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Full text of "Les historiettes de Tallemant des Réaux"

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LES  HISTORIETTES 


TÂLLEMÀNT  DES  BEAUX 


TROISIEME    EDITION 

ENTIEREMENT     HEVUE     SUR     LE    MANUSCRIT     ORIGINAL 
ET   DISPOSÉE   DANS    C  N    NOUVEL   ORDRE 


MM.  DE  MONMERQUÉ  ET  PAUFJN  PARIS 


TOME    DEUXIEME 


/  Le  dernier  volume  contiendra  la  table  générale  \ 

de  tous  les  noms  cités  dais  l'ouvrage.  J 


PARIS 


CHEZ  J.  TECHENER  LIBRAIRE 

PLACE  DE  LA  C0L0NMAD8  DU  LOUTRE 

M  DCCC  LIV 


LES   HISTORIETTES 


TALLEMANT    DES   REAUX 


TVPOGRAPHIE  DE  A.  WITTERSHEIM, 
IDB    KOMIBOBBHCT,   8. 


LES  HISTORIETTES 


TALLEMANT  DES  REAUX 


TROISIEME   EDITION 

ENTIEREMENT     REVCE    SCU     LE    MANUSCRIT    ORIGINAL 
ET   DISPOSÉE   DANS   UN   NOUVEL   ORDRE 


MM.  DE  MONMERQUÉ  ET  PAULIN  PARIS 


TOME    DEUXIEME 


PARIS 


CHEZ    J.    TECHENER   LIBRAIRE 

PLACE    DE    LA   COIONHADE   DU    LODTRE 

M  DCCC  LIV 


LES 


HISTORIETTES. 


LXX. 

LE  CARDINAL  DE   RICHELIEU. 

(Armand-Jean  du  Plessis ,  évêque  de  Ltiçon ,  vurdinal-duc  de  Richelieu; 
7tc  à  Paris,  5  septembre  1585,  mort  à  Paris  k  décembre  1642.  ) 

Le  père  du  cardinal  de  Richelieu  estoit  fort  bon 
gentilhomme.  Il  fut  grand  prévost  de  l'Hostel,  et  che- 
valier de  l'Ordre;  mais  il  embrouilla  furieusement 
sa  maison.  Il  eut  trois  filz  et  deux  filles.  L'aisnée  fut 
mariée  à  un  gentilhomme  de  Poitou,  nommé  Yigne- 
rot.  Qui  estoit  un  homme  dubiœ  nobilitatis*.  Il  se    René  de  vignerot, 

'      1  sieur     de    Pont     de 

poussoit  pourtant  à  la  Cour,  et  estoit  tousjours  avec  ^""'"'^y- 
les  grands  seigneurs  :  il  jouoit  avec  M.  de  Crequy  et 
M.  de  Rassompierre.  L'autre  espousa  le  marquis  de 
Rrezé  *,  depuis  mareschal  de  France.  L'aisné  des  gar-  ^quis'^de  Brezé!  ' 
çons*  estoit  un  homme  bien  fait  et  qui  ne  manquoit  ^^""'^icheueu'^"^'' 
pas  d'esprit  :  il  avoit  de  l'ambition  et  vouloit  plus  des- 
penser qu'il  ne  pouvoit  ;  il  affectoit  de  passer  pour  un 
des  Dix-sept  seigneurs  :  en  ce  temps-là  on  appella 
ainsy  les  dix-sept  de  la  Cour  qui  paroissoient  le  plus. 


2  LES    HISTORIETTES. 

Marguerite  fiuyot       Qn  (lit  ouG  SIX  femiiiG  *,  coiiime  iiii  taillGui'  luv  de- 

(les  t;linrraeaux.  n  '  J    ^^ 

mandoit  de  quelle  façon  il  liiy  feroit  une  robe  : 
«  Faittes-la,  »  dit-elle,  «  comme  pour  la  femme  d'un 
»  des  Dix-sept  seigneurs.  «  Mais,  quoyqu  il  fist  fort  le 
seigneur,  et  qu'effectivement  il  fust  de  bonne  nais- 
sance, il  ne  passoit  pas  pourtant  pour  un  homme  de 
qualité  :  c'est  ce  qui  est  cause  que  le  cardinal  de  Ri- 
chelieu a  eu  tant  de  foiblesses  sur  sa  noblesse  et  sur 
sa  naissance.  Ce  M.  de  Richelieu  se  mit  bien  auprès 
d'Henry  1V%  qui  vouloit  tout  sçavoir,  en  luy  contant 
ce  qui  se  passoit  à  la  Cour  et  à  la  Ville,  car  ilprenoit 
un  soin  particulier  de  s'en  informer.  Il  fut  tué  en  duel 
En  avril  1619,  par  par  Ic  marQuis  de  Themines*  filz  du  Mareschal,  à 

Cliarles ,  seigneur  (\e  '^  '■  ' 

qu'islre  i^L^minés.'""  Angoulesmc,  quand  la  Reyne-mere  y  estoit ,  et  ne 
laissa  point  d'enfans.  Le  deuxicsme  a  esté  le  cardinal 
Alphonse  du  piessis-  (\q  Lvou  ^,  ct  Ic  dcmier  le  cardinal  de  Richelieu. 

Richelieu.  •>  ' 

Le  père  avoit  fait  donner  l'evesché  de  Luçon  '  à  son 
Fin  de  160S.  second  filz,  qui  le  quitta*  pour  se  faire  chartreux.  Le 
troisiesme  fut  destiné  à  l'Eglise,  et  eut  cet  evesché  au 
lieu  de  son  frère.  Estant  sur  les  bancs  de  Sorbonne, 
il  eut  l'ambition  de  faire  un  acte  sans  président  ;  il 
27  octobre  1607,  (jesdla  ses  thèses  au  roy  Henry  I V"  *,  et  quoyqu'il 
fust  fort  jeune,  il  luy  promettoit  dans  cette  lettre  de 
rendre  grands  services,  s'il  estoit  jamais  employé.  On 
a  remarqué  que  de  tout  temps  il  a  tasché  à  se  pous- 
ser, et  qu'il  a  prétendu  au  maniement  des  affaires  ^. 

*  C'est  peu  de  chose. 
Le  17  avril  1607.  ^  Il  alla  à  Rome  et  y  fut  sacré  evesque*.  Le  Pape  luy  demanda 

s'il  avoit  l'âge;  il  dit  que  ouy,  et  après  il  luy  demanda  l'absolution  de 
luy  avoir  dit  qu'il  avoit  l'âge,  quoyqu'il  ne  l'eust  pas.  Le  Pape  dit  : 
«  Questo  giovane  sara  un  gran  furbo.  » 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  3 

Les  Estats-erenéraux  où  il  fut  député  *,  luy  don-  Kni6n,pourieciergé 
nerent  lieu  d'acquérir  de  la  réputation.  Il  fit  quel- 
ques harangues  qu'on  trouva  admirables*;  on  ne  s'y  J^ulefie  asflvrier 
connoissoit  guères  alors. 

Après  la  mort  d'Henry  IV%  Barbin ,  surintendant 
des  Finances,  qui  estoit  son  amy ,  le  fit  faire  secré- 
taire d'Estat  par  le  mareschal  d'Ancre*.  ^^  novembre  tw. 

Il  y  a  un  assez  meschant  historien,  nommé  Tous- 
saincts  le  Grain,  qui  a  mis,  dans  l'Histoire  de  la  ré- 
gence de  Marie  de  Medicis,  que  le  Roy  dit  à  M.  de 
Luçon,  qu'il  rencontra  le  premier  dans  la  galerie, 
après  que  le  mareschal  d'Ancre  eust  esté  tué  *  :  «  Me  "  ''^"'  ^^^''■ 
»  voylà  deslivré  de  vostre  tyrannie,  monsieur  de 
»  Luçon.  »  Le  cardinal  de  Richelieu,  quand  il  fut  le 
tout-puissant,  ayant  eu  avis  de  cela,  crut  qu'il  luy 
importoit  de  faire  supprimer  cette  histoire.  Il  en 
fit  rechercher  avec  seing  les  exemplaires,  et  cette 
recherche  fut  cause  que  tout  le  monde  achetta  ce 
livre,  et  qu'on  a  sceû  ce  qu'on  n'auroit  peut-estre 
jamais  appris  sans  cela. 

La  Reyne-mere  ayant  esté  reléguée  à  Blois,  M.  de 
Luçon  fut  relégué  à  Avignon*,  afin  qu'ils  n'eussent  Avruieis. 
aucune  communication  ensemble.  Mais  quand  feu 
M.  d'Espernon  mena  la  Reyne  à  Angoulesme,  M.  de 
Luçon  l'y  fut  trouver*.  Ce  fut  là  que  l'abbé  de  Rus-  •*^"'  ""• 
cellai  florentin  et  luy  disputèrent  dix  ou  douze 
jours  de  la  faveur  auprès  de  la  Reyne-mere,  et 
l'Abbé  l'alloit  emporter  sur  l'Evesque,  si  M.  d'Es- 
pernon, tout-puissant  en  cette  petite  cour,  n'eust 
combattu  de  toute  sa  force  l'inclination  de  la  Reyne. 


A  une  Ueiie  d'An- 
gers, sur  la  Loire;  7 
août  1620. 


vol 

gneur  de  Combalet 


a  LES   HISTORIETTES. 

La  droslerie  des  Ponts-de-Sé  *  vint  en  suitte  :  le 
baron  de  Fœneste  s'en  mocque  assez  plaisamment, 
et  le  nom  qu'on  a  donné  à  cette  belle  expédition 
tesmoigne  assez  que  ce  ne  fut  qu'un  feu  de  paille. 
Bautru,  dont  nous  parlerons  assez  désormais,  y  avoit 
un  régiment  d'infanterie  au  service  de  la  Reyne- 
mere ,  et  il  luy  disoit  un  jour  :  «  Pour  des  gens  de 
»  pré ,  madame ,  en  voyià  assez  ;  pour  des  gens  de 
»  cœur,  c'est  une  autre  affaire.  »  Il  dit  encore,  quand, 
pour  asseurance  d'amitié  entre  MM.  de  Luynes  et 
M.  de  Luçon,  on  fit  le  mariage  de  M"^  du  Pont-de- 
Antoine  de  Beau-  Courlay  '  avoc  Combalct*,  que  les  canons  du  costé 

jlr   (lu  Roure,  sei-  «^  '       i 

du  Roy  disoient  Combalet^,  et  ceux  du  costé  de  la 
Reyne-mere ,  Pont-de-Couiiaij, 

M.  de  Luynes,  à  qui  le  père  Arnoul-  commençoit 
à  rendre  de  mauvais  offices  auprès  du  Roy ,  estant 
mort,  le  Père  Souffrant*,  autre  jésuite,  confesseur  de 
la  Reyne-mere ,  fit  une  telle  peur  au  Roy  du  traitte- 
ment  qu'on  avoit  fait  à  la  Reyne-mere ,  qu'il  croyoit 
desjà  que  le  Diable  le  tenoit  au  collet  ;  car  jamais 
homme  n'a  moins  aimé  Dieu  et  plus  craint  le  Diable 
que  le  feu  Roy .  Ces  deux  confesseurs  remirent  donc 
bien  ensemble  la  mère  et  le  filz ,  et  par  ce  moyen , 
M.  de  Luçon  se  rendit  insensiblement  le  maistre  des 
affaires,  et  eut  le  chapeau  de  cardinal  *. 
»  mal  16S6.  Quand  il  fit  arrester  à  Fontainebleau  *  le  mareschal 

1  C'est  Vignerot,  aujourd'huy  M"*  d'Aiguillon. 

2  Un  jésuite,  confesseur  du  Roy.  Il  voulut  obliger  ce  Père  à  luy 
révéler  sa  confession  ;  le  Père  n'y  voulut  jamais  consentir,  quoyque  sa 

Ou  .les  gros-bonnets.  Soci(5té  l'y  voulust  obliger.  Il  en  fut  tourmenté  parles  magni-magnos*  ^ 
et  en8n  on  fit  prendre  un  autre  confesseur  an  Roy. 


Sufften . 


Ko  uovembre  16!!. 


LE    CARDINAL    DB    RICHELIEU.  5 

d'Ornane',  Monsieur,  dont  ce  mareschal  estoit  gou- 
verneur ,  alla  à  dix  heures  du  soir  pester  dans  la 
chambre  du  Roy  à  qui  il  fit  peur,  et  luy  dit  qu'il 
vouloit  sçavoir  qui  le  luy  avoit  conseillé.  Le  Roy  dit 
que  ç' avoit  esté  son  conseil.  Monsieur  fut  trouver  le 
chancellier  Aligre ,  qui  luy  respondit  en  tremblant 
que  ce  n'estoit  pas  luy.  Monsieur  re\dnt,  et  pesta  tout 
de  nouveau.  Le  Roy,  ne  sçachant  que  luy  dire ,  en- 
voya quérir  le  Cardinal,  qui  dit  asseurément  et  sans 
hésiter  que  c'estoit  luy  qui  avoit  conseillé  au  Roy  de 
faire  arrester  M.  le  mareschal  d'Ornane,  et  qu'un 
jour  Monsieur  l'en  renier cieroit.  Monsieur  luy  dit  : 
«  Vous  estes  un  j —  f —  »  et  s'en  alla  après  ces  belles 
paroles. 

Je  mettray  en  passant  ce  que  c' estoit  que  le  chan- 
cellier Aligre*.  11  estoit  de  Chartres,  et  d'assez  mé-  en^ueSTmorl^n'ciét 
diocre  naissance.   Il  fut  du  conseil  de  M.  le  comte  *=^"''"^"^'- 
de  Soissons ,  le  père.  C  estoit  un  homme  fort  labo- 
rieux, un  vray  cul  de  plomb,  et  un  esprit  assez  doux 
et  assez  timide.  Après  la  mort  de  son  maistre,  insen- 
siblement on  le  mit  du  nombre  de  ceux  à  qui  on 
pourroit  donner  les  Sceaux,  et  en  efîect  on  les  luy 
donna.  Le  cardinal  de  Richelieu  ne  le  gousta  pas,  et 
l'envoya  à  sa  maison  de  la  Rivière,  auprès  de  Char- 
tres. Comme  ce  n'estoit  pas  un  grand   génie ,  on 
disoit  qu'on  l' avoit  envoyé  à /a  rivière*.  M.  de  Maril-  ^Th^yau'h/llây'' 
lac  eut  les  Sceaux. 

*  Qui  empeschoit  Monsieur  de  se  marier,  parce  qu'il  voyoit  bien  que 
la  maison  de  Guise  i"emporteroit  sur  luy,  et  qu'il  n'auroit  plus  de 
crédit. 


6  LES    HISTORIETTES. 

*  Le  Cardinal  haïssoit  Monsieur  ;  et  craignant,  veû 
le  peu  de  santé  que  le  Roy  avoit,  qu'il  ne  parvinst  à 
la  couronne,  il  fit  dessein  de  gaigner  la  Reyne,  et  de 
luy  ayder  à  faire  un  dauphin.  Pour  parvenir  à  son  but, 
il  la  mit,  sans  qu'elle  sceust  d'où  cela  venoit,  fort  mal 
avec  le  Roy  et  avec  la  Reyne-mere,  jusques  là  qu'elle 
estoit  fort  maltraittée  de  l'un  et  de  l'autre.  Après,  il 
Historiette.       j^y  ^j^  (|jj.ç  p^^j.  ]^me  ^j^  Paj^gig*^  dame  d'atours,  que 

si  elle  vouloit,  il  la  tireroit  bientost  de  la  misère 
dans  laquelle  ellevivoit.  La  Reyne,  qui  ne  croyoit 
point  que  ce  fust  luy  qui  la  fist  maltraitter,  pensa 
d'abord  que  c'cstoit  par  compassion  qu'il  lay  oflroit 
son  assistance ,  souffrit  qu'il  luy  cscrivist,  et  luy  fit 
mesme  response ,  car  elle  ne  s'imaginoit  pas  que  ce 
commerce  produisist  autre  chose  qu'une  simple  ga- 

Calanteric  •  attcii-    lanteric  *. 
tions     snns     consé- 

Muence.  (t'urcticre .)  j^^  Cardinal ,  qul  voyoit  quelque  acheminement  à 
son  affaire,  luy  fit  proposer  par  la  mesme  M""  du 
Fargis  -  de  consentir  qu'il  tinst  auprès  d'elle  la  place 
du  Roy;  que  si  elle  n' avoit  point  d'cnfans,  elle  seroit 

Lignes  biffées.  *  *  [Le  Cardinal  se  voulut  servir  de  M"*  du  Fargis,  qu'il  avoit  fait 

dauic  d'atours  do  la  Reyne  régnante,  pour  la  galanterie  politique  (car 
on  la  peut  appeller  ainsy)  qu'il  vouloit  faire  avec  la  Reyne.  ] 
2  Le  Cardinal  donnoit  des  rendez-vous  à  M"*  du  Fargis  chez  le  car- 
Pieire  caid.  «le  Be-  dinal  de  Bcrulle*,  à  Fontainebleau  et  ailleurs,  de  peur  de  faire  trop 
eu'iejs?""'^  ^^""*'  d'csclat  si  c'estoit  chez  luy-mesme,  et  aussy  à  cause  que  ce  cardinal 
passoit  pour  un  béat.  Berulle  ci'oyoit  que  c'estoit  pour  quelque  autre 
chose.  — 11  parla  aussy  d'amour  à  M""  du  Fargis,  et  luy  mit  le  marché 
au  poing.  —  Ce  fut  la  cabale  des  Marillac  qui  fit  Berulle,  leur  amy,  car- 
dinal et  ministre.  Le  feu  Roy  disoit  que  c'estoit  le  plus  vilain  homme 

y%lainhotté:how-   botté*  de  tout  le  royaume.  Malleville  disoit  qu'en  trois  semaines  qu'il 
«eois  qui  fait  l'impor-  ,.      ,    ,     „        ,,       ,    ,,^         •        -i  -^      ,         i      /■       u     • 

tnnt.  fut  au  cardmal  de  Berulle,  à  l'Oratoire,  il  apprit  plus  de  fourberies 

qu'en  tout  le  reste  de  sa  vie.  Il  y  avoit  bien  de  l'hypocrisie  ;  on  l'a  veù 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  7 

tousjours  mesprisée,  et  que  le  Roy,  malsain  comme 
il  estoit,  ne  pouvant  pas  vivre  long-temps,  on  la 
r'envoyeroit  en  Espagne;  au  lieu  que  si  elle  avoit 
un  filz  du  Cardinal,  et  le  Roy  venant  à  mourir  bien- 
tost,  comme  cela  estoit  infaillible ,  elle  gouverneroit 
avec  luy ,  car  il  ne  pourroit  avoir  que  les  mesmes 
interests,  estant  père  de  son  enfant  ;  que  pour  la  Reyne- 
mere,  il  l'esloigneroit  dez  qu'il  auroitreçeû  la  faveur 
qu'il  demandoit. 

La  Reyne  rejetta  bien  loing  cette  proposition*;  diMf'.'e'-S'reb.ma 
mais  on  ne  voulut  pas  rebutter  le  Cardinal  ;  il  fit  tout 
ce  qu'il  put  pour  la  voir  une  fois  dans  le  lict,  mais 
il  n'en  put  venir  à  bout  '. 

La  Reyne-mere ,  durant  cette  intrigue ,  eut  une 

passer  dans  le  fond  d'un  carrosse,  par  le  millieu  du  Cours,  son  bré- 
viaire à  la  main,  luy  qui  ne  pouvoit  quasy  lire  au  grand  soleil,  tant  il 
avoit  la  veûe  courte. 

1  II  ne  laissa  pas  d'avoir  tousjours  quelque  petite  galanterie  avec 
elle  ;  mais  enfin  tout  fut  rompu,  quand  il  descouvrit  que  la  Porte,  un 
des  officiers  de  la  Reyne,  alloit  recevoir  les  lettres  qui  venoient  d'Es- 
pagne, et  que  le  duc  de  Lon-aine  avoit  parlé  à  elle,  desguisé,  au  Val- 
de-Grace  ;  il  y  avoit  un  peu  de  galanterie  parniy.  Il  fit  arrester  la  Porte*,  12  août  ie39. 
et  le  Garde  des  sceaux,  Seguier,  interrogea  la  Rejue  au  Val-dc-Grace. 
Depuis,  le  Cardinal  a  tousjours  persécuté  la  Reyne,  et  pour  la  faire  en- 
rager, il  fit  jouer  une  pièce  appellée  Mirame  *,  où  on  voit  Boucquinquant  En  i6ii . 
plus  ajmé  que  luy,  et  le  héros,  qui  est  Boucquinquant ,  battu  par  le 
Cardinal.  (Desmaretz  fit  tout  cela  par  son  ordre  et  contre  les  règles.) 
Il  la  força  de  venir  voir  cette  pièce. 

—  Variante:  M.  de  la  Rochefoucault  dit  que  le  Cardinal  estoit  fort 
amoureux  de  la  Rej'ue,  et  que  de  rage,  il  la  vouloit  faire  répudier  ;  mais 
M"'  d'Aiguillon  l'en  empescha.  On  accusa  la  RejTie  d'intelligence  avec 
le  marquis  de  Mirabel,  ambassadeur  d'Espagne;  et  le  garde  des  sceaux 
Seguier  ne  l'interrogea  pas  seulement ,  mais  il  la  fouilla  en  quelque  sorte  ; 
car  il  luy  mit  la  main  dans  son  corps*,  pour  voir  s'il  n'y  avoit  point  de  Corps  fie  juppe,  i-or- 
lettres;  au  moins  y  regarda-t-il,et  a])procha  sa  main  de  ses  tétons.  Dans  -T^age. 

le  desespoir  où  il  la  mit,  elle  avoit  une  fois  résolu  de  s'enfuir  à  Brus- 


8  LES    HISTORIETTES. 

telle  jalousie  de  la  Reyne,  qu'elle  rompit  hautement 
avec  le  Cardinal  '.  La  Reyne-mere,  qui  vouloit  domi- 
ner, et  qui  avoit  fait  eslever  le  Roy  à  dessein  de  le 
rendre  incapable  de  faire  son  mcstier  luy-mesme^, 
avoit  eu  peur  que  la  Reyne  n'eust  du  pouvoir  sur 
son  esprit;  et  pour  empescher  cette  princesse  de 
s'appliquer  à  gaigner  l'affection  de  son  mary,  elle 

selles.  Le  prince  de  Marsillac,  jeune  homme  de  vingt  ans,  depuis  M.  de 
la  Rochefoucault  de  la  Fronde,  la  devoit  mener  en  croupe  ;  M""'  d'Haute- 
fort  estoit  de  la  partie  :  M"^  de  Clievreuse,  desjà  exilée  à  Tours,  devoit 
se  sauver  en  Espagne  si  on  luy  envoyoit  des  Heures  reliées  de  rouge,  et 
si  on  luy  en  envoyoit  de  vertes  elle  ne  devoit  bouger.  La  Reyne  réso- 
lue de  ne  point  partir,  M"*  d'Hautefort,  par  mesgarde  ou  ayant  oublié 
ce  dont  elles  cstoient  convenues,  envoya  les  Heures  rouges.  Cela  fut 
Jiist.,  t.  I,  p.  404.  cause  que  M"'  de  Chevreuse  *  se  desguisa  en  homme  et  alla  chez  le 
prince  de  Marsillac,  qui  luy  donna  des  gens  pour  la  conduire;  cela 
fut  cause  qu'on  le  tint  quelque  temps  en  prison.  Depuis,  le  Cardinal  le 
prit  en  amitié  et  luy  offrit  de  le  recevoir  au  nombre  de  ses  amys.  Luy 
n'osa  l'accepter  sans  le  consentement  de  la  Reyne,  qui  ne  le  luy  voulut 
pas  permettre. 

—  La  Reyne  régnante  avoua  qu'on  luy  pouvoit  faire  un  meschant  tour 
en  cette  occasion,  car  elle  avoit  esté  au  Val-de-Grace,  où  l'ambassadeur 
d'Espagne  Mirabcl ,  contre  la  défense  qu'on  luy  avoit  faitte  d'aller  plus 
au  Louvre  comme  il  faisoit  (car  il  y  alloit  sans  cesse,  et  auparavant  la 
Reyne-mere  l'admettoit  au  conseil) ,  avoit  esté  parler  à  elle,  et  elle  en 
avoit  quelque  reconnoissance.  Sur  cette  affaire  de  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne, au  commencement  elle  dit  bien  des  sottises  ;  que  son  frère  la 
vengeroit,  etc.,  et  atousjours  eu  intelligence  avec  luy.  Elle  ne  pouvoit 
cacher  le  chagrin  qu'elle  avoit  des  prosperitez  de  la  France,  quand  c'es- 
toit  au  préjudice  de  sa  maison. 

*  Et  chassa  M"°^  d'Aiguillon  et  M.  de  la  Meilleraye,  qui  estoit  son 
capitaine  des  Gardes.  —  On  a  fortmesdit  du  cardinal  de  Richelieu,  qui 
estoit  bel  homme,  avec  la  Reyne-mere.  Durant  cette  galanterie,  elle 
s'avisa,  quoyqu'elleeust  desjà  de  l'âge,  de  se  remettre  à  jouer  du  luth  ; 
elle  en  avoit  joué  un  peu  autrefois.  Elle  prend  Gaultier  chez  elle  :  voylà 
tout  le  monde  à  jouer  du  luth.  Le  Cardinal  en  apprit  aussy,  et  c'estoit 
la  chose  la  plus  ridicule  qui  se  pust  imaginer,  que  de  le  voir  prendre 
des  leçons  de  Gaultier. 

2  Elle  ne  baisa  pas  une  fois  le  Roy  en  toute  la  Régence. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  9 

mit  auprès  d'elle  M""'  de  Chevreuse  et  M"*"  de  la  Va- 
lette*, deux  aussy  folles  testes  qu'il  y  en  eust  à  la 
Cour.  La  princesse  de  Conty  avoit  eu  aussy  ordre  de 
la  Reyne-mere  de  prendre  garde  à  tout  ce  qu'on 
feroitchez  la  Reyne;  et  celle-cy  qui,  quoyque  vieille, 
avoit  encore  l'amour  en  teste,  estoit  bien  aise  qu'on 
fist  galanterie.  Ce  fut  elle  qui  apprit  à  la  Reyne  à 
estre  coquette  ^. 

En  ce  temps-là  on  parla  du  mariage  de  la  Reyne 
d'Angleterre*.  Le  comte  de  Carlile  et  le  comte  d'Ol-  cef mar!"e%''n  mTà 
land,  qui  furent  envoyez  icy  pour  en  traitter,  don-  ^^^  "' 
nerent  avis  à  Bouquinquant,  favory  du  Roy,  qui 
avoit  le  roman  en  teste,  qu'il  y  avoit  en  France  une 
jeune  reyne  galante,  et  que  ce  seroit  une  belle  con- 
queste  à  faire  ;  dez  lors  il  y  eut  quelque  commerce 

^  M"=  de  Verueuil,  sœur  de  M.  de  Metz.— M""*  de  la  Valette  estoit  fort 
bien  avec  la  Reyne-niere  ;  M""^  de  Verneuil,  sa  mère,  luy  dit  un  jour  : 
«  Madame,  mais  qu'est-ce  que  ma  fille  a  donc  pour  vous  plaire  ?  Cela 
»  me  surprend;  car  le  feu  Roy  estoit  un  fort  bonhomme,  mais  il  a  bien 
n  fait  les  plus  sots  enfans  du  monde.  »  • —  Elle  (M°*  de  Verneuil)  devint 
si  grosse,  que  Bautru,  en  l'allant  voir,  vouloit  payer  à  la  porte,  comme 
pour  voir  la  baleine.  Elle  ne  s'amusa  plus  qu'à  faire  des  ragousts,  quand 
elle  vit  Henry  IV"  mort.  Elle  ne  luy  a  pas  esté  infidelle  :  c'est  la  seule. 

2  II  arriva  une  chose  assez  bizarre  en  ce  temps-là.  Le  jour  que  le 
Cardinal  alla  à  Luxembourg*,  où  la  Reyne  et  luy  rompirent,  le  procu-  au  palais 

reur  général  Mole,  qu'il  avoit  dessein  de  faire  premier  président,  n'ayant  *^"  Luxembourg, 
pas  trouvé  M.  le  Cardinal  chez  luy,  alla  le  chercher  à  Luxembourg. 
Par  malheur  le  Cardinal,  descendant  par  le  grand  escalier,  le  vit  qui 
montoit  par  le  petit.  Il  crut  que  cet  homme  venoit  offrir  son  service  à 
la  Reyne-mere,  et  il  ne  s'en  desabusa  que  long-temps  après,  qu'il  le  fit 
premier  président.  Il  fut  trompé  au  jugement  qu'il  fit  de  luy  et  du 
président  Melian.  Ce  Melian,  président  des  enquestes,  avoit  plus  de 
réputation  qu'il  n'en  meritoit.  Le  Cardinal  le  fit  procureur  général,  et 
il  se  trouva  que  ce  n'estoit  nullement  un  habile  homme  ;  et,  au  con- 
traire, le  procureur  général  qu'il  fit  premier  président,  parce  qu'il  ne 
passoit  pas  pour  un  grand  clerc,  se  trouva  plus  habile  qu'on  necroyoit. 


10  LES   HISTORIETTES. 

entre  eux,  par  le  moyen  de  M"'"  de  Chevreuse,  à  qui 
le  comte  d'Olland  en  contoit;  de  sorte  que  quand 
Bouquinquant  arriva  pour  espouser  la  reyne  d'An- 
gleterre, la  Reyne  régnante  estoit  toute  disposée  à 
le  bien  recevoir.  Il  y  eut  bien  des  galanteries  ;  mais 
ce  qui  fit  le  plus  de  bruit,  ce  fut  que  quand  la  Cour 
alla  à  Amiens,  pour  s'approcher  d'autant  plus  de  la 
mer,  Bouquinquant  tint  la  Reyne  toute  seule  dans 
un  jardin  ;  au  moins  il  n'y  avoit  qu'une  M™'  du  Ver- 
fe*mml"de*'Bart'ho&  uct  *,  sœuY  dc  fcu  M.  dc  Luyucs,  dame  d'atours  de 
inj,!,iei.rdu  veintt.  jjj  j^^yj^g .  jj^g^jg  q\\q  estolt  d'intelligcnce  et  s'estoit 

assez  esloignée  '.  Le  galant  culebutta  la  Reyne,  et  luy 
escorcha  les  cuisses  avec  ses  chausses  en  broderies  ; 
mais  ce  fut  en  vain,  car  elle  appella  tant  de  fois  que 
la  dame  d'atours,  qui  faisoit  la  sourde-oreille,  fut 
contrainte  de  venir  au  secours  -. 

Le  Cardinal  prit  soupçon  de  toutes  les  galanteries 
de  Bouquinquant,  et  empescha  qu'il  ne  retournast  en 
France  ambassadeur  extraordinaire,  comme  c'estoit 
son  dessein.  Ne  pouvant  faire  mieux,  il  y  vint  avec 


1  Cette  M"^  du  Vcrnet  fut  chassée  pour  cela  ;  mais  comme  elle  avoit 
gaigné  du  bien,  feu  M.  de  Bouillon  la  Mark  l'espousa.  On  disoit  que 
ce  du  Vernct  avoit  esté  violon,  et  avoit  monstre  à  danser  aux  pages  du 
connestable  de  Montmorency,  en  Languedoc.  Cependant  ils  le  firent 
gouverneur  de  Calais. 

2  Quelques  jours  après,  la  Reyne  régnante  estant  demeurée  à  Amiens, 
soit  qu'elle  se  trouvast  mal  ou  qu'elle  ne  fust  pas  nécessaire  pour  ac- 
compagner la  reyne  d'Angleterre  à  la  mer,  car  cela  n'eust  fait  que  de 
l'embarras,  Boucquinquant,  qui  avoit  pris  congé  de  la  Reyne  comme 
les  auti'cs,  retourna  quand  il  eut  fait  trois  lieues  ;  et  comme  la  Reyne 
ne  songcoit  à  rien,  elle  le  voit  à  genoux  au  chevet  de  son  lict.  Il  y  fut 
quelque  temps,  baise  le  bout  des  draps,  et  s'en  va. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  H 

une  armée  navale  attaquer  Tisle  de  Ré  '.  A  son  arri- 
vée, il  prit  un  gentilhomme  de  Xaintonge ,  nommé 
Saint-Surin,  homme  adroit  et  intelligent  et  qui  sça- 
voit  fort  bien  la  Coar.  Il  luy  fit  mille  civilitez,  et  luy 
ayant  descouvert  son  amour,  il  le  mena  dans  la  plus 
belle  chambre  de  son  vaisseau.  Cette  chambre  estoit 
fort  dorée;  le  plancher  estoit  couvert  de  tapis  de 
Perse,  et  il  y  avoit  comme  une  espèce  d'autel  oii  estoit 
le  portrait  de  la  Reyne,  avec  plusieurs  flambeaux 
allumez.  Après,  il  luy  donna  la  liberté,  à  condition 
d'aller  dire  à  M.  le  Cardinal  qu'il  seretireroit  et 
livreroit  la  Rochelle,  en  un  mot,  qu'il  offroit  la  carte 
blanche,  pourveû  qu'on  luy  promist  de  le  recevoir 
ambassadeur  en  France.  Il  luy  donna  aussy  ordre  de 
parler  à  la  Reyne  de  sa  part.  Saint-Surin  vint  à  Paris, 
et  fit  ce  qu'il  avoit  promis.  Il  parla  au  Cardinal,  qui 
le  menaça  de  luy  faire  couper  le  cou  s'il  en  parloit 
davantage.  Depuis,  quand  la  Reyne  apprit  la  mort 
de  Bouquinquant*,  elle  en  fut  sensiblement  touchée.  '^'â'septembrS'.*'' 
Au  commencement  elle  n'en  vouloit  rien  croire,  et 
disoit  :  «  Je  viens  de  recevoir  de  ses  lettres.  »  Le  Car- 
dinal apparemment  avoit  desjà  en  teste  ce  que  je 
vais  raconter. 

*  Il  y  avoit  une  littiere  et  des  chevaux  de  bague*  dans  ses  vaisseaux,    sans  doute  :  de  car- 

voîiscl 
—  On  a  sceù  du  cardinal  Spada,  alors  nonce  en  France  (il  l'a  dit  à 

M.  de  Fontenay-Mareuil,  (juand  il  estoit  ambassadeur  à  Rome) ,  que 

la  France  et  l'Espagne  estant  sur  le  poinct  de  se  liguer  pour  attaquer 

l'Angleterre  (c'estoitle  cardinal  de  Berulle  ,  alors  général  de  l'Oratoire 

et  non  encore  carllinal,  qui  pressoit  cette  alliance  ) ,  le  comte  d'Oli- 

varès  avertit  le  duc  de  Bouquinquant  du  dessein,  et  cela  le  fit  venir 

dans  l'isle,  une  campagne  plustost  qu'il  n'avoit  résolu.   L'Espagne 

vouloit  que  les  Huguenots  brouillassent  tousjours  la  France. 


12  LES    HISTORIETTES. 

s<fpteinbre  16S0.  Au  voyage  de  Lyon,  où  le  Roy  fut  si  mal*,  la 
Reyne-mere  demanda  en  grâce  au  Roy  qu'il  chas- 
sast  le  Cardinal.  Il  luy  promit  de  le  chasser  dez  que 
la  paix  d'Allemagne  seroit  faitte ,  mais  qu'il  avoit 
affaire  de  luy  jusques  là.  Le  Roy  estant  guéry,  part 
et  va  à  Rouane.  La  Reyne-mere  estoit  demeurée  à 
Lyon,  à  cause  qu'elle  avoit  mal  à  un  pied.  De  Rouane, 
le  Roy  luy  escrivit  qu'elle  se  guérist,  qu'il  luy  don- 
neroit  bientost  contentement,  que  la  paix  d'Alle- 
magne estoit  faitte,  et  qu'il  en  envoyoit  la  ratifica- 
tion *. 

La  Reyne-mere  fut  si  aise  de  cette  nouvelle,  qu'à 
la  chaude  elle  fit  brusler  quelques  fagots,  comme 
pour  faire  une  espèce  de  feu  de  joye.  Le  Cardinal 
sceut  qu'elle  avoit  fait  ce  feu,  et  il  se  douta  de  quel- 
que chose.  Il  presse  le  Roy;  le  Roy  luy  confesse 
tout  :  la  Reyne-mere  vient  à  Rouane.  Le  Cardinal, 
comme  elle  communioit  à  l'église,  s'approcha  d'elle, 
et  fit  signe  à  Saint-Germain^,  qui  comme  aumos- 
nier  estoit  auprès  d'elle,  de  se  retirer.  Il  la  conjura 
de  luy  pardonner  :  elle  le  rebutta  :  «  Madame,  »  luy 
dit-il,  «  j'en  feray  bien  périr  avec  moy.  »  C'est  de  là 
qu'est  venue  la  rupture  sans  rime  ny  raison  de  la  paix 

1  Par  grimasse ,  il  composa  un  conseil,  et  fit  Saint-Chaumont  mi- 
nistre d'Estat  ;  car  il  ne  vouloit  pas  dos  gens  bien  forts.  Saint-Chau- 
mont, qui  croyoit  qu'on  donnoit  cela  à  son  mérite,  en  eut  bien  de  la 
joye.  Il  rencontra  Gordes,  capitaine  des  Gardes  du  corps,  à  qui  il  le 
dit  :  «  O,  ô,  »  dit  Gordes,  «  tu  te  mocques  !  »  Il  entre  en  riant  à  gorge 
desployée  et  dit  au  Roy  :  «  Sire,  Saint-Cliaumont  dit  que  Votre  Majesté 
»  l'a  fait  ministre  d'Estat;  quelque  sot  croiroit  cela.  » 
Mathieu   de  Mor-       2  Celui  qui  a  tant  cscrit  contre  le  Cardinal.  Il  s'appelle  de  Mourgues*, 

eues,  abbé  de  Saint-  ,     _ 

Ocrmain.  et  est  de  Pans. 


LE    CARDINAL    DE    hICHELIEU.  13 

de  Ratisbonne.  A  Lyon,  tout  le  monde,  c'est-à-dire 
toutes  les  caballes,  estoient  contre  le  Cardinal.  Au 
retour,  il  fit  arrestcr  le  mareschal  de  Marillac  ;  et  le 
Garde  des  sceaux  fut  mené  à  Angoulesme*;  M.  de  12  novembre  leso. 
Chasteauneuf  eut  les  Sceaux  '.  Cela  irrita  furieuse- 
ment la  Reyne-mere.  Le  Cardinal  luy  fit  parler  plu- 
sieurs fois,  et  comme  le  premier  président  de  Verdun 
luy  eust  dit  que  Son  Eminence  en  avoit  pleuré  cinq 
fois  différentes  :  «  Je  ne  m'en  estonne  pas,  »  respon- 
dit~elle ,  «  il  pleure  quand  il  veut.  »  Bonnœil ,  intro- 
ducteur des  Ambassadeurs,  homme  dévot,  mais  qui 
estoit  tousjours  dans  l'adoration  du  Ministère,  et 
qu'on  appelloit  vulgairement  le  dévot  de  la  Cour,  dit 
aussy  à  la  Reyne-mere  qu'il  aVoit  veû  le  Cardinal  si 
abattu  et  si  changé  qu'on  ne  le  connoissoit  plus. 
Elle  dit  qu'il  se  changeoit  comme  il  vouloit,  et  qu'a- 
près avoir  paru  gay,  en  un  instant  il  paroissoit  demy- 
mort.  Il  y  eut  pourtant  je  ne  sçay  quelle  reconcilia- 
tion. Peu  de  temps  après,  se  fit  la  grande  caballe  des 


1  Ce  fut  à  Ruel,  dans  la  propre  maison  du  Cardinal,  que  le  mares- 
chal de  Marillac  estoit  gardé.  M.  de  Chasteauneuf  servit  bien  le  Car- 
dinal :  car  il  ne  laissa  lire  les  avis  qu'une  fois  au  lieu  de  trois  fois,  et 
puis  dit  :  H  II  y  a  arrest.  »  Chastellet  vouloit  revenir.  Quand  cela  fut 
fait*,le  Cardinal  leur  dit:  «  Messieurs,  il  faut  avouer  que  Dieu  donne  mal  i63î. 

»  des  connoissances  aux  juges  qu'il  ne  donne  pas  aux  autres  hommes; 
))  je  ne  croyois  pas  qu'il  meritast  la  mort.  »  En  effect,  on  ne  luy  fit  son 
procez  que  sur  des  ordres  de  tirer  tant  et  tant  de  certains  villages 
du  Verdunois  pour  les  exempter  de  gens  de  guerre,  et  l'on  disoit  qu'il 
avoit  employé  cet  argent  à  bastir  la  citadelle  de  Verdun.  Mais  il 
n'en  avoit  point  d'ordre.  Chasteauneuf  en  a  esté  bien  payé  depuis. 
Bretagne,  conseiller  de  Dijon,  fut  pour  cela  premier  président  de  Metz. 
On  le  trouva  bruslé  ;  car  un  jour  estant  demeuré  seul,  il  estoit  tombé 
dans  le  feu,  et  comme  il  estoit  foible,  il  ne  s'en  put  tirer. 


14  LES   HISTORIETTES. 

deux  Reynes ,  de  Monsieur  et  de  toute  la  maison  de 
Guise.  Le  Cardinal  désespéré  se  vouloit  retirer, 
mais  le  cardinal  de  la  Valette  luy  remit  le  cœur  au 
ventre.  M.  de  Rambouillet  gaigna  Monsieur  ' ,  et  comme 
on  croyoit  le  Cardinal  perdu,  le  Roy  se  déclara  pour 
luy.  C'est  ce  qu'on  a  appelle  la  Journée  des  cluppes. 

^Xml'xVvuia  ^^  ^^^  ^  1^  Saint-Martin,  au  retour  de  la  Rochelle  *. 

RmmieonLyon.  '"^  M""  du  Fargis  fut  cliasséc  à  cause  de  ses  caballes 
et  non  à  cause  de  ses  galanteries.  Elle  s' estoit  jointe  à 
Vaultier  et  à  Bcringhen,  aujourd'huy  premier  es- 
cuyer  de  la  petite  escuric.  Elle  fut  quelque  temps 
cachée  aux  environs  de  Paris,  mais  on  la  descouvrit 
bientost,  et  il  fallut  aller  plus  loin. 


né'''éTîs89- mort  en      ^^  mcttray  icy  ce  que  j'ay  appris  de  Vaultier  *.  Un 

1652. 

^  Monsionr,  par  les  caballes  de  la  maison  de  Guise,  dm  duc  de  Lor- 
Marsi63i.  rainc  et  de  la  r.eyne-mere,  sortit  de  France*,  mais  principalement  ;\ 

cause  qu'on  n'avoit  pas  tenu  parole  à  le  Cogncux,  chancellier  de  Mon- 
sieur, et  à  Puylaurcns.  M.  de  Rambouillet,  par  cette  négociation,  avoit 
promis  à  le  Cogneux  une  charge  de  président  au  mortier  qu'il  eut,  et 
un  chapeau  de  cardinal  ;  et  à  Puylaurcns  un  brevet  de  duc.  On  n'escrivit 
point  à  Rome  pour  le  chapeau,  le  brevet  ne  s'expédia  point.  Ces  deux 
Antoine  de  Lange  ,  hommes  aigrissent  leur  maistre  et  le  font  partir.  Puylaurens  *  croyoit 
sieur  de  Puylaurens.  gspouser  M'"^  de  Phalsbourg,  qui  estoit  veuve.  Saint-Chaumont,  qui 
faisoit  le  siège  de  Nancy  que  M""'  de  Phalsbourg  delTcndoit,  laissa  es- 
chapper  la  princesse  Marguerite  k  cheval,  et  fut  disgracié  pour  cela. 
Depuis,  elle  espousa  Monsieur,  en  Flandres. 

—  On  a  dit  que  Puylaurens  avoit  esté  empoisonné  avec  des  champi- 
gnons, et  on  disoit  que  les  champignons  du  bois  de  Vincennes  estoient 
Juin  1635.  hien  dangereux.  Mais  il  mourut*,  comme  le  grand-prieur  de  Vendosme 

et  le  mareschal  d'Ornane,  à  cause  de  l'humidité  d'une  chambre  voustée 
et  qui  a  si  peu  d'air  que  le  salpestre  s'y  forme.  M™'=  de  Rambouillet 
disoit  plaisamment  que  cette  chambre  valloit  son  pesant  d'arsenic, 
comme  on  dit  son  pesant  d'or.  Le  cardinal  de  la  Valette  luy  redisoit 
tousjours  cela. 


LE   CARDINAL    DE    RICHELIEU.  15 

cordellier,  nommé  père  Crochard  ',  l'avoit  pour  do- 
mestique, comme  un  pauvre  garçon  ;  M"'"  de  Guer- 
cheville  le  fit  médecin  du  Commun  chez  la  Reyne- 
mère,  à  trois  cens  livres  de  gages.  Or,  quand  elle 
fut  à  Angoulesme,  et  que  de  Lorme  Feust  quittée  à 

..  j,  .  ,.,,..,  ,1  ,11       Bourg     de    l'ancien 

Aigre  ,  aux  enseignes  qu  il  disoit  en  son  style  qu  elle  Angoumois. 
luy  avoit  dit  des  paroles  plus  aigres  que  le  lieu  où. 
elles  avoient  esté  dittes,  elle  eut  besoing  d'un  méde- 
cin. Il  ne  se  trouva  que  Vaultier  que  quelqu'un, 
qui  en  avoit  esté  bien  traitté,  luy  loua  fort.  Il  la 
guérit  d'une  heresipelle,  et  en  suitte  il  réussit  si  bien 
et  se  mit  si  bien  dans  son  esprit,  qu'il  estoit  mieux 
avec  elle  que  personne  :  d'où  vint  la  grande  haine 
du  Cardinal  contre  luy.  C'estoit  un  grand  homme 
bien  fait,  mais  qui  avoit  de  grosses  espaules  ;  il  fai- 
soit  fort  l'entendu.  Il  estoit  d'Arles;  sa  mère  gai- 
gnoit  sa  vie  à  filer,  et  on  disoit  qu'il  ne  l'assistoit 
point. 

Le  cardinal  de  Richelieu,  dans  le  dessein  qu'il 
feignoit  d'avoir  de  se  reconcilier  avec  la  Reyne- 
mere  encore  une  fois*,  envoya  quérir  Vitray,  aujour- 
d'huy  imprimeur  du  Clergé ,  homme  de  bon  sens  et 
qui  faisoit  profession  d'amitié  avec  Vaultier  ,  et  luy 
dit  qu'il  le  prioit  de  porter  les  paroles  de  part  et 
d'autre.  Yitray  luy  dit  qu'il  le  prioit  de  l'en  dis- 
penser ;  que  souvent  on  sacrifioit  de  petits  compa- 
gnons pour  appaiser  les  puissances.  «  IN  on,  «  reprit 
le  Cardinal ,  «  ne  craignez  rien.  —  Puisque  vous 
»  voulez  donc,  »  dit  Vitray,  «  que  j'aye  cet  honneur, 

1  Qui  suivoit  partout  M.  de  la  Rocheguyoïi. 


Novembre  1830. 


16  LES    HISTORIETTES. 

»  ne   me  donnez  point  à  deviner;  dittes-moy  les 
)'  choses  sincèrement.  —  Allez  dire  à  Vaultier  cela 
')  et  cela,  »  adjousta  le  Cardinal.  11  y  eut  bien  des 
allées  et  des  venues  ;  enfin  la  chose  en  vint  à  ce  point, 
que  le  Cardinal  fit  dire  à  Vaultier,  par  Yitray,  qu'il 
falloit  faire  une  entreveue  chez  Vitray  mesme,  et  que 
de  peur  de  trop  d'esclat,  le  Père  Joseph  iroit  au  lieu 
de  luy.  Vaultier  respondit  :  «  C'est  un  piège  ;  après, 
»  le  Cardinal  ne  manquera  pas  d'avertir  la  Reyne- 
»  mère  de  cette  conférence ,  et  de  luy  dire  que  j'ay 
»  commerce  avec  luy  ou  avec  ses  gens.  Je  ne  sçau- 
»  rois ,  »  adjousta-t-il ,  «  empcscher  la  Reyne-mere 
»  d'aller  à  Compiegne.  »  Or,  le  Cardinal  ne  deman- 
doit  pas  mieux  que  la  Reyne  fist  la  sottise  d'aller  à 
Compiegne,  quoyqu'il  fist  semblant  de  contraire, 
qu'il  eust  offert  toutes  choses  à  Vaultier,  et  qu'il 
eust  résolu  d'aller  jusqu'au  chapeau  de  cardinal. 
Car  la  Reyne-mere  vouloit  régner,  et  ne  se  conten- 
toit  pas  de  donner  charges  et  bénéfices,  et  d'avoir 
autant  d'argent  qu'elle  en  vouloit.  La  princesse  de 
Conty,  et  par  elle  toute  la  maison  de  Guise  et  M.  de 
Bellegarde,  la  portoient  sans  cesse  à  perdre  le  Car- 
dinal. Elle  va  donc  à  Compiegne  ;  on  l'y  arreste,  et 
on  ordonne  à  Vaultier  de  retourner  à  Paris.  En  che- 
min on  le  prend  et  on  le  meine  à  la  Bastille.  Le  Car- 
dinal fait  dire  à  Vitray  qu'il  estoit  fort  content  de 
son  entreprise;  qu'il  n'avoit  qu'à  voir  son  amy  tant 
qu'il  voudroit.  Vitray  respondit  :  «  Je  m'en  garde- 
»  ray  bien  ,  c'est  un  homme  qui  a  eu  le  malheur  de 
»  tomber  dans  la  disgrâce  du  Prince  :  je  le  serviray 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  17 

»  assez  sans  le  visiter.  »  Le  Cardinal  luy  manda  qu'il 
y  allast  librement,  qu'il  n'y  avoit  rien  à  craindre 
pour  luy  :  il  y  fut  donc.  Vaultier  luy  dit  :  «  Me  voylà 
»  bien  bas,  mais  je  seray  quelque  jour  le  premier 
»  médecin  du  Roy.  »  Cela  est  arrivé ,  mais  non  pas 
comme  il  l'entendoit,  car  il  croyoit  que  ce  seroit  du 
feu  Roy,  et  c'a  esté  d'un  roy  qui  n'estoit  pas  encore 
au  monde.  Nous  l'avons  veu,  riche  de  vingt  mille 
escus  de  rente,  vivre  comme  un  gredin,  et  prendre 
de  l'argent  des  malades  qu'il  voyoit.  A  la  fm  il  en 
eut  honte  et  n'en  prit  plus. 

Pour  achever  ce  cfue  je  sçay  de  la  Reyne-mere, 
j'adjousteray  qu'elle  ne  se  put  garantir  à  Brusselles 
mesme  des  finesses  du  Cardinal  pour  l'esloigner  de  ■ 
là  ;  car  elle  estoit  assez  près  pour  faire  tousjours  des 
caballes  contre  luy.  Il  luy  fit  accroire  que  si  elle  rom- 
poit  avec  les  Espagnols,  il  la  feroit  revenir.  Elle  fei- 
gnit donc  d'aller  à  Spa,  et  deux  mille  chevaux  hol- 
landois  la  vinrent  prendre.  Après,  il  ne  se  soucia 
plus  d'elle  \  On  dit  qu'en  ce  temps-là  elle  n' avoit 
autre  but  que  de  jouir  de  Luxembourg  et  du  Cours 
qu'elle  avoit  fait  planter,  sans  se  mesler  plus  de  rien. 
Ainsyelle  sortit  sottement  de  Brusselles,  où  elle  estoit 
bien  traittée  par  les  Espagnols,  qui  luy  donnoient 
douze  mille  escus  par  mois,  dont  elle  estoit  fort  bien 


1  Le  Cardinal  négocia  si  bien  qu'il  fit  revenir  Monsieur.  II  maria 
peu  de  temps  après  trois  de  ses  parentes  à  M.  de  la  Valette,  à  Puy- 
Laurens  et  au  comte  de  Guiche.  —  Ce  fut  pour  l'attrapper  *  qu'il  luy  fit      m.  de  la  Valette^ 
espouser  sa  parente.  M.  d'Espemon,  pour  avoir  mal  vescu  avec  sa  non"'veuf'de*^MM?de; 
femme,  s'est  attiré  toutes  les  calamités  qu'il  a  eues.  vememi. 

II.  2 


18  LES    HISTORIETTES. 

payée,  et  depuis  cela  ne  fit  qu'errer  et  vivotter  misé- 
rablement. Saint-Germain  ne  sçavoit  rien  du  des- 
sein de  la  Reyne-mere  :  le  Cardinal-infant  en  estoit 
persuadé,  et  luy  donna  pour  vivre  une  prévosté  de 
douze  millô  livres  de  rente;  peut-estre  vouloit-il  l'a- 
voir pour  le  faire  escrire  contre  le  Cardinal.  Cet 
homme  revint  à  Paris  à  la  mort  du  cardinal  de  Riche- 
lieu, car  il  avoit  autant  de  revenu  que  cela  en  une 
autre  prévosté,  en  Provence,  et  n'a  point  voulu  jouir 
de  celle  de  Flandres,  afin  qu'on  ne  le  peûst  pas  accu- 
ser d'avoir  commerce  avec  l'ennemy.  Il  vit  icy  chez 
sa  sœur,  à  qui  il  donne  douze  mille  livres  de  pen- 
sion. Il  a  encore  trois  mille  livres  de  rente  d'ailleurs, 
et  quand  il  tire  quelque  chose  de  ses  appointemens, 
car  il  a  je  ne  sçay  quel  employ,  ou  quelque  pension, 
il  le  distribue  aux  deux  filles  de  cette  sœur.  Il  ne 
veut  point  disposer  de  ces  deux  prévostez,  parce  qu'il 
dit  que  c'est  usurper  le  droit  des  collateurs. 

Le  bonhomme  d'Espernon  avoit  esté  un  des  plus 

c'est-à-dire^<endre  fcrmcs,  mais  il  fut  cufin  coutraint  de  boucquer  *,  et 
vint  à  cheval  à  Montauban  voir  le  Cardinal.  «  Vous 
»  voyez,  »  luy  dit-il ,  «  ce  pauvre  vieillard.  »  Le  Car- 
dinal luy  en  vouloit,  parce  que,  durant  le  siège  de  la 
Rochelle,  quelqu'un  l'ayant  trouvé  avec  un  bréviaire, 
il  dit  :  «  Il  faut  bien  que  nous  fassions  le  mestier  des 
»  autres,  puisque  les  autres  font  le  nostre.  «  Il  appel- 

foy. tom. I, p.  176.  loit  son  filz  le  cardinal  Valet*.  En  revanche,  il  fit 
grand  peur  au  Cardinal  à  Bordeaux,  car  il  l'alla  voir 
suivy  de  deux  cens  gentilshommes,  et  le  Cardinal 
estoit  seul  au  lict.  Le  Cardinal  ne  luy  a  jamais  par- 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  19 

donné  depuis.  Ce  bonhomme  dit  plaisamment,  quand 

le  Cardinal  fut  fait  généralissime  en  Italie,  que  le 

Roy  ne  s'estoit  réservé  que  la  vertu  de  guérir  des 

escrouelles^  ;  et  quand  M.  d'Effiat  fut  fait  mareschal 

de  France*,  il  luy  dit  :  «  Eh  bien,  monsieur  d'Effiat,      Janvier  im. 

»  vous  voylà  mareschal  de  France.  De  mon  temps 

»  on  en  faisoit  peu,  mais  on  les  faisoit  bons.  » 

Le  Cardinal  ne  pouvoit  digérer  qu'on  luy  re- 


*  Le  Cardinal,  pour  avoir  l'amirauté  et  estre  absolu  aussy  bien  sur 
mer  que  sur  terre,  fit  courir  le  bruit  *  que  quelques  galions  d'Espagne  16**- 

de  la  flotte  des  Indes  s'estoient  perdus  vers  Rayonne,  et  fit  sçavoir  ceste 
nouvelle  au  Roy.  Au  mesme  temps,  plusieurs  personnes  apostées  di- 
soient à  Sa  Majesté  que,  faute  d'avoir  quelqu'un  qui  prist  soin  des 
naufrages,  on  pcrdroit  toute  la  charge  de  ces  galions,  et  qu'il  seroit 
nécessaire  de  faire  un  maistre  et  surintendant  de  la  Navigation;  et 
tout  d'un  train  ils  se  mirent  à  examiner  qui  pourroit  bien  s'acquitter 
comme  il  faut  de  cet  employ  ;  et  après  avoir  nommé  bien  des  gens,  ils 
ne  trouvoient  que  M.  le  Cardinal  capable  de  cette  charge  ;  de  sorte 
qu'ils  persuadèrent  au  Roy  de  luy  en  parler.  Sa  Majesté  le  proposa  au 
Cardinal,  qui  d'abord  dit  qu'il  n'estoit  desjà  que  trop  occupé,  qu'il  suc- 
comberoit  sous  le  faix,  et  se  fit  bien  prier  pour  la  prendre.  Cette  charge 
rendoit  celle  d'amiral  inutile  ou  superflue  :  aussy  M.  de  Montmorency 
fut  bien  aise  de  traitter  de  celle  d'amiral  de  Ponent,  qu'il  possedoit. 
M.  de  Guise,  pour  celle  de  Levant  fit  plus  de  cérémonies,  et  enfin  on 
luy  osta  et  l'amirauté  et  le  gouvernement  de  Provence. 

—  Pour  monstrer  la  grande  puissance  du  Cardinal,  on  faisoit  un  conte 
dont  Roisrobert  divertit  Son  Eminence.  Le  colonel  Hailbrun ,  Ecossois, 
homme  qui  estoit  considéré,  passant  à  cheval  dans  la  rue  Tictonne,  se 
sentit  pressé.  Il  entre  dans  la  maison  d'un  bourgeois,  et  descharge 
son  paquet  dans  l'allée.  Le  bourgeois  se  trouve  là  et  fait  du  bruit  ;  ce 
bonhomme  estoit  bien  empesché.  Son  valet  dit  au  bourgeois  :  «  Mon 
»  maistre  est  à  M.  le  Cardinal.  —  Ah  !  Monsieur,  «  dit  le  bourgeois, 
i(  vous  pouvez  chier  partout,  puisque  vous  estes  à  Son  Eminence.  » 

C'est  ce  colonel  qui  disoit  en  son  baragouin  que  quand  la  balle 
avoit  sa  commission,  il  n'y  avoit  pas  moyen  de  l'eschapper.  —  Le  père 
Joseph  monstroit  avec  son  doit  sur  la  carte  :  «  Nous  passerons  la  ri- 


20  LES    HISTORIETTES. 

prochast  qu'il  n'estoit  pas  de  bonne  maison ,  et  rien 
ne  luy  a  tant  tenu  à  l'esprit  que  cela  *.  Les  pièces 


»  viere  là.  —  Mais,  Monsieur  Josepli,»luy  disoit-il,  «  vostre  doit  n'est 
»  pas  un  pont.  » 

—  Le  Cardinal  fit  en  sorte  que  le  Roy  jotta  les  yeux  sur  la  Folone, 
gentilhomme  de  Touraine,  pour  luy  donner  ordre,  sans  qu'il  parust 
que  le  Cardinal  en  sccust  rien,  de  se  tenir  auprès  de  Son  Eminence 
et  d'cmpeschcr  qu'on  ne  l'accablast,  et  qu'on  ne  luy  parlast  que 
lorsque  l'on  auroit  quelque  chose  d'important  à  luy  dire.  C'estoit 
avant  qu'il  eust  un  maistre  de  chambre  et  des  gardes.  Ce  la  Folone 
estoit  le  plus  beau  mangeur  de  la  Cour.  Quand  les  autres  disoient  : 
«  Ah  !  qu'il  feroit  beau  chasser  aujourd'liuy  !  —  Ah  !  qu'il  fcroit 
»  beau  se  promener!  —  Ah!  qu'il  feroit  beau  jouer  à  la  paume, 
"danser,  etc.,  »  luy  disoit  :  «  Ah!  qu'il  feroit  beau  manger  aujour- 
»  d'huy!  »  En  sortant  de  table,  ses  grâces  cstoient  :  «  Seigneur,  fay- 
»  moy  la  grâce  de  bien  digérer  ce  que  j'ay  mangé.  » 

1  Hocquincourt  le  perc,  grand-prévost,  ayant  demandé  à  estro  chan- 
cellier  de  l'Ordre,  le  Cardinal  luy  dit  :  «  Vraj^ment  voylà  une  belle 
•)  dignité!  —  C'est  pourtant  cette  dignité-là  qui  fit  vostre  père  cheva- 
»  lier.  »  Il  n'en  fut  pas  mieux  en  cour  pour  cela.  —  Le  grand-prieur  de 
la  Porte,  voyant  que  le  cardinal  de  Richelieu  ne  donnoit  pas  la  main 
chez  luy  au  prince  de  Piémont,  depuis  duc  de  Savoye,  dit  tout  haut: 
»  Qui  eust  jamais  pensé  que  Je  petit-filz  de  l'advocat  la  Porte  eust  passé 
«devant  le  petit-filz  de  Charles-Quint?  » 

—  Au  siège  de  la  Rochelle,  M.  de  la  Rochcfoucault,  alors  gouverneur 
de  Poitou ,  eut  ordre  d'assembler  la  noblesse  de  son  gouvernement.  En 
quatre  jours,  il  assemble  quinze  cents  gentilshommes,  et  dit  au  Roy  : 
«  Sire,  il  n'y  en  a  pas  un  qui  ne  soit  mon  parent.  »  M.  d'Estissac,  son 
cadet,  luy  dit  :  «  Vous  avez  fait  là  un  pas  de  clerc.  Les  nepveux  du 
))  Cardinal  ne  sont  encore  que  des  gredins,  et  vous  allez  faire  clacquer 
»  votre  fouet.  Gare  vostre  gouvernement.  »  Dez  le  mois  suivant,  le  Car- 
dinal le  luy  fit  oster  pour  le  donner  à  un  homme  qui  n'eust  pas  tant  de 
crédit.  Ce  fut  Parabelle. 

—  Quand  le  duc  de  Weymar  vint  à  Paris*,  le  comte  de  Parabelle, 
assez  sot  homme,  l'alla  voir  comme  un  autre,  et  fut  si  impertinent  que 
de  luy  aller  demander  pourquoy  il  avoit  donné  la  bataille  de  Nortlingue. 
Le  Duc  dit  à  l'oreille  au  mareschal  de  la  Mcillcrayc  :  «  Qui  est  ce  fat 
»  de  cordon-bleu  ?  »  Le  Mareschal  luy  dit  :  «  C'est  une  espèce  de  fou  ; 
»  ne  vous  arrestez  pas  à  ce  qu'il  dit.  —  Pourquoy  l'a-t-on  donc  fait 
»  cordou-bleu  ?  —  Il  n'estoit  pas  si  extravagant  en  ce  temps-là.  » 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  21 

qu'on  imprimoit  à  Bruxelles  contre  luy  le  chagri- 
noient  aussi  terriblement  \  Il  en  eut  un  tel  despit, 
que  cela  ne  contribua  pas  peu  à  faire  desclarer  la 
guerre  à  l'Espagne  :  mais  ce  fut  principalement  pour 
se  rendre  nécessaire.  L'année  que  les  ennemis  pri- 
rent Corbie  *,  quoyqu'il  y  eust  tousjours  une  petite  '^^*- 
espargne  de  cinq  cens  mille  cscus  chez  Mauroy  l'in- 
tendant, le  Cardinal  cstoit  pourtant  bien  empesché. 
Le  bonhomme  BuUion,  surintendant  des  finances, 
l'alla  voir  :  «  Qu'avez-vous ,  monseigneur-?  je  vous 
»  trouve  triste.  »  Il  avoit  un  ton  de  vieillard  un  peu 
grondeur,  mais  ferme.  «  Hé,  n'en  ay-je  pas  assez  de 
»  sujet?  »  dit  le  Cardinal,  «  les  Espagnols  sont  entrez, 
»  ils  ont  pris  des  villes  ^  ;  Monsieur  le  Comte  a  esté 
»  poussé  de  deçà  l'Oise,  et  nous  n'avons  plus  d'armée. 
y>  —  Il  en  faut  lever  une  autre ,  Monseigneur.  —  Et 
»  avec  quoy?  —  Avec  quoy?  je  vous  donneray  de 
»  quoy  lever  cinquante  mille  hommes  et  un  million 
»  d'or  en  croupe*  »  (ce  sont  ses  termes).  Le  Cardinal  se?l''eT  maî^  '  du 
l'embrassa.  Bullion  avoit  tousjours  six  millions  chez 
le  trezorier  de  TEspargne  Fieubet;  car  c'estoit  celuy 
à  qui  il  se  fioit  le  plus.  De  là  vient  la  prodigieuse  for- 


'  L'escrit  qui  l'a  le  plus  fait  enrager  depuis  cela,  a  esté  cette  satire 
de  mille  vers,  où  il  y  a  du  feu,  mais  c'est  tout.  Il  fit  emprisonner  bien 
des  gens  pour  cela  ;  mais  il  n'eu  put  rien  descouvrir.  Je  me  souviens 
qu'on  fermoit  la  porte  sur  soy  pour  la  lire  :  ce  tyran-là  estoit  furieu- 
sement redouté.  Je  croy  qu'elle  vient  de  chez  le  cardinal  de  Retz  ;  on 
n'en  sçait  pourtant  rien  de  certain. 

2  Le  Cardinal  a  affecté  de  se  faire  appeller  Monseigneur. 

'  Il  fut  surpris  ;  car  il  croyoit  que  les  HoUandois  mettroient  en  cam- 
pagne, et  luy  vouloit  cependant  raffler  la  Franche-Comté. 


ââ  LES    HISTORIETTES. 

tune  de  Lambert  \  le  commis  du  comptant  de  Fieubet, 
car  il  faisoit  profiter  cet  argent  ;  et  tel  à  qui  il  pres- 
toit  cinquante  mille  livres ,  quand  il  le  pressoit  de 
payer,  comme  il  faisoit  exprès,  luy  jettoit  un  sac  de 
mille  francs  pour  avoir  respit.  Le  Cardinal  pourtant 
n'estoit  guères  bien  informé  des  choses,  de  ne  sçavoir 
pas  ce  qu'on  faisoit  de  fargent,  ny  s'il  n'y  en  avoit 
pas  de  réserve;  mais  c'est  qu'il  vouloit  voler,  et 
laissoit  voler  les  autres. 

En  ce  temps-là,  il  alla  par  Paris  sans  Gardes; 
mais  il  avoit  du  fer  à  l'cspreuve  dans  les  mantelets 
et  dans  les  cuirs  du  devant  et  du  derrière  de  son 
carrosse ,  et  tousjours  quelqu'un  en  la  place  des  la- 
quais. Il  menoit  tousjours  le  mareschal  de  la  Force 
avec  luy,  parce  que  le  peuple  l'aymoit.  Le  Roy  alla 
à  Chantilly ,  et  envoya  le  mareschal  de  Chastillon 
pour  faire  rompre  les  ponts  de  l'Oise.  Montatere, 
gentilhomme  d'auprès  de  Liancourt,  rencontra  le 
Mareschal  et  luy  dit  :  «  Que  ferons-nous  donc ,  nous 
»  autres  de  delà  la  rivière?  il  semble  que  vous  nous 
»  abandonniez  au  pillage.  —  Envoyez,  »  dit  le  Mares- 
sauve-gardes.  chai,  «  dcmandcr  des  gardes*  à  M.  Picolomini;  je 
»  vous  donneray  des  lettres,  il  est  de  mes  amys  ;  nous 
»  en  usasmes  ainsy  en  Flandres,  après  la  bataille 
»  d'Avein.  »M.  de  Liancourt  et  M.  d'Humieres  ayant 
appris  cela,  se  joignent  à  Montatere.  Le  Mares- 
chal escrit  :  Picolomini  envoyé  trois  gardes,  et  mande 

'Ce  Lambert  est  mort  jeune,  et  se  tua  tellement  à  amasser  du  bien 
qu'il  n'en  a  point  jouy.  II  laissa  cent  mille  livres  de  rente  à  son  frère. 
Ce  sont  les  filz  d'un  procureur  des  Comptes. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  23 

auMareschal  que  si  c'eust  esté  lemareschal  de  Brezé, 
il  ne  les  auroit  pas  eus.  Picolomini  estoit  homme 
d'ordre;  car  ayant  logé  chez  un  gentilhomme,  il 
conserva  jusqu'aux  espalliers,  et  fit  donner  le  fouet 
à  un  page  qui  y  estoit  entré  par-dessus  les  murs. 
M.  de  Saint-Simon  *,  chevalier  de  l'Ordre  et  capitaine  ^^''^  jtf%L'o"r«"''*" 
de  Chantilly ,  pour  faire  le  bon  valet ,  alla  dire  au 
Roy  ciu'il  y  avoit  un  garde  à  Montatere  ;  que  c'es- 
toit  un  lieu  fort  haut ,  que  de  là  on  pouvoit  descou- 
vrir quand  le  Roy  ne  seroit  pas  bien  accompagné , 
et  le  venir  enlever  avec  cinq  cens  chevaux ,  car  il  y 
avoit,  disoit-il,  des  guez  à  la  rivière.  Yoylà  la  frayeur 
qui  saisit  le  Roy  ;  il  se  met  à  pester  contre  Monta- 
tere ,  et  dit  qu'il  vouloit  que  dans  trois  jours  il  eust 
la  teste  coupée ,  et  que  c'estoit  luy  qui  avoit  donné 
ce  bel  exemple  aux  autres.  Montatere  ne  se  monstre 
point ,  quoyque  ce  fust  au  mareschal  de  Chastillon 
qu'il  s'en  falloit  prendre.  Le  Roy  luy-mesme  avoit 
donné  lieu  à  la  terreur  qu'on  avoit  dans  le  pays,  car 
il  avoit  fait  desmeubler  Chantilly ,  qui  a  de  bons  fes- 
sez ,  et  qui  est  au  deçà  de  la  rivière.  Cette  colère 
dura  deux  jours ,  au  bout  desquels  Sanguin  ,  maistre 
d'hostel  ordinaire,  servit  au  Roy  des  poires  qu'il 
avoit  eues  de  Montatere.  Le  Roy  les  trouva  bonnes, 
et  demanda  d'où  elles  venoient.  :  «  Sire,  »  luy  dit-il 
en  riant,  «  si  vous  sçaviez  d'où  elles  viennent,  vous 
»  n'en  voudriez  peut-estre  plus  manger;  mangez, 
»  mangez ,  puis  je  vous  le  diray.  »  Après  il  luy  dit  : 
«  C'est  cet  homme  contre  qui  vous  pestiez  tant 
»  hier  qui  me  les  a  données  pour  vous  les  ser- 


24  LES    HISTORIETTES. 

»  vir.  ')  Il  se  mit  à  rire,  et  dit  qu'il  en  vouloit  avoir 
des  grefles.  Enfin  M.  d'Angoulesme  fit  la  paix  de 
Montatere,  à  condition  qu'il  ne  parleroit  point.  En 
elTect,  le  Roy  luy  dit  :  «  Montatere ,  je  te  pardonne, 
»  mais  point  d'esclaircissement,  »  et  il  tourna  le  dos. 
Il  eust  bien  mieux  fait,  ou  le  Cardinal  pour  luy,  de 
chastier  ceux  qui  s'enfuirent  si  vilainement  de  Paris  ; 
car  en  ce  temps-là  le  chemin  d'Orléans  estoit  tout 
couvert  des  carrosses  des  gens  qui  croy oient  n'estre 
pas  en  seureté  à  Paris.  Barentin  de  Charonne  en  fut 
un.  Il  falloit  en  faire  un  exemple ,  et  le  condamner 
à  une  grosse  amende,  riche  comme  il  estoit  et  sans 
enfans. 

Dans  le  dessein  de  faire  une  duché  à  Richelieu , 
il  voulut  avoir  l'Isle-Bouchard,  qui  estoit  à  M.  de 
la  Trimouille  ;  et  pour  le  faire  donner  dans  le  pan- 
neau, il  envoya  des  mouchards ,  qui  dirent  que  le 
Cardinal  en  donneroit  tant  ;  c'estoit  plus  que  cette 
terre  ne  valoit  :  le  Duc  le  crut.  Le  Cardinal  luy  de- 
mande s'il  la  luy  vouloit  vendre.  L'autre  luy  dit  que 
ouy,  et  qu'il  luy  en  donnoit  sa  parole.  «  Et  moy,  »  dit 
le  Cardinal ,  «  je  vous  donne  aussy  ma  parole  de 
»  l'achepter  :  il  faut  donc  voir,  »  adjouste-t-il ,  «  com- 
»  bien  elle  sera  estimée ,  car  vous  ne  voudriez  pas 
»  me  survendre.  —  Ah!  on  m'avoit  dit,  »  respondit 
le  Duc ,  «  que  vous  en  donneriez  tout  ce  qu'on  vou- 
»  droit.  »  Cependant  il  fallut  en  passer  par  là.  La 
forcst  seule  valoit  les  cent  mille  escus  qu'il  en  donna. 
M.  de  la  Trimouille  a  bien  fait  de  plus  fous  marchez 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  '25 

que  celuy-là.  La  Moussaye ,  son  beau-frere ,  a  tiré 

de  la  forest  de  Quintin  *,  qu'il  luy  vendit  avec  la  terre  et'ire/«,1-e''forérdl 

^  c  1  '   1       liroceliande. 

de  Quintin ,  les  cinq  cens  mille  francs  qu  a  couste  le 
tout.  11  a  donné  une  forest  avec  le  fonds  pour  moins 
que  le  bois  ne  vaut. 

Il  eschangea  le  domaine  de  Chinon  avec  le  Roy  ; 
et  pour  n'avoir  pas  une  belle  maison  dans  son  voi- 
sinage et  qui  ne  pouvoit  pas  manquer  d'estre  à  un 
prince,  puisqu'elle  appartenoit  à  Mademoiselle,  il 
obligea  M.  d'Orléans,  comme  tuteur,  à  faire  l'es- 
change  de  Champigny  contre  le  Bois-le- Vicomte,  et 
de  razer  le  chasteau.  Il  voulut  aussy  faire  razer  la 
Sainte-chapelle  qui  y  est,  et  où  sont  les  tombeaux  de 
MjM.  de  Montpensier.  Pour  cela ,  il  avoit  exposé  au 
Pape  (car  une  Sainte-chapelle  dépend  directement 
du  Pape)  qu'elle  menaçoit  ruine.  Innocent  X%  alors 
dataire  du  cardinal  Barberin  légat  en  France,  fut 
délégué  pour  faire  une  descente  sur  les  heux.  Il 
trouva  que  la  Chapelle  estoit  magnifique  et  en  fort 
bon  estât;  et  son  rapport  fut  contraire  au  Cardinal, 
qui  n'osa  faire  une  mine  sous  la  chapelle,  et  dire  *  que  on  ut  .•  et  m. 
c' estoit  le  feu  du  ciel.  Depuis,  c'est  ce  qui  est  cause 
que  Mademoiselle  a  voulu  rentrer  dans  Champigny, 
comme  nous  dirons  dans  les  Mémoires  de  la  Ré- 
gence, et  qu'elle  y  est  rentrée.  Regardez  quelle 
foiblesse  à  cet  homme ,  qui  eust  pu  rendre  illustre 
le  lieu  le  plus  obscur  de  France ,  de  croire  qu'un 
grand  bastiment  adjousté  à  la  maison  de  son  père 
feroit  beaucoup  pour  sa  gloire;  sans  considérer, 
outre  tous  les  embarras  de  ce  domaine  du  Rov  et  de 


26  LES    HISTORIETTES. 

Champigny,  que  le  lieu  n'estoit  ny  beau  ny  sain;  car 
avec  tous  les  privilèges  qu'il  y  a  mis,  on  ne  s'y  habi- 
tue point.  Il  y  a  fait  des  fautes  considérables  ;  le 
principal  corps-de-logis  est  trop  petit  et  trop  estroit, 
par  la  vision  qu'il  a  eue  de  conserver  une  partie  de 
la  maison  de  son  père,  où  l'on  monstre  la  chambre 
dans  laquelle  le  Cardinal  est  né  ,  et  cela  pour  faire 
voir  que  son  peru  avoit  une  maison  de  pierre  de 
taille,  couverte  d'ardoise,  en  un  pays  oiiles  maisons 
des  paysans  sont  de  mesme.  Il  a  encore  affecté  de 
laisser ,  au  coing  de  son  parterre ,  une  église  assez 
grande,  à  cause  que  ses  ancestres  y  sont  enterrez. 
La  cour  est  fort  agréable  et  fort  ornée  de  statues  ;  il 
n'y  a  rien  plus  doré  ny  plus  embelly  de  tableaux  que 
les  dedans;  mais  du  costé  du  jardin,  la  face  du  logis 
est  ridicule.  On  y  a  fait  venir  des  eaux  jaillissantes 
en  assez  grande  quantité'.  Dans  le  chasteau  ny  dans 
la  ville,  on  ne  sçauroit  faire  une  cave  ;  on  en  a  fait  au 
bout  du  jardin.  La  basse-cour  est  belle,  la  ville  riante, 
car  c'est  une  ville  de  carte  ;  l'église  est  fort  agréable  ; 
les  maisons  de  la  ville  sont  toutes  d'une  mesme  struc- 
ture, et  toutes  de  pierre  de  taille.  Elles  ont  esté  bas- 
ties  par  ceux  qui  estoient  dans  les  finances,  dans  les 
partys  et  dans  la  maison  du  Cardinal.  Il  n'a  pas  eu  la 
satisfaction  de  voir  Richelieu  ;  il  avoit  trop  d'affaires. 


»  Les  canaux  sont  de  belle  eau.  C'est  une  petite  rivière  qui  les  fait 
et  les  fossez  sont  aussy  pleins  qu'ils  sçauroient  estre.  Le  parc  et  les 
jardins  sont  beaux.  {Mots  biffés.)  [Le  bois  n'y  est  pas  beau  ;  car  les 
chesnes  n'aiment  pas  tant  le  marescage  que  ces  grandes  allées  de  peu- 
pliers. Il  eust  fait  quelque  chose  de  bien  plus  beau  àl'Isle-Bouchard.l 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  27 

A  Paris,  il  s'est  amusé  encore  à  garder  une  cliam- 
bre  de  l'hostel  de  Rambouillet  \  et  par  cette  fantai- 
sie a  gasté  son  principal  corps-de-logis  :  il  a  basty 
à  la  ville  et  aux  champs  en  avaricieux.  Il  faut  dire 
aussy,  comme  il  est  vray,  que  d'abord  il  n'a  pas  eu 
un  si  grand  dessein,  et  que  tout  n'a  esté  fait  qu'à 
bastons  rompus.  Pour  avoir  la  place  nécessaire ,  il 
voulut  achepter  la  maison  où  pendoit  l'enseigne  des 
Trois  Pucelles.  Au  commencement ,  il  y  alla  par  la 
douceur  et  se  mit  à  la  raison  ;  mais  le  bourgeois  à 
qui  elle  appartenoit  disoit  sottement  que  c'estoit  l'hé- 
ritage de  ses  pères.  Le  Cardinal  s'irrita  enfin,  et  le 
fit  mettre,  par  une  vengeance  honteuse,  à  la  taxe 
des  Aisez.  Après,  il  eut  sa  maison  comme  il  voulut^. 

Il  laissa  mettre  à  cette  taxe  Barentin  de  Charonne, 
qui  avoit  esté  son  hoste  tant  de  fois'''.  Ce  n'est  pas 
qu'il  ne  le  meritastbien,  car  il  estoit  fort  riche,  et  luy 
avoit  fait  une  sottise,  en  criaillant  pour  un  bout  de 
chandelle  qu'on  avoit  mis  contre  une  muraille,  qui 

1  L'hostel  de  Rambouillet  d'aujourd'huy  estoit  à  M.  de  Pisani. 

2  II  laissa  le  Palais-Cardinal ,  comme  on  voit  par  son  testament , 
au  Dauphin,  pour  loger  le  dauphin  ou  du  moins  l'héritier  présomptif 
de  la  Couronne.  Quant  la  Cour  y  alla  loger  peu  de  temps  après  la 
mort  du  feu  Roy,  on  fit  mettre  :  Palais-Royal.  Cela  fut  fort  ridicule  de 
changer  cette  inscription.  En  47,  M""*  d'Aiguillon  prit  son  temps,  et 
ayant  représenté  le  tort  que  cela  faisoit  à  son  oncle,  on  luy  permit  de 
remettre  :  Palais-Cardinal.  Le  peuple  disoit  que  c'estoit  que  la  Reyne 
l'avoit  donné  au  cardinal  Mazarin. 

—  M"*  de  Rambouillet  disoit  à  M""^  d'Aiguillon  :  «  Madame ,  s'il 
»  plaisoit  à  M.  le  Cardinal  de  traitter  M.  de  Rambouillet  comme  son 
»  hostcl,  il  l'agrandiroit  honnestement.  »  Le  service  qu'il  luy  a  rendu, 
en  gaignant  Monsieur  à  la  Journée  des  duppes,  le  meritoit  bien. 

'  Dans  sa  maison  de  Charonne. 


28  LES    HISTORIETTES. 

noircit  quelque  misérable  destrempe  ;  pensez  que  ce 
n'estoit  pas  du  consentement  du  Cardinal,  qui  cstoit 
fort  propre  et  qui  ne  gastoit  jamais  rien.  On  n'a  point 
veu  de  maison  mieux  tenue  ny  mieux  réglée  que  la 
sienne.  Barentin  fut  si  sot  qu'il  en  mourut  d'afflic- 
tion, tant  il  estoit  vilain  et  intéressé.  Pour  excuser  le 
Cardinal,  on  disoii  que  deux  ou  trois  petits  desordres 
comme  cela  qui  estoient  arrivez  à  Charonne,  et  le  peu 
de  civilité  de  ces  gens-là,  qui  ne  luy  cedoient  pas 
toute  leur  maison,  quoyqu'elle  ne  fust  pas  trop 
grande,  le  dispensoient  de  les  exempter  de  la  taxe, 
et  qu'il  a  voit  peur  qu'on  ne  criast  contre  luy  d'espar- 
gner  Barentin,  quand  des  gens  médiocrement  à  leur 
aise  estoient  taxez.  Cependant  cela  ne  sonna  point 
bien  dans  le  monde. 

A  Ruel,  pour  parler  tout  de  suitte  de  ses  basti- 
mens,  on  ne  trouvera  pas  non  plus  grand' chose; 
mais  il  affectoit  d'estre  auprès  de  Saint-Germain  \ 

Le  Père  Caussin,  jésuite,  qui  a  voit  eu  la  place 
m7.  du  Pere  Arnoul,  s'avisa*  de  faire  une  caballe  contre 

le  Cardinal  avec  la  Fayette ,  fille  de  la  Reyne ,  dont 
le  Roy  estoit  amoureux  à  sa  mode.  M.  de  Limoges, 
oncle  de  la  demoiselle,  y  entroit  aussy.  M°"  de  Sene- 
cey,  qui  estoit  sa  bonne  amie,  en  fut  chassée,  et  la 
Fayette  rehgieuse.  Voicy  comme  cela  se  descouvrit. 

M.  d'Angoulesme^,  alors  veuf,  estoit  allé  prier  le 

1  Pour  la  Sorbonne,  c'est  sans  doute  une  belle  pièce,  mais  sa  niepce 
ne  fait  point  achever  l'autel,  etc.,  quoyqu'elle  y  soit  obligée,  aussy  bien 
qu'à  faire  faire  son  tombeau. 

2  C'est  le  bas^tard  de  Charles  IX«, 


LE   CARDINAL    DE    RICHELIEU.  29 

Cardinal  de  souffrir  qu'une  Ventadour,  abbesse  de... 
en  basse  Normandie,  à  qui  le  Cardinal  avoit  fait 
oster  son  abbaye  pour  des  libelles  qu'elle  avoit  faits 
contre  luy,  pust  estre  reçeûe  dans  quelque  religion  à 
Paris,  afin  qu'elle  ne  fust  pas  sur  le  pavé.  Le  Car- 
dinal le  luy  accorda.  En  s'en  retournant,  il  fut  aux 
Jésuites  de  la  rue  Saint-Antoine,  où  le  père  Caussin 
luy  dit  que  le  Roy,  touché  de  compassion  pour  son 
peuple,  avoit  résolu  de  chasser  le  cardinal  de  Riche- 
lieu ;  que  c'estoit  le  plus  scélérat  des  humains,  et 
qu'il  avoit  jette  les  yeux  sur  luy  *  pour  le  faire  Car-  m.  d'Angouiesme. 
dinal  et  le  mettre  en  la  place  de  l'autre.  Voyez 
l'homme  de  bien  qu'il  prenoit  !  Le  bonhomme,  qui 
connoissoit  bien  le  Roy,  remercia  le  père  Caussin  ; 
il  part,  et  se  met  à  resver  à  ce  qu'il  avoit  à  faire  : 
il  conclut  de  parler  sur  l'heure  à  M.  de  Chavigny. 
Chavigny  l'embrasse  et  luy  dit  :  «Vous  nous  donnez 
»  la  vie  !  il  y  a  six  mois  qu'on  ne  peut  deviner  ce 
»  qu'a  le  Roy.  »  Chavigny,  sans  attendre  davantage, 
court  viste  à  Ruel.  Le  lendemain  M.  d'Angoulesme 
s'y  rend,  et  ils  vont  tous  ensemble  trouver  le  Roy. 
Le  Cardinal  en  riant  dit  :  «  Sire ,  voicy  ce  mes- 
»  chant ,  ce  perfide ,  ce  scélérat  ;  il  faut  mettre 
»  M.  d'Angoulesme  en  sa  place.  »  Le  Roy  se  mit  à 
rire  avec  eux,  mais  du  bout  des  dents,  et  dit  :  «  Il 
»  y  a  quelque  temps  que  je  m'aperçois  que  le  pauvre 
')  père  Caussin  s'affoiblit.  »  M.  le  comte  d'Alais*  eut  fus  de  m.  d'Angon- 

^  lesme. 

pour  cela  le  gouvernement  de  Provence. 

Un  peu  après  cela,   comme  M.   d'Angoulesme 
couroit  un  daim  avec  le  Roy  dans  le  bois  de  Vin- 


30  LES    HISTORIETTES. 

cennes,  le  Roy  luy  dit  :  «  Bonhomme,  voyez-vous  ce 
»  dongeon?  Il  n'a  pas  tenu  à  M.  le  Cardinal  qu'on  ne 
»  vous  y  ayt  mis.  —  Par  le  corps-dieu,  Sire,  »  dit  le 
bonhomme,  «  je  l'avois  donc  mérité,  car  il  ne  vous 
»  l'auroit  pas  conseillé  autrement.  » 

Le  Père  Caussin  est  mort  d'une  bizarre  manière. 
Il  se  mesloit  d'astrologie,  et  trouva  qu'il  devoit  mou- 
rir un  certain  jour  ;  ce  jour-là,  sans  autre  mal,  il  se 
met  en  son  lict  et  meurt.  —  La  Reyne-mere  croyoit 
aussy  très-fort  aux  prédictions,  et  elle  pensa  enrager 
quand  on  l'asseura  que  le  Cardinal  prospereroit  et 
vivroit  long- temps  \ 

Le  Cabinet  asseurement  donnoit  de  l'exercice  au 
Cardinal;  aussy  despensoit-il  fort  en  espions.  Le 
Roy  estoit  foible  et  n'osoit  rien  faire  de  luy-mesme. 
Une  fois  on  trouva  qu'il  avoit  esté  bien  hardy  de 
donner  un  evesché  :  ce  fut  celuy  du  Mans,  va- 
charies  de  Beau-  caut  par  la  mort  d'un  Lavardin  *.  Le  Roy  le  sceût 

manoir  -  Lavardin  ;  '■  •' 

mort  17  novembre  ^^^^^  ^^^^^  j^  Cardinal  cu  cust  cu  l'advis,  et  dit  à  un 
EmeryMarciaFerté.  dc  SCS  aumosnlcrs  nommé  la  Ferté  *,  qu'il  le  luy 
donnoit.  La  Ferté  alla  trouver  le  Cardinal,  et  luy  dit 
en  tremblant  que  le  Roy  luy  avoit  donné  l'evesché  du 
Mans,  sans  qu'il  le  luy  eust  demandé.  «  0  !  voire  !  » 
dit  le  Cardinal ,  «  le  Roy  vous  a  donné  l'evesché 
»  du  Mans  ;  il  y  a  grande  apparence  à  cela  !  »  Ce 
garçon  croyoit  qu'on  le  luy  osteroit,  et  qu'on  luy 

*  La  Reyne-mere  croyoit  que  les  grosses  mousches  qui  bourdonnent 
entendent  ce  qu'on  dit  et  le  vont  redire.  Et  quand  elle  en  voyoit  quel- 
qu'une, elle  ne  disoit  plus  rien  de  secret. 


ment. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  31 

donneroit  quelque  petite  chose  en  la  place.  Mais 
le  Roy  dit  au  Cardinal,  la  première  fois  qu'il  le  vit  : 
«  J'ay  donné  l'evesché  du  Mans  à  la  Ferté.  »  Le 
Cardinal,  voyant  cela,  porta  ce  respect  au  Roy  que 
de  ne  pas  desfaire  ce  qu'il  avoit  fait.  Ce  la  Ferté 
estoit  filz  d'un  conseiller  de  Rouen  *  qui  ne  le  put  des?  non°"î'u''pariil 
pas  faire  conseiller  d'église  dans  son  parlement, 
car  il  estoit  cadet.  A  Paris,  il  trouva  une  charge 
d'aumosnier,  pour  vingt  mille  livres;  le  père,  quoy- 
que  assez  mal  intentionné  pour  luy,  y  consentit  : 
une  sœur  qu'il  avoit  à  Paris  le  nourrissoit.  Il  se  ren- 
dit fort  assidu,  et  le  Roy  l'aimoit  sans  le  tesmoigner. 

La  première  conqueste  qu'on  fit  en  Flandres,  ce 
fut  celle  de  Hesdin  *.  Le  grand-maistre  de  la  Meille- 
raye  commandoit  une  attaque,  et  Lambert  l'autre  ; 
Lambert  avoit  un  ingénieur  qui  avoit  servy  les  Estats  ; 
cet  homme  fit  les  choses  dans  l'ordre  et  comme  il 
les  falloit  faire.  Le  Grand-maistre  ne  voulut  pas 
avoir  la  patience  ;  il  fit  tuer  bien  des  gens,  et  avan- 
çoit  moins  que  l'autre.  Il  envoyé  quérir  cet  ingé- 
nieur, cf  Combien  me  demandez-vous  de  jours  ?  — 
))  Monsieur,  ne  plus  ne  moins  qu'à  l'autre  attaque. 
»  Il  faut  tant  de  temps  pour  passer  le  fossé.  »  Il 
fallut,  afin  que  le  Grand-maistre  eust  l'honneur  de 
la  prise  et  qu'on  le  fist  mareschal  de  France  sur 
la  bresche,  retarder  l'attaque  de  Lambert.  Ce  fut  là 
que  le  Grand-maistre,  dans  une  disette  d'argent, 
proposa  au  Cardinal  de  faire  quatre  autres  inten- 
dans  des  Finances  à  deux  cens  mille  livres  pièce.  Le 


32  LES   HISTORIETTES. 

Cardinal  luy  dit  :  «  Monsieur  le  Grand-maistre,  si 
»  on  vous  disoit  :  Vous  avez  un  maistre  d'hostel  qui 
»  vous  vole  ;  mais  vous  estes  trop  grand  seigneur 
»  pour  n'estre  volé  que  par  un  homme,  prenez-en 
»  encore  quatre;  le  feriez-vous?  »  Une  autre  fois  il 
luy  dit,  du  temps  que  Laffemas  faisoit  la  charge 
de  lieutenant  civil  par  commission,  qu'il  connoissoit 
un  homme  qui  donneroit  huit  cens  mille  livres  de 
cette  charge.  «  Ne  me  le  nommez  pas ,  »  dit  le  Car- 
dinal, «  il  faut  que  ce  soit  un  voleur.  » 

Hesdin  se  rendit  huit  jours  plus  tost  qu'il  n'auroit 
fait,  à  cause  d'une  lettre  en  chiffres  qu'on  inter- 
cepta, par  laquelle  ceux  de  dedans  demandoient 
secours.  Rossignol  la  deschiffra,  et  fit  respondre  en 
mesme  chiffre,  au  nom  du  Cardinal-infant,  qu'on 
ne  les  pouvoit  secourir,  et  qu'ils  traittassent.  A  la 
Rochelle,  il  deschiffra  aussy  une  lettre  qui  donna 
courage  au  Cardinal,  et  l'affermit  dans  son  dessein  *. 

Ce  Rossignol  estoit  un  pauvre  garçon  d'Alby, 
qui  n'estoit  pas  mal  habile  à  deschiffrer.  Le  Car- 
dinal le  gardoit  bien  autant  pour  faire  peur  aux 
gens  que  pour  autre  chose.  Il  a  fait  fortune,  et  est 

1  Durant  le  siège  de  la  Rochelle,  feu  Monsieur  le  Prince  comme  on 
estoit  en  peine  de  deschiffrer  des  lettres  en  chiffre,  se  ressouvint 
qu'il  avoit  veu  à  AJby  un  jeune  homme  appelle  Rossignol,  qui  avoit  du 
talent  pour  cela.  Il  en  donna  avis  au  Cardinal  qui  le  fit  venir.  Il  ren- 
contra d'abord  et  dit  à  Son  Eminence  :  «  L'espérance  des  Rochclois 
»  n'est  que  du  vent.  Ils  s'attendent  à  un  secours  par  mer;  les  Anglois 
»  leur  en  promettent.  »  Le  Cardinal  fit  fort  valoir  cette  science  et  il 
tascha  le  plus  qu'il  put  de  faire  croire  qu'il  n'y  avoit  point  de  chiffre 
que  Rossignol  ne  deschiffrast.  Cela  ne  luy  fut  pas  inutile  contre  les  ca- 
balles. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  33 

aujourd'hui  maistre  des  comptes  à  Poitiers.  11  estoit 

devenu  dévot  jusqu'à  se  donner  la  discipline.   En 

1653,  il  receut  quatorze  mille  escus  pour  trois  ans 

de  pension.  Le  cardinal  Mazarin  a  cru  qu'il  luy 

estoit  utile  pour  les  chitTres  mentaux  *  :  ny  luy  ny    o«  de  convention. 

teste  d'homme  ne  les  sçauroit  deschiffrer  que  par 

hazard  ;  on  dit  qu'il  n'en  a  jamais  deschiffré  qu'un. 

Au  reste,   c'estoit  une  pauvre  espèce  d'homme.  11 

comptoit  familièrement  au  cardinal  de  Richelieu  les 

honneurs  qu'on  luy  avoit  faits  k  Alby  :  «Monsei- 

»  gneur,  »  disoit-il,  «  ils  n'osoient  m' approcher.  Ils  me 

»  regardoient  comme  un  favory  ;  moy,  je  vivois  avec 

»  eux  comme  auparavant.  Us  estoient  tout  estonnez 

»  de  ma  civilité.  »  Le  Cardinal  levoit  les  espaules, 

et  dit  à  Desmaretz ,  après  que  l'autre  fut  sorty  : 

«  Je  vous  prie,  tirez-luy  les  vers  du  nez.  »  Desma- 

restz  l'accoste  et  luy  dit  :  «  Vous  en   avez  tantost 

»  bien  donné  à  garder  à  Monseigneur. — Pardieu,  » 

dit  Rossignol,   «  point  du  tout,  je  ne  luy  en  ay  pas 

»  dit  la  moitié;  mais  je  vous  veux  tout  conter  à 

»  vous.  »  Là-dessus,  il  hable  tout  son  saoul.  «  Mais  il 

»  faut,  »  adjousta-t-il,  «  que  je  vous  die  quelques-uns 

»  de  mes  bons  mots.  Il  y  avoit  un  juge  qui  n'osoit 

»  quasy  m'approcher;  je  l'embrasse,  et  luy  dis  en 

))  riant  :  Souvenez-vous  de  l'Alhergat.  »  C'estoit  un 

cabaret  où  ils  avoient  bu  ensemble  *. 

'  On  a  sceû  du  mareschal  de  la  Meillera3'e  qu'un  homme  vestu  à 
Tespagnolle  vint  demander  à  parler  au  cardinal  de  Richelieu  teste  à 
teste,  et  qu'après  bien  des  allées  et  des  venues,  voyant  qu'il  s'obstinoit 
à  parler  sans  tesmoins,  on  fut  obligé  de  le  fouiller.  Il  luy  proposa, 
moyennant  une  somme  de  douze  mille  escus  par  mois,  de  luy  faire 
II.  3 


su  LES    HISTORIETTES. 

Quand  le  duc  de  Lorraine  manqua  *  au  traitté 
qu'il  avoit  fait  à  Saint-Germain  avec  le  Roy, 
le  Cardinal ,  pour  consoler  Sa  Majesté  par  quelque 
espargne,  car  rien  ne  le  consoloit  tant ,  se  doutant 
que  dix  mille  pistolles  que  le  Duc  avoit  receues  es- 
toient  encore  à  Paris,  mit  le  commissaire  Coiffier  en 
queste,  et  luy  en  promit  six  cens.  Coiffier,  par 
hazard,  connoissoit  un  lorrain  qui  estoit  assez  bien 
avec  le  Duc  ;  il  va  chez  cet  homme,  et  luy  dit  :  «  On 
»  veut  vous  arrester  pour  telle  chose.  »  Le  lorrain 
luy  advoue  qu'il  avoit  cet  argent:  «  Eh  bien!  don- 
»  nez-le-moy,  et  on  ne  vous  arrestera  pas,  je  vous  en 
»  donne  ma  parole.  »  Le  lorrain  le  lui  donne  ;  Coif- 
fier le  porte  au  Cardinal,  et  le  Cardinal  au  Roy.  Les 
six  cens  pistolles  promises  furent  payées. 

Le  Cardinal  tenoit  parole  ;  on  le  verra  en  ce  que 
je  vais  conter.  Il  y  avoit  un  ingénieur  nommé  de 
Meuves,  qui,  un  jour,  avoit  dit  estourdiment  :  «  Il 
»  ne  faut  qu'achetter  deux  maisons  vis-à-vis ,  dans 
»  la  rue  Saint-Honoré ,  et  par-dessous  la  rue  faire 
»  une  mine ,  et  y  mettre  le  feu  quand  le  Cardinal 
»  passera.  »  Jugez  si  cela  est  fort  faisable.  Le  Car- 
dinal a  avis  de  cela ,  et  que  cet  homme  avoit  un 
secret  pour  rompre  le  fer  avec  une  certaine  liqueur. 
Cela  luy  fait  peur,  il  résout  de  se  desfaire  de  cet 

sçavoir  tout  ce  qui  se  passeroit  dans  le  conseil  d'Espagne.  Le  Car- 
dinal accepta  le  party,  résolu  de  hazarder  le  premier  moys.  Depuis, 
il  continua.  On  portoit  l'argent  dans  un  certain  esgoust,  vers  Fon- 
tarabie,  où  l'on  trouvoit  des  relations  de  tout  ce  qui  s'estoit  passé. 
Je  ne  sçay  pas  précisément  quand  cela  a  commencé  et  combien  cela 
a  duré. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  35 

homme.  Ce  de  Meuves  avoit  entrée  à  l'Arsenal,  et 
le  Grand-maistre  pretendoit  tirer  de  grands  avanta- 
ges de  ce  secret ,  en  surprenant  des  villes  où  il  y  a 
des  grilles  de  fer  pour  donner  passage  à  quelque 
ruisseau.  Un  soir ,  cet  homme  avoit  promis  à  quel- 
qu'un d'aller  coucher  à  Saint-Cloud;  il  estoit  tard, 
il  s'advise  d'aller  rompre  la  chaisne  de  quelque  ba- 
teau avec  sa  drogue,  prend  son  laquais  avec  un 
flambeau  allumé  pour  passer  sous  les  ponts.  Cette 
mesme  nuict-là  le  feu  se  prit  au  Pont-au-Change. 
Voylà  un  beau  prétexte  :  on  accuse  de  Meuves  d'y 
avoir  mis  le  feu,  et  par  malice.  Le  Cardinal  nomme 
pour  chef  de  ses  commissaires  (tous  conseillers  au 
Chastelet  qui  jugent  prevostalement  *  les  incen-  En  dernier  ressort, 
diaires)  M.  des  Cordes,  un  homme  qui  a  mérité 
qu'on  escrivist  sa  \ie\  afin  que,  ce  juge  incorrup- 
tible ne  l'emportant  pas  sur  les  autres,  on  pust  dire 
cependant  :  «  Il  a  esté  condamné  par  M.  des  Cordes.  » 
Le  Cardinal  songea  à  avoir  le  secret  :  il  envoyé  qué- 
rir le  clerc  de  M.  des  Cordes ,  nommé  de  Nieslé,  de 
qui  nous  tenons  cette  particularité.  De  Nieslé  luy 
apporta  de  la  drogue,  car  on  en  avoit  trouvé  chez 
de  Meuves  quand  on  le  prit.  Le  Cardinal  en  voulut 
voir  l'expérience  :  on  en  frotta  les  fiches  d'une  ar- 
moire :  au  bout  d'un  demy-quart  d'heure,  les  aix  de 
l'armoire  tombent  à  terre.  Le  Cardinal  voyant  cela 
ne  s'obstina  plus  à  vouloir  avoir  ce  secret  comme  il 
avoit  fait,  «parce,  »  dit-il,  «  qu'il  n'y  auroit  plus 
»  rien  de  seur.  »  Avant  cela,  il  l'avoit  fait  demander 

*  M.  de  Vence,  Antoine  Godeau,  l'a  escritte. 


36  LES    HISTORIETTES. 

à  de  Meuves ,  qui  respondit  qu'il  ne  le  donneroit 
point  si  on  ne  luy  promettoit  la  vie.  «  Je  ne  la  luy 
»  promettray  point,  «dit  le  Cardinal,  «  car  il  luy  fau- 
))  droit  tenir  parole ,  et  je  veux  qu'il  meure.  »  En 
effect,  il  fut  pendu.  Voyez  le  plaisant  scrupule  !  il  ne 
veut  pas  manquer  de  parole ,  et  fait  mourir  un  inno- 
cent. Un  politique,  ou  plutost  un  tyran  comme  luy, 
regarde  que  manquer  de  parole  descrie,  au  lieu 
que  peu  de  gens  sçauront  qu'on  a  fait  mourir  cet 
homme  injustement  '. 

1  Un  baron  du  Languedoc  dont  j'ay  oublié  le  nom,  parent  de  M.  de 
Cavoye,  avoit  trouvé  une  sorte  de  boulets  creux  qu'on  emplissoit  de 
poudre  à  canon,  et  qui,  avec  certaine  mesche  qui  s'allumoit  quand  on 
tiroit  le  canon,  crevoient  en  terre  et  faisoient  quasy  autant  d'effect 
qu'une  mine.  Le  feu  roy  Louis  XHP  en  fit  l'cspreuve  à  Versailles,  où 
exprès  on  fit  construire  une  demy-lune  de  terre.  Saint-Aoust,  lieute- 
nant général  de  l'artillerie,  envoya  par  malice  de  meschante  poudre  : 
le  baron  s'en  plaignit;  le  Roy  se  fascha.  Saint-Aoust  vint  et  en  apporta 
de  bonne.  L'effect  fut  grand.  Le  Roy  présenta  le  Raron  au  Cardinal  à 
Ruel  :  le  Cardinal  feignit  d'estre  ravy  ;  mais  à  cause  que  cela  ostoit  le 
grand  proffit  à  l'Artillerie,  en  réduisant  l'équipage  au  quart  des  char- 
rettes, il  fit  si  bien  qu'on  ordonna  à  cet  homme  de  se  retirer.  Rien 
n'estoit  plus  utile  pour  les  ouvrages  de  terre. 

DES  VALLÉES.  —  U  Y  avolt  à  Vitray,  en  Bretagne,  un  advocat  peu  employé,  nommé 

des  Vallées.  Cet  homme  estoit  si  né  aux  langues,  qu'en  moins  de  rien 
il  les  devinoit  et  en  faisoit  la  syntaxe  et  le  dictionnaire.  En  cinq  ou  six 
leçons,  il  monstroit  l'hébreu.  U  prétendoit  avoir  trouvé  une  langue 
matrice  qui  luy  faisoit  entendre  toutes  les  autres.  Le  cardinal  de  Ri- 
chelieu le  fit  venir  icy  ;  mais  il  se  brouilla  avec  de  Muys,  le  professeur 

Gabriel  Slonita,  sa-  en  langue  hébraïque,  et  un  autre,  peut-être  estoit-ce  Syonita*,  cet  homme 
vant  maronite   mort     ,     ^  .,  .  •„   •     ,    ,      t^-,  ,      ,     ,     ^  t      t^     n  •      .   -^ 

a  l'aris  en  1648.  du  Liban  qui  travailloit  a  la  Bible  de  le  Geay.  Le  Pailleur,  qui  estoit 

de  ses  amys,  luy  avoit  demandé  sur  toutes  choses  de  ne  les  point 
chocquer.  Un  jour  que  le  Pailleur,  en  voyant  quelques  espreuvesde  ce 
travail,  demanda  si  cela  estoit  corrigé,  des  Vallées  dit  :  «  Voire  !  ce  ne 
»  sont  que  des  ignorans.  »  De  Muys  sceùt  cela  et  le  descria.  Le  cardi- 
nal de  Richelieu  vouloit  pourtant  qu'il  fist  imprimer  ce  qu'il  sçavoit  de 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  37 

Par  ambition,  le  Cardinal  vouloit  accommoder  les 
religions,  et  meditoit  cela  de  longue  main.  11  avoit 
desjà  corrompu  quelques  ministres  en  Languedoc  ; 
ceux  qui  estoient  mariez  avec  de  l'argent,  et  ceux 
qui  ne  Festoient  pas  en  leur  promettant  des  béné- 
fices. Il  avoit  dessein  de  faire  faire  une  conférence, 
et  d'y  faire  desputer  ceux  qu'il  avoit  gaignez,  qui, 
donnant  les  mains,  engageroient  le  reste  à  faire  de 
mesme.  En  cette  intention,  il  jette  les  yeux  sur  l'abbé 
de  Saint-Cyran,  homme  de  grande  réputation  et  de 
grande  probité ,  pour  le  faire  le  chef  des  docteurs 
qui  disputeroient  contre  les  ministres.  Saint-Cyran 
luy  dit  qu'il  luy  avoit  fait  beaucoup  d'honneur  de  le 
croyre  digne  d'estre  à  la  teste  de  tant  d'habiles  gens, 
mais  qu'il  estoit  obligé  en  conscience  de  luy  dire  que 
ce  n' estoit  point  la  voye  du  Saint-Esprit  ;  que  c'estoit 
plustost  la  voye  de  la  chair  et  du  sang ,  et  qu'il  ne 
falloit  convertir  les  hérétiques  que  par  les  bons 
exemples  qu'on  leur  donnera.  Le  Cardinal  ne  gousta 
nullement  cette  remonstrance,  et  ce  fut  la  véritable 
cause  de  la  prison  de  Saint-Cyran. 

En  Languedoc,  le  Cardinal  envoya  quérir  un  des 
ministres  de  Montpellier,  nommé  le  Fauscheur,  natif 
de  Genève.  Il  le  vouloit  gaigner  à  cause  de  sa  répu- 
tation ;  il  luy  envoya  dix  mille  francs.  Ce  bonhomme 
fut  fort  surpris.  «  Hé  !  pourquoy  m' envoyer  cela  ?  » 
dit-il  à  celuy  qui  le  luy  apportoit.  —  «  M.  le  Cardi- 

cette  langue  matrice  :  «  Mais  (disoit-il)  vous  me  faittes  divulguer  mon 
»  secret,  donnez-moy  donc  de  quoy  vivre.  »  Le  Cardinal  le  négligea,  et 
le  secret  a  esté  enterré  avec  des  Vallées. 


38  LES    HISTORIETTES. 

»  nal ,  »  dit  cet  homme ,  «  vous  prie  de  prendre  cette 
»  somme  comme  un  bienfait  du  Roy.  »  Le  Faus- 
cheur  n'y  voulut  point  entendre.  Le  Cardinal  le 
trouva  mauvais,  et  le  pauvre  ministre  fut  interdit 
fort  long-temps,  jusqu'à  ce  qu'il  eust  permission  de 
prescher  à  Paris.  —  Un  de  ses  confrères,  nommé 
Mestrezat,  rapporta  dix  mille  escus  aux  héritiers  d'un 
homme  qui  les  luy  avoit  donnez  en  despost,  sans 
qu'eux  ny  qui  que  ce  soit  au  monde  en  sceust  rien  \ 

1  J'ay  appris  qu'une  des  choses  qui  donna  autant  d'occasion  à  la 
A  l'Instigation  du  réforme  des  Monastères,  principalement  de  dames*,  fut  la  folie  d'une 
père  osep  .  ^^^  ^^  Frontenac ,  religieuse  à  Poissy ,  qui ,  non  contente  de  faire 
l'amour,  s'avisa  de  danser  un  ballet  avec  cinq  autres  religieuses  et 
leurs  six  galans.  Ils  allèrent  à  Saint-Germain,  où  le  Roy  estoit.  On 
crut  d'abord  que  ce  ballet  vcnoit  de  Paris  ;  mais  dez  le  lendemain  ma- 
tin on  sceut  l'affaire,  et  le  jour  mesmc  les  six  religieuses  furent 
envoyées  en  exil.  Avant  cela,  elles  avoient  chascune  leur  logement  à 
part  et  leur  jardin,  et  mangeoient  en  leur  particulier,  si  elles  vou- 
loient. 

Variante  :  Ce  qui  luy  fit  venir  la  pensée  de  reformer,  fut  l'insolence 
de  deux  religieuses  de  Poissy,  qui  vinrent  danser  une  entrée  de  ballet 
à  Saint-Germain,  devant  le  Roy,  avec  leurs  deux  galans.  On  les  suivit, 
on  les  reconnut.  L'une  estoit  fille  de  M.  de  Frontenac,  premier  maistre 
d'hostel,  et  l'autre  aussy  estoit  de  bon  lieu ,  mais  je  n'ay  pu  sçavoir 
son  nom.  Elles  furent  cachées  à  Poissy,  je  ne  sçay  combien  de  jours  ; 
on  ne  put  jamais  obtenir  de  la  Prieure  qu'elle  leur  pardonnast  et  les 
receust  à  faire  pénitence  ;  disant  qu'elles  gasteroient  les  autres.  La 
Frontenac  n'en  a  jamais  eu  de  véritable  repentir  ;  ses  parensluy  firent 
donner  un  hospital  à  Dourdan,  où  elle  a  vescu  avec  beaucoup  de 
scandale.  L'autre  fut  receue  dans  un  monastère  de  Provence,  où  elle 
fit  de  grandes  austeritez  et  mourut  peu  de  temps  après. 

—  Le  Cardinal,  qui  avoit  alors  besoin  de  la  cour  de  Rome,  envoya 
l'evesque  de  Chartres,  Valençay,  trouver  un  vieux  docteur  de  Sorbonne 
nommé  Filesac,  et  luy  dit,  de  la  part  de  Son  Eminence,  qu'on  le  prioit 
d'examiner  telle  et  telle  affaire,  et  de  voir  en  quoy  on  pouvoit  gratifier 
le  Pape.  Ce  bonhomme  luy  respondit  :  «  Monsieur,  j'ay  passé  quatre- 
»  vingts  ans  ;  pour  examiner  ce  que  vous  me  proposez,  il  me  faut  six 
»  mois:  car  je  seray  obligé  de  revoir  six  gros  volumes  de  recueils  que 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  39 

Le  Cardinal  a  eu  quelquefois  bien  autant  d'iieur 
que  de  science  '  ;  car,  après  avoir  poussé  M.  le  comte 
de  Soissons  à  bout,  il  luy  oppose  à  la  vérité  un 
bon  chef,  mais  une  très-foible  armée.  Lamboy  n'eut 
pas  de  peine  à  desfaire  le  mareschal  de  Chastillon. 
En  conscience,  nMmportoit-il  pas  au  moins  autant 
au  Cardinal  que  le  Grancl-maistre  eust  la  gloire  de 
prendre  Aire,  que  de  battre  Monsieur  le  Comte-?  On 

»  voylà!  —  Bien,  »  dit  le  prélat,  «je  reviendray  dans  le  temps  que  vous 
»  me  marquez.  »  Le  terme  venu,  M.  de  Chartres  retourne  :  le  vieillard 
luy  dit  :  «  On  a  bien  des  incommoditez  à  mon  âge  ;  je  n'ay  pu  lire 
»  encore  que  la  moitié  de  mes  recueils.  »  Le  prélat  voulut  gronder  et 
l'intimider  :  «  Voyez-vous,  »  luy  respondit-il^  «  Monsieur,  je  ne  crains 
»  rien.  Il  n'y  a  pas  plus  loin  de  la  Bastille  au  Paradis  que  de  la  Sor- 
»  bonne  :  vous  faittes  un  mestier  bien  indigne  de  vostre  rang  et  de  vostre 
»  naissance;  vous  en  devriez  mourir  de  honte.  Allez  et  ne  mettez  ja- 
»  mais  le  pié  dans  ma  chambre.  » 

—  Un  autre,  nommé  Richer,  proviseur  du  collège  du  cardinal  le 
Moine,  fut  plus  tourmenté.  On  luy  deffendit  de  sortir  de  son  collège  : 
on  le  luy  donna  pour  prison.  Après,  on  l'obligea,  dans  la  chambre  du 
père  Joseph,  chez  le  cardinal  de  Richelieu,  de  signer  des  choses  qu'il 
ne  vouloit  point  signer.  On  le  vouloit  ensuitte  renvoyer  en  carrosse, 
comme  on  l'avoit  amené,  il  dit  qu'il  vouloit  faire  exercice;  mais  c'es- 
toit  qu'il  vouloit  entrer  chez  le  premier  notaire,  où  il  fit  des  protesta- 
tions contre  la  violence  qu'on  luy  avoit  faitte. 

—  Le  livre  intitulé  Optatus  Gallus  fut  fait  par  le  docteur  Arsent  *,      Charles    Hersent 

docteur  de  Sorbonne, 
de  concert  avec  le  Nonce  du  Pape,  pour  monstrer  que  le  cardinal  de  mort  en  leeo. 

Richelieu  tendoit  à  faire  un  schisme  en  France. 

*  Mal  informé  de  la  disposition  où  estoient  les  Catalans,  il  leur  donna 
la  carte  blanche,  au  lieu  qu'eux  la  luy  eussent  donnée;  car  ils  estoient 
résolus  d'appeler  le  Turc ,  s'il  faut  ainsy  dire ,  plustost  que  de  se  sou- 
mettre à  l'Espagne.  Cette  faute  a  horriblement  cousté  à  la  France  ;  car 
la  Catalogne  a  tiré  bien  de  l'argent.  On  payoit  tout  comme  dans  une 
hosteUerie,  et  cette  principauté,  et  par  conséquent  l'Espagne,  s'enri- 
chissoit  à  nos  despens. 

2  Ayant  appris  la  desfaite  du  mareschal  de  Chastillon ,  à  Sedan ,  il 
envoya  ordre  au  mareschal  de  laMeilleraye*  de  laisser  l'armée  au  ma-     Le  Grand-Maistre. 
reschal  de  Guiche,  et  de  l'aller  trouver  à  Rhetel  avec  son  régiment  de 
cavalerie,  celuy  de  la  Meillera3'e.  Depuis,  le  Mareschal  fut  contremandé. 


liO  LES    HISTORIETTES. 

a  cru  sur  c^a  qu'il  estoit  asseuré  de  le  faire  tuer  dans 
le  combat;  c'est  une  chanson  :  cela  se  seroit  descou- 
vert avec  le  temps.  Tout  le  monde  croit  que  Monsieur 
le  Comte,  en  voulant  lever  sa  visière  avec  le  bout  de 
son  pistollet,  se  tua  luy-mesme;  et  s'il  ne  se  fust 
point  tué,  où  en  estoit  l'Eminentissime?  Toute  la 
Champagne,  dont  Monsieur  le  Comte  estoit  gouver- 
neur, eust  ouvert  les  portes  au  victorieux.  Tous  les 
malcontens  se  fussent  joints  à  luy  ;  le  Roy  mesme  eust 
peut-estre  esté  bien  aise  d'avoir  une  occasion  de 
se  desfaire  d'un  ministre  qui  luy  estoit  à  charge, 
et  qu'il  craignoit  ;  car  le  Cardinal  n'estoit  pas 
le  cardinal  Mazaiiu.  commc  ccluy-ci  *  ;  il  avoit  de  véritables  amys,  et  des 
créatures  qui  ne  luy  eussent  jamais  manqué. 

Quand  on  apporta  la  nouvelle  de  la  desfaite  de 
M.  de  Chastillon,  le  Cardinal  fut  cinq  heures  durant 
au  desespoir,  et  ne  se  remit  que  quant  on  luy  vint  dire 
la  mort  de  Monsieur  le  Comte  '.  Dans  ce  combat,  le 

1  M.  de  Bouillon,  après  cela,  fit  une  paix  de  pair  à  pair  avec  le  Roy. 
Le  Cardinal  en  achevant  le  traitté  dit  :  ((  Il  y  a  encore  une  condition  à 
»  adjouster;  c'est  que  M'"^  de  Bouillon  croira  que  je  suis  son  très- 
»  humble  serviteur.  »  Après  cela,  M.  de  Bouillon  se  va  sottement  en- 
En  iiiis.  gager*  avec  M.  d'Orléans  et  Monsieur  le  Grand.  Son  père  luy  avoit 
tant  recommandé  de  se  tenir  dans  son  petit  corps  de  garde,  et  il  va 
caballer  quand  il  commande  en  Piémont.  On  le  prist  à  la  teste  de  son 
armée,  et  sa  femme  fut  contrainte  de  rendre  Sedan  pour  luy  sauver  la 
vie.  Il  ne  tesmoigna  pas  grande  constance  dans  la  prison. 

Monsieur  le  Comte  avoit  mis  dans  ses  enseignes  :  l'oiir  te  Roy, 
contre  le  Cardinal;  M.  de  Bouillon  :  Antij  du  Roy,  ennemy  du  Cardinal: 
i\I.  de  Guise  une  chaise  renversée  et  un  chapeau  rouge  dessus,  avec  ces 
mots  :  Deposuit  potentem  de  sede. 

Le  prince  de  Simmeren,  de  la  maison  palatine,  estoit  à  Sedan  lors- 
que Monsieur  le  Comte  s'y  retira.  Estant  retourné  en  son  pays,  quand 
la  bataille  de  Sedan  fut  donnée,  il  escrivit  naîfvement  cette  lettre  à 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  41 

marquis  de  Praslin*,  filz  du  Mareschal,  eut  cent  coups  m^a°rquis''^de'pS. 
après  sa  mort.  On  croit  qu'il  avoit  donné  parole  à 
Monsieur  le  Comte,  et  puis  luy  avoit  manqué;  c'estoit 
un  homme  de  service,  mais  un  meschant  homme.  Il 
avoit  fait  long-temps  l'impie  ;  et  pour  se  remettre  en 
bonne  réputation  de  ce  costé-là,  il  feignit  une  appa- 
rition. Mais  le  Cardinal  de  Richelieu  s'en  mocqua  '. 

Cela  me  fait  souvenir  d'un  sçavant  médecin  de  la 
Faculté,  nommé  Patin,  qui  tout  de  mesme  a  feint 
qu'un  de  ses  malades  à  qui  il  fit  promettre  à  l'ar- 
ticle de  la  mort  de  luy  venir  dire  s'il  y  avoit  un  pur- 
gatoire, luy  estoit  apparu  un  matin,  mais  sans  luy 
rien  dire  ;  car  ces  gens  qui  reviennent  de  l'autre 
monde  ne  parlent  jamais. 

Le  Cardinal  estoit  avare;  ce  n'est  pas  qu'il  ne 
fist  bien  de  la  despense,  mais  il  aimoit  le  bien.  M.  de 
Crequy*  ayant  esté  tué  d'un  coup  de  canon  en  Ita-  ■ff'st.tom.  i,p. m. 
lie,  il  alla  voir  ses  tableaux,  prit  tout  le  meilleur  au 
prix  de  l'inventaire ,  et  n'en  a  jamais  payé  un  sol. 
Il  fit  pis;  car  Gilliers,  intendant  de  M.  de  Crequy, 
luy  en  ayant  apporté  trois  des  siens  par  son  ordre, 
et  luy  en  ayant  présenté  un  qu'il  le  prioit  d'accep- 
ter ,  le  Cardinal  dit  :  «  Je  les  veux  tous  trois,  »  et 
les  doit  encore. 

Il  ne  payoit  guères  mieux  les  demoiselles  que  les 

M.  le  comte  de  Boissons  :  u  Le  bruit  court  icy  que  vous  avez  gaigaé  la 
u  bataille,  mais  que  vous  y  avez  esté  tué.  Mandez-moy  ce  qui  en  est, 
»  car  je  serois  très-fasché  de  vostre  mort.  »  Le  comte  de  Roussy  m'a  dit 
avoir  veu  la  lettre. 

'  Saint-Hibar  a  esté  la  cause  du  malheur  de  Monsieur  le  Comte  ; 
car  il  luy  mit  dans  la  teste  de  faire  le  fier  et  de  terrasser  le  Cardinal. 


42  LES    HISTORIETTES. 

Historiette.  tableaux.  Marion  de  Lorme*  alla  deux  fois  chez  luy  *. 
A  la  première  visite,  il  la  récent  en  habit  de  satin 
gris-de-lin ,  en  broderie  d'or  et  d'argent,  botté  et 
avec  des  plumes.  Elle  a  dit  que  cette  barbe  en  pointe 
et  ces  cheveux  au-dessus  de  l'oreille  faisoient  le  plus 
plaisant  effect  du  monde.  Après  ces  deux  visites,  il 
luy  fit  présenter  cent  pistolles  par  des  Bournais, 
son  valet  de  chambre  qui  avoit  fait  le  maquerellage. 
Elle  les  jetta  et  se  mocqua  du  Cardinal. 

On  l'a  veu  plusieurs  fois  avec  des  mouches,  mais 
il  n'en  mettoit  pas  pour  une. 

Une  fois,  il  voulut  desbauscher  la  princesse  Marie, 
aujourd'huy  la  reyne  de  Pologne.  Elle  luy  avoit  en- 
voyé demander  audience.  Il  se  tint  au  lict  ;  on  la  fit 
entrer  toute  seule,  et  le  capitaine  des  Gardes  fit  reti- 
rer tout  le  monde.  «Monsieur,  »  luy  dit-elle,  «  j'estois 
»  venue  pour...  »  Il  l'interrompit  :  «  Madame,  »  luy 
dit-il ,  «  je  vous  promets  toute  chose  ;  je  ne  veux 
»  point  sçavoir  ce  que  c'est  :  mais.  Madame,  que 
»  vous  voylà  propre  !  Jamais  vous  ne  fustes  si  bien. 
»  Pour  moy,  j'ay  tousjours  eu  une  inclination  parti- 
»  culiere  à  vous  servir.  »  En  disant  cela ,  il  luy  prend 
la  main  ;  elle  la  retire,  et  luy  veut  conter  son  affaire. 
Il  recommence  et  luy  veut  prendre  encore  la  main, 
elle  se  levé  et  s'en  va. 

Pour  M""  d'Aiguillon  et  M°''  de  Chaune,  nous  di- 
rons cela  en  suitte,  quand  nous  viendrons  à  l'histo- 
riette de  M""  d'Aiguillon.   Le  Cardinal  aimoit  les 

*  J'ay  ouy  dire  qu'une  fois  elle  y  entra  en  homme  :  on  dit  que  c'es- 
toit  un  courrier.  Elle-mesme  l'a  conté. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  43 

femmes  ;  mais  il  craignoit  le  Roy  qui  estoit  mes- 
disaiit  '. 

Le  Cardinal  railloit  quelquefois  assez  fortement 
et  sans  grand  fondement  '-.  Durant  le  siège  d'Arras, 
il  m' arriva  d'escrire  une  epistre  en  vers  au  petit 
Quillet,  médecin  du  mareschal  d'Estrées.  Il  estoit 
alors  à  la  Cour,  à  Amiens,  pour  cette  belle  guerre - 
de  Parme*.  Le  paquet  estoit  adressé  chez  Bautru,  ^°y-^%^^gi'  p- 
amy  de  Quillet.  Par  hazard  on  le  porta  à  Nogent, 
son  frère,  qui  voulut  avoir  le  plaisir  de  l'ouvrir,  puis- 
qu'il luy  avoit  cousté  un  quart  d'escu  ;  car  c'est  le 

1  La  Rivière,  qui  est  mort  evesque  de  Langres,  disoit  que  le  cardinal 
de  Richelieu  estoit  sujet  à  battre  ses  gens  ;  qu'il  a  plus  d'une  fois 
battu  le  chancellier  Seguier  et  Rullion.  Un  jour  que  ce  surintendant 
des  Finances  refusoit  de  signer  une  chose  qui  suffisoit  pour  luy  faire 
faire  son  procez,  il  prit  les  tenailles  du  feu  et  luy  serroit  le  cou  en  luy 
disant  :  «Petit  ladre,  je  t'estraugleray.  »  Et  l'autre  respondoit  :  «  Es- 
»  tranglez,  je  n'en  feray  rieu.  »  Enfin,  il  le  lascha,  et  le  lendemain, 
Bullion,  à  la  persuasion  de  ses  amys  qui  luy  remonstrerent  qu'il  estoit 
perdu,  signa  tout  ce  que  le  Cardinal  voulut. 

—  Le  Cardinal  estoit  rude  à  ses  gens  et  tousjours  en  mauvaise  hu- 
meur. Il  est  vi-ay  qu'il  se  contraignoit  assez  aisément. 

—  Il  a,  dit-on,  quelquefois  frappé  Cavoye,  son  capitaine  des  gardes, 
et  autres,  transporté  de  colère.  On  dit  que  le  Mazarin  en  a  fait  autant 
à  JVoailles,  quand  il  estoit  son  capitaine  des  Gardes. 

2  M.  de  Chavigny  délibéra  de  faire  appeller  l'hostel  de  Saint-Paul 
l'hostel  de  Bouteillier,  et  de  le  mettre  sur  la  porte.  Le  cardinal  de 
Richelieu  s'en  mocqua,  et  luy  dit  :  «  Tous  les  Suisses  y  voudront  aller 
»  boire  :  ils  liront  l'hostel  de  la  Bouteille.  »  L'archevesque  de  Tours 
signoit  tousjours  le  Bouteillier,  prétendant  venir  des  comtes  de  Senlis. 
Dans  la  vérité,  ils  sont  venus  d'un  paysan  de  Touraine  qui  se  trans- 
planta à  Angoulesme;  son  filz  eut  quelque  charge.  Du  costé  des 
femmes,  ils  viennent  de  RaVaillac,  c'est-à-dire  d'une  sœur  de  Ravail- 
lac  :  au  moins  en  sont-ils  bien  proches.  Le  père  de  l'Archevesque  et 
du  Surintendant  estoit  advocat  à  Paris,  et  avoit  escrit  l'histoire  de 
Marthe  Brossier,  cette  fille  qui  faisoit  la  possédée  ;  ils  l'ont  supprimée 
autant  qu'ils  ont  pu. 


Ud  LES    HISTORIETTES. 

plus  avare  des  humains.  Nogent  porta  cette  baga- 
telle chez  le  Cardinal  pour  l'en  faire  rire.  Son  Emi- 
nence  prit  occasion  de  railler  (à  cause  qu'il  y  a  voit 
quelques  endroits  qui  pouvoient  convenir  à  M.  de 
Bullion  '  qui  estoit,  aussy  bien  que  Quillet,  petit, 
gros,  rouge  et  de  bonne  chère) ,  il  prit  occasion  de 
railler  Senetere^  qui  estoit  le  courtisan  de  Bullion  ; 
et  Senetere  luy  ayant  remonstré  que  le  nom  de  Quil- 
let y  estoit  :  «  Qu'importe,  »  dit-il,  «  que  ce  soit  pour 
»  M.  de  Bullion  ou  pour  le  médecin  de  vostre  amy? 
»  c'est  à  vous  à  faire  faire  response ,  »  et  luy  mit  la 
lettre  entre  les  mains.  II  la  rendit  depuis  à  Quillet, 
et  luy  dit  d'un  air  fort  chagrin ,  car  il  avoit  peur 
que  Bullion  ne  le  sccust,  qu'il  recommandast  bien  à 
ses  amys  de  n'escrire  jamais,  aux  lieux  où  seroit  la 
Cour,  des  choses  qui  pussent  s'appliquer  à  plus 
d'une  personne.  Si  mon  père  eust  sceû  cela,  et  qu'a- 
près il  luy  fust  arrivé  cpelque  desordre  dans  ses 
affaires,  il  m'eust  voulu  faire  accroire  que  ma  poésie 
en  eust  esté  cause. 

En  ce  temps-là,  il  dit  en  riant  à  Quillet  qui  est 
de  Chinon  :  «  Voyez-vous  ce  petit  homme-là?  il  est 
»  parent  de  Rabelais ,  et  médecin  comme  luy.  —  Je 
»  n'ay  pas  l'honneur,  «dit  Quillet,  «d'estre  parent  de 
»  Rabelais.  —  Mais,  »  adjousta  le  Cardinal ,  «  vous 
»  ne  nierez  pas  que  vous  ne  soyez  du  pays  de  Ra- 
»  bêlais.  —  J'avoue ,  Monseigneur,  que  je  suis  du 
»  pays  de  Rabelais ,  »  reprit  Quillet,  «  mais  le  pays 

^  On  appelloit  Bullion  le  Gros  Guillaume  raccourci/.  Les  gens  de  lettres 
le  haïssoient,  car  il  faisoit  profession  de  les  mespriser. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  ^5 

»  de  Rabelais  a  Thonneur  d'appartenir  à  votre  Emi- 
»  nence  \  » 

Cela  estoit  assez  hardy.  Mais  un  M.  Mulot,  de  Pa- 
ris, qu'il  avoit  fait  chanoine  de  la  Sainte-Chapelle, 
luy  parloit  bien  encore  plus  hardiment.  Il  est  vray  que 
le  Cardinal  avoit  bien  de  l'obligation  à  cet  homme; 
car  lorsqu'il  fut  relégué  à  Avignon,  Mulot  vendit 
tout  ce  qu'il  avoit,  et  luy  porta  trois  ou  quatre  mille 
escus,  dont  il  avoit  fort  grand  besoing.  Ce  M.  Mulot 
n' avoit  rien  tant  à  contre-cœur  c{ue  d'estre  appelle 
aumosnier  de  son  Eminence.  Une  fois  le  Cardinal , 
pour  se  divertir,  car  il  se  chatouilloit  souvent  pour 
se  faire  rire,  fit  semblant  d'avoir  receu  une  lettre  où 
il  y  avoit  :  A  monsieur,  monsieur  Mulot,  aumosnier 
de  son  Eminence,  et  la  luy  donna.  Cela  le  mit  en 
colère,  et  il  dit  tout  haut  c{ue  c'estoient  des  sots  qui 
avoient  fait  cela.  «  Ouais  !  »  dit  le  Cardinal ,  «  et  si 
)>  c'estoitmoy?  —  Quand  ce  seroit  vous,  »  respondit 
Mulot,  «  ce  ne  seroit  pas  la  première  sottise  que  vous 
»  auriez  faitte.  »  Une  autre  fois,  il  luy  reprocha  qu'il 
ne  croyoit  point  en  Dieu,  et  qu'il  s'en  estoit  confessé 
à  luy.  Le  Cardinal  fit  mettre  une  fois  des  espines 
sous  la  selle  de  son  cheval  :  le  pauvre  M.  Mulot  ne 
fut  pas  plus  tost  dessus,  que  la  selle  pressant  les 
espines,  le  cheval  se  sentit  piqué  et  se  mit  à  regim- 
ber d'une  telle  force,  que  le  bon  chanoine  se  pensa 
rompre  le  cou.  Le  Cardinal  rioit  comme  un  fou  :  Mu- 
lot trouve  moyen  de  descendre,  et  s'en  va  à  luy  tout 

'  Par  engagement*.  AiiénaUon^tempc» 


46  LES    HISTORIETTES. 

bouillant  de  colère  :  «  Vous  estes  un  meschant  homme  ! 
»  — Taisez-vous,  taisez-vous!  »  luy  dit  l'Eminentis- 
sime;  «  je  vous  feray  pendre;  vous  révélez  ma  con- 
»  fession.  »  Ce  M.  Mulot  avoit  un  nez  qui  faisoit  voir 
qu'il  ne  haïssoit  pas  le  vin.  En  effect,  il  l'aimoit  tant 
qu'il  ne  pouvoit  s'empescher  de  faire  une  aigre  répri- 
mande à  tous  ceux  qui  n'en  avoient  pas  de  bon  ;  et 
quelquefois,  quand  il  avoit  disné  chez  quelqu'un 
qui  ne  luy  avoit  pas  fait  boire  de  bon  vin,  il  faisoit 
venir  les  valets  et  leur  disoit  :  «  Or  çà,  n'estes-vous 
»  pas  bien  malheureux  de  n'avertir  pas  vostre  maistre, 
»  qui  peut-estre  ne  s'y  connoist  pas,  qu'il  se  fait  tort 
»  de  n'avoir  pas  de  bon  vin  à  donner  à  ses  amys  *  ?  » 
Il  avoit  beaucoup  d'amitié  pour  M"""  de  Ram- 
bouillet ;  et  ayant  descouvert  que  M.  de  Lizieux  ^, 
quoyqu'il  eust  du  bien  de  reste,  jouissoit  tousjours 
d'une  petite  terre,  qui  luy  avoit  esté  donnée  autrefois, 

^  Le  Cardinal  avoit  deux  petits  pages,  dont  l'un  s'appelloitMeniguet 
et  l'autre  Saint....  j'ay  oublié  le  nom  de  ce  saint-là.  Ils  rencontroient 
admirablement  à  faire  des  équivoques  sur-le-cliamp  ;  le  Cardinal  s'en 
ArtusdeSaint-Gelais,  divertissoit.  Un  jour  M.  de  Lansac*  entre;  Son  Eminence  dit  :  «  Meni- 
sieur  e  ansac.  ^^  ^^^^  ^  ^^^^  équivoque  sur  M.  de  Lansac.  —  Monseigneur,  il  me  faut 
))  une  pistolle,  sans  cela  je  ne  sçaurois  equivoquer.  —  Comment,  une 
»  pistolle?  »  dit  le  Cardinal.  —  «Ouy,  Monseigneur,  il  m'en  faut  une, 
»  et  si  je  n'equivoque  bien,  je  me  soumets  à  avoir  le  fouet.  »  Le  Cardi- 
nal luy  en  donne  donc  une.  Le  petit  page  la  met  dans  sa  poche  et  dit  : 
«  Pistolle  Lansac  n  (pistole  en  sac).  Le  Cardinal  la  trouva  si  plaisante 
qu'il  luy  en  fit  donner  dix. 

—  Il  luy  prenoit  assez  souvent  des  mélancolies  si  fortes,  qu'il  en- 
voyoit  chercher  Boisrobert  et  les  autres  qui  le  pouvoient  divertir ,  et 
il  leur  disoit  :  «  Resjouissez-moy,  si  vous  en  sçavez  le  secret.  »  Alors 
chascun  bouffonnoit,  et  quand  il  estoit  soulagé,  il  se  remettoit  aux 
affaires. 

2  Voyez  Lizieux  {Historiette  de  l'evesque  de). 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  47 

par  le  beau-pere  de  cette  dame,  pour  en  jouir  sa 
vie  durant,  il  ne  le  pouvoit  souffrir,  et  à  tout  bout 
de  champ  il  le  luy  vouloit  aller  dire.  Toutes  les  fois 
qu'il  voyoit  M"^  de  Rambouillet,  la  première  chose 
qu'il  luy  disoit  c'estoit  :  «  Madame,  M.  de  Lizieux 
»  a-t-il  rendu  cette  terre?  »  Enfin  il  fallut  que  M"'"  de 
Rambouillet  se  mist  à  genoux  devant  luy  pour  ob- 
tenir qu'il  n'en  parleroit  jamais.  M.  de  Lizieux  avoit 
oublié  d'oii  luy  venoit  cette  terre,  ou,  pour  mieux 
dire,  il  avoit  oublié  qu'il  l' avoit.  Jamais  homme  n'a 
moins  sceû  ses  affaires  que  cetuy-là. 

On  a  remarqué  que  le  Cardinal  de  Richelieu  avoit 
puny  fort  sévèrement  la  sédition  des  Piez-nus  en 
Normandie*,  parce  que  cette  province  a  eu  des  sou- 
verains autrefois,  qu'elle  le  porte  plus  haut  qu'une 
autre  province,  qu'elle  est  voisine  des  Anglois,  et 
qu'elle  a  peut-estre  encore  quelque  inclination  à 
avoir  un  duc. 

On  a  remarqué  aussy  que  ce  fut  une  grande  bé- 
veue  que  de  deffendre  de  peser  les  pistolles  ;  car  on 
roigna  si  bien  qu'elles  ne  pesoient  plus  que  six  livres, 
et  que  le  Roy  se  ruinoit  quand  il  falloit  porter  de 
l'or  hors  de  France;  enfin  cela  fit  ouvrir  les  yeux 
au  Cardinal.  Il  est  vray  qu'il  prit  le  chemin  qu'il 
falloit  pour  arrester  ce  desordre,  car  il  les  descria 
tout  d'un  coup.  Il  fallut  après  faire  un  party  des 
roigneurs.  Montauron  en  donnoit  tant  au  Roy,  et  les 
faisoit  condamner  à  la  plus  grosse  somme  qu'il  pou- 
voit. Il  y  en  avoit  tant  que  toute  la  corde  du  Royaume 


48  LES    HISTORIETTES. 

n'eust  pas  suffy  pour  les  pendre.  Quelques  particu- 
liers du  Conseil,  qui  avoient  de  l'or  léger,  furent 
cause  qu'on  donna  ce  ridicule  arrest  qui  deffendoit  de 


Les  premiers  sontde  pescr  Ics  pistollcs.  Cela  obllgca  à  fairclcs  Louis  d'or 


Le  cardinal  de  Richelieu  ayant  harangué  au  Par- 
is janvier  i6S4.      lement  en  présence  du  Roy*,  sa  harangue,  qui  fut 
assez  longue,  fit  bien  du  bruit.  L'orateur  y  servit 
beaucoup,  car  effectivement  ce  n'estoit  pas  grand- 
chose  '.  On  parla  de  la  faire  imprimer.  Il  pria  le 
cardinal  de  la  Valette  d'assembler  quelques  per- 
jv««'r-*des^pi?iî"-  sonnes  intelligentes  ;  cefutchezBautru\  M.  Godeau, 
cnamps.  ^   Chapelain,  M.  Gombaud,  M.  Guyet,  M.  Desma- 

retz  que  Bautru  y  mit  de  son  chef,  en  estoient.  On 
la  lut  fort  exactement,  car  le  Cardinal  le  souhaittoit. 
Ils  furent  depuis  dix  heures  du  matin  jusqu'au  soir 
à  ne  marquer  que  le  plus  gros;  dez  qu'il  sceût  qu'on 
avoit  esté  si  long-temps  à  l'examiner,  il  renguaisna 
et  ne  pensa  plus  à  la  faire  imprimer.  Bautru  ne  fut 
pas  d'avis  qu'on  luy  monstrast  les  marques  qu'on 
avoit  faittes,  car  il  y  en  avoit  trop,  et  cela  l'auroit 
fasché  ^.  Depuis,  il  ne  fut  pas  si  docile  ;  il  croyoit  es- 

*  Talon  l'aisné,  advocat-genéral,  homme  de  petite  cervelle,  alla  sot- 
tement, en  présence  du  Roy  au  Parlement,  louer  le  cardinal  de  Riche- 
lieu par-dessus  les  maisons.  En  sortant,  le  Cardinal  luy  dit  :  «Monsieur 
»  Talon,  vous  n'avez  rien  fait  aujourd'huy ,  ny  pour  vous  ny  pour 
»  moy.  » 

2  Elle  estoit  pleine  de  fautes  contre  la  langue,  aussy  bien  que  son 
Cathéchisme  ou  Instruction  chrétienne.  Il  voyoit  bien  les  choses, 
mais  il  ne  les  estendoit  pas  bien.  A  parler  succinctement,  il  estoit 
admirable  et  délicat.  II  n'y  a  que  V Instruction  des  Curez  qui  soit  de 
luy  ;  encore  a-t-il  pris  des  uns  et  des  autres  ;  pour  le  reste,  la  matière 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  69 

crire  mieux  en  prose  que  tout  le  reste  du  monde  ;  mais 
il  ne  faisoit  estât  que  des  vers.  Il  a  escrit  un  caté- 
chisme qu'il  fit  imprimer,  où  il  dit  en  un  endroit  : 
«  C'est  comme  qui  entreprendroit  d'entendre  le  More 
»  de  Terence  sans  commentaire.  »  C'est  signe  qu'il 
a  voit  bien  lu  Terence  '. 

Il  y  a  encore  deux  autres  livres  de  luy;  le  pre- 
mier s'appelle  la  Perfection  du  Chrétien.  Dans  la 
préface  il  dit  qu'il  a  fait  ce  livre  durant  les  desor- 
di^es  de  Corbie  :  c'est  une  vanité  ridicule.  Quand 
cela  seroit,  à  quoy  il  n'y  a  nulle  apparence,  car  i( 
n'en  avoit  pas  le  loisir  et  avoit  assez  d'autres  choses 
dans  la  teste,  il  ne  faudroit  pas  le  dire.  M.  Desma- 
retz,  par  l'ordre  de  M'"'^  d'Aiguillon,  et  M.  de  Char- 
tres, Lescot,  qui  avoit  esté  son  confesseur,  ont  un 
peu  reveû  cet  ouvrage. 

L'autre  est  intitulé  :  Traité  enseignant  la  méthode 
la  plus  aisée  et  la  plus  asseurée  pour  convertir  ceux 
qui  se  sont  séparez  de  l'Eglise'^.  M.  de  Chartres  et 
M.  l'abbé  de  Bourzez  l'ont  reveû.  Après  eux,  elle  *    ^""  ••'^'g""'"»- 

est  de  Lescot,  et  le  françois  de  Desmarestz.  —  Il  avoit  fait  une  comédie 
qui  estoit  fort  ridicule,  et  il  la  vouloit  faire  jouer.  Madame  d'Aiguillon 
et  le  mareschal  de  la  Meilleraye  firent  agir  Boisrobert  pour  l'en  des- 
toumer  ;  le  pauvre  homme  en  fut  disgracié  quinze  jours.  Desmarestz 
avoit  des  peines  enragées  avec  luy.  Il  falloit  se  servir  de  ses  pensées, 
ou  du  moins  les  desguiser. 

i  Le  Catéchisme  a  esté  corrigé  depuis  par  Desmarestz,  qui  l'a  mis 
en  l'estat  où  on  le  voit  aujourd'huy. 

2  Beaucoup  de  gens  croyent  que  ce  dernier  ouvrage  est  de  M.  de 
Cha.<"tres,  car  le  style  est  assez  conforme  (autant  qu'on  en  peut  juger 
par  un  escliantillon)  à  l'approbation  que  ce  prélat  a  mise  au-devant 
du  livre.  Le  Cardinal  faisoit  travailler  plusieurs  personnes  aux  ma- 
tières; après  il  les  choisissoit,  et  choisissoit  passablement  bien. 
II.  U 


50  LES    IIISTORIKTTES. 

pria  M.  Chapelain  de  refondre  une  Invocation  à  la 
Vierge:  il  le  fit;  mais  elle  n'y  changea  rien,  par 
scrupule,  ou  par  vénération  pour  son  oncle. 

Une  chose  m'a  encore  surpris  de  cet  homme,  c'est 
qu'il  n'avoit  jamais  lu  les  Mémoires  de  Charles  IX% 
En  voicy  une  preuve  convaincante.  Quelqu'un  luy 
ayant  parlé  de  la  Servitude  volontaire  d'Estienne  de 
la  Boetie,  c'est  un  des  Traittés  de  ces  Mémoires  (et 
un  Traitté,  pour  dire  ce  que  j'en  pense,  qui  n'est 
qu'une  amplification  de  collège,  et  qui  a  eu  bien 
plus  de  réputation  qu'il  n'en  mérite),  il  eut  envie  de 
voir  cette  pièce  :  il  envoyé  un  de  ses  gentilshommes 
par  toute  la  rue  Saint- Jacques  demander  la  Servitude 
volontaire.  Les  libraires  disoient  tous  :  «  Nous  ne 
»  sçavons  ce  que  c'est.  »  Ils  ne  se  ressouvenoient  point 
que  cela  estoit  dans  les  Mémoires  de  Charles  IX\ 
Enfin  le  filz  de  Biaise,  un  libraire  assez  célèbre,  s'en 
ressouvint  et  le  dit  à  son  père  ;  et  quand  le  Gentil- 
homme repassa  :  «  Monsieur,  »  luy  dit-il,  «  il  y  a  un 
»  curieux  qui  a  ce  que  vous  cherchez,  mais  sans  cstre 
»  relié,  et  il  en  veut  avoir  cinq  pistoUes.  —  N'im- 
»  porte  !  »  dit  le  Gentilhomme.  Le  galant  sort  par  la 
porte  de  derrière  et  revient  avec  les  cahiers  qu'il 
avoit  descousus,  et  eut  les  cinq  pistolles  '. 


^  Le  Cardinal  a  aussy  laissé  des  Mémoires  pour  escrire  l'histoire  de 
son  temps.  M"''  d'Aiguillon  s'informa  depnis  de  M""  de  Rambouillet, 
de  qui  elle  se  pouvoit  servir.  M""^  de  Rambouillet  en  voulut  avoir 
l'avis  de  M.  de  Vaugelas,  qui  luy  nomma  M.  d'Ablancourt  et  M.  Pa- 
tru.  Elle  ne  voulut  pas  du  premier  à  cause  de  sa  religion.  Pour  Patru, 
à  qui  elle  en  fit  parler  par  M.  Desmarestz,  il  luy  fit  dire  que  pour  bien 
escrire  cette  histoire  il  falloit  renoncer  à  toute  autre  chose  ;  qu'ainsy, 


1"  édition  16S3. 


LE    CARDINAL   DE    RICHELIEU.  51 

Pour  r  A-cadémie,  que  Saint-Germain  appelloit  assez 
plaisamment  la  volière  de  Psaphon ,  je  n'ay  rien  à 
adjouster  à  ce  qu'en  a  dit  M.  Pellisson  dans  V His- 
toire qu'il  en  a  faitte^  Je  diray  seulement  que  le 
Cardinal  estoit  ravy  quand  on  luy  remettoit  la  déci- 
sion de  quelque  difficulté.  H  en  faisoit  faire  compli- 
ment aux  Académiciens,  et  les  prioit  de  luy  en  en- 
voyer souvent  de  mesme.  Mais  son  avarice  en  cecy 
n'a-t-elle  pas  esté  ridicule?  S'il  eusfc  donné  à  Vau- 
gelas  de  quoy  subsister  honorablement  '  sans  s'oc- 
cuper à  autre  chose  qu'au  Dictionnaire,  le  Diction- 


il  seroit  obligé  de  quitter  le  palais;  qu'il  luy  fist  donc  donner  un  béné- 
fice de  mille  escus  de  rente,  ou  une  somme  une  fois  payée.  Elle  luy 
envoya  offrir  la  charge  de  lieutenant-général  de  Richelieu.  11  respondit 
que  pour  cent  mille  escus  il  ne  quitteroit  pas  la  conversation  de  ses 
amys  de  Paris.  Depuis,  il  m'a  juré  qu'il  estoit  ravy  de  n'avoir  pas  esté 
pris  au  mot,  et  qu'il  auroit  enragé  d'estre  obligé  de  louer  un  tyrau 
qui  avoit  aboly  toutes  les  lois  et  qui  avoit  mis  la  France  sous  un  joug 
insupportable.  II  n'y  a  pas  plus  de  quatre  ans  que  M.  de  Montauzier 
croyoit  avoir  fait  quelque  chose  pour  faire  avoir  cet  employ  à  M.  d'A- 
blancourt,  car  M""  du  Vigean  ,  à  qui  luy  et  Chapelain  en  avoient 
parlé  par  rencontre,  s'en  alla  persuadée  que  la  religion  n'estoit  d'au- 
cun obstacle  à  cela,  et  que  M""  d'Aiguillon  ne  pouvoit  mieux  faire. 
Mais  cela  n'a  rien  produit,  quoyqu'on  l'en  quittast  pour  deux  mille 
livres  de  pension.  On  a  dit  que  l'evesque  de  Saint-Malo,  Sancy  *,  tra-  roy.  tom.  i,  p.  ijo. 
vailloit  à  l'histoire,  sur  les  Mémoires  du  Cardinal,  mais  cela  n'a  point 
paru.  Ce  M.  de  Saint-Malo  estant  ambassadeur  à  la  Porte,  son  secré- 
taire, nommé  Martin,  trouva  le  moyen  de  faire  eschapper  des  Sept- 
Tours  de  grands  seigneurs  Polonois  et  une  dame  qui  luy  avoit  promis 
de  l'espouser.  Il  se  sauva  avec  eux.  Sancy  en  eut  cent  coups  de  latte 
sur  la  plante  des  piez.  Il  n'estoit  pas  evcsque  alors. — On  trouva,  après 
la  mort  du  Cardinal,  ce  qu'on  a  appelle  son  Journal.  Il  est  imprimé. 
Là  on  voit  que  beaucoup  de  ceux  qu'on  croyoit  ses  ennemis  luy  don- 
noient  des  avis  contre  leurs  propres  amis. 

*  Il   establit  la  pension  de  Vaugelas ,  qui  estoit  de  douze  cens  e.^cus  ; 
mais  Vaugelas  n'eu  fut  point  payé. 


5:2  LES    HISTORIETTES. 

foi^'1l"i)fctionn^?e  t^slIï^  eust  Bsté  fait  de  son  vivant,  car  après  *,  on  en 
^'^^^''^-  eust  esté  quitte  pour  nommer  des  commissaires  qui 

eussent  reveû  chaque  lettre  avec  luy.  Il  eust  fallu 
payer  aussy  ces  commissaires  :  mais  cela  luy  cous-- 
toit-il  rien?  estoit-ce  de  son  fonds  qu'il  payoit  les 
gens?  Cela  eust  esté  utile  et  honorable  à  la  France. 
Il  a  négligé  aussy  de  faire  un  bastiment  pour  cette 
pauvre  Académie. 

Il  estoit  avide  de  louanges.  On  m'a  asseuré  que 
dans  une  epistre  liminaire  d'un  livre  cju'on  luy  des- 
dioit,  il  avoitrayé  héros  pour  mettre  demy-dieu*. 

J'ay  desjà  dit  qu'il  n'aimoit  que  les  vers.  Un  jour 
qu'il  estoit  enfermé  avec  Desmarestz,  que  Bautru 
avoit  introduit  chez  luy,  il  luy  demanda  :  «  A  quoy 
»  pensez-vous  que  je  prenne  le  plus  de  plaisir?  —  A 
»  faire  le  bonheur  de  la  France,  »  luy  respondit  Des- 
marestz. «  Point  du  tout ,  »  respliqua-t-il ,  «  c'est  à 
»  faire  des  vers.  »  Il  eut  une  jalousie  enragée  contre 
le  Cid,  à  cause  que  ses  pièces  des  Cinq-Auteurs 
n'avoient  pas  trop  bien  réussy.  Il  ne  faisoit  que  des 
tirades  pour  des  pièces  de  théâtre;  mais  quand  il 
travailloit,-  il  ne  donnoit  audience  à  personne.  D'ail- 

1  Une  espèce  de  fou,  nommé  la  Pcyre,  s'advisa  de  mettre  au-devant 
d'un  livre  un  grand  soleil,  dans  le  millieu  duquel  le  Cardinal  estoit 
représenté.  Il  ei>  sortoit  quarante  rayons,  au  bout  desquels  estoient 
les  noms  des  quarante  académiciens.  M.  le  Chancelier,  comme  le 
plus  qualifié,  avoit  un  rayon  direct.  Je  pense  que  M.  Servien ,  alors 
secrétaire  d'Estat,  avoit  l'autre;  Bautru  en  suitte,  et  les  autres  «au  pro- 
»  rata  de  leurs  qualitez  »  pour  user  des  termes  du  surintendant  de  la 
Vieuville.  II  y  mit  Cherelles-Bautru ,  qui  n'en  estoit  point,  au  lieu  du 
commissaire  Habert.  C'estoit  un  Auvergnat  qui  a  fait  de  ridicules 
traittez  do  chronologie. 


LE    CARDINAL    D  !■     RICHELIEU.  53 

leurs,  il  ne  vouloit  pas  qu'on  le  reprist.  Une  fois 
,  l'Estoile,  moins  complaisant  que  les  autres,  luy  dit 
le  plus  doucement  qu'il  put  qu'il  y  avoit  quelque 
chose  à  refaire  à  un  vers.  Ce  vers  n'avoit  seulement 
que  trois  syllabes  de  plus  qu'il  ne  luy  falloit.  «  Là, 
..  là,  monsieur  de  l'Estoile,  »  luy  dit-il,  comme  s'il  ' 
eust  esté  question  d'un  edict ,  «  nous  le  ferons  bien 
»  passer'.  » 

Pour  l'ordinaire,  il  traittoit  les  gens  de  lettres  fort 
civilement.  Il  ne  voulut  jamais  se  couvrir  parce  que 
Gombaud  voulut  demeurer  nu-teste  ;  et  mettant  son 
chapeau  sur  la  table,  il  dit  :  «  Nous  nous  incommo- 
..  deronsl'un  et  l'autre.  «  Cependant,  regardez  si  cela 
s'accorde  :  il  s'assit,  et  le  laissa  lire  une  comédie 
tout  debout,  sans  considérer  que  la  bougie  qui  estoit 

1  U  fit  une  fois  un  dessein  de  pièce  de  théâtre  avec  toutes  les  pen- 
sées; il  le  donna  h  Boisrobert,  en  présence  de  M"=  d'Aiguillon  qui 
suivit  Boisrobert  quand  il  sortit.,  pour  luy  dire  qu'il  trouvast  le  moyen 
d'empescher  que  cela  ne  parust,  car  il  n'y  avoit  rien  plus  ridicule. 
Boisrobert,  quelques  jours  après,  voulut  prendre  ses  biais  pour  cela. 
Le  Cardinal,  qui  s'en  aperceut,  dit  :  «  Apportez  une  chaise  à  du  Bois 
,,  (je  diray  pourquoy  iU'appelloit  ainsy  *),  il  veut  prescher.  »  M.  Cha- 
pelain après  fit  des  remarques  sur  ce  dessein  par  l'ordre  du  Cardinal  ; 
elles  estoient  les  plus  douces  qu'il  se  pouvoit.  L'Emmentissime  des- 
chira  la  pièce,  puis  il  fit  recoller  les  deschirures,  le  tout  dans  son  lict, 
la  nuict,  et  enfin  conclut  de  n'en  plus  parler. 

—  n  avoit  assez  meschant  goust.  On  luy  a  veu  se  faire  rejouer  plus  de 
trois  fois  une  ridicule  pièce  eu  prose  que  la  Serre  avoit  faille.  C'est 
Thomas  Monts.  En  un  endroit,  Aune  de  Boulen  disoit  au  roy  Henri  VHP 
qui  luy  offroit  une  promesse  de  mariage  :  «  Sire,  des  promesses  de 
»  mariage  les  petites  filles  s'en  mocquent.  »  En  un  autre,  elle  mora- 
lisoit  sur  la  fragilité  des  choses  humaines,  et  disoit  au  Roy  que  letrosne 
des  Rois  estoit  un  Irosne  de  paille  :  «  C'est  donc,  »  disoit  le  Roy,  «  de 
»  paille  de  diamant.  »  On  appelle  une  ;»flî7/e  certaine  marque  dans  les 
diamans,  qui  est  un  défaut. 


Historiette. 


5/t  LES    IIISTOIUETTES. 

sur  la  table,  car  c'estoit  la  nuict,  estoit  plus  basse  que 
luy.  Cela  s'appelle  obliger  et  désobliger  en  mesme 
temps  \  On  l'a  pourtant  loué  de  sçavoir  obliger  de 
bonne  grâce  quand  il  le  vouloit". 
Historiette.  [|  avoit,  à  cc  quo  dit  la  Mesnardiere*,  dessein  de 

faire  à  Paris  un  grand  collège  avec  cent  mille  livres 
de  rente,  où  il  prétendoit  attirer  les  plus  grands 
hommes  du  siècle.  Là,  il  y  eust  eu  un  logement  pour 
l'Académie,  qui  eust  esté  la  directrice  de  ce  collège. 
C'estoit  à  Narbonne,  un  peu  devant  sa  mort,  que  la 
Mesnardiere  dit  qu'il  le  fit  venir  sept  ou  huit  fois 
pour  luy  en  parler;  et  il  avoit  cela  si  fort  dans  la 
teste  que,  malgré  son  mal  et  toutes  les  affaires  qu'il 
avoit  alors  sur  les  espaules,  il  y  pensoit  fort  souvent. 
Il  avoit,  adjouste  la  Mesnardiere,  desjà  achepté  quel- 
que collège.  Il  laissa  une  assez  belle  bibliothèque  ; 
mais  l'avarice  de  M""=  d'/Viguillon,  et  le  peu  de  soing 
Montieuii-i-omrii-  Qu'elle  Qï!  Si  OU,  la  laisso  fort  dépérir.  Feu  Fourrille*. 

le,  gouverneur  ilAu-       *  '  l  ^     ? 

grand  mareschal-des-logis,  quand  le  Roy  alla  loger  au 
Au  Palais  noyai.     Pakis  *  voulut  à  touto  force  en  avoir  la  clef.  Après,, 
on  y  trouva  pour  sept  à  huit  mille  livres  de  livres  à 

^  Cela  ne  luy  arrivoit  guercs.  Vingt  Ibis  il  a  fait  couvrir  et  asseoii- 
Desmarestz  dans  un  fauteuil  comme  luy,  et  vouloit  qu'il  no  l'appellast 
que  Monsieur. 

2  Le  Cardinal  donna  à  M""'  la  duchesse  d'Anghicn  une  petite  chambre 
ovl  il  y  avoit  six  pouppées,  une  femme  en  couche,  une  nourrice  quasy 
au  naturel,  un  enfant,  une  garde,  une  sage-femme  et  la  grand'maman. 
M"^  de  Rambouillet,  M"^  de  Bouteville  et  autres  jouoient  avec  elle.  On 
deshabillolt  et  couchoit  tous  les  soirs  les  pouppées  ;  on  les  rhabilloit  le 
lendemain  ;  on  les  faisoit  manger,  on  leur  faisoit  prendre  médecine. 
Vu  jour  elle  voulut  les  faire  baigner,  et  l'on  eut  bien  de  la  peine  à  l'en 
iM-npescher.  u  Ah!  »  disoit-elle,  «  que  Raint-Maigrin  est  un  bon  garçon  ! 
»  f|ii'il  joue  bien  avec  les  poupiiécs  I  » 


gers. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  55 

dire.  Ce  fat  de  la  Serre  y]  loge  présentement ,  et  y  a 
tait  je  ne  sçay  quel  taudis. 

Le  Cardinal  faisoit  escrir-e  la  nuict  quand  il  se 
resveilloil.  Pour  cela  on  luy  donna  un  pauvre  petit 
garçon  de  Nogent-le-Rotrou,  nommé  Cheret.  Ce 
garçon  plut  au  Cardinal,  parce  qu'il  estoit  secret  et 
assidu.  Il  arriva  quelques  années  après  qu'un  cer- 
tain homme  ayant  esté  mis  à  la  Bastille,  Laffemas, 
qui  fut  commis  pour  l'interroger,  trouva  dans  ses 
papiers  quatre  lettres  de  Cheret,  dans  l'une  des- 
quelles il  disoit  à  cet  homme  :  «  Je  ne  puis  vous 
»  aller  trouver,  car  nous  vivons  icy  dans  la  plus 
»  estrange  servitude  du  monde,  et  nous  avons  affaire 
»  au  plus  grand  tyran  qui  fut  jamais.  »  Laffemas 
porte  ces  lettres  au  Cardinal,  qui  aussytost  fait  appel- 
1er  Cheret.  «Cheret,»  luy  dit-il,  «  qu'aviez-vous 
»  quand  vous  estes  venu  à  mon  service?  —  Rien, 
»  monseigneur.' — Escrivez  cela.  Qu'avez-vous  main- 
»  tenant?  —  Monseigneur,  »  respondit  le  pauvre  gar- 
çon bien  estonné,  «  il  faut  que  j'y  pense  un  peu. — Y 
»  avez-vous  pensé?  »  dit  le  Cardinal,  après  quelque 
temps. — «  Ouy,  monseigneur,  j'ay  tant  en  cela,  tant 
»  en  telle  chose,  etc.  —  Escrivez.  »  Quand  cela  fut 
escrit  :  «  Est-ce  tout?  —  Ouy,  monseigneur.  — Yous 
»  oubliez,  »  adJQusta  le  Cardinal,  «  une  partie  de  cin- 
»  quante  mille  livres.  —  Monseigneur,  je  n'ay  pas 
»  touché  l'argent.  —  Je  vous  le  fcray  toucher;  c'est 
»  moy  qui  vous  ay  fait  faire  cette  affaire.  »  Somme 
toute,  il  se  trouva  six  vingt  mille  escus  de  bien. 
Alors  il  luy  monstra  ses  lettres.  «  Tenez,  n'est-ce  pas 


12  septeinl)re  I6'i2. 


56  LES    HISTORIETTES. 

»  là  votre  escriture?  lisez.  Allez,  vous  esles  un  co- 
»  quin  ;  que  je  ne  vous  voye  jamais.  »  M""  d'Aiguillon 
et  le  Grand-maistre  le  firent  reprendre  au  Cardinal  ; 
peut-estre  sçavoit-il  des  choses  qu'ils  craignoiejit 
qu'il  divulguast.  Ce  n'est  pas  que  le  Cardinal  ne  fust 
terriblement  redouté  :  pour  moy,  je  trouve  que  l'Emi- 
nentissime,  cette  fois,  fut  assez  clément.  Ce  Cheret 
est  maistre  des  Comptes.  11  avoit  placé  un  de  ses 
frères  chez  le  Grand-maistre,  qui,  je  croy,  a  fait 
^'*-  '"choV""'"^  aussy  quelque  chose*  \ 

Ru'è^"'"mai^q°ui's"''dê  H  Gst  tcmps  dc  parler  de  Monsieur  le  Grand*.  Le 
In"^  1620^  '%c/jît6  Clardinal,  qui  ne  s'estoit  pas  bien  trouvé  de  la  Fayette, 
et  qui  voyoit  bien  qu'il  falloit  quelque  amusement 
au  Roy ,  jetta  les  yeux  sur  Cinq-Mars ,  second 
filz  du  mareschal  d'Effiat.  Il  avoit  remarqué  que  le 
Roy  avoit  desjà  un  peu  d'inclination  pour  ce  jeune 
seigneur,  qui  estoit  beau  et  bien  fait,  et  il  crut  qu'es- 
tant le  filz  d'un  homme  qui  estoit  sa  créature,  il 
seroit  plus  soumis  à  ses  volontez  qu'un  autre.  Cinq- 
Mars  fut  un  an  et  demy  h  s'en  deffendre  ;  il  aimoit 
ses  plaisirs  et  connoissoit  assez  bien  le  Roy;  enfin 
son  destin  l'y  entraisna.  Le  Roy  n'a  jamais  aimé 

1  Le  Cardinal  avoit  un  premier  secrétaire  un  peu  plus  lionime  de 
bien  :  il  s'appelloit  Charpentier.  Cet  homme  n'a  jamais  voulu  prendre 
la  moindre  confiscation,  a  refusé  des  dons,  et  s'est  contenté  de  peu  de 
chose. 

—  Un  jeune  garçon,  dont  je  n'ay  pu  sçavoir  le  nom,  commençoit  à 
estre  fort  bien  avec  luy.  Mais  un  jour,  il  vit  que  ce  monsieur  lisoit  quel- 
ques papiers  qui  cstoient  sur  la  table.  Cette  curiosité  hiy  desplut,  il  le 
regarda  d'un  reil  de  despit,  et  le  lendemain,  il  le  congédia  sans  luy  en 
dire  la  raison. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  57 

personne  si  chaudement'.  Au  siège  d'Arras,  quand 
Cinq-Mars  y  fut  avec  le  mareschal  de  L'Hospital 
mener  le  convoy  *,  il  falloit  que  Monsieur  le  Grand  •'""''^'  ^^**'' 
escrivist  deux  fois  le  jour  au  Roy  ;  et  le  bon  sire  se 
mit  à  pleurer,  une  fois  qu'il  tarda  trop  à  luy  faire 
sçavoir  de  ses  nouvelles.  Le  Cardinal  vouloit  qu'il 
luy  dist  jusqu'aux  bagatelles  ;  luy  ne  vouloit  dire 
que  ce  qui  importoit  au  Cardinal  ;  leur  mésintelli- 
gence commença  à  esclatter  quand  Monsieur  le 
Grand  prétendit  entrer  au  conseil  '. 

C'est  apparemment  Fonterailles  '^  qui  irrita  le  plus 
Cinq-Mars  contre  l'Eminentissime,  car  il  estoit  en- 
ragé contre  le  Cardinal,  et  voicy  pourquoy.  Fonte- 
railles, Ruvigny  et  autres  estoient  à  Ruel  dans 
l'antichambre  du  Cardinal;  on  vint  dire  que  je  ne 
sçay  quel  ambassadeur  venoit  ;  le  Cardinal  sort  au- 

1  Le  Roy  l'appelloit  cher  amij. 

2  Le  Cardinal  ne  trouva  pas  bon  non  plus  que  Cinq-Mars  eust  voulu 
estre  grand-escuyer  au  lieu  de  premier  escuyer  de  la  petite  Escurie. 
Le  Roy  disoit  tout  en  sa  présence;  il  sçavoit  toutes  les  affaires:  le 
Cardinal  en  représenta  tous  les  inconvéniens  au  Roy,  et  que  c'estoit 
un  trop  jeune  homme.  Cela  outra  le  Grand-escuyer,  qui  fit  maltraitter 
son  espion,  la  Chesnaye  premier  valet  de  chambre,  par  le  Roy  qui  le 
chassa  honteusement.  Le  Roy,  en  maltraittant  la  Chesnaye,  disoit  aux 
assistans  :  «  Il  n'est  pas  gentilhomme,  au  moins.  »  Il  l'appella  coquin, 
et  le  menaça  de  coups  de  baston.  Cinq-Mars  s'en  lava  comme  il  put 
auprès  du  Cardinal,  en  luy  disant  que  cet  homme,  le  mettant  mal 
avec  le  Roy,  l'eust  empesché  de  rendre  à  Son  Eminence  ce  qu'il  luy 

devoit.  La  Meilleraye,  son  beau-frere  *,  luy  proposa  à  Ruel,  où  il  fit  son    Mari  de  Marie  Ruzé- 
apologic,  de  donner  un  escrit  signé  de  sa  main,  par  lequel  il  s'obligeroit 
de  dire  au  Cardinal  tout  ce  que  le  Roy  luy  diroit.  Il  respondit  que  ce 
seroit  signer  sa  condamnation. 

3  Homme  de  qualité  de  Languedoc*,  bossu  devant  et  derrière,  et  fort  Louis  d'Astarac, 
,  .,  ,  .  .  .  ,  .  ,,  ,,  „  .  vicomte  de  Fontrail- 
laid  do  visage,  mais  qui  na  pas  la  mine  d  un  sot.  Il  est  fort  petit  et   les. 

gros. 


58  LES    HISTORIETTES. 

devant  de  luy  dans  l'antichambre,  et  ayant  trouvé 
Fonterailles,  il  luy  dit,  le  rnillant  un  peu  fortement  : 
«  Rangez-vous,  monsieur  de  Fonterailles,  ne  vous 
»  monstrez  point,  cet  ambassadeur  n'aime  pas  les 
»  monstres.  »  Fonterailles  grinça  les  dents,  et  dit  en 
luy-mesme  :  «  Ah  !  schelme,  tu  me  viens  de  mettre 
»  le  poignard  dans  le  sein,  mais  je  te  l'y  mettray  à 
»  mon  tour,  ou  je  ne  le  pourray.  »  Après,  le  Cardi- 
nal le  fit  entrer,  et  goguenarda  avec  luy  pour 
raccommoder  ce  qu'il  avoit  dit.  Mais  l'autre  ne  luy 
a  jamais  pardonné.  Cette  parole-là  a  peut-estre  fait 
faire  la  grande  conjuration  qui  pensa  ruiner  le 
Cardinal. 

Avant  que  de  dire  le  reste,  il  faut  parler  de  la 
Catalogne  et  du  Roussillon ,  puisque  aussy  bien 
fut-ce  à  Perpignan  que  la  catastrophe  arriva.  Au 
commencement,  le  Cardinal  fit  peu  d' estât  de  la  Ca- 
talogne, car  je  croy  qu'il  n' avoit  pas  lu  les  Mé- 
moires de  la  Ligue,  non  plus  que  ceux  de  Charles  IX% 
et  qu'il  ne  sç avoit  pas  que  c'estoit  par  les  Pyrénées, 
et  non  par  les  Alpes,  qu'il  falloit  chasser  les  Espa- 
gnols d'Italie  et  des  Pays-Bas.  Peut-estre  le  sçavoit- 
il,  mais  il  vouloit  faire  durer  la  guerre.  Quoy  que 
c'en  soit,  la  Motte-Houdancourt  luy  ayant  envoyé 
par  la  Vallée,  qui  estoit  l'homme  du  Roy  en  l'ar- 
mée de  Catalogne,  des  mémoires  par  lesquels  il  luy 
monstroit  clairement  qu'il  avoit  de  grandes  intelli- 
gences dans  l'Arragon  et  dans  la  Valence,  le  Cardi- 
nal, touchant  dans  la  main  de  cet  envoyé,  luy  dit  : 
«  Asseurez  IVI.   de  la  Motte  que  dans  peu  de  temps 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  59 

»  je  meneray  le  Roy  en  personne  en  Espagne.  »  Je 

pense  que,  le  Roy  estant  las  de  la  guerre  *,  le  Car-  Srain^r'fa  guerr'e"" 

dinal  y  eust  esté  tout  de  bon  cette*  fois-là.  Pour  cet 

effect,  il  fit  faire  au  Roy  le  voyage  de  Perpignan. 

Durant  ce  siège,  les  plus  riches  de  Sarragosse  se 

retirèrent  dans  la  Castille  et  ailleurs.  Le  dessein  du 

Cardinal  estoit  de  mener  le  Roy  à  Barcelonne  avec 

une  armée  de  quarante  mille  hommes,  d'envoyer 

un  des  meilleurs  généraux  avec  quelques  troupes  en 

Portugal  et  de  faire  assiéger  en  m.esme  temps  Fon- 

tarabie,  qui  estant  prise  (car  apparemment  le  roy 

d»  r?  '  X  •  \  *      n  '  Répondre    à    cette 

Espagne  n  eust  pu  couvrir  ce  momon)    ,  1  armée  attaque   imprévue. 

.  C'est  uHtermedejeu. 

eust  passé  le  long  des  Pyrénées  pour  se  venir  join- 
dre après  à  celle  du  Roy.  Il  n'y  avoit  que  Pampe- 
lune  dans  toute  la  Navarre  à  assiéger.  Le  Roy 
goustoit  assez  cette  entreprise,  et  avoit  ordonné  à 
la  Vallée  de  faire  accommoder  le  chemin  de  Nostre- 
Dame  de  Mont-Serrat.  En  effect,  on  y  dépensa 
huit  mille  livres,  mais  on  y  fit  de  l'ouvrage  pour 
plus  de  cent  mille  francs;  car  les  paysans,  sçachant 
que  c' estoit  pour  le  roy  de  France,  ne  vouloient 
point  prendre  d'argent.  On  prit  Colioure  avant  Per- 
pignan, mais  ce  fut  par  le  plus  grand  hazard  du 
monde:  le  chasteau,  qui  est  sur  le  roc,  et  qui  a 
des  murs  d'une  espaisseur  effroyable,  ne  craint  ny 
le  canon  ny  la  mine.  Le  mareschal  de  la  Meilleraye 
fit  pourtant  jouer  un  fourneau,  sans  rime  ny  raison, 
et  ce  fourneau  combla  le  seul  puits  qu'ils  eussent. 
Ainsy  il  se  fallut  rendre  pour  ne  pas  mourir  de  soif. 
Salses   vaut  beaucoup  mieux.    Feu  Monsieur  le 


60  LES     HlSTORlJiTTES. 

Prince  la  prit.  Bautru  disoit  qu'on  en  feroit  un  Extra- 
suppiément^  à  la  ordinaire*,  car  il  avoit  manqué  Dole  et  Fontarabie. 
Un  homme  qui  sçaura  son  mestier,  avec  cinq  cens 
hommes  y  fera  périr  une  armée  de  quarante  mille. 
Espenan  y  alla  mettre  trois  mille  hommes  qui  s'affa- 
mèrent l'un  l'autre.  Depuis ,  elle  fut  surprise  comme 
on  alloit  à  Perpignan.  Cet  Espenan  estoit  un  grand 
ignorant  :  il  alla  mettre  de  la  cavalerie  en  grand 
nombre  dans  Tarragone,  et  après  se  rendit  on  ne 
sçait  comment.  11  est  mort  gouverneur  de  Philips- 
bourg.  Au  commencement  de  la  guerre  il  estoit  aisé 
de  faire  fortune  ;  pour  peu  qu'on  eust  ouy  parler 
du  mestier,  on  estoit  recherché,  car  personne  ne  le 
sçavoit. 

En  allant  en  Roussillon  ,  le  Cardinal  apprit  à 
Tarascon  que  Machault,  maistre  des  requestes,  avoit 
fait  pendre  fort  légèrement  des  marchands  de  blé 
à  Narbonne.  11  voulut  sçavoir  le  destail  de  cette 
affaire.  On  luy  dit  qu'il  y  avoit  dans  la  ville  un 
advocat  de  Paris  qui  s'appelloit  Langlois  (au  Palais 
on  l'appelloit  Langlois  tireur  d'armes,  parce  que  son 
père  estoit  de  ce  mestier-là,  afin  de  le  distinguer 
des  autres  qui  s'appelloient  comme  luy).  Cet  advo- 
cat avoit  esté  procureur  de  roy  de  l'intendance  de 
Machault.  Langlois  vient,  et  en  contant  l'affaire,  il 
ne  disoit  jamais  que  Monsieur.  Tous  ceux  qui  es- 
toient  là  luy  disoient  tout  bas  :  «  Dittes  Monseigneur.  » 
L'autre  continuoittousj ours  à  dire  Monsieur.  Le  Car- 
dinal se  crevoit  de  rire  de  l'empressement  de  tous 
ces  flatteurs,  et  escouta  Langlois  fort  attentivement. 


dinal. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  61 

L'A-dvocat,  quand  il  fut  hors  de  là,  dit:  «  Nous  ne 
r>  parlons  au  Palais  que  par  Monsieur  ;  je  suis  du 
»  Palais,  et  je  ne  sçay  point  d'autre  langage.  » 

Pour  revenir  à  Monsieur  le  Grand,  l'amiral  de  Brezé 
ne  faisoit  que  d'arriver  (c'estoit  vers  l'Avent  1641), 
quand  le  Cardinal,  qui  vouloit  partira  la  fin  de  jan- 
vier pour  Perpignan,  luy  dit  qu'il  falloit  se  préparer 
pour  armer  les  vaisseaux  à  Brest ,  et  puis  passer  le 
destroit  pour  s'aller  planter  devant  Barcelonne,  afin 
d'empescher  le  secours  de  Perpignan.  Quelques 
jours  après,  Brezé  entra  dans  la  chambre  du  Roy  : 
pensez  que  l'huissier  ne  le  laissoit  pas  gratter  deux 
fois*.  Le  Roy  et  Monsieur  le  Grand  parloient  dans  neroit  neveu  du  car- 
la  ruelle.  Brezé  entend ,  sans  estre  veu ,  que  Mon- 
sieur le  Grand  disoit  le  diable  du  Cardinal.  Il  se 
retire;  il  consulte  en  iuy-mesme.  Il  n'avoit  pas 
vingt-deux  ans  encore  ;  il  avoit  peur  de  n'estre  pas 
cru.  Il  se  résout  de  suivre  le  Roy  à  la  chasse  le  plus 
souvent  qu'il  pourroit,  et  s'il  trouv^siit  Monsieur  le 
Grand  à  l'escart,  de  luy  faire  mettre  l'espée  à  la 
main.  Une  fois  il  le  trouva  assez  à  propos;  mais 
voyant  venir  un  chien,  il  crut  qu'il  y  auroit  des 
gens  après.  Le  lendemain,  le  Cardinal  luy  ordonna 
de  partir  le  jour  suivant.  Il  fut  deux  jours  caché, 
faisant  travailler  à  son  équipage.  L'Eminentissime 
le  sceut,  l'envoya  quérir  et  le  malmena.  Enfin, 
le  jeune  homme,  ne  sçachant  plus  que  faire,  va 
trouver  M.  de  Noyers  et  luy  dit  ce  qu'il  avoit  en- 
tendu, et  ce  qu'il  avoit  eu  dessein  de  faire.  M.  de 
Noyers  luy  dit  :  «  Monsieur,  ne  partez  point  encore 


6'2  LES    HISTORIETTES. 

»  demain.  »  Le  Cardinal ,  averty  de  tout,  le  mande , 
le  remercie  de  son  zèle,  et  le  fait  partir  après  luy  avoir 
dit  qu'il  y  mettroit  ordre. 

Dans  le  voyage  les  choses  s'aigrirent.  Le  Cardinal 
vouloit  qu'on  chassast  Monsieur  le  Grand'.  Le  Roy 
ne  le  vouloit  pas,  à  cause  que  le  Cardinal  le  vouloit  ; 
non,  comme  vous  allez  voir,  qu'il  aimast  encore 
Monsieur  le  Grand.  L'Eminentissime  se  retire  à  Nar- 
bonne^,  sous  prétexte  de  son  mal,  et  laisse  Fabert% 
capitaine  aux  Gardes,  mais  qui  estoit  bien  dans 
l'esprit  du  Roy,  et  à  qui  le  Roy  avoit  mesme  dit  un 
jour  qu'il  se  voudroit  servir  de  luy  pour  se  desfaire 
du  Cardinal.  On  l'avoit  choisy  comme  un  homme  de 

1  Le  bruit  ayant  couru  qu'il  avoit  fait  venir  des  gens  pour  assassiner 
le  Cardinal,  M.  le  duc  d'Angliien  offrit  à  Son  Eminence  de  le  tuer.  Le 
marquis  de  Piennc  le  sccut  et  le  dit  à  Ruvigny,  qui  conseilla  à  Mon- 
sieur le  Grand  de  le  dire  au  Roy.  Il  dit  le  lendemain  à  Ruvigny  :  «  Le 
n  Roy  m'a  dit  :  Prends  de  mes  gardes,  cher  amy.  »  Ruvigny,  le  regardant 
entre  deux  yeux,  luy  dit:  «  Eh  !  pourquoy  n'en  avez-vous  pas  pris  '.'  Vous 
»  ne  dittes  pas  vray.  »  Le  jeune  homme  rougit.  «  Au  moins,  »  adjousta 
Ruvigny,  «  allez  chez  Monsieur  le  Duc  accompagné  de  trois  ou  quatre 
»  de  vos  amys,  pour  luy  faire  voir  que  vous  n'avez  point  de  peur.  »  Il  y 
fut.  Monsieur  le  Duc  jouoit;  on  le  receut  fort  bien,  et  l'on  causa  fort 
gayement.  Ruvigny  l'y  accompagna. 

2  Le  mareschal  de  la  Motte,  sous  prétexte  d'empcscher  le  secours  de 
Perpignan,  car  exprès  il  faisoit  courir  le  bruit  que  les  ennemys  avoient  ce 
dessein-là,  s'avança  à  trente  lieues  près  de  la  ville.  Le  Mareschal  manda 
au  Cardinal  qu'il  s'estoit  avancé  pour  le  servir,  et  qu'il  luy  donnoit  sa 
parole  de  le  desgager  quand  il  voudroit,  et  de  le  venir  enlever  à  la  porte 
du  logis  du  Roy  ;  qu'il  avoit  mille  hommes  dont  il  luy  respondoit  comme 
de  luy-mesme.  Le  Cardinal  dit  qu'il  admiroit  l'adresse  qu'avoit  eue  le 
Mareschal,  et  luy  manda  qu'il  n'avançast  pas  davantage.  Monsieur  le 
Grand,  qui  avoit  plus  d'esprit  que  de  cervelle,  se  douta  du  dessein  du 
Mareschal,  et  en  avertit  le  Roy. 

'  Créature  du  cardinal  de  la  Valette. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  63 

cœur  et  un  homme  de  sens.  M.  de  ïhou  sonda  un 
jour  Fabert  pour  luy  faire  prendre  le  party  de  Mon- 
sieur le  Grand.  Fabert  luy  fit  sentir  qu'il  en  sçavoit 
bien  des  choses,  et  le  pria  de  ne  luy  rien  dire  qu'il 
fust  obligé  de  descouvrir.  «  Mais  vous  n'avez,  »  luy 
dit  l'autre,  «  aucune  recompense;  vous  avez  achepté 
1)  vostre  compagnie  aux  Gardes.  —  Et  vous,  «  res- 
pondit  Fabert,  «  n'avez-vous  point  de  honte  d'estre 
»  comme  le  suivant  d'un  jeune  homme  qui  ne  fait 
»  que  sortir  de  page?  Vous  estes  dans  un  plus  mau- 
»  vais  pas  que  vous  ne  pensez.  » 

Or,  voicy  comment  on  descouvrit  que  le  Roy  n'ai- 
moit  plus  Monsieur  le  Grand.  Un  jour,  en  présence  du 
Roy,  on  vint  à  parler  de  fortifications  et  de  sièges. 
Monsieur  le  Grand  disputa  long-temps  contre  Fabert, 
qui  en  sçavoit  un  peu  plus  que  luy.  Le  feu  Roy  luy 
dit:  «  Monsieur  le  Grand,  vous  avez  tort,  vous  qui 
»  n'avez  jamais  rien  veu ,  de  vouloir  l'emporter 
»  contre  un  homme  d'expérience,  »  et  en  suitte  dit 
assez  de  choses  à  Monsieur  le  Grand  sur  sa  présomp- 
tion, puis  s'assit.  Monsieur  le  Grand  enragé  luy  alla 
dire  sottement  :  «  Vostre  Majesté  se  seroit  bien  pas- 
))  sée  de  me  dire  tout  ce  qu'elle  m'a  dit.  »  Alors  le 
Roy  s'emporta  tout  à  fait.  Monsieur  le  Grand  sort, 
et  en  s'en  allant  il  dit  tout  bas  à  Fabert  :  «  Je  vous 
))  remercie,  monsieur  Fabert!  »  comme  l'accusant 
de  tout  cela.  Le  Roy  vouloit  sçavoir  ce  que  c'estoit  ; 
Fabert  ne  luy  voulut  jamais  dire.  «  Il  vous  menace 
)•  peut-estre?  »  dit  le  Roy.  — «  Sire,  on  ne  fait  point 
"  de  menaces  en  vostre  présence,  et  ailleurs  on  ne  le 


64  LES    HISTORIETTES. 

»  souffriroit  pas.  —  Il  faut  vous  dire  tout,  monsieur 
»  Fabert,  il  y  a  six  mois  que  je  le  vomis  »  (ce  sont 
les  propres  termes  du  Roy) .  «  Mais  pour  faire  croire 
»  le  contraire,  et  qu'on  pensast  qu'il  m'entretenoit 
»  encore,  après  que  tout  le  monde  estoit  retiré,  » 
continua  le  Roy,  «  il  demeuroit  une  heure  et  demie 
»  dans  la  garde-robe  à  lire  l'Arioste  ;  les  deux  pre- 
»  miers  valets  de  garde-robe  estoient  à  sa  dévotion. 
»  Il  n'y  a  point  d'homme  plus  perdu  de  vices,  ny  si 
»  peu  complaisant.  C'est  le  plus  grand  ingrat  du 
»  monde.  Il  m'a  fait  attendre  quelquefois  des  heures 
»  entières  dans  mon  carrosse,  tandis  qu'il  crapuloit. 
»  Un  royaume  ne  suffiroit  pas  à  ses  dépenses.  Il  a, 
»  à  l'heure  que  je  vous  parle,  jusqu'à  trois  cens 
»  paires  de  bottes  '.  »  La  vérité  est  que  Monsieur  le 
Grand  estoit  las  de  hi  ridicule  vie  que  le  Roy  menoit, 
et  peut-estre  encore  plus  de  ses  caresses.  Fabert 


*  Variante.  Il  se  brouilla  avec  le  Roy  par  sa  faute,  et  ce  ne  fut  que 
quinze  jours  avant  qu'il  fust  arresté.  Ce  fut  dans  une  conversation  où 
il  contesta  sur  la  guerre  contre  le  maroschal  de  la  Meillcraye.  Le  ROy 
luy  dit  que  c'estoit  bien  à  luy  qui  n'avoitricn  veu  à  disputer  contre  un 
homme  qui  faisoit  la  guerre  depuis  si  long-temps.  «  Sire,  »  rcspondit- 
11,  ((  quand  on  a  du  sens  et  de  la  lumière,  on  sçait  les  choses  sans  les 
»  avoir  veues.  »  Quoyque  Ruvigny  pust  luy  dire ,  il  négligea  de  se 
remettre  bien  avec  le  Roy;  il  se  fioit  sur  son  traitté  avec  l'Espagne. 
Il  avoit  envoyé  Montniort,  parent  de  Fonterailles,  au  comte  de  Brion, 
car  on  n'osoit,  à  cause  de  la  Rivière,  s'adresser  à  Monsieur  directe- 
ment. Par  malheur  pour  luy,  M.  de  Brion  estoit  à  Paris  aux  nopces 
de  Mademoiselle  de  Bourbon  et  de  M.  de  Longueville.  Cela  cmpescha 
qu'il  n'cust  response,  et  donna  le  temps  d'avoir  le  traitté  d'Espagne. 
—  La  princesse  Marie  luy  avoit  promis  de  l'espouser  quand  il  se  seroit 
plus  cslevé  :  cela  avoit  contribué  à  luy  faire  tourner  la  teste. 

—  Le  feu  Roy,  en  faisant  des  confitures,  dit  :  «  L'ame  de  Cinq-Mars 
»  estoit  aussy  noire  que  le  cù  de  ce  poislon.  » 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  65 

donna  avis  de  tout  cecy  au  Cardinal.  M.  do  Cha- 
vigny,  qu'il  envoya  trouver  Fabert,  ne  pouvoit  croire 
ceVil  cntcndoit.  Gela  donna  courage  au  Cardinal, 
qui,  voyant  qu'après  cela  Monsieur  le  Grand  faisoit 
tousjours  bonne  mine,  conjectura  qu'il  y  avoit 
quelque  grande  caballe  qui  le  soustenoit;  c'estoit 
ce  traitté  d'Espagne. 

Avant  que  de  dire  mes  conjectures  sur  le  moyen 
par  lequel  il  l'eut,  je  diray  quelle  estoit  la  resolution 
du  Cardinal.  Un  peu  devant  ^  le  Cardinal  dictoit  un  Jf^,i,,fJ%v;,l 

.  r  1  1  Ti         ^l/^U    prétexte  (le  sa  mala- 

manifeste  dont  les  cahiers  ont  este  bruslez.  Il  parloit  aie. 
de  se  retirer  en  Provence,  à  cause  du  comte  d'Alais  : 
il  esperoit  que  ses  amys  l'y  viendroient  joindre.  Il 
partit  effectivement,  après  s'estre  fait  dire  par  les 
médecins  que  l'air  de  la  mer  luy  estoit  si  contraire 
qu'il  ne  guériroit  point,  s'il  ne  s'en  esloignoit  davan- 
tage. Et  au  lieu  d'aller  par  terre,  pour  plus  grande 
seureté,  il  se  mit  sur  le  lac  pour  aller  à  Tarascon, 
disant  que  le  branle  de  la  litière  luy  faisoit  mal  *.       En  i«.n  .e;.. 
Comme  il  estoit  près  de  passer  le  Rhosne,  on  dit 
qu'un  courrier,  qui  ne  F  a  voit  point  trouvé  à  Nar- 
bonne,  arriva  avec  un   paquet   du   mareschal   de 
Brezé,  vice-roy  de  Catalogne,  qui,  en  quatre  lignes, 
luy  mandoit  qu'une  barque  ayant  eschoué  à  la  coste, 
on  y  avoit  trouvé  le  traitté  de  Monsieur  le  Grand, 
ou  plustost  le  traitté  de  Monsieur  d'Orléans  avec  l'Es- 
pagne, et  qu'il  le  luy  envoyoit. 

Voylà  le  bruit  qu'on  fit  courir,  mais  ce  n'est  pas 
la  vérité,  comme  nous  dirons  en  suitte.  Aussy  n'y  a-t- 
il  guères  d'apparence  h  ce  qu'on  disoit  là  ,  et  ceux 


66  LKS    lUSTOlUETTES. 

qui  l'ont  cru  sont  de  facile  croyance.  Le  Cardinal 
(à  ce  qu'a  dit  Charpentier,  son  premier  secrétaire, 
qui  peut  avoir  esté  trompé  comme  un  autre,  et  qui  a 
conté  l'aventure  de  la  barque),  fort  surpris,  com- 
manda que  tout  le  monde  se  retirast,  excepté  Char- 
pentier. «  Faittes-moy  apporter  un  bouillon,  je  suis 
»  tout  troublé.  »  Charpentier  le  va  prendre  à  la  porte 
de  la  chambre,  qu'on  ferme  après  au  verrouil.  Alors 
le  Cardinal  levant  les  mains  au  ciel  dit  :  «  0  Dieu  ! 
»  il  faut  que  tu  ayes  bien  du  seing  de  ce  royaume  et' 
»  de  ma  personne  !  Lisez  cela,  »  dit-il  à  Charpentier, 
«  et  faittes-en  des  copies.  »  A.ussytost  il  envoyé  un  ex- 
près à  M.  de  Chavigny,  avec  ordre  de  le  venir  trou- 
ver, quelque  part  qu'il  fust.  Chavigny  le  vint  trouver 
à  Tarascon ,  car  il  jugea  à  propos  de  passer  le 
Rhosne.  Chavigny  ,  chargé  d'une  copie  du  traitté, 
va  trouver  le  Roy  ;  le  Cardinal  l'avoit  bien  instruit. 
«  Le  Roy  vous  dira  que  c'est  une  fausseté,  mais  pro- 
»  posez-luy  d'arrester  Monsieur  le  Grand,  et  qu'après 
»  il  sera  bien  aisé  de  le  délivrer,  si  la  chose  est  fausse; 
»  mais  que  si  une  fois  l'ennemy  entre  en  Champagne, 
»  il  ne  sera  pas  si  aisé  d'y  remédier.  »  Le  Roy  ne 
manqua  pas  ;  il  se  mit  en  une  colère  horrible  contre 
M.  de  Noyers  %et  M.  de  Chavigny ,  et  dit  que  c' es- 
toit  une  meschanceté  du  Cardinal,  qui  vouloit  perdre 
11  juin.  Monsieur  le  Grand  *.  Ils  eurent  bien  de  la  peine  à  le 
ramener  ;  enfin  pourtant  il  fit  arrester  Monsieur  le 
Grand,  et  puis  alla  à  Tarascon  s'esclaircir  de  tout 
avec  le  Cardinal. 

Or,  comme  Fonterailles  vit  que  le  Roy  estoit  si 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  67 

longtemps  avec  M.  de  Noyers  et  M.  de  Chavigny 
sans  qu'on  y  appellast  Monsieur  le  Grand,  il  luy  dit  : 
«  Monsieur,  il  est  temps  de  se  retirer.  «  Monsieur  le 
Grand  ne  le  voulut  pas.  «  Pour  vous,  »  luy  diMl, 
«  Monsieur,  vous  serez  encore  d'assez  belle  taille 
»  quand  on  vous  aura  osté  la  teste  de  dessus  les  es- 
»  paules,  mais  en  vérité  je  suis  trop  petit  pour  cela.  » 
Il  se  sauva  en  habit  de  capucin,  comme  il  estoit  allé 
faire  le  traitté  en  Espagne'. 

La  vérité  touchant  le  moyen  qu'on  a  tenu  pour 
avoir  le  traitté  n'est  point  encore  divulguée.  Fabert 
a  dit  que  le  feu  Roy  l'avoit  sçeû,  ainsy  que  M.  de 
Chavigny  et  M.  de  Noyers,  et  qu'il  n'y  avoit  plus 
que  la  Reyne,  M.  d'Orléans,  M.  le  cardinal  Mazarin 

^  Avant  que  de  se  mesler  d'intrigues,  Fonterailles  avoit  mis  tout  son 
bien  à  couvert.  Il  est  de  bonne  maison  de  Languedoc,  et  a  vingt-deux 
mille  livres  de  rente  en  fonds  de  terre,  sans  un  sou  de  dettes.  II  dit 
une  plaisante  chose  au  feu  Roy,  qui  luy  monstroit  des  louis  :  «  Sire,  » 
luy  dit-il,  «  j'ayme  les  vieux  amys  et  les  vieux  escus.  »  Il  ne  veut  point 
qu'on  raille  de  sa  bosse  ;  sur  tout  le  reste,  il  entend  raillerie.  Il  estoit 
des  esprits  forts  du  Marais.  Ces  Messieurs  se  mirent,  il  y  a  près  de 
vingt  ans,  à  porter  des  bottes  qui  avoient  de  fort  longs  pieds,  mais  non 
pas  si  longs  qu'on  les  a  portez  depuis.  Quelques  capitaines  aux  Gardes 
dansèrent  un  ballet  des  longs  pieds  :  Fonterailles  alla  prendre  cela  pour 
eux,  et  engagea  le  comte  de  Fiesque  et  Ruvigny  à  se  battre.  Le  Comte 
et  son  homme  se  blessèrent  ;  Fonterailles  fut  cullebutté  par  le  sien,  et 
Ruvigny  desarma  le  troisiesme.  Ces  Messieurs  du  Marais  chargèrent  les 
filous,  et  leur  enjoignirent  de  ne  voler  plus  dans  le  Marais.  Ainsy  le 
Marais  fut  quelque  temps  un  lieu  de  seuretô.  En  despit  de  luy,  Espe- 
nan,  soldat  de  fortune,  qui  avoit  esté  garde  de  M.  d'Espernon,  espousa 
sa  sœur;  il  avoit  gaigné  la  mère  et  le  cadet  de  Fonterailles.  Cet  Espe- 
nan  avoit  esté  en  crédit  pour  avoir  déposé  contre  M.  de  la  Valette  à 
l'affaire  de  Fontarabie*.  Fonterailles  le  fit  appeller  en  vain  plusieurs  fois 
en  duel.  Le  cadet  se  mit  si  fort  contre  l'aisné  qu'il  luy  envoya  un 
cartel;  Fonterailles  en  eut  horreur,  et,  par  l'avis  de  Ruvigny,  conta  cela 
h  tout  le  monde.  Le  cadet  fut  blasmé  ;  il  est  mort  à  la  guerre  en  Catalogne. 


68  LES    HISTORIETTES. 

et  luy  qui  le  sçeussent,  mais  qu'il  se  gardera  bien  de 
le  dire.  Un  jour  quelqu'un  demanda  à  Monsieur  le 
Prince  par  quelle  invention  on  avoit  descouvert  ce 
traitté?  Monsieur  le  Prince  dit  quelque  chose  tout 
bas  à  cet  homme  ;  Voiture,  qui  avoit  veu  cela,  dit  à 
M.  de  Chavigny  :  «  Vous  faittes  tant  le  fin  de  ce  grand 
»  secret,  cependant  Monsieur  le  Prince  l'a  dit  à  un 
»  tel.  —  Monsieur  le  Prince  ne  le  sçait  pas,  »  dit  Cha- 
vigny; «  puis  quand  il  le  sçauroit,  il  n'oseroit  le 
»  dire.  »De  là  Voiture  conjecturoitque  cela  venoit  de 
la  Reyne,  et  pour  preuve  de  cela,  on  remarquoit 
qu'après  avoir  long-temps  parlé  de  luy  ester  ses  en- 
fans,  on  cessa  tout  à  coup  d'en  parler.  On  dira  à 
Françoise  de  Sou-  Cela  Quc  sl  la  choso  avolt  csté  ainsy.  M"''  deLansac*, 

vré,  sœur  de  M""»  de  *■ 

s^"»'^-  qui  tenoit  la  place  de  M"'"  de  Senecey  et  qui  estoit 

en  mesme  temps  gouvernante  de  Monsieur  le  Dau- 
phin, n'eust  pas  tiré  le  rideau  de  la  Reyne  si  brus- 
quement, pour  luy  insulter,  en  luy  disant  d'un  ton 
aigre  que  Monsieur  le  Grand  estoit  arresté.  Cela  n'y 
fait  rien,  car,  pour  donner  le  change,  on  laissa  appa- 
remment faire  tout  cela  à  M""'  de  Lansac,  et  peut- 
estre  le  luy  fit-on  faire  exprès.  Le  temps  nous  en 
apprendra  davantage. 

Monsieur  le  Chancellier  dit  tant  h  Monsieur  le  Grand 
que  le  Roy  l'aymoit  trop  pour  le  perdre,  que  cela 
n'iroit  qu'à  quelque  temps  de  prison,  que  Sa  Majesté 
auroit  esgard  à  sa  jeunesse  ;  que  le  pauvre  Monsieur  le 
Grand  en  crut  quelque  chose  et  confessa  tout,  après, 
de  peur  de  la  question  qu'on  luy  présenta,  et  qu'on 
luy  eust  donnée  jusqu'à  la  mort,  il  persista. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  69 

Pour  M.  de  Thou,  il  n'avoit  pas  esté  d'avis  du 
traitté  d'Espagne;  mais  il  avoit  tousjours  brouillé: 
on  trouva  la  piste  de  toutes  ses  menées.  C'cstoit  le 
plus  inquiet  de  tous  les  hommes  \  Monsieur  le  Grand 
V avoit  a])i)el\é  Son  Inquiétude.  Quand  il  sortoit,  il 
estoit  quelquefois  une  heure  sans  pouvoir  se  détermi- 
ner oii  il  iroit.  Par  une  ridicule  afîectation  de  généro- 
sité, dez  qu'un  homme  estoit  disgracié,  il  le  vouloit 
connoistre,  et  luy  alloit  faire  offres  de  services. 

Monsieur  le  Grand  estoit  plein  de  cœur,  il  ne  s'es- 
branla  point  d'un  si  grand  revers;  au  contraire,  il 
escrivit  de  fort  bon  sens  et  mesme  élégamment,  à  la 
mareschale  d'Effiat,  sa  mère.  Il  mourut  en  galant 
homme  ;  mais  M.  de  Thou  fit  le  cagot.  Il  demandoit 
sans  cesse  s'il  n'y  avoit  point  de  vanité  dans  son 
hmnilité.  Il  fit  des  inscriptions  pour  mettre  à  des 
offrandes  qu'il  faisoit-.  Enfin  il  paillarda  furieuse- 
ment son  vin,  comme  on  dit;  et  il  sembloit  avec 
ses  longs  propos  qu'il  voulust  se  familiariser  avec  la 
mort.  Je  trouve  qu'il  mourut  en  pédant,  luy  qui  avoit 
tousjours  vescu  en  cavalier,  car  sa  soutane  ne  tenoit 
à  rien.  Les  grands  seigneurs  et  les  grandes  dames 
Tavoient  gasté,  et  aussy  l'opinion  d'estre  descendu 
des  comtes  de  Tout  ;  eux  qui  se  dévoient  contenter 

*  Estant  conseiller,  ou  maistre  des  Requestes,  il  alla  voir  le  cardinal 
de  la  Valette  à  Mayence,  et  fut  à  la  guerre,  d'où  il  revint  avec  un 
bras  cassé.  On  se  mocqua  de  luy.  —  Il  faisoit  le  coup  de  pistollet  ;  es- 
tant intendant  de  l'armée,  il  logeoit  M.  de  Turenne  ;  il  estoit  amou- 
reux de  M°^  de  Guimené.  Ou  dit  qu'il  luy  escrivit  après  avoir  esté 
condamné  :  au  moins,  escrivit-il  à  une  dame.  C'estoit  un  vilain  rousseau. 

2  Variante  :  Il  fit  des  inscriptions,  des  vœux,  des  fondations  et  autres 
choses  semblables. 


70  LliS    HISTORIETTES. 

d'estre  d'une  maison  illustre  par  de  belles  charges 
et  des  escrits  célèbres.  Si  on  cherchoit,  on  trouveroit 
qu'ils  viennent  de  peu  de  chose;  j'ay  ouy  dire  d'un 
paysan  d'Atis  \ 

Le  Cardinal ,  qui  avoit  traisné  M.  de  Thou  après 
luy  sur  le  Rhosne,  eut  bien  de  la  peine  à  gaigner  la 
Loire*.  On  le  portoit  dans  une  machine,  et  pour  ne 
le  pas  incommoder ,  on  rompoit  les  murailles  des 
maisons  où  il  logeoit,  et  si  c'estoit  par  haut,  on  fai- 
soit  un  rampant  dcz  la  cour,  et  il  entroit  par  une 
fenestre  dont  on  avoit  osté  la  croisée.  Vingt-quatre 
hommes  le  portoient  en  se  relayant.  Une  fois  qu'il 
eut  attrapé  la  Loire,  on  n' avoit  que  la  peine  de  le 

*  Cyprien  Perrot,  conseiller  de  la  Grand  chambre,  aniy  intime  du  pré- 
sident de  Thou  l'historien,  trouva  un  jour,  par  hazard,  un  acte  par 
lequel  il  paioissoit  que  l'advocat  de  Thou,  de  qui  venoit  le  président 
et  le  premier  président  du  Parlement,  cstoit  filz  d'un  habitant  d'Atis, 
village  qui  est  à  une  journée  de  Paris.  Cela  le  fit  rire  :  il  l'envoya  au 
Président,  et  luy  manda  que  par  cette  pièce  il  prouveroit  nettement 
qu'il  venoit  des  comtes  de  Toul  ;  c'estoit  la  chimère  de  la  famille.  Le 
Président  prit  cela  comme  il  devoit,  il  n'en  fit  que  rire,  ot  M.  Perrot 
fut  un  de  ses  exécuteurs  testamentaires.  Perrot,  sieur  d'Ablancourt,  y 
estoit  quand  on  trouva  cette  pièce.  C'est  de  luy  que  nous  le  tenons. 

Farianie  :  Cyprien  PeiTOt,  père  du  président  Perrot,  en  cherchant 
du  papier,  trouva  un  contrai  de  mariage,  par  lequel  on  voyoit  que 
MM.  de  Thou  venoient  d'un  paysan  d'Atis,  qui  estoit  pcre,  je  pense, 
de  cet  advocat-genéral  de  la  cour  des  Aydes  qui  fut  père  du  président 
au  mortier,  père  du  premier  président.  Notez  que  celuy  qui  fut  pre- 
mier président,  quoyque  filz  d'un  président  au  mortier,  fut  advocat. 
M.  Perrot  dit  en  riant  à  son  clerc  :  «  Tenez,  portez  cela  à  mon  bon 
amy  M.  de  Thou  (c'estoit  l'historien),  voylà  les  comtes  d'Allemagne.  » 

2  II  passa  aux  bains  de  Bourbon-Lausy  ;  mais  ce  remède  ne  luy  servit 
guëres.  On  trouva  dans  Pline  que  deux  consuls  Romains  cstoient 
morts  de  furuncles  qu'ils  prirent,  comme  luy,  dans  la  Gaule  narbon- 
noise.  Le  Cardinal  estoit  sujet  aux  hémorroïdes,  et  Juif  l'avoit  une 
fois  charcuté  h  bon  escient. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  71 

porter  du  batteau  à  son  logis.  M"""  d'Aiguillon  le  sui- 
voit  dans  un  batteau  à  part;  bien  d'autres  gens  en 
firent  de  mesme.  G'estoit  comme  une  petite  flotte. 
Deux  compagnies  de  cavalerie,  l'une  deçà,  l'autre 
delà  la  rivière,  l'escortoient.  On  eut  soin  de  faire  des 
routes  pour  réunir  les  eaux  qui  estoient  basses;  et 
pour  le  canal  de  Briare  qui  estoit  presque  tary,  on  y 
lascha  les  escluses.  M.  d'Anguien  eut  ce  bel  employ. 
Quand  il  fut  de  retour  à  Paris,  il  fit  adjouster  à 
V Europe  la  prise  de  Sedan,  qu'il  appelloit  dans  la 
pièce  :  l'Jntre  des  monstres.  Cette  vision  luy  estoit 
venue  dans  le  dessein  qu'il  a  voit  de  destruire  la  mo- 
narchie d'Espagne.  G'estoit  comme  une  espèce  de 
manifeste.  M.  Desmarestz  en  fit  les  vers  et  en  dis- 
posa le  sujet*.  Imprlmée^l3  janvier 

Le  Cardinal,  s'il  eust  voulu,  dans  la  puissance 
qu'il  avoit,  faire  le  bien  qu'il  pouvoit  faire,  auroit 
esté  un  homme  dont  la  mémoire  eust  esté  bénite  à 
jamais.  Il  est  vray  que  le  cabinet  luy  donnoit  bien 
de  la  peine.  On  a  bien  perdu  à  sa  mort,  car  il 
choyoit  tousjours  Paris;  et  puisqu'il  en  estoit  venu 
si  avant,  il  estoit  à  souhaitter  qu'il  durast  assez 
pour  abattre  la  maison  d'Austriche.  La  grandeur  de 
sa  maison  a  esté  sa  plus  grande  folie. 

Pour  monstrer  combien  le  cabinet  luy  donnoit  de 
peine,  il  ne  faut  que  dire  combien  Treville  luy  causa 
de  mauvaises  heures.  Il  avoit  sçeû,  peut-estre  par  la 
déposition  de  Monsieur  le  Grand,  que  le  Roy,  en. 
monstrant  Treville,  avoit  dit  :  «  Monsieur  le  Grand, 
»  voylà  un  homme  qui  me  desfera  du  Cardinal  quand 


72  LES     niSTORIETTES. 

»  je  voudray.  »  Treville  commandoit  les  Mousquetaires 
à  cheval  que  le  Roy  avoit  mis  sur  pié  pour  en  estre  ac- 
compagné partout,  à  la  chasse  et  ailleurs,  et  il  en  choi- 
sissoit  luy-mesme  les  soldats.  On  y  a  veu  des  filz  de 
M.  d'Usez.  On  faisoit  sa  cour  par  ce  moyen-là.  Tre- 
ville est  un  Béarnois,  soldat  de  fortune.  Le  Cardinal 
avoit  gaigné  sa  cuisinière  ;  on  dit  qu'elle  avoit  quatre 
cens  livres  de  pension.  Le  Cardinal  ne  vouloit  point 
laisser  auprès  du  Roy  un  homme  en  qui  le  Roy  avoit 
tant  de  confiance  :  M.  de  Chavigny  fut,  de  la  part 
du  Cardinal,  presser  le  Roy  de  le  chasser.  Le  Roy 
bien  humblement  luy  dit  :  «  Mais,  monsieur  de  Cha- 
»  vigny,  que  Ton  considère  qu'on  me  perd  de  reputa- 
»  tion,  que  Treville  m'a  bien  servy,  qu'il  en  porte  des 
»  marques,  qu'il  est  fidèle.  —  Mais,  Sire,  »  dit  M.  de 
Chavigny,  «  vous  devez  aussy  considérer  que  M.  le 
»  Cardinal  vous  a  bien  servy ,  qu'il  est  fidèle,  qu'il 
»  est  nécessaire  à  vostre  Estât,  et  que  vous  ne  devez 
»  point  mettre  Treville  et  luy  dans  la  balance.  — 
»  Quoy!  monsieur  de  Chavigny,  »  dit  le  Cardinal  à 
qui  il  faisoit  ce  rapport,  «  vous  n'avez  pas  plus  pressé 
»  le  Roy  que  cela?  vous  ne  luy  avez  pas  dit  qu'il  le 
')  falloit?  La  teste  vous  a  tourné,  monsieur  de  Cha- 
»  vigny,  la  teste  vous  a  tourné.  »  Chavigny  en  suitte 
luy  jura  qu'il  avoit  dit  au  Roy  :  «  Sire,  il  faut  que 
')  vous  le  fassiez.  »  Le  Cardinal  sçavoit  bien  à  qui  il 
avoit  affaire.  Le  Roy  craignoit  le  fardeau,  et  de  plus, 
il  avoit  peur  que  le  Cardinal ,  qui  tenoit  presque 
toutes  les  places,  ne  luy  fist  un  meschant  tour  ;  enfin, 
il  fallut  chasser  Treville. 


LE     CARDINAL    DE    RICHELIEU.  73 

L'Eminentissime  croyoit  revenir  de  sa  maladie; 
toutes  les  déclarations  contre  M.  d'Orléans  en  sont 
une  marque.  Il  le  haïssoit  et  le  mesprisoit,  et  il  le 
vouloit  faire  dcsclarer  incapable  de  la  couronne,  afin 
que  le  Roy,  qui  ne  pouvoit  pas  vivre  longtemps,  ve- 
nant à  mourir,  ce  prince  ne  pust  avoir  part  au  gou- 
vernement. 

Il  y  en  a  qui  ont  cru  que  le  Cardinal  avoit  fait 
dessein  de  gouverner  la  Reyne  par  le  cardinal  Ma- 
zarin;  qu'il  l'avoit  fait  exprès  cardinal.  Il  est  vray 
que  M.  de  Chavigny  y  servit  fort  pour  empescher 
M.  de  Noyers  de  l'estre.  On  a  mesme  cru  qu'il 
y  avoit  desjà  de  l'intelligence  entre  la  Reyne  et  le 
cardinal  de  Richelieu,  et  qu'elle  avoit  commencé 
dez  le  temps  qu'il  eut  d'elle  le  traitté  d'Espagne. 
J'ay  ouy  dire  à  Lyonne  que  la  première  fois  que  le 
cardinal  de  Richelieu  présenta  Mazarin  à  la  Reyne 
(c'est oit  après  le  traitté  de  Cazal)*,  il  luy  dit  :  «  Ma- 
»  dame,  vous  l'aimerez  bien,  il  a  de  l'air  de  Rouquin- 
»  quant.  »  Je  ne  sçay  si  cela  y  a  servy,  mais  on  croit 
que  la  Reyne  avoit  de  l'inclination  pour  luy  de  longue 
main,  et  que  le  cardinal  de  Richelieu  s'en  estoit 
aperceû,  ou  que  cette  ressemblance  luy  donnoit  lieu 
de  l'espérer. 

Quand  on  joua  V Europe,  il  n'y  estoit  pas  ;  il  l'avoit 
bien  veu  repéter  plusieurs  fois  avec  les  habits  qu'il 
fit  faire  à  ses  despens  ;  son  bras  ne  luy  permit  pas 
d'y  aller.  Au  retour,  il  dit  à  sa  niepce,  luy  montrant 
le  cardinal  Mazarin  :  «  Ma  niepce,  j'instruisois  un 
y>  ministre  d'Estat,  tandis  que  vous  estiez  à  la  corne- 


74  LES    HISTORIETTES. 

»  die.  »  Et  on  dit  qu'il  le  nomma  au  feu  Roy,  et  qu'une 
autre  fois  il  dit  :  «Je  ne  sçache  qu'un  homme  qui  me 
»  puisse  succéder,  encore  est-il  estranger.  «D'autres 
pensent  que  c'est  trop  subtiliser  que  de  dire  ce  que 
j'ay  dit  du  dessein  de  gouverner  la  Reyne  par  le  car- 
dinal Mazarin  ',  et  croyent  que  son  intention  n'a 
esté  autre  que  de  mettre  dans  les  affaires  un  homme 
qui,  estant  estranger  et  sa  créature,  par  gratitude  et 
par  le  besoing  qu'il  auroit  d'appuy,  s'attachcroit  ap- 
paremment à  ses  héritiers  et  à  ses  proches  ;  mais  ce 
n'est  pas  la  première  fois  qu'il  s'est  trompé.  Il  pre- 
noit  M.  de  Chavigny  pour  le  plus  grand  esprit  du 
monde,  et  Morant,  maislre  des  Requestes,  pour  le 
premier  homme  de  la  robe.  On  parlera  ailleurs  de 


Tom.  I,  p.  469  et  471,  fuu  ct  dc  Tautro*. 

et  ailleurs. 


Le  Roy  ne  fut  voir  le  Cardinal  qu'un  peu  avant 
qu'il  mourust^,  et  l'ayant  trouvé  fort  mal,  en  sortit 
fort  gay.  Le  curé  de  Saint-Eustache  vint  pour  l'as- 
sister. On  dit  qu'il  luy  dit  qu'il  n'avoit  d'ennemys 
que  ceux  de  l'Estat,  et  que  M""^  d'Aiguillon  estant 
entrée  toute  eschauffée,  et  luy  ayant  dit  :  «  Monsieur, 
»  vous  ne  mourrez  point  ;  une  sainte  fille,  une  brave 

1  Arnoul,  qui  travailloit  à  la  marine,  dit  que  le  dessein  du  cardinal 
de  Richelieu  estoit  d'envoyer  le  cardinal  Mazarin  à  Rome  pour  y  servir 
le  Roy,  et  qu'il  luy  dit  en  sa  présence:  «Monsieur  Arnoul,  dans  combien 
»  de  temps  pouvez-vous  apprester  un  vaisseau  pour  passer  M.  le  cardinal 
»  Mazarin  en  Italie?  —  Monseigneur,  »  dit  Arnoul,  «  il  y  en  aura  un  de 
»  prest  au  premier  jour.  »  Le  Mazarin  alla  supplier  Arnoul  de  différer, 
et  cependant  le  Cardinal  se  porta  plus  mal.  Jamais  le  Mazarin  n'a 
reconnu  ce  service. 

2  II  se  fit  fermer  son  cautère,  parce  que  son  bras  maigrissoit  trop. 
Cela  pourroit  bien  l'avoir  tué  ;  il  ne  vescut  plus  guères  après. 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  75 

»  carmélite,  en  a  eu  une  révélation.  —  Allez,  allez,  » 
luy  dit-il,  «  ma  niepce,  il  faut  se  mocquer  de  tout 
»  cela,  il  ne  faut  croire  qu'à  l'Evangile.  » 

On  a  dit  qu'il  estoit  mort  fort  constant.  Mais  Bois- 
robert  dit  que  les  deux  dernières  années  de  sa  vie, 
le  Cardinal  estoit  devenu  tout  scrupuleux,  et  ne  vou- 
loit  pas  souffrir  le  moindre  mot  à  double  entente.  Il 
adjouste  que  le  curé  de  Saint-Eustache,  à  qui  il  en 
avoit  parlé ,  ne  luy  avoit  point  dit  que  le  Cardinal 
fust  mort  si  constamment  qu'on  l'avoit  chanté.  M.  de 
Chartres,  Lescot,  a  dit  plusieurs  fois  qu'il  ne  connois- 
soit  pas  le  moindre  péché  en  M.  le  Cardinal.  Par  ma 
foy  !  qui  croira  cela  pourra  bien  croire  autre  chose'. 


1  11  est  fort  parlé,  dans  le  Journal  du  Cardinal,  de  la  petite  Lavau, 
Voicy  ce  que  c'estoit: 

L'infante  Claire-Eugénie  envoya  une  naine  à  la  Deyne  dans  une 
cage.  Le  gentilhomme  qui  la  luy  présenta  dit  que  c'estoit  un  perro- 
quet, et  offrit  à  la  Reyne,  pourveu  qu'on  n'ostast  point  la  couverture, 
de  peur  de  l'effaroucher,  de  luy  faire  faire  par  ce  perroquet  un  com- 
pliment en  cinq  ou  six  langues  différentes.  En  effect,  elle  en  fit  en  es- 
pagnol, en  italien,  en  françois,  en  auglois  et  en  hoUandois.  On  dit 
aussytost  :  «  Ce  ne  sauroit  estre  un  perroquet.  »  11  osta  la  couverture, 
on  trouva  la  naine.  Elle  crut  assez  pour  estre  une  fort  petite  femme, 
et  on  la  maria  à  un  assez  grand  homme,  nommé  la  Vau-lrland,  qui 
estoit  à  la  Reyne.  Elle  fut  femme  de  chambre,  et  mourut  au  bout  de 
quelques  années  en  mal  d'enfant. 

—  Mademoiselle  a  eu  une  naine  qui  estoit  la  plus  petite  qu'on  eust 
jamais  veue.  Elle  n'avoit  pas  deux  piez  de  haut,  estoit  bien  propor- 
tionnée, hors  qu'elle  avoit  le  nez  trop  grand  ;  elle  faisoit  peur.  Les 
médiocres  poupées  estoient  aussy  grandes.  Je  croy  qu'elle  est  morte. 

—  Le  feu  roy  d'Angleterre  avoit  un  fort  petit  nain,  nommé  Geoffroy, 
mais  fort  bien  proportionné.  11  avoit  un  portier  qui  avoit  huit  pieds  de 
haut,  et  on  trouva  en  ce  temps-là  un  paysan  qui  avoit  cent  trente-sept 
ans,  de  sorte  que  ce  prince  se  vantoit  d'avoir  le  plus  grand,  le  plus 
petit  et  le  plus  vieil  homme  de  l'Europe. 


76  LES     HISTORIETTES. 


COMMENTAIRE, 

I.  — P.  1,  lig,  1«. 

Le  père  du  cardinal  de  Richelieu  estait  fort  bon  gentilhomme. 

Le  Plessis  est  une  terre  du  Poitou ,  possédée  par  ^es  ancêtres  du 
cardinal  de  Richelieu  depuis  lexiii*  siècle.  François  du  Plessis,  père 
du  Cardinal,  fut  seigneur  de  Richelieu  comme  ses  trois  aïeux  immé- 
diats, et  mourut  le  10  juillet  1500,  chevalier  des  Ordres,  conseiller  d'E- 
tat, capitaine  des  Gardes  du  corps  et  grand  prévôt  de  l'Hôtel.  Sa  femme, 
Suzanne  de  la  Porte,  etoit,  en  1580,  dame  de  la  reine  Louise  de  Lor- 
raine; leurs  deux  filles  avoient  nom  Françoise  et  Nicole;  la  première, 
d'abord  mariée  à  Jean  de  Beauvau  seigneur  de  Pimpean,  auquel  on 
n'avoit  rien  sans  doute  à  demander  sous  le  rapport  de  la  naissance  ; 
puis,  le  28  août  160.3,  à  René  de  Vignerod,  seigneur  de  Pont  de  Cour- 
lay.  La  seconde  épousa  Urbain  de  Maillé ,  marquis ,  puis  maréchal 
de  Brezé  ;  des  Réaux  en  reparlera. 

«Le  père  de  René  de  Vignerod,  François  de  Vignerod,  seigneur  de 
»  Pont  de  Courlay,se  prétcndoit  bien  noble.  Il  avoit  assez  bien  servi, 
»  s'etoit  trouvé  à  Arques,  où  il  avoit  été  blessé  en  même  temps  que  son 
»  frère  utérin,  qui  portoit  le  nom  de  la  Rochejacquelein.  »  (Note  com- 
muniquée par  M.  le  marquis  de  Pastoret.) 

René  eut  deux  enfans  :  1°  François  de  Vignerod,  marquis  de  Pont 
de  Courlay,  gouverneur  du  Havre  et  général  des  Galères  après  M.  do 
Gondy,  le  15  mars  1G35;  marié  à  la  veuve  de  ce  plaisant  marquis 
d'Assigny,  dont  on  a  parlé  (  tom.  i ,  p.  /i90  ),  et  qui  avoit  fait  avec  elle 
«  le  plus  chien  de  mesnage.  »  La  preuve  de  ce  deuxième  mariage 
d'Hélène  de  Beaumanoir,  marquise  d'Assigny  ou  Acigné,  se  trouve 
dans  l'extrait  d'un  plaidoyer  de  Sébastien  Frain,  édition  de  1684, 
tom.  II,  p.  907.  Ainsi  je  n'aurois  pas  dû  avancer  dans  une  manchette 
de  V Historiette  du  marquis  d'Assigny,  que  sa  veuve  etoit  morte  veuve. 

Le  second  enfant  de  René  fut  Marie-Magdelaine  Vignerod,  la  célèbre 
M""*  de  Combalet,  depuis  duchesse  d'Aiguillon. 

Les  bruits  de  petite  naissance  des  Vignerod  etoient  pourtant  assez 
suffisanniient  répandus,  pour  que  Gauthier  se  permît  d'y  faire  de  fré- 
quentes allusions,  dans  ses  plaidoyers  contre  la  duchesse  d'Aiguillon 
pour  le  prince  de  Condé,  à  propos  du  testament  du  Cardinal. 

SousleDnnt  que  l'extraction 
Des  vignerots  n'avoit  noblesse, 
Tmw  tant  porter  nosiro  rluchessc; 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  77 

Qu'elle  tenoit  d'un  chastelain. 

Qui  ne  fut  autre  que  vilain  ; 

J'entensd'un  juge  de  village 

Qui  valoit  bien  moins  qu'un  baillape; 

Aussy  curé  son  oncle  estoit, 

(  Ainsy  que  l'advocat  contoit) 

Du  village  de  Bressuire. 

(Laffemas,  Procès  burlesque  entre  M.  le  prince  et  ma- 
dame la  duchesse  d'Aiguillon,  Paris,  1649,  p.  23  et  24.) 

IL  —  P.  1,   lig.  13. 

//  affectait  de  passer  pour  un  des  Dix-sept  seigneurs. 

Nous  avons  déjà  vu,  tom.  i,  que  le  duc  de  Mayenne  le  fils ,  et  le 
comte  de  Cramail  etoient  de  ces,  Dix-sept. 

m.  —  P.  3,  lig.  12. 

Me  voylà  deslîvré  de  vostre  tyrannie. 

Tous  les  historiens  contemporains ,  c'est-à-dire  tous  les  Mémoires 
composés  avant  le  retour  du  Cardinal  à  la  direction  des  affaires,  ont  dit 
avec  le  Grain  que  le  jeune  Richelieu  fut  renvoyé  en  dépit  de  son  ar- 
dent désir  de  conserver  le  portefeuille  de  secrétaire  d'Etat.  Richelieu 
seul  a  voulu  donner  un  autre  tour  à  sa  conduite:  «  Je  preferay,  »  dit-il 
dans  ses  Mémoires ,  «  l'honneur  de  suivre  la  Reyne-mere  en  son  af- 
»  fliction  à  toute  la  fortune  que  l'on  me  faisoit  espérer.  »  D'ailleurs 
on  ne  peut  ici  tirer  aucun  parti  du  témoignage  de  Deageant,  ancienne 
créature  du  connétable  de  Luynes  il  est  vrai,  mais  qui  plus  tard  écrivit 
ses  Mémoires  uniquement  pour  rentrer  en  grâce  auprès  du  cardinal  de 
Richelieu. 

Voici  les  passages  qui  dans  (a  Décade  du  roy  Louis  le  Juste,  par  Bap- 
tiste (non  Toussaincts)  le  Grain,  se  rapportent  à  l'evôque  de  Luçon  : 
En  1616  «M.  de  Richelieu,  evesque  de  Lusson,  se  jetta  aux  affaires, 
»  se  mit  en  crédit  à  la  faveur  de  Barbin,  et  fit  tant  qu'il  parvint  enfin 
11  à  ladite  charge  de  premier  secrétaire  d'Estat...  en  attendant  il  entra 
»  au  conseil  d'Estat  et  secret ,  et  ces  trois  personnages  (Mangot,  Bar- 
»  bin  et  Richelieu)  joints  avec  le  mareschal  d'Ancre  et  sa  femme , 
1)  entreprirent  tout  le  gouvernement  de  l'Estat;  car  il  ne  fut  plus  men- 
))  tion  de  monsieur  le  Garde  des  sceaux...  on  le  vouloit  à  tout  propos 
»  contraindre  à  sceller  des  dons  immenses,  des  Edicts  pernicieux  et 
»  des  commissions  ruineuses,  au  profit  du  mareschal  d'Ancre...» 
(p.  313.) 

1617.  «Quant  à  M.  de  Richelieu,  evesque  de  Lusson,  qui  se  portoit 


78  '  LES   HISTORIETTES. 

»  premier  secrétaire  d'Estat  et  en  faisoitla  fonction,  estant  à  la  relevée 
»  du  mesme  jour  entré  dans  la  chambre  du  Roy,  Sa  Majesté  Tadvi- 
»  sant,  luy  dit  ces  mots  :  Monsieur,  nous  sommes  avjourd'luaj  dcsh'vrez 
»  de  voslre  tijrannie.  Apics  lesquelles  paroles  ce  fat  à  liiy  à  hausser 
»  lesespaulesetdire  adieu  à  la  Cour.  »  (P.  391.) 

Plus  loin  le  Grain  transcrit  quelques  passages  des  lettres  de  l'evôque 
de  Luçon  au  maréchal  d'Ancre;  passages  qu'on  avoit  allégués  dans  le 
procès  fait  à  la  mémoire  de  Concini ,  et  dont  le  souvenir  ne  pouvoit 
être  agréable  à  l'evèque  cardinal,  premier  ministre. 

Charles  Sorel  parle  aussi  de  tout  cela  dans  la  deuxième  édition 
de  sa  Bibliothèque  françoise,  livre  fort  précieux  et  que  peut-être  ou  ne 
recherche  pas  autant  qu'il  le  mérite  :  «  Comme  la  Décade  de  Louis  XIII 
»  estoit  une  histoire  publiée  dans  le  temps  et  le  crédit  de  ceux  dont 
»  elle  parloit,  les  affaires  d'auparavant  y  sont  fort  décriées.  Le  mares- 
»  chai  d'Ancre  et  ceux  de  son  party  y  sont  très-mal  traitez.  Les  bons 
»  serviteurs  de  la  Reyne-mere  n'y  sont  pas  mesme  épargnez,  tellement 
»  qu'autrefois  cela  faisoit  foi-t  rechercher  ce  livre  qne  les  uns  vou- 
»  loieut  garder  par  curiosité,  et  les  auties  avoient  dessein  de  le  sup- 
»  pi'imer.  On  remarque  principalement  qu'en  ce  qui  touche  l'eve^que 
»  de  Luçon,  cet  auteur  rapporte  de  luy  une  lettre  adressée  au  mares- 
»  chai  d'Ancre,  laquelle  on  prétend  estre  en  termes  fort  soumis..., 
»  mais  les  termes  n'en  sont  pas  si  bas  que  cela  piist  faire  tort  à  celuy 
>>  qui  les  escrivoit,  puisqu'on  sçait  le  langage  ordinaire  des  cours,  et  ce 
»  que  les  lois  de  la  bienséance  obligent  de  dire  aux  personnes  en  cré- 
»  dit.  On  s'est  encore  arresté  à  ce  que  l'historien  raconte  de  quelques 
»  paroles fascheuses  dites  par  le  feu  P.oy,  quand  il  apperceut  l'evesque 
»  de  Luçon  dans  sa  chambre,  quelque  temps  après  la  mort  du  Mares- 
»  chai  :  mais  on  sait  que  si  le  feu  Roy  a  fait  quelque  chose  de  sem- 
»  blable,  ce  n'estoitque  selon  les  impressions  qu'on  luy  avoit  données.» 
(Bibliothèque  françoise  de  M.  C.  Sorel.  Paris,  1667,  p.  353.) 

IV.  —  P.  3,  lig.  24. 

M.  de  Luçon  fut  tramer  la  Reyne  à  Angoulesme. 

En  1619.  Il  paroît  que  tenant  alors  jeu  double,  l'evôque  avoit  de- 
mandé à  Luynes  la  permission  de  se  rendre  auprès  de  la  Reine,  pour 
la  mieux  disposer  en  faveur  de  la  Cour. 

V.  —  P.  3,  lig.  25. 

Ce  fut  là  que  l'abbé  Ruscellai  florentin  et  luy  disputèrent... 
L'incident  de  Ruccellai  est  emprunté  par  des  Réaux  aux  Entretiens 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  79 

de  Balzac^  p.  67.  «  Cet  abbé,»  dit  encore  Balzac,  «etoit  fils  d'Annibal 
')  Ruccellai ,  et  petit-neveu  du  célèbre  poëte  Giovani  délia  Casa.  Il 
»  mourut  à  Montauban,  de  la  maladie  de  l'armée.  » 

VL  —  P.  4,  lig.  1". 
Le  baron  de  Fcencsle  s'en  mocque  assez  plaisamment. 

«Ouy,  »  dit  Fœneste,  «  j'estois  au  pont  de  Sey,  et  fis  bingt  et  dus 
»  Hues  en  bingt-quatre  heures...  —  Beaujeu  :  Qui  commença  cette  de- 
»  route  du  pont  de  Sey?  —  Fœneste  :  Ce  fut  un  vrabe  duc  qui  boiant 
»  les  approches  prit  une  gaillarde  resolution,  et  lebant  la  main  haute 
»  s'escria  :  qui  m'aime  si  me  suibe,  saube  qui  peut.  Il  dit  cela  de  si 
»  vone  feiçon  qu'il  fut  ovei  en  despit  d'un  bieux  mestre  de  camp, 
»  nommé  Voisguerin,  et  quelques  Huguenots  qui  bouloient  coiivattre.» 
{Avantures  du  baron  de  Fœneste,  nouvelle  édition,  Amsterdam,  1731, 
tom.  II,  p.  109.)  Les  Ponts-de-Cé  etoicnt  quatre  ponts  qui  entouroient 
une  forteresse,  et  qui  défendoient  l'entrée  du  Poitou.  On  désigne  or- 
dinairement l'aflaire  du  8  août  1C20  sous  le  nom  d'echau/fourée  du 
Pont-de-Cé.  C'est-à-dire  à  peu  près  :  feu  de  paille. 

VII.  —  P.  5,  lig.  15. 

Le  chancellier  Alîgre. 

On  ecrivoit  alors  souvent  Hatigre;  c'est  d' Alîgre  aujourd'hui. 
Raoul,  père  du  chancelier  Etienne  I,  etoit  déjà  seigneur  de  la  Ri- 
vière et  de  Chouilliers.  De  la  femme  d'Etienne,  Elizabeth  Chappelier, 
est  venu  Etienne  II  Haligre,  chancelier  de  France  comme  son  père,  de 
janvier  1674  au  25  octobre  1677.  Celui-ci ,  trois  fois  marié ,  laissa  de 
sa  première  femme  dix-huit  enfans;  l'un  desquels,  Michel  d'Aligre,  a 
continué  honorablement  la  postérité  en  ligne  directe  et  masculine, 
jusqu'au  dernier  marquis  d'Aligre,  dont  la  grande  fortune  et  le  nom 
sont  passés  à  M.  Etienne  dePommereu,  son  petit-fils,  aujourd'hui  mar- 
quis d'Aligre. 

L'origine  médiocre  du  premier  chancelier  Aligre  etoit  bien  connue; 
mais  Saint-Simon  l'a  sans  doute  amoindrie  quand  il  a  fait  du  grand 
père  d'Etienne  I  un  apothicaire,  et  de  son  père  un  homme  de  né- 
goce. (Tom.  xviii,  p.  178.)  En  tous  cas,  ce  qu'on  en  savoit  au  xvii«  siè- 
cle n'empechoit  pas  un  poëte  de  quelque  nom,  le  sieur  de  la  Luzerne, 
de  dire  au  fils  aîné  du  Chancelier,  conseiller  du  Roi  : 

Vouloir  flescrire  icy  la  trace 
Par  où  ses  ayeux  sont  montez, 
Rechercher  d'une  bonne  race 
Les  vertueuses  qualitez; 


80  LES    HISTORIETTES. 

l'alre  esclatter  qu'il  a  pour  père 
Celuy  que  pour  Dieu  tutelaire 
La  France  avoit  auprès  du  Roy, 
C'est  une  gloire  trop  petite 
A  celuy  de  qui  le  mérite 
Peut  tout  faire  espérer  de  soy. 

(Les  Essays  poetiqties  dv  sieur  de  la  Luzerne 
Paris,  1642,  in-S».) 

On  fit  le  sixain  suivant,  à  propos  d'un  cierge  que  le  Chancelier  avojt 
voué  pour  la  santé  du  Roi ,  vers  1630,  devant  une  image  de  Notre- 
Dame,  à  Chartres  : 

Nous  prions  Dieu  et  Nostre-Dame 
Que  monsieur  Haligre  et  sa  femme. 
Afin  d'appaiser  nos  tourmens 
En  faveur  de  iiostre  bon  sire, 
Puissent  répandre  autant  de  cire 
Comme  ils  ont  fait  de  passemens. 

VIII.  —P.  6,  ligne  17. 
Le  Cardinal.,,  luy  fit  proposer  par  yi/""*  du  Far  gis... 

Il  faut  avouer  pourtant  que  si  le  Cardinal  s'ctoit  autant  compromis 
auprès  de  M""*  du  Fargis,  il  n'auroit  pas  réduit  cette  dame  à,  la  der- 
nière extrémité,  comme  il  fit  un  peu  plus  tard.  «  R  eût  été  difficile,  » 
dit  M.  Bazin ,  «  qu'un  amour  pressant  dans  le  téte-à-tête  et  s'expri- 
n  mant  dans  le  public  par  des  persécutions ,  ne  laissât  pas  à  la  Reine 
»  de  quoi  éclairer  un  mari  foible  sans  doute,  mais  chatouilleux  sur  les 
»  torts  de  cette  espèce.  »  {Hist.  de  France  sous  Louis  XIII,  tom.  n,  p.  likli.) 
Tous  ces  bruits  ne  prirent  donc  une  sorte  de  consistance  que  par  les 
pamphlets  de  l'abbé  de  Saint-Germain,  qui  attribua  l'eloignement  de 
]yjme  (jy  Fargis  à  la  répugnance  qu'elle  avoit  témoignée  pour  le  rôle 
qu'on  lui  proposoit.  Mais  il  y  avoit  à  sa  disgrâce  des  causes  politi- 
ques, et  des  Réaux  lui-môme  le  dira  tout  à  l'heure. 

Les  pièces  originales  relatives  aux  correspondances  d'Anne  d'Au- 
triche avec  l'Espagne  et  au  procès  de  la  Porte  faisoient  partie  des 
manuscrits  de  Richelieu.  Le  Père  Grilfet  les  a  eues  sous  les  yeux, 
quand  il  a  écrit  son  Histoire  de  Louis  XIII.,  car  il  en  rend  un  compte 
très-fidèle.  Elles  ont  été  acquises  à  la  vente  de  M.  Bruyères  de  Cha- 
labre  par  la  Société  des  Bibliophiles  français,  qui  les  a  cédées  en  1850 
à  la  Bibliothèque  nationale. 

IX.  —  P.  7,  note  lig.  2. 
La  Porte,  un  des  officiers  de  la  Beyne. 
C'est  ce  Pierre  de  la  Porte,  porte-manteau  de  la  Reine,  dont  il 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  81 

nous  reste  des  Mémoires,  après  tout  assez  méprisables,  puisqu'ils  sont 
dictés  par  la  rancune  d'un  valet  contre  ceux  qu'il  avoit  longtemps 
servis,  le  cardinal  Mazarin  et  la  Reine  elle-même.  On  cite  de  ces  Mé- 
moires une  certaine  aventure  du  bain  de  Louis  XIV ,  à  laquelle  ceux 
qui  connoissent  un  peu  les  habitudes  de  ce  temps-là  n'ajoutent  pas 
la  moindre  foi.  Mais  enfin,  on  pourroit  en  distinguer  les  premiers 
fondemens  dans  un  passage  des  Mémoires  de  M"'  de  Mottcville.  Cette 
dame,  on  le  sait,  n'avoit  guères  eu  plus  que  la  Porte  à  se  louer  du 
cardinal  Mazarin  : 

«  Le  Cardinal  s'appliqua  avec  soin  à  éloigner  d'auprès  du  Roy  ceux 
I)  qui  y  avoient  été  mis  par  la  Reyne  sa  mère.  La  Porte,  à  qui  elle 
avoit  fait  donner  une  charge  de  premier  valet  de  chambre,  pour  le 
recompenser  de  sa  fidélité  à  la  servir,  et  des  persécutions  qu'il  avoit 
souffertes  pour  elle,  du  temps  du  cardinal  de  Richelieu,  fut  obligé 
1)  de  s'en  deffaire.  Il  me  dit  que  mon  frère  (Bertaut)  neseroitpas  long- 
tems  sans  se  sentir  du  même  malheur,  et  que  le  Cardinal,  entrant 
')  un  jour  dans  la  chambre  du  Roy  qui  etoit  couché,  et  voyant  que 
mon  frerc  luy  lisoit  quelque  chose  auprès   de  son  lit,  pour  le  diver- 
)  tir,  il  avoit  remarqué  que  le  Cardinal  en  avoit  du  chagrin,  blas- 
')  mant  cela  comme  si  c'eust  esté  un  grand  crime.  La  Reyne  avoit 
i>  donné  à  mon  frère  la  charge  de  lecteur  de  Ja  Chambre,  et  le  Roy  la 
»  luy  faisoit  exercer  souvent,  particulièrement  dans  les  voyages  et 
)  lorsqu'il  gardoit  le  lit.  Il  luy  faisoit  quelquefois  chanter  des  dialo- 
gues avec  la  Chesnaye,  gentilhomme  de  la  Manche,  et,  dans  les  con- 
certs de  guitarre  qu'il  faisoit  C[uasy  tous  les  jours,  il  luy  donnoit  une 
)  partie  à  jouer  avec  Cominge,  capitaine  des  Gardes  de  la  Reyne... 
»  Mais  ce  qui  luy  desplut  davantage,  fut  les  premiers  jours  que  le 
Roy  entra  au  Conseil  :  comme  il  s'y  ennuyoit  assez  souvent,  une  fois 
il  alla  entrouvrir  la  porte  pour  voir  qui  estoit  dans  le  vestibule;  où 
)  ayant  vu  mon  frère,  il  luy  fit  signe  et  luy  dit  d'entrer,  et  de  le  suivre 
I)  dans  le  cabinet  des  bains,  où  on  ne  pouvoit  entrer  alors  que  par  là, 
soit  pour  luy  parler  d'un  dessein  de  ballet,  pour  accorder  sa  guitarre 
ou  lui  lire  quelque  bagatelle.  De  sorte  qu'il  demeura  seul  avec  luy, 
tout  le  temps  que  le  conseil  dura.  Le  Cardinal  ne  manqua  pas  de 
)  représenter  au  Roy  qu'il  ne  falloit  pas  qu'il  se  familiarisast  avec  per- 
sonne j  usqu'à  ce  point,  et  fit  si  bien  que  tous  mes  amis  furent  d'avis 
que  mon  frère  s'abseutast  pour  quelque  temps  ;  la  Reyne  me  le  con- 
seilla elle-même.  »  (Année  1G58,  tom.  iv,  p,  302.)         , 

X.  —  P.  7,  note  l",  lig.  8. 
H  fit  jouer  une  pièce  appellée  Mirame. 

Mirame  fut  représentée  en  IGZil,  à  l'ouverture  de  la  grande  salle  du 
Palais-Cardinal.  Le  sujet  en  est   fort  simple;  l'héroïne  de   la  pièce 
II.  0 


82  LES   HISTORIETTES. 

méprise  l'hommage  du  roi  de  Phrygie,  et  lui  préfère  Arimant ,  favori 
du  roi  de  Colchos. 

L'abbé  Arnauld  assistoit  à  cotte  représentation  :  «  J'eus  ma  part 
»  de  ce  spectacle,  »  dit-il,  «  et  m'etoniiay,  comme  beaucoup  d'autres, 
»  qu'on  eût  eu  l'audace  d'inviter  Sa  Majesté  à  être  spectatrice  d'une 
»  intrigue  qui  sans  doute  ne  devoit  pas  lui  plaire,  et  que  par  respect 
»  je  n'expliqueray  point.  Mais  il  lui  fallut  souffrir  cette  injure,  qu'on 
»  dit  qu'elle  s'etoit  attirée  par  le  mépris  qu'elle  avoit  fait  des  recher- 
»  elles  du  Cardinal.  »  {Mémoires  de  l'abbé  Arnauld.) 

Montchal,  archevêque  de  Toulouse,  dit  de  son  côté,  dans  ses  pas- 
sionnés Mémoires  :  «  On  avoit  joué,  peu  de  jours  auparavant  l'assem- 
»  blée  du  Clergé ,  la  grande  comédie  de  V Histoire  de  Buckingham ,  et 
»  dansé  le  célèbre  ballet  au  Palais-Cardinal,  auxquels  les  prélats  furent 
»  invités  et  quelques-uns  s'y  trouvèrent.  L'appareil  fut  si  magnifique 
»  qu'on  l'estima  des  sommes  immenses,  et  il  fut  dit  que  le  Cardinal, 
»  ayant  voulu  que  les  Prélats  y  fussent  invités  par  les  agens,  entendoit 
»  qu'ellefût  jouée  aux  dépens  du  Clergé.  L'evèquc  de  Chartres»  (Valen- 
çay),  «  y  avoit  paru  rangeant  les  sièges,  donnant  les  places  aux  dames, 
))  et  enfin  s'etoit  présenté  sur  le  théâtre  à  la  tète  de  vingt-quatre  pages 
»  qui  portoient  la  collation,  luy  étant  vcstu  de  velours,  en  habit  court, 
»  disant  à  ses  amis  qui  trouvoicnt  à  redire  à  cette  action,  qu'il  faisoit 
»  toutes  sortes  de  métiers  pour  vivre.  Il  prit  aussi  le  soin  de  disposer 
»  les  plats  du  festin  de  M"""  la  duchesse  d'Enghien.  {Mém.  de  Montchal, 
I,  p.  107.) 

Toutcl'ois  il  ne  faut  pas  oublier  qu'à  l'époque  de  la  première  repré- 
sentation de  Mirame,  il  y  avoit  treize  ans  que  Buckingham  etoit  mort. 
Et  cette  pièce  où  les  courtisans  virent  (ce  que  les  auteurs  n'avoient 
pas  vu),  une  allusion  aux  folies  de  Buckingham,  n'estoit  qu'un  lieu 
commun  de  comédie  héroïque,  où  la  Reyne  ne  dut  pas  se  reconnoître. 
Campion,  un  des  agens  du  comte  de  Soissons  les  plus  animés 
contre  le  Cardinal,  parle  de  ces  représentations  de  Mirame  auxquelles 
il  assista,  et  ne  semble  pas  supposer  dans  la  pièce  les  allusions  qu'y 
découvroient  plus  tard  des  Réaux,  l'abbé  Arnauld,  Montchal  et  Ma- 
rolles.  «  Je  fais  ici  ce  que  je  peux  pour  vos  affaires...  et  j'ay  si  peu 
»  d'appréhensions  que  j'ay  esté  à  la  comédie  de  Mirame^  dans  le  ca- 
»  rosse  de  Madame  la  Princesse,  où  cstoient  M""  de  Bourbon  et 
»  Mademoiselle  vostre  niepce...  Je  mé  suis  trouvé  assis  assez  près  de 
))  Monsieur  le  Cardinal,  qui  avoit  tant  d'attention  au  récit  de  sa  comé- 
»  die ,  qu'il  ne  pensoit  qu'à  s'admirer  soy-mesme  en  son  propre 
»  ouvrage...  J'y  trouve  quantité  de  défauts  qu'il  faudroit  estre  bien 
»  hardy  pour  publier  icy,  veu  qu'il  s'intéresse  plus  en  l'honneur  de 
»  ceste  pièce  qu'il  n'a  jamais  fait  à  l'événement  de  toutes  les  cam- 
»  p'agnes  passées.  »  (Lettre  au  comte  de  Soissons,  21  janvier  16/(1.) 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  83 


XL  — P.  10,  lig.  12. 

Le  galant  culebntta  la  Reijne. 

Dans  tout  ce  qu'on  a  écrit  au  temps  de  cette  folle  hardiesse  de 
Buckingliam,  il  y  a  de  vrai  ce  qui  ne  peut  compromettre  l'honneur 
d'Anne  d'Autriche.  Suivant  la  Rochefoucauld,  «  la  Reyne  fut  contrainte 
»  d'appeler  ses  femmes.  »  M"""  de  Motteville  :  «  surprise  de  se  voir 
»  seule,  et  apparemment  importunée  par  quelque  sentiment  trop,  pas- 
»  sionné  du  duc  de  Buckingham,  la  Reyne  s'écria,  et  appelant  son 
»  ecuyer,  le  blâma  de  l'avoir  quittée.  »  Il  faut  lire  le  résumé  de  tout 
cela  dans  Vllistoire  de  France  sous  Louis  XIII,  par  feu  Bazin,  ii,  p.  255 
à  257.  La  Porte  dit  bien,  qu'  «  on  résolut  d'assoupir  la  chose  autant 
»  qu'on  pouvoit,  »  mais  cela  est  un  mauvais  propos,  auquel  répond  le 
renvoi  immédiat  de  M""^  du  Vernet,  exigé  par  la  Reine. 

Pour  la  seconde  scène,  celle  des  adieux,  voici  comme  un  pam- 
phlétaire de  la  Fronde  ,  des  plus  violents  et  des  plus  grossiers,  la  ra- 
conte : 

«  J'ay  oiiy  dire  que  lorsque  Bouquinqnant,  grand-amiral  d'Angle- 
»  terre,  arriva  en  France,  la  Reyne  en  devint  passionnément  amoureuse, 
»  et  le  Roy  extresmement  jaloux;  jusques-lù.  mesme  que  Bouquinquant 
»  l'allant  visiter  dedans  son  lict,  où  elle  cstoit  incommodée,  contre  l'or- 
»  dinaire  des  princesses  qui  en  cest  estât  ne  reçoivent  point  de  visites, 
»  prenant  congé  d'elle  et  luy  baisant  la  main,  en  tira  le  gant  qu'il 
»  monstra  peu  après  à  plusieurs  courtisans  de  la  cour,  par  une  vanité 
»  extraordinaire.  Kcantmoins  n'en  dites  mot.  Crie  huissier  :  paix  ! 
»  paix  !  »  (Le  silence  au  bout  du  doigt,  16/i9,  p.  4.) 

jyjme  (jy  Vernet,  que  des  Réaux  accuse  d'avoir  été  d'intelligence  avec 
Buckingham,  épousa  en  secondes  noces  Henry  Robert  de  la  Marck, 
duc  de  Bouillon  et  comte  de  Braine.  Elle  mourut  à  Paris  le  22  mai 
1644.  Le  Contadin  provençal,  pamphlet  sanglant  fait  au  temps  de  la 
faveur  du  connétable  de  Luynes,  son  frère,  ne  l'a  pas  épargnée.  (P.  22.) 
Dans  un  autre  libelle,  la  Chronique  des  favoris,  écrit  peu  de  jours  après 
la  mort  du  Connétable ,  Luynes,  s'adressant  à  Henry  IV  dans  l'autre 
monde  :  «  Ces  messieurs,  nos  ennemis,  ne  parloient  de  nous  que  par 
»  envie,  et  vomissoient  leur  rage,  non-seulement  contre  moy,  mais 
»  contre  mes  frères  et  leurs  femmes,  qui  vrayes  amazones,  ne  se  sont 
»  jamais  rendues,  en  tous  les  combats  où  elles  se  sont  trouvées;  en- 
))  couragées  à  cela  par  les  conseils  de  la  Guimbarde  et  de  ma  sœur  du 
'  1)  Vernet,  vray  miroir  de  chasteté ,  de  laquelle  j'ay  appris  qu'il  ne  se 
)>  faut  jamais  chagriner  de  ce  qu'on  dit,  pourveu  qu'on  fasse  bien.  » 
(V.lili.) 


84  LES    HISTORIETTES. 


XII. —  P.  11,  lig.  21. 

Le  Cardinal  apparemment  avait  desjà  en  teste  ce  que  je  vais  raconter. 

Si  des  Réaux  n'a  pas  perdu  le  fil  de  son  discours,  et  s'il  n'est  pas  brus- 
queœent  passé  à  un  autre  sujet,  au  lieu  de  continuer  l'article  des  dé- 
mêlés d'Anne  d'Autriche  avec  le  Cardinal ,  il  faut  entendre  que  dès  ce 
temps-là,  le  Cardinal  s'inquiétoit  d'un  autre  réseau  d'intrigues  ourdies 
par  la  Reine-mère.  Mais  la  liaison  dans  les  idées  n'est  pas  ici  des 
plus  faciles  à  reconnoître. 

XIII.  —  P.  l/i,  note  1,  lig.  8. 

Puylanrens  croyait  espouser  flP'^  de  Phalsbourg. 

Cette  princesse ,  Henriette  de  Lorraine ,  le  trompoit  réellement ,  et 
Sandras  des  Courtilz  a  eu  tort  dans  son  roman  des  Mémoires  de  M.  de  B. 
secrétaire  du  C.  de  iî.,  de  nous  la  montrer  désespérée  de  ne  pouvoir 
vaincre  les  incertitudes  de  Puylanrens.  «  S'il  eust  fait  cette  folie,  » 
dit  le  romancier,  «  c'eust  esté  allier  la  faim  avec  la  soif.  Taschantdonc 
»  tousjours  de  le  renvoyer  en  Lorraine,  elle  prit  un  jour  une  arme  à 
»  feu  et  le  fut  attendre  sur  l'escalier  du  palais  où  logeoit  le  duc  d'Or- 
))  léans.  Mais  la  grande  précipitation  qu'elle  eut  à  tirer  luy  ayant  fait 
»  manquer  son  coup ,  le  gouverneur  des  Pays-Bas,  à  la  prière  du  duc 
»  d'Orléans,  qui  eut  peur  pour  son  favory,  fit  commandement  à  la 
»  princesse  de  sortir  des  Etats  du  roy  d'Espagne.  »  (P.  548.) 

Conférez  avec  la  note  judicieuse  de  des  Réaux  sur  la  mort  de  Puy- 
lanrens, ce  passage  des  lettres  de  Guy-Patin,  4  juillet  1G35  : 

«  Dimanche  au  matin  mourut  au  bois  de  Vincennes  M.  de  Puylau- 
»  rens,  ex  fluxu  dysenteretico  et  alrabilario.  Il  y  avoit  longtemps  qu'il 
»  y  estoit  malade.  Il  avoit  eu  une  fièvre  continue,  accompagnée  de 
»  pourpre,  et  depuis  estoit  devenu  très-enflé.  » 


XIV.  —  P.  17,  lig.  8. 

Nous  l'avons  veu...  prendre  de  l'argent  des  malades  qu'il  voyait. 

Cette  remarque  est  singulière  ;  du  moins  pourra-t-elle  aujourd'hui  le 
paroître  ;  car  je  ne  sache  pas  que  Messieurs  les  médecins  du  Roi  refu- 
sent de  prendre  l'argent  de  leurs  malades  aussitôt  que  leur  fortune  est 
faite  ;  mais  nous  nous  trompons  sans  doute. 

Vauthier  mourut  en  1652.  Le  maréchal  de  Bassompierre  n'en  parle 
pas  mieux  que  des  Réaux  :  «  Vaultier,  »  dit-il  dans  un  album  manus- 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  85 

crit  conservé  à  la  Bibliothèque  Nationale ,  «  Vaultier  se  poussa  à  la 
»  Cour  eà  parte  qnâ  fiunl  homines,  et.  quâ  poUebat.  »  Et  dans  ses  Mé- 
moires :  «  J'eus  plusieurs  desplaisirs  domestiques  dans  la  Bastille  » 
(vers  la  fin  de  1637),  «  tant  causés  par  un  maraut  de  médecin,  nommé 
»  Vaultier,  que  par  une  cabale  qui  se  fit  contre  moy  par  son  induc- 
•>  tion.  »  (Tom.  iv,  p.  359.) 

Mais  pour  achever  de  peindre  le  personnage,  il  faut  rapporter  l'e- 
pitaphe  qu'il  composa  lui-mûme  apparemment ,  et  qu'on  voyoit  aux 
Carmélites  du  faubourg  Saint-Jacques,  rue  d'Enfer  : 

«  Franciscus  Vautier,  archiatrorum  cornes,  latet  hic,  qui  divinœ  artis 
»  claritudine  innotuit  omnibus,  scmper  notissimus  ipse  sibi,  antiquam 
I)  Arelatensis  iniperii  gloriam  restituons  natalibus  suis,  palamfecit 
»  perfectis  medicis  deberi  jus  regnandi  etiam  in  Reges,  Obiit  anno 
»  1652.  »  O  bonnes  gens  de  médecins!  vous  avez  toujours  été  les 
mômes,  avant  comme  après  Molière. 

Antoine  Vitré  dont  on  parle  ici,  célèbre  imprimeur  du  Roi  pour  les 
Langues  orientales,  a  publié  la  Bible  polyglotte  de  le  Jay,  avec  les  ca- 
ractères rapportés  d'Orient  par  M.  de  Brèves.  Il  est  mort  en  167^.  On 
ne  peut  ajouter  que  ce  passage  de  des  Réaux  à  l'excellent  article  de 
M.  Daunou  sur  Antoine  Vitré  ou  Vitray,  dans  la  Biographie  univer- 
selle. 

XV.  —  P.  17,  lig.  20. 

On  (lit  qu'elle  n'avoit  autre  but  que  de  jouir  de  Luxembourg, 

Le  palais  de  ou  du  Luxembourg,  commencé  en  1615,  ne  fut  achevé 
qu'en  1620.  Il  avoit  été  bâti  sur  l'emplacement  de  l'hôtel  du  duc  de 
Luxembourg-Piney,  qui  l'avoit  vendu  90,000  livres  à  Marie  de  Medicis, 
en  1611.  La  Reine  voulut  que  l'architecte,  Jacques  de  Brosse,  imitât 
autant  que  possible  l'ordonnance  du  palais  Pitti,  à  Florence. 

J'ai  retrouvé  dans  le  fonds  des  anciens  manuscrits  de  Colbert  (n°  88 
des  Cinq-Cents),  la  lettre  suivante  adressée  par  la  Reine-mère  à  la 
grande  duchesse  de  Toscane  : 

«  Ma  tante,  estant  eu  volonté  de  faire  bastir  et  accommoder  une 
»  maison  à  Paris  pour  me  loger,  et  voulant  en  quelque  chose  me  régler 
»  sur  la  forme  et  le  modelle  du  palais  de  Piti,  lequel  j'ai  tousjours  es- 
»  timé  pour  l'ordre  de  son  architecture  et  grandes  commodités  qui  y 
»  sont,  je  vous  fais  celle-cy  pour  vous  dire  que  j'auray  à  singulier 
»  plaisir  que  vous  m'en  fassiez  faire  le  plan  en  son  entier,  avec  les 
»  eslevations  et  perspectives  des  bastimens,  tant  du  costé  de  devant 
»  ledit  palais  qu'au  derrière  d'iceluy  du  costé  des  terrasses,  salles, 
»  chambres  et  autres  stances  de  ladite  maison,  pour  m'en  ayder  et 


86  LES    HISTORIETTES. 

»  servir  en  la  structure  et  décoration  de  la  mienne.  Et  m'asseurant 
»  que  vous  recevrez  cette  prière  en  très  bonne  part  de  nioy,  je  i,e  lu 
»  feray  plus  longue  que  pour  prier  Dieu,  etc. 

»  Marie. 
»  A  Fontainebleau,  le  wi"  jour  d'octobre  1611.  » 

C'est  à  la  fin  de  l'année  1620  que  Rubens,  appelé  par  Marie  de 
Medicis,  commença  la  fameuse  galerie  dont  les  tableaux  ont  été  trans- 
portés au  Louvre.  Ils  sont  au  nombre  de  vingt-et-un,  et  furent  achevés 
en  1623  ;  mais  il  ne  faut  pas  oublier,  pour  la  gloire  de  Rubens,  que  ces 
tableaux  ont  été  rentoilés  et  retouchés  vers  le  milieu  du  xviii*  siècle 
par  quatre  artistes  assez  médiocres,  Godefroy,  Fallens,  Van  Breda  et 
CoUens.  La  Reine,  comme  on  sait,  quitta  au  mois  de  février  1631  son 
palais  enchanté,  pour  n'y  plus  revenir. 

Le  Cours-la-Reine  avoit  été  planté  aux  frais  et  par  les  soins  de  cette 
princesse  en  1628.  C'est  la  première  partie  des  Cliamps-Elisces  que  l'on 
ait  ainsi  «  garnie  d'ormes.  »  Le  Cours  longeoit  la  Seine  jusqu'à  Passy. 
Le  reste  des  Champs-Elisées  fut  planté  eu  1670. 

XVL  —P.  18,  lig.  11. 
//  (Saint-Germain)  vit  icy  chez  sa  sœur. 

Il  mourut  le  17  décembre  1070,  et  son  epitaphe  etoit  aux  Incu- 
rables. Il  l'avoit  lui-même  composée  :  «  Hic  conditœ  sunt  mor- 
»  taies  exuviae  Mathaei  de  Morgues,  sacerdotis  qui  60  annis  verbi 
M  Del  priBconis  officio  functus,  Regibus,  Reginis  Rcgumquc  filiis  a 
»  consiliis  et  concionibus  fuit,  multa  mente  voluit,  lingua  protulit, 
»  exaravit  manu,  opère  implevit  ;  quorum  (si  quid  in  eis  mali),  pœni- 
»  tens,  ut  veuiam  consequeretur  inter  misericordiam  Dei  et  Christi 
»  Redemptionem  infinitas,  se  ad  nihilum  rcdactum  constituit.  Vale , 
»  fac  similiter,  et  huic  sanus  sano  consilio  preccs  repende.  » 

Les  détails  qu'on  trouve  ici  sur  le  fameux  abbé  de  Saint-Germain 
sont  honorables  pour  cet  habile  pamphlétaire,  qui,  du  moins,  eut  le 
courage  de  braver  le  cardinal  de  Richelieu,  sans  le  haïr  pour  des  ran- 
cunes personnelles,  comme  faisoient  la  plupart  des  flatteurs  du  grand 
ministre.  Ce  n'etoit  pas  Yauri  sacra  famés  qui  l'inspiroit  non  plus,  car 
il  avoit  du  bien  et  n'etoit  pas  intéressé  ;  il  n'ecoutoit  qu'un  sincère 
attachement  pour  sa  maîtresse,  la  Reine-mère. 

Voici  une  lettre  que  nous  avons  retrouvée  dans  les  papiers  du  prési- 
dent d'Hozier,  et  que  Mathieu  de  Morgues  écrivit  à  Pierre  d'Hozier 
peu  de  temps  avant  son  départ  de  Bruxelles  :  «  Monsieur,  votre  af- 
»  fection  est  accompagnée  de  prudence,  lorsque  vous  conseillez  mon 
I)  retour  avec  seureté  et  honneur.  Mes  sentimens  sont  conformes  aux 


LE    CARDIjNAL    de    RICHELIEU.  87 

»  vostres.  Il  me  semble  pourtant  que  je  ne  peus,  sans  mespris  de  la 
»  grâce  de  la  Reyne,  négliger  de  faire  retirer  mon  passeport,  qui  me 
»  donnera  quelque  temps  pour  disposer  mes  affaires  et  attendre  que 
»  celles  du  lieu  où  vous  estes  changent  en  mieux.  J'espère  cependant 
»  de  la  généreuse  bonté  de  nostre  brave  abbé  qu'il  faira  agir  ses  amis 
»  près  de  S.  A.  Monsieur  le  duc  d'Orléans,  pour  luy  représenter  le 
»  tort  qu'il  fera  à  sa  réputation,  s'il  ne  protège  haultement  celui  qui 
))  l'a  haultement  deffendue  avec  celle  de  la  Reyne  sa  mère,  jusques  à 
»  s'estre  exposé  mDle  fois  au  martj^re. 

»  Quant  à  ce  que  vous  me  demandez  si  je  suis  bien  avec  M""*  de 
»  Chevreuse,  je  vous  diray  qu'ayant  esté  employé  pour  son  accommo- 
)i  dément  avec  le  duc  d'Elbeuf,  elle  a  tesmoigné  que  la  sincérité  qui 
»  accompaigne  toutes  mes  actions  et  paroles  ne  luy  estoit  pas  agréa- 
»  ble  ;  elle  eust  pourtant  évité  de  très-grands  desplaisirs  si  elle  m'eust 
n  fait  l'honneur  de  me  croire,  ne  luy  ayant  rien  conseillé  qui  ne  fust  à 
»  son  advantage.  Je  fus  malheureux ,  n'ayant  pas  réussj'  en  ma  négo- 
»  dation,  et  elle  malheureuse  pour  ne  m'avoir  point  creu.  Je  ne  scay 
»  pas  à  quoy  son  esprit  la  portera,  ou  pour  ou  contre  moy;  d'une 
»  chose  suis-je  bien  assuré,  que  je  l'honore  et  voudrois  la  pouvoir  ser- 
»  vir.  Du  reste,  j'attends  ce  que  la  providence  de  Dieu  ordonnera  de 
»  moy,  voulant  plus  defférer  aux  sentimens  de  mes  amys  qu'aux  miens 
»  propres,  et  ne  désirant  ny  biens  nj'  crédit  que  pour  avoir  le  dessein 
M  d'en  tesmoigner  ma  reconnoissance  à  ceux  qui  m'ont  ajTné  durant 
»  mes  afflictions,  et  à  vous  particulièrement,  à  qui  je  suis  de  tout  mon 
»  cœur,  Monsieur,  votre  tres-humble  et  tres-affectionné  serviteur. 
n  M.  de  Saint-Germain. 

»  A  Bruxelles,  3  de  juillet  1643.  « 

XVII.  —  P.  20  ,  suite  de  la  note  de  la  page  précédente,  lig.  1. 

Mais,  Monsieur  Joseph,  vostre  doit  n'est  pas  un  pont. 

On  a  quelquefois  attribué  au  duc  de  Weymar  tm  mot  analogue  : 
«  C'est  très-bien.  Monsieur  Joseph,  si  on  reprenait  les  villes  avec  le  bout  du 
»  doigt.  »  La  leçon  de  des  Réaux  est  bien  meilleure.  Sandras  des  Cour- 
tils,  paraphrasant  le  mot,  le  donne  également  au  colonel  Ilebron  ou 
Uailbron,  dans  le  roman  des  Mémoires  de  M.  de  B.,  secrétaire  du  C. 
de  R.,  1713,  p.  370. 

L'autre  mot  sur  la  balle  qui  a  sa  commission,  répond  aux  super- 
stitions ecossoises,  fondement  de  la   légende  de  Robin  des  Bois. 

XVm.  —  P,  20,  note  1,  lig.  h. 
Le  grand-prieur  de  la  Porte. 
Des  Réaux  a  bien  l'air  d'emprunter  ce  mot  d'Amador  de  la  Porte 


88  LES    HISTORIETTES. 

(oncle  maternel  du  Cardinal,  et  mort  en  1040  à  l'âge  de  quatre-vingts 
ans)  à  l'un  des  meilleurs  pamphlets  de  l'abbé  de  Saint-Germain  :  «  Pour 
»  sa  généalogie,  »  y  lit-on,  «  je  te  renvoy  à  la  cordonnitre  de  Loudun, 
»  qui  estoit  ù,  ta  bonne  maistresse  ;  elle  te  rendra  sçavant  sur  ce  poinct. 
»  J'ay  seulement  ouy  dire  avec  grande  ingénuité  au  bon  homme  com- 
»  mandcur  de  la  Porte,  oncle  de  ce  Cardinal,  qu'il  n'eut  jamais  pensé 
»  que  le  filz  de  Suzanne  de  la  Porte  eust  entrepris  de  vouloir  mettre 
»  sous  le  fouet  les  petits-filz  de  Saint-Louis.  »  [Conversation  de  M"  Guil- 
laume avec  la  princesse  de  Couty,  1631.) 

On  fit  sous  le  nom  de  cette  cordonnière  de  Loudun  une  célèbre  chanson 
contre  le  Cardinal,  attribuée  dans  le  temps  à  Urbain  Grandier,  et  qui, 
disoit-ou,  ne  fut  pas  étrangère  au  procès  qu'on  lui  suscita.  Il  faut 
pourtant  avouer  que  ce  ne  fut  pas  le  père  Joseph  qui  le  premier  put 
décider  les  sottes  Ursulines  de  Loudun  à  se  dire  possédées  du  démon  de 
Grandier.  (Voyez  Vllislorietle  du  père  Joseph.) 

Guy  Patin ,  fort  crédule  sur  certains  bruits,  accuse  le  Cardinal 
d'avoir  fait  mourir  M.  de  Thou,  par  rancune  d'un  passage  de 
l'Histoire  universelle  de  son  grand-père.  «J'ay  tousjours  dans  l'esprit 
»  le  passage  de  l'histoire  du  président  de  Thou  où  il  est  parlé  d'An- 
»  toine  de  Richelieu,  appelé  vulgairement  le  Moine,  qui  a  cousté  la  vie 
1)  à  son  petit-filz.  On  n'eut  pas  coupé  la  teste  à  M.  de  Thou  si  M.  le 
»  cardinal  de  Richelieu  n'eut  cherché  l'occasion  de  se  venger.  »  (Lett. 
du  8  novembre  1G58.) 

XIX.—  P.  21,  notel,lig.  5. 

On  n'en  sçait  pourtant  rien  de  certain  { de  l'auteur  de  la  Satyre  de 
mille  vers). 

La  Milliade  a  passé  pour  Être  de  l'abbé  comte  d'Etlan  ou  Este- 
lan,  fils  du  maréchal  de  Saint-Luc  ;  mais  des  Réaux,  qui  donnera 
l'Historiette  du  comte  d'Etlan,  ne  confirme  pas  cette  attribution.  La 
Porte,  juge  moins  sûr,  n'hésite  pas  à  dire  :  «  La  Milliade  de  l'abbé 
»  Estelan,  pour  laquelle  il  y  avoit  alors  (en  1637)  quatre  ou  cinq  pri- 
»  sonniers  à  la  Bastille.  »  [Mémoires,  p.  140.) 

XX.  —P.  21,lig.  7. 
Mauroy  l'intendant. 

Il  deraeuroit  en  1647  dans  la  rue  Saint-Honoré,  et  ce  fut  chez  lui 
que  l'on  conduisit  Monsieur  pendant  la  petite-vérole  du  Roi,  parce 
que  la  maison,  située  près  de  la  porte  Saint-Honoré,  etoit  en  bel  air 
et  voisine  du  Palais-Royal.  Je  ne  crois  pas  que  l'iiitendant  soit  le 
même  que  l'ancien  commis  de  l'intendant  Cornuel  ;  ce  deuxième 
Mauroy  demeuroit  en  1640  rue  de  Poitou  au  Marais.  [Cataloçine 
des  Partisans.) 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  89 

XXI.  —  p.  21,  lig.  dernière. 
De  là  vient  (a  prodigieuse  fortune  de  Lambert. 

Voici  comment  Guy  Patin  raconte  la  mort  et  l'histoire  de  Lambert  : 
«  Le  22  décembre  dernier  (1645)  est  icy  mort  un  commis  de  M.  Fieu- 
»  bet,  trésorier  de  l'Espargne,  nommé  Jean-Baptiste  Lambert,  filz  d'un 
n  procureur  des  Comptes,  petit-fllz  d'un  médecin  de  Paris  et  neveu  de 
»  M.  Guillemeau,  notre  collègue.  J'ay  esté  son  médecin  depuis  huit 
.  »  ans.  Il  m'a  laissé  par  son  testament,  par  son  codicile,  la  somme  de 
»  trois  mille  livres  et  un  autre  article  qui  vaudra  plus  que  cela.  Il 
»  avoit  le  rein  droit  tout  consumé  et  purulent,  dans  le  pellicule  duquel 
»  il  y  avoit  seize  pierres  qui  pesoient  quatre  onces...  Il  est  mort  tout 
»  sec  sans  aucune  violence...  Il  estoit  riche  de  trois  millions  :  il  avoit 
»  gagné  ses  grands  biens,  1"  dans  les  partis,  estant  commis  de  M.  de 
»  BuUion  ;  2°  pour  avoir  esté  commis  de  l'Espargne  pendant  dix-huit 
»  ans;  3°  par  son  grand  ménage,  n'ayant  eu  maison  faite  que  depuis 
»  Pâques  dernières.  J'estois  fort  en  ses  bonnes  grâces;  mais  j'ay  tous- 
»  jours  mesprisé  la  fortune  dont  il  me  vouloit  faire  part.  »  (Lettre  à 
Spon  du  20  janvier  16il5.) 

Son  frère,  Nicolas  Lambert,  maître  des  Comptes  et  son  héritier,  lui 
fit  dresser  une  fort  belle  epitaphe  aux  Incurables,  la  voici  : 

Joannes  Lambertus 

Fui; 

At  tu.  Domine,  qui  solus  es,  qui  salus  et  vita  es. 

Qui  omnium  judex  venturus  es, 

Dele  In  opère  tuo  quod  meum  est;  in  meo 

Quorl  tuum  non  est; 

Tune  cognosce  bonus  et  ignosce. 

Joannes  Lambertus  rarisinus 

Régi  a  consiliis  et  secretis, 

Beatus  esse  cceperat  fortunie  bonis, 

At  morbi  violentia  insanabilis 

Beatiorem  reddidlt. 

Nam  cum  ea  luctatus  quatuor  annis 

Invicta  patientia, 

Tandem  ehrlstianœ  fidei  munitus  sacramentis 

Humanis  rébus  clausit  oculos,  divinis 

Aperuit. 

Anne  Domini  1644,  aetatis  trigesimo  septimo 

Hic  jacet. 

Hoc  fratri  suo  de  se  optime  merito, 

Nicolaus  Lambertus 

Regiorum  computorum  magister,  ex  asse 

Hœres 

Moprens  monumentum  posuit. 


90  LES    HISTORIETTES. 

XXII.  —  p.  22,  lig.  17. 

Monlatere^  gentilhomme  d'auprès  de  Liancourt. 

Isaac  de  Madaillan,  seigneur  de  Montataire,  plus  tard  marquis  de 
Lassay.  C'est  l'aieul  du  célèbre  mai-quis  de  Lassay,  auteur  du  necueil 
de  différentes  choses.  Montataire  est  à  deux  Jieues  de  Senlis.  Le  vieux 
château  des  Madaillan  subsiste  encore. 

XXIIL  — P.  24,  lig.  10. 

Barentin  de  Cliaronne  en  fut  un  (des  fugitifs).  Il  fallait  en  faire  un 
exempte. 

Vous  allez  voir  un  peu  plus  loin  des  Réaux  faire  un  sujet  de  repro- 
che au  Cardinal  d'avoir  inscrit  le  mfme  Barentin  sur  la  Taxe  des  aisés. 
Voilà  la  passion  prise  sur  le  fait.  Qui  cependant  auroit  été  mis  à  cette 
taxe,  plutôt  qu'Honoré  Barentin,  maître  de  la  Chambre  aux  deniers  ? 
On  peut  lire  sur  ce  personnage  la  Chasse  aux  larrons,  par  Jean  Bour- 
goin,  p.  88.  C'est  im  libelle  curieux,  qui  montre,  dans  un  jour  assez 
peu  llatté,  les  conimencemens  de  bien  des  gens  avec  lesquels  il  a 
fallu  compter  plus  tard. 

Montglat  dit  aussi  dans  ses  Mémoires  :  «  Tout  fuyoit  dans  Paris,  on 
»  ne  voyoit  que  carrosses,  cochers  et  chevaux  sur  les  chemins  d'Orléans 
»  et  de  Chartres...  On  n'entendoit  que  murmures  de  la  populace  contre 
»  le  Cardinal,  qu'elle  mcnaçoit  comme  estant  cause  de  ces  desordres. 
»  Luy,  qui  estoit  intrépide,  pour  faire  voir  qu'il  n'appréhendoit  rien, 
»  monta  dans  son  carrosse,  et  se  promena  sans  gardes  dans  les  rues  de 
»  Paris,  sans  que  personne  osast  luy  dire  un  mot.  » 

XXIV. —  P.  25,  lig.  1. 
La  Moussaye  a  tiré  de  la  forest  de  Quintin,  qu'il  luij  vendit,.... 

C'est-à-dire  que  Henry  de  la  Trimouille  lui  vendit.  Cette  forêt,  à  trois 
lieues  de  Saint-Brieux ,  est  fameuse  dans  nos  anciens  romans  pour  la 
fontaine  de  Barenton  et  le  séjour  de  Merlin.  Depuis  la  fin  du  xvii^  siè- 
cle on  ne  la  nomma  plus  que  la  forêt  de  Larges. 

XXV.  —  P.  25,  lig.  12. 

Il  voulut  aussy  faire  razer  la  Sainte-Chapelle. 

La  Sainte-Chapelle  et  ses  beaux  et  anciens  vitraux  existent  encore. 
Champigny  est  à  trois  lieues  de  Chinon.  Au  mois  de  juillet  1655,  Ma- 
demoiselle  rentra  dans  la   possession    de    Champigny  par  arrêt  du 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  91 

Parlement.  Elle  parle  comme  des  Réaux  des  nouveaux  bâtimens 
de  Richelieu  :  «  Les  appartemens  repondent  mal...  à  la  beauté 
»  du  dehors  ;  j'appris  que  cela  venoit  de  ce  que  le  Cardinal  avoit 
»  voulu  que  l'on  conservast  la  chambre  où  il  estoit  né.  »  Mais  rien 
ne  seroit  plus  facile  à  justifier  que  les  motifs  et  les  scrupules  du  Car- 
dinal. S'il  avoit  agi  autrement,  ses  ennemis  n'auroient  pas  manqué  de 
dire  qu'il  avoit  voulu  détruire  la  trace  du  modeste  manoir  de  ses 
pères.  La  dernière  réflexion  de  des  Réaux  nous  paroît  surtout  intolé- 
rable ;  mais  il  etoit  l'echo  du  sentiment  public  à  cette  époque.  Aujour- 
d'hui il  suffiroit,  pour  justifier  le  Cardinal,  des  motifs  qui  cxcitoient  la 
pitié  de  notre  auteur. 

La  Fontaine  a  décrit  agréablement  le  château  de  Richelieu  dans  une 
lettre  adressée  à  sa  femme  et  publiée  par  M.  Monmerqué ,  à  la  suite 
des  Mémoires  de  Coulangcs.  Perelle  en  a  dessiné  et  gravé  de  fort  belles 
vues. 

Revenant  h  Champigny,  Mademoiselle  raconte  ainsi  l'acquisition 
qu'en  fit  le  Cardinal  :  «  Je  passay  dans  un  bourg  appelle  Champi- 
gny, qui  m'avoit  appartenu  et  qui  venoit  de  MM.  de  Montpensier. 
C'estoit  de  leur  vivant  leur  demeure  de  plaisir  ;  et  ce  qui  me  fit 
perdre  cette  terre  fut  qu'elle  estoit  jointe  à  une  autre  dont  Richelieu 
relevoit  en  partie.  Le  Cardinal  voulut  l'avoir,  Monsieur  n'osa  le 
refuser,  de  sorte  que,  comme  mon  tuteur,  il  en  fit  un  échange  avec 
Rois-le-Vicomte,  et  consentit  mesme  à  la  démolition  de  ma  maison, 
que  le  Cardinal  voulut  estrc  faite  avant  que  d'exécuter  l'échange. 
Monsieur  donna  les  mains  à  tout  pour  deux  raisons  :  la  première, 
parce  que  le  Cardinal  estoit  tout  puissant,  et  la  seconde,  parce  que 
j'estois  mineure  et  que  je  me  releverois,  quand  je  serois  en  âge,  de 
ce  qu'il  auroit  fait...  Pour  preuve  de  l'abus  que  le  Cardinal  fit  en 
cela  de  son  autorité,  c'est  que  les  ordres  aussi  bien  que  le  contrat 
que  Monsieur  signa  pour  cet  échange  furent  signez  à  Blois  peu  de 
jours  après  la  mort  de  Puylaurens  (1635).  L'on  peut  juger,  après  la 
violence  exercée  en  la  personne  de  son  favory,  avec  quelle  liberté  le 
maistre  pouvoit  agir...  Arrivé  à  Champigny,  j'allay  d'abord  à  la 
Sainte-Chapelle  comme  dans  un  lieu  où  la  mémoire  de  mes  prede- 
cesseui-s,  qui  l'avoient  bastie  et  fondée,  serabloit  m'obliger  à  ce  de- 
voir, afin  d'y  prier  Dieu  pour  le  repos  de  leurs  âmes.  Le  cardinal 
de  Richelieu  avoit  encore  voulu  faire  abattre  cette  chapelle,  et  pour 
avoir  permission  du  Pape,  il  exposa  qu'elle  estoit  ruinée  et  qu'on 
n'y  pouvoit  dire  la  messe.  Urbain  VIII,  qui  régnoit  alors,  se  souvint 
que  pendant  qu'il  estoit  nonce  en  France,  il  y  avoit  célébré  la  messe 
et  qu'elle  estoit  fondée  par  des  personnes  trop  illustres,  qui  avoient 
laissé  des  héritiers  qui  l'estoient  trop  aussi,  pour  n'avoir  pas  eu  le 
soin  de  conserver  un  édifice  qui  sert  de  monument  à  des  princes 


92  LES     HISTORIETTES^ 

»  dont  la  mémoire  devoitestre  trop  chère  pour,  etc.,  etc.  »  (Edition  de 
1730,  tom.  I,  p.  15.) 


XXVI.  —  P.  27,  lig.  3. 
Il  a  basty  à  la  ville  et  aux  champs  en  avaricieux. 

Le  Palais-Cardinal  fut  en  effet  construit  moitié  dans  la  ville  et  moitié 
dehors  :  c'est-à-dire  à  la  ville  et  aux  champs.  M.  de  Sisniondi  s'est 
donc  lourdement  trompé  quand  il  a  fait  un  reproche  à  Richelieu  d'a- 
voir choisi,  pour  bâtir  son  palais,  précisément  le  quartier  central  et  le 
plus  opulent  de  la  ville.  (Voyez  Sauvai,  que  des  Héaux  avoit  sans  doute 
consulté  pour  tous  ces  détails,  tom.  ii,  p.  159.) 

Le  vieux  hôte!  Rambouillet^  dont  l'entrée  principale  a  été  remplacée 
par  la  grande  entrée  du  Palais-Roijal,  avoit  été  vendu,  en  1606  et  par 
le  conseil  de  tutelle  de  Charles  et  Marie  d'Angennes,  à  Pierre  Forget 
sieur  du  Fresne,  pour  trente-quatre  mille  cinq  cents  livres.  Du  Fresne 
le  revendit  plus  tard  au  Cardinal  pour  soixante-dix  mille  livres.  Quant 
au  second  hôtel  de  Rambouillet ,  renouvelé  par  la  marquise  de  Ram- 
bouillet qui  devoit  le  rendre  si  célèbre,  il  venoit  du  pure  de  cette  dame, 
et  porta  le  nom  d'hôtel  /'wahî  jusqu'à  la  mort  du  Marquis.  Il  ctoit, 
comme  on  sait,  dans  la  rue  Saint-Thomas-du-Louvre ,  qui,  je  crois, 
elle-même  n'existe  plus  ;  car  n'ayant  pas  voulu  se  ranger  devant  le 
nouveau  Louvre,  clic  aura  été  renversée. 

XXVIL  —  P.  28,  note  première. 

Le  tombeau  du  Cardinal,  dessiné  plus  tard  par  Lebrun  qui  acheva 
l'autel  de  l'église,  a  été  exécuté  par  Girardon  et  découvert  seulement 
en  1694.  Il  fut  transporté  au  Musée  (les  Petits-Augustins  pendant  la 
première  Révolution  ;  puis  on  l'a  replacé  dans  l'oglise  de  Sorbonne, 
quand  cette  église  restaurée  a  été  rendue  à  sa  vraie  destination. 

XXVin.  —  P.  28,  lig.  21. 

La  Fayette,  fille  de  la  Reync. 

Louise  Motier  de  la  Fayette,  fille  de  Jean  de  la  Fayette,  seigneur 
de  Hautefeuille.  Le  faussaire  Courchamp,  auteur  des  Mémoires  de  la 
marquise  de  Crequy,  se  donne  un  grand  mal  pour  prouver  que  le  der- 
nier général  la  Fayette  n'etoit  pas  gentilhomme  de  race,  et  n'appar- 
tenoit  pas  à  la  famille  de  l'ancien  maréchal  de  la  Fayette  et  de  l'amie 
de  Louis  XIII.  La  seule  preuve  qu'il  donne  de  cette  allégation,  c'est 
que  le  premier  nom  du  général  etoit  Motier.  Voyez  le  bel  argument! 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  93 

—  L'oncle  de  M"'  de  la  Fayette  etoit  François  Motier  de  la  Fayette, 
evêque  de  Limoges  en  1627  et  premier  aumônier  d'Anne  d'Autriche. 
Il  mourut  le  3  mai  1676. 


XXIX.  —  P.  28,  lig.  23. 
^/™*  de  Scnccey....  en  fut  chassée. 

C'etoit  Marie  Catherine  de  la  Rochefoucault ,  comtesse  puis  du- 
chesse de  Randan,  femme  de  Henry  de  BauftVemont,  marquis  de  Se- 
necey.  «Elle  avoitcté  exilée,  »  ditM"^  de  Motteville,  «pour  des  raisons 
»  que  je  n'ay  pas  sceues.  »  [Mém.^  i,  p.  112.) 

XXX.  —  P.  29,  lig.  1. 

Vne  Ventadour^  abbesse  de....  en  Basse-Normandie. 

Je  n'ai  pas  trouvé  qu'une  seule  Levy-Ventadour  ait  été  abbesse  d'un 
monastère  de  Normandie,  haute  ou  basse,  au  temps  du  cardinal  de 
Richelieu.  Des  Réaux,  qui  a  laissé  le  nom  de  l'abbaye  en  blanc,  n'etoit 
guères  plus  sûr  de  la  province  qu'il  ne  l'etoit  du  lieu. 

Le  Père  Caussin  a  fait  le  récit  des  circonstances  de  l'entrée  en  reli- 
gion de  M"'  de  la  Fayette,  dans  une  lettre  fort  curieuse  écrite  à  cette 
dame,  et  que  M.  Jay  a  publiée  dans  son  Histoire  du  ministère  du  car- 
dinal de  Richelieu.  (Tom.  ii,  p.  71.) 

XXXL  —  P.  33,  lig.  8. 

Rossignol  estait  une  pauvre  espèce  d'homme. 

Rossignol,  né  en  1590  et  mort  eu  1673,  eut  un  fils  président  à  la 
chambre  des  comptes  de  Poitiers,  et  son  père  paroissoit  lui  avoir 
transmis  le  talent  de  déchiffrer  les  écritures.  Voilà  pourquoi  on  les 
confond  souvent  l'un  avec  l'autre.  Ils  avoient  bâti  à  Juvisy,  village  à 
cinq  lieues  de  Paris,  route  de  Fontainebleau,  une  maison  où  Louis  XIV 
n'avoit  pas  dédaigné  de  s'arrêter.  Dans  la  Muse  de  la  Cour  du  21  juillet 
1657,  précisément  à  l'époque  où  des  Réaux  ecrivoit  ce  qu'on  vient  de 
lire,  on  trouve  la  mention  du  beau  talent  de  Rossignol.  C'est  à  l'occa- 
sion d'un  paquet  de  lettres  saisi  sur  un  courrier  espagnol  : 

Pour  cela  monsieur  Rossignol 
De  qui  l'on  connoist  la  science. 
Et  dont  on  sçait  l'expérience. 
Est  mandé  pour  aller  en  cour 
Et  mettre  ce  paquet  au  jour. 
Les  lettres  les  plus  ambiguës 
I.uy  sont  en  un  moment  conneties; 


94  LES    HISTORIETTES. 

11  en  viendra  bieutost  à  bout, 
Car  son  esprit  penestre  tout; 
Et  des  clioses  les  plus  obscures 
lien  fait  de  belles  peintures. 

(La  Muse  de  la  Cour,  à  Mademoiselle.) 

Il  faut  remarquer  que  des  Réaux  ne  met  pas  en  doute  le  talent  de 
Rossignol  pour  trouver  le  sens  des  écritures  en  chiffres  ;  il  ne  lui  con- 
teste que  celui  de  lire  les  chiffres  |de  convention,  dont  la  clef  est 
seulement  dans  le  caprice  mental  ou  arbitraire  de  ceux  qui  les  em- 
ploient. Je  croirois  assez  que  de  cet  habile  homme  vient  le  nom  de 
Rossignols.,  donné  aux  c\ek-passe-partont. 


XXXII.  —  P.  35,  lig.  6. 

//  estoit  tard  ;  il  s'advisa  d'aller  rompre  la  cliaisne  de  quelque  bateau. 

Il  faut  qu'en  ce  temps-là,  la  nuit  une  fois  venue,  les  portes  de  Paris 
fussent  toutes  fermées.  Je  suppose  que  de  Meuves,  demeurant  vers  V Ar- 
senal, sera  entré  dans  un  bateau  et  aura  dans  ce  bateau  passé  sous  le 
pont  au  Change  et  les  autres  ponts,  jusqu'à  Saint-Cloud. 

Au  reste,  môme  après  le  récit  de  des  Réaux,  il  est  permis  de 
croire  que  de  Meuves,  par  hasard  ou  volontairement,  avoit  été  cause 
de  l'incendie.  Comment  pour  un  délit  aussi  particulier,  les  juges 
auroient-ils  condamné  un  innocent  avéré?  Mais  on  pouvoit  lui  re- 
mettre la  peine,  comme  cela  arrivoit  fréquemment  en  pareil  cas,  et 
c'est  à  quoi  le  Cardinal  ne  voulut  pas  entendre. 

XXXIII.  —  P.  35,  lig.  15. 

31.  des  Cordes,  un  homme  qui  a  mérité  qu'on  escrivist  sa  vie. 

«  L'idée  d'un  bon  magistrat  en  la  vie  et  en  la  mort  de  M.  de  Cordes, 
»  conseiller  du  Chastolet  de  Paris,  par  A.  G.  E.  D.  V.  »  (Antoine  Go- 
deau  evesque  de  Vence.)  Paris,  16i5,  in-12.  Il  s'appeloit  Denis  de 
Cordes,  mourut  en  novembre  1641,  et  fut  inhumé  à  Saint-Mery. 

XXXIV.  —  P.  3G,  note,  lig.  1. 

Un  baron  du  Langxœdoc...  avoit  trouvé  une  sorte  de  boulets  creux. 

Ces  boulets  ressemblent  bien  aux  bombes.  Cependant  le  maréchal 
de  la  Force  se  servit  de  bombes  au  siège  de  la  Motte,  en  1634, 
comme  on  le  voit  par  la  relation  du  Mercure  François  de  cette  année  , 
p.  158  et  164.  Il  paroît,  au  reste,  que  c'est  le  premier  usage  bien 
authentique  de  la  bombe  en  France.  Mais  la  proposition  du  baron 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  95 

languedocien  pouvoit  être  antérieure,  et  des  Réaux,  assez  mal  informé 
des  perfectionnemens  de  l'artillerie,  peut  à  la  rigueur  avoir  oublié 
vingt-deux  ans  plus  tard  qu'heureusement  l'invention  n'avoit  pas  été 
perdue. 

XXXV,  —  P.  36,  note  1. 

Des  l'allées. 

Sous  le  nom  de  ce  possesseur  de  la  pierre  philosophale  des  gram- 
mairiens, parut  eu  1631,  la  première  édition  du  virulent  pamphlet  de 
l'abbé  de  Saint-Germain  :  Conversation  de  maistre  Guillaume  avec  la 
princesse  de  Couty.  Le  véritable  auteur  trouva  plaisant,  sans  doute, 
d'affubler  de  son  œuvre  la  tète  fort  peu  politique  du  bonhomme  des 
Vallées. 

XXXVI.  —  P.  37,  ]ig.  9. 

Il  jette  les  yeux  sur  l'abbé  de  Saint-Cyran. 

Jean  Duvergier  de  Hauranne,  abbé  de  Saint-C}Tan,  fut  mis  à  la 
Bastille  le  14  mai  1638,  et  mourut  peu  de  temps  après  être  sorti  de 
prison,  en  1613.  On  a  plus  souvent,  mais  non  peut-être  plus  exacte- 
ment, attribué  sa  captivité  au  refus  d'opiner  pour  la  nullité  du 
mariage  de  Gaston  avec  Marguerite  de  Lorraine.  Ici ,  chacun  se 
mettra  facilement  à  la  place  de  l'illustre  docteur  :  il  ne  s'agissoit,  en 
effet,  que  d'un  semblant  de  dispute  avec  des  ministres  déjà  gagnés  et 
qui  ne  dévoient  pas  répondre  sérieusement.  Le  jeu  dut  lui  paroître 
indigne  de  la  vérité  catholique. 

XXXVn.  —  P.  37,  lig.  22. 
Un  des  ministres  de  Montpellier,  nommé  te  Fausclieur. 

Celui  qui  figure  dans  la  célèbre  chanson  d'un  Chanoine  de  l'Auxer- 
rois,  composée  vers  cette  époque  : 

tin  jour  le  ministre  Faucheur, 
Discourant  des  faits  du  Seigneur, 
Prit  en  main  un  grand  voire, 
Etprescha  d'un  ton  tout  nouveau 
Que  le  miracle  le  plus  beau 
Qu'il  fîst  jamais  sur  terre, 
Ce  fut  de  changer  l'eau  en  vin. 
Pour  chanter  comme  Jean  Calvin  : 

Eh!  bon, bon,  bon, 

Que  le  vin  est  bon. 
On  n'en  sanroit  trop  boire. 


96  LES    HISTORIETTES. 

XXXVIII.  —  p.  39,  fin  de  la  note  de  la  page  précéd.,  lig.  IG. 
Rîcher...  fit  des  protestations  contre  la  violence  qu'on  luy  avait  faille. 

Cette  scène  odieuse  eut  lieu  en  1630.  Elle  est  racontée  tout  au  long 
dans  la  Vie  d'Edmond  Riclier,  par  Adrien  Baillet,  Amsterdam,  1715, 
p.  347.  Mais  peut-être  l'auteur  janséniste  a-t-il  exagéré  les  dangers 
courus  en  cette  occasion  par  Riclier:  «  Le  P.  Joseph,»  dit-il,  «mon- 
»  trant  à  Richer  une  rétractation  de  son  livre,  lui  dit  d'un  ton  de  voix 
»  qu'il  éleva  extraordinaircmcnt  pour  servir  de  signal  à  des  gens 
»  apostés  :  C'est  anjourd'huy  qu'il  faut  mourir  ou  rétracter  votre  livre. 
»  A  ces  paroles  on  vit  sortir  de  l'antichambre  deux  assassins  qui  se 
»  jetèrent  sur  Richer,  et  qui  le  saisissant  chacun  par  un  bras  lui 
»  présentèrent  le  poignard,  l'un  par  devant,  l'autre  par  derrière; 
»  tandis  que  le  P.  Joseph  lui  mit  le  papier  sous  la  main  et  lui  fit  signer 
»  ce  qu'il  voulut.  » 

XXXIX.  —  P.  ÛO,  note,  lig.  3. 
C'est  que  M'^^  de  Bouillon  croira  que  je  suis  son  très-humble  serviteur. 

Léonore  Catherin^  Febronie  de  Bergh,  fille  du  comte  de  Bergh,avoit 
épousé,  en  1(334,  Frédéric  Maurice  de  la  Tour,  comte  de  Bouillon, 
frère  aîné  du  grand  maréchal  de  Turenne.  Elle  mourut  à  Paris,  âgée 
de  quarante-deux  ans,  le  14  juillet  1657.  «  Cette  dame,  »  dit  M"""  de 
Motteville  (m,  p.  315),  «  a  été  illustre  par  l'amour  qu'elle  a  eu  pour 
»  son  mary ,  par  celuy  que  son  mary  a  eu  pour  elle ,  par  sa  beauté  et 
»  par  la  part  que  la  fortune  luy  a  donnée  aux  evénemens  de  la  Cour. 
»  Elle  accoucha  le  môme  jour  qu'elle  fut  arrêtée  (fin  de  janvier  1650).  » 

XL.  —  P.  41,  note. 

Saint-Hibar  a  esté  la  cause  du  malheur  de  Monsieur  le  Comte. 

Bien  que  le  nom  de  Saint-Ibal  ou  Saint-Hibar  revienne  à  chaque 
instant  sous  la  plume  du  cardinal  de  Retz,  peintre  de  portraits  si  habile, 
on  ne  peut  y  retrouver  un  moyen  de  connoître  au  juste  le  caractère  de  ce 
personnage.  Henry  d'Escars  de  Saint-Bonnet,  seigneur  de  Saint-Ibal,  fut 
mêlé  à  tous  les  troubles  de  la  première  partie  du  xvu^  siècle.  Lenet  dit 
assez  bien  dans  le  iv'  livre  de  ses  Mémoires  :  «  Saint-Thibart  avoit  du 
»  cœur  et  de  l'expérience,  mais  il  cachoit  sous  les  apparences  d'une  vertu 
»  stoîque  et  d'une  humeur  libre  et  indépendante  beaucoup  de  choses 
»  fâcheuses.  Il  jugeoit  mal  de  tout  le  monde,  ne  pouvoit  souffrir  tous 
»  ceux  qui  gouvernoient  les  affaires,  et  n'avoit  ni  le  talent  ni  la  vo- 
»  lonté  de  les  conduire.  Il  méditoit  toujours  des  bons  mots  pour  tourner 
»  en  ridicule  la  conduite  des  autres.   Il  etoit  mélancolique,  chagrin 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  97 

»  et  iiKl-gal,  mais  très-brave  et  très-bon  ofticicr,  dont  pourtant  il  ne 
»  vouloit  point  faire  do  fonctions,  se  contentant  du  rôle  do  censeur 
))  de  ceux  qui  etoicnt  au-dessus  de  luy  par  leurs  emplois  et  par  leur 
I)  crédit.  »  Saint-Evremont,  dans  le  piquant  pamphlet  de  la  Retraite 
du  duc  de  Longucville,  en  a  jugé  différemment;  il  le  représente  comme 
un  homme  à  projets  fous  :  «Il  demanda  (au  parlement  de  Normandie) 
))  l'honneur  de  faire  entrer  les  ennemis  en  France,  et  on  luy  respondit 
))  que  MM.  les  généraux  de  Paris  se  le  reservoient.  Il  demanda  un 
»  plein  pouvoir  de  traitter  avec  les  Polonois,  les  Tartares  et  les  Mos- 
»  covites,  et  l'entière  disposition  des  affaires  chimériques,  ce  qdi  luy 
»  fut  accordé.  »  (A  la  suite  des  Mémoires  de  M,  de  la  RocUcfoitcaiilt, 
édition  de  lC6i,  p.  106.) 

Les  contemporains  varioient  beaucoup  sur  l'orthographe  du  nom. 
Lenet  écrit  Saint-TUibart,  et  Costar,  ce  puriste  grammairien,  dit  dans 
la  Deffense  des  œuvres  de  M.  Voiture  :  «  Il  y  a  parmy  nous  des  saincts 
»  profanes,  comme  les  saincts  Pavins,  les  saincts  Tibals,  les  saincts 
»  Gelais  et  les  saincts  Sibardeaux ,  si  vous  le  voulez.  »  (P,  m.) 
Lui-môme  signoit  Saint-Tibal ,  comme  on  peut  s'en  assurer  dans 
plusieurs  lettres  écrites  à  M.  de  Thou.  Elles  ne  sont  pas  datées  ;  en 
voici  une  : 

«  Monsieur, 

»  Je  vous  rans  mille  grases  de  tant  de  soint  que  votre  générosité 
))  vous  fit  prandrc  pour  moy  et  vous  suplie  très  umblement  de  vouloir 
»  continuer  seluy  de  mes  interes  auprès  de  mon  frère  que  sil  peut 
»  me  fere  toucher  la  somme  quil  vous  a  dit  me  rester  du  bien  de  ma 
»  mère  il  mobligera  estremement.  Je  vous  prie  ausi  de  luy  temoi- 
»  gnier  que  dans  un  autre  estât  je  ne  l'incommoderes  pas  et  que  jan 
»  suis  plus  fâché  que  luy  à  qui  je  ne  manque  re  jamai  a  se  que  je  dois. 
»  Je  prendre  ausi  la  liberté  de  vous  suplier  de  vouloir  voir  un  gen- 
»  tilomme  de  monsieur  Leletteur  palatin  que  vous  trouvères  logé  ou  le 
»  biliet  enfermé  dans  selle  si  vous  dira  pour  luy  donner  vos  avis  sur 
»  les  soUisitations  quil  fet  des  aferes  de  son  mètre  a  la  court.  Je  suis 
»  obhgé  par  baucoup  de  resons  a  vous  fere  sette  prière  laquelle  je  con- 
»  firmeré  de  rechef  par  les  sivilités  que  j'ay  resu  de  tout  te  leur  meson 
»  auquelles  ne  pouvant  re  pondre  que  par  vos  ofices  que  je  vous  prie 
»  de  leur  randrc  en  sette  occasion,  avet  autant  de  soint  que  votre  bonté 
»  vous  aura  fet  prandre  pour  tout  se  qui  me  touche  don  gauré  de  ternels 
I)  resant  timens.  Je  vous  suphe  de  me  pardonner  de  tant  d'inportunité 
»  et  croyre  que  je  suis  parfettemant 
»  Monsieur 

))  Vostre  très  umble  serviteur, 
»  Saint  Tibal. 

»  De  la  Hay  se  cjuinsiesme  mars.  » 

II.  7 


98  LES    HISTORIETTES. 


XLI.  —  P. /il,lig.  8. 

Un  sçavant  médecin  de  la  Faculté  nommé  Patin. 

Apparemment  le  fameux  Guy  Patin ,  sceptique  par  excellence,  et 
qui  ne  blâmoit  l'incrédulité  que  chez  les  partisans  de  l'emétique. 

XLII.  —  P.  /Il,  lig.  20. 
ailiers,  intendant  de  M.  de  Crcqtnj. 

Ce  Gilliers,  grand  ami  de  Pierre  d'Hozier,  lui  ecrivoit  régulière- 
ment les  nouvelles  de  l'armée,  quand  il  suivoit  M.  de  Crequy.  Ses 
lettres  sont  conservées  dans  la  correspondance  d'Hozier,  au  Cabinet 
des  titres  de  la  Bibliothèque  Nationale. 


XLHI.  —  P.  42,  lig.  26. 

Pour  l/"*  d'Aiguillon  et  J/™"  de  Chaune... 

On  croiroit  qu'ici  des  Réaux  a  eu  connoissance  de  V Album  de  Bas- 
sompiene  que  j'ai  déjà  cité,  et  qui  se  conserve  au  cabinet  des  manus- 
crits de  la  Bibliothèque  Nationale  (n°  2036,  supplément  français).  On  y 
trouve  la  môme  mention  des  trois  prétendues  maîtresses  de  Richelieu  : 
(1  Le  cardinal  de  Richelieu,  deux  ans  avant  que  de  mourir,  n'avoit  que 
»  trois  maistresses  :  sa  nicpce  ;  la  Picarde,  femme  de  M.  le  mareschal 
»  de  Chaulncs,  et  Marion  de  Lorme,  p —  publique.  »  (P.  hk.)  —  Guy 
Patin  fait  le  môme  compte. 

XLIV.  —  P.  43,  note  1,  lig.  1. 
La  Rivière  qui  est  mort  evesque  de  Langres. 

Tout  le  monde  aujourd'hui  connoît  cet  abbé-prelat,  cardinal  manqué, 
favori  de  Gaston,  contraint  enfin  par  la  disgrâce  à  la  résidence.  Louis 
Barbier  de  la  Rivière  etoit  né  en  1595  d'Antoine  Barbier,  sieur  de  la 
Rivière,  commissaire  de  l'artillerie  en  Champagne.  Il  fut  d'abord  ré- 
gent au  collège  du  Plessis  ;  puis,  l'evôque  de  Gahors,  Pierre  Habert, 
auquel  il  s'attacha,  le  présenta  à  Monsieur,  qui  bientôt  séduit  par 
l'agrément  de  son  entretien  le  nomma  son  premier  aumônier.  On  peut 
savoir  aisément  le  rôle  qu'il  joua  durant  la  Fronde.  «  Quand  la  paix 
»  est  rétablie,  »  trouvons-nous  dans  les  notes  que  M.  le  marquis  de  Pas- 
torct  avoiî  réunies  sur  les  Historiettes,  et  qu'il  a  bien  voulu  nous 
communiquer,   «  la  Hiviere  entre  au  Conseil  comme  ministre  d'Etat. 


LE   CARDINAL   DE    RICHELIEU.  99 

»  Il  s'attache  au  prince  de  Condé;  Monsieur  s'en  irrite  ;  mais,  au  lieu 
»  de  céder,  la  Rivière  le  prend  de  haut  avec  son  bienfaiteur,  et 
»  Monsieur  le  disgracie.  Un  jour  suffit  pour  renverser  cet  édifice  si  p6- 
»  niblement  élevé  de  sa  fortune.  Il  quitte  le  Conseil,  la  Cour,  sa 
»  charge  de  chancelier  dos  Ordres.  Vous  le  croyez  perdu  î  Mon 
»  Dieu  non  : 

,  »...    Le  sort  burlesque,  en  ce  siècle  de  fer, 

>>  D'un  pédant,  quand  il  veut,  sait  faire  un  duc  et  pair, 

»  a  dit  Boileau,  peut-être  en  pensant  à  lui.  La  Rivière  devient  évoque 
»  de  Langres  ;  il  est  pair,  il  est  sur  le  banc  des  ducs.  II  meurt  le 
»  30  janvier  1G70,  vieux,  riche  et  presque  dévot.  C'est  hiy  qui  avoit 
»  rebâti  Petit-Bourg  près  de  Paris,  terre  qui  a  passé  du  duc  d'Antin 
»  à  un  fermier-général,  puis  à  M""^  la  duchesse  de  Bourbon,  puis  à  un 
»  fermier  des  Jeux.  » 

Dans  une  Mazarinade  que  je  crois  de  Guy  Patin  {la  Conférence  du 
Cardinal  avec  le  Gazetticr,  1649),  on  revient  sur  la  naissance  et  la 
jeunesse  du  pauvre  abbé  de  la  Rivière  :  «  Vous  devez  sçavoir  que  ce 
»  nom  de  la  Rivière  n'est  pas  celuy  de  son  père  ny  de  sa  famille.  Son 
»  père  etoit  un  gaigne-deniers  ou  chargeur  de  gros  bois  en  grève,  qui 
»  s'appeloit  Barbier  ;  lequel  par  raillerie  ou  mespris  fut  surnommé 
»  la  Rivière  par  ses  camarades  ,  comme  on  appelle  un  lacquais 
1)  la  Verdure,  ou  la  Rose.  Sa  naissance  vile  n'a  pas  esté  suivie  d'une 
»  meilleure  éducation  ;  il  n'y  a  point  de  collège  dans  l'Université  qui 
»  ne  retentisse  encore  de  ses  friponneries,  et  toute  la  Cour  sçait  par 
»  quels  services  il  a  mérité  les  bonnes  grâces  de  son  maistre.  » 

Dans  mic  autre  Mazarinade  :  «  Le  sieur  de  la  Rivière,  abbé  de 
n  quinze  abbayes,  n'est-il  pas  filz  d'un  pauvre  cousturier  de  Montfort- 
»  l'Amaury  ;  n'a-t-il  pas  esté  cuistre  et  valet  au  collège  de  Navarre?  » 
{Advertissement  à  Cohon,  evesque  de  Dol  et  de  Fraude,  par  les  Cuistres  de 
l'Université.) 

XLV.  —  P.  43,  note  2,  lig.  1. 

M.  de  chavigny  délibéra  de  faire  appeller  l'hostel  de  Saint-Paul, 
l'hostcl  de  Bouteillier. 

Cet  hôtel  etoit  situé  à  l'extrémité  de  la  rue  du  Roi-de-Sicile ,  et 
la  rue  fut  ainsi  nommée  parce  que  l'hôtel  avoit  d'abord  été  la  rési- 
dence du  célèbre  Charles  d'Anjou  roi  de  Sicile,  et  de  son  fils 
Charles  II.  Charles  II  le  légua  au  comte  de  Valois  ;  il  fut  transmis  plus 
tard  aux  comtes  d'Alençon,  puis  en  1389,  acheté  par  Charles  VI.  Au 
commencement  du  xvi'^  siècle,  les  rois  de  Navarre  en  etoient  en  posses- 
sion ;  c'étoit  Antoine  de  Roquelaure  au  commencement  du  xvii',  lequel 


100  LES    HISTORIETTES. 

le  vendit  à  François  d'Orléans-Longueville,  comte  de  Saint-Paul,  De  là 
le  nom  qu'il  avoit,  lorsque  Léon  Bouthillier,  comte  do  Cliavigny, 
l'acheta.  Il  a  passé  en  1698  i\  Heniy  Jacques  do  Caumont,  duc  de  la 
Force,  dont  il  conserve  encore  aujourd'hui  le  nom,  bien  qu'on  en  eût 
vendu,  en  1711,  la  moitié  à  Jacques  Poultier,  intendant  des  Finances, 
(lui  lui  donna  un  aspect  plus  moderne,  et  en  1715  l'autre  moitié  aux 
célèbres  frères  Paris  du  Verncy. 

XLVI.  —  P.  43,  note  2,  lig.  9, 

Lepereclç  l'Arclievesque avoit  escrit  l'histoire  de  Marthe  Brossier, 

«  Le  Discours  véritable  sur  le  fait  de  Marthe  Brossier,  Paris,  1599, 

»  in-8",  »  est  attribué  au  médecin  Marescot  :  mais  celui  do  Bou- 
thillier en  diffère  peut-être.  Marthe  Brossier  ctoit  la  fille  d'un  tisse- 
rand de  Romorantin  :  elle  fut  conduite  à  Paris,  dans  les  derniers  jours 
de  mars  1598,  et  occupa  l'attention  publique,  mais  seulement  pendant 
quelques  mois;  comme  aujourd'hui,  depuis  un  an,  ceux  qui  font  parler 
les  tables,  et  depuis  dix  ans  les  somnambules.  On  peut  lire,  dans  les 
Additions  anonymes  faites  au  Journal  de  l'Estoile,  le  récit  de  toutes  ces 
jongleries,  constamment  renouvelées  avec  un  égal  succès. 

XLVIl.  —  P.  /|5,  lig.  3. 

Un  M.  Mulot  ^  de  Paris. 

Mulot  est  également  signalé  dans  la  Vie  de  Costar  et  dans  le  san- 
glant pamphlet  intitulé  5rt/?/re  d'Estat  contre  le  Cardinal,  où  l'on  prête 
à  Mulot  un  discours  dont  l'insolence  pouvoit  être  justifiée  par  la  répu- 
tation de  grande  franchise  qu'il  s'ctoit  faite  dans  le  monde.  Dans  un 
autre  pamphlet,  le  Catholicon  françois,  on  raconte  sérieusement  qu'un 
jour  Mulot  étant  en  carrosse  avec  le  Cardinal  et  l'archevêque  de  Bor- 
deaux, le  Cardinal  prit  le  chapeau  du  Docteur,  pissa  dedans  et  l'en 
coifla,  disant  que  le  sel  de  cette  eau  le  ren droit  apparemment  plus 
sage.  Il  mourut  le  2  décembre  1653,  à  l'âge  de  quatre-vingt-cinq  ans. 

((  L'evêquo  d'Orléans  appeloit  le  docteur  Mulot  :  Teston  rogné.  Capul 
sine  litteris.  »  M.  de  Bassompierre,  parlant  de  lui ,  disoit  que  chez 
M.  le  cardinal  de  Richelieu  tout  y  est  grand;  il  n'est  pas  jusqu'à  son 
fou  qui  ne  soit  docteur  de  Sorbonne.  »  (Mémoires  mss.  de  Hugues 
de  Salins,  médecin,  communiqués  par  M.  Feuillet  de  Conches.) 

Guy  Patin  fait  cet  autre  conte  :  «  Le  cardinal  de  Richelieu,  qui  ai- 
»  moit  assez  à  rire  lorsqu'il  n'etoit  point  tourmenté  de  sa  bile  noire, 
»  demanda  un  jour  au  docteur  Mulot,  son  confesseur,  combien  il  falloit 
»  de  messes  pour  tirer  une   ame  du   purgatoire.  Le  docteur  lui  res- 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  101 

!)  pondit  quo  l'on  ne  sçavoit  pas  cela,  et  que  l'Eglise  ne  i'avoit  pas  de- 
»  finy.  Le  Cardinal  luy  répliqua  :  C'est  que  tu  n'es  qu'an  ignorant.  Je 
»  le  sçay  bien,  moi  !  il  en  faut  autant  qu'il  faudroit  de  pelotes  de  neige 
»  pour  chauffer  un  four.  »  (Lettre  du  8  juin  1G57.) 

XLVIII.  —  P.  49 ,  lig.  3. 

//  dit  en  un  endroit  :  C'est  comme  qui  entreprendrait  d'entendre  le  More 
de  Terence  sans  commentaire. 

Non  pas  dans  le  Catéchisme,  ou  Instruction  du  chrétien,  mais  dans 
les  Principaux  points  de  la  foy  catholique  deffendues  contre  l'écrit 
adressé  au  Roy  par  les  ministres  de  Charenton,  Poitiers,  1G17,  in-8°, 
et  Paris,  jouxte  la  copie,  1618. 

C'est  une  citation  de  saint  Augustin  que  l'evêque  de  Luçon  traduisit 
par  «  le  Maure  de  Terence ,  »  Tereniianmn  Maurum.  Il  est  assez 
probable  qu'ayant  un  souvenir  confus  du  fameux  passage  du  Pœnulus 
de  Plaute,  Richelieu  aura  cru  retrouver  une  allusion  à  cette  comédie, 
dans  le  Terentianus  Morus  du  père  de  l'Eglise. 

XLIX.  —  P.  /i9,  lig.  19. 

M.  de  Chartres  et  M.  l'abbé  de  Bourzez  l'ont  reveù. 

Jacques  Lescot,  évoque  de  Chartres  :  «  C'est,  »  disent  les  pamphlets, 
«  le  filz  d'un  petit  porteballe  de  Saint-Quentin,  abbé  de  trois  belles 
»  abbayes  et  evesque  de  Chartres  :  ceiuy  que  le  curé  de  Maizieres  a 
»  surnommé  le  Pédant  mitre.  N'a-t-il  pas  esté  comme  nous  au  collège 
»  de  Calvi,  au  logis  du  bon  docteur  M.  le  Clerc?  »  (Advertissement  à 
Cohoti,  evesque  de  Dol  et  de  Fraude.,  par  les  cuistres  de  l'Université. 
1049.) 

Amable  de  Bourzeys,  abbé  de  Saint-Martin-de-Cores ,  et  de  l'Aca- 
démie françoise,  originaire  d'Auvergne.  «  Il  n'y  a,  »  dit  Pelisson,  «  rien 
»  d'imprimé  sous  son  nom  qu'une  Lettre  au  princç,  Edouard,  palatin, 
»  qui  est  un  traité  de  religion.  » 

L.  —  P.  50,  lig.  5. 

Il  n'avoit  jamais  lu  les  Mémoires  de  Charles  IX". 

Le  beau  traité  de  la  Servitude  volontaire  d'Etienne  de  la  Boetie  a 
été  imprimé  pour  la  première  fois  dans  le  troisième  volume  des  Mémoires 
de  l' Estât  île  la  France  sous  Charles  IX,  1598.  On  l'a,  depuis,  réuni 
à  plusieurs  éditions  de  Montaigne,  et  de  notre  temps  deux  éditions  sé- 
parées ont  été  données  l'ime  par  M.  Feugere,  l'autre  par  M.  le  docteur 


\0'2  LES    HISTORIETTES. 

Payen.  L'anecdote  que  cite  des  Réaux  ne  prouve  pas  que  Richelieu 
n'etit  jamais  lu  ces  Mémoires,  mais  qu'il  n'avoit  pas  gardé  un  souvenir 
précis  de  toutes  les  pièces  qu'on  y  avoit  réunies  ;  et  surtout,  que  Biaise 
père  et  fils  etoient  deux  fripons. 

LI.  —  P.  50,  note,  lig.  1. 
Le  Cardinal  a  aussy  laissé  des  Mémoires. 

Cette  note  de  des  Réaux  ajoute  beaucoup  à  tout  ce  qu'on  avoit  déjà 
çà  et  là  recueilli  sur  l'histoire  et  la  destinée  de  ces  fameux  Mémoires. 
En  1730,  un  libraire  d'Amstei'dam  avoit  eu  communication  de  la 
première  partie,  trouvée  dans  les  papiers  de  Mezeray,  sans  doute 
parce  que  cet  historien  avoit  eu  charge  de  les  mettre  en  ordre  et 
de  les  pubher.  Cette  partie  parut  donc  sous  le  titre  ^'Histoire  de 
la  mère  et  du  fils,...  depuis  l'an  1616  jusqu'en  1019,  par  François- 
Eudes  de  Mezeray,  Amsterdam,  Charles-Michel  la  Cure.  Mais  quarante 
ans  plus  tard,  Foncemagnc  voulant  démontrer,  contre  le  sentiment 
passionné  de  Voltaire,  que  le  Tcstametit  politique  etoit  bien  du  Car- 
dinal, trouva,  au  lieu  du  texte  original  de  ce  testament,  le  texte  ou  les 
copies  originales  des  Mémoires  dont  faisoit  partie  V Histoire  de  la  mère 
et  du  fils.  Les  huit  volumes  etoient  alors  déposés  au  Louvre,  et  ils  ne 
furent  pour  la  première  fois  publiés  qu'en  1823  par  feu  Pctitot.  Ils  sont 
compris  dans  la  double  collection  générale  des  Mémoires  du  même 
Petitot  et  de  Michaud  et  Poujoulat. 

On  voit  ici  toutes  les  peines  mutiles  que  se  donna  la  duchesse  d'Ai- 
guillon pour  trouver  un  arrangeur  de  ces  précieux  papiers.  Si  Patru, 
d'Ablancourt,  Mezeray,  ou  Sancy  avoient  répondu  à  ses  avances,  l'ou- 
vrage nous  présenteroit  sans  doute  aujourd'hui  une  lecture  agréable, 
mais  un  récit  moins  immédiat  et  moins  authentique.  Tout  a  donc  été 
pour  le  mieux. 

LU.  —  P.  .^l,  suite  de  la  noie,  lig.  10. 

Ce  M.  de  Saînt-Malo  estant  ambassadeur  à  la  Porte... 

Achille  de  Harlay,  sieur  de  Sancy,  dont  on  a  déjà  dit  quelque  chose, 
tom.  I,  p.  110  et  120,  fut  ambassadeur  à  Constantinople  de  1611  à 
1618.  L'aventure  fâcheuse  dont  il  est  ici  parlé,  et  dont  on  chercheroit 
vainement  ailleurs  le  véritable  caractère,  lui  arriva  en  cette  dernière 
année.  La  France  ressentit  d'abord,  comme  elle  devoit,  ime  pareille 
injure  :  elle  encouragea  les  arméniens  particuliers  du  duc  de  Guise  et 
du  duc  de  Nevers  ;  elle  envoya  ostensiblement  proposer  aux  gouver- 
nemens  d'Espagne,  d'Angleterre  et  de  Venise,  une  ligue  formidable 
contre  le  Turc,  qu'il  falloit  enfin  chasser  de  l'Europe.  (Comme  si  l'Eu- 
""ope  eût  pu,  sans  le  Turc,  rester  en  équilibre!)  Louis  XIII,  ou  plutôt 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  103 

le  connétable  de  Luynes,  révoqua  Sancy  désormais  indigne,  par  le 
traitement  qu'il  avoit  subi,  de  représenter  la  France;  enfin,  on  fit  de- 
mander satisfaction  par  le  sieur  de  Namps  (sans  doute  le  mari  de  Mar- 
guerite d'Estrées,  sœur  de  Gabrielle.  Voij.  tom.  i,  p.  6  et  22.)  Mais 
avant  l'arrivée  de  M.  de  Namps,  le  visir  caymacan,  auteur  de  l'in- 
sulte, avoit  dépêché  un  pauvre  diable  de  cliiaoux,  pour  annoncer  un 
changement  de  règne,  et  pour  dire  quelques  mots  d'excuse  au  sujet  du 
traitement  infligé  à  Sancy.  Le  Roi  ne  parut  pas  satisfait  de  la  répara- 
tion ;  mais  quand  Sancy  partit  de  Constantinople,  il  fut  admis  à  l'au- 
dience du  nouveau  Sultan  ;  on  lui  fit  un  beau  présent,  et  l'on  ne  parla 
plus  des  cent  coups  de  latte.  Il  faut  avouer  qucle  gouvernement  françois 
montra  dans  cette  circonstance  une  indulgence  bien  coupable  ;  et  il  le 
sentit  si  bien,  que  tous  les  historiens  de  Louis  XIII  ont  passé  rapidement 
sur  les  motifs  du  rappel  de  Sancy,  afin  de  n'avoir  pas  à  constater  qu'on 
n'en  avoit  tiré  aucune  satisfaction..  On  trouve  dans  un  volume  de  la 
Bibliothèque  Nationale  (Suite  de  Mortemar,  n"  14),  la  Relation  des  am- 
bassades de  Sancy  et  de  Namps  (ou  Nans)  ;  de  plus,  une  très-curieuse 
Relation  de  l'Enwy  d'un  Chaoux  nommé  Houssan  par  le  Grand  Sei- 
gneur sultan  Osman  au  Roy  1res  Chrestien,  en  1G19.  L'auteur  de  cette 
Relation  parle  assez  mal  de  Sancy  ;  par  exemple,  voulant  expliquer 
pourquoi  ce  chiaoux  avoit  été  dépêché,  d'après  les  suggestions  de 
Sancy,  il  dit  : 

«  Les  interests  de  M.  de  Sancy  en  cette  aiîaire  estoient  :  1°  qu'il  ne 
»  vouloit  pas  qu'on  approfondist  trop  en  Cour  le  sujet  de  ses  disgrâces, 
»  crainte  que  l'on  ne  connust  quelques-unes  de  ses  exactions  et  vio- 
»  lences  ;  ce  qui  arriveroit  si  le  Roy  envoyoit  des  commissaires  au  Le- 
»  vant  pour  en  rapporter  les  informations  au  conseil...  2"  M.  de  Sancy 
»  esperoit  ainsy  de  continuer  son  ambassade,  parce  qu'il  y  trouvoit 
»  bien  son  compte  ;  car  en  six  ou  sept  ans,  et  lorsqu'il  n'estoit  que 
■>  novice  en  cette  charge  et  jeune  bachelier,  il  avoit  em bourse  quatre 
»  ou  cinq  cens  mille  francs  en  argent,  bagues  et  hardes.  Que  n'eust-il 
»  point  fait  s'il  y  fust  demeuré  encore  autant  de  temps,  et  lorsqu'il  y 
»  eust  esté  plus  que  docteur?  3°  Au  pis-aller  et  en  cas  de  rappel,  M.  de 
»  Sancy  vouloit  faire  sa  dernière  main  et  faire  payer  les  estoeufs  à 
»  qui  n'avoit  pas  esté  de  la  partie.  Pour  cela,  il  résolut  de  mettre  une 
»  imposition  et  comme  une  taxe  sur  toutes  les  eschelles  du  Levant, 
»  pour  se  re  nbourser  (ce  disoit-il)  des  frais  et  cousts  de  son  emprison- 
»  nement  ;  et  l'eschelle  d'Alexandrie  fut  seule  par  luy  taxée  pour  cette 
»  quote-part  à  la  somme  de  trois  mille  piastres.  Or,  l'envoy  de  ce 
»  Chaoux  luy  facilitoit  ce  dessein,  parce  qu'il  devoit  passer  de  France 
»  en  Angleterre,  de  là  en  Hollande,  et  ainsy  faire  durer  longtemps  son 
»  voyage,  pendant  lequel  il  auroit  fort  bon  loisir  de  faire  sa  cueillette 
»  sans  estre  controllé...  Vovlà  les  interests  du  sieur  de  Sancy.  » 


ÎO/l  LES    HISTORIETTES. 

Achille  de  Ilarlay,  qui  d'abord  engagé  dans  les  Ordres  et  abbé  de 
Saint-Benoit  et  de  Villoloin,  avoit,  en  (juittantla  robe  ecclésiastique  à 
la  mort  de  son  frère,  pris  le  nom  de  sieur  de  Sancy,  reprit  à  son  retour 
la  soutane,  devint  Père  de  l'Oratoire,  puis  enfin  cvèquc  de  Saint-Malo. 
Il  mourut  le  20  novembre  16^0. 

—  Le  titre  sous  lequel  parut  le  Journal  dont  parle  des  Kéaux  deux 
ligues  plus  bas  est  :  Journal  de  Monsieur  le  Cardinal  de  Richelieu^  qu'il 
a  fait  durant  le  grand  orage  de  la  Cour,  en  l'année  1G30  et  1G31.  Tiré 
des  Mémoires  qu'il  a  escrit  de  sa  main.  1048,  in-12.  C'est  une  sorte 
de  calepin  ou  mémorandum  à  l'usage  particulier  du  Cardinal,  et  qui 
ne  fait  pas  grand  honneur  à  l'élévation  de  son  caractère  ;  ramas  de 
propos  do  femmes  et  de  valets  recueillis  par  d'autres  et  dont  il  n'etoit  pas 
fâché  de  tirer  parti  contre  la  Reine  et  ceux  qui  lui  faisoient  ombrage. 

LUI.  —  P.  51,  lig.  1. 
L'Académie,  que  Saint-Germain  appclloit  la  volière  de  Psaphon. 

On  sait  que  Psaphon,  voulant  être  reconnu  pour  dieu,  avoit  réuni 
un  grand  nombre  d'oiseaux,  et  leur  avoit  jappris  h  répéter  les  mots  : 
Psaphon  est  un  dieu.  Voici  maintenant  le  passage  de  l'abbé  de  Saint- 
Germain,  Jugement  sur  la  Préface,  f°  2,  édition  in-Zi".  «  Le  Cardinal, 
»  affamé  de  louanges  et  en  disette  de  louangeurs,  a  dressé  une  école 
»  ou  volière  de  Psaphon,  dans  l'Académie  qui  s'assemble  chez  le  Gaze- 
I)  tier,  c'est-à-dire  ,  le  père  du  mensonge.  Là  se  ramasse  un  grand 
»  nombre  de  pauvres  ardelions  qui  apprennent  à  composer  des  fards 
»  pour  plastrer  les  laides  actions,  et  à  faire  des  onguens  pour  mettre 
»  sur  les  plaies  du  public  et  du  Cardinal.  Il  promet  quelque  advance- 
»  ment  et  jette  quelques  petites  assistances  à  cette  canaille  qui  combat 
»  la  vérité  pour  du  pain.  » 

Des  Réaux  va  pourtant  reprocher  à  Richelieu  de  n'avoir  pas  fait  un 
bâtiment  pour  cette  pauvre  Académie.  Il  faut  avouer  que  l'Académie 
françoise  qui,  durant  plus  d'un  siècle,  couronnoit  toutes  ses  séances 
pubUques  par  l'éloge  du  Cardinal,  ne  lui  en  a  pas  tenu  rancune.  Aussi 
les  reproches  de  notre  auteur  sentent-ils  trop  la  prévention  aveu- 
gle. On  accuse  Richelieu  d'avarice  quand  il  ménage  les  deniers  de 
l'Etat  :  on  ne  le  loue  pas  d'avoir  beaucoup  fait  ;  mais  on  le  blâme  de 
n'avoir  pas  tout  fait. 

LIV.  —  P.  52,  note,  lig.  1. 
Une  espèce  de  fou,  nommé  la  Peyre. 

Voici  le  titre  du  livre  dont  parle  des  Réaux  et  la  façon  dont  l'au- 
teur s'y  nomme  lui-mOmc  :  «  Eclaircissemens  chronologiques  et  neces- 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  105 

»  saires  pour  les  véritables  positions  des  matières  qui  sont  dans  les 
»  poètes  et  autres  historiens  fabuleux...  par  Jacques  d'Auzoles  la 
»  Peyre,  filz  de  Pierre  d'Auzoles  et  de  Marie  de  Fabry  d'Auvergne.  » 
Paris,  Allyot,  1G35.  Cet  homme  mourut  en  1G42. 

Le  poëte  la  Luzerne  lui  a  adressé  des  stances  ;  et  dans  la  quatrième 
se  trouve  la  liste  de  ses  ouvrages  : 

Au  temple  que  iuy  doit  la  France  en  son  histoire 
Chacun  de  ces  travaux  fera  (lart  de  sa  gloire. 
Son  Panthéon,  son  Grand  Miroir, 
La  Bible,  la  Chronologie, 
V Ariadne,  V Apologie 
Nous  le  feront  tousjours  revoir. 

{Les  Essay s  poétiques,  1642.» 

Telle  etoit  la  complaisance  qu'on  avoit  pour  ce  savantas,  qu'on  frappa 
môme  une  médaille  en  son  honneur,  où  il  est  nommé  le  Prince  des 
Généalogistes. 

«  Le  sieur  de  la  Peyre,  »  dit  Pelisson  [Relation  de  l'Académie  fran- 
çaise) ,  «  en  l'année  1G35,  dédia  son  livre  de  Y  Eclaircissement  des 
»  Temps,  avec  une  lettre  à  VEmiticnte,  qui  a  fait  croire  depuis  à  plu- 
»  sieurs  qu'elle  s'appcloit  l'Académie  Eminente.  Il  fut  ordonné  que 
»  MM.  de  Gomberville  etMalleville  iroicnt  l'en  remercier  chez  Iuy.  Ce 
»  fut  en  ce  livre  que  ce  bonhomme...  fit  mettre  le  pourtraict  du  Car- 
»  dinal  en  taille-douce  avec  une  couronne  de  rayons  tout  autour, 
»  chascuu  desquels  estoit  marqué  par  le  nom  d'un  Académicien.  Ce 
»  qui  est  du  meilleur,  c'est  qu'il  mit  entre  ces  Académiciens  M.  de 
»  Bautru-Cherelles,  qui  ne  l'estoit  pas  ;  et  celuy  qui  a  fait  V Estât  de  la 
»  France  eu  l'année  1G52  *  est  tombé  dans  la  mesme  faute.  »  Louis  Trabouiiiet, 

Dans  cette  gravure,  le  Cardinal  en  buste  est  coiffé  d'une  barette,  "^  »n°'"e  c  e    eaux. 
avec  le  cordon  du  Saint-Esprit  et  ces  mots  en  exergue  :  Son  Eminence 
ducale. 

Il  ne  sortoit  pas  de  ce  médaillon  central  quarante,  mais  bien  trente- 
huit  rayons,  nombre  des  Académiciens  en  1G35,  date  de  la  fondation 
de  l'Académie.  —  Près  du  garde  des  sceaux  Seguier  est,  en  effet,  le 
nom  de  M.  de  Cherelles,  un  des  trois  frères  cousins-germains  de  Bau- 
tru.  Cherelles  u'etoit  pas  de  l'Académie,  non  plus  que  M.  de  la  Brosse, 
également  honoré  par  le  sieur  de  la  Peyre  du  rayon  qui  appartenoit  à 
Philippe  Habcrt,  commissaire  de  l'artillerie  et  membre  de  l'Académie 
depuis  l'origine.  Habert  etoit  alors  célèbre  par  son  poëme  du  Temple 
de  la  Mort,  oublié  aujourd'hui. 

LV.  —  P.  52,  note,  lig.  6. 
Au  prorata  de  leurs  qualitez. 
C'est-à-dire  :  dans  la  proportion  de  leurs  titres  et  qualités.  Des  Réaux 


106  LES    HISTORIETTES. 

blâme  ici  moins  le  sens  du  mot,  que  l'emploi  vicieux  qu'en  faisoit 
la  Vieuville,  en  l'empruntant  au  style  des  gens  de  finance. 


LVI.  —  P.  53,  note,lig.  12. 

On  luy  a  veu  se  faire  rejouer  plus  de  trois  fois  une  ridicule  pièce  en 
prose...  C'est  Thomas  Morus. 

Gueret,  dans  le  Parnasse  reformé,  fait  ainsi  parler  la  Serre  :  «  Mon- 
»  sieur  le  cardinal  de  Richelieu,  qui  m'entend,  a  pleuré  dans  toutes  les 
»  représentations  qu'il  a  veues  de  Thomas  Morus.  Il  luy  a  donné  des 
»  témoignages  publics  de  son  estime,  et  toute  la  Cour  ne  luy  a  pas  esté 
»  moins  favorable  que  Son  Eminence.  Le  Palais-Royal  estoit  trop  petit 
»  pour  contenir  ceux  que  la  curiosité  attiroit  à  cette  tragédie.  On  y 
»  suoit  au  mois  de  décembre,  et  l'on  tua  quatre  portiei's,  de  compte 
»  fait,  la  première  fois  qu'elle  fut  jouée.  Voilà  ce  qu'on  appelle  de 
)»  bonnes  pièces!  Monsieur  Corneille  n'a  point  de  preuves  si  puissantes 
»  de  l'excellence  des  siennes  ;  et  je  luy  cedcray  volontiers  le  pas  quand 
■>  il  aura  fait  tuer  cinq  portiei's  en  un  seul  jour.  »>  (Edition  de  1669, 
p.  31.) 

LVIL  — P.  56,  note,  lig.  1. 
Le  Cardinal  avait  un  premier  secrétaire  qui  s'appelloit  Charpentier. 

Charpentier  eut  pourtant  à  se  louer  de  la  générosité  du  Cardinal, 
témoin  un  passage  de  son  testament  : 

«  Je  ne  donne  rien  au  sieur  Charpentier,  mon  secrétaire,  parce 
»  que  l'ay  eu  soin  de  luy  faire  du  bien  pendant  ma  vie;  mais  je  veux 
»  rendre  ce  tesmoignage  de  luy,  que  durant  le  long  temps  qu'il  m'a 
»  servy,  je  n'ay  point  connu  de  plus  homme  do  bien,  ny  de  plus  loyal 
»  et  sincère  serviteur»  (Testament  du  cardinal  de  Richelieu.) 

Charpentier  etoit  au  service  de  Richelieu  dès  l'année  1609.  M.  Ave- 
nel  croit  avoir  retrouvé  une  lettre  de  cette  année,  écrite  par  lui  pour 
l'evêque  de  Luçon.  Il  eut  plus  tard  le  titre  de  »  conseiller  secrétaire 
»  du  Roy,  maison  et  couronne  de  France.  » 

En  général,  l'habile  et  judicieux  ediîeur  des  Lettres  et  papiers  d'Es- 
tat  du  cardinal  de  JUcheiieu,  M.  Avenel,  ne  rend  pas  assez  justice  à  la 
véracité  de  des  Réaux.  Après  avoir  rappelé  l'anecdote  de  Cheré  :  «  Si 
»  V Historiette  est  vraie^,  »  dit-il,  <(  on  voit  que  Richelieu  avoit  entiere- 
»  ment  oublié  les  torts  de  Cherê.  »  M.  Avenel  se  fonde  sur  cet  autre 
passage  du  testament  :  «  Je  ne  donne  rien  aussy  au  sieur  Cheré, 
))  nton  autre  secrétaire,  parce  que  je  le  laisse  assez  accommodé; 
»  estant   néanmoins  satisfait  des  services  qu'il  m'a  rendus.  »  Mais  ces 


LE    CARDINAL   DE    RICHELIEU.  107 

lignes  lie  Justifient  pas  rewrière/ne/jt  de  M.  AveneL — Avec  le  bien  amassé 
chez  le  Cardinal,  Cberé  acheta  une  charge  de  maître  des  Comptes. 

LVIII.  —  P.  58  ,  lig.  11. 

Cette  parole-là  a  peut-estre  fait  faire  la  grande  conjuration  qui  pensa 
ruiner  le  Cardinal. 

Fontrailles ,  comme  on  le  pense  bien,  n'avoue  pas  le  motif  dans  sa 
relation.  Il  dit  que  Monsieur  le  Cardinal  ayant  embrassé  la  cause  de 
d'Espenan  contre  lui ,  dans  une  querelle  qui  s'etoit  élevée  entre  eux 
deux,  ((  avoit  pris  ce  différend  avec  tant  d'aigreur,  qu'il  avoit  publié 
))  que  Fontrailles  avoit  fait  des  monopoles  en  Guyenne  pour  M.  d'Es- 
»  pernon,  et  qu'il  falloit  le  prendre  mort  ou  vif.  »  Il  ajoute  que  M.  le 
Grand  l'ayant  généreusement  défendu,  ce  procédé  l'avoit  attaché  in- 
violablement  à  sa  fortune.  (Voyez  dans  les  Mémoires  de  Jlontresor, 
tom.  I,  p.  291.) 

Le  mot  allemand  sclielme,  drôle,  misérable,  est  encore  un  terme 
d'opprobre  chez  les  Russes.  Sclielma  !  «  Toutes  les  actions  des  dames 
»  à  la  mode  s'appellent  d'un  seul  mot  :  coquetteries,  comme  clielme  si- 
»  gnifie  toutes  injures,  en  allemand.  »  {Conversation  de  3r  Guillaume 
avec  la  princesse  de  Conty,  1631.) 

LIX.  —  P.  60 ,  lig,  2. 

Batitru  dit  qu'on  en  feroit  un  Extraordinaire. 

On  appeloit  Extraordinaire  une  addition  supplémentaire  à  la 
Gazette.  Bautru,  comme  on  voit,  joue  sur  le  mot,  parce  que  le  Prince, 
en  prenant  Salces,  etoit  sorti  de  ses  habitudes.  C'est  de  ce  double 
échec  que  Richelet,  dans  son  Dictionnaire,  avoit  pris  exemple  au  mot 
zeste.  «  Il  prendra  Dole  zeste,  comme  il  a  pris  Fontarahie.  »  On  prétend 
que  le  grand  prince  de  Condé,  fils  de  Henry  II,  qui  avoit  manqué 
Dole,  fit  donner  des  coups  de  bâton  à  Richelet.  Il  est  permis  d'en 
douter.  En  général,  on  multiplie  trop  les  coups  de  bâton  sur  les  épau- 
les des  écrivains  satiriques. 

LX.  —  P.  60  ,  lig.  8. 
Cet  Espenan  estait  un  grand  ignorant. 

Roger  de  Bossort,  comte  d'Espenan ,  ofBcier  dans  le  régiment  des 
Gardes ,  maréchal  de  camp  en  1637;  le  prince  de  Condé,  alors  duc 
d'Enghien,  lui  avoit  donné  en  septembre  16^2  le  gouvernement  de  Per- 
pignan, où  il  mourut  en  mai  1646. 


108  LES    HISTORIETTES. 

LXI.  —  P.  67,  note,  lip;.  2. 
Il  est  de  bonne  maison  de  Languedoc. 

Fontraillcs  tiroit  ce  nom  d'un  jietit  village  à  quatre  lieues  de  Taibcb. 
Il  reparut  durant  la  Fronde,  et  Blot  l'a  signalé  plusieurs  fois  dans  ses 
couplets  comme  un  gourmet,  un  libertin,  un  mécréant  accompli.  Chapelle 
et  Bachaumont  le  retrouvèrent  en  Gascogne  dans  leur  fameux  voyage 
de  1G55,  dans  sa  maison  de  Castille,  près  d'Agen  ;  ils  lui  donnent  le 
titre  de  sénéchal  d'Armagnac  :  «  Un  carrosse  que  M.  le  sencchal  d'Ar- 
»  magnac  avoit  envoyé  nous  mena  bien  à  notre  aise  chez  luy,  à  Cas- 
»  tille,  où  nous  fumes  receus  avec  tant  de  joie,  qu'il  cstoit  aisé  de 
»  juger  que  nos  visages  n'estoient  point  desagréables  au  maistre  de  la 
»  maison  : 

C'est  chez  cet  illustre  Fontrailles 
Oii  les  tourtes,  les  ortolans, 
Les  perdrix  rou(;es  et  les  cailles. 
Et  mille  autres  vols  succulens. 
Nous  firent  horreur  des  nian(;eailles 
Dont  Carbon  et  tant  de  canailles 
Vous  affrontent  depuis  vingt  ans. 

»  Vous  autres  casaniers,  qui  ne  connoissez  que  la  Vallée  de  misère 
»  et  vos  rostisseurs  de  Paris,  vous  ne  sçavez  ce  que  c'est  que  la  bonne 
»  chère  ;  si  vous  vous  y  connoissez,  et  si  vous  l'aimez  comme  vous  le 
»  dites, 

Soyez  donc  assez  braves  gens 
Pour  quitter  enfin  vos  murailles. 
Et  si  vous  estes  de  bon  sens. 
Allez,  et  courez  chez  Fontrailles, 
Vous  gorgcr  de  mets  excellens. 

»  Vous  y  serez  bien  receus  assurément,  et  vous  le  trouverez  tous- 
I)  jours  le  mesme.  Sans  plus  s'embarrasser  des  affaires  du  monde,  il  se 
»  divertit  à  faire  achever  sa  maison,  qui  sera  parfaitement  belle.  Les 
»  honnestes  gens  de  sa  province  en  sçavent  fort  bien  le  chemin  ;  mais 
»  les  autres  ne  l'ont  jamais  pu  trouver.  »  [Voxjage  de  Bach,  et  Cha- 
pelle., édition  de  1663,  p.  54.) 

LXII.  —  P.  68,  lig.  22. 

Le  temps  nous  en  apprendra  davantage. 

Fontrailles,  aussi  bien  que  des  Réaux,  semble  convaincu  de  la  révé- 
lation du  complot  par  la  Reine.  Cependant,  avant  d'avoir  le  texte  du 
traité,  la  conspiration  et  le  crime  de  Cinq-Mars  ctoicnt  Iiors  de  toute 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  109 

espèce  de  doute.  Ou  accusa  aussi  Marie  de  Gonzague  des  premières  in- 
discrétions. »  Je  fus,  ))  dit  Fontraillos,  «  de  nuit  à  Perpignan  (au  retour 
»  d'Espagne),  et  Monsieur  le  Grand  me  fit  voir  une  lettre  de  M"*  la 
»  princesse  Marie,  qui  luy  mandoit  que  son  affaire  estoit  sceue  aussi 
»  communément  à  Paris  comme  l'on  sçavoit  que  la  Seine  passoit  sous  le 
»  Pont-Neuf.»  (Relation  de  Fontrailles,  p.  329.)  Mais  après  tout,  les  Mé- 
moires de  M"^  de  Motteville,  et  le  détail  des  ennuis  qui  assiégèrent 
alors  la  Reine,  enfin  ses  craintes  d'être  compromise  par  les  dépositions 
de  l'abbé  de  la  Rivière  prouvent  évidemment  que  la  Reine  n'avoit 
rien  révélé. 

LXIII.  —  P.  69,  lig.  !i. 

Monsieur  le  Grand  l'avait  appelle  Sou  Inquiétude. 

Saint-Amand  paroît  avoir  voulu  désigner  de  Thou  dans  sa  chanson 
des  Loisirs  bachiques  : 

Que  Lisidor  soit  obsédé 
Uu  démon  de  l'inquiétude. 
Qu'ayant  plus  qu'un  l'anle  raudé, 
II  s'obstine  en  cette  habitude; 
Qu'il  joigne  la  guerre  à  l'estude. 
Je  trouveray  cela  fort  bien, 
Pourveu  qu'exempt  de  servitude. 
Je  frippe  et  hume  tout  mon  bien . 

Paillarder  son  vin,  qu'on  trouve  plus  bas,  c'est  prendre  bien  des 
précautions,  faire  bien  des  arrangements,  des  préparatifs.  Allusion  à  la 
façon  d'obtenir  le  vin  de  paille  ;  on  etendoit  les  raisins  sur  des  couches 
de  paille,  et  on  ne  les  en  retiroit  qu'après  un  certain  temps,  quand  ils 
etoient  suffisamment  ;^«(ï/rtrrfc5  ;  ou  bien  allusion  à  la  façon  d'expédier 
les  bouteilles  de  vin,  qu'on  enveloppoit  d'un  bouchon  de  paille  pour  plus 
de  précaution. 

Au  reste,  des  Réaux  se  montre  ici  fort  injuste  pour  l'illustre  victime 
du  cardinal  de  Richelieu.  On  lit  dans  le  Journal  de  ce  qui  s'est  passé  à 
l'arrestation  de  Monsieur  le  Grand,  dans  les  Mémoires  de  Montrésor 
que  «  le  père  gardien  du  convent  des  Pères  Observantins  de  Tarascon 
»  l'approcha  pour  luy  demander  quelle  inscription  il  vouloit  qu'on 
»  mist  sur  la  chapelle  qu'il  avoit  fondée  en  leur  convent.  Il  respoudit  : 
»  Comme  il  vous  plaira,  mon  père.  Mais  celuy-ci  le  pressant  de  re- 
»  chef,  il  demanda  une  plume,  et  avec  une  vitesse  admirable  il  fit 
»  cette  inscription  : 

»  Christo  liberatori 

»  Votum 

»  In  carcere  pro  libertate 

»  Conceptum 

»  Fr.  Aug.  Thuanus 

»  E  carcere  vitre  jamjam  liberandus 

»  Merito  sol  vit.  » 


110  LES    HISTORIETTES. 

Cette  présence  d'esprit,  dans  un  tel  moment,  devoit  inspirer  plutôt 
de  l'admiration  que  des  dédains. 

La  mère  de  Cinq-Mars,  Marie  de  Fourcy,  maréchale  d'Effiat,  mou- 
rut au  mois  de  janvier  1670  : 

Ayant  un  siècle,  moins  seize  ans. 
Avec  tout  le  mesine  bon  sens 
Et  la  vigueur  de  corps  et  d'ame 
Qu'auroit  eu  la  plus  jeune  dame, 
Et  pour  vous  dire  encore  plus, 
Maintes  excellentes  vertus. 
Entre  lesquelles  un  veuvage 
De  trcnte-huict  ans  et  davantage. 
Passé  dedans  la  piété, 
Doit,  je  croy  bien,  cstre  compté. 

(Lettre  en  vers  de  iJo&inet,  25  janvier  1670.^ 

LXIV.  —P.  70,  note  1 ,  lig.  17. 
Tenez...  voytà  les  comtes  d'Allemagne. 

Des  Réaux  fait  pcut-ôtre  ici  quelque  confusion.  II  n'y  avoit  réel- 
lement rien  de  commun  entre  les  de  Thou,  les  comtes  de  Toul  et  les 
comtes  d'Allemagne.  Mais  le  deuxième  auteur  certain  des  de  Thou, 
Jacques,  qui  avoit  pris  le  parti  de  la  robe,  avoit  épousé,  dans  les  pre- 
mières années  du  XVI'  siècle,  Geneviève  le  Moine  des  Allemans  ou  Lal- 
lemant  (voyez  les  Mémoires  de  la  vie  de  J.  A.  de  Thou).  De  là  peut-être 
l'erreur  ;  les  de  Thou  pouvoient  n'alléguer  les  comtes  d'Allemagne 
qu'en  raison  de  cette  alliance. 

Le  même  Jacques  de  Thou  eut  une  sœur  qui  paroît  avoir  porté 
dans  la  maison  d'Anglure,  une  des  premières  de  Champagne,  la  terre 
de  Thou  ou  du  Thoiilt,  en  Brie,  à  trois  lieues  de  Sezannc.  La  famille 
de  Thou  avoit  pris  de  ce  lieu  le  seul  nom  qu'on  lui  ait  connu. 

La  relation  qu'on  va  maintenant  lire  est  si  belle  qn'elle  doit  avoir 
été  déjà  imprimée.  Mais  en  ce  cas  même,  on  ne  la  trouvera  pas  dépla- 
cée ici,  ne  seroit-ce  que  pour  venger  l'illustre  de  Thou  des  préventions 
de  des  Réaux. 

Belation  sur  la  mort  de  Monsieur  le  Grand  et  de  M.  de  Tliou. 

(Ce  traité  est  escript  Par  M.  Gabriel  Chassebras,  conseiller  du  Roy,  en  sa  Cour 
des  Monnoyes,  sieur  de  la  Grand-Maison.) 

«  M.  de  Thou  ayant  esté  complètement  déchargé  du  traité  d'Es- 
»  pagne  par  Monsieur,  frère  du  Roy,  et  par  M.  de  Bouillon,  fut  con- 
»  fronté,  le  vendredy  12  septembre,  dans  le  palais  de  Lyon,  à  Monsieur 
»  le  Grand,  qui  d'abord  le  deschargea  aussy  :  et  estant  sorty  hors  de  la 
»  chambre  des  juges,  (soit  qu'il  esperast  sauver  sa  vie  ou  qu'il  âpre- 


ll;  cardinal  de  Richelieu.  111 

hcndast  lo  tourment  de  la  question,)  il  rentra  disant  :  Messieurs,  j'ay 
pensé  à  ma  conscience  ;  puisque  l'on  ne  m'a  pas  tenu  la  foy,  je  ne 
suis  pas  obligé  de  la  tenir  aussy  :  M.  de  Tliou  sçavoit  le  traité  d'Es- 
pagne. Lors  M.  do  Thou  luy  répliqua  :  Ce  n'est  pas  moy  qui  vous  ay 
manqué  de  foy.  Non,  dit  Monsieur  le  Grand,  car  vous  m'avez  gardé 
le  secret,  je  l'avoue,  et  mesme  vous  m'avez  voulu  détourner  de  ce  des- 
sein, et  je  vous  l'avois  promis  en  vous  conjurant  de  ne  me  dénoncer 
pas.  Lors  M.  de  Thou  dit  :  Il  est  tout  vray,  Messieurs,  comme  a  dit 
Monsieur  le  Grand,  que  j'ay  manqué  en  ne  révélant  pas  une  chose 
de  cette  importance,  que  je  croyois  avoir  rompue;  et  quand  je  l'efisse 
révélée,  Monsieur,  frère  du  Roy,  l'eust  désavouée,  M.  de  Bouillon  de 
mesme,  et  Monsieur  le  Grand  aussy,  si  bien  que,  faute  de  le  pouvoir 
prouver,  j'eusse  passé  pour  un  délateur  faux,  et  j'estois  deshonoré 
pour  toute  ma  vie,  que  je  n'estime  rien  au  respect  de  mon  honneur. 
Et  s'apercevant  que  Monsieur  le  Procureur  du  Roy  prenoit  ses  con- 
clusions sur-le-champ,  il  se  douta  bien  ce  que  cela  vouloit  dire,  veû 
cette  voye  si  extraordinaire.  Alors,  d'une  contenance  admirable,  il  dit 
à  Monsieur  le  Chancelier  :  Monsieur,  voulez-vous  quelqu'autre  chose 
de  moy.  Pourquoy  ?  dit  Monsieur  le  Chancelier.  Pai'ce,  respliqua- 
t-il,  que  je  voy  bien  où  tout  cela  va.  Je  vous  demande  une  chambre 
en  mon  particulier.  Ce  qui  luy  fut  accordé,  et  bientost  après  fut 
rappelé  avec  Monsieur  le  Grand,  et  leur  fut  leù  leur  arrest  de  mort, 
sur  le  sujet  duquel  un  des  juges  (dont  il  n'avoit  pas  sujet  de  se 
louer)  luy  faisant  exhortation  pour  le  résoudre,  sans  l'escouter  et 
avec  grand  desdain  de  ce  qu'il  luy  disoit,  il  appella  le  prevost  de 
Lyon,  qu'il  connoissoit,  luy  disant  :  M.  Thomé,  que  je  vous  entre- 
tienne ;  et  s'estant  approché  de  luy,  dit  :  Vous  allez  perdre  un  bon 
amy,  qui  pouvoit  mieux  défendre  sa  vie  en  chicanant;  mais  j'ay 
jugé  qu'au  temps  où  nous  sommes,  on  ne  pardone  point  à  des  per- 
sones  hayes  comme  moy,  à  qui  les  tourmens  d'une  question  pouvoient 
estre  donez,  et  après  une  prison  perpetuele,  où  je  me  suis  tellement 
ennuyé,  que  la  mort  m'est  plus  douce  que  de  retomber  entre  les 
mains  de  mon  exempt,  qui  m'a  traité  en  barbare,  ce  que  je  ne  pouvois 
plus  suporter  ;  je  pouvois  mourir  ou  dans  les  tourmens  ou  dans  la 
prison,  moins  préparé  pour  le  ciel  que  je  ne  suis,  je  ne  veux  pas 
perdre  une  si  bonne  ocasion  :  la  plus  grande  peine  est  à  s'y  résoudre, 
cela  est  desjà  fait.  Ma  mort  ne  doit  point  aporter  de  tache  à  ma  race, 
n'y  ayant  rien  de  noir  dans  mon  crime  ;  joint  que  le  paradis  est 
préférable  à  tout  cela.  Je  vous  suplie  de  dire  à  M.  le  cardinal  de 
Lyon  que  j'ay  vescu  et  meurs  son  très  humble  serviteur,  et  que  je  le 
prie  de  demander  pardon  à  Monsieur  le  Cardinal  pour  moy,  non 
pas  pour  avoir  hay  sa  persone,  j'en  prens  Dieu  à  tesmoin,  mais 
pour  la  hayne  que  j'ay  eu  contre  son  gouvernement.  Je  ne  me  suis 


112  LES    HISTORIETTES. 

i)  jamais  tant  aymé  que  j'ay  honoré  le  Roy  et  chéri  la  conservation  de 
l'Estat,  n'ayant  jamais  esté  Espagnol.  Asscurez  aussy  Monsieur  lo 
Chancelier  que  je  meurs  son  très  humble  serviteur,  bien  marry  qu'on 
>  me  puisse  reprocher  qu'estant  venu  d'un  nom  qui  a  si  bien  et  si  fide- 
I)  lement  servy  tant  de  roys,  j'ay  failly  à  révéler  un  secret  important; 
j'en  ay  dit  mes  raisons  à  mes  juges.  Là-dessus  arriva  le  sieur  Roy, 
maistre  d'hostel  de  M"*  de  Pontac,  qu'il  embrassa,  et  luy  dit  de  dire 
à  sa  sœur  qu'il  luy  demandoit  des  prières  et  point  de  larmes,  qu'il 
l'assurast  qu'il  mouroit  en  bone  dévotion,  qu'il  donoit  son  ame  à 
Dieu  et  son  corps  à  elle,  dont  elle  a  eu  tous  les  soins  imaginables  et 
avec  fruit.  Il  prioit  le  mesme  de  faire  ses  recommandations  à  Mon- 
sieur son  frère,  à  M.  de  Thoulon,  à  M.  de  Pontac,  et  surtout  à  ses  pe- 
tits neveux,  qu'il  les  prie  de  prier  Dieu  pour  luy.  Cela  fait,  demanda 
du  papier  et  une  escritoire,  et  escrivit  deux  lettres  de  grand  sens, 
une  à  M.  du  Puys,  dont  il  chargea  M.  Thomé  ;  l'autre  à  une  dame, 
sans  qu'il  y  cust  de  suscription,  dont  il  chargea  son  confesseur,  luy 
en  disant  le  nom,  avec  promesse  qu'il  tira  de  luy  de  ne  la  nommer  à 
persone.  L'heure  se  présente  pour  aller  à  la  mort,  on  les  rassemble. 
Monsieur  le  Grand  et  luy,  ils  s'embrassent.  Monsieur  le  Grand  de- 
manda pardon  ;\  M.  de  Thon.  M.  de  Thou  luy  pardone  et  l'em- 
brasse, et  sont  mis  tous  deux  dans  le  derrière  d'un  caresse,  sans 
estre  atachez  ny  liez,  seuls  avec  leurs  confesseurs;  et  ne  virent  leur 
boureau  que  sur  l'cchafaut,  lequel  abordant,  M.  de  Thou  dit  à  Mon- 
sieur le  Grand  :  Mon  maistre,  voicy  la  séparation  de  nos  corps  et  l'u- 
nion de  nos  âmes  ;  mais  prenons  cecy  doucement  :  ne  vous  souvenez, 
plus  que  vous  estes  grand  ,  l'admiration  de  tous  ceux  qui  vous 
voyoient,  l'espoir  de  ceux  qui  pouvoient  vous  aprocher,  jeune  avec 
tous  les  avantages  imaginables,  que  pour  mépriser  tout  cela  comme 
passager  et  périssable,  en  considérant  le  paradis  qui  est  éternel.  Et 
dit  pour  lors  :  Lœtatiis  sum  in  las  quse  dicta  sunt  mihi,  in  domtim 
Domini  ibimus;  demande  où  il  avoit  plus  d'horreur  de  mourir  le  pre- 
mier ou  le  dernier  :  on  luy  dit  que  le  dernier  souffroit  davantage;  lors 
il  embrasse  Monsieur  le  Grand  :  Allez,  mon  maistre,  l'honneur  vous 
apartient,  et  faites  voir  que  vous  sçavez  bien  mourir.  Ce  qui  fut  exé- 
cuté avec  grande  constance.  Cela  fait,  on  mit  le  corps  à  costé  du  po- 
teau sur  l'eschafaut,  M.  de  Thou  monte  tout  seul  dessus,  voit  \c 
poteau  tout  sanglant,  le  corps  mort  à  son  costé:  tous  ces  objets  jus- 
que-là ne  l'cfrayent  point,  il  prie  le  peuple  assemblé  de  prier  Dieu 
pour  luy,  et  dit  un  pseaume  de  David  :  Credidi  propter,  etc.,  etc.;  et 
se  tournant  devers  le  boureau,  luy  baise  la  main  qui  le  devoit  tuer, 
l'embrasse,  luy  pardone  et  le  prie  de  le  bander  ;  le  boureau  luy  dit 
Je  n'ay  rien  pour  ce  faire;  lors  M.  de  Thou  se  tourne  vers  la  com- 
pagnie, disant  :  Je  suis  homme,  je  crains  la  mort,  ces  objets  (mons- 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  113 

»  trant  le  corps  de  Monsieur  le  Grand,  sur  lequel  il  avoit  mis  son 
»  chapeau)  me  font  mal  au  cœur,  je  demande  par  aumosne  de  quoy 
1)  me  bander  les  yeux.  Pour  lors,  luy  fut  tiré  deux  mouchoirs,  dont 
»  l'un  tombant  entre  ses  mains,  il  dit  :  Dieu  vous  le  rende  en  paradis! 
»  et  s'en  fit  bander.  Pour  ce  qui  s'est  passé  entre  luy  et  son  confes- 
»  seur,  il  sera  rédigé  par  escrit  par  luy-mesme  ;  il  le  pria  de  voir  sa 
»  sœur  et  la  consoler,  et  embrasser  le  gentilhomme  qui  estoit  avec 
»  elle,  qu'il  remercia  de  tout  son  cœur.  Cecy  bien  considéré,  où  il  y  a 
n  plustost  de  l'omission  que  de  l'augmentation,  il  y  a  grand  sujet  de 
»  consolation,  que  si  on  n'a  plus  cet  amy  en  terre,  on  l'a  pour,  saint 
»  dans  le  ciel.  Vous  sçavez  que  le  jugement  fut  si  précipité,  que  le  Pro- 
»  cureur  du  Roy  de  la  Commission  prist  ses  conclusions  ^'debout  au 
»  bout  de  la  table,  et  fut  l'arrest  fait  en  aussy  grande  précipitation, 

»  M"*  de  Pontac,  la  veille  de  l'arrest,  demanda  à  Monsieur  le  Chan- 
»  celier  qu'on  donast  conseil  à  M.  de  Thou,  ce  qui  luy  fut  refusé.  » 


LXV.  —  P.  70 ,  note  2 ,  lig.  dernière. 
Jinf  l'avoit  charcuté  à  bon  escient. 

Jacques  Juif,  fameux  médecin,  mourut  en  1658,  et  des  Réaux  sur  la 
fin  de  son  manuscrit  le  désignera  «  feu  Juif.  »  Mais  j'ai  trouvé  qu'en 
1650,  il  faisoit  encore  baptiser  un  enfant.  On  se  souvient  des  vers  de 
Voiture  : 

J'ay  receu  deux  coups  de  cizeau 
Dans  un  lieu  bien  loin  du  museau, 

Landerirette  ; 
Je  m'en  porte  mieux,  Dieu  merci  ! 

Landeriri. 

J'en  mettrois  encore  plus  de  six  *,  Couplets. 

Mais  je  ne  puis  plus  estre  assis, 

Landerirette; 
Je  m'en  vas  trouver  monsieur  Juls, 

Landeriri. 

LXVI.  —  P.  71,  lign.  26. 

//  ne  faut  que  dire  combien  Treville  luy  causa  de  mauvaises  heures. 

Henry  Joseph  de  Peyre,  comte  de  Troisville,  dont  les  curieux  con- 
servent d'agréables  lettres,  mourut  dans  un  âge  très-avancé,  sur  la 
fin  du  XVII*  siècle.  «  Un  pauvre  gentilhomme  de  notre  voisinage  s'en 
»  estoit  allé  à  Paris  avec  une  petite  malle  sur  le  dos,  et  il  avoit  fait 
»  une  si  grande  fortune  à  la  Cour  que  s'il  eust  esté  aussy  souple  qu'il 
u.  8 


114  LES    HISTOIUETTKS. 

»  avoit  de  courage,  il  n'y  eust  eu  rien  h  quoy  il  n'eust  pu  aspirer.  Le 
»  Roy  luy  avoit  donné  sa  compagnie  de  Mousquetaires,  qui  estoit 
«  unique  en  ce  temps-là.  Ce  gentilhomme  s'appeloit  Troisville,  vulgai- 
»  rement  appelé  Treville^  et  a  eu  deux  enfans,  etc.  »  (Sandras  des 
Courtilz,  roman  des  Mémoires  d'Artagnan.) 

Les  personnes  qui  aiment  à  prendre  une  idée  fausse  des  hommes  et 
des  usages  anciens  trouveront  de  grands  détails  sur  Trévilie  dans  ces 
Mémoires  d'Artagnan,  ou  bien  mieux  encore  dans  les  Trois  Mousque- 
taires d'un  de  nos  illustres  contemporains.  —  Trévilie  ne  fut  renvoyé 
que  trois  jours  avant  la  mort  du  Cardinal;  il  se  retira  à  Montierender 
en  Champagne,  dont  un  de  ses  parens,  son  fils  peut-être,  etoit  abbé 
commendataire  ;  mais  sans  doute  il  revint  bientôt  à  Paris. 

LXVIL  —  P.  74,  lig.  17. 

Le  Roy...  l'ayant  trouvé  fort  mat.,  en  sortit  fort  gay. 

Cela,  de  la  part  de  Louis  XIII,  n'est  pas  tout  à  fait  invraisemblable  ; 
mais  peut-être  prenoit-on  chez  luy  pour  un  signe  de  gaîté  une  sorte  de 
crise  nerveuse  dont  la  cause  etoit  toute  différente.  Un  contem- 
porain, malveillant  il  est  vrai,  raconte  quelque  chose  d'approchant: 
«Mardy  (2  décembre,  avant-veille  de  sa  mort)  le  Roy  vint  le  voir... 
»  et  luy  tesmoignant  plus  de  tendresse  qu'il  n'en  avoit,  luy  fit  prendre 
»  luy-mesme  deux  jaunes  d'œuf.  Après  qu'il  fut  sorty  de  sa  chambre, 
»  il  entra  dans  sa  galerie,  et  l'on  remarqua  qu'en  se  promenant  et 
»  remarquant  les  tableaux  qui  y  estoient,  il  n'avoit  pu  s'empescher  de 
»  rire  plusieurs  fois.  »  {Récit  de  ce  qui  se  passa  un  peu  avant  ta  mort 
du  Cardinal,  dans  les  Mémoires  de  Mo7Uresor,  tom.  ii,  p.  174.) 

Quant  aux  sentimens  de  pieuse  confiance  du  Cardinal,  à  cette 
heure  suprême,  l'archevêque  de  Toulouse  Montchal  les  confirme  : 
«Le  Père  Léon,  Carme  reformé  qui  l'exhortoit,  et,  encore  après, 
»  son  curé  qui  luy  portoitle  Saint-Sacrement  le  sollicitant  à  pardonner 
»  à  ses  ennemis,  il  fit  response  qu'il  n'en  avoit  point  que  ceux  de  l'Estat  ; 
»  continuant,  jusqu'au  dernier  soupir,  la  méthode  qu'il  avoit  tenue 
))  contre  ceux  qu'il  haïssoit,  de  les  faire  passer  pour  criminels  de  leze- 
»  majesté.  En  tous  ses  discours,  il  tesmoigna  si  peu  de  repentance 
»  de  ses  fautes,  que  l'evesque  de  Lizieux,  qui  s'estoit  tousjours  con- 
»  serve  une  grande  liberté  auprès  de  luy,  s'estant  présenté  pour  l'exhor- 
»  ter  en  sa  dernière  heure,  et  ayant  appris  la  grande  asseurance  qu'il 
»  tesmoignoit,  dit  à  ses  amis  :  Profectà,  nimium  me  terret  magna  illa 
»  securitas.  »  {Mémoires,  éd.  de  1718,  t.  ii,  p.  268.) 

On  a  vu  plus  haut,  dans  l'Historiette ,  que  vers  les  derniers  temps 
de  sa  vie,  le  Cardinal  etoit  devenu  beaucoup  plus  rigide  sur  les  points 


LE    CARDINAL    DE    RICHELIEU.  115 

de  morale  religieuse,  et  que,  sans  doute,  il  s'etoit  préparé  longtemps  à 
l'avance  à  la  mort. 


LXVm.  —  P.  75,  note,  lig.  11. 

On  la  maria  à  un  assez  grand  homme  nommé  la  Vau. 

La  petite  Lavau  quitta  la  Cour  avec  son  mari  au  commencement  de 
1631,  à  peu  près  en  même  temps  que  M"'  du  Fargis,  et  pour  la  même 
cause.  La  Porte,  dont  ils  etoient  les  amis  particuliers ,  les  nomme 
M.  et  M"^  de  Lavau-Irlan.  Ils  se  retirèrent  au  Bourget,  ensuite  au  Pies- 
sis  de  Roye,  près  Compiegne  ;  puis,  sur  de  nouveaux  soupçons  on  les 
envoya  à  Poitiers,  «  où  M'"^  Lavau  mourut  de  la  peste,  et  eut  en  mou- 
»  rant  cet  avantage  que  laReyne  la  pleura  et  en  eust  un  extresme  re- 
»  gret.  Aussy  estoit-ce  une  personne  qui  valoit  beaucoup.  »  (La  Porte, 
Mémoires,  edit.  de  1755,  p.  59.) 

Pour  la  Naine  de  Mademoiselle,  elle  mourut  au  commencement  de 
février  1653.  Loret  nous  l'apprend  agréablement,  dans  la  Muse  histo- 
rique du  15  février  : 

Ces  jours  passez  vint  à  mourir 

Une  mignonne  incomparable 

Qui  passoit  pour  chose  admirable; 

Que  l'on  alloit  voir  tour  à  tour. 

Et  que  jadis  imesmei  à  la  Cour 

On  ne  voyoit  qu'avec  merveille. 

Quoique  ny  blanche  ny  vermeille: 

Personne  enfin  de  grand  renom. 

Etoit-ce  une  baronne?  non... 

C'etoit,  ô  fortune  cruelle  ! 

La  naine  de  Jlademoiselle, 

Dont  le  très-chetif  petit  corps 

Est  maintenant  au  rang  des  morts... 

Quand  une  puce  la  raordoit 

Et  qu'icelle  se  deffendoit, 

La  puce,  pour  finir  la  guerre, 

La  mettoit  aisément  par  terre. 

Et  la  moindre  haleine  du  vent 

La  faisoit  tomber  bien  souvent. 

Enfin  elle  etoit  si  petite 

(Quoiqu'aucunement  favorite) 

Que,  dans  un  petit  balancier 

De  cuivre,  d'airain  ou  d'acier. 

Etant  par  plaisir  un  jour  mise 

Avec  robe,  juppe  et  chemise. 

Et  de  plus  sa  coiffure  encor, 

Tout  ne  pesoit  qu'un  louis  d'or. 

Elle  mourut  vierge  et  pucelle, 

Car,  pour  apparier  icelle 

Dans  un  hymen  bien  assorty. 

Il  ne  se  trouva  nul  party, 


116  LES    HISTORIETTES. 


Que  Godenot  et  Jean  des  Vignes, 
Deux  marionnettes  insignes. 
Mais  par  des  signes  apparens 
On  trouva  qu'ils  etoient  parens. 
Or,  en  faveur  delà  Princesse 
Qui  fut  son  illustre  inaistresse, 
J'ay  fait  ce  huitain,  laid  ou  beau. 
Pour  estre  mis  sur  son  tombeau  : 

Dans  cette  fosse  souterraine 
Gist  une  naine  plus  que  naine. 
Mais  j'ay  tort  de  parler  ainsy. 
Elle  n'est  plus  gisante  Icy . 
Ce  tombeau  rien  d'elle  n'enserre. 
Car  deux  très-petits  vers  de  terre 
En  firent  un  maigre  repas, 
Le  propre  jour  de  son  trépas. 


On  a  vu  quelle  etoit  la  maison  de  Plessis-Richelieu  avant  le  Cardi- 
nal ;  disons  rapidement  ce  qu'ensuite  elle  est  devenue. 

La  postérité  directe  masculine  s'etrignit  dans  le  Cardinal  et  ses 
deux  frères.  Leur  sœur,  Françoise  du  Plessis-Richelieu,  eut  de  René  de 
Vignerot,  sieur  du  Pont  de  Courlay,  un  fils  et  une  fille  ;  celle-ci  la  cé- 
lèbre duchesse  d'Aiguillon. 

Le  fils,  François,  gouverneur  du  Havre  et  marquis  de  Pont  de  Cour- 
lay, eut  deux  enfans,  que  le  Cardinal  substitua  à  son  nom  et  à  ses 
armes. 

Le  second,  Jean-Baptiste  Amador,  fut  marquis  de  Richelieu,  et 
mourut  en  1C62.  Son  petit-fils,  duc  d'Aiguillon,  termina  cette  branche. 

L'aîné,  Armand-Jean,  duc  de  Richelieu  et  de  Fronsac,  fut  le  célèbre 
maréchal  de  Richelieu ,  le  fastueux  vainqueur  de  Mahon  ,  et  le  mau- 
vais génie  de  Louis  XV.  Il  mourut  le  8  août  1788,  et  son  noble  et 
loyal  petit-fils  Armand,  duc  de  Richelieu,  ministre  du  roi  Louis  XVIII, 
mourut  le  18  mai  1822  sans  laisser  de  postérité. 

Alors  les  enfans  de  sa  sœur,  Armande-Simplicie-Gabrielle  de  Riche- 
lieu ,  mariée  à  Antoine-Pierre-Joseph  de  Chapelle  marquis  de  Jumil- 
hac,  furent  substitués,  par  Ordonnance  royale,  au  nom  et  armes  de 
Richelieu. 

C'est  ainsi  que  M.  le  duc  de  Richelieu  d'aujourd'hui  est,  de  son  nom, 
Armand-François-Odet  de  Chapelle,  marquis  de  Jumilhac.  Il  n'a  pas 
cinquante  ans. 


LXXI. 

LE    MARESGHAL    DE   MARILLAC. 

{Louis   de  Marillac ,   né   en  juillet    1572,    décapité  10    mai    1632.) 

Le  mareschal  de  Marillac  estoit  filz  d'un  advocat. 
En  ce  temps-là  véritablement  les  advocats  estoient 
plus  considérez  qu'à  cette  heure ,  à  cause  que  la 
paulette  n' estoit  pas  encore  establie,  et  qu'on  pre- 
noit  de  leur  corps  les  Présidens  et  les  Gardes  des 
sceaux.  On  disoit  que  Marillac  estoit  gentilhomme, 
mais  c'estoit  un  gentilhomme  duhiœ  nohilitatis.  Cet 
homme ,  dans  le  dessein  de  se  pousser  à  la  Cour, 
prit  l'espée  :  il  estoit  grand  et  bien  fait,  robuste  et 
adroit  à  toutes  sortes  d'exercices.  Il  se  mesle  parmy 
les  grands  seigneurs;  et  comme  il  avoit  de  l'esprit 
et  du  sens,  il  s'avisa  de  demander  en  mariage  une 
fille  de  la  Reyne-mere,  qui  estoit  Medicis  *,  mais  ^mone  u  slpt^ïéîl!' 
d'une  branche  si  esloignée  que  la  Reyne  ne  la  re- 
connoissoit  en  aucune  façon  pour  sa  parente.  Ce 
nom  de  Medicis  ne  fut  point  inutile  à  Marillac  :  il  le 
fit  valoir  comme  il  avoit  prétendu.  C'estoit  luy  qui 
estoit  tousjours  despesché  pour  les  affaires  de  la 


118  LES    HISTORIETTES. 

Reyne-mere  ;  et  comme  il  s'acquittoit  bien  de  toutes 
ses  commissions,  insensiblement  il  se  rendit  consi- 
dérable. M.  de  Luçon  crut  que  cet  homme  ne  luy 
seroit  pas  inutile  ;  les  voylà  unis.  Dans  les  guerres 
d'Italie,  Marillac  demande  de  Temploy;  il  en  a,  et 
hors  de  payer  de  sa  personne,  il  faisoit  tout  admira- 
blement bien.  ^^On  croit  qu'il  eust  pu  devenir  grand 
capitaine,  car  il  y  en  a  eu  qui  ont  fait  bien  du  bruit 
sans  aller  aux  coups.  Il  est  vray  qu'en  France  cela 
est  plus  difficile  qu'en  Espagne  et  qu'en  Italie.  On 
disoit  qu'à  Rouen,  ayant  pris  querelle  à  la  paulme 
avec  un  nommé  Caboche,  et  ayant  esté  séparez,  il 
le  rencontra  après,  et  le  tua  avant  que  l'autre  eust 
eu  le  loisir  de  mettre  l'espée  à  la  main.  C'estoit  de- 
vant qu'il  eust  de  l'employ.  Il  prétendit  estre  ma- 
reschal  de  France  et  le  fut*,  et  son  frère  aisné,  qui 
estoit  de  robe,  garde  des  Sceaux.  Depuis,  ils  cabal- 
lerent  pour  débusquer  le  Cardinal ,  et  Yaultier  crai- 
gnoit  qu'ils  eussent  toute  l'autorité  chez  la  Reyne. 
Le  Cardinal,  qui  dans  son  Journal  appelle  tousjours 
ce  mareschal  Marillac  l'Espée,  le  fit  arrester,  et  le 
fit  condamner  fort  légèrement.  Comme  ce  mares- 
chal n'estoit  pas  un  sot,  il  déclina,  et  ne   vouloit 
point  reconnoistre  des  commissaires.  Enfin  on  l'en- 
geolla,  et  ses  propres  parens  y  servirent  innocem- 
ment. On  luy  fit  accroire  qu'il  ne  pouvoit  courir 
risque  de  la  vie;  mais  que  s'il  ne  reconnoissoit  ses 
juges,  il  seroit  prisonnier  pour  le  reste  de  ses  jours. 
Il  les  reconnut,  et  eut  le  cou  coupé.  Il  faut  dire,  à 
la  louange  d'un  M.  Frotté,  son  secrétaire,  que  le 


LB    MARKSCHAL    DE    MARILLAC.  119 

Cardinal  fit  tout  ce  qu'il  put  au  monde  pour  le  gai- 
gner,  mais  il  n'en  put  venir  à  bout  '. 

*  M.  de  Chasteauneuf  presidoit  à  ce  jugement  *.  Il  n'estoit  pas  trop  yoy.  tom.  r,  p.  «7. 
bien  avec  le  Cardinal,  il  s'y  remii  bien  par  ce  bel  arrest.  On  dit  que 
le  Cardinal  dit,  comme  si  cela  l'eust  lavé  en  quelque  sorte  :  «  Je  ne 
»  croyois  pas  qu'il  y  eust  de  quoy  faire  mourir  M.  de  Marillac  ;  mais 
a  Dieu  donne  des  connoissances  aux  juges  qu'il  ne  donne  pas  aux 
')  autres  hommes.  Il  faut  croire  qu'il  estoit  coupable,  puisque  ces 
»  messieurs  l'ont  condamné.  » 


COMMENTAIRE. 

I.  —  P.  118,  lig.  10. 
On  disait  qu'à  Rouen,  ayant  pris  querelle  avec  un  nommé  Caboche... 

C'etoit  sous  Henry  IV.  Dans  un  pamphlet  de  1631 ,  soufflé  par  le 
Cardinal,  on  fait  dire  à  Henry  IV  par  Villeroy  :  «  Vostre  Majesté 
»  sçaitbien  qu'elle  n'en  avoit  jamais  fait  d'estat,  depuis  le  faitdeCabo- 
»  che  ;  et  qu'une  fois  disnant  chez  Bastien  »  (Sebastien  Zaraet),  n  disant 
»  à  tout  plein  de  seigneurs  :  Disnons,  mes  cnfans,  mettez-vous  à  table 
»  avec  moy,  il  s'y  voulut  mettre  avec  les  auti'es,  et  vous  le  fistes  lever, 
»  disant  que  par  vos  enfans  vous  n'entendiez  pas  ceux  de  sa  sorte.  » 
{Les  Entretiens  des  Cltamps-Elysées,  in-8°,  1631,  p.  /j8.) 

II. —  P.  118,  lig.  16. 

Son  frère  aisné  qui  estoit  de  robe. 

Michel  Marillac,  ou  de  Marillac,  seigneur  de  Fayet  et  de  Ferrieres, 
né  le  9  octobre  1563  à  Paris,  conseiller  au  parlement  en  1586,  maître 
des  Requêtes  en  1595,  surintendant  dos  Finances  en  1624,  et  garde  des 
Sceaux  du  l*'  juin  1626  au  12  novembre  1630,  lendemain  de  la  Jour- 
née des  dupes.  Conduit  au  château  de  Caen,  puis  transféré  dans  celui 
de  Châteaudun,  il  y  mourut  le  7  août  1632.  C'est  dans  ces  jours  de  cap- 
tivité qu'il  refit  la  belle  traduction  de  Y  Imitation  de  Jésus-Christ .,  pu- 
bliée dix  années  auparavant,  et  dont  M.  Silvestre  de  Sacy  vient  de 
donner  une  nouvelle  et  charmante  édition.  Michel  de  Marillac  avoit 
toujours  montré  des  sentimens  de  piété  sincère  ;  son  corps  fut  déposé 
dans  une  chapelle  de  l'église  des  Carmélites  ,  au  faubourg  Saint-Jac- 
ques. Il  avoit  établi  ces  religieuses  en  France. 


120  LES    HISTORIETTES. 


m.  —  p.  119,  fin. 

Les  recueils  manuscrits  conservent  un  sonnet  sur  la  mort  du  maré- 
chal de  Marillac  : 

Non,  l'infanie  cousteau  ne  trancha  point  la  gloire 
Ny  l'honneur  que  s'acquit  par  ses  braves  exploits , 
Au  milieu  des  combats  et  par  mainte  victoire  , 
Ce  vaillant  niareschal,tres-lidele  à  ses  roys. 

Son  innocente  mort  fait  vivre  sa  mémoire. 
Puisqu'il  meurt  condamné  contre  toutes  les  loix, 
Et  que  ceux  qui  verront  sa  véritable  histoire 
Liront  avec  sa  fin  cette  commune  voix. 

O  spectacle  !  ô  fureur  !  le  chef  de  la  justice, 

Un  demi-prestre  fut  le  chef  de  l'injustice. 

Ses  juges  ennemis,  sans  pouvoir,  sans  serment! 

Un  prestre  de  son  sanjî  vit  sa  rage  assouvie. 
Un  juste  roy  permit  l'injuste  jugement, 
Treize  infâmes  bourreaux  luy  estèrent  la  vie. 

Les  Marillac  venoient  d'Aigueperse  en  Auvergne,  et  appartenoient  à 
la  haute  bourgeoisie  ou  petite  noblesse  de  la  province.  Leur  bisaïeul, 
suivant  le  Père  Anselme,  etoit,  sur  la  fin  du  xv*  siècle,  capitaine  du 
château  de  Lastic,  dans  la  baronnie  de  Mercoeur.  Leur  oncle ,  Charles 
de  Marillac,  mourut ,  en  1557,  archevêque  de  Vienne;  et  leur  père, 
Guillaume  de  Marillac,  etoit  mort  en  j573,  contrôleur  général  des  Fi- 
nances. Il  eut  de  sa  première  femme,  Marie  Aligret,  le  garde  des  sceaux 
Michel,  et  de  Geneviève  de  Boislevesque,  sa  seconde  femme,  le  Maré- 
chal et  Valence  de  Marillac,  femme  d'Octavicn  Doni,  seigneur  d'Attichy, 
la  mère  de  la  célèbre  comtesse  de  Maure. 

Le  Maréchal  n'a  pas  eu  d'enfans  ;  le  Chancelier  laissa  Octavien, 
nommé  à  l'evèché  de  Saint-Malo,  mort  en  1631;  René,  maître  des 
Requêtes,  mort  devant  Montauban  le  29  septembre  1631,  et  Louise,  ma- 
riée à  ce  M.  le  Gras,  secrétaire  de  Marie  de  Medicis,  dont  des  Réaux 
parlera  quelquefois. 

La  postérité  de  René  s'est  éteinte  dans  les  enfans  de  son  petit-fils 
René,  seigneur  d'Ollainville,  d'Attichy,  etc.,  intendant  et  conseiller 
d'Etat,  mort  le  15  septembre  1719.  {Voy.  J.-B.  Bouillet  ;  Nobiliaire 
d'Auvergne,  tom.  iv,  p.  44.  ) 


LXXII. 


MADAME    DU    FARGIS. 

Magdeleine  de  Sitlij,  fille  d'Antoine  de  Silly,  comte  de  Hochepot,  et  de 
Marie  de  Launoij,  dame  de  Cotnmercij,  mariée  à  Charles  d'Angennes, 
comte  du  Fargis;  morte  en  1639.) 

M™*  du  Fargis  estoit  fille  d'un  M.  de  la  Roche- 
pot,  qui  estoit  venu  de  ce  M.  de  Silly  qui  avoit 
espousé  l'heritiere  de  la  Roche-Guyon.  Elle  avoit 
une  sœur  aisnée  qui  fut  mariée  au  général  des  Ga- 
lères, aujourd'huy  le  père  de  Gondy.  Pour  elle,  son 
père  s' estant  remarié  avec  la  marquise  de  Roisy, 
mère  du  marquis  de  Boisy  père  du  duc  de  Rouan- 
nez',  elle  fit  bien  des  galanteries  avec  ce  jeune 
homme,  qui  estoit  dans  le  mesme  logis  qu'elle.  Gela 
fit  bien  du  bruit,  et  on  fut  contraint  de  la  mettre  chez 
M"""  de  Saint-Paul",  où  elle  ne  fut  pas  plus  sage.  En 
ce  temps- là,  il  luy  vint  une  fantaisie  d'estre  aimée  du 
comte  de  Gramail*;  et  elle  disoit  à  ceux  qui  la  vou-  Histoneue  ^omt  i, 
loient  cageoller  :  «  Attendez  à  une  autre  fois  ;  à  cette 
»  heure  je  n'ay  que  le  comte  de  Cramail  en  teste.  » 

*  Ce  duc  de  Rouannez  suivit  la  Reyne-mere.  Son  filz  est  celuy  qui 
s'est  retiré  et  a  marié  sa  sœur  à  la  Feuillade. 
'  De  la  maison  de  Caumont. 


122  LES    HISTORIETTES. 

M.  de  Crequy  ne  laissa  pas  de  luy  en  conter  ;  il  eut  un 
rendez-vous  d'elle  à  Amiens,  lorsque  la  Cour  y  estoit. 
Il  y  alla  desguisé  :  M.  de  Chaudebonne  estoit  avec 
luy.  Cramail  eut  aussy  un  rendez-vous  de  mesme  ;  et 
cela  fit  un  si  grand  esclat  que  M"""  de  Saint-Paul  ne 
la  voulut  plus  souffrir,  et  le  Général  des  galères  fut 
contraint  de  la  retirer.   On  croira  peut-estre  que 
c' estoit  une  fort  belle  personne  ;  non  :  elle  estoit 
marquée  de  petite-verole  ;  mais  elle  estoit  fort  agréa- 
ble, vive,    pleine  d'esprit  et  la  plus  galante  per- 
sonne du  monde.    Elle   s'ennuya  bientost  chez  sa 
sœur  qui  estoit  une  dévote,  et  comme  ils  estoient  à 
Montmirail  en  Champagne ,  un  beau  jour  elle  s'en 
Nqnnauis'diScèsëdê  ^Ua  au  Charmc  *  !  c'est  un  prieuré  de  Dames,  depen- 
soissons.  ^^^^  ^g  Fontevrault.  Elle  dit  qu'elle  vouloit  estre 

religieuse.  Elle  n'y  fut  pas  long-temps  qu'elle  de- 
manda à  aller  aux  Carmélites  du  faubourg  Saint- 
Jacques,  parce  que  les  Carmélites  sont  lez-Paris.  Le 
Cardinal  a  mis  dans  son  Journal  que  ce  fut  par 
desespoir  du  grand  scandale  arrivé  à  Amiens  qu'elle 
s'estoit  jettée  dans  les  Carmélites.  Ce  fut  I;\  qu'elle 
fit  connoissance  avec  le  cardinal  de  Berulle  qui 
estoit  directeur  des  Carmélites.  Toutes  les  religieuses 
Dirent  au  Cardinal,  hiy  cu  dirciit *  dcs  merveiUcs  ",  car  comme  elleavoit 
l'esprit  fort  adroit ,  et  que  ces  filles ,  qui ,  à  tout 
prendre,  sont  les  plus  habiles  et  les  plus  esclairées 
de  toutes  les  religieuses,  peuvent  mieux  voir  les 
dons  qu'a  une  personne,  elle  passa  là-dedans  pour 
tout  ce  qu'elle  voulut  :  on  la  croyoit  une  sainte. 
M*""  de  Rambouillet  y  fut  attrappée  comme  les  autres. 


MADAME    DU    FARGIS.  123 

Elle  dit  qu'un  jour  la  Reyne-mere  y  estoit  allée  ; 
quand  la  Reyne  sortit ,  tous  les  seigneurs  de  la  Cour 
se  présentèrent  à  la  porte.  M""^  de  Rambouillet  eut 
peur  que  la  veûe  du  comte  de  Cramail  qui  y  estoit  ne 
destournast  cette  fille  du  bon  chemin,  et  elle  dit: 
«  Ah  !  mon  Dieu,  qu'il  fait  froid  !  »  et  en  disant  cela, 
elle  baissa  le  voile  de  M"'  de  la  Rochepot. 

Il  y  avoit  trois  ans  qu'elle  estoit  Carmélite,  quand 
son  père  vint  à  mourir.  Elle  estoit  seule  héritière  avec 
la  Générale  des  galères;  cela  luy  fit  quitter  le  cou- 
vent. Elle  n' avoit  point  fait  les  vœux,  disant  tous- 
jours  qu'elle  ne  se  trouvoit  pas  encore  en  assez  bon 
estât.  Elle  sort  sous  prétexte  de  n'avoir  pas  assez  de 
santé  pour  observer  la  règle.  M.  du  Fargis  d'An- 
gennes,  cousin-germain  du  marquis  de  Rambouillet, 
homme  de  cœur,  d'esprit  et  de  sçavoir  mesme,  mais 
d'une  légèreté  estrange,  l'espouse.  Il  va  en  ambas- 
sade en  Espagne,  elle  l'y  suit  ;  M.  de  Rambouillet  y 
alla  un  peu  après  ambassadeur  extraordinaire.  Au 
retour,  le  cardinal  de  Rerulle  et  les  Marillac  en  parlent 
au  Cardinal  qui,  sur  sa  bonne  réputation,  la  fait  dame 
d'atour  de  la  Reyne.  M°''  d'Aiguillon  luy  servit  ex- 
tresmement  à  gaigner  des  procez  qu'elle  avoit.  Elle 
recommence  ses  galanteries  avec  le  comte  de  Cra- 
mail; elle  se  mesle  de  toutes  sortes  d'intrigues.  11  y  a 
dans  le  Journal  que  le  président  le  Bailleul  *  la  trouva  ^''^ort  eà^ess 'Ih"' * 
une  fois  sur  un  lict  qui  estoit  contre  terre,  n'ayant 
qu'un  drap  sur  elle,  et  Beringhen,  aujourd'huy  Mon- 
sieur le  Premier  *,  enfermé  avec  elle.  Il  estoit  de  la  ^^iî^f^^^ie*?^  '" 
cabale  de  Vaultier  et  elle  aussy.  Son  plus  grand  crime 


124  LES    HISTORIETTES. 

fut  que  le  Cardinal  crut  qu'elle  l'avoit  mal  servy  au- 
près de  la  Reyne  dans  son  amourette,  et  quand  il  la 
chassa,  il  publia  des  lettres,  qui  sont  imprimées, 
d'elle  au  comte  de  Cramail.  Il  y  a  plus  d'intrigue  que 
d'amour  dans  ces  lettres,  mais  il  y  en  a  pourtant  hon- 
nestement,  comme  :  Aimez  qui  vous  adore  ;  et  elles 
estoient  dattées,  au  moins  l'une,  du  jour  de  la  Pen- 
tecoste.  M"'"  de  Rambouillet  a  veià  les  originaux  '. 

Enfin,  quand  elle  fut  hors  de  France,  le  Cardinal 
luy  fit  couper  le  col  en  effigie.  M.  du  Fargis  estoit  à 
Monsieur,  et  le  suivit'. 

*  Il  (le  Cardinal)  fit  faire  par  Chastellet,  le  maistre  des  Requestes, 
une  prose  riniée  latine  contre  elle  et  le  Garde  des  sceaux  de  Marillac. 
Il  y  avoit  en  un  endroit  : 

Fargia,  die  inihi,  sodés, 
Qiiantas  commisisti  sordes 
Inter  Primas  atque  I.aiides; 
Quando  spnex,  vultii  gravi, 
Caudâ  imilceliat  suavi . 

car  il  y  avoit  tousjours  une  ombre  de  di'votion.  —  J'ay  ouy  dire  une 
plaisante  vision  de  ce  garde  des  Sceaux  de  Marillac.  Pour  mortifier 
des  religieuses,  il  leur  fit  faire  des  contrcfeux  de  cheminée  où  il  y 
avoit  de  gros  K  entrelassez,  afin  que  le  feu  les  ayant  rougis,  cela  leur 
donnast  des  pensées  lubriques  et  qu'elles  eussent  plus  de  mérite  à  y 
résister.  Le  marchand  qui  les  fit  faire  l'a  dit  à  un  de  mes  amys. 

2  M"^  de  Rambouillet  dit  que  M""*  du  Fargis  devoit  estre  la  mère  du 
Coadjuteur. 

COMMENTAIRE. 

I.  —  P.  121,  lig.  3. 

Elle  avoit  une  sœur  nisnée,  qui  fut  mariée  au  général  des  Galères,  au- 
jourd'hmj  le  père  de  Gondy. 

Françoise  Marguerite  de  Silly,  morte  en  1626,  à  quarante-deux  ans, 


MADAME    DU    FARGIS.  125 

après  avoir  fondé  l'ordre  des  Pères  de  la  Mission.  Elle  avoit  épousé 
Philippe-Emmanuel  de  Gondj',  comte  de  Joigny  et  baron  de  Montmi- 
rel  ou  Montmirail ,  mort  le  29  juin  1662,  après  avoir  été  général  des 
Galères ,  puis  prêtre  de  l'Oratoire.  Ce  M.  de  Gondy  fut ,  comme  on 
sait,  le  père  du  célèbre  cardinal  de  Retz,  dont  M°"  du  Fargis  etoitpar 
conséquent  la  tante.  Quand  M"'  de  Rambouillet  disoit  agréablement 
que  M"^  du  Fargis  devoit  être  la  mère  du  Coadjuteur,  elle  rappeloit  les 
rapports  d'esprit  et  de  turbulence  bien  plus  frappans  de  la  tante  au 
neveu,  que  du  fils  à  la  vertueuse  Marguerite  de  Silly. 

II.  —  P.  121,  lig.  5. 

Son  père  s'estant  remarié  avec  la  marquise  de  Boîsy. 

Dans  le  calcul  de  la  maison  de  GoufiBer,  des  Réaux  va  confondre  un 
peu  les  titres. 

Jeanne  de  Cessé  avoit  épousé  1°  Gilbert  GoufiSer,  duc  de  Roannois  et 
marquis  de  Boisy,  mort  en  1582  ;  2°  Antoine  de  Silly,  comte  de  la  Ro- 
chepot ,  père  de  notre  M"'  du  Fargis.  Du  premier  lit  Jeanne  eut  Louis 
GoufBer,  duc  de  Roannois,  mort  en  1642. 

Le  fils  de  Louis  fut  Henry  Gouffier,  marquis  de  Boîsy,  mort  avant  son 
père,  le  24  août  1639,  et  père  d'Artus ,  duc  de  Roannois,  lequel  vendit 
ses  terres  à  son  beau-frère,  François  d'Aubusson.  Henry,  celui  qui  sui- 
vit la  Reine-mère,  etoit  né  en  1605,  et  c'est  lui  qui  galantisa  sa  jeune 
tante,  Magdeleine  de  Silly.  Il  ne  fut  jamais  duc  de  Roannois. 

m.  —  P.  121,  lig.  10. 
On  fut  contraint  de  la  mettre  chez  nr^  de  Saint-Paul. 

Anne  de  Caumont,  cousine  du  maréchal  de  la  Force,  mariée  en  se- 
condes noces,  vers  1595,  à  François  d'Orléans-Longueville ,  comte  de 
Saint-Paul,  celui  qui,  l'année  suivante,  laissa  prendre  Amiens  par  les 
Espagnols,  et  qui  redevint  sous  Louis  XIII  gouverneur  d'Amiens. 

IV.  —  P.  122,  lig.  16. 

EUn  demanda  à  aller  aux  Carmélites  du  faubourg  Saint-Jacques. 

Le  couvent  des  Carmélites  avoit  été  achevé  en  1605,  par  les  soins  de 
Catherine  d'Orléans ,  duch*se  de  LongueviUe.  L'église,  qui  renfermoit 
une  foule  de  tableaux  excellens,  a  été  détruite  en  1790;  mais  une  partie 
des  anciens  bàtimens  a  été  rendue  en  1815  à  quelques  anciennes  car- 
mélites, qui  ont  restauré  la  communauté.  C'est  aujourd'huy  le  n°  27 
de  la  rue  d'Enfer.  On  y  conserve  le  tombeau  du  cardinal  de  Bérulle. 


126  LES    HISTORIETTES. 

On  lit  dans  le  Journal  du  Cardinal  :  «  M"«  du  Tillet  dit  quelle  ne 
»  s'estonna  pas  quand  on  osta  la  Fargis  de  chez  la  Reyne  ;  mais  bien 
»  quand  on  l'y  avoit  mise,  veû  la  vie  qu'elle  avoit  tousjours  faitte. 
»  Qu'elle  s'estoit  jettée  dans  les  Carmélites  par  desespoir  du  scandale 
1)  qui  cstoit  arrivé  à  Amiens,  lorsqu'elle  estoit  avec  Madame  »  (Hen- 
riette de  France)  «  où  Crequy  et  Cramail  l'estoient  venus  trouver  des- 
»  guises.  »  (Journal,  édition  de  lG/i8,p.  68.)  Mais  ici.  M"*  du  Tillet  di- 
soit  une  impertinence.  Trois  ans  passés  aux  Carmélites,  dans  les  pra- 
tiques d'une  dévotion  outrée  et  surtout  remarquée  par  le  cardinal  de 
BéruUe,  justifioient  assez  le  choix  de  la  Reine. 

V.—  P.  123,  lig.  17. 

M.  du  Fargis  d'Angennes...  va  en  ambassade  en  Espagne. 

On  peut  voir  dans  les  Mémoires  de  Bassompierre  ,  tom.  ii,  p.  252 ,  un 
récit  de  l'avanie  qu'il  s'attira  à  Madrid,  en  1621,  à  l'occasion  d'un  hôtel 
qu'il  vouloit  occuper  en  dépit  des  privilèges  accordés  au  propriétaire 
de  cet  hôtel. 

VI.  —P.  123,  lig.  25. 

ïl  y  a  dans  le  Journal  que  le  président  le  Bailleul  la  trouva  une  fois 
sur  un  lict. 

«  Le  président  Bailleul  a  dict  à  M.  le  Cardinal  que  Belingan ,  à  ce 
»  qu'il  croyoit,  couchoit  avec  la  Fargis  ;  qu'il  l'avoit  trouvée  un  matin 
»  à  Lyon,  couchée  sur  un  lict  qui  estoit  contre  terre,  n'ayant  qu'un 
»  linceul  sur  elle,  et  luy  estant  fermé  avec  elle  lorsqu'il  entra.  »  On  voit 
nettement,  d'après  ce  passage,  que  ce  qu'on'appelle  le  Journal  du  Car- 
dinal est  la  transcription  faite  par  un  secrétaire  de  tous  les  propos 
qu'on  tenoit  devant  le  Cardinal,  de  première  ou  de  seconde  main.  Le 
Cardinal  lisoit  ces  misères -là  le  soir  et  n'y  repensoit  plus.  Mais  lui 
qui  prûtoit  l'oreille  à  de  pareils  caquets ,  avoit-il  droit  de  se  plaindre 
quand  Mathieu  de  Morgues  faisoit  dire  à  la  princesse  de  Conty  :  «  Ne 
»  me  parlez  pas  des  motifs  de  la  hayne  du  Cardinal  contre  la  vertueuse 
n  M"'  du  Fargis;  mais  j'aime  mieux  vous  dire  que  ce  Cardinal  de  la 
»  trahison  voulut  une  fois  forcer  ma  sœur  de  Chevreuse,  qu'il  trouva 
n  au  lict;  et  si  elle  n'eust  crié,  je  ne  sçay  ce  qui  en  fust  arrivé.  Je  le 
»  tiens  d'elle-mesme  qui  m'a  assuré  que  c'estoit  la  cause  de  tout  ce  que 
»  le  Cardinal  luy  avoit  fait.  »  (Conversation  de  M'  Guillaume  avec  la 
princesse  de  Conlij  dans  tes  Champs-Elisées,  1631.) 

Voici  la  prose  tout  entière  : 

Venite  ad  solemnia  : 
Faciamus  praeconia, 
Duin  Dobis  rident  oninla. 


MADAME    DU    FARGIS.  127 


Dna  turris  tenet  lllum 
Qui  opprimebat  pupillura, 
Quando  tenebat  sigillum. 

Quantum  flevit  Carmelita, 
Tantum  ri^it  Jesuita, 
Cum  captus  est  hypocrita. 

Magna  fuit  Ixtitia 
In  hac  urbe  Lutetia, 
Cum  privatus  est  gratia. 

Quantum  scelus,  quantum  nefas, 
Judas  dixit  et  Caiphas, 
Cum  fratribus  inter  offas. 

Si  qua  fldes  Monticaldo, 
Si  quid  credendum  Senaldo, 
Si  quid  stipanti  Macaldo, 

Magna  plaga  fit  cucuUis, 
Quod  habetur  in  vinculis 
Magister  in  ridiculis. 

Sancta  Fargis,  dicas  sodés, 
Quantas  tecum  lecit  sordes, 
Inter  primas  atque  laudes. 

Dicunt  boni,  dicunt  pravi, 
Quod  te  seiiex  vultu  gravi 
Caudâ  muleebat  suavi. 

Pnedicabas,  doctor  Petre, 
Quod  non  erant  creaturre 
In  hoc  mundo  raagis  purse. 

Sed  faciunt  Lothareni 
Quod  fecere  jam  Hispani 
Etfaetm-i  sunt  Germani. 

Ne  Isetare,  gens  BeruUa, 
Urbani  non  decet  bulla, 
Quod  fecerit  miracula. 

Erant  claustra  deliclœ, 
Erat  splendor  in  facie , 
Sed  In  corde  fallaciae. 

Dicas,  pauper  carceratus, 
Quid  putabas,  quid  es  ratus, 
Quando  factus  es  ingratus. 

Nuncrecipis  salaria, 
Quod  pro  fallaci  gloria 
lllusa  fuit  Maria. 

Frater  plus  fur  quam  Barabas, 
Cujus  manu  rapiebas, 
Suspendetur  aiite  turbas. 


128  LES    HISTORIETTES. 

Kœdus  Inltum  Lugdunl 
Dissipntum  est  Glalini 
In  festum  sancli  Martini. 

Hue  HarUeus,  hue  Thuanus, 
A  te  (luetus  Puteanus, 
€bi  nunc  dicis  in  nianus. 

O  rebelle  dœmoniura, 
Votis  mitteris  omnium 
Quo  mislsti  Brissonium. 

Sanguis  erit  suffocatus 
Quo  signasti  fœderatus 
Mortem  régis  atque  status. 

(Msc.de  la  Biblioth.  imp.  —  Suppl.  fr.  n»  4255. j 

«  Cette  prose,  »  dit  le  copiste,  «  m'a  été  envoyée  de  Paris  par  M.  de 
Beauvais,  plus  de  neuf  mois  avant  la  mort  des  deux  frères  de  Marillac.  » 

jyjme  ^jj  pargis  eut  encore  en  Belgique  bien  des  tracas.  On  lui  avoit 
promis  la  place  de  dame  d'honneur  de  Madame,  duchesse  d'Orléans; 
une  autre  lui  fut  préférée  :  «  Je  vous  diray  qu'il  y  a  du  mescontente- 
1)  ment  entre  nos  dames,  parce  que  Monsieur  avoit  promis  à  M""*  du 
»  Fargis  la  charge  de  dame  d'honneur  de  Madame ,  et  mesme  l'avoit 
»  laissée  à  Namur  auprès  d'elle,  non  pas  en  cette  qualité,  mais  pour 
»  la  servir.  Tout  le  monde  la  félicita  ;  mais  elle  ne  voulut  pas  en  faire 
n  la  charge  sans  premièrement  avoir  receu  l'approbation  de  la  Reyne, 
»  laquelle  avoit  d'autres  pensées  en  faveur  de  la  princesse  de  Salme, 
»  concurremment  à  l'affection  de  Madame,  qui  la  tient  pour  sa  pa- 
rt rente...  Un  autre  mescontentement,  c'est  qu'on  a  donné  à  la  ditte 
)i  princesse  de  Salme  et  à  la  princesse  de  Chimay  le  tabouret  chez 
»  Madame,  au  grand  mescontentement  de  la  Jonchere,  de  celle  à  qui 
»  on  a  disputé  le  rang  (M"*  de  Fresnois),  et  de  M""^  du  Fargis,  qui 
»  s'estiment  au  moins  autant  que  ces  privilégiées.  »  (Lettre  anonyme 
à  Pierre  d'Hozier,  sans  date.) 

Une  autre  lettre,  adressée  à  M.  de  Combaut,  et  datée  du  1"  octobre 
1633,  revient  sur  les  mêmes  tracasseries  : 

«  Nous  avons  icy  bien  du  desordre  parmy  nos  dames  françoises.  La 
»  princesse  de  Salme  et  M"'  du  Fargis  aspirent  toutes  deux  à  la  charge 
»  de  dame  d'honneur  de  Madame,  prétendant  toutes  deux  qu'elle  leur 
»  a  esté  promise...  Cecy  a  reveillé  de  vieux  contes  qui  sembloient  estre 
»  morts  dans  la  mémoire  des  hommes  ;  et  certes,  si  une  de  ces  dames 
»  là  l'eust  pu  prévoir,  elle  eust  esté  fort  bien  conseillée  de  ne  penser  ja- 
»  mais  à  aucune  charge.  » 

On  rappellera  les  différentes  branches  de  la  maison  d'Angennes,  à  la 
suite  de  V Historiette  du  marquis  de  Rambouillet. 


LXXIII. 


LE   MARESGHAL    D'EFFIAT. 

{Antoine  Coefjïer,  marquis  d'Effiat,  né  en  1581,  mareschal  de  France  le 
1"  janvier  1631,  mort  27  juillet  1632.) 

Voicy  encore  un  mareschal  de  France  duhiœ  no- 
hilitatis  '  :  il  s'appelloit  Coiffier  en  son  nom.  On  a  dit, 
pour  le  déprimer  encore  davantage,  que  la  Coiffier, 
cette  traitteuse,  estoit  sa  parente.  G'estoit  un  fort 
bel  homme  et  fort  adroit.  Quand  le  duc  de  Savoye,  le 
bossu,  vint  à  Paris*,  Henry  IV^  fit  faire  une  grande  En  1599. 
course  de  bague,  il  garda  d'Effiat  pour  la  fm  :  il  mit 
dix  dedans,  tout  de  suitte.  Il  ne  donna  qu'une  atteinte 
à  la  onziesme;  mais  pour  reparer  cela,  il  jetta  sa 
lance  en  avant,  la  reprit,  et  finit  en  mettant  dedans. 
Tout  le  monde  l'admira. 

Beaulieu-Ruzé  *,  un  secrétaire  d'Estatqui  portoit  son  grand^oncie  ma- 
l'espée,  le  fit  son  héritier,  à  condition  qu'il  prendroii 

'  n  estoit  pourtant  gentilhomme.  Son  ayeul  ou  son  bisayeul,  général 
des  Finances,  fut  fait  noble  pour  avoir  demandé  une  pique  à  la  bataille 
de  CerizoUes,  et  y  avoitbien  fait.  —  J'ay  trouvé  dans  l'Histoire  de  Me- 
zeray  ces  mots,  parlant  de  Gilbert  Coiffier  d'Effiat,  à  cause  de  la  fa- 
veur de  Henry  \W  qui  luy  avoit  donné  charge  d'agir  en  Auvergne  : 
«  Il  avoit  pris  rang  parmy  les  gentilshommes,  quoyqu'il  ne  fust  pas  de 
»  race  noble.  » 

II.  9 


130  LES    HISTORIETTES. 

son  nom  et  ses  armes.  D'EfTiat  estoit  adroit  courti- 
san ;  il  plut  au  cardinal  de  Richelieu.  Il  fut  envoyé 
pour  le  mariage  de  la  reyne  d'Angleterre*,  en  Angle- 
terre ;  on  le  blasma  d'avoir  mis  le  pavillon  bas,  sur 
le  commandement  que  luy  en  firent  des  vaisseaux 
anglois.  Cela  n'empescha  pas  qu'il  ne  parvinst  à  estre 
grand-maistre  de  l'Artillerie  et  surintendant  des 
Finances*,  où  il  apprit  à  voler  à  ceux  qui  l'ont  suivy. 
Ce  n'estoit  pas  un  sot;  mais  il  avoit  esté  si  mal 
élevé  qu'il  escrivoit  ainsy  octobre  :  auquetaubraj.  Il 
eut  l'ambition,  quoy  qu'il  ne  sceust  nullement  la 
guerre,  de  vouloir  commander  une  armée  en  Alle- 
magne :  il  y  mourut.  On  disoit  qu'il  pretendoit  estre 
Connestable.  Le  Cardinal  l'eust  perdu. 


COMMENTAIRE. 
I.  —  P.  129,  lig.  3. 

La  Coîffler,  cette  traîtteuse... 

«  Traitteuse,  »  qui  tenoit  une  maison  de  traiteur.  Le  mot  vieillit,  du 
moins  n'est-il  plus  aussi  bien  porté.  On  l'avoit  substitué  à  cabaret, 
comme  avant  lui  le  cabaret  à  la  taverne.  Le  traiteur  est  aujourd'hui 
supplanté  par  le  restaurateur.  Il  y  a  même  plus  :  on  revient  au  cabaret, 
.'i  la  taverne;  le  traiteur  reste  seul  à  l'écart  du  mouvement  rétros- 
pectif. 

La  Coiffier,  des  Réaux  le  dit  ailleurs,  fut  la  première  traiteuse  qui 
s'avisa  de  recevoir  à  prix  fixe,  tant  par  tôte,  ou  mieux,  par  bouche. 
Voiture  a  fait  un  très  -  agréable  rondeau,  à  l'occasion  d'un  de  ses 
dîners  : 

Chez  la  Coiffier  une  demy-douzaine 

Des  nourrissons  de  l'enfant  de  Silène 

Se  trouveront,  ce  soir,  asseurement. 

Wy  manquez  pas;  diable  emporte  qui  ment. 


LE    MARESCHAL    d'eFFIAT.  iâi 

l^'affaire  est  faitte  et  la  chose  est  certaine 
Vous  y  verrez  une  table  bien  pleine, 
Tous  les  poissons,  jusques  A  la  baleine. 
Iront,  ce  soir,  voguant  horriblement. 
Chez  la  Coiffier. 

Nous  chanterons,  jusqu'à  perte  d'haleine. 
Nous  y  dirons  mille  bons  mots  sans  peine, 
Car  là  Phœbus  est  en  son  elémcnl:; 
Et  si  ces  vers  ne  coulent  doucement. 
Nous  en  ferons  d'une  meilleure  veine. 
Chez  la  Coiffier. 

II.  —  P.  129,  lig.  12. 

Beaulieu-Ruzé...  te  fit  son  lier  Hier. 

Martin  Ruzé,  seigneur  de  Beaulieu,  de  Chilly,  Longjumeau,  etc.,  se- 
crétaire d'Etat,  trésorier  des  Ordres,  gouverneur  du  château  de  Blois 
et  grand-maître  des  mines  de  France.  Il  mourut  le  16  novembre  1613, 
et  fut  inhumé  dans  l'église  de  Chilly,  où  l'on  voyoit,  avant  la  Révo- 
lution, sa  figure  en  marbre  blanc  et  son  epitaphe.  Malherbe  annonça 
ainsi  sa  mort  à  Peiresc  :  «  M.  de  BeauIieu-Ruzé,  premier  et  ancien  se- 
»  cretaire  d'Estat,  a  passé  de  cette  à  meilleure  vie.  En  quoy  je  fais  une 
»  notable  perte,  pour  estre  un  de  mes  meilleurs  seigneurs  et  amys.  » 
(Lettres,  p.  316.) 

Les  Coefïier  etoient  de  fort  petits  gentilshommes  anoblis  par  les 
charges  de  finance  et  de  judicature,  jusqu'à  notre  maréchal  d'Effiat, 
père  de  Cinq-Mars.  Sa  postérité  directe  s'est  éteinte  le  3  juin  1719 
dans  Antoine  Coeffier-Ruzé,  marquis  d'Effiat,  et  gouverneur  de  Mon- 
targis. 

Une  branche  collatérale  etoit  représentée  vers  le  milieu  du  xviii'  siè- 
cle par  Louis  Coefïier,  seigneur  de  Breuil ,  lieutenant  de  vaisseau  et 
chevalier  de  Saint-Louis. 


LXXIV.  —   LXXV. 

LE  PERE  JOSEPH. 

RELIGIEUSES      DE      LOUDUN. 

François  Leclerc  du    Tremblay,  né  à  Paris  li  novembre  1577,  morl 
18  décembre  1G38.) 

Le  Père  Joseph,  Capucin,  se  nommoit  Leclerc 
en  son  nom,  et  estoit  frère  de  M.   du  Tremblay 

Ajouté  plus  tard,  [qu'il  fit]  *  gouvcmeur  de  la  Bastille.  Le  Cardinal  fit 
connoissance  avec  luy  en  Poitou,  comme  il  y  fut 
envoyé  par  ses  supérieurs.  Jamais  il  n'y  eut  un 
homme  plus  intriguant  ny  d'un  esprit  plus  de  feu. 
Il  a  tousjours  eu  de  grands  desseins  en  teste;  un 
temps,  il  ne  faisoit  que  prescher  la  guerre  sainte. 

Charles  de  Gonza-  M.  do  Mautouc,  M.  de  Brovos*,  M"""  de  Rohan  et 

ïue,  père  de  \a  reine 

?SirS.T  Te'^nre'-  luy  prcnoieut  fort  souvent  tout  l' Estât  du  Turc. 
Depuis,  il  prit  la  maison  d'Austriche  pour  but,  et 
il  travailla  fort  avec  M.  de  Charnassé  à  faire  entrer 
le  roy  de  Suéde  en  Allemagne  :  il  se  vantoit  d'estre 
né  pour  abattre  la  maison  d'Austriche.  Effective- 
ment ce  n' estoit  pas  un  sot  ;  il  soulageoit  fort  le 
Cardinal,  et  le  Cardinal  ne  faisoit  pas  un  pas  sans 
luy.  Au  commencement  il  alloit  à  cheval  :  le  Père 


ves,  mort  eu  1C28. 


LE    PERE    JOSEPH.  133 

Ange  Soubini  avoit  un  jour  un  cheval  entier,  et  luy 
une  jujnent  ;  ce  cheval  grimpe  la  jument,  et  les  ca- 
puchons des  deux  moines  faisoient  la  plus  plaisante 
figure  du  monde'.  Pour  esviter  ce  scandale,  on  luy 
donna  un  carrosse.  Depuis,  il  eut  littiere  et  toute 
chose  -  ;  et  il  alloit  estre  Cardinal  s'il  ne  fust  mort. 

On  a  cru  que  la  diablerie  de  Loudun  ne  fust 
point  arrivée  sans  luy,  car  Grandier%  et  les  capucins 
de  Loudun  disputoient  à  qui  auroit  la  direction  des 
Religieuses  qui  furent  ou  qui  firent  les  possédées  % 
et  il  y  eut  un  capucin  tué.  Les  Capucins,  se  voyant 
appuyez  du  père  Joseph,  poussèrent  Grandier,  et 
comme  ces  religieuses  estoient  pauvres  ,  ils  leur 
persuadèrent  que  bientost  elles  deviendroient  toutes 
d'or  ;  on  les  instruisit  donc  à  faire  les  endiablées. 

'  Le  Père  Joseph  dit  :  «  Vojià  un  impudent  animaL  »  Depuis  on  ap- 
pelia  ce  clieval  V Impudent. 

2  En  une  petite  ville  de  quelque  province  de  France,  un  homme  de 
la  Cour  alla  voir  un  capucin.  Les  principaux  le  vinrent  entretenir  ;  ils 
luy  demandèrent  des  nouvelles  du  Roy,  puis  du  cardinal  de  Richelieu. 
«  Et  après,  »  dit  le  gardien,  «  ne  nous  apprendrez-vous  rien  de  notre 
»  bon  Père  Joseph  1  —  Il  se  porte  fort  bien  ;  il  est  exempt  de  toutes 
»  sortes  d'austeritez.  —  Le  pauvre  homme  !  »  disoit  le  gardien.  — 
«  Il  a  du  crédit  ;  les  plus  grands  de  la  Cour  le  visitent  avec  soin.  — 
»  Le  pauvre  homme  !  —  Il  a  une  bonne  littiere  quand  on  voyage. 
))  —  Le  pauvre  homme  !  —  Un  mulet  porte  son  lict.  —  Le  pauvre 
»  homme  !  —  Lorsqu'il  y  a  quelque  chose  de  bon  à  la  table  de 
)i  Monsieur  le  Cardinal,  il  luy  en  envoie.  —  Le  pauvre  homme!» 
Ainsy  à  chaque  article  le  bon  gardien  disoit  :  «  Le  pauvre  homme  !  » 
comme  si  ce  pauvre  homme  eust  esté  bien  à  plaindre.  C'est  de  ce  conte- 
là  que  Molière  a  pris  ce  qu'il  a  mis  dans  son  Tarluffe,  où  lemary,  coifië 
du  bigot,  répète  plusieurs  fois:  le  pauvre  homme  ! 

'  Curé. 

'  11  y  avoit  de  l'amour  sur  le  jeu. 


UELIGrECSES 
DE    LOUDUW. 


134  LES    HISTORIETTES. 

Pour  du  latin,  elles  n'en  sçavoient  guères,  et  on  disoit 

que  les  diables  de  Loudun  n'avoient  estudié  que  jus- 

"nwg^'Zc'X"'  qu'en  troisiesme.  Le  Couldray-Montpensier*  y  avoit 

maréchal -de -camp. 

deux  filles  qu  il  retira  chez  luy,  les  fit  bien  traitter 
et  bien  fouetter  ;  le  Diable  s'en  alla  tout  aussytost.  Il 
pouvoit  y  en  avoir  qui  ne  sçavoient  pas  le  secret,  et 
qui,  par  melancholie  ou  parce  qu'on  le  leur  disoit, 
croyoient  estre  possédées.  On  leur  apprit,  au  moins 
à  la  pluspart,  quelques  mots  de  latin  et  bien  des 
ordures.  M"""  d'Aiguillon  y  fut  et  M"'=  de  Ram- 
bouillet, depuis  M"'"  de  Montauzier.  Elles  virent  faire 
quelc{ues  tours  de  sauteurs,  qu'elles  firent  faire  après 
à  leurs  laquais.  La  ville  et  surtout  les  hosteliers 
s'y  enrichirent  ;  on  y  couroit  de  toutes  parts.  Dun- 
can,  médecin  huguenot  et  principal  du  collège  de 
Jnte^%l  J^ionllis-  Saumur*,  y  fut  appelle.  11  s'en  mocqua.  C'est  celuy 
qui  disoit  qu'un  médecin  estoit  animal  incombusti- 
bile  propter  religionem.  Quillet  y  fut  aussy  appelle, 
et  des  religieuses  de  Chinon  ayant  voulu  imiter  celles 
de  Loudun,  il  en  fit  une  satyre  en  vers  latins,  pour 
laquelle  Bautru  luy  conseilla  de  s'esloigner,  et  le 
donna  au  mareschal  d'Estrées,  avec  lequel  il  fut  à 
Rome  en  son  ambassade  extraordinaire. 

Le  ministre  de  Loudun,  comme  on  le  deffioit  de 
mettre  ses  doits  dans  la  bouche  des  religieuses  , 
comme  les  prestres  y  mettoient  ceux  dont  ils  tiennent 
l'Hostie ,  respondit  «  qu'il  n' avoit  nulle  familiarité 
»  avec  le  Diable,  et  qu'il  ne  se  vouloit  point 
«  jouer  à  luy.  »  Un  diable  s' estoit  vanté  d'enlever 
le  Ministre  dans  sa  chaire  sur  la  tour  de  Loudun. 


LE     Pli  RE     JOSEPH.  135 

Il  n'en  fit  rien  :  cependant,  cette  badinerie  '  fut  cause 
que  Grandier  fut  bruslé  tout  vif;  car  Laubarde- 
mont^,  qui  estoit  bon  courtisan,  le  sacrifia  au  crédit 
du  père  Joseph.  Ce  Grandier  avoit  esté  galant,  et 
avoit  fait  quelques  ennemys  dans  la  ville  qui  luy  nuy- 
sirent.  Le  Diable  dit  une  fois  :  «  M.  de  Laubarde- 
»  mont  est  cocu.  »  Et  Laubardemont ,  à  son  ordi- 
naire, mit  le  soir  :  «  Ce  que  j'atteste  estre  vray,  » 
et  signa.  Enfin  insensiblement  cela  se  dissippa  à 
mesure  que  le  monde  se  desabusoit. 

*  Ou  plustost  ce  désir  de  vengeance  des  Capucins. 
2  Un  maistre  des  Requestes. 


COMMENTAIRE. 

I.  —  P.  132,  lig.  3. 

Le  Cardinal  fit  connoissanee  avec  luy  en  Poitou. 

Vers  IGll,  l'evôquede  Luçon  etoit,  en  même  temps,  abbé  de  Roches, 
maison  voisine  de  Fontevrault  ;  et  le  père  Joseph  introduisoit  alors  la 
réforme  monastique  dans  l'Ordre.  Ou  cite  un  poëme  latin  intitulé  la 
Turciade,  que  le  célèbre  capucin  auroit  rédigé  pour  animer  tous  les 
princes  chrétiens  contre  les  Turcs. 

L'abbé  Richard  a  fait  deux  ou  trois  des  ouvrages  intitulés  :  L'His- 
toire de  la  vie  du  père  Joseph  Leclerc  du  Tremblay,  capucin,  instituteur 
des  filles  du  Calvaire,  1702,  2  vol.  in-12.  —  Le  véritable  père  Joseph, 
1  vol.  in-12.  —  Réponse  au  véritable  père  Joseph,  que  l'abbé  Richard 
s'empressa  de  publier  après  le  Véritable,  pour  aller  au-devant  des 
soupçons. 

IL  —  P.  133,  note  2,  lig.  13. 

De  ce  contc-tà  Molière  a  pris  ce  qu'il  a  mis  dans  son  Tartuffe. 

Voilà  donc  encore  un  bon  mot  rendu  à  ses  véritables  auteurs  et  à  sa 
première  origine.  On  lit  dans  les  Commentaires  de  M.  Auger  sur  JIo- 


136  LES    HISTORIETTES. 

liere  (tom.  vi,  p.  52),  que  pendant  la  campagne  de  1062,  Louis  XIV, 
en  se  mettant  à  table,  dit  un  soir  à  Perefixe,  évoque  de  Rhodez,  son 
ancien  précepteur,  qu'il  lui  conseilloit  d'en  aller  faire  autant.  C'ctoit 
jour  de  jeûne.  Le  prélat  dit  en  se  retirant  qu'il  n'avoit  qu'une  légère 
collation  à  faire  :  une  personne  présente  ayant  souri,  le  Roi  voulut  en 
savoir  le  motif  :  le  rieur  dit  que  Sa  Majesté  pouvoit  être  tranquille  sur 
le  compte  de  M.  de  Rhodez ,  et  il  fit  un  détail  exact  du  dîner  de  l'e- 
vêque  dont  il  avoit  été  témoin.  A  chaque  plat  recherché  qu'il  nom- 
moit,  le  Roi  s'ecrioit  :  Le  pauvre  homme!  variant  à  chaque  fois  l'in- 
flexion de  sa  voix.  Molière ,  qui  assistoit  à  cette  scène ,  en  fit  son 
profit,  et  la  rappela  au  Roi  lorsqu'il  lui  fit  la  lecture  des  trois  pre- 
miers actes.  ■ 

C'est  Bret  qui,  le  premier,  dans  son  édition  de  Molière  de  1773, 
tom.  IV,  p.  Zi02,  avoit  mis  cette  anecdote  en  vogue.  Bret  se  fondoit  sur 
l'abbé  d'Olivet,  «  qu'on  avoit  souvent  entendu  raconter  la  môme  his- 
»  toire.  »  Mais  l'autorité  de  l'abbé  d'Olivet  ne  peut  subsister  devant 
celle  de  des  Réaux,  qui  certainement  ecrivoit  la  note  qu'on  vient  de 
lire  peu  de  temps  après  les  premières  représentations  de  Tartufe. 
Louis  XIV  d'ailleurs,  si  réservé  pour  tout  ce  qui  tenoit  aux  conve- 
nances, n'eût  pas  ainsi  parlé,  devant  les  courtisans,  d'un  prélat  res- 
pecté qu'il  avoit  eu  pour  précepteur.  La  première  représentation  de 
Tartufe  fut  donnée  à  Versailles  en  petit  comité,  le  12  mai  166/j  ;  on  en 
connoissoit  même  des  fragmens  manuscrits  longtems  auparavant. 

III.  —  P.  134,  lig.  20. 

Quitlet  fit  une  satyre...  Bautru  luij  conseilla  de  s'esloigner. 

On  a  bien  brodé  sur  la  disgrâce,  ou  plutôt  la  crainte  de  disgrâce 
qu'éprouva  Quillet  {a).  Le  Sorberiana,  édition  de  1691,  p.  291,etChal- 
mel.  Histoire  de  Touraine,  disent  que  :  «  Dans  une  des  séances  ridi- 
»  cules  où  l'on  faisoit  parler  les  diables,  Satan  menaça,  par  la  bouche 
))  d'une  de  ces  religieuses,  d'enlever  jusqu'à  la  vouste  de  l'église  celuy 
»  qui  doutcroit  de  leur  possession.  Quillet  eut  l'imprudence  de  défier 
»  le  diable,  qui,  ne  s'attendant  pas  à  une  telle  provocation,  en  fut  pour 
))  sa  courte  honte.  C'etoit  défier  le  Cardinal.  Quillet  le  sentit  assez 
»  tost  pour  en  prévoir  et  en  prévenir  les  suites.  En  efifect,  peu  de  jours 
»  après,  Laubardemont  lança  contre  luy  un  décret  de  prise  de  corps.  » 
Voilà  comme  on  juge  trop  souvent  les  hommes  qui  jouent  un  rôle 
public.  Le  père  Joseph,  capucin,  est-il  soupçonné  de  soutenir  la  cause 
d'un  couvent  de  capucins  ?  Bientôt  des  rêveurs  se  rencontrent  pour 
dire  que  le  Cardinal  excitoit  le  père  Joseph,  et  que  Grandier  devoit 

{a\  Voypi  tomp  i",  VHistoriette  dv  mnreschal  d'Estrees,  p.  387  et  S91 . 


LE    PERE    JOSEPH.  137 

être  l'ennemi  personnel  du  grand  ministre  qui ,  peut-être ,  ne  le 
connoissoit  môme  pas.  Des  Réaux,  écrivain  protestant,  ami  de  Quillet, 
est  ici  bien  autrement  digne  de  foi  ;  et  notez  qu'il  ne  suppose  pas  la 
moindre  intervention  du  Cardinal  dans  l'affaire. 

IV.  —  P.  135,  lig.  2. 
Laubardemonl. 

Laubardemont  mourut  en  mai  1653,  et  Loret  mentionne  ainsi  sa 
mort  :  , 

Laubardemont,  homme  d'Estat, 
Duquel  on  faisoit  de  l'estat, 
A  senty  son  heure  mortelle; 
Il  eut  jadis  grosse  querelle 
Avec  les  diables  de  Loudun, 
Dont  il  fist  enrager  plus  d'un, 
Lorsque,  par  un  arrest  tragique. 
Grandier  i'ut,  en  place  publique, 
Bruslé  bien  ou  mal  à  propos; 
Mais  laissons  les  morts  en  repos. 

(Gazette  du  24  may  1653.) 

Son  frère,  qu'on  appeloit  M.  du  Matras,  mourut  en  bonne  réputation 
au  mois  de  mars  1659  : 

Le  pieux  monsieur  du  Matras 
Qui  demeuroit  aux  Incurables, 
Homme  issu  de  gens  honorables 
Et  le  t'rere  unique  ou  second 
De  feu  monsieur  Laubardemont. 

(Lettre  du  29  mars  1659.} 

J'ignore  quel  est  l'auteur  d'une  «  Relation  de  tout  ce  qu'a  vu  à  Lou- 
»  dun  l'abbé  D.,  en  neuf  jours  qu'il  a  visité  les  possédées.  »  Après  tout, 
ce  pourroit  bien  être  Quillet.  Elle  est  fort  curieuse,et  nous  a  été  con- 
servée dans  le  msc.  540  du  suppl.  fr.,  f°*  1  à  10.  L'auteur  etoit  venu 
à  Loudun  avec  M"*  d'Aiguillon ,  M"^  de  Rambouillet,  Voiture,  la  Ver- 
gne  et  quelques  autres. 

Le  fils  de  Laubardemont  eut  une  bien  triste  fin,  du  moins  sui- 
vant le  récit  de  Guy-Patin  :  «  Le  9  de  ce  mois,  à  neuf  heures  du  soir, 
»  un  carrosse  fut  attaqué  par  des  voleurs.  Le  bruit  qu'on  fit  obligea 
»  le  bourgeois  de  sortir  de  sa  maison...  On  tira  de  part  et  d'autre; 
»  un  des  voleurs  fut  couché  sur  le  carreau...  Ce  blessé  mourut  le  lende- 
»  main,  sans  rien  dire,  sans  se  plaindre  et  sans  déclarer  qui  il  estoit. 
»  Il  a  esté  enfin  reconnu.  On  a  sceû  qu'il  estoit  filz  d'un  maistre  des 
»  Requestes,  nommé  Laubardemont,  qui  condamna  à  mort,  en  1633,  le 
»  pauvre  curé  de  Loudun,  Urbain  Grandier...  Ne  voylà-t-il  pas  une  pu- 
»  nîtion  divine  dans  la  famille  de  ce  malheureux  juge?»  (Lettre  du 
22  décembre  1651.) 


LXXVl.  ~  LXXVIl. 

M.  DE  NOYERS  ET  L'EVESQUE  DE  MANDE. 

{François  Sublet  de  Noyers,  né  en  1578,  mort  20  octobre  IQh'ô.— Daniel 
de  la  3fotte-Houdancoîtrt ,  evcquc  de  Mende,  mort  3  mars  1628.) 

M.  de  Noyers  s'appelloit  Sublet.  Il  estoit  parent 
de  MM.  de  la  Motte-Houdancourt  ;  le  deuxiesme  de 
Lefrère du  maréchal,  ces  messieurs-là  *  estoit  evesquG  de  Mande,  et  fort 
bien  auprès  du  cardinal  de  Richelieu  :  ce  fut  luy  qui 
luy  donna  M.  de  Noyers.  Je  diray  ce  que  j'ay  appris 
de  ce  M.  de  Mande.  C'estoitun  homme  actif  et  fier, 
et  qui  vouloit  qu'on  luy  tinst  ce  qu'on  luy  avoit 
promis.  Une  fois  M.  Bouthillier,  qui  estoit  jaloux  de 
luy,  luy  refusa  l'entrée  dans  la  chambre  du  Cardi- 
nal, disant,  comme  il  estoit  vray,  qu'il  avoit  ordre 
de  ne  laisser  entrer  personne ,  et  qu'il  s'en  alloit 
dire  à  S.  E.  que  M.  de  Mande  estoit  là.  La  porte 
estoit  entr' ouverte,  M.  de  Mande  la  pousse  :  M.  Bou- 
thillier tombe,  l'evesque  passe  brusquement  à  la 
ruelle,  le  Cardinal  estoit  au  lict  :  «  Monsieur,  »  luy 
dit-il,  «  je  trouve  fort  estrange  que  M.  Bouthillier  me 
»  vienne  fermer  la  porte  au  nez  :  je  suis  bien  asseuré 
»  que  vous  ne  luy  avez  pas  ordonné  de  me  traitter 
»  ainsy.  »  Le  Cardinal  ne  dit  rien.  M.  de  Mande 
s'en  va  chez  luy  en  Picardie,  et  ne  voulut  pas  s'en 


M.   DE  NOYERS  ET  l'eVESQUE  DE  MANDE.        139 

tourmenter  davantage.  «  S'ils  me  laissent  icy,  »  di- 
soit-il,  «  ils  me  feront  plaisir;  j'estudieray;  j'ay  du 
»  bien  plus  qu'il  ne  m'en  faut.  »  Le  Cardinal  ne  s'en 
put  passer  ;  il  le  renvoya  quérir.  Ce  fut  luy  qui  dis- 
posa tout  pour  le  siège  de  la  Rochelle  ;  et  en  mou- 
rant, car  il  mourut  durant  le  siège,  il  ordonna  qu'on 
l'enterrast  dans  la  ville,  lorsqu'elle  seroit  prise.  Ce 
fut  luy  qui  fit  résoudre  Barradas  *  à  donner  sa  démis-  *•'"  «*«  •«"• 
sion  de  la  charge  de  premier  escuyer  de  la  petite 
escurie,  pour  cent  mille  escus.  Le  Roy  a  voit  impa- 
tience de  l'avoir  pour  Saint-Simon.  Le  Cardinal  vou- 
loit  différer  à  payer  cette  somme ,  et  faire  que  cela 
n'allast  à  rien  avec  le  temps;  TEvesque  luy  dit  : 
«  Monsieur,  c'est  sur  ma  parole  que  M.  de  Barradas 
»  a  traitté  ;  je  vendray  plustost  mes  bénéfices  que  de 
»  ne  tenir  pas  ce  que  j'ay  promis.  »  Le  Cardinal  ne 
put  résister,  et  Barradas  fut  payé. 


M.  des*  Noyers  avoit  une  vraye  ame  de  valet.  Mon- 
tereul,  secrétaire  des  commandemens  de  M"""  d'Or- 
léans, l'estoit  de  feu  Madame  qui,  estant  grosse, 
estoit  regardée  comme  la  Reyne  et  faisoit  un  party 
dans  la  Cour.  Madame  tesmoignoit  assez  de  bonne 
volonté  à  Montèrent,  qui  avoit  esté  précepteur  de 
M.  de  Guise  d'aujourd'huy.  Un  jour,  des  Noyers, 
qui  estoit  allié  de  Montereul,  se  promenoit  avec  luy  : 
«  Ne  craignez-vous  point,  »  luy  dit  Montereul  en 
riant,  «  que  cela  ne  vous  nuyse  de  vous  voir  ainsy 
»  promener  avec  moy  ?  »  Des  Noyers  le  quitte  aus- 
sytost,  et  depuis  ne  luy  parla  point  que  Madame  ne 


Ainsi  écrit. 


iliO  LES    HISTORIETTES. 

fust  morte.  11  est  vray  que  quand  il  se  vit  en  faveur, 
il  se  ressouvint  un  peu  de  luy. 

Ce  petit  homme  vouloit  tout  faire  et  estoit  jaloux 
de  tout  le  monde.  Il  a  nuy  en  tout  ce  qu'il  a  pu  à 
Desmarestz ,  qui  s'entend  à  tout  et  qui  a  beaucoup 
d'inclination  pour  l'Architecture,  de  peur  que  cet 
homme  ne  luy  ostast  quelque  chose  ;  car  il  s'est  assez 
tourmenté  de  faire  sa  charge  de  Surintendant  des 
bastimens,  et  il  avoit  bonne  envie  d'achever  le  Lou- 
vre et  de  faire  dorer  la  galerie  tout  du  long  , 
comme  il  y  en  a  un  bout:  ce  fut  luy  qui  le  fit  faire*. 

Une  fois  que  le  Cardinal  vouloit  faire  venir  un 
notaire  :  «  11  n'est  pas  besoing,  IMonseigneur,  »  luy 
dit-il ,  «  je  suis  secrétaire  du  Roy,  je  feray  bien  ce 
»  qu'il  faut.  »  Le  Cardinal  rompit  un  jour  par  hazard 
une  petite  canne  fort  jolie  qu'il  aimoit  assez.  Le 
petit  bonhomme  la  prend,  la  rajuste  et  la  rapporte 
h  Son  Eminence.  On  disoit  qu'il  ne  voloit  pas,  mais 
il  laissoit  voler  soubs  luy.  Il  avoit  fait  les  vœux  de 
Jésuite  depuis  son  veuvage,  mais  il  estoit  exempt  de 
porter  l'habit  et  de  vivre  autrement  qu'un  séculier  : 
il  fit  tout  le  pis  qu'il  put  à  l'Université.  Il  a  laissé 
Ajouté  plus  tard     un  [pauvrc  benais  de  *]  filz  -.  Ce  fut  luy  qui  descouvrit 

'  Sa  cagottcrie  parut  furieusement  en  ce  qu'il  brusla  quelques  nuditez 
de  grand  prix  qui  estoient  à  Fontainebleau.  En  récompense  il  entrc- 
tenoit  assez  bien  les  maisons  du  Roy.  Il  estoit  concierge  de  Fontai- 
nebleau. 

2  Le  filz  de  M.  de  Noj^ers,  appelle  la  Boissierc,  ne  manque  nullement 
d'esprit;  c'est  une  espèce  de  visionnaire  et  d'avaricieux  qui  mené  une 
vie  retirée,  et  qui  ne  s'occupe  quasy  à  rien.  On  a  relire  sur  luy  la 
terre  de  Dangu  que  son  père  avoit  acheptée  sans  prendre  bien  garde 
à  ses  seiiretez  ;  il  l'a  perduo.  —  Il  vit  encore,  on  l'an  1672. 


M.    DE  NOYERS  ET  l'eVESQUE  DE  MANDE.        l^l 

au  feu  Roy  que  le  Cardinal  avoit  cinq  cens  mille 
escus  chez  Mauroy.  Sa  disgrâce  est  dans  les  Mé- 
moires de  la  Régence  \ 

'  Le  mareschal  de  Brezé,  pour  le  faire  enrager,  mettoit  tousjours 

des  ordures  dans  les  lettres  qu'il  luy  escrivoit,  comme  :  «  Allez  vous 

»  faire  f...  avec  vosf...  ordres!  — Le  mo3-en, »  disoit  le  petit  homme, 

«  que  les  affaires  du  Roy  prospèrent,  après  ces  abominations-là!»  H 

avoit  le  département  de  la  Guerre. 

Ce  fut  luy  qui  fut  cause  de  la  mort  de  Saint-Prueil*,  et  Saint-Prueil      François  de  Jussac, 
I     J-.  1  •  /~.î     i  ^     -1  j  •  •  r^    •    i      seigneur    de    Saint- 

le  dit  bien  :  «  C  est  un  cagot;  il  ne  me  pardonnera  jamais.»  Saint-   Prueii, décapité 9 no- 

Prueil  avoit  donné  sur  les  oreilles  à  un  petit  d'Aubray  qu'il  avoit  mis   ■*'e"^'"e  i64i. 

à  Arras  pour  les  finances.  Ce  n'est  pas  que  Saint-Prueil  ne  fust  un 

violent  et  un  tjnan,  mais  galant  homme  du  reste  et  qui  despensoit 

tout.  H  y  a  dans  son  procez  imprimé  une  lettre  *  du  feu  Roy,  qui  est      Ou  plutôt  :  des  ex- 

une  ridicule  lettre.  La  voicy  :  «  Brave  et  généreux  Saint-Prueil,  vivez  joumai  de  Richelieu, 

»  de  concussions,  plumez  la  poule  sans  crier;  faittes  comme  font  tels   i^-A^e  part.,  p.  ii6. 

»  et  tels,  faittes  ce  que  font  beaucoup  d'autres  dans  leurs  gouverne- 

»  mens  ;  tout  est  bien  fait  pour  vous  ;  vous  avez  tout  pouvoir  dans 

»  votre  empire  ;  tranchez,  coupez  ;  tout  vous  est  permis  !  » 


;      'j,  COMMENTAIRE. 

I.  —  P.  139,  lig.  7. 

Ce  fut  luy  qui  fit  résoudre  Barradas  à  donner  sa  démission  de  premier 
escuyer  de  la  petite  escurie. 

François  de  Baradas,  fils  de  Guillaume  de  B.,  seigneur  de  Damery 
en  Champagne,  près  d'Epernay.  Malherbe,  qu'il  faut  citer  souvent 
pour  justifier  et  compléter  des  Réaux,  écrit  à  Peiresc,  le  19  décembre 
1626  :  «  Vous  avez  sceu  le  congé  donné  à  Baradat.  Nous  avons  im  sieur 
»  Simon  »  (il  faudroit  :  un  Saint-Simon),  <(  page  de  la  mesme  escurie, 
»  qui  a  pris  sa  place...  La  mauvaise  conduite  de  l'autre  luy  sera  une 
»  leçon.  J'ay  ouy  dire  à  M"'  la  princesse  de  Conty  qu'elle  avoit  veu 
»  qu'un  jour  le  Roy,  par  carresse,  luy  jetta  quelques  gouttes  d'eau  de 
»  naffé  au  visage,  dans  la  chambre  de  la  Reyne.  n  se  mit  en  telle  co- 
»  1ère,  qu'il  sauta  sur  les  mains  du  Roy,  luy  arracha  le  petit  pot  où 
»  estoit  l'eau,  qui  est  un  pot  de  porcelaine,  et  le  luy  cassa  à  ses 
»  pieds.  Ce  n'est  pas  là  l'action  d'un  homme  qui  vouloit  mourir  dans 
»  la  faveur...  » 


142  LES    HISTORIETTES. 

La  faveur  de  Claude,  marquis  puis  duc  de  Saint-Simon,  père  du 
célèbre  auteur  des  Mémoires,  date  donc,  comme  la  disgrâce  de  Baradas, 
du  mois  de  décembre  1626. 

II.  —  P.  139,  lig.  16. 

Le  Cardinal  ne  put  résister,  et  Barradas  fut  payé. 

Malherbe  a  écrit  à  l'evêque  de  Mende  une  curieuse  lettre,  dans  la- 
quelle il  le  prie  de  rappeler  au  Cardinal  deux  promesses  relatives,  la 
première  aux  arrérages  de  sa  pension,  la  deuxième  à  la  charge  récente 
de  trésorier  de  France  dont  on  l'avoit  gratifié.  Il  faut  lire  en  entier 
cette  lettre  :  Malherbe  s'y  plaint  amèrement  d'un  personnage  qui 
avoit  précédemment  refusé  de  lui  rendre  un  service  ;  je  crois  qu'il  en- 
tend le  sieur  de  Noyers,  parent  de  l'evêque,  et  le  but  du  poète  est 
autant  de  se  venger  de  l'un  que  de  mettre  fièrement  l'autre  à  une 
épreuve  analogue.  «  Je  fus  dernièrement,  »  dit-il,  «  trouver  un  homme 
»  pour  quelque  petite  affaire,  et  je  croy  que  sans  offenser  sa  cons- 
»  cience,  il  luy  estoit  aisé  de  me  satisfaire.  La  peur  que  j'ay  d'estre 
»  refusé  me  fait  tousjours  prendre  garde  de  ne  jamais  rien  demander 
»  qui  ne  soit  raisonnable  :  et  d'ailleurs  j'avois  quelque  sujet  de  croire 
»  que  cet  homme  aimoit  les  vers.  Je  le  trouvois  toutefois  si  peu  cour- 
»  tois  et  si  fort  résolu  de  ne  me  point  gratifier,  que  je  m'en  revins  avec 
»  un  grand  desplaisir  do  luy  avoir  jamais  rien  demandé,  et  avec  une 
»  protestation  de  ne  luy  demander  jamais  rien.  Je  suis  encore  en  ceste 
»  mesme  opinion.  La  nécessité  est  forte,  mais,  à  ce  que  je  voy,  elle  ne 
»  l'est  pas  assez  pour  me  faire  faire  une  seconde  prière  à  un  homme  à 
»  qui  la  première  n'a  de  rien  scrvy.  Il  me  pouvoit  faire  du  bien  ;  je  luy 
»  pouvois  donner  des  louanges;  il  me  semble  que  ce  qu'il  eust  eu  de  moy 
»  valoit  bien  ce  que  j'eusse  receu  de  luy.  Puisqu'il  ne  l'a  pas  fait,  il 
»  le  faut  laisser  là...  Pour  vous,  Monsieur,  en  la  peine  que  vous  pren- 
»  drez  de  faire  souvenir  de  moy  ce  grand  Cardinal,  vous  aurez  ce 
»  desplaisir  d'avoir  obligé  un  homme  incapable  de  toute  revanche  ; 
»  mais  vous  vous  consolerez,  s'il  vous  plaist,  du  contentement  de  vous 
»  estre  acquis  un  tres-humble  et  tres-aflfectionné  serviteur.  F.  deMal- 
»  herbe.  »  (Œuvres,  1659,  p.  72.) 

III.  —  P.  139,  lig.  18. 

Montèrent,  secrétaire  des  commandemens  de  M^'  d'Orléans,  t'estoit 
de  feu  Madame. 

De  la  première  femme  de  Gaston,  Marie  de  Bourbon,  duchesse  de 
Montpensier,  qui  mourut  le  /i  juin  1627,  cinq  jours  après  avoir  mis  au 


M.  DE  NOYERS  ET  l'eVESQUE  DE  MANDE.        143 

jour  son  unique  enfant,  la  grande  Mademoiselle.  Ainsi  le  Montereul 
dont  on  parle  ici  ne  peut  être  un  des  deux  frères  Montereul,  Jean  ou 
Mathieu  de  Montereul,  qui,  à  l'époque  de  la  mort  de  la  duchesse  d'Or- 
léans, n'etoient  pas  encore  adolescens. 

IV.  —  P.  140,  lig.  9. 
Il  avait  bonne  envie  d'achever  le  Louvre. 

Détails  d'un  grand  prix  et  assez  peu  connus.  Sublet  de  Noyers  a  la 
gloire  d'avoir  fait  revenir  de  Rome  Nicolas  Poussin,  vers  16/i0,  fiour 
luy  confier  la  direction  de  l'ordonnance  de  la  belle  galerie  des  Anti- 
ques, dont  des  Réaux  parle  ici.  C'est  à  lui  qu'on  doit  encore  la  part 
principale  à  la  fondation  de  l'Imprimerie  royale,  d'abord  établie  au 
Louvre.  Enfin,  il  a  fait  bâtir  à  ses  frais  l'église  du  Noviciat  des  Jé- 
suites, où  il  voulut  être  inhumé. 

Il  avoit  effectivement  le  titre  de  capitaine  et  concierge  de  Fontai- 
nebleau :  titre  que  ne  prendroit  certainement  pas  aujourd'hui  un  mi- 
nistre d'Etat. 

Dans  le  nombre  des  nuditez  qu'on  accuse  Sublet  de  Noyers  d'avoir 
brûlées  à  Fontainebleau,  on  cite  une  Léda  (il  en  reste  heureusement 
beaucoup  d'autres),  dont  on  voit  encore  les  infortunés  vestiges.  Fran- 
çois l"  l'avoit,  dit-on,  achetée  au  duc  de  Ferrare;  c'etoit  un  tableau 
de  petite  dimension,  qu'on  attribuoit  à  Michel-Ange.  Dans  les  nouvelles 
histoires  des  Environs  de  Paris,  la  destruction  de  la  Léda  est  reprochée 
à  «  un  Sublet  de  Bruyère,  instrument  de  la  dévotion  outrée  de  la  re- 
»  gente  Anne  d'Autriche.  »  Mais  Sublet  de  Noyers,  le  vrai  coupable  de 
cet  attentat  à  la  beauté  peinte,  se  retira  de  la  Cour  en  1643,  à  la  mort 
de  Louis  XIII.  La  dévotion  outrée  d'Anne  d'Autriche  n'a  donc  rien  à 
faire  là. 

Je  lis  encore  dans  le  journal  la  Presse  du  3  juin  1853  (il  faut  bien 
citer  les  journaux,  car  on  fait  bien  souvent  avec  eux  des  livres),  une 
histoire  particulière  de  ce  tableau  :  «  Michel-Ange,  »  y  dit-on,  «  l'exé- 
»  cuta  pour  le  duc  de  Ferrare.  On  connoît  la  répugnance  qu'avoit  Mi- 
»  chel-Ange  pour  les  tableaux  de  chevalet;  aussi  les  souverains  se  dis- 
»  putoient  la  faveur  d'obtenir  un  morceau  de  cette  main  immortelle.  » 
(L'argument  ne  paroît  pas  sans  réplique.)  «  Le  duc  de  Ferrare  attendit 
«  donc  sa  Léda  avec  la  plus  vive  impatience;  mais,  par  un  motif  que 
»  l'on  ne  connoît  pas  bien,  Michel-Ange  changea  la  destination  du  ta- 
»  bleau,  en  l'envoyant  à  François  I".  Le  surintendant  des  bâtimens, 
»  de  Noyers,  trouvant  le  sujet  indécent,  le  fit  jeter  au  feu.  Cet  acte  de 
»  vandalisme  dut  être  commis  après  la  mort  de  Richelieu,  car  ce 
»  ministre  aimoit  trop  les  beaux-arts  pour  autoriser  une  pareille  bar- 
»  barie.  » 


illll  LES   HISTORIETTES. 

Ne  croiroit-on  pas  que  Mazarin,  successeur  de  Richelieu ,  etoit  un 
ennemi  des  beaux-arts  ? 

V.  —  P.  1/iO,  lig.  22. 

Il  a  laissé  un  pauvre  benais  de  fdz. 

On  voit  ici  combien  il  importe  de  séparer  les  notes  de  des  Réaux  du 
texte  courant.  Le  texte  écrit  en  1657  est  redressé  en  1672. 

Jean  Megret,  le  collecteur  et  faiseur  d'cpitaphes,  ajoute  à  l'éloge  de 
Sublet  de  Noyers  père  :  «  Son  filz  a  hérité  de  ses  vertus  et  inclina- 
»  tiens  :  et  comme  j'ay  eu  l'honneur  de  l'entretenir  un  fort  long  temps 
»  à  Abbeville,  en  1633,  j'ay  bien  voulu,  en  souvenance  de  ses  mérites, 
»  insérer  icy  ce  petit  éloge  de  sa  vie.  » 

Ce  la  Boissière  pourroit  bien  Ctre  celui  qu'on  a  mis  dans  un  couplet 
fait  sur  le  voyage  de  M""*  de  Chevreuse,  et  cité  précédemment,  tom.  i'', 
p.  406. 

VI.  —  P.  m,  note,  lig.  7. 

Saint-l'rueil  avait  donné  sur  les  oreilles  à  un  petit  d'Aubray... 

Bussy-Rabutin,  qui  donne  sur  Saint-Preuil  de  précieux  détails,  dit 
que  d'Aubray  etoit  parent  de  Sublet  de  Noyers.  {Mém.  secr.,  i,p.  125.) 

VU.  —  Fin. 

Le  fils  de  M.  de  Noyers,  nommé  Guillaume  Sublet,  sieur  de  la  Bois- 
sière et  baron  de  Daugu,  ne  paroît  pas  avoir  laissé  de  postérité.  Une 
branche  collatérale  des  Sublet  s'est  honorablement  prolongée  dans  le 
xviii*  siècle,  avec  le  titre  de  marquis  d'Heudicourt.  J'ignore  si  elle 
subsiste  encore. 


LXXVIII. 

M.    DE    BULLION. 

(Claude  de  Bullion,  seigneur  de  Bonnetles,  mort  22  décembre  1640.) 

M.  de  Bullion  estoit  conseiller  au  Parlement'.  11 
rapporta  je  ne  sçay  quelle  affaire  pour  la  comtesse 
de  Sault-,  mère  de  M.  de  Crequy.  —  Elle  l'avoit  eu 
du  premier  lict  ;  puis  le  comte  de  Sault,  filz  du  se- 
cond lict,  l'ayant  faitte  héritière,  M.  de  Crequy  eut 
ce  bien-là  ^ —  La  comtesse  de  Sault  eut  de  l'affection 
pour  ce  petit  M.  de  Bullion  à  cause,  dit-on,  que  le 
proverbe  :  De  petit  chien  belle  queue  estoit  fort  véri- 
table en  luy.  Elle  le  poussa,  luy  donna  du  bien, 
et  luy  fit  avoir  de  l'employ  \  On  dit  qu'un  jour  elle 
disoit  à  la  Reyne-mere  :  «  Ah  !  Madame ,  si  vous 
»  connoissiez  M.  de  Bullion  comme  moy  î  —  Diou 
»  m'en  garde,  Madame  la  Comtesse,  »  dit  la  Reyne. 
(Car  elle  n'a  jamais  sceû  prononcer  le  françois,  et 

^  Son  père  estoit  maistre  des  Requestes  *.  Jean  de  Bullion. 

2  II  estoit  conseiller  au  parlement  de  Paris,  et  par  hazard  fut  son 
rapporteur.  ^  On  monstra  à  Pompeo  Frangipaui  M,  de  Montmorency, 
M.  de  Bassompierre  et  ce  petit  bout  d'homme  ;  et  on  luy  dit  :  «  Devi- 
»  nez  lequel  des  trois  a  fait  fortune  par  les  femmes?  »  Il  se  mit  à  rire, 
et  dit  :  «  Seroit-ce  ce  petit  vilain  ?  —  Ouy  ;  les  autres,  tout  beaux  qu'ils 
»  sont,  y  ont  dépensé  cinq  cens  mille  escus  chascun.  » 

'  C'est  pays  de  droict  escrit  que  le  Dauphiné. 

*  II  fut  président  aux  Enquestes. 

II.  10 


Anne  d'Autriche. 


En  1632. 


Sous  le  nom  de  Biil- 
llon. 


146  LES    HISTORIETTES. 

elle  disoit  Fa  cho,  pour  dire  :  Il  fait  chaud.  Celle-cy  * 
le  prononce  comme  si  elle  estoit  née  à  Paris.  ) 

Cette  M'""  de  Sault  fit  avoir  à  Bullion  l'intendance 
de  l'armée  de  M.  le  comiestable  de  l'Esdiguieres 
contre  les  Génois,  et  il  n'y  fit  pas  mal  ses  affaires  ; 
le  Connestable  et  luy  s'entendoient  fort  bien.  Le 
cardinal  de  Richelieu  le  fit  après  *  surintendant  des 
Finances  avec  M.  Bouthillier,  père  de  M.  de  Cha- 
vigny  ;  mais  Bullion  faisoit  quasy  tout.  G'estoit  un 
habile  homme,  et  qui  avoit  plus  d'ordre  que  tous 
ceux  qui  sont  venus  depuis  '.  Il  disoit  :  «  Fermez- 
»  moy  deux  bouches,  la  maison  de  Son  Eminence  et 
»  l'Artillerie;  après  je  respondray  bien  du  reste*.  » 

Cornuel  faisoit  presque  tout  sous  luy  *,  mais  de 
sorte  qu'il  sembloit  qu'il  ne  fist  rien  sans  en  parler 
au  Surintendant  ;  car  le  bonhomme  se  divertissoit. 
Il  alloit  souvent  chez  la  Brosse,  son  médecin,  qu'il 
avoit  estably  au  Jardin  des  Plantes  du  faubourg 
Saint- Victor  ^  :  là,  il  avoit  des  mignonnes  et  cra- 


1  II  avoit  tousjours  sept  ou  huict  millions  en  reserve,  et  je  ne  sçay 
combien  chez  un  homme  d'Orléans, 

-  Quand  les  premiers  louis  d'or  furent  faits,  il  dit  à  ses  bons  amys  : 
«  Prcncz-en  tant  que  vous  en  pourrez  porter  dans  vos  poches.  »  Bautru 
fut  ccluy  qui  en  porta  le  plus;  il  en  mit  trois  mille  six  cens;  le  bon- 
homme Seneterre  en  estoit.  Je  doute  de  cela.  On  m'a  dit  depuis  que 
cela  estoit  vray,  et  qu'il  le  fit  pour  gaigner  Seneterre.  —  Le  Cardinal 
luy  fit  avoir  le  Cordon  bleu,  en  disant  au  Roy  :  «  Sire,  ce  seroit  une 
»  plaisante  chose  que  cette  figure  avec  le  Cordon.  » 

3  La  Brosse  disoit  que  le  vin  qui  croissoit  sur  cette  petite  butte,  qui 
est  dans  l'enclos  de  ce  jardin,  estoit  assez  bon,  mais  que  si  on  le  gar- 
doit  plus  de  deux  ans  il  sentoit  la  gadoue.  C'est  qu'autrefois  on  la 
jettoit  en  cet  endroit-là,  et  que  cette  butte  en  a  esté  composée,  sinon  en 
tout  au  moins  en  partie. 


M.     DE    BULLION.  147 

puloit*  tout  à  son  aise.  Il  se  faisoit  donner  des  lave-  buvou. 
mens  pour  manger  après  tout  de  nouveau  '.  Il  avoit 
des  raffinemens  pour  le  vin  tout  extraordinaires.  Il 
ne  vouloit  pas  qu'on  bust  immédiatement  après  avoir  , 
mangé  du  lapin ,  parce,  disoit-il,  que  cette  viande 
avoit  je  ne  sçay  quoy  qui  empeschoit  de  le  bien 
gouster.  Je  vous  laisse  à  penser  s'il  en  avoit  du 
meilleur  ;  tous  les  gens  d'affaires  se  tuoient  à  luy  en 

chercher. 

Madelenet*  s'avisa,  quoyque  Bullion  n'aymast  pas  pp^telalin!  mort  en' 

.  1662. 

les  vers,  de  luy  faire  une  ode  latme.  Il  y  avoit  une 
comparaison  au  commencement  qui  me  fit  bien  rire; 
il  le  comparoit  à  un  petit  baril  bien  plein  :  c'est  qu'il 
disoit  qu'un  baril  bien  plein  ne  porte  point  envie  à 
l'abondance  de  la  mer,  et  que  Bullion,  se  conten- 
tant de  ce  qu'il  avoit,  ne  portoit  point  envie  aux 
threzors  des  roys.  Voyez  la  grande  modération  de 
cet  homme!  il  se  contentoit  de  huict  millions,  et 
d'estre  président  au  mortier.  Il  est  vray  que  sa 
charge  estoit  une  charge  nouvelle  *,  et  il  ne  la  faisoit 
point.  Une  autre  chose  fut  encore  assez  plaisante.  Il 
achepta  une  chapelle  à  Saint-Eustache  :  le  peintre 
qui  la  peignit  et  la  dora  vint  un  jour  luy  parler. 

1  n  avoit  des  cerneaux  tout  le  long  de  l'année,  et  tousjours  de  la 
poudre  de  champignons  dans  sa  poche.  H  n'avoit  que  peu  de  gens  à 
crapuler  avec  luy  ;  Seneterre  en  estoit  tousjours  et,  quand  ils  sortoient 
de  Paris,  le  bonhomme  de  Montbazon,  exprès  pour  avoir  des  Gardes  ; 
car,  comme  gouverneur  de  Paris,  il  avoit  tousjours  quelqu'un.  Ce  n'es- 
toit  pas  comme  à  cette  heure,  qu'on  en  a  donné  cinquante  au  mares- 
chal  de  l'Hospital.  —  En  allant  à  Ruel,  où  il  falloit  aller  en  tout  temps 
et  l'hyver,  Bullion  disoit  tousjours  :  «  Faisons  printemps,  faisons  prin- 
temps, »  c'estoit  à  dire  :  «  bouclons  la  portière  du  vent.  » 


!  en  février  1636. 


148  LES   HISTORIETTES. 

«  Allez,  mon  amy,  allez,  »  (car  il  commençoit  tous- 
jours  ainsy) ,  «  que  voulez-vous  ?  —  Monsieur,  c'est 
»  pour  votre  chapelle.  — Eh  bien,  mon  amy,  ma 
»  chapelle  ?  —  Monsieur,  c'est  qu'on  a  accoustumé 
»  de  les  dédier  à  quelque  saint.  —  Eh  bien ,  mon 
»  amy,  à  quel  saint?  —  Monsieur,  à  saint  Paul,  à 
»  saint  André,  à  saint  François,  à  saint  Antoine. 
»  —  Eh  bien,  mets-y  saint  Antoine,  mon  amy.  » 
Sur  cela,  on  disoit  qu'il  avoit  eu  raison,  et  que 
c'estoit  aussy  bien  desjà  la  chapelle  du  petit  co- 
chon. 

Il  craignoit  terriblement  les  bonnes  odeurs.  Mon- 
sansfioute^pieiTese-  gieur  le  Chanccllier  *  avoit  tousjours  des  gants  d'Es- 
pagne au  Conseil  ;  cela  incommodoit  fort  BuUion.  Il 
s'en  plaignit ,  comme  si  l'autre  l'eust  fait  exprès. 
Le  Cardinal  dit  au  Chancellier  :  «  Puisque  j'oste 
»  mes  gants  de  senteur  pour  l'amour  de  M.  de  Bul- 
»  lion,  vous  pouvez  bien  ester  les  vostres.  »  Il  trait- 
toit  le  Chancellier  d'escollier,  et  le  Chancellier,  qui 
vouloit  estre  payé ,  ne  disoit  mot  et  avalloit  cela 
doux  comme  de  l'eau. 

Il  appelloit  sa  femme  la  grosse  amie.  C'estoit  une 
bonne  femme,  mais  un  peu  hypocondriaque;  on 
dit  qu'elle  donne  aux  pauvres  '. 


*  On  m'a  asseuré,  et  cela  vient  de  le  Camus,  son  advocat,  que  l'in- 
ventaire de  Bullion  montoit  à  sept  cens  mille  livres  de  rente.  On  di- 
soit, en  22  *,  qu'il  avoit  desjà  soixante  mille  escus  de  revenu  :  il  ne 
fut  fait  surintendant  que  dix  ans  après.  Richer,  notaire,  comme  on 
fit  l'inventaire,  dit  à  M"""  de  Bullion  :  «  Voyez,  Madame,  si  vous  avez 
»  encore  quelque  chose  à  dire.  Est-ce  là  tout  ?  il  ne  faut  rien  cacher.  » 
Cette  bonne  grosse  dame  crut  qu'il  la  soupçounoit,  et  changea  de  cou- 


M.     DE     BULLION.  149 

Je  trouverois  assez  à  propos  de  faire  une  com- 
paraison de  Bullion  avec  les  surintendans  d'aujour- 
d'huy.  Ceiix-cy,  à  leur  table,  à  leurs  bonnes  for- 
tunes, à  leurs  maisons,  dépenseront  plus  en  six 
ans  que  Bullion  n'a  laissé;  par  exemple,  la  table 
de  Fouquet  couste  deux  cens  mille  livres,  je  veux 
dire  la  despense  du  Maistre  d'hostel  est  de  cinq  cens 
livres  par  jour.  A  Vaux ,  il  y  a  six  cens  personnes 
nourries  :  jugez  du  reste.  Bullion,  une  fois  qu'il  a 
eu  un  million,  a  pu  espargner,  car  il  ne  tenoit  point 
table ,  et  n'avoit  qu'un  équipage  fort  médiocre. 
Bien  loing  de  bastir,  il  jettoit  à  bas  le  bastiment  des 
terres  qu'il  acheptoit  au  loing,  pour  avoir  moins 
d'entretien.  A  Pari.^,  i!  n'a  point  de  palais. 

Le  cardinal  de  Richelieu  souhaitta  queBonnelle*,  mm?ifeifie3^"chari 

lotte  de  Prie,  fille  du 

filz  aisné  de  Bullion,  espousast  M"'  de  Toussy,  marqua  de  Toucy. 
qui  estoit  un  peu  parente  de  Son  Eminence.  Bon- 
nelle  n'en  avoit  point  d'envie.  Il  estoit  amou- 
reux de  M"""  de  Montbazon  ;  mais  le  père  le  luy 
fit  faire  en  despit  de  luy.  11  a  esté  malheureux  en 
enfans,  ce  bonhomme  ;  il  n'y  en  a  pas  un  qui  ayt 
réussy.  L'abbé  de  Saint-Faron,  qui  avoit  soixante 
mille  livres  de  rente,  sans  ce  qu'il  attendoit  de  sa 
mère ,  a  assez  fait  le  niais  avec  la  vieille  Martel  ;  et 


leur.  «  Si  vous  ne  sçavez  rien  de  plus,  »  adjousta-t-il,  <<  j'ay  à  vous 
»  dire,  moy,  que  je  sçay  où  feu  Monsieur  vostre  mary  avoit  déposé  cent 
»  vingt  mille  escus  d'or  en  espèces  ;  c'est  chez  moy.  Il  n'en  avoit  aucune 
»  reconnoissance ,  et  je  voy  bien  qu'il  n'y  en  a  point  de  registre 
»  chargé.  »  Il  les  restitua,  et  on  luy  donna  dix  mille  escus  pour  cela  et 
pour  le  reste. 


150  LES   HISTORIETTES. 

après,  en  une  maladie,  la  peur  du  Diable  le  saisit 
tellement,  qu'il  se  mit  dans  l'Oratoire'. 

Nous  parlerons  ailleurs  de  Bonnelle  et  de  sa 
femme  :  et  du  reste,  j'ay  ouy  dire  que  quand  il  maria 
sa  fille  avec  feu  M.  le  premier  président  deBellievre, 
alors  maistre  des  Requestcs,  il  y  avoit  cent  mille  es- 
cus  dans  le  contract  ;  mais  comme  le  notaire  vint  à 
lire  cent  mille  escus ,  Bullion  dit  :  «  Adjoustez  d'or, 
»  monsieur  le  Notaire.  )•  G'estoit  alors,  je  pense,  cin- 
quante mille  escus  au  moins  plus  qu'il  n' avoit  promis. 

Le  bonhomme  mourut  de  crapule  en  moins  de 
rien  ^. 

1  La  Taulade  le  filz,  un  gentilhomme  béarnois,  un  peu  maquereau, 
s'estaut  attaché  à  luy,  a  fait  aussy  le  dévot  par  nécessité,  et  l'a  suivy 
à  Saint-Magloirc.  Il  arriva  une  fois  au  perc  de  ce  la  Taulade  une  plai- 
sante chose.  C'est  un  fort  gros  homme  :  un  jour  le  fond  de  sa  chaise 
s'enfonça  ;  le  voylà  les  piez  à  terre  ;  les  porteurs ,  par  malice  ou  autre- 
ment, ne  faisoient  pas  semblant  d'entendre.  Il  alla  dans  les  crottes 
tout  du  long  du  Pont-Neuf,  comme  s'il  eust  esté  sous  un  dais. 

2  Cornuel  ne  mourut  pas  si  commodément.  Il  eut  le  loisir  d'avoir 
bien  peur  du  Diable,  et  comme  il  se  tourmentoit  comme  un  procuceur 
qui  se  meurt,  Bullion  luy  disoit  :  «  Ne  vous  inquiettcz  point,  tout  est  au 
1)  Roy,  et  le  Roy  vous  l'a  donné.  » 

—  On  m'a  dit,  mais  je  ne  voudrois  pas  l'asseurer,  que  Bullion  mou- 
rut de  dcsplaisir  pour  avoir  rcccù  un  coup  de  pied  du  cardinal  do  Ri- 
chelieu. Le  feu  Roy  vouloit  avoir  cent  mille  livres  pour  quelque  chose  ; 
le  Cardinal  luy  dit  que  M.  de  Bullion  estoit  chargé  de  despenscs  pres- 
sées, et  que  cela  seroit  diflicilc  pour  le  présent.  Bullion  parla  comme  le 
Cardinal  vouloit.  A  quelque  temps  de  là.  Coquet,  confident  de  Bullion, 
avertit  le  Roy  qu'on  avoit  des  fonds;  il  fallut  donner  cet  argent  au  Roy. 
Le  Cardinal  crut  que  Bullion  avoit  voulu  faire  sa  cour  à  ses  despens, 
car  le  feu  Roy  avoit  dit  quelque  chose  sur  cela  au  Cardinal  qui  ne  luy 
L'alliance  de  Bon-  avoit  pas  plu.  Il  luy  reprocha  son  alliance*,  le  malmena  et  le  frappa.  Ce 
Toussy"^^"^  '^'"°  ^^  "'^st  pas  la  première  fois  que  cela  luy  est  arrivé  dans  la  colère  ;  il 
donna  un  soufflet  à  Cavoye  pour  avoir  changé  un  ordre.  Cela  est  de 
conséquence  en  fait  de  Gardes;  Cavoye  avoit  tort.  A  quelques  jours  de 
là,  il  luy  en  demanda  pardon. 


M.    DE    BULLION.  151 


COMMENTAIRE. 

I.  —  P.  145,  lig.  2. 

La  comtesse  de  Sauli  mère  de  M.  de  Creqmj. 

Chrestienne  d'Aguerre,  veuve  en  premières  noces  d'Antoine  de  Blan- 
chefort-Crequy ,  et  en  secondes  noces  de  François-Louis  d'Agoult, 
comte  de  Sault.  De  son  premier  mariage  elle  eut  Charles  de  Crequy,  duc 
de  Lesdiguieres,  dont  l'historiette  est  au  premier  volume,  et  qui  porta 
le  titre  de  comte  de  Sault,  après  la  mort  de  son  frère  utérin,  Louis 
d'Agoult,  comte  de  Sault.  En  mourant ,  ce  dernier  avoit  fait  un  testa- 
ment en  faveur  de  sa  mère  ;  le  testament  fut  attaqué  par  Jeanne  d'A- 
goult, veuve  du  comte  de  Montrevel,  et  belle-sœur  de  la  comtesse  de 
Sault.  C'est  de  ce  procès  que  des  Réaux  entend  parler.  M"^  de  Sault 
etoit  une  femme  de  grand  courage  et  d'une  indomptable  activité. 
«  Elle  mourut  en  1611,  et  légua  six  mille  livres  de  rente  à  BuUion.  Il 
»  avoit  tousjours  esté  dans  ses  interests,  et  cette  libéralité  fut  le  paye- 
»  ment  des  bons  offices  qu'elle  en  avoit  receus.  Dans  des  occasions  im- 
»  portantes,  Crequy  eut  en  luy  un  secours  qui  ne  luy  manqua  jamais.  » 
(Chorier,  Histoire  du  mareschal  de  Crequy,  p.  122.) 

Rappelons  ici  le  duel  de  Louis  d'Agoult,  fils  de  la  comtesse  de  Sault, 
avec  Michel-Antoine  du  Prat,  baron  de  Nantouillet,  au  mois  de  mars 
1606.  Nantouillet  d'abord  avoit  appelé  Charles  de  Crequy;  mais 
Henry  IV,  averti,  leur  avoit  défendu  de  se  battre.  Cependant  Nantouil- 
let rencontre  le  comte  de  Sault ,  il  lui  parle  de  sa  querelle  avec  son 
frère  utérin  :  le  comte  de  Sault,  que  n'atteignoit  pas  la  défense  du  Roi, 
se  propose  pour  remplacer  Crequy.  L'offre  est  acceptée  et  Nantouillet 
meurt  percé  d'un  coup  d'epée.  Le  Parlement  prévenu  envoie  des  com- 
missaires sur  le  champ  du  combat  ;  ils  trouvent  Nantouillet  baigné  dans 
son  sang  :  «Qui  vous  a  assassiné?  »  luy  demandent-ils.  —  «  Un  gentil- 
»  homme  d'honneur,  messieurs,  à  qui  les  armes  ont  été  plus  favorables.  :> 
Il  expira  peu  de  temps  après.  (Voyez  le  Mercure  françois.)  Pour  le  comte 
de  Sault,  il  mourut  le  1"  janvier  1609,  victime  d'une  drogue,  l'huile 
d'ambre ,  qu'il  avoit  prise  pour  faire  mieux  son  devoir  auprès  d'une 
maîtresse.  {Journal  de  l'Estoilc.) 

Ces  d'Agoult  etoient  de  leur  nom  Mautauban,  et  avoient  été  substi- 
tués, à  défaut  des  mâles,  aux  biens  et  au  nom  des  anciens  comtes  de 
Sault.  Ils  s'éteignirent  avec  notre  Louis  d'Agoult,  comte  de  Sault. 

Les  d'Agoult  d'aujourd'hui  descendent  directement  de  Raimond  II 
d'Agoult,  mari  de  la  célèbre  comtesse  de  Die,  émule  des  Troubadours. 
Ils  n'ont  jamais  porté  le  titre  de  comtes  de  Sault. 


152  LES    HISTORIETTES. 

II. —  P.  146,  note  2,  Ilg.  li- 
on m'a  dit  depuis  que  cela  estait  vraij,  et  qu'il  le  fit  pour  guigner 
Seneterre. 

Mais  des  Réaux  auroit  dû  ajouter  qu'en  IG.'iO,  date  do  la  fabrica- 
tion des  premiers  louis  d'or,  M.  do  Senneterre  ctoit  gagné  depuis  long- 
temps, du  moins  au  Cardinal.  (Historiette,  tom.  i,  p.  22G.) 

Claude  Cornuel,  dont  on  parle  aussitôt  après,  fut  intendant  des 
Finances,  puis  président  de  la  chambre  des  Comptes.  C'etoit  le  frère 
cadet  du  mari  de  la  célèbre  M""'  Cornuel,  qui  aura  son  Historiette. 

Guy  de  la  Brosse,  médecin  ordinaire  de  Louis  XIII,  etoit  intendant 
du  Jardin  Royal  dès  1616,  mCme  avant  la  grande  faveur  de  Bullion. 

La  butte  du  Jardin  des  Plantes  est  depuis  plus  d'un  siècle  couverte 
d'arbres  qui  forment  assez  de  détours  pour  mériter  le  nom  de  labyrin- 
the qu'on  lui  donne  aujourd'hui.  Des  Réaux  nous  paroît  le  seul  qui 
ait  mentionné  la  vigne  plantée  sur  les  flancs  de  la  butte.  Mais,  pour  ce 
qui  regarde  la  Brosse,  on  nous  pardonnera  de  citer  ici  le  bon  Guy 
Patin,  qui  d'aventure  en  auroit  mieux  parlé,  si  la  Brosse  n'avoit  pas 
usé  d'emétique,  «  La  Drosse  qui  avoit  ici  le  Jardin  du  Roy,  au  fau- 
»  bourg  de  Saint-Victor,  est  mort  le  samedy ,  dernier  jour  d'aoust  (1641). 
»  Il  avoit  un  flux  de  ventre  d'avoir  trop  mangé  de  melons  et  trop  bu 
1)  de  vin.  Pour  ce  dernier  ce  n'etoit  point  tant  sa  faute  que  sa  cou- 
»  tume.  Il  se  plaignoit  d'une  grande  puanteur  interne...  Il  se  fit  frot- 
»  ter  tout  le  corps  d'huile  do  carabe  quatre  jours  durant  le  matin  et 
»  avaloit  à  jeun  un  grand  dcmy-septier  d'eau-de-vie,  avec  un  peu  de 
»  quelque  huile  astringente.  Quand  il  vit  que  cela  ne  luy  servoit  de 
»  rien,  il  se  ht  préparer  un  emétique  qu'il  prit  le  vcndredy  au  soir, 
»  dans  l'opération  duquel  il  mourut  le  lendemain  matin.  Sic  impuram 
»  vomuit  animant  impunis  ille  nebulo,  in  necandis  hominibus  exercita- 
n  tissimus.  Comme  on  luy  parla  ce  mesme  vcndredy  d'cstre  saigné,  il 
»  repondit  (\uc  c'etoit  le  remède  des  pedans  sanguinaires  (il  nous  fai- 
»  soit  l'honneur  de  nous  appeler  ainsi),  et  qu'il  aimoit  mieux  mourir 
»  que  d'estre  saigné.  Aussi  a-t-il  fait.  Le  diable  le  saignera  en  l'autre 
»  monde,  comme  mérite  un  fourbe,  un  athée,  un  imposteur,  un  homi- 
»  cide  et  bourreau  public,  tel  (ju'il  etoit  ;  qui  mesme  en  mourant  n'a  eu 
»  non  plus  de  sentiment  de  Dieu  qu'un  pourceau,  duquel  il  imitoit  la 
»  vie  et  s'en  dounoit  le  nom  ;  comme  un  jour  il  monstroit  sa  maison  à 
»  deux  dames ,  quand  il  vint  à  la  chapelle  du  logis,  il  leur  dit  :  Voilà 
»  le  saloir  où  on  mettra  le  pourceau,  quand  il  sera  mort.  Il  se  nommoit 
»  assez  souvent  :  pourceau  d'Epicure ,  etc.  »  (  Lettre  du  h  septembre.  ) 

Crapulcr  avoit  au  xvn*  siècle  une  acception  moins  défavorable.  Il 
signifioit  boire  avec  excès.  «  Crapule  »  dit  Nicot ,  «  cbrietas.  » 


M,    DE    BULLION.  153 

m.  —  p.  ui ,  lig.  1. 

//  se  faisait  donner  des  lavemens  pour  manger  après  tout  de  nouveau. 

Ce  procédé  etoit  peut-être  préférable  à  celui  qui  n'est  pas  inusité  en 
Angleterre  et  qui  consiste  à  rejeter  ce  qu'on  a  pris  du  premier  ser- 
vice, avant  de  faire  honneur  au  deuxième.  Les  Romains,  arbitres  des 
anciennes  élégances,  agissoient  comme  nos  chers  voisins. 

Quant  à  la  poudre  de  champignons ,  BuUion  l'employoit  pour  les 
ragoûts  qu'on  lui  servoit  chez  les  autres.  «  La  poudi-e,  de  champignon , 
»  seichée  au  soleil,  est  excellente  pour  faire  des  sausses.  »  (Furetiere.) 

IV.  —  P.  Ii7,  Ug.  10. 
Madelenet  s'avisa...  de  luy  faire  une  ode  latine. 
Voici  les  deux  stances  rappelées  : 

Quale  vas  suuKno  tenus  ore  plénum 
Fontis  infuso  vitrei  liquore, 
Kon  maris  vasti  nimium  profundis 
Invidct  undis, 

Kostra  te  talem  veneratur  setas, 
Ante  quirsitis  opibus  beatum, 
Quam  reluctanti  tibi  crederetur 

Regia  gaza. 

(G.  M.VDZLZj\-ETi  Carminum  libellus,  Parisiis,  1662,  p.  25.) 

V.  —  P.  l!il,  note,  lig.  dernière. 

Faisons  printemps,  faisons  printemps.  C'estoit  à  dire  :  «  Bouclons  la 
»  portière  du  vent.  » 

La  portière  d'un  carrosse  se  fermoit  ou  boucloit  en  dehors  ;  mais 
Bullion  vouloit  qu'on  fermât  encore  en  dedans  les  ouvertures  ména- 
gées pour  la  vue,  et  c'est  là  ce  qu'il  appeloit  :  faire  printemps.  Peut- 
être  encore  etoit-ce  le  refrain  d'une  chanson  connue. 

VL  —  P.  148,  lig.  8. 
Eh  bien,  mets-y  saint  Antoine. 

Cela  est  bien  plus  joli  que  la  version  pincée  du  P.  Bouhours,  dans  ses 
Remarques  sur  La  langue  française  :  u  Je  ne  scay,  »  dit-il,  «  si  le  surinten- 
»  dant  Bullion  parla  fort  juste,  quand,  ayant  fait  hast ir  une  chapelle 
»  aux  Cordeliers,  il  repondit  aux  Pères  qui  vinrent  luy  demander  à  quel 
»  saint  il  vouloit  qu'elle  fust  dédiée  :  —  Helas,  mes  Pères,  ils  me  sont 
»  tous  indi/férens,  je  n'en  affectionne  aucun  en  particulier.  » 


154  LES    HISTORIETTES. 

Bullion  contribua  surtout  à  l'achèvement  de  l'église  deSaint-Eustu- 
che.  Cette  église,  commencée  par  David  en  1532,  avoit  été  terminée  en 
1642  ;  mais  les  travaux  depuis  exécutés  d'après  les  vœux  de  Colbert 
ayant  ébranlé  la  façade,  qui  etoit  en  parfaite  harmonie  avec  le  reste  de 
l'édifice,  comme  on  peut  juger  par  les  anciennes  gravures,  Colbert  en 
mourant  légua  quarante  mille  francs  pour  contribuer  à  sa  reconstruc- 
tion. En  1752  les  intérêts  successifs  avoient  fait  élever  cette  somme  à 
cinquante  mille  ecus.  Alors  on  commença  cette  malheureuse  façade 
qui,  d'abord  objet  de  l'admiration  publique,  choque  aujourd'hui  tout  le 
monde.  Deux  chapelles,  peintes  à  fresque  par  Mignard  et  par  Lafosse, 
furent  sacrifiées  :  cependant  ce  portail  ne  doit  pas  empocher  d'admirer 
le  caractère  étrange,  imposant,  grandiose  du  vaisseau  de  Saint-Eus- 
tachc,  de  ces  colonnes,  il  est  vrai  anguleuses  et  tourmentées,  mais  har- 
dies et  jointes  plus  gracieusement  qu'on  ne  sauroit  dire  aux  nervures 
de  la  voûte.  C'est  d'ailleurs  le  seul  monument  religieux  de  premier  ordre 
où  l'on  ait  voulu  marier  les  traditions  de  l'art  grec  à  celles  de  l'art  go- 
thique ;  et  l'on  croiroit  que  l'architecte  de  Saint-Eustachc  dût  avoir  été 
celui  de  Chambord.  Malheureusement,  commencée  sous  François  I", 
achevée  sous  Louis  XIII,  Louis  XIV  et  Louis  XV,  l'église  de  Saint-Eus- 
tache  a  été  depuis  dépouillée  de  ses  principaux  orncmens,  de  la  plupart 
de  ses  tombeaux,  de  ses  tableaux,  de  ses  fresques,  de  ses  statues,  de  son 
chœur,  de  ses  chapelles.  On  ne  sait  plus  môme  aujourd'hui  où  se  trou- 
voit  l'ancienne  chapelle  de  saint  Antoine,  qu'on  auroit  dû  conserver, 
ne  fût-ce  qu'en  mémoire  de  l'un  des  plus  généreux  bienfaiteurs  de  l'église. 

VII.  —  P.  U9  ,  lig.  14. 

A  Paris  il  n'a  point  de  palais. 

Nous  avons  vu  détruire  il  y  a  peu  de  temps  son  hôtel,  situé  rue  Pld- 
tribre  (aujourd'hui  Jean-Jacqjtes-Rousseau  ) ,  n"  3.  C'etoit  une  maison 
assez  modeste  pour  un  riche  surintendant;  quelle  distance  de  là  aux 
hôtels  de  Fouquet  et  de  Colbert  !  Mais  deux  charmantes  galeries,  exé- 
cutées vers  1634  par  Sarrasin,  Blanchard  et  Simon  Vouct,  font  regretter 
la  barbarie  du  peintre  Paillct,  qui  ayant  acheté  l'hôtel  Bullion  vers  1780, 
s'empressa  de  les  détruire  pour  former  de  vastes  salles,  destinées  aux 
ventes  publiques  de  livres  et  de  tableaux. 

Vouet  avoit,  dans  la  galerie  haute,  retracé  l'histoire  d'Ulysse;  Blan- 
chard, cet  émule  du  Titien  qui  mourut  en  1638  à  trente-sept  ans,  pour 
avoir,  si  l'on  en  croit  Sauvai,  trop  aimé  sa  femme,  Blanchard  s'etoit 
surpassé  en  représentant  dans  la  galerie  basse  les  douze  mois  de  l'an- 
née. «  J'ay,  »  dit  Sauvai ,  «  admiré  dans  le  mois  de  may,  un  certain  pe- 


M.    DE    BULLION.  155 

»  tit  amour  en  l'air,  qui  vole  ;  mais  si  rond,  si  tendre,  si  délicat ,  l'air 
»  de  la  teste  est  si  enfantin,  ses  yeux  si  doux  et  si  rians,  son  action  si 
»  ingénue,  sa  chair  enfin  si  blanche  que  le  lait  dont  on  nourrit  les  en- 
»  fans  ne  l'est  pas  plus...  Mais  surtout  je  ne  saurois  me  taire  d'une 
»  Diane  sur  une  nue,  qu'on  voit  au  mois  de  novembre  ;  ce  n'est  qu'une 
»  demi-figure;  mais  il  s'y  voit  tant  de  belles  parties,  qu'il  est  fascheux 
M  que  le  reste  soit  enveloppé  de  nuages.  Ses  yeux  gracieux  et  bien  fen- 
»  dus,  ses  joues  fraisches  et  vermeilles,  ses  bras  ronds,  sa  gorge  blan- 
»  che,  son  air  noble,  sa  teste  bien  coiffée  et  couronnée  d'un  croissant, 
»  donnent  de  la  tentation  à  ceux  qui  la  regardent  trop  curieusement. 
))  Les  autres  histoires  sont  plus  négligées ,  et  néanmoins,  il  n'y  en  a 
»  pas  une  où  il  ne  se  remarque  quelque  chose  d'admirable.  La  plus 
M  estimée  est  celle  du  mois  d'aoust...  vis-à-vis  de  la  porte.  Dans  cette 
»  histoire,  Cerès  et  Flore  assistent  au  défi  de  Pan  et  d'Apollon ,  et 
»  toutes  deux  écoutent  attentivement  ce  concert.  A  la  vérité  Flore  est 
»  une  très-belle  déesse,  la  beauté  de  Cerès  néanmoins  est  toute  autre. 
»  Cette  divinité  est  assise  sur  des  gerbes  de  bled  et  coiffée  d'une  guir- 
»  lande  d'epis,  entrelacée  de  salsifies  et  de  ces  autres  fleurettes  dont 
»  les  bleds  d'ordinaire  sont  entremeslés.  Qu'une  coiffure  si  simple  est 
»  galante,  et  qu'elle  accompagne  bien  son  beau  visage  !  Il  ne  se  peut 
»  rien  voir  de  plus  gracieux  que  sa  teste,  de  plus  amoureux  que  ses 
»  yeux,  de  plus  doux,  de  plus  noble  que  son  air,  rien  enfin  de  plus 
»  rond  que  son  sein,  ses  bras,  ses  mains  et  ses  jambes;  sajuppe  est 
»  bien  drapée,  en  un  mot  c'est  une  des  beautés  les  plus  innocentes  et 
))  les  plus  parfaites  qu'ait  produit  le  pinceau.»  (Tom.  ii,  p.  19i.) 

Vm.  —  P.149,lig.  15. 
Le  Cardinal  souhaitta  que  Bonnetle...  espousast  J/"^  de  Toussy. 

On  lit  dans  un  recueil  manuscrit  de  lettres  écrites  de  Paris  par 
Henry  Arnault,  au  président  de  Barillon  durant  sa  disgrâce,  1639- 
1643,  à  la  date  du  16  février  1639  :  «  La  maistresse  de  M.  de  Bonnel- 
»  les  arrive  aujourd'huy  à  Eponne ,  on  croit  qu'ils  seront  mariés  à 
))  Videville.  Une  personne  m'a  dit  aujourd'huy  avoir  veu  les  presens 
»  qu'il  luy  fait.  Ils  consistent  en  un  filet  de  perles  parfaitement  beau, 
»  xme  paire  de  peudans  d'oreille,  trois  diamans  ,  une  boete  de  dia- 
»  mans  et  trois  mille  pistoles  en  argent.  M.  de  Bullion  donne  à  son  fils 
»  soixante-sept  mille  livres  de  rentes  en  fonds  de  terre,  et  pour  deux 
»  cens  mille  francs  de  bagues  et  de  meubles.  Il  fait  meubler  la  maison 
»  qu'il  a  achettée  pour  luy  de  toutes  les  choses  imaginables  ,  depuis  le 
')  premier  jusqu'à  la  cave.  »  Le  mariage  se  fit  bieniost  après,  car  le 
»  16  mars  suivant:  «il  y  a  desjà  mésintelligence  entre  M.  de  Bonnelles 
1)  et  sa  femme.  » 


156  LES    HISTORIETTES. 

IX.  —  P.  149,  lig.  22. 
Vahhé  de  Saint-Far  on... 

Pierre  de  BuUion,  abbé  de  Saint-Faron,  mourut  aux  Carmélites  de 
la  rue  d'Enfer,  le  28  novembre  1Gj9,  et  fut  enterré  dans  cette  église, 
sous  une  belle  tombe  de  marbre  : 

Monsieur  ilo  Biillion  l'al)bé 

La  nuict  dernière  a  sueeombé 

Sous  la  sévérité  mortelle 

D'Atropos  la  parque  cruelle. 

Et  tiré  droit  vers  paradis. 

Il  fut  un  peu  gaillard  jadis, 

Mais  son  anie  au  monde  engagée 

S'estoit  si  saintement  ebangée, 

C'est-à-dire  de  pis  en  mieux. 

Qu'on  le  croit  maintenant  aux  oieux. 

(LoRET,  Muse  historique  du  29  novembre  1689  ) 

X.—  P.  150,  lig.  8. 

«  Adjoustez  d'o>\  monsieur  le  Notaire.  » 

C'est-à-dire  :  payez  en  or.  Les  ecus  avoient  été  dépréciés  depuis 
l'émission  des  louis  d'or,  et  cela  permet  de  bien  entendre  l'anec- 
dote précédente  de  l'offre  de  louis  faite  à  Bautru ,  Senneterre ,  etc. 
C'ctoit  donner  un  bon  conseil  à  ces  messieurs  que  de  les  engager  à  se 
défaire  de  leurs  ecus  pour  la  môme  somme  en  louis.  Mais  personne 
ne  doit  admettre  que  l'économe  Bullion  ait  invité  ses  convives  à 
prendre  dans  les  coffres  du  Roi,  qui  dix,  qui  vingt  ou  quarante  mille 
francs  en  espèces.  Voyez  pourtant  ce  que  cela  est  devenu  :  dans  les 
Pièces  intéressantes  et  peu  connues  de  la  Place ,  la  même  anecdote  est 
ainsi  transformée  :  »  Le  Surintendant  ayant  donné  à  dîner  au  premier 
»  mareschal  de  Grammont,  au  mareschal  de  Villeroy,  au  marquis  de 
»  Souvré  et  au  comte  d'Hautefcuillc,  fit  servir  au  dessert  trois  bassins 
»  remplis  de  louis,  dont  il  les  engagea  :\  prendre  ce  qu'ils  voudroient. 
»  Ils  ne  se  firent  pas  trop  prier,  et  s'en  retournèrent  les  poches  si 
»  pleines  qu'ils  avoient  peine  à  marcher,  ce  qui  faisoit  beaucoup  rire 
»  Bullion.  »  Dulaure  exagère  la  même  aventure  qui  d'abord  avoit  été 
mise  sur  le  compte  de  Souscarrière ,  dans  le  roman  des  Mémoires  du 
marquis  de  Montbrun.  Ailleurs,  le  même  Dulaure,  en  alléguant  Dan- 
geau,  dit  que  Bullion  «  avoit  toujours  une  boîte  remplie  non  de  tabac, 
mais  à'excrémens  Immains.  »  C'est  ainsi  qu'on  traduit  la  poudre  de 
champignons  dont  des  Réaux  a  parlé  plus  haut. 


M.    DE    BULLION.  157 

XI.  —  P.  150,  note  2,  lig.  3. 
Ne  vous  înquîettez  point  ;  tout  est  au  Roy,  et  le  Roy  vous  l'a  donné. 

L'anecdote  est  autrement  racontée  par  Amelot  de  la  Houssaye  : 
«  Estant,  »  dit-il,  «  au  lit  de  la  mort,  Cornuel  se  confessa  au  vicaire 
»  de  sa  paroisse,  qui  luy  refusa  l'absolution,  s'il  ne  restituoit  aupara- 
»  vant  deux  cent  mille  escus  qu'il  avoit  mal  acquis.  Le  malade  en 
»  parla  à  M.  de  Bullion,  qui  alla  consulter  le  cas  avec  le  cardinfil  de 
»  Richelieu.  La  réponse  du  Cardinal  fut  que  toutes  ces  sortes  de  res- 
»  titutions  appartenoient  au  Roy,  comme  seigneur  de  tous  les  biens  ; 
»  que  le  Roy  donnoit  en  pur  don  les  deux  cent  mille  escus  dont  il  s'a- 
»  gissoit  au  président  Cornuel  pour  les  bons  services  qu'il  avoit  rendus 
»  à  l'Estat,  et  qu'ainsy  le  Président  pouvoit  se  faire  donner  l'absolution. 
»  Cornuel,  muni  de  ce  sauf-conduit,  passa  paisiblement  en  l'autre  vie.  » 
{Mém.  de  la  Houssaye,  tom.  ir,  p.  428.) 

Il  est  prol)able  que  la  Houssaye  est  le  moins  exact.  Autrement,  Mont- 
chal,  archevûque  de  Toulouse,  cet  ardent  ennemi  de  Richelieu,  le  lui 
auroit  reproché ,  au  lieu  de  seulement  dire  que  Bullion ,  homme  de 
grand  esprit ,  avoit  formé  cette  maxime ,  que  tout  estait  au  Roy,  ne 
trouvant  point  d'autre  remède  pour  apaiser  les  remords  de  sa  cons- 
cience. «  Et  on  sait,  »  ajoute-t-il,  «  qu'il  s'en  servit  pour  consoler  Cor- 
»  nuel  mourant,  qui  estoit  comme  au  desespoir  de  son  salut.  »  (J/<?- 
moires,  édition  de  1718,  tom.  ii,  p.  3.) 

Dans  une  bonne  Mazarinade  de  1649,  le  Confiteor  du  Chancellier  au 
temps  de  Pasques,  on  fait  ainsi  parler  Seguier  :  «  Je  me  ressouviens 
»  que  feu  M.  de  Bullion,  mon  tres-clier  confrère  et  bon  amy,  avoit  fait 
»  présent  d'un  parement  complet  et  fort  riche  à  Messieurs  de  l'abbaye 
»  de  Saint-Victor.  Ces  vénérables  religieux  députèrent  quelques-uns 
»  de  leur  corps  pour  luy  tesmoigner  leur  reconnoissance.  M.  de  Bul- 
»  lion  leur  repartit  :  Messieurs,  vous  ne  m'avez  point  d'obligation  du 
)»  présent  que  je  vous  ay  fait,  sinon  que  je  vous  ay  choisis.  C'est  l'ar- 
»  gent  du  Roy  que  je  vous  ay  donné;  priez  Dieu  pour  luy,  nous  n'en 
1)  sommes  que  les  dispensateurs.  »  (P.  6.) 

XII.  —  P.  150,  note  2,  lig.  10. 
Coquet,  confident  de  Bullion. 

François  Coquet,  financier  habile,  nommé  dans  la  Milliade  : 
Le  gros  Coquet,  ce  gros  taureau. . . 


158  LES    HISTORIETTES. 

Et  dans  un  couplet  de  vaudeville  : 

Paris,  qu'on  t'est  redevable 
D'avoir  proiUiit  à  la  fois 
Un  beau  couple  de  François, 
Tous  deux  si  channans  i"i  table  ; 
François  Coquet  le  premier, 
Comme  le  plus  honorable, 
François  Coquet  le  premier. 
Et  l'autre,  François  Pommier. 

«  Ces  jours  passés  fut  enterré  icy  un  nommé  François  Coquet,  con- 
»  trollcur  de  la  maison  de  la  Reyne.  Il  avoit  les  cheveux  blancs,  et 
»  n'avoit  que  quarante-quatre  ans.  Il  estoit  le  plus  beau  disncur  et  le 
»  plus  grand  buveur  de  Paris.  Bon  compagnon  et  fort  friand...  Enfin, 
»  il  est  mort  avec  grand  jugement  et  grand  regret  de  sa  vie  passée. 
»  Le  vin  pur  qu'il  a  bu  a  fait  tout  cela.  »  { G.  Patin,  2  juin  1645.  ) 

XIII.  —  P.  150,  lig.  derniëre. 

Le  bonhomme  mourut...  en  moins  de  rien. 

D'apoplexie,  suivant  Guy-Patin  :  «  Il  tomba  malade  vendredy  après 
»  midy,  il  fut  confessé,  communié,  saigné  deux  fois  du  bras,  une  fois 
1)  au  pié.  Monsieur  le  Cardinal,  sçacliant  la  grandeur  de  son  mal,  le 
»  vint  voir,  et  le  trouva  sans  voix  et  sans  connoissance.  Ayant  veû 
»  quoy,  solulus  in  lacrijmas.  princeps  purpuratus  recessit.  Le  malade 
»  mourut  ex  su/focatiotie  cerebri.  »  (Lettre  du  26  décembre  16ii0.) 

Le  tombeau  de  BuUion  ornoit  une  des  chapelles  de  l'église  Saint-André- 
des-Arts.  Il  etoit  en  marbre  noir  surmonté  d'un  buste  en  marbre  blanc. 

Les  epitaphes  satyriques  tombèrent  sur  Bullion  comme  grûle.  Voici 
les  plus  remarquables  : 

I. 

Icy  dessoubs  gist  Bullion, 
A  qui  la  taille  et  le  taillon. 
Et  la  paulelte  et  la  gabelle, 
Passa  pour  une  bagatelle. 
C'est  par  luy  qu'on  sçait  ce  que  c'est 
Aujourd'huy  que  payer  le  prest. 
C'est  par  luy  qu'on  apprist  en  France 
Ce  que  c'estoit  que  subsistance. 
C'est  par  luy  qu'amortissemens 
Furent  tirez  du  monument; 
Pour  lequel  il  eut  grande  prise 
Avec  prélats  et  gens  d'egUse. 
Mesme  il  voulut  .sans  leur  congé 
Imposer  dessus  le  clergé. 


M.    DE    BULLION.  159 

Comme  il  faisoU  sur  la  canaille, 
Il  mit  les  nobles  à  la  taille. 
Comme  à  la  taxe  les  aisez, 
Qui  n'en  sont  encor  appaisez; 
Il  establit  le  sol  pour  livre  ; 
Mais  enfin  Dieu  nous  en  deslivre. 
Porté  de  la  table  au  tombeau. 
Vivant  et  mourant  en  pourceau. 
Subitement  le  ladre  crevé. 
C'est  grand  dommage,  car  en  Grève, 
Avec  un  plus  juste  destin. 
Il  eust  fait  une  belle  fin. 

II. 

Cy-dessoubs  gist  un  bon  larron. 

Paillard,  gourmand,  grand  biberon. 

Un  homme  de  naissance  obscure. 

Qui  fut  disciple  d'Epicure. 

Je  veux  icy,  d'un  bref  recueil , 

Garantir  ses  faits  du  cercueil. 

Et  rendre  l'histoire  commune 

De  ses  faits  et  de  sa  foi-tune. 

Il  fut  à  son  avènement 

Conseiller  dans  le  Parlement, 

Où,  par  son  infâme  avarice. 

Il  commettoit  mille  Injustices. 

Ce  petit  chicanneur  ruzé. 

D'une  vieille  ayant  abuzé, 

Fist  si  bien  tester  la  donzelle. 

Qu'il  tira  cent  mille  escus  d'elle; 

Apres  il  se  list  couratier 

De  cire,  et  par  ce  beau  mestier, 

S'accrut  de  bien  et  d'alliances . 

Il  fut  intendant  des  Finances, 

Sous  un  grand  chef,  de  là  les  monts. 

Il  y  voila  des  millions 

Sur  les  vivres  et  sur  les  payes 

De  ceux  qui  n'eurent  que  des  plaies 

Et  des  travaux  pour  tout  butin, 

Cependant  que  ce  gros  mastin 

Devoroit  toute  leur  substance. 

Apres  il  s'en  revint  en  France, 

Et  par  cent  mil  escus  comptans 

Il  appaisa  les  dieux  du  temps. 

Qui,  luy  faisant  miséricorde. 

Le  garantirent  de  la  corde. 

Et  devenus  ses  protecteurs. 

Le  firent  un  des  directeurs. 

Avec  le  titre  de  ministre. 

Après  par  l'accident  sinistre 

De  la  mort  du  bon  d'Effiat, 

On  vit  monter  le  scélérat 

Dessus  le  trosne  des  Finances  ; 

Exerçant  là  ses  violences. 


160  LES   HISTORIETTES. 

Il  fit  cstablli-  (les  Impôts 

Pour  troubler  le  commun  repos; 

Chacun  n'en  sçait  que  trop  l'histoire, 

Et  nos  maux  nous  la  font  bien  croire. 

Il  opprima  grands  et  petits 

Sous  le  faix  <le  nouveaux  edits. 

Et  remplit  tant  son  escarcelle 

De  la  misère  universelle. 

Qu'enfin  il  estoit  parvenu 

Aux  millions  de  revenu. 

Gorgé  de  biens,  nourry  de  vice. 

Il  appréhenda  le  supplice. 
Dont  pour  csvitcr  l'accident. 

Il  se  lit  faire  président. 

Puis  «l'un  remords  de  conscience, 
Craignant  la  divine  vengeance. 

Et  que  le  diable  ne  le  prist. 

Il  eut  la  croix  du  .Saint-Esprit. 

Par  ce  moyen,  franc  de  scrupule, 

Il  continua  sa  crapule. 

Et  hors  quelque  heure  le  matin 

11  grcnouilloil  dedans  le  vin. 

Après,  pour  soulager  nature. 

Haut  et  bas  rouluit  la  pilure. 

Ou  de  tiuelque  fort  lavement 

Barbouilloit  son  gros  fondement. 

Tanilis  que  d'humeur  il  se  charge. 

Pour  assouvir  son  ventre  large. 

Un  soir,  après  un  grand  repas. 

Le  vin  avança  son  trespas. 

Et  sa  desbausche  fut  suivie 

De  la  prompte  fin  de  sa  vie. 

Ainsy  vescut,  ainsy  mourut 

Dullion,  filz  de  Bclzebut, 

Qui  dans  l'enfer  enseigne  aux  diables 

Ses  malices  abominables. 

Et  là  bas  pour  emplir  son  sac. 

Mettra  Pluton  uiesme  en  bissac. 

(Malleville.) 

Les  Bullion  ctoient  originaires  de  Mâcon.  Ils  tenoient  dans  le  pays 
un  rang  honorable.  Le  père  du  Surintendant  ctoit  mort  vers  1588  ,  maî- 
tre des  RequCtes.  Le  fils  aîné  de  Claude,  Noël  de  Bullion,  mort  le  3  août 
1670 ,  fut  auteur  des  seigneurs  de  Bonnelie,  marquis  de  Gaillardon  et 
de  Fervaqucs,  éteints  dans  la  première  partie  du  xviii*  siècle. 

Deux  autres  branches,  les  seigneurs,  comtes  et  marquis  de  Fontenay 
et  de  Courcy ,  les  seigneurs,  comtes  et  marquis  de  Montlouct  et  de 
Saint-Amant  semblent  exister  encore. 


LXXIX. 


MADàME   D'AIGUILLON. 

[Marie  Magdetaine  de  Vignerot,  duchesse  d'Aiguillon  en  1638;  morte 
en  Î675.) 


J'ay  desjà  dit*  qui  elle  estoit  et  comment  elle  /fist.deRicheueu. 
fut  mariée  à  Combalet,  qui  estoit  mal  basty  et 
couperosé,  et  qui  n'avoit  rien  que  la  jeunesse. 
Elle  avoit  une  telle  aversion  pour  luy,  qu'elle  ne 
le  pouvoit  souffrir  et  estoit  dans  une  mélancolie 
effroyable.  Quand  il  fut  tué  aux  guerres  des 
Huguenots*,  de  peur  que,  par  quelque  raison  Devant  Momauban, 
d'Estat,  on  ne  la  sacrifiast  encore,  elle  fit  vœu  un 
peu  brusquement  de  ne  se  marier  jamais  et  de  se 
faire  Carmélite.   Ce  fut  aux  Carmélites*  mesmes  Aujourd'hui rued-Eu- 

fer,  n»  67. 

qu'elle  f;t  ce  vœu  ;  elle  s'habilla  aussy  modestement 
qu'une  dévote  de  cinquante  ans.  Elle  n'avoit  pas 
un  cheveu  abattu.  Elle  portoit  une  robe  d' esta- 
mine  *,  et  ne  levoit  jamais  les  yeux.  Avec  ce  sortedeiauieecme. 
harnois-là  elle  estoit  dame  d'atour  de  la  Reyne- 
mere,  et  ne  bougeoit  de  la  Cour  ;  c'estoit  alors  la 
grande  fleur  de  sa  beauté.  Cette  manière  de  faire 
dura  assez  long-temps.  Enfin,  son  oncle  devenant 
plus  puissant ,  elle  commença  à  mettre  des  lan- 
II.  11 


162  LES    HISTORIETTES. 

guettes,  après  elle  fit  une  boucle,  ou  mit  un  petit 
ruban  noir  à  ses  cheveux  ;  elle  prit  des  habits  de 
soye,  et  peu  à  peu  elle  alla  si  avant,  que  c'est  elle 
qui  est  cause  que  les  Veuves  portent  toutes  sortes  de 
couleurs,  hors  du  vert.  Le  cardinal  de  Richelieu 
ayant  esté  déclaré  premier  ministre,  le  comte  de 
Bethune  fut  le  premier  qui  se  présenta  pour  espou- 
ser  M""=  de  Gombalet.  Le  comte  de  Sault,  aujour- 
'"■^Siguièrcs*'"^'  d'huy  M.  de  Lesdiguieres  *  (ce  devoit  estre  un  des 
plus  riches  gentilshommes  de  France) ,  fut  le  second 
qui  se  fit  refuser.  Il  est  vray  que  le  Cardinal  ne  la 
pressa  pas  trop  pour  celui-cy,  non  plus  que  pour 
l'autre. 

On  a  fait  autrefois  un  vaudeville  où  je  ne  voy 
pas  grand  fondement,  car  je  ne  croy  pas  qu'on  ayt 
jamais  parlé  de  la  marier  avec  M.  de  Mantoue, 
auparavant  M.  de  Nevers  : 

On  dit  que  monsieur  de  Mantoue 
S'appreste  à  danser  un  ballet. 
Où  madame  de  Gombalet 
Ne  verra  rien  qu'elle  n'avoue 
Que  les  vieux  sçavent  les  bons  tours. 
IVhessieurs,  voylà  le  Mot  qui  court^. 

Tome  ier,p.  228.  \  V Hîstonette  de  Seneterre  *  j'ay  parlé  de  Monsieur 
le  Comte,  et  le  Journal  du  Cardinal  en  parle  aussy. 
M"'  de  Combalet  renouvelloit  tous  les  ans  son 
vœu  de  Carmélite  ;  elle  l'a  renouvelle  jusqu'à  sept 
fois.  Le  Cardinal  fit  consulter  s'il  estoit  obligatoire; 
on  hiy  respondit  que  non.  Cependant,  pour  se  des- 

'  On  appelloit  ainsy  ces  vaudevilles. 


MADAME    d'aiguillon.  163 

charger  entièrement,  elle  fonda  une  place  de  Car- 
mélite qui  doit  estre  receûe  pour  rien.  Je  croy 
pourtant  qu'elle  se  fust  résolue  à  espouser  Monsieur 
le  Comte  s'il  l'eust  voulu,  et,  comme  j'ay  desjà 
remarqué  ,  il  l'eust  espousée  si  elle  eust  esté  veuve 
d'un  homme  plus  qualifié.  On  fit  courir  le  bruit,  en 
ce  temps-là,  que  le  mariage  n'avoit  point  esté  con- 
sommé avec  Combalet:  cependant  il  passoit  pour 
l'homme  le  mieux  fourny  de  la  Cour,  et  qui  estoit  le 
plus  grand  abatteur  de  bois.  J'ay  ouy  dire  mesme 
que  dans  l'action,  transporté  de  joye  ou  autrement, 
il  avoit  appelle  un  valet  de  chambre  qui  avoit  esté 
tesmoing  de  ce  qui  s'estoit  passé  '. 

Dalot,  ce  fou  de  poète  royal  et  archiépiscopal, 
dont  nous  parlerons  ailleurs,  fit  l'anagramme  que 
voicy  sur  cette  prétendue  virginité  :  Marie  de  Vi- 
GNEROT,  vierge  de  ton  mary.  M""^  de  Rambouillet 
m'a  pourtant  asseuré  que  jamais  elle  n'avoit  re- 
connu que  M"''  d'Aiguillon  voulust  passer  pour  fille  -. 
On  a  fort  mesdit  de  son  oncle  et  d'elle  ;  il  aimoit 
les  femmes  et  craignoit  le  scandale.  Sa  niepce  estoit 
belle,  et  on  ne  pouvoit  trouver  estrange  qu'il  vescust 
familièrement  avec  elle.  Effectivement  elle  en  usoit 
peu  modestement  ;  car,  à  cause  qu'il  aimoit  les  bou- 
quets, elle  en  avoit  tousjours,  et  l'alloit  voir  la  gorge 

1  J'ay  ouy  dire  encore  que  son  mary  n'avoit  pas  trop  bien  vescu 
avec  elle,  et  qu'il  disoit  qu'elle  avoit  quelque  chose  sous  le  linge  qui 
desgoustoit  fort.  Je  donne  cela  pour  tel  qu'on  me  l'a  donné. 

2  Cependant  elle  a  pris  des  armes  à  lozange;  il  est  vray  qu'il  y  aune 
cordelière  ;  ainsy  elle  est  fille  et  veuve  tout  ensemble,  car  il  n'y  a  point 
d'armes  de  son  mary. 


16/i  LES   HISTORIETTES. 

descouverte.  Un  soir  qu'il  sortoit  assez  tard  de  chez 
M"*  de  Chevreuse  :  «  Ne  laissons  pas ,  »  dit-il , 
»  d'aller  chez  ma  niepce  ;  car  que  diroit-elle  si  je 
»  n'y  allois  '?  » 

Ce  qui  a  le  plus  fait  de  bruict,  ça  esté  cette  bouteille 
d'eau  qu'on  jetta  à  M"""  de  Chaulne.  Voicy  comment 
une  personne  qui  y  estoit  l'a  conté.  Sur  le  chemin  de 
Saint-Denis,  six  officiers  du  régiment  de  la  Marine, 
achevai,  voulurent  casser  deux  bouteilles  d'encre  sur 
le  visage  à  M"^  de  Chaulne  ;  mais  elle  mit  la  main 
devant,  et  tout  tomba  sur  l'appuy  de  la  portière  oià 
elle  estoit.  C'estoient  des  bouteilles  de  verre  ;  le 
verre  coupe  et  l'encre  entre  dedans  les  coupures  ; 
cela  ne  s'en  va  jamais.  M"'  de  Chaulne  n'en  osa 
faire  aucune  plainte.  On  croit  qu'ils  n'avoient  ordre 
que  de  luy  faire  peur.  M"""  d'Aiguillon,  par  jalousie 
d'amour  ou  d'authorité,  ne  vouloit  point  que  per- 
sonne fust  si  bien  qu'elle  avec  son  oncle.  Le  Car- 
dinal ne  faisoit  pas  trop  grand  cas  de  M°"=  de 
Chaulne  ;  elle  n'estoit  plus  dans  une  grande  jeu- 
nesse ;  sa  beauté  desclinoit,  et  le  reste  n'estoit  pas 
grand' chose.  Il  tesmoigna  assez  ce  qu'il  en  pen- 
demil'Te  "eœnue!  soit ,  uu  jour  qu'cstaut  à  Chaulne  *,  durant  le 
siège  d'Arras,  il  trouva  que  M"'"  de  Chaulne 
s' estoit  fait  peindre  dans  un  vestibule  avec  tous 
ses  gens  autour  d'elle,  qui  luy  apportoient  ce  qu'ils 

1  La  Re3me-mere  envoya  des  gens  pour  l'enlever  comme  elle  devoit 
aller  à  Saint-Cloud,  afin  de  mettre  le  Cardinal  à  la  raison,  quand  elle 
auroit  ce  qu'il  aimoit  tant  ;  mais  Bezançon  descouvrit  toute  l'entre- 
prise. 


MADAME    d'aiguillon.  165 

avoient  achepté  ;  car  voyant  cela,  il  ne  put  s'em- 
pescher  de  dire  avec  un  sousris  mesprisant  :  «  C'est 
»  bien  cette  fois,  Madame  nostre  hostesse.  »  Elle 
avoit  pourtant  quelque  pouvoir  sur  son  esprit,  ou 
bien  elle  demandoit  si  hardiment  qu'il  ne  pouvoit 
le  refuser.  En  effect,  quoyqu'il  n'eust  point  d'envie, 
à  ce  qu'on  dit,  de  luy  donner  une  abbaye  de  vingt- 
cinq  mille  livres  de  rente  aux  portes  d'Amiens,  il  la 
luy  donna  pourtant.  Par  vanité  elle  vouloit  que  tout 
le  monde  crust  que  le  Cardinal  l'aimoit  ;  et  il  y  a 
eu  bien  des  gens  qui,  sçachant  que  M"^  de  Chaulne 
avoit  une  fois  conté  qu'un  jour  qu'elle  estoit  seule, 
je  ne  sçay  quel  monstre  à  quatre  pieds  luy  estoit 
apparu  dans  sa  chambre  et  avoit  disparu  aussytost  ; 
il  y  a  eu  bien  des  gens  qui  ont  dit  que  c'estoit  une 
invention  pour  se  faire  de  feste  '  ;  mais  je  le  sçay 
de  trop  bon  lieu  pour  en  douter.  Comme  le  Car- 
dinal avoit  esté  plus  d'une  fois  à  Chaulne,  Bautru 
dit  un  jour  que  Monsieur  le  Cardinal  s'y  plaisoit  ; 
mais  le  feu  Roy,  qui  avoit  tourné  tout  son  esprit  du 
costé  de  la  malignité,  et  qui  harpignoit  tousjours  le 
Cardinal,  dit  que  Bautru  avoit  dit  que  Monsieur  le 
Cardinal  se  delassoit  chez  M"""  de  Chaulne.  Bautru 
fit  son  apologie  au  Cardinal,  qui  luy  dit  en  propres 
termes  :  «  Vous  mériteriez  des  coups  de  baston,  si 
»  vous  aviez  dit  cela.  » 
Le  mareschal  de  Brezé,  enragé  de  ce  que  M"'  d'Ai- 

*  Et  d'autres  ont  dit  qu'une  dame  de  Picardie,  dont  on  ne  m'a  pu  dire 
le  nom,  estoit  ennemye  de  M'"^  de  Chaulne  et  luy  avoit  fait  faire  cette 
insulte. 


16G  LES    HISTORIETTES. 

guillon  ne  l'a  pas  voulu  aimer  (  car  quoyque  ce 
fust  la  niepce  de  sa  femme,  il  en  a  esté  amoureux 
à  outrance) ,  et  peut-cstre  aussy  de  despit  de  ce  que 
son  filz  n'estoit  pas  principal  héritier  %  en  a  fait  tous 
les  contes  qui  ont  couru.  Il  disoit  toutes  les  circon- 
stances de  la  naissance  et  de  l'éducation  de  cha- 
cun des  Richelieux ,  et  qu'ils  estoient  tous  trois  à 
M""-'  d'Aiguillon  ',  et  mesme  qu'elle  en  avoit  eu  un 
quatriesme.  «  O  !  »  dit  la  Reyne,  «  il  ne  faut  jamais 
»  croire  que  la  moitié  de  ce  que  dit  Monsieur  le  ma- 
»  reschal  de  Brezé.  »  Ainsy  elle  n'en  auroit  eu  que 
deux. 

11  se  trouve  que  M""  d'Aulroy,  autrefois  M""'  du 
Pont-de-Courlay ,  générale  des  Galères  %  présenta, 
durant  le  procez  de  M""  d'Aiguillon  et  du  duc  de 
Richelieu,  une  requeste  qu'on  supprima  bien  viste, 
par  laquelle  elle  exposa  au  prevost  de  Paris  qu'on 
luy  avoit  supposé  ces  trois  Richelieux,  au  lieu  de  ses 
enfans.  D'ailleurs  M'""  d'Aiguillon,  quand  il  a  esté 
question  de  la  majorité  de  son  ncpveu,  le  duc  de 
Richelieu,  a  dit  que  le  baptistaire  n'est  qu'en  une 
feuille  volante  ;  qu'il  n'y  en  a  eu  ny  du  premier  ny 
du  second ,  qui  sont  baptisez  tous  deux  en  mesme 
jour  et  en  mesme  lieu.  L'aisné  avoit  cinq  ans.  Quelle 

1  Cela  est  faux;  au  moins  feu  M.  de  la  Galissonnicre,  qui  cstoit  pré- 
sent, comme  parent  et  tuteur,  ;\  l'ouverture  du  testament,  dit  que  le 
mareschal  de  Brezé  ne  s'emporta  pas,  et  ne  dit  rien  de  tout  ce  qu'on 
luy  a  fait  dire. 

2  Pour  les  deux  filles,  il  n'en  disoit  rien. 

roij.  sur  ce  nom        '  Elle  s'appcUoit  Gueraadeux  *,  d'une  bonne  maison  de  Bretagne  :  elle 
r//is<.deLouisXiii.  gj.^  ^jj  pg^  f^jjg^  qq  Pont-de-Courlay  estoit  un  bossu  bien  ridicule  ;  une 
beste. 


MADAME    d'aiguillon.  167 

apparence,  s'il  n'y  avoit  eu  du  mystère,  que  le  Car- 
dinal de  Richelieu  n'eustpas  fait  charger  le  registre  ! 

Dans  le  procez  qu'elle  eut  contre  feu  Monsieur  le 
Prince  pour  la  succession  du  Cardinal,  on  la  traitta 
de  gourgandine.  Gautier  dit  délicatement,  parlant 
du  crédit  qu'elle  avoit  auprès  de  son  oncle  :  <■  Ce 
»  Samson  n' avoit  plus  de  force  quand  il  estoit  entre 
»  les  bras  de  cette  Dalila.  »  Elle,  en  revanche,  luy 
fit  reprocher  par  Hilaire,  son  advocat,  qu'il  s'estoit 
mis  à  genoux  devant  le  Cardinal  de  Richelieu  pour 
avoir  M"''  de  Rrezé  pour  M.  d'Anghien.  Il  se  leva 
et  dit  que  cela  estoit  faux,  mais  il  n'y  a  rien  de 
plus  vray.  Il  offrit  au  Cardinal  M"'  de  Bourbon 
pour  son  nepveu  de  Brezé  ;  et  le  Cardinal  dit  en 
cette  occasion  une  des  plus  raisonnables  choses  qu'il 
ayt  dites  de  sa  vie  :  «  Une  demoiselle  peut  bien 
»  espouser  un  prince,  mais  une  princesse  ne  doit 
»  point  espouser  un  gentilhomme.  »  Feu  Monsieur 
le  Prince  fit  tant  de  fautes  dans  les  employs  de 
guerre  qu'il  eut,  qu'il  fut  réduit  à  offrir  ses  enfans  ; 
encore  le  Cardinal  les  alloit-il  malmener,  s'ils  ne  se 
fussent  bien  réduits.  Il  vouloit  que  M.  d'Anghien, 
pour  avoir  négligé  de  voir  M.  le  cardinal  de 
Lyon,  à  Lyon,  au  retour  de  Perpignan,  retournast 
le  chercher  à  Marseille  :  mais  il  n'y  alla  pas  ;  on 
trouva  le  moyen  de  l'en  exempter. 

Feu  Monsieur  le  Prince  fit  à  M"'  d'Aiguillon  un 
meschant  tour  pour  la  duché  d'Aiguillon  \  Par  une 
pendarderie  du  lieutenant  civil  Moreau,  cette  duché 

1  G'estoit  à  feu  M.  de  Mayenne,  !e  filz. 


168  LES    HISTORIETTES. 

A  M"  .lecombiUet.  fut  adjugée*  à  quatre  cens  mille  livres;  et  les  créan- 
ciers de  M.  de  Mayenne  en  offroient  huit  cens  mille  ! 
Or,  durant  ce  procez,  se  voyant  assistez  d'un  prince 
du  sang,  ils  offrirent  encore  quatre  cens  cinquante 
mille  livres ,  et  il  fallut  que  M""'  d'Aiguillon ,  qui 
n'eust  plus  esté  duchesse  sans  cela  (car,  quand  elle 
eust  achepté  une  autre  duché ,  on  n'eust  pas  receu 
aisément  une  femme,  et  il  falloit  attendre  pour  cela 

''""'■ 'chfd'A.'""^"'  la  majorité) ,  les  payast*  dans  la  journée.  Monsieur  le 
Prince,  après  la  mort  de  son  père ,  du  mareschal  et 
du  duc  de  Brezé,  s'empara  de  tout  leur  bien  et  en 
jouissoit  par  force,  quoyque  sa  femme  n'eust  rien  à 
prétendre  à  tout  cela  par  le  testament  du  Cardinal. 
M""  d'Aiguillon  ne  voulut  jamais  s'accommoder,  de 
peur  qu'on  ne  dist  que  ç'avoit  esté  aux  despens  des 
nepveux.  Le  règne  de  son  oncle  l'a  rendue  fort 
impérieuse  '  ;  elle  ne  sçauroit  quitter  sa  première 
fierté  ^  Elle  a  de  l'esprit,  du  sens  et  de  la  fermeté  ; 
mais  elle  est  brusque  et  testuc.  Nous  parlerons 
après  de  son  avarice. 

On  a  fait  bien  des  médisances  d'elle  et  de  M""  du 
Vigean  '  ;  on  dit  que  quelquefois  elles  se  levoient 

*  Elle  s'est  maintenue ,  et  a  traitté  dans  le  commencement  de  la 
Régence,  plusieurs  fois,  la  Cour  à  Ruel. 

En  pareil  cas,  nu-       2  Un  jour  que  M""*  de  la  Trimouillc  avoit  fait  mettre  des  pieux*  pour 

jouril'liui  on  ne  pcr-    ,  ,      .      ,, 

met  «lue  la  paille.  la  maladie  d  un  de  ses  enfans,  M""*  d'Aiguillon,  en  allant  aux  Carmé- 
lites, les  fit  arracher.  M'""'  delà  Trimouillc  s'en  plaignit;  M.  le  Cardinal 
ordonna  à  sa  nicpce  de  luy  en  faire  faire  excuse.  Elle  luy  en  fit  faire 
compliment,  disant  que  ses  chevaux,  qui  cstoient  neufs,  n'avoient  ja- 
mais voulu  tourner. 

3  j^jme  (ji,  Vigean  a  accoustumé  de  se  chaufTer  la  juppe  troussée.  Une 
fille  à  qui  elle  la  faisoit  tenir,  lasse  de  cela,  l'attache  avec  une  épingle 
à  son  corps  :  il  vient  compagnie,  elle  la  reçoit  et  monstroit  sa  chemise. 


MADAME    d'aiguillon.  169 

avec  les  yeux  battus  jusqu'à  la  moitié  des  joues  ; 
elles  s'escrivoient  les  lettres  les  plus  amoureuses  du 
monde.  M""'  du  Vigean  se  jetta  à  corps  perdu  entre 
les  bras  de  M""  d'Aiguillon  ;  c'eust  esté  une  tygresse 
si  elle  l'eust  rejettée.  Elle  a  esté  son  intendante,  sa 
secrétaire,  sa  garde-malade,  et  a  quitté  son  mes- 
nage  pour  se  donner  entièrement  à  elle.  Il  y  a,  eu 
des  chansons  terribles  contre  M""  du  Vigean ,  jus- 
qu'à dire  de  son  mary  : 

Dans  l'abondance  de  ses  cornes 
On  ne  sçauroit  trouver  de  bornes. 

Cependant  on  ne  m'a  sceû  nommer  un  seul  galant 
de  cette  femme.  A  la  vérité,  on  avoit  un  grand 
mespris  pour  le  mary  ;  et  le  duc  de  Lorraine  voyant 
que  cet  homme  avoit  levé  un  régiment  :  «  Hélas  !  » 
ce  dit-il,  «  il  faut  que  je  sois  bien  hay  en  France, 
»  puisque ,  jusqu'au  petit  Vigean ,  on  y  prend  les 
»  armes  contre  moy.  » 

Feu  Madame  la  Princesse  avoit  recherché  l'amitié 
de  M"""  d'xiiguillon  pour  avoir  la  protection  du  Car- 
dinal, car  elle  craignoit  que  son  mary  ne  la  con- 
fmast  à  Bourges  *.  M"*"  de  Rambouillet,  depuis 
M"*  de  Montausier,  estoit  admirablement  bien  avec 
elle,  et  y  est  encore,  mais  non  pas  avec  tant  de 
chaleur.  Nous  en  parlerons  ailleurs. 

Il  est  temps  de  parler  de  son  avarice  et  de  sa 
dévotion.   Elle  ne  daigna  pas  escouter  ceux  qui  luy 

^  Elle  appelloit  le  cardinal  de  la  Vallette  mon  rspoux,  et  luy  l'appel- 
loit  mon  espoiise. 


170  LES    HISTORIETTES. 

conseilloient  de  donner  cinq  cens  mille  livres  à  feu 
Monsieur  le  Prince  pour  avoir  sa  protection.  Il  luy 
en  cousta  plus  d'un  million  d'or  à  elle  et  à  ses  nep- 
veux.  Elle  a  eu  trois  cens  procez,  et  pas  un  en 
demandant.  Sans  parler  de  toutes  les  grivellées 
qu'elle  a  faittes,  je  diray  simplement  ses  vilainies. 
Voyant  Cornuel  à  l'extrémité,  elle  envoya  emprun- 
ter six  chevaux  blancs  qu'il  avoit  ;  et  quand  il  fut 
mort  et  qu'on  les  luy  revint  demander,  elle  dit 
que  les  morts  n'avoient  que  faire  de  chevaux.  Le 
frère  aisné  de  M.  de  Noailles  disoit  que  pour 
espargner  son  carrosse,  toutes  les  fois  qu'elle  alloit 
à  Ruel,  elle  prenoit  un  beau  carrosse  que  le  bon- 
homme M.  de  Noailles  avoit  eu  à  Rome,  en  son 
ambassade,  et  le  renvoyoit  tousjours  tout  crotté. 
On  a  dit  qu'elle  avoit  emprunté  des  juppes,  et 
qu'au  bord  crotté  on  avoit  reconnu  qu'elle  les  avoit 
portées.  Si  cela  luy  fust  arrivé  un  de  ces  jours 
qu'elle  a  rencontré  le  corpus  Domini,  cela  eust  esté 
plaisant,  car,  quelque  part  qu'elle  le  trouve,  elle  le 
suit  dans  les  crottes ,  jusqu'au  premier  lieu  où  il  se 
doit  arrester  '.  Gela  se  fait  en  Espagne,  et  le  Roy 
mesme  le  suit.  Un  Espagnol  disoit  cela  à  un  Fran- 
çois :  «  Je  croy  bien ,  »  dit  l'autre  ;  «  en  France  il 
»  est  parmy  ses  anciens  amis,    il    n'a    que    faire 

1  Elle  donue  aux  églises ,  et  ne  paye  pas  ses  dettes.  Dans  sa  vision 
de  bigotterie,  elle  dit  à  toute  chose  :  «  En  vérité,  cela  fait  dévotion,  >k 
et  le  dira  quelquefois  en  parlant  d'une  chose  qui  n'y  aura  aucun  rap- 
port. C'est  simplement  pour  dire  :  «  Cela  touche.  » 

Elle  a  passé  quelquefois  des  nuits  entières  le  ventre  à  terre  dans 
l'église  de  Saint-Sulpice. 


MADAME    d'aiguillon.  171 

»  qu'on  l'accompagne  ;  mais  parmy  des  Marranes, 
»  il  en  a  besoing.  » 

Un  marchand  luy  ayant  apporté  des  parties  de 
choses  dont  le  prix  estoit  fait,  elle  dit  qu'elle  vou- 
loit  voir  son  journal  pour  vérifier  si  elles  estoient 
conformes.  Quand  elle  eut  le  journal  et  les  parties, 
il  fallut  composera 

Les  deux  mariages  de  ses  nepveux  sont  si 
brouillez  avec  la  Cour,  que  je  les  mettray  dans  les 
Mémoires  de  la  Régence. 

*  On  dit  que  présentement,  1659,  elle  fait  ramasser  le  sucre  que 
l'on  met  sur  le  bord  de  ses  plats  de  dessert. 

COMMENTAIRE. 

L  —  P.  161,  lig.  dernière. 

Elle  commença  à  mettre  des  languettes... 

«  Il  y  a  eu,  »  dit  Furetiere,  «  une  mode  où  le  linge  et  les  habits  es- 
»  toient  taillez  et  decouppez  en  languettes  ;  ce  qui  leur  servoit  d'or- 
»  nement.  » 

On  va  voir  que  jusqu'à  M""*  de  Combalet,  les  veuves  ne  portoient 
pas  de  robes  de  couleur;  aujourd'hui,  hors  le  temps  du  deuil  (un  an  à 
Paris  et  deux  ans  en  province) ,  elles  acceptent  toutes  les  couleurs, 
même  le  vert. 

IL— P.  162,  lig.  6. 
Le  comte  de  Betkune  fut  le  premier  qui  se  présenta... 

Hippolyte,  comte  de  Bethune,  neveu  du  Surintendant  et  père  de  la 
maréchale  d'Estrées,  mourut  le  2i  septembre  1665.  Il  eut  grande  part 
aux  affaires  et  à  la  bonne  conduite  de  Mademoiselle,  et  à  n'eu  juger 
même  que  par  les  Mémoires  de  cette  princesse,  il  en  fut  payé  d'une  vé- 
ritable ingratitude.  C'est  lui  qui  réunit  la  belle  collection  de  papiers  et 
de  manuscrits,  dont  la  plus  grande  partie  est  aujourd'hui  une  des  ri- 
chesses de  la  Bibliothèque  nationale. 


172  LES    HISTORIETTES. 


III.  —  P.  163,  iig.  5. 

//  l'eust  espousce  si  elle  eust  esté  veuve  d'un  homme  plus  qualifié. 

De  plus  haute  qualité  que  celle  de  seigneur  de  Combalet;  non  de  plus 
haute  naissance  :  car,  à  moins  d'épouser  un  prince  du  sang  ou  de 
quelque  maison  souveraine,  M""-'  d'Aiguillon  n'avoit  guère  pu  trouver 
un  nom  plus  illustré  que  celui  de  du  Roui'e. 

A  travers  tous  les  récits  et  toutes  les  médisances  qu'on  va  lire,  il 
sera  bien  facile  encore  de  distinguer  dans  la  duchesse  d'Aiguillon  une 
personne  sage ,  pieuse ,  estimée  de  tout  le  monde ,  même  de  la  Reine 
et  de  M""*  de  Rambouillet,  d'ailleurs  fort  étrangère  aux  combinaisons 
politiques  de  son  oncle.  Son  premier  mouvement  l'avoit  porté  à  renon- 
cer au  monde,  aussitôt  la  mort  de  son  mari  :  le  vœu  qu'elle  en  avoit 
fait,  elle  le  renouvela  pendant  la  toute-puissance  du  Cardinal.  Ne 
pouvant  lui  trouver  des  amans,  on  lui  supposa  de  mauvaises  habitudes, 
suivant  l'usage  des  cnlimniatcurs  de  cour.  Et  quant  à  la  nature  de  ses 
relations  avec  le  Cardinal,  c'ctoit  un  aliment  inévitable  de  la  médisance. 
La  postérité  n'en  a  pourtant  pas  recueilli  d'autres  preuves  que  les  al- 
légations contemporaines  de  la  Milliade  et  des  Ponts-Bretons  ;  on  ne 
doit  pas  s'y  arrêter.  L'abbé  de  Saint-Germain  lui-même,  et  ceux  qu'il 
mit  à  contribution  pour  ses  pamphlets,  n'ont  jamais  mal  parlé  de 
M"'^  de  Combalet. 

Il  est  plus  malaisé  de  la  défendre  d'avarice  et  de  lésinerie.  De  ce 
vice  réel  est  venue  la  force  des  mauvais  bruits  répandus,  quand  elle 
etoit  déjà  vieille,  sur  sa  jeunesse.  Mais  le  procès  qu'elle  soutint  contre 
la  maison  de  Condé  donna  seul  une  sorte  d'importance  à  toutes  les 
calomnies  que  l'on  va  retrouver  ici. 

IV.  —  P.  103 ,  note  2. 

Cependant  elle  a  pris  des  armes  à  lozange... 

Des  Réaux  pourroit  bien  se  tromper  ici  :  l'ecu  en  losange  apparte- 
noit  aux  veuves  aussi  bien  qu'aux  filles.  Il  sufiisoit  d'être  femme  pour 
en  justifier  l'emploi.  Cependant  il  se  peut  qu'au  xvii"  siècle  et  jusqu'à 
M"*  d'Aiguillon,  à  laquelle  les  veuves  doivent  tant  de  privilèges,  le  lo- 
sange fût  encore  réservé  aux  filles.  Laiïemas,  auteur  présumé  de  la 
Mazarinade  du  Procez  burlesque,  justifie  l'opinion  de  des  Réaux  : 

Cette  dame  se  voyant  vefve, 
Sentit  une  iloiiletir  Rriefve; 
i:t  qiio>  que  sa  grande  beauté 
.'ointe  avee  sa  pndieité 


MADAME    d'aiguillon.  173 

Donnast  tie  l'amour  à  grands  princes 

Comme  à  gouveraeurs  de  provinces. 

Voulut  vivre  en  viduité. 

Vouant  à  Dieu  virginité. 

D'où  vient  qu'elle  a  fait  mettre  en  bosse 

Au  deiTiere  de  son  carrosse, 

Avec  admirable  fasson, 

D'une  pucellel'escusson. 

(Page  6.1 


V.  — P.  163,  lig.  dernière. 

Elle  avait  des  bouquets  et  t'alloit  voir  la  gorge  descouverte... 

C'est-à-dire  en  costume  de  cour,  ou,  comme  nous  disons  aujourd'hui, 
de  soirée.  Apparemment  s'il  y  eût  eu  quelque  galanterie  réelle,  la  nièce 
eût  évité  d'aller  voir  son  oncle  en  habit  de  combat ,  et  à  toutes  les 
heures. 

Et  plus  bas ,  si  le  Cardinal  parloit  si  volontiers  du  plaisir  que  M"«  de 
Combalet  trouvoit  dans  ses  visites,  lui  qui  craignoit  le  scandale  ne  sup- 
posoit  donc  pas  qu'on  pût  mal  interpréter  les  soins  et  les  prévenances 
dont  il  entouroit  son  aimable  nièce. 

VI.  — P.  16A,  note. 

La  Reyne-mere  envoya  des  gens  pour  l'enlever... 

Voiture  avoit  écrit  dans  sa  lettre  xxviii'  :  «  Après  l'extresme  hon- 
»  neur  qu'elle  (Madame  la  Princesse)  me  fait,  il  ne  me  resteroit  rien  à 
»  désirer  pour  ma  gloire,  si  ce  n'est  que  la  demoiselle  que  l'on  voulut 
»  enlever  à  Lima  se  fust  souvenue  de  moy.  »  A  ce  propos ,  notre  des 
Réaux  a  noté  sur  les  marges  de  l'exemplaire  que  nous  avons  sous  les 
yeux  :  »  Quand  la  RejTie-mere  envoya  des  gens  pour  enlever  M™*  d'Ai- 
»  guillon,  afin  de  mettre  par  ce  moyen  le  cardinal  de  Richelieu  à  la 
M  raison,  M"^^  de  Rambouillet  estoit  avec  elle.  Elles  alloient,  de  com- 
»  pagnie,  voir  M°"^  de  Rambouillet,  qui  estoit  allée  prendre  l'air  à 
»  Saint-Cloud,  où  le  coup  se  devoit  faire.  Bezançon  descouvrit  l'entre- 
»  prise.  On  a  mis  Lima  au  lieu  de  Saint-Cloud,  de  peur  qu'on  ne 
»  deviuast  la  chose.  » 

La  Porte  dit  de  son  côté  :  «  On  me  mit  (en  1630),  au  sortir  de  mon 
»  cachot  de  la  Bastille,  avec  le  comte  d'Achon,  gentilhomme  très-sage, 
»  plein  d'honneur,  neveu  du  Père  de  Chanteloube ,  qui  estoit  avec  la 
»  reyne  Marie  de  Medicis  en  Flandres,  et  qui  fut  du  conseil  de  faire 
»  prendre  M"^  d'Eguillon,  pour  sauver  la  vie  de  M.  de  Montmorency. 
)i  Ce  fut  le  comte  d'Achon  qui  conduisit  cette  entreprise,  avec  M.  de 
»  Bezançon  l'aisné,  qui,  s'estant  sauvé  du  Fort-l'Evesque,  où  il  estoit 


174  LES    HISTORIETTES. 

»  prisonnier,  par  le  moyen  d'une  machine  qu'il  avoit  inventée,  se  re- 
n  tira  en  Flandres  avec  la  Reync-mere.  Leur  dessein  etoit  d'enlever 
»  M"*  d'Eguillon,  lorsqu'elle  se  promeneroit  sur  une  haquenée  dans 
»  le  parc  de  Vincennes,  et  de  la  mener  en  Flandres,  pour  donner  la 
»  peur  à  Monsieur  le  Cardinal  que  la  Reyne-mcre  n'usast  de  repre- 
»  sailles  sur  cette  dame,  s'il  faisoit  mourir  M.  de  Montmorency.  Il  y 
»  eut  quelque  faux  frère  qui  descouvrit  la  chose.  Un  soldat  fut  pendu, 
»  M.  le  comte  d'Achon  et  un  valet  de  chambre  de  la  Reyne  furent  mis 
»  à  la  Rastillc...  il  y  demeura  sept  ans;  et  il  n'en  cust  pas  esté  quitte 
»  pour  cela,  sans  M'"°  d'Eguillon,  qui  ne  voulut  pas  qu'on  ostast  la  vie 
»  à  un  gentilhomme  pour  l'amour  d'elle...  Cependant,  ses  parens  s'es- 
»  toient  saisis  de  tout  son  bien  ;...  de  quoy  m'entretenant  avec  luy,  il 
»  me  vint  en  pensée  que  M"^  de  Rambouillet,  depuis  M™"  de  Montau- 
»  zier,  estoit  fort  aimée  de  M"^  d'Eguillon...  Elle  fit  si  bien  auprès 
»  de  M""-"  d'I'guillon,  que  celle-cy  fit  la  chose  de  la  meilleure  grâce  du 
»  monde,  elle  prit  son  temps,  lors  du  mariage  de  M.  de  Saint-Sauveur, 
»  parent  de  Monsieur  le  Cardinal,  avec  M"°  do  Jalaine,  et  de  la  Bas- 
»  tille  elle  le  fit  venir  à  ces  noces....  Et  M""^  d'Eguillon,  non  contente 
»  de  cela,  prit  ses  interests  en  main,  et  luy  aida  à  solliciter  ses  procez, 
»  qu'il  gagna  tous,  et  le  fit  ainsi  rentrer  dans  la  possession  de  son  bien.  » 
{Alémoires  de  la  Porte,  p.  189.) 

VII.  —  P.  16/1,  lig.  5. 

Ce  qui  a  le  plus  fait  de  bruict,  ça  esté  cette  bouteille  d'eau  qu'on 
jetta  à  31^"  de  Citaulnc. 

Claire-Charlotte  d'Ailly,  comtesse  de  Chaulncs,  fille  du  vidame 
d'Ailly  et  de  Pecquigny,  le  dernier  rejeton  de  cette  grande  maison. 
Elle  avoit  épousé  en  1619  Honoré  d'Albert,  seigneur  de  Cadenet, 
frère  du  Connétable  ;  en  sa  faveur,  le  comté  de  Chaulnes  fut  érigé 
en  duché.  C'est  une  petite  ville  de  Picardie,  à  trois  lieues  et  demie  de 
Péronne. 

Il  faut  comparer  le  récit  de  des  Réaux  avec  celui  de  Bassompierre, 
alors  à  la  Bastille  :  «  Il  arrive  en  ce  môme  mois  (avril  1639),  une  chose 
»  fort  extraordinaire,  qui  est  que  M"''  la  duchesse  de  Chaulnes  estant 
»  allée  aux  Carmélites  de  Saint-Denis  dans  un  carrosse  à  six  chevaux  le 
»  mardi  de  la  semaine  sainte,  ayant  avec  elle  trois  femmes  et  un  gen- 
»  tilhomme,  deux  laquais  et  ses  cochers,  fut  à  son  retour  attaquée  par 
»  cinq  cavaliers,  portant  cinq  fausses  barbes,  qui  firent  arrêter  son  car- 
))  rosse,  tuèrent  un  des  laquais,  et  un  d'eux  vint  luy  jetter  une  bouteille 
»  pleine  d'eau  forte  au  visage.  Elle  qui  vit  venir  le  coup  mit  son  man- 
»  chon,  qu'elle  avoit  en  ses  mains,  devant  son  visage,  qui  fut  cause 
»  qu'elle  ne  fut  point  offensée...  On  n'a  sceû  depuis  qui  a  fait  ou  fait 
»  faire  cette  meschanceté.  »  (Tom.  iv,  p.  415.) 


MADAME    d'aiguillon.  175 


VIII.  —  p.  1G6,  lig.  9. 

«  0  !  »  dit  la  Reync ,  ((  il  ne  faut  croire  que  (a  moitié  de  ce  que  dit 
M.  le  mareschal  de  Brezé.  » 

Ce  bon  mot  a  été  fait  et  refait  cent  fois  ;  il  est  de  ceux  qu'il  n'est  plus 
permis  d'alléguer,  Ninon,  Boisrobert,  des  Yvcteaux  le  répéteront  môme 
dans  nos  Historiettes.  Cependant,  on  l'a  réellement  mis  un  instant  sur 
le  compte  de  la  Reine  (sans  doute  Marie  de  Medicis),  témoin  cette 
epigramme  : 

Pliilis,  pour  soulager  sa  peine, 

Hier  se  plaignolt  à  la  Reyne 

Que  Brezé  disolt  hautement 

Qu'elle  avoit  quatre  filz  d'Armand. 

Mais  la  Reyne,  d'un  air  fort  doux, 

Luy  dit  :  «  Philis,  consolez-vous, 
»  Chacun  seait  que  Brezé  ne  se  plaist  qu'à  mesdire, 
"  Ceux  qui  pour  vous  ont  le  moins  d'amitié 
"  Luy  feront  trop  d'honneur,  de  tout  ce  qu'il  peut  dire, 

»  De  n'en  croyre  que  la  moitié.  » 

{Tableau  de  la  vie  et  du  gouvernement  de  MM.  les  Cardi- 
naux Richelieu  et  Mazarin.  Cologne,  1693,  page  195.) 

Le  maréchal  de  Brezé  avoit  épousé  la  seconde  sœur  du  Cardinal,  et 
M""^  de  Combalet  etoit  fille  de  l'aînée. 


IX.  —  P.  167,  lig.  1«. 

Quelle  apparence,  s'il  n'y  avoit  eu  du  mystère,  que  le  Cardinal  rCeust 
pas  fait  charger  le  registre. 

Il  faut  entendre  cette  phrase  :  Quelle  apparence  que  pour  le  nom 
des  neveux  du  Cardinal,  on  n'ait  pas  convenablement  fait  les  mentions 
sur  les  registres,  et  que  le  Cardinal  n'en  ait  pris  aucun  soin?  Il  y  avoit 
donc  du  mystère. 

Je  suis  fâché  pour  notre  auteur  de  lui  voir  répéter  ces  ridicules 
médisances.  Il  est  vrai  que  d'abord  il  nous  prévient  que  la  dame  d'Aul- 
roy  etoit  un  peu  folle  et  que  son  mari  valoit  encore  moins  qu'elle; 
mais  des  Réaux  lui-môme  ne  pouvoit  croire  que  M™*  d'Aiguillon  eût  pu 
mettre  au  monde  deux,  trois  ou  quatre  enfans  ;  qu'elle  eût  tenté  de  les 
substituer  à  d'autres,  quand  le  plus  difficile  étant  fait  (l'accouchement 
secret),  elle  n'avoit  plus  qu'à  laisser  dans  le  môme  mystère  la  naissance 
de  ceux  qu'elle  devoit  au  Cardinal.  Ces  bruits  après  tout  sont  fondés 
sur  un  désordre  alors  fort  commun  dans  les  livres  tenus  par  les  curés  ; 
désordre  dont  les  parens  se  préoccupoient  peu,  dans  la  conviction  qu'on 
n'auroit  jamais  besoin  d'y  recourir.  D'ailleurs  si  jamais  M""*  d'Aiguil- 


176  LES    HISTORIETTES. 

Ion  avoit  été  dans  une  position  délicate,  en  raison  de  ses  relations  avec 
son  oncle,  n'auroit-elle  pas  aussitôt  consenti  à  l'un  des  mariages  qu'on 
ne  cessoit  de  lui  proposer  ? 

X.  —  P.   167,  lig.  5. 

Gautier  dit  délicatement... 

Et  surtout  lâchement  ;  car  il  parloit  pour  un  prince  du  sang  tout-puis- 
sant contre  une  femme  qui  avoit  perdu  tout  son  ancien  pouvoir.  L'a- 
vocat Gautier  fut  j)our  la  maison  de  Richelieu  un  ennemi  redoutable. 
Ses  plaidoyers  ont  été  réunis  en  deux  volumes  in-4°  ;  à  la  fin  du  premier 
volume,  on  proraettoit  de  donner  les  discours  prononcés  dans  ce  fameux 
procès  ;  mais  Gueret,  éditeur  du  second  volume,  préféra  ne  pas  les  y 
insérer, 

Gautier  mourut  en  septembre  1666,  âgé  de  soixante-seize  ans,  comme 
nous  l'apprend  Guy  Patin,  dans  une  lettre  à  Spou  du  lendemain  17  sep- 
tembre. 

Voici  quelques  extraits  du  Procès  burlesque  qui  se  rapportent  à  l'his- 
toriette : 

Or,  le  premier  huissier  ne  tarde 

Ceste  grande  eause  appeler; 

Et  se  plaist  bien  d'articuler 

D'une  voix  presque  musicale 

Dont  retentit  toute  la  sale; 

II  se  rompt  presque  le  gozier. 

Nommant  le  procureur  Mazier; 

Bourdon  pareillement  il  nomme. 

Qui  passe  pour  tres-honncste  homme.. . 

Le  Mazier  est  pour  la  Duchesse, 

Qui  jadis  fut  plus  que  princesse; 

Bourdon  appelle  l'advocat 

Gaultier,  à  qui  faut  maint  ducat 

Pour  faire  plaider  une  cause. 

Car  peu  d'argent  ne  l'y  dispose; 

Aussy  beaucoup  cet  homme  vaut, 

A  son  client  qui  point  ne  faut. 

Et  s'il  prend  avec  allégresse, 

II  les  deffend  avec  adresse. 

D'où  vient  que  monsieur  de  Condé 

De  le  prendre  n'a  point  tardé. 

Le  Mazier  d'appeler  Ililaire 

S'esgoziUe  et  se  désespère  : 

Advocat  grandement  s(;avant 

Grandes  causes  plaide  souvent. 

Très  excellent  jurisconsulte, 

Et  que  forre  monde  consulte. 

Gaultier  son  plaidoyer  commence. . . 

Apres,  il  dit  que  la  Duchesse 

Estoit  bien  pleine  de  finesse. 


MADAME    d'aiguillon.  177 

Qu'elle  avolt  par  suggestion 
Fait  une  forte  impression 
Dans  cette  puissante  cervelle, 
Soubinis  l'ayant  à  sa  tutelle, 
La  comparant  à  Dalila 
Qui  (le  Samson  corps  affola. 
Aussy  (lespens  il  demanda. 
Finissant  sa  cause  par  là 
Qu'il  appartenoit  à  justice 
Et  qu'il  e.stolt  de  son  office 
D'empescher  que  tous  ces  thresors 
Qui  sont  dans  la  France  et  dehors, 
A  la  Combalet  appartiennent  ' 

Et  que-Jes  Vignerots  les  prennent  ; 
îlals  il  faut  avecques  raison 
Que  ceux  de  royale  maison , 
Illustres  dedans  leur  naissance 
Et  presque  de  di\-ine  essence. 
Tel  qu'est  monsieur  le  duc  d'Anghlen , 
Prennent  bonne  part  dans  ce  bien . 
Alnsy,  que  dans  son  origine , 
•^       Et  dedans  sa  source  pristine. 
Ce  grand  avoir  retournera. 
Et  le  public  content  sera . 

(Pages  11  à  16.) 

Mais  ce  qui  prouve  combien  Gauthier  risquoit  peu  de  chose  en  atta- 
quant aussi  violemment  M°"=  d'Aiguillon,  c'est  le  récit  que  le  même 
Mazarineur  fait  des  débats  : 

Hilaire  quelques  lerti-es  lut 

De  quoy  fort  bien  passé  se  fût. 

Et  de  dire  quelque  autre  chose 

Que  repeter  encor  je  n'ose. 

Et  je  m'estonne  fort  comment 

II  parla  tant  ouvertement; 

Car  quant  àmoy,  je  vous  assure, 

Que  dans  une  telle  adventure. 

Je  m'en  fusse  fort  bien  gardé. 

Crainte  d'estre  bastonnade. 

Et  faire  rude  pénitence 

D'un  discours  de  telle  importance. 

[Procès  burlesque,  p.  18. i 

Gauthier,  dans  sa  réplique,  afin  d'effrayer  Hilaire,  commença  par 
rappeler  l'histoire  de  tous  ceux  que  l'on  avoit  mis  à  mort  pour  avoir 
médit  des  princes  du  sang,  comme  Marigny,  d'Oyac  et  autres.  Le 
conteur  burlesque  nous  permet  de  deviner  qu'on  approuva  le  courage 
d'Hilaire,  car  après  avoir  rendu  compte  du  plaidoyer  de  Gauthier  : 

Je  confesse  que  j'eus  croyance 
Qu'on  conclueroit  à  l'audience 
Ace  qu'Hilaire  on  estranglast. 
De  verges  Rozée  on  sanglast, 

II.  12 


178  LES   HISTORIETTES. 

Et  qu'ainsy  l'advocasserle 
S'en  allast  par  la  pciiderii-. 
Et  les  plus  huppés  du  barreau 
Devinssent  gibier  du  bourreau  : 
Il  est  vray  que  dedans  leurs  causes 
Ils  avoient  dit  d'estranges  choses. 
De  quoy  le  prince  de  Condé 
Eust  fort  bien  raison  demandé  ; 
Mais  non  pas  à  ce  que  je  pense 
Pour  les  attacher  à  potence. 
Non  plus  que  les  essoriller 
Ny  de  verges  les  estriller. 
Aussy  vis-je  en  grant  colère 
(Illaire  ne  se  pouvant  taire. 
Disant  que  mémoires  avoit 
Sur  lesquels  plaider  il  pouvoit. 

XI.  —  P.  167,  lig  n. 

Le  Cardinal  dit  en  cette  occasion  une  des  plus  raisonnables  choses 
qu'il  ayt  dittes  en  sa  vie... 

Mademoiselle  rapporte  précisément  la  môme  chose  :  «  Monsieur  le 
»  Prince  demanda  au  Cardinal ,  comme  ;\  genoux,  M"*  de  Brezé ,  et  fit 
I)  pour  l'avoir  ce  qu'il  auroit  fait  s'il  avoit  eu  l'intention  d'avoir  pour 
»  son  fils  la  Reync  de  tout  le  monde;  et  mesmc...  il  le  pria  de  marier 
»  en  mesnie  temps  M"*  de  Bourbon  à  M.  le  marquis  de  Brezé.  M.  le 
»  Cardinal  respondit  qu'il  vouloit  bien  donner  des  demoiselles  à  des 
»  princes,  et  non  pas  des  gentilshommes  à  des  princesses.  »  (Edition  de 
1730,  I,  p.  36.) 

XII.  —  P.  168,  note  1",  lig.  1. 

Elle  s'est  maintenue  dans  le  commencement  de  la  Régence. 

Voici  des  couplets  fournis  parles  recueils  manuscrits,  et  qui  furent 
composés  peu  de  temps  après  la  mort  du  Cardinal  : 

I 

Enfin,  belle  de  Combalet 

Il  faut  finir  votre  rolet, 

Vostre  oncle  est  mort  et  vosfre  gloire; 

Vos  ans  et  vos  yeux  sont  passez, 

Le  goust  n'en  vaut  pas  le  debolre. 

Dites  aux  plaisirs  :  Cest  assez. 

II. 

Cette  pompe  qui  vous  sulvoit. 
Et  l'espoir  qui  vous  decevolt 
N'est  plus,  la  fortune  est  tournée; 
Les  ducs,  les  princes  et  les  rois 
Qui  recherchoient  vostre  hymenée 
Ne  seront  plus  h  vostre  choix. 


MADAME    d'aiguillon.  179 


III. 

Que  ce  feu  bruslant  de  vos  yeux 
D'un  rayon  d'amour,  odieux 
Au  prince  tombé  sous  les  armes 
Vengeresses  de  son  refus, 
S'esteigne  à  présent  dans  les  larmes, 
Voyant  tous  vos  desseins  confus. 


XIII.— P.  168,  note  3. 

M"*  du  Vîgean  a  accoustumé  de  se  chauffer. 

Le  conte  a  été  souvent  renouvelé.  Je  l'ai  entendu  faire  de  la  duchesse 
de  Berry  fille  du  Régent ,  et  de  M""*  de  Staël.  Prenons  acte  d'antério- 
rité pour  Anne  de  Neubourg,  dame  du  Vigean.  Sans  les  médisances  de 
des  Réaux  au  sujet  de  M™''  d'Aiguillon  et  du  Vigean,  il  seroit  assez 
difficile  de  comprendre  une  page  singulière  des  Mémoires  de  Made- 
moiselle. C'est  quand,  dans  sa  grande  jeunesse,  elle  passa  par  Riche- 
lieu :  «  M""  d'Aiguillon  m'y  reçut  fort  bien  ;  M""  du  Vigean  et  M'"'  de 
»  Rambouillet  luy  aidèrent  à  faire  l'honneur  du  logis.  M.  du  Vigean, 
«  que  j'avois  trouvé  à  Blois...  m'avoit  accompagné  :  cela  ne  luy  réussit 
»  pas.  Je  fus  toute  estonnée  de  voir  sa  femme  embarrassée  de  sa  pré- 
»  sence,  et  que  cela  troublast  la  joie  de  ma  visite.  M"®  d'Aiguillon  me 
»  demanda  pourquoy  je  l'avois  amené  ;  je  luy  respondis  qu'il  avoit 
»  accompagné  Coulas,  qui  m'avoit  suivie  dans  son  carrosse,  avec  un 
»  gentilhomme  de  S.  A.  R. ,  nommé  Chabot,  qui  est  à  présent  M.  de 
»  Rohan,  et  qui  estoit  alors  si  mal  dans  ses  affaires,  qu'il  estoit  bien 
»  heureux  d'avoir  son  ordinaire  à  la  table  de  Coulas.  Toutes  les  façons 
»  qui  furent  faites  sur  le  sujet  de  M.  du  Vigean  nous  rejouirent  fort, 
»  quand  nous  fumes  seules  (M''*')  Beaumont ,  Saint-Louis  et  moy,  et 
»  mesme  M""  de  Saint-Georges,  que  son  âge  n'empeschoit  pas  d'estre 
»  de  très-belle  humeur.  »  {Mémoires.,  édition  de  1730,  tom.  i,  p.  18.) 

XIV.  — P.  169,  lig.  12. 

Cependant  on  ne  m'a  pas  sceû  nommer  un  seul  galant  de  cette 
femme. 

Bel  exemple,  entre  mille,  de  la  valeur  historique  des  vaudevilles.  Les 
cornes  abondent  sur  le  mari  ;  d'où  viennent-elles  ?  On  ne  peut  citer 
un  seul  galant  de  M""»  du  Vigean.  Le  deshonneur  de  la  femme  et  du 
mari  n'en  vont  pas  moins  à  la  postérité. 

Dans  la  satire  des  Contreveritez ,  il  y  a  : 

Les  bigots  de  ce  temps  mesprisent  Chaudebonne, 
Madame  d'Aiguillon  a  chassé  la  Baronne. 


180  LES    HISTORIETTES. 

Cette  contre-vérité  devint  pourtant  une  vérité,  quand  M"'  du  Vigean 
devint  duchesse  de  Richelieu. 


XV.  —  P.  1G9,  lig.  dernière. 

Elle  ne  daigna  pas  écouter  ceux  qui  Imj  conseillaient  de  donner  cinq 
cens  mille  livres  à  feu  Monsieur  le  Prince. 

Des  Réaux  en  présente  une  bonne  raison  dans  la  page  précédente  ; 
elle  ne  vouloit  pas  donner  cinq  cent  mille  francs,  qui  etoient  le  bien 
de  ses  neveux,  pour  satisfaire  d'injustes  prétentions. 

XVI.  —  P.  170,  lig.  10. 

Le  frère  aisné  de  M.  de  Noaittes. 

Sans  doute  Antoine  de  Noailles  comte  d'Aycn,  de  1643,  date  de  la 
mort  de  son  frère  aîné,  à  1645,  date  de  la  sienne.  Le  plus  jeune  fils  de 
François  de  Noailles,  l'ambassadeur  à  Rome,  etoit  Anne,  qui  fut  premier 
duc  de  Noailles  et  maréchal  de  France. 

XVII.  —  P.  170,  note,  lig.  2. 
En  vérité  cela  fait  dévotion. 

Note  de  dgs  Réaux  sur  la  129"  lettre  de  Voiture  :  «  M"*  d'Aiguillon 
»  disoit  de  toute  chose  :  Devant  Dieu,  cela  fait  dévotion.  En  racontant  à 
»  M"°  de  Rambouillet  ce  que  luy  disoit  M.  de  Montauzier,  quand  il 
»  recherchoit  cette  demoiselle,  elle  disoit:  Ma  fille,  ma  fille,  devant 
»  Dieu,  cela  est  touchant,  cela  fait  dévotion.  » 

XVm.  —  P.  171,  lig,  8. 

Les  deux  mariages  de  ses  nepveux  sont  si  brouillez  avec  la  Cour.... 

C'est-à-dire  :  ont  tant  de  rapports  avec  les  affaires  de  la  Cour.  Le  pre- 
mier de  ces  deux  neveux,  Armand-Jean  de  Vignerot  du  Plessis ,  duc  de 
Richelieu,  avoit  épousé  le  26  décembre  1649,  à  l'âge  de  vingt  ans,  Anne 
Poussart ,  veuve  de  François-Alexandre  d'Albret  sire  de  Pons ,  et  fille 
de  François  Poussart  baron  du  Vigean  et  d'Anne  de  Neubourg.  Le 
mariage  déplut  à  M""'  d'Aiguillon  et  M"""  du  Vigean  s'y  opposa  d'abord  ; 
écoutons  le  bon  Loret,  lettre  du  8  juillet  1650  : 

Certaine  dame  de  Paris 
Qu'en  ce  lieu  Je  nomme  Clorls, 


MADAME    d'aiguillon.  igi 

Tres-prude  et  tres-habile  femme. 

Chanta  fort  hautement  la  gamme 

A  certains  quidams  père  et  filz. 

Qui  furent  un  peu  desconfiz. 

En  un  hostel  ils  s'assemblèrent. 

D'abord,  les  deux  hommes  tremblèrent. 

Mais  pour  la  dame,  il  est  certain 

Qu'elle  avoit  un  port  si  hautain, 

Paroissoit  si  ferme  et  si  sage. 

Et  parloit  un  si  beau  langage. 

Que  tous  les  cœurs  en  vérité 

Se  rangèrent  de  son  costé. 

Plusieurs  fois  ils  se  querellèrent , 

Puis  ils  se  réconcilièrent  ; 

Mais  la  dame  soustint  tousjours, 

Par  de  très-solides  discours. 

Que  sa  fille  (a)  estoit  une  ingrate 

Qui  luy  causoit  un  mal  de  rate. 

Tant  elle  avoit  d'affliction 

De  sa  téméraire  action  ; 

Et  d'avoir,  suivant  son  caprice, 

Desobligé  letir  bienfaitrice, 

Ayant  espousé  sans  aveu. 

Monsieur  son  très-jeune  neveu. 

Enfin,  très-fort  ils  contestèrent. 

Sept  heures  durant  ils  parlèrent. 

Mais  sans  faire  ny  mal  ny  bien, 

Parce  qu'ils  ne  conclurent  rien; 
Leur  parler  fut  de  nul  usage, 
Et  laissèrent,  dont  c'est  dommage, 
Les  choses  qui  se  debattoient 
Au  mesme  estât  qu'elles  estoient. 
Après  donc  cette  conférence. 
Ils  se  firent  la  révérence  ; 
Le  mary  chez  soy  retourna. 
Avec  son  fils  qu'il  emmena, 
Et  l'autre  qui  ne  tarda  mie 
Se  retira  avec  sa  mie. 

La  semaine  suivante,  Loret  nomme  en  toutes  lettres  M"*  d'Aiguillon, 
qui  avoit  voulu  faire  renvoyer  le  duc  de  Richelieu  aux  Galères,  dont  il 
etoit  général  : 

La  sage  dame  d'Esguillon, 
Ayant  au  cœur  un  aiguillon 
De  ce  que  son  neveu  rebelle 
Dort  en  repos  avec  sa  belle. 
Pour  leur  jouer  un  mauvais  tour. 
Essaye  d'obliger  la  Cour 
De  prendre  part  en  ses  colères 
Et  les  envoyer  aux  Galères. 

Mais  la  duchesse  d'Aiguillon  fut  bien  autrement  désolée  du  mariage 
(a)  M'ie  du  Vigean. 


182  LES    HISTORIETTES. 

de  sou  deuxième  neveu,  Jean-Baptiste-Amador  de  Vignerot  du  Plessis, 
marquis  de  Richelieu,  également  âgé  de  vingt  ans,  avec  Jeanne-Bap- 
tiste de  Beauvais,  fille  de  la  célèbre  Catherine-Henriette  Bélier,  long- 
temps favorite  d'Anne  d'Autriche.  Ce  mariage  eut  lieu  le  6  novembre 
1652. 

On  ne  parle  en  toute  rencontre 
Que  (lu  sort  heureux  ou  mauvais 
De  la  mignonne  de  Beauvais, 
Qui  maintenant  dit  qu'elle  est  femme. 
Et  que  la  Cour  nomme  Madame,  etc. 

(Muse  historique  du  16  novembrej 

«  Ce  garçon,  »  dit  Mademoiselle,  «  estoit  bien  fait,  jeune,  plein  d'es- 
»  prit  et  de  courage.  Son  frère  aisné  n'a  point  d'enfans  et  est  fort 
»  malsain  ;  ainsi  toute  la  dépouille  du  Cardinal  le  regardoit  et  le  re- 
»  garde  encore,  mais  beaucoup  moins  à  présent  que  dans  ce  temps-là, 
1)  parce  que  M""*  d'Aiguillon,  qui  en  possède  une  bonne  partie,  luy  en 
»  ostera  tout  ce  qu'elle  pourra.  Ce  mariage  surprit  tout  le  monde: 
»  quoyque  cette  fille  soit  jolie  et  aimable,  elle  n'est  pas  assez  belle 
»  pour  faire  passer  par-dessus  mille  considérations  qu'il  devoit  avoir. 
»  Ainsi,  dès  le  lendemain,  M-""  d'Aiguillon  l'enleva  et  l'envoya  en  Ita- 
>i  lie,  pour  voir  s'il  persevereroit  ù,  l'aimer.  Il  revint  et  l'a  tousjours 
»  fort  aimée.  Elle  disoit  dans  sa  douleur  :  Mes  neveux  vont  tousjours 
»  de  pis  en  pis,  j'espère  que  le  troisième  épousera  la  fille  du  bourreau. 
1)  M°*  de  Beauvais  ne  luy  avoit  nulle  obligation,  et  n'estoit  point 
»  obligée  de  négliger  son  bien  à  ses  despens,  comme  estoit  M""  de 
»  Pons,  fille  de  M""*  du  Vigean,  dont  la  mère  est  comme  la  femme  de 
»  charge  de  sa  maison.  »  (Edition  de  1730,  ii,  p.  170.) 


LXXX.  -  LXXXI. 

LE    CARDINAL   DE   LYON 

ET     LOPEZ. 

{Alphonse  Louis  du  Plessis  de  Richelieu ,  cardinal ,  archevêque  de  Lyon, 
mort  23  mars  1653.) 

Alphonse  Louis  du  Plessis  estoit  l'aisné  du  cardi- 
nal de  Richelieu.  Il  fut  destiné  à  estre  chevalier  de 
Malte;  en  ce  dessein  on  luy  voulut  apprendre  à 
nager ,  mais  il  ne  put  jamais  en  venir  à  bout.  Ses 
parens  luy  en  faisoient  des  reproches  et  luy  disoient 
qu'il  ne  vouloit  estre  bon  à  rien  :  enfin,  las  de  leurs 
crieries,  un  jour  que  par  hazard  il  n'y  avoit  personne 
avec  luy  qui  sceust  nager,  il  se  jetta  dans  l'eau  si 
follement,  que  sans  un  pescheur  qui  y  accourut  avec 
sa  nacelle ,  il  estoit  noyé.  Il  le  fallut  donc  faire 
d'église.  Il  fut,  comme  j'ay  dit*,  nommé  evesquede 
Luçon,  et  quitta  cetevesché  à  son  frère  pour  se  faire 
Chartreux. 

Cet  homme  avoit  naturellement  quelque  pente  à 
la  folie;  la  solitude  l'achevoit.  Pour  cela,  les  char- 
treux de  la  grande  Chartreuse,  où  il  estoit,  le  firent 
Procureur.  Dans  une  contestation  avec  un  gentil- 
homme fort  brutal ,  il  eut  des  coups  de  baston  ;  il 


Tome  u,  p.  2. 


18/l  LES    UISTORIETTES. 

porta  cet  outrage  patiemment ,  et  ne  voulut  jamais 
s'en  venger  quand  il  se  vit  cardinal.  On  dit  qu'un 
astrologue  luy  avoit  prédit,  avant  qu'il  fust  Procu- 
reur, qu'il  seroit  en  grand  danger  d'une  grande 
blessure  faitte  à  la  teste  avec  du  fer.  Mais,  estant  de- 
venu Procureur,  comme  il  entroit  dans  Avignon,  une 
chaisne  du  pont-levis  luy  tomba  sur  la  teste,  et  il  en 
pensa  mourir.  Le  cardinal  de  Richelieu  le  fit  sortir 
de  la  Chartreuse,  et  le  fit  archevesque  d'Aix ,  puis 
arche vesque  de  Lyon,  cardinal,  grand  aumosnier  de 
France,  et  luy  donna  de  grands  bénéfices  '.  A  Aix, 
aussy  bien  qu'à  Lyon,  il  a  fait  la  fonction  d'un  bon 
evesque.  Le  Cardinal  l'envoya  à  Rome  pour  autho- 
rizer  d'autant  plus  la  poursuitte  de  la  dissolution  du 
mariage  de  M.  d'Orléans.  Là  il  acquit  la  réputation 
d'un  homme  fort  charitable.  A  Lyon,  durant  la  peste, 
il  alla  partout,  comme  s'il  n'eust  pas  eu  tout  sujet 
d'aimer  la  vie.  On  ne  luy  peut  reprocher  qu'une  ac- 
tion qui  fut,  ce  me  semble,  bien  inhumaine;  mais  il 
faut  croire  que,  ce  jour-là,  il  avoit  quelqu'un  de  ces 
accez  de  folie.  Estant  à  Marseille,  où  il  avoit  l'ab- 
baye de  Saint-Victor,  il  alla  voir  les  galères.  Or  le 
cardinal  de  Richelieu  y  avoit  fait  mettre  le  baron  de 
Roman,  qui  avoit  voulu  lever  quelques  troupes  pour 
la  Reyne-merc,  traittement  bien  indigne  d'un  gentil- 
homme. Mais  .comme  on  avoit  eu  pitié  de  ce  cava- 
lier ,  il  estoit  à  son  ordinaire,  hors  qu'il  portoit  un 

1  On  a  remarqué  que  le  cardinal  de  Richelieu  et  son  successeur,  le 
cardinal  Mazarin,  ont  eu  tous  deux  chascun  un  frerc  moine,  fou  et  ar- 
chevesque d'Aix. 


LE    CARDINAL    DE    LYON.  185 

petit  fer  à  la  jambe.  Le  cardinal  de  Lyon  le  fait 
prendre ,  le  fait  razer  et  le  fait  attacher  à  la  rame. 
Ce  pauvre  gentilhomme  se  coucha  dans  le  banc  et 
s'y  laissa  mourir  de  regret. 

On  dit  qu'entre  autres  visions,  il  croyoit  quelque- 
fois estre  Dieu  le  Père.  Un  jour  qu'il  couchoit  dans 
une  maison  où  on  luy  donna  un  lict  dans  la  brode- 
rie duquel  il  y  avoit  quelques  testes  d'anges  ou  de 
chérubins  :  «  Vrayment,  »  dirent  ses  gens,  «  c'est 
»  bien  à  cette  fois  que  notre  maistre  croira  estre  Dieu 
»  le  Père.  »  M"*'  d'Aiguillon  disoit  à  Ferdinand  *  :  Maune°7oy.iom.l 
«  Peignez-moy  Monsieur  le  cardinal  de  Lyon  en  Dieu 
)'  le  Père,  bien  dévot.  » 

Il  estoit  familier  et  aimoit  la  conversation  des  da- 
mes. Berthod  le  chastré,  de  la  musique  du  Roy, 
m'a  juré  qu'il  l'avoit  veu  auprès  de  Lyon,  en  un  lieu 
où  il  y  avoit  bonne  compagnie  ;  on  badinoit ,  on  se 
desguisoit.  Il  se  desguisa  en  berger  comme  les  au- 
tres, et  fit  desguiser  toutes  les  dames  en  bergères.  Il 
a  esté  amoureux  plusieurs  fois ,  mais  cela  ne  passa 
pas  de  petits  présens.  Il  ne  laissoit  pas  d'avoir  de 
l'esprit,  mais  il  paroissoit  presque  tousjours  hébété. 
Un  homme  de  qualité  du  diocèse  de  Lyon  avoit  un  filz 
fort  contrefait,  et  le  vouloit  faire  d'église.  Le  car- 
dinal de  Lyon  ne  voulut  jamais  le  tonsurer,  disant 
qu'on  se  mocquoit  d'offrir  à  Dieu  le  rebut  du  monde. 

Un  abbé  '  dont  j'ay  oublié  le  nom,  l'estant  venu 
voir,  luy  dit  en  entrant  :  «  Monseigneur,  je  suis  l'abbé 

'  De  Caderousse,  du  Comtat. 


186  LES    HISTORIETTES. 

»d'un  tel  lieu...  —  Que  voulez-vous  que  j'y  fasse?  » 
respoiidit-il  en  T interrompant.  —  «  Qui  suis  venu 
«pour  faire  la  révérence... —  Faittes-la  donc,  »  ad- 
jousta-t-il. 

Estant  h  Bourbon ,  quelqu'un  luy  envoya  une 
charge  de  melons  ;  il  la  fit  jetter  dans  l'eau,  disant 
que  cela  n'estoit  pas  bon  à  des  gens  qui  estoient  dans 
les  remèdes  ;  mais  cela  estoit  bon  à  ceux  qui  ne  bu- 
voient  pas. 

Le  cardinal  de  Richelieu,  qui  le  connoissoit  bien, 
ne  voulut  pas  qu'il  le  fust  trouver  à  Narbonne  ;  aussy 
l'autre  ne  le  voulut  point  aller  trouver  à  Lyon,  quand 
on  y  coupa  le  cou  à  Monsieur  le  Grand. 

Le  cardinal  Mazarin,  qui  ne  fit  pas  ce  qu'il  devoit 
dans  le  procez  pour  la  Charité  (que  le  cardinal  de 
Lyon  eut  contre  des  Landes-Payen ,  à  qui  le  car- 
dinal de  Richelieu,  à  ce  qu'on  dit,  l'avoit  osté  par 
violence),  envoya  offrir  l'abbaye  de  Mauzac ,  dont 
il  estoit  titulaire ,  au  cardinal  de  Lyon ,  pour  le  re- 
compenser de  ce  prieuré  ;  mais  il  ne  la  voulut  point 
prendre.  Cette  ingratitude  le  fascha  :  car  le  cardinal 
pauie  payeu.      Mazarlu  souffrit  que  Lyonne,  dont  la  femme  *  est  pa- 
rente de  des  Landes-Payen,  sollicitast  contre  luy,  et 
c'estoit,  ce  semble ,  se  déclarer,  Lyonne  estant  ce 
qu'il  estoit  auprès  de  luy.  Mais  les  mariages  de  ses 
petits-nepveux  de  Richelieu  le  fascherent  bien  davan- 
tage. 
^'^'^'«BMtMï''.*'  *"'      Celui  qui  a  escrit  sa  vie  en  latin  *  le  veut  faire  passer 
pour  un  grand  homme,  et  dit  que  l'emprisonnement 
Ko  165».         du  cardinal  de  Retz  *,  à  cause  du  mauvais  exemple, 


LE    CARDINAL    DE    LYON.  187 

l'affligea  sensiblement.  Il  mourut  environ  vers  ce 
temps-là  '. 

»    LOPEZ. 

{Alphonse  Lopez,  mort  à  Paris,  29  octobre  1649.) 

Lopez,  et  quelques  autres  comme  luy,  vinrent  en  France  pour  traitter 
quelque  chose  pour  les  Mo  risques,  dont  il  estoit.  On  les  adressa  à 
M.  le  marquis  de  Rambouillet,  comme  à  un  homme  qui  entendoit  l'es- 
pagnol. Lopez  avoit  de  l'esprit,  et  estoit  homme  de  bon  conseil.  Il  donna 
icy  avis  à  des  marchands  de  draps  d'en  envoyer  à  Constantinople  ;  ils 
y  gagnèrent  cent  pour  cent,  et,  pour  son  droit  d'avis,  ils  luy  donnè- 
rent une  part,  à  quoy  il  ne  s'attendoit  pas.  Après  il  achepta  un  gros 
diamant  brut ,  le  fit  tailler  et  y  gagna  hounestement.  Cela  le  mit  en 
réputation.  De  toutes  parts  on  luy  envoyoit  des  diamans  bruts.  Il  avoit 
chez  luy  un  homme  à  qui  il  donnoit  huit  mille  livres  par  an,  et  le 
nourrissoit  luy  sixiesme  :  cet  homme  tailloit  les  diamans  avec  une  di- 
ligence admirable,  et  avoit  l'adresse  de  les  fendre  d'un  coup  de  mar- 
teau quand  il  estoit  nécessaire.  En  suitte,  toutes  les  belles  pierreries  luy 
passèrent  par  les  mams.  En  ce  temps-là,  par  envie  ou  autrement,  on 
l'accusa  d'estre  espion,  et  de  payer  les  pensions  d'Espagne  *.  Un  maistre  Ou  les  pensionnai- 
des  Requestes  nommé  Ledoux  en  croyoit  avoir  une  conviction  entière  France.  ^^ 
par  le  livre  de  Lopez,  où  il  y  avoit  :  «  Guadamasilles  por  el  senor  de 
»  Bassompierre  —  tant  de  milliers  de  maravedis,  »  et  autres  articles 
semblables.  Lopez  pria  M.  de  Rambouillet  de  voir  ce  bon  maistre  des 
Requestes.  Le  maistre  des  Requestes  luy  dit  :  c(  Monsieur,  y  a-t-il  rien 
))  de  plus  clair?  Guadamasilles.,  etc.  »  M.  de  Rambouillet  se  mit  à  rire  : 
<(  Hé  ,  Monsieur,  »  luy  dit-il,  «  ce  sont  des  tapisseries  de  cuir  doré  qu'il 
»  a  fait  venir  d'Espagne  pour  M.  de  Bassompierre  ;  »  et  luy  fait  venir 
un  dictionnaire  espagnol.  Lopez  fut  absous,  et  le  maistre  des  Requestes 
interdit,  parce  que  Lopez  prouva  que,  sous  prétexte  de  les  achepter,  il 
luy  avoit  pris  pour  quatre  mille  livres  de  bagues. 

Le  cardinal  de  Richeheu,  pour  se  divertir,  un  jour  que  Lopez  reve- 
noit  de  Ruel  avec  toutes  ses  pierreries  que  le  Cardinal  avoit  voulu 
voir  exprès,  le  fit  attaquer  par  de  feints  voleurs,  qui  pourtant  ne  luy 
firent  que  la  peur.  Il  y  alloit  de  tout  son  bien  ;  aussy  la  peur  fut-elle 
si  grande,  qu'il  fallut  changer  de  chemise  au  pont  de  Nully,  tant  sa 
chemise  estoit  gastée.  Le  Chancellier,  dans  le  carrosse  duquel  il  estoit, 
dit  qu'il  se  présenta  assez  hardiment  aux  voleurs.  Le  Cardinal  eut  du 
desplaisir  de  luy  avoir  fait  ce  tour-là,  car  il  avoit  joué  à  faire  mourir 
ce  pauvre  homme;  et  pour  racommoder  cela,  il  le  fit  manger  à  sa 


188  LES    HISTORIETTES. 

table.  Ce  n'estoit  pas  un  petit  honneur.  Un  jour  il  y  fit  mettre  M.  Tu- 
beuf,  qui  en  fut  si  surpris,  à  ce  que  dit  Boisrobert,  que,  tout  hors  de 
luy,  il  mettoit  les  morceaux  dans  ses  yeux,  au  lieu  de  les  mettre  dans 
sa  bouche. 

Une  fois  que  l'abbé  de  Ccrisy  et  Lopez  faisoient  des  complimens  à 
qui  passeroit  le  premier,  Chastcllet,  le  maistre  des  Requestes,  dit  :  «  Le 
»  vieux  Testament  va  devant  le  nouveau  ;  »  car  on  le  vouloit  faire 
passer  pour  Juif,  luy  qui  estoit  Maliometan.  On  a  dit  de  ce  fat  de 
Montmaur  le  Grec,  qu'il  avoit  dit  à  Montmor  le  riche,  pour  le  faire 
passer  devant:  aPrimùm  Hebreeo,  deindè  Grxco.  »  Mais  je  ne  le  croy 
pas,  il  n'auroit  osé  ;  quelqu'un  a  dit  cela  pour  luy. 

Lopez  vendoit  un  crucifix  bien  cher  :  «  Hé,  »  luy  dit-on,  «  vous  avez 
»  livré  l'original  à  si  bon  marché  !  » 

Le  feu  Cardinal  l'employa  à  faire  faii'c  des  vaisseaux  en  Hollande, 
et  au  retour  il  le  fit  conseiller  d'Estat  ordinaire.  En  Hollande,  il 
achcpta  mille  curiositez  des  Indes,  et  icy  il  fit  chez  luy  comme  un  in- 
ventaire: on  crioit  avec  un  sergent.  C'estoit  un  abrégé  de  la  foire 
Saint-Germain  :  il  y  avoit  tousjours  bien  du  beau  monde. 

Il  avoit  six  chevaux  de  carrosse.  Jamais  carrosse  ne  fut  tant  au-de- 
vant des  Ambassadeurs  que  celuy-là. 

Je  me  crcvois  de  rire,  car  mon  père  estoit  son  voisin,  de  le  voir 
manger  du  pourceau  quasy  tous  les  jours.  On  ne  l'en  croyoit  pas  meil- 
leur chrestien  pour  cela. 

Il  fit  rajuster  une  assez  belle  maison  dans  la  rue  des  Petits-Champs, 
et  il  disoit  :  «  Il  y  a  une  quantité  immense  de  cheminées  dans  mon  logis.  » 

La  Reyne  luy  dcvoit  vingt  mille  escus  pour  des  perles  ;  et  comme  il 
pressoit  d'Esmery  pour  estre  payé ,  l'autre  luy  donna  en  payement 
une  taxe  A'aisé  de  soixante  mille  livres. 

Il  se  disoit  des  Abcncerrages  de  Grenade.  Il  mourut  après  la  confé- 
rence de  1649. 


COMMENTAIRE. 

I.  —  P.  185,   lig.  5. 

//  croyoit  quelquefois  estre  Dieu  le  Père. 

L'auteur  du  pamphlet  de  l'Ambassadeur  chimérique,  1637,  dit  aussi  ; 
«  L'ambassadeur  taschera  d'enchanter,  avec  l'escarlate  et  lettres  d'or, 
»  quelques  dragons  en  ce  pays-là;  et  pour  cet  effet,  il  portera  la  robbe 
n  de  satin  rouge  en  broderie  d'or  que  le  cardinal  de  Lyon  avoit,  lors- 
»  qu'il  croyoit  estre  Dieu  le  Père.  » 


LE    CARDINAL    DE    LYON.  189 

IL  —  P.  185,  note. 
De  Caderousse,  du  Comtat. 

Sans  doute  Philippe-Guillaume  d'Ancezune-Caderousse,  abbé  de  Se- 
nanques.  Cette  maison  s'est  fondue  dans  celle  des  Gramont  de  Dau- 
phiné  et  elle  a  cru  pouvoir,  mais  sans  trop  de  succès,  se  rattacher  à  la 
grande  maison  des  Gramont  de  Navarre.  Le  marquisat  de  Caderousse 
fut  érigé  on  duché  par  le  pape  Alexandre  VII  en  1633,  et  le  chef  de  la 
famille  n'est  plus  guère  aujourd'hui  désigné  que  comme  duc  de  Gra- 
mont.  Il  faudroit  dire  :  duc  de  Caderousse. 

IIL  —  P.  186,  lig.  8. 
Mais  cela  estait  bon  à  ceux  qui  ne  buvoient  pas. 

Je  crois  que  des  Réaux  veut  dire  :  «  Au  lieu  de  les  jeter  à  l'eau, 
»  il  eût  pu  les  donner  à  ceux  qui  l'entouroient  et  qui  n'etoient  pas 
»  obligés  de  prendre  les  eaux  comme  lui.  » 

IV.  —  P.  186,  lig.  19. 
Le  cardinal  Mazarin...  pour  le  recompenser  de  ce  prieuré. 

C'est-à-dire  pour  compenser  la  perte  de  ce  prieuré  de  la  Charité. 
La  Gallia  Christiana  dit  seulement  qu'après  une  possession  de  dix-sept 
ans,  le  cardinal  de  Lyon  fut  en  1646  obligé  de  résigner  le  prieuré, 
edicto  Magni  Consilii,  et  que  son  successeur  fut  Pierre  Payen  des 
Landes,  conseiller  au  Parlement,  qui  demeura  commendataire  jus- 
qu'en 1663.  Saint-Amand,  qui  le  nomme  aussi  des  Landcs-Payen,  fit 
pour  lui  ses  belles  stances  sur  la  Pluye.  (Rouen,  1642,  p.  95.)  Payen 
fut  ensuite  un  des  frondeurs  les  plus  avancés  dans  le  parti  de  Mon- 
sieur le  Prince ,  et  il  se  chargea  de  présenter  au  Parlement  la  requête 
de  la  princesse  de  Condé  contre  la  prison  des  Princes,  en  1650.  Il  finit 
par  tomber  dans  une  grande  dévotion.  Vers  1660,  on  communiquoit 
officieusement  à  Fouquet  la  note  suivante  :  «  Des  Landes-Payen,  homme 
»  ci-devant  attaché  à  ses  plaisirs,  particulièrement  à  ceux  de  la  table, 
»  s'est  mis  depuis  peu  à  une  très-grande  reforme.  Il  s'est  donné  entie- 
»  rement  à  la  dévotion,  va  peu  au  Palais ,  y  rapporte  peu,  estant  la 
»  pluspart  du  temps  à  son  prieuré  de  la  Charité.  A  souvent  promis 
»  sans  efifect;  de  peu  d'assurance.  Il  a  esté  attaché  à  Monsieur  le 
»  Prince,  et  s'est  chargé  pendant  tous  nos  mouvemens  de  toutes  les 
»  choses  qui  le  concernoient.  Est  gouverné  de  peu  de  personnes.  M.  le 
»  président  la  Grange  a  quelque  crédit  auprès  de  luy.  »  {Portraits  des 
membres  du  Parlement.,  msc.  de  Saint-Victor,  1096.) 


190  LES   HISTORIETTES. 

Le  procès  du  prieuré  de  la  Charité-sur-Loire  fit  pour  le  moins  autant 
de  bruit  que  celui  de  la  duchesse  d'Aiguillon  contre  Monsieur  le  Prince  ; 
et  ce  fut  encore  le  terrible  Gauthier  qui  fut  chargé  de  défendre  Payeu 
des  Landes  contre  le  cardinal  de  Lyon.  Ce  prieuré,  d'abord  possédé 
par  le  duc  de  Nevers,  avoit  été  cédé  au  prieur  claustral,  moyennant 
de  grandes  réserves  simoniaques  et  frauduleuses.  Ces  réserves  etoient, 
il  faut  le  dire,  assez  en  usage  ;  car  les  bénéfices  ecclésiastiques  étant 
souvent  très-considérables ,  le  gouvernement  du  Roi  fermoit  les  yeux 
sur  des  stipulations  particulières  qui  répandoient  entre  plusieurs  la 
pluie  d'or  de  ces  investitures,  appelées  le  patrimoine  des  pauvres.  Or 
Payen  des  Landes  avoit  acheté  en  1639  le  prieuré  du  successeur  ap- 
parent du  duc  de  Nevers  ;  mais  ayant  ensuite  quitté  la  France  pour 
raison  de  mauvaises  affaires,  et  étant  alors  entré  dans  le  parti  de  la 
Reine-mère ,  le  cardinal  de  Richelieu  l'avoit  impliqué  dans  une  accu- 
sation de  crime  de  lèse-majesté,  puis  l'avoit  fait  condamner  au  bannis- 
sement perpétuel  et  à  la  confiscation  de  ses  biens.  Le  cardinal  de 
Lyon  acquit  en  ce  temps-là  le  prieuré  de  la  Charité-sur-Loire,  et  le 
conserva  tranquillement  jusqu'à  la  mort   de  son   frère.   Mais   alors 
Pierre  Paycn  sieur  des  Landes  revint  en  France,  obtint  une  abolition 
complète  et  réclama  le  prieuré  de  la  Charité  contre  l'archevOque  de 
Lyon.  L'affaire  dura  cinq  ou  six  ans,  et  se  termina  à  l'avantage  du 
sieur  des  Landes. 

U  me  paroît  évident  que  Racine  a  voulu  railler  l'éloquence  de  Gau- 
thier, quand  il  a  fait  la  tirade  des  Plaideurs  : 

Tout  ce  qui  peut  estonner  un  coupable,  etc. 

On  en  va  juger  par  quelques  extraits  de  ce  beau  plaidoyer  de  Gau- 
thier, prononcé  au  mois  d'août  1646  : 

«  Messieurs, 

»  Si  le  nom  et  la  qualité  des  personnes,  plustost  que  la  considération 
»  du  droit  et  de  l'équité,  faisoicnt  la  décision  des  différons  qui  s'agit- 
»  tent  devant  vous,  j'aurois  lieu  de  me  défier  du  succez  de  cette  cause-, 
1)  les  titres  relevez  de  notre  partie  adverse  m'epouvanteroient  d'abord, 
»  l'éclat  de  la  pourpre  m'eblouiroit,  et  je  craindrois  que  l'ombre  seule 
»  du  grand  nom  qu'il  porte  ne  cachast,  comme  sous  un  voile  épais, 
»  la  vérité  que  vous  cherchez. 

»  Mais  nous  ne  vivons  plus  dans  le  siècle  de  la  violence;  la  justice 
»  a  repris  son  ancienne  liberté,  les  magistrats  ne  souffrent  plus  de  con- 
»  trainte  dans  leurs  suffrages,  leurs  jugemens  ne  reçoivent  plus  les  im- 
»  pressions  d'une  autorité  dominante,  et  la  mort  d'un  ministre  violent 
»  et  impétueux  a  mis  fin  à  cette  tyrannie  dangereuse,  qui  corrompoit 
»  les  plus  pures  sources  de  la  justice... 


LE    CARDINAL    DE    LYON.  191 

»  Quand  je  vois  dans  cette  cause  ce  concours  de  tant  de  puissances  ; 
»  quand  je  considère  ce  partage  de  brigues  et  de  faveurs,  et  que  toute 
»  la  Cour  assemblée  dans  le  barreau  s'efforce  de  combattre  la  liberté 
»  de  vos  jugemens,  il  me  souvient  de  cette  fameuse  division  des  Dieux, 
»  à  l'occasion  du  siège  de  Troj-e. 

»  Mais  que  servent  à  M.  le  cardinal  de  Lyon  tous  ces  grands  prepa- 
»  ratifs  devant  des  juges  qui  n'ont  des  yeux  que  pour  regarder  la  ve- 
»  rite  ?  L'on  ne  voit  plus  le  maistre  de  la  fortune  triompher  de  la  foi- 
»  blesse  des  misérables.  La  justice  qui  nous  accompagne  a  son  destin 
»  immuable,  qui  brave  les  vains  efforts  de  nos  adversaires.  Que  dirai-je 
»  davantage  ?  Le  ciel ,  qui  décide  du  droit  des  combats ,  a  pris  nostre 
»  party  contre  vous  : 

»  Victrix  causa  diis  placuit,  sed  victa  Catonl.  » 

Ce  plaidoyer,  sauf  la  citation ,  n'etoit  pas  assez  ridicule  pour  mé- 
riter la  parodie  que  Racine  en  a  faite  :  mais  Gauthier  etoit  apparem- 
ment l'ennemi  de  Patru  ;  de  là  la  mauvaise  réputation  qu'il  a  conservée 
dans  la  postérité.  Je  ne  puis  m'empôcher  de  citer  encore  ici  deux 
pages  dans  lesquelles,  non  pas  en  pleine  Fronde  mais  en  1C46,  Gau- 
thier s'arme  du  fouet  de  la  vengeance  pubhque  pour  peindre  le  gouver- 
nement tj-^rannique  de  Richelieu.  On  remarquera  sans  doute  la  plai- 
sante interruption  du  duc  de  Gramont,  assistant  au  débat  avec  les 
plus  grands  seigneurs  de  la  Cour. 

«  Rappellerai-je  en  vostre  mémoire  l'horreur  de  la  plus  injuste  con- 
»  damnation  qui  fut  jamais?  Ferai-je  le  tableau  d'un  ministère  plein  de 
»  tyrannie;  et  faut-il  vous  représenter  la  justice  captive,  servir  aux 
»  passions  violentes  d'un  homme  qui  ne  connoissoit  point  de  lois? 

»  Vous  sçavez.  Messieurs,  tout  ce  que  je  puis  dire  sur  ce  sujet  :  le 
»  sang  des  plus  illustres  familles  de  toute  la  France  parle  pour  moy 
»  dans  cette  rencontre  :  on  voit  partout  les  tristes  restes  de  la  desola- 
»  tion  qu'il  a  portée  en  tant  de  lieux  ;  et  sa  violence  est  écrite  dans  les 
»  registres  des  cours  souveraines  d'un  style  de  fer  et  d'une  encre  de 
»  sang  qui  épouvantera  la  postérité. 

»  Il  n'epargnoit  rien  pour  l'établissement  de  sa  grandeur  ;  les  obstacles 
»  qu'il  y  voyoit  enfloient  son  courage  ;  il  aimoit  à  s'élever  par  les  ruines 
»  des  autres ,  et  il  luy  sembloit  qu'il  auroit  manqué  tousjours  quel- 
»  que  chose  à  son  bonheur,  s'il  n'avoit  fait  une  infinité  de  malheureux. 

»  C'est  ce  Promethée  qui  avoit  dérobé  le  feu  du  ciel  pour  en  former 
»  les  éclairs  et  le  tonnerre,  dont  il  epouvantoit  et  detruisoit  tous  les 
»  peuples,  et  je  ne  puis.  Messieurs,  vous  le  représenter  plus  fidèlement 
»  que  par  ces  vers  d'un  ancien  : 

»  Terrarum  fatale  malum,  fulmenque  quotl  omnes 
»  Percuteret  populos  pariter  et  sidus  iniquum 
»  Gentibus. . .  » 


192  LES    HISTORIETTES. 

(  En  cet  endroit ,  M.  de  Gramont  m'interrompit ,  et  addressant  sa 
parole  à  M.  de  la  Meilleraye  :  Quoy^  Monsieur  le  Grand-Maistre,  dit-il, 
vous  dormez  pendant  qu'on  diffame  la  mémoire  de  Monsieur  le  Cardinal  ! 
Et  alors  je  repris  la  parole  de  cette  sorte  :  ) 

«  Il  est  estrange,  Messieurs,  que  l'on  n'ose  pas  se  plaindre  à  la  face 
»  de  la  justice.  Veut-on  faire  revivre  le  siècle  de  la  violence  1  Et  après 
»  qu'un  exil  de  quatorze  années  nous  a  estoufl'é  la  voix,  nous  sera-t-elle 
»  encore  arrachée  lorsque  la  justice  nous  l'a  rendue  ?  On  m'accuse  de 
»  déchirer  la  réputation  de  dcffunt  Monsieur  le  Cardinal  :  je  n'avois 
»  encore  nomme  personne.  Mais  puisque  l'indiscrétion  de  nos  advcr- 
»  saires  ne  mérite  pas  que  je  garde  de  mesure,  il  faut  parler  mainte- 
<(  nant  à  descouvert.  Ouy,  Messieurs,  c'est  de  M.  le  cardinal  de  Riche- 
»  lieu  que  je  parle,  c'est  ce  ministre  qui,  voulant  asseurer  à  son  frère 
»  la  possession  du  prieuré  de  la  Charité  et  se  délivrer  en  mesme  temps 
»  d'un  homme  qui  luy  estoit  suspect,  chercha  de  faux  prétextes  pour 
»  le  rendre  criminel  d'Estat  et  armer  les  lois  à  sa  ruine. 

»  En  vain  l'innocence  eust  voulu  implorer  les  cœurs  des  magistrats, 
»  ils  n'ont  plus  d'oreilles  pour  l'entendre  ;  leur  autorité  n'agit  plus  que 
»  par  les  influences  d'un  astre  malin  qui  les  domine,  et  il  n'y  a  que  la 
»  mort  du  persécuteur  qui  puisse  finir  la  persécution. 

»  Cet  heureux  moment  qui  devoit  rendre  la  liberté  à  toute  la  France 
»  n'estoit  pas  prest  d'arriver;  il  y  avoit  encore  beaucoup  à  languir; 
»  mais  enfin  le  ciel,  qui  se  lasse  de  l'iniquité  des  mechans,  écouta  les 
»  soupirs  des  malheureux,  et  trancha  les  jours  du  tyran  qui  les  oppri- 
»  moit...  » 

(Les  Plaidoyers  de  M.  Gauthier,  advocat  au  Parlement,  Paris,  1659, 
tom.  II,  deuxième  plaidoyer.) 

V.  —  P.  18G,  lig.  21. 

Le  cardinal  Mazarin  sonffn'st  que  Lyonne,  dont  la  femme  est  parente 
de  des  Landes-Payen,  soUicitast  contre  luy. 

Cette  dame  se  nommoit  Paule  Payen.  Elle  etoit  jolie,  mais  fort  pe- 
tite. A  son  retour  d'Espagne,  où  la  Reine  l'avoit  envoyée  en  1660  pour 
savoir  comment  l'infante  Marie-Thérèse  etoit  faite,  elle  parut  avec  un 
vertugadin  semblable  à  celui  que  la  princesse  portoit  à  Madrid.  «  Elle 
»  a,  »  dit-elle,  «  absolument  le  mesme  air  que  moy  ;  la  mesure  du  tail- 
»  leur  a  esté  prise  sur  elle,  car  nous  sommes  absolument  de  la  mesme 
»  taille.  »  Le  Roy  s'approchant  alors  de  la  Reine  :  «  Vous  voulez  donc, 
»  Madame,  que  j'épouse  une  naine?  »  Cela  fit  grand  tort  à  M""  de 
Lyonne  dans  l'esprit  d'Anne  d'Autriche.  [Voy.  les  Mémoires  de  CosnaCy 
tom.  1,  p.  27.) 


LE    CARDINAL    DE    LYON.  193 

VL  —  P.  187,  note,  lig.  1". 

Lopez  et  quelques  autres  comme  luy  vinrent  en  France. 

Alfonse  Lopès  etoit  en  France  dès  1604,  ainsi  que  l'atteste  la  cor- 
respondance de  Henry  IV  avec  le  sieur  depuis  maréciial  de  la  Force. 
Il  arrivoit  pour  ménager  un  traité  secret  contre  l'Espagne  entre  les 
Morisques  ses  compatriotes  et  le  roi  de  France.  Ces  Morisques,  des- 
cendans  des  anciens  Maures,  etoient  demeurés  en  Espagne  et  avoient 
embrassé  le  christianisme  auquel  ils  mèloient  beaucoup  de  supersti- 
tions mahométanes  ;  Henry  IV,  avec  l'intention  de  les  attirer  en 
France  avoit  donc  chargé  M.  de  la  Force  de  traiter  avec  eux.  (Voyez 
les  Mémoires  du  duc  de  la  Force.)  La  mort  de  Henry  IV  mit  fin  à 
tous  ces  projets  ;  mais  Lopès  resta  en  France,  où  il  ne  tarda  pas  à 
faire  fortune  dans  le  commerce  des  diamans.  On  le  prenoit  ordinaire- 
ment pour  un  Portugais.  Dans  le  roman  des  Amours  du  duc  de  Nemours 
et  de  la  marquise  de  Poyanne{edition  de  1715,  p.  99) ,  le  Duc  consulte 
sur  la  beauté  d'une  parure  de  pierreries  «  un  certain  Portugais  nommé 
»  dom  Lopès  qui  s'y  connoissoit  mieux  que  personne.  »  Il  mourut  à 
Paris,  le  29  octobre  1649 ,  à  l'âge  de  soixante-sept  ans,  et  l'on  grava 
sur  le  marbre  de  son  tombeau,  dans  l'église  de  Saint-Eustache  : 

Xatus  Iber,  \ixit  Gallus,  legeiiiquesecutus, 
Auspice  nunc  Christo,  mortuus  astra  tenet. 

Il  est  souvent  question  de  Lopès  dans  le  Journal  du  cardinal  de 
Richelieu,  comme  un  des  espions  ordinaires  du  grand  ministre.  C'est 
encore  lui  dont  vient  à  parler  Balzac  quand,  faisant  à  sa  manière  le 
modeste  sur  le  mérite  de  ses  lettres ,  il  dit  :  «  Je  ne  pense  pas  que 
»  le  seigneur  Lope  fust  assez  hardy  pour  me  prester  vingt  escus 
)>  dessus.  »  (Entretiens,  p.  253.) 

VIL  —  P.  187,  note,  lig.  1.3. 

Un  maistre  des  Requestes  nommé  Ledoux. 

Claude  le  Doulx,  ecuyer  puis  chevalier  seigneur  de  Malleville, 
Outrebois,  etc.,  d'abord  lieutenant  au  bailliage  d'Evreux,  puis  maître 
des  Requêtes,  «  fut,  »  disent  les  généalogistes,  «  employé  en  diverses 
»  et  honorables  coromissions  importantes  à  l'Estat  et  en  quasy  toutes 
»  les  provinces  du  royaume.  »  Les  généalogistes  se  taisent  sur  ce  petit 
épisode  de  la  vie  de  messire  Claude  le  Doulx. 

Vm.  —  P.  187,  note,  lig.  23. 
Lopez  prouva  qu'il  luy  avoit  pris  pour  quatre  mille  livres  de  bagues... 
Des  Réaux  avoit  d'abord  écrit  :  <(  Quatre  mil  escus  de  hardes,  car 
n.  13 


194  LES    HISTORIETTES. 

»  inseusiblement  il  s'estoit  mis  à  vendi-e  de  tontes  sortes  do  choses.  » 
La  môme  anecdote  sera  racontée  ailleurs,  et  Bassompierre ,  dans  son 
Journal,  année  1624,  on  confirme  la  vérité.  «  Le  Doux  avoit  trouvé, 
»  dans  le  livre-raison  de  Lopez,  ces  mots  :  «  El  senor  mareschal  de 
»  Bassompierre  pcr  gadameciles,  quarante  mille  livres,  qui  estoient 
»  deux  cens  mille  escus.  »  (T.  m,  p.  257.) 

IX. —P.  188,  lig.  1". 
Un  jour  te  Cardinal  fit  mettre  à  sa  table  M.    Tubcuf. 

Le  président  Tubcuf,  que  Mazarin,  dans  ses  Carnets  encore  inédits, 
nomme  toujours  M.  Toubouf.  C'est  lui  qui  fit  bâtir  la  partie  de  la 
Bibliothèque  nationale,  aujourd'hui  n°  12  de  la  rue  Ncuvc-des-Petits- 
Champs ,  et  la  maison  de  la  rue  Vivienne,  n°  12,  qui  fut  ensuite 
l'hôtel  de  Torcy,  en  face  de  la  rue  Colbert,  Les  Tubeuf  passoient 
pour  tirer  leur  origine  des  bouchers  de  Paris.  «  Le  sieur  Tubcuf 
»  n'est-il  pas  petit-fils  d'un  boucher  ?  «  (Advertissement  à  Cohon , 
Mazarinadc  de  1649.) 

X.  —  P.  188,  lig.  16. 
Il  fit  chez  luij  comme  un  inventaire. 

Nous  appellerions  cela  aujourd'hui  une  vente  à  la  criée.  En  ce 
temps,  comme  on  voit,  c'etoit  un  expédient  inusité. 

XL  —  P.  188,  hg.  25. 
Il  y  a  une  quantité  immense  de  cheminées  dans  mon  logis. 

Des  Beaux  se  moque  ici  de  la  vanité  de  Lopès,  qui  lui  faisoit  em- 
ployer cette  expression  exagérée  :  quantité  immense  de  cheminées.  Au- 
jourd'hui cela  passeroit  inaperçu. 

Dans  VUistoriettc  de  l'archevêque  de  Reims,  Eléonor  de  Valcnçay, 
il  est  encore  parlé  de  cette  grande  maison,  achetée,  après  la  mort  de 
Lopès,  par  le  maréchal  de  la  Ferté  ;  témoin  Loret  : 

Le  mareschal  de  la  Ferté, 
Durant  la  saison  de  l'esté, 
Des  villes  pour  le  Roy  conqueste; 
Et  pendant  l'hyver  il  aqueste, 
A  ce  qu'on  m'a  dit  aujourd'huy, 
Des  logis  dans  Paris  pour  luy  : 
Achetant  celuy  de  feu  Lope, 
Non  pas  le  plus  beau  de  l'Europe, 
Mais  bien  basiy,  commode  et  tel 
Qu'il  peut  passer  pour  un  hostel. 

Lettre  du  JS  mars  1656. 


août  1635. 


LXXXIÏ.  ~  LXXXIll. 
LE    MARESGH.4L    DE    BREZÉ 

ET    MADEMOISELLE    DE    BUSSY. 

{Urbain  de  Maillé,  marquis  puis  maréchal  de  Brezé;  né   vers  1597, 
mort  13  février  1G50.) 

Le  mareschal  de  Brezé  estoit  de  la  maison  de 
Maillé;  mais  celle  de  Brezé  estoit  entrée  dedans 
celle-là,  et  ils  en  dévoient  porter  le  nom.  Il  espousa 
la  sœur  du  cardinal  de  Richelieu  *,  alors  evesque  de  Richeîîeu.'liîorteillô 
Luçon.  Cette  femme  estoit  folle ,  et  est  morte  liée, 
ou  du  moins  enfermée'.  Elle  s'appelloit  Nicole;  et 
Cohon,  en  faisant  son  oraison  funèbre,  disoit  :  «  La 
»  grande  Nicolle  du  Plessis,  »  comme  on  dit  la 
grande  Anne  -,  Quand  elle  fut  mariée ,  elle  ne  vou- 
loit  point  retourner  k  la  province  :  que  fit-il  un  beau 
jour?  il  fit  oster  tous  les  meubles,  jusqu'aux  rideaux 
du  lict  de  Madame,  et  la  laissa  là.  Elle  fut  enfin 
toute  glorieuse  d'aller  en  Anjou. 

1  Elle  croyoit  avoir  le  cul  de  verre,  et  ne  vouloit  point  s'asseoir.  Elle 
eut  un  temps  une  plaisante  folie  ;  elle  croyoit  avoir  froid  à  un  petit 
endroit  au-dessus  de  la  main,  et  passoit  tout  le  jour  à  y  mettre  des 
(gouttes)  de  résine,  quelquefois  jusques  à  cinq  cens,  et  puis  à  les  oster, 
selon  qu'il  luy  sembloit  que  la  partie  se  reschauffoit. 

2  Une  chanson  de  ce  temps-là  : 

Avec  !a  tille  à  la  grande  A  A  A  A  A  Anne. 


196  LES   HISTORIETTES. 

Il  fut  capitaine  des  Gardes-du-corps,  puis  mares- 
chal  de  France  et  gouverneur  d'Anjou  et  de  Sau- 
mur.  Le  Cardinal  desgagea  tout  son  bien,  ou,  pour 
mieux  dire,  l'achetta;  mais  il  l'en  laissoit  jouir. 

L'amour  luy  a  fait  faire  d'estranges  choses,  outre 
qu'il  n'estoit  pas  trop  sage  naturellement,  non  plus 
que  sa  femme. 

11  y  avoit  à  Angers  une  jeune  fille  qui  travailloit 
pour  les  tailleurs,  sur  leur  boutique,  selon  la  mode 
du  pays.  Un  laquais  du  mareschal  de  Brezé  la  des- 
bauscha  et  l'amena  à  Paris.  Il  dit  à  son  maistre,  car 
on  ne  vivoit  pas  autrement  dans  l'ordre  avec  luy, 
qu'il  avoit  une  jolie  maistresse,  et  la  luy  fit  voir.  Elle 
plut  au  Mareschal,  et  leur  servit  quelque  temps  à 
tous  deux.  Il  fit  ce  garçon  valet  de  chambre,  et  la 
luy  fit  espouser  :  il  s'appelloit  Dervois.  Cette  femme 
avoit  du  sens  et  de  l'esprit;  elle  empaume  le  Mares- 
chal, s'en  rend  la  maistresse  et  luy  fait  traitter  la 
Mareschale  comme  il  luy  plaisoit.  Une  des  choses 
qui  servit  autant  à  achever  la  grande  Nicole,  ce  fut 
que  le  Mareschal  luy  osta  ses  pendants,  et  les  mit  en 
sa  présence  aux  oreilles  de  la  Dervois. 

Après  la  mort  de  la  Mareschale,  elle  eut  l'ambi- 
tion d'espouser  M.  de  Brezé,  et  pour  cela  elle  fit  tuer 
Dervois  à  l'affust.  Je  ne  sçay  si  ce  fut  par  l'ordre 
du  Mareschal,  ou  s'il  en  estoit  seulement  consentant, 
mais  on  assure  que  depuis  il  s'esvanouissoit  quand 
il  voyoit  un  lapin  '.  Cette  femme  pourtant  ne  vint 

^  Variante  :  Voicy  la  vérité  :  M.  de  Brezé,  estant  capitaine  des  Gardes 
de  la  Reync-mere  Marie  de  Medicis,  alla  aux  bains  dans  les  Pyrénées, 


LE    MARESCHAL    DE    BREZÉ.  197 

point  à  bout  de  son  dessein.  Peut-estre  craignit-elle 
le  cardinal  de  Richelieu  qui,  apparemment,  n'eust 
pas  trouvé  ])on  qu'on  eust  ainsy  contaminé  sa  no- 
blesse'. 

La  Dervois  faisoit  tout  cliez  le  Mareschal  et  dans 
la  province.  Elle  se  levoit  dez  quatre  heures,  estoit 
servante  et  maistresse  tout  à  la  fois,  faisoit  ses  af- 


où  il  trouva  un  prestre  de  C-.italogne  qui  avoit  avec  luy  deux  petits 
garçons  que  les  galères  d'Espagne  avoient  pris  sur  les  costes  d'Afri- 
que. Ce  prestre  les  luy  donna  ;  l'un  fut  son  laqnais,  et  se  nomma  la 
Ramée  ;  l'autre,  qu'on  appella  tantost  le  Catelan,  tantost  Dervois,  ne 
fut  point  habillé  de  livrée  ;  il  senit  d'abord  à  luy  porter  son  fusil  à  la 
chasse  :  après  il  le  mit  en  apprentissage  chez  un  tailleur  à  Angers,  où 
il  devint  amoureux  d'une  belle  fille  qui  travailloit  en  linge  dans  une 
boutique  vis-à-vis  ;  les  tailleurs  en  ce  pays-là  ont  des  boutiques  et  y 
travaillent.  Elle  avoit  desjà  eu  quelques  aventures,  et  on  disoit  qu'elle 
avoit  suivy  un  homme  jusqu'en  Lorraine,  où  elle  fut  quelque  temps 
au  service  de  quelque  dame  de  la  Duchesse;  mais  elle  fut  obligée  d'en 
revenir  bientost.  Dervois  l'espousa,  et  en  suitte  il  retourna  au  serv  ice 
de  M.  de  Brezé,  alors  mareschal  de  France  et  gouverneur  d'.\njou  et 
de  Saumur.  Avril,  homme  de  bonne  famille  d'Angers,  voisin  du  Ma- 
reschal à  la  campagne  et  bien  dans  son  esprit,  obtint  de  luy  de  loger 
le  mary  et  la  femme  dans  le  chasteau  de  Milly.  Comme  elle  estoit 
propre  et  jolie,  qu'elle  avoit  du  sens,  elle  régla  cette  maison  et  se  mit 
bien  dans  l'esprit  du  Mareschal.  Depuis,  le  Catelan  ou  Dervois  s'ad- 
visa  de  se  faire  appeller  de  Doré  ;  on  ne  sçait  pas  sur  quoy  il  se  fou- 
doit,  mais  il  dit  qu'il  avoit  descouvert  que  c'estoit  son  véritable  nom. 
Le  mary  devint  un  peu  dévot,  et  disoit  parfois  à  sa  femme  qu'il  falloit 
changer  de  vie.  Il  y  a  apparence  que  le  Mareschal  s'en  desfit  à  cause 
de  cela,  car  il  fut  tué  à  l'affust,  le  Mareschal  estant  de  la  partie  :  ils 
estoient  trois  à  l'affust.  Depuis  il  croyoit  voir  un  lièvre  blanc,  et  sou- 
vent luy  et  ses  gens  crioient  :  «  Ne  le  voyez-vous  pas,  il  court  par  la 
»  chambre.  »  Avril,  dont  j'ay  parlé  ci-dessus,  et  son  filz,  seneschal  de 
Saumur,  qui  m'a  conté  ce  que  je  viens  d'escrire,  n'ont  jamais  rien  veu. 
Il  y  en  a  qui  ont  cru  que  le  cardinal  de  Richelieu  luy  avoit  fait  mettre 
cette  vision  dans  l'esprit  pour  le  tenir  à  la  province. 

'  Il  y  en  a  pourtant  qui  ont  cru  qu'il  l'avoit  espousée  ;  je  ne  le  croy 
pas. 


Historiette. 


198  LES    HISTORIETTES. 

faires  et  celles  du  Mareschal  en  mesme  temps,  et 
estoit  plus  habile  que  tout  son  conseil.  Il  luy  est 
arrivé  souvent  de  deschirer  tout  ce  qu'on  avoit 
dressé,  et  de  dicter  les  actes  elle-mesme.  Elle  en- 
voyoit  des  gens  de  guerre  où  elle  vouloit,  et  à  An- 
gers mesme,  à  cause  qu'elle  estoit  mal  satisfaitte 
d'un  des  officiers  du  Presidial.  Pour  complaire  au 
Mareschal,  qui  estoit  le  plus  grand  tyran  du  monde 
pour  la  chasse  (jusques-là  que  les  personnes  de  qua- 
lité n'osoient  avoir  un  chien  ny  une  arquebuse,  pour 
tirer  seulement  dans  leur  parc  ;  car  il  fit  une  fois 
rompre  la  porte  d'un  parc,  parce  qu'il  y  avoit  ouy 
tirer,  et  on  tua  les  chiens  et  cassa  les  arquebuses) , 
la  Dervois  fit  attacher  un  prestre  au  pié  d'un  arbre 
tout  un  jour,  avec  un  lièvre  qu'il  avoit  tué  autour 
du  cou. 

11  avoit  mis  sur  la  porte  de  Milly,  car  il  estoit  hon- 
nestement  hargneux  :  Nidli  nisi  vocati.  Sur  cela  on 
fait  un  conte  :  on  dit  que  quelques  advocats  estant 
allez  pour  luy  parler,  il  les  gronda  fort,  et  leur  de- 
manda qui  les  avoit  faits  si  hardys  que  de  venir 
sans  estre  mandez,  et  s'ils  n'avoicnt  pas  lu  ce  qui 
estoit  sur  la  porte  :  «  Ouy,  Monseigneur,  »  dit  l'un 
d'eux,  «  il  y  a  7ii(lli  nisi  vocati  ;  rien  que  des  advo- 
cats. »  Il  se  mit  à  rire,  et  les  escouta.  Un  jeune 
homme  de  Saumur  y  estoit  allé  une  fois  pour  jouer 
à  la  longue  paulme  avec  le  marquis  de  Brezé  *.  On 
luy  donna  avis  qu'il  se  retirast  :  c'est  qu'outre  cela 
le  Mareschal  estoit  jaloux  de  la  Dervois  comme  d'une 
belle  créature  ;  on  ce  temps-là  elle  estoit  passée. 


LE    MARESCUAL    DE    BREZÉ.  199 

Pour  la  Province,  en  général  il  la  conservoit,  et 
ils  ont  perdu  à  sa  mort. 

Pensez  que  sans  le  cardinal  de  Piichelieu,  il  n'eust 
pas  esté  autrement  en  estât  de  faire  tout  ce  qu  il  fai- 
soit;  cependant  il  ne  se  tourmentoit  pas  trop  de  luy, 
et  ne  luy  a  jamais  guères  fait  la  cour..  Je  me  sou- 
viens d'un  couplet  qui  disoit  '  : 

Buvons  à  l'illustre  Brezc , 
Qui  s'est  si  bien  desabusé 
De  ceUe  chimère  importune 
De  la  fortune. 

Cependant  le  Cardinal  luy  faisoit  du  bien  ,  de  peur 
qu'on  ne  creûst  que  quelqu'un  se  pouvoit  passer  de 

luy  '. 

Il  luy  arriva  une  assez  plaisante  chose  à  son  en- 
trée à  Barcelonne,  quand  il  y  fut  envoyé  vice-roy  *.  En  mi. 
Il  s'estoit  fait  tout  le  plus  beau  qu'il  a  voit  pu  :  quel- 
ques Catalans  disoient  :  «  Es  muy  bizarro  este  ma- 
»  reschal.  »  Un  bon  gentilhomme  de  sa  suitte,  estonné 
de  ce  mot  bizarro  ^  disoit  à  un  autre  :  «  Qui  diable 
»  a  desjà  dit  l'humeur  de  Monsieur  le  Mareschal  à 
»  ces  gens-cy  ?  » 

Il  escrivoit  bien,  et  estoit  galant  et  civil  quand 
l'humeur  luy  en  prenoit.  Il  a  escrit  à  Ménage  un  mil- 

1  Sur  l'air  de  :  Daye,  Dandaye. 

2  n  disoit  de  sa  fille*,  comme  si  c'eust  esté  la  fille  d'un  autre  :  «  Ils      ciaire-ciemence  de 

'  .  AiaïUe,  prmcesse  de 

»  vont  faire  cette  petite  fille  princesse,  »  et  ne  s  en  esmouvoit  pas  plus   condé. 

que  cela.— Monsieur  le  Prince  alloit  voir  la  Dervois  avant  que  de  voir  le 

Mareschal  :  ce  fut  elle  qui  le  *  fit  résoudre  à  vendre  le  gouvernement  Breze. 

d'.\njou  à  Monsieur  le  Prince. 

•  Galant. 


TVl'i»  Dl£  BUSST. 


200  LES   HISTORIETTES. 

lion  de  fois  ;  et  comme  il  aimoit  à  lire,  Ménage  luy 
envoyoit  des  livres  qu'il  prenoit  fort  bien,  sans  son- 
ger à  luy  faire  le  moindre  présent.  Ce  n'estoit  pas 
pourtant  par  avarice;  mais  il  luy  demandoit  souvent 
son  mémoire,  que  l'autre  n'avoit  garde  de  luy  en- 
voyer. 

Retournons  à  ses  amours.  Il  y  avoit  ;\  Saumur, 
chez  la  Seneschale,  une  belle  fille  qui  estoitsaniepce. 
Elle  s'appelloit  Honorée  de  Bussy,  fille  d'une  veuve 
bien  demoiselle  '.  Le  Mareschal  s'en  esprit.  Il  la  mena 
avec  cette  tante  voir  le  sacre  d'Angers,  et  luy  avoit 
fait  faire  une  espèce  d'eschafaud,  oîi  il  y  avoit  des 
degrez.  Elle  estoit  seule  tout  au  haut,  et  il  avoit  fait 
mettre  à  ses  piez  les  plus  belles  filles  de  la  ville. 
C estoit  proprement  la  Gloire  de  Niquée.  Il  y  avoit 
des  gardes  pour  faire  avancer  le  monde  à  mesure 
qu'on  avoit  contemplé  cette  nouvelle  infante. 
jyfmc  d'Aiguillon  prenoit  le  soing  d'envoyer  tous  les 
habits  qu'il  falloit  pour  cette  fille,  qui  se  vante  que 
le  Mareschal  la  voulut  cspouser  secrètement ,  et  luy 
assurer  vingt  mille  livres  de  rente,  mais  qu'elle 
avoit  trop  de  cœur  pour  souffrir  du  clandestin.  Elle 
eust  pourtant  fort  bien  fait,  comme  vous  verrez  par 
la  suitte  ;  mais  je  doute  qu'en  l'âge  oh  elle  estoit 
alors,  elle  ayt  pu  avoir  tant  de  courage. 

M""  Dervois  rompit  le  cou  à  cette  amourette.  Le 


1  Molière  luy  lisoit  toutes  ses  pièces,  et  quand  V Avare  sembla  estre 
tombé  :  «  Cela  me  surprend,  »  dit-il,  «  car  une  demoiselle  de  très-bon 
»  goust  et  qui  ne  se  trompe  gnères,  m'avoit  respondu  du  succez.  »  En 
effect  la  pièce  revint  et  plut. 


tuai-- 
qùis  de  Boisy. 


MADEMOISELLE    DE    BUSSY.  201 

marquis  de  Boisy  *,  père  du  duc  de  Rouannez  d'au-  ""'q'îîi^dë^ioh 
jourd'huy,  en  conta  aussy  à  Honorée.  11  y  eut 
quelques  billets  que  la  Dervois  escamotta,  et  les  fit 
voir  au  Mareschal.  La  Seneschale  avoit  tousjours 
espéré  que  sa  niepce  se  marieroit  pour  sa  beauté.  La 
fille  m'a  conté  elle-mesme  que  sa  tante  luy  fit  faire 
une  robe  neufve,  à  elle  qui  n' avoit  jamais  eu  que  de 
la  vieillerie,  pour  donner  dans  la  veûe  à  je  ne  sçay 
quel  prince  allemand  qui  estoit  à  Saumur.  Cette 
^ante  proposa  à  M"^  Bigot,  qui  n' avoit  garde  de 
le  faire  ' ,  de  marier  Honorée  avec  M.  Servien ,  rel- 
legué  à  Angers.  Servien,  qui  desjà  avoit  failly  de  se 
brouiller  avec  le  Mareschal  en  je  ne  sçay  quelle  ga- 
lanterie ,  n' avoit  pas  seulement  voulu  voir  cette 
fille,  de  peur  d'irriter  le  dragon. 

Depuis,  Honorée  se  trouva  à  Poitiers  quand  Che- 
merault  ,  aujourd'huy  M""^  de  la  Baziniere ,  y  vint 
après  avoir  esté  chassée  de  chez  la  Reyne  *.  l\  y 
avoit  encore  une  M"^  de  la  Vacherie  et  une  autre 
belle  fille.  Chemerault  avoit  un  grand  avantage,  car 
elle  avoit  le  bel  air.  Mais  M.  de  Chasteauneuf  se 
déclara  pour  la  Vacherie,  et  Villemontée  *,  inten- 
dant de  la  province,  pour  Honorée.  Toute  la  ville  se 
partagea  et  toute  la  noblesse  qui  y  passe  l'hiver. 
On  se  demandoit  :  «  Qui  vive  ?  «  Villemontée  s'amu- 
soit  fort  à  cette  fille  et  y  faisoit  assez  de  despense  ; 
cela  fit  crier  les  Poitevins  et  les  Receveurs  géné- 
raux. On  disoit  que  c' estoit  elle  qui  faisoit  l'inten- 

*  l'oy.  ïffiston'ettc  de  M.  Servien. 


202  LES    HISTORIETTES. 

dance  :  il  fallut  qu'il  s'en  separast  au  bout  de  deux 
ans.  Il  dit  qu'elle  n'est  point  intéressée ,  et  que,  si 
elle  eust  voulu,  elle  eust  gaigné  cinquante  mille  escus 
avec  luy.   La  pauvre  fille  n'en  a  rien  tiré  que  du 
mauvais  bruit.  Son  plus  grand  malheur,  à  ce  qu'elle 
dit,  c'est  la  mort  de  Villandry,  qui  fut  tué  par  Mios- 
d'Aib?et!%oSfe"'fie  seus*,  commc  ils  servoient  tous  deux  le  chevalier  de 
M^.^tue  en  ue  en  j^j^,jgj.g  g^  Vassé ,  qui  nc  86  firent  point  de  mal.  Ils 
estoient  amys,  et  se  battirent  pour  autruy.  Villandry 
l'alloit  espouser,  et  desjà  les  bands  se  jettoient  en 
Poitou.  Si  cela  est,  il  a  quasy  aussy  bien  fait  de  se 
faire  tuer,  car  la  demoiselle  estoit  un  peu  bien  des- 
criée. Elle  estoit  à  Paris  en  ce  temps-là  ;  jamais  on 
n'a  veû  un  tel  abord  de  gens  :  sa  mère  estoit  encore 
en  vie.  C'a  tousjours  esté  une  évaporée,  et,  présen- 
tement, en  Poitou  où  elle  est,  c'est  elle  qui  met  tout 
en  train,  quoyqu'elle  soit  fort  âgée. 

Valliconte  vouloit  l' espouser  ;  il  estoit  parent  de 

M.    Cornuel.    Il  s'est  ruiné   depuis;  mais  alors  il 

avoit  du  bien.    Elle  s'alla  esprendre  de  la  Mous- 

nial^Tir^de  ^la^l^  '  sayc*,  ct  ellc  avoit  quelque  espérance  qu'il  l'espou- 

mort    en    novembre  •,  i 

16B0.  seroit'. 

Depuis  la  mort  de  la  Moussaye  elle  quitta  sa 
mère ,  et  se  retira  avec  la  femme  de  la  Mothe 
le  Vayer,  qui  est  sa  tante;  mais  elle  n'estoit  plus 
belle.  Elle  a  soing  aujourd'huy  du  ménage  de  son 


*  Elle  en  receùt  les  complimcns,  comme  si  c'eust  esté  sou  accordé 
qui  fust  mort.  Arnaut,  mareschal  de  camp,  dit  qu'il  y  avoit  appa- 
rence que  la  Moussaye  l'cust  espouséc  ;  pour  un  petit  maistro,  ce  n'es- 
toit  pas  avoir  le  goust  trop  fin. 


MADEMOISELLE    DE     BLSSY.  20S 

oncle,  car  sa  tante  est  morte'.  Elle  s'est  remise  un 
peu  en  réputation  ". 

Elle  a  l'esprit  agréable,  elle  dit  bien  les  choses, 
sçayt  vivre  et  est  bonne  amye  ^. 

J'oubliois  que  la  Dervois,  pour  faire  voir  aux 
dames  d'Anjou  jusqu'où  alloit  son  pouvoir,  rom- 
pit une  partie  qu'il  *  avoit  fait  avec  des  dames  "^  Marédmi. 
de  qualité ,  sans  luy  en  dire  autre  raison ,  sinon 
qu'elle  ne  le  vouloit  pas  ;  et  il  n'osa  souffler. 
Après  cela ,  il  prit  fantaisie  au  Mareschal  d'en 
conter  à  cette  M*"^  Bigot ,  et  elle  qui  ne  vouloit 
pas  perdre  Servien  ny  avoir  affaire  à  cet  extra- 

1  Le  filz  de  la  Mothe  le  Vayer,  qui  estoit  abbé,  estant  mort,  le  bon- 
homme se  remaria.  C'estoit  un  des  plus  faux  philosophes  qu'on  eust 
jamais  veùs.  Feu  Madame  luy  dit  un  jour  qu'il  n'avoit  rien  de  philo- 
sophe que  ses  bottines.  Il  estoit  si  colère  que  lorsqu'un  tison  l'incom- 
modoit,  il  le  jettoit  dans  la  place  et  le  fouloit  aux  piez.  Il  alloit  quel- 
quefois, pour  faire  despit  à  son  filz  et  à  sa  niepce,  souper  avec  eux, 
avec  le  visage  tout  gras  de  suif,  car  en  se  mettant  au  lict,  il  se  frot- 
toit  de  suif  tout  le  visage.  Quand  sa  niepce  s'excusoit  sur  la  messe  et 
qu'elle  n'avoit  pas  pu  quitter  Dieu  :  «  Je  veux  que  vous  le  quittiez,  et 
»  que  vous  ne  me  fassiez  point  attendre.  » 

2  On  a  cru  que  sa  mère  avoit  tout  le  tort,  et  qu'il  est  aisé  à  une 
fille  de  faire  des  imprudences  quand  elle  n'est  pas  bien  conduitte.  Il  y 
peut  avoir  un  an  et  demy  qu'elle  se  blessa  fort  à  la  teste  ;  elle  en  fut 
en  danger.  Il  y  avoit  plus  de  six  mois  qu'elle  estoit  guérie,  quand  elle 
se  creva  de  cochon  de  lait,  à  disner,  chez  une  de  ses  amies  :  ce  cochon 
luy  fit  du  mal  et  luy  donna  le  desvoyement.  Après  elle  fut  voir  Maule- 
vrier,  qui  estoit  mort  *  d'un  mal  dans  la  teste.  Son  cochon  la  travail-  C'est-à-dire  .-  Qui  ve- 
loit;  elle  oublie  que  c'estoit  cela,  et  va  se  mettre  dans  l'esprit  que 
c'estoit  sa  playe.  Elle  envoyé  quérir  médecins  et  chirurgiens,  et,  pour 
la  satisfaire,  il  luy  fallut  mettre  un  emplastre.  Je  l'ay  veù  se  confesser 
parce  qu'il  estoit  mort  un  cocher  subitement  dans  son  voisinage. 

3  Mais  elle  se  pique  un  peu  de  bonne  maison,  et  veut  se  mesler  de 
prendre  le  dessus  sur  les  femmes  de  la  ville  qui  ne  sont  pas  des  prin- 
cipales. Il  n'y  a  rien  plus  inégal  ny  plus  soupçonneux;  elle  se  faschc 
de  rien. 


noit  de  mourir. 


204  LES    HISTORIETTES. 

vagant,  esvitoit  tousjours  de  se  trouver  avec  luy.  Un 
jour  qu'à  son  goust  elle  avoit  trop  tesmoigné  de 
le  fuir,  il  s'en  alla  un  peu  fasché.  Servien  le 
sceût  :  le  voyla  en  alarme  ;  et ,  sous  prétexte  de 
je  ne  sçay  quelle  partie  de  jeu  ,  il  envoya  Lyonne 
chercher  le  Mareschal  par  toute  la  ville.  11  fai- 
soit  un  chaud  enragé  ;  Lyonne  trotta  partout,  et 
ne  trouva  le  Mareschal  qu'après  avoir  sué  tout 
son  saoul,  car  il  estoit  au  parloir  de  je  ne  sçay 
quelles  religieuses.  11  ne  voulut  pns  venir.  11  s'ap  - 
paisa  pourtant  après ,  et  disoit  à  cette  M""'  Bigot  : 
«  Vostre  mary  n'a  qu'à  continuer  dans  son  employ, 
»  je  feray  noyer  quiconque  voudra  venir  prendre  sa 
»  place.  »  A  Paris  où  elle  estoit  retournée ,  quand 
le  duc  de  Brezé  fut  tué ,  elle  alla  voir  le  Mareschal, 
qui  luy  fit  le  meilleur  accueil  du  monde  et  la  fit 
mettre  sur  son  lict,  parce  que  Madame  la  Princesse, 
la  jeune,  tenoit  le  fauteuil.  Il  obligea  mesme  M.  de 
mstoriette^^tom.i,  Ccsy  *  à  recommoncer  une  histoire  du  Sérail  qu'il 
avoit  presque  à  moitié  ditte.  11  y  en  avoit  trop  là  pour 
ne  pas  mettre  martel  en  teste  à  M"'  Dervois  :  elle  fit 
toutes  les  mesdisances  imaginables.  Cependant  le 
bonhomme,  soit  qu'il  commcnçast  à  secouer  le  joug 
ou  qu'il  l'eust  appaisée,  alloit  faire  société  avec  la 
dame  et  quelques  autres  femmes,  ses  voisines,  lors- 
que la  goutte  le  prit  et  qu'il  se  fit  porter  en  Anjou, 
où  il  mourut.  Je  n'ay  que  faire  de  dire  que  ce  nc's- 
toit  ny  un  bon  soldat  ny  un  bon  capitaine  :  l'histoire 
le  dira  assez. 


LE    MARESCHAL    DE    BREZÉ.  205 

COMMENTAIRE. 

I.  —P.  195,  lig.  3. 

//  espovsa  la  sœur  du  cardinal  de  Richelieu. 

Nicole  du  Plessis-Richelieu  etoit  bien  connue  pour  avoir  la  tète  peu 
solide,  et  l'abbé  de  Saint-Germain  ne  pouvoit  manquer  cette  occasion 
de  blesser  le  Cardinal.  «  Le  repos  et  vostre  esprit,  »  lui  dit-il  dans 
la  Satyre  d'Estat,  «  ne  se  sont  point  veùs  depuis  que  vous  estiez  au 
')  berceau,  et  si  vous  luy  donniez  seulement  quatre  jours  de  relasche, 
»  il  s'en  iroit  promener  aux  Indes  avec  celuy  de  vostre  sœur.  » 

La  maréchale  de  Brezé,  morte  le  30  août  1635,  fut  ensevelie  à  Sau- 
mur  dans  la  cliapelle  de  Notre-Dame-des-Ardilliers.  J'ai  retrouvé  dans 
la  correspondance  de  Pierre  d'Hozier  une  lettre  assez  curieuse,  qui  fut 
adressée  au  célèbre  généalogiste  par  un  sieur  de  Malabre-Rizier.  La 
voici  : 

«  Monsieur,  vous  estes  trop  serviteur  de  monseigneur  le  Cardinal- 
»  duc,  pour  ne  contribuer  pas  de  ce  que  vous  pouvez  aux  honneurs 
»  funèbres  que  S.  E.  fait  rendre  à  feu  Madajue  la  mareschale  de  Brezé, 
»  sa  sœur.  Ce  sera  jeudy  matin  aux  Grands-Augustins.  Monseigneur 
»  de  Bordeaux  fera  l'ofBce,  assisté  de  tous  les  prélats,  députez  et 
»  autres.  L'oraison  funèbre  est  tombée  au  partage  de  Monsieur  de 
»  Nismes,  qui  a  besoing  d'avoir  cognoissance  de  la  généalogie  de 
»  Maillé  que  l'on  ne  peut  trouver  en  son  entier,  par  l'absence  de 
»  Monsieur  le  Mareschal.  Je  luy  ay  fait  entendre  que  vous  en  pouviez 
)i  mieux  fournir  qu'homme  de  Paris.  C'est  pourquoy  je  vous  prie 
»  prendre  la  peine  de  faire  quelques  extraits  historiques  dans  ce  soir, 
)'  afin  que  demain  matin,  si  vous  l'avez  agréable,  nous  alUons,  vous  et 
»  moy,  veoir  Monsieur  de  Nismes  et  les  luy  offrir  en  luy  demandant  à 
»  disner.  Je  suis  cependant,  —  Monsieur,  —  vostre  très  humble  et 
»  fidèle  serviteur.  De  Malabre-Rizier.  A  Paris,  ce  samedy  8  septembre 
).  1635.  » 

Anthj-me-Denis  Cohon,  évoque  de  Nîmes,  avoit  une  grande  célébrité 
comme  orateur  ;  ce  fut  lui  qui  prononça  à  Saint-Germain-l'Auxerrois 
l'oraison  funèbre  de  Louis  XIII,  comme  il  avoit  auparavant  prononcé 
celle  de  la  grande  Nicole.  Attaché  profondément  au  parti  du  Roi  contre 
les  Frondeurs,  il  écrivit  alors  plusieurs  pamphlets  honnêtes  qui  lui 
valurent  de  cruelles  représailles.  Par  exemple,  dans  le  Conseil  néces- 
saire donné  aux  bourgeois  de  Paris,  Paris,  1649,  on  le  déclare  «  un 
»  comédien   dans  la  chaire,  filz  d'un  cabaretier  du  pays  du  Maine.  » 


206  LES    niSTORTETTES. 

On  va  plus  loin  encore  dans  V Avertissemenl  à  Cohon,  evesque  de  Dot  et 
de  Fraude,  par  les  cuistres  de  l'Université,  1649.  «  Hé  quoy  !  »  lui  dit- 
on,  «  ne  vous  souvient-il  plus  de  vostre  vie  passée,  quand  vostre  arro- 
gance et  vostre  gloire  vous  fit  chasser  du  collège  ?  La  charité  des 
)  escoliers  et  ceux  à  qui  vous  tendiez  la  main  vous  donnèrent  de  quoy 
»  vivre  en  un  grenier,  en  la  rue  des  Quatre-Vens,  chez  une  fruitière. 
I)  Là,  comme  vous  estiez  filz  d'un  pauvre  savetier,  et  par  conséquent 

>  exempt  d'apprentissage,  vous  travailliez  en  toute  seureté...  On  dit 
bien  vray  que  les  honneurs  changent  les  moeurs  ;  depuis  le  commen- 
cement de  vostre  fortune,  vous  estes  devenu  extresmement  insolent... 
Peut-estre  si  vous  eussiez  gardé  devant  les  yeux  une  boitte  garnie 

i)  d'outils  de  savetier,  pour  vous  retirer  dans  la  modestie,  cela  vous 
auroit  servy  beaucoup,  et  vous  auroit  exempté  de  ce  qui  vous  arriva 
à  Nismes,  que  tout  le  monde  sçait  trè's-bien,  lorsque  vous  fustes 
atteint  et  convaincu  du  crime  de  fausse  monnoye  et  d'avoir  desbau- 

>  ché  ))onne  partie  des  dames  de  la  ville,  quand  le  défunt  cardinal  de 
Richelieu,  par  un  arrest  du  conseil,  fit  évoquer  le  tout  et  vous  sauva 
la  vie...  Vous  avez  quitté  Nismes  pour  aller  à  Dol  ;  vostre  vie  scan- 

>  daleuse  et  de  mauvais  exemple  vous  a  suivy  partout,  et  vous  a  fait 

>  chasser  honteusement  de  ce  beau  séjour.  Et  comme  le  vice  cherche 
le  vice,  vous  vous  estes  jeté  entre  les  bras  et  donné  entièrement  à 
Jules  Mazarin,  le  plus  méchant,  le  plus  fourbe,  etc.,  etc.  » 

IL  —  P.  196,  lig.  5. 
Outre  qu'il  n'estait  pas  trop  sage  naturellement. 

«C'estoit,  »  dit  le  cardinal  de  Retz,  «  un  extravagant,  mais  qui  es- 
»  toit  assez  gousté  du  Roy,  et  se  permettoit  souvent  auprès  de  Sa 
»  Majesté  des  tirades  contre  les  plus  grands  personnages.  »  {Mémoires, 
édition  de  M.  Champollion,  p.  18.) 

IIL  —P.  190,  lig.  8. 

//  y  avoit  à  Angers  une  jeune  fille  qui  travailloit  pour  les  tailleurs, 
sur  leur  boutique. 

C'est-à-dire  apparemment  sur  l'etal  ou  devant  de  boutique  :  on 
voit  encore  souvent  aujourd'hui  dans  les  campagnes  les  garçons  tail- 
leurs assis  à  la  turque  et  jouant  ainsi  de  l'aiguille. 

Lenet  parle  à  peu  près  comme  va  le  faire  des  Réaux  de  la  Dervois, 
mais  sans  la  nommer  :  «  Le  mareschal  de  Brezé  estoit  possédé  par  une 
»  femme,  veuve  d'un  de  ses  valets,  laide,  mais  d'unesprit  vif  et  hardy, 
»  qui  a  disposé  de  toute  sa  fortune,  jusqu'au  dernier  soupir  de  sa 
»  vie.»  (Tom.  ii,  édition  de  1729,  p.  574.) 


LE    MARESCHAL    DE    BREZÉ.  207 

IV.  —  P.  197,  note,  lig.  14. 

Avril,  homme  rie  bonne  famille  d'Angers...  et  son  filz,  seneschal  rie 
Saumttr... 

Charles  Colbert,  maître  des  requêtes,  fait  en  1604  le  rapport  sui- 
vant sur  Avril  le  fils  :  «  Le  seneschal  de  Saumur,  le  sieur  Avril 
'1  homme  de  mérite,  d'une  intégrité  congneue,  bon  serviteur  du  Roy, 
»  très-habile,  homme  de  cœur  et  qui  en  a  donné  des  marques  dans 
»  Saumur,  pour  le  service  de  S.  M.  pendant  les  guerres  civiles.  Il  n'est 
»  pas  riche,  mais  il  mérite  de  l'estre;  faisant  sa  charge  avec  beaucoup 
»  d'honneur,  et  est  fort  au-dessus  de  l'interest.  Il  seroit  seulement  à, 
»  souhaitter  qu'il  eust  plus  de  sévérité  contre  les  sergens  et  autres 
»  officiers  subalternes...  »  (Bibl.  nat. —  Cinq-Cens  C.o\h. .,n°  277, f°  113.) 

V.  —  P.  198,  lig.  17. 
//  avait  mis  sur  la  porte  rie  Milly...  NuUi  nisi  vocati. 

Ce  qu'il  avoit  accompagné  de  la  traduction  suivante  : 

Dans  ce  lieu  de  repos  on  ne  veut  point  de  bruit. 
Et  nul  n'y  doit  entrer  qu'invité  ou  conduit. 

«Cette  inscription,  »  dit  Lenet,  «  me  surprit  fort;  sa  singularité 
»  m'obligea  d'en  demander  la  raison,  et  ses  anciens  domestiques  me 
»  dirent  que  le  duc  de  la  Trimouille  luy  rendit  une  fois  visite  avec 
»  tant  de  cérémonie  et  qu'il  le  reçut  avec  tant  de  contrainte,  qu'à  son 
»  départ  il  fit  venir  les  ouvriers  nécessaires  à  cet  ouvrage,  afin  que 
»  personne  n'allast  plus  chez  luy,  sans  sçavoir  s'il  le  trouveroit  bon.  » 
[Mém.,  tom.  ii,  p.  575.) 

«  Le  Mareschal,  »  dit  encore  Lenet,  ((  se  divertissoit  à  la  chasse,  et 
»  véritablement  je  n'ay  guère  veu  de  lieu  où  elle  soit  plus  belle  et 
»  plus  commode  qu'en  ce  lieu  de  Milly.  »  La  môme  résidence  devoit 
encore  au  maréchal  de  Brezé  un  jeu  de  paume,  des  salles  ornées  de 
peintures  mythologiques,  et  des  écuries  pour  quatre-vingts  chevaux. 

Ce  magnifique  château  de  Milly-le-Mengon,  près  de  Saumur,  rési- 
dence des  Maillé  pendant  près  de  trois  siècles,  n'est  plus  aujourd'hui 
qu'un  amas  de  ruines  :  elles  appartiennent  à  un  banquier  de  Saumur, 
nommé  M.  Defosse,  qui  conserve,  à  ce  qu'il  paroît,  le  chartrier  de  la 
grande  maison  de  Maillé. 

VI.  —  P.  200,  lig.  7. 
Il  y  avoit  à  Saumur  chez  la  Seneschale. 
Cette  Sénéchale  etoit-elle  M'"«  Avril;  et,  dans  ce  cas,  etoit-ce  la 


208  LES    HISTORIETTES. 

mère,  etoit-ce  la  belle-fille  ?  Avril  fils  etoit  bien  sénéchal  en  1650, 
mais  l'etoit-il  déjà  vers  1630  :  enfin,  avant  lui,  son  père  avoit-il  possédé 
cette  charge?  Notre  auteur  semble  donner  le  contraire  à  penser  quand 
il  dit  plus  haut,  dans  une  note,  qu'Avril  etoit  homme  de  bonne  famille 
d'Angers  et  père  d'Avril,  sénéchal  de  Saumur.  Cependant,  après  tout, 
des  Réaux  auroit  sans  doute  mieux  désigné  le  Sénéchal  et  sa  femme, 
s'il  n'avoit  eu  les  Avril  en  tête.  Ainsi,  Avril  fils  aura  été  sénéchal  de 
Saumur,  sous  Louis  XIII,  sous  Mazarin  et  sous  les  Colbert.  M"*  de 
Russy  devoit  avoir  le  même  nom  de  famille  que  M"*  Avril  ;  je  n'ai  pu 
le  retrouver. 


VII.  —  P.  200,  note. 

Molière  luij  lisait  toutes  ses  pièces... 

Et  sans  doute  avec  plus  de  profit  qu'il  ne  le  faisoit  à  sa  ser- 
vante. Cette  note  doit  avoir  été  ajoutée  par  des  Réaux  après  le 
5  février  1669,  date  de  la  reprise  heureuse  de  l'Avare.  La  première  re- 
présentation avoit  été  donnée  le  9  septembre  1668.  {Votj.  M.  Tasche- 
reau,  Ilist.  de  Molière,  liv.  m,  p.  225.) 

VIIL— P.  200,  lig.  10. 

//  la  mena  avec  sa  tante  voir  le  sacre  d'Angers. 

C'etoitune  procession  célèbre  et  magnifique,  qui  se  faisoit  à  Angers  le 
jour  de  la  fête  du  Saint-Sacrement  :  ce  qu'ailleurs  on  apjJcUe  le  Reposoir. 
Pour  la  Gloire  de  Niquée,  cela  est  pris  du  huitième  livre  de  l'Ama- 
dis  de  Gaule,  quand  Zirphée  voulant  mettre  la  belle  Ni(iuée,  sa  nièce, 
à  l'abri  des  sollicitations  de  son  frère  Anastarax,  «  commanda  de  dres- 
)  ser  un  théâtre  à  quinze  marches,  le  tout  couvert  d'un  grand  drap 
i)  d'or,  et  mit  au  plus  haut  une  chaize  tout  enrichie  de  perles  et  orfè- 
vrerie que  sa  pareille  ne  fut  oncqucs  veue.  Le  plancher  de  la  salle 
)  fut  mué  par  magie  soudainement  en  une  route  de  cristal  soustcnue 
par  piliers...  à  chascun  desquels  se  representoit  la  statue  d'une 
i>  femme  si  au  vif  qu'il  sembloit  proprement  vouloir  remuer  les  doigts 
pour  sonner  la  harpe  ou  violon  qu'elle  tenoit  entre  ses  mains.  Lors 
appel! a  Zirphée,  sa  nièce,  laquelle  elle  fit  vestir  d'un  acoustrement 
»  tant  canetillé  et  brodé  que...  ne  se  pourroit  vanter  dame  ou  demoi- 
)  selle  d'un  si  excellent.  Puis  lui  posa  sur  le  chef  qu'elle  avoit  nu  et 
les  cheveux  espars  un  diadcsme  d'imperatrix  :  la  faisant  asseoir  en  la 
)  chaize  de  parement,  et  les  deux  princesses  Brizele  et  Todomire  à 
>  genoux  devant  elle...  »  (Ch.  xxiv.) 


MADEMOISELLE     DE     BUSSY.  209 

IX.  —  P.  201,  lig.  9. 
Cette  tante  proposa  à  M^^  Bigot....  de  marier  Honorée  avec  M.  Servien. 

Marie  Charles ,  fille  de  Jean  Charles  secrétaire  du  Roi ,  et  femme 
de  Jacques  Bigot  frère  de  M"*  Rambouillet  ;  c'etoit  par  conséquent  la 
belle-tante  de  M""*  des  Réaux.  De^  Réaux  parlera  beaucoup  d'elle 
dans  l'Historiette  de  Servien  ;  mais  il  y  racontera  les  mêmes  choses 
un  peu  différemment.  Là,  c'est  l'abbé  Servien  qui  auroit  prié  M"**  Bigot 
de  détourner  son  frère  Abel  d'un  projet  de  mariage  avec  une  demoi- 
selle Avril  :  et  le  prince  allemand  dont  on  parle  ici  semble  y  être 
transformé  en  Jerzay. 

X.  —  P.  201,  lig.  16. 

Cfiemerauli,  aujonrd'Imy  M^"  de  la  Baziniere. 

Françoise  de  Barbezieres  demoiselle  de  Chemerault,  fille  de  la  Reine, 
fut  accusée  d'abord  d'être  l'espion  du  Cardinal  auprès  de  la  Reine  ; 
puis ,  le  Cardinal  craignant  son  influence  près  du  Roi  et  près  de  la 
Reine,  fit  demander  son  renvoi  et  celui  de  M™*  d'Hautefort  par  le 
jeune  Cinq-Mars  :  la  Reine  fut  obligée  de  consentir  à  leur  eloigne- 
ment.  Le  reste  des  aventures  de  M"*  de  Chemerault  se  trouvera  dans 
l'Historiette  de  la  Baziniere.  On  s'accordoit  pour  sa  grande  beauté  , 
moins  pour  la  sûreté  de  son  commerce  :  la  Porte  parle  d'elle  assez 
mal  dans  ses  Mémoires.,  et  Henry  Arnauld,  correspondant  du  président 
de  Barrillon ,  ecrivoit  le  20  mars  1639  :  «  M°"  d'Autefort  est  encore 
»  brouillée  avec  le  Roj'.  Elle  a  une  furieuse  jalousie  de  Chemerault  et 
I)  appréhension  qu'elle  ne  prenne  sa  place.  »  (Msc.  Mortemar,  n"  70.) 
L'exil  d'Hautefort  et  de  Chemerault  fut  prononcé  huit  mois  plus  tard, 
en  novembre  1639. 

Des  Réaux  dit  qu'à  Angers  :  «  On  se  demandoit:  Qui  vive?»  On 
se  repondoit  sans  doute  :  Bussu  !  —  Chemerault  !  ou  la  Vacherie  ! 

XI.  —  P.  202,  lig.  6. 

Villandry,  qui  fut  tué  par  Miossens.,  comme  ils  servaient  tous  deux  le 
chevalier  de  Rivière  et  Fossé. 

Henry-François,  marquis  de  Vassé,  aura  son  Historiette. 

Pour  le  chevalier  de  Rivière,  si  célèbre  par  son  esprit  et  ses  vaude- 
villes, il  se  retira  de  la  Cour  en  1658,  dans  l'intention  de  finir  ses  jours 
en  Guyenne,  son  pays  natal.  Il  avoit  longtemps  auparavant  acheté  de 
Pierre  de  Piedefer,  marquis  de  Saint-Mard,  la  charge  de  premier  gen- 
II.  14 


210  LES    HISTORIETTES. 

tilhommc  de  la  cliambrc  de  Monsieur  le  Prince.  On  peut  voir  dans  les 
Mémoires  de  Cosnac^  ii,  p.  17,  comment  M.  de  Turenne,  fort  ami  de 
Rivière,  sollicita  pour  lui  un  bénéfice  de  Guyenne,  alors  possédé  par 
l'evôque  de  Valence,  Cosnac.  «  Il  n'avoit  pas  fait  ou  commencé,  »  dit 
celui-ci,  «  une  fort  grande  fortune,  et  choisissant  pour  retraite  le  lieu 
»  de  sa  naissance,  qui  estoit  une  paroisse  dont  j'etois  seigneur,  en  qua- 
»  lité  du  bénéfice  qu'il  desiroit,  il  rcgardoit  ce  bénéfice  comme  un 
»  grand  et  désirable  établissement.  » 

XII.  —P.  202,  lig.  13. 

Elle  estoit  à  Paris  dans  ce  temps-là  ;  jamais  on  n'a  veu  un  tel  abord 
de  gens. 

Nous  dirions  aujourd'hui  :  uyie  telle  ajjluence  de  gens.  M"^  de  Bussy 
voyoit  alors  :\  Paris  ce  qu'il  y  avoit  de  mieux  :  Boisrobert,  en  écrivant 
de  Poitiers  à  Scarron,  au  nom  de  M"^  de  Neuillan,  depuis  M"*  de 
Navaillcs,  n'oublie  pas  cette  belle  personne  : 

On  doit  beaucoup  priser  aussy 
L'oblif^cantc  et  belle  liussy. 

{Épitreen  vers,  1659,  p.  87.) 

Et  Scarron  répondoit  : 

Belle  Keuillan,  fille  charmante, 
Beaucoup  aimée  et  point  aimante. . . 
Bussy,  qu'on  surnomme  la  belle. 
Et  .Scarron,  chetive  haridelle. 
Vous  baisent  mille  fois  les  mains. . . 
Bussy,  charmante  au  dernier  point, 
Kt  moy,  qui  charmant  ne  suis  point. 
Vous  composons  ces  rimes  plattes,  etc. 

{OEuvres  de  Scarron,  1752,  tom.  vu,  p.  116.) 

Il  faut  croire  que  le  logis  de  M"*  de  Bussy  etoit  bien  près  de  celui  de 
Scarron. 

XIII.  —  P.  202,  lig.  18. 

Valliconte  voutoit  l'espouser... 

C'etoit  le  beau-frère  de  l'intendant  Cornuel,  et  il  demeuroit  dans  le 
Temple  en  16/|9.  (Catalogue  des  Partisans,  mazarinade.) 

XIV.  —  P.  202,  lig.  2/|, 

La  femme  de  ta  Mothe  le  Vayer.,  qui  est  sa  tante. 

François  de  la  Mothe  le  Vayer  avoit  épousé,  le  11  juillet  1622,  la 


MADEMOISELLE     DE    BUSSY.  211 

fille  d'Adam  Blackwood,  célèbre  jurisconsulte,  conseiller  au  présidial 
de  Poitiers.  Cette  dame  et  oit  alors  veuve  de  Jacques  Cri  ton,  profes- 
seur de  grec  au  Collège  Royal,  dont  la  Mothe  le  Vayer  fut  accusé  d'a- 
voir mis  les  manuscrits  à  profit.  {Sorberiana.)  Elle  mourut  le  23  dé- 
cembre 1655,  comme  l'apprend  une  lettre  inédite  de  la  Mothe  le  Vayer 
qui  appartenoit  à  M.  de  Monmerqué. 

Le  Vayer,  âgé  de  soixante-dix-huit  ans,  se  remaria,  le  30  décembre 
166i,  à  la  fille  de  M.  de  la  Haye,  l'ancien  ambassadeur  à  Constanti- 
nople  :  «  Elle  a  bien  quarante  ans,  »  dit  Guy  Patin,  «  et  estoit  deraeu- 
»  rée  pour  estre  sybille.  Non  invenit  vatem  seu  virum,  sed  vetulum.  » 
(Lettre  du  30  décembre  lC6/i.)  La  note  de  des  Réaux  est  donc  posté- 
rieure à  cette  date. 

Le  second  mariage  de  le  Vayer  suivit  de  trois  mois  à  peine  la  mort 
de  son  fils  :  «  Nous  avons  icj%  »  ecrivoit  Guy  Patin,  22  septembre 
1664,  «  un  honneste  homme  bien  affligé.  C'est  M.  de  la  Mothe  le  Vayer, 
»  célèbre  escrivain  et  cy-devant  précepteur  de  M.  le  duc  d'Orléans, 
»  âgé  de  soixante-dix-huit  ans.  Il  avoit  un  filz  unique  d'environ  trente- 
»  trois  ans,  qui  est  tombé  malade  d'une  fièvre  continue,  à  qui 
11  MM.  Esprit,  Brayer  et  Bodineau  ont  donné  trois  fois  le  vin  emetique, 
»  et  l'ont  envoyé  au  paj's  dont  personne  ne  revient.  »  C'est  à  l'abbé  le 
Vayer  que  Despréaux  avoit  adressé  sa  quatrième  satire. 

XV.  —  P.  203,  note,  lig.  13. 
Il  peut  y  avoir  un  an  et  demy  qu'elle  se  blessa  fort  à  la  teste. 

Cet  accident  de  M"'  de  Bussy  est  raconté  par  Loret  dans  sa  Gazette 
du  8  juillet  1656  : 

Mademoiselle  de  Bussy, 
(Je  ne  scay  pas  tout  à  fait  sy 
C'est  cette  aimable  Poitevine 
Dont  la  grâce  presque  divine 
Dans  Paris  a  tant  de  renomi  : 
Une  enfin  qui  porte  ce  nom. 
Soit  belle  blonde  ou  belle  brune, 
Par  une  terrible  infortune, 
A  le  chef  tout  défigure 
Qui  fut  jadis  tant  admiré. 
Estant  en  bonne  compagnie 
D'où  la  tristesse  estoit  bannie, 
Jeudy  dernier,  jour  assez  beau. 
Vers  le  faubourg  de  Saint-Marceau, 
Ils  faisoient  rouler  le  carrosse. 
Quand  la  vivacité  féroce 
De  chevaux  neufs,  fougueux,  ardens. 
Qui  prirent  lors  le  frein  aux  dens. 
Courant  d'un  mouvement  rapide 
Sans  respecter  ni  jnwg  ni  bride, 


212  LES   HISTORIETTES. 

La  voiture  bouleversa, 

Et  par  cet  échec  renversa 

Cocher,  laquais,  hommes  et  femmes, 

A  qui  lesfllts  chevaux  Inrames 

Rompirent  cuisses,  jambes,  bras. .  • 

Le  cocher  y  demeura  mort. 

Et  la  belle,  faisant  effort 

Pour  se  dégager,  une  roue 

Luy  froissa  frout,  oreille  et  joue, 

On  voyolt  des  sources  de  sang 

Qui  i-uisseloient  sur  son  teint  blanc. 

On  la  ramena  de  la  sorte. 

Presque  pâmée  et  demy  morte. 

En  son  logis,  dans  un  brancart,  etc. 

XVI.  —  P.  203,  note,  lig.  16. 

Maulevrier,  qui  etoit  mort  d'un  mal  dans  ta  teste. 

Le  marquis  de  Maulevrier,  apparemment  de  la  maison  de  Gouf- 
fier,  avoit  une  certaine  célébrité  comme  faiseur  de  chansonnettes , 
sarabandes  et  vaudevilles  de  Cour.  Le  poëte  Bouillon  a  jeté  sur  son 
tombeau  des  fleurs  assez  piquantes  dans  le  conte  de  VOiseau  de 
passage  : 

Je  pleure  un  homme  d'importance 

Connu  de  Paris  il  Bysance, 

Le  marquis  de  Maulevrier. 

Il  estoit  le  bon  ouvrier 

Des  courantes,  des  chansonnettes, 

Des  billets  doux  et  des  fleurettes; 

Il  ne  se  passoit  pas  de  jour 

Qu'il  ne  fist  naistre  quelque  amour. 

Et  son  ame  en  amours  féconde 

Seule  en  pouvoit  peupler  le  monde. 

Les  Amours,  ;»  ce  que  je  croy. 

En  ont  pris  le  deuil  comme  moy. 

Pour  honorer  sa  sépulture 

Comme  celle  du  grand  Voiture. . . 

Il  almoit  les  gens  de  musique. 

Il  avoit  le  cœur  hi^roîque. 

Et  ce  cœur  tousjours  amoureux 

N'en  estoit  pas  plus  daugereux. 

Les  dames  estoient  son  affaire. 

Mais  ce  n'estoit  pas  pour  mal  faire. 

Et  s'il  en  a  pu  pervertir. 

Elles  me  peuvent  démentir. 

(OEuvres  de  feu  M.  de  Bouillon,  Paris,  Barbin,  1663,  p  44.) 

C'est  à  ce  marquis  de  Maulevrier  qu'etoient  pourtant  adressées  les 
fameuses  lettres  que  M""'  de  Montbazon  attribua  à  M"*  de  Longueville; 
M""'  de  Fouquerolles  les  avoit  écrites.  {Mémoires  de  Mademoiselle^  i, 
p.  59.) 


LXXXIV. 

LE    DUC   DE   BREZÉ. 

{Jean-Armand  de  Maillé-Brezé ,  duc  de  Brezé ,  amiral  de  France,  né 
en  1619,  tué  le  lU  juin  1646.  ) 

Le  duc  de  Brezé  fut  eslevé  par  les  seings  du 
cardinal  de  Richelieu.  Il  n'avoit  pas  un  grand 
esprit  ;  il  estoit  timide  et  embarrassé'.  Le  cardinal 
de  Richelieu,  en  le  voyant,  levoit  les  espaules  et 
disoit  à  M""^  d'Aiguillon  :  «  Ma  niepce,  quel  succes- 
»  seur  !  »  Il  estoit  brave  cependant  et  libéral  ;  il 
donnoit  beaucoup  aux  autheurs  :  Bensserade  *  avoit  Historiette 
trois  mille  livres  de  pension  de  luy. 

Avant  que  d'aller  à  Orbitelle,  où  il  fut  tué  faisant 
sa  charge  d'amiral,  il  voulut  voir  de  quoy  on  paye- 
roit  ses  créanciers  s'il  mouroit,  et  s' estant  satisfait 
sur  cela ,  il  partit  content.  On  trouva  après  sa 
mort  qu'il  donnoit  près  de  cinquante  mille  livres 
tous  les  ans.  Son  précepteur,  l'abbé  d'Aubignac, 
en  a  eu  pour  rescompense  quatre  mille  livres  de 
pension  viagère  :  Monsieur  le  Prince  les  luy  a 
disputez,  et  le  pauvre  abbé  n'en  jouit  que  depuis 

1  II  ne  laissoit  pas  pourtant  d'estre  glorieux,  et  se  tenoit  descouvert 
tout  le  matin,  afin  qu'on  ne  se  couvrist  pas. 


''2ili  LES    HISTOIUEÏTES. 

que  ce  héros  est  hors  de   France;  il  s'est  accom- 
i.es  i„ten.u.ns  du    ^^^^  ^^^^  j^g  œconomes  *. 

Le  malheur  du  duc  de  Brezé  fut  d'avoir  trouvé 
du  Dognon  * ,  qui  rempauhïia  de  telle  sorte  qu'on 
pouvoit  dire  qu'il  ne  faisoit  que  ce  que  l'autre 
vouloit.  A  la  mort  du  Duc,  du  Dognon,  qui  estoit 
vice-amiral,  quitta  tout  et  s'alla  saisir  de  Brouage 
et  de  la  Rochelle.  Les  Mémoires  de  la  Régence 
diront  le  reste. 

C'a  esté  un  grand  tyi'an.  11  fit  faire  un  balustre 
dans  le  chœur  de  l'église  de  Brouage ,  où  il  enten- 
doit  seul  la  messe  ;  pas  une  femme  n'y  cust  osé 
entrer.  On  fermoit  les  portes  de  la  ville  quand 
il  disnoit.  11  avoit  cent  Gardes,  montez  comme 
des  saint  Georges,  et  rançonnoit  fermiers  et  mar- 
chands. Grande  maison,  grand  équipage,  tout  cela 
biv.n  réglé  et  point  de  desordre,  pourveù  qu'on  fist 
tout  ce  qu'il  vouloit. 

'  Second  fils  de  Saint-Germain  Beauprc'.  Voij.  V Historiette  du  père. 

COMMENTAI  ni:. 

1.  —  p.  213,  lig.  5. 

Ma  niepcc^  quel  successeur  ! 

Le  portrait  tracé  par  des  Réaux,  d'accord  avec  la  giande  opiniuii 
<(ue  la  postérité  conserve  de  l'amiral  de  Brezé,  ressemble  assez  mal,  il 
faut  on  convenir,  à  celui  que  M.  Godard  Faultrier  en  a  fait,  dans 
l'Anjou  et  ses  Monumens  (toin.  ii,  p.  112).  Ce  livre,  écrit  d'un  stylo 
prétentieux,  est  cependant  rempli  de  curieuses  et  intéressantes  recher- 
ches et  embelli  de  dessins  nombreux  des  principaux  monumens  de 
l'Anjou.  11  j)résentc  une  mine  très-féconde  et  l'on  est  heureux  d'y  pou- 
voir puiser  ;  mais,  cnthi,  il  faut  le  faiie  avec  précaution. 


LE    DUC    DE    BREZÉ.  215 

II.  —  P.  21?i,  lig.  7. 

Du  Dognon  s'alla  saisir  de  Brouage. 

Louis  Foucault  comte  du  Daugnon ,  d'abord  page  du  cardinal  de 
Richelieu  ,  puis  par  la  faveur  du  duc  de  Fronsac  (depuis  notre  duc 
de  Brezé  ),  créé  vice-amiral  de  France.  «  Le  comte  d'Oignon,  »  dit  le 
maréchal  de  Navailles,  «  au  lieu  de  profiter  de  l'avantage  qu  avoit 
„  l'amiral  de  Brezé,  au  moment  de  sa  mort,  prit  le  party  de  se  retirer, 
„  et  ramena  l'armée  navale  à  Toulon,  pour  aller  en  diligence  sfe  rendre 
,.  maistre  de  Brouage,  de  Rhé,  d'Oleron  et  des  tours  de  la  Roche  le, 
„  où  il  commandoit  sous  l'autorité  du  duc  de  Brezé;  cette  démarche 
»  qui  devoit  le  perdre,  servit  beaucoup  à  sa  fortune.  »  [Man.,  p.  36  ) 
En  effet,  les  troubles  de  la  Fronde  survenant  bientôt,  il  profita  de 
sa  position  pour  rendre  service  au  prince  de  Condé,  dont  il   parut 
embrasser  vivement  les  intérêts  ;  en  1653,  il  fit  son  marché  avec  le  Roy 
pour  le  bâton  de  maréchal  de  France;  puis  il  ne  tarda  gueres  à  se 
déshonorer  tout  à  fait  en  consentant  à  figurer  parmi  les  juges  du  prince 
de  Condé.  Il  mourut  à  Paris,  le  10  octobre  1659,  à  l'âge  de  quarante- 
trois  ans.  On  verra  plus  loin  l'Historiette  de  son  père  Saint-Gcrmain 
Beaupré,  de  son  frère  aîné  et  de  ses  sœurs. 
III.  —  Fin. 
Comme  le  remarque  des  Réaux,  le  Maréchal  et  son  fils,  le  duc  de 
Brezé,  etoient  de  la  grande  maison  des  Maillé  de  Touraine.  Sur  la  fin 
du  XV»  siècle,  Hardouin  de  Maillé  ,  en  épousant  Françoise  de  la  Tour 
joignit  au  nom  de  ses  aïeux  celui  de  la  Tour-Landry;  et  sa  postérité 
directe  porte  encore  ce  double  nom. 

Près  de  deux  siècles  auparavant,  Payen  de  Maillé  etoit  devenu  sei- 
gneur de  Brezé,  par  sa  femme,  Jeanne  de  Beauçay;  et  de  là  le  nom 
de  Brezé  qui  finit  par  Être,  pour  ainsi  dire,  substitué  à  celui  de 
Maillé,  quand  cette  première  baronnie  de  Touraine  eut  été  acquise 
par  le  Connétable  de  Luynes,.  et  convertie  en  duché  de  Lnynes.  U^ 
maréchal  de  Brezé  n'avoit  eu  que  deux  enfans  :  l'amiral,  qui  ne  laissa 
pas  de  postérité,  et  Claire-Clémence  de  Maillé,  princesse  de  Condé.  La 
terre  de  Brezé  revint,  après  la  mort  du  maréchal  de  Brezé,  à  la  mai- 
son de  Condé ,  qui  bientôt  après  la  vendit  à  Thomas  Dreux,  conseiller 
au  Parlement,  auteur  des  marquis  de  Dreux-Brezé,  dont  le  nom,  si 
honorablement  mêlé  à  nos  mouvemens  révolutionnaires  et  à  nos  li- 
bertés nouvelles,  est  aujourd'hui  populaire  en  France.  Toutefois  les 
Dreux  n'ont  vraiment  aucun  rapport  d'origine  avec  la  maison  de 
France,  comme  l'admettent  assez  légèrement  MM.  Filleau,  dans  leur 
iHriionnnirc  des  familles  de  l'ancien  Poitou.  Poitiers,  18;^^. 


LXXXV.— LXXXYI. 

LE  MARESCHAL  DE  LA  MEILLERAYE 

ET    LES    SœURS    DE    LA    MARESCHALE. 

{Charles  tic  la    Porte,  duc  de  la  Mcilkrayc;  n(-  vers  1602,  mort 
8  fHrier  1G04.) 

Le  mareschal  de  la  Meilleraye  est  cousin  ger- 
main du  cardinal  de  Richelieu  ;  car  la  mère  du 
Cardinal,  le  Grand-prieur  et  le  père  du  Mareschal 
estoient  tous  trois  enfans  d'un  advocat  au  parle- 
ment de  Paris ,  nommé  la  Porte ,  qui  se  disoit 
d'une  bonne  maison  de  Poitou ,  appellée  la  Porte- 
Vezins;  et  voicy,  dit-on,  comme  cela  arriva.  Une 
jyjmc  fi^Q  Vezins  avoit  la  Porte  pour  advocat  ;  il  se 
disoit  son  parent,  elle  en  rioit:  «  Il  ne  l'est  pas,  » 
disoit-elle  ;  «  mais  il  me  fait  service,  il  luy  faut  don- 
»  ner  cette  petite  satisfaction.  »  Cet  homme  avoit 
tous  les  tiltres  de  cette  maison  entre  les  mains,  et 
en  fit  comme  il  voulut.  C'est  peut-estre  sur  ces 
tiltres-là  que  M"  Charles  du  Moulin  luy  a  donné 
la  qualité  de  nobilissimus,  et  c'est  sur  ces  mesmes 
tiltres-là  que  le  Grand-prieur  avoit  esté  receû  che- 
valier de  Malte  '. 

Il  y  avoit  une   M"""  de  Chausseraye  en  Poitou, 

1  Ce  grand-prieur  du  la  Porto  ostoit  un  lioinme  de  bien  et  un  homme 
fils  naf'd ' Il  *'*'  îv'  fl''i<^""<-Hir.  Quand  le  grand-prieur  deVendosme  fut  mort*,  le  cardinal 
mort  en  février  1629.'   de  Uidielieu  le  voulut  faire  grand-prieur,  encore  qu'il  y  eust  un  corn- 


LE  MARESGHAL  DE  LA  MEILLEttAYE.  217 

fille  de  ce  petit  de  Vezins,  qui  fut  trouvé  h  Genève  ' , 
quisoutenoitque  lemareschal  de  la  Meilleraye  venoit 
d'un  notaire  d'Ervaux,  qui  est  une  abbaye  en  Poi- 
tou ;  et  un  gentilhomme  de  mes  alliez  m'a  dit  avoir 
veû  une  cession  d'un  abbé  d'Ervaux,  où  il  y  a  :  «  J'ay 
))  quitté  à  mon  compère  Jean  de  la  Porte,  notaire , 
»  la  rente  du  blé  qu'il  me  devoit,  mais  non  celle  des 
j)  chapons.  »  Et  le  filz  de  ce  notaire  fut  advocat  à  Paris. 
Le  mareschal  de  la  Meilleraye  estoit  huguenot , 
et  a  estudié  au  collège  de  Saumur  ;  mais  il  changea 
bientost  de  religion.  11  fut  d'abord  escuyer  du  Car- 
dinal, lorsqu'il  estoit  evesque  de  Luçon  ;  car  le  car- 
dinal de  Richeheu,  en  quelque  fortune  qu'il  ayt  esté, 

mandeur  plus  ancien  que  luy,  et  il  avoit  assez  de  pouvoir  pour  cela  ; 
mais  il  ne  le  voulut  jamais,  et  dit  que  c'estoit  une  injustice.  1\  laissa 
passer  l'autre  devant  ;  mais  il  n'attendit  gueres,  car  cet  homme  mou- 
rut bientost  après.  J'ay  veû  ce  grand-prieur  fort  aymé  à  la  Rochelle, 
dont  il  estoit  gouverneur  avec  le  pays  d'Aulnis,  Brouage  et  les  Isles. 
Depuis  sa  mort,  la  religion  de  Malte  a  desmembré  le  Grand-prieuré,  à 
cause  qu'il  n'estoit  plus  que  pour  des  princes  et  des  gens  de  la  faveur. 

1  C'estoit  un  héritier  qu'on  avoit  fait  enlever  ;  la  Noue,  dit  Bras-de-fer, 
son  parent,  le  reconnut  à  Genève.  Cet  enfant  estoit  chez  un  cordonnier. 

(  Lignes  biffées  :)  [Il  est  vray  que  M*  Charles  du  Moulin  appelle  cet 
advocat  nobilissimus,  et  qu'il  espousa  la  fille  d'un  conseiller  de  la  Grand- 
chambre.  Ils  prétendent  que  cet  advocat  estoit  d'une  bonne  maison 
de  Poitou  qu'on  appelle  la  Porte-Vezins.  Je  mettray  icy  ce  que  j'en 

ay  appris  :  M.  de  la  Porte-Vezins  *  s'estant  remarié,  en  faveur  de  sa      Jacques  de  la  p.  v., 

,     »  •  •.  j  i-  j     1  .-.  £1      marié  lo  à  Claude  de 

seconde  femme  qui  avoit  eu  des  enfans  de  luy,  consentit  que  son  iilz   la  soue;  2°  à  Fraa- 

du  premier  lict  fust  enlevé  et  mené  où  Dieu  voulut.  M.  de  la  Noue, 

Bras-de-Fer,  cousin-germain  de  Vezins,  estant  à  Genève,  envoya  quérir 

un  cordonnier,  qui  amena  avec  luy  un  jeune  garçon.  L'âge,  l'air  et  la 

bonne  grâce  de  cet  enfant  donnèrent  quelque  soupçon   à  M.  de  la 

Noue.  Il  se  confirma  dans  ses  soupçons  en  l'examinant.  On  plaida,  le 

petit  garçon  fut  reconnu  ;  le  père  estoit  mort  auparavant.  On  dit  que 

la  Porte  ayant  gaigné  la  cause  de  ce  petit  garçon,  on  hiy  pcnnit  de 

prendre  les  armes  de  Vezins  et  de  ?:o  dire  leur  parent.] 


coise  de  Maillé. 


Mnjtilelaine 
l'or'te 
<;helles  en  1645;  morte 


218  LES    HISTORIETTES. 

a  tousjours  eu  un  équipage  raisonnable.  Après  il  fut 
enseigne  des  gardes  de  la  feu  Reyne-mere  ;  et 
après  la  droslerie  des  Ponts-de-Sé,  il  fut  capitaine  de 
SCS  gardes'.  En  cetemps-l;),  le  Cardinal  mit  aussy 
ilJlîLé"  de  M"'=  de  la  Meilleraye*  auprès  de  la  Reyne-mere.  C'est 

enVé??.""  ^"'■""'■^  g|]g  qui  est  encore  aujourd'huy  abbesse  de  Chelles  ; 
cette  abbaye  jusqu'à  lors  n'avoit  esté  tenue  que  par 
des  princesses.  Le  Cardinal  fit  M.  de  la  Meilleraye 
chevalier  de  l'Ordre  et,  après,  luy  fit  espouser  la  fille 
du  mareschal  d'Effiat  -  qu'on  desaccorda  exprès 
d'avec  un  gentilhomme  d'Auvergne,  nommé  M.  de 
Beauvais  ^  C'estoit  une  extravagante.  Elle  mourut 

En  1633,  à  vintît  ans.  jcunc  *,  après  avoir  eu  un  filz,  qui  est  aujourd'huy 

1  Le  marcsclial  de  la  Meilleraye  conte  que  le  feu  Roy  ne  le  pouvoit 
souffrir,  et  que  le  cardinal  de  Richelieu  luy  ayant  dit  cela,  il  s'en 
alla  dans  l'antichambre;  de  rage,  il  mangea  toute  une  chandelle.  Le 
CardJJial  le  vit  faire,  sans  rien  dire,  et  ne  pouvoit  s'empescher  d'en 
rire.  La  Meilleraye  s'en  va,  vend  tout  ce  qu'il  avoit  ;  sa  terre  de  la 
Meilleraye  cstoit  alors  de  deux  mille  livres  de  rente.  Il  vient  trouver 
le  Cardinal,  et  luy  déclare  qu'il  s'en  alloit  trouver  le  roy  de  Suéde. 
Le  Cardinal  luy  dit  :  «  Puisque  vous  avez  ce  courage-là,  attendez  ;  je 
»  tenîeray  tout  pour  vous.  »  Il  fit  i  omprc  le  contrat  de  vente,  et  le  poussa. 

—  Le  feu  duc  de  Rouanez,  grand-pere  de  celuy-ci,  fit  faire  une  pein- 
ture à  Oiron,  vers  Loudun,  où  le  cardinal  de  Richelieu  est  peint  habillé 
comme  la  Fortune,  qui  donne  des  canons  à  un  petit  grimault  qui  re- 
présente la  Meilleraj'e,  une  ancre  à  une  espèce  de  gobin,  le  gênerai 
Us  motsfermvs,  hi}-  des  Galères  Pont  de  Courlay,  f*  et  les  enseignes  des  Suisses  au  colonel 
des  Suisses,  le  marquis  de  Coislin,  autre  bossu.]  Le  Duc  y  est  repré- 
senté en  habit  de  jardinier  beschant  la  terre. 

2  On  luy  avoit  refusé  M™"  de  Courcelles  d'aujourd'huy  (autrefois 
M"'  de  Villeroy),  du  temps  qu'il  estoit  capitaine  des  gardes  de  la  Reyne- 
mere,  et  qu'on  l'appelloit  le  petit  Meilleraye. 

^  lis  avolont  esté  espousez;  mais,  à  cause  de  la  jeunesse  de  la  fille, 
M.  d'Efliat  emmena  le  comte  de  Beauvais  en  Angleterre.  Elle  soutint 
que  le  mariage  estoit  consommé,  car  Beauvais  estoit  bien  fait.  Elle 
estoit  belle,  et  traitta  tousjours  la  Meilleraye  du  haut  en  bas.  Elle 
nionrnt  d'une  fausse  couche. 


LE     ÎHARESCHAL    DE    LA    MEILLERAYE.      '219 

grand-maistre  de  T  Artillerie.  M.  de  la  Meilleraye  eut 

cette  charge  après  la  mort  de  son  beau-pere  *.  ^" a^ltï^eums!"'^ 

Par  son  second  mariage  avec  M"^  de  Brissac, 
il  eut  la  lieutenance  de  roy  de  Bretagne  et  le  Port- 
Louys.  Il  est  gouverneur  de  Nantes,  où  il  a  vescû 
encore  plus  tyranniquement  qu'ailleurs. 

C'est  un  grand  assiégeur  de  villes  ;  mais  il  n'en- 
tend rien  à  la  guerre  de  campagne.  11  est  brave, 
mais  fanfaron,  violent  à  un  point  estrange'. 

Je  pense  que  la  meilleure  action  qu'il  ayt  faitte 
de  sa  vie  fut  au  blocus  de  la  Rochelle  qu'on  fit 
avant  le  dernier  siège.  Il  envoya,  par  bravoure, 
un  trompette  dans  la  ville  pour  sçavoir  s'il  n'y  avoit 
personne  qui  voulust  faire  le  coup  de  pistolet.  Ce 
trompette,  au  plus  avancé  corps  de  garde,  trouva 
un  gentilhomme,  nommé  la  Coustanciere  *,  qui  ac-  °" '^ jfe"s*JLv°""^' 
cepta  le  party.  11  se  rend  à  l'assignation  :  M.  de 
la  Meilleraye  ,  mieux  monté  que  luy,  après  avoir 
tiré  ses  deux  pistolets  sans  le  blesser,  luy  gaigne  ' 
facilement  la  croupe;  mais  la  Coustanciere,  qui 
avoit  encore  un  pistolet  à  tirer,  le  tire  par-dessus 
l'espaule,  et  fut  si  heureux  que  de  donner  dans  la 

1  A  la  campagne  de  Charlemont  où  tout  alla  si  mal*,  pour  estre  party  Mal  i640. 

avant  qu'il  y  eust  du  fourrage  et  que  les  chemins  fussent  beaux,  Ruvi- 
gny  le  trouva  qui  crioit  dans  sa  chambre  comme  un  desespéré  :  «  X'ay- 
»  je  point  un  amy  au  monde  qui  me  donne  un  coup  de  pistolet  dans 
»  la  teste  ?  »  Ruvigny  fit  fermer  la  porte,  de  peur  qu'on  ne  vist  le  Géné- 
ral en  cet  estât,  et  luy  remonstra  que  le  Cardinal  entendroit  ses  raisons, 
qu'il  avoit  voulu  qu'on  mist  trop  tost  en  campagne,  que  le  pays  estoit 
gras,  et  que  le  canon  ne  pouvoit  marcher.  Le  Mareschal  envoya  à  la 
Cour,  et  les  ennemys  n'ayant  point  encore  mis  en  campagne,  il  ne  re- 
ceût  point  d'eschec.  Si  on  l'eust  pu  attaquer,  il  estoit  perdu,  car  il  avoit 
esté  obligé  de  séparer  ses  troupos. 


220  LES    IIJSTOIUETTES. 

teste  du  cheval  de  son  ennemy,  et  ainsy  eutl'advaii- 
tage.  M.  de  la  Meilleraye,  bien  loing  de  haïr  ce  gen- 
tilhomme, luy  fit  donner  une  compagnie  dans  son 
régiment,  et  luy  a  tousjours  tesmoigné  de  l'affection. 
Juillet  1637.  A  l'armée*,  il  leva  la  canne  sur  le  colonel  Gassion, 

depuis  mareschal  de  France  ;  mais  il  avoit  trouvé 
chaussure  ù  son  pic ,  car  l'autre  mit  le  pistolet  à 
la  main ,  et  pour  cela  n'en  fut  point  mal  avec  le 
cardinal  de  Richelieu  '. 

Sa  femme  est  jolie  et  chante  bien.  Le  cardinal 
de  Richelieu  s'en  esprit  ;  il  avoit  tousjours  affaire  à 
l'Arsenal  :  c'estoit  sa  bonne  cousine.  Voylà  le  Grand- 
maistre  dans  une  mélancolie  espouvantable.  Il  avoit 
un  peu  de  goutte,  il  feint  d'en  avoir  bien  davantage  ; 
il  ne  sçavoit  où  il  en  estoit.  Le  Cardinal  estoit  dan- 
gereux ;  il  n'y  avoit  point  de  quartier  avec  luy.  La 

*  Hors  la  tranchée  qu'il  outciidoit  assez  bien,  il  ne  sçavoit  rien  à  la 
En  1641.  guerre.  Entre  autres  occasions,  il  y  parut  bien  à  Aire  *.  Les  cnnemys 

furent  si  fous  que  de  passer,  sur  six  ponts  qu'ils  avoient  faits,  une 
petite  rivière,  en  plein  jour,  en  présence  de  notre  armée.  Ranzeau, 
depuis  mareschal  de  France,  qui  se  trouva  en  cet  endroit-là,  dit  à 
Ruvigny  qui  commandoit  le  régiment  de  cavïlerie  du  Mareschal  :  «  Ils 
»  ont  perdu  le  sens  ;  il  les  faut  laisser  passer  :\  dcmy,  et  puis  les  char- 
»  gcr;  envoyons  avertir  le  Mareschal.  »  On  y  envoyé,  il  vient,  et  ne 
voulut  jamais  donner.  Il  n'y  avoit  pas  un  goujat  qui  ne  criast  qu'il 
falloit  donnei'.  Cela  fut  cause  de  la  perte  d'Aire  qu'il  venoit  de  prendre  ; 
car  les  ennemys  se  mirent  dans  nos  lignes.  Depuis  il  reconnut  sa  faute 
et  envoya  Ruvigny  prendre  les  devans  auprès  du  Cardinal.  Ruvigny 
Au  Cardinal.  luy  *  fit  entendre  que  la  place  estoit  bien  munie,  que  M.  le  Grand-mais- 
tre  pouvoit  ravager  le  pays  ennemy  et  attaquer  une  autre  place,  dez 
qu'on  l'auroit  fortifié  des  troupes  revenues  de  Sedan.  Le  Cardinal  le 
remit  au  lendemain,  et  luy  fit  quelques  propositions  qu'il  n'avoit  garde 
de  ne  pas  approuver.  «  Voylà  pour  vous  monstrer,  »  disoit-il,  «  mon- 
»  sieur  de  Ruvigny,  que  le  cardinal  de  Richelieu,  quoyqu'il  n'aille  pas 
»  ^  la  gueiTe,  ne  laisse  pas  d'estrc  grand  capitaine.  » 


LE    MARESCHAL    DE    LA    MEILLERAYE.      221 

Mareschale  pouvoit,  si  elle  eiist  voulu,  le  faire  enra- 
ger impunément  ;  elle,  qui  ne  manque  pas  d'esprit, 
s'apperceût  de  cela  ;  et  un  beau  jour,  par  une  reso- 
lution assez  rare  en  l'âge  où  elle  estoit  alors,  elle 
va  trouver  le  Grand-maistre,  et  luy  dit  que  l'air  de 
Paris  ne  luy  estoit  pas  bon  et  qu'elle  seroit  bien 
aise,  s'il  l'approuvoit,  d'aller  chez  sa  mère  en  Bre- 
tagne. «  Ah!  madame,  »  luy  dit  le  Grand-maistre, 
»  vous  me  donnez  la  vie  ;  je  n'oublieray  jamais  la 
«grâce  que  vous  me  faittes.  »  Le  Cardinal,  par 
bonheur,  n'y  songea  plus;  mais  sans  doute  il  s'al- 
loit  enflammer  d'une  estrange  sorte. 

Tournons  la  médaille.  Au  mesme  temps,  M^"'  de 
la  Meilleraye  se  va  mettre  dans  la  teste  que 
MM.  de  Cossé  viennent  de  l'empereur  Gocceius 
Nerva,  qui  n'eut  point  d'enfans.  Buchanan  avoit 
bien  plus  de  raison  d'appeller  Timoleon  de  Gossé 
le  sang  de  Gossus,  un  dictateur  romain  ;  mais  cela 
est  permis  à  un  poète.  Sa  folie  alla  jusqu'au  point 
de  faire  passer  ses  sœurs  devant  elle,  disant  qu'elle 
a  desgénéré  en  espousant  un  autre  qu'un  prince  ; 
et  dans  le  cabinet  de  l'Arsenal,  où  tous  les  grands- 
maistres  de  l'Artillerie  sont  peints,  elle  a  fait  mettre 
le  titre  de  prince  à  M.  de  Brissac,  son  grand-pere. 
Depuis ,  je  ne  sçay  si  elle  l'a  fait  effacer,  car  elle 
est  revenue  de  cette  grotesque  \  Elle  faisoit  mettre 

1  MM.  de  Brissac,  ses  frères,  ne  furent  guères  plus  sages.  Cerisay 

fit  une  chanson  contre  eux  sans  se  nommer  ;  ce  fut  pour  complaire  à 

M.  do  la  Rochefoucauld.  La  voicy  : 

Petit  Brissac  chacun  baise  les  mains 
A  vos  ayeiils  les  empereurs  romains, 


222  LES    HISTORIETTES. 

comme  des  princesses  romaines,  ses  sœurs  au-dessus 
d'elle,  en  des  fauteuils,  et  elle  se  mettoit  après  sur 
une  chaise  à  l'ordinaire.  A  Nantes,  car  c'est  son 
empire,  elle  faisoit  asseoir  toutes  les  principales  fem- 
mes de  la  ville  autour  d'elles,  sur  de  petits  tabou- 
rets hauts  de  demy-pied,  et  s'il  y  en  avoit  quel- 
qu'une qui  eust  la  taille  gastée,  elles  la  faisoient 
tourner  de  tous  costez,  faisant  semblant  d'admirer 
sa  taille.  A  une  d'elles  qui  estoit  un  peu  pelée  sur 
le  front,  elles  se  tuoient  de  luy  dire  qu'elle  avoit  la 
plus  grande  quantité  de  cheveux  du  monde.  Une 
fois  elle  se  coiffa  ridiculement,  pour  leur  faire  ac- 
croire que  c' estoit  la  mode;  mais  il  n'y  en  eut  guères 
d'assez  simples  pour  donner  dans  le  panneau.  On 
n'osoit  danser  sans  le  luy  faire  sçavoir,  et  quand 
elle  avoit  promis  de  s'y  trouver,  elle  attendoit  que 
tout  le  monde  fust  assemblé,  et  puis  elle  mandoit 
qu'elle  n'y  pouvoit  aller;  et  alors  il  falloit  r' envoyer 


On  s«;ait  assez  comme  la  chose  va. 

Et  n'est  autem- 

Qui  ne  soit  serviteur 

De  Cocceius  Nerva . 
Vostre  cadet,  le  prince  de  Cessé, 
Tranche  le  mot  et  franchit  le  fossé; 
De  cette  histoire  on  sçait  tout  le  détail. 

Et  comme  on  va 
'  De  Cocceius  Nerva 

Jusqu'à  Rocher-Portail. 

J'ay  ouy  dire  que  la  maison  de  Cossé,  quoyque  illustre,  n'est  pas 
trop  ancienne.  Le  premier  raareschal  de  Brissac  fit  sa  fortune  par  les 
femmes.  M°*  d'Estampes  l'aimoit,  et  François  1"  venant  chez  elle,  il 
se  cacha  sous  le  lict.  Le  Roy  ne  l'ignoroit  pas,  et  comme  il  mangeoit 
du  cotignac,  il  en  jetta  une  boiste  sous  le  lict,  en  disant  :  «  Tiens, 
Brissac,  il  faut  que  tout  le  monde  vive.  »  M"^  d'Estampes  luy  fit  don- 
ner de  l'employ. 


LE    MARESCHAI.    DK     LA    MEILLERAYE.      223 

les  violons,  car  c'eust  esté  un  crime  capital  que 
d'avoir  fait  une  assemblée  quand  Madame  avoit  tes- 
moigné  qu'elle  n'en  pouvoit  estre. 

Comme  on  se  moule  aisément  sur  un  mauvais  pa- 
tron, le  gouverneur  du  chasteau  de  Nantes,  nommé 
Chalusset,  vouloit  faire  aussy  le  petit  tyranneau  au 
bal ,  quand  le  Grand-maistre  n'y  estoit  pas.  Il  fit  une 
assemblée  au  Chasteau,  et,  pour  se  parer,  il  avoit 
mis  un  hausse-col ,  et  ne  faisoit  danser  que  ceux  de 
la  cabale  de  la  Gouvernante,  sa  femme.  Il  y  avoit 
une  autre  cabale  à  Nantes,  qu'on  appelloit  vulgai- 
rement le  frettin,  dans  laquelle  pourtant  estoient  les 
plus  jolies  de  la  ville.  Cette  pauvre  caballe  ne  faisoit 
que  regarder  les  autres.  Enfin  un  gentilhomme 
nommé  Bois-Yvon  ',  qui  avoit  ses  inclinations  dans 
le  frettin,  prit  sa  dame  par  la  main ,  et ,  de  concert 
avec  elle,  comme  monsieur  le  Gouverneur  alloit  pren- 
dre une  dame  pour  danser,  l'arresterent,  et,  se  met- 
tant à  genoux,  luy  chantèrent  tous  deux  ce  couplet  : 

Qu'il  plaise  à  voire  Hausse-cou  , 
Monsieur,  d'avoir  pitié  de  nous  , 

Landrirette , 
Le  frettin  vous  crie  mercy , 

Landriry. 

^  Ce  Bois-Yvon  estoit  un  homme  persuadé  de  la  mortalité  de  l'ame, 
et  quand  on  luy  voulut  parler  de  se  confesser,  il  s'en  mocqua  et  dit 
qu'il  luy  restoit  trente  solz  qu'on  donneroit  à  des  porteurs  qui ,  dans 
leur  chaise,  le  porteroient  à  la  voyrie.  l\  mourut  ainsy,  et  on  n'en 
put  obtenir  autre  chose.  —  Estant  malade  une  autre  fois,  je  ne  sçay 
quel  jeune  moine  luy  parloit  fort  de  Dieu  ;  «  Frère  Jean,  »  luy  dit-il, 
«  ne  me  parle  point  tant  de  Dieu  :  tu  m'en  desgoustes.  »  Des  Barreaux 
luy  amena  un  confesseur  :  «  \\  n'est  pas  de  ma  croyance,  »   dit-il.  Il 


224  LES    HISTORIETTES. 

Le  couplet  achevé  ,  ils  se  mettent  à  danser,  lais- 
sant Ghalusset  tout  estourdy  de  cette  aventure.  Ainsy 
le  frettin  entra  en  danse  et  eut  sa  revanche  tout 
le  reste  de  la  soirée. 

Or ,  puisque  nous  avons  trouvé  Ghalusset  en  nostre 
chemin,  nous  dirons  ce  que  nous  en  sçavons.  Ce  bon 
gentilhomme  avoit  autrefois  enlevé  une  fille  ;  il  cou- 
cha avec  elle,  mais  il  ne  luy  put  rien  faire.  Le  len- 
demain, cette  pauvre  fille  pria  ceux  qui  avoient  as- 
sisté Ghalusset  de  la  renvoyer  à  ses  parens  ;  ce  qu'ils 
firent  :  depuis  elle  fut  mariée  à  un  autre.  En  ce  temps- 
là,  pour  dire  un  Jean  qui  ne  peut,  on  disoit  un 
Ghalusset.  Il  a  pourtant  trouvé  une  femme  et  a  des 
enfans  :  cette  femme  a  l'honneur  de  vérifier  le  pro- 
verbe qui  dit:  Grosse  teste  et  peu  de  sens.  Bois- 
sat,  l'esprit,  la  trouva  une  fois  en  visite  ;  cette  grosse 
teste  l'estonna;  il  fit  ce  quatrain  : 

Dieu,  qui  gouverne  tout  par  de  secrets  ressorts , 
En  faveur  d'une  dame  accorde  ma  requcste  : 

Donne-luy  le  corps  de  sa  teste. 

Ou  bien  la  teste  de  son  corps. 

Elle  s'est  mis  en  fantaisie  qu'il  n'y  a  rien  de  si 
beau  que  de  bien  escrire;  que  sans  cela  on  n'est 
qu'une  beste  :  elle  a  persuadé  cela  à  trois  femmes 
aussy  sages  qu'elle  :  elles  s'exercent  toutes  quatre 
à  bien  escrire ,  et  on  les  a  trouvées  plusieurs  fois 

luy  dit  aussy  :  «  Faire  ce  que  vous  dittes  n'est  pas  de  la  vie  que  j'ay 
»  faitte,  et  ce  que  vous  faittes  n'est  pas  de  la  vie  que  vous  menez.  » 
Bois-Yvon,  comme  on  luy  parla  de  Dieu,  dit  :  «  Dieu  est  si  grand 
»  seigneur,  et  moy  si  petit  compagnon  (que)  nous  n'avons  jamais  eu  de 
»  communication  ensemble.  » 


LE    MARESCHAL     DE    LA    MEILLERAïE.     225 

aux  quatre  coings  d'une  chambre,  avec  chacune  une 
table,  s'escrivant  des  douceurs  les  unes  aux  autres. 

Revenons  à  la  Mareschale.  Elle  disoit  qu'elle 
rendoit  grâces  à  Dieu  de  deux  choses  :  Tune , 
d'estre  née  princesse  ;  et  l'autre,  d'estre  la  femme 
de  M.  le  mareschal  de  la  Meilleraye  :  «  Car,  »  di- 
soit-elle,  «  si  je  ne  l'avois  espousé,  je  ne  pourrois 
»  pas  m'empescher  de  l'aimer  d'amour.  »  Elle  ment 
comme  tous  les  diables  :  c'est  un  petit  homme  mal 
fait  et  jaloux,  et  je  sçay  bien  qu'un  jour,  à  Bour- 
bon ,  une  de  ses  femmes  de  chambre  luy  ayant  es- 
sayé en  riant  le  bandeau  d'une  veuve  qui  estoit  là, 
et  luy  ayant  dit  :  «  Madame,  que  cela  vous  sieroit 
))  bien  !  »  elle  se  mit  à  rire,  et  luy  dit  :  «  Que  tu  es 
»  folle!  ))  Sans  la  peur  du  diable,  elle  l'auroit  fait 
mille  fois  cocu  ;  elle  croit  qu'il  n'y  a  point  de  par- 
don pour  l'adultère.  Elle  est  coquette  ,  badine  et 
follette  naturellement,  mais  cela  la  retient  ;  peut- 
estre  l'humeur  violente  de  cet  homme  luy  fait-elle 
peur  aussy.  On  dit  qu'elle  seroit  fort  plaisante  en 
amourette.  Nous  parlerons  encore  bien  des  fois  d'elle 
et  de  son  mary,  dans  les  Mémoires  de  la  Régence.  Je 
diray  seulement,  pour  faire  voir  son  humeur  fiere, 
qu'un  jour*  qu'elle  se  trouva  chez  la  Reyne  au  r,ni548. 
Palais-Royal,  où  M""^  de  Longueville  et  M"'  de 
Guise  vinrent,  on  parla  d'aller  à  la  Comédie.  Or  il 
y  avoit  tousjours  assez  de  presse,  parce  qu'il  n'en 
couste  rien*;  la  Mareschale  pria  M'"'^  de  Lon- ^""^^'^,^1^ ^^„^^^:'^" 
gueville  de  la  laisser  passer  devant,  parce  qu'après 
elle  on  n' avoit  plus  de  considération  pour  personne  ; 


15 


226  LES    HISTORIETTES. 

M'"'  de  Longueville  la  fait  passer.  La  Mareschale 
entre  la  première ,  et  se  place  bien  à  son  aise  sur 
un  banc  qu'on  avoit  gardé  pour  M""'  de  Longue- 
ville,  qui  fut  contrainte  de  donner  la  moitié  de  sa 
place  à  M"'  de  Guise,  et  fut  si  incommodée,  que 
la  pluspart  du  temps  elle  aima  mieux  se  tenir  de- 
bout. La  Mareschale ,  au  lieu  de  se  lever,  disoit  : 
«  Je  veux  avoir  place ,  moy.  »  On  vit  bien  que 
c'estoit  pour  cela  qu'elle  avoit  demandé  à  passer 
devant. 

Pour  le  mareschal  de  la  Meilleraye,  il  n'y  a  pas 
grand  plaisir  d'avoir  affaire  à  luy.  Il  a  tyrannisé 
et  tyrannise  encore  tous  ceux  sur  qui  il  a  quelque 
pouvoir.  11  a  fait  battre  des  gens,  il  en  a  fait  jetter 
par  les  fenestres.  11  a  fait  interdire  les  officiers  qui 
n'ont  pas  jugé  à  sa  fantaisie;  il  a  fait  affront  à  tous 
ceux  dont  les  femmes  n'estoient  pas  allées  assez  tost 
voir  la  sienne.  Enfin,  c'est  un  diable  d'homme; 
mais  il  n'est  pas  si  ineschant  à  ceux  qui  sont  mal 
endurants:  il  est  fanfaron,  comme  j'ay  desjà  dit, 
et  pourtant  il  ne  le  veut  pas  paroistre.  A  Graveline, 
il  avoit  la  goutte,  et  alloit  sur  un  fort  petit  bidet  à 
la  tranchée ,  le  jour  qu'on  l'ouvrit  ;  il  y  alla  sans 
nécessité,  et  se  tint  quelque  temps  à  descouvert  sur 
un  rideau.  On  luy  tira  vingt  volées  de  canon,  et 
un  boulet  fut  si  près  que  son  cheval  en  fut  effrayé. 
Les  Officiers  le  prièrent  de  se  retirer  :  «  Quoy  !  vous 
)'  avez  peur?  »  leur  dit-il.  —  «  Nous  avons  peur 
»  pour  vous.  Monsieur,  »  luy  respondirent-ils.  — 
«  Pour  moy?  »  reprit-il,  «  0!  ce  n'est  point  à  un 


LE    MARESCHAL    DE     LA    MEILLERA  YE.      227 

»  général  d'armée,  et  encore  moins  à  un  mareschal 
»  de  France,  à  avoir  peur.  » 

Au  siège  de  Perpignan ,  il  envoya  à  dom  Florès 
d'Avila,  gouverneur  de  la  place,  des  noix  confittes, 
pour  luy  reconforter  le  cœur,  à  cause  de  la  faim 
qu'il  enduroit.  L'autre  luy  envoya  deux  cappes  à 
l'espagnole,  fourrées  d'hermine,  pour  luy  signifier 
qu'il  se  morfondroit  devant  cette  place. 

Voicy  ce  que  j'ay  appris  des  deux  sœurs  de 
la  Mareschale.  L'aisnée,  toute  princesse  romaine 
qu'elle  estoit,  et  prétendant  le  tabouret  chez  la 
Reyne,  devint  amoureuse  d'un  gros  homme  qui 
n' estoit  plus  jeune,  et  qui  estoit  de  fort  basse  nais- 
sance et,  de  plus,  réfugié,  de  peur  de  ses  créan- 
ciers. C  estoit  un  nommé  Sabattier,  à  qui  le  car- 
dinal de  Richelieu,  le  croyant  fort  riche,  fit  espouser 
l'aisnée  de  la  Roche-Posay,  qui  estoit  un  peu  sa 
parente;  mais  elle  mourut  bientost.  Sans  cela,  le 
Cardinal  eust  soutenu  cet  homme  qui ,  faute  de 
conduitte  et  d'appuy,  donna  du  nez  en  terre  et  fit 
banqueroute.  Il  avoit  connoissance  avec  le  mares- 
chal de  la  Meilleraye  ;  cela  fut  cause  qu'il  se  retira 
en  Bretagne  chez  M.  le  duc  de  Brissac,  et  il  se  mit 
aux  bonnes  grâces  du  Duc  et  de  la  Duchesse.  Ce  fut 
là  que  M"*"  de  Brissac  *,  qui  jusques  alors  s' estoit  »">«  de  br.ssac. 
picquée  d'une  grande  pruderie ,  trouva  cet  homme 
à  son  goust,  et  l'aima  si  esperduement  qu'on  a  dit 
qu'elle  luy  tiroit  ses  bottes.  Elle  l'espousa  en  ca- 
chette'. Le  bruit  en  courut  quelque  temps,  mais  il 

*  Il  y  a  *  un  couplet  du  chevalier  de  Rivière.  Sur  cei.T. 


228  LES    HISTORIETTES. 

s'appaisa,  jusqu'à  la  mort  de  Sabattier,  qu'elle  prit 
le  clueil.  Le  mareschal  de  la  Meilleraye  dit  qu'il  ne 
le  souffriroit  pas  ;  elle  luy  respondit  que  si  on  re- 
cherchoit  de  qui  il  venoit,  on  ne  trouveroit  pas  que 
sa  sœur  eust  espousé  un  homme  de  meilleure  mai- 
son que  M.  Sabattier. 

Depuis,  un  parent  du  mareschal  de  la  Meille- 
raye, la  Porte  Vezins,  gentilhomme  de  huit  mille 
livres  de  rente,  l'a  espousée.  Il  faut  qu'il  ayt  bien 
sceû  qu'il  y  a  voit  quelque  sij,  puisqu'on  luy  donnoit 
une  fille  de  cette  qualité  ;  ou  il  se  prend  bien  pour 
un  autre.  Elle  n'en  est  pas  moins  fiere.  A  Angers , 
plusieurs  dames  de  qualité  ayant  des  fauteuils  au 
bal,  elle  s'assit  sur  le  dos  du  sien  pour  estre  plus 
haut  que  les  autres,  et  le  lendemain  elle  y  fit  ap- 
porter un  tapis  et  un  carreau,  comme  auroit  pu  faire 
la  Reyne. 
inS!fFnwof>f<^^^^      1-»  troisicsmo  sœur  a  espousé  M.  de  Biron*.  Celle- 

Gontaut,  marquis  (le  ,       i   -  f    •,,  ii  i       ,        i  •  l-  l 

B.,  morte  en  1679.  cy  cst  bicu  laittc ,  ellc  S  est  divertie  avant  que 
d'estre  mariée.  Un  jour  Ruvigny,  comme  le  capi- 
taine des  gardes  du  Mareschal,  nommé  Piailliere, 
se  plaignoit  à  luy  de  l'humeur  de  son  maistre  : 
«  Eh  !  »  luy  dit-il ,  «  que  ne  quittez-vous  un  homme 
»  fougueux  et  ingrat?  »  —  «  Mordieu,  »  dit  Piail- 
liere, «  je  n'y  demeure  que  pour  tascher  de  mettre 
»  sa  femme  à  mal,  car  pour  sa  belle-sœur  elle  est 
»  depeschée.  »  On  a  dit  mesme  que  ce  Monsieur  le 
capitaine  des  gardes  n'estoit  pas  le  seul.  Cet 
homme,  comme  on  luy  demandoit  ce  que  c'estoit 

i*™f;Me'Ma-  que  le  grand-maistre  d'aujourd'huy  *  :  «  C'est,  » 


xariii. 


LK    MARESCHAL    DE    LA     MEILLERAYE.     2:29 

dit-il ,  «  bouche  fermée  et  bouche  ouverte.  »  Il  a 
tousjours  la  bouche  ouverte ,  et  est  de  fort  mau- 
vaise grâce. 

COMMENTAIRE. 

I.  —P.  216,  lig.  11. 

Cet  homme  avoit  tous  les  filtres  de  cette  maison  entre  les  mains  et  en 
fit  comme  il  voulut. 

Les  contemporains  du  maréchal  de  la  Meilleraye  ont  été,  pour  ainsi 
dire,  unanimes  contre  ses  prétentions  à  une  noblesse  de  race.  Montglat 
en  parle  à  peu  près  comme  des  Réaux  ;  le  cardinal  de  Retz  dit  :  «  Il 
»  n'avoit  apporté  dans  son  alliance  avec  une  cousine  du  Cardinal 
»  qu'une  roture  fort  connue  et  la  plus  petite  mine  du  monde.  »  Un 
autre  Frondeur  dit  à  son  tour  :  «  Celuy  qui  possède  aujourd'huj^  la 
»  charge  de  Grand-maistre  de  l'artillerie,  n'est-il  pas  petit-fils  d'un 
»  misérable  notaire  de  village?  »  (Advertissement  à  Cohon,  1649.)  — 
On  a  fait  sur  lui  ce  couplet  fréquemment  imité  depuis  : 

retit-fils  de  notaire. 
Mine  à  quatre  deniers, 
Je  ne  me  sraurois  taire 
De  te  voir  cauonnier. 
Toy  qui  u'es  que  de  poudre. 
Gouverneur  de  la  foudre  ! 
retit  la  Meillerays, 
Va  te  pendre  au  Marais. 

Enfin  le  père  Anselme,  dans  l'article  consacré  au  duché-pairie  de 
la  Meilleraye,  ne  remonte  pas  au  delà  de  cet  avocat  François  de  la 
Porte,  qu'il  désigne  non  pas  comme  Fezin,  mais  seulement  comme 
seigneur  de  Boisliet,  etc.  Cependant  tout  cela  ne  sauroit  empêcher  que 
du  Moulin  n'ait  appelé  cet  avocat  nobilissimus;  que  les  la  Porte- 
Vezins  n'aient  accueilli  la  prétention  de  communauté  d'origine  ;  qu'il 
n'ait  marié  très-honorablement  ses  filles,  et  que  son  fils  aîné,  reçu  dans 
l'ordre  de  Slalte,  n'jr  ait  bientôt  obtenu  la  dignité  de  grand-prieur. 

De  sa  première  femme,  Claude  Bochart,  François  de  la  Porte  eut 
Suzanne  de  la  Porte,  mère  du  cardinal  de  Richelieu  ;  de  la  seconde, 
Magdelaine-Charles  du  Plessis-Picquet ,  il  eut  Amador,  grand-prieur, 
mort  subitement  le  31  octobre  1644,  et  Charles,  seigneur  de  la  Meilleraye, 
père  du  Maréchal.  Celui-ci  épousa  en  premières  noces  Marie  Ruzé 
d'EflSat ,  et  en  secondes  noces,  en  1637,  Marie  Cossé  de  Brissac,  fille 


230  LES    HISTORIETTES. 

du  duc  de  Brissac  et  de  Guyonne  Ruellan.  Celle-ci  ne  mourut  qu'en 
1710,  à  l'âge  de  quatre-vingt-neuf  ans. 

II.  —  P.  216,  lig.  dernière. 

Une  iM"*  de  Chausserayc,  fille  de  ce  petit  de  Vezins. 

Anne  de  la  Porte,  femme  de  Louis  le  Petit  de  Verno,  sieur  de  Chaus- 
serayc, gentilhomme  de  la  Chambre  et  chevalier  de  l'Ordre.  Anne  etoit 
lille  de  René  le  Porc  ou  de  la  Porte ,  marquis  de  Vezins.  C'est  leur  fils 
qui  plus  tard  semble  avoir  épousé,  comme  nous  verrons,  Anne-Ursule 
de  Cossé-Brissac,  sœur  de  la  maréchale  de  la  Mcilleraye,  et  veuve  alors 
de  Charles  de  la  Porte  marquis  de  Vezins.  De  ceux-ci  naquit  la  célèbre 
mademoiselle  de  Chausserayc,  dont  Saint-Simon  a  tant  parlé. 

III.  —  P.  218,  note,  lig.  10. 
Le  feu  duc  de  Rouanez,  etc. 

Louis  Gouffier,  duc  de  Roannez ,  aieul  d'Artus  Gouflfier,  gouver- 
neur du  Poitou.  Artus  transmit  plus  tard  le  duché  de  Roannez  au 
mari  de  sa  sœur,  François  d'Aubusson,  comte  de  la  Feuilladc.  —  Oiron, 
où  l'on  trouvoit  ce  curieux  tableau ,  est  près  de  Thouars  en  Poitou. 

Le  mot  gobin  se  prenoit  dans  le  sens  de  bossu  ;  témoin  ce  vers 
de  Boursault  dans  V Esope  à  la  Cour  : 

. . .  Maudit  Cobin,  que  le  diable  t'emporte  ! 
Vull:'t  pour  Euphrosine  un  amant  bien  tourne. 

IV.  —  P.  219,  note,  lig.  5. 

Ruvigny  fit  fermer  la  porte. 

Henry  de  Massues  sieur  de  Ruvigny,  marquis  de  Bonneval,  connu 
sous  le  nom  de  marquis  de  Ruvigny,  n'a  pas  d'Historiette  parti- 
culière ,  mais  son  nom  est  mêlé  à  un  grand  nombre  de  nos  récits. 
Des  Réaux ,  dont  il  avoit  épousé  la  sœur  du  premier  lit ,  Marie 
Tallemant,  a  dû  beaucoup  à  ses  souvenirs,  et  Ruvigny  devra  plus 
encore  au  livre  de  son  beau-frère.  Nous  l'avons  déjà  vu  cité  dans  le 
premier  volume,  à  propos  de  la  princesse  d'Orange  ;  puis,  dans  le  se- 
cond, comme  ami  et  conseiller  assez  mal  écouté  de  Fontrailles  et  de 
Cinq-Mars.  Il  etoit  fils  d'un  bon  oflicier  que  le  duc  de  Sully  avoit  dis- 
tingué :  pour  lui  il  commandoit  un  régiment  de  cavalerie  devant 
Aire,  sous  le  maréchal  de  la  Meilleraye  ;  et  après  avoir  eu  dans  sa 
jeunesse  de  très-brillantes  bonnes  fortunes,  il  eut  une  vieillesse  très- 
honorable.  En  secondes  noces,  il  épousa  la  sœur  du  duc  de  Southamp- 
ton  ,  et  fut  choisi  à  plusieurs  reprises  comme  député  général  des 
Eglises  réformées  de  France. 


LE  MARESCUAL  DE  LA  MEILLERAYE.  231 


V.  —P.  221,  lig.  2. 

Elle  qui  ne  manque  pas  d'esprit. 

Le  cardinal  de  Retz  qui,  dans  sa  jeunesse,  fut  amant  assez  heureux 
de  la  Maréchale,  ne  parle  pas  aussi  avantageusement  de  son  esprit  ni 
de  sa  vertu  :  «  M-^  de  la  Meilleraye  de  qui,  toute  sotte  qu'elle  estoit, 
..  j'estois  devenu  amoureux,  plust  à  M.  le  Cardinal;  et  au  point  que 
»  le  maréchal  mesmc  s'en  estoit  apperceu  et  en  avoit  fait  la  guerre  à 
).  sa  femme.  Elle  le  craignoit  terriblement,  elle  n'aimoit  point  le  Car- 
»  dinal...  Elle  m'avoit  dit  le  détail  des  avances  qu'il  luy  avoit  faites, 
»  qui  estoient  effectivement  ridicules.  Il  les  continua  jusqu'à  Uiy  faire 
»  faire  des  séjours  de  temps  mesme  considérables  à  Ruel  ;  je  m'ap- 
..  perceus  que  la  petite  cen-elle  de  la  demoiselle  ne  resisteroit  pas 
»  longtemps  au  brillant  de  la  faveur...  J'avois  trouvé  beaucoup  de 
»  satisfaction  à  triompher  du  cardinal  de  Richelieu  dans  un  champ 
»  de  bataille  aussy   beau   que  celuy   de  l'Arsenal.  »   {Mém.,   p.  22.) 

M-°^  de  Motteville  parle  aussi  de  ce  couple  illustre  avec  une  malice 
particuhère.  «  Le  Mareschal  estoit  goutteux,  et  sans  avoir  les  infir- 
mités que  donne  la  vieillesse,  son  corps  etoit  plus  cassé  que  ceux 
qui  en  peuvent  compter  quatre-vingts.  Il  etoit  perclus  des  mains  et 
des  pieds,  et  souvent  il  avoit  des  emplastres  sur  toute  sa  personne,  ce 
qui  etoit  sa  plus  ordinaire  parure.  Mais  enfin  il  etoit  honneste  homme 
et  bon  amy,  et  vivoit  tout  à  fait  en  grand  seigneur.  Il  avoit  une  belle 
et  jeune  femme,  fille  du  duc  de  Brissac.  Sa  beauté  consistoit  dans  la 
délicatesse  des  traits  de  son  visage,  dans  un  grand  agrément  et  une 
belle  taille.  Elle  etoit  sage,  mais  elle  avoit  un  trop  grand  désir  qu'on 
le  sceust.  Elle  repandoit  sa  vertu  prétendue  en  mille  petites  façons 
extérieures,  et  ces  façons...  se  mesloient  avec  son  agrément  naturel, 
qui  de  toute  manière  la  faisoit  paroître  aimable.  Elle  avoit  si  peur 
qu'on  ne  crust  qu'elle  n'aimoit  point  son  mary,  à  cause  de  ses  maux, 
qu'elle  alloit  disant  à  tout  le  monde  qu'elle  le  trouvoit  beau  et  à  son 
gré.  Ce  n'est  pas  une  chose  impossible  à  une  honneste  femme  d'aimer 
un  mary  goutteux  et  malade...  mais  cette  affectation  etoit  cause 
qu'elle  ne  trouvoit  point  de  créance  parmi  ses  auditeurs.  »  {Mémoires, 
m,  p.  70.) 

VI.  —P.  221,  lig.  16. 
Buchanan  avoit  bien  plus  de  raison  d'appeller  Timoléon  de  Cossé, 
le  sang  de  Cossus. 

Plusieurs  généalogistes  ont  fait  sérieusement  remonter  les  Cossé  à 
Cocceius  Nerva  ;  Brantôme  penchoit  pour  les  Cossa  de  Naples,  et  Bu- 


232  LES    HISTORIETTES. 

chanan,  comme  on  voit,  pour  le  consul  Cossus.  Il  paroît  qu'ils  sont 
de  vieille  souche  angevine,  et  qu'ils  sortent  de  la  paroisse  de  Cossé-le- 
Vivien,  dans  le  petit  pays  de  Craonois,  Ce  village  avoit  un  château 
de  toute  ancienneté. 

La  branche  directe  des'  ducs  de  Brissac  s'éteignit  en  1698  avec 
Henry  Albert  de  Cossé,  neveu  de  notre  duchesse  de  la  Meilleraye. 

Artus  Timoléon  de  Cossé,  cousin  de  Henry  Albert,  et  comme  celui-ci 
neveu  de  la  duchesse  de  la  Meilleraye,  hérita  de  la  duché-pairie  ;  son 
petit-flls,  Louis  Hercule  Timoléon,  duc  de  Brissac,  fut  massacré  à 
Versailles,  le  9  septembre  1792,  ne  laissant  qu'une  fille,  mère  de 
M.  le  duc  de  Ivlortcmart  d'aujourd'hui.  Elle  est  morte  en  1818. 

Le  titre  de  duc  passa  alors  à  Hyacinthe  Timoléon,  cousin-germain 
du  précédent  duc  de  Brissac,  mort  en  1813.  Ses  petits-fils  sont  : 
M.  le  duc  de  Brissac  d'aujourd'hui  (Marie  Artus  Timoléon  de  Cossé), 
né  en  1813,  et  Aimé  Maurice  Artus  Timoléon  de  Cossé,  marciuis  de 
Brissac.  Il  y  a  encore  deux  oncles  du  duc  de  Brissac,  le  comte  de 
Brissac  et  le  marquis  de  Cossé.  Tous  deux  ont  des  enfans. 

Et  enfin  M.  le  comte  de  Cossé-Brissac,  qui  forme  la  branche  non 
ducale,  et  qui  n'a  pas  d'enfans. 

VIL  —  P.  223,  note. 
Cerîsay  fit  une  chanson  —  la  voicy. 

Le  premier  couplet  a  été  imprimé  dans  un  Recueil  d'airs  et  vaude- 
villes de  Cour.  Paris,  Sercy,  1665,  p.  147. 

On  trouve  dans  les  manuscrits  de  Conrart,  conservés  dans  la  Bi- 
bliothèque de  l'Arsenal,  un  troisième  couplet  qui  semble  une  va- 
riante du  second  : 

Vaï  bonne  foy  vous  avez  bien  raison 
De  tant  vanter  votre  illustre  maison. 
De  cette  histoire  on  sçait  tout  le  détail, 

Et  comme  on  va 

De  Cocceius  Nerva 

Jusqu'à  Rocher-Portail. 

VIII.  —  P.  224,  fin  de  la  note. 

Tiens,  Brissac,  il  faut  que  tout  te  monde  vive. 

Cette  anecdote  a  été,  depuis,  mise  sur  le  compte  de  Henry  IV  ;  la 
scène  alors  se  seroit  passée  chez  Gabrielle  d'Estrées,  et  l'amant  caché 
auroit  été  le  duc  de  Bellegarde.  Jean  de  Cossé,  en  tout  cas,  n'avoit  pas 
besoin  de  la  duchesse  d'Estampes  pour  élever  son  nom  :  du  temps  du 
roi  René,  Jean  de  Cossé  etoit  sénéchal  de  Provence;  sou-^  Charles  VIII 


LE    MARESCHAL     DE     LA    MEILLER  AYE.     233 

et  Louis  XII,  René  de  Cossé  etoit  familier  de  ces  deux  rois,  avant 
d'être  gouverneur  des  enfans  de  François  I*'.  Personne  ne  croit  aux 
contes  de  ce  genre,  et  tout  le  monde  les  répète. 

IX.  — P.  224,  lig.  6. 
Chalusset...  ce  bon  gentilhomme^  avait  autrefois  enlevé  une  fille. 

Peut-être  y  a-t-il  ici  confusion  ;  des  Réaux  attribueroit  au  mari  ce 
que  le  mari  se  contenta  de  réparer;  ce  seroit  M"*  de  Chalusset  qui 
d'abord  auroit  été  enlevée  par  un  autre.  «  Urbaine  de  Maillé ,  »  dit 
du  moins  le  père  Anselme,  «  fut  enlevée  à  onze  ans  par  le  baron  de 
»  Tigny;  depuis  mise  auprès  de  la  Reine,  et  mariée  *  par  autorité  du  En  févTierjest. 
»  Roy  à  Jean  François  de  Ronnin,  marquis  de  Chalusset.  » 

L'académicien  Pierre  deRoissat,  qui  va  chansonner  M"^  de  Chalusset, 
est  auteur  d'un  volume  de  Poésies  et  d'une  Morale  chrétienne.  Son 
démêlé  avec  le  comte  de  Sault  fut  le  malheur  de  la  dernière  partie  de 
sa  vie  ;  l'Académie  françoise  j'  prit  une  grande  part,  comme  on  peut 
voir  dans  la.  Relation  de  l'Académie  de  Pelisson.  Boissat  mourut  en  1662, 

X,  —  P.    225 ,   lig.   9, 

C'est  un  petit  homme  mal  fait  et  jaloux. 

Surtout  il  avoit  le  nez  court  et  camus.  Bensserade  lui  faisoit  dire 
dans  le  Ballet  royal  de  la  Xuict,  dansé  en  1653  (la  Meilleraye  y  faisoit 
le  rôle  de  Medor,  amant  d'Angélique  )  : 

Ha  !  vous  me  flattez,  Arioste, 
Et  vous  faites,  à  vostre  poste, 
La  beauté  que  vous  me  donnez; 
Mais  auriez-vous  bien  le  courage 
D'oser  soustenir,  à  mon  nez. 
Que  je  sois  si  beau  de  visage? 

Pour  moy  cependant  on  soupire. 
Tandis  qu'en  l'amoureux  empire 
Languissent  tant  d'infortunez; 
Et  près  de  la  belle  que  j'aime. 
Mes  rivaux  ont  un  pié  de  nez, 
Mais  moy,  je  n'en  suis  pas  de  mesme. 

{OEuvres,  tom.  ii,  p.  37.) 

XI.  —  P.  229,  lig.  15. 

Sabattier...  fit  banqueroute. 

Cette  banqueroute  vint  apparemment  de  tous  les  embarras  dans 
lesquels  il  se  mit  en  1639  :  «  Sabattier,  qui  avoit  desjà  une  charge  de 


2â/i  LES    HISTORIETTES. 

trésorier  des  parties  casuelles,  a  traitté  encore  de  ccllo  de  leu  M.  Mar- 
tineau,  moyennant  000,000  liv.  et  200,000  fr.  de  taxe  que  le  deffunt 
n'avoit  pas  payées.  Il  veut  encore  traitter  de  celle  de  Garnier,  afin 
d'avoir  toutes  les  trois.  Outre  cela,  il  a  traitté  avec  Bezic  et  Guilloré 
des  consignations  du  Chastelet,  moyennant  11  ou  12,000  fr.  Cela 
seroit  incompréhensible  si  on  ne  tenoit  pour  asseuré  qu'il  ne  fait  que 
prester  son  nom.  »  (Lettre  au  Pr.  Barrillon,  du  20  avril  1639.) 

L'histoire  des  bottes  de  Sabattier  a  depuis  été ,  comme  on  sait, 
rajeunie  par  Voltaire,  mais  avec  bien  plus  d'invraisemblance,  puisque 
ce  seroit  la  grande  Mademoiselle  qui  auroit  tiré  les  bottes  de  Lauzun; 
des  deux  parts,  cela  est  insupportable  îi  admettre. 

Voici  le  couplet  du  chevalier  de  Rivière  fait  sur  le  bruit  du  ma- 
riage de  François  Sabattier  avec  M"'  de  Cossé  : 

Sabattier,  nous  dit-on,  se  vante 
D'avoir,  dessous  son  bonnet  vert. 
Bien  linenient  mis  A  couvert 
l'ius  (le  vingt  mille  eseus  de  rente 
Pour  la  maison  Sabateius, 
Mot  latin  comme  CocceittS. 

[Cfiaiisons  mmiuscrites.) 

C'est  elle,  Anne  Ursule  de  Cossé,  marquise  de  la  Porte-Vezins,  qui 
devint,  après  la  mort  de  son  premier  mari,  M"""  de  la  Chausseraye. 

La  Piaillière  qui  vouloit  mettre  à  mal  M"'  de  Biron,  est  nommé 
M.  de  la  Pihaliere  dans  une  lettre  d'Alexandre  Campion,  8  novembre 
16/|8  {Recueil  de  lettres  qui  peuvent  servir  à  l'histoire,  Rouen,  1G57),  et 
dans  les  Mémoires  plus  connus  de  Henry  Campion,  frère  d'Alexandre  ; 
il  etoit  capitaine  des  gardes  du  Maréchal  et  commandant  de  son  ré- 
giment d'infanterie.  {Mém.  de  Campion,  p.  254.) 

XIL  — Fin. 

De  son  premier  mariage  avec  Marie  d'Effîat,  le  maréchal  de  la  Meil- 
leraye  eut  un  fils,  Armand-Charles  de  la  Porte,  le  célèbre  et  fâcheux 
époux  de  la  belle  Hortense  Mancini.  Il  hérita  de  la  charge  de  grand- 
maître  de  l'Artillerie,  prit  le  nom  de  duc  de  Mazarin  en  épousant  la 
nièce  du  Cardinal,  et  mourut  le  9  novembre  1713.  Dans  son  petit-fils, 
Guy-Paul-Julcs  de  la  Porte,  duc  de  Mazarin,  s'éteignit  la  descendance 
masculine  de  cette  famille  dont  l'héritage  passa  en  grande  partie  à  la 
grande  maison  de  Duras,  par  le  mariage  de  Charlotte-Antonie  de  la 
Porte-Mazarin,  fille  unique  du  dernier  duc,  avec  Emmanuel-Félicité  de 
Durfort,  duc  de  Duras,  mort  en  1737. 


LXXXVIÏ. 

LOUIS  TREIZIESME. 

(.Ve  à  Fontainebleau,  27  septembre  1601;  mort  14  tnai  1643.) 

Louis  XIIP  fut  marié  encore  enfant  '.  Il  com- 
mença par  son  cocher  Saint-Amour  à  tesmoigner 
de  l'affection  à  quelqu'un.  En  suitte  il  eut  de  la 
bonne  volonté  pour  Haran ,  valet  de  chiens.  Le 
grand-prieur  de  Yendosm.e ,  le  commandeur  de 
Souvray  et  Montpouillan-la-Force ,  garçon  d'esprit 
et  de  cœur,  mais  laid  et  rousseau^,  furent  esloi- 
gnez  l'un  après  l'autre  parla  Reyne-mere*.  Enfin  ^oy-tom.^^p.  399, 
M.  de  Luynes  vint  ;  nous  en  avons  parlé  ailleurs  et 
de  d'Esplan  aussy.  Nogent  Bautru,  capitaine  de  la 
Porte,  n'a  jamais  esté  favory,  à  proprement  parler; 
mais  il  estoit  bien  dans  l'esprit  du  Roy  avant  que 
le  cardinal  de  Richelieu  fust  son  ministre  ^.  Nous 
parlerons  des  autres  à  mesure  qu'ils  viendront. 

Le   feu   Roy   ne  manquoit  pas  d'esprit;  mais, 
comme  j'ay  remarqué  ailleurs,  son  esprit  tournoit 

*  Il  voulut  envoyer  quelqu'un  qui  luy  pust  bien  rapporter  comment 
la  princesse  d'Espagne  estoit  faitte  ;  il  se  servit  pour  cela  du  père  de 
son  cocher,  comme  si  c'eust  esté  pour  aller  voir  des  chevaux. 

-  Il  mourut  depuis  aux  guerres  des  Huguenots. 

■-•  Il  y  a  beaucoup  gaigné. 


236  LES    HISTORIETTES. 

du  costé  de  la  mesdisancc  ;  il  avoit  de  la  difficulté 
à  parler',  et  estant  timide,  cela  faisoit  qu'il  agis- 
soit  encore  moins  par  luy-mesme.  Il  estoit  bien  fait, 
dansoit  assez  bien  un  ballet,  mais  il  ne  faisoit  ja- 
mais que  des  personnages  ridicules.  Il  estoit  bien  à 
cheval,  eust  enduré  la  fatigue  en  un  besoing,  et  met- 
toit  bien  une  armée  en  bataille. 

Le  cardinal  de  Richelieu,  qui  craignoit  qu'on  ne 
Tappellast  Louis  le  Bègue,  fut  ravy  de  ce  que  l'oc- 
casion s' estoit  présentée  de  le  surnommer  Louis  le 
Juste.  Cela  arriva  lorsque  M"""  de  Guemadeux, 
femme  du  gouverneur  de  Fougères,  se  jetta  à  ses 
pieds ,  pleura  et  lamenta  ,  et  qu'il  n'en  fut  point 
esmeû,  encore  qu'elle  fust  fort  belle-.  A  la  Rochelle, 
ce  nom  luy  fut  confirmé  à  cause  du  traittement 
qu'on  fist  aux  Rochellois.  En  riant ,  quelques-uns 
ont  adjousté  arquebusier^  et  disoient  :  Louis,  le 
juste  arquebusier  ^. 

Il  estoit  un  peu  cruel,  comme  sont  la  pluspart 
des  sournois  et  des  gens  qui  n'ont  guères  de  cœur, 

*  M.  d'Alambon  est  fort  beguc.  Le  Roy,  la  première  fois  qu'il  le  vit, 
luy  demanda  quelque  chose  en  bégayant.  Comme  vous  pouvez  penser, 
l'autre  luy  respondit  de  mesme.  Cela  surprit  le  Roy,  comme  si  cet 
homme  eust  voulu  se  mocquer  de  luy.  Voyez  quelle  apparence  il  y 
avoit  à  cela  !  et  si  on  n'eust  asseuré  le  Roy  que  ce  gentilhomme  estoit 
bègue,  il  l'eust  peut-estre  faict  maltraitter. 

2  Depuis,  le  Pont-de-Courlay  espousa  la  fille  de  cette  femme.  C'est 
la  merc  du  duc  de  Richelieu,  aujourd'huy  M"""  d'Aulroy.  Guemadeux 
eust  la  teste  coupée  ;  il  se  révolta  le  plus  sottement  du  monde. 

3  Un  jour,  mais  longtemps  après,  Nogent,  en  jouant  à  la  paume 
ou  au  gros  volant  avec  le  Roy,  luy  cria  :  «  A  vous,  Sire.  »  Le  Roy 
manqua  :  «  Ah  !  vrayment,  »  dit  Nogent,  «  voylà  un  beau  Louis  le 
Juste.  »  Il  ne  s'en  fascha  point. 


LOUIS    TREIZIESME.  237 

car  le  bon  sire  n'estoit  pas  vaillant,  quoyqu'il  vou- 
lust  passer  pour  tel.  Au  siège  de  Montauban,  il  vit 
sans  pitié  plusieurs  huguenots,  de  ceux  que  Beau- 
fort  avoit  voulu  jetter  dans  la  ville,  la  pluspart  avec 
de  grandes  blessures,  dans  les  fossez  du  chasteau 
où  il  estoit  logé  *;  (ces  fossez  estoient  secs  ;  on  les  ,/„SMàata'u^ban. 
mit  là  comme  en  un  lieu  seur) ,  et  ne  daigna  jamais 
leur  faire  donner  de  l'eau.  Les  mousches  man- 
geoient  ces  pauvres  gens. 

Il  s'est  diverty  long-temps  à  contrefaire  les  gri- 
maces des  mourans.  Le  comte  de  la  Rocheguyon*  ^^rrançois^de^siuy, 
estant  à  l'extrémité  \  le  Roy  luy  envoya  un  gen-  -«"^rsieV- 
tilhomme  pour  sçavoir  comment  il  se  portoit  : 
«  Dittes  au  Roy,  »  dit  le  Comte,  «  que  dans  peu  il 
»  en  aura  le  divertissement.  Vous  n'avez  guères  à 
»  attendre,  je  commenceray  bientost  mes  grimaces. 
»  Je  luy  ay  aydé  bien  des  fois  à  contrefaire  les  au- 
»  très,  j'auray  mon  tour  à  cette  heure.  »  Et  quand 
Monsieur  le  Grand  fut  condamné,  il  dit  :  «  Je  vou- 
»  drois  bien  voir  la  grimace  qu'il  fait  à  cette  heure 
»  sur  cet  eschafaud.  » 

Quelquefois  il  a  raisonné  passablement  dans  un 
conseil,  et  mesme  il  sembloit  qu'il  avoit  l'avantage 
sur  le  Cardinal.  Peut-estre  l'autre  avoit-il  l'adresse 
de  luy  donner  cette  petite  satisfaction.  La  fainéan- 
tise l'a  perdu.  Pisieux  gouverna  un  temps  *,  puis  la  ^^y-  tom.  i,p.*68, 
Vieuville,  surintendant  des  Finances,  fut  comme  une 
espèce  de  ministre,  avant  la  grande  puissance  du 

C'estoit  lin  homme  qui  disoit  les  choses  plaisamment. 


238  LES   HISTORIETTES. 

cardinal  de  Richelieu ,  et  pensa  faire  enrager  tout 
le  monde.  Il  vouloit  faire  danser  des  courantes  aux 
dames  qui  luy  alloient  parler.  Quand  on  luy  de- 
mandoit  de  l'argent ,  il  se  mettoit  à  faire  des  bras 
comme  s'il  eust  nagé,  et  disoit  :  «  Je  nage,  je  nage, 
»  il  n'y  a  plus  de  fonds.  »  Scapin  luy  alla  une  fois 
demander  je  ne  sçay  quoy  ;  voylà  la  Vieuville,  dez 
que  cet  homme  paroist,  qui  se  met  à  faire  le  zani. 
Scapin  le  regarde,  et  puis  luy  dit  :  «  Monsou ,  vous 
»  avez  fait  mon  mestier;  faittes  à  cette  heure  le 
»  vo§tre.  »  Le  Roy,  après  luy  avoir  fait  manger  du 
foin  confit,  pour  le  traitter  de  cheval,  le  lendemain 
luy  donne  la  surintendance  des  Finances.  Lequel,  à 
votre  avis,  méritoit  le  mieux  de  manger  de  l'herbe? 
Enfin,  M.  le  mareschal  d'Ornane  s' estant  mis  dans 
la  Bastille  volontairement,  pour  se  justifier  des  choses 
dont  il  disoit  qu'on  l'accusoit,  le  bruit  courut  que 
c'estoit  la  Vieuville  qui  en  estoit  cause.  Les  gens  de 
Monsieur  irritèrent  leur  maistre,  qui  gronda  tant 
En  1624.         qu'il  fist  donner  congé  à  la  Vieuville*  :  ce  fut  à  Saint- 
Germain  ;  et  ce  jour-là,  comme  il  partoit,  on  luy 
fit  faire  un   charivary  espouvantable  par  tous  les 
marmitons,  pour  luy  jouer,  disoit-on,  un  bransle  de 
sortie  \ 

*  Rebutté  des  desbausches  de  Moulinier  et  de  Justice ,  deux  de  ses 
Le  Roy.  musiciims  de  la  Chapelle,  qui  ne  le  servoient  pas  trop  bien,  il  *  leur  fit 

retrancher  la  moitié  de  leurs  appointemens.  Marais ,  le  bouflfon  du 
Roy,  leur  donna  une  invention  pour  les  faire  restablir.  Ils  allèrent 
avec  luy  au  petit  coucher  danser  une  mascarade  demy-habillez  ;  qui 
avoit  un  pourpoint  n'avoit  pas  de  haut-de-chausses.  «  Que  veut  dire 
»  cela?  »  dit  le  Roy.  —  «C'est,  Sire,  »  respondirent-ils,  «  que  gens  qui 


LOUIS    TREIZIESME.  239 

Au  voyage  de  Lyon,  en  une  petite  ville  nommée 
Tournus  ',  un  gardien  des  Cordeliers  voulut  faire 
accroire  à  la  Reyne-mere  que  le  Roy  en  passant  y 
avoit  fait  parler  une  muette  en  la  touchant  comme 
si  elle  eust  eu  les  escrouelles  ;  on  luy  monstra  la  fille. 
Ce  bon  Père  disoit  l'avoir  veû,  et  après  luy  toute 
la  ville  le  disoit  aussy  *.  Le  Père  Souffran  fit  faire    Mots  uf/és  ■.  La 

■'  Reyne      arrivée      k 

une  procession  et  chanter.  La  Reyne  prend  ce  bon  ^^'*"- 
religieux  et  ayant  joint  le  Roy,  elle  luy  dit  qu'il  de- 
voitbien  louer  Dieu  de  la  grâce  qu'il  luy  avoit  faitte 
d'opérer  par  luy  un  si  grand  miracle.  Le  Roy  dit 
qu'il  ne  sçavoit  ce  qu'on  vouloit  dire,  et  le  Corde- 
lier  disoit  :  «  Voyez  la  modestie  de  ce  bon  prince  !  » 
Enfin  le  Roy  déclara  que  c'estoit  une  fourberie  et 
vouloit  envoyer  des  gens  de  guerre  pour  punir  ces 
imposteurs  ". 

Dez  lors,  il  aimoit  desjà  M™<=  d'Hautefort*,  qui  de'îfJs'nfSat?^ 
n  estoit  encore  que  iille  de  la  Keyne.  Les  autres  luy  "^'• 


»  n'ont  que  la  moitié  de  leurs  appointemens  ne  s'habillent  aussy  qu'à 
))  moitié.  »  Le  Roy  en  rit  et  les  reprit  en  grâce. 

1  C'est  entre  Chalon  et  Mascon. 

2  Le  Roy  estant  au  siège  de  la  Roclielle  ,  un  de  ses  officiers  *,  nou-     Gens  de  sa  maison, 
vellement  marié,  escrivoit  à  sa  femme  qui  estoit  à  la  Reyne.  Un  com- 
mis de  la  Poste,  nommé  Colot,  porta  le  paquet  de  la  Reyne  ;  cette  lettre 

estoit  dedans.  La  Reyne  ouvroit  toutes  les  lettres  qui  s'adressoient  à 
ses  femmes  ;  elle  ouvre  donc  celle-là.  Cet  homme  raandoit  à  sa  femme 
qu'il  enrageoit  de  ne  la  pas  tenir,  et  que  ,  pour  luy  monstrer  en  quel 
estât  il  estoit  tousjours,  il  luy  en  envoyoit  la  figure.  La  Reyne  lisoit  à 
la  chandelle  ;  Colot  estoit  de  façon  qu'il  voyoit  à  travers  le  papier  un 
gros  cazzo  en  bon  arroy.  La  Reyne,  d'abord,  ayant  apperceû  quelques 
traits  de  crayon,  avoit  dit  :  «  Asseurement,  c'est  le  plan  de  la  ville... 
»  O  le  bon  mary  d'avoir  tout  ce  soing-là  pour  sa  femme  !  »  Depuis,  on 
appcila  cela  le  plan  de  la  ville. 


240  LES    HISTORIETTES. 

disoient  :  «  Ma  compagne ,  tu  ne  tiens  rien  ;  le  Roy 
»  est  sainct  \  » 

Ses  amours  estoient  d'estranges  amours;  il  n'avoit 


1  M"*  de  la  Flotte,  veuve  d'un  de  MM.  du  Bellay,  chargée  d'affaires 
et  d'enfans,  s'offrit,  quoyque  ce  fust  un  eniploy  au-dessous  d'elle,  d'es- 
tre  gouvernante  des  filles  de  la  Reyne-mere,  et  elle  l'obtint  par  impor- 
tunité.  Elle  donna  la  fille  de  sa  fille,  dez  l'âge  de  douze  ans,  à  la 
Reyne-mere  :  c'est  M""  d'Hautefort.  Elle  estoit  belle.  Le  Roy  en  devint 
amoureux  et  la  Reyne  jalouse,  ce  dont  le  Roy  ne  se  soucioit  pas  au- 
trement. Cette  fille,  songeant  à  se  marier,  ou  voulant  donner  quelque 
inquiétude  au  Roy,  souffrit  quelques  cajolleries.  Huit  jours  il  estoit  bien 
avec  elle  ;  huit  autres  jours  il  la  liaïssoit  quasy.  Quand  la  Reyne-mere 
Morte  le  ioavrili6B6.  fut  ari'estée  à  Compiegne,  on  fit  M"»*  de  la  Flotte  *  dame  d'atours  en  la 
place  de  M"'*  du  Fargis,  et  sa  petite-fille  fut  receue  en  survivance. 

En  je  ne  scay  quel  voyage,  le  Roy  alla  i\  un  bal  dans  une  petite  ville  ; 
unefllle,  nommée  Catin  Gau,  à  la  fin  du  bal,  monta  sur  un  siège  pour 
prendre,  non  un  bout  de  bougie,  mais  un  bout  de  chandelle  de  suif 
dans  un  chandellier  de  bois.  Le  Roy  dit  qu'elle  fit  cela  de  si  bonne 
grâce  qu'il  en  devint  amoureux.  En  partant,  il  luy  fit  donner  dix  mille 
escus  pour  sa  vertu. 

Le  Roy  s'esprit  après  de  la  Fayette.  La  Reyne  etHautefort  se  ligue-^ 
rent  contre  elle,  et  depuis  cela  lurent  bien  ensemble.  Le  Roy  retourne 
à  Hautefort ,  le  Cardinal  la  fait  chasser;  cela  ne  la  desunit  point 
d'avec  la  Reyne. 

Un  jour,  M"^  d'Hautefort  tenoit  un  billet.  Il  le  voulut  voir;  elle  ne 
voulut  pas.  Enfin,  il  fit  effort  pour  l'avoir;  elle,  qui  le  connoissoit  bien, 
se  le  mit  dans  le  sein  et  luy  dit  :  «  Si  vous  le  voulez,  vous  le  prendrez 
»  donc  là?  »  Sçavez-vous  bien  ce  qu'il  fit  ?  il  prit  les  pincettes  de  la  che- 
minée, de  peur  de  touscher  à  la  gorge  de  cette  belle  fille. 

Le  feu  Roy  commençoit  ;\  cajoller  une  fille  en  luy  disant  :  «  Point 
))  de  mauvaises  pensées,  »  Pour  une  femme  mariée,  il  n'avoit  garde. 
Une  fois  il  avoit  fait  un  air  qui  luy  plaisoit  fort,  il  envoya  quérir  Bois- 
robert  pour  luy  faire  faire  des  paroles.  Boisrobert  en  fit  sur  l'amour 
que  le  Roy  avoit  pour  Hautefort.  Le  Roy  luy  dit  :  «  Ils  vont  bien,  mais 
»  il  faudroit  ester  le  mot  de  désirs,  car  je  ne  désire  rien.  »  Le  Cardinal 
luy  dit  :  «  Le  Rois,  vous  estes  en  faveur,  le  Roy  vous  a  envoyé  que- 
»  rir.  »  Boisrobert  luy  conta  la  chose.  «  O  !  devinez  ce  qu'il  faut  faire  : 
»  ayons  la  liste  des  mousquetaires.  »  Il  y  avoit  des  noms  béarnois  du 
pays  de  Treville,  qui  estoient  des  noms  à  tuer  chien  ;  Boisrobert  en  fit 
une  chanson:  le  Roy  la  trouva  admirable. 


LOUIS     TREIZIESME.  241 

rien  d'un  amoureux  que  la  jalousie  '.  11  entretenoit 
■jyjme  d'Hautefort  de  chevaux,  de  chiens,  d'oiseaux 
et  d'autres  choses  semblables.  Mais  il  estoit  jaloux 
d'Esguilly-Vassé  ;  et  il  fallut  qu'on  luy  fist  accroire 
qu'il  estoit  parent  de  la  belle.  Le  Roy  le  voulut  sça- 
voir  de  d'Hozier  -  :  d'Hozier  avoit  le  mot  et  dit  tout 
ce  qu'on  voulut.  Ce  M.  d'Esguilly  estoit  un  fort  ga- 
lant homme  '^  ;  il  fit  long-temps  l'amour  à  la  Reyne 
avec  des  révérences,  et  c'est  assez  dire  à  une  Reyne  : 
le  Cardinal  l'esloigna,  parce  que  c' estoit  un  garçon 
qui  ne  craignoit  rien  ;  il  avoit  morgue  le  Grand- 
maistre  en  cajoUant  M"''  de  Chalais  sous  sa  mousta- 
che *.  C'estoit  un  homme  froid  :  il  avoit  une  galère,     v.  imstonette  ne 

^  Chalais  et  sa  femme. 

et  après  avoir  fait  des  merveilles  au  combat  cjui  se 
donna  auprès  de  Gènes ,  à  la  naissance  de  Mon- 
sieur le  Dauphin,  où  il  fit  des  protestations  contre 
le  Pont-de-Courlay  qui  ne  vouloit  pas  donner,  il 
receût  un  coup  de  mousquet  dans  le  visage  qui  le 
desfiguroit  tout.  Il  ne  voulut  plus  vivre,  et  ne  souf- 
frit pas  qu'on  le  pansast. 

La  Reyne ,  à  ce  que  dit  le  Journal  du  Cardi- 
nal, s' estoit  blessée*  pour  avoir  mis  une  emplastre.  '^'■*''' [i'j*^^^ *"^"^^^ 
Avant  que  d'estre  grosse  de  Louis  XIV,  le  Roy 
couchoit  fort  rarement  avec  elle.  On  appelloit  cela 
mettre  le  chevet,  car  la  Reyne  n'en  mettoit  point 
pour  l'ordinaire.  Il  dit,  quand  on  luy  vint  annon- 
cer que  la  Reyne  estoit  grosse  :  «  Il  faut  donc  que 

*  II  la  fit  dame  d'atours  en  survivance  -,  elle  eut  quelques  dons. 

2  Voyez  page  *.  C'est-à-dire  .-  Vov. 

3  On  l'appelloit  le  beau  d'Esguilly.  r Historiette (\ed'iio- 

Ji.  10 


"242  LES    HISTORIETTES. 

»  ce  soit  d'un  tel  temps.  »  Pour  une  pauvre  fois,  il 
prenoit  quelque  rafraischissement  et  on  le  saignoit 
souvent  :  cela  ne  servoit  pas  à  sa  santé.  J'oubliois 
que  son  premier  médecin ,  Herouard ,  a  fait  plu- 
^'•''{e'Roy  afau.''"'"  sicurs  volumes  *,  qui  commencent  depuis  l'heure  de 
sa  naissance  jusqu'au  siège  do  la  Rochelle,  où 
vous  ne  voyez  rien  sinon  i^  quelle  heure  il  se  res- 
veilla,  desjeusna,  cracha,  pissa,  chia,  etc.  ' 

Au  commencement,  le  Roy  estoit  assez  gay,  et 
se  divcrtissoit  assez  avec  M.  de  Bassompierre.  Il 
a  dit  quelquefois  de  plaisantes  choses.  Le  filz  de 
Sebastien  Zamet,  qui  mourut  mareschal  de  camp  à 
Montauban  (c'estoit  beaucoup  en  ce  temps-là) ,  avoit 
avec  luy  la  Vergne,  depuis  gouverneur  du  duc  de 
Brezé,  qui  estoit  curieux  d'architecture  et  y  enten- 
doit  un  peu.  Or  ce  Zamet  estoit  un  homme  fort 
grave,  et  qui  faisoit  des  révérences  bien  compas- 
sées. Le  Roy  disoit  qu'il  luy  sembloit,  quand  Za- 
met faisoit  ses  révérences,  que  la  Vergne  estoit 
derrière  pour  les  mesurer  avec  sa  toise.  Ce  fut 
luy  qui  fit  la  chanson  : 

Semez  graine  de  coquette , 
Et  vous  aurez  des  cocùs. 

11  aima  Barradas  violemment;  on  l'accusoit  de 
faire  cent  ordures  avec  luy;  il  estoit  bien  fait. 
Les  Italiens  disoient  :  La  biigera  ha  passato  i  monti, 

1  Marais  disoit  au  Roy  :  «  11  y  a  deux  choses  dans  vostre  mestier  dont 
11  je  ne  me  pourrois  accommoder.  —  Hé  !  quoy  1  —  De  manger  tout  seul 
11  ot  de  chier  en  compagnie.  » 


LOUIS     TREIZIESME.  2^5 

passera  ancora  il  concilio.  J'ay  ouy  dire  à  Barradas, 
qui  est  un  assez  pauvre  homme,  que  le  cardinal 
de  Richelieu  et  la  feu  Reyne-mere  avoient  bien 
brouillé  l'esprit  au  feu  Roy.  Ils  faisoient  venir  des 
gens  supposez,  qui  apportoient  des  lettres  contre  les 
plus  grands  de  la  Cour.  La  Reyne-mere  escrivoit 
au  Roy  :  «  Vostre  femme  fait  galanterie  avec  M.  de 
»  Montmorency,  avec  Bouquinquant,  avec  cetuy-cy, 
»  avec  cetuy-là.  »  Les  confesseurs,  gaignez,  ne  luy 
disoient  que  ce  qu'on  leur  faisoit  dire.  Ce  Barradas 
n'estoit  qu'un  brutal  ;  il  donna  bientost  prise  sur 
luy  '.  Le  voylà  relégué  chez  luy  ;  Saint-Simon  prend 
sa  place".  11  estoit  page  de  la  chambre  aussy  bien  que 
Barradas;  mais  c' estoit,  et  c'est  encore,  un  homme 


^  Le  Royne  vouloit  pas  qu'il  se  raariast,  et  luy,  amoureux  delà  belle 
Cressias,  fille  de  la  Reyne,  voulut  l'espouser  à  toute  force.  Le  Cardi- 
nal se  servit  de  l'indignation  du  Roy  pour  s'en  desfaire. 

—  A  la  poursuit';'  des  financiers*,  la  Reyne-mere  estoit  implacable 
pour  Beaumarchais,  à  cause  du  mareschal  de  Vitry,  son  gendre.  On 
s'avisa  pour  l'en  sauver  d'offrir  M"^  de  la  Vieuviile,  fille  de  l'autre  gen- 
dre *,  à  Barradas  avec  huit  cens  mille  livres.  Le  Roy  en  fut  fort  aise  : 
«  Mais,  »  dit-il,  «  il  faut  faire  le  compte  rond;  il  faut  un  million.  » 
Barradas  ledit  à  quelque  babillard;  le  cardinal  de  Richelieu,  qui  ne 
vouloit  point  que  la  Vieuviile  eust  de  l'appuy,  et  qui  vouloit  peut- 
estre  satisfaire  la  Reyne-mere,  dit  au  Roy  :  «  Sire,  voylà  qui  est  bien  ; 
»  mais  il  m'a  offert  (cela  estoit  faux)  un  million  de  sa  charge  de  tré- 
»  zorier  de  l'Espargne,  ((ui  en  vaut  encore  autant.  »  Gela  cabra  Vitry 
et  la  Vieuviile  ;  l'affaire  fut  rompue.  Outre  cela,  Beaumarchais  fut 
pendu  en  effigie  dans  la  cour  du  Palais  ;  il  laissa  encore  des  biens 
prodigieux.  Il  avoit  l'isle  de  l'Eguillon ,  près  de  la  Rochelle ,  et  six 
vaisseaux  qu'il  envoyoit  aux  Indes.  Il  faisoit  accroire  que  sa  richesse 
venoit  de  là. 

2  II  prit  amitié  pour  Saint-Simon ,  à  cause,  disoit-il,  que  ce  garçon 
luy  rapportoit  tousjours  des  nouvelles  certaines  de  la  chasse  ;  qu'il  ne 
tourmentoit  point  trop  ses  chevaux,  et  que,  quand  il  portoit  son  cor, 
il  ne  bavoit  point  dedans.  Voylà  d'où  vint  sa  fortune. 


C'est-à-dire .-  Durant 
la  poursuite. 


L'autre     f^eudre    de 
Beaumarchais. 


HhU  LES    HISTORIETTES. 

qui  n'a  rien  de  recommandable ,  et  qui  est  mal  t'ait. 
Cetuy-cy  dura  plus  longtemps  que  l'autre,  et  alla  à 
deux  ou  trois  ans  près  de  Monsieur  le  Grand  ;  il  y  a 
fait  fortune,  et  est  duc  et  pair,  receû  au  Parlement. 
Le  Cardinal  se  servit  encore  de  quelque  desgoust 
^si&  ^'""**  du  Roy  *,  car  il  ne  vouloit  pas  que  ces  petits  favorys 
s'ancrassent  trop. 

Depuis,  M.  de  Chavigny,  que  Barradas  n'avoit 
point  salué  en  je  ne  scay  quel  lieu,  à  cause  que 
l'autre  luy  avoit  fait  une  incivilité  en  une  rencontre , 
entreprend  de  le  faire  reléguer.  On  luy  envoyé  un 
ordre  d'aller  en  une  province  esloignée.  Le  Roy 
dit:  «  Je  le  connois,  il  n'cbéyrapas.  »  L'exempt  qui 
fut  chez  Barradas,  voyant  qu'il  vouloit  aller  faire  sa 
response  luy-mesme  au  Roy,  aima  mieux  la  recevoir 
par  escript,  et  le  Cardinal  dit  que  l'exempt  avoit  fait 
sagement;  mais  il  gronda  M.  de  Chavigny  et  luy 
dit:  «  Vous  l'avez  voulu,  M.  de  Chavigny,  vous  l'a- 
»  v£z  voulu,  achevez  donc.  »  Cela  n'eut  pas  de  suitte, 
et  durant  le  siège  de  Corbie ,  oia  Barradas  eut  per- 
mission de  voir  le  Roy,  il  proposa  à  Monsieur  le 
Comte  d'arrester  le  Cardinal.  Il  demandoit  pour 
cela  cinq  cens  chevaux-,  et,  suivy  de  ses  amys  et 
de  ses  parens,  avec  un  Cordon  bleu  et  un  baston 
de  Capitaine  des  gardes,  il  faisoit  estât  d'attendre 
le  Cardinal  à  un  défilé  ;  qu'il  y  avoit  apparence 
que  le  Cardinal,  surpris  de  voir  un  homme  que  le 
Roy  aimoit  encore,  et  n'ayant  pas  le  don  de  ne 
se  pas  estonner,  perdroit  la  tramontane,  et  qu'on  le 
meneroit  où  on  voudroit;  que,  pour  le  Roy,  il  estoit 


LOUIS     TREIZIESME.  ^2ll6 

en  colère  de  l'insulte  des  Espagnols  et  du  manque 
de  toutes  choses,  et  on  estoit  asseuré  qu'il  haïssoit 
desjà  le  Cardinal  :  «  J'en  parleray  à  Monsieur,  »  dit 
Monsieur  le  Comte.  —  «  Monsieur  !  »  dit  Barradas , 
«je  ne  veux  point  avoir  affaire  à  Monsieur.  »  Cela  se 
sceût.  Barradas  eut  ordre  de  se  retirer  à  Avignon, 
et  y'  obéyt. 

Le  seing  qu'on  avoit  eu  d'amuser  le  Roy  à  la 
chasse  servit  fort  à  le  rendre  sauvage  \  Mais  cela 
ne  l'occupa  pas  si  fort  qu'il  n'eust  tout  le  loisir  de 
s'ennuyer.  On  ne  sçauroit  quasy  conter  tous  les 
beaux  mestiers  qu'il  apprit ,  outre  tous  ceux  qui 
concernent  la  chasse  ;  car  il  sçavoit  faire  des  ca- 
nons de  cuir,  des  lacets,  des  filets,  des  arquebuzes , 
de  la  monnoye  ;  et  M.  d'Angoulesme  luy  disoit  plai- 
samment :  «  Sire,  vous  portez  vostre  abolition  avec 
)>  vous.  »  11  estoit  bon  confiturier,  bon  jardinier.  Il  fit 
venir  des  pois  verts,  qu'il  envoya  vendre  au  marché. 
On  dit  que  Montauron  les  achepta  bien  cher,  car 
c'estoient  les  premiers  venus.  Montauron  achepta 
aussy,  pour  faire  sa  cour,  tout  le  vin  de  Ruel  du 
cardinal  de  Richelieu,  qui  estoit  ravy  de  dire  :  «  J'ay 
»  vendu  mon  vin  cent  livres  le  muid.  » 

Le  Roy  se  mit  à  apprendre  à  larder.  On  voyoit 

'  Une  fois  ,  qu'il  *  dansoit  je  ne  sçay  quel  ballet  de  la  Chasse  aux 
Merles,  qu'il  aimoit  tendrement ,  et  qu'il  avoit  nommé  la  Merlaison , 
un  M.  de  Bourdonné ,  qui  connoissoit  M.  Godeau ,  depuis  evesque  de 
Grasse,  à  cause  qu'il  est  voisin  de  Dreux  d'où  est  ce  prélat,  luy 
escrivit  :  «  Monsieur,  sçachant  que  vous  faittes  gentiment  en  vers,  je 
»  vous  prie  de  faire  les  vers  du  ballet  du  Roy  dont  j'ay  l'honneur 
»  d'estre,  et  d'y  mettre  souvent  le  mot  Merlaison,  parce  que  Sa  Ma- 
»  josté  l'aime.  »  M.  Godeau  est  encore  à  faire  ci'*  vers. 


246  LES    HISTORIETTES. 

venir  l'escuyer  George  avec  de  belles  lardoires  et 
de  grandes  longes  de  veau.  Et  une  fois,  je  ne  sçay 
qui  vint  dire  que  Sa  Majesté  lardoit.  Voyez  comme 
cela  s'accorde  bien  :  Majesté  et  larder! 

.T'ay  peur  d'oublier  quelqu'un  de  ses  mestiers.  11 
rasoit  bien  ;  et  un  jour  il  coupa  la  barbe  à  tous  ses 
officiers,  et  ne  leur  laissa  qu'un  petit  toupet  au  men- 
ton '.  On  en  fit  une  chanson: 

Hélas  !  ma  pauvre  barbe , 
Ou'est-ce  qui  t'a  faitte  ainsy  ? 
C'est  le  grand  roy  Louis , 
Treizicsme  de  ce  nom  , 
Qui  a  toute  esbarbé  sa  maison. 

—  Çà,  monsieur  de  la  Force. 
Que  je  vous  la  fasse  aussy. 

—  Hélas  î  Sire,  nenny  ! 
Ne  me  la  faittes  pas , 

Plus  ne  me  connoislroient  vos  soldais. 

Laissons  la  barbe  en  pointe 
Au  cousin  de  Hichelieu , 
Car,  par  la  vertndieu  ! 
Qui  seroit  assez  ozé 
Pour  prétendre  la  luy  raser  ? 

11  composoit  en  musique ,  et  ne  s'y  connoissoit 
pas  mal  ".  11  peignoit  un  peu.  Enfin,  comme  dit  son 
epitaphe  : 

Il  eut  cent  vertus  de  valet , 
Et  pas  une  vertu  de  maistre. 

'  Depuis  ceux  qui  ne  sont  pas  trop  agcz  l'ostent,  et  on  n';i  que  les 
moustaches. 

2  II  mit  un  air  au  rondeau  sur  la  mort  du  Cardinal  : 
Il  flst  passe,  il  a  plié  bagage,  efr. 
Miioi),  maistre  des  Compte^,  l'avoitfait. 


LOUIS     ÏKlilZlESME.  247 

Son  dernier  mestier  fut  de  faire  des  châssis  avec 
M.  de  Noyers.  On  luy  a  trouvé  pourtant  une  vertu 
de  roy,  si  la  dissinuilation  en  est  une.  La  veille 
qu'on  arresta  MM.  de  Vendosme'',  il  leur  fit  mille  ABiois.iesiuimeïe. 
caresses;  et  le  lendemani,  comme  il  disoit  à  M.  de 
Liancourt  :  «  Eussiez-vous  jamais  crû  cela  ?  —  Non , 
»  Sire,  »  dit  M.  de  Liancourt,  «  car  vous  aviez  trop 
»  bien  joué  vostre  personnage.  »  11  tesmoigna  que 
cette  response  ne  luy  avoit  pas  esté  trop  agréable  ; 
cependant  il  sembloit  qu'il  voulust  qu'on  le  louast 
d'avoir  si  bien  dissimulé  '. 

Le  Roy  ne  vouloit  pas  que  ses  premiers  valets  de 
chambre  fussent  gentilshommes  ;  car  il  disoit  qu'il 
vouloit  pouvoir  les  battre ,  et  il  ne  croyoit  pas  pou- 
voir battre  un  gentilhomme  sans  se  faire  tort.  A 
ce  compte,  il  ne  prenoit  pas  Beringhen  pour  un 
gentilhomme. 

J'ay  desjà  dit  qu'il  est  (-oit)  naturellement  mesdi- 
sant.  11  disoit  :  «  Je  pense  que  tels  et  tels  soni  bien 
»  aises  de  mon  edict  des  duels.  »  Il  se  railloit  de  ceux 
qui  ne  se  battoientpas,  au  mesme  temps  cju'il  faisoit 
une  desclaration  contre  ceux  qui  se  battoient.  Il 
avoit  cjuelque  chose  de  hobreau  *",   car  il  croyoit     o«  :  hobereau. 

1  n  fit  une  fois  une  chose  que  son  frère  n'eust  pas  faitte  *.  Plessis-Be-    voy.  VHistoriette  de 
.  ,  ,  Gaston, 

sançon  luy  alloit rendre  de  certauis  comptes;  et  comme c  est  un  homme 

assez  appliqué  à  ce  qu'il  Tait,  il  estale  ses  registres  sur  la  table  du  ca- 
binet du  Roy,  après  avoir  mis,  sans  y  penser,  son  chapeau  sur  sa  teste. 
Le  Roy  ne  luy  dit  rien.  Quand  il  eut  fait,  il  cherche  son  chapeau  par- 
tout ;  le  Roy  luy  dit  :  «  Il  y  a  long-temps  qu'il  est  sur  vostre  teste.  ->  — 
M.  d'Orléans  envoya  offrir  un  carreau  à  un  homme,  qui,  sans  y  pen- 
ser, s'estoit  assis  dans  une  salle,  comme  Son  Altesse  Royale  s'y  pro- 
menoit. 


'2/|<S  LES    IIISTOIIIKTTES, 

(ju'il  y  alloit  de  son  honneur  qu'un  sergent  enlrasl 
chez  kiy,  et  il  en  vouloit  faire  battre  un  qui  estoit 
venu  faire  sa  charge  dans  la  cour  de  Fontaine- 
bleau ,  pour  debte ,  sans  capture.  Mais  quelque 
conseiller  d' Estât  \  qui  se  trouva  \h,  luy  dit  :  «  Sire, 
»  il  faudroit  sçavoir  au  nom  et  en  l'autorité  de  (jui  il 
»  fait  cela.  »  On  apporte  les  pièces  :  «  Eh  !  Sire,  » 
luy  dit-on,  «  c'est  de  par  le  Roy,  et  ces  gens-là  sont 
»  des  ministres  de  vostre  justice.  »  Philippe  II,  roy 
d'Espagne,  ordonna  que  les  sergens  entreroient 
dans  toutes  les  maisons  des  Grands,  et  depuis  cela 
on  leur  porte  respect  partout. 

On  l'a  reconnu  avare  en  toute  chose.  Mezeray 
luy  présenta  un  volume  de  son  Histoire  de  France. 
Le  Roy  trouva  le  visage  de  l'abbé  Suger  à  sa  fan- 
taisie ;  il  en  fit  le  crayon  sans  rien  dire,  bien  loing 
de  rien  donner  à  l'autheur-. 

Depuis  la  mort  du  Cardinal,  M.  de  Schomberg 
luy  dit  que  Corneille  vouloit  luy  dédier  la  tragédie 
"f.^npSfen"6w."'  dc  Polyeucte*,  Cela  luy  fit  peur,  parce  que  Montau- 
ron  avoit  donné  deux  cens  pistoUes  à  Corneille  pour 
Cinna.  «  Il  n'est  pas  nécessaire ,  »  dit-il.  —  «  Ah  ! 
»  Sire,  »  reprit  M.  de  Schomberg,  «  ce  n'est  point 
»  par  interest.  — Bien  donc,  »  dit-il,  «  il  me  fera  plai- 
»  sii'o  »  Ce  fut  à  la  Reyne  qu'on  la  dédia,  car  le  Roy 
mourut  entre  deux. 

Hhtorictte  '  Ce  fut  le  fou  président  le  Bailleul  *,  qui  dit  :  «  Il  faut  voir.  — C'est 

»  de  par  le  Uoy  ?    dit-il  ;  d'abord,  si  c'est   de  la    jiart  du  roy  d'Es- 
»  pagne,  il  faut  chastier  cet  insolent.  » 

~  11  raya  après  la  mort  du  Cardinal  toutes  les  pensions  de  gens  de 
lettres,  en  disant  :  «  INous  n'avons  plus  atTairr  de  >'ela.  >• 


LOUIS     TREIZIESME.  249 

Une  fois ,  à  Saint-Germain  ,  il  voulut  voir  Testât 
de  sa  maison  pour  la  bouche.  Il  retrancha  un  po- 
tage au  laict  à  la  générale  Coquet,  qui  en  man- 
geoit  un  tous  les  matins.  II  est  vray  qu'elle  estoit 
assez  truye  sans  cela  '.  En  revanche,  il  parut  bien 
libéral  quand ,  en  lisant  :  Un  pot  de  gelée  pour  un 
tel,  qui  estoit  malade,  il  dit  :  «  Jevoudrois  qu'il  m'en 
»  eust  cousté  six,  et  qu'il  ne  fust  pas  mort  -.  »  Il  re- 
trancha trois  paires  de  mules  de  sa  garde-robe  ;  et 
M.  le  marquis  de  Rambouillet,  qui  en  estoit  grand- 
maistre,  luy  ayant  demandé  ce  qu'il  vouloit  qu'on  fist 
de  vingt  pistoUes  qui  estoient  restées  de  ce  qu'on  avoit 
donné  pour  achepter  des  chevaux  pour  le  charriot  du 
lict,  il  luy  dit  :  «  Donnez-les  à  un  tel  mousquetaire,  à 
»  qui  je  les  dois.  Il  faut  commencer  par  payer  ses 
»  debtes.  »  Il  rabattit  aux  fauconniers  du  Cabinet  les 
bouts  quarrez  qu'ils  acheptoient  pour  peu  de  chose  des 
escuyers  de  cuisine,  et  les  leur  fit  donner  pour  leurs 
oiseaux,  sans  rescompenser*  les  escuyers  de  cuisine.   cest-à^re^Dédom- 

11  n' estoit  pas  humain.  En  Picardie,  il  vit  des 
avoines  toutes  fauchées,  quoyqu' elles  fussent  encore 
toutes  vertes,  et  plusieurs  paysans  assemblez  autour 
de  ce  degast,  mais  qui,  au  lieu  de  se  plaindre  de  ses 
Chevaux-legers  qui  venoient  de  faire  ce  bel  exploit, 
se  prosternoient  devant  luy  et   le  benissoient.  «  Je 

^  Il  trouva,  sur  le  compte,  des  biscuits  que  l'on  avoit  donnez  à  M.  de 
la  Vrilliere.  Dans  ce  raesrae  moment  M.  de  la  Vrilliere  entra.  Il  luy  dit 
brusquement  :  «  A  ce  que  je  voy,  la  Vrilliere ,  vous  aimez  fort  les  bis- 
»  cuits.  » 

2  Un  jour  que  Nogent  entra  dans  sa  chambre,  il  luy  dit  :  «  Ah  i  que 
»  je  suis  aise  de  vous  voir  ;  jf  rrnyois  que  vous  fussiez  exilé.  » 


"2^)0  LES    HlSTOlUKlTJiS. 

»  suis  bien  fasché,  »  leur  dit-il,  «  du  dommage  qu'on 
»  vous  a  fait  là. — Cela  n'est  rien,  Sire,  »  luy  dirent-ils, 
«  tout  est  à  vous  ;  pourveû  que  vous  vous  portiez 
»  bien,  c  est  assez.  — Voylà  un  bon  peuple!  »  dit-il  ù 
ceux  qui  l'accompagnoient.  Mais  il  ne  leur  fit  rien 
donner,  ny  ne  songea  à  les  faire  soulager  des  tailles. 
Je  pense  qu'une  des  plus  grandes  humanitez 
qu'il  ayt  eues  en  sa  vie,  ce  fut  en  Lorraine.  Le 
paysan  chez  qui  il  disnoit,  dans  un  village  où  ils 
estoient  bien  à  leur  aise  avant  cette  dernière  guerre, 
fut  tellement  charmé  d'un  potage  de  perdrix  aux 
choux,  qu'il  le  suivit  jusque  sur  la  table  du  Roy.  Le 
Roy  dit:  «  Voylà  un  beau  potage! — C'est  bien  l'avis 
»  de  vostre  hoste.  Sire,  «dit  le  Maistre-d'hostel,  «il 
»  n'a  pas  osté  les  yeux  de  dessus.  — Vrayment,  »  dit 
le  Roy,  «  je  veux  qu'il  le  mange.  »  Il  le  fit  recouvrir, 
et  ordonna  qu'on  le  luy  servist. 

Le  Cardinal  ayant  chassé  Hautefort,  et  la  Fayette 
s' estant  faitte  religieuse,  le  Roy  dit  qu'il  vouloit  aller 
au  bois  de  Vincennes,  et,  en  passant,  fut  cinq  heures 
Le  2  juillet  1637.  aux  Filles  de  Sainte-Marie,  où  estoit  la  Fayette*.  En 
soi'tant,  Nogent  luy  dit  :  «  Sire,  vous  venez  de  voir 
»  la  pauvre  prisonnière  !  —  Je  suis  plus  prisonnier 
»  qu'elle,  »  respondit  le  Roy.  Le  Cardinal  eut  du 
soupçon  de  cette  longue  conversation,  et  y  envoya 
M.  de  Noyers,  à  qui  M.  de  Tresmes  n'osa  refuser  la 
porte  ;  cela  rompit  les  chiens  '. 

'  Il  y  il  ou  un  Boisauifil,  inemicr  valet  du Gaide-robc,  <|ul  ustoit  bien 
auprès  du  H'vv.  Il  fut  chasst''  avpc  la  Fayiîtte. 


LOLIS    TREIZIESME.  251 

L'Eminentissime,  voyant  bien  qu'il  falloit  quelque 
amusement  au  Roy,  jetta  les  yeux,  comme  j'ay  desjà 
dit  *,  sur  Cinq-lMars,  qui  desjà  estoit  assez  agréable  "nTdeRichinZ^'' 
au  Roy.  11  avoit  ce  dessein  de  longue  main ,  car 
le  marquis  de  la  Force  fut  trois  ans  sans  se  pou- 
voir desfaire  de  sa  charge  de  grand-maistre  de  la 
Garde-robe  *.  Le  Cardinal  ne  vouloit  pas  qu'autre 
que  Cinq-Mars  l'eust.  En  effect,  M.  d'Aumont,  frère 
aisné  de  Villequier  aujourd'huy  mareschal  d'Au- 
mont, ne  put  y  estre  receû,  quoyqu'il  eust  de  bonnes 
paroles  du  Roy. 

Au  commencement.  M.  de  Cinq-Mars  faisoit  faire 
desbauche  au  Roy  ;  on  dansoit,  on  beuvoit  des  sau- 
tez. Mais  comme  c'estoit  un  jeune  homme  fougueux 
et  qui  aimoit  ses  plaisirs,  il  s'ennuya  bientost  d'une 
vie  ciu'il  n'avoit  prise  qu'à  contre-cœur.  D'ailleurs  la 
Chesnaye,  premier  valet  de  chambre,  qui  estoit  son 
espion*,  le  mit  mal  avec  le  Cardinal  :  car  il  luv  disoit  cest-à-^ire .-  chargé 

t  '  -J  de  l'espionner. 

cent  bagatelles  du  Roy,  que  l'autre*  ne  luy  disoit  cinq-Mars, 
point  et  que  le  Cardinal  vouloit  qu'on  luy  dist. 
Cinq-Mars,  devenu  grand-escuyer  -  et  comte  de  Dam- 
pmartin,  fit  chasser  la  Chesnaye;  mais  aussy  la 
guerre  fut  déclarée  par  ce  moyen  entre  le  Cardinal 
et  luy. 

Nous  avons  dit  comme  le  Roy  l'aimoit  esperdu- 
ment.   Fonterailles  dit  qu'estant  entré  une  fois  à 

1  Je  pense  qu'on  luy  avoit  donné  celle-cy  au  lieu  de  celle  de  capi- 
taine des  Gardes-du-corps. 

2  On  avoit  obligé  M.  de  Bellegarde  à  prendre  quelque  petite  récom- 
pense de  cette  charge,  et  pour  cela  il  eut  permission  de  revenir  à  la 
Cour. 


252  LES    niSTORTETïES. 

Saint-Germain  fort  brusquement  dans  la  chambre 
de  Monsieur  le  Grand,  il  le  surprit  comme  il  se  fai- 
soit  frotter  depuis  les  piez  jusqu'à  la  teste  d'huile  de 
A  Fonteraiiies.  jasmin,  et  se  mettant  au  lict  il  luy  dit*  d'une  voix  peu 
asseurée  :  «  Cela  est  plus  propre.  »  Un  moment  après 
on  heurte,  c'est  le  Roy.  il  y  a  apparence,  comme 
LSX"!'Thap"ne.  dit  le  filz  de  feu  l'Huillier*,  à  qui  on  contoit  cela, 
qu'il  s'huisloit  pour  le  combat. 

On  m'a  dit  aussy  qu'en  je  ne  sçay  quel  voyage, 
le  Roy  se  mit  au  lict  dez  sept  heures.  Il  estoit  fort 
négligé  ;  à  peine  avoit-il  une  coiffe  à  son  bonnet. 
Deux  grands  chiens  sautent  aussytost  sur  le  lict, 
le  gastent  tout,  et  se  mettent  à  baiser  Sa  Majesté. 
11  envoya  deshabiller  Monsieur  le  Grand,  qui  revint 
paré  comme  une  espousée  :  «  Couche-toy,  couche- 
toy,  ))  luy  dit-il  d'impatience.  Il  se  contenta  de  chas- 
ser les  chiens  sans  faire  refaire  le  lict,  et  ce  mignon 
n'cstoit  pas  encore  dedans,  cju'il  luy  baisoit  desjà  les 
mains.  Dans  cette  grande  ardeur,  comme  il  ne  trou- 
voit  pas  que  Monsieur  le  Grand  correspondist  trop , 
car  il  avoit  le  cœur  ailleurs,  il  luy  disoit  :  «  Mais, 
»  mon  cher  amy,  qu'as-tu  ?  que  veux-tu  ?  tu  es  tout 
»  triste.  De  Niere',  demande-luy  ce  qui  le  fasche  ; 
»  dis-moy ,  as-tu  jamais  veû  une  telle  faveur  ?  » 
H  le  faisoit  espier  pour  sçavoir  s'il  alloit  en  ca- 
chette cjuelque  part.  Monsieur  le  Grand  avoit  esté 
amoureux  de  Marion-  plus  qu'il  ne  l'estoit  alors. 


1  Premier  valet,  de  chambre. 

2  Marion  do  Loroïc 


LOUIS    TREIZIESME.  253 

Une  fois,  comme  il  alloit  la  trouver  en  Brie*,  il  fut  tem"deTye"te.Te 
pris  pour  un  voleur  par  des  gens  qui  effectivement  ^^p^rede  Manon, 
couroient  après  des  voleurs.  Ils  l'attachèrent  à  un 
arbre ,  et  sans  quelqu'un  qui  le  reconnut ,  ils 
l'eussent  mené  en  prison.  M'""  d'Effiat  eut  peur  qu'il 
n'espousast  cette  fille,  et  eut  des  défenses  du  Parle- 
ment. Il  a  fait  enrager  sa  mère  quelque  temps,  car 
elle  est  avare,  et  luy,  par  despit,  changeoit  d'habits 
quatre  fois  le  jour,  et  l'alloit  voir  autant  de  fois. 
Elle  estoit  pourtant  revenue  de  cette  adversion  de- 
puis qu'il  estoit  en  faveur.  Elle  pouvoit  bien  l'aimer, 
car  il  n'y  avoit  que  luy  qui  valust  quelque  chose  ; 
il  avoit  du  cœur  :  il  s' estoit  battu,  et  fort  bien, 
contre  du  Dognon,  aujourd'huy  le  mareschal  Fou- 
cault*. Il  avoit  de  l'esprit,  et  estoit  fort  bien  fait  comTi' /eTogùon. 
de  sa  personne.  Son  aisné  est  mort  fou  ;  il  faisoit  des 
semelles  de  souliers  des  plus  belles  tapisseries  de 
Chilly  :  et  l'Abbé  est  fort  peu  de  chose'. 

La  plus  grande  amour  de  Monsieur  le  Grand  en  ce 
temps-là,  c' estoit  Chemerault,  aujourd'huy  madame 
de  la  Baziniere.  Elle  estoit  alors  en  religion  à  Paris". 
Un  soir  à  Saint -Germain  il  rencontra  Ruvigny, 
et  luy  dit  :  «  Suivez-moy,  il  faut  que  je  sorte  pour 
»  aller  parler  à  Chemerault.  Il  y  a  un  endroit  des 
»  fossez  par  où  je  prêtons  passer  :  on  m'y  attend 
»  avec  deux  chevaux.  »  Us  sortent  ;  mais  le  palefre- 
nier s' estoit  endormy  à  terre,  et  on  luy  avoit  pris 

1  Quoyqu'il  ayt  assez  d'esprit. 

2  Elle  avoit  esté  chassée  à  cause  de  luy,  et  cufin  on  l'envoya  en 

„   .        *  roij-  VHistor.  de 

Poitou*.  MlledeBussy. 


25/i  LES  HISTORIETTES. 

ses  deux  chevaux.  Voylà  Monsieur  le  Grand  au  des- 
espoir. Ils  vont  dans  le  bourg  pour  tascher  à  avoir 
d'autres  chevaux,  et  ils  aperçoivent  un  homme  qui 
'"'•'^scéSTTis*'" ''^  ^^^  suivoit  de  loing.  G'estoit*  un  chevau-léger  de  la 
Garde,  le  plus  grand  espion  qu'eust  le  Roy  pour 
Monsieur  le  Grand.  Monsieur  le  Grand  l'ayant  re- 
connu, l'appelle  et  luy  parle.  Cet  homme  leur  vou- 
loit  faire  accroire  qu'ils  s'alloient  battre;  il  luy  pro- 
testa que  non  :  enfin  cet  homme  se  retira.  Ruvigny 
conseilla  h  Monsieur  le  Grand  de  s'en  retourner,  de 
peur  d'irriter  le  Roy,  de  se  recoucher  et,  à  deux 
heures  de  \h,  envoyer  prier  quelques  officiers  de  la 
Garde-robe  de  le  venir  entretenir,  parce  qu'il  ne 
pouvoit  dormir  ;  qu'ainsy  il  osteroit  pour  un  temps 
la  créance  h  ses  espions,  car  on  ne  manquercit  pas 
le  lendemain  de  dire  au  Roy  qu'il  estoit  sorty. 
Monsieur  le  Grand  crut  ce  conseil.  Le  lendemain, 
le  Roy  luy  dit:  «  Ah!  vous  avez  esté  à  Paris?  » 
Luy  produit  ses  tesmoins.  L'espion  fut  confondu, 
et  il  eut  le  loisir  de  faire  trois  voyages  nocturnes  à 
Paris. 

Pour  dire  le  vray,  la  vie  que  le  Roy  luy  faisoit 
faire  estoit  une  triste  vie.  Le  Roy  vraisemblablement 
fuyoit  le  monde  et  surtout  Paris,  parce  qu'il  avoit 
honte  de  la  calamité  du  peuple.  On  ne  crioit  pres- 
que point  vive  le  Roy,  quand  il  passoit;  mais  il  n'es- 
toit  pas  capable  de  mettre  ordre  à  rien.  Il  ne  s' es- 
toit réservé  que  le  soing  de  pourvoir  aux  compagnies 
du  régiment  des  Gardes  et  des  vieux  corps,  et 
estoit  jaloux  de  cela  plus  que  de  toute  autre  chose. 


LOUIS    l'ULlZlESME.  255 

On  a  remarqué  que  le  Roy  aimoit  tout  ce  que 
Monsieur  le  Grand  haïssoit  et  que  Monsieur  le  Grand 
haïssoit  tout  ce  que  le  Roy  aimoit.  Us  ne  s'accor- 
dèrent qu'en  une  chose,  c'est  à  haïr  le  Cardinal. 
J'ay  desjà  dit  ailleurs  toute  cette  histoire  '.  Monsieur 

^  Voicy  ce  que  j'ay  appris  depuis  de  M.  Esprit,  l'académicien,  qui 
estoit  alors  domestique*  de  Monsieur  le  Chancellicr.  M.  de  Thou  dit  à  Commensal. 
Fonterailles  :  «  Vous  avez  esté  en  Espagne  ;  moy,  ne  me  faittes  point 
»  le  fin  :  Monsieur  le  Grand  m'a  tout  dit.  »  M.  le  Cardinal,  retiré 
à  Narbonne,  sur  ce  que  le  Roy  luy  donnoit  de  grandes  défiances,  fit 
tout  ce  qu'il  put ,  mais  en  vain ,  pour  obliger  le  Roy  à  y  venir.  H  ne. 
sçavoit  où  il  en  estoit,  et  se  retiroit,  escorté  du  Grand-maistre,  taschant 
de  gaigner  l'estang  d'Aigues-Mortes  ,  quand  M.  de  Chavigny  le  vint 
trouver  et  luy  dit  (lu'il  avoit  descouvert  l'intrigue.  Après,  il  luy  mons- 
tra  le  traitté  d'Espagne,  qui  n'estoit  à  la  vérité  qu'une  copie  pleine  de 
fautes.  Avec  cela,  il  retourna  à  la  Cour.  Là,  en  causant  avec  le  Roy  et 
Monsieur  le  Grand,  il  tira  le  Roy  par  la  basque,  ce  qu'il  avoit  accous- 
tumé  de  faire  quand  il  avoit  quelque  chose  à  dire  en  particulier  au 
Roy.  Le  Roy  passe  aussy-tost  dans  une  autre  chambre.  Monsieur  le 
Grand  vouloit  suivre  ;  Chavigny  luy  dit,  d'un  ton  d'authorité  :  «  Mon- 
»  sieur  Monsieur  le  Grand,  j'ay  quelque  chose  à  dire  au  Roy.  »  L'autre, 
en  jeune  homme,  les  laissa  ensemble  ;  comme  on  verra  icy  quelque 
part,  le  Roy  ne  Faimoit  plus.  Là,  c'estoit  à  Narbonne,  M  de  Chavigny 
fit  résoudre  le  Roy  de  faire  arrester  Monsieur  le  Grand.  Monsieur  le 
Grand  se  sauve  ;  j'ay  oublié  (  de  dire  )  que  Fonterailles  s'estoit  sauvé 
huict  jours  devant,  voyant  que  leurs  aflaires  n'alloient  pas  assez  viste 
pour  aller  bien.  Il*  estoit  caché  chez  un  bourgeois.  Le  soir  il  dit  à  un  Cinq-Mars. 

de  ses  gens  :  «  Va  voir  si,  par  hasard,  il  n'y  auroit  point  quelque  porte 
»  de  la  ville  ouverte.  »  Le  valet  neghgea  d'y  aller,  parce  qu'on  estoit 
soigneux  de  les  fermer  de  bonne  heure.  Cependant,  regardez  quel  mal- 
heur! Il  y  en  avoit  eu  une  ouverte  toute  la  nuict,  pour  faire  entrer  le 
train  du  mareschal  de  la  Meilleraye.  Son  hoste  le  descouvrit,  de  peur 
d'encourir  les  peines,  etc.  *  Ainsi, dans  le  msc 

—  Le  cardinal  Mazarin  passa  le  premier  à  Lyon  et  alla  voir  M.  de 
Bouillon  à  Pierre-Encize,  à  qui  il  dit  :  «  Vostre  traitté  est  descouvert,  » 
et  luy  en  dit  par  cœur  quelques  articles.  Celaestonna  fort  l'autre,  qui 
crut  que  M.  d'Orléans  avoit  tout  dit.  Il  confessa  tout ,  quand  on  Tas- 
seura  de  la  vie.  Comme  on  y  menoit  Monsieur  le  Grand,  un  petit  la- 
quais catelan  luy  jetta  une  boulette  de  cire  dans  laquelle  il  y  avoit  un 
petit  papier  avec  quelques  avis  assez  mal  digérez.  Ce  petit  garçon,  qui 


256  LES    FllSTORIETTES. 

le  Grand  s'enfuit  trop  tard  ;  il  s'estoit  sauvé  à  INar- 
bonne  chez  un  particulier  dont  la  fille  estoit  bien 
avec  son  valet  de  chambre,  Belet,  qui  l'y  con- 
duisit. Il  y  avoit  vingt-quatre  heures  qu'il  y  estoit, 
quand  le  père  de  cette  fille,  qui  estoit  un  vieux  bon- 
homme, qui  ne  sortoit  guères,  estant  allé  à  la  messe, 

estoit  à  luy,  s'estoit  mis  en  ce  hasard  et  venoit  de  la  part  de  la  princesse 
Marie. 

—  Ce  qui  fit  que  Monsieur  le  Grand  confessa  tout ,  c'est  qu'il  crut 
tousjours  que  le  Roy  ne  soufl'riroit  jamais  qu'on  le  fist  mourir,  mais  que 
seulement  on  l'esloigneroit  ;  et  qu'estant  si  jeune,  il  auroit  le  loysii-  de 
laisser  mourir  le  Cardinal,  qu'après  il  reviendroit  à  la  Cour.  D'a- 
bord, il  confessa  tout  en  secret  à  M.  le  Chancellier.  —  Quand  le  Roy 
passa,  il  dit  cent  puerilitez  au  Chancellier,  et  entr'autrcs  qu'il  n'avoit 
jamais  pu  accoustumcr  ce  mcschant  garçon  à  dire  son  Pater  tous  les 
jours.  Le  Chancellier  dit  au  Cardinal  :  «  Pour  Monsieur  le  Grand,  cela 
»  va  bien  ;  mais  pour  l'autre,  je  ne  sçay  comment  nous  ferons.  » 

Monsieur  le  Grand,  conduit  enfin ,  après  divers  interrogatoires ,  au 
palais  de  Lyon  ,  on  le  fit  venir  devant  les  Commissaires ,  car  pas  un, 
non  pas  mesme  M.  de  Thou  qui  devoit  sçavoir  cela ,  ne  déclina.  Là, 
dans  l'opinion  qu'il  avoit  que  le  Roy  ne  demandoit  pour  satisfaction  si- 
non qu'il  dcclarast  publiquement  son  crime,  il  fit  d'une  manière  tout- 
à-fait  desbarrassée  et  en  termes  dignes  d'un  cavalier,  toute  l'histoire 
de  sa  faveur.  Ce  fut  là  qu'il  avoua  que  M.  de  Thou  sçavoit  le  traitté, 
mais  qu'il  l'en  avoit  tousjours  destourné.  On  le  confronta  après  à  M.  de 
Thou  qui  ne  fit  que  lever  les  espaules,  comme  en  le  plaignant,  mais  ne 
luy  reprocha  point  de  l'avoir  trahy.  M.  de  Thou  allégua  la  loy  Cotiscii, 
sur  laquelle  a  esté  faitte  l'ordonnance  de  Louis  XP,  qui  n'a  jamais  eu 
lieu.  Mais  il  expliqua  mal  cette  loy,  prenant  tousjours  Conseil  pour 
complices  :  il  y  a  bien  de  la  différence.  M.  de  Miromesnil  eut  le  cou- 
rage d'ouvrir  l'avis  de  l'absolution  pour  luy.  Le  Cardinal ,  s'il  eust 
vescû  plus  longtemps,  ne  luy  en  eust  pas  voulu  du  bien.  Un  exemple 
qu'on  allégua  d'un  homme  de  qualité  nommé  ***,  que  le  premier  pré- 
sident de  Thou  fit  mourir  pour  la  mesme  chose,  nuysit  fort  à  son 
petit-filz. 

Monsieur  le  Grand  croyoit  si  peu  mourir,  que,  comme  on  le  voulust 
faire  manger  pour  luy  prononcer  après  sa  sentence,  il  dit  :  «  Je  ne 
»  veux  point  manger;  on  m'a  ordonné  des  pillules,  j'ay  besoin  de  me 
»  purger,  il  faut  que  je  les  aille  i)rendre.  »  H  mangea  peu.  Après  on 


LOUIS   TREIZIESME.  257 

entendit  crier  à  son  de  trompe  que  quiconque  des-  ^ 
couvriroit  Monsieur  le  Grand  auroit  tant  de  rescom- 
pense,  et  défense  de  le  cacher  sur  peine  de  la  vie. 
«  Hé  !  »  dit-il ,  «  ne  seroit-ce  point  cet  homme  qui 
))  est  chez  nous?  Gomment  est-il  fait?  »  Ainsy  on 
prit  le  pauvre  Monsieur  le  Grand. 

Après  la  mort  du  cardinal  de  Richelieu',  le  Roy 
tesmoignoit  de  la  joye  de  recevoir  les  paquets  luy- 

leur  prononça  leur  sentence.  Une  chose  si  dure  et  si  peu  attendue  ne 
luy  fist  pourtant  tesmoigner  aucune  surprise.  Il  fut  ferme,  et  le  com- 
bat qu'il  souffroit  en  luy-mesme  ne  parut  point  au  dehors.  Quoyqu'on 
eust  résolu  de  ne  luy  point  donner  la  question,  comme  portoit  la  sen- 
tence, on  ne  laissa  pas  de  la  luy  présenter.  Cela  le  touscha  mais  ne  luy 
fîst  rien  faire  qui  se  desmentist,  et  il  desfaisoit  desjà  son  pourpoint 
quand  on  luy  fist  lever  la  main  pour  dire  vérité.  II  persévéra  et  dit 
qu'il  n'avoit  plus  rien  à  dire.  Il  mourut  avec  une  grandeur  de  courage 
estonnante,  ne  s'amusa  point  à  haranguer  et  salua  seulement  ceux 
qu'il  reconnut  aux  fenestres,  se  depescha,  et  quand  le  bourreau  luy 
voulut  couper  les  cheveux,  il  luy  osta  les  ciseaux  et  les  donna  au  frère 
du  Jésuite.  Il  ne  voulut  pas  qu'on  luy  en  coupast  qu'un  peu  derrière  ; 
il  retira  le  reste  en  devant.  Il  ne  voulut  point  qu'on  le  bandast.  Il  avoit 
les  yeux  ouverts  quand  on  frappa  et  tenoit  le  billot  si  ferme,  qu'on  eut 
de  la  peine  à  en  retirer  ses  bras.  On  luy  coupa  la  teste  du  premier  coup. 

1  Juif*,  au  retour  de  Savoye  dit  à  Esprit,  à  Lyon,  que  M.  le  Cardi-      y-'oy.^^pius  haut, 
nal  ne  vivroit  pas  long-temps,  à  cause  qu'il  avoit  fait  fermer  son  char- 
bon*.  Par  propreté,  il  fit  cette  extravagance-là.  Le  voylà  à  Ruel,  où    Tumeur  cancéreuse, 
la  Reyne  l'alla  voir.  Il  n'osoit  aller  à  Saint-Germain,  et  le  Roy  n'osoit 
aller  à  Ruel.  Il  entreprit  de  gaigner  Guitaut  ;  car  (outre   Treville), 
Guitaut,  Tilladet,  des  Essarts  *,  Castelnau  et  la  Salle,  capitaines  aux   Beau-frère  de  Tre- 
Gardes,  estoient  des  gens  qu'il  n'avoit  pu  gaigner  ;  ceux-là  s'attachoient 
au  Roy.  Il  fit  donc  prier  Guitaut  de  le  venir  voir,  le  receût  le  plus 
civilement  du  monde,  ordonna  qu'on  le  menast  disner,  et  qu'on  luy 
fist  bonne  chère.  Apres  disner,  il  le  fait  venir  seul,   et  luy  demande 
s'il  ne  vouloit  pas  estre  de  ses  amys.    «  Monseigneur,  j'ay  tousjours 
))  esté  attaché  au  Roy.  »  «  Hé  !  »  dit  le  Cardinal,  en  levant  le  bras  par 
trois  fois  par  mespris,  «  monsieur  de  Guitaut,  vous   vous  mocquez; 
»  allez,  allez,  monsieur  de  Guitaut.  d  L'affaire  de  Treville  le  troubla 
fort  :  cela  ayda  à  le  faire  mourir. 

II.  17 


258  LES   HISTORIETTES. 

mesme.  Il  disoit  qu'il  n'auroit  jamais  de  favory  h 
Ayant  des  Gardes.  Gardes*.  Il  affectioiinoit ,  ce  sembloit,  M.  de 
Noyers  plus  que  pas  un  autre  ;  et  quand  on  parloit 
de  travailler,  si  M.  de  Noyers  n'y  estoit  pas  : 
«Non,  non,  »  disoit-il,  «attendons  le  petit  bon- 
»  homme.  »  L'autre  venoit  avec  sa  bougie  en  cati- 
Avec  un^air  de  mys-  niiul  *  ;  il  cstolt  bou  pour  sorvlr  sous  un  autre.  Il 
estoit,  disoient  les  gens,  Jésuite  gaUochc\  car  il  l'es- 
toit  sans  porter  l'habit  et  sans  demeurer  avec  eux. 
Ce  fut  luy  pourtant  qui  fit  chasser  le  Père  Sirmond, 
mais  c'estoit  pour  mettre  un  autre  qui  fust  plus  jé- 
suite ,  s'il  faut  ainsy  dire  ;  car  ce  bon  Père  est  un 
peu  trop  franc  et  il  ne  fait  que  de  petits  livres,  eux 
veulent  qu'on  fasse  de  gros  volumes.  Le  petit  bon- 
homme, se  fiant  à  l'affection  du  Roy,  se  trouva 
attrappé,  car  le  cardinal  Mazarin  et  Chavigny  don- 
noient  à  ceux  qui  approchoient  le  Roy,  et  quoy- 
qu'il  fust  tousjours  à  Saint-Germain  et  eux  presque 
tousjours  à  Paris,  ils  le  dcsbusquerent  pourtant  ". 
Il  mourut  peu  après  à  Dangu,  une  maison  à  luy, 
auprès  de  Pontoise.  On  grattoit  desjh  à  sa  porte 
comme  à  celle  du  Cardinal. 

Le  feu  Roy  mourust  bientost  après.  II  avoit  tous- 
jours  craint  le  diable,  car  il  n'aimoit  point  Dieu, 
mais  il  avoit  grand'peur  de  l'enfer.  Il  luy  prit  une 
vision,  il  y  a  vingt  ans,  de  mettre  son  royaume  sous 

1  On  appelle  les  filles  de  la  Rejme  de  dehors  Galloches,  car  on  laisse 
les  galloches  à  la  porte. 

2  II  (le  Roy)  fit  baptiser  Monsieur  le  Dauphin  :  le  cardinal  Mazarin 
le  tint  pour  le  pape. 


LOUIS  TRlilZIESAIli.  259 

la  protection  de  la  Vierge,  et  dans  la  Déclaration*  Le lo février less. 
qu'il  en  fit  il  y  avoit  :  «  Afin  que  tous  nos  bons  su- 
»  jets  aillent  en  paradis,  car  tel  est  nostre  plaisir.  » 
C'est  ainsy  que  finissoit  cette  belle  pièce.  Dans  sa 
dernière  maladie,  il  estoit  estrangement  supersti- 
tieux. Un  jour  qu'on  lui  parloit  de  je  ne  sçay  quel 
béat  qui  avoit  un  don  tout  particulier  pour  descouvrir 
les  corps  saints,  et  qui,  en  marchant,  disoit:  «  Fouil- 
»  lez  là,  il  y  a  un  corps  saint,  »  sans  y  manquer*  une  S""»  mander  d-en 
seule  fois,  Nogent  dit  '  :  «  Si  je  le  tenois,  je  le  me- 
»  nerois  avec  moy  en  Bourgogne,  il  me  trouveroit 
»  bien  des  truftles.  »  Le  Roy  se  mit  en  colère,  et  luy 
cria  :  «  Maraut,  sortez  d'icy.  »  Il  mourut  assez  con- 
stamment, et  disoit  en  regardant  le  clocher  de  Saint- 
Denis  qu'on  voit  du  chasteau  neuf  de  Saint-Ger- 
main, où  il  estoit  malade  :  «  Voylà  oi^i  je  seray  bien- 
tost.  »  Tldità  Monsieur  le  Prince  :  «  Mon  cousin,  j'ay 
»  songé  que  mon  cousin,  vostre  filz,  estoit  aux  mains 
»  avec  les  ennemys,  et  qu'il  avoit  l'advantage.  »  C'est 
la  bataille  de  Rocroy.  Il  envoya  quérir  le  Parlement, 
pour  leur  faire  promettre  qu'ils  observeroient  la  dé- 
claration qu'il  avoit  faitte  :  c'estoit  sur  celle  du  car- 
dinal de  Richelieu,  dont  il  n' avoit  fait  que  changer 
quelque  chose.  Par  cette  déclaration,  la  Reyne  avoit 
un  conseil  nécessaire  ,  et  n' avoit  que  sa  voix  non 
plus  qu'un  autre.  Il  leur  dit  qu'elle  gasteroit  tout, 
s'ils  la  faisoient  régente  comme  la  feu  Reyne-mere. 


'  «  A  sa  manière   de  mauvais  bouffon,  »  comme  dit  le  Journal  du 
Cardinal. 


260  LES    HISTORIETTES. 

Elle  se  jetta  à  ses  genoux  :  il  la  fit  bientost  relever  ; 
il  la  connoissoit  bien,  et  la  mesprisoit. 

On  disoit  quand  feu  Monsieur  le  Prince  mourut, 
et  qu'il  eut  aussy  tesmoigné  de  la  fermeté,  qu'il  n'y 
avoit  plus  d'honneur  à  bien  mourir,  puisque  ces 
deux  hommes-là  estoient  si  bien  morts.  On  alla  à 
l'enterrement  du  Roy  comme  aux  nopces,  et  au  de- 
vant de  la  Reyne  comme  à  un  carrouzel  '.  On  avoit 
pitié  d'elle,  et  on  ne  sçavoit  pas  ce  que  c'estoit. 


^  Comme  les  prisonniers  de  la  Bastille  ne  sortoient  point,  on  disoit 
qu'il  n'y  avoit  que  la  Reyne  qui  fust  sortie  de  prison. 


COMMENTAIRE. 
I.  —  P.  235,  lig.  h. 

Le  grand-prieur  de  Vendosme,  le  commandeur  de  Souvré,  et  Montpouil- 
lan-la  Force. 

Le  grand-prieur  de  Vcndosmc  etoit  Alexandre,  deuxième  fils  de 
Henry  IV  et  de  Gabrielle  d'Estrées,  mort  au  cliàteau  de  Vincennes  le 
8  février  1629. —  Giles  de  Souvré,  marquis  de  Courtanvaux,  appelé  le 
Commandeur  de  Souvré,  etoit  gouverneur  du  jeune  roi.  —  Le  marquis 
de  Montpouillan,  mort  fort  jeune  devant  Montauban,  en  1622,  a  laissé 
des  Mémoires  que  M.  le  marquis  de  la  Grange  a  publiés  à  la  suite 
de  ceux  du  père,  le  maréchal  de  la  Force.  —  Nous  avons  déjà  parlé 
(tom.  I,  p.  Û12)  d'Esprit  Alart,  seigneur  d'Esplan,  marquis  de  Gri- 
mault.  C'etoit  un  contadin,  de  naissance  obscure,  qui  se  fit,  après  la 
mort  de  son  patron  le  Connétable,  plus  d'une  mauvaise  affaire  comme 
duelliste.  On  trouve  dans  le  Recueil  £,  1760,  la  réimpression  d'un  pam- 
phlet intitulé  :  Placet  au  lioy,  contre  un  tiommé  Alard  Desplans,  qui 
avoit  enfreint  les  edits  contre  les  duels.  «  Desplans,  »  y  lit-on,  k  s'est 
»  retiré  des  appréhensions  de  la  mort,  méritée  par  le  meurtre  d'un 


LOUIS     TREIZIESME.  261 

»  homme  gros  excessivement  et  inhabile ,  qui  se  fust  glorieusement 
»  garanty  de  ses  mains,  si  la  rencontre  d'une  pierre  en  reculant  ne 
»  l'eust  fait  tomber,  auquel  temps  Desplans  luy  porta  le  coup...  Je  ne 
»  toucheray  pas  à  sa  façon  désagréable,  ny  à  sa  laideur...  il  ne  laisse 
»  pas  d'estre  grand-mareschal  des  logis  de  France,  gouverneur  de  Pecay 
»  et  de  Melun,  capitaine  de  vos  cent  carabins,  seigneur  de  la  Tour, 
»  abbé  à  la  mode  de  deux  bonnes  abbayes  et  puis  prieur  de  deux  ou 
»  trois  prieurez,  etc.  » 

—  Le  comte  de  Nogent,  frère  de  Bautru,  dont  il  sera  parlé  souvent, 
fut  capitaine  des  archers  de  la  PurtJj.  «  Il  arriva,  »  dit  le  Menagiana, 
«  à  Paris,  n'ayant  que  huit  cens  livres  de  rentes  ;  il  en  avoit  quatre- 
»  vingt  mille  lorsqu'il  mourut.  Le  premier  jour  qu'il  parut  à  la  Cour, 
n  il  porta  le  Roy  sur  ses  épaules  pour  le  passer  en  un  endroit  où  il  y 
»  avoit  de  l'eau.  C'estoit  aux  Tuileries.  »  Nogent  mourut  en  sep- 
tembre 1661. 


Monsieur  le  comte  de  Nogent 

Dont  l'entretien  et  l'entregent, 

Autrement  le  charmant  génie 

Plaisoit  en  toute  compagnie^ 

Decetla,  dit-on,  l'autre  jour. 

Au  regret  de  toute  la  Cour. 

Car  cetuy  comte  estoit  un  comte 

Qui  sçavoit  fort  bien  faire  un  conte, 

Ayant  en  cet  art  excellent 

Un  rare  et  singulier  talent; 

Et  frère  estant,  par  sa  naissance. 

D'un  des  meilleurs  cerveaux  de  France, 

Assavoir  monsieur  de  Botru 

Tousjours  disert,  tousjours  congru, 

Et  dont  les  sublimes  pensées 

Agréablement  énoncées. 

Soit  par  discours,  soit  par  escrit. 

L'ont  fait  nommer  Botru-l'Esprit. 

Dudit  mort,  dez  l'autre  semaine. 

On  célébra,  chose  certaine. 

Le  service  à  Sainct-Nicolas, 

Où  plusieurs  crièrent  :  «  Hélas!  » 

Disant  que  c'estoit  grand  dommage 

Que  si  tost  ce  bon  personnage 

Eust  passé  le  moment  fatal; 

Que  c'estoit  un  original. 

Et  que  la  Cour,  errante  ou  stable, 

K'auroit  de  longtems  son  semblable. 

On  m"a  plusieurs  fois  rapporté 

Qu'il  avoit  animosité 

Contre  ma  muse  et  ma  personne; 

Mais  de  gi-and  cœur  je  luy  pardonne, 

Et  c'est  tout  de  bon  que  je  dis  : 

"  Que  Dieu  le  mette  en  paradis!  » 

iLoRET,  Jituse  hiitor.  du  17  septembre  1661.', 


262  LES    HISTORIETTES. 

«  Dans  ce  mois  de  septembre,  »  dit  M"'"  de  Motteville,  »  mourut 
»  Nogent,  ce  grand  parleur,  qui  par  ses  bouffonneries  avoit  acquis 
»  plus  de  cent  mille  livres  de  rente.  Ce  mauvais  plaisant  qui  avoit 
»  tant  parlé  pendant  sa  vie,  ne  fit  parler  personne  aprîis  sa  mort.  » 
(Mémoires,  v,  p.  70.)  Foy.  plus  bas  Vllislor.  de  Beautru. 

Revenons  ù.  la  première  enfance  de  Louis  XIII,  et  rappelons  ici  quel- 
ques curieux  passages  do  l'Estoile,  insérés  pour  la  jn-emiève  fois  dans 
l'édition  de  M.  Aimé  ChampoUion,  p.  CIO. 

«  Quant  à  nostre  Roy,  on  n'en  f^vit  pas  jugement  d'un  si  grand  es- 
prit que  de  son  frère,  bien  que  généreux  et  guerrier  ;  mais  fort  co- 
lère, opiniattre  et  malaisé  à  desmouvoir  de  ce  qu'il  veut. 
1)  Il  aime  la  chasse  et  la  peinture,  science  de  laquelle  on  dit  que 
jamais  teste  de  lourdaud  ne  fust  capable.  En  ses  autres  actions  enfant 
enfantissime. 

»  Il  no  monstre  poinct  aimer  beaucoup  aucun  prince  ny  soigneur 
de  la  Cour,  fors  le  chevalier  de  Vendosme  »  (depuis  grand-prieur)  ; 
mais  particulièrement  on  n'a  peu  jusques  i\  aujourd'huy  luy  faire 
gouster  son  frère  aisné,  M.  de  Vendosme,  moins  encore  le  marquis 
d'Ancre.  Ung  petit  pied-plat  de  Saint-Germain-en-Laye ,  nommé 
Pierrot,  qui  luy  faisoit  passer  le  temps  à  jouer,  et  luy  fournissoit  des 
moineaux  pendant  qu'il  y  demeuroit,  estant  Monsieur  le  Dauphin, 
seroit  des  premiers  de  la  Cour,  s'il  estoit  creu.  »  {Juin  1610.) 
«  En  ce  mois  (d'aoust  IGIO),  un  nommé  Pierrot  de  Saint-Germain, 
plus  content  de  sa  fortune  que  le  premier  de  la  cour  du  Roy,  voire 
que  le  Roy  mesmc,  lequel  l'aimoit...  vint  à  Paris,  et  sçachant  que 
Sa  Majesté  estoit  aux  Tuilleries  l'y  alla  trouver.  Le  Roy  qui  s'amu- 
soit  à  regarder  l'estang,  accompagné  de  force  noblesse,  aussitost 
qu'il  eust  advisé  Pierrot,  son  ancien  compagnon,  qui  ne  l'appelloit 
encore  que  Monsieur  le  Dauphin,  les  quitte  trestous  pour  aller  voir 
Pierrot,  auquel  il  saute  au  col  et  le  baise  devant  tout  le  monde  : 
dit  à  M.  de  Souvray  qu'il  veut  qu'on  l'habille  dès  le  lendemain  et 
qu'on  le  retienne  près  de  sa  personne.  Mais  Pierrot  s'en  excuse  et 
dit  qu'il  faut  qu'il  s'en  retourne  :  autrement  qu'il  seroit  battu,  pour 
ce  que  son  père  et  sa  mère  ne  vouloient  pas  qu'il  vînt  à  Paris  voir 
Monsieur  le  Dauphin.  (Ainsi  tout  naïfvement  apeloit-il  le  Roy , 
auquel  il  avoit  apporté  des  moineaux).  » 

<(  En  ce  temps-là,  »  dit  de  son  côté  Bassompierre,  «  le  Roy  qui  etoit 
fort  jeune,  s'amusoif  h  force  petits  exercices  de  son  âge,  comme  de 
peindre ,  do  chanter,  d'imiter  les  artifices  des  eaux  de  Saint-Ger- 
main, par  des  petits  canaux  de  plume;  de  faire  de  petites  inventions 
de  chasse,  de  jouer  du  tambour;  à  quoy  il  réussissoit  fort  bien. 
»  Un  jour  je  le  lounis  de  ce  f|u'il  etoit  fort   |u<>pro  à  tout  ce  qu'il 


LOLIS    TREIZIESME.  263 

»  vouloit  entreprendre,  et  que  n'ayant  jamais  été  montré  à  battre  le 

»  tambour,  il  y  réussissoit  mieux  que  les  autres.   Il  me  dit  :  «  Il  faut 

»  que  je  me  remette  à  jouer  du  cor  de  chasse,  ce  que  je  fais  fort  bien, 

»  et  veux  Être  tout  un  jour  à  sonner.  Je  lui  dis  :  Sire,  je  ne  conseille  pas 

»  à  vostre  Majesté  d'en  sonner  trop  souvent  ;  car  outre  que  cela  fait 

»  venir  des  hargnes*,  il  nuyt  encore  grandement  au  poulmon.  Et  j'ay  Hernies. 

»  ouy  dire  que  le  feu  roy  Charles,  à  force  de  sonner  du  cor  se  rompit 

»  une  veine  dans  le  poulmon  qui  luy  causa  la  mort.  —  Vous  vous 

»  trompez,  me  répliqua-t-il,  le   sonner  du  cor  ne  le  fit  pas   mourir, 

»  mais  c'est  qu'il   se   mit  mal  avec  la   reine   Catherine,  sa   mère,  à 

»  Monceaux,  qu'il  quitta  et  s'en  vint  à  Meaux.  Mais  si   à  la  persua- 

»  sion  du  mareschal  de  Retz,   il  n'y  fust  pas  revenu,  il  ne  fust  pas 

»  mort  sitost.  Et  comme  je  ne  luy  respondois  rien  sur  ce  sujet,  Mont- 

»  pouillan  qui  etoit  présent  là  me  dit  :  Vous  ne  pensiez  pas.  Monsieur, 

»  que  le  Roy  sceust  ces  choses  là  comme  il  les  sçait,  et  beaucoup 

1)  d'autres   encore.   Je   luy   dis  :  Vraiment,  non.  Monsieur,  je  ne   le 

»  pensois  pas.  Cela  me  fit  connoistre  que  l'on  luy  donnoit  beaucoup 

»  d'appréhensions  de  la  Reyne,  sa  mère,  de  laquelle  je  me  garday 

»  bien  à  l'avenir  de  luy  parler.  »  {Journal  de  ma  Fie,  édition  de  1721, 

tom.  II,  p.  142.) 


II.  —  P.  236,  note  1". 

M.  d'Alambon  est  fort  bègue. 

Je  ne  sais  s'il  etoit  déjà  gouverneur  de  Montmédy  ;  il  y  fut  tué  d'un 
coup  de  canon  sur  la  brèche  de  cette  ville,  qu'il  gardoit  pour  le 
prince  de  Condé,  la  veille  de  l'entrée  du  roi  Louis  XIV  et  de  la  ca- 
pitulation, en  août  1657.  La  Mesnardière  a  fait  sur  sa  mort  un  assez 
mauvais  sonnet  : 

Fidèle  à  soo  monarque  et  bi-usiant  pour  sa  gloire, 
D'Alambon  des  François  soustient  les  longs  efforts. 
Et  sur  un  mont  fameux  moissonnant  mille  morts. 
Il  meurt  dans  les  combats  pour  vivre  dans  l'histoire. 
Jusqu'au  dernier  souspir  suspendant  la  victoire. 
Il  excite  sa  troupe  à  suivre  ses  transports, 
Et  vengeant  son  trespas  par  son  illustre  mort. 
Orné  d'un  nom  célèbre,  il  passe  l'onde  noire,  etc. 

C'etoit  apparemment  le  père  de  Charles  de  Rousse,  marquis  d'Alam- 
bon, maréchal  de  camp  en  1632,  mort  en  décembre  1682.  Henry  de 
Campion  [Mémoires^^.  322),  parle,  à  cette  date  de  1652,  de  ses  rapines 
et  exactions. 


:2()/i  LES  m  s  10  h  un  TES. 


III.  —  p.   236,  lig.   8. 

Le  Cardinal  de  Richelieu.  ..  fut  ravy  de  ce  que  l'occasion  s'estoil 
présentée  de  le  surnommer  Louis  le  juste. 

Les  historiens  modernes,  M.  Bazin  lui-même,  pensent  et  disent  que 
Louis  XIII  fut  appelé  le  Juste  à  l'occasion  de  l'assassinat  de  Concini. 
Ils  ont  été  trompés  par  quelques  harangues  faites  après  coup.  Des 
Réaux  mérite,  de  son  côté,  moins  de  confiance  que  Malherbe,  lequel 
ecrivoit,  bien  avant  la  mort  du  maréchal  d'Ancre  et  l'aft'aire  de 
Guemadeuc  : 

«  M.  de  Moiichy,  gentilhomme  de  Picardie,  enseigne  de  la  compa- 
»  gnie  de  feu  M.  le  prince  de  Conty,  se  plaignit  devant  luy  au  Roy,  dt; 
»  ce  que  un  qu'il  avoit  fait  condamner  à  avoir  la  teste  tranchée,  pour 
»  un  assassinat  qu'il  avoit  fait,  vcnoit  au  Louvre  sous  l'appui  de 
»  Monsieur  le  Prince  au  mépris  du  Roy  et  de  la  justice.  Le  Roy  le 
»  dit  à  la  Reync  les  larmes  aux  yeux,  tant  il  se  sentoit  touché  de  ce 
»  mépris...  L'on  m'a  dit  que  l'autre  jour  le  Roy,  parlant  de  sem- 
»  blables  choses,  dit  qu'il  ne  vouloit  pas  qu'on  l'appelast  Louis  le 
n  bègue  mais  Louis  le  Juste,  et  certainement  on  m'a  assuré  que  depuis 
»  peu  de  jours  (jnelqu'un  luy  faisant  une  plainte,  le  Roy  luy  repon- 
»  dit  :  Mon  amy,  je  vous  ay  présenté  une  oreille,  je  garde  l'autre 
»  pour  votre  partie.  Ce  prince  donne  de  très-grands  témoignages 
»  qu'un  jour  il  sçaura  se  faire  obéir  et  qu'il  aime  la  justice.  »  (Lettre 
du  17  octobre  1614.) 

Ce  passage,  écrit  à  cette  date  par  un  homme  qui  voyoit  tous  les 
jours  le  Roy  et  la  Reyne,  tranche  les  incertitudes.  Il  est  vrai  qu'un 
autre  hasard  ne  nuisit  point  à  la  vogue  du  surnom  :  Louis  XIII 
ctoit  né  en  septembre,  sous  le  signe  de  la  Balance.  Un  portrait  gravé 
en  1601  le  représente  étouffant  dans  ses  mains  des  serpens,  comme 
un  autre  Hercule  :  à  la  droite  du  portrait  sont  les  armes  de  France 
et  Dauphiné  ;  à  la  gauche  le  signe  de  la  Balance,  entouré  de  la 
légende  :  Libra  ejus  crescet  in  orbem.  C'est  apparemment  là  ce  qui  a 
fait  croire  à  bien  des  gens  que  le  surnom  de  Juste  n'avoit  pas  d'autre 
origine.  Il  falloit  seulement  reconnoître  que  les  astres  n'y  avoient 
pas  nui. 

Thomas,  baron  de  Guemadeuc  et  gouverneur  de  Fougères,  avoit  tué, 
durant  la  tenue  des  Etats  de  Bretagne,  en  1616,  le  baron  de  Nevet  ; 
obligé  de  venir  à  Paris  pour  se  justifier,  il  n'avoit  pas  attendu  le 
résultat  redouté  de  l'enquête,  et  vers  le  mois  de  juin  1617,  s'etant 
esquivé  de  Paris,  il  etoit  revenu  à  Fougères,  reprendre,  violemment 
le  gouvernement  du  rhàtean.  Le  maréchal  de  Vitry  n'avoit  pas  eu  de 


LOUIS    TUEIZIESME.  265 

peine  à  le  soumettre,  et  Gueuiadeuc,  appuyé  des  recommandations  du 
duc  de  Vendôme  et  du  maréchal  de  Vitry,  espéroit  tout  de  la  clé- 
mence royale.  Il  se  trompa  ;  il  fut  condamné  à  mort,  et  exécuté  le 
27  septembre.  «  Pour  toutes  les  supplications  de  ses  amis  et  de  sa 
»  femme  qui  s'alla  jetter  aux  pieds  de  Sa  Majesté,  dez  qu'elle  sceust 
»  son  arrest,  demandant  miséricorde,  elle  n'eust  d'autre  response  du 
M  Roy,  sinon  :  C'est  la  justice  qui  fait  régner  les  Roys,  je  la  dois  à 
»  mes  subjects,  et  en  cet  endroit,  je  la  dois  préférer  à  la  miséricorde. 
»  Pour  ces  biens  qui  me  sont  confisquez,  je  vous  les  redonne.  »  {Mer- 
cure français,  tom.  i,  p.  95.) 

Marie  Françoise  de  Guemadeuc,  fille  de  ce  baron  de  Guemadeuc, 
ayant  perdu  son  premier  mari,  le  marquis  de  Pont  de  Courlay,  se 
remaria  à  Jacques  de  Grivel  de  Gamaclies,  comte  d'Orouer,  Ouroy 
ou  Aulroy,  gonverneur  de  Fougères.  De  son  premier  mariage  etoient 
nés  cinq  enfans  dont  l'aîné,  Armand  Jean,  fut,  comme  nous  avons 
dit  à  la  fin  du  commentaire  de  Richelieu,  substitué  au  nom  et  armes 
de  son  oncle  le  Cardinal. 

IV.  — P.  237,  lig.  18. 

Quand  Monsieur  le  Grand  fut  condamné,  il  dit  :  Je  voudrais  bien 
voir  la  grimace  qu'il  fait. 

Le  mot  a  probablement  été  mis  à  tort  sur  le  compte  de  Louis  XIII. 
Pierre  de  l'Estoile,  écho  fort  aveugle  des  plus  mauvais  bruits  popu- 
laires, l'enregistroit  en  1583  au  profit  du  duc  d'Alençon,  frère  de 
Henry  III,  C'est  quand  il  apprit  le  tumulte  d'Anvers,  arrivé  le  17  jan- 
vier, et  la  mort  du  comte  de  Saint-Aignan  qu'on  tenoit  pour  un  de 
ses  grands  favoris.  «  J'en  suis  bien  marry,  dit-il.  Souldain  se  prenant 
»  à  rire  :  Je  croy,  dit-il,  que  qui  eust  pu  prendi'e  le  loisir  de  contem- 
»  pler  à  cette  heure  là  Saint-Aignan,  qu'on  luy  eust  veu  faire  alors 
»  une  plaisante  grimace.  »  (Journal,  édition  nouvelle,  p.  157.) 

V.  —  P.  237,    lig.  26. 

Puis  la  Vieuville...  fut  comme  une  espèce  de  ministre. 

Tout  ce  que  des  Réaux  va  rapporter  de  Charles,  marquis  puis  duc 
de  la  Vieuville,  surintendant  des  Finances,  est  un  résumé  de  trois  re- 
marquables pamphlets  du  temps  intitulés  :  Le  Mot  à  l'oreille  de  M.  te 
marquis  de  la  Vieuville.  —  La  Voix  publique,  au  Roij.  —  Remercîment 
de  la  Voix  publique  au  Roy,  au  sujet  de  la  disgrâce  de  M.  de  la  Vieu- 
ville. 162/1. 

Dans  le  Mot  à  l'oreille  :  «  Scapin,  aux  trois  choses  que  le  proverbe 


266  LES   HISTORIETTES. 

»  de  son  pays  fait  les  plus  difficiles ,  c'est  assavoii'  cuire  un  œuf,  faire 
»  le  lict  d'un  chien ,  et  enseigner  un  Florentin ,  a  depuis  quelque 
»  temps  ajouté  pour  la  quatriesme  :  Avoir  une  audience  de  M.  de  la 
»  Vieuville.  » 

Vers  la  fin  de  la  régence  d'Anne  d'Autriche,  on  alla  rechercher  la 
Vieuville  auquel  on  rendit  la  Surintendance,  apri-s  une  disgrâce  de 
vingt-six  années.  Il  ne  jouit  pas  longtemps  de  ce  retour  de  faveur;  moins 
de  trois  ans  après,  le  2  janvier  165/i,  il  mourut  généralement  peu 
regretté.  Les  gens  de  lettres  esperoicnt  de  Fouquct  bien  davantage, 
et  ils  avoieut  raison. 

Le  surintendant  fies  Finances 
Ne  signera  plus  d'ordonnances; 
II  a  termine  son  destin 
Kf  ilecede  jeiidy  matin. 
Je  pense  que  messieurs  les  Suisses, 
Dont  il  payoit  mal  les  services, 
Quand  ils  apprirent  son  trespas, 
Ne  se  flesespeièrent  pas. 

(LORET,  Museà\i  i  janvier  1654.) 

VL  —  P.  238,  note. 

Louis  XIII'  rebutte  des  desbansches  de  Moulinier... 

Il  reste  de  Moulinier  une  foule  d'airs  très-goûtés  autrefois  et  im- 
primés dans  les  Recueils  de  vaudevilles  et  airs  de  Cour.  Il  mourut 
malheureusement  le  18  août  1635  ;  c'est  Loret  qui  va  nous  l'apprendre 
encore  : 

INIercredy,  Moulinier  mourust, 
Qui  possedoif  par  excellence 
Cette  harmonieuse  science. 
Vers  le  soir,  retournant  chez  luy, 
■'  <)  pour  ses  amys  quel  ennuy  ! 
\o  pour  la  France  quelle  pert 
La  trappe  de  sa  cave  ouverte 
Fist  que  dedans  il  trebuseha. 
Le  haut  du  crâne  il  s'escorcha. 
Versa  du  sang  en  abondance. 
Perdit  lumière  et  connoissanee. 
Sentiment,  mouvement,  couleur. 
Et  bref,  par  ce  triste  malheur, 
La  voix  «le  ce  nouvel  Orphée 
Fust  pour  tout  jamais  étouffée. 

{Muse  du  21  août  1655.1 

Pour  Marais,  le  bouffon  de  Louis  XIII,  il  n'est  guères  cité  que  par 
des  Réaux.  Dreux  du  Radier,  historien  des  Fous  en  titre  d'office, 
semble  avoir  ignoré  jusqu'à  son  nom.  Un  vers  de  Saint-Amant  attesta 


jy  !    \ 
•rte'  / 


1,0  Ul  s     TKEIZIESME.  267 

pourtant  le  talent  de  Marais  comme  danseur  bouffon;  peut-être  par 
ce  dernier  mot  des  Réaux  n'entendoit-il  qu'un  farceur  ou  danseur 
italien.  Voici  les  vers  de  Saint-Amant  : 

Un  chat  enragé  que  l'on  berne, 

Un  jeune  valet  de  taverne, 

Les  (lents  d'un  page  en  appétit. 

Le  jaret  d'un  {,'aigne-petit. 

Marais  dansant  la  beigamasque, 

Le  vray  Hailequin  sous  le  masque, 

Des  anguilles  dans  un  pannier,  , 

Des  chenilles  sur  un  prunier. 

N'entendent  rien  à  la  souplesse, 

Au  prix  des  ressorts  de  sa  fesse,  etc. 

(La  Gazette  du  Pont-Neuf.) 

Marais  etoit  aussi  compositeur.  J'ai  retrouvé  des  sarabandes,  dont  il 
avoit  fait  les  airs,  dans  un  curieux  recueil  manuscrit  écrit  de  la  main 
du  petit  père  Ange  et  dont  je  parlerai  plusieurs  fois.  Dès  1613  il  fai- 
soit  les  délices  de  la  Cour.  «  Ce  ne  fut  rien  que  le  ballet  du  Louvre,  » 
ecrivoit  Malherbe  le  28  février  de  cette  année,  «  tout  ce  qui  m'en 
»  plut  fut  un  nommé  Maret,  habillé  en  berger,  qui  menoit  un  homme 
»  habillé  en  chien,  et  le  fit  danser  avec  des  bouffonneries  si  agréables 
»  que  je  croy  que  jamais  je  ne  vis  rire  personne,  comme  je  vis  rire 
»  la  Reyne.  » 

VII.  —  P.  240,  note,  lig.  18. 
La  Reyne  et  Ilautefort  se  liguèrent  contre  elle  {la  Fayette). 

La  Reyne  qui  n'avoit  pas  en  ce  temps-là  la  tenue  grave  et  réservée 
qu'on  remarquoit  en  elle  durant  la  Régence,  jouoit  à  la  pauvre  la 
Fayette  de  mauvais  tours,  comme  on  en  pourra  juger  d'après  l'aven- 
ture saugrenue  que  raconte  la  Porte  :  «  Le  grand  divertissement  du 
»  Roy  chez  la  Reyne  etoit  d'entretenir  M""  de  la  Fayette  et  de  la  faire 
»  chanter...  Elle  chantoit,  elle  dansoit,  elle  jouoit  aux  petits  jeux 
»  avec  toute  la  complaisance  imaginable.  Elle  etoit  sérieuse  quand 
»  il  falloit  l'èti'e,  elle  rioit  aussy  de  tout  son  cœur  dans  l'occasion, 
»  et  mesme  quelquefois  un  peu  plus  que  de  raison.  Car  un  soir,  à 
»  Saint-Germain,  en  ayant  trouvé  sujet,  elle  rit  si  fort  qu'elle  en  pissa 
»  sous  elle,  si  bien  qu'elle  fut  longtemps  sans  oser  rire;  le  Roy 
»  l'ayant  laissée,  la  Reyne  la  voulut  voir  lever,  et  aussitôt  on  apperçut 
»  une  grande  mare  d'eau.  Celles  qui  n'etoient  pas  de  son  parti  ne 
»  purent  se  tenir  de  rire,  et  la  Reyne  surtout  ;  ce  qui  offensa  la  ca- 
»  baie,  d'autant  plus  que  la  Reyne  dit  très-haut  que  c'etoit  la  Fayette 
»  qui  avoit  pissé.  M"'  de  Vieuxpont  soustenoit  le  contraire  en  face  de  la 
»  Reyne,  disant  que  ce  qui  paroissoit  etoit  du  jus  de  citron,  et  qu'elle 


268  LES    HISTORIETTES. 

»  en  avoit  dans  sa  poche  qui  s'etoient  écrasés.  Ce  discours  fut«auso 
»  que  la  Reyne  me  commanda  de  sentir  ce  que  c'etoit;  je  le  fis 
»  aussitôt  et  luy  dis  que  cela  ne  sentoit  point  le  citron.  De  sorte 
»  que  tout  le  monde  demeura  persuadé  que  la  Reyne  disoit  vray. 
»  Toute  cette  histoire  ne  plut  point  au  Roy  et  moins  encore  la  chan- 
»  son  qui  en  fut  faite.  »   (Mém.,  1755,  p.  95.) 

Maintenant  voici  la  chanson,  retrouvée  dans  les  Recueils  du  temps  ; 
elle  courut  même  sous  le  nom  du  Roy,  qui  dans  une  de  ses  lubies 
pouvoit  bien   l'avoir  réellement  composée  : 

Petite  la  Fayette, 

Vostre  cas  n'est  point  net. 

Vous  avez  fait  pissette 

Dedans  le  cabinet, 

A  la  barbe  royale, 

Kt  inesmeaux  yeux  <lc  tous, 

Vous  avez  fait  la  sale, 

Ayant  pissé  sous  vous. 

VIII.  —  P.  240,  note,  lig.  29. 

Une  fois  il  avoit  fait  un  air  qui  luy  plaisoit  fort... 

Dans  le  recueil  de  Chansons  écrit,  vers  1700,  de  la  main  du  petit- 
père  Ange,  se  trouvent  deux  couplets  qui  attestent  parfaitement  la  pu- 
reté de  Louis  XIII  et,  sur  ce  point,  les  récits  de  d«  Réaux.  On  en  va 
juger  : 

AIR   DE  M.    BOESSET  LE  PERE  POUR   LOUIS  XIII 

Paroles  de  M.  Desmarets. 

Du  plus  doux  de  ses  traits  Amour  blesse  mon  cœur. 

Pour  l'aimable  Sylvie; 
Je  l'ayme  sans  désirs,  aussy  jamais  langueur 

Ne  vient  troubler  ma  vie. 

O  bienheureuse  flamme! 
Qui  conservez  l'amour  et  la  paix  dans  mon  ame. 

Les  regards  de  ses  yeux  ne  décochent  sur  moy 

Qu'une  pointe  innocente; 
Je  n'en  crains  point  l'atteinte,  et  près  d'elle  je  voy 

Que  nul  ne  s'en  exempte. 

O  bienheureuse  flamme  ! 
Qui  conservez  l'amour  et  la  paix  dans  mon  ame. 

IX  —  P.   241,  lig.  1". 

Il  entretenoit  y)/°'  d'Uautcfort  de  chevaux,  etc. 

C'est  précisément  ce  que  dit  M""»  de  Motteville  :  «  Dez  que  le  Roy 


LOUIS   TRKIZIESME.  269 

>  la  vit,  il  eut  de  l'inclination  pour  elle.  Mais  la  dcvotion  du  Roy  fit 
)  qu'il  s'y  attacha  si  pou  que  j'ay  ouy  dire  depuis  à  M°'  de  Haute- 

>  fort  qu'il  ne  luy  parloit  que  de   chiens,  d'oiseaux  et   de  chasse.  Je 

>  l'ay  veue,  avec  toute    sa  sagesse,  en    me   contant  son   histoire,  se 
1)  mocquer   de  luy,  de  ce  qu'il  n'osoit  s'approcher  d'elle,  quand   il 

l'entretenoit.  «  Il  faut  citer  aussi  les  Mémoires  de  Mademoiselle  :  «  La 

Cour   etoit  fort  agréable   alors,  les  amours  du   Roy  pour  M"^  de 

Hautefort  qu'il  taschoit  de  divertir  tous  les  jours  y  contribuoient 

beaucoup.  La  chasse  etoit  un  des  plus    grands  plaisirs  du   Roy; 

nous  y  allions  avec  luy,  M"^  de  Beaufort,  Chcmeraut  et  Saint-Louis, 

filles  de  la  Revne,  d'Escars*  sœur  de  M'"^  de  Hautefort,  et  Beaumont    Charlotte  de  Haute- 
•      .  i»T  .•  X      .  .  j  1  Ar.    fort, demoiselle  (l'Es- 

venoient  avec  moy.  Nous  étions  toutes  vestues  de  couleur,  sur  de  cars. 

belles  haquenées  richement  caparaçonnées,  et  pour  se  garantir  du 
soleil,  chacune  avoit  un  chapeau  garny  de  quantité  de  plumes.  Au 
retour  le  Roy  se  mettoit  dans  un  carrosse  entre  M"^  d'Hautefort 
et  moy.  Quand  il  etoit  de  belle  humeur,  il  nous  entretenoit  fort 
agréablement  de  toutes  choses...  L'on  avoit  régulièrement  trois  fois 
par  semaine  le  divertissement  de  la  musique  que  celle  de  la 
chambre  du  Roy  venoit  donner,  et  la  plupart  des  airs  etoient  de 
sa  composition  ;  il  en  faisoit  même  les  paroles,  et  le  sujet  n'etoit 
jamais  que  M"*  d'Hautefort.  Le  Roy  etoit  quelquefois  dans  une  si 
galante  humeur  qu'aux  collations  qu'il  nous  donnoit  à  la  campagne, 
il  ne  se  mettoit  point  à  table  et  nous  servoit  presque  toutes,  quoique 
sa  civilité  ii'eust  qu'un  seul  objet.  Il  mangeoit  après  nous  et  sem- 
bloit  n'affecter  pas  plus  de  complaisance  pour  M™*  d'Hautefort  que 
pour  les  autres,  tant  il  avoit  peur  qu'on  ne  s'apperceust  de  sa  galan- 
terie. S'il  arrivoit  quelque  brouillerie  entre  eux,  tous  les  divertisse- 
mens  etoient  sursis,  et  si  le  Roy  venoit  en  ce  temps  là  chez  la 
Reyne,  il  ne  parloit  à.  personne  et  personne  aussy  n'osoit  luy  par- 
ler. Il  s'asseyoit  dans  un  coin  où  le  plus  souvent  il  bailloit  et  s'en- 
dormoit.  C'etoit  une  mélancolie  qui  refroidissoit  tout  le  monde,  et 
pendant  ce  chagrin,  il  passoit  la  plus  grande  partie  du  jour  à  écrire 
ce  qu'il  avoit  dit  à  M"'  d'Hautefort  et  ce  qu'elle  luy  avoit  repondu. 
Chose  véritable,  qu'après  sa  mort  on  a  trouvé  dans  la  cassette  des 
grands  procès-verbaux  de  tous  les  demeslez  qu'il  avoit  eu  avec  ses 
maistresses,  à  la  louange  desquelles  on  peut  dire  aussi  bien  qu'à  la 
sienne,  qu'il  n'en  a  jamais  aimé  que  de  très-vertueuses.  »  {Mé- 
moires, édition  de  1730,  tom.  i.  p.  28.) 

On  trouve  dans  un  livre  de  morale  ascétique  du  père  Barry,  jé- 
suite, deux  anecdotes  qui  se  rapportent  parfaitement  à  l'idée  qu'on 
s'est  faite  de  la  réserve  ordinaire  de  Louis  XIII,  et  ces  faits  nom- 
breux et  bien  constatés  doivent  nous  mettre  en  garde  contre  certains 
détails  que  des  Réaux  nous  donnera  tout  à  l'heure,  sur  la  nature  des 


270  LES    HISTORIETTES. 

rapports  de  ce  vertueux  prince  avec  les  Barradas  et  les  Cimi-Mars.  Ces 
deux  jeunes  gens,  légers  et  bavards,  auront  pu  fort  bien  donner  le 
change,  comme  pour  s'en  faire  une  espèce  d'honneur,  sur  les  véri- 
tables sentimens  du  Roy  à  leur  égard. 

«  Estant  à  Dijon,  il  y  eut  une  demoiselle  qui  demanda  au  capi- 
»  taine  des  Gardes,  la  presse  estant  assez  grande,  de  luy  permettre  de 
»  se  mettre  assez  près  du  Roy.  Il  estoit  tout  prest  de  le  faire  ;  mais 
»  s'estant  apperceû  qu'elle  avoit  le  sein  descouvert,  il  luy  dit  :  Made- 
»  moiselle ,  ou  couvrez-vous ,  ou  retirez-vous  ;  le  Roy  ne  vous  verra 
»  pas  de  bon  œil  en  cet  estât.  Sçachez  que  ces  nuditez  l'offensent. 
»  Le  lendemain,  estant  permis  au  peuple  de  le  voir  disner,  il  y  eut 
»  une  demoiselle,  vis-à-vis  de  Sa  Majesté,  habillée  et  descouverte  à  la 
»  mode.  Le  Roy  s'en  prit  garde  et  tint  son  chapeau  enfoncé  et  l'aisle 
»  abattue  tout  le  temps  du  disner,  du  costé  de  cette  curieuse.  Et 
»  la  dernière  fois  qu'il  but,  il  retint  une  gorgée  de  vin  en  la  bouche, 
»  qu'il  lança  dans  le  sein  descpuvcrt  de  cette  demoiselle,  qui  en  fut 
»  bien  honteuse.  Aussy,  pourquoy  paroissoit-elle  en  cet  estât,  en  présence 
»>  de  Louys  le  chaste?  Sa  gorge  meritoit  bien  cette  gorgée.»  {Lettres 
de  Paulin  et  d'Alexis  à  diverses  personnes,  pour  des  sujets  hicn  im- 
portans.  Lyon,  1658.)    , 

X.  —  P.  m,  lig.  3. 

Mais  il  estoit  jaloux  d'Esguilhj-Vassé... 

René  de  Vassé,  seigneur  d'Esgvilly,  deuxième  fils  de  Lancelot,  sieur 
de  Vassé,  baron  de  la  Rochc-Mabile  et  chevalier  des  Ordres,  et  de  Fran- 
çoise de  Gondy,  tante  du  cardinal  de  Retz.  En  16/|1,  trois  ans  après 
la  mort  du  beau  d'Egvilly,  Scarron  ecrivoit  à  propos  de  son  neveu  : 

Monsieur  de  Vassé,  le  .Manceau,  ^ 

Qui  n'est  encor  tiue  jouvenceau, 

Mais  dont  le  bien,  que  je  ue  mente, 

Vaut  quinze  mille  eseiisde  rente; 

S'il  peut  devenir  accomply 

Comme  estoit  son  oncle  Egvily, 

Il  fera  bien;  car  renommée 

Vaut  mieux  que  ceinture  dorée. 

[La  Lege7\de  de  Bourbon. OEiirres  diverses,  W  partir, 
édition  de  16S4.) 

XL  —  P   241,  lig.  21. 

La  Reyne,  à  ce  que  dit  le  Journal  du  Cardinal,  s'estoit  blessée... 

Voici  le  passage  :  «  M"*  Bellier  a  dit  an  sieur  Cardinal  en  grandis- 
»  sime  secret,  comme  la  Reyne  avoit  esté  grosse  dernièrement,  qu'elle 


I.OUIS    TREIZIESME.  271 

»  s'estoit  blessée  ;  que  la  cause  de  cet  accident  estoit  un  emplastre 
»  qu'on  luy  avoit  donné ,  pensant  faire  bien.  Depuis  Patrocle  m'en  a 
»  dit  autant,  et  le  médecin  ensuite.  » 

On  lit  aussi  dans  les  Mémoires  de  Rassompierre  :  a  La  Reyne  se  blessa 
»  en  courant  dans  une  salle  du  Lou\Te.  Elle  donnoit  le  bras  à  la  con- 
»  nestable  de  Luynes  et  à  M"*  de  Verneuil.  » 

Ce  Patrocle  avoit  une  jolie  femme,  qui  avoit  eu  la  petite  vérole  en 
Î652: 

Patrocle,  encore  une  autre  belle,  ' 

Mais  mariée  et  non  pucelle. 

Qui  fust  un  rare  objet  d'araour. 

Qui  plust  tant  à  toute  la  Cour, 

Qui  charraoit  de  sa  seule  veue 

Tant  elle  estoit  d'attraits  pourveue, 

A  le  visage  aussy  gasté 

De  ce  mal  plein  de  cruauté... 

On  reparlera  d'elle,  comme  le  type  de  l'Elmire  du  Tartufe,  dans  17/i5- 
toriette  de  Charpy.  Pour  son  mari,  il  etoit  ecujer  ordinaire  de  la  Reine 
en  1637.  {Mémoires  de  Lapone,  1755,  p.  17/i.) 

XII.  —  P.  242,  lig.  II. 

Son  premier  médecin  Herouard  a  fait  plusieurs  volumes... 

Histoire  particulière  du  roi  Louis  XIII^,  depuis  le  moment  de  sa 
naissance  jusqu'au  29  janvier  1628 ,  par  Jean  Herouard ,  premier 
médecin  du  prince.  Six  énormes  volumes  in-f",  écriture  très-fine, 
conservés  en  manuscrit  dans  notre  Bibliothèque  Impériale  ,  sous  le 
n°  8943.  Je  les  ai  parcourus,  et  j'avoue  n'y  avoir  remarqué  d'intéres- 
sant que  les  passages  suivans.  D'autres  apparemment  seront  plus  heu- 
reux que  moi. 

«  TROISIESME  AXNÉE  (1601). 

»  Est  foueté  la  première  fois  en  octobre  pour  avoir  fait  l'opiniastre. 
—  Mathurine  portoit  un  hault  déchausse.  —  Est  fort  cholere  et  pour 
cela  foueté  en  décembre.  —  Fort  opiniastre.  —  Crie  parfois  tout  le 
long  du  jour. 

»  En  janvier,  on  remarqua  que  le  Roy  l'ayant  fait  railler  avec  le  petit 
Frontenac  qui  begayoit,  depuis  cela  il  bégaya  et  se  faschoit  de  ne  pou- 
voir parler. 

»  Avoit  pour  violon  Boileau  et  pour  joueur  de  luth  Florent  Hindrect 
d'Orléans,  qui  l'eudormoient. 

»  Opiniastre.  —  Foueté  par  le  commandement  du  Roy.  —  Le  Roy 
le  foupto  quplquefois,  en  septembre,  sans  qu'il  pust  li^  faire  fleschir.  — 


272  LES   HISTORIETTES. 

Estoit  glorieux.  —  Ne  vouloit  pas  qu'on  fist  comme  luy.  —  Entroit 
souvent  en  mauvaise  humeur.  —  Estoit  fort  absolu. 

»  Le  jeune  du  Mousticr  tire  son  crayon.  —  Depuis  qu'il  estoit  levé, 
ne  s'asseoit  qu'à  disner  et  souper.  —  Joue  souvent  au  mail.  —  Entroit 
souvent  en  cholere  contre  le  Roy,  qui  aussy  le  traitoit  un  peu  sévère- 
ment. —  Ne  voyoit  guère  le  Roy  qu'il  ne  le  mist  eu  mauvaise  humeur. 

»  Ayant  fait  gageure  et  perdu  un  escu  contre  M"*  Vantelet,  est  es- 
tonné  et  ne  veut  point  entendre  au  payement.  —  Les  soldats  qu'il 
avoit  pris  pour  faire  l'exercice  luy  demandant  quelque  chose  pour 
leur  colation,  bat  le  tambour  et  leur  dit  :  «  Tenez  ,  vêla  du  vent  pour 
»  vostre  colation.  » 

»  Estoit  jaloux  de  M.  de  Vendosme,  qui  souppoit  quelquefois  de  ses 
restes,  sur  une  escabclle  au  bout  de  la  table.  —  Avoit  aversion  pour 
jime  (Je  Verneuil  et  pour  ses  enfans.  —  Elle,  semblablement,  le  voyoit  à 
contre-cœur. 

»  QIATRIESME   ANNÉE  (1605). 

»  Rioit  quand  il  voyoit  faire  du  mal  à  quelqu'un.  »  (On  tire  de  cela 
quelques  exemples.)  —  «  Estes-vous  marry  que  Madame  soit  malade  ? 

—  Non.  —  Aymé  la  musique  et  à  entendre  jouer  des  instrumens.  — 
Craint  la  pluye.  —  Disoit  souvent  les  vilains  mots  de  eu  et  de  merde.  — 
Est  tousjours  opiniastre  et  aussy  mal  mené  du  Roy.  —  Tousjours 
opiniastre.  —  Le  Roy  une  fois  le  foueta  luy-mesrae  par  deux  fois  et 
puis  le  quitta  là. 

»  Dansant,  comme  il  vit  qu'on  sousrioit  de  le  voir  si  joliment  faire  : 

—  Non,  je  ne  veux  pas  qu'on  rie,  je  ne  veux  pas  donner  du  plaisir.  » 

»    SIXIESME   ANNÉE  (1607). 

»  Estoit  mesnager.  —  Se  faisoit  souvent  foueter  pour  opiniastreté. 

—  Estoit  grand  observateur  des  gestes  des  personnes. 

»  DIXIESME   ANNÉE  (1611). 

»  Foueté  le  10  mars  (après  la  mort  du  Roy).  —  Le  2G  juillet,  on 
luy  oste  des  Yveteaux  et  on  luy  donne  Lefevre.  —  On  envoyé  le  cheva- 
lier de  Vendosme  à  Malthe  ;  il  s'en  tourmente  fort  et  le  Chevalier 
aussy  :  —  «  On  me  l'oste ,  parce  que  je  l'ayme.  » 

))    DODZIESME   ANNÉE  (1613). 

»  Est  foueté  deux  fois  en  quinze  jours.  —  Disoit  qu'il  ne  vouloit  point 
aller  au  sermon  de  Valadier,  parce  qu'il  ne  faisoit  que  crier  contre 
Pouillan  (Montpouillan),  un  de  ses  enfans  d'honneur,  et  Beringhen,  son 
premier  valet  de  chambre. 


LOUIS    TREIZIliSMli.  273 

»  (IGl'i). 
„  Apres  le  25  novembre  *,  flançaiUes  du  marquis  de  Sablé  avec  M"'  de    De   VM^^  p. -^  é- 
Souvré. 

H   TREIZIESME  ANNÉE   (ICIÙ). 

»  Une  petite  marcassine,  nourrie  par  Bonart,  porteur  d'eau  dans  la 
cuisine  du  Roy  :  lorsque  cet  homme  fust  mort,  elle  se  coucha  la  nuit 
contre  le  corps,  le  cherchoit  tousjours  quand  il  fust  enterré  et  ne  vou- 
lust  plus  manger,  mais  mourut  de  desplaisir.  Dont  le  Roy  fist  ces 
quatre  vers  : 

a  II  y  avoit  en  ma  cuisine 

11  Une  petite  marcassine, 

»  Laquelle  est  morte  de  douleur 

•>  D'avoir  perdu  son  gouverneur.  » 

))  Part  de  Paris  le  25  juillet,  pour  son  voyage  contre  les  Princes,  — 
Va  à  Orléans  le  8,  de  là  à  Blois  le  25,  puis  à  Tours  le  29,  et,  par  toutes 
ces  villes,  gaigne  le  prix  de  l'arquebuse  au  blanc  contre  les  Bourgeois. 

»  QUATORZIESME   ANNÉE   (1615). 

»  Un  lundy  6  juillet,  monte  à  cheval  la  première  fois  pour  y  ap- 
prendre sous  Pluvinol.  —  Le  13,  Monsieur  (Gaston)  fut  mis  entre  les 
mains  de  M.  de  Brèves. 

»  Le  18  octobre.  Madame,  fiancée  au  Roy  d'Espagne.  —  Le  21,  le 
Roy  va  chez  Beaumont-Mcnardeau,  où  Madame  estoit  logée,  pour  luy 
dire  adieu. 

))  Le  jour  de  son  mariage,  qui  se  fist  à  Sainct-André,  le  soir,  MM.  de 
Guise  et  Graniont  hiy  font  des  contes  gras  pour  l'asseurer;  ils  eurent 
de  la  peine.  Enfin,  il  s'asseure  ;  et  deux  fois,  à  ce  qu'il  nous  dit.  Il  y 
paroissoit  à  son  balanus  rouge.  Je  luy  ai  demandé  si  elle  vouloit  bien  ; 
m'a  dit  que  le  vouloit  bien. 

»  (1616). 

).  Mai  ou  juin,  en  cholere  contre  les  Espagnoles,  filles  de  la  Reyne, 
qui  luy  avoient  desrobe  mie  linote  ;  fait  rouler  un  petit  canon  et  menace 
qu'il  le  tireroit  contre  leur  porte ,  n'estoit  qu'il  craint  d'offenser  la 
Reyne  sa  mère.  —  Une  autre  fois,  cadenasse  leur  porte,  parce  qu'elles 
avoient  osté  les  clefs  à  Louyse,  fille  de  sa  nourrice. 

»  (1617). 

»  Part  de  Paris  pour  Rouen  le  11  novembre.  —  A  Dieppe  le  28î 
L'hostesse  de  VEscu  de  Bretagne  luy  dit  :  <*  Dieu  vous  donne  bonne  vie 
M.  18 


274  LES    HISTORIETTES. 

et  longue,  Sire  ;  autrefois  j'ay  baisé  vostre  père,  mais  je  voy  bien  que 
je  ne  vous  baiseray  pas. 

»  (1619). 

»  Le  25,  à  onze  heures  du  soir,  sans  qu'il  y  pensast,  M.  de  Luynes  le 
vient  quérir  pour  coucher,  etc.  »  (c'est-à-dire  avec  la  Reyne).  «  Y  résiste 
jusqu'aux  lannes;  y  est  emporté.  S'efforce  deux  fois;  (à  ce  qu'il  dit.  Me 
inscio). 

»  (1623). 

»  Permission  de  transmuer  du  fer  en  acier  pour  Louys  Leroux,  avec 
dcffcnse  d'imiter  les  secrets  dudit  Leroux  dans  . . .  ans,  sous  peine  de 
deux  mille  francs  d'amende.  » 

XIII.  —  P.  243,  note,  lig.  1. 

Luy  (Barradas),  amoureux  de  la  belle  Cressias. 

Gabrielle  deColigny,  lillc  de  Marc,  soigneur  de  Cressia(ou  Crecia), 
Barradas  l'opousa  plus  tard,  à  Bruxelles,  le  21  septembre  1632. 
On  trouve  dans  les  Recueils  manuscrits  ce  couplet  sur  la  belle  Cressia  : 

Crescia,  je  s»ils  bien  roarry, 
Vous  voy.int  si  belle  et  si  sage 
Que  vous  ne  trouviez  un  mary; 
Vous  en  cherchez  un,  je  le  gag:e. 

XIV.  —  P.  243,  note,  lig.  2. 

Le  Cardinal  se  servît  de  l'indignation  -du  Jioy  pour  s'en  desfaire(de 
Barradas). 

Voyez  pour  l'Historiette  Barradas  le  commentaire  de  M.  de  Noyers, 
tom.  II,  pp.  139  et  141. 

Le  Menagiana  assigne  une  autre  cause  à  la  disgrâce  de  Barradas  : 
«  Il  estoit  un  jour  à  la  chasse  avec  le  Roy,  lorsque  le  chapeau  de  ce 
»  prince  estant  tombé,  alla  justement  sous  le  ventre  du  cheval  deBar- 
»  radas.  Dans  ce  moment-là  ce  cheval  estant  venu  à  pisser  gasta  tout  le 
»  chapeau  du  Roy,  qui  se  mit  dans  une  aussy  grande  colère  contre  le 
»  maistre  du  cheval  que  s'il  l'avoit  fait  exprès.  Cet  accident,  qui  en 
n  auroit  fait  rire  un  autre,  fut  pris  en  très-mauvaise  part  par  le  Roy, 
n  qui  commença,  dez  ce  temps-là,  à  ne  plus  aimer  Barradas.  »  {Mena- 
giana, tom.  I,  p.  254,  édition  de  1715.) 

XV.  —  P.  243,  note,  lig.  4. 

La  Rcijne-mere  estoit  implacable  pour  Beaumarchais ,  à  cause  du  ma- 
reschal  de  Vitry,  son  gendre. 
Nicolas  de  l'Hospital,  marquis  puis  maréchal  de  Vitry,  meurtrier  du 


LOUIS    TREIZIESME.  275 

maréchal  d'Ancre,  avoit  épousé  Lucrèce-Marie  Bouhier,  fille  aînée  de 
Vincent  Bouhier  sieur  de  Beaumarchais ,  trésorier  de  l'épargne.  La 
sœur  de  la  maréchale  de  Vitry  avoit  épousé  le  surintendant  la  Vieu- 
ville. 

XVL  —  P.  245,  lig.  5. 
Cela  se  sceût  ;  Barradas  eut  ordre  de  se  retirer  à  Avignon. 

Alexandre  de  Campion,  dans  son  rare  Recueil  de  lettres  qui  peuvent 
servir  à  l'histoire,  Rouen  1G57,  p.  31,  laisse  deviner  et  le  projet  et  les 
incertitudes  du  comte  de  Soissons  :  «  Si  les  ennemys  poussent  du  costé 
»  de  Paris,  »  ecrit-il  le  9  août  1636,  «  ils  esbranleront  le  grand  ministre 
1)  qui  seroit  blasmé  du  Roy  et  de  tout  le  monde  d'avoir  laissé  les  places 
»  de  Picardie  despourveues  de  tout,  et  la  France  sans  poudre,  à  cause 
»  d'un  certain  party  qu'on  a  fait  à  Sabatier,  qui  est  cause  qu'il  en  faut 
»  attendre  de  Hollande  ;  et  mesme  l'on  pourroit  faire  souvenir  Sa  Ma- 
»  jesté  de  l'année  passée,  où  nous  fusmes  réduits  à  mander  les  arriere- 
»  bans...  Mon  avis  est  que  ceux  qui  haysseut  Monsieur  le  Cardinal  ne 
»  sçauront  se  servir  du  temps  pour  le  pousser  ;  mais  s'ils  tesmoignent 
»  leurs  intentions  et  qu'ils  le  manquent,  il  n'en  fera  pas  de  mesme,  s'il 
»  peut  sortir  de  l'embarras  présent.  C'est  de  quoy  vous  vous  souvien- 
»  drez,  et  peut-estre  dont  je  souffriray  un  jour  en  mon  particulier, 
»  comme  les  autres  qui  n'en  seront  pas  plus  coupables  que  moy.  » 

XVII.  —  P.  245,  lig.  13. 
//  sçavoit  faire  des  canons  de  cuir. 

Il  faut,  je  crois,  entendre  ici  la  partie  du  vêtement  qui  descendoit  de 
la  moitié  des  cuisses  à  la  moitié  de  la  jambe,  et  qu'on  appelloit  aussi 
des  tuyaux  de  chausse. 

Le  mot  cité  plus  bas  de  M.  d'Angoulôme  est  excellent,  parce  que  le 
bon  seigneur  avoit  eu  plus  d'une  fois  besoin  d'une  véritable  abolition 
pour  délits  du  môme  genre. 

XVIII.  —  P.  245,  note,  lig.  dernière. 

3f.  Godeau  est  encore  à  faire  ces  vers. 

On  lit,  sous  la  date  de  1635,  dans  le  livre  des  Ballets,  opéras  et  autres 
ouvrages  lyriques,  attribué  au  duc  de  la  Valliere,  Paris,  Bauche,  1760, 
in-8°,  p.  62  :  c(  Ballet  de  la  Merlaison,  à  seize  entrées,  dansé  par  Sa 
»  Majesté ,  au  chasteau  de  Chantilly,  le  15  mars  1635.  »  Paris,  Jean 
Martin,  1635,  in-4". 


^76 


LES    HISTORIETTES. 


XIX.  —  p.  2Z|6,  lig.  y. 
On  en  fist  une  chanson. 

Elle  est  intitulée ,  dans  les  Recueils  manuscrits  de  des  Réaux  con- 
servés k  l'Arsenal  :  Chanson  sur  ce  que  le  Roy  ne  laissa  plus  qu'un  tou- 
pet sur  la  lèvre  d'en  bas,  et  coupa  luy-mcsme  la  barbe  ou  la  fist  coupe^' 
en  sa  présence  à  tous  ses  officiers  et  courtisans. 

Dans  le  Recueil  de  Maurepas,  les  couplets,  car  il  y  en  a  plusieurs, 
sont  attribués  au  prince  de  Condé. 

Voici  nn  autre  couplet  sur  un  autre  air  : 

Beuvons  h  ce  niareschal. 
Sans  Cffal, 

Et  père  de  Raineval, 
Dont  la  barbe  a  près  d'une  auoe; 
C'est  monsieur  le  duc  de  Chaune. 

En  cfl'ot,  de  tous  les  courtisans,  le  duc  de  Chaulnes  et  le  cardinal 
de  Richelieu  avoient  seuls  conservé  leur  longue  barbe,  sans  la  couper 
k  la  Royale,  comme  Louis  XIII  en  avoit  fait  venir  la  mode.  Cette  royale 
est  devenue  aujourd'hui  V Impériale,  et,  comme  on  voit,  elle  doit  son 
origine  k  l'une  des  rares  espiègleries  de  Louis  XIII. 

XX.  —  P.  246,  lig.  25. 
Il  peignoît  un  peu. 

Dubois,  valet  de  chambre  de  Louis  XIII,  a  écrit  :  «  Le  premier  jour 
»  d'avril  (1643),  le  Roy  se  leva  et  fust  quasy  tout  le  jour  hors  du  lict 
»  et  travailla  fort  longtemps  à  peindre  certains  grotesques,  à  quoy  il  se 
»  divertissoit  ordinairement.  »  {Mémoire  des  choses  qui  se  sont  passées  à 
la  mort  de  Louis  XIII,  dans  le  Recueil  :  Curiosités  historiques ,  Amster- 
dam, 1759,  tom.  II,  p.  liU.) 

Le  rondeau  cité  sur  la  mort  du  Cardinal  est  imprimé  dans  le  Tableau 
de  ta  vie  et  du  gouvernement  de  MM.  les  cardinatix  Richelieu  et  Mazarin, 
Cologne,  Pierre  Marteau,  1603,  p.  125. 

XXI.  —  P.  249,  lig.  16. 

//  rabattit  aux  fauconniers  du  Cabinet  tes  bouts  quarrez  qu'ils  achep- 
toient...  des  escuyers  de  cuisine... 

Bouts  quarrés  ou  de  quartier;  quelque  chose  apparemment  comme 
|cs  bouts  soigneux  de  Fureticre  :  <(  L'extrémité  d'un  quartier  de  veau 
»  ou  (le  mouton,  du  costéde  la  gorge,  où  il  demeure  tousjoursdu  sang 
»  de  ces  animaux,  quand  on  les  tue.  » 


LOUIS  TKEiZIESME.  277 

L'anecdote  dos  paysans  de  Picardie  qu'on  lit  ensuite  ,  pouvoit  ûtre 
citée  comme  une  preuve  de  la  bonté  naturelle  de  Louis  XIII  ;  car  il  est 
peu  de  souverains  qui  veuillent  bien  exprimer  tout  haut  leur  chagrin 
du  mal  qu'on  a  fait  pour  les  mieux  servir.  Mais  des  Réaux  racontoit 
cela  d'après  M"""  de  Rambouillet  et  dans  les  dispositions  d'esprit  de 
cette  dame,  qui  n'avoit  guère  aimé  Henry  IV  et  ne  pouvoit  souffrir 
Louis  XIII.  Le  reflet  de  cette  antipathie  est  marqué  dans  nos  Histo- 
riettes. 

XXII.  —P.  251,  lig.  1, 
L'Eminentissime...  jetta  les  yeux  sur  Cinq-Mars. 

Ici,  des  Réaux  va  continuer  l'Historiette  de  Cinq-Mars,  déjà  fondue 
dans  celle  du  cardinal  de  Richelieu.  Il  va  tantôt  répéter,  tantôt  modi- 
fier plusieurs  points  de  sa  première  relation.  Comme  s'il  eût  été  fâché 
d'avoir  trop  maltraité  M.  de  Thou,  il  accordera  quelque  réparation  à 
cet  illustre  malheureux. 

Mais  il  paroît  se  tromper  en  conjecturant  que  le  marquis  de  la  Force 
avoit  eu  la  charge  de  Grand-maître  de  la  Garde-robe,  en  compensation 
de  celle  de  capitaine  des  Gardes-du-corps.  Armand  de  Caumont,  baron 
puis  marquis  de  la  Force,  l'avoit  reçue  du  maréchal  de  la  Force,  lequel 
avoit  obtenu  la  permission,  eu  1632,  de  s'en  défaire  en  faveur  de  son 
fils  aîné. 

M.  Bazin  remarque  qu'un  singulier  témoignage  du  crédit  de  Cinq- 
Mars  fut  d'avoir  fait  prendre  le  goût  des  plaisirs  de  la  table  et  l'usage 
du  vin  au  Roi,  qui,  jusqu'alors,  n'avoit  bu  que  de  l'eau.  Grotius  eut 
grand  soin  do  le  mander  en  Suède.  {Histoire  de  Louis  Xlll,  t.  ni,  p.  43.) 

XXIII.  —  P.  252,  lig.  9. 
Oh  m'a  dit  aussy  qu'en  je  ne  sçay  quel  voyage... 

Voilà  un  préambule  bien  vague  pour  une  anecdote  aussi  scandaleuse. 
Comment  le  témoin  on  n'avoit-il  conservé  ni  la  date  ni  le  but  du 
voyage  ?  D'abord,  on  sait  que  Louis  XIII  avoit  coutume  de  partager  son 
lit  avec  ceux  qu'il  aimoit  :  c'etoit  une  façon  d'agir  assez  commune, 
môme  à  la  Cour  ;  tout  le  reste  est  une  conjecture  de  la  malignité  :  car, 
remarquez-le  bien,  ce  prince,  ordinairement  si  timoré,  n'éconduit  pas 
môme  le  valet  de  chambre;  que  pour  partager  la  nuit  du  Roi,  le  jeune 
favori  juge  à  propos  de  se  tenir  propre  et  parfumé,  cela  n'a  rien  de 
bien  extraordinaire.  Mais  si  je  cherche  à  mettre  en  garde  le  lecteur 
contre  de  pareils  récits,  c'est  que,  dans  ma  conviction,  ils  auront  été 
dénaturés  :  pour  donner  lieu  aux  mauvaises  interprétations,  il  suf- 
fisoit  que  Louis  XIII  ne  pût  se  passer  d'avoir  un  favori,  d"aimor  vio- 


278  LES    HlSTORriîTTKS. 

lemment  quelqu'un.  Nous  avons  vu,  do  notre  temps,  un  des  descendans 
de  Louis  XIII,  l'immortel  fondateur  du  gouvernenuMit  représentatif  en 
France,  témoigner  les  mômes  penchans,  les  mêmes  foiblesses.  En  1819, 
les  chansons  des  rues  le  disoient,  et  chacun  le  répétoit  à  qui  mieux 
mieux  le  plus  bruyamment  du  monde,  mais  qui  ajoutoit  la  moindre; 
foi  à  tous  ces  flons-flons  ?  Je  crois  donc  qu'il  ne  faut  guère  prendie 
plus  au  sérieux  ce  que  des  Réaux  nous  dit  ici  des  relations  de 
Louis  XIII  avec  le  laid  Banadas,  le  déplaisant  Saint-Simon  ou  le 
jeune  Cinq-Mars. 

XXIV.  —  P.  253,  lig.  16. 

Son  aisné  est  mort  fou...  L'Abbé  est  fort  peu  de  chose. 

Cet  ahié  de  Cinq-Mars  est  Martin  Ruzé ,  maniuis  d'Efiiat ,  mort  en 
\&l\h.  Chilly  ctoit  un  maniuisat ,  près  de  Longjumeau.  Pour  l'Abbé, 
c'etoit  Jean  Ruzé ,  abbé  de  Saint-Sernin  de  Toulouse  et  pn'eur  de 
Saint-Eloy  de  Lougjumeau.  11  mourut  à  l'Arsenal  en  1608. 

XXV.  —  P.  256,  note,  lig.  21. 

M.  de  Thott  allégua  la  loij  Couscii...  mais  il  expliqua  mal  celte  loy. 

Voici  le  texte  :  «  Vlrum  ^\m  occidcrunt  parentes  an  etiam  conseil 
»  pœna  parricidii  adliciantui',  (iua3ri  potest?  Et  ait  Marcianus  etiam 
»  conscios eadcm  pœna adlicicndos,  non  sohim  parricidas.  »  (L.  vi.  Dig. 
de  Lege  Pompcia.)  Toute  la  question  repose  sur  le  vrai  sens  de  conscins; 
et  dans  ce  cas,  entendu  de  bonne  foi,  il  signifioit  le  complice,  non  celui 
qui  auroit  seulement  eu  connoissance  du  crime. 

XXVI. —P.  258,  lig.  12. 

te  bon  père  (Sirmond)...  ne  fait  que  de  petits  livres... 

Le  père  Sirmond,  mort  en  1651,  ne  méritoit  pas  ces  reproches.  Il  a 
fait  beaucoup  de  volumes  in-f"  très-estimés,  et  Sublet  des  Noyers  avoit  été 
la  cause  bien  involontaire  de  sa  disgrâce,  arrivée  en  mars  1643,  vingt 
jours  avant  la  sienne,  [t'oi/.  Bazin,  Histoire  de  Louis  XIII,  tom.  iii, 
j).  2  0/J-206.)  Peut-être  au  lieu  de  Sirmond,  des  Réaux  a-t-il  pensé  ccrii-e 
Caussin,  lequel,  ayant  succédé  en  1637  au  père  Sirmond,  fut  lui-même 
remplacé  par  le  père  Dinei,  celui  qui  assista  Louis  XIII  h  ses  derniers 
momens. 


LOUIS  TREIZIESME.  !279 


XXVII.  —  p.  258,  note  2. 

//  fist  baptiser  le  Dauphin,  etc. 

Louis  XIV  fut  baptisé  le  mardi  21  avril  1643,  à  Saint-Germain.  La 
marraine  fut  M""^  la  princesse  Charlotte-Marguerite  de  Montmorency  ; 
le  cardinal  Mazarin  (  des  Réaux  est  du  petit  nombre  de  ceux  qui  le 
remarquent  ),  ne  fut  parrain  que  par  représentation  du  Pape. 

Blot,  à  la  mort  de  Louis  XIII,  fit  ces  couplets,  qu'il  présenta  à  Gaston 
et  qu'il  convient  de  réunir  à  son  œuvre  : 

Un  mort  causoit  nostre  resjoulssance, 
Les  gens  <ie  bien  vivoient  en  espérance  ; 
Mais 

Je  crains  que  sous  la  Régence 

On  ne  soit  pis  que  jamais. 

On  va  disant  que  la  Reyne  est  si  bonne, 
Qu'elle  ne  veut  faire  mal  à  personne. 
Mais 
'  Si  lestranger  en  ordonne. 

Tout  ira  pis  que  jamais. 

Le  Cardinal  est  mort,  je  vous  asseure, 
O  le  grand  mal  pour  la  race  future  ! 
Mais 

La  présente,  je  vous  jure. 

Ne  s'en  faschera  jamais. 

Il  a  vescu  d'une  vie  non  commune. 
Qu'il  a  quitté  plus  tost  que  sa  fortune   - 
Mais 

Que  deviendra  sa  pecune, 

Ne  la  verrons-nous  jamais? 

S'il  eust  vescu,  prince  de  haut  mérite, 
Il  s'en  alloit  renverser  ta  marmite; 
Mais 

Donnous-luy  de  l'eau  bénite. 

Et  qu'on  n'en  parle  jamais. 

Voyez  dans  le  Commentaire  de  V Historiette  de  Gaston ,  ce  qu'on  dit 
de  Blot  et  de  ses  chansons. 

XXVm.  —  P.  259,  lig.  2. 

Afin  que  tous  nos  bons  sujets  aillent  en  paradis,  car  tel  est  nostre 
plaisir. 

On  devine  bien  que  la  citation  du  des  Réaux  rend  la  formule  plus 
plaisante  qu'elle  n'est  en  effet  :  «  Afin  que  sous  une  si  puissante  pa- 


280  LES    IIISTORIE^TIÎS. 

»  troue,  notre  royaume  soit  à  couvert  de  toutes  les  eui  reprises  de  ses 
i>  enncniys  ;  qu'il  jouisse  longuement  d'une  bonne  paix,  que  Dieu  y  soit 
»  servy  et  révéré  si  saintement  que  nous  et  nos  sujets  puissions  arriver 
»  heureusement  à  la  dernière  fin  pour  laquelle  nous  sommes  créés.  Car 
»  tel  est  notre  plaisir.  « 

XXIX.  —  P.  259,  lig.  14. 

Il  disoit,  en  regardant  le  clocher  de  Saint-Denis  :  «  l'oijlà  oit  je  seray 
bientost.  » 

Cela  se  trouve  ,  avec  d'autres  curieux  détaiis  sur  la  mort  de 
Louis  XIII,  dans  la  Relation  de  Dubois,  un  de  ses  valets  de  chambre. 
Ce  Mémoire  est  fort  honorable  pour  le  bon  Dubois  ;  mais  on  ne  peut 
gul-re  s'empêcher  de  sourire  de  la  iiaïveté  du  conteur;  par  exemple 
quand  il  dit  :  «  Je  l'observay  recevant  le  saint  viatique.  Je  voyois  d(ï 
1.  grosses  larmes  qui  luy  tomboient  des  yeux,  avec  des  élévations  con- 
»  linuelles,  qui  faisoient  cnnnoistre  évidemment  un  conniierce  d'amoui- 
»  entre  Leurs  Majcstcz  divine  et  humaine.  » 

XXX.  —  P.  259,  lig.  pénultiî-mc. 

//  leur  dit  qu'elle  (jasteroit  tout,  s'ils  la  faisoient  régente  comme  la  feu 
lieyne-mere. 

C'est-à-dire  avec  toute  l'autorité  qu'avoit  eue  la  Reine  Marie  de  Me- 
dicis;  car  la  déclaration  du  Roi  donnoit  la  Régence  à  Anne  d'Autriche. 
On  peut  voir,  d'après  les  réflexions  de  des  Réaux,  dans  (luelles  disposi- 
tions d'esprit  il  fit  ou  auroit  fait  les  Mémoires  de  la  Régence. 

Les  termes  de  la  déclaration  de  Régence  ne  parurent  pas  blesser  la 
Reine  ;  après  les  avoir  entendus,  elle  se  mit  t\  genoux  pour  recevoir  la 
bénédiction  du  Roi  mourant.  Et  (|uant  aux  mépris  de  Louis  XIII,  Anne 
d'Autriche,  comme  épouse,  pouvoit  avoir  d'assez  bons  motifs  pour  les 
lui  rendre. 


LXXXVllI.  -  LXXXIX. 

M.    D'ORLEANS     (GASTON) 

ET    SAUVAGE. 

{Gaslon-Jean-Baptisle  de  France,  duc  d'Orléans^   né  25   avril    1608, 
mort  2  févriei'  16G0.  ) 


avenant, 
ble 


M.  d'Orléans  estoit  fort  joly  *  en  son  enfance,  et  on  ^,,^^l^^'u7a|Xf 
luy  faisoit  dire,  il  y  a  sept  ou  huict  ans,  en  voyant 
le  Roy  et  M.  d'Anjou  :  «  Ne  vous  estonnez  de  rien  ; 
»  j'estois  aussy  joly  que  cela.  »  Il  fit  pourtant  une 
chose  fort  ridicule  à  Fontainebleau  où  il  fit  jetter 
dans  le  canal  un  gentilhomme  qui,  à  son  avis,  ne  luy 
avoit  pas  porté  assez  de  respect.  11  y  eut  du  bruict 
pour  cela  ;  il  ne  vouloit  point  demander  pardon  à  ce 
gentilhomme,  —  quoyqu'on  luy  rapportast  l'exemple 
de  Charles  IX'  qui  estoit  roy  :  car  ayant  sceû  qu'un 
homme  auquel,  dans  l'ardeur  de  la  chasse,  il  avoit 
donné  un  coup  de  houssine  (  l'autre  s' estant  mis  mal 
à  propos  dans  son  chemin  ) ,  estoit  gentilhomme,  il 
dit  :  «  Je  ne  suis  que  cela,  »  et  luy  en  fist  satisfac- 
tion. L'autre  pourtant  ne  voulut  jamais  paroistre  à  la 
Cour.  —  La  Reyne-mere  vouloit  qu'il  *  cust  le  fouet, 
et  cela  l'v  fist  résoudre. 


282  LES    HISTORIETTES. 

M.  d'Orléans  s'est  plaint  plusieurs  fois  qu'on  ne 

luy  avoit  donné  pour  gouverneurs  qu'un   Turc  et 

u,arqùr'fie ^r7v7s:  qu'uu  CoTse,  M.  de  Brèves"',  et  le  mareschal  d'Or- 

{,'ouverncur  en  1615.  ^       _, 

mort  A''vJèn™eT"n  "^"^  ""  ^^  marcsclial  *  avoit  un  plaisant  scrupule  :  il 
^^^^'  n'osoit  toucher  à  pas  une  femme  qui  eust  nom  Ma- 

rie, tant  il  avoit  de  dévotion  pour  la  Vierge.  Amou- 
reux de  M"'  de  Gravelle,  il  la  fit  peindre  avec  des 
rayons  qui  luy  sortoient  des  yeux  ,  et  il  y  avoit  au 
bas  : 

Et  de  ses  yeux  sortoient  de  grands  rayons. 

M.  d'Orléans  a  tousjours  esté  assez  bon  %  et  il  ne 
manque  point  d'esprit.  Il  a  beaucoup  de  mémoire  ; 
il  sçait  tous  les  simples  par  cœur.  A  propos  de  cela, 
Brunier,  son  premier  médecin ,  un  jour  que  dans 
le  Jardin  des  simples  il  luy  contoit  je  ne  sçay  quoy 
qu'il  avoit  fait  qui  n'cstoit  pas  trop  raisonnable,  luy 
dit  naïfvement  :  «  Monsieur,  les  aliziers  font  les 
»  alizés,  et  les  sottisiers  font  les  sottises  \  » 

*  n  avoit  esté  si  longtemps  à  Constantinoplc  qu'il  en  estoit  devenu 
tout  mahomûtan. 

"-  Fils  d'Alphonse,  Corso. 

■'  Un  jour,  comme  il  y  avoit  beaucou))  de  courtisans  avec  luy  à  son 
lever,  une  monstre  d'or  sonnante  qu'il  aimoit  fort  fut  volée.  Quelqu'un 
dit  :  «  Il  faut  fermer  les  portes  et  fouiller  tout  le  monde.  »  Monsieur 
dit  humainement  :  «  Au  contraire,  messieurs,  sortez  tous,  de  peur  que 
n  la  monstre  ne  vienne  à  sonner  et  à  descouvrir  celuy  qui  s'en  est  acco- 
modé.  »  Et  il  les  fit  tous  sortir. 

Il  voyoit  les  personnes  de  qualité,   et  ne  faisoit  point  comme  on 

Philippe <lc  France,    veut  que  M.  d'Anjou  *  fasse, 
auteur  de  la  branche        ,    _,,  , 

'l'Orléans.  ''  C  est  un  proverbe. 

—  Monsieur  s'avisa  une  fois  de  faire  une  espèce  d'académie  chez  luy, 

où  il  mit  pour  rire  plus  de  qualre  personnes  qui  sçavoient  à  peine 

lire.  Il  disoit  que  c'i^stoit  pour  voir  connncnt  ils  se  débarrasseroient 


M.     D'ORLEANS    (gASTOIN).  283 

La  plus  belle  chose  qu'il  ayt  faitte  en  sa  vie,  c'est 
d'avoir  gardé  la  foy  à  sa  seconde  femme  *,  et  n'avoir  "'"'^"*'?aine!"'  '"'" 
jamais  voulu  l'abandonner.  C'est  une  pauvre  idiote'. 
Quand  on  les  remaria  à  Meudon,  après  la  mort  du 
Cardinal ,  elle  pleuroit ,  parce  qu'elle  croyoit  avoir 
esté  en  péché  mortel  jusques  là  -. 

En  une  desbausche  où  chacun  contoit  quelque 
chose  poui-  se  mocquer  du  cardinal  de  Richelieu  % 
M.  de  Ghavigny  en  fit  aussy  un  conte.  M.  d'Orléans 
luy  dit  en  souriant  :  Et  tu  quoque,  fili?  car  on  di- 
soit  qu'il  estoit  filz  du  Cardinal  qui,  estant  jeune, 
avoit   couché    avec  M'"*^   Bouthillier  '*.   C'est  cette 


de  cette  uffairc-là.  Le  Boulay-BruLart,  neveu  du  chancellier  de  Sillery, 
capitaine  de  Luxembourg*,  eut  quinze  mille  livres  pour  accommoder    Où  logcoit Monsieur, 
la  salle,  fournir  de  papier,  d'encre,  de  quelques  livres,  etc.  On  trouva 
qu'il  n'avoit  rien  fait  de  ce  qu'il  falloit.  Monsieur  le  fait  venir  :  «  Je 
»  vous  diray  la  vérité  *,  dez  que  j'ay  esté  ti-esorier,  je  suis  devenu  vo-  nitBouiay. 

»  leur  comme  les  autres,  et  j'ay  tout  mis  dans  ma  bourse.  »  Voylà  tout 
le  monde  à  se  ruer  contre  luy  ;  il  se  sauve  ;  il  en  fut  quitte  pour  quel- 
ques livres  qu'on  luy  jetta  à  la  teste,  et  l'Académie  alla  à  vau  l'eau. 
C'estoit  un  assez  plaisant  homme  que  ce  Boulay:  quelqu'un  l'avertit 
qu'il  sentoit  fort  mauvais  et  qu'il  y  devoit  mettre  ordre  :  «  C'est,  » 
respondit-il,  «  à  ceux  qui  en  sont  incommodez  à  y  mettre  ordre  ;  pour 
»  moy,  cela  ne  me  fait  aucune  peine.  » 

Un  jour,  entre  chien  et  loup,  dans  les  rues  de  Paris,  il  fut  arresté 
par  des  voleurs.  «  Ah  !  Messieurs,  »  leur  dit-il  en  riant,  «  vous  ouvrez 
»  de  bonne  heure  aujourd'huy.  » 

1  Et  qui  pourtant  a  de  l'esprit. 

2  Elle  est  belle,  mais  elle  a  les  dents  gastées  et  tient  la  teste  entre 
les  espaules.  11  est  vray  qu'elle  se  redresse  en  dansant  et  danse  bien. 
C'est  tout  le  contraire  de  sa  devancière,  qui  estoit  fiere  comme  un 
dragon.  —  Le  Roy  se  resjouit  fort  quand  il  vit  qu'elle  n'avoit  fait 
qu'une  fille,  et  cria  :  «  Tout  est  fendu.  » 

^  Luy  qui  s'est  laissé   tousjours    gouverner ,   se    plaignoit  que  le 
raidinal  de  Richelieu  gouvernast  le  Roy,  son  frère. 
'•  Elle  est  Bragelonne  *.  j^'''"'c  f)c  ^- 


284  LES    HISTORIETTES. 

femme  qui  a  lait  la  fortune  de  la  maison.  Elle  fit 
mettre  son  mary  chez  la  Reyne-mere,  et  en  suitte  il 
devint  surintendant  des  Finances.  Elle  fit  aussy  don- 
ner la  coadjutorcrie  de  Tours  à  son  beau-frere. 
Parlons  un  peu  de  ses  amours  :  Monsieur  estant 
veuf,  il  estoit  bien  jeune  encore,  disoit  :  «  Je  ne  suis 
»  guères  propre  à  la  galanteria  qui  règne  encore, 
»  de  faire  le  malade ,  d'estre  pasle  et  de  s'esva- 
»  nouir.  »  En  elîect,  il  a  tousjours  esté  vermeil.  Je 
pense  qu'il  a  eu  des  amourettes  en  Flandres,  mais  je 
n'ay  rien  trouvé  de  mémorable.  A  son  retour,  il  de- 
vint amoureux  d'une  belle  personne  du  quartier 
Saint-Paul ,  nommée  M'""  de  Ribaudon  :  elle  estoit 
Bragelonne.  On  en  fit  des  vaudevilles  : 

I^a  Ribaudon,  quand  Monsieur  le  regarde, 
Père,  frère,  mari,  tout  le  monde  est  en  garde. 
Tout  doux,  etc 


Autres 


Monsieur  dit  à  la  Ribaudon  : 
Si  tu  le  veux  nous  le  ferons, 
Tutainc,  tuton,  tulaine, 
Tutu, 
Ton  mari  cocu  ; 

Ton,  ton 
Monsieur  Ribaudon, 
Tulaine,  tuton,  tutaine. 

La  belle  luy  a  respondu  : 
Vous  estes  un  beau  Lanlurlu, 
Tutaine,  tuton.  tutaine, 
Tutu, 


M.    d'ORLEANS    (GASTON  ).  î285 

Pour  faii'e  cocu 
Ton,  ton, 
Monsieur  Ribaudon, 
Tu  laine,  tuton,  tutaine. 

En  ce  temps-là,  il  jouoit  et  mangeoit  fort  souvent 
avec  les  dames  du  voisinage  de  cette  belle.  Il  fai- 
soit  cas  de  M"'''  de  Ribaudon,  mais  on  ne  dit  point 
qu'il  en  ayt  receû  aucune  faveur.  Depuis,  elle  mou- 
rut pour  ne  s'estre  pas  assez  conservée*.  Elle  estoit  on  «liroit  anjour- 

•*  *■  a  nui  :  soignée. 

délicate,  et  vouloit  faire  tout  ce  que  font  les  plus 
robustes. 

Après  M"'  de  Ribaudon ,  Monsieur  aima  une  fille 
de  Tours,  appellée  Louyson  Roger.   Elle  apparte- 
noit  aux  principaux  de  la  ville.  M.  de  Montbazon, 
avant  cela  \  luy  avoit  donaé  une  petite  plaque  d'ar- 
gent;  Monsieur  luy  en  donna  une  grande.  Cette 
fille  estoit  plaisante  et  avoit  l'esprit  vif;  un  jour, 
comme  ils  causoient ,  elle   se  mit  à  crier  :  «  Ah  ! 
»  mon  Dieu  !  la  grande  plaque  de  Monsieur  a  pensé 
»  engloutir  la  petite  plaque  de  M.  de  Montbazon.  » 
Elle  fut  deux  ans  à  ne  vouloir  pas  souffrir  que  Mon- 
sieur luy  parlast  qu'en  présence  de  deux  prudes. 
Une  fois  il  fit  semblant  de  se  vouloir  tuer.  Les  pa- 
ïens, lasches  et   intéressez,   fermoient  les  yeux  à 
tout  ;  il  en  jouyt  à  la  fin.  Elle  en  devint  si  sotte , 
qu'elle  ne  faisoit  pas  asseoir  les  dames  de  la  ville. 
Il  y  eut  bien  des  resjouissances  durant  cette  amou- 
rette; mais  la  jalousie  s'y  mit  bientost,  car  l'Espi- 

'  Il  avoit  du  bien  auprès  de  Tours  et  y  estoit  souvent. 


286  LES    HISTORIETTES. 

nay,  gentilhomme  de  Normandie  qui  esloit  alors 
comme  le  favory  de  Monsieur,  fut  disgracié  et 
Louyson  aussy.  Ce  l'Espinay,  à  ce  qu'on  dit,  avoit 
scrvy  si  fidèlement  son  maistre  auprès  de  cette 
fille,  qu'on  a  cru  qu'il  y  avoit  passé  le  premier.  Il 
vescut  avec  si  peu  de  discrétion,  que  le  bruit  en 
vint  aux  oreilles  du  Roy.  11  ne  manqua  pas  d'en 
railler  Monsieur,  (jui  jusques  là  ne  s'estoit  douté  de 
rien,  quoyqu'il  soit  honnestement  soupçonneux.  La 
première  fois  qu'il  vit  la  belle,  il  luy  fit  tout  con- 
fesser, et  l'Espinay,  sçachant  cela,  fut  si  impru- 
dent ,  qu'au  lieu  de  luy  escrire  qu'il  s'estonnoit 
qu'elle  dist  le  contraire  de  ce  qu'elle  sçavoit,  luy 
escrivit  par  le  comte  de  Brion  une  lettre  par  la- 
quelle il  la  prioit  de  luy  envoyer  de  ses  cheveux  '. 
Louyson  ne  la  voulut  pas  recevoir  et  en  avertit 
Monsieur.  Il  fit  fouiller  Brion,  et  ne  luy  trouva  point 
la  lettre  ;  mais  quand  on  fut  chercher  à  son  logis , 
elle  fut  trouvée  dans  la  paillasse  de  son  lict*. 


1  On  dit  <]ue  ce  fut  des  cheveux  d'un  certain  endroit. 

2  La  Rivière  disoit  que  M.  d'Orléans  avoit  trouvé  dans  les  chausses 
de  M.  de  Brion  une  lettre  de  Louyson  à  l'Espinay  ;  il  délibéra  de  le 
faire  poignarder,  il  en  parla  au  feu  Roy  qui  en  fut  d'avis,  car,  outre 
qu'il  estoit  naturellement  un  peu  cruel,  il  croyoit  que  cet  exemple 
reticndroit  ceux  qui  s'esmancipoient  d'en  conter  à  M"*  de  Hautefort  ; 
mais  le  cardinal  de  Richelieu,  qui  fut  de  ce  conseil,  empescha  la  chose. 
Monsieur  fit  pourtant  mettre  des  gardes  autour  du  logis  de  Louyson, 
la  nuict,  avec  ordre  de  tuer  l'Espinay,  s'il  y  venoit. 

—  Variante  :  La  Rivière  disoit  que  Monsieur  avoit  demandé  conseil 
au  Roy,  et  que  le  Roy,  qui  estoit  alors  amoureux  et  jaloux  d'Hautefort, 
pour  faire  un  exemple,  luy  conseilla  de  le  faire  tuer.  «  Cependant,  » 
adjousta  Monsieur,  «  il  seroit  bon  d'avoir  sur  cela  l'avis  du  cardinal 
»  de  Richelieu.  »  Le  Cardinal,  qui  n'aimoit  pas  que  la  Cour  s'accoustu- 


yoy.  tom.  I,  p.  492 
et  49*. 


M.    d'orleaas  (gaston).  287 

L'Espinay  chassé  s'en  alla  en  Hollande,  où  il  eut 
facilement  accez  chez  la  reyne  de  Bohême*.  Gomme 
il  y  entra  avec  la  réputation  d'un  homme  à  bonne 
fortune ,  il  y  fut  tout  autrement  regardé  qu'un 
autre,  et,  dans  l'ambition  de  n'en  vouloir  qu'à  des 
princesses  ou  à  des  maistresses  de  princes,  on  dit 
qu'il  cajolla  d'abord  la  mère,  et  après  la  princesse 
Louyse ,  car  les  Louyses  estoient  fatales  à  ce  gar- 
çon. On  cUt  que  cette  fille  devint  grosse,  et  qu'elle 
alla  pour  accoucher  à  Leyde,  où  l'on  n'en  faisoit 
pas  autrement  la  petite  bouche.  La  princesse  Elisa- 
beth, son  aisnée,  qui  est  une  vertueuse  fille,  une 
fille  qui  a  mille  belles  connoissances  et  qui  est  bien 
mieux  faitte  quelle,  ne  pouvoit  souffrir  que  la  Reyne 
sa  mère  vist  de  bon  œil  un  homme  qui  avoit  fait  un 
si  grand  affront  à  leur  maison.  Elle  excita  ses  frères 
contre  luv  ;  mais  l'Electeur  *  se  contenta  de  luy  ietter     charies-Louis,eiec- 

"  teur-palatin,   dépos- 

son  chapeau  à  terre,  un  jour  qu'estant  à  la  prome-  sefu^>  p"*»  létabu  en 
nade  à  pié,  il  s'estoit  couvert,  par  ordre    de  la 
Repaie ,  à  cause  qu'il  pleuvoit  un  peu.  Mais  le  plus 

mast  à  faire  assassiner  les  gens,  luy  dit  qu'il  n'estoit  point  de  cet  avis-là. 
—  Autre  variante:  J'ay  sceû  d'un  de  mes  amys,  qui  le  tenoit  de 
l'abbé  de  la  Rivière,  que  l'Espinay  s'en  allant  à  Paris,  après  que 
Monsieur  l'eust  chassé,  rencontra  M.  de  Brion  à  Estampes,  à  qui, 
conune  à  son  amy,  il  donna  une  lettre  pour  Louyson,  où  il  y  avoit  que 
sa  disgrâce  n'estoit  un  malheur  pour  luy  qu'à  cause  qu'elle  l'esloi- 
gnoit  de  ce  qu'il  aimoit,  et  qu'il  n 'avoit  pour  toute  consolation  que  le 
plaisir  de  baiser  le  brasselet  de  cheveux  d'où  elle  sçavoit,  qu'elle  luy 
avoit  donné.  Monsieur  est  averty  que  M.  de  Brion  avoit  veù  l'Espi- 
nay en  chemin.  D  attend  que  Brion  fust  couché,  puis  il  va  dans  sa 
chambre,  et  se  saisit  de  son  haut-de-chausses  où  estoit  la  lettre, 
Voylà  ce  qui  l'acheva  de  persuader  que  Louyson  luy  avoit  fait  infi- 
délité. 


288  LliS    HISTORIETTES. 

jeune  de  tous,  nommé  Philippe  ',  ressentit  plus  vive- 
ment cette  injure,  et  un  soir,  proche  du  lieu  où  l'on 
se  promené  à  la  Haye,  il  attaque  l'Espinay,  qui 
estoit  accompagné  de  deux  hommes,  et  luy  n'en 
avoit  pas  davantage.  Ils  se  battirent  quelque  temps: 
il  survint  des  gens  qui  les  séparèrent.  Tout  le  monde 
conseilla  à  l'Espinay  de  se  retirer,  mais  il  n'en  vou- 
lut jamais  rien  faire.  Enfin,  un  jour  qu'il  avoit  disné 
Gaspard  coignet,  chcz  M.  dc  la  Tuillcric*,  ambassadeur  de  France,  il 

comte   de  Coiirson  , 

morten'i'eM';""''""''  sortit  avcc  dcs  Loges  '\  Si  l'on  eust  cru  que  le  prmce 
Philippe  eust  osé  le  faire  assassiner  en  plein  jour, 
on  n'cust  pas  manqué  de  le  faire  accompagner,  et 
il  s'en  fallut  peu  que  M.  de  la  Vieuville%  qui  avoit 
aussy  disné  chez  l'Ambassadeur,  ne  prist  le  mesme 
chemin.  11  fut  donc  attaqué  par  huit  ou  dix  Anglois, 
en  présence  du  prince  Philippe.  Des  Loges  ne  mit 
point  l'espée  à  la  main  ;  l'Espinay  seul  se  défend 
le  mieux  qu'il  put  ;  mais  il  fut  percé  de  tant  de 
coups  que  les  espées  se  rencontroient  dans  son 
corps.  Il  voulut  taschcr  à  se  sauver,  mais  il  tomba  ; 
toutefois  il  fit  encore  quelque  résistance  à  genoux, 
et  enfin  il  rendit  l'esprit. 

Pour  ce  qui  est  de  la  princesse  Louyse  \  M"''  de 
Longueville  escrivoit  de  la  Haye,  où  elle  la  vit, 
allant  à  Munster  :  «  J'ay  veû  la  princesse  Louyse, 


1  II  fut  tu(î  depuis  à  la  bataille  de  Rhetel. 

2  Le  filz  de  M'""  des  Loges,  Voy.  —  (L'Historiette  de  cette  dame.) 
'  Le  duc  aujourd'huy. 

''  Elle  a  changé  de  religion  et  est  abbesse  de  Maubuisson,  oi'i  elle 
mené  une  vie  exemplaire. 


M.  d'orleans  (gastoîn).  :289 

»  et  je  ne  croy  pas  que  personne  envie  à  l'Espinay 
»  la  couronne  de  son  martyre.  »  Pour  la  reyne  de 
Bohême,  on  croit  seulement  qu'elle  estoit  bien  aise 
que  sa  fille  se  divertist.  L'Espinay  estoit  bien  à  la 
cour  du  prince  d'Orange,  quin'estoit  pas  fasché  qu'il 
fust  souvent  avec  son  filz;  il  a  voit  l'esprit  adroit, 
et  asseurément  il  y  auroit  fait  quelque  fortune. 

Cependant  la  pauvre  Louyson,  voyant  que  Mon- 
sieur ne  vouloit  pas  reconnoistre  le  filz  dont  elle 
estoit  accouchée,  se  mit  en  religion  à  Tours  ',  donna 
à  ses  amies  tout  ce  qu'elle  a  voit  pu  avoir  de  chez 
elle  et  de  Monsieur ,  et  ne  laissa  que  vingt  mille 
hvres  à  son  filz,  du  revenu  desquelles  on  l' entretien- 
droit  jusques  à  ce  qu'il  fust  reconnu,  ou  qu'il  fust  en 
estât  de  s'aller  faire  tuer  à  la  guerre,  si  on  ne  le 
vouloit  pas  reconnoistre  -.  Ce  petit  garçon  mit  une 
fois  l'espée  à  la  main  ;  quelqu'un  luy  dit  :  «  Ren- 
»  guaisnez ,  petit  vilain  ;  voylà  le  vray  moyen  de 
»  n'estre  jamais  reconnu  ^.  »  Elle  vit  bien  ;  et  estant 
supérieure  du  Couvent,  on  luy  vint  dire  :  «  Madame, 
»  on  a  fait  quatre  cens  toises  de  muraille.  —  Je 
»  n'entends  point  cela,  »  respondit-elle ,  «combien 
»  sont-ce  d'aunes?  »  Il  n'y  a  que  quatre  ans  que 
Monsieur  passant  à  Tours  eut  envie  de   la  veoir; 

^  Aux  Filles  de  la  Visitation. 

2  Le  filz  de  Louyson  est  mort  en  Espagne,  au  service  des  Espagnols. 

5  Monsieur  n'est  nullement  brave. — Le  vieux. .Lambert,  gcnverneur 
de  Metz,  qui  avoit  servy  longtemps  sans  recevoir  une  esgrati^ure, 
disoit  en  riant  :  «  Un  tel  (j'en  ay  oublié  le  nom),  M.  d'Orléans  et  ùioy, 
»  quoyque  nous  ayons  bien"  esté  aux  coups,  n'avons  pourtant  jamais 
»  esté  blessez.  » 

H.  19 


290  LES    HISTORIETTES. 

Madame  l'en  empescha.  Elle  envoya  du  fruict  à  Ma- 
dame. Mademoiselle  a  pris  amitié  pour  ce  petit  gar- 
çon, qui  est  fort  joly,  et  elle  Ta  auprès  d'elle.  Mon- 
sieur n'a  garde  de  le  reconnoistre ,  car,  outre  qu'il 
croit  que  l'Espinay  en  est  le  père,  il  luy  faudroit 
donner  du  bien. 

M.  d'Orléans  a  tousjours  l'esprit  un  peu  page  \ 
Un  jour  qu'il  vit  un  des  siens  qui  dormoit  la  bouche 
ouverte,  il  luy  alla  faire  un  pet  dedans.  Ce  page, 
demy-endormy,  cria  :  «  Bougre  !  je  te  chieray  dans  la 
»  gueule.  »  Monsieur  avoit  passé  outre.  Il  demande 
à  un  valet  de  chambre  nommé  du  Fresne  :  «  Qu'est- 

'  Il  a  un  peu  fait  le  fou  eu  sa  jeunesse,  et  la  nuict,  il  a  bruslé  plus 
Du  Pie3sis-Besan-   d'un  auvent  de  savettier.  —  Bezançon  *,   qui  le  quitta  depuis ,  luy 

çoiijd'aborïl  au  non-      ,  .  .  ,     ,  ,  •  ,  > 

nestabie  de   Lesdi-  chanta,  une  fois  en  une  desbausche,  un  impromptu  sur  une  chanson 
'^"'  "^^^^  à  boire  qui  couroit  à  la  louange  du  cabaret,  et  dont  la  reprise  estoit: 

Mais  parce  qu'au  tac  du  couteau 
On  a  tout  ce  que  ron  demande. 

C.aston,  qui  sçavez  mieux  que  nous 
Tous  les  secrets  de  la  taverne, 
De  cetuy-ey  souvenez-vous. 
Du  bien  je  crains  qu'on  ne  vous  berne. 
Ma  foy,  nefaittcs  pas  le  veau. 
Frappez  si  fort  qu'on  vous  entende  ; 
Puisqu'au  seul  tac  tac  ilu  <'outeau 
l)n  a  tout  ce  que  l'on  demande. 

—  Blot  fut  une  fois  bien  malade  -,  quelqu'un  dit  à  Monsieur  :  «  Vous 
»  avez  pensé  perdre  un  de  vos  serviteurs.  —  Ouy,  »  respondit-il,  «  un 
»  beau  f....  serviteur.  »  Blot,  guery,  ayant  appris  cela,  fit  un  couplet 
qui  finissoit  ainsy  : 

S'il  perd  un  fichu  serviteur, 
Ferd»ol9-ie  pas  un  flchu  maistre? 

C'jla  fut  rapporté  à  Monsieur,  il  en  rit,  et  bien  loin  de  s'en  fascher, 
il  fit  une  desbausche,  le  jour  mesme,  où  Blot  fut  convié,  et  on  y  chanta 
ce  couplet  plus  de  cent  fois. 


M.     d'ORLEANS    (GASTON).  291 

»  ce  qu'il  dit?  —  Il  dit,  Monseigneur,  »  dit  grave- 
ment le  valet  de  chambre,  «  qu'il  chiera  dans  la 
»  gueule  de  Votre  Altesse  Royale  \  » 

Ce  mesme  homme,  qui  fait  comme  cela  des  tours 
de  page ,  a  une  sotte  gloire ,  comme  de  ne  vouloir 
pas  qu'on  se  couvre  jamais  dans  son  carrosse ,  non 
pas  mesme  en  voyage.  Le  feu  Roy  s'en  mocquoit 
hautement.  Il  est  si  inquiet,  qu'il  faut  le  boutonner*  Finir  de  ihabnier 
en  courant.  Il  a  tousjours  son  chapeau  comme  un 
gloriot,  siffle  tousjours,  et  a  tousjours  la  main  dans 
ses  chausses.  Nous  dirons  le  reste  dans  les  Mé- 
moires de  la  Régence^. 

1  Cela  me  fait  souvenir  de  ce  qui  arriva  à  un  conseiller  au  Grand 
conseil,  nommé  du  Bugnon,  en  un  bal  où  Monsieur  estoit,  au  quar- 
tier Saint-Paul.  C'estoit  chez  une  M'""^  Gaillard.  Ce  pauvre  garçon 
avoit  un  peu  fait  la  desbausche,  de  sorte  que  tout  à  coup,  il  luy 
prit  un  desvoyement  horrible.  Par  respect,  il  n'osa  sortir  du  lieu  où 
il  estoit,  mais  il  se  glissa  dans  un  petit  cabinet  dont  par  hazard  il 
trouva  la  porte  ouverte.  A  tastons,  il  rencontra  une  boiste  de  pru- 
neaux où  il  sentit  du  vuide.  Ce  fut  là  qu'il  se  deschargea  de  son 
pacquet.  Il  estoit  encore  dans  ce  cabinet,  quand  M'°'=  Gaillard  y  vint. 
Il  se  range  en  un  coing,  elle  y  vouloit  prendre  des  pruneaux  dans 
cette  boiste  ;  mais  elle  y  trouva  de  la  marmelade.  La  voylà  à  faire  du 
bruit.  «  Madame,  »  luy  dit  ce  garçon,  «je  suis  un  tel.  Ne  me  diffa- 
»  mez  point,  c'est  un  accident,  je  suis  malade.  »  Cette  femme  en  co- 
lère le  chassa  comme  un  foireux. 

2  SAUVAGE. 

Sauvage  estoit  à  M.  d'Orléans.  C'estoit  un  goinfre  fort  agréable  ; 
il  contrefaisoit  admirablement  bien  les  chansons  du  Pont-Neuf.  Mon- 
sieur s'estant  retiré  en  Lorraine,  il  le  voulut  aller  trouver,  et  pour 
avoir  des  bottes  à  bon  marché,  il  en  commanda  à  dix  ou  douze  cor- 
donniers différents,  à  qui  il  donna  diverses  heures.  A  chacun,  il  dit 
qu'il  y  avoit  une  botte  trop  estroite,  et  leur  donna  alors  une  mesme 


292  LES    HISTORIETTES. 

heure  pour  la  rapporter.  Quand  ils  vinrent,  ils  ne  trouvèrent  plus 
personne. 

De  Brusselles,  Sauvage  envoyoit  des  Gazettes  pleines  de  chimères 
f  oy.  toin.  j,  p.  2U  pour  contrecarrer  celles  de  Renaudot*,  qui  conimençoient  à  avoir 
cours.  On  aimoit  bien  mieux  la  Gazette  de  Sauvage  que  l'autre.  Outre 
cela,  tous  les  jours  pour  se  divertir,  il  faisoit  quelque  imposture.  Ce 
fut  luy  qui  fit  graver  la  figure  d'un  poisson  qu'il  appelloit  la  carpe 
ftdriatfqtie,  dans  Je  corps  duquel  on  avoit  trouvé,  à  ce  que  disoit 
l'escript,  je  ne  sçay  combien  de  mousquets,  des  hallebardes,  des 
croix,  etc.  Gela  courut  par  toute  la  France.  La  dernière  imposture 
qu'il  ayt  faitte,  c'a  este  un  arrost  du  Parlement  de  Grenoble,  par  lequel 
un  enfant  cstoit  dcsclaré  légitime,  quoyquc  sa  more  confessast  l'avoir 
conccû  durant  l'absence  de  son  mary,  et  cela  par  la  force  de  l'imagi- 
nation, en  songeant  qu'il  habitoit  avec  elle.  Les  noms  y  estoient,  et 
aussy  ceux  des  médecins  et  de  la  sage-femme.  Assez  de  bonnes  gens 
le  crurent;  c'estoit  le  vray  style  de  Grenoble.  Le  procureur-général 
de  Paris  escrivit  à  celuy  de  Grenoble  touchant  cet  arrest,  c't  ce  parle- 
ment-là en  donna  un  contre  l'autheur,  dont  il  se  mocqua.  Dans 
les  escoles  de  médecine,  on  agita  la  question,  à  sçavoir  si  la  force  de 
l'imagination  pouvoit  suffire  pour  faire  concevoir.  —  II  faisoit  aussy 
quelquefois  des  Gazettes  de  raillerie,  comme  une  où  il  disoit  :  «  Ce  Dieu 
»  de  la  Charente  qui  apparut  à  Balzac  est  arrivé  icy,  aussy  peu  Dieu 
»  que  jamais.  «  Bien  des  fois  il  a  pris  les  devants,  et  il  se  mettoit  à 
chanter  sous  l'orme,  dans  les  villages,  quand  Monsieur  passoit. 

Il  gagea  qu'il  diroit  à  Monsieur  :  L'Aze  vous  f — ,  sans  qu'il  s'en 
faschast,  et  voicy  comme  il  s'y  prit  :  dcz  que  Monsieur  le  voyoit  : 
((  Hé  bien.  Sauvage,»  luy  disoit-il,  «n'y  a-t-il  rien  de  nouveau?  — 
»  Si  fait,  »  respondit-il,  «  on  dit  qu'il  y  a  une  femme  qui  esternue 
»  par  où  vous  sçavez,  et  au  lieu  de  Dieu  vous  bénie,  on  luy  dit  :  l'Aze 
»  vous  f.  »  —  Monsieur  se  mit  à  rire.  —  <i  Par  ma  foy,  »  reprit  ledrosle, 
<(  j'ay  gaigné.  » 


COMMENTAIRE. 

L—  P.  281,  lig.  1. 

J/.  d'Orléans  cstoit  fortjolij  en  son  enfance. 

Joly  n'avoit  pas  avant  le  xvin*  siècle  le  sens  que  nous  lui  attribuons 
aujourd'hui.  Il  répondoit  h  :  agréable,  ouvert  et  gai;  et  voilà  comment 
les  chansonniers  du  moyen  âge  se  promettent  fréquemment  d'être  gais 
et  jolis.  «  C'est,  »  dit  Furetiere,  «  mal  louer  une  femme,  un  bâti- 
»  ment,  etc.,  (jue  de  leur  donner  du  joly;  le  joly  est  le  cousin-germain 


M.    d'orleains  (gaston).  293 

»  du  laid.  »  Si  l'on  ne  faisoit  cette  remarque,  on  ue  comprcndroit  pas 
le  pourtant  de  la  phrase  suivante- 

II  y  a  un  livre  intitulé  :  La  santé  du  Prince,  ou  les  soinr/s  qu'on  y 
doibt  observer^  1616,  in-12.  On  l'attribue  au  médecin  Herouard,  sieur 
de  la  Vaugrigneusc,  le  môme  qui  s'est  rendu  coupable  de  la  Vie  de 
Louis  XUl  dont  on  a  parlé  plus  haut.  Une  partie  du  livre  contient  les 
Rencontres  et  promptes  reparties  de  Monsieur  le  duc  d'Anjou.  Il  y  en  a 
une  pour  chaque  jour  du  mois  :  mais,  comme  on  le  devine,  les  bons 
mots  qu'on  prête  à  cet  enfant  de  six  ou  huit  ans  sont  généralement 
assez  mauvais. 

II. —  P.  281,  lig.  16. 
La  Reijne-mere  voulait  qu'il  eust  le  fouet.,  et  cela  l'y  fit  résoudre. 

A  l'occasion  de  cet  insolent  orgueil  de  Gaston,  on  fit  ce  couplet  : 

Slonsieur  veut  que  l'on  assomme 
De  basions  les  gentilshommes  : 
C'est  son  plus  doux  passe-temps. 
O  dieux!  l'estrange  nouvelle! 
Qu'en  dis-tu,  Jean  de  Nivelle? 
Je  crains  d'en  avoir  autant. 

(Recueils  manuscrits .) 

III.  —  P.  228,  lig.  il. 

Ce  mareschal...  amoureux  de  M^^  de  Gravelle. 

Cette  dame  se  nommoit  Marie  Crcton  d'Estourmel,  dame  de  Gra- 
velle ;  il  en  sera  reparlé  plus  d'une  fois,  surtout  à  l'Historiette  de  sa 
fille.  M"*  de  Coustenan.  Des  Réaux  rappellera  la  bizarre  dévotion  du 
maréchal  d'Ornano ,  dans  l'Historiette  de  M""=  de  Montbazon. 

IV.  —  P.  282,  note  3. 
Au  contraire.  Messieurs,  sortez  tous. 

Voilà  un  mot  charmant,  qui  seul  doit  faire  pardonner  beaucoup  à 
Gaston.  —  Pour  justifier  d'ailleurs  ce  que  des  Réaux  vient  de  dire, 
il  faut  rapprocher  le  témoignage  de  M""*  de  Motteville  et  celui  de  la 
Porte.  La  première  : 

«  Monsieur  estoit  aimable  de  sa  personne  ;  il  avoit  le  teint  et  les 
»  traits  de  visage  beaux  ;  sa  physionomie  estoit  agréable  ;  ses  yeux 
»  estoient  bleus,  ses  cheveux  noirs.  A  son  inquiétude  habituelle  et  à 
»  ses  grimaces,  il  estoit  aisé  de  voir  en  sa  personne  sa  naissance  et  sa 
»  grandeur.  Il  estoit  bon  et  de  facile  accès  ;  il  avoit  de  l'esprit,  parloit 
»  bien  et  railloit  agréablement.  Il  avoit  beaucoup  lu,  savoit  l'histoire 


"294  LKS     IIISTOIUETTES. 

I)  parfaitement,  avec  beaucoup  d'autres  sciences  curieuses.  Rien  ne 
).  manquolt  à  ce  prince  pour  la  société,  sinon  qu'il  cstoit  un  peu  glo- 
»  rieux,  de  cotte  gloire  grossière  qui  ne  l'empesclioit  pas  de  bien  trai- 
»  ter  ceux  qui  l'approcboient ,  mais  qui  lui  faisoit  garder  son  rang 
n  trop  régulièrement.  J'ai  vu  des  femmes  de  qualité  se  tenir  debout 
))  dans  le  lieu  où  il  estoit  pour  lui  rendre  le  respect  qu'elles  lui  de- 
»  voient,  sans  qu'il  eust  l'honnesteté  de  leur  ordonner  de  se  seoir  :  et 
»  les  hommes  se  plaindre  que  dans  les  saisons  les  plus  rudes,  il  ne  leur 
i>  commandoit  pas  de  se  couvrir,  ce  que  le  Roi  son  frère  faisoit  tous- 
»  jours.  »  {Mém.,  i,  p.  372.) 

La  Porte  :  «  Quand  Monsieur  se  représenta  devant  le  Roy  après  sa 
»  disgrâce  de  1636,  le  Roy  me  commanda  de  lui  donner  un  siège,  ce 
»  qu'il  n'avoit  jamais  eu;  et  il  ne  s' estoit  jamais  couvert  devant  luy, 
»  sinon  en  carrosse,  à  table  ou  à  cheval,  qui  sont  des  libertés  que 
»  tout  le  monde  a,  et  que  cependant  Monsieur  ne  donnoit  pas  à  ceux 
»  qui  alloient  dans  son  carrosse  ;  ce  que  le  Roy  désapprouvoit  fort,  et 
»  s'en  mocquoit  luy-mesme  en  usant  d'une  auti-e  manière.  »  (Mém.  de 
Lap.,  p.  117.) 


V.  —  P.  282,  lig.  \h. 

Brunicr,  son  premier  médecin. 

Abel  Brunyer,  premier  médecin  de  Gaston,  dirigea  la  création  du 
Jardin  des  simples  au  château  de  Blois,  et  fit  le  catalogue  métho- 
dique :  Ilorlus  regius  Blesensis,  1653, 

Il  etoit  protestant,  et  Scarron  a  parlé  honorablement  de  lui  dans  la 
légende  de  Bourbon,  16^2  : 

Son  Altesse  peu  de  jours  but, 
Car  dessus  ses  jambes  il  chul 
Une  tres-douloureuse  goûte. 
Mal  où  nul  vivant  ne  voit  goûte, 
Kiist-ce  IJrunier,  son  médecin. 
N'en  desplaisc  à  feu  Jean  Calvin, 
C'est  grand  dommage  que  cet  hoiinne 
Ne  croit  pas  au  pape  de  Rome, 
Car  .'i  tout  le  monde  il  est  cher, 
Ouoiqu'en  caresme  mangeant  chair. 

(Edition  de  1752,  tom.  vu,  p.  so.) 

Voyez  sur  Brunier  l'Histoire  du  château  de  Blois,  par  M.  de  la 
Saussaye,  in-f,  1840,  p.  209,  et  la  Notice  de  M.  de  Petigny  sur  Abel 
Brunier,  dans  le  troisième  volume  dos  Mémoires  de  la  Société  des  scien- 
ces, etc.,  de  Blois. 


M.    D'oULlîArSS    (GASTON).  295 

VI.  —  p.  283,  note  5. 
Le  Boulaij-Bruslarl,  neveu  du  chancellier  de  Sillery. 

Non  pas  neveu,  mais  cousin  issu  de  germain  du  Chancelier.  Nicolas 
Bruslart  seigneur  du  Boulay  etoit,  de  plus,  frère  cadet  du  célèbre 
gastronome  Broussin,  inventeur  de  la  sauce  Robert.  Il  fut  chambellan 
de  Gaston  et  capitaine  du  Luxembourg.  Loret,  qui  le  comptoit  parmi 
ses  amis,  nous  a  raconté  sa  mort,  lettre  du  l*'  novembre  1659  :     ' 

Celuy-là  mourust  l'autre  jour. 

Qui  (lu  palais  de  IjUxeinbourg, 

Depuis  mainte  et  mainte  semaine, 

Estoit  le  digne  capit<iine, 

Assçavoir  monsieur  du  Bonllé 

Qui  dans  le  ciel  s'en  est  allé  ; 

Qui  fut,  autant  qu'on  le  peut  estre. 

Serviteur  de  Gaston,  s6n  maistre. 

Qui  de  l'honneur  fut  araoureax. 

Qui  fut  bon,  qui  fut  généreux , 

Bref,  le  meilleur  aniy  que  j'eusse,  etc. 

Le  Boulay  fut  le  père  de  François  Bruslart,  sieur  d'Opsonville  et  du 
Boulay,  capitaine  du  régiment  du  duc  d'Orléans  et  longtemps  amant 
de  la  célèbre  marquise  de  Courcelles,  dont  M.  Walckenaer  a  rappelé 
les  aventures  dans  son  Histoire  de  31"^'=  de  Sévigné,  tom.  iv,  p.  146.  On  a 
souvent  confondu  François  avec  Nicolas.  Mademoiselle,  qui,  pendant 
ses  démêlés  avec  Gaston,  se  brouilla  avec  tous  ceux  qui  l'entouroient 
et  se  déficit  de  tout  le  monde,  a  mal  parlé  de  du  Boulay  et  lui  a  sup- 
posé des  intentions  perfides  qu'il  n'avoit  probablement  pas.  C'est  en 
1656  :  «  Le  Boulay  fut  un  peu  embarrassé  d'une  affaire  qui  luy  estoit 
»  arrivée.  Son  fils  avoit  esté  pris  prisonnier  à  Valenciennes  par  les 
»  troupes  de  Monsieur  le  Prince.  Il  m'écrivit,  pour  me  supplier  d'écrire 
»  pour  sa  liberté.  Il  me  mandoit  :  Je  sçay  bien  que  vous  dites  à  tout 
»  le  monde  que  vous  n'avez  point  de  commerce  en  Flandres  ;  mais  à  un 
»  vieux  domestique  du  Pape,  on  ne  luy  fait  point  de  ces  finesses.  Je 
»  trouvay  cette  lettre  fort  artificieuse  et  meschante,  et  je  ne  doute 
»  pas  que  Goulas,  son  amy  particulier,  n'ait  aidé  à  la  faire.  Il  croyoit 
»  me  tendre  un  piège  et  que  j'y  donnerois,  etc.  »  (Tom.  m,  p.  6/j.) 

Pour  ce  qui  est  de  Madame,  femme  de  Monsieur,  on  peut  souhaiter 
de  rapprocher  ce  qu'en  dit  aussi  Mademoiselle  : 

«  Pendant  que  j'estois  à  Tours,...  Monsieur  ne  revenoit  jamais  de 
»  ses  visites  qu'il  ne  passast  à  ma  chambi-e.  Il  me  faisoit  éveiller,  et  se 
»  doutoit  bien  que  j'aurois  plus  de  plaisir  à  le  voir  qu'à  dormir.  Et 
»  après  avoir  appelé  M"'  de  Saint-Georges,  Beaumont  et  Saint-Louis, 

»  il  nous  cntretenoit  de  tontes  ses  aventures  passées,  et  cela  fort  agréa- 


296  LES    IIISTOIUETTES. 

»  bleinent,  comme  l'homme  du  monde  qui  a  le  plus  de  grâce  et  de 
»  facilité  naturelle  à  bien  parler.  Je  le  mettois,  le  plus  souvent  qu'il 
»  m'estoit  possible,  sur  le  chapitre  de  ma  belle-mere,  pour  (|ui  je  me 
»  scntois  beaucoup  d'amitié...  Nous  luy  finies  conter  un  jour  comme  il 
»  en  estoit  devenu  amoureux,  et  Puylaurens  de  M"""  de  Phalsbourg. 
»  M"*  de  Beaumont,  qui  parle  franchement  et  avec  liberté,  luy  dit  : 
»  Avouez  que  ce  fut  l'amour  de  vostrc  favori  qui  vous  maria,  et  non 
»  pas  le  vostre.  Il  n'y  respondit  rien...  »  (Mémoires,  édition  de  1730, 
tom.  I,  p.  24.) 

Puis  Mademoiselle  rétablit  les  faits    un   peu  dérangés  par  la  mali- 
gnité de  des  Réaux  : 

«  Pendant  la  maladie  dont  le  feu  Roy  est  mort...  le  Roy  luy  permit 

de  faire  venir  Madame,  à  condition  que  lorsqu'elle  scroit  à  Paris,  ils 

declareroient  tous  deux  à  M.   l'Archevesque,   qu'afin   de    ne  rien 

laisser  à  désirer  pour  la  validité  de  leur  mariage,  ils  le  confirmoient 

autant  que  cela  pouvoit  estre   nécessaire...  Madame  estoit  encore 

à  Cambray  lorsque  cette  proposition  là  luy  fut  faite  ;  clic   ne  l'eut 

pas   plutost  ouye,    qu'elle  fust  preste  à  s'en  retourner  plus  loin  ; 

I  elle  disoit  (|ue  lorsqu'il  y  alloit  de   l'honneur,  l'on  ne  devoit  avoir 

'  de  complaisance  pour  qui  que  ce  soit...  Elle  se  rendit  avec  une  re- 

I  pugnance  extresme...    Monsieur  dit  à  M.  l'Archevesque  qu'encore 

qu'il  fust  assuré  qu'il  n'y  eust  aucune  nullité  en  son  mariage,  il  ve- 

'  noit  avec  Madame  luy  faire  la  déclaration  que  Sa  Majesté  avoit  de- 

i  sirée  ;  Madame,  de  son  costé,  dit,  les  larmes  aux  yeux,  que  rien 

1  n'estoit  moins  nécessaire  que  cette  démarche  ;  que  cependant  le  Roy 

1  l'avoit  voulu.  Chacun  fit  la  révérence,  et  aussitost  après  on  se  retira. 

1  Madame  n'avoit  plus  cette  grande  beauté  dont  Monsieur  avoit  esté 

'  autrefois  charmé,  et  la  manière  dont  elle  estoit  habillée  ne  contri- 

<  buoit  pas  à  reparer  le  tort  que  les  chagrins  de  plusieurs  années  luy 

<  avoient  causé.  Elle  ne  connoissoit  personne  à  la  Cour,  et  ne  sçavoit 

>  pas  trop  bien  la  façon  dont  on  y  vivoit  ;  cela  fit  que  je  ne  luy  fus  pas 
)  inutile.  »  {Mémoires,  tom.  i,  p.  63.) 

M°"^  de  Motteville,  de  son  côté,  justifie  longuement  le  court  portrait 
|ue  Tallcmant  des  Réaux  fait  de  Madame  : 

«  Elle  estoit  belle  par  les  traits  de  son  visage;  mais  elle  n'estoit 
I  point  agréable,  et  toute  sa  personne  manquoit  d'un  je  ne  sçay  quoy 
I  qui  plaist;  car  do  laideur  manifeste,  elle  n'avoit  que  les  dents,  qui, 
)  dans  le  temps  dont  je  parle  (I6/47),  estoient  desjà  gastécs.  On  alou- 
)  jours  dit  de  cette  princesse  qu'elle  estoit  belle  sans  l'estre  ;  qu'elle 
)  avoit  de  l'esprit  et  n'en  paroissoit  point  avoir,  parce  qu'elle  n'en 

>  faisoit  nul  usage...  Elle  estoit  grasse  et  maigre  tout  ensemble;  elle 

>  avoit  le  visage  plein  et  la  gorge  belle,  à  ce  que  disoient  ses  femmes  ; 
mais  elle  avoit  les  bras  ci  les  mains  fort  maigres.  Enfin,  il  estoit  im- 


M.   d'orleaivs  (gaston).  297 

»  possible  de  parler  d'elle  que  dans  une  ambiguïté  qui  n'a  jamais  esté 
»  trouvée  qu'en  elle.  »  {Mémoires,  tom.  i,  p.  371.) 


VU.  —  P.  284,  lig.  7. 

//  devint  amoureux  d'une    belle  personne nommée  i»/""'  de  lii- 

baudon. 

Marie  de  Bragelongne,  fille  de  Jérôme  de  Bragelongne,  doyen  ,des 
conseillers  de  la  Cour  des  Aides,  mort  en  1658;  mariée  à  M.  de  Ri- 
baudon,  trésorier  de  France  à  Soissons.  C'etoit  une  femme  délicate, 
dont  alors  on  parla  beaucoup,  et  qui  mourut  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans. 
En  16/jl,  elle  etoit  aux  eaux  de  Bourbon;  Scarron  ne  l'a  pas  oubliée 
dans  sa  Légende  : 

La  Ribaudon,  belle  et  charmante. 
Qui  but  aussi  de  l'eau  bouillante. 
C'estoit  pour  avoir  embonpoint 
Qu'alors  son  gent  corps  n'avoit  point. 
Son  espou.x  estoit  avec  elle. 
Qui  n'est  pas  si  lieau  qu'elle  est  belle. 
Dieu  luy  donne  soulagement, 
Quand  elle  aura  quelque  tourment  ! 
Et  que  mauvaise  haleine  aucune 
Jamais  son  beau  nez  n'importune. 

D'autres  vaudevilles  furent  encore  faits  sur  elle  : 

Ribaudon  suit  à  la  piste 
Monsieur,  le  frère  du  Roy; 
Son  mary  en  est  si  triste 
Qu'il  ne  mange  ni  ne  boit; 
Ni  tous  ses  gens,  Guillemetle, 

Lon,  lan,  la, 
Que  tous  ces  gens  vivent  mal . 

(Bibliothèque  de  M.  de  Monmerqué.) 

Les  beaux  yeux  de  la  Ribaudon 
Luy  ont  donné  bien  du  renom. 
Le  reste  n'est  rien  qui  vaille, 
Daille, 
Dandaille  ' 

La  l'vibaudon  fait  que  Monsieur  soupire  ; 
De  jour  en  jour  sa  maladie  empire. 
Mais 

De  soulager  son  martii-e. 

Cela  ne  sera  jamais. 

Monsieur  s'en  plaint,  et  fait  grand  doleancc, 
"  Hélas!  »  dit-il,  •<  je  suis  un  filz  de  France, 
»  Mais 

"  Ma  longue  persévérance 

''  Ne  la  touchera  jamais.  » 


298  LES    HISTORIETTES. 

La  façon  dont  on  voit  racontées  les  amours  de  Monsieur  avec  M"*  de 
Ribaudon  et  Louison  Roger  prouve  assez  bien  qu'au  xvii*  siècle,  tous 
les  parens  ne  rcgardoient  pas  comme  un  honneur  pour  leurs  filles 
d'attirer  l'attention  et  de  favoriser  les  avances  des  Princes  de  la  maison 
royale. 

VIIL  —  P.  285,  lig.  13. 
Louyson  Roger. 

Louise  Roger  de  la  Marbeliere,  née  vers  1621.  Son  pt-re,  qui  n'exis- 
toit  plus  quand  Monsieur  la  distingua,  ctoit  lieutenant-criminel  au  pré- 
sidial  de  Tours.  {Mémoires  mss.  rie  ta  Mothe-Goulas.)  Elle  avoit  seize 
ans  seulement  lorsque  Mademoiselle  la  vit  pour  la  premièie  fois.  «  Elle 
»  cstoit,  » 'dit  Mademoiselle,  »  brune,  bien  faite  et  de  beaucoup  d'esprit, 
»  pour  une  fille  qui  n'avoit  pas  esté  à  la  Cour.  » 

IX.  —  P.  285,  lig.  dernière, 

L'Espinay,  gentilhomme  de  Normandie. 

Jacques  d'Espinay,  sieur  de  Vaux  et  de  Mezieres,  gentilhomme  de  la 
vénerie  de  Gaston,  duc  d'Orléans.  Il  ne  le  faut  pas  confondre  avec 
René,  sieur  de  Lespine,  poëte  assez  remarquable,  dont  on  parloitsous 
Henry  IV,  et  dont  on  trouve  dan?  le  Nouveau  Recueil  des  plus  beaux 
vers  de  ce  temps,  1609,  p.  387  i\  436,  VOde  sur  le  refus  d'un  baiser,  et 
d'autres  pièces. 

X.  —  P.  286,  lig.  11. 

L'Espinay...  lutj  escrivit  par  le  comte  de  Brion. 

François  Christophe  de  Levis-Ventadour  ,  comte  do  Brion  ,  alors 
premier  ecuyer  de  Monsieur,  et  créé  duc  d'Amville,  après  la  mort 
de  son  oncle  maternel  Henry  II,  duc  de  Montmorency.  Scarron  le 
nomme  aussi  dans  la  Légende  de  Bourbon,  de  16/i2  : 

De  Brion,  parent  de  la  Vierge. 

On  voit  que  les  prétentions  aux  liens  de  parenté  entre  Notre  Sei- 
gneur Jésus-Christ  et  la  maison  de  Levis  sont  anciennes.  Au  temps 
de  François  I"',  un  comte  de  Villars,  qui  etoit  de  cette  illustre  mai- 
son, avoit  déjà  fait  un  livre  en  l'honneur  des  perfections  de  la  sainte 
Vierge;  et  ce  livre  sembloit  surtout  inspiré  par  un  bon  sentiment  de 
famille. 


M.   d'orleans  (gaston).  299 

Notre  comte  de  Brion  mourut  en  1061  : 

Ce  duc  avoit.  le  caractère 

D'un  seigneur  bien  franc  et  sincère. 

Et  tous  ceux  de  ce  beau  sang-là 

Sont  à  peu  près  comme  cela... 

On  (lit  qu'il  voulut  prendre  fin 

Dans  un  liabit  de  capucin. 

Et  qu'on  le  mit  en  sépulture 

Avec  cette  saincte  vesture  : 

Ce  qui  doit  estre  interprété 

Pour  un  signe  de  pieté,  ' 

Qui,  d'âge  en  âge,  esclatte  et  brille 

Dans  cette  tres-noble  famille. 

(LoRET,  Muse  du  24  septembre  1661.) 

La  disgrâce  de  Brion  et  de  l'Espinay  arriva  en  mai  1639.  «  Mon- 
»  sieur,  frère  du  Roy,  »  dit  Bassompierre,  «  fit  ce  mois  là,  pour  sa 
»  maistresse  Louyson,  un  grand  escart  en  sa  maison,  de  laquelle  il 
»  chassa  Brion  et  l'Espinay.  »  (Tom.  iv,  p.  427.) 

Pendant  la  Régence,  en  1647,  Gaston  devint  encore  amoureux  de 
M"«  de  Saint-Maigrin,  fille  de  la  Reine.  «  Cette  amitié,  »  dit  M""  de 
Motteville,  «  n'avoit  produit  en  luy  nul  autre  effet  que  d'avoir 
))  obligé  ce  prince  à  luy  donner  un  beau  tour  de  perles.  Par  ce  pre- 
»  sent,  il  prétendit  qu'elle  luy  estoit  assez  obligée  pour  ne  souffrir  les 
»  soins  d'aucun  autre  que  de  luy.  Elle  qui  avoit  inclination  à  se 
»  divertir...  s'amusa  à  rire  et  causer  publiquement  avec  Gerzay.  Cet 
»  amy  nouveau  estoit  porté  à  la  plaisanterie,  il  avoit  de  l'esprit  et  il 
»  témoigna  vouloir  prendre  soin  de  luy  plaire.  Son  amant  de  sang 
»  royal  fut  si  mal  content  de  son  infidélité,  que  Gerzay  allant  un  jour 
»  à  Luxembourg,  un  matin,  pour  faire  sa  cour  à  Monsieur,  ce  prince 
»  commanda  à  son  capitaine  des  Gardes  de  l'aller  jetter  par  les  fe- 
))  nestres.  Ce  commandement  d'un  si  bon  prince  surprit  infiniment 
»  tous  les  assistans  ;  mais  l'abbé  de  la  Rivière  qui  courut  à  Gerzay 
»  pour  l'avertir,  le  sauva  de  ce  péril,  et  on  eut  sujet  de  s'étonner  de  ce 
»  que  la  plus  faible  passion  du  monde  pensa  produire  une  des  plus  vio- 
»  lentes  actions  que  la  jalousie  ait  pu  causer.  »  {Mém.,  tom.  i,  p.  368.) 

XL  —  P.  287,  lig.  6. 

On  dit  qu'il  cajolla  après  ta  princesse.  Louise. 

Louise  Hollandine,  qui  abjura  en  1658  et  entra  six  ans  plus  tard 
dans  l'abbaye  de  Maubuisson,  dont  elle  fut  abbesse  bientôt  après.  Elle 
mourut  en  1709,  en  odeur  de  sainteté.  Elle  savoit  peindre  ;  mais  elle 
eut  bien  fait  de  ne  jamais  employer  son  talent  à  effacer  la  peinture 
des  autres.  «  Pingere  gnara,  »  dit  la  Gallia  Christiana,  «  geiitilitia  in 


300  LKS    niSTOR[ETTES. 

»  altaris  latcrc  depicta  insignia  delevit,  pluresquc  tabcllas  tani  pro 
»  domo  quam  pro  vicinis  parocliiis  ipsa  dcpiaxit.  » 

Pour  sa  sœur,  la  princesse  Elizabeth,  et  le  prince  Philippe  sou 
frère,  tué  à  la  bataille  do  llhetcl  le  15  décembre  1650,  ni  l'Art  de 
vérifier  les  dates  ni  l'auteur  de  la  Fie  de  Charles-Louis  électeur- 
palatin,  leur  frcfre,  n'en  disent  un  mot. 

XII.  —  P.  290,  lig.  2. 

Mademoiselle  a  pris  amitié  pour  ce  petit  (f arçon. 

La  princesse  elle-même  est  le  garant  de  notre  auteur  :  <(  J'allay  à 

»  Villandry  me  promener  (en  1653) Je  trouvay  là  le  petit  fils  de 

))  Louison...  il  me  parut  qu'il  cstoit  assez  joly...  il  alloit  aux  Jésuites, 
»  et  seurement  parmy  les  bourgeois  de  Tours  il  ne  se  fust  pas  formé.  Je 
»  le  pris  avec  moy.  Je  songeay  que  pcut-estre  si  j'en  dcmandois  la  pcr- 
»  mission  ;\  Monsieur,  il  me  la  refuseroit...  que  si  le  bonheur  de  cet  en- 
»  fant  vouloit  qu'il  ne  dist  rien,  on  tascheroit  d'en  faire  un  honneste 
»  homme.  On  ne  l'avoit  nommé  jusque  alors  que  /<?  J/i'^rnon,  ilestoittrop 
»  grand  pour  l'appeller  ainsy...  Je  me  souvins  que  j'avois  une  terre  près 
»  de  Saint-Fargeau,  qui  s'appcUoit  Charny...  Je  le  fis  appeller  le  cheva- 
»  lier  de  Charny...  Monsieur  s'enquit  de  tout  ce  que  j'avois  fait  et  je 
»  lui  parlai  de  tous  les  parens  et  de  la  mère  de  Louison  ;  il  ne  me  dit 
»  rien  d'elle  ni  de  son  fils.  »  [Mémoires  de  Montpensier,  édition  de 
1730,  p.   206.) 

Le  jeune  Charny  passa  en  Espagne  avec  le  maréchal  de  Gramont 
qu'on  y  envoyoit  pour  ramener  la  princesse  Maric-Thcrcse,  fiancée 
de  Louis  XIV.  Loret  l'a  môme  cité  parmi  les  cavaliers  dont  les  dames 
espagnoles  admiroient  le  plus  la  bonne  mine.  Il  avoit  dit  auparavant 
de  la  mère  et  du  fils  : 

Ue  Gaston  la  première  fille 

Fut  voir,  l'autre  jour,  à  la  grille. 

Dans  son  monastère  ou  maison, 

L'aimable  mère  Louyson, 

Qui  fut  «le  la  Royale  Altesse 

Jadis  l'agréable  maistresse. 

Elle  luy  fist  de  l'amitié 

Et  tesmoigna  quelque  pitié. 

De  voir  illec  si  retirée 

Cette  belle  claquemurée. 

Elle  eust  un  furieux  soucy 

De  voir  son  cher  enfant  aussy . . . 

De  bons  pois  sucrez-  luy  donna. 

Avec  elle  A  Blois  l'emmena, 

Et  l'on  dit  mesme  qu'elle  espère 

Trier  si  Ineri  monsicui-  son  père. 


M.     D'ORLEANS    (gASTON).  âOl 

Qu'il  avoûra  ce  beau  garçon 
Pour  un  enfant  de  sa  façon . 

{Lettre  du  28  août  1652.) 

Le  comte  de  Cliarny,  c'est  le  nom  qu'il  avoit  gardé,  fut  fait  géné- 
ral des  armées  de  la  côte  de  Grenade,  puis  gouverneur  d'Oran,  Il 
mourut  en   1692,  laissant  un  fils  naturel,  appelé  Louis,  comme  lui. 

Xin.  —  P.  290,  note,  lig,  15. 
niot  fut  une  fois  bien  malade. 

Sur  une  copie  du  Voyage  de  Chapelle^  chargée  des  notes  de  des 
Réaux  (M.  de  Monmerqué  en  parle  dans  la  Notice  biographique),  on 
trouve  les  lignes  suivantes  :  «  Blot ,  un  gentilhomme  qui  estoit  à 
»  M.  d'Orléans.  C'estoit  un  grand  desbausché,  qui  ne  croyoit  pas  beau- 
»  coup  de  choses.  Il  a  fait  mille  chansons.  » 

Voi  ci  les  deux  couplets  de  Blot,  dont  notre  Historiette  cite  deux  vers  : 

Si  Monsieur  ne  veut  plus  me  ■voir, 
Si  ma  présence  l'importune. 
Je  n'en  suis  point  au  desespoir, 
Je  n'y  fay  pas  si  grant  fortune. 
A.h!  le  voyi.'i;  alil  le  voicy, 
Celuy  qui  n'en  prend  nul  soucy . 

Je  ne  suis  point  hardy  menteur. 
Je  ne  suis  ny  fourbe  ny  tralstre, 
S'il  perd  un  fichu  serviteur, 
Je  perds  aussy  un  fichu  maistre; 
Ah  !  le  voylà,  ah!  le  voicy, 
Celuy  oui  n'en  a  nul  soucy. 

Blot,  ce  reprouvé  de  tant  d'esprit,  passe  encore  pour  avoir  fait  ces 
autres  couplets  qui  sont  autant  de  petits  chefs-d'œuvre  : 

Que  Gaston  prétende  à  l'histoire, 
Et  le  père  Gauffre  à  la  gloire, 
La  Rivière  au  cardinalat, 
Que  Coudé  n'aime  que  l'inceste; 
l'our  moy  je  n'aime  que  le  plat. 
Et  me  mocque  de  tout  le  reste. 

L'histoire  avec  la  Renommée 
N'est  rien  que  vent  et  que  fumée  ; 
Pour  la  Gloire,  je  n'y  croy  pas 
La  Pourpre  n'est  que  bagatelle. 
Et  l'Inceste  ne  me  plaist  pas, 
Car  ma  soeur  n'est  pas  assez  belle. 

Puis  sur  le  môme  air,  un  autre  satirique  ajouta  le  troisième 
couplet  : 


302  LES    HISTORIETTES. 

Adieu  la  Flandre,  adieu  l'Espagne  ! 
Gaston  va  se  mettre  en  campagne, 
Accompagné  de  son  pédant. 
Flandre,  ta  ruine  est  certaine, 
Par  les  conseils  du  confident 
Et  la  valeur  du  capitaine. 

Nous  citons  dans  l'occasion  les  couplets  de  Blot  qui  touchent  aux 
autres  Historiettes;  mais  nous  réunirons  ici  ceux  qui  ne  seroient  pas 
mieux  ailleurs  ;  ainsi,  s'adressant  au  chevalier  d'Aubeterre,  à  propos 
des  généreuses  et  inutiles  promesses  du  cardinal  Mazarin  : 

Chevalier,  je  bois  à  ton  maistre! 
Je  luy  ay  obligation  : 
Et  pour  te  le  faire  connoistre, 
C'est  qu'il  m'a  donné  pension. 
La  chose  ne  fut  point  frivole. 
Il  m'a  bien  tenu  sa  parole, 
Car  le  jean  f—  me  dit  bien  : 
«  Cela  ne  tiendra  lieu  de  rien.  •> 

Desnos,  un  apothicaire,  ayant  dit  quelques  paroles  de  bon  sens  à 
l'Hôtel  de  ville,  en  faveur  de  la  paix  : 

Desnos,  fameux  apothicaire. 

De  toy  je  veux  prendre  un  clistere  ; 

M'en  dust-il  couster  un  escu. 

Je  n'en  plaindray  pas  la  despense; 

Car  je  fe  veux  monstrer  mon  cû. 

Tu  m'as  monstre  ton  éloquence. 

Ses  impiétés  etoient  les  plus  insolentes  du  monde;  tout  au  plus 
peut-on  rappeler  ces  boutades  longtemps  fameuses  : 

Le  party  des  bons  catholiques 
Boit  à  vous  autres  hérétiques; 
Mes  chers  amis,  prenons  du  vin. 
Et  pour  que  personne  n'eschappe. 
Vous  direz  :  «  F.  de  Calvin!  >> 
Et  je  diray  :  «  —  du  Pape .  » 

Je  veux  sortir  de  cette  ville. 
On  y  amasse  trop  de  bile  ; 
Je  m'y  trouve  tout  désolé. 
Je  suis  chagrin,  je  suis  colère. 
C'est,  je  croy,  l'air  du  jubilé 
Qui  m'est  entièrement  contraire. 

Que  ce  maudit  air  incommode 
Ceux  qui  vivent  à  nostre  mode! 
Le  pauvre  Noble  ne  boit  plus, 
Nostre  cher  chevalier  *  succombe. 
Le  bon  Sainct-Pavin  est  perclus, 
Et  François  Coquet  dans  la  tombe. 


M.  d'orleans  (gaston).  âOâ 

Fonterallles  »,  sans  révérence.  Le  fameux  couspl- 

Torcha  son  c—  d'une  indulgence  rateur. 

Et  iiiesprisa  la  station; 

Mais  le  Seigneur  luy  bailla  belle, 

Car  il  en  souffrit  passion. 

Entre  les  mains  de  l'impernelle  *.  Célèbre  chirurgien. 

Eh  !  quoy,  pouvons-nous  voir  Fontrailles, 

Ce  plaisant  desvot  de  crevailles, 

Ce  grand  protecteur  du  plot. 

Ce  desbauché  illustre  et  rare, 

Jeusner  ainsy  qu'un  idiot. 

Et  croire  ce  flchu  Cornare  *.  yoy.  tom.  r,  p.  478. 

Quoyqu'à  son  retour  d'Angleterre 
Il  ne  vuidast  jamais  de  verre. 
Que  remply  de  desvotion. 
Je  n'en  dis  pas  une  parole. 
Mais  je  suis  en  affliction 
De  le  voir  sobre  et  sans  v— . 


SANTE    AU    MARESCHAL    DE    CLE  R  E  M  B  A  U  I.T. 

A  ce  grand  mareschal  de  France, 
Favory  de  Son  Eminence, 
Qui  a  si  bien  battu  Persan, 
l'alluau,  ce  grand  capitaine, 
Qui  prend  un  chasteau  dans  un  an 
lit  perd  trois  places  par  semaine. 

Blot  mourut  à  Blois  dans  l'impénitence  finale,  le  13  mars  1655  ;  et 
Scarron  l'a  regretté  dans  une  de  ses  Lettres  de  la  Samaritaine,  hor- 
loge du  Pont-Neuf,  à  Jaquemard,  horloge  de  Saint-Paul. 

De  Blot  est  raort,  cet  esprit  rare; 

Il  seroit  d'aine  bien  barbare 

Celuy  qui  ne  pleureroit  pas 

Un  si  déplorable  trespas. 

Si  ce  n'est  que  tout  brancart  tombe, 

J'irois  escrire  sur  sa  tombe  : 

"  Icy  gist  le  pauvre  de  Blot, 

»  Qui  fust  l'antipode  du  sot.  >- 

(Recueil  des  Epistres  en  vers  burlesques  de  M .  Scarron, 
Paris,  in-4o.  Al.  Lesselin,  1656.) 

Quand  Chapelle  et  Bachaumont ,  deux  autres  viveurs  de  la 
môme  mode,  passèrent  à  Blois  dans  leur  fameux  voyage  :  «  Nous 
I)  trouvasmes,  »  disent-ils,  «  M.  Colomb  à  Blois  dont  il  faisoit  les 
»  honneurs.  Nous  eusmes,  quoyqu'avec  un  extresme  regret,  curio- 
1)  site  d'apprendre  de  luy,  comme  de  la  personne  la  plus  instruite, 
»  et  que  nous  sçavions  avoir  esté  le  seul  tesmoing  de  tout  le 
»  particulier  : 


30/|  LES    HISTORIETTES. 

Ce  que  lit  en  mourant  nostre  pauvre  amy  Blot, 
Et  ses  moindres  discours,  et  sa  moindre  pensée; 
La  douleur  nous  deffend  d'en  dire  plus  d'un  mot: 
Il  fit  tout  ce  qu'il  fit  d'une  ame  bien  sensée. 

(Recueil  de  quelques  pièces  nouvelles  et  galantes,  Cologne, 
1663,  p.  M.) 

C'est-à-dire  qu'î7  ne  fit  n'en.  Pour  en    finir  avec  Blot ,  voici  l'epi- 
taphe  que  lui  composa  son  ami  Saint-Pavin  ;  je  la  crois  inédite  : 

Cy-gist  un  docteur  non  commun. 
Qui,  peu  sçavant,  mais  fort  habile, 
Prescba  souvent,  jamais  <»  jeun. 
Et  coniprist  tout,  hors  l'Evangile. 
En  homme  sage  et  bien  sensé. 
Du  présent  il  a  dit  merveille; 
Uu  futur,  ce  qu'il  a  pensé 
Ne  s'est  revellé  qu'à  l'oreille  : 
Mais  chacun  tient  pour  vérité 
Que  jamais  il  n'en  a  douté. 


XIV,  —  P.   292. 

Sauvage  envoyait  des  Gazettes  pleines  de  chimères... 

J'ai  un  bonheur  que  les  amateurs  apprécieront  ;  je  possède  une  de 
ces  Gazettes  de  Sauvage.  Elle  est  in-4°  et  porte  le  titre  de  :  Lettre  du 
marquis  de  Vislempenard  au  baron  d'Anconaris.  On  y  donne  les  Nou- 
velles de  l'Univers  pour  les  mois  de  janvier  et  février  1632  ;  c'etoit  un 
an  après  la  fondation  de  la  Gazette  de  Renaudot.  La  première  Nouvelle 
est  celle  de  la  mort  du  Phœnix,  à  Nizardrodan,  en  Arabie. 

Sauvage  est  cité  dans  la  Légende  de  Bourbon  de  1642.  Il  va  sans 
dire  que  le  voyage  dont  y  parle  Scarron  est  imaginaire  : 

Et  mon  bon  amy  le  Sauvage, 

Rare  d'esprit  et  de  corsage. 

De  grande  science  chargé. 

Et  qui  beaucoup  a  voyagé. 

I.e  livre  de  ses  longs  voyages. 

Et  ce  qu'il  vit  aux  mariages 

De  deux  parentes  du  Grand-Cham, 

Ne  se  voit  point  dans  Amstredam  ; 

Mais  quand  vous  l'aurez  agréable. 

De  nioy  qui  suis  très-veritable 

Vous  sçaurez  la  relation 

De  sa  pérégrination  : 

Et,  ce  qui  vous  doit  bien  plus  plaire, 

I.uy-mesme  il  offre  de  la  faire. 

{OEuvres,  1782,  tom.  vri,  p.  19.1 


M.    DORLEAiVS    (GASTO^).  505 

XV.  —  P.  2()i>,  lîg:.  10. 

La  dcrnUrc  imposture  t/u'il  ni/l  faille,  c'a  esté  un  arrest  du  l'itrlc- 
ment  de  f>rcnol)k. 

Ce  prôtendu  arrût  aurait  oté  du  13  février  1G37.  «Ne  vous  snu- 
»  vient-il  point,  »  dit  Guy-Patin  (7  décembre  1G61),  «  de  l'arrcst  de 
»  Grenoble  controuvé  par  Sauvage,  d'une  religieuse  qui  avoit  conçu 
»  par  imagination  ?  »  Cependant,  l'arrCt  a  été  cité  très-séricusenient 
dans  le  livre:  Lucina  sine  concubitii;  Lucine  affranchie  des  lois  du 
concours.  Lettre  adressée  à  la  Société  royale  de  Londres,  dans  laquelle 
on  prouve  par  une  évidence  incontestable...  qu'une  femme  peut  concevoir 
et  accoucher  sans  avoir  de  commerce  avec  un  homme.  Traduit  de  l'an- 
glais d'Ahr.  .Johnson.,  1750,  in-12.  L'oiiginal  auglois  est  de  S.  John 
Hill;  Moet  on  fut  le  traducteur  et  l'arrrt  de  Grenoble  esl  rapi)orté 
textuellement.,  note  des  pages  39  et  /|3. 

Sur  un  exemplaire  de  cet  ouvrage  que  M.  Bouju  pèie  a  communiqué 
à  M.  de  Monmerqué,  Montesquieu  a  de  sa  main  écrit  une  note  assez 
plaisante  :  «  Voilà  une  pièce  curieuse  et  qui  meriteroit  d'être  tirée 
»  de  l'oubli.  On  suppose  que  la  dame  d'Aiguemere  fit  ce  songe 
»  une  nuit  d'été  :  que  sa  fenêtre  etoit  ouverte,  son  lit  exposé  au  cou- 
»  chant  et  sa  couverture  en  desordre.  On  ne  peut  plus  douter  de  la 
«nouvelle  découverte,  physiquement,  métaphysiquement ,  poetique- 
»  ment  et  Juridiquement  prouvée.  Quelle  consolation  pour  les  femmes 
»  éloignées  de  leurs  maris  !  Une  fille  etoit  soupçonnée  de  galanterie, 
»  pour  avoir  été  raere  avant  l'hymen  :  quelle  calomnie  !  Elle  avoit 
»  pris  l'air  du  couchant.  Une  jeune  veuve  etoit  accouchée  d'un  fils 
»  un  peu  trop  posthume  :  c'est  cet  ait  qu'elle  avoit  respiré,  .lubilate 
n  gentes  !  Vous  allez  renaître  désormais  sans  difficulté,  sans  mariage, 
»  au  moindre  souffle  de  vent.  Ce  n'est  pas  qu'il  faille  abolir  absolu- 
»  ment  l'ancien  usage,  on  i)eut  le  laisser  subsister  pour  l'amusement 
»  de  quelques  femmes  bizarres,  qui  préféreront  peut-être  encore  les 
•)  outrages  des  hommes  aux  tendres  égards  du  zephir  amoureux.  Ce 
»  que  c'est  que  le  préjugé  ou  la  force  do  l'habitude!  On  aura  peine 
»  à  luy  persuader  qu'un  coup  de  vent  puisse  luy  fairt;  autant  de 
»  plaisir  qu'une  caresse  vulgaire.  Mais  que  feront  les  hommes,  sine 
»  concuhitu?  Ma  foy,  le  Juge  n'en  dit  rien.  » 

Il  parut,  quelque  temps  après,  une  autre  brochure,  apparemment 
du  même  auteur,  dont  l'intention  est  de  ne  rien  innover  en  ce  qui 
touche  à  ce  qu'on  appelle  le  bonheur  des  femmes,  tout  en  leur  épar- 
gnant la  douleur  et  souvent  la  honte  de  l'accouchement,  concnbitus 
sine  Lucina.,  ou  le  plaisir  sans  peine.  C'est  un  badinage  sui-  les  fours 
de  fumier  de  M.  Réaumur,  et  sur  son  art  de  faire  erloro  des  poulefs  sans 
le  secours  des  poules. 

"•  20 


xc. 


M.    DE    MONTMORENCY. 


[Ucnrij  (le  Montmorency,  né  à  Chantillii,  30  avril  1595;  décapité  à 
Toulouse,  30  octobre  1 032.  ) 


Le  dernier  duc  de  Montmorency  demeura  maistre 
de  son  bien  à  dix-neuf  ans  ;  mais  M.  de  Portes,  son 
oncle,  qui  estoit  un  homme  d'esprit,  prit  le  soin 
de  sa  conduitte,  et  fit  aller  long-temps  toute  sa  mai- 
son. Quoyqu'il  eust  les  yeux  de  travers,  M.  de 
Montmorency  estoit  pourtant  de  fort  bonne  mine  : 
il  avoit  le  geste  le  plus  agréable  du  monde,  aussy 
parloit-il  plus  des  bras  que  de  la  langue.  On  dit,  à 
propos  de  cela,  que  M.  de  Montmorency  estant 
entré  en  une  compagnie  où  estoit  feu  M.  de  Can- 
dale,  tout  le  monde  luy  fit  feste,  quoyqu'il  n'eust 
fait  proprement  que  remuer  les  bras  :  «  Jésus  !  »  dit 
M.  de  Caudale ,  «  que  cet  homme  est  heureux  d'a- 
»  voir  des  bras  !  »  M""'  de  Rambouillet  dit  qu'une 
fois  il  voulut  conter  quelque  chose  qu'il  sçavoit  fort 
bien;  mais  il  s'embrouilla  tellement  que  le  cardinal 
de  la  Valette,  par  pitié,  fut  contraint  de  prendre  la 
parole  et  d'achever  le  conte.  Il  commençoit  souvent 


M.     DE    MONÏMOKRNCY.  3()7 

(les  compliniens  et  demeuroit  h  my-chemin '.  11  ne 
disoit  pas  de  sottises,  mais  il  a  voit  l'esprit  court. 
En  recompense,  il  estoit  brave,  riche,  galant,  libé- 
ral, dansoit  bien,  estoit  bien  à  cheval,  et  avoit  tous- 
jom's  des  gens  d'esprit  à  ses  gages,  qui  faisoient  des 
vers  pour  luy  ',  qui  l'entretenoient  d'un  million  de 
choses,  et  luy  disoient  quel  jugement  il  falloit  faire 
des  choses  qui  couroient  en  ce  temps-là.  Il  donnoit 
beaucoup  aux  pauvres^;  il  estoit  aimé  de  tout  le 
monde,  mais  adoré  en  son  quartier*.  renc^%itn.e"S 

II    aima   d'abord   la   Choisy,  fille  de  bon  lieu,  hôteirie.'fiesmes^'" 
mais  très-galante.    Elle  fut  mariée   depuis,  et  fit 
mettre  sur  son  tombeau,  comme  l'on  voit  à  Saint- 
Paul,  qu'elle  avoit  esté  fort  estimée  des  Grands  et 
qu'elle  avoit  eu  l'amitié  de  plusieurs. 

Après,   il  fut  amoureux  de  la   Reyne;  les  A.n- 
glois*  l'interrompirent  :  c'estoit  en   mesme  temps      Buckingham. 
que  M.  de  Bellegarde.  Il  recommença  après.  Il  en 
avoit  un  portrait,  et  une  fois  il  fit  mettre  un  homme 
l\  genoux  pour  le  luy  monstrer. 

Bassompierre  et  luy  eurent  querelle.  Bassompierre 
dansoit  mal,  il  s'en  mocqua  à  un  bal.  «  Il  est  vray,  » 

'  On  avoit  quelquefois  bien  de  la  peine  à  s'empescher  de  rire. 

2  Théophile,  Mairet. 

5  II  estoit  fort  libéral.  Il  entendit  qu'un  gentilhomme  disoit  :  «  Si  je 
»  trouvois  vingt  mille  escusà  emprtinter  seulement  pour  deux  ans,  ma 
»  fortune  seroit  faitte.  »  Il  les  luy  presta.  Au  terme,  le  gentilhomme 
luj'  rapporte  l'argent:  «Allez,  »  luy  dit-il,  «  c'est  assez  que  vous 
')  m'ayez  tenu  parole;  je  vous  les  donne  de  bon  cœur.  » 

—  On  dit  qu'il  envoj-a  une  fois  à  la  marquise  de  Sablé,  durant  sa 
grande  passion ,  une  donation  de  quarante  mille  livres  de  rente  en 
fonds  de  terre,  mais  qu'elle  ne  la  voulut  pas  recevoir. 


o08  LES    HISTOIUETTES. 

luy  dit  Bassompierre,  «  que  vous  avez  plus  d'esprit 
»  que  moy  aux  piez,  mais  j'en  ay  aussy  ailleurs  plus 
»  que  vous.  —  Si  je  n'ay  pas  aussy  bon  bec,  j'ay 
»  bien  aussy  bonne  espée,  »  respondit  Montmorency. 
—  «  Ouy  dea  !  »  répliqua  Bassompierre,  «  vous  avez 
»  celle  du  grand  Asne  de  Montmorency  '.  »  On  les 
accorda  avant  qu'ils  se  séparassent. 
Henry  de  oondi ,       H  eut  cncoro  uuc  qucrellc  avec  le  duc  de  Retz"*, 

duc  df  U.,  oncle  du  ^ 

coadjuteur.  petlt-filz  d'Albcrt  de  Gondy  et  filz  du  marquis  de 

Belle-Isle.  M.  de  Montmorency  avoit  esté  accordé  et 
mesme  marié,  mais  sans  coucher,  avec  l'heritiere 
Jeanne  de  scepeaux.  (Je  Bcauprcau  *  ;  mais  la  Reyne-mere  fit  rompre  le 
'*'s!nî^néè''cn!6oo^'"  Glanage  pour  luy  donner  une  de  ses  parentes*  de 
la  maison  des  Ursins  ^  qu'elle  fit  venir  exprès. 
Depuis,  M.  de  Retz  espousa  M"^  de  Beaupreau,  et 
M.  de  Montmorency,  au  lieu  de  duc  de  Retz,  l'ap- 
pela duc  de  mon  reste.  On  les  accorda  sur  l'heure. 
Sa  femme,  qui  n'estoit  pas  une  fort  agréable  per- 
sonne, devint  bientost  jalouse  de  luy.  Cependant 
pourveû  qu'il  luy  fist  confidence  de  ses  galanteries, 
elle  ne  luy  donnoit  point  de  peine,  mais  elle  ne  vou- 
loit  pas  qu'il  luy  mentist.  M.  de  Montmorency 
avoit  une  telle  vogue  qu'il  n'y  avoit  pas  une  femme 
de  celles  qui  avoient  un  peu  la  galanterie  en  teste, 
qui  ne  voulust,  à  toute  force,  en  estre  cajoUée  ;  et  il 
en  est  venu  des  provinces,  exprès  pour  tascher  à  luy 
donner  dans  la  veûe.  C'est  pour  cela  que  la  mar- 

*  II  jouoit  sur  Anne. 

2  II  vit  pncore,  et  a  marié  sa  fille  au  frère  aisné  du  cardinal  de  Retz. 

^  Un  Ursin  espousa  la  sœur  du  grand-pere  de  la  Reyne-mere. 


M.    DE    MONTMORENCY.  3G9 

quise  de  Sablé,  toute  délicate  qu'elle  a  tousjours 
esté  en  gens,  en  faisoit  un  très-grand  cas;  et  c'est 
avec  luY  Qu'elle  a  le  plus  fait  de  galanteries  *.  yoy.vfnstonettedo. 

•'    ^  ^  M'"«  de  Sablé. 

Pour  la  guerre,  c'estoit  un  fort  ignorant  homme; 
il  le  fist  bien  voir  quand  il  se  fist  prendre.  On  en 
trouva  une  centurie  dans  Nostradamus  qui  est  es- 
tonnante  '. 

Mené  à  Toulouse,  au  commencement  il  desclina, 
disant  que  c'estoit  au  parlement  des  Pairs  à  le  juger; 
mais  il  s'en  désista  en  disant  :  «  A  quoy  servira  de 
»  chicaner  ma  vie?  Je  seray  aussy  bien  condamné 
»  à  Paris  qu'icy.  »  Il  envoya  sa  moustache ,  sa  ca- 
denette  (on  n'en  portoit  qu'une  au  costé  gauche  en 
ce  temps-là)  à  sa  femme  avec  une  lettre.  Cette 
pauvre  femme  se  retira  à  Moulins  dans  un  couvent 
où  elle  pleura  tant,  que  de  voustée  qu'elle  estoit 
devenue  d'une  grande  fluxion,  elle  devint  droite 
comme  auparavant,  sa  fluxion  s' estant  escoulée  par 
les  yeux.  Mairet,  en  luy  dédiant  une  tragédie,  luy 
donna  la  qualité  de  Très-inconsolable  princesse.  Elle 
a  fait  faire  un  tombeau  magnifique  à  son  mary ,  et 
après  (cette  année) ,  elle  a  pris  l'habit  de  rehgieuse. 


1  II  y  a  : 


Keiifve  obturée  au  grand  Montmorency, 
Hors  lieux  prouvez  livré  à  claire  peine. 


Neuve^  Casteliiaudary,  Obturée,  fermée  ;  on  ne  voulut  pas  ouvrir 
les  portes.  Prouvez^  publics  ;  on  ne  le  fit  pas  mourir  en  place  publique. 
Claire  peine,  manière  de  prononcer  du  Parlement  de  Toulouse. 


310  LliS    UJSTOIUETTKS. 

GOMMKNTAIRE. 

I.  —  P.  306,  lig.  2. 

M.  de  Portes,  son  oncle. 

Henry  P%  duc  de  Montmorency,  père  de  Henry  II,  avoit  épousé,  en 
premières  noces  Louise  de  Budos,  fille  du  vicomte  de  Portes.  (Voy. 
tom.  !"■,  p.  16^  et  166.)  Le  marquis  de  Portes  dont  on  parle  ici  fut  le 
véritable  Mentor  du  duc  de  Montmorency  ;  il  assista  à  tous  ses  com- 
bats, même  à  ses  duels;  enfin  il  mourut  au  siège  de  Privas,  en  1629. 
On  raconte  qu'ils  s'etoient  promis,  l'oncle  et  le  neveu,  d'apparoître 
l'un  à  l'autre  au  moment  où  le  premier  des  deux  viendroit  à  mourir, 
et  qu'en  effet,  le  Duc  dormant  dans  sa  tente  fut  éveillé  cette  nuit-là  par 
une  voix  semblable  ;\  celle  du  Martjuis,  lequel  lui  disoit  tristement  : 
Adieu!  (Mémoires  du  duc  de  Montmorency,  1666,  p.  175.) 

II.  —  P.  306,  lig.  0, 
QuoyqtCil  eust  les  tjeux  de  travers. 

Dans  un  couplet  de  vaudeville,  on  le  désigne  par  k\  : 

Belle  «le  Guiinciié, 
SuiSNons  vous  a  laisse 
Avec  son  inconstance; 
Mais  les  yeux  de  travers 
VQusont  mis  ix  l'envers. 

III.  —  P.  307,  note  3. 

Allez,  luy  dit-il,  c'est  assez  que  vous  m'ayez  tenu  parole. 

Ce  trait  est  mieux  raconté  dans  la  yic  de  J/""-"  la  duchesse  de  Mont- 
morency, 1684.  «  Un  jour  qu'il  jouoit,  il  se  trouva  sur  le  jeu  environ 
»  trois  mille  pistoUes.  Un  gentilhomme  qui  estoit  présent  dit  tout  bas 
»  à  un  autre  que  cette  somme  feroit  sa  fortune.  Le  Duc  ne  fit  pas  sem- 
»  blant  de  l'entendre,  mais  l'ayant  gagnée  un  moment  après,  il  se 
»  tourna  vers  luy  :  Je  voudrais,  dit-il,  qtce  votre  fortune  fusi  plus  grande, 
»  et  le  pria  de  recevoir  cet  argent.  » 

IV.  —  P.  307,  lig.  11. 
//  aima  d'abord  In  Choisy. 

Une  des  filles  de  Jacques  de  l'Hospital,  marquis  de  Choisy  ;  soit  Louise, 


M.    DE    MOMMORKNCV.  311 

comtesse  de  Castrics,  soit  Fraiicienne,  M'"*  de  la  Grange-Quincy.  Elle 
avoit  déjà  galantisé  avec  l'archcvôque  do  Reims,  depuis  M.  de  Guise,  qui 
l'accusoit,  suivant  le  récit  de  Malherbe  (lettre  du  25  mars  IGIO),  d'avoii' 
[lar  jalousie  dérouvert  au  Roi  le  secret  de  ses  tendres  relations  avec 
M"""  des  Essarts. 

V.  —  P.  307,  lig.  18. 

//  en  avoil  un  porlraict. 

Vittorio  Siri  a  écrit  qu'une  chose  rendit  Louis  XIII  inflexible,  quand 
on  l'eut  condamné  ;  ce  fut  la  découverte  d'un  bracelet  de  diamants  au 
milieu  duquel  etoit  le  portrait  de  la  Reine.  On  l'avoit  trouvé  sur  lui, 
quand  il  fut  pris  devant  Castelnaudary.    [Uemorie  recondite,  tom.  vu.) 

VI.  —  P.  308,  lig.  10. 

M.  de  Montmorency  avoit  esté  accordé....  avec  l'Iieritiere  de  Beau- 
preau. 

Jeanne  de  Scepeaux,  fille  de  Guy  de  Scepeaux  comte  de  Chemillé  et 
duc  de  Beaupreau,  portoit  alors,  c'est-à-dire  en  1610,  le  nom  de  M'"=  de 
Chemillé  ou  Cliamilly.  Montmorency  n'avoit  gueres  plus  de  quinze  ans, 
s'il  est  vrai  qu'il  fût  né  en  1595.  «On  tient,»  écrit  Malherbe,  «le  mariage 
»  de  M.  de  Montmorency  défait  ;  ensuite  de  cela,  je  sçay  qu'on  a  parlé 
»  de  M"*  la  comtesse  de  Chamilly  à  M.  du  Maine,  pour  M.  d'Aiguillon. 
»  L'on  m'a  dit  qu'on  luy  offre  de  luy  faire  valoir  son  bien  sept  cent 
»  mille  escus.  »  (Lettre  du  2  février.)  —  «  M°"  de  Montmorency,  je 
»  l'appelle  encore  ainsy,  fut  assignée,  il  y  a  quatre  ou  cinq  jours,  pour 
»  venir  voir  déclarer  nul  son  mariage  avec  M.  de  Montmorency.  Elle 
»  n'y  mit  point  d'empeschement.  »  (Lettre  du  6  février.)  —  «  M"*  de 
»  Chamilly,  je  luy  rens  son  premier  nom,  a  pris  logis  dans  le  cloistre 
»  Nostre-Dame,  pour  y  estre  plus  seurement.  M.  de  Soubise  et  peut- 
»  estre  quelque  autre  la  tient  en  alarmes,  encore  que  je  croye  que  per- 
»  sonne  ne  pense  à  une  recherche  si  violente.  On  croit  que  ce  sera  pour 
»  M.  le  duc  de  Raix.  »  (Lettre  du  12  février.)  —  «  M.  de  Raix  fut  hier 
1)  fiancé  avec  M"^  de  Chamilly,  où  estoit  toute  la  Cour,  hormis  M.  de 
»  Montmorency.  Samedy  se  doibvent  faire  les  noces.  »  (Lettre  du  6  mai 
1610.) 

VIL  —  P.  308,  lig.  12. 

La  Reyne-tnere  fit  rompre  le  mariage  pour  luy  donna'  une  de  ses  pa- 
rentes de  la  maison  des  Ursins. 

Marie  Felicc  des  Ursins  etoit  ni(''ce  à  la  mode  de  Bretagne  de  la  Reine- 


312  l-JiS    lUSrORiETÏfiS. 

mère,  par  Elizabeth  de  Medicis,  duchesse  de  Bracciaiio,  sœur  du  père 
(non  du  grand-père)  de  Marie  de  Medicis. 

Pour  les  traits  du  visage  de  cette  dauie,  on  i)cut  voir  les  Mémoires  du 
duc  de  Montmorency,  par  Simon  Ducros,  f|ui  travailloit  à  la  demande 
de  l'illustre  veuve  :  «  Cette  princesse  ressemble  à  son  père,  le  prince 
»  Virginie  Ursini,  premièrement  dans  les  traits  du  visage  et  dans  les 
»  infirmités  du  corps,  secondement  dans  les  vertus  et  dans  les  avan- 
»  tages  de  l'esprit.  » 

«  Triste  de  l'infidélité  de  son  mari,  »  dit  ailleurs  Ducros,  «  il  luy  de- 
»  manda  si  elle  estoit  malade,  (;t  luy  ayant  respoiidu  (lu'elle  se  portoit 
»  bien:  Cependant,  Madame,  re\n-'\t-ï\,  votre  visage  parait  cliungé.  —  Il 
»  est  vra\i,  dit^elle  en  rougissant,  mais  mon  cœur  ne  l'est  pas;  et  cela 
»  vous  doit  suffire.  » 

VIII.  —  P.  309,  lig.  U. 
l'our  ta  guerre  c'estoit  un  fort  ignorant  homme. 

Des  Réaux  est  ici  bien  rigoureux.  Le  duc  de  Montmorency  lit  presque» 
toujours  la  guerre,  et  n'avoit  jamais  cessé  de  la  faire  heureusement 
jus<iu'au  jour  fatal  où  il  fut  pris  devant  Castelnaudary. 

La  lettre  qu'il  écrivit  à  sa  femme  avant  son  jugement  a  été  repro- 
duite par  Simon  Ducros,  p.  267.  Elle  est  courte,  pieuse  et  très-conve- 
nable. 

M""-"  de  Montmorency,  après  la  mort  de  son  époux,  se  retira  à  Mou- 
lins, dans  le  couvent  de  la  Visitation  ;  elle  y  mourut,  le  5  juin  1666.  Le 
tombeau  qu'elle  fit  ériger  au  duc  de  Montmorency  est  devenu  l'objet  dp 
la  curiosité  et  de  l'admiration  de  tous  les  étrangers  qui  passent  par 
Moulins;  il  a  été  souvent  gravé. 

Terminons  ce  commentaire  par  la  citation  d'un  précieux  passage  des 
Mémoires  de  Mademoiselle  (édition  de  1730,  tom.  iv,  p.  129). 

u  On  avoit  assez  d'envie  d'aller  passer  le  reste  de  l'hyver  (1660)  ;i 
«  Paris....  On  alla  jus<iu'à  Moulins  sans  séjourner,...  La  Reyne  alla  voir 
»  M""'  de  Montmorency,  religieuse  aux  filles  de  Sainte-Marie.  Le  chà- 
»  teau  de  Moulins  avoit  esté  le  lieu  de  son  exil  et  de  sa  prison  (on  l'y 
»  avoit  gardé  quelque  temps),  et  il  luy  estoit  arrivé  là  une  aventure  fort 
»  extraordinaire.  Un  jour  qu'elle  estoit  dans  son  petit  cabinet,  toute 
'>  seule,  occupée  de  la  perte  qu'elle  avoit  faite  (il  est  certain  que  per- 
»  sonne  n'a  jamais  eu  une  si  véritable  douleur  ni  ne  l'a  poussée  si  loin 
»  par  la  mort  de  son  mary  ;  elle  n'en  est  pas  encore  consolée),  elle  vit 
I)  sortir  d'une  muraille  un  petit  serpent,  ce  «luiest  assez  ordinaire  dans 
»  de  vieux  ciiasteaux  inhabitez  ;  elle  avança  son  pié  dans  le  dessein  que 
))  ce  serpeiit  la  mordist.  Elle  sentoit  quelque  joie  de  pouvoir  avancer 
»  ses  jours,  pour  aller  retrouver  celuy  qui  causoit  sa  douleur.  Dans  ce 


M.     DE    MONTMORENCY.  313 

))  moment,  il  entra  une  dame  qui  estoit  à  elle  :  le  serpent  entendit  du 
»  bruit  et  s'en  alla.  Elle  conta  cela  à  cette  dame,  qui  luy  en  fit  un  scru- 
»  pule  et  la  fit  souvenir  qu'elle  estoit  chrétienne.  Elle  se  retira  dans  les 
»  filles  de  Sainte-Marie,  où  elle  a  esté  quelque  temps  à  demander  à 
»  Dieu  la  grâce  de  pouvoir  pardonner  au  cardinal  de  Richelieu  ;  elle 
»  dit  qu'elle  a  esté  longtemps  sans  pouvoir  l'obtenir.  Elle  renvoj'a  à  ses 
»  parens  le  bien  qu'elle  avoit  eu  de  sa  maison  ;  elle  est  de  la  maison 
>>  des  Ursins  et  nièce,  à  la  mode  de  Bretagne,  de  la  Reyne,  ma  grand- 
n  mère.  Elle  ne  garda  que  cent  mille  escus  qu'elle  avoit  eus  en  ma- 
»  riage,  dont  elle  recompensa  ses  gens  et  fit  bastir  le  couvent  où  elle 
»  est, et  un  superbe  tombeau  à  M.  de  Montmorency,  qui  est  tout  devant 
»  la  grille  :  ainsi,  elle  peut  le  regarder  sans  cesse.  Quand  tout  cela  a 
»  esté  achevé,  elle  a  pris  l'habit  de  religieuse.  Ses  pleurs  continuels  luy 
»  ont  tellement  desséché  le  cerveau,  que  les  nerfs  se  sont  retirez  et 
»  qu'elle  est  maintenant  toute  voustée  et  sujette  à  une  courte  haleine. 
»  Lorsqu'elle  vit  la  Reyne,   son   mal   luy  prit  avec  tant  de  violence 
»  qu'elle   fut  longtemps   sans   pouvoir   parler.   M""  de  Montmorency 
»  avoit  eu  un  attachement  particulier  au  service  de  la  Reyne  ;   cela  la 
»  fit  beaucoup  pleurer.  J'allay  la  voir  après  le  dîner,  et  je  luy  dis  que 
»  j'avois  hésité  à  le  faire,  parce  que  j'appréhendois  de  l'affliger  lors- 
»  qu'elle  me  verroit  et  se  souviendroit  que  mon  père  avoit  esté  en  par- 
»  tie  cause  de  la  mort  de  son  raary.  Elle  me  remercia,  et  me  dit  :  J'ay 
»  vu  Monsieur,  votre  père  ;  il  m'a  témoigné  tant  de  bonté  que  je  prie 
i>  Dieu  sans  cesse  pour  luy.  Elle  me  parla  fort  de  feu  M.  de  Montmo- 
»  rency  avec  une  tendresse  qui  n'est  pas  concevable ,  et  me  dit  que 
»  jamais  passion  n'avoit  esté  égale  à  celle  qu'elle  avoit  pour  luy;  et 
1)  que  même  elle  en  avoit  du  scrupule.  C'est  une  femme  de  beaucoup 
»  d'esprit  et  qui  paroit  avoir  esté  fort  agréable,  quoiqu'elle  n'ait  jamais 
»  esté  belle,   à  ce  que  la  Reyne  m'a  dit.  Pendant  la  vie  de  son  mary, 
»  elle  avoit  pour  luy  le  mesme  amour  qui  luy  reste  ;   et  une  marque 
»  bien  extraordinaire  qu'elle  en  donnoit ,  c'est  qu'elle  aimoit  toutes  les 
»  personnes  dont  elle  sçavoit  qu'il  estoit  amoureux.  Il  a  esté  des  plus 
»  galans  de  son  temps.  Elle  prenoit  soin  de  luy  faire  faire  des  habits 
»  pour  aller  au  bal,  beaux  et  magnifiques,  sans  qu'il  le  sceust,  afin 
»  qu'il  fust  mieux  i)aré  que  les  autres.  Quand  ce  venoit  à  peu  près 
»  l'heure  qu'il  en  devoit  revenir,  elle  alloit  à  la  fenestre  qui  donnoit 
»  sur  la  rue,  afin  de  le  voir  plus  tost.  Elle  me  conta  que  ce  qui  faisoit 
)»  qu'elle  ne  pouvoit  jamais  se  consoler,  c'est  qu'elle  estoit  persuadée 
»  (ju'elle  estoit  cause  qu'il  s'estoit  engagé  dans  le  parti  de  feu  mon 
')  père,  par  rattachement  qu'elle  avoit  à  la  Reyne  ma  grand-mère.  » 


XCl. 
M.    DE   BAUTRU. 

{Cuillaumc  de  Baulnt,  comte  de  Serrant,  né  en  1588,  mort  en  1G(J5.) 

M.  de  Bautru  est  d'une  bonne  fainille  d'Angers. 
11  a  esté  conseiller  au  Grand  conseil.  En  ce  temps- 
là,  il  espousa  la  fille  d'un  maistre  des  Comptes, 
nommé  Gastines  '  :  cette  femme  ne  se  mettoit  point 
dans  le  monde  ;  elle  ne  sortoit  guères.  «  O  la  bonne 
»  mesnagere  !  »  disoit-on  :  on  la  donnoit  pour  exem- 
ple aux  autres.  Enfin  il  se  trouva  qu'elle  ne  sortoit 
point,  parce  qu'elle  avoit  son  galant  chez  elle;  c' es- 
toit  le  valet  de  chambre  de  son  mary.  Bautru  fit 
mourir  ce  galant,  à  force  de  luy  faire  degouster  de 
la  cire  d'Espagne  sur  la  partie  peccante  ,  d'où 
Mathieu  <U' Morgues,  vicnt  quo  Saint-Gcrmaln  *,  croyant  que  c'estoit  Bau- 
tru qui  avoit  fait  les  vers  sur  la  retraitte  de  Mon- 
sieur^, avoit  mis  dans  la  response  : 

Quand  il  cachetta  près  du  eu 
Son  valet  qui  le  fit  cocu. 

1  Le.  Bigot,  sieuf  de  Gastines. 

2  C'estoit  ChastcUet.  Il  y  avoit:  «  Vous  avez  assez  lait  le  rlicvaliiT 
»  errant  avec  Puylaurent.  » 


M,     DK    B\irfRll.  315 

Baiitru  cliassa  sa  femme,  et  ne  voulut  point  lecon- 
iioistre  le  filz  dont  elle  accoucha.  11  Ta  reconnu  de- 
puis, mais  long-temps  après.  Cette  femme,  jusques 
là,  vescut  de  carottes  à  Montreuil-Belay  en  Anjou, 
pour  espargner  quelque  chose  à  son  enfant.  Jusques 
à  cette  heure  elle  demeure  chez  luy,  en  Anjou,  où 
il  va  quelquefois  ;  mais  elle  ne  vient  point  à  Pads. 
Il  a  le  malheur  d'avoir  un  sot  filz  '. 

Bautru  s' estant  desfait  de  sa  charge,  se  mit  à 
suivre  la  Cour.  Le  mareschal  d'Ancre  l'aimoit  ;  et 
s'il  n'eust  point  esté  tué,  il  luy  alloit  faire  une  af- 
faire qui  luy  eust  valu  dix  mille  escus  de  rente. 

J'ay  desjà  dit  ailleurs*  qu'il  estoit  à  la  droslerie  wisfor.,iemchdieu. 
des  Ponts-de-Sé.  Quelqu'un  qui  estimoit  fort  M.  de 
Jainchere,  qui  avoit  quelque  employ  en  cette  guer- 
rette,  luy  dit  :  «  Qu'est-ce  qui  est  plus  hardy  que 
»  Jainchere  ?  »  —  «  Les  fauxbourgs  d'Angers,  »  res- 
pondit-il,  «  car  ils  ont  tousjours  esté  hors  la  ville, 
»  et  luy  n'en  est  pas  sorty-.  » 

Il  dit  à  la  Reyne-mere  que  l'evesque  d'Angers 
estoit  saint  et  qu'il  guerissoit  de  la  v — .  L'evesque  le 
sceût,  et  s'en  plaignit.  «  Et  comment  l'aurois-je  dit,  » 
dit  Bautru,  «  il  en  est  encore  malade!  » 

^  A  propos  de  cela,  M.  de  Guise,  comme  ils  disnoient  ensemble , 
luy  ayant  dit  :  «  Qu'y  a-t-il  entre  un  cocu  et  un  autre?  »  —  «  Une 
1)  table,  »  respondit-il  ;  car  ils  n'estoient  pas  de  mesme  costé. 

2  Comme  les  trois  frères  de  Luynes  commençoient  à  s'establir,  on 
dit  à  Bautru  :  «  Mais  il  faut  leur  porter  respect.  »  «Pour  moy,  »  dit-il, 
«  s'ils  me  traittent  civilement,  je  diray  :  M.  de  Brante,  M.  do  Luynes, 
n  M.  de  Cadenet;  autrement  je  dirai  Bran  de  Luynes  et  Cadenet,  » 
en  changeant  le  t  en  rf,  ce  qui  ne  se  remarque  pas  quasy  en  proiu»n- 
çant. 


M6  LES     IIISTOIIIETTES. 

Jouant  au  piquet  à  Angers  contre  un  nomme 
Goussaut ,  qui  estoit  si  sot  que  pour  dire  sot  on 
disoit  Goussaut  y  Bautru  vint  à  faire  une  faute, 
et  en  s'escriant  dit  :  «  Que  je  suis  Goussaut!»  — 
«Vous  estes  un  sot,  »  luy  dit  l'autre.  —  «Vous 
»  avez  raison,  »  respondit-il  ;  «  c'estcequeje  voulois 
»  dire'.  » 

M.  d'Effiat  le  prit  en  amitié,  et  c'est  de  là,  bien 
plustost  que  du  cardinal  de  Richelieu,  que  vient  sa 
richesse.  Bautru  estoit  bon  courtisan,  ou  bon  bouf- 
fon si  vous  voulez  ;  de  mœurs  et  de  religion  fort 
libertin,  et  tel  que  M.  d'Orléans  luy  escrivoit  tous- 
jours:  Au  petit  b — ^  Il  estoit  petit,  mais  bien  fait. 

11  n'a  jamais  pu  s'empescher  de  mesdire  ;  et 
comme  les  chiens  ne  mordent  guères  sans  avoir 
des  coups  de  baston,  le  pauvre  Bautru  ne  manqua 
pas  d'en  avoir,  car  il  n'eut  pas  la  discrétion  d'es- 
pargner  M.  d'Espernon.  S'il  n'a  dit  que  ce  que  j'en 
ay  ouy  dire,  je  trouve  le  mot  assez  meschant  pour 
mériter  quelque  correction,  mais  non  pas  si  rude. 

Depuis  oouitessc  île       '  H   (lisoit  à    M"''  d'Atticliy  *,  fille  d'honneur  de  la   Reyne-raerc  : 
Maure.  ^^  Vous  n'estes  pas  trop  mal  fine,  avec  vostre  sévérité.  Vous  avez  si 

»  bien  fait,  que  vous  pourrez,  quand  vous  voudrez,  vous  divertir  deux 
»  ans  sans  qu'on  vous  soupçonne.  » 

2  Le  marquis  de  Borbomic,  un  seigneur  qui  n'avoit  point  de  répu- 
tation pour  la  bravoure,  luy  donna  des  coups  de  baston  ;  je  n'ay  pu 
sçavoir  pourquoy.  Il  en  fit  un  vaudeville,  où  il  y  avoit  : 

Borbonne 
Ne  bat  personne. 
Cependant  il  me  bastonne. 

La  première  fois  qu'il  alla  au  Louvre  après  cola,  chascun  ne  sçavoit 
i|uc  luy  dire.  «  Eh  quoy,  »  dit-il,  «  croit-on  que  je  sois  devenu  sauvage, 
»  pour  avoir  passé  par  les  bois"?  » 


M.    DE    BAUTRU.  317 

11  y  avoit  un  vieil  Espagnol  à  la  Cour  qu'on  appei- 
loit  Gilles  de  Metz  *  ;  Bautru  disoit  :  «  N'est-ce  pas 
»  une  chose  estrange  que  Gilles  de  Metz  passe  pour 
»  si  vieux?  car  M.  d'Espernon  est  son  père  ;  on  sçait 
»  bien  qu'il  a  fait  Gilles  de  Metz-  *.  »  Les  Simons,  fa''c  ciz/e  .•  hur. 
c'estoient  les  donneurs  d'estrivieresde  chez  M.  d'Es- 
pernon, l'estrillerent  comme  il  faut.  Quelque  temps 
après ,  un  de  ces  satellites ,  en  passant  auprès  de 
luy,  se  mit  à  le  contrefaire  comme  il  crioit  quand 
on  le  battoit.  Bautru  ne  s'en  desferra  point,  et  dit  : 
«  Vrayment,  voylà  un  bon  écho,  il  respond  long- 
»  temps  après  ^  » 

Il  eut  aussy  de  grands  desmeslez  avec  M.  de  IMont- 
bazon ,  pour  en  avoir  fait  cent  railleries ,  comme. 
que  c'estoit  un  homme  bien  fait  et  qu'il  n'y  avoit 
pas  au  monde  un  plus  beau  corps  nu"*  :  d'ailleurs  le 
bonhomme  avoit  sceû  que  VOnosandre  estoit  une 
pièce  contre  luy.  La  Reyne-mere  accommoda  cela, 
et  on  dit  que  M.  de  Montbazon,  entre  autres  choses, 
l'ayant  menacé  de  coups  de  pié,   il  faisoit  remar- 


*  Un  de  ces  Espagnols  qui  furent  chassez  avec  Antonio  Ferez. 

2  La  ville  de  Metz. 

3  Long-temps  après,  Bautru  alla  voir  la  Reyne,  et  il  avoit  un 
baston.  «  Avez-vous  la  goutte  ?  »  luy  dit-elle.  «  Non ,  madame.  — 
»  C'est,  »  dit  le  prince  de  Guimené,  «  qu'il  porte  le  baston  comme 
»  Saint-Laurent  porte  son  gril  :  c'est  la  marque  de  son  martire.  » 
(Variante.)  Bautru  mi  jour  se  promenoit  avec  un  baston.  Quelqu'un 
demanda  à  Saint-Pavin  :  «  D'où  vient  qu'il  porte  un  baston  ?  —  C'est,  » 
respondit-il,  «  la  marque  de  son  martire.  »  —  Bautru  dit  que  les  por- 
teurs de  Saint-Pavin  sont  des  porte-diables.  C'est  qu'on  dit  des  porte- 
Dieu  pour  dire  les  prestres  qui  portent  l'hostie. 

''  Il  equivnqunit  sur  cornu. 


S18  LKS    HISTOKIETTES. 

quer  à  la  Reyne-mere  :  «  Madame,  voyez  quel  pie  ! 
»  que  fust  devenu  le  pauvre  Bautru  *  ?  » 

Mais  Bautru  ne  fut  pas  traitté  si  doucement  de 
la  belle-mere  que  du  gendre.   11  avoit,  dit-on,  fait 

catheniie^Fo.Kiuer.  galanterie  avec  la  comtesse  de  Vertus*,  et  il  en  avoit 
fait  des  mesdisances  espouvantables.  Elle  s'en  vou- 
lut venger,  et  pour  cela  elle  s'addressa  au  marquis 
de  Sourdis  qui  luy  promit,  comme  il  fit,  de  luy 
donner  des  coups  de  baston  sur  le  quay  de  FEscole; 
et  elle  estoit  à  la  Samaritaine  pour  en  avoir  le  plai- 
sir. Le  Marquis  le  traitta  plus  humainement  que  les 
Simons ,  mais  il  eut  pourtant  cjuelques  coups  -. 

Il  disoit  du  Pcre  Pradines,  Cordellier,  son  con- 
fesseur, qu'il  estoit  aussy  noble  que  le  Grand-duc, 
et  qu'il  venoit  de  quatre  testes  couronnées  ^  aussy 
bien  que  luy. 

Le  frère  qui  acooni-       Lc  Biui  *  dc  cc  moluc  dédia  des  thèses  h  Prou, 

pagne.  ' 

pourvoyeur  du  Roy.    Bautru  luy  fit  mettre  :  Dno 
Prou  :  bea.icou])  on  Dùo  Satîs  *,  Reois  à  dapihus.  » 

assez.  "^  ^ 

1  M.  de  Montbazon  estoit  fort  grand  et  puissant. 

2  A  la  province,  je  ne  sçay  quel  juge  de  bicoque  l'importunoit  trop 
souvent.  Un  jour  que  cet  homme  vint  le  demander,  il  dit  à  son  valet  : 
«  Dis-luy  que  je  suis  au  lict. — Monsieur,  il  dit  qu'il  attendra  que 
»  vous  soyez  levé.  — Dis-luy  que  je  me  trouve  mal.  — Il  dit  qu'il  vous 
»  enseignera  quoique  rocepte.  — Dis-luy  que  je  suis  à  l'extrémité. — 
»  Il  dit  qu'il  vous  veut  donc  dire  adieu. — Dis-luy  qu(!  je  suis  mort.  — 
»  Il  dit  qu'il  vous  veut  donner  do  l'eau  bénite.  »  EnJin  il  le  fallut  faire 
entrer. 

î  De  quatre  Cordelliers.  —  {Variante.)  Il  disoit  d'un  Cordellier  ap- 
pelle le  Père  Pradines  qu'il  estoit  de  meilleure  maison  que  le  Grand- 
duc  ;  qu'il  venoit  de  six  testes  couronnées,  de  Cordelliers  de  père  en 
filz.  On  avoit  donné  à  ce  père  un  brevet  de  confesseur  des  Enfans  de 
France  jusqu'à  l'âge  de  sept  ans;  et  on  ne  se  confesse  qu'à  cet  age-là. 


M.     Di;    BAUTRU.  »H9 

L'arclievesque  de  Paris  *  avoit  lait  faire  une 
chapelle  qu'il  avoit  dédiée  à  je  ne  sçay  quelle 
sainte.  «  Je  ne  croyois  pas,  »  dit  Bautru,  «  qu'elle 
»  dust  estre  dédiée  à  autre  qu'à  sainte  René  *.  » 

Le  cardinal  de  Richelieu  en  faisoit  cas,  et  disoit 
qu'il  aimoit  mieux  la  conscience  d'un  Bautru  que 
de  deux  cardinaux  de  Berulle.  Il  l'envoya  en  Espa- 
gne '  ;  et  le  Comte-duc  luy  monstrant  son  gallinero  *, 
il  luy  dit  que  le  Roy,  son  maistre ,  luy  envoyeroit 
dellos  gallos.  L'autre  se  plaignit  qu'on  luy  envoyoit 
des  bouffons  ^. 

Il  disoit  d'un  certain  Minime  qu'on  vouloit  faire 
passer  pour  beat ,  que  le   seul  miracle  qu'il  avoit 

'  Eu  qualité  d'Envoyé  seulement. 

2  Ce  fut  par  son  conseil  qu'il  *  ne  fit  point  imprimer  cette  harangue 
qu'il  prononça  au  Parlement,  et  qui  avoit  fait  tant  de  bruit.  Pour 
l'en  destourner,  il  luy  dit  ce  passage   d'Horace,  de  Arte  poetica  : 

Segniits  irritant  animos  demissa per  aures 
Quàmquœ  sunt  oculis  subjecta  ftdelibus. 

Depuis,  cette  pièce  a  esté  imprimée  durant  la  Fronde,  et  a  fait  voir 
que  Bautru  avoit  eu  bon  nez. 

Ce  fut  luy  aussy  qui  mit  bien  le  comte  de  Charrost  avec  le  Cardi- 
nal. Ce  ministre  estoit  allé  se  promener  à  l'abbaye  de  Royaumont; 
Bautru  l'y  fut  trouver  :  «  Avec  qui  estes-vous  venu  ?  »  luy  dit  le  Car- 
dinal. «  Avec  Charrost.  —  Eh  !de  quoy  vous  estes-vous  avisé  d'amener 
»  ce  fastidieux  personnage? — Ah!  Monseigneur,  si  vous  sçaviez  com- 
»  bien  il  a  de  zèle  et  de  tendresse  pour  Votre  Emincnce,  vous  n'en 
»  parleriez  pas  ainsy.  On  n'a  jamais  tant  aimé  une  maistresse  qu'il 
»  vous  aime.  »  Depuis  cela,  le  Cardinal  eut  de  l'estime  pour  Charrost. 

Comme  il  passoit  un  enterrement  où  on  portoit  un  crucifix ,  il  osta 
son  chapeau  :  «  Ah  !  »  luy  dit-on,  ((  voylà  qui  est  de  bon  exemple. — 
»  Nous  nous  saluons,  »  respondit-il,  »  mais  nous  ne  nous  parlons  pas.  » 

Variante.  Il  osta  une  fois  son  chapeau  en  passant  devant  une  croix. 
Quelqu'un  luy  dit  :  «  Ah  !  ah  !  vous  estes  donc  mieux  avec  le  bon 
»  Dieu  qu'on  ne  pense".'  —  Nous  nous  saluons,»  respondit-il,  «mais 
»  nous  ne  nous  parlons  pas.  » 


■  François 
Gondi. 


InvoqiK't'  contre  les 
maladies  galantes. 


Poulailler. 


Le  Cardinal, 


320  LES    IIISTOUIETTKS. 

fait,  c'estoit  que,   ne  mangeant  que  du  poisson,  il 
sentoit  Tespaule  de  mouton  en  diable. 
i>eui-«ie  jeu  «le       II  disoit  oue  Rome  estoit  une  chimère*  aposto- 

inots,  sur  mère. 

lique  ;  et  à  une  promotion  de  Cardinaux  que  fit  le 
Pape  Urbain  ,  où  il  n'y  avoit  guères  de  gens  de 
qualité  (je  pense  qu'ils  estoient  dix  en  tout) ,  Bautru 
en  lisant  leurs  noms ,  disoit  :  «  N'en  voylà  que 
»  neuf.  »  —  «  Eh  !  vous  oubliez  Fachinetti ,  »  dit 
quelqu'un.  —  «Excusez,  »  respondit-il,  «je  pensois 
»  que  ce  fust  le  tiltre  '.  » 

Quelquefois  il  rencontroit  assez  froidement,  et 
cela  arrive  à  tous  ceux  qui  font  mestier  de  dire  de 
bons  mots  '.  La  première  fois  que  Boisrobert  fit  un 
acte  de  ces  pièces  de  Cinq-Auteurs  que  le  cardinal 
de  Richelieu  faisoit  faire,  Bautru  dit  :  «  Boisrobert 
»  est  un  bon  homme,  mais  il  a  pourtant  fait  un  mes- 
»  chant  acte.  » 
historiette,  tom.  ii.      Ilmoustra  un  crucifix  à  Lopez*,  à  la  Messe,  et  luv 

p.  187. 

dit  :  «  Voylà  de  vos  œuvres  !  —  Hé,  »  respondit  Lo- 
pez,  «  c'est  bon  à  ces  messieurs  à  s'en  plaindre  ; 

'■"  Poiio"-  1  Une  fois  qu'il  y  avoit  icy  des  députez  du  Mirebalais*  qui  vouloient 

parler  au  cardinal  de  Richelieu,  Bautru,  qui  cherchoit  il  le  divertir, 
demanda  à  celuy  qui  portoit  la  parole  :  (c  Monsieur,  sans  vous  inter- 
»  rompre,  combien  valoicnt  les  asnes  en  vostre  pays  quand  vous  par- 
»  listes  ?  »  Ce  député  luy  respondit  :  «  Ceux  de  vostre  taille  et  de  vostre 
»  poil  valoient  dix  cscus.  »  Bautru  demeura  desferré  des  quatre  piez. 
W  rencontra  mieux  sur  ses  chevaux.  H  vouloit  renvoyer  quelqu'un  en 
carrosse,  qui,  par  cérémonie,  luy  disoit  que  ses  chevaux  auroient  trop 
de  peine,  «  Si  Dieu,  »  respondit-il,  «  eust  fait  mes  clievaux  pour  se 
>i  reposer,  il  les  auroit  fait  chanoines  de  la  Sainte-Chapelle.  » 

2  On  jouoit  fort  chez  luy.  Il  disoit  d'un  grand  joueur,  nommé 
Mitton,  que  c'estoit  dommage  qu'il  ne  s'appellast  pas  Marc;  qu'on 
diroit    Marmfltnii. 


M.    DK    15  A  UT  RU.  32i 

»  mais  pour  vous,  de  quoy  vous  avisez-vous?  » 
Il  sçait,  et  a  fait  autrefois  des  vers,  mais  il  y  a 
plus  d'esprit  que  de  génie,  et  l'elocution  n'est  nulle- 
ment chastiée.  Plusieurs  fois  il  a  donné  à  disner  à 
Saulmaise,  à  Desmarestz,  à  Quillet  et  à  d'autres 
gens  de  lettres  '. 

Il  disoit  du  feu  roy  d'Angleterre  :  «  C'est  un  veau 
»  qu'on  meine  de  marché  en  marché  ;  enfin  on  le 
»  meinera  à  la  boucherie  ".  » 

Ménage,  dans  ses  Origines.,  sur  le  mot  de  bou- 
gi^e,  a  mis  ainsy  :  bougre,  je  suis  de  l'avis,  etc. 
«  Ah  !  ))  luy  dit  Bautru,  «  vous  en  estes  donc  aussy, 
»  et  vous  l'imprimez  !  tenez  :  il  y  a ,  bien  moulé  : 
»  Bougre  je  suis.  »  Cela  me  fait  souvenir  que  Ru- 
vigny,  l'hyver  passé,  trouva  le  pauvre  Eautru,  qui 
est  tout  perdu  de  goutte,  dans  sa  chaise,  auprès 
d'un  si  grand  feu  qu'il  se  brusloit,  et  avoit  beau 
crier,  ses  gens,  après  avoir  mis  bien  du  cotret,  s'en 
estoient  enallez,  et  ne  l'entendoient  en  aucune  sorte. 


1  La  meilleure  chose  qu'il  ayt  faitte,  c'est  un  impromptu  pour  res- 
ponse  à  un  que  luy  avoit  envoyé  M.  le  Clerc,  intendant  des  Finances, 
qui  estoit  de  Montreuil-Belay.  Or  l'on  dit  en  proverbe  :  Les  clercs  de 
MontreuU-Betay  qui  boivent  mieux  qu'ils  ne  sçavent  escrire.  Voicy  ce 
que  c'est  : 

Une  autre  fois  prenez  plus  de  delay, 
Vostre  impromptu  n'a  pas  le  mot  pour  rire. 
Vous  estes  clerc,  et  de  Montreuil-Belay, 
Qui  beuvez  mieux  que  ne  sçavez  escrire. 

2  Quand  nos  plénipotentiaires  à  Monster  eurent  pris  la  qualité  de 
Comte  :  «  Ah  !  »  dit-il,  «  je  me  doutois  bien  que  cette  assemblée-là 
->  nous  feroit  des  contes  borgnes  ;  »  à  cause  de  M.  Servien  qui  n'avoit 
qu'un  œil. 

n.  21 


522  LES    HISTORIETTES. 

Le  petit  bougre  estoit  là  puny  d'un  supplice  con- 
digne  '. 

On  a  -remarqué  de  toute  la  race  des  Bautrus 
(qu'elle)  est  naturellement  bouffonne.  Nogent,  son 
frère,  en  a  fait  profession  -.  Gherelles,  la  Roullerie  et 
le  prieur  des  Matra  s,  trois  frères  Bautrus,  cousins- 
germains  de  celuy  dont  nous  venons  de  parler,  ont 
esté  tous  trois  fort  plaisans  en  leur  espèce.  Le  pre- 
mier estoit  d'espée  ;  il  avoit  de  l'esprit  et  faisoit  des 
vers  :  c'estoit  un  vaillant  homme.  Il  disoit  qu'il 
perdoit  tousjours  quand  il  jouoit,  et  gagnoit  quand 
il  f — .  La  Roullerie  estoit  à  l'artillerie,  et  comman- 
doit  un  vaisseau  :  il  fit  tout  ce  qu'on  pouvoit  faire 
aux  isles  de  Sainte-Marguerite.  11  prenoit  du  tabac 
sur  un  affust  de  canon  tout  à  descouvert.  Il  ne  s'ac- 
commodoit  point  bien  de  l'archevesque  de  Bordeaux, 
et  luy  disoit  :  «  Sur  ma  foy  !  je  ne  vous  veux  plus 
»  suivre  qu'à  la  procession.  » 

Pour  le  prieur  des  Matras,  une  fois  qu'il  suoit 
la  V —  dans  un  grenier,  un  de  ses  amys  le  cher- 
chant cria  :  aJdam!  »  c'estoit  son  nom,  «  Adam! 
»  uhi  es? —  Domine,  »  respondit-il,  «  mulier  quam 
»  mihi  dedisti  fefellit  me  "'.  » 

1  Vieux  style  de  quelqu'un  de  nos  anciens  poètes. 

2  II  (Bautru)  disoit   que  Nogent  son  frère  estoit  le  Plutarque  des 
laquais.  Les  laquais  admiroient  ses  sentences. 

î  C'estoit  un  ivroigne  fieffé,  et  quelquefois  un  assez  meschant  plai- 
sant. Un  jour  que  son  valet,  sous  son  manteau,  portoit  un  grand  broc 
de  vin,  il  lesuivoitcn  pleurant.  Quelqu'un  luy  dit:  «Qu'avez-vous?  — 
C'est  le  meilleur  de  mes  amys  qu'on  porte  en  terre.  »   C'est  que  le 
On  appelle  pots  de   broc  estoit  de  grais.  * 
îorte  àeterrtglàî^e.       Un  jour  il  rcspondit  assez  plaisamment  à  Cuprif,  rarcliidiacre  d'An- 


M.    DE    B.VLTRU.  S'23 

gers,  qui  luy  vouloit  faire  des  réprimandes  dans  le  Chapitre,  car  il 
estoit  clianoinc:  «  Il  est  vray,  »  luy  dit-il,  «que  vous  estes  d'une  famille 
»  où  il  y  a  de  beaux  exemples  à  imiter,  car  vous  avez  un  confesseur  à 
»  la  Haye,  une  vierge  dans  la  Cité,  et  un  crochet  en  Grève.  »  Un  Cuprif 
s'estoit  fait  ministre  en  Hollande,  une  fille  avoit  esté  desbauchéc,  et 
un  capitaine,  pour  avoir  volé  sur  les  grands  chemins,  avoit  esté 
roué  à  Paris. 


COMMENTAIRE. 

I.  —  P.  314,  lig.  3. 

//  cspousn  la  fille  d'un  maistrc  des  Comptes  nommé  Gastines. 

Marthe  le  Bigot  de  Gastines,  Le  Menagiana  dit  qu'elle  se  fit  toujours 
appeler  M""*  de  Nogent,  disant  qu'elle  ne  vouloit  pas  être  appelée 
M"*  Bautrou ,  par  la  Reine  Marie  de  Medicis ,  qui  prononçoit  mal  le 
françois,  comme  l'a  plus  haut  remarqué  des  Réaux. 

Le  valet  ainsi  maltraité  par  Bautru  n'en  seroit  pas  mort,  si  l'on  s'en 
rapporte  au  Menagiana,  autorité  assez  peu  solide  en  général.  R  en 
auroit  été  quitte  pour  les  galères,  parce  qu'il  auroit  exposé  aux  Juges  le 
commencement  de  justice  que  Bautru  s'etoit  faite.  {Menagiana,  i, 
p.  267.) 

II.  —  P.  315,  lig.  2. 

Il  l'a  reconnu  depuis  (le  fils  dont  elle  accoucha),  mais  longtemps 
après. 

«  Quoiqu'ils  demeurassent  ensemble,  où  demeure  présentement  M.  de 
»  Seignelay,  néanmoins  ni  l'un  ni  l'autre  ne  se  reconnoissoient  pour 
»  père  ou  pour  fils.  »  {Menagiana,  i,  p.  207.) 

La  maison  de  Bautru  etoit  la  seconde  de  la  rue  IVeuve-des-Petits- 
Champs,  près  des  Petits-Pères.  Elle  a  été  gravée  par  J.  Marot.  Colbert 
l'acheta  avec  la  première,  bâtie  pour  Jean  Vanel,  financier.  Ce  fut 
après  sa  mort  Yhôtel  Seignelay. 

Il  y  a  dans  le  roman  des  Mémoires  de  M.  de  B.,  secrétaire  de 
M.  l.  C.  d.  R.,  1711,  p.  518,  un  passage  assez  curieux  sur  cette  maison. 
Sandras  des  Courtils,  l'auteur  de  ces  faux  Mémoires,  nous  transporte 
à  l'année  1G35  ou  1636  : 

(I  M.  de  BuUion  estoit  à  table  aveî;  plusieurs  de  ses  amis,  et  entre 
»  autres  avec  Bautru,  lorsque  j'arrivay  chez  luy.  Bautru  faisoit  alors 
»  bastir  une  belle  maison,  qui  est  aujourd'huy  Yhôtel  Colbert.  Ce  quar- 


324  LES    HISTORIETTES. 

»  tier,  qui  n'estoit  point  bâti  auparavant,  s'embellissoit.tous  les  jours. 
»  M.  d'Esmery,  qui  a  été  surintendant  des  finances,  y  avoit  fait  élever 
»  un  superbe  édifice,  qui  est  encore  regardé  aujourd'huy  comme  un 
»  des  plus  beaux  morceaux  qu'il  y  ait  dans  Paris.  La  maison  de  M.  de 
»  Bullion  n'en  approchoit  pas,  quoiqu'elle  ne  vinst  qued'estre  bastie.  Or 
»  M.  de  Bullion  ayant  demandé  à  Bautru  combien  luy  coûteroit  la 
»  sienne  :  Bautru  luy  ayant  répondu  qu'elle  luy  coûteroit  deux  cent 
»  mille  francs  :  Et  le  pavé  ?  repartit  M.  de  Bullion ,  le  comptez-vous  ? 
»  (car  en  ce  temps-là ,  quoiqu'il  n'y  ait  pas  encore  bien  longtemps ,  ce 
»  quartier  estoit  comme  un  désert).  Il  y  avoit  bien  à  dire  que  les 
»  maisons  fussent  l'une  sur  l'autre  comme  elles  sont  présentement  ;  il 
»  falloit  donc  que  ceux  qui  faisoient  bastir  fissent  paver  devant  eux,  à 
»  moins  que  d'avoir  de  la  boue  jusqu'à  mi-jambes.  Il  n'y  avoit  encore 
»  que  M.  de  Bullion  qui  l'cust  fait  devant  sa  maison.  M.  d'Esmery  ni 
n  M.  de  Laurillière  »  (il  falloit  la  Vrilliere),  «  son  gendre,  qui  avoit  fait 
»  bastir  une  maison  auprès  de  celle  de  son  beau-père  »  (aujourd'hui  la 
Banque  de  France),  «  n'avoient  pas  encore  fait  paver  devant  eux,  mais 
»  se  disposoient  à  le  faire.  Or,  Bautru  dit  alors  à  M.  de  Bullion  :  Tu 
»  pavisti,  illi  pavebunt,  ego  autem  non  pavebo.  —  Et  tu  pavebis  etiatn, 
»  luy  répondit  M.  de  Bullion.  —  Il  faudra  voir,  répliqua  Bautru,  qui 
»  dira  vray  de  vous  ou  de  moy. —  Ce  sera  moy,  respondit  M.  de  Bullion  ; 
»  envoyez-moy  seulement  demain  la  Moriniere.  Ce  la  Moriniere  estoit 
»  l'homme  de  confiance  de  Bautru,  et  Bautru  luy  ayant  envoyé,  M.  de 
»  Bullion  luy  donna  deux  mille  escus  pour  son  maistre,  à  condition  de 
»  faire  paver  devant  sa  maison.  » 

III.  —  P.  315,  lig.  8. 
//  a  le  malheur  d'avoir  un  sot  filz. 

Le  Mcnagiana  semble  plus  favorable  à  M.  de  Serrant,  fils  de  Bautru  : 
«  Quand  on  voulut  vendre  la  maison  du  père,  il  se  trouva  que  la  cha^ 
»  pelle  estoit  en  désordre  et  en  ruines.  Il  ne  faut  pas  s'en  estonner,  dit 
»  M.  de  Serrant,  M.  de  Bautru  se  soucioit  aussi  peu  de  sa  chapelle, 
»  qu'il  avoit  soin  de  sa  cuisine  et  de  sa  bibliothèque.  »  {Menag.,  i, 
p.  269.) 

Le  mot  de  Bautru  à  M.  de  Guise  est  la  contrefaçon  de  celui  du 
paysan  Gaillard  à  Henry  IV.  (Tom.  I,  p.  12.) 

IV.  —  P.  31G,  lig.  5. 

Vous  avez  raison;  c'est  ce  que' je  voulais  dire. 

Bon  mot  renouvelé  bien  souvent,  et  de  nos  jours  par  un  plaisant 
nommé  M.  Perpignan,  auteur  de  certains  quarts  de  vaudevilles;  car 


M.    DE    BAUTRU.  325 

nous  avons  des  quarts  de  Vaudevillistes  comme  des  quarts  d'Agens  de 
change.  Après  la  première  représentation  d'une  tragédie  de  feu  Delrieu, 
que  l'on  venoit  de  recevoir  fort  mal,  il  rencontre  le  triste  auteur  :  <(  Eh 
»  bien  !  Monsieur,  vous  êtes  tombé  ;  nous  voilà  confrères.  —  Vous  êtes 
»  un  sot.  Monsieur  !  —  C'est  ce  que  je  voulois  dire.  » 

D'autres  bons  mots,  dont  dcsRéaux  constate  ici  la  date  ancienne,  ont 
été  repris  de  même  ;  comme  le  bâton,  marque  du  martyre  ;  —  les  fils  de 
têtes  couronnées,  et  le  «  Nous  nous  saluons,  »  dont  Piron  se  faisoit  lion- 
neur  avant  d'être  dévot. 

—  Faire  Gilles,  c'est  décamper  à  l'improviste  et  pour  éviter  quelque 
mauvaise  affaire,  comme  il  etoit  arrivé  au  duc  d'Epernon,  quand  il 
quitta  la  ville  de  Metz  dont  il  etoit  gouverneur,  par  crainte  du  sou- 
lèvement deshabitans.  Scarron,  dans  \aGiganto)nacliie,  chant  iv  : 

Jupin  leur  fit  prendre  le  saut 

ht  contraiî^nlt  de  taire  Gille 

Le  grand  Tiphon,  jusqu'en  Sicile. 

—  Antonio  Pérès,  dont  M,  Mignet  a  si  bien  retracé  la  vie  roma- 
nesque, mourut  à  Paris  en  1611  et  fut  enterré  aux  Célestins  de  Paris, 
église  fermée  depuis  1791 ,  mais  abattue  seulement  depuis  quelques 
années.  Jean  Mégret  a  donné  l'epitaphe  de  Pérès  : 

«  Hic  jacet  illustrissimus  Joannes  Antoninus  Perez,  olim  Philippo  II 
»  Hispaniarum  Régi  à  secretioribus  consiliis  ;  cujus  odium  mali  auspi- 
))  catura  effugiens,  ad  Henricum  IV  Galliarum  Regem  invictissimum  se 
»  contulit,  ejusque  beneficentiam  expertus,  demùm  Parisiis  diem  ex- 
»  tremam  clausit,  anno  1611.  » 

V.  —  P.  317,  note  3,  lig.  7. 
Batitru  dit  que  les  porteurs  de  Saint-Pavin  sont  des  porte-diable. 

Saint-Pavin,  le  célèbre  athée,  le  célèbre  poète,  mourut,  comme  ses 
amis  Boisrobert  et  des  Barreaux,  dans  les  bras  d'un  prêtre  et  avec  de 
grands  sentimens  de  repentir,  en  avril  1670:  «Le  curé  de  Saint-Nico- 
»  las,  »  écrit  Guy  Patin,  le  11  avril,  »  n'a  pas  voulu  luy  donner  l'abso- 
»  lution  qu'il  n'eust  auparavant  jeté  dans  le  feu  son  testament,  à  cause 
»  de  la  vie  scandaleuse  qu'il  avoit  menée,  et  qu'il  n'eust  fait  des  legs 
»  pieux  du  bien  qui  luy  restoit.  » 

On  conserve  dans  quelques  cabinets,  du  moins  je  possède  un  ma- 
nuscrit des  Poésies  de  Saint-Pavin  ;  la  plupart  sont  inédites  et  mérite- 
roient  de  cesser  de  l'être.  J'en  donnerai  plusieurs  pièces  dans  le  cours 
de  ces  commentaires  et  quand  l'occasion  s'en  présentera. 


326  LES    HISTORIETTES. 


VI.  —  P.  317,  lig.  16. 

Le  bonhomme  (M.  de  Montbazon)  avait  sceû  que  /'Onosandre  esloil  une 
pièce  contre  luy. 

Cette  pièce,  réellement  assez  mauvaise,  parut  d'abord  en  sept  pages 
in-S",  et  fut  ensuite  insérée  dans  le  Cabinet  satyrique.  Une  des  premières 
éditions  de  ce  Recueil  y  donne  à  peu  près  les  initiales  du  héros,  M.  D.  M. 
Voici  les  passages  qui  peuvent  servir  à  compléter  Yllistorietlc  de  M.  de 
Montbazon,  telle  qu'on  la  lira  dans  un  des  volumes  suivans  : 

Je  veux  quitter  l'amasse  et  l'onde  l'cgasine 
Pour  aller  faire  un  tour  jusques  à  TeiTassine, 
Désireux  de  chanter  les  buffles  fiu  col  tors. 

Ou  siffler  dans  un  joug  le  prince  des  butors 

Onosandre,  occupé  à  ne  croire  qu'un  homme 
Qui  sçalt  parler  latin  puisse  estre  gentilhomme; 
Mesprisant  Apollon  et  ses  célestes  dons. 
Oui  font  que  les  humains  ne  vivent  de  chardons. 

Exemple  de  nos  ans! 

Ceux  que  l'on  devroit  voir  en  nos  moulins  brayans, 

Le  bast  dessus  le  dos,  courbez  sous  la  farine, 

Sont  gens  de  cabinet,  niesrae  que  l'on  destine 

Pour  les  premiers  honneurs;  et  quel  enragé  son 

De  voir  dans  un  conseil  un  asne  sans  raison, 

Qui  croit  que  le  graud  Caire  est  un  homme,  et  les  PUncs, 

Des  païs  esloignez  comme  les  Philippines; 

Que  l'Evangile  fut  eserite  dans  le  ciel. 

Et  de  l'un  des  tuyaux  de  l'aisle  saint  Michel  ! 

Et  que  là  tous  les  saints  on  cache  tout  de  mesme 

Comme  on  le  voit  icy  dans  le  temps  de  caresme; 

Qui  tient  que  Mahomet,  et  les  Turcs  et  les  Gots, 

Confrères  de  Calvin,  estoient  bons  Huguenots 

Qui  croit  que  paradis  est  fait  couinie  une  église, 

Et  que  le  Bucentore  est  le  duc  de  Venise 

Je  l'ay  veu  maintes  fols,  d'un  ignorant  caprice, 
Citer  monsieur  saint  Jean  au  livre  de  l'Eclipsé; 
Il  monstre  à  ses  discours  n'avoir  point  de  raison, 
Et  qu'il  a  le  cerveau  timbré  comme  un  oyson; 
l'uisqu'il  croit  que  Parts,  par  qui  mourut  Achille, 
Eut  tenu  sur  les  fons  <lps  bourgeois  cle  la  ville;  etc. 


VII.  —  P.  320.  lig.  8. 
Eh  !  vous  oubliez  Fachinclti. 

Le  pape  Urbain  IX,  elu  en  septembre  1591,  se  nommoit  lui-même 
Jean-Antoine  Fachinetto,  cardinal  de  Saint-Martiii-du-Mont.  Peut-être 
un  de  ses  parens  avoit-il  été  promu  à  la  mèmt!  dignité,  sous  son  pon- 
tificat. 


M.     DH    BALTRl.  o'27 

VIII.  —  P.  322,  lig.  3. 
logent,  son  frère,  en  a  fait  profession  (de  bouffonnerie). 

Le  3[enagiana  prétend  qu'il  mourut  en  partie  de  chagi-in  de  ce  qu'un 
jour  Langeli,  au  dinerdu  Roi,  lui  dit  :  «Couvrons-nous:  cela,  pour  nous, 
i>  est  sans  conséquence.  »  Et  ce  Langeli  ne  traitoit  pas  mieux  Bautru, 
d'après  le  même  Menagiana,  tom.  m,  p.  53.  «  Le  comte  de  Nogent,»  dit 
M"'  de  Motteville,  «  estoit  un  grand  flatteur  ;  il  avoit  toute  sa  vie  con- 
»  trefait  le  plaisant;  il  affectoit  de  faire  rire,  parlant  incessamment 
»  sans  qu'on  pust  l'accuser  de  dire  quelque  chose.  Il  est  parvenu  par 
»  ce  chemin  au  bonheur  de  faire  une  grande  fortune...  Il  avoit  de  l'es- 
»  prit  à  la  mode;  il  n'estoit  pas  méchant;  je  ne  luy  ai  jamais  ouy  dire 
»  de  mal  de  qui  que  ce  soit...  Il  faisoit  plaisir  suivant  sa  manière,  qui 
»  estoit  de  tourner  toutes  choses  en  railleries.  S'U  estoit  difficile  de  l'es- 
»  timer,  il  estoit  encore  plus  difficile  de  le  haïr,  car  il  n'en  donnoit  point 
»  de  sujet  véritable.  ■»  {Menu,  i,  p.  416.)  D'ailleurs,  Nogent  n'avoit  pas 
du  côté  de  la  bravoure  une  meilleure  réputation  que  son  frère  ;  témoin 
Bussy,  dans  sa  lettre  à  M'°"=  de  Sevigné,  du  7  octobre  1655. 

Quant  au  prieur  de  Matras,  qui  par  malheur  se  nommoit  Charles,  non 
Adam  :  <<  Il  estoit,  »  dit  Segrais,  «  des  bous  amis  de  Scarron  ;  et  quand 
»  Scarron  s'estoit  raillé  de  luy,  il  prenoit  une  épingle  qu'il  attachoit  à 
»  sa  manche,  disant  que  c'estoit  pour  s'en  souvenir,  afin  de  s'en  venger,  iv 
{Mémoires  de  Segrais,  Amsterdam,  1723,  p.  107.) 

IX.  —  Fin. 

Les  Bautru  ont  produit  une  origine  écossaise:  mais,  en  réalité,  leur 
généalogie  ne  remonte  pas  clairement  au  delà  de  Maurice  Bautru, 
ecuyer,  seigneur  des  Matras,  lieutenant  de  la  prévôté  d'Angers.  Ils 
venolent  du  bourg  de  Chahaignes,  sur  la  limite  du  Vendomois  et  du 
Maine  :  ontrouvoitmêmedansce  bourg  deux  clos  de  vigne  appelés  le  clos 
Bautru  et  le  clos  des  Matras.  Maurice  laissa  quatre  enfans,  dont  deux, 
Guillaumu  \"  et  René,  eurent  postérité. 

Guillaume  P"^  eut  quatre  enfans  :  1"  Simonne  Bautru,  mariée  à  Louis 
de  Garouis,  premier  président  de  la  chambre  des  comptes  de  Nantes; 
2"  Guillaume  II ,  comte  de  Serrant ,  par  l'acquisition  qu'il  fit  de  cette 
terre  en  1636;  on  vient  de  lire  son  Uistorielle;  S"  Jean,  seigneur  du 
Pesché,  tué  au  siège  de  Clermont,  en  Picardie,  en  1616;  4°  Nicolas 
Bautru ,  comte  de  Nogent  et  du  Tremblay-le-Vicomte ,  capitaine  des 
gardes  de  la  Porte,  mort  eu  septembre  1661.  Il  avoit  épousé  Maiio 
Coulon ,  sœur  du  célèbre  frondeur  Jean  Coulon ,  conseiller  au  Piulc- 
mcnt,  dont  la  femme  aura  son  Jlislorielie. 


328  LES    HISTORIETTES. 

Le  fils  de  Guillaume  II  porta  comme  son  père  le  nom  de  Guillaume, 
comte  de  Serrant,  ut  fut  chancelier  de  Monsieur.  Il  épousa  Marie-Ber- 
trand de  la  Bazinière  ,  fille  du  Trésorier  de  l'épargne  et  de  Marguerite 
de  Vertamont.  Leurs  deux  filles  furent  mariées,  l'une  à  son  oncle  à  la 
mode  de  Bretagne,  Nicolas  Bautru,  marquis  de  Vaubrun  ;  l'autre  à 
Edouard-François  Colbert,  comte  de  Maulevrier. 

Pour  les  enfans  du  comte  de  Nogent ,  frère  de  Guillaume  II ,  ils 
furent  au  nombre  de  quatre  :  1°  la  fille,  Charlotte  Bautru,  mariée  d'a- 
bord i\  Nicolas  d'Argouges,  marquis  de  Rannes,  puis  à  Jean-Baptiste- 
Armand  de  Rohan ,  prince  de  Montauban  ;  2"  Armand  Bautru  ,  comte 
de  Nogent,  capitaine  des  gardes  de  la  Porte,  maréchal  de  camp,  tué  en 
1672,  au  passage  du  Rhin,  marié  à  Charlotte  de  Caumont ,  sœur  du 
célèbre  duc  de  Lauzun  ;  leur  fils  Louis-Armand ,  comte  de  Nogent, 
mort  le  7  juin  1736,  avoit  épousé  la  fille  d'un  bâcha,  baptisée  à  Paris 
en  1686,  sous  le  nom  de  Marie-Julie  Julistaron;  ils  ne  paroissent  avoir 
laissé  que  deux  filles,  mariées  l'une  au  marquis  de  Melun,  qui  vendit 
le  comté  de  Nogent  au  maréchal  de  Noailles;  l'autre  à  Charles-Armand 
dcGontaut,  doyen  des  maréchaux  de  France;  3°  Nicolas,  marquis  de 
Vaubrun,  lieutenant-général,  gouverneur  de  Philippeville,  tué  en  1675 
au  combat  d'Altenheim;  marié  à  sa  nièce  à  la  mode  de  Bretagne,  Ma- 
rie-Magueritc  Bautru;  ils  n'eurent  qu'un  fils,  l'abbé  de  Cormery,  et 
une  fille,  mariée  en  1688  au  duc  d'Estrées  ;  4"  Louis  Bautru,  chevalier 
de  Nogent,  puis  marquis  de  Nangis,  gouverneur  de  Sommieres,  marié 
à  N.  Colbert  de  Turgis,  fille  d'une  M""*  de  Turgis  qui  aura  son  Histo- 
riette. 

Restent  maintenant  les  enfans  de  René,  seigneur  des  Matras,  fils  de 
Maurice  et  oncle  de  notre  Guillaume  II.  Ils  furent  au  nombre  de  trois, 
et  des  Réaux  les  mentionne  comme  gardant  l'esprit  de  la  famille. 
C'etoit  1°  Charles  Bautru,  chanoine  d'Angers,  prieur  de  Saint-Melaire, 
dit  le  prieur  des  Matras  ;  il  mourut  avant  16  j/i  ;  2"  Christophe  Bautru, 
seigneur  de  la  Rouillerie,  lieutenant-général  de  l'artillerie,  mort  sans 
alliance  ;  3°  Adam  Bautru ,  sieur  de  Chcrelles ,  capitaine  au  régiment 
de  la  marine  ;  il  laissa  un  fils,  Guillaume  Bautru,  sieur  de  Cherelles  et 
de  la  Rouillerie. 

J'ignore  s'il  existe  encore  des  Bautru.  Ils  portoient  d'azur  au  che- 
vron d'argent,  accompagné  de  deux  roses  en  chef,  et  d'une  tète  de  loup 
en  pointe. 


XCII. 

MAUGARS. 

Maugars  estoit  un  joueur  de  viole,  le  plus  excel- 
lent mais  le  plus  fou  qui  ayt  jamais  esté.  Il  estoit 
au  cardinal  de  Richelieu  :  Roisrobert,  pour  diver- 
tir TEminentissime,  luy  faisoit  tousjours  quelque  ma- 
lice. Un  jour  il  luy  fit  donner  avis  que  le  prieuré  de 
Cranestroit  vaquoit  dans  l'evesché  de  Vannes  :  Mau- 
gars le  demande  ;  le  Cardinal,  pour  rire,  luy  en  fait 
expédier  les  provisions.  Gela  luy  donna  une  haine 
mortelle  contre  Boisrobert.  Un  jour  qu'il  alloit  dans 
sa  chambre  pour  jouer  devant  un  homme  du  mes- 
tier,  nommé  M.  Imbert,  et  pour  un  gentilhomme  ap- 
pelle Saint-Yal,  le  chevalier  dePuygarrault  et  Bois- 
robert le  suivirent  tout  doucement  :  dez  qu'il  les 
vit:  «  A  une  autre  fois,  »  dit-il,  «  M.  Imbert,  voylà 
»  des  visages  qui  me  desplaisent.  »  Et  en  disant  cela , 
il  met  sa  viole  contre  la  muraille.  Puygarrault,  cjui 
avoit  un  pistollet  de  poche  qu'il  avoit  apporté  tout 
exprès,  prend  un  petit  morceau  de  papier,  le  mouille 
et  l'applique  sur  le  ventre  de  la  viole.  «  Hé,  dit-il, 
)'  je  m'en  vais  voir  si  je  tire  si  mal  qu'on  dit.  » 
Maugars  se  met  au-devant  :  «  Quoy!  à  l'instrument 


330  LES    IIISTOUlliTTES. 

»  qui  divertit  le  plus  grand  homme  du  monde  !  »  Puy- 
garrault  laisse  la  viole  et  vise  au  menestrier  ;  Mau- 
gars  se  sauve  derrière  un  lict  ;  Puygarrault  retourne 
à  la  viole  :  Maugars  sort  ;  dez  qu'il  paroissoit ,  le 
Chevalier  le  miroit.  Enfin,  il  fut  contraint  de  jouer. 
Saint-Val  luy  conseilla  d'appeller  Puygarrault  en 
duel  :  «  Ouy  dea,  »  dit-il,  «  je  me  battrois;  je  me 
»  sens  du  cœur,  je  ne  me  soucierois  pas  de  mourir. 
»  Mais  si  quelqu'un  de  ces  doits  estoient  coupez , 
»  ce  pauvre  homme  (il  entendoit  le  Cardinal)  ne 
»  pourroit  plus  vivre.  11  se  faut  conserver  pour  luy.  » 
Cependant  Saint-Val  le  harangua  tant,  en  luy  pro- 
mettant d'avoir  l'adresse  d'oster  le  plomb  des  pis- 
tollels  du  Chevalier,  et  que  c'estoit  le  moyen  d'ac- 
quérir de  la  réputation  à  bon  marché  ,  qu'il  s'y 
Mots  ajoutes  plus  rcsolut.  Puygarrault  luy  lascha  (sur  le  visage  *)  ses 
deux  pistollcts  (qui  estoient)  chargez  de  la  plus  fine. 
Le  Cardinal  le  donna  h  Bautru  pour  le  mener 
avec  luy  en  Espagne.  Bautru  s'en  repentit  dez  Li- 
de''i'à?is^*ver"*'or-  Ji^is  *.  Lc  Roy  voulut  l'enteudre  par  une  jalousie  : 
'^^°^  ce  fou  dit  qu'il  ne  joucroit  point  s'il  ne  voyoit  le 

Roy ,  et  que  le  Roy  de  France ,  qui  estoit  le  plus 
grand  roy  du  monde,  ne  l'avoit  point  traitté  ainsy. 
Bautru  conseilla  au  roy  d'Espagne  de  faire  ha- 
biller quelqu'un  en  Roy,  et  d'en  avoir  le  plaisir  : 
on  fait  donc  venir  un  faquin  avec  des  hallebar- 
diers,  et  on  luy  avoit  ordonné  de  ne  dire  autre 
chose  que  :  muy  bien.  Maugars  se  tuoit  de  jouer, 
et  le  roy  de  comédie  disoit  à  tout  bout  de  chamj)  : 
Muy  bien  ^  avec  une  gravité  admirable. 


MAUGAUS.  531 

Boissy ,  un  gentilhomme  que  Bautru  avoit  laissé 
en  Espagne ,  estant  de  retour ,  Boisrobert  et  luy 
s'avisèrent  de  faire  une  meschanceté  au  pauvre 
Maugars.  Ce  gentilhomme  dit  à  M.  le  Cardinal: 
«  Il  y  a  un  présent  pour  Maugars,  c'est  un  gros 
»  diamant*.  — Il  faut  le  luy  donner,  »  dit  le  Car- 
dinal. —  «  Monseigneur,  »  respondit  Boissy,  «j'en 
»  dois  avoir  ma  part.  —  Non,  vous  ne  l'aurez  point,  » 
dit  Son  Eminence.  —  «  Hé  !  monseigneur,  »  dit  alors 
Maugars,  «  ne  souffrez  pas  qu'on  m'oste  le  prix  de 
»  mes  veilles.  —  Mais,  »  reprit  l'autre,  «  j'ay  donné 
»  six  pistolles  à  celuy  qui  me  le  mit  entre  les  mains 
»  de  la  part  du  Roy.  »  Il  fut  ordonné  que  Mau-^ 
gars  rendroit  les  six  pistolles  ;  il  en  donna  trois  : 
il  n' avoit  que  cela  sur  luy.  Lopez ,  espérant  faire 
quelque  bonne  affaire,  donna  les  autres.  Boissy,  le 
soir,  luy  donna  le  diamant.  Le  lendemain,  dez  la 
pointe  du  jour,  voylà  Maugars  chez  un  orfèvre  qui 
luy  en  voulut  donner  quatre  livres  dix  sous.  Ce 
n'estoit  qu'un  diamant  d'Alençon.  Quand  il  revint, 
tous  les  marmitons  de  la  cuisine  le  recourent  avec 
un  charivary,  en  luy  chantant  : 

Et  tant  de  diamans, 
Et  tant  de  diamans  ^, 

Le  procez  ayant  esté  fait  à  Saint-Germain*,  on  Mathieu rte Morgues, 
conseilla  à  M.  le  Cardinal  de  donner  deux  petits 
prieurez  qu' avoit  cet  homme  à  quelques-uns  des 

■^  Il  eust  bien  valu  deux  milles  escus  s'il  cust  esté  bon. 
2  II  y  avoit  un  refrain  de  chanson  qui  disoit  quelque  chose  d'appro- 
chant. On  se  servit  de  l'air. 


332  LES    HISTORIETTES. 

principaux  de  sa  musique.  On  donna  à  choisir  à 
Maugars  ;  il  prit  celuy  qui  valoit  le  moins  *  ;  on 
luy  en  demanda  la  raison  :  «  C'est ,  »  dit-il ,  «  que 
»  ce  prieuré  s'appelle  Saint-Julien ,  et  on  ne  man- 
»  queroit  jamais  de  m'appeller  Saint-Julien  le  me- 
»  nestrier.  »  Quand  il  eut  ce  bénéfice,  il  demanda 
à  prescher  devant  le  domestique  ;  le  Cardinal  le  luy 
permit  :  il  prescha  une  heure  durant  contre  les  mé- 
decins et  les  poètes,  à  cause  deSitois,  médecin 
du  Cardinal  et  de  Boisrobert.  11  haïssoit  encore  plus 
Rhodez.  l'abbé  deBeaumont,  aujourd'huy  M.  de  Rodais,* 
alors  maistre-de-chambre  du  Cardinal ,  et  disoit  : 
«  M.  de  Beaumont  ne  m'aime  pas,  parce  qu'il  sçait 
»  bien  que  je  ne  le  puis  aimer,  depuis  qu'il  me 
»  fessa  si  rudement ,  lorsqu'il  estoit  cuistre  au  col- 
»  lege".  » 

'  Il  valoit  cinq  cens  livres  de  rente  moins  que  l'autre. 
Maugars.  ^  Beaumont  est  gentilhomme.  —  Il  *  avoit  esté  en  Angleterre,  où  un 

nommé  Sivette,  filz  d'un  Iiostelier  de  Lyon,  et  qui  estoit  de  la  musique 
du  Roy  aussy  bien  que  luy,  le  fit  battre.  Maugars,  qui  estoit  vindicatif, 
trouva  moyen  de  couler  dans  le  couvert  du  Roy  un  billet  en  ces 
termes  :  «  Je  donne  avis  à  Votre  Majesté  qu'un  nommé  Sivette  a  at- 
»  tenté  à  sa  personne  sacrée;  c'est  un  secret  revellé  en  confession, 
»  je  n'en  puis  pas  dire  davantage.  »  Le  pauvre  Sivette  fut  près  de  deux 
ans  pour  cela  dans  la  Tour  de  Londres,  et  on  ne  l'eust  point  sceù  si 
Maugars  ne  s'en  fust  vanté.  Cela  fit  dire  au  commandeur  de  Jars  que 
Maugars  estoit  un  fou  scélérat. 

Estant  en  ce  pays-là,  il  traduisit  en  françois  je  ne  sçay  quel  traitté 
anglois  de  Bacon.  Un  jour  il  tcnoit  une  lettre  dans  la  chambre  du 
Cardinal,  afin  qu'il  luy  demandast  ce  que  c'estoit.  «  Que  tenez-vous 
»  là,  monsieur  Maugars? — Monseigneur,»  dit-il  en  la  serrant,  «cen'est 
»  rien. — Monstrez,  monstrez.  —  Monseigneur,  ma  modestie  ne  sçau- 
11  roit  souffrir  que  je  vous  fasse  entendre  les  louanges  excessives  que 
»  donnent  à  une  meschante  traduction  que  j'ay  faitte  mon  cousin 
»  Ogier  le  Danois  et  mon  cousin  de  Richelieu.  — Ah!  monsieur  Mau- 


MAUGARS.  333 

Un  jour  M.  le  Cardinal  luy  ayant  ordonné  de 
jouer  avec  les  voix  en  un  lieu  où  estoit  le  Roy , 
le  Roy  envoya  dire  que  la  viole  emportoit  les 
voix.  «  Maugré  bien  de  l'ignorant!  »  dit  Maugars , 
«  je  ne  joueray  jamais  devant  luy.  »  De  Niere ,  qui 
le  sceût,  en  fit  bien  rire  le  Roy.  Le  Cardinal  n'en 
rit  et  n'y  prit  nullement  plaisir.  L'abbé  de  Reau- 
mont  s'en  prévalut  pour  faire  chasser  IMaugars.  Le 
Cardinal,  en  le  payant,  luy  dit  :  «  Dittes  de  moy  tout 
»  ce  que  vous  voudrez,  je  ne  m'en  soucie  point  ; 
»  mais  si  vous  parlez  du  Roy,  je  vous  feray  mourir 
»  sous  le  cotret.  » 

Je  l'ay  veû  depuis  à  Rome.  A  la  naissance  de 
Monsieur  le  Dauphin  *,  il  joua  devant  le  pape  '  et  ^°"'^  xiv.ed  im. 
disoit  que  Sa  Sainteté  s'estonnoit  qu'un  homme 
comme  luy  pust  estre  mal  avec  quelqu'un.  11  vint 
dire  sottement,  en  présence  de  la  mareschale  d'Es- 
trées^,  qu'il  avoit  veû,  à  Notre-Dame  du  Puy  en 
Auvergne,  la  plus  belle  relique  du  monde,  le  sacré 
saint  prépuce  de  Nostre-Seigneur.  Feu  mademoiselle 

»  gars,  »  dit  le  Cardinal,  «  je  ne  pensois  pas  avoir  l'honneur  de  vous 
»  appartenir. — Monseigneur,  c'est  un  advocat  au  Parlement,  homme 
»  illustre,  et  qui  ne  deshonore  point  ce  nom-là.  —  Lisez  donc!  »  Il  se 
met  à  lire  des  louanges  par-dessus  les  maisons.  Le  Cardinal  se  douta 
que  cela  n'y  estoit  point,  puis  il  le  voyoit  hésiter.  U  fit  signe  à  Bois- 
robert  ;  Boisrobert  luy  oste  la  lettre  et  la  porte  au  Cardinal.  Il  n'y 
avoit  rien  sinon  :  «  J'ay  receû  la  traduction  de  vostre  cousin  Maugars, 
»  je  la  liray  quand  j'en  auray  le  loisir.  —  Ali  !  ahl  monsieur  Maugars,  » 
dit  le  Cardinal,  «  vous  jouez  de  ces  tours-là? — Monseigneur,  s'il  ne 
»  l'a  dit,  il  le  devoit  dire.  »  Cette  fichue  traduction  l'avoit  pourtant 
fait  secrétaire-interprète  de  la  langue  angloise. 

*  Urbain  VIII. 

*  Ambassadrice  à  Rome. 


334  LES    HISTORIETTES. 

ThSéï''nVortrA  ^^  Themines  *  sa  fille  qui  y  estoit,  dit  :  «  Qu'est-ce 
"""^'  »  que  le  saint  prépuce,  Madame?  —  Taisez-vous, 

»  ma  fille ,  »  respondit   la  mère ,  «  vous  estes  une 
»  sotte.  » 

Maugars  ne  voulut  jamais  jouer,  à  la  prière  du 
mareschal  d'Estrées,  devant  un  signor  Horatio  qui 
jouoit  fort  bien  de  la  harpe,  et  qui  estoit  à  madame 
de  Savoye.  Cela  fascha  le  Mareschal,  et  il  luy  al- 
loit  faire  donner  des  coups  de  baston,  si  Quillct 
ne  luy  eust  représenté  que  le  Cardinal  ne  trouve- 
roit  pcut-estre  pas  trop  bon  qu'on  traittast  ainsy 
une  personne  qui  avoit  esté  à  luy.  Le  Mareschal, 
à  cette  remonstrance ,  devint  aussy  froid  qu'un 
marbre. 

Maugars  revint  en  France ,  et  mourut  quelques 
années  après.  A  l'article  de  la  mort ,  il  envoya  de- 
mander pardon  à  Boisrobert. 

COMMENTAIRE. 

I.  —  p.  329,  lig.  1. 

Maugars  estoit  un  joueur  de  viole... 

Il  avoit  obtenu,  sans  doute  de  la  dépouille  de  l'abbé  de  Saint-Ger- 
main, le  prieuré  de  Saint-Pierre  de  Nice  ;  il  fut  de  plus  interprète  du 
Roi  pour  la  langue  anglaise.  On  a  de  lui,  outre  sa  «  ficliue  »  traduction 
du  livre  de  Bacon  :  Le  progrès  et  avancement  aux  sciences  divines  et 
humaines,  Paris,  162/1  ;  des  Considérations  politiques  pour  entreprendre 
la  guerre  contre  l'Espagne,  163/i;  un  Discours  sur  la  musique  d'Italie  et 
des  opéras,  imprimé  dans  le  Recueil  de  divers  traités  d'histoire,  de  mo- 
rale et  d'éloquence,  Paris,  1672,  petit  in-12.  L'auteur  y  parle  de  son 
admirable  viole  et  du  talent  de  celui  qui  s'en  servoit.  Il  ajoute  qu'étant 
à  Rome,  elle  ne  sortoit  de  chez  lui  que  pour  aller  chez  des  Eminences. 
Cela  suffiroit  pour  nous  prouver  que  des  Réaux  n'a  pas  chargé  le  por- 
trait du  personnage. 


MAUGARS.  335 

II.  —  P.  332,  lig,  9. 
Silois,  médecin  du  Cardinal. 

Et  mieux  :  Citois  (voyez  Vllistorictle  de  Richelieu).  François  Citois, 
originaire  de  Poitiers,  a  fait  des  vers;  on  en  trouve  qu'il  adressa  au  sieur 
Contant,  apothicaire  de  cette  ville,  et  que  celui-ci  ne  manqua  pas  d'in- 
sérer dans  le  Jardin  du  Cabinet  poétique  de  Paul  Contant,  1G28 ,  in-fol. 
On  reverra  encore  Citois  dans  V Historiette  de  Boisrohert. 

III.  —  P.  332,  note  2,  lig.  9. 

Cela  fit  dire  au  commandeur  de  Jars. 

François  de  Rochechouart-Jars,  dit  le  chevalier  |)uis  le  commandeur 
de  Jars,  fut  un  des  adversaires  les  plus  hardis  du  cardinal  de  Richelieu. 
Banni  en  1624  et  relégué  en  Angleterre,  où  il  gagna  l'affection  de  la 
Reine  Henriette  de  France,  il  rentra  ;  puis  conduit  en  1G35  à  la  Bas- 
tille, il  fut  jugé  par  une  de  ces  commissions  qui  ont  deshonoré  Riche- 
lieu, et  qui  condamntjrent  le  Commandeur  à  perdre  la  tête.  Sur  le 
point  d'être  exécuté ,  rien  ne  fut  capable  d'abattre  sa  constance.  La 
peine  fut  commuée  en  prison  ;  enfin,  en  1638,  à  la  prière  de  la  Reine 
d'Angleterre,  il  sortit  de  la  Bastille.  Mais  bientôt  obligé  de  quitter  de 
nouveau  la  France,  il  n'y  revint  qu'après  la  mort  du  Roi.  M"""  de  Motte- 
ville  a  fort  bien  raconté  son  aventure  (édition  de  1728,  tom.  i",  p.  56). 
Durant  la  Fronde,  il  resta  dans  le  parti  de  Mazarin,  aussi  les  autres  lui 
adressèrent-ils  ce  triolet  : 

Monsieur  le  commandeur  de  Jars, 
Vous  plaisantez  ù  toute  outrance, 
Vous  estes  confit  en  brocars, 
Monsieur  le  commandeur  de  .lars; 
Mais  vous  discourez  comme  un  jars. 
Qu'on  appelle  un  oyson,  en  France; 
Monsieur  le  commandeur  de  Jars, 
Vous  plaisantez  à  toute  outrance. 

Il  mourut  en  avril  1670,  âgé  de  soixante-seize  ans.  Il  avoit  fait  bâtir, 
à  l'angle  des  rues  de  Richelieu  et  Neuve-des-Petits-Champs,  un  fort  bel 
hôtel  qui  rivalisoit  avec  le  palais  Mazarin,  en  face  duquel  il  se  trouvoit. 
On  remarquoit  surtout  la  porte  et  le  grand  escalier,  dont  Sauvai  a  fait 
une  magnifique  description  (tom.  ii,  p.  206),  l'élévation  des  appartemens 
et  les  deux  cabinets  du  jardin.  Après  la  mort  du  Commandeur,  il  fut 
habité  jusqu'enl706  par  le  cardinal  du Coislin,  qui  le  transmit  à  l'evêque 
de  Metz,  son  neveu.  Il  fut  vendu  à  François  Olivier,  comte  de  Senozan, 
ancien  banquier  de  Lyon,  qui  en  renouvela  l'intérieur.  C'etoit  en  1787 


3â6  LES    HISTORIETTES. 

l'hôtel  du  garde  des  sceaux.  Hue  de  Miromesnil.  On  l'a  détruit  peu  de 
temps  après. 

IV.  —  P.  333,  lig.  5. 

De  Niere,  qui  te  sceùt,  en  fit  bien  rire  te  Roy. 

Pierre  de  Niere,  valet  de  chambre  de  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV, 
déjà  cité  dans  rJïî5/one»e  de  Louis  XIII,  dirigea  longtemps  les  concerts 
de  ces  deux  rois.  La  Fontaine  lui  adressa  l'epître  qui  commence  ainsi  : 

De  Nier,  qui  pour  charmer  le  plus  juste  des  Roys, 
Inventa  le  bel  art  de  conduire  les  voix 

—  Dans  le  Discours  sur  ta  musique  d'Italie,  Maugars  a  parlé  de  cet 
Horatio,  devant  lequel  il  n'avoit  pas  voulu  jouer  :  «  Celuy  qui  tient  le 
»  premier  rang  pour  la  harpe  est  ce  renommé  Horatio,  qui,  s'estant 
»  rencontré  dans  un  temps  favorable  à  l'harmonie,  et  ayant  trouvé  le 
»  cardinal  de  Montalte  sensible  à  ses  accords,  s'est  tiré  hors  de  pas.  >» 
(P.  163.) 

L'organiste  Daquin,  dans  une  de  ses  Lettres  sur  tes  hommes  cétèbres 
sous  le  règne  de  Louis  XV,  1753  et  1754,  cite  Horatio,  de  Parme,  parmi 
les  plus  fameux  joueurs  de  viole.  Il  se  trompe  apparemment.  «Ce  musi- 
»  cien,  »  ajoute-t-il,  «  nous  a  laissé  de  fort  bonnes  pièces  dont  on  a  pro- 
»  fité,  et  que  quelques  auteurs  un  peu  plagiaires  ont  données  comme 
»  leurs  propres  productions,  en  les  mettant  sur  d'autres  instrumens.  » 
(Lettre  vi,  p.  142.)  Il  y  a  grande  apparence  que  les  plagiaires  avoient 
laissé  ces  morceaux  d'Horatio  à  la  harpe  pour  laquelle  ils  avoient  été 
faits. 


XCÎII. 


L'ARCHEVESQUE  DE  BORDEAUX. 

{Uenry  d'Escoubleau  de  Sourdis,  né  en  1594,  mort  à  Auteuil,  18  juin 
1645.) 


M"'=  de  Sourdis,  sa  mère,  luy  dit,  à  l'article  de 
la  mort,  qu'il  estoit  filz  du  chancellier  de  Chiverny  ; 
qu'elle  luy  avoit  fait  donner  l'evesché  de  Maillezais 
et  plusieurs  autres  bénéfices,  et  qu'elle  le  prioit  de 
se  contenter  d'un  diamant,  sans  rien  demander  du 
bien  de  feu  son  mary.  Il  luy  répliqua  :  «  Ma  mère, 
))  je  n'avois  jamais  voulu  croire  que  vous  ne  valiez 
»  rien;  mais  je  voy  bien  qu'il  est  vray.  »  Il  ne 
laissa  pas  d'avoir  ses  cinquante  mille  escus  de  légi- 
time comme  les  autres,  car  il  gaigna  son  procez. 
C estoit  un  homme  qui  avoit  beaucoup  d'esprit,  qui 
avoit  l'air  agréable,  qui  disoit  bien  les  choses,  qui 
estoit  brave,  mais  qui  n'entendoit  point  trop  la 
guerre;  adroit,  et  qui  gaignoit  le  cœur  des  gens 
quand  il  l' avoit  entrepris. 

Il  eut  l'intendance  de  la  maison  du  Cardinal , 
où  il  mit,  après,  le  marquis  de  Sourdis  *  à  sa  place. 
Pour  s'accommoder  à  l'humeur  avare  du  Cardinal, 
il  retrancha  quelques  pintes  de  vin,  trois  ris  de 

II.  22 


338  LES    HISTORIETTES. 

'^"^"'"«desix  *'""'  veau;  et  au  lieu  de  chandelles  des  six*,  il  en  fai- 

soit  donner  des  douze  aux  gentilshommes.   Il  or- 

Lfl  saue  des  officiers  (Jonna  six  plcces  de  bois'  pour  la  garde-robe*,  où 

et  domestiques.  ^  r  a  ^ 

il  s'en  brusloit  plus  d'une  voye  par  jour.   On  les 
Auparavant.       mottoit  *  toutcs  slx  à  la  fois,  puis  il  falloit  en  aller 
quérir  d'autres. 

Il  vouloit  desbusquer  M.  de  Noyers ,  et  à  toute 
heure  il  faisoit  des  tours  au  tiers  et  au  quart;  il 
sembloit  qu'il  vouloit  tout  faire  luy  seul.  Loynes, 
trésorier  de  la  Marine,  fut  envoyé  avec  luy  à 
Brouage,  pour  faire  quelques  marchez  de  fortifica- 
tions. Par  prudence ,  cet  homme  qui  le  connois- 
soit  bien  luy  faisoit  tout  signer.  Au  retour,  l'ar- 
chevesque  de  Bordeaux  (car  il  eut  l' arche vesché  du 
cardinal  de  Sourdis,  son  frère)  ^,  pour  faire  le  bon 
valet,  ne  manqua  pas  de  dire  que  Loynes  s'estoit 
entendu  avec  les  entrepreneurs.  Loynes,  pour  sa 
justification ,  apporte  tous  les  marchez  signez  de 
l'Archevesque  ^ 

Depuis,  quand  Monsieur  le  Grand  devint  suspect 


*  Que  busches,  q\xe  fagots,  que  cotrets. 

2  Le  cardinal  de  Sourdis  qui  estoit  l'aisné  de  tous,  fut  d'église  à 
cause  qu'il  estoit  menacé  d'epllepsie.  Il  le  portoit  haut,  mais  il  regloit 
fort  bien  son  diocèse,  et  estoit  homme  de  bien.  L'archevesque  de  Bor- 
deaux fut  son  coadjuteur. 
Décembre  1636.  '  Ce  fut  en  ce  temps-là*  que  le  mareschal  de  Vitry,  qui  estoit  gou- 

verneur de  Provence,  dans  un  demeslé,  donna  brutalement  un  coup 
de  canne  à  l'archevesque  de  Bordeaux,  et  pour  cela  fut  mis  à  la  Bas- 
tille, où  il  demeura  long-temps.  Cet  archevesque  se  pouvoit  vanter 
d'estre  le  prélat  du  monde  qui  avoit  esté  le  plus  battu;  car  M.  d'Es- 
r.n  1633.  pernon  l'avoit  desjà  frappé  fi  Bordeaux*.  Il  faut  voir  la  vie  do  ce  duc, 

où  cela  est  tout  du  long. 


l'arciievesque  dk  hordk.vlx.  339 
au  cardinal  de  Richelieu,  l' Eminentissime  s'apper- 
ceût  que  l'Archevesque  regardoit  ce  jeune  homme 
comme  un  soleil  levant.  Voicy  comme  il  s'en  douta  : 
Un  jour  qu'il  a  voit  dit  à  l'Archevesque  :  «  Allons  à 
»  la  Comédie,  »  l'Archevesque  a  voit  donné  un  tour 
de  pillier ,  et  avoit  dit  à  quelqu'un  qu'il  se  trouvoit 
mal.  Le  Cardinal,  le  lendemain,  envoyé  sçavoir 
comment  il  se  portoit.  L'autre  respond  qu'il  avoit 
travaillé  toute  la  nuict  chez  Picard  *  avec  Loynes.  sorre"' ".ir'ia"  mar'né 
Le  jour  mesme,  le  Cardinal  sceût  que  cela  estoit 
faux  \  «  Ah  !  c'est  un  brouillon,  »  dit-il  ;  «  allez,  M.  de 
»  Loynes,  allez  luy  dire  que  je  veux  qu'il  parte  pour 
»)  l'armée  navalle  dans  trois  jours.  »  L'Archevesque 
voulut  s'excuser,  mais  il  fallut  partir. 

Loynes  m'a  dit  que  M.  de  BuUion,  qui  haïssoit 
l'Archevesque ,  disoit  à  quelqu'un  ,  pensant  que 
Loynes  ne  l'entendoit  pas  :  «  Il  faut  chasser  ce 
»  bougre-là.  Un  tel  dira  cecy,  un  tel  dira  cela , 
»  moy  je  diray  telle  chose.  »  Car  c'est  ainsy  qu'on 
en  usoit  chez  le  Cardinal.  On  ne  manqua  pas  dez 
qu'il  fut  absent  ;  et  pour  le  faire  enrager,  on  luy 
donnoit  pour  compagnon  tantost  le  comte  d'Har- 
court*,  tantost  le  marquis  de  Brezé.  Ennuyé  de  tra-  pJisné\iu^duc''d'Ër- 
verses,  il  crut  se  faire  rechercher,  s'il  demandoit 
son  congé,  voicy  comme  il  s'y  prit  :  il  envoya  un 
nommé  Courtin,  et  luy  donna  un  Mémoire  de  bien 
des  choses  qu'il  falloit  demander  à  Son  Eminence. 
Parmy  toutes  ces  choses,  il  y  avoit  :  «  Vous  propo- 

'  11  crut  que  l'Archevesque  avoit  esté  ailleurs. 


beiif. 


3/^0  LES    HISTORIETTES. 

»  serez  à  Son  Eminence  de  me  permettre  de  me  re- 
»  tirer.  »  Depuis,  l'Archevesque  changea  d'avis,  et 
un  jour  Courtin  l'estant  allé  retrouver,  et  luy  ayant 
dit  que  cette  proposition  avoit  esté  receûe,  il  en 
eut  du  desplaisir,  et  quelque  temps  après,  il  dit  à 
ce  Courtin  qu'il  avoit  jusques  là  fait  passer  pour 
son  amy  intime,  qu'il  seroit  bien  aise  de  voir  ce 
Mémoire.  Courtin  luy  dit  qu'il  estoit  tout  barré,  et 
qu'à  mesure  qu'un  article  avoit  esté  exécuté,  il  y 
avoit  fait  une  barre  et  qu'il  ne  sçavoit  mesme  s'il 
l'avoit  gardé.  Comme  il  l'alloit  chercher,  on  luy 
dit  que  l'Archevesque  vouloit  ravoir  ce  papier  pour 
pouvoir  nier,  après,  d'avoir  demandé  son  congé. 
Courtin  fait  semblant  de  l'avoir  perdu  :  «  Mais,  » 
luy  dit  l'Archevesque,  «  de  quoy  vous  estes-vous 
»  avisé  de  demander  mon  congé?  »  —  «  Ah  !  »  res- 
pondit  l'autre,  «  je  vous  y  attrappe,  vous  estes  un 
»  perfide;  voylà  votre  Mémoire,  mais  vous  ne  l'aurez 
»  pas.  »  En  disant  cela,  il  le  quitta,  et  ne  l'a  jamais 
voulu  voir  depuis.  Voylà  l'Archevesque  bien  embar- 
rassé ;  il  ne  sçavoit  où  il  en  estoit.  Enfin  il  résolut 
de  revenir  trouver  le  Cardinal,  et  estoit  desjà  à  Lyon 
quand  le  Cardinal  luy  envoya  Besançon,  pour  l'em- 
pescher  d'avancer.  Besançon,  au  retour,  luy  en  dit 
le  diable,  et  que  l'Archevesque  croyoit  estre  le  seul 
habile  homme  qu'il  y  eust  en  France.  Le  Cardinal 
Le  9  septembre  icn.  Ic  relcgua  à  Carpcutras  *,  et  en  allant  à  Perpignan, 
il  le  confina  dans  une  bicoque  de  la  montagne.  Il 
n'en  revint  qu'après  la  mort  du  Cardinal,  mais  il  ne 
luy  survescut  guères.  Il  fut  assez  long-temps  ma- 


l'arcijevesqle  de  bordeaux.  341 
iade,  et  de  chagrin  qu'il  avoit  de  mourir,  il  fit  fouet- 
ter un  grand  page  le  jour  de  Pentecoste.  Ce  page 
estoit  de  garde  et,  voyant  l'Archevesque  endormy, 
s'en  estoit  allé  à  vespres.  Voyez  si  c'est  là  un  crime 
qu'mi  archevesque  dust  punir!  Il  se  reconcilia  avec 
son  frère,  le  marquis  de  Sourdis,  avec  lequel  il 
estoit  brouillé,  luy  donna  tout  ce  qu'il  pouvoit  luy 
donner  et  ne  récompensa  pas  un  domestique.  Il 
avoit  appris  un  peu  de  théologie  dans  son  exil. 

COMMKNTAIHE. 

I.  —  P.  337. 

Titre. 

Henry  d'Escoubleau  de  Sourdis  etoit  le  quatrième  fils  de  François. 
d'Escoubleau,  marquis  de  Sourdis,  et  d'Isabeau  Babou  de  la  Bourdaî- 
sière,  cette  tante  de  Gabrielle  d'Estrées  qu'elle  gouvernoit.  {Voy.  tom.  i, 
p.  6.)  Il  avoit  succédé,  en  mai  1623,  dans  l'evêché  de  Maillezais,  à  son 
oncle  Henry  de  Sourdis  (celui  dont  il  est  parlé  dans  une  note  de  des 
Réaux,  tom.  i,  p.  189).  Après  la  mort  de  son  frère  aîné  le  cardinal  de 
Sourdis,  il  lui  succéda  dans  l'archevûché  de  Bordeaux,  en  juillet  1029. 
M.  E.  Sue  a  publié  en  1839,  sous  les  auspices  du  ministre  de  l'Instruc- 
tion publique,  dans  la  Collection  des  Monumens  inédits  de  l'histoire  de 
France,  trois  volumes  in-i"  de  la  «  Correspondance  de  Henry  d'Escou- 
»  blcau  de  Sourdis,  archevêque  de  Bordeaux,  chef  des  conseils  du  Roy, 
»  en  l'armée  navale;  augmentée  des  ordres,  instructions  et  lettres  de 
»  Louis  XIII,  du  cardinal  de  Richelieu,  à  M.  de  Sourdis,  concernant  les 
»  opérations  des  flottes  françoises  de  1636  à  1642.  »  Cette  importante 
publication  est  précédée  d'une  introduction  très-remarquable,  dans  la- 
quelle Tediteur  fait  connoître  les  premiers  temps  de  l'histoire  de  la 
marine  françoise,  et  donne  la  biographie  politique  de  l'archevêque  de 
Bordeaux.  Notre  des  Réaux  n'a  voulu  rappeler  ici  que  certaines  cir- 
constances peu  connues  de  la  vie  de  ce  grand  personnage ,  et  je  ne 
dois  pas  aller  au  delà.  Il  faut  seulement  remarquer  que  M.  Eugène 
Sue  a  peut-être  trop  cédé  à  ses  préventions  contre  toutes  personnes 
dévotes,  quand  il  a  fait  le  portrait  do  Sublét  de  Noyers,  et  quand  il  a 
rendu  son  hypocrisie  resi)onsablo  de  la  disgrâce  de  l'archevôtiue  de 


342  LES    UISTOIUETTES. 

Bordeaux.   Des  Réaux    qui  n'aimoit    pas  de  Noyers  (on   l'a  vu  dans 
Yllistorielte  qu'il  en  a  (5crite),  fait  mieux  ici  le  partage  des  torts. 

On  peut  voir  dans  les  Variétés  littéraires  et  anecdotiqucs,  torn.  ii, 
p.  290,  et  dans  la  Correspondance  de  H.  d'Escoubleau,  etc.,  les  lettres 
d'excommunication  lancées  par  l'Archevêque,  le  dernier  lundi  d'oc- 
tobre 1633,  contre  le  duc  d'Espernon  ;  puis  les  lettres  de  novembre 
suivant  relatives  à  l'incroyable  entreprise  du  Duc  contre  l'Archevêque. 
Voyez  aussi  la  Vie  du  duc  d'Espernon,  par  Girard,  son  secrétaire,  Paris, 
1655,  in-fol. 

II.  —P.  338,  note  3. 

Le  mareschal  de  Vilry....  pour  cela  fut  mis  à  la  Bastille. 

Il  y  etoit  dans  le  môme  temps  que  la  Porte.  «  Quelque  violente  que 
»  fust  son  humeur,  »  lit-on  dans  les  Mémoires  du  Porte-manteau,  «  il 
»  supporta  sa  prison  avec  une  constance  merveilleuse.  Comme  il  ne 
n  pouvoit  voir  de  feu  sans  en  ùtrc  incommodé,  jusques-là  que  ses  joues 
»  se  fendoient  et  en  saignoient,  il  envoyoit  tous  les  matins  chauffer  sa 
»  chemise  dans  notre  chambre,  qui  etoit  au-dessus  de  la  sienne.  » 
(P.  195.) 

u  Le  mareschal  de  Vitry,  »  dit  le  cardinal  de  Retz,  «  avoit  peu  de 
)i  sens  ;  mais  il  etoit  hardy  jusqu'il  la  témérité,  et  l'employ  qu'il  avoit 
»  eu  de  tuer  le  mareschal  d'Ancre  luy  avoit  donné  dans  le  monde  un 
»  certain  air  d'affaire  et  d'exécution.  »  {tMém.,  nouv.  éd.,  p.  28.) 

III.  —  P.  339,  lig.  5. 

V Archevesijue  avoit  donné  un  tour  de  pillier. 

Terme  de  manège.  «  Pilier,»  dit  Furctiere,  «est  le  centre  de  la  volte 
»  autour  de  laquelle  on  fait  tourner  un  cheval,  soit  qu'il  y  ait  pilier 
)i  ou  non  ;  cela  s'appelle  travailler  autour  du  pilier.  »  On  disoit 
d'un  cheval  qui  refusoit  de  marcher  et  rcvenoit  sur  lui-même  :  (/u'il 
donnoil  un  tour  de  pilier.  Au  lieu  d'un  cheval,  des  Réaux  met  ici 
l'Archevêque. 

IV.  —  P.  3/(0,  lig.  23. 
Le  Cardinal  luy  envoya  Besançon... 

Du  Plessis-Besançon ,  d'abord  secrétaire  du  connétable  de  Lesdi- 
guieres,  puis  familier  de  Richelieu,  puis  attaché  à  Monsieur.  On  en  a 
déjà  parlé  dans  les  Historiettes  de  Richelieu  et  de  M"""  d'Aiguillon. 
«  C'etoit,  »  dit  dans  un  Mémoire  justificatif  l'archevêque  de  Bordeaux, 
qui  ne  devoit  pas  l'aimer,   «  un  esprit  chimérique,  sans  honneur  et 


l'ARCIIEVESQLIE    de    BORD'E/VLX.  o[\€t 

n  sans  probité,  qui  en  avoit  donné  des  marques  en  l'affaire  «lu'il  eut 
»  avec  le  mareschal  d'Estrées  en  la  sortie  de  la  Reine-merc,  hors  de 
)i  France,  et  en  l'enlèvement  imaginaire  de  M""  d'Aiguillon.  »  {Cor- 
respondance de  l'Arcli.  de  Bordeaux,  tom.  m,  p.  25.) 

V.  —  Fin. 

La  maison  d'Escoubleau  tire  son  nom  du  château  d'Escoubleau,  près 
de  Chàtillon-sur-Scvrc,  dans  le  Poitou.  Elle  est  très-ancienne  et  a  formé 
les  deux  branches  de  Sourdis  et  d'Alluye. 

La  première  existoit  encore  à  la  fin  du  xviii*  siècle. 

La  seconde,  détachée  vers  la  fin  du  w"  siècle,  a  produit  François 
d'Escoubleau,  marquis  de  Sourdis,  le  mari  d'Isabeau  Babou,  dont,  ainsi 
que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  notre  Archevêque  etoit  le  quatrième 
fils.  L'aîné,  François ,  cardinal,  puis  archevêque  de  Bordeaux  avant 
Henry;  le  second.  Virginal  marquis  d'Alluye,  mort  sans  postérité;  le 
troisième,  Charles,  marquis  de  Sourdis  et  d'Alluye,  après  son  frère, 
marié  à  la  fille  du  comte  de  Cramail.  (Tom.  i,  p.  508.)  Leurs  enfans  : 
1"  Charles-Paul,  marquis  de  Sourdis ,  marié  à  Bénigne  de  Meaux  du 
Fouilloux,  dont  il  ne  paroît  pas  avoir  eud'enfans;  2"  Henry,  marié  à 
Marguerite  le  Lièvre,  fille  de  Thomas  le  Lièvre,  marquis  de  la  Grange, 
président  au  Grand-conseil  ,  mort  également  sans  enfans  ;  3°  Henry 
d'Escoubleau,  marquis  d'Alluye,  le  dernier  de  cette  branche. 

Un  frère  de  François,  le  mari  d'Isabeau  Babou  de  la  Bourdaisiere, 
fut  seigneur  du  Coudray-Montpensier,  et  l'aieul  de  ce  Coudray-Mont- 
pensier ,  lieutenant-général ,  dont  il  est  souvent  parlé  dans  les  Jlisto- 
riettes.  Celui-ci  ne  laissa  pas  de  postérité. 

Ajoutons  ici  que  Bénigne  de  Meaux  du  Fouilloux,  marquise  d'Alluye» 
etoit  sœur  de  ce  jeune  et  brave  du  Fouilloux,  cité  dans  Yllistorietle 
de  M.  de  Guise  (tom.  i,  p.  365  et  372),  dont  j'avois  à  tort  proposé  de 
rattacher  l'origine  aux  Fouilloux  du  Poitou.  Une  bonne  notice  sur  la 
famille  de  Meaux,  faite  à  l'occasion  de  ma  méprise,  par  M.  de  la  Mo- 
rinerie  (Paris,  185/i),  rétablit  la  vérité  et  donne  de  nouveaux  et  pré- 
cieux détails  sur  le  frère  et  sur  la  sœur. 


XCIV. 

MADEMOISELLE    DE   GOURNAY. 

{Marie  de  Jars,  demoiselle  de  C.ournay,  née  à  Paris,  C  septembre  1565, 
morte  13  jtiin  1645.) 

M"'  de  Gournay  estoit  une  vieille  fille  de  Picardie, 
et  bien  demoiselle.  Je  ne  sçay  où  elle  avoit  esté 
chercher  Montagne,  mais  elle  se  vantoit  d'estre  sa 
fille  d'alliance.  Elle  sçavoit,  et  elle  faisoit  des  vers, 
mais  meschans.  Malherbe  s' estant  mocqué  de  quel- 
ques-uns de  ses  ouvrages,  elle,  pour  se  venger,  alla 
regratter  la  traduction  qu'il  avoit  faitte  d'un  livre 
de  Tite-Live  qu'on  trouva  en  ce  temps-là,  où  il  avoit 
traduit  :  Fecere  ver  sacrum,  par  ils  firent  l'exécu- 
tion du  printemps  sacré.  Elle  avoit  fait  un  livre 
intitulé  :  VOmhre,  ou  les  Presens  de  la  damoiselle  de 
Gournay  :  dans  ce  livre  il  y  avoit  un  chapitre  des 
diminutifs,  comme  chauderon,  chauderonnet,  cliau- 
deronnelel.  Boisrobert  luy  demanda  un  jour  la  rai- 
son du  titre  de  ce  livre  ;  elle  ne  la  luy  sceût  dire. 
«  Il  faut  chercher,  »  respondit-elle,  «  dans  mon  ca- 
»  binet  d'Allemagne.  »  Mais  après  avoir  bien  fouillé 
dans  tous  les  tiroirs,  elle  ne  la  trouva  point. 

M.  le  comte  de  Moret,  le  chevalier  de  Bueil  et 


MADEMOISELLE  DE  GOLRNAY.      345 

Yvrande  luy  ont  fait  autrefois  bien  des  malices. 
Une  fois,  pour  se  mocquer  de  quelques  vers  où 
elle  avoit  mis  Tit  pour  Titus,  ils  luy  envoyèrent 
ceux-cy  : 

Tit.,  fils  de  Vesp.,  roi  du  rond  héritage 
Des  peuples  inchretiens  qui  cassèrent  Carthage, 
Prodiguoit  rarement  son  amoureux  erapoix  ; 
Mais  il  aimoit  si  fort  les  filles  de  science. 
Que  la  Goumay  eust  eu  son  auguste  semence. 
Il  l'eust  mesme  titée  au  plus  fort  de  ses  mois. 

On  dit  que  c'est  des  Marestz  qui  les  fit.  —  Ils  en 
firent  encore  (d'autres)  pour  elle;  il  y  avoit  en  un 
endroict  F — son,,  comme  Cervaison  :  «  Jamin,  » 
dit-elle  en  ronflant  selon  sa  coustume  ;  «  ce  mot-là 
»  n'est  pas  en  usage  :  je  le  passerois  pourtant  ;  il  est 
»  vray  qu'il  est  un  peu  vilain.  » 

Ces  pestes  luy  supposèrent  une  lettre  du  roy 
Jacques  d' àngleterre ,  par  laquelle  il  luy  deman- 
doit  sa  Vie  et  son  portrait.  Elle  fut  six  sepm  aines  à 
faire  sa  Vie.  A.près,  elle  fit  barbouiller,  et  envoya 
tout  cela  en  Angleterre ,  où  l'on  ne  sçavoit  ce  que 
cela  vouloit  dire.  On  luy  a  voulu  faire  accroire 
qu'elle  disoit  que  fornication  n'estoit  point  péché  ; 
et  un  jour  qu'on  luy  demandoit  si  la  pédérastie 
n'estoit  pas  un  crime  :  «  A  Dieu  ne  plaise,  »  respon- 
dit-elle,  «  que  je  condamne  ce  que  Socrate  a  pra- 
»  tiqué.  »  A  son  sens,  la  pédérastie  est  louable  ;  cela 
est  assez  gaillard  pour  une  pucelle. 

Boisrobert  la  meina  au  cardinal  de  Richelieu, 
qui  luy  fit  un  compliment  tout  de  vieux  mots  qu'il 


346  LES    HISTORIETTES. 

avoit  pris  dans  son  Ombre,  Elle  vit  bien  que  le 
Cardinal  vouloit  rire  :  «  Vous  riez  de  la  pauvre 
»  vieille,  »  dit-elle.  «  Mais  riez,  grand  génie,  riez  ; 
»  il  faut  que  tout  le  monde  contribue  à  vostre  di- 
»  vertissement.  »  Le  Cardinal ,  surpris  de  la  pré- 
sence d'esprit  de  cette  vieille  fille,  luy  en  demanda 
pardon  et  dit  à  Boisrobert  :  «  Il  faut  faire  quelque 
»  chose  pour  Mademoiselle  de  Gournay.  Je  luy  donne 
»  deux  cens  escus  de  pension.  »  —  «  Mais  elle  a  des 
»  domestiques,  »  dit  Boisrobert.  —  «  Et  quels?  » 
reprit  le  Cardinal.  —  «  M""  Jamin,  »  répliqua  Bois- 
robert ,  «  bastarde  d'Amadis  Jamin ,  page  de  Ron- 
»  sard.  »  —  «  Je  luy  donne  cinquante  livres  par 
»  an,  »  dit  le  Cardinal.  —  «  11  y  a  encore  ma  mie 
»  Piaillon,  »  adjousta  Boisrobert;  «  c'est  sa  chatte.  » 
—  «  Je  luy  donne  vingt  livres  de  pension ,  »  respon- 
dit  l'Eminentissime,  «  à  condition  qu'elle  auroit  des 
»  trippes.  »  —  «  Mais,  Monseigneur,  elle  a  cha- 
»  tonné,  »  dit  Boisrobert.  Le  Cardinal  adjousta  en- 
core une  pistolle  pour  les  chattons. 

Elle  aimoit  Boisrobert  et  l'appelloit  tousjours  bon 
abbé;  elle  le  craignoit  aussy  à  cause  des  contes 
qu'il  faisoit.  11  disoit  qu'elle  avoit  un  ratellier  de 
dents  de  loup  marin.  Elle  l'ostoit  en  mangeant, 
mais  elle  le  remettoit  pour  parler  plus  facilement, 
et  cela  assez  adroittement.  A  table,  quand  les  autres 
parloient,  elle  ostoit  son  ratellier  et  se  despeschoit 
de  doubler  ses  morceaux ,  et  après ,  elle  remettoit 
son  ratellier  pour  dire  sa  ratellée. 

C'estoit  une  pcrsonjie  bien  née  ;  elle  avoit  veû  le 


MADEMOISELLE    DE    GOIJRNAY.  3/l7 

beau  monde  ;  elle  avoit  quelque  générosité  et  quel- 
que force  d'ame.  Pour  peu  qu'on  l'eust  obligée,  elle 
ne  l'oublicit  jamais.  En  mourant ,  elle  laissa  par 
testament  son  Ronsard  à  l'Estoile,  comme  si  elle 
l'eust  jugé  seul  digne  de  le  lire,  et  à  Gombaud  une 
carte  de  la  vieille  Grèce,  de  Sophian,  qui  vaut  bien 
cinq  solz. 

Saint-Amant  '  l'a  furieusement  maltraittée  ;  car 
c'est  d'elle  et  de  Maillet  qu'il  veut  parler  dans  le 
Poëte  crotté. 

1  Voyez  plus  bas  (Uislorietle). 

COMiMExXTAIRE. 

L—  P.  344,  lig.  1. 
.«"*  de  Gournny  estait...  bien  demoiselle. 

Marie  de  Jars  etoit  tille  de  Guillaume  de  Jars  et  de  Jeanne  de  Hac- 
queville  :  Jars  est  uii  boui-g  des  environs  de  Sancerre.  Guillaume  etoit 
trésorier  de  la  maison  du  Roi ,  capitaine  et  gouverneur  des  châteaux 
de  Remy,  Gournay  et  Moyenueville.  R  avoit  deux  maisons  à  Paris. 
[L'Ombre,  Apologie  pour  celle  qui  escrit,  p.  760,  édition  de  1626.) 

M"^  de  Gournay  fut  enterrée  dans  l'église  de  Saint-Eustache  avec  mie 
courte  et  belle  epitaphe,  rapportée  dans  l'Histoire  de  Paris  de  Piga- 
niol.  En  voici  une  autre  de  la  façon  du  fils  de  la  Mothc  le  Vayer;  je  la 
crois  inédite,  et  du  moins  a-t-elle  le  mérite  de  donner  la  date  précise  de 
la  naissance  de  M"'  de  Gournay  : 

«  Asta,  viator,  gradum  instantem  siste,  lege  et  perlege.  Jacet  hic 
»  cujus  mens  nunquam  jacuit,  nobilis  et  perita  Maria  Jarnaea-Gorna- 
»  censis,  inclita  génère,  sed  vivendi  génère  magis  inclita.  Omnibus 
»  cognita,  nulli  tamen  viro  cognita  ;  virgo  et  mater  sterilis  et  fœcunda. 
»  Hic  tcgitur  quae  nuuquam  cincres  libros  sœpius  edidit  ;  hoc  saxo 
»  premitur  quam  serpens  prcssit,  invidia  nuuquam  oppressit.  Hic 
»  quiescit  deni<iue  tumulo  strata  si  non  obstaret  quœ  regibus  non  par- 
»  oit  pauca;  rem  litterariara  mirum  in  modum  ornavit,  orbis  orna- 
»  meutum  mirandi  scripsit,  sieculi  decus,  gloria,  miraculum.  Et  quod 


S!iS  LES    HISTORIETTES. 

»  mirere  magis,  ipsa  patrem  elegit  suuni,  imô  fccit.  Hic  nemi)ù  Mou- 
»  tani  laudibus  cumulus  acccdens  debuit  ut  tam  sanctum  roligionis 
»  fœdus  cum  ea  contraheret,  Annos  vixit  propt;  octoginta,  famâ  qui- 
»  dem  satis,  amicis  comniodoque  publico  minus  ;  tum  omnium  in  ore 
»  memoriâque  celebris  occubuit  A"  1645,  œtatis  79,  cum  novcm  men- 
i>  sibus,  diebus  septem.  Perge,  viator,  et  vale.  » 

Sa  famille  etoit,  comme  on  voit,  originaire  de  Picardie,  mais  elle 
etoit  née  à  Paris,  témoin  ce  vers  d'une  pièce  à  madame  de  Ragny  : 

Paris  fut  ton  berceau,  qui  fut  aussi  le  mien. 

Quoique  dépourvue  de  toute  espèce  de  beauté,  M"*  de  Gournay  avoit 
plus  d'un  point  de  icssemblancc  avec  M™*  Dacier.  Elle  fut  souvent 
mêlée  aux  polémiques  grossières  de  son  temps,  et  avoit  bec  et  ongles 
pour  les  soutenir.  Je  vais  citer  quelque  chose  de  l'Apologie  pour  celle 
qui  escrit,  publiée  dans  l'Ombre,  édition  de  1026,  p.  729.  Par  exemple, 
louant  les  grands  personnages  qui  avoient  méprisé  les  méchans  et  les 
calomniateurs  :  «  Et  de  la  magnanimité  de  Demetrius,  qu'en  jugerons- 
»  nous  ?  qui  ne  s'altcroit  non  plus  des  propos  d'un  fat  et  d'un  estourdy 
»  que  de  ses  pets  (lesquels  je  suis  forcée  après  luy  de  nommer)  ;  ne 
)>  cognoissant  pas  de  différence,  à  ce  (lu'il  disoit,si  telles  gens  sonnoient 
»  d'en  haut  ou  d'en  bas.  »  (P.  731.) 

Elle  trace  ensuite  naïvement  son  portrait  :  «  Homme  ny  femme  de 
»  sain  jugement  ne  sçauroient  alléguer,  quand  ils  me  voudroient  mal, 
>)  que  je  sois  faucc  en  cœur,  ny  passagère  en  mes  bonnes  volontez,  ny 
»  de  ticde  office,  ny  d'imbccillc  secret,  ny  de  mœurs,  paroles  ou  com- 
»  pagnie  importunes,  ny  de  société  moins  qu'honorable,  si  l'innocence 
»  vaut  quelcjne  chose.  On  ne  me  peut  aussy  dépeindre  pour  brouillonne 
»  ny  querelleuse,  bien  que  sensible,  roide  et  véhémente...  Je  suis  de 
»  mœurs  auxquelles  une  bénigne  facilité  n'oste  point  la  vigueur  ;  sans 
»  inégalité  ny  bigarreure,  et  pour  comble  de  cela,  très-bonne  amye... 

»  Parmy  nostre  vulgaire,  on  fagotte  à  fantaisie  en  général  et  sans 
»  exception  l'image  d'une  femme  lettrée  :  c'est-à-dire  on  compose  d'elle 
»  une  fricassée  d'extravagances  et  de  chimères,  et  ne  la  voit-on  plus 
»  qu'avec  des  présomptions  injurieuses  et  soubs  la  forme  d'un  espou- 
»  vantail.  C'est  merveille  des  belles  choses  qu'on  luy  fait  dire  et  faire 
»  en  dormant  :  tous  les  saincts  de  la  kyrielle  ne  firent  oncques  tant  de 
»  miracles  que  cette  pauvre  créature,  vraye  martyre  en  la  bouche  des 
»  fous...  Mais,  ô  que  peu  de  compte  tiendrois-je  de  ce  morfondu  reste 
»  de  mon  latin,  si  je  ne  croyois  sçavoir  plus  de  françois  que  ceux  qui 
»  s'amusent  à  pelotter  ce  discours!  On  dit  (jue  les  femmes  n'ont  ja- 
»  mais  le  filet  que  pour  recoudre  leur  linge  ;  la  rcigle  est  pourtant  fausse 
»  en  moy,  qui  ne  sçay  gueres  coudre  et  qui  n'aime  <iue  médiocrement  à 
»  parler.  ->  (P.  737  etsuiv.) 


MADEMOISELLE    DE    GOURNAY.  3^9 

Elle  avoue  ensuite  qu'elle  s'est  beaucoup  occupée  et  qu'elle  s'occupe 
encore  de  l'alchymie,  qu'elle  y  a  despensé,  la  première  année,  «  quel- 
»  que  somme  non  mesprisable,  quoyque  non  excessive,  provenant  de 
H  mes  inventions  et  labours,  non  de  mon  patrimoine.  Pendant  les  sept 
»  années  suivantes,  j'ay  fait  diverses  opérations  qui  m'ont  cousté  cha- 
»  cune  cent  ou  six  vingts  escus  environ.  Depuis  lequel  temps,  deux 
»  escus  d'ordinaire  et  le  troisiesmo  d'extraordinaire,  me  deffrayent  par 
»  an  pour  ce  regard,  d'autant  que  j'ay  trouvé  moyen  d'espargner  le 
»  surplus  à  l'ayde  d'un  feu  qui  m'est  preste  gratis  par  la  courtoisie 
»  des  maistresdela  verrerie,  feu  jadis  ma  plus  pesante  charge...  Quel- 
»  ques-uns  rient  de  ma  longue  patience  en  ce  labeur  ;  à  tort,  certes, 
»  puisqu'on  attend  bien  toute  une  année  un  espy  ;  outre  que  si  mesraes 
»  je  n'esperois  nul  succez  en  l'oeuvre  (comme  je  ne  puis  désormais 
»  faire  après  ce  long  temps  escoulé  sans  fruict),  je  ne  lairrois  de  tra- 
»  vaillcr,  pour  voir  soubs  les  degrez  d'une  très-belle  décoction,  ce  que 
»  deviendra  la  matière  que  je  tiens  sur  le  feu  :  curiosité  naturelle  et 
»  saine.  » 

Pour  rétablir  la  vérité  de  ce  qu'on  a  pu  dire  de  ses  autres  dépenses 
excessives,  elle  avoue  bien  avoir  perdu  cinq  cents  ecus  par  trop  de 
confiance  dans  les  autres,  et  la  même  somme  par  vanité  de  jeunesse. 
Elle  n'eut  jamais  qu'une  demoiselle  et  deux  laquais,  «sauf  que  j'eus 
»  une  fois  à  mes  gages  une  seconde  demoiselle,  à  cause  que  celle-là 
»  jouoit  du  luth  et  que  je  desirois  apprendre  d'elle;  joinct  que  son 
»  harmonie  me  faisoit  besoing  un  temps  pour  m'aider  à  charmer  quel- 
»  que  importune  tristesse...  Pour  le  regard  du  carrosse  que  j'avois, 
»  cela  est  nay  avec  les  femmes  de  ma  qualité,  toute  simple  que  je 
»  l'aye  recogneue  ;  ouy,  mesme  totalement  nécessaire  par  la  longueur 
))  et  saleté  du  pavé  de  Paris.  L'exemple  général  et  tjTannique  du  siècle 
»  rend  la  honte  du  manquement  d'un  carrosse  si  grande,  qu'il  n'est 
»  pas  permis  à  celles  qui  veulent  vivre  avec  quelque  bienséance  du 
»  monde,  de  consulter  s'il  couste  trop  ou  non.  » 

Le  partage  de  la  succession  donna  aux  trois  puînés,  l'aîné  satisfait, 
un  revenu  de  deux  mille  quatre  cents  et  quelques  livres,  outre  deux 
maisons  de  Paris,  qu'ils  furent  obligés  de  vendre  pour  payer  les  créan- 
ciers de  la  succession. 

Elle  avoit  deux  frères  et  trois  sœurs.  L'aînée  des  sœurs  épousa  le 
sieur  de  Bouray,  gentilhomme  voisin  d'Etampes;  la  seconde  fut  rch- 
gieuse  à  Chantelou;  l'autre  épousa  le  sieur  de  la  Salle,  à  Cambrai. 
M.  et  M'"^  de  la  Salle  furent  attachés  au  service  du  maréchal  de  Bala- 
gny  et  de  l'illustre  Renée  de  Clermont-d'Amboise,  cette  héroïque  prin- 
cesse de  Cambrai  dont  il  a  été  parlé.  (  Tome  i",  p.  7  et  23.  )  «  Non- 
»  seulement  elle  accepta  ma  sœur,  mais  je  dois  cette  confession  au 
«  sepulchre  d'une  si  généreuse  dame,  qu'elle  m'offrit  encore  la  mesme 


350  LES    HISTORIETTES. 

»  grâce...  Je  la  remerciay  de  peur  d'abuser  de  sa  courtoysie;  mais 
)>  l'offre  fut  noble  et  louable  en  i)lusieurs  sortes.  Car,  outre  que  cette 
»  dame  avoit  plus  de  mérite  à  favoriser  les  muses  et  les  esprits,  de  ce 
»  que  le  sien  estoit  du  tout  vuide  de  lettres  et  seulement  illuminé  de  la 
»  pure  splendeur  de  nature,  quoyque  belle  et  vive  en  vérité,  elle  eust 
»  pu  facilement  se  dispenser  de  mettre  le  mien  à  ce  prix.  »  (  P,  7G3.  ) 
M"*  de  Gournay  parle  peu  de  son  frère  aîné  ;  le  second  fut  Augus- 
tin de  Jars,  sieur  de  Neufvic,  pcut-ôtre  le  mari  de  cette  M°"=  de 
Neufvic,  citée  pour  son  esprit  et  ses  heureuses  réparties,  dans  l'Histo- 
riette de  Henry  IV»  (tom.  i",  p.  7  et  23).  «  Quelques  emprunts,  »  dit 
M"»  de  Gournay,  «  m'ont  cstayée  et  secourue;  à  quoy  douze  cens 
»  escus  ou  environ,  pour  vente  de  la  quarte  partie  d'une  succession  de 
»  ce  jeune  frère  sieur  de  Neufvic,  m'ont  assistée,  bien  que  piteusement, 
«  provenant  d'une  essentielle  et  griefve  perte  en  sa  personne.  »  (P.  765.) 
Neufvic  mourut  jeune,  et  sa  sœur  lui  fit  cette  epitaphe  : 

Ah!  Neufvic, lu  descends  Iji-bas, 
Et  jeune,  et  brave,  et  débonnaire; 
Jeunesse,  candeur  ny  combats 
Aux  l'arques  \>HU-  n'ont  pu  faire. 
Cherche  en  cette  feinte  douceur 
l.'ombre  des  biens  que  l'homme  embrasse; 
Mais  n'y  cherche  point  une  sœur, 
La  tienne  en  pleurs  suivra  ta  trace. 

Quant  à  l'origine  de  ses  relations  avec  Montaigne,  elle  s'est  cî^argée 
de  nous  l'apprendre  dans  une  courte  Fie  qu'elle  a  faite  d'elle-même,  im- 
primée dans  l'édition  de  1641,  p.  992.  Montaigne  étant  venu  à  Paris, 
<i  elle  l'envoya  saluer  et  luy  déclarer  l'estime  qu'elle  faisoit  de  sa  per- 
»  sonne  et  de  son  livre.  Il  la  vint  voir  et  remercier  dez  le  lendemain, 
»  luy  présentant  l'affection  et  l'alliance  de  père  à  fille,  ce  qu'elle  recout 
1)  avec  tant  plus  d'applaudissement  de  ce  qu'elle  admira  la  sympathie 
»  fatale  du  génie  de  luy  et  d'elle,  etc.  » 

II.  —  P.  3/i4,  lig.  II. 
Elle  faisoit  des  vers,  mais  mesclians. 

Pas  toujours  ;  témoin  cette  inscription  pour  le  portrait  de  Jeanne 
d'Arc  : 

Peus-tu  bien  accorder,  vierge  du  ciel  chérie, 
La  douceur  de  tes  yeux  et  ce  glaive  irrit<>? 
—  La  douceur  de  mes  yeux  caresse  ma  patrie. 
Et  ce  glaive  eu  fureur  lui  rend  sa  liberté. 

Voilà  ce  que  M"'=  de  Gournay  appeloit  une  Epigramme  à  la  grecque, 
et  l'on  n'en  trouvera  certainement  pas  de  plus  excellente  dans  Y  Antho- 
logie^ ni  ailleurs. 


MADEMOISELLE    DE    GOURINAY.  351 

En  voici  une  autre  contre  un  médisant  : 

Colin,  qui  n'a  veti  que  son  livre. 
Veut  faire  le  drappcur  de  court. 
Or,  Colin,  pour  le  faire  court. 
La  cervelle  d'un  sot  t'enivre. 
Un  sçavant  qui  fait  rimpiulent 
N'est  pas  certes,  comme  il  te  semble. 
Courtisan  et  savant  ensemble. 
Mais  il  est  pédant  et  pédant. 

Les  diminutifs  cités  par  des  Réaux  de  ckaiulcronnet,  chaudcroimelfl 
ne  sont  pas  dans  le  traité  des  Diminutifs  françois,  mais  il  en  est 
d'autres  qui  peuvent  également  faire  sourire,  comme  cliaudelet,  froide- 
let.  ougnonnet,  etc.  M"*  de  Goumay  rappeloit  dans  ce  traité  l'usage 
de  son  temps  et  ne  pouvoit  être  responsable  des  façons  de  parler  alors 
communes,  mais  tombées  en  désuétude  quand  des  Réaux  ecrivoit.  Ce 
morceau  est  d'ailleurs  bien  écrit  et  bien  pensé. 

m.— P.  344,  lig.  15. 

Elle  ne  sceftt  dire  la  raison  du  titre  :  L'Ombre  de  la  damoiselle  de 
Gournay. 

Ce  livre  a  paru  en  1G26,  in-8°,  sous  le  titre  de  YOmhre  de  la  damoi- 
selle de  Gournay  ;  puis  en  163i  sous  celui  de  VOmbre  ou  les  Presens  de 
la  damoiselle  de  Gournay,  et  en  1641  sous  celui  de  :  Les  Advis  ou  les 
Presens  de  la  damoiselle  de  Gournay.  Des  Réaux  et  Boisrobert  ne  con- 
uoissoient  apparemment  que  les  deux  dernières  éditions;  autrement 
ilsauroient  vu,  dans  l'épigraphe  de  la  première,  la  raison  de  son  titre: 

L'homme  est  l'ombre  d'un  songe,  et  son  œuvre  est  son  ombre. 

M"^  de  Gournay,  sincèrement  attachée  au  Roi,  défendit  plus  d'une 
fois  ceux  que  les  passions  politiques  accusoient  avec  le  plus  de  violence, 
et  par  là  accrut  le  nombre  de  ses  propres  ennemis.  En  1610,  elle  voulut 
justifier  le  père  Cotton,  accusé  ridiculement  d'avoir  été  pour  quelque 
chose  dans  le  crime  de  Ravaillac  ;  l'auteur  du  Remercîment  des  Betir- 
rières  à  M.  de  Courhouzon-Montgommery,  revenant  sur  ces  accusations  : 
«  Il  est  bien  vray,  »  dit-il,  «  que  depuis  nagueres,  ils  se  sont  présentez 
»  quelques  mal  habiles  gens  qui  ont  voulu  entreprendre  sur  vos 
"n  marches,  et  vous  desrober  vostre  chalandise,  comme  un  certain  Pelle- 
»  tier  et  la  damoiselle  de  Gournay,  pucelle  de  cinquante-cinq  ans  »  (il 
falloit  dire  quarante-cincj),  «qui  se  sont  meslez  de  publier  des  def- 
»  fenses  pour  les  Jésuites,  comme  ayant  interest  à  la  cause,  sous  pre- 
»  texte  qu'ils  ont  esté  rappelez  et  restablis,  à  la  poursuite,  brigue  et 
»  sollicitude  du  postillon  général  de  Venus.  Mais  prenez  courage,  M.  de 


352  LES    HISTORIETTES. 

»  Courbouzon,  ces  bons  pères  ont  bien  d'autres  deflfenseurs  et  de  plus 
»  grands  seigneurs  que  toute  cette  racaille.  »  (P.  8.)  Et  plus  loin  :  «  Le 
»  P.  Cotton,  afin  qu'il  ne  seniblast  point  advouer  ce  qui  luy  a  esté  ob- 
»  jecté,  s'est  premièrement  addressé  à  une  daïnoiselle  carabine,  qui 
»  pour  la  deffense  de  ce  vénérable  a  eu  bientost  usé  la  poudre  de  son 
n  fourniment.  » 

IV.  —  P.  345,  lig.  17. 

Ces  pestes  luy  supposèrent  une  lettre  du  Roy  Jacques  d'Angleterre... 

Des  Réaux  pouiToit  bien  être  ici  l'aveugle  écho  des  pestes  qui  tour- 
mentèrent M'"  de  Gournay.  <(  Certes,  »  dit-elle  dans  sa  touchante  Apo- 
logie déjà  citée,  «  je  ne  puis  oublier  tant  d'honorables  propos  que  le 
»  feu  serénissime  Roy  de  la  Grand-Bretagne  daigna  tenir  sur  mon  sub- 
»  ject  ;\  M.  le  marcschal  de  Lavardin,  lorsqu'il  fut  envoyé  vers  Sa  Ma- 
»  jesté.  Tant  de  témoignages  de  m'estimer  digne  des  plus  honorables 
»  faveurs  royales ,  la  favorable  monstre  encore  qu'elle  luy  fit  en  son 
»  cabinet  de  quelque  escrit  qu'elle  disoit  venir  de  ma  main,  en  pre- 
»  sence  de  gens  qui  le  publient  jusques  à  cette  heure  au  Louvre,  me 
»  scelloient  ce  passeport  d'un  sceau  doré,  ou,  pour  mieux  dire,  cela 
))  seul  me  devoit  faire  obtenir  en  France  un  brevet  d'estime  et  de 
»  bonne  fortune...  »  (P.  773.) 

V.  —  P.  346,  lig.  14. 

H  y  a  encore  ma  mie  Pîaillon... 

On  voit,  dans  les  Advis  de  1641,  p.  950,  des  vers  adressés  à  cette 
chatte,  à  laquelle  l'abbé  deMaroUes  n'a  pas  dédaigné  d'accorder  l'hom- 
mage de  sa  plume  louangeuse  :  «  Le  Piaillon  de  M"''  de  Gournay,  en 
»  douze  années  qu'il  a  vescu  auprès  d'elle,  ne  se  fust  pas  deslogé  une 
»  seule  nuict  de  sa  chambre  pour  courrir  dans  les  gouttières  comme 
»  les  autres  chats.  »  [Mémoires,  in-fol.,  p.  99.) 

VI.  —  P.  347,  lig.  0. 

C'est  d'elle  et  de  Maillet  qu'il  (Saint-Amand)  veut  parler. 

Maillet,  poëte  ridicule,  dont  les  ouvrages  sont  rares  ;  on  voit  dans 
les  portefeuilles  de  l'Arsenal  si  utilement  consultés  par  M.  de  Mon- 
merqué,  ce  placet  au  Roy,  qui  semble  inédit  : 

Plaise  au  Koy  me  donner  cent  livres 
Pour  lies  livres  et  pour  des  vivres; 
De  livres  je  me  passerois. 
Mais  de  vivres  je  ne  sçaurois. 

(Epitre  à  M.  Diipin,  trésorier  des  Menus- Plaisirs.) 


MADEMOISELLE    DE    GOURNAY.  355 

Lu  comte  de  Cramail,  dans  les  Jeux  de  l'Inconnu,  dit  aussi  que  «  les 
Il  bottes  du  sieur  Maiflet  feront  un  excellent  ménage  avec  les  patins  de 
»  niadamoiselle  de  Gonrnay  ;  à  la  charge  que  ledit  sieur  Maillet  four- 
»  nira  un  douaire  de  dix  mille  vers,  et  la  Dame  le  seul  chapitre  des 
))  Diminutifs.  »   (P.  1G5.) 

Si  c'est  en  effet  M"*  de  Gonrnay  que  Saint-Amand  a  voulu  peindre 
vers  la  fin  de  son  Poète  crotte,  comme  une  veuve,  maîtresse  de  Maillet, 
la  satire  ne  pouvoit  déshonorer  que  son  auteur,  et  non  l'objet  d'injures 
aussi  grossières. 

M""  de  Gournay  habitoit  en  face  de  l'église  de  l'Oratoire,  dans  la  rue 
de  Saint-Uonoré.  Nous  le  savons  de  l'abbé  de  Marolles,  qui  vint  en  1636 
loger  dans  la  môme  maison,  et  qui  de  plus  nous  apprend  qu'elle 
traduisit,  pour  l'amour  de  lui,  les  cantiques  de  la  Vierge,  doZacharie  et 
de  saint  Siméon,  qu'il  joignit  à  la  troisième  édition  d'une  version  de 
VOffice  de  la  Semaine  sainte,  qu'on  imprimoit  alors.  {Mémoires,  édition 
in-12,  tom.  i,  p.  199.) 

J'ai  connu  trop  tard,  et  l'on  s'en  apercevra  bien,  le  travail  impor- 
tant de  M.  Léon  Fougère  (J/"^  de  Gournaij.  Etude  sur  su  vie  et  ses 
ouvrages.  Paris,  1853).  Il  etoit  impossible  de  présenter  dans  un  meilleur 
jour  le  mérite  et  les  ouvrages  de  cette  illustre  fille  :  cependant  je  per- 
siste à  croire  qu'elle  etoit  néeleO  septembre  1565,  et  non  pas  en  1566  ; 
qu'elle  avoit  deux  frères  et  deux  ou  trois  sœurs,  et  non  six  frères  sans 
compter  les  sœurs.  D'ailleurs,  M.  Feugère  a  soin  de  rapprocher  de  la 
passion  que  M"^  de  Gournay  avoit  avouée  pour  l'alchymie,  la  note 
ajoutée  à  la  dernière  édition  de  ses  Œuvres  :  Cela  fut  durant  la 
première  impression  de  mon  livre,  et  n'est  plus  dès  longtemps.  Quant 
à  la  scène  évidemment  chargée  que  raconte  Louis  Petit  dans  les 
Dialogues  satyriques  et  moraux.,  Paris,  1687,  à  l'occasion  du  mot 
ruffinage.,  ce  doit  être  une  variante  infidèle  des  scrupules  manifestés 
par  M"^  de  Gournay  sur  le  bon  usage  d'un  vilain  mot  analogue  à 
celui  de  Cervaison. 


23 


xcv.  —  XCVI.  -  XCVII. 

RACAN  ET  AUTRES  RESVEURS. 

M.    DE    BRAINCAS.  — LA    FONTAINE. 

(Honorât  de  Bueil,  marqnis  de  Racan,  né  en  1589,  »ior?  en  février  1670. 
—  Charles  de  Villars,  comte  de  Brancas,  né  vers  1G18,  mort  8  jan- 
vier 1G81.  —  Jean  de  la  Fontaine,  né  en  1G21,  mort  13  avril  1G95.) 

Racan  est  de  la  maison  de  Bueil  ;  son  père  estoit 
chevalier  de  l'Ordre  et  mareschal  de  camp.  Il  por- 
toit  le  nom  de  Racan,  à  cause  que  son  père  achetta 
un  moulin  qui  est  un  fief,  le  propre  jour  c|ue  ce  filz 
luy  nasquit,  et  il  voulut  que  ce  petit  garçon  en  por- 
Tomei,  p.  305.  tast  le  nom.  J'ay  dit,  dans  ['Historiette  de  Malherbe, 
comme  Racan  commandoit  les  gendarmes  de  M.  le 
mareschal  d'Effiat  :  cela  le  faisoit  subsister,  car  son 
père  ne  luy  laissa  que  du  bien  fort  embrouillé  ;  puis 
il  avoit  tousjours  quelque  chose  de  M"'"  de  Belle- 
Anne  de  ptieii,  sa  gardc*,  dont  à  la  fin  il  hérita  vingt  mille  livres  de 
rente  en  fonds  de  terre,  de  quarante  qu'elle  avoit. 
Elle  estoit  de  la  maison  de  Bueil  '.  Racan  estoit 

1  II  a  esté  pourtant  quelquefois  bien  à  l'estroit.  Boisrobert  le  trouva 
une  fois  à  Tours  :  la  Cour  y  estoit  alors  ;  il  estoit  après  à  faire  une 
chanson  pour  je  ne  sçay  quel  petit  commis  qui  luy  avoit  promis  de 
luy  prcster  deux  cens  livres  :  Boisrobert  les  luy  presta.  Il  a  logé  long- 


RACAN    ET    ALTRKS    RESVEURS.  355 

marié  quand  cette  succession  luy  vint.  J'ay  dit  aussy 
comme  il  s'attacha  à  Malherbe*.  11  profitta  si  bien 
sous  un  si  bon  maistre ,  qu'il  luy  donna  de  la  ja- 
lousie. En  effect,  on  a  accusé  Malherbe  d'en  avoir 
eu  un  peu  pour  cette  belle  stance  de  la  Consolation 
à  M.  de  Bellegarde,  sur  la  mort  de  M.  de  Termes, 
la  voicy  *  : 

Il  voit  ce  que  l'Olympe  a  de  plus  merveilleux  ; 
11  y  voit  à  SCS  pieds  ces  flambeaux  orgueilleux 
Qui  tournent  à  leur  gré  la  Fortune  et  sa  roue  ; 
Et  voit  comme  fourmis  marcher  nos  légions 
Dans  ce  petit  amas  de  poussière  et  de  boue  , 
Dont  notre  vanité  fait  tant  de  régions. 

Et  on  dit  que,  par  malice,  il  n'avertit  pas  Racan 
que  dans  une  autre  stance  il  faisoit  Amour,  divi- 
nité et  passion  tout  ensemble.  Racan  faisoit  des  vers 
estant  page  '.  Cette  pièce,  qui  commence*  : 

Vieux  corps  tout  espuisé  de  sang  et  de  moûelle,  etc. 


ToniP  1,  p.  274. 


OEuv^-es  de   Racan , 
l"2i,  loni.  I,  p.  J98. 


OEuvres  de  R.iran, 
tom.  I,  p.  182,  et  dans 
\e  Cabinet  satyrique . 


temps  dans  un  cabaret  borgne,  d'où  M.  Conrart  le  voulant  faire  des- 
loger :  ((  Je  suis  bien,  je  suis  bien,  »  luy  dit-il  :  «je  disnf  pour  tant  ;  et  le 
»  soir  on  me  trempe  pour  rien  un  potage.  » 

Il  dit  qu'ayant  promis  une  pistolle  à  une  m pour  une  demoiselle 

qu'elle  luy  devoit  faire  voir,  au  lieu  de  cela  elle  luy  fit  voir  une  gue- 
nippe  qui  n'avoit  rien  de  demoiselle.  Racan  ne  luy  donna  qu'une  pièce 
de  quatorze  solz  et  demy,  le  quart  d'une  pièce  de  cinquaute-huit  solz  ; 
elles  estoient  plus  communes  alors.  —  »  Qu'est-ce  là  ?  »  dit-elle.  — 
«  C'est,  »  luy  dit-il,  «  une  pistoUe  desguisée  eu  pièce  de  quatorze  solz, 
»  comme  vous  m'avez  donné  une  demoiselle  desguisée  en  femme  de 
»  chambre.  » 

*  Il  dit  que  les  comédies  de  Hardy,  qu'il  voyoit  représenter  à  l'Hos- 
tel  de  Bourgogne  où  il  eutroit  sans  payer,  l'excitoient  fort.  11  dit 
aussy  qu'il  avoit  de  qui  tenir  ;  car  son  père  et  sa  mère  faisoient  tous 
deux  des  vers  :  il  est  vray  qu'ils  n'estoient  gueres  bons,  mais  ceux  du 
père  valoient  encore  moins.  Il  en  avoit  un  gros  volume. 


356  T.RS    HISTORIETTES. 

est  de  ce  temps-IA.  11  n'a  jamais  sceû  de  latin;  et 
cette  imitation  de  Tode  d'Horace,  Beatus  ille,  etc., 
est  faitte  sur  la  traduction  en  prose  que  luy  en  fit 
le  chevalier  de  Bueil,  son  parent,  qui  s'estoit  chargé 
de  la  mettre  en  vers  françois. 

^^  nntur'Jîuf"''*"  Jaiiiais  k  force  du  génie*  ne  parut  si  clairement 
en  un  auteur  qu'en  celui-cy  ;  car,  hors  ses  vers,  il 
semble  qu'il  n'ayt  pas  le  sens  commun.  Il  a  la  mine 
d'un  fermier;  il  bégaye  et  n'a  jamais  sceû  prononcer 
son  nom,  car,  par  malheur,  1'/'  et  le  c  sont  les  deux 
lettres  qu'il  prononce  le  plus  mal.  Plusieurs  fois 
il  a  esté  contraint  d'escrire  son  nom  pour  le  faire 
entendre.  Bon  homme  du  reste  et  sans  finesse. 
Estant  fait  comme  je  vous  le  viens  de  dire,  le 

roy.  tom.  I,  p.  60  et  chevalicr  de  Bueil  et  Yvrande*,  sçachant  qu'il  devoit 
aller  sur  les  trois  heures  remercier  M""  de  Gournay 
qui  luy  avoit  donné  son  livre  \  s'avisèrent  de  luy 
faire  une  malice,  et  à  la  pauvre  pucelle  aussy.  Le 
Chevaher  s'y  en  va  à  une  heure.  Il  heurte  ;  Jamin 
va  dire  à  Mademoiselle  qu^un  gentilhomme  la  de- 
mandoit.  Elle  faisoit  des  vers  ;  et  en  se  levant,  elle 
dit  :  «  Cette  pensée  estoit  belle,  mais  elle  pourra  re- 
»  venir,  et  ce  cavalier  peut-estre  ne  reviendroit  pas.» 
Il  dit  qu'il  estoit  Bacan  ;  elle,  qui  ne  le  connoissoit 
que  de  réputation,  le  crut.  Elle  luy  fit  mille  civilitez 
à  sa  mode,  et  le  remercia  surtout  de  ce  qu'estant 
jeune  et  bien  fait,  il   ne  desdaignoit  pas  de  venir 

1  Quoycni'elle  ne  Tappellast  jamais  autrement  que  le  sùiffe  de  Mal- 
herbe. Mais  elle  on  donna  un  h  Mallierbc  mesme,  quoyqu'elle  le  Iiaist 
t\  mort.  1 


RACAN    ET    AUTRES    RESVEIÎRS.  357 

visiter  la  pauvre  vieille.  Le  Chevalier,  qui  avoit  de 
Tesprit,  luy  fit  bien  des  contes.  Elle  estoit  ravie  de 
le  voir  d'aussy  belle  humeur  et  disoit  à  Jamin , 
voyant  que  sa  chatte  miauloit  :  «  Jamin,  faittes  taire 
»  ma  mie  Piaillon,  pour  cscouter  M.  de  Racan.  » 
Dez  que  cetuy-là  fut  parti,  Yvrande  arrive  qui, 
trouvant  la  porte  entr' ouverte,  dit  en  se  glissant  : 
«J'entre  bien  librement,  Mademoiselle;  mais  Til- 
»  lustre  M""  de  Gournay  ne  doit  pas  estre  traittée 
»  comme  le  commun.  »  —  «  Ce  compliment  me 
»  plaist,  »  s'escria  la  pucelle.  «  Jamin,  mes  tablet- 
')  tes,  que  je  le  marque.  »  —  «  Je  viens  vous  remer- 
»  cier.  Mademoiselle,  de  l'honneur  que  vous  m'avez 
»  fait  de  me  donner  vostre  livre.  »  —  «  Moy  ?  Mon- 
»  sieur,  »  reprit-elle,  «  je  ne  vous  l'ay  pas  donné, 
»  mais  je  devrois  l'avoir  fait.  Jamin,  une  Ombre 
»  pour  ce  gentilhomme.  »  —  «  J'en  ay  une,  Made- 
»  moiselle  ;  et  pour  vous  monstrer  cela,  il  y  a  telle 
»  et  telle  chose  en  tel  chapitre.  »  Après ,  il  luy  dit 
qu'en  revanche  il  luy  apportoit  des  vers  de  sa  fa- 
çon; elle  les  prend  et  les  lit.  «  Voylà  qui  est  gentil, 
»  Jamin,  »  disoit-elle;  «  Jamin  en  peut  estre,  Mon- 
»  sieur,  elle  est  fille  naturelle  d'Amadis  Jamin,  page 
»  de  Ronsard.  Cela  est  gentil;  icy  vous  malher- 
»  bisez,  icy  vous  colombisez*;  mais  cela  est  gen-  lon'by/j^-o^.lo.n'l: 
»  til.  INe  sçauray-je  point  votre  nom  ?  «  —  «  Ma- 
»  demoiselle,  je  m'appelle  Racan.  »  —  «  Monsieur, 
')  vous  vous  mocquez  de  moy.  »  —  «  Moy?  Made- 
«  moiselle,  me  mocquer  de  cette  héroïne,  de  la  fille 
»  d'alliance  du  grand  Montagne,  de  cette  illustro 


p.  311. 


358  LES    inSTOUIETTES. 

»  fille  de  qui  Lipse  a  dit  :  Fideamus  quid  sil  pari- 
»  titra  ista  virgo  '  /  »  —  «  Bien  ,  bien ,  »  dit-elle  , 
«  celuy  qui  vient  de  sortir  a  donc  voulu  se  mocquer 
»  de  nioy,  ou  peut-estre  vous-mesme  vous  en  vou- 
»  lez-vous  mocquer;  mais  n'importe,  la  jeunesse 
»  peut  rire  de  la  vieillesse.  Je  suis  tousjours  bien 
»  aise  d'avoir  veû  deux  gentilshommes  si  bien  faits 
)>  et  si  spirituels.  »  Et  là-dessus  ils  se  séparèrent. 
Un  moment  après,  voylà  le  vray  Racan  qui  entre 
tout  essoufflé.  11  estoit  un  peu  hasthmatique,  et  la 
demoiselle  estoit  logée  au  troisiesme  estage.  «  Made- 
»  moisclle,  »  luy  dit-il  sans  cérémonie,  «  excusez  si 
))  je  prends  un  siège.  »  Il  fit  tout  cela  de  fort  mau- 
vaise grâce  et  en  bégayant.  «  0  la  ridicule  figure, 
»  Jamin  !  »  dit  M"'  de  Gournay.  —  «  Mademoiselle, 
»  dans  un  quart  d'heure  je  vous  diray  pourquoy  je 
»  suis  venu  icy,  quand  j'auray  repris  mon  haleine. 
»  Où  diable  vous  estes-vous  venue  loger  si  haut? 
»  Ah  !  »  disoit-il  en  soufflant,  «  qu'il  y  a  haut  !  Ma- 
»  demoiselle,  je  vous  rends  grâce  de  votre  présent 
»  de  votre  Omble  que  vous  m'avez  donnée,  je  vous 
»  en  suis  bien  obligé.  »  La  pucelle  cependant  re- 
)>  gardoitcet  homme  avec  un  air  desdaigneux.  «  Ja- 
»  min,»  dit-elle,  «  desabusez  ce  pauvre  gentilhomme  ; 
»  je  n'en  ay  donné  qu'à  tel  et  qu'à  tel  ;  qu'à  M.  de 
»  Malhei-be,  qu'à  M.  de  Racan.  »  —  «  Eh  !  Made- 
»  moiselle,  c'est  moy.  »  —  «  Voyez,  Jamin.  le  joly 

'  Le  jeune  Hcinsiiis  a  dit  d'elle  : 

" yjiisfi  liifin  vo}iriirrn c  viris 

i<  Scandit  siiprci  viros » 


RACAN  ET  AUTRES  RESVEURS.      359 

»  personnage  !  au  moins  les  deux  autres  cstoient-ils 
»  plaisans.  Mais  cetui-cy  est  un  meschant  bouilbn.  » 
«  —  Mademoiselle,  je  suis  le  vray  Racan.  »  —  «  Je 
))  ne  sçay  pas  qui  vous  estes,  »  respondit-clle,  «  mais 
))  vous  estes  le  plus  sot  des  trois.  Merdieu*!  je  n'en-  pouv.  Mère  de  Dieu. 
»  tens  pas  qu'on  me  raille.  »  La  voylà  en  furem\ 
Racan,  ne  sçachant  que  faire,  aperçoit  un  Recueil  de 
vers.  «  Mademoiselle,  »  luy  dit-il,  «  prenez  ce  livre, 
»  et  je  vous  diray  tous  mes  vers  par  cœur.  »  Cela 
ne  l'apaise  point;  elle  crie  au  voleur;  des  gens  mon- 
tent, Racan  se  pend  à  la  corde  de  la  montée  et  se 
laisse  couler  en  bas.    Le  jour  mesme  elle  apprit 
toute  l'histoire  ;   la  voylà  au   desespoir  ;  elle  em- 
prunte un  carrosse,  et  le  lendemain  de  bonne  heure 
elle  va  le  trouver.  Il  estoit  encore  au  lict;  il  dor- 
moit  :  elle  tire  le  rideau  ;  il  l'aperçoit  et  se  sauve 
dans  un  cabinet,  et  pour  l'en  faire  sortir,  il  fallut 
capituler.   Depuis,  ils  furent  les  meilleurs  amys  du 
monde,  car  elle  luy  demanda  cent  fois  pardon.  Bois- 
robert  joue  cela  admirablement  ;   on  appelle  cette 
pièce  les  Trois  Racans.  Il  les  a  jouez  devant  Racan 
mesme,  qui  en  rioit  jusqu'aux  larmes,  et  disoit  : 
«  il  dit  vlay,  il  dit  vlay.  » 

On  en  fait  plusieurs  autres  contes  :  c'est  un  des 
plus  grands  resveurs  qu'on  ayt  jamais  veû. 

TT  n    .  i-i  •,  1    r  T>  T  t- -Xr         Charles  (Ip Lamcth, 

Une  fois  qu  il  avoit  couche  avec  Russy-Lamet  ,  comte   de   «nssy; 

^  aipiil  lie  la  marquise 

son  cousin ,  il  prit  un  petit  livre   de  ce  temps-là  ""  r.i.ateiet-ci.ey. 
qu'on  appelloit  la  France  mourante  j,  et  s'en  alla 
avec  au  privé.  Au  lieu  de  jetter  le  papier  dont  il 


»560  LES    HISTORIETTES. 

s'estoit  servy,  il  jetta  son  livre  dedans,  et  revint  te- 
nant ce  papier  devant  son  nez,  puis  l'alla  mettre 
sur  la  toilette.  «  Qu'est-ce  cela  ?  »  dit  Bussy.  — 
«  C'est  la  France  mourante.  »  —  «  C'est  mon  !  re- 
»  gardez-y  bien  ;  sentez-le  un  peu.  »  —  «  Ah  !  je 
»  l'ay  donc  jette  dans  le  privé.  »  Il  prend  un  pain 
de  bougie ,  l'allume  et  l'y  jette  aussy.  «  Ah  !  vrai- 
»  ment,  »  dit-il ,  «  voylà  le  livre  '  !  » 

Il  alloit  voir  un  jour  un  de  ses  amys  à  la  cam- 
pagne, seul  et  sur  un  grand  clieval.  Il  fallut  des- 
cendre pour  quelque  nécessité  :  il  ne  put  trouver  de 
montoir  ;  insensiblement  il  alla  à  pié  jusqu'à  la 
porte  de  celuy  qu'il  alloit  voir  ;  et  y  ayant  trouvé  un 
montoir,  il  remonte  sur  sa  beste  et  s'en  revient  sur 
ses  pas,  sans  sortir  de  sa  resverie. 

Il  luy  est  arrivé  plusieurs  fois  de  se  heurter  par  la 
rue.  Un  jour  que  Malherbe,  Yvrande  et  luy  avoient 
couché  en  mesme  chambre,  il  se  leva  le  premier 
Le haui-d<;-chausscs.  et  prit  Ics  chausscs  d' Yvrande*  pour  son  calçon. 
Quand  Yvrande  voulut  s'habiller,  il  ne  trouva  point 
ses  chausses;  on  les  chercha  partout.  Enfin  il  re- 
garda Racan,  et  il  luy  sembla  plus  gros  qu'à  l'ordi- 
naire par  le  bas.  «  Sur  ma  foy,  »  luy  dit-il ,  «  ou 
»  vostre  cul  est  plus  gros  qu'hier,  ou  vous  avez  mis 

'  Une  fois  eu  resvaat,  il  mangea  tant  de  pois,  qu'il  n'en  pouvoit 
plus  :  «  Regardez,  »  dit-il,  »  ces  lolins  de  latais,  ils  ne  m'avertissent 
»  pas,  ils  m'ont  laissé  trcvcr.  »  —  Un  jour  quelqu'un  luy  traduisit 
quelques  epigrammes  de  l'Antologie;  il  les  trouva  plattes,  et  il  disoit, 
pour  dire  des  epigrammes  plattes  :  des  epigrammes  à  la  grecque.  En  ce 
temps-là  il  disna  chez  un  grand  seigneur,  où  il  y  avoit  devant  luy  un 
potage  qui  ne  sentoit  que  l'eau.  Se  tournant  vers  un  de  ses  amis  qui 
les  avoit  veùcs  avec  luy  :  »  Voyh'i,  »  dit-il,  «  un  potage  à  la  grecque.  » 


RACA\  ET  AUTRES  RESVEURS.      361 

»  mes  chausses  sous  les  vostres.  »  En  effect,  il  y  re- 
garda et  les  trouva. 

Une  après-disnée  ,  il  fut  extresmement  mouillé. 
Il  arrive  chez  M.  de  Bellegarde  et  entre  dans  la 
chambre  de  M™^  de  Bellegarde ,  pensant  entrer 
dans  la  sienne;  il  ne  vit  point  M™'  de  Bellegarde 
et  M"^  des  Loges ,  qui  estoient  chacune  au  coing 
du  feu.  Elles  ne  disent  rien ,  pour  voir  ce  que  ce 
maistre  resveur  feroit.  Il  se  fait  desbotter  et  dit 
à  son  laquais:  «  Ya  nettoyer  mes  bottes;  je  feray 
»  seicher  icy  mes  bas.  »  Il  s'approche  du  feu,  et  met 
ses  bas  à  bottes  bien  proprement  sur  la  teste  de 
M™^  de  Bellegarde  et  de  M""  des  Loges,  qu'il  prenoit 
pour  deux  chesnets  ;  après,  il  se  met  à  se  chauffer. 
Elles  se  mordoient  les  lèvres  de  peur  de  rire  ;  enfin 
elles  esclatterent  '. 

On  dit  qu'il  boitte  tout  un  jour,  parce  qu'il  fut 
tousjours  à  se  promener  avec  un  gentilhomme  boit- 
teux.  Un  matin  estant  à  jeun ,  il  demanda  un  doit 
de  vin  chez  un  de  ses  amys.  L'autre  luy  dit  :  «  Tenez, 
«  il  y  a  là-dessus  un  verre  d'hypocras  et  un  verre  de 
»  médecine  que  je  vais  prendre.  Ne  vous  trompez 
»  pas.  »  Racan  ne  manque  pas  de  prendre  la  méde- 
cine, et  cet  homme  ayant  eu  soing  de  la  faire  faire 

I  Un  jour  qu'il  vouloit  mener  un  prieur  de  ses  amys  à  la  chasse 
aux  perdreaux,  le  Prieur  luy  dit  :  «  Il  faut  que  je  die  vespres,  et  je 
»  n'ay  personne  pour  m'ayder.  —  Je  vous  ayderay,  »  dit  Racan.  En 
disant  cela,  Racan  oublie  qu'il  avoit  son  fusil  sur  l'espaule,  et,  sans 
le  quitter,  il  dit  Magnificat  tout  du  long. 

II  a  plusieurs  fois  doimé  l'auuiosne  à  de  ses  amys,  les  prenant  pour 
des  gueux. 


302  LES    HISTORIETTES. 

la  moins  desagréable  qu'il  avoit  pu,  Racan  crut  que 
c'estoit  de  médiocre  hypocras,  ou  de  l'hypocras 
esventé.  11  va  à  la  Messe,  où  peu  de  temps  après 
il  sentit  bien  du  desordre  dans  son  ventre  ,  et  il  eut 
bien  de  la  peine  à  se  sauver  dans  un  logis  de  con- 
noissance.  Le  malade  qui  avoit  pris  l'autre  verre 
ne  sentoit  que  de  la  chaleur,  et  n'avoit  aucune  envie 
d'aller.  Il  envoyé  chez  Racan ,  qui  luy  manda  que 
pour  ce  jour  il  seroit  purgé  sans  payer  l'Apoticaire  \ 
Quand  il  faisoit  l'amour  à  celle  qu'il  a  espou- 
sée,  et  qu'il  n'eut  qu'à  cause  que  M'""  de  Relie- 
garde,  hors  d'âge  d'avoir  des  enfans,  luy  asseura 
du  bien ,  il  voulut  aller  la  voir  h  la  campagne ,  avec 
un  habit  de  talTetas-Celadon.  Son  valet  Nicolas,  qui 
estoit  plus  grand  maistre  que  luy,  luy  dit:  «  Et  s'il 
»  pleut,  où  sera  l'habit-Celadon?  Prenez  vostre  habit 
»  de  bure,  et  au  pied  d'un  arbre  vous  changerez 
»  d'habit  proche  du  chasteau.  »  —  «  Rien,  »  dit-il, 
«  Nicolas  ;  je  feray  ce  que  tu  voudras,  mon  enfant.  » 
Comme  "  rem  on-  Commc  il  rclevoit  SOS  chausses*,  c'estoit  en  un  petit 

toit    son    haut    de  '  jr 

bois  proche  de  la  maison  de  sa  maistresse,  elle  et 
deux  autres  filles  parurent'.  «  Ah  !  »  dit-il,  «  Nicolas, 

^  Racan,  tout  resvcur  qu'il  estoit  faisoit  des  contes  de  la  resverie 
de  feu  M.  de  Guise.  A  Tours,  M.  de  Guise  luy  dit  :  «  Allons  à  la 
»  chasse.  »  Il  y  fut,  et  tousjours  auprès  de  luy;  et  le  lendemain  M.  de 
Guise  luy  dit  :  «  Vous  avez  bien  fait  de  n'y  point  venir,  nos  chiens 
»  n'ont  rien  fait  qui  vaille.  »  Racan  voyant  cela,  se  crotta  une  autre 
fois  tout  exprès,  et  fit  semblant  d'avoir  esté  à  la  chasse  avec  luy  :  «  Ah  ! 
»  vous  avez  bien  fait,  »  luy  dit-il,  «  nous  avons  eu  aujourd'huy  bien 
»  du  plaisir.  » 

'^  Mots  biffes  :  Et  le  voyant  en  cet  estât,  elles  firent  un  grand  cry  et 
se  mirent  h  fnyr. 


chausses. 


RACAN  ET  AUTRES  RESVELRS.      363 

»  je  te  l'avois  bien  dit.  »  —  «Mordicu,  »  respond  le 
valet,  «  depeschez-vous  seulement.  »  Cette  mais- 
tresse  vouloit  s'en  aller;  mais  les  autres,  par  malice, 
la  firent  avancer.  «  Mademoiselle,  »  luy  dit  ce  bel 
amoureux ,  «  c'est  Nicolas  qui  l'a  voulu  :  parle  pour 
M  moy,  Nicolas,  je  ne  sçay  que  luy  dire  '.  » 

A  l'Académie,  quand  ce  fut  à  son  tour  à  haran- 
guer ,  il  y  vint  avec  un  chiffon  de  papier  tout 
deschiré  dans  ses  mains  :  «  Messieurs ,  »  leur  dit-il , 
«je  vous  apportois  ma  harangue,  mais  ma  grande 
»  levrette  l'a  toute  maschonnée.  La  voylà:  tirez-en 
»  ce  que  vous  pourrez,  car  je  ne  la  sçay  point  par 
»  cœur^  et  je  n'en  ay  point  de  copie.  ->  Il  est  le  seul 
qui  ayt  voulu  avoir  ses  lettres  d'académicien,  et 
quand  son  filz  aisné  fut  assez  grand ,  il  le  mena  à 
l'Académie  pour  luy  faire  saluer  tous  les  Acadé- 
miciens -. 

Depuis  son  mariage  et  la  mort  de  M*"'  de  Belle- 
garde  ,  il  commanda  une  fois  un  escadron  de  gen- 
tilshommes à  l'arriere-ban.  Il  conte  que  jamais  il  ne 
put  les  obliger  à  faire  garde  ny  autre  chose  sem- 
blable ,  jour  ny  nuict  ;  enfin  il  fallut  demander  un 
régiment  d'infanterie  pour  les  enfermer.  Un  jour , 
en  marchant,  il  y  eut  je  ne  sçay  quelle  alarme;  il  les 

*  Un  de  ses  voi&ins  luy  donna  une  fois  un  fort  beau  bois  de  cerf. 
Racan  dit  à  son  valet,  qui  estoit  à  cheval  avec  luy,  de  le  prendre.  11 
cstoit  tard;  Racan  le  pressoit;  ce  garçon  luy  dit:  «  Monsieur,  j'ay 
»  lois  tantost  de  toutes  les  façons  ce  que  vous  m'avez  donné  ;  je  voy 
»  bien  que  vous  ne  sçavez  pas  combien  il  y  a  de  peine  à  porter  des 
»  cornes,  car  vous  ne  me  tourmenteriez  pas  tant  que  vous  faittes.  » 

-  \'o\ez  l'Hislofrc  de  l'Académie. 


àijll  LES    HISTOIUETTES. 

trouva  tous  au  retour  (car  cependant  il  estoit  allé 
parler  au  General),  l'espée  et  le  pistollet  à  la  main, 
aussy  bien  les  derniers  que  les  premiers,  quoy- 
qu'il  fallust  percer  neuf  escadrons  avant  que  de 
venir  à  eux.  11  y  en  eut  un  qui  donna  un  grand 
coup  de  pistollet  dans  Tespaule  à  celuy  qui  estoit 
devant  luy. 

Le  bonhomme  Racan  fut  vingt  ans  sans  faire 
de  vers  après  la  mort  de  Malherbe.  Enfin  il  s'y 
remit,  à  la  campagne,  où  il  fit  des  versions  de 
psaumes  naïfves  ,  disoit-il ,  mais ,  en  efî'ect ,  les 
plus  plattes  du  monde.  Depuis,  il  fit  ses  Para- 
E111661.  phrases  de  psaumes  qu'il  a  imprimées*,  où  il  y  a 
de  belles  choses,  mais  cela  ne  vaut  pas  ce  qu'il 
a  fait  autrefois. 
■'deM^fortenib^r  Racau  ostant  tuteur  '  du  petit  comte  de  Marans*, 
de  la  maison  de  Bucil,  le  mai^y  de  la  mère  l'appella 
en  duel.  Racan  dit  :  «  Je  suis  fort  vieux,  et  j'ay  la 
»  courte  haleine.  »  —  «  Il  se  battra  à  cheval,  »  luy 
dit-on. — «  J'ay  des  ulcères  aux  jambes,  »  respon- 
dit-il,  «  quand  je  mets  des  bottes;  puis,  j'ay  vingt 
»  mille  livres  de  rente  à  perdre.  Je  feray  porter 
»  une  espée  ;  s'il  m'attaque,  je  me  desfendray.  Nous 
»  avons  un  procez,  nous  n'avons  pas  une  querelle.  » 
Les  mareschaux  de  France  gourmanderent  fort  ce 
i.e beau-père.      galaut  hommo*. 

Le  grand  chagrin  de  ce  pauvre  homme,  c' estoit 
Le  23  juillet  16S2.     qnQ  gon  fiiz  aisné  n'est  qu'un  sot,  et  qu'il  a  perdu  * 

^  Eu  1(330. 


RACAN  ET  AUTRES  RESVEURS.      365 

celuy  dont  il  esperoit  avoir  du  contentement.  Ce  petit 
garçon  estoit  page  de  la  Reyne,  et  estoit  fort  bien 
avec  M.  d'Anjou.  Il  disoit  un  jour  à  son  père  : 
«  Je  voudrois  bien  qu'on  payast  à  Monsieur  six  cens 
»  escus  de  ses  menus  plaisirs  qu'on  luy  doit,  j'en 
»  aurois  ma  bonne  part.  »  Cet  enfant  s'estoit  addoniié 
à  porter  la  robe  de  Mademoiselle.  Au  commen- 
cement ses  pages  en  grondèrent;  elle  leur  dit  que 
toutes  les  fois  qu'un  page  de  la  Reyne  luy  vou- 
droit  faire  cet  honneur,  elle  luy  en  seroit  obligée. 
Il  continua  donc  ;  eux,  enragez  de  cela ,  le  firent 
appeller  en  duel  par  le  plus  petit  d'entre  eux.  Us 
eurent  tous  deux  le  fouet  en  diable  et  demy,  car 
ils  se  vouloient  aller  battre.  Ce  petit  garçon  fut 
délégué  par  ses  camarades  pour  demander  à  la 
Reyne  qu'on  leur  donnast  deux  petites  oyes  au  lieu 
d'une,  car  l'Argentier  leur  en  retranchoit  une,  de 
deux  qu'ils  dévoient  avoir.  «  Ouy,  »  dit  la  Reyne  ; 
«  mais  estant  filz  de  M.  de  Racan,  vous  ne  l'aurez 
»  point  que  vous  ne  me  la  demandiez  en  vers.  » 
(Tout  le  monde  veut  que  ses  enfans  soient  poètes,  et 
il  ne  sçauroit  faire  qu'on  les  appelle  autrement  que 
Racan*.)  Le  père  fit  pour  son  filz  ce  madrigal,  mais  ^"  "^Veli.'"'^'  ^^ 
il  ne  le  fit  pas  de  toute  sa  force  : 

MADRIGAL, 

Reyne,  si  les  destins,  mes  vœux  et  mon  bonheur 
Vous  donnent  les  premiers  des  ans  de  ma  jeunesse, 
Vous  doy-jepas  offrir  cette  première  fleur 
Que  ma  muse  a  cueillie  aux  rives  de  Permesse? 
Si  mon  père,  en  naissant,  m'a  voit  pu  faire  don 
L)e  l'osprit  poétique  ainsy  que  de  son  nom, 


S66  LKS    IIISTOUIETTES. 

Qui  l'a  rendu  vainqueur  du  temps  et  de  l'envie. 
Je  pourrois  dans  mes  vers  donner  l'éternité 

A  Voslre  Majesté 

Qui  me  donne  la  vie. 

Estant  à  Paris  pour  un  procez  '  il  s'ennuyoit 
quelquefois  et  ne  perdoit  pas  un  jour  d'Académie  ; 
mesme  il  luy  prit  une  telle  amitié  pour  elle ,  qu  il 
disoit  qu'il  n'avoit  d'amys  que  messieurs  de  l'Aca- 
démie ,  et  prit  pour  son  procureur  le  beau-frere 
Louis Faroard, mari  dc  M.  Chapelain*,  porcc  qu'il  luv  sembloit  que  cet 

de Catli.  Chapelain.  '■  '    l  l  J  l 

homme  estoit  beau-frere  de  l'Académie.  Là,  pensant 
parler  à  Patru,  il  parla  à  Chapelain,  et  luy  offrit  de 
le  remener  comme  il  l'avoit  amené.  Chapelain  le  re- 
mercie; il  descend.  Sa  femme,  quand  ils  furent  assez 
loing  (elle  l'estoit  venu  prendre),  luy  dit:  «  Où  est 
»  donc  M.  Patru?  —  Ah  !  »  dit-il;  «  vous  verrez  que 
»  j'ay  cru  parler  à  luy,  et  j'ay  parlé  h  un  autre.  »  11 
retourna,  mais  Patru  n'y  estoit  plus. 

Ce  bon  homme  est  devenu  avare.  Au  dernier 
voyage  qu'il  a  fait  icy,  il  n'a  point  esté  voir  Patru, 
luy  qui  le  voyoit  tous  les  jours  auparavant,  parce 
que  les  escritures  que  Patru  a  faittes  pour  luy  pour- 
roient  monter  à  quelque  chose.  Il  ne  connoist  gueres 
bien  Patru;  il  n'auroit  garde  de  prendre  de  son 
argent. 

M.  DE  BRANCAs.  M.  ûg  Braucas ,  filz  du  duc  de  Villars,  est  aussy 
un  grand  resveur.  A  l'hostel  de  Rambouillet,  un 
jour  qu'il  y  avoit  disné,  son  laquais  le  vint  deman- 

'  En  1651. 


M.    DE     BRANCAS.  367 

der  ;  il  revint  :  «  C'est,  »  dit-il,  «  qu'il  jn'api)ortoit  mon 
»  manteau.  »  —  «  Vostre  manteau  !  »  luy  dit-on  ;  «  hé  ! 
»  estiez-vous  icy  sans  manteau?»  —  «Non,  «dit-il, 
«  mais  j'avois  pris  hier  celuy  de  Moret  pour  le 
»  mien.  »  Or,  celuy  de  Moret  estoit  de  velours ,  et 
l'autre  de  camelot. 

En  priant  Dieu  il  luy  dit  :  «  Seigneur,  je  suis  à 
»  vous  autant  qu'à  qui  que  ce  soit;  je  suis  votre  ser- 
»  viteur  très-humble  plus  qu'à  personne.  »  11  luy  fait 
des  complimens  en  resvant. 

Une  fois  qu'il  se  retiroit  à  cheval,  des  voleurs 
l'arresterent  par  la  bride.  Il  leur  disoit  :  «  Laquais, 
»  de  quoy  vous  avisez-vous  ?  Laissez  donc  aller  ce 
»  cheval,  »  et  ne  s'en  apercent  que  quand  il  eut  le 
pistollet  à  la  gorge. 

A  Rouen  il  estoit  chez  M.  d'Hequetot,  filz  de  M.  de 
Beuvron  '  ;  son  carrosse  se  rompit.  Hequetot  luy  dit  : 
«  Prenez  le  mien,  vous  enverrez  quérir  le  vostre 
»  quand  il  sera  raccommodé.  »  —  «Bien  !  »  dit-il,  et  s'en 
va  de  ce  pas  se  mettre  dans  celuy  dont  on  avoit  osté 
les  chevaux,  tire  les  rideaux  et  dit:  «  Au  logis!  »  Il 
y  fut  une  bonne  heure.  Enfin  il  se  reveille  et  se  met 
à  crier  :  «  Hé  !  cocher,  quels  tours  me  fais-tu  faire  ? 


1  Boisrobert  faisoit  un  conte  de  M.  de  Beuvron  et  de  son  frère  Croisy. 
Il  disoit  qu'un  jour  à  la  campagne,  il  vint  une  pluie  qui  dura  cinq 
heures  ;  c'estoit  au  mois  d'a\Til.  Ils  se  promenèrent  durant  tout  ce 
temps-là,  sans  dire  autre  chose  l'un  à  l'autre  que  :  <c  Mon  frère,  que 
»  de  foin  !  mon  frère,  que  d'avoine  !  »  Quoyque  les  enfans  de  Beuvron 
ayent  plus  d'esprit  que  leur  pei-e,  on  ne  laisse  pas  quelquefois  de  leur 
dire  quand  il  pleut  de  cette  sorte  :  «  Mon  frère,  que  de  foin  !  mon  frère, 
«  que  d'avoine!  »  Et  ils  en  enragent  un  peu. 


308  LES    HISTORIETTES. 

»  n'arriverons-nous  d'aujourd'huy?  »  A  sa  voix,  son 
cocher  vint  h  luy :  «  Hé!  monsieur,  j'ay  mis  les  che- 
)'  vaux  à  l'autre  carrosse,  je  vous  attends  il  y  a  long- 
»  temps.  » 

On  luy  veut  faire  accroire  que  le  jour  de  ses 
nopces  il  alla  en  passant  dire  aux  baigneurs  qu'ils 
luy  tinssent  un  lict  prest,  qu'il  coucheroit  chez  eux. 
«  Vous  !  »  luy  dirent-ils,  «  vous  n'y  songez  pas  !  — 
»  Sy  fait,  j'y  viendray  asseurement.  —  Je  pense 
»  que  vous  resvez ,  »  reprirent  ces  gens-là ,  «  vous 
»  vous  estes  marié  ce  matin.  —  Ah  !  ma  foy ,  » 
dit-il,  «  je  n'y  songeois  pas  '.  » 

» 
i.AFONTAiNF.  jjfl  garçou  de  belles-lettres  et  qui  fait  des  vers, 

nommé  la  Fontaine,  est  encore  un  grand  resveur. 

Son  père,  qui  est  maistre  des  eaux  et  forests  de 

Chastcau-Thierry,  en  Champagne,  estant  à  Paris 

pour  un  procez,  luy  dit  :  «  Tien,  va  viste  faire  telle 

»  chose,  cela  presse.  »  La  Fontaine  sort,  et  n'est  pas 

plus  tost  hors  du  logis  qu'il  oublie  ce  que  son  père 

*  Sa  femme  estoit  veuve  du  comte  d'Isigny,  parent  de  fou  Madame 
la  Princesse,  Marguerite  de  Montmorency. 

On  dit  qu'il  se  mit  au  lict  une  fois  à  quatre  heures,  parce  qu'il 
trouva  sa  toilette  mise. 

Au  sortir  des  Tuileries,  un  soir,  il  se  jette  dans  le  premier  carrosse  ; 
le  cocher  touche,  il  le  meine  dans  une  maison.  Il  monte  jusques  dans 
la  chambre  sans  se  reconnoistre.  Les  laquais  du  maistre  du  carrosse 
l'avoient  pris  pour  leur  maistre,  qui  luy  ressembloit  assez  de  taille.  Ils 
le  laissent  là  et  courent  aux  Tuileries  ;  mais  par  hazard  ils  rencontrè- 
rent ses  gens,  et  leur  dirent  où  il  estoit. 

Une  fois  à  l'armée  on  donna  une  fausse  allarmc  exprès,  et  on  luy  fit 
prendre  une  vache  sellée  pour  son  cheval.  —  On  l'a  fait  aller  un  jour 
en  compagnie  avec  son  bonnet  de  nuict. 


LA     FONTAINE.  369 

luy  a  voit  dit.  Il  rencontre  de  ses  camarades  qui  luy 
ayant  demandé  s'il  n'avoit  point  d'affaires  :  «  Non,  » 
leur  dit-il,  et  alla  à  la  Comédie  avec  eux.  Une  autre 
fois,  en  venant  à  Paris,  il  attacha  à  l'arçon  de  la 
selle  un  gros  sac  de  papiers  importans.  Le  sac  estoit 
mal  attaché  et  tombe  :  l'Ordinaire  passe,  ramasse  le 
sac,  et  ayant  trouvé  la  Fontaine,  il  luy  demande  s'il 
n'avoit  rien  perdu.  Ce  garçon  regarde  de  tous  costez: 
«  Non,  »  ce  dit-il  ;  «  je  n'ay  rien  perdu.  »  —  «  Voylà 
»  un  sac  que  j'ay  trouvé,  »  luy  dit  l'autre.  —  «  Ah  ! 
»  c'est  mon  sac  !  »  s'escrie  la  Fontaine  ;  «  il  y  va  de 
»  tout  mon  bien.  »  Il  le  porta  entre  ses  bras  jusqu'au 
giste. 

Ce  garçon  alla  une  fois,  durant  une  forte  gelée, 
à  une  grande  lieue  de  Chasteau-Thierry,  la  nuict, 
en  bottes  blanches ,  et  une  lanterne  sourde  à  la 
main.  Une  autre  fois  il  se  saisit  d'une  petite  chienne 
qui  estoit  chez  la  lieutenante-genérale  de  Chasteau- 
Thierry,  parce  que  cette  chienne  estoit  de  trop 
bonne  garde ,  et  le  mary  estant  absent,  il  se  cache 
sous  une  table  de  la  chambre ,  qui  estoit  couverte 
d'un  tapis  à  housse.  Cette  femme  avoit  retenu  à 
coucher  une  de  ses  amies.  Quand  il  vit  que  cette 
amie  ronfloit,  il  s'approche  du  lict,  prend  la  main 
à  la  Lieutenante,  qui  ne  dormoit  pas.  Par  bonheur, 
elle  ne  cria  point ,  et  il  luy  dit  son  nom  en  mesme 
temps.  Elle  prit  cela  pour  une  si  grande  marque 
d'amour,  que  je  croy,  quoyqu'il  ayt  dit  qu'il  n'en 
eut  que  la  petite  oye,  qu'elle  luy  accorda  toute 
chose.    11  sortit  avant  que  l'amie  fut  esveillée;  et 

11.  24 


370  LES    IIISTORIETTIÎS. 

comme  dans  ces  petites  villes  on  est  tousjours  les 
uns  chez  les  autres,  on  ne  trouva  point  estrange  de 
le  voir  sortir  de  bonne  heure  d'une  maison  qui 
estoit  comme  une  maison  publique. 

Depuis,  son  père  l'a  marié ,  et  luy  l'a  fait  par 
Marie Hci irait, <ie  1,1  complaisanco.  Sa  femme*  dit  qu'il  resve  telle- 
ment  qu'il  est  quelquefois  trois  sepmaines  sans 
croire  estre  marié.  C'est  une  coquette  qui  s'est 
assez  mal  gouvernée  depuis  quelque  temps  :  il  ne 
s'en  tourmente  point.  On  luy  dit  :  «  Mais  un  tel 
»  cajolle  vostre  femme.  »  —  «  Ma  foy  !  »  respond-il, 
«  qu'il  face  ce  qu'il  pourra  ;  je  ne  m'en  soucie 
»  point.  11  s'en  lassera  comme  j'ay  fait.  »  Cette  in- 
différence a  fait  enrager  cette  femme  ;  elle  seiche 
de  chagrin  :  luy  est  amoureux  où  il  peut.  Une  ab- 
besse  s'estant  retirée  dans  la  ville,  il  la  logea,  et  sa 
femme  un  jour  les  surprit.  Tl  ne  fit  que  renguaisner, 
luy  faire  la  révérence  et  s'en  aller. 

COMMENTAIRE. 

I. 

Il  y  a  dans  V Ilislorietlc  de  Racan  plusieurs  façons  de  parler,  excel- 
lons gallicismes,  dont  l'usage  est  aujourd'hui  à  peu  près  perdu.  Les 
voici  : 

I.  P.  35/i.  —  «  j4  cause  que,  »  au  lieu  de  :  «  parce  que.  »  On  l'emploie 
encore  en  province  ;  on  dit  aussi  :  «  à  cause  de  quoi  ?  »  ou  :  «  à  cause  1  » 
ce  qui  a  plus  de  grâce  que  :  «  pourquoi,  —  pour  quelle  raison  ?  » 

II.  P.  354.  —  «  //  estoit  après  à  faire,  etc.,  »  au  lieu  de  :  «  Il  etoit 
occupe  à,  —  en  train  de  faire,  etc.  »  On  répond  encore,  au  moins  en 
conversation,  à  cette  demande  :  «  Et  ma  copie,  mon  habit,  ma  robe,  y 
»  songez-vous  ?  —  Je  suis  après.  » 


RACAN  ET  AUTRES  RESVEURS.      371 

m.  p.  355.  —  «  Un  cabaret  borgne,  »  c'est  :\  dire  :  un  ir.L'oliant 
cabaret,  mal  éclairé,  comni(;  par  un  seul  œil-de-bœuf. 

IV.  P.  358.  —  «  Quand  j'anray  repris  mon  haleine.  »  On  dit  seule- 
ment aujourd'hui  :  reprendre  haleine. 

V.  P.  359.  —  Racan  se  pend  «  à  la  corde  de  la  montée.  »  Cela  ne  fait 
pas  l'éloge  des  escaliers  les  plus  ordinaires  de  ce  temps-là.  Cette  corde 
tenoit  lieu  de  la  rampe.  De  toutes  les  parties  de  la  construction  des 
maisons,  l'Escalier  a  peut-être  lo  plus  gagné,  dep-uis  la  seconde  partie 
du  xviie  siècle. 

VI.  P.  359.  —  <(  C'est  un  des  plus  grands  resveurs.  »  C'est-à-dire  des 
plus  grands  distraits.  Ce  dernier  mot  n'a  été  généralement  accepté 
que  dans  les  dernières  années  du  xvii*  siècle.  La  Bruyère  emploie 
<(  abstrait  »  dans  la  mûme  acception.  Le  chevalier  de  Bueil  use  agréa- 
blement du  mot  de  «  resverie  »  pour  «  distraction,  »  dans  VEpistre 
à  sa  maistresse,  qu'il  place  en  tête  de  la  traduction  du  Pastor  Fido  : 
«  Je  me  suis  infiniment  cstonné,  lorsque  vous  m'avez  commandé 
»  sérieusement  de  mettre  la  main  à  cette  œuvre  ;  et  n'ay  pu  me  per- 
»  suader  que  ce  commandement  ne  fust  plus  tost  une  marque  de  vostre 
»  resverie,  qu'un  témoignage  de  vostre  curiosité.  » 

VIL  P.  360.  —  u  C'est  mon!»  ou  Ça  monl  Exclamation  fort  ancienne 
assez  difficile ,  à  expliquer.  Elle  répond  à  nos  :  Allons  donc  !  —  par 
exemple  !  —  ah  ça  !  —  en  vérité  !  «  Il  faut,  »  dit  Furetiere,  c(  sous-en- 
)>  tendre  le  mot  advis.  »  Peut-être  est-ce  une  corruption  de  «  Amen  !  » 

VIII.  P.  360.  —  «  Un  pain  de  bougie.  »  Une  bougie  enroulée,  ce  qu'on 
appelle  encore  »  un  rat  de  cave.  »  (On  peut  voir  le  môme  conte  de  rê- 
veur dans  le  Francion,  liv.  v.) 

IX.  P.  360.  —  «  Calçon.  »  Nous  écrivons  aujourd'hui  :  caleçon.  Mais 
la  première  orthographe  répondoit  mieux  à  la  racine  :  chausses  et  cal- 
ceus.  Chausson  et  calçon  ont  un  seul  radical  ;  on  les  a  distingués  pour 
les  appliquer  à  deux  objets  distincts  :  petite  chaussure  et  petit  haut  de 
chausses. 

X.  P.  361.  —  ((  Il  mit  ses  bas  à  bottes  sur  la  teste  de  M""  de  Belle- 
»  garde  et  des  Loges ,  qu'il  prenoit  pour  deux  chenets.  »  C'etoient  des 
bas  sans  pied ,  qu'on  appeloit  aussi  :  bas  à  etriers,  parce  qu'autrefois 
les  bottes  etoient  une  chaussure  exclusivement  cavalière.  —  Les  che- 
nets etoient  encore  le  plus  souvent  alors  terminés  par  deux  tringles  de 
métal  hautes  et  droites,  dont  l'extrémité  supérieure  etoit  arrondie  et 
plus  ou  moins  ornée. 

XL  P.  361.  —  »  Il  faut  que  je  die:  vespres.  »  C'etoit  l'ancienne 
façon  d'escrire  et  de  prononcer  ;  elle  estoit  reçue  en  poésie  comme  en 


372  LES   HISTORIETTES. 

prose.  Le  quoy  qu'on  die  des  Femmes  savantes  est  une  sottise,  dite  en 
fort  bons  termes. 

XII.  P.  362. —  «Un  habit  de  laffetas-Celadon.  »  Ce  tafletas etoit  de  cou- 
leur vert-clair  et  très-tendre.  On  disoit  aussi  des  jarlieres-Cetadon.  Et 
dans  le  Francion,  liv.  v  :  «  J'eus  quelque  croyance  qu'il  y  avoit 
»  quelques  modes  qui  estoient  nouvelles,  lesquelles  s'appelloient  de  ces 
»  noms  que  Musidore  avoit  dits;  puisque  l'on  dit  bien  des  jartieres  de 
»  Céladon,  et  des  Roses  à  la  Varlhenice.  » 

XIII.  P.  362.  —  <'  Son  valet  Nicolas  qui  cstoit  plus  grand  maistre 
»  que  luy.  »  INous  dirions  aujourd'hui  :  «  qui  etoit  chez  lui  plus  mastre 
»  que  lui-môme.  » 

XIV.  P.  365.  —  On  entendoit  par  «  petite  oije  »  les  rubans  et  menues 
garnitures  d'un  habit,  d'un  chapeau  ou  d'un  nœud  d'epée,  que  don- 
noient  ordinairement  les  dames.  Par  extension,  on  l'a  dit  des  petites 
libertés  sans  conséquence  que  permettoit  une  maîtresse,  en  refusant  les 
plus  grandes.  Et,  par  un  retour  piquant,  on  appela  ensuite  les  rubans 
qui  formoient  la  «  petite  oije,  »  des  «  faveurs.  » 

XV.  P.  368.  —  «  On  dit  qu'il  se  mit  au  lict  une  fois  à  quatre  heures 
»  parce  qu'il  trouva  sa  toilette  mise.  »  «  Toiletter  se  disoit  du  linge, 
nappe  ou  serviette  (petite  toile)  «  qu'on  estend  sur  la  table  pour  se 
»  deshabiller  le  soir  ou  s'habiller  le  matin.  »  (Furetiere.) 

II.  —  P.  354,  lig.  2. 

//  portait  le  nom  de  Racan,  à  cattse  que  son  père  achetta  un  moulin.... 
et  il  voulut  que  ce  petit  garçon  en  portast  le  nom. 

Niceron  dit  qu'il  etoit  né  à  la  Roche-Racan,  château  situé  à  l'extré- 
mité de  la  Touraine,  sur  les  confins  du  Maine  et  de  l'Anjou.  On  n'en 
voit  plus  aujourd'hui  de  traces  sur  les  cartes.  Le  père  d'Honorat  joi- 
gnoit  déjà  à  ses  autres  qualités  celle  de  sieur  de  Racan. 

Ce  que  des  Réaux  va  ajouter,  que  ce  père  ne  lui  laissa  que  du  bien 
fort  embrouillé,  est  confirmé  par  une  lettre  de  Henry  IV,  à  la  date  du 
17  septembr-e  1605,  laquelle  accorde  au  jeune  Racan  un  répit  de  deux 
ans  contre  ses  créanciers  : 

«  Monsieur  le  Chancellier, 
»  Je  n'ay  pas  moins  esté  meû  de  pieté  que  d'équité  à  accorder  à 
»  Monsieur  le  Grand  le  respit  de  deux  ans,  dont  il  m'a  supplié  avec  grand 
»  instance  pour  le  jeune  Racan,  cousin  germain  desafemme,  et  duquel 
»  il  est  tutem*  ;  car  oultre  que  le  père  de  ce  jeune  gentilhomme  est 
»  mort  à  mon  service  après  m'avoir  assisté  en  ces  dernières  gueres,  et 
»  que  je  sçay  la  plus  grande  partie  de  ses  debt.es  procéder  à  cause  de 


RACAN  ET  AUTRES  RESVEURS.      373 

w  mondict  service  ;  la  perte  de  ses  père  et  raere  en  bas  aage  où  il  se 
»  retrouve,  me  convie  à  contribuer  à  ce  remède,  à  la  manutention  de  sa 
»  personne  et  maison.  Et  puis  je  désire  conforter  le  filz  en  l'inclination 
»  qu'il  a  d'imiter  et  se  rendre  digne  de  continuer  les  services  de  son 
»  père,  dont  la  mémoire  m'est  très-fraische  et  recommandée.  Je  vous 
»  prie  donc  ne  différer  luy  despescher  ledict  respit  pour  ce  temps-là,  et 
n  vous  ferez  chose  qui  me  sera  très-agréable.  Adieu,  monsieur  le  Chan- 
»  cellier,  ce  17*  septembre,  à  Saint-Germain-en-Laye.  » 


III.  —  P.  356,  lig.  2. 

L'imitation  de  l'ode  d'Horace:  Beatus  ille...,  est  faille  sur  la  traduction 
que  luy  en  fit  lej.chevalier  de  Bueil. 

Ce  chevalier  etoit  Claude  de  Bueil,  seigneur  de  Tescourt  et  de  la 
Ville,  frère  delà  comtesse  deMoret,  premier  chambellan  de  Gaston,  et 
traducteur  de  la  première  partie  de  Dom  Belianis  de  Grèce,  1625,  et 
du  Pastor  fido,  1637.  Il  mourut  en  décembre  IQhh. 

Par  cette  «  imitation,  »  il  faut  entendre  les  admirables  Stances  sur 
ta  Retraite. 

Tircis,  il  faut  penser  à  faire  ia  retraitte  : 
La  course  de  nos  jours  est  plus  qu'à  demy  t'aitte, 
L'âge  insensiblement  nous  conduit  à  la  mort; 
Nous  avons  assez  veii,  sur  la  nier  de  ce  monde, 
Errer  au  gré  des  flots  nostre  nef  vagabonde, 
11  est  temps  de  jouir  des  délices  du  port. 

Le  bien  de  la  fortune  est  un  bien  périssable, 

Quand  on  basfit  sur  elle,  on  bastit  sur  le  sable; 

Plus  on  est  eslevé  plus  on  court  de  dangers. 

Les  grands  pin-  sont  en  butte  aux  coups  de  la  tempeste^ 

Et  la  rage  des  vents  brise  plus  tost  le  teste 

Des  maisons  de  nos  rois  que  le  toist  des  bergers,  etc. 

Sorelqui,  dans  \e  Francien,  liv.  x,  a  voulu  peindre  Racan  sous  le  nom 
de  Salluste,  dit  que  pour  traduire  la  quatrième  eglogue  de  Virgile, 
Salluste  s'etoit  aidé  de  la  conférence  de  plusieurs  traductions  an- 
ciennes. 

Cette  ignorance  connue  n'empèchoit  pas  Racan  de  faire  d'excellens 
vers  français  ;  mais  elle  le  fit  un  jour  reprendre  en  pleine  Académie, 
sur  le  mot  pteonisme^  qui  lui  etoit  échappé  ;  il  répondit  :  «  On  dit  bien 
solécisme!  n  II  rencontra  mieux  quand,  impatienté  d'entendre  les  pé- 
dans  soutenir  qu'en  vers  il  falloit  dire  Vittcan^et  en  prose  Vulcain  :  «A 
»  ce  compte,  »  dit-il,  «  il  faudroit  m'appeler  Eacancn  vers,  et  Racainen 
»  prose  !  » 


374  LES    lIISTOillETTlîS. 

IV.  —  p.  350,  lig.  15. 

Sçachanl  qu'il  Uevoit  aller  remercier  i»/"*  de  Gournay,  qui  luy  avoit 
donné  son  livre. 

VOmbre,  comme  j'ai  dit  plus  haut,  parut  en  1626.  Racan  avoit  déjà 
plus  do  trente-six  ans,  et  n'etoit  pas  beau  :  Claude,  chevalier  de  Bueil, 
son  cousin,  etoit  apparemment  plus  jeune  et  mieux  fait. 

Amadis  Jamin,  poëte  du  xyi*^  siècle,  secrétaire  et  lecteur  du  I\oi, 
d'abord  recueilli  par  Ronsard,  a  publié  deux  volumes  de  Poésies,  et  de 
plus  a  traduit  les  douze  derniers  livres  do  Vlliade,  et  le  premier  de 
VOdijsséc.  11  etoit  né  vers  1540  et  mort  après  158Zi  ;  sa  fille  naturelle  ne 
devoit  plus  ùtre  jeune  (juand  elle  etoit  à,  M"**  de  Gournay,  comme  son 
père  avoit  été  ;\  Ronsard. 

V.  —  P.  359,  lig.  19. 
Boisrobert  joue  cela  admirablement. 

Après  avoir  fait  du  conte  le;  divertissement  de  la  société,  Boisrobert 
imagina  d'en  composer  une  comédie,  sous  le  nom  des  Trois  Orontes. 
Paris,  Courbé,  1653,  m-h°  ;  mais  il  faut  avouer  que  la  pièce  est  bien 
languissante.  Deux  galans  veulent  épouser  Caliste  ;  Oronte  a  la  pro- 
messe du  père,  il  arrive  de  Bordeaux,  mais  il  est  devancé  par  Cléante, 
amant  de  Caliste,  qui  se  présente  avec  une  fausse  lettre  sous  le  nom 
d'Oronte.  Cependant  cet  Oronte  a  une  maîtresse,  qui,  de  son  côté,  se 
déguise  en  Oronte  pour  empêcher  son  mariage  avec  Caliste.  Tout  cela 
n'est  égayé  que  par  quelques  plaisanteries  de  valets.  Boisrobert  dédia 
la  pièceà  M'"'  Martinozzi,  nièce  de  Mazarin,  depuis  duchessede  Modene. 
On  trouve  aussi  l'aventure  des  Trois  Racans  dans  le  Menagiana,  et  dans 
les  Bons  mots  et  contes  plaisans  de  Callieres. 

Sorel  est  le  premier  qui  ait  raconté  cette  fameuse  plaisanterie  dans 
le  X*  livre  du  l'rancion,  publié  longtemps  après  les  huit  premiers.  Sal- 
luste,  masque  de  Racan,  y  doit  faire  une  visite  au  pédant  Hortensius, 
masque  de  la  Mothe  le  Vayer,  etdeux  de  ses  amis  le  devancent. 

VI.  —  P.  35y,lig.  27. 

Un  petit  livre...  qu'on  rt/>/)c/<o?7  la  France  mourante. 

La  France  mourante,  dialogue  entre  le  chancelier  de  l'Uospilal,  le 
chevalier  Baijard  et  la  France  malade,  1622,  in-S".  On  l'a  plus  tard  réu- 
ni au  Uccueil  des  pièces  les  plus  curieuses  faites  pendant  le  règne  du 
connestable  de  Luynes.  Et  enfin  M.  Crapelet,  en  1829,  a  eu  l'idée  assez 
peu  judicieuse  de  la  réimprimer  en  l'appliquant  à  la  politique  du 
nunuenf. 


«ACAN    ET    AUTRES    RESVEUKS.  375 

VII.  —  P.  300,  note. 

Foylà,  dit-il,  uti  potage  à  la  grecque. 

Le  mot  est  dans  le  Menagiana  ;  mais  Racan  le  dit  chez  le  médecin 
de  Lorme,  à  M"''  deGournay.  (Tom.  ii,  p.  344.) 

VIII.  —  P.  362,  lig.  10. 
Quand  il  faisait  l'amour  à  celle  qu'il  a  espousée. 

Magdelaine  du  Bois,  fille  de  Pierre  du  Bois  sieur  de  Fontaines- 
Marany.  Le  mariage  se  fit  pendant  le  siège  de  la  Rochelle,  et  il  en  vint 
quatre  fils  et  trois  filles.  (Fragment  inédit  des  Mémoires  de  Conrart.) 
J'ai  cité  dans  le  premier  volume,  p.  322,  une  lettre  curieuse  de  Mal- 
herbe à  M""'  de  Termes  sur  ce  mariage. 

Racan  avoit,  ainsi  que  Malherbe,  la  prétention  d'aimer  violemment 
les  femmes.  Malherbe,  parlant  de  lui,  ecrivoit  à  Balzac  :  <(  Du  costé  des 
»  bergers,  son  cas  va  le  mieux  du  monde  ;  mais  certes,  pour  ce  qui 
»  est  des  bergères,  il  ne  sçauroit  aller  pis.  Cette  affaire  veut  une  sorte  de 
»  soins  dont  sa  nonchalance  n'est  pas  capable.  S'il  attaque  une  place, 
»  il  y  va  d'une  façon  qui  fait  croire  que  s'il  l'avoit  prise,  il  en  seroit 
»  bien  empesché.  Et  s'il  la  prend,  il  la  garde  si  peu  qu'il  faut  croire 
»  qu'une  femme  a  esté  bien  surprise,  quand  elle  a  rompu  son  jeusne 
»  pour  un  si  misérable  morceau.  Vous  dites  que  vous  luy  ressemblez  ; 
»  mais  à  qui  le  persuaderez-vous?»  Cette  lettre  fut  écrite  vers  1625, 
quand  Malherbe  avoit  soixante  et  dix  et  Racan  trente-six  ans.  «  Je  ne 
»  m'estonne  point,»  répondit  Racan  à  Balzac,  «  siN...  a  esté  si  osé  que 
))  de  censurer  vostre  éloquence,  puisque  M.  de  Malherbe  a  eu  l'effron- 
»  terie  de  m'accuser  de  froideur,  luy  qui  n'est  plus  que  de  glace  et  de 
»  qui  la  dernière  maistresse  est  morte  de  vieillesse,  l'année  du  grand 
»  hyver.  Il  a  beau  jeu  à  se  vanter  des  merveilles  de  sa  jeunesse,  per- 
»  sonne  ne  l'en  peut  démentir,  et  pour  moy,  qui  ne  voudrois  pas  avoir 
»  donné  ce  qui  me  reste  de  la  mienne  pour  les  victoires  du  prince 
»  d'Orange  ni  pour  la  sagesse  du  cardinal  de  Richelieu,  je  serois  bien 
»  mary  d'estre  en  estât  de  luy  pouvoir  reprocher  ce  qu'il  me  reproche.  >i 
[Recueil  des  lettres  nouvelles,  Paris,  1634,  tom.  second,  p.  295.) 

IX.  — P.  363,  lig.  7. 

A  l'Académie...  il  vint  avec  un  chiffon  de  papier. 

Pellisson  ne  dit  pas  cela.  «Le  douzième  discours  (9  juillet  1035)  est 
»  de  M.  de  Racan,  contre  les  sciences,  t\m  a  esté  imprimé  depuis  peu. 
»  Estant  absent,  il  l'envoya  de  chez  luy  à  l'Académie.  La  lecture  en 


376  LES    HISTORIETTES. 

»  fut  faite  par  M.  de  Serizay.  »  (Hisl.  de  l'Académie,   édition  de  1700, 
p.  102.) 

X.  — P.  364,  lig.  16. 

Racan  estant  tuteur  du  petit  comte  de  Marans. 

Jean  de  Bueil,  comte  de  Marans,  marié,  en  avril  1660,  à  Françoisu 
de  Montalais,  appelée  M'"'  de  Chambellai.  Cette  dame,  étant  veuve,  eut 
le  malheur  de  tenir  sur  M"'  deGrignan  un  méchant  propos  que  M"""  de 
Sevigné  luy  a  fait  grandement  expier  en  cinquante  endroits  de  ses 
lettres. 

XI.  —  P.  364,  Hg.  pénultième. 

Le  grand  chagrin  de  ce  pauvre  homme,  c'est  qu'il  a  perdu  le  fdz  dont  il 
espérait  avoir  contentement. 

Honorât  de  Bueil,  mort  à  l'âge  de  seize  ans,  le  23  juillet  1652.  Il  fut 
enterré  à  Saint-Severin,  et  son  père  lui  fit  une  epitaphe  touchante, 
placée  dans  l'édition  de  Coustelier,  1624,  ^  la  fin  du  second  volunic. 
Elle  n'est  pas  dans  tous  les  exemplaires. 

Voici,  sur  Racan,  les  notes  fournies  à  Colbcrt  par  Chapelain  et  Costart 
en  1662. 

«  De  Racan.  Il  n'a  aucun  fond  et  ne  sçait  que  sa  langue,  qu'il  parle  bien 
»  en  prose  et  en  vers.  11  excelle  principalement  en  ces  derniers,  mais 
»  en  pièces  courtes  et  où  il  n'est  pas  nécessaire  d'agir  de  teste.  On  ne 
»  l'engageroit  pas  facilement  à  travailler,  veû  son  grand  aagc,  sesinfir- 
»  mitez  etses  procez  qui  l'exercent  depuis  vingt  ans.  »  {MHang.  de  titt., 
d'après  les  mss.  de  Chapelain,  p.  226.) 

«  De  Racan.  Le  premier  poète  de  France  pour  le  satyrique.  Il  a  si  peu 
»  de  naturel  pour  le  latin,  qu'il  n'a  jamais  pu  apprendre  son  Confiteor; 
»  et  il  dit  qu'il  est  obligé  de  le  lire  lorsqu'il  va  à  confesse.  Il  est  de  la 
»  maison  de  Bueil.  Son  père  estoit  chevalier  des  ordres  du  Roy  ;  il  a 
»  quarante  ou  cinquante  mille  livres  de  rente.  »  [!\lclangcs  de  des 
Molets,  t.  II,  p.  320.) 

Dans  les  manuscrits  de  Beaucousin,  M.  de  Monmerqué,  qui  les  a  acquis 
à  la  vente  de  M.  Boulard,  a  retrouvé  une  lettre  de  l'abbé  de  Marolles, 
dont  on  nous  saura  gré  de  placer  ici  un  long  extrait.  C'est  le  jeune 
Brienne  qui  en  avoit  fourni  la  copie  ancienne  à  Beaucousin. 

«  Je  vous  diray  que  M.  de  Racan  estoit  mal  fait  de  corps  et  brilloit 
»  peu  dans  la  conversation  :  mais  ne  laissa  pas  d'escriro  admirablement 
»  bien  en  prose  et  en  vers.  Il  estoit  très-peu  sçavant  dans  la  langue 
»  latine,  qu'il  n'eut  jamais  assez  d'esprit  pour  bien  apprendre  ;  ce  qui 
»  faisoit  qu'il  disoit  à  (ont  le  monde  qu'il  n'en  sçavoitpas  un  mot.  Cela 


RACAN    ET    AUTRES    RESVEURS.  377 

»  n'estoil  pas  véritable  :  il  enteudoit  assez  bien  les  poètes  latins  pour 
»  les  pouvoir  lire  en  leur  langue.  Cependant  il  n'en  avoit  point  dans 
»  son  cabinet  que  de  françois,  et  est  cause  en  partie  que  j'ay  tant  tra- 
»  duit  d'auteurs  latins  en  nostre  langue.  Il  avoit  tous  mes  ouvrages  et 
»  me  tesmoiguoit  en  faire  cas,  en  cela  bien  différent  de  ceux  qui  ne 
»  cessent  de  les  blasmer,  soit  par  jalousie,  soit  par  ignorance.  Car  mes 
»  livres  ne  sont  pas  ni  si  meschans  qu'ils  le  publient,  ni  si  bons  peut- 
»  estre  que  le  croyoit  M.  de  Fiacan. 

»  Je  ne  sçay  rien  de  particulier  de  sa  naissance,  sinon  que  feu  son 
»  perc  estoit  chevalier  des  ordres  du  Roy,  à  qui  il  donna  son  fîlz  à  l'aage 
»  de  douze  ans,  et  pour  estre  page  de  sa  chambre.  Il  fut  agréé,  mais  il 
»  ne  plut  pas  dans  la  suite  à  son  maistre,  tant  il  estoit  maladroit  et 
»  malpropre.  Cela  fit  qu'il  se  mit  tout  de  bon  à  apprendre  l'art  de  la 
»  poésie  sous  Malherbe,  qui  trouva  ses  premières  productions  assez 
»  bonnes  pour  mériter  les  sçavantes  ratures  dont  sa  main  n'estoit  pas 
»  chiche;  car  jamais  personne  ne  barbouilla  plus  de  papier  que  luy,  et 
»  il  luy  arrivoit  souvent  de  changer  le  biouenpis,  dont  je  pourroisvous 
»  citer  plusieurs  exemples  si  je  n'apprehendois  d'être  trop  long  et  trop 
»  prolixe  dans  un  billet.  A  propos  de  prolixe,  c'est  un  vieux  mot,  mais 
»  il  me  fasche  fort  de  ne  m'en  oser  servir  aussy  souvent  que  je  le  souhait- 
»  terois.  Il  est  si  doux  à  l'oreille  !  Pourquoy  veut-on  le  bannir  de  nostre 
»  langue  ? 

»  Voylà  donc  M.  de  Racan  initié  poète  par  Malherbe.  Il  ne  pouvoit 
»  pas  naistre  sous  une  plus  heureuse  constellation,  ny  estre  formé  d'une 
1)  meilleure  main.  Il  fit  en  peu  de  temps  un  progrès  très-considérable, 
»  et  je  vous  dois  dire  que  le  bon  mot  que  vous  avez  sans  doute  remar- 
»  que  dans  la  poétique  du  P.  Rapin,  jésuite,  m'a  esté  volé,  non  par  luy 
»  à  la  vérité,  mais  par  quelque  autre  larron  qui,  me  l'ayant  ouy  dire, 
»  le  luy  a  rapporté,  peut-estre  comme  estant  de  son  invention,  quoy 
»  qu'il  soit  purement  de  la  mienne.  Car  j'avois  escrit  le  premier,  dans 
»  mes  Eloges  des  hommes  illustres  que  je  me  propose  de  donner  au  pu- 
»  blic,  si  toutefois  mon  grand  aage,  qui  est  ma  plus  considérable  ma- 
»  ladie,  ne  m'en  empesche;  j'avois, dis-je,  escrit  le  premier,  enparlant 
»  de  M.  de  Racan,  qu'il  estoit  né  poète  sans  le  sçavoir,  et  ne  s'en  feust 
»  peut  estre  jamais  apperceu  si  le  peu  de  satisfaction  que  le  Roy  son 
»  maistre  tesmoignoit  avoir  de  ses  services,  ne  luy  eust  donné  l'envie 
»  d'essayer  à  faire  des  vers,  pour  se  distinguer  au  moins  par  là  de  ses 
»  camarades.  Ce  rayon  céleste  (a)  (c'est  le  bon  mot  que  je  me  plains 
»  qu'on  m'a  volé)  estoit  tombé  dans  son  esprit;  ilnesçavoit  rien,  mais 
»  il  estoit  poète.  Il  eut  bien  desconcurrens  et  peu  de  semblables. 

(a)  Le  P.  Rapin  a  retranché  céleste  de  cette  belle  période,  parce  que  cela  s'en- 
tend assez.  Pour  moy,  j'eusse  mis  :  <•  Ce  rayon  rstoil  tombe  du  «iel  d.nns  son 
"  esprit,  <'ar,  etc.  •■  (A'otc  de  M.  de  Briennc.) 


378  LES     HISTORIETTES. 

»  A  peine  eust-on  veu  à  la  Cour  les  premiers  essays  de  sa  muse,  que 
»  tout  le  monde  en  devint  amoureux,  jusqu'à  donner  mesme  de  la 
»  jalousie  à  Malherbe,  qui  croyoit  devoir  estre  seul  adoré;  mais  il  se 
1)  trompoit  beaucoup  à  mon  sens.  Racan  l'auroit  surpassé  sans  doute, 
»  s'il  ne  se  fust  obstiné  à  le  suivre  trop  en  esclave,  et  au  lieu  d'estre  le 
»  lacquais  ou  le  page  de  Malherbe,  nom  que  les  railleries  des  courtisans 
»  luy  imposèrent,  i)arcc  (ju'on  croyoit  le  jeune  Racan  beaucoup  plus 
»  à  la  suite  de  son  maistrc  Malherbe  qu'à  celle  du  Roy...  si,  dis-je,  il 
»  eusteu  assez  d'audace  pour  ne  se  pas  croire  inférieur  à  son  maistre, 
»  il  l'auroit  sans  doute  autant  surpassé  que  Virgile  surpasse  Theocrite 
»  et  Hésiode  dans  ses  tendres  Bucoliques  et  ses  divines  Georgiques. 

»  Je  ne  sçay  pas  bien  quelle  fut  la  première  pièce  de  M.  de  Racan, 
»  mais  je  sçay  bien  que  le  progrès  qu'il  fit  dans  la  poésie  surprit  Mal- 
»  herbe  son  maistre,  en  mesme  temps  qu'il  estonnoit  toutes  les  per- 
»  sonnes  qui  ne  connoissoient  le  jeune  Racan  que  par  sa  stupidité  et 
»  sa  malpropreté  naturelles.  Mais  s'il  a  eu  ces  deffauts,  peu  considéra- 
»  blés  pour  un  poète,  ils  ont  esté  tellement  estouffés  sous  la  grandeur 
»  de  sa  réputation  et  obscurcis  par  l'éclat  de  ses  vers,  que  je  ne  m'en 
»  suis  jamais  apperceu,  ((uoique  je  sois  un  des  hommes  du  monde  qui, 
»  en  qualité  de  voisin  et  d'ami  particulier,  ait  le  plus  conversé  avec 
»  luy. 

»  De  vous  dire.  Monsieur,  s'il  a  esté  mareschal  de  camp  ou  seule- 
»  ment  mareschal  de  bataille,  c'est  ce  que  je  ne  puis  bien  décider;  je 
»  sçay  bien  que  c'est  l'un  ou  l'autre.  Pour  mareschal  de  bataille,  j'en 
»  suis  très-certain,  et  je  n'ay  pas  peine  à  croire  qu'ayant  sei-vi  aux 
»  guerres  de  Languedoc  et  deDauphiné,  sous  le  connestable  de  Lesdi- 
»  guiercs  et  le  malheureux  duc  de  Montmorency,  où  il  fit  connaissance 
»  avec  MM.  de  Termes  et  Bussy  de  Bourgogne,  tous  deux  attachés  à  la 
)•  personne  de  cet  illustre  gouverneur  du  Languedoc;  je  ne  doute  pas, 
»  dis-je,  qu'il  n'ait  obtenu  facilement,  par  leur  moyen,  le  brevet  de 
»  mareschal  de  camp  dont  vous  estes  en  peine.  Mais  je  ne  vous  l'ose- 
»  rois  assurer,  ])our  n'en  avoir  moy-mcsme  nulle  certitude,  etc. 

»  L'abbé  de  Villeloin. 
>>  te  10  mars  1677.  •< 

La  maison  de  Biieil  est  une  de  celles  qui  ont  fourni  le  plus  de  grands 
hommes. 

La  première  branche  finit  dans  le  xvii*  siècle  avec  le  neveu  de  Claude 
de  Bueil,  dit  le  chevalier  de  Bueil,  dont  on  a  déjà  parlé.  Celui-ci  ctoit 
frère  de  la  célèbre  comtesse  de  Moret,  maîtresse  de  Henry  IV.  {Ilistor., 
tom.  I,  p.  155-1G3.) 

Ala  seconde  brandie,  celle  des  seigneurs  de  lM>ntaines,  détacliée  de  la 
première  à  la  (in  du  xn'^  siècle,  appartenoit  Jean  de  Bueil,  seigneur  de 


M.     DE    BRANCAS.  379 

Fontaines,  dont  le  fils  aîné  fut  Honorât  de  Bueil,  père  d'Anne  de  Bueil, 
femme  du  duc  de  Bellegarde,  et  cousine  germaine  de  Racan. 

Le  quatrième  fils  de  Jean  do  Bueil  fut  Louis  de  Bueil,  seigneur  de 
Racan,  qui  n'eut  d'autre  fils  que  notre  poëte. 

De  sa  femme  Magdelaine  du  Bois,  Racan  eut  deux  fils  et  une  fille. 
Celle-ci  épousa,  en  1658,  Claude  de  la  Riviere-Montigny,  sieur  de  la 
Bresche.  Le  second  fils,  Antoine,  dit  le  chevalier  de  Bueil,  ne  fut  pas 
marié.  L'aîné,  Antoine  de  Bueil,  seigneur  de  Racan  après  son  père^ 
et  baron  de  Fontaines-Guerin,  eut  deux  enfans,  dont  le  second,  Pierre 
de  Bueil,  colonel  du  régiment  de  Bueil,  paroît  avoir  continué  la  posté- 
rité, après  la  mort  de  son  frère,  tué  en  1709  ;\  la  bataille  de  Mal- 
plaquet. 

Aujourd'hui  cette  grande  et  illustre  maison  paroît  éteinte, 

XII.  —  P.  366,  lig.  26. 

M.  de  Brancas,  filz  du  duc  de  Villars. 

Charles,  comte  de  Brancas,  dont  nous  avons  rappelé  les  ancêtres  et 
les  descendans,  à  la  fin  de  l'Historiette  de  sa  mère.  M""*  de  Villai-s. 
(Tom.  I,  p.  218.) 

Il  fut,  en  1661,  nommé  chevalier  d'honneur  de  la  Reine-mère.  C'est 
le  fameux  distrait  de  M°"^  de  Sevigné,  le  Menalque  de  la  Bruyère.  Mais 
M""*  de  Sevigné  parloit  de  Brancas  longtemps  après  la  rédaction  des 
Historiettes,  et  la  Bruyère  plusieurs  années  après  sa  mort.  Les  souve- 
nirs de  des  Réaux  ont  donc  encore  un  intérêt  particulier.  Bussy,  dans 
ine  lettre  écrite  au  marquis  de  Trichateau,  le  30  avi'il  1680,  dit:  «  Le 
Roy  vient  de  donner  cent  raille  francs  à  Brancas,  pour  le  recompen- 
ser de  la  charge  de  chevalier  d'honneur  de  la  Reyne-mere,  qu'il  avoit 
perdue  par  sa  mort,  après  l'avoir  achetée  vingt  mille  escus...  Ce  n'est 
>  pas  que  j'estime  Brancas;  il  a  de  la  qualité  et  de  l'esprit,  à  ce  qu'on 
dit  :  mais  il  a  un  air  important  qui  feroit  haïr  le  cavalier  du  monde 
le  plus  accomply;  de  plus,  il  est  d'ordinaire  assez  distrait,  et  comme 
)  il  a  vu  que  ses  resveries  ont  fait  rire  le  Roy  quelquefois,  il  les  a 
)  outrées  pour  se  faire  un  mérite  d'une  imperfection  qui  faisoit  parler 
de  luy,  n'y  pouvant  réussir  par  de  meilleures  voies.  »  (Msc.  de  la 
Biblioth.  nat.) 

XIII.  —  P.  367,  lig.  11. 

Des  voleurs  l'arrestcrent  par  (a  bride. 

Cela  est  moins  invraisemblable  que  la  variante  donnée  par  la  Bruyère  : 
«  Menalque  levient  une  fois  de  la  campagne  ;  ses  laquais  en  livrée 
»  cntrefircnnent  do  le  voler  et  y  réussissent.  Ils  descendent  de  son  car- 


380  LES    HISTORIETTES. 

»  rosse,  luy  portent  un  bout  de  flambeau  sous  la  gorge,  luy  demandent 
»  la  bourse,  et  il  la  rend.  Arrivé  chez  soi,  il  raconte  son  aventure  à  ses 
»  amis,  qui  ne  manquent  pas  de  l'interrompre  sur  les  circonstances,  et 
»  il  leur  dit  :  Demandez  à  mes  gens;  ils  y  estaient.  » 

L'histoire  du  carrosse  de  M.  d'Hequetot  est  également  dans  la 
Bruyère:  «  Menalque  descend  du  palais,  et  trouvant  au  bas  des  degrés 
»  un  carrosse  qu'il  prend  pour  le  sien,  il  se  met  dedans.  Le  cocher 
1)  touche,  etc.  » 

Odet  d'Harcourt,  comte  de  Croisy,  marquis  de  Thury  et  gouverneur 
de  Falaise,  mourut  en  novembre  1661.  Il  etoit  frtre  de  Gilonne  d'Har- 
court, la  célèbre  marquise  de  Pionnes  puis  comtesse  de  Fiesque,  et  de 
François  d'Harcourt,  marquis  de  Beuvron.  Loret,  souvent  plus  malin 
(ju'il  n'en  a  l'air,  pourroit  bien  avoir  voulu  rappeler  le  conte  de  Yavoine 
et  du  foin,  quand  il  dit,  en  annonçant  la  mort  de  Croisy  : 

II  estoit  (lu  sang  des  Beuvrous 
lit  valoit  seul  quatre  barons, 
Estant  fort  riche  on  héritages, 
Pommes,  lilés,  foin  et  iiaturages, 
Dont  audit  pays  les  fermiers 
Rendent  par  an  de  grands  deniers. 

(Mtisc  historique  du  19  noveml)re  1661.) 

La  Bruyère  a  encore  forcé  l'histoire  du  jour  de  noces  :  «  Menalque  se 
»  marie  le  matin,  l'oublie  le  soir  et  découche  la  nuit  de  ses  noces.  » 

La  femme  que  choisit  le  comte  de  Brancas  ne  s'etoit  élevée  que  par 
son  premier  mariage.  C'etoit  Suzanne  Garnier,  fille  de  Matthieu  Garnier, 
trésorier  des  parties  casuelles,  et  sœur  de  M""'  d'Orgere  et  d'Oradour, 
dont  on  parlera  ailleurs.  En  premières  noces,  elle  avoit  épousé  François 
de  Brecey,  seigneur  d'Isigny,  en  Normandie,  et  non  pas  François  de 
Brezé,  comme  écrit  la  Chesnaye  des  Bois.  Les  premiers  n'avoient  rien 
de  commun  avec  les  seconds.  Cette  M""*  de  Brancas  a  été  rendue  cé- 
lèbre par  un  grossier  libelle  en  vers  :  Les  Amours  de  AP^'  de  Brancas, 
inséré  dans  la  plupart  des  éditions  des  Amours  des  Gaules. 

Pour  le  comte  de  Brancas,  il  n'etoit  pas  seulement  distrait  ou  rê- 
veur, on  verra  dans  plusieurs  Historiettes  qu'il  aimoit  les  femmes  et 
«lu'il  en  etoit  assez  bien  traité.  Il  aimoit  aussi  le  jeu  :  " 

L'autre  jour,  près  <Ies  Bernardins, 
On  me  dit  qu'un  de  nos  lilondins, 
Que  monsieur  de  Brancas  on  nomme, 
Avoit  «nttrappé  grosse  somme 
Au  jeu  de  caries  et  de  dez, 
Où  plusieurs  furent  eschaudez, 
Y  gagnant  ledit  personnage 

Six  mille  esrus  et  davantage 

(Loret,  Mmr  historique,  h  octobre  1hS2.) 


LA    FOIVTAIXE.  381 

XIV.  —  p.  368,  lig.  13. 


La  Fontaine. 


Il  ne  faut  pas  oublier  qu'à  l'époque  de  la  rédaction  de  cette  Histo- 
riette, la  Fontaine,  âgé  de  trente-six  ans,  n'avoit  encore  publié  que  la 
traduction  de  VEunuque  de  Térence,  en  165^i. 

A  la  suite  de  VEpitre  au  Surintendant  &ur  l'entrée  de  la  Reine,  par 
la  Fontaine,  des  Réaux  lui-même,  sur  un  exemplaire  arrivé  à  M.  de 
Monmerqué  a  écrit  la  note  suivante  :  'i  La  femme  de  la  Fontaine  est 
»  niepce  de  Jannard,  substitut,  qui  fait  la  charge  de  procureur  général 
»  au  lieu  de  M.  Fouquet.  Elle  luy  a  donné  entrée  chez  le  Surintendant, 
»  qui  l'employé  à  faire  en  vers  la  description  de  Vaux.  Cependant,  la 
»  Fontaine  s'e?t  obligé  à  luy  envoyer  quelque  bagatelle  tous  les  quar- 
»  tiers,  comme  on  paye  les  rentes.  Or,  le  Surintendant  n'ayant  pas 
»  voulu  se  trouver  à  l'entrée  de  la  Reyne,  en  qualité  de  procureur  ge- 
»  néral  du  Parlement,  la  Fontaine  luy  en  fit  une  relation.  » 

On  lit  aussi  quelques  détails  non  relevés  par  M.  Walckenaer,  sur 
la  Fontaine,  dans  Le  livre  sans  nom.  divisé  en  cinq  dialogues;  Paris, 
1695.   Ce  livre  est  attribué  à  l'auteur  de  YArleqtiiniana,   Cotolendi. 

«Qui  diroit  au  bon  La qu'il  est  visionnaire,  il  se  fascheroit; 

mais  qu'on  luy  dise  qu'il  a  l'esprit  toujours  plein  de  belles  idées,  il 
fait  un  rire  gracieux  qui  montre  bien  qu'on  le  chatouille  au  bon  en- 
droit. Cependant,  au  fond,  c'est  un  visionnaire  ;  il  n'est  jamais  où 
on  le  voit,  tousjours  abstrait  quand  on  luy  parle,  et  au  lieu  de  re- 
pondre à  ce  qu'on  luy  demande,  il  fait  à  tout  moment  des  spropositi 
ridicules.  —  On  me  l'a  dépeint,  tel  que  vous  dites, ....  mais  aussy 
ne  luy  en  fait-on   point  accroire  ;  je  l'ay  trouvé  d'assez  bon  sens 
autrefois,  et  il  n'avoit  point  ces  abstractions  que  vous  luy  donnez.  — 
)  Il  en  a  présentement  jusqu'au  point...  qu'au  sortir  du  disner  avec 
)  ses  amys,  il  ne  les  connoist  pas  dans  la  rue.  Un  soir,  luy  et  moy 
I  fusmes  au  convoy  du  pauvre  Miton  ;  huict  jours  après,  il  alla  chez 

>  luy  demander  à  sa  niepce  des  nouvelles  de  sa  santé.  Rien  davantage, 
)  il  avoit  un  procès  assez  considérable  qu'on  devoit  juger  un  certain 

>  jour.  M.  de  M...,  son  amy,  luy  envoya,  à  la  campagne  où  il  estoit, 
)  un  cheval  pour  venir  solliciter  les  juges;  en  chemin,  il  oublia  son 
)  procès  :  il  s'arresta  à  une  lieue  de  Paris,  chez  un  de  ses  amys,  où  il 
)  parla  de  vers  toute  la  nuict.    Le  lendemain,  il  n'arriva  qu'à  dix 

heures  du  matin  que  les  juges  estoient  au  Palais  ;  il  n'en  trouva  pas 
un.  Comme  M.  de  M...  luy  reprochoit  sa  négligence,  il  luy  respon- 
dit  qu'il  estoit  bien  aise  de  n'avoir  trouvé  personne,  qu'aussy  bien, 

D  il  n'aimoit  point  à  parler  ny  à  entendre  parler  d'affaires,  »   {Livre 

s/ins  nom.  p.  130.) 


SS'i  LES    HISTORIETTES. 

XV.  —p.  370,  lig.  15. 
Une  abbesse  s'estant  retirée  dans  la  ville. 

Je  crois  que  par  abbesse,  dans  l'iutérôt  de  la  morale,  il  faut  en- 
tendre ici  «  la  maîtresse  d'un  mauvais  lieu.  »  C'est  en  eftet  le  nom  hon- 
nête que  ces  dames  prenoient  déjà  ;  et  des  Réaux  auroit  apparemment 
dit  :  «  l'abbesse  de  je  ne  sais  quel  couvent,  »  s'il  s'etoit  agi  d'une  per- 
sonne de  religion.  Il  y  a  toutefois,  dans  le  recueil  des  Œuvres  de  la 
Fontaine,  une  epître  adressée  en  1G58  t\  une  abbesse  de  Rrabant,  où  il 
s'excuse  de  ne  pouvoir  traverser  les  lignes  ennemies  qui  les  sépaient. 

Terminons  cette  Historiette,  trop  courte  mais  bien  précieuse,  par  les 
touchantes  lignes  que  le  chanoine  Maucroix,  ami  commun  dedesRéaux 
et  du  poëte  champenois,  avoit  tracées  au  moment,  pour  ainsy  dire,  où 
il  apprit  la  mort  de  la  Fontaine.  Déjà  Louis  Paris  les  avoit  publiées 
en  1842,  dans  le  premier  extrait  des  Mémoires  de  Maucroix,  fait 
pour  la  Société  des  Bibliophiles  de  Reims. 

«  Le  13  mars  169/i,  mourut  à  Paris  mon  très-cher  et  très-fidele  amy, 
»  M.  de  la  Fontaine.  Nous  avons  esté  amis  plus  de  cinquante  ans,  et 
»  je  remercie  Dieu  d'avoir  conduit  l'amitié  extresme  que  je  lui  portois 
»  jusques  à  une  aussi  grande  vieillesse,  sans  aucune  interruption  ny 
»  aucun  refroidissement;  pouvant  dire  que  je  l'ay  tousjours  tendre- 
»  ment  aimé,  et  autant  le  dernier  jour  que  le  premier.  Dieu,  par  sa 
»  miséricorde,  le  veuille  mettre  dans  son  saint  repos  !  C'estoit  l'ame  la 
»  plus  sincère  et  la  plus  candide  que  j'aye  jamais  connue;  jamais  de 
»  déguisement  ;  je  ne  sçay  s'il  a  menty  de  sa  vie.  C'estoit  au  reste  un 
»  très  bel  esprit,  capable  de  tout  ce  qu'il  vouloit  entreprendre.  Ses 
»  Fables,  au  sentiment  des  plus  habiles,  ne  mourront  jamais  et  luy 
»  feront  honneur  dans  toute  la  postérité  !  » 

Que  pourroit-on  ajouter  à  de  telles  paroles? 


XCVIll. 


BOISROBERT. 

[François  le  Melel  de  Boisrobert,  ne  à  Caen,  vers  1592,  mort  le 
30  mars  1662). 

Boisrobert  se  nomme  Metel.  11  est  filz  d'un 
procureur'  de  Rouen,  qui  estoit  Huguenot;  il  Fa 
esté  luy-mesme  aussy.  11  se  mit  au  barreau  à  Rouen. 
Un  jom%  estant  prest  à  plaider,  une  maquerelle  le 
vint  advertir  qu'une  fille  l'accusoit  de  luy  avoir  fait 
deux  enfans.  Il  ne  laissa  pas  de  plaider,  et  après  il 
va  pour  se  défendre;  mais  ayant  eu  avis  que  le 
juge  d'une  petite  justice  par-devant  lequel  il  avoit 
esté  assigné,  le  vouloit  faire  arrester,  il  se  sauve, 
vient  à  Paris,  et  s'attache  au  cardinal  du  Perron  ^, 
puis  au  cardinal  de  Richelieu,  qui  ne  le  goustoit 
point,  et  plusieurs  fois  il  gronda  ses  gens  de  ne  le 
pas  desfaire  de  cet  homme.  «  Hé  !  Monsieur,  »  luy 
dit  Boisrobert ,  qui  a  tousjours  esté  lasche,  «vous 
»  laissez  bien  manger  aux  chiens  les  miettes  qui 
»  tombent  de  vostre  table.  Ne  vaux-je  pas  bien  un 
»  chien  '■  ?  » 

'  Dans  une  epistre,  il  fait  son  père  advocat. 

2  II  fut  à  la  Reyne-mere,  et  comme  elle  estoit  à  Blois,  il  eut  ordre  de 
traduire  le  Pastor  Fido.  L'intention  de  la  Reyne  estoit  de  faire  sem- 
blant de  s'amuser  à  faire  jouer  des  comédies,  pour  cmpescher  M.  de 
Luynes  d'avoir  du  soupçon  d'elle.  Mais  Boisrobert  ayant  demandé  six 


384  LES    HISTOIUETTES. 

Boisrobert,  pour  subsister  à  la  Cour,  s'avisa 
d'une  subtile  invention  ;  il  demanda  à  tous  les 
grands  seigneurs  de  quoy  faire  une  bibliothèque. 
Il  menoit  avec  luy  un  libraire  qui  recevoit  ce  qu'on 
donnoit,  et  le  luy  rendoit  moyennant  tant  de  pa- 
raguante.  Il  a  confessé  depuis  qu'il  avoit  escro- 
qué cinq  ou  six  mille  francs  comme  cela\  On  n'a 
os,é  mettre  le  conte  ouvertement  dans  Francion, 
mais  on  l'a  mis  comme  si  c'eust  esté  un  musicien 
qui  eust  demandé ,  pour  faire  un  cabinet  de  toute 
sorte  d'instrumens  de  musique. 

Il  devint  chanoine  de  Saint-Ouen  de  Rouen.  Il 
fut  assez  imprudent  pour  faire  quelque  raillerie  du 
Chapitre  ;  mais  le  Chapitre  luy  en  fit  faire  une 
espèce  d'amende  honorable  en  présence  de  tous  les 
Chanoines. 

M""  de  Toussy,  aujourd'huy  M'"'  la  mareschale  de 
la  Motte ,  tomba  malade  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Amand  de  Rouen,  dont  sa  tante  estoit  abbesse. 
Boisrobert,  chanoine  de  Nostre-Dame,  promit  à  la 
malade  que  l'on  ne  sonneroit  point  les  cloches  de 
l'église  cathédrale  de  cette  ville  là,  le  jour  de  la 
Vierge  ;  il  ne  put  l'obtenir.  Le  lendemain  il  envoya 


mois,  on  luy  dit  :  «  Vous  n'estes  pas  notre  fait.  »  A  propos  de  la 
Delà  maison  de  r Au-   Reync-mere,  Verderonne*  dit  un  jour  à  Boisrobert  :  «  J'ay  esté  page 
bespine.  ,,  ^^  ^^  Reyne-mere.  —  Hé  quoy  !  »  luy  dit  Boisrobert,   «  se  peut-il 

»  que  vous  ayez  esté  page  de  la  Reyne-mere,  et  que  je  ne  vous  aye 
»  point  connu  ?  »  Comme  vous  verrez ,  on  l'a  accusé  d'aimer  les 
pages. 

^  Boisrobert   dit  qu'ayant  demandé  les  Pères  à  M.  de  Candale,  il 
luy  respondit  :  «  Je  vous  donne  le  mien  de  bon  cœur.  » 


BOISUOBliRÏ,  585 

des  vers  sur  cela  à  M""  de  Toassy,  où  il  luy  disoitque 
M"*-"  de  Beuvron  (c'est  aujourd'huy  M'""  d'Arpajon), 
sa  rivale  en  beauté,  avoit  par  son  crédit,  comme 
fille  du  gouverneur  du  vieux  Palais ,  empesché  cjue 
le  Chapitre  ne  fist  cette  galanterie  ;  elle  esperoit 
que,  son  mal  continuant,  ses  appas  en  diminueroieiit. 
Les  Chanoines  furent  assez  sots  pour  se  mettre  en 
colère  contre  Boisrobert  :  il  fut  interdit;  il  en  ap- 
pella  comme  d'abus  ;  enfin  on  dit  au  Chapitre  qu'il 
se  tourneroit  en  ridicule,  et  l'interdiction  fut  levée. 

Il  dit  que,  de  ce  temps-là,  on  s'avisa  de  jouer 
dans  un  quartier  de  Rouen  une  tragédie  de  la  Mort 
d'Ahel.  Une  femme  vint  prier  que  son  filz  en  fust, 
et  qu'elle  fourniroit  ce  qu'on  voudroit.  Tous  les  per- 
sonnages estoient  donnez,  cependant  les  offres  estoient 
grandes;  on  s'avisa  de  luy  donner  le  personnage 
du  Sang  d'Ahel.  On  le  mit  dans  un  porte-manteau 
de  satin  rouge  cramoisy ,  on  le  rouloit  de  derrière  le 
théâtre,  et  il  crioit  :  «  Vengeance  !  vengeance!  ^  » 

11  conte  encore  qu'ayant  fait  un  voyage  à  Rome, 
et  ayant  salué  jusqu'à  se  prosterner  un  certain  car- 
dinal Scaglia,  qui  ne  luy  rendit  point  son  salut,  il 
crut  qu'il  y  alloit  de  l'honneur  de  la  nation,  surtout 
ayant  deux  estafiers  après  luy.  La  première  fois  donc 
qu'il  rencontra  ce  Cardinal,  il  enfonça  son  chapeau 
et  le  regarda  effrontément  entre  les  deux  yeux  sans 
le  saluer.  Le  Cardinal  en  colère  fait  courir  après 

1  II  dit  qu'un  homme  de  sa  connoissance  avoit  mis  toute  la  Bible  en 
vaudevilles  qu'on  appelle  Guéridons.  Et  il  en  sçait  quelques  vers  qu'il  a 
bien  la  mine  d'avoir  faits. 

II.  25 


386  LES     HISTORIETTES. 

Iiiy  :  il  se  sauve  dans  une  église.  Le  Cardinal  s'ex- 
cusoit  sur  sa  mauvaise  veûe  pour  la  première  fois,  et 
disoit  qu'à  la  seconde  quel  coglion  l'havea  vitupe- 
rato.  Il  fallut  capituler,  et  il  en  fut  quitte  pour 
saluer  à  l'avenir  le  Cardinal  fort  humblement. 

Il  y  avoit  alors  un  gentilhomme  breton  à  Rome, 
à  qui  il  prit  une  telle  haine  pour  les  Prostrés  et 
surtout  pour  les  Cardinaux,  que  quand  il  prenoit 
un  cocher,  c'estoit  à  condition  de  n'arrester  point 
devant  eux  ;  tous  le  luy  promettoient ,  mais  ils  luy 
manquoient  tous  de  parole  ;  et  luy  se  mettoit  à 
pisser  quand  ils  arrestoient.  Les  Cardinaux  ne  fai- 
soient  qu'en  rire,  et  chascun  le  monstroit  au  doit. 
Non  content  de  cela,  il  fit  venir  le  curé  de  son  vil- 
lage, par  belles  promesses,  et  quand  il  fut  à  Rome, 
il  l'intimida  tant  qu'il  l'obhgea  à  se  faire  doyen  de 
Laquais  suivans,  ?i  ses  estafiei's  *,  avcc  une  soutanille  qui  ne  luy  alloit 

Rome.  '  i  j 

qu'au  genouil.  On  s'en  plaignit  à  l'ambassadeur 
de  France ,  qui  envoya  quérir  ce  maistre  fou. 
«  Monsieur,  »  luy  respondit  nostre  homme ,  «  c'est 
»  que  j'ay  cru  que  je  ne  pouvois  mieux  humilier  les 
»  Prestres  qu'en  faisant  un  prestre  estafier,  et  puis- 
»  qu'ils  le  prennent  là,  je  le  feray  le  dernier  de 
»  tous  les  miens.  Il  m'a  cousté  deux  cens  escus  à 
»  le  faire  venir,  je  n'ay  garde  d'avoir  employé  cet 
»  argent  pour  rien.  »  Enfin  on  fut  contraint  de  faire 
évader  ce  prestre'. 

Boisrobcri.  "•  Un  jour  qu'il  *  cstoit  avec  le  Cardinal,  alors  evesque  de  Luçon, 

on  apporta  des  chapeaux  de  castor.  L'Evesque  en  choisit  un  : 
«  Me  sied-il  bien  ,   Boisrobort?  —  Ouy,  mais  il  vous  sieroit  encore 


BOISROBERT.  387 

Boisrobert  alla  en  Angleterre  avec  M.  et  M"'^  de 
Ghevreuse ,  au  mariage  de  Madame  *,  pour  y  at-  '^"  ^^-'*- 
trapper  quelque  chose.  Il  y  tomba  malade,  et  fit  une 
élégie  oii  il  appelloit  l'Angleterre  un  climat  barbare. 
Estourdiment  il  la  monstra  à  M""*  de  Ghevreuse, 
qui,  aussy  sage  que  luy,  alla  dire  au  comte  de  Gar- 
lile  et  au  comte  d'Hollant  qu'il  avoit  fait  une  élé- 
gie, et  la  luy  envoya  demander  pour  la  leur  mons- 
trer.  Il  respondit  qu'il  ne  l'avoit  point  et  que,  quand 
il  l'auroit ,  elle  sçavoit  bien  qu'il  ne  devoit  point 
l'avoir.  «  Ah  !  »  leur  dit-elle,  «  vous  ne  sçavez  pas 
»  pourquoy  il  ne  la  veut  pas  donner,  c'est  qu'il  y 

»  mieux  s'il  estoit  de  la  couleur  du  nez  de  votre  aumosnier.  »  C'estoit 

M.  Mulot*,  alors  présent,  qui  depuis  ne  le  pardonna  jamais  à  Boisro-  voy.  Historiette  de 

bert.  Une  fois  ce  pauvre  M.  Mulot  qui  aimoit  le  bon  vin,  en  attendant  Richelieu. 

l'heure  d'un  desjeusner,  alla  à  la  messe  à  l'Oratoire.  Par  malheur, 

c'estoit  M.  de  Berulle,  depuis  cardinal  qui ,   avant  que  de  consacrer, 

s'amusa  à  faire  je  ne  sçay  combien  de  méditations.  Mulot  enrageoit, 

car  il  voyoit  bien  que  tout  seroit  mangé.  Enfin,  après  que  tout  fut  dit, 

tout  furieux  il  s'en  va  trouver  M.  de  Berulle  :  «  Vrayment,  »  luy  dit-il, 

«  vous  estes  un  plaisant  homme  de  vous  endormir  comme  cela  sur  le 

»  calice  :  allez,  vous  n'en  valez  pas  mieux  pour  cela.  » 

—  Une  fois  que  le  Conseil  estoit  au  pavillon  de  Charenton,  il*  pria  m.  Mulot. 

M.  d'Effiat,  alors  premier  escuyer  de  la  Grande  escurie,  de  l'y  mener 
pour  quelque  afTaire.  D'abord  Mulot  fut  expédié,  car  on  luy  refusa  ce 
qu'il  demandoit.  Chagrin  du  mauvais  succez,  il  presse  peu  civilement 
d'Effiat  de  s'en  retourner.  «  Je  n'ay  pas  fait  encore.  — Ah!  me  voulez- 
»  vous  laisser  à  pié?  —  Non,  mais  ayez  patience.  »  Il  grondoit. — «Ah! 
»  mons  de  Mulot,  mous  de  Mulot,  »  dit  d'ElBat  avec  son  accent  d'Au- 
vergnac.  «  —  Ah  !  nions  Fiat,  nions  Fiat,  »  respond  Mulot,  «quiconque 
»  m'allongera  mon  nom,  je  luy  accourciray  le  sien  ;  »  et  tout  en  colère 
s'en  alla  à  pié. 

— Un  jour  qu'il  avoit  bien  la  goutte,  Boileau*  rencontra  son  laquais  :   Giies  Boiieau,  frère 
«  Comment  se  porte  ton  maistre  ?  »  luy  dit-il.  <(  —  Monsieur,  il  souffre    ^'°^   ^    espreaux. 
»  comme  un  damné.  —  Il  jure  donc  bien?  —  Monsieur,  »  répliqua 
naïfvement  le  laquais,  «  il  n'a  de  consolation  que  celle-là  dans  son 
»  mal.  » 


388  LES    HISTORIETTES. 

»  appelle  l'Angleterre  un  climat  barbare.  »  Le  comte 
de  Gaiiile  ne  se  tourmenta  pas  autrement  de  cela, 
mais  le  comte  d'Hollant,  qui  pretendoit  en  galante- 
rie, en  querella  Boisrobert  la  première  fois  qu'il  le 
vit,  et  mesme  en  présence  de  M""'  de  Chevreuse. 
Boisrobert  s'excusa,  et  dit  qu'il  tenoit  pour  bar- 
bares tous  les  lieux  où  il  estoit  malade ,  et  qu'il  en 
auroit  dit  autant  du  paradis  terrestre  en  pareille 
occasion ,  «  et  depuis  que  je  me  porte  bien ,  et  que 
»  le  Roy  m'a  fait  la  grâce  de  m' envoyer  trois  cens 
»  jacobus ,  je  trouve  le  climat  fort  raddoucy.  »  Le 
comte  de  Carlile  oyant  ce  qu'il  disoit ,  dit  :  «  Cela 
»  n'est  pas  mal  trouvé  ;  »  mais  l'autre  enrageoit. 
Au  retour,  ils  accompagnoient  M'"*'  de  Chevreuse, 
et  Boisrobert,  à  quelques  milles  de  Londres,  en 
montant  un  costau  qui  est  sur  le  bord  de  la  Tamise, 
dit ,  comme  tout  le  monde  avoit  descendu  à  cause 
que  le  chemin  estoit  fort  rude  ;  «  Mon  Dieu  ! 
»  Madame,  le  beau  pays  !  —  C'est  pourtant  un 
»  climat  barbare,  »  dit  le  comte  d'Hollant,  qui  avoit 
tousjours  cela  sur  le  cœur. 

Boisrobert  avoit  achepté  quatre  haquenées  ;  il  fit 
demander  par  M"'"  de  Chevreuse  permission  au  duc 
de  Bouquinquant ,  grand  amiral ,  de  les  faire  passer 
en  France.  Bouquinquant,  dans  le  passe-port,  ne 
put  s'empescher ,  après  ces  mots  :  quatre  chevaux, 
d'adjouster  :  pour  le  tirer  d'autant  plus  promptement 
de  ce  climat  barbare  \  Comme  Boisrobert  faisoit  un 

^  (.1/0^5  biffés.)  Je  vous  laisse  à  penser  combien  il  eust  mal  passé 
son  temps,  sans  la  considération  du  mariage. 


BOISROBERT.  389 

jour  reproche  de  cela  h  M"'"  de  Ghevreuse  :  «  Vray- 
»  ment,  »  luy  dit-elle,  «  ce  n'est  pas  la  plus  grande 
))  meschanceté  que  je  vous  ay  faitte  ;  je  vous  ay  fait 
»  contrefaire  le  comte  d'Hollant  une  fois  que  le 
»  roy  d'Angleterre  et  luy  estoient  cachez  derrière 
»  une  tapisserie.  »  Or  ce  comte  d'Hollant  disoit  : 
foulistiquer  pour  distinguer. 

Boisrobert,  bien  estably  chez  le  cardinal  de  Ri- 
chelieu, se  mit,  car  il  est  officieux,  à  servir  tous 
ceux  qu'il  pouvoit.  H  avoit  présenté  au  Cardinal  le 
Panégyrique  de  Gombaud*  :  le  Gardinal  le  prit,  le  re?"f"ie  cordo„'"d''u 

'^'^       ■*  '■  Saint-Esprit;  14  mai 

fit  mettre  auprès  de  son  lict,  et  dit  :  «  Je  m'esveille-  **^^- 
»  ray  cette  nuict,  et  je  me  le  feray  lire.  »  Ge  n'estoit 
pas  le  compte  de  Boisrobert,  et  encore  moins  de 
Gombaud ,  qu'un  garçon  apoticaire ,  qui  couchoit 
dans  la  chambre  de  son  Eminence,  leûst  cette  pièce. 
Il  se  glisse  tout  doucement  et  la  prend  ;  le  Gardinal 
s' estant  esveillé,  ne  trouve  point  le  panégyrique  ;  il 
envoyé  voir  si  Boisrobert  estoit  couché  ;  on  luy 
dit  que  non  :  Boisrobert  descend ,  luy  avoue  tout, 
et  adjouste  qu'exprès  il  ne  s'estoit  point  couché  :  il 
lut  les  vers,  qui  plurent  extresmement  au  Gardinal. 

En  ce  temps-là,  je  ne  sçay  quel  provincial  desdia 
un  livre  à  Boisrobert,  où  il  luy  donnoit  la  qualité 
de  favory  de  campagne  du  Cardinal  de  Richelieu. 
M.  d'Orléans  appclloit  du  Boulay*,  un  de  ses  offi-  siS'nm.^y^^ 
ciers,  bougre  de  campagne,  et  feu  Renaudot,  le  gazet-  *o°- 
tier,  donnoit  le  titre  de  femme  de  campagne  du  due 
de  Lorraine  à  M"*  de  Gantecroix. 

Boisrobert  tesmoigna  en  l'affaire  de  Mairct*.  que 


Historiette  «le  Gas- 


tcaii  MaIrpJ.mort  en 

1686. 


390  LES    HISTORIETTES. 

je  m'en  vais  conter^  non-seulement  de    la  bonté, 
mais   de  la  générosité.  Mairet  luy  avoit  rendu  de 
mauvais  offices  auprès  de  feu  M.  de  Montmorency, 
et  avoit  baffoué  ses  pièces  de  théâtre  ;  cependant , 
se  voyant  réduit  à  la  nécessité  ou  de  mourir  de 
faim  ou  d'avoir  recours  à  Boisrobert,  il  va  trouver 
M.  Chapelain  et  M.    Gonrart,  leur  dit  que  M.    le 
Cardinal   avoit   respondu  à   M'"°  d'Aiguillon  et  à 
M.  le  Grand-maistre,  que  Boisrobert  et  luy  feroient 
Ce  que  demandoit   cola  *,  ct  qu'lls  u'cu  parlasscut  plus  ;  qu'il  reconnois- 
soit  sa  faute,  et  que  s'ils  vouloient  parler  pour  luy 
îi  M.  de  Boisrobert,  il  pouvoitles  asseurerqu'ù  l'ave- 
nir on  auroit  tout   sujet   d'estre    satisfait  de  son 
procédé.  Ils  parlèrent  h  Boisrobert,  qui  leur  dit: 
«  Je  veux  qu'il  vous  en  ayt  l'obligation.  »  En  eifect, 
il  dit  au  Cardinal  :  «  Monseigneur,  quand  ce  ne  se- 
impiimée en  1629.    »  YoU  qu'ù   causc  dc  luSUvie*,  toutes  les  dames 
»  vous   béniront   d'avoir  fait   du  bien  au  pauvre 
»  Mairet.  »  Le  Cardinal  luy  donna  deux  cens  escus 
de  pension  ;   Boisrobert   les  porta   à  M.  Gonrart  : 
Mairet  l'en  vint  remercier,  et  se  mit  à  genoux  de- 
vant luy. 

Quand  on  fist  l'Académie,  Boisrobert  y  mit  bien 
''taux  Illustres''*"''  dos  passo  volaus  \  On  les  appelloit /es  en  fans  de  la 
pitié  de  Boisrobert  :  par  ce  moyen ,  il  leur  fit  don- 
ner pension.  11  s'appelle,  en  je  ne  sçay  quelle 
epistre  imprimée,  (car  son  volume  d'Epistres  est  ce 
qu'il  a  fait  de  meilleur),  Solliciteur  des  Muses  affli- 
gées. Il  envoyoit  souvent  la  pension  à  ces  pauvres 
diables  d'autheurs,  et  à  loisir  il  se  remboursoit.  Jl 


En  16^7.  Voy.  plus 


BOISROBERT.  391 

s'est  brouillé  bien  des  lois  avec  le  Cardinal  pour 
avoir  parlé  trop  hardiment  pour  le  tiers  et  pour  le 
quart;  mais  souvent  il  disoit  au  Cardinal  tout  ce 
qu'il  vouloit,  quoyque  le  Cardinal  ne  le  voulustpas. 
Il  sçavoit  son  foible,  et  voyoit  bien  que  S.  E.  aimoit 
à  rire. 

M.  le  mareschal  de  Vitry  ayant  esté  mis  dans  la 
Bastille*,  envoya  prier  Boisrobert  à  disner,  luy  fit  Lnu" /yîlîorieàfde 

•^         ^  "^  l'archevêque  de  Bor- 

grand  chère ,  et  luy  fit  promettre  de  dire  telle  et  •'"'""'  p-  ^^■ 
telle  chose  au  Cardinal.  Boisrobert,  le  soir,  entre 
dans  la  chambre  de  S.  E.  :  «  Ah  !  voylà  le  Bois , 
»  voylà  le  Bois,  »  dit  le  Cardinal.  (11  Tappelloit  ainsy 
à  cause  que  M.  de  Chasteauneuf,  pom'  obliger  Bois- 
robert à  le  servir  auprès  de  certaines  filles  de  sa 
connoissance ,  luy  avoit  scellé  le  don  d'un  certain 
droit  sur  le  bois  qui  vient  de  Normandie ,  quoyque 
cette  affaire  eust  esté  rebuttée  cent  fois.  )  «  Eh  bien  ! 
»  le  Bois,  quelles  nouvelles?  »  car  il  le  divertissoit  à 
luy  conter  tout  ce  qu'il  avoit  appris.  «  Monseigneur, 
»  je  vous  diray  premièrement  que  j'ay  fait  aujour- 
»  d'huy  la  plus  grande  chère  du  monde;  vous  ne 
»  devineriez  pas  où  :  à  la  Bastille,  dans  la  cham- 
»  bre  de  M.  de  Vitry.  —  Ouy  !  »  dit  le  Cardinal. 
—  «  Monseigneur ,  vous  ne  sçauriez  croire  qu'il  est 
»  devenu  sçavant.  Il  m'a  voulu  prouver  par  des  pas- 
»  sages  des  Pères ,  que  frapper  un  evesque  n'estoit 
»  pas  un  crime.  —  Ah!  le  Bois,  »  reprit  le  Car- 
dinal, «vous  estes  donc  le  censeur  du  Roy?  le  Roy 
»  a  blasmé  son  action  et  veut  qu'il  en  soit  puny.  » 
(  Notez  que  M.  de  Bordeaux  estoit  alors  mieux  avec 


392  LES     HISTORIETTES. 

le  Cardinal  qu'il  n'a  jamais  esté.)  «Ah!  vraymenl, 
»  vous  laittes  le  petit  ministre ,  je  vous  trouve  bien 
»  insolent.  —  Vous  avez  raison ,  Monseigneur ,  pu- 
»  nissez-moy,  ordonnez  tout  ce  qu'il  vous  plaira 
))  contre  moy,  si  je  parle  plus  d'affaires  d' Estât.  »  Et 
après,  pour  le  tirer  de  ce  discours  :  «  Monseigneur, 
»  vous  m'aviez  donné,  »  luy  dit-il,  «  une  telle  com- 
»  mission  :  cela  a  réussy  comme  vous  souhaittiez.  » 
11  luy  en  rendoit  compte  exactement.  «  Mais,  Monsei- 

»  gneur,  on  m'a  chargé  encore  de  vous  dire — 

»  Mais  est-ce  affaires  d' Estât?  —  Non,  ce  n'est  point 
»  affaires  d'Estat  ;  que  M.  le  mareschal  de  Vitry 
»  donnera  tant  à  sa  fille  en  mariage,  et  que  vous  luy 
»  fassiez  l'honneur  de  luy  donner  qui  vous  voudrez 
»  pour  mary.  —  Tout  beau!  le  Bois,  »  dit  le  Cardi- 
nal.—  «  Monseigneur,  »  disoit  Boisrobert  pour  rompre 
les  chiens,  «  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  me  don- 
»  ner  encore  une  telle  commission,  j'ay  fait  cecy  et 
»  cela.  »  11  luy  en  disoit  toutes  les  circonstances. 
«  A.ttendez,  Monseigneur,  j'ay  encore  eu  charge  de 
»  vous  dire  que  M.  de  Vitry  a  un  grand  garçon  bien 
»  fait,  bien  nourry,  qu'il  vous  offre  ;  ordonnez  de  luy 
»  comme  vous  voudrez.  — Ah!  le  Bois!  —  Mon- 
»  seigneur,  ma  troisiesme  commission  estoit...  »  11 
luy  parloit  encore  de  je  ne  sçay  quel  ordre  qu'il  luy 
avoit  donné.  «  Ce  vilain,  »  disoit  le  Cardinal,  «  me 
»  dira  tout,  sans  que  je  m'en  puisse  fascher.  » 
'"'•iv'chS"''''''  Sitois,  médecin  du  Cardinal*,  et  luy  se  servoient 
l'un  l'autre.  Une  fois,  à  Ruel,  Boisrobert  estoit  mal 
avec  le  Cardinal,  pour  quelque  chose  dont  il  Tavoil 


BOISROBERT.  393 

trop  pressé.  L'Eminentissime,  las  de  rentretien  de 
(juelqirun  qui  Tavoit  fort  ennuyé,  demanda  à  Sitois: 
«  Qui  est  là  dedans?  —  Il  n'y  a,  »  dit  Sitois,  «  que  le 
»  pauvre  Boisrobert  ;  je  l'ay  trouvé  tantost  dans  le 
»  parc ,  qui  alloit  se  jetter  dans  Teau ,  si  je  ne  l'en 
»  eusse  empesché.  — Faittes-le  venir,  »  dit  le  Cardi- 
nal. Boisrobert  vient,  et  luy  fait  des  contes.  Ils 
furent  meilleurs  amys  que  jamais'. 

Une  fois,  il  fit  prendre  au  Cardinal  un  page  en 
despit  de  luy.  Le  Cardinal  y  estoit  plus  délicat  que 
le  Roy ,  et  ne  vouloit  que  des  filz  de  comte  et  de 
marquis.  Un  président  de  Dijon  y  vouloit  mettre  son 
filz  :  il  en  fait  parler  par  Boisrobert ,  et  le  Cardinal 
le  rebutte.  Boisrobert  ne  laisse  pas  d'escrire  qu'on 
envoyast  ce  garçon,  le  plus  brave  qu'on  pourroit.  Il 
vient  ;  Boisrobert  dit  au  Cardinal  :  «  Monseigneur,  le 
»  page  que  vous  m'avez  promis  de  prendre  est 
»  arrivé.  —  Moy  !  —  Ouy ,  Monseigneur.  —  Je 
»  n'y  ay  pas  songé.  —  Hé  !  Monseigneur ,  parlez 
»  bas;  il  est  là;  s'il  vous  entendoit,  vous  le  deses- 
»  pereriez.  —  Moy!  je  vous  l'ay  promis? —  Ouy, 
»  Monseigneur;  ne  vous  souvient-il  pas  que  ce  fut 
»  un  tel  jour  qu'un  tel  vint  vous  faire  la  reve- 
.)  rence,  etc.?  »  Enfin  il  fut  contraint,  par  l'effron- 
terie de  Boisrobert,  de  le  prendre. 

En  revanche,  s'il  a  servy  bien  des  gens,  il  a  bien 
nuy  aussy  à  quelques-uns.   Des  Marestz  se  plaint 

1  {Mots  biffés.)  Aussy,  comme  dit  l'Histoire  do  T Académie,  Sitois 
disoit  tousjours  an  Cardinal  :  «  Tous  mes  remèdes  ne  feront  rien  s'il 
»  n'y  entre  un  peu  de  Boisrobert.  » 


39/r  LES    UlSTORllif  TliS. 

fort  de  luy;  car  il  dit  qu'en  lisant  au  Cardinal  les 
Remarques  de  Costart  sur  les  odes  de  Godeau  et  de 
Chapelain,  en  un  endroit  où  l'auteur  comparoit 
avec  les  stances  de  ces  messieurs  dix  ou  douze  vers 
d'une  pièce  au  Cardinal,  qu'il  louoit  fort,  Son  Emi- 
nence  ayant  demandé  de  qui  elle  estoit,  il  dit  de 
Marbeuf  '  ;  et  elle  estoit  de  des  Marestz.  Il  crai- 
gnoit  des  Marestz,  que  Bautru  introduisoit  chez  le 
Cardinal  et  qui,  ayant  un  esprit  universel  et  plein 
d'inventions,  estoit  assez  bien  ce  qu'il  luy  falloit. 
Mais  il  n'estoit  pas  propre  pour  faire  rire ,  et  Bois- 
robert  eust  tousjours  eu  son  véritable  employ  tout 
entier.  Il  fit  bien  pis  une  autre  fois,  car,  par  une 
malice  de  vieux  courtisan ,  il  s'avisa  de  dire  au 
Cardinal  que  ses  gardes  ne  se  contentoient  pas 
d'entrer  à  la  Comédie  sans  payer,  mais  qu'ils  y 
meinoient  encore  des  gens.  «  Ouy  !  »  dit  le  Cardinal, 
qui  vouloit  se  faire  aimer  de  ses  gardes  ;  «  on  se 
»  plaint  donc  de  mes  gardes  ?  »  Boisrobert  se  retire, 
et  en  passant  par  la  salle  des  Gardes,  il  leur  dit  que 
des  Marestz  avoit  dit  telle  et  telle  chose  contre  eux. 
Depuis  cela,  les  Gardes  poussoient  le  valet  de  des 
Marestz  aux  ballets  et  aux  comédies  mesmes  qu'il 
avoit  faittes,  et  luy  disoient  que  c' estoit  à  cause 
qu'il  estoit  à  M.  des  Marestz.  Des  Marestz  s'en 
plaignit  à  Manse,  lieutenant  des  Gardes,  qui  leur 
en  demanda  la  raison.  On  sceût  que  c' estoit  une  ca- 
lomnie de  Boisrobert. 

'  n  y  a  des  vers  d'un  liouimo  de  cr  nom-là  au  Cardinal,  mais  (jui  nr 
sont  Kiiî^rcs  bons. 


HOISIIOBEUT.  395 

Pour  divertir  le  Cardinal  et  contenter  en  mcsme 
temps  l'envie  qu'il  avoit  contre  le  Cid,  il  le  fit  jouer 
devant  luy  en  ridicule  par  les  laquais  et  les  mar- 
mitons. Entre  autres  choses,  en  cet  endroit  oij 
D.  Diegue  dit  à  son  filz  : 

Rodrigue,  as-tu  du  cœur  ? 

Rodrigue  respondoit  : 

Je  n'ay  que  du  carreau. 

On  ne  sçauroit  faire  plus  plaisamment  un  conte 
qu'il  le  fait;  il  n'y  a  pas  un  meilleur  comédien  au 
monde.  Il  est  bien  fait  de  sa  personne.  11  dit  qu'une 
fois,  par  plaisir,  le  Cardinal  en  particulier  leur  or- 
donna à  luy  et  à  Mondory  ^  de  pousser  une  passion,  msioneue. 
et  que  le  Cardinal  trouva  qu'il  avoit  mieux  fait  que 
le  plus  célèbre  comédien  qui  ayt  peut-estre  esté 
depuis  Roscius. 

11  fut  pourtant  disgracié  une  fois  pour  long- 
temps, et  il  ne  profita  guères  de  son  restablisse- 
ment.  Voicy  comme  j'en  ouy  conter  l'histoire. 

A  une  repétition,  dans  la  petite  salle,  de  la  grande 
comédie  que  le  Cardinal  fit  jouer  *,  Boisrobert,  à  sans  .louic  Mirame. 
qui  il  avoit  donné  charge  de  ne  convier  que  des 
comédiens,  des  comédiennes  et  des  auteurs,  pour 
en  juger,  fit  entrer  la  petite  Saint- Amour  Frerelot, 
une  mignonne  qui  avoit  esté  un  temps  de  la  troupe 
de  Mondory.  Comme  on  alloit  commencer,  voylà 
M.  d'Orléans  qui  entre  :  on  n' avoit  osé  luy  refuser 
la  porte  ;  le  Cardinal  enrageoit.  Cette  petite  gour- 
gandine ne  se  put  tenir  ;  elle  levé  sa  coiife,  et  fait 


396  LES    HISTORIETTES. 

tant  que  M.  d'Orléans  la  voit.  Quelques  jours  après, 
on  joue  la  grande  comédie.  Boisrobert  et  le  che- 
valier des  Roches  avoient  ordre  de  convier  les 
dames  ;  plusieurs  femmes  non  conviées,  et  entre  elles 
bien  des  je  ne  sçay  qui ,  entrèrent  sous  le  nom 
de  M™*  la  marquise  cclle-cy,  et  M""'  la  comtesse 
celle-là.  Deux  gentilshommes  qui  les  recevoient  à 
la  porte,  voyant  que  leur  nom  estoit  sur  le  Mémoire, 
et  qu'elles  cstoient  bien  accompagnées,  les  livroient 
à  deux  autres  qui  les  menoient  au  président  Vigne 
/itsioriptie.  et  à  M.  de  Chartres,  Valençay  *,  depuis  archevesque 
de  Reims,  que  Boisrobert  appelloit  le  mareschal  de 
camp  comique,  et  ils  avoient  le  seing  de  les  placer'. 
Le  Roy,  qui  estoit  ravy  de  pinser  le  Cardinal,  ayant 
eu  le  vent  de  cela,  luy  dit,  en  présence  de  M.  d'Or- 
léans :  «  Il  y  avoit  bien  du  gibier,  l'autre  jour,  h. 
»  vostre  comédie.  »  —  «  Hé  !  comment  n'y  en  auroit- 
»  il  point  eu,  »  dit  M.  d'Orléans,  «puisque,  dans 
»  la  petite  salle  où  j'eus  tant  de  peine  à  entrer  moy- 
»  mesme,  la  petite  Saint-Amour,  qui  est  une  des 
)'  plus  grandes  gourgandines  de  Paris,  y  estoit.» 
Voylà  le  Cardinal  interdit  ;  il  enrageoit,  et  ne  dit 
rien ,  sinon  :  «  Voylà  comme  je  suis  bien  servy  !  » 
Au  sortir  de  là  :  «  Cavoye,  »  dit-il  à  son  capitaine 
des  Gardes,  «  la  petite  Saint- Amour  estoit  l'autre 
»  jour  à  la  répétition.  »  —  «  Monseigneur,  elle 
»  n'est  point  entrée  par  la  porte  que  je  gardois.  » 
Anioim-d'Apneiiç-  Palovoisin  *,  gentilhomme  dc  Touraine.  parent  de 

voisin;  neveu  de  l'c-  '    o  l 

véque  et  enseigne  (les 

Cardes  du  rardinal.         ,,  ^^  Ca,cliiial  ;i  eni))loyé  des  prcstreset  debcvesques  à  convier  et  ô 
placer  à  la  coniedif.  —  Depuis,  le  Cardinal  donna  des  billets. 


B01SR013EKT.  397 

revcscfue  de  Nantes  Beauvau*  ennemy  de  Boisro-    t"'f"-i<;i  «leiii'»'- 

i  J  vaii,  evêquc",  <le  163« 

bert,  dit  sur  l'heure  au  Cardinal:  «  Monseigneur,  '''^^"' 
»  elle  est  entrée  par  la  porte  où  j'estois  ;  mais  c'a 
»  esté  M.  de  Boisrobert  qui  l'a  fait  entrer.  »  Bois- 
robert,  qui  ne  sçavoit  rien  de  cela,  trouve  Monsieur 
le  Chancellier  qui  luy  dit  :  «  Monsieur  le  Cardinal  est 
»  fort  en  colère  contre  vous,  ne  vous  présentez  pas 
')  devant  luy.  »  Au  mesme  temps  le  Cardinal  le  fait 
appeller.  11  n'y  avoit  que  M""'  d'Aiguillon  qui  ne 
l'aimoit  pas,  et  M.  de  Chavigny  qui  l'aimoit  assez. 
Le  Cardinal  luy  dit  d'un  air  renfrogné  :  «  Bois- 
»  robert  »  (point  le  Bois) ,  «  de  quoy  vous  estes-vous 
»  avisé  de  faire  entrer  une  petite  garce  à  la  repe- 
»  tition,  l'autre  jour  ?»  —  «  Monseigneur,  je  ne  la 
»  connois  que  pour  comédienne ,  je  ne  l'ay  jamais 
')  veûe  que  sur  le  théâtre,  où  ^'ostre  Eminence  l'avoit 
»  fait  monter.  »  Cependant  il  avoue  que  le  matin 
elle  l'avoit  esté  prier  de  la  faire  entrer.  «  Je  ne 
»  sçay  pas  d'ailleurs  ce  qu'elle  est  :  fait-on  infor- 
»  mation  de  vie  et  de  mœurs  pour  estre  come- 
»  dienne  ?  je  les  tiens  toutes  garces,  et  ne  croy  pas 
»  qu'il  y  en  ayt  jamais  eu  d'autres.  »  —  «  S'il  n'y 
»  a  que  cela,  »  dit  le  Cardinal  à  sa  niepce,  «  je  ne 
»  voy  pas  qu'il  y  ayt  de  crime.  »  Boisrobert  pleura, 
fit  toutes  les  protestations  imaginables  ;  mais  le  Car- 
dinal, à  qui  ce  que  le  Roy  avoit  dit  tenoit  furieuse- 
ment au  cœur,  luy  dit  :  «  Vous  avez  scandalizé  le 
»  Boy,  retirez -vous.  »  Voylà  Boisrobert  au  lict; 
toute  la  Cour  et  tous  les  parens  du  Cardinal  le  visi- 
tèrent. Le  mareschal  de  Gramont  y  alla  plusieurs 


398  LES    HISTORIETTES. 

fois,  et  à  la  dernière  il  luy  dit  ;  «  Si  vous  pouviez 
»  vous  taire,  je  vous  dirois  un  secret  ;  mais  n'en 
»  parlez  point  :  dimanche  vous  serez  restably. 
»  Monsieur  le  Cardinal  doit  voir  le  Roy  samedy,  il 
»  vous  justifiera.  »  Le  dimanche  venu,  voylà  l'abbé 
peiefixe.  de  Beaumont*  qui  le  vient  trouver.  Boisrobert  dit 
dez  qu'il  le  vit  :  «  Me  voylà  restably.  »  11  ne  fit 
pourtant  semblant  de  rien.  L'Abbé  s'approche  en 
sanglottant,  fait  la  grimace  tout  du  long,  car  il  ne 
Bernard  fie Ginves,  l'aimoit  Das  i  luY,   Gravc  *  et  Palevoisin   estoient 

lieutenantilesgarues  i  •>  ^ 

du  Cardinal.  jaloux  do  Boisrobort,  peut-estre  aussy  les  avoit-il 

jouez  ;  et  enfin  il  luy  dit  que  le  Roy  n'avoit  pas 
voulu  escouter  Son  Eminence  et  luy  avoit  dit  : 
«  Boisrobert  deshonore  vostre  maison.  »  Boisrobert 
eut  donc  ordre  de  se  retirer  à  son  abbaye  (elle 
s'appelle  Chastillon)  ou  à  Rouen  où  il  estoit  cha- 
noine ;  il  aime  mieux  aller  à  Rouen.  Or  ce  desordre 
venoit  de  plus  loing.    Monsieur  le  Grand  voulant 

mstor.  de  Richeueu  pcrdro  la  Chcsnayc  qui,  comme  je  l'ay  desjàdit*, 
estoit  l'espion  du  Cardinal,  s'addressa  à  Boisrobert, 
et  seul  à  seul,  à  Saint-Germain,  luy  dit  qu'il  avoit 
tousjours  fait  cas  de  luy,  et  que  M.  le  mareschal 
d'Effiat  l'avoit  tousjours  aimé  ;  que  jusques  icy 
Chassé.  M.  de  Boisrobert  n'avoit  volé*  que  pour  alouettes 
et  pour  moineaux ,  et  qu'il  le  vouloit  faire  voler 
pour  perdrix  et  pour  faisans  ;  qu'il  luy  falloit  faire 
attraper  quelque  grosse  pièce;  qu'il  estoit  temps 
qu'il  pensast  à  sa  fortune  et  qu'il  le  prioit  de  le 
servir.  «  La  Chesnaye,  »  adjousta-t-il,  «  me  trahit  ; 
»  il  a  eu  une  longue  conférence  avec  M.  le  Car- 


BOISROBERT.  399 

«  dinal,  dans  le  jardin,  au  sortir  de  laquelle  Son 
»  Eminence  m'a  traitté  comme  un  escollier.  Vous 
»  pouvez  aisément  me  dire  qui  a  introduit  la  Ches- 
»  naye  auprès  du  Cardinal,  et  qui  sont  ses  amys 
»  dans  la  maison,  je  les  veux  tous  perdre.  »  En 
suitte  il  s'emporta  un  peu,  et  dit  que  le  Cardinal 
le  maltraittoit,  mais  que,  par  la  mordieu...  — et  il 
s'arresta  sans  dire  rien  davantage.  Boisrobert  voyant 
cela,  eust  bien  voulu  n'avoir  point  eu  de  confé- 
rence avec  Monsieur  le  Grand,  et  après  luy  avoir 
promis  de  sçavoir  qui  estoient  les  amys  de  la  Ches- 
naye,  s'en  va  chez  M"'"  de  Lansac^,  gouvernante  vré''sœur'de'Mn?."dé 
de  Monsieur  le  Dauphin ,  et  luy  demande  conseil. 
M'"'  de  Lansac  est  d'avis  d'en  avertir  le  Cardinal  ; 
Luy,  dit  qu'il  ne  le  veut  point,  que  ce  n'est  qu'une 
boutade  de  jeune  homme ,  qu'il  ne  sçauroit  se  ré- 
soudre à  luy  nuire.  Depuis,  Monsieur  le  Grand  cher- 
choit  Boisrobert  partout,  et  Boisrobert  l'evitoit.  Il 
se  met  dans  l'esprit  que  Boisrobert  luy  avoit  fait  un 
meschant  tour.  Il  parle  mal  de  luy  au  Roy,  se  sert 
de  tout  ce  qu'on  avoit  dit  contre  Boisrobert,  et  c'est 
à  cause  de  cela  que  le  Roy  disoit  que  Boisrobert 
deshonoroit  la  maison  de  son  maistre. 

Voylà  principalement  sur  quoy  le  Roy  se  fondoit  : 
Boisrobert  ayant  descouvert  au  Cardinal  que  Saint- 
Georges*,  gouverneur  du  Pont-de-l' Arche,  prenoit    ^^^^  •><■.  Loni.ay, 

o  '     o  '1  seigneur    de    Saint- 

tant  sur  chaque  batteau  qui  remontoit,  et  qu'on  ap-  îîes gfrVes  duS"- 
pelloit  ces  batteaux  des  Cardinaux  \  Saint-Georges 

*  Mots  biffés  :  A  cause  de  Georges  d'Amboise,  cardinal  et   arche- 
vesque  de  Rouen. 


liOO  Li:S    UlSTOUlliTTES. 

fut  chassé,  et  pour  se  venger,  il  dit  que  Boisrobert 
avoit  vitupéré  son  filz,  qui  estoit  page  du  Car- 
dinal. Palevoisin  avoit  fait  pis,  car  il  avoit  dit  la 
mesme  chose  devant  quatorze  personnes  dans  F  anti- 
chambre. Boisrobert  le  sceût,  il  prend  le  mareschal 
de  Gramont.  «  Monsieur,  »  luy  dit-il,  «  faisons 
»  venir  le  page  ;  il  est  couché ,  dit  -  on  ;  faisons- 
»  le  lever.  »  Le  page,  qui  ne  sçavoit  pas  que  son 
père  eust  fait  cette  calomnie,  dit  qu'il  feroit  mentir 
et  mourir  tous  ceux  qui  Tavoient  dit.  Le  mareschal 
de  Gramont  fit  tant  que  Boisrobert  se  contenta 
Salle  des  officiers  <ie  Quc  Palcvoisln  dist  OU  plcino  garde-robe  *  que  tous 

service.  j  <->  i 

ceux  qui  disoient  qu'il  avoit  dit  telle  et  telle  chose 
de  M.  de  Boisrobert,  en  avoient  menty.  Voylà  d'où 
venoit  la  haine  de  Palevoisin  contre  luy  '. 

Boisrobert  estant  à  Rouen,  le  mareschal  de 
Guiche,  y  allant  comme  lieutenant  de  roy  de  Nor- 
mandie, demanda  au  Cardinal  s'il  ne  trouveroit 
point  mauvais  qu'il  le  vist.  «  Vous  me  ferez  plaisir,  » 
dit  le  Cardinal.  Boisrobert  traitta  magnifiquement 
le  Mareschal,  et  perdit  après  disné  six-vingts  pis- 
tolles  contre  luy,  car  il  ne  peut  se  tenir  de  jouer, 
et  joue  comme  un  enfant. 

Le  Cardinal  fit  en  suitte  le  voyage  de  Perpignan, 
et  comme  il  estoit  malade  à  Narbonne,  Sitois  luy 

Jean  d'Aspremont,  *  Vandy  *,  alors  page  du  cardinal  de  Richelieu,  à  ce  qu'il  m'a  conté 
y.  luy-mcsme,  luy  livra  son  camarade  Nanteuil,  beau  garçon,  moyennant 
dix-huict  livres  d'or.  Il  le  mena,  en  badinant,  dans  la  chambre  de 
Boisrobert.  Mais  comme  Vandy  en  veut  à  Nanteuil,  qui  a  espousé  une 
niepce  du  mareschal  de  Schuleraberg,  dont  il  pretendoit  estre  héritier, 
ce  qu'il  m'a  dit  m'est  un  peu  suspect. 


BOISROBERT.  ZlO'J 

dit  :  «  Je  ne  sçay  plus  que  vous  donner,  si  ce  n'est  trois 
»  dragmes  de  Boisrobert  après  le  repas.  —  11  n'est 
).  pas  encore  temps,  Monsieur  Sitois,  »  dit  le  Cardinal. 
Après  la  mort  de  Monsieur  le  Grand  ,  tout  le 
monde  parla  pour  Boisrobert.  Le  cardinal  Mazarin 
luy  escrivit  :  «  Vous  pouvez  aller  à  Paris ,  si  vous 
»  y  avez  des  affaires.  »  Boisrobert  y  vient  et,  en 
attendant  Son  Eminence,  il  perdit  vingt-deux  mille 
escus  qu'il  avoit  en  argent  comptant.  Le  Cardinal 
arrivé ,  le  cardinal  Mazarin  luy  escrit  :  «  Venez 
))  me  demander  un  tel  jour,  et  fusse- je  dans  la 
»  chambre  de  Son  Eminence,  venez  me  trouver.  » 
Boisrobert  y  va.  Le  Cardinal  l'embrasse  en  san- 
glottant,  car  il  aimoit  ceux  dont  il  croyoit  estre 
aimé  '.  Boisrobert,  qui  voyoit  pleurer  son  maistre, 
cette  fois,  contre  la  coustume,  ne  put  trouver  une 
larme,  11  s'avise  de  faire  le  saisy,  et  le  cardinal 
Mazarin,  qui  le  vouloit  servir,  dit  :  «  Voyez  ce 
»  pauvre  homme,  il  estouffe  ;  il  en  est  si  saisy 
»  qu'il  ne  sçauroit  pleurer  ;  quelquefois  on  est  suf- 
»  foqué  pour  moins  que  cela  ;  un  chirurgien,  viste  !  » 
On  saigne  Boisrobert,  qui  se  portoit  le  mieux  du 
monde  ;  on  luy  tire  trois  grandes  palettes  de  sang. 
Tous  ses  envieux  le  vinrent  embrasser,  mais  le  Car- 
dinal mourut  dix-neuf  jours  après.  Boisrobert  dit 
que  c'est  le  seul  bien  que  le  cardinal  Mazarin  luy  ayt 


*  Ce  fut  pai'  cette  raison  qu'il  fit  la  fortune  du  comte  de  Charault  ; 
car  au  commencement  il  ne  le  pouvoit  souffrir,  et  disoit  :  «  Que  feray- 
»  je  de  ce  grand  Bethunier?  »  Il  ne  servoit  qu'à  marcher  sur  ses  cra- 
chats. 

II.  26 


1x02  LES    rriSTORlETTES. 

fciitquc  deluy  faire  tirer  ces  trois  palettes  de  sang  '. 
Boisrobert,  quelques  années  après,  eut  un  grand 
desmeslé  avec  M.  de  la  Vrilliere  -,  secrétaire  d' Estât. 
Il  avoit  osté  de  dessus  Testât  des  pensions  un  frère 
de  Boisrobert,  nommé  d'Ouville ,  qui  y  estoit 
comme  ingénieur.  Boisrobert  le  fit  prier  par  tout  le 
monde  de  l'y  remettre  ;  ses  amys  luy  dirent  :  «  Nous 
l'avons  un  peu  esbranslé,  voyez-le.  »  Boisrobert  y  va  : 
il  le  reçoit  par  une  Mordieu.  «  Mordicu  !  Monsieur,  » 
luy  dit-il,  «  vous  vous  passeriez  bien  de  me  faire 
»  accabler  par  tout  le  monde  pour  vostre  frère, 
»  pour  un  homme  de  nul  mérite.  »  Boisrobert,  en 
contant  cela,  disoit  :  «  Je  le  sçavois  bien,  il  n' avoit 
»  que  faire  de  me  le  dire  ;  je  n'allois  pas  là  pour 
»  l'apprendre.  »  Ce  qui  faschoit  le  plus  Boisrobert, 
c'est  que  cet  homme  luy  avoit  fait  la  cour  autrefois  : 
«  Ah  !  Monsieur,  »  luy  dit-il,  «je  ne  croyois  pas  que 

1  Après  la  mort  du  cardinal  de  Richelieu,  il  dit  à  M""  d'Aiguillon 
qu'il  n'auroit  pas  moins  de  zèle  pour  elle  qu'il  en  avoit  eu  pour  son 
oncle.  Elle  le  remercia,  et  luy  promit  qu'il  ne  seroit  pas  longtemps 
sans  recevoir  des  marques  de  l'affection  qu'elle  avoit  pour  luy,  puisque 
son  nepveu  avoit  des  abbayes  dont  despendoient  de  bons  prieurez. 
Boisrobert  eut  plusieurs  advis  ,  mais  les  prieurez  qu'il  demandoit 
avoient  tousjours  esté  donnez  la  veille.  Il  se  douta  qu'il  y  avoit  de  la 
fourberie,  et  pour  en  estre  e&claircy,  il  la  fut  trouver  un  jour  avec  une 
lettre  par  laquelle  on  luy  donnoit  advis  que  le  prieuré  de  Kermassonnet 
estoit  vacant,  et  qu'il  estoit  à  la  collation  de  l'abbé  de  Marmoustier. 
«  Ah  !  mon  pauvre  M.  de  Boisrobert,  »  s'escria-t-elle,  «  que  je  suis 
»  malheureuse  !  si  vous  fussiez  venu  deux  heures  plus  tost,  vous  l'au- 
»  riez  eu.  —  Je  n'en  serois  pas  mieux,  Madame,  car  vous  pouvez  dis- 
»  poser  de  ce  prieuré-là  comme  de  la  lune.  —  Hé  !  pourquoy  ?  —  C'est 
»  qu'il  n'y  en  a  jamais  eu  de  ce  nom-là  ;  je  vous  rends  grâces  de  vostre 
»  bonne  volonté,  me  voylà  plus  convaincu  que  jamais  de  votre  sincerit 
»  et  de  votre  bonne  foi.  » 

<ie'u"l^''du<^''',i2"ia       "  Plielippeaux*.  —  11  o^t  fort  brutal. 

Vrilliere  ;    mort   en 

1681. 


bOISUOBERT.  /|0â 

))  les  ministres  d' Estât  jurassent  comme  vous  faittes. 
»  En  vérité,  cette  Mordieu  siéroit  bien  autant  à  un 
»  charretier  qu'à  vous,  allez.  Monsieur,  mon  frère 
»  sera  remis  sur  Testât,  malgré  vous  et  vos  dents.  » 
De  ce  pas  il  alla  trouver  le  cardinal  Mazarin,  à  qui 
il  fit  sa  déclaration  de  ne  prétendre  rien  de  luy 
que  cela ,  mais  qu'il  y  alloit  de  son  honneur.  Le 
Cardinal  le  luy  promit.  Cependant,  dans  son  ressen- 
timent .  Boisrobert  fit  une  satyre  plaisante  contre 
la  Vrilliere,  qu'il  appelle  Tirsis'. 

Il  l'a  dite  à  tout  le  monde  ;  les  uns  en  retinrent  un 
endroit,  les  autres  un  autre  ;  M.  de  la  Vrilliere  le 
sceût  ;  M.  de  Chavigny  avertit  l'Abbé  que  M.  de  la 
Vrilliere  devoit  aller  au  Palais-Royal  faire  ses  plain- 
tes. Boisrobert  prend  les  devants  avec  le  mareschal 
de  Grammont  ;  ils  vont  au  Cardinal  qui  ne  se  pouvoit 
tenir  de  rire  :  «  Monseigneur .  »  luy  dit  Boisrobert^ 
«  ce  n'est  point  contre  M.  de  la  Vrilliere  c{ue  j'ay  fait 
»  ces  vers  ;  j'ay  lu  les  Caractères  de  Theophraste,  et 
»  à  son  imitation  j'ay  fait  le  caractère  d'un  ministre 
»  ridicule.  —  Vous  voyez  l'injustice,  »  disoit  le 
Mareschal  ;  «  le  pauvre  Boisrobert  !  l'aller  accuser 
»  de  cela  !  »  On  luy  fait  reciter  les  vers  tout  du 
long;  la  Vrilliere  vient.  «Monseigneur,  il  m'a  vitu- 
»  peré ,  il  m'a  jette  une  bouteille  d'encre  sur  le  vi- 
»  sage.  —  Monsou  de  la  Vrilliere,  ce  n'est  point 
»  vous,  »  disoit  le  Cardinal,  «  ce  sont  des  Caratteres 

*  11  y  a  en  un  endroit  : 

Le  Sîiint-Ivsprit,  honteux  d'oslrc  sur  ses  espaules, 
l'our  trois  sots  eonune  luy  s'envoleroit  Ops  (iaiiles. 


liOll  LES   HISTORIETTES. 

»  de  Theophraste.  »  Cependant  il  ne  remeltoit  point 
le  sieur  d'Ouville  sur  Testât;  le  Cardinal  enfin  l'y 
fit  remettre,  car  Boisrobert  l'attendoit  tous  les  jours 
dans  sa  garde-robe.  «  Monseigneur,  »  luy  disoit-il, 
«  M.  de  la  Vrilliere  dit  qu'il  ne  le  fera  pas  quand 
»  la  Reyne  le  luy  commanderoit;  il  faut  donc  qu'il 
»  monte  sur  le  throsne  après  cela.  »  Durant  ce  de- 
sordre,  feu  M.  d'Esmery,  par  malice,  fit  disner 
Boisrobert  chez  luy  vis-à-vis  de  la  Vrilliere ,  et  gui- 
gnoit,  pour  voir  la  grimace  de  son  gendre.  Penon, 
commis  de  la  Vrilliere,  estoit  lent  à  la  délivrance 
du  brevet.  Boisrobert  luy  monstre  quatre  pistolles  : 
aussytost  le  brevet  vint.  Boisrobert,  dez  qu'il  l'eut, 
empoche  ses  quatre  pistolles.  «  Ah  !  Monsieur,  ah  ! 
»  Monsieur!  »  dit-il  à  Penon,  «je  pense  que  je  suis 
»  yvre  ;  à  vous  de  l'argent!  je  vous  demande  pardon, 
»  je  ne  songcois  pas  à  ce  que  je  faisois.  »  —  «  Enfin,  » 
dit  Boisrobert  au  Cardinal,  à  qui  il  en  faisoit  le 
conte,  «  mon  impudence  fut  plus  forte  que  la  sienne.  » 
D'Ouville  fut  payé  durant  trois  ans  de  ses  appoin- 
temens.  Après  cela,  la  Vrilliere  voulut  l'ester  de  des- 
sus Testât  ;  Boisrobert  eut  l'insolence  de  luy  mander 

uiie  ne  l'a  pas  c'.o.  qu'il  fcToit  imprimer  la  satyre*.  L'autre  n'osa.  «  Ce 
»  n'est  qu'un  coquin,  »  disoit  Boisrobert,  «  il  devoit 
»  me  faire  assommer  de  coups  de  baston.  »  Il  est 
vray  qu'un  de  mes  estonnements,  c'est  que  Tarche- 

A-ov.  plus  haut,     vesque  de  Bordeaux  ayt  esté  battu  deux  fois*,  et 
Boisrobert  pas  une  \ 

1  Après  la  mort  du  cardinal  de  Richelieu  ,  il    fut  gourmé  deux 
fois  ;\  Rouen  :  la  première  par  l'abbé  de  Turseville,  qui,   comme  luy, 


BOISROBERT.  /l05 

Une  fois  que  Boisrobert  alla  au  Pelit-Luxcmbourg 
voir  MM.  de  Richelieu*,  M"-  Sauvoy,  femme  de  l'in-  ^^  "«^^1.""  '""" 
tendant  de  ¥"'■=  d'Aiguillon,  luy  dit,  dez  qu'elle  le  vit: 
«  Ah!  vrayment,  M.  de  Boisrobert,  j'ay  des  repri- 
»  mendes  à  vous  faire.  »  Boisrobert  pour  se  mocquer 
d'elle,  se  mit  incontinent  à  genoux.  «  Vous  passez 
»  partout,  »  luy  dit-elle,  «  pour  un  impie,  pour  un 
»  athée.  —  Ah!  madame,  »  respondit-il,  «  il  ne  faut 
»  pas  croire  tout  ce  qu'on  dit  :  on  m'a  bien  dit,  à 
»  moy,  que  vous  estiez  la  plus  grande  garce  du 
))  monde.  —  Ah  !  monsieur,  »  dit-elle  en  l'interrom- 
pant, «  que  dittes-vous  là?  —  Madame,  «adjousta- 
t-il,  «je  vous  proteste  que  je  n'en  ay  rien  cru.  » 
Toute  la  maison  fut  ravye  de  voir  cette  insolente 
mortifiée  '. 

estoit  chanoine  de  Saint-Ouen,  et  l'autre  à  la  Comédie;  je  n'ay  pu 
sçavoir  par  qui. 

1  Une  fois  M'"=  Mclson,  fille  d'esprit,  le  desferra.  U  luy  contoit  qu'il 
avoitpeur  qu'un  de  ses  laquais  ne  fiist  pendu.  «  Voire,  »  luy  dit-elle, 
«  les  laquais  de  Boisrobert  ne  sont  pas  faits  pour  la  potence  ;  ils  n'ont 
»  que  le  feu  à  craindre.  » 

—  Il  appelloit  Ninon,  sa  divine.  Un  jour,  il  alla  chez  elle  avec  un 
joly  petit  garçon.  «  Mais,  »  luy  dit-elle,  «  ce  petit  vilain  vous  vient 
»  tousjours  retrouver.  —  Ouy,  »  respondit-il,  «j'ay  beau  le  mettre  en 
»  mestier,  il  revient  tousjours.  —  C'est,  »  reprit  elle,  «  qu'on  ne  luy 
»  fait  nulle  part  ce  que  vous  luy  faittes.  » 

—  Une  autre  fois  il  vint  la  voir,  tout  hors  de  luy.   <i  Ma  divine, 

1)  je  m'en  vais  me  mettre  au  Noviciat  des  Jésuites*;  je  ne  sçay  plus  R„e  du  Pot-de  Fer. 
»  que  ce  moyen-là  de  faire  taire  la  calomnie.  J'y  veux  demeurer  trois 
1)  sepmaines,  au  bout  desquelles  je  sortiray  sans  qu'on  le  sçache,  et  on 
»  m'y  croira  encore.  Tout  ce  qui  me  fasche,  c'est  que  ces  bougres  là 
»  me  donneront  de  la  viande  lardée  de  lard  rance,  et  pour  tous  petits 
»  piez  quelque  lapin  de  grenier.  Je  ne  m'y  sçaurois  résoudre.  »  Il  re- 
vint le  lendemain.  «  J'y  ay  pensé-,  c'est  assez  de  trois  jours,  cela  fera 
»  le  mesmc  effect.  »  Le  voylà  encore  le  lendemain.    »  Ma  divine,  j'ay 


406  LES    IIISTOIUETTES. 

A  une  représentation  d'une  de  ses  pièces  de  théâ- 
tre, les  comédiens  dirent  un  meschant  mot  qui  n'y 
estoit  pas  :  «  Ah  !  «s'escria-t-il  de  la  loge  où  il  estoit, 
«  ces  marauts  me  feront  chasser  de  l'Académie.  » 

Boisrobert,  tousjours  bon  courtisan,  s'avisa  de 
faire  des  vers  contre  les  Frondeurs;  il  n'y  eut  jamais 
un  homme  plus  lasche.  Le  Coadjuteur  le  sceût,  et 
la  première  fois  qu'il  vint  disner  chez  luy  :  «  M.  de 
»  Boisrobert ,  »  luy  dit-il ,  «  vous  me  les  direz.  — 
»  Bien  !  monsieur,  »  dit  Boisrobert.  11  crache,  il  se 
mouche,  et  sans  faire  semblant  de  rien,  il  s'appro- 
che de  la  fenestre,  et  ayant  regardé  en  bas,  il  dit 
au  Coadjuteur  :  «  Ma  foy,  Monsieur,  je  n'en  feray 
»  rien,  vostre  fenestre  est  trop  haute.  » 

Boisrobert,  en  ce  temps-lù ,  s'abandonna  de  telle 
sorte  à  faire  des  contes,  comme  celuy  des  trois  Ra- 
cans,  qu"on  disoit,  comme  des  marionnettes  :  Je 
vous  donneray  Boisrobert'.  De  quelques  uns  de  ces 
contes-là,  il  en  voulut  faire  une  comédie  qu'il  ap- 
peWoii  le  Père  avaricieux.  En  quelques  endroits,  c'es- 
toit  le  feu  président  de  Bersy  et  son  filz,  qui  a  esté 
autrefois  desbausché,  et  qui  maintenant  est  plus 
avare  que* son  père.  11  feignoit  qu'une  femme,  qui 


lUic  Saint-Antoine.  »  trouvé  plus  à  propos  d'aller  aux  Jésuites*;  je  les  ay  assemblez,  je  leur 
»  ay  fait  mon  apologie,  nous  sommes  le  mieux  du  monde  ensemble; 
»  je  leur  plais  fort,  et  en  sortant,  un  petit  frère  m'a  tiré  par  ma  robe 
»  et  m'a  dit:  Monsieur,  venez  nous  voir  quelquefois,  il  n'y  a  personne 
»  qui  rejouisse  tant  les  Porcs  que  vous.  » 
historiette.  *  L'abbé  de  la  Victoire*  dit  que  la  prestrise  en  la  personne  do  Bois- 

robert est  comme  la  farine  aux  bouffons  ;  que  cela  sort  à  le  faire  trou- 
ver plus  plaisant. 


BOISKOBERT.  407 

avoit  une  belle  fille,  sous  prétexte  de  plaider ,  at- 
trappoit  la  jeunesse  ;  là  entroit  la  rencontre  du  pré- 
sident de  Bersy  chez  un  notaire ,  avec  son  filz  qui 
cherchoit  de  l'argent  à  gros  interestz.  Le  père  luy 
cria  :  «  Ah!  desbausché,  c'est  toyî —  Ah!  vieux 
»  usurier,  c'est  vous!  »  dit  le  filz'.  Il  y  avoit  mis 
aussy  la  conversation  de  Ninon  et  de  M'"'  Paget  à 
un  sermon,  où  cette  dame,  qui  ne  la  connoissoit  pas, 
se  plaignit  à  elle  que  Boisrobert  vouloit  quitter  son 
quartier  pour  aller  au  faubourg  Saint-Germain, 
pour  une  je  ne  sçay  qui  de  Ninon  ;  et  Ninon  luy 
respondit  :  «  Il  ne  faut  pas  croire  tout  ce  qu'on  dit, 
»  madame,  on  en  pourroit  dire  autant  de  vous  et  de 
»  moy-.  »  Boisrobert,  estourdy  à  son  ordinaire,  alla 
dire  en  plusieurs  lieux  que  c'estoit  le  président  de 
Bersy  qu'il  entendoit.  Bersy,  qui  est  un  brutal,  alla 
prendre  cela  de  travers ,  et  en  fit  du  bruit  au  lieu 
d'en  rire.  M™*  Paget  fit  aussy  la  sotte  à  son  exemple. 
Boisrobert  disoit  :  «  Je  feray  signifier  à  cet  homme 
»  que  j'ay  un  nepveu  qui  tue  les  gens,  car,  pour 
»  l'autre,  il  est  renégat,  et  sera  grand-visir  un  de 
»  ces  matins.  »  Le  Pioy  vouloit  que  la  pièce  se  jouast, 
et  Boisrobert  le  vouloit  prier  de  le  luy  commander 
en  présence  du  Président.  Cependant  il  n'osa  la 
faire  jouer;  je  pense  que  M.  de  Matignon,  beau- 
frere  de  Bersy,  l'en  pria,  ou  luy  fit  sentir  qu'il  ne  le 
trouveroit  nullement   bon.  Le  Roy  voulut  sçavoir 

^  Uu  nommé  du  Boulay  se  trouva  comme  cela  chez  un  notaire  avec 
sa  femme  qui  prestoit  à  gros  interestz  et  sur  gages. 
2  Voyez  Sinon,  Historiette. 


408  LES    HISTORIETTES. 

lîoisrobert.  pourquoy  la  pièce  ne  se  jouoit  point  ;  il  *  dit  que  le 
président  de  Bersy,  qui  avoit  livré  tant  de  combats 
contre  la  Fronde,  s'en  trouveroit  offensé',  et  ainsy 
luy  fit  faire  sa  cour  en  son  absence.  Bersy  en  remer- 
cia Boisrobert. 

Ses  nepveux,  dont  nous  venons  de  parler,  n'es- 
toient  pas  filz  de  Douville  ;  il  l'avoit  donné  au 
comte  du  Dognon ,  gouverneur  de  Brouage.  Cet 
homme  faisoit  et  escrivoit  en  beaux  caractères  une 
comédie  en  treize  jours.  Boisrobert  les  raccommo- 
doit  un  peu ,  et  en  tiroit  tout  ce  qu'il  pouvoit  des 
comédiens ,  et  on  disoit  qu'il  ne  donnoit  pas  tout  h 
son  frère.  11  s'estoit  marié  autrefois  en  Espagne': 
Boisrobert  fit  rompre  le  mariage.  Tous  ces  beaux 
son  frèrej^t^^es  ne   messicurs  *  faisoicut  dire  à  Boisrobert^  : 

Melchisedech  esloil  lui  heureux  homme. 
Car  il  n'avoil  ny  frères  ny  iiepvciix. 

Il  y  a  trois  ans  qu'il  mena  Douville  au  Mans  pour 
y  vivre  avec  un  de  ses  frères  qui  est  chanoine,  car  le 
mareschal  Foucault,  autrefois  le  comte  du  Dognon, 
au  lieu  de  le  recompenser  de  sept  ans  de  service, 
luy  avoit  pris  un  cadran  de  trois  cens  livres ,  et  à 
la  foire  Saint-Germain  il  luy  emprunta,  pour  achep- 
ter  des  bagatelles  à  sa  fille,  les  derniers  deux  cscus 


1  Gajollerie. 

2  II  sçavoit  la  géographie  le  plus  exactement  du  monde,  et  avoit  une 
mémoire  prodigieuse. 

'  Dans  une  epistre  h  Monsie\ir  le  Chaucollicr  qui  n'it  jias  esté  impri- 
mée. —  Elle  l'a  esté  depuis. 


BOISIIOBERT.  ^09 

blancs  qu'il  avoit.  Ce  pauvre  Douville  est  mort  de- 
puis deux  ans  '. 

11  arrivoit  tousjours  des  aventures  à  Boisrobert 
pour  ses  comédies.  En  une ,  il  avoit  mis  une  com- 
tesse d'Ortie,  croyant  qu'il  n'y  avoit  personne  de  ce 
nom-là  :  cependant,  un  beau  matin,  il  voit  entrer 
chez  luy  un  brave  qui  luy  dit  avec  un  accent  gas- 
con :  «  Monsieur,  je  me  nomme  d'Ortie.  »  Cela 
estonna  Boisrobert  :  «  Vous  avez  mis  une  comtesse 
')  d'Ortie  dans  vostre  pièce.  —  Monsieur,  »  dit 
l'Abbé,  «  je  ne  l'ay  pas  fait  pour  vous  offenser.  — 
»  Tant  s'en  faut,  »  dit  l'autre,  «  que  je  vous  en  veuille 
»  mal,  qu'au  contraire  je  vous  en  suis  obligé;  vous 
»  m'avez  fait  faire  ma  cour  toutes  les  fois  qu'on  a 
»  joué  vostre  pièce  ;  le  Roy  m'a  fait  appeller ,  et  il 
»  connoist  bien  plus  mon  visage  qu'il  ne  faisoit.  » 
C'estoit  un  lieutenant  aux  Gardes*;  il  est  à  cette  ^Mort  gouverneur 

de  Bapaume,  6  sep- 

heure  capitaine.  Boisrobert  a  dit  depuis  :  «  Si  j'eusse  timbre  1692. 

»  cm  cela ,  j'eusse  mis  la  marquise  de  la  Ronce.  » 

On   luy  dit  :  «  Il  y  a  une  marquise  de  la  Ronce, 

»  c'eust  esté  bien  pis.  »  Sdi Cassandre* esila  meilleure  jouc^estoctob.  less. 

pièce  de  théâtre  qu'il  ayt  faite. 

Boisrobert,  malade  d'une  vieille  maladie  dont  il 
ne  guérira  jamais,  malade  de  la  lascheté  de  la  Cour, 
a  fait  cent  bassesses  au  Cardinal*,  et  puis  en  a  mes-  Mazann. 
dit.  Il  va  tousjours  chez  la  Reyne;  or,  la  Reyne  a  un 
huissier  nommé  la  Volière,  cfui  est  le  plus  capricieux 
animal  qui  soit  au  monde.  Il  luy  prit  une  aversion 

'  Il  a  fait  je  ue   sray  coinbioii  d<'  volumes   de  contes,  intitulez  :  les 
Contes  fie  Douville. 


(liO  LES    HISTORIETTES. 

pour  le  pauvre  abbé.  Un  jour  qu'il  luy  avoit  refusé 
la  porte  :  «(  J'y  entreray  en  despit  de  vous,  »  luy  dit-il. 
En  effect,  il  vint  de  grands  seigneurs  à  qui  Boisrobert 
dit  :  «  Prenez-moy  par  la  main.  »  Il  entre,  puis  en  sor- 
tant :  «  Nargue  !  »  dit-il,  «  Monsieur  de  la  Volière  '.  » 
Il  faut  souvent  revenir  aux  pièces  de  théâtre,  parce 
qu'il  en  a  fait  beaucoup,  Scarron,  le  frère  de  Corneille 
et  luy,  avoient  imité  tous  trois  de  l'espagnol  une  pièce 
qu'on  appelle  VEscolier  de  Salamanque.    Celle  de 
Corneille  n'estoit  pas  si  avancée  ;  mais  les  deux  au- 
tres estoient  achevées.  LesComediens  vouloient jouer 
''''^■pl'380.'"'""'     celle  de  Scarron  la  première  :  M""  de  Brancas*,  à  qui 
rai;ne','%nre  ^iu  Boisrobcrt  Ic  dit,  pria  le  prince  d'Harcourt*,  luy  à  qui 
pms  <  uc  d  E  beu  en  j^^  Comedieus  ont  bien  de  l'obligation,  car  il  les  fait 
jouer  souvent  en  ville,  de  leur  en  parler.  Le  Prince 
menaça  les  Comédiens  de  coups  de  baston,  s'ils  fai- 
soient  cet  affront  à  l'Abbé  ,  qui,  contant  cette  aven- 
ture, disoit  :  «  Ma  foy,  le  prince  d'Harcourt  a  pris 
»  cela  héroï-comiquement-.  » 

En  ce  temps-là,  les  dévots  de  la  Cour  rendirent  de 

1  II  fit  une  malice  à  un  M.  Couitin,  qui  avoit  espous('i  une  niepce  de 
Picard,  trezorier  des  parties  casuellcs,  filz  de  ce  cordonnier  Picard  à 
qui  les  gens  du  maresclial  d'Ancre  firent  insulte,  ce  qui  commença  à 
mettre  le  peuple  en  fureur.  Boisrobert  disnoit  chez  Picard  fort  sou- 
vent. Courtin  le  pria,  s'il  connoissoit  Loret,  celuy  qui  fait  la  Gazette 
en  vers  imprimée,  de  luy  dire  que  s'il  vouloit  mettre  les  louanges  de 
M.  Picard,  qu'il  luy  donneroit  ce  qu'il  voudroit,  Boisrobert  luy  dit  :  «  Don- 
»  nez-moy  vingt  escus. — Voylà  cinquante  livres, »  dit  Courtin  ;  «s'il  fait 
»  bien,  j'y  adjousteray  une  pistolle.  »  Loret  met  Picard  tout  de  son 
long;  la  Cour  en  rit  fort.  Picard,  iri-ité,  luy  qui  a  une  niepce  mariée  au 
marquis  de  la  Luzerne,  fait  menacer  Boisrobert  de  coups  de  baston. 
Boisrobert  en  faisoit  partout  le  conte;  mais  il  oublioit  les  coups  de  baston. 

2  l'ne  fois  le  prince  de  Conty,  comme  on  jouoit  une  pièce  de  Bois- 


BOISROBERT.  /il  1 

mauvais  offices  à  Boisrobert,  et  le  firent  exiler  comme 
un  homme  qui  mangeoit  de  la  viande  le  caresme, 
qui  n'a  voit  point  de  religion,  qui  juroit  horriblement 
quand  il  jouoit,  et  cela  est  vray.  Au  retour,  il  ne  put 
s'empescher  de  dire  que  M"'"  Manchini,  qui  avoit  fait 
sa  paix,  ne  F  avoit  fait  revenir  que  pour  estre  payée 
de  quarante  pistolles  qu'il  luy  devoit  du  jeu. 

Depuis  on  l'obligea  à  dire  la  messe  quelquefois. 
M""'  Cornuel',  à  la  messe  de  mynuict,  comme  ce  vint 
à  Do?ninus  vobiscum ,  vit  que  c'estoit  Boisrobert; 
elle  dit  à  quelqu'un  :  «  Voylà  toute  ma  dévotion  esva- 
»  nouye.  »Le  lendemain,  comme  on  la  vouloit mener 
au  sermon  :  «  Je  n'y  veux  pas  aller,  »  dit-elle  ;  «  après 
»  avoir  trouvé  Boisrobert  disant  la  messe,  je  trou- 
»  verois  sans  doute  Trivelin  en  chaire.  Je  croy,  » 
adjousta-t-elle,  «  que  sa  chasuble  estoit  faitte  d'une 
»  Juppé  de  Ninon.  »  Luy,  ayant  sceû  cela ,  fit  un 
sonnet  contre  M"'  Cornuel,  où  il  jouoit  sur  le  mot 
de  Cornuel-.  Elle  se  çepentit  d'avoir  parlé  :  on  les 
raccommoda.  En  un  an,  il  eut  huit  querelles  et  fit 
huit  reconciliations  ;  il  n'a  point  de  fiel.  M.  Chape- 
lain disoit  :  «  Autrefois  je  tremblois  pour  luy,  mais 
»  à  cette  heure,  après  l'avoir  veû  sortir  de  tant  de 
»  mauvais  pas,  je  n'ay  plus  peur  de  rien^  » 

robert,  luy  dit  de  la  loge  où  il  estoit  :  «  M.  de  Boisrobert,  la  meschaiitc 
»  pièce  !  »  Boisrobert,  qui  estoit  sur  le  théâtre,  se  mit  à  crier  bien 
plus  fort  :  «  Monseigneur,  vous  me  confondez,  de  me  louer  comme 
».  cela  en  ma  présence.  » 

»  Voyez  Historiette. 

-  Il  n'est  pas  imprimé. 

^  Comme  on  pailoit  un  jour  de  généalogies  fabuleuses,  il  dit  :  "  Pour 
"  niny,  j'ay  envie  de  mo  faire  dcscendi-e  de  Metellus,  puisque  je  m'ap- 


/|112  LES    IIISTOIUETTES. 

Voicy  encore  quelques-uns  de  ses  desmeslez.  Cos- 
tart,  dans  la  Suitte  de  la  Défense  de  Voiture,  alla 
mettre  estourdiment,  en  parlant  de  la  lettre  du  Va- 
lentin ,  de  laquelle  Girac  a  dit  qu'elle  sentoit  le  nies- 
chant  comédien  :  «  qu'il  y  avoit  des  comédiens  de 
»  ruelle,  tesmoing  cet  abbé  que  nous  estimons,  etc. , 
»  qu'on  appelle  l'ahhé  Mondory.  »  Boisrobert  alla 
relever  cela  à  son  ordinaire,  c'est-à-dire  follement, 
car  cela  estoit  sceû  de  fort  peu  de  gens,  et  il  l'a  fait 
sçavoir  à  tout  le  monde,  en  escrivant  une  grande 
lettre  contre  Costart,  qui  n' avoit  pas  eu  dessein  de 
l'offenser.  Voicy  le  conte  :  Un  jour  Boisrobert  en- 
tendoit  messe  aux  Minimes  de  la  Place-Royale  avec 
l'abbé  de  la  Victoire.  Il  y  avoit  de  jeunes  gens  de 
la  Cour  qui  causoient;  un  religieux  leur  en  alla  faire 
reprimende,  mais  il  prit  fort  mal  son  temps  ;  Bois- 
robert luy  en  dit  son  avis.  Avec  ce  religieux  il  y  avoit 
un  jeune  ecclésiastique  qui  demanda  à  l'abbé  de  la 

• 

«pelle  Metel.  — Ce  ne  sera  donc  pas,»  luy  dit-on,  «  de  MctrUns J'itis 
»  que  vous  descendrez.  » 

Il  fit  une  satyre  contre  d'Olonne ,  Sablé-Bois-Daiiphin  et  Saint- 
Evremont,  que  l'on  appcUoit  les  Costaux.  Cela  vient  de  ce  qu'un  jour 
M.  du  Mans  (Lavcrdin),  qui  tient  table,  se  plaignit  fort  de  la  délica- 
tesse de  ces  trois  messieurs,  et  dit  qu'en  France  il  n'y  avoit  pas  quatre 
costaux  dont  ils  approuvassent  le  vin.  Le  nom  do  costaux  leur  de- 
meura, et  mesmc  on  nomme  ainsy  ceux  qui  sont  trop  délicats,  et  qui 
se  piquent  de  raffiner  en  bonne  chère.  Il  y  avoit  de  plaisantes  choses 
dans  cette  pièce,  entre  autres,  que  pour  les  beautez  ils  conscntoient 
qu'elles  fussent  journallieres,  mais  point  les  Cuisiniers.  Il  en  mordoit 
deux  assez  fort,  c'est-à  dire  Sablé  et  Saint-Evremont,  comme  des  gens 
qui  ne  trouvoicnt  rien  de  bon,  et  qui  de  leur  vie  n'avoient  donné  un 
verre  d'eau  à  personne.  Avec  le  temps,  ils  le  cajollerent,  et  luy  firent 
jetter  sa  pièce  dans  le  feu.  J'oubliois  que  la  principale  maxime  des 
Costaux,  c'est  de  no  jamais  manger  de  cochon  de   laict. 


BOISUOCEllT.  /ll5 

Victoire  qui  estoit  cet  lionneste  homme-là  qui  avoit 
parlé  si  sagement  au  bon  Père  :  «  C'est  Tabbé  Mon- 
»  dory,  »  dit  l'abbé  de  la  Victoire  ;  «  il  presche  tantost 
»  au  Petit-Bourbon.  »  (  11  y  a  une  chapelle  à  Bourbon, 
et  aussy  des  comédiens  italiens.)  Boisrobert  s' appel- 
ait luy-mesme  le  Trivelin  de  robe  longue.  Boisrobert 
avoit  fait  ce  conte  à  Costart,  en  passant  au  Mans. 
Costart  luy  a  respondu  fort  doucement  et  l'a  ap- 
paisé. 

Pour  monstrer  combien  il  se  cachoit  peu  de  ses 
petites  complexions,  il  disoit  que  Ninon  luy  escri- 
voit,  parlant  du  bon  traittement  cpe  luy  faisoient  les 
Madelonnettes,  où  les  Dévots  la  firent  mettre  :  «  Je 
»  pense  qu'à  vostre  imitation,  je  commenceray  à 
»  aimer  mon  sexe.  »  —  Le  portier  de  Bautru  donna 
une  fois  des  coups  de  pié  au  eu  du  laquais  de  Bois- 
robert. Voylà  l'Abbé  en  une  fureur  espouvantable. 
«  Il  a  raison,  »  chsoient  les  gens,  «  cela  est  bien  plus 
»  offensant  pour  luy  que  pour  un  autre.  C'est  la  par- 
»  tie  noble  de  ces  Messieurs-là.  » 

Il  n'est  pas  à  se  repentir  d'avoir  vendu  à  Villar- 
seaux  une  maison  qu'il  avoit  fait  bastir  à  la  porte 
de  Richelieu  *,  à  condition  d'y  avoir  son  logement,  .^J'^sam-A^gM. 
sa  vie  durant.  Ce  n'est  pas  le  seul  fou  marché  qu'il 
ayt  fait. 

Avec  le  bien  qu'il  a,  car  il  en  a  assez  pour  aller 
tousjours  en  carrosse,  quoy qu'il  en  ayt  bien  perdu, 
il  s'amuse  à  faire  des  comédies,  et  pourveû  qu'elles 
plaisent  aux  Comédiens  et  aux  Libraires,  il  ne  se  sou- 
cie point  du  reste.  Il  s'est  amusé  à  cajoUer  une  librai- 


lliU  LES     HISTORIETTES. 

resse  pour  tirer  cent  livres  de  quatre  Nouvelles  espa- 
gnoles qu'il  a  mises  en  mauvais  françois.  Le  comte 
d'Estrées  ',  voyant  que  Boisrobert  parloit  de  ces  Nou- 
velles comme  de  quelque  belle  chose,  s'avisa  plaisam- 
ment de  luy  escrire  une  grande  lettre  où  il  l'avertit, 
sans  se  nommer,  de  tout  ce  qu'on  y  trouve  à  redire. 
Boisrobert  crut  que  c'estoit  Saint-Evremont,  auteur 
de  la  comédie  de  l'Academie,Qi  respondit  d'une  façon 
fort  aigre.  Saint-Evremont  riposte  qu'il  ne  vouloit 
point  de  brouillerie  avec  luy  :  «  Non  pas  à  cause,  »  luy 
dit-il,  «  que  vous  faittes  d'assez  meschantes  pièces 
»  de  théâtre  et  d'assez  meschantes  nouvelles,  mais 
»  à  cause  de  cette  inconsideration  perpétuelle  dont 
»  Dieu  vous  a  doué,  et  qui  fait  dire  à  l'abbé  de  la 
»  Victoire  qu'il  vous  faut  tousjours  juger  sur  le  pic 
»  de  huit  ans.  »  Depuis,  Boisrobert  descouvrit  la  vé- 
rité et  on  les  raccommoda,  le  Comte  et  luy.  «  Il  a 
»  bien  fait,  »  dit  Boisrobert,  «sans  cela  je  l'eusse 
»  honny".  » 

.ican,    comte,  puis      1  Le  deuxiesDic  filz*  du  Mareschal. 
amiral  d'Estrées.  „   ^        .  .,    ,.     .  .  x^   ,    •       ,  .  ^  ... 

2  Dernièrement  il  disoit  en  riant,  au  Palais,  a  un  jeune  Conseiller  : 

«  Je  suis  ravy  quand  je  vois  la  France  si  bien  conseillée.  »  Le  jeune 
homme  ne  se  desferra  point  et  luy  dit  du  mesme  ton:  «  Je  suis  ravy 
»  quand  je  vois   l'Eglise  si  bien  servie.  » 

En  1G59,  quand  le  Roy  alla  à  Lyon,  il  presta  généreusement  trois 
cens  pistolles  au  marquis  de  Richelieu,  qui  n'avoit  pas  un  teston  pour 
faire  le  voyage.  Contre  son  attente,  il  en  fut  en  suitte  payé.  Le  Grand- 
ie duc  de  Mazarin  la  maistrc*,  sçachant  qu'il  avoit  donné  cet  argent,  se  mocqua  de  luy. 
ei  eraye.  ^^  j^  j.^.^^  ^^  j^^  respondit-il,  <(  ce  que  vous  devriez  faire  ;  pour  moy, 

»  je  me  souviendray  tousjours  qu'il  est  le  nepveu  du  cardinal  do  Ri- 
»  chelieu.  » 

Il  fit  imprimer,  au  printemps  de  1659,  un  second  volume  d'Epistres. 
11  y  mit  celle  qu'il  fit  contre  M.  Servien,  en  disant:  «  Pourquoy  est-il 
»  mort  le  premier?»  Il  lo  dit  à  M.  le  Chancellier  :  «  Allez,  allez,  mon- 


BOISROBERÏ.  415 

»  sieur,  vous  y  prendrez  plaisir,  elle  vous  divertira.  »  Lu  certain...., 

qu'il  traitte  de  faussaire,  alla  dire*  à  M.  Servien  que  Boisrobcrt,  à  la      l'our  .  etoit    allé 
,t     I  11  -.1  if  •,    1-,  1      1-   ,,      ,     .         ^.     .       .  'lire,  longtemps  au- 

tablc  du  garde  des  sceaux  Mole,  avoit  dit  le  diable  de  luy.  Il  s  en  jus-  paravant. 

tifia,  et  M.  dcLyonne  fit  sa  paix.  On  voit  tout  cela  dans  ses  Epistres,  et 
comme  Servien  l'amusa  de  belles  promesses.  — Depuis  leur  raccommo- 
dement, il  avoit  prié  M.  Servien  d'une  affaire  ;  M.  Servien  luy  monstra 
son  Aqenda  quelques  jours  après.  «  Tenez,»  luy  dit-il,  «je  m'en  souviens 
»  bien,  vous  estes  e  premier  sur  mon  Agenda. — Ouy,  »  respondit  l'Abbé!, 
«  mais  j'ay  bien  peur  d'en  sortir  le  dernier.  » 

En  1661,  daus  le  temps  de  la  mort  du  cardinal  Mazarin,  un  bomme 
de  Nancy  s'addressa,  au  Palais,  aux  diseurs  de  nouvelles,  et  leur  dit  : 
«  Je  vous  prie,  messieurs,  dittes-moy  si  ce  qu'on  nous  a  mandé  à 
»  Nancy  est  véritable,  que  Boisrobprt  s'estoit  fait  Turc,  et  que  le 
)>  Grand-Seigneur  luy  avoit  donné  de  grands  revenus  avec  de  beaux 
»  petits  garçons  pour  se  resjouir,  et  que,  delà,  il  avoit  escrit  aux  li- 
)>  bertins  de  la  Cour  :  «  Vous  autres,  messieurs,  vous  vous  amusez  à 
»  renier  Dieu  cent  fois  le  jour;  je  suis  plus  fin  que  vous  :  je  ne  l'ay 
1)  renié  qu'une,  et  je  m'en  trouve  fort  bien.  » 

Il  avoit  vendu  son  abbaye  de  Chastillon  à  Lenet*,  de  chez  Monsieur  p.  Lenet,  auteur  fies 
le  Prince.  Il  avoit  fricassé  presque  tout,  hors  cette  acquisition  dont  il  Mémoires. 

sera  parlé  cy-dessous,  et  un  billet  de  douze  mille  livres  sur  un  homme 
d'afifaires.  Il  jouoit  un  soir  chez  Paget,  maistre  des  Requestes;  il  per- 
doit,  et  dans  l'emportement,  pour  se  faire  tenir  jeu,  il  dit:  «  Ne  crai- 
»  gnez  pas  que  je  vous  fasse  banqueroute,  voylà  encore  un  billet  de 
»  quatre  mille  escus  qui  ne  doit  rien  à  personne.  »  Paget  le  prit  et, 
au  lieu,  luy  donna  un  placet  que  l'autre  serra.  En  se  couchant,  Bois- 
robert  reconnut  sa  beveùe,  il  envoyé  chez  l'homme  d'affaires  donner 
les  avis  qu'il  estoit  expédient  de  donner,  et  en  pantalon  de  ratine,  il 
va  faire  un  bruit  de  diable  chez  Paget,  qui  luy  rendit  son  billet,  mais 
qui  ne  le  voulut  voir  de  sa  vie. 

Boisrobeit  a  achetté  une  maison  aux  champs,  et  la  Providence  a 
voulu  que  ce  fust  une  maison  qui  s'appelle  Ville  l'oison.  Il  dit,  luy, 
que  c'est  pour  la  substituer  à  ses  nepveux,  qui  soiU  de  vrays  oysons  ; 
mais,  sur  mafoy,  elle  ne  convient  pas  mal  à  leur  oncle.  11  mourut  un 
an  ou  deux  après  cette  belle  acquisition. 

M"^  de  Chastillon,  sa  voisine,  fut  la  première  qui  le  porta  à  faire 
une  fin  bien  chrestienne.  Il  disoit  aux  assistans  :  «  Oubliez  Boisrobert 
»  vivant,  et  ne  considérez  que  Boisrobert  mourant.  »  Comme  son  confes- 
seur luy  disoit  que  Dieu  avoit  pardonné  à  de  plus  grands  pécheurs 
que  luy  :  «  Ouy,  mon  père,  il  y  en  a  de  plus  grands  ;  l'abbé  de  Vil- 
»  larseaux,  mon  hoste  (  il  luy  en  vouloit,  parce  qu'il  avoit  perdu  son 
»  argent  contre  luy),  est  sans  doute  plus  grand  pécheur  que  moy, 
»  cependant  je  ne  désespère  pas  que  Dieu  ne  luy  fasse  miséricorde.  » 


liiQ  LES    niSTOlUETTES. 

Suui-   (iii   président   M""^  dc    Toic  *  luy  disoit  :  «  Monsieur  l'Abbé,  la  coiitiitiou   est  une 

Le  coigneux.         ^^  vcrtu,  etc. — Eh  !  madame,  je  vous  la  souhaitte  de  tout  mou  cœur.  » 

Il  fut  avare  jusqu'à  la  fin,  et  vouloit  que  son   nepveu  s'habilhist  d'un 

habit  qu'il  laissoit,  au  lieu  de  le  donner  à  un  pauvre  valet  de  chambre 

■     qu'il  avoit. 

11  disoit  :  «  Je  me  contenterois  d'estre  aussy  bien  avec  Nostre-Sei- 
»  gneur,  que  j'ay  esté  avec  le  cardinal  de  Richelieu.  » 

Comme  il  tenoit  le  Crucifix,  et  qu'il  demandoit  pardon  à  Dieu  :  «  Ah  !  ce 
»  dit-il,  au  diable  soit  ce  vilain  potage  que  j'ay  mangé  chez  d'Olonne; 
»  il  y  avoit  de  l'oiguon,  c'est  ce  qui  m'a  fait  mal.  »  Et  puis  il  repre- 
»  noit  :  «  Le  cardinal  de  Richelieu  m'a  gasté;  il  ne  valloit  rien,  c'est 
»  luy  qui  m'a  perverty.  » 


COMMENTAIRE. 

I.  —  P.  383,  lig.  1. 

//  est  ftlz  d'un  procureur  de  Rouen. 

Il  etoit  né  à  Caen,  bien  que  son  père  fût  procureur  de  la  Cour  des  Aides 
de  Rouen.  {Voy.  Huet,  Origine  de  Caen ,  p.  379.)  C'est  en  1630  que  Bois- 
robert  quitta  le  barreau  pour  l'Eglise,  et  pendant  un  voyage  qu'il  fit  à 
Rome,  comme  il  nous  l'apprend  lui-môme  dans  VEpître  au  prince  de 
Conly,  pour  luy  redemander  un  prieuré.  (  Epislres  en  vers  et  autres  œu- 
vres, 1659,  p.  16.) 

II.  —  P.  384,  lig.  5. 

Moyennant  tant  de  paraguante. 

Ou ,  comme  on  diroit  aujourd'hui ,  «  tant  de  commission ,  de  gratifi- 
cation. »  Para  guantcs  (pour  gants)  en  espagnol;  l'expression  est  plus 
agréable  que  notre  pour-boire  d'aujourd'hui. 

C'est  dans  le  cinquième  livre  du  Francion  que  se  trouve  l'histoire  du 
projet  de  bibliothèque  de  Boisrobert.  Sorel  y  nomme  Melibée  le  musicien 
héros  de  l'aventure.  Si  ce  trait  ne  fait  pas  grand  honneur  à  la  délicatesse 
de  des  Réaux ,  au  moins  nous  montre-t-il  les  bonnes  dispositions  des 
anciens  habitués  du  Louvre  à  l'égard  des  gens  de  lettres,  et  l'on  peut 
douter  qu'mi  pareil  expédient  ait  de  nos  jours  aux  Tuileries  le  môme 
succès. 

III.  —  P.  38Zi,  lig.  12. 
//  fut  assez  imprudent  pour  faire  quelques  railleries  du  Chapitre. 
Cette  alTaire  avec  les  chanoines  de  Saint-Ouen  doit  ôtre  celle  des 


BOISROBERT.  417 

cloches,  que  desRéaux  va  raconter  ensuite;  cependant,  avant  qu'elle 
n'éclatât,  Boisrobert  etoit  déjà  mal  avec  ses  confrères,  parce  qu'à  partir 
de  son  départ  de  Rouen  en  1642,  le  Chapitre  avoit  cessé  de  lui  compter 
ses  droits  de  présence,  et  cela  n'etoit  que  justice.  Môme  avant  ce 
retour  à  la  Cour,  il  se  plaignoit  qu'on  l'oWigeàt,  pour  gagner  ses 
jetons,  à  chanter  au  Chœur,  comme  un  simple  chanoine  et  sans  consi- 
dération particulière  : 

J'accrus,  en  l'an  six  cent  quarante, 
Non  pas  leur  sens  mais  bien  leur  rente; 
Aussy,  lors  j'estois  dispensé  : 
Mais  comme  ce  temps  est  passé '.... 
11  faut  leur  caprice  endurer 
Et  résider  sans  murmurer; 
Car  je  ne  gai^ne  pas  la  maille. 

Si  dans  le  Chœur  je  ne  travaille 

Sous  le  surplis  ou  sous  la  chappe, 

Tousjours  quelque  mereau  *  j'attrappe 

Je  mets  le  desordre  partout. 
Et  par  un  ton  plaisant  et  rare 

Je  leur  suis  brutal  et  barbare 

[Epitre  à  M .  Dupin,  tresoriei-  des  Menus-Plaisirs.' 

Mais  il  se  plaignit  bien  davantage  quand  il  fut  rentré  dans  une 
sorte  de  faveur.  Surtout,  il  est  assez  mal  disposé  à  ménager  Tamour- 
propre  des  honorables  Chanoines,  dans  la  Requeste  à  MM.  du  Chapitre 
en  faveur  de  ;V"*  de  Toussy  : 

Apprenez,  messieurs  mes  confrères. 
Dont  les  lois  rudes  et  sévères 
De  mes  petits  droits  m'ont  exclus. 
Qu'au  mereau  je  ne  songe  plus; 
Que  je  renonce  à  vos  dispenses 
Qui  me  sauvoient  mes  résidences. 
Et  par  qui  j'estois  jubilé 
Mesme  au  jour  de  l'obit  salé  *. 
Je  vous  quitte  de  mes  services, 

De  mes  soins,  de  mes  bons  offices 

l'ourveù  qu'aux  heures  du  matin 
Vous  arrestiez  le  bruit  des  cloches 
Dont  Toussy  m'a  fait  des  reproches. 
le  \  ous  apprens  qu'elle  est  icy, 
i,a  belle  et  charmante  Toussy, 
Qui  vivroit  paisible  et  contente 
Sous  le  toict  de  sa  bonne  tante. 
Si  l'on  faisoit  cesser  le  bruit 

Qui  l'importune  jour  et  nuit 

(Epitres  en  vers,  16o9,  p.  59. 

Louise  de  Prie,  demoiselle  de  Toucy,  épousa,  le  20  novembre  1650, 
le  maréchal  de  la  Mothe-Houdencourt.  Puis,  demeurée  veuve  en  1657, 
elle  devint  gouvernante  du  dauphin,  tils  de  Louis  XIV,  Elle  etoit  des- 
"•  27 


Jeton  de  présence. 


Jour  de  la  distribu- 
tion annuelle  de  sel 
aux  ChanoiDPS. 


lliS  LES    HISTORIETTES. 

ccnduc  à  Rouen,  non  chez  sa  sœur,  comme  portent  les  précédentes  édi- 
tions, mais  chez  sa  tante,  comme  porte  le  Manuscrit  de  des  Réaux  : 


Faittes,  m  faveur  <le  Toiissy, 
Ce  vAelpmpnt.  Qu'on  débute  par  ccUiy-ci  *  : 

On  n'entendr.i  plus  dans  la  ville 
Georcjcs-d'.lmboisc, —  Estoutcrille , 
Et  JiUjdut  qui  nous  étourdit. 
Que  tout  l'office  ne  soit  dit; 
Puisque  leur  son  fasche  et  reveille 
Cette  incomparable  merveille 

Ce  mal,  si  vous  ne  le  chassez , 
Va  plus  loin  que  vous  ne  pensez; 
Beuvron,  cette  autre  Pasitée, 
De  qui  la  Cour  est  enchantée. 
Cet  astre  dont  les  yeux  vainqueurs 
Sont  absolus  sur  tous  les  cœurs; 
Cette  autre  beauté  souveraine 
Qu'amour  reconnoist  pour  sa  royne. 
Ht  qui  l'est  bien  encore  icy 
Lorsciu'elle  y  paroist  sans  Toussy, 
Va  tirer  profit  de  l'outrage 
Que  vous  faittes  à  son  visage  — 
Qui  les  voudra  bien  regarder 
Ne  pourra  jamais  d(''cider 
Qui  de  ces  deux  sur  l'autre  excelle, 
Qui  de  ces  deux  est  la  plus  belle; 
Et  vous  voulez  déterminer 
Ce  qu'on  a  peine  ;"i  deviner  I 
Et  vous  voulez  que  le  Chapitre 
Injustement  en  soit  l'arbitre  ! 
Car  si  les  cloches,  dont  le  bruit 
Afflige  Toussy  jour  et  nuit. 
Troublent  son  repos  davantage, 
Adieu  l'éclat  de  son  visage  : 
Comme  son  teint  en  pâlira. 
Son  embonpoint  diminuera. 
Cependant  cette  autre  merveille. 
Qui  bien  loin  des  cloches  sommeille, 
Beuvron,  qui  dort  en  seureté 
Dedans  son  palais  enchanté , 
Se  lèvera  sans  amertume, 
Aussy  belle  que  de  coustumc; 
Et  lors  je  crains  avec  raison, 
Si  l'on  fait  la  comparaison. 
Que  le  phis  sain  des  deux  visages 
N'ait  de  visibles  avantages. 
Puisque  c'est  le  vouloir  des  Cieux 

Que  ces  deux  astres  précieux 

Demeurent  dans  l'égalité 
De  leur  grâce  et  de  leur  beauté. 
Gardez  les  lois  qu'ils  ont  prescrites. 
Respectez  ces  belles  Pasites, 


BOISROBERT.  ^j19 

lit  pour  trois  jours  faittes  oesseï' 
Tout  ce  qui  peut  les  offenser. 
Car  dans  trois  jours  toutes  les  Grâces 
Nous  quittent  pour  suivre  leurs  traces; 
Nous  allons  perdre  en  mesme  jour 
Ces  deux  grands  miracles  d'amour, 
nez  que  vous  les  verre?,  parties , 
Kaitles  honneur  à  leurs  sorties, 
Confondez  tous  vos  carillons 
Avecques  le  bruit  des  canons  : 
Alors  vos  cloches  pourront  plaire, 
Mais  jusques-là,  faittes-les  taire  ! 

Les  vers  etoient  inédits  quand  des  Réaux,  qui  ne  les  avoit  pas  appa- 
remment sous  les  yeux,  conta  cette  anecdote  :  ils  rétablissent  le  grave 
point  de  fait  dans  toute  son  exactitude.  M'"=  de  Toussy  n'etoit  pas 
malade,  mais  le  bruit  des  cloches  l'inconimodoit;  et  M"^  de  Beuvron,  la 
fille  du  gouverneur  du  château,  dut  trouver  l'imagination  de  Bois- 
robert  fort  galante. 

Catherine-Henriette  d'Harcourt,  fille  du  marquis  de  Beuvron,  gou- 
verneur du  Vieux  palais  de  Rouen,  épousa,  le  24  avril  1659,  Louis 
marquis  d'Arpajon,  depuis  duc  à  brevet.  Elle  aura  son  Historiette. 

Cette  anecdote  des  cloches  etoit,  dans  le  manuscrit  de  des  Réaux, 
tracée  par  erreur  au  milieu  de  Yllisloriette  de  l'Archevûque  de 
Reims;  nous  la  rétablissons  ici,  où  l'auteur  pensoit  apparemment 
l'avoir  mise. 

IV.  —  P.  385,  note. 

//  (Ut  qu'un  homme  avoit  mis  toute  la  Bible  en  vaudevilles  qu'on  appelle 
Guéridons. 

Le  refrain  de  ces  vaudevilles  etoit  Ah  !  ah  !  ah  !  Guéridon  !  On  les  chante 
encore  en  Champagne,  et  sans  doute  ailleurs.  Il  existe  aussi  plusieurs 
facéties  qui  rappellent  l'ancienne  vogue  de  ces  airs  :  Les  Fotastres 
amours  de  Guéridon  et  de  Rohinette.  —  liallet  des  Arcjonnulcs  où  estoit 
représenté  Guelindon  dans  une  caisse  comme  venant  de  Provence,  et 
Robinette  dans  une  gaisne  comme  venant  de  Chastelleranlt ,  etc. 

V.  —  P.  387,  note,  lig.  11. 

Une  fois....  au  pavillon  de  Cliarenton. 

Ce  pavillon,  construit  en  assises  alternatives  de  briques  et  de  pierres 
de  taille,  est  à  l'entrée  de  Charcnton;  la  décoration  intérieure  des  pla- 
fonds est  belle  et  curieuse;  mais  comme  aujourd'hui  c'est  la  résidence 
d'une  école  primaire  et  des  bui'eaux  de  l'état  civil,  on  juge  du  soin 


420  LES    UISTOfilETTES. 

avec  lequel  on  en  conserve  la  décoration ,  digne  cependant  de  soutenir 
la  comparaison  avec  plusieurs  salles  du  château  de  Blois. 

Le  mot  Mons  Fùil  se  retrouve  dans  la  Fie  de  Costart,  imprimée  à  la 
fin  de  la  première  édition  de  des  Réaux,  tom.  vi,  p,  236,  et  dans  le 
Menagiana^  tom.  ii,  p.  5. 

VI.  —  P.  389,  lig.  23. 

Je  ne  sça;/  quel  provincial....  luy  donnoit  la  qualité  de  favory  de  cam- 
pagne du  cardinal  de  Richelieu. 

L'idée  du  provincial  ctoit  justifiée  par  le  nom  à' Académie  de  cam- 
pagne., donné  par  Richelieu  à  quelques  beaux-esprits  de  son  goût, 
dont  il  se  faisoit  suivre  dans  les  provinces  où  les  nécessités  de  la 
politique  l'appeloient.  C'etoit  une  sorte  d'allusion  à  l'Académie  Fran- 
çoise qu'il  laissoit  à  Paris.  «  Ce  fameux  M.  de  Gombaut,  »  dit  Boisro- 
bert  dans  YAdvis  qui  ouvre  son  deuxième  volume  ù'Episires,  <(  se  sou- 
»  vient  encore  de  quelques  offices  que  je  me  suis  efl'orcé  de  rendre 
)i  autrefois  à  sa  vertu.  Il  se  souvient  de  ce  siècle  heureux  où  le  grand 
»  cardinal  de  Richelieu  honoroit  tous  les  gens  de  letti-es  de  sa  protec- 
»  tion  et  de  son  amitié.  Il  se  souvient  de  l'agréable  qualité  qu'il  me 
»  donnoit,  dans  son  Académie  de  campagne,  à'ardent  solliciteur  des 
»  Muses  incommodées.  »  Ce  passage  eclaircira  plusieurs  expressions  de 
Vnislorielte  de  Boisrobert. 

Les  deux  autres  mots  qui  suivent  furent  probablement  inspirés  par  le 
premier.  Celui  de  la  Femme  ou  maîtresse  de  campagne  du  duc  de  Lor- 
raine eut  le  plus  de  succès,  et  coûta  cher,  en  1641,  à  un  valet  de  pied 
du  duc.  Si  l'on  en  croit  Bussy,  ce  valet  l'ayoit  répété  en  riant  :  «  La 
»  princesse  de  Cautecroix  en  fut  avertie,  le  fit  prendre  pendant  que  le 
»  Duc  etoit  à  lâchasse,  et  attacher  à  une  potence.»  {Mémoires  secrets., 
tom.  I,  p.  53.) 

VIL— P.  390,  lig.  23. 
Bien  des  passe-volaus. 

On  donnoit  ce  nom  autrefois  aux  faux  soldats  qui  paroissoieut  dans 
les  montres  ou  revues,  pour  tenir  la  place  de  ceux  qui  manquoient,  en 
permettant  aux  officiers  de  réclamer  leur  solde.  Voici  dans  la  môme 
Historiette  d'autres  façons  de  parler  qu'il  peut  sembler  bon  d'expliquer. 

Page  395.  —  «  H  fit  jouer  le  Cid  devant  le  Cardinal  en  ridicule.  » 

Nous  dii'ions  aujourd'hui  qu'il  en  fit  une  parodie ,  et  c'est  une  des 
premières,  sans  doute,  qu'on  ait  faites  sur  des  tragédies. 

Page  415,  note.  —  «Boisrobert,  en  pantalon  de  ratine,  va  faire 
»  un  bruit  de  diable  chez  Pagct.  »  —    Il  y  a  grande  apparence  que 


BOISROBERT.  421 

Boisrobert  pensoit  à  se  coucher  quand  il  sortit  dans  ce  costume  léger. 
Le  pantalon  etoit  alors  un  caleçon  collant,  joint,  souvent  môme  cousu 
aux  bas;  le  haut  de  chausses,  que  Boisrobert  avoit  déjà  sans  doute  ôté, 
etoit  mis  par-dessus.  Aujourd'hui,  le  pantalon  est  mis  par-dessus  le 
caleçon,  et  l'on  va  fort  bien,  même  chez  le  souverain,  en  pantalon  plus 
ou  moins  serré. 

VIII.  —  P.  390,  lig.  26. 

//  s'appelle,  en  je  ne  sçaij  quelle  Epistre,  solliciteur  des  Muses  affligées. 

Des  Réaux  renvoie  ici  au  volume  in-4°,  publié  en  1647  sous  le  titre  : 
Les  Epislres  du  sieur  de  Bois-Bobert-Metel,  ahhc  de  Cliastillon,  dédiées 
à  monseigneur  l'eminence  cardinal  de  Mazarin.  Paris,  Cardin  Besonytie. 
Car  Tautre  volume  in-8°  :  Les  Epistres  en  vers  et  autres  œuvres  poétiques 
de  M.  de  Bois-Robert-Metel ,  conseiller  d'Etal  ordinaire,  abbé  de  Chas- 
tillon-sur-Seine.  Paris,  Aug.  Courbé,  est  de  1659,  plus  d'un  an  après  la 
rédaction  de  l'Historiette.  Au  début  de  V Epistre  à  M.  de  Bautru,  page  12 
du  volume  in-4°,  on  lit  : 

Toy  qui  m'as  veû  jadis  avec  tant  de  bonté. 
Du  Parnasse  françois  bannir  la  pauvreté, 
Lorsifue,  solliciteur  des  Muses  affligées, 
J'appliquois  tous  mes  soins  à  les  voir  soulagées. 

Il  répète  la  môme  expression  dans  V Epistre  à  31.  Loger,  secrétaire 
des  commandemens  de  ta  Règne  de  Suède,  au  second  volume. 

Dans  VAvis  préliminaire  du  volume  de  1659,  Boisrobert  justifie 
aussi  le  mot  si  connu  du  bon  Citois,  médecin  du  Cardinal  :  «  On  peut 
»  voir  par  les  Mémoires  du  temps  que  feu  Monsieur  le  Cardinal  estant 
»  malade  à  Narbonne,  et  demandant  à  M.  Cytojs,  son  médecin,  quelque 
H  remède  particulier  qui  le  soulageast,  et  qui  ne  fust  ny  casse  ny 
»  rubarbe  ny  saignée  :  Je  n'ag  plus  rien,  dit-il,  Monseigneur,  à  vous 
»  ordonner,  que  deux  dragmes  de  Boisrobert  après  le  repas.  » 

IX.  —  P.  394,  note. 

Il  [I  a  des  vei's  d'un  homme  de  ce  nom-là  au  Cardinal ,  mais  qui  ne  sont 
guères  bons. 

IS'ous  n'avons  pas  retrouvé  ces  vers  au  Cardinal  dans  le  Recueil  des 
vers  de  M.  de  Marbeuf,  chevalier,  sieur  de  Sahurs.  Rouen,  David  du  Petit- 
val,  1628,  in-8°.  Cet  homme  etoit  conservateur  des  forêts  au  Pont-dc- 
l'Arche,  et  ses  vers  ne  manquent  pas  d'une  certaine  originalité.  M.  Mol- 
let le  Duc  en  a  parlé  {Bibliothèque  poétique,  tom.  i,  p.  417);  mais  il  se 
peut  que  Boisrobert  ait  voulu,  dans  le  cas  que  lui  reprochoit  Desma- 
rêts,  plutôt  servir  un  compatriote  que  desservir  le  véritable  auteur. 


Z|.!2!2  LES    HISTORIETTES. 

A  propos  de  la  parodie  perdue  du  CM,  par  Boisrobcrt,  on  ne  pour- 
roit  dire  ici  tous  les  vers,  toutes  les  Critiques  et  toutes  les  Apologies 
(|u'on  répandit  à  l'occasion  du  grand  événement  littéraire  de  la  repré- 
sentation du  Ciel.  Le  nombre  en  est  infini,  et  je  ne  crois  pas  qu'il  ait 
encore  été  relevé  avec  exactitude.  La  plus  judicieuse  de  toutes  ces 
pièces  est  peut-être  celle  qui  parut  en  1037,  sous  le  titre  de  Jugement 
du  Cid,  composé  par  un  bourgeois  de  Paris,  marguillier  de  sa  paroisse. 
L'auteur  admire  le  chef-d'œuvre  de  Corneille,  il  en  relève  avec  finesse 
les  plus  grandes  beautés,  seulement  il  blâme  le  poète  de  l'avoir  fait 
imprimer.  La  postérité  n'a  pas  été  de  l'avis  de  M.  le  Marguillier. 

X.  —  P.  395,  lig.  24. 
Boisrohert...  fa  entrer  la  petite  Saint-Amour  Frerelot. 

On  trouve  à  peu  près  la  même  chose  dans  une  lettre  de  Chapelain 
citée  par  les  frères  Parfait,  Histoire  du  Théâtre  françois,  1745,  toni.  v, 
p.  12.  «Quand  la  tragédie  de  Mirame  fut  jouée  pour  la  première  fois, 
»  le  Cardinal  fit  défense  d'y  laisser  entrer  qui  que  ce  fût,  hors  les 
»  personnes  qu'il  auroit  nommées  lui-même.  Boisrobert  cependant  ne 
»  laissa  pas  d'y  laisser  entrer  secrètement  deux  femmes  d'une  répu- 
»  tation  équivoque.  La  duchesse  d'Aiguillon,  qui  ne  l'aimoit  point, 
»  comme  ordinairement  les  parens  des  Grands  n'aiment  point  leurs 
:>  favoris,  profita  de  cette  occasion  pour  le  perdre,  en  remontrant  au 
»  Cardinal  que  Boisrobert  etoit  le  seul  qui  eût  osé  mépriser  ses  ordres, 
»  et  qu'à  la  vue  de  la  Heine  et  de  toute  la  Cour,  il  avoit  été  le  pro- 
«  fanatcur  de  son  palais.  >» 

Des  Beaux  distingue  ici  la  petite  salle  de  la  grande  :  Bichelieu 
l'avoit  fait  construire  pour  la  représentation  de  sa  comédie,  imprimée 
sous  ce  titre  :  L'Ouverture  de  la  grande  salle  du  théâtre  du  palais 
Cardinal.  — Mirame,  tragi-comédie,  dédiée  au  Roy  ;  Paris,  1G41.  La 
grande  salle,  devenue  plus  tard  l'Opéra,  fut  brûlée  en  1782,  et 
remplacée  par  deux  autres  avant  celle  que  nous  avons  aujourd'hui. 

XL  —  P.  398,  lig.  8. 
L'abbé  {de  Beaumont)  s'approche  en  sanglottant... 

Boisrobert  confirme  cette  circonstance  dans  une  Epistre  à  M.  l'abbc 
de  Beaumont.,  précepteur  du  Roy. 

Parce  qu'ils  ne  voyoient  que  des  fleurs  sous  mes  pas. 
Ces  (Tuels  ennemis  ne  m'espargnerent  pas; 
.le  lus  si  fort  en  butte  aux  traits  de  leur  envie 
Oii'il  m'en  prusa  constci'  et  riioiuuMir  et  la  vie; 


BOISROBERT.  /l23 

Tu  te  peux  souvenir  de  ce  jour  do  douleur 

Que  tu  vins,  en  pleurant,  m'annoncer  muri  malheur. 

Peut-ôtre  en  rappelant  cela,  Boisrobcrt  vouloit-il  encore  un  peu 
railler  le  chagrin  qu'aflfectoit  alors  l'ancien  maître  de  chambre  du 
Cardinal. 


XII.  —  P.  398,  lig.  14. 

Boîsrobert  eut  ordre  de  se    retirer  à  son  abbaye;    elle  s'appelle 

Chastillon. 

I 

Châtillon-sur-Seine,  petite  ville  de  Bourgogne,  dans  la  préfecture 
de  la  Cùte-d'Or  ;  mais  il  vécut  tantôt  à  Rouen,  tantôt  dans  son  prieuré 
de  la  Fer  té-sur- Aube. 

Je  perdis  tout  et  me  vis  si  troublé, 
Pendant  vingt  mois  que  je  fus  accablé. 
Et  qu'un  exil  dont  la  pensée  me  tue, 

Du  grand  Armand  me  déroba  la  veûe 

[Epltre  au  P.  de  Conty.) 

Ce  fut  alors  que,  pour  fléchir  moins  la  sainte  Vierge  que  le  Cardinal, 
il  composa  les  Stances  à  la  Vierge^  imprimées  chez  la  veuve  Camusat, 
en  16/J2  (7  pages  in-4°).  Il  les  a  depuis  réunies  au  volume  d'Épîtres 
de  1647  ;  mais  en  retranchant  la  dernière  stance,  qui  n'etoit  plus  de 
saison  après  la  mort  du  Cardinal. 

Par  vous,  de  cette  mer  j'évite  les  orages. 
De  ce  port  plein  d'ecueils  et  fameux  en  naufrages 
Vous  m'avez  fait  trouver  un  asyle  en  ce  lieu; 
Trop  heui'eux  si  jamais  dans  ma  sainte  retraitte 
Je  pouvois  oublier  la  perte  que  j'ay  faitte 
lin  perdant  Richelieu! 

Cet  esprit  sans  pareil,  ce  grand  et  digne  maistre. 
M'a  donné  tout  l'éclat  où  l'on  m'a  veu  paroistre; 
Il  m'a  d'heur  et  de  gloire  au  monde  environne; 
C'esloient  biens  passagers  et  sujets  à  l'envie. 
Mais  quand  il  m'a  donné  l'exemple  de  sa  vie, 
îM'a-t-il  pas  tout  donné?... 

C'est  luy  seul  que  je  pleure  en  cette  solitude , 
Où  je  vlvrois  sans  peine  et  sans  inquiétude. 
Si  je  n'avois  point  veu  ce  visage  si  doux. 
Puisque  l'on  m'a  privé  de  ce  bonheur  insigne. 
Vierge,  mon  .seul  refuge,  au  moins  rendez-moy  d 
De  le  revoir  en  vous. 

XIII.  —  P.  405,  lig.   2. 

iW""*  Sauvoy^  femme  de  l'intendant  de  .1/™^  d'Aiguillon. 

Sauvoy.,  Sauvay  ou  Sauvé,  employé  secrètement  plus  d'une  fois  par 


ll'ill  LES    HISTORIETTES. 

le  Cardinal,  Voyez  le  roman  historique  de  Sandras  des  Courtils  : 
Mémoire  de  M.  de  iî.,  secrétaire  de  M.  L.  C.  d.  R.,  tom.  i,  j).  257  et 
suiv.  On  parle  aussi  beaucoup  dans  le  môme  livre  de  M""  Sauvé, 
p.  531,  538. 

XIV,  —  P,  605,  notes,  lig.  3. 

M"*  Melson,  fille  d'esprit. 

Charlotte  Melson,  fille  de  Mclson,  interprète  chez  la  Reine,  mort  en 
septembre  1665,  dans  un  âge  avancé.  Elle  épousa  André  Girard  le 
Camus,  conseiller  d'Etat.  Boisrobert  a  fait  pour  M"^  Melson,  au  nom 
de  M"'*  de  Tore,  sœur  du  président  le  Coigneux,  un  assez  joli  rondeau 
dans  ses  deux  recueils  à^Epîtres  et  poésies  : 

Sans  vous  avoir  que  par  l'esprit  connue. 
Belle  Philis,  et  sans  vous  avoir  veue 
Qu'un  soir  au  Cours,  le  visage  voile. 
Sans  vous  avoir,  Plulis,  jamais  parlé 
Devant  l'église,  aussy  peu  dans  la  rue, 
Je  me  suis  bien  toutefois  apperoeue 
Que  tous  vos  traits  ont  une  pointe  algue. 
Et  que  l'amour  n'auroit  jamais  brusié 
Sans  vous. 

Je  les  veux  voir  briller  hors  de  la  nue, 
Ces  yeux  pereans  dont  la  Cour  est  emeue. 
Et  dont  je  voy  tout  l'aris  affolé; 
Knfin,  mon  cœur  que  vous  avez  volé 
INie  peut  plus  vivre  au  chagrin  qui  le  tue 
Sans  vous. 

[IlecKeilde  Sei'cy.t 

Au  reste,  la  réputation  fâcheuse  qu'on  se  plaisoit  à  faire  à  Bois- 
robert, sous  le  rapport  des  mœurs,  sembloit  autorisée  par  ses  bons 
mots  ordinairement  plus  grivois  que  délicats.  Personne  alors  ne  prenoit 
tout  cela  au  sérieux.  Ménage,  qui  fut  toujours  assez  lié  avec  lui,  a  mis 
dans  sa  Requeste  des  Dictionnaires  : 

.     .     .     .    le  délicat  Serizay 
Eust  chaque  mot  féminisé,... 
Sans  que  l'abbé  de  Boisrobert, 
Ce  premier  chansonnier  de  France 
Favory  de  son  Imminence, 
Cet  admirable  Patelin 
Aimant  le  genre  masculin, 
S'opposa  de  tout  son  courage 
A  cet  efféminé  langage. 

XV.  —  P.  406,  notes,  lig.  4, 
U  n'a  a  personne  qui  réjouisse  tant  les  Percs  que  vous. 
L'anecdote  est  plaisante  en  ce  que  Boisrobert  alloit  là  pour  dentan- 


BOISROBERT.  /i25 

der  les  prières  et  l'absolution,  non  pour  faire  rire  les  R.  P.  Mais  cette 
pensée,  vraie  ou  fausse,  qu'on  lui  prùte  de  se  renfermer  chez  les  Jé- 
suites pour  rétablir  sa  réputation,  prouve  au  moins  que  l'opinion 
publique  n'avoit  pas  encore  reçu  d'ombrage  sur  les  mœurs  des  Jésuites. 

XVI.  —  P.  406,  lig.  5. 

Boisrcbert...  s'avisa  de  faire  des  vers  contre  les  Frondeurs;  il  n'y 
eut  jamais  un  homme  plus  lasclie. 

L'argument  n'est  pas  sans  réplique  :  il  y  a  toujours  un  certain  cou- 
rage à  attaquer  le  parti  dominant,  et  les  flatteurs  de  Mazarin  avant  et 
après  la  Fronde  qui,  comme  Scarron,  l'outragèrent  pendant  les  troubles 
de  Paris,  furent,  il  semble,  beaucoup  plus  lâches.  —  La  fin  du  sonnet 
de  Boisrobert  a  peut-être  inspiré  quelques  admirables  vers  d'Athalie: 

Cependant,  peuple  ingrat,  qui  seul  luy  fais  obstacle, 
Tu  déchires  sa  gloire,  et  tu  n'as  plus  de  foy 
S'il  manque  un  seul  moment  a  produire  un  miracle. 
{Ejnstres.  Paris,  1659. i 

XVn.  —  P.   406,  lig.   20. 
En  quelques  endroits,  c'estoit  le  feu  président  de  Bersy  et  son  filz. 

Charles  Maslon,  sieur  de  Bercy,  reçu  conseiller  au  Parlement  en 
1598,  maître  des  Requêtes  en  1608,  puis  président  au  Grand  conseil. 
Son  fils,  Charles  Henry  Maslon,  sieur  de  Bercy,  reçu  conseiller  au 
Grand  conseil  en  1626,  fut  maître  des  Requêtes  en  1634,  puis  prési- 
dent au  Grand  conseil.  Il  mourut  en  mars  1676.  C'est  de  ce  brave 
fils  que  l'auteur  du  Portrait  des  Maîtres  des  requestes  fait  pour  l'usage 
de  Fouquet,  dit:  «Le  meilleur  esprit,  le  plus  éclairé;  mais  le  plus 
»  meschant  de  toute  la  compagnie.  » 

Dans  la  Belle  Plaideuse,  Boisrobert  a  tiré  parti  de  tout  cela,  et  nous 
devons  ajouter  que  ce  président  de  Bercy  et  Boisrobert  sont  les  vrais 
héros  du  mot  attribué  à  Molière  :  Monsieur  le  Président  ne  veut  pas 
qu'on  te  joue.  Ce  mot  est  bien  mieux  dans  la  situation  de  Boisrobert 
et  du  Président ,  que  dans  celle  de  Molière.  Dans  tous  les  cas,  Mo- 
lière ne  songeoit  pas  encore  à  Tartufe,  quand  des  Réaux  consignoit 
cette  curieuse  anecdote. 

Voyez  aussi  dans  VAvare  le  parti  que  Molière  a  tiré  de  la  rencontre 
des  deux  Bercy,  père  et  fils,  chez  le  Notaire. 

j^me  paget,  dont  parle  ici  des  Réaux,  etoit  la  femme  de  Jacques 
Paget,  sieur  du  Plessis,  intendant  des  finances,  d'abord  maître  des 
Requêtes.  Boisrobert  leur  a  adressé  des  vers  à  l'un  et  à  l'autre,  «  ses 
»  charmans  voisins.  »  On  les  retrouvera  dans  V Historiette  Ak  Ninon. 


426  LES    HISTORIETTES. 

Bussy,  dans  les  Amours  des  Gaules^  compte  Paget  au  nombre  des 
amans  de  M""^  d'Olonue.  —  «  Paget,  »  dit  l'auteur  du  Portrait  des 
Maîtres  des  Requêtes,  «  protecteur  des  partisans  et  qui  de  peu  a  fait 
»  beaucoup  par  toutes  sortes  de  voyes.  » 

XVIII.  —  P.  407,  lig.  20. 

J'atj  un  nepveu  qui  tue  (es  yens. 

Boisrobert  se  vantoit,  pour  ainsi  dire,  d'ûtre  lâche  aussi  bien  que 
d'avoir  de  mauvaises  mœurs.  Dans  une  requête  adressée  au  chan- 
celier Seguier  pour  ses  neveux,  accusés  d'avoir  tué  un  homme,  il  dit  : 

Et  j'aurois  lieu  <le  les  desadvoiier, 

Oiiaiit  par  leur  vwuv  on  me  les  vient  louer. 

Je  me  sens  bien,  et  je  ne  puis  m'en  taire, 

Je  suis  poltron,  et  je  connois  mou  frère; 

Et  l'on  me  berne  avec  un  ton  mocqueur. 

Quand  on  me  dit  :  «  Vos  nepveux  ont  du  cœur. « 

Il  fit  plus  tard  entrer  l'un  de  ces  garnemens  dans  le  Gobelet  du  Roi. 
(Epître  à  Jannin  de  Castille,  édition  de  1G59,  p.  1G8.) 

XIX.  —P.  409,  lig.  1. 

Ce  pauvre  Vouville  est  mort  depuis  deux  ans. 

C'est-à-dire  en  1655.  Ses  Contes  ont  été  réunis  en  deux  volumes 
in-12,  1CG9  et  1732.  J'en  possède  un  exemplaire  de  1G43,  en  un  fort 
volume,  sous  le  titre  :  Les  Contes  aux  heures  perdues  du  sieur  d'Où- 
ville.  Dans  VEpîlre  à  l'abbé  Fouquet,  Boisrobert  dit  : 

l,e  pauvre  Douville  est  mon  frère, 
II  porte  titre  d'idrographe, 
U'ingenieur,  de  Geograplie, 
Mais  avec  ces  trois  qnalitez 
Il  est  gueux  de  tous  les  costez. 

{Epitres,  1659,  p.  130.) 

XX.  —  P.  410,  note  1. 

Picard,  trezorier  des  parties  casuelles,  filzde  ce  cordonnier  Picard... 

Le  Catalogue  des  Partisans.,  mazarinade  de  1G49,  dit  :  «  Picard,  fils 
»  d'un  cordonnier,  qui  depuis  a  esté  threzoricr  des  parties  casuelles, 
»  a  esté  intéressé  avec  Catclan,  de  Mons,  Galand,  le  Camus  et  autres 
»  en  tous  traictez.  Il  demeure  au  Marais,  rue  du  Grand-Chantier.,  près 
»  les  En  fans-Rouges,  et  prend  le  titre  de  marquis  de  Dampierre,  dont 
»  il  a  fait  acquisition.  » 

Ce  fils  du  cordonnier  Picard  n'eut  pas  meilleur  marché  du  peuple. 


BOISROBERT.  427 

en  16^9,  que  le  maréchal  d'Ancre  ne  l'avoit  eu  trente  ans  auparavant. 
Voici  les  vœux  que  faisoient  les  Frondeurs  contre  lui  et  les  autres  gens 
de  finance  : 

Charles  Picard,  tout  le  premier. 
Reprend  Testât  de  cordonnier 
Que  jadis  son  père  exerça, 
Alléluia  ! 

Tabouret  aussy  veut  rentrer 
Dedans  l'honorable  mestler 
De  frippier,  tant  il  s'y  aiuia, 
Alléluia  ! 

Doublet,  malgré  tous  ses  suppôts. 
Reprend  aujourd'huy  les  sabots 
Que  dans  Paris  il  apporta, 
AUeluia  ! 

{Le  Salut  des  Partisans.  1643. 


XXI. —  P.  410,  note,  1  lig.  10. 

Picard...  qui  a  une  niepce  mariée  au  marquis  de  la  Luzerne. 

Ce  fut  précisément  à  l'occasion  de  ce  mariage  de  la  nitce  de 
Picard,  que  Loret  lit  ce  qu'on  demandoit  de  lui.  C'est  dans  la  Muse  du 
1"  janvier  1654. 

Le  sieur  marquis  de  la  Luzerne 
Doit  espouser  au  premier  jour. 
Par  destinée  et  par  araour 
Une  assez  aj^reable  fille 
D'honorable  et  bonne  famille. 
Jeune,  sage  et  de  doux  regard. 
Et  niepce  de  monsieur  Picard, 
Trezorier  sincère  et  fidèle 
De  la  finance  cazuelle. 
Et  partout  estimé  très  fort. 
Quoy,  sa  niepce?  Kon,  j'ay  tort, 
Elle  ne  l'est  que  de  sa  femme. 
Que  l'on  tient  fort  honneste  dame. 
Monsieur  Picard  pourtant,  dit-on, 
Luy  donne,  argent  comptant,  ou  non. 
Deux  cens  quarante  mille  livres. 
Outre  beau  logement  et  vivres.... 
Foy  de  poète  et  caporal. 
C'est  estre  un  peu  bien  libéral, 
C'est,  en  donnant  si  grosse  somme, 
Agir  en  vray  généreux  homme. 
Et  l'on  peut,  en  parlant  de  luy. 
Dire  qu'il  n'est  pas  aujourd'huy 
En  chascun  bourg,  ville  ou  domaine, 
Des  sieurs  Picard  h  la  douzaine. 


428  LES    UISTORIËTTES. 

II  existe  un  volume  fort  rare  d'Essais  poétiques  du  sicio-  de  la  Lu- 
zerne, Paris,  1642,  in-8°.  On  y  trouve  une  satyre  virulente,  le  Gueux 
rafraiscliy,  fuite  contre  le  trésorier  Picard,  précisément  par  le  frère  du 
marquis  de  la  Luzerne,  destiné  plus  tard  à  devenir  neveu  de  ce 
môme  Picard.  Le  sieur  de  la  Luzerne  est  d'ailleurs  un  poète  fort  mé- 
diocre. 

XXII.  —  P.  410,  lig.  7. 

Scarron,  le  frère  de  Corneille  et  luy  avoient  imité  tous  trois  de  l'espa- 
gnol une  pièce  qu'on  appelle  /'Escolier  de  Salamanque. 

Apparemment  le  modèle  du  roman  de  Lcsage,  le  Bachelier  de  Sala- 
manque. Les  trois  pièces  furent  jouées  dans  la  même  année  1654:  celle 
de  Scarron  sur  le  théâtre  du  Marais,  sous  le  nom  de  VEscolicr  de 
Salamanque  ou  les  généreux  ennemis  ;  les  deux  autres  à  l'hôtel  de 
Bourgogne  ;  celle  de  Boisrob(>rt  sous  le  nom  des  Généreux  ennemis;  celle 
de  Thomas  Corneille  sous  celui  des  Illustres  ennemis. 

Ce  combat  de  préséance  dramatique  fut  apparemment  cause  du 
mauvais  vouloir  que  Scarron  garda  longtemps  à  Boisrobert,  et  dont 
Ménage  ou  du  moins  le  Menagiana  ne  savoit  pas  la  cause  (tom.  ii, 
p.  176).  Dans  l'Epître  de  Scarron  à  l'abbé  d'Espagny  : 

Adieu,  cher  abbé  de  mon  ame, 
CiipUlon  vous  (loint  belle  daine  ! 
Car  maints  prélats  de  ce  tenips-cy 
Aiment  l)elles  dames  aussy; 
Et  j'en  connois  d'assez  peu  sages 
Pour  cnganimeder  leurs  pages. 
Dieu  me  garde  de  telles  gens 
Baisant  les  gens  malgr(''  leurs  dens. 

[OEuvres,  tom.  vu,  p.  165. 

XXIII.  —  p.  410,  lig.  dernière. 
En  ce  temps-là  les  dévots  de  tii  Cour....  le  firent  exiler... 

Il  donne  les  mômes  causes  à  sa  disgrâce  passagère  : 

Chascun  à  l'envy  m'accable, 
Jusques-lci  qu'une  auguste  royne 
Me  jugea  digne  de  sa  liayne. 
Crut  ces  rapports  sans  balancer. 
Et  de  l'aris  me  fist  chasser. 

Il  finit  cette  cpîtrc  en  demandant  à  M.  de  Lyonne  et  à  Servien  leur 
protection, 

Pour  éluder  les  artifices. 
Pour  braver  les  mauvais  offices, 
Et  pour  rire  au  nez  des  flatteurs, 
Des  cagots  et  des  délateurs. 

{Epïlrc$  ) 


BOISROBERT.  ^1.29 

Tout  en  lançant  un  bon  mot  contre  madame  Mancini,  il  adressa  à 
cette  dame  une  Epître  de  remerciemens  sincères,  qui  dut  bien  autant 
la  flatter  que  le  payement  de  ses  quarante  pistoles.  Elle  est  également 
dans  l'édition  de  1630,  p.  195. 

Boisrobert  fut  encore  une  autre  fois  éloigné  de  la  Cour,  i)uis  y  repa- 
rut au  mois  de  février  1G58  : 

Monsieur  l'nbbé  de  Boisrobert. 

Auteur  bien  parlant  et  disert,  ' 

Lequel,  depuis  mainte  semaine 

rv'estoit  veu  «le  roy  ny  de  royne. 

D'autant  que  pour  leurs  Jlajeste/. 

On  luy  prestoit  des  charitez; 

Enfin,  hmdy  son  Kminence, 

Présupposant  son  innocence, 

Obtint  vers  elles  son  retour, 

Au  gré  des  plus  grands  de  la  Cour 

La  royiie  en  boutez  admirable, 
Luy  fist  un  accueil  favorable, 
(A  trois  ou  quatre  pas  de  moy). 
En  présence  de  nostre  Roy. 

{LoKET,  Lettre  du  23  février  1658.) 

XXIV.  —  P.  /jl2,  note,  lig.  3. 

Il  fit  une  satyre  contre  d'Olonne,  SabU-Bois-Dauphin  et  Saint-Evremont, 
qu'on  appetloit  (es  Costaux. 

Ces  messieurs  furent  en  effet  les  premiers  profès  du  fameux  ordre 
des  Coteaux.  Guy  de  Laval,  chevalier  de  Boisdauphin  puis  marquis 
de  Laval,  a  son  Historiette.  Le  comte  d'Olonne,  Louis  de  la  Tri- 
mouille ,  fameux  gourmet ,  fut  encore  plus  fameux  à  cause  de  sa 
femme,  objet  des  odieuses  et  vilaines  médisances  de  Bussy-Rabutin. 
C'est  au  comte  d'Olonne,  alors  exilé,  que  Saint-Evremont  adressa  une 
de  ses  meilleures  lettres,  en  1674  ;  il  lui  donne  les  conseils  d'un  epi- 
curéisme  raffiné  :  <(  N'épargnez,  »  lui  dit-il,  «  aucune  dépense  pour  avoir 
»  des  vins  de  Champagne,  fussiez-vous  à  deux  cens  lieues  de  Paris. 
»  Ceux  de  Bourgogne  ont  perdu  leur  crédit  avec  les  gens  de  bon  goût, 
»  et  à  peine  conservent-ils  un  reste  de  vieille  réputation  chez  les  mar- 
»  chands.  Il  n'y  a  point  de  province  pour  fournir  d'excellcns  vins  de 
»  toutes  saisons  que  la  Champagne.  Elle  nous  donne  le  vin  à'Ay, 
»  d'^î;eHeî,d'.4Mt)î7é,  jusqu'au  printemps-,  Tessy,  Sillery,  Fersenai.jtour 
»  le  reste  de  l'année. 

»  Si  vous  me  demandez  lequel  je  préfère  de  tous  les  vins,  sans  me 
»  laisser  aller  à  des  modes  de  goût  qu'introduisent  de  faux  délicats, 
»  je  vous  diray  que  le  bon  vin  d'Ay  est  le  plus  naturel  de  tous  les 
»  vins,  le  plus  épuré  de  toute  senteur  de  terroir,  de  l'agrément  le  plus 
»  exquis  par  un  goût  de  pèche  qui  lui  est  particulier,  et  le  premier,  à 


430  LES    HISTORIETTES. 

»  mou  avis,  de  tous  les  gousts.  Léon  X,  Charles-Quint,  François  1*'  et 
»  Henry  VIII  avoient  tous  leur  propre  maison  dans  Ay  ou  proche  d'Ay, 
»  pour  y  faire  plus  curieusement  leurs  |  provisions.  Parmi  les  plus 
»  grandes  affaires  du  monde  qu'eurent  ces  princes  à  demcsler,  avoir 
»  du  vin  d'Ay  ne  fut  pas  un  des  moindres  de  leurs  soins,  »  [Véritables 
œuvres  de  Saint-Evremont ,  1706,  tom.  m,  p.  55.) 

Ainsi  les  Coteaux  etoient  d'abord  les  bons  crus  d'Ay,  d'Aven  ay, 
d'Hautvillers  ;  venoient  ensuite  immédiatement  ceux  de  la  Montagne 
de  Reims,  Sillery,  Taissy,  Verzenay.  Les  premiers  profès  de  l'Ordre 
n'etoient  pas  le  commandeur  de  Souvrô,  le  duc  de  Mortemar  et  Rrous- 
sin,  comme  Rrossette  se  souvcnoit  de  l'avoir  entendu  dire  à  Boileau, 
mais  bien  Saint-Evremont,  d'Olonne  et  Laval-Boisdauphin.  «  Ces  mes- 
»  sieurs,  »  dit  quelque  part  Bouhours,  «  ne  sçauroient  manger  que  du 
M  veau  de  rivière  -,  il  faut  que  leurs  lapins  soient  de  la  Rocheguyon 
»  ou  de  Versines  ;  ils  ne  sont  pas  moins  difficiles  sur  le  fruit  ;  et  pour 
»  le  vin,  ils  n'en  sçauroient  boire  que  des  trois  coteaux  d'Ay,  d'Haut- 
»  villers  et  Avenay.  »  Il  faut  d'ailleurs  remarquer  que  le  vin  mousseux, 
dit  aujourd'hui  vin  de  Champagne,  n'ctoit  pas  encore  inventé  :  il  ne 
date  que  des  premières  années  du  xyiii"*  siècle,  et  MM.  des  Coteaux 
n'entciidoient  vanter  que  les  vins  rouges  ou  blancs,  qu'ils  prefcroient 
de  beaucoup  aux  vins  rouges  et  blancs  de  Bourgogne  ou  de  Bordeaux. 
Les  vins  mousseux  ont  fait  oublier  aux  délicats  de  nos  jours  ces  excel- 
lents vins  rouges  d'Ay,  d'Hautvillers  et  d'Avenay,  souvent  mentionnés 
par  la  Bruyère,  et  vantés  plus  d'une  fois  par  le  plus  fin  gourmet  du 
XVII*  siècle,  Saint-Evremont. 

Des  Réaux  reparlera  souvent  de  M.  du  Mans,  Philibert-Emmanuel 
de  Lavardin,  dans  Y  Historiette  de  Costart.  On  peut  aussi  consulter  une 
fort  bonne  notice  de  M.  Hauréau,  sur  ce  prélat  mondain,  dans  VUis- 
toire  littéraire  du  Maine. 


XXV.  —  P.  412,  lig.  3. 

En  parlant  de  la  lettre  du  Valentin,  Girac  a  dit  qu'elle  sentoit  le 
mesckant  comédien. 

Je  ne  suis  pas  de  l'avis  de  Girac  ;  les  pédans,  c'est  un  de  leurs 
inconvéniens,  ne  comprennent  rien  à  l'enjouement  facile,  et  voient 
dans  le  badinage  le  plus  ingénu  les  marques  de  la  prétention  la  plus 
laborieuse;  c'est  le  cas  de  Girac.  Voiture  avoit  promis,  en  quittant 
M"*  de  Rambouillet,  de  lui  faire  la  description  des  belles  maisons 
et  de  tous  les  chefs-d'œuvre  d'architecture  qu'il  verroit  en  Italie, 
car  la  Marquise  etoit  très-passionnée  pour  les  constructions  italiennes. 
Telle  fut  l'occasion  de  la  petite  lettre  du  Valentin,  devenue  si  célèbre  : 


BOISROBERT.  431 

«  Madame, 
»  J'ay  vcu  pour  l'amour  de  vous  le  Valentin  avec  plus  d'attention 
«  que  je  n'ay  jamais  fait  aucune  chose,  et  puisque  vous  desirez  que  je 
»  vous  en  fasse  la  description,  je  le  feray  le  plus  exactement  qu'il  me 
»  sera  possible.  Mais  vous  considérerez,  s'il  vous  plaist,  que  quand  je 
I)  me  scray  acquitté  de  cette  commission,  et  de  l'autre  que  vous  m'avez 
»  donnée  à  Rome,  j'auray  fait  pour  vous  les  deux  choses  du  monde 
»  qui  me  sont  le  plus  difficiles,  de  parler  de  bastiment  et  de  parler 
»  d'affaires.  Le  Valentin,  Madame,  puisque  Valentin  il  y  a,  est  une 
»  maison  qui  est  à  un  quart  de  lieue  de  Turin,  située  dans  une  prairie, 
»  et  sur  le  bord  du  Pô.  En  arrivant  on  trouve  d'abord ,  je  veux 
»  mourir  si  je  sçay  ce  qu'on  trouve  d'abord  ;  je  me  trompe,  c'est  un 
»  perron.  Par  ma  foy,  je  ne  sçay  si  c'est  un  portique  ou  un  perron.  Il 
»  n'y  a  pas  une  heure  que  je  sçavois  tout  cela  admirablement,  et  ma 
»  mémoire  m'a  manqué.  A  mon  retour,  je  m'en  informeray  mieux,  et 
»  je  ne  manqueray  pas  de  vous  en  faire  le  rapport  plus  ponctuellement. 
»  Je  suis, Madame,  vostre  très-humble  serviteur, 

»    VOITDRE. 
»  De  Gènes,  le  7  octobre  1638.  » 

XXVI.  —  P.  til3,  lig.  8. 
Costart  luij  a  respondii  fort  doucement. 

Boisrobert  avoit  traité  Costart  de  «  faiseur  de  turlupinades,  de 
»  railleur  fade  et  sans  jugement,  etc.  »  Costart  lui  repondit  avec  une 
grande  affectation  de  politesse,  qui  sans  doute  désarma  l'émule  de  Mon- 
dory.  «  Traictez-moy,  »  luy  dit-il,  «comme  il  vous  plaira,  je  suis  résolu 
»  de  souffrir  de  vous,  comme  j'eusse  fait  autrefois  d'une  maistresse, 
))  lorsque  j'etois  jeune  et  galant.  Je  sçay.  Monsieur,  qu'il  n'y  a  pas  un 
»  homme  au  monde  plus  prompt  que  vous,  mais  je  scay  aussy  qu'il 
»  n'y  en  a  point  dont  les  entrailles  soient  meilleures  et  qui  ait  un  plus 
»  grand  fonds  de  bonté.  Vingt-cinq  ans  durant  vous  m'avez  voulu  du 
»  bien,  et  il  n'a  pas  tenu  à  vous  que  vous  ne  m'en  ayez  procuré  pen- 
»  dant  votre  faveur  auprès  de  M.  le  Cardinal,  et  lorsque  les  Normands, 
»  comme  vous  l'avez  écrit  de  si  bonne  grâce,  tenoient  à  gloire  que  vous 
»  fussiez  de  leur  pays  : 

Et  les  plus  apparens 

l'ayoient  d'Hozier  pour  êti-e  vos  parens. . . 

«  J'avois  ;\  monstrer  que  M.  de  Voiture  n'estoit  pas  blâmable  pour 
»  s'estre  proposé  de  divertir  une  excellente  princesse  par  un  récit  qui 
»  sentoit  tant  soit  peu  le  style  d'un  comédien,  au  jugement  de  mon 
»  adversaire.  Là-dessus  j'allègue  Platon,  qui  a  bien  voulu  quelquefois 


II?,'!  LES    HISTORIETTES. 

»  faire  le  farceur.  J'allègue  ce  mot.  d'un  galant  homme  :  »  Je  joue  la 
»  comédie  pour  l'amour  de  moy,  et  pour  en  estre  le  spectateur  ;  »  j'y 
»  adjouste  l'exemple  d'un  agréable  abbé,  que  j'honore,  que  j'estime 
»  et  que  j'aime  chèrement,  à  qui  un  bel-esprit  a  donné  le  nom  d'abbé 
»  Mondory.  N'est-il  pas  manifeste,  Monsieur,  que  je  n'ay  pas  voulu 
)i  deshonorer  la  mémoire  de  Platon,  ni  condamner  le  galant  homme  et 
»  l'abbé  divertissant  ;  et  qu'il  faut  nécessairement  que  je  les  approuve, 
»  puisque  j'autorise  par  leur  exemple  l'action  de  mon  amy  que  j'ay 
»  dessein  de  justifier.  Je  ne  nomme  point  cet  abbé  ;  je  fais  profession 
»  de  l'honorer;  je  dis  de  luy  ce  qu'en  avoit  dit  une  personne  qui  luy 
»  est  chère,  et  ce  que  vous  en  avez  dit  vous-mesme  cent  fois,  non  pas 
»  au  Mans,  mais  à  Paris...  Faire  quelquefois  le  Mondory,  est-ce  faire 
»  le  Jodelet  ?  Mondory  n'est-il  pas,  parmi  nous,  ce  que  Roscius  estoit 
»  parmi  les  Romains?...  Confessez,  Monsieur,  que  vous  avez  tort,  et 
»  me  laissez  espérer  que  lorsque  vostre  violent  accès  de  colère  sera 
»  passé,  vous  me  ferez  réparation  d'injures.  En  attendant,  pestez  et  de- 
»  clamez  tout  vostre  saoul.  Ne  vous  en  contraignez  point.  Lisez  dans 
»  toutes  les  ruelles  cette  lettre  satyrique  que  vous  m'avez  envoyée,  où 
»  vous  me  traitez  de  faiseur  de  turlupinades,  etc.  Je  consens  que  vous 
»  purgiez  vostre  bile  et  que  vous  vous  deschargiez  le  cœur  à  mes  des- 
»  pens.  »  {Lettre  325  de  Costar.) 

XXVII.  —  P.  /|14,  lig.  7. 
Saînt-Evremont ,  mtteur  de  la  comédie  de  l'Académie. 

Ou  plutôt  des  Academistcs.   Saint-Evremont  y  traitoit   Boisrobert 
assez  bien  :  «  Je  voudrois,  »  y  dit  Saint-Amant  : 

Que  des  ^mis  rivaux  Boisrobert  ayant  honte. 
Revint  à  son  talent  de  faire  bien  un  conte 

Puis  Faret  réplique  : 

Boisrobert  est  plaisant  autant  qu'on  sçauroit  l'estre, 
Il  est  assez  bien  mis  dans  l'esprit  de  son  maistre; 
A  tous  ses  madrigaux  il  donne  un  joly  tour 
Et  feroit  des  leçons  aux  Grecs,  de  leur  amour. 

Au  reste,  ces  vers  ne  sont  pas  dans  les  premières  éditions  de  cette 
satire  curieuse. 

XXVin.  —  P.  41/1,  note  2,  lig.  13. 
//  y  mit  celle  qu'il  fît  contre  M.  Servien. 

Il  est  parlé  de  ses  querelles  avec  Servien,  fondées  sur  de  mauvais  pro- 
pos tenus  ou  attribués  à  Boisrobert,  dans  plusieurs  des  Epîtres  publiées 


BOISROBERT.  433 

en  1659;  entre  autres  dans  la  première  à  l'abbé  Fouquet,  et  dans  celle 
qui  est  adressée  au  comte  de  Saint-Aignan  ;  mais  Servien  n'y  est 
touché  que  fort  légèrement.  Boisrobert,  dans  la  seconde,  dont  il  re- 
commandoit  la  lecture  au  premier  président  Mole,  cherchoit  plutôt  à 
démentir  les  mauvais  propos  qu'on  lui  avoit  attribués  et  qui  lui 
avoient  attiré  le  ressentiment  d'Abel  Ser\ien.  Il  ne  nomme  pas  non 
plus  son  dénonciateur  près  de  Servien  : 

.     .  On  sçait  que  le  traistre  et  le  lasche 

Qui  sourdement  en  m'accusant  se  cache, 
Kst  un  faussaire,  un  monstre,  un  scélérat 
Dont  on  devroit  avoir  purgé  l'Estat; 
Je  m'en  rapporte  au  dire  véritable 
Des  autres  sept  qui  mangeoient  <i  sa  table. 
Ce  ne  sont  point  comme  luy  Halfessiers, 
On  les  connoist  pour  sages  officiers,  etc. 

{Epitre  au  duc  de  Saint-Aignan,  p.  153.) 

Ce  mot  Halfessier  n'est  pas  dans  les  Dictionnaires  anciens  d'Oudin 
et  de  le  Roux. 

XXIX.  —  P.  415,  lig.  40. 

L'abbé  de  Villarseaux,  mon  lioste. 

René  de  Mornay,  abbé  de  Saint-Quentin-lez-Beauvais.   C'etoit  un 
grand  prodigue  : 

Le  sieur  abbé  de  villarsceaux 
Qui,  s'il  avoit  d'or  plein  sept  sceaux 
Et  d'argent  trente  bourses  pleines. 
Les  vuideroit  dans  trois  semaines. 
Fit  l'autre  jour  un  grand  festin 

Dans  le  pays  nommé  Vexiu 

(LoRET,  Muse  historique,  31  mai  1633.) 

Il  mourut  quelques  mois  après  son  frère,  le  célèbre  marquis  de  Vil- 
larseaux, le  27  septembre  1691. 

XXX.  —  Fin. 

Voici  l'ppitaphe  que  Loret  fit  au  pauvre  abbé  de  Boisrobert  : 

Cy  gist  un  monsieur  de  Chapitre, 
Cy  gist  un  abbé  portant  mître, 
Cy  gist  un  courtisan  expert, 
Cy  gist  le  fameux  Boisrobert  ; 
Cy  gist  un  homme  académique, 
Cy  gist  un  poète  comique. 
Et  toutefois  ce  monument 
N'enferme  qu'un  corps  seulement. 

[Muse  historique,  du  3  avril  1662.) 

II.  28 


XCIX. 
FEU  xMONSlEUR  LE  PRINCE, 

HENRY    DE    BO.URBON. 

(Henry  II  de  Bourbon,  Prince  de  Condc,  né  \"  septembre  1588,  mort 
26  décembre  lG/t6.) 

Feu  Monsieur  le  Prince  a  eu  une  jeunesse  assez 

obscure  et  assez  malheureuse.  Nous  avons  parlé  ail- 

Tora-  îg'pPigJ''^- 174,  leurs  *  de  sa  fuitte  en  Flandres,  de  son  retour  et  de  sa 

prison.  Ses  exploits,  qui  sont  petits,  se  voyent  dans 

les  Mémoires  de  M.  de  Rohan  et  ailleurs. 

On  a  une  lettre  où  ce  seigneur  lui  reproche  sa 
sodomie  en  ces  termes  :  «  Au  moins  n'ay-je  rien  fait 
»  qui  me  face  appréhender  le  feu  du  ciel.  »  De  tout 
temps  Monsieur  le  Prince  a  esté  accusé  de  ce  vice, 
tesmoing  le  sonnet  de  Rautru ,  fait  du  temps  que  la 
Reyne  Marguerite  vivoit  encore.  On  fit  aussy  une 
chanson  que  je  n'ay  pu  trouver,  où  l'on  faisoit  aller 
tous  les  beaux  garçons  de  la  Cour  au  devant  de 
luy  '.  On  n'auroit  jamais  fmy,  si  l'on  vouloit  conter 
toutes  ses  vilainies. 

1  A  Compiegne,  durant  la  dernière  Régence,  il  eut  une  espèce  de 
scorbut  aux  lèvres;  cela  venoit  d'une  c. — p.  rentrée.  On  le  sçeût,  et 
M™"  de  Brienne  dit  à  la  Reyne  :  «  Quelle  mesdisance  !  On  disoit  qu'il 
»  ne  voyoit  point  de  femmes.  » 


beau  jeu. 


FEU    MOISSIELR    LE    PRINCE.  4o5 

Autrefois,  que  c'estoit  assez  la  mode  de  jouer  à 
l'Jbbé*,  Monsieur  le  Prince  a  fait  des  ordures  espou-   tou?  L  ^l  /Jra 
vantables.  Il  fit  manger  une  fricassée  de  toutes  sortes 
de  fruits  dont  il  mangea  le  premier,  puis  du  dégo- 
billé  d'ivrogne  dans  la  poisle,  et  des  apprestes  *  pain 'aii^^^^n  momi- 
trempées  dans  un  aposthume  de  cheval.  La  Vallée, 
qui  estoit  à  luy,  pour  n'en  avoir  pas  voulu  manger, 
fut  mis  au  carcan  *.  —  En  une  desbauche  il  passa  tion"conv"Jnie'à°cë 
tout  nû  à  cheval  par  les  rues  de  Sens,  en  plein  midy, 
avec  je  ne  scay  combien  d'autres  nûs  aussy. 

Il  a  bien  fait  la  debausche  avec  les  escoliers  de 
Bourges  :  il  leur  faisoit  manger  leur  argent;  il  a 
quelquefois  pris  des  promesses  d'eux.  Il  les  trichoit 
au  jeu,  et  ayant  gaigné  le  disner  à  la  boule  à  un,  il 
luy  dit:  «  J'envoyeray  demain  de  quoy,  ne  vous  met- 
»  tez  pas  en  peine.  »  Il  envoya  le  lendemain  un  pasté 
et  deux  bouteilles  de  vin,  et  mena  vingt-cinq  gen- 
tilshommes, comme  gouverneur  du  pays.  Quand  il 
alloit  au  cabaret,  au  pis  aller  il  ne  payoit  que  sa 
part,  et,  s'il  pouvoit,  il  laissoit  payer  les  autres  pour 
luy. 

Un  jour,  en  une  petite  ville ,  quand  il  voulut 
compter  avec  l'hoste,  l'hoste  luy  dit  que  les  esche- 
vins  de  la  ville  avoient  payé  sa  dépense  :  il  luy  de- 
manda combien  il  avoit  eu  :  «  Monseigneur,  »  res- 
pondit  cet  homme ,  «  on  a  un  peu  payé  la  qualité  : 
«  j'ay  eu  cinquante  escus  plus  que  je  n'aurois  eu 
»  d'un  autre.  »  On  dit  qu'il  le  contraignit  à  luy 
donner  ces  cinquante  escus. 

Une  autre  fois,  comme  il  estoit  prest  de  signer  un 


436  LES    HISTORIETTES. 

bail  à  ferme  d'une  de  ses  terres,  il  dit  aux  fermiers 
qu'ils  luy  confessassent  combien  ils  donnoient  à  Per- 
rault son  secrétaire,  et  les  ayant  obligé  à  avouer 
qu'ils  luy  donnoient  cent  escus,  il  se  les  fit  bailler, 
leur  disant  que  puisque  ce  n'estoit  que  pour  le  faire 
signer,  il  alloit  signer  et  qu'ils  n'auroient  plus  af- 
faire de  son  secrétaire.  Cependant  ce  secrétaire  a 
fait  une  grande  fortune  avec  luy,  car  il  faut  qu'un 
habile  homme  fasse  ses  affaires  et  celles  de  son 
maistre  à  la  fois.  Il  luy  prestoit  de  l'argent  pour  en- 
trer en  une  affaire,  s'en  faisoit  payer  l'interest,  puis, 
comme  il  estoit  homme  de  bon  compte,  il  luy  disoit  : 
«Tenez,  il  y  a  tant  de  profict  pour  vous.  »  Quand  on 
luy  donnoit  de  l'argent  pour  quelque  affaire ,  il  le 
mettoit  dans  un  coffre  et  le  rendoit  si  l'affaire  ne 
se  faisoit  pas. 

Les  habitans  de  je  ne  sçay  quelle  paroisse  le  priè- 
rent un  jour  de  trouver  bon  qu'ils  s'avouassent  de 
luy  pour  estre  exemptez  des  gens  de  guerre  :  «Mais,  » 
leur  dit-il,  «  que  me  donnerez-vous?  — Monseigneur, 
»  nous  vous  ferons  un  présent.  —  Non,  je  veux  quel- 
»  que  chose  de  certain.  »  Il  ne  leur  promit  point 
qu'auparavant  ils  ne  fussent  tombez  d'accord  de  la 
somme  et  du  terme,  et  il  les  avertit,  comme  ils  s'en 
alloient,  qu'ils  luy  envoyassent  sans  faute  cette 
somme,  car  il  la  leur  demanderoit  plustost  la  veille 
que  le  lendemain. 

Il  eut  de  belles  terres  de  la  confiscation  de  M.  de 
Montmorency  ;  mais  son  plus  grand  bien  venoit  des 
affaires  qu'il  avoit  faittes. 


FEU    MONSIEUR    LE    PRINCE.  k'dl 

Un  jour  qu'il  avoit  haussé  bien  des  fermes ,  le 
marquis  de  Rostaing ,  autre  avaricieux ,  disoit  : 
«  Voylà  un  homme  qui  vous  apprend  bien  à  vivre'.  » 

Monsieur  le  Prince  depensoit  pourtant  beaucoup; 
mais  sa  dépense  ne  paroissoit  pas.  Il  avoit  des  équi- 
pages complets  en  plusieurs  maisons  ;  il  donnoit  à 
ses  gens  le  moins  qu'il  pouvoit,  mais  il  payoit  tous 
les  premiers  de  l'an,  et  à  Pasques  il  leur  donnoit 
de  quoy  aller  à  confesse.  Jamais  il  n'y  a  eu  mai- 
son mieux  réglée  :  ce  n'eust  pas  esté  un  mauvais 
Roy  ;  véritablement  il  n'eust  pas  esté  si  redouté 
qu'Henry  IV%  On  perdit  furieusement  à  sa  mort, 
car  il  n'eust  pas  souffert*  les  barricades  ny  le  blocus  f^omme^ses  trois  « 
de  Paris. 

Parlons  à  cette  heure  de  sa  politique.  On  a  cru 
qu'il  s'estoit  engagé,  à  Rome,  à  tourmenter  les  Hu- 
guenots; d'autres  disent  que  de  peur  qu'on  ne  crust 
qu'il  voulust  brouiller*  avec  eux  comme  son  grand-  '"""'''  t'es  brigues, 
père  et  comme  son  père,  il  tesmoignoit  plus  de  haine 
pour  eux  qu'il  n'en  avoit.  Il  escrivit  je  ne  sçay  quoy 
contre  les  Janssenistes ,  et  fit  estuclier  ses  deux  filz 
aux  Jésuites. 

Il  sçavoit  si  peu  qui  estoient  les  beaux  esprits, 


1  n  avoit  rame  d'un  intendant  de  grande  maison  :  jamais  homme 

n'a  tenu  ses  papiers  en  meilleur  ordre.  H  couroit  à  cheval  sur  une  ha- 

quenée  par  Paris,  avec  un  seul  valet  de  pied,  pour  solliciter  un  pro- 

cez.  Il  alloit  chez  feu  la  Martellierc,  les  jours  de  son  conseil*;  (en  ce  ''e  ses  consultations. 

temps-là  les  advocats   n'estoient  pas   si  lasches  qu'à  cette  heure.)  Il 

alloit  voir  Vitray  deux  fois  la  semaine,  comme  un  homme  de  bon  sens; 

fichu  au  reste,  qu'il  n'y  avoit  rien  de  mesure  *.  S'il  eust  esté  propre,  il      •'^  "°'^  9"','!,f^H* 

.         .  11^1'     entendre  :  nabtlle  de 

n  auroit  point  este  trop  mal.  pièces  et  morceaux. 


lioS  LES    HISTORIETTKS. 

qu'un  jour  ayant  trouvé  M"'  de  Longueville,  sa  fille, 
à  table,  M.  Chapelain  disnoit  avec  elle,  elle  se  leva, 
il  luy  vouloit  dire  quelque  chose  ;  après  il  luy  de- 
manda :  «  Qui  est  ce  petit  noireau?  — C'est  M.  Cha- 
»  pelain,  »  dit-elle. —  «  Qui  est-il? — C'est  luy  qui  fait 
»  la  Pucelle.  —  Ah  !  »  dit-il ,  «  c'est  donc  un  sta- 
)>  tuaire  ?  >' 

Au  retour  d'Italie,  de  peur  de  donner  de  l'om- 
brage n  M,  de  Luynes,  il  s'alla  confiner  à  Bourges. 
Ce  fut  là  qu'il  connut  Perrault,  qui  y  estoit  escolier  et 
qui  devint  enfin  son  maistre,  car  il  juroit  plus  haut 
que  luy.  Sous  le  cardinal  de  Richelieu,  il  n'a  pas 
soufflé.  11  disoit  un  jour  à  son  filz  :  «  C'est  bon  pour 
»  vous,  qui  estes  vaillant*.  »  11  ne  croyoit  pas  que  son 
filz,  s' exposant  comme  il  faisoit,  luy  dust  survivre, 
et  quand  il  sceût  l'affaire  de  Fribourg  :  «  Ah!  »  dit- 
il,  «  il  n'en  a  plus  que  pour  une  campagne.  » 

Quand  il  sceût  que  M.  d'Anguien  n'avoit  point  este 
uistor.,  II,  p.  183.  ^*^"'  ^^-  le  cardinal  de  Lyon*,  il  envoya  quérir  Daliez, 
homme  d'affaires ,  son  grand  factotum  en  fait  de 
finances  après  Perrault,  et  luy  dit  en  une  colère  hor- 
l'ible  :  «  Vous  avez  fait  donner  dix  mille  escus  à  mon 
»  filz  à  Lyon,  vous  estes  cause  de  sa  perte  :  s'il  n'eust 
»  point  eu  tant  d'argent ,  il  fust  allé  voir  le  cardinal 
»  de  Lyon,  oncle  de  sa  femme  :  il  n'eust  pas  passé 
»  sans  luy  rendre  visite.  »  Daliez  dit  cju'il  n'avoit  fait 
compter  à  M.  d'Anguien  que  cent  pistolles  par-delà 
la  somme  ordonnée  par  Monsieur  le  Prince.  Or  le 

*  Il  disoit  :  «  Il  est  vray,  je  suis  poltron,  mais  ce  bougre  de   Ven- 
»  dosme  l'est  encore  plus  que  nioy.  » 


FEU    MONSTELiR    LE    PRINCE.  fl2>9 

cardinal  de  Richelieu  prit  cela  au  point  d'honneur  : 
c'estoit  par  fierté  qu'il  n'y  avoit  point  esté ,  sous 
prétexte  que  les  princes  du  sang  ne  vouloient  cé- 
der qu'au  seul  cardinal  de  Richelieu,  et  non  aux 
autres*.  On  a  crû  que  le  Cardinal  avoit  dessein  de 
les  perdre  quand  il  mourut;  mais  c'estoit  seulement 
qu'il  les  vouloit  desunir  pour  estre  maistre  du  duc 
d'Anguien,  et  l'obliger  à  avoir  recours  à  luy. 

Le  Roy  avoit  laissé  icy  feu  Monsieur  le  Prince 
pour  commander  durant  le  voyage  de  Perpignan.  Au 
Te  Deum,  il  se  mit  à  la  teste  du  Parlement,  comme 
le  Roy.  Le  Parlement  vouloit  se  retirer,  le  premier 
président  Mole  leur  remontra  que  cela  desplairoit  au 
Roy;  mais  il  signifia  à  Monsieur  le  Prince  que  c'es- 
toit entreprendre  sur  le  Parlement,  et  qu'on  s'en 
plaindroit  au  Roy  ;  en  effect,  Monsieur  le  Prince  eut 
une  réprimande. 

Il  fit  une  fois  un  vilain  tour  à  M.  d'Anguien  à  Fri- 
bourg.  M.  d'Anguien  avoit  grivelé  sur  les  gens  de 
guerre  trente  mille  escus  qu'il  envoya  en  or  à  Paris. 
Monsieur  le  Prince  en  fut  averty.  Il  va  avec  un  com- 
missaire, luy-mesme,  car  Perrault  n'y  voulut  jamais 
aller,  faire  ouvrir  la  malle  où  estoit  cet  or,  et  en  paya 
ce  que  son  filz  devoit  à  M.  de  Longueville  et  h  d'au- 

^  Ils  luy  cedoient,  disoient-ils,  comme  jn'emier  ministre,  et  comme 
les  princes  autrefois  cedoient  à  l'abbé  Suger,  (mais  il  estoit  régent).  Le 
Cardinal,  qui  vouloit  plaire  à  Rome,  disoit  que  c'estoit  à  la  pourpre 
eminentissime  qu'il  falloit  rendre  cet  honneur.  Il  rapportoit  l'exemple 
des  souverains  d'Italie  ;  le  cardinal  de  Richelieu,  effectivement,  vou- 
loit qu'ils  cédassent  au  cardinal  Mazarin.  Au  retour  de  Perpignan, 
par  despit,  le  père  et  le  filz  s'en  allèrent  en  Bourgogne,  et  y  estoient 
quand  le  Cardinal  mourut. 


440  LES    HISTORIETTES. 

très;  et  quand  il  revint,  il  luy  donna  des  quittances 
au  lieu  de  ses  louis  d'or,  en  luy  disant  :  «  Il  faut 
»  tousjours  commencer  par  payer  ses  debtes.  » 


COMMENTAIRE. 

I.  —  P.  /(36,  lig.  7. 
Ce  secrétaire  {Perrault)  a  fait  ttne  grande  fortune. 

Jean  Perrault,  par  la  suite,  acheta  une  charge  de  président  à  la 
Chambre  des  Comptes,  et  fonda,  par  son  testament,  un  service  annuel 
))our  l'âme  de  Monsieur  le  Prince,  aux  Jésuites  de  la  rue  Saint-Antoine. 
La  première  fois,  le  10  décembre  1G83,  Rourdalouc  prononça  l'oraison 
funèbre.  {Lettre  de  .1/°"  de  Sévigné  à  Bussij,  IG  décembre  1G83.) 

Le  président  Perrault  ne  se  contenta  pas  de  cela;  il  fit  construire 
pour  le  prince  de  Condé,  dans  la  même  église,  un  mausolée  que  le 
chevalier  Bernini  rcgardoit  comme  une  des  plus  belles  choses  de  France. 
Ce  tombeau  lui  avoit  coûté  plus  de  deux  cent  mille  livres.  Boursault, 
qui  a  fait  une  longue  cpitaphe  en  vers  du  président  Perrault,  dit  qu'il 
dépensoit  en  aumônes  plus  de  onze  mille  livres  par  an.  «  M.  Perrault, 
»  qui  avoit  tant  de  parens  qui  abboyoient  après  son  bien,  n'en  a  trouvé 
»  aucun  à  qui  sa  gloire  fust  assez  chère  pour  en  prendre  soin.  Eh  !  com- 
»  ment  auroit-on  fait  quelque  chose  pour  luy  après  sa  mort,  puisque 
»  avec  toutes  les  richesses  qu'il  avoit,  on  luy  refusoit  jusqu'aux  neces- 
»  sites  de  la  vie  !  Il  m'avoit  fait  la  grâce  de  me  placer  de  la  manière  du 
»  monde  la  plus  honneste  dans  un  testament  olographe  qu'il  fit  pen- 
»  dant  toute  la  force  de  sa  raison,  et  qu'on  luy  fit  révoquer  quand  il 
»  Teut  pei'due.  Je  luy  en  ay  la  même  obligation.  C'est  assez  qu'il  ait  eu 
»  de  la  bonne  volonté,  pour  m'obliger  îi  avoir  delà  gratitude.  »  {Lettres 
nouvelles  de  lionrsnult ,  1700,  tom.  i,  p.  92.) 

Le  même  Boursault,  dans  un  billet  écrit  à  Charpentier,  de  l'Académie, 
pour  l'inviter  à  dîner,  nous  indique  où  logeoit  le  président  Perrault  : 

Venez  vis-à-vis  le  Louvre, 
riiez  le  presitlent  Perrault; 
Kt  si  la  porte  est  fermée, 
lluehez.T  l'accoustumee.... 

(Lettres  tioiivelles,  t.  ai,  p.  318.1 

IL  -  P.  ÛSG,  lig.  28. 
//  ml  de  belles  terres  de  la  confiscation  de  M.  de  Montmorency. 
Entre  autres  Chantilly  '"t  Dampmartin.  "  Si  la  Reync  luy  fit  rlonner 


FEU    MONSIEUR    LE    PRINCE.  llM 

n  les  maisons  de  Chantilly  et  de  Dampmartin,  ce  fut  une  reconnois- 
»  sance  digne  d'une  Reyne;  mais  ce  fut  encore  une  générosité  bien 
»  séante  à  un  Roy  de  ne  vouloir  point  profiter  de  trente  mille  livres  de 
»  rente  de  la  confiscation  des  biens  du  feu  duc  de  Montmorency,  son 
»  beau-frère.  Si  elle  luy  donna  la  permission  d'achepter  ceux  du  feu  duc 
»  de  Bellegarde,  je  ne  sçay  si  elle  eust  eu  la  pensée  de  le  refuser  à  tout 
»  autre,  veù  que  ces  biens  estoient  dans  le  commerce,  et  qu'on  estoit 
»  obligé  de  les  vendre.  »  [Response  de  Monseigneur  le  Prince  à  la  Reyne 
régente  au  sujet  de  sa  détention,  1651,  p.  6.) 

Suivant  Lenet,  qui  a  fait  du  prince  de  Condé  un  éloge  moins  chargé 
que  n'est,  dans  le  sens  contraire,  notre  Uistoriette  :  «  Monsieur  le  Prince 
»  savoit  se  precautionner  contre  l'esprit  des  hommes  sans  le  faire  con- 
»  noistre  ;  il  aimoit  à  profîtter ,  mais  il  vouloit  qu'on  fist  d'honnestes  gains 
»  sous  sou  autorité,  et  proportionnés  au  mérite  de  ceux  avec  qui  il 
»  traitoit.  »  {Mémoires,  liv.  vi.) 

Pour  ses  mœurs ,  il  est  certain  qu'on  en  médisoit  beaucoup.  Il  avoit 
un  page  nommé  Hoquetot  ou  Hecquetot,  qui  inspira  ces  vers  : 

Crimina  snnt  septem,  crimina  Principis  octo. 

m.  —  P.  437,  lig.  1«. 

Le  marquis  de  Rostaing,  autre  avaricieux. 

Charles  marquis  de  Rostaing,  marié  à  la  fille  du  chancelier  de  Chi- 
verny,  dont  vint  le  comte  de  Bury.  Il  mourut,  non  pas  le  9  janvier  1659, 
comme  on  le  fait  dire  à  Guy  Patin,  dans  une  lettre  sans  doute  mal 
datée  du  9  janvier  1659,  mais  le  1"  ouïe  2  janvier  1660,  comme  l'an- 
nonce horet,  3Iuse  historique  du  10  janvier  de  cette  année  : 

Enfin ,  il  n'est  que  trop  certain 

Que  le  vieux  marquis  de  Rostain, 

D'âge  un  peu  plus  qu'octogénaire. 

Fut  rais  dans  un  drap  mortuaire. 

Le  dimanciie  dernierpassé... 

Il  laisse  un  très  ample  héritage 

\  ses  enfans  pour  leur  partage, 

Et  quantité  de  beaux  trésors 

Dans  deux  ou  trois  grands  coffres  forts. 

Il  fut  assez  bon  catholique. 

Il  se  piquoit  de  politique  ; 

II  fut,  dit-on,  assez  pieux. 

D'honneur  il  etoit  convoiteux. 

Et,  moitié  fiiste,  moitié  zèle. 

Il  fit  peindre  mainte  chapelle 

D'or,  d'azur  et  d"autres  couleurs, 

Tant  en  sa  paroisse  qu'ailleurs,  etc. 

Des  Réaux,  qui  en  parle  plusieurs  fois,  signale  dans  ses  mœurs 
quelque  singularité. 


4/12  LES    HISTORIETTES. 

IV. —  P,  437,  lig.  10. 
Ce  ti'eust  pas  esté  un  mauvais  Boy. 

Des  Réaux  fait  cette  réflexion ,  parce  que ,  à  défaut  de  Henry  IV,  la 
couronne  arrivoit  de  droit  au  prince  de  Condé. 

Il  avoit  du  moins  cela  de  commun  avec  le  Béarnois,  qu'il  ôtoit  natu- 
rellement grivois  et  raillard.  Boursault  cite  une  plaisantei'ie  de  lui  de 
mauvais  goût,  mais  amusante  :  «  Il  avoit  dans  sa  belle  maison  de 
»  Saint-Maur  un  jardinier,  natif  de  Vandœuvre,  petite  villette  à  trois 
»  lieues  de  Bar-sur-Aube.  Il  s'appclloit  Antoine  Pion,  cstoit  marié,  et  son 
»  premier  enfant  estant  un  garçon ,  il  pria  effrontément  Monsieur  le 
»  Prince  d'en  estre  le  parrain.  Monsieur  le  Prince,  qui  en  estoit  bien 
»  servy,  ne  voulut  pas  luy  refuser  un  si  grand  honneur  ;  mais  au  lieu 
»  de  donner  son  nom  à  l'enfant,  il  eut  la  malice  de  lui  donner  le  nom 
»  du  sainct  du  lieu ,  de  sorte  que  ce  pauvre  petit  garçon  ayant  été 
»  nommé  Maiir^  et  son  père  s'appellant  Pion,  on  ne  pouvoit  prononcer 
»  le  nom  de  cet  enfant-là  sans  rire.  Il  y  a  encore  à  Vandœuvre  de  ses 
»  petits-fils ,  à  qui  l'on  ne  peut  donner  plus  de  chagrin  que  de  leur 
»  parler  du  filleul  de  Monsieur  le  Prince.  »  {Lettres  nouvelles ,  1709, 
p.  202.) 

Il  y  a  aussi  une  jolie  mazarinade,  Rcqticstc  présentée  à  Monsieur 
le  Prince  par  les  Viiincrons  de  son  gouvernement,  Paris,  1G69,  dans 
laquelle  l'auteur  rappelle  plusieurs  traits  du  caractère  du  père  du  grand 
Condé  : 

Disant  que  toute  nostre  troupe 
Qui  ne  met  de  l'eau  qu'en  sa  soupe, 
Honoroit  vostre  géniteur 
Qui  l'aimoit  aussy  de  bon  cœur; 
Puis  qu'il  chinquoit  à  tasse  pleine 
A  longs  faits  et  perte  d'haleine, 
J)edans  Paris  et  dans  Hijon, 
iSosIre  vin  qu'il  trouvoit  fort  bon..   . 

Qu'aussy,  nostre  main  libérale 

Luy  payoit  tousjours  proniptemeiit 
Son  plat  et  son  appointement. 
Que  ee  prince  estoit  politique. 
Qu'il  sçavoit  mesme  la  pratique. 
Qu'il  estimoit  les  Parlcmens, 
Qu'il  calmoit  les  soulevemens; 
Qu'il  estoit  dévot  à  l'église 
Où  saint  Pierre  a  sa  chaire  mise; 
Qu'il  aimoit  les  religieux 
Et  faisoit  des  actes  pieux; 
Qu'il  ne  vuidoit  point  leur  besace , 
Qu'il  aimoit  la  dame  fricace, 
Qu'il  faisoit  bien  les  saupiquets, 
Qu'il  haissoit  les  al'fiqiiets 


FEU    MONSIEUR    LE    PRINCE. 


[\k2> 


Et  toutes  les  femmes  infâmes  ; 

0"'i'  prisoit  les  honnestes  dames; 

Que  sans  jurer  le  nom  de  Dieu, 

Il  juroit  seulement  webieu  ! 

Qu'il  payoit  tousjours  le  salaire 

Et  mesme  son  apothicaire, 

listant  encor  sur  le  bassin  , 

Aussy  bien  que  son  médecin. 

Qu'en  son  temps,  on  voyoit  nos  filles 

Belles,  honnestes  et  gentilles,  • 

Uanser  sous  l'orme  à  petits  bonds, 

Ainsy  que  de  petits  moutons; 

Que  nos  gars  plus  remplis  d'audace 

Se  faisoient  souvent  la  grimace. 

Estant  l'un  de  l'autre  jaloux. 

Qui  seroit  plus  tost  son  espoux; 

Qu'ils  estoient  en  bonne  posture 

Avec  beaux  gants,  belle  encolure. 

Avec  du  volet  *  au  chapeau 

Et  des  toupets  au  renouveau,  etc. 

Enfin,  M"^  de  Motteville  a  jugé  avec  beaucoup  d'esprit  et  de  sens  le 
prince  de  Condé,  et  ses  paroles  confirment  l'Historiette  de  des  Réaux. 
«  Outre  la  mauvaise  réputation  qu'il  avoit  eue  dans  sa  jeunesse,  il estoit 
»  avare  et  malheureux  à  la  guerre.  C'est  le  terme  le  plus  doux  dont  on 
»  puisse  se  servir  pour  parler  d'un  prince  qui  ne  passoit  pas  pour  vail- 
»  lant.  Ceux  qui  l'avoient  vu  jeune  disoient  qu'il  avoit  été  beau  ;  mais 
»  sur  ses  dernières  années,  il  estoit  sale  et  vilain....  Ses  yeux,  qui 
»  estoient  fort  gros,  estoient  rouges.  Sa  barbe  estoit  négligée,  et  d'ordi- 
»  naire  ses  cheveux  estoient  fort  gras  ;  il  les  passoit  toujours  derrière 
»  ses  oreilles,  si  bien  qu'il  n'estoit  nullement  agréable  à  voir.  Mais  il 
»  faut  ajouter  qu'il  vouloit  que  les  lois  de  l'Etat  fussent  observées,  et 
')  que  dans  les  Conseils,  il  protégeoit  toujours  la  justice....  Ce  même 
»  esprit  luj'  faisoit  avoir  de  l'ordre  dans  sa  maison.  Il  avoit  soin  lui- 
»  même  d'envoyer  ses  domestiques  à  la  messe,  les  dimanches  et  festes, 
11  et  le  jour  de  Pasques  il  avoit  accoustumé,  pour  obliger  ses  gens  à 
»  faire  leur  devoir  en  ce  sainct  jour,  de  leur  faire  distribuer  chacun  un 
»  quart  d'ecu.  Il  traita  Madame  la  Princesse  comme  s'il  l'eust  aimée  toute 
»  sa  vie.  Elle  ne  fut  pas  au  desespoir  de  sa  mort,  et  l'illustre  M"*  de 
»  Rambouillet  fut  estimée  d'avoir  dit  en  cette  occasion  que  Madame  la 
»  Princesse  n'avoit  jamais  eu  que  deux  belles  journées  avec  Monsieur 
»  le  Prince ,  qui  furent  le  jour  qu'il  l'espousa ,  par  le  haut  rang  qu'il 
»  luy  donna,  et  le  jour  de  sa  mort,  par  la  liberté  qu'il  luy  rendit  et  le 
»  grand  bien  qu'il  luy  laissa.  Outre  qu'elle  en  fut  favorablement  traitée 
»  par  son  testament ,  comme  elle  est  héritière  de  cette  grande  maison 
»  de  Montmorency,  elle  avoit  de  grands  droits  à  prendre  sur  le  bien 
»  de  monsieur  son  mary.  )>  {Mcinoires,  i,  p.  240.) 

La  maison  de  Condé ,  branche  puînée  de  la   maison  de  Rourbon , 


Petite     flèche    ou 
plumes. 


lldll  LES    HISTORIETTES. 

remontoit,  comme  on  sait,  à  l'un  des  frères  d'Antoine  de  Bourbon,  roi 
de  Navarre,  et  père  de  Henry  IV.  Voici  l'ordre  régulier  de  la  descen- 
dance, en  ligne  directe,  jusqu'à  sa  lamentable  extinction  en  1830  : 

I. 

Louis  I",  tué  par  François  do  Montesquiou ,  le  13  mars  1569; 
Première  femme ,  Eleonore  de  Roye  ; 
Deuxième  femme ,  Françoise  d'Orleans-Rothelin. 

II. 

Henry  I",  mort  le  5  mars  1588; 

Première  femme ,  Mario  de  Cleves  ; 

Deuxième  femme ,  Charlotte-Catherine  de  la  Tremouille. 

ni. 

Henry  II ,  premier  prince  du  sang  ; 
Charlotte-Marguerite  de  Montmorency. 

IV. 

Louis  II  (le  grand  Condé),  mort  le  11  décembre  1680; 
Claire-Clémence  de  Maillé. 

V. 

Henry-Jules,  mort  le  l"'  avril  1709; 
Anne  de  Bavière. 

VI. 

Louis  III,  mort  le  /i  mars  1710; 

Louise-Françoise  de  Bourbon ,  légitimée  de  France. 

VII. 

Louis-Henry  (Monsieur  le  Duc),  mort  le  27  janvier  17^0; 
Première  femme ,  Mario-Anne  de  Bourbon-Conty  ; 
Deuxième  femme,  Caroline  de  Hesse-Rhinfeld-Rothembourg. 

Vin. 

Louis-Joseph,  mort  le  13  mai  1818; 

Première  femme,  Charlotte-Godefride-Elisabeth  de  Rohan-Soubise; 

Deuxième  femme,  Catherine  de  Brignole ,  princesse  de  Monaco. 

IX. 

Louis-Henry-Joseph,  mort  au  mois  d'août  1830  ; 
Louise-Marie-Thercse-Bathilde  d'Orléans. 

X. 

Louis-Antoine-Henry,  duc  d'Enghien,  mort  le  21  mars  180^i. 


c. 


L'ARCHEVESQUE  DE  RHEIMS. 

[Eleonor  d'Estampes  de  Valençaij,  né  vers  1589,  cvesque  de  Chartres  en 
1620,  arclwvesqiie  de  Reims  en  novembre  1641;  mort  8  avril  1651.) 


Eleonor  d'Estampes  avoit  fort  bien  estudié  et  avoit 
la  mémoire  hem'euse  :  il  a  escrit  quelque  chose.  Il 
avoit  r esprit  agréable,  estoit  bien  fait  de  sa  per- 
sonne ;  mais  il  n'y  a  jamais  eu  un  homme  si  né 
à  la  bonne  chère  et  à  l'escroquerie  ;  bon  courtisan, 
c'est-à-dire  lasche  et  flatteur.  11  eut  l'abbaye  de 
Bourgueil,  en  Anjou,  dez  son  enfance  ;  après,  il  fut 
evesque  de  Chartres,  et  enfin  archevesque  de  Reims, 
quand  on  fit  le  procez  à  M.  de  Guise*.  Retiré  à Bmxeues. 

Il  faut  commencer  par  Bourgueil  *.  On  m'a  asseuré  a  3  ueuesdechinoa. 
en  ce  pays-là  qu'il  avoit,  par  une  jalousie  d'amou- 
rette, fait  tuer  à  coups  de  marteau ,  dans  une  cave, 
un  des  moines,  avant  que  la  reforme  y  eust  esté  in- 
troduitte.  Pour  des  escroqueries,  il  y  en  a  fait  comme 
ailleurs,  et  à  tel  poinct  que  les  habitans  n'osoient  faire 
paroistre  leur  bien  '. 

Pour  le  lieu,  il  l'a  embelly  en  toutes  choses;  car 

1  L'abbaye  de  Bourgueil  doit  au  Roj',  toutes  les  fois  qu'il  va  en 
personne  à  la  guerre,  un  roussin  de  service,  évalué  quatre-vingts  li- 
vres. Quand  le  feu  Roy  fut  au  siège  de  la  Rochelle,   M.  de  Chartres 


ZlAO  LES    HISTORIETTES. 

il  a  presque  partout  fait  de  la  dépense  à  ses  bénéfi- 
ces. Bourgueil,  sans  doute,  est  une  fort  agréable  de- 
meure, et  ce  qu'il  y  a  fait  est  fort  beau  :  en  revan- 
che ,  il  a  quasy  coupé  et  vendu  toute  la  forest.  Son 
intendant  Fontelaye  (intendant,  c'est  pour  parler 
honorablement,  c'estoit  un  ecclésiastique  qui  a  voit 
seing  de  ses  affaires  à  Bourgueil,  mais  qui  estoit  fort 
aimé  dans  le  pays  ;  il  recevoit  à  ses  dépens  les  com- 
pagnies quand  son  maistre  n'y  estoit  pas)  ;  Fontelaye 
donc,  qui  sentoit  aussy  un  peu  l'escroc,  car  tel  le 
maistre  tel  le  valet,  luy  proposa  de  couper  une  route 
dans  la  forest,  pour  voir  passer  du  chasteau  les  bat- 
teaux  sur  la  Loire  ;  il  vouloit  l'attrapper,  car  la  levée, 
qui  est  bordée  d'arbres ,  empesche  qu'on  ne  voye 
mesme  les  voiles.  «11  se  trouvera  des  gens,  »  ad- 
jousta-t-il ,  «  qui  prendront  le  bois  pour  la  façon.  » 
M.  de  Chartres  le  luy  permit,  et  l'autre,  qui  avoit 

fit  sonner  cela  bien  haut  aux  habitans,  et   fit  si  bien  valoir  le  com- 

Priviléged'évoquer  mittimus  *,  qu'il  en  tira  plus  de  quatre  mille  livres. 
les  causes  devant  le  '■ 

conseil  ou  les  gens       Pour  paver  les  avenues  (le  Bourgueil,  il  obtint  delà  Cour  uneordon- 
de  l'hostel  flu  Roy.  ,      ,  .„    ,.  ^,  .  ,,      ^       .,,. 

nance  de  douze  mille  livres.  Il  fut  averty  que  M""*  BoutiUier,  qui  en  ce 

temps-là  faisoit  bastir  Cliavigny  près  de  Chinon,  le  devoit  venir  voir:  il 
fait  porter  quelques  chartées  de  pavé  par  où  elle  avoit  à  passer.  En 
causant  avec  elle,  il  luy  dit  qu'il  se  trouvoit  trop  chargé  de  Rhcims  et 
de  Bourgueil;  qu'il  avoit  peur  de  n'y  pas  faire  son  salut;  qu'il  falloit 
qu'il  se  deschargeast  de  Bourgueil  sur  quelqu'un  ;  et  insensiblement  il 
vint  à  parler  de  M.  de  Tours,  frère  de  M.  BoutiUier,  lors  surintendant. 
En  suitte  ils  en  parlèrent  si  bien  que  la  dame,  croyant  l'affaire  faitte, 
prit  l'ordonnance  de  douze  mille  livres  et  la  luy  fit  payer.  Mais  quand 
ce  fut  au  fait  et  au  prendre,  il  aposta  une  plainte  des  habitans  de  Bour- 
gueil, qui  le  supplioient  de  ne  les  pas  abandonner,  et,  sur  cela,  il  s'ex- 
cusa, et  dit  que  le  cœur  luy  saignoit.  Ces  habitans  de  Bourgueil  en 
recevoient  grande  protection  ;  mais,  d'un  autre  costé,il  les  pinsoit 
quand  il  pouvoit. 


l'archevesque  de  RHEIMS.  likl 

remarqué  que  c'estoit  l'endroit  où  il  y  avoit  les  plus 
beaux  arbres,  les  vendit  fort  bien,  et  ne  fit  point 
applanir  la  route. 

L'infirmier  de  Bourgueil,  un  des  anciens  religieux 
qui  n'avoient  point  voulu  prendre  la  reforme,  voulut 
aussy  l'attrapper.  Il  luy  propose  de  couper  le  bois 
du  labyrinthe  du  parc  qui  estoit  sur  le  retour,  et  cela 
aux  mesmes  conditions,  afin  d'y  en  pouvoir  replanter 
un  autre  comme  on  a  fait.  Mais  on  n'attrappe  pas 
deux  fois  un  renard.  Quand  le  moine  eut  fait  tous 
les  frais  et  qu'il  n'y  avoit  plus  qu'à  faire  charroyer 
le  bois,  le  bon  prélat  luy  dit  :  «  Ah  !  mon  Dieu  !  mon 
»  pauvre  monsieur  l'infirmier,  je  veux  passer  l'hyver 
»  icy,  et  je  n'ay  pas  de  bois  coupé  !  Je  prendray  du 
»  vostre,  vous  n'aurez  qu'à  marquer  ce  que  j'en  au- 
»  ray  pris.  »  Il  le  luy  brusla  tout,  et  l'autre  n'en  eut 
jamais  rien. 

Quand  on  luy  apportoit  quelque  chose,  on  avoit 
aussytost  audience  ;  autrement  on  attendoit  six  heu- 
res. Une  fois  il  vouloit  que  Bourneau,  premier  prési- 
dent des  Eslus,  à  Saumur,  qui  avoit  esté  son  domes- 
tique, s'obligeast  pour  luy,  et  qu'il  luy  en  feroit  son 
billet.  «  Je  l'aimerois  autant  de  son  suisse,  »  dit 
l'autre  en  se  retirant.  Il  l'entendit,  et  sortant  de  son 
cabinet:  «Il  vaut  pourtant  mieux  de  moy*,  Bour-  c-est-à^ire  :  tenant 
))  neau  !  »  dit-il.  —  «  Ah  !  monsieur,  »  dit  cet  homme, 
«  pensez-vous  que  je  ne  sceûsse  pas  bien  que  vous 
»  pouviez  m' entendre?  Si  fait,  vrayment  :  et  je  ne 
»  l'ay  dit  que  pour  vous  faire  rire  ;  mais,  en  con- 
»  science,  je  n'ay  point  d'argent.  » 


4/1-8  LES    HISTORIETTES. 

M.  de  Rheims  (il  vaut  mieux  i'appeller  tousjours 
ainsy  )  dépensoit  furieusement  ;  car,  outre  qu'il  a  - 
tousjours  tenu  une  table  fort  délicate  et  fort  bien  ser- 
vie, il  a  tousjours  eu  grand  train.  Il  estoit  soigneux 
de  faire  apprendre  tous  les  exercices  à  ses  pages,  et 
d'en  avoir  tousjours  de  beaux.  Quelques-uns  en  mes- 
dirent  ;  cela  fut  cause  qu'il  en  prit  de  moins  beaux 
en  suitte.  Je  ne  sçay  comment  il  en  usoit  en  sa  jeu- 
nesse ;  mais  plus  de  vingt  ans  devant  que  de  mourir, 
il  avoit  un  pain  de  sucre,  et  demoiselle  Giot  ^  a  plu- 
sieurs fois  travaillé  à  ses  affaires. 

Il  avoit  l'esprit  vif-;  l'archevesque'  de  Bordeaux 
disnant  avec  luy,  luy  disoit  :  «  A  voir  vostre  bonne 
»  chère  et  vostre  prestance  (il  estoit  gros  et  gras),  je 
»  vous  nommerois  volontiers  mon  papelard.  —  Et 
»  moy,  »  dit-il,  «  je  vous  appellerois  mon  papegay.  » 

A  Chartres,  un  marchand  luy  ayant  apporté  des 
Des  mémoires,  partics*  assez  grosses,  il  luy  demanda  en  causant  s'il 
avoit  quelque  filz  qui  fust  grandet.  «  Monseigneur,  » 
dit  le  marchand,  «  j'en  ay  un  de  treize  ans.  —  Allez, 
»  je  vous  promets  un  canonicat  pour  luy.  Nous  ver- 
»  rons  vos  parties  une  autre  fois.  »  Le  marchand  luy 
fit  mille  remerciemens  et  se  retira. 

Attraper  un  marchand,  ce  n'est  pas  une  grande 
merveille.  Voicy  bien  un  autre  exploit  : 

Lopez  ayant  achepté  une  grande  maison  dans  la 

*  Une  guérisseuse  de  hergnes. 

2  Le  cardinal  de  Richelieu,  alors  evesque  de  Luçon,  luy  fit  une  vi- 
site et  luy  dit  en  sortant  :  «  Ma  foy,  vous  ne  me  conduirez  pas.  —  Par- 
»  dieu,  »  respondit-il,  <(  je  vous  conduiray.  Ne  disputez  pas  davantage, 

Pardieu,  plus  fort    »  je  suis  en  plus  forts  termes*  que  vous.  » 
que  Ma  foy. 


l'archevesqui-:  de  riieims.  Iili9 

rue  des  Petits-Chainps*,  il  pria  M.  le  cardinal  de  Ri-  ^"'L-telleT''^"''' 
chelieu  de  liiy  faire  avoir  composition  des  lots  et 
ventes  des  chanoines  de  Saint-Honoré.  M.  de  Char- 
tres y  estoit,  qui  luy  dit  :  «  Je  les  connois  tous,  je 
»  feray  votre  affaire  :  donnez-moi  ce  que  vous  voulez 
»  qu'il  vous  en  couste.  »  Lopez  luy  rend  grâces,  et 
luy  porte  six  mille  livres.  Il  fut  long-temps  sans 
rendre  response,  et  disoit  à  Lopez  qu'on  ne  gouver- 
noit  pas  comme  cela  tout  un  chapitre.  Enfin,  Lopez 
menace  de  le  dire  au  Cardinal  :  «  Oh!  bien,  »  luy  res- 
pondit-il,  «  je  ne  me  mesleray  jamais  de  vos  affaires  ; 
»  envoyez  quérir  votre  argent.  »  Il  y  avoit  une  pro- 
messe de  cinq  mille  huit  cens  livres,  et  deux  cens 
livres  en  deniers  \ 

Mais  on  ne  peut  pas  affronter  tousjours  les  autres  ; 
on  est  quelquefois  affronté  à  son  tour.  M.  de  Char- 
tres avoit  gaigné  une  tapisserie  de  prix  au  mareschal 
d'Estrées*  ;  et,  estant  obligé  de  partir,  il  donna  ordre  mstonctte, uv.^sz. 
à  son  homme  d'affaires  de  la  demander.  Cet  homme 


1  II  n'a  jamais  rien  pu  tirer  de  la  promesse.  —  Durant  qu'il  estoit 
evesque  de  Chartres,  il  devint  amoureux  d'une  abbessc  du  diocèse  qui 
aimoit  mieux  un  certain  jeune  capucin  que  luy.  II  fut  averty  que  son 
rival  en  recevoit  des  lettres,  et  qu'il  les  portoit  tousjours  sur  luy. 
Un  jour  donc  que  le  drosle  de  moine  l'estoit  allé  voir,  il  fit  semblant 
d'avoir  quelque  chose  de  secret  à  luy  dire,  et  l'obligea  de  faire  re- 
tirer son  bini  *.  Il  luy  dit  donc  ce  qu'il  avoit  appris.  Le  perc  le  nie  :  Son  second,  moine 
il  le  menace  de  le  livrer  h  quatre  valets  de  chambre  ou  palefre- 
niers qu'il  luy  lit  voir.  Le  moine  eut  peur  et  donna  les  lettres;  mais 
il  ne  les  eut  pas  plus  tost  laschées,  que  le  repentir  le  saisit.  Il  repro- 
che à  ce  beau  prélat  qu'il  a  abusé  de  son  authorité,  que  ce  qu'il  en 
faisoit  n'estoit  que  par  jalousie,  etc.  Il  en  dit  tant  que  ce  saint  père 
en  Dieu  l'abandonna  à  ses  valets,  qui  luy  donnèrent  les  estrivieres  en 
forme  de  discipline. 

II.  29 


pour  accompagner. 


^50  LES    HISTORIETTES. 

y  fut  :  le  Mareschal  dit  :  «  Ouy,  oiiy-de;i  ;  mais  ma 
»  femme  couche  dans  cette  chambre-là  ;  bientost 
»  elle  changera  de  meuble  ;  alors  je  livreray  la  ta- 
»  pisserie,  car  je  ne  veux  pas  qu'elle  le  sçache.  » 
Une  autre  fois  il  luy  dit  :  «  Monsieur  un  tel  est  logé 
»  céans.  Cette  tapisserie,  par  malheur,  n'a  pu  estre 
»  destendue  ;  car  il  a  fallu  en  haste  luy  laisser  cet 
»  appartement.  Je  vous  prie,  donnez-vous  un  peu 
»  de  patience.  »  Toutes  les  fois  cjue  cet  homme  y 
alloit,  le  Mareschal  trouvoit  de  nouvelles  eschappa- 
toires.  Enfin,  las  d'y  aller,  cet  homme  d'affaires 
escrivit  à  son  maistre  :  «  Je  croy  que  nous  n'aurons 
»  point  la  tapisserie  ;  mais  nous  y  ga ignorons  avec  le 
»  temps,  car  j'ay  appris  un  millier  d'eschappatoires 
»  que  je  ne  sçavois  pas  encore,  et  dont  vous  ne 
»  vous  seriez  jamais  avisé.  » 

Le  cardinal  de  Richelieu  luy  fit  une  fois  un  plai- 
sant tour  :  Il  signor  Julio  Mazarini,  qui  n'estoit  rien 
Taffetas  omiiiie  au  alors,  luy  avolt  fait  présent  de  deux  pièces  de  tabis* 

cylindre.  '         j  i  x 

de  Gènes  violet,  le  plus  beau  du  monde.  Il  en 
donne  une  en  secret  à  M.  de  Chartres,  et  luy  dit  : 
«  Ne  manquez  pas  de  me  venir  voir  un  jour  habillé 
»  de  ce  tabis  ;  je  seray  aussy  habillé  de  mesme.  » 
M.  de  Chartres  le  remercie  de  ce  double  honneur, 
et  emporte  la  pièce  de  tabis  sous  son  manteau.  Le 
soir,  le  Cardinal  demande  ses  deux  pièces  d'estoffe  : 
on  n'avoit  garde  d'en  trouver  plus  d'une.  Il  fait  un 
bruit  estrange,  accuse  ses  valets  de  chambre  de 
friponnerie,  et  dit  qu'il  vouloit  absolument  qu'on  la 
trouvast.  Deux  jours  après,  voylà  M.  de  Chartres 


l'archevesque  de  rheims.  /i51 

qui  vient  avec  son  beau  tabis  :  tous  les  valets  de 
chambre  reconnoissent  l'estoffe  ;  et  puis  la  bonne 
réputation  du  Prélat  ne  servoit  pas  beaucoup  à 
destruire  cette  vérité.  Ils  grondent,  l'accusent  tous 
d'avoir  joué  à  les  perdre,  et  luy  font  un  bruit  de 
diable.  Le  Cardinal  se  crevoit  de  rire  de  le  voir 
en  cette  peine,  et  quand  il  s'en  fut  bien  diverty,  il 
descouvrit  tout  le  mistere.  Cela  monstre  assez  quel 
cas  en  faisoit  le  Cardinal. 

J'ay  desjà  dit  qu'il  estoit  le  mareschal-de-camp 
comique*.  Il  plaçoit  à  la  Comédie.  Il  fit  pis  une  fois'.  Historiette  de  boïs- 

^  ^  '■  robert,  p.  396. 

car  il  parut  le  baston  à  la  main,  en  habit  court, 
comme  auroit  fait  un  maistre-d'hostel,  à  la  teste  de 
ceux  qui  portoient  la  collation  à  la  Reyne.  L'abbé  de 
Villeloin  dit  à  quelqu'un  que  c' estoit  ce  qu'il  avoit  veû 
de  plus  beau  à  la  Comédie.  Le  Prélat  le  sceût,  et  se 
repentit  de  l'avoir  fait.  Mais  il  falloit  un  homme 
comme  cela  au  Cardinal  pour  trahir  le  Clergé,  aux 
assemblées  duquel  il  a  présidé  plus  d'une  fois.  A 
une  ouverture  d'une  de  ces  assemblées,  il  dit  : 
«  Desideravi  magno  desiderio  manducare  vobiscum 
»  hocpascha.  »  Or  il  mangeoit  bien  en  toute  façon. 
On  disoit  qu'il  mangeoit  quatre  fois  son  disner  avant 
que  de  le  manger  :  dez  le  soir  en  l'ordonnant,  la 
nuict  y  resvant,  le  matin  y  changeant  quelque 
chose,  et  puis  allant  faire  un  tour  à  la  cuisine 
avant  qu'on  servist.  Après  sa  mort  on  trouva  dans 
ses  papiers  une  tactique  de  plats.  Une  fois,  qu'on 

'  A  la  représentation  de  Mirante. 


{lb'2  LES    HISTORIETTES. 

luy  avoit  fait  bien  des  prescns  de  volaille  et  de  gibier, 
il  fit  arranger  tout  cela  en  rond,  comme  on  feroit  pour 
le  peindre,  et  puis  se  mit  au  milieu.  Je  voudrois  qu'on 
eust  fait  son  portraict  en  cet  estât.  Un  jour  qu'il  avoit 
disné  chez  le  Coadjuteur  de  Paris ,  il  fit  venir  tous 
ses  officiers,  et  leur  dit  :  «  J'ay  disné  aujourd'huy  chez 
»  Monsieur  le  Coadjuteur  de  Paris;  il  y  avoit  cecy  et 
»  cela,  tel  et  tel  défaut.  Je  vous  le  dis  afin  que  vous 
»  preniez  garde  de  n'y  pas  tomber  ;  car  s'il  vous  ar- 
»  rivoit  de  me  traitter  comme  cela,  autant  vous  vau- 
»  droit  estre  morts.  »  A  disner,  sur  la  fin ,  il  faisoit 
venir  maistre  Nicolas,  son  célèbre  cuisinier,  et  luy 
disoit  :  «  Maistre  Nicolas,  que  souperons-nous?  »  Et 
à  souper  :  «  Maistre  Nicolas,  que  disnerons-nous?  » 

Un  jour  qu'il  traittoit  des  evesques,  la  veuve 
de  son  rostisseur,  mort  depuis  peu,  vint  avec  quatre 
ou  cinq  petits  enfans  pour  luy  demander  de  l'ar- 
gent. Il  les  aperceijt,  il  va  viste  au-devant,  et  fit 
tant  qu'elle  promit  d'attendre  jusqu'au  lendemain. 
Les  conviez,  qui  le  connoissoient,  avoient  veû  toute 
l'affaire  ;  car  cette  femme,  avec  sa  mesgnie,  estoit 
entrée  dans  le  lieu  où  l'on  estoit  à  table.  «  Voyez,  » 
leur  dit-il  quand  il  fut  de  retour,  «  si  cette  femme 
»  ne  prend  pas  bien  son  temps,  elle  vient  pour 
»  faire  confirmer  ses  enfans  *  !  » 

M.  Arnaut  disoit  à  M.  de  Grasse  que  M.  de  Rheims 
avoit  sacré  :  «  Vous  avez  esté  sacré  de  la  patte  du 


Une  chose  est  sa-   loUD     .    » 
crée  comme  la  patte  r 

du  loup,  l'roverbf . 


Il  no  partoit  jamais  que  la  imict,  de  peur  de  ses  ci'éancicrs. 


LARCIIEVESQUE    DE  RIIEIMS.  /|53 

Ne  trouvant  point  de  caution  pour  donner  h  M.  de 

la  Bistradc  *,  conseiller  au  Grand-conseil,  duquel  il  coS'ier  a*!f  ô^  c.', 

^  en  16iO,  mort,  30  dé- 

louoit  une  maison:  «Monsieur,»  dit-il,  «ma  bi- ccni^e  leso. 
»  bliothcque  suffira.  »  Elle  estoit  belle.  Quand  le 
bail  fut  près  d'expirer,  il  emprunte  tous  les  chariots 
de  ses  amys,  et  une  belle  nuict  il  fait  enlever 
meubles  et  livres.  Le  Conseiller  crie  ;  on  luy  dit  : 
«  Ne  vous  faschez  pas  ;  voylà  la  clef  de  la  Biblio- 
»  theque  :  vous  n'avez  demandé  que  cela.  »  Il  y  va, 
et  n'y  trouve  plus  rien. 

Il  avoit  pour  marchand  de  poisson,  en  Anjou,  un 
nommé  l'Anguille.  Cet  homme,  un  jour  que  M""'  de 
Pisieux  estoit  à  Bourgueil,  alla  pour  demander  de 
l'argent  à  l'Archevesque  :  «  Ma  sœur,  »  dit-il  à  la 
dame,  «  voylà  le  plus  honneste  homme  qu'on  puisse 
»  trouver.  Je  vous  prie,  baisez-le  pour  l'amour  de 
»  moy.  »  Elle  le  caressa  tant  qu'il  n'osa  demander 
mi  sou. 

Comme  on  luy  disoit  ;  «  A  faire  comme  cela, 
»  vous  ne  trouverez  plus  d'argent.  »  —  «  J'en  trou- 
»  veray  bien,  »  disoit-il,  «  mais  je  ne  trouveray  pas 
»  de  caution  ;  c'est  une  maudite  invention  que  ces 
»  cautions.  » 

Le  propre  syndic  de  ses  créanciers  ne  se  pouvoit 
deffendre  de  luy:  c' estoit  Bâillon,  bourgeois  de  Pa- 
ris; car,  pour  les  satisfaire,  il  avoit  fallu,  selon  l'or- 
donnance, leur  abandonner  la  moitié  du  revenu.  Or, 
ce  pauvre  honmie,  par  mauvais  ordre,  n' avoit  pas 
rendu  compte,  et  ne  sçavoit  comment  s'y  prendre. 
Quand  M.  de  Rheims  vouloit  avoir  de  l'argent  de 


(ibll  LES    HISTORIETTES. 

luy,  il  le  iaisoit  assigner  pour  rendre  compte,  et 
l'autre,  pour  n'en  pas  venir  là,  luy  donnoit  quelque 
somme,  tirant  parole  que  ce  seroit  la  dernière. 
Mais  au  bout  de  six  mois  l'Archevesque  recommen- 
çoit  '.  Quand  Fontelaye  mourut,  il  fit  tout  saisir, 
disant  qu'il  ne  luy  avoit  pas  rendu  compte  ;  et  en- 
fin tout  luy  demeura.  Son  maistre-d'hostel  mort,  il 
se  saisit  de  six  mille  livres  qu' avoit  cet  homme.  Les 
parens  les  luy  voulurent  redemander  ;  il  leur  fit  ac- 
croire qu'ils  avoient  voulu  assassiner  son  valet  de 
chambre,  et  les  fit  mettre  en  prison. 

Voicy  comment  il  trouva  moyen  d'avoir  le  tre- 
zor  du  Chambrier  de  l'abbaye  de  Bourgueil  :  M.  de 
Rheims,  averty  que  ce  religieux,  qui  avoit  d'autres 
bénéfices,  avoit  espargné  de  son  revenu  jusqu'à 
seize  mille  livres  qu'il  avoit  cachez  dans  les  fonde- 
mens  de  sa  maison,  il  luy  demande  de  l'argent  à 
emprunter.  «  Je  n'en  a  y  point,  Monseigneur,  »  dit 
le  moine  ;  et  en  présence  de  tesmoins  dignes  de 
foy  en  fait  des  sermons  horribles.  L'Archevesque 
en  fait  prendre  acte,  et  après  luy  donne  une  com- 
mission delà  la  Loire,  et  ordre  aux  batteliers  de  ne 
le  pas  repasser  qu'on  ne  le  leur  mandast.  Cepen- 
dant il  fait  jetter  à  bas  la  maisonnette  de  ce  pauvre 
moine,  et  prend  tout  l'argent.  Le  Religieux  s'en 
plaint,  dit  qu'il  y  avoit  seize  mille  livres  chez  luy.  Il 

*  Il  disoitun  jour  :  «  Je  veux  acquitter  mes  debtes;  je  dois  six  à  sept 
»  cens  mille  francs  ,  il  me  faut  quarante  mille  livres  pour  ma  dépense  ; 
))  autant  pour  mes  créanciers.  »  Voyez  combien  il  eust  fallu  qu'il  eust 
vescu  pour  cela,  ne  payant  que  (piarante  mille  livres  par  an. 


L'AllClIlîViiSQUlî    Ï>E    lUllil.MS.  455 

le  fait  passer  pour  un  meschanl  homme,  el  luy  con- 
fronte les  tesmoins. 

Il  eut  avis  que  le  sacristain  de  Bourgueil  avoit 
douze  mille  livres  enfouys  sous  sa  cellule.  11  luy 
parle  de  desloger  ;  l'autre  dit  qu'il  estoit  assez  bien 
logé.  Il  fait  tomber  le  discours  sur  l'espargne  de  ■ 
cet  homme,  et  luy  dit  :  «  Je  pense  que  vous  avez 
»  bien  amassé  au  moins  trois  mille  livres.  »  — 
«  Moy  !  »  dit  l'autre,  «  je  n'ay  pas  trois  mille  de- 
»  niers.  »  A  quelques  jours  de  là  il  donne  une  com- 
mission de  trois  doubles*  à  ce  moine.  Pendant  cela,  nedruxuards. 
il  jette  la  chaumière  à  bas,  et  trouve  l'argent.  Il  en 
arriva  comme  de  l'autre,  hors  que  cestui-cy  eut  cinq 
cens  livres  pour  tout  potage. 

Après  avoir  fait  tant  de  friponneries  à  Bourgueil, 
il  eut  l'insolence,  y  estant  une  fois  malade  au  poinct 
qu'il  fallut  se  confesser,  de  ne  dire  que  des  baga- 
telles au  prieur  des  Reformez  ',  qu'il  envoya  quérir. 
Mais  l'autre,  qui  sçavoit  sa  vie,  eut  le  plaisir  de  la 
luy  conter  du  long,  en  luy  disant  :  «  Vous,  qui  avez 
»  fait  cecy,  et  encore  cecy,  vous  avez  l'audace  de 
»  m' entretenir  de  balUvernes  !  »  Depuis  cela,  l'Ar- 
chevesque  fit  cas  de  ce  religieux-. 

Le  cardinal  de  Richelieu  luy  faisoit  toucher  cer- 
taine somme  du  Clergé  pour  l'empescher  de  voler  ; 
et  comme  Son  Eminence  luy  reprochoit  un  jour  : 
«  Mais  on  vous  donne  tant  pour  cela,  »  il  luy  fit  le 


1  Le  perc  do  la  Vallée. 

■^  Quoy(iu'il  se  repcntist  d'y  avoir  mis  la  refoiiiie. 


456  LES    HISTORIETTES. 

conte  du  maistre-d'hostei  du  marcschal  de  Biron,  à 
qui  son  maistre  vouloit  donner  tant  et  qu'il  ne  vo- 
last  point.  «  Monsieur,  »  luy  respondit  cet  homme, 
«  je  ne  puis  ;  à  ce  prix-là,  j'y  perdrois.  » 

Il  estoit  d'humeur  à  faire  des  malices,  et  il  trou- 
voit  bon  qu'on  luy  en  fist  aussy  ;  mais  il  avoit  tous- 
jours  un  air  sérieux.  Un  jour  il  alla  chez  le  vicomte 
de  Lery,  qu'il  appelloit  le  petit  homme  ;  c'est  auprès 
de  Rheims.  Ce  gentilhomme  vint  au-devant  de  luy, 
et  luy  dit  :  «  Hé  !  Monseigneur,  que  vous  venez  mal 
»  à  propos  !  la  petite  femme  est  eii  mal  d'enfant.  »  11 
appelle  ainsy  sa  femme,  qui  accouche  au  moins  tous 
les  ans  une  fois.  «  Eh  bien  !  »  dit  l'Archevesque,  «  il 
»  faut  lire  la  Vie  de  sainte  Marguerite.  »  En  effect,  il  se 
met  à  marmotter  à  l'entrée  de  la  chambre.  Quand 
il  eut  tout  dit,  cette  femme  sort  en  se  crevant  de  rire. 

11  a  fait  des  tours  de  son  mestier  en  Champagne, 
aussy  bien  qu'en  Beausse  et  qu'en  Anjou.  11  vouloit 
retirer  des  prez  de  M.  de  Joyeuse  :  pour  cela  il  luy 
donna  le  moulin  d'un  village;  mais  aussytost  il  en  fit 
faire  un  autre  d'une  certaine  tour  qui  y  estoit,  en  un 
endroit  plus  commode  aux  habitans.  Joyeuse  se 
plaint  :  «  Bien,  »  dit-il,  «  nous  en  ferons  faire  un  colom- 
»  bier.  «lien  fit  pourtant  un  moulin,  etonsemocqua 
bien  de  Joyeuse  de  s'estre  laissé  ainsy  attrapper, 
luy  qui  croyoit  estre  le  plus  fin  homme  du  monde, 
l'hiiii.eit  (le  Bii-      M.  de  Laon ''  ne  luy  parla  gueres  plus  doucement 

fliaiitcau,  (ils  d'An-  "^   ^  *^  ^ 

Bcauvais-Kis/''^'  quc  Ic  prlcur  de  Bourgueil.  11  vouloit  estre  députe 
depuis  la  mort  du  cardinal  de  Richelieu.  M.  de 
Laon  l'en  empescha,  et,  non  content  de  cela,  il  luy 


l'archevesque  de  rueims.  457 

dit  :  «  J'en  rends  grâces  à  Dieu ,  vous  auriez  pillé 
»  la  province.  Hé  !  Monsieur,  après  avoir  donné  la 
»  farine  de  votre  vie  au  monde  et  au  diable,  don- 
»  nez-en  au  moins  le  son  à  Dieu  '.  » 

M.  de  Rheims  aimoit  furieusement  à  estre  loué, 
de  quelque  façon  que  ce  fust.  N'avoit-il  pas  raison, 
et  n'estoit-ce  pas  un  homme  bien  louable  ?  Il  avoit 
bien  du  plaisir  à  appeller  mon  fils  M.  d'Aumalle,  son 
coadjuteur  -. 

Le  Président  du  presidial  de  Rheims,  en  dis- 
nant  chez  l'Archevesque,  se  coupa  comme  il  vouloit 
couper  du  veau.  «  Vous  avez  coupé  dans  le  vif, 
»  Monsieur  le  Pi-esident,  »  dit  M.  de  Rheims  \ 

1  N'ayant  pas  un  sou,  il  envoya  quérir  un  chanoine  mal  famé, 
nommé  Bertemet,  et  le  pressa  tant  que  l'autre  luy  presta  douze  mille 
livres,  à  condition  qu'il  le  feroit  grand-vicaire.  Quelque  temps  après, 
comme  Bertemet  le  sommoit  de  sa  promesse,  il  suppose  une  lettre  non 
signée,  contenant  plusieurs  friponneries  du  Chanoine.  Il  se  la  fait  ren- 
dre, estant  à  table,  en  présence  de  cet  homme  qui  y  estoit  aussy.  Il  la 
lit,  et  d'une  mine  renfroignée,  il  la  met  sous  sou  cù.  Après  disné,  il  la 
donne  à  lire  à  Bertemet,  luy  disant  qu'il  ne  croyoit  rien  de  tout  cela, 
mais  qu'il  s'en  falloit  justifier;  et  comme  cet  homme  sortit  de  la  salle,' 
les  pages  et  les  laquais,  qui  avoient  le  mot,  luy  firent  un  pied  de  nez,' 
et  en  bas  il  courut  fortune  d'estre  berné. 

—  L'année  qu'il  mourut,  à  la  dernière  assemblée  du  Clergé  dont  il  a 
esté,  plusieurs  prélats  firent  partie  d'aller  souper  à  fSaint-Cloud,  chez 
la  du  Ryer  *,  à  tant  par  teste.  Chacun  luy  donna  son  arsent,  et  il  se' char- 
gea du  festin.  Il  dit  à  la  du  Ryer  :  «  Je  vous  donneray  l'argent  à  Paris, 
»  je  n'en  ay  point  sur  moy.  »  Il  avoit  trente-cinq  pistolles  que  les 
autres  luy  avoient  données.  La  pauvre  du  Ryer  n'en  eut  jamais  rien. 
2  Depuis  M.  de  Nemours*,  qui  est  mort  mary  de  M"«  de  Longue-  „       ^  c      ■ 

rié  en  1657. 
*  Il  vouloit  attrapper  le  Doyen  qui  avoit  tousjours  de  l'argent  comp- 
tant,^ mais  il  luy  disoit  tousjours  :  «  Helas  !  Monseigneur,  je  ne  suis 
»  qu'un  pauvre  prestre.  » 

A  un  Jiobreau  qui  se  pic(|Uoit  d'estre  bon  liomme  de  cheval,  il  liiv 


Historiette. 


458  LES    niSTOlUETTES. 

Il  disoit  du  petit  Camus  ' ,  intendant  de  Cham- 
pagne, qui  se  mettoit  des  tranches  de  veau  sur  le 
visage  pour  avoir  le  teint  beau,  que  cela  n'estoit 
pas  permis,  et  que  c'estoit  soye  sur  soye  -. 

Un  peu  avant  que  de  mourir,   il  escroqua  à  la 

Hwtorieue,^ toin.  1,  marquise  de  Maulny,   sa  nicpcc*,    une  tapisserie 

assez  belle.  Elle  croyoit  qu'il  luy  donneroit  quelque 

chose  de  meilleur.  «  Le  vieux  bougre,  »  disoit-elle, 

«  il  n'a  pu  me  laisser  ma  pauvre  tapisserie  !  » 

A  la  maladie  dont  il  mourut  à  Paris  %  M'"'  de 
iiisiorieuv^,^ioin.  i,  pjsieux  *  fit  tout  vcndrc  jusqu'à  ses  chevaux , 
en  qualité  de  créancière,  et  aussy  de  peur  que 
d'autres  ne  le  fissent.  Trois  jours  avant  sa  mort, 
comme  il  vit  qu'on  luy  apportoit  un  bouillon  dans 
une  escuelle  de  fayence,  il  demanda  un  plat.  On 
luy  apporta  un  plat  de  fayence.  «  Quoy  !  »  dit-il  ,^ 
«  tousjours  fayence  !  »  Il  se  douta  bien  que  sa  sœur 
avoit  pris  sa  vaisselle  d'argent.  «  Apportez-moy,  » 
dit-il ,  «  un  bassin.  »  On  luy  en  apporte  un  de 
fayence.  Il  y  met  dedans  toute  sa  tripaille  de 
trique-billes.  «  Tenez,  ma  sœur,  »  dit-il  à  M""  de 
Pisieux ,  «  il  ne  me  reste  plus  que  cela  ;  faittes-en 
»  vostre  profit  si  vous  pouvez.  » 

On  disoit  qu'il  estoit  mort  en  tenant  un  chapelet 

dit  qu'il  luy  vouloit  faire  monter  un  de  ses  grands  chevaux  et  luy  fit 
amener  un  cheval  de  carrosse  à  qui  on  avoit  mis  une  bride  et  une 
selle.  Le  pauvre  hobrcau  sur  ce  dourdier,  se  pensa  rompre  le  cou. 
.Jean   le  Cnnuis  ,       1  Cumns-pattc-blanche*;  —  celuy  de  Lyon. 
îmis'/è'ricAe.'''"  ^'""       2  Dans   quelque   ordonnance  de  nos  roys  il  est  défendu    de   porter 
soye  sur  soye. 

2  En  1G51,  vers  Pasques. 


l'archevesque  de  rheims.  /i59 

de  marrons  poar  tout  chapelet,  et  que  comme  son 
confesseur  luy  representoit  qu'il  faudroit  rendre 
compte  à  Dieu,  il  escouta  long-temps,  et  puis  il  luy 
dit  tout  bas  à  l'oreille  :  «  Le  diable  emporte  celuy 
»  de  nous  deux  qui  croit  rien  de  tout  ce  que,  vous 
»  venez  de  dire  !  » 

Comme  on  devoit  encore  les  frais  du  service  que 
l'assemblée  du  Clergé  luy  fit  faire,  M.  de  Grasse 
disoit  :  «  Pourquoy  s'estonner  de  cela  ?  Tout  ce  qui 
»  se  fait  pour  M.  de  Rheims  n'a  pas  accoustumé 
»  d'estre  payé.  » 

COMMENTAIRE. 


Titre. 

La  maison  d'Estampes-Valenray  se  donnoit  une  origine  fabuleuse. 
On  la  faisoit  descendre  d'un  homme  d'armes  de  Charlemagne,  nommé 
Jean,  qui,  pour  avoir  vécu  trois  cent  soixante-un  ans,  avoit  reçu  le 
surnom  de  Joannes  de  Temporibus.  En  réalité,  cette  race  descendoit 
d'un  Robert  d'Estampes,  conseiller  de  Jean,  duc  de  Berry,  frère  de 
Charles  V.  Le  père  du  plaisant  héros  de  cette  Historiette^  Jean  d'Es- 
tampes, seigneur  de  Valençay,  mort  en  1620,  avoit  laissé  neuf  enfans, 
savoir  :  six  fils,  1.  Jacques,  seigneur  de  Valençay,  dont  la  postérité 
s'éteignit  en  1700  ;  2.  Léonor,  notre  archevêque  de  Reims  ;  3.  Louis, 
tué  devant  Montauban,  en  1621  ;  k-  Achille,  chevalier  de  Malte,  dit 
le  cardinal  de  Valençay,  dont  Vnistoriette  suivra  celle  de  son  frère  ; 

5.  Jean,  conseiller  clerc  au  Parlement,  abbé  de  Bardelle,  président  au 
Grand  conseil,  ambassadeur  de  Hollande,  etc.,  mort  sans  postérité; 

6.  Claude,  seigneur  d'Estiau,  blessé  à  Montauban,  en  1621,  tué  devant 
Maëstricht,  en  1632  ;  7.  Trois  filles  :  1.  Elisabeth,  femme  du  maréchal 
de  la  Chastre;  2.  Charlotte,  M"*^  de  Pisieux  ou  Puisieux,  dont  l'Histo- 
riette est  au  tome  l''  ;  3.  Marguerite,  femme  de  Michel  le  Baucler, 
baron  d'Achères.  Il  en  est  parlé  dans  une  note  de  l'Historiette  de 
sa  sœur. 

Celle  de  l'archevêque  de  Reims  doit  beaucoup,  sans  doute,  aux  récits 


460  LES    HISTORIETTES. 

et  souvenirs  de  Maucroix,  ami  de  des  Rûaiix,  chanoine  de  Reims,  et, 
à  ce  titre,  grand  ennemi  des  arclievùqucs.  Maucroix,  dans  les  précieux 
Mémoires  que  mon  frère  Louis  Paris  vient  de  publier,  a  donné  sur 
le  cardinal  Antoine  Barberin,  successeur  de  Léonor,  des  révélations 
non  moins  piquantes. 

Je  n'ai  retrouvé  do  cet  archevêque  que  des  règlcmcns  diocésains 
insérés  dans  les  Actes  de  la  province  de  Reims,  tom,  iv,  p.  138.  Mais 
la  bibliothèque  de  Reims  i)Ossède  un  grand  nombre  de  livres  qui 
lui  avoicnt  appartenu,  et  qui  sont  reliés  à  ses  armes.  Il  encouragea 
beaucoup  la  grande  édition  des  œuvres  d'Albert  le  Grand,  faite  par 
les  soins  des  Frères  Prêcheurs. 

Et  pour  revenir  ici  à  ce  qu'on  a  écrit  pour  lui  de  plus  honorable, 
Marlot,  historien  contemporain  de  la  métropole  de  Reims,  reconnolt 
que  «  cet  ancien  et  renommé  prélat  occupoit  dignement  le  siège 
»  métropolitain  de  la  Belgique;  qu'il  avoit  esté  voué  ù,  l'Eglise  dès  sa 
»  jeunesse,  et  s'cstoit  fait  admirer  dès  lors  par  la  vivacité  de  son 
»  esprit,  par  les  actes  qu'il  avoit  soutenus  en  Sorbonne,  en  1610  et 
»  1617;  par  ses  doctes  prédications  dans  les  premières  chaires  de 
»  Paris  et  dans  l'Assemblée  des  Estais  généraux  de  102/i...  Il  avoit 
>i  gouverné  vingt  ans  l'evesché  de  Chartres  avec  une  telle  réputation, 
»  qu'il  est  diflicile  de  l'exprimer  sans  descouvrir  une  infinité  de  belles 
»  actions  qui  serviront  à  l'avenir  d'ornement  et  de  relief  à  l'histoire 
»  de  cette  ville.  Il  i)rit,  un  an  avant  sa  mort,  le  titre  de  Rcgnm  Fran- 
»  cortim  coHsecrator.  Mais,  »  ajoute  Marlot,  «  estant  extraordinaire- 
»  ment  endcbté,  une  partie  de  son  revenu  fut  adjugée  à  ses  créan- 
»  ciers  :  alors  il  obtint,  en  considération  des  services  qu'il  pouvoit 
»  rendre  au  Roy  dans  l'Assemblée  générale  du  Clergé,  un  arrcst  du 
M  Conseil  qui  lui  permettoit  de  jouir  de  tout  son  revenu,  tant  que 
»  l'Assemblée  dureroit.  Quand  il  mourut,  son  corps  devoit  estre  rap- 
»  porté  à  Reims,  suivant  son  testament  ;  mais  n'y  ayant  de  quoy  pour 
»  faire  cette  dépense,  il  fut  mis  en  depost  chez  les  pères  Carmes 
»  déchaussés  de  Paris,  et  enterré  en  la  chapelle  de  Valençay.  Les 
»  députés  du  Clergé  firent  célébrer  un  service  solennel  en  l'église  des 
»  Augustins,  où  l'archevesque  d'Embrun  fit  l'oraison  funèbre  :  et 
»  l'Assemblée  déboursa  quatre  mille  livres  pour  les  frais.  A  Reims,  il 
»  ne  se  fit  aucun  service,  seulement  on  sonna  les  cloches,  et  sic  periit 
»  memoria  cjus  cum  sonitu.  »  (Hist.  de  la  ville  de  Reims,  1846,  tom.  iv, 
p.  596.) 

II.  —  P.  445,  lig.  5. 
Boti  courtisan,  c'est-à-dire  laschc  et  flattmir. 
Montchal,  archevêque  de  Toulouse,  dit  (juc  Léonor  fut  le  premier, 


l'archevesque  de  rheims.  461 

eu  1G35,  à  aller  saluer  lo  cardinal  de  Richelieu,  en  camail  et  en 
rochct,  et  en  l'appelant  Monseigneur.  «  Le  Roy  dit  que  ce  prélat  etoit 
1)  tellement  assujetty,  que  si  le  Cardinal  vouloit,  il  iroit  baiser  son 
»  derrière  et  pousseroit  son  nez  dedans,  jusqu'à  ce  que  le  Cardinal 
»  luy  dise:  c'est  assez.  »  {Mém.,  tom.  ii,  p.  229.)  La  race  des  Léonor 
ne  semble  pas  entièrement  éteinte. 

IIL  —  P.  [M,  note,  lig.  3. 

//  o/jtùit  une  ordonnance  de  douze  mille  livres,  etc. 

Ce  n'etoit  pas  tout  :  il  falloit  obtenir  du  Surintendant  le  payement 
de  cette  ordonnance.  Chavigny  est  un  hameau  dépendant  de  Lerné, 
entre  Loudun  et  Bourgueil  ;  Leonor  fait  porter  quelques  charretées  de 
pavés  pour  prouver  que  la  besogne  etoit  bien  près  d'être  faite. 
—  Quant  à  M.  de  Tours,  frère  de  M.  Bouthillier,  voici  comme  en 
parle  Charles  Colbert,  en  1664  {Mémoires  d'Anjou,  Maine  et  Toii- 
raine.)  «  L'archevesque  de  Tours  est  âgé  de  soixante-huit  ans,  le 
»  plus  ancien  archevesque  de  France  :  assez  infirme,  et  par  cette 
»  raison  ne  fait  pas  beaucoup  de  visites.  Il  faisoit  ci-devant  grande 
»  despence,  en  train,  musique  et  en  sa  table;  à  présent,  il  l'a  fort 
»  retranchée  et  vit  neantmoins  très-honorablement.  \\  n'y  a  rien 
»  aussy  à  redire  contre  ses  mœurs,  et  il  a  estably  un  séminaire  qui 
»  peut  produire  grand  bien.  Il  est  mal  avec  son  chapitre,  qui  le  traittc 
1)  indignement.  Il  est  blasmé  par  quelques-uns  d'estre  d'une  humeur 
I)  fort  capricieuse;  et  il  est  certam  qu'il  n'a  aucune  complaisance 
»  pour  ses  inférieurs,  ce  qui  fait  que  peu  de  gens  s'attachent  à  luy  et 
»  qu'il  n'est  pas  en  pouvoir  de  rendre  ses  bonnes  intentions  au  ser- 
»  vice  du  Roy,  d'aucune  utilité  dans  les  temps  difficiles.  Il  n'a  aucune 
»  jurisdiction  dans  son  chapitre.  »  {Cinq  cens  Colbert,  vol.  277,  f  7.) 

IV.  —  P.  446,  lig.  9. 

Fontelaye  donc  qui  sentoit  aussij  nn  peu  l'escroc. 

Cet  homme  valoit  pourtant  mieux  que  son  maître,  si  l'on  s'en  rap- 
porte à  une  lettre  que  l'historien  Anquetil  avoit  vue  chez  M.  de  la 
Salle  de  Reims,  et  qui  commençoit  par  ces  mots  :  «  Je  vous  conjure, 
)>  quand  vous  aurez  reçu  les  instructions  de  cette  lettre,  de  la  déchirer 
»  ou  brusler.  Je  me  fie  à  vous.  »  Après  un  détail  d'affaires  domes- 
tiques, de  comptes  et  de  recettes,  et  de  points  relatifs  à  la  nomination 
d'un  coadjuteur,  que  la  Cour  ne  vouloit  pas  laisser  à  la  discrétion  de 
Valençay,  parce  que  «  son  nom  estoit  escrit  à  la  Cour  en  lettres 
!i  rouges  ;  »  l'Intendant  ajoute  :   «  Je  vous  le  répète  encore,  MoDsei- 


[X&2  LES    HISTORIETTES. 

»  gncur  n'a  pas  son  pareil  ;  et  bien  loin  que  ses  extresnies  maladies 
»  l'aient  amendé,  je  ne  puis  m'cmpescher  de  vous  dire  qu'elles  l'ont 
»  de  beaucoup  empiré,  et  dans  son  humeur  mauvaise  et  insuppor- 
»  table,  et  dans  ses  façons  de  vivre  et  de  faire,  qui  le  décrient  icy 
»  plus  que  de  la  fausse  monnoye.  Il  devoit  si  bien  venir  icy  pour  y 
»  couronner  sa  vie  de  belles  actions  !  C'est  bien  le  contraire,  et  je 
»  le  dis  la  douleur  dans  le  cœur,  il  n'eut  jamais  si  peu  de  soin  de  son 
»  honneur,  il  ne  fut  onques  si  attaché  à  son  intcrest,  h  la  mengerie 
»  et  à  la  despense.  » 

V.  —  P.  ii5],lig.  14. 

L'abbé  de  Vilkloin  dit  que  c'estoit  ce  qu'il  avait  veû  de  plus  beau  à 
la  comédie. 

On  trouve  dans  les  Mémoires  de  MaroUes  la  preuve  que  des  Réaux 
parle  ici  d'après  ce  que  lui  avoit  raconté  l'Abbé  :  <i  M.  de  Valençay, 
»  alors  cvesque  de  Chartres....,  aidant  à  faire  les  honneurs  de  la  mai- 
o  son,  parut  en  habit  court  sur  la  fin  de  l'action,  et  descendit  de 
1)  dessus  le  théâtre,  pour  présenter  la  collation  à  la  Rcyne,  ayant  à.  sa 
»  suite  plusieurs  officici's  qui  portoient  vingt  bassins  de  vermeil  doré, 

»  chargés  de  citrons  doux  et  de  confitures Je  ne  sçay  s'il  m'eschappa 

»  de  dire  quelque  chose  de  l'employ  de  M.  de  Chartres;  mais,  qucl- 
»  que  temps   après,   lorsqu'au  môme   lieu  l'on    dansa  le  ballet  de 

»  la  Prospérité  des  armes  de  la  France ,  comme    ce  prélat  (qui 

»  cstoit  capable  de  tout  ce  qu'il  vouloit,  et  se  donnoit  la  peine,  avec 
»  M.  d'Auxerre,  de  faire  les  honneurs  de  la  salle),  m'eut  dit  que  cette 
»  journéc-h\  il  ne  prcsenteroit  pas  la  collation,  je  luy  respondis  qu'il 
»  feroit  toujours  bien  toutes  choses,  et  me  fit  civilités.  »  {Mémoires  de 
MaroUes,  p.  126.) 

J'ai  déjà  renvoyé  pour  cette  fameuse  représentation  de  Mirame, 
aux  Mémoires  de  Montchal,  archevêque  de  Toulouse.  C'est  là  qu'on 
voit  le  mieux  que  des  Réaux  n'a  rien  exagéré  sur  le  chapitre  des 
singularités  de  M.  de  Reims.  Foyez  surtout  tom.  i,  p.  132  et  suiv., 
édition  de  1718. 

VI.—  P.  /iSr),  lig.  10. 

Estant  nnc  fois  malade... 

Il  y  a,  dans  la  correspondance  de  d'Hozier,  une  lettre  datée  de  Rour- 
gueil,  28  novembre  1G48,  et  qui  semble  signée  Itemy  :  «  J'ay  trouvé,  à 
»  mon  retour,  Monseigneur  l'Archevcsque  en  bonne  santé  ,  grâce  à 
»  Dieu,  en  despit  de  tous  les  faux  bruits  qui  courent  de  son  extresme 


l'archevesque  de  rheims.  463 

maladie,  jusques  là  qu'à  la  Cour,  on  a  fort  parlé  de  domici'  son 

archevesché,  ou  du  moins  de  luy  donner  un  coadjuteur.  Et  à  qui? 

à  M.  l'abbé  de  la  Rivière.  Le  bon  abbé  doit  jetter  les  yeux  sur  un 

autre  bénéfice,  Monseigneur  est  dans  le  dessein  de  bien  garder  le 

sien.  Il  ne  quittera  point  si  tost  ce  séjour  où  il  fait  bastir  et  remuer 

des  terres  en  hiver  comme  en  esté.  Il  mourra  la  truelle  à  la  main... 

I)  Que  vous  estes  heureux  à  la  ville,  et  que  vous  y  estes  à  vostre  aise, 

)  tandis  que  nous  vivons  dans  une  campagne  frede  et  mélancolique  ! 

i)  Je  me  souviens  bien  que  je  me  suis  engagé  à  des  langues  de  porc, 

i>  j'y  donneray  ordre  et  ne  m'en   oublieray  pas  ;  je  vais  bientost  à 

Angers...  »  (Correspondance  de  d'Hozier.) 

VII. —P.  455,  lig.  24. 

Le  Cardinal  linj  faisait  toitclier  certaine  somme  du  Clergé,  pour  l'em- 
pescher  de  voter. 

On  conserve,  dans  le  Cabinet  des  titres  de  la  Bibliothèque  impériale, 
grand  nombre  de  notes  rassemblées  par  Bertin  du  Rocheret,  président 
du  grenier  à  sel  d'Epernay  vers  1740  ;  ces  notes  sont  en  général 
franches  et  âpres  :  «  Eléonor  d'Estampes  de  Valencay,  »  dit-il,  «  bon 
»  esprit,  belle  personne,  conversation  légère,  habile  docteur,  dépensier 
»  curieux  en  livres,  équipage,  bonne  table,  fleurs,  peintures.  Ambi- 
»  tieux,  magnifique,  entendant  les  affaires,  bon  courtisan.  Il  fut  con- 
»  vaincu  d'avoir  volé  cinquante  mille  livres  au  Clergé,  en  1641.  » 

VIII.  — P.  456,  lig.  12. 
Sa  femme  (la  vicomtesse  de  Lery)  accouche  au  moins  toits  les  ans. 
C'est  pour  cette  dame  que  Maucroix  a  fait  ce  joli  madrigal  : 

POUR  I-A   COMTESSE  DE  LHERY,  DEGUISEE  EN   RETHEI.OISE. 

Cette  Retheloise  mignonne 

A  bien  quelque  postérité. 
Mais  toutefois  le  Temps,  qui  nespargne  personne, 

A  du  respect  pour  sa  beauté; 

Les  plus  jeunes,  les  plus  gentilles 

N'ont  point  île  plus  jeunes  appas. 

Et  qui  ne  la  connoistroit  pas 
Sans  doute  la  prendroit  pour  une  de  ses  filles. 

«  Les  vicomtes  et  marquis  de  Lhery,  »  dit  L.  Paris,  éditeur  des 
Œuvres  diverses  de  Maucroix,  Paris,  1854  ;  tom.  i,  p.  124  :  «etoientdes 
»  Cauchon,  capitaines  et  lieutenans  de  Reims  depuis  le  xv*  siècle. 
»  Il  s'agit  ici  de  Charles  Cauchon,  baron  de  Terneuf  et   comte  de 


liQk  LES    mSTORlETTES. 

»  Lhery,  mort  eii  IGlli.  »  On  retrouve  dans  les  anciens  recueils  ma- 
nuscrits des  vers  faits  pour  railler  son  ostentation  et  ses  mésaventures 
conjugales.  Des  Réaux  en  reparlera. 

IX.  —  P.  458,  note,  lig.  3. 

Le  pauvre  hobreau  sur  ce  dourdier  se  pensa  rompre  le  cou. 

Non  pas  hobereau^  comme  on  écrit  aujourd'hui.  Co  mot  vient  peut- 
Ctre  de  hobc,  hobel,  hobclin,  petit  cheval  de  selle  qui  va  à  l'amble  et 
n'est  d'aucun  usage  à  la  guerre.  —  Dourdier  n'est  dans  aucun  diction- 
naire ;  il  etoit  cependant  usité  comme  synonyme  de  cheval  de  train,  de 
carrosse  et  non  de  selle.  Rampalle,  dans  une  satire  contre  la  Porte: 

Ce  scr.T  quelque  vieux  dourdier. 
Aux  allures  desgigantées. 
Qui  marquera  le  calendrier 
Sur  vos  fesses  desj;\  niattéos. 
Et  de  deux  croissans  commenc(^s 
Formera  deux  lunes  entières,  etc. 

{Reaicil  de  Sercij,  4<  partie,  1688,  p.  217.) 

X.  —  P.   458,  lig.  10. 

A  la  maladie  dont  il  mourut... 

«  La  mort  le  surprit,  »  dit  Anquetil,  «  encore  occupé  de  projets 
1)  ruineux  qu'il  n'auroit  jamais  pu  exécuter.  On  ne  trouva  rien  dans 
»  ses  coffres,  et  l'Assemblée  du  clergé,  dont  il  etoit  le  président,  fut 
»  obligée  de  faire  les  frais  de  ses  obsèques.  » 

Aux  Augustins,  bien  à  son  flise. 
Au  milieu  d'une  grande  chaise, 
D'Embrun  l'archevesquc  et  pasteur. 
Parla  jcudy  comme  orateur. 
Devant  un  fort  grand  auditoire, 
A  l'honneur,  louange  et  memoir</ 
Uc  l'Arche vesque  de  Beims,  mort. 
Qu'il  plaignit  et  loua  bien  fort. 
i;t  telle  fut  la  rhétorique 
De  son  docte  paneg>rique. 
Qu'il  fut  des  auditeurs  prizé 
Plus  que  le  panegirizé. 

LoRET,  Muse  historique,  du  30  avril  lest .) 


Cl. 
LE  CARDINAL  DE  VALENÇAY. 

{AchiUes  d'Estampes  de   Valençay,   né   en    1580,    cardinal   en    1643; 
mort  16  juillet  1646.) 

C'estoit  le  frère  de  l'archevesque  de  Rheims.  Il  ^ 
fut  chevalier  de  Malte  ;  il  servit  en  France,  et  parvint 
à  estre  l'un  des  douze  capitaines  de  Chevaux-legers 
entretenus.  C'estoit  un  original,  comme  vous  verrez 
par  la  suitte  ;  d'ailleurs,  il  estoit  aussy  fier  que  brave  '. 
En  ce  temps-là,  il  alla  voir  un  matin  M.  le  comte 
d'Alais*,  qui  depuis  a  esté  M.  d'Angoulesme.  Ce  Louis^;Aa^^oujesn,e. 
comte,  faisant  le  prince,  ne  luy  fit  donner  qu'un 
siège  pliant,  et  luy,  en  s' habillant,  estoit  assis  dans 
un  fauteuil.  «  Je  romprois  ce  siège,  »  dit  le  Cheva- 
lier, «  je  suis  trop  gros  -  ;  »  et  prend  une  chaise  à 
bras.  On  luy  présenta  en  suitte  la  chemise  pour  la 
donner  au  Comte.  «  J'en  ay  pris  une  blanche  ce 

*  A  rage  de  treize  ans,  croyant  que  le  mareschal  de   la  Chastre 
l'eust  marconseillé  au  jeu  contre  le  feu  comte  de  Saint-Aignan*,  il  prit   ^j}|«no'-at^^'|^,f  «^; 
un  baston  pour  le  battre.  On  le  voulut  fouetter,  il  se  sauva  et  s'enfuit  saint-Aignan . 
à  Malte. 

2  C'estoit  un  grand  et  bel  homme;  et  hors  qu'il  avoit  le  ventre  un 
peu  fcros,  il  avoit  fort  bonne  raine. 

30 


/iGG  LES     HISTORIETTES. 

»  matin,  »  dit-il  en  la  rejettant,   «  je  n'en  ay   que 
')  faire.  » 

Il  alla  un  jour  appeller  Bouteville  en  duel,  pour 
le  marquis  de  Portes ,  oncle  de  M.  de  Montmo- 
rency; il  y  avoit  jalousie  entre  eux  à  qui  seroit  le 
mieux  auprès  de  ce  duc.  Cavoye,  depuis  capitaine 
des  gardes  du  cardinal  de  Richelieu,  servoit  Bou- 
teville; Cavoye  blessa  le  Chevalier  de  deux  petits 
coups ,  car  il  estoit  fort  adroit ,  et  luy  disoit  : 
«  Monsieur  le  Chevalier,  en  avez-vous  assez  ?  »  Le 
Chevalier  luy  respondit  :  «  Un  peu  de  patience,  ne 
»  voltigez  point  tant  ;  »  et  luy  donna  un  si  grand 
coup  qu'il  en  pensa  mourir.  M.  de  Montmorency 
arrive  là-dessus,  qui  dit  au  Chevalier  qu'il  luy  ap- 
prendroit  bien  à  faire  des  appels  à  ceux  de  sa  mai- 
son. «  lié  !  de  quelle  maison  estes-vous,  fichue  race 
»  de  Ganelon  ?  »  reprit-il  ;  «  pardieu  !  je  me  sou- 
»  cie  bien  et  de  vous  et  de  votre  maison  !  »  Feu 
M.  d'Angoulesme  le  père  y  survint,  qui  appaisa 
tout,  et  depuis  le  Chevalier  fut  fort  bien  avec  M.  de 
Montmorency  mesme. 

Nous  l'appellerons  désormais  le  bailly  de  Valen- 

çay,  car  il  fut  bailly  d'assez  bonne  heure.  Le  mar- 

Louis  d'Estami>ps-  quis  d'Estiaux*  estoit  son  cadet  ;  c'est  ce  brave  qui 

Vnleiiçay  ,    iii;ii(iiiis    T.  -^ 

,rfou.iux.  tue  en  ^^^^  ^^^^  dcpuis  à  MacstHcht,  après  avoir  repoussé 
Tué  à ^a^ bataille  <ic  \q  Pappcnhcim  *.  Cc  marquls  d'Estiaux  avoit  tué  un 
Huguenot  appelle  le  marquis  de  Courtaumer,  en 
duel  ;  ils  servoient  tous  deux  les  Hollandois.  Le 
page  de  Courtaumer,  ayant  quitté  la  livrée,  fit  ap- 
peller d'Estiaux,  qui  se  battit  contre  luy.  Un  cadet 


LH  CARDINAL  DR  VALENÇAY.      467 

de  Courtaumer  en  vouloit  faire  autant,  quand  le 
Bailly,  pour  faire  cesser  tout  cela,  s'avisa  d'en- 
voyer appeller  un  vieux  seigneur,  député  de  ceux 
de  la  Religion.  L'autre,  bien  surpris,  s'en  plaint  ; 
les  mareschaux  de  France  demandent  au  Bailly 
quelle  mouche  l'avoit  piqué  :  «  Je  voyois,  »  respon- 
dit-il,  «  que  tant  de  Huguenots  appelloient  mon 
»  frère  en  duel,  que  j'ay  cru  que  c'estoit  une  que- 
»  relie  de  religion.  »  Sur  cela ,  le  Roy  deffendit  à 
ceux  de  Courtaumer  de  faire  aucun  appel  au  Mar- 
quis, et  à  luy  d'en  recevoir  aucun.  On  ordonna 
seulement,  pour  les  satisfaire,  à  cause  qu'il  y  avoit 
un  homme  de  tué  de  leur  costé,  que,  quand  ceux  de 
Valençay  les  rencontreroient,  qu'ils  leur  cédassent, 
par  exemple,  la  meilleure  chambre  en  une  hostelle- 
rie,  qu'ils  leur  donnassent  la  main,  et  autres  choses 
semblables. 

A  la  Rochelle,  il  rendit  de  grands  services.  Il 
fit  dire  au  Cardinal  qu'il  se  faisoit  fort  d'empescher 
l'armée  angloise  de  passer.  On  croit  que  quelque 
homme,  plus  entendu  au  fait  de  la  marine  que  luy, 
luy  avoit  donné  cet  avis.  Le  Cardinal  le  fait  venir  ; 
il  luy  dit  hardiment  :  «  Je  ne  vous  diray  point  mon 
»  secret,  après  que  vous  m'avez  pris  pour  duppe  au 
»  secours  de  l'isle  de  Rhé  ;  ce  fut  moy  qui  vous 
»  donnay  l'invention  des  chaloupes,  et  vous  en  don- 
»  nastes  le  commandement  à  Schomberg  et  à  Ma- 
»  rillac.  Mais  promettez-moy  que  vous  vous  servirez 
»  de  moy,  et  je  vous  le  diray.  »  On  fit  ce  qu'il  de- 
mandoit.    Aussytost   il  congédie    tous   les  grands 


4G8  LliS    HISTORIETTES. 

vaisseaux;  par  ce  moyen,  il  s'ostoit  de  dessus  les 
°^"\ie7X?''^"''''  bras  les  Manty,  les  Rasilly*  et  tous  les  autres,  qui  ne 
luy  eussent  pas  obéy  volontiers.  Il  ne  prit  que  vingt 
petits  vaisseaux,  des  galiotes,  des  bruslots,  des 
barques  et  des  chaloupes  armées.  Sa  raison,  la 
voicy  :  aux  deux  costez  du  fort  de  Coureilles  et  du 
fort  Louis,  qui  estoient  à  la  teste  du  canal,  opposez 
l'un  à  l'autre,  il  y  a  des  basses.  «  J'iray  affronter,  » 
disoit-il ,  «  l'armée  angloise  ;  elle  foudroyera  mes 
»  petits  vaisseaux;  mais  elle  ne  tuera  pas  tout;  on 
»  coupera  nos  cables;  nous  nous  laisserons  aller; 
»  le  flot  nous  portera  sur  les  basses,  où  le  canon 
Grand  bâtiment  A  »  dos  forts  Tuincra  toutes  leurs  ramber2;es*;   j'ay 

rames ,  avec  un  seul  o  '     J       J 

"^''  »  des  galiotes  et  autres  petits  vaisseaux  de  rames 

»  pour  destourner  leurs  bruslots.  » 

Son  nepveu,  alors  le  chevalier  de  Valençay  ', reve- 
nant d'esclavage,  arriva  au  camp  comme  le  Bailly 
faisoit  cette  proposition.  M.  de  Montmorency  en  rioit, 
et  luy  disoit  :  «  Votre  oncle  resve.  — Il  ne  resve  point,  » 
dit  le  Chevalier  ;  «  et  asseurement  voicy  ses  rai- 
sons. »  Il  les  devina. 

Voilà  donc  le  Bailly  sur  la  Renommée,  le  plus  grand 
vaisseau  des  vingt,  quoyqu'il  ne  fust  que  de  trois 
cens  tonneaux.  Il  y  faisoit  grand  chère  ;  tous  les 
braves  s'y  rendoient  dez  la  moindre  allarme  :  il  y 
mangea  vingt  mille  escus  en  deux  mois.  Les  Anglois 
comprirent  bien  son  dessein ,  et  n'  attaquèrent  jamais. 
Le  Roy  voulut  aller  sur  son  vaisseau  ;  on  l'en  avertit, 

1  C'est  aujoiird'liuy   le  bailly  de   Valençay,   ou  le   grand-prieur  de 
Champagne. 


LE    CARDINAI-    DE    VALEIVÇAY.  Û69 

et  que  Sa  Majesté  y  vouloit  faire  collation  ;  le  Bailly, 
qui  n'estoit  pas  sot,  dit  :  «  Si  je  fais  une  belle  colla- 
»  tion,  on  se  mocquera  de  moy  de  despenser  ainsy 
»  mon  argent  ;  si  vilaine ,  ce  sera  encore  pis.  »  Le 
Roy  y  va,  et  puis  demande  la  collation.  «  Apportez,  » 
dit  le  Bailly.  On  apporte  un  bassin  de  biscuits  moi- 
sis, et  un  de  merluche,  avec  un  meschant  potage  aux 
pois.  Le  Roy  se  mit  à  rire  :  «  Sire,  «luy  dit-il,  «quand 
»  on  nous  payera  mieux,  nous  vous  ferons  meilleure 
»  chère.  » 

La  ville  prise,  on  le  fit  mareschal-de-camp  ;  en 
ce  temps-là,  c'estoit  quasy  autant  que  mareschal  de 
France  à  cette  heure.  On  luy  dit  qu'il  pouvoit  pré- 
senter au  Roy  cinquante  chevaliers  de  Malte  qui 
a  voient  servy  en  cette  rencontre,  et  qu'il  portast  la 
parole  pour  eux.  Or  il  faut  sçavoir  que  le  Roy,  qui 
estoit  mesdisant  luy-mesme,  avoit  baptisé  le  Bailly 
le  mesdisant  éternel.  Il  s'avance  et  dit  :  «  Sire,  Vostre 
»  Majesté  m' ayant  donné  le  filtre  de  mesdisant  éternel, 
»  je  n'ay  garde  de  rien  faire  qui  me  le  fasse  perdre. 
»  Si  je  parlois  de  ces  messieurs,  il  faudroit  que  j'en 
»  disse  du  bien,  c'est  pourquoy  Vostre  Majesté  me 
»  permettra  de  n'en  rien  dire.  »  Le  Roy  sourit  et  dit  : 
«  Nous  croyions  l'embarrasser^  mais  il  s'en  est  bien 
»  tiré.  » 

Le  voylà  en  estât  de  faire  quelque  grande  fortune. 
Mais  outre  qu'à  Lyon,  durant  la  maladie  du  Roy,  il 
donna  les  plus  violents  conseils  contre  le  cardinal  de 
Richelieu,  il  le  piqua  encore  vilainement  ;  car  un 
jour  que  l'Eminence  le  railloit  en  présence  du  Roy 


470  LKS    lllSTORlETTIiS. 

sur  sa  niepce,  la  comtesse  d'Alais,  fille  de  la  mares- 
châle  de  la  Chastre,  sa  sœm",  il  luy  respoiidit  :  «  Par- 
»  dieu  !  il  ne  faut  pas  croire  tout  ce  qu'on  dit,  ou  bien 
»  il  faudroit  croire  que  vous  couchez  avec  votre 
»  niepce.  »  Le  Roy  fut  ravy  de  cela,  et  le  Cardinal 
en  pensa  enrager.  En  suitte,  la  feu  Reyne-mere  s'es- 
tant  brouillée  avec  le  Cardinal,  il  prit  son  party  et 
fut  capitaine  de  ses  gardes.  Mais,  quand  il  vit  que 
Fabroni  et  sa  femme ,  avec  le  Père  Ghanteloupe , 
avoient  empaumé  la  Reyne,  il  se  retira,  et  fut  fort 
mal  payé  de  ses  pensions  et  de  ses  appointemens. 
Je  croy  qu'il  se  retira  à  Malte  ;  au  moins  y  estoit-il 
quand  le  pape  Urbain  le  fit  venir  pour  s'en  servir 


^'^'ZviJmT^   contre  le  duc  de  Parme  *. 


Voicy  comment  cela  arriva.  Son  nepveu,  le  com- 
mandeur de  Valençay,  estoit  ambassadeur  de  Malte 
auprès  du  Pape,  les  bonnes  grâces  duquel  il  sccût  si 
bien  gaigner  que  le  Saint-Pere  luy  disoit  des  choses 
qu'il  ne  disoit  pas  à  ses  propres  nepveux.  Le  Pape, 
voyant  la  guerre  de  Parme  preste  à  esclatter,  luy  dit 
un  jour  :  «  Donnez-moi  un  capitaine. — Saint-Pere,  » 
respondit-il,  «  je  ne  puis  vous  donner  que  mon  oncle, 
»  le  bailly  de  Valençay,  qui  est  à  Malte.  —  Quoy , 
»  celuy,  »  reprit  le  Pape,  «  qui  commandoit  les  vais- 
»  seaux  à  la  Rochelle? — Celuy-là  mesme, — Faittes-le 
»  venir.  »  Le  Commandeur  le  mande  ;  il  vient  ;  mais 
il  ne  sçavoit  pourquoy  on  le  faisoit  venir.  Le  Com- 
mandeur, sans  rien  luy  dire,  le  loge,  luy  donne  un 
bel  appartement  bien  meublé,  un  carrosse,  trois  es- 
tafiers  et  de  l'argent  pour  jouer  :  le  Pape  fournissoit 


LE    CARDINAL    DE    VALENÇAY.  471 

à  tout  cela.  Le  Bailly,  estonné  de  ces  regales,  disoit  : 
«  J'ay  un  fou  de  nepveu  qui  n'est  qu'un  gueux  aussy 
»  bien  que  moy,  et  il  ne  me  laisse  manquer  de  rien. 
«  Hé,  »  luy  disoit-il,  «  où  prens-tu  tout  cela? — Ne  vous 
»  en  tourmentez  pas,  »  respondoit  le  nepveu^  «  res- 
»  jouissez-vous  seulement.  »  Au  bout  de  six  mois,  on 
le  renvoya  à  Malte,  et  à  trois  mois  de  là,  la  guerre 
estant  desclarée,  on  le  fit  revenir.  11  fut  en  tout  deux 
ans  à  Rome  chez  son  nepveu.  Le  marquis  Mathei 
prit  cependant  Castre  '. 

11  faut  dire  un  mot  de  la  valeur  des  Romains.  Un 
cavalier,  s'estant  approché  trop  près,  avoit  esté  tué 
d'un  coup  de  fauconneau.  Ils  disoient  :  Che  pazzo  ! 
s'è  fatto  amazar  a  la  francese.  Après  cela,  le  duc  de 
Parme  ayant  passé  avec  ses  ch'agons  et  de  l'infan- 
terie à  cheval  jusques  à  Aquapendente,  la  frayeur 
fut  si  grande  à  Rome  qu'on  y  faisoit  des  barricades. 
Alors  le  Pape  déclara  qu'il  alloit  faire  venir  le  bailly 
de  Valençay  pour  s'en  servir,  et  le  fit  maestro  di 
campo  générale,  c'est-à-dire  mareschal  de  camp, 
sous  le  cardinal  Antoine  qui  avoit  la  qualité  de  gé- 
néral, sans  congédier  pourtant  Mathei  et  quelques 
autres  qui  commandoient  séparément.  Il  n'y  avoit 
encore  que  des  milices  ;  on  levoit  quelques  troupes. 
11  fait  tant  qu'il  donne  le  courage  au  cardinal  Antoine 
d'aller  jusqu'à  Ronciglione,  et  de  là  à  Orviete  qui 
se  vouloit  rendre  sans  estre  attaquée,  quoyque  le 
cardinal  Spada  fust  dedans,  et  que  la  place,  qui  est 

1  Ce  fut  par  trahison;  W  traistrc  a  eu  le  cou  coupé  depuis. 


472  LES    HISTORIETTKS. 

sur  un  roc,  soit  presque  imprenable.  Là  il  donna 
quatre  cens  chevaux  de  troupes  réglées  au  Com- 
mandeur, son  nepveu,  et  l'envoya  devant  à  Monte- 
liascone.  Tout  le  reste  suit.  Comme  ils  y  sont  tous 
arrivez,  un  gros  de  cavalerie  des  leurs,  qui  avoit  pris 
le  plus  long,  vint  à  paroistre  ;  voylà  l'allarme  bien 
forte  ;  le  Cardinal  estoit  très-fasché  de  s'estre  tant 
avancé.  Le  Conmiandeur  prend  dix  cavaliers,  et  va 
pour  reconnoistre  ce  gros  ;  le  Cardinal  et  les  Romains 
croyoient  qu'il  estoit  fou.  Il  trouva  que  c'estoient 
de  leurs  gens  ;  il  revient  :  tout  le  monde  le  felicitoit 
comme  d'un  grand  exploit.  On  s'avance  vers  Aqua- 
pendente  ;  on  surprend  les  ennemis  au  fourrage  ; 
on  y  fait  quatre  prisonniers  ;  vous  eussiez  dit  qu'on 
avoit  tout  desfait.  Les  Cardinaux  allèrent  dire  il  bon 
u  bonne  chance,  pfô  *  au  Papc  dc  co  quo  s'evŒ  visto  il  nemico  in  faccia, 
et  le  cardinal  Antoine  en  estoit  si  ravy,  qu'il  embras- 
soit  le  Bailly  à  tout  bout  de  champ,  et  luy  disoit  : 
m'avete  fatto  veder  il  nemico.  Insensiblement  on  fit 
des  troupes ,  et  le  Bailly  avoit  un  régiment  de  deux 
mille  François  plus  beau  que  le  régiment  des  Gar- 
des. Il  prit  une  bicoque  auprès  d'Aquapcndente  : 
Le  duc  de  Parme  desloge  ;  voylà  le  Bailly  sur  le 
pinacle.  Cependant  voyez  quelle  estoit  la  légèreté 
du  personnage  :  ayant  eu  avis  qu'on  luy  permettoit 
de  retourner  à  la  cour  de  France,  il  quitte  l'armée, 
et  part  pour  aller  prendre  congé  du  Pape.  Son  nep- 
veu estoit  à  Perouse  avec  l'Artillerie,  dont  il  estoit 
général.  Le  cardinal  Antoine  le  va  trouver  et  luy  dit 
que  cela  feroit  mourir  le  Pape.  Le  Commandeur  va 


LE    CARDINAL    DE    VALENÇAY.  473 

viste  à  Fouligni,  où  il  met  ordre  qu'on  ne  donne  des 
chevaux  de  poste  à  personne.  Le  Bailly  arrive  ;  son 
nepveu  essuyé  toutes  ses  fougues,  et  le  fait  résoudre 
à  attendre  encore  quinze  jours. 

Au  bout  de  quatorze,  il  fut  fait  cardinal,  et  servit 
si  bien  contre  les  Vénitiens ,  qu'il  entra  dans  leur 
pays,  y  fit  le  degast  et  les  obligea  à  quitter  le  Bou- 
lenois *. 

*  Lô  reste  se  verra,  dans  les  Mémoires  de  ta  Régence. 

COMMENTAIRE. 

I.  —  P,  465,  note. 

Croyant  que  le  mareschal  de  ta  Chastre  t'eust  mal  conseillé  au  jeu 
contre  le  fexi  comte  de  Saini-Aignan... 

Ce  doit  ûtre  Louis  de  la  Chastre,  maréchal  de  France  en  1616,  et 
non  son  père  Claude,  également  maréchal  de  France,  mort  en  1614  à 
l'âge  de  soixante-dix-huit  ans.  Louis  mourut  en  octobre  1630,  laissant 
pour  veuve  Elizabeth  d'Estampes-Valençay,  sa  deuxième  femme,  la 
sœur  de  notre  Cardinal. 

Le  feu  comte  de  Saint-Aignan  etoit  Honorât  de  Beauvilliers,  mort  le 
22  février  1622.  La  terre  de  Saint-Aignan  fut  érigée  en  duché-pairie, 
en  faveur  du  fils,  le  célèbre  françois  de  Beauvilliers,  mort  en  1687. 

II. —  P.  466,  lig.  16. 

Fichue  race  de  Ganelon... 

Une  tradition,  autrefois  assez  répandue,  vouloit  que  les  premiers 
Bouchard,  Thibaud  et  Matthieu  de  Montmorency,  fussent  les  fameux 
adversaires  du  neveu  de  Charlemagne ,  les  Gane  ou  Ganelon  des 
Chansons  de  geste.  Il  n'y  a  rien  d'invraisemblable  dans  cette  opinion. 
Les  épopées  etoient  faites  pour  les  grands  vassaux,  ennemis  naturels  des 
usurpations  graduelles  du  Roi  de  France  :  or,  les  Montmorency  furent 
en  tout  temps  le  bras  et  le  conseil  de  la  couronne  royale  ;  de  là  les  pré- 
ventions et  les  rancunes  de  la  haute  féodalité  contre  eux  ;  de  là  les  in- 
jures et  les  calomnies  contre  les  princes  qui  prôtoient  l'oreille  aux 
instigations  de  ceux  de  la  race  de  Ganelon. 


lilll  LES    HISTOJUHTTKS. 

III. —  P.  ÙG7,  lig.  18. 
.1  la  noclielle  il  rendit  de  grands  sa-viccs. 

Notre  commandeur  de  Valençay  faisoit  profession  de  grand  attache- 
ment aux  intérùts  de  Richelieu,  longtemps  au])aravant:  témoin  ce  que 
raconte  Bassom])icrre,  que  Chalais  luy  ayant  j)arlé  d'un  projcït  formé 
de  tuer  le  grand  Ministre,  le  Commandeur  l'avoit  contraint  d'en  venir 
avec  lui  faire  la  déclaration  au  Cardinal. 

«  Il  courut  un  bruit  »  (mai  162G)  «  que  l'on  avoit  tenu  conseil,  dont 
»  il  y  avoit  neuf  personnes,  l'une  desquelles  l'avoit  décelé;  auquel  il 
»  avoit  été  résolu  cpie  l'on  iroit  tuer  M.  le  Cardinal  dans  Fleury.  Il  s'est 
»  dit  que  ce  fut  M.  de  Chalais,  lequel  s'en  estant  confié  au  comman- 
»  deur  de  Valençay,  ledit  Commandeur  luy  reprocha  sa  trahison, 
»  estant  domestique  du  Roy,  d'oser  entreprendre  sur  son  premier  nii- 
»  uistre  ;  qu'il  l'en  devoit  avertir,  et  qu'en  cas  qu'il  ne  le  voulust  faire, 
»  luy-mesme  le  declareroil.  Chalais  intimidé  y  consentit,  et  tous  deux 
»  partirent  à  l'heure  mesmc  pour  aller  en  avertir  M.  le  Cardinal,  etc.» 
{Journal  de  ma  vie,  édition  de  1720,  tom.  m,  p.  317.) 

Costart,  dans  une  lettre  que  conserve  M.  Parison,  raconte  au  ptre 
Rapin  une  autre  preuve  de  l'adroite  liberté  de  langage  du  commandeur 
de  Valençay  :  «  Feu  M.  le  cardinal  de  Richelieu  luy  ayant  fait  cette 
»  question  :  D'où  vient  que  persorme  en  France  ne  pouvant  se  sauver 
»  de  vos  railleries,  je  suis  le  seul  dont  vous  ne  disiez  point  de  mal'.' 
»  C'est  sans  doute  que  vous  me  craignez. — Ce  n'est  point  cela,  répliqua 
»  le  Commandeur,  et  pour  le  moustrer,  faites  des  sottises,  et  je  ne 
»  vous  espagneray  pas.  » 

IV.  —  P.  /|70,  lig.  8. 

Quand  il  vit  que  Fabroni  et  sa  femme  avec  le  père  Chantctoupe  avaient 
empaumé  la  Rcijne,  il  se  retira. 

Une  lettre  anonyme,  écrite  à  d'Hozier,  raconte  ainsi  la  séparation 
du  commandeur  de  Valençay  et  de  Marie  de  Mcdicis,  alors  retirée  à 
Bruxelles. 

«  Je  croyois  vous  avoir  mandé  que  la  Reyne  avoit  congédié  ses  offi- 
»  ciers,  qu'elle  retranchoit  ses  gardes,  et  que  cela  avoit  mcscontenté 
))  son  capitaine,  qui  luy  remit  mai'dy  son  baston  entre  les  mains.  On 
»  parle  diversement  de  cette  affaire  ;  et  dit-on  que  la  Reyne  l'a  vou- 
»  leu,  les  autres  que  c'est  luy  qui  l'a  désiré.  Quoy  que  ce  soit,  dans  le 
»  retranchement  de  la  maison,  je  croy  qu'on  a  voulu  retrancher  ses 
»  compagnons,  sans  luy  en  communiquer.  Ayant  esté  averty  de  cela, 
»  samedy  il  demanda  à  i)arler  à.  la  Reyne  avec  grand  instance.  Elle 
»  avoit  pris  médecine;  cependant  cette  raison  ne  le  rebuta  point,  do 


LE    CARDINAL    DE    VALENÇAY.  475 

,,  sorte  qu'introduit  dans  son  cabinet,  voicy  ce  que  j'ay  ouy  de  la 
.,  bouche  de  la  Ileyne  :  Il  n'estoit  pas  content,  il  me  mist  trois  ou 
,.  quatre  fois  le  marché  à  la  main,  je  craignis  de  m'esmouvoir  ;  amsy  je 
»  ne  luy  respondis,  sinon  qu'il  falloit  remettre  cela  à  une  autre  fois, 
,,  et  que  je  ne  desirois  pas  me  mettre  pour  lors   en  colère.  Mardy 
>,  donc    il  y  avoit  plusieurs  personnes  dans  son  cabinet;  elle  y  entra 
„  et  dit  voyant  un  baston  sur  la  table  :  Voylà  un  baston  vacant.  Et 
,,  comme  elle  eust  repété  cela  nombre  de  fois,  elle  dist  :  Le  comman- 
„  deur   de    Valençay   n'est  plus   capitaine   de  mes  Gardes.  Chacun 
»  se  retira  dans   sa  chambre,  ne  sçachant  la  raison  de  cette  nou- 
,,  veauté.  Depuis,  une  personne  qui  estoit  présente  m'a  rapporté  <iue  le 
.,  Commandeur  avoit  entré  dans  son  cabinet,  et  qu'il  luy  avoit  deu 
,.  dire  en  luy  faisant  une  profonde  révérence  :  Madame,  je  croy  ne 
>,  pouvoir  faire   action  qui  soit  plus  agréable  à  Votre  Majesté  que  de 
»  luy  remettre  le  baston  dont  elle  m'avoit  honoré.  Le  voylà.  Madame  ; 
„  que  plaist-il  à  Votre  Majesté  que  j'en  fasse?  Elle  luy  dit  qu'il  le 
»  mist  sus  la  table  ;  ce  qu'ayant  fait,  il  fit  une  grande  révérence,  et  en 
„  sortant  dit  à  Fabrony  :  C'en  est   fait;  je  ne  suis  plus  à  la  Reyne. 
,,  Ceux  qui  n'ont  autre  passion  que  le  service  de  la  Reyne,  disent  que 
»  cette  affaire  luy  fait  tort,  etc.  » 

V.  —  Fin. 

La  maison  d'Estampes,  issue  de  Robert  d'Estampes,  conseiller  de 
Jean  duc  de  Bcrry,  frère  de  Charles  V,  avoit  formé  plusieurs  branches. 

La  branche  ahiée ,  à  laquelle  appartenoit  le  marquis  de  Mauny 
(tom.  I",  Hist.,  p.  471— 47^),  s'est  continuée  au  moins  jusqu'à  la  fin 
du  xviii*  siècle.  C'est  la  seule  qui  pourroit  exister  encore. 

La  branche  cadette  s'etoit  éteinte  dans  le  xvi<=  siècle.  Une  troisième 
branche,  séparée  de  la  première  au  xvi«  siècle,  produisit  les  seigneurs  de 
la  Mothe-lez-Enordre,quiexistoieiit  encore  au  milieu  du  siècle  suivant. 

La  quatrième  branche,  celle  des  seigneurs  et  marquis  de  Valen- 
çay, eut  pour  auteur,  vers  la  fin  du  xV  siècle,  Louis  d'Estampes, 
gouverneur  et  bailly  de  Blois,  sous  François  I".  De  son  petit-fils  Jean 
d'Estampes,  seigneur  de  Valençay  et  d'Estiaux,  etoient  nés  l'arche- 
vêque de  Reims,  le  Cardinal,  le  marquis  d'Estiaux,  la  maréchale  de  la 
Chastre,  la  marquise  de  Puisieux,  la  baronne  d'Acheres,  et  les  autres. 
L'aîné  de  tous,  Jacques  d'Estampes,  a  laissé  une  postérité  etemte 
dans  deux  arrière-petits-fils,  morts  à  huit  jours  de  distance,  savoir, 
Jacques-Dominique  d'Estampes,  capitaine  de  cavalerie,  le  24  février 
1700,  et  l'autre,  chevalier  deMalthe,  noyé  sur  la  Galère  capitane,  le 
24  février  suivant. 

Enfin,   une  dernière    branche,  celle  des  seigneurs   d'Autry,   paroit 
s'être  éteinte  dans  les  dernières  années  du  xvii=  siècle. 


CIL 


LE  MARQUIS  DE  RAMBOUILLET. 

{Charles  d'Anyennes,   marquis  de  Rambouillet  et   de   l'isani,   tic  vers 
1377;  mort  à  l'aris,  20  février  1652.) 

Feu  M.  le  marquis  de  Rambouillet  estoit  de  la 
maison  d'Angennes  ',  maison  ancienne,  mais  où  je  ne 
voy  pas  qu'il  y  ayt  eu  de  grandes  dignitez  ;  car,  hors 
ne^îcardlnai'd  "ifnm-  1^  Cardinal  dc  Rambouillct  *,  je  ne  trouve  que  le  père 
iH-e_i83o;inort2unars  dc  fou  M.  dc  Rambouillet  qui  ayt  eu  quelque  grand 
employ.  Pour  luy,  il  fut  vice-roy  de  Pologne,  en 
attendant  que  Henry  IIP  y  allast  ;  et  quand  le  Roy 
y  arriva,  il  luy  dit  :  «  Sire,  j'ay  une  somme  conside- 
»  rable  à  vous  remettre  entre  les  mains.  »  C'estoient 
cent  mille  escus  et  davantage.  «  Vous  vous  mocquez, 


*  J'ay  ouy  conter  une  chose  de  son  grand  perc,  qui  est  assez  plai- 
sante. C'cstoit  un  liomme  grave.  Un  jour  il  dit  à  sa  femme  :  «  Madame, 
»  prenez-moy  par  la  barbe.  »  On  portoit  la  barbe  longuette  en  ce  temps- 
là,  et  les  cheveux  courts.  Elle  l'y  prend.  «  Tirez,  »  luy  dit-il. —  «Je  vous 
1)  ferois  mal.  —  Non,  non,  tirez  de  toute  vostre  force.  »  Elle  fut  con- 
trainte de  faire  ce  qu'il  vouloit.  «  Vous  ne  m'avez  point  fait  de  mal,  » 
luy  dit-il.  Après  il  luy  tire  quelques-uns  de  ses  cheveux  ;  elle  crie  :  «  Vous 
»  voyez.  Madame,  »  luy  dit-il  d'un  tou  sérieux,  «  que  je  suis  plus  fort 
»  que  vous.  Je  vous  en  prie,  ne  nous  battons  pas.  »  Du  temps  des  pa- 
raboles, cette  barbonnerie  .uu-oit  esté  admirable. 


LE    MARQUIS    DE    RAMBOUILLET.  477 

.  monsieur  de  Rambouillet,  »  dit  le  Roy,  «  c'est  vostre 
n  espargne.  —  Non ,  non ,  Sire,  il  faut  que  vous  la 
n  preniez,  vous  en  aurez  bon  besoing.  » 

A  la  bataille  de  Bassac*,    il  avoit  fait  merveille  ,  «^  ^p^^Xl-y' fiV, 

,^^  ■  1  ji  A      •  13  mars  1569. 

avec  ses  gendarmes.  Henry  111%  alors  duc  d  Anjou, 
escrivit  à  Charles  IX^  qu'on  devoit  le  gain  de  la  ba- 
taille à  M.  de  Rambouillet,  et  on  garde  dans  la  mai- 
son une  lettre  du  Roy  par  laquelle  il  en  remercie 
M.  de  Rambouillet.  Cependant  Henry  IIP  ne  fit  point 
faire  de  fortune  à  un  homme  qu'il  estimoit  tant.  On 
dit  qu'il  reconnoissoit  qu'il  avoit  tort,  et  que  s'il 
n'eust  point  esté  tué,  il  luy  eust  fait  beaucoup  de 

bien. 

On  voit  dans  les  Amours  d'Jlcandre  comme  feu 
M.  le  marquis  de  Rambouillet,  alors  vidame  du  Mans, 
fut  blessé  chez  M.  Zamet.  Yoicy  comme  la  chose 
arriva.  M.  de  Chevreuse  *,  qu'en  ce  temps-là  on  appel-  mstom^tom. ., 
loit  le  prince  de  Jainville,  estoit  amoureux  de  M""^  la 
marquise  de  Verneuil.  Lorsqu'Henry  IV^^  obtint 
du  Pape  et  de  la  reyne  Marguerite  le  consentement 
nécessaire  pour  la  dissolution  de  son  mariage,  la 
Marquise,  enragée  de  voir  eschapper  sa  proye,  s'en 
prit  à  M.  de  Bellegarde;  et  quoyqu'il  eust  esté  un 
de  ses  adorateurs,  elle  le  soupçonna  d'avoir  donné  ce 
conseil  au  Roy.  Pour  s'en  venger  ,  elle  sceût  si  bien 
se  prevalloir  de  la  passion  que  M.  le  prince  de  Jain- 
ville avoit  pour  elle,  qu'elle  luy  persuada  d'entre- 
prendre sur  la  vie  de  M.  de  Bellegarde.  En  effect,  un 
soir  que  le  Roy  soupoit  chez  M.  Zamet*,  M.  de  Belle-  ^U^èaVi^rfS"' 
garde  fut  blessé  par  M.  de  Chevreuse  à  la  porte  de 


478  LES    HISTORIETTES. 

cette  maison  ;  mais  ses  gens  poursuivirent  l'aggres- 
seur  si  vertement,  qu'ils  l'eussent  tué,  sans  le  se- 
cours du  vidame  du  Mans,  qui  se  trouva  là  par 
hazard,  ci  y  fut  si  fort  blessé  par  derrière,  qu'il  en 
pensa  mourir.  Le  Roy,  indigné  de  cette  action,  vou- 
loit  faire  couper  le  cou  à  M.  de  Chevreuse,  et  ne 
vouloit  point  qu'on  pansast  le  Vidame;  mais  M"" 
Zamct,  qui  parloit  au  Roy  fort  librement,  et  qui  es- 
toit  des  bonnes  amies  de  M""  de  Rambouillet,  mère 
du  blessé,  luy  dit  qu'il  ne  falloit  pas  aller  si  viste  ; 
que  le  moins  qu'on  pouvoit  faire,  c'estoit  de  sçavoir 
comment  la  chose  s'estoit  passé(^  ;  que  cependant 
elle  mettroit  le  blessé  dans  son  propre  lict,  et  en  au- 
roit  tout  le  seing  imaginable'.  Elle  le  fit  comme  elle 
l'avoit  dit.  Le  Vidame  guérit,  mais  avec  bien  de  la 
peine,   car  on  ne  pouvoit  avoir  le  pus  d'entre  les 
costes;  et  il  ostoit  mort,  sans  un  valet-de-chambre 
chirurgien  qu'il  avoit,  et  qui  eut  assez  d'amitié  pour 
luy  pour  succer  le  pus.  Le  Roy,  qui  sceût  que  le  Vi- 
dame ne  s'estoit  point  trouvé  à  l'action  de  M.  de  Che- 
vreuse, mais  que,  voyant  plusieurs  personnes  contre 
un  seul,  il  s'estoit  mis  du  party  du  plus  foible,  ne 
fut  plus  en   colère  contre   luy.    M""   de  Guise  et 
M'"'  de  Guise,  depuis  princesse  de  Gonty,  firent  la 
paix  de  M.  de  Chevreuse,  quoyqu'elles  fussent  toutes 
deux  fort  mal  salisfaittes  de  son  procédé,  car  il  avoit 
donné  lieu  de  soupçonner  que  c'estoit  peut-estre  bien 


1  Elle  luy  dit  :  «  Sirc,  chacun  est  maistrechez  soy  ;  vous  l'esles  chez 
»  VOUS;  nioy,  je  seray  la  maistresse  céans,  s'il  vous  plaist.  » 


LE    MARQUIS    DE    RAMBOUILLET.  479 

autant  pour  l'amour  d'elles  que  de  la  Marquise  qu'il 
avoit  si  mal  traitté  Bellegarde  *, 

M.  de  Rambouillet  estoit  bien  avec  le  mareschal 
d'Ancre  ;  et  comme  c' estoit  un  homme  fort  con- 
certé, fort  secret,  et  qui  avoit  peur  de  mesprendre, 
comme  on  dit  au  palais,  on  disoit  de  luy  que  quand 
on  luy  demandoit  quelle  heure  il  estoit,  il  tiroit  sa 
monstre  et  monstroit  le  cadran.  Le  cardinal  de 
Richelieu  l'envoya  ambassadeur  extraordinaire  en 
Espagne  pour  la  Valteline.  Il  pensa  faire  enrager 
le  Comte-duc,  qui,  parce  que  le  Cardinal  se  faisoit 
donner  de  l'Eminence^  vouloit  avoir  aussy  quelque 
chose  par-dessus  les  Ambassadeurs,  et  ne  vouloit 
pas  donner  de  l'Excellence  à  M.  de  Rambouillet. 
Alors  l'Excellence  n'estoit  pas  apparemment  bien 
establie  pour  les  Ambassadeurs,  car  M.  du  Fargis, 
y  estant  desjà  ambassadeur  ordinaire,  en  auroit  eu. 
M.  de  Rambouillet  disoit  qu'estant  ambassadeur  ex- 
traordinaire, nourry  aux  despens  du  roy  d'Espagne, 
il  n' avoit  point  haste  de  conclure,  et  qu'il  attendroit 
tout  à  son  aise  la  bonne  humeur  du  Comte-duc. 
Enfin,  au  bout  de  cjuinze  jours,  ils  convinrent  de  se 
traitter  de  Vos.  11  mettoit  le  Comte-duc  en  colère, 
et  luy  faisoit  dire  tout  ce  qu'il  avoit  sur  le  cœur; 
car  pour  luy  il  ne  parloit  pas  plus  haut  quand  il 
estoit  en  colère  que  quand  il  n'y  estoit  pas;  ceux 
qui  le  connoissoient  le  remarquoient  seulement  à  un 
tremblement  de  mains  c{ui  luy  prenoit.  Il  avoit  desjà 

*  Il  y  avoit  eu  aussy  de  ramoiirettp  avec  la  niere. 


/l80  LES     HISTORIETTES. 

\°L\^cet''eî:u"er'''"  '^  ^^^e  sl  iHauvalse,  qu'il  luy  falloit  un  escuyer* 
pour  le  mener;  mais  il  feignoit  tousjours  quelque 
fluxion  sur  le  genouil.  Cette  incommodité  venoit  en 
partie  de  sa  blessure.  Les  Espagnols  disoient,  voyant 
qu'il  n'estoit  pas  trop  bien  pourveû  de  pistolles  : 
«  Este  senor  ambaxador  es  tan  corto  de  borsa  como 
»  de  vista.  » 

Le  cardinal  de  Richelieu,  quoyqu'il  luy  eust  une 
grandissime  obligation,  comme  je  l'ay  marqué,  car 
ce  fut  M.  de  Rambouillet  qui  négocia  avec  le  Coi- 
gneux  et  Puy-Laurens  à  la  Journée  des  duppes,  ne 
voulut  point  se  servir  de  luy  ;  car,  quoyqu'il  eust 
si  mauvaise  veûe,  on  disoit  pourtant  qu'il  voyoit 
trop  clair.  Il  fut  chevalier  de  l'ordre  et  grand- 
maistre  de  la  garde-robe.  Il  s'amusoit  à  servir,  au 
lieu  de  laisser  faire  au  premier  valet  de  garde-robe, 
et  se  tenir  au  beau  de  sa  charge. 

Le  feu  Roy,  qui  n'avoit  pas  toute  la  considéra- 
tion nécessaire,  luy  donnoit  quelquefois  ses  mains 
au  lieu  de  ses  piez,  et  on  m'a  dit  qu'une  fois  il  luy 
avoit  tendu  le  cû  au  lieu  de  la  teste  ;  peut-estre 
cela  servit-il  à  le  faire  retirer;  et  puis  il  avoit  besoing 
sa  charge.  d' argent.  Il  la  vendit*  au  feu  comte  de  Nançay-la- 
Edme,  comte  de  Chastrc  *  qui ,   après ,   fut  colonel   des  Suisses.  Ce 

Nançav,  marquis  de  .  i   •  -i 

L%e  umbre'iew"*""^  Comtc  u  OU  usa  pas  trop  bien,  car  il  ne  paya  pas 
au  terme  préfix,  à  cause  du  rehaussement  des  mon- 
noyes,  et  il  fallut  traitter  avec  luy  et  se  contenter  de 
la  moitié  du  profit. 

Ce  n'est  pas  le  plus  grand  malheur  qui  luy  soit 
arrivé.    Briais ,   le  partisan  ,   luy  devoit  une  assez 


LE    MARQUIS    DE    RAMBOUILLET.  1^8 1 

grande  somme  '  ;  on  ne  pouvoit  en  avoir  raison. 
Enfin ,  cet  liomme  eut  quelques  remors  de  con- 
science ;  il  vient  trouver  M.  de  Rambouillet,  fait  le 
compte  avec  luy,  et  luy  promet  de  l'argent  pour  le 
lendemain.  Au  sortir  de  là,  il  va  à  Yanvres,  et  est 
assassiné  par  un  garçon  à  qui  il  avoit  fait  quelque 
desplaisir.  Toute  la  debte  fut  perdue. 

M.  de  Rambouillet  n'estoit  point  un  homme  ca- 
pable d'aucun  ordre.  Jamais  il  n'a  eu  de  bienfaits 
de  la  Cour,  et  il  a  tousjours  dépensé  beaucoup.  Il 
vouloit  faire  ses  escritures  luy-mesme  et  abondoit 
furieusement  en  son  sens.  Des  choses  qui  ne  luy 
eussent  cousté  que  deux  mille  escus,  par  son  opi- 
niastreté  luy  en  ont  cousté  trente.  Il  disoit  qu'il  s'en 
rapporteroit  à  qui  on  voudroit  ;  et  quand  c'estoit  au 
fait  et  au  prendre  %  il  trouvoit  tousjours  quelque 
eschappatoire.  Il  avoit  terriblement  d'esprit,  mais 
un  peu  frondeur,  et  qui  estoit  persuadé  que  l' Estât 
n'iroit  jamais  bien  s'il  ne  gouvernoit\ 

Il  estoit  né  pour  la  Cour,  mais  son  incommodité 
luy  a  nuy.  Il  n'a  jamais  voulu  avouer  qu'il  ne 
voyoit  goutte  ;  il  croyoit  que  cela  le  rendroit  mes- 
prisable  :  cependant  cette  foiblesse  le  rendoit  ridi- 

1  Pour  des  rentes  sur  les  Aydes,  acquises  par  le  père  de  M"*  de 
Rambouillet  ;  il  y  avoit  trente  mille  livres. 

2  jime  d'Aigviiiion,  du  vivant  du  cardinal  de  Richelieu,  voulut  se 
mesler  d'accommoder  ses  proccz  ;  il  n'y  a  point  de  doute  quMl  eust 
eu  telle  composition  qu'il  eust  voulu,  ayant  toute  la  faveur  de  son 
costé  :  cela  ne  servit  de  rien  ;  il  n'y  avoit  que  Dieu  qui  luy  pust  oster 
de  la  teste  ce  qu'il  s'y  estoit  mis  une  fois. 

•'  C'estoit  un  des  plus  grands  disputeurs  qui  ayt  jamais  esté  :  mais 
il  avoit  bien  trouvé  chaussure  à  son  pié  en  son  gendre  Montauzier. 
II.  31 


482  LES    HISTORIETTES. 

cule,  car  il  aiïcctoil  de  s'apercevoir  des  choses,  et 
souvent  il  se  trompoit.  Une  fois,  entre  autres,  il 
Mort  en  juin  I6S2  avoit  ouy  dirc  que  feu  M.  de  Montauzier*  avoitun 
habit  de  la  plus  belle  escarlate  du  inonde  :  la  pre- 
mière fois  qu'il  alla  à  l'hostel  de  Rambouillet,  M.  de 
Rambouillet,  sans  demander  quel  habit  il  avoit,  luy 
va  dire  :  «  Ah  !  Monsieur,  la  belle  escarlate  !  »  et, 
par  malheur,  ce  jour-l;\  il  estoit  vestu  de  noir.  D'un 
autre  costé,  c' estoit  un  soulagement  pour  sa  famille  ; 
car,  s'il  eust  avoué  qu'il  estoit  aveugle,  il  n'eust 
peut-estre  point  fait  de  visites,  et  il  eust  fallu  luy 
tenir  compagnie,  au  lieu  qu'il  alloit  partout  et  est 
mort  sans  avoir  long-temps  esté  malade  '. 

Il  estoit  temps  qu'il  mourust  :  tout  estoit  en 
pitoyable  estât.  Depuis,  les  choses  se  sont  restablies 
peu  h  peu,  et  M.  de  Monta uzier,  son  gendre,  est  logé 
avec  M'""  de  Rambouillet. 

^  On  cscrivit  à  M.  ot  à  M""'  ilc  Montanzierquc  le  Marquis  estoit  en 
grand  danger;  ils  respondircnt  (|ue  s'il  moiiroit,  M"""  de  Rambouillet 
n'avoit  qu'à  disposer  de  tout,  et  qu'ils  ne  pretendoient  rien  tandis 
qu'elle  vivroit,  tellement  qu'il  n'y  a  point  eu  de  scellé.  Cette  mort  la 
Morte  un  peu  nnpa-  touc'i^  ;  d'c  mc  dit  qu'elle  avoit  trouvé  à  dire  M"«  Paulet  *,  qui  luy 
ravnnt.(//i5(or.)  cstoit  d'une  grande  consolation  dans  ses  peines,  et  clic  mc  le  dit  en 
pleurant,  elle  qui  ne  pleure  quasy  jamais. 


COMMENTAIRE. 

I.  —  P.  670,  lig.  fi. 

//  fut  vice-roi  de  Pologne. 

On  a  imprimé  \m  Extrait  des  lettres  d'un  {lenlilhommc  de  la  suite  de 
M.  de  Uambouillet,  ambassadeur  an  royaume  de  Pologne,  à  nn  seigneur 
de  la  Cow\  etc.,  Paris,  157/i,  Denis  Dupré,  in-8"  de  huit  feuillets. 


LE    MARQUIS    DE    RAMBOUILLET.  483 

Nicolas  d'Aiigcnnes,  sieur  de  Rambouillet,  avoit  etû  envoyé  en  Polo- 
gne en  1573  ,  aussitôt  après  qu'on  eut  appris  à  Paris  l'élection  de 
Henry  III.  «  Il  avoit  déjà,»  ditdeThou,  liv.  lvii,((  été  employé  en  plu- 
»  sieurs  ambassades,  où  il  s'etoit  acquis  une  grande  réputation  de  pru- 
»  dence.  » 

IL  —  P.  477,  lig.  14. 
On  l'Oit  dans  les  Amours  d'AIcandre. 

M.  de  Rambouillet  s'y  trouve  désigné  sous  le  nom  de  Lucile  ;  et  quoi 
que  des  Réaux  en  ait  dit  au  commencement,  il  reproduit  ici  presque 
mot  à  vaoi\çs  Amours  d'AIcandre^  jusqu'à  la  fin  de  l'alinéa.  Mais  ce 
qui  regarde  M""^  Zamet  (Magdelaine  Leclerc  du  Tremblay),  et  la  gué- 
rison  du  Vidame,  n'est  pas  dans  les  Amours.  Des  Réaux  sans  doute  le 
tenoit  de  la  bouche  du  marquis  de  Rambouillet.  Voici  comme  Bas- 
sompierre,  de  son  côté,  raconte  la  même  aventure  : 

«  Le  Roy  ne  possedoit  pas  encore  M"^  d'Entragues,  et  couchoit  par- 
»  fois  avec  une  belle  fille,  nommée  la  Glandée.  Il  arriva  qu'un  soir, 
»  après  soupper  de  chez  M.  d'Elbeuf,  le  Roy  s'en  vint  coucher  chez 
»  Zamet,  avec  cette  fille  ;  et  comme  nous  l'eusmes  déshabillé,  ainsi  que 
»  nous  nous  voulions  mettre  dans  le  carrosse  du  Roy,  qui  nous  rame- 
»  noit  dans  notre  logis,  MM.  de  Jainville  et  le  Grand  eurent  querelle 
»  sur  quelque  chose  que  ce  premier  prétendoit  que  M.  le  Grand  eust 
>)  dit  au  Roy  de  M"^  d'Entragues  et  de  luy.  De  sorte  que  M.  le  Grand 
»  fut  blessé  à  la  fesse,  le  Vidame  du  Mans  receut  un  coup  à  travers  du 
»  corps,  et  la  Rivière  un  coup  dans  les  reins.  Après  que  M.  de  Praslin 
»  eut  fait  fermer  les  portes  du  logis  (de  Zamet),  ils  me  prièrent  d'al- 
»  1er  trouver  le  Roj»^  et  luy  conter  ce  qui  s'estoit  passé  ;  lequel  se  leva 
»  avec  sa  robe  et  son  espée,  et  vint  sur  le  degré  où  ils  estoient,  moy 
»  portant  le  flambeau  devant  luy.  Il  se  fascha  extraordinairement,  et 
»  envoj'a  mesme  dire  au  Premier  président  qu'il  le  vinst  trouver  le 
»  lendemain  avec  la  Cour  du  parlement,  ce  qu'ils  firent.  Il  leur  com- 
»  manda  de  faire  informer  de  l'affaire  et  d'en  faire  bonne  justice.  Le 
»  procès  fut  instruit;  mais  à  l'instante  prière  que  M.,  M""  et  M"*  de 
»  Guise  firent  au  Roy,  l'affaire  ne  passa  pas  plus  avant,  et  deux  mois 
»  après,  M.  le  Connestablc  accorda  cette  querelle  à  Conflans.  »  [Jour- 
nal de  ma  vie.,  tom.  i,  p.  74.) 

m.  -  P.  479,  lig.  5. 

Au  lieu  de  mesprendre,  comme  on  dit  au  Palais. 

Pour  :  au  lieu  de  se  mesprendre.  «  Les  Normands ,  »  dit  Furetiere, 
«  finissent  leurs  exploits  et  leurs  deflfenses  par  cette  formule  :  Et  se  garde 
»  de  mesprendre.  » 


liSll  LES    HISTORIETTES. 

Rambouillet  avoit  été  employé  dans  les  Ambassades  avant  le  grand 
crédit  du  cardinal  de  Richelieu,  puisque  Malherbe  écrit  à  Peiresc,  le 
24  juin  1615  :  «  Pour  le  fait  de  Savoyc,  M.  de  Pongny  est  retourné, 
»  quoy  qu'on  die  que  M.  de  Savoye  est  assez  mal  satisfait  do  M.  le  mar- 
»  quisde  Rambouillet,  et  qu'il  a  mandé  qu'il  ne  desiroit  point  qu'il  se 
»  mcslastplus  de  ses  affaires,  parce  qu'il  est  plus  Espagnol  que  lesEspa- 
»  gnols  mesmes.  Je  ne  sçay  pas  ce  qu'il  en  est  ;  mais  je  le  tiens  un  des 
»  plus  habiles  hommes  de  France,  qui,  n'ignorant  pas  l'intention  de 
»  Leurs  Majestés,  ne  fera  rien  que  ce  qu'il  croyra  estre  de  leur  service.  » 

«  Enfin,  »  dit  des  Réaux,  «  ils  convinrent  de  se  traitler  de  vos.  »  — 
Cette  expression  est  usitée  soit  ironiquement  du  supérieur  à  l'inférieur, 
soit,  au  contraire,  afin  de  témoigner  plus  de  respect. 

Plus  loin  nous  voyons  que  le  feu  Roi,  qui  n'avoit  pas  toute  la  consi- 
dération nécessaire,  donnoit  quelquefois  ses  mains  au  lien  de  ses  piez  à 
M.  de  Rambouillet.  Nous  dirions  aujourd'hui:  tous  les  égards;  puis 
des  Réaux  vouloit  peut-être  écrire  :  luij  donnoit  ses  piez  au  lieu  de  ses 
mains,  ce  qui  rendroit  plus  sensible  le  défaut  de  considération. 

Un  peu  plus  loin  encore:  «  Quand  c'est  oit  au  fait  et  au  prendre;  » 
c'est-à-dire  :  «  Quand  la  chose  etoit  faite,  et  qu'il  ne  s'agissoit  plus 
»  que  de  prendre.  »  Aujourd'hui  nous  disons  au  faire  et  au  prendre, 
moins  bien,  à  mon  avis. 

IV.  —  Fin. 
Loret  donne  ainsi  la  nouvelle  de  la  mort  de  M.  de  Rambouillet  : 

l.a  V.irquc  n  tranché  le  filet 
Au  bon  seigneur  de  Hambouillet , 
Dont ,  «lepnis  douze  ans,  la  paupière 
N'avoit  ny  clairté  ny  lumière. 
Mais  dont  l'esprit,  en  vérité, 
N'estoit  que  hitnlcre  et  clairté. 
Cet  illustre  et  };rand  personnage 
Fut  très  heureux  en  mariage. 
Ayant  mérite  l'amitié 
D'une  si  charmante  moitié. 
Qu'au  rang  des  sages  et  des  belles 
On  en  voyoit  fort  peu  de  telles. 
Par  un  particulier  bonheur. 
Il  possedoit  aussy  l'honneur 
D'avoir  deux  excellentes  lillcs 
Que  je  ne  nomme  point  gentilles. 
Car  ce  terme  ne  convient  pas 
A  leurs  majestueux  appas; 
Mais  sy  nobles  et  sy  bien  faites, 

Sy  vertueuses,  sy  parfaites 

rereoin  tous  les  plus  beaux  esprits 
Qui  de  leurs  vertus  sont  espris,  etc. 


cm.  -  civ. 

LA  MARQUISE  DE  RAMBOUILLET 

ET    MADAME   d'hYERRE. 

{Catherine   de    Fivonne ,    marquise   de    Bambouiltet  ,    née   en   1588; 
mariée  26  janvier  IGOO  ;  morte  27  décembre  1665.) 

M"^  de  Rambouillet  est  fille,  comme  j'ay  desjà 
dit,  de  feu  M.  le  marquis  de  Pisani*,  et  d'une  Savelli  Historiette^  tom.  i, 
veuve  d'un  Ursin.  Sa  mère  estoit  une  habile  femme; 
elle  eut  soing  de  l'entretenir  dans  la  langue  italienne, 
afin  qu'elle  sceûst  également  cette  langue  et  lafran- 
çoise.  On  fit  tousjours  cas  de  cette  dame-là  à  la 
Cour ,  et  Henry  IV*"  l'envoya,  avec  M""'  de  Guise 
surintendante  de  la  maison  de  la  Reyne,  recevoir  la 
Reyne-mere  à  Marseille.  Elle  maria  sa  fille  devant 
douze  ans*  avec  M.  le  vidame  du  Mans  \  M"*"  dé  Le  as  janvier  leoo. 
Rambouillet  dit  qu'elle  regarda  d'abord  son  mary, 
Qui  avoit  alors  une  fois  autant  d'âge  qu^elle*,  comme  iietoit  âgé  de  vingt 
un  homme  faict,  et  qu'elle  se  regarda  comme  un  en- 
fant, et  que  cela  luy  est  tousjours  demeuré  dans  l'es- 
prit, et  l'a  portée  à  le  respecter  davantage.  Hors  les' 
procez,  jamais  il  n'y  a  eu  un  homme  plus  complai- 
sant pour  sa  femme.  Elle  m'a  avoué  qu'il  a  tousjours 

'  Elle  a  eu  dix  mille  escus  de  rente  de  sa  maison. 


trois  ans. 


liSi)  LES    HISTORIETTES. 

esté  amoureux  d'elle ,  et  ne  croyoit  pas  qu'on  pust 
avoir  plus  d'esprit  qu'elle  en  avoit.  A  la  vérité,  il 
n'avoit  pas  grand  peine  à  luy  estre  complaisant,  car 
elle  n'a  jamais  rien  voulu  que  de  raisonnable.  Ce- 
pendant elle  jure  que  si  on  l'eust  laissée  jusqu'à 
vingt  ans,  et  qu'on  ne  l'eust  point  obligée  après  à 
se  marier,  elle  fust  demeurée  fille.  Je  la  croirois 
bien  capable  de  cette  résolution,  quand  je  considère 
que  dez  vingt  ans  elle  ne  voulut  plus  aller  aux  assem- 
blées du  Louvre  '.  Elle  disoit  qu'elle  n'y  trouvoit 
rien  de  plaisant ,  que  de  voir  comme  on  se  pressoit 
pour  y  entrer ,  et  que  quelquefois  il  luy  est  arrivé 
de  se  mettre  en  une  chambre  pour  se  divertir  du 
meschant  ordre  qu'il  y  a  pour  ces  choses-là  en 
France.  Ce  n'est  pas  qu'elle  n'aimast  le  divertisse- 
ment, mais  c'estoit  en  particulier. 

Elle  a  tousjours  aimé  les  belles  choses,  et  elle 
alloit  apprendre  le  latin,  seulement  pour  lire  Virgile, 
quand  une  maladie  l'en  empescha.  Depuis,  elle  n'y 
a  pas  songé,  et  s'est  contentée  de  l'espagnol.  C'est 
une  personne  habile  en  toutes  choses.  Elle  fut  ellc- 
mesme  l'architecte  de  l'hostel  de  Rambouillet,  qui 
estoit  la  maison  de  son  père.  Mal  satisfaitte  de  tous 
les  dessins  qu'on  luy  faisoit  (  c'estoit  du  temps  du 
mareschal  d'Ancre,  car  alors  on  ne  sçavoit  que  faire 
une  salle  à  un  costé ,  une  chambre  à  l'autre,  et  un 

1  C'est  une  chose  assez  estraiige,  pour  une  belle  et  jeune  personne  et 
qui  est  de  qualité.  A  l'entrée  qu'on  devoit  faire  à  la  Reyne-mcrc,  quand 
Henry  IV«  la  fit  coronner,  M""  de  Rambouillet  estoit  une  des  belles  qui 
dévoient  estre  de  la  cérémonie. 


LA   MARQUISE   DE    RAMBOUILLET.  /l87 

escallier  au  millicu  :  d'ailleurs  la  place  esloit  fort 
irreguliere  et  d'une  assez  petite  estendue),  un  soir, 
après  y  avoir  bien  resvé,  elle  se  mit  à  crier  :  «  Viste, 
»  du  papier;  j'ay  trouvé  le  moyen  de  faire  ce  que  je 
)>  voulois.  »  Sur  l'heure  elle  en  fit  le  dessin,  car  na- 
turellement elle  sçayt  desseigner ,  et  dez  qu'elle  a 
veû  une  maison ,  elle  en  tire  le  plan  fort  aisément. 
De  là  vient  qu'elle  faisoit  tant  la  guerre  à  Voiture  de 
ce  qu'il  ne  retenoit  jamais  rien  des  beaux  bastiments 
qu'il  voyoit;  et  c'est  ce  qui  a  donné  lieu  à  cette  ingé- 
nieuse badinerie  qu'il  luy  escrivit  sur  le  Valentin.  On 
suivit  le  dessin  de  M"^  de  Rambouillet  de  poinct  en 
poinct.  C'est  d'elle  qu'on  a  appris  à  mettre  lesescal- 
liers  à  costé*,  pour  avoir  une  grande  suitte  decham-  m"LiKÏà!r?aciurl* 
bres,  à  exhausser  les  planchers,  et  à  faire  des  portes 
et  des  fenestres  hautes  et  larges  et  vis-à-vis  les  unes 
des  autres.  Et  cela  est  si  vray,  que  la  Reyne-mere, 
quand  elle  fit  bastir  Luxembourg,  ordonna  aux  archi- 
tectes d'aller  voir  l'hostel  de  Rambouillet,  et  ce  seing 
ne  leur  fut  pas  inutile.  C'est  la  première  qui  s'est 
avisée  de  faire  peindre  une  chambre  d'autre  couleur 
que  de  rouge  ou  de  tané  ;  et  c'est  ce  qui  a  donné  à 
sa  grand  chambre  le  nom  de  la  Chambre  bleue. 

J'ay  dit  ailleurs*  que  madame  la  Princesse  et  le  Tuni.  i,p.  1-1,1-^. 
Cardinal  de  la  Valette  estaient  fort  de  ses  amys. 
L'hostel  de  Rambouillet  estoit,  pour  ainsy  dire,  le 
théâtre  de  tous  leurs  divertissemens,  et  c' estoit  le  ren- 
dez-vous de  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  galant  à  la  Cour, 
et  de  plus  poly  parmy  les  beaux-esprits  du  siècle. 
Or.  quoyquc  le  cardinal  de  Richelieu  eust  au  car- 


/^88  LES    IIISTOKIETTES. 

dinal  de  la  Valette  la  plus  grande  obligation  qu'on 
l'ius  i,;.ut,  1».  u.     puisse  avoir  *,  il  vouloit  pourtant  sçavoir  toutes  ses 
pensées  aussy  bien  que  d'un  autre;  et  un  jour, 
comme  M.  de  Rambouillet  estoit  en  Espagne,  il  en- 
voya le  Père  Joseph  chez  M""  de  Rambouillet  ;  qui 
sans  faire  semblant  de  rien,  la  mit  sur  le  discours 
de  cette  ambassade,  et  après  luy  dit  que  monsieur 
son  mary  estant  employé  à  une  négociation  impor- 
tante ,  M.  le  cardinal  de  Richelieu  pouvoit  prendre 
son  temps  pour  faire  quelque  chose  de  considérable 
pour  luy;  mais  qu'il  falloit  qu'il  y  contribuast  de 
son  costé ,  et  qu'elle  donnast  à  S.  E.  une  petite  sa- 
tisfaction qu'il  desiroit  d'elle;  qu'un  premier  ministre 
ne  pouvoit  prendre  trop  de  précautions;  en  un  mot, 
que  Monsieur  le  Cardinal  souhaittoit  de  sçavoir  par 
son  moyen  les  intrigues  de  Madame  la  Princesse  et 
de  M.  le  cardhial  de  la  Valette.  «  Mon  père ,  »  luy 
dit-elle,  «  je  ne  croy  point  que  Madame  la  Princesse 
»  et  M.   le  cardinal  de  la  Valette  ayent  aucunes  in- 
»  trigues;  mais,  quand  ils  en  auroient,  je  ne  serois 
»  pas  trop  propre  à  faire  le  mestier  d'espion.  »  Il 
s'addressoitmal;  il  n'y  a  pas  au  monde  de  personne 
moins  intéressée.  Elle  dit  qu'elle  ne  conçoit  pas  de 
plus  grand  plaisir  au  monde  que  d'envoyer  de  l'ar- 
gent aux  gen«,  sans  qu'ils  puissent  sçavoir  d'où  il 
vient.  Elle  passe  bien  plus  avant  que  ceux  qui  disent 
que. donner  est  un  plaisir  de  roy,  car  elle  dit  que 
c'est  un  plaisir  de  Dieu.  En  me  contant  cette  petite 
histoire  du  Père  Joseph,  elle  me  disoit,  car  il  n'y  a 
Ou  loieiTioii.      pas  au  monde  un  esprit  plus  droit,  ({u'elle  soulïriroit  * 


LA    MARQUISE    DE    RAMBOUILLET.  /j89 

encore  moins  qu'on  eust  des  gens  d'église  pour  ga- 
lans  que  d'autres.  —  «  C'est  une  des  choses,  »  adjous- 
toit-elle,  «  pourquoy  je  suis  bien  aise  de  n'estre  point 
»  demeurée  à  Rome  :  car,  quoyque  je  fusse  bien  as- 
»  seurée  de  ne  point  faire  de  mal,  je  n'estois  pas 
»  pourtant  asseurée  qu'on  n'en  dist  point  de  moy,  et 
»  apparemment,  si  on  en  eust  dit,  la  mesdisance 
»  m'auroit  mise  avec  quelque  Cardinal.  » 

Jamais  il  n'y  a  eu  une  meilleure  amie.  M.  d'An- 
dilly,  qui  faisoit  le  professeur  en  amitié,  luy  dit  un 
jour  qu'il  la  vouloit  instruire  amplement  en  cette 
belle  science;  il  luy  faisoit  des  leçons  prolixes;  elle, 
pour  trancher  tout  d'un  coup  luy  dit  :  «  Bien  loing  de 
»  ne  pas  faire  toutes  choses  au  monde  pour  mes 
')  amys,  si  je  sçavois  qu'il  y  eust  un  fort  honneste 
»  homme  aux  Indes,  sans  le  connoistre  autrement, 
»  je  tascherois  de  faire  pour  luy  tout  ce  qui  seroit  à 
»  son  avantage.  — Quoy!  »  s'escria  M.  d'Andilly, 
«  vous  en  sçavez  jusques  là  !  Je  n'ay  plus  rien  à 
»  vous  monstrer.  » 

M"**  de  Rambouillet  est  encore  présentement  d'hu- 
meur à  se  divertir  de  tout.  Un  de  ses  plus  grands 
plaisirs  estoit  de  surprendre  les  gens  :  une  fois,  elle 
fit  une  galanterie  à  M.  de  Lizieux*  à  laquelle  il  ne  ^*'fl'iyfor."«r"' 
s'attendoit  pas.  Il  l'alla  voir  à  Rambouillet.  Il  y  a  au 
pié  du  Chasteau  une  fort  grande  prairie,  au  millieu 
de  laquelle,  par  une  bizarrerie  de  la  nature,  se 
trouve  comme  un  cercle  de  grosses  roches,  entre 
lesquelles  s'elevent  de  grands  arbres  qui  font  un  om- 
brage tres-agréable.  C'est  le  lieu  oi^i  Rabelais  se  di- 


490  LKS     HISTORIETTES. 

vertissoit,  à  ce  qu'on  dit  dans  le  pays  ;  car  le  cardinal 

du  Bellay  à  qui  il  estoit ,  et  MM.   de  Rambouillet, 

layi'Lîîîîînrde'iVan^  cominc  prochos  parens*,  alloicnt  fort  souvent  passer 

sieiircle  Rambouillet.    ,        ,  \  il  •  'in 

le  temps  a  cette  maison  ;  et  encore  aujourd  huy  on 
appelle  une  certaine  roche  creuse  et  enfumée  la 
Marmitte  de  Rabelais,  La  Marquise  proposa  donc  à 
M.  de  Lisieux  d'aller  se  promener  dans  la  prairie. 
Quand  il  fut  assez  près  de  ces  roches  pour  entre- 
voir à  travers  les  feuilles  des  arbres,  il  aperceût  en 
divers  endroits  je  ne  sçay  quoy  de  brillant.  Estant 
plus  proche,  il  luy  sembla  qu'il  discernoit  des 
femmes,  et  qu'elles  estoient  vestues  en  nymphes.  La 
Marquise,  au  commencement,  ne  faisoit  pas  sem- 
blant de  rien  voir  de  ce  qu'il  voyoit.  Enfin,  estant 
parvenus  jusques  aux  roches,  ils  trouvèrent  M"'  de 
Rambouillet  et  toutes  les  demoiselles  de  la  maison, 
vestues  effectivement  en  nymphes ,  qui ,  assises  sur 
les  roches,  faisoient  le  plus  agréable  spectacle  du 
monde.  Le  bonhomme  en  fut  si  charmé,  que  de- 
puis il  ne  voyoit  jamais  la  Marquise  sans  luy  parler 
des  roches  de  Rambouillet. 

Si  elle  eust  esté  en  estât  de  faire  de  gi'andes  dé- 
penses, elle  eust  bien  fait  de  plus  chères  galanteries. 
Je  luy  ay  entendu  dire  que  le  plus  grand  plaisir  qu'elle 
eust  pu  avoir ,  c'eust  esté  de  faire  bastir  une  belle 
maison  au  bout  du  parc  de  Rambouillet,  si  secrè- 
tement que  personne  de  ses  amys  n'en  sceûstrien  (et 
avec  un  peu  de  seing  la  chose  n'estoit  pas  impossible, 
parce  que  le  heu  est  assez  escarté ,  et  que  ce  parc 
est  un  des  plus  grands  de  France,  et  mesme  esloigné 


LA    MARQUISE    DE    RAMBOUILLET.  491 

d'une  portée  de  mousquet  du  chasteau ,  qui  n'est 
qu'un  bastimcnt  à  l'antique)  ;  qu  elle  eust  voulu  en 
suitte  mener  à  Rambouillet  ses  meilleurs  amys,  et  le 
lendemain,  en  se  promenant  dans  le  parc,  leur  pro- 
poser d'aller  voir  une  belle  maison,  qu'un  de  ses 
voisins  avoit  fait  faire  depuis  quelque  temps  ;  et  après 
bien  des  destours,  «  je  les  aurois  menez,  »  disoit-elle, 
«  dans  ma  nouvelle  maison ,  que  je  leur  aurois  fait 
»  voir,  sans  qu'il  parust  un  seul  de  mes  gens,  mais 
»  seulement  des  personnes  qu'ils  n'eussent  jamais 
»  veûs  ;  et  enfin  je  les  aurois  priez  de  demeurer  quel- 
»  quGs  jours  en  ce  beau  lieu,  dont  le  maistre  estoit 
»  assez  mon  amy  pour  le  trouver  bon.  Je  vous  laisse 
»  à  penser ,  »  adjoustoit-elle,  «  quel  auroit  esté  leur 
»  estonnement,  lorsqu'ils  auroient  sceù  que  tout  ce 
»  secret  n' auroit  esté  que  pour  les  surprendre  agréa- 
»  blement.  » 

Elle  attrappa  plaisamment  le  comte  de  Guiche, 
aujourd'huy  le  mareschal  de  Grammont.  11  estoit 
encore  fort  jeune  quand  il  commença  à  aller  à  l'hos- 
tel  de  Rambouillet.  Un  soir,  comme  il  prenoit  congé 
de  M™^  la  Marquise,  M.  de  Chaudebonne  *,  le  plus  Historiette. 
intime  des  amys  de  M*"^  de  Rambouillet,  et  qui 
estoit  fort  familier  avec  luy,  luy  dit  :  «  Comte  ,  ne 
')  t'en  vas  point,  soupe  céans.  —  Jésus  !  vous  moc- 
»  quez-vous?  «  s'escriala  Marquise;  «  le  voulez-vous 
»  faire  mourir  de  faim?  —  Elle  se  mocque  elle- 
»  mesme,  »  reprit  Chaudebonne,  «  demeure,  je  t'en 
»  prie.  »  Enfin  il  demeura.  M"'  Paulet,  car  tout  cela 
estoit  concerté ,  arriva  en  ce  moment  avec  M"'  de 


492  LES    HlSTORlKTlfiS. 

Rambouillet;  on  sert,  et  la  table  n'estoit  couverte 
que  de  choses  que  le  Comte  n'aimoit  pas.  En  cau- 
sant, on  luy  avoit  fait  dire,  à  diverses  fois ,  toutes 
ses  aversions.  Il  y  avoit  entre  autres  choses  un  grand 
potage  au  laict  et  un  gros  coq  d'Inde.  M"'  Paulet  y 
joua  admirablement  son  personnage.  «  Monsieur  le 
»  Comte,  »  disoit-ellc,  «  il  n'y  eut  jamais  un  si  bon 
»  potage  au  laict  :  vous  en  plaist-il  sur  votre  assiette? 
»  —  Mon  Dieu!  le  bon  coq  d'Inde!  il  est  aussy 
»  tendre  qu'une  gelinotte.  —  Vous  ne  mangez  point 
»  du  blanc  que  je  vous  ay  servy;  il  vous  faut  donner 
»  du  rissolé,  de  ces  petits  endroits  de  dessus  le  dos.  » 
Elle  se  tuoit  de  luy  en  donner,  et  luy  de  la  remer- 
cier. Il  estoit  desferré  ;  il  ne  sçavoit  que  penser  d'un 
si  pauvre  souper  ;  il  esmioit  du  pain  entre  ses  doits. 
Enfin,  après  que  tout  le  monde  s'en  fut  bien  di- 
verty.  M""'  de  Rambouillet  dit  au  Maistre  d'hostel  : 
«  Apportez-nous  donc  quelque  autre  chose,  M.  le 
»  Comte  ne  trouve  rien  là  à  son  goust.  »  Alors  on 
servit  mi  souper  magnifique ,  mais  ce  ne  fut  pas 
sans  rire. 

On  luy  fit  encore  une  malice  à  Rambouillet.  Un 
soir  qu'il  avoit  mangé  force  champignons,  on  gaigna 
son  valet  de  chambre  qui  donna  tous  les  pour- 
^ujourd'hui siicta.  points  *  dcs  hablts  que  son  maistre  avoit  apportez.  On 
les  estressit  promptement.  Le  matin,  Chaudebonne 
le  va  voir  comme  il  s'habilloit;  mais  quand  il  voulut 
mettre  son  pourpoint,  il  le  trouva  trop  estroit  de 
quatre  grands  doits.  «  Ce  pourpoint-là  est  bien  es- 
»  troit ,   »  dit-il  à  son  valet  de  chambre,  ^(  donnez- 


LA    MARQUISE    DE    RAMBOUILLET.  493 

»  moi  celuy  de  T habit  que  je  mis  hier.  »  11  ne  le 
trouva  pas  plus  large  que  l'autre.  «  Essayons- les 
»  tous,  »  dit-il  ;  mais  tous  luy  estoient  esgallement  es- 
troits.  «  Qu'est  cecy?»  adjousta-t-il,  «  suis-je  enflé? 
»  seroit-ce  d'avoir  tro-p  mangé  de  champignons?  — 
»  Gela  pourroit  bien  estre ,  »  dit  Chaudebonne , 
«  vous  en  mangeastes  hier  au  soir  à  crever.  »  Tous 
ceux  qui  le  virent  luy  en  dirent  autant,  et  voyez  ce 
que  c'est  que  l'imagination  :  il  avoit,  comme  vous 
pouvez  penser,  le  teint  tout  aussy  bon  que  la  veille; 
cependant  il  y  descouvroit,  ce  luy  sembloit,  je  ne 
sçay  quoy  de  livide.  La  Messe  sonne,  c'estoit  un 
dimanche  :  il  fut  contraint  d'y  aller  en  robe  de 
chambre.  La  Messe  ditte,  il  commence  à  s'inquiéter 
de  cette  prétendue  enflure,  et  il  disoit  en  riant  du 
bout  des  dents  :  «  Ce  seroit  pourtant  une  belle  fin 
»  que  de  mourir  à  vingt  et  un  ans*,  pour  avoir  n  avoit  cet  âge  en 
»  mangé  des  champignons!  »  Comme  on  vit  que 
cela  alloit  trop  avant,  Chaudebonne  dit  qu'en  atten- 
dant qu'on  pust  avoir  du  contre-poison,  il  estoit  d'a- 
vis qu'on  fist  une  recette  dont  il  se  souvenoit.  Il  se 
mit  aussitost  à  l'escrire,  et  la  donna  au  Comte.  Il  y 
avoit  :  Recipe  de  bons  ciseaux ^  et  descous  ton  pour- 
point. Or,  quelque  temps  après ,  comme  sy  c'eust 
esté  pour  venger  le  Comte,  M"*  de  Rambouillet  et 
M.  de  Chaudebonne  mangèrent  effectivement  de 
mauvais  champignons,  et  on  ne  sçait  ce  qui  en  fust 
arrivé,  si  M""  de  Rambouillet  n'eust  trouvé  de  la 
theriaque  dans  un  cabinet ,  où  elle  chercha  à  tous 
hazards. 


1625. 


Il9ll  LES    HISTORIETTES. 

M'"'  de  Rambouillet  a  eu  six  enfans  :  M""  de 
Montauzier  est  Taisnée  de  tous;  M"'"  d'Hyerre  est 
la  seconde  '  ;  M.  de  Pisani  estoit  après.  11  y  avoit  un 

1  MADAME  D'HYERRE. 

(Claire-Diane  d'Jrtgenncs,  abbessc  d'Hyerre  en  1G36,  morte  en  lGfi9.  ) 

L'abbaye  d'Hyerre,  i\  quatre  lieues  de  Paris,  ayant  vaqué,  M""^  do 
Rambouillet  la  demanda  pour  sa  seconde  fdle.  Le  cardinal  de  Riche- 
lieu en  avoit  desj:\  disposé  en  faveur  d'une  parente  de  M.  des  Noyers  ; 
cependant  on  s'y  obstina  à  cause  de  la  proximité  de  Paris,  et  par  la 
faveur  de  M""'  d'Aiguillon,  on  en  vint  à  bout.  S'ils  eussent  sceû  le  peu 
de  satisfaction  qu'ils  en  dévoient  avoir,  il  n'y  eussent  pas  pris  tant  de 
peine.  Dez  que  l'Abbesse  fut  installée,  clic  déclara  qu'elle  ne  vouloit 
point  pour  directeur  celuy  que  sa  famille  luy  avoit  destiné.  Elle  en 
prit  un  autre;  elle  traitta  mal  deux  de  ses  sœurs  qu'on  mit  avec  elle, 
ne  fit  rien  de  ce  qu'il  falloit  faire  pour  mettre  son  abbaye  en  réputa- 
tion ;  en  un  mot,  elle  n'a  reccù  en  vingt-quatre  ans  que  quatre  reli- 
gieuses, et  il  y  avoit  trois  ans  qu'elle  estoit  avec  des  novices  en  cliam- 
bro  garnie  à  Paris,  et  il  n'y  avoit  plus  en  tout  que  six  religieuses  quand 
on  obtint  un  bief  du  Pape  (car  l'abbaye  va  directement  au  Saint-Siège), 
par  lequel  il  nommoit  pour  directeur  un  prostré  de  grande  réputation, 
nommé  M.  de  Blancpignon ,  qui  l'est  desjà  des  Carmélites  et  de  deux 
ou  trois  autres  ordres  de  Filles  dans  Paris.  Il  va  à  Hyerre ,  elle  s'y 
trouve,  déclare  qu'il  est  son  ennemy  ;  cependant  elle  ne  le  connoissoit 
pas,  et  obtient  un  nouveau  bref  du  Pape,  qui  nomme  M.  l'archevesque 
de  Sens.  Elle  l'avoit  demandé  à  cause  que  J'hostel  d'Hyerre  tousche 
l'hostel  de  Sens,  et  que  l'Archcvcsque  avoit  voulu  en  avoir  quelques 
chambres  pour  sa  commodité.  Luy  ne  se  laissa  pas  leurrer  par  un  si 
petit  intérêt.  Durant  l'intervalle  de  ces  deux  brefs,  M.  de  Blancpignon 
avoit  dit  qu'à  moins  que  de  faire  venir  d'anciennes  religieuses  à 
Hyerre ,  on  n'y  sçauroit  remettre  l'ordre  :  on  en  fit  venir  de  Mont- 
martre. L'Abbesse  les  pensa  faire  mourir  de  faim.  M°"  de  Montmartre 
fut  contrainte  de  leur  envoyer  de  quoy  vivre.  Ce  deuxième  bref  arrivé, 
on  instruit  le  Pape  de  la  surprise  qu'on  luy  avoit  faittc,  et  que  ce 
qu'elle  avoit  exposé  contre  M.  de  Blancpignon  estoit  faux  ;  le  Pape  le 
nomme  derechef,  et  on  transfère  l'Abbesse  aux  Filles  de  la  Miséri- 
corde. La  supérieure  de  la  maison  la  flatta  pour  faire  faire  une  de 
ses  niopces  coadjutrice;  cependant  un  beau  jour  elles  se  brouillèrent  et 
se  séparèrent.  Voyh\  M"'"  d'Hyerre  logée  chez  un  loueur  de  carrosses; 


LA    MARQUISE    DE    RAMBOUILLET.  495 

garçon  bien  fait  qui  mourut  de  la  peste  à  huit  ans*. 
Sa  gouvernante  alla  voir  un  pestiféré,  et  au  sortir 
de  là  fut  assez  sotte  pour  baiser  cet  enfant  ;  elle  et 
luy  en  moururent.  M"''  de  Piambouillet,  M""  de  Mon- 
tauzier  et  M"''  Paulet  F  assistèrent  jusques  au  dernier 
soupir.  —  M""'  de  Saint-Estienne  *  est  après,  puis 
lyfme  ^g  Pisani  *.  Toutes  sont  religieuses,  hors  la  pre-  catherine-chariotte 
miere  et  la  dernière  des  filles,  qui  est  M"^  de  Ram- 
bouillet*. 

M.  de  Pisani  *  vint  beau,  blanc,  blond  et  droit  au 
monde,  mais  il  eut  l'espine  du  dos  desmise  en  nour- 
rice, sans  qu'on  le  sceûst,  et  en  devint  si  contrefait 
qu'on  ne  luy  pouvoit  faire  de  cuirasse.  Gela  luy  gasta 
jusques  aux  traits  du  visage,  et  il  demeura  fort  petit, 
ce  qui  sembloit  d'autant  plus  estrange  que  son  pere^ 
sa  mère  et  ses  sœurs  sont  tous  grands  ;  on  disoit  les 
sapins  de  Rambouillet  autrefois,  parce  qu'ils  estoient 
je  ne  sçay  combien  de  frères  de  grande  taille  et  point 


Isabelle-Louise. 


Angélique-Clarisse. 

I,eon  Pompée  d'A., 
marquis   de    Pisani. 


elle  plaide  et  fait  imprimer  un  faction,  ou  plustost  un  libelle  diffama- 
toire contre  sa  famille,  et  dit  là  dedans  que  tout  ce  qu'elle  souffre  ne 
vient  que  de  ce  qu'elle  n'a  pas  voulu  faire  sa  sœur  de  Pisani  coadjutrice , 
et  envoyé  cela  dans  tous  les  convens.  Il  n'y  a  rien  de  plus  faux  ;  on  ne 
l'en  a  jamais  pressé,  et  M""^  de  Pisani  le  seroit  deSaint-Estienne*,  si 
elle  avoit  voulu  ;  mais  c'est  une  bonne  fille  sans  ambition,  qui  veut  vivre 
dans  une  maison  plus  austère  ;  et  puis  aujourd'huy,  1663,  M""*  de  Montau- 
zier  est  trop  bien  à  la  Cour  pour  manquer  d'une  bonne  place  pour  sa 
sœur,  si  elle  s'en  mettoit  bien  en  peine.  Le  Parlement  ordonna  que 
TAbbesse  seroit  mise  dans  quelque  maison  religieuse  ;  on  l'obligea  à 
aller  loger  dans  une  maison  où  il  y  a  une  espèce  de  communauté  de 
Filles,  dans  la  rue  Saint-Anthoinc.  Elle  dit  qu'on  luy  avoit  dcsmis  deux 
costes  en  la  pressant  de  sortir  de  chez  elle  ;  puis,  elles  estoient  rompues. 
Enfin,  elle  n'en  osa  plus  parler.  Le  Premier  président  a  empesché  que 
cela  ne  fiist  plaidé  ;  il  en  a  fait  un  procez  par  escript. 


496  LES    HISTORIETTES. 

gros.  En  revanche,  M.  de  Pisani  avoit  beaucoup 
d'esprit  et  beaucoup  de  cœur.  De  peur  qu'on  ne  le 
fist  d'église,  il  ne  voulut  jamais  estudier  ny  mesme 
lire  en  françois,  et  il  ne  commença  à  y  prendre,  quel- 
que goust  que  quand  on  imprima  la  traduction  de 
ces  huit  oraisons  de  Ciceron,  dont  il  y  en  a  trois  de 
''1;s?X'"Sfn-io"''  M.  d'Ablancourtetune  de  M.  Patru*.  Il  les  aimoitet 
les  lisoit  à  toute  heure.  11  raisonnoit  comme  s'il  eust 
eu  toute  la  logique  du  monde  dans  la  teste.  Il  avoit 
l'esprit  adroit,  et  chez  les  dames  il  estoit  quelquefois 
mieux  receû  que  les  mieux  bastis  :  un  peu  desbaus- 
ché  et  pour  les  femmes  et  pour  le  jeu.  Un  jour,  pour 
avoir  de  l'argent,  il  fit  accroire  à  son  père  et  à  sa 
mère,  qui  en  vingt-huict  ans  n'avoient  couché  qu'une 
nuict  à  Rambouillet,  qu'il  y  avoit  du  bois  mort  dans 
le  parc  et  qu'il  le  faudroit  ostcr;  et  en  ayant  eu  la 
permission,  il  fit  couper  six  cens  cordes  du  plus  beau 
et  du  meilleur.  Il  disoit  à  Monsieur  le  Prince  en  dis- 
putant ,  car  ils  disputoient  souvent  :  «  Faittes-moy 
»  prince  du  sang  au  lieu  de  vous,  et  ayez  toutes  les 
»  raisons  du  monde  :  je  gaigneray  tousjours  contre 
»  vous.  »  Il  voulut  le  suivre  en  toutes  ses  campagnes, 
quoyque  ce  fust  une  terrible  figure  à  cheval  que  le 
marquis  de  Pisani.  On  disoit  que  c' estoit  le  chameau 
du  bagage  de  Monsieur  le  Prince.  Il  y  fut  tué  enfin  : 
23AO.U164S.  ce  fut  à  la  bataille  de  Nortlingue  *.  Il  estoit  à  l'aisle 
du  mareschal  de  Grammont ,  qui  fut  rompue.  Le 
chevalier  de  Grammont  luy  cria  :  «  Viens  par  icy, 
»  Pisani,  c'est  le  plus  seur.  »  Il  ne  voulut  pas  appa- 
remment se  sauver  en  si  mauvaise  compagnie,  car 


LA    MARQUISE    Dli:    RAMBOUILLET.  !l91 

le  Chevalier  estoit  fort  descrié  pour  hi  bravoure  ;  il 

alla  par  ailleurs,  et  rencontra  des  Cravates ^  qui  le  ^"Jourd'unc^'^^x 

massacrèrent. 

Il  faut  que  je  conte  une  chose  de  luy  qui  est  plai- 
sante. M'"'=  de  Rambouillet,  qui  a  l'esprit  délicat, 
disoit  qu'il  n'y  avoit  rien  plus  ridicule  qu'un  homme 
au  lict,  et  qu'un  bonnet  de  nuict  est  une  fort  sotte 
coiffure.  M"""  de  Montauzier  avoit  un  peu  plus  d'a- 
version  qu'elle    pour  les  bonnets  de  nuict;  mais 
M"'  d'Arquenay,  aujourd'huy  abbesse  de  Saint-Es- 
tienne  de  Rheims,  estoit  la  plus  deschaisnée  contre 
ces  pauvres  bonnets.  Son  frère  un  jour  l'envoya  prier 
de  venir  jusques  dans  sa  chambre.  Elle  n'y  fut  pas 
plus  tost,  qu'il  ferme  la  porte  au  verrou  ;  inconti- 
nent cinq  ou  six  hommes  sortent  d'un  cabinet  avec 
des  bonnets  de  nuict ,   qui  à  la  vérité  avoient  des 
coiffes  bien  blanches,  car  des  bonnets  de  nuict  sans 
coiffes  eussent  esté,  capables  de  la  faire  mourir  de 
frayeur.  Elle  s'escrie,  et  veut  s'enfuyr  :  «  Jésus!  ma 
»  sœur,  »  luy  dit-il,  «pensez-vous  que  je  vous  aye 
»  voulu  donner  la  peine  de  venir  icy  pour  rien?  non, 
>)  non,  vous  ferez  collation ,  s'il  vous  plaist.  »  Quoy 
qu'elle  pust  faire  ou  dire,  il  fallut  se  mettre  à  table 
et  manger  de  la  collation  que  ces  gens  à  bonnets 
de  nuict  leur  servirent.  Depuis  cela ,  le  marquis  de 
Montauzier,  instruit  de  cette  petite  aversion,  jusqu'à 
la  grande  blessure  qu'il  receût  au  combat  de  Mon- 
tansais,  en  1652  "",  coucha  tousjours  avec  sa  femme  '        ^e  7  juin. 


1  II  fut  marié  en  1045. 

II.  32 


498  LES    HISTORIETTES. 

sans  bonnet  de  nuict,  quoyqu'elle  le  priast  d'en 
prendre.  C'est  ce  qui  a  fait  dire  que  les  véritables 
précieuses  ont  peur  des  bonnets  de  nuict  '. 

Revenons  an  plaisir  qu'avoit  M™*  de  Rambouillet 
à  surprendre  les  gens.  Elle  fit  faire  un  grand  cabi- 
net avec  trois  grandes  croisées,  à  trois  faces  diffé- 
rentes, qui  respondoient  sur  le  jardin  des  Quinze- 
Vingts  ,  sur  le  jardin  de  l'hostel  de  Chevreuse,  et 
sur  le  jardin  de  l'hostel  de  Rambouillet.  Elle  le  fit 
bastir,  peindre  et  meubler,  sans  que  personne  de 
cette  grande  foule  de  gens  qui  alloient  chez  elle  s'en 
fust  aperccû.  Elle  faisoit  passer  les  ouvriers  par-des- 
sus la  muraille,  pour  aller  travailler  de  l'autre  costé, 
car  ce  cabinet  est  en  saillie  sur  le  jardin  des  Quinze- 

p.Arnauit.ienicstrc-  Vlngts.  Lo  scul  M.  Aoiaut  *  cut  la  curiosité  de  mon- 
de-camp. "^ 

ter  sur  une  eschelle  qu'il  trouva  appuyée  à  la  mu- 
raille du  jardin  ;  mais  quelqu'un  l'appella  qu'il 
n'estoit  encore  qu'au  second  eschelon  ;  depuis  il  n'y 
pensa  plus.  Un  soir  donc  qu'il  y  avoit  grande  com- 
pagnie à  l'hostel  de  Rambouillet,  tout  d'un  coup  on 
entend  du  bruit  derrière  la  tapisserie,  une  porte 
s'ouvre,  et  M"'  de  Rambouillet,  aujourd'huy  M'""  de 


Pisani.— voy.  His-       *  Voiture  et  luy*,  comme  nous  dirons  ailleurs,  avoient  une  grande 
orte  e       oi  urc.     j^j^jj^j^  j'^^  p^yj.  l'autre.  Une  fois  M.  de  Pisani,  durant  une  grande 
gelée,  dit  à  quelqu'un  :  »  Tenez,  je  n'ay  qu'une  chemise.  —  Hé  !  com- 
»  ment  pouvez-vous  faire  ?  »  dit  l'autre. —  «  Comment  je  fais  ?  »  reprit- 
il;  M  je  tremble  tousjours  de  froid.  » 

Il  y  avoit  un  gros  gueux  ;\  la  porte  de  l'hostel  de  Rambouillet. 
Un  jour,  comme  il  luy  dcmandoit,  M""  la  Marquise  dit  :  «  Il  faut 
»  donner  à  ce  pauvre  homme.  —  Je  m'en  garderay  bien,  »  dit-il,  «  je 
»  veux  qu'il  me  preste  de  l'argent.  J'ay  ouy  dire  qu'il  avoit  plus  de 
»  mille  escus.  » 


LA    MARQUISE    DE    R  A  ArBOUTLLET.  /l99 

Montauzier,  vestue  superbement,  paroist  dans  un 
grand  cabinet  tout  à  fait  magnifique,  et  merveilleu- 
sement bien  esclairé.  Je  vous  laisse  à  penser  si  le 
monde  fut  surpris.  Ils  sça voient  que  derrière  cette 
tapisserie  il  n'y  avoit  que  le  jardin  des  Quinze- 
Vingts',  et  sans  en  avoir  eu  le  moindre  soupçon,  ils 
voyoient  un  cabinet  si  beau,  si  bien  peint,  et  pres- 
que aussy  grand  qu'une  chambre,  qui  sembloit  ap- 
porté là  par  enchantement.  M.  Chapelain,  quelques 
jours  après,  y  fit  attacher  secrètement  un  rouleau  de 
velin  où  estoit  cette  ode,  où  Zirfée,  reyne  d'Argen- 
nes,  dit  qu'elle  a  fait  cette  loge  pour  mettre  Arthe- 
nice  à  couvert  de  l'injure  des  ans  ;  car,  comme  nous 
dirons  bientost,  M™^  de  Rambouillet  avoit  bien  des 
incommoditez.  Auroit-on  cru  ,  après  cela ,  qu'il  se 
fust  trouvé  un  chevalier,  et  encore  un  chevalier  qui 
descend  d'un  des  neuf  preux  -,  qui,  sans  respecter  la 
reyne  d'Argennes  ny  la  grande  Arthenice,  ostastà  ce 
cabinet ,  que  depuis  on  appella  la  loge  de  Zirfée, 
une  de  ses  plus  grandes  beautez?  car  M.  de  Che- 
vreuse  s'avisa  de  bastir  je  nesçay  quelle  garde- robe, 
dont  la  croisée  qui  donnoit  sur  son  jardin  fut  bou- 
chée*. On  luy  en  fit  des  reproches.  «  Il  est  vray,  »  ch^vr«fs"eVtom^'1^ 
dit-il,  «  que  M.  de  Rambouillet  est  mon  bon  amy  et 
»  mon  bon  voisin  ,  et  que  mesme  je  luy  dois  la  vie; 

1  Dans  ce  jardin,  —  c'est  plutost  un  clos  par-delà  le  jardin,  —  elle  a 
si  bien  fait,  qu'on  luy  a  permis  de  planter  une  allée  de  sycomores 
sous  ses  fenestres,  et  de  semer  du  foin  dessous.  Elle  se  vante  d'estre 
la  seule  dans  Paris  qui  voye  de  la  fenestre  de  son  cabinet  faucher 
im  pré. 

2  Godefroy  de  Bouillon. 


p.  41S. 


500  LES    HISTORIETTES. 

»  mais  où  vouloit-il  que  je  misse  mes  habits?  »  Notez 
qu'il  avoit  quarante  chambres  de  reste. 

Depuis  la  mort  de  M.  de  Rambouillet,  M""  deMon- 
tauzier  a  fait  de  T  appartement  de  monsieur  son  père 
un  appartement  magnifique  et  commode  tout  en- 
semble. Quand  il  fut  achevé,  elle  voulut  le  dédier,  et 
pour  cela  elle  y  donna  à  souper  à  madame  sa  mère. 
Elle,  sa  sœur  de  Rambouillet  et  M'"'  de  Saint-Estienne, 
qui  estoit  alors  icy  religieuse ,  la  servirent  à  table, 
sans  que  pas  un  homme,  pas  mesme  M.  de  Montau- 
zier^  cust  le  crédit  d'y  entrer.  M'""  de  Rambouillet 
fit  aussy  quelque  chose  à  son  appartement  qui  n'est 
pas  moins  beau  ny  moins  bien  pratiqué,  et  je  me 
souviens  qu'on  disoit  à  la  mère  et  à  la  fille,  voyant 
tant  d' alcôves  et  d'oratoires,  qu'elles  prenoient  tous 
les  ans  quelque  chose  sur  l'hostel  de  Chevreuse  pour 
venger  l'injure  qu'on  avoit  faitte  à  Zirfée. 

Un  jour  M'""  de  Rambouillet,  entrant  dans  ce  ca- 
binet ,  apperceût  assez  loing  un  grand  jet  d'eau 
qu'elle  n'avoit  point  accoustumé  de  voir.  Ce  jet 
d'eau  estoit  dans  le  parterre  du  logement  de  Made- 
moiselle \  On  descouvre  ce  parterre  aisément  de 
cette  loge.  Elle  considéra  qu'il  n'y  avoit  pas  si  loing 
qu'on  ne  pust  conduire  cette  eau  facilement  dans 
le  jardin  de  l'hostel  de  Rambouillet.  Elle  parle  à 
M"""  d'Aiguillon  pour  en  avoir  la  descharge  ;  car  la 
fontaine  de  l'hostel  de  Rambouillet  n'a  qu'un  filet 
d'eau.  M""'  d'Aiguillon  fut  quelque  temps  sans  luy 

1  On  avoit  dessein  d'y  faire  un  bassin,  depuis  on  n'y  pensa  plus. 


LA    MARQUISE    DE    RAMBOUILLET.  501 

en  rendre  response  :  elle  luy  envoya  ce  madrigal 
pour  Ten  faire  ressouvenir,  car  elle  en  a  fait  quel- 
quefois de  bien  jolys  : 

MADRIGAL. 

Orante,  dont  les  seings  obligent  tout  le  monde, 
Gardez  que  le  cristal  dont  se  forme  cette  onde, 
Qui  dans  le  grand  parterre  a  son  Ihrosne  cstably, 
A  la  fin  ne  se  perde  au  fleuve  de  l'oubly. 

Mais  il  se  trouva  que  cette  eau  n'avoit  esté  con- 
duitte  là  qu'afin  de  la  conduire  après  au  Palais- 
Cardinal,  c'est-à-dire  que,  comme  il  la  falloit  faire 
passer  par  là  auprez,  il  fut  de  la  bienséance  d'en 
donner  un  peu  à  Mademoiselle  ;  mais  la  descharge 
estoit  pour  remplir  le  grand  rondeau  du  Palais- 
Cardinal. 

Il  est  temps  de  parler  des  incommoditez  de 
M"'"  de  Rambouillet.  Elle  en  a  une  dont  il  faut  dire 
l'histoire,  si  on  peut  parler  ainsy,  car  cela  a  fait 
croire  à  ceux  qui  ne  voyent  les  choses  que  de  loing, 
qu'il  y  avoit  de  la  vision. 

M""  de  Rambouillet  pouvoit  avoir  trente-cinq  ans 
ou  environ*,  quand  elle  s'apperceût  que  le  feu  luy 
eschauffoit  estrangement  le  sang ,  et  luy  causoit  des 
foiblesses.  Elle  qui  aimoit  fort  à  se  chauffer  ne  s'en 
abstint  pas  pour  cela  absolument  ;  au  contraire,  dez 
que  le  froid  fut  revenu,  elle  voulut  voir  si  son  in- 
commodité continueroit  ;  elle  trouva  que  c'estoit  en- 
core pis.  Elle  essaya  encore  l'hyver  suivant,  mais 
elle  ne  pouvoit  plus  s'approcher  du  feu.  Quelques 


Chaiiips-lilysées. 


502  LES    IIISTORlEÏTlîS. 

années  après,  le  soleil  luy  causa  la  mesme  incom- 
modité :  elle  ne  se  vouloit  pom'tant  point  rendre, 
car  personne  n'a  jamais  tant  aimé  à  se  promener  et 
à  considérer  les  beaux  endroits  du  paysage  de  Paris. 
Cependant  il  fallut  y  renoncer,  au  moins  tandis 
qu'il  faisoit  soleil,  car  une  fois  qu'elle  voulut  aller 
à  Saint-Cloud,  elle  n'estoit  pas  encore  à  l'entrée  du 
Jié  ^gauc^des'  Cours*  qu'elle  s'esvanouit,  et  on  luy  voyoit  visible- 
ment, car  elle  a  la  pea,u  fort  délicate ,  bouillir  le 
sang  dans  les  veines.  Avec  l'âge,  son  incommodité 
s'augmenta  ;  je  luy  ay  veû  une  eresipelle  pour  une 
poisle  de  feu  qu'on  avoit  oublié  par  mesgarde  sous 
son  lict.  La  voylà  donc  rcduitte  à  demeurer  presque 
tousjours  chez  elle,  et  à  ne  se  chauffer  jamais.  La 
nécessité  luy  fit  emprunter  des  Espagnols  l'inven- 
tion des  alcôves,  qui  sont  aujourd'huy  si  fort  en 
vogue  à  Paris.  La  compagnie  se  va  chauffer  dans 
l'antichambre  ;  quand  il  gelé,  elle  se  tient  sur  son 
lict,  les  jambes  dans  un  sac  de  peau  d'ours,  et 
elle  dit  plaisamment,  à  cause  de  la  grande  quantité 
de  coiffes  qu'elle  met  l'hyver,  qu'elle  devient  sourde 
à  la  Saint-Martin,  et  qu'elle  recouvre  l'ouye  à  Pas- 
ques.  Pendant  les  grands  et  longs  froids  de  l'hyver 
passé*,  elle  se  hazarda  de  faire  un  peu  de  feu  dans 
une  petite  cheminée  qu'on  a  pratiquée  dans  sa  pe- 
tite chambre  à  alcôve  :  on  mettoit  un  grand  escran 
du  costé  du  lict,  qui,  estant  plus  esloigné  qu'autre- 
fois, n'en  recevoit  qu'une  chaleur  fort  tempérée. 
Cependant  cela  ne  dura  pas  long-temps,  car  elle 
en  receût  à  la  fin  de  l'incommodité  ;   et  cet  esté 


LA    MARQUISE    DE    RAMBOUILLET.  503 

qu'il    a    fait   un   furieux  chaud,   elle  en  a  pensé 
mourir,  quoyque  sa  maison  soit  fort  fraisclie  '. 

'  Au  dernier  voyage  qu'elle  fit  à  Rambouillet,  devaut'jles  Barricades, 
elle  y  fit  des  prières  pour  son  usage  particulier,  qui  sont  fort  bien  es- 
crittes.  Ce  fut  M.  Conrart  à  qui  elle  les  donna  pour  les  faire  copier 
par  Jarry,  cet  homme  qui  imite  l'impression,  et  qui  a  le  plus  beau 
caractère  du  monde.  Il  les  fit  copier  sur  du  velin,  et  après  les  avoir 
fait  relier  le  plus  galamment  qu'il  put,  il  en  fit  un  présent  à  celle  qui 
en  estoit  l'auteur,  s'il  est  permis  d'user  du  masculin  quand  on  parle 
d'une  dame.  Ce  Jarry  disoit  naïfvement  :  "  Monsieur,  laissez-moy 
»  prendre  quelques-unes  de  ces  prieres-là,  car  dans  les  Heures  qu'on 
»  me  fait  copier  quelquefois,  il  y  en  a  de  si  sottes  que  j'ay  honte  de 
»  les  transcrire.  » 

Dans  ce  voyage  de  Rambouillet,  elle  fit  dans  le  parc  une  belle  chose; 
mais  elle  se  garda  de  le  dire  à  ceux  qui  la  furent  voir.  J'y  fus  attrapé 
comme  les  autres.  Chavaroche,  intendant  de  la  maison,  autrefois  gou- 
verneur du  marquis  de  Pisani,  eut  charge  de  me  faire  tout  voir.  Il  me 
fit  faire  mille  tours;  enfin  il  me  mena  dans  un  endroit  où  j'entendis 
un  grand  bruit,  comme  d'une  grande  cheùtc  d'eau.  Moy  qui  avois 
tousjours  ouy  dire  qu'il  n'y  avoit  que  des  eaux  basses  à  Iiambouillet, 
imaginez-vous  à  quel  poinct  je  fus  surpris,  fiuand  je  vis  une  cascade, 
un  jet  et  une  nappe  d'eau  dans  le  bassin  où  la  cascade  tomboit  ;  un 
autre  bassin  en  suitte  avec  un  gros  bouillon  d'eau,  et  au  bout  de  tout 
cela  un  grand  carré,  où  il  y  a  un  jet  d'eau  d'une  hauteur  et  d'une 
grosseur  extraordinaire,  avec  une  nappe  d'eau  encore,  qui  conduit 
toute  cette  eau  dans  la  prairie  où  elle  se  perd.  Adjoustez  que  tout  ce 
que  je  viens  de  vous  représenter  est  ombragé  des  plus  beaux  arbres 
du  monde.  Toute  cette  eau  venoit  d'un  grand  estang  *  qui  est  dans  orgue'n'^nvjour'rhiiT 
le  parc,  en  un  endroit  plus  élevé  que  le  reste.  Elle  l'avoit  fait  con-  '■"'  Servie. 
duire  par  un  tuyau  hors  de  terre,  si  à  propos  que  la  cascade  sortoit 
d'entre  les  branches  d'un  grand  chesne,  et  on  avoit  si  bien  entrelassé 
les  arbres  qui  estoient  derrière  celuy-là,  qu'il  estoit  impossible  de  des- 
couvrir ce  tuyau.  La  Marquise,  pour  surprendre  M.  de  Montauzier,  qui 
y  devoit  aller,  fit  travailler  avec  toute  la  diligence  imaginable.  La  veille 
de  son  arrivée,  on  fut  obligé,  la  nuict  estant  survenue,  de  mettre  plu- 
sieurs lanternes  sur  les  arbres  et  d'esclairer  aux  ouvriers  avec  des  flam- 
beaux. Mais  sans  conter  pour  rien  le  plaisir  que  luy  donna  le  bel  etfect  que 
faisoient  toutes  ces  lumières  entre  les  feuilles  des  arbres  et  dans  l'eau 
des  bassins  et  du  grand  carré,  elle  eut  une  joye  estrange  de  l'estonne- 
ment  où  se  trouva  le  lendemain  le  Maïquis,  (jinuid  on  \\\y  monstra  tant 
de  belles  choses. 


5()ii  LES    mSTOlUET  TES. 

M""-'  de  Rambouillet  u  tousjours  un  peu  trop  af- 
fecté de  deviner  certaines  choses.  Elle  m'en  a  conté 
plusieurs  qu'elle  avoit  devinées  ou  predittes.  Le  feu 
Roy  estant  à  l'extrémité,  on  disoit  :  «  Le  Roy 
')  mourra  aujourd'huy  ;  »  puis  :  «  il  mourra  demain.  » 
—  «  Non,  »  dit-elle,  «  il  ne  mourra  que  le  jour  de 
»  l'Ascension,  comme  j'ay  dit  il  y  a  un  mois.  »  Le 
matin  de  ce  jour-là  on  dit  qu'il  se  portoit  mieux  : 
elle  soustint  tousjours  qu'il  mourroit  dans  le  jour;  en 
effect,  il  mourut  le  soir  '.  Elle  ne  le  pouvoit  souf- 
frir ;  il  luy  desplaisoit  estrangement  :  tout  ce  qu'il 
faisoit  luy  sembloit  contre  la  bienséance.  M""  de 
Rambouillet  -  disoit  :  «  J'ay  peur  que  l'aversion  que 
»  ma  mère  a  pour  le  Roy  ne  la  face  damner.  » 

Elle  devina,  en  regardant  par  la  fenestrc  à  la 
campagne,  qu'un  homme  qui  venoit  à  cheval  estoit 
un  apothicaire.  Elle  le  luy  envoya  demander,  et 
cela  se  trouva  vray.  Lue  fois  M""  de  Bourbon  et 
M"""  de  Rambouillet  se  divertissoient  à  deviner  le 
nom  des  passans.  Elles  appelleront  un  paysan  : 
«  Compère ,  ne  vous  appellez-vous  pas  Jean  ?  — 

')  Ouy,    Mesdemoiselles,    je   m'appelle   Jean à 

»  vostre  service!  » 

Elle  est  un  peu  trop  complimenteuse  pour  cer- 
taines gens  qui  n'en  valent  pas  la  peine  ;  mais  c'est 
un  défaut  que  peu  de  personnes  ont  aujourd'huy, 
car  il  n'y  a  plus  guères  de  civilité.  Elle  est  un  peu 

'  Elle  dit  aussy  i\  Madame  la  Princesse  qu'elle  accouclieroit  le  joui 
de  la  Nostrc-Dame. 
2  ]vimc  jI(_.  Moiitauzier. 


LA    MARQUISE    DE    RAMBOUILLET.  505 

trop  délicate,  et  le  mot  de  teigneux  dans  une  satyre 
ou  dans  une  epigramme  luy  donne,  dit-elle,  une 
vilaine  idée.  On  n'oseroit  prononcer  le  mot  de  cul  ; 
cela  va  dans  l'excès,  surtout  quand  on  est  en  liberté. 
Son  mary  et  elle  vivoient  mi  peu  trop  en  cérémonie. 
Hors  qu'elle  bransle  un  peu  la  teste,  et  cela  luy 
vient  d'avoir  trop  mangé  d'ambre  autrefois,  elle 
ne  choque  point  encore,  quoyqu'elle  ayt  près  de 
soixante-dix  ans  '.  Elle  a  le  teint  beau,  et  les  sottes 
gens  ont  dit  que  c'estoit  pour  cela  qu'elle  ne  vouloit 
point  voir  le  feu,  comme  s'il  n'y  avoit  point  d'escrans 
au  monde.  Elle  dit  que  ce  qu'elle  souhaitteroit  le 
plus  pour  sa  personne,  ce  seroit  de  se  pouvoir 
chauffer  tout  son  saoul  '.  Une  maladie  luy  rendit 
les  lèvres  d'une  vilaine  couleur;  depuis  elle  y  a 
tousjours  mis  du  rouge  :  j'aymerois  mieux  qu'elle 
n'y  mist  rien.  Au  reste,  elle  a  l'esprit  aussy  net,  et 
la  mémoire  aussy  présente  que  si  elle  n' avoit  que 
trente  ans.  C'est  d'elle  que  je  tiens  la  plus  grande 
et  la  meilleure  partie  de  ce  que  j'ay  escrit  et  que 
j'escriray  dans  ce  livre  ^  Je  la  trouve  un  peu  trop 
persuadée,  pour  ne  rien  dire  de  pis,  que  la  mai- 
son des  Savelles  est  la  meilleure  maison  du  monde. 


'  Elle  a  vescu  soixante-dix-huit  ans,  et  n'avoit  rien  de  desgoustant. 

2  Elle  alla  à  la  campagne  rautomne  passé,  qu'il  ne  faisoit  ny  froid 
ny  chaud;  mais  cela  luy  arrive  rarement,  et  ce  n'estoit  qu'à  une 
demie  lieue  de  Pai'is. 

5  Elle  lit  toute  une  journée  sans  la  moindre  incommodité,  et  c'est 
ce  qui  la  divertit  le  plus. 


506  KKS    inSTORlinTES. 

COMMENTAIRE. 
J.— P.  48G,  lig.  15. 

Ce  n'est  pas  qu'elle  n'aimasl  le  divertissement ,  mais  c'estoit  en 
particulier. 

Dès  1G13,  elle  pouvoit  avoir  vingt-cinq  ans,  M°'  de  Rambouillet  tenoit 
des  assemblées  chez  elle.  «  Il  y  a  trois  ou  quatre  jours,  »  écrit  Mal- 
herbe à  Peiresc ,  le  6  septembre  de  cette  année,  «  qu'il  me  fut  montré 
»  chez  M^«  de  Rambouillet,  par  un  honneste  homme,  une  pièce  d'or 
»  de  la  grandeur  de  nos  petites  pistoles  qui  ont  en  cspaisseur  ce  qui 
»  leur  desfaut  en  largeur.  Il  y  a  d'un  costé  un  cheval  et  de  l'autre 
»  une  cloche,  le  tout  bien  visible.  » 

Avant  la  mort  du  père  de  la  Marquise,  le  second  hôtel  de  Kambouillet 
se  nommoit  l'hôtel  Pisani,  plus  anciennement  l'hôtel  d'O,  et  l'hôtel  de 
Noirmotistiers.  Il  touchoil  aux  murs  des  Quinze-vingts  à  la  droite  de  la 
vue  Saint-Thomas-du-Loitvre  (qu'on  vient  de  jeter  bas),  et  vers  la  rivière, 
à  gauche,  à  l'hôtel  de  Clievreuse.  Après  M""*  de  Rambouillet ,  il  devint 
\'hôt(il  lHontauzier ,  puis  l'hôtel  à'Uzcs  ,  puis  l'hôtel  de  Crussol;  et 
comme  il  y  avoit  eu  un  premier  hôtel  de  Crussol  qui  touchoit  aux  jar- 
dins de  l'hôtel  de  Chevreuse,  vers  le  Carrousel,  on  les  a  souvent  confon- 
dus l'un  avec  l'autre.  C'est  sur  l'emplacement  de  l'hôtel  de  Rambouillet 
que  de  notre  temps  avoit  été  construit  le  théâtre  du  Vaudeville,  brûlé 
le  18  juillet  1836.  A  la  place  du  théâtre  s'élevèrent  de  nouvelles 
maisons;  aujourd'hui,  il  y  a  un  bel  et  surtout  grand  espace.  Sic  transit 
gloria  mundi. 

«  La  Chambre  bleue,  »  dit  Sauvai,  <i  si  célèbre  dans  les  œuvres  de 
»  Voiture,  estoit  parée  d'un  ameublement  de  velours  bleu  ,  rehaussé 
»  d'or  et  d'argent...  c'estoit  le  lieu  où  Arthenice  recevoit  ses  visites. 
»  Les  fenestres,  sans  appuy,  qui  régnent  de  haut  en  bas,  depuis  son  pla- 
»  fond  jusqu'à  son  parterre,  la  rendent  très  gaye,  et  laissent  jouir  sans 
1)  obstacle  de  l'air,  de  la  veue  et  du  plaisir  du  jardin.  »  [Antiq.  de  Paris, 
lom.  II,  p.  201.)  Il  dit  un  peu  plus  haut:  «  Son  goust,  fin  et  savant 
»  tout  ensemble,  a  descouvert  A  nos  architectes  des  grandeurs,  des 
»  commodités  et  des  perfections  ignorées  mesme  des  anciens,  et  que 
»  depuis  ils  ont  répandues  dans  tous  les  logis  propres  et  superbes.  » 

II.  —  P.  /|87,  lig.  10. 

C'est  ce  qui  a  donné  lieu  à  cette  ingénieuse  badinerie,  sur  le  Valentin. 

C'est  la  lettre  (luatrc-vingt-quinzième  de  Voiture: 

«  Madame, 
»  J'ai  veù  pour  l'amour  de  vous  le  Valentin ,  avfc  plus  d'attention 


LA    JVIAUQUISE    DE    RAMBOUILLET.  507 

),  que  je  n'ay  jamais  fait  aucune  cliose,  et  puisque  vous  desirez  que  je 
,=  vous  en  fasse  la  description  ,  je  le  feray  le  plus  exactement  qu'il  me 
.)  sera  possible...  Le  Valentin,  Madame,  est  une  maison  qui  est  à  un 
,,  quart  de  lieue  de  Turin,  située  dans  une  prairie,  et  sur  le  bord  du 
»  Po.  En  arrivant,  on  trouve  d'abord,  — je  veux  mourir  si  je  sçay  ce 
»  qu'on  trouve  d'abord.  Je  croy  que  c'est  un  perron  :  non,  non,  c'est  un 
»  portique:  je  me  trompe,  c'est  un  perron.  Par  ma  foy,  je  ne  sçay  si 
,,  c'est  un  portique  ou  un  perron.  Il  n'y  a  pas  une  heure  que  je  sçavois 
»  tout  cela  admirablement,  et  ma  mémoire  m'a  manqué.  A  mon  retour, 
»  je  m'en  informeray  mieux  et  je  ne  manqueray  pas  de  vous  en  faire  le 
»  rapport. 
»  Je  suisj  etc. 

.)  Gènes,  le  7  octobre  1638.  » 

m.  —P.  488,  lig.  II. 
H  envoijn  le  père  Joseph  chez  A/"^  de  Rambouillet. 
Segrais  raconte  différemment  la  même  tentative  du  cardinal  de  Ri- 
chelieu, mais  la  relation  de  notre  des  Réaux  est  plus  naturelle  et  doit 
être  plus  exacte.  On  en  jugera  :  «  M""^  de  Rambouillet  estoit  admirable. 
»  Elle  estoit  bonne,  douce,  bienfaisante,  et  accueillante  ;  elle  avoit  l'es- 
»  prit  droit  et  juste.  C'est  elle  qui  a  corrigé  les  meschantes  coustumes 
»  qu'il  y  avoit  avant  elle  -,  elle  s'estoit  formé  l'esprit  dans  la  lecture 
))  des  bons  livres  italiens  et  espagnols,  et  elle  a  enseigné  la  politesse 
»  à  tous  ceux  de  son  temps  ciui  l'ont  fréquentée...  Le  cardinal  de  Ri- 
»  chelicu  luy  envoya  une  fois  Roisrobert  ,  pour  luy  demander  son 
»  amitié,  mais  à  une  condition  trop  onéreuse  pour  elle  ;  car  Boisrobert 
»  luy  dit  que  le  Cardinal  la  prioit,  en  amie,  de  luy  donner  avis  de  ceux 
»  qui  parloient  de  luy  dans  les  assemblées  qui  se  tenoient  chez  elle. 
»  Elle  respondit  qu'ils  estoient  si  fortement  persuadés  de  la  considera- 
»  tion  et  de  l'amitié  qu'elle  avoit  pour  Son  Eminence,  qu'il  n'y  en  avoit 
»  pas  un  seul  qui  eust  la  hardiesse  de  parler  mal  de  luy  en  sa  présence, 
>,  et  ainsy  qu'elle  n'auroit  jamais  l'occasion  de  luy  donner  de  semblables 
»  avis....  C'est  elle  qui  a  introduit  les  appartenions  à  plusieurs  pièces 
»  de  plain-pied  ;  de  sorte  que  l'on  entroit  chez  elle  par  une  enfilade  de 
»  salles,  d'antichambres,  de  chambres  et  de  cabinets.  »  {Segraisiana, 
Paris,  1721,  p.  26.) 

IV.  —P.  490,  lig.   4. 
Encore  aujourd'huy  on  appelle  une  certaine  roche...  la  marmitte  de 
Rabelais. 

Cela  est  confirmé  par  M.  Auguste  Moutié ,  le  récent  et  judicieux 
liistorien  du  château  de  Ramljouillct.  «  Le  lieu,  »  dit-il,  «  est  entouré 

I 


508  LES    HISTORUiTTES. 

»  d'eau  et  est  appelé  l'île  des  Roches.  On  y  voit  encore  la  grotte 
»  de  Rabelais,  dans  une  roche  naturellement  creuse,  où  l'art  a  consi- 
»  dérabicinent  aidé  la  nature,  comme  on  peut  s'en  convaincre  au 
j  premier  coup  d'œil.  »  (P.  48.) 

Il  y  avoit  une  autre  roche  alors  appelée  le  Cheval-Griffon  ;  elle  n'y 
est  plus  connue  aujourd'hui.  »  Je  vous  assure,  »  dit  Voiture  ù  M""=  de 
Rambouillet,  dans  la  cent  cinquantième  lettre ,  «  que  ce  jour-cy  ne  se 
1)  passera  pas  sans  que  je  souhaitte  beaucoup  de  fois  de  voir  le  Che- 
»  val-Griffon  et  vous,  et  d'estre  de  la  promenade  que  vous  ferez.  » 

La  terre  de  Rambouillet  etoit  dans  la  maison  d'Angennes  depuis 
la  fin  du  xiv'=  siècle.  Elle  avoit  été  achetée  par  Rcmaud  d'Angennes, 
sieur  de  la  Loupe,  de  Guillaume  Dernier,  fils  d'un  mahredes  requêtes 
de  l'hôtel  du  Roi.  Ses  dcscendans  furent  Jean  P"',  déjà  surnommé  Sapin, 
comme  un  de  ses  oncles  et  son  fils;  —  Jean  II,  Charles  P%  Jacques  P% 
dont  les  huit  fils  etoient  appelés  les  Sapins  de  nambomllet;  un  d'eux 
fut  le  cardinal  de  Rambouillet,  evèque  du  Mans  ;  la  barhonncrie  de  la 
barbe,  est  de  ce  Jacques  I*^ — Jacques  II,  héritier  de  son  frère  Nicolas, 
mourut  en  1011,  et  fut  le  beau-père  de  notre  marquise  de  Rambouillet. 

Le  duc  de  Montauzier  hérita  de  Rambouillet  après  la  mort  de  sa 
belle-mère.  Puis  la  terre  échut  à  Emmanuel  de  Crussol,  duc  d'Uzès, 
époux  de  «  la  petite  Montauzier,  »  Marie  Julie  de  Sainte-Maur.  Ram- 
bouillet fut  ensuite  vendu  par  autorité  de  justice,  et  adjugé  à  Joscpli- 
Jeaii-Baptiste  Fleuriau  d'Armcnonville  ,  directeur  général  des  finances , 
<iui  s'en  défit  en  1706  au  profit  de  Louis-Alexandre  do  Bourbon,  comte 
de  Toulouse,  fils  de  M""*  de  Montespan. 

«  Rambouillet,  »  dit  M.  Moutié  qui  nous  a  fourni  ce  dénombrement, 
«  tel  que  l'a  laissé  la  Révolution,  fut  compris  dans  la  liste  civile  impé- 
»  riale,  constituée  en  1805;  il  fit  ensuite  partie  des  listes  civiles  de 
»  Louis  XVIII  et  de  Charles  X;  et  il  est  aujourd'hui  régi  par  l'admi- 
»  nistration  des  domaines.  » 

Ce  goût  pour  les  deguisemens  champêtres  et  mythologiques  etoit 
un  effet  de  la  grande  vogue  de  YAslrve,  de  VAmailis  et  de  la  Diane,  de 
VAminte  et  des  autres  Bergeries  italiennes.  Voiture,  dans  sa  deuxième 
lettre  adressée  à  M.  de  Rambouillet,  alors  ambassadeur  en  Espagne, 
voulant  parler  de  Julie  d'Angennes  :  «  C'cstoit  celle-là  mesme,  Monsieur, 
»  qui  eu  une  autre  rencontre  avoit  esté  tant  admirée  sous  le  nom  et 
»  les  habits  de  Piramc,  et  qui  une  fois  s'apparut  dans  les  roches  de 
1)  Rambouillet ,  avec  l'arc  et  le  visage  de  Diane.  »  Dans  sa  dixième 
lettre  ,  il  décrit  encore  une  autre  fête  pareille  donnée  par  M""'  du 
Vigcan  à  la  princesse  de  Condé.  Aussi  le  chemin  le  plus  court,  poui' 
arriver  aux  portraits  de  toutes  ces  illustres  dames,  seroit-il  de  les 
chercher  parmi  les  Diane,  les  Pliylis,  les  Cerès  el  les  Nymphes  boca- 
gères  (|ui  restent  en  si  grand  nombre  chez  les  marchands  de  tableaux. 


LA    MARQUISE    DE    RAMBOUILLET.  509 

V.  —  P.  49il,  note,  lig.  20. 
L'hostel  d'Uierre  tousche  l'hostel  de  Sens. 

C'etoit  une  maison  acquise  en  1182  par  Eve,  troisième  abbesse  d'Yer- 
res ,  et  qu'on  nommoit  auparavant  la  maison  de  la  Pie.  La  rue  des 
Nonnains-d'Veircs  en  a  pris  son  nom.  Au  xvii"  siècle,  on  prononçoit  en- 
core Nonnains  d'Iarrc,  parce  qu'on  a  rendu  le  mot  latin  Iledcra,  tantôt 
par  Viarre  et  tantôt  par  iejrc  :  d'où  l'usage  de  liard  et  de  lierre,  sui- 
vant les  provinces.  Ronsard  et  du  Bellay  avoient  essaye  vainement  de 
résister  à  cet  usage.  Le  premier  avoit  dit  dans  sa  deuxième  eglogue  : 

J'ay  pour  maison  un  nntre  en  un  rocher  couvert; 
De  lambrusclie  sauvage  et  «Vhierre  couvert. 

Mais  on  se  moqua  de  son  liierre  et  de  sa  lamhnische. 

Quant  au  Factum  de  M™°  d'Uierre,  la  marquise  de  Rambouillet,  sa 
mère,  y  fit  une  réponse  en  1G62.  On  la  trouve  parmi  les  portefeuilles  de 
Conrart,  à  l'Arsenal. 

L'Historiette  de  M"^  d'Hierre,  écrite  vers  1GG3,  offre  des  détails 
(lu'on  chercheroit  inutilement  dans  la  Gallia  cliristiana. 

VL  —  P.  493,  lig.  1. 
Un  garçon...  qui  mourut  A  huit  ans. 

En  1C31.  Voiture,  à  cette  occasion,  écrivit  une  lettre  à  M*^*  de 
Rambouillet,  depuis  duchesse  de  Montauzier.  C'est  la  treizième  des 
premières  éditions. 

Pour  le  marquis  de  Pisani,  le  bossu,  les  complimens  de  condoléance 
arrivèrent  de  toutes  parts  à  l'hôtel  namhouillet.  Heinsius  donna 
l'epitaplie  latine  :  «  In  marchionem  Pisanium ,  pra3lii  Nordlingani 
»  fortiter   dimicando  occumbenteni.  » 

Le  poète  Petit,  en  apprenant  cette  mort,  adressa  les  vers  suivans 
à  la  Marquise  : 

Pourquoy  versez-vous  tant  de  larmes? 
Pisani  ne  pouvoit  avoir  un  plus  lieau  sort  : 
Au  lit  d'honneur  il  a  trouvé  la  mort. 

Cherchant  la  gloire  dans  les  armes. 

Son  corps  est  couvert  de  lauriers , 

Parmy  tant  d'illustres  guerriers 

Dont  le  sang  arrouse  la  plaine; 
Madame,  recevez  ce  grand  corps  abattu, 

Et  rappelez  vostre  vertu. 
Vous  pleurez  un  tel  filz,  et  vous  estes  Romaine! 

[Recueil  de  Sercy,  2» partie,  1662,  p.  277. 


510  1  ES    HISTORIIÎTTIÎS. 

VII.  —P.  /i97,  lig.  17. 
Des  bonnets  de  n  uict  sans  coiffes. 

Autrefois  le  bonnet  de  nuit  n'etoit  pas  aussi  décrié  qu'il  l'est  au- 
jourd'hui :  mais  il  faut  reconnoître  que  nous  en  avons  seulement  le 
squelette.  Il  etoit  accepté,  môme  de  jour,  dans  l'intérieur  des  appar- 
temens  ;  il  le  fut  plus  encore  dans  le  xviii*  siècle.  Le  nombre  des 
portraits  d'hommes  en  bonnet  de  coton  est  fort  considérable  pour  cette 
dernière  époque.  Tandis  que  la  perruque  etoit  dressée  dans  un  coin 
d'honneur  sur  un  pieu,  le  bonnet  demeuroit  sur  la  tête,  enveloppé 
d'une  sorte  de  chemise  ou  coiffe  en  toile  fine  et  serrée  par  un 
large  ruban  couleur  de  rose.  Cela  valoit  bien,  après  tout,  nos  cas- 
quettes et  nos  calottes  grecques.  Aujourd'hui  ou  demain,  qui  sait? 
notre  affection  pour  les  Porte-turbans  et  notre  haine  des  bonnets 
grecs  prépareront  peut-être  le  retour  au  bonnet  de  coton. 

Un  autre  usage  assez  général  et  constaté  par  un  bon  mot  de 
Pisani  :  «  Tenez,  je  n'aij  qu'une  chemise.,  »  etoit  de  mettre  dans  les 
jours  d'hyver  plusieurs  chemises,  pour  mieux  se  préserver  du  froid. 
On  se  chaufloit  moins  bien  et  l'on  se  couvroit  beaucoup  plus:  témoin 
encore  les  nombreuses  chemisettes  et  paires  de  bas  de  Malherbe. 
{nistor. ,iom.  i,  p.  291.)  Bossuet,  en  hiver,  travailloit  toute  la  matinée, 
(ainsi  que  me  l'apprend  son  excellent  historien,  M.  Flocquet),les  pieds 
enfermés  comme  M""*  de  Rambouillet,  dans  un  grand  sac  de  peau. 

VIII,  —  P.  699,  lig.  9. 

M.  Chapelain...  fit  attacher...  cette  ode  ùû  Zirfée,  reine  d'Argennes, 
dit.,  etc. 

Zirphée,  reine  d'Argennes,  tante  de  Niquée  et  sœur  de  Zarzafiel, 
Soudan  de  Babylone.  Cotte  princesse  dissimulée  avoit  longtemps  retenu 
enchantés  Liswar  de  Grèce  et  son  amante ,  la  princesse  Gradafilée. 
{Amadis,  liv.  vu,  ch.  25,  et  liv.  viii,  ch.  18.)  On  avoit  pris  les  aventures 
de  Zirphée  pour  un  des  sujets  du  célèbre  carrousel  de  la  place  Royale, 
en  1612.  (Voy.  Ventrée  des  Amadis,  dans  le  roman  des  Chevaliers  de  ta 
gloire,  par  Rosset.  Paris,  1616,  in-/,".) 

Les  stances  de  Zirphée.,  reine  d'Argennes  à  la  cour  d'Arthenice,  sont 
dans  le  Recueil  de  Sercy,  5*  partie,  1660,  p.  405.  L'auteur  n'y  est 
pas  nommé,  et  des  Réaux,  seul,  nous  apprend  ici  que  c'estoit  Cha- 
pelain. Les  couplets  suivans  ont  semblé  les  meilleurs  : 

Son  vaste  i^opur  en  ces  bas  lieux 
l'oiir  remplir  sa  grandeur  ne  voit  rien  d'assez  ample; 
lit  mm  esprit  prodi};iciix 


LA   MARQUISE    DE    RAMBOUILLET.  511 

!îst  l'exemple  |)tiblic,  mais  sans  avoir  «l'exemple; 
Ue  douce  majesté  son  corps  est  revestvi, 
Kt  ((iii  le  (letruiroit,  il  detriiiroit  le  temple 
De  l'honneur  et  de  la  vertu 

Mais  le  ciel,  d'où  vient  sa  clarté , 
Pense  à  la  retirer  et  l'envie  à  la  terre; 

Et  ravissant  sa  liberté. 
Par  cent  maux,  pour  l'avoir,  il  luy  livre  la  guerre  ;  , 

nien  d'un  si  fier  dessein  ne  peut  le  divertir, 
Il  la  veut  posséder,  et  montre  le  tonnerre 

A  qui  n'y  voudra  consentir. .. . 

Urgande  sceiit  bien  autrefois, 
Kn  faveur  d'Amadis  et  de  sa  noble  bande, 

Par  ses  charmes  fixer  les  lois 
Du  Temps,  à  qui  les  cieux  veulent  que  tout  se  rende. 
J'ay  deù  faire  h  vos  yeux  ce  qu'on  a  fait  jadis. 
Conserver  Arthénice  avec  l'art  dont  Urgande 

A  sceû  conserver  Araadis. 

Par  la  puissance  de  cet  art 
J'ay  construit  cette  loge  aux  maux  inaccessible. 

Du  temps  et  du  sort  <i  l'écart,  • 

Franche  des  changemens  de  l'estre  corruptible. 
Pour  qui,  seule,  en  roulant,  les  cieux  ne  roulent  pas  ; 
Bref,  où  ne  montrent  pas  leur  visage  terrible 

La  vieillesse  ny  le  trespas. 

Cette  incomparable  beauté. 
Que  cent  maux  attaquoient  et  pressoient  de  se  rendre. 

Par  cet  édifice  enchanté 
Trompera  leurs  efforts  et  s'en  pourra  défendre; 
Elle  y  brille  en  son  trosne,  et  son  éclat  divin 
De  ]<i  sur  les  moi-tels  va  désormais  s'espandre 

Sans  nuage,»eclipse  ny  fin 

Au  reste  personne  ne  pouvoit  mieux  parler  de  la  Loge  de  Zyrphée 
que  celle  qui  en  avoit  conçu  le  plan.  Voici  une  lettre  inédite  de  la 
marquise  de  Rambouillet,  adressée,  le  26  juin  1642,  à  Godeau,  evéque 
de  Vence  ;  «  Monsieur ,  si  mon  poëte-carabin  *  ou  mon  carabin- 
»  poëte  estoit  à  Paris,  je  vous  ferois  response  en  vers,  et  non  pas  en 
«  prose  ;  mais  par  moy-mesme  je  n'ay  aucune  familiarité  avec  les 
»  Muses.  Je  vous  rends  un  million  de  grâces  des  biens  que  vous  me 
»  desirez,  et  pour  rescompense,  je  vous  souhaitte  à  tous  momens  dans 
»  une  loge^  où  je  m'asseure.  Monsieur,  que  vous  dormiriez  encore 
»  mieux  que  vous  ne  faittes  à  Vence.  Elle  est  soutenue  par  des  co- 
»  lonnes  de  marbre  transparent,  et  a  esté  bastie  au-dessus  de  la 
»  moyenne  région  de  l'air  par  la  reyne  Zirphée.  Le  ciel  y  est  toujours 
»  serein  ;  les  nuages  n'y  offusquent  ny  la  vue  ny  l'entendement,  et  de 
»  là  tout  à  mon  aise  j'ay  considéré  le  trebuchement  de  l'ange  terrestre. 
»  Il  me  semble  qu'en  cette  occasion  la  fortune  fait  voir  que  c'est  une 


512  LES    UISTORIlîTTES. 

»  médisance  que  de  dire  qu'elle  n'aime  que  les  jeunes  gens,  et  parce 
»  que,  non  plus  que  ma  loge,  je  ne  suis  pas  sujette  au  changement, 
»  vous  pouvez  vous  asseurcrque  je  scray,  tant  que  je  vivray,  Monsieur, 
»  votre  très-humble  servante.  Signé  de  Vivonne.  »  {Manuscrits  de  Con- 
rart.  Recueil  in-Zi",  tom.  xiv,  p.  53.  Bibliothèque  de  l'Arsenal.)  La  copie 
est  de  la  main  de  Conrart. 

IX.  —  P.  500,  lig.  26. 
La  fontaine  de  t'Iwstel  de  Rambouillet  n'a  qu'un  filet  d'eau. 
Malherbe  a  fait  cette  inscription  pour  elle  : 

Voy-tu,  passant,  couler  cette  onde. 
Et  s'ccouler  incontinent? 
Ainsy  fuit  la  gloire  du  inonde, 
Et  rien  que  Dieu  n'est  permanent. 

Les  vers  charmans  de  M"'  de  riambouillet  et  tout  ce  récit  de  des 
Réaux  doivent  faire  partie  de  l'histoire  du  beau  bassin  du  Palais- 
Royal.  Le  Rondeau  convoité  par  la  marquise  a  déserté  la  cour  des 
Tuilefies;  il  a  même  changé  plusieurs  fois  de  place  dans  le  jardin  du 
Palais-Royal,  avant  d'Otre  tel  qu'on  le  voit  aujourd'hui. 

Mademoiselle  occupoit  un  des  deux  pavillons  des  Tuileries.  La  cour 
etoit  alors  dessinée  en  parterre;  on  peut  voir  la  distribution  du  jardinet 
du  jet  d'eau  dans  le  plati  des  édifices  principaux  de  Paris  ;  Gaspard 
Merian,  Francfort,  1C55.  M""'  de  Rambouillet  pouvoit  de  ses  fenêtres 
apercevoir  le  jardin  de  Mademoiselle,  dont  le  séjour  aux  Tuileries  a 
été  consacré  par  les  poètes  du  temps.  Voyez  entre  autres  le  Monologue 
de  CoUctet,  au  commencement  de  la  Comédie  des  Tuileries^  par  les 
Cinq  auteurs.  Lorct  dit  dans  sa  Muse  du  28  avril  1G52  : 

Ces  jours  passés,  dans  le  logis 

Du  sage  monsieur  de  Congis, 

11  a  couru  quelque  nouvelle 

Qu'on  dclogeoit  Mademoiselle 

(Par  un  royal  commandement) 

De  ce  superbe  appartement. 

Dont  la  riche  magnifîcenee 

Est  si  digne  de  sa  naissance. 

Cette  belle  babitation 

En  raoïn-rolt  d'appréhension, 

Et  les  Nymphes  des  Tuilleries 

En  estoient  déjà  Irès-niaries; 

Mais  on  pense  qu'un  meilleur  temps 

Réunira  les  mescontens. 

X.  —  P.  503,  note,  lig.  U. 
Jarry,  cet  homme  qui  imite  l'impression. 
Des  Réaux  est  peut-être  le  seul  contemporain  (jui  nous  ait  parlé  de 


LA    MARQUISE    DE    RAMBOUILLET.  513 

l'admirable  talent  de  ce  Nicolas  Jarry,  dont  tous  les  ouvrages  sont 
aujourd'hui  si  recherchés.  Maintenant ,  les  heureux  possesseurs  de  ses 
livres  d'Heures  ne  manqueront  pas  d'examiner  de  plus  près  leurs  exem- 
plaires, pour  voir  s'ils  ne  contiendroient  pas  les  pièces  que  la  marquise 
de  Rambouillet  avoit  composées.  On  sent  quel  prix  une  pareille  décou- 
verte ajouteroit  encore  à  ces  délicieuses  raretés. 

XL  —  P.  505,  lig.  II. 
Cela  m  dans  l'excez,  surtout  quand  on  est  en  liberté. 

L'observation,  de  la  part  de  des  Réaux,  un  des  plus  vrais  admi- 
rateurs de  M"'  de  Rambouillet,  montre  toute  la  portée  des  réformes 
admises  dans  la  société,  sous  l'influence  de  cette  femme  illustre. 
Notre  auteur,  élevé  à  si  bonne  école,  auroit  certainement  bien  fait  d'en 
profiter  plus  constamment. 

Ménage  nous  a  conservé,  dans  son  commentaire  des  poésies  de  Mal- 
herbe, l'epitaphe  de  la  Marquise,  faite  par  elle-même,  peu  de  temps 
avant  sa  mort  : 

Icy  gist  Arthenice,  exempte  des  rigueurs 
Dont  la  rigueur  du  sort  l'a  tousjours  poursuivie. 
Et  si  tu  veux,  passant,  compter  tous  ses  malheurs. 
Tu  n'auras  qu'à  compter  tous  les  jours  de  sa  vie. 

La  maison  de  Savelli,  à  laquelle  appartenoit  la  mère  de  la  marquise 
de  Rambouillet,  etoit  une  famille  puissante  qui  avoit  donné  deux 
papes.  Honoré  HI,  mort  en  1227,  et  Honoré  IV,  mort  en  1287.  Dans  le 
Cyrus,  où  M""*  de  Rambouillet  est  Cléomire,  on  lit  :  «  Sa  maison  est  si 
»  illustre,  qu'on  conte  des  Rois  parmy  ses  devanciers.  »  (7*  partie, 
p.  258.)  Rien  d'ailleurs  de  plus  délicat  et  de  mieux  écrit  que  les 
pages  de  ce  portrait  de  Cléomire.  Citons-en  quelque  chose  : 

«  Cléomire  est  grande  et  bien  faitte,  tous  les  traits  de  son  visage  sont 
»  admirables  ;  la  délicatesse  de  son  teint  ne  se  peut  exprimer,  et  il  sort 
»  je  ne  sçay  quel  éclat  de  ses  yeux  qui  imprime  le  respect  dans  l'ame 
»  de  tous  ceux  qui  la  regardent.  Pour  moy,  je  vous  advoue  que  je  n'ay 
»  jamais  pu  approcher  Cléomire  sans  sentir  dans  mon  cœur  je  ne 
»  sçay  quelle  crainte  respectueuse  qui  m'a  obligé  de  songer  plus  à 
»  moy,  estant  auprès  d'elle,  qu'en  nul  autre  lieu  du  monde  où  j'aye 
»  jamais  esté.  Les  yeux  de  Cléomire  sont  si 'admirablement  beaux, 
»  qu'on  ne  les  a  jamais  pu  bien  représenter;  ce  sont  pourtant  des  yeux 
»  qui ,  en  donnant  de  l'admiration  ^  n'ont  pas  produit  ce  que  les  autres 
»  beaux  yeux  ont  accoustumé  de  produire,  et  en  donnant  de  l'amour 
»  ils  ont  toujours  donné  en  mesme  temps  de  la  crainte  et  du  respect  ; 
»  et  par  un  privilège  particulier  ils  ont  purifié  tous  les  cœurs  qu'ils 
»  ont  embrasez.  Il  y  a  mesme,  panny  leur  éclat  et  parmy  leur  dou-^ 
II.  33 


514  LliS    HISTORIETTES. 

»  ceur,  une  modestie  si  grande  qu'elle  se  commiMiique  à  ceux  qui  la 
»  voyent,  et  je  suis  fortement  persuadé  qu'il  n'y  a  point  d'homme  au 
»  monde  qui  eust  l'audace  d'avoir  une  pensée  criminelle  en  la  présence 
»  de  Cleomire....  Enfin,  si  l'on  vouloit  donner  un  corps  à  la  chasteté 
»  pour  la  faire  adorer  par  toute  la  terre,  je  voudrois  représenter  Cleo- 
>>  mire.  L'esprit  et  l'ame  de  cette  merveilleuse  personne  surpassent  de 
»  beaucoup  sa  beauté.  Elle  scait  diverses  langues,  et  n'ignore  presque 
»  rien  de  tout  ce  qui  mérite  d'estrc  sccù  ;  mais  elle  le  sçait  sans  faire 
»  semblant  de  le  sçavoir,  et  on  diroit,  à  l'entendre  parler,  qu'elle  ne 
»  parle  de  toutes  choses  comme  elle  fait  que  par  le  simple  sens  com- 
»  mun  et  par  le  seul  usage  du  monde.  Elle  s'est  fait  faire  un  palais  de 
n  son  dessin ,  qui  est  un  des  mieux  entendus ,  et  elle  a  trouvé  l'art  de 
»  faire  en  une  place  de  médiocre  grandeur  un  palais  d'une  vaste  éten- 
»  due.  L'ordre,  la  régularité  et  la  propreté  sont  dans  tous  ses  apparte- 
»  mens;  tout  est  magnifique  chez  elle  et  mesme  particulier.  Les  lampes 
»  y  sont  différentes  des  autres  lieux;  ses  cabinets  sont  pleins  de  mille 
»  raretez;  l'air  est  toujours  parfumé  dans  son  palais;  diverses  cor- 
»  beilles  magnifiques,  pleines  de  fleurs,  font  un  printemps  continuel 
»  dans  sa  chambre...  Cleomire,  parmy  tant  d'avantages  qu'elle  a  receùs 
»  des  dieux,  a  le  malheur  d'avoir  une  santé  délicate  que  la  moindre 
»  chose  altère  ;  ayant  cela  de  commun  avec  certaines  fleurs  qui ,  pour 
»  conserver  leur  fraischcur,  ne  veulent  cstre  ny  toujours  au  soleil  ny 
»  toujours  à  l'ombre,  et  q»ii  ont  besoin  que  ceux  qui  les  cultivent  leur 
»  fassent  une  saison  particulière.  Cleomire,  ayant  donc  besoin  de  se 
»  conserver,  sort  moins  souvent  de  chez  elle  que  les  autres  dames  de 
»  Tyr.  Il  est  vray  qu'elle  n'a  que  faire  d'en  sortir  pour  aller  chercher 
»  compagnie;  car,  depuis  le  Roy,  il  n'y  a  personne  en  toute  la  Cour,  qui 
»  ayt  quelque  esprit  et  quelque  vertu,  qui  n'aille  chez  elle.  Rien  n'est 
»  trouvé  beau  si  elle  ne  l'a  approuvé  ;  on  ne  croit  point  estre  du  monde 
»  qu'on  n'ayt  esté  connu  d'elle;  il  ne  vient  pas  mesme  un  estranger 
»  qui  ne  veuille  voir  Cleomire,  et  il  n'est  pas  jusques  aux  excellons 
»  artisans  qui  ne  veuillent  que  leurs  ouvrages  ayent  la  gloire  d'avoir 
»  son  approbation.  » 

Qu'on  me  permette  encore  de  citer,  comme  étant  fort  peu  connu , 
le  passage  des  Lettres  à  Madame,  dans  lequel  Robinet  raconte  la  mort 
de  la  marquise  de  Rambouillet  : 

La  Parque,  pleine  d'artifice, 
Kous  ravit,  (limanelie,  Artlieuice, 
C'est  niti<iy  que  l'on  appellet 
La  marciuise  de  Uainbouillel, 
Dont  l'anie  belle  et  délicate, 
Sans  que  nullement  on  la  flatte. 
Et  pareillement  le  beau  corps, 
Firent  de  ravissans  accords, 


LA    MARQUISE    DE    RAMBOUILLET.  515 

Et  dont  presque  en  sa  cendre,  encore, 

La  charmante  idée  on  adore. 

Elle  eut  pour  ses  adorateurs 

Tous  nos  plus  célèbres  autheurs. 

Les  Chapelains  et  les  Malherbes, 

Qui  de  luy  plaire  estoient  superbes; 

Les  Balzacs  et  les  f^augelas. 

Dont  toujours  elle  fit  grand  cas; 

Les  f^oitures,  les  Benserades  .-  ' 

Et  l'on  voyoit  sur  ses  estrades 

Encor  ces  deux  "esprits  charmans, 

A  sçavoir  les  deux  Tallemans  (a). 

Dont  l'un,  sçavant  en  paragraphe, 

A  composé  son  epitaphe. 

Qui  pourra  servir  dignement 

A  nos  rimes  de  supplément. 

Ci  gist  la  divine  Artheoice, 

Qui  tut  l'illustre  protectrice 
Des  Arts  que  les  neuf  Sœurs  inspirent  aux  humains. 

Rome  luy  donna  la  naissance; 

tUe  vint  rétablir  en  France 

La  gloire  des  anciens  Romains. 

Sa  maison,  des  vertus  le  temple, 
-Sert  aux  particuliers  d'un  merveilleux  exemple. 
Et  pourroit  bienilinstruire  encor  les  souverains. 

[Lettre  du  3  janvier  1666.  i 

Dans  la  lettre  suivante,  du  10  janvier,  le  même  Robinet,  après  avoir 
parlé  de  la  visite  faite  à  M"°'  de  Montauzier  par  le  Roi  et  par  la  Reine, 
ajoute  : 

La  défunte  ayant  à  son  corps 

Désiré  ce  qu'on  donne  aux  morts. 

Je  veux  dire  la  sépulture. 

Dans  l'enceinle  et  riche  structure 

Des  Carmélites  du  faux  bourg  *,  Saint- Jacques . 

C'est  là  qu'il  attend  le  grand  jour 

Où  par  d'inaltérables  trames 

Les  corps  seront  rejoints  aux  âmes,  etc. 

On  peut  voir  encore  sur  M""®  de  Rambouillet  :  la  Métamorphose  de  Lu- 
cine  en  Rose,  dans  les  Œuvres  de  Voiture ,  tom.  ii,  p.  260,  édition  de  1745; 
—  les  Portraits  de  .1/°"^  de  Montauzier  et  de  sa  mère,  dans  la  Princesse 
de  Paphlagonie  {Mémoires  de  Mademoiselle ,  Londres,  1746,  tom.  vu); 
les  vers  du  Cercle  des  Femmes  savantes,  de  la  Forge,  etc.,  etc. 

(a)  Le  sieur  Talleuiant  des  Beaux  et  l'Aumosnier  du  Roy,  docteur  en  droit  civil 
et  canon.  {Note  de  Robinet.} 


CY  —  CVIII. 
MADAME  DE  MONTAUZIER. 

LES   DEUX    MONTAUZIER.    —    LA    PETITE    MONTAUZIER. 

(Julie  Lticiiie  d'Atujennes,  née  vers  1605,  mariée  le  15  Juillet  1645  ; 
morte  lli  novembre  1671.) 

M'"'  de  Montauzier  s'appelle  Julie  Lucine  d'An- 
genncs.  Lucine  est  le  nom  d'une  sainte  de  la  maison 
des  Sav elles.  Sa  mère  et  sa  grand-mere  l'ont  porté 
toutes  deux  ;  et,  pour  l'ordinaire,  dans  cette  maison, 
on  adjoustoit  tousjours  ce  nom  h  celuy  qu'on  donnoit 
aux  filles  en  les  baptisant. 

Après  Hélène,  il  n'y  a  guères  eu  de  personne 
dont  la  beauté  ayt  esté  plus  généralement  chan- 
tée; cependant  ce  n'a  jamais  esté  une  beauté.  A 
la  vérité ,  elle  a  tousjours  la  taille  fort  avanta- 
geuse :  on  dit  qu'en  sa  jeunesse  elle  n'estoit  point 
trop  maigre,  et  qu'elle  avoit  le  teint  beau.  Je  veux 
croire,  cela  estant  ainsy,  que  dansant  admirable- 
ment comme  elle  faisoit,  avec  l'esprit  et  la  grâce 
qu'elle  a   tousjours  eue,  c'estoit  une  fort  aimable 


MADAME    DE    MONTAUZIER.  517 

personne.  Ses  portraits  feront  foy  de  ce  que  je  viens 
de  dire. 

Elle  a  eu  des  amans  de  plusieurs  sortes.  Les 
principaux  sont  Voiture  et  M.  de  Montauzier  d'au- 
jourd'huy  ;  mais  Voiture  estoit  plutost  un  amant  de 
galanterie  et  pour  badiner,  qu'autrement  ;  aussy  le 
faisoit-elle  bien  soustenir  :  mais  pour  M.  de  Mon- 
tauzier, ça  esté  un  mourant  d'une  constance  qui  a 
duré  plus  de  treize  ans. 

Les  lettres  de  Voiture,  ses  vers,  ceux  de  M.  Ar- 
naut*,  parlent  sans  cesse  de  l'esprit  merveilleux  de  Le  mestre  de  camp. 

'   i  t"  Historiette. 

M"'  de  Rambouillet.  Mademoiselle  de  Bourbon,  qui 
est  de  beaucoup  plus  jeune*,  et  qui  estoit  encore  un  Néeie27aoi\ti6i9. 
enfant,  la  tourmentoit  tous  les  jours  pour  luy  faire 
des  contes*:  M"'  de  Rambouillet  ayant  espuisé  toutes  lui  f^^j^^^^re  des 
les  nouvelles  qu'elle  avoit  pu  trouver,  s'avisa  d'en 
composer  une.  Elle  fit  cette  petite  histoire  de  Zélide  et 
d'Alcidalis  dont  il  est  fait  mention  plus  d'une  fois 
dans  les  lettres  de  Voiture.  On  ditqu'une  nuict  qu'elle 
ne  pouvoit  dormir,  elle  l'inventa  et  que  Voiture  se 
chargea  de  la  mettre  par  escrit.  Il  en  a  fait  la  plus 
grande  partie  ;  je  n'ay  pu  encore  la  voir,  parce 
qu'on  l'a  portée  par  mesgarde  à  Angoulesme.  Cela 
ne  sçauroit  estre  bien  escrit,  car  Voiture  n'estoit  pas 
capable  d'un  autre  style  que  du  style  de  badinerie 
ou  de  galanterie  badine.  On  m'a  asseuré  qu'il  n'y  a 
rien  de  mieux  inventé  :  si  cela  est,  et  c{ue  cette  his- 
toire me  tombe  entre  les  mains,  je  tascheray  ou  de 
la  reformer  ou  de  la  refaire  tout  de  nouveau. 
Vous  trouvez  à  tout   bout  de  champ  dans  Voi- 


518  LES    HISTORIETTES. 

ture  des  exclamations  sur  les  lettres  qu'il  reçoit  de 
M"^  de  Rambouillet,  et  que  mesme  elle  escrivoit  fort 
bien  en  vieux  style.  On  a  perdu  tout  cela,  et  je 
n'ay  rien  pu  recouvrer  que  quelques  lettres  d'elle  à 
madame  la  Princesse,  escrittes  avant  le  siège  de  la 
Rochelle,  qui  est  un  temps  où  l'on  ne  s'estoit  pas 
encore  autrement  avisé  de  bien  escrire  :  il  y  a  pour- 
tant des  choses  dittes  avec  beaucoup  de  délicatesse. 
Ces  lettres,  ce  qui  est  notable,  lurent  trouvées  chez 
M.  le  cardinal  de  la  Valette,  après  sa  mort. 

J'ay  desjà  dit  l'amitié  qui  estoit  entre  M"'  d'Ai- 
guillon et  elle  ;  or,  quand  M""  d'Aiguillon  eut  le  don 
des  coches,  elle  luy  en  donna  pour  cinq  ou  six  mille 
livres  de  rente  ;  l'autre  ne  les  vouloit  point  prendre. 
«  Je  n'ay  besoing  de  rien,  »  disoit-elle,  «  si  j'estoisen 
»  nécessité,  cela  seroit  bon.  »  M""  d'Aiguillon  res- 
pondoit  :  «  Ce  n'est  point  un  don  que  je  vous  fais  ; 
»  c'est  simplement  vous  faire  part  d'une  gratifica- 
)•  tion  du  Roy.  »  Enfin  M"'  de  Rambouillet  fut  con- 
oe  lavis  (les  amis  damuéc  *.  DoDuis,  il  Y  a  eu  quasy  une  pareille  dispute 

pris  pour  arbitres.  '■  ^  i  >i  i. 

entre  M""  de  Rambouillet  et  M.  de  Montauzier. 
11  avoit  fait  je  ne  sçay  quelle  affaire  avec  le  Roy 
sur  les  deniers  de  son  gouvernement  ;  car  tous  gou- 
verneurs, mais  luy  moins  que  les  autres,  sont  tous 
partisans.  Il  vouloit  que  M""  de  Rambouillet  en  eust 
le  bénéfice  pour  se  rembourser  des  rentes  sur  les 
Montauzier  etoit  aydcs  6.0  Xalutcs  ^  dont  elle  n'est  point  payée.  Elle 

gouverneur  de  Saiu- 

*''"^''  ne  le  voulut  pas,  et  la  petite  de  Montauzier  luy 

disoit  :  «  Ma  grand-maman,  vous  dittes  que  mon  papa 
»  est  opiniastrc,  mais  je  trouve  que  vous  Testes  bien 


MONTAUZIER    l'AISNÉ.  519 

»  plus  que  luy.  »  Montauzier  et  sa  femme  en  usent 
fort  bien  avec  la  Marquise  et  avec  leur  sœur  M"'  de 
Rambouillet. 


montauzier 

l'aisnÉ. 


On  avoit  parlé  autrefois  de  marier  '  M""'  de  Mon 
tauzier  à  feu  M.  de  Montauzier,  aisné  de  cetuy-cy.  ^Zn^'^ailMi:. 

_.„,-,,,„.  ,  .  ,  t^         ■>  tue   devant   Bornio  , 

Ce  fut  M"''  Aubry-  qui  en  parla,  mais  après,  elle  s  a-  iuuietwro.) 
visa  de  le  garder  pour  elle.  En  arrivant  à  la  Cour, 
la  première  connoissance  qu'il  fit  fut  celle  de  cette 
dame:  un  jour  qu'elle  luy  parloit  de  M""  et  de 
M"'  de  Rambouillet  :  «  Hé,  madame,  »  luy  dit-il, 
«  menez-m'y! — Menez-m'y! )^  respondit-elle,  «allez, 
»  Xaintongeois,  apprenez  à  parler,  et  puis  je  vous  y 
h  meneray.  »  En  effect,  elle  ne  l'y  voulut  mener  de 
trois  mois.  La  guerre  appella  bientost  après  le  Mar- 
quis en  Italie.  Il  se  jetta  dans  Cazal  *  et  eut  bonne  e»  leso. 
part  aux  fameux  exploits  qui  s'y  firent  ^  M.  de  Ro- 
han  parle   de  luy  comme  d'un  homme  qui  avoit 

1  Comme  on  disoit  un  jour  qu'il  falloit  la  marier  à  un  homme  qui  ne 
pust  l'emmener  hors  de  Paris,  quelqu'un  ajouta  qu'il  falloit  alors  la 
marier  avec  Monsieur  l'Archevesque  ;  mais  il  se  trompoit,  car  les  pré- 
lats ont  une  telle  aversion  pour  la  résidence,  que  celuy-Ià  aimoit  mieux 
estre  à  Saint-Aubin  d'Angers  qu'icy. 

2  Elle,  estoit  Villandry  *.  Françoise  le  Bre- 
,  T.  ,,  ,  1  ,  j  o  1  ^  n  ij  *  ton-Villnn(liy,tenime 
o  II  arresta  toute  larmee  du    duc   de  Savoye  devant  Pontdesture   <ie  JeanAubery.con- 

qui  n'estoit  point  en  estât  d'estre  deffendu.  Estant  amoureux  d'une  *^'  ^'       ''**" 
dame  en  Piémont,  et  la  ville  où  elle  estoit  ayant  esté  assiégée,  il  se 
desguisa  en  capucin  pour  y  entrer,  y  entra,  et  la  deffendit.  Un  jour  en 
contant  cela  à  sa  mère*,  et  comme  cette  femme  l'avoit  rcceû,  il  s'em-   Marguerite  de  Châ 
porta  tellement  que,  sans  songer  à  qui  il  parloit,  il  hiy  dit  :  <'  Je  la  *''^"  "^°*" 

»  trouvay  seule  un  jour,  je  la  jettay  sur  le  lict,  et  je  la »  11  tran- 
cha le  mot  ;  mais  revenant  à  soy  et  voyant  qu'il  parloit  à  sa  mère,  il  se 
levé,  fuyt,  tire  la  porte  et  sort  du  logis.  Sa  merc  l'aimoit  passion- 
nément. 


520  LES    HISTORIETTES. 

beaucoup  de  génie  pour  la  guerre.  Son  frère  est 
un  homme  à  se  jetter  dans  un  feu,  mais  il  n'a  point 
de  génie  pour  la  guerre. 

Au  retour,  M"'"  Aubry,  pour  avoir  un  prétexte, 
fit  courir  le  bruict  qu'elle  le  vouloit  marier  avec  sa 
ry?"$r'ée%.f  m9  ^^'^^'  ^ujourd'huy  M"''  deNermoustier*,  qui,  estant 
moumètducdeN."'  eucorc  trop  jcuue,  leur  servit  de  couverture  près  de 
quatre  ans.  Or,  cette  M""  A.ubry  estoit  fort  agréable, 
avoit  le  teint  beau,  la  taille  jolie  et  estoit  fort  propre, 
,  mais  elle  ne  pouvoit  pas  passer  pour  belle  ;  en  re- 
compense, elle  ne  manquoit  point  d'esprit,  et  chan- 
toit  si  bien  qu'elle  ne  cedoit  qu'ù  M""  Paulet.  Au 
reste,  inquiète,  soupçonneuse,  et  toute  propre  à  faire 
enrager  un  galant  comme  le  Marquis,  qui  estoit  na- 
turellement coquet  '.  Elle  luy  donnoit  tant  de  peine, 
que  c'est  sur  cela  que  M"'"  de  Rambouillet,  comme 
on  voit  dans  les  lettres  de  Voiture,  nomme  son  tour- 
ment l'enfer  d'Jnastamx,  car  elle  eut  une  bizarrerie 
qui  pensa  faire  perdre  patience  à  son  pauvre  galant. 
Un  jour  qu'elle  n' estoit  pas  comme  les  autres  à 
l'hostel  de  Rambouillet,  on  fit  en  badinant  cer- 
tains vers  qu'on  luy  envoya  %  où  il  y  avoit  en  un 
endroit  : 

chacun  n'a  pas  le  nez  si  beau. 
Voyez  celuy  de  Bineau  '. 

Elle  alla  prendre  cela  de  travers,  dit  que  tout  le 

^  Cette  M""'  Aubry  tiaittoit  son  mary  terriblement  de  liant  en  bas. 
Il  estoit  trois  mois  à  la  prier  pour  coucher  une  nuict  avec  elle. 
-  Ils  sont  perdus. 
*  Un  gentilhomme  du  cardinal  de  la  Valette. 


MONTACZIER    l'aIS^É.  521 

monde  ne  pouvoit  pas  estre  beau,  et  défendit  au 
Marquis,  sur  peine  de  la  vie,  de  mettre  le  pié  à 
riiostel  de  Rambouillet.  11  n'y  alloit  effectivement 
qu'en  cachette.  Ce  fut  durant  cette  querelle  que  le 
nain  de  la  princesse  Julie  (on  appelloit  alors  ainsy 
M.  Godeau)  luy  osta  son  espée,  comme  il  n'y  son- 
geoit  pas,  et  la  luy  portant  à  la  gorge,  luy  cria  qu'il 
falloit  abandonner  le  party  de  M""^  Aubry*.  Enfin 
elle  en  fit  tant,  que  le  Cavalier  la  planta  là.  Le  des- 
plaisir qu'elle  en  eut  fut  si  grand ,  qu'après  avoir 
fait  une  confession  générale ,  elle  se  mit  au  lict , 
et  mourut. 

Par  hazard  M"'"^  de  Rambouillet  regardant  un  jour 
dans  la  main  du  Marquis,  dit  :  «  Mon  Dieu,  je  ne 
»  sçay  d'où  cela  me  vient;  mais  le  cœur  me  dit  que 
«  vous  tuerez  une  femme.  »  Le  Marquis  fit  bien  un 
plus  estrange  pronostic  en  s'en  allant  à  la  Valte- 
line  ;  car  il  dit  à  M""  de  Rambouillet  qu'il  seroit 
tué  cette  campagne-là,  et  que  son  frère,  plus  heu- 
reux que  luy,  l'espouseroit.  En  effect,  il  receût  un 
coup  de  pierre  à  la  teste  dont  il  mourut.  On  le  vou- 
loit  trépaner  :  «  Je  ne  le  souffriray  pas,  »  dit-il  ;  «  il 
»  y  a  assez  de  fous  au  monde  sans  moy.  »  Ce  cava- 
lier estoit  né  pour  la  Cour  -  :  il  estoit  bien  fait  et  avoit 

1  Cela  est  dans  Voiture. 

2  J'ay  appris  que,  comme  amy  intime  du  cardinal  de  la  Valette,  il 
s'estoit  rendu  fort  familier  à  l'hostel  de  Coudé,  et  que  M"*  de  la  Coste 
luy  avoit  fort  servy  à  se  mettre  bien  dans  l'esprit  de  Mademoiselle  de 
Bourbon.  Il  fut  sa  première  inclination.  Monsieur  le  Comte  qui  la  vou- 
loit  espouser  en  ce  temps-là  en  eust  de  la  jalousie  :  on  esloigna  la 
Coste  qui  devenoit  trop  confidente  de  Mademoiselle.  On  ne  voulut  plus 
qu'elle  allast  si  souveni  à  l'hostel  de  Condé. 


522  LES    riISTOlUETTES. 

l'esprit  accort.  Ça  esté,  dit-on,  le  premier  qui  ayt 
pris  la  perruque.  11  n'avoit  pas  assez  de  cheveux  ; 
il  se  les  fit  couper,  et  prit  pour  valet  de  chambre  un 
perruquier.  11  estoit  si  ambitieux,  qu'il  avouoit  en 
riant  qu'il  n'y  avoit  personne  au  m^onde  qu'il  ne 
laissast  pendre  volontiers,  s'il  ne  tenoit  qu'à  cela 
qu'il  eust  un  royaume  '.  A  cause  de  cette  ambition, 
M""*  de  Rambouillet  l'appella  cd  Rey  de  Georgia,  sur 
la  nouvelle  qui  vint  qu'un  particulier  s'estoit  fait 
roy  de  ce  pays-là. 

Maire'^frâV^orfi'tal  M.  dc  Sallcs*,  SOU cadct,  devenu l'aisné,  quoyqu'il 
qu'îs,'p*"uis''duc'.ieM;  y  eust  quatre  ans  qu'il  aimoit  M"'  de  Rambouillet, 
dont  il  estoit  devenu  amoureux  dez  qu'il  la  vit,  ne 
se  déclara  pourtant  point  qu'il  ne  fust  mareschal  de 
versiew.  camp  et  gouverneur  d'Alsace*.  11  y  a  apparence  que 
son  aisné  n'ignoroitpas  sa  passion,  et  que  c'est  ce  qui 
luy  fit  dire  que  ce  frère,  plus  heureux  que  luy,  espou- 
seroit  un  jour  M"^  de  Rambouillet.  Je  ne  doute  pas 
que  M"*^  de  Rambouillet  de  mesme  ne  s'en  aperceûst, 
car  dez  le  temps  du  roy  de  Suéde,  il  avoit  commencé 
à  travailler  à  la  Guirlande  de  Julie,  dont  nous  par- 
lerons en  suitte.  M.  de  Montauzier  porta  sa  passion 
partout  avec  luy.  Il  faisoit  des  vers,  il  en  parloit; 
tout  cela  ne  servoit  de  rien.  M"*  de  Rambouillet 
disoit  qu'elle  ne  vouloit  point  se  marier  ;  luy,  plus 
espris  ou  plus  opiniastrc  que  jamais,  persévéra  tous- 
jours. 

'  Voyez  les  Lettrc-s  de  Voiture. 


M.    DE    MONTAUZIER.  523 

Trois  ou  quatre  ans  avant  que  de  l'espouser,  il 
iuy  envoya  la  Guirlande  de  Julie  :  c'est  une  des  plus 
illustres  galanteries  qui  ayent  jamais  esté  faittes. 
Toutes  les  fleurs  en  estoient  enluminées  sur  du  velin, 
et  les  vers  escrits  sur  du  velin  aussy,  en  suittede 
chaque  fleur,  et  le  tout  de  cette  belle  escriture  dont 
j'ay  parlé.  Le  frontispice  du  livre  est  une  guirlande 
au  milieu  de  laquelle  est  le  titre  : 

LA  GUIRLANDE  DE  JULIE  , 

POUR    MADEMOISELLE    DE    RAMBOUILLET     JULIE-LUCINE    d'ANGENNES. 

Et  à  la  feuille  suivante,  il  y  a  un  Zephire  qui 
espand  des  fleurs.  Le  livre  est  tout  couvert  des 
chiffres  de  M"''  de  Rambouillet'.  Elle  receût  ce  pré- 
sent, et  mesme  remercia  tous  ceux  qui  avoient  fait 
des  vers  pour  elle.  11  n'y  eut  pas  jusqu'à  M.  le  mar- 
quis de  Rambouillet  qui  n'en  fist.  On  y  voit  un  ma- 
drigal de  sa  façon. 

Le  seul  Voiture,  qui  n'aimoit  pas  la  foule,  ou 
qui  peut-estre  ne  vouloit  point  estre  comparé,  ne  fit 
pas  un  pauvre  madrigal  ;  il  est  vray  que  les  chiens 
de  M.  de  Montauzier  et  les  siens  n'ont  jamais  trop 
chassé  ensemble  ;  mais  cela  ne  vient  pas  de  là  seule- 
ment, car  à  la  mort  du  marquis  de  Pisani,  son  grand 
amy,  il  ne  fit  rien  non  plus,  quoyque  tant  de  gens 
eussent  fait  des  vers *.  voy.ci-<iessus,p.509. 


1  II  est  relié  de  maroquin  de  Levant  des  deux  costez,  au  lieu  qu'aux 
autres  livres  il  y  a  du  papier  marbré  seulement.  Il  y  a  une  fausse  cou- 
verture  de  frangipane  <.  '"dëVanlip^n?'"' 


5*2/!  LES     HISTORIETTES. 

Nostre  marquis,  voyant  que  sa  religion  estoit  un 

obstacle  à  son  dessein,  en  change  %  et  traitte  des 

Jean  de  Gaiiaid ,  ffouvememens  de  M.  deBrassac*.  marvde  satante, 

sieur  de  Brassac;  ma-    '-'  '  J  ' 

skInteSre.'"'*''  *'"  pour  dcux  ccut  mille  livres".  11  eut  bien  du  bonheur 
en  cette  affaire,  car  M,  de  Brassac  estant  tombé 
malade.  M'"*  d'Aiguillon,  qui  vouloit  servir  Montau- 
zier  pour  le  faire  espouser  à  son  amie,  fit  en  sorte 
auprès  du  cardinal  Mazarin,  sur  l'esprit  duquel  elle 
avoit  alors  du  pouvoir,  qu'on  ne  scella  point  les 
provisions  de  Montauzier,  et  que  Brassac  estant 
14  Mars  1645.  mort  de  cette  maladie  *,  on  supprima  ces  provisions, 
et  on  en  expédia  de  nouvelles  comme  d'un  gouver- 
nement vacant  par  mort.  Ainsy  les  héritiers  de 
Brassac  perdirent  cent  mille  francs  ;  car  pour  les 
autres.  M/"'  de  Brassac,  qui  avoit  la  moitié  à  tout, 
les  luy  donnoit,  en  cas  qu'il  ne  mourust  point  le 
premier  sans  enfans.  Enfin  il  eut  tout  le  bien  de  sa 
tante  quelque  temps  après'. 

jyjme  (j' Aiguillon  esperoit  que  M""'  de  Montauzier 
pourroit  devenir  dame  d'honneur  ;  le  prétexte  estoit 
que  M"'*  de  Brassac  l'avoit  esté,  et  je  pense  qu'on  ne 
manqua  pas  de  le  luy  dire  pour  la  persuader  à  se 


'  Il  dit  qu'on  se  peut  sauver  clans  l'une  et  dans  l'autre;  mais  il  le  fit 
d'une  façon  qui  sentoit  bien  l'interest. 

-  Xaintonge  et  Angoulmois. 

•■'  Pour  le  gouvernement  d'Alsace,  ou  plustost  la  commission  pour  y 
commander,  le  Cardinal  dit  :  «  Plusieurs  me  l'ont  demandée,  maisje  ne 
»  desoblige  point  en  obligeant  :  elle  demeurera  ;\  M.  do  Montauzier.  » 
Depuis,  le  Cardinal,  (l'Alsace  estant  devenue  par  la  paix  un  foit  bon 
gouvernement)  la  luy  osta  et  ne  luy  en  laissa  que  la  lieutenance  de 
Roy,  car  Schelestat  et  Colmar,  dont  il  estoit  gouverneur  particuliei', 
ont  esté  rendus  par  le  Traitté  de  Monstcr. 


M.     DE    MOINTALZIER.  525 

marier.  Je  remarque  bien  que  c'est  ce  qu'elle  sou- 
haitteroit  le  plus  au  monde,  et  il  n'y  a  guères  de 
femme  qui  y  fust  plus  propre. 

Le  Marquis,  se  voyant  gouverneur  de  Xaintonge 
et  d'Angoulmois,  fit  parler  h  M"'^  de  Rambouillet, 
par  M"''  Paulet,  par  IM'"^  de  Sablé  et  par  M'"^  d'Ai- 
guillon mesme.  Elle  l'estimoit,  mais  elle  a  voit  aver- 
sion pour  le  mariage:  M""'  d'Aiguillon,  en  luy  repré- 
sentant la  passion  du  cavalier,  luy  disoit  :  «  Ma  fille, 
»  ma  fille,  il  n'y  a  rien  de  tel  devant  Dieu,  cela 
»  donne  dévotion  *.  »  On  en  fit  dire  un  mot  par  la  ^'^^^"^M^mon'. 
Reyne  ;  le  Cardinal  mesme  vint  en  parler  à  M""'  de 
Rambouillet.  En  ce  temps-là  il  n'estoit  pas  si  estably 
qu'il  est  à  cette  heure,  et  il  mitonnoit  M""  d'Aiguil- 
lon, pour  faire  espouser  le  duc  de  Richelieu  à  une 
de  ses  niepces.  M"""  de  Rambouillet  se  plaignoit 
alors  de  la  dureté  de  sa  fille  ;  ce  fut  ce  qui  fit  l'af- 
faire, car,  de  peur  de  fascher  sa  mère,  elle  s'y  ré- 
solut, et  changea  du  soir  au  matin.  La  veille  elle 
estoit  aussy  esloignée  de  mariage  que  jamais.  «  Je 
»  l'aurois  fait,  »  disoit-elle,  «pour  l'amour  de  luy, 
»  sans  tous  ses  gouvernemens ,  si  j'avois  eu  à  le 
»  faire.  »  Je  pense  pourtant  qu'elle  considéra  aussy 
que  d'une  vieille  fille  elle  devenoit  une  nouvelle 
mariée,  et  telle  jeune  femme  qui  ne  luy  eust  pas 
cédé  et  ne  l'eust  pas  creûe,  la  regarda  aussytost 
comme  une  personne  de  qui  elle  pouvoit  apprendre 
à  bien  vivre;  et  puis,  comme  j'ay  desjà  remarqué, 
cela  la  remettoit  tout  de  nouveau  dans  le  monde,  et 
elle  aime  fort  les  divertissemens. 


526  LES     HISTORIETTES. 

Dez  qu'elle  eut  pris  sa  résolution ,  elle  fit.  les 
choses  de  fort  bonne  grâce.  Il  est  vray  qu'elle  se 
fust  bien  passée  de  proposer  de  remettre  après  la 
campagne.  Montauzier  de  voit  commander  en  Alle- 
magne un  corps  séparé  de  six  mille  hommes  ;  mais 
M.  de  Turenne  l'empescha.  Pisani  partit  devant  les 
nopces  pour  suivre  Monsieur  le  Prince  :  il  dit  en 
partant  :  «  Montauzier  est  si  heureux ,  que  je  ne 
»  manqueray  pas  de  me  faire  tuer ,  puisqu'il  va 
»  espouser  ma  sœur.  >-  Il  n'y  manqua  pas  en  efTect. 

Ce  fut  à  Ruel  que  les  nopces  se  firent,  et  par  une 
rencontre  plaisante,  celuy  que  l'on  appelloit  autrefois 
le  nain  de  la  princesse  Julie  '  fut  celuy-là  mesme  qui 
les  espousa.  Le  marié  avoit  une  telle  enragerie,  si 
j'ose  ainsy  dire,  que,  s'allant  coucher,  il  jetta  sa 
robe  de  chambre  dez  l'entrée  de  la  chaiï±»re.  Le 
chevalier  de  Rivière  disoit  en  riant  que  le  marié,  à 
la  vérité,  avoit  consommé  le  mariage,  mais  que  le 
reste  de  la  nuict  s'estoit  passé  en  beaux  sentimens. 
Il  est  plus  jeune  qu'elle  ;  elle  avoit  trente-huit  ans  ^. 

Elle  eut  une  querelle  pour  cette  nopce  avec  la 
marquise  de  Sablé,  qui  se  plaignit  qu'elle  ne  l'avoit 
pas  conviée.  L'autre  juroit  qu'elle  luy  avoit  dit  que 
ce  seroit  une  incivilité  de  luy  donner  la  peine  de 
faire  six  lieues,  à  elle  qui  estoit  quasy  tousjours  sur 
son  lict  et  qui  n'estoit  pas  autrement  portative;  car 

1  M.  de  Grasse,  Godeau. 

2  Les  vingt-quatre  violons  ayant  sceù  que  M"'  de  Rambouillet  se 
marioit,  vinrent  d'eux-mesmes  luy  donner  une  sérénade,  et  luy  dirent 
qu'elle  avoit  fait  tant  d'honneur  à  la  danse,  qu'ils  seroient  [bien  ingrats 
s'ils  ne  luy  en  tesmoignoient  quelque  reconnoissance. 


M.    ET    M""^     DE     MONTAUZIEH.  527 

ce  fut  ce  terme  qui  la  chocqua  le  plus.  La  Marquise 
irritée,  quoy qu'on  l'eust  reconviée  après,  n'en  vou- 
lut point  ouyr  parler,  et  pour  monstrer  qu'elle  estoit 
aussy  portative  qu'une  autre,  elle  monte  en  carrosse, 
en  dessein  d'aller  voltiger  et  se  faire  voir  autour  de 
Ruel.  Pour  cela  une  demoiselle  à  elle,  appellée  la 
Moriniere,  à  qui  elle  avoit  fait  apprendre  à  con- 
noistre  les  vents,  regarde  bien  la  girouette,  et  après 
l'avoir  asseurée  qu'il  n'y  avoit  point  d'orage  à 
craindre,  on  part;  mais  elle  ne  fut  pas  plus  tost 
au-delà  du  pont  de  Nully*  que  voylà  tout  le  ciel  Nemuy. 
brillant  d'esclairs.  La  frayeur  la  prend;  elle  fait 
toucher  à  Paris,  et  le  tonnerre  estant  assez  fort, 
quoyqu'elle  eust  une  grosse  bourse  de  reliques,  elle 
se  cache  dans  les  carrières  de  Challiot,  avec  protes- 
tation de  ne  songer  plus  à  se  venger.  A  quelques 
jours  de  là  la  paix  se  fit. 

Elle  eut  une  bien  plus  grande  querelle  avec  la 
Moussave*;   voicy  apparemment  d'où    cela  vint:      Amaury  coyon, 

•>         t^  t^  marquis  de  la  Mous- 

M.  d'Anguien  estant  à  Furnes  en  belle  humeur,  dit  l;enaf°mortea''no^ 
à  table  qu'il  faudroit  un  brin  d'estoc  pour  sauter 
d'un  bout  à  l'autre — de  M""  de  Montauzier.  La  Mous- 
saye  ne  dit  rien;  mais  il  rit  de  cette  plaisante  vision, 
incomparablement  plus  que  les  autres.  M"''  de  Mon- 
tauzier, au  retour  de  cette  campagne,  déclara  à  la 
Moussaye  qu'elle  ne  seroit  plus  son  amie,  et  qu'il 
luy  avoit  fait  un  fort  vilain  tour.  «  Moy ,  »  dit-il , 
«  Madame  !  je  serois  le  plus  lasche  des  hommes  ; 
»  car  sans  vous  j'aurois  esté  chassé  d'auprès  de 
»  M.  d'Anguien  :  vous  fistes  que  M"'*  d'Aiguillon  fit 


vembre  1630. 


En  novembre  1650. 


Michel  Particelli, 
sieur  (VEsaicry. Hist. 


5'28  LKS     IIISTOUI  EÏTES. 

)>  parler  Monsieur  le  Cardinal  à  Monsieur  le  Prince. 
»  —  Hé  bien  !  »  luy  respondit-elle,  «  vous  estes  donc 
»  le  plus  lasche  des  hommes.  »  M.  d'Anguien  voulut 
sçavoir  d'elle  ce  que  c'estoit,  elle  n'en  voulut  rien 
dire.  On  voit  dans  la  lettre  que  Voiture  escrit  pour 
elle  en  Catalogne,  qu'elle  estoit  encore  en  colère.  La 
Moussaye  est  mort  depuis*,  sans  avoir  fait  de  paix. 
On  a  cru  que  c'estoit  cette  raillerie,  puisqu'elle  ne 
l'avoit  pas  voulu  dire. 

Depuis  son  mariage,  M"""  de  Montauzier  est  de- 
venue un  peu  caballeuse.  Elle  veut  avoir  cour;  elle 
a  des  secrets  avec  tout  le  monde  ;  elle  est  de  tout, 
et  ne  fait  pas  toute  la  distinction  nécessaire.  Je  tiens 
que  M'*'  de  Rambouillet  valoit  mieux  que  M™'  de 
Montauzier.  Elle  est  pourtant  bonne  et  civile,  mais 
il  s'en  faut  bien  que  ce  soit  sa  mère,  car  sa  mère 
n'a  pas  les  vices  de  la  Cour  comme  elle.  Elle  dit 
une  plaisante  chose  à  quelqu'un  qui  luy  demandoit 
pourquoy  elle  ne  laissoit  pas  M.  de  Montauzier  sol- 
liciter ses  pensions.  «  Hé!  »  dit-elle,  «  s'il  alloit 
»  battre  M.  d'Esmery*,  ce  seroit  bien  le  moyen 
»  d'cstre  payé  !  »  En  elTect ,  c'est  un  homme  tout 
d'une  pièce;  M"'  de  Rambouillet  dit  qu'il  est  fou 
à  force  d'estre  sage.  Jamais  il  n'y  en  eut  un  qui 
eust  plus  de  besoing  de  sacrifier  aux  Grâces.  11  crie, 
il  est  rude,  il  rompt  en  visière,  et  s'il  gronde  quel- 
qu'un, il  luy  remet  devant  les  yeux  toutes  les  ini- 
quitez  passées.  Jamais  homme  n'a  tant  servy  à  me 
guérir  de  l'humeur  de  disputer.  Il  vouloit  qu'on 
fist  deux  citadelles  h  Paris,  une  au  haut  et  une  au 


M.    ET    M""    DE    MOINÏAUZIER.  529 

bas  de  la  rivière,  et  dit  qu'un  roy,  pourveû  qu'il  en 
use  bien,  ne  sçauroit  estre  trop  absolu,  comme  si  ce 
pourveû  estoit  une  chose  infaillible.   A  moins  qu'il 
soit  persuadé  qu'il  y  va  de  la  vie  des  gens,  il  ne 
leur  gardera  pas  le  secret.   Sa  femme  luy  sert  fu- 
rieusement dans  la  province  :  sans  elle,  la  Noblesse 
ne  le  visiteroit  guères  :  il  se  levé  là  à  onze  heures 
comme   icy ,    et   s'enferme  quelquefois  pour  lire, 
n'aime  point  la  chasse,  et  n'a  rien  de  populaire. 
Elle  est  tout  au  rebours  de  luy.   Il  fait  trop  le  mes- 
tier  de  bel  esprit  pour  un  homme  de  qualité,  ou  du 
moins  il  le  fait  trop  sérieusement.  Il  va  au  Samedy 
fort  souvent  '.  Il  a  fait  des  traductions  ;  regardez  le 
bel  auteur  qu'il  a  choisy  :  il  a  mis  Perse  en  vers 
françois.   Il  ne  parle  quasy  que  de  livres,  et  voit 
plus  régulièrement  M.  Chapelain  et  M.  Conrart  que 
personne.  11  s'enteste,  et  a  assez  meschant  goust  ; 
il  aime  mieux  Claudian  que  Virgile  :  il  luy  faut  du 
poivre  et  de  l'espice.  Cependant,  comme  nous  di- 
rons ailleurs,  il  gouste  un  poëme  qui  n'a  ny  sel  ny 
sauge  :  c'est  la  Pucelle,  par  ce,  seulement,  qu'elle  est 
de  Chapelain.  Il  a  une  belle  bibliothèque  à  Angou- 
lesme. 

En  recompense,  c'est  un  bon  serviteur  du  Roy. 
11  le  fit  bien  voir  en  52.  Pour  peu  qu'il  eust  voulu 
donner  de  soupçons  au  Cardinal,  quand  Monsieur  le 
Prince  estoit  en  Xaintonge,  le  Cardinal  l'eust  fait 
tout  ce  qu'il  eust  voulu  estre  ;  mais  il  ne  voulut 
point  escroquer  le  baston  de  mareschal  de  France  : 

*  Une  assemblée  chez  M"*  de  Scudery.  Plus  bas.  [Historiette.) 
II.  34 


530  LES    HISTORIETTES. 

uussy  ne  l'a-t-il  pu  avoir  quand  il  l'a  demandé.  On 

disoit  qu'il  avoit  dit  :  «  Je  ne  pense  point  au  bre- 

Au  brevet  de  duc,  »  vot  *  ;  Hia  fomme  a  bonnes  jambes,  elle  se  tiendra 

(|<ii    flonnoit,    le    ta-  j  ' 

cn"'rao,K°''"*  »  bien  debout.  »  D'ailleurs  il  n'a  qu'une  fille. 

Je  me  souviens  que  M"""  de  Montauzier,  qui  n'es- 
toit  pas  jeunette,  fut  fort  malade  en  accouchant. 
On  envoya  Ghavaroche,  qui  estoit  un  peu  amoureux 
d'elle  il  y  avoit  long-temps,  quérir  la  ceinture  de 
Sainte-Marguerite  à  l'abbaye  Saint-Germain.  G'es- 
toit  en  esté  à  la  pointe  du  jour.  De  chagrin  qu'il 
avoit,  on  dit  qu'il  gronda  les  moines  qu'il  trouva 
encore  au  lict.  «Il  vous  fait  beau  voir,  »  disoit-il  entre 
ses  dents,  «  d'estre  encore  au  lict ,  quand  M""  de 
»  Montauzier  est  en  danger  !  »  Elle  eut  deux  filz  tout 
de  suitte.  L'aisné  mourut  à  trois  ans  d'une  cheûte, 
et  l'autre  pour  n'avoir  jamais  voulu  prendre  une 
autre  nourrice  que  la  sienne,  qui  perdit  son  laict  \ 
M"""  de  Montauzier  mena  une  fois  sa  sœur  de 
AtiRéiique  -  Claire  RambouiUct*  en  Angoulmois.  M.  de  la  Rochefou- 


il'Angennes ,    depuis 


b^ 


MTe'diRâlnboui'iiet:  cault  Icur  donna  une  chasse  magnifique  ;  à  tous  les 
relais  il  y  avoit  collation  et  musique.  A  Xaintes, 
elles  faisoient  le  Cours  à  cheval  dans  la  prairie,  le 
long  de  la  Gharente,  et  il  s'y  trouvoit  assez  grand 
nombre  de  carrosses,  car  toutes  les  dames  des  en- 
virons s'y  rendoient.  Elles  allèrent  voir  l'armée  na- 
valle,  et  au  retour  elles  receûrent  le  mareschal  de 
Grammont  avec  le  canon,  et  le  firent  complimen- 
ter par  le  Presidial  en  corps.    Luy,  il  leur  disoit 

1  Celuy-là  eust.  esté  le  digne  filz  de  son  père  ;  car  il  falloit  qu'il  fust 
bien  testu. 


M.    ET    M""    DE    MONTAUZIER.  531 

plaisaimiient  :  «  Venez  jusqu'à  Bayonne  et  m'aver- 
»  tissez,  afin  que  je  fasse  tenir  des  balaines  toutes 
»  prestes.  »  Cette  réception  fit  une  querelle  :  le  ma- 
reschal  d'Albret  passa  aussy  par  Angoulesme;   on 
ne  luy  fit  point  de  fanfare.  Il  y  fut  quatre  jours,  et 
après  cela  il  s'avisa  de  se  fascher  de  ce  qu'on  ne 
l'avoit  pas  traitté  comme  le  mareschal  de  Gram- 
mont.  On  respondit  que  ce  n'estoit  pas  comme  ma- 
reschal de  France,   mais  comme  an  ancien  amy 
qu'on   l'avoit  traitté  ainsy.    «  Ah  !   ne  suis-je   pas 
»  aussy  vostre  amy  ?  »  Le  président  de  Guenegaud 
se  plaignit  aussy    de  ce  qu'estant  président  aux 
enquestes  du  parlement  de  Paris,  le  Presidial  n'es- 
toit  pas  allé  en  corps.  Je  croy  que  cela  ne  se  doit 
point.  W^'  de  Rambouillet  entendant  cela,  dit  brus- 
quement :    «  Hé  !  de  quoy  s'avise  ce  président  de 
»  Guenegaud  de  nous  venir  aussy  chicaner  '  ?  »  Ils 

1  II  y  eut  bien  des  gentilshommes  mal  satisfaits  d'elle.  Une 
fois  elle  dit  tout  haut  à  quelqu'un  qui  venoit  de  la  Cour  :  «  Je 
..  vous  asseure  qu'on  a  grand  besoing  de  quelque  rafraischissement, 
..  car  sans  cela  on  mourroit  bientost  icy.  »  H  y  eut  un  gentilhomme 
qui  dit  hautement  qu'il  n'iroit  point  voir  M.  de  Montauzier  tandis  que 
M"'  de  Rambouillet  y  seroit,  et  qu'elle  s'esvanouissoit  quand  elle  en- 
tendoit  un  meschant  mot.  Un  autre,  en  parlant  à  elle,  hésita  long- 
temps sur  le  mot  d'avoine,  avoi?ie,  aveine,  avene.  «  Avoine,  avoine,  » 
dit-il,  «  de  par  tous  les  diables  !  on  ne  sçait  comment  parler  céans.  » 
M"'  de  Rambouillet  trouva  cette  boutade  si  plaisante  qu'elle  Ven 
aima  tousjours  depuis.  M""  de  Montauzier,  dez  qu'elle  voyoit  arriver 
un  gentilhomme,  s'informoit  de  son  nom  et  de  tout  le  reste,  et  à  table 
ou  en  causant,  le  nommoit  par  son  nom,  luy  demandoit  des  nouveUes 
de  sa  famille  -,  cela  les  charmoit.  Sans  elle,  Montauzier  n'auroit  pas  un 
gentilhomme  à  luy.  Il  rompt  en  visière,  si  on  fait  quelque  malpro- 
preté à  table.  Une  fois,  faute  de  sièges,  car  il  y  avoit  bien  des  gens 
dans  la  chambre,  un  gentilhomme,  nommé  l'Angallerie*,  s'assit  sur  la  ,^.f,ij';f^f/^  f^^,; 
table,  sur  laquelle  Montauzier  avoit  le  coude  appuyé.  Cela  ne  plut  pas  i653,  en  rengord. 


532  LES    HISTORIETTES. 

se  plaignirent  encore  de  cela  ;  enfin  la  Cour  en  eut 
vent,  car,  à  cause  de  certains  gens  de  guerre  qu'il 
falloit  faire  vivre  sur  le  pays,  le  Mareschal  preten- 
doit  avoir  sujet  de  n'estre  pas  content  de  M.  de 
Montauzier.  Enfin  cela  s'appaisa. 


LA  PETITE 
MONTAUZIER. 


Parlons  un  peu  de  leur  fille.  Cet  enfant,  car  elle 
sainfe'-'Maure' nfe  «'»  cncoro  cjue  OUZO  aus,  a  dit  de  jolies  choses  dez 
mLrÈ'nmanufiTe  qu'cllc  a  csté  scvréc.   On  amena  un  renard  chez 

Crnssol,  duc  d'Vzès,     ' 

morte n avril mn.  g^j-j  papa;  cc  rouard  estoit  à  M.  de  Grasse.  Dez 
qu'elle  l'apperceût  elle  mit  ses  mains  à  son  collier  ; 
on  luy  demanda  pourquoy  :  «  C'est  de  peur,  »  dit- 
elle,  «  que  le  renard  ne  me  le  vole  :  ils  sont  si  fins 
»  dans  les  Fables  d'Esope.  » 

Quelque  temps  après  on  luy  disoit  :  «  Tenez,  voylà 
»  le  maistre  du  renard  ;  que  vous  en  semble?  »  —  «  Il 
»  me  semble,  »  dit-elle,  «  encore  plus  fin  que  son  re- 
»  nard.  »  Elle  pouvoit  avoir  six  ans  quand  M.  de  Grasse 
luy  demanda  combien  il  y  avoit  que  sa  grande  pou- 
pée avoit  esté  sevrée  :  «  Et  vous,  combien  y  a-t-il  ?  » 
luy  dit-elle,  «  car  vous  n'estes  guères  plus  grand.  » 

à  Monsieur  le  Gouverneur,  mais  il  eut  tort  de  le  chatouiller  comme 

il  fit,  car  après  il  luy  dit  sérieusement  :  «  Vous  avez  le  cul  un  peu 

»  bien  près  de  mon  nez,  et  vous  perdez  le  respect.  »  L'autre  parla 

assez  hardiment;  Montauzier  s'emporte,  appelle  ses  gardes.  «Prenez-le 

»  moy.  »  L'Angallerie,  au  lieu  de  dire  simplement  :  «  Je  cède  à  la  force,» 

met  l'espée  à  la  main.  Il  falloit  périr  en  cette  affaire-là,  et  non  pas  se 

laisser  mener  en  prison  comme  il  fit.  Il  y  fut  quinze  jours. 

sans  doute  celle  qui      — Montauzier  est  un  peu  amoureux  de  Pelloquin*;  mais  M"^  de 

hit  aimée  de  Gaston,  Montauzier  la  fait  bien  soutenir,  la  traitte  bien,  mais  luy  rabat  fort 

duc  de  Uoquelaure.  '  '  •' 

roy.  plus  loin  Hist.  son  caquet  quand  il  le  faut.  C'cstoit  une  fille  à  elle  qu'on  a  mariée 

avec  un  gentilhomme  de  M.  de  Montauzier,  à  qui  on  a  donné  la  lieu- 

tenance  de  Roy  de  la  ville  et  citadelle  de  Xaintes.  Il  s'appelle  la  Grange. 


LA    PETITE    MONTAUZIER.  533 

A  cause  de  la  petite  verolle  de  sa  tante  de  Ram- 
bouillet, on  la  mit  dans  une  maison  là  auprès.  Une 
dame  l'y  fut  voir  :  «  Et  vos  poupées,  Mademoiselle,  » 
luy  dit-elle,  «  les  avez-vous  laissées  dans  le  mauvais 
»  air  2  »  —  «  Pour  les  grandes ,  »  respondit-elle, 
«Madame,  je  ne  les  ay  pas  ostées,  mais  pour  les 
»  petites ,  je  les  ay  amenées  avec  moy.  »  A  propos 
de  poupées,  elle  avoit  peut-estre  sept  ans  quand  la 
petite  des  Réaux*  la  fut  voir;  cette  autre  est  plus  La  mie  de  rameur, 
jeune  de  deux  ans.  M'^''  de  Montauzier  la  vouloit 
traitter  d'enfant,  et  luy  disoit  en  luy  monstrant  ses 
poupées  :  «  Mettons  dormir  celle-là.  » — «  J'entens 
»  bien,  »  disoit  l'autre,  «  ce  qiie  vous  voulez  dire.  — 
»  Non,  tout  de  bon,  »  reprenoit-elle,  «  elles  dorment 
»  effectivement.  —  Yoire  !  je  scay  bien  que  les  pou- 
»  pées  ne  dorment  point,  »  repliquoit  l'autre.  — «  Je 
»  vousasseure  que  si,  qu'elles  dorment,  croyez-moy  ; 
»  il  n'y  a  rien  de  plus  vray.  —  Elles  dorment  donc, 
))  puisque  vous  le  voulez,  »  dit  la  petite  des  Réaux 
avec  un  air  despiton  ;  et  en  sortant  elle  dit  :  «  Je  n'y 
»  veux  plus  retourner,  elle  me  prend  pour  un  enfant.  » 

On  luy  demandoit  laquelle  estoit  la  plus  belle,  de 
M'"'^  de  Longueville,  ou  de  M""'  de  Chastillon  qu'elle 
appelloit  sa  belle  mère.  «  Pour  la  vraye  beauté,  » 
dit-elle,  «  ma  belle  mère  est  la  plus  belle.  » 

Elle  disoit  à  un  gentilhomme  de  son  papa  :  «  Je 
»  ne  veux  pas  seulement  que  vous  me  baisiez  en 
))  imagination.  » 

Elle  faisoit  souvent  un  mesme  conte.  M""=  de  Mon- 
tauzier dit  :  «  Fy  !  fy!  où  avez-vous  appris  cela?  De 


53/|  LES    HISTORIETTES. 

»  qui  le  tient-elle  ?»  —  «  Attendez ,  »  dit  cet  enfant, 
«  ne  seroit-ce  point  de  ma  grand-maman  de  Mon- 
»  tauzier  ?  »  Cela  se  trouva  vray. 

Elle  disoit  qu'elle  vouloit  faire  une  comédie  : 
«  Mais ,  ma  grand-maman  ,  »  adjoustoit-elle ,  «  il 
»  faudra  que  Corneille  y  jette  un  peu  les  yeux  avant 
»  que  nous  la  jouyons.  » 

Un  page  de  son  père,  qui  estoit  fort  sujet  à  boire, 
s' estant  enivré,  le  lendemain  elle  luy  voulut  faire 
des  réprimandes.  «Voyez-vous,»  luy  disoit-elle, 
«  pour  ces  choses-là,  je  suis  tout  comme  mon  papa, 
»  vous  n'y  trouverez  point  de  différence.  » 

«  Ce  Megabase  »  (c'est  M.  de  Montauzier  dans 
Cyrus)  ,  «  quel  homme  est-ce  à  votre  avis  ?  »  luy 
dit  M"'  de  Rambouillet.  —  «  C'est  un  homme 
»  prompt,  »  respondit-elle,  «  mais  il  n'est  rien 
»  meilleur  au  fond  ;  il  est  comme  cela  pour  faire 
»  que  les  gens  soient  comme  il  faut.  » 

On  luy  dit  :  «  Prenez  ce  bouillon  pour  l'amour 
»  de  moy.  —  Je  le  prendray ,  »  dit-elle ,  «  pour 
»  l'amoLir  de  moy,  et  non  pour  l'amour  de  vous.  » 

Un  jour  elle  prit  un  petit  siège  et  se  mit  auprès 
du  lict  de  M"'^  de  Rambouillet.  «  Or  çà,  ma  grand- 
»  maman,  »  dit-elle,  «  parlons  d'affaires  d'estat,  à 
»  cette  heure  que  j'ay  cinq  ans.  »  11  est  vray  qu'en 
ce  temps-l;\  on  ne  parloit  que  de  fronderie. 

M.  de  Nemours,  alors  archevesque  de  Rheims, 
luy  disoit  qu'il  la  vouloit  espouser  :  «  Monsieur,  »  luy 
dit-elle,  «  gardez  vostre  archevesché  :  il  vaut  mieux 
»  que  moy.  » 


LA    PETITE    MONTAUZIER.  535 

Elle  n'avoit  pas  cinq  ans  quand  on  luy  voulut 
faire  tenir  un  enfant.  Le  curé  de  Saint-Germain  la 
refusa,  disant  :  «  Elle  n'a  pas  sept  ans.  —  Interro- 
,.  gez-la,  »  luy  dit-on.  Il  l'interrogea  devant  cent 
personnes;  elle  respondit  fort  asseurement,  il  la 
receût  et  luy  donna  bien  des  louanges. 

Un  jour  qu'elle  estoit  couchée  avec  U"""  de  Ram- 
bouillet, M.  de  Montauzier  la  voulut  taster  :  «  Ar- 
,.  restez-vous,  >.  luy  dit-elle,  «  mon  papa,  les  hommes 
,,  ne  mettent  point  la  main  dans  le  lict  de  ma  grand- 
»  maman.  » 

C'est  la  consolation  de  cette  grand-maman,  quand 
elle  demeure  toute  seule  à  Paris.  A  la  mort  de  M.  de 
Rambouillet,  elle  estoit  fort  touchée  de  la  voir  triste  : 
«Consolez-vous,»  luy  disoit-elle,  «ma  grand-ma- 
,.  man ,  Dieu  le  veut  ;  ne  voulez-vous  pas  ce  que 
).  Dieu  veut?..  D'elle-mesme  elle  s'avisa  de  faire 
dire  des  messes  pour  luy.  «  Ah  !  ..  dit  sa  gouver- 
nante, «  si  vostre  grand-papa,  qui  vous  aimoit  tant, 
,)  sçavoit  cela  !  —  Eh  !  ne  le  sçait-il  pas,  ..  dit-elle, 
«  luy  qui  est  devant  Dieu  '  ?  » 

C'est  dommage  qu'elle  ayt  les  yeux  de  travers, 
car  elle  a  la  raison  bien  droitte;  pour  le  reste,  elle 
est  grande  et  bien  faitte  -. 

1  Elle  n'avoit  guères  que  neuf  ans,  qu'ayant  lu  la  Feste  des  fleurs*,   iiv.^u!'p.39??t  sui"!; 
dans  Cjrus,  elle  s'avisa  d'elle-mesme  d'en  faire  une  représentation  avec   ed.t.on  de  i654. 

les  filles  du  logis  ;  et  lorsque  M""'  de  Rambouillet  ne  sougcoit  à  rien 
moins  qu'à  cela,  cet  enfant  avec  ses  compagnes,  toutes  enguirlandées, 
pour  la  divertir,  luy  vint  jetter  à  ses  pieds  une  grande  monjoye  de 

fleurs. 

2  Elle  s'est  gastée  depuis,  et  pour  l'esprit  et  pour  le  corps.-Au  prni- 


536  LES    HISTORIETTES. 

tomi)s  de  58,  M""'  de  Montauzicr  se  blessa  :  elle  eust  bien  fait  de  n'en 
rien  dire,  car  c'estoit  une  espèce  de  miracle  ;  elle  avoit,  au  compte 
de  sa  mère,  cinquante-quatre  ans.  La  mère  dit  qu'elle  a  accouché  de 
M"""  de  Montauzier  à  seize  ans  :  or,  M"^  de  Rambouillet  nasquit  du- 
rant les  Estats  de  Rlois*.  Cela  est  aysé  :\  calculer  :  cependant  Julie 
eut  la  foiblesse  de  dire  qu'elle  s'estoit  blessée,  afin  de  ne  passer  pas 
pour  si  âgée.  On  en  rit  un  peu  :  M"""  Pilou  ne  trouvoit  nullement  bon 
(lu'elle  eust  dit  cela.  On  a  ouy  dire  céans  à  M""^  de  Montauzier  :  «  Quand 
»  j'estois  en  couches,  ce  printemps.  » 


COMMENTAIRE. 

I.  —  P.  516,  lig.  11. 

On  dit  qu'en  sa  jeunesse  elle  n' estait  point  trop  maigre... 

M""  de  Montauzier  avoit,  en  1657,  quand  des  Réaux  ecrivoit  son 
Historiette,  cinquante-deux  ou  cinquante-trois  ans.  Il  doit  exister  en- 
core aujourd'hui  des  portraits  de  cette  dame  illustre,  soit  à  deux  ou 
trois  crayons,  soit  à  l'huile.  Je  ne  crois  pas  qu'on  en  ait  reconnu,  non 
plus  que  de  gravure  authentique  ;  celui  qu'on  a  joint  au  Clioix  d'orai- 
sons funèbres,  donné  par  Dussault  en  1820,  n'a  aucune  authenticité. 
Mais  si  l'on  vouloit  rai)procher  les  lignes  de  des  Réaux  du  portrait  que 
M""  deScuderya  tracé  danslct'yrM5,on  arriveroit  sans  doute  à  la  décou- 
verte de  quelque  ancien  portrait  de  M"""  de  Montauzier. 

II.  —  P.  517,  lig.  0. 
Aussi  le  faisoil-eltc  bien  soustenir. 

Cette  expression, qui  revient  plusieurs  fois,  etoit  empruntée  au  Ma- 
nège. Elle  le  maintenoit,  elle  lui  tenoit  la  bride  haute.  Le  Mcnagiana 
justifie  assez  bien  ce  passage  de  V Historiette.  «  A  l'hostel  de  Ram- 
»  bouillct,  il  n'y  avoit  que  de  la  galanterie,  et  point  d'amour.  M.  de 
»  Voiture,  donnant  un  jour  la  main  ;\  M'"  de  Rambouillet...,  voulut 
>>  s'émanciper  de  luy  baiser  le  bras  :  M"*  de  Rambouillet  luy  témoigna 
»  si  sérieusement  que  sa  hardiesse  ne  luy  plaisoit  pas  qu'elle  luy  osta 
»  l'envie  de  prendre  une  autre  fois  la  même  liberté.  »  (Tom.  ii,  p.  8.) 

On  lira  de  même  dans  l'Historiette  de  M"*  de  Guimené  :  «  M"*  de 
»  Rohan  soustenoit  bien  le  menton  à  Miossens.  » 

Voici  d'autres  façons  do  parler  qui  ne  sont  plus  dans  le  bon  usage 
de  notre  temps. 

P.  520.  —  Il  M'"*  Aubiy  oloit   fort  propre.  C'est-à-dire  qu'elle  avoit 


MADAME    DE    MONTAUZIER.  537 

du  goût  dans  le  choix  de  ses  habits ,  et  savait  bien  se  mettre,  comme 
on  diroit  aujourd'hui.  Il  ne  faut  pas  entendre  ce  mot,  frétiuemment 
employé,  dans  le  sens  que  nous  lui  donnons.  Par  la  même  raison  une 
femme  mal-propre  etoit  celle  qui  ne  savoit  pas  s'habiller. 

P.  533.  —  «  Un  air  despiton.  »  Despit  se  prenoit  alors  souvent  comme 
adjectif.  «  Il  est  petit,  mais  il  n'est  pas  moins  despit.  »  De  là  le  dimi- 
nutif despiton. 

P.  534.  —  «  Fronderie.  »  Et  non  pas  la  Fronde.,  comme  aujourd'hui. 
De  même  avant  le  xvi*  siècle ,  on  ne  disoit  pas  croisade.,  expression 
espagnole,  mais  croiserie. 

P.  535.  —  <(  Une  grande  monjoie  de  fleurs.  »  Nous  dirions  un  grand 
monceau;  car  montjoie  a  pour  ainsi  dire  le  sens  de  montagne.  Ce  mot, 
qui  a  eu  tant  de  retentissement  dans  notre  vieille  France,  avoit  été  rap- 
porté d'Italie,  au  temps  des  Carlovingiens.  Mons  gaudii  etoit  le  nom 
du  tertre  d'où  les  pèlerins  commençoient  à  découvrir  l'église  et  le 
tombeau  des  Apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul  ;  de  là  les  Montjoies 
artificielles  placées  sur  la  route  de  Saint-Denis,  en  France,  comme  au- 
tant de  stations  pour  ceux  qui  alloient  faire  leurs  offrandes  au  tom- 
beau de  saint  Denis.  De  là  le  nom  d'une  forteresse  construite  par  le  roi 
de  France  près  de  Saint-Denis;  enfin  de  là  le  beau  cri  :  Montjoie 
Saint-Denis! 

P.  536.  —  nElle  se  blessa.»  Nous  avons  aujourd'hui  plus  de  prude- 
rie dans  certains  mots,  plus  de  rudesse  en  d'autres.  5e  blesser  est  ceiv 
taiuement  plus  délicat  que  faire  une  fausse  coiiclie,  et  cela  parce  que 
l'idée  exprimée  ne  se  représente  pas  d'elle-même.  On  pourroit  en 
dire  autant  de  hauts-de-chausse,  qui  valoit  mieux  que  nos  affreuses 
culottes.  Les  femmes  ne  deviennent  plus  grosses  ,  elles  sont  en- 
ceintes, etc., etc. 

m.  —  P.  517,  lig.  27. 

Si  cela  est  et  que  cette  histoire  me  tombe  entre  les  mains,  je  tasche- 
raij  ou  de  la  reformer  o'i  de  la  refaire  tout  de  nouveau. 

On  peut  trouver  notre  auteur  un  peu  bien  sûr  de  lui-même,  quand 
il  parle  ainsi  d'achever  ou  reformer  un  ouvrage  de  M"*  de  Mon- 
tauzier,  déjà  refait  par  Voiture.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  des 
Réaux  passoit  alors  pour  un  excellent  littérateur,  et  qu'il  partageoit 
volontiers  la  bonne  opinion  que  les  autres  avoient  de  lui-môme. 
L'Histoire  de  Zelide  finit  par  tomber  entre  ses  mains,  mais  peut- 
être  seulement  après  qu'on  l'eut  imprimée  ;  il  ne  paroît  pas  l'avoir 
retouchée  le  moins  du  monde.  Seulement,  sur  un  précieux  exemplaire 
que  j'ai  sous  les  yeux,  il  a  écrit:  «M"*  de  R.  ne  sçachant  où  prendre 
»  des   contes  pour   M"*   de   Bourbon,  qui    estoit  bien  jeune   en   ce 


538  LES     HISTORIETTES. 

I)  temps-là,  fit  une  petite  histoire  comme  une  nouvelle  de  Cervantes  : 
»  l'amant  estoit  Alcidalis  et  l'amante  Zelidc.  Voiture  écrivit  cette 
»  avanture,  mais  il  la  négligea;  nous  n'en  avons  que  le  fragment  qui 
»  est  ci-dessous.  »  Cette  note  vient  à  l'occasion  du  passage  suivant  de 
la  lettre  8,  à  M"*  de  Rambouillet  :  «  Je  luy  conteray  »  (à  M.  de  Chau- 
debonne)  «une histoire  plus  agréable  que  celle  d'Heliodore,ctfaitte  par 
))  une  personne  plus  belle  que  Chariclée.  Vous  jugez  bien,  Mademoi- 
»  selle,  que  c'est  celle  de  Zelide  et  à' Alcidalis^  car  il  n'y  en  a  point 
»  d'autre  au  monde  de  qui  cela  se  puisse  dire.  Quelque  stupide  que 
»  je  sois  devenu,  ne  craignez  point  qu'en  la  contant,  je  luy  fasse  rien 
»  perdre  de  sa  beauté  ;  car  dans  tous  mes  maux,  je  me  suis  encore 
»  conservé  la  mémoire  toute  entière,  et  je  croy  qu'elle  me  servira  fide- 
»  lement  quand  ce  sera  pour  vous,  puisque  vous  y  avez  autant  de  part 
»  que  personne. 

IV.  —  P.  518,  lig.  9. 

Ces  lettres,  ce  qui  est  notable,  furent  trouvées  chez  M.  le  cardinal  de  la 
Valette. 

Pour  comprendre  le  «ce  qui  est  notable.,»  il  faut  se  reportera  ce 
que  des  Réaux  a  dit,  tom.  i,  p.  175  et  177,  de  la  passion  du  cardinal 
de  la  ^  alette  pour  Madame  la  Princesse.  Je  n'ai  pas  retrouvé  ces  let- 
tres ;  mais  dans  un  recueil  manuscrit  de  la  Bibliothèque  impériale,  on 
en  conserve  une  que  M"*  de  Rambouillet  écrivit  au  cardinal  de  la  Va- 
lette, en  1637,  et  qui  seroit  curieuse,  môme  si  l'on  ne  songeoit  pas  à 
celle  qui  l'écrivit.  Je  la  donnerai  avec  l'orthographe  originale  : 

«  Monseigneur, 
»  Je  n'oserés  plus  prendre  la  liberté  de  vous  escrire,  si  vous  conti- 
»  nues  à  prendre  la  painc  de  me  faire  response.  J'ay  asés  d'autres 
»  marques  de  votre  sivillité  pour  n'avoir  pas  besoin  de  resevoir  celle- 
»  là;  car  je  say  quelle  ne  vous  peut  estre  qu'incommode  dans  un  tans 
M  où  vous  avez  tant  d'afaires.  J'ay  esté  ravie  d'aprandre  par  M.  Ar- 
»  nault  toutes  les  belles  choses  que  vous  avez  faites,  et  bien  que  je  sois 
»  asurée  qu'elles  seront  un  jour  dans  l'histoire,  je  n'ose  pas  en  parler, 
»  Monseigneur,  de  crainte  que  vous  ne  le  grondiés  de  publier  des 
»  choses  que  vous  prenés  tant  de  soin  à  cacher.  Jel'avés  prié  de  vous 
»  dire  plusieurs  nouvelles  dont  il  ne  s'est  pas  voulu  charger;  car  depuis 
»  que  l'on  fait  le  procès  au  Cid.,  personne  ne  veut  plus  hasarder  de 
»  rien  raconter  quoyque  vray,  si  n'est  aussy  vraisemblable  :  car  c'est 
»  un  des  principaux  chefs  pour  lequel  on  pandera  le  malheureux.  Ses 
»  autres  crimes  sont  asés  ordinaires;  car  on  ne  l'acuse,  outre  sela,  que 
»  d'avoir  fait  de  mauvais  vers.  C'estoit  isy  une  de  mes  nouvelles.  Les 


MADAME    DE    MONTAUZIER.  539 

»  autres  ne  sont  pas  moins  estranges,  car  M"*  Aubery  a  une  querelle 
»  avec  M.  le  cardinal  de  Richelieu  ;  tous  ses  amis  sont  empeschés  à  la 
»  racomoder.  M.  le  mareschal  de  Rrezé  a,  ce  dit-on,  un  lièvre  qui  le 
»  suit  partout  et  que  personne  ne  soroit  prendre.  \  oiture  a  quitté  tous 
»  ses  divertissemens  pour  jouer  du  psalterion,  parse  que  sela  plaist 
»  à  Madame  la  D...  Apres  des  choses  sy  extraordinaires,  soufrés  que 
»  je  vous  en  die  une  qui  n'est  point  de  se  genre,  mais  je  ne  puis  finir 
»  ma  lettre  que  par  des  vœux  pour  votre  conservation,  et  par  les  assu- 
»  rauces  que  je  vous  ay  donné  toute  ma  vie  d'estre, 
»  Monseigneur, 

»  Vostre  très-humble  et  très-obéissante  et  obligée  servante, 

jj  *** 

»  Mon  père,  ma  mère  et  M.  de  Chaudebonne  vous  baise  très-humble- 
»  ment  les  mains  et  vous  sont  aussy  acquis  que  personne  du  monde.  » 

Les  allusions  renfermées  dans  cette  lettre  en  indiquent  la  date: 
elle  est  de  1637,  quand  tout  Paris  et  l'hôtel  de  Rambouillet  en 
particulier  avoient  «  pour  Chimene  les  yeux  de  Rodrigue.  »  Le  cardinal 
delà  Valette  etoit  à  l'armée  des  Pays-bas,  ilvenoit  de  prendre  Lan- 
drecy,  ou  etoit  sur  le  point  de  la  prendre.  J'ignore  quelle  etoit  la 
querelle  de  M"*^  Aubery  avec  le  cardinal  de  Richelieu,  mais  nous  verrons 
un  peu  plus  loin  les  relations  de  la  femme  et  de  la  fille  du  conseiller 
Aubery  avec  l'hôtel  Rambouillet.  Cette  lettre,  après  tout,  fait  bien 
juger  de  l'esprit  et  du  style  de  Julie  d'Angennes,  qui,  en  1637,  avoit 
environ  trente  ans.  M.  Cousin  en  a  publié  trois  autres,  au  moins  par 
fragmens,  adressées  à  la  marquise  de  Sabl'^,  et  qu'il  avoit  reconnues 
dans  les  manuscrits  de  Conrart  à  l'Arsenal.  {Revue  des  Deux-Mondes, 
Janvier  1854.) 

V.  —  P.  520,  lig.  16. 

jfpae  dg  jiambouillel,  comme  on  voit  dahs  les  lettres  de  Voiltire.  nomme 
son  tourment  l'enfer  d'Anastarax. 

Anastarax,  dans  les  livres  viii  et  ix  à'Amadis^  est  le  frère  de  la  belle 
Niquée.  Embrasé  d'amour  pour  sa  sœur,  il  fut  condamné  par  les  en- 
chantemens  de  Zirfée,  sa  tante,  à  un  enfer  qui  ne  devoit  finir  et  ne 
finit  en  eifet  qu'au  moment  où  il  devint  amoureux  de  la  belle  Sylvie. 
Voiture,  dans  la  soixante-troisième  lettre,  adressée  à  M"*  de  Rambouil- 
let :  «Je  remercie  très-humblement  la  sage  enchanteresse  qui  m'a  fait 
»  entendre  VAva7iture  d'Anastarax.  Je  ne  croy  pas  qu'il  y  ait  jamais 
»  rien  de  si  horrible  que  doit  estreson  enfer,  et  je  m'imagine  d'y  voir 
»  Cerbère,  les  trois  Furies  et  toutes  leurs  couleuvres  en  une  seule  per- 
»  sonne.  Mais  quel  personnage  joue  la  pauvre  ***  (M"^  d'Attichy)  parmy 


5ll0  LES    UISTORIETTES. 

))  tous  ces  damnés.  »  Et  des  Réaux  a  écrit  cette  note  sur  son  exem- 
plaire :  «  V Enfer  d'Anastarax  ;  les  peines  où  les  bizarreries  de  M""*  Aubry 
»  mettoient  M.  de  Montauzier.  » 

Des  Hcaux  a  reproduit  avec  un  peu  plus  d'étendue  l'anecdote  de 
M"^  Aubery,  dans  une  autre  note  de  la  cinquantième  lettre  de  Voiture  : 
«  Il  faut,  »  dit-il ,  «  sçavoir  qu'un  soir.  M""*  de  Rambouillet  et  trois  ou 
»  quatre  auti'cs  se  mirent  à  écrire  des  vers  à  M""  Aubry ,  et  pour  la 
»  mettre  en  peine,  sachant  qu'elle  s'alarmoit  aisément,  il  les  luy  cn- 
»  voycrent  à  deux  heures  après  minuit.  D'autre  costé.  M™"  Aubry  prit 
»  tout  cela  de  travers,  disant  qu'on  s'estoit  voulu  mocqucr  d'elle,  à 
»  cause  qu'il  y  avoit  dans  cette  epistrc  une  description  de  sa  beauté 
»  en  stile  bouffon.  Entre  autres  choses ,  ou  y  louoit  son  menton,  et 
»  on  disoit  : 

Car  il  en  i-st  peu  île  beaux, 
Uef^ardez  cil  de  Biiiaux. 

»  C'estoit  un  gentilhomme  du  cardinal  la  Valette  qui  avoit  un  menton 
»  large,  à  créneaux.  Or,  dans  cette  colore  elle  deffcndit  à  M.  de  Mon- 
»  tauzier  d'aller  à  l'hostel  de  Rambouillet.  Il  estoit  amoureux  d'elle 
»  quoy  qu'on  apparence  il  rechcrchast  sa  iille.  M.  de  Montauzier  ne 
»  laissa  pas  d'aller  on  cachette  à  l'hostel  de  Rambouillet.  Là  M.  Go- 
»  deau  luy  dit  :  Soyez  le  champion  de  M""  Aubry,  et  moy  qui  suis  le 
»  nain  de  la  princesse  Julie,  je  me  battray  contre  vous.  —  En  disant 
»  cela,  il  sauta  en  riant  à  l'espée  de  M.  de  Montauzier  et  la  tira  du 
»  fourreau.  » 

Voiture  a  fait  sa  lettre  soixante-onzième,  à  l'occasion  de  la  mort  de 
cette  pauvre  M""*  Aubery,  que  M""  de  Rambouillet  avoient  tant  persé- 
cutée, peut-être  dans  l'intention  assez  peu  héroïque  de  lui  enlever  son 
amant  :  «  Ce  m'est ,  »  dit  Voiture,  «  une  extresme  consolation  d'ap- 
»  prendre  qu'elle  a  eu  à  sa  mort  les  seules  bonnes  qualités  qui  luy 
1)  avoient  manqué  durant  sa  vie,  et  qu'elle  a  sceû  si  à  propos  trouver 
»  de  la  resolution  et  du  courage.  Certes,  quand  j'y  songe  bien,  je  fais 
»  conscience  de  la  regretter  et...  d'cstre  triste  de  ce  qu'elle  nous  a 
»  quittez  pour  estre  mieux,  et  qu'elle  est  allée  trouver  en  l'autre  monde 
»  le  repos  qu'elle  n'a  jamais  eu  en  celuy-cy.  » 

Je  crois  que  c'est  de  M"*  Aubery  et  de  sa  fille  que  Scarron  parle 
»  d'une  façon  rancunière  dans  sa  légende  de  Bourbon,  de  16^2: 

rrez  ma  chambre,  en  mesme  montée, 
Cerlaiue  dame  estoit  hutée 
Dont  le  nom  se  termine  en  ry. 
Alors  que  j'y  pense,  j'en  ry. 
Elle  avoit  sa  fille  amenée, 
De  mille  affiquets  atournee, 
Adroicte  et  fort  bien  à  cheval, 
Ivt  qui  n'escrimoit  pas  trop  mal. 


MONTAUZIER    l'AISNÉ.  541 

Elle  avoit  lu  Cid  et  Chimène, 
Tlieophile  et  la  Polixène, 
Et  depuis  quelques  jours  en  ca , 
Un  peu  de  l'illustre  Bassa. 
Entîn,  cette  jeune  merveille. 
Principalement  par  l'oreille, 
Resseinbloit,  ou  bien  peu  s'en  faut. 
A  la  divine  Chemeraut. 
Vous  eussiez  dit  que  c'estoit  elle. 
Sinon  qu'elle  n'estoit  pas  belle. 
Et  n'avoit  pas  beaucoup  d'esprit. 
Mais  qui  ne  Ta  grand  l'a  petit,  etc. 

VI.  —P.  521,  note  2. 

.V"'  de  la  Coste. 

C'est  elle,  je  pense,  que  Loret  a  nommée  dans  la  mise  historique 
du  26  novembre  1650  : 

Un  courtisan  souvent  acoste 
Mademoiselle  de  la  Coste; 
Et  plusieurs  veulent  parier 
Qu'il  se  va  bientost  marier 
Avec  cette  grande  pucelle, 
Autrefois  fort  jeune  et  fort  belle. 

Je  ne  suis  pas  bien  sûr  que  M.  Cousin  ait  eu  jusqu'à  présent  connois- 
sance  de  ces  premières  amours  de  M'"^  de  Bourbon  avec  M.  de  Montau- 
zier  l'aîné. 

On  trouve  dans  le  Recueil  de  Sercy,  Première  partie,  1660,  p.  liOO,  un 
sonnet  assez  médiocre  sur  la  mort  du  marquis  de  Montauzier,  <(  le  pre- 
»  mier  qui  ait  pris  la  perruque.  »  —  Godeau,  le  nain  de  la  princesse 
Julie,  a  adressé  au  deuxième  Montauzier  une  consolation  ,  imprimée 
dans  ses  Poésies  Chrétiennes  et  morales.  Paris,  1663.  A  propos  de  cette 
belle  ambition  qui  l'eût  facilement  décidé  à  laisser  pendre  son  meilleur 
ami ,  si  cette  pendaison  eût  pu  lui  donner  une  couronne,  disposition 
que,  pour  le  dire  en  passant,  il  a  partagée  avec  beaucoup  d'autres 
gens  de  bien,  témoin  ces  vers  d'Euripide  rapportés  dans  Plutarque  : 

S'il  faut  estre  meschant,  soys-le  pour  estre  roy; 
Mais,  du  reste,  soys  juste  et  vis  selon  la  loy. 

Voiture  ecrivoit  de  Lisbonne  ,   le  22  novembre  1633  ,  au  marquis  de 
Montauzier  : 

«  J'ay  leu  vostre  lettre  avec  tout  le  contentement  et  la  satisfaction 
»  que  l'on  doit  recevoir  cet  bonneur  d'un  des  plus  paresseux  et  des 
»  plus  honnestes  liommes  du  monde.  Il  me  semble  qu'il  n'y  a  plus 
»  rien  que  je  doive  attendre  de  vostre  amitié...  Il  me  desplait  seule- 
»  ment  qu'avec  toute  cette  tendresse  que  vous  me  tesmoignez ,  il  y  a 


542  LES    HISTORIETTES. 

»  quelque  occasion  pour  laquelle  vous  voudriez  que  je  fusse  pendu.  A 
»  dire  le  vray,  Monsieur,  il  me  semble  que  c'est  quelque  desfaut  dans 
»  l'affection  que  vous  me  portez,  et  je  croy  que,  sans  estre  trop 
»  pointilleux  ,  je  le  pourrois  trouver  mauvais.  Toutefois  ,  je  pardon- 
»  nerois  plus  aisément  cet  outrage  à,  la  fortune,  que  celuy  qu'elle  vous 
M  fait  de  ne  vous  pas  accorder  ce  qui  vous  est  den,  et  de  vous  refuser 
Roid'Vvetot.//istor.  »  un  titre  qu'elle  a  accordé  à  M.  de  Bellay  *.  Mais  puisque  la  chose 
»  ne  dépend  pas  de  là,  et  que  je  pourrois  avoir  cent  couronnes  de 
»  martyr,  sans  que  cela  vous  en  donnast  une  de  souverain,  il  en  faut 
»  chercher  par  un  autre  chemin,  et  sans  qu'il  en  couste  la  vie  à  pas 
»  un  de  vos  amis.  Je  vous  assure  qu'en  courant  tant  de  differens 
»  royaumes,  je  songe  tousjours  à  vous ,  et  je  tasche  à  former  quelque 
»  dessein  que  vous  puissiez  un  jour  exécuter.  Il  y  a  quelque  temps  que 
»  j'en  vis  sept  tout  d'une  veûe,  dont  il  y  en  avoit  quatre  en  Afrique, 
»  lesquels  c'est  dommage  que  vous  laissiez  entre  les  mains  des 
»  Maures,  etc.  » 

VIL—  P.  522,  lig.20. 

Dez  te  temps  du  Roy  de  Suéde,  il  avoit  commencé  à  travailler  à  la 
Guirlande  de  Julie. 

C'est-à-dire,  vers  1632,  époque  de  la  belle  lettre  que  Voiture  écrivit 
à  M"*  de  Rambouillet,  sous  le  nom  de  Gustave  Adolphe.  «  M"*  de 
»  Rambouillet,  »  remarque  des  Réaux,  à  la  suite  de  cette  lettre, 
«  ayant  tesmoigné  en  plusieurs  rencontres  qu'elle  admiroit  le  roy 
»  de  Suéde,  et  qu'elle  s'informoit  tousjours  de  ses  succez,  on  luy 
»  faisoit  la  guerre  qu'elle  l'aimoit.  Un  jour  elle  alla  à  l'hostel  de 
»  Condé  avec  un  nœud  de  diamans  que  le  roy  d'Espagne  avoit 
»  donné  à  M.  de  Rambouillet,  en  son  ambassade  :  M""  de  Chas- 
»  teauroux  y  estoit  qui,  préoccupée  du  bruit  de  cet  amour,  alla  s'ima- 
»  giner  qu'on  avoit  dit  que  c'estoit  le  roy  de  Suéde  qui  avoit  fait 
»  ce  présent.  On  rit  fort  de  cette  beveûe,  et  Voiture,  qui  le  sceût,  fit 
»  travestir  cinq  ou  six  hommes  en  Suédois,  qui  vinrent  en  carrosse  à 
»  l'hostel  de  Rambouillet ,  présenter  le  portraict  du  roy  de  Suéde  et 
»  cette  lettre  aux  ambassadeurs  envoyez  par  ce  prince.  » 

Il  seroit  assez  piquant  de  rapprocher  les  vers  de  Montauzier  de 
tout  ce  qu'on  a  dit  pour  faire  reconnoître  l'original  du  Misantlirope  en 
lui.  Ménage,  dans  le  commentaire  de  Malherbe,  cite  un  sonnet  qu'il 
admiroit  beaucoup,  et  qui  n'est  pas  mauvais  en  effet  pour  des  vers  de 
grand  seigneur  : 

Aimez,  servez,  biuslez  avecques  patience. 
Ne  murmurez  jamais  contre  vostie  tourment, 
Et  ne  vous  lassez  point  de  souffrir  constamment; 
Il  n'est  rien  qui  ne  cède  A  la  persévérance. 


M.    DE    MOIVTAUZIER.  543 

Si  vous  estes  troublé  de  la  vaine  créance 
Qu'on  a  beaucoup  de  mal  et  peu  d'allégement. 
Apprenez  qu'il  n'est  point  de  tel  coutentement 
Que  de  voir  à  la  fin  triompher  sa  constance. 

Lorsqu'ime  belle  main  daigne  essuyer  vos  pleurs. 
Un  moment  de  plaisir  paye  un  an  de  douleurs  ; 
Le  repos  est  plus  doux  qui  vient  après  la  peine; 

Pour  estre  bien  aimé,  soyez  bien  amoureux, 
Mesprisez  le  mespris  et  surmontez  la  hayne. 
Enfin,  soyez  constant,  et  vous  serez  heureux. 

Pour  la  Guirlande  de  Julie,  c'est,  comme  on  sait,  le  chef-d'œuvre  de 
Jarry.  Elle  appartenoit  dans  le  siècle  dernier  au  duc  de  la  Valliere  ; 
on  l'adjugea  à  la  vente  de  ce  fameux  amateur  pour  la  somme  de 
quatorze  mille  cinq  cent  dix  francs,  et  pour  le  compte  de  M"*  de 
Chatillon,  fille  unique  du  duc  de  la  Valliere.  M"'  la  duchesse  d'Uzès, 
fille  de  M"'  de  Chatillon  ,  morte  en  1840,  l'a  léguée  à  M.  le  duc  d'Uzès, 
son  petit-fils,  descendant  en  ligne  directe  de  «  la  petite  Montauzier.  » 
Un  second  manuscrit  de  la  Guirlande,  également  écrit  par  Jarry,  mais 
sans  ornemens,  etoit  dans  le  cabinet  de  MM.  de  Bure  frères  ;  Guil- 
laume de  Bure,  le  père,  l'avoit  acquis  pour  la  somme  de  quatre  cent 
six  francs.  Il  vient  d'être  vendu  deux  mille  neuf  cents  francs  à  M.  le  mar- 
quis de  Sainte-Maure-Montauzier,  dernier  rejeton  de  la  grande  maison  de 
Sainte-Maure.  Ainsi  les  deux  volumes  originaux  de  cette  «  illustre  ga- 
»  lanterie,  »  appartiennent  encore  aujourd'hui  aux  héritiers  ou  descen- 
dants du  duc  et  de  la  duchesse  de  Montauzier.  C'est  d'après  le  deuxième 
manuscrit  que  fut  imprimée  l'édition  de  Didot,  1784. 

Voici  le  madrigal  du  marquis  de  Rambouillet  le  père,  dans  la  Guir- 
lande de  Julie  : 

l'hyacixthe. 

Je  n'ay  plus  de  regret  ft  ces  armes  fameuses 

Dont  l'injuste  refus  précipita  mon  sort  : 

Si  je  n'iiy  possédé  ces  marques  glorieuses, 

Un  destin  plus  heureux  m'accompagne  à  la  mort; 

Le  sang  que  j'ay  verse  d'une  illustre  folie, 

A  fait  naistre  une  fleur  qui  couronne  Julie. 

Dans  l'édition  de  Didot,  ces  vers  sont  attribués  au  marquis  de  Racan; 
Mais  il  vaut  mieux  s'en  rapporter  à  des  Réaux  qui  lui-même  avoit 
placé  une  fleur  dans  la  Guirlande.  Dans  le  manuscrit  de  M.  de  Bure, 
la  table  des  pièces  donne  au  mot  Hyacinthe  les  initiales  du  nom  de 
l'auteur  :  {M.  L.  M.  de  R.).  Dans  le  texte  de  Sercy  {Second  Recueil,  1662, 
p.  23ô),  le  premier  madrigal  de  Y Uyacintlie  est  anonyme;  mais  les  pré- 
cédentes initiales  se  trouvent  dans  la  première  édition  régulière  de 
la  Guirlande,  donnée  en  1729,  par  le  Père  Petit,  à  la  suite  de  la  Vie 
du  duc  de  Montauzier.  C'est  Gaignières,  l'auteur  d'une  Notice  sur  la 


bllli  LES    HISTORIETTES. 

Guirlande  de  Julie,  ((ui  traduisit  le  premier  ces  initiales  par  M.  le  mar 
quis  de  Racan;  et  de  là  l'erreur  de  l'édition  de  178/i,  répétée  dans  la 
jolie  réimpression  de  1825,  dirigée  par  M.  Charles  Nodier. 


VIII.  —  P.  525,  lig.  2. 

//  n'y  a  gucres  de  femme  qui  y  soit  plus  propre  (à  la  charge  de  Dame 
d'honneur). 

Elle  finit  par  l'obtenir  en  166^i,  après  avoir  été  nommée  gouvernante 
des  Enfans  de  France,  peu  de  temps  après  le  mariage  du  Roi.  Comme 
dame  d'honneur,  elle  remplaça  M""*  de  Navailles,  disgraciée  pour  avoir 
tenté  de  faire  quelques  observations  au  Roy  sur  ses  amours  avec  la 
Vallicre.  Mademoiselle  écrit  :  «  La  charge  de  dame  d'honneur  fut 
»  achetée  par  M""  de  Montauzier,  qui  a  été  jusqu'à  sa  mort  auprès  de 
))  la  Reyne,  à  quoy  elle  estoit  plus  propre  que  M""  de  Navailles,  et  qui 
»  a  gouverné  M.  le  Dauphin,  C'cstoit  une  femme  d'un  grand  esprit, 
»  qui  avoit  de  la  politesse  et  qui  se  connoissoit  le  mieux  en  tout. 
»  Aussi  les  fonctions  les  plus  élevées  estoient  mieux  de  la  portée 
»  de  son  esprit  que  le  choix  du  laict  des  nourrices  et  que  le  jargon 
»  qu'il  faut  avoir  pour  élever  des  enfans.  »  {Mémoires^  v,  p.  98.)  M°"de 
Motteville  met  quelques  restrictions  à  ces  éloges  :  «  Elle  devoit  estre 
»  agréable  au  Roy,  non-seulement  parce  qu'elle  avoit  de  belles  qua- 
»  lités,  mais  parce  que  son  esprit  estoit  plus  occupé  du  désir  de  plaire 
»  et  de  jouir  icy-bas  de  la  faveur,  que  des  austères  douceurs  qui,  par 
n  des  maximes  chrétiennes,  nous  promettent  les  félicités  éternelles.  » 
(v,  p.  233.)  Et  les  lignes  écrites  un  peu  plus  loin  justifient  ce  premier 
jugement  :  «Un  jour  que  la  Reyne-mère  estoit  malade,  le  Roy  eust  la 
»  hardiesse  de  la  venir  voir  accompagné  de  M""  de  la  Vallicre,  sa  nou- 
»  velle  maistrcsse.  Anne  d'Autriche  rougit,  mais  ne  se  plaignit  pas,  ce 
»  qui  surprit  toute  la  Cour  et  enchanta  le  Roy.  M"''  de  Montauzier 
»  rencontrant  le  lendemain  M""*  de  Motteville  :  Voyez-vous,  lu.i  dit-elle, 
»  la  Reyne-mère  a  fait  une  action  admirable  d'avoir  voulu  voir  la 
u  Valliere.  Voilà  le  tour  d'une  tres-habile  femme  et  d'une  bonne  poii- 
»  tique.  Mais  elle  est  si  foible  que  nous  ne  pouvons  pas  espérer  qu'elle 
»  soutienne  cette  action  comme  elle  devroit.  »  Plus  loin  c'est  le  tour 
d'Alceste-Montauzier,  au  fond  le  plus  flatteur  des  courtisans  :  la  Reine- 
mère  ayant  témoigné  un  certain  mécontentement  d'avoir  vu  M""*  de 
Brancas  donner  le  mauvais  exemple  de  paroître  dans  le  monde  avec 
M""  de  la  Vallicre.  «  Vrayment ,  dit  Montauzier,  la  Reync-mcre  est 
»  bien  plaisante  d'avoir  trouvé  mauvais  que  M"^  de  Brancas  eust  de 
»  la  complaisance  pour  le  Roy.  Si  elle  estoit  habile  et  sage,  elle  devroit 
»  estre  bien  aise  que  le  Roy  fust  amoureux  de  M"^  de  Brancas  ;  car 
»  estant  fille  d'un  homme  qui  est  à  elle,  luy,  sa  femme  et  sa  fille,  luy 


MONTAUZIER    l'AISNÉ.  545 

«  rendroient  de  bons  offices  auprès  du  Roy.  —  Sur  ce  principe ,  » 
ajoute  la  bonne  et,  fidèle  Motteville,  «  je  laisse  aux  casuistcs  à.  décider 
»  de  la  qualité  des  sentimens  de  M.  et  de  M"'  de  Montauzier.  » 
(Mémoires,  v,  p.  2ii9.) 

IX.  —  P.  527,  lig.  6. 
Elle  monte  en  catrosse  en  dessein  d'aller  voltiger  autour  de  Ruel. 

La  Mesnardiere,  qui  accompagnoit  la  Marquise  dans  cette  prome- 
nade, en  a  raconté  les  circonstances  dans  une  epître  en  vers  :  Avanture 
de  M™*  la  marquise  de  Sablé.  A  /)/■"«  la  marquise  de  Montauzier,  estant 
à  Ruel,  quelques  jours  avant  son  mariage.  Des  Réaux  a  môme  emprunté 
au  badinage  de  la  Mesnardiere  ce  qu'il  dit  de  l'aveuture. 

X.  _  P.  528,  lig.  22. 
C'est  un  homme  tout  d'une  pièce. 

Bourru  avec  tout  le  monde  et  complaisant  avec  le  Roi ,  tel  est  en  ré- 
sumé le  caractère  de  Montauzier.  Bussy-Rabutin  ecrivoit  à  M"*  de 
Toulongeon,  le  28  avril  1690  :  «  M.  de  Montauzier  n'est  pas  encore  mcfrt, 
M  il  y  a  dix  jours  qu'il  est  à  Tagonie.  Il  est  abandonné  des  médecins, 
»  et  ses  parens  mômes  ne  le  voyent  plus.  Vous  savez,  ma  chère  sœur, 
»  qu'il  a  disputé  toute  sa  vie  contre  tout  le  monde  ;  à  présent  qu'il  ne 
»  voit  plus  personne  il  dispute  contre  la  mort.  Deux  ou  trois  jours 
»  avant  qu'il  fust  à  l'extrémité,  M""'  Cornuel  l'estant  allé  voir,  il  Juy 
»  manda  par  un  gentilhomme  qu'il  la  piioit  de  l'excuser,  et  qu'il  ne 
»  voyoit  plus  de  femmes.  Elle  répondit  à  l'envoyé  :  Je  vous  prie  de 
»  dire  à  M.  de  Montauzier  que  ny  luy  ny  moy  n'avons  plus  de  sexe.  » 

Somaize,  dans  le  Grand  dictionnaire  des  Pretieuses,  Paris,  1661, 
toui.  II,  p.  29,  a  fait  en  peu  de  lignes  l'éloge  assez  banal  de  M.  et  de 
M"''  de  Montauzier,  sous  le  nom  de  Menalidus  et  Menalide.  —  Le 
portrait  de  M"^  de  Montauzier,  dans  le  Cyrus ,  toni.  vu,  p.  268,  est 
plus  vrai,  parce  qu'il  est  moins  flatté;  mais  je  craindrois,  en  le  citant, 
de  trop  grossir  ces  notes.  J'aime  mieux  renvoyer  aux  excellentes  pages 
(|ue  M.  le  comte  de  Laborde  a  consacrées  aux  principaux  hôtels  de  Pa- 
ris, particulièrement  à  l'hôtel  de  Rambouillet  et  au  Palais  Mazarin.  Les 
belles  études  de  M.  Victor  Cousin  sur  le  caractère,  les  sentimens  et  les 
pensées  de  toutes  les  femmes  remarquables  du  xvii*  siècle  sont  un  autre 
commentaire  de  nos  dernières  Historiettes.  Qui  ne  connoît  l'admirable 
talent  de  M.  Cousin  pour  pénétrer  le  secret  des  correspondances  am- 
biguës, et  pour  saisir  l'intention  vraie  des  billets  les  plus  insignifians  en 
apparence?  Je  vais  pourtant  lui  faire  un  gros  reproche.  Certes,  on  ne 
11.  35 


546  LES    HISTORIETTES. 

peut  lui  demander  une  impai-tialité  complète  :  l'âme  de  M°"  de  Longue- 
ville  est  passée  dans  la  sienne,  et  les  ennemis  de  la  Princesse  sont 
encore  les  siens,  en  dépit  des  austérités  de  Port-Royal.  Je  conçois  la 
vivacité  de  ses  représailles  contre  M""*  de  Montbazon  et  M"""  de  Chas- 
tillon,  contre  le  coupable  la  Rochefoucault  :  mais  je  no  comprends  pas 
qu'il  enveloppe  l'auteur  des  Historiettes  dans  la  mùme  réprobation. 
Des  Réaux  avoit  eu  la  prudence  de  prononcer  très-rarement  le  nom  de 
M""*  de  Longuevillc  :  il  avoit  toujours  parlé  d'elle  avec  une  sorte  d'in- 
différence ,  sans  malice ,  sans  amertume  ;  et  sans  doute  on  ne  lui  fait 
pas  un  crime  de  sa  froideur.  D'un  autre  côté,  M.  Cousin  marche 
volontiers  sous  l'escorte  des  Historiettes  :  il  les  a  lues  le  crayon  à  la 
main  ;  il  leur  doit  bonne  partie  des  choses  nouvelles  qui  touchent  k  ses 
héroïnes  secondaires  ;  portraits  de  l'àme  et  du  corps,  habitudes  de  mai- 
son, signes  particuliers,  qualités  distinctives;  sans  les  Ilisioricttes,  il 
auroit  moins  senti  le  charme  et  l'agrément  de  la  société  françoise  au 
xviie  siècle.  Comment  donc  l'éminent  écrivain  n'a-t-il  pour  notre  des 
Réaux  que  de  blessantes  paroles?  A  l'entendre,  ce  n'est  qu'un  bavard, 
un  menteur,  un  méchant  compilateur  de  scandales.  Un  bavard,  soit  : 
mais  n'a-t-on  pas  trouvé  le  secret  de  délayer  agréablement  son  bavar- 
dage ?  Un  menteur  :  mais  ce  menteur  n'est-il  pas  constamment  surpris 
en  flagrant  délit  de  sincérité  7  Que  ne  dit-il  pas  !  Mon  Dieu,  peu  de 
choses  qu'on  ne  sente  le  besoin  de  redire.  Des  Réaux  ne  se  donne  pas, 
après  tout,  pour  un  laudateur,  un  apologiste  de  profession  ;  il  ne  fait 
pas  poser  ses  modèles  ;  il  les  reproduit  comme  il  les  trouve,  sans  don- 
ner au  buste  la  préférence  sur  les  autres  parties  de  la  figure.  Cepen- 
dant, voyez  un  peu  l'injustice  de  M.  Cousin  :  si  des  Réaux  blâme,  c'est 
un  médisant  ;  et  s'il  approuve,  la  force  de  la  vérité  lui  arrache  autant 
d'aveux  involontaires.  Au  moins  devroit-on  convenir  que  la  vérité  n'a 
pas  la  même  force  sur  tous  :  et  puis,  qui  pouvoit  l'obliger  à  consigner 
tant  de  cliarmans  souvenirs,  dont  les  autres  contemporains  avoient 
négligé  de  parler  1  Mais ,  soit  qu'il  loue  les  gens,  soit  qu'il  les  gour- 
mande ,  des  Réaux  les  représente  comme  il  les  a  vus,  et  nous  devons 
lui  en  savoir  gré ,  loin  de  trouver,  jusque  dans  ses  meilleures  confiden- 
ces, une  occasion  de  l'injurier.  Quand  l'organiste  de  Saint-Eiistache 
ou  de  la  Madeleine  inonde  son  église  de  torrens  d'harmonie,  va-t-il 
s'interrompre  pour  monter  une  autre  gamme  à  l'iiounête  souffleur,  dont 
les  efforts  ont ,  comme  on  dit ,  répandu  l'âme  dans  tous  les  jeux  de 
l'appareil?  Des  Réaux  est  un  bon  souffleur  littéraire,  il  mérite  donc  bien 
de  ceux  dont  il  entretient  l'éloquence  ;  quant  à  moi ,  son  humble  édi- 
teur, je  fais  en  général  à  ses  torts  une  part  assez  large  pour  avoir  droit 
de  le  défendre  quand  on  l'accuse  avec  injustice.  Ce  n'est  pas  un  menteur; 
ce  n'est  pas  un  satirique  impitoyable.  Comparez  ses  Historiettes  aux 
Mémoires  les  mieux  autorisés ,  aux  Correspondances  les  plus  intimes  : 


MONTAUZIER   L'AISNÉ.  547 

vous  le  trouverez  constamment  vrai,  sincère  et  le  mieux  informé.  S'il 
trace  un  portrait  avant  la  Bruyère  ou  Saint-Simon,  il  évite  l'exagération 
de  l'mi  et  la  partialité  de  l'autre  :  il  n'insulte  pas  la  Cour  et  la  noblesse 
parce  qu'il  est  roturier,  la  ville  et  la  roture  parce  qu'il  tient  du  gentil- 
homme>  l'Église  et  les  dévots  parce  qu'il  est  de  la  secte  protestante  : 
enfin  il  est  incomparable  pour  la  liberté  d'esprit,  la  francbise  de  senti- 
mens  et  d'allure.  Il  faut  donc  le  proclamer  anecdolicr,  comme  etoit 
fablicr  ce  «  garçon  de  belles-lettres  nommé  la  Fontaine.  »  Cependant, 
au  dire  d'cxcellens  critiques  (de  M.  Cuvillier-Fleury  lui-môme,  qui 
d'ailleurs  a  si  bien  compris  le  mérite  des  Historiettes)^  c'etoit  un  petit 
bourgeois,  rarement  admis  dans  les  belles  assemblées  :  je  réponds  que 
par  ses  oncles  et  ses  frères,  par  ses  alliances  et  son  état  de  maison, 
surtout  par  son  esprit  singulièrement  littéraire,  des  Réaux  etoit  un  des 
hommes  de  son  temps  les  plus  estimés  et  les  plus  recherchés.  Il  vivoit 
dans  l'intimité  du  cardinal  de  Retz,  de  Patru,  de  Ménage  et  de  M""  de 
Rambouillet  ;  le  moyen  d'être  mieux  placé  pour  tout  voir,  tout  observer, 
tout  entendre  et  tout  redire  ! 

Je  ne  suis  doue  pas  surpris  que  M.  Cousin,  dans  les  excellentes  études 
qu'il  a  faites  sur  la  société  du  xvii'=  siècle,  n'ait  cessé  d'alléguer  Talle- 
mant  des  Réaux  :  mais  j'aurois  voulu  qu'il  laissât  percer  plus  clairement, 
à  l'égard  de  mon  auteur,  l'expression  de  sa  reconuoissance.  Au  lieu  de 
cela,  et  par  une  sorte  de  gageure,  il  ne  lui  arrive  jamais  de  lui  emprunter 
la  moindre  chose  sans  le  gratifier  d'une  invective  nouvelle.  Mais,  par  une 
autre  rencontre  singulière,  ce  bavard  de  Tallemant  dit  alors  précisément 
ce  qu'il  falloit  dire  ;  ce  menteur  redresse  l'erreur  des  autres,  ce  médisant 
prodigue  les  mots  charmans,  les  traits  d'esprit  et  d'une  obsei-vation  déli- 
cate. S'il  mérite,  au  bout  du  compte,  tous  les  reproches  qu'on  lui  adresse, 
ne  vaudroit-il  pas  mieux  éviter  de  suivre  un  guide  aussi  compromettant? 
Essayez  un  peu  de  marcher  seul  ;  voyons  :  vous  avez  les  Portefeuilles  du 
médecin  de  M°"^  de  Sablé ,  ils  vous  suffiront  sans  doute.  Sérieusement, 
tous  tant  que  nous  sommes,  nous  y  perdrions  beaucoup  trop  :  les  pe- 
tits brouillons  vingt  fois  recopiés  de  M""'  de  Sablé ,  les  pâles  billets  de 
M™^  de  Longueville,  qu'elle  condamnoit  au  feu  on  ne  sait  trop  pour- 
quoi, ne  combleroient  pas  le  vide  causé  par  l'absence  des  Historiettes. 
Que  M.  Cousin  continue  donc  à  nous  rendre  des  Réaux  ;  qu'il  fasse 
admirablement  valoir  les  récits  du  conteur  contemporain  ;  mais  qu'il 
me  permette  de  le  lui  dire  :  ce  n'est  pas  au  lapidaire  à  déprécier  les 
joyaux  dont  sou  art  double  la  valeur.  Au  nom  de  la  justice,  au  nom  de 
Port-Royal,  nous  recommandons  le  bon  des  Réaux  à  la  générosité ,  à  la 
miséricorde  de  M.  Cousin. 

FI^     Dli     DEUXIEME     VOLl'ME. 


ADDITIONS. 


Page  11,  ligne  3  :  Saint-Surin.  —  L'histoire  de  la  prise  et  de  la  mise  en 
liberté  du  baron  de  Saint-Surin,  ou  Saint-Sulin,  est  autrement  racontée, 
comme  on  le  pense  bien ,  dans  le  Mercure  François.  Ce  gentilhomme  et 
ses  deux  cousins,  les  barons  de  Soyon  et  de  Mareines,  avoient  été  faits 
prisonniers  par  les  Anglois  en  défendant  les  côtes  de  l'île  de  Rhé,  en  juil- 
let 1C27.  Comme  ils  etoient  tous  trois  gravement  blessés,  ils  tirent  prier 
le  duc  de  Buckingham  de  leur  permettre  d'aller  se  faire  panser  hors  de 
l'île.  «  Buckingham  envoya  auxdits  barons  un  vaisseau  ou  chaloupe,  meu- 
»  blé  et  garni  de  très-belle  escarlatte  rouge,  avec  ses  musiciens  dedans,  et 
»  montés  qu'ils  furent  dans  ledict  vaisseau ,  passèrent  par  toute  l'armée 
»  angloise....  Et  le  lendemain,  le  sieur  de  Thoiras.  ayant  fait  venir  cinq 
»  Anglois  qu'il  tenoit  prisonniers,  leur  donna  à  chacun  six  pistoles  et  les 
»  renvoya  à  Buckingham.  »  Au  reste,  le  récit  officiel  n'est  pas  en  désaccord 
avec  l'opinion  répandue  que  des  Réaux  nous  a  transmise. 

Page  12,  note  :  Par  grimasse,  il  composa  un  conseil. 

Cette  addition  marginale  n'est  certainement  pas  à  sa  plate  dans  le  mamiscrlt 
iuifographe,  mais  je  crains  de  ne  l'avoir  pas  rétablie  où  elle  auroit  dû  se  trouver. 
C'est  peut-être  le  Cardinal  qui,  peu  de  jours  avant  la  Journée  des  dupes,  avoit 
ainsi,  par  grimace,  composé  \\n  fantôme  de  conseil  destiné  à  le  remplacer.  La 
note  alors  devroit  se  rapporter  à  la  page  14,  ligne  2  :  Le  Cardinal,  dcscsperc,  se 
voulait  retirer. 

Page  28,  ligne  18  :  Il  affectait  d'estre  auprès  de  Saint-Germain,  c'est-à- 
diro  :  il  tenoit  beaucoup  à  être  auprès  de  Saint-Germain,  que  Louis  XIII 
habitoit.  Affecter  avoit  le  sens  do  :  désirer  particulièrement,  préférer.  Le 
Trévoux  cite  en  exemple  :  Vous  affectez  cette  maison ,  parce  qu'elle  vous 
est  commode,  etc. 

Page  110  :  La  relation  (sur  la  mort  de  M.  le  Grand  et  de  M.  de  Thou)  est 
si  belle  qu'elle  doit  avoir  été  déjà  imprimée. 

On  la  reconnoît,  en  effet,  du  moins  en  grande  partie,  au  njilieu  de  la  Relation 
générale,  dans  laquelle  sont  insérées  les  principales  pièces  duprocès.  (Fie  du  Car- 
dinal de  Richelieu,  par  M  Leclerc,  Amsterdam,  1753,  tom.  v,  p.  392  et  suiv.l  Mais 
elle  s'y  trouve  emliarrassée  d'autres  détails  qui  se  contredisent  plus  d'une  fois 
entre  eux,  et  qui  app.nlicnnent  à  d'autres  relations. 


550  ADDITIONS. 

Page  554,  ligne  25  :  On  a  de  lui  (Maugars),  outre  sa  fichue  traduction 
du  livre  de  Bacon....  des  Considérations  politiques  pour  entreprendre  la 
guerre  d'Espagne. 

Les  Considérations  politiques  sont  précisément  traduites  de  Vanglois  de  Fran- 
çois Bacon.  Paris,  1634,  in-i».  C'est  le  livre  que  mentionne  VHistoriette. 

Je  trouve  encore  iV André  Maugars  (car  tel  etoit  son  nom  de  baptême)  :  Besponse 
faite  à  un  curieux  sur  le  sentiment  de  la  musique  d'Italie;  écrite  à  Rome  le  1"  oc- 
tobre 1G39.  C'est  apparemment  ce  qu'on  a  réimprimé  en  1672  sous  le  litre  de  : 
Discours  sur  la  musique  d'Italie,  etc. 


TABLE 

ou    UIOUXIÈMK    VOLUMl-;. 

PflgPS . 

Le  cardinal  do  Richelieu 1 

Le  mareschal  de  Marillac ,   .   .  117 

Madame  du  Fargis 121 

Le  mareschal  d'Effiat 129 

Le  Pcre  Joseph.  —  Religieuses  de  Louduii 132 

M.  de  Noyers  et  l'evesque  de  Mande 138 

M.  de  Rullion 145 

Madame  d'Aiguillon 161 

Le  cardinal  de    Lyon  et  Lopez 183 

Le  mareschal  de  Brczé  et  mademoiselle  de  Bussy.  = 195 

Le  duc  de  Brezé 213 

Le  mareschal  de  la  Meilleraye  et  les  sœurs  de   la  Mareschale.  216 

Louis  treiziesme 235 

M.  d'Orléans  (Gaston)  et  Sauvage 281 

M.  de  Montmorency 306 

M.  de  Bautru 314 

Maugars 329 

L'archevesque  de  Bordeaux 337 

Mademoiselle  de  Gournay 344 

Racan  et  autres  resveurs.  —  M.  de  Brancas.  —  La  Fontaine.  354 

Boisrobert 383 

Feu  Monsieur  le  prince,  Henry  de  Bourbon 434 

L'archevesque  de  Rheims 445 

Le  cardinal  de  Valençay 465 

Le  marquis  de  Rambouillet 476 

La  marquise  de  Rambouillet  et  madame  d'Hyerre 485 

Madame  do   Montauzier.  —  Montauzier   l'aisné.   —  La   petite 

Montauzier 516 

FIN    nE    LA   TABLE. 


TYrOCRAPHIK   DE  A.    WITIEHSUHM, 

BI'R    MONTMOBBTÏCV.     S, 


OUVRAGES  PUBLIÉS  PAR  M.  PAULIN  PARIS 

EN   VENTE   A    LA    MEME    LIBRAIRIE. 
Les  Grandes  Chroniques  de  France,  1839  ;   6  vol.  petit  in-S".      28  fr. 

Tous  Ips  hommes  qui  s'occupent  de  l'histoire  «le  France  sont  olilicés  d'avoir 
sous  la  main  ce  récit  original  îles  faits  de  nos  premiers  rois;  c'est  un  livre  aussi 
utile,  aussi  indispensable  dans  la  bibliothèque  d'un  historien,  d'un  homme  poli- 
tique, et  dans  une  bibliothèque  publique,  que  le  Code  est  indispensable  à  un 
homme  de  loi.  Nous  devons  ajouter  qu'en  tète  de  cette  nouvelle  édition  M.  Pau 
Un  Paris  a  publié  deux  dissertations  curieuses  et  très-intéressantes  sur  ce  monu- 
ment historkpie.  Les  notes  et  les  éclaircissements  historiques  dont  le  texte  est 
accompafjm-  rendent  cette  édition  bien  plus'  omplète  que  les  éditions  anciennes, 
d'ailleurs  prcsipic  iritrouval)les  aujourd'hui. 


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—  Il  y  a  cinquante  cxcmpl.  tirés  grand  in-8°,  papier  vélin. 

TrL's-beau  livre.  Chaque  volume  se  vend 18   » 

T'est  une  histoire  des  manuscrits  français  que  pcssède  la  Bibliothèque  impériale. 
<•  Description  des  manuscrits;  conjectures  sur  leur  date,  leurs  propriétaires,  leurs 
ornements,  leur  reliure,  leurs  scribes  et  leurs  enlumineurs;  notice  sur  leurs  au- 
teurs connus  ou  probables;  <liscussion  «les  seutlineiits  <|ue  l'on  a  jusqu'à  présent 
émis  sur  leur  compte;  citations  nombreuses;  particularités  qui  les  concernent  : 
voilà  ce  que  Je  me  suis  proposé  d'indiquer  avec  plus  ou  moins  détendue.  » 
{Préface.) 


Le  Marquis  DE  Lassay  ET  l'Hotel  Lassay.  br.  in-8 2  fr. 

Notice  historique  intéressante  et  tirée  h  100  exempl. 


La  Chanson  d'Antioche,  poëme  en  vers  alexandrins,  composé  au 
commencement  du  xn*  siècle  par  Richard  le  Pèlerin,  et  retouché, 
au  commencement  du  xiii*,  par  Graindor  de  Douai,  publiée  sur 
six  manuscrits.  2  vol.  pet.  in-8,  papier    de  Hollande,  tirés   à  250 

exempl 16  fr. 

Papier  vélin,  tiré  à  12  exempl 30    » 

La  Chanson  d'Antioche  n'est  pas  un  ouvrage  d'imagination  :  c'est  le  récit  des 
événements  de  la  première  croisade  fait  par  un  témoin  oculaire,  et  dont  les  as- 
sonnanccs  «mt  été  converties  en  rimes  n^gulières  p;;r  un  «écrivain  du  xiii»  siècle, 
nommé  Graindor  de  Douai.  L'éditeur  de  ce  beau  poème  le  considère  comme  la 
plus  précise,  la  plus  sincère  et  la  plus  Intéressante  relation  qui  nous  soit  restée 
de  la  première  croisade. 

In  ftranil  nombre  «le  faits,  mal  présentés  par  les  chroniqueurs  latins,  se  trou- 
vent ici  nettement  expliqués.  Bocmont,  Tancrède,  le  comte  de  "Toulouse  et  le 
comte  de  Hlois.v  paraissent  sous  un  nouveau  jour  pour  les  uns,  et  sous  un  moins 
favorable  pour  les  autres.  Entiu,  de  nouveaux  noms  de  croi-sés  sont  ajoutés  A  la 
liste  héroïque  jusqu'à  présent  connue.  La  marche  des  chrétiens  dans  l'Asie 
Mineure,  objet  de  tant  «l'ineertitudes,  y  parait  traitée  d'une  manière  nette  et  pré- 
cise. Les  deux  volumes  sont  accompatînes  de  commentaires  historiques  et  philo- 
logiques, et  d'une  dissertation  .sur  tous  les  héros  de  la  première  croisade,  qui, 
peut-être,  ne  s'accorde  pas  tout  à  fait  avec  les  listes  de  Versailles. 

(Extrait  de  VÂnmiaire  bibliographique,  historique  et  littéraire  de  la 
librairie  J.  Techener.) 


TARrS.  —  TYPOGRAPHIE  riF.  A.  WTTTERSHEIM,  RUE  MONTMORENCY  ;8. 


MM.   DE    MONMERQUE 

ET 

PAULIN  PARIS 


LES 
HISTORIETTES 

DE 

TALLEMANT 

DES    BEAUX 


TOME  II 


J.   TECHENER 

M  DCCC  LIV 


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utile,  aussi  Indispeusable  dans  la  bibliothèque  d'un  histo 
tique,  et  dans  une  bibliotliiViue  pul)llf]ue,  que  le  Code  < 
homme  de  loi.  Nous  devons  ajouter  qu'en  t<^te  de  eette  n 
lin  Paris  a  publié  deux  dissertations  curieuses  et  très-inté 
ment  historique.  Les  notes  et  les  éclaircissements  histo 
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Les  Manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  1848 

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teurs  connus  ou  probables;  discussion  îles  sentiments  qi 
émis  sur  leur  compte;  citations  nombreuses;  particularité 
voilà  ce  que  Je  me  suis  proposé  d'indiquer  avec  plus 
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six  manuscrits.  2  vol.  pet.  in-8,  papier    de  H' 

exempl 

Papier  vélin,  tiré  à  12  exempl 

La  Chanson  d'jDtioche  n'e.st  pas  un  ouvrage  d'imaglr 
événements  de  la  première  croisade  fait  par  un  témoin 
sonnancis  ont  été  cou\erties  en  rimes  régulières  par  lui 
nommé  Graindor  de  Uouai.  L'éditeur  de  ce  beau  poémi 
plus  précise,  la  plus  sincère  et  la  plus  intéressante  relat 
de  la  première  croisade. 

In  crand  nombre  de  faits,  mal  présentéspar  les  ehro 
vent  ici  nettement  expliques.  Boemont,  Tancrède,  le 
comte  de  Blois  y  paraissent  sous  un  nouveau  jour  pour  1< 
favorable  pour  les  autres.  Enfin,  de  nouveaux  noms  de  < 
liste  hérolq^ue  jusqu'il  présent  connue.  La  marche  des 
Mineure,  objet  de  tant  (l'iiicertitudes,  y  parait  traitée  d'u 
eise.  Les  deux  volumes  sont  accompagnes  de  commentai!' 
logiques,  et  d'une  dissertation  .siu'  tous  les  héros  de  la 
peut-être,  ne  s'accorde  pas  tout  à  fait  avec  les  listes  de  V 

(Extrait  de  V Annuaire  bibliographique,  historique 
librairie  J.  Techener.) 


PARIS.—  TïTOGRAPHIE  DF.  A.  WITTERSHEIM,  RUE 


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Los  Angeles 

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