout cela a
» esté achevé, elle a pris l'habit de religieuse. Ses pleurs continuels luy
» ont tellement desséché le cerveau, que les nerfs se sont retirez et
» qu'elle est maintenant toute voustée et sujette à une courte haleine.
» Lorsqu'elle vit la Reyne, son mal luy prit avec tant de violence
» qu'elle fut longtemps sans pouvoir parler. M"" de Montmorency
» avoit eu un attachement particulier au service de la Reyne ; cela la
» fit beaucoup pleurer. J'allay la voir après le dîner, et je luy dis que
» j'avois hésité à le faire, parce que j'appréhendois de l'affliger lors-
» qu'elle me verroit et se souviendroit que mon père avoit esté en par-
» tie cause de la mort de son raary. Elle me remercia, et me dit : J'ay
» vu Monsieur, votre père ; il m'a témoigné tant de bonté que je prie
i> Dieu sans cesse pour luy. Elle me parla fort de feu M. de Montmo-
» rency avec une tendresse qui n'est pas concevable , et me dit que
» jamais passion n'avoit esté égale à celle qu'elle avoit pour luy; et
1) que même elle en avoit du scrupule. C'est une femme de beaucoup
» d'esprit et qui paroit avoir esté fort agréable, quoiqu'elle n'ait jamais
» esté belle, à ce que la Reyne m'a dit. Pendant la vie de son mary,
» elle avoit pour luy le mesme amour qui luy reste ; et une marque
» bien extraordinaire qu'elle en donnoit , c'est qu'elle aimoit toutes les
» personnes dont elle sçavoit qu'il estoit amoureux. Il a esté des plus
» galans de son temps. Elle prenoit soin de luy faire faire des habits
» pour aller au bal, beaux et magnifiques, sans qu'il le sceust, afin
» qu'il fust mieux i)aré que les autres. Quand ce venoit à peu près
» l'heure qu'il en devoit revenir, elle alloit à la fenestre qui donnoit
» sur la rue, afin de le voir plus tost. Elle me conta que ce qui faisoit
)» qu'elle ne pouvoit jamais se consoler, c'est qu'elle estoit persuadée
» (ju'elle estoit cause qu'il s'estoit engagé dans le parti de feu mon
') père, par rattachement qu'elle avoit à la Reyne ma grand-mère. »
XCl.
M. DE BAUTRU.
{Cuillaumc de Baulnt, comte de Serrant, né en 1588, mort en 1G(J5.)
M. de Bautru est d'une bonne fainille d'Angers.
11 a esté conseiller au Grand conseil. En ce temps-
là, il espousa la fille d'un maistre des Comptes,
nommé Gastines ' : cette femme ne se mettoit point
dans le monde ; elle ne sortoit guères. « O la bonne
» mesnagere ! » disoit-on : on la donnoit pour exem-
ple aux autres. Enfin il se trouva qu'elle ne sortoit
point, parce qu'elle avoit son galant chez elle; c' es-
toit le valet de chambre de son mary. Bautru fit
mourir ce galant, à force de luy faire degouster de
la cire d'Espagne sur la partie peccante , d'où
Mathieu <U' Morgues, vicnt quo Saint-Gcrmaln *, croyant que c'estoit Bau-
tru qui avoit fait les vers sur la retraitte de Mon-
sieur^, avoit mis dans la response :
Quand il cachetta près du eu
Son valet qui le fit cocu.
1 Le. Bigot, sieuf de Gastines.
2 C'estoit ChastcUet. Il y avoit: « Vous avez assez lait le rlicvaliiT
» errant avec Puylaurent. »
M, DK B\irfRll. 315
Baiitru cliassa sa femme, et ne voulut point lecon-
iioistre le filz dont elle accoucha. 11 Ta reconnu de-
puis, mais long-temps après. Cette femme, jusques
là, vescut de carottes à Montreuil-Belay en Anjou,
pour espargner quelque chose à son enfant. Jusques
à cette heure elle demeure chez luy, en Anjou, où
il va quelquefois ; mais elle ne vient point à Pads.
Il a le malheur d'avoir un sot filz '.
Bautru s' estant desfait de sa charge, se mit à
suivre la Cour. Le mareschal d'Ancre l'aimoit ; et
s'il n'eust point esté tué, il luy alloit faire une af-
faire qui luy eust valu dix mille escus de rente.
J'ay desjà dit ailleurs* qu'il estoit à la droslerie wisfor.,iemchdieu.
des Ponts-de-Sé. Quelqu'un qui estimoit fort M. de
Jainchere, qui avoit quelque employ en cette guer-
rette, luy dit : « Qu'est-ce qui est plus hardy que
» Jainchere ? » — « Les fauxbourgs d'Angers, » res-
pondit-il, « car ils ont tousjours esté hors la ville,
» et luy n'en est pas sorty-. »
Il dit à la Reyne-mere que l'evesque d'Angers
estoit saint et qu'il guerissoit de la v — . L'evesque le
sceût, et s'en plaignit. « Et comment l'aurois-je dit, »
dit Bautru, « il en est encore malade! »
^ A propos de cela, M. de Guise, comme ils disnoient ensemble ,
luy ayant dit : « Qu'y a-t-il entre un cocu et un autre? » — « Une
1) table, » respondit-il ; car ils n'estoient pas de mesme costé.
2 Comme les trois frères de Luynes commençoient à s'establir, on
dit à Bautru : « Mais il faut leur porter respect. » «Pour moy, » dit-il,
« s'ils me traittent civilement, je diray : M. de Brante, M. do Luynes,
n M. de Cadenet; autrement je dirai Bran de Luynes et Cadenet, »
en changeant le t en rf, ce qui ne se remarque pas quasy en proiu»n-
çant.
M6 LES IIISTOIIIETTES.
Jouant au piquet à Angers contre un nomme
Goussaut , qui estoit si sot que pour dire sot on
disoit Goussaut y Bautru vint à faire une faute,
et en s'escriant dit : « Que je suis Goussaut!» —
«Vous estes un sot, » luy dit l'autre. — «Vous
» avez raison, » respondit-il ; « c'estcequeje voulois
» dire'. »
M. d'Effiat le prit en amitié, et c'est de là, bien
plustost que du cardinal de Richelieu, que vient sa
richesse. Bautru estoit bon courtisan, ou bon bouf-
fon si vous voulez ; de mœurs et de religion fort
libertin, et tel que M. d'Orléans luy escrivoit tous-
jours: Au petit b — ^ Il estoit petit, mais bien fait.
11 n'a jamais pu s'empescher de mesdire ; et
comme les chiens ne mordent guères sans avoir
des coups de baston, le pauvre Bautru ne manqua
pas d'en avoir, car il n'eut pas la discrétion d'es-
pargner M. d'Espernon. S'il n'a dit que ce que j'en
ay ouy dire, je trouve le mot assez meschant pour
mériter quelque correction, mais non pas si rude.
Depuis oouitessc île ' H (lisoit à M"'' d'Atticliy *, fille d'honneur de la Reyne-raerc :
Maure. ^^ Vous n'estes pas trop mal fine, avec vostre sévérité. Vous avez si
» bien fait, que vous pourrez, quand vous voudrez, vous divertir deux
» ans sans qu'on vous soupçonne. »
2 Le marquis de Borbomic, un seigneur qui n'avoit point de répu-
tation pour la bravoure, luy donna des coups de baston ; je n'ay pu
sçavoir pourquoy. Il en fit un vaudeville, où il y avoit :
Borbonne
Ne bat personne.
Cependant il me bastonne.
La première fois qu'il alla au Louvre après cola, chascun ne sçavoit
i|uc luy dire. « Eh quoy, » dit-il, « croit-on que je sois devenu sauvage,
» pour avoir passé par les bois"? »
M. DE BAUTRU. 317
11 y avoit un vieil Espagnol à la Cour qu'on appei-
loit Gilles de Metz * ; Bautru disoit : « N'est-ce pas
» une chose estrange que Gilles de Metz passe pour
» si vieux? car M. d'Espernon est son père ; on sçait
» bien qu'il a fait Gilles de Metz- *. » Les Simons, fa''c ciz/e .• hur.
c'estoient les donneurs d'estrivieresde chez M. d'Es-
pernon, l'estrillerent comme il faut. Quelque temps
après , un de ces satellites , en passant auprès de
luy, se mit à le contrefaire comme il crioit quand
on le battoit. Bautru ne s'en desferra point, et dit :
« Vrayment, voylà un bon écho, il respond long-
» temps après ^ »
Il eut aussy de grands desmeslez avec M. de IMont-
bazon , pour en avoir fait cent railleries , comme.
que c'estoit un homme bien fait et qu'il n'y avoit
pas au monde un plus beau corps nu"* : d'ailleurs le
bonhomme avoit sceû que VOnosandre estoit une
pièce contre luy. La Reyne-mere accommoda cela,
et on dit que M. de Montbazon, entre autres choses,
l'ayant menacé de coups de pié, il faisoit remar-
* Un de ces Espagnols qui furent chassez avec Antonio Ferez.
2 La ville de Metz.
3 Long-temps après, Bautru alla voir la Reyne, et il avoit un
baston. « Avez-vous la goutte ? » luy dit-elle. « Non , madame. —
» C'est, » dit le prince de Guimené, « qu'il porte le baston comme
» Saint-Laurent porte son gril : c'est la marque de son martire. »
(Variante.) Bautru mi jour se promenoit avec un baston. Quelqu'un
demanda à Saint-Pavin : « D'où vient qu'il porte un baston ? — C'est, »
respondit-il, « la marque de son martire. » — Bautru dit que les por-
teurs de Saint-Pavin sont des porte-diables. C'est qu'on dit des porte-
Dieu pour dire les prestres qui portent l'hostie.
'' Il equivnqunit sur cornu.
S18 LKS HISTOKIETTES.
quer à la Reyne-mere : « Madame, voyez quel pie !
» que fust devenu le pauvre Bautru * ? »
Mais Bautru ne fut pas traitté si doucement de
la belle-mere que du gendre. 11 avoit, dit-on, fait
catheniie^Fo.Kiuer. galanterie avec la comtesse de Vertus*, et il en avoit
fait des mesdisances espouvantables. Elle s'en vou-
lut venger, et pour cela elle s'addressa au marquis
de Sourdis qui luy promit, comme il fit, de luy
donner des coups de baston sur le quay de FEscole;
et elle estoit à la Samaritaine pour en avoir le plai-
sir. Le Marquis le traitta plus humainement que les
Simons , mais il eut pourtant cjuelques coups -.
Il disoit du Pcre Pradines, Cordellier, son con-
fesseur, qu'il estoit aussy noble que le Grand-duc,
et qu'il venoit de quatre testes couronnées ^ aussy
bien que luy.
Le frère qui acooni- Lc Biui * dc cc moluc dédia des thèses h Prou,
pagne. '
pourvoyeur du Roy. Bautru luy fit mettre : Dno
Prou : bea.icou]) on Dùo Satîs *, Reois à dapihus. »
assez. "^ ^
1 M. de Montbazon estoit fort grand et puissant.
2 A la province, je ne sçay quel juge de bicoque l'importunoit trop
souvent. Un jour que cet homme vint le demander, il dit à son valet :
« Dis-luy que je suis au lict. — Monsieur, il dit qu'il attendra que
» vous soyez levé. — Dis-luy que je me trouve mal. — Il dit qu'il vous
» enseignera quoique rocepte. — Dis-luy que je suis à l'extrémité. —
» Il dit qu'il vous veut donc dire adieu. — Dis-luy qu(! je suis mort. —
» Il dit qu'il vous veut donner do l'eau bénite. » EnJin il le fallut faire
entrer.
î De quatre Cordelliers. — {Variante.) Il disoit d'un Cordellier ap-
pelle le Père Pradines qu'il estoit de meilleure maison que le Grand-
duc ; qu'il venoit de six testes couronnées, de Cordelliers de père en
filz. On avoit donné à ce père un brevet de confesseur des Enfans de
France jusqu'à l'âge de sept ans; et on ne se confesse qu'à cet age-là.
M. Di; BAUTRU. »H9
L'arclievesque de Paris * avoit lait faire une
chapelle qu'il avoit dédiée à je ne sçay quelle
sainte. « Je ne croyois pas, » dit Bautru, « qu'elle
» dust estre dédiée à autre qu'à sainte René *. »
Le cardinal de Richelieu en faisoit cas, et disoit
qu'il aimoit mieux la conscience d'un Bautru que
de deux cardinaux de Berulle. Il l'envoya en Espa-
gne ' ; et le Comte-duc luy monstrant son gallinero *,
il luy dit que le Roy, son maistre , luy envoyeroit
dellos gallos. L'autre se plaignit qu'on luy envoyoit
des bouffons ^.
Il disoit d'un certain Minime qu'on vouloit faire
passer pour beat , que le seul miracle qu'il avoit
' Eu qualité d'Envoyé seulement.
2 Ce fut par son conseil qu'il * ne fit point imprimer cette harangue
qu'il prononça au Parlement, et qui avoit fait tant de bruit. Pour
l'en destourner, il luy dit ce passage d'Horace, de Arte poetica :
Segniits irritant animos demissa per aures
Quàmquœ sunt oculis subjecta ftdelibus.
Depuis, cette pièce a esté imprimée durant la Fronde, et a fait voir
que Bautru avoit eu bon nez.
Ce fut luy aussy qui mit bien le comte de Charrost avec le Cardi-
nal. Ce ministre estoit allé se promener à l'abbaye de Royaumont;
Bautru l'y fut trouver : « Avec qui estes-vous venu ? » luy dit le Car-
dinal. « Avec Charrost. — Eh !de quoy vous estes-vous avisé d'amener
» ce fastidieux personnage? — Ah! Monseigneur, si vous sçaviez com-
» bien il a de zèle et de tendresse pour Votre Emincnce, vous n'en
» parleriez pas ainsy. On n'a jamais tant aimé une maistresse qu'il
» vous aime. » Depuis cela, le Cardinal eut de l'estime pour Charrost.
Comme il passoit un enterrement où on portoit un crucifix , il osta
son chapeau : « Ah ! » luy dit-on, (( voylà qui est de bon exemple. —
» Nous nous saluons, » respondit-il, » mais nous ne nous parlons pas. »
Variante. Il osta une fois son chapeau en passant devant une croix.
Quelqu'un luy dit : « Ah ! ah ! vous estes donc mieux avec le bon
» Dieu qu'on ne pense".' — Nous nous saluons,» respondit-il, «mais
» nous ne nous parlons pas. »
■ François
Gondi.
InvoqiK't' contre les
maladies galantes.
Poulailler.
Le Cardinal,
320 LES IIISTOUIETTKS.
fait, c'estoit que, ne mangeant que du poisson, il
sentoit Tespaule de mouton en diable.
i>eui-«ie jeu «le II disoit oue Rome estoit une chimère* aposto-
inots, sur mère.
lique ; et à une promotion de Cardinaux que fit le
Pape Urbain , où il n'y avoit guères de gens de
qualité (je pense qu'ils estoient dix en tout) , Bautru
en lisant leurs noms , disoit : « N'en voylà que
» neuf. » — « Eh ! vous oubliez Fachinetti , » dit
quelqu'un. — «Excusez, » respondit-il, «je pensois
» que ce fust le tiltre '. »
Quelquefois il rencontroit assez froidement, et
cela arrive à tous ceux qui font mestier de dire de
bons mots '. La première fois que Boisrobert fit un
acte de ces pièces de Cinq-Auteurs que le cardinal
de Richelieu faisoit faire, Bautru dit : « Boisrobert
» est un bon homme, mais il a pourtant fait un mes-
» chant acte. »
historiette, tom. ii. Ilmoustra un crucifix à Lopez*, à la Messe, et luv
p. 187.
dit : « Voylà de vos œuvres ! — Hé, » respondit Lo-
pez, « c'est bon à ces messieurs à s'en plaindre ;
'■" Poiio"- 1 Une fois qu'il y avoit icy des députez du Mirebalais* qui vouloient
parler au cardinal de Richelieu, Bautru, qui cherchoit il le divertir,
demanda à celuy qui portoit la parole : (c Monsieur, sans vous inter-
» rompre, combien valoicnt les asnes en vostre pays quand vous par-
» listes ? » Ce député luy respondit : « Ceux de vostre taille et de vostre
» poil valoient dix cscus. » Bautru demeura desferré des quatre piez.
W rencontra mieux sur ses chevaux. H vouloit renvoyer quelqu'un en
carrosse, qui, par cérémonie, luy disoit que ses chevaux auroient trop
de peine, « Si Dieu, » respondit-il, « eust fait mes clievaux pour se
>i reposer, il les auroit fait chanoines de la Sainte-Chapelle. »
2 On jouoit fort chez luy. Il disoit d'un grand joueur, nommé
Mitton, que c'estoit dommage qu'il ne s'appellast pas Marc; qu'on
diroit Marmfltnii.
M. DK 15 A UT RU. 32i
» mais pour vous, de quoy vous avisez-vous? »
Il sçait, et a fait autrefois des vers, mais il y a
plus d'esprit que de génie, et l'elocution n'est nulle-
ment chastiée. Plusieurs fois il a donné à disner à
Saulmaise, à Desmarestz, à Quillet et à d'autres
gens de lettres '.
Il disoit du feu roy d'Angleterre : « C'est un veau
» qu'on meine de marché en marché ; enfin on le
» meinera à la boucherie ". »
Ménage, dans ses Origines., sur le mot de bou-
gi^e, a mis ainsy : bougre, je suis de l'avis, etc.
« Ah ! )) luy dit Bautru, « vous en estes donc aussy,
» et vous l'imprimez ! tenez : il y a , bien moulé :
» Bougre je suis. » Cela me fait souvenir que Ru-
vigny, l'hyver passé, trouva le pauvre Eautru, qui
est tout perdu de goutte, dans sa chaise, auprès
d'un si grand feu qu'il se brusloit, et avoit beau
crier, ses gens, après avoir mis bien du cotret, s'en
estoient enallez, et ne l'entendoient en aucune sorte.
1 La meilleure chose qu'il ayt faitte, c'est un impromptu pour res-
ponse à un que luy avoit envoyé M. le Clerc, intendant des Finances,
qui estoit de Montreuil-Belay. Or l'on dit en proverbe : Les clercs de
MontreuU-Betay qui boivent mieux qu'ils ne sçavent escrire. Voicy ce
que c'est :
Une autre fois prenez plus de delay,
Vostre impromptu n'a pas le mot pour rire.
Vous estes clerc, et de Montreuil-Belay,
Qui beuvez mieux que ne sçavez escrire.
2 Quand nos plénipotentiaires à Monster eurent pris la qualité de
Comte : « Ah ! » dit-il, « je me doutois bien que cette assemblée-là
-> nous feroit des contes borgnes ; » à cause de M. Servien qui n'avoit
qu'un œil.
n. 21
522 LES HISTORIETTES.
Le petit bougre estoit là puny d'un supplice con-
digne '.
On a -remarqué de toute la race des Bautrus
(qu'elle) est naturellement bouffonne. Nogent, son
frère, en a fait profession -. Gherelles, la Roullerie et
le prieur des Matra s, trois frères Bautrus, cousins-
germains de celuy dont nous venons de parler, ont
esté tous trois fort plaisans en leur espèce. Le pre-
mier estoit d'espée ; il avoit de l'esprit et faisoit des
vers : c'estoit un vaillant homme. Il disoit qu'il
perdoit tousjours quand il jouoit, et gagnoit quand
il f — . La Roullerie estoit à l'artillerie, et comman-
doit un vaisseau : il fit tout ce qu'on pouvoit faire
aux isles de Sainte-Marguerite. 11 prenoit du tabac
sur un affust de canon tout à descouvert. Il ne s'ac-
commodoit point bien de l'archevesque de Bordeaux,
et luy disoit : « Sur ma foy ! je ne vous veux plus
» suivre qu'à la procession. »
Pour le prieur des Matras, une fois qu'il suoit
la V — dans un grenier, un de ses amys le cher-
chant cria : aJdam! » c'estoit son nom, « Adam!
» uhi es? — Domine, » respondit-il, « mulier quam
» mihi dedisti fefellit me "'. »
1 Vieux style de quelqu'un de nos anciens poètes.
2 II (Bautru) disoit que Nogent son frère estoit le Plutarque des
laquais. Les laquais admiroient ses sentences.
î C'estoit un ivroigne fieffé, et quelquefois un assez meschant plai-
sant. Un jour que son valet, sous son manteau, portoit un grand broc
de vin, il lesuivoitcn pleurant. Quelqu'un luy dit: «Qu'avez-vous? —
C'est le meilleur de mes amys qu'on porte en terre. » C'est que le
On appelle pots de broc estoit de grais. *
îorte àeterrtglàî^e. Un jour il rcspondit assez plaisamment à Cuprif, rarcliidiacre d'An-
M. DE B.VLTRU. S'23
gers, qui luy vouloit faire des réprimandes dans le Chapitre, car il
estoit clianoinc: « Il est vray, » luy dit-il, «que vous estes d'une famille
» où il y a de beaux exemples à imiter, car vous avez un confesseur à
» la Haye, une vierge dans la Cité, et un crochet en Grève. » Un Cuprif
s'estoit fait ministre en Hollande, une fille avoit esté desbauchéc, et
un capitaine, pour avoir volé sur les grands chemins, avoit esté
roué à Paris.
COMMENTAIRE.
I. — P. 314, lig. 3.
// cspousn la fille d'un maistrc des Comptes nommé Gastines.
Marthe le Bigot de Gastines, Le Menagiana dit qu'elle se fit toujours
appeler M""* de Nogent, disant qu'elle ne vouloit pas être appelée
M"* Bautrou , par la Reine Marie de Medicis , qui prononçoit mal le
françois, comme l'a plus haut remarqué des Réaux.
Le valet ainsi maltraité par Bautru n'en seroit pas mort, si l'on s'en
rapporte au Menagiana, autorité assez peu solide en général. R en
auroit été quitte pour les galères, parce qu'il auroit exposé aux Juges le
commencement de justice que Bautru s'etoit faite. {Menagiana, i,
p. 267.)
II. — P. 315, lig. 2.
Il l'a reconnu depuis (le fils dont elle accoucha), mais longtemps
après.
« Quoiqu'ils demeurassent ensemble, où demeure présentement M. de
» Seignelay, néanmoins ni l'un ni l'autre ne se reconnoissoient pour
» père ou pour fils. » {Menagiana, i, p. 207.)
La maison de Bautru etoit la seconde de la rue IVeuve-des-Petits-
Champs, près des Petits-Pères. Elle a été gravée par J. Marot. Colbert
l'acheta avec la première, bâtie pour Jean Vanel, financier. Ce fut
après sa mort Yhôtel Seignelay.
Il y a dans le roman des Mémoires de M. de B., secrétaire de
M. l. C. d. R., 1711, p. 518, un passage assez curieux sur cette maison.
Sandras des Courtils, l'auteur de ces faux Mémoires, nous transporte
à l'année 1G35 ou 1636 :
(I M. de BuUion estoit à table aveî; plusieurs de ses amis, et entre
» autres avec Bautru, lorsque j'arrivay chez luy. Bautru faisoit alors
» bastir une belle maison, qui est aujourd'huy Yhôtel Colbert. Ce quar-
324 LES HISTORIETTES.
» tier, qui n'estoit point bâti auparavant, s'embellissoit.tous les jours.
» M. d'Esmery, qui a été surintendant des finances, y avoit fait élever
» un superbe édifice, qui est encore regardé aujourd'huy comme un
» des plus beaux morceaux qu'il y ait dans Paris. La maison de M. de
» Bullion n'en approchoit pas, quoiqu'elle ne vinst qued'estre bastie. Or
» M. de Bullion ayant demandé à Bautru combien luy coûteroit la
» sienne : Bautru luy ayant répondu qu'elle luy coûteroit deux cent
» mille francs : Et le pavé ? repartit M. de Bullion , le comptez-vous ?
» (car en ce temps-là , quoiqu'il n'y ait pas encore bien longtemps , ce
» quartier estoit comme un désert). Il y avoit bien à dire que les
» maisons fussent l'une sur l'autre comme elles sont présentement ; il
» falloit donc que ceux qui faisoient bastir fissent paver devant eux, à
» moins que d'avoir de la boue jusqu'à mi-jambes. Il n'y avoit encore
» que M. de Bullion qui l'cust fait devant sa maison. M. d'Esmery ni
n M. de Laurillière » (il falloit la Vrilliere), « son gendre, qui avoit fait
» bastir une maison auprès de celle de son beau-père » (aujourd'hui la
Banque de France), « n'avoient pas encore fait paver devant eux, mais
» se disposoient à le faire. Or, Bautru dit alors à M. de Bullion : Tu
» pavisti, illi pavebunt, ego autem non pavebo. — Et tu pavebis etiatn,
» luy répondit M. de Bullion. — Il faudra voir, répliqua Bautru, qui
» dira vray de vous ou de moy. — Ce sera moy, respondit M. de Bullion ;
» envoyez-moy seulement demain la Moriniere. Ce la Moriniere estoit
» l'homme de confiance de Bautru, et Bautru luy ayant envoyé, M. de
» Bullion luy donna deux mille escus pour son maistre, à condition de
» faire paver devant sa maison. »
III. — P. 315, lig. 8.
// a le malheur d'avoir un sot filz.
Le Mcnagiana semble plus favorable à M. de Serrant, fils de Bautru :
« Quand on voulut vendre la maison du père, il se trouva que la cha^
» pelle estoit en désordre et en ruines. Il ne faut pas s'en estonner, dit
» M. de Serrant, M. de Bautru se soucioit aussi peu de sa chapelle,
» qu'il avoit soin de sa cuisine et de sa bibliothèque. » {Menag., i,
p. 269.)
Le mot de Bautru à M. de Guise est la contrefaçon de celui du
paysan Gaillard à Henry IV. (Tom. I, p. 12.)
IV. — P. 31G, lig. 5.
Vous avez raison; c'est ce que' je voulais dire.
Bon mot renouvelé bien souvent, et de nos jours par un plaisant
nommé M. Perpignan, auteur de certains quarts de vaudevilles; car
M. DE BAUTRU. 325
nous avons des quarts de Vaudevillistes comme des quarts d'Agens de
change. Après la première représentation d'une tragédie de feu Delrieu,
que l'on venoit de recevoir fort mal, il rencontre le triste auteur : <( Eh
» bien ! Monsieur, vous êtes tombé ; nous voilà confrères. — Vous êtes
» un sot. Monsieur ! — C'est ce que je voulois dire. »
D'autres bons mots, dont dcsRéaux constate ici la date ancienne, ont
été repris de même ; comme le bâton, marque du martyre ; — les fils de
têtes couronnées, et le « Nous nous saluons, » dont Piron se faisoit lion-
neur avant d'être dévot.
— Faire Gilles, c'est décamper à l'improviste et pour éviter quelque
mauvaise affaire, comme il etoit arrivé au duc d'Epernon, quand il
quitta la ville de Metz dont il etoit gouverneur, par crainte du sou-
lèvement deshabitans. Scarron, dans \aGiganto)nacliie, chant iv :
Jupin leur fit prendre le saut
ht contraiî^nlt de taire Gille
Le grand Tiphon, jusqu'en Sicile.
— Antonio Pérès, dont M, Mignet a si bien retracé la vie roma-
nesque, mourut à Paris en 1611 et fut enterré aux Célestins de Paris,
église fermée depuis 1791 , mais abattue seulement depuis quelques
années. Jean Mégret a donné l'epitaphe de Pérès :
« Hic jacet illustrissimus Joannes Antoninus Perez, olim Philippo II
» Hispaniarum Régi à secretioribus consiliis ; cujus odium mali auspi-
)) catura effugiens, ad Henricum IV Galliarum Regem invictissimum se
» contulit, ejusque beneficentiam expertus, demùm Parisiis diem ex-
» tremam clausit, anno 1611. »
V. — P. 317, note 3, lig. 7.
Batitru dit que les porteurs de Saint-Pavin sont des porte-diable.
Saint-Pavin, le célèbre athée, le célèbre poète, mourut, comme ses
amis Boisrobert et des Barreaux, dans les bras d'un prêtre et avec de
grands sentimens de repentir, en avril 1670: «Le curé de Saint-Nico-
» las, » écrit Guy Patin, le 11 avril, » n'a pas voulu luy donner l'abso-
» lution qu'il n'eust auparavant jeté dans le feu son testament, à cause
» de la vie scandaleuse qu'il avoit menée, et qu'il n'eust fait des legs
» pieux du bien qui luy restoit. »
On conserve dans quelques cabinets, du moins je possède un ma-
nuscrit des Poésies de Saint-Pavin ; la plupart sont inédites et mérite-
roient de cesser de l'être. J'en donnerai plusieurs pièces dans le cours
de ces commentaires et quand l'occasion s'en présentera.
326 LES HISTORIETTES.
VI. — P. 317, lig. 16.
Le bonhomme (M. de Montbazon) avait sceû que /'Onosandre esloil une
pièce contre luy.
Cette pièce, réellement assez mauvaise, parut d'abord en sept pages
in-S", et fut ensuite insérée dans le Cabinet satyrique. Une des premières
éditions de ce Recueil y donne à peu près les initiales du héros, M. D. M.
Voici les passages qui peuvent servir à compléter Yllistorietlc de M. de
Montbazon, telle qu'on la lira dans un des volumes suivans :
Je veux quitter l'amasse et l'onde l'cgasine
Pour aller faire un tour jusques à TeiTassine,
Désireux de chanter les buffles fiu col tors.
Ou siffler dans un joug le prince des butors
Onosandre, occupé à ne croire qu'un homme
Qui sçalt parler latin puisse estre gentilhomme;
Mesprisant Apollon et ses célestes dons.
Oui font que les humains ne vivent de chardons.
Exemple de nos ans!
Ceux que l'on devroit voir en nos moulins brayans,
Le bast dessus le dos, courbez sous la farine,
Sont gens de cabinet, niesrae que l'on destine
Pour les premiers honneurs; et quel enragé son
De voir dans un conseil un asne sans raison,
Qui croit que le graud Caire est un homme, et les PUncs,
Des païs esloignez comme les Philippines;
Que l'Evangile fut eserite dans le ciel.
Et de l'un des tuyaux de l'aisle saint Michel !
Et que là tous les saints on cache tout de mesme
Comme on le voit icy dans le temps de caresme;
Qui tient que Mahomet, et les Turcs et les Gots,
Confrères de Calvin, estoient bons Huguenots
Qui croit que paradis est fait couinie une église,
Et que le Bucentore est le duc de Venise
Je l'ay veu maintes fols, d'un ignorant caprice,
Citer monsieur saint Jean au livre de l'Eclipsé;
Il monstre à ses discours n'avoir point de raison,
Et qu'il a le cerveau timbré comme un oyson;
l'uisqu'il croit que Parts, par qui mourut Achille,
Eut tenu sur les fons <lps bourgeois cle la ville; etc.
VII. — P. 320. lig. 8.
Eh ! vous oubliez Fachinclti.
Le pape Urbain IX, elu en septembre 1591, se nommoit lui-même
Jean-Antoine Fachinetto, cardinal de Saint-Martiii-du-Mont. Peut-être
un de ses parens avoit-il été promu à la mèmt! dignité, sous son pon-
tificat.
M. DH BALTRl. o'27
VIII. — P. 322, lig. 3.
logent, son frère, en a fait profession (de bouffonnerie).
Le 3[enagiana prétend qu'il mourut en partie de chagi-in de ce qu'un
jour Langeli, au dinerdu Roi, lui dit : «Couvrons-nous: cela, pour nous,
i> est sans conséquence. » Et ce Langeli ne traitoit pas mieux Bautru,
d'après le même Menagiana, tom. m, p. 53. « Le comte de Nogent,» dit
M"' de Motteville, « estoit un grand flatteur ; il avoit toute sa vie con-
» trefait le plaisant; il affectoit de faire rire, parlant incessamment
» sans qu'on pust l'accuser de dire quelque chose. Il est parvenu par
» ce chemin au bonheur de faire une grande fortune... Il avoit de l'es-
» prit à la mode; il n'estoit pas méchant; je ne luy ai jamais ouy dire
» de mal de qui que ce soit... Il faisoit plaisir suivant sa manière, qui
» estoit de tourner toutes choses en railleries. S'U estoit difficile de l'es-
» timer, il estoit encore plus difficile de le haïr, car il n'en donnoit point
» de sujet véritable. ■» {Menu, i, p. 416.) D'ailleurs, Nogent n'avoit pas
du côté de la bravoure une meilleure réputation que son frère ; témoin
Bussy, dans sa lettre à M'°"= de Sevigné, du 7 octobre 1655.
Quant au prieur de Matras, qui par malheur se nommoit Charles, non
Adam : << Il estoit, » dit Segrais, « des bous amis de Scarron ; et quand
» Scarron s'estoit raillé de luy, il prenoit une épingle qu'il attachoit à
» sa manche, disant que c'estoit pour s'en souvenir, afin de s'en venger, iv
{Mémoires de Segrais, Amsterdam, 1723, p. 107.)
IX. — Fin.
Les Bautru ont produit une origine écossaise: mais, en réalité, leur
généalogie ne remonte pas clairement au delà de Maurice Bautru,
ecuyer, seigneur des Matras, lieutenant de la prévôté d'Angers. Ils
venolent du bourg de Chahaignes, sur la limite du Vendomois et du
Maine : ontrouvoitmêmedansce bourg deux clos de vigne appelés le clos
Bautru et le clos des Matras. Maurice laissa quatre enfans, dont deux,
Guillaumu \" et René, eurent postérité.
Guillaume P"^ eut quatre enfans : 1" Simonne Bautru, mariée à Louis
de Garouis, premier président de la chambre des comptes de Nantes;
2" Guillaume II , comte de Serrant , par l'acquisition qu'il fit de cette
terre en 1636; on vient de lire son Uistorielle; S" Jean, seigneur du
Pesché, tué au siège de Clermont, en Picardie, en 1616; 4° Nicolas
Bautru , comte de Nogent et du Tremblay-le-Vicomte , capitaine des
gardes de la Porte, mort eu septembre 1661. Il avoit épousé Maiio
Coulon , sœur du célèbre frondeur Jean Coulon , conseiller au Piulc-
mcnt, dont la femme aura son Jlislorielie.
328 LES HISTORIETTES.
Le fils de Guillaume II porta comme son père le nom de Guillaume,
comte de Serrant, ut fut chancelier de Monsieur. Il épousa Marie-Ber-
trand de la Bazinière , fille du Trésorier de l'épargne et de Marguerite
de Vertamont. Leurs deux filles furent mariées, l'une à son oncle à la
mode de Bretagne, Nicolas Bautru, marquis de Vaubrun ; l'autre à
Edouard-François Colbert, comte de Maulevrier.
Pour les enfans du comte de Nogent , frère de Guillaume II , ils
furent au nombre de quatre : 1° la fille, Charlotte Bautru, mariée d'a-
bord i\ Nicolas d'Argouges, marquis de Rannes, puis à Jean-Baptiste-
Armand de Rohan , prince de Montauban ; 2" Armand Bautru , comte
de Nogent, capitaine des gardes de la Porte, maréchal de camp, tué en
1672, au passage du Rhin, marié à Charlotte de Caumont , sœur du
célèbre duc de Lauzun ; leur fils Louis-Armand , comte de Nogent,
mort le 7 juin 1736, avoit épousé la fille d'un bâcha, baptisée à Paris
en 1686, sous le nom de Marie-Julie Julistaron; ils ne paroissent avoir
laissé que deux filles, mariées l'une au marquis de Melun, qui vendit
le comté de Nogent au maréchal de Noailles; l'autre à Charles-Armand
dcGontaut, doyen des maréchaux de France; 3° Nicolas, marquis de
Vaubrun, lieutenant-général, gouverneur de Philippeville, tué en 1675
au combat d'Altenheim; marié à sa nièce à la mode de Bretagne, Ma-
rie-Magueritc Bautru; ils n'eurent qu'un fils, l'abbé de Cormery, et
une fille, mariée en 1688 au duc d'Estrées ; 4" Louis Bautru, chevalier
de Nogent, puis marquis de Nangis, gouverneur de Sommieres, marié
à N. Colbert de Turgis, fille d'une M""* de Turgis qui aura son Histo-
riette.
Restent maintenant les enfans de René, seigneur des Matras, fils de
Maurice et oncle de notre Guillaume II. Ils furent au nombre de trois,
et des Réaux les mentionne comme gardant l'esprit de la famille.
C'etoit 1° Charles Bautru, chanoine d'Angers, prieur de Saint-Melaire,
dit le prieur des Matras ; il mourut avant 16 j/i ; 2" Christophe Bautru,
seigneur de la Rouillerie, lieutenant-général de l'artillerie, mort sans
alliance ; 3° Adam Bautru , sieur de Chcrelles , capitaine au régiment
de la marine ; il laissa un fils, Guillaume Bautru, sieur de Cherelles et
de la Rouillerie.
J'ignore s'il existe encore des Bautru. Ils portoient d'azur au che-
vron d'argent, accompagné de deux roses en chef, et d'une tète de loup
en pointe.
XCII.
MAUGARS.
Maugars estoit un joueur de viole, le plus excel-
lent mais le plus fou qui ayt jamais esté. Il estoit
au cardinal de Richelieu : Roisrobert, pour diver-
tir TEminentissime, luy faisoit tousjours quelque ma-
lice. Un jour il luy fit donner avis que le prieuré de
Cranestroit vaquoit dans l'evesché de Vannes : Mau-
gars le demande ; le Cardinal, pour rire, luy en fait
expédier les provisions. Gela luy donna une haine
mortelle contre Boisrobert. Un jour qu'il alloit dans
sa chambre pour jouer devant un homme du mes-
tier, nommé M. Imbert, et pour un gentilhomme ap-
pelle Saint-Yal, le chevalier dePuygarrault et Bois-
robert le suivirent tout doucement : dez qu'il les
vit: « A une autre fois, » dit-il, « M. Imbert, voylà
» des visages qui me desplaisent. » Et en disant cela ,
il met sa viole contre la muraille. Puygarrault, cjui
avoit un pistollet de poche qu'il avoit apporté tout
exprès, prend un petit morceau de papier, le mouille
et l'applique sur le ventre de la viole. « Hé, dit-il,
)' je m'en vais voir si je tire si mal qu'on dit. »
Maugars se met au-devant : « Quoy! à l'instrument
330 LES IIISTOUlliTTES.
» qui divertit le plus grand homme du monde ! » Puy-
garrault laisse la viole et vise au menestrier ; Mau-
gars se sauve derrière un lict ; Puygarrault retourne
à la viole : Maugars sort ; dez qu'il paroissoit , le
Chevalier le miroit. Enfin, il fut contraint de jouer.
Saint-Val luy conseilla d'appeller Puygarrault en
duel : « Ouy dea, » dit-il, « je me battrois; je me
» sens du cœur, je ne me soucierois pas de mourir.
» Mais si quelqu'un de ces doits estoient coupez ,
» ce pauvre homme (il entendoit le Cardinal) ne
» pourroit plus vivre. 11 se faut conserver pour luy. »
Cependant Saint-Val le harangua tant, en luy pro-
mettant d'avoir l'adresse d'oster le plomb des pis-
tollels du Chevalier, et que c'estoit le moyen d'ac-
quérir de la réputation à bon marché , qu'il s'y
Mots ajoutes plus rcsolut. Puygarrault luy lascha (sur le visage *) ses
deux pistollcts (qui estoient) chargez de la plus fine.
Le Cardinal le donna h Bautru pour le mener
avec luy en Espagne. Bautru s'en repentit dez Li-
de''i'à?is^*ver"*'or- Ji^is *. Lc Roy voulut l'enteudre par une jalousie :
'^^°^ ce fou dit qu'il ne joucroit point s'il ne voyoit le
Roy , et que le Roy de France , qui estoit le plus
grand roy du monde, ne l'avoit point traitté ainsy.
Bautru conseilla au roy d'Espagne de faire ha-
biller quelqu'un en Roy, et d'en avoir le plaisir :
on fait donc venir un faquin avec des hallebar-
diers, et on luy avoit ordonné de ne dire autre
chose que : muy bien. Maugars se tuoit de jouer,
et le roy de comédie disoit à tout bout de chamj) :
Muy bien ^ avec une gravité admirable.
MAUGAUS. 531
Boissy , un gentilhomme que Bautru avoit laissé
en Espagne , estant de retour , Boisrobert et luy
s'avisèrent de faire une meschanceté au pauvre
Maugars. Ce gentilhomme dit à M. le Cardinal:
« Il y a un présent pour Maugars, c'est un gros
» diamant*. — Il faut le luy donner, » dit le Car-
dinal. — « Monseigneur, » respondit Boissy, «j'en
» dois avoir ma part. — Non, vous ne l'aurez point, »
dit Son Eminence. — « Hé ! monseigneur, » dit alors
Maugars, « ne souffrez pas qu'on m'oste le prix de
» mes veilles. — Mais, » reprit l'autre, « j'ay donné
» six pistolles à celuy qui me le mit entre les mains
» de la part du Roy. » Il fut ordonné que Mau-^
gars rendroit les six pistolles ; il en donna trois :
il n' avoit que cela sur luy. Lopez , espérant faire
quelque bonne affaire, donna les autres. Boissy, le
soir, luy donna le diamant. Le lendemain, dez la
pointe du jour, voylà Maugars chez un orfèvre qui
luy en voulut donner quatre livres dix sous. Ce
n'estoit qu'un diamant d'Alençon. Quand il revint,
tous les marmitons de la cuisine le recourent avec
un charivary, en luy chantant :
Et tant de diamans,
Et tant de diamans ^,
Le procez ayant esté fait à Saint-Germain*, on Mathieu rte Morgues,
conseilla à M. le Cardinal de donner deux petits
prieurez qu' avoit cet homme à quelques-uns des
■^ Il eust bien valu deux milles escus s'il cust esté bon.
2 II y avoit un refrain de chanson qui disoit quelque chose d'appro-
chant. On se servit de l'air.
332 LES HISTORIETTES.
principaux de sa musique. On donna à choisir à
Maugars ; il prit celuy qui valoit le moins * ; on
luy en demanda la raison : « C'est , » dit-il , « que
» ce prieuré s'appelle Saint-Julien , et on ne man-
» queroit jamais de m'appeller Saint-Julien le me-
» nestrier. » Quand il eut ce bénéfice, il demanda
à prescher devant le domestique ; le Cardinal le luy
permit : il prescha une heure durant contre les mé-
decins et les poètes, à cause deSitois, médecin
du Cardinal et de Boisrobert. 11 haïssoit encore plus
Rhodez. l'abbé deBeaumont, aujourd'huy M. de Rodais,*
alors maistre-de-chambre du Cardinal , et disoit :
« M. de Beaumont ne m'aime pas, parce qu'il sçait
» bien que je ne le puis aimer, depuis qu'il me
» fessa si rudement , lorsqu'il estoit cuistre au col-
» lege". »
' Il valoit cinq cens livres de rente moins que l'autre.
Maugars. ^ Beaumont est gentilhomme. — Il * avoit esté en Angleterre, où un
nommé Sivette, filz d'un Iiostelier de Lyon, et qui estoit de la musique
du Roy aussy bien que luy, le fit battre. Maugars, qui estoit vindicatif,
trouva moyen de couler dans le couvert du Roy un billet en ces
termes : « Je donne avis à Votre Majesté qu'un nommé Sivette a at-
» tenté à sa personne sacrée; c'est un secret revellé en confession,
» je n'en puis pas dire davantage. » Le pauvre Sivette fut près de deux
ans pour cela dans la Tour de Londres, et on ne l'eust point sceù si
Maugars ne s'en fust vanté. Cela fit dire au commandeur de Jars que
Maugars estoit un fou scélérat.
Estant en ce pays-là, il traduisit en françois je ne sçay quel traitté
anglois de Bacon. Un jour il tcnoit une lettre dans la chambre du
Cardinal, afin qu'il luy demandast ce que c'estoit. « Que tenez-vous
» là, monsieur Maugars? — Monseigneur,» dit-il en la serrant, «cen'est
» rien. — Monstrez, monstrez. — Monseigneur, ma modestie ne sçau-
11 roit souffrir que je vous fasse entendre les louanges excessives que
» donnent à une meschante traduction que j'ay faitte mon cousin
» Ogier le Danois et mon cousin de Richelieu. — Ah! monsieur Mau-
MAUGARS. 333
Un jour M. le Cardinal luy ayant ordonné de
jouer avec les voix en un lieu où estoit le Roy ,
le Roy envoya dire que la viole emportoit les
voix. « Maugré bien de l'ignorant! » dit Maugars ,
« je ne joueray jamais devant luy. » De Niere , qui
le sceût, en fit bien rire le Roy. Le Cardinal n'en
rit et n'y prit nullement plaisir. L'abbé de Reau-
mont s'en prévalut pour faire chasser IMaugars. Le
Cardinal, en le payant, luy dit : « Dittes de moy tout
» ce que vous voudrez, je ne m'en soucie point ;
» mais si vous parlez du Roy, je vous feray mourir
» sous le cotret. »
Je l'ay veû depuis à Rome. A la naissance de
Monsieur le Dauphin *, il joua devant le pape ' et ^°"'^ xiv.ed im.
disoit que Sa Sainteté s'estonnoit qu'un homme
comme luy pust estre mal avec quelqu'un. 11 vint
dire sottement, en présence de la mareschale d'Es-
trées^, qu'il avoit veû, à Notre-Dame du Puy en
Auvergne, la plus belle relique du monde, le sacré
saint prépuce de Nostre-Seigneur. Feu mademoiselle
» gars, » dit le Cardinal, « je ne pensois pas avoir l'honneur de vous
» appartenir. — Monseigneur, c'est un advocat au Parlement, homme
» illustre, et qui ne deshonore point ce nom-là. — Lisez donc! » Il se
met à lire des louanges par-dessus les maisons. Le Cardinal se douta
que cela n'y estoit point, puis il le voyoit hésiter. U fit signe à Bois-
robert ; Boisrobert luy oste la lettre et la porte au Cardinal. Il n'y
avoit rien sinon : « J'ay receû la traduction de vostre cousin Maugars,
» je la liray quand j'en auray le loisir. — Ali ! ahl monsieur Maugars, »
dit le Cardinal, « vous jouez de ces tours-là? — Monseigneur, s'il ne
» l'a dit, il le devoit dire. » Cette fichue traduction l'avoit pourtant
fait secrétaire-interprète de la langue angloise.
* Urbain VIII.
* Ambassadrice à Rome.
334 LES HISTORIETTES.
ThSéï''nVortrA ^^ Themines * sa fille qui y estoit, dit : « Qu'est-ce
"""^' » que le saint prépuce, Madame? — Taisez-vous,
» ma fille , » respondit la mère , « vous estes une
» sotte. »
Maugars ne voulut jamais jouer, à la prière du
mareschal d'Estrées, devant un signor Horatio qui
jouoit fort bien de la harpe, et qui estoit à madame
de Savoye. Cela fascha le Mareschal, et il luy al-
loit faire donner des coups de baston, si Quillct
ne luy eust représenté que le Cardinal ne trouve-
roit pcut-estre pas trop bon qu'on traittast ainsy
une personne qui avoit esté à luy. Le Mareschal,
à cette remonstrance , devint aussy froid qu'un
marbre.
Maugars revint en France , et mourut quelques
années après. A l'article de la mort , il envoya de-
mander pardon à Boisrobert.
COMMENTAIRE.
I. — p. 329, lig. 1.
Maugars estoit un joueur de viole...
Il avoit obtenu, sans doute de la dépouille de l'abbé de Saint-Ger-
main, le prieuré de Saint-Pierre de Nice ; il fut de plus interprète du
Roi pour la langue anglaise. On a de lui, outre sa « ficliue » traduction
du livre de Bacon : Le progrès et avancement aux sciences divines et
humaines, Paris, 162/1 ; des Considérations politiques pour entreprendre
la guerre contre l'Espagne, 163/i; un Discours sur la musique d'Italie et
des opéras, imprimé dans le Recueil de divers traités d'histoire, de mo-
rale et d'éloquence, Paris, 1672, petit in-12. L'auteur y parle de son
admirable viole et du talent de celui qui s'en servoit. Il ajoute qu'étant
à Rome, elle ne sortoit de chez lui que pour aller chez des Eminences.
Cela suffiroit pour nous prouver que des Réaux n'a pas chargé le por-
trait du personnage.
MAUGARS. 335
II. — P. 332, lig, 9.
Silois, médecin du Cardinal.
Et mieux : Citois (voyez Vllistorictle de Richelieu). François Citois,
originaire de Poitiers, a fait des vers; on en trouve qu'il adressa au sieur
Contant, apothicaire de cette ville, et que celui-ci ne manqua pas d'in-
sérer dans le Jardin du Cabinet poétique de Paul Contant, 1G28 , in-fol.
On reverra encore Citois dans V Historiette de Boisrohert.
III. — P. 332, note 2, lig. 9.
Cela fit dire au commandeur de Jars.
François de Rochechouart-Jars, dit le chevalier |)uis le commandeur
de Jars, fut un des adversaires les plus hardis du cardinal de Richelieu.
Banni en 1624 et relégué en Angleterre, où il gagna l'affection de la
Reine Henriette de France, il rentra ; puis conduit en 1G35 à la Bas-
tille, il fut jugé par une de ces commissions qui ont deshonoré Riche-
lieu, et qui condamntjrent le Commandeur à perdre la tête. Sur le
point d'être exécuté , rien ne fut capable d'abattre sa constance. La
peine fut commuée en prison ; enfin, en 1638, à la prière de la Reine
d'Angleterre, il sortit de la Bastille. Mais bientôt obligé de quitter de
nouveau la France, il n'y revint qu'après la mort du Roi. M""" de Motte-
ville a fort bien raconté son aventure (édition de 1728, tom. i", p. 56).
Durant la Fronde, il resta dans le parti de Mazarin, aussi les autres lui
adressèrent-ils ce triolet :
Monsieur le commandeur de Jars,
Vous plaisantez ù toute outrance,
Vous estes confit en brocars,
Monsieur le commandeur de .lars;
Mais vous discourez comme un jars.
Qu'on appelle un oyson, en France;
Monsieur le commandeur de Jars,
Vous plaisantez à toute outrance.
Il mourut en avril 1670, âgé de soixante-seize ans. Il avoit fait bâtir,
à l'angle des rues de Richelieu et Neuve-des-Petits-Champs, un fort bel
hôtel qui rivalisoit avec le palais Mazarin, en face duquel il se trouvoit.
On remarquoit surtout la porte et le grand escalier, dont Sauvai a fait
une magnifique description (tom. ii, p. 206), l'élévation des appartemens
et les deux cabinets du jardin. Après la mort du Commandeur, il fut
habité jusqu'enl706 par le cardinal du Coislin, qui le transmit à l'evêque
de Metz, son neveu. Il fut vendu à François Olivier, comte de Senozan,
ancien banquier de Lyon, qui en renouvela l'intérieur. C'etoit en 1787
3â6 LES HISTORIETTES.
l'hôtel du garde des sceaux. Hue de Miromesnil. On l'a détruit peu de
temps après.
IV. — P. 333, lig. 5.
De Niere, qui te sceùt, en fit bien rire te Roy.
Pierre de Niere, valet de chambre de Louis XIII et de Louis XIV,
déjà cité dans rJïî5/one»e de Louis XIII, dirigea longtemps les concerts
de ces deux rois. La Fontaine lui adressa l'epître qui commence ainsi :
De Nier, qui pour charmer le plus juste des Roys,
Inventa le bel art de conduire les voix
— Dans le Discours sur ta musique d'Italie, Maugars a parlé de cet
Horatio, devant lequel il n'avoit pas voulu jouer : « Celuy qui tient le
» premier rang pour la harpe est ce renommé Horatio, qui, s'estant
» rencontré dans un temps favorable à l'harmonie, et ayant trouvé le
» cardinal de Montalte sensible à ses accords, s'est tiré hors de pas. >»
(P. 163.)
L'organiste Daquin, dans une de ses Lettres sur tes hommes cétèbres
sous le règne de Louis XV, 1753 et 1754, cite Horatio, de Parme, parmi
les plus fameux joueurs de viole. Il se trompe apparemment. «Ce musi-
» cien, » ajoute-t-il, « nous a laissé de fort bonnes pièces dont on a pro-
» fité, et que quelques auteurs un peu plagiaires ont données comme
» leurs propres productions, en les mettant sur d'autres instrumens. »
(Lettre vi, p. 142.) Il y a grande apparence que les plagiaires avoient
laissé ces morceaux d'Horatio à la harpe pour laquelle ils avoient été
faits.
XCÎII.
L'ARCHEVESQUE DE BORDEAUX.
{Uenry d'Escoubleau de Sourdis, né en 1594, mort à Auteuil, 18 juin
1645.)
M"'= de Sourdis, sa mère, luy dit, à l'article de
la mort, qu'il estoit filz du chancellier de Chiverny ;
qu'elle luy avoit fait donner l'evesché de Maillezais
et plusieurs autres bénéfices, et qu'elle le prioit de
se contenter d'un diamant, sans rien demander du
bien de feu son mary. Il luy répliqua : « Ma mère,
)) je n'avois jamais voulu croire que vous ne valiez
» rien; mais je voy bien qu'il est vray. » Il ne
laissa pas d'avoir ses cinquante mille escus de légi-
time comme les autres, car il gaigna son procez.
C estoit un homme qui avoit beaucoup d'esprit, qui
avoit l'air agréable, qui disoit bien les choses, qui
estoit brave, mais qui n'entendoit point trop la
guerre; adroit, et qui gaignoit le cœur des gens
quand il l' avoit entrepris.
Il eut l'intendance de la maison du Cardinal ,
où il mit, après, le marquis de Sourdis * à sa place.
Pour s'accommoder à l'humeur avare du Cardinal,
il retrancha quelques pintes de vin, trois ris de
II. 22
338 LES HISTORIETTES.
'^"^"'"«desix *'""' veau; et au lieu de chandelles des six*, il en fai-
soit donner des douze aux gentilshommes. Il or-
Lfl saue des officiers (Jonna six plcces de bois' pour la garde-robe*, où
et domestiques. ^ r a ^
il s'en brusloit plus d'une voye par jour. On les
Auparavant. mottoit * toutcs slx à la fois, puis il falloit en aller
quérir d'autres.
Il vouloit desbusquer M. de Noyers , et à toute
heure il faisoit des tours au tiers et au quart; il
sembloit qu'il vouloit tout faire luy seul. Loynes,
trésorier de la Marine, fut envoyé avec luy à
Brouage, pour faire quelques marchez de fortifica-
tions. Par prudence , cet homme qui le connois-
soit bien luy faisoit tout signer. Au retour, l'ar-
chevesque de Bordeaux (car il eut l' arche vesché du
cardinal de Sourdis, son frère) ^, pour faire le bon
valet, ne manqua pas de dire que Loynes s'estoit
entendu avec les entrepreneurs. Loynes, pour sa
justification , apporte tous les marchez signez de
l'Archevesque ^
Depuis, quand Monsieur le Grand devint suspect
* Que busches, q\xe fagots, que cotrets.
2 Le cardinal de Sourdis qui estoit l'aisné de tous, fut d'église à
cause qu'il estoit menacé d'epllepsie. Il le portoit haut, mais il regloit
fort bien son diocèse, et estoit homme de bien. L'archevesque de Bor-
deaux fut son coadjuteur.
Décembre 1636. ' Ce fut en ce temps-là* que le mareschal de Vitry, qui estoit gou-
verneur de Provence, dans un demeslé, donna brutalement un coup
de canne à l'archevesque de Bordeaux, et pour cela fut mis à la Bas-
tille, où il demeura long-temps. Cet archevesque se pouvoit vanter
d'estre le prélat du monde qui avoit esté le plus battu; car M. d'Es-
r.n 1633. pernon l'avoit desjà frappé fi Bordeaux*. Il faut voir la vie do ce duc,
où cela est tout du long.
l'arciievesque dk hordk.vlx. 339
au cardinal de Richelieu, l' Eminentissime s'apper-
ceût que l'Archevesque regardoit ce jeune homme
comme un soleil levant. Voicy comme il s'en douta :
Un jour qu'il a voit dit à l'Archevesque : « Allons à
» la Comédie, » l'Archevesque a voit donné un tour
de pillier , et avoit dit à quelqu'un qu'il se trouvoit
mal. Le Cardinal, le lendemain, envoyé sçavoir
comment il se portoit. L'autre respond qu'il avoit
travaillé toute la nuict chez Picard * avec Loynes. sorre"' ".ir'ia" mar'né
Le jour mesme, le Cardinal sceût que cela estoit
faux \ « Ah ! c'est un brouillon, » dit-il ; « allez, M. de
» Loynes, allez luy dire que je veux qu'il parte pour
») l'armée navalle dans trois jours. » L'Archevesque
voulut s'excuser, mais il fallut partir.
Loynes m'a dit que M. de BuUion, qui haïssoit
l'Archevesque , disoit à quelqu'un , pensant que
Loynes ne l'entendoit pas : « Il faut chasser ce
» bougre-là. Un tel dira cecy, un tel dira cela ,
» moy je diray telle chose. » Car c'est ainsy qu'on
en usoit chez le Cardinal. On ne manqua pas dez
qu'il fut absent ; et pour le faire enrager, on luy
donnoit pour compagnon tantost le comte d'Har-
court*, tantost le marquis de Brezé. Ennuyé de tra- pJisné\iu^duc''d'Ër-
verses, il crut se faire rechercher, s'il demandoit
son congé, voicy comme il s'y prit : il envoya un
nommé Courtin, et luy donna un Mémoire de bien
des choses qu'il falloit demander à Son Eminence.
Parmy toutes ces choses, il y avoit : « Vous propo-
' 11 crut que l'Archevesque avoit esté ailleurs.
beiif.
3/^0 LES HISTORIETTES.
» serez à Son Eminence de me permettre de me re-
» tirer. » Depuis, l'Archevesque changea d'avis, et
un jour Courtin l'estant allé retrouver, et luy ayant
dit que cette proposition avoit esté receûe, il en
eut du desplaisir, et quelque temps après, il dit à
ce Courtin qu'il avoit jusques là fait passer pour
son amy intime, qu'il seroit bien aise de voir ce
Mémoire. Courtin luy dit qu'il estoit tout barré, et
qu'à mesure qu'un article avoit esté exécuté, il y
avoit fait une barre et qu'il ne sçavoit mesme s'il
l'avoit gardé. Comme il l'alloit chercher, on luy
dit que l'Archevesque vouloit ravoir ce papier pour
pouvoir nier, après, d'avoir demandé son congé.
Courtin fait semblant de l'avoir perdu : « Mais, »
luy dit l'Archevesque, « de quoy vous estes-vous
» avisé de demander mon congé? » — « Ah ! » res-
pondit l'autre, « je vous y attrappe, vous estes un
» perfide; voylà votre Mémoire, mais vous ne l'aurez
» pas. » En disant cela, il le quitta, et ne l'a jamais
voulu voir depuis. Voylà l'Archevesque bien embar-
rassé ; il ne sçavoit où il en estoit. Enfin il résolut
de revenir trouver le Cardinal, et estoit desjà à Lyon
quand le Cardinal luy envoya Besançon, pour l'em-
pescher d'avancer. Besançon, au retour, luy en dit
le diable, et que l'Archevesque croyoit estre le seul
habile homme qu'il y eust en France. Le Cardinal
Le 9 septembre icn. Ic relcgua à Carpcutras *, et en allant à Perpignan,
il le confina dans une bicoque de la montagne. Il
n'en revint qu'après la mort du Cardinal, mais il ne
luy survescut guères. Il fut assez long-temps ma-
l'arcijevesqle de bordeaux. 341
iade, et de chagrin qu'il avoit de mourir, il fit fouet-
ter un grand page le jour de Pentecoste. Ce page
estoit de garde et, voyant l'Archevesque endormy,
s'en estoit allé à vespres. Voyez si c'est là un crime
qu'mi archevesque dust punir! Il se reconcilia avec
son frère, le marquis de Sourdis, avec lequel il
estoit brouillé, luy donna tout ce qu'il pouvoit luy
donner et ne récompensa pas un domestique. Il
avoit appris un peu de théologie dans son exil.
COMMKNTAIHE.
I. — P. 337.
Titre.
Henry d'Escoubleau de Sourdis etoit le quatrième fils de François.
d'Escoubleau, marquis de Sourdis, et d'Isabeau Babou de la Bourdaî-
sière, cette tante de Gabrielle d'Estrées qu'elle gouvernoit. {Voy. tom. i,
p. 6.) Il avoit succédé, en mai 1623, dans l'evêché de Maillezais, à son
oncle Henry de Sourdis (celui dont il est parlé dans une note de des
Réaux, tom. i, p. 189). Après la mort de son frère aîné le cardinal de
Sourdis, il lui succéda dans l'archevûché de Bordeaux, en juillet 1029.
M. E. Sue a publié en 1839, sous les auspices du ministre de l'Instruc-
tion publique, dans la Collection des Monumens inédits de l'histoire de
France, trois volumes in-i" de la « Correspondance de Henry d'Escou-
» blcau de Sourdis, archevêque de Bordeaux, chef des conseils du Roy,
» en l'armée navale; augmentée des ordres, instructions et lettres de
» Louis XIII, du cardinal de Richelieu, à M. de Sourdis, concernant les
» opérations des flottes françoises de 1636 à 1642. » Cette importante
publication est précédée d'une introduction très-remarquable, dans la-
quelle Tediteur fait connoître les premiers temps de l'histoire de la
marine françoise, et donne la biographie politique de l'archevêque de
Bordeaux. Notre des Réaux n'a voulu rappeler ici que certaines cir-
constances peu connues de la vie de ce grand personnage , et je ne
dois pas aller au delà. Il faut seulement remarquer que M. Eugène
Sue a peut-être trop cédé à ses préventions contre toutes personnes
dévotes, quand il a fait le portrait do Sublét de Noyers, et quand il a
rendu son hypocrisie resi)onsablo de la disgrâce de l'archevôtiue de
342 LES UISTOIUETTES.
Bordeaux. Des Réaux qui n'aimoit pas de Noyers (on l'a vu dans
Yllistorielte qu'il en a (5crite), fait mieux ici le partage des torts.
On peut voir dans les Variétés littéraires et anecdotiqucs, torn. ii,
p. 290, et dans la Correspondance de H. d'Escoubleau, etc., les lettres
d'excommunication lancées par l'Archevêque, le dernier lundi d'oc-
tobre 1633, contre le duc d'Espernon ; puis les lettres de novembre
suivant relatives à l'incroyable entreprise du Duc contre l'Archevêque.
Voyez aussi la Vie du duc d'Espernon, par Girard, son secrétaire, Paris,
1655, in-fol.
II. —P. 338, note 3.
Le mareschal de Vilry.... pour cela fut mis à la Bastille.
Il y etoit dans le môme temps que la Porte. « Quelque violente que
» fust son humeur, » lit-on dans les Mémoires du Porte-manteau, « il
» supporta sa prison avec une constance merveilleuse. Comme il ne
n pouvoit voir de feu sans en ùtrc incommodé, jusques-là que ses joues
» se fendoient et en saignoient, il envoyoit tous les matins chauffer sa
» chemise dans notre chambre, qui etoit au-dessus de la sienne. »
(P. 195.)
u Le mareschal de Vitry, » dit le cardinal de Retz, « avoit peu de
)i sens ; mais il etoit hardy jusqu'il la témérité, et l'employ qu'il avoit
» eu de tuer le mareschal d'Ancre luy avoit donné dans le monde un
» certain air d'affaire et d'exécution. » {tMém., nouv. éd., p. 28.)
III. — P. 339, lig. 5.
V Archevesijue avoit donné un tour de pillier.
Terme de manège. « Pilier,» dit Furctiere, «est le centre de la volte
» autour de laquelle on fait tourner un cheval, soit qu'il y ait pilier
)i ou non ; cela s'appelle travailler autour du pilier. » On disoit
d'un cheval qui refusoit de marcher et rcvenoit sur lui-même : (/u'il
donnoil un tour de pilier. Au lieu d'un cheval, des Réaux met ici
l'Archevêque.
IV. — P. 3/(0, lig. 23.
Le Cardinal luy envoya Besançon...
Du Plessis-Besançon , d'abord secrétaire du connétable de Lesdi-
guieres, puis familier de Richelieu, puis attaché à Monsieur. On en a
déjà parlé dans les Historiettes de Richelieu et de M""" d'Aiguillon.
« C'etoit, » dit dans un Mémoire justificatif l'archevêque de Bordeaux,
qui ne devoit pas l'aimer, « un esprit chimérique, sans honneur et
l'ARCIIEVESQLIE de BORD'E/VLX. o[\€t
n sans probité, qui en avoit donné des marques en l'affaire «lu'il eut
» avec le mareschal d'Estrées en la sortie de la Reine-merc, hors de
)i France, et en l'enlèvement imaginaire de M"" d'Aiguillon. » {Cor-
respondance de l'Arcli. de Bordeaux, tom. m, p. 25.)
V. — Fin.
La maison d'Escoubleau tire son nom du château d'Escoubleau, près
de Chàtillon-sur-Scvrc, dans le Poitou. Elle est très-ancienne et a formé
les deux branches de Sourdis et d'Alluye.
La première existoit encore à la fin du xviii* siècle.
La seconde, détachée vers la fin du w" siècle, a produit François
d'Escoubleau, marquis de Sourdis, le mari d'Isabeau Babou, dont, ainsi
que nous l'avons dit plus haut, notre Archevêque etoit le quatrième
fils. L'aîné, François , cardinal, puis archevêque de Bordeaux avant
Henry; le second. Virginal marquis d'Alluye, mort sans postérité; le
troisième, Charles, marquis de Sourdis et d'Alluye, après son frère,
marié à la fille du comte de Cramail. (Tom. i, p. 508.) Leurs enfans :
1" Charles-Paul, marquis de Sourdis , marié à Bénigne de Meaux du
Fouilloux, dont il ne paroît pas avoir eud'enfans; 2" Henry, marié à
Marguerite le Lièvre, fille de Thomas le Lièvre, marquis de la Grange,
président au Grand-conseil , mort également sans enfans ; 3° Henry
d'Escoubleau, marquis d'Alluye, le dernier de cette branche.
Un frère de François, le mari d'Isabeau Babou de la Bourdaisiere,
fut seigneur du Coudray-Montpensier, et l'aieul de ce Coudray-Mont-
pensier , lieutenant-général , dont il est souvent parlé dans les Jlisto-
riettes. Celui-ci ne laissa pas de postérité.
Ajoutons ici que Bénigne de Meaux du Fouilloux, marquise d'Alluye»
etoit sœur de ce jeune et brave du Fouilloux, cité dans Yllistorietle
de M. de Guise (tom. i, p. 365 et 372), dont j'avois à tort proposé de
rattacher l'origine aux Fouilloux du Poitou. Une bonne notice sur la
famille de Meaux, faite à l'occasion de ma méprise, par M. de la Mo-
rinerie (Paris, 185/i), rétablit la vérité et donne de nouveaux et pré-
cieux détails sur le frère et sur la sœur.
XCIV.
MADEMOISELLE DE GOURNAY.
{Marie de Jars, demoiselle de C.ournay, née à Paris, C septembre 1565,
morte 13 jtiin 1645.)
M"' de Gournay estoit une vieille fille de Picardie,
et bien demoiselle. Je ne sçay où elle avoit esté
chercher Montagne, mais elle se vantoit d'estre sa
fille d'alliance. Elle sçavoit, et elle faisoit des vers,
mais meschans. Malherbe s' estant mocqué de quel-
ques-uns de ses ouvrages, elle, pour se venger, alla
regratter la traduction qu'il avoit faitte d'un livre
de Tite-Live qu'on trouva en ce temps-là, où il avoit
traduit : Fecere ver sacrum, par ils firent l'exécu-
tion du printemps sacré. Elle avoit fait un livre
intitulé : VOmhre, ou les Presens de la damoiselle de
Gournay : dans ce livre il y avoit un chapitre des
diminutifs, comme chauderon, chauderonnet, cliau-
deronnelel. Boisrobert luy demanda un jour la rai-
son du titre de ce livre ; elle ne la luy sceût dire.
« Il faut chercher, » respondit-elle, « dans mon ca-
» binet d'Allemagne. » Mais après avoir bien fouillé
dans tous les tiroirs, elle ne la trouva point.
M. le comte de Moret, le chevalier de Bueil et
MADEMOISELLE DE GOLRNAY. 345
Yvrande luy ont fait autrefois bien des malices.
Une fois, pour se mocquer de quelques vers où
elle avoit mis Tit pour Titus, ils luy envoyèrent
ceux-cy :
Tit., fils de Vesp., roi du rond héritage
Des peuples inchretiens qui cassèrent Carthage,
Prodiguoit rarement son amoureux erapoix ;
Mais il aimoit si fort les filles de science.
Que la Goumay eust eu son auguste semence.
Il l'eust mesme titée au plus fort de ses mois.
On dit que c'est des Marestz qui les fit. — Ils en
firent encore (d'autres) pour elle; il y avoit en un
endroict F — son,, comme Cervaison : « Jamin, »
dit-elle en ronflant selon sa coustume ; « ce mot-là
» n'est pas en usage : je le passerois pourtant ; il est
» vray qu'il est un peu vilain. »
Ces pestes luy supposèrent une lettre du roy
Jacques d' àngleterre , par laquelle il luy deman-
doit sa Vie et son portrait. Elle fut six sepm aines à
faire sa Vie. A.près, elle fit barbouiller, et envoya
tout cela en Angleterre , où l'on ne sçavoit ce que
cela vouloit dire. On luy a voulu faire accroire
qu'elle disoit que fornication n'estoit point péché ;
et un jour qu'on luy demandoit si la pédérastie
n'estoit pas un crime : « A Dieu ne plaise, » respon-
dit-elle, « que je condamne ce que Socrate a pra-
» tiqué. » A son sens, la pédérastie est louable ; cela
est assez gaillard pour une pucelle.
Boisrobert la meina au cardinal de Richelieu,
qui luy fit un compliment tout de vieux mots qu'il
346 LES HISTORIETTES.
avoit pris dans son Ombre, Elle vit bien que le
Cardinal vouloit rire : « Vous riez de la pauvre
» vieille, » dit-elle. « Mais riez, grand génie, riez ;
» il faut que tout le monde contribue à vostre di-
» vertissement. » Le Cardinal , surpris de la pré-
sence d'esprit de cette vieille fille, luy en demanda
pardon et dit à Boisrobert : « Il faut faire quelque
» chose pour Mademoiselle de Gournay. Je luy donne
» deux cens escus de pension. » — « Mais elle a des
» domestiques, » dit Boisrobert. — « Et quels? »
reprit le Cardinal. — « M"" Jamin, » répliqua Bois-
robert , « bastarde d'Amadis Jamin , page de Ron-
» sard. » — « Je luy donne cinquante livres par
» an, » dit le Cardinal. — « 11 y a encore ma mie
» Piaillon, » adjousta Boisrobert; « c'est sa chatte. »
— « Je luy donne vingt livres de pension , » respon-
dit l'Eminentissime, « à condition qu'elle auroit des
» trippes. » — « Mais, Monseigneur, elle a cha-
» tonné, » dit Boisrobert. Le Cardinal adjousta en-
core une pistolle pour les chattons.
Elle aimoit Boisrobert et l'appelloit tousjours bon
abbé; elle le craignoit aussy à cause des contes
qu'il faisoit. 11 disoit qu'elle avoit un ratellier de
dents de loup marin. Elle l'ostoit en mangeant,
mais elle le remettoit pour parler plus facilement,
et cela assez adroittement. A table, quand les autres
parloient, elle ostoit son ratellier et se despeschoit
de doubler ses morceaux , et après , elle remettoit
son ratellier pour dire sa ratellée.
C'estoit une pcrsonjie bien née ; elle avoit veû le
MADEMOISELLE DE GOIJRNAY. 3/l7
beau monde ; elle avoit quelque générosité et quel-
que force d'ame. Pour peu qu'on l'eust obligée, elle
ne l'oublicit jamais. En mourant , elle laissa par
testament son Ronsard à l'Estoile, comme si elle
l'eust jugé seul digne de le lire, et à Gombaud une
carte de la vieille Grèce, de Sophian, qui vaut bien
cinq solz.
Saint-Amant ' l'a furieusement maltraittée ; car
c'est d'elle et de Maillet qu'il veut parler dans le
Poëte crotté.
1 Voyez plus bas (Uislorietle).
COMiMExXTAIRE.
L— P. 344, lig. 1.
.«"* de Gournny estait... bien demoiselle.
Marie de Jars etoit tille de Guillaume de Jars et de Jeanne de Hac-
queville : Jars est uii boui-g des environs de Sancerre. Guillaume etoit
trésorier de la maison du Roi , capitaine et gouverneur des châteaux
de Remy, Gournay et Moyenueville. R avoit deux maisons à Paris.
[L'Ombre, Apologie pour celle qui escrit, p. 760, édition de 1626.)
M"^ de Gournay fut enterrée dans l'église de Saint-Eustache avec mie
courte et belle epitaphe, rapportée dans l'Histoire de Paris de Piga-
niol. En voici une autre de la façon du fils de la Mothc le Vayer; je la
crois inédite, et du moins a-t-elle le mérite de donner la date précise de
la naissance de M"' de Gournay :
« Asta, viator, gradum instantem siste, lege et perlege. Jacet hic
» cujus mens nunquam jacuit, nobilis et perita Maria Jarnaea-Gorna-
» censis, inclita génère, sed vivendi génère magis inclita. Omnibus
» cognita, nulli tamen viro cognita ; virgo et mater sterilis et fœcunda.
» Hic tcgitur quae nuuquam cincres libros sœpius edidit ; hoc saxo
» premitur quam serpens prcssit, invidia nuuquam oppressit. Hic
» quiescit deni<iue tumulo strata si non obstaret quœ regibus non par-
» oit pauca; rem litterariara mirum in modum ornavit, orbis orna-
» meutum mirandi scripsit, sieculi decus, gloria, miraculum. Et quod
S!iS LES HISTORIETTES.
» mirere magis, ipsa patrem elegit suuni, imô fccit. Hic nemi)ù Mou-
» tani laudibus cumulus acccdens debuit ut tam sanctum roligionis
» fœdus cum ea contraheret, Annos vixit propt; octoginta, famâ qui-
» dem satis, amicis comniodoque publico minus ; tum omnium in ore
» memoriâque celebris occubuit A" 1645, œtatis 79, cum novcm men-
i> sibus, diebus septem. Perge, viator, et vale. »
Sa famille etoit, comme on voit, originaire de Picardie, mais elle
etoit née à Paris, témoin ce vers d'une pièce à madame de Ragny :
Paris fut ton berceau, qui fut aussi le mien.
Quoique dépourvue de toute espèce de beauté, M"* de Gournay avoit
plus d'un point de icssemblancc avec M™* Dacier. Elle fut souvent
mêlée aux polémiques grossières de son temps, et avoit bec et ongles
pour les soutenir. Je vais citer quelque chose de l'Apologie pour celle
qui escrit, publiée dans l'Ombre, édition de 1026, p. 729. Par exemple,
louant les grands personnages qui avoient méprisé les méchans et les
calomniateurs : « Et de la magnanimité de Demetrius, qu'en jugerons-
» nous ? qui ne s'altcroit non plus des propos d'un fat et d'un estourdy
» que de ses pets (lesquels je suis forcée après luy de nommer) ; ne
)> cognoissant pas de différence, à ce (lu'il disoit,si telles gens sonnoient
» d'en haut ou d'en bas. » (P. 731.)
Elle trace ensuite naïvement son portrait : « Homme ny femme de
» sain jugement ne sçauroient alléguer, quand ils me voudroient mal,
>) que je sois faucc en cœur, ny passagère en mes bonnes volontez, ny
» de ticde office, ny d'imbccillc secret, ny de mœurs, paroles ou com-
» pagnie importunes, ny de société moins qu'honorable, si l'innocence
» vaut quelcjne chose. On ne me peut aussy dépeindre pour brouillonne
» ny querelleuse, bien que sensible, roide et véhémente... Je suis de
» mœurs auxquelles une bénigne facilité n'oste point la vigueur ; sans
» inégalité ny bigarreure, et pour comble de cela, très-bonne amye...
» Parmy nostre vulgaire, on fagotte à fantaisie en général et sans
» exception l'image d'une femme lettrée : c'est-à-dire on compose d'elle
» une fricassée d'extravagances et de chimères, et ne la voit-on plus
» qu'avec des présomptions injurieuses et soubs la forme d'un espou-
» vantail. C'est merveille des belles choses qu'on luy fait dire et faire
» en dormant : tous les saincts de la kyrielle ne firent oncques tant de
» miracles que cette pauvre créature, vraye martyre en la bouche des
» fous... Mais, ô que peu de compte tiendrois-je de ce morfondu reste
» de mon latin, si je ne croyois sçavoir plus de françois que ceux qui
» s'amusent à pelotter ce discours! On dit (jue les femmes n'ont ja-
» mais le filet que pour recoudre leur linge ; la rcigle est pourtant fausse
» en moy, qui ne sçay gueres coudre et qui n'aime <iue médiocrement à
» parler. -> (P. 737 etsuiv.)
MADEMOISELLE DE GOURNAY. 3^9
Elle avoue ensuite qu'elle s'est beaucoup occupée et qu'elle s'occupe
encore de l'alchymie, qu'elle y a despensé, la première année, « quel-
» que somme non mesprisable, quoyque non excessive, provenant de
H mes inventions et labours, non de mon patrimoine. Pendant les sept
» années suivantes, j'ay fait diverses opérations qui m'ont cousté cha-
» cune cent ou six vingts escus environ. Depuis lequel temps, deux
» escus d'ordinaire et le troisiesmo d'extraordinaire, me deffrayent par
» an pour ce regard, d'autant que j'ay trouvé moyen d'espargner le
» surplus à l'ayde d'un feu qui m'est preste gratis par la courtoisie
» des maistresdela verrerie, feu jadis ma plus pesante charge... Quel-
» ques-uns rient de ma longue patience en ce labeur ; à tort, certes,
» puisqu'on attend bien toute une année un espy ; outre que si mesraes
» je n'esperois nul succez en l'oeuvre (comme je ne puis désormais
» faire après ce long temps escoulé sans fruict), je ne lairrois de tra-
» vaillcr, pour voir soubs les degrez d'une très-belle décoction, ce que
» deviendra la matière que je tiens sur le feu : curiosité naturelle et
» saine. »
Pour rétablir la vérité de ce qu'on a pu dire de ses autres dépenses
excessives, elle avoue bien avoir perdu cinq cents ecus par trop de
confiance dans les autres, et la même somme par vanité de jeunesse.
Elle n'eut jamais qu'une demoiselle et deux laquais, «sauf que j'eus
» une fois à mes gages une seconde demoiselle, à cause que celle-là
» jouoit du luth et que je desirois apprendre d'elle; joinct que son
» harmonie me faisoit besoing un temps pour m'aider à charmer quel-
» que importune tristesse... Pour le regard du carrosse que j'avois,
» cela est nay avec les femmes de ma qualité, toute simple que je
» l'aye recogneue ; ouy, mesme totalement nécessaire par la longueur
)) et saleté du pavé de Paris. L'exemple général et tjTannique du siècle
» rend la honte du manquement d'un carrosse si grande, qu'il n'est
» pas permis à celles qui veulent vivre avec quelque bienséance du
» monde, de consulter s'il couste trop ou non. »
Le partage de la succession donna aux trois puînés, l'aîné satisfait,
un revenu de deux mille quatre cents et quelques livres, outre deux
maisons de Paris, qu'ils furent obligés de vendre pour payer les créan-
ciers de la succession.
Elle avoit deux frères et trois sœurs. L'aînée des sœurs épousa le
sieur de Bouray, gentilhomme voisin d'Etampes; la seconde fut rch-
gieuse à Chantelou; l'autre épousa le sieur de la Salle, à Cambrai.
M. et M'"^ de la Salle furent attachés au service du maréchal de Bala-
gny et de l'illustre Renée de Clermont-d'Amboise, cette héroïque prin-
cesse de Cambrai dont il a été parlé. ( Tome i", p. 7 et 23. ) « Non-
» seulement elle accepta ma sœur, mais je dois cette confession au
« sepulchre d'une si généreuse dame, qu'elle m'offrit encore la mesme
350 LES HISTORIETTES.
» grâce... Je la remerciay de peur d'abuser de sa courtoysie; mais
)> l'offre fut noble et louable en i)lusieurs sortes. Car, outre que cette
» dame avoit plus de mérite à favoriser les muses et les esprits, de ce
» que le sien estoit du tout vuide de lettres et seulement illuminé de la
» pure splendeur de nature, quoyque belle et vive en vérité, elle eust
» pu facilement se dispenser de mettre le mien à ce prix. » ( P, 7G3. )
M"* de Gournay parle peu de son frère aîné ; le second fut Augus-
tin de Jars, sieur de Neufvic, pcut-ôtre le mari de cette M°"= de
Neufvic, citée pour son esprit et ses heureuses réparties, dans l'Histo-
riette de Henry IV» (tom. i", p. 7 et 23). « Quelques emprunts, » dit
M"» de Gournay, « m'ont cstayée et secourue; à quoy douze cens
» escus ou environ, pour vente de la quarte partie d'une succession de
» ce jeune frère sieur de Neufvic, m'ont assistée, bien que piteusement,
« provenant d'une essentielle et griefve perte en sa personne. » (P. 765.)
Neufvic mourut jeune, et sa sœur lui fit cette epitaphe :
Ah! Neufvic, lu descends Iji-bas,
Et jeune, et brave, et débonnaire;
Jeunesse, candeur ny combats
Aux l'arques \>HU- n'ont pu faire.
Cherche en cette feinte douceur
l.'ombre des biens que l'homme embrasse;
Mais n'y cherche point une sœur,
La tienne en pleurs suivra ta trace.
Quant à l'origine de ses relations avec Montaigne, elle s'est cî^argée
de nous l'apprendre dans une courte Fie qu'elle a faite d'elle-même, im-
primée dans l'édition de 1641, p. 992. Montaigne étant venu à Paris,
<i elle l'envoya saluer et luy déclarer l'estime qu'elle faisoit de sa per-
» sonne et de son livre. Il la vint voir et remercier dez le lendemain,
» luy présentant l'affection et l'alliance de père à fille, ce qu'elle recout
1) avec tant plus d'applaudissement de ce qu'elle admira la sympathie
» fatale du génie de luy et d'elle, etc. »
II. — P. 3/i4, lig. II.
Elle faisoit des vers, mais mesclians.
Pas toujours ; témoin cette inscription pour le portrait de Jeanne
d'Arc :
Peus-tu bien accorder, vierge du ciel chérie,
La douceur de tes yeux et ce glaive irrit<>?
— La douceur de mes yeux caresse ma patrie.
Et ce glaive eu fureur lui rend sa liberté.
Voilà ce que M"'= de Gournay appeloit une Epigramme à la grecque,
et l'on n'en trouvera certainement pas de plus excellente dans Y Antho-
logie^ ni ailleurs.
MADEMOISELLE DE GOURINAY. 351
En voici une autre contre un médisant :
Colin, qui n'a veti que son livre.
Veut faire le drappcur de court.
Or, Colin, pour le faire court.
La cervelle d'un sot t'enivre.
Un sçavant qui fait rimpiulent
N'est pas certes, comme il te semble.
Courtisan et savant ensemble.
Mais il est pédant et pédant.
Les diminutifs cités par des Réaux de ckaiulcronnet, chaudcroimelfl
ne sont pas dans le traité des Diminutifs françois, mais il en est
d'autres qui peuvent également faire sourire, comme cliaudelet, froide-
let. ougnonnet, etc. M"* de Goumay rappeloit dans ce traité l'usage
de son temps et ne pouvoit être responsable des façons de parler alors
communes, mais tombées en désuétude quand des Réaux ecrivoit. Ce
morceau est d'ailleurs bien écrit et bien pensé.
m.— P. 344, lig. 15.
Elle ne sceftt dire la raison du titre : L'Ombre de la damoiselle de
Gournay.
Ce livre a paru en 1G26, in-8°, sous le titre de YOmhre de la damoi-
selle de Gournay ; puis en 163i sous celui de VOmbre ou les Presens de
la damoiselle de Gournay, et en 1641 sous celui de : Les Advis ou les
Presens de la damoiselle de Gournay. Des Réaux et Boisrobert ne con-
uoissoient apparemment que les deux dernières éditions; autrement
ilsauroient vu, dans l'épigraphe de la première, la raison de son titre:
L'homme est l'ombre d'un songe, et son œuvre est son ombre.
M"^ de Gournay, sincèrement attachée au Roi, défendit plus d'une
fois ceux que les passions politiques accusoient avec le plus de violence,
et par là accrut le nombre de ses propres ennemis. En 1610, elle voulut
justifier le père Cotton, accusé ridiculement d'avoir été pour quelque
chose dans le crime de Ravaillac ; l'auteur du Remercîment des Betir-
rières à M. de Courhouzon-Montgommery, revenant sur ces accusations :
« Il est bien vray, » dit-il, « que depuis nagueres, ils se sont présentez
» quelques mal habiles gens qui ont voulu entreprendre sur vos
"n marches, et vous desrober vostre chalandise, comme un certain Pelle-
» tier et la damoiselle de Gournay, pucelle de cinquante-cinq ans » (il
falloit dire quarante-cincj), «qui se sont meslez de publier des def-
» fenses pour les Jésuites, comme ayant interest à la cause, sous pre-
» texte qu'ils ont esté rappelez et restablis, à la poursuite, brigue et
» sollicitude du postillon général de Venus. Mais prenez courage, M. de
352 LES HISTORIETTES.
» Courbouzon, ces bons pères ont bien d'autres deflfenseurs et de plus
» grands seigneurs que toute cette racaille. » (P. 8.) Et plus loin : « Le
» P. Cotton, afin qu'il ne seniblast point advouer ce qui luy a esté ob-
» jecté, s'est premièrement addressé à une daïnoiselle carabine, qui
» pour la deffense de ce vénérable a eu bientost usé la poudre de son
n fourniment. »
IV. — P. 345, lig. 17.
Ces pestes luy supposèrent une lettre du Roy Jacques d'Angleterre...
Des Réaux pouiToit bien être ici l'aveugle écho des pestes qui tour-
mentèrent M'" de Gournay. <( Certes, » dit-elle dans sa touchante Apo-
logie déjà citée, « je ne puis oublier tant d'honorables propos que le
» feu serénissime Roy de la Grand-Bretagne daigna tenir sur mon sub-
» ject ;\ M. le marcschal de Lavardin, lorsqu'il fut envoyé vers Sa Ma-
» jesté. Tant de témoignages de m'estimer digne des plus honorables
» faveurs royales , la favorable monstre encore qu'elle luy fit en son
» cabinet de quelque escrit qu'elle disoit venir de ma main, en pre-
» sence de gens qui le publient jusques à cette heure au Louvre, me
» scelloient ce passeport d'un sceau doré, ou, pour mieux dire, cela
)) seul me devoit faire obtenir en France un brevet d'estime et de
» bonne fortune... » (P. 773.)
V. — P. 346, lig. 14.
H y a encore ma mie Pîaillon...
On voit, dans les Advis de 1641, p. 950, des vers adressés à cette
chatte, à laquelle l'abbé deMaroUes n'a pas dédaigné d'accorder l'hom-
mage de sa plume louangeuse : « Le Piaillon de M"'' de Gournay, en
» douze années qu'il a vescu auprès d'elle, ne se fust pas deslogé une
» seule nuict de sa chambre pour courrir dans les gouttières comme
» les autres chats. » [Mémoires, in-fol., p. 99.)
VI. — P. 347, lig. 0.
C'est d'elle et de Maillet qu'il (Saint-Amand) veut parler.
Maillet, poëte ridicule, dont les ouvrages sont rares ; on voit dans
les portefeuilles de l'Arsenal si utilement consultés par M. de Mon-
merqué, ce placet au Roy, qui semble inédit :
Plaise au Koy me donner cent livres
Pour lies livres et pour des vivres;
De livres je me passerois.
Mais de vivres je ne sçaurois.
(Epitre à M. Diipin, trésorier des Menus- Plaisirs.)
MADEMOISELLE DE GOURNAY. 355
Lu comte de Cramail, dans les Jeux de l'Inconnu, dit aussi que « les
Il bottes du sieur Maiflet feront un excellent ménage avec les patins de
» niadamoiselle de Gonrnay ; à la charge que ledit sieur Maillet four-
» nira un douaire de dix mille vers, et la Dame le seul chapitre des
)) Diminutifs. » (P. 1G5.)
Si c'est en effet M"* de Gonrnay que Saint-Amand a voulu peindre
vers la fin de son Poète crotte, comme une veuve, maîtresse de Maillet,
la satire ne pouvoit déshonorer que son auteur, et non l'objet d'injures
aussi grossières.
M"" de Gournay habitoit en face de l'église de l'Oratoire, dans la rue
de Saint-Uonoré. Nous le savons de l'abbé de Marolles, qui vint en 1636
loger dans la môme maison, et qui de plus nous apprend qu'elle
traduisit, pour l'amour de lui, les cantiques de la Vierge, doZacharie et
de saint Siméon, qu'il joignit à la troisième édition d'une version de
VOffice de la Semaine sainte, qu'on imprimoit alors. {Mémoires, édition
in-12, tom. i, p. 199.)
J'ai connu trop tard, et l'on s'en apercevra bien, le travail impor-
tant de M. Léon Fougère (J/"^ de Gournaij. Etude sur su vie et ses
ouvrages. Paris, 1853). Il etoit impossible de présenter dans un meilleur
jour le mérite et les ouvrages de cette illustre fille : cependant je per-
siste à croire qu'elle etoit néeleO septembre 1565, et non pas en 1566 ;
qu'elle avoit deux frères et deux ou trois sœurs, et non six frères sans
compter les sœurs. D'ailleurs, M. Feugère a soin de rapprocher de la
passion que M"^ de Gournay avoit avouée pour l'alchymie, la note
ajoutée à la dernière édition de ses Œuvres : Cela fut durant la
première impression de mon livre, et n'est plus dès longtemps. Quant
à la scène évidemment chargée que raconte Louis Petit dans les
Dialogues satyriques et moraux., Paris, 1687, à l'occasion du mot
ruffinage., ce doit être une variante infidèle des scrupules manifestés
par M"^ de Gournay sur le bon usage d'un vilain mot analogue à
celui de Cervaison.
23
xcv. — XCVI. - XCVII.
RACAN ET AUTRES RESVEURS.
M. DE BRAINCAS. — LA FONTAINE.
(Honorât de Bueil, marqnis de Racan, né en 1589, »ior? en février 1670.
— Charles de Villars, comte de Brancas, né vers 1G18, mort 8 jan-
vier 1G81. — Jean de la Fontaine, né en 1G21, mort 13 avril 1G95.)
Racan est de la maison de Bueil ; son père estoit
chevalier de l'Ordre et mareschal de camp. Il por-
toit le nom de Racan, à cause que son père achetta
un moulin qui est un fief, le propre jour c|ue ce filz
luy nasquit, et il voulut que ce petit garçon en por-
Tomei, p. 305. tast le nom. J'ay dit, dans ['Historiette de Malherbe,
comme Racan commandoit les gendarmes de M. le
mareschal d'Effiat : cela le faisoit subsister, car son
père ne luy laissa que du bien fort embrouillé ; puis
il avoit tousjours quelque chose de M"'" de Belle-
Anne de ptieii, sa gardc*, dont à la fin il hérita vingt mille livres de
rente en fonds de terre, de quarante qu'elle avoit.
Elle estoit de la maison de Bueil '. Racan estoit
1 II a esté pourtant quelquefois bien à l'estroit. Boisrobert le trouva
une fois à Tours : la Cour y estoit alors ; il estoit après à faire une
chanson pour je ne sçay quel petit commis qui luy avoit promis de
luy prcster deux cens livres : Boisrobert les luy presta. Il a logé long-
RACAN ET ALTRKS RESVEURS. 355
marié quand cette succession luy vint. J'ay dit aussy
comme il s'attacha à Malherbe*. 11 profitta si bien
sous un si bon maistre , qu'il luy donna de la ja-
lousie. En effect, on a accusé Malherbe d'en avoir
eu un peu pour cette belle stance de la Consolation
à M. de Bellegarde, sur la mort de M. de Termes,
la voicy * :
Il voit ce que l'Olympe a de plus merveilleux ;
11 y voit à SCS pieds ces flambeaux orgueilleux
Qui tournent à leur gré la Fortune et sa roue ;
Et voit comme fourmis marcher nos légions
Dans ce petit amas de poussière et de boue ,
Dont notre vanité fait tant de régions.
Et on dit que, par malice, il n'avertit pas Racan
que dans une autre stance il faisoit Amour, divi-
nité et passion tout ensemble. Racan faisoit des vers
estant page '. Cette pièce, qui commence* :
Vieux corps tout espuisé de sang et de moûelle, etc.
ToniP 1, p. 274.
OEuv^-es de Racan ,
l"2i, loni. I, p. J98.
OEuvres de R.iran,
tom. I, p. 182, et dans
\e Cabinet satyrique .
temps dans un cabaret borgne, d'où M. Conrart le voulant faire des-
loger : (( Je suis bien, je suis bien, » luy dit-il : «je disnf pour tant ; et le
» soir on me trempe pour rien un potage. »
Il dit qu'ayant promis une pistolle à une m pour une demoiselle
qu'elle luy devoit faire voir, au lieu de cela elle luy fit voir une gue-
nippe qui n'avoit rien de demoiselle. Racan ne luy donna qu'une pièce
de quatorze solz et demy, le quart d'une pièce de cinquaute-huit solz ;
elles estoient plus communes alors. — » Qu'est-ce là ? » dit-elle. —
« C'est, » luy dit-il, « une pistoUe desguisée eu pièce de quatorze solz,
» comme vous m'avez donné une demoiselle desguisée en femme de
» chambre. »
* Il dit que les comédies de Hardy, qu'il voyoit représenter à l'Hos-
tel de Bourgogne où il eutroit sans payer, l'excitoient fort. 11 dit
aussy qu'il avoit de qui tenir ; car son père et sa mère faisoient tous
deux des vers : il est vray qu'ils n'estoient gueres bons, mais ceux du
père valoient encore moins. Il en avoit un gros volume.
356 T.RS HISTORIETTES.
est de ce temps-IA. 11 n'a jamais sceû de latin; et
cette imitation de Tode d'Horace, Beatus ille, etc.,
est faitte sur la traduction en prose que luy en fit
le chevalier de Bueil, son parent, qui s'estoit chargé
de la mettre en vers françois.
^^ nntur'Jîuf"''*" Jaiiiais k force du génie* ne parut si clairement
en un auteur qu'en celui-cy ; car, hors ses vers, il
semble qu'il n'ayt pas le sens commun. Il a la mine
d'un fermier; il bégaye et n'a jamais sceû prononcer
son nom, car, par malheur, 1'/' et le c sont les deux
lettres qu'il prononce le plus mal. Plusieurs fois
il a esté contraint d'escrire son nom pour le faire
entendre. Bon homme du reste et sans finesse.
Estant fait comme je vous le viens de dire, le
roy. tom. I, p. 60 et chevalicr de Bueil et Yvrande*, sçachant qu'il devoit
aller sur les trois heures remercier M"" de Gournay
qui luy avoit donné son livre \ s'avisèrent de luy
faire une malice, et à la pauvre pucelle aussy. Le
Chevaher s'y en va à une heure. Il heurte ; Jamin
va dire à Mademoiselle qu^un gentilhomme la de-
mandoit. Elle faisoit des vers ; et en se levant, elle
dit : « Cette pensée estoit belle, mais elle pourra re-
» venir, et ce cavalier peut-estre ne reviendroit pas.»
Il dit qu'il estoit Bacan ; elle, qui ne le connoissoit
que de réputation, le crut. Elle luy fit mille civilitez
à sa mode, et le remercia surtout de ce qu'estant
jeune et bien fait, il ne desdaignoit pas de venir
1 Quoycni'elle ne Tappellast jamais autrement que le sùiffe de Mal-
herbe. Mais elle on donna un h Mallierbc mesme, quoyqu'elle le Iiaist
t\ mort. 1
RACAN ET AUTRES RESVEIÎRS. 357
visiter la pauvre vieille. Le Chevalier, qui avoit de
Tesprit, luy fit bien des contes. Elle estoit ravie de
le voir d'aussy belle humeur et disoit à Jamin ,
voyant que sa chatte miauloit : « Jamin, faittes taire
» ma mie Piaillon, pour cscouter M. de Racan. »
Dez que cetuy-là fut parti, Yvrande arrive qui,
trouvant la porte entr' ouverte, dit en se glissant :
«J'entre bien librement, Mademoiselle; mais Til-
» lustre M"" de Gournay ne doit pas estre traittée
» comme le commun. » — « Ce compliment me
» plaist, » s'escria la pucelle. « Jamin, mes tablet-
') tes, que je le marque. » — « Je viens vous remer-
» cier. Mademoiselle, de l'honneur que vous m'avez
» fait de me donner vostre livre. » — « Moy ? Mon-
» sieur, » reprit-elle, « je ne vous l'ay pas donné,
» mais je devrois l'avoir fait. Jamin, une Ombre
» pour ce gentilhomme. » — « J'en ay une, Made-
» moiselle ; et pour vous monstrer cela, il y a telle
» et telle chose en tel chapitre. » Après , il luy dit
qu'en revanche il luy apportoit des vers de sa fa-
çon; elle les prend et les lit. « Voylà qui est gentil,
» Jamin, » disoit-elle; « Jamin en peut estre, Mon-
» sieur, elle est fille naturelle d'Amadis Jamin, page
» de Ronsard. Cela est gentil; icy vous malher-
» bisez, icy vous colombisez*; mais cela est gen- lon'by/j^-o^.lo.n'l:
» til. INe sçauray-je point votre nom ? « — « Ma-
» demoiselle, je m'appelle Racan. » — « Monsieur,
') vous vous mocquez de moy. » — « Moy? Made-
« moiselle, me mocquer de cette héroïne, de la fille
» d'alliance du grand Montagne, de cette illustro
p. 311.
358 LES inSTOUIETTES.
» fille de qui Lipse a dit : Fideamus quid sil pari-
» titra ista virgo ' / » — « Bien , bien , » dit-elle ,
« celuy qui vient de sortir a donc voulu se mocquer
» de nioy, ou peut-estre vous-mesme vous en vou-
» lez-vous mocquer; mais n'importe, la jeunesse
» peut rire de la vieillesse. Je suis tousjours bien
» aise d'avoir veû deux gentilshommes si bien faits
)> et si spirituels. » Et là-dessus ils se séparèrent.
Un moment après, voylà le vray Racan qui entre
tout essoufflé. 11 estoit un peu hasthmatique, et la
demoiselle estoit logée au troisiesme estage. « Made-
» moisclle, » luy dit-il sans cérémonie, « excusez si
)) je prends un siège. » Il fit tout cela de fort mau-
vaise grâce et en bégayant. « 0 la ridicule figure,
» Jamin ! » dit M"' de Gournay. — « Mademoiselle,
» dans un quart d'heure je vous diray pourquoy je
» suis venu icy, quand j'auray repris mon haleine.
» Où diable vous estes-vous venue loger si haut?
» Ah ! » disoit-il en soufflant, « qu'il y a haut ! Ma-
» demoiselle, je vous rends grâce de votre présent
» de votre Omble que vous m'avez donnée, je vous
» en suis bien obligé. » La pucelle cependant re-
)> gardoitcet homme avec un air desdaigneux. « Ja-
» min,» dit-elle, « desabusez ce pauvre gentilhomme ;
» je n'en ay donné qu'à tel et qu'à tel ; qu'à M. de
» Malhei-be, qu'à M. de Racan. » — « Eh ! Made-
» moiselle, c'est moy. » — « Voyez, Jamin. le joly
' Le jeune Hcinsiiis a dit d'elle :
" yjiisfi liifin vo}iriirrn c viris
i< Scandit siiprci viros »
RACAN ET AUTRES RESVEURS. 359
» personnage ! au moins les deux autres cstoient-ils
» plaisans. Mais cetui-cy est un meschant bouilbn. »
« — Mademoiselle, je suis le vray Racan. » — « Je
)) ne sçay pas qui vous estes, » respondit-clle, « mais
)) vous estes le plus sot des trois. Merdieu*! je n'en- pouv. Mère de Dieu.
» tens pas qu'on me raille. » La voylà en furem\
Racan, ne sçachant que faire, aperçoit un Recueil de
vers. « Mademoiselle, » luy dit-il, « prenez ce livre,
» et je vous diray tous mes vers par cœur. » Cela
ne l'apaise point; elle crie au voleur; des gens mon-
tent, Racan se pend à la corde de la montée et se
laisse couler en bas. Le jour mesme elle apprit
toute l'histoire ; la voylà au desespoir ; elle em-
prunte un carrosse, et le lendemain de bonne heure
elle va le trouver. Il estoit encore au lict; il dor-
moit : elle tire le rideau ; il l'aperçoit et se sauve
dans un cabinet, et pour l'en faire sortir, il fallut
capituler. Depuis, ils furent les meilleurs amys du
monde, car elle luy demanda cent fois pardon. Bois-
robert joue cela admirablement ; on appelle cette
pièce les Trois Racans. Il les a jouez devant Racan
mesme, qui en rioit jusqu'aux larmes, et disoit :
« il dit vlay, il dit vlay. »
On en fait plusieurs autres contes : c'est un des
plus grands resveurs qu'on ayt jamais veû.
TT n . i-i •, 1 r T> T t- -Xr Charles (Ip Lamcth,
Une fois qu il avoit couche avec Russy-Lamet , comte de «nssy;
^ aipiil lie la marquise
son cousin , il prit un petit livre de ce temps-là "" r.i.ateiet-ci.ey.
qu'on appelloit la France mourante j, et s'en alla
avec au privé. Au lieu de jetter le papier dont il
»560 LES HISTORIETTES.
s'estoit servy, il jetta son livre dedans, et revint te-
nant ce papier devant son nez, puis l'alla mettre
sur la toilette. « Qu'est-ce cela ? » dit Bussy. —
« C'est la France mourante. » — « C'est mon ! re-
» gardez-y bien ; sentez-le un peu. » — « Ah ! je
» l'ay donc jette dans le privé. » Il prend un pain
de bougie , l'allume et l'y jette aussy. « Ah ! vrai-
» ment, » dit-il , « voylà le livre ' ! »
Il alloit voir un jour un de ses amys à la cam-
pagne, seul et sur un grand clieval. Il fallut des-
cendre pour quelque nécessité : il ne put trouver de
montoir ; insensiblement il alla à pié jusqu'à la
porte de celuy qu'il alloit voir ; et y ayant trouvé un
montoir, il remonte sur sa beste et s'en revient sur
ses pas, sans sortir de sa resverie.
Il luy est arrivé plusieurs fois de se heurter par la
rue. Un jour que Malherbe, Yvrande et luy avoient
couché en mesme chambre, il se leva le premier
Le haui-d<;-chausscs. et prit Ics chausscs d' Yvrande* pour son calçon.
Quand Yvrande voulut s'habiller, il ne trouva point
ses chausses; on les chercha partout. Enfin il re-
garda Racan, et il luy sembla plus gros qu'à l'ordi-
naire par le bas. « Sur ma foy, » luy dit-il , « ou
» vostre cul est plus gros qu'hier, ou vous avez mis
' Une fois eu resvaat, il mangea tant de pois, qu'il n'en pouvoit
plus : « Regardez, » dit-il, » ces lolins de latais, ils ne m'avertissent
» pas, ils m'ont laissé trcvcr. » — Un jour quelqu'un luy traduisit
quelques epigrammes de l'Antologie; il les trouva plattes, et il disoit,
pour dire des epigrammes plattes : des epigrammes à la grecque. En ce
temps-là il disna chez un grand seigneur, où il y avoit devant luy un
potage qui ne sentoit que l'eau. Se tournant vers un de ses amis qui
les avoit veùcs avec luy : » Voyh'i, » dit-il, « un potage à la grecque. »
RACA\ ET AUTRES RESVEURS. 361
» mes chausses sous les vostres. » En effect, il y re-
garda et les trouva.
Une après-disnée , il fut extresmement mouillé.
Il arrive chez M. de Bellegarde et entre dans la
chambre de M™^ de Bellegarde , pensant entrer
dans la sienne; il ne vit point M™' de Bellegarde
et M"^ des Loges , qui estoient chacune au coing
du feu. Elles ne disent rien , pour voir ce que ce
maistre resveur feroit. Il se fait desbotter et dit
à son laquais: « Ya nettoyer mes bottes; je feray
» seicher icy mes bas. » Il s'approche du feu, et met
ses bas à bottes bien proprement sur la teste de
M™^ de Bellegarde et de M"" des Loges, qu'il prenoit
pour deux chesnets ; après, il se met à se chauffer.
Elles se mordoient les lèvres de peur de rire ; enfin
elles esclatterent '.
On dit qu'il boitte tout un jour, parce qu'il fut
tousjours à se promener avec un gentilhomme boit-
teux. Un matin estant à jeun , il demanda un doit
de vin chez un de ses amys. L'autre luy dit : « Tenez,
« il y a là-dessus un verre d'hypocras et un verre de
» médecine que je vais prendre. Ne vous trompez
» pas. » Racan ne manque pas de prendre la méde-
cine, et cet homme ayant eu soing de la faire faire
I Un jour qu'il vouloit mener un prieur de ses amys à la chasse
aux perdreaux, le Prieur luy dit : « Il faut que je die vespres, et je
» n'ay personne pour m'ayder. — Je vous ayderay, » dit Racan. En
disant cela, Racan oublie qu'il avoit son fusil sur l'espaule, et, sans
le quitter, il dit Magnificat tout du long.
II a plusieurs fois doimé l'auuiosne à de ses amys, les prenant pour
des gueux.
302 LES HISTORIETTES.
la moins desagréable qu'il avoit pu, Racan crut que
c'estoit de médiocre hypocras, ou de l'hypocras
esventé. 11 va à la Messe, où peu de temps après
il sentit bien du desordre dans son ventre , et il eut
bien de la peine à se sauver dans un logis de con-
noissance. Le malade qui avoit pris l'autre verre
ne sentoit que de la chaleur, et n'avoit aucune envie
d'aller. Il envoyé chez Racan , qui luy manda que
pour ce jour il seroit purgé sans payer l'Apoticaire \
Quand il faisoit l'amour à celle qu'il a espou-
sée, et qu'il n'eut qu'à cause que M'"" de Relie-
garde, hors d'âge d'avoir des enfans, luy asseura
du bien , il voulut aller la voir h la campagne , avec
un habit de talTetas-Celadon. Son valet Nicolas, qui
estoit plus grand maistre que luy, luy dit: « Et s'il
» pleut, où sera l'habit-Celadon? Prenez vostre habit
» de bure, et au pied d'un arbre vous changerez
» d'habit proche du chasteau. » — « Rien, » dit-il,
« Nicolas ; je feray ce que tu voudras, mon enfant. »
Comme " rem on- Commc il rclevoit SOS chausses*, c'estoit en un petit
toit son haut de ' jr
bois proche de la maison de sa maistresse, elle et
deux autres filles parurent'. « Ah ! » dit-il, « Nicolas,
^ Racan, tout resvcur qu'il estoit faisoit des contes de la resverie
de feu M. de Guise. A Tours, M. de Guise luy dit : « Allons à la
» chasse. » Il y fut, et tousjours auprès de luy; et le lendemain M. de
Guise luy dit : « Vous avez bien fait de n'y point venir, nos chiens
» n'ont rien fait qui vaille. » Racan voyant cela, se crotta une autre
fois tout exprès, et fit semblant d'avoir esté à la chasse avec luy : « Ah !
» vous avez bien fait, » luy dit-il, « nous avons eu aujourd'huy bien
» du plaisir. »
'^ Mots biffes : Et le voyant en cet estât, elles firent un grand cry et
se mirent h fnyr.
chausses.
RACAN ET AUTRES RESVELRS. 363
» je te l'avois bien dit. » — «Mordicu, » respond le
valet, « depeschez-vous seulement. » Cette mais-
tresse vouloit s'en aller; mais les autres, par malice,
la firent avancer. « Mademoiselle, » luy dit ce bel
amoureux , « c'est Nicolas qui l'a voulu : parle pour
M moy, Nicolas, je ne sçay que luy dire '. »
A l'Académie, quand ce fut à son tour à haran-
guer , il y vint avec un chiffon de papier tout
deschiré dans ses mains : « Messieurs , » leur dit-il ,
«je vous apportois ma harangue, mais ma grande
» levrette l'a toute maschonnée. La voylà: tirez-en
» ce que vous pourrez, car je ne la sçay point par
» cœur^ et je n'en ay point de copie. -> Il est le seul
qui ayt voulu avoir ses lettres d'académicien, et
quand son filz aisné fut assez grand , il le mena à
l'Académie pour luy faire saluer tous les Acadé-
miciens -.
Depuis son mariage et la mort de M*"' de Belle-
garde , il commanda une fois un escadron de gen-
tilshommes à l'arriere-ban. Il conte que jamais il ne
put les obliger à faire garde ny autre chose sem-
blable , jour ny nuict ; enfin il fallut demander un
régiment d'infanterie pour les enfermer. Un jour ,
en marchant, il y eut je ne sçay quelle alarme; il les
* Un de ses voi&ins luy donna une fois un fort beau bois de cerf.
Racan dit à son valet, qui estoit à cheval avec luy, de le prendre. 11
cstoit tard; Racan le pressoit; ce garçon luy dit: « Monsieur, j'ay
» lois tantost de toutes les façons ce que vous m'avez donné ; je voy
» bien que vous ne sçavez pas combien il y a de peine à porter des
» cornes, car vous ne me tourmenteriez pas tant que vous faittes. »
- \'o\ez l'Hislofrc de l'Académie.
àijll LES HISTOIUETTES.
trouva tous au retour (car cependant il estoit allé
parler au General), l'espée et le pistollet à la main,
aussy bien les derniers que les premiers, quoy-
qu'il fallust percer neuf escadrons avant que de
venir à eux. 11 y en eut un qui donna un grand
coup de pistollet dans Tespaule à celuy qui estoit
devant luy.
Le bonhomme Racan fut vingt ans sans faire
de vers après la mort de Malherbe. Enfin il s'y
remit, à la campagne, où il fit des versions de
psaumes naïfves , disoit-il , mais , en efî'ect , les
plus plattes du monde. Depuis, il fit ses Para-
E111661. phrases de psaumes qu'il a imprimées*, où il y a
de belles choses, mais cela ne vaut pas ce qu'il
a fait autrefois.
■'deM^fortenib^r Racau ostant tuteur ' du petit comte de Marans*,
de la maison de Bucil, le mai^y de la mère l'appella
en duel. Racan dit : « Je suis fort vieux, et j'ay la
» courte haleine. » — « Il se battra à cheval, » luy
dit-on. — « J'ay des ulcères aux jambes, » respon-
dit-il, « quand je mets des bottes; puis, j'ay vingt
» mille livres de rente à perdre. Je feray porter
» une espée ; s'il m'attaque, je me desfendray. Nous
» avons un procez, nous n'avons pas une querelle. »
Les mareschaux de France gourmanderent fort ce
i.e beau-père. galaut hommo*.
Le grand chagrin de ce pauvre homme, c' estoit
Le 23 juillet 16S2. qnQ gon fiiz aisné n'est qu'un sot, et qu'il a perdu *
^ Eu 1(330.
RACAN ET AUTRES RESVEURS. 365
celuy dont il esperoit avoir du contentement. Ce petit
garçon estoit page de la Reyne, et estoit fort bien
avec M. d'Anjou. Il disoit un jour à son père :
« Je voudrois bien qu'on payast à Monsieur six cens
» escus de ses menus plaisirs qu'on luy doit, j'en
» aurois ma bonne part. » Cet enfant s'estoit addoniié
à porter la robe de Mademoiselle. Au commen-
cement ses pages en grondèrent; elle leur dit que
toutes les fois qu'un page de la Reyne luy vou-
droit faire cet honneur, elle luy en seroit obligée.
Il continua donc ; eux, enragez de cela , le firent
appeller en duel par le plus petit d'entre eux. Us
eurent tous deux le fouet en diable et demy, car
ils se vouloient aller battre. Ce petit garçon fut
délégué par ses camarades pour demander à la
Reyne qu'on leur donnast deux petites oyes au lieu
d'une, car l'Argentier leur en retranchoit une, de
deux qu'ils dévoient avoir. « Ouy, » dit la Reyne ;
« mais estant filz de M. de Racan, vous ne l'aurez
» point que vous ne me la demandiez en vers. »
(Tout le monde veut que ses enfans soient poètes, et
il ne sçauroit faire qu'on les appelle autrement que
Racan*.) Le père fit pour son filz ce madrigal, mais ^" "^Veli.'"'^' ^^
il ne le fit pas de toute sa force :
MADRIGAL,
Reyne, si les destins, mes vœux et mon bonheur
Vous donnent les premiers des ans de ma jeunesse,
Vous doy-jepas offrir cette première fleur
Que ma muse a cueillie aux rives de Permesse?
Si mon père, en naissant, m'a voit pu faire don
L)e l'osprit poétique ainsy que de son nom,
S66 LKS IIISTOUIETTES.
Qui l'a rendu vainqueur du temps et de l'envie.
Je pourrois dans mes vers donner l'éternité
A Voslre Majesté
Qui me donne la vie.
Estant à Paris pour un procez ' il s'ennuyoit
quelquefois et ne perdoit pas un jour d'Académie ;
mesme il luy prit une telle amitié pour elle , qu il
disoit qu'il n'avoit d'amys que messieurs de l'Aca-
démie , et prit pour son procureur le beau-frere
Louis Faroard, mari dc M. Chapelain*, porcc qu'il luv sembloit que cet
de Catli. Chapelain. '■ ' l l J l
homme estoit beau-frere de l'Académie. Là, pensant
parler à Patru, il parla à Chapelain, et luy offrit de
le remener comme il l'avoit amené. Chapelain le re-
mercie; il descend. Sa femme, quand ils furent assez
loing (elle l'estoit venu prendre), luy dit: « Où est
» donc M. Patru? — Ah ! » dit-il; « vous verrez que
» j'ay cru parler à luy, et j'ay parlé h un autre. » 11
retourna, mais Patru n'y estoit plus.
Ce bon homme est devenu avare. Au dernier
voyage qu'il a fait icy, il n'a point esté voir Patru,
luy qui le voyoit tous les jours auparavant, parce
que les escritures que Patru a faittes pour luy pour-
roient monter à quelque chose. Il ne connoist gueres
bien Patru; il n'auroit garde de prendre de son
argent.
M. DE BRANCAs. M. ûg Braucas , filz du duc de Villars, est aussy
un grand resveur. A l'hostel de Rambouillet, un
jour qu'il y avoit disné, son laquais le vint deman-
' En 1651.
M. DE BRANCAS. 367
der ; il revint : « C'est, » dit-il, « qu'il jn'api)ortoit mon
» manteau. » — « Vostre manteau ! » luy dit-on ; « hé !
» estiez-vous icy sans manteau?» — «Non, «dit-il,
« mais j'avois pris hier celuy de Moret pour le
» mien. » Or, celuy de Moret estoit de velours , et
l'autre de camelot.
En priant Dieu il luy dit : « Seigneur, je suis à
» vous autant qu'à qui que ce soit; je suis votre ser-
» viteur très-humble plus qu'à personne. » 11 luy fait
des complimens en resvant.
Une fois qu'il se retiroit à cheval, des voleurs
l'arresterent par la bride. Il leur disoit : « Laquais,
» de quoy vous avisez-vous ? Laissez donc aller ce
» cheval, » et ne s'en apercent que quand il eut le
pistollet à la gorge.
A Rouen il estoit chez M. d'Hequetot, filz de M. de
Beuvron ' ; son carrosse se rompit. Hequetot luy dit :
« Prenez le mien, vous enverrez quérir le vostre
» quand il sera raccommodé. » — «Bien ! » dit-il, et s'en
va de ce pas se mettre dans celuy dont on avoit osté
les chevaux, tire les rideaux et dit: « Au logis! » Il
y fut une bonne heure. Enfin il se reveille et se met
à crier : « Hé ! cocher, quels tours me fais-tu faire ?
1 Boisrobert faisoit un conte de M. de Beuvron et de son frère Croisy.
Il disoit qu'un jour à la campagne, il vint une pluie qui dura cinq
heures ; c'estoit au mois d'a\Til. Ils se promenèrent durant tout ce
temps-là, sans dire autre chose l'un à l'autre que : <c Mon frère, que
» de foin ! mon frère, que d'avoine ! » Quoyque les enfans de Beuvron
ayent plus d'esprit que leur pei-e, on ne laisse pas quelquefois de leur
dire quand il pleut de cette sorte : « Mon frère, que de foin ! mon frère,
« que d'avoine! » Et ils en enragent un peu.
308 LES HISTORIETTES.
» n'arriverons-nous d'aujourd'huy? » A sa voix, son
cocher vint h luy : « Hé! monsieur, j'ay mis les che-
)' vaux à l'autre carrosse, je vous attends il y a long-
» temps. »
On luy veut faire accroire que le jour de ses
nopces il alla en passant dire aux baigneurs qu'ils
luy tinssent un lict prest, qu'il coucheroit chez eux.
« Vous ! » luy dirent-ils, « vous n'y songez pas ! —
» Sy fait, j'y viendray asseurement. — Je pense
» que vous resvez , » reprirent ces gens-là , « vous
» vous estes marié ce matin. — Ah ! ma foy , »
dit-il, « je n'y songeois pas '. »
»
i.AFONTAiNF. jjfl garçou de belles-lettres et qui fait des vers,
nommé la Fontaine, est encore un grand resveur.
Son père, qui est maistre des eaux et forests de
Chastcau-Thierry, en Champagne, estant à Paris
pour un procez, luy dit : « Tien, va viste faire telle
» chose, cela presse. » La Fontaine sort, et n'est pas
plus tost hors du logis qu'il oublie ce que son père
* Sa femme estoit veuve du comte d'Isigny, parent de fou Madame
la Princesse, Marguerite de Montmorency.
On dit qu'il se mit au lict une fois à quatre heures, parce qu'il
trouva sa toilette mise.
Au sortir des Tuileries, un soir, il se jette dans le premier carrosse ;
le cocher touche, il le meine dans une maison. Il monte jusques dans
la chambre sans se reconnoistre. Les laquais du maistre du carrosse
l'avoient pris pour leur maistre, qui luy ressembloit assez de taille. Ils
le laissent là et courent aux Tuileries ; mais par hazard ils rencontrè-
rent ses gens, et leur dirent où il estoit.
Une fois à l'armée on donna une fausse allarmc exprès, et on luy fit
prendre une vache sellée pour son cheval. — On l'a fait aller un jour
en compagnie avec son bonnet de nuict.
LA FONTAINE. 369
luy a voit dit. Il rencontre de ses camarades qui luy
ayant demandé s'il n'avoit point d'affaires : « Non, »
leur dit-il, et alla à la Comédie avec eux. Une autre
fois, en venant à Paris, il attacha à l'arçon de la
selle un gros sac de papiers importans. Le sac estoit
mal attaché et tombe : l'Ordinaire passe, ramasse le
sac, et ayant trouvé la Fontaine, il luy demande s'il
n'avoit rien perdu. Ce garçon regarde de tous costez:
« Non, » ce dit-il ; « je n'ay rien perdu. » — « Voylà
» un sac que j'ay trouvé, » luy dit l'autre. — « Ah !
» c'est mon sac ! » s'escrie la Fontaine ; « il y va de
» tout mon bien. » Il le porta entre ses bras jusqu'au
giste.
Ce garçon alla une fois, durant une forte gelée,
à une grande lieue de Chasteau-Thierry, la nuict,
en bottes blanches , et une lanterne sourde à la
main. Une autre fois il se saisit d'une petite chienne
qui estoit chez la lieutenante-genérale de Chasteau-
Thierry, parce que cette chienne estoit de trop
bonne garde , et le mary estant absent, il se cache
sous une table de la chambre , qui estoit couverte
d'un tapis à housse. Cette femme avoit retenu à
coucher une de ses amies. Quand il vit que cette
amie ronfloit, il s'approche du lict, prend la main
à la Lieutenante, qui ne dormoit pas. Par bonheur,
elle ne cria point , et il luy dit son nom en mesme
temps. Elle prit cela pour une si grande marque
d'amour, que je croy, quoyqu'il ayt dit qu'il n'en
eut que la petite oye, qu'elle luy accorda toute
chose. 11 sortit avant que l'amie fut esveillée; et
11. 24
370 LES IIISTORIETTIÎS.
comme dans ces petites villes on est tousjours les
uns chez les autres, on ne trouva point estrange de
le voir sortir de bonne heure d'une maison qui
estoit comme une maison publique.
Depuis, son père l'a marié , et luy l'a fait par
Marie Hci irait, <ie 1,1 complaisanco. Sa femme* dit qu'il resve telle-
ment qu'il est quelquefois trois sepmaines sans
croire estre marié. C'est une coquette qui s'est
assez mal gouvernée depuis quelque temps : il ne
s'en tourmente point. On luy dit : « Mais un tel
» cajolle vostre femme. » — « Ma foy ! » respond-il,
« qu'il face ce qu'il pourra ; je ne m'en soucie
» point. 11 s'en lassera comme j'ay fait. » Cette in-
différence a fait enrager cette femme ; elle seiche
de chagrin : luy est amoureux où il peut. Une ab-
besse s'estant retirée dans la ville, il la logea, et sa
femme un jour les surprit. Tl ne fit que renguaisner,
luy faire la révérence et s'en aller.
COMMENTAIRE.
I.
Il y a dans V Ilislorietlc de Racan plusieurs façons de parler, excel-
lons gallicismes, dont l'usage est aujourd'hui à peu près perdu. Les
voici :
I. P. 35/i. — « j4 cause que, » au lieu de : « parce que. » On l'emploie
encore en province ; on dit aussi : « à cause de quoi ? » ou : « à cause 1 »
ce qui a plus de grâce que : « pourquoi, — pour quelle raison ? »
II. P. 354. — « // estoit après à faire, etc., » au lieu de : « Il etoit
occupe à, — en train de faire, etc. » On répond encore, au moins en
conversation, à cette demande : « Et ma copie, mon habit, ma robe, y
» songez-vous ? — Je suis après. »
RACAN ET AUTRES RESVEURS. 371
m. p. 355. — « Un cabaret borgne, » c'est :\ dire : un ir.L'oliant
cabaret, mal éclairé, comni(; par un seul œil-de-bœuf.
IV. P. 358. — « Quand j'anray repris mon haleine. » On dit seule-
ment aujourd'hui : reprendre haleine.
V. P. 359. — Racan se pend « à la corde de la montée. » Cela ne fait
pas l'éloge des escaliers les plus ordinaires de ce temps-là. Cette corde
tenoit lieu de la rampe. De toutes les parties de la construction des
maisons, l'Escalier a peut-être lo plus gagné, dep-uis la seconde partie
du xviie siècle.
VI. P. 359. — <( C'est un des plus grands resveurs. » C'est-à-dire des
plus grands distraits. Ce dernier mot n'a été généralement accepté
que dans les dernières années du xvii* siècle. La Bruyère emploie
<( abstrait » dans la mûme acception. Le chevalier de Bueil use agréa-
blement du mot de « resverie » pour « distraction, » dans VEpistre
à sa maistresse, qu'il place en tête de la traduction du Pastor Fido :
« Je me suis infiniment cstonné, lorsque vous m'avez commandé
» sérieusement de mettre la main à cette œuvre ; et n'ay pu me per-
» suader que ce commandement ne fust plus tost une marque de vostre
» resverie, qu'un témoignage de vostre curiosité. »
VIL P. 360. — u C'est mon!» ou Ça monl Exclamation fort ancienne
assez difficile , à expliquer. Elle répond à nos : Allons donc ! — par
exemple ! — ah ça ! — en vérité ! « Il faut, » dit Furetiere, c( sous-en-
)> tendre le mot advis. » Peut-être est-ce une corruption de « Amen ! »
VIII. P. 360. — « Un pain de bougie. » Une bougie enroulée, ce qu'on
appelle encore » un rat de cave. » (On peut voir le môme conte de rê-
veur dans le Francion, liv. v.)
IX. P. 360. — « Calçon. » Nous écrivons aujourd'hui : caleçon. Mais
la première orthographe répondoit mieux à la racine : chausses et cal-
ceus. Chausson et calçon ont un seul radical ; on les a distingués pour
les appliquer à deux objets distincts : petite chaussure et petit haut de
chausses.
X. P. 361. — (( Il mit ses bas à bottes sur la teste de M"" de Belle-
» garde et des Loges , qu'il prenoit pour deux chenets. » C'etoient des
bas sans pied , qu'on appeloit aussi : bas à etriers, parce qu'autrefois
les bottes etoient une chaussure exclusivement cavalière. — Les che-
nets etoient encore le plus souvent alors terminés par deux tringles de
métal hautes et droites, dont l'extrémité supérieure etoit arrondie et
plus ou moins ornée.
XL P. 361. — » Il faut que je die: vespres. » C'etoit l'ancienne
façon d'escrire et de prononcer ; elle estoit reçue en poésie comme en
372 LES HISTORIETTES.
prose. Le quoy qu'on die des Femmes savantes est une sottise, dite en
fort bons termes.
XII. P. 362. — «Un habit de laffetas-Celadon. » Ce tafletas etoit de cou-
leur vert-clair et très-tendre. On disoit aussi des jarlieres-Cetadon. Et
dans le Francion, liv. v : « J'eus quelque croyance qu'il y avoit
» quelques modes qui estoient nouvelles, lesquelles s'appelloient de ces
» noms que Musidore avoit dits; puisque l'on dit bien des jartieres de
» Céladon, et des Roses à la Varlhenice. »
XIII. P. 362. — <' Son valet Nicolas qui cstoit plus grand maistre
» que luy. » INous dirions aujourd'hui : « qui etoit chez lui plus mastre
» que lui-môme. »
XIV. P. 365. — On entendoit par « petite oije » les rubans et menues
garnitures d'un habit, d'un chapeau ou d'un nœud d'epée, que don-
noient ordinairement les dames. Par extension, on l'a dit des petites
libertés sans conséquence que permettoit une maîtresse, en refusant les
plus grandes. Et, par un retour piquant, on appela ensuite les rubans
qui formoient la « petite oije, » des « faveurs. »
XV. P. 368. — « On dit qu'il se mit au lict une fois à quatre heures
» parce qu'il trouva sa toilette mise. » « Toiletter se disoit du linge,
nappe ou serviette (petite toile) « qu'on estend sur la table pour se
» deshabiller le soir ou s'habiller le matin. » (Furetiere.)
II. — P. 354, lig. 2.
// portait le nom de Racan, à cattse que son père achetta un moulin....
et il voulut que ce petit garçon en portast le nom.
Niceron dit qu'il etoit né à la Roche-Racan, château situé à l'extré-
mité de la Touraine, sur les confins du Maine et de l'Anjou. On n'en
voit plus aujourd'hui de traces sur les cartes. Le père d'Honorat joi-
gnoit déjà à ses autres qualités celle de sieur de Racan.
Ce que des Réaux va ajouter, que ce père ne lui laissa que du bien
fort embrouillé, est confirmé par une lettre de Henry IV, à la date du
17 septembr-e 1605, laquelle accorde au jeune Racan un répit de deux
ans contre ses créanciers :
« Monsieur le Chancellier,
» Je n'ay pas moins esté meû de pieté que d'équité à accorder à
» Monsieur le Grand le respit de deux ans, dont il m'a supplié avec grand
» instance pour le jeune Racan, cousin germain desafemme, et duquel
» il est tutem* ; car oultre que le père de ce jeune gentilhomme est
» mort à mon service après m'avoir assisté en ces dernières gueres, et
» que je sçay la plus grande partie de ses debt.es procéder à cause de
RACAN ET AUTRES RESVEURS. 373
w mondict service ; la perte de ses père et raere en bas aage où il se
» retrouve, me convie à contribuer à ce remède, à la manutention de sa
» personne et maison. Et puis je désire conforter le filz en l'inclination
» qu'il a d'imiter et se rendre digne de continuer les services de son
» père, dont la mémoire m'est très-fraische et recommandée. Je vous
» prie donc ne différer luy despescher ledict respit pour ce temps-là, et
n vous ferez chose qui me sera très-agréable. Adieu, monsieur le Chan-
» cellier, ce 17* septembre, à Saint-Germain-en-Laye. »
III. — P. 356, lig. 2.
L'imitation de l'ode d'Horace: Beatus ille..., est faille sur la traduction
que luy en fit lej.chevalier de Bueil.
Ce chevalier etoit Claude de Bueil, seigneur de Tescourt et de la
Ville, frère delà comtesse deMoret, premier chambellan de Gaston, et
traducteur de la première partie de Dom Belianis de Grèce, 1625, et
du Pastor fido, 1637. Il mourut en décembre IQhh.
Par cette « imitation, » il faut entendre les admirables Stances sur
ta Retraite.
Tircis, il faut penser à faire ia retraitte :
La course de nos jours est plus qu'à demy t'aitte,
L'âge insensiblement nous conduit à la mort;
Nous avons assez veii, sur la nier de ce monde,
Errer au gré des flots nostre nef vagabonde,
11 est temps de jouir des délices du port.
Le bien de la fortune est un bien périssable,
Quand on basfit sur elle, on bastit sur le sable;
Plus on est eslevé plus on court de dangers.
Les grands pin- sont en butte aux coups de la tempeste^
Et la rage des vents brise plus tost le teste
Des maisons de nos rois que le toist des bergers, etc.
Sorelqui, dans \e Francien, liv. x, a voulu peindre Racan sous le nom
de Salluste, dit que pour traduire la quatrième eglogue de Virgile,
Salluste s'etoit aidé de la conférence de plusieurs traductions an-
ciennes.
Cette ignorance connue n'empèchoit pas Racan de faire d'excellens
vers français ; mais elle le fit un jour reprendre en pleine Académie,
sur le mot pteonisme^ qui lui etoit échappé ; il répondit : « On dit bien
solécisme! n II rencontra mieux quand, impatienté d'entendre les pé-
dans soutenir qu'en vers il falloit dire Vittcan^et en prose Vulcain : «A
» ce compte, » dit-il, « il faudroit m'appeler Eacancn vers, et Racainen
» prose ! »
374 LES lIISTOillETTlîS.
IV. — p. 350, lig. 15.
Sçachanl qu'il Uevoit aller remercier i»/"* de Gournay, qui luy avoit
donné son livre.
VOmbre, comme j'ai dit plus haut, parut en 1626. Racan avoit déjà
plus do trente-six ans, et n'etoit pas beau : Claude, chevalier de Bueil,
son cousin, etoit apparemment plus jeune et mieux fait.
Amadis Jamin, poëte du xyi*^ siècle, secrétaire et lecteur du I\oi,
d'abord recueilli par Ronsard, a publié deux volumes de Poésies, et de
plus a traduit les douze derniers livres do Vlliade, et le premier de
VOdijsséc. 11 etoit né vers 1540 et mort après 158Zi ; sa fille naturelle ne
devoit plus ùtre jeune (juand elle etoit à, M"** de Gournay, comme son
père avoit été ;\ Ronsard.
V. — P. 359, lig. 19.
Boisrobert joue cela admirablement.
Après avoir fait du conte le; divertissement de la société, Boisrobert
imagina d'en composer une comédie, sous le nom des Trois Orontes.
Paris, Courbé, 1653, m-h° ; mais il faut avouer que la pièce est bien
languissante. Deux galans veulent épouser Caliste ; Oronte a la pro-
messe du père, il arrive de Bordeaux, mais il est devancé par Cléante,
amant de Caliste, qui se présente avec une fausse lettre sous le nom
d'Oronte. Cependant cet Oronte a une maîtresse, qui, de son côté, se
déguise en Oronte pour empêcher son mariage avec Caliste. Tout cela
n'est égayé que par quelques plaisanteries de valets. Boisrobert dédia
la pièceà M'"' Martinozzi, nièce de Mazarin, depuis duchessede Modene.
On trouve aussi l'aventure des Trois Racans dans le Menagiana, et dans
les Bons mots et contes plaisans de Callieres.
Sorel est le premier qui ait raconté cette fameuse plaisanterie dans
le X* livre du l'rancion, publié longtemps après les huit premiers. Sal-
luste, masque de Racan, y doit faire une visite au pédant Hortensius,
masque de la Mothe le Vayer, etdeux de ses amis le devancent.
VI. — P. 35y,lig. 27.
Un petit livre... qu'on rt/>/)c/<o?7 la France mourante.
La France mourante, dialogue entre le chancelier de l'Uospilal, le
chevalier Baijard et la France malade, 1622, in-S". On l'a plus tard réu-
ni au Uccueil des pièces les plus curieuses faites pendant le règne du
connestable de Luynes. Et enfin M. Crapelet, en 1829, a eu l'idée assez
peu judicieuse de la réimprimer en l'appliquant à la politique du
nunuenf.
«ACAN ET AUTRES RESVEUKS. 375
VII. — P. 300, note.
Foylà, dit-il, uti potage à la grecque.
Le mot est dans le Menagiana ; mais Racan le dit chez le médecin
de Lorme, à M"'' deGournay. (Tom. ii, p. 344.)
VIII. — P. 362, lig. 10.
Quand il faisait l'amour à celle qu'il a espousée.
Magdelaine du Bois, fille de Pierre du Bois sieur de Fontaines-
Marany. Le mariage se fit pendant le siège de la Rochelle, et il en vint
quatre fils et trois filles. (Fragment inédit des Mémoires de Conrart.)
J'ai cité dans le premier volume, p. 322, une lettre curieuse de Mal-
herbe à M""' de Termes sur ce mariage.
Racan avoit, ainsi que Malherbe, la prétention d'aimer violemment
les femmes. Malherbe, parlant de lui, ecrivoit à Balzac : <( Du costé des
» bergers, son cas va le mieux du monde ; mais certes, pour ce qui
» est des bergères, il ne sçauroit aller pis. Cette affaire veut une sorte de
» soins dont sa nonchalance n'est pas capable. S'il attaque une place,
» il y va d'une façon qui fait croire que s'il l'avoit prise, il en seroit
» bien empesché. Et s'il la prend, il la garde si peu qu'il faut croire
» qu'une femme a esté bien surprise, quand elle a rompu son jeusne
» pour un si misérable morceau. Vous dites que vous luy ressemblez ;
» mais à qui le persuaderez-vous?» Cette lettre fut écrite vers 1625,
quand Malherbe avoit soixante et dix et Racan trente-six ans. « Je ne
» m'estonne point,» répondit Racan à Balzac, « siN... a esté si osé que
)) de censurer vostre éloquence, puisque M. de Malherbe a eu l'effron-
» terie de m'accuser de froideur, luy qui n'est plus que de glace et de
» qui la dernière maistresse est morte de vieillesse, l'année du grand
» hyver. Il a beau jeu à se vanter des merveilles de sa jeunesse, per-
» sonne ne l'en peut démentir, et pour moy, qui ne voudrois pas avoir
» donné ce qui me reste de la mienne pour les victoires du prince
» d'Orange ni pour la sagesse du cardinal de Richelieu, je serois bien
» mary d'estre en estât de luy pouvoir reprocher ce qu'il me reproche. >i
[Recueil des lettres nouvelles, Paris, 1634, tom. second, p. 295.)
IX. — P. 363, lig. 7.
A l'Académie... il vint avec un chiffon de papier.
Pellisson ne dit pas cela. «Le douzième discours (9 juillet 1035) est
» de M. de Racan, contre les sciences, t\m a esté imprimé depuis peu.
» Estant absent, il l'envoya de chez luy à l'Académie. La lecture en
376 LES HISTORIETTES.
» fut faite par M. de Serizay. » (Hisl. de l'Académie, édition de 1700,
p. 102.)
X. — P. 364, lig. 16.
Racan estant tuteur du petit comte de Marans.
Jean de Bueil, comte de Marans, marié, en avril 1660, à Françoisu
de Montalais, appelée M'"' de Chambellai. Cette dame, étant veuve, eut
le malheur de tenir sur M"' deGrignan un méchant propos que M""" de
Sevigné luy a fait grandement expier en cinquante endroits de ses
lettres.
XI. — P. 364, Hg. pénultième.
Le grand chagrin de ce pauvre homme, c'est qu'il a perdu le fdz dont il
espérait avoir contentement.
Honorât de Bueil, mort à l'âge de seize ans, le 23 juillet 1652. Il fut
enterré à Saint-Severin, et son père lui fit une epitaphe touchante,
placée dans l'édition de Coustelier, 1624, ^ la fin du second volunic.
Elle n'est pas dans tous les exemplaires.
Voici, sur Racan, les notes fournies à Colbcrt par Chapelain et Costart
en 1662.
« De Racan. Il n'a aucun fond et ne sçait que sa langue, qu'il parle bien
» en prose et en vers. 11 excelle principalement en ces derniers, mais
» en pièces courtes et où il n'est pas nécessaire d'agir de teste. On ne
» l'engageroit pas facilement à travailler, veû son grand aagc, sesinfir-
» mitez etses procez qui l'exercent depuis vingt ans. » {MHang. de titt.,
d'après les mss. de Chapelain, p. 226.)
« De Racan. Le premier poète de France pour le satyrique. Il a si peu
» de naturel pour le latin, qu'il n'a jamais pu apprendre son Confiteor;
» et il dit qu'il est obligé de le lire lorsqu'il va à confesse. Il est de la
» maison de Bueil. Son père estoit chevalier des ordres du Roy ; il a
» quarante ou cinquante mille livres de rente. » [!\lclangcs de des
Molets, t. II, p. 320.)
Dans les manuscrits de Beaucousin, M. de Monmerqué, qui les a acquis
à la vente de M. Boulard, a retrouvé une lettre de l'abbé de Marolles,
dont on nous saura gré de placer ici un long extrait. C'est le jeune
Brienne qui en avoit fourni la copie ancienne à Beaucousin.
« Je vous diray que M. de Racan estoit mal fait de corps et brilloit
» peu dans la conversation : mais ne laissa pas d'escriro admirablement
» bien en prose et en vers. Il estoit très-peu sçavant dans la langue
» latine, qu'il n'eut jamais assez d'esprit pour bien apprendre ; ce qui
» faisoit qu'il disoit à (ont le monde qu'il n'en sçavoitpas un mot. Cela
RACAN ET AUTRES RESVEURS. 377
» n'estoil pas véritable : il enteudoit assez bien les poètes latins pour
» les pouvoir lire en leur langue. Cependant il n'en avoit point dans
» son cabinet que de françois, et est cause en partie que j'ay tant tra-
» duit d'auteurs latins en nostre langue. Il avoit tous mes ouvrages et
» me tesmoiguoit en faire cas, en cela bien différent de ceux qui ne
» cessent de les blasmer, soit par jalousie, soit par ignorance. Car mes
» livres ne sont pas ni si meschans qu'ils le publient, ni si bons peut-
» estre que le croyoit M. de Fiacan.
» Je ne sçay rien de particulier de sa naissance, sinon que feu son
» perc estoit chevalier des ordres du Roy, à qui il donna son fîlz à l'aage
» de douze ans, et pour estre page de sa chambre. Il fut agréé, mais il
» ne plut pas dans la suite à son maistre, tant il estoit maladroit et
» malpropre. Cela fit qu'il se mit tout de bon à apprendre l'art de la
» poésie sous Malherbe, qui trouva ses premières productions assez
» bonnes pour mériter les sçavantes ratures dont sa main n'estoit pas
» chiche; car jamais personne ne barbouilla plus de papier que luy, et
» il luy arrivoit souvent de changer le biouenpis, dont je pourroisvous
» citer plusieurs exemples si je n'apprehendois d'être trop long et trop
» prolixe dans un billet. A propos de prolixe, c'est un vieux mot, mais
» il me fasche fort de ne m'en oser servir aussy souvent que je le souhait-
» terois. Il est si doux à l'oreille ! Pourquoy veut-on le bannir de nostre
» langue ?
» Voylà donc M. de Racan initié poète par Malherbe. Il ne pouvoit
» pas naistre sous une plus heureuse constellation, ny estre formé d'une
1) meilleure main. Il fit en peu de temps un progrès très-considérable,
» et je vous dois dire que le bon mot que vous avez sans doute remar-
» que dans la poétique du P. Rapin, jésuite, m'a esté volé, non par luy
» à la vérité, mais par quelque autre larron qui, me l'ayant ouy dire,
» le luy a rapporté, peut-estre comme estant de son invention, quoy
» qu'il soit purement de la mienne. Car j'avois escrit le premier, dans
» mes Eloges des hommes illustres que je me propose de donner au pu-
» blic, si toutefois mon grand aage, qui est ma plus considérable ma-
» ladie, ne m'en empesche; j'avois, dis-je, escrit le premier, enparlant
» de M. de Racan, qu'il estoit né poète sans le sçavoir, et ne s'en feust
» peut estre jamais apperceu si le peu de satisfaction que le Roy son
» maistre tesmoignoit avoir de ses services, ne luy eust donné l'envie
» d'essayer à faire des vers, pour se distinguer au moins par là de ses
» camarades. Ce rayon céleste (a) (c'est le bon mot que je me plains
» qu'on m'a volé) estoit tombé dans son esprit; ilnesçavoit rien, mais
» il estoit poète. Il eut bien desconcurrens et peu de semblables.
(a) Le P. Rapin a retranché céleste de cette belle période, parce que cela s'en-
tend assez. Pour moy, j'eusse mis : <• Ce rayon rstoil tombe du «iel d.nns son
" esprit, <'ar, etc. •■ (A'otc de M. de Briennc.)
378 LES HISTORIETTES.
» A peine eust-on veu à la Cour les premiers essays de sa muse, que
» tout le monde en devint amoureux, jusqu'à donner mesme de la
» jalousie à Malherbe, qui croyoit devoir estre seul adoré; mais il se
1) trompoit beaucoup à mon sens. Racan l'auroit surpassé sans doute,
» s'il ne se fust obstiné à le suivre trop en esclave, et au lieu d'estre le
» lacquais ou le page de Malherbe, nom que les railleries des courtisans
» luy imposèrent, i)arcc (ju'on croyoit le jeune Racan beaucoup plus
» à la suite de son maistrc Malherbe qu'à celle du Roy... si, dis-je, il
» eusteu assez d'audace pour ne se pas croire inférieur à son maistre,
» il l'auroit sans doute autant surpassé que Virgile surpasse Theocrite
» et Hésiode dans ses tendres Bucoliques et ses divines Georgiques.
» Je ne sçay pas bien quelle fut la première pièce de M. de Racan,
» mais je sçay bien que le progrès qu'il fit dans la poésie surprit Mal-
» herbe son maistre, en mesme temps qu'il estonnoit toutes les per-
» sonnes qui ne connoissoient le jeune Racan que par sa stupidité et
» sa malpropreté naturelles. Mais s'il a eu ces deffauts, peu considéra-
» blés pour un poète, ils ont esté tellement estouffés sous la grandeur
» de sa réputation et obscurcis par l'éclat de ses vers, que je ne m'en
» suis jamais apperceu, ((uoique je sois un des hommes du monde qui,
» en qualité de voisin et d'ami particulier, ait le plus conversé avec
» luy.
» De vous dire. Monsieur, s'il a esté mareschal de camp ou seule-
» ment mareschal de bataille, c'est ce que je ne puis bien décider; je
» sçay bien que c'est l'un ou l'autre. Pour mareschal de bataille, j'en
» suis très-certain, et je n'ay pas peine à croire qu'ayant sei-vi aux
» guerres de Languedoc et deDauphiné, sous le connestable de Lesdi-
» guiercs et le malheureux duc de Montmorency, où il fit connaissance
» avec MM. de Termes et Bussy de Bourgogne, tous deux attachés à la
)• personne de cet illustre gouverneur du Languedoc; je ne doute pas,
» dis-je, qu'il n'ait obtenu facilement, par leur moyen, le brevet de
» mareschal de camp dont vous estes en peine. Mais je ne vous l'ose-
» rois assurer, ])our n'en avoir moy-mcsme nulle certitude, etc.
» L'abbé de Villeloin.
>> te 10 mars 1677. •<
La maison de Biieil est une de celles qui ont fourni le plus de grands
hommes.
La première branche finit dans le xvii* siècle avec le neveu de Claude
de Bueil, dit le chevalier de Bueil, dont on a déjà parlé. Celui-ci ctoit
frère de la célèbre comtesse de Moret, maîtresse de Henry IV. {Ilistor.,
tom. I, p. 155-1G3.)
Ala seconde brandie, celle des seigneurs de lM>ntaines, détacliée de la
première à la (in du xn'^ siècle, appartenoit Jean de Bueil, seigneur de
M. DE BRANCAS. 379
Fontaines, dont le fils aîné fut Honorât de Bueil, père d'Anne de Bueil,
femme du duc de Bellegarde, et cousine germaine de Racan.
Le quatrième fils de Jean do Bueil fut Louis de Bueil, seigneur de
Racan, qui n'eut d'autre fils que notre poëte.
De sa femme Magdelaine du Bois, Racan eut deux fils et une fille.
Celle-ci épousa, en 1658, Claude de la Riviere-Montigny, sieur de la
Bresche. Le second fils, Antoine, dit le chevalier de Bueil, ne fut pas
marié. L'aîné, Antoine de Bueil, seigneur de Racan après son père^
et baron de Fontaines-Guerin, eut deux enfans, dont le second, Pierre
de Bueil, colonel du régiment de Bueil, paroît avoir continué la posté-
rité, après la mort de son frère, tué en 1709 ;\ la bataille de Mal-
plaquet.
Aujourd'hui cette grande et illustre maison paroît éteinte,
XII. — P. 366, lig. 26.
M. de Brancas, filz du duc de Villars.
Charles, comte de Brancas, dont nous avons rappelé les ancêtres et
les descendans, à la fin de l'Historiette de sa mère. M""* de Villai-s.
(Tom. I, p. 218.)
Il fut, en 1661, nommé chevalier d'honneur de la Reine-mère. C'est
le fameux distrait de M°"^ de Sevigné, le Menalque de la Bruyère. Mais
M""* de Sevigné parloit de Brancas longtemps après la rédaction des
Historiettes, et la Bruyère plusieurs années après sa mort. Les souve-
nirs de des Réaux ont donc encore un intérêt particulier. Bussy, dans
ine lettre écrite au marquis de Trichateau, le 30 avi'il 1680, dit: « Le
Roy vient de donner cent raille francs à Brancas, pour le recompen-
ser de la charge de chevalier d'honneur de la Reyne-mere, qu'il avoit
perdue par sa mort, après l'avoir achetée vingt mille escus... Ce n'est
> pas que j'estime Brancas; il a de la qualité et de l'esprit, à ce qu'on
dit : mais il a un air important qui feroit haïr le cavalier du monde
le plus accomply; de plus, il est d'ordinaire assez distrait, et comme
) il a vu que ses resveries ont fait rire le Roy quelquefois, il les a
) outrées pour se faire un mérite d'une imperfection qui faisoit parler
de luy, n'y pouvant réussir par de meilleures voies. » (Msc. de la
Biblioth. nat.)
XIII. — P. 367, lig. 11.
Des voleurs l'arrestcrent par (a bride.
Cela est moins invraisemblable que la variante donnée par la Bruyère :
« Menalque levient une fois de la campagne ; ses laquais en livrée
» cntrefircnnent do le voler et y réussissent. Ils descendent de son car-
380 LES HISTORIETTES.
» rosse, luy portent un bout de flambeau sous la gorge, luy demandent
» la bourse, et il la rend. Arrivé chez soi, il raconte son aventure à ses
» amis, qui ne manquent pas de l'interrompre sur les circonstances, et
» il leur dit : Demandez à mes gens; ils y estaient. »
L'histoire du carrosse de M. d'Hequetot est également dans la
Bruyère: « Menalque descend du palais, et trouvant au bas des degrés
» un carrosse qu'il prend pour le sien, il se met dedans. Le cocher
1) touche, etc. »
Odet d'Harcourt, comte de Croisy, marquis de Thury et gouverneur
de Falaise, mourut en novembre 1661. Il etoit frtre de Gilonne d'Har-
court, la célèbre marquise de Pionnes puis comtesse de Fiesque, et de
François d'Harcourt, marquis de Beuvron. Loret, souvent plus malin
(ju'il n'en a l'air, pourroit bien avoir voulu rappeler le conte de Yavoine
et du foin, quand il dit, en annonçant la mort de Croisy :
II estoit (lu sang des Beuvrous
lit valoit seul quatre barons,
Estant fort riche on héritages,
Pommes, lilés, foin et iiaturages,
Dont audit pays les fermiers
Rendent par an de grands deniers.
(Mtisc historique du 19 noveml)re 1661.)
La Bruyère a encore forcé l'histoire du jour de noces : « Menalque se
» marie le matin, l'oublie le soir et découche la nuit de ses noces. »
La femme que choisit le comte de Brancas ne s'etoit élevée que par
son premier mariage. C'etoit Suzanne Garnier, fille de Matthieu Garnier,
trésorier des parties casuelles, et sœur de M""' d'Orgere et d'Oradour,
dont on parlera ailleurs. En premières noces, elle avoit épousé François
de Brecey, seigneur d'Isigny, en Normandie, et non pas François de
Brezé, comme écrit la Chesnaye des Bois. Les premiers n'avoient rien
de commun avec les seconds. Cette M""* de Brancas a été rendue cé-
lèbre par un grossier libelle en vers : Les Amours de AP^' de Brancas,
inséré dans la plupart des éditions des Amours des Gaules.
Pour le comte de Brancas, il n'etoit pas seulement distrait ou rê-
veur, on verra dans plusieurs Historiettes qu'il aimoit les femmes et
«lu'il en etoit assez bien traité. Il aimoit aussi le jeu : "
L'autre jour, près <Ies Bernardins,
On me dit qu'un de nos lilondins,
Que monsieur de Brancas on nomme,
Avoit «nttrappé grosse somme
Au jeu de caries et de dez,
Où plusieurs furent eschaudez,
Y gagnant ledit personnage
Six mille esrus et davantage
(Loret, Mmr historique, h octobre 1hS2.)
LA FOIVTAIXE. 381
XIV. — p. 368, lig. 13.
La Fontaine.
Il ne faut pas oublier qu'à l'époque de la rédaction de cette Histo-
riette, la Fontaine, âgé de trente-six ans, n'avoit encore publié que la
traduction de VEunuque de Térence, en 165^i.
A la suite de VEpitre au Surintendant &ur l'entrée de la Reine, par
la Fontaine, des Réaux lui-même, sur un exemplaire arrivé à M. de
Monmerqué a écrit la note suivante : 'i La femme de la Fontaine est
» niepce de Jannard, substitut, qui fait la charge de procureur général
» au lieu de M. Fouquet. Elle luy a donné entrée chez le Surintendant,
» qui l'employé à faire en vers la description de Vaux. Cependant, la
» Fontaine s'e?t obligé à luy envoyer quelque bagatelle tous les quar-
» tiers, comme on paye les rentes. Or, le Surintendant n'ayant pas
» voulu se trouver à l'entrée de la Reyne, en qualité de procureur ge-
» néral du Parlement, la Fontaine luy en fit une relation. »
On lit aussi quelques détails non relevés par M. Walckenaer, sur
la Fontaine, dans Le livre sans nom. divisé en cinq dialogues; Paris,
1695. Ce livre est attribué à l'auteur de YArleqtiiniana, Cotolendi.
«Qui diroit au bon La qu'il est visionnaire, il se fascheroit;
mais qu'on luy dise qu'il a l'esprit toujours plein de belles idées, il
fait un rire gracieux qui montre bien qu'on le chatouille au bon en-
droit. Cependant, au fond, c'est un visionnaire ; il n'est jamais où
on le voit, tousjours abstrait quand on luy parle, et au lieu de re-
pondre à ce qu'on luy demande, il fait à tout moment des spropositi
ridicules. — On me l'a dépeint, tel que vous dites, .... mais aussy
ne luy en fait-on point accroire ; je l'ay trouvé d'assez bon sens
autrefois, et il n'avoit point ces abstractions que vous luy donnez. —
) Il en a présentement jusqu'au point... qu'au sortir du disner avec
) ses amys, il ne les connoist pas dans la rue. Un soir, luy et moy
I fusmes au convoy du pauvre Miton ; huict jours après, il alla chez
> luy demander à sa niepce des nouvelles de sa santé. Rien davantage,
) il avoit un procès assez considérable qu'on devoit juger un certain
> jour. M. de M..., son amy, luy envoya, à la campagne où il estoit,
) un cheval pour venir solliciter les juges; en chemin, il oublia son
) procès : il s'arresta à une lieue de Paris, chez un de ses amys, où il
) parla de vers toute la nuict. Le lendemain, il n'arriva qu'à dix
heures du matin que les juges estoient au Palais ; il n'en trouva pas
un. Comme M. de M... luy reprochoit sa négligence, il luy respon-
dit qu'il estoit bien aise de n'avoir trouvé personne, qu'aussy bien,
D il n'aimoit point à parler ny à entendre parler d'affaires, » {Livre
s/ins nom. p. 130.)
SS'i LES HISTORIETTES.
XV. —p. 370, lig. 15.
Une abbesse s'estant retirée dans la ville.
Je crois que par abbesse, dans l'iutérôt de la morale, il faut en-
tendre ici « la maîtresse d'un mauvais lieu. » C'est en eftet le nom hon-
nête que ces dames prenoient déjà ; et des Réaux auroit apparemment
dit : « l'abbesse de je ne sais quel couvent, » s'il s'etoit agi d'une per-
sonne de religion. Il y a toutefois, dans le recueil des Œuvres de la
Fontaine, une epître adressée en 1G58 t\ une abbesse de Rrabant, où il
s'excuse de ne pouvoir traverser les lignes ennemies qui les sépaient.
Terminons cette Historiette, trop courte mais bien précieuse, par les
touchantes lignes que le chanoine Maucroix, ami commun dedesRéaux
et du poëte champenois, avoit tracées au moment, pour ainsy dire, où
il apprit la mort de la Fontaine. Déjà Louis Paris les avoit publiées
en 1842, dans le premier extrait des Mémoires de Maucroix, fait
pour la Société des Bibliophiles de Reims.
« Le 13 mars 169/i, mourut à Paris mon très-cher et très-fidele amy,
» M. de la Fontaine. Nous avons esté amis plus de cinquante ans, et
» je remercie Dieu d'avoir conduit l'amitié extresme que je lui portois
» jusques à une aussi grande vieillesse, sans aucune interruption ny
» aucun refroidissement; pouvant dire que je l'ay tousjours tendre-
» ment aimé, et autant le dernier jour que le premier. Dieu, par sa
» miséricorde, le veuille mettre dans son saint repos ! C'estoit l'ame la
» plus sincère et la plus candide que j'aye jamais connue; jamais de
» déguisement ; je ne sçay s'il a menty de sa vie. C'estoit au reste un
» très bel esprit, capable de tout ce qu'il vouloit entreprendre. Ses
» Fables, au sentiment des plus habiles, ne mourront jamais et luy
» feront honneur dans toute la postérité ! »
Que pourroit-on ajouter à de telles paroles?
XCVIll.
BOISROBERT.
[François le Melel de Boisrobert, ne à Caen, vers 1592, mort le
30 mars 1662).
Boisrobert se nomme Metel. 11 est filz d'un
procureur' de Rouen, qui estoit Huguenot; il Fa
esté luy-mesme aussy. 11 se mit au barreau à Rouen.
Un jom% estant prest à plaider, une maquerelle le
vint advertir qu'une fille l'accusoit de luy avoir fait
deux enfans. Il ne laissa pas de plaider, et après il
va pour se défendre; mais ayant eu avis que le
juge d'une petite justice par-devant lequel il avoit
esté assigné, le vouloit faire arrester, il se sauve,
vient à Paris, et s'attache au cardinal du Perron ^,
puis au cardinal de Richelieu, qui ne le goustoit
point, et plusieurs fois il gronda ses gens de ne le
pas desfaire de cet homme. « Hé ! Monsieur, » luy
dit Boisrobert , qui a tousjours esté lasche, «vous
» laissez bien manger aux chiens les miettes qui
» tombent de vostre table. Ne vaux-je pas bien un
» chien '■ ? »
' Dans une epistre, il fait son père advocat.
2 II fut à la Reyne-mere, et comme elle estoit à Blois, il eut ordre de
traduire le Pastor Fido. L'intention de la Reyne estoit de faire sem-
blant de s'amuser à faire jouer des comédies, pour cmpescher M. de
Luynes d'avoir du soupçon d'elle. Mais Boisrobert ayant demandé six
384 LES HISTOIUETTES.
Boisrobert, pour subsister à la Cour, s'avisa
d'une subtile invention ; il demanda à tous les
grands seigneurs de quoy faire une bibliothèque.
Il menoit avec luy un libraire qui recevoit ce qu'on
donnoit, et le luy rendoit moyennant tant de pa-
raguante. Il a confessé depuis qu'il avoit escro-
qué cinq ou six mille francs comme cela\ On n'a
os,é mettre le conte ouvertement dans Francion,
mais on l'a mis comme si c'eust esté un musicien
qui eust demandé , pour faire un cabinet de toute
sorte d'instrumens de musique.
Il devint chanoine de Saint-Ouen de Rouen. Il
fut assez imprudent pour faire quelque raillerie du
Chapitre ; mais le Chapitre luy en fit faire une
espèce d'amende honorable en présence de tous les
Chanoines.
M"" de Toussy, aujourd'huy M'"' la mareschale de
la Motte , tomba malade dans l'abbaye de Saint-
Amand de Rouen, dont sa tante estoit abbesse.
Boisrobert, chanoine de Nostre-Dame, promit à la
malade que l'on ne sonneroit point les cloches de
l'église cathédrale de cette ville là, le jour de la
Vierge ; il ne put l'obtenir. Le lendemain il envoya
mois, on luy dit : « Vous n'estes pas notre fait. » A propos de la
Delà maison de r Au- Reync-mere, Verderonne* dit un jour à Boisrobert : « J'ay esté page
bespine. ,, ^^ ^^ Reyne-mere. — Hé quoy ! » luy dit Boisrobert, « se peut-il
» que vous ayez esté page de la Reyne-mere, et que je ne vous aye
» point connu ? » Comme vous verrez , on l'a accusé d'aimer les
pages.
^ Boisrobert dit qu'ayant demandé les Pères à M. de Candale, il
luy respondit : « Je vous donne le mien de bon cœur. »
BOISUOBliRÏ, 585
des vers sur cela à M"" de Toassy, où il luy disoitque
M"*-" de Beuvron (c'est aujourd'huy M'"" d'Arpajon),
sa rivale en beauté, avoit par son crédit, comme
fille du gouverneur du vieux Palais , empesché cjue
le Chapitre ne fist cette galanterie ; elle esperoit
que, son mal continuant, ses appas en diminueroieiit.
Les Chanoines furent assez sots pour se mettre en
colère contre Boisrobert : il fut interdit; il en ap-
pella comme d'abus ; enfin on dit au Chapitre qu'il
se tourneroit en ridicule, et l'interdiction fut levée.
Il dit que, de ce temps-là, on s'avisa de jouer
dans un quartier de Rouen une tragédie de la Mort
d'Ahel. Une femme vint prier que son filz en fust,
et qu'elle fourniroit ce qu'on voudroit. Tous les per-
sonnages estoient donnez, cependant les offres estoient
grandes; on s'avisa de luy donner le personnage
du Sang d'Ahel. On le mit dans un porte-manteau
de satin rouge cramoisy , on le rouloit de derrière le
théâtre, et il crioit : « Vengeance ! vengeance! ^ »
11 conte encore qu'ayant fait un voyage à Rome,
et ayant salué jusqu'à se prosterner un certain car-
dinal Scaglia, qui ne luy rendit point son salut, il
crut qu'il y alloit de l'honneur de la nation, surtout
ayant deux estafiers après luy. La première fois donc
qu'il rencontra ce Cardinal, il enfonça son chapeau
et le regarda effrontément entre les deux yeux sans
le saluer. Le Cardinal en colère fait courir après
1 II dit qu'un homme de sa connoissance avoit mis toute la Bible en
vaudevilles qu'on appelle Guéridons. Et il en sçait quelques vers qu'il a
bien la mine d'avoir faits.
II. 25
386 LES HISTORIETTES.
Iiiy : il se sauve dans une église. Le Cardinal s'ex-
cusoit sur sa mauvaise veûe pour la première fois, et
disoit qu'à la seconde quel coglion l'havea vitupe-
rato. Il fallut capituler, et il en fut quitte pour
saluer à l'avenir le Cardinal fort humblement.
Il y avoit alors un gentilhomme breton à Rome,
à qui il prit une telle haine pour les Prostrés et
surtout pour les Cardinaux, que quand il prenoit
un cocher, c'estoit à condition de n'arrester point
devant eux ; tous le luy promettoient , mais ils luy
manquoient tous de parole ; et luy se mettoit à
pisser quand ils arrestoient. Les Cardinaux ne fai-
soient qu'en rire, et chascun le monstroit au doit.
Non content de cela, il fit venir le curé de son vil-
lage, par belles promesses, et quand il fut à Rome,
il l'intimida tant qu'il l'obhgea à se faire doyen de
Laquais suivans, ?i ses estafiei's *, avcc une soutanille qui ne luy alloit
Rome. ' i j
qu'au genouil. On s'en plaignit à l'ambassadeur
de France , qui envoya quérir ce maistre fou.
« Monsieur, » luy respondit nostre homme , « c'est
» que j'ay cru que je ne pouvois mieux humilier les
» Prestres qu'en faisant un prestre estafier, et puis-
» qu'ils le prennent là, je le feray le dernier de
» tous les miens. Il m'a cousté deux cens escus à
» le faire venir, je n'ay garde d'avoir employé cet
» argent pour rien. » Enfin on fut contraint de faire
évader ce prestre'.
Boisrobcri. "• Un jour qu'il * cstoit avec le Cardinal, alors evesque de Luçon,
on apporta des chapeaux de castor. L'Evesque en choisit un :
« Me sied-il bien , Boisrobort? — Ouy, mais il vous sieroit encore
BOISROBERT. 387
Boisrobert alla en Angleterre avec M. et M"'^ de
Ghevreuse , au mariage de Madame *, pour y at- '^" ^^-'*-
trapper quelque chose. Il y tomba malade, et fit une
élégie oii il appelloit l'Angleterre un climat barbare.
Estourdiment il la monstra à M""* de Ghevreuse,
qui, aussy sage que luy, alla dire au comte de Gar-
lile et au comte d'Hollant qu'il avoit fait une élé-
gie, et la luy envoya demander pour la leur mons-
trer. Il respondit qu'il ne l'avoit point et que, quand
il l'auroit , elle sçavoit bien qu'il ne devoit point
l'avoir. « Ah ! » leur dit-elle, « vous ne sçavez pas
» pourquoy il ne la veut pas donner, c'est qu'il y
» mieux s'il estoit de la couleur du nez de votre aumosnier. » C'estoit
M. Mulot*, alors présent, qui depuis ne le pardonna jamais à Boisro- voy. Historiette de
bert. Une fois ce pauvre M. Mulot qui aimoit le bon vin, en attendant Richelieu.
l'heure d'un desjeusner, alla à la messe à l'Oratoire. Par malheur,
c'estoit M. de Berulle, depuis cardinal qui , avant que de consacrer,
s'amusa à faire je ne sçay combien de méditations. Mulot enrageoit,
car il voyoit bien que tout seroit mangé. Enfin, après que tout fut dit,
tout furieux il s'en va trouver M. de Berulle : « Vrayment, » luy dit-il,
« vous estes un plaisant homme de vous endormir comme cela sur le
» calice : allez, vous n'en valez pas mieux pour cela. »
— Une fois que le Conseil estoit au pavillon de Charenton, il* pria m. Mulot.
M. d'Effiat, alors premier escuyer de la Grande escurie, de l'y mener
pour quelque afTaire. D'abord Mulot fut expédié, car on luy refusa ce
qu'il demandoit. Chagrin du mauvais succez, il presse peu civilement
d'Effiat de s'en retourner. « Je n'ay pas fait encore. — Ah! me voulez-
» vous laisser à pié? — Non, mais ayez patience. » Il grondoit. — «Ah!
» mons de Mulot, mous de Mulot, » dit d'ElBat avec son accent d'Au-
vergnac. « — Ah ! nions Fiat, nions Fiat, » respond Mulot, «quiconque
» m'allongera mon nom, je luy accourciray le sien ; » et tout en colère
s'en alla à pié.
— Un jour qu'il avoit bien la goutte, Boileau* rencontra son laquais : Giies Boiieau, frère
« Comment se porte ton maistre ? » luy dit-il. <( — Monsieur, il souffre ^'°^ ^ espreaux.
» comme un damné. — Il jure donc bien? — Monsieur, » répliqua
naïfvement le laquais, « il n'a de consolation que celle-là dans son
» mal. »
388 LES HISTORIETTES.
» appelle l'Angleterre un climat barbare. » Le comte
de Gaiiile ne se tourmenta pas autrement de cela,
mais le comte d'Hollant, qui pretendoit en galante-
rie, en querella Boisrobert la première fois qu'il le
vit, et mesme en présence de M""' de Chevreuse.
Boisrobert s'excusa, et dit qu'il tenoit pour bar-
bares tous les lieux où il estoit malade , et qu'il en
auroit dit autant du paradis terrestre en pareille
occasion , « et depuis que je me porte bien , et que
» le Roy m'a fait la grâce de m' envoyer trois cens
» jacobus , je trouve le climat fort raddoucy. » Le
comte de Carlile oyant ce qu'il disoit , dit : « Cela
» n'est pas mal trouvé ; » mais l'autre enrageoit.
Au retour, ils accompagnoient M'"*' de Chevreuse,
et Boisrobert, à quelques milles de Londres, en
montant un costau qui est sur le bord de la Tamise,
dit , comme tout le monde avoit descendu à cause
que le chemin estoit fort rude ; « Mon Dieu !
» Madame, le beau pays ! — C'est pourtant un
» climat barbare, » dit le comte d'Hollant, qui avoit
tousjours cela sur le cœur.
Boisrobert avoit achepté quatre haquenées ; il fit
demander par M"'" de Chevreuse permission au duc
de Bouquinquant , grand amiral , de les faire passer
en France. Bouquinquant, dans le passe-port, ne
put s'empescher , après ces mots : quatre chevaux,
d'adjouster : pour le tirer d'autant plus promptement
de ce climat barbare \ Comme Boisrobert faisoit un
^ (.1/0^5 biffés.) Je vous laisse à penser combien il eust mal passé
son temps, sans la considération du mariage.
BOISROBERT. 389
jour reproche de cela h M"'" de Ghevreuse : « Vray-
» ment, » luy dit-elle, « ce n'est pas la plus grande
)) meschanceté que je vous ay faitte ; je vous ay fait
» contrefaire le comte d'Hollant une fois que le
» roy d'Angleterre et luy estoient cachez derrière
» une tapisserie. » Or ce comte d'Hollant disoit :
foulistiquer pour distinguer.
Boisrobert, bien estably chez le cardinal de Ri-
chelieu, se mit, car il est officieux, à servir tous
ceux qu'il pouvoit. H avoit présenté au Cardinal le
Panégyrique de Gombaud* : le Gardinal le prit, le re?"f"ie cordo„'"d''u
'^'^ ■* '■ Saint-Esprit; 14 mai
fit mettre auprès de son lict, et dit : « Je m'esveille- **^^-
» ray cette nuict, et je me le feray lire. » Ge n'estoit
pas le compte de Boisrobert, et encore moins de
Gombaud , qu'un garçon apoticaire , qui couchoit
dans la chambre de son Eminence, leûst cette pièce.
Il se glisse tout doucement et la prend ; le Gardinal
s' estant esveillé, ne trouve point le panégyrique ; il
envoyé voir si Boisrobert estoit couché ; on luy
dit que non : Boisrobert descend , luy avoue tout,
et adjouste qu'exprès il ne s'estoit point couché : il
lut les vers, qui plurent extresmement au Gardinal.
En ce temps-là, je ne sçay quel provincial desdia
un livre à Boisrobert, où il luy donnoit la qualité
de favory de campagne du Cardinal de Richelieu.
M. d'Orléans appclloit du Boulay*, un de ses offi- siS'nm.^y^^
ciers, bougre de campagne, et feu Renaudot, le gazet- *o°-
tier, donnoit le titre de femme de campagne du due
de Lorraine à M"* de Gantecroix.
Boisrobert tesmoigna en l'affaire de Mairct*. que
Historiette «le Gas-
tcaii MaIrpJ.mort en
1686.
390 LES HISTORIETTES.
je m'en vais conter^ non-seulement de la bonté,
mais de la générosité. Mairet luy avoit rendu de
mauvais offices auprès de feu M. de Montmorency,
et avoit baffoué ses pièces de théâtre ; cependant ,
se voyant réduit à la nécessité ou de mourir de
faim ou d'avoir recours à Boisrobert, il va trouver
M. Chapelain et M. Gonrart, leur dit que M. le
Cardinal avoit respondu à M'"° d'Aiguillon et à
M. le Grand-maistre, que Boisrobert et luy feroient
Ce que demandoit cola *, ct qu'lls u'cu parlasscut plus ; qu'il reconnois-
soit sa faute, et que s'ils vouloient parler pour luy
îi M. de Boisrobert, il pouvoitles asseurerqu'ù l'ave-
nir on auroit tout sujet d'estre satisfait de son
procédé. Ils parlèrent h Boisrobert, qui leur dit:
« Je veux qu'il vous en ayt l'obligation. » En eifect,
il dit au Cardinal : « Monseigneur, quand ce ne se-
impiimée en 1629. » YoU qu'ù causc dc luSUvie*, toutes les dames
» vous béniront d'avoir fait du bien au pauvre
» Mairet. » Le Cardinal luy donna deux cens escus
de pension ; Boisrobert les porta à M. Gonrart :
Mairet l'en vint remercier, et se mit à genoux de-
vant luy.
Quand on fist l'Académie, Boisrobert y mit bien
''taux Illustres''*"'' dos passo volaus \ On les appelloit /es en fans de la
pitié de Boisrobert : par ce moyen , il leur fit don-
ner pension. 11 s'appelle, en je ne sçay quelle
epistre imprimée, (car son volume d'Epistres est ce
qu'il a fait de meilleur), Solliciteur des Muses affli-
gées. Il envoyoit souvent la pension à ces pauvres
diables d'autheurs, et à loisir il se remboursoit. Jl
En 16^7. Voy. plus
BOISROBERT. 391
s'est brouillé bien des lois avec le Cardinal pour
avoir parlé trop hardiment pour le tiers et pour le
quart; mais souvent il disoit au Cardinal tout ce
qu'il vouloit, quoyque le Cardinal ne le voulustpas.
Il sçavoit son foible, et voyoit bien que S. E. aimoit
à rire.
M. le mareschal de Vitry ayant esté mis dans la
Bastille*, envoya prier Boisrobert à disner, luy fit Lnu" /yîlîorieàfde
•^ ^ "^ l'archevêque de Bor-
grand chère , et luy fit promettre de dire telle et •'"'""' p- ^^■
telle chose au Cardinal. Boisrobert, le soir, entre
dans la chambre de S. E. : « Ah ! voylà le Bois ,
» voylà le Bois, » dit le Cardinal. (11 Tappelloit ainsy
à cause que M. de Chasteauneuf, pom' obliger Bois-
robert à le servir auprès de certaines filles de sa
connoissance , luy avoit scellé le don d'un certain
droit sur le bois qui vient de Normandie , quoyque
cette affaire eust esté rebuttée cent fois. ) « Eh bien !
» le Bois, quelles nouvelles? » car il le divertissoit à
luy conter tout ce qu'il avoit appris. « Monseigneur,
» je vous diray premièrement que j'ay fait aujour-
» d'huy la plus grande chère du monde; vous ne
» devineriez pas où : à la Bastille, dans la cham-
» bre de M. de Vitry. — Ouy ! » dit le Cardinal.
— « Monseigneur , vous ne sçauriez croire qu'il est
» devenu sçavant. Il m'a voulu prouver par des pas-
» sages des Pères , que frapper un evesque n'estoit
» pas un crime. — Ah! le Bois, » reprit le Car-
dinal, «vous estes donc le censeur du Roy? le Roy
» a blasmé son action et veut qu'il en soit puny. »
( Notez que M. de Bordeaux estoit alors mieux avec
392 LES HISTORIETTES.
le Cardinal qu'il n'a jamais esté.) «Ah! vraymenl,
» vous laittes le petit ministre , je vous trouve bien
» insolent. — Vous avez raison , Monseigneur , pu-
» nissez-moy, ordonnez tout ce qu'il vous plaira
)) contre moy, si je parle plus d'affaires d' Estât. » Et
après, pour le tirer de ce discours : « Monseigneur,
» vous m'aviez donné, » luy dit-il, « une telle com-
» mission : cela a réussy comme vous souhaittiez. »
11 luy en rendoit compte exactement. « Mais, Monsei-
» gneur, on m'a chargé encore de vous dire —
» Mais est-ce affaires d' Estât? — Non, ce n'est point
» affaires d'Estat ; que M. le mareschal de Vitry
» donnera tant à sa fille en mariage, et que vous luy
» fassiez l'honneur de luy donner qui vous voudrez
» pour mary. — Tout beau! le Bois, » dit le Cardi-
nal.— « Monseigneur, » disoit Boisrobert pour rompre
les chiens, « vous m'avez fait l'honneur de me don-
» ner encore une telle commission, j'ay fait cecy et
» cela. » 11 luy en disoit toutes les circonstances.
« A.ttendez, Monseigneur, j'ay encore eu charge de
» vous dire que M. de Vitry a un grand garçon bien
» fait, bien nourry, qu'il vous offre ; ordonnez de luy
» comme vous voudrez. — Ah! le Bois! — Mon-
» seigneur, ma troisiesme commission estoit... » 11
luy parloit encore de je ne sçay quel ordre qu'il luy
avoit donné. « Ce vilain, » disoit le Cardinal, « me
» dira tout, sans que je m'en puisse fascher. »
'"'•iv'chS"'''''' Sitois, médecin du Cardinal*, et luy se servoient
l'un l'autre. Une fois, à Ruel, Boisrobert estoit mal
avec le Cardinal, pour quelque chose dont il Tavoil
BOISROBERT. 393
trop pressé. L'Eminentissime, las de rentretien de
(juelqirun qui Tavoit fort ennuyé, demanda à Sitois:
« Qui est là dedans? — Il n'y a, » dit Sitois, « que le
» pauvre Boisrobert ; je l'ay trouvé tantost dans le
» parc , qui alloit se jetter dans Teau , si je ne l'en
» eusse empesché. — Faittes-le venir, » dit le Cardi-
nal. Boisrobert vient, et luy fait des contes. Ils
furent meilleurs amys que jamais'.
Une fois, il fit prendre au Cardinal un page en
despit de luy. Le Cardinal y estoit plus délicat que
le Roy , et ne vouloit que des filz de comte et de
marquis. Un président de Dijon y vouloit mettre son
filz : il en fait parler par Boisrobert , et le Cardinal
le rebutte. Boisrobert ne laisse pas d'escrire qu'on
envoyast ce garçon, le plus brave qu'on pourroit. Il
vient ; Boisrobert dit au Cardinal : « Monseigneur, le
» page que vous m'avez promis de prendre est
» arrivé. — Moy ! — Ouy , Monseigneur. — Je
» n'y ay pas songé. — Hé ! Monseigneur , parlez
» bas; il est là; s'il vous entendoit, vous le deses-
» pereriez. — Moy! je vous l'ay promis? — Ouy,
» Monseigneur; ne vous souvient-il pas que ce fut
» un tel jour qu'un tel vint vous faire la reve-
.) rence, etc.? » Enfin il fut contraint, par l'effron-
terie de Boisrobert, de le prendre.
En revanche, s'il a servy bien des gens, il a bien
nuy aussy à quelques-uns. Des Marestz se plaint
1 {Mots biffés.) Aussy, comme dit l'Histoire do T Académie, Sitois
disoit tousjours an Cardinal : « Tous mes remèdes ne feront rien s'il
» n'y entre un peu de Boisrobert. »
39/r LES UlSTORllif TliS.
fort de luy; car il dit qu'en lisant au Cardinal les
Remarques de Costart sur les odes de Godeau et de
Chapelain, en un endroit où l'auteur comparoit
avec les stances de ces messieurs dix ou douze vers
d'une pièce au Cardinal, qu'il louoit fort, Son Emi-
nence ayant demandé de qui elle estoit, il dit de
Marbeuf ' ; et elle estoit de des Marestz. Il crai-
gnoit des Marestz, que Bautru introduisoit chez le
Cardinal et qui, ayant un esprit universel et plein
d'inventions, estoit assez bien ce qu'il luy falloit.
Mais il n'estoit pas propre pour faire rire , et Bois-
robert eust tousjours eu son véritable employ tout
entier. Il fit bien pis une autre fois, car, par une
malice de vieux courtisan , il s'avisa de dire au
Cardinal que ses gardes ne se contentoient pas
d'entrer à la Comédie sans payer, mais qu'ils y
meinoient encore des gens. « Ouy ! » dit le Cardinal,
qui vouloit se faire aimer de ses gardes ; « on se
» plaint donc de mes gardes ? » Boisrobert se retire,
et en passant par la salle des Gardes, il leur dit que
des Marestz avoit dit telle et telle chose contre eux.
Depuis cela, les Gardes poussoient le valet de des
Marestz aux ballets et aux comédies mesmes qu'il
avoit faittes, et luy disoient que c' estoit à cause
qu'il estoit à M. des Marestz. Des Marestz s'en
plaignit à Manse, lieutenant des Gardes, qui leur
en demanda la raison. On sceût que c' estoit une ca-
lomnie de Boisrobert.
' n y a des vers d'un liouimo de cr nom-là au Cardinal, mais (jui nr
sont Kiiî^rcs bons.
HOISIIOBEUT. 395
Pour divertir le Cardinal et contenter en mcsme
temps l'envie qu'il avoit contre le Cid, il le fit jouer
devant luy en ridicule par les laquais et les mar-
mitons. Entre autres choses, en cet endroit oij
D. Diegue dit à son filz :
Rodrigue, as-tu du cœur ?
Rodrigue respondoit :
Je n'ay que du carreau.
On ne sçauroit faire plus plaisamment un conte
qu'il le fait; il n'y a pas un meilleur comédien au
monde. Il est bien fait de sa personne. 11 dit qu'une
fois, par plaisir, le Cardinal en particulier leur or-
donna à luy et à Mondory ^ de pousser une passion, msioneue.
et que le Cardinal trouva qu'il avoit mieux fait que
le plus célèbre comédien qui ayt peut-estre esté
depuis Roscius.
11 fut pourtant disgracié une fois pour long-
temps, et il ne profita guères de son restablisse-
ment. Voicy comme j'en ouy conter l'histoire.
A une repétition, dans la petite salle, de la grande
comédie que le Cardinal fit jouer *, Boisrobert, à sans .louic Mirame.
qui il avoit donné charge de ne convier que des
comédiens, des comédiennes et des auteurs, pour
en juger, fit entrer la petite Saint- Amour Frerelot,
une mignonne qui avoit esté un temps de la troupe
de Mondory. Comme on alloit commencer, voylà
M. d'Orléans qui entre : on n' avoit osé luy refuser
la porte ; le Cardinal enrageoit. Cette petite gour-
gandine ne se put tenir ; elle levé sa coiife, et fait
396 LES HISTORIETTES.
tant que M. d'Orléans la voit. Quelques jours après,
on joue la grande comédie. Boisrobert et le che-
valier des Roches avoient ordre de convier les
dames ; plusieurs femmes non conviées, et entre elles
bien des je ne sçay qui , entrèrent sous le nom
de M™* la marquise cclle-cy, et M""' la comtesse
celle-là. Deux gentilshommes qui les recevoient à
la porte, voyant que leur nom estoit sur le Mémoire,
et qu'elles cstoient bien accompagnées, les livroient
à deux autres qui les menoient au président Vigne
/itsioriptie. et à M. de Chartres, Valençay *, depuis archevesque
de Reims, que Boisrobert appelloit le mareschal de
camp comique, et ils avoient le seing de les placer'.
Le Roy, qui estoit ravy de pinser le Cardinal, ayant
eu le vent de cela, luy dit, en présence de M. d'Or-
léans : « Il y avoit bien du gibier, l'autre jour, h.
» vostre comédie. » — « Hé ! comment n'y en auroit-
» il point eu, » dit M. d'Orléans, «puisque, dans
» la petite salle où j'eus tant de peine à entrer moy-
» mesme, la petite Saint-Amour, qui est une des
)' plus grandes gourgandines de Paris, y estoit.»
Voylà le Cardinal interdit ; il enrageoit, et ne dit
rien , sinon : « Voylà comme je suis bien servy ! »
Au sortir de là : « Cavoye, » dit-il à son capitaine
des Gardes, « la petite Saint- Amour estoit l'autre
» jour à la répétition. » — « Monseigneur, elle
» n'est point entrée par la porte que je gardois. »
Anioim-d'Apneiiç- Palovoisin *, gentilhomme dc Touraine. parent de
voisin; neveu de l'c- ' o l
véque et enseigne (les
Cardes du rardinal. ,, ^^ Ca,cliiial ;i eni))loyé des prcstreset debcvesques à convier et ô
placer à la coniedif. — Depuis, le Cardinal donna des billets.
B01SR013EKT. 397
revcscfue de Nantes Beauvau* ennemy de Boisro- t"'f"-i<;i «leiii'»'-
i J vaii, evêquc", <le 163«
bert, dit sur l'heure au Cardinal: « Monseigneur, '''^^"'
» elle est entrée par la porte où j'estois ; mais c'a
» esté M. de Boisrobert qui l'a fait entrer. » Bois-
robert, qui ne sçavoit rien de cela, trouve Monsieur
le Chancellier qui luy dit : « Monsieur le Cardinal est
» fort en colère contre vous, ne vous présentez pas
') devant luy. » Au mesme temps le Cardinal le fait
appeller. 11 n'y avoit que M""' d'Aiguillon qui ne
l'aimoit pas, et M. de Chavigny qui l'aimoit assez.
Le Cardinal luy dit d'un air renfrogné : « Bois-
» robert » (point le Bois) , « de quoy vous estes-vous
» avisé de faire entrer une petite garce à la repe-
» tition, l'autre jour ?» — « Monseigneur, je ne la
» connois que pour comédienne , je ne l'ay jamais
') veûe que sur le théâtre, où ^'ostre Eminence l'avoit
» fait monter. » Cependant il avoue que le matin
elle l'avoit esté prier de la faire entrer. « Je ne
» sçay pas d'ailleurs ce qu'elle est : fait-on infor-
» mation de vie et de mœurs pour estre come-
» dienne ? je les tiens toutes garces, et ne croy pas
» qu'il y en ayt jamais eu d'autres. » — « S'il n'y
» a que cela, » dit le Cardinal à sa niepce, « je ne
» voy pas qu'il y ayt de crime. » Boisrobert pleura,
fit toutes les protestations imaginables ; mais le Car-
dinal, à qui ce que le Roy avoit dit tenoit furieuse-
ment au cœur, luy dit : « Vous avez scandalizé le
» Boy, retirez -vous. » Voylà Boisrobert au lict;
toute la Cour et tous les parens du Cardinal le visi-
tèrent. Le mareschal de Gramont y alla plusieurs
398 LES HISTORIETTES.
fois, et à la dernière il luy dit ; « Si vous pouviez
» vous taire, je vous dirois un secret ; mais n'en
» parlez point : dimanche vous serez restably.
» Monsieur le Cardinal doit voir le Roy samedy, il
» vous justifiera. » Le dimanche venu, voylà l'abbé
peiefixe. de Beaumont* qui le vient trouver. Boisrobert dit
dez qu'il le vit : « Me voylà restably. » 11 ne fit
pourtant semblant de rien. L'Abbé s'approche en
sanglottant, fait la grimace tout du long, car il ne
Bernard fie Ginves, l'aimoit Das i luY, Gravc * et Palevoisin estoient
lieutenantilesgarues i •> ^
du Cardinal. jaloux do Boisrobort, peut-estre aussy les avoit-il
jouez ; et enfin il luy dit que le Roy n'avoit pas
voulu escouter Son Eminence et luy avoit dit :
« Boisrobert deshonore vostre maison. » Boisrobert
eut donc ordre de se retirer à son abbaye (elle
s'appelle Chastillon) ou à Rouen où il estoit cha-
noine ; il aime mieux aller à Rouen. Or ce desordre
venoit de plus loing. Monsieur le Grand voulant
mstor. de Richeueu pcrdro la Chcsnayc qui, comme je l'ay desjàdit*,
estoit l'espion du Cardinal, s'addressa à Boisrobert,
et seul à seul, à Saint-Germain, luy dit qu'il avoit
tousjours fait cas de luy, et que M. le mareschal
d'Effiat l'avoit tousjours aimé ; que jusques icy
Chassé. M. de Boisrobert n'avoit volé* que pour alouettes
et pour moineaux , et qu'il le vouloit faire voler
pour perdrix et pour faisans ; qu'il luy falloit faire
attraper quelque grosse pièce; qu'il estoit temps
qu'il pensast à sa fortune et qu'il le prioit de le
servir. « La Chesnaye, » adjousta-t-il, « me trahit ;
» il a eu une longue conférence avec M. le Car-
BOISROBERT. 399
« dinal, dans le jardin, au sortir de laquelle Son
» Eminence m'a traitté comme un escollier. Vous
» pouvez aisément me dire qui a introduit la Ches-
» naye auprès du Cardinal, et qui sont ses amys
» dans la maison, je les veux tous perdre. » En
suitte il s'emporta un peu, et dit que le Cardinal
le maltraittoit, mais que, par la mordieu... — et il
s'arresta sans dire rien davantage. Boisrobert voyant
cela, eust bien voulu n'avoir point eu de confé-
rence avec Monsieur le Grand, et après luy avoir
promis de sçavoir qui estoient les amys de la Ches-
naye, s'en va chez M"'" de Lansac^, gouvernante vré''sœur'de'Mn?."dé
de Monsieur le Dauphin , et luy demande conseil.
M'"' de Lansac est d'avis d'en avertir le Cardinal ;
Luy, dit qu'il ne le veut point, que ce n'est qu'une
boutade de jeune homme , qu'il ne sçauroit se ré-
soudre à luy nuire. Depuis, Monsieur le Grand cher-
choit Boisrobert partout, et Boisrobert l'evitoit. Il
se met dans l'esprit que Boisrobert luy avoit fait un
meschant tour. Il parle mal de luy au Roy, se sert
de tout ce qu'on avoit dit contre Boisrobert, et c'est
à cause de cela que le Roy disoit que Boisrobert
deshonoroit la maison de son maistre.
Voylà principalement sur quoy le Roy se fondoit :
Boisrobert ayant descouvert au Cardinal que Saint-
Georges*, gouverneur du Pont-de-l' Arche, prenoit ^^^^ •><■. Loni.ay,
o ' o '1 seigneur de Saint-
tant sur chaque batteau qui remontoit, et qu'on ap- îîes gfrVes duS"-
pelloit ces batteaux des Cardinaux \ Saint-Georges
* Mots biffés : A cause de Georges d'Amboise, cardinal et arche-
vesque de Rouen.
liOO Li:S UlSTOUlliTTES.
fut chassé, et pour se venger, il dit que Boisrobert
avoit vitupéré son filz, qui estoit page du Car-
dinal. Palevoisin avoit fait pis, car il avoit dit la
mesme chose devant quatorze personnes dans F anti-
chambre. Boisrobert le sceût, il prend le mareschal
de Gramont. « Monsieur, » luy dit-il, « faisons
» venir le page ; il est couché , dit - on ; faisons-
» le lever. » Le page, qui ne sçavoit pas que son
père eust fait cette calomnie, dit qu'il feroit mentir
et mourir tous ceux qui Tavoient dit. Le mareschal
de Gramont fit tant que Boisrobert se contenta
Salle des officiers <ie Quc Palcvoisln dist OU plcino garde-robe * que tous
service. j <-> i
ceux qui disoient qu'il avoit dit telle et telle chose
de M. de Boisrobert, en avoient menty. Voylà d'où
venoit la haine de Palevoisin contre luy '.
Boisrobert estant à Rouen, le mareschal de
Guiche, y allant comme lieutenant de roy de Nor-
mandie, demanda au Cardinal s'il ne trouveroit
point mauvais qu'il le vist. « Vous me ferez plaisir, »
dit le Cardinal. Boisrobert traitta magnifiquement
le Mareschal, et perdit après disné six-vingts pis-
tolles contre luy, car il ne peut se tenir de jouer,
et joue comme un enfant.
Le Cardinal fit en suitte le voyage de Perpignan,
et comme il estoit malade à Narbonne, Sitois luy
Jean d'Aspremont, * Vandy *, alors page du cardinal de Richelieu, à ce qu'il m'a conté
y. luy-mcsme, luy livra son camarade Nanteuil, beau garçon, moyennant
dix-huict livres d'or. Il le mena, en badinant, dans la chambre de
Boisrobert. Mais comme Vandy en veut à Nanteuil, qui a espousé une
niepce du mareschal de Schuleraberg, dont il pretendoit estre héritier,
ce qu'il m'a dit m'est un peu suspect.
BOISROBERT. ZlO'J
dit : « Je ne sçay plus que vous donner, si ce n'est trois
» dragmes de Boisrobert après le repas. — 11 n'est
). pas encore temps, Monsieur Sitois, » dit le Cardinal.
Après la mort de Monsieur le Grand , tout le
monde parla pour Boisrobert. Le cardinal Mazarin
luy escrivit : « Vous pouvez aller à Paris , si vous
» y avez des affaires. » Boisrobert y vient et, en
attendant Son Eminence, il perdit vingt-deux mille
escus qu'il avoit en argent comptant. Le Cardinal
arrivé , le cardinal Mazarin luy escrit : « Venez
)) me demander un tel jour, et fusse- je dans la
» chambre de Son Eminence, venez me trouver. »
Boisrobert y va. Le Cardinal l'embrasse en san-
glottant, car il aimoit ceux dont il croyoit estre
aimé '. Boisrobert, qui voyoit pleurer son maistre,
cette fois, contre la coustume, ne put trouver une
larme, 11 s'avise de faire le saisy, et le cardinal
Mazarin, qui le vouloit servir, dit : « Voyez ce
» pauvre homme, il estouffe ; il en est si saisy
» qu'il ne sçauroit pleurer ; quelquefois on est suf-
» foqué pour moins que cela ; un chirurgien, viste ! »
On saigne Boisrobert, qui se portoit le mieux du
monde ; on luy tire trois grandes palettes de sang.
Tous ses envieux le vinrent embrasser, mais le Car-
dinal mourut dix-neuf jours après. Boisrobert dit
que c'est le seul bien que le cardinal Mazarin luy ayt
* Ce fut pai' cette raison qu'il fit la fortune du comte de Charault ;
car au commencement il ne le pouvoit souffrir, et disoit : « Que feray-
» je de ce grand Bethunier? » Il ne servoit qu'à marcher sur ses cra-
chats.
II. 26
1x02 LES rriSTORlETTES.
fciitquc deluy faire tirer ces trois palettes de sang '.
Boisrobert, quelques années après, eut un grand
desmeslé avec M. de la Vrilliere -, secrétaire d' Estât.
Il avoit osté de dessus Testât des pensions un frère
de Boisrobert, nommé d'Ouville , qui y estoit
comme ingénieur. Boisrobert le fit prier par tout le
monde de l'y remettre ; ses amys luy dirent : « Nous
l'avons un peu esbranslé, voyez-le. » Boisrobert y va :
il le reçoit par une Mordieu. « Mordicu ! Monsieur, »
luy dit-il, « vous vous passeriez bien de me faire
» accabler par tout le monde pour vostre frère,
» pour un homme de nul mérite. » Boisrobert, en
contant cela, disoit : « Je le sçavois bien, il n' avoit
» que faire de me le dire ; je n'allois pas là pour
» l'apprendre. » Ce qui faschoit le plus Boisrobert,
c'est que cet homme luy avoit fait la cour autrefois :
« Ah ! Monsieur, » luy dit-il, «je ne croyois pas que
1 Après la mort du cardinal de Richelieu, il dit à M"" d'Aiguillon
qu'il n'auroit pas moins de zèle pour elle qu'il en avoit eu pour son
oncle. Elle le remercia, et luy promit qu'il ne seroit pas longtemps
sans recevoir des marques de l'affection qu'elle avoit pour luy, puisque
son nepveu avoit des abbayes dont despendoient de bons prieurez.
Boisrobert eut plusieurs advis , mais les prieurez qu'il demandoit
avoient tousjours esté donnez la veille. Il se douta qu'il y avoit de la
fourberie, et pour en estre e&claircy, il la fut trouver un jour avec une
lettre par laquelle on luy donnoit advis que le prieuré de Kermassonnet
estoit vacant, et qu'il estoit à la collation de l'abbé de Marmoustier.
« Ah ! mon pauvre M. de Boisrobert, » s'escria-t-elle, « que je suis
» malheureuse ! si vous fussiez venu deux heures plus tost, vous l'au-
» riez eu. — Je n'en serois pas mieux, Madame, car vous pouvez dis-
» poser de ce prieuré-là comme de la lune. — Hé ! pourquoy ? — C'est
» qu'il n'y en a jamais eu de ce nom-là ; je vous rends grâces de vostre
» bonne volonté, me voylà plus convaincu que jamais de votre sincerit
» et de votre bonne foi. »
<ie'u"l^''du<^''',i2"ia " Plielippeaux*. — 11 o^t fort brutal.
Vrilliere ; mort en
1681.
bOISUOBERT. /|0â
)) les ministres d' Estât jurassent comme vous faittes.
» En vérité, cette Mordieu siéroit bien autant à un
» charretier qu'à vous, allez. Monsieur, mon frère
» sera remis sur Testât, malgré vous et vos dents. »
De ce pas il alla trouver le cardinal Mazarin, à qui
il fit sa déclaration de ne prétendre rien de luy
que cela , mais qu'il y alloit de son honneur. Le
Cardinal le luy promit. Cependant, dans son ressen-
timent . Boisrobert fit une satyre plaisante contre
la Vrilliere, qu'il appelle Tirsis'.
Il l'a dite à tout le monde ; les uns en retinrent un
endroit, les autres un autre ; M. de la Vrilliere le
sceût ; M. de Chavigny avertit l'Abbé que M. de la
Vrilliere devoit aller au Palais-Royal faire ses plain-
tes. Boisrobert prend les devants avec le mareschal
de Grammont ; ils vont au Cardinal qui ne se pouvoit
tenir de rire : « Monseigneur . » luy dit Boisrobert^
« ce n'est point contre M. de la Vrilliere c{ue j'ay fait
» ces vers ; j'ay lu les Caractères de Theophraste, et
» à son imitation j'ay fait le caractère d'un ministre
» ridicule. — Vous voyez l'injustice, » disoit le
Mareschal ; « le pauvre Boisrobert ! l'aller accuser
» de cela ! » On luy fait reciter les vers tout du
long; la Vrilliere vient. «Monseigneur, il m'a vitu-
» peré , il m'a jette une bouteille d'encre sur le vi-
» sage. — Monsou de la Vrilliere, ce n'est point
» vous, » disoit le Cardinal, « ce sont des Caratteres
* 11 y a en un endroit :
Le Sîiint-Ivsprit, honteux d'oslrc sur ses espaules,
l'our trois sots eonune luy s'envoleroit Ops (iaiiles.
liOll LES HISTORIETTES.
» de Theophraste. » Cependant il ne remeltoit point
le sieur d'Ouville sur Testât; le Cardinal enfin l'y
fit remettre, car Boisrobert l'attendoit tous les jours
dans sa garde-robe. « Monseigneur, » luy disoit-il,
« M. de la Vrilliere dit qu'il ne le fera pas quand
» la Reyne le luy commanderoit; il faut donc qu'il
» monte sur le throsne après cela. » Durant ce de-
sordre, feu M. d'Esmery, par malice, fit disner
Boisrobert chez luy vis-à-vis de la Vrilliere , et gui-
gnoit, pour voir la grimace de son gendre. Penon,
commis de la Vrilliere, estoit lent à la délivrance
du brevet. Boisrobert luy monstre quatre pistolles :
aussytost le brevet vint. Boisrobert, dez qu'il l'eut,
empoche ses quatre pistolles. « Ah ! Monsieur, ah !
» Monsieur! » dit-il à Penon, «je pense que je suis
» yvre ; à vous de l'argent! je vous demande pardon,
» je ne songcois pas à ce que je faisois. » — « Enfin, »
dit Boisrobert au Cardinal, à qui il en faisoit le
conte, « mon impudence fut plus forte que la sienne. »
D'Ouville fut payé durant trois ans de ses appoin-
temens. Après cela, la Vrilliere voulut l'ester de des-
sus Testât ; Boisrobert eut l'insolence de luy mander
uiie ne l'a pas c'.o. qu'il fcToit imprimer la satyre*. L'autre n'osa. « Ce
» n'est qu'un coquin, » disoit Boisrobert, « il devoit
» me faire assommer de coups de baston. » Il est
vray qu'un de mes estonnements, c'est que Tarche-
A-ov. plus haut, vesque de Bordeaux ayt esté battu deux fois*, et
Boisrobert pas une \
1 Après la mort du cardinal de Richelieu , il fut gourmé deux
fois ;\ Rouen : la première par l'abbé de Turseville, qui, comme luy,
BOISROBERT. /l05
Une fois que Boisrobert alla au Pelit-Luxcmbourg
voir MM. de Richelieu*, M"- Sauvoy, femme de l'in- ^^ "«^^1."" '"""
tendant de ¥"'■= d'Aiguillon, luy dit, dez qu'elle le vit:
« Ah! vrayment, M. de Boisrobert, j'ay des repri-
» mendes à vous faire. » Boisrobert pour se mocquer
d'elle, se mit incontinent à genoux. « Vous passez
» partout, » luy dit-elle, « pour un impie, pour un
» athée. — Ah! madame, » respondit-il, « il ne faut
» pas croire tout ce qu'on dit : on m'a bien dit, à
» moy, que vous estiez la plus grande garce du
)) monde. — Ah ! monsieur, » dit-elle en l'interrom-
pant, « que dittes-vous là? — Madame, «adjousta-
t-il, «je vous proteste que je n'en ay rien cru. »
Toute la maison fut ravye de voir cette insolente
mortifiée '.
estoit chanoine de Saint-Ouen, et l'autre à la Comédie; je n'ay pu
sçavoir par qui.
1 Une fois M'"= Mclson, fille d'esprit, le desferra. U luy contoit qu'il
avoitpeur qu'un de ses laquais ne fiist pendu. « Voire, » luy dit-elle,
« les laquais de Boisrobert ne sont pas faits pour la potence ; ils n'ont
» que le feu à craindre. »
— Il appelloit Ninon, sa divine. Un jour, il alla chez elle avec un
joly petit garçon. « Mais, » luy dit-elle, « ce petit vilain vous vient
» tousjours retrouver. — Ouy, » respondit-il, «j'ay beau le mettre en
» mestier, il revient tousjours. — C'est, » reprit elle, « qu'on ne luy
» fait nulle part ce que vous luy faittes. »
— Une autre fois il vint la voir, tout hors de luy. <i Ma divine,
1) je m'en vais me mettre au Noviciat des Jésuites*; je ne sçay plus R„e du Pot-de Fer.
» que ce moyen-là de faire taire la calomnie. J'y veux demeurer trois
1) sepmaines, au bout desquelles je sortiray sans qu'on le sçache, et on
» m'y croira encore. Tout ce qui me fasche, c'est que ces bougres là
» me donneront de la viande lardée de lard rance, et pour tous petits
» piez quelque lapin de grenier. Je ne m'y sçaurois résoudre. » Il re-
vint le lendemain. « J'y ay pensé-, c'est assez de trois jours, cela fera
» le mesmc effect. » Le voylà encore le lendemain. » Ma divine, j'ay
406 LES IIISTOIUETTES.
A une représentation d'une de ses pièces de théâ-
tre, les comédiens dirent un meschant mot qui n'y
estoit pas : « Ah ! «s'escria-t-il de la loge où il estoit,
« ces marauts me feront chasser de l'Académie. »
Boisrobert, tousjours bon courtisan, s'avisa de
faire des vers contre les Frondeurs; il n'y eut jamais
un homme plus lasche. Le Coadjuteur le sceût, et
la première fois qu'il vint disner chez luy : « M. de
» Boisrobert , » luy dit-il , « vous me les direz. —
» Bien ! monsieur, » dit Boisrobert. 11 crache, il se
mouche, et sans faire semblant de rien, il s'appro-
che de la fenestre, et ayant regardé en bas, il dit
au Coadjuteur : « Ma foy, Monsieur, je n'en feray
» rien, vostre fenestre est trop haute. »
Boisrobert, en ce temps-lù , s'abandonna de telle
sorte à faire des contes, comme celuy des trois Ra-
cans, qu"on disoit, comme des marionnettes : Je
vous donneray Boisrobert'. De quelques uns de ces
contes-là, il en voulut faire une comédie qu'il ap-
peWoii le Père avaricieux. En quelques endroits, c'es-
toit le feu président de Bersy et son filz, qui a esté
autrefois desbausché, et qui maintenant est plus
avare que* son père. 11 feignoit qu'une femme, qui
lUic Saint-Antoine. » trouvé plus à propos d'aller aux Jésuites*; je les ay assemblez, je leur
» ay fait mon apologie, nous sommes le mieux du monde ensemble;
» je leur plais fort, et en sortant, un petit frère m'a tiré par ma robe
» et m'a dit: Monsieur, venez nous voir quelquefois, il n'y a personne
» qui rejouisse tant les Porcs que vous. »
historiette. * L'abbé de la Victoire* dit que la prestrise en la personne do Bois-
robert est comme la farine aux bouffons ; que cela sort à le faire trou-
ver plus plaisant.
BOISKOBERT. 407
avoit une belle fille, sous prétexte de plaider , at-
trappoit la jeunesse ; là entroit la rencontre du pré-
sident de Bersy chez un notaire , avec son filz qui
cherchoit de l'argent à gros interestz. Le père luy
cria : « Ah! desbausché, c'est toyî — Ah! vieux
» usurier, c'est vous! » dit le filz'. Il y avoit mis
aussy la conversation de Ninon et de M'"' Paget à
un sermon, où cette dame, qui ne la connoissoit pas,
se plaignit à elle que Boisrobert vouloit quitter son
quartier pour aller au faubourg Saint-Germain,
pour une je ne sçay qui de Ninon ; et Ninon luy
respondit : « Il ne faut pas croire tout ce qu'on dit,
» madame, on en pourroit dire autant de vous et de
» moy-. » Boisrobert, estourdy à son ordinaire, alla
dire en plusieurs lieux que c'estoit le président de
Bersy qu'il entendoit. Bersy, qui est un brutal, alla
prendre cela de travers , et en fit du bruit au lieu
d'en rire. M™* Paget fit aussy la sotte à son exemple.
Boisrobert disoit : « Je feray signifier à cet homme
» que j'ay un nepveu qui tue les gens, car, pour
» l'autre, il est renégat, et sera grand-visir un de
» ces matins. » Le Pioy vouloit que la pièce se jouast,
et Boisrobert le vouloit prier de le luy commander
en présence du Président. Cependant il n'osa la
faire jouer; je pense que M. de Matignon, beau-
frere de Bersy, l'en pria, ou luy fit sentir qu'il ne le
trouveroit nullement bon. Le Roy voulut sçavoir
^ Uu nommé du Boulay se trouva comme cela chez un notaire avec
sa femme qui prestoit à gros interestz et sur gages.
2 Voyez Sinon, Historiette.
408 LES HISTORIETTES.
lîoisrobert. pourquoy la pièce ne se jouoit point ; il * dit que le
président de Bersy, qui avoit livré tant de combats
contre la Fronde, s'en trouveroit offensé', et ainsy
luy fit faire sa cour en son absence. Bersy en remer-
cia Boisrobert.
Ses nepveux, dont nous venons de parler, n'es-
toient pas filz de Douville ; il l'avoit donné au
comte du Dognon , gouverneur de Brouage. Cet
homme faisoit et escrivoit en beaux caractères une
comédie en treize jours. Boisrobert les raccommo-
doit un peu , et en tiroit tout ce qu'il pouvoit des
comédiens , et on disoit qu'il ne donnoit pas tout h
son frère. 11 s'estoit marié autrefois en Espagne':
Boisrobert fit rompre le mariage. Tous ces beaux
son frèrej^t^^es ne messicurs * faisoicut dire à Boisrobert^ :
Melchisedech esloil lui heureux homme.
Car il n'avoil ny frères ny iiepvciix.
Il y a trois ans qu'il mena Douville au Mans pour
y vivre avec un de ses frères qui est chanoine, car le
mareschal Foucault, autrefois le comte du Dognon,
au lieu de le recompenser de sept ans de service,
luy avoit pris un cadran de trois cens livres , et à
la foire Saint-Germain il luy emprunta, pour achep-
ter des bagatelles à sa fille, les derniers deux cscus
1 Gajollerie.
2 II sçavoit la géographie le plus exactement du monde, et avoit une
mémoire prodigieuse.
' Dans une epistre h Monsie\ir le Chaucollicr qui n'it jias esté impri-
mée. — Elle l'a esté depuis.
BOISIIOBERT. ^09
blancs qu'il avoit. Ce pauvre Douville est mort de-
puis deux ans '.
11 arrivoit tousjours des aventures à Boisrobert
pour ses comédies. En une , il avoit mis une com-
tesse d'Ortie, croyant qu'il n'y avoit personne de ce
nom-là : cependant, un beau matin, il voit entrer
chez luy un brave qui luy dit avec un accent gas-
con : « Monsieur, je me nomme d'Ortie. » Cela
estonna Boisrobert : « Vous avez mis une comtesse
') d'Ortie dans vostre pièce. — Monsieur, » dit
l'Abbé, « je ne l'ay pas fait pour vous offenser. —
» Tant s'en faut, » dit l'autre, « que je vous en veuille
» mal, qu'au contraire je vous en suis obligé; vous
» m'avez fait faire ma cour toutes les fois qu'on a
» joué vostre pièce ; le Roy m'a fait appeller , et il
» connoist bien plus mon visage qu'il ne faisoit. »
C'estoit un lieutenant aux Gardes*; il est à cette ^Mort gouverneur
de Bapaume, 6 sep-
heure capitaine. Boisrobert a dit depuis : « Si j'eusse timbre 1692.
» cm cela , j'eusse mis la marquise de la Ronce. »
On luy dit : « Il y a une marquise de la Ronce,
» c'eust esté bien pis. » Sdi Cassandre* esila meilleure jouc^estoctob. less.
pièce de théâtre qu'il ayt faite.
Boisrobert, malade d'une vieille maladie dont il
ne guérira jamais, malade de la lascheté de la Cour,
a fait cent bassesses au Cardinal*, et puis en a mes- Mazann.
dit. Il va tousjours chez la Reyne; or, la Reyne a un
huissier nommé la Volière, cfui est le plus capricieux
animal qui soit au monde. Il luy prit une aversion
' Il a fait je ue sray coinbioii d<' volumes de contes, intitulez : les
Contes fie Douville.
(liO LES HISTORIETTES.
pour le pauvre abbé. Un jour qu'il luy avoit refusé
la porte : «( J'y entreray en despit de vous, » luy dit-il.
En effect, il vint de grands seigneurs à qui Boisrobert
dit : « Prenez-moy par la main. » Il entre, puis en sor-
tant : « Nargue ! » dit-il, « Monsieur de la Volière '. »
Il faut souvent revenir aux pièces de théâtre, parce
qu'il en a fait beaucoup, Scarron, le frère de Corneille
et luy, avoient imité tous trois de l'espagnol une pièce
qu'on appelle VEscolier de Salamanque. Celle de
Corneille n'estoit pas si avancée ; mais les deux au-
tres estoient achevées. LesComediens vouloient jouer
''''^■pl'380.'"'""' celle de Scarron la première : M"" de Brancas*, à qui
rai;ne','%nre ^iu Boisrobcrt Ic dit, pria le prince d'Harcourt*, luy à qui
pms < uc d E beu en j^^ Comedieus ont bien de l'obligation, car il les fait
jouer souvent en ville, de leur en parler. Le Prince
menaça les Comédiens de coups de baston, s'ils fai-
soient cet affront à l'Abbé , qui, contant cette aven-
ture, disoit : « Ma foy, le prince d'Harcourt a pris
» cela héroï-comiquement-. »
En ce temps-là, les dévots de la Cour rendirent de
1 II fit une malice à un M. Couitin, qui avoit espous('i une niepce de
Picard, trezorier des parties casuellcs, filz de ce cordonnier Picard à
qui les gens du maresclial d'Ancre firent insulte, ce qui commença à
mettre le peuple en fureur. Boisrobert disnoit chez Picard fort sou-
vent. Courtin le pria, s'il connoissoit Loret, celuy qui fait la Gazette
en vers imprimée, de luy dire que s'il vouloit mettre les louanges de
M. Picard, qu'il luy donneroit ce qu'il voudroit, Boisrobert luy dit : « Don-
» nez-moy vingt escus. — Voylà cinquante livres, » dit Courtin ; «s'il fait
» bien, j'y adjousteray une pistolle. » Loret met Picard tout de son
long; la Cour en rit fort. Picard, iri-ité, luy qui a une niepce mariée au
marquis de la Luzerne, fait menacer Boisrobert de coups de baston.
Boisrobert en faisoit partout le conte; mais il oublioit les coups de baston.
2 l'ne fois le prince de Conty, comme on jouoit une pièce de Bois-
BOISROBERT. /il 1
mauvais offices à Boisrobert, et le firent exiler comme
un homme qui mangeoit de la viande le caresme,
qui n'a voit point de religion, qui juroit horriblement
quand il jouoit, et cela est vray. Au retour, il ne put
s'empescher de dire que M"'" Manchini, qui avoit fait
sa paix, ne F avoit fait revenir que pour estre payée
de quarante pistolles qu'il luy devoit du jeu.
Depuis on l'obligea à dire la messe quelquefois.
M""' Cornuel', à la messe de mynuict, comme ce vint
à Do?ninus vobiscum , vit que c'estoit Boisrobert;
elle dit à quelqu'un : « Voylà toute ma dévotion esva-
» nouye. »Le lendemain, comme on la vouloit mener
au sermon : « Je n'y veux pas aller, » dit-elle ; « après
» avoir trouvé Boisrobert disant la messe, je trou-
» verois sans doute Trivelin en chaire. Je croy, »
adjousta-t-elle, « que sa chasuble estoit faitte d'une
» Juppé de Ninon. » Luy, ayant sceû cela , fit un
sonnet contre M"' Cornuel, où il jouoit sur le mot
de Cornuel-. Elle se çepentit d'avoir parlé : on les
raccommoda. En un an, il eut huit querelles et fit
huit reconciliations ; il n'a point de fiel. M. Chape-
lain disoit : « Autrefois je tremblois pour luy, mais
» à cette heure, après l'avoir veû sortir de tant de
» mauvais pas, je n'ay plus peur de rien^ »
robert, luy dit de la loge où il estoit : « M. de Boisrobert, la meschaiitc
» pièce ! » Boisrobert, qui estoit sur le théâtre, se mit à crier bien
plus fort : « Monseigneur, vous me confondez, de me louer comme
». cela en ma présence. »
» Voyez Historiette.
- Il n'est pas imprimé.
^ Comme on pailoit un jour de généalogies fabuleuses, il dit : " Pour
" niny, j'ay envie de mo faire dcscendi-e de Metellus, puisque je m'ap-
/|112 LES IIISTOIUETTES.
Voicy encore quelques-uns de ses desmeslez. Cos-
tart, dans la Suitte de la Défense de Voiture, alla
mettre estourdiment, en parlant de la lettre du Va-
lentin , de laquelle Girac a dit qu'elle sentoit le nies-
chant comédien : « qu'il y avoit des comédiens de
» ruelle, tesmoing cet abbé que nous estimons, etc. ,
» qu'on appelle l'ahhé Mondory. » Boisrobert alla
relever cela à son ordinaire, c'est-à-dire follement,
car cela estoit sceû de fort peu de gens, et il l'a fait
sçavoir à tout le monde, en escrivant une grande
lettre contre Costart, qui n' avoit pas eu dessein de
l'offenser. Voicy le conte : Un jour Boisrobert en-
tendoit messe aux Minimes de la Place-Royale avec
l'abbé de la Victoire. Il y avoit de jeunes gens de
la Cour qui causoient; un religieux leur en alla faire
reprimende, mais il prit fort mal son temps ; Bois-
robert luy en dit son avis. Avec ce religieux il y avoit
un jeune ecclésiastique qui demanda à l'abbé de la
•
«pelle Metel. — Ce ne sera donc pas,» luy dit-on, « de MctrUns J'itis
» que vous descendrez. »
Il fit une satyre contre d'Olonne , Sablé-Bois-Daiiphin et Saint-
Evremont, que l'on appcUoit les Costaux. Cela vient de ce qu'un jour
M. du Mans (Lavcrdin), qui tient table, se plaignit fort de la délica-
tesse de ces trois messieurs, et dit qu'en France il n'y avoit pas quatre
costaux dont ils approuvassent le vin. Le nom do costaux leur de-
meura, et mesmc on nomme ainsy ceux qui sont trop délicats, et qui
se piquent de raffiner en bonne chère. Il y avoit de plaisantes choses
dans cette pièce, entre autres, que pour les beautez ils conscntoient
qu'elles fussent journallieres, mais point les Cuisiniers. Il en mordoit
deux assez fort, c'est-à dire Sablé et Saint-Evremont, comme des gens
qui ne trouvoicnt rien de bon, et qui de leur vie n'avoient donné un
verre d'eau à personne. Avec le temps, ils le cajollerent, et luy firent
jetter sa pièce dans le feu. J'oubliois que la principale maxime des
Costaux, c'est de no jamais manger de cochon de laict.
BOISUOCEllT. /ll5
Victoire qui estoit cet lionneste homme-là qui avoit
parlé si sagement au bon Père : « C'est Tabbé Mon-
» dory, » dit l'abbé de la Victoire ; « il presche tantost
» au Petit-Bourbon. » ( 11 y a une chapelle à Bourbon,
et aussy des comédiens italiens.) Boisrobert s' appel-
ait luy-mesme le Trivelin de robe longue. Boisrobert
avoit fait ce conte à Costart, en passant au Mans.
Costart luy a respondu fort doucement et l'a ap-
paisé.
Pour monstrer combien il se cachoit peu de ses
petites complexions, il disoit que Ninon luy escri-
voit, parlant du bon traittement cpe luy faisoient les
Madelonnettes, où les Dévots la firent mettre : « Je
» pense qu'à vostre imitation, je commenceray à
» aimer mon sexe. » — Le portier de Bautru donna
une fois des coups de pié au eu du laquais de Bois-
robert. Voylà l'Abbé en une fureur espouvantable.
« Il a raison, » chsoient les gens, « cela est bien plus
» offensant pour luy que pour un autre. C'est la par-
» tie noble de ces Messieurs-là. »
Il n'est pas à se repentir d'avoir vendu à Villar-
seaux une maison qu'il avoit fait bastir à la porte
de Richelieu *, à condition d'y avoir son logement, .^J'^sam-A^gM.
sa vie durant. Ce n'est pas le seul fou marché qu'il
ayt fait.
Avec le bien qu'il a, car il en a assez pour aller
tousjours en carrosse, quoy qu'il en ayt bien perdu,
il s'amuse à faire des comédies, et pourveû qu'elles
plaisent aux Comédiens et aux Libraires, il ne se sou-
cie point du reste. Il s'est amusé à cajoUer une librai-
lliU LES HISTORIETTES.
resse pour tirer cent livres de quatre Nouvelles espa-
gnoles qu'il a mises en mauvais françois. Le comte
d'Estrées ', voyant que Boisrobert parloit de ces Nou-
velles comme de quelque belle chose, s'avisa plaisam-
ment de luy escrire une grande lettre où il l'avertit,
sans se nommer, de tout ce qu'on y trouve à redire.
Boisrobert crut que c'estoit Saint-Evremont, auteur
de la comédie de l'Academie,Qi respondit d'une façon
fort aigre. Saint-Evremont riposte qu'il ne vouloit
point de brouillerie avec luy : « Non pas à cause, » luy
dit-il, « que vous faittes d'assez meschantes pièces
» de théâtre et d'assez meschantes nouvelles, mais
» à cause de cette inconsideration perpétuelle dont
» Dieu vous a doué, et qui fait dire à l'abbé de la
» Victoire qu'il vous faut tousjours juger sur le pic
» de huit ans. » Depuis, Boisrobert descouvrit la vé-
rité et on les raccommoda, le Comte et luy. « Il a
» bien fait, » dit Boisrobert, «sans cela je l'eusse
» honny". »
.ican, comte, puis 1 Le deuxiesDic filz* du Mareschal.
amiral d'Estrées. „ ^ . ., ,. . . x^ , • , . ^ ...
2 Dernièrement il disoit en riant, au Palais, a un jeune Conseiller :
« Je suis ravy quand je vois la France si bien conseillée. » Le jeune
homme ne se desferra point et luy dit du mesme ton: « Je suis ravy
» quand je vois l'Eglise si bien servie. »
En 1G59, quand le Roy alla à Lyon, il presta généreusement trois
cens pistolles au marquis de Richelieu, qui n'avoit pas un teston pour
faire le voyage. Contre son attente, il en fut en suitte payé. Le Grand-
ie duc de Mazarin la maistrc*, sçachant qu'il avoit donné cet argent, se mocqua de luy.
ei eraye. ^^ j^ j.^.^^ ^^ j^^ respondit-il, <( ce que vous devriez faire ; pour moy,
» je me souviendray tousjours qu'il est le nepveu du cardinal do Ri-
» chelieu. »
Il fit imprimer, au printemps de 1659, un second volume d'Epistres.
11 y mit celle qu'il fit contre M. Servien, en disant: « Pourquoy est-il
» mort le premier?» Il lo dit à M. le Chancellier : « Allez, allez, mon-
BOISROBERÏ. 415
» sieur, vous y prendrez plaisir, elle vous divertira. » Lu certain....,
qu'il traitte de faussaire, alla dire* à M. Servien que Boisrobcrt, à la l'our . etoit allé
,t I 11 -.1 if •, 1-, 1 1- ,, , . ^. . . 'lire, longtemps au-
tablc du garde des sceaux Mole, avoit dit le diable de luy. Il s en jus- paravant.
tifia, et M. dcLyonne fit sa paix. On voit tout cela dans ses Epistres, et
comme Servien l'amusa de belles promesses. — Depuis leur raccommo-
dement, il avoit prié M. Servien d'une affaire ; M. Servien luy monstra
son Aqenda quelques jours après. « Tenez,» luy dit-il, «je m'en souviens
» bien, vous estes e premier sur mon Agenda. — Ouy, » respondit l'Abbé!,
« mais j'ay bien peur d'en sortir le dernier. »
En 1661, daus le temps de la mort du cardinal Mazarin, un bomme
de Nancy s'addressa, au Palais, aux diseurs de nouvelles, et leur dit :
« Je vous prie, messieurs, dittes-moy si ce qu'on nous a mandé à
» Nancy est véritable, que Boisrobprt s'estoit fait Turc, et que le
)> Grand-Seigneur luy avoit donné de grands revenus avec de beaux
» petits garçons pour se resjouir, et que, delà, il avoit escrit aux li-
)> bertins de la Cour : « Vous autres, messieurs, vous vous amusez à
» renier Dieu cent fois le jour; je suis plus fin que vous : je ne l'ay
1) renié qu'une, et je m'en trouve fort bien. »
Il avoit vendu son abbaye de Chastillon à Lenet*, de chez Monsieur p. Lenet, auteur fies
le Prince. Il avoit fricassé presque tout, hors cette acquisition dont il Mémoires.
sera parlé cy-dessous, et un billet de douze mille livres sur un homme
d'afifaires. Il jouoit un soir chez Paget, maistre des Requestes; il per-
doit, et dans l'emportement, pour se faire tenir jeu, il dit: « Ne crai-
» gnez pas que je vous fasse banqueroute, voylà encore un billet de
» quatre mille escus qui ne doit rien à personne. » Paget le prit et,
au lieu, luy donna un placet que l'autre serra. En se couchant, Bois-
robert reconnut sa beveùe, il envoyé chez l'homme d'affaires donner
les avis qu'il estoit expédient de donner, et en pantalon de ratine, il
va faire un bruit de diable chez Paget, qui luy rendit son billet, mais
qui ne le voulut voir de sa vie.
Boisrobeit a achetté une maison aux champs, et la Providence a
voulu que ce fust une maison qui s'appelle Ville l'oison. Il dit, luy,
que c'est pour la substituer à ses nepveux, qui soiU de vrays oysons ;
mais, sur mafoy, elle ne convient pas mal à leur oncle. 11 mourut un
an ou deux après cette belle acquisition.
M"^ de Chastillon, sa voisine, fut la première qui le porta à faire
une fin bien chrestienne. Il disoit aux assistans : « Oubliez Boisrobert
» vivant, et ne considérez que Boisrobert mourant. » Comme son confes-
seur luy disoit que Dieu avoit pardonné à de plus grands pécheurs
que luy : « Ouy, mon père, il y en a de plus grands ; l'abbé de Vil-
» larseaux, mon hoste ( il luy en vouloit, parce qu'il avoit perdu son
» argent contre luy), est sans doute plus grand pécheur que moy,
» cependant je ne désespère pas que Dieu ne luy fasse miséricorde. »
liiQ LES niSTOlUETTES.
Suui- (iii président M""^ dc Toic * luy disoit : « Monsieur l'Abbé, la coiitiitiou est une
Le coigneux. ^^ vcrtu, etc. — Eh ! madame, je vous la souhaitte de tout mou cœur. »
Il fut avare jusqu'à la fin, et vouloit que son nepveu s'habilhist d'un
habit qu'il laissoit, au lieu de le donner à un pauvre valet de chambre
■ qu'il avoit.
11 disoit : « Je me contenterois d'estre aussy bien avec Nostre-Sei-
» gneur, que j'ay esté avec le cardinal de Richelieu. »
Comme il tenoit le Crucifix, et qu'il demandoit pardon à Dieu : « Ah ! ce
» dit-il, au diable soit ce vilain potage que j'ay mangé chez d'Olonne;
» il y avoit de l'oiguon, c'est ce qui m'a fait mal. » Et puis il repre-
» noit : « Le cardinal de Richelieu m'a gasté; il ne valloit rien, c'est
» luy qui m'a perverty. »
COMMENTAIRE.
I. — P. 383, lig. 1.
// est ftlz d'un procureur de Rouen.
Il etoit né à Caen, bien que son père fût procureur de la Cour des Aides
de Rouen. {Voy. Huet, Origine de Caen , p. 379.) C'est en 1630 que Bois-
robert quitta le barreau pour l'Eglise, et pendant un voyage qu'il fit à
Rome, comme il nous l'apprend lui-môme dans VEpître au prince de
Conly, pour luy redemander un prieuré. ( Epislres en vers et autres œu-
vres, 1659, p. 16.)
II. — P. 384, lig. 5.
Moyennant tant de paraguante.
Ou , comme on diroit aujourd'hui , « tant de commission , de gratifi-
cation. » Para guantcs (pour gants) en espagnol; l'expression est plus
agréable que notre pour-boire d'aujourd'hui.
C'est dans le cinquième livre du Francion que se trouve l'histoire du
projet de bibliothèque de Boisrobert. Sorel y nomme Melibée le musicien
héros de l'aventure. Si ce trait ne fait pas grand honneur à la délicatesse
de des Réaux , au moins nous montre-t-il les bonnes dispositions des
anciens habitués du Louvre à l'égard des gens de lettres, et l'on peut
douter qu'mi pareil expédient ait de nos jours aux Tuileries le môme
succès.
III. — P. 38Zi, lig. 12.
// fut assez imprudent pour faire quelques railleries du Chapitre.
Cette alTaire avec les chanoines de Saint-Ouen doit ôtre celle des
BOISROBERT. 417
cloches, que desRéaux va raconter ensuite; cependant, avant qu'elle
n'éclatât, Boisrobert etoit déjà mal avec ses confrères, parce qu'à partir
de son départ de Rouen en 1642, le Chapitre avoit cessé de lui compter
ses droits de présence, et cela n'etoit que justice. Môme avant ce
retour à la Cour, il se plaignoit qu'on l'oWigeàt, pour gagner ses
jetons, à chanter au Chœur, comme un simple chanoine et sans consi-
dération particulière :
J'accrus, en l'an six cent quarante,
Non pas leur sens mais bien leur rente;
Aussy, lors j'estois dispensé :
Mais comme ce temps est passé '....
11 faut leur caprice endurer
Et résider sans murmurer;
Car je ne gai^ne pas la maille.
Si dans le Chœur je ne travaille
Sous le surplis ou sous la chappe,
Tousjours quelque mereau * j'attrappe
Je mets le desordre partout.
Et par un ton plaisant et rare
Je leur suis brutal et barbare
[Epitre à M . Dupin, tresoriei- des Menus-Plaisirs.'
Mais il se plaignit bien davantage quand il fut rentré dans une
sorte de faveur. Surtout, il est assez mal disposé à ménager Tamour-
propre des honorables Chanoines, dans la Requeste à MM. du Chapitre
en faveur de ;V"* de Toussy :
Apprenez, messieurs mes confrères.
Dont les lois rudes et sévères
De mes petits droits m'ont exclus.
Qu'au mereau je ne songe plus;
Que je renonce à vos dispenses
Qui me sauvoient mes résidences.
Et par qui j'estois jubilé
Mesme au jour de l'obit salé *.
Je vous quitte de mes services,
De mes soins, de mes bons offices
l'ourveù qu'aux heures du matin
Vous arrestiez le bruit des cloches
Dont Toussy m'a fait des reproches.
le \ ous apprens qu'elle est icy,
i,a belle et charmante Toussy,
Qui vivroit paisible et contente
Sous le toict de sa bonne tante.
Si l'on faisoit cesser le bruit
Qui l'importune jour et nuit
(Epitres en vers, 16o9, p. 59.
Louise de Prie, demoiselle de Toucy, épousa, le 20 novembre 1650,
le maréchal de la Mothe-Houdencourt. Puis, demeurée veuve en 1657,
elle devint gouvernante du dauphin, tils de Louis XIV, Elle etoit des-
"• 27
Jeton de présence.
Jour de la distribu-
tion annuelle de sel
aux ChanoiDPS.
lliS LES HISTORIETTES.
ccnduc à Rouen, non chez sa sœur, comme portent les précédentes édi-
tions, mais chez sa tante, comme porte le Manuscrit de des Réaux :
Faittes, m faveur <le Toiissy,
Ce vAelpmpnt. Qu'on débute par ccUiy-ci * :
On n'entendr.i plus dans la ville
Georcjcs-d'.lmboisc, — Estoutcrille ,
Et JiUjdut qui nous étourdit.
Que tout l'office ne soit dit;
Puisque leur son fasche et reveille
Cette incomparable merveille
Ce mal, si vous ne le chassez ,
Va plus loin que vous ne pensez;
Beuvron, cette autre Pasitée,
De qui la Cour est enchantée.
Cet astre dont les yeux vainqueurs
Sont absolus sur tous les cœurs;
Cette autre beauté souveraine
Qu'amour reconnoist pour sa royne.
Ht qui l'est bien encore icy
Lorsciu'elle y paroist sans Toussy,
Va tirer profit de l'outrage
Que vous faittes à son visage —
Qui les voudra bien regarder
Ne pourra jamais d(''cider
Qui de ces deux sur l'autre excelle,
Qui de ces deux est la plus belle;
Et vous voulez déterminer
Ce qu'on a peine ;"i deviner I
Et vous voulez que le Chapitre
Injustement en soit l'arbitre !
Car si les cloches, dont le bruit
Afflige Toussy jour et nuit.
Troublent son repos davantage,
Adieu l'éclat de son visage :
Comme son teint en pâlira.
Son embonpoint diminuera.
Cependant cette autre merveille.
Qui bien loin des cloches sommeille,
Beuvron, qui dort en seureté
Dedans son palais enchanté ,
Se lèvera sans amertume,
Aussy belle que de coustumc;
Et lors je crains avec raison,
Si l'on fait la comparaison.
Que le phis sain des deux visages
N'ait de visibles avantages.
Puisque c'est le vouloir des Cieux
Que ces deux astres précieux
Demeurent dans l'égalité
De leur grâce et de leur beauté.
Gardez les lois qu'ils ont prescrites.
Respectez ces belles Pasites,
BOISROBERT. ^j19
lit pour trois jours faittes oesseï'
Tout ce qui peut les offenser.
Car dans trois jours toutes les Grâces
Nous quittent pour suivre leurs traces;
Nous allons perdre en mesme jour
Ces deux grands miracles d'amour,
nez que vous les verre?, parties ,
Kaitles honneur à leurs sorties,
Confondez tous vos carillons
Avecques le bruit des canons :
Alors vos cloches pourront plaire,
Mais jusques-là, faittes-les taire !
Les vers etoient inédits quand des Réaux, qui ne les avoit pas appa-
remment sous les yeux, conta cette anecdote : ils rétablissent le grave
point de fait dans toute son exactitude. M'"= de Toussy n'etoit pas
malade, mais le bruit des cloches l'inconimodoit; et M"^ de Beuvron, la
fille du gouverneur du château, dut trouver l'imagination de Bois-
robert fort galante.
Catherine-Henriette d'Harcourt, fille du marquis de Beuvron, gou-
verneur du Vieux palais de Rouen, épousa, le 24 avril 1659, Louis
marquis d'Arpajon, depuis duc à brevet. Elle aura son Historiette.
Cette anecdote des cloches etoit, dans le manuscrit de des Réaux,
tracée par erreur au milieu de Yllisloriette de l'Archevûque de
Reims; nous la rétablissons ici, où l'auteur pensoit apparemment
l'avoir mise.
IV. — P. 385, note.
// (Ut qu'un homme avoit mis toute la Bible en vaudevilles qu'on appelle
Guéridons.
Le refrain de ces vaudevilles etoit Ah ! ah ! ah ! Guéridon ! On les chante
encore en Champagne, et sans doute ailleurs. Il existe aussi plusieurs
facéties qui rappellent l'ancienne vogue de ces airs : Les Fotastres
amours de Guéridon et de Rohinette. — liallet des Arcjonnulcs où estoit
représenté Guelindon dans une caisse comme venant de Provence, et
Robinette dans une gaisne comme venant de Chastelleranlt , etc.
V. — P. 387, note, lig. 11.
Une fois.... au pavillon de Cliarenton.
Ce pavillon, construit en assises alternatives de briques et de pierres
de taille, est à l'entrée de Charcnton; la décoration intérieure des pla-
fonds est belle et curieuse; mais comme aujourd'hui c'est la résidence
d'une école primaire et des bui'eaux de l'état civil, on juge du soin
420 LES UISTOfilETTES.
avec lequel on en conserve la décoration , digne cependant de soutenir
la comparaison avec plusieurs salles du château de Blois.
Le mot Mons Fùil se retrouve dans la Fie de Costart, imprimée à la
fin de la première édition de des Réaux, tom. vi, p, 236, et dans le
Menagiana^ tom. ii, p. 5.
VI. — P. 389, lig. 23.
Je ne sça;/ quel provincial.... luy donnoit la qualité de favory de cam-
pagne du cardinal de Richelieu.
L'idée du provincial ctoit justifiée par le nom à' Académie de cam-
pagne., donné par Richelieu à quelques beaux-esprits de son goût,
dont il se faisoit suivre dans les provinces où les nécessités de la
politique l'appeloient. C'etoit une sorte d'allusion à l'Académie Fran-
çoise qu'il laissoit à Paris. « Ce fameux M. de Gombaut, » dit Boisro-
bert dans YAdvis qui ouvre son deuxième volume ù'Episires, <( se sou-
» vient encore de quelques offices que je me suis efl'orcé de rendre
)i autrefois à sa vertu. Il se souvient de ce siècle heureux où le grand
» cardinal de Richelieu honoroit tous les gens de letti-es de sa protec-
» tion et de son amitié. Il se souvient de l'agréable qualité qu'il me
» donnoit, dans son Académie de campagne, à'ardent solliciteur des
» Muses incommodées. » Ce passage eclaircira plusieurs expressions de
Vnislorielte de Boisrobert.
Les deux autres mots qui suivent furent probablement inspirés par le
premier. Celui de la Femme ou maîtresse de campagne du duc de Lor-
raine eut le plus de succès, et coûta cher, en 1641, à un valet de pied
du duc. Si l'on en croit Bussy, ce valet l'ayoit répété en riant : « La
» princesse de Cautecroix en fut avertie, le fit prendre pendant que le
» Duc etoit à lâchasse, et attacher à une potence.» {Mémoires secrets.,
tom. I, p. 53.)
VIL— P. 390, lig. 23.
Bien des passe-volaus.
On donnoit ce nom autrefois aux faux soldats qui paroissoieut dans
les montres ou revues, pour tenir la place de ceux qui manquoient, en
permettant aux officiers de réclamer leur solde. Voici dans la môme
Historiette d'autres façons de parler qu'il peut sembler bon d'expliquer.
Page 395. — « H fit jouer le Cid devant le Cardinal en ridicule. »
Nous dii'ions aujourd'hui qu'il en fit une parodie , et c'est une des
premières, sans doute, qu'on ait faites sur des tragédies.
Page 415, note. — «Boisrobert, en pantalon de ratine, va faire
» un bruit de diable chez Pagct. » — Il y a grande apparence que
BOISROBERT. 421
Boisrobert pensoit à se coucher quand il sortit dans ce costume léger.
Le pantalon etoit alors un caleçon collant, joint, souvent môme cousu
aux bas; le haut de chausses, que Boisrobert avoit déjà sans doute ôté,
etoit mis par-dessus. Aujourd'hui, le pantalon est mis par-dessus le
caleçon, et l'on va fort bien, même chez le souverain, en pantalon plus
ou moins serré.
VIII. — P. 390, lig. 26.
// s'appelle, en je ne sçaij quelle Epistre, solliciteur des Muses affligées.
Des Réaux renvoie ici au volume in-4°, publié en 1647 sous le titre :
Les Epislres du sieur de Bois-Bobert-Metel, ahhc de Cliastillon, dédiées
à monseigneur l'eminence cardinal de Mazarin. Paris, Cardin Besonytie.
Car Tautre volume in-8° : Les Epistres en vers et autres œuvres poétiques
de M. de Bois-Robert-Metel , conseiller d'Etal ordinaire, abbé de Chas-
tillon-sur-Seine. Paris, Aug. Courbé, est de 1659, plus d'un an après la
rédaction de l'Historiette. Au début de V Epistre à M. de Bautru, page 12
du volume in-4°, on lit :
Toy qui m'as veû jadis avec tant de bonté.
Du Parnasse françois bannir la pauvreté,
Lorsifue, solliciteur des Muses affligées,
J'appliquois tous mes soins à les voir soulagées.
Il répète la môme expression dans V Epistre à 31. Loger, secrétaire
des commandemens de ta Règne de Suède, au second volume.
Dans VAvis préliminaire du volume de 1659, Boisrobert justifie
aussi le mot si connu du bon Citois, médecin du Cardinal : « On peut
» voir par les Mémoires du temps que feu Monsieur le Cardinal estant
» malade à Narbonne, et demandant à M. Cytojs, son médecin, quelque
H remède particulier qui le soulageast, et qui ne fust ny casse ny
» rubarbe ny saignée : Je n'ag plus rien, dit-il, Monseigneur, à vous
» ordonner, que deux dragmes de Boisrobert après le repas. »
IX. — P. 394, note.
Il [I a des vei's d'un homme de ce nom-là au Cardinal , mais qui ne sont
guères bons.
IS'ous n'avons pas retrouvé ces vers au Cardinal dans le Recueil des
vers de M. de Marbeuf, chevalier, sieur de Sahurs. Rouen, David du Petit-
val, 1628, in-8°. Cet homme etoit conservateur des forêts au Pont-dc-
l'Arche, et ses vers ne manquent pas d'une certaine originalité. M. Mol-
let le Duc en a parlé {Bibliothèque poétique, tom. i, p. 417); mais il se
peut que Boisrobert ait voulu, dans le cas que lui reprochoit Desma-
rêts, plutôt servir un compatriote que desservir le véritable auteur.
Z|.!2!2 LES HISTORIETTES.
A propos de la parodie perdue du CM, par Boisrobcrt, on ne pour-
roit dire ici tous les vers, toutes les Critiques et toutes les Apologies
(|u'on répandit à l'occasion du grand événement littéraire de la repré-
sentation du Ciel. Le nombre en est infini, et je ne crois pas qu'il ait
encore été relevé avec exactitude. La plus judicieuse de toutes ces
pièces est peut-être celle qui parut en 1037, sous le titre de Jugement
du Cid, composé par un bourgeois de Paris, marguillier de sa paroisse.
L'auteur admire le chef-d'œuvre de Corneille, il en relève avec finesse
les plus grandes beautés, seulement il blâme le poète de l'avoir fait
imprimer. La postérité n'a pas été de l'avis de M. le Marguillier.
X. — P. 395, lig. 24.
Boisrohert... fa entrer la petite Saint-Amour Frerelot.
On trouve à peu près la même chose dans une lettre de Chapelain
citée par les frères Parfait, Histoire du Théâtre françois, 1745, toni. v,
p. 12. «Quand la tragédie de Mirame fut jouée pour la première fois,
» le Cardinal fit défense d'y laisser entrer qui que ce fût, hors les
» personnes qu'il auroit nommées lui-même. Boisrobert cependant ne
» laissa pas d'y laisser entrer secrètement deux femmes d'une répu-
» tation équivoque. La duchesse d'Aiguillon, qui ne l'aimoit point,
» comme ordinairement les parens des Grands n'aiment point leurs
:> favoris, profita de cette occasion pour le perdre, en remontrant au
» Cardinal que Boisrobert etoit le seul qui eût osé mépriser ses ordres,
» et qu'à la vue de la Heine et de toute la Cour, il avoit été le pro-
« fanatcur de son palais. >»
Des Beaux distingue ici la petite salle de la grande : Bichelieu
l'avoit fait construire pour la représentation de sa comédie, imprimée
sous ce titre : L'Ouverture de la grande salle du théâtre du palais
Cardinal. — Mirame, tragi-comédie, dédiée au Roy ; Paris, 1G41. La
grande salle, devenue plus tard l'Opéra, fut brûlée en 1782, et
remplacée par deux autres avant celle que nous avons aujourd'hui.
XL — P. 398, lig. 8.
L'abbé {de Beaumont) s'approche en sanglottant...
Boisrobert confirme cette circonstance dans une Epistre à M. l'abbc
de Beaumont., précepteur du Roy.
Parce qu'ils ne voyoient que des fleurs sous mes pas.
Ces (Tuels ennemis ne m'espargnerent pas;
.le lus si fort en butte aux traits de leur envie
Oii'il m'en prusa constci' et riioiuuMir et la vie;
BOISROBERT. /l23
Tu te peux souvenir de ce jour do douleur
Que tu vins, en pleurant, m'annoncer muri malheur.
Peut-ôtre en rappelant cela, Boisrobcrt vouloit-il encore un peu
railler le chagrin qu'aflfectoit alors l'ancien maître de chambre du
Cardinal.
XII. — P. 398, lig. 14.
Boîsrobert eut ordre de se retirer à son abbaye; elle s'appelle
Chastillon.
I
Châtillon-sur-Seine, petite ville de Bourgogne, dans la préfecture
de la Cùte-d'Or ; mais il vécut tantôt à Rouen, tantôt dans son prieuré
de la Fer té-sur- Aube.
Je perdis tout et me vis si troublé,
Pendant vingt mois que je fus accablé.
Et qu'un exil dont la pensée me tue,
Du grand Armand me déroba la veûe
[Epltre au P. de Conty.)
Ce fut alors que, pour fléchir moins la sainte Vierge que le Cardinal,
il composa les Stances à la Vierge^ imprimées chez la veuve Camusat,
en 16/J2 (7 pages in-4°). Il les a depuis réunies au volume d'Épîtres
de 1647 ; mais en retranchant la dernière stance, qui n'etoit plus de
saison après la mort du Cardinal.
Par vous, de cette mer j'évite les orages.
De ce port plein d'ecueils et fameux en naufrages
Vous m'avez fait trouver un asyle en ce lieu;
Trop heui'eux si jamais dans ma sainte retraitte
Je pouvois oublier la perte que j'ay faitte
lin perdant Richelieu!
Cet esprit sans pareil, ce grand et digne maistre.
M'a donné tout l'éclat où l'on m'a veu paroistre;
Il m'a d'heur et de gloire au monde environne;
C'esloient biens passagers et sujets à l'envie.
Mais quand il m'a donné l'exemple de sa vie,
îM'a-t-il pas tout donné?...
C'est luy seul que je pleure en cette solitude ,
Où je vlvrois sans peine et sans inquiétude.
Si je n'avois point veu ce visage si doux.
Puisque l'on m'a privé de ce bonheur insigne.
Vierge, mon .seul refuge, au moins rendez-moy d
De le revoir en vous.
XIII. — P. 405, lig. 2.
iW""* Sauvoy^ femme de l'intendant de .1/™^ d'Aiguillon.
Sauvoy., Sauvay ou Sauvé, employé secrètement plus d'une fois par
ll'ill LES HISTORIETTES.
le Cardinal, Voyez le roman historique de Sandras des Courtils :
Mémoire de M. de iî., secrétaire de M. L. C. d. R., tom. i, j). 257 et
suiv. On parle aussi beaucoup dans le môme livre de M"" Sauvé,
p. 531, 538.
XIV, — P, 605, notes, lig. 3.
M"* Melson, fille d'esprit.
Charlotte Melson, fille de Mclson, interprète chez la Reine, mort en
septembre 1665, dans un âge avancé. Elle épousa André Girard le
Camus, conseiller d'Etat. Boisrobert a fait pour M"^ Melson, au nom
de M"'* de Tore, sœur du président le Coigneux, un assez joli rondeau
dans ses deux recueils à^Epîtres et poésies :
Sans vous avoir que par l'esprit connue.
Belle Philis, et sans vous avoir veue
Qu'un soir au Cours, le visage voile.
Sans vous avoir, Plulis, jamais parlé
Devant l'église, aussy peu dans la rue,
Je me suis bien toutefois apperoeue
Que tous vos traits ont une pointe algue.
Et que l'amour n'auroit jamais brusié
Sans vous.
Je les veux voir briller hors de la nue,
Ces yeux pereans dont la Cour est emeue.
Et dont je voy tout l'aris affolé;
Knfin, mon cœur que vous avez volé
INie peut plus vivre au chagrin qui le tue
Sans vous.
[IlecKeilde Sei'cy.t
Au reste, la réputation fâcheuse qu'on se plaisoit à faire à Bois-
robert, sous le rapport des mœurs, sembloit autorisée par ses bons
mots ordinairement plus grivois que délicats. Personne alors ne prenoit
tout cela au sérieux. Ménage, qui fut toujours assez lié avec lui, a mis
dans sa Requeste des Dictionnaires :
. . . . le délicat Serizay
Eust chaque mot féminisé,...
Sans que l'abbé de Boisrobert,
Ce premier chansonnier de France
Favory de son Imminence,
Cet admirable Patelin
Aimant le genre masculin,
S'opposa de tout son courage
A cet efféminé langage.
XV. — P. 406, notes, lig. 4,
U n'a a personne qui réjouisse tant les Percs que vous.
L'anecdote est plaisante en ce que Boisrobert alloit là pour dentan-
BOISROBERT. /i25
der les prières et l'absolution, non pour faire rire les R. P. Mais cette
pensée, vraie ou fausse, qu'on lui prùte de se renfermer chez les Jé-
suites pour rétablir sa réputation, prouve au moins que l'opinion
publique n'avoit pas encore reçu d'ombrage sur les mœurs des Jésuites.
XVI. — P. 406, lig. 5.
Boisrcbert... s'avisa de faire des vers contre les Frondeurs; il n'y
eut jamais un homme plus lasclie.
L'argument n'est pas sans réplique : il y a toujours un certain cou-
rage à attaquer le parti dominant, et les flatteurs de Mazarin avant et
après la Fronde qui, comme Scarron, l'outragèrent pendant les troubles
de Paris, furent, il semble, beaucoup plus lâches. — La fin du sonnet
de Boisrobert a peut-être inspiré quelques admirables vers d'Athalie:
Cependant, peuple ingrat, qui seul luy fais obstacle,
Tu déchires sa gloire, et tu n'as plus de foy
S'il manque un seul moment a produire un miracle.
{Ejnstres. Paris, 1659. i
XVn. — P. 406, lig. 20.
En quelques endroits, c'estoit le feu président de Bersy et son filz.
Charles Maslon, sieur de Bercy, reçu conseiller au Parlement en
1598, maître des Requêtes en 1608, puis président au Grand conseil.
Son fils, Charles Henry Maslon, sieur de Bercy, reçu conseiller au
Grand conseil en 1626, fut maître des Requêtes en 1634, puis prési-
dent au Grand conseil. Il mourut en mars 1676. C'est de ce brave
fils que l'auteur du Portrait des Maîtres des requestes fait pour l'usage
de Fouquet, dit: «Le meilleur esprit, le plus éclairé; mais le plus
» meschant de toute la compagnie. »
Dans la Belle Plaideuse, Boisrobert a tiré parti de tout cela, et nous
devons ajouter que ce président de Bercy et Boisrobert sont les vrais
héros du mot attribué à Molière : Monsieur le Président ne veut pas
qu'on te joue. Ce mot est bien mieux dans la situation de Boisrobert
et du Président , que dans celle de Molière. Dans tous les cas, Mo-
lière ne songeoit pas encore à Tartufe, quand des Réaux consignoit
cette curieuse anecdote.
Voyez aussi dans VAvare le parti que Molière a tiré de la rencontre
des deux Bercy, père et fils, chez le Notaire.
j^me paget, dont parle ici des Réaux, etoit la femme de Jacques
Paget, sieur du Plessis, intendant des finances, d'abord maître des
Requêtes. Boisrobert leur a adressé des vers à l'un et à l'autre, « ses
» charmans voisins. » On les retrouvera dans V Historiette Ak Ninon.
426 LES HISTORIETTES.
Bussy, dans les Amours des Gaules^ compte Paget au nombre des
amans de M""^ d'Olonue. — « Paget, » dit l'auteur du Portrait des
Maîtres des Requêtes, « protecteur des partisans et qui de peu a fait
» beaucoup par toutes sortes de voyes. »
XVIII. — P. 407, lig. 20.
J'atj un nepveu qui tue (es yens.
Boisrobert se vantoit, pour ainsi dire, d'ûtre lâche aussi bien que
d'avoir de mauvaises mœurs. Dans une requête adressée au chan-
celier Seguier pour ses neveux, accusés d'avoir tué un homme, il dit :
Et j'aurois lieu <le les desadvoiier,
Oiiaiit par leur vwuv on me les vient louer.
Je me sens bien, et je ne puis m'en taire,
Je suis poltron, et je connois mou frère;
Et l'on me berne avec un ton mocqueur.
Quand on me dit : « Vos nepveux ont du cœur. «
Il fit plus tard entrer l'un de ces garnemens dans le Gobelet du Roi.
(Epître à Jannin de Castille, édition de 1G59, p. 1G8.)
XIX. —P. 409, lig. 1.
Ce pauvre Vouville est mort depuis deux ans.
C'est-à-dire en 1655. Ses Contes ont été réunis en deux volumes
in-12, 1CG9 et 1732. J'en possède un exemplaire de 1G43, en un fort
volume, sous le titre : Les Contes aux heures perdues du sieur d'Où-
ville. Dans VEpîlre à l'abbé Fouquet, Boisrobert dit :
l,e pauvre Douville est mon frère,
II porte titre d'idrographe,
U'ingenieur, de Geograplie,
Mais avec ces trois qnalitez
Il est gueux de tous les costez.
{Epitres, 1659, p. 130.)
XX. — P. 410, note 1.
Picard, trezorier des parties casuelles, filzde ce cordonnier Picard...
Le Catalogue des Partisans., mazarinade de 1G49, dit : « Picard, fils
» d'un cordonnier, qui depuis a esté threzoricr des parties casuelles,
» a esté intéressé avec Catclan, de Mons, Galand, le Camus et autres
» en tous traictez. Il demeure au Marais, rue du Grand-Chantier., près
» les En fans-Rouges, et prend le titre de marquis de Dampierre, dont
» il a fait acquisition. »
Ce fils du cordonnier Picard n'eut pas meilleur marché du peuple.
BOISROBERT. 427
en 16^9, que le maréchal d'Ancre ne l'avoit eu trente ans auparavant.
Voici les vœux que faisoient les Frondeurs contre lui et les autres gens
de finance :
Charles Picard, tout le premier.
Reprend Testât de cordonnier
Que jadis son père exerça,
Alléluia !
Tabouret aussy veut rentrer
Dedans l'honorable mestler
De frippier, tant il s'y aiuia,
Alléluia !
Doublet, malgré tous ses suppôts.
Reprend aujourd'huy les sabots
Que dans Paris il apporta,
AUeluia !
{Le Salut des Partisans. 1643.
XXI. — P. 410, note, 1 lig. 10.
Picard... qui a une niepce mariée au marquis de la Luzerne.
Ce fut précisément à l'occasion de ce mariage de la nitce de
Picard, que Loret lit ce qu'on demandoit de lui. C'est dans la Muse du
1" janvier 1654.
Le sieur marquis de la Luzerne
Doit espouser au premier jour.
Par destinée et par araour
Une assez aj^reable fille
D'honorable et bonne famille.
Jeune, sage et de doux regard.
Et niepce de monsieur Picard,
Trezorier sincère et fidèle
De la finance cazuelle.
Et partout estimé très fort.
Quoy, sa niepce? Kon, j'ay tort,
Elle ne l'est que de sa femme.
Que l'on tient fort honneste dame.
Monsieur Picard pourtant, dit-on,
Luy donne, argent comptant, ou non.
Deux cens quarante mille livres.
Outre beau logement et vivres....
Foy de poète et caporal.
C'est estre un peu bien libéral,
C'est, en donnant si grosse somme,
Agir en vray généreux homme.
Et l'on peut, en parlant de luy.
Dire qu'il n'est pas aujourd'huy
En chascun bourg, ville ou domaine,
Des sieurs Picard h la douzaine.
428 LES UISTORIËTTES.
II existe un volume fort rare d'Essais poétiques du sicio- de la Lu-
zerne, Paris, 1642, in-8°. On y trouve une satyre virulente, le Gueux
rafraiscliy, fuite contre le trésorier Picard, précisément par le frère du
marquis de la Luzerne, destiné plus tard à devenir neveu de ce
môme Picard. Le sieur de la Luzerne est d'ailleurs un poète fort mé-
diocre.
XXII. — P. 410, lig. 7.
Scarron, le frère de Corneille et luy avoient imité tous trois de l'espa-
gnol une pièce qu'on appelle /'Escolier de Salamanque.
Apparemment le modèle du roman de Lcsage, le Bachelier de Sala-
manque. Les trois pièces furent jouées dans la même année 1654: celle
de Scarron sur le théâtre du Marais, sous le nom de VEscolicr de
Salamanque ou les généreux ennemis ; les deux autres à l'hôtel de
Bourgogne ; celle de Boisrob(>rt sous le nom des Généreux ennemis; celle
de Thomas Corneille sous celui des Illustres ennemis.
Ce combat de préséance dramatique fut apparemment cause du
mauvais vouloir que Scarron garda longtemps à Boisrobert, et dont
Ménage ou du moins le Menagiana ne savoit pas la cause (tom. ii,
p. 176). Dans l'Epître de Scarron à l'abbé d'Espagny :
Adieu, cher abbé de mon ame,
CiipUlon vous (loint belle daine !
Car maints prélats de ce tenips-cy
Aiment l)elles dames aussy;
Et j'en connois d'assez peu sages
Pour cnganimeder leurs pages.
Dieu me garde de telles gens
Baisant les gens malgr('' leurs dens.
[OEuvres, tom. vu, p. 165.
XXIII. — p. 410, lig. dernière.
En ce temps-là les dévots de tii Cour.... le firent exiler...
Il donne les mômes causes à sa disgrâce passagère :
Chascun à l'envy m'accable,
Jusques-lci qu'une auguste royne
Me jugea digne de sa liayne.
Crut ces rapports sans balancer.
Et de l'aris me fist chasser.
Il finit cette cpîtrc en demandant à M. de Lyonne et à Servien leur
protection,
Pour éluder les artifices.
Pour braver les mauvais offices,
Et pour rire au nez des flatteurs,
Des cagots et des délateurs.
{Epïlrc$ )
BOISROBERT. ^1.29
Tout en lançant un bon mot contre madame Mancini, il adressa à
cette dame une Epître de remerciemens sincères, qui dut bien autant
la flatter que le payement de ses quarante pistoles. Elle est également
dans l'édition de 1630, p. 195.
Boisrobert fut encore une autre fois éloigné de la Cour, i)uis y repa-
rut au mois de février 1G58 :
Monsieur l'nbbé de Boisrobert.
Auteur bien parlant et disert, '
Lequel, depuis mainte semaine
rv'estoit veu «le roy ny de royne.
D'autant que pour leurs Jlajeste/.
On luy prestoit des charitez;
Enfin, hmdy son Kminence,
Présupposant son innocence,
Obtint vers elles son retour,
Au gré des plus grands de la Cour
La royiie en boutez admirable,
Luy fist un accueil favorable,
(A trois ou quatre pas de moy).
En présence de nostre Roy.
{LoKET, Lettre du 23 février 1658.)
XXIV. — P. /jl2, note, lig. 3.
Il fit une satyre contre d'Olonne, SabU-Bois-Dauphin et Saint-Evremont,
qu'on appetloit (es Costaux.
Ces messieurs furent en effet les premiers profès du fameux ordre
des Coteaux. Guy de Laval, chevalier de Boisdauphin puis marquis
de Laval, a son Historiette. Le comte d'Olonne, Louis de la Tri-
mouille , fameux gourmet , fut encore plus fameux à cause de sa
femme, objet des odieuses et vilaines médisances de Bussy-Rabutin.
C'est au comte d'Olonne, alors exilé, que Saint-Evremont adressa une
de ses meilleures lettres, en 1674 ; il lui donne les conseils d'un epi-
curéisme raffiné : <( N'épargnez, » lui dit-il, « aucune dépense pour avoir
» des vins de Champagne, fussiez-vous à deux cens lieues de Paris.
» Ceux de Bourgogne ont perdu leur crédit avec les gens de bon goût,
» et à peine conservent-ils un reste de vieille réputation chez les mar-
» chands. Il n'y a point de province pour fournir d'excellcns vins de
» toutes saisons que la Champagne. Elle nous donne le vin à'Ay,
» d'^î;eHeî,d'.4Mt)î7é, jusqu'au printemps-, Tessy, Sillery, Fersenai.jtour
» le reste de l'année.
» Si vous me demandez lequel je préfère de tous les vins, sans me
» laisser aller à des modes de goût qu'introduisent de faux délicats,
» je vous diray que le bon vin d'Ay est le plus naturel de tous les
» vins, le plus épuré de toute senteur de terroir, de l'agrément le plus
» exquis par un goût de pèche qui lui est particulier, et le premier, à
430 LES HISTORIETTES.
» mou avis, de tous les gousts. Léon X, Charles-Quint, François 1*' et
» Henry VIII avoient tous leur propre maison dans Ay ou proche d'Ay,
» pour y faire plus curieusement leurs | provisions. Parmi les plus
» grandes affaires du monde qu'eurent ces princes à demcsler, avoir
» du vin d'Ay ne fut pas un des moindres de leurs soins, » [Véritables
œuvres de Saint-Evremont , 1706, tom. m, p. 55.)
Ainsi les Coteaux etoient d'abord les bons crus d'Ay, d'Aven ay,
d'Hautvillers ; venoient ensuite immédiatement ceux de la Montagne
de Reims, Sillery, Taissy, Verzenay. Les premiers profès de l'Ordre
n'etoient pas le commandeur de Souvrô, le duc de Mortemar et Rrous-
sin, comme Rrossette se souvcnoit de l'avoir entendu dire à Boileau,
mais bien Saint-Evremont, d'Olonne et Laval-Boisdauphin. « Ces mes-
» sieurs, » dit quelque part Bouhours, « ne sçauroient manger que du
M veau de rivière -, il faut que leurs lapins soient de la Rocheguyon
» ou de Versines ; ils ne sont pas moins difficiles sur le fruit ; et pour
» le vin, ils n'en sçauroient boire que des trois coteaux d'Ay, d'Haut-
» villers et Avenay. » Il faut d'ailleurs remarquer que le vin mousseux,
dit aujourd'hui vin de Champagne, n'ctoit pas encore inventé : il ne
date que des premières années du xyiii"* siècle, et MM. des Coteaux
n'entciidoient vanter que les vins rouges ou blancs, qu'ils prefcroient
de beaucoup aux vins rouges et blancs de Bourgogne ou de Bordeaux.
Les vins mousseux ont fait oublier aux délicats de nos jours ces excel-
lents vins rouges d'Ay, d'Hautvillers et d'Avenay, souvent mentionnés
par la Bruyère, et vantés plus d'une fois par le plus fin gourmet du
XVII* siècle, Saint-Evremont.
Des Réaux reparlera souvent de M. du Mans, Philibert-Emmanuel
de Lavardin, dans Y Historiette de Costart. On peut aussi consulter une
fort bonne notice de M. Hauréau, sur ce prélat mondain, dans VUis-
toire littéraire du Maine.
XXV. — P. 412, lig. 3.
En parlant de la lettre du Valentin, Girac a dit qu'elle sentoit le
mesckant comédien.
Je ne suis pas de l'avis de Girac ; les pédans, c'est un de leurs
inconvéniens, ne comprennent rien à l'enjouement facile, et voient
dans le badinage le plus ingénu les marques de la prétention la plus
laborieuse; c'est le cas de Girac. Voiture avoit promis, en quittant
M"* de Rambouillet, de lui faire la description des belles maisons
et de tous les chefs-d'œuvre d'architecture qu'il verroit en Italie,
car la Marquise etoit très-passionnée pour les constructions italiennes.
Telle fut l'occasion de la petite lettre du Valentin, devenue si célèbre :
BOISROBERT. 431
« Madame,
» J'ay vcu pour l'amour de vous le Valentin avec plus d'attention
« que je n'ay jamais fait aucune chose, et puisque vous desirez que je
» vous en fasse la description, je le feray le plus exactement qu'il me
» sera possible. Mais vous considérerez, s'il vous plaist, que quand je
I) me scray acquitté de cette commission, et de l'autre que vous m'avez
» donnée à Rome, j'auray fait pour vous les deux choses du monde
» qui me sont le plus difficiles, de parler de bastiment et de parler
» d'affaires. Le Valentin, Madame, puisque Valentin il y a, est une
» maison qui est à un quart de lieue de Turin, située dans une prairie,
» et sur le bord du Pô. En arrivant on trouve d'abord , je veux
» mourir si je sçay ce qu'on trouve d'abord ; je me trompe, c'est un
» perron. Par ma foy, je ne sçay si c'est un portique ou un perron. Il
» n'y a pas une heure que je sçavois tout cela admirablement, et ma
» mémoire m'a manqué. A mon retour, je m'en informeray mieux, et
» je ne manqueray pas de vous en faire le rapport plus ponctuellement.
» Je suis, Madame, vostre très-humble serviteur,
» VOITDRE.
» De Gènes, le 7 octobre 1638. »
XXVI. — P. til3, lig. 8.
Costart luij a respondii fort doucement.
Boisrobert avoit traité Costart de « faiseur de turlupinades, de
» railleur fade et sans jugement, etc. » Costart lui repondit avec une
grande affectation de politesse, qui sans doute désarma l'émule de Mon-
dory. « Traictez-moy, » luy dit-il, «comme il vous plaira, je suis résolu
» de souffrir de vous, comme j'eusse fait autrefois d'une maistresse,
)) lorsque j'etois jeune et galant. Je sçay. Monsieur, qu'il n'y a pas un
» homme au monde plus prompt que vous, mais je scay aussy qu'il
» n'y en a point dont les entrailles soient meilleures et qui ait un plus
» grand fonds de bonté. Vingt-cinq ans durant vous m'avez voulu du
» bien, et il n'a pas tenu à vous que vous ne m'en ayez procuré pen-
» dant votre faveur auprès de M. le Cardinal, et lorsque les Normands,
» comme vous l'avez écrit de si bonne grâce, tenoient à gloire que vous
» fussiez de leur pays :
Et les plus apparens
l'ayoient d'Hozier pour êti-e vos parens. . .
« J'avois ;\ monstrer que M. de Voiture n'estoit pas blâmable pour
» s'estre proposé de divertir une excellente princesse par un récit qui
» sentoit tant soit peu le style d'un comédien, au jugement de mon
» adversaire. Là-dessus j'allègue Platon, qui a bien voulu quelquefois
II?,'! LES HISTORIETTES.
» faire le farceur. J'allègue ce mot. d'un galant homme : » Je joue la
» comédie pour l'amour de moy, et pour en estre le spectateur ; » j'y
» adjouste l'exemple d'un agréable abbé, que j'honore, que j'estime
» et que j'aime chèrement, à qui un bel-esprit a donné le nom d'abbé
» Mondory. N'est-il pas manifeste, Monsieur, que je n'ay pas voulu
)i deshonorer la mémoire de Platon, ni condamner le galant homme et
» l'abbé divertissant ; et qu'il faut nécessairement que je les approuve,
» puisque j'autorise par leur exemple l'action de mon amy que j'ay
» dessein de justifier. Je ne nomme point cet abbé ; je fais profession
» de l'honorer; je dis de luy ce qu'en avoit dit une personne qui luy
» est chère, et ce que vous en avez dit vous-mesme cent fois, non pas
» au Mans, mais à Paris... Faire quelquefois le Mondory, est-ce faire
» le Jodelet ? Mondory n'est-il pas, parmi nous, ce que Roscius estoit
» parmi les Romains?... Confessez, Monsieur, que vous avez tort, et
» me laissez espérer que lorsque vostre violent accès de colère sera
» passé, vous me ferez réparation d'injures. En attendant, pestez et de-
» clamez tout vostre saoul. Ne vous en contraignez point. Lisez dans
» toutes les ruelles cette lettre satyrique que vous m'avez envoyée, où
» vous me traitez de faiseur de turlupinades, etc. Je consens que vous
» purgiez vostre bile et que vous vous deschargiez le cœur à mes des-
» pens. » {Lettre 325 de Costar.)
XXVII. — P. /|14, lig. 7.
Saînt-Evremont , mtteur de la comédie de l'Académie.
Ou plutôt des Academistcs. Saint-Evremont y traitoit Boisrobert
assez bien : « Je voudrois, » y dit Saint-Amant :
Que des ^mis rivaux Boisrobert ayant honte.
Revint à son talent de faire bien un conte
Puis Faret réplique :
Boisrobert est plaisant autant qu'on sçauroit l'estre,
Il est assez bien mis dans l'esprit de son maistre;
A tous ses madrigaux il donne un joly tour
Et feroit des leçons aux Grecs, de leur amour.
Au reste, ces vers ne sont pas dans les premières éditions de cette
satire curieuse.
XXVin. — P. 41/1, note 2, lig. 13.
// y mit celle qu'il fît contre M. Servien.
Il est parlé de ses querelles avec Servien, fondées sur de mauvais pro-
pos tenus ou attribués à Boisrobert, dans plusieurs des Epîtres publiées
BOISROBERT. 433
en 1659; entre autres dans la première à l'abbé Fouquet, et dans celle
qui est adressée au comte de Saint-Aignan ; mais Servien n'y est
touché que fort légèrement. Boisrobert, dans la seconde, dont il re-
commandoit la lecture au premier président Mole, cherchoit plutôt à
démentir les mauvais propos qu'on lui avoit attribués et qui lui
avoient attiré le ressentiment d'Abel Ser\ien. Il ne nomme pas non
plus son dénonciateur près de Servien :
. . On sçait que le traistre et le lasche
Qui sourdement en m'accusant se cache,
Kst un faussaire, un monstre, un scélérat
Dont on devroit avoir purgé l'Estat;
Je m'en rapporte au dire véritable
Des autres sept qui mangeoient <i sa table.
Ce ne sont point comme luy Halfessiers,
On les connoist pour sages officiers, etc.
{Epitre au duc de Saint-Aignan, p. 153.)
Ce mot Halfessier n'est pas dans les Dictionnaires anciens d'Oudin
et de le Roux.
XXIX. — P. 415, lig. 40.
L'abbé de Villarseaux, mon lioste.
René de Mornay, abbé de Saint-Quentin-lez-Beauvais. C'etoit un
grand prodigue :
Le sieur abbé de villarsceaux
Qui, s'il avoit d'or plein sept sceaux
Et d'argent trente bourses pleines.
Les vuideroit dans trois semaines.
Fit l'autre jour un grand festin
Dans le pays nommé Vexiu
(LoRET, Muse historique, 31 mai 1633.)
Il mourut quelques mois après son frère, le célèbre marquis de Vil-
larseaux, le 27 septembre 1691.
XXX. — Fin.
Voici l'ppitaphe que Loret fit au pauvre abbé de Boisrobert :
Cy gist un monsieur de Chapitre,
Cy gist un abbé portant mître,
Cy gist un courtisan expert,
Cy gist le fameux Boisrobert ;
Cy gist un homme académique,
Cy gist un poète comique.
Et toutefois ce monument
N'enferme qu'un corps seulement.
[Muse historique, du 3 avril 1662.)
II. 28
XCIX.
FEU xMONSlEUR LE PRINCE,
HENRY DE BO.URBON.
(Henry II de Bourbon, Prince de Condc, né \" septembre 1588, mort
26 décembre lG/t6.)
Feu Monsieur le Prince a eu une jeunesse assez
obscure et assez malheureuse. Nous avons parlé ail-
Tora- îg'pPigJ''^- 174, leurs * de sa fuitte en Flandres, de son retour et de sa
prison. Ses exploits, qui sont petits, se voyent dans
les Mémoires de M. de Rohan et ailleurs.
On a une lettre où ce seigneur lui reproche sa
sodomie en ces termes : « Au moins n'ay-je rien fait
» qui me face appréhender le feu du ciel. » De tout
temps Monsieur le Prince a esté accusé de ce vice,
tesmoing le sonnet de Rautru , fait du temps que la
Reyne Marguerite vivoit encore. On fit aussy une
chanson que je n'ay pu trouver, où l'on faisoit aller
tous les beaux garçons de la Cour au devant de
luy '. On n'auroit jamais fmy, si l'on vouloit conter
toutes ses vilainies.
1 A Compiegne, durant la dernière Régence, il eut une espèce de
scorbut aux lèvres; cela venoit d'une c. — p. rentrée. On le sçeût, et
M™" de Brienne dit à la Reyne : « Quelle mesdisance ! On disoit qu'il
» ne voyoit point de femmes. »
beau jeu.
FEU MOISSIELR LE PRINCE. 4o5
Autrefois, que c'estoit assez la mode de jouer à
l'Jbbé*, Monsieur le Prince a fait des ordures espou- tou? L ^l /Jra
vantables. Il fit manger une fricassée de toutes sortes
de fruits dont il mangea le premier, puis du dégo-
billé d'ivrogne dans la poisle, et des apprestes * pain 'aii^^^^n momi-
trempées dans un aposthume de cheval. La Vallée,
qui estoit à luy, pour n'en avoir pas voulu manger,
fut mis au carcan *. — En une desbauche il passa tion"conv"Jnie'à°cë
tout nû à cheval par les rues de Sens, en plein midy,
avec je ne scay combien d'autres nûs aussy.
Il a bien fait la debausche avec les escoliers de
Bourges : il leur faisoit manger leur argent; il a
quelquefois pris des promesses d'eux. Il les trichoit
au jeu, et ayant gaigné le disner à la boule à un, il
luy dit: « J'envoyeray demain de quoy, ne vous met-
» tez pas en peine. » Il envoya le lendemain un pasté
et deux bouteilles de vin, et mena vingt-cinq gen-
tilshommes, comme gouverneur du pays. Quand il
alloit au cabaret, au pis aller il ne payoit que sa
part, et, s'il pouvoit, il laissoit payer les autres pour
luy.
Un jour, en une petite ville , quand il voulut
compter avec l'hoste, l'hoste luy dit que les esche-
vins de la ville avoient payé sa dépense : il luy de-
manda combien il avoit eu : « Monseigneur, » res-
pondit cet homme , « on a un peu payé la qualité :
« j'ay eu cinquante escus plus que je n'aurois eu
» d'un autre. » On dit qu'il le contraignit à luy
donner ces cinquante escus.
Une autre fois, comme il estoit prest de signer un
436 LES HISTORIETTES.
bail à ferme d'une de ses terres, il dit aux fermiers
qu'ils luy confessassent combien ils donnoient à Per-
rault son secrétaire, et les ayant obligé à avouer
qu'ils luy donnoient cent escus, il se les fit bailler,
leur disant que puisque ce n'estoit que pour le faire
signer, il alloit signer et qu'ils n'auroient plus af-
faire de son secrétaire. Cependant ce secrétaire a
fait une grande fortune avec luy, car il faut qu'un
habile homme fasse ses affaires et celles de son
maistre à la fois. Il luy prestoit de l'argent pour en-
trer en une affaire, s'en faisoit payer l'interest, puis,
comme il estoit homme de bon compte, il luy disoit :
«Tenez, il y a tant de profict pour vous. » Quand on
luy donnoit de l'argent pour quelque affaire , il le
mettoit dans un coffre et le rendoit si l'affaire ne
se faisoit pas.
Les habitans de je ne sçay quelle paroisse le priè-
rent un jour de trouver bon qu'ils s'avouassent de
luy pour estre exemptez des gens de guerre : «Mais, »
leur dit-il, « que me donnerez-vous? — Monseigneur,
» nous vous ferons un présent. — Non, je veux quel-
» que chose de certain. » Il ne leur promit point
qu'auparavant ils ne fussent tombez d'accord de la
somme et du terme, et il les avertit, comme ils s'en
alloient, qu'ils luy envoyassent sans faute cette
somme, car il la leur demanderoit plustost la veille
que le lendemain.
Il eut de belles terres de la confiscation de M. de
Montmorency ; mais son plus grand bien venoit des
affaires qu'il avoit faittes.
FEU MONSIEUR LE PRINCE. k'dl
Un jour qu'il avoit haussé bien des fermes , le
marquis de Rostaing , autre avaricieux , disoit :
« Voylà un homme qui vous apprend bien à vivre'. »
Monsieur le Prince depensoit pourtant beaucoup;
mais sa dépense ne paroissoit pas. Il avoit des équi-
pages complets en plusieurs maisons ; il donnoit à
ses gens le moins qu'il pouvoit, mais il payoit tous
les premiers de l'an, et à Pasques il leur donnoit
de quoy aller à confesse. Jamais il n'y a eu mai-
son mieux réglée : ce n'eust pas esté un mauvais
Roy ; véritablement il n'eust pas esté si redouté
qu'Henry IV% On perdit furieusement à sa mort,
car il n'eust pas souffert* les barricades ny le blocus f^omme^ses trois «
de Paris.
Parlons à cette heure de sa politique. On a cru
qu'il s'estoit engagé, à Rome, à tourmenter les Hu-
guenots; d'autres disent que de peur qu'on ne crust
qu'il voulust brouiller* avec eux comme son grand- '"""''' t'es brigues,
père et comme son père, il tesmoignoit plus de haine
pour eux qu'il n'en avoit. Il escrivit je ne sçay quoy
contre les Janssenistes , et fit estuclier ses deux filz
aux Jésuites.
Il sçavoit si peu qui estoient les beaux esprits,
1 n avoit rame d'un intendant de grande maison : jamais homme
n'a tenu ses papiers en meilleur ordre. H couroit à cheval sur une ha-
quenée par Paris, avec un seul valet de pied, pour solliciter un pro-
cez. Il alloit chez feu la Martellierc, les jours de son conseil*; (en ce ''e ses consultations.
temps-là les advocats n'estoient pas si lasches qu'à cette heure.) Il
alloit voir Vitray deux fois la semaine, comme un homme de bon sens;
fichu au reste, qu'il n'y avoit rien de mesure *. S'il eust esté propre, il •'^ "°'^ 9"','!,f^H*
. . 11^1' entendre : nabtlle de
n auroit point este trop mal. pièces et morceaux.
lioS LES HISTORIETTKS.
qu'un jour ayant trouvé M"' de Longueville, sa fille,
à table, M. Chapelain disnoit avec elle, elle se leva,
il luy vouloit dire quelque chose ; après il luy de-
manda : « Qui est ce petit noireau? — C'est M. Cha-
» pelain, » dit-elle. — « Qui est-il? — C'est luy qui fait
» la Pucelle. — Ah ! » dit-il , « c'est donc un sta-
)> tuaire ? >'
Au retour d'Italie, de peur de donner de l'om-
brage n M, de Luynes, il s'alla confiner à Bourges.
Ce fut là qu'il connut Perrault, qui y estoit escolier et
qui devint enfin son maistre, car il juroit plus haut
que luy. Sous le cardinal de Richelieu, il n'a pas
soufflé. 11 disoit un jour à son filz : « C'est bon pour
» vous, qui estes vaillant*. » 11 ne croyoit pas que son
filz, s' exposant comme il faisoit, luy dust survivre,
et quand il sceût l'affaire de Fribourg : « Ah! » dit-
il, « il n'en a plus que pour une campagne. »
Quand il sceût que M. d'Anguien n'avoit point este
uistor., II, p. 183. ^*^"' ^^- le cardinal de Lyon*, il envoya quérir Daliez,
homme d'affaires , son grand factotum en fait de
finances après Perrault, et luy dit en une colère hor-
l'ible : « Vous avez fait donner dix mille escus à mon
» filz à Lyon, vous estes cause de sa perte : s'il n'eust
» point eu tant d'argent , il fust allé voir le cardinal
» de Lyon, oncle de sa femme : il n'eust pas passé
» sans luy rendre visite. » Daliez dit cju'il n'avoit fait
compter à M. d'Anguien que cent pistolles par-delà
la somme ordonnée par Monsieur le Prince. Or le
* Il disoit : « Il est vray, je suis poltron, mais ce bougre de Ven-
» dosme l'est encore plus que nioy. »
FEU MONSTELiR LE PRINCE. fl2>9
cardinal de Richelieu prit cela au point d'honneur :
c'estoit par fierté qu'il n'y avoit point esté , sous
prétexte que les princes du sang ne vouloient cé-
der qu'au seul cardinal de Richelieu, et non aux
autres*. On a crû que le Cardinal avoit dessein de
les perdre quand il mourut; mais c'estoit seulement
qu'il les vouloit desunir pour estre maistre du duc
d'Anguien, et l'obliger à avoir recours à luy.
Le Roy avoit laissé icy feu Monsieur le Prince
pour commander durant le voyage de Perpignan. Au
Te Deum, il se mit à la teste du Parlement, comme
le Roy. Le Parlement vouloit se retirer, le premier
président Mole leur remontra que cela desplairoit au
Roy; mais il signifia à Monsieur le Prince que c'es-
toit entreprendre sur le Parlement, et qu'on s'en
plaindroit au Roy ; en effect, Monsieur le Prince eut
une réprimande.
Il fit une fois un vilain tour à M. d'Anguien à Fri-
bourg. M. d'Anguien avoit grivelé sur les gens de
guerre trente mille escus qu'il envoya en or à Paris.
Monsieur le Prince en fut averty. Il va avec un com-
missaire, luy-mesme, car Perrault n'y voulut jamais
aller, faire ouvrir la malle où estoit cet or, et en paya
ce que son filz devoit à M. de Longueville et h d'au-
^ Ils luy cedoient, disoient-ils, comme jn'emier ministre, et comme
les princes autrefois cedoient à l'abbé Suger, (mais il estoit régent). Le
Cardinal, qui vouloit plaire à Rome, disoit que c'estoit à la pourpre
eminentissime qu'il falloit rendre cet honneur. Il rapportoit l'exemple
des souverains d'Italie ; le cardinal de Richelieu, effectivement, vou-
loit qu'ils cédassent au cardinal Mazarin. Au retour de Perpignan,
par despit, le père et le filz s'en allèrent en Bourgogne, et y estoient
quand le Cardinal mourut.
440 LES HISTORIETTES.
très; et quand il revint, il luy donna des quittances
au lieu de ses louis d'or, en luy disant : « Il faut
» tousjours commencer par payer ses debtes. »
COMMENTAIRE.
I. — P. /(36, lig. 7.
Ce secrétaire {Perrault) a fait ttne grande fortune.
Jean Perrault, par la suite, acheta une charge de président à la
Chambre des Comptes, et fonda, par son testament, un service annuel
))our l'âme de Monsieur le Prince, aux Jésuites de la rue Saint-Antoine.
La première fois, le 10 décembre 1G83, Rourdalouc prononça l'oraison
funèbre. {Lettre de .1/°" de Sévigné à Bussij, IG décembre 1G83.)
Le président Perrault ne se contenta pas de cela; il fit construire
pour le prince de Condé, dans la même église, un mausolée que le
chevalier Bernini rcgardoit comme une des plus belles choses de France.
Ce tombeau lui avoit coûté plus de deux cent mille livres. Boursault,
qui a fait une longue cpitaphe en vers du président Perrault, dit qu'il
dépensoit en aumônes plus de onze mille livres par an. « M. Perrault,
» qui avoit tant de parens qui abboyoient après son bien, n'en a trouvé
» aucun à qui sa gloire fust assez chère pour en prendre soin. Eh ! com-
» ment auroit-on fait quelque chose pour luy après sa mort, puisque
» avec toutes les richesses qu'il avoit, on luy refusoit jusqu'aux neces-
» sites de la vie ! Il m'avoit fait la grâce de me placer de la manière du
» monde la plus honneste dans un testament olographe qu'il fit pen-
» dant toute la force de sa raison, et qu'on luy fit révoquer quand il
» Teut pei'due. Je luy en ay la même obligation. C'est assez qu'il ait eu
» de la bonne volonté, pour m'obliger îi avoir delà gratitude. » {Lettres
nouvelles de lionrsnult , 1700, tom. i, p. 92.)
Le même Boursault, dans un billet écrit à Charpentier, de l'Académie,
pour l'inviter à dîner, nous indique où logeoit le président Perrault :
Venez vis-à-vis le Louvre,
riiez le presitlent Perrault;
Kt si la porte est fermée,
lluehez.T l'accoustumee....
(Lettres tioiivelles, t. ai, p. 318.1
IL - P. ÛSG, lig. 28.
// ml de belles terres de la confiscation de M. de Montmorency.
Entre autres Chantilly '"t Dampmartin. " Si la Reync luy fit rlonner
FEU MONSIEUR LE PRINCE. llM
n les maisons de Chantilly et de Dampmartin, ce fut une reconnois-
» sance digne d'une Reyne; mais ce fut encore une générosité bien
» séante à un Roy de ne vouloir point profiter de trente mille livres de
» rente de la confiscation des biens du feu duc de Montmorency, son
» beau-frère. Si elle luy donna la permission d'achepter ceux du feu duc
» de Bellegarde, je ne sçay si elle eust eu la pensée de le refuser à tout
» autre, veù que ces biens estoient dans le commerce, et qu'on estoit
» obligé de les vendre. » [Response de Monseigneur le Prince à la Reyne
régente au sujet de sa détention, 1651, p. 6.)
Suivant Lenet, qui a fait du prince de Condé un éloge moins chargé
que n'est, dans le sens contraire, notre Uistoriette : « Monsieur le Prince
» savoit se precautionner contre l'esprit des hommes sans le faire con-
» noistre ; il aimoit à profîtter , mais il vouloit qu'on fist d'honnestes gains
» sous sou autorité, et proportionnés au mérite de ceux avec qui il
» traitoit. » {Mémoires, liv. vi.)
Pour ses mœurs , il est certain qu'on en médisoit beaucoup. Il avoit
un page nommé Hoquetot ou Hecquetot, qui inspira ces vers :
Crimina snnt septem, crimina Principis octo.
m. — P. 437, lig. 1«.
Le marquis de Rostaing, autre avaricieux.
Charles marquis de Rostaing, marié à la fille du chancelier de Chi-
verny, dont vint le comte de Bury. Il mourut, non pas le 9 janvier 1659,
comme on le fait dire à Guy Patin, dans une lettre sans doute mal
datée du 9 janvier 1659, mais le 1" ouïe 2 janvier 1660, comme l'an-
nonce horet, 3Iuse historique du 10 janvier de cette année :
Enfin , il n'est que trop certain
Que le vieux marquis de Rostain,
D'âge un peu plus qu'octogénaire.
Fut rais dans un drap mortuaire.
Le dimanciie dernierpassé...
Il laisse un très ample héritage
\ ses enfans pour leur partage,
Et quantité de beaux trésors
Dans deux ou trois grands coffres forts.
Il fut assez bon catholique.
Il se piquoit de politique ;
II fut, dit-on, assez pieux.
D'honneur il etoit convoiteux.
Et, moitié fiiste, moitié zèle.
Il fit peindre mainte chapelle
D'or, d'azur et d"autres couleurs,
Tant en sa paroisse qu'ailleurs, etc.
Des Réaux, qui en parle plusieurs fois, signale dans ses mœurs
quelque singularité.
4/12 LES HISTORIETTES.
IV. — P, 437, lig. 10.
Ce ti'eust pas esté un mauvais Boy.
Des Réaux fait cette réflexion , parce que , à défaut de Henry IV, la
couronne arrivoit de droit au prince de Condé.
Il avoit du moins cela de commun avec le Béarnois, qu'il ôtoit natu-
rellement grivois et raillard. Boursault cite une plaisantei'ie de lui de
mauvais goût, mais amusante : « Il avoit dans sa belle maison de
» Saint-Maur un jardinier, natif de Vandœuvre, petite villette à trois
» lieues de Bar-sur-Aube. Il s'appclloit Antoine Pion, cstoit marié, et son
» premier enfant estant un garçon , il pria effrontément Monsieur le
» Prince d'en estre le parrain. Monsieur le Prince, qui en estoit bien
» servy, ne voulut pas luy refuser un si grand honneur ; mais au lieu
» de donner son nom à l'enfant, il eut la malice de lui donner le nom
» du sainct du lieu , de sorte que ce pauvre petit garçon ayant été
» nommé Maiir^ et son père s'appellant Pion, on ne pouvoit prononcer
» le nom de cet enfant-là sans rire. Il y a encore à Vandœuvre de ses
» petits-fils , à qui l'on ne peut donner plus de chagrin que de leur
» parler du filleul de Monsieur le Prince. » {Lettres nouvelles , 1709,
p. 202.)
Il y a aussi une jolie mazarinade, Rcqticstc présentée à Monsieur
le Prince par les Viiincrons de son gouvernement, Paris, 1G69, dans
laquelle l'auteur rappelle plusieurs traits du caractère du père du grand
Condé :
Disant que toute nostre troupe
Qui ne met de l'eau qu'en sa soupe,
Honoroit vostre géniteur
Qui l'aimoit aussy de bon cœur;
Puis qu'il chinquoit à tasse pleine
A longs faits et perte d'haleine,
J)edans Paris et dans Hijon,
iSosIre vin qu'il trouvoit fort bon.. .
Qu'aussy, nostre main libérale
Luy payoit tousjours proniptemeiit
Son plat et son appointement.
Que ee prince estoit politique.
Qu'il sçavoit mesme la pratique.
Qu'il estimoit les Parlcmens,
Qu'il calmoit les soulevemens;
Qu'il estoit dévot à l'église
Où saint Pierre a sa chaire mise;
Qu'il aimoit les religieux
Et faisoit des actes pieux;
Qu'il ne vuidoit point leur besace ,
Qu'il aimoit la dame fricace,
Qu'il faisoit bien les saupiquets,
Qu'il haissoit les al'fiqiiets
FEU MONSIEUR LE PRINCE.
[\k2>
Et toutes les femmes infâmes ;
0"'i' prisoit les honnestes dames;
Que sans jurer le nom de Dieu,
Il juroit seulement webieu !
Qu'il payoit tousjours le salaire
Et mesme son apothicaire,
listant encor sur le bassin ,
Aussy bien que son médecin.
Qu'en son temps, on voyoit nos filles
Belles, honnestes et gentilles, •
Uanser sous l'orme à petits bonds,
Ainsy que de petits moutons;
Que nos gars plus remplis d'audace
Se faisoient souvent la grimace.
Estant l'un de l'autre jaloux.
Qui seroit plus tost son espoux;
Qu'ils estoient en bonne posture
Avec beaux gants, belle encolure.
Avec du volet * au chapeau
Et des toupets au renouveau, etc.
Enfin, M"^ de Motteville a jugé avec beaucoup d'esprit et de sens le
prince de Condé, et ses paroles confirment l'Historiette de des Réaux.
« Outre la mauvaise réputation qu'il avoit eue dans sa jeunesse, il estoit
» avare et malheureux à la guerre. C'est le terme le plus doux dont on
» puisse se servir pour parler d'un prince qui ne passoit pas pour vail-
» lant. Ceux qui l'avoient vu jeune disoient qu'il avoit été beau ; mais
» sur ses dernières années, il estoit sale et vilain.... Ses yeux, qui
» estoient fort gros, estoient rouges. Sa barbe estoit négligée, et d'ordi-
» naire ses cheveux estoient fort gras ; il les passoit toujours derrière
» ses oreilles, si bien qu'il n'estoit nullement agréable à voir. Mais il
» faut ajouter qu'il vouloit que les lois de l'Etat fussent observées, et
') que dans les Conseils, il protégeoit toujours la justice.... Ce même
» esprit luj' faisoit avoir de l'ordre dans sa maison. Il avoit soin lui-
» même d'envoyer ses domestiques à la messe, les dimanches et festes,
11 et le jour de Pasques il avoit accoustumé, pour obliger ses gens à
» faire leur devoir en ce sainct jour, de leur faire distribuer chacun un
» quart d'ecu. Il traita Madame la Princesse comme s'il l'eust aimée toute
» sa vie. Elle ne fut pas au desespoir de sa mort, et l'illustre M"* de
» Rambouillet fut estimée d'avoir dit en cette occasion que Madame la
» Princesse n'avoit jamais eu que deux belles journées avec Monsieur
» le Prince , qui furent le jour qu'il l'espousa , par le haut rang qu'il
» luy donna, et le jour de sa mort, par la liberté qu'il luy rendit et le
» grand bien qu'il luy laissa. Outre qu'elle en fut favorablement traitée
» par son testament , comme elle est héritière de cette grande maison
» de Montmorency, elle avoit de grands droits à prendre sur le bien
» de monsieur son mary. )> {Mcinoires, i, p. 240.)
La maison de Condé , branche puînée de la maison de Rourbon ,
Petite flèche ou
plumes.
lldll LES HISTORIETTES.
remontoit, comme on sait, à l'un des frères d'Antoine de Bourbon, roi
de Navarre, et père de Henry IV. Voici l'ordre régulier de la descen-
dance, en ligne directe, jusqu'à sa lamentable extinction en 1830 :
I.
Louis I", tué par François do Montesquiou , le 13 mars 1569;
Première femme , Eleonore de Roye ;
Deuxième femme , Françoise d'Orleans-Rothelin.
II.
Henry I", mort le 5 mars 1588;
Première femme , Mario de Cleves ;
Deuxième femme , Charlotte-Catherine de la Tremouille.
ni.
Henry II , premier prince du sang ;
Charlotte-Marguerite de Montmorency.
IV.
Louis II (le grand Condé), mort le 11 décembre 1680;
Claire-Clémence de Maillé.
V.
Henry-Jules, mort le l"' avril 1709;
Anne de Bavière.
VI.
Louis III, mort le /i mars 1710;
Louise-Françoise de Bourbon , légitimée de France.
VII.
Louis-Henry (Monsieur le Duc), mort le 27 janvier 17^0;
Première femme , Mario-Anne de Bourbon-Conty ;
Deuxième femme, Caroline de Hesse-Rhinfeld-Rothembourg.
Vin.
Louis-Joseph, mort le 13 mai 1818;
Première femme, Charlotte-Godefride-Elisabeth de Rohan-Soubise;
Deuxième femme, Catherine de Brignole , princesse de Monaco.
IX.
Louis-Henry-Joseph, mort au mois d'août 1830 ;
Louise-Marie-Thercse-Bathilde d'Orléans.
X.
Louis-Antoine-Henry, duc d'Enghien, mort le 21 mars 180^i.
c.
L'ARCHEVESQUE DE RHEIMS.
[Eleonor d'Estampes de Valençaij, né vers 1589, cvesque de Chartres en
1620, arclwvesqiie de Reims en novembre 1641; mort 8 avril 1651.)
Eleonor d'Estampes avoit fort bien estudié et avoit
la mémoire hem'euse : il a escrit quelque chose. Il
avoit r esprit agréable, estoit bien fait de sa per-
sonne ; mais il n'y a jamais eu un homme si né
à la bonne chère et à l'escroquerie ; bon courtisan,
c'est-à-dire lasche et flatteur. 11 eut l'abbaye de
Bourgueil, en Anjou, dez son enfance ; après, il fut
evesque de Chartres, et enfin archevesque de Reims,
quand on fit le procez à M. de Guise*. Retiré à Bmxeues.
Il faut commencer par Bourgueil *. On m'a asseuré a 3 ueuesdechinoa.
en ce pays-là qu'il avoit, par une jalousie d'amou-
rette, fait tuer à coups de marteau , dans une cave,
un des moines, avant que la reforme y eust esté in-
troduitte. Pour des escroqueries, il y en a fait comme
ailleurs, et à tel poinct que les habitans n'osoient faire
paroistre leur bien '.
Pour le lieu, il l'a embelly en toutes choses; car
1 L'abbaye de Bourgueil doit au Roj', toutes les fois qu'il va en
personne à la guerre, un roussin de service, évalué quatre-vingts li-
vres. Quand le feu Roy fut au siège de la Rochelle, M. de Chartres
ZlAO LES HISTORIETTES.
il a presque partout fait de la dépense à ses bénéfi-
ces. Bourgueil, sans doute, est une fort agréable de-
meure, et ce qu'il y a fait est fort beau : en revan-
che , il a quasy coupé et vendu toute la forest. Son
intendant Fontelaye (intendant, c'est pour parler
honorablement, c'estoit un ecclésiastique qui a voit
seing de ses affaires à Bourgueil, mais qui estoit fort
aimé dans le pays ; il recevoit à ses dépens les com-
pagnies quand son maistre n'y estoit pas) ; Fontelaye
donc, qui sentoit aussy un peu l'escroc, car tel le
maistre tel le valet, luy proposa de couper une route
dans la forest, pour voir passer du chasteau les bat-
teaux sur la Loire ; il vouloit l'attrapper, car la levée,
qui est bordée d'arbres , empesche qu'on ne voye
mesme les voiles. «11 se trouvera des gens, » ad-
jousta-t-il , « qui prendront le bois pour la façon. »
M. de Chartres le luy permit, et l'autre, qui avoit
fit sonner cela bien haut aux habitans, et fit si bien valoir le com-
Priviléged'évoquer mittimus *, qu'il en tira plus de quatre mille livres.
les causes devant le '■
conseil ou les gens Pour paver les avenues (le Bourgueil, il obtint delà Cour uneordon-
de l'hostel flu Roy. , , .„ ,. ^, . ,, ^ .,,.
nance de douze mille livres. Il fut averty que M""* BoutiUier, qui en ce
temps-là faisoit bastir Cliavigny près de Chinon, le devoit venir voir: il
fait porter quelques chartées de pavé par où elle avoit à passer. En
causant avec elle, il luy dit qu'il se trouvoit trop chargé de Rhcims et
de Bourgueil; qu'il avoit peur de n'y pas faire son salut; qu'il falloit
qu'il se deschargeast de Bourgueil sur quelqu'un ; et insensiblement il
vint à parler de M. de Tours, frère de M. BoutiUier, lors surintendant.
En suitte ils en parlèrent si bien que la dame, croyant l'affaire faitte,
prit l'ordonnance de douze mille livres et la luy fit payer. Mais quand
ce fut au fait et au prendre, il aposta une plainte des habitans de Bour-
gueil, qui le supplioient de ne les pas abandonner, et, sur cela, il s'ex-
cusa, et dit que le cœur luy saignoit. Ces habitans de Bourgueil en
recevoient grande protection ; mais, d'un autre costé,il les pinsoit
quand il pouvoit.
l'archevesque de RHEIMS. likl
remarqué que c'estoit l'endroit où il y avoit les plus
beaux arbres, les vendit fort bien, et ne fit point
applanir la route.
L'infirmier de Bourgueil, un des anciens religieux
qui n'avoient point voulu prendre la reforme, voulut
aussy l'attrapper. Il luy propose de couper le bois
du labyrinthe du parc qui estoit sur le retour, et cela
aux mesmes conditions, afin d'y en pouvoir replanter
un autre comme on a fait. Mais on n'attrappe pas
deux fois un renard. Quand le moine eut fait tous
les frais et qu'il n'y avoit plus qu'à faire charroyer
le bois, le bon prélat luy dit : « Ah ! mon Dieu ! mon
» pauvre monsieur l'infirmier, je veux passer l'hyver
» icy, et je n'ay pas de bois coupé ! Je prendray du
» vostre, vous n'aurez qu'à marquer ce que j'en au-
» ray pris. » Il le luy brusla tout, et l'autre n'en eut
jamais rien.
Quand on luy apportoit quelque chose, on avoit
aussytost audience ; autrement on attendoit six heu-
res. Une fois il vouloit que Bourneau, premier prési-
dent des Eslus, à Saumur, qui avoit esté son domes-
tique, s'obligeast pour luy, et qu'il luy en feroit son
billet. « Je l'aimerois autant de son suisse, » dit
l'autre en se retirant. Il l'entendit, et sortant de son
cabinet: «Il vaut pourtant mieux de moy*, Bour- c-est-à^ire : tenant
)) neau ! » dit-il. — « Ah ! monsieur, » dit cet homme,
« pensez-vous que je ne sceûsse pas bien que vous
» pouviez m' entendre? Si fait, vrayment : et je ne
» l'ay dit que pour vous faire rire ; mais, en con-
» science, je n'ay point d'argent. »
4/1-8 LES HISTORIETTES.
M. de Rheims (il vaut mieux i'appeller tousjours
ainsy ) dépensoit furieusement ; car, outre qu'il a -
tousjours tenu une table fort délicate et fort bien ser-
vie, il a tousjours eu grand train. Il estoit soigneux
de faire apprendre tous les exercices à ses pages, et
d'en avoir tousjours de beaux. Quelques-uns en mes-
dirent ; cela fut cause qu'il en prit de moins beaux
en suitte. Je ne sçay comment il en usoit en sa jeu-
nesse ; mais plus de vingt ans devant que de mourir,
il avoit un pain de sucre, et demoiselle Giot ^ a plu-
sieurs fois travaillé à ses affaires.
Il avoit l'esprit vif-; l'archevesque' de Bordeaux
disnant avec luy, luy disoit : « A voir vostre bonne
» chère et vostre prestance (il estoit gros et gras), je
» vous nommerois volontiers mon papelard. — Et
» moy, » dit-il, « je vous appellerois mon papegay. »
A Chartres, un marchand luy ayant apporté des
Des mémoires, partics* assez grosses, il luy demanda en causant s'il
avoit quelque filz qui fust grandet. « Monseigneur, »
dit le marchand, « j'en ay un de treize ans. — Allez,
» je vous promets un canonicat pour luy. Nous ver-
» rons vos parties une autre fois. » Le marchand luy
fit mille remerciemens et se retira.
Attraper un marchand, ce n'est pas une grande
merveille. Voicy bien un autre exploit :
Lopez ayant achepté une grande maison dans la
* Une guérisseuse de hergnes.
2 Le cardinal de Richelieu, alors evesque de Luçon, luy fit une vi-
site et luy dit en sortant : « Ma foy, vous ne me conduirez pas. — Par-
» dieu, » respondit-il, <( je vous conduiray. Ne disputez pas davantage,
Pardieu, plus fort » je suis en plus forts termes* que vous. »
que Ma foy.
l'archevesqui-: de riieims. Iili9
rue des Petits-Chainps*, il pria M. le cardinal de Ri- ^"'L-telleT''^"'''
chelieu de liiy faire avoir composition des lots et
ventes des chanoines de Saint-Honoré. M. de Char-
tres y estoit, qui luy dit : « Je les connois tous, je
» feray votre affaire : donnez-moi ce que vous voulez
» qu'il vous en couste. » Lopez luy rend grâces, et
luy porte six mille livres. Il fut long-temps sans
rendre response, et disoit à Lopez qu'on ne gouver-
noit pas comme cela tout un chapitre. Enfin, Lopez
menace de le dire au Cardinal : « Oh! bien, » luy res-
pondit-il, « je ne me mesleray jamais de vos affaires ;
» envoyez quérir votre argent. » Il y avoit une pro-
messe de cinq mille huit cens livres, et deux cens
livres en deniers \
Mais on ne peut pas affronter tousjours les autres ;
on est quelquefois affronté à son tour. M. de Char-
tres avoit gaigné une tapisserie de prix au mareschal
d'Estrées* ; et, estant obligé de partir, il donna ordre mstonctte, uv.^sz.
à son homme d'affaires de la demander. Cet homme
1 II n'a jamais rien pu tirer de la promesse. — Durant qu'il estoit
evesque de Chartres, il devint amoureux d'une abbessc du diocèse qui
aimoit mieux un certain jeune capucin que luy. II fut averty que son
rival en recevoit des lettres, et qu'il les portoit tousjours sur luy.
Un jour donc que le drosle de moine l'estoit allé voir, il fit semblant
d'avoir quelque chose de secret à luy dire, et l'obligea de faire re-
tirer son bini *. Il luy dit donc ce qu'il avoit appris. Le perc le nie : Son second, moine
il le menace de le livrer h quatre valets de chambre ou palefre-
niers qu'il luy lit voir. Le moine eut peur et donna les lettres; mais
il ne les eut pas plus tost laschées, que le repentir le saisit. Il repro-
che à ce beau prélat qu'il a abusé de son authorité, que ce qu'il en
faisoit n'estoit que par jalousie, etc. Il en dit tant que ce saint père
en Dieu l'abandonna à ses valets, qui luy donnèrent les estrivieres en
forme de discipline.
II. 29
pour accompagner.
^50 LES HISTORIETTES.
y fut : le Mareschal dit : « Ouy, oiiy-de;i ; mais ma
» femme couche dans cette chambre-là ; bientost
» elle changera de meuble ; alors je livreray la ta-
» pisserie, car je ne veux pas qu'elle le sçache. »
Une autre fois il luy dit : « Monsieur un tel est logé
» céans. Cette tapisserie, par malheur, n'a pu estre
» destendue ; car il a fallu en haste luy laisser cet
» appartement. Je vous prie, donnez-vous un peu
» de patience. » Toutes les fois cjue cet homme y
alloit, le Mareschal trouvoit de nouvelles eschappa-
toires. Enfin, las d'y aller, cet homme d'affaires
escrivit à son maistre : « Je croy que nous n'aurons
» point la tapisserie ; mais nous y ga ignorons avec le
» temps, car j'ay appris un millier d'eschappatoires
» que je ne sçavois pas encore, et dont vous ne
» vous seriez jamais avisé. »
Le cardinal de Richelieu luy fit une fois un plai-
sant tour : Il signor Julio Mazarini, qui n'estoit rien
Taffetas omiiiie au alors, luy avolt fait présent de deux pièces de tabis*
cylindre. ' j i x
de Gènes violet, le plus beau du monde. Il en
donne une en secret à M. de Chartres, et luy dit :
« Ne manquez pas de me venir voir un jour habillé
» de ce tabis ; je seray aussy habillé de mesme. »
M. de Chartres le remercie de ce double honneur,
et emporte la pièce de tabis sous son manteau. Le
soir, le Cardinal demande ses deux pièces d'estoffe :
on n'avoit garde d'en trouver plus d'une. Il fait un
bruit estrange, accuse ses valets de chambre de
friponnerie, et dit qu'il vouloit absolument qu'on la
trouvast. Deux jours après, voylà M. de Chartres
l'archevesque de rheims. /i51
qui vient avec son beau tabis : tous les valets de
chambre reconnoissent l'estoffe ; et puis la bonne
réputation du Prélat ne servoit pas beaucoup à
destruire cette vérité. Ils grondent, l'accusent tous
d'avoir joué à les perdre, et luy font un bruit de
diable. Le Cardinal se crevoit de rire de le voir
en cette peine, et quand il s'en fut bien diverty, il
descouvrit tout le mistere. Cela monstre assez quel
cas en faisoit le Cardinal.
J'ay desjà dit qu'il estoit le mareschal-de-camp
comique*. Il plaçoit à la Comédie. Il fit pis une fois'. Historiette de boïs-
^ ^ '■ robert, p. 396.
car il parut le baston à la main, en habit court,
comme auroit fait un maistre-d'hostel, à la teste de
ceux qui portoient la collation à la Reyne. L'abbé de
Villeloin dit à quelqu'un que c' estoit ce qu'il avoit veû
de plus beau à la Comédie. Le Prélat le sceût, et se
repentit de l'avoir fait. Mais il falloit un homme
comme cela au Cardinal pour trahir le Clergé, aux
assemblées duquel il a présidé plus d'une fois. A
une ouverture d'une de ces assemblées, il dit :
« Desideravi magno desiderio manducare vobiscum
» hocpascha. » Or il mangeoit bien en toute façon.
On disoit qu'il mangeoit quatre fois son disner avant
que de le manger : dez le soir en l'ordonnant, la
nuict y resvant, le matin y changeant quelque
chose, et puis allant faire un tour à la cuisine
avant qu'on servist. Après sa mort on trouva dans
ses papiers une tactique de plats. Une fois, qu'on
' A la représentation de Mirante.
{lb'2 LES HISTORIETTES.
luy avoit fait bien des prescns de volaille et de gibier,
il fit arranger tout cela en rond, comme on feroit pour
le peindre, et puis se mit au milieu. Je voudrois qu'on
eust fait son portraict en cet estât. Un jour qu'il avoit
disné chez le Coadjuteur de Paris , il fit venir tous
ses officiers, et leur dit : « J'ay disné aujourd'huy chez
» Monsieur le Coadjuteur de Paris; il y avoit cecy et
» cela, tel et tel défaut. Je vous le dis afin que vous
» preniez garde de n'y pas tomber ; car s'il vous ar-
» rivoit de me traitter comme cela, autant vous vau-
» droit estre morts. » A disner, sur la fin , il faisoit
venir maistre Nicolas, son célèbre cuisinier, et luy
disoit : « Maistre Nicolas, que souperons-nous? » Et
à souper : « Maistre Nicolas, que disnerons-nous? »
Un jour qu'il traittoit des evesques, la veuve
de son rostisseur, mort depuis peu, vint avec quatre
ou cinq petits enfans pour luy demander de l'ar-
gent. Il les aperceijt, il va viste au-devant, et fit
tant qu'elle promit d'attendre jusqu'au lendemain.
Les conviez, qui le connoissoient, avoient veû toute
l'affaire ; car cette femme, avec sa mesgnie, estoit
entrée dans le lieu où l'on estoit à table. « Voyez, »
leur dit-il quand il fut de retour, « si cette femme
» ne prend pas bien son temps, elle vient pour
» faire confirmer ses enfans * ! »
M. Arnaut disoit à M. de Grasse que M. de Rheims
avoit sacré : « Vous avez esté sacré de la patte du
Une chose est sa- loUD . »
crée comme la patte r
du loup, l'roverbf .
Il no partoit jamais que la imict, de peur de ses ci'éancicrs.
LARCIIEVESQUE DE RIIEIMS. /|53
Ne trouvant point de caution pour donner h M. de
la Bistradc *, conseiller au Grand-conseil, duquel il coS'ier a*!f ô^ c.',
^ en 16iO, mort, 30 dé-
louoit une maison: «Monsieur,» dit-il, «ma bi- ccni^e leso.
» bliothcque suffira. » Elle estoit belle. Quand le
bail fut près d'expirer, il emprunte tous les chariots
de ses amys, et une belle nuict il fait enlever
meubles et livres. Le Conseiller crie ; on luy dit :
« Ne vous faschez pas ; voylà la clef de la Biblio-
» theque : vous n'avez demandé que cela. » Il y va,
et n'y trouve plus rien.
Il avoit pour marchand de poisson, en Anjou, un
nommé l'Anguille. Cet homme, un jour que M""' de
Pisieux estoit à Bourgueil, alla pour demander de
l'argent à l'Archevesque : « Ma sœur, » dit-il à la
dame, « voylà le plus honneste homme qu'on puisse
» trouver. Je vous prie, baisez-le pour l'amour de
» moy. » Elle le caressa tant qu'il n'osa demander
mi sou.
Comme on luy disoit ; « A faire comme cela,
» vous ne trouverez plus d'argent. » — « J'en trou-
» veray bien, » disoit-il, « mais je ne trouveray pas
» de caution ; c'est une maudite invention que ces
» cautions. »
Le propre syndic de ses créanciers ne se pouvoit
deffendre de luy: c' estoit Bâillon, bourgeois de Pa-
ris; car, pour les satisfaire, il avoit fallu, selon l'or-
donnance, leur abandonner la moitié du revenu. Or,
ce pauvre honmie, par mauvais ordre, n' avoit pas
rendu compte, et ne sçavoit comment s'y prendre.
Quand M. de Rheims vouloit avoir de l'argent de
(ibll LES HISTORIETTES.
luy, il le iaisoit assigner pour rendre compte, et
l'autre, pour n'en pas venir là, luy donnoit quelque
somme, tirant parole que ce seroit la dernière.
Mais au bout de six mois l'Archevesque recommen-
çoit '. Quand Fontelaye mourut, il fit tout saisir,
disant qu'il ne luy avoit pas rendu compte ; et en-
fin tout luy demeura. Son maistre-d'hostel mort, il
se saisit de six mille livres qu' avoit cet homme. Les
parens les luy voulurent redemander ; il leur fit ac-
croire qu'ils avoient voulu assassiner son valet de
chambre, et les fit mettre en prison.
Voicy comment il trouva moyen d'avoir le tre-
zor du Chambrier de l'abbaye de Bourgueil : M. de
Rheims, averty que ce religieux, qui avoit d'autres
bénéfices, avoit espargné de son revenu jusqu'à
seize mille livres qu'il avoit cachez dans les fonde-
mens de sa maison, il luy demande de l'argent à
emprunter. « Je n'en a y point, Monseigneur, » dit
le moine ; et en présence de tesmoins dignes de
foy en fait des sermons horribles. L'Archevesque
en fait prendre acte, et après luy donne une com-
mission delà la Loire, et ordre aux batteliers de ne
le pas repasser qu'on ne le leur mandast. Cepen-
dant il fait jetter à bas la maisonnette de ce pauvre
moine, et prend tout l'argent. Le Religieux s'en
plaint, dit qu'il y avoit seize mille livres chez luy. Il
* Il disoitun jour : « Je veux acquitter mes debtes; je dois six à sept
» cens mille francs , il me faut quarante mille livres pour ma dépense ;
)) autant pour mes créanciers. » Voyez combien il eust fallu qu'il eust
vescu pour cela, ne payant que (piarante mille livres par an.
L'AllClIlîViiSQUlî Ï>E lUllil.MS. 455
le fait passer pour un meschanl homme, el luy con-
fronte les tesmoins.
Il eut avis que le sacristain de Bourgueil avoit
douze mille livres enfouys sous sa cellule. 11 luy
parle de desloger ; l'autre dit qu'il estoit assez bien
logé. Il fait tomber le discours sur l'espargne de ■
cet homme, et luy dit : « Je pense que vous avez
» bien amassé au moins trois mille livres. » —
« Moy ! » dit l'autre, « je n'ay pas trois mille de-
» niers. » A quelques jours de là il donne une com-
mission de trois doubles* à ce moine. Pendant cela, nedruxuards.
il jette la chaumière à bas, et trouve l'argent. Il en
arriva comme de l'autre, hors que cestui-cy eut cinq
cens livres pour tout potage.
Après avoir fait tant de friponneries à Bourgueil,
il eut l'insolence, y estant une fois malade au poinct
qu'il fallut se confesser, de ne dire que des baga-
telles au prieur des Reformez ', qu'il envoya quérir.
Mais l'autre, qui sçavoit sa vie, eut le plaisir de la
luy conter du long, en luy disant : « Vous, qui avez
» fait cecy, et encore cecy, vous avez l'audace de
» m' entretenir de balUvernes ! » Depuis cela, l'Ar-
chevesque fit cas de ce religieux-.
Le cardinal de Richelieu luy faisoit toucher cer-
taine somme du Clergé pour l'empescher de voler ;
et comme Son Eminence luy reprochoit un jour :
« Mais on vous donne tant pour cela, » il luy fit le
1 Le perc do la Vallée.
■^ Quoy(iu'il se repcntist d'y avoir mis la refoiiiie.
456 LES HISTORIETTES.
conte du maistre-d'hostei du marcschal de Biron, à
qui son maistre vouloit donner tant et qu'il ne vo-
last point. « Monsieur, » luy respondit cet homme,
« je ne puis ; à ce prix-là, j'y perdrois. »
Il estoit d'humeur à faire des malices, et il trou-
voit bon qu'on luy en fist aussy ; mais il avoit tous-
jours un air sérieux. Un jour il alla chez le vicomte
de Lery, qu'il appelloit le petit homme ; c'est auprès
de Rheims. Ce gentilhomme vint au-devant de luy,
et luy dit : « Hé ! Monseigneur, que vous venez mal
» à propos ! la petite femme est eii mal d'enfant. » 11
appelle ainsy sa femme, qui accouche au moins tous
les ans une fois. « Eh bien ! » dit l'Archevesque, « il
» faut lire la Vie de sainte Marguerite. » En effect, il se
met à marmotter à l'entrée de la chambre. Quand
il eut tout dit, cette femme sort en se crevant de rire.
11 a fait des tours de son mestier en Champagne,
aussy bien qu'en Beausse et qu'en Anjou. 11 vouloit
retirer des prez de M. de Joyeuse : pour cela il luy
donna le moulin d'un village; mais aussytost il en fit
faire un autre d'une certaine tour qui y estoit, en un
endroit plus commode aux habitans. Joyeuse se
plaint : « Bien, » dit-il, « nous en ferons faire un colom-
» bier. «lien fit pourtant un moulin, etonsemocqua
bien de Joyeuse de s'estre laissé ainsy attrapper,
luy qui croyoit estre le plus fin homme du monde,
l'hiiii.eit (le Bii- M. de Laon '' ne luy parla gueres plus doucement
fliaiitcau, (ils d'An- "^ ^ *^ ^
Bcauvais-Kis/''^' quc Ic prlcur de Bourgueil. 11 vouloit estre députe
depuis la mort du cardinal de Richelieu. M. de
Laon l'en empescha, et, non content de cela, il luy
l'archevesque de rueims. 457
dit : « J'en rends grâces à Dieu , vous auriez pillé
» la province. Hé ! Monsieur, après avoir donné la
» farine de votre vie au monde et au diable, don-
» nez-en au moins le son à Dieu '. »
M. de Rheims aimoit furieusement à estre loué,
de quelque façon que ce fust. N'avoit-il pas raison,
et n'estoit-ce pas un homme bien louable ? Il avoit
bien du plaisir à appeller mon fils M. d'Aumalle, son
coadjuteur -.
Le Président du presidial de Rheims, en dis-
nant chez l'Archevesque, se coupa comme il vouloit
couper du veau. « Vous avez coupé dans le vif,
» Monsieur le Pi-esident, » dit M. de Rheims \
1 N'ayant pas un sou, il envoya quérir un chanoine mal famé,
nommé Bertemet, et le pressa tant que l'autre luy presta douze mille
livres, à condition qu'il le feroit grand-vicaire. Quelque temps après,
comme Bertemet le sommoit de sa promesse, il suppose une lettre non
signée, contenant plusieurs friponneries du Chanoine. Il se la fait ren-
dre, estant à table, en présence de cet homme qui y estoit aussy. Il la
lit, et d'une mine renfroignée, il la met sous sou cù. Après disné, il la
donne à lire à Bertemet, luy disant qu'il ne croyoit rien de tout cela,
mais qu'il s'en falloit justifier; et comme cet homme sortit de la salle,'
les pages et les laquais, qui avoient le mot, luy firent un pied de nez,'
et en bas il courut fortune d'estre berné.
— L'année qu'il mourut, à la dernière assemblée du Clergé dont il a
esté, plusieurs prélats firent partie d'aller souper à fSaint-Cloud, chez
la du Ryer *, à tant par teste. Chacun luy donna son arsent, et il se' char-
gea du festin. Il dit à la du Ryer : « Je vous donneray l'argent à Paris,
» je n'en ay point sur moy. » Il avoit trente-cinq pistolles que les
autres luy avoient données. La pauvre du Ryer n'en eut jamais rien.
2 Depuis M. de Nemours*, qui est mort mary de M"« de Longue- „ ^ c ■
rié en 1657.
* Il vouloit attrapper le Doyen qui avoit tousjours de l'argent comp-
tant,^ mais il luy disoit tousjours : « Helas ! Monseigneur, je ne suis
» qu'un pauvre prestre. »
A un Jiobreau qui se pic(|Uoit d'estre bon liomme de cheval, il liiv
Historiette.
458 LES niSTOlUETTES.
Il disoit du petit Camus ' , intendant de Cham-
pagne, qui se mettoit des tranches de veau sur le
visage pour avoir le teint beau, que cela n'estoit
pas permis, et que c'estoit soye sur soye -.
Un peu avant que de mourir, il escroqua à la
Hwtorieue,^ toin. 1, marquise de Maulny, sa nicpcc*, une tapisserie
assez belle. Elle croyoit qu'il luy donneroit quelque
chose de meilleur. « Le vieux bougre, » disoit-elle,
« il n'a pu me laisser ma pauvre tapisserie ! »
A la maladie dont il mourut à Paris % M'"' de
iiisiorieuv^,^ioin. i, pjsieux * fit tout vcndrc jusqu'à ses chevaux ,
en qualité de créancière, et aussy de peur que
d'autres ne le fissent. Trois jours avant sa mort,
comme il vit qu'on luy apportoit un bouillon dans
une escuelle de fayence, il demanda un plat. On
luy apporta un plat de fayence. « Quoy ! » dit-il ,^
« tousjours fayence ! » Il se douta bien que sa sœur
avoit pris sa vaisselle d'argent. « Apportez-moy, »
dit-il , « un bassin. » On luy en apporte un de
fayence. Il y met dedans toute sa tripaille de
trique-billes. « Tenez, ma sœur, » dit-il à M"" de
Pisieux , « il ne me reste plus que cela ; faittes-en
» vostre profit si vous pouvez. »
On disoit qu'il estoit mort en tenant un chapelet
dit qu'il luy vouloit faire monter un de ses grands chevaux et luy fit
amener un cheval de carrosse à qui on avoit mis une bride et une
selle. Le pauvre hobrcau sur ce dourdier, se pensa rompre le cou.
.Jean le Cnnuis , 1 Cumns-pattc-blanche*; — celuy de Lyon.
îmis'/è'ricAe.'''" ^'"" 2 Dans quelque ordonnance de nos roys il est défendu de porter
soye sur soye.
2 En 1G51, vers Pasques.
l'archevesque de rheims. /i59
de marrons poar tout chapelet, et que comme son
confesseur luy representoit qu'il faudroit rendre
compte à Dieu, il escouta long-temps, et puis il luy
dit tout bas à l'oreille : « Le diable emporte celuy
» de nous deux qui croit rien de tout ce que, vous
» venez de dire ! »
Comme on devoit encore les frais du service que
l'assemblée du Clergé luy fit faire, M. de Grasse
disoit : « Pourquoy s'estonner de cela ? Tout ce qui
» se fait pour M. de Rheims n'a pas accoustumé
» d'estre payé. »
COMMENTAIRE.
Titre.
La maison d'Estampes-Valenray se donnoit une origine fabuleuse.
On la faisoit descendre d'un homme d'armes de Charlemagne, nommé
Jean, qui, pour avoir vécu trois cent soixante-un ans, avoit reçu le
surnom de Joannes de Temporibus. En réalité, cette race descendoit
d'un Robert d'Estampes, conseiller de Jean, duc de Berry, frère de
Charles V. Le père du plaisant héros de cette Historiette^ Jean d'Es-
tampes, seigneur de Valençay, mort en 1620, avoit laissé neuf enfans,
savoir : six fils, 1. Jacques, seigneur de Valençay, dont la postérité
s'éteignit en 1700 ; 2. Léonor, notre archevêque de Reims ; 3. Louis,
tué devant Montauban, en 1621 ; k- Achille, chevalier de Malte, dit
le cardinal de Valençay, dont Vnistoriette suivra celle de son frère ;
5. Jean, conseiller clerc au Parlement, abbé de Bardelle, président au
Grand conseil, ambassadeur de Hollande, etc., mort sans postérité;
6. Claude, seigneur d'Estiau, blessé à Montauban, en 1621, tué devant
Maëstricht, en 1632 ; 7. Trois filles : 1. Elisabeth, femme du maréchal
de la Chastre; 2. Charlotte, M"*^ de Pisieux ou Puisieux, dont l'Histo-
riette est au tome l'' ; 3. Marguerite, femme de Michel le Baucler,
baron d'Achères. Il en est parlé dans une note de l'Historiette de
sa sœur.
Celle de l'archevêque de Reims doit beaucoup, sans doute, aux récits
460 LES HISTORIETTES.
et souvenirs de Maucroix, ami de des Rûaiix, chanoine de Reims, et,
à ce titre, grand ennemi des arclievùqucs. Maucroix, dans les précieux
Mémoires que mon frère Louis Paris vient de publier, a donné sur
le cardinal Antoine Barberin, successeur de Léonor, des révélations
non moins piquantes.
Je n'ai retrouvé do cet archevêque que des règlcmcns diocésains
insérés dans les Actes de la province de Reims, tom, iv, p. 138. Mais
la bibliothèque de Reims i)Ossède un grand nombre de livres qui
lui avoicnt appartenu, et qui sont reliés à ses armes. Il encouragea
beaucoup la grande édition des œuvres d'Albert le Grand, faite par
les soins des Frères Prêcheurs.
Et pour revenir ici à ce qu'on a écrit pour lui de plus honorable,
Marlot, historien contemporain de la métropole de Reims, reconnolt
que « cet ancien et renommé prélat occupoit dignement le siège
» métropolitain de la Belgique; qu'il avoit esté voué ù, l'Eglise dès sa
» jeunesse, et s'cstoit fait admirer dès lors par la vivacité de son
» esprit, par les actes qu'il avoit soutenus en Sorbonne, en 1610 et
» 1617; par ses doctes prédications dans les premières chaires de
» Paris et dans l'Assemblée des Estais généraux de 102/i... Il avoit
>i gouverné vingt ans l'evesché de Chartres avec une telle réputation,
» qu'il est diflicile de l'exprimer sans descouvrir une infinité de belles
» actions qui serviront à l'avenir d'ornement et de relief à l'histoire
» de cette ville. Il i)rit, un an avant sa mort, le titre de Rcgnm Fran-
» cortim coHsecrator. Mais, » ajoute Marlot, « estant extraordinaire-
» ment endcbté, une partie de son revenu fut adjugée à ses créan-
» ciers : alors il obtint, en considération des services qu'il pouvoit
» rendre au Roy dans l'Assemblée générale du Clergé, un arrcst du
M Conseil qui lui permettoit de jouir de tout son revenu, tant que
» l'Assemblée dureroit. Quand il mourut, son corps devoit estre rap-
» porté à Reims, suivant son testament ; mais n'y ayant de quoy pour
» faire cette dépense, il fut mis en depost chez les pères Carmes
» déchaussés de Paris, et enterré en la chapelle de Valençay. Les
» députés du Clergé firent célébrer un service solennel en l'église des
» Augustins, où l'archevesque d'Embrun fit l'oraison funèbre : et
» l'Assemblée déboursa quatre mille livres pour les frais. A Reims, il
» ne se fit aucun service, seulement on sonna les cloches, et sic periit
» memoria cjus cum sonitu. » (Hist. de la ville de Reims, 1846, tom. iv,
p. 596.)
II. — P. 445, lig. 5.
Boti courtisan, c'est-à-dire laschc et flattmir.
Montchal, archevêque de Toulouse, dit (juc Léonor fut le premier,
l'archevesque de rheims. 461
eu 1G35, à aller saluer lo cardinal de Richelieu, en camail et en
rochct, et en l'appelant Monseigneur. « Le Roy dit que ce prélat etoit
1) tellement assujetty, que si le Cardinal vouloit, il iroit baiser son
» derrière et pousseroit son nez dedans, jusqu'à ce que le Cardinal
» luy dise: c'est assez. » {Mém., tom. ii, p. 229.) La race des Léonor
ne semble pas entièrement éteinte.
IIL — P. [M, note, lig. 3.
// o/jtùit une ordonnance de douze mille livres, etc.
Ce n'etoit pas tout : il falloit obtenir du Surintendant le payement
de cette ordonnance. Chavigny est un hameau dépendant de Lerné,
entre Loudun et Bourgueil ; Leonor fait porter quelques charretées de
pavés pour prouver que la besogne etoit bien près d'être faite.
— Quant à M. de Tours, frère de M. Bouthillier, voici comme en
parle Charles Colbert, en 1664 {Mémoires d'Anjou, Maine et Toii-
raine.) « L'archevesque de Tours est âgé de soixante-huit ans, le
» plus ancien archevesque de France : assez infirme, et par cette
» raison ne fait pas beaucoup de visites. Il faisoit ci-devant grande
» despence, en train, musique et en sa table; à présent, il l'a fort
» retranchée et vit neantmoins très-honorablement. \\ n'y a rien
» aussy à redire contre ses mœurs, et il a estably un séminaire qui
» peut produire grand bien. Il est mal avec son chapitre, qui le traittc
1) indignement. Il est blasmé par quelques-uns d'estre d'une humeur
I) fort capricieuse; et il est certam qu'il n'a aucune complaisance
» pour ses inférieurs, ce qui fait que peu de gens s'attachent à luy et
» qu'il n'est pas en pouvoir de rendre ses bonnes intentions au ser-
» vice du Roy, d'aucune utilité dans les temps difficiles. Il n'a aucune
» jurisdiction dans son chapitre. » {Cinq cens Colbert, vol. 277, f 7.)
IV. — P. 446, lig. 9.
Fontelaye donc qui sentoit aussij nn peu l'escroc.
Cet homme valoit pourtant mieux que son maître, si l'on s'en rap-
porte à une lettre que l'historien Anquetil avoit vue chez M. de la
Salle de Reims, et qui commençoit par ces mots : « Je vous conjure,
)> quand vous aurez reçu les instructions de cette lettre, de la déchirer
» ou brusler. Je me fie à vous. » Après un détail d'affaires domes-
tiques, de comptes et de recettes, et de points relatifs à la nomination
d'un coadjuteur, que la Cour ne vouloit pas laisser à la discrétion de
Valençay, parce que « son nom estoit escrit à la Cour en lettres
!i rouges ; » l'Intendant ajoute : « Je vous le répète encore, MoDsei-
[X&2 LES HISTORIETTES.
» gncur n'a pas son pareil ; et bien loin que ses extresnies maladies
» l'aient amendé, je ne puis m'cmpescher de vous dire qu'elles l'ont
» de beaucoup empiré, et dans son humeur mauvaise et insuppor-
» table, et dans ses façons de vivre et de faire, qui le décrient icy
» plus que de la fausse monnoye. Il devoit si bien venir icy pour y
» couronner sa vie de belles actions ! C'est bien le contraire, et je
» le dis la douleur dans le cœur, il n'eut jamais si peu de soin de son
» honneur, il ne fut onques si attaché à son intcrest, h la mengerie
» et à la despense. »
V. — P. ii5],lig. 14.
L'abbé de Vilkloin dit que c'estoit ce qu'il avait veû de plus beau à
la comédie.
On trouve dans les Mémoires de MaroUes la preuve que des Réaux
parle ici d'après ce que lui avoit raconté l'Abbé : <i M. de Valençay,
» alors cvesque de Chartres...., aidant à faire les honneurs de la mai-
o son, parut en habit court sur la fin de l'action, et descendit de
1) dessus le théâtre, pour présenter la collation à la Rcyne, ayant à. sa
» suite plusieurs officici's qui portoient vingt bassins de vermeil doré,
» chargés de citrons doux et de confitures Je ne sçay s'il m'eschappa
» de dire quelque chose de l'employ de M. de Chartres; mais, qucl-
» que temps après, lorsqu'au môme lieu l'on dansa le ballet de
» la Prospérité des armes de la France , comme ce prélat (qui
» cstoit capable de tout ce qu'il vouloit, et se donnoit la peine, avec
» M. d'Auxerre, de faire les honneurs de la salle), m'eut dit que cette
» journéc-h\ il ne prcsenteroit pas la collation, je luy respondis qu'il
» feroit toujours bien toutes choses, et me fit civilités. » {Mémoires de
MaroUes, p. 126.)
J'ai déjà renvoyé pour cette fameuse représentation de Mirame,
aux Mémoires de Montchal, archevêque de Toulouse. C'est là qu'on
voit le mieux que des Réaux n'a rien exagéré sur le chapitre des
singularités de M. de Reims. Foyez surtout tom. i, p. 132 et suiv.,
édition de 1718.
VI.— P. /iSr), lig. 10.
Estant nnc fois malade...
Il y a, dans la correspondance de d'Hozier, une lettre datée de Rour-
gueil, 28 novembre 1G48, et qui semble signée Itemy : « J'ay trouvé, à
» mon retour, Monseigneur l'Archevcsque en bonne santé , grâce à
» Dieu, en despit de tous les faux bruits qui courent de son extresme
l'archevesque de rheims. 463
maladie, jusques là qu'à la Cour, on a fort parlé de domici' son
archevesché, ou du moins de luy donner un coadjuteur. Et à qui?
à M. l'abbé de la Rivière. Le bon abbé doit jetter les yeux sur un
autre bénéfice, Monseigneur est dans le dessein de bien garder le
sien. Il ne quittera point si tost ce séjour où il fait bastir et remuer
des terres en hiver comme en esté. Il mourra la truelle à la main...
I) Que vous estes heureux à la ville, et que vous y estes à vostre aise,
) tandis que nous vivons dans une campagne frede et mélancolique !
i) Je me souviens bien que je me suis engagé à des langues de porc,
i> j'y donneray ordre et ne m'en oublieray pas ; je vais bientost à
Angers... » (Correspondance de d'Hozier.)
VII. —P. 455, lig. 24.
Le Cardinal linj faisait toitclier certaine somme du Clergé, pour l'em-
pescher de voter.
On conserve, dans le Cabinet des titres de la Bibliothèque impériale,
grand nombre de notes rassemblées par Bertin du Rocheret, président
du grenier à sel d'Epernay vers 1740 ; ces notes sont en général
franches et âpres : « Eléonor d'Estampes de Valencay, » dit-il, « bon
» esprit, belle personne, conversation légère, habile docteur, dépensier
» curieux en livres, équipage, bonne table, fleurs, peintures. Ambi-
» tieux, magnifique, entendant les affaires, bon courtisan. Il fut con-
» vaincu d'avoir volé cinquante mille livres au Clergé, en 1641. »
VIII. — P. 456, lig. 12.
Sa femme (la vicomtesse de Lery) accouche au moins toits les ans.
C'est pour cette dame que Maucroix a fait ce joli madrigal :
POUR I-A COMTESSE DE LHERY, DEGUISEE EN RETHEI.OISE.
Cette Retheloise mignonne
A bien quelque postérité.
Mais toutefois le Temps, qui nespargne personne,
A du respect pour sa beauté;
Les plus jeunes, les plus gentilles
N'ont point île plus jeunes appas.
Et qui ne la connoistroit pas
Sans doute la prendroit pour une de ses filles.
« Les vicomtes et marquis de Lhery, » dit L. Paris, éditeur des
Œuvres diverses de Maucroix, Paris, 1854 ; tom. i, p. 124 : «etoientdes
» Cauchon, capitaines et lieutenans de Reims depuis le xv* siècle.
» Il s'agit ici de Charles Cauchon, baron de Terneuf et comte de
liQk LES mSTORlETTES.
» Lhery, mort eii IGlli. » On retrouve dans les anciens recueils ma-
nuscrits des vers faits pour railler son ostentation et ses mésaventures
conjugales. Des Réaux en reparlera.
IX. — P. 458, note, lig. 3.
Le pauvre hobreau sur ce dourdier se pensa rompre le cou.
Non pas hobereau^ comme on écrit aujourd'hui. Co mot vient peut-
Ctre de hobc, hobel, hobclin, petit cheval de selle qui va à l'amble et
n'est d'aucun usage à la guerre. — Dourdier n'est dans aucun diction-
naire ; il etoit cependant usité comme synonyme de cheval de train, de
carrosse et non de selle. Rampalle, dans une satire contre la Porte:
Ce scr.T quelque vieux dourdier.
Aux allures desgigantées.
Qui marquera le calendrier
Sur vos fesses desj;\ niattéos.
Et de deux croissans commenc(^s
Formera deux lunes entières, etc.
{Reaicil de Sercij, 4< partie, 1688, p. 217.)
X. — P. 458, lig. 10.
A la maladie dont il mourut...
« La mort le surprit, » dit Anquetil, « encore occupé de projets
1) ruineux qu'il n'auroit jamais pu exécuter. On ne trouva rien dans
» ses coffres, et l'Assemblée du clergé, dont il etoit le président, fut
» obligée de faire les frais de ses obsèques. »
Aux Augustins, bien à son flise.
Au milieu d'une grande chaise,
D'Embrun l'archevesquc et pasteur.
Parla jcudy comme orateur.
Devant un fort grand auditoire,
A l'honneur, louange et memoir</
Uc l'Arche vesque de Beims, mort.
Qu'il plaignit et loua bien fort.
i;t telle fut la rhétorique
De son docte paneg>rique.
Qu'il fut des auditeurs prizé
Plus que le panegirizé.
LoRET, Muse historique, du 30 avril lest .)
Cl.
LE CARDINAL DE VALENÇAY.
{AchiUes d'Estampes de Valençay, né en 1580, cardinal en 1643;
mort 16 juillet 1646.)
C'estoit le frère de l'archevesque de Rheims. Il ^
fut chevalier de Malte ; il servit en France, et parvint
à estre l'un des douze capitaines de Chevaux-legers
entretenus. C'estoit un original, comme vous verrez
par la suitte ; d'ailleurs, il estoit aussy fier que brave '.
En ce temps-là, il alla voir un matin M. le comte
d'Alais*, qui depuis a esté M. d'Angoulesme. Ce Louis^;Aa^^oujesn,e.
comte, faisant le prince, ne luy fit donner qu'un
siège pliant, et luy, en s' habillant, estoit assis dans
un fauteuil. « Je romprois ce siège, » dit le Cheva-
lier, « je suis trop gros - ; » et prend une chaise à
bras. On luy présenta en suitte la chemise pour la
donner au Comte. « J'en ay pris une blanche ce
* A rage de treize ans, croyant que le mareschal de la Chastre
l'eust marconseillé au jeu contre le feu comte de Saint-Aignan*, il prit ^j}|«no'-at^^'|^,f «^;
un baston pour le battre. On le voulut fouetter, il se sauva et s'enfuit saint-Aignan .
à Malte.
2 C'estoit un grand et bel homme; et hors qu'il avoit le ventre un
peu fcros, il avoit fort bonne raine.
30
/iGG LES HISTORIETTES.
» matin, » dit-il en la rejettant, « je n'en ay que
') faire. »
Il alla un jour appeller Bouteville en duel, pour
le marquis de Portes , oncle de M. de Montmo-
rency; il y avoit jalousie entre eux à qui seroit le
mieux auprès de ce duc. Cavoye, depuis capitaine
des gardes du cardinal de Richelieu, servoit Bou-
teville; Cavoye blessa le Chevalier de deux petits
coups , car il estoit fort adroit , et luy disoit :
« Monsieur le Chevalier, en avez-vous assez ? » Le
Chevalier luy respondit : « Un peu de patience, ne
» voltigez point tant ; » et luy donna un si grand
coup qu'il en pensa mourir. M. de Montmorency
arrive là-dessus, qui dit au Chevalier qu'il luy ap-
prendroit bien à faire des appels à ceux de sa mai-
son. « lié ! de quelle maison estes-vous, fichue race
» de Ganelon ? » reprit-il ; « pardieu ! je me sou-
» cie bien et de vous et de votre maison ! » Feu
M. d'Angoulesme le père y survint, qui appaisa
tout, et depuis le Chevalier fut fort bien avec M. de
Montmorency mesme.
Nous l'appellerons désormais le bailly de Valen-
çay, car il fut bailly d'assez bonne heure. Le mar-
Louis d'Estami>ps- quis d'Estiaux* estoit son cadet ; c'est ce brave qui
Vnleiiçay , iii;ii(iiiis T. -^
,rfou.iux. tue en ^^^^ ^^^^ dcpuis à MacstHcht, après avoir repoussé
Tué à ^a^ bataille <ic \q Pappcnhcim *. Cc marquls d'Estiaux avoit tué un
Huguenot appelle le marquis de Courtaumer, en
duel ; ils servoient tous deux les Hollandois. Le
page de Courtaumer, ayant quitté la livrée, fit ap-
peller d'Estiaux, qui se battit contre luy. Un cadet
LH CARDINAL DR VALENÇAY. 467
de Courtaumer en vouloit faire autant, quand le
Bailly, pour faire cesser tout cela, s'avisa d'en-
voyer appeller un vieux seigneur, député de ceux
de la Religion. L'autre, bien surpris, s'en plaint ;
les mareschaux de France demandent au Bailly
quelle mouche l'avoit piqué : « Je voyois, » respon-
dit-il, « que tant de Huguenots appelloient mon
» frère en duel, que j'ay cru que c'estoit une que-
» relie de religion. » Sur cela , le Roy deffendit à
ceux de Courtaumer de faire aucun appel au Mar-
quis, et à luy d'en recevoir aucun. On ordonna
seulement, pour les satisfaire, à cause qu'il y avoit
un homme de tué de leur costé, que, quand ceux de
Valençay les rencontreroient, qu'ils leur cédassent,
par exemple, la meilleure chambre en une hostelle-
rie, qu'ils leur donnassent la main, et autres choses
semblables.
A la Rochelle, il rendit de grands services. Il
fit dire au Cardinal qu'il se faisoit fort d'empescher
l'armée angloise de passer. On croit que quelque
homme, plus entendu au fait de la marine que luy,
luy avoit donné cet avis. Le Cardinal le fait venir ;
il luy dit hardiment : « Je ne vous diray point mon
» secret, après que vous m'avez pris pour duppe au
» secours de l'isle de Rhé ; ce fut moy qui vous
» donnay l'invention des chaloupes, et vous en don-
» nastes le commandement à Schomberg et à Ma-
» rillac. Mais promettez-moy que vous vous servirez
» de moy, et je vous le diray. » On fit ce qu'il de-
mandoit. Aussytost il congédie tous les grands
4G8 LliS HISTORIETTES.
vaisseaux; par ce moyen, il s'ostoit de dessus les
°^"\ie7X?''^"'''' bras les Manty, les Rasilly* et tous les autres, qui ne
luy eussent pas obéy volontiers. Il ne prit que vingt
petits vaisseaux, des galiotes, des bruslots, des
barques et des chaloupes armées. Sa raison, la
voicy : aux deux costez du fort de Coureilles et du
fort Louis, qui estoient à la teste du canal, opposez
l'un à l'autre, il y a des basses. « J'iray affronter, »
disoit-il , « l'armée angloise ; elle foudroyera mes
» petits vaisseaux; mais elle ne tuera pas tout; on
» coupera nos cables; nous nous laisserons aller;
» le flot nous portera sur les basses, où le canon
Grand bâtiment A » dos forts Tuincra toutes leurs ramber2;es*; j'ay
rames , avec un seul o ' J J
"^'' » des galiotes et autres petits vaisseaux de rames
» pour destourner leurs bruslots. »
Son nepveu, alors le chevalier de Valençay ', reve-
nant d'esclavage, arriva au camp comme le Bailly
faisoit cette proposition. M. de Montmorency en rioit,
et luy disoit : « Votre oncle resve. — Il ne resve point, »
dit le Chevalier ; « et asseurement voicy ses rai-
sons. » Il les devina.
Voilà donc le Bailly sur la Renommée, le plus grand
vaisseau des vingt, quoyqu'il ne fust que de trois
cens tonneaux. Il y faisoit grand chère ; tous les
braves s'y rendoient dez la moindre allarme : il y
mangea vingt mille escus en deux mois. Les Anglois
comprirent bien son dessein , et n' attaquèrent jamais.
Le Roy voulut aller sur son vaisseau ; on l'en avertit,
1 C'est aujoiird'liuy le bailly de Valençay, ou le grand-prieur de
Champagne.
LE CARDINAI- DE VALEIVÇAY. Û69
et que Sa Majesté y vouloit faire collation ; le Bailly,
qui n'estoit pas sot, dit : « Si je fais une belle colla-
» tion, on se mocquera de moy de despenser ainsy
» mon argent ; si vilaine , ce sera encore pis. » Le
Roy y va, et puis demande la collation. « Apportez, »
dit le Bailly. On apporte un bassin de biscuits moi-
sis, et un de merluche, avec un meschant potage aux
pois. Le Roy se mit à rire : « Sire, «luy dit-il, «quand
» on nous payera mieux, nous vous ferons meilleure
» chère. »
La ville prise, on le fit mareschal-de-camp ; en
ce temps-là, c'estoit quasy autant que mareschal de
France à cette heure. On luy dit qu'il pouvoit pré-
senter au Roy cinquante chevaliers de Malte qui
a voient servy en cette rencontre, et qu'il portast la
parole pour eux. Or il faut sçavoir que le Roy, qui
estoit mesdisant luy-mesme, avoit baptisé le Bailly
le mesdisant éternel. Il s'avance et dit : « Sire, Vostre
» Majesté m' ayant donné le filtre de mesdisant éternel,
» je n'ay garde de rien faire qui me le fasse perdre.
» Si je parlois de ces messieurs, il faudroit que j'en
» disse du bien, c'est pourquoy Vostre Majesté me
» permettra de n'en rien dire. » Le Roy sourit et dit :
« Nous croyions l'embarrasser^ mais il s'en est bien
» tiré. »
Le voylà en estât de faire quelque grande fortune.
Mais outre qu'à Lyon, durant la maladie du Roy, il
donna les plus violents conseils contre le cardinal de
Richelieu, il le piqua encore vilainement ; car un
jour que l'Eminence le railloit en présence du Roy
470 LKS lllSTORlETTIiS.
sur sa niepce, la comtesse d'Alais, fille de la mares-
châle de la Chastre, sa sœm", il luy respoiidit : « Par-
» dieu ! il ne faut pas croire tout ce qu'on dit, ou bien
» il faudroit croire que vous couchez avec votre
» niepce. » Le Roy fut ravy de cela, et le Cardinal
en pensa enrager. En suitte, la feu Reyne-mere s'es-
tant brouillée avec le Cardinal, il prit son party et
fut capitaine de ses gardes. Mais, quand il vit que
Fabroni et sa femme , avec le Père Ghanteloupe ,
avoient empaumé la Reyne, il se retira, et fut fort
mal payé de ses pensions et de ses appointemens.
Je croy qu'il se retira à Malte ; au moins y estoit-il
quand le pape Urbain le fit venir pour s'en servir
^'^'ZviJmT^ contre le duc de Parme *.
Voicy comment cela arriva. Son nepveu, le com-
mandeur de Valençay, estoit ambassadeur de Malte
auprès du Pape, les bonnes grâces duquel il sccût si
bien gaigner que le Saint-Pere luy disoit des choses
qu'il ne disoit pas à ses propres nepveux. Le Pape,
voyant la guerre de Parme preste à esclatter, luy dit
un jour : « Donnez-moi un capitaine. — Saint-Pere, »
respondit-il, « je ne puis vous donner que mon oncle,
» le bailly de Valençay, qui est à Malte. — Quoy ,
» celuy, » reprit le Pape, « qui commandoit les vais-
» seaux à la Rochelle? — Celuy-là mesme, — Faittes-le
» venir. » Le Commandeur le mande ; il vient ; mais
il ne sçavoit pourquoy on le faisoit venir. Le Com-
mandeur, sans rien luy dire, le loge, luy donne un
bel appartement bien meublé, un carrosse, trois es-
tafiers et de l'argent pour jouer : le Pape fournissoit
LE CARDINAL DE VALENÇAY. 471
à tout cela. Le Bailly, estonné de ces regales, disoit :
« J'ay un fou de nepveu qui n'est qu'un gueux aussy
» bien que moy, et il ne me laisse manquer de rien.
« Hé, » luy disoit-il, « où prens-tu tout cela? — Ne vous
» en tourmentez pas, » respondoit le nepveu^ « res-
» jouissez-vous seulement. » Au bout de six mois, on
le renvoya à Malte, et à trois mois de là, la guerre
estant desclarée, on le fit revenir. 11 fut en tout deux
ans à Rome chez son nepveu. Le marquis Mathei
prit cependant Castre '.
11 faut dire un mot de la valeur des Romains. Un
cavalier, s'estant approché trop près, avoit esté tué
d'un coup de fauconneau. Ils disoient : Che pazzo !
s'è fatto amazar a la francese. Après cela, le duc de
Parme ayant passé avec ses ch'agons et de l'infan-
terie à cheval jusques à Aquapendente, la frayeur
fut si grande à Rome qu'on y faisoit des barricades.
Alors le Pape déclara qu'il alloit faire venir le bailly
de Valençay pour s'en servir, et le fit maestro di
campo générale, c'est-à-dire mareschal de camp,
sous le cardinal Antoine qui avoit la qualité de gé-
néral, sans congédier pourtant Mathei et quelques
autres qui commandoient séparément. Il n'y avoit
encore que des milices ; on levoit quelques troupes.
11 fait tant qu'il donne le courage au cardinal Antoine
d'aller jusqu'à Ronciglione, et de là à Orviete qui
se vouloit rendre sans estre attaquée, quoyque le
cardinal Spada fust dedans, et que la place, qui est
1 Ce fut par trahison; W traistrc a eu le cou coupé depuis.
472 LES HISTORIETTKS.
sur un roc, soit presque imprenable. Là il donna
quatre cens chevaux de troupes réglées au Com-
mandeur, son nepveu, et l'envoya devant à Monte-
liascone. Tout le reste suit. Comme ils y sont tous
arrivez, un gros de cavalerie des leurs, qui avoit pris
le plus long, vint à paroistre ; voylà l'allarme bien
forte ; le Cardinal estoit très-fasché de s'estre tant
avancé. Le Conmiandeur prend dix cavaliers, et va
pour reconnoistre ce gros ; le Cardinal et les Romains
croyoient qu'il estoit fou. Il trouva que c'estoient
de leurs gens ; il revient : tout le monde le felicitoit
comme d'un grand exploit. On s'avance vers Aqua-
pendente ; on surprend les ennemis au fourrage ;
on y fait quatre prisonniers ; vous eussiez dit qu'on
avoit tout desfait. Les Cardinaux allèrent dire il bon
u bonne chance, pfô * au Papc dc co quo s'evŒ visto il nemico in faccia,
et le cardinal Antoine en estoit si ravy, qu'il embras-
soit le Bailly à tout bout de champ, et luy disoit :
m'avete fatto veder il nemico. Insensiblement on fit
des troupes , et le Bailly avoit un régiment de deux
mille François plus beau que le régiment des Gar-
des. Il prit une bicoque auprès d'Aquapcndente :
Le duc de Parme desloge ; voylà le Bailly sur le
pinacle. Cependant voyez quelle estoit la légèreté
du personnage : ayant eu avis qu'on luy permettoit
de retourner à la cour de France, il quitte l'armée,
et part pour aller prendre congé du Pape. Son nep-
veu estoit à Perouse avec l'Artillerie, dont il estoit
général. Le cardinal Antoine le va trouver et luy dit
que cela feroit mourir le Pape. Le Commandeur va
LE CARDINAL DE VALENÇAY. 473
viste à Fouligni, où il met ordre qu'on ne donne des
chevaux de poste à personne. Le Bailly arrive ; son
nepveu essuyé toutes ses fougues, et le fait résoudre
à attendre encore quinze jours.
Au bout de quatorze, il fut fait cardinal, et servit
si bien contre les Vénitiens , qu'il entra dans leur
pays, y fit le degast et les obligea à quitter le Bou-
lenois *.
* Lô reste se verra, dans les Mémoires de ta Régence.
COMMENTAIRE.
I. — P, 465, note.
Croyant que le mareschal de ta Chastre t'eust mal conseillé au jeu
contre le fexi comte de Saini-Aignan...
Ce doit ûtre Louis de la Chastre, maréchal de France en 1616, et
non son père Claude, également maréchal de France, mort en 1614 à
l'âge de soixante-dix-huit ans. Louis mourut en octobre 1630, laissant
pour veuve Elizabeth d'Estampes-Valençay, sa deuxième femme, la
sœur de notre Cardinal.
Le feu comte de Saint-Aignan etoit Honorât de Beauvilliers, mort le
22 février 1622. La terre de Saint-Aignan fut érigée en duché-pairie,
en faveur du fils, le célèbre françois de Beauvilliers, mort en 1687.
II. — P. 466, lig. 16.
Fichue race de Ganelon...
Une tradition, autrefois assez répandue, vouloit que les premiers
Bouchard, Thibaud et Matthieu de Montmorency, fussent les fameux
adversaires du neveu de Charlemagne , les Gane ou Ganelon des
Chansons de geste. Il n'y a rien d'invraisemblable dans cette opinion.
Les épopées etoient faites pour les grands vassaux, ennemis naturels des
usurpations graduelles du Roi de France : or, les Montmorency furent
en tout temps le bras et le conseil de la couronne royale ; de là les pré-
ventions et les rancunes de la haute féodalité contre eux ; de là les in-
jures et les calomnies contre les princes qui prôtoient l'oreille aux
instigations de ceux de la race de Ganelon.
lilll LES HISTOJUHTTKS.
III. — P. ÙG7, lig. 18.
.1 la noclielle il rendit de grands sa-viccs.
Notre commandeur de Valençay faisoit profession de grand attache-
ment aux intérùts de Richelieu, longtemps au])aravant: témoin ce que
raconte Bassom])icrre, que Chalais luy ayant j)arlé d'un projcït formé
de tuer le grand Ministre, le Commandeur l'avoit contraint d'en venir
avec lui faire la déclaration au Cardinal.
« Il courut un bruit » (mai 162G) « que l'on avoit tenu conseil, dont
» il y avoit neuf personnes, l'une desquelles l'avoit décelé; auquel il
» avoit été résolu cpie l'on iroit tuer M. le Cardinal dans Fleury. Il s'est
» dit que ce fut M. de Chalais, lequel s'en estant confié au comman-
» deur de Valençay, ledit Commandeur luy reprocha sa trahison,
» estant domestique du Roy, d'oser entreprendre sur son premier nii-
» uistre ; qu'il l'en devoit avertir, et qu'en cas qu'il ne le voulust faire,
» luy-mesme le declareroil. Chalais intimidé y consentit, et tous deux
» partirent à l'heure mesmc pour aller en avertir M. le Cardinal, etc.»
{Journal de ma vie, édition de 1720, tom. m, p. 317.)
Costart, dans une lettre que conserve M. Parison, raconte au ptre
Rapin une autre preuve de l'adroite liberté de langage du commandeur
de Valençay : « Feu M. le cardinal de Richelieu luy ayant fait cette
» question : D'où vient que persorme en France ne pouvant se sauver
» de vos railleries, je suis le seul dont vous ne disiez point de mal'.'
» C'est sans doute que vous me craignez. — Ce n'est point cela, répliqua
» le Commandeur, et pour le moustrer, faites des sottises, et je ne
» vous espagneray pas. »
IV. — P. /|70, lig. 8.
Quand il vit que Fabroni et sa femme avec le père Chantctoupe avaient
empaumé la Rcijne, il se retira.
Une lettre anonyme, écrite à d'Hozier, raconte ainsi la séparation
du commandeur de Valençay et de Marie de Mcdicis, alors retirée à
Bruxelles.
« Je croyois vous avoir mandé que la Reyne avoit congédié ses offi-
» ciers, qu'elle retranchoit ses gardes, et que cela avoit mcscontenté
)) son capitaine, qui luy remit mai'dy son baston entre les mains. On
» parle diversement de cette affaire ; et dit-on que la Reyne l'a vou-
» leu, les autres que c'est luy qui l'a désiré. Quoy que ce soit, dans le
» retranchement de la maison, je croy qu'on a voulu retrancher ses
» compagnons, sans luy en communiquer. Ayant esté averty de cela,
» samedy il demanda à i)arler à. la Reyne avec grand instance. Elle
» avoit pris médecine; cependant cette raison ne le rebuta point, do
LE CARDINAL DE VALENÇAY. 475
,, sorte qu'introduit dans son cabinet, voicy ce que j'ay ouy de la
., bouche de la Ileyne : Il n'estoit pas content, il me mist trois ou
,. quatre fois le marché à la main, je craignis de m'esmouvoir ; amsy je
» ne luy respondis, sinon qu'il falloit remettre cela à une autre fois,
,, et que je ne desirois pas me mettre pour lors en colère. Mardy
>, donc il y avoit plusieurs personnes dans son cabinet; elle y entra
„ et dit voyant un baston sur la table : Voylà un baston vacant. Et
,, comme elle eust repété cela nombre de fois, elle dist : Le comman-
„ deur de Valençay n'est plus capitaine de mes Gardes. Chacun
» se retira dans sa chambre, ne sçachant la raison de cette nou-
,, veauté. Depuis, une personne qui estoit présente m'a rapporté <iue le
., Commandeur avoit entré dans son cabinet, et qu'il luy avoit deu
,. dire en luy faisant une profonde révérence : Madame, je croy ne
>, pouvoir faire action qui soit plus agréable à Votre Majesté que de
» luy remettre le baston dont elle m'avoit honoré. Le voylà. Madame ;
„ que plaist-il à Votre Majesté que j'en fasse? Elle luy dit qu'il le
» mist sus la table ; ce qu'ayant fait, il fit une grande révérence, et en
„ sortant dit à Fabrony : C'en est fait; je ne suis plus à la Reyne.
,, Ceux qui n'ont autre passion que le service de la Reyne, disent que
» cette affaire luy fait tort, etc. »
V. — Fin.
La maison d'Estampes, issue de Robert d'Estampes, conseiller de
Jean duc de Bcrry, frère de Charles V, avoit formé plusieurs branches.
La branche ahiée , à laquelle appartenoit le marquis de Mauny
(tom. I", Hist., p. 471— 47^), s'est continuée au moins jusqu'à la fin
du xviii* siècle. C'est la seule qui pourroit exister encore.
La branche cadette s'etoit éteinte dans le xvi<= siècle. Une troisième
branche, séparée de la première au xvi« siècle, produisit les seigneurs de
la Mothe-lez-Enordre,quiexistoieiit encore au milieu du siècle suivant.
La quatrième branche, celle des seigneurs et marquis de Valen-
çay, eut pour auteur, vers la fin du xV siècle, Louis d'Estampes,
gouverneur et bailly de Blois, sous François I". De son petit-fils Jean
d'Estampes, seigneur de Valençay et d'Estiaux, etoient nés l'arche-
vêque de Reims, le Cardinal, le marquis d'Estiaux, la maréchale de la
Chastre, la marquise de Puisieux, la baronne d'Acheres, et les autres.
L'aîné de tous, Jacques d'Estampes, a laissé une postérité etemte
dans deux arrière-petits-fils, morts à huit jours de distance, savoir,
Jacques-Dominique d'Estampes, capitaine de cavalerie, le 24 février
1700, et l'autre, chevalier deMalthe, noyé sur la Galère capitane, le
24 février suivant.
Enfin, une dernière branche, celle des seigneurs d'Autry, paroit
s'être éteinte dans les dernières années du xvii= siècle.
CIL
LE MARQUIS DE RAMBOUILLET.
{Charles d'Anyennes, marquis de Rambouillet et de l'isani, tic vers
1377; mort à l'aris, 20 février 1652.)
Feu M. le marquis de Rambouillet estoit de la
maison d'Angennes ', maison ancienne, mais où je ne
voy pas qu'il y ayt eu de grandes dignitez ; car, hors
ne^îcardlnai'd "ifnm- 1^ Cardinal dc Rambouillct *, je ne trouve que le père
iH-e_i83o;inort2unars dc fou M. dc Rambouillet qui ayt eu quelque grand
employ. Pour luy, il fut vice-roy de Pologne, en
attendant que Henry IIP y allast ; et quand le Roy
y arriva, il luy dit : « Sire, j'ay une somme conside-
» rable à vous remettre entre les mains. » C'estoient
cent mille escus et davantage. « Vous vous mocquez,
* J'ay ouy conter une chose de son grand perc, qui est assez plai-
sante. C'cstoit un liomme grave. Un jour il dit à sa femme : « Madame,
» prenez-moy par la barbe. » On portoit la barbe longuette en ce temps-
là, et les cheveux courts. Elle l'y prend. « Tirez, » luy dit-il. — «Je vous
1) ferois mal. — Non, non, tirez de toute vostre force. » Elle fut con-
trainte de faire ce qu'il vouloit. « Vous ne m'avez point fait de mal, »
luy dit-il. Après il luy tire quelques-uns de ses cheveux ; elle crie : « Vous
» voyez. Madame, » luy dit-il d'un tou sérieux, « que je suis plus fort
» que vous. Je vous en prie, ne nous battons pas. » Du temps des pa-
raboles, cette barbonnerie .uu-oit esté admirable.
LE MARQUIS DE RAMBOUILLET. 477
. monsieur de Rambouillet, » dit le Roy, « c'est vostre
n espargne. — Non , non , Sire, il faut que vous la
n preniez, vous en aurez bon besoing. »
A la bataille de Bassac*, il avoit fait merveille , «^ ^p^^Xl-y' fiV,
,^^ ■ 1 ji A • 13 mars 1569.
avec ses gendarmes. Henry 111% alors duc d Anjou,
escrivit à Charles IX^ qu'on devoit le gain de la ba-
taille à M. de Rambouillet, et on garde dans la mai-
son une lettre du Roy par laquelle il en remercie
M. de Rambouillet. Cependant Henry IIP ne fit point
faire de fortune à un homme qu'il estimoit tant. On
dit qu'il reconnoissoit qu'il avoit tort, et que s'il
n'eust point esté tué, il luy eust fait beaucoup de
bien.
On voit dans les Amours d'Jlcandre comme feu
M. le marquis de Rambouillet, alors vidame du Mans,
fut blessé chez M. Zamet. Yoicy comme la chose
arriva. M. de Chevreuse *, qu'en ce temps-là on appel- mstom^tom. .,
loit le prince de Jainville, estoit amoureux de M""^ la
marquise de Verneuil. Lorsqu'Henry IV^^ obtint
du Pape et de la reyne Marguerite le consentement
nécessaire pour la dissolution de son mariage, la
Marquise, enragée de voir eschapper sa proye, s'en
prit à M. de Bellegarde; et quoyqu'il eust esté un
de ses adorateurs, elle le soupçonna d'avoir donné ce
conseil au Roy. Pour s'en venger , elle sceût si bien
se prevalloir de la passion que M. le prince de Jain-
ville avoit pour elle, qu'elle luy persuada d'entre-
prendre sur la vie de M. de Bellegarde. En effect, un
soir que le Roy soupoit chez M. Zamet*, M. de Belle- ^U^èaVi^rfS"'
garde fut blessé par M. de Chevreuse à la porte de
478 LES HISTORIETTES.
cette maison ; mais ses gens poursuivirent l'aggres-
seur si vertement, qu'ils l'eussent tué, sans le se-
cours du vidame du Mans, qui se trouva là par
hazard, ci y fut si fort blessé par derrière, qu'il en
pensa mourir. Le Roy, indigné de cette action, vou-
loit faire couper le cou à M. de Chevreuse, et ne
vouloit point qu'on pansast le Vidame; mais M""
Zamct, qui parloit au Roy fort librement, et qui es-
toit des bonnes amies de M"" de Rambouillet, mère
du blessé, luy dit qu'il ne falloit pas aller si viste ;
que le moins qu'on pouvoit faire, c'estoit de sçavoir
comment la chose s'estoit passé(^ ; que cependant
elle mettroit le blessé dans son propre lict, et en au-
roit tout le seing imaginable'. Elle le fit comme elle
l'avoit dit. Le Vidame guérit, mais avec bien de la
peine, car on ne pouvoit avoir le pus d'entre les
costes; et il ostoit mort, sans un valet-de-chambre
chirurgien qu'il avoit, et qui eut assez d'amitié pour
luy pour succer le pus. Le Roy, qui sceût que le Vi-
dame ne s'estoit point trouvé à l'action de M. de Che-
vreuse, mais que, voyant plusieurs personnes contre
un seul, il s'estoit mis du party du plus foible, ne
fut plus en colère contre luy. M"" de Guise et
M'"' de Guise, depuis princesse de Gonty, firent la
paix de M. de Chevreuse, quoyqu'elles fussent toutes
deux fort mal salisfaittes de son procédé, car il avoit
donné lieu de soupçonner que c'estoit peut-estre bien
1 Elle luy dit : « Sirc, chacun est maistrechez soy ; vous l'esles chez
» VOUS; nioy, je seray la maistresse céans, s'il vous plaist. »
LE MARQUIS DE RAMBOUILLET. 479
autant pour l'amour d'elles que de la Marquise qu'il
avoit si mal traitté Bellegarde *,
M. de Rambouillet estoit bien avec le mareschal
d'Ancre ; et comme c' estoit un homme fort con-
certé, fort secret, et qui avoit peur de mesprendre,
comme on dit au palais, on disoit de luy que quand
on luy demandoit quelle heure il estoit, il tiroit sa
monstre et monstroit le cadran. Le cardinal de
Richelieu l'envoya ambassadeur extraordinaire en
Espagne pour la Valteline. Il pensa faire enrager
le Comte-duc, qui, parce que le Cardinal se faisoit
donner de l'Eminence^ vouloit avoir aussy quelque
chose par-dessus les Ambassadeurs, et ne vouloit
pas donner de l'Excellence à M. de Rambouillet.
Alors l'Excellence n'estoit pas apparemment bien
establie pour les Ambassadeurs, car M. du Fargis,
y estant desjà ambassadeur ordinaire, en auroit eu.
M. de Rambouillet disoit qu'estant ambassadeur ex-
traordinaire, nourry aux despens du roy d'Espagne,
il n' avoit point haste de conclure, et qu'il attendroit
tout à son aise la bonne humeur du Comte-duc.
Enfin, au bout de cjuinze jours, ils convinrent de se
traitter de Vos. 11 mettoit le Comte-duc en colère,
et luy faisoit dire tout ce qu'il avoit sur le cœur;
car pour luy il ne parloit pas plus haut quand il
estoit en colère que quand il n'y estoit pas; ceux
qui le connoissoient le remarquoient seulement à un
tremblement de mains c{ui luy prenoit. Il avoit desjà
* Il y avoit eu aussy de ramoiirettp avec la niere.
/l80 LES HISTORIETTES.
\°L\^cet''eî:u"er'''" '^ ^^^e sl iHauvalse, qu'il luy falloit un escuyer*
pour le mener; mais il feignoit tousjours quelque
fluxion sur le genouil. Cette incommodité venoit en
partie de sa blessure. Les Espagnols disoient, voyant
qu'il n'estoit pas trop bien pourveû de pistolles :
« Este senor ambaxador es tan corto de borsa como
» de vista. »
Le cardinal de Richelieu, quoyqu'il luy eust une
grandissime obligation, comme je l'ay marqué, car
ce fut M. de Rambouillet qui négocia avec le Coi-
gneux et Puy-Laurens à la Journée des duppes, ne
voulut point se servir de luy ; car, quoyqu'il eust
si mauvaise veûe, on disoit pourtant qu'il voyoit
trop clair. Il fut chevalier de l'ordre et grand-
maistre de la garde-robe. Il s'amusoit à servir, au
lieu de laisser faire au premier valet de garde-robe,
et se tenir au beau de sa charge.
Le feu Roy, qui n'avoit pas toute la considéra-
tion nécessaire, luy donnoit quelquefois ses mains
au lieu de ses piez, et on m'a dit qu'une fois il luy
avoit tendu le cû au lieu de la teste ; peut-estre
cela servit-il à le faire retirer; et puis il avoit besoing
sa charge. d' argent. Il la vendit* au feu comte de Nançay-la-
Edme, comte de Chastrc * qui , après , fut colonel des Suisses. Ce
Nançav, marquis de . i • -i
L%e umbre'iew"*""^ Comtc u OU usa pas trop bien, car il ne paya pas
au terme préfix, à cause du rehaussement des mon-
noyes, et il fallut traitter avec luy et se contenter de
la moitié du profit.
Ce n'est pas le plus grand malheur qui luy soit
arrivé. Briais , le partisan , luy devoit une assez
LE MARQUIS DE RAMBOUILLET. 1^8 1
grande somme ' ; on ne pouvoit en avoir raison.
Enfin , cet liomme eut quelques remors de con-
science ; il vient trouver M. de Rambouillet, fait le
compte avec luy, et luy promet de l'argent pour le
lendemain. Au sortir de là, il va à Yanvres, et est
assassiné par un garçon à qui il avoit fait quelque
desplaisir. Toute la debte fut perdue.
M. de Rambouillet n'estoit point un homme ca-
pable d'aucun ordre. Jamais il n'a eu de bienfaits
de la Cour, et il a tousjours dépensé beaucoup. Il
vouloit faire ses escritures luy-mesme et abondoit
furieusement en son sens. Des choses qui ne luy
eussent cousté que deux mille escus, par son opi-
niastreté luy en ont cousté trente. Il disoit qu'il s'en
rapporteroit à qui on voudroit ; et quand c'estoit au
fait et au prendre % il trouvoit tousjours quelque
eschappatoire. Il avoit terriblement d'esprit, mais
un peu frondeur, et qui estoit persuadé que l' Estât
n'iroit jamais bien s'il ne gouvernoit\
Il estoit né pour la Cour, mais son incommodité
luy a nuy. Il n'a jamais voulu avouer qu'il ne
voyoit goutte ; il croyoit que cela le rendroit mes-
prisable : cependant cette foiblesse le rendoit ridi-
1 Pour des rentes sur les Aydes, acquises par le père de M"* de
Rambouillet ; il y avoit trente mille livres.
2 jime d'Aigviiiion, du vivant du cardinal de Richelieu, voulut se
mesler d'accommoder ses proccz ; il n'y a point de doute quMl eust
eu telle composition qu'il eust voulu, ayant toute la faveur de son
costé : cela ne servit de rien ; il n'y avoit que Dieu qui luy pust oster
de la teste ce qu'il s'y estoit mis une fois.
•' C'estoit un des plus grands disputeurs qui ayt jamais esté : mais
il avoit bien trouvé chaussure à son pié en son gendre Montauzier.
II. 31
482 LES HISTORIETTES.
cule, car il aiïcctoil de s'apercevoir des choses, et
souvent il se trompoit. Une fois, entre autres, il
Mort en juin I6S2 avoit ouy dirc que feu M. de Montauzier* avoitun
habit de la plus belle escarlate du inonde : la pre-
mière fois qu'il alla à l'hostel de Rambouillet, M. de
Rambouillet, sans demander quel habit il avoit, luy
va dire : « Ah ! Monsieur, la belle escarlate ! » et,
par malheur, ce jour-l;\ il estoit vestu de noir. D'un
autre costé, c' estoit un soulagement pour sa famille ;
car, s'il eust avoué qu'il estoit aveugle, il n'eust
peut-estre point fait de visites, et il eust fallu luy
tenir compagnie, au lieu qu'il alloit partout et est
mort sans avoir long-temps esté malade '.
Il estoit temps qu'il mourust : tout estoit en
pitoyable estât. Depuis, les choses se sont restablies
peu h peu, et M. de Monta uzier, son gendre, est logé
avec M'"" de Rambouillet.
^ On cscrivit à M. ot à M""' ilc Montanzierquc le Marquis estoit en
grand danger; ils respondircnt (|ue s'il moiiroit, M""" de Rambouillet
n'avoit qu'à disposer de tout, et qu'ils ne pretendoient rien tandis
qu'elle vivroit, tellement qu'il n'y a point eu de scellé. Cette mort la
Morte un peu nnpa- touc'i^ ; d'c mc dit qu'elle avoit trouvé à dire M"« Paulet *, qui luy
ravnnt.(//i5(or.) cstoit d'une grande consolation dans ses peines, et clic mc le dit en
pleurant, elle qui ne pleure quasy jamais.
COMMENTAIRE.
I. — P. 670, lig. fi.
// fut vice-roi de Pologne.
On a imprimé \m Extrait des lettres d'un {lenlilhommc de la suite de
M. de Uambouillet, ambassadeur an royaume de Pologne, à nn seigneur
de la Cow\ etc., Paris, 157/i, Denis Dupré, in-8" de huit feuillets.
LE MARQUIS DE RAMBOUILLET. 483
Nicolas d'Aiigcnnes, sieur de Rambouillet, avoit etû envoyé en Polo-
gne en 1573 , aussitôt après qu'on eut appris à Paris l'élection de
Henry III. « Il avoit déjà,» ditdeThou, liv. lvii,(( été employé en plu-
» sieurs ambassades, où il s'etoit acquis une grande réputation de pru-
» dence. »
IL — P. 477, lig. 14.
On l'Oit dans les Amours d'AIcandre.
M. de Rambouillet s'y trouve désigné sous le nom de Lucile ; et quoi
que des Réaux en ait dit au commencement, il reproduit ici presque
mot à vaoi\çs Amours d'AIcandre^ jusqu'à la fin de l'alinéa. Mais ce
qui regarde M""^ Zamet (Magdelaine Leclerc du Tremblay), et la gué-
rison du Vidame, n'est pas dans les Amours. Des Réaux sans doute le
tenoit de la bouche du marquis de Rambouillet. Voici comme Bas-
sompierre, de son côté, raconte la même aventure :
« Le Roy ne possedoit pas encore M"^ d'Entragues, et couchoit par-
» fois avec une belle fille, nommée la Glandée. Il arriva qu'un soir,
» après soupper de chez M. d'Elbeuf, le Roy s'en vint coucher chez
» Zamet, avec cette fille ; et comme nous l'eusmes déshabillé, ainsi que
» nous nous voulions mettre dans le carrosse du Roy, qui nous rame-
» noit dans notre logis, MM. de Jainville et le Grand eurent querelle
» sur quelque chose que ce premier prétendoit que M. le Grand eust
>) dit au Roy de M"^ d'Entragues et de luy. De sorte que M. le Grand
» fut blessé à la fesse, le Vidame du Mans receut un coup à travers du
» corps, et la Rivière un coup dans les reins. Après que M. de Praslin
» eut fait fermer les portes du logis (de Zamet), ils me prièrent d'al-
» 1er trouver le Roj»^ et luy conter ce qui s'estoit passé ; lequel se leva
» avec sa robe et son espée, et vint sur le degré où ils estoient, moy
» portant le flambeau devant luy. Il se fascha extraordinairement, et
» envoj'a mesme dire au Premier président qu'il le vinst trouver le
» lendemain avec la Cour du parlement, ce qu'ils firent. Il leur com-
» manda de faire informer de l'affaire et d'en faire bonne justice. Le
» procès fut instruit; mais à l'instante prière que M., M"" et M"* de
» Guise firent au Roy, l'affaire ne passa pas plus avant, et deux mois
» après, M. le Connestablc accorda cette querelle à Conflans. » [Jour-
nal de ma vie., tom. i, p. 74.)
m. - P. 479, lig. 5.
Au lieu de mesprendre, comme on dit au Palais.
Pour : au lieu de se mesprendre. « Les Normands , » dit Furetiere,
« finissent leurs exploits et leurs deflfenses par cette formule : Et se garde
» de mesprendre. »
liSll LES HISTORIETTES.
Rambouillet avoit été employé dans les Ambassades avant le grand
crédit du cardinal de Richelieu, puisque Malherbe écrit à Peiresc, le
24 juin 1615 : « Pour le fait de Savoyc, M. de Pongny est retourné,
» quoy qu'on die que M. de Savoye est assez mal satisfait do M. le mar-
» quisde Rambouillet, et qu'il a mandé qu'il ne desiroit point qu'il se
» mcslastplus de ses affaires, parce qu'il est plus Espagnol que lesEspa-
» gnols mesmes. Je ne sçay pas ce qu'il en est ; mais je le tiens un des
» plus habiles hommes de France, qui, n'ignorant pas l'intention de
» Leurs Majestés, ne fera rien que ce qu'il croyra estre de leur service. »
« Enfin, » dit des Réaux, « ils convinrent de se traitler de vos. » —
Cette expression est usitée soit ironiquement du supérieur à l'inférieur,
soit, au contraire, afin de témoigner plus de respect.
Plus loin nous voyons que le feu Roi, qui n'avoit pas toute la consi-
dération nécessaire, donnoit quelquefois ses mains au lien de ses piez à
M. de Rambouillet. Nous dirions aujourd'hui: tous les égards; puis
des Réaux vouloit peut-être écrire : luij donnoit ses piez au lieu de ses
mains, ce qui rendroit plus sensible le défaut de considération.
Un peu plus loin encore: « Quand c'est oit au fait et au prendre; »
c'est-à-dire : « Quand la chose etoit faite, et qu'il ne s'agissoit plus
» que de prendre. » Aujourd'hui nous disons au faire et au prendre,
moins bien, à mon avis.
IV. — Fin.
Loret donne ainsi la nouvelle de la mort de M. de Rambouillet :
l.a V.irquc n tranché le filet
Au bon seigneur de Hambouillet ,
Dont , «lepnis douze ans, la paupière
N'avoit ny clairté ny lumière.
Mais dont l'esprit, en vérité,
N'estoit que hitnlcre et clairté.
Cet illustre et };rand personnage
Fut très heureux en mariage.
Ayant mérite l'amitié
D'une si charmante moitié.
Qu'au rang des sages et des belles
On en voyoit fort peu de telles.
Par un particulier bonheur.
Il possedoit aussy l'honneur
D'avoir deux excellentes lillcs
Que je ne nomme point gentilles.
Car ce terme ne convient pas
A leurs majestueux appas;
Mais sy nobles et sy bien faites,
Sy vertueuses, sy parfaites
rereoin tous les plus beaux esprits
Qui de leurs vertus sont espris, etc.
cm. - civ.
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET
ET MADAME d'hYERRE.
{Catherine de Fivonne , marquise de Bambouiltet , née en 1588;
mariée 26 janvier IGOO ; morte 27 décembre 1665.)
M"^ de Rambouillet est fille, comme j'ay desjà
dit, de feu M. le marquis de Pisani*, et d'une Savelli Historiette^ tom. i,
veuve d'un Ursin. Sa mère estoit une habile femme;
elle eut soing de l'entretenir dans la langue italienne,
afin qu'elle sceûst également cette langue et lafran-
çoise. On fit tousjours cas de cette dame-là à la
Cour , et Henry IV*" l'envoya, avec M""' de Guise
surintendante de la maison de la Reyne, recevoir la
Reyne-mere à Marseille. Elle maria sa fille devant
douze ans* avec M. le vidame du Mans \ M"*" dé Le as janvier leoo.
Rambouillet dit qu'elle regarda d'abord son mary,
Qui avoit alors une fois autant d'âge qu^elle*, comme iietoit âgé de vingt
un homme faict, et qu'elle se regarda comme un en-
fant, et que cela luy est tousjours demeuré dans l'es-
prit, et l'a portée à le respecter davantage. Hors les'
procez, jamais il n'y a eu un homme plus complai-
sant pour sa femme. Elle m'a avoué qu'il a tousjours
' Elle a eu dix mille escus de rente de sa maison.
trois ans.
liSi) LES HISTORIETTES.
esté amoureux d'elle , et ne croyoit pas qu'on pust
avoir plus d'esprit qu'elle en avoit. A la vérité, il
n'avoit pas grand peine à luy estre complaisant, car
elle n'a jamais rien voulu que de raisonnable. Ce-
pendant elle jure que si on l'eust laissée jusqu'à
vingt ans, et qu'on ne l'eust point obligée après à
se marier, elle fust demeurée fille. Je la croirois
bien capable de cette résolution, quand je considère
que dez vingt ans elle ne voulut plus aller aux assem-
blées du Louvre '. Elle disoit qu'elle n'y trouvoit
rien de plaisant , que de voir comme on se pressoit
pour y entrer , et que quelquefois il luy est arrivé
de se mettre en une chambre pour se divertir du
meschant ordre qu'il y a pour ces choses-là en
France. Ce n'est pas qu'elle n'aimast le divertisse-
ment, mais c'estoit en particulier.
Elle a tousjours aimé les belles choses, et elle
alloit apprendre le latin, seulement pour lire Virgile,
quand une maladie l'en empescha. Depuis, elle n'y
a pas songé, et s'est contentée de l'espagnol. C'est
une personne habile en toutes choses. Elle fut ellc-
mesme l'architecte de l'hostel de Rambouillet, qui
estoit la maison de son père. Mal satisfaitte de tous
les dessins qu'on luy faisoit ( c'estoit du temps du
mareschal d'Ancre, car alors on ne sçavoit que faire
une salle à un costé , une chambre à l'autre, et un
1 C'est une chose assez estraiige, pour une belle et jeune personne et
qui est de qualité. A l'entrée qu'on devoit faire à la Reyne-mcrc, quand
Henry IV« la fit coronner, M"" de Rambouillet estoit une des belles qui
dévoient estre de la cérémonie.
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. /l87
escallier au millicu : d'ailleurs la place esloit fort
irreguliere et d'une assez petite estendue), un soir,
après y avoir bien resvé, elle se mit à crier : « Viste,
» du papier; j'ay trouvé le moyen de faire ce que je
)> voulois. » Sur l'heure elle en fit le dessin, car na-
turellement elle sçayt desseigner , et dez qu'elle a
veû une maison , elle en tire le plan fort aisément.
De là vient qu'elle faisoit tant la guerre à Voiture de
ce qu'il ne retenoit jamais rien des beaux bastiments
qu'il voyoit; et c'est ce qui a donné lieu à cette ingé-
nieuse badinerie qu'il luy escrivit sur le Valentin. On
suivit le dessin de M"^ de Rambouillet de poinct en
poinct. C'est d'elle qu'on a appris à mettre lesescal-
liers à costé*, pour avoir une grande suitte decham- m"LiKÏà!r?aciurl*
bres, à exhausser les planchers, et à faire des portes
et des fenestres hautes et larges et vis-à-vis les unes
des autres. Et cela est si vray, que la Reyne-mere,
quand elle fit bastir Luxembourg, ordonna aux archi-
tectes d'aller voir l'hostel de Rambouillet, et ce seing
ne leur fut pas inutile. C'est la première qui s'est
avisée de faire peindre une chambre d'autre couleur
que de rouge ou de tané ; et c'est ce qui a donné à
sa grand chambre le nom de la Chambre bleue.
J'ay dit ailleurs* que madame la Princesse et le Tuni. i,p. 1-1,1-^.
Cardinal de la Valette estaient fort de ses amys.
L'hostel de Rambouillet estoit, pour ainsy dire, le
théâtre de tous leurs divertissemens, et c' estoit le ren-
dez-vous de ce qu'il y avoit de plus galant à la Cour,
et de plus poly parmy les beaux-esprits du siècle.
Or. quoyquc le cardinal de Richelieu eust au car-
/^88 LES IIISTOKIETTES.
dinal de la Valette la plus grande obligation qu'on
l'ius i,;.ut, 1». u. puisse avoir *, il vouloit pourtant sçavoir toutes ses
pensées aussy bien que d'un autre; et un jour,
comme M. de Rambouillet estoit en Espagne, il en-
voya le Père Joseph chez M"" de Rambouillet ; qui
sans faire semblant de rien, la mit sur le discours
de cette ambassade, et après luy dit que monsieur
son mary estant employé à une négociation impor-
tante , M. le cardinal de Richelieu pouvoit prendre
son temps pour faire quelque chose de considérable
pour luy; mais qu'il falloit qu'il y contribuast de
son costé , et qu'elle donnast à S. E. une petite sa-
tisfaction qu'il desiroit d'elle; qu'un premier ministre
ne pouvoit prendre trop de précautions; en un mot,
que Monsieur le Cardinal souhaittoit de sçavoir par
son moyen les intrigues de Madame la Princesse et
de M. le cardhial de la Valette. « Mon père , » luy
dit-elle, « je ne croy point que Madame la Princesse
» et M. le cardinal de la Valette ayent aucunes in-
» trigues; mais, quand ils en auroient, je ne serois
» pas trop propre à faire le mestier d'espion. » Il
s'addressoitmal; il n'y a pas au monde de personne
moins intéressée. Elle dit qu'elle ne conçoit pas de
plus grand plaisir au monde que d'envoyer de l'ar-
gent aux gen«, sans qu'ils puissent sçavoir d'où il
vient. Elle passe bien plus avant que ceux qui disent
que. donner est un plaisir de roy, car elle dit que
c'est un plaisir de Dieu. En me contant cette petite
histoire du Père Joseph, elle me disoit, car il n'y a
Ou loieiTioii. pas au monde un esprit plus droit, ({u'elle soulïriroit *
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. /j89
encore moins qu'on eust des gens d'église pour ga-
lans que d'autres. — « C'est une des choses, » adjous-
toit-elle, « pourquoy je suis bien aise de n'estre point
» demeurée à Rome : car, quoyque je fusse bien as-
» seurée de ne point faire de mal, je n'estois pas
» pourtant asseurée qu'on n'en dist point de moy, et
» apparemment, si on en eust dit, la mesdisance
» m'auroit mise avec quelque Cardinal. »
Jamais il n'y a eu une meilleure amie. M. d'An-
dilly, qui faisoit le professeur en amitié, luy dit un
jour qu'il la vouloit instruire amplement en cette
belle science; il luy faisoit des leçons prolixes; elle,
pour trancher tout d'un coup luy dit : « Bien loing de
» ne pas faire toutes choses au monde pour mes
') amys, si je sçavois qu'il y eust un fort honneste
» homme aux Indes, sans le connoistre autrement,
» je tascherois de faire pour luy tout ce qui seroit à
» son avantage. — Quoy! » s'escria M. d'Andilly,
« vous en sçavez jusques là ! Je n'ay plus rien à
» vous monstrer. »
M"** de Rambouillet est encore présentement d'hu-
meur à se divertir de tout. Un de ses plus grands
plaisirs estoit de surprendre les gens : une fois, elle
fit une galanterie à M. de Lizieux* à laquelle il ne ^*'fl'iyfor."«r"'
s'attendoit pas. Il l'alla voir à Rambouillet. Il y a au
pié du Chasteau une fort grande prairie, au millieu
de laquelle, par une bizarrerie de la nature, se
trouve comme un cercle de grosses roches, entre
lesquelles s'elevent de grands arbres qui font un om-
brage tres-agréable. C'est le lieu oi^i Rabelais se di-
490 LKS HISTORIETTES.
vertissoit, à ce qu'on dit dans le pays ; car le cardinal
du Bellay à qui il estoit , et MM. de Rambouillet,
layi'Lîîîîînrde'iVan^ cominc prochos parens*, alloicnt fort souvent passer
sieiircle Rambouillet. , , \ il • 'in
le temps a cette maison ; et encore aujourd huy on
appelle une certaine roche creuse et enfumée la
Marmitte de Rabelais, La Marquise proposa donc à
M. de Lisieux d'aller se promener dans la prairie.
Quand il fut assez près de ces roches pour entre-
voir à travers les feuilles des arbres, il aperceût en
divers endroits je ne sçay quoy de brillant. Estant
plus proche, il luy sembla qu'il discernoit des
femmes, et qu'elles estoient vestues en nymphes. La
Marquise, au commencement, ne faisoit pas sem-
blant de rien voir de ce qu'il voyoit. Enfin, estant
parvenus jusques aux roches, ils trouvèrent M"' de
Rambouillet et toutes les demoiselles de la maison,
vestues effectivement en nymphes , qui , assises sur
les roches, faisoient le plus agréable spectacle du
monde. Le bonhomme en fut si charmé, que de-
puis il ne voyoit jamais la Marquise sans luy parler
des roches de Rambouillet.
Si elle eust esté en estât de faire de gi'andes dé-
penses, elle eust bien fait de plus chères galanteries.
Je luy ay entendu dire que le plus grand plaisir qu'elle
eust pu avoir , c'eust esté de faire bastir une belle
maison au bout du parc de Rambouillet, si secrè-
tement que personne de ses amys n'en sceûstrien (et
avec un peu de seing la chose n'estoit pas impossible,
parce que le heu est assez escarté , et que ce parc
est un des plus grands de France, et mesme esloigné
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. 491
d'une portée de mousquet du chasteau , qui n'est
qu'un bastimcnt à l'antique) ; qu elle eust voulu en
suitte mener à Rambouillet ses meilleurs amys, et le
lendemain, en se promenant dans le parc, leur pro-
poser d'aller voir une belle maison, qu'un de ses
voisins avoit fait faire depuis quelque temps ; et après
bien des destours, « je les aurois menez, » disoit-elle,
« dans ma nouvelle maison , que je leur aurois fait
» voir, sans qu'il parust un seul de mes gens, mais
» seulement des personnes qu'ils n'eussent jamais
» veûs ; et enfin je les aurois priez de demeurer quel-
» quGs jours en ce beau lieu, dont le maistre estoit
» assez mon amy pour le trouver bon. Je vous laisse
» à penser , » adjoustoit-elle, « quel auroit esté leur
» estonnement, lorsqu'ils auroient sceù que tout ce
» secret n' auroit esté que pour les surprendre agréa-
» blement. »
Elle attrappa plaisamment le comte de Guiche,
aujourd'huy le mareschal de Grammont. 11 estoit
encore fort jeune quand il commença à aller à l'hos-
tel de Rambouillet. Un soir, comme il prenoit congé
de M™^ la Marquise, M. de Chaudebonne *, le plus Historiette.
intime des amys de M*"^ de Rambouillet, et qui
estoit fort familier avec luy, luy dit : « Comte , ne
') t'en vas point, soupe céans. — Jésus ! vous moc-
» quez-vous? « s'escriala Marquise; « le voulez-vous
» faire mourir de faim? — Elle se mocque elle-
» mesme, » reprit Chaudebonne, « demeure, je t'en
» prie. » Enfin il demeura. M"' Paulet, car tout cela
estoit concerté , arriva en ce moment avec M"' de
492 LES HlSTORlKTlfiS.
Rambouillet; on sert, et la table n'estoit couverte
que de choses que le Comte n'aimoit pas. En cau-
sant, on luy avoit fait dire, à diverses fois , toutes
ses aversions. Il y avoit entre autres choses un grand
potage au laict et un gros coq d'Inde. M"' Paulet y
joua admirablement son personnage. « Monsieur le
» Comte, » disoit-ellc, « il n'y eut jamais un si bon
» potage au laict : vous en plaist-il sur votre assiette?
» — Mon Dieu! le bon coq d'Inde! il est aussy
» tendre qu'une gelinotte. — Vous ne mangez point
» du blanc que je vous ay servy; il vous faut donner
» du rissolé, de ces petits endroits de dessus le dos. »
Elle se tuoit de luy en donner, et luy de la remer-
cier. Il estoit desferré ; il ne sçavoit que penser d'un
si pauvre souper ; il esmioit du pain entre ses doits.
Enfin, après que tout le monde s'en fut bien di-
verty. M""' de Rambouillet dit au Maistre d'hostel :
« Apportez-nous donc quelque autre chose, M. le
» Comte ne trouve rien là à son goust. » Alors on
servit mi souper magnifique , mais ce ne fut pas
sans rire.
On luy fit encore une malice à Rambouillet. Un
soir qu'il avoit mangé force champignons, on gaigna
son valet de chambre qui donna tous les pour-
^ujourd'hui siicta. points * dcs hablts que son maistre avoit apportez. On
les estressit promptement. Le matin, Chaudebonne
le va voir comme il s'habilloit; mais quand il voulut
mettre son pourpoint, il le trouva trop estroit de
quatre grands doits. « Ce pourpoint-là est bien es-
» troit , » dit-il à son valet de chambre, ^( donnez-
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. 493
» moi celuy de T habit que je mis hier. » 11 ne le
trouva pas plus large que l'autre. « Essayons- les
» tous, » dit-il ; mais tous luy estoient esgallement es-
troits. « Qu'est cecy?» adjousta-t-il, « suis-je enflé?
» seroit-ce d'avoir tro-p mangé de champignons? —
» Gela pourroit bien estre , » dit Chaudebonne ,
« vous en mangeastes hier au soir à crever. » Tous
ceux qui le virent luy en dirent autant, et voyez ce
que c'est que l'imagination : il avoit, comme vous
pouvez penser, le teint tout aussy bon que la veille;
cependant il y descouvroit, ce luy sembloit, je ne
sçay quoy de livide. La Messe sonne, c'estoit un
dimanche : il fut contraint d'y aller en robe de
chambre. La Messe ditte, il commence à s'inquiéter
de cette prétendue enflure, et il disoit en riant du
bout des dents : « Ce seroit pourtant une belle fin
» que de mourir à vingt et un ans*, pour avoir n avoit cet âge en
» mangé des champignons! » Comme on vit que
cela alloit trop avant, Chaudebonne dit qu'en atten-
dant qu'on pust avoir du contre-poison, il estoit d'a-
vis qu'on fist une recette dont il se souvenoit. Il se
mit aussitost à l'escrire, et la donna au Comte. Il y
avoit : Recipe de bons ciseaux ^ et descous ton pour-
point. Or, quelque temps après , comme sy c'eust
esté pour venger le Comte, M"* de Rambouillet et
M. de Chaudebonne mangèrent effectivement de
mauvais champignons, et on ne sçait ce qui en fust
arrivé, si M"" de Rambouillet n'eust trouvé de la
theriaque dans un cabinet , où elle chercha à tous
hazards.
1625.
Il9ll LES HISTORIETTES.
M'"' de Rambouillet a eu six enfans : M"" de
Montauzier est Taisnée de tous; M"'" d'Hyerre est
la seconde ' ; M. de Pisani estoit après. 11 y avoit un
1 MADAME D'HYERRE.
(Claire-Diane d'Jrtgenncs, abbessc d'Hyerre en 1G36, morte en lGfi9. )
L'abbaye d'Hyerre, i\ quatre lieues de Paris, ayant vaqué, M""^ do
Rambouillet la demanda pour sa seconde fdle. Le cardinal de Riche-
lieu en avoit desj:\ disposé en faveur d'une parente de M. des Noyers ;
cependant on s'y obstina à cause de la proximité de Paris, et par la
faveur de M""' d'Aiguillon, on en vint à bout. S'ils eussent sceû le peu
de satisfaction qu'ils en dévoient avoir, il n'y eussent pas pris tant de
peine. Dez que l'Abbesse fut installée, clic déclara qu'elle ne vouloit
point pour directeur celuy que sa famille luy avoit destiné. Elle en
prit un autre; elle traitta mal deux de ses sœurs qu'on mit avec elle,
ne fit rien de ce qu'il falloit faire pour mettre son abbaye en réputa-
tion ; en un mot, elle n'a reccù en vingt-quatre ans que quatre reli-
gieuses, et il y avoit trois ans qu'elle estoit avec des novices en cliam-
bro garnie à Paris, et il n'y avoit plus en tout que six religieuses quand
on obtint un bief du Pape (car l'abbaye va directement au Saint-Siège),
par lequel il nommoit pour directeur un prostré de grande réputation,
nommé M. de Blancpignon , qui l'est desjà des Carmélites et de deux
ou trois autres ordres de Filles dans Paris. Il va à Hyerre , elle s'y
trouve, déclare qu'il est son ennemy ; cependant elle ne le connoissoit
pas, et obtient un nouveau bref du Pape, qui nomme M. l'archevesque
de Sens. Elle l'avoit demandé à cause que J'hostel d'Hyerre tousche
l'hostel de Sens, et que l'Archcvcsque avoit voulu en avoir quelques
chambres pour sa commodité. Luy ne se laissa pas leurrer par un si
petit intérêt. Durant l'intervalle de ces deux brefs, M. de Blancpignon
avoit dit qu'à moins que de faire venir d'anciennes religieuses à
Hyerre , on n'y sçauroit remettre l'ordre : on en fit venir de Mont-
martre. L'Abbesse les pensa faire mourir de faim. M°" de Montmartre
fut contrainte de leur envoyer de quoy vivre. Ce deuxième bref arrivé,
on instruit le Pape de la surprise qu'on luy avoit faittc, et que ce
qu'elle avoit exposé contre M. de Blancpignon estoit faux ; le Pape le
nomme derechef, et on transfère l'Abbesse aux Filles de la Miséri-
corde. La supérieure de la maison la flatta pour faire faire une de
ses niopces coadjutrice; cependant un beau jour elles se brouillèrent et
se séparèrent. Voyh\ M"'" d'Hyerre logée chez un loueur de carrosses;
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. 495
garçon bien fait qui mourut de la peste à huit ans*.
Sa gouvernante alla voir un pestiféré, et au sortir
de là fut assez sotte pour baiser cet enfant ; elle et
luy en moururent. M"'' de Piambouillet, M"" de Mon-
tauzier et M"'' Paulet F assistèrent jusques au dernier
soupir. — M""' de Saint-Estienne * est après, puis
lyfme ^g Pisani *. Toutes sont religieuses, hors la pre- catherine-chariotte
miere et la dernière des filles, qui est M"^ de Ram-
bouillet*.
M. de Pisani * vint beau, blanc, blond et droit au
monde, mais il eut l'espine du dos desmise en nour-
rice, sans qu'on le sceûst, et en devint si contrefait
qu'on ne luy pouvoit faire de cuirasse. Gela luy gasta
jusques aux traits du visage, et il demeura fort petit,
ce qui sembloit d'autant plus estrange que son pere^
sa mère et ses sœurs sont tous grands ; on disoit les
sapins de Rambouillet autrefois, parce qu'ils estoient
je ne sçay combien de frères de grande taille et point
Isabelle-Louise.
Angélique-Clarisse.
I,eon Pompée d'A.,
marquis de Pisani.
elle plaide et fait imprimer un faction, ou plustost un libelle diffama-
toire contre sa famille, et dit là dedans que tout ce qu'elle souffre ne
vient que de ce qu'elle n'a pas voulu faire sa sœur de Pisani coadjutrice ,
et envoyé cela dans tous les convens. Il n'y a rien de plus faux ; on ne
l'en a jamais pressé, et M""^ de Pisani le seroit deSaint-Estienne*, si
elle avoit voulu ; mais c'est une bonne fille sans ambition, qui veut vivre
dans une maison plus austère ; et puis aujourd'huy, 1663, M""* de Montau-
zier est trop bien à la Cour pour manquer d'une bonne place pour sa
sœur, si elle s'en mettoit bien en peine. Le Parlement ordonna que
TAbbesse seroit mise dans quelque maison religieuse ; on l'obligea à
aller loger dans une maison où il y a une espèce de communauté de
Filles, dans la rue Saint-Anthoinc. Elle dit qu'on luy avoit dcsmis deux
costes en la pressant de sortir de chez elle ; puis, elles estoient rompues.
Enfin, elle n'en osa plus parler. Le Premier président a empesché que
cela ne fiist plaidé ; il en a fait un procez par escript.
496 LES HISTORIETTES.
gros. En revanche, M. de Pisani avoit beaucoup
d'esprit et beaucoup de cœur. De peur qu'on ne le
fist d'église, il ne voulut jamais estudier ny mesme
lire en françois, et il ne commença à y prendre, quel-
que goust que quand on imprima la traduction de
ces huit oraisons de Ciceron, dont il y en a trois de
''1;s?X'"Sfn-io"'' M. d'Ablancourtetune de M. Patru*. Il les aimoitet
les lisoit à toute heure. 11 raisonnoit comme s'il eust
eu toute la logique du monde dans la teste. Il avoit
l'esprit adroit, et chez les dames il estoit quelquefois
mieux receû que les mieux bastis : un peu desbaus-
ché et pour les femmes et pour le jeu. Un jour, pour
avoir de l'argent, il fit accroire à son père et à sa
mère, qui en vingt-huict ans n'avoient couché qu'une
nuict à Rambouillet, qu'il y avoit du bois mort dans
le parc et qu'il le faudroit ostcr; et en ayant eu la
permission, il fit couper six cens cordes du plus beau
et du meilleur. Il disoit à Monsieur le Prince en dis-
putant , car ils disputoient souvent : « Faittes-moy
» prince du sang au lieu de vous, et ayez toutes les
» raisons du monde : je gaigneray tousjours contre
» vous. » Il voulut le suivre en toutes ses campagnes,
quoyque ce fust une terrible figure à cheval que le
marquis de Pisani. On disoit que c' estoit le chameau
du bagage de Monsieur le Prince. Il y fut tué enfin :
23AO.U164S. ce fut à la bataille de Nortlingue *. Il estoit à l'aisle
du mareschal de Grammont , qui fut rompue. Le
chevalier de Grammont luy cria : « Viens par icy,
» Pisani, c'est le plus seur. » Il ne voulut pas appa-
remment se sauver en si mauvaise compagnie, car
LA MARQUISE Dli: RAMBOUILLET. !l91
le Chevalier estoit fort descrié pour hi bravoure ; il
alla par ailleurs, et rencontra des Cravates ^ qui le ^"Jourd'unc^'^^x
massacrèrent.
Il faut que je conte une chose de luy qui est plai-
sante. M'"'= de Rambouillet, qui a l'esprit délicat,
disoit qu'il n'y avoit rien plus ridicule qu'un homme
au lict, et qu'un bonnet de nuict est une fort sotte
coiffure. M""" de Montauzier avoit un peu plus d'a-
version qu'elle pour les bonnets de nuict; mais
M"' d'Arquenay, aujourd'huy abbesse de Saint-Es-
tienne de Rheims, estoit la plus deschaisnée contre
ces pauvres bonnets. Son frère un jour l'envoya prier
de venir jusques dans sa chambre. Elle n'y fut pas
plus tost, qu'il ferme la porte au verrou ; inconti-
nent cinq ou six hommes sortent d'un cabinet avec
des bonnets de nuict , qui à la vérité avoient des
coiffes bien blanches, car des bonnets de nuict sans
coiffes eussent esté, capables de la faire mourir de
frayeur. Elle s'escrie, et veut s'enfuyr : « Jésus! ma
» sœur, » luy dit-il, «pensez-vous que je vous aye
» voulu donner la peine de venir icy pour rien? non,
>) non, vous ferez collation , s'il vous plaist. » Quoy
qu'elle pust faire ou dire, il fallut se mettre à table
et manger de la collation que ces gens à bonnets
de nuict leur servirent. Depuis cela , le marquis de
Montauzier, instruit de cette petite aversion, jusqu'à
la grande blessure qu'il receût au combat de Mon-
tansais, en 1652 "", coucha tousjours avec sa femme ' ^e 7 juin.
1 II fut marié en 1045.
II. 32
498 LES HISTORIETTES.
sans bonnet de nuict, quoyqu'elle le priast d'en
prendre. C'est ce qui a fait dire que les véritables
précieuses ont peur des bonnets de nuict '.
Revenons an plaisir qu'avoit M™* de Rambouillet
à surprendre les gens. Elle fit faire un grand cabi-
net avec trois grandes croisées, à trois faces diffé-
rentes, qui respondoient sur le jardin des Quinze-
Vingts , sur le jardin de l'hostel de Chevreuse, et
sur le jardin de l'hostel de Rambouillet. Elle le fit
bastir, peindre et meubler, sans que personne de
cette grande foule de gens qui alloient chez elle s'en
fust aperccû. Elle faisoit passer les ouvriers par-des-
sus la muraille, pour aller travailler de l'autre costé,
car ce cabinet est en saillie sur le jardin des Quinze-
p.Arnauit.ienicstrc- Vlngts. Lo scul M. Aoiaut * cut la curiosité de mon-
de-camp. "^
ter sur une eschelle qu'il trouva appuyée à la mu-
raille du jardin ; mais quelqu'un l'appella qu'il
n'estoit encore qu'au second eschelon ; depuis il n'y
pensa plus. Un soir donc qu'il y avoit grande com-
pagnie à l'hostel de Rambouillet, tout d'un coup on
entend du bruit derrière la tapisserie, une porte
s'ouvre, et M"' de Rambouillet, aujourd'huy M'"" de
Pisani.— voy. His- * Voiture et luy*, comme nous dirons ailleurs, avoient une grande
orte e oi urc. j^j^jj^j^ j'^^ p^yj. l'autre. Une fois M. de Pisani, durant une grande
gelée, dit à quelqu'un : » Tenez, je n'ay qu'une chemise. — Hé ! com-
» ment pouvez-vous faire ? » dit l'autre. — « Comment je fais ? » reprit-
il; M je tremble tousjours de froid. »
Il y avoit un gros gueux ;\ la porte de l'hostel de Rambouillet.
Un jour, comme il luy dcmandoit, M"" la Marquise dit : « Il faut
» donner à ce pauvre homme. — Je m'en garderay bien, » dit-il, « je
» veux qu'il me preste de l'argent. J'ay ouy dire qu'il avoit plus de
» mille escus. »
LA MARQUISE DE R A ArBOUTLLET. /l99
Montauzier, vestue superbement, paroist dans un
grand cabinet tout à fait magnifique, et merveilleu-
sement bien esclairé. Je vous laisse à penser si le
monde fut surpris. Ils sça voient que derrière cette
tapisserie il n'y avoit que le jardin des Quinze-
Vingts', et sans en avoir eu le moindre soupçon, ils
voyoient un cabinet si beau, si bien peint, et pres-
que aussy grand qu'une chambre, qui sembloit ap-
porté là par enchantement. M. Chapelain, quelques
jours après, y fit attacher secrètement un rouleau de
velin où estoit cette ode, où Zirfée, reyne d'Argen-
nes, dit qu'elle a fait cette loge pour mettre Arthe-
nice à couvert de l'injure des ans ; car, comme nous
dirons bientost, M™^ de Rambouillet avoit bien des
incommoditez. Auroit-on cru , après cela , qu'il se
fust trouvé un chevalier, et encore un chevalier qui
descend d'un des neuf preux -, qui, sans respecter la
reyne d'Argennes ny la grande Arthenice, ostastà ce
cabinet , que depuis on appella la loge de Zirfée,
une de ses plus grandes beautez? car M. de Che-
vreuse s'avisa de bastir je nesçay quelle garde- robe,
dont la croisée qui donnoit sur son jardin fut bou-
chée*. On luy en fit des reproches. « Il est vray, » ch^vr«fs"eVtom^'1^
dit-il, « que M. de Rambouillet est mon bon amy et
» mon bon voisin , et que mesme je luy dois la vie;
1 Dans ce jardin, — c'est plutost un clos par-delà le jardin, — elle a
si bien fait, qu'on luy a permis de planter une allée de sycomores
sous ses fenestres, et de semer du foin dessous. Elle se vante d'estre
la seule dans Paris qui voye de la fenestre de son cabinet faucher
im pré.
2 Godefroy de Bouillon.
p. 41S.
500 LES HISTORIETTES.
» mais où vouloit-il que je misse mes habits? » Notez
qu'il avoit quarante chambres de reste.
Depuis la mort de M. de Rambouillet, M"" deMon-
tauzier a fait de T appartement de monsieur son père
un appartement magnifique et commode tout en-
semble. Quand il fut achevé, elle voulut le dédier, et
pour cela elle y donna à souper à madame sa mère.
Elle, sa sœur de Rambouillet et M'"' de Saint-Estienne,
qui estoit alors icy religieuse , la servirent à table,
sans que pas un homme, pas mesme M. de Montau-
zier^ cust le crédit d'y entrer. M'"" de Rambouillet
fit aussy quelque chose à son appartement qui n'est
pas moins beau ny moins bien pratiqué, et je me
souviens qu'on disoit à la mère et à la fille, voyant
tant d' alcôves et d'oratoires, qu'elles prenoient tous
les ans quelque chose sur l'hostel de Chevreuse pour
venger l'injure qu'on avoit faitte à Zirfée.
Un jour M'"" de Rambouillet, entrant dans ce ca-
binet , apperceût assez loing un grand jet d'eau
qu'elle n'avoit point accoustumé de voir. Ce jet
d'eau estoit dans le parterre du logement de Made-
moiselle \ On descouvre ce parterre aisément de
cette loge. Elle considéra qu'il n'y avoit pas si loing
qu'on ne pust conduire cette eau facilement dans
le jardin de l'hostel de Rambouillet. Elle parle à
M""" d'Aiguillon pour en avoir la descharge ; car la
fontaine de l'hostel de Rambouillet n'a qu'un filet
d'eau. M""' d'Aiguillon fut quelque temps sans luy
1 On avoit dessein d'y faire un bassin, depuis on n'y pensa plus.
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. 501
en rendre response : elle luy envoya ce madrigal
pour Ten faire ressouvenir, car elle en a fait quel-
quefois de bien jolys :
MADRIGAL.
Orante, dont les seings obligent tout le monde,
Gardez que le cristal dont se forme cette onde,
Qui dans le grand parterre a son Ihrosne cstably,
A la fin ne se perde au fleuve de l'oubly.
Mais il se trouva que cette eau n'avoit esté con-
duitte là qu'afin de la conduire après au Palais-
Cardinal, c'est-à-dire que, comme il la falloit faire
passer par là auprez, il fut de la bienséance d'en
donner un peu à Mademoiselle ; mais la descharge
estoit pour remplir le grand rondeau du Palais-
Cardinal.
Il est temps de parler des incommoditez de
M"'" de Rambouillet. Elle en a une dont il faut dire
l'histoire, si on peut parler ainsy, car cela a fait
croire à ceux qui ne voyent les choses que de loing,
qu'il y avoit de la vision.
M"" de Rambouillet pouvoit avoir trente-cinq ans
ou environ*, quand elle s'apperceût que le feu luy
eschauffoit estrangement le sang , et luy causoit des
foiblesses. Elle qui aimoit fort à se chauffer ne s'en
abstint pas pour cela absolument ; au contraire, dez
que le froid fut revenu, elle voulut voir si son in-
commodité continueroit ; elle trouva que c'estoit en-
core pis. Elle essaya encore l'hyver suivant, mais
elle ne pouvoit plus s'approcher du feu. Quelques
Chaiiips-lilysées.
502 LES IIISTORlEÏTlîS.
années après, le soleil luy causa la mesme incom-
modité : elle ne se vouloit pom'tant point rendre,
car personne n'a jamais tant aimé à se promener et
à considérer les beaux endroits du paysage de Paris.
Cependant il fallut y renoncer, au moins tandis
qu'il faisoit soleil, car une fois qu'elle voulut aller
à Saint-Cloud, elle n'estoit pas encore à l'entrée du
Jié ^gauc^des' Cours* qu'elle s'esvanouit, et on luy voyoit visible-
ment, car elle a la pea,u fort délicate , bouillir le
sang dans les veines. Avec l'âge, son incommodité
s'augmenta ; je luy ay veû une eresipelle pour une
poisle de feu qu'on avoit oublié par mesgarde sous
son lict. La voylà donc rcduitte à demeurer presque
tousjours chez elle, et à ne se chauffer jamais. La
nécessité luy fit emprunter des Espagnols l'inven-
tion des alcôves, qui sont aujourd'huy si fort en
vogue à Paris. La compagnie se va chauffer dans
l'antichambre ; quand il gelé, elle se tient sur son
lict, les jambes dans un sac de peau d'ours, et
elle dit plaisamment, à cause de la grande quantité
de coiffes qu'elle met l'hyver, qu'elle devient sourde
à la Saint-Martin, et qu'elle recouvre l'ouye à Pas-
ques. Pendant les grands et longs froids de l'hyver
passé*, elle se hazarda de faire un peu de feu dans
une petite cheminée qu'on a pratiquée dans sa pe-
tite chambre à alcôve : on mettoit un grand escran
du costé du lict, qui, estant plus esloigné qu'autre-
fois, n'en recevoit qu'une chaleur fort tempérée.
Cependant cela ne dura pas long-temps, car elle
en receût à la fin de l'incommodité ; et cet esté
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. 503
qu'il a fait un furieux chaud, elle en a pensé
mourir, quoyque sa maison soit fort fraisclie '.
' Au dernier voyage qu'elle fit à Rambouillet, devaut'jles Barricades,
elle y fit des prières pour son usage particulier, qui sont fort bien es-
crittes. Ce fut M. Conrart à qui elle les donna pour les faire copier
par Jarry, cet homme qui imite l'impression, et qui a le plus beau
caractère du monde. Il les fit copier sur du velin, et après les avoir
fait relier le plus galamment qu'il put, il en fit un présent à celle qui
en estoit l'auteur, s'il est permis d'user du masculin quand on parle
d'une dame. Ce Jarry disoit naïfvement : " Monsieur, laissez-moy
» prendre quelques-unes de ces prieres-là, car dans les Heures qu'on
» me fait copier quelquefois, il y en a de si sottes que j'ay honte de
» les transcrire. »
Dans ce voyage de Rambouillet, elle fit dans le parc une belle chose;
mais elle se garda de le dire à ceux qui la furent voir. J'y fus attrapé
comme les autres. Chavaroche, intendant de la maison, autrefois gou-
verneur du marquis de Pisani, eut charge de me faire tout voir. Il me
fit faire mille tours; enfin il me mena dans un endroit où j'entendis
un grand bruit, comme d'une grande cheùtc d'eau. Moy qui avois
tousjours ouy dire qu'il n'y avoit que des eaux basses à Iiambouillet,
imaginez-vous à quel poinct je fus surpris, fiuand je vis une cascade,
un jet et une nappe d'eau dans le bassin où la cascade tomboit ; un
autre bassin en suitte avec un gros bouillon d'eau, et au bout de tout
cela un grand carré, où il y a un jet d'eau d'une hauteur et d'une
grosseur extraordinaire, avec une nappe d'eau encore, qui conduit
toute cette eau dans la prairie où elle se perd. Adjoustez que tout ce
que je viens de vous représenter est ombragé des plus beaux arbres
du monde. Toute cette eau venoit d'un grand estang * qui est dans orgue'n'^nvjour'rhiiT
le parc, en un endroit plus élevé que le reste. Elle l'avoit fait con- '■"' Servie.
duire par un tuyau hors de terre, si à propos que la cascade sortoit
d'entre les branches d'un grand chesne, et on avoit si bien entrelassé
les arbres qui estoient derrière celuy-là, qu'il estoit impossible de des-
couvrir ce tuyau. La Marquise, pour surprendre M. de Montauzier, qui
y devoit aller, fit travailler avec toute la diligence imaginable. La veille
de son arrivée, on fut obligé, la nuict estant survenue, de mettre plu-
sieurs lanternes sur les arbres et d'esclairer aux ouvriers avec des flam-
beaux. Mais sans conter pour rien le plaisir que luy donna le bel etfect que
faisoient toutes ces lumières entre les feuilles des arbres et dans l'eau
des bassins et du grand carré, elle eut une joye estrange de l'estonne-
ment où se trouva le lendemain le Maïquis, (jinuid on \\\y monstra tant
de belles choses.
5()ii LES mSTOlUET TES.
M""-' de Rambouillet u tousjours un peu trop af-
fecté de deviner certaines choses. Elle m'en a conté
plusieurs qu'elle avoit devinées ou predittes. Le feu
Roy estant à l'extrémité, on disoit : « Le Roy
') mourra aujourd'huy ; » puis : « il mourra demain. »
— « Non, » dit-elle, « il ne mourra que le jour de
» l'Ascension, comme j'ay dit il y a un mois. » Le
matin de ce jour-là on dit qu'il se portoit mieux :
elle soustint tousjours qu'il mourroit dans le jour; en
effect, il mourut le soir '. Elle ne le pouvoit souf-
frir ; il luy desplaisoit estrangement : tout ce qu'il
faisoit luy sembloit contre la bienséance. M"" de
Rambouillet - disoit : « J'ay peur que l'aversion que
» ma mère a pour le Roy ne la face damner. »
Elle devina, en regardant par la fenestrc à la
campagne, qu'un homme qui venoit à cheval estoit
un apothicaire. Elle le luy envoya demander, et
cela se trouva vray. Lue fois M"" de Bourbon et
M""" de Rambouillet se divertissoient à deviner le
nom des passans. Elles appelleront un paysan :
« Compère , ne vous appellez-vous pas Jean ? —
') Ouy, Mesdemoiselles, je m'appelle Jean à
» vostre service! »
Elle est un peu trop complimenteuse pour cer-
taines gens qui n'en valent pas la peine ; mais c'est
un défaut que peu de personnes ont aujourd'huy,
car il n'y a plus guères de civilité. Elle est un peu
' Elle dit aussy i\ Madame la Princesse qu'elle accouclieroit le joui
de la Nostrc-Dame.
2 ]vimc jI(_. Moiitauzier.
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. 505
trop délicate, et le mot de teigneux dans une satyre
ou dans une epigramme luy donne, dit-elle, une
vilaine idée. On n'oseroit prononcer le mot de cul ;
cela va dans l'excès, surtout quand on est en liberté.
Son mary et elle vivoient mi peu trop en cérémonie.
Hors qu'elle bransle un peu la teste, et cela luy
vient d'avoir trop mangé d'ambre autrefois, elle
ne choque point encore, quoyqu'elle ayt près de
soixante-dix ans '. Elle a le teint beau, et les sottes
gens ont dit que c'estoit pour cela qu'elle ne vouloit
point voir le feu, comme s'il n'y avoit point d'escrans
au monde. Elle dit que ce qu'elle souhaitteroit le
plus pour sa personne, ce seroit de se pouvoir
chauffer tout son saoul '. Une maladie luy rendit
les lèvres d'une vilaine couleur; depuis elle y a
tousjours mis du rouge : j'aymerois mieux qu'elle
n'y mist rien. Au reste, elle a l'esprit aussy net, et
la mémoire aussy présente que si elle n' avoit que
trente ans. C'est d'elle que je tiens la plus grande
et la meilleure partie de ce que j'ay escrit et que
j'escriray dans ce livre ^ Je la trouve un peu trop
persuadée, pour ne rien dire de pis, que la mai-
son des Savelles est la meilleure maison du monde.
' Elle a vescu soixante-dix-huit ans, et n'avoit rien de desgoustant.
2 Elle alla à la campagne rautomne passé, qu'il ne faisoit ny froid
ny chaud; mais cela luy arrive rarement, et ce n'estoit qu'à une
demie lieue de Pai'is.
5 Elle lit toute une journée sans la moindre incommodité, et c'est
ce qui la divertit le plus.
506 KKS inSTORlinTES.
COMMENTAIRE.
J.— P. 48G, lig. 15.
Ce n'est pas qu'elle n'aimasl le divertissement , mais c'estoit en
particulier.
Dès 1G13, elle pouvoit avoir vingt-cinq ans, M°' de Rambouillet tenoit
des assemblées chez elle. « Il y a trois ou quatre jours, » écrit Mal-
herbe à Peiresc , le 6 septembre de cette année, « qu'il me fut montré
» chez M^« de Rambouillet, par un honneste homme, une pièce d'or
» de la grandeur de nos petites pistoles qui ont en cspaisseur ce qui
» leur desfaut en largeur. Il y a d'un costé un cheval et de l'autre
» une cloche, le tout bien visible. »
Avant la mort du père de la Marquise, le second hôtel de Kambouillet
se nommoit l'hôtel Pisani, plus anciennement l'hôtel d'O, et l'hôtel de
Noirmotistiers. Il touchoil aux murs des Quinze-vingts à la droite de la
vue Saint-Thomas-du-Loitvre (qu'on vient de jeter bas), et vers la rivière,
à gauche, à l'hôtel de Clievreuse. Après M""* de Rambouillet , il devint
\'hôt(il lHontauzier , puis l'hôtel à'Uzcs , puis l'hôtel de Crussol; et
comme il y avoit eu un premier hôtel de Crussol qui touchoit aux jar-
dins de l'hôtel de Chevreuse, vers le Carrousel, on les a souvent confon-
dus l'un avec l'autre. C'est sur l'emplacement de l'hôtel de Rambouillet
que de notre temps avoit été construit le théâtre du Vaudeville, brûlé
le 18 juillet 1836. A la place du théâtre s'élevèrent de nouvelles
maisons; aujourd'hui, il y a un bel et surtout grand espace. Sic transit
gloria mundi.
« La Chambre bleue, » dit Sauvai, <i si célèbre dans les œuvres de
» Voiture, estoit parée d'un ameublement de velours bleu , rehaussé
» d'or et d'argent... c'estoit le lieu où Arthenice recevoit ses visites.
» Les fenestres, sans appuy, qui régnent de haut en bas, depuis son pla-
» fond jusqu'à son parterre, la rendent très gaye, et laissent jouir sans
1) obstacle de l'air, de la veue et du plaisir du jardin. » [Antiq. de Paris,
lom. II, p. 201.) Il dit un peu plus haut: « Son goust, fin et savant
» tout ensemble, a descouvert A nos architectes des grandeurs, des
» commodités et des perfections ignorées mesme des anciens, et que
» depuis ils ont répandues dans tous les logis propres et superbes. »
II. — P. /|87, lig. 10.
C'est ce qui a donné lieu à cette ingénieuse badinerie, sur le Valentin.
C'est la lettre (luatrc-vingt-quinzième de Voiture:
« Madame,
» J'ai veù pour l'amour de vous le Valentin , avfc plus d'attention
LA JVIAUQUISE DE RAMBOUILLET. 507
), que je n'ay jamais fait aucune cliose, et puisque vous desirez que je
,= vous en fasse la description , je le feray le plus exactement qu'il me
.) sera possible... Le Valentin, Madame, est une maison qui est à un
,, quart de lieue de Turin, située dans une prairie, et sur le bord du
» Po. En arrivant, on trouve d'abord, — je veux mourir si je sçay ce
» qu'on trouve d'abord. Je croy que c'est un perron : non, non, c'est un
» portique: je me trompe, c'est un perron. Par ma foy, je ne sçay si
,, c'est un portique ou un perron. Il n'y a pas une heure que je sçavois
» tout cela admirablement, et ma mémoire m'a manqué. A mon retour,
» je m'en informeray mieux et je ne manqueray pas de vous en faire le
» rapport.
» Je suisj etc.
.) Gènes, le 7 octobre 1638. »
m. —P. 488, lig. II.
H envoijn le père Joseph chez A/"^ de Rambouillet.
Segrais raconte différemment la même tentative du cardinal de Ri-
chelieu, mais la relation de notre des Réaux est plus naturelle et doit
être plus exacte. On en jugera : « M""^ de Rambouillet estoit admirable.
» Elle estoit bonne, douce, bienfaisante, et accueillante ; elle avoit l'es-
» prit droit et juste. C'est elle qui a corrigé les meschantes coustumes
» qu'il y avoit avant elle -, elle s'estoit formé l'esprit dans la lecture
)) des bons livres italiens et espagnols, et elle a enseigné la politesse
» à tous ceux de son temps ciui l'ont fréquentée... Le cardinal de Ri-
» chelicu luy envoya une fois Roisrobert , pour luy demander son
» amitié, mais à une condition trop onéreuse pour elle ; car Boisrobert
» luy dit que le Cardinal la prioit, en amie, de luy donner avis de ceux
» qui parloient de luy dans les assemblées qui se tenoient chez elle.
» Elle respondit qu'ils estoient si fortement persuadés de la considera-
» tion et de l'amitié qu'elle avoit pour Son Eminence, qu'il n'y en avoit
» pas un seul qui eust la hardiesse de parler mal de luy en sa présence,
>, et ainsy qu'elle n'auroit jamais l'occasion de luy donner de semblables
» avis.... C'est elle qui a introduit les appartenions à plusieurs pièces
» de plain-pied ; de sorte que l'on entroit chez elle par une enfilade de
» salles, d'antichambres, de chambres et de cabinets. » {Segraisiana,
Paris, 1721, p. 26.)
IV. —P. 490, lig. 4.
Encore aujourd'huy on appelle une certaine roche... la marmitte de
Rabelais.
Cela est confirmé par M. Auguste Moutié , le récent et judicieux
liistorien du château de Ramljouillct. « Le lieu, » dit-il, « est entouré
I
508 LES HISTORUiTTES.
» d'eau et est appelé l'île des Roches. On y voit encore la grotte
» de Rabelais, dans une roche naturellement creuse, où l'art a consi-
» dérabicinent aidé la nature, comme on peut s'en convaincre au
j premier coup d'œil. » (P. 48.)
Il y avoit une autre roche alors appelée le Cheval-Griffon ; elle n'y
est plus connue aujourd'hui. » Je vous assure, » dit Voiture ù M""= de
Rambouillet, dans la cent cinquantième lettre , « que ce jour-cy ne se
1) passera pas sans que je souhaitte beaucoup de fois de voir le Che-
» val-Griffon et vous, et d'estre de la promenade que vous ferez. »
La terre de Rambouillet etoit dans la maison d'Angennes depuis
la fin du xiv'= siècle. Elle avoit été achetée par Rcmaud d'Angennes,
sieur de la Loupe, de Guillaume Dernier, fils d'un mahredes requêtes
de l'hôtel du Roi. Ses dcscendans furent Jean P"', déjà surnommé Sapin,
comme un de ses oncles et son fils; — Jean II, Charles P% Jacques P%
dont les huit fils etoient appelés les Sapins de nambomllet; un d'eux
fut le cardinal de Rambouillet, evèque du Mans ; la barhonncrie de la
barbe, est de ce Jacques I*^ — Jacques II, héritier de son frère Nicolas,
mourut en 1011, et fut le beau-père de notre marquise de Rambouillet.
Le duc de Montauzier hérita de Rambouillet après la mort de sa
belle-mère. Puis la terre échut à Emmanuel de Crussol, duc d'Uzès,
époux de « la petite Montauzier, » Marie Julie de Sainte-Maur. Ram-
bouillet fut ensuite vendu par autorité de justice, et adjugé à Joscpli-
Jeaii-Baptiste Fleuriau d'Armcnonville , directeur général des finances ,
<iui s'en défit en 1706 au profit de Louis-Alexandre do Bourbon, comte
de Toulouse, fils de M""* de Montespan.
« Rambouillet, » dit M. Moutié qui nous a fourni ce dénombrement,
« tel que l'a laissé la Révolution, fut compris dans la liste civile impé-
» riale, constituée en 1805; il fit ensuite partie des listes civiles de
» Louis XVIII et de Charles X; et il est aujourd'hui régi par l'admi-
» nistration des domaines. »
Ce goût pour les deguisemens champêtres et mythologiques etoit
un effet de la grande vogue de YAslrve, de VAmailis et de la Diane, de
VAminte et des autres Bergeries italiennes. Voiture, dans sa deuxième
lettre adressée à M. de Rambouillet, alors ambassadeur en Espagne,
voulant parler de Julie d'Angennes : « C'cstoit celle-là mesme, Monsieur,
» qui eu une autre rencontre avoit esté tant admirée sous le nom et
» les habits de Piramc, et qui une fois s'apparut dans les roches de
1) Rambouillet , avec l'arc et le visage de Diane. » Dans sa dixième
lettre , il décrit encore une autre fête pareille donnée par M""' du
Vigcan à la princesse de Condé. Aussi le chemin le plus court, poui'
arriver aux portraits de toutes ces illustres dames, seroit-il de les
chercher parmi les Diane, les Pliylis, les Cerès el les Nymphes boca-
gères (|ui restent en si grand nombre chez les marchands de tableaux.
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. 509
V. — P. 49il, note, lig. 20.
L'hostel d'Uierre tousche l'hostel de Sens.
C'etoit une maison acquise en 1182 par Eve, troisième abbesse d'Yer-
res , et qu'on nommoit auparavant la maison de la Pie. La rue des
Nonnains-d'Veircs en a pris son nom. Au xvii" siècle, on prononçoit en-
core Nonnains d'Iarrc, parce qu'on a rendu le mot latin Iledcra, tantôt
par Viarre et tantôt par iejrc : d'où l'usage de liard et de lierre, sui-
vant les provinces. Ronsard et du Bellay avoient essaye vainement de
résister à cet usage. Le premier avoit dit dans sa deuxième eglogue :
J'ay pour maison un nntre en un rocher couvert;
De lambrusclie sauvage et «Vhierre couvert.
Mais on se moqua de son liierre et de sa lamhnische.
Quant au Factum de M™° d'Uierre, la marquise de Rambouillet, sa
mère, y fit une réponse en 1G62. On la trouve parmi les portefeuilles de
Conrart, à l'Arsenal.
L'Historiette de M"^ d'Hierre, écrite vers 1GG3, offre des détails
(lu'on chercheroit inutilement dans la Gallia cliristiana.
VL — P. 493, lig. 1.
Un garçon... qui mourut A huit ans.
En 1C31. Voiture, à cette occasion, écrivit une lettre à M*^* de
Rambouillet, depuis duchesse de Montauzier. C'est la treizième des
premières éditions.
Pour le marquis de Pisani, le bossu, les complimens de condoléance
arrivèrent de toutes parts à l'hôtel namhouillet. Heinsius donna
l'epitaplie latine : « In marchionem Pisanium , pra3lii Nordlingani
» fortiter dimicando occumbenteni. »
Le poète Petit, en apprenant cette mort, adressa les vers suivans
à la Marquise :
Pourquoy versez-vous tant de larmes?
Pisani ne pouvoit avoir un plus lieau sort :
Au lit d'honneur il a trouvé la mort.
Cherchant la gloire dans les armes.
Son corps est couvert de lauriers ,
Parmy tant d'illustres guerriers
Dont le sang arrouse la plaine;
Madame, recevez ce grand corps abattu,
Et rappelez vostre vertu.
Vous pleurez un tel filz, et vous estes Romaine!
[Recueil de Sercy, 2» partie, 1662, p. 277.
510 1 ES HISTORIIÎTTIÎS.
VII. —P. /i97, lig. 17.
Des bonnets de n uict sans coiffes.
Autrefois le bonnet de nuit n'etoit pas aussi décrié qu'il l'est au-
jourd'hui : mais il faut reconnoître que nous en avons seulement le
squelette. Il etoit accepté, môme de jour, dans l'intérieur des appar-
temens ; il le fut plus encore dans le xviii* siècle. Le nombre des
portraits d'hommes en bonnet de coton est fort considérable pour cette
dernière époque. Tandis que la perruque etoit dressée dans un coin
d'honneur sur un pieu, le bonnet demeuroit sur la tête, enveloppé
d'une sorte de chemise ou coiffe en toile fine et serrée par un
large ruban couleur de rose. Cela valoit bien, après tout, nos cas-
quettes et nos calottes grecques. Aujourd'hui ou demain, qui sait?
notre affection pour les Porte-turbans et notre haine des bonnets
grecs prépareront peut-être le retour au bonnet de coton.
Un autre usage assez général et constaté par un bon mot de
Pisani : « Tenez, je n'aij qu'une chemise., » etoit de mettre dans les
jours d'hyver plusieurs chemises, pour mieux se préserver du froid.
On se chaufloit moins bien et l'on se couvroit beaucoup plus: témoin
encore les nombreuses chemisettes et paires de bas de Malherbe.
{nistor. ,iom. i, p. 291.) Bossuet, en hiver, travailloit toute la matinée,
(ainsi que me l'apprend son excellent historien, M. Flocquet),les pieds
enfermés comme M""* de Rambouillet, dans un grand sac de peau.
VIII, — P. 699, lig. 9.
M. Chapelain... fit attacher... cette ode ùû Zirfée, reine d'Argennes,
dit., etc.
Zirphée, reine d'Argennes, tante de Niquée et sœur de Zarzafiel,
Soudan de Babylone. Cotte princesse dissimulée avoit longtemps retenu
enchantés Liswar de Grèce et son amante , la princesse Gradafilée.
{Amadis, liv. vu, ch. 25, et liv. viii, ch. 18.) On avoit pris les aventures
de Zirphée pour un des sujets du célèbre carrousel de la place Royale,
en 1612. (Voy. Ventrée des Amadis, dans le roman des Chevaliers de ta
gloire, par Rosset. Paris, 1616, in-/,".)
Les stances de Zirphée., reine d'Argennes à la cour d'Arthenice, sont
dans le Recueil de Sercy, 5* partie, 1660, p. 405. L'auteur n'y est
pas nommé, et des Réaux, seul, nous apprend ici que c'estoit Cha-
pelain. Les couplets suivans ont semblé les meilleurs :
Son vaste i^opur en ces bas lieux
l'oiir remplir sa grandeur ne voit rien d'assez ample;
lit mm esprit prodi};iciix
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. 511
!îst l'exemple |)tiblic, mais sans avoir «l'exemple;
Ue douce majesté son corps est revestvi,
Kt ((iii le (letruiroit, il detriiiroit le temple
De l'honneur et de la vertu
Mais le ciel, d'où vient sa clarté ,
Pense à la retirer et l'envie à la terre;
Et ravissant sa liberté.
Par cent maux, pour l'avoir, il luy livre la guerre ; ,
nien d'un si fier dessein ne peut le divertir,
Il la veut posséder, et montre le tonnerre
A qui n'y voudra consentir. .. .
Urgande sceiit bien autrefois,
Kn faveur d'Amadis et de sa noble bande,
Par ses charmes fixer les lois
Du Temps, à qui les cieux veulent que tout se rende.
J'ay deù faire h vos yeux ce qu'on a fait jadis.
Conserver Arthénice avec l'art dont Urgande
A sceû conserver Araadis.
Par la puissance de cet art
J'ay construit cette loge aux maux inaccessible.
Du temps et du sort <i l'écart, •
Franche des changemens de l'estre corruptible.
Pour qui, seule, en roulant, les cieux ne roulent pas ;
Bref, où ne montrent pas leur visage terrible
La vieillesse ny le trespas.
Cette incomparable beauté.
Que cent maux attaquoient et pressoient de se rendre.
Par cet édifice enchanté
Trompera leurs efforts et s'en pourra défendre;
Elle y brille en son trosne, et son éclat divin
De ]<i sur les moi-tels va désormais s'espandre
Sans nuage,»eclipse ny fin
Au reste personne ne pouvoit mieux parler de la Loge de Zyrphée
que celle qui en avoit conçu le plan. Voici une lettre inédite de la
marquise de Rambouillet, adressée, le 26 juin 1642, à Godeau, evéque
de Vence ; « Monsieur , si mon poëte-carabin * ou mon carabin-
» poëte estoit à Paris, je vous ferois response en vers, et non pas en
« prose ; mais par moy-mesme je n'ay aucune familiarité avec les
» Muses. Je vous rends un million de grâces des biens que vous me
» desirez, et pour rescompense, je vous souhaitte à tous momens dans
» une loge^ où je m'asseure. Monsieur, que vous dormiriez encore
» mieux que vous ne faittes à Vence. Elle est soutenue par des co-
» lonnes de marbre transparent, et a esté bastie au-dessus de la
» moyenne région de l'air par la reyne Zirphée. Le ciel y est toujours
» serein ; les nuages n'y offusquent ny la vue ny l'entendement, et de
» là tout à mon aise j'ay considéré le trebuchement de l'ange terrestre.
» Il me semble qu'en cette occasion la fortune fait voir que c'est une
512 LES UISTORIlîTTES.
» médisance que de dire qu'elle n'aime que les jeunes gens, et parce
» que, non plus que ma loge, je ne suis pas sujette au changement,
» vous pouvez vous asseurcrque je scray, tant que je vivray, Monsieur,
» votre très-humble servante. Signé de Vivonne. » {Manuscrits de Con-
rart. Recueil in-Zi", tom. xiv, p. 53. Bibliothèque de l'Arsenal.) La copie
est de la main de Conrart.
IX. — P. 500, lig. 26.
La fontaine de t'Iwstel de Rambouillet n'a qu'un filet d'eau.
Malherbe a fait cette inscription pour elle :
Voy-tu, passant, couler cette onde.
Et s'ccouler incontinent?
Ainsy fuit la gloire du inonde,
Et rien que Dieu n'est permanent.
Les vers charmans de M"' de riambouillet et tout ce récit de des
Réaux doivent faire partie de l'histoire du beau bassin du Palais-
Royal. Le Rondeau convoité par la marquise a déserté la cour des
Tuilefies; il a même changé plusieurs fois de place dans le jardin du
Palais-Royal, avant d'Otre tel qu'on le voit aujourd'hui.
Mademoiselle occupoit un des deux pavillons des Tuileries. La cour
etoit alors dessinée en parterre; on peut voir la distribution du jardinet
du jet d'eau dans le plati des édifices principaux de Paris ; Gaspard
Merian, Francfort, 1C55. M""' de Rambouillet pouvoit de ses fenêtres
apercevoir le jardin de Mademoiselle, dont le séjour aux Tuileries a
été consacré par les poètes du temps. Voyez entre autres le Monologue
de CoUctet, au commencement de la Comédie des Tuileries^ par les
Cinq auteurs. Lorct dit dans sa Muse du 28 avril 1G52 :
Ces jours passés, dans le logis
Du sage monsieur de Congis,
11 a couru quelque nouvelle
Qu'on dclogeoit Mademoiselle
(Par un royal commandement)
De ce superbe appartement.
Dont la riche magnifîcenee
Est si digne de sa naissance.
Cette belle babitation
En raoïn-rolt d'appréhension,
Et les Nymphes des Tuilleries
En estoient déjà Irès-niaries;
Mais on pense qu'un meilleur temps
Réunira les mescontens.
X. — P. 503, note, lig. U.
Jarry, cet homme qui imite l'impression.
Des Réaux est peut-être le seul contemporain (jui nous ait parlé de
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. 513
l'admirable talent de ce Nicolas Jarry, dont tous les ouvrages sont
aujourd'hui si recherchés. Maintenant , les heureux possesseurs de ses
livres d'Heures ne manqueront pas d'examiner de plus près leurs exem-
plaires, pour voir s'ils ne contiendroient pas les pièces que la marquise
de Rambouillet avoit composées. On sent quel prix une pareille décou-
verte ajouteroit encore à ces délicieuses raretés.
XL — P. 505, lig. II.
Cela m dans l'excez, surtout quand on est en liberté.
L'observation, de la part de des Réaux, un des plus vrais admi-
rateurs de M"' de Rambouillet, montre toute la portée des réformes
admises dans la société, sous l'influence de cette femme illustre.
Notre auteur, élevé à si bonne école, auroit certainement bien fait d'en
profiter plus constamment.
Ménage nous a conservé, dans son commentaire des poésies de Mal-
herbe, l'epitaphe de la Marquise, faite par elle-même, peu de temps
avant sa mort :
Icy gist Arthenice, exempte des rigueurs
Dont la rigueur du sort l'a tousjours poursuivie.
Et si tu veux, passant, compter tous ses malheurs.
Tu n'auras qu'à compter tous les jours de sa vie.
La maison de Savelli, à laquelle appartenoit la mère de la marquise
de Rambouillet, etoit une famille puissante qui avoit donné deux
papes. Honoré HI, mort en 1227, et Honoré IV, mort en 1287. Dans le
Cyrus, où M""* de Rambouillet est Cléomire, on lit : « Sa maison est si
» illustre, qu'on conte des Rois parmy ses devanciers. » (7* partie,
p. 258.) Rien d'ailleurs de plus délicat et de mieux écrit que les
pages de ce portrait de Cléomire. Citons-en quelque chose :
« Cléomire est grande et bien faitte, tous les traits de son visage sont
» admirables ; la délicatesse de son teint ne se peut exprimer, et il sort
» je ne sçay quel éclat de ses yeux qui imprime le respect dans l'ame
» de tous ceux qui la regardent. Pour moy, je vous advoue que je n'ay
» jamais pu approcher Cléomire sans sentir dans mon cœur je ne
» sçay quelle crainte respectueuse qui m'a obligé de songer plus à
» moy, estant auprès d'elle, qu'en nul autre lieu du monde où j'aye
» jamais esté. Les yeux de Cléomire sont si 'admirablement beaux,
» qu'on ne les a jamais pu bien représenter; ce sont pourtant des yeux
» qui , en donnant de l'admiration ^ n'ont pas produit ce que les autres
» beaux yeux ont accoustumé de produire, et en donnant de l'amour
» ils ont toujours donné en mesme temps de la crainte et du respect ;
» et par un privilège particulier ils ont purifié tous les cœurs qu'ils
» ont embrasez. Il y a mesme, panny leur éclat et parmy leur dou-^
II. 33
514 LliS HISTORIETTES.
» ceur, une modestie si grande qu'elle se commiMiique à ceux qui la
» voyent, et je suis fortement persuadé qu'il n'y a point d'homme au
» monde qui eust l'audace d'avoir une pensée criminelle en la présence
» de Cleomire.... Enfin, si l'on vouloit donner un corps à la chasteté
» pour la faire adorer par toute la terre, je voudrois représenter Cleo-
>> mire. L'esprit et l'ame de cette merveilleuse personne surpassent de
» beaucoup sa beauté. Elle scait diverses langues, et n'ignore presque
» rien de tout ce qui mérite d'estrc sccù ; mais elle le sçait sans faire
» semblant de le sçavoir, et on diroit, à l'entendre parler, qu'elle ne
» parle de toutes choses comme elle fait que par le simple sens com-
» mun et par le seul usage du monde. Elle s'est fait faire un palais de
n son dessin , qui est un des mieux entendus , et elle a trouvé l'art de
» faire en une place de médiocre grandeur un palais d'une vaste éten-
» due. L'ordre, la régularité et la propreté sont dans tous ses apparte-
» mens; tout est magnifique chez elle et mesme particulier. Les lampes
» y sont différentes des autres lieux; ses cabinets sont pleins de mille
» raretez; l'air est toujours parfumé dans son palais; diverses cor-
» beilles magnifiques, pleines de fleurs, font un printemps continuel
» dans sa chambre... Cleomire, parmy tant d'avantages qu'elle a receùs
» des dieux, a le malheur d'avoir une santé délicate que la moindre
» chose altère ; ayant cela de commun avec certaines fleurs qui , pour
» conserver leur fraischcur, ne veulent cstre ny toujours au soleil ny
» toujours à l'ombre, et q»ii ont besoin que ceux qui les cultivent leur
» fassent une saison particulière. Cleomire, ayant donc besoin de se
» conserver, sort moins souvent de chez elle que les autres dames de
» Tyr. Il est vray qu'elle n'a que faire d'en sortir pour aller chercher
» compagnie; car, depuis le Roy, il n'y a personne en toute la Cour, qui
» ayt quelque esprit et quelque vertu, qui n'aille chez elle. Rien n'est
» trouvé beau si elle ne l'a approuvé ; on ne croit point estre du monde
» qu'on n'ayt esté connu d'elle; il ne vient pas mesme un estranger
» qui ne veuille voir Cleomire, et il n'est pas jusques aux excellons
» artisans qui ne veuillent que leurs ouvrages ayent la gloire d'avoir
» son approbation. »
Qu'on me permette encore de citer, comme étant fort peu connu ,
le passage des Lettres à Madame, dans lequel Robinet raconte la mort
de la marquise de Rambouillet :
La Parque, pleine d'artifice,
Kous ravit, (limanelie, Artlieuice,
C'est niti<iy que l'on appellet
La marciuise de Uainbouillel,
Dont l'anie belle et délicate,
Sans que nullement on la flatte.
Et pareillement le beau corps,
Firent de ravissans accords,
LA MARQUISE DE RAMBOUILLET. 515
Et dont presque en sa cendre, encore,
La charmante idée on adore.
Elle eut pour ses adorateurs
Tous nos plus célèbres autheurs.
Les Chapelains et les Malherbes,
Qui de luy plaire estoient superbes;
Les Balzacs et les f^augelas.
Dont toujours elle fit grand cas;
Les f^oitures, les Benserades .- '
Et l'on voyoit sur ses estrades
Encor ces deux "esprits charmans,
A sçavoir les deux Tallemans (a).
Dont l'un, sçavant en paragraphe,
A composé son epitaphe.
Qui pourra servir dignement
A nos rimes de supplément.
Ci gist la divine Artheoice,
Qui tut l'illustre protectrice
Des Arts que les neuf Sœurs inspirent aux humains.
Rome luy donna la naissance;
tUe vint rétablir en France
La gloire des anciens Romains.
Sa maison, des vertus le temple,
-Sert aux particuliers d'un merveilleux exemple.
Et pourroit bienilinstruire encor les souverains.
[Lettre du 3 janvier 1666. i
Dans la lettre suivante, du 10 janvier, le même Robinet, après avoir
parlé de la visite faite à M"°' de Montauzier par le Roi et par la Reine,
ajoute :
La défunte ayant à son corps
Désiré ce qu'on donne aux morts.
Je veux dire la sépulture.
Dans l'enceinle et riche structure
Des Carmélites du faux bourg *, Saint- Jacques .
C'est là qu'il attend le grand jour
Où par d'inaltérables trames
Les corps seront rejoints aux âmes, etc.
On peut voir encore sur M""® de Rambouillet : la Métamorphose de Lu-
cine en Rose, dans les Œuvres de Voiture , tom. ii, p. 260, édition de 1745;
— les Portraits de .1/°"^ de Montauzier et de sa mère, dans la Princesse
de Paphlagonie {Mémoires de Mademoiselle , Londres, 1746, tom. vu);
les vers du Cercle des Femmes savantes, de la Forge, etc., etc.
(a) Le sieur Talleuiant des Beaux et l'Aumosnier du Roy, docteur en droit civil
et canon. {Note de Robinet.}
CY — CVIII.
MADAME DE MONTAUZIER.
LES DEUX MONTAUZIER. — LA PETITE MONTAUZIER.
(Julie Lticiiie d'Atujennes, née vers 1605, mariée le 15 Juillet 1645 ;
morte lli novembre 1671.)
M'"' de Montauzier s'appelle Julie Lucine d'An-
genncs. Lucine est le nom d'une sainte de la maison
des Sav elles. Sa mère et sa grand-mere l'ont porté
toutes deux ; et, pour l'ordinaire, dans cette maison,
on adjoustoit tousjours ce nom h celuy qu'on donnoit
aux filles en les baptisant.
Après Hélène, il n'y a guères eu de personne
dont la beauté ayt esté plus généralement chan-
tée; cependant ce n'a jamais esté une beauté. A
la vérité , elle a tousjours la taille fort avanta-
geuse : on dit qu'en sa jeunesse elle n'estoit point
trop maigre, et qu'elle avoit le teint beau. Je veux
croire, cela estant ainsy, que dansant admirable-
ment comme elle faisoit, avec l'esprit et la grâce
qu'elle a tousjours eue, c'estoit une fort aimable
MADAME DE MONTAUZIER. 517
personne. Ses portraits feront foy de ce que je viens
de dire.
Elle a eu des amans de plusieurs sortes. Les
principaux sont Voiture et M. de Montauzier d'au-
jourd'huy ; mais Voiture estoit plutost un amant de
galanterie et pour badiner, qu'autrement ; aussy le
faisoit-elle bien soustenir : mais pour M. de Mon-
tauzier, ça esté un mourant d'une constance qui a
duré plus de treize ans.
Les lettres de Voiture, ses vers, ceux de M. Ar-
naut*, parlent sans cesse de l'esprit merveilleux de Le mestre de camp.
' i t" Historiette.
M"' de Rambouillet. Mademoiselle de Bourbon, qui
est de beaucoup plus jeune*, et qui estoit encore un Néeie27aoi\ti6i9.
enfant, la tourmentoit tous les jours pour luy faire
des contes*: M"' de Rambouillet ayant espuisé toutes lui f^^j^^^^re des
les nouvelles qu'elle avoit pu trouver, s'avisa d'en
composer une. Elle fit cette petite histoire de Zélide et
d'Alcidalis dont il est fait mention plus d'une fois
dans les lettres de Voiture. On ditqu'une nuict qu'elle
ne pouvoit dormir, elle l'inventa et que Voiture se
chargea de la mettre par escrit. Il en a fait la plus
grande partie ; je n'ay pu encore la voir, parce
qu'on l'a portée par mesgarde à Angoulesme. Cela
ne sçauroit estre bien escrit, car Voiture n'estoit pas
capable d'un autre style que du style de badinerie
ou de galanterie badine. On m'a asseuré qu'il n'y a
rien de mieux inventé : si cela est, et c{ue cette his-
toire me tombe entre les mains, je tascheray ou de
la reformer ou de la refaire tout de nouveau.
Vous trouvez à tout bout de champ dans Voi-
518 LES HISTORIETTES.
ture des exclamations sur les lettres qu'il reçoit de
M"^ de Rambouillet, et que mesme elle escrivoit fort
bien en vieux style. On a perdu tout cela, et je
n'ay rien pu recouvrer que quelques lettres d'elle à
madame la Princesse, escrittes avant le siège de la
Rochelle, qui est un temps où l'on ne s'estoit pas
encore autrement avisé de bien escrire : il y a pour-
tant des choses dittes avec beaucoup de délicatesse.
Ces lettres, ce qui est notable, lurent trouvées chez
M. le cardinal de la Valette, après sa mort.
J'ay desjà dit l'amitié qui estoit entre M"' d'Ai-
guillon et elle ; or, quand M"" d'Aiguillon eut le don
des coches, elle luy en donna pour cinq ou six mille
livres de rente ; l'autre ne les vouloit point prendre.
« Je n'ay besoing de rien, » disoit-elle, « si j'estoisen
» nécessité, cela seroit bon. » M"" d'Aiguillon res-
pondoit : « Ce n'est point un don que je vous fais ;
» c'est simplement vous faire part d'une gratifica-
)• tion du Roy. » Enfin M"' de Rambouillet fut con-
oe lavis (les amis damuéc *. DoDuis, il Y a eu quasy une pareille dispute
pris pour arbitres. '■ ^ i >i i.
entre M"" de Rambouillet et M. de Montauzier.
11 avoit fait je ne sçay quelle affaire avec le Roy
sur les deniers de son gouvernement ; car tous gou-
verneurs, mais luy moins que les autres, sont tous
partisans. Il vouloit que M"" de Rambouillet en eust
le bénéfice pour se rembourser des rentes sur les
Montauzier etoit aydcs 6.0 Xalutcs ^ dont elle n'est point payée. Elle
gouverneur de Saiu-
*''"^'' ne le voulut pas, et la petite de Montauzier luy
disoit : « Ma grand-maman, vous dittes que mon papa
» est opiniastrc, mais je trouve que vous Testes bien
MONTAUZIER l'AISNÉ. 519
» plus que luy. » Montauzier et sa femme en usent
fort bien avec la Marquise et avec leur sœur M"' de
Rambouillet.
montauzier
l'aisnÉ.
On avoit parlé autrefois de marier ' M""' de Mon
tauzier à feu M. de Montauzier, aisné de cetuy-cy. ^Zn^'^ailMi:.
_.„,-,,,„. , . , t^ ■> tue devant Bornio ,
Ce fut M"'' Aubry- qui en parla, mais après, elle s a- iuuietwro.)
visa de le garder pour elle. En arrivant à la Cour,
la première connoissance qu'il fit fut celle de cette
dame: un jour qu'elle luy parloit de M"" et de
M"' de Rambouillet : « Hé, madame, » luy dit-il,
« menez-m'y! — Menez-m'y! )^ respondit-elle, «allez,
» Xaintongeois, apprenez à parler, et puis je vous y
h meneray. » En effect, elle ne l'y voulut mener de
trois mois. La guerre appella bientost après le Mar-
quis en Italie. Il se jetta dans Cazal * et eut bonne e» leso.
part aux fameux exploits qui s'y firent ^ M. de Ro-
han parle de luy comme d'un homme qui avoit
1 Comme on disoit un jour qu'il falloit la marier à un homme qui ne
pust l'emmener hors de Paris, quelqu'un ajouta qu'il falloit alors la
marier avec Monsieur l'Archevesque ; mais il se trompoit, car les pré-
lats ont une telle aversion pour la résidence, que celuy-Ià aimoit mieux
estre à Saint-Aubin d'Angers qu'icy.
2 Elle, estoit Villandry *. Françoise le Bre-
, T. ,, , 1 , j o 1 ^ n ij * ton-Villnn(liy,tenime
o II arresta toute larmee du duc de Savoye devant Pontdesture <ie JeanAubery.con-
qui n'estoit point en estât d'estre deffendu. Estant amoureux d'une *^' ^' ''**"
dame en Piémont, et la ville où elle estoit ayant esté assiégée, il se
desguisa en capucin pour y entrer, y entra, et la deffendit. Un jour en
contant cela à sa mère*, et comme cette femme l'avoit rcceû, il s'em- Marguerite de Châ
porta tellement que, sans songer à qui il parloit, il hiy dit : <' Je la *''^" "^°*"
» trouvay seule un jour, je la jettay sur le lict, et je la » 11 tran-
cha le mot ; mais revenant à soy et voyant qu'il parloit à sa mère, il se
levé, fuyt, tire la porte et sort du logis. Sa merc l'aimoit passion-
nément.
520 LES HISTORIETTES.
beaucoup de génie pour la guerre. Son frère est
un homme à se jetter dans un feu, mais il n'a point
de génie pour la guerre.
Au retour, M"'" Aubry, pour avoir un prétexte,
fit courir le bruict qu'elle le vouloit marier avec sa
ry?"$r'ée%.f m9 ^^'^^' ^ujourd'huy M"'' deNermoustier*, qui, estant
moumètducdeN."' eucorc trop jcuue, leur servit de couverture près de
quatre ans. Or, cette M"" A.ubry estoit fort agréable,
avoit le teint beau, la taille jolie et estoit fort propre,
, mais elle ne pouvoit pas passer pour belle ; en re-
compense, elle ne manquoit point d'esprit, et chan-
toit si bien qu'elle ne cedoit qu'ù M"" Paulet. Au
reste, inquiète, soupçonneuse, et toute propre à faire
enrager un galant comme le Marquis, qui estoit na-
turellement coquet '. Elle luy donnoit tant de peine,
que c'est sur cela que M"'" de Rambouillet, comme
on voit dans les lettres de Voiture, nomme son tour-
ment l'enfer d'Jnastamx, car elle eut une bizarrerie
qui pensa faire perdre patience à son pauvre galant.
Un jour qu'elle n' estoit pas comme les autres à
l'hostel de Rambouillet, on fit en badinant cer-
tains vers qu'on luy envoya % où il y avoit en un
endroit :
chacun n'a pas le nez si beau.
Voyez celuy de Bineau '.
Elle alla prendre cela de travers, dit que tout le
^ Cette M""' Aubry tiaittoit son mary terriblement de liant en bas.
Il estoit trois mois à la prier pour coucher une nuict avec elle.
- Ils sont perdus.
* Un gentilhomme du cardinal de la Valette.
MONTACZIER l'aIS^É. 521
monde ne pouvoit pas estre beau, et défendit au
Marquis, sur peine de la vie, de mettre le pié à
riiostel de Rambouillet. 11 n'y alloit effectivement
qu'en cachette. Ce fut durant cette querelle que le
nain de la princesse Julie (on appelloit alors ainsy
M. Godeau) luy osta son espée, comme il n'y son-
geoit pas, et la luy portant à la gorge, luy cria qu'il
falloit abandonner le party de M""^ Aubry*. Enfin
elle en fit tant, que le Cavalier la planta là. Le des-
plaisir qu'elle en eut fut si grand , qu'après avoir
fait une confession générale , elle se mit au lict ,
et mourut.
Par hazard M"'"^ de Rambouillet regardant un jour
dans la main du Marquis, dit : « Mon Dieu, je ne
» sçay d'où cela me vient; mais le cœur me dit que
« vous tuerez une femme. » Le Marquis fit bien un
plus estrange pronostic en s'en allant à la Valte-
line ; car il dit à M"" de Rambouillet qu'il seroit
tué cette campagne-là, et que son frère, plus heu-
reux que luy, l'espouseroit. En effect, il receût un
coup de pierre à la teste dont il mourut. On le vou-
loit trépaner : « Je ne le souffriray pas, » dit-il ; « il
» y a assez de fous au monde sans moy. » Ce cava-
lier estoit né pour la Cour - : il estoit bien fait et avoit
1 Cela est dans Voiture.
2 J'ay appris que, comme amy intime du cardinal de la Valette, il
s'estoit rendu fort familier à l'hostel de Coudé, et que M"* de la Coste
luy avoit fort servy à se mettre bien dans l'esprit de Mademoiselle de
Bourbon. Il fut sa première inclination. Monsieur le Comte qui la vou-
loit espouser en ce temps-là en eust de la jalousie : on esloigna la
Coste qui devenoit trop confidente de Mademoiselle. On ne voulut plus
qu'elle allast si souveni à l'hostel de Condé.
522 LES riISTOlUETTES.
l'esprit accort. Ça esté, dit-on, le premier qui ayt
pris la perruque. 11 n'avoit pas assez de cheveux ;
il se les fit couper, et prit pour valet de chambre un
perruquier. 11 estoit si ambitieux, qu'il avouoit en
riant qu'il n'y avoit personne au m^onde qu'il ne
laissast pendre volontiers, s'il ne tenoit qu'à cela
qu'il eust un royaume '. A cause de cette ambition,
M""* de Rambouillet l'appella cd Rey de Georgia, sur
la nouvelle qui vint qu'un particulier s'estoit fait
roy de ce pays-là.
Maire'^frâV^orfi'tal M. dc Sallcs*, SOU cadct, devenu l'aisné, quoyqu'il
qu'îs,'p*"uis''duc'.ieM; y eust quatre ans qu'il aimoit M"' de Rambouillet,
dont il estoit devenu amoureux dez qu'il la vit, ne
se déclara pourtant point qu'il ne fust mareschal de
versiew. camp et gouverneur d'Alsace*. 11 y a apparence que
son aisné n'ignoroitpas sa passion, et que c'est ce qui
luy fit dire que ce frère, plus heureux que luy, espou-
seroit un jour M"^ de Rambouillet. Je ne doute pas
que M"*^ de Rambouillet de mesme ne s'en aperceûst,
car dez le temps du roy de Suéde, il avoit commencé
à travailler à la Guirlande de Julie, dont nous par-
lerons en suitte. M. de Montauzier porta sa passion
partout avec luy. Il faisoit des vers, il en parloit;
tout cela ne servoit de rien. M"* de Rambouillet
disoit qu'elle ne vouloit point se marier ; luy, plus
espris ou plus opiniastrc que jamais, persévéra tous-
jours.
' Voyez les Lettrc-s de Voiture.
M. DE MONTAUZIER. 523
Trois ou quatre ans avant que de l'espouser, il
iuy envoya la Guirlande de Julie : c'est une des plus
illustres galanteries qui ayent jamais esté faittes.
Toutes les fleurs en estoient enluminées sur du velin,
et les vers escrits sur du velin aussy, en suittede
chaque fleur, et le tout de cette belle escriture dont
j'ay parlé. Le frontispice du livre est une guirlande
au milieu de laquelle est le titre :
LA GUIRLANDE DE JULIE ,
POUR MADEMOISELLE DE RAMBOUILLET JULIE-LUCINE d'ANGENNES.
Et à la feuille suivante, il y a un Zephire qui
espand des fleurs. Le livre est tout couvert des
chiffres de M"'' de Rambouillet'. Elle receût ce pré-
sent, et mesme remercia tous ceux qui avoient fait
des vers pour elle. 11 n'y eut pas jusqu'à M. le mar-
quis de Rambouillet qui n'en fist. On y voit un ma-
drigal de sa façon.
Le seul Voiture, qui n'aimoit pas la foule, ou
qui peut-estre ne vouloit point estre comparé, ne fit
pas un pauvre madrigal ; il est vray que les chiens
de M. de Montauzier et les siens n'ont jamais trop
chassé ensemble ; mais cela ne vient pas de là seule-
ment, car à la mort du marquis de Pisani, son grand
amy, il ne fit rien non plus, quoyque tant de gens
eussent fait des vers *. voy.ci-<iessus,p.509.
1 II est relié de maroquin de Levant des deux costez, au lieu qu'aux
autres livres il y a du papier marbré seulement. Il y a une fausse cou-
verture de frangipane <. '"dëVanlip^n?'"'
5*2/! LES HISTORIETTES.
Nostre marquis, voyant que sa religion estoit un
obstacle à son dessein, en change % et traitte des
Jean de Gaiiaid , ffouvememens de M. deBrassac*. marvde satante,
sieur de Brassac; ma- '-' ' J '
skInteSre.'"'*'' *'" pour dcux ccut mille livres". 11 eut bien du bonheur
en cette affaire, car M, de Brassac estant tombé
malade. M'"* d'Aiguillon, qui vouloit servir Montau-
zier pour le faire espouser à son amie, fit en sorte
auprès du cardinal Mazarin, sur l'esprit duquel elle
avoit alors du pouvoir, qu'on ne scella point les
provisions de Montauzier, et que Brassac estant
14 Mars 1645. mort de cette maladie *, on supprima ces provisions,
et on en expédia de nouvelles comme d'un gouver-
nement vacant par mort. Ainsy les héritiers de
Brassac perdirent cent mille francs ; car pour les
autres. M/"' de Brassac, qui avoit la moitié à tout,
les luy donnoit, en cas qu'il ne mourust point le
premier sans enfans. Enfin il eut tout le bien de sa
tante quelque temps après'.
jyjme (j' Aiguillon esperoit que M""' de Montauzier
pourroit devenir dame d'honneur ; le prétexte estoit
que M"'* de Brassac l'avoit esté, et je pense qu'on ne
manqua pas de le luy dire pour la persuader à se
' Il dit qu'on se peut sauver clans l'une et dans l'autre; mais il le fit
d'une façon qui sentoit bien l'interest.
- Xaintonge et Angoulmois.
•■' Pour le gouvernement d'Alsace, ou plustost la commission pour y
commander, le Cardinal dit : « Plusieurs me l'ont demandée, maisje ne
» desoblige point en obligeant : elle demeurera ;\ M. do Montauzier. »
Depuis, le Cardinal, (l'Alsace estant devenue par la paix un foit bon
gouvernement) la luy osta et ne luy en laissa que la lieutenance de
Roy, car Schelestat et Colmar, dont il estoit gouverneur particuliei',
ont esté rendus par le Traitté de Monstcr.
M. DE MOINTALZIER. 525
marier. Je remarque bien que c'est ce qu'elle sou-
haitteroit le plus au monde, et il n'y a guères de
femme qui y fust plus propre.
Le Marquis, se voyant gouverneur de Xaintonge
et d'Angoulmois, fit parler h M"'^ de Rambouillet,
par M"'' Paulet, par IM'"^ de Sablé et par M'"^ d'Ai-
guillon mesme. Elle l'estimoit, mais elle a voit aver-
sion pour le mariage: M""' d'Aiguillon, en luy repré-
sentant la passion du cavalier, luy disoit : « Ma fille,
» ma fille, il n'y a rien de tel devant Dieu, cela
» donne dévotion *. » On en fit dire un mot par la ^'^^^"^M^mon'.
Reyne ; le Cardinal mesme vint en parler à M""' de
Rambouillet. En ce temps-là il n'estoit pas si estably
qu'il est à cette heure, et il mitonnoit M"" d'Aiguil-
lon, pour faire espouser le duc de Richelieu à une
de ses niepces. M""" de Rambouillet se plaignoit
alors de la dureté de sa fille ; ce fut ce qui fit l'af-
faire, car, de peur de fascher sa mère, elle s'y ré-
solut, et changea du soir au matin. La veille elle
estoit aussy esloignée de mariage que jamais. « Je
» l'aurois fait, » disoit-elle, «pour l'amour de luy,
» sans tous ses gouvernemens , si j'avois eu à le
» faire. » Je pense pourtant qu'elle considéra aussy
que d'une vieille fille elle devenoit une nouvelle
mariée, et telle jeune femme qui ne luy eust pas
cédé et ne l'eust pas creûe, la regarda aussytost
comme une personne de qui elle pouvoit apprendre
à bien vivre; et puis, comme j'ay desjà remarqué,
cela la remettoit tout de nouveau dans le monde, et
elle aime fort les divertissemens.
526 LES HISTORIETTES.
Dez qu'elle eut pris sa résolution , elle fit. les
choses de fort bonne grâce. Il est vray qu'elle se
fust bien passée de proposer de remettre après la
campagne. Montauzier de voit commander en Alle-
magne un corps séparé de six mille hommes ; mais
M. de Turenne l'empescha. Pisani partit devant les
nopces pour suivre Monsieur le Prince : il dit en
partant : « Montauzier est si heureux , que je ne
» manqueray pas de me faire tuer , puisqu'il va
» espouser ma sœur. >- Il n'y manqua pas en efTect.
Ce fut à Ruel que les nopces se firent, et par une
rencontre plaisante, celuy que l'on appelloit autrefois
le nain de la princesse Julie ' fut celuy-là mesme qui
les espousa. Le marié avoit une telle enragerie, si
j'ose ainsy dire, que, s'allant coucher, il jetta sa
robe de chambre dez l'entrée de la chaiï±»re. Le
chevalier de Rivière disoit en riant que le marié, à
la vérité, avoit consommé le mariage, mais que le
reste de la nuict s'estoit passé en beaux sentimens.
Il est plus jeune qu'elle ; elle avoit trente-huit ans ^.
Elle eut une querelle pour cette nopce avec la
marquise de Sablé, qui se plaignit qu'elle ne l'avoit
pas conviée. L'autre juroit qu'elle luy avoit dit que
ce seroit une incivilité de luy donner la peine de
faire six lieues, à elle qui estoit quasy tousjours sur
son lict et qui n'estoit pas autrement portative; car
1 M. de Grasse, Godeau.
2 Les vingt-quatre violons ayant sceù que M"' de Rambouillet se
marioit, vinrent d'eux-mesmes luy donner une sérénade, et luy dirent
qu'elle avoit fait tant d'honneur à la danse, qu'ils seroient [bien ingrats
s'ils ne luy en tesmoignoient quelque reconnoissance.
M. ET M""^ DE MONTAUZIEH. 527
ce fut ce terme qui la chocqua le plus. La Marquise
irritée, quoy qu'on l'eust reconviée après, n'en vou-
lut point ouyr parler, et pour monstrer qu'elle estoit
aussy portative qu'une autre, elle monte en carrosse,
en dessein d'aller voltiger et se faire voir autour de
Ruel. Pour cela une demoiselle à elle, appellée la
Moriniere, à qui elle avoit fait apprendre à con-
noistre les vents, regarde bien la girouette, et après
l'avoir asseurée qu'il n'y avoit point d'orage à
craindre, on part; mais elle ne fut pas plus tost
au-delà du pont de Nully* que voylà tout le ciel Nemuy.
brillant d'esclairs. La frayeur la prend; elle fait
toucher à Paris, et le tonnerre estant assez fort,
quoyqu'elle eust une grosse bourse de reliques, elle
se cache dans les carrières de Challiot, avec protes-
tation de ne songer plus à se venger. A quelques
jours de là la paix se fit.
Elle eut une bien plus grande querelle avec la
Moussave*; voicy apparemment d'où cela vint: Amaury coyon,
•> t^ t^ marquis de la Mous-
M. d'Anguien estant à Furnes en belle humeur, dit l;enaf°mortea''no^
à table qu'il faudroit un brin d'estoc pour sauter
d'un bout à l'autre — de M"" de Montauzier. La Mous-
saye ne dit rien; mais il rit de cette plaisante vision,
incomparablement plus que les autres. M"'' de Mon-
tauzier, au retour de cette campagne, déclara à la
Moussaye qu'elle ne seroit plus son amie, et qu'il
luy avoit fait un fort vilain tour. « Moy , » dit-il ,
« Madame ! je serois le plus lasche des hommes ;
» car sans vous j'aurois esté chassé d'auprès de
» M. d'Anguien : vous fistes que M"'* d'Aiguillon fit
vembre 1630.
En novembre 1650.
Michel Particelli,
sieur (VEsaicry. Hist.
5'28 LKS IIISTOUI EÏTES.
)> parler Monsieur le Cardinal à Monsieur le Prince.
» — Hé bien ! » luy respondit-elle, « vous estes donc
» le plus lasche des hommes. » M. d'Anguien voulut
sçavoir d'elle ce que c'estoit, elle n'en voulut rien
dire. On voit dans la lettre que Voiture escrit pour
elle en Catalogne, qu'elle estoit encore en colère. La
Moussaye est mort depuis*, sans avoir fait de paix.
On a cru que c'estoit cette raillerie, puisqu'elle ne
l'avoit pas voulu dire.
Depuis son mariage, M""" de Montauzier est de-
venue un peu caballeuse. Elle veut avoir cour; elle
a des secrets avec tout le monde ; elle est de tout,
et ne fait pas toute la distinction nécessaire. Je tiens
que M'*' de Rambouillet valoit mieux que M™' de
Montauzier. Elle est pourtant bonne et civile, mais
il s'en faut bien que ce soit sa mère, car sa mère
n'a pas les vices de la Cour comme elle. Elle dit
une plaisante chose à quelqu'un qui luy demandoit
pourquoy elle ne laissoit pas M. de Montauzier sol-
liciter ses pensions. « Hé! » dit-elle, « s'il alloit
» battre M. d'Esmery*, ce seroit bien le moyen
» d'cstre payé ! » En elTect , c'est un homme tout
d'une pièce; M"' de Rambouillet dit qu'il est fou
à force d'estre sage. Jamais il n'y en eut un qui
eust plus de besoing de sacrifier aux Grâces. 11 crie,
il est rude, il rompt en visière, et s'il gronde quel-
qu'un, il luy remet devant les yeux toutes les ini-
quitez passées. Jamais homme n'a tant servy à me
guérir de l'humeur de disputer. Il vouloit qu'on
fist deux citadelles h Paris, une au haut et une au
M. ET M"" DE MOINÏAUZIER. 529
bas de la rivière, et dit qu'un roy, pourveû qu'il en
use bien, ne sçauroit estre trop absolu, comme si ce
pourveû estoit une chose infaillible. A moins qu'il
soit persuadé qu'il y va de la vie des gens, il ne
leur gardera pas le secret. Sa femme luy sert fu-
rieusement dans la province : sans elle, la Noblesse
ne le visiteroit guères : il se levé là à onze heures
comme icy , et s'enferme quelquefois pour lire,
n'aime point la chasse, et n'a rien de populaire.
Elle est tout au rebours de luy. Il fait trop le mes-
tier de bel esprit pour un homme de qualité, ou du
moins il le fait trop sérieusement. Il va au Samedy
fort souvent '. Il a fait des traductions ; regardez le
bel auteur qu'il a choisy : il a mis Perse en vers
françois. Il ne parle quasy que de livres, et voit
plus régulièrement M. Chapelain et M. Conrart que
personne. 11 s'enteste, et a assez meschant goust ;
il aime mieux Claudian que Virgile : il luy faut du
poivre et de l'espice. Cependant, comme nous di-
rons ailleurs, il gouste un poëme qui n'a ny sel ny
sauge : c'est la Pucelle, par ce, seulement, qu'elle est
de Chapelain. Il a une belle bibliothèque à Angou-
lesme.
En recompense, c'est un bon serviteur du Roy.
11 le fit bien voir en 52. Pour peu qu'il eust voulu
donner de soupçons au Cardinal, quand Monsieur le
Prince estoit en Xaintonge, le Cardinal l'eust fait
tout ce qu'il eust voulu estre ; mais il ne voulut
point escroquer le baston de mareschal de France :
* Une assemblée chez M"* de Scudery. Plus bas. [Historiette.)
II. 34
530 LES HISTORIETTES.
uussy ne l'a-t-il pu avoir quand il l'a demandé. On
disoit qu'il avoit dit : « Je ne pense point au bre-
Au brevet de duc, » vot * ; Hia fomme a bonnes jambes, elle se tiendra
(|<ii flonnoit, le ta- j '
cn"'rao,K°''"* » bien debout. » D'ailleurs il n'a qu'une fille.
Je me souviens que M""" de Montauzier, qui n'es-
toit pas jeunette, fut fort malade en accouchant.
On envoya Ghavaroche, qui estoit un peu amoureux
d'elle il y avoit long-temps, quérir la ceinture de
Sainte-Marguerite à l'abbaye Saint-Germain. G'es-
toit en esté à la pointe du jour. De chagrin qu'il
avoit, on dit qu'il gronda les moines qu'il trouva
encore au lict. «Il vous fait beau voir, » disoit-il entre
ses dents, « d'estre encore au lict , quand M"" de
» Montauzier est en danger ! » Elle eut deux filz tout
de suitte. L'aisné mourut à trois ans d'une cheûte,
et l'autre pour n'avoir jamais voulu prendre une
autre nourrice que la sienne, qui perdit son laict \
M""" de Montauzier mena une fois sa sœur de
AtiRéiique - Claire RambouiUct* en Angoulmois. M. de la Rochefou-
il'Angennes , depuis
b^
MTe'diRâlnboui'iiet: cault Icur donna une chasse magnifique ; à tous les
relais il y avoit collation et musique. A Xaintes,
elles faisoient le Cours à cheval dans la prairie, le
long de la Gharente, et il s'y trouvoit assez grand
nombre de carrosses, car toutes les dames des en-
virons s'y rendoient. Elles allèrent voir l'armée na-
valle, et au retour elles receûrent le mareschal de
Grammont avec le canon, et le firent complimen-
ter par le Presidial en corps. Luy, il leur disoit
1 Celuy-là eust. esté le digne filz de son père ; car il falloit qu'il fust
bien testu.
M. ET M"" DE MONTAUZIER. 531
plaisaimiient : « Venez jusqu'à Bayonne et m'aver-
» tissez, afin que je fasse tenir des balaines toutes
» prestes. » Cette réception fit une querelle : le ma-
reschal d'Albret passa aussy par Angoulesme; on
ne luy fit point de fanfare. Il y fut quatre jours, et
après cela il s'avisa de se fascher de ce qu'on ne
l'avoit pas traitté comme le mareschal de Gram-
mont. On respondit que ce n'estoit pas comme ma-
reschal de France, mais comme an ancien amy
qu'on l'avoit traitté ainsy. « Ah ! ne suis-je pas
» aussy vostre amy ? » Le président de Guenegaud
se plaignit aussy de ce qu'estant président aux
enquestes du parlement de Paris, le Presidial n'es-
toit pas allé en corps. Je croy que cela ne se doit
point. W^' de Rambouillet entendant cela, dit brus-
quement : « Hé ! de quoy s'avise ce président de
» Guenegaud de nous venir aussy chicaner ' ? » Ils
1 II y eut bien des gentilshommes mal satisfaits d'elle. Une
fois elle dit tout haut à quelqu'un qui venoit de la Cour : « Je
.. vous asseure qu'on a grand besoing de quelque rafraischissement,
.. car sans cela on mourroit bientost icy. » H y eut un gentilhomme
qui dit hautement qu'il n'iroit point voir M. de Montauzier tandis que
M"' de Rambouillet y seroit, et qu'elle s'esvanouissoit quand elle en-
tendoit un meschant mot. Un autre, en parlant à elle, hésita long-
temps sur le mot d'avoine, avoi?ie, aveine, avene. « Avoine, avoine, »
dit-il, « de par tous les diables ! on ne sçait comment parler céans. »
M"' de Rambouillet trouva cette boutade si plaisante qu'elle Ven
aima tousjours depuis. M"" de Montauzier, dez qu'elle voyoit arriver
un gentilhomme, s'informoit de son nom et de tout le reste, et à table
ou en causant, le nommoit par son nom, luy demandoit des nouveUes
de sa famille -, cela les charmoit. Sans elle, Montauzier n'auroit pas un
gentilhomme à luy. Il rompt en visière, si on fait quelque malpro-
preté à table. Une fois, faute de sièges, car il y avoit bien des gens
dans la chambre, un gentilhomme, nommé l'Angallerie*, s'assit sur la ,^.f,ij';f^f/^ f^^,;
table, sur laquelle Montauzier avoit le coude appuyé. Cela ne plut pas i653, en rengord.
532 LES HISTORIETTES.
se plaignirent encore de cela ; enfin la Cour en eut
vent, car, à cause de certains gens de guerre qu'il
falloit faire vivre sur le pays, le Mareschal preten-
doit avoir sujet de n'estre pas content de M. de
Montauzier. Enfin cela s'appaisa.
LA PETITE
MONTAUZIER.
Parlons un peu de leur fille. Cet enfant, car elle
sainfe'-'Maure' nfe «'» cncoro cjue OUZO aus, a dit de jolies choses dez
mLrÈ'nmanufiTe qu'cllc a csté scvréc. On amena un renard chez
Crnssol, duc d'Vzès, '
morte n avril mn. g^j-j papa; cc rouard estoit à M. de Grasse. Dez
qu'elle l'apperceût elle mit ses mains à son collier ;
on luy demanda pourquoy : « C'est de peur, » dit-
elle, « que le renard ne me le vole : ils sont si fins
» dans les Fables d'Esope. »
Quelque temps après on luy disoit : « Tenez, voylà
» le maistre du renard ; que vous en semble? » — « Il
» me semble, » dit-elle, « encore plus fin que son re-
» nard. » Elle pouvoit avoir six ans quand M. de Grasse
luy demanda combien il y avoit que sa grande pou-
pée avoit esté sevrée : « Et vous, combien y a-t-il ? »
luy dit-elle, « car vous n'estes guères plus grand. »
à Monsieur le Gouverneur, mais il eut tort de le chatouiller comme
il fit, car après il luy dit sérieusement : « Vous avez le cul un peu
» bien près de mon nez, et vous perdez le respect. » L'autre parla
assez hardiment; Montauzier s'emporte, appelle ses gardes. «Prenez-le
» moy. » L'Angallerie, au lieu de dire simplement : « Je cède à la force,»
met l'espée à la main. Il falloit périr en cette affaire-là, et non pas se
laisser mener en prison comme il fit. Il y fut quinze jours.
sans doute celle qui — Montauzier est un peu amoureux de Pelloquin*; mais M"^ de
hit aimée de Gaston, Montauzier la fait bien soutenir, la traitte bien, mais luy rabat fort
duc de Uoquelaure. ' ' •'
roy. plus loin Hist. son caquet quand il le faut. C'cstoit une fille à elle qu'on a mariée
avec un gentilhomme de M. de Montauzier, à qui on a donné la lieu-
tenance de Roy de la ville et citadelle de Xaintes. Il s'appelle la Grange.
LA PETITE MONTAUZIER. 533
A cause de la petite verolle de sa tante de Ram-
bouillet, on la mit dans une maison là auprès. Une
dame l'y fut voir : « Et vos poupées, Mademoiselle, »
luy dit-elle, « les avez-vous laissées dans le mauvais
» air 2 » — « Pour les grandes , » respondit-elle,
«Madame, je ne les ay pas ostées, mais pour les
» petites , je les ay amenées avec moy. » A propos
de poupées, elle avoit peut-estre sept ans quand la
petite des Réaux* la fut voir; cette autre est plus La mie de rameur,
jeune de deux ans. M'^'' de Montauzier la vouloit
traitter d'enfant, et luy disoit en luy monstrant ses
poupées : « Mettons dormir celle-là. » — « J'entens
» bien, » disoit l'autre, « ce qiie vous voulez dire. —
» Non, tout de bon, » reprenoit-elle, « elles dorment
» effectivement. — Yoire ! je scay bien que les pou-
» pées ne dorment point, » repliquoit l'autre. — « Je
» vousasseure que si, qu'elles dorment, croyez-moy ;
» il n'y a rien de plus vray. — Elles dorment donc,
)) puisque vous le voulez, » dit la petite des Réaux
avec un air despiton ; et en sortant elle dit : « Je n'y
» veux plus retourner, elle me prend pour un enfant. »
On luy demandoit laquelle estoit la plus belle, de
M'"'^ de Longueville, ou de M""' de Chastillon qu'elle
appelloit sa belle mère. « Pour la vraye beauté, »
dit-elle, « ma belle mère est la plus belle. »
Elle disoit à un gentilhomme de son papa : « Je
» ne veux pas seulement que vous me baisiez en
)) imagination. »
Elle faisoit souvent un mesme conte. M""= de Mon-
tauzier dit : « Fy ! fy! où avez-vous appris cela? De
53/| LES HISTORIETTES.
» qui le tient-elle ?» — « Attendez , » dit cet enfant,
« ne seroit-ce point de ma grand-maman de Mon-
» tauzier ? » Cela se trouva vray.
Elle disoit qu'elle vouloit faire une comédie :
« Mais , ma grand-maman , » adjoustoit-elle , « il
» faudra que Corneille y jette un peu les yeux avant
» que nous la jouyons. »
Un page de son père, qui estoit fort sujet à boire,
s' estant enivré, le lendemain elle luy voulut faire
des réprimandes. «Voyez-vous,» luy disoit-elle,
« pour ces choses-là, je suis tout comme mon papa,
» vous n'y trouverez point de différence. »
« Ce Megabase » (c'est M. de Montauzier dans
Cyrus) , « quel homme est-ce à votre avis ? » luy
dit M"' de Rambouillet. — « C'est un homme
» prompt, » respondit-elle, « mais il n'est rien
» meilleur au fond ; il est comme cela pour faire
» que les gens soient comme il faut. »
On luy dit : « Prenez ce bouillon pour l'amour
» de moy. — Je le prendray , » dit-elle , « pour
» l'amoLir de moy, et non pour l'amour de vous. »
Un jour elle prit un petit siège et se mit auprès
du lict de M"'^ de Rambouillet. « Or çà, ma grand-
» maman, » dit-elle, « parlons d'affaires d'estat, à
» cette heure que j'ay cinq ans. » 11 est vray qu'en
ce temps-l;\ on ne parloit que de fronderie.
M. de Nemours, alors archevesque de Rheims,
luy disoit qu'il la vouloit espouser : « Monsieur, » luy
dit-elle, « gardez vostre archevesché : il vaut mieux
» que moy. »
LA PETITE MONTAUZIER. 535
Elle n'avoit pas cinq ans quand on luy voulut
faire tenir un enfant. Le curé de Saint-Germain la
refusa, disant : « Elle n'a pas sept ans. — Interro-
,. gez-la, » luy dit-on. Il l'interrogea devant cent
personnes; elle respondit fort asseurement, il la
receût et luy donna bien des louanges.
Un jour qu'elle estoit couchée avec U""" de Ram-
bouillet, M. de Montauzier la voulut taster : « Ar-
,. restez-vous, >. luy dit-elle, « mon papa, les hommes
,, ne mettent point la main dans le lict de ma grand-
» maman. »
C'est la consolation de cette grand-maman, quand
elle demeure toute seule à Paris. A la mort de M. de
Rambouillet, elle estoit fort touchée de la voir triste :
«Consolez-vous,» luy disoit-elle, «ma grand-ma-
,. man , Dieu le veut ; ne voulez-vous pas ce que
). Dieu veut?.. D'elle-mesme elle s'avisa de faire
dire des messes pour luy. « Ah ! .. dit sa gouver-
nante, « si vostre grand-papa, qui vous aimoit tant,
,) sçavoit cela ! — Eh ! ne le sçait-il pas, .. dit-elle,
« luy qui est devant Dieu ' ? »
C'est dommage qu'elle ayt les yeux de travers,
car elle a la raison bien droitte; pour le reste, elle
est grande et bien faitte -.
1 Elle n'avoit guères que neuf ans, qu'ayant lu la Feste des fleurs*, iiv.^u!'p.39??t sui"!;
dans Cjrus, elle s'avisa d'elle-mesme d'en faire une représentation avec ed.t.on de i654.
les filles du logis ; et lorsque M""' de Rambouillet ne sougcoit à rien
moins qu'à cela, cet enfant avec ses compagnes, toutes enguirlandées,
pour la divertir, luy vint jetter à ses pieds une grande monjoye de
fleurs.
2 Elle s'est gastée depuis, et pour l'esprit et pour le corps.-Au prni-
536 LES HISTORIETTES.
tomi)s de 58, M""' de Montauzicr se blessa : elle eust bien fait de n'en
rien dire, car c'estoit une espèce de miracle ; elle avoit, au compte
de sa mère, cinquante-quatre ans. La mère dit qu'elle a accouché de
M""" de Montauzier à seize ans : or, M"^ de Rambouillet nasquit du-
rant les Estats de Rlois*. Cela est aysé :\ calculer : cependant Julie
eut la foiblesse de dire qu'elle s'estoit blessée, afin de ne passer pas
pour si âgée. On en rit un peu : M""" Pilou ne trouvoit nullement bon
(lu'elle eust dit cela. On a ouy dire céans à M""^ de Montauzier : « Quand
» j'estois en couches, ce printemps. »
COMMENTAIRE.
I. — P. 516, lig. 11.
On dit qu'en sa jeunesse elle n' estait point trop maigre...
M"" de Montauzier avoit, en 1657, quand des Réaux ecrivoit son
Historiette, cinquante-deux ou cinquante-trois ans. Il doit exister en-
core aujourd'hui des portraits de cette dame illustre, soit à deux ou
trois crayons, soit à l'huile. Je ne crois pas qu'on en ait reconnu, non
plus que de gravure authentique ; celui qu'on a joint au Clioix d'orai-
sons funèbres, donné par Dussault en 1820, n'a aucune authenticité.
Mais si l'on vouloit rai)procher les lignes de des Réaux du portrait que
M"" deScuderya tracé danslct'yrM5,on arriveroit sans doute à la décou-
verte de quelque ancien portrait de M""" de Montauzier.
II. — P. 517, lig. 0.
Aussi le faisoil-eltc bien soustenir.
Cette expression, qui revient plusieurs fois, etoit empruntée au Ma-
nège. Elle le maintenoit, elle lui tenoit la bride haute. Le Mcnagiana
justifie assez bien ce passage de V Historiette. « A l'hostel de Ram-
» bouillct, il n'y avoit que de la galanterie, et point d'amour. M. de
» Voiture, donnant un jour la main ;\ M'" de Rambouillet..., voulut
>> s'émanciper de luy baiser le bras : M"* de Rambouillet luy témoigna
» si sérieusement que sa hardiesse ne luy plaisoit pas qu'elle luy osta
» l'envie de prendre une autre fois la même liberté. » (Tom. ii, p. 8.)
On lira de même dans l'Historiette de M"* de Guimené : « M"* de
» Rohan soustenoit bien le menton à Miossens. »
Voici d'autres façons do parler qui ne sont plus dans le bon usage
de notre temps.
P. 520. — Il M'"* Aubiy oloit fort propre. C'est-à-dire qu'elle avoit
MADAME DE MONTAUZIER. 537
du goût dans le choix de ses habits , et savait bien se mettre, comme
on diroit aujourd'hui. Il ne faut pas entendre ce mot, frétiuemment
employé, dans le sens que nous lui donnons. Par la même raison une
femme mal-propre etoit celle qui ne savoit pas s'habiller.
P. 533. — « Un air despiton. » Despit se prenoit alors souvent comme
adjectif. « Il est petit, mais il n'est pas moins despit. » De là le dimi-
nutif despiton.
P. 534. — « Fronderie. » Et non pas la Fronde., comme aujourd'hui.
De même avant le xvi* siècle , on ne disoit pas croisade., expression
espagnole, mais croiserie.
P. 535. — <( Une grande monjoie de fleurs. » Nous dirions un grand
monceau; car montjoie a pour ainsi dire le sens de montagne. Ce mot,
qui a eu tant de retentissement dans notre vieille France, avoit été rap-
porté d'Italie, au temps des Carlovingiens. Mons gaudii etoit le nom
du tertre d'où les pèlerins commençoient à découvrir l'église et le
tombeau des Apôtres saint Pierre et saint Paul ; de là les Montjoies
artificielles placées sur la route de Saint-Denis, en France, comme au-
tant de stations pour ceux qui alloient faire leurs offrandes au tom-
beau de saint Denis. De là le nom d'une forteresse construite par le roi
de France près de Saint-Denis; enfin de là le beau cri : Montjoie
Saint-Denis!
P. 536. — nElle se blessa.» Nous avons aujourd'hui plus de prude-
rie dans certains mots, plus de rudesse en d'autres. 5e blesser est ceiv
taiuement plus délicat que faire une fausse coiiclie, et cela parce que
l'idée exprimée ne se représente pas d'elle-même. On pourroit en
dire autant de hauts-de-chausse, qui valoit mieux que nos affreuses
culottes. Les femmes ne deviennent plus grosses , elles sont en-
ceintes, etc., etc.
m. — P. 517, lig. 27.
Si cela est et que cette histoire me tombe entre les mains, je tasche-
raij ou de la reformer o'i de la refaire tout de nouveau.
On peut trouver notre auteur un peu bien sûr de lui-même, quand
il parle ainsi d'achever ou reformer un ouvrage de M"* de Mon-
tauzier, déjà refait par Voiture. Mais il ne faut pas oublier que des
Réaux passoit alors pour un excellent littérateur, et qu'il partageoit
volontiers la bonne opinion que les autres avoient de lui-môme.
L'Histoire de Zelide finit par tomber entre ses mains, mais peut-
être seulement après qu'on l'eut imprimée ; il ne paroît pas l'avoir
retouchée le moins du monde. Seulement, sur un précieux exemplaire
que j'ai sous les yeux, il a écrit: «M"* de R. ne sçachant où prendre
» des contes pour M"* de Bourbon, qui estoit bien jeune en ce
538 LES HISTORIETTES.
I) temps-là, fit une petite histoire comme une nouvelle de Cervantes :
» l'amant estoit Alcidalis et l'amante Zelidc. Voiture écrivit cette
» avanture, mais il la négligea; nous n'en avons que le fragment qui
» est ci-dessous. » Cette note vient à l'occasion du passage suivant de
la lettre 8, à M"* de Rambouillet : « Je luy conteray » (à M. de Chau-
debonne) «une histoire plus agréable que celle d'Heliodore,ctfaitte par
)) une personne plus belle que Chariclée. Vous jugez bien, Mademoi-
» selle, que c'est celle de Zelide et à' Alcidalis^ car il n'y en a point
» d'autre au monde de qui cela se puisse dire. Quelque stupide que
» je sois devenu, ne craignez point qu'en la contant, je luy fasse rien
» perdre de sa beauté ; car dans tous mes maux, je me suis encore
» conservé la mémoire toute entière, et je croy qu'elle me servira fide-
» lement quand ce sera pour vous, puisque vous y avez autant de part
» que personne.
IV. — P. 518, lig. 9.
Ces lettres, ce qui est notable, furent trouvées chez M. le cardinal de la
Valette.
Pour comprendre le «ce qui est notable.,» il faut se reportera ce
que des Réaux a dit, tom. i, p. 175 et 177, de la passion du cardinal
de la ^ alette pour Madame la Princesse. Je n'ai pas retrouvé ces let-
tres ; mais dans un recueil manuscrit de la Bibliothèque impériale, on
en conserve une que M"* de Rambouillet écrivit au cardinal de la Va-
lette, en 1637, et qui seroit curieuse, môme si l'on ne songeoit pas à
celle qui l'écrivit. Je la donnerai avec l'orthographe originale :
« Monseigneur,
» Je n'oserés plus prendre la liberté de vous escrire, si vous conti-
» nues à prendre la painc de me faire response. J'ay asés d'autres
» marques de votre sivillité pour n'avoir pas besoin de resevoir celle-
» là; car je say quelle ne vous peut estre qu'incommode dans un tans
M où vous avez tant d'afaires. J'ay esté ravie d'aprandre par M. Ar-
» nault toutes les belles choses que vous avez faites, et bien que je sois
» asurée qu'elles seront un jour dans l'histoire, je n'ose pas en parler,
» Monseigneur, de crainte que vous ne le grondiés de publier des
» choses que vous prenés tant de soin à cacher. Jel'avés prié de vous
» dire plusieurs nouvelles dont il ne s'est pas voulu charger; car depuis
» que l'on fait le procès au Cid., personne ne veut plus hasarder de
» rien raconter quoyque vray, si n'est aussy vraisemblable : car c'est
» un des principaux chefs pour lequel on pandera le malheureux. Ses
» autres crimes sont asés ordinaires; car on ne l'acuse, outre sela, que
» d'avoir fait de mauvais vers. C'estoit isy une de mes nouvelles. Les
MADAME DE MONTAUZIER. 539
» autres ne sont pas moins estranges, car M"* Aubery a une querelle
» avec M. le cardinal de Richelieu ; tous ses amis sont empeschés à la
» racomoder. M. le mareschal de Rrezé a, ce dit-on, un lièvre qui le
» suit partout et que personne ne soroit prendre. \ oiture a quitté tous
» ses divertissemens pour jouer du psalterion, parse que sela plaist
» à Madame la D... Apres des choses sy extraordinaires, soufrés que
» je vous en die une qui n'est point de se genre, mais je ne puis finir
» ma lettre que par des vœux pour votre conservation, et par les assu-
» rauces que je vous ay donné toute ma vie d'estre,
» Monseigneur,
» Vostre très-humble et très-obéissante et obligée servante,
jj ***
» Mon père, ma mère et M. de Chaudebonne vous baise très-humble-
» ment les mains et vous sont aussy acquis que personne du monde. »
Les allusions renfermées dans cette lettre en indiquent la date:
elle est de 1637, quand tout Paris et l'hôtel de Rambouillet en
particulier avoient « pour Chimene les yeux de Rodrigue. » Le cardinal
delà Valette etoit à l'armée des Pays-bas, ilvenoit de prendre Lan-
drecy, ou etoit sur le point de la prendre. J'ignore quelle etoit la
querelle de M"*^ Aubery avec le cardinal de Richelieu, mais nous verrons
un peu plus loin les relations de la femme et de la fille du conseiller
Aubery avec l'hôtel Rambouillet. Cette lettre, après tout, fait bien
juger de l'esprit et du style de Julie d'Angennes, qui, en 1637, avoit
environ trente ans. M. Cousin en a publié trois autres, au moins par
fragmens, adressées à la marquise de Sabl'^, et qu'il avoit reconnues
dans les manuscrits de Conrart à l'Arsenal. {Revue des Deux-Mondes,
Janvier 1854.)
V. — P. 520, lig. 16.
jfpae dg jiambouillel, comme on voit dahs les lettres de Voiltire. nomme
son tourment l'enfer d'Anastarax.
Anastarax, dans les livres viii et ix à'Amadis^ est le frère de la belle
Niquée. Embrasé d'amour pour sa sœur, il fut condamné par les en-
chantemens de Zirfée, sa tante, à un enfer qui ne devoit finir et ne
finit en eifet qu'au moment où il devint amoureux de la belle Sylvie.
Voiture, dans la soixante-troisième lettre, adressée à M"* de Rambouil-
let : «Je remercie très-humblement la sage enchanteresse qui m'a fait
» entendre VAva7iture d'Anastarax. Je ne croy pas qu'il y ait jamais
» rien de si horrible que doit estreson enfer, et je m'imagine d'y voir
» Cerbère, les trois Furies et toutes leurs couleuvres en une seule per-
» sonne. Mais quel personnage joue la pauvre *** (M"^ d'Attichy) parmy
5ll0 LES UISTORIETTES.
)) tous ces damnés. » Et des Réaux a écrit cette note sur son exem-
plaire : « V Enfer d'Anastarax ; les peines où les bizarreries de M""* Aubry
» mettoient M. de Montauzier. »
Des Hcaux a reproduit avec un peu plus d'étendue l'anecdote de
M"^ Aubery, dans une autre note de la cinquantième lettre de Voiture :
« Il faut, » dit-il , « sçavoir qu'un soir. M""* de Rambouillet et trois ou
» quatre auti'cs se mirent à écrire des vers à M"" Aubry , et pour la
» mettre en peine, sachant qu'elle s'alarmoit aisément, il les luy cn-
» voycrent à deux heures après minuit. D'autre costé. M™" Aubry prit
» tout cela de travers, disant qu'on s'estoit voulu mocqucr d'elle, à
» cause qu'il y avoit dans cette epistrc une description de sa beauté
» en stile bouffon. Entre autres choses , ou y louoit son menton, et
» on disoit :
Car il en i-st peu île beaux,
Uef^ardez cil de Biiiaux.
» C'estoit un gentilhomme du cardinal la Valette qui avoit un menton
» large, à créneaux. Or, dans cette colore elle deffcndit à M. de Mon-
» tauzier d'aller à l'hostel de Rambouillet. Il estoit amoureux d'elle
» quoy qu'on apparence il rechcrchast sa iille. M. de Montauzier ne
» laissa pas d'aller on cachette à l'hostel de Rambouillet. Là M. Go-
» deau luy dit : Soyez le champion de M"" Aubry, et moy qui suis le
» nain de la princesse Julie, je me battray contre vous. — En disant
» cela, il sauta en riant à l'espée de M. de Montauzier et la tira du
» fourreau. »
Voiture a fait sa lettre soixante-onzième, à l'occasion de la mort de
cette pauvre M""* Aubery, que M"" de Rambouillet avoient tant persé-
cutée, peut-être dans l'intention assez peu héroïque de lui enlever son
amant : « Ce m'est , » dit Voiture, « une extresme consolation d'ap-
» prendre qu'elle a eu à sa mort les seules bonnes qualités qui luy
1) avoient manqué durant sa vie, et qu'elle a sceû si à propos trouver
» de la resolution et du courage. Certes, quand j'y songe bien, je fais
» conscience de la regretter et... d'cstre triste de ce qu'elle nous a
» quittez pour estre mieux, et qu'elle est allée trouver en l'autre monde
» le repos qu'elle n'a jamais eu en celuy-cy. »
Je crois que c'est de M"* Aubery et de sa fille que Scarron parle
» d'une façon rancunière dans sa légende de Bourbon, de 16^2:
rrez ma chambre, en mesme montée,
Cerlaiue dame estoit hutée
Dont le nom se termine en ry.
Alors que j'y pense, j'en ry.
Elle avoit sa fille amenée,
De mille affiquets atournee,
Adroicte et fort bien à cheval,
Ivt qui n'escrimoit pas trop mal.
MONTAUZIER l'AISNÉ. 541
Elle avoit lu Cid et Chimène,
Tlieophile et la Polixène,
Et depuis quelques jours en ca ,
Un peu de l'illustre Bassa.
Entîn, cette jeune merveille.
Principalement par l'oreille,
Resseinbloit, ou bien peu s'en faut.
A la divine Chemeraut.
Vous eussiez dit que c'estoit elle.
Sinon qu'elle n'estoit pas belle.
Et n'avoit pas beaucoup d'esprit.
Mais qui ne Ta grand l'a petit, etc.
VI. —P. 521, note 2.
.V"' de la Coste.
C'est elle, je pense, que Loret a nommée dans la mise historique
du 26 novembre 1650 :
Un courtisan souvent acoste
Mademoiselle de la Coste;
Et plusieurs veulent parier
Qu'il se va bientost marier
Avec cette grande pucelle,
Autrefois fort jeune et fort belle.
Je ne suis pas bien sûr que M. Cousin ait eu jusqu'à présent connois-
sance de ces premières amours de M'"^ de Bourbon avec M. de Montau-
zier l'aîné.
On trouve dans le Recueil de Sercy, Première partie, 1660, p. liOO, un
sonnet assez médiocre sur la mort du marquis de Montauzier, <( le pre-
» mier qui ait pris la perruque. » — Godeau, le nain de la princesse
Julie, a adressé au deuxième Montauzier une consolation , imprimée
dans ses Poésies Chrétiennes et morales. Paris, 1663. A propos de cette
belle ambition qui l'eût facilement décidé à laisser pendre son meilleur
ami , si cette pendaison eût pu lui donner une couronne, disposition
que, pour le dire en passant, il a partagée avec beaucoup d'autres
gens de bien, témoin ces vers d'Euripide rapportés dans Plutarque :
S'il faut estre meschant, soys-le pour estre roy;
Mais, du reste, soys juste et vis selon la loy.
Voiture ecrivoit de Lisbonne , le 22 novembre 1633 , au marquis de
Montauzier :
« J'ay leu vostre lettre avec tout le contentement et la satisfaction
» que l'on doit recevoir cet bonneur d'un des plus paresseux et des
» plus honnestes liommes du monde. Il me semble qu'il n'y a plus
» rien que je doive attendre de vostre amitié... Il me desplait seule-
» ment qu'avec toute cette tendresse que vous me tesmoignez , il y a
542 LES HISTORIETTES.
» quelque occasion pour laquelle vous voudriez que je fusse pendu. A
» dire le vray, Monsieur, il me semble que c'est quelque desfaut dans
» l'affection que vous me portez, et je croy que, sans estre trop
» pointilleux , je le pourrois trouver mauvais. Toutefois , je pardon-
» nerois plus aisément cet outrage à, la fortune, que celuy qu'elle vous
M fait de ne vous pas accorder ce qui vous est den, et de vous refuser
Roid'Vvetot.//istor. » un titre qu'elle a accordé à M. de Bellay *. Mais puisque la chose
» ne dépend pas de là, et que je pourrois avoir cent couronnes de
» martyr, sans que cela vous en donnast une de souverain, il en faut
» chercher par un autre chemin, et sans qu'il en couste la vie à pas
» un de vos amis. Je vous assure qu'en courant tant de differens
» royaumes, je songe tousjours à vous , et je tasche à former quelque
» dessein que vous puissiez un jour exécuter. Il y a quelque temps que
» j'en vis sept tout d'une veûe, dont il y en avoit quatre en Afrique,
» lesquels c'est dommage que vous laissiez entre les mains des
» Maures, etc. »
VIL— P. 522, lig.20.
Dez te temps du Roy de Suéde, il avoit commencé à travailler à la
Guirlande de Julie.
C'est-à-dire, vers 1632, époque de la belle lettre que Voiture écrivit
à M"* de Rambouillet, sous le nom de Gustave Adolphe. « M"* de
» Rambouillet, » remarque des Réaux, à la suite de cette lettre,
« ayant tesmoigné en plusieurs rencontres qu'elle admiroit le roy
» de Suéde, et qu'elle s'informoit tousjours de ses succez, on luy
» faisoit la guerre qu'elle l'aimoit. Un jour elle alla à l'hostel de
» Condé avec un nœud de diamans que le roy d'Espagne avoit
» donné à M. de Rambouillet, en son ambassade : M"" de Chas-
» teauroux y estoit qui, préoccupée du bruit de cet amour, alla s'ima-
» giner qu'on avoit dit que c'estoit le roy de Suéde qui avoit fait
» ce présent. On rit fort de cette beveûe, et Voiture, qui le sceût, fit
» travestir cinq ou six hommes en Suédois, qui vinrent en carrosse à
» l'hostel de Rambouillet , présenter le portraict du roy de Suéde et
» cette lettre aux ambassadeurs envoyez par ce prince. »
Il seroit assez piquant de rapprocher les vers de Montauzier de
tout ce qu'on a dit pour faire reconnoître l'original du Misantlirope en
lui. Ménage, dans le commentaire de Malherbe, cite un sonnet qu'il
admiroit beaucoup, et qui n'est pas mauvais en effet pour des vers de
grand seigneur :
Aimez, servez, biuslez avecques patience.
Ne murmurez jamais contre vostie tourment,
Et ne vous lassez point de souffrir constamment;
Il n'est rien qui ne cède A la persévérance.
M. DE MOIVTAUZIER. 543
Si vous estes troublé de la vaine créance
Qu'on a beaucoup de mal et peu d'allégement.
Apprenez qu'il n'est point de tel coutentement
Que de voir à la fin triompher sa constance.
Lorsqu'ime belle main daigne essuyer vos pleurs.
Un moment de plaisir paye un an de douleurs ;
Le repos est plus doux qui vient après la peine;
Pour estre bien aimé, soyez bien amoureux,
Mesprisez le mespris et surmontez la hayne.
Enfin, soyez constant, et vous serez heureux.
Pour la Guirlande de Julie, c'est, comme on sait, le chef-d'œuvre de
Jarry. Elle appartenoit dans le siècle dernier au duc de la Valliere ;
on l'adjugea à la vente de ce fameux amateur pour la somme de
quatorze mille cinq cent dix francs, et pour le compte de M"* de
Chatillon, fille unique du duc de la Valliere. M"' la duchesse d'Uzès,
fille de M"' de Chatillon , morte en 1840, l'a léguée à M. le duc d'Uzès,
son petit-fils, descendant en ligne directe de « la petite Montauzier. »
Un second manuscrit de la Guirlande, également écrit par Jarry, mais
sans ornemens, etoit dans le cabinet de MM. de Bure frères ; Guil-
laume de Bure, le père, l'avoit acquis pour la somme de quatre cent
six francs. Il vient d'être vendu deux mille neuf cents francs à M. le mar-
quis de Sainte-Maure-Montauzier, dernier rejeton de la grande maison de
Sainte-Maure. Ainsi les deux volumes originaux de cette « illustre ga-
» lanterie, » appartiennent encore aujourd'hui aux héritiers ou descen-
dants du duc et de la duchesse de Montauzier. C'est d'après le deuxième
manuscrit que fut imprimée l'édition de Didot, 1784.
Voici le madrigal du marquis de Rambouillet le père, dans la Guir-
lande de Julie :
l'hyacixthe.
Je n'ay plus de regret ft ces armes fameuses
Dont l'injuste refus précipita mon sort :
Si je n'iiy possédé ces marques glorieuses,
Un destin plus heureux m'accompagne à la mort;
Le sang que j'ay verse d'une illustre folie,
A fait naistre une fleur qui couronne Julie.
Dans l'édition de Didot, ces vers sont attribués au marquis de Racan;
Mais il vaut mieux s'en rapporter à des Réaux qui lui-même avoit
placé une fleur dans la Guirlande. Dans le manuscrit de M. de Bure,
la table des pièces donne au mot Hyacinthe les initiales du nom de
l'auteur : {M. L. M. de R.). Dans le texte de Sercy {Second Recueil, 1662,
p. 23ô), le premier madrigal de Y Uyacintlie est anonyme; mais les pré-
cédentes initiales se trouvent dans la première édition régulière de
la Guirlande, donnée en 1729, par le Père Petit, à la suite de la Vie
du duc de Montauzier. C'est Gaignières, l'auteur d'une Notice sur la
bllli LES HISTORIETTES.
Guirlande de Julie, ((ui traduisit le premier ces initiales par M. le mar
quis de Racan; et de là l'erreur de l'édition de 178/i, répétée dans la
jolie réimpression de 1825, dirigée par M. Charles Nodier.
VIII. — P. 525, lig. 2.
// n'y a gucres de femme qui y soit plus propre (à la charge de Dame
d'honneur).
Elle finit par l'obtenir en 166^i, après avoir été nommée gouvernante
des Enfans de France, peu de temps après le mariage du Roi. Comme
dame d'honneur, elle remplaça M""* de Navailles, disgraciée pour avoir
tenté de faire quelques observations au Roy sur ses amours avec la
Vallicre. Mademoiselle écrit : « La charge de dame d'honneur fut
» achetée par M"" de Montauzier, qui a été jusqu'à sa mort auprès de
)) la Reyne, à quoy elle estoit plus propre que M"" de Navailles, et qui
» a gouverné M. le Dauphin, C'cstoit une femme d'un grand esprit,
» qui avoit de la politesse et qui se connoissoit le mieux en tout.
» Aussi les fonctions les plus élevées estoient mieux de la portée
» de son esprit que le choix du laict des nourrices et que le jargon
» qu'il faut avoir pour élever des enfans. » {Mémoires^ v, p. 98.) M°"de
Motteville met quelques restrictions à ces éloges : « Elle devoit estre
» agréable au Roy, non-seulement parce qu'elle avoit de belles qua-
» lités, mais parce que son esprit estoit plus occupé du désir de plaire
» et de jouir icy-bas de la faveur, que des austères douceurs qui, par
n des maximes chrétiennes, nous promettent les félicités éternelles. »
(v, p. 233.) Et les lignes écrites un peu plus loin justifient ce premier
jugement : «Un jour que la Reyne-mère estoit malade, le Roy eust la
» hardiesse de la venir voir accompagné de M"" de la Vallicre, sa nou-
» velle maistrcsse. Anne d'Autriche rougit, mais ne se plaignit pas, ce
» qui surprit toute la Cour et enchanta le Roy. M"'' de Montauzier
» rencontrant le lendemain M""* de Motteville : Voyez-vous, lu.i dit-elle,
» la Reyne-mère a fait une action admirable d'avoir voulu voir la
u Valliere. Voilà le tour d'une tres-habile femme et d'une bonne poii-
» tique. Mais elle est si foible que nous ne pouvons pas espérer qu'elle
» soutienne cette action comme elle devroit. » Plus loin c'est le tour
d'Alceste-Montauzier, au fond le plus flatteur des courtisans : la Reine-
mère ayant témoigné un certain mécontentement d'avoir vu M""* de
Brancas donner le mauvais exemple de paroître dans le monde avec
M"" de la Vallicre. « Vrayment , dit Montauzier, la Reync-mcre est
» bien plaisante d'avoir trouvé mauvais que M"^ de Brancas eust de
» la complaisance pour le Roy. Si elle estoit habile et sage, elle devroit
» estre bien aise que le Roy fust amoureux de M"^ de Brancas ; car
» estant fille d'un homme qui est à elle, luy, sa femme et sa fille, luy
MONTAUZIER l'AISNÉ. 545
« rendroient de bons offices auprès du Roy. — Sur ce principe , »
ajoute la bonne et, fidèle Motteville, « je laisse aux casuistcs à. décider
» de la qualité des sentimens de M. et de M"' de Montauzier. »
(Mémoires, v, p. 2ii9.)
IX. — P. 527, lig. 6.
Elle monte en catrosse en dessein d'aller voltiger autour de Ruel.
La Mesnardiere, qui accompagnoit la Marquise dans cette prome-
nade, en a raconté les circonstances dans une epître en vers : Avanture
de M™* la marquise de Sablé. A /)/■"« la marquise de Montauzier, estant
à Ruel, quelques jours avant son mariage. Des Réaux a môme emprunté
au badinage de la Mesnardiere ce qu'il dit de l'aveuture.
X. _ P. 528, lig. 22.
C'est un homme tout d'une pièce.
Bourru avec tout le monde et complaisant avec le Roi , tel est en ré-
sumé le caractère de Montauzier. Bussy-Rabutin ecrivoit à M"* de
Toulongeon, le 28 avril 1690 : « M. de Montauzier n'est pas encore mcfrt,
M il y a dix jours qu'il est à Tagonie. Il est abandonné des médecins,
» et ses parens mômes ne le voyent plus. Vous savez, ma chère sœur,
» qu'il a disputé toute sa vie contre tout le monde ; à présent qu'il ne
» voit plus personne il dispute contre la mort. Deux ou trois jours
» avant qu'il fust à l'extrémité, M""' Cornuel l'estant allé voir, il Juy
» manda par un gentilhomme qu'il la piioit de l'excuser, et qu'il ne
» voyoit plus de femmes. Elle répondit à l'envoyé : Je vous prie de
» dire à M. de Montauzier que ny luy ny moy n'avons plus de sexe. »
Somaize, dans le Grand dictionnaire des Pretieuses, Paris, 1661,
toui. II, p. 29, a fait en peu de lignes l'éloge assez banal de M. et de
M"'' de Montauzier, sous le nom de Menalidus et Menalide. — Le
portrait de M"^ de Montauzier, dans le Cyrus , toni. vu, p. 268, est
plus vrai, parce qu'il est moins flatté; mais je craindrois, en le citant,
de trop grossir ces notes. J'aime mieux renvoyer aux excellentes pages
(|ue M. le comte de Laborde a consacrées aux principaux hôtels de Pa-
ris, particulièrement à l'hôtel de Rambouillet et au Palais Mazarin. Les
belles études de M. Victor Cousin sur le caractère, les sentimens et les
pensées de toutes les femmes remarquables du xvii* siècle sont un autre
commentaire de nos dernières Historiettes. Qui ne connoît l'admirable
talent de M. Cousin pour pénétrer le secret des correspondances am-
biguës, et pour saisir l'intention vraie des billets les plus insignifians en
apparence? Je vais pourtant lui faire un gros reproche. Certes, on ne
11. 35
546 LES HISTORIETTES.
peut lui demander une impai-tialité complète : l'âme de M°" de Longue-
ville est passée dans la sienne, et les ennemis de la Princesse sont
encore les siens, en dépit des austérités de Port-Royal. Je conçois la
vivacité de ses représailles contre M""* de Montbazon et M""" de Chas-
tillon, contre le coupable la Rochefoucault : mais je no comprends pas
qu'il enveloppe l'auteur des Historiettes dans la mùme réprobation.
Des Réaux avoit eu la prudence de prononcer très-rarement le nom de
M""* de Longuevillc : il avoit toujours parlé d'elle avec une sorte d'in-
différence , sans malice , sans amertume ; et sans doute on ne lui fait
pas un crime de sa froideur. D'un autre côté, M. Cousin marche
volontiers sous l'escorte des Historiettes : il les a lues le crayon à la
main ; il leur doit bonne partie des choses nouvelles qui touchent k ses
héroïnes secondaires ; portraits de l'àme et du corps, habitudes de mai-
son, signes particuliers, qualités distinctives; sans les Ilisioricttes, il
auroit moins senti le charme et l'agrément de la société françoise au
xviie siècle. Comment donc l'éminent écrivain n'a-t-il pour notre des
Réaux que de blessantes paroles? A l'entendre, ce n'est qu'un bavard,
un menteur, un méchant compilateur de scandales. Un bavard, soit :
mais n'a-t-on pas trouvé le secret de délayer agréablement son bavar-
dage ? Un menteur : mais ce menteur n'est-il pas constamment surpris
en flagrant délit de sincérité 7 Que ne dit-il pas ! Mon Dieu, peu de
choses qu'on ne sente le besoin de redire. Des Réaux ne se donne pas,
après tout, pour un laudateur, un apologiste de profession ; il ne fait
pas poser ses modèles ; il les reproduit comme il les trouve, sans don-
ner au buste la préférence sur les autres parties de la figure. Cepen-
dant, voyez un peu l'injustice de M. Cousin : si des Réaux blâme, c'est
un médisant ; et s'il approuve, la force de la vérité lui arrache autant
d'aveux involontaires. Au moins devroit-on convenir que la vérité n'a
pas la même force sur tous : et puis, qui pouvoit l'obliger à consigner
tant de cliarmans souvenirs, dont les autres contemporains avoient
négligé de parler 1 Mais , soit qu'il loue les gens, soit qu'il les gour-
mande , des Réaux les représente comme il les a vus, et nous devons
lui en savoir gré , loin de trouver, jusque dans ses meilleures confiden-
ces, une occasion de l'injurier. Quand l'organiste de Saint-Eiistache
ou de la Madeleine inonde son église de torrens d'harmonie, va-t-il
s'interrompre pour monter une autre gamme à l'iiounête souffleur, dont
les efforts ont , comme on dit , répandu l'âme dans tous les jeux de
l'appareil? Des Réaux est un bon souffleur littéraire, il mérite donc bien
de ceux dont il entretient l'éloquence ; quant à moi , son humble édi-
teur, je fais en général à ses torts une part assez large pour avoir droit
de le défendre quand on l'accuse avec injustice. Ce n'est pas un menteur;
ce n'est pas un satirique impitoyable. Comparez ses Historiettes aux
Mémoires les mieux autorisés , aux Correspondances les plus intimes :
MONTAUZIER L'AISNÉ. 547
vous le trouverez constamment vrai, sincère et le mieux informé. S'il
trace un portrait avant la Bruyère ou Saint-Simon, il évite l'exagération
de l'mi et la partialité de l'autre : il n'insulte pas la Cour et la noblesse
parce qu'il est roturier, la ville et la roture parce qu'il tient du gentil-
homme> l'Église et les dévots parce qu'il est de la secte protestante :
enfin il est incomparable pour la liberté d'esprit, la francbise de senti-
mens et d'allure. Il faut donc le proclamer anecdolicr, comme etoit
fablicr ce « garçon de belles-lettres nommé la Fontaine. » Cependant,
au dire d'cxcellens critiques (de M. Cuvillier-Fleury lui-môme, qui
d'ailleurs a si bien compris le mérite des Historiettes)^ c'etoit un petit
bourgeois, rarement admis dans les belles assemblées : je réponds que
par ses oncles et ses frères, par ses alliances et son état de maison,
surtout par son esprit singulièrement littéraire, des Réaux etoit un des
hommes de son temps les plus estimés et les plus recherchés. Il vivoit
dans l'intimité du cardinal de Retz, de Patru, de Ménage et de M"" de
Rambouillet ; le moyen d'être mieux placé pour tout voir, tout observer,
tout entendre et tout redire !
Je ne suis doue pas surpris que M. Cousin, dans les excellentes études
qu'il a faites sur la société du xvii'= siècle, n'ait cessé d'alléguer Talle-
mant des Réaux : mais j'aurois voulu qu'il laissât percer plus clairement,
à l'égard de mon auteur, l'expression de sa reconuoissance. Au lieu de
cela, et par une sorte de gageure, il ne lui arrive jamais de lui emprunter
la moindre chose sans le gratifier d'une invective nouvelle. Mais, par une
autre rencontre singulière, ce bavard de Tallemant dit alors précisément
ce qu'il falloit dire ; ce menteur redresse l'erreur des autres, ce médisant
prodigue les mots charmans, les traits d'esprit et d'une obsei-vation déli-
cate. S'il mérite, au bout du compte, tous les reproches qu'on lui adresse,
ne vaudroit-il pas mieux éviter de suivre un guide aussi compromettant?
Essayez un peu de marcher seul ; voyons : vous avez les Portefeuilles du
médecin de M°"^ de Sablé , ils vous suffiront sans doute. Sérieusement,
tous tant que nous sommes, nous y perdrions beaucoup trop : les pe-
tits brouillons vingt fois recopiés de M""' de Sablé , les pâles billets de
M™^ de Longueville, qu'elle condamnoit au feu on ne sait trop pour-
quoi, ne combleroient pas le vide causé par l'absence des Historiettes.
Que M. Cousin continue donc à nous rendre des Réaux ; qu'il fasse
admirablement valoir les récits du conteur contemporain ; mais qu'il
me permette de le lui dire : ce n'est pas au lapidaire à déprécier les
joyaux dont sou art double la valeur. Au nom de la justice, au nom de
Port-Royal, nous recommandons le bon des Réaux à la générosité , à la
miséricorde de M. Cousin.
FI^ Dli DEUXIEME VOLl'ME.
ADDITIONS.
Page 11, ligne 3 : Saint-Surin. — L'histoire de la prise et de la mise en
liberté du baron de Saint-Surin, ou Saint-Sulin, est autrement racontée,
comme on le pense bien , dans le Mercure François. Ce gentilhomme et
ses deux cousins, les barons de Soyon et de Mareines, avoient été faits
prisonniers par les Anglois en défendant les côtes de l'île de Rhé, en juil-
let 1C27. Comme ils etoient tous trois gravement blessés, ils tirent prier
le duc de Buckingham de leur permettre d'aller se faire panser hors de
l'île. « Buckingham envoya auxdits barons un vaisseau ou chaloupe, meu-
» blé et garni de très-belle escarlatte rouge, avec ses musiciens dedans, et
» montés qu'ils furent dans ledict vaisseau , passèrent par toute l'armée
» angloise.... Et le lendemain, le sieur de Thoiras. ayant fait venir cinq
» Anglois qu'il tenoit prisonniers, leur donna à chacun six pistoles et les
» renvoya à Buckingham. » Au reste, le récit officiel n'est pas en désaccord
avec l'opinion répandue que des Réaux nous a transmise.
Page 12, note : Par grimasse, il composa un conseil.
Cette addition marginale n'est certainement pas à sa plate dans le mamiscrlt
iuifographe, mais je crains de ne l'avoir pas rétablie où elle auroit dû se trouver.
C'est peut-être le Cardinal qui, peu de jours avant la Journée des dupes, avoit
ainsi, par grimace, composé \\n fantôme de conseil destiné à le remplacer. La
note alors devroit se rapporter à la page 14, ligne 2 : Le Cardinal, dcscsperc, se
voulait retirer.
Page 28, ligne 18 : Il affectait d'estre auprès de Saint-Germain, c'est-à-
diro : il tenoit beaucoup à être auprès de Saint-Germain, que Louis XIII
habitoit. Affecter avoit le sens do : désirer particulièrement, préférer. Le
Trévoux cite en exemple : Vous affectez cette maison , parce qu'elle vous
est commode, etc.
Page 110 : La relation (sur la mort de M. le Grand et de M. de Thou) est
si belle qu'elle doit avoir été déjà imprimée.
On la reconnoît, en effet, du moins en grande partie, au njilieu de la Relation
générale, dans laquelle sont insérées les principales pièces duprocès. (Fie du Car-
dinal de Richelieu, par M Leclerc, Amsterdam, 1753, tom. v, p. 392 et suiv.l Mais
elle s'y trouve emliarrassée d'autres détails qui se contredisent plus d'une fois
entre eux, et qui app.nlicnnent à d'autres relations.
550 ADDITIONS.
Page 554, ligne 25 : On a de lui (Maugars), outre sa fichue traduction
du livre de Bacon.... des Considérations politiques pour entreprendre la
guerre d'Espagne.
Les Considérations politiques sont précisément traduites de Vanglois de Fran-
çois Bacon. Paris, 1634, in-i». C'est le livre que mentionne VHistoriette.
Je trouve encore iV André Maugars (car tel etoit son nom de baptême) : Besponse
faite à un curieux sur le sentiment de la musique d'Italie; écrite à Rome le 1" oc-
tobre 1G39. C'est apparemment ce qu'on a réimprimé en 1672 sous le litre de :
Discours sur la musique d'Italie, etc.
TABLE
ou UIOUXIÈMK VOLUMl-;.
PflgPS .
Le cardinal do Richelieu 1
Le mareschal de Marillac , . . 117
Madame du Fargis 121
Le mareschal d'Effiat 129
Le Pcre Joseph. — Religieuses de Louduii 132
M. de Noyers et l'evesque de Mande 138
M. de Rullion 145
Madame d'Aiguillon 161
Le cardinal de Lyon et Lopez 183
Le mareschal de Brczé et mademoiselle de Bussy. = 195
Le duc de Brezé 213
Le mareschal de la Meilleraye et les sœurs de la Mareschale. 216
Louis treiziesme 235
M. d'Orléans (Gaston) et Sauvage 281
M. de Montmorency 306
M. de Bautru 314
Maugars 329
L'archevesque de Bordeaux 337
Mademoiselle de Gournay 344
Racan et autres resveurs. — M. de Brancas. — La Fontaine. 354
Boisrobert 383
Feu Monsieur le prince, Henry de Bourbon 434
L'archevesque de Rheims 445
Le cardinal de Valençay 465
Le marquis de Rambouillet 476
La marquise de Rambouillet et madame d'Hyerre 485
Madame do Montauzier. — Montauzier l'aisné. — La petite
Montauzier 516
FIN nE LA TABLE.
TYrOCRAPHIK DE A. WITIEHSUHM,
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tique, et dans une bibliothèque publique, que le Code est indispensable à un
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ornements, leur reliure, leurs scribes et leurs enlumineurs; notice sur leurs au-
teurs connus ou probables; <liscussion «les seutlineiits <|ue l'on a jusqu'à présent
émis sur leur compte; citations nombreuses; particularités qui les concernent :
voilà ce que Je me suis proposé d'indiquer avec plus ou moins détendue. »
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commencement du xn* siècle par Richard le Pèlerin, et retouché,
au commencement du xiii*, par Graindor de Douai, publiée sur
six manuscrits. 2 vol. pet. in-8, papier de Hollande, tirés à 250
exempl 16 fr.
Papier vélin, tiré à 12 exempl 30 »
La Chanson d'Antioche n'est pas un ouvrage d'imagination : c'est le récit des
événements de la première croisade fait par un témoin oculaire, et dont les as-
sonnanccs «mt été converties en rimes n^gulières p;;r un «écrivain du xiii» siècle,
nommé Graindor de Douai. L'éditeur de ce beau poème le considère comme la
plus précise, la plus sincère et la plus Intéressante relation qui nous soit restée
de la première croisade.
In ftranil nombre «le faits, mal présentés par les chroniqueurs latins, se trou-
vent ici nettement expliqués. Bocmont, Tancrède, le comte de "Toulouse et le
comte de Hlois.v paraissent sous un nouveau jour pour les uns, et sous un moins
favorable pour les autres. Entiu, de nouveaux noms de croi-sés sont ajoutés A la
liste héroïque jusqu'à présent connue. La marche des chrétiens dans l'Asie
Mineure, objet de tant «l'ineertitudes, y parait traitée d'une manière nette et pré-
cise. Les deux volumes sont accompatînes de commentaires historiques et philo-
logiques, et d'une dissertation .sur tous les héros de la première croisade, qui,
peut-être, ne s'accorde pas tout à fait avec les listes de Versailles.
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Tous les hommes qui s'oecunent de l'histoire lie Fran(
sous la main i-e récit oritjiual (les faits île nos premiers r(
utile, aussi Indispeusable dans la bibliothèque d'un histo
tique, et dans une bibliotliiViue pul)llf]ue, que le Code <
homme de loi. Nous devons ajouter qu'en t<^te de eette n
lin Paris a publié deux dissertations curieuses et très-inté
ment historique. Les notes et les éclaircissements histo
acconipaKoé rendent cette édition bien plus' omplète que
d'ailleurs presque lntrouval)lesnujourd'hul.
Les Manuscrits de la Bibliothèque du Roi, 1848
Chaque volume se vend séparément
— n y a cinquante excmpl. tirés grand in-8°,
Très-beau livre. Chaque volume se vend. . . .
C'est une histoire ries manuscrits français que possède Ifl
<. Description des manuscrits; conjectures sur leur date, I
ornements, leur reliure, leurs scribes et leurs enlumlneii
teurs connus ou probables; discussion îles sentiments qi
émis sur leur compte; citations nombreuses; particularité
voilà ce que Je me suis proposé d'indiquer avec plus
(Préface.)
Le Marquis deLassay et l'Hôtel Lassav br. in-8
Notice historique intéressante et tirée it 100 exempl.
La Chanson d'Antioche, poëme en vers alexa:
commencement du xii* siècle par Richard le I
au commencement du xiii*, par Graindor de
six manuscrits. 2 vol. pet. in-8, papier de H'
exempl
Papier vélin, tiré à 12 exempl
La Chanson d'jDtioche n'e.st pas un ouvrage d'imaglr
événements de la première croisade fait par un témoin
sonnancis ont été cou\erties en rimes régulières par lui
nommé Graindor de Uouai. L'éditeur de ce beau poémi
plus précise, la plus sincère et la plus intéressante relat
de la première croisade.
In crand nombre de faits, mal présentéspar les ehro
vent ici nettement expliques. Boemont, Tancrède, le
comte de Blois y paraissent sous un nouveau jour pour 1<
favorable pour les autres. Enfin, de nouveaux noms de <
liste hérolq^ue jusqu'il présent connue. La marche des
Mineure, objet de tant (l'iiicertitudes, y parait traitée d'u
eise. Les deux volumes sont accompagnes de commentai!'
logiques, et d'une dissertation .siu' tous les héros de la
peut-être, ne s'accorde pas tout à fait avec les listes de V
(Extrait de V Annuaire bibliographique, historique
librairie J. Techener.)
PARIS.— TïTOGRAPHIE DF. A. WITTERSHEIM, RUE
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Los Angeles
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