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LES
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CHEZ DAGETAU ET O, LIBRAIRES,
place de la Bourse, 12.
1846.
LES
ISRAELITES DE POLOGNE
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(Édition ornée de gravures.)
PAR
IiÉOM HOULAENDF.ItSKI
PARIS,
CHEZ DAGETAU ET O, LIBRAIRES,
place de la Bourse, 12.
4846.
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Paris. — Imprimerie de La corn et comp.,
rue Sill>:icinlhe-Sl<»I1k a hcl, 35.
TABLE DES MATIÈRES.
PREMIÈRE PARTIE.
Introduction par M. J. Czynski,
pages.
IX-XIV
XV-XVI
Lettre de M. A Franck.
CHAPITRE I«.
Epoque de rétablissement des
Juifs en Pologne. 1
Opinion de l'historien Naru-
szewicz et autre à cet égard. 2
Protection accordée par Mie-
czyslas-le-Vieux aux Israé-
lites. 4
Lettres-patentes du treizième
siècle attestant le droit de
propriété dont ils jouissaient
alors. 4
Privilèges accordés aux Juifs
par Boleslas et Casimir-le-
Giand. 4
L'amour de Casimir-le-Grand
pour Esterka. Leurs enfants
naturels. 5
Les Juifs persécutés dans les
autres Étals de l'Europe,
trouvent un asile en Polo-
gne, sous Casimir-le-Grand.
Le commerce et l'industrie,
abandonnés aux Juifs, pren-
• nent de l'extension. 6
Fausses accusations des chré-
tiens contre les Juifs. 7
Extraits des statuts de Boles-
las-le Grand, concernant les
Juifs et approuvés par Casi-
mir-le-Grand. 7-9
Le fanatisme des chrétiens sur
le crime que les Juifs mas-
sacraient les enfants chré-
tiens. 10
CflAPITRE II.
Funeste influence de la mort
page
de Casimir sur le sort des
Israélites. M
Ncmir et Pelka. 13
Louis, roi de Hongrie, succède
à Casimir. id.
Fin tragique d'Esthcr. id.
Vexations subies par les Juifs
nous le règne de Louis de
Hongrie, id»
Massacre des Juifs, excité par
le prêtre Budek. 14
Ordonnances imposées aux
Juifs. !5
Nouveau massacre des Israé-
lites, id.
Les Juifs, persécutés en Bo-
hème, viennent chercher un
asile en Pologne, sous Sigis-
mond I er . 16
Appel du Synode à leurs core-
ligionnaire?, id.
Nouvelle cause de persécution
contre les Juifs ; quelques
uns vont s'établir en Vala-
chie. 17
Lois et défenses imposées aux
Juifs sous le règle de Sigis-
mond. 18
Attributions législatives des
rabbins après la mort do
Casimir. 19
Ordonnances de Sigismond-
Auguste concernant les
Juifs. 20
Les persécutions contre les
' Juifs redoublent sous le rè-
gne de Henri de Valois jus-
qu'à l'avènement d'Etienne
Batory au trône de Pologne. SI
CHAPITRE HI.
Influence des Jésuites en Po-
VI
pages
logne sous le régne d'É tienne
Batory. 22
Chiffre comparatif des mar-
chands chrétiens et Juifs,
autorités et fonctions judi-
ciaires des rabbins et archi-
rabbins sur leurs coreligion-
naires. 24
Narration du cardinal Commen-
doni sur les Juifs de Po-
logne, id.
CHAPITRE IV.
On avait admis la noblesse aux
Juifs contenls. 27
Sort des néophites. 28
Les familles remarquables des
néophites, leurs systèmes. 29,30
Carnage des Israélites par les
paysans et les cosaques, sous
Jean-Casimir et Ladislas IV.
L'interdiction des sciences ma-
thématiques chez les Juifs.
Actes de violence des paysans
envers les Juifs.
Histoire du comte Polocki,sa
conversion à la religien mo-
saïque et son martyre.
CHAPITRE V.
Réforme apportée à la condi-
tion des Israélites en Po-
logne sous le règne de Sta-
nislas-Auguste.
Abdication du pouvoir des rab-
bins.
Czacki et son projet de réforme
pour les Juifs. 39-53
Opinion de M. Surowiccki. 54-63
CHAPITRE VI.
Le liberum veto, état anar-
chique de la nation, poli-
liliquo de la Russie, le sort
des Israélites. 64*65
Adresse des Juifs polonais aux
représentants des villes de
la Pologne.
Démembrement de la Pologne
par les trois puissances voi-
sines.
,5ort des Juifs en Prusse, en
pages
id.
30
31
33
35
38
id.
66
69
72
TO
74
75
Autriche et en Russie, école
de Mendclsohn.
CHAPITRE VU.
Gond it ion des Israélites et des
habitants en général, sous
la maison de Saxe (duché
de Varsovie).
Adresse des Juifs au gouver-
nement pour l'exemption du
service militaire.
Kosehir, impôt sur la tiWlder.
Défense aux Juifs de tenir des
cabarets et des auberges.
Guerres de l'indépendance po-
lonaise, Kilinski, Berck.
Savants et littérateurs Israélites
en Pologne. 76-18
CHAPITRE Vin.
Étal des Juif 3 dans le royaume
de Pologne sous l'empereur
Alexandre, sa politique.
Le grand-duc Constantin, les
calamités des Israélites se
renouvellent sousla dictature
de ce prince.
Zaïonczek et Lubecki.
Monopole de la bière et do
l'eau -de-vie.
Tyrannie et spoliation exercée
envers les Juifs.
Création d'un comité chargé
de l'examen cl de l'amélio-
ration des Juifs en Pologne.
L'abbé Chiarini et son ou-
vrage.
École des rabbins.
CHAPITRE IX.
79
80
81
id.
83
id.
84
id.
Esprit de civilisation apporté
par l'armée en Russie après
l'invasion en France. $6
Conspiration de Pestel , Bes-
tuzewe, Kochowski, etc*. 87
L'empereur Nicolas , ses nka-
scs. &S 89
La police secrète , le général
Rosnicki. 89
La révolution du 29 novem-
bre 1830. 90
L
vu
Pages.
Le dictateur Chlopicki. 90-91
CHAPITRE X.
Le sort des Juifs pendant la
dernière guerre , Kruko-
wecki.Moratoki. 92 94
La lettre du comte Ostrowski
h M. Czynski. 95-97
Adresse des Juifs au général
en chef de la garde natio-
nale. 99
Opinion du fcomte Ùstrofrski
sur cette adresse. 100
La décision du 30 niai 183t
sur l'impôt dé recrtite-
nïent , et le costume de la
garde nationale. 103
CHAPITRE Xf.
Opinion du général com le Os-
trowski sur les soldais
juifs. ( 105
Sous l'espionnage dos ïims en
1831, les martyres des Juifs
innocents. Puszàt,Szan, opi-
nion du Comte Ostrowski ,
Satômon Pozncr. 106-108
Le sort de* espions et des lion*
notes Israéliiesqui sont res-
tés fidèles au pays. 109
L'ordre du dictatcurChlopicki. 1 10
CHAPITRE XII.
L'émigration polonaise en
France cl daàsd'aUtïes'rjays;
Pages;
Czartoryski, Lelevel* comité
national, Beniowski. ilfc-llÔ
Appel aux Israélites polonais
parle comité national. 117-131
CHAPITRE XML
Les partisdans l'émigration : la
nouvelle Pologne , Mickie-
wïcz, Gôrecki, les journaux x
polonais, Çzyoski. 153-139
Sur les Juif* déserteurs de
l'armée russe, leur sort. 440
La péiition des Juifs polonais
À Nicolas restée sans réwt- t
tat. 141
CHAPITRE XIV.
Le comte fcuvarow publie un
édit sur l'organisation à'uno
étoïejuive, le D^Vtftemha!,
la leitre de Catherine au
gouverneur de Moscou. l43-i44
L'ukase qui ordonne aux Juife
de s'éloigner de la front iè*
re, les députés à Saint-Pé-
tersbourg. 143-146
La société démocratique danè
l'émigration , les Jésuites,
le trois niai, VfccÂô Êiàst., "14$',
\*9
CHAPITRE XV.
Le sort des Juifs dan» tout*
VEtrrcfpc, jusqu'au xvn° siè-
cle. 150-134
DEUXIÈME PARTIE.
CHAtttT\E I«*.
Les Israélites c!n général , la
loi de Moïse, dn Talmud et
des rabbins, etc. 157-162
CHAPITRE IL
Nouvelle élude du Talmud, du
Zoar, de la Cabale, les pré-
jugés dos Juifs en Pologne, etc.
163-170
CHAPITRE III.
La vie rabbinique ou fanatique
des Juifs en Pologne. 171-177
CHAPITRE IV.
MoïscMendelsohn^lcs Juifs po-
lonais contre sa philosophie*
le système des rabbins, i'é-
ducation primitive des en-
fants Juifs en Pologne. 178-18?
CHAPITRE V.
Les Juifs polonais ne méritent
pas d'être regardés comme
citoyens, lacausc;plusieurs
preuves du Talmud contre
les usages des Juifs polo-
nais, etc. 188-198
VII
Pages*
CHAPITRE VI.
Encoro sur le même sujet. 198-202
CHAPITRE VII.
Les Polonais ne seront pas in*
justes envers les Israélites. 205
Tableau statistique de l'état actuel
des Israélites en Pologne.
CHAPITRE I".
Population. 205*207
CHAPITRE II.
Les Israélites sous le rapport
du commerce et de l'indus-
trie en Pologne. 208-210
CHAPITRE III.
Du mouvement commercial et
industriel dans les villes' de
Pologne. 211-214
CHAPITRE IV.
De la moralité des Israéli-
tes. 215 223
CHAPITRE V.
Costumes des Israélites polo-
nais. 224-225
Les sectes juives.
CHAPITRES I, II, III, IV, V.
La secte des Caraïles. 226-242
CHAPITRES I, II.
La secte de Schabbéthy-Zé
vy. 243-253
Page».
CHAPITRES I, II, III.
La secte des Frankistes. 254-280
CHAPITRES I, II, III.
La secte des Chassidims. 281-296
la Réforme.
CHAPITRE Ior.
Dissertation sur les Juifs polo-
nais, sur l'émancipation des
Israélites dans les autres
pays, sur l'esprit du xix*
siècle, etc. 297-301
CHAPITRE H.
La raison sur l'émancipation'des
Juifs polonais d'après l'hu-
manité et d'après l'opinion
du comte Ostrowski. 302-307
CHAPITRE III.
Sur la religion en général, et
en particulier des Juifs po-
lonais , sur leur civilisa-
lion, etc. 308-312
CHAPITRE IV.
Plusieurs questions religieuses
et lalmudiques. 312-320
CHAPITRE V.
Opinion sur le Talmud , Med-
rasebîme et Hagadath. 32 1-332
CHAPITRE VI.
Sur les rabbins polonais, plan
de réforme, appel aux Israé-
lites étrangers, etc. 333-338
L'hospice israélite à Varsovie,
la contribution des Israélites
qui arrivent à Varsovie (Tag-
ZETTEi-). 65
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
« Renie la foi de tes pères , oublie à jamais ton
Slorieux passé , renonce aux lois auxquelles pendant
es siècles obéissait toute ta race, cesse d'adresser tes
prières à l'Être-Suprême dans ta langue maternelle,
croisa ce que nous croyons, accepte nos mœurs et
nos usages, ou meurs! » Tel a été le langage, qu'au
nom de la religion, tenaient les chrétiens du moyen-
âge, en menaçant Israël du glaive de l'extermination.
La race qui a donné au monde 3Joîse et le Christ,
dispersée après la chute de Jérusalem, demandait
seulement aux nations civilisées l'hospitalité et une
place au soleil, et les chrétiens , tout en proclamant
pour base de leur croyance l'amour et la fraternité,
repoussaient leur prochain , violentaient leur cons-
cience, persécutaient leur foi et les livraient aux tor-
tures des inquisiteurs et aux supplices des bourreaux.
Il n'y a pas un seul coin de l'Europe où le sang
des Israélites n'ait laissé des traces de la tyrannie de
leurs persécuteurs et de la persévérance des persé-
cutés.
Bientôt une ignoble politique changea de système.
Sous le masque d'une hypocrite compassion, elle
résolut de spolier la population qu'elle n'avait pu
dompter. On fit grâce aux condamnés, on retint la
hache suspendue sur leurs têtes , ou laissa vivre les
maudits, on promit même de tolérer leur présence,
mais à la condition qu'ils paieraient l'impôt de l'air
qu'ils respireraient. Si les Juifs voulaient élever un
temple à l'Éternel, une école pour leurs pauvres en-
fants, un cimetière pour leurs morts; s'ils voulaient
prier, travailler, il fallait qu'ils payassent une con-
tribution qui leur arrachait jusqu'à leur dernière
obole.
Enfin, lorsque la victime n'eût plus rien, lorsqu'elle
eût rendu tout ce qu'elle possédait, on la chassa. Les
enfants, à peine sortis du sein maternel , les femmes
affaiblies, les vieillards courbés par l'âge ne trouvèrent
ni grâce ni merci. Toute la race proscrite devait aban-
donner les endroits où reposaient les cendres de leurs
ancêtres. Telle fut la conduite de l'Espagne j de la
France, de la Germanie.
Les exilés , en masse , traversèrent les pays euro-
péens, passèrent de ville en ville, et partout la voix ac-
cusatrice insultait à leurs malheurs, « Soyez maudits*
vous qui avez empoisonné les puits , vous qui avez
besoin du sartg des enfants chrétiens pour vos céré-
monies obscènes. » Le peuple égaré n'eût aucune
teompassîon pour les martyrs.
Il s'est trouvé une seule nation aui n'a pas suivi cet
exemple. La Pologne , digne gardienne de l'antique
hospitalité slave, offrit un asile aux bannis, une pro-
tection aux persécutés, des moyens d'existence à ceux
qui, spoliés, arrivaient sans aucune ressource. Tous
les Juifs échappés au glaive de la persécution , toufe
ceux qui purent supporter la faim ou la misère ; enfin,
les débris de toute la race juive, s'établirent aux
bords de la Vistule. Casimir-le-Grand leur donna des
teFres , leur bâtit des villes. Ce grand monarque fit
plus , il les mit sous la protection des lois. Les Israé-
lites élevèrent des temples au Seigneur, et personne
ne put interrompre leurs prières. Les enfants ren-
daient les derniers devoirs à leurs parents morts, et
personne n'allait troubler leur repos. Les enfants ap-
prenaient la loi de Moïse dans les synagogues, et per-
sonne ne contrariait leurs pieuses études. Bientôt, au
milieu des champs incultes apparurent soixante-dix
villes. Le peuple d'Israël développa toute son activité.
La Pologne devint libre , riche et puissante. A côté
des églises s'élevèrent des synagogues. Les rois polo-
lais, suivant la sage politique de Casimir-le-Graftd, en
montant au trône prêtaient serment de faire respecter
les croyances sincères, et de ne souffrir aucune per-
XI
sécution religieuse. Alors Dieu bénissait la Pologne ,
heureuse et puissante sous le règne des Jagellotis.
Mais à peine le premier jésuite eût-il mis le pied
sur le sol polonais , que tout changea. Le cardinal
Commandoni ne pouvait-en croire ses yeux , il voyait
les Juifs polonais habillés comme les nobles catholi-
ques , le sabre au côté. Ils étaient riches et respectés.
Son indignation réveilla la superstition et toutes les
passions. Bientôt on défendit aux Juife de porter des
armes, on les relégua dans les coins fcale& des villéfe ,
on les força de porter une marque sur leurs habits
pour les distinguer des autres habitants. Les extorsions
de toutes sortes suivirent les persécutions ; l'anarchie
remplaça la monarchie; les villes, jadis puissantes,
commerciales , foyers de l'industrie nationale et des
richesses, s'écroulèrent, et avec elles, la puissance
delà Pologne, qui, envahie, partagée, expia les abuâ
de la noblesse anar chique et tomba victime des jé-
suites.
Sur la frontière de la Pologne s'élevait une nation
rivale, issue delà même race, jalouse, ambitieuse,
entreprenante. Les princes de Moscou enviaient aux
rois polonais leurs richesses et leur puissance. Par es-
prit d'opposition , ils adoptaient toujours un système t
et des principes opposés. La Pologne était catholique, -
la Russie embrassa le schisme ; la Pologne était libé-
rale et monarchique, les princes de Moscou intro-
duisirent un despotisme militaire. Casimir accueillit
les Juifs , c'en fut assez pour que Wladimir et Ivan
les repoussassent à jamais , leur interdissent l'entrée
de leurs États. Aujourd'hui les princes de Moscou sont
devenus maîtres absolus de la Pologne. Deux millions
et demi d'Israélites sont tombés sous la domination
des princes qui les regardent comme des maudits.
La politiqued'Ivan-le-Terrible reparaît souslerègne
de l'empereur Nicolas. Les Juifs spoliés, persécutés, mé-
prisés, ne peuvent plusrespirerl'air où ils sont nés, ne
peuvent pas môme pleurer sur la tombe de ceux qu'ils
XII
ont aimés. Comparés à un vil bétail, ils paient un
droit en entrant dans les villes où il leur est permis de
résider. Chassés, transplantés , ils paient l'impôt de
leur fortune , de leur sang, et pour prix de leurs sacri-
fices, ils ne recueillent que haine et mépris. La ty-
rannie barbare, aveugle, haineuse , sévit sur les en-
fants. Dans une nuit, trente mille furent arrachés du
sein de leurs mères, pour quitter la Pologne, pour
fournir, un jour, à la Russie desmatelots capables, ou
plutôt pour mourir en route de froid et de misère.
La persécution n'a épargné ni l'âge , ni le sexe, ni
la condition. Quelquefois la victime parvient à chan-
ger de route, et au lieu de suivre le chemin de la Sibé-
rie , échappe au bourreau , traverse vingt pays et arrive
sur le sol qu'il suffit de toucher pour respirer l'air de
la liberté. Quelquefois aussi un membre de cette
grande famille ne vient pas en France seulement pour
se soustraire aux tortures, mais pour raconter le sort
affreux de toute sa race malheureuse. Il en fut ainsi
avec M. Léon Hollaenderski, l'auteur de cet ouvrage.
Catholique, suivant les préceptes bien compris de
ma religion , depuis quinze ans , je consacre ma plume
et mes faibles moyens à la cause Israélite , à l'éman-
cipation complète de deux millions et demi de mes
compatriotes de la religion de Moïse. Si mon nom est
parvenu jusqu'à eux, si l'auteur de ce livre est venu
me raconter leurs malheurs, je ne l'attribue pas à mes
faibles talents , mais à la persévérance avec laquelle
je me suis dévoué à cette sainte cause. C'est sur l'in-
sistance de M. Hollaenderski que j'écris ces quelques
lignes. Il aurait dû faire un meilleur choix. Celui qui
a besoin lui-même de toute l'indulgence des lecteurs
n'aurait pas dû être appelé à les bien disposer en fa-
veur de Fauteur de cet ouvrage.
Mais l'auteur ne se recommande-t-il pas assez par
sa propre position. Après avoir perdu sa fortune con-
fisquée par le czar, après avoir quitté ses parents
XIII
et sa patrie , à force de travail , il gagne son pain
quotidien, élève ses petits enfants et a trouvé encore
assez de temps pour recueillir les matériaux de l'his-
toire et de la statistique de ses coreligionnaires. Il réso-
lut de déchirer le voile qui couvre, aux yeux des nations
occidentales, le hideux tableau dont la barbarie mo-
derne offre un douloureux spectacle dans le nord-est
de l'Europe ; que d'obstacles n'a-t-il pas eu à vaincre?
N'ayant d'autre fortune que son travail, comment
a-t-il pu trouver les ressources indispensables à une
publication? Etranger, comment traduire ses senti-
ments dans une langue qu'il commence à peine à
étudier? Brisé par les adversités et les persécutions,
comment pourra-t-il donner à son œuvre cette forme
attrayante, ce charme qui distinguent les productions
des auteurs français? Mais rien ne Ta arrêté pour
atteindre le noble but qu'il s'était propose. Souvent
je soutins son courage, je lui parlai de la bienveil-
lance delà nation libre qui étudie avec patience et
sympathie les souffrances des peuples opprimés. Je
suis heureux si mes faibles encouragements ont été
pour quelque chose dans sa persévérance. L'auteur
connaît bien tout ce qui manque à son œuvre sous #
le rapport du style. S'il avait ambitionné la palme"
d'un écrivain, il aurait attendu encore, ou peut-être
il aurait confié son manuscrit à une main plus capa-
ble. Mais son ouvrage n'est pas une œuvre littéraire,
ce n'est que le cri d'une victime, l'écho de la dou-
leur de toute une race persécutée. Quel est l'homme
de cœur qui refuserait de venir au secours des mar-
tyrs, parce que la voix de leur douleur n'est pas étu-
diée ou harmonieuse.
M. Hollacnderski en offrant à la France les fruits
de ses veilles, en traçant l'histoire de ses coreligion-
naires, leur état actuel, a travaillé pour l'avenir, espé-
rant que les éléments préparés par lui inspireront
quelques hommes de cœur puissants par leur talent,
à plaider la cause d'un peuple destiné à jouer un rôle
XIY
dans un avenir peu éloigné- C'est un drame palpi-
tant d'intérêt, jusqu'à ce jour inconnu, qu'il présente
aux regards de l'Europe. Le génie français saura, de
ces éléments réunis, créer une œuvre capable de ré-
veiller la population opprimée, et châtier, comme il
le mérite, l'absolutisme barbare qui nage dans les
larmes et le Sc^g de deux millions et demi d'Israéli-
tespolonais.
C'est un travail utile qu'a accompli M. Hollaen-
dcrski. Au nom de mes compatriotes chrétiens, je
lui rends grâce pour les lumières qu'il a jetées en
nous traçant les mœurs, les usages, les défauts et les
qualités des différentes sectes dont les Juifs polonais
se composent. Il a bien fait d'avoir voué au mépris les
misérables qui, sortis de la race juive, jettent la pierre
sur leurs anciens coreligionnaires pour se faire par-
donner l'origine dont ils rougissent , et il a encore
mieux agi en signalant tout ce qu'il y a de beau et de
grand dans le caractère des Israélites polonais.
L'auteur peut être tranquille sur l'avenir de son
œuvre. Il paraît devant le public français avec
l'approbation d'un homme qui , par son savoir et ses
mérites, s'est élevé au sommet des désirs de ceux qui
'consacrentleur vie à la science'et à l'étude. M. Franck,
de l'Académie française, celui dont le style coule clair
et limpide comme les eaux d'une rivière pendant un
jour calme et serein, a reconnu l'utilité de son œuvre,
lui qui avait le droit d'être difficile, a oublié la forme,
préoccupé de l'importance du sujet.
Les lecteurs généreux imiteront cet exemple et por-
teront toute leur attention sur le sort de ces parias
qui, avec l'aide de la presse française, échapperont
aux tortures et aideront un jour la Pologne à relever
au bord de la Vistule, l'industrie, les arts, les scien-
ces et la vraie liberté.
Jean CZYNSKL
25 décembre 1845.
A M. tèon fjçllacndershi.
Monsieur ,
J'aj lu ^vec intérêt^ souvent avec émotion, votre
ouvrage sur les Israélites de Pologne. Il sera utile,
je n'en doute pas, à cette population de deux mil-
lions et demi de parias , dont on n'a guère parlé
jusqu'à présent que pour insulter à son abandon et à
sa misère. Vous , monsieur , vous avez voulu , avant
tout, la faire connaître, persuadé que la vérité est sa
meilleure défense. Vous racontez avec impartialité
son histoire, si ignorée encore parmi nous et dans
le pays même qui en est le théâtre. Vous tracez,
d'après vos souvenirs et votre expérience , le ta-
bleau de ses mœurs , de ses usages , de sa vie inté-
rieure et extérieure, sans exagérer ses qualités, sans
déguiser ses vices, son fanatisme et son abaissement
moral, car ce n'est pas l'esprit de caste qui vous
inspire, c'est la cause de l'humanité que vous plai-
dez ; et , pour réussir dans cette noble entreprise ,
vous deviez signaler, dans toute leur étendue, les
effets dévastateurs d'une oppression séculaire.
Vous avez su aussi, en les résumant, enrichir de
détails nouveaux les savantes recherches de Peter-
Bcer et les spirituelles révélations de votre compa-
triote Salomon maimon sur les sectes religieuses qui
divisent les Juifs polonais.
Enfin, monsieur, j'espère que le public accordera
XVI
à votre œuvre l'attention dont elle est digne et qu'elle
aura le genre de succès que vous ambitionnez avant
tous les autres, mais qui ne les exclut pas.
Recevez, monsieur, etc.
Signé : Ad. FRANCK.
Paris, 12 décembre 1845.
PREMIÈRE PARTIE.
Origine des Israélites de Pologne , leur histoire , leur étal actuel , etc.
« Jésus-Christ n'a pas dit mon sang lavera
celui-ci el non celui-là. Il est mort pour les
Juifs et les Gentils, et il n'a vu dans tous les
hommes que des frères. »
( Atala, CnATBAUBRUftD, 1805, page 106.)
Les chroniques polonaises ne s'accordent pas sur l'épo-
que où les Israélites arrivèrent dans ce pays. Aprèsl'intro-
duction du christianisme en Pologne, les seigneurs polo-
nais et le nouveau clergé rivalisèrent de zèle pour détruire
toutes les traditions, ainsi que tous les monuments du
paganisme, et effacèrent ainsi jusqu'aux traces du temps
passé. Les plus anciennes traditions nationales commen-
cent avec le prince Mieczyslas, c'est-à-dire au milieu du
neuvième siècle 1 .
1 La dispersion (an 997) (Ganz , Zémach David, pag. 181) arrivée en
Orient contribua à les multiplier en ce pays-là, et dans les royaumes
voisins, comme la Hongrie et la Pologne. Villalpand (in Ezech. tom. 2,
1
L'historien Naruszewicz soutient que l'établissement des
Juifs en Pologne a précédé de beaucoup les chroniques les
plus anciennes de ce pays. D'autres historiens prétendent
qu'au temps des persécutions des chevaliers Porte-Glaives
en Allemagne, un grand nombre de Juifs cherchèrent et
trouvèrent un asile et une hospitalité en Pologne 1 . Nous
croyons pouvoir concilier ces deux opinions qui semblent
se contredire au premier abord. Nous pensons que les
Israélites établis au nord de la Pologne y arrivèrent au
commencement du onzième siècle d'Allemagne où régnaient
alors d'affreuses persécutions contre eux 1 , tandis que
dans les provinces méridionales, les Israélites semblent
avoir été établis à une époque beaucoup plus éloignée. Il y
a une grande apparence qu'ils y arrivèrent au temps des
c. 58, pag. 543) les fait beaucoup plus anciens dans ce dernier royaume,
parce qu'il avait appris de l'ambassadeur de Pologne à Naples qu'on y
avait ouvert un tombeau, dans lequel on avait trouvé un corps d'une si
prodigieuse grandeur, que l'anneau qu'il portait au doigt pouvait servir de ■
bracelet, et entrer dans le bras d'un juif qui reposait là depuis les temps
heureux, où la république d'Israël florissait ; car on y trouva un grand
nombre de sicles d'argent, comme sont ordinairement ceux des Juifs,
et puis qu'Agrippa assurait que cette nation avait pénétré fort avant
dans le pont, on ne doit pas douter qu'elle n'eut passé en Pologne long-
temps avant la naissance du christianisme. (Basnage , histoire des Juifs,
1106, t. 4, pag. 1089).
1 W. Grabowski rapporte dans son ouvrage sur les Juifs polonais
(Ad. de 1611; § 4), que ce fut vers l'an 1096 que l'on vit les premiers
Juifs en Pologne.
* Leur arrivée des pays de l'Allemagne est encore prouvée par l'a-
nalogie qu'on trouve dans leurs cérémonies et leurs prières avec celle des
Juifs allemands (*), Leur idiome, qui est un allemand très vieux, montre
également leur origine commune dans les temps très anciens.
* Les rituels (Minhaguim) sont les mêmes chez les Juifs polonais, li-
thuaniens, bohémiens et allemands, et diffèrent beaucoup de ceux des
Juifs portugais et espagnols, ainsi que de ceux de Jérusalem.
invasions des hordes barbares qui se poussaient alors de
l'Orient à l'Occident. Dans une lettre au ministre Abd-el-
Rahman au roi des Khazars, il est fait mention de deux
Israélites polonais : Marc Saoul et Marc Joseph , venus à
Cordoue avec les envoyés de ce prince 1 . M. Carmoly dit
dans son ouvrage : que l'existence des Israélites en Po-
logne remonte à une époque peut-être fort rapprochée de
la fondation de cette monarchie, puisque on en comptait
déjà un grand nombre sous Zimomislas. Sur le sommet du
Caucase, la religion de Moïse est adoptée et professée par
le roi de Khazars, ce qui donne lieu de croire que les
Israélites, n'y étaient pas en petit nombre et qu'ils y exer-
çaient une grande influence. De là, ils s'introduisirent
dans les provinces russes et polonaises, où ils s'occupaient
du commerce, de l'échange des produits agricoles et ser-
vaient d'intermédiaires entre le nord et le midi.
Czacki, dans son estimable ouvrage (Dissertation sur les
Juifs, Rozprawa o Zydach), semble confirmer ce que nous
venons d'avancer. 11 dit aussi (pag. 69) : qu'un géographe
arabe, Ebn Haukel , vivant au commencement du dixième
siècle, atteste qu'il existait un royaume, réputé pour son
agriculture sur les bords du Menod-Atelou Volga, dont le
roi était un Juif. Il avait 9 cadis et 4,200 soldats; dans sa
capitale nommée Bat, les habitants de diverses croyances
jouissaient des mêmes privilèges.
Massandi, un autre géographe arabe, contemporain
d'Ebn Hankel, affirme que dans la capitale des Khazars se
trouvaient également des Juifs, que leur roi était un Israé-
lite et que leur capitale s'appelait Amot.
Ici, nous ne devons pas omettre que Karamsin, histo-
* État des Israélites en Pologne, par M. Carmoly.
rien, et tous les chroniqueurs russes s'accordent que les
Juifs s'établirent dans ce pays avant le dixième siècle.
Nestor raconte que les Juifs du royaume des Khazars
voulaient entraîner par leurs discours, Wladimir, grand
duc de Moscovie, à adopter leur religion '.
Dans la bibliothèque du Vatican, on trouve des livres
publiés par les Israélites de la Russie, de Tan 1094.
Vincent Kadlubek, chr . polon. , fait mention pour la pre-
mière fois, des Juifs, Tan 4176. Les chrétiens, d'après son
récit, par manière de passe-temps, attaquèrent les Juifs;
Mieczyslas le Vieux , prince de Pologne, et les autorités
d'alors les prirent sous leur protection. Les chrétiens furent
punis comme étant les agresseurs.
Des lettres patentes du treizième siècle (de Tannée 1203
et 1 207) attestent que les Juifs pouvaient acquérir des pro-
priétés territoriales; car il y est fait mention de villages
qu'ils possédèrent par droit d'hérédité.
Boleslas, prince de la grande Pologne, accorda, en 1 264,
aux Israélites quelques privilèges que Casimir-le-Grand
étendit à toutes les autres provinces.
Ce grand monarque était souvent obligé de punir avec
sévérité les moines et les nobles qui cherchaient à con-
trarier ses vœux paternels. Sensible aux malheurs des
paysans et de tous ceux qui, gagnant un morceau de pain
bis h la sueur de leur front, étaient exposés à la barbarie
de leurs seigneurs inhumains; il était empressé à les pro-
téger et chercha à relever les villes en y faisant fleurir le
commerce et l'industrie, ce qui lui valut, de la part de la
noblesse , d'être appelé par dérision le roi des paysans
* An arabian iravcller ofthe tei.ih ceniury Iranslated from amami-
eript in lus acon possession. Londro, 1800.
Paroi chlopôw). Ils ne s'aperçurent pas qu'en bidon-
nant le surnom de roi des paysans, ils l'honorèrent
sans le vouloir, du plus beau titre qu'un grand prince
puisse ambitionner.
Casimir-le-Grand avait reçu aussi le surnom d'ils-
$uérus , pour insinuer que malgré ses grandes qualités
et ses sublimes vertus, il n'était pas exempt des passions
humaines, lmpressionable et sensible aux charmes des
femmes, et aussi inconstant qu'il était vif, il changeait sou-
vent de maîtresse jusqu'à admettre dans sa couche royale
une juive d'une beauté ravissante, nommé Esterka, née à
Opoczno. Il la préféra à Adélaïde, fille du Landgraf de
Hesse, et il éloigna également de son palais la belle Roki-
czana, princesse de Bohême. Il eut d'Esther deux fils :
Nemir et Pelka '. Ceux qui analysaient mal les choses,
attribuaient à ses passions sa bienveillance royale envers
les Juifs, émus par la jalousie et les préjugés, ils le com-
parèrent à VAssuerus de la Bible. Mais quand on réfléchit
sérieusement, on voit que la Pologne d'alors étant couverte
de forêts immenses et ayant peu d'habitants et manquant
de villes, l'industrie et le commerce étant à créer, Casi-
mir-le-Grand ne pouvait rien faire de mieux que de pro-
téger les Juifs. Qu'on considère qu'il bâtit 70 villes et que
ce fut lui qui dota la Pologne d'écoles et de lois, cela seul
suffit à prouver que son esprit était trop élevé et trop
, Les amours de Casimir pour Esterka ont inspiré plusieurs littéra-
teurs polonais. Bronikowski et Bernatowicz firent des romans historiques
d'un grand mérite littéraire. M. Czynski publia Le roi despayxam, ou-
vrage qui, dans un drame palpitant d'intérêt, plaide la cause des Israé-
lites. Ce roman est traduit en Allemand. Un jeune poète en fit un drame
et M. Cock le traduit en Anglais.
noble pour attribuer des motifs si bas aux actes de sa haute
politique.
Les sages lois de ce grand prince, à l'exécution des-
quelles il veillait lui-même, ont produit pour résultat que
les Juifs, décimés en Allemagne et persécutés dans toute
l'Europe, vinrent chercher un asile sur les bords de la
Vistule. Us y fondèrent des colonies et des villes, établi-
rent des ateliers et s'enrichirent en enrichissant le pays.
L'ordre équestre polonais avait de la répugnance pour le
commerce; ce furent donc les Juifs qui s'en occupèrent
exclusivement et qui élevaient des fabriques et exerçaient
tous les métiers. La monnaie et les matières premières pas-
saient toutes par leurs mains.
C'est à cette époque qu'ils établirent des greniers im-
menses appelés du nom de leur bienfaiteur : Kazhnierz ,
dont on voit encore aujourd'hui les ruines entre Cracovie
etLublin. A Cracovie le bâtiment monstre Sukienniça, ainsi
nommé parce qu'on y fabriquait les draps pour tout le
royaume, étonne les voyageurs par sa magnificence, et
témoigne de la noble bienveillance du sage roi.
Czacki soutient avec raison que ce n'étaient pas seule-
ment les Juifs polonais mais aussi des Juifs étrangers qui
fournirent à ce roi les capitaux nécessaires pour élever
les 70 villes dont nous avons parlé plus haut. « Sous ce
digne roi , dit Czacki, les chrétiens ne méprisaient point
les juifs ; comme il prospéraient tous à l'ombre de la li-
berté , ils bénissaient et remerciaient le ciel , le chrétien
dans son égliseet l'israélite dans sa synagogue, du bonheur
de vivre dans la même patrie et de jouir d'une justice
égale. »
Ici nous ne devons pas omettre de dire un mot du re-
proche qu'inventèrent les fanatiques et les ennemis des
Juifs pour accabler . ces derniers et leur attirer, au lieu de
la sympathie royale, la haine universelle.
Ce peuple, qui apportait en Pologne ses capitaux, y
élevait des fabriques et donna par là une nouvelle vie
à l'industrie polonaise , on osa l'accuser du crime aussi
absurde qu'il serait atroce , d'employer du sang d'un
enfant chrétien dans leurs cérémonies religieuses. Le
roi ordonna de faire des recherches sur ce prétendu
crime, et s'étant convaincu de l'innocence des Israélites,
il publia un édit , où il disculpa les Juifs de cette ac-
cusation aussi barbare que ridicule, et en commémora-
tion de ce fait, il fît bâtir une église à Cracovie, sous le
nom des chanoines réguliers.
Nous ne pouvons pas nous dispenser de donner ici
quelques extraits des statuts de Boleslas, approuvés par
Casimir-le-Grand et mis en exécution dans tout son
royaume.
Ces statuts feront connaître deux choses :
1° La justice des rois de Pologne ;
2° L'esprit étroit et barbare de l'Europe à cette époque,
qui reprochait au grand roi de Pologne son excès de bien-
veillance pour les Israélites.
4. «Lorsqu'il se trouve une affaire contre un Israélite,
où il faut des témoins, le juif doit être confronté avec ces
témoins, dont deux doivent être catholiques et le troi-
sième un juif connaissant bien les lois israélites. »
En se rappelant que dans ce siècle on accusait encore
les Juifs d'empoisonner les puits et de verser le sang des
enfants, on ne sera pas étonné que pour les mettre à cou-
vert de ces injustices, le législateur ait trouvé nécessaire
de faire cette loi dont la noblessse réunie en diète, en
1543, s'est plainte, comme étant trop favorable aux Juifs.
8
2. « Il est permis aux Israélites de prendre toutes sortes
de gages excepté les effets des églises. Si l'effet se trouve
être un objet volé, le juif est forcé de déclarer avec ser-
ment qu'il n'en savait rien et doit rendre en argent la moi-
tié de la valeur de cet effet engagé. »
3. « Dans l'affaire du dégagement d'un objet apparte-
nant à un chrétien, le juif a le privilège de plus que le
chrétien de nier l'objet engagé ou de soutenir qu'il Fa pris
pour telle ou telle somme, etc. »
4. ¥ Les amendes provenant des querelles entre Juifs
n'appartiennent pas au juge de la ville, mais doivent être
versées dans le trésor du prince régnant. Le noble doit
payer pour des blessures faites à un juif, la même amende
que pour celles faites à un noble. »
5. a Aucun droit ne sera perçu pour le transport des
morts. Le chrétien, qui dégradera un cimetière juif, sera
puni de la confiscation de ses biens. »
6. «Celui qui jettera des pierres sur une synagogue sera
condamné à payer au staroste une amende de 2 livres de
poivre. »
Le poivre était alors une offre très précieuse, parce
qu'il était très recherché et rare. Aujourd'hui encore,
pour conserver la mémoire de la levée de l'octroi, les
négociants de Worms et de Bomberg envoient les jours
anniversaires de ce privilège, une livre de poivre au bourg-
mestre de Francfort. »
7. « Les serments sur les dix commandements ne doi-
vent être exigés qu'en cas où la valeur du différend sur-
passe !a somme de 50 marcs d'argent, ou dans les affaires
dont l'inscription avait été faite devant le prince régnant.
Dans les affaires de moindre importance, le juif doit prêter
serment devant la synagogue. »
9
8. « Si on n'a pas de preuves positives contre des per-
sonnes accusées d'avoir assassiné un juif, on doit en aver-
tir le prince régnant. »
9. « Dans la procédure contre des Juifs, touchant l'as-
sassinat d'un enfant chrétien, il faut trois témoins chrétiens
et autant de juifs. L'accusateur qui ne prouvera pas le
crime subira le même châtiment qu'aurait subi l'accusé
s'il en avait été convaincu l .
40. « Il n'est pas permis aux Juifs de voler des enfants ;
celui qui en volera un , sera puni comme un voleur. »
11 . « 11 est permis aux juifs d'acheter toutes sortes de
marchandises, de toucher au pain et à d'autres produc-
tions. »
Quand on réfléchit que le fanatisme et la superstition de
ces temps-là répandaient partout cette calomnie que les
Juifs avaient besoin du sang d'un enfant chrétien 3 , et
qu'on se rappelle qu'on ne se faisait point de scrupule
de les en accuser injustement , on comprendra pourquoi
i On aurait tort de s'étonner que quelques fanatiques de ce temps-
là aient eu ces idées chimériques sur l'emploi du sang d'enfants chrétiens
dans les cérémonies des Juifs, puisque même aujourd'hui, dans ce siècle
si éclairé, un illustre comte polonais,. le général Ostrowski, se permet de
dire, dans son ouvrage sur la réforme des Juifs, page 16 : c On ne peut
aucunement nier la possibilité du crime du massacre des enfants chré-
tiens ; car les procédures judiciaires nous ont conservé des témoignages
de ces crimes et de leur punition.»
Nous regrettons vivement que cet auteur ne se soit pas formé une
opinion sur ce sujet. S'il s'était seulement donné la peine de lire ce que
J. Tugendhold en dit , dans ses écrits (Obrona Izraelitôw) , il y aurait
trouvé des preuves dignes de foi de sénateurs et d'inquisiteurs contre l'im-
putation injuste do ce genre de crime.
2 M. Stanislas Hugo a bien raison de dire, dans son ouvrage Tu Chazy:
« J'envie la récompense qui doit échoir en partage aux Juifs à cause de
leur innocence dans l'accusation des massacres des enfants chrétiens.»
10
la loi exigeait des témoins Israélites aussi bien que des
témoins chrétiens avant de punir ce crime. Le supersti-
tieux chanoine Zukowski prétend que dans l'espace de
300 ans les Juifs massacrèrent 86 enfants chrétiens. Il
est vrai qu'on trouve deux décrets qui condamnent les
juifs pour ce prétendu crime; cela est pénible sans
doute , mais ces décrets s'appuyaient sur des aveux ar-
rachés par la torture. (Voyez, à ce sujet, l'aveu de M. Tu-
gendhold dans son ouvrage : Défense des Juifs, Varsovie,
1831 \
1 Le fanatisme ridicule n'est pas encore tout à fait éteint dans les
Cours chrétiennes, même de nos jours, comme nous n'en avons que trop
souvent des exemples. Outre l'affaire récente de Damas, en voici un
autre :
< Notre ville (Tarnow en Galicie) vient d'être le théâtre d'une émeute
contre les Juifs, semblable à celle qui eut lieu, il y a quelques années,
à Damas en Syrie.
» Un petit garçon âgé de neuf ans disparut subitement de chez un sieur
Dellemba, son tuteur, peu de jours avant la Pâque des Israélites : et en
même temps le bruit se répandit que cet enfant aurait été enlevé par les
Juifs de notre ville, qui l'auraient égorgé et employé son sang comme in-
grédient dans les pains azymes qu'ils venaient de fabriqucr.Aussitôt, toute
la population s'ameuta et envahit le quartier des Juifs, qu'elle parcourut
en tous sens, en vociférant des imprécations contre ceux-ci.
» Déjà plusieurs voies de fait avaient été commises contre les Israélites,
et contre leurs propriétés, lorsque enfin, la police jugea à propos d'inter-
venir, mais au lieu d'agir comme elle aurait dû le faire, c'est-à-dire, de
protéger les Juifs contre les injustes attaques dont ils étaient l'objet, et
au lieu de faire comprendre aux fanatiques l'absurdité de leur accusation,
elle fit tout le contraire; elle donna raison aux adversaires et sévit contre
es Juifs. Toutes les troupes de la garnison de Tarnow et celles qui se
trouvaient dans les environs, furent réunies dans celle ville.
i Des détachements de cavalerie et d'infanterie occupèrent les issues
de toutes les rues du quartier des Israélites. Des agents de police, escortés
de militaires, pénétrèrent dans toutes les maisons des Juifs et y firent du
haut en bas les investigations les plus minutieuses, et cela jusque dans les
lieux d'aisance. Dans le local du cercle des Juifs, dit tes Chassidim, ces
II
La mort du grand roi, fait époque pour la décadence des
Villes en Pologne et pour le changement du sort des Israé-
lites. Une destinée fatale pour la Pologne, a voulu que
agents poussèrent leurs recherches encore plus loin ; ils levèrent les par-
quets de toutes les pièces et brisèrent les lambris de revêtement. A la
boulangerie juive, ils saisirent tous les pains azymes et toutes les cendres
qui furent soumis les uns et les autres à de nombreuses analyses chi-
miques.
» Comme, malgré tous les efforts, la police ne put découvrir aucune
trace de l'enfant qui avait disparu , elle fit arrêter plusieurs Israélites aux-
quels on fit subir de nombreux interrogatoires. On se disposait, peut-être,
à mettre ces infortunés à la question, comme cela se pratiqua à Damas,
lorsque, heureusement, la municipalité reçut la nouvelle que le pupille
du sieur Dellemba venait d'être découvert et arrêté dans un village si-
tué près de Tarnow, où il s'était réfugié pour éviter les mauvais traite-
12
Casimir-le-Grand ne laissât pas d'héritier légitime. Il avait
deux fils d'Esther, ce qui , sans doute , augmentait son
amour pour cette belle israélite ; mais tout ce qui , de son
ment que lui faisait subir son tuteur. Aussitôt, le blocus des rues du
quartier des Juifs fut levé, et les Israélites détenus furent mis en liberté.
On ramena processionnellement, et comme en triomphe, l'enfant à Tarnow,
et alors il se passa dans les rues de cette ville une scène à la fois tou-
chante et grotesque. Toute la nombreuse population juive se précipita sur
le passage de l'enfant, et chanta à pleine voix des hymnes hébraïques,
pour rendre grâce à Dieu de l'avoir délivrée de l'affliction et des périls
où elle se trouvait naguère.
• Le pupille du sieur Dellernba a été interrogé par un juge d'instruc-
tion et voici, s'il faut ajouter foi aux paroles de cet enfant, ce qui aurait
eu lieu . M. Dellernba avait depuis longtemps une grande animosité contre
les Israélites, et il avait conçu le projet de leur jouer un mauvais tour.
A cet effet, il engagea son pupille à aller déclarer à la police que les
Juifs voulaient l'enlever, et comme l'enfant refusait obstinément de le
faire, M. Dellernba l'enferma dans une petite chambre, et lui dit qu'il ne
serait remis en liberté que lorsqu'il lui aurait obéi.
» L'enfant parvint à s'évader et se réfugia chez un de ses parents, de-
meurant dans un village près de Tarnow, où bientôt M. Dellernba le dé-
couvrit et voulut le forcer à s'embarquer sur le Dniester*, mais dans le mo-
ment même où il» allaient monter sur un navire, quelques Israélites de
ceux qui parcouraient le pays pour rechercher le pupille de M. Dellernba,
survinrent, s'emparèrent de l'enfant et le ramenèrent à Tarnow.
» Immédiatement après que M. Dellernba eut enfermé chez lui son pu-
pille, il courut déclarer à la police que cet enfant avait disparu, et qu'il
soupçonnait les Juifs de l'avoir enlevé, pour l'égorger etméier son sang à
la pâte des pains azymes. Aussitôt après, le conseil du cercle de Tarnow
se réunit, et après avoir pris connaissance de la déclaration du sieur
Dellernba, il lit inviter l'archevêque de Tarnow à assister à sa séance.
Le prélat se rendit à celte invitation et émit l'avis qu'il faudrait faire les
perquisitions les plus minutieuses chez les Israélites. Cet avis fut partagé
par le conseil, qui sur-le-champ, fit prendre les mesures rigoureuses que
l'on sait.
» Les Israélites ont adressé au gouverneur-général du royaume de Gali-
cic , l'archiduc Ferdinand d'Esté, une pétition où ils réclament contre
les persécutions dont ils ont été l'objet. S. A. J. a accueilli cette pétition
43
vivant» causait le respect pour sa maîtresse, devint, après
sa mort, un motif de haine et de vengeance. Nemir et
Pelka, enfants naturelsdu roi, disparurent comme victimes
delà noblesse jalouse et peut-être des prêtres courroucés.
On craignait que ces deux bâtards du grand roi et de la
juive n'exerçassent une influence dangereuse sur le pays,
la couronne et la religion. Appelé sur le trône , Louis , roi
de Hongrie, fit connaître bientôt, ce que la Pologne devait
espérer des rois étrangers. Louis, plus attaché à la Hon-
grie qu'à la Pologne, gouverna cette dernière par ses lieu-
tenants. Pour conserver le pouvoir, il devait flatter les
évoques et la noblesse; mais les habitants des villes et
particulièrement les Juifs aussi bien que les paysans , fu-
rent livrés de nouveau au despotisme des .seigneurs, fiers,
oisifs et sans pitié. Les Juifs durent quitter les villes. Cer-
tains bruits circulaient alors qu'Esther, qui naguère était
au faîte des grandeurs et répandait les faveurs à pleines
mains, ne pouvant supporter son humiliation et le mépris
d'anciens flatteurs , avait terminé sa vie, en se jetant par
une fenêtre. D'autres soutenaient qu'elle était morte de
chagrin et de misère. Cependant tdus ces bruits ne sont
pas fondés. Les habitants de Cracovie, montrent encore,
dans le jardin royal de Lobzow, l'endroit où fut enterrée
cette femme célèbre.
Les Juifs qui , sous la protection de Casimir-le-Grand,
avaient adopté le costume national polonais , qui bâtis-
saient de grandes villes, faisaient venir de grands trésors,
après sa mort furent obligés de porter des bonnets jaunes
avec une grande bienveillance, et tout porte à croire que justice sera
faite *.
* Gazette des Trib. du 30 avril et 5 mai J844.
46
sordre sanglant , punit tous ceux qui permirent au peuple
de le commettre *.
Sous Sigismond I er , les Juifs persécutés et dépouillés en
Bohême, ont reçu la permission devenir chercher un asile
en Pologne, pour s'y ranger sous les mêmes lois. Le sy-
node, c'est-à-dire les notables israélites polonais adres-
sèrent à leur co-religionnaires l'appel suivant :
« Jehova a de nombreux Sephirothes*. Adam nous donna
la preuve des différentes perfections. Un israélite donc
ne doit pas se borner à une seule science. La première
science est sainte, mais les autres sciences ne doivent
pas être omises pour cela. Le meilleur des fruits est la
pomme du paradis , mais faut-il pour cela ne point goû-
ter d'autres pommes? Toutes les sciences sont de l'inven-
tion de nos pères, et celui, qui n'est pas impie, trouvera
l'origine de tout notre savoir dans les livres de Moïse. Ce
qui a été la gloire de nos pères, ne peut pas tourner
maintenant en honte. Il y avait des juifs à la cour des rois.
Mardehey fut savant. Esther fut sage. Néhémie fut con-
seiller persan et sauva le peuple de l'esclavage. Appli-
quez vous aux sciences , soyez utiles aux rois et aux sei-
gneurs , et tout le monde vous estimera. Il y a autant
de juifs sur la terre que d'étoiles au ciel , et de grains de
sable dans la mer, mais chez nous, ils ne luisent pas
comme les étoiles et tout le monde nous foule aux pieds,
! Les sephirothes sont la partie la plus secrète de la cabale. On ne
parvient à la connaissance de ces émanations et splendeurs divines qu'a-
vec beaucoup d'étude et de travail. C'est là le haut degré de la théologie
contemplative qui charme et qui enchante ceux qui y sont initiés. Il y a
dix sephirots : la couronne, la sagesse, l'intelligence, la force ou la sévé-
rité, la miséricorde ou la magnificence, la beauté, la victoire ou Y éter-
nité, la gloire, le fondement et le royaume.
il
comme le sable. Notre roi est aussi sage que Salomon,
aussi saint que David , il a auprès de lui un autre Samuel
presque prophète (il est question ici du célèbre chancelier
polonais Samuel Maciejowski). Il regarde son peuple
comme une forêt immense. Les vents jettent la semence
de tous les arbres et personne ne demande d'où viennent
les plus belles plantes. Pourquoi donc notre cèdre du
Liban ne s'élèverait-il pas au milieu des gazons, »
Si nous croyons Jacques Zaborowski , le roi Alexandre,
se soumettant aux remontrances du clergé , aurait voulu
chasser tous les Israélites de la Pologne. Przyluski loue
Alexandre devoir refusé les offres d'argent que lui fai-
saient les Israélites menacés. Czacki fait observer que ce
roi aurait mieux fait d'accepter ces offres volontaires,
d'enrichir son trésor et de protéger les innocents.
Nous croyons utile de citer ici une circonstance dont
nous trouvons les traces dans l'histoire :
Pendant les discordes religieuses, lesChrétiens voulurent
faire des Israélites leurs prosélytes. On prétend que ceux-
ci , au contraire , en indiquant les erreurs des différentes
sectes, avaient pour but de leur faire adopter la religion de
Moïse. Cette tentative fut cause de nouvelles persécutions.
Le clergé, non-seulement en chaire, mais par des publica-
tions de tout genre, excitait la haine publique contre eux.
Les Juifs, menacés et effrayés s'adressèrent au sultan de
Turquie pour obtenir un asile dans ses états. Il est connu
qu'un grand nombre d'Israélites de cette époque, victime
des persécutions, quitta la Pologne et s'établit en Vala-
chie, d'autres furent arrêtés \
i Celte circonstance est exprimée dans une lettre de Sigismond 1 à
Pierre Kniittp, le 9 juillet 1640, qui plaidait fortement In cause des Juifs.
. 2
18
Parmi les écrits dont les traces sont restées jusqu'à ce
jour, nousciterons : De tfupendis criminibus Judœorum, 4 541 1
Craeoviœ. Là , l'auteur inconnu exige que les synagogues
Israélites soient abolies. Entre les crimes particuliers que
Ton imputait aux Juifs, il y en a qui réellement portent le
cachet dune ignorance surprenante : les Juifs achetaient
dte bœufs en Valachie et les vendaient à l'étranger : on a
dit tout de suite que c'était pour affamer le pays. On leur
a défendu , sous peine de mort , de faire le commerce des
chevaux, sans doute parce que les guerriers polonais trou-
vaient leur compte en les prenant gratis, ou à un prix bien
minime chez les paysans qui n'en connaissaient pas la vé-
ritable valeur.
Dans la diète polonaise, les uns voulaient les chasser,
d'autres leur interdire le commerce. Un petit nombre seu-
lement voulait les admettre à la jouissance de tous les
droits l .
Jetons un coup d œil sur la loi qui concerne les Juifs
sous le règne de Sigismond. 11 leur était défendu de pren-
dre en bail des revenus de l'octroi, ils ne pouvaient exer-
cer des emplois quelconques et faire le commerce dans
les villages. Les Juife qui habitent les villes et les villages
appartenant au roi, ne doivent pas compter sur sa
protection. Us payeront un double impôt pendant la
guerre \
Ordinairementles hommes supérieurs parleurslumières,
leurs sentiments généreux et leur3 positions, sont au dessus
des préjugés et de l'obscurantisme. Cependant, en vain nous
i Czacki.
* Ils étaient imposés deux fois autant que les chrétiens. Voyez les
lettres circulaires (Uniwersaly poborowe), sur les inscriptions, 1503,
1511, 1519, 1513, 152Ô, 1523, 1538,. 1543, 1545, et Cracki.
\*
parcourons les livres des savants polonais, des écrivains
catholiques, aussi bien que protestants, ont quelque chose
de commun dans leur haine contre les Israélites ; souvent
même, le pape et les évêques se montraient plus justes
envers les Juifs que Vécole protestante.
Rey de Naglowic foudroie les Juifs dans ses écrits,
Przyluski également, professant les dootrines d'Augs-
bourg, les attaque avec plus de frénésie que l'illustre
Hosius , évoque et cardinal catholique. Kamienieoki, évé*
que de Bialobrzez, fait appel aux chrétiens /pour qu'ils
massacrent les Juifs» s'ils ne veulent pas être massacrés
par eux.
Les Israélites étant repoussés de toute communauté avec
les Chrétiens , depuis que le statut de Casimir-le-Grand
avait cessé de les protéger, se gouvernaient de la manière
suivante : les constitutions de temps à autre s'occupent
desJuifs, formentune longuechatne deloisexceptionnelles,
d'impositions, de punitions, de prohibitions contre eux ;
mais nous n'y trouvons point de lois qui règlent les procès
et les différends entre eux et les Chrétiens, ni entre eux
mêmes. Il parait que cette exclusion des Juifs de toute
protection, a fait qu'ils durent adopter les livres du Talmud
et de Moïse pour leurs lois, et les rabbins pour leurs juges.
Notre supposition à cet égard se trouve justifiée par la dé-
cision ultérieure du roi Sigismond-Auguste, qui permet à
l'autorité des Juifs de Posen , d'appliquer leurs lois de
Moïse à tout crime et même la peine capitale, et il ordonne
au grand-général de la Grande-Pologne , de faire exécu-
ter ses sentences \ Sous le règne du même roi, on forçait
â Waclaw Grabowski (sur les Juifs de la couronne) 1611, et en 1571
le raetr. kor, ks. 410, fol. 61 . On a permis aux supérieurs des Juifs ; • io
M
les Juifs à fournir l'argent à très bas prix à la monnaie,
tandis que Ton rétrécissait leur commerce et que l'on dé-
fendait aux Chrétiens de servir et travailler chez les Juifs.
Le même monarque ordonne aux Juifs de Lithuanie d'obéir
à leurs propres autorités religieuses , et il leur défend de
porter des chaînes en or et de riches métaux ou pierreries
sur leurs ceintures et armes ; quant à leurs femmes, elles
ne pouvaient s'habiller selon leur fortune et leur bon plaisir
on leur permit seulement de porter des bagues avec l'in-
scription du nom de Jérusalem ou sabbation \ Cette
dernière permission de porter des bagues n'était pas peu
importante dans l'esprit des Chrétiens polonais de ce
temps-là. Pendant longtemps, les débats durèrent àcesujet,
enfin le roi permit de porter ces bagues avec le nom de
Jérusalem, qui devait rappeler la colère de Dieu et la pu-
nition du péché des Juifs.
Cette faible protection que les Israélites éprouvaient en-
core sous le règne des rois de la race des Jagellons, a dis-
paru presque tout à fait sous les rois électifs. La noblesse
n'aimant que l'excès et l'anarchie partout, arrachait aux rois
des concessions, se déchargeait elle-même de toute contri-
bution pour les besoins de l'Etat et renvoyait le fardeau tout
entier aux villes et aux serfs. C'est alors que les paysans^
les bourgeois et particulièrement les Juifs, eurent à souf-
omnibus criminibus et excessibus, Judrcos vel urbe pcllere, vel etiarn
vita privare, et ut nulla pro hoc diflicultas a moderao palaiino, et pro
tompore existent! non inferatur.D
i Moïse Navarinus, Electa sacra éd. 1629, fol. 442, Observatum est
plcrosque hebrœos in annulis figuram Jérusalem gestavisse idane pra?ci-
puc pr.Tstitisse, eum a pallia Babyloniœ exules essent, ul sallcm palri.T
momoria ruraventur eam in annulus quod assidue ad illam cogitarcnl
adeo, ut corpore quidam ipsi a pallia excelarent; palria vero ab eorum
mentibus cxularet minquam, ad hune ritum pler unique non insulte vocani
illa. rogi prophète verbn, ps. 156.
21
frir et à se dépouiller de tout , car on ne les regardait môme
pas comme des créatures dç Dieu. Il est pénible d'ajouter
ici qu'à l'arrivée d'Henri de Valois en Pologne, les persé-
cutions religieuses contre les Juifs redoublèrent. Ce prince,
qui joua un si triste rôle dans la nuit de la saint Barthélémy,
en France, devait prêter serment en montant sur le trône
de Pologne, qu'il observerait la tolérance envers toutes les
religions du royaume , car c'était un point principal de sa
constitution.
Les confédérés, après la mort du dernier Jagellon, dé-
crétèrent la liberté de conscience , mais Henri ne voulut
point y souscrire, et ne se prêta que malgré lui à la vo-
lonté de la nation polonaise, et c'est sous son court règne
qu'on accusa de nouveau les Juifs du massacre des enfants
chrétiens, et on les persécuta plus que jamais, jusqu'à ce
qu'Etienne Batory, roi aussi grand et généreux que Casi-
mir, renouvela le statut de ce dernier et mit fin aux plus
sanglantes persécutions.
m
A ce grand monarque, que l'histoire a dû placer au pre-
mier rang des princes, qui ont jamais porté le sceptre, on
peut adresser un reproche, malgré cette admiration uni-
verselle, que la supériorité de son courage , de son élo-
quence, de sa justice et de ses lumières lui ont attirée. Ce
reproche pour une faute , qu'il avait d'ailleurs expiée de
son vivant, peut lui être adressé aujourd'hui encore;
car il avait autorisé l'introduction des Jésuites en Pologne ;
tandis qu'il disait et répétait , que Dieu seul peut régir les
consciences. Il est vrai, qu'à cette époque , les Jésuites se
distinguaient par leur amour pour les sciences et comp-
taient parmi eux un grand nombre de savants, mais c'est
eux qui y ont amené aussi l'intolérance , les anathèmes ,
les persécutions, et toutes sortes d'intrigues couronnées
33
par une guerre civile et les guerres avec la Suède et les
Cosaques. A l'admission des jésuites sur le sol polonais, on
peut justement attribuer la cause de la décadence de ce
beau royaume , le désordre et l'anarchie parmi ses habi-
tants, enfin la destruction presque complète d'une nation
grande, belle et généreuse.
Cependant, nous ne pouvons pas passer sous silence ,
que souvent, dans les débats des représentants de la no-
blesse, la voix de l'humanité se faisait entendre. Les fastes
des diètes de 4 532 et 1534, recueillies par Tomicki, prou-
vent assez qu'il y avait des Polonais , sachant estimer la
gloire de la patrie et le bien public. Ils demandaient que
justice fût rendue aux Juifs, que la liberté leur fût accor-
dée comme aux autres habitants du pays; mais, hélas l leur
voix fut regardée comme achetée. Ces défenseurs des op*
primés n'ont pas eu assez de courage civique pour per-
sévérer dans leur tâche. Les jésuites les en détournaient
et faisaient deux des hommes qui , après avoir lutté à
mort , au moment de remporter la victoire, y renoncent t
crainte d'une scandaleuse accusation.
Les juifs eux-mêmes se défendaient aussi. Il y avait, à
cette époque, un ouvrage imprimé par un auteur ano-
nyme, mais bien écritet bien fondé, sous le titre : Âdquœ-
relam mercatorum Cracoviœ, responsum judœorum déclara-
tum 4539, etc.
Ils démontrent dans ce livre que les religions changent,
(ce livre a paru lors de la propagande de Luther), mais que
les hommes ne doivent pas s'entre-persécuter ; que les
juifs font le commerce des produits de la terre, et par con-
séquent, fournissent au pays de l'argent sans l'emporter;
qu'il vaut mieux tolérer la religion connue des juifs, que
de les forcer a l'hypocrisie. Il y est dit en outre , qu'en
24
Pologne il n'y a pas d'ouvriers et que Ton y trouve 500
marchands chrétiens seulement , sur 2,200 marchands
juifs et trois fois autant d'ouvriers juifs. Enfin ilsajoutent,
qu'ils ne doivent pas dépendre du pouvoir de 1 église ,
étant sous celui des rois dont la protection les a attirés et
les a fait établir sur le sol polonais.
Il parait des lettres circulaires pour les impôts , qu'a-
vant la guerre, les juifs étaient soumis à une double per-
ception, et lorsqu'il s'agissait de payer pour un rempla-
çant , on exigeait d'eux deux fois autant que des chré-
tiens.
L'autorité parmi les juifs était exercée par des rabbins ,
et il y avait un chef de ces derniers. Le premier, qui rem-
plissait ces hautes fonctions, était Michel de Drzesc. Dans
un matricul lithuanien , tome VII , se trouve l'ordre de
Sigismond I , de Tannée 1506, appelant Michel à cette di-
gnité, Les archi-rabbins dans les villes royales et seigneu-
riales exerçaient les fonctions de juges. Ce pouvoir était
bien grand parmi les juifs, car les condamnations à la peine
de mort et à l'exil, selon les lois israélites, étaient dans
leurs attributions.
Nous ne pouvons pas omettre ici ce que le cardinal Com-
mandant, nonce du pape à la cour de Sigismond-Auguste
a dit des Juifs, bien que Ton ne puisse l'accuser de les
avoir favorisés. Voici ses propres mots :
«On trouve encore en ces provinces une grande quantité
de Juifs qui n'y sont pas méprisés, comme en plusieurs
autres endroits. Ils n'y vivent pas misérablement de
lâches profits, des usures et de leurs services, bien qu'ils
ne refusent pas ces sortes de gains, mais ils possèdent des
terres, s occupent du commerce et s'appliquent même à
l'étude des belles-lettres, particulièrement à la médecine
25
et à l'astrologie; ils ont presque partout eu la commis-
sion de lever le droit des entrées et du transport des mar-
chandises. Us peuvent prétendre à une fortune assez con-
sidérable, et non-seulement ils sont au rang des honnêtes
gens, mais quelquefois ils leur commandent. Ils n'ont môme
aucune marque qui les distingue des chrétiens; il leur est
même permis de porter l'épce. et d'aller armés. Enfin, ils
jouissent du droit des autres citoyens,. »
Nous faisons observer que Commandoni parle des Juifs
des provinces méridionales, où il a voyagé, en adressant
des reproches aux Polonais d'avoir accordé de pareilles
libertés aux infidèles.
Les persécutions religieuses ont été introduites en Po-
logne par l'influence étrangère. Commandoni prodigue
des louanges singulières aux Juifs de l'Ukraine ; il dit,
qui] confiait ses lettres aux Juifs et que l'un d'eux qui était
docteur (assurément Simon de Gintzbourg), avait son en-
trée chez le roi.
Malgré la censure , nous trouvons quelques traces de
la littérature israélite en Pologne. Il parait que les cen-
seurs ne savaient pas ce qu'ils lisaient, car il y a des livres
autorisés par eux, dans lesquels les Juifs se moquaient des
cérémonies chrétiennes. Nous citerons ici l'ouvrage «/orf
Chazakan d'Aron de Kazimierz, dont la publication était per-
mise par le Consistoire archidiocésal de Gniezno en l'année
1557. Il ne manquait pas aussi décrits malicieux de la
part des chrétiens. Czackidit: que Przeclas Mojecki, en
4598, et Mierzynski, en16!8, ont publié tout ce que l'ani-
mosité fanatique a pu dicter au zèle religieux. L'un d'eux
t Vie du cardinal Commandoni, par Gralien, traduit par Pléchier. fa*
rit, 1&U, pag, 190.
îc
accusait les Juife de sortilège ! À Gracovie parut un ou-
vrage, eu 4648, sous le titre : Libertinage effréné de* Juife.
Un autre, sous celui : Lamentation des enfants égorgés par les
Juifs. Et beaucoup d'autres, dont le titre seul prouve ou le
manque de bon sens, ou la perversité des Jésuites.
Le médecin Sleszkowski , jaloux des Juifs qui avaient le
bonheur de guérir les malades, écrivait contre eux et exi-
geait qu'iVleur fût défendu de visiter les patients. Il mit à
la tète d'un écrit ces mots étranges :
« Preuve évidente que tous ceux qui ont recours aux
médecins juifs et tartares, livrent non seulement leur ame,
mais aussi leur corps à la destruction et à la damnation.
Cette preuve est écrite par un moine et éditée par le doc-
teur Sleszkowski en Tannée 4623.» Ce lâche opuscule
était réimprimé à Craco vie en Tannée 4649. Cet infâme
auteur, dans son dernier écrit, n'avait pas de honte de sou-
tenir que la peste et la famine sont l'effet de la colère
divine contre les Polonais qui donnent asile aux Juifs.
IV
Nous devons maintenant parler des efforts que Ton fai-
sait pour changer les Juifs en Polonais. Nous avons vu
qu'en s'écartant de la politique de Ca*imir-le-Grand, en
persécutant les Israélites, en permettant aux écrivains
fanatiques de livrer au mépris toute une race d'hommes
innocents et d'exciter la population superstitieuse contre
eux ; nous avons vu, qu'au lieu d'attirer, d'éclairer, de rao*
raliser, enfin changer en bons citoyens, les uns, et par
conséquent les rendre agréables et utiles aux autres, une
haine implacable et réciproque s'en suivit.
Au commencement du règne de Sigismond-Àuguste, la
Statut lithuanien a admis à la noblesse 1 les Juifs convertis
que Czacki appelle Néophiles,
1 Statut lithuanien, art. i-tl.
28
« Aveugles sont ces Juifs du grand-duché de Lithuanie,
qui ne veulent accepter ni les privilèges de noblesse, ni
la véritable foi en Dieu!» s'écrie Grabowski dans son
ouvrage sur les Israélites, publié à Cracovie, en 1 64 1 .
Donc le titre de noble, ou la plus haute prérogative du ci-
toyen, ne suffisait pas pour que les Juifs, méprisés, persé-
cutés, abjurassent la religion de leurs ancêtres et sacri-
fiassent à X intérêt leurs convictions intimes. Il nous semble
qu'il faudrait plutôt admirer leur persistance que de la
condamner, car la foi ne se vend pas ; personne ne l'a-
chète : c'est un trésor de la conscience , auquel Dieu seul
a le droit de toucher. Aussi, y avait-il peu d'Israélites qui
profitèrent de cette loi ; quelques familles seulement abju-
rèrent la religion de Moïse et se firent chrétiens. Mais la
conduite des catholiques envers les néophytes était atroce.
Ils les appelaient avec mépris przekszty , ivykszty. Ce
mépris atteignait et enveloppait jusqu'à leurs neveux
et arrière-neveux, et même se faisait jour dans les débats
et les décisions des Diètes.
Lorsque les enfants de néophytes avaient acquis des
biens et acheté des terres , l'envie des nobles obtint
une loi, en 1764, qui leur ordonnait de vendre ces terres
sous peine de confiscation. La Constitution de 4768 a
aboli cette loi barbare. Cependant, le sort des néophytes
est resté tel, que, repoussés parleurs nouveaux co-religio-
n air es, méprisés et haïs parles nobles, ils ne faisaient plus
que le rebut de la société. Aussi, leurs enfants ou petits-
enfants, dès qu'ils entendent prononcer le seul nom de Juif
rougissent-ils en frémissant. Au résumé, ils font semblant
d'être ennemis des co-religionnaires de leurs ancêtres pour
flatterie noblesse qui les méprise eux-mêmes.
Il existe encore jusqu'aujourd'hui des familles de néo-
29
phytes, annoblies par cette loi. Parmi les plus remarqua-
bles sont celles de Lelewel et de MalachowskiV Le premier
de Lelewelî, était, dit-on médecin du roi, et, pouravoir
heureusement réussi à guérir son nain (fou), on lui donna
un village, des armoiries, et on le fit chrétien. D'autres sou-
tiennent quil est venu de Hollande comme chrétien et qu'il
avait oblenu seulement la noblesse et la fortune en
Pologne.
Dans toutes les positions sociales , dans toutes les opi-
nions politiques, parmi les savants et les littérateurs, on
trouve des familles et des noms honorables qui tirent leur
origine de la race israélite, il serait trop long de les énu-
mérer ici, et le cadre de notre livre n'y suffirait pas, quel-
ques uns se trahissent par la terminaison de leur nom,
d'autres ne diffèrent en rien de la dénomination des fa-
milles nobiliaires. Presque tous, vu la réprobation géné-
rale qui s'attache en Pologne au nom de juif, cachent
soigneusement leur origine. D'autres se distinguent dans
leursécritset dansleurs paroles, par la haine qu'ilsportent
t Ce mot Malach est un mot hébreu qui signifie ange. La terminaison
ski se trouve dans presque tous les noms de famille de Pologne, elle équi-
vaut à la particule de qu'on trouve avant les uoms français d'origine
nobiliaire. Pan Tarnowski veut dire seigneur de Tarnow. Pan Zamoiski,
seigneur de Zarooec. Il est possible que le premier des Malachowski, en
adoptant la religion catholique, se nomma Malach. Malachowski par son
nom, voulait sans doute indiquer qu'il remplissait une mission de Malach,
une mission évangélique.
2 Lelewel. Ce mot dérive de deux expressions hébraïques Lo-lehewel,
ce qui veut dire : ce n'est pas en vain, comme si l'on voulait dire, qu'en
adoptant la religion catholique il n'a pas fait une chose stérile.
Que les nobles familles polonaises ne s'offusquent pas de ce que nous
rappelons ici leur origine. Nous remplissons un devoir, en écrivant l'his-
toire des Israélites polonais, de mentionner les noms des patriotes distin-
gués et des hommes capables qui sortirent de cette race.
30
à tour» ABcieui coreligionnaires, comme s'ils voulaient,
par cette triste politique, se faire pardonner la tache de
leur naissance. Nous nous étonnons que quelques hommes
d'un talent remarquable, d'une position plus élevée,
n'aient pas le courage de lutter contre les préjugés et de
prendre la défense des Israélites méprisés et persécutés.
La France leur offrait cependant un tableau qui aurait
dû les consoler. Ici les Israélites sont arrivés aux posi-
tions sociales les plus élevées. Il ne manque pas parmi
eux de noms illustres qui honorent les arts et les sciences.
Ce n'est une honte, ni un malheur que de tirer son ori-
gine d'une race qui a tant souffert, et dont les destinées
ne sont pas encore accomplies.
Le reproche que nous faisons aux chrétiens polonais
qui tirent leur origine de la race Israélite, ne sont pas sans
quelques nobles exceptions ; nous en parlerons et nous
reviendrons à ce sujet losque nous traiterons des efforts
de 1 émigration et des sectes religieuses.
Néanmoins, les efforts des Jésuites, les écrits, les impri-
més, les prônes et les différents moyens que le fanatisme
poussé jusqu'à la frénésie, avait dictés, excitaient la haine
publique contre les Juifs, au plus haut degré.
Sous Ladislas IV et sous Jean-Casimir qui lui-même
avait été jésuite, et ne savait pas remplir ses propres ser-
ments, comme Ladislas ses engagements envers les Turcs,
cette haine implacable, produisit des carnages inouïs Les
paysans et les cosaques massacraient les Juifs par mil-
liers 1 . Il est vrai que quelques Israélites, en louant les
1 La supplique au roi, le 12 mai 1670, imprimée par les Juifs à Var-
sovie : f Nous avons déjà lavé nos yeux, nos bourses sont déjà vides, tout
• le monde nous écorche, beaucoup de nous sont morts de faini, etc. t
31
propriétés des nobles, en se permettant d'opprimer par cu-
pidité les paysans, avaient mérité la punition, mais fallait*
il se venger sur une race tout entière, assez malheureuse
déjà? fallait-il massacrer les ouvriers innocents et inoffen-
sifs, ainsi que les savants et d'honnêtes artisans?
Ainsi, les Juifs, réduits à gémir dans le plus grand mal-
heur, attendaient un Messie. Sous Jean-Casimir, un certain
juif nommé Sabbatha Zewy, s'est donné pour Messie à
Gonstantinople. Quelques Polonais de l'Ukraine et d'autres
pays voisins, avertis de cet événement (voyez plus loin le
chap. sur les sectes), avaient fait des visites jusqu'en pri-
son, où ce prophète se trouvait. Cependant Nechemi, l'un
des Juifs polonais, avait prouvé au gouvernement de la
Turquie la fausseté de l'imposteur, et le ridicule dont les
Turcs se couvraient en le protégeant 1 .
A la même époque, avait lieu l'interdiction des sciences
mathématiques chez les Juifs. La cause de cette ridicule
mesure n'était autre que parce que BaruchSpinosa, dans ses
théories, employait la géométrieàl'appui de ses doctrines*.
1 Ce fait est mentionné dans la bibliothèque Zalmki.
2 Les Juifs se soulevèrent contre Spinoza. Orobio \ qui vivait alors,
écrivit coûtée son système plein d'impiété. On ne se tint pas aux écrits;
car il fut excommunié, et un Juif zélé lui donna un coup de couteau en
sortant de la comédie *\ Voilà les systèmes principaux de Spinoza : il
enseigne qu'il n'y a dans l'univers qu'une substance unique; que Dieu
est celte substance, cl que tous les autres élres qui existent, n'en sont
que des modifications. Ce système est fondé premièrement sur cette
maxime qu'une substance ne peut engendrer une autre substance, et que
rien ne peut être créé de rien. Il implique contradiction que Dieu travaillé
sur le néant. Il est impossible que le néant soit le sujet, et la matière sur
' Isaac Orobio cerlamen philosophie um adv. Job, Brocdenb. principe
Amstaet, 1705.
** Bosnage, Histoire des Juifs, tome m, page 87,
32
- Eh 'Palmée 4670, il était défendu aux fabricants isràc-
lites d'avoir des chrétiens pour ouvriers. 11 ne leur était
pas permis d'affermer aucune branche de revenu public,
ni de prendre pour l'argent prêté plus de 20 pour 400
d'intérêt. Il n'y aurait rien à reprocher, quant à cette der-
nière disposition, si, dans ce temps-là, elle était appli-
quée à tous les habitants du pays et non pas aux Juifs
seuls.
'f '«" ' « " ■ " ' " ' "' ' ' ' * Il n i
laquelle Dieu à travaillé. 11 est done impossible et contradictoire que le
monde ait pu être créé. Ce premier principe est emprunté des Cabba-
listes et des anciens philosophes. Le second principe de Spinoza est qu'il
n'y a qu'im« seule substance, parce qu'on ne peut appeler substance que
ce qui est éternel, indépendant de toute came supérieure, qui existe tou-
jours par §ôi-mémê et nécessairement. Comme il n'y a que Dieu qui existe
de toute éternité, par lui même, indépendamment de tout autre cause, il
faut avouer que si la définition est bonne, il n'y a point d'autre substance
dans l'univers que Dieu. Les cabalistes disent comme lui que c'est le
vulgaire des philosophe» et théologiens qui a imaginé un monda matériel
composé de substances différentes, et distingué de Dieu, car il vaudrait
autant dire que Dieu a produit les ténèbres, le péché et la mort, que de
scftftajftr que Dieu a créé des substances seirtibîes et matérielles, diffé-
rentes 4P &a nature et de son essence ; car la matière n'est qu'une priva-
tion de la spiritualité, comme les ténèbres sont une privation de la lu-
mière, comme le péché est Une privation de sainteté, et la mort une
extinction de la "vie. Les cabalistes s'accordent encore avec Spinoxa, en
ne m«mi$sant qu'une seule et unique substance ; malt cet impie fait
cette substance matérielle, afin de faire un Dieu corporel» et anéanlir la
spiritualité de cet être qu'on r.c conçoit qu'avec peine, elque bien des gens
ont rejelée avant fui. Enfin, qu'il en soit, on trouve les fondements du
spinozisme dans la théologie des cabalistes, que Spinoza a seulement re-
vêtue de ce que le Catthjêsianime a pu lui fournir, pour ctançonner un
édifice qui menace ruine de toutes paris. Les uns et les autres reconnais-
sent cju'il n'y a qu'une seule substance, laquelle est éternelle, indépen-
dante. Les uns et les autres disent que cette substance n'a point créé le
mpnde, parce que rien ne peut se faire de rien, mais qu'elle s'est seule-
ment modifiée d'une manière différente dans les corps et dans les esprits;
et que ces trois principes, qui leur sont communs, sont le caractère du
tpfaûthme.
33
C'est à tort qu'on imputait aux Israélites la trahison dans
les guerres avec la Turquie. Nous croyons que cette accu-
sation, contre toute la race, est absolument injuste, car
s'il se trouve un individu assez lâche pour être espion,
faut-il en rendre responsable tous ses coreligionnaires?
On portait envie à tous les Israélites qui avaient accès
chez le roi. Les jésuites surtout s'efforçaient de les en
écarter. 11 y avait des panégyristes parmi les Juifs. Ils ap-
pelaient les rois, Fils du. soleil, Rois des rois, Sauveurs de la
nation, etc. Cela prouve que les Israélites, en général,
cherchaient, dans le pouvoir de la couronne, un abri contre
les intrigues et les persécutions des jésuites et de la no-
blesse insensée.
Sous Jean III, un Juif, favori du roi, a fourni l'occasion
à la circulation de quelques anecdotes , qui prouvent son
influence et ses capacités.
Les décisions de la Diète de i717, qu'on peut lire dans
le Volumine legum, attestent que les paysans, excités par
les prêtres fanatiques, se livraient à toutes sortes d'injus-
tices contre les Israélites, vu que ces lois les prennent sous
leur protection. Et, en effet, en considérant que ces pauvres •
paysans, épuisés par les exactions et la corvée sous le gou-
vernement de la noblesse frivole, républicaine et anarchi-
que, étaient eux-mêmes de malheureux esclaves, on con-
cevra que les Juifs , pourchassés par eux, n'étaient alors
que les esclaves des esclaves.
L'autorité supérieure de l'église catholique envoyait,
vers cette époque, des missionnaires aux synagogues. Ils
y discutaient avec des rabbins et savants. Quelquefois, les
prêtres entraient par force dans les synagogues. A Lem-
berg, en l'année 4721 , l'évêque Szamowski, accompagné
de la force armée, y avait pénétré, malgré les prières
3
36
prit le bâton de pèlerin, laissa son collègue à Amster-
dam, et erra de pays en pays, de ville en ville, jusqu'à ce
qu'il revint à Wilna, sa viile c natale, où on le reconnut et le
dénonça à la justice. On l'arrêta, et, bien qu'il protestât
qu'il n'était pas le comte Potocki, on le martyrisa tant,
en lui brûlant les talons avec un fer chaud qu'il fut forcé
d'avouer tout ce qui s'était passé.
Étant en prison, chargé de lourdes chaînes, il employa
tout son temps à vouloir convertir à la religion juive ses
amis et ses parents qui venaient le voir souvent, mais qui
se moquaient de lui comme d'un fou.
Enfin, ses juges le condamnèrent, d'après la loi, à être
brûlé f . Amené devant le bûcher, oh il devait trouver une
mort horrible. Le courageux Potocki eut encore la force
d'adresser ces paroles aux nombreux spectateurs : « Ne
croyez point, que c'est une vengeance ou une justice que
vous exercez ici, non ! ne le croyez pas; je meurs volon-
tiers pour l'amour de la vérité, je me fais martyriser par
vos mains, trempées du sang innocent, pour l'amour
d'une religion, la seule vraie et la seule juste. » Et, après
avoir prononcé : Schemah Israël (écoute Israël, notre Dieu
est le Dieu unique, etc.), il se précipita sur le bûcher.
Les Juifs de Wilna ramassèrent ses cendres et les enter-
rèrent à leur cimetière. Le Gaon Elias, grand-rabbin de
Wilna, prit le deuil pour ce martyr, pendant une année
entière, de plus, il fit prier tous les jours, dix des plus
pieux Israélites, pour l'àme de ce noble défunt, et encore
à présent, on fait une prière tous les ans à Panniversaire
t Au temps de Gornieki, on faisait brûler de môme les catholiques qui
devinrent prosélytes juifs, sur la place publique à Oaeovie. (Voy. 17/it-
loire des Slaves, par Maciejowski, I. 3, p. 207 ï et les œuvres de Gornieki,
I. 4, p. T.)
37
de sa mort dans toutes les grandes synagogues de la Po-
logne 1 .
Le condisciple de Potocki pensant que sa conversion au
judaïsme rendait désormais impossible son mariage avec
une catholique , avait presque complètement oublié sa
jeune fiancée ; celle- ci lui donna la plus grande preuve de
son amour, en lui écrivant ce qui suit : « Deux amis er-
raient dans un bois; enfin, l'un d'eux découvrant leohe-
min droit , n'en fit point part à son ami et le laissa errer.
C'est ainsi que tu fais avec moi. »
Alors le jeune homme la fit venir à Amsterdam» où
elle adopta également la religion juive, et ils yvcélébrèrent
leur union 1 .
Cette prière s'appelle en hébreu ; El malé rachemim.
a Voyez la biographie du comte Pulocki (GHèr-ledéek); éd.Wilna, 1805.
Soas Stanislas- Auguste, l'attention publique a été attirée
par la question des Israélites. On a pensé à des réformes.
On a aboli le pouvoir pernicieux des rabbins fanatiques.
On a promis à ceux qui s'adonneraient à l'agriculture de
les libérer de l'impôt personnel. « Et déjà j'ai eu, dit
Czacki, la satisfaction de voir quelques familles, lors de
mes fonctions dans le comité des finances, jouir de la
liberté. » Cet honorable citoyen, ce Polonais éclairé, cet
homme, dont la mémoire doit être à jamais chère, et que
nous indiquons comme un modèle aux hommes d'État,
qui devront s'occuper de la question des Israélites, était ap-.
pelé à la commission législative, et, après avoir mûre-
ment pesé la condition des Juifs, il avait élaboré une
œuvre qui est destinée à servir de base et de guide à tous
39
tes esprits éclairés et à tous les cœurs généreux dans cette
importante question. Ce même homme, étant membre de
la grande Diète, avait publié un projet dé réforme pour le$
Israélite*, qui serait sans nul doute adopté, si la Pologne
n'était pas envahie et partagée par ses perfides voisin».
Ce plan ou projet est tellement important que nous le
donnons en entier :
CHAPITRE I".
LOIS GÉNÉRALES POUR LES JDirS.
§ 1 . La loi reconnaît les Juifs pour des hommes libres;
ils peuvent posséder des biens, revendiquer leurs droits
et créances. Ils ne peuvent pas s'inscrire parmi les serfs.-
§ 2. Dans les communes auxquelles ils appartiennent,
ils ont une voix active. Ils peuvent être élus pour les em-
plois et être électeurs, d'après le droit de tous eh gé-
néral.
§ 3. La commission de la police décidera, combien de
Juifs doivent être admis à la magistrature, en proportion
de la population.
§ 4. 11 est permis aux Juifs de solliciter et d'obtenir
tout emploi et toute distinction propre à la classe de la so-
ciété où ils appartiennent. Les lois du pays accordent la
même récompense et infligent la même peine aux Juifs
comme aux Chrétiens.
§ 5. Il est permis aux Juifs d'acquérir et d'hériter des
terres, des moulins, etc., selon la règle commune.
g 6. L'autorité supérieure de la police permettra aux
Juifs, qui l'aideront dans l'exécution de la présente loi
(particulièrement pour les assujettir à l'agriculture), d'à-
40
cbetor des fermes. Après vingt ans, cette liberté sera don*
née à tous. Si cependant, dans cet espace de temps, les
Juifs ne devenaient pas citoyens, comme la présente loi
veut qu'ils le soient, le pouvoir législatif retardera ce bien-
fait de dix ans.
§ 7. On suspend pour cinquante ans d'ici, la permission
de faire Peau-de-vie et de débiter toutes sortes de boissons
et liqueurs. Avant l'expiration de ce terme, le pouvoir lé-
gislatif statuera, si cette liberté d'avoir des débits de bois-
sons, doit être interdite pour plus longtemps.
§ 8. Le même impôt sera perçu sur les Juifs que sur les
Chrétiens.
§ 9. Toutes les dettes, appartenant aux débitants de
boissons, lorsque, selon cette loi, ils ne seront plus dans
leurs maisons de débits, seront regardées comme non ave-
nues.
§ 10. Tous ces droits serviront seulement à ceux d'en-
tre les Juifs qui se conduiront d'après la règle que la pré-
sente loi prescrit.
§ 11 La religion des Juifs sera respectée. Ceux qui ap-
partiennent aux différentes sectes de leur culte, peuvent
avoir leurs écoles.
| 12. Aucun juif ne sera admis au baptême, un homme
avant l'âge de 20 ans, une femme avant 18; et encore ce
ne sera qu'après un an d'épreuve.
§ 13. Les Juifs choisissent leur autorité religieuse d'a-
près les règles indiquées dans le chapitre 5.
§ 1 4. Ces choix se feront sous la protection de la po-
lice.
§ 15. Les lois civiles des Juifs, même parmi eux, sont
41
abrogées. Us seront jugés d'après celles qui seront à toutes
les classes du pays.
§ 16. La même chose se comprend, quant aux lois cri-
minelles.
§ 17. Les règlements de la police, relatifs aux enterre-
ments et autres sujets, sont les mêmes pour tous les habi-
tants (610).
CHAPITRE II.
DES ACTES DE NAISSANCE, DE DÉCÈS, DE MARIAGE ET DR
DIVORCE.
§ 1 . Les livres de naissance , de décès et de mariage
doivent se trouver dans chaque commune. Un modèle
uniforme en sera prescrit par la police.
§ 2. Le même pouvoir donnera le modèle pour les ta-
bles de différentes maladies et morts.
§ 3. Ces tables seront envoyées exactement tous les se-
mestres aux autorités du district.
§ 4. Personne ne peut se marier, un garçon avant rage
de 20 ans et une fille avant 18 ans.
§ 5. La bénédiction nuptiale ne sera donnée qu'à ceux
et celles qui se connaissent au moins depuis six semaines,
et leur consentement mutuel de s'appartenir sera inscrit
dans l'acte de mariage.
§ 6. Cette bénédiction ne sera pas donnée à ceux qui
n'ont pas de quoi vivre. Et pour éviter toutes sortes d'in-
certitudes à cet égard , Fautorîté publiera cette clause.
§ 7. Le pouvoir législatif statuera plus tard sur le di-
vorce parmi les Juifs, mais dès à présent il est arrêté :
42
4° Chaque divorce sera inscrit, par la commune, sur
une table (registre) en y exprimant la cause de ce di-
vorce ;
2° Cçlui qui se divorcera ne pourra contracter d'autre
mariage qu'après deux ans.
CHAPITRE III.
classification des juifs. — libertés accordées a ceux qui
s'occupent de l'agriculture,
§ 1. Les Juifs doivent s'inscrire dans une de ces trois
classes : agriculteurs, ouvriers ou marchands.
§2. Dans le courant d'une année, ils doivent eux-
mêmes déclarer à l'autorité du district, à laquelle de ces
trois classes ils veulent appartenir.
§ 3. Cqux qui ne se déclareront point, cessent de jouir
de la protection du gouvernement, et ils seront traités,
selon les règlements de la police, comme des parasites (va-
gabonds).
§ 4. Un juif quelconque, se faisant agriculteur, est libre
pendant dix ans de tout impôt.
§ 5. Des commissions du gouvernement , conjointement
avec la police , s'entendront sur les endroits dans les-
quels on pourra donner des terres aux Juifs, dans la même
proportion qu'aux paysans , et sur le prix des fermages.
Outre cela, dans les provinces méridionales, on établira
des colonies toutes composées de Juifs. Dans les biens
nationaux, ils seront libres de tout impôt pour dix ans,
§ 6. Les autorités des districts s'entendront avec les
citoyens (propriétaires) pour que, sans égard au moindre
43
avantage, ils puissent affermer leurs terres aux Juifs, en
échange d'une certaine quantité de blé que fourniront ces
derniers. Tout propriétaire qui, au bout de dix ans, aura
établi, de cette manière, dans ses terres vingt familles
Israélites, recevra la remise d'impôt que ces familles au-
raient dû payer au trésor, pendant cinq ans.
§ 7. Là, où se formeront les colonies particulières de
Juifs, les autorités des districts feront :
4° Bâtir les maisons d'après le plan général fait par la
police, qui fera aussi un contrat avec ceux qui entrepren-
dront les travaux pour le moindre prix.
2° On donnera à chaque colon une somme pour achat
de bétail;
3° Dans chaque colonie il sera élu un cher (maire), pour
six ans, qui sera responsable en cas d'abus.
§ 8. Tous les cinq ans, l'autorité suprême de la police
fera aux colonies juives les mieux cultivées, une remise
de l'impôt annuel , comme récompense. Il peut y avoir
quatre colonies à la fois pour recevoir cette récompense.
§ 9. Le juif, travaillant avec le plus d'assiduité à l'a-
griculture, dans le même espace de temps, recevra dix
mesures de seigle gratis. Il y aura vingt récompenses pa-
reilles.
§10. L'autorité du district dans lequel il y aura une
colonie de Juifs remplissant le mieux le but de la présente
loi, recevra aussi une récompense.
§ 44. Tout ouvrier ou artiste juif est soumis aux lois
générales, et inscrit dans la classe.
§ 1 2. Toutes les récompenses, tous les encouragements
et secours, destinés aux fabricants et ouvriers chrétiens
seront les mêmes pour les Juifs. Et outre de cela, on fera
44
d'autres avances et récompenses aux Juifs qui , néces-
sairement seront obligés de changer leur manière de
vivre.
§ 1 3. Les marchands juifs jouiront des mêmes droils que
les marchands chrétiens et aucune loi exceptionnelle ne
pourra être faite en faveur ou défaveur des uns ou des
autres.
CHAPITRE IV.
§1. Le gouvernement, après avoir garanti le libre
"exercice du culte israélite, et après leur avoir accordé les
droits des citoyens, sera obligé de hâter leur instruction,
à mesure des besoins de cette classe du peuple et de la
nation entière.
§ 2. La langue hébraïque sera reconnue comme une
langue savante et religieuse; mais la polonaise comme
nationale; l'allemande et la russe, comme voisines *.
§ 3. Les écoles paroissiales, celles du district, et les
écoles générales sont ouvertes aux Juifs. Sous aucun pré-
texte, les enfants des Juifs ne seront contraints à assister
aux cérémonies chrétiennes. Au contraire, lors des prières
des enfants chrétiens, les Juifs s'en éloigneront,
§ 4. Il sera permis à chaque communauté des Juifs
d'avoir son école, pourvu que :
i° Cette école soit bâtie selon le plan général et entre-
tenue d'après les règlements du comité de l'éducation pu-
blique du royaume.
1 II faut se rappeler que ce plan était fait lors de l'existence de la
Pologne.
45
2* L'instituteur devra avoir fait ses études dans les écoles
publiques d'instruction ;
3° L'instruction devra se faire selon la règle générale ;
4o Toutes ces petites écoles seront comptées dans le
rang des écoles paroissiales. Le comité d'éducation pourra
avoir un inspecteur juif, et en exercera la direction lui-
même.
§ 5. Le comité de l'éducation indiquera le nombre de
candidats juifs, pour l'étgt d'instituteur. lisseront choisis
parmi les écoliers les plus avancés en instruction.
§ 6. Lorsque l'école d'institutrices paroissiales sera éta-
blie, on choisira les Juives pour remplir ces emplois dans
leurs communautés.
§ 7. Le comité d'éducation indiquera le nombre d'éco-
liers à envoyer aux écoles de chirurgie.
§ 8. Le même comité fera choisir les Juives pour leur
enseigner l'état de sage-femmes.
§ 9. Quand les écoles de l'industrie et de l'agriculture
seront établies, les Juifs y seront admis aussi.
§ 10. Le comité d'éducation publique ordonnera de
faire un cours de morale, pour les Juifs, non seulement
dans la langue nationale et succursale, mais il le fera im-
primer en hébreux. Il fera employer tous les moyens pos-
sibles pour persuader aux Juifs, que la morale est la même
dans les lois de l'ancienne religion.
§ 11. L'instruction prescrite aux écoles paroissiales
sera de la première nécessité pour les Juifs. Quiconque
n'en passera l'examen et n'en aura le certificat:
1° N'aura pas une voix active dans la communauté;
2° Aucun secours de la part du gouvernement ne lui
sera accordé;
44
» Il parer» I impôt d«Ue;
4* 11 ne pourra s uMtruire de la
laAjrae faebraftqoe ;
? lise poorra acquérir des terres ai d'astres pro-
priété»;
fr II ne pourra pas être nommé rabbin m sspéncor.
| 42, A partir de l'an X... commencera I exécution de
cette loi. Les parents seront ponîs des mêmes peines que
les entants, qui ne voodront pas s'y soumettre. Ceux donc
qui ont déjà atteint dix-huit ans, n'y seront point forcés,
mais ils n'auront droit à aucun secours de la part do gou-
vernement,
§ 43. Les livres juifs sont soumis à la censure. Tout ce
qui s'oppose à la tolérance et ce qui perpétue les préjugés
ne sera pas imprimé. Le comité de l'éducation, publiera un
règlement à cet égard, et le modifiera ou changera, selon
la nécessité de l'opinion, tous les vingt ans.
$ 44. Celui qui ne produira pas un certificat d'avoir
fait «es études k l'école paroissiale, ne pourra point étu-
dier la théologie, n'importe sous quel titre. L'instituteur,
l'écolier et ses parents, seront sévèrement punis. Les ins-
tituteurs enverront les tables circonstancielles avec la liste
d'écoliers , d'après le modèle donné, par le comité , aux
autorités du district.
g 45. L'autorité du district avec la police, pourront in-
diquer lo nombre de Juifs à admettre aux écoles parois-
siales, aux écoles du district ou gymnases.
§ 40. Les prix seront accordés à ceux qui excelleront
dans los études.
47
CHAPITRE V,
DE L'AUTORITÉ PARMI LES JUIFS ET DE LEUR POUVOIR.
§ 1 . L'autorité gouvernementale sur les Juifs est celle
du pouvoir national.
§ 2. Pour percevoir les impôts, il sera choisi, à la majo-
rité des voix, dans chaque ville, un percepteur juif et deux
aides. Ils s'occuperont aussi des villages, oiisont les Juifs,
jusqu'à ce que la présente loi, étant en exécution, occa-
sionne des changements. Plus tard, les impôts seront per-
çus comme sur les autres habitants nationaux.
§ 3. Le pouvoir de la police, dans chaque district, par-
tagera les Juifs en communautés. Chacune d'elles, tous
les trois ans, choisira ou confirmera son rabbin et dési-
gnera a chacun deux conseillers. Les droits et les devoirs
des rabbins sont les suivants :
1° Vaquer aux cérémonies religieuses ;
2° Réprimander tous les scandales et en avertir ;
3° Juger les questions religieuses, et, en cas de déso-
béissance, en instruire l'autorité de son district ;
4<> Veiller a la stricte exécution des lois dans le cercle de
son pouvoir;
5° Tenir les registres des naissances, des décès et des
mariages, les envoyer au contre seing des autorités du dis-
trict, tous les ans, et en recevoir les matricules, comme il
est dit dans le § ...;
ft» Les procès et les différends, entre les maris et les
femmes, arranger à l'amiable , et n'accorder le divorce
qu'après s'être bien convaincu de l'impossibilité de l'é-
viter;
48
7* Dans les procès où l'arbitrage ne peut point avoir
lieu, chercher à accorder les parties, sans délai, selon les
moyens indiqués ci-dessous ;
8* Surveiller les hôpitaux ;
9 # Faire exécuter toutes les mesures sanitaires d'après
l'ordre établi par l'autorité supérieure.
§ 4. 11 est permis au pouvoir de la police, dans les
grandes villes, de faire choisir un vice-rabbin et deux au-
tres conseillers.
§ 5. Dans les colonies agricoles des Juifs, la synagogue
ou école religieuse pourra être établie, pourvu que l'auto-
rité en soit prévenue, consultée et convaincue de la pureté
des intentions.
§ 6. Le rabbin, avant de pouvoir exercer ses fonctions,
sera justiciable devant les autorités :
\ • S'û était légalement élu ;
ï*> S'il a rempli toutes les conditions de cette loi, et s'il
a fait ses études dans son école paroissiale, d'après le cha-
pitre 4.
§ 7. Les émoluments des rabbins seront fixés par l'au-
torité supérieure. Ils ne pourront, sous aucun prétexte,
recevoir des Juifs d'autre paye ou cotisation.
§ 8. Il y aura trois récompenses ou prix établis pour
les rabbins, dans les communautés desquelles, on verra le
plus d'écoliers dans les écoles, et le plus d'individus s*a-
donnant à l'agriculture.
§ 9. Lors des inspections des communautés juives, s'il
paraissait que quelques Juifs avaient contribué directe-
ment ou indirectement à entraver l'exécution de la pré-
sente loi, ou a la prendre en haine, ils seront non seule-
19
mont exclus do toutes les prorogatives, niais sévèrement
punis.
§ 10. Les Conseils provinciaux se composeront" des
rabbins de districts et de communautés, élus à la majo-
rité des voix. »
§11. Le président de ce conseil sera nommé par l'au-
torité supérieure, et appelé Rabbin territorial.
§ 42. Le Conseil aura a s'occuper :
1° Des différends en question religieuse, qui lui seront
soumis;
2° De la révision deslivres à imprimer, pour l'utilité des
Juifs, selon le règlement donné par le comité de l'éduca-
tion publique;
3° Des projets du progrès et de l'avancement de l'instruc-
tion d'après les principes de cette loi.
§ 13. Le pouvoir suprême de police aura son procu-
reur au nombre des membres de ce conseil. Aucun© déci-
sion ne pourra être publiée sans la signature de ce pro-
cureur.
§ 14. Le trésor public payera à chacun de ces conseil-
lers une pension.
§ 15. Si ces conseillers, siégeant en leur temps, parve-
naient à constater les effets salutaires de l'instruction
parmi lés Juifs et l'amoindrissement des projugés, ils au-
ront droit a une récompense spéciale.
§ 10. Les peines ou amendes en argent no pourront
être infligées aux Juifs et leur exclusion de la communauté
devra être confirmée par le pouvoir de la police ou du
comité de l'éducation.
§ 17. Il est permis aux Juifs différant dans leurs opi-
nions religieuses, d'avoir leurs écoles ou synagogues, et
leurs supérieurs n'auront cette qualité qu'aux yeux de
4
IM)
Içur propre conscience. Ils seront soumis au pouvoir or-
dinaire du pays. Mais en proportion de leur nombre, la
police pourra leur permettre (lavoir leur rabbin dans le
district.
CHAPITRE VI.
SUR LES TRIBUN VUX DES FAMILLES ET DES ARBITRAGES.
g 1 . Toutes les formalités de procédure parmi les Juifs
en dehors de la présente loi, étant nuisibles à la tranquil-
lité des familles et détachant leur attention des travaux
utiles, il est arrêté donc ce qui suit :
§ 2. Tout contrat, entre les Juifs, ou entre le Juif et le
Chrétien , est non valide, s'il n'est pas approuvé par un
juge choisi par la communauté, ou par deux arbitres, en
cas où le juge serait absent, mort ou en voyage à distance
de six milles.
§ 3. Aucun testament ne sera valide sans la signature
du juge ou de ses remplaçants, comme ci-dessus.
. § 4. S'il y a contestation au sujet du partage, et si le
testateur n'a pas désigné le juge ou ses remplaçants parmi
les successeur», alors, dans une communauté, composée
entièrement de Juifs , leurs maires, et dans les comrau-
nautés mixtes leurs rabbins , appelleront devant eux les
partis (mi contestation pour juger leurs intérêts.
Le nombre de pareilles affaires arrangées par le rabbin,
lui sera compté comme un mérite. En cas donc de non
arrangement, les parties choisiront des arbitres parmi les
candidats désignés par le maire ou le rabbin. Et si les parties
ne trouvaient pas parmi ces candidats en qui placer leur
confiance, le sort en décidera, ainsi que pour le président
d'un pareil tribunal.
51
§ *). Personne ne pourra refuser de faire partie de ce
tribunal, à moins que :
1° Il ne soit obligé de s'éloigner pour une affaire im-
portante ;
2° S'il est déjà membre de quelque autre commission de
eompromis ou arbitrage.
§ 6. La décision de ce tribunal, prise à la majorité des
voix et à l'unanimité, est irrévocable.
§ 7. Un protocole de ses décrets sera tenu dans chaque
colonie ou communauté. Et la police du royaume, sera
informée de leur nombre tous les ans.
CHAPITRE VII.
DU CHANGEMENT DE COSTUME. — DE LA LANGUE NATIONALE
DANS LA PROCÉDURE, etc.
§ i . A l'expiration de deuxans d'ici, aucun fonctionnaire
et aucun écolier ne pourraplus porter les vêtements juifs.
Les marchands et ouvriers, après trois ans, et les agricul-
teurs, après six ans, seront assujétis au costume national
polonais ou allemand. Le rabbin, dans la synagogue, peut
s'habiller comme il lui plaira; mais en public, il se vêtira
comme les autres.
§ 2. Les femmes et les filles juives, s'habilleront comme
les chrétiennes.
§ 3. La langue nationale sera en usage dans toutes
les transactions, dans les lettres de change et dans la
comptabilité, sous peine de non-validité. Le temps pour
ce changement est fixé, comme pour le costume de toutes
les classes (§ \ , chap. 7).
§ 4. Tous les cinq ans, l'autorité suprême, recevra les
tableaux comparatifs sur les sujets suivants :
1° Naissance, décès, .mariage, divorce ;
2° Écoliers des deux sexes;
3° Instituteurs et institutrices;
4° Ouvriers et marchands ;
5° Exportations et importations dans le commerce;
6° Accroissement ou décaissement du nombre d'agri-
culteurs, avec observations sur leurs travaux :
7° Maladies et leur genre parmi les Juifs; .
8° Accroissement ou décroissement du nombre de
crimes.
Ces tableaux seront imprimés. La bienveillance du gou-
vernement statuera ensuite sur les améliorations ou chan-
gements à introduire parmi les Juifs.
CHAPITRE VIII.
sur u» bettes to5s communautés juives et bu* le foxï>s
d'amortissement.
§ f. Ces dettes seulement sont exigibles des commu-
nautés de Juifs, qui seront judiciairement constatées.
§ % Les tribunaux des territoires, auront à appqlpr les
créanciers et jugeront définitivement leurs prétentions
dans l'espace de six mois.
§3. Les créanciers auront à choisir un juge, et les
Juifë an autre. Le maréchal de la noblesse du district les
présidera* et ce tribunal fera la deuxième et dernière ins-
tance exi cette matière. r •*•'".
§ 4. Le jugement des affaires mêlées d'un district avec
l'autre, se fera comme dans les tribunaux ordinaires en
cocas.
§ 5. Les tableaux des dettes déterminées judiciairement
53
ou à l'amiable, seront envoyés au comité des finances.
§ 6. Comme il existe, chez les Juifs, un impôt sur la
viande, le comité des finances ordonnera le paiement des
dettes avec les fonds de cette source.
§ 7. Ces dettes seront aiasi plus vite amorties. Les au-
torités tâcheront d'arranger les affaires de ce genre.
§ 8. La perception de ce genre d'impôt durera autant
que l'amortissement des dettes ne sera pas accompli.
' Ainsi, d'après ce plan de réforme, les Juifs qui jusqu'a-
lors n'étaient pas tolérés, de* omirent cîtoy eus. Leurs do -
voirs envers le pays se conciliaient avec la liberté de la
conscience. L'état exigeaitque tous les habitants apprissent
la langue du pays,qu'ilsenvoyassentleurs enfants auxéco :
les nationales, mais en même temps , on faisait respecter
la religion des Israélites. On leur ouvrait les carrières ho-
norables. On appelait à la défense du pays ceux qui jus-
qu'alors étaient regardés comme des êtres maudits , qui
étaient traités comme des Parias. Une nouvelle ère allait
commencer pour les Juifs en Pologne. Un illustre historien
Allemand, en appréciant ces sages réformes de Ta nation
polonaise, s'anime d'une noble indignation contreles cabi-
nets qui ont envahi et démembré la Pologne, au moment
même otr elle méritait le plus de servir d'exemple à tous
les pays libres et éclairés.
Aussi, les Israélites, en devinant un meilleur avenir , y se
montraient-ils reconnaissants. Lorsdu siège deVarsovie, ils
défendirent cette villeau prixdc leur sang. Les écrits publics
l'attestent. Cfcacki aussi en parle : « Lorsquén t794, le
désespoir arma la capitale, les Juifè surent braver lamdrt,
mêlés avec le peuple et les troupes, ils ont prouvé que le
danger ne les épouvante point et (pie la cause de la patrie
commune leur est chère. »
64
De cet exposé succinct mais basé sur des preuves, ré-
sultent les vérités suivantes :
1°Qne la Pologne ouvrait aux Israélites u& séjour
libre , un asyle sûr et quelques protections , alors que
l'Europe entière et particulièrement l'Espagne, la France,
l'Allemagne, la Hongrie et la Bohème, persécutaient et
massacraient toute cette malheureuse race ;
2° Que sous le règne des r oh héréditaires, depuis Casimir-
le-Grand et sous la race des Jagellons, les Israélites jouis-
sant de la protection éclairée, contribuaient à la prospé-
rité du pays et surtout des villes. Les propriétaires de la
terre y gagnaient également , car leurs produits trouvaient
un débouché et se changeaient en argent. Les paysans
étaient plus riches et moins opprimés ;
3° Qu'aussitôt après la chute de la monarchie hérédi-
taire, lorsque l'anarchie, ou plutôt le gouvernement de la
noblesse, présidait aux destinées de la malheureuse Po-
logne; les villes tombaient en ruines, le commerce languis-
sait , les paysans devenaient esclaves et les Israélites les
victimes de la soldatesque, des jésuites et des paysans;
4° Qu'enfin , la Pologne menacée d'un grand danger ,
expiant les abus anarchiques de sa noblesse, a offert, mais
trop tard, une réforme et une protection aux Israélites,
qui n'hésitèrent pas de s'en montrer reconnaissants, en
prenant les armes pour défendre la patrie commune.
Quant à l'opinion générale sur les Juifs polonais, nous
nous rapportons à l'ouvrage d'un écrivain polonais, M. Su-
rowiecki, dont le mérite ne saurait être contesté. Voici
ses propres paroles :
« D'après l'opinion publique, ce peuple, d'un côté, au-
rait ôtc aux chrétiens qui y étaient établis, tous moyens
d'existence, et de l'autre, les aurait privésclu reste des biens
00
sauvés après un échec général. Cette opinion est seule-
ment juste en partie ; car ceux qui la soutiennent, oublient
qu'ils prennent Peffet pour la cause. Noos avons pu nous
convaincre par les considérations énoncées ci-dessus, que
la situation dans laquelle les villes et l'industrie se trou-
vaient depuis plus d'un siècle et demi, sans l'influence
d'aucune autre cause, devait les anéantir et les entraîner
vers leur chute, et que, par conséquent, sans les Juifs, le
même sort les aurait atteints.
» Quiconque appréciera convenablement ce lien serré
qui caractérise ce peuple dans l'ensemble de son activité,
de son économie, de son habileté et de sa vocation, se
convaincra facilement qu'après la reine de tous les autres
habitants des villes, les Juifs devaient se maintenir le plus
longtemps enPologne. Ce peuplea pour vertu instinctive de
considérer l'intérêt individuel comme l'intérêt commun ;
ainsi , il lui est facile de sentr'aider et de sauver l'un
et l'autre dans les plus fâcheuses positions. Personne, ne
saurait plus habilement échapper à un danger menaçant,
personne, ne pourrait supporter plus de charges que les
Juifs.
» Après les ravages du pays par les guerres de tous
genres, après la décadence des villes et la ruine de leurs
habitants, lorsque les capitaux et le numéraire avaient
disparu, les manufactures et le commerce étaient restés
en Pologne, sans aucun moyen de prospérité. L'ouvrier
chrétien, abandonné a lui-même, sans protection et sans
ressources, devait quitter son établissement; le marchand
sans fonds et sans crédit, ne pouvant avoir de marchan-
dises, cherchait d'autres moyens d'existence; ainsi, dans
tout le pays, l'industrie disparaissait, excepté dans quel-*
ques villes considérables, ofa les seigneurs, de temps en
en temps, semuent leurs revenus, mais, c'est aux Juif*
presque partout que la Pologne doit le salut de son faible
commerce et de ses manufactures.
». Comme )a plus petite somme, en leurs mains, devient
une source inépuisable d'existence, de môme en cas de
besoin, une vingtaine de Juifs, composant un petit capi-
tal, soutiennent les mouvements de l'industrie du pays.
Quand ces moyens leur manquent, ils savent en trouver
' d'autres : actifs, clairvoyants, infatigables. dans l'adver-
sité, indifférents au ridicule; là, où 1 humanité et l'intérêt
ne peuvent attendrir le coeur d'un avare, ils savent trou-
ver l'accès et le crédit, et tirer ainsi les trésors inutile-
ment enfouis. A leur activité, l'agriculteur de Pologne doit
être sûr de la vente de ses produits; ce sont eux, qui, en
tout temps, lui rendent des services et avancent les frais,
en parcourant continuellement le pays entier, ils achètent
et payent ces produits qui, en apparence, n'ont aucune
valeur. On peut donc dire hardiment que sans cette classe
du peuple, sans cette activité qui la caractérise, notre
pays aurait beaucoup plus perdu de son industrie et de
ses richesses.
» Celui qui examine sans préventions les Juife, doit
avouer , que leur aptitude et leur industrie ont été
jusqu'ici lasourœ véritable des richesses de la Pologne,
ainsi, leurs défauts, en majeure partie, proviennent de
Humilie et de l'inconséquence du gouvernement. Exerçant
n importe quel état, personne n'est plus actif que le juif,
personne ne travaille avec plus de zèle et d'économie que
lui. Il se contente de mauvais vêtements et d'une faihle
nourriture il parcourt le pays, il cherche partout jus-
qu'aux plus vils produits, les paye et les utilise; ainsi,
avec les chiffons et les restes des autres habitants moins ccu -
nomes, il paye un lourd impôt, vit lui-même et fait vivre
quelquefois une nombreuse Camille. Dans les travaux de
métier, personne ne peut justement contester son habileté.
Dans ses ouvrages, ou remarque le même goût et la même
perfection que Ton trouve ailleurs. La pauvreté, le mépris,
la prévention contre les ouvrages des Juifs et l'envie d'a-
voir tout ce que Ton a besoin à bon marché, sont les causes
principales qui tiennent leur industrie en mauvais état.
Et comme ce sont eux seulement qui peuvent vivre aussi
économiquement et exercer l'industrie sans en absorber
le fruit; le pays sans eux, en beaucoup d'endroits, serait
privé d'ouvriers et de producteurs.
» Mais si le peuple juif est utile à notre pays par son in-
dustrie, il Test beaucoup plus par le commerce qu'il y
exerce. Le pays ne peut pas se passer de la circulation de
ses produits, de leur exportation, ni de l'importation des
produits étrangers... Et ce sont les Juifs qui jusqu'ici ont
soutenu, en Pologne, le commerce. Sans eux, toute l'indus-
trie ou serait anéantie, ou aurait ruiné tous les habitants.
Personne ne cherche avec plus de zèle à faire valoir les pro-
duits de la terre etJes marchandises, personne ne les con-
naît mieux, personne ne les fait venir et circuler avec plus
d'économie et personne ne se contente de moins de bé-
néfices que ce peuple. Qui profite de son travail infati-
gable et de son économie? Ce sont . le trésor, leconsomtua-
leur et toutes les industries du pays. Pour lo marchand
et l'ouvrier reste seulement l'avantage de s'attirer un
plus grand nombre de concurrents , et de vendre plus
vite ses marchandises. Le bon marché ménage les
dépenses des consommateurs en augmentant le nom-
bre; car il y a toujours plus de familles qui peuvent se
pourvoira bon marché que de celles qui sont en état de
58
payer plus cher. Le trésor gagne par les droits multipliés
de douane, l'ouvrier ne manque pas de pain, le cultiva-
teur profite de la hausse du prix de ses produits , et le
pays entier voit s'accroître ses richesses et le bien-être de
sa population.
» Ces avantagesdécoulent dans le pays de l'industrie des
Juifs, et, quoiqu'ilssoient indubitables,beaucoup d'hommes
veulent y trouver un certain préjudice. Selon eux r ce
peuple, en propageant dans le pays de vils produits, ne
contribue point à l'économie et devient nuisible à ceux qui
voudraient lui en fournir de meilleurs. Cette objection
tombe d'elle-même, lorsqu'on examine profondément
notre situation.
» Dans la plus grande détresse et dans le plus misérable
état de l'industrie, aucun pays, à coup sûr, ne peut se
passer des produits nationaux et étrangers. L'ouvrier le
plus pauvre, le journalier ou le cultivateur, outre leur
nourriture et leurs vêtements, ont besoin d'outils qu'ils ne
peuvent faire eux-mêmes. Chacun d'eux possède plus ou
moins d'argent; s'il veut conserver son état, il doit dé-
penser pour ses besoins. Dans les pays riches, ces hommes
ont plus de fonds, dépensent plus et se procurent des ob-
jets plus parfaits, tandis que là où la détresse est géné-
rale, on doit se borner au meilleur marché. Ces marchan-
dises, comme on le pense bien, ne peuvent être que mau-
vaises et chétives, mais ce n'est point la faute du mar-
chand ni de l'ouvrier qui les fournissent et les emploient
c'est bien la pauvreté générale du pays qui en est la
cause.
»Si notre opinion manquait de justesse, les Juifs dans
notre^pays seraient déjàruinés depuis longtemps par leurs
viles marchandises. Personne n'est forcé de s'adresser à
59
eux, ni à leurs magasins. Dans les villes considérables, on
trouve chez les chrétiens des marchandises de meilleure
qualité, chacun donc devrait acheter chez eux. Cependant,
le contraire se pratique, à l'exception d'un petit nomhre
de riches, tout le monde s'adresse aux Juife par économie.
» A ces causes qui obligent notre pays de se contenter de
la mauvaise qualité des marchandises, on doit ajouter le
manque de toutes sortes d'industries intérieures. L'ou-
vrier dans la misère est obligé de faire avec ses propres
mains ce qu'il pourrait faire facilement, sans perte de
temps, à l'aide d'instruments perfectionnés. Un pauvre
marchand, ayant amassé un petit capital, souvent payé
cher par l'usure, ne peut se procurer que des marchan-
dises à bas prix. Dans une pareille situation , les mêmes
résultats auraient lieu dans tous pays où même les Juifs
n'existent pas.
» Mais on pourra nous dire encore que le peuple
juif a un caractère immoral, qu'il possède beaucoup d'a-
dresse pour nuire aux habitants, que plein de préjugés,
d'astuce, de mauvaise foi , il devient nuisiWe à la société.
11 faut avouer que la plupart de ces défauts étant réels,
aucun gouvernement ne devrait le souffrir. Mais jugeons
impartialement ce peuple malheureux. Qui sait si ce n'est
pas nous-mêmes qui contribuons à avilir son caractère,
ou si ce n'ost pas nous qui négligeons d'employer tous les
moyens pour le moraliser et le faire honnête? Personne ne
naît méchant, c'est l'éducation , l'exemple etles circonstan-
ces par lesquelles l'homme passe , qui font son caractère,
ses qualités ou ses défauts. Dans aucun pays il n'y a eu et il
n'y a autant de Juifs qu'en Pologne, et nulle part on ne
s'occupe moins de leur sort.
» Depuis bien longtemps les Juifs s'occupent en Pologne
60
de la partie utile de l'industrie : sous les Piastes déjà ils
exercent le commerce intérieur et extérieur. Mais ces
services de leur part, comme aujourd'hui encore, étaient
regardés comme nuls. Exposés à l'avidité, à l'envie et au
fanatisme des temps passés, ils devaient craindre à chaque
instant un anéantissement complet. Dans cette position, il
ne leur restait qu a acheter chèrement quelques privilèges
chez les princes et les riches seigneurs. Ces privilèges, ne
les garantissant que faiblement des dangers, irritaient
l'esprit jaloux et envieux du reste des habitants du pay&
Plus le nombre de ces privilèges augmentait, plus la haine
du peuple s accroissait. C'est dans une telle lutte que tes
Juifs ont vécu jusqu'à nos temps, toujours persécutés,
toujours payant, me me l'air qu'ils respiraient.
» Une telle situation est capable de corrompre le carac-
tère du peuple le plus vertueux. Entouré continuellement
de la haine, repoussé avec mépris de la protection des
lois, écorché sans pitié du fruit de son travail, exposé à
toutes sortes d'opprobres et d'humiliations, plongé dans
la misère, ce Malheureux peuple pouvait-il élever son
esprit à l'image des vertus sociales? Pouvait-il aimeF cette
patrie qui n'était pour lui qu'une impitoyable marâtre?
Pouvait il enfin s'incorporer et fraterniser avec la nation
qui foulait ainsi aux pieds les lois de l'hospitalité?
» Si Tonajouteà ces considérations, que le gouvernement
n a jamais pensé à utiliser les capacités de ce peuple,
à l'éclairer, et à corriger ses mœurs corrompues, on se con*
vaincra que le mauvais effet de cette incarie , devait
exister jusqu'à nos jours. Livré aux inspirations ocotfl-
les et fanatiques des rabbins, aux ignorants interprètes
des écritures religieuses, ce peuple a puisé sa morale;
ses actions dans une source trouble en se réglant d'après
1)1
elle. Le gouvernement punissait sévèrement les écarts,
la nation les réprouvait hautement, mais personne n'a
cherché à tarir la source du mal. Le plus grand nombre
de Juifs ont toujours vécu et vivent encore dans la plus
grande pauvreté. La misère, comme nous apprend l'expé-
rience, est mère de l'ignorance et du crime. Celui qui,
en luttant contre la faim, veut conserver sa vie, oublie fa-
cilement ses devoirs. Le gouvernement ne s'occupait des
Juifs qu'alors seulement qu'il fallait comprimer leur
industrie ou leur arracher de l'or; malgré cela, il voulait
les voir utiles au pays, tout en coupant toujours les ra-
cines de l'arbre qui devait vivre pour produire. Mais, si
à la place des moyens d'existence prohibés, on leur en
avait indiqué d'autres, compatibles avec leur état; si on
avait cherché à les éclairer et les admettre sons la protec-
tion des lois, comme les chrétiens, il est certain qu'ils se-
raient aujourd'hui en Pologne ce que sont les Juifs dans
les autres pays civilisés de l'Europe.
. » La Diète de4775s'estoccupée avec un peu plus do
sollicitude de ce peuple délaissé ; elle l'avait admis et en-
couragé a l'agriculture, mais cette loi, comme beaucoup
d^utrqs , ne fût pas mise à exécution, et d'un autre côté,
©n considérantl'état abject du cultivateur, le juif devait né-
cessairement s'y refuser; il devait craindre, en outre, de
changer sa liberté quoique méprisée en servitude et en
esclavage. Le gouvernement inspirant très peu de con-
fiance, ne pouvait attirer personne par ses promesses. Ce-
pendant, tes Juifs ont prouvé leurs inclinations pour l'agri-
culture, en s y livrant anciennement et présentement dans
les provinces de la Russie et de la Lithuenie. Je suis forte-
ment convaincu qu'à de bonnes conditions , ils pour-
raient s'établir dans notre pays comme cultivateurs et
rendre la torre plus productive quo d'autres colons
que le gouvernement a fait venir à grands frais.
» Parmi les défauts que nous attribuons au peuple juif,
sont ceux aussi que le métier impose. La mauvaise foi, la
tromperie, l'avidité et l'égoïsme sont communs à tous les
commerçants; car étant accoutumés à peser leurs actions
dans la balance du gain, ces hommes ne font rien sans cal-
culer et s'assurer du profit avec usure. Dans la lutte con-
tinuelle de leur propre intérêt avec celui des autres, ils
se créent une morale à part et opposée à la morale géné-
rale. 11 faudrait atteindre à un degré considérable de ri-
chesses et de civilisation pour qu'un peuple industriel et
commerçant pût être libre de pareils reproches.
» Un homme civilisé connaît mieux ses devoirs envers la
société et préfère le profit durable à l'usure ou au gain ex-
torqué.
»Ces mauvaises qualités que nousvoyonsdans leslsraé-
lites de Pologne étant seulement l'effet de leur malheu-
reuse position, peuvent être indubitablement extirpées
par les mesures sages que le gouvernement devrait pren-
dre, tandis que leur activité, leur aptitude à tout, leur
économie, leur industrie, resteraient à jamais comme une
source salutaire pour le bien-être du pays.
» Le manquede population en Pologne, d'ailleurs, doit
nous conseiller de respecter cette nombreuse classe d'ha-
bitants et de nous en occuper sérieusement : c'est avec
son concours que nous pourrions repeupler nos villes dé-
sertes, y ranimer les manufactures et le commerce. Les
mesures bien prises l'attireraient même a changer nos
steppes sauvages en champs fertiles.
Après tant de malheurs supportés , notre patrie peut
encore trouver dans ce peuple un remède pour guérir ses
G3
plaies profondes. Cependant il faut s'apprêter d'avance k
une attente, longue peut-être, des effets de la réforme;
car celui qui plante un arbre espère n'en manger les
fruits que longtemps après 1 .
C'est avec une joie sincère que nous avons rapporté
l'opinon de M. Surowiecki, noble et catholique. Ses obser-
vations justes, profondes, bienveillantes doivent attirer
l'examen sérieux des hommes qui s'occcupent de l'avenir
des Israélites. Le livre de M. Surowiecki, dont nous n'a-
vons cité qu'un petit chapitre, contient de graves enseigne-
ments et des conseils salutaires. Nous souhaiterions, pour
le bien de la cause que nous défendons, qu'il se trouvât
dans les mains de tous les hommes qui s'occupent de l'é-
mancipation des Israélites.
* De la décadence des viilos cl de l'industrie en Pologne, par W. Su-
roYfiecki, fol. 230 (o upadku przetnyftlu i miast).
66
celles qui gouvernaient et celles qui obéissaient, s'unis-
saient contre eux. Aussi, l'histoire du partage de la Po-
Àdresse des Juifs polonais , aux représentants des villes de la Po-
logne.
4 5 mai 1790.
Homo ran , nihil humanum a me aliénons «ae pnto.
Messieurs,
« Le mémoire plein d'éloquence que vous avez présenté aux états con-
fédérés, y a été reçu avec une estime qui prouvait que l'on était depuis
long-temps disposé à vous écouler. Il a fait une égale sensation en France,
où les droits de l'homme sont devenus une espèce de catéchisme, et l'on
y a vu avec plaisir que vous en avouiez les principes.
Nous croyons donc ne pouvoir trouver de meilleure défenseurs que tous,
et nous croyons même avoir des droits à vous choisir : car premièrement,
quoi qu'on en dise, il est certain que nous sommes des hommes, et en se-
cond lieu, il parait certain que nous appartenons à ce tiers dont vous em-
brassez la défense.
En effet, ce n'est point la religion mais les occupations d'un homme qui
constituent son état : or , vous exercez les arts mécaniques, et tous faite»
le commerce comme nous. Vous et craignez les pertes, et vous en aimez
les gains comme nous. Enfin vous avez pour les marchandises des prix
différent^ que vous présentez les uns après les autres et dont le dernier
est de beaucoup le plus bas, et nous faisons précisément de même.
Enfin, une dernière preuve que nous appartenons à ce tiers-état, c'est
que le même mémoire pourra nous servir , si vous voulez seulement
y faire de légères additions que nous prendrons la liberté de vous indi-
quer.
Vous commencez votre mémoire par ces mots : « Quand la Pologne en-
tière se félicite de voir les opérations de la diète présente, tendre direc-
tement au bonheur de la patrie, etc., etc. » Or, Messieurs, si vomb voulez
faire un mémoire en notre faveur, il faudra ajouter que nous sommes loin
de prétendre avoir une patrie, et que notre ambition se borne «eulemeat
à vivre. Il faudra même s'écarter un peu des intentions de vos autres com-
mettants, qui paraissent vouloir nous disputer ce droit : mais nous en
appelons à vos propres maximes, car vous dites, au second paragraphe
€ Le siècle de la vérité et de la justice est enfin arrivé... • Pleins de con*
fiance en vos lumières, en votre équité, nous sommes intimement per.
suadés que vous n'hésiterez pas à sanctionner ce que la loi naturelle
accorde à chaque individu. Messieurs, dargn«z troire qu'ici chacun de
tous est ho«me aussi , et qu'il semble par conséquent , pouvoir légale-
ment prétendre a ces droits,
07
logne n'est qu'un triste tableau des continus iparlyres
des Israélites.
Flus loin vous dites : t Les révolutions étrangères ont retenti à nos oreil
les » Hélas! il arrive souvent que le son des cloches retentit aux oreilles,
de bien des gens sans qu'ils sachent précisément d'où il leur arrive. Dans la
révolution de France, par exemple , les Juifs ont obtenu le droit de ci-
toyens, et vous ne vous en apercevez pas.
Daignez, Messieurs, insister surtout sur les reproches que l'on peut
nous faire, qu'on nous les fasse voir et nous tâcherons d*y répondre. On
dit que nos ouvriers ont peu de bonne foi, et que nos marchands font de
fréquentes banqueroutes ; cela peut-être, mais il est certain que tout le
monde aime à se servir des premiers, et que les marchands de Leipzig con-
tinuent û faire crédit aux autres.
On dit que notre sordide économie nous met à même de donner à meil-
leur marché, et que nos ouvriers n'ayant pas l'habitude de boire le di-
manche et le lundi, les ouvriers bourgeois de Varsovie qui ont toutes
les vertus opposées à nos vices, ne sauraient soutenir notre concurrence.
Mais nous répondrons à cela, que si jamais nous parvenons à une sorte
d'aisance, excepté la boisson qui semble contraire à nos mœurs , nous
parviendrons au reste de ces vertus dont l'exercice ne nous semble pas
difficile.
Enfin, on dit qu'à Varsovie nous ne payons point d'impôts. Mais Dieu <
d'Abraham et de Jacob! quel nom donnera-t-on donc à ces vexations de
tout genre auxquelles nous sommes exposés!
Voilà, Messieurs, les raisons que nous vous prions de présenter avec
la même force et la même éloquence que vous avez déployées en faveur
du tiers-état chrétien. Pardonnez-nous si en vous les exposant nous
avons usé de cette figure de rhétorique que Ton appelle ironie, mai»
elle est dans le style de nos livres saints, et Dieu lui-même n'a pas dé-
daigné de s'en servir en parlant à Job, qui n'était guère plus pauvre et
plus malheureux que nous. D'ailleurs, vous sentez bien que 'cette ironie
n'est ici que pour donner plus de force à nos raisons, et que l'état où
nous sommes ne saurait en aucune manière nous porter aux plaisanteries.
Vous conviendrez au moins, que l'offense de celle-ci est bien légère auprès
des insultes que vos commettants ajoutent tous les jours aux traitements
les plus cruels.
Vos commettants parlent de privilèges, et pour lea faire valoir ils ont
chassé des milliers de familles, qui, errantes autour de ceite capitale,
ont vu périr leurs enfants par les influences de la saison encore rigou-
reuse alors. Quelques Juifs cachaient encore leur mi «ère dam d'obscurs
Quand l a Pologne fut démembrée par les trois puis-
sances voisines, une partie de la population juive échut
réduits, l'on en fit une recherche sévère, et ils étaient chargés de coups
et conduits ainsi jusque hors des portes, à la vue de la populace qui ap-
. plaudissait a ces cruautés. Enfin , quelques familles qui se croyaient aussi
sous l'abri d'un privilège, ont vu *sous les yeux de la puissance suprême,
leurs maisons attaquées , leurs biens livrés au pillage, des femmes en
couche arrachées de leur lit et battues.
Nos maux sont à leur comble, et c'est pour cela même que nous es-
pérons en voir la fin. — Vous avez placé votre espoir dans la sagesse des
états assemblés, et nous y avons mis aussi nos espérances.
Leur justice prerdra en considération les temps présents, qui déjà
n'aggravent que trop notre sort.
Nous ne parlons point des bornes, que dans diverses provinces l'on met
à notre industrie concernant la fabrication et le débit des boissons : les
profits n'en étaient pas pour nous, et comme dans autre chose, nous n'y pou.
vions gaçner que l'existence. Mais nous sentons que cette manière d'exister
était pernicieuse pour le peuple et nous n'appuierons pas sur cet article*
Mais lorsqu'une nouvelle forme de gouvernement éloigne l'industrie des
provinces, le tiers-état chrétien nous a fermé le chemin de la capitale.
Cependant, les besoins pressants de l'armée occassionnent des deman-
des fréquentes auxquelles les ouvriers du tiers-état chrétien sont loiu de
pouvoir fournir.
11 est même arrivé que tant de barbarie n'a point tourné au profit de
ceux dont le cœur était déchiré par la cruelle passion appelée jolousie
de métier , car les apprentis et les compagnons voyant l'extrême besoin
que les maîtres avaient d'eux , ont mis leur travail à un prix exhorbitant
et déraisonnable.
Ainsi nous avons souffert sans aucun avantage pour ceux qui nous fai-
saient souffrir, et nos maux sont tels, qu'il est difficile d'y trouver un re-
mède. Car nous demandons à revenir dans la capitale, et cependant
nous ne sommes jamais sûrs d'en traverser les rues sans être insultés.
Vous-mêmes, Messieurs, que le tiers-état chrétien à choisis pour le
représenter, vous qui parles avec tant d'éloquence des droits imprescrip-
tibles de l'homme, vous, aux oreilles de qui ont retenti les révolutions
étrangères, vous mûmes peut-être, vous nous souffrez avec peine parmi vous,
et vous croyez voir la fumée de vos foyers souillée par le voisiuage des
nôtres.
Ecoutez donc notre dernière demande, la Vistule peut nous séparer.
Les habitants de Praga recevront sans doute avec plaisir des hôtes qui
69
en partage à la Prusse, l'autre, à l'Autriche l'autre enfin
à la Russie.
C'est en Prusse que leur sort était le moins à plaindre.
Ils y ont adopté le costume du pays, et au moins, ils pou-
vaient avec toute sécurité exercer leurs cérémonies reli-
gieuses. S'ils ne jouissaient pas des mêmes droits que la
bourgeosie d'autre croyance, au moins, un grand pas y
était fait pour amener un jour ce résultat. L'école de l'il-
lustre Mendelsohn y a exercé une grande influence. Les
Israélites de la Prusse n'attendaient qu'un rayon deliberté
et de justice pour suivre la noble impulsion que leur
donnaient les Israélites de la France et de la Hollande.
En Autriche, l'influence des jésuites se faisait souvent
sentir. Quelques prêtres fanatiques déterraient parfois des
vieux préjugés, des calomnies insensées pour exciter la
haine du bas peuple contre les Juifs.
Mais c'est surtout sous la domination moscovite que les
Israélites souffrirent le plus. En Pologne, en Prusse, en
Autriche au moins, les lois protégeaient les malheureux,
mais en Russie tout fut laissé aux caprices des gouver-
neurs, des officiers, de fonctionnaires ignorants, barbares,
avides. Tous voulaient faire fortune en spoliant les Juifs
qu'ils croyaient riches. Si la victime refusait l'or
qu'elle n'avait pas, le tyran la mettait aux tortures pour
lui arracher par la douleur le trésor qu'elle ne possédait
pas. Les officiers inférieurs imitaient l'exemple qui leur
hausseront lo prix de leurs loyers, et y porteront une industrie nou-
velle. Le péage du pont montera considérablement ; ce péage et l'éloi-
gnement donneront toujours un avantage assez grand aux bourgeois de
Varsovie, et les Juifs pourront vivre, c'est la l'objet de toute leur ambi-
tion. »
(Tiré des actes de la diète constituante de 4788 à 1792, recueilli
par Léopard Cbodiko.)
70
venait d'en haut; les soldats eux-mêmes, ces malheu-
reux esclaves, étaient maîtres pour un moment quand ils
rencontraient des Juifs. Il n'était pas rare devoir un vieil-
lard, unsavant,un honnête père de famille porter le fardeau
d'un soldat, lui servir de guide, trop heureux s'il nerecevait
pas quelques coups pour récompense. En un mot, en Rus-
sie, le gouvernement se servait du moindre prétexte pour
arracher l'argent aux Juifs, soit par des monopoles, soit
par des impôts, soit par des persécutions injustes. En re-
vanche, il ne leur accordait aucun droit. Tous les emplois
honorables, toutes les carrières respectées leur furent in-
terdites. Ils ne pouvaient fréquenter les écoles , Ventrée
même de la capitale de l'empire leur était défendue.
Ils ne pouvaient séjourner dans les grandes villes, ni pos-
séder des propriétés.
Quand on examine toute la série des malheurs qui ac-
cabla les Israélites depuis que la Pologne fut parta-
gée , on s'étonne qu'il en existe encore un nombre si
considérable.
vu
En 4807 le duché de Varsovie fut constitué. La maison
de Saxe éiait appelée à régner sur une portion de la Po-
logne. Tous les habitants et, par conséquent, les Israé-
lites comptaient sur un meilleur avenir. En effet, le prin-
cipe de légalité devant la loi fut proclamé. Les paysans ne
pouvaient profiter de ce bienfait, pauvres, ignorants, ne
connaissant aucun métier, aucune industrie, ils restèrent
dans les terres de leurs anciens maîtres. Ce qui prouve
qu'il ne suffit pas de proclamer une loi juste, mais qu'il
faut encore veiller à son exécution, préparer l'éducation
des masses, offrir des moyens d'existence, afin que les ha-
bitants éclairés et laborieux puissent jouir du droit de
citoyen. L'égalité devant la loi fut proclamée aussi en
faveur des Israélites. Cependant, leur sort n'en fut pas
amélioré. L'impôt exceptionnel les frappait toujours. Les
72
ordonnances administratives les privaient de ce que la
loi organique leur accordait. Loin de suivre le plan de ré-
forme, préparé parPillustreCzacki, on ne pensait qu'àac-
croître le trésor à leur dépens. On institua même un
impôt que payaient les Israélites étrangers en arrivant en
Pologne , impôt (8 florins ou 6 fr. chaque mois pour cha-
que personne) que le gouvernement russe fit renaître et
qui dure encore aujourd'hui.
On s'éloignait de plus en plus de la route nationale qui
tendait à transformer les Juifs en citoyens polonais. On
suivait la politique des jésuites de Rome. On regardait les
Israélites comme des pestiférés et les séparait des
autres habitants. On leur défendait d'habiter les rues prin-
cipales, et malgré les garanties de la Charte, on les relé-
gua dans les coins les plus retirés. Nous sommes étonnés
que le's Juifs aient subi cette injustice et cette humiliation
sans aucune protestation. Mais pendant dix siècles de
persécution, ils ont tant souffert, qu'ils ont perdu toute
énergie et regardent comme une punition divine et légi-
time tout le mal qui leur arrive.
A la même époque, les Juifs polonais s'adressèrent au
gouvernement en sollicitant l'exemption du service mili-
taire, offrant en échange un impôt de 700,000 florins po-
lonais 1 . C'était là une grande faute de la part des Israé-
lites. Il faut défendre la patrie commune et lui offrir l'im-
pôt du sang. Il fallait seulement réclamer l'exécution delà
Charte, octroyée en vertu du traité de Tilsit. — Mais le
sort d'un Juif conscrit parmi les soldats chrétiens était si
pitoyable, sa position si pénible, la brutalité des soldats si
cruelle, qu'il noiaut pas s'étonner des efforts qu'on ait
faits pour l'éviter. Mais si l'Israélite est tenu à remplir )
* Voyez le Bulletin des ioi#, toro. IV, p. 159,
73
les devoirs de citoyen, n'est-il pas juste qu'il en acquière
aussi les droits.
Pendant les guerres de l'empire contre la Russie, expo-
sés plus que les autres habitants à la vengeance du vain-
queur, les Israélites restèrent neutres. Cette conduite est
justifiée par les fautes que l'Empereur a commises. 11 s'ap-
puyait sur la noblesse, oubliant entièrement les villes et la
bourgeoisie, les Juifs et leurs intérêts. Six millions d'habi-
tants humiliés pendant des siècles, tenant dans leurs
mains toutes les ressources du pays, pouvaient devenir
d'un grand poids dans la balance des événements, si un
meilleur avenir leur avait été montré.
Ici, nous devons faire observer à tout lecteur judicieux
que sous le règne des rois étrangers, la condition du peu-
ple ne reçut aucune modification. Un monarque dont la
dynastie n'a pas de racines dans le pays pour consolider
son trône, est forcé de s'appuyer sur la noblesse et sur le
clergé. Nous avons vu que Louis, roi de Hongrie, a com-
mencé cette longue série de concessions qui finirent par
le veto, l'anéantissement des villes, la servitude des pay-
sans et la persécution des Juifs. Henri de Valois, s'il lui
avait été permis, aurait introduit en Pologne la persécu-
tion qui ensanglanta les rues de Paris. Les Saxons ont
laissé les malheureux paysans dans le même état, et les
Juifs leur doivent un impôt humiliant et onéreux nommé
koehert, impôt qui rapporte au gouvernement plus de
deux millions par an, et qui pèse surtout sur les pauvres,
en les forçant de payer une contribution sur la viande
qu'ils consomment.
La perception de cet impôt écrasant est affermée chaque
* Le mot Hochet signiGe la nourriture permise.
74
année, dans toutes les villes, aux enchères publiques, Des
spéculateurs juifs n'ont pas honte de se faire adjuger cette
perception et de coopérer ainsi à la misère de leurs co-
religionnaires ; en retour, il n'est pas rare non plus de
les voir faire banqueroute. Ce monopole , d'une faible
importance pour les riches , devient, comme nous
l'avons déjà dit, très onéreux pour les pauvres et les tra-
vailleurs, qui, n'étant pas en état de payer la viande au prix
élevé par l'enchère, sont obligés de se refuser cette nour-
riture substantielle. La perception de cet impôt était con-
fiée, pendant les dix premières années, aux rabbins et
aiu membres d'une assemblée composée d'Israélites no-
tables, assemblée nommée kahal. Souvent l'autorité se ser-
vait de ces rabbins et de ce kahal pour faire exécuter les
mesures les plus vexatoires. Il arrivait quelquefois alors
que les Juifs pauvres se coalisaient pour résister aux abus
dont ils étaient victimes. Dans une petite ville de Lithua-
nie, ou' Ton voulut prélever un impôt trop onéreux sur
la viande, les Juifs s'abstinrent d'en manger pendant six
mois, et celui qui se rendit adjudicataire de cet impôt
odieux, fit faillite.
Nous devons ajouter que cet impôt, introduit par l'or-
donnance du 22 mai 1810, avait pour but ou pour pré-
texte d'amortir la somme que les Israélites devaient à
l'État, en échange de l'exemption du service militaire. Une
fois la somme arriérée acquittée, l'impôt devait être sup-
primé. Il n'en fut rien. La somme due est payée depuis
longtemps et cet impôt injuste ne cesse de peser sur toute
la population Israélite.
C'est à la même époque que l'on défendit aux Juifs de
tenir des cabarets et des auberges dans les campagnes : cette
mesure aurait été juste et prudente, si le gouvernement
. 75
/ avait pourvu en même temps à leur procurer d'autres
moyens d'existence.
Nous ne pouvons terminer le tableau de Cette époque
sans appeler l'attention du lecteur sur les nobles efforts
qu'ont faits quelques Israélites pour gagner l'estime de
leurs compatriotes et du monde entier.
Pendant les guerres de Indépendance polonaise, les
Juifs, comptant sur un meilleur avenir, défendirent la ca-
pitale et s'enrôlèrent dans l'armée, quelques uns d'entre .
eux même se distinguèrent sur le champ de bataille.
Aux ouvriers et aux bourgeois de Varsovie, conduits par
le vaillant Kilinski, se joignirent également les Juifs qui con- '*
tribuèrent avec eux a chasser une^armée de 4 1,000 Russes
de la capitale, dont les trois quarts restèrent morts.
Plus tard, nous voyons Berek commander* un détache- '
ment de volontaires juifs. La bravoure de cet israélite u .
lui mérita l'estime du chef et de toute la nation. C'est sur ':
le champ de bataille qu'il gagna les épaulettes de colonel
et la croix polonaise de l'ordre militaire. II mourut en
1809, en combattant contre les Autrichiens. Le comte -
Stanislas Potocki, ministre de l'instruction publique, en
prononçant l'éloge en l'honneur des Polonais qui s'illus- *
trèrent par leur dévouement et leur bravoure, cita aussi
le colonel Berek. La mort glorieuse de cet israélite et le
dévouement du corps qu'il commanda imposent un de-
voir mutuel aux Polonais et aux Juifs : aux Polonais', en
leur apprenant que sous un chef libéral et habile, il est
facile d'armer la population la plus pacifique pour la dé-
fense de la patrie et de la liberté, et qu'un homme supé-
rieur sait puiser des forces intarissables dans tous les élé-
ments qui constituent une hation opprimée ; aux Juifs, eu
leur commandant l'amour de leur patrie adoptive, à la-
76
quelle ils doivent le sacrifice de leur travaux, de leur for-
tune et de leur vie. Que la jeunesse polonaise et israélite
se rappelle souvent le colonel Berek! Sa mémoire plane
au dessus des préjugés et brille d'un éclat bienfaisant.
Puissent ses vertus devenir un jour d'un exemple profi-
table à tous les Israélites !
Les Juifs ont pris une part également active aux pro-
grès des sciences, de la littérature et des arts en Pologne.
Parmi les savants, nous citerons Zalkiud Hurwitz, né à
Kownà" sur le Niémen; il fut appelé en France comme tra-
ducteur attaché à la bibliothèque nationale. Il connaissait
parfaitement les langues polonaise, russe, allemande, an-
glaise, italienne, française, latine et grecque. Entre la foule
d'ouvrages qu'il fit, nous citerons celui intitulé V Apologie
ou la justification des Juifs, ouvrage qui valut à l'auteur une
gratiïication de la Société royale des arts. Il mourut en 1812
Si son érudition lui attira la considération des savants, sa
. générosité philanthropique sut lui gagner aussi l'affection
et Pestime publiques. Voici comment M. Godard, orateur
d'une députation en 1790, .s'exprime à son égard : «Vous
saurez qu'au milieu des députés que j'ai l'honneur de
vous présenter, se trouve le fameux Hurwitz, auteur
d'un excellent ouvrage, couronné par l'Académie de
Metz, interprète de langues orientales, qui, n'ayant pour
toute fortune que 900 livres de rente, vient d'en abandon-
ner le quart en don patriotique.» (Discours à la commune
de Paris, 1790).
Jacques Kalmanson, philosophe profond et grand littéra-
teur. Sourowiecki, dans son ouvrage, en faitle plus beléloge,
il s'est distingué par plusieurs écrits et particulièrement
par celui qui a pour titre : Essai sur l'état actuel des Juifs
4e Pologne, 2 vol, 1790. Il mourut à Varsovie en 1811 ,
77
Abraham Stern, grand mathématicien, véritable philo-
sophe, philologue distingué et naturaliste savant, était
membre de la société littéraire, directeur de l'école insti-
tuée par le gouvernement, pour l'instruction de la jeu-
nesse israélite, et censeur des écrits en langues hébraïque
et chaldéenne.
Dans les archives israélites de France, dans les jour-
naux de Pologne et d'Allemagne on peut lire quelques
détails sur les premières années de la vie de ce savant et
sur les obstacles de toute nature qu'il eut à surmonter
pour acquérir les connaissances qui ont fondé sa réputa-
tion. Indépendamment de la machine arithmétique, sa
principale invention, il s'appliqua aussi à perfectionner
divers instruments aratoires; il créa le modèle d'une ma-
chine à battre le blé, et d'une nouvelle faulx. Il proposa
encore le plan d'une nouvelle scierie. Il ne resta point
étranger aux études littéraires, ses divers écrits publiés
en polonais et en hébreu attestent qu'il possédait parfaite-
ment ces deux idiomes; il était parvenu surtout à acquérir
une vaste érudition dont la littérature hébraïque et chal-
déenne. Dans les manuscrits qu'il a laissés, on trouve des
observations critiques sur la Bible, dans le sens le plus
large, et des notes très instructives sur la grammaire et
la lexicographie hébraïque.
A 75 ans, il travaillait encore avec ardeur às'implifier
fa machine à calculer et à en faire un instrument de poche;
ce qui lui réussit parfaitement. 11 succomba enfin à la fati-
gue, et aux veilles de ses travaux, le 6 février 4842, gé-
néralement aimé, respecté et regretté, il est mort dans
un état très près du besoin. Virtus laudalur etalget. Il eut '
le maréchal Diebitz Zabalkanski, de Russie , pour élève en
mathématiques et en astronomie.
78
Nous pouvons compter aussi parpai les Israélites qui ont
illustré leur race en Pologne, le rabbin de la ville de
Chelm, Herszel Josefowicz, qui a publié un ouvrage d'un
haut mérite , sous le titre : Pensées de réforme en faveur des
Israélites polonais , et moyen d'en faire des citoyens tuiles 4
la patrie. 1789.
VIII
Nous avons à parler maintenant de l'état des Juifs dans
le royaume de Pologne, créé par le traité de Vienne, sous
le règne de l'empereur Alexandre. Lorsque les alliés eu-
rent rétabli en France la dynastie des Bourbons, le duché
de Varsovie échut à la Russie, en conservant sa constitu-
tion, en vertu de laquelle la nationalité polonaise, les lois,
la liberté de la presse, la responsabilité des ministres et le
service actif d'une armée nationale devaient être garantis
et respectés.
La politique de l'empereur Alexandre, considérée sous
le point de vue des intérêts de la Russie, était admirable.
L'empereur tendait à la fusion de la Pologne et de la Rus-
sie ; il voulait rapprocher Saint-Pétersbourg et Varsovie,
réconcilier les boyards avec les nobles, les schisraatiques
80
avec les catholiques romains. Voilà pourquoi, despote à
Moscou, il faisait le roi constitutionnel et libéral en Po-
logne. Mais en même temps, comme s'il redoutait les ré-
sultats des institutions libérales, il livra la Pologne a la
merci de son frère, le grand-duc Constantin. Ce prince,
farouche, bizarre, capricieux, nommé général en chef des
troupes polonaises, exerçait une véritable dictature sur
ce malheureux peuple. Défiant et soupçonneux, il orga-
nisa l'espionnage sur une vaste échelle. En se servant des
hommes immoraux pour découvrir les secrets des conspi-
rateurs qu'il voyait partout, il sema le trouble et le dé-
sespoir dans les familles. Tout homme dénoncé était incar-
céré, livré à une punition barbare, perdu pour sa famille
et son pays. Si les Juifs, à cause de leur caractère paisible,
ne furent pas exposés à ces sortes de persécutions, ils n'en
étaient pas moins victimes d'odieuses machinations d'une
autre espèce.
Le système prohibitif que la Russie adopta à l'égard
des pays voisins, ruina un grand nombre de commer-
çants israélites; quelques uns cherchèrent leur salut dans
la contrebande. Les peines les plus sévères attendaient le
commerçant en possession d'une marchandise prohibée,
et comme la dénonciation d'un seul espion suffisait pour
condamner un honorable citoyen, il s'établit à cette épo-
que un vaste système de brigandage qui avait pour but de
pressurer les Juifs riches au profit de leurs délateurs qui
partageaient leur butin avec le général Rozniecki, chef
de la police secrète. Que d'innocents dénoncés, empri-
sonnés et torturés, dans le seul but de spolier la victime!
La Charte, dont nous avons parlé plus haut, garantis-
sait aux Israélites l'égalité devant la loi. Mais le grand-
duc Constantin donna l'exemple de l'arbitraire que sui-
84
virent bientôt deux autres fonctionnaires haut placés, te
lieutenant du royaume, Zaïonczek, et le ministre des
finances, Lubecki. Le premier, en 1823, expulsa les Juifs >
des rues qu'ils habitaient, pour les reléguer dans un coin *
inhabitable de la ville; l'autre, d'un mot, introduisit le
monopole de la fabrication et de la vente de la bière et ;
de l'eau-de-vie.
Comme ce monopole s'étendait seulement aux villes, le
prixde l'eau-de-vie baissa dans les villages, et s'éleva outre
mesure à Varsovie et dans d'autres cités populeuses. La
contrebande offrait de grands bénéfices. C'étaient les
Juifs pauvres qui, privés d'autres moyens d'existence, se *
livraient à cette spéculation défendue. Une lutte conti-
nuelle s'établit entre les préposés des douanes et les con-
trefacteurs. Il n'était pas rare d'apprendre la mort de
quelques uns de ces derniers qui avaient succombé en dé-
fendant la marchandise prohibée. Qu'on ne pense pas,
cependant, qu'il s'agissait d'une contrebande établie sur
une vaste échelle, exercée par quelques riches spécula-
teurs ; c'étaient des misérables qui, pour gagner quel-
ques florins, risquaient leur liberté et leur vie.
Nous devons dire que ce monopole arbitraire créé
sans le concours des Chambres législatives, ne resta pas
sans protestation. Quelques notables bourgeois de Varso-
vie adressèrent un mémoire respectueux au monarque,
en rappelant leurs droits, en suppliant l'empereur Alexan-
dre de faire examiner si l'ordonnance du ministre des
finances n'était pas contraire aux droits garantis par la
Charte. Ce mémoire, digne et convenable, fut rédigé avec
le respect que doivent les citoyens libres à un monarque
constitutionnel. Le lendemain de la pétition, les six pre-
miers signataires furent arrachés à leurs foyers, enchaînés,
6
82
conduits sur la place publique, et là, par ordre du grand-
duc Constantin, on les força de traîner la brouette, en face
d'une foule immense qui contemplait ce spectacle dans un
morne silence et une douleur profonde. Parmi ces citoyens
martyrs, on remarquait un vieillard à cheveux blancs,
capitaine sous Kosciuszko, citoyen que la confiance et
l'estime de ses compatriotes ont souvent appelé à remplir
des charges honorables. C'était M. Czynski, père del écri-
vain , dont le nom est connu par le zèle avec lequel il dé-
fend la cause des Israélites.
Ainsi, malgré la Charte libérale, la tyrannie et l'arbi-
traire, accompagnés d'impôts écrasants, d'un espionage
honteux, faisaient des progrès rapides. On ne cherchait
pas à confier les offices publics à des hommes honora-
blés, mais à des hommes d'un dévouement servile. Les
banqueroutiers, les espions, les libertins ruinés, s'empa-
raient des premières charges de l'État. Les Juifs alors
leur olFraient une ; roie certaine. On les menaçait de dé-
placer leurs cimetières, de faire abattre leurs synagogues;
on se servait du plus léger prétexte pour donner une ap-
parence de vérité à ces menaces. Les Juifs effrayés, s'im-
posaient des jeûnes, se cotisaient, et déposaient entre les
mains de fonctionnaires avides des sommes énormes,
achetaient le repos des cendres de leurs ancêtres, et con-
tinuaient à prier Dieu, dans ce temple où, dix siècles au-
paravant, leurs pères chantaient la gloire du Seigneur % .
Le mécontentement général accrut la défiance et les
persécutions. Les espions livraient au supplice les impru-
dents et trop souvent même les innocents. Pour faire
i Les Juifs en Pologne, par M, Czynski. Lisez 6e s lettres dans les Ar-
chives Uraélitw <]e 18*4.
83
preuve de zèle, ils poussaient la cruauté jusqu'à arracher
un père ou un fils unique du sein d'une famille honorable.
La victime dénoncée disparaissait pendant la nuit et allait
mourir dans les cachots. Quand les Israélites furent relé-
gués dans un coin éloigné de la ville, pas une voix n'osa
protester contre cet arrêt. La ruine de plusieurs milliers
d'habitants s'accomplit sans murmure. Hommes, femmes,
enfants, vieillards, riches et pauvres, abandonnèrent leurs
affaires, leurs moyens d'existence et allèrent étouffer leur
douleur et leur désespoir. Il est à remarquer que la terreur
répandue dans les esprits par la politique du grand-duc
Constantin, était si grande que pas un seul Israélite
n'osa avertir ses coreligionnaires d'autres pays de cet acte
de spoliation et de tyrannie. L'expulsion des Juifs de
Varsovie s'accomplit sans que la presse européenne pût
élever la moindre protestation. Le récit de ces atrocités
ne parvenait pas au dehors.
D'après ce que nous venons de dire, on voit que la Po-
logne, pendant tout le règne de l'empereur Alexandre,
subissait deux influences tout à fait opposées. L'une, exer-
cée par l'empereur Alexandre lui-même, toute libérale,
toute paternelle; l'autre, celle du grand-duc Constantin,
bizarre, cruelle, féroce ; avec cette différence que l'empe-
reur Alexandre, éloigné de la Pologne et occupé de la
Russie, ne pouvait manifester ses vues bienveillantes que
par de rares ordonnances, tandis que le grand-duc, son
frère, torturait le peuple polonais sans relâche, ne tenant
aucun compte des intentions de son frère.
En 182», l'empereur ordonna la création d'un comité
spécial chargé d'examiner et d'améliorer la position des
Israélites en Pologne. C'était une sage et noble pensée,
Malheureusement, elle n'a pas porté les fruits que l'on
84
devait en espérer. Les membres du comité n'avaient ni les
talents, ni le patriotisme, ni les lumières de Czacki. Quel
était le premier devoir de ce comité? C'était, sans doute,
de dissiper les préjugés et la haine, de rapprocher les habi-
tants, et d'établir un lien fraternel entre les enfants de la
même patrie. Le comité suivit une route tout à fait diffé-
rente : il admit dans son sein un prêtre imbu de préjugés
et de fanatisme qui débuta par la publication d'un livre
plein d'assertions haineuses, qui , au lieu de tendre à la
conciliation des esprits, ne contribua qu'à les aigrir et à
les irriter.
La théorie du judaïsme, ouvrage de l'abbé Chiarini, pu-
blié en 1830, restera comme un monument des meilleures
intentions de l'empereur Alexandre, malheureusement dé-
tournées par Pesprit borné d'un abbé qui n'a pas su rem-
plir son devoir et sa mission.
Ce comité, cependant, produisit quelques améliorations
salutaires. On créa à Varsovie une école de rabbins, ins-
titution sage, qui devait former des Israélites éclairés et
tolérants, capables d'exercer une influence salutaire sur
leurs coreligionnaires. Nous devons ajouter que plusieurs
Israélites d'un grand mérite sont sortis de cette école.
Nous avons parlé des abus qu'exerçaient les autorités
constituées des Juifs , qu'on nommait kahal. On se plaignait
généralement des exactions et des injustices qu'ils com-
mettaient. L'empereur Alexandre les supprima et les rem-
plaça par des simples surveillants de synagogues.
Le même comité encourageait les Israélites à se vouer
h l'agriculture. Ses effortsà cet égard nefurent pas couron
nésdungrand succès. Il estfaciledeconcevoirqu'on ne peut
«îas changer d'emblée les habitudesde toute une population
livrée au commerceetà l'industrie. L'agriculture est un art
85
qu'il faut connaître et apprendre. Abandonnez un
champ à un vieux commerçant qui n'a jamais quitté la ville,
il ne saura qu'en faire. C'est en changeant l'éducation seule-
ment, en exerçant une influence bienfaisante sur l'enfance
et la jeunesse, en créant des écoles industrielles et agri-
coles qu'on pourra transformer les habitudes et les occu-
pations des Israélites.
Il existe encore un établissement philanthropique, créé
sous les auspices du comité. Les Israélites de Varsovie se
cotisèrent pour la construction d'une maison d'asile pour
les pauvres et les malades. Il fut décidé en même temps
que tout Israélite arrivé à Varsovie, delà province ou de
'étranger, sans distinction de sexe ni d'âge, paierait, pour
contribuer à la fondation de cet hospice, vingt gros polo-
nais (environ 8 sous) par jour, et cela durant tout son
séjour dans la capitale.
Ainsi, cette contribution éventuelle avait un noble but.
Mais qu'en résuita-t-il? A peine l'hôpital fut-il achevé,
que le gouvernement s'empara du revenu et en créa un
impôt qui dure encore aujourd'hui. On voit par là que
sous un régime arbitraire, les tendances généreuses ne
peuvent se développer, et que le pouvoir s'en empare et
les tourne à son profit.
Nous pouvons donc, d'après ce que nous venons de rap-
porter, définir le règne de l'empereur Alexandre par ces
quelques mots : c'était la dictature la plus bizarre et la
plus cruelle, exercée par le grand-duc Constantin, sous
l'ombre apparente d'une Charte constitutionnelle et libé-
rale; une oppression de fait, à côté de quelques ordon-
nances dictées par les sentiments généreux d'un monarque
libéral, mais coupable d'avoir abandonné la Pologne à lu
merci d'un frère indigne.
T /
88
affranchis, et même on leur défendait , sous les peines les
plus sévères, déporter plainte et d'adresser desderaandesi.
Bientôt une nouvelle ordonnance fit connaître à toute la
population israélite que désormais les bienveillantes dis-
positions de l'empereur Alexandre seront détruites une à
une par l'ambition et par l'ignorance de la vieille Russie.
L'empereur veut créer la marine. Les boyards lui expo-
sent que les serfs manquent d'adresse et d'agilité, qu'il
* -faut prendre des Juifs, qui se signalent par un génie tout
particulier; et à l'instant plusieurs milliers d'enfants sont
arrachés des bras de leurs mères pour passer aux bords
*de la mer Noire. Il nous est impossible dépeindre le dé-
sespoir des familles. Deux millions d'habitants élèvent leurs
voix vers l'Être suprême ; les rabbins commandent des
jeûnes, une grande somme d'argent est envoyée aux fonc-
. tionnaires avides : larmes, prières, argent, rien n'émut
ces cœurs endurcis. On conduisit ces malheureux par une
.saison rigoureuse. Une partie mourut en route, l'autre ne
put endurer les rigueurs de la discipline russe. Si nous
devons ajouter foi aux rapports officiels, mentionnés dans
les archives israélites, il ne reste de ces trente raille vic-
* times que dix mille marins.
/' A Si le gouvernement russe appelait au service militaire
les Israélites dans la même proportion, et d'après les
principes qu'il adopte pour le reste des habitants , on
-pourrait considérer cette conduite comme un progrès;
mais alors il faudrait rompre les barrières qui séparent
+ îes Juifs des autres habitants. L'égalilé des devoirs ame- yfi"-
nerait légalité des droits. Mais, hélas, ce rapt barbare des
, enfants arrachésdu sein de leurs mères, sans aucune con-
1 Lisez le Moniteur de 1845.
89
cession pour la masse , prouve jusqu'à l'évidence que
cette mesure tyranniqne a été dictée par la colère et le
préjugé.
Bientôt la guerre contre la Turquie et la Perse absorba
toute l'attention du cabinet de Saint-Pétersbourg. La Po-
logne ne prit point part au combat, mais elle fut surchargée
d'impôts; des monopoles établis sur la vente de la bière
et de toutes les boissons (kabak), ruinèrent les habitants et
surtout les Israélites.
Le système prohibitif, tout en diminuant les relations
commerciales, a ouvert un vaste champ aux contrebandes,
exercées pour la plupart parleskosaks et les fonctionnaires
chargés de surveiller les douanes.
Un millier de Juifs prirent part à ce commerce prohibé,
et comme on aime à généraliser tout ce qui peut dénigrer
les Israélites, on dit que tous les Juifs faisaient la contre-
bande , bien qu'il soit certain que le plus grand nombre
des Israélites polonais n'ont jamais quitté leur ville natale.
On peut caractériser cette époque par deux mots : sur-
charge des contributions et manque de protection.
Pendant le règne de l'empereur Nicolas, non seulement
la population Israélite est surchargée de toutes sortes de
contributions exceptionnelles , mais elle est encore plus
que jamais victime des spoliations de fonctionnaires immo-
raux et avides. Sous prétexte de chercher et de trouver la
contrebande, le général Rozniecki, chef de la police se-
crète, d'accord avec un espion de bas étage, ruina plu-
sieurs familles. D'innocentes femmes furent victimes de
ses débauches. Il n'y avait pas de mauvais traitement,
qu'il ne se permit pour assouvir ses passions , pour
spolier les Juifs, pour leur extorquer l'argent qu'il per-
dait au jeu. Toutcelase passait sous les yeux du grand-
90
duc, héritier de la couronne, presque dictateur en Polo-
gne* Les bourguemestres , les présidents des palatinats,
les agens destinés à surveiller les revenus de l'octroi et
des douanes , s'enrichirent du fruit des labeurs d'hon-
nêtes commerçants.
Les jésuites profitèrent à leur tour de l'indifférence
du gouvernement. Dans quelques endroits, se répandit
de nouveau le bruit ignoble des massacres des enfants
chrétiens. Dans une église, à Sochaczew, on découvrit un
tableau miraculeux rappelant le supplice des Juifs, pour
avoir outragé la sainte hostie. Des écrits pleins de fausse-
tés et de calomnies, touchant toute la race israélite, pa-
rurent dans différents endroits. Nous devons cependant
rendre justice à l'esprit du siècle, au progrès de l'opinion:
les auteurs de ces libelles diffamatoires n'ont pas osé faire
connaître leurs noms, et l'opinion publique les a accueillis,
sinon avec mépris, au moins avec indifférence. Ainsi,
tout semblait conspirer contre les Juifs : les persécu-
tions du cabinet moscovite qui débutent en arra-
chant les enfants à leurs mères; les contributions et la
misère qui en résulte, les abus des fonctionnaires, et
enfin l'esprit haineux des jésuites qui, sourdement, travail-
laient la société. C'est sous de pareils auspices que les
trois jours de juillet donnèrent le signal d'une nouvelle
ère; le 29 novembre de la même année, Varsovie triom-
phante expulsait de son sein ^armée fusse. Aux cris de
liberté, toute la population se leva. Dans les premiers
moments, les Israélites croyaient que le jour de la déli-
vrance était arrivé aussi pour eux. Ils pensaient quel'Êtresu-
prème avait exaucé leurs prières. Il nefallaitquedes hommes
raisonnables à la tète du nouveau gouvernement pour cap-
tiver une coopération efficace de la part de la population
91
israélite entière, qui avait en horreur le régime russe, Ar-
gent, soldats, crédit, tout était à la disposition de la Pologne
libérale. Mais, malheureusement, telle n'était pas la des-
tinée de notre patrie. Le gênerai Chlopicki, placé à la tête .
des affaires, ne croyait pas aux forces nationales, ne con-
naissait pas la bourgeoisie, ne savait pas quelle puissance t(u
pouvait surgir de la lutte pour l'affranchissement des 'y
masses. Une telle direction dut amener une issue fatale.
9 ty ~ :i
X
Il nous faut maintenantarrèternos regardssur lesortdes
Israélites pendant la dernière guerre pour l'indépendance
de la Pologne. Il n'entre pas dans noire plan de racon-
ter les événements de 4830 et 4831, événements qui
illustrèrent à jamais les annales de notre patrie. Nous ne
r dirons pas comment seize jeunes gens, en attaquant la
résidance du grand-duc Constantin , donnèrent le signal
' d'une insurrection générale. Nous ne tracerons pas le
, tableau de cette lutte incroyable dans laquelle la Pologne
; remporla tant de glorieuses victoires, à Grochow, Stoczek,
; Dembe , Iganie, Raïgrod , Ostrolenka. Nous ne parlerons
pas de l'héroïque résistance qu'elle a opposée au colosse
du Nord sous les murs de Varsovie. Notre mission se
borne à fixer l'attention sur le rôle que les Israélites y ont
93
joué; ou plutôt d'expliquer leur apparente indifférence
que tant de personnes ont incriminée.
Quelques jours après de glorieux succès, les Juifs, par - .
leurs relations, par leur habileté, par cet instinct qui les :.:-> /
caractérise , prévirent que la Pologne succomberait dupe '/,. s', ,.„',
des intrigues diplomatiques , et surtout victime de l'in- *<\u«<u<
capacité des chefs , de l'égoïsme des généraux , de la f u ' - -
maladresse de Popposition, qui sut détrôner le pouvoir
faible et incapable, mais qui ne sut pas saisir le pouvoir,
qui , en un mot, ne put rien créer, rien fonder.
On a parlé beaucoup de trahison. Mais la vérité est
qu'il n'y a pas eu de trahison. La Pologne, avec ses nobles
ignorants, avec des ministres incapables, avecle clergé qui *
n'a pas compris son devoir, avec la bourgeoisie qui a laissé
faire les autres, devait succomber, et nous ne considérons la
. dernière lutte en Pologne que comme un fait historique de
la plus haute importance, comme un enseignement, comme
une expérience. A l'avenir, touthomme qui présidera aux
destinées de la Pologne peut être sûr qu'il prépare à ce
pays des maux incalculables, s'il n'appuie son pouvoir sur
l'affranchissement des serfs et sur l'émancipation de la
bourgeoisie.
Quant aux Juifs, des versions différentes circu-
lent à leur égard : .les uns disent qu'ils étaient hostiles
à la Pologne; d'autres, qu'ils voulaient combattre pour son
indépendance. Les uns montrent le corps des volontaires
qui prirent part au combat; d'autres enfin, indiquent les
espions qui livraient, pour de l'argent, les secrets de leurs
compatriotes à l'armée ennemie. Nous partageons l'opi-
nion de M. Czynski, qui dans ses lettres publiées dans les
Archives i affirme qu'ils étaient neutres. Persuadés que
l'insurrection serait vaincue, ils se tenaient à l'écart, n'é-
/
94
tant que trop souvent victimes et de ceux qui succom-
baient et de ceux qui triomphaient.
La ville de Lublin présente à cet égard un curieux
spectacle. A plusieurs reprises, elle se trouvait tantôt aux
mains des Polonais, tantôt aux mains des Russes. Chaque
fois qu'un nouveau corps entrait dans cette ville, une bas-
tonnade avait lieu sur la place publique. Les Polonais fai-
saient battre les Juifs soupçonnés de servir la Russie, les
* Russes donnaient le knout aux Juifs parce qu'ils pensaient
qu'ils aidaient l'insurrection polonaise.
Le général Chlopicki, dictateur, puis le gouvernement
des cinq qui le remplaça, enfin le général Krukowiecki
c* /. 7c « \ . .quilivra Varsovie aux Russes, n'ont pas compris tout le parti
qu'on pouvait tirer des Israélites en brisant leurs chaînes, et
en leur promettant un meilleur avenir. La diète, composée
des gentilhommes, n'a rien fait pour les serfs, rien pour •
la bourgeoisie, rien pour les Israélites.
Dans le manifeste de la diète, furent exposés les griefs
de la nation ; il ne fut pas fait une seule mention des
abus et des persécutions dont les Israélites étaient victimes.
Quand quelques Israélites demandaient à cesser d'être
exclus de Tannée, et quand d'autres formaient des corps de
volontaires, le ministre de la guerre, Morawski, prononça
ces paroles à jamais significatives : .
« Ne permettons point, dit-il, que le sang juif se mêle an
\< \ u noble sang des Polonais ; que dira l'Europe si pour recon-
quérir notre indépendance, nous ne pouvons nous passer
des bras des Juifs?*
L'Europe et l'histoire diront que les vœux du grand
peuple qui a pris les armes au nom de la liberté, furent
trahis par des hommes à courte vue , par des ministres
sans cœur et sans talent, par des fanatiques qui n'ont pas
95
compris cette simple vérité, qu'une nation ne mérite pas
d'exister si elle ne sait pas rendre justice à tous ses en-
fants, qu'une insurrection est condamnée à mourir si
elle ne met en jeu toutes les forces et toutes les res-
sources dont le pays dispose. Les Juifs étaient indiffé-
rents; tout homme qui a conservé un jugement sain en
rendra responsables les hommes placés à la tête des af-
faires. Ils ont accepté une tâche au dessus de leurs forces,
ils ont attiré sur la Pologne la série des calamités qui pèse
aujourd'hui sur cette héroïque et malheureuse nation.
Il n'y a donc que les bigots et les ignorants qui puissent
accuser les Juifs d'avoir aidé les Russes dans la dernière
guerre. Les Juifs ont trop de perspicacité pour ne pas
redouter également l'anarchie nobiliaire et le despotisme
autocratique.
Il ne faut pas ajouter foi aux calomniateurs systéma- '
tiques et aux pamphétaires ignorants qui accusent toute
la race juive de faire le métier d'espions.
Du reste , pour détruire cette accusation de fond en
comble, nous rappellerons le témoignage de M. le comte
Antoine Ostrowski, général en chef de la garde nationale
de Varsovie. Voici la lettre qu'il a adressée à M. Czynski,
quand celui-ci, d'accord avec des amis, a résolu de créer
un comité pour accélérer l'émancipation des Israélites. On
n'accusera pas le comte Ostrowski de partialité, lui noble
membre du sénat, un des plus fervents catholiques. Ses
paroles rendent pleine justice à la conduite honorable des
Juifs de Varsovie.
« S'il est une idée grande et généreuse, certes c'est celle
que vous avez conçue, vous , mes compatriotes , dévoués
au bonheur de notre pays natal. Vous voulez à la fois
propager les lumières parmi les Hébreux et parmi les
96
Chrétiens ; vous voulez extirper les préventions des pre-
miers contre la société au sein de laquelle ils vivent, et
démontrer aux seconds qu'il faut attribuer cette antipa-
thie à leur défaut d'amour du prochain, celte première
vertu du chrétien , cette base de toute vertu morale ou
politique. Vous voulez montrer en même temps que c'est
en refusant a cette classe si nombreuse une heureuse et
paisible existence , que nous l'avons indisposée contre
nous. Si d'un côté il y a injustice et absolutisme, comment
éviter que del'autre il n'y ait réaction? C'est une règle dont
la Pologne devait subir les conséquences. Ceux-là donc
rendront un grand service à l'humanité et à la philosophie,
et , ce qui nous importe le plus, à notre patrie, qui expli-
queront les causes pour lesquelles le peuple juif formait
en Pologne une sorte d'État dans l'État , et pourquoi il
n'a pas toujours envisagé comme sienne la cause de notre
pays. Ce service sera surtout efficace , si l'on fait con-
naître les moyens de remédier à un tel mal, en procurant
à la cause nationale plus de deux millions de partisans
doués d'une grande capacité. Je conçois aisément que les
Français éclairés cherchent avec ardeur à seconder l'as-
sociation qui se propose ce but généreux. » ( Ici le géné-
ral rend hommage au premier fondateur de cette Société,
et regrettant de ne pouvoir faire partie du comité diri-
geant , accepte le litre de membre honoraire. ) « Je dé-
clare cependant que je ne serai pas inactif; j'enverrai
même dans peu au comité un mémoire relatif à ce sujet ;
je ferai connaître d'abord quel fut le succès de mes efforts
en fondant une grande colonie industrielle dans la ville
de Tomaszow , où je reconnus chez les Israélites riches
beaucoup de savoir-faire uni k la probité, et chez les pau-
vres Vhonnêletè jointe à une grande activité. Leur conduite
9
vraiment exemplaire fut le résultat de la parfaite égalité
introduite dans cette petite république que je sus sous-
traire au despotisme russe.
» Commandant en chef de la gnrde nationale, à Varso-
vie, je tâchai de faire admettre les Israélites dans ce corps,
afin d'anoblir leurs sentiments et de leur inspirer de la
sympathie pour la cause nationale; je prouverai que mes
efforts ne furent pas infructueux. Je ne trouvai d'opposi-
tion que chez quelques boutiquiers égoïstes et chez quel-
ques fonctionnaires semblables aupoète ministre de la guerre,
dont le discours à la Diète restera comme un étemel monument
de ses idées antilibérales cachées sous le voile d'un emphatique
patriotisme. Je vous enverrai enfin un extrait de mes. mé-
moires, relatif à la garde de sûreté et à la garde munici-
pale, qui vous convaincra : que c'est nous qui avons été la
première cause du mécontentement des Juifs , que Von a exa-
géré leur apathie , et que ceux (Centre eux qui étaient sous mes
ordres se conduisaient d'une manière irréprochable. Il n'est pas
à ma connaissance qu'un seul Juif de Varsovie se soit livré
à l'espionnage, et j'en sais un grand nombre qui témoignèrent
l'intention Centrer dans Cannée. En un mot , considérant ce
peuple de plus près , j'ai acquis la conviction qu'il peut
servir utilement notre cause ; mais de notre part , plus de
préjugés , plus de mépris. Il faut craindre également et de
démoraliser les Juifs et d^être démoralisés par eux ; car,
sous ce rapport , nous nous trouvons dans un cercle
vicieux.
• Voilà en peu de mots mes idées sur la réforme future
des Israélites en Pologne. J'ai la conviction que les tra-
vaux de Passociation , dont le but est si généreux, pro-
duiront pour notre patrio des fruits qui surpasseront nos
espérances. » ( Question des Juifs p, J. Czynskï) 4
7
A ce témoignage du comte général Ostrowski , qui fait
honneur à ses sentiments et à son jugement, nous pour-
rons ajouter d'autres preuves non moins convaincantes,
pour prouver que les Israélites polonais étaient prêts à
toutes sortes de sacrifices, et que le gouvernement et la
Diète n'en ont pas su tirer parti. A peine la révolution eut-
elle éclaté que le dictateur commanda l'organisation de la
garde nationale. N'était-il pas d'une sage politique d'ap-
peler les Israélites à en faire partie? L'ordonnance du 11
décembre exclut les Juifs de ce service malgré que les
notables Israélites en fesaient la demande au nom de tous
leurs coreligionnaires, que pouvaient-ils donc espérer d'un
tel pouvoir! Ils offraient leurs services, et le dictateur les
en jugeait indignes. Ils renouvelèrent leur demande plus
tard en s'adressant au ministre de l'intérieur. Ils sollici-
taient en même temps une autre faveur qui leur fut refu-
sée; ils payaient l'impôt, comme nous l'avons déjà dit, en
échange du service militaire. Us voulaient payer la même
somme mais sous un autre titre. 11 y avait, dans cette dé-
marche un sage motif. On voit par là que les Israélites
comprenaient le vrai but de la révolution. Ils ne refusaient
aucun sacrifice, mais en même temps ils voulaient rompre
les barrières qui les séparaient des autres habitants. Cette
demande n'eut pas plus de succès quela première. Le mi-
nistre répondit qu'il n'avait pas assez de pouvoir pour se
rendre à leur réclamation. Il avait cependant le pouvoir
de s'entendre avec ses collègues et de provoquer une loi
dans les Chambres législatives, conforme au juste désir des
Israélites. Cette conduite, de la part des premiers fonc-
tionnaires de l'État, devait refroidir leur zèle en leur
faisant voir un avenir sous les couleurs les plus som-
bres.
99
Quelques semaines plus tard , le comte Ostrowski fut
nommé général de la garde nationale. Alors, pour un
moment, les Israélites entendirent des paroles bienveil-
lantes et pleines de sollicitude. Le général fit une procla-
mation, dans laquelle s'adressant aux Juifs, il leur faisait
espérer une position plus supportable , en promettant de
se servir de toute son influence pour améliorer leur sort.
Mais, comme le dictateur n'avait pas de confiance dans les
forces nationales, comme il voulait terminer la révolution
par un arrangement avec l'empereur de Russie, il respec-
tait toutes les anciennes lois et n'osait y faire aucun chan-
gement. Cependant, cette manifestation du général comte
Ostrowski ne resta pas sans résultat.
A peine eut-il fait appel aux Israélites qu'à l'in-
stant un grand nombre de jeunes Juifs s'enrôla sous t
ses ordres , et beaucoup de volontaires vinrent ser-
vir dans l'armée libératrice. La bonne volonté des Juifs
polonais , de servir leur patrie , ainsi que leurs espé-
rances, se trouvent exprimées dans une adresse qu'ils
remirent au général commandant de la garde natio-
nale. Nous trouvons cette importante pièce dans l'ouvrage
de M. le comte Ostrowski, publié pendant l'émigration,
sous le titre : Pensées sur la réforme des Israélites. Nous
croyons de notre devoir de reproduire ici littéralement
ce document:
«Le. progrès des lumières, qui se fait sentir partout,
brille tous les jours avec plus d'éclat en Pologne qui jadis
servait d'exemple aux autres nations.
» Nous en avons une preuve des plus évidentes. C'est
l'attention fixée présentement sur les relations et les règle-
ments qui concernent les Israélites en Pologne. Tous les
Polonais libres de préjugés, cherchent à réparer les
100
injustices qui ne sont pas en harmonie avec le gouverne-
ment libéral.
» Après les ombres qui ont obscurci pendant si long-
temps le triste passé, un avenir splendide, excitant la joie,
s'ouvre devant un véritable ami de l'humanité. Le peuple
israélite, au milieu des humiliations justes et injustes qui
durent encore et dont il est victime, devait déjà tomber
dans le marasme indigne de l'homme. Mais il t'entend, il
te voit, ô respectable grand citoyen ! Toi-même es un véri-
table ami des lumières et de l'humanité, dont sont animés
aussi les représentants du peuple polonais; en face du
monde, tu nous tends ta main paternelle.
» Nous qui appartenons à ce peuple, ayant l'honneur
d'être membres de la garde nationale, nous garderons à
jamais la mémoire du 24 du mois courant, jour dans
lequel votre excellence a daigné nous Taire entendre sa voix
cordiale et nous a fait connaître, au nom du gouvernement,
le doux espoir pour l'avenir de nos coreligionnaires.
»La reconnaissance, ennoblissant lesvertuscitoyennes,
nous indique le devoir précieux de te déclarer avec toute
la sincérité de notre âme, à toi, digne et illustre Polonais!
comme à notre chef et au commandant de toute la garde .
nationale du royaume, que nous te remercions le mieux
possible par nos constants efforts pour bien remplir les
devoirs prescrits à la garde nationale; comme au véritable
patriote et ami de l'humanité, nous ne cacherons pas que
par ta voix, tu as attiré plus de cœurs à la patrie et aux
vertus citoyennes que les abus de beaucoup de fonction-
naires n'ont réussi à en détacher.
» Fait à Varsovie, le 3 1 janvier 4 831 »
[Suivent les signatures).
Le comte Ostrowski, l'auteur de l'ouvrage ci-dessus
101
mentionné, accompagne cette manifestation des obser-
vations suivantes :
«Cette adresse des Israélites ne prouve-t-elle pas qu'ils
connaissent bien leur triste position? Avec quelle ardeur
ils désirent une amélioration de leur sort ; avec quelle re-
connaissance ils reçoivent la déclaration qui relève en eux
la dignité de l'homme et leur donne un petit rayon d'es-
poir, qu'enfin un avenir plus favorable se prépare pour le
peuple israélité en Pologne. Certes, leurs vœux, exprimés
dans cette adresse et répétés de vive voix, ont été atten-
drissants. Ils me remerciaient sincèrement d'avoir obtenu
le droit de les admettre dans la garde nationale, de leur
avoir parlé en citoyen, quoique je fusse lié, moi-même, par
quelques règlements, en vigueur encore, qui ne sont pas
suffisamment développés à 1 égard de ces nombreux habi-
tants, et puisés dans la source véritablement fondamen-
tale, d'où doit sortir Yégalité obligatoire des droits parmi les
hommes. »
Plus loin, le noble comte ajoute :
« Les Israélites de Varsovie ont saisi avec avidité cette
occasion qui leur présageait un avenir plus heureux, et les
arrachait à l'état d'abaissement. Ils se présentaient volon- '
tairement à l'inscription dans les légions de la garde na-
tionale, bien qu'ils eussent pu s'en libérer en déposant
à la disposition des municipalités, une certaine somme
pour les besoins généraux de la garde nationale, au lieu
d'y servir personnellement, et bien qu'en ce temps-là les
services eussent pu leur répugner, comme se faisant dans
la ville, sous les murs de laquelle l'ennemi apparaissait
souvent, ce qui exigeait une activité et la présence de
chaque citoyen sous les armes tous les quatre jours!...
102
Malgré tout cela, dis-je, les Israélites endossaient avec
plaisir l'uniforme de la garde nationale, et comme à cet
effet il existait conditio sine qua non, plusieurs sacrifiaient
leurs barbes, portées jusque-là, selon l'habitude des Juifs
polonais; mais ce qui est plus important, ils ont donné des
preuves extraordinaires de zèle et d'exactitude dans le ser-
vice, et jamais ils n'ont mérité de punitions.
» Je dois faire ici une remarque, que la jeunesse israé-
Jite, particulièrement celle qui sortait des écoles polo-
naises, s'empressait avec la meilleure volonté possible
d'entrer dans cette nouvelle carrière, ce qui doit nous
prouver de nouveau que ce peuple est prêt à accepter la
civilisation, à profiter de son admission à l'exercice des
droits politiques et à participer à l'éducation publique du
pays. »
Nous voudrions donner la plus grande publicité à cette
opinion du général comte Ostrowski; elle sert de réponse
à toutes les calomnies que les systématiques adversaires
des Israélites ont déversées.
Les Israélites, repoussés par le dictateur et par les mi-
nistres, ne pouvaient mettre leur espoir qu'en la Diète.
Malheureusement pour la Pologne, la Chambre législative
n'a pas été renouvelée. La nouvelle génération avec les
idées du dix-neuvième siècle, n'y a pas été représentée,
ainsi comme nous l'avons déjà dit; les serfs, la bourgeoisie
et les Israélites, furent abandonnés. Quant à ces derniers,
nous avons déjà rapporté les paroles du ministre de la
guerre Morawski, paroles que personne dans la Chambre
n'a relevées. Nous ajouterons seulement que la Diète, par
sa décision du 30 mai, loin de satisfaire aux justes récla-
BVSUVt se
LES ISRAÉLITES POLONAIS EN COSTUME DE LA GARDE-NATIONALE.
1830—1831.
X*s Israélite» do Pologne, par £. Holloenderskî*
403
... j
Art lit . Ln pcicvptiuM uw w^. Iwrt -x, «v<«« u après les règles que leur
aura prescrit le gouvernement national. Les volontaires , leur femme et
leurs enfants font exempts do cet impôt.
Art.V. L'exécution dv eetio loi est confiée au gouvernement national.»
(Suivent les signatures.)
1830—1831.
Les Israélite» de Pologne, par &. Hollaenderski*
103
mations des Israélites leur fit payer le même impôt de
recrutement en élevant la somme au quadruple '.
Au moins dira-t-on , les Israélites sans distinction fai-
saient partie de la garde nationale , d'autant plus que ce
corps pendant le siège de la capitale devait défendre les
remparts. Mais ici aussi on a établi une distinction ; entre
les Juifs qui portaient la barbe et ceux qui l'avaient cou-
pée. Les premiers étaient admis dans les rangs de la garde
et portaient le même uniforme que les autres citoyens.
Quant aux derniers, ils constituaient la garde municipale
israélite , ils portaient les chakos en place de bonnets ,
n'avaient pas d'épaulettes, et les collets de l'habit de l'u-
niforme, au lieu d'être couleur amaranthe , était celle de
tabac.
t Voici la loi proclamée le 31 mai 1851. c La Chambre des sénateurs
et ceile des nonces, sur la proposition du gouvernement national, après
avoir entendu l'opinion des commissions :
« Considérant, que les Israélites polonais, d'après une convention du 6
août 1817, et par une ordonnance royale du 6 décembre de la même an-
née , payent un impôt en échange du service militaire. Nous avons or-
donne :
Art. 1 e r . La convention du 6 août 1817 et l'ordonnance ro)ale du 6
décembre de la même année, sont abolies.
Ari 1 ^ Dans le royaume de Pologne seront dispensés du service mili-
taire pendant Tannée 1831.
Art. III. En échauge du service militaire, les Juifs payeront un impôt
quatre fois plus grand que celui qu'ils payaient les années précédentes.
Cet impôt, n'a aucun rapport avec d'autres contributions concernant le
service militaire que les Israélites seront forcés de payer également comme
les autres habitants du pays.
Art III. La perception de cet impôt se fera d'après les règles que leur
aura prescrit le gouvernement national. Les volontaires , leur femme et
leurs enfants font exempts de cet impôt.
Art.V. LVxf'cution de cello loi est confiée au gouvernement national.»
(Suivent les signatures.)
XI
On tombe dans une grande absurdité quand on dit que
la religion et la faible nature de la masse des Juifs en
font de mauvais soldats. Ils ont fourni des généraux dis-
£*//>„./ tingués dans les armées françaises, depuis cinquante ans,
et un grand nombre d'officiers et de soldats israélites ont
dignement combattu dans les rangs des chrétiens de
toutes les nations; c'est là, nous croyons, la meilleure
réponse qu'ils puissent faire à ce reproche *. Quand aux
, Mais, tel est l'empire de l'habitude et des préjugés sur l'esprit hu-
main , que des hommes , d'ailleurs fort éclairés , ne sont pas encore
exempts de préventions injustes contre lcslsraéliles. « L'esprit, dit Cicé-
ron, a ses maladies comme le corps , l'indocilité, l'obstination, les préju-
gés , les passions. Ne pourrait on pas guérir les maladies de l'esprit ? on
guérit bien celles du corps. *
405
Juifs polonais, nous en appelions au témoignage du même
comte Ostrowski.
« Je dois rendre justice aussi à ceux d'entre les
Israélites qui sont entrés dans les rangs de la garde
nationale , ainsi qu'à ceux qui ne faisaient partie
que de la garde urbaine... Pendant tout le temps de
leurs services, ils ont tenu une conduite belle, sage et pru-
dente. Les gouverneurs de Varsovie, en se servant de la
garde urbaine, n'ont pas su trop les louer pour leur fidé-
lité et leur adresse. Mais ce qui peut paraître encore plus
surprenant au lecteur, c'est que le colonel du génie,
M. Wilson, m'a dit lui-même que lors de l'assaut de la ca-
pitale, le 6 et le 7 septembre 1831 , ayant à défendre l'es-
pace entre les portes de Czerniakow et Mokotow. . . il y a
remarqué le courage des pauvres Israélites... Je me suis
entretenu avec beaucoup d'officiers et de soldats, tous
sont d'accord à rendre justice à ces descendants du valeu-
reux David. Ainsi, en s'appuyant sur le patriotisme des
Israélites qui ont fait tant de sacrifices et montré tant de
courage lors de l'insurrection de Kosciuszko, en les
voyant servir dans les rangs des Autrichiens et des Mos-
covites, pourquoi proclamerions-nous les Juifs polonais
comme manquant de courage et incapables de servir dans
les troupes?...»
Parmi les réfugiés polonais, on remarque des Israé-
lites décorés sur le champ de bataille. Nous citerons entre
autres MM. Hernisz et Horowicz qui même dans l'exil
servaient leur patrie par des publications utiles et patrio-
tiques. Nous devons signaler ici une circonstance qui n'a
pas permis aux volontaires Israélites de donner toutes les
preuvesdelcur patriotisme et de leur dévouement. Lcgou-
vernement national autorisa la formation d'un escadron
tj<*
i06
composé exclusivement d'Israélites. Il en confia la direc-
tion à un certain Berkowicz, fils de l'illustre israélite
Berko, colonel, dont nous avons déjà parlé dans cet ou-
vrage. Il est à regretter que cette tache ait été confiée à
un homme incapable, Il a oublié les devoirs que le nom de
son père lui imposait. Tout le temps de la guerre, il le
passa en organisation, sans jamais rien finir, et il a été ac-
cusé par ses coreligionnaires davoir détourné les fonds
que les patriotes israélites lui avaient envoyés, destinés au
fourniment de son armée. Il est certain que le chef de cet
escadron n'a pas compris la tache dont il était chargé.
Si ce petit corps de volontaires eut été mis en mesure de
se distinguer sur le champ de bataille , toute la nation
polonaise eut applaudi à leur succès.
Cependant, une opinion diamétralement opposée à celle
du digne comte Ostrowski règne parmi un grand nombre
de Polonais. Ils pensent et disent que les Juifs ne va-
lent rien, servent d'espions aux Moscovites et leur sont
attachés; que, par conséquent, il faut extirper, persécuter
ce peuple ennemi de la patrie et de la cause polo-
naise.
Pendant la dernière guerre, un grand nombre d'Israé-
lites étaient pris pour espions , jugés et punis, sans preu-
ves de leur culpabilité. Dans le palatinat d'Augustow,
les partisans de Puszet et de Szon ont commis des
meurtres innombrables. Beaucoup de volontaires con-
duits par Puszet ne se sont enrôlés sous ses ordres
que pour pouvoir pendre et .piller les Juifs; car ce
chef cruel et vindicatif, après avoir proclamé une liberté
illimitée, a commencé par donner le mauvais exemple de
Pinjustice : lui-même ayant depuis longtemps unepassion
de vengeance à satisfaire sur une famille israélite, dans le
107
district de Maryampol, fit pendre un vieillard, ses deux
fils et leurs enfants. 11 était donc tout naturel que les pay-
sans et les volontaires d'un tel chef imitassent un tel exem-
ple. Plus tard, lorsqu'un Polonais, présent par hasard à
l'exécution d'un Juif qu'il connaissait, avait pris sa dé-
fense et avait demandé que Ton fît d'abord une enquête
sursa conduite, Puszetluiréponditavecironiequel'enquète
pourrait être faite après, pour son propre compte, et qu'en
attendant il jugeait à propos de faire pendre le Juif. Il est
inutile de faire des observations sur des faits semblables.
M. le comte Ostrowski se plaint dans son ouvrage de
nombreux abus de ce genre.
« Je pourrais appuyer mon assertion de plusieurs exem-
ples, dit-il, mais il suffit d'un seul, qui m'est exactement
connu... Notre cavalerie, en passant par un village, aper-
çut une tète de juif par une ouverture sur le toit. Halte!
s'est-on écrié, nous avons un espion. Faites-le descendre
et, brevi manu, on le pendit. 11 paraît quece Juif, craignant
de mauvais traitements, s'était caché et regardait d'en
haut si le danger était passé; mais il était parfaitement in-
nocent et père de six enfants. Ce crime fut rapporté au
général en chef. L'officier fut destitué et mis en prison.
Est-ce une satisfaction suffisante pour la mort d'un ci-
toyen dont les orphelins furent plongés dans la misère? »
Un riche israélite, nommé Salomon Pozner, proprié-
taire de terres et de villages appelés Kochary, possédant
une fabrique de draps, où il occupait quelques centaines
d'ouvriers, citoyen de Varsovie, vieillard de 65 ans,- après
avoir fourni gra/t*, les preraiersjoursde la Révolution, beau-
coup de drap et d'argent à l'armée, fut plus tard rencon-
tré à la campagne par les soi-disant patriotes, avec son
fils et son beau-frère. On les garrotta , on les fit mar-
108
cher devant les chevaux, et on les fit trotter les pieds nus,
pendant les plus grandes intempéries» jusqu'à Varsovie.
D'abord on voulut les pendre, maisgràce à l'intervention
d'un officier supérieur qui, en promettant de les faire juger
et punir publiquement à Varsovie, les arracha des mains de
ces forcenés, ils furent, aussitôt leur arrivée dans lacapitale,
misenlibertécommetoutà fait innocents. A d'autres Israé-
lites, on arrachait les yeux et la langue, sans qu'il se trou-
vât personne pour prendre leur défense. En un mot , il y
avait des abus, de la cruauté et de la folie dans toutes ces
persécutions, qui prouvent que la haine , si pernicieuse,
si invétérée, est loin encore d'être éteinte chez un grand
nombre de catholiques.
Quels reproches ne devons-nous pas faire aux patriotes
polonais, aux hommes du progrès, qui, à l'aide de la pu-
blicité, n'ont pas jeté parmi les masses des écrits et des
proclamations qui auraient pu éclairer les esprits et les
amener à un sentiment plus noble et plus juste !
De quel droit s'étonne-t-on qu'à la suite de pareils trai-
tements, il se trouve quelques Juifs assez lâches pour de-
venir espions? Et d'ailleurs, les hommes qui n'avaient pas
de relations avec les généraux, avec les membres du gou-
vernement, qui ac connaissaient pas les plans des chefs
del'insurrection, de quel grand service pouvaient- ils être
à l'ennemi. Quelques misérables, excités par le gain, accré-
ditaient des nouvelles insignifiantes; tandis que plusieurs
nobles catholiques, occupant des positions élevées, ou-
bliant leurs devoirs de citoyens, trahissaient leur patrie et
vendaient à l'ennemi les secrets d'État. Quelques miséra-
bles espions juifs ont pour leur excuse la persécution, la
misère, le désespoir, la vengeance pour les nombreuses
victimes immolées injustement. Mais quelle justification
109
peuvent donner des Polonais qui jouissaient de tous les
droits et de toutes les faveurs?
Nous voyons, par exemple, a présent, des personnages
haut placés chez les Moskovites, qui pendant la guerre
n'étaient rien moins que des patriotes exaltés. L'empereur
Nicolas les a bien soignés et amplement récompensés
après la prise de Varsovie; croix, rubans, pensions, biens,
crachats, tout leur a été prodigué . A quel titre, pour quel
service? Tandis que les hommes d'un mérite réel, soup-
çonnés seuloment de patriotisme, sont obligés de souffrir
et quelquefois de courber la tète devant ceux qui autre-,
fois imploraient leur protection.
Du reste, le sort de ces quelques juifs qui ont eu le mal-
heur de se livrer au vil métier de l'espionnage, est bien à
plaindre. Leurs propres coreligionnaires les méprisent et
les repoussent. Us espéraient, peut-être, arriver à une
fortune, et l'avidité des fonctionnaires russes les a spoliés
de ce qu'ils ont pu gagner. Le mépris et la misère, voilà
toute leur récompense 1 .
Bien différent est le sort de ces Israélites qui auraient
pu, en 1831, être réellement utiles aux Moscovites, et qui
sont restés fidèles à la cause de leur patrie. Ils sont res-
pectés par les Polonais et par les ennemis eux-mêmes.
Il est donc injustede faire peser sur la masse des Israéli-
tes le reproche d'espionnage. Dequel droit, d'ailleurs, aecu-
i L'un de ces espions, natif de Szezuczyn, qui accompagnait toujoun
Aninkow, aide-de-camp du grand-duc, Michel, est mort dans la plus pro-
fonde misère. Un autre, connu jadis de l'auteur, est réduit à un dé-
nuement complet ; il maudit à présent et les Moscovites et leur czar, re-
grette vivement de les avoir servis avec tant de zèle. Il y a beaucoup de
pareils misérables, punis si justement par la Providence.
410
séries Israélites en général de leur indifférence et de leur
froideur enverslarévolution?Cetterévolution, dès ledébut,
ne les a-t-elle pas repoussés? Voici Tordre du dictateur
Chlopicki, proclamé le 41 décembre 1830 :
aLes Juifs, ne possédant pas les droits des citoyens,
contribueront à la tranquillité de la ville, par une contri-
bution. »
Ce que nous venons de rapporter prouve jusqu'à Pévi-
dence que le gouvernement polonais, le dictateur, les mi-
nistres, la diète, sont seuls coupables de n'avoir pas ap-
pelé les Israélites k la défense de la patrie commune. On
a tort d'accuser les Juifs soit de haine, soit de trahison,
lorsque pas une seule voix ne s'éleva en leur faveur,
lorsque le gouvernement, les ministres et la diète les ou-
bliaient et les repoussaient, en les laissant dans leur an-
cien abaissement. Qu'on ne pense pas que les Juifs pré-
fèrent les Russes aux Polonais. Le système barbare et
despotique ne peut pas convenir à un peuple industriel.
Du reste, pourquoi aimeraient-ils les Moscovites? LaRus-
sie les a expulsés de son territoire. Le czar a arraché
trente mille enfants du sein de leur mère; il a donné l'ordre
à cent cinquante mille habitants paisibles de quitter les
contrées où ils sont nés, où reposent les cendres de leurs
pères ! , le même gouvernement les laisse à la merci de
fonctionnaires barbares, avides, ignorants; est-ce pour
cela que les Juifs doivent aimer leur persécuteur?
Nous qui connaissons à fond les sentiments des Juifs
polonais, nous pouvons garantir qu'ils aiment leur patrie,
qu'ils sont attachés au sol .qui les nourrit, à la terre qui
1 Quoique cet ukase ait paru l'année dernière , cependant le projet
' existait déjà avant 4830.
411
leur a offert un asile et qui renfermo les ossements de leurs
ancêtres i.
Si Ton remarque les symptômes de la défiance, delà
crainte, de l'indifférence, qu'on les attribue à l'esprit jé-
suitique qui respire la haine, à l'injustice et aux préjugés
de plusieurs nobles influents. C'est une réaction inévi-
table. Mais, comme il est facile aux Polonais eux-mêmes
de s'attacher à jamais cette nombreuse population! Qu'ils
suivent le progrès des lumières, le noble exemple que la
France leur donne, et ils trouveront dans les Juifs des ci-
toyens, des frères, des alliés plus puissants qu'ils ne le
pensent.
1 Nous avons cependant excepté de ce nombre la fraciion des nombreux
orthodoxes thalmudistcs qui d'après leurs lois n'ont pas d'autre pairie
que la terre sainte.
XII
Apres la prise de Varsovie , les membres du gouverne-
ment provisoire, la diète, les officiers supérieurs, les jour-
nalistes, les chefs de partis et un grand nombre de gentils-
hommes des provinces polonaises incorporées à la Russie,
se réfugièrent en France et en Angleterre. Parmi les
réfugiés on remarquait le prince Czartoryski, descendant
desJagellons.
A cette époque , le trône de Juillet n'était pas encore
consolidé , et la paix n'était pas assurée. La Franpe était
divisée en deux partis distincts dont l'un défendait le
trône et la dynastie nouvelle, l'autre se composait de tous
les mécontents qui voulaient la légitimité , la république ,
le changement , la guerre. Les Polonais arrivaient en
France comme héros et martyrs. S'ils n'étaient pas puis-
413
sants par le nombre , ils pouvaient donner à l'opposition
une nouvelle force , par la sympathie qu'ils provoquaient,
ainsi que par la présence des officiers supérieurs dont le
nom était couvert de gloire. Tous les partis , tous les sys-
tèmes, tous les mécontents enfin, tâchaient de s'attirer les
Polonais. Comme la chute du trône de Juillet amenait né-
cessairement la guerre, la guerre qui seule pouvait offrir
de nouvelles chances au rétablissement de la Pologne, il
n'est pas étonnant qu'une grande partie de l'émigration
se soit laissée entraîner par les républicains qui lui promet-
taient de régénérer la Germanie, et de fonder la grande
république des Slaves réunis , sous les auspices de la
Pologne libre et indépendante.
Paris était aussi le nouveau champ où les partis qui se
disputaient le pouvoir en Pologne se livraient une nou-
velle bataille. La presse périodique et les réunions po-
pulaires épousaient leurs querelles. Nous allons entrer ici
dans quelques détails parce qu'ils ont influé sur le sort
et sur l'avenir des Juifs en Pologne.
Les gentilshommes qui aspiraient à la direction des af-
faires en Pologne, en cas de guerre, tendaient la main aux
républicains français et combattaient le prince Czarto-
ryski, en lui reprochant son incapacité dans ses devoirs
politiques, ses flatteries à l'égard de la cour de Russie et
son indifférence pour la Pologne. Cependant il attirait sur
lui par sa seule position l'attention de l'Europe , et exer-
çait une grande influence dans les provinces polonaises in-
corporées à la Russie. C'est à l'influence du prince Czar-
toryski qu'on attribuait les fautes principales et les abus
delà dernière guerre. Si les nobles n'ont pas affranchi les
serfs, c'était le prince qui en était coupable. Si les gé-
néraux n'ont pas rempli leurs devoirs, si la Diète n'a pas
8
* /i ,< : < rt>.
Mi
pris des mesures énergiques, si enfin, la Pologne n'a pas
développé tous les moyens de résistance , c'est au prince
qu'on l'attribuait. A la tète de cette politique plus habile
que loyale se trouvait M. Lelewel, ancien professeur dans
l'Université de Wilna, savant antiquaire , laborieux chro-
niqueur, homme de cabinet , qui n'avait ni assez de lu-
mières, ni assez d'énergie , ni assez de talent pour cons-
tituer un tribun du peuple, un chef de parti démocratique.
Sa renommée scientifique , sa vie plus que modeste , ses
privations , lui attirèrent des partisans aveugles dans la
noblesse lithuanienne, et dans ses anciens élèves; il fut
élu président du comité qui prit pour titre le nom du Co-
mité national. C'est aussi d'après ses démarches , et d'après
son exemple que la moitié de l'émigration déclara le prince
Czarioryski coupable de la chute de la Pologne, ennemi du
pays et de l'émigration.
Nous avons vu que M. Lelewel a réussi à demi à se
débarrasser de l'homme qui lui portait ombrage, du
prince qui à lui seul rappelait la Pologne indépendante
sous le gouvernement glorieux des Jagellons. Nous verrons
s'il a été aussi actif quand il s'agissait de défendre les
droits des paysans , de la bourgeoisie en général et des
Juifs en particulier.
M. Lelewel, quelques journalistes, les membres de la
société patriotique, ainsi que les porte-enseignes qui don-
nèrent le signal de la Révolution de Varsovie, choisirent
pour leur domicile à Paris, un modeste hôtel, rue des
Cordiers, le même que jadis occupait le citoyen de Ge-
nève, quand il visitait la capitale de la France. Là, tous
les soirs, on débattait les propositions que le lendemain
on devait porter à la réunion générale des Polonais, réu-
nis dans la salle de la société asiatique, rue Taranne. Les
145
démocrates les plus avancés, ceux qui voulaient affran-
chir les paysans et leur offrir lesinstrumentsdu travail, ceux
qui voulaient relever la bourgeoisie, tournaient leurs re-
gards vers M. Lelewel, espérant qu'ils seraient appuyés
par le président du club patriotique. Quel ne fut pas leur
étonnement et leur désappointement, quand ils recon
nurent, dans ce savant antiquaire, un gentilhomme imbiv
de tous les préjugés de la petite noblesse? Il s'emportait,
quand on lui parlait de fonder des banques nationales et
de doter les paysans. Son opinion à cet égard fut si arrê-
tée qu'il publia une brochure dans laquelle il rappelle le
sort des cosaques, et attribue leurs malheurs et leur escla-
vage actuel au désir qu'ils avaient eu de posséder et d'à voir
des propriétés. — Il voulait prouver aussi qu'il n'y a pas
de serfs en Pologue, seulement, dit-il, les paysans sont
exposés à l arbitraire de leurs seigneurs !! — Ces quelques
mots suffisent pour donner une idée des opinions libérales
du savant professeur.
Le lecteur peut déjà s'imaginer quelles seront ses idées
sur l'avenir de la bourgeoisie, et sur les droits des Israé-
lites.
C'est M. le major Beniowski qui exposa le premier dans
le petit comité, rue des Cordiers, les griefs, les droits et les
espérances des Juifs polonais. Nous devons reconnaître
avec plaisir que les jeunes Polonais, les vrais héros et
martyrs de la dernière guerre, écoutaient M. Beniowski
avec intérêt et résolurent de travailler avec lui à l'éman-
cipation de leurs compatriotes de la religion de Moïse. La
plus énergique, la plus violente, en même temps la plus
mesquine opposition sortit de M. Lelewel. Au lieu de ré-
pondre, il se fâchait, il gesticulait et ne faisait entendre
que quelques phrases isolées : «/e n'aime pas les Juifs... ce
116
sont des espions. . des sangsues.., des traîtres... qu ils s 1 en
aillent en Asie. Je ne méfie pas même aux convertis jusqu'à la
sixième génération. Cesl une race maudite.*
M. Beniowski voulait provoquer une manifestation gé-
nérale de rémigration en faveur des Israélites, dans le
double but de fixer l'attention de l'Europe sur deux mil-
lions et demi de Juifs, et en même temps, il voulait réveil-
ler cette nombreuse population de son inertie. L'opposi-
tion de M. Lelewel brisait ses efforls. Le savant profes-
seur avait encore tropd'influence pour pouvoir se passer de
son adhésion. Le président du Comité national pouvait refuser
sa signature sur un acte qui pouvait exercer une grande
influence. M. Beniowski ne se découragea pas. Soit qu'il
Tait appris, soit qu'il l'ait deviné, il répand la cause vraie
ou inventée de l'opposition de M. Lelewel, «Il n'aime pas les
Juifs, il les hait, il parle contre leur émancipation, parce
que lui-même il est le petit-Gls d'un juif. Les convertis,
pour faire oublier ou pour se faire pardonner leur ori-
gine, se distinguent par leur antipathie pour la race dont
ils sont sortis ». La nouvelle circule parmi l'émigration,
mais, chose curieuse, le stratagème de M. Beniowski lui
réussit admirablement. Le lendemain, la motion faite dans
la réunion de la rueTaranne, n'a pas d'opposition. Le ma-
nifeste est voté à V unanimité, et c'est M. Lelewel qui se
charge de sa rédaction. Telle est l'histoire du premier
appel que l'Émigration a fait en faveur des Israélites».
1 Lisez les Archives israélius, Lettres de M. Czynski.
417
Voici ce document :
«Peuple d'Israël !
»Hillel, interrogé sur le principe de votre religion et
sur ce qu'il faut faire pour l'observer, répondit : «Ne faire
»à autrui que ce que vous voudriez qu'on vous fît. »
» Vos regards, vos vœux sont tournés vers le pays de
vos ancêtres, vers la patrie d'Abraham et de David; vous
voudriez la recouvrer, y retourner, et y régner comme
nation indépendante; vous désireriez qu'on vous en
facilitât les moyens, que dans cette entreprise tout le
monde vous prêtât secours. Les Polonais, parmi lesquels
vous habitez en grand nombre, vous porteraient volon-
tiers ce secours, si cela était en leur pouvoir, et ils ne
vous le refuseront pas, dès que l'occasion favorable s'en
présentera.
» Enfants d'Israël! vous voyez aujourd'hui le grand dé-
sastre des Polonais. Expulsés de leur patrie, comme vous
l'êtes de la vôtre, ils errent dispersés, comme vous, parmi
les nations étrangères; leurs familles, leurs biens sont,
la proie de l'ennemi ; leur patrie est subjuguée et envahie. •
Ils aspirent à recouvrer leur indépendance, et désirent^*
que tout le monde leur prête secours. Ils ne veulent autre
chose que ce que vous voudriez qu'on vous fît. Il en est
temps encore. Ils l'attendent de vous. Pouvez-vous leur
refuser votre assistance et votre coopération?
»II a plu à Dieu de vous priver des portes de David et
de vous disperser parmi tous les peuples. Une branche de
votre nation, implantée dans le sol polonais, y étendit ses
racines , devint un grand arbre et porta des fruits; car
c'est chez nous que vous vous êtes multipliés dans une
proportion beaucoup plus grande que partout ailleurs.
J
H8
C'est ainsi que l'Éternel avait béni la postérité d'Israël dans
notre pays, et il voulut évidemment qu'un intérêt com-
mun la liât à la nation polonaise. Demandez à vos pères à
quelle époque vous étiez les plus heureux, et ils vous
diront que c'est sous la République de Pologne. Vous trou-
verez dans nos chroniques, dans nos livres des lois, dans
vos anciennes traditions, que les enfants d'Israël ne pos-
sédèrent jamais de plus grandes richesses , ne furent ja-
mais plus honorés, ne jouirent nulle part d'une plus
grande prospérité, que lorsque Dieu accordait à la répu-
blique de Pologne la liberté, la puissance et le bonheur.
Ce fut alors que notre Salomon, notre sage roi Casimir-
le-Grand, etVitolde, fort et puissant comme Saiïl, assu-
raient aux enfants d'Israël, l'un dans les provinces polo-
naises, l'autre en Lithuanie et dans les terres Russiennes,
ces franchises étendues qui les protégeaient à l'égal des
seigneurs polonais. Ils avaient adopté notre costume ma-
gnifique, comptaient parmi eux un grand nombre de sa-
vants, faisaient un commerce immense, possédaient de
riches boutiques, de grands capitaux et de vastes do-
maines. C'étaient là, sans contredit, des temps heureux
pour les fils d'Israël. Les étrangers qui arrivaient en Po-
logne s'étonnaient de pareilles choses, car ils ne voyaient
rien de semblable dans leur pays.
» Mais Dieu, dont la volonté toute-puissante abaisse et
relève les nations, affaiblit la nation polonaise, et l'acca-
bla de malheurs. Il lui suscita des ennemis, qui dévas-
tèrent le pays, et le dépouillèrent de ses- richesses. Ces
maux pesèrent également sur les fils d'Israël, car leurs
fortunes diminuèrent. On cessa de battre monnaie dans le
pays; ils perdirent de grands capitaux, et tout leur
commerce, tant en gros qu'en détail, se réduisit à très peu
419
de chose ; mais bien plus, les fils d'Israël ayant conservé
leurs anciennes mœurs, et gardé leurs costumes communs à
toute la nation, tandis que les Polonais en adoptèrent de
nouveaux, ce changement finit par établir entre eux et nous
une distinction plus frappante qu'elle ne l'était d'abord.
Cependant, malgré cet appauvrissement universel, les en-
fants d'Israël n'en vécurent pas moins heureux sous la ré-
publique de Pologne; car en ce temps-là, on se trouvait
aussi bien en Pologne qu'aux jours des juges en Israël, où
il n'y eut point de roi, mais où chacun faisait ce qui lui
semblait être droit.
»I1 existait, à la vérité, un roi de Pologne ; mais cha-
cun se conformait à la loi, ainsi qu'il avait été prescrit aux
rois par vos lois. (Deutoronome, xvn, 44-20). « Il ne faisait
* » point un amas de chevaux, il ne levait point de grandes
«armées pour entreprendre des conquêtes; il ne s'amas-
» sait point beaucoup d'argent ni beaucoup d'or, et ne
» prenait pas plusieurs femmes, afin que son cœur ne se
» corrompît point; » c'est-à-dire qu'il ne pouvait ni écra-
ser le peuple d'impôts, ni s'entourer de magistrats cor-
rupteurs. «Son cœur ne s'élevait point par dessus ses
» frères; » et les Polonais ne voulaient point choisir
pour roi un homme qui ne fût pas leur frère. 11 ne portait '<
que le nom de roi, et en effet, n'était que le premier ci-
toyen; car le peuple n'obéissait qu'aux lois. En un mot,
le gouvernement de Pologne était républicain, gouverne-
ment dont un de vos sages, Àbarbanel, favori des rois, fut
l'ami et le partisan, et dont l'Ecclésiaste vante les avan-
tages dans les proverbes, en disant: «Les résolutions
» deviennent inutiles où il n'y a point de conseil, mais il
»y a de la fermeté dans la multitude des conseillers. » Les
Polonais se trouvaient bien de cette forme de gouverne-
* * ** < ; <
7*,
420
ment, et vous en ressentiez les heureux effets parmi eux.
Mais les rois voisins, qui marchaient dans d'autres voies,
les Pharaon, les Labynet et les Nébucadnetzar, leur en-
vièrent ce bonheur, firent marcher contre eux de grandes
armées pour envahir leurs possessions et se partager leurs
dépouilles, pour verser des flots de sang, et exterminer
une nation dont Tunique crime fut de défendre ses droits
et sa liberté. Ce fut alors que le sang des enfants d'Israël
se mêla au sang polonais sur le même champ de bataille;
car ils savaient que la cause, pour laquelle on combattait,
leur était commune, et ils faisaient volontiers ce qu'ils
voulaient qu'on leur tît. Vous vous rappelez tout le car-
nage de Praga, où vos femmes, vos enfants égorgés sur le
sein de leurs mères, vos vieillards débiles rencontraient
la mort à côté de nos femmes, de nos enfants et de nos
vieillards; ces jours d'horreur où une nouvelle Jézabel se
baignait dans des torrents de sang qu'elle fit répandre par
ses farouches soldats, pour détruire la nation et pour
s'emparer de son pays. Or, il arriva que Dieu abandonna
les Polonais, et il les livra entre les mains des rois, qui les
dépouillèrent.
» Depuis ce temps-là, ne s'est-il pasaccompli en Pologne
ce qu'on lit dans les livres de Samuel, qu'un peuple qui
demandait un roi, avait péché contre Dieu, et ajouté l'ini-
quitéà tous ses péchés, que seulement dans sa colère, Dieu
donne à un peuple des rois tels qu'en ont d'autres nations?
Fils d'Israël, qui habitez sur le sol polonais, réfléchissez
bien sur ces paroles. Comme jadis les rois d'Assyrie,
d'Egypte et de Babylone vous menaient en captivité, de
même les monarques de Prusse, d'Autriche et de Russie
ont asservi les Polonais et vous avec eux ; ils ont trans-
formé la Pologne en une terre d esclaves, ont arraché ses
121
fils de leurs foyers pour les transporter hors de leur patrie,
ou les ont plongés dans les cachots. Ciïstrin, Elbing,
Briinn, Olmiïtz, Eobruysk, Z$mosc, la forteresse de Pé-
tersbourg et les déserts de la Sibérie ont vu les prison-
niers polonais expirer dans les tourments de la captivité.
Mais voyons comment on vous traitait alors, qu'elle est
votre situation dans le moment actuel, et quel sort vous
est réservé à l'avenir, si vous continuez de servir ces
rois.
» Rappelez à vos souvenirs de longues années d'oppres-
sion, passées sous le sceptre de ces trois monarques, et
vous verrez vos richesses disparaître et votre pénible in-
dustrie devenir stérile, à mesure que le commerce, en-
travé de droits gênants et vexatoires, diminuait; vous
vous verrez enlever tous les moyens de subsistance» vous
verrez ruiner votre négoce par les douanes et la contre-
bande, et toute votre population dépérir sous le poids
d'impôts énormes, qu'on a inventés pour vous écraser.
Chacun de vous est obligé de payer de fortes contributions
aux rois et à leurs fonctionnaires, pour se racheter mo-
mentanément de l'oppression ou de l'injustice; et, à peine
échappé à leurs poursuites, il redevient victime d'une
spoliation. C'est encore pour vous mettre à l'abri des vio-
lences toujours renaissantes, que vos rabbins et vos anciens,
croyant pouvoir vous en racheter à prix d'or, épuisent
vos faibles ressources. Ils se trouvaient dans la triste néces-
sité de commander des jeûnes, afin que le denier destiné
à apaiser la faim des familles indigentes fût employé à
détourner de vous les conséquences d'une loi cruelle. Mais
cet expédient môme n'apporta aucun soulagement à votre
misère; on continua d'imaginer de nouvelles manœuvres,
de mettre à exécution de nouveaux moyens de rapine, qui
\n
finirent par vous précipiter dans l'indigence, par peupler
des villes et des villages d'une foule de mendiants; et tout
cela arriva sur le sol polonais, dans cette terre d'esclavage,
où des rois tels que ceux d'Assyrie, d'Egypte et de Baby-
lone avaient établi leur injuste domination : car ce n'est
qu'à ces monarques qui vous ont opprimés et dont la main
de fer s'appesantit également sur nous , que vous devez
imputer vos malheurs.
» N'est-ce pas ainsi qu'on procède envers vous dans le
duché de Posen et dans la Prusse, où l'on ne cherche à
vous favoriser par des condescendances trompeuses, que
pour vous maintenir dans le repos, pour vous extorquer
le prix de vos sueurs et pomper toute votre substance,
comme les sangsues, qui épuisent le sang de l'homme et
l'amènent, sans douleur, à un état de défaillance?
» Votre sort est-il différent en Galicie, sous les Pharaons
de Vienne? Ils vous ont promis et vous, ont accordé les
droits de citoyen; certes, il y a là une cruelle dérision.
On ne vous a honorés de ce titre que pour faire de vous
des esclaves plus dociles, ainsi que du reste des habitants
qu'on nomme également citoyens. Car vous n'ignorez pas
ce principe consacré en Autriche , que le mérite d'un ci-
toyen consiste uniquement à devenir l'esclave fidèle de
l'empereur, qui dispose souverainement de sa vie et de
sa fortune. Ainsi s'accomplit à l'égard de vous ce qui dans
vos livres est écrit sur les rois. Tout ce qui est à vous
appartient à l'empereur, et il dispose de vos personnes
selon son bon plaisir. Foulant aux pieds les lois de votre
religion, il choisit à dessein les fêtes et les cérémonies les
plus solennelles pour exercer envers vous de plus criantes
violences. Car, n'est-ce pas dans les jours consacrés à la
pénitance et à la contrition, au moment où le peuple as-
423
semblé adresse à l'Éternel, dans le plus profond recueille-
ment, ses ardentes prières, qu'on envahit vos synagogues,
qu'on pénètre au milieu de vous, et qu'on vous arrache
vos fils, pour les incorporer dans les cohortes impériales
armées pour vous maintenir sous le joug de l'oppres-
sion.
» Quelle est enfin votre situation sous le Nébucadnetzar
du Nord? Sans prétendre vous énumérer toutes les injus-
tices, tous les actes d'oppression dont vous êtes victimes,
nous nous bornerons à vous en rappeler quelques uns ;
car, la nature humaine se révolte à la seule idée de tous
les brigandages exercés contre vous, de tous ces procès
qu'on vous intente sous prétexte de réprimer le commerce
de contrebande, et dont le véritable motif est de vous ra-
vir les fruits de vos labeurs. Combien de fois, dans les
ténèbres de la nuit, vos maisons , vos boutiques n'ont-elles
pas été entourées par la force armée, et livrées au pillage
comme dans une ville prise d'assaut ! En se couvrant de
la mauvaise foi imputée à votre nation, à combien de vos
marchands n'a-t-on pas arraché la fortune et la vie? On
enchaînait même vos femmes et vos vieillards, et on les
écrouait dans les prisons. On faisait importer secrètement
dans vos maisons des marchandises prohibées, et par cet
infâme stratagème, on parvenait à dépouiller ceux dont
les richesses avaient excité la cupidité des fonctionnaires.
Pour justifier enfin ces attentats, on retenait les pauvres
gens, et, après les avoir fait déclarer coupables, en les
envoyait en Sibérie. Depuis longtemps, des ukases bar-
bares déciment vos familles sur le sol polonais; en les
transplantant malgré elles dans les déserts, pour y former
des colonies, et comme pour se jouer de vous, on pro-
clame que cette translation forcée est une marque de la
124
sollicitude paternelle de l'empereur envers vous. Depuis
longtemps, pour vous repousser des frontières de l'em-
pire, on vient vous troubler dans vos paisibles demeures,
on vous force aies abandonner, et à vous choisir un domi-
cile au fond du pays. N'est-ce pas de cette manière qu'on
vous pourchasse dans la Russie-Blanche et dans toute
l'étendue des frontières ! L'empereur Nicolas vous impose
d'énormes tribus, et lorsqu'il vous a épuisés, il s'attaque
à votre religion, en vous ordonnant de lui livrer vos en-
fants à prix d'argent. C'est alors qu'on a vu de petits en-
fants, arrachés du sein de leurs mères, présentés tout
nus devant les fonctionnaires de l'empereur, qui choisis-
saient les victimes, etles marquaient du sceau d'infamie en
leur faisant couper les cheveux, qui, selon votre loi, doi-
vent rester intacts ; et, pour votre plus grande humiliation,
on les destine à la marine. Par milliers, les enfants d'Is-
raël, jetés dans les rangs d'une soldatesque corrompue,
vont servir d'instruments au despote pour river les fers
des nations, et pour que ceux d'entre eux qui survivront
à la bastonnade et à la misère , insultent un jour à leur
propre religion.
» N'imputez pas à la nation polonaise cesystèmede dé-
prédation qui vous a ruinés dans le royaume établi par le
congrès de Vienne, où gouvernaient les Nabuchodonozor
du Nord. Leur volonté s'accomplissait dans les spoliations,
dans l'espionage et dans toutes sortes de méfaits. Votre
misère fut leur ouvrage.
» Dans cette ruine immense qui s'est consommée sur le
sol polonais subjugué et asservi par les rois, ne voyez-
vous donc pas ce que votre prophète Samuel avait prédit
à leur égard (l Reg. VIII, 1 1-16) : «Il prendra vos champs,
vos vignes et les terres où sont vos bons oliviers; il di-
125
mera ce que vous aurez semé et ce que vous aurez ven-
dangé, et il le donnera à ses eunuques et à ses serviteurs.
11 prendra vos serviteurs et vos servantes et l'élite de vos
jeunes gens, et les emploiera à ses ouvrages ; il prendra
aussi vos filles pour en faire des cuisinières et des boulan-
gères. Il prendra vos fils et les mettra sur ses charriots et
parmi ses gens de cheval, pour en faire ses instruments
de guerre; et vous serez ses esclaves. Enfants d'Israël,
il n'en était pas ainsi tant que la nation polonaise, consti-
tuée en république, fut libre et indépendante ; et tout ce
malheur se réalisa du jour où elle tomba avec vous sous
la verge des despotes voisins. Les Polonais connaissaient
vos griefs non moins que leurs propres infortunes. Vous
les avez vus combattre pour la liberté, et tenter mille
efforts afin de délivrer la terre de leurs ancêtres des fers
de l'esclavage. Plusieurs d'entre vous ont senti le besoin
de concourir à la commune délivrance, et ont apporté dans
ce but des sommes considérables sur l'autel de la patrie;
d'autres remplissaient les fonctions publiques ; plusieurs
ont pris les armes, et, combattant dans nos rangs, n'épar-
gnèrent point leur sang pour la sainte cause de laPologne.
De son côté, le gouvernement national chercha à vous
procurer quelque soulagement, et vous avez compté
parmi nous des amis qui souhaitaient sincèrement de vous
accorder tout ce qu'exigaient les besoins du temps, mais
malheureusement, ne pouvant faire rentrer le cours de
la révolution dans ses propres voies, demeuraient hors
d'état de remplir vos vœux. Les mômes hommes qui par
leur coupable entêtement firent avorter la plus belle des
révolutions, les mêmes obstacles qui paralysèrent le développe-
ment des forces nationales, s J opposèrent aussi à l'amélioration de
votre sort. Vous savez que vos vœux n'ont pas été satis-
426
faits de même que vous n'avez pas satisfait à tout ce que
nous attendions de votre part. En un mot, il n'y a pas eu
d'intelligence parfaite parmi nous; de part et d'autre, on
n'a pas fait tout ce qu'on aurait voulu qui fût fait, ce qui
entraîna des conséquences bien fâcheuses pour Tune et
l'autre partie.
» Les efforts de la nation polonaise n'ont pas été couron-
nés du succès; et aujourd'hui, vous le savez, un joug plus
intolérable que jamais écrase la Pologne. Ses enfants ex-
pulsés de leur patrie ou plongés dans les cachots ; femmes,
enfants, vieillards arrachés de leurs foyers et emmenés en
captivité dans les steppes de la Sibérie ; des villes et des
villages saccagés : tel est le spectacle que présente aujour-
d'hui la Pologne. Ce n'est plus dans la fournaise ardente
que les victimes sont brûlées en l'honneur de Baal, mais
par la faim et le froid qu'on poursuit l'œuvre de destruc-
tion. Ne nous arrêtons pas à vous retracer toutes ces hor-
reurs dont vous êtes les témoins. Toutefois, l'auteur de tant
de maux, le Nabuehodonozor du Nord, qui naguère vous
persécutait presqu'avec le même acharnement, vous ad-
met aujourd'hui à sa grâce, vous récompense, on ne sait
trop pour quels services rendus, et, d'esclaves misérables,
vous change en esclaves favoris. Ah! sans doute, il mé-
dite dans sa perversité de nouveaux dessins d'oppression,
et, sous des paroles de paix, il enveloppe sa perfidie. Rap-
pelez-vous la maxime d'un de vos rabbins, qui dit: «Soyez
avec vos amis comme s'ils devaient devenir vos ennemis.
Songez que de pareilles flatteries sont toujours trompeuses
et perfides. » — a Ne désire point ses friandises,» dit l'Ec-
clésiaste, car c'est une viande trompeuse,» n'aggravez pas
le péché qui est sur vos têtes, en soutenant le czar, ce roi
qu'un peuple ne demande, à l'exemple des autres nations,
127
qu'après avoir abandonné Dieu. N'augmentez pas la me-
sure du mal , en ne faisant point ce que vous ne voudriez
qu'on vous fit. *
» Enfants d'Israël! les Polonais dispersés sur les terres
étrangères et parmi les diverses nations, regardant ce qui
se passe chez elles, rencontrent au milieu d'elles vos
frères et s'entretiennent avec eux. C'est de notre pèleri-
nage que nous vous adressons ces paroles, persuadés que
vous reconnaîtrez toute la vérité qu'elles renferment.
Nous voyons ce que vos coreligionnaires, qui habitent
parmi les autres nations, ont obtenu, et ce qu'ils récla-
ment encore. Les lumières du siècle que Dieu répand sur
eux leur offrent les moyens de conserver leur religion,
de vivre dans un accord fraternel avec les étrangers, de
jouir des droits de citoyen, ou d'en réclamer les bienfaits.
Vous connaissez les avantages qu'ils ont acquis à cet
égard; vous savez combien de savants, de littérateurs ont
illustré et illustrent encore votre nation et le siècle où nous
vivons. Eh bien! sa sagesse contribue à propager l'esprit
de concorde et de fraternité entre les enfants d'Israël et
ceux des autres nations; car la sagesse rend puissant le
Fils de l'Homme. «L'homme sage est accompagné de force,
et l'homme qui a de l'intelligence renforce la puissance,»
dit PEcclésiastë dans les Proverbes. Mais à quoi servent
ces avantages sur la terre de captivité?
» Notre siècle offre le spectacle d'une lutte continuelle
de la liberté opprimée contre les envahissements du des-
potisme. Les rois se sont conjures pour asservir les peu-
ples, et, de leur côté, les peuples cherchent à former une
ligue pour leur résister et conquérir leurs droits. Nous
touchons, sans doute, à l'époque de graves événements,
un breuvage amer est préparé pour tous les monarques
128
qui se sont écartés des voies droites, et ils le videront
jusqu'au fond. Dieu bénira les peuples en leur accordant
la liberté et le bonheur, et dans le moment où tant de
symptômes d'activité se manifestent chez toutes les na-
tions, vous convient-il, enfants d'Israël, de demeurer
spectateurs impassibles? Vous conviendrait-il de soutenir
Tidole aux pieds d'argile, de protéger vos oppresseurs et
les contempteurs de votre religion?
» Vous voila enfin parvenus aux siècles où disparaissent
les haines et les rivalités qui avaient divisé les nations. De
quelque langue, de quelque religion qu'elles soient, elles
cherchent toutes à s'unir par des liens de paix et de fra-
ternité. La terre tout entière devient la demeure d'une
même famille, et les portes qui y conduisent sont ouvertes
aux enfants d'Israël. Les chrétiens ainsi que les Israélites
adorent un Dieu tout puissant, Jèhova et désirent mettre
leurs lois et leur liberté à l'abri des attentats des messa-
gers de la colère divine. Qu'avez-vous gagné pendant tant
de siècles de la domination des monarques, oppresseurs
des nations? Quelquefois des promesses perfides et illu-
soires, et toujours la misère et l'avilissement; quelquefois
des moyens de gains chétifs, et toujours l'opprobre et le
traitement ignominieux quipesaitsur vous comme sur un
rebut du genre humain. Au contraire, vous avez tout à
espérer des idées et des sentiments populaires qui com-
mencent à se développer de plus en plus. La répugnance
que l'opinion nourrissait contre vous dans tous les états,
et qui vous offense justement, va bientôt s'éteindre, et
vous parviendrez vous mêmes à la détruire, si vous con-
tribuez efficacement à conquérir la liberté générale et à
affermir la souveraineté des peuples : « car la main des di-
ligents dominera, mais la main paresseuse sera tributaire.»
499
Les enfants d'Israël qui vivent maintenant dispersés sur
les terres d'esclavage, enltalie, en Allemagne, en Pologne,
ne doivent tendre qu'au même but avec les peuples de ces
pays, ne doivent désirer que ce qui est propre à accélérer
leur affranchissement ; car seulement alors ils deviendront
à leur tour libres et heureux. Un des pères de votre syna-
gogue n'a-t-il pas dit : c< Que le règne du Messie viendra
le jour où Israël se verra délivré pour toujours de Top-
pression des monarques de la terre? »
Comme Judas Machabée , le Polonais tenta de briser le
joug étranger; et si la main de la mort s'appesantit sur lui
et le replongea momentanément dans la servitude, la jus-
tice éternelle ne l'a pas abandonné, et ses frères, qui ont
survécu à la destruction, relèveront sa cause abattue avec
un plus grand déploiement de forces. Les autres peuples
les seconderont, car cette cause est la leur. Enfants d'Is-
raël! ne vous en isolez pas, et ne soyez pas les derniers à
vous mêler à l'œuvre de la régénération. Nourrissez des
sentiments de bienveillance et de liberté, et vous trou-
verez mille moyens d'y coopérer. Malgré l'appauvrisse-
ment universel, vous possédez encore quelques ressources
que vous pouvez employer pour la cause générale. Toute
offre, quelque modique qu'elle soit, devient grande et effi-
cace dès qu'elle provient du cœur. Votre habileté et votre
prévoyance dirigeront vos efforts vers le meilleur but, et
vous indiqueront les moyens de nuire à l'ennemi commun.
Dès que l'occasion s'en présentera, vous saurez saisir les
armes d'un bras ferme, et vous n'épargnerez point le sang.
Nous avons tout lieu de le croire, car nous avons vu les
offrandes patriotiques et les sacrifices de plusieurs d'entre
vous, dans le cours de notre dernière lutte. Nous comp-
tons avec orgueil des amis dans le peuple d'Israël, qui,
9
4S0
constamment fidèles an drapeau do la liberté, ne manque-
ront pas de vous garantir la sincérité et la pureté de vos
intentions. Ils seront auprès de vous les interprètes de ces
paroles que nous vous adressons en ce moment. Enfants d'Is-
raël! si quelqu'un de vous vient à manifester des senti**
ments d'inimitié à notre égard, demandez-lui quelle en est
la cause, et rappelez-lui les paroles d'un de vos rabbins :
«Que le péché entre Dieu et l'homme sera pardonné au
jour du pardon, mais celui entre l'homme et son semblable
ne sera pas expié sans le redressement du tort. » Et lors-
que nous aurons péché contre vous, par inimitié, que Dieu
ne nous pardonne pas ce péché dam le jugement dernier.
Quand le jour du triomphe sera arrivé, nous réglerons nos
comptes. Tout fils de la Pologne, tant israélite que chré-
tien, se présentera alors, pour rendre compte de ce qu'il
aura fait pour la chose commune, contribué au rétablisse-
ment de la patrie ; tous les services et tous les efforts seront
pesés rigoureusement dans la môme balance. En nous con-
stituant sur notre sol natal, nous nous assurerons des liber-
tés réciproques, et nous les partagerons entre nous. Soit
qu'il faille les instituer en commun, soit séparément, la
volonté générale en décidera, ainsi que les conventions
mutuelles. Peut-être préférez-vous une loi distincte, peut"
être songerez-vous à couronner vos vœux en retournant
dans la terre de Jacob. Dans tous les cas, la nation polo-
naise, pénétrée de la justice de vos désirs, s'empressera, en
tout ce qui dépendra d'elle, de vous aider à les accomplir.
Élevez aujourd'hui vos prières et unissez-les aux nôtres,
afin que Dieu fasse triompher la cause des peuples.
L'heure de la délivrance va bientôt sonner; il n'y a pas
un instant à perdre. Sans différer davantage , agissez
avec nous. Celui-ci qui prend garde au vent ne sèmera
point , et celui qui regarde les nuées ne moissonnera
point.»
Pari», ce 3 novembre 1832.
Président du Comité national : Joachim Lblewel, nonce de Podlachie à la
Diète de Pologne.
Membres du Comité : Valentin Zwierkowski, député de Varsovie à la
Diète, major de la garde nationale à cheval et des
krakus, secrétaire de la Diète ; Léonard Chodzko,
grenadier de la garde nationale polonaise, capitaine
aide -de-camp du général Lafayette ; Antoine Pezr-
ciszewski, lieutenant-colonel des lanciers de Posen,
nonce de Lithuanie à la Diète ; Antoine Hlusznie-
wicz, nonce de Lithuanie à la Diète; Erasme Ryka-
czewski, artilleur polonais.
Secrétaire du Comité : Valérien Pietkiewicz , nonce de Lithuanie à la
Diète de Pologne, soldat volontaire à l'armée na-
tionale polonaise.
Trésorier du Comité : Charles-Edouard Wodzinski, soldat volontaire du
1er régiment des krakus.
Sans doute, ceux qui liront cette proclamation, sans
connaître son auteur, sans se rendre compte des préjugés
des gentilshommes polonais , la trouveront bien pâle et
bien prétentieuse. Ils s'étonneront que les réfugiés polo-
nais aient parlé à leurs frères d'une autre croyance, du
nouveau royaume de Jérusalem, au lieu de les appeler à
devenir citoyens, enfants de la même patrie. Ils ne com-
prendront rien à la glorification du gouvernement dont
M. Lelewel faisait partie. Mais, malgré toutes ses peti-
tesses et bien que l'appel ne répondît pas à l'impor-
tance de la question, l'acte de proclamation, par cela
même qu'il existait, devenait un événement. C'était pour
la première fois qu'un nombre respectable de Polonais
promettait un meilleur avenir aux Israélites. C'était la
conquête des idées du dix-neuvième siècle sur lespréju-
132
gos du moyen-âge. Ce fut un cri qui trouva de l'écho en
Allemagne, et qui se répandit au bord de la Vistule. De ce
moment, la cause des Israélites trouva ses défenseurs et
ses adversaires.
XII
Parmi les journaux polonais qui se signalaient par leur
mépris et par leur haine pour les Juifs, nous signalons La
Nouvelle Pologne (Nowa Polska) et Le National (Dziennik
Narodowy). Parmi les écrivains qui n'ont pas su s'élever
au dessus des préjugés, nous devons encore ranger le
poète Mickiewicz qui, dans son livre populaire : Ksiegi
Pielgrzyma, au milieu des sentiments les plus élevés, ex-
primés avec la verve d'un grand poète, déverse sur la
race israélite tout le fiel d'un gentilhomme ignorant. Il y
parle de Yâme sordide des Juifs et de leur vil esprit. Était-il
permis au poète d'un si haut mérite de confondre les
résultats d'une longue oppression avec la nature et la
destinée de la race qui enfanta tant de héros, qui se dis-
tingua par l'amour de Dieu et de la patrie, et qui même,
134
d'après la religion du savant poète, comptait dans son
sein des prophètes, des martyrs, et qui donna au monde
le Sauveur. Le poète Antoine Gorecki suivit une route plus
généreuse, et sa plume sympathisa avec le malheur.
M. Lelewel se reposa sur ses lauriers. Non-seulement
il ne lutta pas contre les journaux fanatiques et ignorants,
mais il resta en relations politiques avec la Nouvelle Po-
logne et Y Aigle Blanc qui se signalaient par leurs indignes
articles. Pour donner une idée jusqu'à quel point une vi-
cieuse éducation et un préjugé national peuvent dénatu-
rer le cœur humain et fausser l'esprit, nous citerons les
seules paroles d'un certain J.-B. Ostrowski qui, pour
expliquer les massacres des Juifs par la population, dit :
« Que le peuple dans cet acte suivait une sainte inspira-
tion. »
Nous trouvons dans un autre journal, Polnoc, la ré-
ponse à cet article infâme. C'est M. Hernisz, officier polo-
nais, israélitede naissance» qui releva le gant.
C'est ici que nous devons parler de M. Czynski et de ses
efforts* Déjà, en Pologne, pendant la dernière guerre,
il eut l'occasion, de montrer ses sentiments humains
envers les Israélites. Il remplissait les fonctions de chef
de l'état-major auprès du général Szeptycki, commandant
supérieur du palatinat de Lublin. On dénonçait les Juifs
comme voulant se soustraire au service militaire. La popu-
lation de Lublin était prête de se jeter sur de prétendus,
traîtres et espions. M. Czynski apaise la foule, convoque
les notables dans la synagogue, ainsi qu'un grand nombre
d'Israélites de toutes les conditions, prend la parole pour
expliquer aux Juifs réunis le %ort qui les attend si la
Russie triomphe, et en même temps, après avoir rappelé
heur triste position actuelle, il leur fait voir que la Pologne
436
libre léê ttaitefaencitoyensëtles adoptera pour seèenfants.
Sa chaleureuse improvisation produisit uneffet merveilleux
Les Israélites résolurent à l'instant de former un corps de
volontaires, et les plus riches ouvrirent une Souscription
pour venir en aidé aux frais du gouvernement. Cette con-
duite des Israélites changea les dispositions hostiles de
la population* et M* Ciynski retourna au siège du gouver-
nement, entouré des premiers Volontaires» au milieu d'ap»-
plaudissements unanimes.
Soit qtie ce succès obtenu frappa l'âme de M» Gsynski,
soit que, parses relations avec les Israélites polonais, il fut
touché de leur misère et de leurs mérites, il eut toujours
constant que depuis ce moment, la cause do l'émancipa*
tion des Israélites polonais n'eut pas de défenseur plus
zélé et plus persévérant. Pour faire apprécier toute la
portée de cette conduite, nous devons ajouter que l'homme
qui s'y est dévoué devait s'attendre à de Nombreux et
puissants adversaires. Le Club démocratique même avait
dans son sein des hommes imbus des idées jésuitiques,
La motion que M. Czynski y fit pour provoquer un appel au*
Israélites, fut combattue par l'abbé Pulawski» et rëjfetée
à la majorité de huit voix contre sept.
Arrivé en France, non seulement M. Czynski s'aësooia
de cœur à tous les efforts du major Beniowski, mais il
résolut de plaider la cause des Israélites dans là presse
française et allemande. Il publia' une brochure soUS le
titre : Question des Israélites polonais* Ce Ait la première ex-
position qui rappela au monde qu'aux bords de la Vistule
il se trouve deux millions et demi de Parias qu'on nomme
Juifs, et qui n'attendent qu'une sage protection pour s'as-
socier au progrès de la race humaine, Après l'apparition
de cette brochure, M. Crémieux, député et président du
436
consistoire, aujourd'hui, publia une lettre dans le National,
dans laquelle il présenta pour exemple à la nation anglaise
les sentiments des catholiques polonais , en ajoutant que
désormais le nom de M. Czynski viendra au souvenir des*
Israélites, chaque fois qu'on traitera la question de leur
émancipation.
Le Réformateur, le Constitutionnel, le Courier Français,
ouvrirent leurs colonnes à M. Czynski . Malgré ce concours,
il croyait qu'il pourrait faire plus encore, si un comité, pré-
sidé par un illustre personnage, venait à son aide. Le gé-
néral Lafayette, comprenant la justice et l'importance delà
question israélite, offrit son concours aux catholiques po-
lonais , et se mit à la tête d'une société ayant pour but
d'accélérer V émancipation des Israélites,
Ici, nous devons faire une observation .: M. Czynski
commit une grande faute. Il prit la question de l'émanci-
pation des Israélites pour une question politique. Attri-
buant tout le mal à l'aristocratie , il faisait cause com-
mune avec les démocrates exclusifs. La cause qu'il
défendait était celle de la liberté de conscience, de justice,
de l'humanité, il fallait la plaider en dehors des partis.
L'alliance de M. Czynski avec le parti républicain porta
ses fruits. Le gouvernement lui donna ordre de quitter
la France, et, après son départ, le comité, présidé par le
général Lafayette, fut dissous.
M. Czynski obtint la permission de retourner à Paris,
où il fit paraître le Roi des Paysans, roman historique dans
lequel il présente le tableau des Juifs en Pologne, sous le
règne deCasimir-le-Grand.Ce roman, traduit en allemand,
publié dans les feuilletons de journaux, attira l'attention
sur la position actuelle et sur l'avenir des Juifs en Pologne.
Les Archives israélites, dirigées par M. Cahen, ouvrirent
437
aussi leurs colonnes à M. Czynski qui, dans une série de let-
tres, donnait des renseignements utiles sur la condition des
Juifs polonais, rectifiait les erreurs d'autres journaux et
jetait une vive lumière sur la question israélite. Il serait
à désirer qu'on fit paraître toutes ces lettres réunies. C'e6t
un document à consulter pour tout homme qui s'occupe
de la question des Juifs polonais.
Nous ne pouvons pas, non plus, passer sous silence la
conduite de M. Czynski, à l'égard des Israélites pauvres
réfugiés. Sa maison devint le rendez-vous de tous ces
malheureux, qui fuyaient la tyrannie russe. Plus d'un de
ces infortunés, grâce à ses soins, fut occupé, placé , se-
couru. La maison du prince Czartoryski, jadis indifférente
au sort des Juifs 1 , grâce aux constants efforts de ce Polonais,
change sa politique et sa conduite. La princesse a donné
Tordre que Ton secourût tous les Israélites qui seront re-
commandés par M. Czynski, et le prince lui-même a reçu
avec bonté les Israélites malheureux qui lui donnaient des
renseignements sur leurs frères. Plusieurs d'entre eux
furent noblement assistés : pas un n'a été abandonné. Mais
ce qui est plus important, le prince, dans son discours
du 29 novembre 1844, en parlant de l'avenir de la Polo-
gne, fixe son attention sur la bourgeoisie, eur leurs droits,
1 Ad commencement de l'émigration , si quelques Israélites malheu-
reux se présentaient dans la maison du prince, ils étaient impitoyable-
ment repoussés. On ne les considérait pas comme Polonais. Tout cela est
bien changé aujourd'hui, quoiqu'on ait encore à se plaindre de quelques pro-
pos indignes de la part de ses courtisans, mais ce sont de rares exceptions
que nous devons attribuer à l'influence desjésuites. C'est cette même in-
fluence qui se fait jour dans les écoles de la jeunesse polonaise. La pre-
mière pensée de ce bienfaisant établissement vient de madame Czynski.
Cette dame voulait que tous les enfants des réfugiés, n'importe de quelle
religion, y fussent admis. L'influence des jésuites s'y opposa. On n'y reçoit
que des enfants catholiques.
438
sur leurs devoirs, et n'oublie pas les Israélites. Cô dis*
cours qui a produit une grande impression sur toute l'émi-
gration , pénétra aussi dans le pays oh les paroles du
prince trouvent de l'écho. Nous constatons avec bonheur
cette nouvelle tendance dû prince Csartoryski. Elle est
généreuse et sage. C'est la politique de Casimir*!e-Grand
et des Jagellons. Comme il doit être doux d'être bétii par
deux millions d'hommes reconnaissants, comme il est
prudent de posséder l'amour de toute une race indus*
trielle, laborieuse, réunie par la même religion et par les
mêmes malheurs. Nous ne pensons rien ôter aux mérites
du prince, en attribuant sa nouvelle conduite à l'influence
exercée par les travaux de M. Czynski.
Quant à nous personnellement, qui avons vu de près
M. Czynski, qui avons été le témoin tout particulier de ses
efforts, nous sommes heureux de le pouvoir compter au
nombre de nos plus intimes amis. Les Israélites français
ont fait un acte de justice, en lui offrant une médaille. Il
Ta fort méritée, et ce sera Un encouragement pour ceux
qui suivront son exemple \
Les travaux de M. Czynski eurent un double résultat :
d'un côté, ils éveillèrent la sympathie et la coopération
active de quelques hommes de bien, en fixant l'attention
de la presse française et allemande sur la population
Israélite dePologne. De l'autre, lecabinet deSt-Pétersbourg
s'émut. D'abord il voulut profiter des fautes des gentilshom-
mes polonais, en tâchant, par des promesses, de s'attirer
1 Les souscriptions furent ouvertes d'abord dans les Ârthxves , puis
dans V Univers Uraéliie. On y voit en tête los noms du grand rabbin, de
M. Crémieux , de M. Cahen, ainsi que de plusieurs autres notables de
Paris et de la province. (Voyei les Archivés du mois de juin et YUtiivtrt
du mois d'août 184*0.
430
es Juifs. Le premier ukase qui les concerne, publié en
d833, est visiblement dirigé dans ce sens. L'empereur re-
proche aux Polonais leur injuste conduite et promet un
meilleur avenir à la race d'Israël.
Mais, est-il facile de soulager les Juifs, dans un pays tel
que la Russie , pays où il n'y a que des serfs et des nobles,
pays où les nobles eux-mêmes ne sont sûrs ni de leur pro-
priété ni de leur vie, Môme quand le czar voudrait rendre
les Juifs égaux aux chrétiens, il ne ferait que les rendre
égaux aux serfs et aux esclaves. Le plus affreux résultat
de cette prétendue égalité, c'est le service militaire auquel
les Juifs sont assujétis. Il ne faut pas oublier que les Juifs
nés en Pologne , ne connaissent pas la langue russe.
Il faut se rappeler encore la position d'un soldat mos-
covite, mal payé, mal nourri, toujours battu par lefc
chefs, depuis le sergent jusqu'au général en chef. Pla-
cez dans une telle armée un Juif, que les militaires russes
regardent comme un des scélérats qui ont crucifié le
fils de Dieu , et vous comprendrez pourquoi les malheureux
conscrits abandonnent patrie, famille, fortune, pour cher-
cher un asile que l'Allemagne leur refuse, que la France
leur accorde avec une si généreuse hospitalité. Que l'on
juge de l'affreuse position d'un soldat russe parles moyens
dont se servent les habitants pour se soustraire au service
militaire. Ils se coupent les doigte, ils s'enfuient dans les
forêts, ils se sauvent en Turquie et chez les Tartares. Il y
a quelques années, on amena à Wilna un tratneau chargé
de dix cadavres, c'étaient des jeunes gens juifs qui préfé-
rèrent mourir de faim et de froid dans les forêts, que d'ac-
cepter le service et s'exposer à la barbarie des militaires
russes,
Malgré toutes les désertions) le nombre d'hommes voulu
uo
doit se remplir, car le contingent militaire des Juifs porte
sur les individus en communautés, lesquelles sont obligées
de fournir le nombre fixé de conscrits. Les principaux des
Juifs eux-mêmes doivent ainsi traquer et dénoncer les dé-
serteurs.
Le nombre de déserteurs qui vient à Paris, a augmenté
très considérablement dans ces derniers temps; ils y trou-
vent dessecours parmi les Israélites français, et même chez
quelques chrétiens polonais.
Il n'est pas étonnant que les Juifs russes et polonais re-
gardent leservice militaire comme une calamité. La patrie,
que leur donne-t-elle pour qu'ils veuillent la défendre vo-
lontairement et par patriotisme? Ils ne sont pas même les
citoyens du pays. Ils n'obtiennent point de grade dans
l'état militaire, et dans l'état civil il ne peuvent obtenir
aucun emploi. Quel est le sort du soldat russe? Il reçoit
pour toute une année le salaire d'environ quinze francs,
(quatre centimes par jour), ses vivres consistent en pur
gruau et en pain sec (zuchary), puisque les autres aliments
telsque viande-, beurre et eau-de- vie, restent entre les mains
des officiers, contre lesquels il n'est point permis de porter
plainte; il ne peut jamais devenir officier , même quand il
se distingue par une grande capacité militaire. Nous ne
voulons pas affliger le lecteur en racontant la multitude
de souffrances que le soldat, russe a à subir.
Après avoir enduré tous les maux dans des contrées
éloignées, pendant vingt ans de services, et avoir souf-
fert les coups , le froid et la faim , il revient enfin dans
sa patrie, réduit à implorer la charité, parce que l'état mi-
litaire l'a privé de toutes ses forces physiques.;
Les Juifs convertis, d'après Pukase du 26 septembre
1843, sont exempts du service militaire; mais cocas est très
441
rare; car le Juif emploie tous les moyens pour échapper
au service militaire, mais il ne se fait point convertir pour
cela. Les Juifs regardent cet ukase militaire comme un
châtiment providentiel , tandis que les Israélites éclairés
y voient le commencement du progrès, espérant que l'a-
venir leur apportera plus de droits civils et plus de
liberté, et ils supportent ainsi le joug de la présence sous
les armes avec patience et soumission.
Lorsque parut cet ukase militaire, les principaux de la
communauté juive de Varsovie prirent la résolution d'a-
dresser une supplique à l'empereur Nicolas pour lui de-
mander l'égalité civile des sujets juifs, comme des chré-
tiens , puisque, selon la loi de 4817, le droit de citoyen
appartient aux Juifs dès qu'ils sont admis au service
militaire. Ce décret impérial du 7 janvier 1847 , porte :
« Les Juifs qui demeurent dans le royaume de Pologne
sont exempts du service militaire en temps de paix aussi
bien qu'en temps de guerre, tant qu'ils ne seront pas admis
au droit de citoyen, et sont tenus, par ce motif, de payer
chaque année, au trésor polonais, une somme de 700,000
florins !
Cette pétition resta sans aucun succès. Plusieurs disent
qu'elle ne parvint point jusqu'à l'empereur; d'autres affir-
ment que Nicolas ne veut point qu'on lui parle des lois qui
existaient en Pologne avant 1830. Cette dernière opinion
parait être la vraie, car nous avons beaucoup d'exemples
qui prouvent qu'il n'estime guère les lois de ses prédéces-
seurs, surtout celles concernant la Pologne.
Quoique les Juifs russes soient déjà, depuis une dixaine
d'années , admis au service militaire , on ne s'inquiète
guère d'améliorer leur état ; il n'y a donc rien à espérer
pour les Juifs polonais.
m
Plus on est persécuté et malheureux, plus on devient
religieux et plus on croit à un changement providentiel.
Aussi , la croyance à la prochaine venue du Messies'est
fortifiée parmi les Israélites en Pologne. Nos lecteurs en
auront la preuve dans la formule de serment que les con-
scrits israélites sont forcés de prêter : Us jurent de rester
fidèles au czar , et de ne pas abandonner leur drapeau ,
même au moment de l'arrivée du Messie,
xm
Il y a quelques années, le ministre des cultes, le comte
Ouvarov (Uwarow) fit publier un édit qui prescrivit une
organisation d écoles dans toutes les communes juives,
pourvues de maîtres habiles, afin de hâter le progrès et Fé*
mancipation de la population juive. Les espérances que
fit naître cette entreprise furent si brillantes que les esprits
avancés y virent, de la part de Fempereur Nicolas, l'in-
tention de s'occuper avec fruit de la réforme et de l'a-
mélioration du sort des Juifs, tandis que les Juifs super-
stitieux, au contraire, se mirent à prier Dieu et à jeûner,
dans la crainte que le judaïsme ne fût opprimé par cette
mesure.
Le docteur Lilienthal, savant israélite de Munich fut
appelé ^ Riga, comme prédicateur, et reçut plus tard du
144
gouvernement l'invitation d'assister au conseil qui eut
lieu à Saint-Pétersbourg, dans le but d'aviser aux moyens
de répandre les lumières parmi les Juifs. M. le docteur
Lilienthal est déjà depuis six ans en Russie; il est membre
du comité hébraïque, maisqu'a-t-il opéré? Rien; il touche
un traitement considérable pour une sinécure. Il n'a plus
souvenir de tous ces beaux plans, ni des écoles, ni des
maîtres allemands , ni de la civilisation et de l'huma-
nité.
A vrai dire , M. Lilienthal ne peut malheureusement
rien opérer dans ce pays, où subsistent invariablement
les mêmes principes depuis tant de siècles. La civilisation
dans ce pays fait peur au trône de Russie. Les ukases se
bornent à mentionner périodiquement des lois favorables,
sans qu'il y soit jamais donné suite. C'est avec le même
esprit que Catherine écrivait au gouverneur de Moscou,
lorsque celui-ci se plaignait que les- écoles nouvellement
établies étaient si peu visitées : «Mon cher prince , écri-
vait-elle, vous vous plaignez de ce que les Russes n'ont
pas le désir de s'instruire. Si j'institue des écoles, ce n'est
pas pour nous, c'est pour l'Europe, où il faut maintenir
notre rang dans l'opinion ; mais du jour où nos paysans vou-
draient s'éclairer, ni vous, ni moi, nous ne resterions à
nos places *. »
Ces dernières années retentirent encore des gémisse-
ments des Israélites, provoqués par une barbare mesure,
dont l'histoire moderne ne nous offre pas d'exemple.
L'ukase du 2 mai 1843 qui ordonne aux Juifs russes de-
meurant à la frontière de Prusse et d'Autriche, de s'en
i Voyez l'ouvrage du marquis de Custine sur la Russie, et les Juifs de
llutsie.
445
éloigner de cinquante werstes (ou sept lieues et demie), est
le plus cruel, car toutela population juive des gouverne-
ments de l'ouest, qui compte presque deux cent mille
âmes, en est frappée.
Les endroits où ces émigrés peuvent s'établir, sont dési-
gnés par le gouvernement, et le nombre d'habitants juifs y
est si grand, que les émigrés voient leur malheureux ave-
nir devant les yeux.
Ce n'étaient plus les jeunes conscrits qui élevaient leurs
plaintes. Hommes et femmes, vieillards et enfants, en un
mot, toute la population fut frappée au cœur. Parce qu'une
centaine de contrebandiers osaient introduire des mar-
chandises sans piayer l'octroi, on a résolu de transplanter
toute la populalion. Les innocents aussi bien que les cou-
pables, les riches comme les pauvres. Les Israélites sin-
gulièrement attachés aux lieux où reposent les cendres de
leurs ancêtres, sont forcés d'abandonner leurs temples et
leurs cimetières. La presse allemande et française, nous de-
vons lui rendre cette justice s'indigna, et, par sa puissance,
arrêta au moins pour un moment le glaive suspendu
sur les malheureuxhabitants des frontières de la Pologne.
Les Juifs employèrent tous les moyens possibles, ils en-
voyèrent des députés à St-Pétersbourg, firent des pétitions
et demandèrent que l'on examinât et que l'on se convain-
quit, qu'à peine un Juif sur mille s'adonne à la contrebande,
que les Juifs'y habitent déjà depuis plusdemilleans; ils s'o-
bligèrent de ne point faire ce commerce, 1 et au cas de trans-
i On peut attribuer le commerce de la contrebande, aux gardes de la
frontière russe plutôt qu'aux Juifs, car ils ont les meilleurs intermédiaires
pour transporter les marchandises dans l'intérieur du pays. Les employés
supérieurs afferment même des villes aux particuliers , et reçoivent de
grandes sommes pour leur tolérance de la contrebande , et les gardes
10
146
mission, ils s'assujettissaient solidairement à la plus rigou-
reuse punition; mais rien ne pouvait fléchir cette tyrannie.
Après avoir rappelé cette barbare mesure, nous ne
croyons pas utile de citer d'autres dispositions vexatoires.
^ t Cet ukase de 1844, qui ordonne aux Juifs d'abandonner
" leurs coutumes, s'ils ne préfèrent pas payer un impôt ,
cette ordonnance, qui leur défend de séjourner à Moscou
"' et à Saint-Pétersbourg. Cet impôt que payent les Israé-
lites en entrant dans les villes principales et dont ne sont
pas exemptés même les étrangers, illustres par leur
talent. >
Le noble prince Paszkiewitz, gouverneurdela Pologne,
dont la bonté est généralement connue, tâchait, en 1843 ,
de porteries Juifs à l'agriculture et de les aider, dans ce
cas, de tous ses efforts , et des Juifs riches de Varsovie
avaient promis de lui prêter leur concours en lui fournis-
sant des capitaux; mais leur négligence, parla suite, lassa
ce bon prince, et cette utile entreprise est restée jusqu'ici
à l'état de projet.
Jetons à présent un coup-d'œil sur l'émigration polo-
naise', et voyons quelle a été son attitude, pendant cette
série de mesures tyranniques, surtout, examinons la con-
duite de la Société Démocratique et des prédicateurs qui se
sont installés dans l'église de Saint-Roch.
sont obligés par Tordre des affçrmateur», de faire passer les marchandises;
partout où celte affermation n'a pa6 lieu l'on s'arrange avec les douaniers
qui les font transporter par le péage au milieu du jour, et ces revenus se
partagent entre les employés supérieurs. L'employé qui veut être fidèle à
la loi , est raille et opprimé publiquement et manque de pain, leurs trai-
tements sont insuffisants pour vivre. Cet usage existe parmi tous les em-
ployés russes : les seuls tribunaux en étaient purs jusqu'à présent , mais
comme on entend que le Code de Napoléon soit abrogé en Pologne, il est
à craindre que ce genre 4e corruption s'introduise aussi parmi eux.
m
La Société démocratique s'est formée en opposition à
M. Lelewel. Ces premiers fondateurs, peu satisfaits de ce
gentilhomme, comme ils l'appelaient, fondèrent une asso-
ciation qui voulait lutter aussi bien contre l'absolutisme
du czar, que contre l'aristocratie nobiliaire. Cette société
aurait pu rendre un grand service à la Pologne en défen-
dant la bourgeoisie, en dissipant les préjugés, en répan-
dant les lumières, en demandant justice pour les serfs et
les Juifs. Mais ceux qui ont posé les premières bases de
cette association, ou abanbonnèrent le drapeau qu'ils ont
élevé, ou furent expulsés de la France. Ceux qui y res-
tèrent n'ont pas compris leur mission. Quand deux mil-
lions et demi d'Israélites poussaient leurs gémissements,
pas une voix de la Société démocratique n'a répondu à
leur douleur.
La conduite du clergé n'a pas été plus digne de louange.
Quand le czar attaque le catholicisme , quand il persécute
les prêtres etdévaste les églises, il crie àla tyrannie, et au
nom de la liberté de conscience, il lance les foudres con-
tre le tyran schismatique. Mais quand le même souverain
force les Israélites à abjurer la foi de leurs pères , quand il
dévaste leurs temples et leurs cimetières , non-seulement
ils n'ont pas de sympathie pour leurs compatriotes , mais
ils rappellent du haut de la chaire que les Juifs ont crucifié
le Sauveur, et que c'est pour ce péché qu'ils subissent un
juste châtiment. Un sermon dans ce sens fut prononcé par
l'abbé Kaïsicwicz que les fanatiques et les ignorants osent
comparer avec Skarga, le premier prédicateur de Pologne.
h" Univers Israélite 4 a donné une exacte description de
la congrégation oui s'est installée au sein de l'émigration
I L'Univers israélit», octobre 1845,
XIV
Pour prouver aux Israélites polonais que leurs ancêtres
étaient presque de tout temps plus heureux en Pologne
que partout ailleurs en Europe, nous citerons les faits his-
toriques suivants :
En 1096, on a massacré, à Mayence, 14,000 juifs. En
1285, à Munich, on en brûla 180, sur un bûcher. En 1331,
tous les Juifs sans exception, habitant la ville Ueberlingen,
ont été mis à mort, après avoir subi les plus atroces tor-
tures. En 1337, les magistrats de la ville de Deckenbach,
en Bavière, se sont mis à la tète de toute la populace chré-
tienne , et ont égorgé tous les Juifs dans le quartier qu'ils
habitaient; leurs dépouilles et maisons furent partagées
entre les chréiiens, et, en commémoration de cette jour-
née , on bâtit une église appelée le Saint-Sépulcre, qui
154
existe encore de nos jours. En 4349, le 13 février, à Stras-
bourg, on brûla 2,000 Juifs. En 4340, 1456 familles Israé-
lites périrent dans le carnage, à Francfort. Et Bohème, le
gouvernement d'alors regardait les Israélites comme ses
esclaves, à part. Les soldats étaient autorisés, de temps à
autre, à piller et à prendre tous ce qu'ils trouvaient dans
les habitations des Juifs. (Voyez Maciejowski, m, 207).
En 4088, à Praga (Bohême), sur l'accusation qu'un Juif
avait jeté une pierre sur la sainte hostie, on massacra tous
les Juifs. En 4 428, le même sort fut réservé à toute la po-
pulation israélite, sous prétexte que les Juifs auraient tué
un enfant chrétien, dont on avait trouvé le corps dans la
forêt. En 4655, les Moscovites chassèrent les Juifs en
masse, de Kaluga à Nowogrod-le-Bas*.
M. K.-F. Kladen, dans sa dissertation : Ueber dieSteilung
des Kaufmanns, etc., Berlin, 4841, après avoir déroulé un
tableau hideux des persécutions des Juifs, dans presque
toute l'Allemagne, et après avoir démontré que ces per-
sécutions ont eu une fâcheuse influence sur le commerce
et l'industrie, ajoute plus loin :
« Ainsi que nous venons de le montrer, la position des
Israélites en Allemagne et surtout dans le Nord, était bien
triste , mais en Pologne les choses se passèrent autrement :
c'était l'époque à laquelle, dans toute l'Europe les Juifs
ne trouvaient ni protection, ni asile, excepté en Pologne,
où, heureusement, aucune armée des croisés et des jé-
suites n'exerçait encore son influence ; aussi y étaient-ils
traités avec indulgence et hospitalité. C'est alors que le
commerce, dont les Polonais n'aiment pas à s'occuper,
* Dans l'ancienne Russie, jamais il n'était permis aux Juif* de s'établir ;
encore aujourd'hui, ils ne peuvent y séjourner, mémo avec un passeport.
152
y était florissant, c'est alors aussi que Ton y a créé les
corps de métiers et d'ouvriers , dont les Juifs étaient
exclus en Allemagne. . . etc »
«Le privilège que les monarques de Pologne, en 1475,
Mieczyslas-Ie- Vieux; en 4204 et 1207, Henri le-Barbu,
prince de Silesie; en 1274, Boleslas-le-Pieux, prince de
Kalisz, et en 1333, Casimir-le-Grand, avaient accordé aux
Israélites, étaient aussi sages que salutaires pour le pays.
Ces augustes protecteurs déclaraient alors hautement que
puisqu'on exige des Juifs qu'ils viennent en aide au tré-
sor public, il est juste aussi de lès protéger et de leur four-
nir les moyens d'existence 1 .
» C'est par suite de ces privilèges que les Juifs en Pologne
étaient exempts de la plupart des charges qui pesaient sur
les autres habitants; ils étaient autorisés jusqu'à un certain
point, d'exercer les états lucratifs, mais méprisés par les
chrétiens 1 .... etc. En Allemagne, on ne recevait aucune
plainte d'un Juif, et il était jugé et condamné à la requête
anonyme , tandis qu'en Pologne, il n'était permis de tra-
duire un Juif devant les tribunaux que pour le mettre en
présence de son accusateur; le roi seulement ou le voie-
J * * Le trésor public, polonais de tous les temps profitait de ce système,
car les Juifs quoique ne possédant aucune des terres y contribuaient
pour le septième denier. Voici un extrait des actes officiels de l'élection
de 1764. Le revenu annuel du trésor de la couronne et du grand duché
de Lilhuanie s'élève à 9,050,923 florins , dans laquelle somme, l'impôt
des Juifs entre pour 1,174,610 florins, sans compter les contributions
ordinaires qui pèsent sur tous les habitants et les Juifs sont obligés de
les payer ; dans la môme proportion (ou plutôt plus injuste) existe jus-
qu'ici en Pologne.
3 Les Juifs avaient presque toujours un commissaire auprès du gouver-
nement, qui soumettait leurs affaires directement au roi (Voyez Y Histoire
des Slaves , par Maciejowski, t. 3, p. 205.)
453
vode pouvait le juger, tandis qu'en Allemagne, un bour-
gaemestre ou son commis le condamnait souvent à des
peines les plus infamantes. En Pologne, un juif accusé
pouvait se justifier par un serment; en Allemagne, il n'y
était pas admis... etc. »
En un mot, les Israélites en Pologne n'étaient pas si
malheureux que partout ailleurs jusqu'à ce qu'enfin cette
nation généreuse fût tombée sous la domination étran-
gère.
Jetons maintenant un coup-d'œil sur l'état des Juifs
en Autriche. Voici ce qu'en dit l'auteur des lettres de Ga-
licie :
« En Autriche , outre les persécutions journalières ,
tolérées, comme partout en Allemagne, par l'autorité supé-
rieure, l'histoire a légué à notre mémoire des faits, dont
le gouvernement, cette puissance étrangère assise sur
tant de nations tyrannisées, est seul responsable. Encore
en 1370, par un ordre exprès émané du gouvernement
autrichien, tous les Juifs de l'empire, dans une seule et
même journée, furent mis en prison et leurs biens con-
fisqués au profit de l'empereur. En 4415, un impôt, équi-
valant à la confiscation, y avait frappé tous les Israélites.
En d420, un carnage effroyable fut autorisé, sous prétexte
que la femme d'un riche banquier d'Ems, avait acheté
à la femme d'un sacristain de l'église de Saint-Albert, la
sainte hostie, dans le but de la polluer pendant les Pâques
des Juifs; à cette occasion, outre les milliers de ces mal-
heureux égorgés, une seconde confiscation de tout leur
avoir eût lieu; d'autres furent chassés, et les plus mar-
quants par leurs richesses ou par leur position, furent
obligés d'embrasser le christianisme, ou de subir le mar-
tyre ; c'est alors que les suicides parmi les Israélites en
454
Autriche, ont effrayé toutes les parties du monde. A
Vienne même, on avait brûlé, sur d'innombrables bûchers,
plusieurs milliers d'Israélites et jeté leurs cendres dans le
Danube*. En 4670, sur la demande d'une Espagnole,
femme de l'empereur Léopold I er , tous les Juifs furent
expulsés de la capitale , leur avoir et leurs maisons
confisqués au profit de cette femme cruelle-, Plus tard,
lorsque partout en Allemagne et particulièrement en Ba-
vière, fut introdnit l'impôt personnel sur les Juifs (Lei-
bxolle 2 , (l'Autriche s'est empressée de l'imiter en le con-
servant jusqu'à 4781. »
Ainsi, nous pouvons dire hardiment que les enfants
d'Israël ont mille fois plus à se plaindre des Allemands,
des Espagnols et même des Français, que des Polonais, et
qui sait ce que la Pologne serait devenue pour les Israé-
lites si les Allemands et les Moscovites ne l'eussent pas
envahie!
1 Voyez V Histoire d'Autriche , par le comte de Mailalh. Hambourg ,
4834. Tome I er ; p. 168, 121 et 129.
* Leibzolle. Cet impôt était perçu sur chaque Juif , femme ou enfant ;
qui dépassait Jes limites de l'endroit où il lui était permis de résider.
Or ces endroits ou circonscriptions étaient marqués par des poteaux, et
gardés exprès par des douaniers, de manière, qu'un indivictu, ayant af-
faire, soit de commerce ou de famille , ne pouvait circuler qu'en payant
à chaque passage, ce qui pouvait arriver vingt fois par jour.
En Galicic, outre diverses taxes, il y en a encore sur la consomma-
tion d'objets rituels. Mais il y a de plus une taxe pour les Inmièrts que
les Israélites allument les sabbats et fêtes : de chaque chandelle ou bec
de lampe , la taxe a varié de 2 à 7 kreizers. D'un cierge, 15 k. Chaque
lumière des fêtei données à la synagogue, \ florin, pour les mariages,
fiançailles , pour une chandelle ou un cierge de 30 k. à 1 il. — Il faut
payer pour deux lumières le sabbat; qu'on les allume ou non. Il y a
encore une foule d'autres taxes qu'il nous répugne de transcrire; pour
les assemblées religieuses (miniânim), pour les permissions de mariage.
DEUXIÈME PARTIE.
Dissertation sur les Israélites en général, sur les lois mosaïques, talmudiques
et rabbiniques, l'éducation primitive des enfants juifs en Pologne,
les préjugés qui existent actuellement parmi eux , la statistique , les
diverses sectes, sur la réforme, etc.
LES ISRAELITES EN GÉNÉRAL, LA LOI DE MOÏSE , DU
TALMUD ET DES RABBINS, L'EDUCATION PRIMITIVE DES ENFANTS
ET LES PRÉJUGÉS DES JUIFS EN POLOGNE, ETC.
m Nous devons savoir la religion juive,
puisqu'elle est comprise dans la noir*.
Certaines vérités leur étaient révélées
clairement , tandis que d'autres liaient
encore obscures, quoiqu'elles furent déjà
révélées. »
[Mœurs de» hraélite», par l'abbé FiBu&r*
Paris, * 739, p. 85.)
Examinons d'abord d'où est sortie la source d'erreurs
des Israélites; et ce Talmud, ces commentaires sur com-
mentaires, ces kabals, ces lois rabbiniques, pourquoi ils
ont la préférence, même sur la parole de Dieu?
Les livres canoniques* du peuple juif constituent l'an-
cienne histoire du monde. La religion chrétienne les
compte parmi ses oracles sacrés. L'Indien, le Chinois,
l'Arabe, le Perse, trouvent dans ces livres d'importantes
analogies avec leurs traditions sur la création du monde Ut * t u ' '
et sur les premiers événements de l'espèce humaine. ' "'.*'*•
Ce peuple, qui, selon ses croyances vénérées même par . '**'
les chrétiens , faisait alliance avec le maître de la créa-
tion; qui avait Dieu pour chef et législateur suprême, pour
la conservation duquel la mer se desséchât, l'eau jaillissait ■**
Ùù
458
limpide du rocher; pour lequel la manne tombait du ciel,
en faveur duquel les anges combattaient , peuple com-
mandant à la nature entière qui se mettait à son service;
ce peuple, enfin, qui parmi tant de nations idolâtres, pen-
dant tant de siècles, avait le premier senti et proclamé
l'existence d'un seul Dieu , ce peuple ne doit point éton-
ner le monde s'il se croit plus parfait que les autres.
Moïse, le premier des chefs et législateurs, par ses lois
à part, par la séparation de ce peuple des autres, voulait
lui donner de la puissance et une stabilité inébranlable;
il ajustait ses lois à l'esprit du temps, à la situation du
peuple et aux circonstances au milieu desquelles il se trou-
vait ; il ne voulait point que son peuple, errant pendant
quarante ans dans le désert, n'ayant pas de foyers, ren-
trât parmi les idolâtres, se confondit avec eux, prit leurs
mœurs et vécut sous leurs lois, il voulait, au contraire,
que son peuple fût indépendant et séparé des autres ; c'est
pourquoi il exterminait les autres peuples, et repeuplait
leurs contrées d'Israélites; Dieu, disait-il» a marqué les
limites de son peuple, depuis les forêts du Liban, depuis
l'Euphrate jusqu'à la dernière des mers, en ajoutant ces
mots : a Telles sont les lois que vous observerez dans la terre
donnée par le Dieu de vos pères, pour que vous la pos-
sédiez comme votre héritage.» Moïse donc a fait des lois,
comme nous venons de dire, conformes à des circons-
tances dans lesquelles se trouvait le peuple, c'est-à-dire,
il a expressément ordonné de les observer : dans la terre
que Dieu avait donnée alors.
Nous demandons maintenant : Combien de temps les
Israélites ont-ils obéi aux lois de Moïse dans ces forêts et
erres qu'il laissa en leur possession, et où ils devaient
observer les lois sous peine de se voir deshérités de leurs
459
biens? Encore sous les yeux de Moïse, ne voyons-nous
pas d'innombrables exemples d'idolâtrie parmi les Israé-
lites qui, dans leurs forêts, se forgent une divinité? Ne
lisons-nous pas : «De nouveau les enfants d'Israël agis-
saient mal sous les yeux du Seigneur, en servant Baal et
Astorat, et les dieux syriens, et les dieux mohabilcs, et
les dieux des Philistins mêmes ; mais, ayant abandonné
le Seigneur, ne l'ont point servi 1 ! » Et, en effet, la plu-
part des rois de Judée et de Jérusalem ont servi le$ dieux
étrangers.
Le coup le plus terrible qu'aient reçu l'ensemble et la
pureté des lois de Moïse, c'est la destruction de Jérusalem
par Nabuchodonozor, et la réduction du peuple israélite
à l'esclavage de Babylone. À partir de cette époque , com-
bien de troubles, de désordres, de ruines! Les lois de
Moïse ont été perdues et refaites à plusieurs reprises. Hel-
kiasz était censé les avoir retrouvées;ce fut lui, en effet, qui
les avait remises en évidence.
Le roi des Chaldéens d'alors mit à mort presque tous les
vieillards et toutes les femmes , fit démolir le temple,
s'empara des livres, du trésor et rasa les murs de Jérusa-
lem. Après un tel désastre , l'esclavage dura soixante-
dix ans; le peu de vieillards qui avaient survécu gardèrent
à peine un souvenir des lois de Moïse. Ces souvenirs, ou
plutôt ces traditions verbales, ont été recueillies et pu-
bliées par Ezdrasz; mais de nouvelles règles et doctrines
y étaient introduites ; ce que prouvent les débats de trois
sectes qui avaient surgi alors, c*est-à-dire les sectes des
Pharisiens, des Saducéens et des Esséniens, dont chacune
interprétait les lois de Moïse d'une manière différente.
i Judicum chap. 10.
4 60
C'est ainsi qiie la croyance primitive des Israélites, èii
passant de génération en génération, à travers les cala-
mités publiques, avait déjà subi des changements qui lui
ont ôté la pureté primitive. Plus tard encore, peu de
temps avant le règne de Vespasien, Hillel et Schamaï ont
établi des écoles judaïques. Rabi Johanan Zakaï, disciple
de Hillel, parle de son maître et de lui, en ces termes: «Si
»tous les arbres se convertissaient en plumes et la mer en
• encrier, cela ne suffirait pas pour décrire la sagesse que
»j'ai puisée dans renseignement de Hillel. » Quel enthou-
siasme! quel orgueil! Ce sont de pareils énergumènes,
appelés zelotes, qui se mettaient pour la troisième fois à
altérer le sens des lois de Moïse et à les dénaturer, pour
ainsi dire, en voulant les observer ailleurs que dans \&
pays pour lequel elles étaient faites, et après avoir perdu
l'indépendance, en vue de laquelle, seulement, elles, pou-
vaient être applicables. Aussi, la colère divine et la justice
humaine ne tardèrent-elles pas à frapper de nouveau les
Israélites. De nouveau (sous Vespasien) la ville de Jéru-
salem fut détruite. Il faut lire l'histoire de Joseph pour
voir clairement, d'un côté, le tableau sublime du courage
et de la persévérance déployés par les Israélites, et de
l'autre côté, cette triste vérité : que le fanatisme et l'obsti-
nation mènent à leur perte les peuples les plus illustres..
Des milliers de Juifs étaient tombés sous le fer ennemi,
un nombre non moins considérable avait été transporté
de force hors de la Judçe, ou s'en était éloigné volon-
tairement. Alors, les sages s'empressèrent de réunir, sans
choix, sans ordre, ce qu'ils avaient appris de leurs maî-
tres et de leurs propres pensées; semblables aux hommes
qui, dans un incendié ou un naufrage, rassemblent indis-
tinctement ce qui se présente à eux et laissent à d'autres le
161
soin de tirer, après la tempête, le meilleur parti possible
des choses qu'ils ont sauvées.
Le peuple israélite, partagé en différentes sectes, cor-
rompu, n'observant plus que les lois tout-à-fait dénaturées
de Moïse, devint tributaire des Romains. C'est alors que
sortit de son sein le christianisme; il était à peine aperçu
d'abord, mais, en se développant dans un monde comme
celui d'alors, il porta le dernier coup à la véritable race
juive. Elle se dispersa sur toute la surface de la terre, elle
fut partout persécutée et méprisée. En Allemagne, en
France, en Espagne, en Angleterre, on brûlait, on pour-
chassait, on exterminait les Israélites : ce n'est qu'en Po-
logne seulement que le séjour pour eux était moins dan-
gereux 1 . Cependant, tout dispersés qu'ils étaient, ils n'ont
pas manqué de se forger, de temps à autre , de nouvelles
règles, de nouveaux préjugés, toujours se rattachant injus-
tement aux lois primitives de Moïse.
Après la destruction de Jérusalem, les savants s'empres-
sèrent de lever autour de ses ruines, des écoles qui ac-
quirent de la célébrité, et où ils enseignèrent surtout les
lois hébraïques : telles furent l'école de Japha, celle de
i Bruno Bauer écrivit ce qui suit ; « Il n'est guère en faveur des Juifs,
qu'ils n'ont su se i rocurer un établissement , que dans les états de l'Eu-
rope les plus imparfaits, et n'aient pu s'établir en grand nombre,
que dans tel état qui n'en mérite pas le nom ; cela prouve contre
leur aptitude a devenir membres d'un état civilisé. » Le docteur
Salomon d'Hambourg nous épargne une réponse spéciale a ces
paroles , en écrivant dans sa critique sur Bruno Bauer ce qui suit : < Le
gibier chassé et poursuivi par le chasseur meurtrier , peut-il choisir le
lieu où il doit fuir ? Bruno Bauer nous a-t-il fait voir l'époque précise à
laquelle eût lieu l'établissement des Juifs en Pologne? et si les Juifs pu*
rent trouver à celle même époque un accueil dans d'autres élals chrétiens?
Ces malheureuses victimes durent se trouver un asile, même dans un pays
qui les aurait, moins que la Pologne, accueillies favorablement.
41
162
Lydda, présidée par le rabbin Akiba, et l'école de Tybe-
riade, illustrée par le rabbin Juda Saint. Sous les yeux de
ce Juda,fut composée \siMichnah f oxi la répétition de la loi,
livre dans lequel les docteurs réunirent tous les écrits
épars, et tout ce qu'ils savaient sur la jurisprudence, les
règlements et coutumes qui s'étaient perpétués par tradi-
tion. À ce code d'une tradition trop grande, ils ajoutèrent
successivement des commentaires, des récits et des déci-
sions souvent opposés. Ces commentaires qui portent le
nom de suppléments et de dépendances, constituent les gué-
mares -, celles de Jérusalem et celles de Babylone sont les
plus estimées. On discute sur leur ancienneté; la dernière
fut clôturée au plus tard dans le troisième ou quatrième
siècle. Leur réunion avec le texte de la Mischnah, forme le
Talmud, mot qui signifie enseignement, doctrine. Le souve-
nir des circonstances qui le virent naître suffit pour nous
éclairer sur l'esprit de ce vaste recueil, de cette espèce
d'encyclopédie, où les choses puériles sont mêlées à des
pensées profondes; où des récits, dont l'obscurité paraît
d'autant plus grande qu'on a perdu la clé des allégories et
des symboles auquels ils se rattachent, accompagnent des
discussions savantes et rigoureuses 1 .
Moïse Maïmonides, dans le douzième siècle, en fit un
extrait pour régler les lois, et le publia dans le livre Jad-
Hasaka. Depuis, les sages, les cabalistes et les savants
israélites s'efforçaient, à qui mieux mieux, d'interpréter la
parole de Dieu. D'étranges visions y sont rapportées comme
des lois religieuses, civiles et morales; des contes qui
blessent le bon sens et outragent la divinité elle-même, y
pullulent.
1 Vojez « Loi de Moïse, etc. » par J. Salvador, p. 448.
Il
Lorsque les Juifs furent chassés d'Espagne et de Portu-
gal, une grande partied'entre eux allèrent s'établir en Po-
logne , y apportèrent la doctrine rabbinique, et insti-
tuèrent des écoles, où les jeunes gens de tous les pays
accoururent pour y puiser la science à la source trouble
duTalmud, et suivre renseignement d'un certain rabbin
JacobPolack, auteur des Chiloukims, recueil de chimères
et de fantasmagories talmudiques. Dès lors, l'étude du
Talmud prit une forme nouvelle.
Et cette nouvelle manière d'étudier le Talmud s'est
étendue dans tout le pays de Pologne et d'Allemagne.
Voilà une anecdote qu'on a dite de ce rabbin ou d'un de
ses disciples: Un jour, lesélèves de l'établissement avaient
arraché étourdiment quelques feuilles du livre ou du
164
tractate, dans lequel le rabbin étudiait et dont il disser-
tait habituellement avec eux; le rabbin, n'ayant pas re-
marqué l'absence de ces feuilles, continua sans interrup-
tion ses dissertations en tournant successivement la feuille
qui suivait, et en unissant les deux sujets qui, bien en-
tendu, étaient éloignés l'un de l'autre, comme le sud du
nord, et ajustant pourtant ces deux extrémités avec un
grand sens 1 .
Quoique beaucoup de rabbins se récriassent contre cette
manière d'étudier les Chiloukims, elle fut cependant suivie
dans tous les pays ; et cette étude, jointe à celle de la ca-
bale, a contribué à ce que l'étude droite et juste s'est
corrompue de plus en plus, au point que l'enseignement
de la Sainte-Écriture et de la grammaire de la langue hé-
braïque finit par être tout -à-fait négligée parle peuple qui
l'a pris en dégoût. Et enfin, tout enseignement moral ou ci-
vil tomba absolument dans l'oubli. Les uns s'abandon-
nèrent a l'étude de la cabale, les autres aux arguties des
commentaires, en négligeant totalement les textes traitant
de la morale et de la science.
Mais, en vérité, ne peut-on pas, d'un autre côté, justi-
fier les Juifs de ces temprét de ces pays de la mauvaise route
qu'ils prenaient, par cela même que les peuples parmi les-
quels ils étaient dispersés croyaient, à leur tour, en des
choses vaines et ridicules, et les Juifs, sans gouvernement
et sans direction, durent adopter d'eux beaucoup de leurs
absurdités.
A la même époque, s'est produite une grande corrup-
tion par l'étude du Soâr, dans tout le monde israélite. Les
cabalistes et les soârisles ont intercalé dans les livres an-
1 Voyez l'histoire des Juifs, par Peter Bcer.
465
ciens et dans le Soâr, des phrases et des idées corruptrices,
et y ont entre-mèlé des opinions et des croyances de
toutes les nations barbares. C'est alors que les grands
rabbins ont lancé l'interdiction contre le Soâr et la Cabale ,
sauf certaines conditions; mais voyant que le peuple était
très attaché à cette étude, et qu'il croyait que celui qui
abandonnait la cabale était comme s'il abandonnait la vie,
ils ont néanmoins permis de lire ces livres, mais en don-
nant à entendre que le sens en était un mystère profond,
renfermantune puissante vertu et dont l'étude approfondie
était sévèrement défendue. Dès ce moment, la coutume
s'est étendue dans toute la Pologne de lire le Soàr, sans le
comprendre, et peuple et savants croient ne rien faire de
plus agréable à Dieu qu'en s'occupant de cette étude.
Les améliorations partielles des lois contribuent à la
conservation de la loi générale, et il n'y a pas de lieu ni
de temps, où dételles améliorations ne soient nécessaires,
d'après les variations qui s'opèrent parmi les hommes, et
dans leurs mœurs. A touteépoque, se trouvent des hommes
sages et éclairés pénétrés. de ces principes. Aussi, les
hommes semblablçsc à l'aide de l'autorité dont ils étaient
investis, introduisirent-ils des améliorations utiles dans les
lois. Mais, bien que leurs pensées et leurs actions fussent
convenables et utiles, il né tarda pas d'arriver que le
peuple ne savait plus de quelle manière utiliser cesxhan-
gements, et il n'en appliqua que les moins profitables, au
point que de ces améliorations qui n'étaient bonnes que
pour un certain temps, ou dans de certaines circons-
tances , il ne reste plus que des points opposés au but de
leurs auteurs; de plus, la confusion des choses ajoutées
successivement fit oublier les lois divines ; car le peu-
ple ne comprenait pas que toutes ces améliorations n'é-
466
taient qu'occasionnelles et que leurs auteurs ne les avaient
introduites que pour déraciner quelque mauvais principe
du cœur du peuple.
Il y avait même des changements qui étaient contraires
à la vraie loi, mais on les trouva alors nécessaires. Le sage
ou le rabbin qui modifia une loi, l'inséra dans son com-
mentaire du Talraud, ou dans ses écrits, sans expliquer la
raison ou la cause du changement; c'était ou parce que la
raison en était trop connue ou parce que, si on l'eût con-
nue on l'aurait rejetée. Or, quand après des siècles on
trouva ces lois ou ces usages écrits dans les livres des
rabbins, on les vénéra comme des lois sacrées, et on les
rangea parmi les lois fondamentales comme si elles
eussent été également proclamées sur le mont Sinaï.
Déjà les grands rabbins et les gâones 1 s'étaient récriés
contre ces usages et coutumes introduits dans les lois. La
véritable cause de ce dépérissement de la vraie loi doit
être attribuée à ce que les Israélites furent dépourvus de
toute direction, de gouvernement, de sages rabbins,,
comme ils en avaient autrefois pour veiller sur les choses de
la religion, tandis que, d'un autre côté, il n'était permis à
aucun rabbin d'augmenter ni d'amoindrir en quelque chose
que ce fût les textes existants avant eux.
Mais aujourd'hui, chaque rabbin gouverne sa com-
muned'une autorité absolue, et la dirige selon sescaprices,
surtout dans les petits endroits, où ils n'ont d'autre occa-
sion de se faire valoir qu'en renouvelant quelque cou-
tume ou ordonnance, pour relever, aux yeux de la com-
mune, leur capacité et leur piété, et faire croire qu'ils
înéritent d'être plus estitnésque leurs prédécesseurs. Mais
1 Voyez les Tasehbaiz, Maram Alschakar, et laabolz.
«67
ce qu'il y a de pire c'est que depuis que la cabale s'est
répandue parmi le peuple, et que les commentaires se
sont multipliés, chacun cherche à attribuer à ces décou-
vertes quelques fondements de la loi mosaïque, et aies
placer parmi les Sephirothes » .
Un rabbin, en mémoire de l'eau du Nil changée en
sang, ou, comme, dit un medrasch, parce que Pharaon fit
tuer les enfants d'Israël pour se baigner dans leur sang,
établit l'usage de boire, dans le cours des cérémonies de
la soirée des Pâques, du vin rouge (yaîne-odome) . Dans
ces mêmes cérémonies, les Juifs comptent, avec le bout
du doigt, les dix plaies d'Egypte (car il est dit dans l'Écri-
ture : « C'est le doigt de Dieu) ; de plus, ils versent dix
gouttes de vin rouge, en prononçant, successivement, le
nom de cette plaie, par exemple : dam, le sang, zéphar-
deïo, les grenouilles, etc.
En comparant le mot odome, rouge, avec celui deadam,
homme, on remarquera que là prononciation ainsi que
l'orthographe étant presque les mêmes, et en outre, le mot
dam, sang, ayant aussi avec ces mots précités une grande
analogie , le spectateur ignorant ou mal intentionné de
semblables cérémonies, dut supposer aux Juifs qui les
pratiquaient une intention mauvaise et immorale; et c'est
ce qui arriva.
D'un autre côté, un certain rabbin imagina qu'au jour
du nouvel an, il fallait se placer aux bords d'une rivière
(chose qui est observée en Pologne, encore aujourd'hui) et
y réciter certains vers du prophète Mkha (7v. 48-tO)
où il est dit : « Jette leurs péchés au fond de la mer.* Ot>
i Sur ce mot voyex page 16.
468
il arriva que peu après une semblable pratique, des ma-
ladies contagieuses se déclarèrent.
Les chrétiens en imputèrent la cause aux Juifs, en les
accusant d'avoir empoisonné la rivière, et des milliers de
Juifs périrent, victimes de cette accusation 1 .
RabiCrouspedoï dit (Tract. Rasche-Haschanah) que : «Trois
livres s'ouvrent dans le sénat céleste, au jour du nouvel
an. Le premier pour les justes, le second pour les modé-
rés, et le troisième pour les impies. Les justes sont inscrits
pourla vie, les impies pour la mort; maisavecles modérés,
Dieu prend patience et attend jusqu'au jour de l'expiation
qui a lieu dix jours après; alors, s'ils se sont repentis, ils
sont inscrits dans le livre de vie, et si, au contraire, ils sont
restés dans leur endurcissement, ils sont inscrits dans le
livre de mort. » — Alors, le soir et le matin du jour du
nouvel an, l'un souhaite à l'autre : «Qu'il soit inscrit a une
bonne vie. » — Fondé sur cet usage, le Code Schoulchan-
Arouch défend de prononcer cette manière de salut
après neuf heures du matin , parce qu'alors , les
livres étant déjà fermés et clos, ce souhait est comme
inutile.
Quel homme d'un esprit sain , et surtout croyant à la
souveraine sagesse de Dieu , comprendra ce livre et
ces écritures au ciel? Chacun s'apercevra qu'il n'y a à
entendre, dans ces traditions des talmudistes, qu'une invi-
t On les accusa, à la même époque (1349) d'avoir empoisonné les
puits, les sources et les rivières. La peste faisait, en ce temps là, de grands
ravages en Europe, et il n'est pas dit si les Juifs en furent moins atteints
que ceux appartenant à d'autres religions. Ce qu'il y a de notoire, c'est
qu'un soupçon suffisant pour les faire condamner, on les brûla en de cer-
tains endroits , et on les massacia dans d'autres. ( Basnage , hist. des
Juifc,t.5,p. 1817;. !&^»x«
169
talion au repentir et une préparation au jour d'expiation. *
Voilà la cause de l'oubli de la loi divine ainsi que de
Tétude de la science en général, parmi les Israélites. Où
il n'y a ni loi, ni sciences, il ne se trouve pas non plus
de respect pour la divinité, ni d'estime pour les bonnes
mœurs.
Les paroles du sage auteur du Schebath Jéhoudah se trou-
vent très applicables à chacun des enfants d'Israël dont le
cœur batardemment pour la vérité et pour l'amour desa foi
(voyezcelivre,ch. 4, 5et 6). Danscemème livre, il y a aussi
une réponse qu'un sage Israélite fit à Alphonse, roi d'Es-
pagne, en lui posant cette question : « Pourquoi ce châti-
ment des Juifs est-il si grand quoiqu'ils ne soient point ido-
lâtres? C'est, répondit-il, que les crimes commis contre
les hommes sont punis davantage que ceux envers Dieu,
parce que les premiers, ayant pour objet des intérêts
humains, sont moins pardonnes par les humains, tandis
que les derniers, ne regardant que Dieu, il lui est plus aisé
dans sa bonté infinie de pardonner à l'homme ses fautes.»
De cette même manière les talmudistes i disent aussi :
« Que la punition des crimes de l'homme envers les hom-
mes est beaucoup plus sévère que celle des crimes envers
Dieu. » Et ailleurs : « Jérusalem n'est détruite pour la se-
conde fois, qu'à cause qu'ils ont fondé leurs propres pa-
roles sur la parole de la ki divine.» Et ailleurs encore :
«Jérusalem n'est déchus qu'à cause de la haine mu-
tuelle qu'ils nourrissaient entre eux. »
Au moyen de ces compléments qui se multipliaient sans
cesse aux lois mosaïques ettalmudiques, les lois, comman-
i Voyez BabaBalhra, pag. 88. Matmenides Halachaste Ganéba, ch. 7.
170
déments et disciplines se sont à la fin entassés jusqu'à
l'infini. Mais, comme le remarque Peter Béer , la faute
n'en doit pas être imputée aux rabbins seuls, mais aussi
aux imprimeurs intéressés. Car onpeut justifier les rabbins
en ce sens que chacun d'eux a voulu écrire son opinion
sans prétendre la faire adopter, comme une loi générale.
Maisles imprimeurs, cherchantun gain avide, achetèrentles
manuscrits couverts de notes, et insérèrent ces notes dans
le texte même, pour augmenter la matière, et c'est ainsi que
ces intercala tions reçurent l'autorité et la sanction, en
étant adoptées comme les lois les plus sacrées. Elles se
multipliaient par ce motif; car , d'après le Talmud et
Maïmonides , il y a 613 lois fondamentales; si on en
déduit celles ayant rapport à la construction du temple,
aux sacrifices, aux prêtres et au pays de Palestine, il ne
reste que le nombre de cent; or, elles se sont élevées au
nombre de 14,000, d'après le code de Schoulchan-Arouch.
Ainsi, par exemple, le Schoulchan-Arouch donne 23 lois
concernant le lavement des mains en se levant; 17 sur la
conduite à tenir aux latrines ; 27 concernant la prière ;
319 sur la fête des Pâques; 1279 concernant le sabbath;
177 sur la manière de tuer les bêtes; 225 concernant
l'examen de l'animal tué ; 342 sur la conduite à tenir en
deuil (autant de commandements que de défenses) 1 .
«Si Moïse, dit avec raison Buchholtz, se levait aujour-
d'hui de sa tombe, il ne pourrait pas reconnaître ses lois
tant elles sont dénaturées par les interprétations, et les
commentaires. »
* Voyez l'histoire des Juifs par Peter Béer.
m
Aussi superstitieux qu'il est fier de ce qu'il appelle sa
science religieuse, le savant Juif polonais se croit un être
supérieur et prétend à titre de droit, à la vénération de
tous ses co-religionnaires. D'autres, se croyant pour le
moins aussi pieux , protestent intérieurement contre cette
prétention, et se courbent néanmoins sous la loi inflexible
dusavant commentateur. Quelques autres, enfin, connais-
sant peu le texte talmudique, mais entraînés par l'exalta-
tion de leur pieux zèle, se croient tout bonnement les sau-
veurs prédestinés de leur peuple. L'israélite éclairé,
pénétré de respect pour la vraie religion de ses ancêtres,
regarde toutes ces puérilités avec autant de douleur que
de mépris. Il lui tarde de voir les coreligionnaires de son
pays au niveau des lumières du siècle, et de leurs frères
172
dans d'autres pays, mais force lui est de réprimer les gé-
néreux élans de son cœur, osât-il les proclamer, il se verrait
répudié par la masse et persécuté parles rabbins et leurs
séides.
Le Juif polonais s'occupe de l'étude du Talmud avec ses
commentaires parce qu'il y voit le plus sûr moyen de se
concilier l'estime générale et de se faire une position. Les
filles des Israélites aisés deviennent presque toujours le
partage de ces savants talmudiques, prônés par la voix
publique ; par contre coup, toute autre étude tendant à
élever le cœur et l'esprit est profondément méprisée, et
le malheureux qui voudrait suivre quelque noble vocation
en dehors de l'étude vouée au Talmud, se verrait au ban
des meneurs de parti et des pores de famille.
Se vêtir strictement à la manière judaïque, faire croître
sa barbe et ses peysy (longues mèches de cheveux descen-
dant des tempes et se prolongeant quelquefois jusqu'à la
ceinture; ces mèches de cheveux sont regardées parmi les
Juifs polonais comme aussi sacrées que la barbe même),
aller au moins deux fois par jour à la synagogue , porter
chaque matin de gros Théphilin* sur son front et à la main ,
s'arrêter longtemps devant la Chemona-Elhra-, arroser ses
mains ou les frotter contre terre au moindre contact, ne
serait-ce que celui de sa propre chevelure, fuir jusqu'au
1 Lesrabbini prennent les paroles de l'Écriture (Deuler.VI, 5). c Tu les
attacheras ces paroles que je te commande aujourd'hui) pour signe avec ta
main et pour ornement entre tes yeux », ils fondent la dessus l'usage des
Tképhilins, mais dont la vraie signilication est -.d'avoir la sainte loi tou-
jours devant les yeux, cette expression ne peut pas être prise à la lettre
pas plus qie celle de Deuter, X. I. « vous circoncirez le prépuce de votre
cœur. »
a Ge sont les dix-huit bénédictions d'Ezdrasz.
173
voisinage d'un temple chrétien 1 , porter aux jours de sab-
bat le mouchoir, non dans sa poche, mais noué autour du
cou ou de la jambe, porter de longues Zizéssesi, examiner
et baiser la mésuset à chaque entrée et sortie, etc., etc.
voilà ce qui en Pologne constitue les Juifs par excellence,
et malheur à celui qui en négligerait la moindre partie.
Science , propreté , bonne éducation aux enfants ,
misères que tout cela , on n'y fait attention qne pour
s'en moquer, oupourdénigrerceluiquioseenfairepreuve 4 .
I En 1834, beaucoup d'Israélites suivaient le convoi funèbre d'un
noble Polonais, un de ces hommes rares dont les hautes vertus captivent
tous les suffrages. Quelques-uns de ces Israélites, portant des cierges, en-
trèrent avec le convoi dans l'intérieur de l'église catholique. Le rabbin de
la ville les condamna à quarante jours de Chérim.
s Les Juifs portent des habits à quatre pans, à chacun desquels pen-
dent une houpe qu'ils appellent Zizéases ou Arbah Canpholhes , il le font
en mémoire des commandements de pieu.
Mésuse s'est fondé sur les paroles de Moïse : c vous les écrirez sur
les poteaux de vos maisons et sur vos portes. »
4 Pour justifier ce que nous venons d'avancer, nous citerons quelques
faits particulièrement arrivés à notre connaissance : Dans le 17* siècle,
un assez grand nombre de familles juives d'origine allemande «stvenu se
fixer en Pologne et beaucoup d'entr'elles conservent le costume de leur
ancienne patrie. Un de ces Juifs allemands avait fait confectionner à ses
frais un magnifique décor à l'usage d'une synagogue nouvellement bâtie.
D'après une ancienne habitude , il demanda que son nom y fût inscrit ,
mais on s'y refusa, par la raison que son costume sentait le chrétien et
que ses enfants s'appliquaient à apprendre le polonais.
Un autre, à la recherche d'un emploi , ne l'obtint des Juifs qui en dis-
posaient que sous la condition de réformer son costume qui choquait leur
pieuse austérité.
II est défendu aux Juives polonaises de porter leurs cheveux. Un jour
de fête, il arriva à une jeune femme allemande d'entrer dans la synago-
gue, portant un chapeau et les cheveux boucles. Par ordre du préposé ,
elle fut ignominieusement chassée, et le lendemain, ayant osé se montrer
également parée dans la rue, elle fut honnie et poursuivie par un gamin
en haillons, dérisoirement coiffé d'un chapeau de femme.
474
. La plus injuste de toutes les usurpations, est celle que
' la congrégation de chebrè kaditchah ( congrégation sainte ),
a faite du droit d'ensevelir les morts. Ayant fait ac-
croire à la classe pauvre et non éclairée des Juifs, qu'il
était honteux et même contre le salut éternel des âmes
qu'on n'enterre pas le mort quelques heures après le dé-
cès, cette congrégation fanatique applique son système
surtout à des familles qui lui sont suspectes, comme celles
par exemple, dans lesquelles on différait par le costume,
les moeurs et les usages. C'est alors, qu'en refusant de
faire enterrer décemment leurs morts, malgré toutes leurs
instances, la congrégation exerce son droit usurpé , et ,
après avoir refusé pendant deux ou trois jours l'enseve-
lissement devenu urgent, se fait payer comme bon lui
semble. Pour détruire cet abus d'un côté, et le préjugé de
l'autre, ne vaudrait-il pas mieux que le gouvernement
fondât un établissement aux frais des communes juives,
pour l'enterrement de leurs morts, indépendamment de
toute association religieuse?
Le Juif s'habillant à la manière de ses concitoyens chré-
tiens, est exclu d'une foule de pratiques religieuses; l'as-
tucieux hypocrite, fùt-il le plus abject des hommes, aura
partout le pas sur lui.
En présencede pareilsfaits,comments'étonnerde ceque
quelques Juifs abandonnent la religion de leurs pères,
que d'autres, exaspérés, embrassent le vil métier de dé-
lateur, soit pour satisfaire leur cupidité, soit pour venger
telle insulte, telle humiliation poignante.
Malheureusement, le progrès des lumières parmi les
Juifs de Pologne, est entravé par des obstacles. Les inten-
tions bienveillantes des hommes éclairés se heurtent sans
cesse contre le mauvais vouloir des chefs de parti et l'a-
475
veugle obstination des masses. Fatigués, découragés, pri-
vés de tout auxiliaire, ces hommes de bien finissent par se
taire et se soumettre à l'autorité dominante. On dira, peut-
être, qu'en poursuivant un aussi noble but, on devrait y
mettre plus d'énergie et s'occuper moins de ses propres
'intérêts. C'est vrai, mais, hélas! l'abnégation complète
de soi-même n'est pas précisément la vertu de nos
jours.
Le culte mosaïque, tel qu'il se pratique en Pologne, re-
pose presque entièrement sur les prescriptions orales des
Minhaguimes 1 , et sur les commandements rabbiniques,dont
voici les principaux :
En se levant de son lit, le Juif est tenu de s'informer si
leszizésses sont koscheres (convenables), et d'arroser par
trois fois ses mains, pour chasser les malins esprits, qui,
dit-on, s'abattent sur les ongles; nous disons arroser, car
rien ne l'oblige à se laver les mains, la tête ou la figure,
la propreté étant sans importance aux yeux du Rabbin.
Trois fois par jour, il faut faire un grand nombre de
prières, lire unepartiede la Bible, du Mischnah,duTalmud,
duSôar, etc., et tout cela en langue hébraïque ou chaldé-
enne, dont presque aucun Israélite ne comprend un mot.
Chaque vendredi, après avoir coupé ses ongles 3 , le
pieux Israélite les brûlera , sinon les cachera. Pour
i Les usages d'un certain R. Jacob Lévy, dont il n'y a point de trace ni
dans l'écriture, ni dans le lalmud , sont surtout autorisés, et toutes ses
fantaisies sont devenues les plus grandes doctrines. Un autre 1\. Isaac a
ramassé tous ces caprices rabbiiiiqucs et les a publiés dans un livre
intitulé Minhuguim.
* La forme du vase à puiser, la quantité d'eau dont il faut arroser ses
mains, et la main même par laquelle il faut commencer l'opération , tout
cela est bien distinctement prescrit.
3 11 est dit par quelle main, par quel doigt commence celte coupure.
*76
témoin de cette action solennelle , il prendra une
parcelle de bois, coupée de sa porte, de sa table ou de sa
fenêtre, de peur qu'après sa mort, il ne soit condamné à
revenir (la migration des âmes) sur terre pour chercher
cette malheureuse dépouille.
Viennent après, sans compter les prières presque inces-
santes, les prescriptions rigides surle sabbath, concernant
le feu 1 , les objets à porter sur lui 1 , les promenades per-
misess, le sommeil, particulièrement recommandé pour
les jours des sabbaths 4 , Tordre de la substance des re-
pas 5 , H manière dont il faut couper le pain du sabbath, etc. ,
puis, les mille observances pendant la huitaine de Pâ-
ques 6 , les jours de Séphiré ce sont les sept semaines entre
1 Allumer ou éteindre la lumière , c'est pour ces jours là l'office d'un
chrétien quelconque. Chez les Juifs pauvres, hors d'état de payer les ser-
vices d'un chrétien de Sabbath , il est arrivé plus d'une fois que la
chandelle renversée par hasard, allumait la table, un rideau, etc.; avant
qu'il n'y ait danger réel pour la maison , défense au Juif d'éteindre la
flamme.
» Durant les sabbaths, il n'est permis de porter quoi que ce soit. La
mère même doit s'interdire de porter l'enfant , qui ne peut marcher, sur
ses bras. Il n'y a qu'une exception à la règle, c'est pour les rues au coin
desquel les se trouvent attachées des cordes, Ehrèbe.
3 Toute course en voiture est formellement interdite durant le sabbath.
La promenade à pied ne s'étend qu'à la distance de 2,000 aunes de l'en-
droit qu'on habite. On peut cependant doubler cette distance en posant,
le vendredi, un pain tendre au milieu delà route.
4 Selon les Rabbins, le sommeil est plus doux au sabbath, le Juif polo-
nais en profite pour le prolonger autant que possible.
5 Durant le sabbath, le Juif doit faire quatre repas, et il lui faut pour
chacun deux pains entiers. (Chaque Juif a deux âmes. Neschamaii-Jelhe-
rah, durant le sabbath, alors il faut manger plus que toute la semaine.
G Un jour a\anl Pâques, le Juif est tenu de vendre à un chrétien toutes
ses provisions alimentaires , soit solides soit liquides. Ordinairement le
Rabbin s'en fait l'acheteur par contrat, et après la fin de la file, les pro-
visions retournent à l'ancien possesseur , en payant au Rabbin avant et
après les Pâques.
177
Pâques et la Pentecôte, pendant lesquelles, le Juif ne doit
ni couper ses cheveux, ni rire, ni chanter, ni entendre
le son de la musique, ni se marier, ni mettre un habit
neuf, etc.; pareille chose s'observe pendant les trois se-
maines consacrées au souvenir de la destruction de Jéru-
salem (de 17 Thamouse jusqu'au 9 Abh). Après cela, les six
autres semaines de jeûne, des prières et de contrition (du
1 er Elout jusque yomkipure jour d'expiation, le jour de Van
compris).
Il existe un livre de prières tout particulier pour les
jours de fête et déjeunes, intitulé : Machzor, qui est com-
posé par divers auteurs, mixte d'hébreu et chaldéen.
Ce livre est au dessous de la critique, tant sous le rapport
de la valeur grammaticale ou esthétique, que celui de l'é-
lévation des idées conformes au sujet. Ces prières sont
si multipliées qu'on passe aux jours de fêtes jusqu'à
midi, et aux jours d'expiation toute la journée entière, de-
puis le lever jusqu'au coucher du soleil, aies réciter, sans
en comprendre le sens. Il est donc facile de comprendre
pourquoi il règne dans les synagogues polonaises tant de
désordre et de distractions indécentes. La plupart de ces
prières sont chantées en mélodies par des chantres (chaza-
nimei) qui n'en ont point notion eux-mêmes, et qui ne
sont pas plus initiés aux règles de la musique qu'ils ne
connaissent la signification des paroles.
11 est vrai que les hommes savants, estimés de toute la
nation (comme, par exemple, J. Hourvitz, dans son livre
Sehelah, et R. Samuel Hachasside, dans son livre Sephère
Hachassidime) , voyant ce scandale avec douleur, cher-
chaient à abolir ces coutumes et ces abus, et à faire do-
rénavant leurs prières dans une langue intelligible, mais
leur époque était encore trop obscure pour que leurs bons
conseils pussentètre écoutés. i 2
IV
Lorsque,dans la dernière moitié du dix-huitième siècle ,
l'oppression politique, qui alors pesait si lourdement sur
les Juifs, s'était adoucie dans toute PEurope, leur esprit
s'éleva, et ils commencèrent à pressentir que, outre le Tal-
mud, ses commentaires et les traités, qui autrefois, com-
posaient toutes les sources do leur science, il y avait
encore d'autres sciences dignes d'être approfondies. On
commença à s'occuper en partie de poésie , et en par-
tie des sciences et des connaissances systémati-
ques , et le talmudisme essuya une perte considérable,
dont les traces s'aperçoivent aujourd'hui de plus en plus.
Exécuteur du plan divin du monde, le temps accom-
plissait son effet comme partout ailleurs; aussi, dans ces cir-
constances, il produisit alors l'illustre Mendelsohu, grand
47»
par ses connaissances étendues , noble par son caractère,
et immortel autant aux yeux de la nation juive qu'à ceux A&
tous les peuples qui savent apprécier ses œuvres scienti-
fiques, et qui, s'il eût vécu quelque temps auparavant,
aurait peut-être été voué à l'oubli et à ^ l'obscurité,
comme tant d'autres rabbins de talent. Ce grand homme
féconda les semences de la civilisation déjà en germe da«s
la traduction du Pentateuque, et la lumière vint en
Israël.
Dès lors, le vulgaire se prit à s'apercevoir que les docu-
ments sacrés peuvent également s'éclaircir d'après, le
sain esprit humain, sans s'abandonner aux investigations
mystiques, qui jusqu'alors formaient les seules études
du peuple d'Israël.
Alors aussi, les rabbins opposèrent toute leur influence
à l'autorité de notre philosophie, et leurs malédictions
vinrent fondre à la fois sur ses nobles efforts; mais, glo-
rieux de son but, il ne se détourna point de son chemin
et poursuivit ses travaux qu'il vit couronnés des plus
nobles succès.
Malheureusement, les bons principes de ce grand
homme avaient peu d'influence sur les Juifs polonais, car
leurs rabbins ont employé tous leurs efforts pour ne pas
laisser, parvenir dans les mains du peuple les ouvrages de
Mendelsohn, et, de plus, ils excommunièrent quiconque
lisait ses oeuvres, expression pure du saïsme. La philo-
sophie de Mendelsohn fut méprisée, et ceux qui la soute-
naient passèrent pour des Epicuriens; ef encore aujour-
d'hui, ce jugement subsiste chez les Juifs polonais. Car
le blâme dont leurs rabbins peuvent être l'objet, est
moins applicable à leur mauvais vouloir qu'à leur igno-
rance, à leur esprit peu éclairé ; il ne leur esf pas permis,
180
d'ailleurs, en dehors de- l'étude talmudique/de se livrer
à aucune, autre science, aux termes d'une loi rabbinique,
dont l'observance est rigoureuse, savoir : {(k&échoukas-
séhém lohlhéléchou) ne mamhezpoint d'après leurs lois, c'est-à-
' dire, d'aprèsles lois des étrangers.
;Cette*naxiraee6t le cheval-de bataille des rabbins^modernes
qui s'efforcent de la faire prévaloir, pour maintenir la sé-
paration des Juifs d'<avec les hommes d'une autre religion.
Mais il. arrive en ceci comme en beaucoup d'autres cas;
.ils extraient une phrase, parfois un mot des Saintes-
Écritures, en lui assignant une signification tout-a-fait
différente de celle de l'ensemble du texte. On en jugera
par la citation suivante, d'où ils ont extrait la règle rap-
portée plus haut : « Vous ne ferez pas comme vous avez
fait au pays d'Egypte, où vous avez demeuré, ni comme
. il est 'd'Usage au pays de Canaan, où je vous conduis; ne
rftàrthxzyoint d'après leurs lois. Ne pratiquez que mes com-
mandements et n'observez que mes lois, etc.» Ici suivent
différentes lois sur l'idolâtrie, l'inceste, etc.
D'après ce qui précède, les rabbins font croire au peu-
ple que ces paroles se rapportent en tout à ce que le juif
doit être séparé des hommes de toutes lesautres croyances
tant par l'habillement que par le langage, quoique ces
. choses n'aient pas le moindre rapport avec celles.de la
religion.
Ainsi, toute culture d'esprit, outre l'étude du Talmud,
leur étant inconnue, il en résulte une direction fausse
dans leur jugement et qui a souvent dégénéré en orgueil
et pédanterie. Mais celui qui, poussé par un mouvement
intérieur;jou guidé par quelque circonstance, tend cepen-
dant à s'instruire, sera méprisé. L'Autodidacte doit tout
puiser de soi-même, et ne devra ce qu'il aura acquis qu'à
484 -
son génie nafif. Maris cequ'il y a sartofit de difficite^pocrr
ce dernier, c'est qu'il y a tout à craindre de la part de ses
- Coreligionnaires , il doit- chercher à employer tous ses
efforts afin d'étouffer leur vengeance.
Ce qui éloigné surtout les cœurs des Israélites en Polo»
gnedela religion, c'est que presque tous les Juifs polonais
sont habitués à mépriser dans leurs eœurs tous les hctafc- *.
mes éclairés, eftHjuand ils k voient seulement quelques-uas
des jeunes Israélites s'appliquer àquèlque écrit ou langue
étrangère, et surtout à, quelque science, ils s'en éloignent
avec défiance, et le regardent, • soit comme* un méchant,
soit comme un vauripn, un épicurien, sans avoir égard à sa*
conduite et ses actions, qu'elles soient innocentes qu nort,
et sans comprendre que,, si un jeune- hùmmne s'écartait,
en effet, des voies de la religion, il faudrait, au contraire,
le rapprocher el lui enseigner ces voîes de la religion avec
douceur et bon sens. Par ta, le jeu ne fcommë à son tour*
s'éloigne d^eux dô.plus en plus et ne les regarde* que
comme des obstinés, a* cœur endurci. Ainsi, la haine et
la mésintelligence s'accroissent de plufc en plus entre eux,
au point *qùe ce jeune hOmmô finit par haïr et détester *
toutes leurs mœurs et toutes leurs actions; ce qjui leur ;
plait, lui déplais -
' . IL résulte de là, que, tandis qu'il y avait parmi les
Israélites , dans les temps anciens , de grands hommes en
.théologie, qui composaient àe$ livres dans l'intérêt de la
religion: et de la piété, et qui étaient en même temps dis-
tinguas et renommés dans les hautes sciences et les' langues
étrangères, chez les Juifs* en Pologne, il n'y a plus de ces
hommes qui réunissent la religion et la science, qui soient
également puissants et renommés dans Tune et l'autre,
car dès qu'on découvre un vestige de savoir dans quel-
qu'un, aussitôt, tout le monde s'éloigne de lui et le livre au
mépris et à Ja honte.
Il n'est donc pas -étonnant que les Juifs Polonais y du
moment qu'ils commencent seulement- à apprendre quel-
ques écrits ou langue étrangère, ou qu'ils s'appliquent à
quelque science, rejettent aussitôt la religion. et ses pres-
criptions, parce qu'ils n'ont plus et ne sauraient plus avoir
gucun commerce avec les gens religieux et pieux, qui le6
repoussent des deux mains.
Four prpuver que notre conviction à l'égard des rab-
bins, est assise autant que possible sur des faits , nous di-
rons quelques mots sur l'éducation primitive des enfants
Israélites :
L'enfant de trois ans , par exemple , entend déjà parler
de fantômes et de revenants. A quatre ans , on lui donne
connaissance de l'existence de Dieu , en, prétendant que
* les Juifs seulement sont ses enfants. À cinq ans , on l'envoie
à l'école. A peine l'aube du jour paraît-il, quedéjà l'impi-
toyable Belfor * l'enlève du lit, lemet Sur. un banc de bois,
derrière une table étroite, à côté d'autres enfants du voisi-
nage et du ipème âge, et alors le précepteur commence à
faire des contorsions, c'est-à-dire^à pencher et à redresser
son corps- d'une manière brusque et .cadencée , et à se
faire imiter par ses écoliers , en accompagnant ses gestes
de cris et .d'exclamations, et en tirant tantôt par les che-
veux, tantôt par le bout du nez ou les oreilles, ceux d'en-
tre les enfants qui exécutentmal ce genre d'initiation reli-
gieuse. Et qu'est-ce qu'on apprend ainsi aux enfants? Ce
sont les morceaux des cinq livrés supposés de Moïse avec
les commentaires de Ra$cky, pleins d'interprétations ab~
■ WMl i I' i iiii j i m n i» ■ i n i i ■ m i — w*««— — —— ' — — mî—*m w+m*
1 Le garçon de l'école juive.
183
surdes.À peine les petits malheureux ont-ils saisi quelques
parcelles de l'idiome hébreux, que le précepteur leur fait
commencer la lecture du talmud. Nulle question ni de
grammaire, ni d'orthogvaphe, le maître sait fort bien s'en
passer, et tout se réduit à quelques formules de prières.
L'enfant intelligent et doué d'une bonne mémoire ,apprend
par cœur les extraits des commentaires, sans y comprendre
un seul mot, carie précepteur lui-même ne saurait trop
faire autrement que d'ordonner de croire ce qu'il croit sans
savoir expliquer pourquoi. * A six ans, l'enfant n'a aucune
notion sur le monde, il sait seulement qu'il y a des Juifs,
et qu'il y a des chrétiens, qui ont des usages contraires
aux leurs, c'est-à-dire, ne se font pas circoncire, n'obser-
vent point les jours de sabbatet mangent du porc. De sept,'
à neuf ans , on parle déjà à l'enfant du mariage , du di-
vorce, de la manière de tueries animaux , etc. Ainsi l'en-
fant à un âge aussi tendre, se trouve tourmenté, du matin
au soir, de pareilles leçons accompagnées de coups , dont
le précepteur n'est jamais avare, même envers le meilleur
écolier. Plus tard, le père de cet enfant lui donne un autre
précepteur plus savant , pour faire de son disciple un
homme tout-à- fait versé dans le dédale du talmud et de
ses commentaires , et le seul but que chaque père ambi-
tionne, est de voir son fils bien marié et devenu rabbin.
En quittant à l'âge de dix à douze ans les bancs de l'école
pour se traîner dans la voie de la misère, l'enfant du pau-
vre oublie bien vite ce qu'il peut avoir appris du ïalinud et
* Un savant chrétien demanda à un Juif polonais ce que deviendrait
son fils , âgé de 18 ans, ne possédant ni connaissances, ni fortune, s'il
Tenait à se marier? « Mon fils, répondit celui-ci, est assez pourvu; j'en
ferai un maître d'école , et pour ce métier on n'a besoin de posséder ni
sciences, ni connaissance de langues. ï>
484
de ses commentateurs; l'habitude d'une prière inarticulée
et mécanique est le seul fruit de ses tristes leçons. Le (ils
d'un père aisé sort de l'école à l'âge de dix-huit à vingt
ans; il ne connaît aucune langue, d car sa langue à lui c'est
une espèce de patois allemand , entremêlé de sortes de
lambeaux polonais, lithuaniens , hébreux , russes, jargon
sans grammaire, sans orthographe ; histoire , géographie,
morale, politique, mathématique , etc. , sont pour lui des
mots vides de sens , car jamais son docte professeur n'a
daigné lui en parler, et pour cause. Le polonais même , la
langue du pays qu'il habite, lui est défendu par l'incroya-
ble préjugé de ces rabbins. À l'exception de Varsovie et
quelques autres villes, on ne découvre dans aucune école,
.ou gymnase polonais, la trace d'un élève juif , bien qu'il y
soit admis aux mêmes conditions que les fila du chrétien.
Qpe dire enfin de ces pauvres -filles juives ! Hormis la
prière hébraïque et les exercices religieux, elles sont pri-
vées de tout ce qui peut élever l'esprit et former le cœur.
Gardez-vous de leur parler chant , musique ou danse ,
cela les mènerait droit à l'enfer !
De quinze à dix-sçpt ans, on amène devant le jeune
homme une jeune fille qu'il n'a jamais vue , et on les ma-
rie, c'est-à-dire , les deux pères étant Convenus d'a-
vance du prix ou de la dot qu'ils donneront aux enfants. »
. ' Il arriva que lorsque l'empereur Alexandre I er passa par unevilic de
la Pologne où les principaux de la communauté juive lui furent présen-
. tés , il leur demanda si l'ordonnance impériale pour construire une sy-
nagogue était exécutée? Ceux-ci répondirent que non. Le maître absolu
se plaignit au gouverneur qui était présent. Celui-ci lui assura que la
synagogue était faite selon l'ukase impérial , et que les Juifs la fréquen-
taient depuis longtemps; l'empereur rit alors de ces représentants ha-
billés de soie, qui , c»mme il l'appris par la suite , ne comprirent point
le mot synagogue. . .
* Les parents aisés donnent, selon l'usage , au couple nou-
vellement marié , la table et le logement pendant plu-
sieurs années, afin de mettre le gendre à même de s'a*
donner à l'étude du Talmud, tandis qu'ils créent enfaveur
4 de leur fille un commerce quelconque , auquel elle est
exercée dès son enfance. Elle s'occupe seule de son éta-
blissement.
Celui qui néglige l'étude du Talmud, et surtout qui en
ignore totalement les lois , et qui est appelé Am Haaraz ,
était de tout temps et est encore voué à l'exécration parmi
les Juifs de Pologne, car il est dit dans le Talmud: ce Celui
qui accorde sa fille à un .4m Haaraz, fait aussi bien que s'il
la garrottait et la jetait ainsi devant un lion furieux*. »
•C'estainsi qu'il arrive que l'épouse, oubliant sa modeste
destinée, et aussi par un sentiment de dignité , profite de
l'inaction de son mari, pour s'arroger la haute main dans
le ménage ; quant au mari, il continue sans se troubler à
la contemplation et à oou ver les douze in-folio composant
le Talmud, à en explorer les innombrables commentaires ,
à se livrer aux élucubrations les plus subtiles sur la signi-
fication présumée d'un texte obscur , et tout cela , non
point dans un but d'utilité commune, ni pour projurer du
pain à sa famille, mais par la vaine satisfaction de se faire
considérer comme une merveille d'érudition et de science
par une multitude ignorante, abandonnant, s'il y a lieu, sa
feïnme et ses enfants , aux chances d'un commerce incer-
tain, et enfin à la misère.
C'était pire encore à une époque non très reculée , où
les parents fiançaient leur fils absent, adonné à l'étude Tal-
mudique au sein d'une Jeschiba , (institut Talmudique), à
- ' ■ * i ■ i ■ ■ - i i ■ — — — «i mi i ih i i
! Tract. Pesachim, fol. 3.
486
l'étranger, t Son mariage s'accomplissait à son retour , et
sans avoir jamais eu l'occasion de s'exercer au commerce,
il n'en embrassait pas moins, selon l'usage,, l'état de mar-
chand. Selon le proverbe : « on fait tout d'un bachour ,
(jeune talmudiste), on en faisait donc un commerçant et au
moyen de la modeste dot , on fondait uh petit établisse-
ment. Mais il arrivait habituellement , ce que l'on prévoit
du reste, que cet établissement était mal dirigé par lejeune
mari, peu versé dans les affaires, et il finissait le plus souvent
par la banqueroute, de sorte que, sans plus d'autres res-
sources , il prenait le parti de se faire rabbin. a
C'est uu cœur profondément ému par la compassion fra-
ternelle que je vous demande : qu'ètes-vous devenus ?
que deviendrez-vous à l'avenir en persistant dans cette
voie funeste? en vous refusant à la réforme sociale et reli-
gieuse, impérieusement demandée par l'esprit du siècle et
la voix même de vos coreligionnaires dans tous les pays
civilisés? Mais pour que cette réforme soit complète et
durable, pour qu'elle vous assure ce bien-être physique
et moral qui est le but de tous les efforts humains et pour
lequel le créateur nous a doués de tant de précieuses qualités ,
1 En pareil cas , c'étaient surtout des personnes mal partagées quant
à leur physique ou , pis encore, par leurs infirmités, qui devinrent le
partage des Bachourim-Sechoré (jeunes savants du Talmud). Anssi à cette
question : « Pourquoi la plupart des rabbins ont-ils des femmes laides ou
infirmes? » Un plaisant fit cette réponse : C'est, dit-il, parce que le bon*
Dieu, en agit envers les humains en bon père de famille ; et de même
qu'un marchand, lorsqu'il possède dans son magasin une mauvaise pièce
de marchandise qu'il ne parvient pas àplacer, afin de n'en pas perdre tout-
à-fait la valeur, l'emploie pour l'usage de sa maison et en fait des vête-
ments pour ses enfants , ainsi , le bon Dieu attendu que les mariages se
décident au ciel , et que les savants talmudistes en sont les enfants.
a Voyez Peter Béer, Histoire des Juifs.
il feut envisager franchement et sérieusement la question,
reconnaître les maux qui vous blessent, les causes qui vou§
retiennent dans vôtre abaissement qctuel ei ne.plus répu-
dier le$ moyens qui puissent vous sauver de là.
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> Quoique les Israélites Polonais de cesifecle se plaignent
, avec raison des mauvais traitements , de Top près- *
siûu.de ce que le gouvernement les tient Boris tejûû^ qu'il • ,
, ne. les ail met point aux droits des citoyens; mais un gûu* ■
• - .vernernent juste et d'accord avec l'esprit de notre époque. -■'
désirant le vrai bonheur de tomes les classes d'habitante.'
. .du pays m doit-il pas répondre à de pareilles plaintes en •
.. disant:
^ « Vous voulez être citoyens comme les Polonais ehré 5 - " :
tiens, comment saurions-nous vous reconnaître dignes "de "' •
l'être? Est-ce par votre langue qui est tout-à-fait' încom- . *
prébensible à nous, à d'autres nations de l'Europe et à :
. vous mêmes. Est-ce par votre attachement au pays que .
vous habitez? mais vos rabbins même disent que von» 'r
LE JUIF DE VARSOVIE ET SA FEMME.
lies Israélites de Pologne, par I», Hollaenderskî.
nètes que les Lûtes de ee pays, i oui , les Polonais doivent
'répondre ainsi et ajouter encore ce qui suit : « Dans le der-
nier siècle, nous avons admis à la jouissance de nos droits
et de nos libertés des milliers de Tartares, qui professent
•Je ïDBhométanïâme, et des dissidents de toute sorte contre
notre propre religion , avec lesquels nous étions presque*,
toujours en guerre pour des Intérêts matériels (car sur les
dogmes et les consciences , Dieu seul peut juger) , mais
voyez bien, ces Tartares, ces protestants, — ne sont-ils pas
bons citoyens? Us versent leur sang volontiers en combat-
tant avec nous nos ennemis communs; ils parlent, ils
s'habillent comme nous; 2 ils partagent avec nons le bien
comme le mal. Et vous! vous voulez rester toujonrsétran-
gers; quant à vos mœurs, vos usages, vos préjugés , et ,
en même temps , être traités mieux que vous ne Fêtes.
Vos rabbins vous défendent de vivre avec nous fraternel-
1 C'est aux Juifs fanatiques ortl iodu3.es qu'il faut le demander,
2 La différence des habits juifs de celui des thrclicns était provoquée
par les noblns polonais et les jésuiLes cux-niûiues, et ce n'était que pour
ne pas encourir une respontabïlité que les rahbins avaient i tibéré dans
les règles religieuses de ne pas ^'habiller romme les chrétiens. La mise
des Juifs polonais est à peu près la me" me dp puis un siècle et demi. Le
costume des Juifs riches à côté do Varsovie et dans la capitale même est
depuis quelque temps dilïérenl et plus propre que celui de l'autre
endroit. Il lient quelque chose de l'ancien eoElume polonais et une partie
de l'allemand, comme par exemple, de lon-gues capote*, îles ceintures,
des bonnets avec des cotme^breitles fourres: quant aux cuToU^s
courtes, aux bas et souliers r tout cota semble s T uire conserté dès leur
arrivée d'Allemagne. Il est dillicîle d'approfondir pourquoi les Juifs
polonais s*habillcnl toujours en noir ou du moïus en couleurs sombres,
car s'ils les avaient adoptées comme une espèce de deuil porté pour la
patrie perdue (comme dans beaucoup de maisons juives on voit sur une
paroi un carré avee cette inscription : Sécher lêchourben ( Souvenir de
la destruction de Jéritsçlem), les rabbins auraient besoin de *se mettre les
premiers en noir et non en blanc, comme faisaient leurs prédécesseurs.
«0
leraenl. C'etf en Pelogae , ai» depuis .tant de siècles on
vous donne rhospHaHtÀ t «fr dix é* ws géfiértlion^ pm
*êeu et déposé leurs déjeaiMes morieHes, ait / eiifift-, vos
et vous osez prodaHrtet tme pwréiiieyt^f ed'a»yl^.é*rai>g^ne •
.pow vous! Conservez toto&ièi dwBé«wsr^«iww?pttr0té ,
mais élaguer de vo^c^nVfiaeBt»Uirr*^iilevos.,mœ«*3-, (te»
votre langage, tout ctequetâ* rafcbtMat ^s supérients ,
Aan» leur propre' intérêt pottr ftftèewier &4rvos conscien-
ces, y ont introduit de rWKcwtes wristWes et -peu dignes
dela-fotde tout hommede bieo! Monfre^vo^, aurésume,
ankné» do* même patriotisme que les Tartares , que les
protestants polonais, adoptez leurs mœurs efl leurs usages
dans la vie publique, et nous vous regarderons avec plaU
sir comme nos compatriotes, comme nos frèrçs. »
Comment les Israélites Orthodoxes en Pologne à qui
nous parlons ainsi, répondront-ils à ces dures vérités?
oseront-ils les nier? Non, la sincérité commande d'en con-
venir , et la raison dit qu'il faut se corriger de ses défauts.
Or, s'il se trouvait des individus* qui objectaient que leur
conscience ne feur permettait pas d'abandonner les règles
de leur croyance, nous leur répliquerions, personne ne
vous y force, tout homme raisonnable désire seulement
que vous abandonniez ce qui n'est pas dit dansjes lois de
Moïse, et ce qui est , pourtant , si nuisible au pays que
vous habitez et à vous mêmes. *
Nous allons maintenant examiner si les Israélites peu-
vent changer ou abandonner les règles de foi rabbinique.
Les Juifs, dans plusieurs temps, ont été obligés d'abandon-
ner beaucoup de leurs anciennes lois et usages primitifs.
Ne leur était-il pas ordonné de brûler sur l'autel les ani-
maux vivants , et de pratiquer les offrandes pacifiques et
491
autres , de la tourterelle et de la colombe? Cependant f
après la destruction du temple de Jérusalem , nous ne les
voyons plus faire les sacrifices , non-seulement des tau-
reaux, mais même de ceux d'un seul moineau
11 a été ordonné aux Israélites d'abandonner leurs mois- (
sons, tous les sept ans aux pauvres ; de ne pas réclamer,
après sept ans passés, leurs créances près de leurs débi-
teurs; cependant, où en trouver un seul, qui observe ces
commandements ?
Dans les temps anciens , les Juifs ne se mêlaient-ils pas
avec les étrangers? Le roi David , le plus pieux parmi les
rois des Hébreux, n'était-il pas le petit-fils de Rulh , une
Mohabite; Salomon, n'a-t-il pas épousé une Egyptienne ,
la fille de Pharaon? le savant et le pieux Mordechaï n'était-
ilmêmepas reconnu comme Juif aux portesdu roi Asueru$\
Esther , si renommée par sa piété , n'était-elle pas connue
non plus , comme Juive , par ses mœurs et ses usages ,
par son extérieur et son langage, lorsqu'elle se trouvait
chez le même roi Asuerus. Moïse, d'ailleurs, avait expres-
sément prescrit que le premier mois de Tannée commençât
deNisan. Cependant, depuis la dispersion des Juifs, le
mois Tischri, six mois plus tard que Nisan y est chez eux le
premier mois de l'année. La loi de Moïse défend très sévè-
rement aux Juifs de se faire payer l'intérêt d'un prêt quel-
conque à leurs coreligionnaires ; et nous voyons mainte-
nant la plupart des rabbins polonais s'adonnant unique •
ment à l'usure. Si, par conséquent, les Juifs sont en con-
travention flagrante, vis-à-vis de tant de lois fondamenta-
les de Moïse, si Mordechaï et Esther, comme nous venons de
dire, modèles de piété, ne différaient en rien de ceux qui
professaient une autre religion; pourquoi ne serait-il pas
permis aux Israélites d'aujourd'hui de s'affranchir des
192
règles/quelenr imposent les fanatiques rabbins, qui, eux-
mêmes, agissent par l'usure et l'impiété, directementcon-
tre la volonté divine.
Cherchons dans le Talmud même :
Les talmudistes 1 prennent du Pentateuque les six Cent
treize commandements , dont deux cent quarante-huit 2
sont des commandements exécutifs, et dont trois cent
soixante cinq 8 sont des défenses. David réduit ces six cent
treize commandements à onze. (Ps. , ch. 15.) Savoir:,
d'agir avec probité, de faire justice , de parler la vérité du
fond de son cœur, de ne pas calomnier, de ne faire arriver
aucun mal à son prochain , de ne pas l'outragef , de ne
point aimer ce qui est méprisable , d'honorer celui qui
craint Dieu, d'accomplir le serment, quand même il est à
son désavantage, de prêter son argent sans intérêt , et de
protéger l'innocence sans corruption. Le prophète Esaïe
les borna à six , (Esaïe. ch. 33, v. 15), savoir : d'agir ver-
tueusement, d'être droit dans son parler, de ne point me-
surer l'avantage de l'autorité, d'avoir ses mains pures de
corruption, de fermer ses oreilles à un projet de meurtre,
et de fermer ses yeux pour ne pas voir le vice. Le prophète
Michéeles réduit enfin à trois, (Michée b., v. 8), savoir : de
faire justice, soigner la fidélité, de marcher devant Dieu
avec modestie et humilité. Enfin , le prophète Habakuk
borna tous les commandements à un seul, en disant que :
« le juste vit dans sa croyance. »
Isaac Chabib dit dans son commentaire sur cet en-
droit que :
' Traité Makolh, p. 23.
2 Au nombre des membres qui composent le genre humain,
6 Qui sont du même nombre que les jours dans l'année.
193
« Les hommes étaient pieux au commencement , et
pouvaient facilement se charger du joug de tant de com-
mandements; les descendants qui vinrent après, n'étant
plus aussi pieux que les premiers, et s'ils devaient prati-
quer tous ces commandements , ils n'en seraient pas ve-
nus au bout ; alors , David était-il obligé d'en réduire le
nombre à onze, pour qu'ilspuissent aussi devenir bienheu-
reux en pratiquant seulement ces onze commandements,
et ainsi par la suite, les générations amoindrirent toujours
le nombre des lois jusqu'à une seule. »
On peut voir par là que les talmudistes mêmes envisa-
gent la religion plus sous le rapport de la pratique des no-
tions morales que sous celui des cérémonies.
Il ne sera pas indifférent de connaître le nombre de
modifications que les sages auteurs de la Michnah ont
faites aux commandements pour en rendre l'exécution plus
facile. Voyant d'après les circonstances temporelles qu'une
ordonnance quelconque ne pouvait pas être exécutée, ou
que cette ordonnance pouvait occasionner la transgression
d'autres lois, ils s'efforcèrent de s'autoriser d'une loi mo-
saïque même, ou d'autres moyens pour abolir telle ordon-
nance ou telle défense , parce que la loi dit : « qu'Israël
vive dans la loi, » ce qui veut donc dire, qu'il ne suc-
combe pas à la suite des observations trop rigoureuses
des commandements.
Aussi les talmudistes mêmes et les autres vrais savants
israélites permirent-ils beaucoup de choses relativement
aux dangers, aux afflictions, et, d'après le R. Saraaï, il est
permis de transgresser une loi , quand bien même une
passion seulement le presse ou qu'il est possédé d'un désir
ardent. 4 On diminua la rigueur de beaucoup de lois , à
1 Voyez Maor Sabath, ch. 22.
43
494
cause de soupçons ou de haine. On permit de faire du feu
pendant l'hiver, par un non Israélite, à cause du froid , —
et la loi dit pourtant : « Ne faites point de feu le jour du
sabbath* » Ils ont ordonné d'allumer des lumières au jour
desabbath.
On a permis aux guerriers de manger la viande qui ,
d'après la loi de Moïse, est défendue aux Israélites, comme
par exemple du porc, etc M * Le Keseph Mischnu dit ; que
a celui même qui n'est pas militaire , qui a faim, et ne
trouvant point de chose permise, qu'il peut manger tout
ce qui se présente devant lui. , »
Aussi ont-ils défendu beaucoup de choses qui sont per-
mises par la loi mosaïque, à cause des mœurs du pays où
ils demeuraient , comme par exemple la polygamie qui
était permise aux Juifs et qui est défendue depuis qu'ils
sont venus en Europe, etc.
Les talmudistes disaient : « qu'on n'admettait dans les
sanhédrins , que des hommes qui pouvaient épurer un
reptile impur , par des démonstrations de la mosaïque
même , » et ailleurs , on n'institue point de loi sur ras-
semblée, qu'à condition que la plupart de l'assemblée la
puisse supporter. 11 est autorisé à tout juge célèbre d'allé-
ger la sévérité de quelques lois, selon la nécessité du temps.
Les talmudistes ont dit à ce sujet , qu un homme ne
doit pas dire : « est-ce que ce juge est comme Moïse ou
comme Àaron? (dois*je lui obéir?) non! celui qui est
nommé le plus léger , doit être considéré comme le plus
estimé. 3
Quand nous faisons bien attention au Talmud , nous y
1 Vojez Tract. Choulin , p. 17.
2 Maimonides Halachath Hachai im, ch. 8
9 Tract* Rascb flawhaoajj , ch* 2.
495
trouvons que son opinion était toujours d'amoindrir et non
pas d'augmenter les lois. 4
Maïmonides a bien raison en disant : « que les sages ;
doivent se conduire en rapport de la loi et de ses ordon- t .
nances, comme un sage médecin , qui coupe souvent an/ 1
ou deux membres, pour que tout le reste du corps puisse
se tenir en état de santé. »
Comme il est du commandement de Dieu d'apprendre la
loi (chacun d'après son esprit et ses capacités) , ainsi «
chaque Israélite est tenu , à présent qu'ils n'ont ni prê-
tres, ni lévites, ni sanhédrins (qui autrefois étaient instruits
dans toutes les sciences), de s'instruire si Dieu lui a donné
un pur esprit et la faculté d'apprendre la morale et les
sciencesrecueilliesdcinsleslivres de toutes les nations et de
toutes les langues, Et jusqu'à ce que le temps vienne dans
les travaux de l'intelligence , ce que leurs prédécesseurs
ont dit que l'on doit passer tous les jours de sa vie dans
le Talmud , mais ce mot doit recevoir une acception
beaucoup plus étendue qu'il ne paraît l'indiquer et
comprend ainsi toutes les autres sciences comme le dit
Maïmonide « que le nom du Talmud , ne comprend
pas seulement la Mischna et la Guémara, mais encore
toutes les autres sciences. Voyez aussi Tractât Horiott,
ch. 3. »
Il est aussi permis d'apprendre les lois civiles et mora-
les de toutes les nations et de tous les hommes au monde»
surtout des sages. On trouve beaucoup d'exemples dans le
Talmud prouvant que les rabbins ont puisé des idées, des
mœurs et des maximes des autres peuples. Comme l'opi-
nion dans le Talmud : <s que le monde retournera au néan
i Voyez Belh-Iéhoudah , p. , et Théoudah-Bcïsraèl.
496
après *ix rnillo fins , t> cotte idée est celle du philosophe
grec Vlaio. Et celle-ci, qui est d'Aristote : celui qui ensei-
gne In loi nu fils d'nutrui, est comme s'il lavait mis au
monde. Et ailleurs, a l'amour dérange autant Tordre que la
haine. » C'est une idée de Plutarque , qui existait long-
temps avant que le Talmud ne fût composé.
Les sanhédrins aussi étaient formes de la même
manière que le sénat de Rome. Flavius Joseph a organisé
la troupe des Juifs d'après l'organisation des troupes ro-
maines. Lestalmudistes ont appris des romains la division
du jour en vingt-quatre heures, beaucoup de coutumes au
repos dont il est fait mention dans Rerachote et Arbé
Pesachime, des usages pour le deuil, et beaucoup d'autres
pratiques que les Juifs croient d'un ordre rigoureux ,
comme la couverture de tête pendant la prière et toute
sanction sacrée, l'anneau de mariage sont autant d'usages
pris des Romains. 4
Mais a quoi bon do si nombreux exemples. Voici les pa-
roles de la lettre, que le prophète Jérémic adressa de Jé-
rusalem, h ce qui restait d'anciens parmi les captifs , aux
prêtres, aux prophètes et à tout le peuple d'Israël, que
Nubuchodonosor avait transférés de Jérusalem àBabylone :
« Voici ce que dit lo Soigneur des armées, le Dieu d'Israël,
h tous les captifs, que j'ai transférés de Jérusalem à Baby-
lonno. Ratissez-vous des maisons et habitez-les ; plantez
des jardins et nourrissez-vous de leurs fruits; prenez des
femmes et ayez-en des fils et des filles; donnez des femmes
à vos fils , et des maris à vos filles , et que votre race se
multiplie au lieu où je vous ai transférés , et priez leSei-
gneur pour elle, parce que votre paix se trouve dans la
sienne, etc. » Quand est-ce que ces paroles divines s'a-
« Voye» Botlt-ldhomlah.
197
dressaient aux Israélites? C'est lorsque leur royaume ,
après soixante-dix ans, devait refleurir. Avec qui leur
était- il permis de vivre en communauté et en amitié par-
faite? avec les idolâtres, qui ne croyaient point en Dieu %
saccageaient le temple, détruisaient la ville de Jérusalem ,
exterminaient une partie du peuple d'Israël par le massa-
cre et prenaient une autre partie en captivité , qui enfin
riaient de Jéhovah et de ses saints commandements.
En France, en Angleterre, en Hollande, en Belgique, et
principalement dans une grande partie de l'Allemagne, les
Israélites n'emploient-il pas, pour parler et écrire, les lan-
gues de ces pays-là; ne s'habillent-ils pas comme les indi-
gènes? En beaucoup d'endroits, ils adressent même leurs
prières au Tout-puissant, en langue du pays. Dans quel-
ques synagogues même, on entend chanter en chœur les
psaumes et les hymnes de David, avec accompagnement
d'orgue.
Nous avons de nombreux exemples que les Israélites
d'autres pays ont institué des écoles, et se sont affranchis
tout-à-fait de l'influence des préjugés rabbiniques. On les
voit fort recommandables parleur moralité, leur patriotis-
me, l'amour de l'ordre et de la propreté est aussi à remar-
quer chez eux; en un mot, ils ne diffèrent en rien , quant à
leur extérieur, des peuples les plus civilisés , au milieu
desquels ils vivent. Ce n'est que dans les synagogues seu-
lement qu'on les reconnaît professant les lois de Moïse ;
car, en résumé, Dieu ne nous apprécie pas par notre ex-
térieur, mais il n'élit ses fidèles que par la pureté de nos
cœurs; voilà ce que les savants rabbins disent bien dans
les pyrké-aboth : « celui qui sait se concilier l'amour et
l'estime de ses semblables est digne aussi de l'approbation
et de la faveur du ciel. »
VI
Il est triste à considérer combien la foi aveugle des Juifs
dans l'autorité des rabbins a laissé les Israélites de Polo-
gne en arrière de la civilisation , tandis que leurs co-reli-
gionnaires d'autres pays ont fait de si grands progrès. Il
est plus triste encore de dire que Cette autorité rabbinique
cache ses propres actions et règlements devant le peuple :
ce dernier ignore par exemple quelle décision avait prise
le sanhédrin * , relativement à tous les Israélites de l'Eu-
rope, du temps de l'Empereur Napoléon. Cependant, il y
était établi solennellement, en vertu de PEcriture sainte et
particulièrement en vertu de ce que le prophète Jérémie
(chap. 29) avait énoncé d'applicable à l'esprit de ce siècle,
« - . l» i n ' ■ ■ ■'■ i ■ ■■ ■ '• wt l l i ai ■■ " ■
* Décisions doctrinale s du grand lanhedrin 1807.
499
pour le principal article de foi, que « nom devons regar-
der comme notre patrie le pays que nous habitons ;
nous devons le défendre , prêter notre concours à sa
prospérité, nous garder bien d'être parasites; cultiver
la terre , nous adonner sincèrement k tous les arts et
métiers; regarder enfin les lois civiles et politiques des
pays que nous habitons , comme strictement obliga-
toires, »
. L'un des plus grands rabbins de France, en s'adressant
naguère, de sa chaire , aux Israélites français , s'est
exprimé à peu près en ces termes : <* Mes frères, vos
devoirs vous sont clairement prescrits ; servez Dieu ,
exécutez ses commandements comme Israélites ; mais
aussi aimez le roi et sou gouvernement ; aimez et défen-
dez le pays où vous vivez ; travaillez avec zèle dans tous
les états, auxquels vos capacités vous appelleront eomme
citoyens et fidèles sujets. »
Un autre prédicateur israélite Allemand prononce :
« Mes frères! Il n'y a pas de loi dans la religion de
Moïse qui vous empêche de concourir de tous vospioyens
au service de l'état auquel vous appartenez , de la patrie
qui vous protège à toute heure, quel que soit le jour. Père6
de famille, il n'y a pas de loi dans la religion de Moïse
qui vous empêche de travailler incessamment au bonheur
de vos enfants. Femmes 1 jeunes et âgées! il n'y a pas de
loi dans la religion de Moïse qui vous défende de cultiver
les nobles facultés de votresexe et d'embellir par lecharme
de votre éducation le bonheur du foyer domestique. La
religion de Moïse favorise tout ce qui peut contribuer à
l'harmonie sociale; elle défend tout ce qui peut en opérer
la ruine, » etc. *
1 D r Salomon de Hambourg, dans son sermon prononcé au temple, le
jour de la Pentecôle 1 844.
200
Quand est-ce qu'on entendra un rabbin polonais parler
de la sorte?
Il est peu, et trop peu de rabbins en Pologne, aussi géné-
reux, aussi éclairés et aussi pénétrés de l'amour véritable
du salut de leur pays. Au contraire, les rabbins polonais,
les kahals et différentes congrégations supérieures , s'ef-
forcent de remettre et d'anéantir toute tentative du gou-
vernement, pour introduire parmi eux une réforme salu-
taire. Si Ton employait la moitié de ces sommes d'argent,
que les Juifs polonais consacrent à repousser la civilisation
pour l'accepter franchement et aider à son développement,
combien leur état serait heureux et florissant aujourd'hui!
Depuis longtemps, ils n'auraient pas vécu dans la misère ,
méprisés et abaissés, comme ils l'ont toujours été et le sont •
encore !
Ils s'oppriment eux-mêmes ; le fanatisme et la fausse
piété oppriment les Juifs. Le Juif polonais ne doit, selon le
système rabbinique , avoir aucune communication avec
\es chrétiens. Est-ce que l'amour peut trouver lieu où il
/l'y a pas de contre-amour? On ne peut point regarder
cette conduite comme une loi religieuse , puisqu'on ne
trouve dans aucune histoire que les Israélites s'étaient
conduits ainsi dans l'ancien temps , ou que leurs coreli-
gionnaires se conduisent de cette manière. Il est vrai que
les rabbins avaient le devoir d'empêcher les Juifs de com-
muniquer avec les non-Juifs et les païens, pour mainte-
nir la religion , car les chrétiens tâchèrent de toutes leurs
forces de convertir les Juifs dans leur croyance ; mais
la sainte inquisition n'existe plus, ni aucun fanatisme, c'est
l'humanité qui gouverne les trônes et les peuples ! L'huma-
nité est le signal des sages et des héros. Toutes les religions
se développent de leurs ténèbres, elles sont toutes tolérées
204
dans chaque état , et leur pureté est prisée de tous les
hommes raisonnables et de tous les savants.
Le gouvernement polonais a cherché à plusieurs repri-
ses à établir de bonnes écoles pour la jeunesse israélite ,
mais les autorités israélites ont toujours tâché , au| ,
moyen de souscriptions et de collectes occultes , d'em-|
pécher les desseins du gouvernement. Aussi , est-on
parvenu à peine à fonder une seule petite école pu-
blique de cent élèves , à Varsovie , ville qui compte
environ trente mille habitants israélites ; et encore
aujourd'hui , dans cette école sous la direction du savant
Fugendold, est-on obligé, pour ne pas repousser les pa-
rents, d'enseigner leurs enfants en langue allemande. C'est
ainsi que la majorité des Israélites de Pologne préfère
faire élever leurs enfants à la maison par des précepteurs
ignorants et fanatiques, tels enfin que nous les avons dé-
peints en parlant de l'éducation primaire, que de les voir
s'instruire avec les enfants chrétiens dans les écoles publi-
ques, où ils pourraient acquérir des connaissances utiles
et devenir plus tard de bons citoyens.
Tout ce que nous venons de dire sur l'état abject des
Israélites de Pologne , et sur l'opiniâtreté de s'y laisser '■
croupir, ne s'applique pourtant qu'à une partie d'entre eux,
car des milliers n'attendent que des circonstances favora- ~
blés pour réaliser une réforme dans Israël. Beaucoup d'ou-
vrages dans ce but se publient en hébreux, par des
auteurs savants et éclairés, et tout-à-fait dévoués , comme
par exemple : Belh-Jehoudah , Kercm-Chemed , Tèouda-
Béïsrael, etc., etc. Mais que manque-t-il pour atteindre ce
but ? Nous répondons avec assurance : le courage ! car la
crainte de s'attirer des persécutions et surtout la malédic-
tion des supérieurs juifs , tiennent ces hommes d'élite à
«02
Pétat d'inertie, « Ce sont , dit le célèbre écrivain , histo-
rien et poète polonais, le sénateur Niemcewicz , des cail-
les se cachant et se tapissant dans l'herbe , qui vou-
draient s'envoler ; mais la vue des éperviers planant au
dessus d'elles , les empêchent de faire le moindre mou-
vement. »
La jnasse des Israélites en Pologne, donne souvent des
signes qu'elles sent bien le joug sous lequel ses supé- .
rieurs et rabbins la tiennent ; mais elle n'a pas assez de
forces concentrées,et par conséquent, pas assez de courage
pour le secouer. Il est temps donc que les coreli-
gionnaires si puissants et si éclairés en France, en Allema-
gne et ailleurs, prêtent leur appui , afin d'introduire une
réforme quelconque. Nous sommes sûrs d'avance que,
pour exécuter un bon plan, il n'y aura d'obstacle ni de la
part du gouvernement, ni de la part de la masse, au con-
traire, bien des hommes éclairés et puissants en Pologne, et
le gouvernement d'aujourd'hui lui-même , en faciliteront
le succès.
VII
Ne croyons pas que les Polonais en général et lanoblesse
en particulier, soient maintenant injustes envers les Israé-
lites, et qu'ils nourrissent contre eux la haine du passé ,
où il y avait des torts et des droits des deux côtés. Nous
pourrions citer mille exemples pour prouver que tout
Israélite qui , par ses vertus , ses talents et ses services
rendus au pays en véritable citoyen et patriote , savait
mériter la considération d'un homme distingué, n'a jamais
manqué, même dans le temps passé, d'être estimé, encou-
ragé et récompensé. Nous nous bornons à citer le savant
Kalmanson. Le dernier roi Stanislas- Auguste l'a honoré de
son estime particulière et beaucoup de Polonais de se siè-
cle d'or, appelé ainsi sous le règne d'Auguste , parce que,
la littérature polonaise , protégée par lui , avait produit
204
alors tout ce que l'Europe ne peut pas encore en attendre
aujourd'hui , ont prodigué à Kalmanson , non-seulement
des louanges et des flatteries, mais des secours réels, et de
la manière la plus délicate. Nous avons vu aussi PIsraélite
Berek, pour prix de sa belle conduite et de son courage ,
élevé à des grades supérieurs dans l'armée nationale.
Abraham Stern, homme de talent, doué d'un rare esprit ,
siégeait parmi les plus savants Polonais et recevait des
marques de bienveillance de la part du roi et de grands
citoyens. Les frères Fugendhold, à présent encore à Wilna
et à Varsovie, se livrent aux recherches littéraires, sont
aussi respectés qu'admirés ; outre les décorations, ils ont
de hauts grades dans la société.
Le savant Loevensonh de Krzemienice , est aussi bien
estimé des Polonais que du clergé catholique ; il a même
reçu une récompense du czar Nicolas pour son ouvrage
intitulé : Delh Jéhouda, sur le Judaïsme. *
* Dans les gazettes de Varsovie et de Pélcrsbourg, du mois de janvier
1 45, nous lisons ces mots: « Les membres (ci-devant) de la commission
établie pour améliorer le sort des Juifs en Russie ( donc et dans les pro-
vinces prises sur la Pologne ), les rabbins Mendel Szneverson et Isaak Je-
chakim, ainsi que le savant marchand Israël Halpcro, comme s'étant dis-
tingués par leur zèle et bonne volonté dans leur part des travaux de la
commission'* ont été nommés très honorables citoyens.
TABLEAU STATISTIQUE DE L'ÉTAT ACTUEL DES ISRAÉLITES
EN POLOGNE.
Population
Selon les données de Stanislas, comte Plater, la po-
pulation des Israélites en Pologne est la suivante :
Dans le royaume de Pologne d'après le congrès
de Vienne 400,000
Dans les provinces polonaises de la Russie . . 1,300,000
D° Do de l'Autriche. . 300,000
D° Do de la Prusse . . 90,000
A Cracovie et dans ses faubourgs .... 10,000
Total. . . 2,100,000*
Le comte Ostrowski y a ajouté 400,000 a
Total général. . . . 2,500,000
i Voyez la Géographie de l'Europe orientale, par le comte St. Plater,
édition de Breslau, 1825.
» Voyez les Pensées pour la réforme des Israélites, par le comte Os-
trowski. — Paris 1834.
206
Il est injuste de reprocher à quelques auteurs polonais
l'exagération de ce chiffre, en préférant s'en tenir à celui
qu'indique la statistique du gouvernement, laquelle n'est
nullement exacte et ne peut point, en général, servir de
guide à un écrivain consciencieux, surtout quant à la po-
pulation des Juifs en Pologne. D'abord, parce que les im-
pôts y sont exigibles, non pas de chaque individu, mais
des chefs des communes ^ahals), qui, pour payer moins
au gouvernement, a l'intérêt de cacher le véritable chffire
des populations, ce qu'ils font toujours; ensuite, parce
que dans le recensement des Juifs, dans les provinces
polonaises-russes, lequel se renouvelle tous les vingt-cinq
ans, on les inscrivait anciennement par leurs prénoms seu-
lement, et comme ils ont, en général, très peu de pré-
noms 1 , le même prénom se trouvant porté par plusieurs
familles, il devenait tout-à-fait impossible de les contrain-
dre d'une manière quelconque, d'autant plus qu'ils chan-
geaient de domicile à chaque instant et voyageaient con-
tinuellement.
Le gouvernement, pour obvier à cet inconvénient, en
1824, ordonna à tous les pères de famille d'adopter des
nom9 de famille, et leur délivra, en effet, des certificats,
lesquels, pendant quelques années, devaient leur servir
de passeport 2 , et, en même temps, un règlement soumet-
i Les Israélites n'adoptèrent que les noms de patriarches, des douze
tributs de Jacob, cl de quelques prophètes. Us ne prirent pas de noms de
famille.
2 Dans une certaine ville de Lithuanie , il a plu à un Juif de prendre
le nom d'un noble des environs; celui-ci porta plainte aux autorités du
district, qui défendirent de choisir en générât les noms se terminant en
ski et wict 4 et par conséquent, ceux d'entre les Juif? qui avaient déjà
pris des noms avec de semblables terminaisons, devaient en retrancher les
dtrnierei syllables. Ex, : Dobrowolski, Ôobrowoler ; Lublinski, Lubliner,
etc., etc.
507
tait tout changement de domicile à une autorisation spé <
ciale. Ces deux mesures ont beaucoup contribué à intro-
duire de l'ordre parmi les Juifs, mais il n'en est pas
résulté une exactitude désirable dans le recensement; car
l'adoption des noms et l'autorisation préalable pour le
changement de résidence ne s'appliquaient qu'aux chefs
de familles etaux majeurs; or, on sait que le Juif polonais
de la classe pauvre et même moyenne, à dix et douze ans
de son âge, commence à faire le commerce, en se portant
d'un endroit à l'autre, et que, dès lors, la même difficulté
de contrôle se représentait. En un mot, la population
israélite ne pouvait et ne peut jusqu'à ce jour être exacte-
ment connue, surtout en Pologne et dans les provinces
que la Russie s'est adjugées. Ainsi, le chiffre adopté parle
comte Ostrowski, s'il n'est pas au dessous de la réalité,
est loin d'être exagéré. Presque tous les Israélites, d'ail-
leurs, habitent les villes et y sont comptés pour 4/4, 1/3,
4/2 et même dans quelques unes pour les 2/3 de la popu-
tion totale.
II
Les Israélites sous le rapport du eommtree
et de l'industrie en Pologne*
La classe moyenne des habitants de Pologne est com-
posée en tiers d'Israélites. Il faut avouer que la Provi-
dence, en les privant de leur patrie, leur a laissé un bien
précieux, un trésor inépuisable : c'est celui de Pesprit
naturel, d'une intelligence extraordinaire et d'une mé-
moire prodigieuse; mais, hélas! à quoi servent tous ces
dons? Ils les mettent en œuvre pour enfanter des produc-
tions sans but, si ce n'est d'empêcher les lumières de se
répandre en maintenant le fanatisme religieux et les
préjugés. Le génie des Israélites, si naturel, si susceptible
de créer de belles choses, privé qu'il est des moyens de
se développer, et pris au berceau, comme nous l'avons
dit ailleurs, se trouve comprimé par le mauvais sys-
tème du gouvernement et par l'influence égoïste des rab-
bins.
209
Le Juif polonais n'apprend jamais à lire et à écrire dans
une langue étrangère. Dans leurs écoles, on ne leur donne
aucune idée des mathématiques; et cependant, la majeure
partie de ce peuple parle et écrit le polonais et l'alle-
mand, quoique sans nul principe, sans nulle règle; quant
à la comptabilité, ils y excellent. Ils ont une aptitude
toute particulière pour apprendre vite les langues, et pour
se faire comprendre, quand leur intelligence, sans cul-
ture, mais impatiente, en trouve l'occasion. Mais aucun, *<,'
juifgolmiaisnes'adonne aux arts. L'apprentissage même f
de l'état de marchand ne se fait pas chez eux. Sortis de , .
Técole rabbinique, ils s'établissent aussitôt en épicerie;, , t
plus tard,ils y joignentla soierie, la mercerie, les draps, etc.;-.,.
puis, enfin, ils y réunissent la librairie étrangère, sans .
n'avoir jamais eu de notions premières sur toutes ce?
branches de commerce. Il est vrai que leurs affaires ne pros
pèrent pas toujours ; cependant, il est rare qu'ils finissent
par une banqueroute complète. Ils se jettent d'un genre
de commerce à l'autre pour tenter la fortune, en disant :
qu'il faut essayer de tout pour parvenir. Bref, il n'y a rien
d'impraticable pour leur intelligence 1 .
1 En 1842, un Juif polonais donna plusieurs concerts à Berlin et même
au château du roi, et fut fort applaudi, au dire de la Gazette : «Potsdamle
15 juin. Un chœur de chanteurs russei-polonais, la famille Kantarowitz
(6 individus) de là religion de Moïse, d'origine de Grodno et Vilna, eurent
l'honneur de se produire, pour la seconde fois, à l'occasion de la fête du
Bataillon, sur le portail de la colonnade ,en présence de LL. MM .le roi et
la reine, et cette fois aussi, devant LL. RR. les princes et princesses de la
cour du roi, devant le prince de Hanovre et une suite nombreuse de LL.
MM. et ils ont reçu les plus vives expressions de la satisfaction générale.
Ils ont donné la preuve de leur talent devant plusieurs habiles musiciens,
dans la synagogue de Potsdam : nous pouvons assurer, qu'il y a quel-
que chose de merveilleux. C'est pour la première fois que notre ville
est témoin d'un pareil concert. Nous ne voulons pas juger si la haute mu-
H
910
Tout le commerce intérieur et extérieur de Pologne reste
entre les mains des Israélites, les Polonais éprouvant de la
répugnance pour toute sorte d'industrie, ce qui s'explique
d'ailleurs facilement : le noble, riche ou pauvre, après
avoir vendu les produits de ses terres, regarde toute autre
échange comme un abaissement 1 ; le bourgeois et les pay-
sans ont aussi leurs occupations et profits des champs.
Ainsi, ace sont les Juifs, dit le propriétaire de Tomaszow
(comte Ostrowski), qui se sont empressés d'aider de leurs
capitaux mes propres fabriques et celles de tout le
royaume...» «Nos draps,nos tissus de laine ont de la répu-
tation dans toutVempire russe, vont mèmejusqu'àiBacftfa
en Chine, et c'est aux Juifs que nous devons exclusive-
ment ce commerce* »
SHjue y gagné bu non, mais ce phénomène musical est extrêmement remar-
quable et très intéressant. Cette troupe se propose de se rendre à Londres,
et donnera ici, pour satisfaire à la demande générale, un concert public,
etc. ( Berlin: Zeitung M juin 1842 ).
Or, qu'elle avait été sa profession en Pologne? 11 remplissait, dans une
petite synagogue en Lithuanien à peu près les fonctions d'un bedeau. Il
n'avait aucune idée de la musique. Lorsque, en vieillissant, il se voyait
sans moyen d'existence, il réunit quelques jeunes garçons, ses coreligion-
naires, chantant passablement, les habilla et les exerça un peu à mettre de
l'harmonie dans leurs jeunes voix, et le voilà parti, amusant le public,
les rois et les princesses d'Allemagne, et se faisant payer largement. Il
ignorait même qu'il y eût des notes de musique, car un jour il se plaignit
aaïvement de l'usage qu'on faisait des cahiers de notes que sa troupe de-
vait tenir sur la scène, sans savoir y lire.
* Tout noble de naissance, ou créé tel, perdait ses droits de noblesse,
s'il exerçait le commerce ou l'industrie, ou même s'il occupait un emploi
municipal. ( Voyez des Juifs en Pologne, P. 0. L. Lubliner pag. 39 ).
a Voyez Pensées sur la réforme des Juifs t P. Ostrowski.
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9
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m
III
Du mouvement commercial et industriel dans
les villes de Pologne.
Le commerce actif à Brody, à Berdyczew, à Lemberg,
à "Wilna, et le plus considérable à Odessa, n'est exercé en
grande partie que par des Juifs. La seule entrée à la
Bourse, dans ces villes, en donne la preuve. Il n'y a pas
d'article de luxe ou de nécessité que Ton ne puisse se
procurer chez eux; toutefois, on ne rencontre, dans leurs
magasins, ni ordre, ni ce qu'on appelle étalage. Un étran-
ger, passant par une ville, ne soupçonnerait jamais la ri-
chesse et l'approvisionnement des marchandises. Bien
loin de là, il reculerait de dégoût, tant il règne de saleté et
de désordre dans les boutiques et les magasins. De même
qu'ils n'adoptent pas les mœurs, les usages et le costume
du temps, de même aussi , dans le commerce, ils n'ont
point de teneur délivres, ni de caissier : l'organisation
est la même qu'il y a des siècles.
212
Les Juifs appelés riches s'occupent du gros commerce
d'exportation et d'importation, des grandes entreprises,
des fabriques, etc.
Ceux de la classe moyenne achètent et vendent le blé,
le lin, la laine, etc., les différents tissus, la quincaillerie,
la mercerie, etc. Ils tiennent les auberges, les cabarets, la
boucherie et la boulangerie, etc.
Ceux qu'on appelle karebelnike achètent pour de l'argent
ou prennent en échange de quelques articles des villes,
chez des paysans, des poules, des veaux, etc., pour les
revendre ensuite: mais leur vie est bien misérable.
Ceux enfin qui habitent les villes et les localités limi-
trophes, voyagent, d'ordinaire, continuellement en Alle-
magne, où ils pratiquent le petit commerce avec assez de
fruit et ne reviennent qu'une fois Tannée, au mois appelé
tyszry.
Rien de plus triste que l'aspect de la classe pauvre des
Juifs en Pologne. Nul ne croirait que la nature se fût plu
à tant d'abaissement et de misère. Au surplus, voici l'état
matériel d'un Juif pauvre en Pologne : siledespiedsà la
tète, couvert de haillons, dont la crasse ne laisse recon-
naître ni la couleur, ni le genre d'étoffe; les bas troués au
talon, les pantoufles ou vieux souliers crottés, et, enfin,
un bonnet reluisant de saleté et de sueur, collant sur la
tète dont les cheveux sont, de temps à autre, coupés à ras,
et un autre bonnet, non moins sale et râpé, mais plus
grand, qui lui sert de chapeau ou de casquette : voilà le
costume, fruit du mépris et de la misère.
Ordinairement, dans une seule chambre, si Ton peut
appeler ainsi sa demeure, est entassée toute une famille;
tout y-est sale et horrible à voir 1 les enfants, cou verts de gale
i Surcharges d'impôts ordinairr s et extraordinaires, qu'y a-t-il de «ur-
213
et de vermine, à demi nus, s'y traînent autour d'une che-
minée, où une méchante marmite contient quelque mau-
vaise nourriture. Aussi, ne voit-on pas de Juifs de cette
classe, qui ne soient d'une maigreur et d'une pâleur livide
à faire pitié. Ils n'ont, hélas! ni courage, ni force pour
travailler, et végètent au jour le jour, souvent avec un
morceau de pain aussi noir et aussi sale que tout ce qui
les entoure.
Le père d'un telle famille part le matin pour la cam-
pagne; là, des honnêtes paysans lui donnent un peu de
farine et des pommes de terre; et il ne retourne à son
triste foyer que le jour de sabbath.
Dans les derniers temps, cette classe nombreuse s'est
adonnée aux métiers, au point qu'il n'y a en Pologne guère
d'états dont les Juifs n'aient essayé. Il est vrai que leurs
productions élaborées sans ordre, sont de mauvaise qua-
lité, et l'imperfection de l'ouvrier se remarque au premier
coup d'oeil; mais cela résulte de ce que les enfants n'ont
pas le temps de se perfectionner dan& leur profession : les
uns doivent se marier avant l'âge de dix-huit ans, d'autres
sont impatients de se trouver à la-téte d'un établissement
prenant à ce que le Juif soit obligé de vivre le plus économiquement possi-
ble, et même d'une manière parcimonieuse ? La cause de la malpropreté
des habitations des Juifs prend sa source dans Ta défeuse de demeurer a
leur choix, dans toutes les villes, et même dans l'une ou l'autre des sec-
tions de la ville; dans l'obligation absolue de se parquer dans quelques sec-
tions circonscrites. « Obligés de s'entasser tous dans un quartier limité, il
en résulte l'impossibilité de se loger commodément, le nombre de mai-
sons bâties sur un espace circonscrit, devant absolument renfermer toutes
les personnes juives, il faut bien que plusieurs demeurent dans une même
chambre, que plusieurs familles se logent dans une seule maison, dont
l'étendue n'aurait souvent pas suffi à une seule pour y habiter commodé-
ment. » ( Des Juijs en Pologne, par M. Lubliner, p. 120 ).
244
pour leur propre compte, avant de connaître le métier;
le père du pauvre est obligé de mettre son enfant en ap-
prentissage chez un artisan qui ne fait que commencer lui-
même* Le Juif plus aisé ne vise qu'à faire de son enfant
ou un rabbin, ou un marchand, et se ruine par les efforts
qu'il fait pour y parvenir, de sort qu'il devient pauvre et
augmente la classe des indigents, qui n'est déjà que trop
nombreuse.
Il y a encore en Pologne une espèce d'Israélites, dont
nous avons fait mention plus haut : ce sont les Juifs alle-
mands, appelés ainsi à cause de leur mise moderne. Ils dif-
fèrent entièrement de la masse des Juifs polonais. Ils ap-
prochent, par leurs mœurs et leurs usages des Israélites
étrangers, et se font remarquer par leur propreté. Quelques
uns, parmi les plus riches, se vouent aux beaux-arts ; d'au-
tres s'adonnent à l'industrie et au commerce, et s'y con-
duisent d'une manière exemplaire. Malheureusement, il y
a, en proportion très peu de ces Israélites en Pologne : ils
se trouvent en plus, grande quantité dans le grand-duché
dePosen, à Varsovie, à Kalisz, et en plus petite en Lithua-
nie et dans les provinces aujourd'hui russes; cependant,
on voit leur nombre s'augmenter, quoique insensiblement
à Lembergj à Wilna, à Brody, à Berdyczew, etc.
IV
De la moralité des Israélites.
On ne doit point accuser exclusivement les Israélites
polonais, de fourberie dans le commerce, ni soutenir que
leur manière d'agir avec peu de conscience, dépend de
leur caractère ou de leur naturel. D'un autre côté, il ne
faut pas non plus s'étonner des reproches, que des Polo-
nais leur font à cet égard ; car, peu familiarisés avec les
opérations commerciales, ils ont peine à concevoir que,
pratiquées sur une petite échelle, elles puissent être con-
sciencieuses, surtout là où la concurrence existe. Suro-
wiecki, dans son précieux ouvrage sur la Décadence des
villes en Pologne, la bien prouvé. Il ne faut pas attribuer
à la race ce qui n'est que le résultat des occupations
commerciales et d'une mauvaise organisation de l'in-
dustrie.
216
Quant au commerce en gros , nous ne savons pas que
des plaintes se soient élevées sur la probité dçs négociants
Israélites.
En fait de petit commerce, nous le voyons en France,
en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, etc., entre les
mains des chrétiens. Cependant, en fouillant dans toutes
les branches de leurs opérations, ne sera-t-on pas con-
vaincu qu'il se trouve plus de falsifications de matières et
de marchandises, plus de tromperies dans les prix, que
chez les Israélites en Pologne. C'est donc par la nature
du petit commerce, en qualité de fripiers, que les Juifs en
Pologne se servent de moyens peu loyaux. Ainsi, on de-
vrait plutôt les louer à cet égard, que de les accuser 1 . En
effet, au Juif polonais, persécuté qu'il est, méprisé par
les chrétiens, opprimé par le gouvernement, tracassé par
les fonctionnaires de tout grade, il ne lui reste qu'un seul
moyen d'obtenir quelque répit de la part du noble, du
gouverneur, du commissaire , du bourgmestre , de l'in-
specteur, de l'agent de police : c'est celui de leur donner
de l'argent 3 . Ce seul métal le soustrait à la misère, lui
1 Le savant Menasse ben Israël ayant un jour reproché à un rabbin
de Pologne, que les Juifs de ce pays liraient de* grands intérêts de leur
commerce, aux dépens des chrétiens, il en reçut cetlc réponse : « Nous
sommes forcés de le faire; les chrétiens lèvent sur nous plus d'impôts en
une seule fois, que nous ne saurions nous en dédommager pendant plu-
sieurs années. » (Menasse ben Israël, édition allemande, p. 708).
2 M. Lubiner dit avec raison : « Le Juif amasse, de l'argent dans son
coffre-fort, et fait très bien, car tout t'y oblige. Le Juif n'est pas un sei-
gneur, auquel le bras des serfs apportent une fortune, qu'il dépense avec
d'autant plus de prodigalité qu'il ne connaît point le prix du travail ; le
juif n'est pas un fonctionnaire, qui a la certitude d'avoir une pension dans
sa vieillesse, et même de la laisser à sa femme et a ses enfants ; le Juif, en
Pologne, n'est que marchand, devant travailler par lui-même, devant payer
les impôts ordinaires et exceptionnels, devant s'attendre à ce qu'on le
217
donne un accès partout. En un mot, l'argent chez un Juif
polonais constitue sa défense, son honneur, sa gloire, et
toutes les charmes de sa vie; tandis que les Juifs qui n'en
ont point sont de bien malheureuses créatures. Quoi-
que la situation des pauvres soit partout à plaindre,
elle ne peut pas être comparée à la leur en Pologne,
parce qu'ils ne sont aptes qu'à exercer le commerce,
pour lequel il faut absolument de l'argent, et sans argent,
il ne lui reste que la plus affreuse misère.
L'abbé Grégoire, dans son ouvrage : Sur la régénération
des Juifs, s'exprime ainsi à ce sujet : « Si les Juifs, devenus
les courtiers de toutes les nations, n'ont plus guère d'autre
idole que l'argent; si ces hommes sans patrie ont vendu
si souvent leur probité au plus offrant, les gouvernements
doivent s'accuser de les avoir réduits à cette abjection, en leur
ravissant tous les autres moyens de subsister. Pourquoi ont-ils
courbé ce peuple sous le joug de l'oppression la plus dure
en l'accablant d'impôts, au point de lui faire payer l'air infect
qu'il respire? En lui interdisant l'exercice des arts et des
métiers, ils ont limité les objets de son travail, lié ses bras,
et par là, ils l'ont forcé à devenir commerçant 1 . »
Le même auteur, membre de la Convention, s'exprime
ainsi .-«Amenez sur la scène vos brames tant vantés et ces
paisibles Othaïtiens , interdisez-leur tout moyen de sub-
sister autre que le commerce de détail , dont les gains sont
précaires et modiques, quelquefois nuls, lorsque la sou-
plesse et l'activité ne suffisent pas pour subvenir à des
besoins impérieux et toujours renaissants; bientôt, ils ap-
pelleront à leur secours l'astuce et là friponnerie 2 . »
chasse de ville en ville, de section en section, selon les 'caprices de cha-
que gouvernement, etc., ». p. 122.
1 Régénération des Juif s } édition de Paris, 1789. p. 84.
2 Ibid. p. 157.
218
On impute comme un crime aux Juifs de Pologne, de pra-
tiquer rusure;mais on ne songe pas assez que l'usure, non-
seulement est contraire aux principes religieux des Juifs
maiselleest de plus antipathique à leur caractère national.
La Bible aussi bien que le Talmuden fournissent la preuve.
Le passage Lénochri thatchich, que des fanatiques aveu-
gles veulent appliquer aux chrétiens, est rectifié par tous
les savants et philologues. Par Lénochri il faut entendre les
étrangers ou habitants d'un pays étranger; voilà le sens
du mot (voyez notamment Gesenius); il n'a pas le moindre
rapport avec la question religieuse. Les intérêts imposés
dans les transactions avec les étrangers, étaient une mesure
exigée par les circonstances et par la nature particulière
des institutions de l'État (voyez Thêoudah Bèïsrael, § 24.
La Bible de J. Regio, et la plus récente du docteur Phili-
lipssohn).
En second lieu, il est prouvé que l'usure n'est point
le fait du caractère national des Juis, et cette preuve, elle
résulte de l'histoire romaine, c'est-à-dire, de la période
consulaire de Rome, où nous voyons la noblesse exercer
l'usure de la manière la plus cruelle. Bien plus, les usu-
riers de ce temps eurent la plus grande influence dans les
affaires de l'État, et souvent en avaient la direction (voyez
Tite-Live, liv. 2, chap. 23-31).
Il est probable que la corruption delà noblesse romaine
neprovenait pas du fait des Juifs, comme on impute, par
exemple, aux Juifs de Pologne, de provoquer à l'ivrogne-
rie le paysan, qui, à la vérité, ne trouve d'autre consola-
tion dans sa détresse, que de jouir du seul produit du pays
qui lui soit échu, afin d'oublier le plus possible une vie
d'esclave, propriété exclusive d'un maître dur, insolent et
rapace. De même, de ce que les marchands russes sont
219
des fripons, on conclut que c'est la faute dos Juifs, en ce
sens que du temps de Catherine, il se trouvait des Juifs à
Moscou. S'il est vrai de dire que mercure donna naissance
aux marchands et aux fripons, quoi d'étonnant que le
marchand, quel qu'il soit, Juif ou autre, soit un fripon!
Le prophète dit : « Le marchand tenant dans ses mains des
balances fausses.» Le fait de l'usure, loin d'être un vice
de nature, n'est donc, au contraire, que le résultat de
circonstances particulières dans lesquelles un individu se
trouve placé, n'importe sa religion. Au lieu de forcer les
Juifs au négoce, que les gouvernements, libéraux ou des-
potiques, en fassent des hommes et des citoyens, en les
admettant à la jouissance des droits, comme les autres
citoyens, et l'on verra si les Israélites sont nés pour l'usure
plutôt que les marchands chrétiens de Russie, réputés
fripons.
Malgré ces justes observations en faveur des Juifs polo-
nais, nous n'aurons garde d'approuver les moyens de
s'enrichir aux dépens de la conscience, que les Juifs polo-
nais emploient.
Il est facile de se convaincre jusqu'à quel point les be-
soins absolus de l'homme opprimé et injustement perse?
cuté, peuvent le démoraliser, changer son caractère, cor-
rompre sa conscience, pervertir en quelque sorte sa na-
ture, rien qu'en étudiant les causes et les effets de la mi-
sère parmi les Juifs polonais.
Nous croyons qu'il sera à propos ici de jeter un coup
d'œil sur l'influence extraordinaire de la religion chez les
Juifs polonais. Nous avons décrit plus haut leur manière
vicieuse d'élever les enfants et de leur donner de l'ins-
truction ; les mauvais exemples des rabbins, les préjugés
inhumains qu'ils perpétuent; tout cela ensemble inspire,
Î20
en effet, une mauvaise opinion de leur moralité, en nons
les montrant soos on aspect vraiment monstrueux; et si
Ton y ajoute leurs tendances, d'ailleurs si naturelles, de
s'enrichir, on pourrait croire qu'il n'y a sur la terre aucun
être plus dangereux que le Juif polonais. Cependant, à côté
de cette démoralisation , nous trouvons chez lui delà pitié
pour les malheureux i, de la reconnaissance pour les ser-
vices qu'il reçoit, du penchant à pardonner à ses enne-
mis, et puis il est toujours un mari fidèle, un bon père, un
1 II y a dans tontes les villes de Pologne, plusieurs confréries, dont
l'une s'? charge du soin de recueillir les aumônes pour les pauvres hon-
teux, une autre pour la rédemption des captifs, une troisième pour l'oter
de pauvres filles ; celle-ci cherche des secours pour les écoliers, celle-là
enfin s'occupe des souscriptions pour les pauvres Juifs, qui sont en Pa-
lestine. Quelques personnes sont autorisées à faire la collecte ordinaire,
et vont de maison en maison, sans pouvoir se séparer, dans la crainle d'ê-
tre soupçonnées d'infidélité. Daus les villes plus peuplées, une autre per-
sonne est chargée de faire l'es distributions tous les samedis soir, les
parn assîmes et g ab aimes donnent à chaque pauvre les moyens nécessaires
de nourrir sa famille et de chauffer sa chambre pendant la semaine.
Lorsque quelques personnes se trouvent dans uu besoin pressant,
qui excède la charité ordinaire, on procède ainsi: le chantre traverse la
synagogue et dit à chacun : • Dieu bénisse celui qui donne pour un tel
besoin, > On promet au chantre une certaine somme, puisque les Juifs ne
touchent pas d'argent le samedi, et on va ensuite la recueillir, car la
promesse s'exécute très ponctuellement.
Les pauvres vieillards sont nourris chez les Juifs, chaque jour chez un
autre. Aux pauvres qui viennent d'autres villes on donne la nourriture pen-
dant quelques jours, et quelque argent ensuite pour leur voyage, et si le
pau\re ne peut pas marcher on l'envoie dans une voiture, de ville en ville.
On les appelle ordinairement du nom de justice, c'est une maxime des
lalmudisles, qu'on ne doit jamais renvoyer le pauvre à jeun, que Dieu
garantit de tout mal celui qui donne l'aumône, que sa table est un autel sur
lequel s'expient ses péchés, comme il en était des anciens sacrifices; en-
fin, celui qui donne un quadraiu au pauvre , ce bienheureux verra Dieu.
(Talmud Jerosol ; Péha fol : 15. Ta lui. babil ; Baba Bathra, Bosche has-
chanali, fol ; 4 ).
221
bon fils, sobre, circonspect dans ses paroles, estimant
l'honneur et la réputation d'aulrui, sachant enfin maîtri-
ser ses passions mieux que qui que ce soit. Toutes ces
qualités et vertus se trouvent réunies chez le Juif polo-
nais, et il n'y a rien d'aussi docile, d'aussi patient, d'aussi
résigné dans la misère que lui.
La cause de ces vertus provient de la législation de
Moïse. Quoique ce ne soit qu'une étincelle restée chez eux
des lois de Moïse, mais dérivant du foyer véritable, elle
enflamme les cœurs, en résistant à la subversion de prin-
cipes semés par des rabbins.
L'abbé Fleury ne disait pas sans raison : «Le peuple
que Dieu avait choisi pour conserver la véritable religion
est un excellent modèle de la vie humaine, la plus con-
forme à la nature. Nous voyons dans ses mœurs les ma-
nières les plus raisonnables pour subsister, pour s'occuper
pour vivre en société : nous y pouvons apprendre non-
seulement la morale, mais encore l'économie et la poli-
tique'.»
Le meurtre, de quelque genre que ce soit, est inconnu
chez les Juifs, malgré la grandeur de la misère et des cala-
mités qui les font souffrir. Durant toute Tannée de 1844,
parmi 15,528 individus accusés de crimes ou délits, on ne
comptait que 2,300 Juifs dans tout le royaume, pour des
vols de peu d'importance, pour insultes et désobéis-
sance 2 ; et combien trouverait-on dans ce nombre d'inno-
cents, victimes de la police et des fonctionnaires auxquels
ils n'avaient point d'argent à donner ! Nous laissons en
i Voyez les Mœurs des Israélites et des Chrétiens , par l'abbé Fleury.
1682, p. 1.
2 Voyez le Courrier de Varsovie de 1845, n° 47.
222
juger ceux qui connaissent le système du gouvernement
russe.
Ainsi, nous pouvons déclarer hardiment, que tous les
reproches adressés aux Israélites polonais , disparaî-
traient, si la noblesse polonaise voulait envisager leur
cause du véritable poijit de vue, c'est-à-dire, si elle con-
sentait à reconnaître que les Juifs sont aussi des hommes
auxquels la vie et la tranquillité sont chères.
Le gouvernement accuse la masse des Juifs de la fraude
qui se pratique généralement, et persécute, à cet effet, ce
peuple en entier. Examinons donc si cette accusation est
:, i. ■•/<. fondée. En 4844, dans tout le royaume, il ne se trouva
^^, / -que 308 Juifs s'occupant de contrebande*. Or, il faut
noter que, dans ce nombre, il y en avait d'insignifiantes,
comme par exemple, d'une petite quantité de tabac, d'une
• bouteille d'eau-de-vie, d'une livre de viande, d'un pas-
sage clandestin des frontières, etc., etc. Et, cependant,
tout individu, convaincu de fraude quelconque, outre la
confiscation de l'objet et d'une forte amende, reste re-
connu comme fraudeur pendant toute sa vie; il ne lui est
plus, dès lors, délivré de patente, et n'a plus droit de re-
cours devant un tribunal en matière de commerce. Lors-J
que la fraude se trouve importante, il perd d'abord,
moyennant confiscation, la moitié de son avoir pour les
frais de l'enquête ; le reste s'en va en amende, et si cela
ne suffit pas, sa personne elle-même répond par un em-
prisonnement.
Quant au caractère rampant et pusillanime que les Po-
lonais reprochent aux Juifs, nous sommes d'accord avec
l'avocat M. Lubliner, qui dit :
4 Courrier de Varsovie de 1845, n* 47.
223
«Opprimé, persécuté, honni, devenu paria dans la so-
ciété depuis un si grand nombre de siècles, on voudrait
que le Juif conservât la dignité de caractère!!
«Quoi! d'une part on fait contre le Juif des lois vexa-
toires et fiscales, on le réduit à la plus grande abjection,
et de l'autre, on aura le courage étrange de lui faire un ■
reproche, — que dis-je? de le haïr, parce qu'il subit for- ,
cément les conséquences dégradantes de la position que ses
persécuteurs lui ont faite, et dans laquelle on continue à le /
plonger 1! etc. 1 . »
M. Beugnot, dans son ouvrage, Sur les Juifs d'Occident,
s'exprime ainsi à ce sujet :
«On l'a souvent répété, et c'est une vérité incontestable:
les chrétiens ont avili les Juifs, en les forçant d'employer
pour leur défense des moyens réprouvés par la morale,
et en déposant dans leur cœur, à la place des sentiments
généreux, le germe d'inclinations basses. Laissons donc à
d'autres le soin d'attaquer ce peuple; pour nous, nous ne
pouvons que le plaindre; il porte jusque sur son visage le
mal que nous lui avons lait 2 .
i De$ Juifs en Pologne, pag. 148.
2 2 e Partie, p. 22, édition de Paris 1827.
-, 7,*1'U<<
Costumes des Israélites polonais.
Pour compléter l'idée de l'état matériel des Juifs polo-
nais , nous donnerons des détails sur leur costume : une
longue capote ou redingote en étoffe noire , bordée de
velours par devant h la largeur de deux pouces, et agrafée
depuis le cou jusqu'à la taille; une ceinture sur les
reins, assez large, des bas, des souliers ou pantoufles ; un
petit bonnet noir collant sur la tète, comme celui du prêtre
en France; un chapeau à larges bords ou grand bonnet,
la plupart en forme de pain de sucre ou de cône tron-
qué , et largement bordé de zibeline ou autre four-
rure; enfin, un manteau aussi long que la capote ou la
robe. Tout cela est ordinairement de couleur noire et en
étoffes légères, comme soie, perkale ou bien nankin, etc.
Rarement un Juif, même riche, possède plus de deux
LE JUIF LITHUANIEN AVEC SA FEMME ET SA FILLE.
les Israélites de Pologne, par Zi. Hollaendersk:.
223
costumes pareils, l'un pour les jours ouvrables, l'autre pour
le sabbat : aussi, la couleur des étoffes dont il sesertfinit-
elle par devenir méconnaissable; les effets vieillissent sans
être remplacés, et l'on en voit finalement des lambeaux
pendre de tous les côtés. Enfin, quand il arrive qu'on
les rapièce, le costume devient bigarré et hideux à voir.
Les cheveux, au haut et par derrière de la tête, sont ordi-
nairement coupés à ras et cachés sous le bonnet collant
dont nous venons de parler ; mais de grandes mèches sont
réservées du côté des tempes et encadrent la figure, tan-
dis que la barbe, inculte, pointue ou éparpillée, descend
sur la poitrine. Les riches seuls prennent la peine au moins
le vendredi, avant le sabbat, de démêler leurs cheveux
et leur barbe, en y procédant avec beaucoup de précau-
tions, afin de ne pas en perdre ou en arracher un seul.
Les pauvres, au contraire, abondonnent tout à la nature;
aussi , la vermine et la crasse abondent-elles chez ces der-
niers. Quant aux femmes, elles s'habillent comme les Po-
lonaises, à la coiffure près; leur tète, qui est rasée, est
couverte d'un fichu noué de diverses façons. Les Juives
riches mettent de petites couronnes ornées de perles, de
diamants, etc. Les perles, les médailles en or, diamants,
colliers et longues boucles d'oreilles, se font toujours re-
marquer sur elles*.
* Esterka, qui partagea la couche du roi Casimir-le-Grand, essuyait ,
de la part des dames polonaises, mille petites contrariétés et vexations. Une
dame, dans un bal masque, parut dans le costume israélitc, pour faire al-
lusion à la faveur inouïe dont jouissait la belle Israélite. Celle-ci, loin de
s'en offenser, prillout de suite le costume d'une Juive, parut au bal, et par
sa beauté, par sa grâce, et par sa parure, captiva tous les suffrages, à la
grande satisfaction du monarque.
15
LÀ SÉCTÉ DES KARAITES OÙ KARÀJMES.
Lfcà K^ratieè où K^Hkïrhëf? habitent lit Lithuâttife- Hahs \i
prdvIHbë de Ptiktlfcie, et ldWdlhyhië. Les habblHfStëfe Jllife 1
otit ébrit siir cette secte souvent &Vfec ëcharttetaërtt 2 } ël
fcîremetit avec modération. Lé& Kàrdîtes £8 forlt défera
âte feh écrivant avec frdfribhisë et vérité». L&3 srivârtis
eht-étiëhs; ddtis lëiif dHalysé de là thédldgiè jtilVe et d'&H-
1 On appelle rabbiuistes, ceux d'entre les Juifs polonais qui suivent ex*
aclcmèhi Iè Tâlihùd et les ouvrages des rabbins.
2Mischna eu parle en termes généraux, seulement. Dans le livre da T.o-
iari on trouve tous les griefs contre les karaïtcs. Àbram Ben Dzor, dans
son livre de Kabala , contredit leur antiquité. Abraham Zakut de ju-
chasyn, David Gantz, et R. Gadalia, dans son ouvrage sous le tiire de
Schalselelb hakabaln, enfin, Maimanidcs dans son commentaire sur Pirkc
Aboth et beaucoup d'autres, ont écrit en blâmant les karaïtcs.
3 Àaron, dans son ouvrage Gan-Eden, Elie ben Aloses dans son ouvrage
Adercth Elia, Jacob ben Simon Menachcm, Jacob fils de Simon Briâni et
autres.
237
tiquités hébraïques, parlent de l'origine des KaraïWS et
de la différence de leur croyance 1 .
Selden, dans le di.v septième siècle, rapporte lèttirs Ibis
sui* les mariages, tributiaux et successions, en lë§ cotfipa^
rànt à celles d'autres populations juives 2 .
Charles XII, roi de Suède, voulant faire tfôflnâUrè \éb
Karaïtes à l'Europe, envoya, ert 1698, le pi-dffessetif* dfeé
langues orientales, Gustave Peringer, à leui-feynagbgUedé
Lithuanie. Celui-ci s'adressa au* plus éclairés, ednipate
ledr langue avec leura écrits et eh rendit compte dfctt* tin
ouvrage 3 .
Salomon fils d'Aarori, dèPôsWOle (fille îithdatitëiitie),
fit un voyage à Upsah et dans cette principale école sué-
doise, déposa une dissertation concernant sa feecte.
Schapport* à la fin dd dit-septième siècle, fcotattiBirçô &
4 fliorinus, dans son ouvrage : Antiquitates orientales. Richard Simo-
nïus, dans Supplemenlum dâLeûûëvi tiùiinèrtsem de riiibuè judeàrwn.fai-
prot, dans son ouvrage lntroductio ad theologiam JudattûHk. Râ^ftiuldl
Martini, Pugisni fidtà pr&missa. Guslaw Perioger, dans sa lettre insérée
dans leTenzel; in den gespraechen 1691. Tenzel lui-même, en. 1689 et
1692. François Budàcus, dans son ouvrage. hiiroduclis adhistoriàift pmiô
sophlœ hebraieœ. Schupport, dans ses Dissertations. Buxdorï pèië; Pi
Lexico TalmudLo rabbtoieo* Buxdorffils dans le livre: Synafoau Judaica
Joseph Skalliger dans les œuvres : Triharesio Judeorum, et de-Emenda-
tione temporum. Ugolihùs, dans les Dissertations fô TrîhWtWîi, pag: 60,
t. 22., Thésaurus antiquitatum sacras. Selden dans ses œuvres ; 3asoago
ei Prideaux, dans l'Histoire des Jui/s ; beaucoup d'autres citent Wol-
fius.
2 Cet homme savant a écrit à ce sujet , Uxor hœbraïca, seu de nuptijs
et de divortiis libri 1res, de successionibus, ad legem hebrœorum, edit.
1673.
3 Voyez la lettre de ce môme Péringer dans les discours de Tenzel,
ainsi que Wagenseillus dans le livre sur ; Spe Uberaûdi Israelis, p. 25,
( parle de ce voyage ). •
228
faire paraître différents écrits sur les Karaïtes; ils ont été
réimprimés en 4704 àJena.
Jacques Trigland , hollandais, adressa en 1699, plu-
sieurs questions aux Karaïtes polonais. Les principales
étaient : a) «Si les Sadducéens et les Karaïtes étaient de
la même secte? b) Si à l'époque de la deuxième église, les
Karaïtes existaient déjà?c) S'il était vrai que les Karaïtes
tirassent leur origine d'Anan? d) Si le Code saint était le
même pour eux et pour les Rabbinistes? » (A. Troki, ville
Lithuanienne, les Karaïtes possèdent encore les copies des
lettres de Trigland).
Mardechaï de Kulikow , ville située près Lemberg, en
Galicie, répondit au nom de toute la secte, et Jean Chris-
tian Wolfius fit imprimer une autre dissertation à ce sujet,
accompagnée de savantes notes 1 . Czacki ne s'est pas
borné à analyser ces ouvrages qui, dit-il, en grande par-
tie, donnent de savantes descriptions des différences des
religions mêlées à d'insignifiantes bagatelles, comme jadis
Trigland lui-mêrn: les considérait, au sujet de la nourri-
tare des Juifs.
Czacki examina personnellement les Karaïtes, étudia
leurspriviléges, analysa leurs actes, compara leurs consti-
tutions et leurs usages avec ceux des Rabbinistes, et nous
laissa une relation succinte sur cette secte.
i Le titre de cet ouvrage est: Notitia Karœre, ex Mordehaï karaci re-
centioris tracta tae haurienda, quera ex N. S. eum versione latina notis et
praefacione de Karacorum rébus scriplisque ediditJoan Chrisloph Wolfius.
Accedit in rébus Jacobi Triglandi dissertalis de Karacis Hamburgi et Lip-
stac, 1714.
II
Cette secte reçut le nom de Karaïm (scrutateurs de
l'écriture), mot dérivant plutôt du Chaldéen que de l'hé-
breux, parce qu'il signifie : des personnes qui lisent dans
la Sainte-Écriture. Elle rejeta toutes les traditions rabbi-
niques, sous prétexte que la loi mosaïque doit rester la
seule source de toute la vie religieuse et de toutes déci-
sions juridiques.
En vérité, elle n'a pu faire autrement par la suite, que
de se construire un autre édifice traditionnel; mais elle
est pourtant restée fidèle aux principes, et d'ailleurs, se-
lon eux, il est libre à chacun d'éclairer la Sainte-Écriture
d'après sa propre exigence, sans égard aux commenta-
teurs d'autrefois. Ils expliquent la Bible d'après les règles
grammaticales, le génie de la langue hébraïque et d'après
la raison.
230
R. Beschitzy dit, à ce sujet, dans son livre Mathé Elô-
him : « Nous prenons la raison pour guide, partout ou elle
s'accorde avec la manifestation divine, et nous marchons
ainsi, conduits par cette double lumière, sur le chemin
droit qui nous mène vers le but de la vérité. Mais s'il ar-
rive que la raison a quelque doute contre la manifestation
et ne veut point s accorder avec elle, nous sommes obligés
de nous en tenir à la loi manifestée, quoique la raison
comme la manifestation soient de Dieu. Car, âjoute-t-il, si
la raison pouvait suffire paftbut , la manifestation serait
inutile. »
Ils rejettent tous les commandements superflus, qui ne
se trouvent point expressément dans l'Écriture sainte, ni
dans leurs traditions. Ils disent : que l'homme ne s'abs-
tienne de rien autre de ce que la loi lui défend expressé-
ment, parce qu'il n'aurait point de récompense pour cela,
et, comme dit Salamon (Eccles. 7-16) : «Ne sois point trop
piçux, »
Si l'on dit que les Karaïtes rejettent la tradition, on
qe veut pas dire pour cela qu'ils n'acceptent point d'ex-
pljeation sur les lois de l'Écriture sainte. Il est vrai qu'ils
ont des traditions, mais ils ne les regardent pas comme
données par Dieu h Moïse. Ils considèrent ces traditions
de leurs ancêtres seulement comme des règlements faits
p#r les ïp^îtres de la nation, et pour leur donner plus de
sanction, ils les ont rapportées, selon eux, au texte de
1'Écriturç. IU défendent rigoureusement de ne point
confondre la sainte Écriture avec les commandements
rabbiniques. Ils s'en rapportent à ce que dit Moïse
(Deuter. 31-1):« Que vous observiez tout ce que je
vous ordonne aujourd'hui; n'y ajoutez rien et n'en ôtez
point. »
III
11 est difficile de savoir si les Karaïtes se sont donnés
eux-mêmes ce nom, ou si les Rabbinistêe, par hame, le
leur ont légué 1 . Bartalacci les confond avec les Samari-
tains et leur attribue l'opinion qu'ils n'ont point, qu'ils
reconnaissent seulement les cinq livres de Moïse. Les Rab-
binistesleur donnaient toujours et leur donnent encore Ife
* Morin, lib. «, exercit VU, el I, prétend : que les Karaïtes euft-mê-
mes, prirent ce nom, et Trigland, nu contraire, dit : e,ue les rabbin Istes le
leur ont donné par dérision.
2 Bibliotecœ magnœ Rabbiniœ, t. I, n° 57 > éd Rom. Sur les samari-
tain?. Voyez la savante dissertation d'Adrien Relande dans le UVrô de
Thésaurus antiquitalumsuorum. UgeJin, t. XXII! , p. 155. Le changement
de leur opinion est divisé en trois épojues. Vojcb aussi la toute des sa-
maritains à la syoagoguo juive en Angleterre, 6 U suite du conseil de
Huntington, écrite dans le même volume.
232
nom d'hérétiques. Beaucoup de savants Rabbinistes préten-
dent que les Karaïtes suivent les mêmes règles que les Sad-
ducéens. Même les savants chrétiens ont cru que quelques
principaux articles de la foi des Sadducéens ont été aban-
donnés, dans le moyen-âge, par les Karaïtes et que, du
reste, ils suivent leurs règles*. Les Karaïtes donc préten-
dent qu'ils s'accordent et s'accorderont avec les Saddu-
céens, quant aux jours de fête, mais, comme leurs pères,
ils ne croient pas à la résurrection, ni à l'incarnation des
anges; ils ne contredisent pas l'immortalité de l'âme,
quoique toutes ces croyances religieuses soient ensei-
gnées par les Sadducéens 2. Les Rabbinistes, en grande
partie, et beaucoup de savants chrétiens soutiennent que,
environ l'an 750 de l'ère chrétienne, Anans se sépara des
1 La haine des Juifs a appliqué plusieurs noms ignominieux aux Karaï-
tes. Ils les confondent habituellement avec les Sadducéens. Buxdorf dit
in Lexico : «Idem fuerunt eum saduccio ut plcrique hebrœarum tradunt».
Buxdorf iils : Svnagoga Judaica, p. 1. Beaucoup d'autres étaient du même
avis avant la dissertation de Trigland et celle du Juif polonais Mardechaï.
Les Rabbiuisles leur donnent le nom d'Epicuriens, etc.
Qui veut avoir l'idée jusqu'à quel point la haine entraîne les Rabbinis-
tes, contre les Karaïtes, qu'il lise la description du soulèvement des Tal-
mudistes de Constantinople contre eux; qu'il lise l'Histoire d'Elie d'O-
rient, dont un extrait se trouve dans la dissertation de ftbeubach sur les
supérieurs juifs, t. XXIV Ugolina. Les Talmudisles armés, prirent les dix
commandements du sanctuaire de leur synagogue, et ont juré: 1o Qu'au-
cun d'eux n'enseignera jamais rien aux Karaïtes. 2<> Aucun d'eux ne ser-
vira jamais dans leurs maisons. 3° Maudits soient à jamais les Karaïtes. 4°
Aucune liaison ne peut se former entre ces sectes. L'historien Elic, lui-
même, trouve celle rigueur absurde.
2 Voyez la dissertation de Mordehai, depuis la page 16 jusqu'à 24 et
Thésaurus antiquitatem sacrorum, Ugolina T. III.
3 On trouve dans les archives Israélites de France, 1Ô45, no 8, f. 51 1 ,
ce qui suit : c Au milieu du 8 e siècle, une nouvelle secte se forma contre
le rabbinisme , Anan ben David, poussé par l'ambition démesurée d'ob-
233
Rabbinistes à Babylone. La cause en est que la dignité de
gaon ou docteur ne fut pas donnée à Anan. Les Karaïtcs,
au contraire , prétendent que leur secte existait déjà
dû temps du premier temple , et que c'est eux qui
ne voulaient point 'retourner à Jérusalem, après la
destruction du premier temple et rester dans les pays
chrétiens, où, n'ayant rien appris du Talmud, ils avaient
conservé simplement les lois de Moïse qu'ils observent
avec quelques changements*.
L'histoire de la Pologne ne parle point de l'époque à
laquelle les Karaïtes s'établirent dans ce pays, mais il est
certain que les premiers privilèges leur ont été donnés à
Luck par Etienne Batory, et à Troki par Casimir Jagellon.
Cependant leurs colonies y étaient antérieures à ces
privilèges, et il est à présumer qu'ils avaient eu d'autres
privilèges, anéantis par quelque circonstance. Toutes les
synagogues des Karaïtes s'accordent à dire que Witold-
le-Grand, duc de Lithuanie, avait fait venir 383 familles
karaïtes de Crimée à Troki, et que dans une deuxième
expédition d'autres familles avaient été envoyées à Luck
et à Halicz 2 . Les Karaïtes parlent la langue tartare. Le
tenir la première place dans la hiérarchie judaïque de Babylone, se sé-
para des Rabbins, et devint le chef et le fondateur de la secte des Ka-
raïtes, etc. »
1 Celte assertion d'un savant Chacbam, ( c'est ainsi que les Karaïtes
appellent leurs rabbins) de Troki, se trouve dans un écrit de M. Jac-
ques Tugcndhold, censeur du gouvernement, pour les écrils hébraïques et
chaldéens à Varsovie. Le Chacham y parle aussi d'une question adressée
par l'empereur Nicolas , ( lorsqu'on 1856 , passant par celte viile, selon
l'habitude de son frère Alexandre, il enlra chez le savant karaïte ), cette
relation passée par les mains du fcld-maréchal Paskiewiez et par la tra-
duction de Tugendhold, établit que le Chacham avait répliqué par ces
mots:» Onnepeut pas nous reprocher d'avoir crnciûé Jésus Christ, car nous
n'éiions plus à Jérusalem , depuis la destruction de la première église. »
Les notes faites probablement par quelque Karaïte mal instruit, ren«
234
supérieur de leurs rabbins résidait àKaleprès delà vill?
Bakczeseray, en Crimée. Ceux de Luck et de Trofci , lors
de disputes importantes, étaient jugés par le supérieur
de Kale. Aiosi, rétablissement des Karaîtes en Lithuaniç
et leur origine sont incontestables-. L'état des sciences
chez eux s'accorde avec leurs besoins. Les Rabbinistes
leur ont reproché une grande ignorance et ont prétendu
que leurs écrivains n'avaient point contribué à l'interpré-
tation de la Bible et des livres sur la religion 1 . Cependant,
la bibliothèque des écrivains hébreux de Wolfius , les dis-
sertations de Schupport et autres, prouvent qu'ils ont écrit
autant qu'il en fallait pour apprendre à leur secte les de-
voirs et le* lois que la religion leur impose. Du reste, ils
emploient les prières qu'Aaron, karaïle, au seizième siècle
composa, ainsi que les psaumes et la Bible des Hébreux.
Ensuite, dit Czacki : « Ne cherchons poipt chez les Ka-
raîtes la science, mais rendons justice à leurs vertus.
Tous les documents attestept qu'aucun Karaïte, pendant
quatre siècles, ne fut condamné pour crime. Ni la pro-
messe de grandes récompenses, ni les menaces n'ont pu
engager aucun d'entre eux à devenir espion. Pauvres,
mais laborieux, ils ne cherchent jamais à s'enrichir, et
vivent avec résignation du produit de leur travail. »
Sous Sigismond I, il régnait des querelles entre les Ka-
raîtes et les Rabbinistes. Le supérieur de tous les Juifs en
Pologne, désigné par le gouvernement, voulait exercer
aussi son pouvoir sur les Karaîtes, mais ceux-ci, comme
étant d'une autre religion , ne voulurent point s y sou-
ferment a ce sujet d'étranges contradictions. Par exemple, le prince Wi-
told régnait dans le treizième siècle, Lad i si as Jagellon était fils de la
reine Bonne, et il prend legrand-pere pour le fils du pclil-lils.
1 Abraham ben Dior, cd. Muntuanœ, p. 21.
235
mettre. Gastold, grand chancelier de Lithuanie prononça
sur ce différend en disant; que les privilèges accordés aux
Juifs ne concernent point les Karaïtes qui ne devaient pas
être soumis à un pouvoir étranger. Catherine II, par son
ukase adressé au comte, depuis prince, Platon Zubow,
gouverneur général de la Crimée et des provinces limi-
trophes, accorda quelques franchises aux Karaïtes.
Dans les lois polonaises, il n'y avait pas de différences
marquées entre les sectes des Juifs. Le gouverneur de
Galicie admit les Karaïtes aux mêmes droits que les chré-
tiens et les a exemptés des charges qui pesaient sur les
Juifs.
IV
La secte des ftaraïtes diffère de toutes les autres : 1° pen-
dant leurs prières , ils sont agenouillés les bras et les
yeux levés vers le ciel ; ils prient deux fois par jour en
langue hébraïque : le matin et le soir, au temps même
où Ion avait sacrifié au temple de Jérusalem, ils ne font
point la prière thèphilath arbith, comme les rabbinistes.
2° Ils comptent différemment les degrés de parenté dans
les mariages 1 . 3° Les unions sont plus indissolubles par
la difficulté que Ton y éprouve pour le divorce. 4° On
procède différemment pour la circoncision 2 . 5° Les femmes
1 Le Karaïle ne peut pas se marier avec sa belle sœur, et le Rabbi-
niste au contraire a ce droit, pourvu qu'il Ole le soulier (Chalitza) à sa
future.
2 Les Karaïtes font la circoncision le huitième jour, mais ils ne déchirent
SQ7
m*J A
après lescoucheset affections périodiques, sont plus long-
temps intactes pour leurs maris. La femme malade périodi-
quement, pendant sept jours ne doit toucher à rien. Après
les couches, lorsque c'est un garçon, elle est dans le même
cas pendant quarante jours, et si c'est une fille, quatre-
vingt jours 1 . 6° La division de l'année en mois est diffé-
rente : ils font leurs mois et leurs fêtes, d'après la nouvelle
lune, et s'appuient sur ce que dit l'écriture (Nomb.28,1 A).
« C'est le sacrifice du jour du mois, quand il se renou-
velle 3 , et il en est ainsi pour tous les mois de l'année.»
Mais les rabbinistes supposent, qu'on doit faire les mois et
les fêtes d'après le soleil astronomique 3 , et s'appuient sur
ce que dit le Pentateuque (Deuter,4-6) « Contemplez la loi,
car elle sera la gloire de votre sagesse aux yeux du peu-
ple. » Quoique les Karaïtes comptent d'après l'apparition
de la nouvelle lune, ils sont cependant obligés d'ajuster
Tan lunaire avec l'an solaire. 7° Ils n'attachent point leurs
théphitines au bras et à la tête, ni ne mettent les zizesses à
leurs habits comme les Rabbinistes, mais ces objets sont
point avec l'ongle le prépuce, et ne sucent pas le sang. Anschel Herz Op-
penheim, savant israélile, dans sa dissertation imprimée à Dessau en 1804,
prétend que les Rabbinistes n'ont pas compris le mot hébreux qui, au
lieu d'un ongle, désigne une lancette pour la circoncision.
1 Le fameux Franck père, dans son livre : Medicinische polizey etc., a
écrit sur ce sujet. Le lecteur peut y puiser la source de ses opinions.
2 Le radical Chodasch a la signification de nouveau, c'est pourquoi en
hébreux le mois s'appelle Chodasch,, parce qu'il se dirige d'après le re-
nouvellement de la lune.
3 Voyez Jad Hachatakah par Maïmonides sur le calcul astronomique
Kidusch haschanah. Le Jalkute ( chapitre Bau ) dit, qu'on exerce même
au ciel le calcul astronomique des rabbins. « Les anges se groupent de-
vant Dieu, et lui demandent quel jour sera le nouvel an ? Dieu leur répond :
pourquoi me le demandez-vous ? vous et moi , nous devons consulter le
juge du bas monde ». ( sanhédrin ).
23»
appehdds ta mur de la synagogue, el ils y dirigent l&
yeux en récitant les passages qui les concernent. 8° 11$ cé-
lèbrent le sabbat avec une grande rigueur et h'alldtncnt
pointde feu, même dans le plus gtund froid. 9° Ils m&igéiït
du pain, sans le?ain, pendant les sept jours de pâques,
mais il n'observent point les mêtnes procédés en le ctiisant,
comme les Rabbinistes. De même ils n'extraient point le
sang de la viande au moyen du sel. 40* Quand un d'entre
eux tombe malade, on appelle le thacham pour le conSôleh
Celui-ci Tait une prière pour le malade, àveô k>ùsle9 assis-
tants, puis, il parle sur l'immortalité de l'fttbfe, et la ré-
compense dans l'autre vie
Quelque* mets i«r le 4r#it civil de* Kantlte».
Chez îes Juifs talmudistes, les parents maternels n'hé-
rilent jamais les uns après les autres. Chez les Karaïtes,
lorsque ces parents ne laissent point d'enfants, leur suc-
cession sert de dot ou de cadeau de mariage aux plus éloi-
gnés. Chez les premiers, la mère ne prend jamais de suc-
cession, chez les diitres, elle le fait, si les frères ou sœurs
manquent.
L'ordre de succession chez les Karaïtes éét le Suitant:
1° les fils; 2° leurs enfants du sexe masculin; 3 6 les filles;
4° leurs enfants ; 5° les pères ; 6° les pères du grand-père ;
7° les propres frères; 8° les mères. Les enfants naturels
chez les talmudistes et chez les Karaïtes ne sont pas re-
poussés de la succession, mais chez les derniers, ces en-
fants doivent être nés d'tine mère karaïte.
Les talmudistes peuvent disposer et faire donation dé
leurs biens d'aprèsleur volonté. Les Karaïtes peuvent don-
^e petite partie seulement aux étrangers, et leur tes-
de succession ne doit pas être fait au détriment dô
239
leurs successeurs naturels, même les legs dahs un but reli-
gieux ne sont pas valables. Les Karaïtes, à ce sujet disent t|ue
les successions prolongent l'existence du genre humain, el
lorsqu'un homme meurt, son droit à la propriété disparaît,
donc une trarisaction faite avant de taôurir ne doit pas
être exécutée si elle s'écarte de la justice et si les dons
qu'elle renferme ne sont pas désignés avec la permission
des successeurs. Chez les talinudistes, il est d'usage de
donner à une fille la moitié de la valeur destinée au fils
qui a le droit de payer sa sœur en argent.
Les Karaïtes n'observent pas cet usage et leurs
femmes peuvent donner une partie seulement de ledr dot
aux maris, afin que l'injustice ou l'avéugletaent d'amoui*
ne les apauvrissentpas. Le partage entre frères est le même
que chez les talmudistes, c'est-à-dire les deux parties
échoient à laine et le reste aux autres. Les substitutions
dans le testament n'ont pas lieu chez les Karaïtes. La po-
lygamie est prohibée chez les talmudistes, tandis que chez
les Karaïtes l'opinion publique seulement s'y oppose.
Chez les premiers, la bénédiction nuptiale ne serait pas
donnée en cas de pluralité des femmes, chez les derniers,
on peut prendre quatre femmes pourvu que Ton ait de
quoi les nourrir, vêtir, cependant, en général, ils n'ont
qu'une, seule femme à la fois. Pour se marier, chez les
Karaïtes on ne fait pas attention à l'âge, mais à la majo-
rité des deux sexes. Après les fiançailles, les parties ne
peuvent pas se dédire sans divorcer formellement. Le
mari n'hérite jamais après sa femme, mais il prend ce qui
a été stipulé en se mariant, et son droit sur le tout serait
reconnu dans le seul cas où il n'aurait pas rencontré la
virginité : ce cas constaté, après la première nuit, par les
supérieurs, n'empêcherait pas néanmoins le mari de coha-
no
biter jusqu'à la mort de la femme. Les causes de divorce
sont : 1° stérilité pendant dix ans; 2° si la femme était
sourde, muette, imbécile, ou bien si elle avait mauvaise
haleine; 3° Si le mari ou la femme mangeait les choses
prohibées , ou n'observait pas les jours de fêtes ; 4* Si
le mari cohabitait avec d'autres femmes; 5° Si la femme
se refusait aux caresses du mari par obstination; 6° Si le
mari délaissait sa femme et se mariait ailleurs avec une
autre; 7° S'il ne veut pas nourrir, ni vêtir sa femme.
Les débats judiciaires chez les Karaïtes ne durent ja-
mais longtemps. Leurs rabbins et arbitres vident tout dif-
férend en une seule séance. La bonne foi et la répugnance
de la chicane font honneur à cette secte.
LesKaraltes s'habillent selon le costume du pays; leur
extérieur n'a jamais une grande apparence, jamais ils
n ; aspirent ni après la richesse, ni après le luxe.
Les articles de la foikaraïte sont les suivants: a) Tous les (*?
mondes, avec ce qu'ils contiennent, sont des êtres créés ;
b) Leur créateur n'est pas créé ; c) II est unique et il n'y en
a pas qui puisse lui ressembler; d) Il a envoyé son servi-
teur Moïse; e) Il a promulgué par lui une loi parfaite;
f) Qu'on comprenne la langue de la loi et son explication ;
g) Que l'esprit de Dieu était aussi aux autres prophètes;
&)Dieu reveillera les morts au jour du grand jugement; <!*** U*?
t)Dieu récompensera chacun selon ses œuvres; A) Dieu t.« > «.
n'a point rejeté son peuple dans la captivité, quoiqu'il le ;
châtie, et c'est pourquoi Ton doit attendre journellement
son salut par le Messie, le fils de David.
46
242
Dans un temps plus moderne fat faite la confession de
foi par R. Béschitzy en ces terqpes :
4 .« Je croisa l'existence d'un Dieu, unique etsans sem-
blable, et celui qui est seul notre Diea, est, fut et sera.
2 c Que ce Dieu unique est incorporel, et qu'il n'a point
de qualités, ni de passions corporelles. '
3. « Que lui tout seul a créé le monde entier, et qu'il le
gouverne avec sa grâce. Il est le premier et le der-
nier.
4. « Que lui seul doit être adoré et personne autre que
lui.
5. a Que toutes les paroles des prophètes sont vraies.
6. a Que les paroles de Moïse, notre maître sont vraies,
et qu'il est le plus grand de tous les prophètes.
7. « Que la loi de Moïse, notre maître, comme nous la
possédons aujourd'hui, ne changera jamais, et l'on ne doit
y rien ajouter, ni en rien ôter.
8. « Que Dieu connaît non-seulement les actions cIqs
hommes, mais il connaît aussi leurs pensées, et il réçorçt-
pense ceux qui observent ses commandements, et punit
ceux qui les transgressent.
9. «Que le roi, le Messie viendra, comme il est écrit
daps la Bible (Habakpk, 23) : ccS'il tarde de venir, attends-
le; car, certes, il viendra et ne manquera pas de ve-
nir* »
a 40. Que Dieu réveillera un jour les morts, quand ce
sera sa volonté. j>
Ils disent, au sujet des récompenses et des ppnitionsr
après 1$ mort, que l'àme immortelle, quand elle est pré-
parée par de bonnes actions dans ce monde, paçserq dqns
lo monde spirituel Aulam hâsichli, et qu'on appelle Aufav}
hâba ou Gan-Eden, où elle vivrait éternellement dans fo
243
contemplation des choses qui sont au-dessus de l'esprit
humain. Mais si, au contraire, elle est souillée de taches,
elle vivra toujours, mais dans le sentiment de douleur e%
d'horreur (son feu ne s' éteindra jamais et son ver ne cessera
point.)
Ils rejettent la croyance en un démon, et ainsi qu'en la
métempsycose , qu'ils appellent une croyance folle et
corrompue.
Ils disent que l'âme a une quadruple disposition : elle
est vivante, quand elle évite le mal et pratique le bien.
Elle est saine quand elle sait distinguer le bien du mal.
Elle est malade quand elle ne voit pas la vérité et ne dis-
tingue point le bien du mal. Elle est morte quand elle
reste si longtemps dans le pécjié que la pénitence devient
impossible. Us disent de la pratique du bien : « Si tu ne
peux pas ce que tu veux, veuille ce que tu peux.»
Le même R. Beschitzy dit dans son livre Assarah-Maa-
marath, en ce qui concerne le Messie : « Tu dois savofr,
que le roi Messie sera de la maison de David. Il n'ajoutera
pointa la loi éorite, ni n'en ôtera point. Il ne changera rien
ni dans la création, ni dans la nature. 1! n'est pas néces-
saire que le Messie se distingue et s'annonce par des pro-
diges, soit par la résurrection des morts. Il assemblera les
enfants d'Israël dispersés, fera la guerre de Dieu, vaincra
tous les peuples, rebâtira le saint temple sur la place oh il
avait été, s'occupera de l'accomplissement du commande-
ment divin, comme avait fait son fils David, et forcera tout
le peuple d'Israël h marcher selon les commandements et
les prescriptions de la loi. »
LA SECTE DES SCHABBÉTHY ZÈVY
A l'époque de la diffusion de la cabale (1625, 4677) ,
le fils d'un courtier de Smyrne , nommé Schabbéthy Zévy ,
était devenu, en cette matière , l'objet de l'étonnement
général. Dès sa tendre jeunesse , il se faisait remarquer
par une rare aptitude d'esprit. A quinze ans, il avait ter-
miné toutes ses études talmudiques , et il n'en avait que
dix-huit lorsqu'il enseigna la cabale. Des hommes de tout
âge, enveloppés de leurs thalith et thephilins, se réunis-
saient dans une vaste salle pour entendre sesdiscours.
Plusieursfois par semaine, il conduisait ses auditeurs aux
bords de la mer, et s'y baignait avec eux. 11 enseignait
même en plein air, quoique ces pratiques le missent sou-
vent en butte aux importunités et aux railleries du peu-
ple turc.
1 Vo)ez l'histoire» des Juifs far M. le Docteur Jost.
245
Schabbéthy Zévy pratiquait la plus sévère abstinence ,
jeûnait presque tous les jours de la semaine , et allait
souvent se baigner dans la mer , à minuit. Il se don-
nait du reste l'apparence d'un prophète et répandit sur-
tout la persuasion de sa mission. Comme on lui reprochait
défaire usagede parfums, il répondit qu'il exhalait de bon-
nes odeurs parce qu'il avait été oint par les trois patriar-
ches. A vingt-quatre ans, il se donna à ses disciples pour
le Messie, devant délivrer le peuple d'Israël du joug de
l'islamisme et du christianisme. Afin d'affermir sa renom-
mée, il affecta de prononcer le nom sacre de Dieu en
hébreux, d'une manière cabalistique ce qui est défendu
aux Juifs, et cette hardiesse surprit tous ses auditeurs.
Après avoir bravé les avertissements de la juridiction
des rabbins à Smyrne, Schabbéthy Zévy s'enfuit à Salon-
nik où il fut accueilli avec transport. Mais là aussi les bi-
zarreries de sa doctrine décidèrent bientôt les rabbins de
Salonnik à prendre le parti de ceux de Smyrne. Il passa
donc a Athènes, à Maria, à Alexandrie et au Caire, où les
persécutions ne cessèrent de le poursuivre jusqu'à ce
qu'enfin, arrivé à Jérusalem , il put enseigner la cabale pen-
dant quelques années avec sécurité.
11 s'adjoignit dans cette ville Nathan Benjamen de Gaza ;
celui-ci jouait le rôle de précurseur du messie et envoya
des circulaires à tous les rabbins de Palestine * où il leur
1 Circulaire de Nathan aux rabbins :
cMes frères d'Israël, je vous apprends par celle circulaire que le
Messie né à Smyrne s'appelle Schabbéthy -Zévy, et qu'il manifestera
bientôt son règne. Il ôtera la couronne dr> la lé le du sultan, pour la
mettre sur la sienne et le sultan le suivra comme l'esclave mit son
maître. Puis, il deviendra invisible, et passerala rivière de Sambaliao,
y mariera une fille de Moïse, nommée Rebecca, et après que les dix tri-
bus se serom jointes à lui, il entrera dans Jérusalem, accompagné de
£46
«rWSftoç&ft que ffe Messie était déjà nèàSmyme, qu'il Comp-
tait* pâfrmi les Vivants tet £ar lesquelles il ïnïbrhiâît qu'il
citait paraître bîehtôt dans touie sa Splehdeuh
Méfe le Messife ^estâ pendant qtiétorzfe ans à Jérusalem
HàïïS UWè inàbtlvifé apjrarfchte doiit il ne Sortît que pobr
UH& éh figVpVe fcti l'attëndâit , dïsait-il , Vépouse qhi lui
&8rît flèstmée. 11 s'était hiariè une troisième fois avec une
Wlé débattre , \qtae ses parents juifs avaient laissée en
î*btoghe?L là Suite d'un seîgfteur chrétien. 11 fit éonnattre
T^të l'esprit titi pfere de teëtte fille , détaché de son corps,
SVàft pàfeéé de lUète jiteqtftèn Pologne pour réquérir sa
itifè, et là tranépbHer tbtitè rttièdâiVs &a maison. ZévyYè-
pooÉiàiâ^r^^d^éllë bût parcouru l'Allemagne, l'Italie, et il
èKééêèidë crédit fcôtir fe ïàiïe regarder comtrie la reine
^ftetn^^ôq\i*il devait conquérir. Le frèvede cette feVnme
qtii %tait tn&r^&rà de tabac à Francfort, quitta sa boutï-
qtiè, tet alla rlèjttihdVe son beau -frère, dans l'espérance d'à-
Vbîr ^partàti* chargés de la 'couronne; triais il revint, ayant
été tièsillusfanlté tomrtïe fës autres.
fce ^êteridil Mfessie traita cette femme comme Ses deux,
ïirtemièrtes, et là congédia parla suite. Cette conduite excita
une inquiétude extraordinaire chez leS hibbitis. lis s'as-
S^ftlWentfetpmnoncèreiitl'ârrèt'de morttôhtre lui. Ils
&MVfrent âCônst^ntmo^tè (c'ar il y aVaitfai) , et un con-
%ëtt deVabbVttè etittVpôSê de Vîngt-cin^ hommes Sanctionna
cet arrêt; et l'envoya à Smyrne, pour on obtenir l'appro-
bation des rabbins. Mais les frères et lès Sectateurs du Mes-
sie y avaient été actifs, et Séhàbbéthy-Zévy se décida à se
rendre dans cette ville où, en effet il trouva tout changé.
Moïse et monté sur un dragon, dont les brides seront formées d'un
serpent à sept te les. ».
2i7
On vint à sa rencontré, on s'agenouîMâ devant lui, ta
foule vint baiser ses pieds , et ses discours excitèrent Un
grand enthousiasme. Quatre députés vinrent d'Halefe pour
saluer le Messie annoncé par Nathan. L'ordre du conseil
approuvé par les rabbins de la capitale resta sans effet ,
car personne n'osa S'approcher de l'homme saint , qui ac-
compagné de milliers de personnes, passait par les rués ,
portant une bannière à la main et entonnant des tiymneé ,
que lès enthousiastes répétaient a haute voix.
Sa renommée se répandit partout ; des députés vinrent
de tous côtés , pour le saluer et lui offrir des dons. ïl
donna des audiences , et souvent il fallait attendre
quelques semaines pour être admis, vu les nombreuses
demandes, on fit des prières dans les synagogues pour sa
longue vie.
Rapport ayant été dressé de ces circonstances au diva»,
une information rigoureuse fut à craindre, Schâbbéthy-Zêvy
résolut à la demande qui lui fut faite par ses amis, de se
rendre dans la capitale. II partit en effet au milieu déla-
ver, pour Constanlinople et trôtova là aussi db nombreux
zélateurs.
Mahomed IV, qui était alors à Andrinople» donna ordre
au grànâ-vizir d'arrêter le ^rétendti Messie. Agà fet cm-
qunnie janiezaires turcs, qui devait exécuter cet arrêt, revint
sans avoir accompli sa mission. L'air respectable de Svkab-
béthy-Zévy l'avait empêché de mettre la tnairt sar M ; il
s'agenouilla même devant le Messie. Un second Agà subît
la même influence. Le Messie promit cependant de se con-
stituer de lui-même en état d'attestation: Il sre fil accom-
pagner de son frère Joseph, qui lui servit d'interprète , et
fut amené comme prisonnier d'état h Kuthajuh.
Cet acte enflamma davantage encore le zèle éo ses par-
248
tisans. Us prêchèrent la pénitence générale, et instituèrent
des prières pour la prompte délivrance du Messie. On
répandit l'aumône, on se purifia, on pria et on jeûna; il y
en eût même qui fermèrent leurs maisons , pour employer
tout leur temps à faire pénitence.
Cependant, le -Messie vivait en seigneur; établi dans un
appartement somptueux, il recevait des dons et des pré-
sents. Il avait du reste toujours une thora à la main, chan-
tait des psaumes et parlait du prochain empire du Messie.
Il promulgua des ordonnances, changea les jours de jeûne
en jours de fêtes. *
. Le nombre de Juifs accourus à Kutajah était énorme.
j Voici l'instruction que le soi-disant Messie envoya à toutes les com-
munautés juives pour abolir le jour déjeune du 9 ab, (jour pendant lequel
on jeûne encore aujourd'hui, en souvenir de la destruction de Jérusalem).
et de le changer en un jour de grande fête: « Que- le nom de Dieu soit
béni et glorifié ! mes frères et mon peuple ! mes fidèles coreligionnaires,
hommes, femmes et enfants, qui demeurez ici ou ailleurs, où arriveront
les ordres et la loi du roi, que la paix vous soit donnée par le Seigneur
et par moi son tils. chéri! — Je vous ordoone, que vous célébriez le neu-
vième jour du mois d Ab prochain, comme une grande fêle de joie, et que
vous le distinguiez des autres fêles, tant par des repas extraordinaires que
par des illuminations et des chants de joie. Car ce jour-là, esl le jour de
naissance de Schubbélhy Zévy, voire roi, le plus grand des monarques de
toute la terre, ele Vous aurez aussi à réciler ce jour-là, la prière suivante:
« Dieu! tu nous donnas par ton amour plusieurs jours de fête, et entre
autres ce jour présent de consolation (Tôm hanachamah), comme le jour
de naissance de notre roi et messie Schabbéthy-Zévy, ton serviteur et fils
premier-né. Que ce grand jour soit un signe de l'alliance éternelle enlre
toi ô Dieu ! et ton peuple d'Israël > .
c Obéissez-moi, que voire âme se réjouisse, venez vers moi, écoulez,
et que voire esprit se rafraîchisse. Je contracte avec vous une alliance
éternelle; ma faveur est assurée à David! ( ce sont ses propres paroles ),
formidables à tous les rois de la lerre. Ainsi parle l'homme qui est audes-
sus de toutes les gloires et de toutes les louanges, etc. n
(Voyez Zizath Nobel Zévy, par H. Jacob Sasportas. Amsterdam 1757 }.
249
Parmi ces étrangers, se trouva un Juif polonais nommé
Néhémiafi, caba liste, qui était venu là pour démasquer le
Messie. 11 lui déclara en face qu'il était un imposteur. Il
s'empressa d'aller trouver le grand vizir, et reçut de celui-
ci, sops prétexte , d'embrasser le mahométisme, une re-
commandation spéciale près du sultan qui l'admit en sa
présence. 11 lui représenta que Schabbéihy-Zévy égarait le
peuple , et parvint, en un mot , à exciter contre lui le
sultan.
Aussitôtlesultan fit venir le prisonnier à Andrinople.Une
foule innombrable le suivit jusqu'au palais. A peine
devant le sultan , le sang froid abandonna le prétendu
Messie. Un Juif prosélyte nommé Moïse ben Raphaël, de
la famille d'Abarbanel, médecin du sultan , lui fut donné
pour interprète,, qui en lui donnant Ta vis de ne point dire
de faussetés au sultan, l'embarrassa encore davantage. H
expliqua donc simplement qu'il était rabbin , comme
tant d'autres, qu'il ne s'était point imposé de son chef et
qu'il ne devait son élévation qu'à la reconnaissance pu-
blique. Le sultan répondit à cela qu'il allait tenter sa qua-
lité de Messie en tirant sur lui trois flèches envenimées , et
dans le cas où ces flèches ne lui feraient point de mal, il se
mettrait lui-même sous sa bannière.
Ayant entendu cet arrêt, l'anxiété s'empara de tout son
être. Il attendit l'avis de son interprète , qui lui fit com-
prendre que seulement l'intention manifestée de convertir
tous les Juifs au mahométisme , pouvait le sauver. Scha-
béthy-Zévy suivit ce conseil. Pendant que l'interprète infor-
mait le sultan, que l'accusé n'avait attendu que ce mo-
ment pour se convertir au mahométisme, celui-ci mani-
festa sa volonté en prenant le turban d'un courtisan
dont il se couvrit. Le sultan satisfait, ordonna aussitôt de
*50
traiter avec bonté le nouveau Musulman et l'honora du
titré d'Eflfendi.
À là suite de cet événement, cinquante rabbins devaient
perdre la tète; mais sur les instances et les supplications
qui Turent faites auprès du sultan, la grâce de ces malheu-
reux ftit accordée.
Maïs là Ue se bornèrent point les fruits de la cabale. Il
est vrai, beaucoup révinrent à l'ancien ordre de choses,
et les remontrances des rabbins furent écoutées; mais
quelques croyants au Messie , cherchèrent cependant à
donher le change par des fofales , et prélertdirertt que éé
n'était (Ju'Uhé Forme apparente du Messie, qui avait adopté
le mâlïonïétisme, que lui-même était allé au Ciel; d'autres
prétendirent que lé mahométisme étant désormais la nou-
velle religion du soi disant Messie, et celui-ci ayant eu
soin dé répandre et d'accréditer cette idée, afin de conser-
ver ses anciens disciples, il convertit dé la sorte beaucoup
'de Juifs âû màhoftlétisme.
II
Nathan, qui s'était enfui à Damash , enrôla dé nouveau
dès sectateurs à HabèbSmyrnè, et causa par son voyage
une révolte à Smyrne etBrusa. L'anatnè'me renouvelé des
Vàbbins contre les rebelles fit peu d'effet. Le grand-vizir
étant absent, lësraM>ins demandèrent au haïmakan, d'ob-
vier au désordre, mais celui-ci ne voulût point s'en mêler,
fcnfîn, les rabbins de là capitale et d'Àridrinôplë chassè-
rent èux-mèmès Nathan, dont lès prédictions ne se réalisè-
rent point.
Pendant ce temps , SchàlWÛnj-frëvy jouant toujours îe
rôle dé ftlessie, se maria polir là quatrième fols avec là Bile
d'un philosophe hbtainé Joséphe. L'anathèïne atteignit
celui-ci, mais il l'évita en adoptant le mahômétiSttVe.
Beaucoup de Juife suivirent son exemple. Le Messie
252
visita pourtant les synagogues , jusqu'à ce que le grand-
vizir, prévenu parles plaintes, le fit mettre aux arrêts dans
le Castelde la capitale. Là aussi, il reçut des visites , et en-
seignait la cabale, mais on menaça plus tard tout visiteur
de cinquante coups 6ur le talon. Enfin, les rabbins déter-
minèrent le grand-vizir de l'envoyer à Bosmen , où il
mourut.
Encore à présent, on trouve à Salonnik près de six cents
familles, qui sont attachées à cette secte , et qui sont con-
nues chez lesMahométants, Juifs et Chrétiens, sous le nom
de Dolmach ou Apostat*.
Us aiment à demeurer ensemble , et ne marient leurs
filles, ni aux Mahométants, ni aux Juifs. Bien qu'eux-
mêmes, comme leur chef, professent la religion mahomé-
tane ; néanmoins , ils ne visitent que très rarement les
mochées, et ils ne se réunissent en assemblées qu'entre
eux-mêmes. Us veulent pourtant êtreregardés comme des
Mahométants , et aujourd'hui encore, les Turcs n'exigent
point d'eux le haradschi.
Mais beaucoup de riches négociants se trouvant parmi
eux, il leur est souvent reproché par le pacha et le kadi, de
n'avoir pris lo turban que pour ne point payer la taxe , et
pour repousser cette acusation, ils sont souvent obligés de
donner des présents considérables afin de n'être point for-
cés de se conformer en tout aux usages des Mahométants.
Il est vrai qu'ils circoncisent leurs enfants au huitième
jour, mais c'est la seule coutume qu'ils observent avec les
Juifs ; ils ne jeûnent guère plus avec les Juifs qu'avec les
Mahométants , ne célèbrent point le jour du sabbat , et
estiment les cantiques de Salomon plus que les livres de
[ I Impôt que les Juifs et autres non mahométans sout obligés de payer.
253
Moïse et le Koran. Niebukr observe : « je n'ai jamais connu
de Dalmach, et si même j'avais occasion d'en connaître , il
ne m'aurait rien découvert des principes de sa religion.
Des gens qui les connaissent bien, assurent qu'ils tiennent
ponctuellement à leur parole, et qu'ils ne visent point à de
trop grands bénéfices dans leur commerce » 1 .
* Voyez le livre intitulé : Des différentes nations dans l'empire Turc
etc., 4784.
LA SECTE DES FRANKISTES '.
Un certain Jacob Frank 2 , né en Pologne en 171 2, exerça
dans sa jeunesse la profession de distillateur d'eau-de-vie.
Plus tard, il voyagea dans la Krimée et dans les contrées
voisines de la Turquie, et revint dans sa patrie avec la
renommée d'un cabaliste. II se fixa en Podolie où il s'at-
tira un grand nombre d'adeptes parmi les Juifs polonais et
même parmi les rabbins les plus estimés. Ses plus chauds
partisans furent les Juifs des communautés de Landskron,
Busk, Osiran, Opotschnia, Kribtschin et plusieurs autres
localités. Il répandit chez eux la doctrine de Schabbéthy
Zévy mais, comme il paraît, avec diverses modifications. Il
* Voyei Y Histoire des Juifs, par Peler Béer.
* Il obtint ce surnom en Turquie parce que les Turcs donnent le no n
de Frank a tous les Européens, çMiiens ou Juifs,
écrivit dans ce Imt ua livre intitulé : le yiem atyçmrd'kw 4
la saurce, et il en fit circuler des copies manuscrites parmi
ses adhérents, Cependant» on n'a pqs dit de lui qu'il se
fût fait connaître par dçs prestiges, comme ses dovauoier$,
ou comme son rival contemporain Qe$cht\ mais QH^îrt*
tribué ses succès h l'influence direct de l'intelligence c^
leste, à laquelle on croyait ftlors. Lçs raWw§ jalpw? do la
célébrité qu'il avait acquise, 1$ persécuterez! lui pt ses ad-
hérents avec la plus vive animp6ité. Il avait montFé Je dé-
sir de faire avec plusieurs de sps seq^ovirs un pélorippgo
à Salounik, ot* séjournait alors \&w c^ef Çmçkiw 1^ p)fe?
bins le$ dénoncèrent an gouvw«em§nt polomi* , eomnftft
voulant émigreF du pays; et su? teqr dé&osoMrtWfh U&
pèlerins furent arr$té$ PUF la frontière et jotés ça prisai
Leurs amis s'otant alors adressés à J'饧que dp la Rrfplift,
connu ppur un komme de, bien, ebdnrwli pa?son orédft»
une lettre patente du roi, par laquelle il leur fui permis da
se fixer en Podolie, conformément àl$urs principes ot do
former une secte particulière sous le nom do %QAriit* t (ils
avaient adopté le livre delà oabale, qui porto le nom d$
Zoâr, comme fondement de leur religion et ils rejetèrent
le Tahrmd), ou bien sous celui de 4n*Maftnw$if# ?
Les deux partis s'étaient déjà livrés plusieurs fois h
des discussions religieuses dans les églises de Kanaieniac-?
Podolsjd et de Lemberg, en présence de plusieurs cardi-
naux et des officiers du roi. Ce fut à cette occasion que la
nouvelle secte des Frankistes fit connaître les articles de la
croyance.
Les voici 2 :
1° « Nous croyons à tout ce que Dieu nous a, de temp s
1 Voyc* l'article de CUmwlm**
^Cettc prgfç^ion de M fM»gé« W poloiHM* »t ta Hébreu r«M»mi{uf «
256
immémorial, communiqué par la tradition et la révélation,
et nous nous regardons comme tenus, non -seulement à
pratiquer ce qui nous est commandé par sa loi, mais en-
core à pénétrer plus avant dans le sens de nos doctrines,
afin d'y découvrir aussi les mystères qui y sont renfermés.
Car Dieu n'a-t-il pas dit à Abraham [G en. XVH, 41) : a Je
suis le Tout-Puissant; marche devant moi, et sois sincère?»
N'a-t-il pas dit ailleurs [Deutéronome, X, 42) : « Et mainte-
nant, Israël, que demande de toi l'Éternel, ton Dieu, sinon
de craindre l'Éternel, ton Dieu, de marcher dans toutes ses
voies et de l'aimer ; de servir l'Éternel, ton Dieu, de tout
ton cœur et de toute ton àme: c'est-à-dire de garder les
commandements de l'Éternel et les statuts que je t'impose
aujourd'hui pour ton bien? » Tout cela prouve qu'il faut
être fidèle à Dieu et à ses préceptes, et s'appliquer à com-
prendre clairement le sens de la loi ; il faut en outre le
respect du Seigneur : « La crainte de Dieu est le commen-
cement de la sagesse. » ( . 111, 10.)
« Cependant l'amour et la crainte de Dieu ne sont point
suffisants : il faut aussi que l'homme reconnaisse la gran-
deur de Dieu dans ses œuvres. C'est d'après ce principe
que David, sur son lit de mort, disait à son fils Salomon
(Chronique , 1 , 28 , 9) : « Reconnais le Dieu de ton père et
sers-le. » Là dessus, le Zoar demande : « Pourquoi lui a-t-
il demandé d'abord de connaître Dieu, et seulement en-
suite de le servir? C'est qu'un culte divin qui n a pas été
précédé de la connaissance de Dieu n'a aucune valeur. »
11 faut que ce culte soit fondé sur la sagesse et la vérité.
été publiée simultanément dans ces deux langues, h Lemberg. Comme
elle paraissait trop longue à rapporter tout entière, on s'est contenté
d'en denner des extrait s qui suffiront à en faire connaître l'esprit.
«La sagesse, dit le nouveau Zohar, au nom de Simon -ben-
Jochaï, la sagesse qui est nécessaire à l'homme consiste à
réfléchir sur les secrets du Seigneur, et tout homme qui
abandonne ce monde sans avoir acquis cette connaissance,
sera repoussé de toutes les portes du paradis, quel que
soit le nombre des bonnes œuvres dont il pourra d'ailleurs
être accompagné.)»
Nous lisons dans le même livre : « Celui qui ne sait pas
honorer le nom de son Dieu , il vaudrait mieux pour lui
qu'il n'eût pas été créé ; car Dieu n'a mis l'homme en ce
monde que pour qu'il s'efforce d'approfondir les mystères
renfermés dans son divin nom. » A propos de ces paroles
de David (Ps. 145, 48) : « Dieu est près de ceux qui l'in-
voquent avec sincérité,» le Zohar demande : «Est-il donc
possible de ne pas invoquer Dieu sincèrement? — Et il ré-
pond : oui* Car celui qui invoque Dieu et ne comprend pas
quel est celui qu'il invoque, celui-là est dans l'erreur. Par
là, il est démontré que c'est un devoir pour tout homme
de croire en Dieu et à sa révélation, d'étudier ses lois, de
le reconnaître, lui, ses lois et ses jugements, et d'appro-
fondir les mystères de la Thora. Celui qui croit de cette
manière, accomplit la volonté et l'ordre de Dieu, et celui-
là seul mérite réellement le nom d'Israélite. »
2° « Nous croyons que Moïse, les prophètes et tous nos
maîtres qui les ont précédés s'expriment souvent dans
leurs écrits d'une manière figurée, et qu'un sens mysté' '
rieux se cache sous leurs paroles. Ces écrits sont sembla-
bles à une femme voilée qui n'expose pas sa beauté à tous
les yeux, mais qui exige de ses adorateurs qu'ils se don-
nent quelque peine pour soulever le voile qui la couvre.
C'est ainsi que le voile du symbole enveloppe ces paroles,
et toute la sagesse humaine ne parviendrait pas à le sou-
17
Iotof, tans r assistance d'une grâce céleste. En d'autres
termes, il est parlé dan? la Thora de choses qui ne doivent
nullement être prises à la lettre; mais il faut invoquer Tes-*
prit de Dieu, afin qu'il noue aide à découvrir le fruit ren-
fermé sous lecorce. »
« Nûus croyons dans qu'il ne suffit pas de lire les pro-
phètes et d'en comprendre le sens littéral, mais qu'une
assistance divine e$t nécessaire pour pénétrer le sens réel
d'une foule de passages. C'est pourquoi David s'écrit
(Ps. 449, i8) : « Quvrçmoi les yen*, ô Seigneur, ?6n que
je contemple les merveilles de ta loi, » Si David eut pu
tout comprendre à l ? aide ç]e renseignement ou de ses
propres recherchas, de quel besoin ]y\ jurait été le se-
cours divin? Mais ilVinrVoquaû, ce sfcepgrs, afin 4e pouvpir
approfondir les mystères renfermés dâfis la loi. *c Meilleur,
dit le Zohar, malheur à l 1 homme qui ne yojt dans la loi que
de simples récits et des paroles ordinaires 1 Car, sj réejjpr
ment elle ne renfermait que cela, nous pourrions, ptiêrçe
aujourd'hui» composer aussi une loi bien plu? cjignp d'ai}:-
miration. Pour ne trouver que de simples proies, noqp
n'aurions qu'à nous adresser aux législateurs çlç Va, {pire
chez lesquels on rencontre souvent plus de granjfôw*. }1
nous suffirait de les imiter et de faire une loi d'après leurs
paroles et à leur exemple. Mais il n'en est P^s 3' n si : c ' ia "
que mot de la loi renferme un sens élevé et un mystère
sublime...
« Les récits de la loi sont le vêtement de là loi. Malheur
à celui qui prend ce vêtement pour la loi elle-même ! C'est
dans ce sens que David a dit • «Non Dieu , ouvre- moi les
yeux, afin que je contemple lesmerveilles de la lpj. » Da-
vid voulait parler de ce qui est caché sous Je vêtement dp
la loi.
Il est incontestable que sous la lettre de la loi sont ren-
259
fermés de grands mystères que tout vrai fidèle doit s'effor-
cer d'approfondir. A ce propos, le Zohar dit encore ; « La
loi ressemble à une helle femme aimée qui se cache dans
un endroit secret, et ne laisse voir que son portrait. Si son
ami déploie une grande persévérance, s'il se donne des
peines infatigables pour arriver jusqu'à elle et lui témoi-
gner de cette manière son respect et sa tendresse, elle lui
ouvrira ses portes et lui permettra un libre accès auprès
d'elle. »
3° « Nous croyons que de toutes les explications de la
loi, celle que donne le Zohar est la meilleure et la seule
véritable, et que lesrabbips, au contraire, lui donnent
dans le Talmud un grand nombre de fausses interpréta-
tions qui sont en contradiction manifeste avec les attributs
divins et la charité enseignée par la loi.
4° «Noua croyons qu'il n'y a qu'un seul Dieu qui n'a
pas eu de commencement et n'aura pas de fin ; qui seul a
créé les mondes et tout ce qu'ils renferment, aussi bien ce
que nous connaissons que ce qui nous est inconnu. C'est
pourquoi l'Écriture dit (Deutéronome, YI, 4) : « Écoute,
Israël, l'Éternel notre Dieu est un Dieu unique.» On trouve
aussi dans les Psaumes : « Tu es, grand , è Seigneur ? Toi
seul accomplis des merveilles. » C'est-à-dire, non comme
les rois de la terre, qui ne peuvent rien accomplir sans le
secours d'autrui; Dieu a créé seul le ciel et la terre, san$
aucune autre participation, et seule, sa Providence veille
sur tout.
5* « Nous croyons que, bien qu'il n'y ait qu'un seul
Dieu, il se compose néanmoins de trois personnes (ParsaM-*
phim), parfaitement égales l'une à l'autre, parfaitement
indivisibles, et qui, à cause de cela, ne font qu'un, ta loi
mosaïque, aussi bien que les autres prophètes, nous en-
260
seigne cette vérité. Le Zohar dit : « La loi commence par
la lettre (beth) ; cette lettre se compose de deux lignes ho-
rizontales réunies à une verticale ; ce qui fait allusion aux
trois natures divines réunies en une seule. La croyance en
cette trinité divine est fondée sur les saintes Écritures, et
confirmée par d'innombrables passages. Nous ne voulons
en citer ici que quelques-uns : par exemple, Moïse dit
(Gen. I, 2) : L'esprit (rouach) des Dieux [Elohim) (au plu-
riel) flottait sur les eaux. » S'il n'y avait qu'une seule per-
sonne divine, Moïse aurait dit: « L'esprit de Jéhovah ou
du Seigneur flottait, etc. ; » mais il voulait dès le prin-
cipe établir la trinité en Dieu. Plus loin (Gen. I, 26), Dieu
dit : «Faisons l'homme selon notre image et notre res-
semblance. » Le Zohar commente ainsi ces paroles :I1 y en
a deux et encore un, ce qui fait trois, et ces trois ne font
qu'un'. Ailleurs il est dit (Gen. III, 22) : t Les Dieux, Jého-
vah, dirent : Voici l'homme qui devient semblable à l'un
de nous. S'il n'y avait pas trois personnes, il y aurait seu-
lement : « Jéhovah dit, etc » Pourquoi les Dieux? Mais
c'est une preuve de la trinité divine. Quand il est dit (Gen.
XI, 4 5) : w Jéhovah descendit pour voir la ville et la tour, »
voici en quels termes il s'exprime : « Descendons et met-
tons la confusion danaleur langue, etc. » A qui Jéhovah
s'adressait-il? Ce ne pouvait pas être à ses anges qui sont
serviteurs, et auxquels il aurait commandé sans employer
avec eux la forme delà prière. Mais Dieu parlait ainsi aux
personnes divines qui sont ses égales en dignité. « Trois
anges apparurent à Abraham (Gen. XVIII, 2, 3); il courut
au-devant d'eux et dit : Seigneur, etc. » 11 en voyait donc
trois et ne s'adressait qu'à l'un d'eux, parce que ces trois
* Ces paroles du Zohar ne se rapj orient pas à la triai té divine, mais
à la trinité humaine et à certains cas de métempsycose. A. F.
261
ne font qu'un. Moïse dit (Exode, XII, 7) : «Ils prendront
du sang de cet agneau et en mettront sur les deux poteaux
et sur le linteau de la porte. » Pourquoi , demande le Zo-
har, pourquoi ce sang doit-il précisément être mis sur trois
places? C'est pour que la croyance parfaite en son saint
nom éclate sur les trois places. »Cecifait encore allusion à
la trinité divine, « Quel est lepeuplesi grand, ditMoïse (Deu-
téronome, IV, 7), qui ait les Dieux (Elohim) aussi près de lui
que nous? » S'il n'y avait point plusieurs personnes divi-
nes, il faudrait ici El (Dieu) et non point Elohim, les Dieux.
» Jéhovah, est-il dit (Gen. XIX, 24), fit pleuvoir sur So-
*dome et Gomorrhe une pluie qui venait de Jéhovah. »
Preuve nouvelle de plusieurs personnes divines, Dieu dit
à Moïse : «Monte vers l'Éternel. » (Exode, XXIV, 1). Ici. il
y aurait simplement : « Monte vers moi, » s'il n'existait plu-
sieurs personnes en Dieu. Sur le passage suivant :« Écoute,
Israël, l'Éternel notre Dieu est un » ( Deutéron VI, 4) ,
voici le commentaire du Zohar : « Trois font un » (Thelath
chad inoun). Il est dit (Ex. III, 6): «Le Dieu d'Abraham,
le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. » Le nom de Dieu,
répété devant celui de chacun des patriarches, fait allu-
sion à la Trinité divine. Josué disait (XXIV, 49) : « Vous
ne pouvez pas servir Jéhovah, car il est les Dieux Saints,»
(Elohim kedoschim) .
«D'une part, il y a Jéhovah, de l'autre les Dieux Saints,
ce qui prouve la Trinité réunie en Dieu.
6° « Nous croyons que Dieu apparaît incarné sur la
terre, et alors il'boit, il mange et accomplit d'autres ac-
tions humaines; mais il est dégagé de tout péché. La
preuve en est dans ce que dit Moïse (Gen. VI, 3) : « Quoi-
qu'il soit chair.» Le Zohar donne de ces paroles l'explica-
tion suivante : « Dieu devient chair, pour se tourner vers
262
le corps; ce qui veut dire qu'au moment de la création,
Dieu s incarna dans Adam , et lorsque ce dernier eût pé-
ché, Dieu se retira de lui et en demeura éloigné jusqu'à
ce qu'il s'incarnât de nouveau dans ce même corps.
« À propos des quatre éléments, le feu, l'eau, l'air et la
terre, le Zohar dit : « Dieu se revêtit de ces éléments
et il eût un corps. »Ne lisons-nous pas dans Moise(Ex.,
XX, 415, 19) : a Le peuple vit la voix, etc.? » Pourquoi
n'y a-t-il pas que la voix fut entendue? Mais Dieu se mon-
tra aux Israélites sous une forme humaine afin de les ins-
truire qu'un jour, à 1 époque du Messie, il apparaîtrait de
nouveau sous la même forme. Dieu dit par l'organe de
Moïse : « Je marcherai au milieu de vous. » (Lév. XXYI,
42). Le livre Jalkut [Jalkot) explique ainsi" ces paroles :
« Ceci notis rappelle un monarque qui se promène dans
son jardin et devant qui le jardinier confus cherche à se
cacher. Afin de le rassurer, le roi s'adresse à lui et lui dit
avec douceur : Que crains-lu , mon fils? Vois, je suis un
homme comme toi, et je marche à tes côtés. C'est ainsi
que Dieu revêtit une forme humaine afin d'instruire hu-
mainement les hommes. C'est aussi pourquoi le prophète
s'écrie (Isaïe,XXX, 20) : «Tes yeux verront ton maître.»
Quand Dieu dit (Deut. XXXII, 40) : «J'élève ma main vers
le ciel,» il ne pouvait, puisqu'il remplit tout de sa pré-
sence, prononcer ces paroles qu'en tant qu'homme et
marchant sur la terre. Que signifient ces paroles du pro-
phète Amos : « Dieu a établi son faisceau sur la terre,»
sinon que par ce faisceau, il entend la réunion des trois
personnes divines tandis qu'il habitait la terre? Nous trou-
vons dans Saloraon ces paroles (Cantiq, V, 4) : « J'entrai
dans mon jardin, etc. , et je mangeai de mon miel. » Com-
ment, demande le Zohar, comment peut-on dire de Dieu,
«88
dont il est question durant tout le cours de ce fchant, qu'il
à bu et qu'il a mangé? Mais ceci res&emble à Utt atai quî
en Visite uh autre , et Tait pour lui plaire mainte choae
qu'il n'a pas coutume de faire 1 , par exemple, il mange feanS
avoir Faim et boit sans avbir soif. Ainsi fait Dieu quand II
apparaît aux hommes, puisqu'alors, il descend à toutes les
occupations et à toutes les actions humaines.
7 b « Nous croyons que Jérusalem né doit jamais être
rebâtie. Car- il est dit dans l'Écriture (David, IX, 27) : « Le
peuple d'un puissant monarque détruira la ville et le sanô^
tuaire. La destruction sera complète comme par un dé-
luge. » Le prophète Jèrémie dit aussi (IV, 8) : <* Les péchés
delà ville de mon peuple (Jérusalem) sont bien plus grand*
que les péchés de Sodome, qui a été détruite de fond eh
comble, $> Sî Ton ne doit plus rebâtir Sodome, bien fnoins
encore. Jérusalem sera-t-elle construite, puisque le pro-
phète dit expressément que les péchés de Jérusalem sut^
passent ceux de Sodome.
8° « Nous croyons que les Juifs attendent en vain le
. Messie mortel qui, d'après leur croyance, doit les délivrer,
les élever au dessus de toutes les nations , et leur appor-
ter richesses et grandeurs. Mais Dieu Ini-mème appa-
raîtra sous une enveloppe humaine et rachètera les hom 1 -
mes de la perdition qu'il ont encourue par la fauté de
leursancêtres; cependant, il ne rachètera passeulement le*
Juifs, mais tous ceux qui auront foi en lui , tandis que les
incrédules seronttous plongésdans les abîmes de l'ente'?. <*
Comm3, dans ce symbole, on ne dit pas de quel Messie
il s'agit, et que, d'un autre côté, on y professe plusieurs
principes communs au christianisme, le cardinal crut pou-
* Voyez la t&bafo, par M- A Fiantk, pa*ej \Qô, it)$.
264
voir, avec le temps, porter facilement cette secte h l'adop-
tion du christianisme; il leur accorda donc sa protection et
s'intéressa en leur faveur avec beaucoup d'énergie auprès
du gouvernement. Pour se venger des tracasseries que lui
suscitaient les Juifs talmudistes, cette secte fît tant auprès
du cardinal que celui-ci fit brûler tous les livres talmudi»
ques qui se trouvaient dans son diocèse. L'insolence deces
sectaires alla si loin , qu'un d'eux se promenant à cheval
un jour de sabbat dans une rue des Juifs, s'arrêta devant
la maison du rabbin et y brûla un exemplaire du Talmud.
A la vue de cette impiété, les rabbins devinrent furieux,
ils s'adressèrent , par l'intermédiaire d'un fournisseur
nommé Baruch de Sklow, au comte Bruhl, ministre polo-
nais, qui les recommanda au nonce du pape alors présent
à Varsovie; ils lui démontrèrent que quoique beaucoup de
principes de cette secte parussent s'accorder avec ceux du
christianisme, ils ne disaient cependant pas distinctement
dans leur symbole queJésusfutle Messie, mais qu'ils en-
tendaient [par y eMessie le Schabbathai-Zévy et qu'il était à
craindre que cette équivoque ne trompât les chrétiens et
ne leur fit embrasser ces principes. On les accusait en-
tr'autres choses de commettre l'adultère et d'user récipro-
|uement de leurs femmes. Le nonce adressa à Rome un
/apport sur cette affaire qui fut soumis à un examen. Le
cardinal de Kamienitz étant mort sur ces entrefaites, et la
secte ayant perdu en lui son appui principal auprès du
gouvernement polonais, les rabbins prévalurent contre la
nouvelle secte et poussèrent si loin la persécution qu'une
grande partie des Frankistes se décida à émigrer en Molda-
vie, et à s'établir à Choczim et dans les environs de cette
ville. Mais les premiers qui arrivèrent dans ces pays furent
dénoncés au pacha et au kadi , par les rabbins qui leur
265,
dirent que ces étrangers n'étaient point de vrais Juifs, ne
relevaient pas du Chacham Baschi (grand rabbin de Cons-
tantinople), et qu'aucun d'eux ne s'intéresseraient en leur
faveur auprès de la Porte. Sur cette déclaration, les Turcs
dépouillèrent les nouveaux venns. En apprenant cela, les
autres Frankistes renoncèrent à aller s'établir en Moldavie.
Ne pouvant compter, en leur qualité de Juifs , sur la pro-
tection de qui que ce fût, ni clans leur pays ni à l'étranger,
surtout comme ennemis du Talraud , une grande partie de
ces zoarites polonais, résolut de passer à la religion chré-
tienne et d'embrasser extérieurement le catholicisme, de
même que leurs confrères en Turquie avaient embrassé le
mahométisme; ilssefirent donc baptiser en croyant qu'ils
pourraient néanmoins vivre secrètement d'après leur doc-
trine et leurs principes, comme, leurs co-religionnaires de
Salonnik. Mais les chrétiens ne se montrèrent pas aussi
tolérants que les Musulmans. Lorsque Ton eût appris que
les nouveaux convertis tenaient des assemblées secrètes ,
on leur fit raser la moitié de la barbe pour témoigner qu'ils
n'étaient ni Juife ni chrétiens, et ils furent envoyés en cet
état pour travailler à la construction d'un fort.
Parmi ces zoarites convertis, se trouvait Jacob Frank.
Mais comme il était encore attaché à ses adhérents juifs et
qu'il faisait partout des prosélytes, les rabbins le dénoncè-
rent comme enseignant aussi ses principes aux chrétiens.
Sur cette dénonciation , il fut renfermé dans le fort où il
resta pendant plusieurs années. Cependant, ses partisans
se multipliaient tant en Pologne qu'çn Allemagne. Mais
lorsque les Russes envahirent la Pologne , ils prirent aussi
le fort de Czenstochow et Frank fut délivré. Il parcourut
alors la Pologne, la Bohême et plusieurs autres pays, et
reçut de grandes sommes d'argent.
Il
En 17T8» Frank alla à Vifenhe oVeô une suite pompeuse
tonnée de ses prosélyte* des deux Sexes * et escorté de
secrétaires et de palefreniers; on voyait aussi parmi les'pre*-
mîers , beaucoup de rabbins. Il mena dans cette ville le
trairi d'un grand seigneur. Mais ses dépenses outrées et
efont on ignorait ta source > excitèrent les soupçons dé la
policé, et il fut enfin ehasséde Vienne. Il se rendit à Brunne;
parce qu'il avait beaucoup d adhérents dans chaque com-
munauté de la Moravie, d'où il envoya ses disciples dans
touft les pays. L'entretien nécessaire à lui et à sa suite, qui
secomposait de plusieurs centaines de jeunes Juifs des deux
sexes, lui fiât fourni très abondamment par ses Sectaires *
et plusieurs fois par année, il arrivait a Brunnemt dans tes
autres pays où il séjournait des tonneaux pleins d'or de
267
diverses contrées , et principalement de là Pologhfy sou*
l'escorte de sa propre milice. Quand il Sortait, ce qui arri-*
vait presque tous les jours dans l'après<-midi , pour faire la
prière dans les champs hors la ville, dix ou douze cava-
liers couverts d'or et habillés de vert et de rouge , comme
les Hulans, armés de lancés surmontées d'aigles, de cerfs,
de soleils et de lunes dorés, entouraient son chat* trainé par
des chevaux magnifiques. Un cavalier monté sur un cour-
sier superbe couvert de clochettes d'or suivait toujours le
char, portant une outre remplie d'eau, au bout de laquelle
se trouvait un arrosoir, etaprèsla'prièrë, il versait cette
eau dans l'endroit où l'on avait prié. Le but de cette céré-
monie est inconnu, car elle n'est fondée ni sur la religion
juive ni chrétienne, ni sur la religion mahométahe. On n'en
trouve même point de traces dans le Zohar.
îl se rendit de nouveau a Vienne quelques années après.
Mais ses prétentions singulières, qui étaient beaucoup au-
dessus d'un simple particulier , le train de sa maison qui
égalait celui d'un monarque oriental , tout cela excita de
nouveau les soupçons delà police, etil fut banni de Vienne
pour la seconde fois, quoiqu'il prétendit jouir de la pro«*
tection d une grande princesse du nord. Il s 'adressa alors
au prince de Hambourg qui lui permit dese fixer à Offen-
bach avec* cinquante personnes de sa suite, et lui loua en
même temps son propre palais , que Frank Occupa dès
Tannée 1 788 avec le titre de baron. Ne renonçant ni à son
train ni au luxe de sa maison, sa suite s'éleva bientôt au
nombre de mille personnes, tant hommes que femmes et
enfants, et tous, sans exercer aucune profession , furent
entretenus richement aux dépens de sa propre catesë. Il
se rendait lui-même inaccessible; on nfe pouvait le Voif qu$
lorsqu'il était à sa fenêtre ou dans sa voilure, quandil allait
268
faite la prière journellement à quatre heures de l'après-
midi, à l'église catholique de Birgelein, village éloigné
d'un quart d'heure d'Offenbach, où il allait tous les diman-
ches à la messe. Il y avait toujours deux gardes à l'entrée
de sa maison et deux à la porte de sa chambre , tenant le
sabre en main. Il ne priait à l'église ni debout ni à genoux,
mais il s'étendait sur un tapis magnifique à la manière
orientale , le visage contre terre, et dans cette position ,
il faisait sa prière en silence. Il n'ôtait jamais son petit
bonnet rouge, pas même à l'église. Tous ses disciples lui
portaient un respect presque divin, et celui qui en man-
quait, était puni très sévèrement. Ils vivaient tous pacifi-
quement tant entre eux qu'au dehors ; ils ne donnaient
point occasion aux disputes ni aux querelles, et jamais la
justice n'eût de plainte contre eux. Trois ou quatre cents
Juifs de sa suite qui demeuraient avec lui dans la même
maison, s'exerçaient souvent aux armes, soit dans le jardin
soit dans la cour
On ne sait pas dans quel but ils étudiaient entre eux la
chimie et faisaient de temps à autre des expériences chi-
miques, dont les résultats restaient inconnus.
Un grand nombre d'hommes de cette secte qui joi-
gnaient la vertu au savoir, allèrent en ce temps là en pè-
lerinage en Marovie et de la Pologne à Offenbach. Plu-
sieurs familles riches tombèrent dans une position très
fâcheuse par leurs pèlerinages trop fréquents et par leur
long séjour dans les villes, car ils négligaient leurs affaires
et sacrifiaient des sommes énormes pour l'entretien de
Frank. Il y eût des gens qui ayant envoyé auprès de lui
leurs filles adultes, ne les revirent plus et n'en eurent au-
cune nouvelle, à l'exception de deux qui s'échappèrent de
la maison de Frank au péril de leur vie.
$6l>
11 est à remarquer que deux aventuriers , Frank et <?a-
gliostro, qui étaient contemporains , se ressemblaient en
plusieurs points. On ne connaissait des deux ni les res-
sources de leurs richesses ni comment ils suffirent à leur
pompe seigneuriale pendant leur célébrité. La magnifi-
cence de la maison de Frank, comme celle de Cagliostro ,
leur donna de l'importance aux yeux de leurs sectateurs ,
ilsvoyagaienten princes, précédés de courriers et accom-
pagnés d'une grande suite de serviteurs richement habil-
lés, l'un et l'autre affectaient un visage sévère , nn air
imposant qui les fit juger aux yeux du peuple beaucoup
au-dessus de leur rang. Leur plus grande célébrité, à
l'un et à l'autre, eût lieu dans les années 4788 et 4789,
Quoique Frank fut regardé par ses adhérents comme
immortel, enfant d'Adam, il n'en paya pas moins, son {ri-
but à la nature , et mourut frappé d'apoplexie le 10 dé-
cembre 4 794 . Malgré cette mort subite contraire à l'attente
de tous les sectateurs de Frank, ses funérailles furent très
pompeuses. Le 42, à trois heures de Taprès midi tousses
adhérents présents à Offenbach , et dont le nombre s'éle-
vait à plus de huit cents , accompagnèrent le corps de
Frank à sa dernière demeure. Les femmes et les jeunes
filles, au nombre de deux cents, marchaient devant le cer-
cueil, vêtues de blanc, les cheveux entrelacés de rubans
blancs, et portant des cierges allumés. Après , suivait le
cercueil découvert du défunt porté par ses serviteurs, et
enveloppé dans un talar de soie rouge doublé d'hermine ,
qu'il portait ordinairement pendant sa vie. Après le cer-
cueil, venaient ses trois enfants, puis lalivrée avec les gar-
des du corps, au nombre de soixante-dix hommes. Enfin,
le peuple fermait la marche du convoi, portant des flam-
beaux , le crêpe au bras , et les femmes ayant des
270
rubans blancs dans les cheveux. Le convoi se rendit ainsi
$u cimetière public; là on s'arrêta un instant et Ton couvrit
le cercueil Le couvercle était garni de satin blanc et orné
de franges banderoles et autres ornements d'or. Pour le
descendre dans le tombeau, on se servit, au lieu de cor-
des, de draps blancs dans lesquels le cercueil fut, de plus,
enveloppé.
Alors, les huit cents personnes qui étaient présentes ,
hommes, femmes et enfants , (portés sur les bras de leurs
mères) , firent retentir l'air de cris lamentables, et Ton vit
des larmes ooider enabondancedetouslesyeux.Peut-être
était : ee qu'au moment de descendre leur maître au tom-
beau, ce qu'ils croyaient ne devoir jamais arriver , qu'ils
sentirent plus vivement leur perte en se voyant trompés
dans toutes leurs espérances. Chacun des assistants prit
une poignée de terre et la jeta dans la tombe. Un
des gardes du corps du défunt qui avait perdu la
vue depuis quelques semaines, voulut aussi accompagner
son maître à sa dernière demeure » il se lit conduire par
deux amis, et pour lui montrer son respect et son attache-
ment il jeta aussi sur son tombeau une poignée de terre.
Toute la suite porta le deuil pendant une année entière,
un ruban blano dans les cheveux, et un crêpe de même
couleur au bras.
III
Après la mort de Frank , les sources émargent tarirent
peu à peu. C'était ou parce que l'illusion avait dispara
avecTacteur, ou parce que ses adhérents n'avaient pas
bien étudié leurs rôles, et leurs représentations firentmoins
d'impression. Les enfants délaissés de Frank, Rochus ,
Josephe et Eve, se trouvèrent bientôt , après la mort de
leur père, sans ressources, et ils furent forcés d'avoir re-
cours aux emprunts , et , plus tard , aux inconvénients
qu'ils entraînent. Ils tentèrent donc un dernier effort , et
tâchèrent de donner à leur dessein une nouvelle vie par
la circulaire suivante écrite à l'encre rouge par les yrais
disciples de Frank , et adressée à tous les Juifs de l'Allen
jpagne et de la Pologne :
« Que le Seigneur de la p#i* vous donne à vous et k
toute la maison d'Israël la bénédiction de la paix,
« Nos bien-aimés de la maison d'Israël ; sachez que lorsque
notre saint-maître (Frank) , était assis à la porte méridio 7
nale de Czenstochow. * II envoya un saint écrit à la ville
de Brody avec le contenu suivant :
« Ecoutez-le, vous, cœurs endurcis, qui êtes très éloignés
de la vertu, etqui marchez dans dessentiers tortueux. Qui
d'entre vous craint assez Dieu pour entendre la voix du
prédicateur des peuples ? Vraiment Dieu ne fait rien s'il
n'avait pas découvert auparavant ses mystères. Malheur
à vous si le grand lion se réveille et se rappelle Pagneau.
L'Ecriture (Amos. 3, 7) dit : Dieu n'exécute aucune chose
sans avoir auparavant communiqué son arrêt à ses servi-
teurs les prophètes. Si Vbus êtes les enfants de Dieu, pour-
quoi ne vous a-t-il pas découvert ce qui arrivera à la fin
des jours, savoir : Dans les temps présents, ce qui est pré-
dit est arrivé, je vous annonce maintenant une nouvelle et
vous prédis la fin au commencement , savoir : que vous
pleurerez les habitants de Krakovie et de ses environs, et
que vous [porterez le deuil à leur mort. Pleurez, ceignez
vos reins de sacs et ordonnez des deuils publics , car une
flamme sortira de leurs nombreuses iniquités et consu-
mera cette ville par la famine, la peste et la captivité. Les
cadavres seront partout dispersés comme des monceaux
de fumiers dans les champs , et les chiens lécheront leur
sang. La tempête de Dieu éclatera avec furie , se précipi-
tera sur la tête des impies et consumera tout , jusqu'au
i II est dit dans le Talmud ( Tract, sanhédrin) , le Messie est assi*,
(Apitheha Derômô), Les opinions ne sont pas d'accord sur cette expression,
'les uns disent qne cela veut dire à la porte de Borne; mais d'autre»
croient que cela signifie à la porte méridionale (du sud), nous acceptons
la seconde opinion parce que la première convient encore moins dans le
contexte.
273
plus profond abîme. Celui qui échappera à l'épée , se pré-
cipitera dans la tombe, etc. C'est pour cela que vous de-
vez pleurer et vous lamenter sur leur sort. Mais ils pleure-
ront aussi et se lamenteront sur le vôtre.»
» Car la nation des descendants d'Edom a déjà paru , le
bruit guerrier presse déjà un royaume contre l'autre , le
peuple alors sera purifié, et les vicieux tomberont dans la
damnation éternelle. Les impies ne veulent pourtant pas
le comprendre, et ce n'est que les judicieux qui sentiront
que celui qui descend d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, est
forcé de se convertir à la sainte religion Edomite 1 . Celui
qui adoptera cette religion par amour sera sauvé de toutes
les souffrances etparticipera comme tousles vraiscroyanls
aux biens qui ont été promis par Ësaïe et les autres pro-
phètes. Je pourrais bien en dire davantage, mais cela doit
suffire pour les intelligents, et un seul signe suffit pour le
sage. Signé : Jacob-Josephe Frank. *
Il écrivit cela en Tannée 4767, une année après, étant
encore à Czenstochow, il fit circuler parmi tous les Juifs
l'écrit suivant :
«Une forte voixfut entendue d'en haut jusqu'en bas, (du
ciel à la terre). Nous vîmes avec des yeux ouverts com-
ment la roue se mit en mouvement d'en haut vers tous les
points, et nous entendîmes la voix qui appela du haut en
bas; réveillez-vous , vous qui sommeillez , qui dormez
dans vos trous et qui ne vous apercevez de rien, qui avez
des yeux et ne voyez point, et dont les cœurs sont fermés,
1 Probablement les Chrétiens, car d'après l'opinion de quelques rab-
bins et principalement du R. Moïse ben Nachman, et du R. Abarbanclle,
les premiers Juifs qui se convertirent au christianisme descendaient des
Édomites qui furent incorporés au peuple juif déjà au temps des Mâcha-
béens.
18
274
à qui la doctrine est devant les yeax et qui n'y faites pas
attention. Cette doctrine appelle à haute voix. Ouvrez vos
yeux, 6 insensés, mais personne ne répond à son appel ,
personne ne lui prête une oreille attentive. Jusques à quand
marcherez vous encore dans les ténèbres de votre volonté.
Cherchée a connaître, et uno lumière qui luit en son temps
se manifestera devant vous. Donc vous êtes sages h vos
yeux et vous devez savoir comment on manie l'aro à la
guerre. Si on le tend faiblement, la flèche vole & une grande
distance. Sachez maintenant que Tare de Dieu n'était (\m
faiblement tendu jusqu'à présent , mais il viendra un
temps où vous oublierez vos (eqnrnes et vos enfants h causa
du fléau de Dieu, car tous les princes , les seigneurs et les
gouvernements, (le gouvernement prussien pap même ex-
cepte), vous haïront, et celui qui verra un Juif lui erachera
au visage. Yos plaisirs se changeront M peines , «t il vous
arrivera des fléau* inconnus jusqu'à ce jour. Ne croyez
point que le présent écrit ressemble à celui que je vous ai
envoyé il y a quelque temps , dont le contenu n'était pos
encore réalisé. La première lettre ne contenait qu'une
exhortation , Ja présente, au contraire, vous annonce ce
qui arrivera bientôt dans tout le monde entier, mais sur*
tout dans la grande et petite Pologne , la Lithuanie , la
Russie, la Hongrie, laWalachic, la Moldavie, la Tartane ,
dans toutrempire Turc, la France, l'Allemagne, la Bohème,
la Moravie , la Prusse , et principalement dans toutes les
contrées où résident des Juifs. Malheur 1 Malheur! à ce
temps qui arrivera à vous et à vos enfants. Ceux qui se-
ront dans la maison, périront dans la maison, les fossoyeurs
ne suffiront pas pour enterrer la grande multitude des
morts. Ceux qui seront aux champs, périront aux champs,
et les chiens disperseront leurs ossements ça et là ; pour
i
275
écrire tout ce qui arrivera , le papier n'y suffirait pas , et
un signe suffit au sage, mais je vous fais savoir qu'il n'en
sera pas autrement, jusqu'à ce que la loi c}e Moïse soit ac-
complie 4 et que vous entriez dans la sainte religion des
Edomites. Nous trouvons aussi de Jacob qui dit à Esue la
tige des Edomites, (1, L. de M., 33, 14), que monSei^peut*
vienne avant son serviteur jusqu'à ce que je vienne après
mon Seigneur, à Seir, et ailleurs (4, L. de M., 20 , 14) ,
Moïse envoya unmessager au roi d'Edom. Ainsi , pelpi qui
descend d'Abraham, d'Isaacet de Jacob, est obligé d^dop-
ter la sainte religion cl'Edom. Quand le torrent déborde ?
et certes, il débordera à la fin , or il arrivera un démêlé.
C'est de l'argile commune, et les doigts des pieds sont en
partie de métal et en partie d'argile, parce que le royaume
est en partie stable et en partie fragile 2 . Mais moi je vous
dis que le faible frappera le fort. s'ils étaient sages , ils
auraient fait attention à ceci, et auraient pris à cœur la fin
de cet événement.
«Ici, ajoutentlesauteursde cettecirculaire, ici était signé
son saint nom, lorsqu'en 1773 il s'en alla deCzenstochow,
il nous envoya à Luobin , à Lemberg et à Brody , et dans
beaucoup d'autres villes pour annoncer à tousîes hommes
de Dieu, qu'un temps approche où tous les Juifs seronf
1 Celte expression a une équivoque, ou elle veut dire accomplir»
achever (Bois , 8-15), et elle peut signifier ceci , jusqu'à ce que tout le
mal annoncé par Moïse ( 5, L. , 26, 10-41 ) soit arrivé, ou ce mot signi-
fie finir, se perdre (comme P. E. , L. . de M. 12-4), et a rapport à la loi
de Moïse même qui, d'après l'opinion de ses épistolograpbes cessera un
jour, et il viendra à su place la loi des chrétiens ou môme celle des zpa-
rites ou de Frank.
2 Ce vers obscur rapporté ici (Daniel, 2-42) paraît être moins mys-
tique, cela \icnt de la faiblesse que l'auteur éprouve à s'exprimer distinc-
tement.
276
obligés d'accepter le baptême , parce qu'il est ainsi or-
donné par Dieu. Celui qui entre à l'ombre de la maison de
Jacob (Frank), le dieu de Jacob sera à son aide, qu'il ne
perde point les deux mondes (le présent et l'avenir), car
nous vivons à son ombre parmi les peuples. Ne vous mo-
quez pas de ceci, afin que vous n'augmentiez pas le mal. »
» Nous vous annonçons donc que Dieu nous a communi-
qué qu'il arrivera dans cette année (1800) un temps funeste
pour les Juifs, et alors toutes les souffrances qu'il a prédites
(Frank) dans la sainte lettre , se précipiteront sur leurs
têtes. Notre cœur en est affligé , car comment pourrons-
nous voir tranquillement la ruine de notre peuple et le
sort affreux de notre famille; il est aussi de notre devoir de
vous donner le dernier avertissement, afin que vous sachiez
tout ce qu'il vous a ordonné dans son saint écrit , car ce
n'est qu'alors que vous pourrez avoir bonne espérance en
l'avenir.
» Rappelez-vous que c'est le temps où l'ondoit abolir la
loi pour l'amour de Dieu, réfléchissez à ce qu'ont dit nos
sages dans le Talmud (traité sanhédrin). Le Messie ne vien-
dra pas avant que tout le royaume ne soit plongé dans
l'hérésie, car il est dit (Levit, 13, 13), si tout en lui
(lépreux) estdevenu blanc, alors il est pur », c'est le temps
dont parle Jacob (le patriarche, Genèse, 34, 14), jus-
qu'à ce que je viendrais à mon Seigneur (Esuë la tige des
1 David dit (Ps. 119, 12) , il est temps de faire pour Dieu, car ils ont
aboli la loi ; il voulait dire par ceci comme le marque le contexte , que la
punition de Dieu ne manquerait pas à cause de la désobéisance de la loi.
Le Talmud (Tractaie Themura) interprète ainsi ce vers : Quand il est
temps de faire quelque chose pour Dieu, on peut transgresser à la loi ;
c'est-à-dire, pour soutenir une loi importante, on peut transgresser aune
moins importante. Les auteurs de celle lettre veulent faire allusion à
ceci , etc.
277
Edomites) àSeïr. Nous ne trouvons pointqu'il ait accompli
cette promesse, mais c'est à présent que notre saint maître
(Jacob Frank) l'accomplit, lui qui est le vrai Jacob, le vrai
élu des patriarches, qui tient fermement aux deux côtés
(savoir, au judaïsme et au christianisme), et a ainsi uni le
bout antérieur (le judaïsme), avec le dernier qui devait se
former sur la terre (le christianisme) , et qui est le supérieur.
En vérité, ce Jacob n'est pas mort 1 , c'est lui qui nous a
introduit dans la religion des Edomites et nous a appris que
tous les descendants d'Abraham, d'Isaac et de Jacob sont
obligés de marcher dans le sentier dans lequel nos patriar-
ches ont fait marcher leurs enfants du dernier temps.
Abraham alla en Egypte, Isaac vers Abimelech, et Jacob
sortit de BeérSaba, ce qui vient dire d'après l'explication
du Zoar , qu'il se sépara de la croyance du pays d'Israël
et alla dans une autre contrée , savoir, à Charan , car ,
comme l'explique le Zoar, la délivrance ne peut parvenir
que du plus mauvais endroit. Il arriva de là à la fontaine,
y trouva Rachel , roula la pierre de la fontaine, servit
Laban; prit sa part, lequittaetalla vers Esuë. Mais dans ce
temps là, il n'accomplissait pas entièrement la promesse, car
quoiqu'il eût roulé la pierre, celle-ci est pourtant revenue
au même lieu. Mais tout ceci n'était qu'un symbole pour
montrer le chemin dans lequel marchera le plus parfait
Jacob (Frank) dans le temps futur. Car, d'après ce qui est
dit dans le Zoar, il y a deux Jacob, savoir : Jacob le pre-
mier (le patriarche), il est vrai qu'il fut parfait, mais le der-
nier Jacob (Frank), est le plus parfait, et c'est lui qui
accomplira le tout. Le Zoar dit aussi : il viendra un homme
1 C'est une allusion à un passage du Talmud, ou il est dit ; le patriarche
Jacob n'est pas mort,
2Ï8
à la figure d'Adam et une femme comme Eve 4 . C'est pour
cela que nous sommes obligés de marcher dans son sen-
tier, car les sentiers de Dieu sont droits et les justes y
marcheront.
» Quoiqu'il soit nécessaire de se taire etdetout endurer,
que je cœur ne doive rien confier à la bouche, le prophète
dit pourtant (Esaïe 14, 16), je conduirai les aveugles par
des sentiers inconnus et les mènerai sur des chemins qu'ils '
ne connaissent point; pour la lumière, je leur donnerai des
ténèbres ; et un chemin tortueux pour un sentier droit.
C'est pourquoi nous sommes obligés de vous dire comme
dit le Zoar, (Jacob Frank par sa conversion), savait hono-
rer son maître. Les paroles de la prophétesse Deborah font
aussi allusion à cola : (juges 54) Jehovah ! lorsque lu sor-
tais deSeir, tu t'avançais dans les champs d'Edora ,
(Esaïe, 63, 1). Qui est celui qui vient d'Edom? etc. Sur
quoi Técole d'Elias donne l'explication suivante ; il vien-
dra un jour où les anges chercheront Dieu , la mer dira il
(Dieu) n'est pas chez moi, et l'abîme , ni chez moi non
plus. Où donc le trouveront-ils? Réponse, en Edom, car
il est dit qui est celui qui vient d'Edom. Ainsi celui qui le
suit dans cette religion et s'attache en même temps à la
maison de Jacob, trouvera un asile à son ombre, le pro-
phète dit : (Aam. 4, 20). Nous vivons dans son ombre par-
mi iespeuples, et ailleurs, (Micha 4, 2). Alerte! montons
le nom de Dieu et marchons vers le temple du Dieu Jacob,
qu'il nous conduise dans ses chemins , et que nous mar-
chions sur son sentier. Car c'est un sentier de vie pour
tous ceux qui le trouvent. Faites ceci et vous aurez le
1 C'est une allusion à la fille de Frank qui étant juive , se nommait fia*
chel , et qui après le baptême prit le nom d'Eve.
a?»
bonh&tir d'être attachés au vrai Dieu, et Ydilk èe que dit
Moïse (Deuter, 4, 29).Vous chercherez de lh Jehovah, votive
Dieu» et votis le trouverez, ainsi ce n'est que le (danfe la
religion de&Edomites), que vous trouver Dieu , comme
on n'aperçoit la lutnière qu'à travers l'obscurité. C*ëèt
pourquoi, dit le prophète, (Micha, 78), quand je sois dons
l'obscurité, j'ai Dieu pour lumière. Prenez donc h cœur
nos paroles et vous participerez bientôt à tous les biens
que Dieu nous a promis par 6es serviteurs les prophètes ,
car ceux qui entrent dans la maison de Jacob trouvent
assurément la source de Veau rafraîchissante •. Nos chef»
amis» si nous voulions vous décrire tout ponctuellement le
papier n'y suffirait pas, c'est par (jette raison que nous ne
vous avons découvert que la plus petite partie des mys-
tères, car il est dit : (proverbes 9* 9) , donne au sage aft
signe et il deviendra de lul-môme plus sage , faites des
recherches danfe la bible et dans tous les autres livrée an*-
ciens, et vou6 trouverez que la vérité^ est de notre côté.
Cherchez et vous trouverez. Faites attention à nos patr-
ies et suivez tout ce qu'il (Frank) vous a prescrit; alors, te
Dieu de Jacob avec vous, vous serez garantis de tout mal-
heur et de toute souffrance; l'héritage de Jacob» une pos-
session sans bornes vous sera en partage, et vous sefez
heureux tous les jours du monde. »
Signés : Franciszek Wolowski 2 nommé autrefois
Salomon, 61s d'Elischa Sfchor de Rohatin.
Michel Wolowski , nommé autrefois Nathan , fils
d'Elischa Schor deRohatin.
1 Us veulent pas là faire allusion à l'eau bénite du baptême.
2 Wol veut dire bœuf en langue polonaise , qui répond a schor de la
langue hébraïque , et la terminaison ski est ajoutée à presque tous les
noms polonais. (Voyez plus haut, pag. 29.)
280
Icmerdski Dembromski, nommé autrefois Jeruchin, fils
de Lippmannde Czartkow '.
Ce moyen restant infructueux, le parti de Frank se dis-
sipa peu à peu, et le petit nombre qui restait encore à
Offenbach, fut forcé, pour vivre, de travailler dans les
fabriques , ce qui était d'autant plus fatiguant , que ces
adeptes avaient été accoutumés à l'oisiveté. On ne sait ce
que sont devenus les enfants de Frank , un de ses fils , qui
était officier dans l'armée russe, passa en 18lià Prague,
où il visita les amis et les adhérents de son père. Il fut très
bien accueilli par eux et ils lui donnèrent beaucoup
d'argent. Depuis ce temps, on n'en a plus entendu parler.
C'est ainsi que disparurent avec l'acteur tous les décors
de la scène, les figurants et les souffleurs se cachèrent dans
les coulisses , mais on continua pourtant à jouer encore
cette comédie en petit; les adhérents de Frank et de ses
prédécesseurs ne sont pas tous morts , et les enrôlements
continuent toujours. Il est vrai, ce n'est plus commeautre-
fois , en grand , mais cependant en détail , dont le dépôt
général se trouve présentement à Varsovie. 2
fc— — i ■ i ii ■ ■ . ■ ■
* Cette lettre écrite dans l'original avec de l'encre rouge (qui peut
filtre allusion au mot ado m , qui signifie en hébreu aussi rouge), à la
suscrijlion : Aux intendants de la communauté des Juifs pour la com-
muniquer à toute la communauté à Prague.
2 La police de la France a fait tout son possible pour découvrir les
mystères de cette secte politocosmique. Des agents furent envoyés dans
tous les pays, et ils se donnèrent beaucoup de peine pour soulever le
voile, principalement à Varsovie, où est le siége'général de cette secte ;
mais ils n'en rapportèrent que des conjectures et non des explications
claires.
LE CUASS1DE ET SA FEMME.
lies Israélites de Pologne, par L. Hollaenderski*
LA SECTE DES CHASSIDIMS, OU BESCHTIANIENS.
L'expression Chassid signifie dans la langue hébraïque :
faire plus que V ordinaire par un zèle trop exagéré d'une
chose, ou de pratiquer quelque chose d'extraordinaire tant
en mal qu'en bien. Et on entend parce mot, un homme
qui suit exactement tout ce qui est prescrit par la religion,
mais qui par amour pour Dieu fait encore plus, et se prive
même de la jouissance des choses permises afin de ne
point commettre des choses défendues. Ils ne mangent ,
par exemple, non-seulement pas de viande , mais encore
rien de ce qui yient d'un être vivant, tels que des œufs ,
du beurre, du miel, etc. Ils portent un habit poilu sur le
corps nu, avant la prière du matin , ils se plongent dans
l'eau froide (Mikvali), même pendant les hivers les plus
rigoureux, voyagent toujours à pied , sans séjourner plus
382
d'une nuit dans un endroit, jeûnent souvent trois ou six
jours de suite sans prendre aucune nourriture , se cou-
chent dans la neige en hiver et sur des épines en été, et se
refusent toutes les jouissances de la vie.
La plupart de ces hommes s'occupaient de la cabale
et croyaient ne pouvoir être dignes de s'instruire dans cette
science mystique que par la mortification de toutes les
passions, afin de pouvoir se rendre dignes d'entrer en re-
lations avec les esprits et avec Dieu lui-même.
Vers le milieu du siècle dernier , quelques-uns d'entre
eux, par motif de sainteté, crurent pouvoir s'imposer tou-
tes ces mortifications, mais ils se trouvèrent incommodés
par la privation de toutes les jouissances et par la mortifi-
cation du corps. Ils suivirent alors une route moins péni-
ble, ils bornèrent la réunion de l'homme avec Dieu seule-
ment au temps de la prière, et dirent que la prière devait
être faite avec dévotion , c'est-à-dire, avec tous les efforts
de l'esprit et de lame et avec l'anéantissement total de
l'extérieur de l'homme. Ils disentque c'est le seul moyen
par lequel l'homme peut s'unir avec Dieu, se détacher des
choses terrestres pour être en communication avec les
régions célestes. Ils supposent que hors le temps de la
prière, l'homme est obligé de développer tous ses senti-
ments naturels, de mettre en action autant que possible
ses capacités spirituelles et corporelles, et de se procurer
le plus d'activité possible.
En l'année 4740 vécut en Pologne dans le bourg de
Tluszly qui appartenait autrefois au département de Zalos-
zezyki , et maintenant à celui de Czarthow. Un nommé
Israël, qui plus tard s'établit à Medzcborz, ville située dans
la province dePodolie; là, il fit counaitre sa doctrine etses
principes et s'attira un grand nombre de disciples.
983
Une légende faite par un certain R. Bar, sous le titre de
ScheucocheHabescht* , imprimée en 1 844,et qui jusqu'enl81 8
«ût cinq éditions, rapporte les actions merveilleuses de cet
homme. Les principes faits par le fondateur de cette secte
qui ntbntrènt la croyance et la conduite que ses sectateurs
doivent suivre, se trouvent dans un livre fait par lui-même
sous le titre Sépher-Hamidotk, ou livre de mœurs. Les rab-
bins ohhodoxes les plus célèbres de ce temps là, résistè-
rent autant qu'ils le purent coqtre cette innovation, mais
les anathèraes qu'ils lancèrent contre eefe 6ectateurs restè-
rent inutiles, et les poursuites les plus rigoureuses furent
éludées. Au contraire, leô adhérents de Bescht formèrent
une secte organisée, et se répandirent dans toute la Polo~
gne«, làWalachie, la Moldavie, et plus tard, ils firent leur
entrée dans la Hongrie, surtout dans les contrées qui bor-
nent la Galicic. Dès sa jeunesse, Béscht s'occupa de la ca-
bale, s'acquit par cela une! réputation de saintetés II affirma
que son àme se séparait souvent de son oorps et montait
vers les régions célestes, et pénétrait ce que l'on arrêtait
dans le sénat 2 qui était en rapport avec la terre , qu'il
avait le pouvoir de gouverner les délibérations de ce divan
1 Ce nom est composé des premières lettres des mots baal schem
taube. qui désignent un homme d'une grande réputation par ses talents
et sa capacité à faire des choses surnaturelles, par l'invocation mysté-
rieuse des noms sacrés de Dieu et des anges.
s Les cabalistes disent qu'il y a dans le ciel un sénat composé de plu-
sieurs anges, et qui est préndé par Dieu et par Satan , ils nomment ce
conseil la famille du ciel : Pamalie^ Schel mahlé, et fondent leur opinion
sur ce que dit Daniel (7,10): « J'ai vu des chaises et un vieillard Assis,
ses vêtements étaient blancs comme la neige, etc. Ils démontrent iqu*il y
a aussi un fiscal céleste, ou Kategor — cathegor. Par le passage de Job où
il est dit que, lorsque les anges se rassemblaient devant Dieu , Satan y
était au&si pour accuser Job. (V. Job, 118 ; Zachario, 1, 5.)
284
céleste d'après son avis , c'est-à-dire d'en expédier les
bonnes et de laisser les mauvaises.
.Bescht, par la bienveillance qu'il avait acquise des séna-
teurs célestes , avait le pouvoir de faire des prodiges ,
comme par exemple , au temps de la guerre des Russes
avec les Turcs, il avait, par ses prières, fait remporter la
victoire à l'armée russe ; avait rendu fécondes les femmes
stériles; ressuscité les morts; délivré des damnés de l'en-
fer; tiré des âmes des corps des animaux où elles étaient
passées ; fait monter jusqu'à Dieu les prières qui ne pou-
vaient y parvenir ; puni ceux qui ne croyaient pas à ses
prodiges; d'un seul mot, il faisait parler les muets, et ren-
dait muet ceux qui parlaient. Il ne lui fallait qu'un signe
de la main pour guérir les aveugles et rendre aveugles les
clairvoyants.
Après la mort de Bescht en 4760, ses disciples qui
avaient appris de lui son charlatanisme se répandirent
dans toutes les contrées de la Pologne , chacun se fixa
dans un district et prit le sceptre sur les Chassidims qui y
demeuraient, en prenant le titre de Zadik.
Cet arrangement existe encore aujourd'hui. On ne peut
parvenir à cet honneur sans avoir beaucoup de connais-
sances talmudiques et cabalistiques. Mais il faut surtout
être rusé, avoir beaucoup de finesse, de connaissance des
hommes, d'effronterie et de courage. Ces Zadiks ou chefs ,
n'ont aucun salaire fixe et semblent n'administrer leurs
fonctions que pour l'amour de Dieu et de leurs disciples ,
mais ils sont cependant entretenus par les communautés
en général et par chacun des sectaires en particulier , et
cela assez richement pour qu'ils puissent vivre dans l'a-
bondance.
II
Voici les principes qui font la base de la religion chas-
sidéenne :
Emounalh Chachamim Wéhilhkaschroth katzadik , c'est-à-
dire : croyance aveugle et attachement inséparable au Zadik.
L'exécution des ordonnances du Zadik qui sont la vo-
lonté de Dieu doit être le seul règlement que doit suivre
chaque chasside dans ses pensées et dans ses actions, et que
rien ne doit empêcher 1 . Ce chef à la puissance de remettre
les péchés en toutou en partie, puisqu'il est le représen-
tant de Dieu a . Il est du devoir de chaque chasside d'aimer
1 ' * 'i
1 L'essentiel et le fondement de la croyance de chaque chasside < con-
siste dans la croyance au Zadik ; si parfois le Zadik agit contrairement à
la loi, on doit croire qu'il fait ce qui est juste. (Likuté Mahram, § 43.J
2 Le Zadik est un être surnaturel (Ktsser Schemtob, p. 18). Le Zadik
286
le Zadik pardessus toute chose 4, de le louer , de le soute-
nir par des dons honorables 2 et surtout de lui procurer
des plaisirs autant qu'il lui est possible 3 , L'étude des scien-
ces est non-seulement veine et inutile, mais aussi très nui-
sible à la félicité de l'àme du Chasside, et celui qui s'en
occupe est considéré comme hérétique. Il leur estdéfendu
d'apprendre les langues étrangères , et la médecine est
regardée comme une science tout-à-fait inutile *.
Ce principe de la croyance chassidéenne est très avan-
tageux pour les Zadikim de cette secte , puisque chaque
chasside fait tout son possible pour s'attirer les faveurs de
ceux-ci par toutes sortes de services. Voirie Zadik en face
ou l'entendre parler , est déjà une œuvre méritoire et
agréable à Dieu 5 . Tout Chasside est obligé de prier le
Zadik d'intercéder pour lui auprès de Dieu , pour chaque
événement de sa vie bon ou mauvais, et de lui demander
a le pouvoir de montrer à chaque homme sa place dans le ciel ou dans
l'enfer (Sepher hamidoth, § 57.)
1 Cet amour doit surpasser celui que Ton porte à sa femme et à 863
enfants; car aimer le Zadik , c'est comme aimer Dieu. (Mabasser Zédak,
%&)
2 Le seul moyen que le pécheur a d'obtenir le pardon de Dieu , est
de tâcher d'augmenter les revenus du Zadik. (Sepher Hamid, §141.^
3 La prière de celui qui procure des plaisirs au Zadik est infaillible-
ment écoulée. {ld. §10.)
4 Celui qui sait prier Dieu, n'a besoin ni de médecin, ni de remèdes ,
la cure principale consiste en un pidion.... Cette opération se fait en
faisant avec cent soixante petiies pièces de monnaie de cuivre ou d'ar-
gent , de petits monceaux, les réunissant plusieurs fois ensemble , et en
disant en même temps une prière. Tout ceci doit être fait par le Zadik lui-
même. (Lik. Mahram. P. 2 et 115.)
5 La seule vue du Zadik effarouche les vices, et étouffe les mauvaises
passions. (Seph. Hamid, § 14). Celui qui entend parler le Zadik attire a
lui l'esprit divin. (Kizor Lik. 3Iahram, § 37). Savourer la fumée au sortir
de sa bouche; alors, seulement, il peut espérer d'être heureux et sauvé.
{M égalé Femitin, p. 25.)
287
sa bénédiction aucommencementd'une affaire importante.
Si dans tous les cas, la prière ou la bénédiction ne fait pas
accorder le récitât désiré, la cause ne doit pas en être
attribuée au Zadik, mais plutôt aux péchés de celui pour
qui le Zadik s'intéresse i.
Comme le jaloux Satan tend des pièges aux prière* du
Zadik afin qu'elles n'arrivent pas jusqu'à Dieu, le Zadik se
sert souvent d'une petite ruse pour tromper Satan- Par
exemple» il n'adresse pas sa prière directement à Dieu
dans la forme ordinaire, mais il s'entretient avec une per-
sonne sur un autre sujet, et entremêle sa prière aveo son
entretien » afin que Satan ne s'aperçoive pas de spn inten-
tion et c'est de oette manière qu'il se trouve trompé par le
Zadik, plus adroit que lui 2 .
On pourra s'attirer tous ces avantages qui sont offerts
par l'attachement que l'on doit a» Zadik. Chaque Chasside
s'empresse de le voir aussi souvent qu'il le peut, ils s'as-
semblent pour cela chaque soir du sabbat pour faire le
troisième veip&&Séhoudé Schelischitk 3 .
Dans ces assemblées qui durent ordinairement jusqu'à
i Dieu n'écoule souvent pas la prière du Vadik, parce que les péchés
de celui pour qui il prie sont trop nombreux, ou parce que Dieu prévoit
que si celle prière élait accordée, celui poux qui l'on prie pourrait tomber
dans quelques faux pas. (Seph. Hamid, % 85.)
2 Celte proposition se fonde sur l'opinion cabalistique qui soutient que
l'on ne doit pas sonner le saquiebat à la veille du nouvel an pour trom-
per Salan , Léarbéb hassalan ; c'est à-dirc, pour qu'il croie que le jour du
nouvel an est passé, qu'il s'est trompé, et qu'il ne doit plus paraître de-
vant Dieu , et que trompé par celle finesse , Dieu oubliera les péchés
des hommes pour celte année. Il est vraiment étonnant que Salan si lin
se laisse tromper ainsi tous les ans, sans consulter son almanach !
3 Chaque Israélite doit faire trois repas , savoir le vendredi soir au
commencement du sabbat , le samedi & midi, et aprèi le* vêpres»
2SS
minuit , on chante des cantiques chaldaïques faits par
R. Isaac Luria.
Traduisons pour exemple un de ces chants mystiques.
Béné Héchalah Dichvphin. « Les enfants du palais , qui se
gênent de voir le Seïr Anphin * peuvent paraître Jà cette
table où le roi est présent avec son image. Réjouissez vous
tous dans cette assemblée au milieu de laquelle se trou-
vent des anges ailés de toute manière. Réjouissez-vous
dans ce moment où il ne règne dans les régions célestes
que la bonne grâce et point de colère. Approchez-vous ,
regardez une assemblée dont tout esprit impur est repoussé.
Ils sont repoussés, et ces chiens arrogants n'osent point y
entrer. Le vieillard (Dieu) a arrêté que vers le soir ils doi-
vent disparaître, c'est sa volonté d anéantir tous ces esprits
impur$ Keliphin. Il les conjura un jour dans leurs trous
entre les cavités des rochers. Vraiment c'est à présent vers
le soir que règne la paix chez le SéïrAnphine. » A cette oc-
casion, la cruche de Meth iy la bouteille (Peau de vie, sont
prises pour moyen d'inspiration divines. Le Zadik alors
montre son savoir, son esprit et son don de deviner, cha-
que assistant cite un verset delà Bible et le Zadik en donne
l'explication et fait un discours , dans lequel il réunit
tous ces versets ensemble comme s'ils avaient toujours été
un tout.
Quoique les talmudistes conviennent que les paroles de
l'Écriture sainte ont diverses explications ; ils disent ce-
x Les cabalistes nomment souvent Adam Kadmon aussi par l'expression
de seir amphin, petit visage (microcosmns), en réplique de Arich anphin
(macrocosmus).
3 Une espèce de boisson en Pologne. (Miod )
3 L'homme reçoit l'inspiration par le meih et Veau de vie et c'est an
moyen de réveiller la dévotion (Lik, Amarim, p. 51).
289
pendant que Ton doit s'en rapporter à la plus simple,
c'est-à-dire à l'explication convenable à l'esprit de la lan-
gue hébraïque, qu'ils appellent en langue chaldaïque pe-
schath (simple) 1 . Mais lesChassides supposent que l'expres-
sion peschalh ne dérive point de la chaldaïque, mais de
l'hébraïque. Et pour la signification : [ôter, déshabiller), ils
disent, comme les cabalistes, que le sens littéral n'est
qu'une enveloppe du sens mystique qui y est caché; c'est
pourquoi le sens littéral doit être considéré comme nul, et
le sens mystique comme l'essentiel de l'Écriture*. Ils sup-
posent que ce noyau caché sous l'écorce du texte est le
seul but par lequel Dieu a fait connaître la sainte Écriture,
l'a, pour ainsi dire, incorporée et en a donné la clé au Za-
dik\
L'assemblée générale des Chassides chez le Zadik ft se
1 C'est que dit le Talmud (Traité Béizah) : c On ne doit point, en ex-
pliquant la sainte Ecriture, s'éloigner de la juste litléraiité. »
2 Les cabalistes supposent qu'il n'est plus nécessaire de suivre la loi
mosaïque , parce que l'on n'était obligé de suivre cette loi que lorsque
le monde était dans l'otam hatoliou (c'est-à-dire dans le chaos) , et non
maintenant que le monde est dans l'olam haiikoun (de la perfection).
3 Comme l'homme consiste en un corps grossier et visible, uni avec une
âme spirituelle et invisible , ainsi l'écriture consiste dans un sens littéral,
qui est le corps, et dans un sens mystique, qui est i'àme de cette écriture.
Il est accordé au Zadik le pouvoir de dépouiller la loi de la couverture qui
enveloppe le sens mystique, et de la montrer toute dévoilée. Comme le
but du Zadik est de faire les accouplements célestes ; c'est-à-dire celui
de Dieu avec la matrone (la tchechinoh) , et comme le déshabillemcnt est
usité dans l'accouplement, on doit aussi découvrir de son vêtement la
thorah qui est la fiancée de Dieu. (Kmach lèbh, p. 4.)
4 Le Zadik de Warka (ville située près de Varsovie), s'étant fâché
avec le fournisseur des boissons en 1840, quitta cette ville et alla s'éta-
blir ailleurs , le fournisseur ne vendit plus rien , et perdit par là son re
▼enu , mais le gouvernement n'y perdit rien , car le nouvel établissement
du Zadik qui lui était loué, au lieu de rapporter 5,000 florins, en rappor-
19
290
fait tous les ans au mois de ti*chri { > chacun s'empresse de
lui rendre quelques services, comme par exemple de lui
allumer sa longue pipe, et de le voir en face. Le Zadik sert
de chanteur aux jours de fête, le devoir du Chasside pen-
dant la prière est de crier, de battre des mains avec un
grand bruit, ou de les frapper contre les murs, de sauter
çk et là et d'agiter convulsivement le corps. Si un Chasside
est raillé à cause de ses grimaces, il doit le supporter
avec patience, car il exécute le commandement du
Zadik.
Le Zadik fait.en outre, presque chaque année un voyage
dans son diocèse, les Chassides raccompagnent en foule
dans ce voyage en chantant autour de la voiture, ; ils lui
servent de gardes, sont en faction à sa porte afin d'empê-
cher les émeutes du peuple, conversent avec ceux qui
viennent le voir et reçoivent les présents qu'on lui ap-
porte 5 . Avant son arrivée dans une ville, tous les Chas-
sides vont au-devant de lui, le reçoivent avec beaucoup de
joie et raccompagnent en chantant jusqu'à son logement.
Là, toute affaire, toute dispute ou querelle çst décidée par
le Zadik; car il est, comme un tribunal de première ins-
tait 50,000 vu la grande consommation qui s'y faisait , occasionnée par
la résidence du Zadik, et le bourgmestre de Warka qui venait d'eus
pommé à -cet emploi quitta cette ville devenue déserte,
i Dans lequel sont la plupart des fêtes suivies , comme le nouvel an ,
le jour d'expiation et la fête du tabernacle.
2 En 1855 le gouverneur moscovite rencontra une pareille foule de
chassides avec leur Zadik , et comme ils ne voulurent pas évacuer le pas»-
sage et qu'ils criaient d'une manière fanatique : C'est notre roi, notre
prophète sacré, le gouverneur fit arrêter les plus effrénés et les envoya en
Sibérie.
s Le Zadik , pour être entouré d'unto foule de chassides, prétend qu'il
est obsé'jé par les mauvais esprits, et que la solitude pourrait être dan-
gereuse pour son corps. (Ntgalé Tcmhïn, p. 6Ç).
291
tance, pour chaque Chasside, et chacun est content de la
décision de cet homme déifié.
Ils conservent parmi eux une égalité fraternelle : le
pauvre, le riche, le jeune, le vieux, le savant, le sot, le
courageux et le poltron, s'estiment également : ce qui est
à moi est aussi à toi ; ce que tu es, je le suis. Telle est leur
devise, tel est leur mot d'ordre.
[[[
Les assemblées du Zadik avec ses fidèles sont les sources
abondantes de sa richesse ; car chaque Chasside se fait un
bonheur de fai re accepter au Zadik un présent de lui .Après
la mort du Zadik, ses vêtements se vendent très cher, car
on les croit un moyen efficace pour le pardon des péchés
et un pcéservatif contre les menaces deSatan. Le tombeau
du Zadik est regardé comme un sanctuaire, et une foule
de pèlerins y vient prier 1 . On fait sur la tombe un petit
mausolée dont la clé est chez la veuve ou les héritiers du
* Celui qui vient visiter la tombe du Zadik obtient les faveurs de Weu,
quand même il en serait indigne par ses autres actions, cl un chicot du
toit de son tombeau est un remède éprouvé contre les doulcnrs de l'en-
fantement , et chaque femme enceinte doit avoir un chicot semblable
qu'allé achète des héritiers du Zadik (Seph. II ami d, 55.)
293
Zadik, et si quelqu'un veut y entrer, il est obligé, pour
obtenir la clé, de donner quelque monnaie. Il y a de ces
mausolées à Zloczow, Sulsziver, Lizcziket Romanow.
Tout Israélite (comme ils l'affirment) a deux âmes, l'une
mauvaise, renfermée dans un vaisseau à gauche du cœur,
et l'autre bonne, qui habite le cerveau ; ces âmes luttent
entre elles avec acharnement, l'homme prie pour que la
bonne âme ait toujours la supériorité sur la mauvaise et
quand cela arrive, il peut s'offrir àDieu. L'une des Zadikes
(disent-ils) a si bien su perfectionner son âme qu'elle fut
transportée dans le ciel, eut un entretien avec le Messie,
elle lui demanda le temps de sa descente sur la terre et
eut pour réponse que cela arrivera lorsque tout le monde
aura aussi bien suivi la cabale qu'elle Ta fait 4 .
Les Chassides pensent que la réunion avec Dieu est le
principe de leur religion, ils croient que l'âme est un
écoulement de la divinité , c'est pour cela qu'ils supposent
que l'homme doit faire son possible pour s'unir avec la
haute intelligence par la concentration de l'homme avec
son âme ; ils appellent cela l'aspect deDieu par la croyance,
et croient ensuite que le seul but de l'homme et sa plus
grande félicité est de se mettre tellement en contemplation
avec Dieu que tout ce qui se passe autour de lui dispa-
raisse, et qu'il ne sente rien autre chose que le goût de la
joie céleste 2 .
Mais comme l'homme n'est pas toujours disposé à ces
contemplations, les Chassides y destinent le temps de la
prière, ils ont dans ce but quelques paroles cabalistiques
-— -
1 Voyez Zemer Orizim, p. 65.
3 Ils appuient ces paroles à ce que dit le Talmud (Traité sanhédrin)*
la récompense après la mort ne consiste ni dans le boire ni dans le
manger, mais seulement dans le plaisir de contempler la majesté de Dieu.
294
qui renferment les noms de Dieu ou des anges 1 , ils les
disent avant chaque prière et les appellent kavouaîh.
La réunion de l'homme avec Dieu ne peut avoir lieu
que par la joie et la gatté. Or, si la mélancolie ou la tris-
tesse s'empare d'un Chasside, il doit la chasser.
Le troisième principe des Chassides consiste à s'armer
de courage, d'avoir de la résolution et de l'effronterie
Azèlh.
Les Chassides tiennent aux cérémonies du Talmud tant
qu'elles s'accordent avec la cabale et l'ordre du Zadik; les
Juifs orthodoxes, au contraire, ne tiennent point aux cé-
rémonies cabalistiques qui contredisent le Talmud.
Les Chassides ne se servent point du livre de prières
du rite allemand et polonais, mais de celui des Orientaux,
sephardim dans lequel se trouvent beaucoup de prières
qui ont rapport à la cabale.
Les Chassides ne vont jamais à la synagogue; ils ont
dans chaque endroit , où se trouvent dix Chassides, une
maison de prière à part qu'ils nomment klosei (clause) ou
maisonnette des Chassides. Ces klosels ne leur servent pas
seulement pour la prière, mais encore de club où chacun
se rend aussitôt que ses affaires le lui permettent pour s'y
entretenir (raconter des nouvelles ou des merveilles du
Zadik), on y boit, mange et fume du tabac pour chasser
les mauvais esprits. Ce clausel sert souvent de chambre à
coucher pour le Zadik.
Adonnés uniquement à la spéculation , les Zadiks s'ha-
t tes trois mots du Psaume, 148, 16, (ouvre in main) forment de leurs
lettres finales le mot chatach; c'est, disent les cabalistes, le nom de l'ange
employé à la nourriture , cl disent-ils, on doit penser aux lettres finales
en récitant ce verset ; car celui qui les prononce avec attention est sûr
de ne jamnis manquer de nourriture.
296
billenten blanc, proclament le devoir de la perfection su-
périeure de quelques âmes et de la plus grande confiance
en Dieu. Ils feignent de pouvoir guérir miraculeusement
les malades *, se réservent le droit de bénir toute entre-
prise commerciale des Chassides. Ce qui fait qu'aucun des
sectaires n'oserait jamais sans consulter ou sans voir son
Zadik former un établissement quelconque. Beaucoup de
femmes appartiennent à cette secte 2 . Les Zadiks entre eux,
les Chassides d'un Zadik avec les Chassides d'un autre
Zadik, et tous ensemble avec les Juifs communs rabbinis-
tes vivent en mésintelligence et se querellent sans cesse.
A coup sûr, les Israélites doivent craindre que Cette cré-
dule et dangereuse secte n'entrave pas la civilisation parmi
eux, car il est défendu sévèrement de développer les
facultés intellectuelles ; au contraire , il est enjoint de les
entraver et de les anéantir.
Les Chassides disent que plus un pécheur est coupable,
plus il ressemble à la divinité , que les supérieurs ont le
droit non seulement d'absoudre, mais de décerner à cer-
taines conditions des récompenses aux pécheurs 3 .
Aussi tous les rabbinistes éclairés parlent-ils de la secte
des Chassides avec le plus profond mépris. Il est à souhaiter
1 Les femmes des chassides, particulièrement , font le voyage de plu-
sieurs dizaines de milles pour voir le Zadik, surtout quand elles sont sté-
riles. Le Zadik, après éire payé de3 deniers appelés pidion, bénit la pé-
nitente, et lui assigne des règles à suivre, en cas de non réussite. Il
l'appelle de nouveau et lui fait des reproches de n'avoir pas accompli
quelques prescriptions imaginaires , et il la bénit de nouveau parce
qu'elle le paie.
2 La riche Juive nommée Berksonawa de Praga ( fnub. do Varsovie),
appartenant à cette secte a obtenu la permission de tolérance de la pari
du gouvernement lors de sa querelle avec les Juifs rabbinistes.
3 Voyez Sulamith, 1 , ch. Il, p. 508.
296
que les gouvernements se hâtent de prendre des mesures
efficaces pour empêcher la ramification de cette secte si
dangereuse, qui se propage dans les masses inertes avec
beaucoup de succès, etdont presquetoutes les synagogues
de Pologne sont déjà empoisonnées i .
1 II n'y a rien d'étonnant dans cette secte des Juifs polonais à moitié
barbares, si nous considérons qu'ici, dans l'exil, parmi les Polonais chré-
tiens éclairés, et jouissant de tous les bienfaits de la civilisation , il se
trouve des gens qui adhèrent à une pareille secte au sein de la chrétien-
lé. Ceux qui ont entendu parler des prophéties de Towianski et de
leurs déplorables suites, sauront bien ce que nous voulons dire.
LA RÉFORME.
Depuis bien longtemps, comme nous Pavons dit dans
la première partie, les Israélites respirent le même air
que les Polonais, vivent des mêmes fruits, partagent les
mêmes vicissitudes de la vie, et sont avant tout pareils à
tous les autres hommes. «Qu'ils ne se tourmentent donc
pas la tète, dit l'honorable Polonais, tous ces anti-philan-
tropes, faiseurs de projets, dont les uns rêvent, com-
ment et dans quels steppes chasser les Juifs? les autres,
par quelles lois nouvelles comprimer les préjudices qu'ils
portent au pays? d'autres encore, de quelle manière les
forcer à la réforme religieuse? Tout cela est en pure
perte 1 » Les moraliser, les civiliser, les émanciper et les ad-
mettre à la jouissance des libertés, comme les autres citoyens;
voilà le seul moyen de remédier au mal.
1 Pensées sur la réforme des Israélites. Paris, 1835.
298
Les préjugés, le fanatisme des anciens siècles, le dé-
faut de tolérance, l'égoïsme des castes et surtout l'exer-
cice du monopole par les grands, ont été, comme on le
sait depuis longtemps, la gangrène et le fléau de l'huma-
nité.
L'esprit de liberté, sous le rapport moral et politique,
dans ce siècle-ci se manifeste partout; chaque cœur hu-
main y dirige ses vœux ; ces deux points, savoir : liberté
politique et de conscience, doivent constituer l'indépen-
dance et le bonheur des nations, tout en admettant des
réformes dans les lois et dans les droits , en proportion
du progrès de la civilisation.
Dans le pays où le despotisme et l'aristocratie ont déjà
succombé, où tout homme, selon ses capacités, règle en
quelque sorte sa destinée et peut dire toute sa pensée, là
la liberté intellectuelle, ce trésor, se répand progressive-
ment avec ses bienfaits parmi le genre humain.
Cette liberté de Yesprit n'est point inconnue aux Juifs
polonais. Quelques étincelles en ont déjà pénétré jus-
qu'au plus profond de leur cœur; et quoique l'effet n'en
soit pas aussi évident que chez les peuples plus libres,
cependant, suivant l'impulsion de sa nature, elle va fé-
condant les générations, avant de retourner à son foyer
sacré, et ne manquera pas d'accomplir ainsi sa bienfai-
sante mission. Ce n'est que le défaut de moyens de dé-
velopper leur intelligence qui empêche les Juifs de s'in-
corporer moralement et politiquement dans la nation au
sein de laquelle ils vivent depuis si lontemps; mais il est
à espérer que ces obstacles au développement du bon sens
et de la raison ne dureront pas.
Le fanatisme religieux cède déjà à la raison et à l'esprit
de la véritable piété : la tolérance est presque partout dans
les mœurs des peuples et dans les lois des gouvernements.
Les peuples sentent déjà un besoin d'harmonie, do con-
corde et d'association réciproque, seuls moyens de par-
999
venir à la jouissance des avantages dont la discorde, la
jalousie et le fanatisme religieux les avaient privés jus-
qu'ici. Déjà il surgit spontanément une nouvelle tendance
organisatrice parmi les hommes, et qui s'étend instincti-
vement sur Phumanité entière. L'antipathie entre les hom-
mes et les nations disparaît peu à peu; le cœur hu-
main devient plus accessible à la véritable charité et n'offre
plus de prise au sentiment d'une vindicte fanatique. La
lutte entre le despotisme et la dignité de l'homme a déjà
cessé en partie dans le monde politique, et n'existe plus
que dans le monde moral. En un mot, les masses, jadis si
passionnées, si sanguinaires, se présentent aujourd'hui,
grâce à la philosophie, pleines de belles et merveilleuses
espérances. Cette philosophie même commence à consti*
tuer pour les masses une nouvelle croyance politique, et
ouvre à la raison et à la vertu un champ libre pour y
créer des réformes de plus en plus salutaires.
Ce grand changement des choses dans le siècle actuel
nous permet d'en attendre des fruits bien doux, mais tout
en attendant, la philosophie ne doit pas discontinuer ses
travaux, afin d'entretenir ces heureuses dispositions:
comme la médecine qui doit, elle aussi, continuellement
exercer son art dans le monde politique, parce qu'ici,
comme dans le monde moral, il y a toujours des ma-
lades.
Nous ne sommes pas, peut-être, bien loin de cet avenir
où le médecin du monde moral s'appellera la vérité. Voici
ce qu'un estimable auteur a dit au commencement de cô
siècle :
«Toute l'Europe a changé de face : il est fort douteux
que P intolérance puisse jeter de profondes racines ati
temps où nous vivons; c'est ce qui doit rassurer les Israé-
lites et contre l'influence locale de quelques jalousies
mercantiles, et sur les intentions magnanimes des princi-
paux souverains. Le catholique, le luthérien, le protes-
300
tant, le juif, l'anabaptiste, le socinien, le quaker, sentent
tous qu'ils sont frères, construits également de chair et
d'os, jetés au hasard sur cette terre de douleur, pour y
vivre et mourir le moins mal possible : ils se passeront
donc mutuellement leurs erreurs, pour concourir au
maintien de Tordre social, et le dix-neuvième siècle ne
verra point s'élever de nouveaux Torquemada (fameux in-
quisiteur). Le ridicule est une barrière presque insurmon-
table aux excès du fanatisme, àl'esprit des sectes, si étran-
gers à la véritable piété et à la tranquillité des États. On
ne renouvellerait pas aisément les atroces folies des siècles
d'ignorance, et il serait peut-être plus facile aujourd'hui
d'amener les hommes à l'unité de croyance, que de heur-
ter de front le sens commun : on ne sait plus heureuse-
ment ce que c'est que la controverse; ce mot est vide de
sens pour la génération actuelle. On chérit l'indulgence:
c'est elle qui encourage la vertu, sur laquelle se fonde
l'obéissance aux lois et aux puissances de la terre. »
La civilisation et l'esprit de liberté n'ont pas fait beau-
coup de progrès chez les Juifs de Pologne. Ils sont, à
l'heure qu'il est, sous tous les rapports, les plus malheu-
reux. Les Polonais, en général, les considèrent comme un»
os dans le gosier (telest leproverbe enPologne), os qu'il est
impossible d'avaler ni de cracher. Mais comme le nombre
des Juifs y atteint le chiffre de 2,500,000 , il est im-
portant d'approfondir la cause de leurs malheurs et de
s'occuper à les en faire sortir. Supposons un instant que
ce peuple soit coupable envers Dieu d'avoir conservé
ses croyances depuis l'origine du christianisme. Est-ce
aux Polonais, d'ailleurs, ou aux chrétiens, en général,
qu'appartient la vengeance du ciel? La religion chrétienne,
basée sur l'amour du prochain , ne dit-elle donc pas :
Malheur à ceux que Dieu choisît pour [instrument de sa ven-
geance I
Il faut savoir être impartial et dire la vérité à tous, aux
301
Juifs comme aux autres. Les Polonais avouent, et les Juifs
doivent avouer de leur côté, que les uns et les autres, ils
ont manqué de prévoyance. Le cœur noble des Polonais
souffre d'avoir persécuté injustement les enfants de la
même terre, de les avoir éloignés des bienfaits de la patrie
et de la protection des lois. Mais les souffrances des Juifs
sont plus grandes, plus amères (comme leurs fautes sont
plus grandes aussi), et tandis que leurs coreligionnaires
en France, en Belgique, en Hollande, etc., se font distin-
guer par leur moralité, par leur éducation, sont admis à
toutes les dignités, à tous les bienfaits de la civilisation,
qu'ils comptent enfin parmi les nations où ils vivent et y
jouissent des droits communs , les Juifs polonais avec
leurs préjugés, leur rabbinisme, leur fanatisme, se trou-
vent plus encore que par le passé, opprimés, haïs par les
chrétiens 1 . Ils souffrent donc doublement sans posséder
aucun moyen de défense.
i Victor Hugo dit, dans son écrit au rédacteur des Archives : i Mon-
sieur, au temps ou nous vivons, les Juifs, comme vous, sont pleins de
science et de lumière, et les chrétiens, comme moi, sont pleins d'estime
et de considération pour les Juifs comme vous. » ( Voyez les Archives
Israélites, 4843, pag. 376 ).
Le comte Oslrowski dit, dans son ouvrage sur la réforme des Juifs :
« 11 n'y a rien de plus sale, de plus dégoûtant, que les Juifs polonais,
personne n'aurait cru, sans l'avoir vu, que la nature de l'homme créé à
l'image de Dieu, ait pu s'abaisser de la sorte, etc.»
De môme que les chrétiens en France ne peuvent contester la remarque
de M. V. Hugo, de même aussi, les Juifs polonais ne sauraient nier la
justesse du tableau que fait d'eux le comte Ostrowski.
n
Le Juif en Pologne n'était pas regardé comme une créa-
ture de Dieu. Particulièrement dans l'aristocratie des
nobles on disait et on dit encore : tout Juif est un fripon
et un traître ; c'est le préambule ordinaire de toute men-
tion de ce peuple chez presque tous les nobles.
Ainsi que nous l'avons dit , dans notre amour pour la
vérité, que nous faisons entendre à tous , il est vrai que les
Juifs polonais méritent généralement le mépris des chré-
tiens : mais il faut avoir égard aux circonstances.
Le gouvernement polonais , tout en tolérant toutes les
classes d'habitants et toutes leurs croyances religieuses ,
chose dont ce pays peut, à juste titre, se vanter, pourquoi
co gouvernement, composé d'hommes supérieurs, n'a-t-il
jamais envisagé la question des Juifs du bon côté? Pour-
303
quoi n Vt-il jamais proclamé une mesure exceptionnelle en
faveur des Juifs éclairés et de bonne conduite? Pourquoi
n'a-t-il pas admis ces derniers à la jouissance des mômes
droits que les chrétiens et les citoyens de la même pa-
trie?....
L'attention de tout magistrat éclairé aurait dû être éveil-
lée et comprendre que la vie d'un Juif est aussi précieuse
que celle de tout être humain, car autrement , quel motif
pouvait servir à encourager ce Juif à se civiliser, à sortir
de l'abrutissement, à renoncer aux mœurs et aux usages de
ses coreligionnaires?Et quand même ce Juif se résignerait à
abjurer ses erreurs, ne s'exposerait-il pas à mille désagré-
ments et persécutions de la part de ses coreligionnaires, à
la perte desesmoyensd'existenoeîLeschrétienSjd'ailleurs,
ne viendront point en aide à un Israélite civilisé ou à sa
famille. Et si le gouvernement ne le prend pas sous
sa protection , il est forcé de rester toujours enchaîné
à la destinée d'autres Juifs et enveloppé dans le même mé»
pris qui couvre leur saleté et leur ignorance depuis si
longtemps.
Une loi de quelques lignes seulement aurait pu sauver
de la honte et du malheur les 2,500,000 juifs et leur
épargner tant de maux, tout en disculpant de reproche les
Polonais dont le noble cœur doit souffrir en contemplant
l'état abject de la neuvième partie des habitants de leur
pays. Or ces quelques lignes auraient dû être inscrites
ainsi dans leurs lois.
Tel seulement d'entre les Juifs est exempt de la protection des
lois du pays qui, par ses mœurs, ses usages, sa moralité , son
langage et son éducation ne veut pas ressembler aux chrétiens.
Quant à la pure religion de il dise, la présente loi ne prétend pas
y toucher.
304
Mais non, jamais ces mots salutaires ne furent prononcés
en Pologne , môme en temps de paix , lorsque quelques
bonnes lois y furent faites; et, par conséquent, ceux d'en-
tre les Juifs qui s'y sentaient le mieux disposés pour la
réforme, qui se distinguaient par leur moralité et leur
éducation, restèrent et restent encore soumis à la rigueur
des lois contre les Juifs en général ; aussi leur esprit est-il
abruti à un tel point que dans ce siècle-ci , ils «ont plus
malheureux et plus arriérés dans la civilisation qu'il y a
cinquante ans , nul législateur, aucun écrivain polonais,
excepté Czacki n'a été animé d'un esprit favorable en par-
lant de la réforme des Juifs, et quand il s'en trouvait quel-
qu'un, quasi ami de l'humanité entière , qu'a-t-ii conçu
dans sa sagesse, en parlant des Juifs? Nous répondons har-
diment que Ion y lisait à ce sujet les plus grossières in-
sultes accompagnées de malveillantes insinuations, propres
à offenser et la Providence et l'humanité. Et puis, ils ne
craignaient pas de descendre aux plus ridicules descrip-
tions, comme celles du nez , des yeux, des jambes, du
corps maigre et mal tourné, des cheveux crépus, etc., etc.
des Israélites et attribuaient tout cela à la nature et à la
mauvaise constitution de la race juive. Il est juste de dire
que le comte Ostrowski a écrit son ouvrage sur la réforme
des Juifs, dans un but louable; mais à partir de l'intro-
duction , il a bâti tout son édifice sur un terrrain mal
choisi. Nous citons de lui ce qui suit : « L'expression de
la figure d'un Juif démontre l'antiquité de sa race. Le nez
ordinairement en bec d'aigle, des cheveux touffus et frisés,
mal peignés, la barbe et les mèches de cheveux couvrant
les tempes, les yeux à fleur de tète, dans lesquels se re-
flète la ruse ou une pensée secrète, ou l'inquiétude inté-
rieure de l'âme; le visage tout entier n'ayant habituelle-
ment aucune expression pour inspirer la confiance, mai*
au contraire, trahissant les qualités les plus dangereuses
pour la société, c'est-à-dire, proférer un mensonge sans
hésiter, nier la vérité à chaque instant, à toute occasion,
être prêt à tromper par quelque artifice ou par la ruse, en
tout ce qui peut lui produire un profit quelconque. On
n'y reconnaît point d'instruction, ni aucun sentiment su-
périeur, etc. * »
Et cette peinture du physique et du caractère des Juifs,
contraire à la vérité et à la justice (en quoi nous nous
rapportons à l'opinion générale des nobles polonais), sert
d'introduction à la réforme des Juifs, à la guérison (comme
le réformateur s'exprime souvent) de ce peuple ; enfin à
son salut contre la haine des chrétiens !
Bien loin de là, cette introduction avec de pareilles
peintures, à pour résultat la condamnation et le mépris
, L'auteur a oublié ses propres paroles, écrites sur la page précédente
de son ouvrage: i Ayant eu, y est-il dit, occasion dans les ateliers de ma
fabrique, et lors de mon commandement de la garde nationale, de con-
naître les Juifs, je n'ai pu remarquer chez eux aucun défaut dominant, et
particulièrement, celui d'ingratitude; au contraire, j'ai la conviction qu'ils
ont un penchant opposé, malgré toute leur démoralisation et leurs mau-
vais sentiments, sous tous les autres rapports, et qui sont le fruit des mal-
heurs pendant longtemps éprouvés. Eu étudiant le caractère des Juifs à
fond, j'ai reconnu qu'il s'y découvre l'antique et primitive vertu de l'hom-
me : par exemple, la profondeur du sentiment religieux, et quoiqu'il tombe
parfois dans les préjugés, leur cœur en est cependant tellemeut pénétré,
qu'il sert souvent de frein au vice, où ce peuple se laisse parfois entraîner,
car il y est poussé par l'absence de toute législation qui tende à le mo-
raliser. Ils savent apprécier (les Juifs ) les services rendus, ainsi que la
protection qu'on leur accorde contre l'outrage, le mépris et l'abaissement.
En pareil cas, non-seulement, d'après un article de leur foi , ils doivent
prier Dieu pour leurs bienfaiteurs, mais ils sont fiers et heureux quand ils
peuvent rendre service pour service. En un mot, ils adorent leurs bienfai-
teurs, et, par conséquent, ils aimeront la Pologne lorsqu'elle leur rendra
justice, i
20
306
d'un peupla innocent, et non pas une réforme utile au
pays. Gomment, par exemple, les soldats d'un régiment
ou dune compagnie envisageraient-ils leur camarade, si
le commandant leur disait dans un ordre du jour : « un
tel est, par son naturel, par son àroe et sou cœur, traître,
menteur et, sous tous les rapports, méchant; cependant il
faut avoir pitié de ce vaurien, car il est homme l » Nous
demandons maintenant s'il ne résulterait point d'un pareil
langage le plus grand mépris et la plus funeste haine
contre ce malheureux camarade! *.
Au reste, il nous semble, qu'autant cet auteur a manqué
à tout un peuple et à soi-même par une description insen-
sée et erronée, autant il a bien dit :
« Triste et déplorable est certainement l'état des Israé-
lites de Pologne, et ce tableau peu consolant de leur ma-
nière d'être. Cependant* cela nedeît désespérer personne,
et Ton ne doit pas penser que cette existence des Juifs est
incurable. Il fallait surtout démontrer fidèlement cet état
peur chercher les moyens de remédier aux maux qui
proviennent plutôt de leur position que de la nature cor-
rompue de l'homme- Le Juif peut se moraliser-, il est tou-
jours assez sensible k l'élévation de s* tmétoim humaine.
On peut éveiller en lui les sentiments dliounëtir et dlion-
i Nous flous étonnons beaucoup que, de la plume d'un si estimable au-
teur, soient sortis une si grande inconséquence et un tel mépris delà vérité;
car en dépeignant le caractère d'un peuple entier, on ne peut pas pren-
dre mesure sur quelques misérables, peut-être de tomaszow ( ville ap-
partenant à l'auteur ). D'ailleurs, n'y a-t-il pas des misérables parmi Jçs
chrétiens ?
Nous ne nous permettrions pas de critiquer le réformateur dont QQU%
pourrions réfuter l'injustice entre tant d'autres écrivains, gj le noble pa-
latin et général Ostrowski, par sa préface et de vive voix, ne nous l'avait
pas permis.
307
nêteté, car la misère et le besoin le poussent au brocantage
plutôt que son goût. Et de quel côté en est la faute primi-
tive? du nôtre, incontestablement, nous connaissons de-
puis longtemps ces maux, mais nous manquons de courage
pour y remédier hardiment. »
m
Jetons un coup-d'œil sur la religion en général, qui,
selon les plus savants théologiens, est l'indispensable mo-
teur de la réforme et de la civilisation.
De l'élément de toutes les religions naissent les civilisa-
tions, en animant leurs conditions accessoires, tirées de
circonstances favorables, qui ne manquent jamais dans un
peuple tant que dure sa vitalité. Or, chaque civilisation
prend la physionomie de la religion du peuple qui la pro-
fesse. Dès que la société s'est composée, sa raison vitale et
organisatrice se manifeste aussitôt, en élaborant avec acti-
vité un gouvernement, une législation civile et religieuse,
une philosophie quelconque, enfin elle passe à la vie his-
torique avec son caractère primitif, et entre dans la voie
de la civilisation. Ainsi, la base de toute vie sociale, et,
j
309
par conséquent, de toute civilisation, est une religion, car
la religion la plus erronée même , doit avoir, pour le
moins, quelques germes de vérité propres à servir au pro-
grès; or, c'est là que la société puise les conditions de sa
civilisation, et lorsqu'elle ne reproduit pas la grande
pensée religieuse d'une nation, on peut conclure que c'est
la preuve du défaut de forces vitales et organisatrices, que
Ton ne saurait emprunter à d'autres religions sans anéantir
la sienne.
La civilisation donc étant le produit de la religion d'une
nation quelconque, ne s'avance qu'en raison de ses forces
génératrices et de celles qu'elle peut cumuler sur son
passage, au moyen des circonstances favorables.
Nous avouons , qu'indubitablement le progrès dans
l'humanité est poussé au plus haut degré sous la forme
chrétienne; mais nous croyons qu'ils se trompent, ceux
qui prétendent qu'un Juif polonais ne peut pas devenir un
bon citoyen , tant qu'il reste fidèle à sa religion ou tant
qu'il ne se fait pas chrétien.
La civilisation, ou les sentiments humains perfectionnés,
ne se sont-ils pas manifestés chez les Hébreux plus tôt
que partout ailleurs? car chez eux l'esprit social était le
plus fort et le moins exclusif parmi tous les peuples d'a-
lors; chez eux, un esclave participait à leur association
religieuse, assistait, avec son maître, aux cérémonies, et
quoique acheté, après six ans de services, il pouvait être
admis, s'il le voulait, à la jouissance de sa liberté et des
droits du peuple. Mais ce n'est pas en cela seulement que
consistait la civilisation des Hébreux : l'amour de la patrie,
chez eux, n'était pas terni par cet égoïsme national, dont
les effets sont d'autant plus dangereux qu'ils revêtent tous
les caractères de la vertu
m
Ainti» oo soni les Israélites seulement qui respectaient x
les lois des autres peuples, et qui, dans les leurs, ont ré-
servé une place, puisque pour les étrangers, leur grand-
prêtre ferait des sacrifices en faveur de tous les peuples dç
l'Univers,
Les sentiments de l'humanité ne s'éteignaient même pas
chez les Israélites, lors de leurs guerres. Le chapitre 20 du
Deutérwame prouve combien ils étaient supérieurs aux
Romains du côté du lien social.
D'ailleurs, pour appuyer notre opinion à cet égard,
nous prions nos lecteurs de consulter les oeuvres de Cha-
teaubriand, de Mirabeau, de l'abbé Fleury,du comte
Rzewouski, etc. Là , il est dit et prouvé que de tous les
peuples anciens , les Hébreux étaient les plus civilisés.
Donc, il n'est pas permis de croire que la religion de Moïse
aoit un obstacle à la civilisation des Juifs polonais , mais
qu'au contraire, cette religion, épurée de fanatiques préju-
gé*, peui devenir un guide et un soutien dans les voies de
la civilisation même.
Le clergé catholique, en Pologne , est de notre avis.
Mtlozewski, archevêque de Varsovie , primat et sénateur
du royaume , pénétré des sentiments de l'humanité , s'est
mis à travailler avec zèle, pour améliorer l'état des Israé-
lites en Pologne. Un homme aussi haut placé et aussi
puissant par sa naissance et sa fortune , ne dédaigna pas
de s'adresser d'abord à un savant Israélite, pour s'éclairer
sur plusieurs questions; celui-ci élabora un projet de ré-
forme, * et le soumit à l'illustre archevêque , qui dut Té-
carter , parce qu'il s'y trouvait des tendances pour accor-
1 Ce projet de réforme, avec la lettre de l'archevêque, ont été imprimés
en 1819.
311
derou plutôt fondre les deux religions , ce qui a paru à
juste titre impossible à l'archevêque. *
Un autre ecclésiastique polonais, célèbre par ses vertus
et sa science, l'abbé Kollontay, avait traité aussi la ques-
tion des Israélites. Voici ce qu'il écrivait dans une lettre
au maréchal de la grande diète , Malachowski : « Lors-
qu'on considère la religion , quelle qu'elle soit , comme
règle de la conscience, le gouvernement doit le tolérer, et
ne jamais opprimer ceux qui la professent, car autrement,
il corromprait le caractère de l'homme , dont les mœurs
sont basées sur des règles adoptées par lui , et profondé-
ment enracinées dans son cœur, par son éducation et ses
habitudes. »2
1 Les Juifs polonais ayant appris que ce projet de réforme impossible
devait restersans aucun effet, en témoignèrent leur reconnaissance en ces
mois: a Rendons grâce à la justice des gardiens de notre religion. Leur œil
vigilant veille sur ce trésor le plus cher pour nous, et écarte, par sa pure
doctrine, toutes les erreurs du pa\s polonais. Hébreux, vous ne soup-
çonniez pas l'orage qui vous menaçait, et que la main d'un apeèlat s'etfor-
çait de vous arracher la seule relique qui vous restât du riche héritage de
vos pères ; un évoque catholique nous Ta sauvée, sans en être prié par
nous; mais il Ta fait en consultant sa propre conscience. Semons donc
des fleurs sur sa tombe etc., elc. »
Voyez l'ouvrage sous le titre : Réponse à un auteur anonyme, par Sa*
muelBaum, 1821*
* Voyez les œuvres de Kollontay. Varsovie. 1788, tome 5 e , page 328.
IV
Pour donner une idée exacte de la religion juive ac-
tuelle, nous posons trois questions :
4. De quelle manière les Israélites envisagent-ils les
peuples d'autres religions, et croient-ils au salut de leur
âme?
2. Quel sentiment inspirent les Israélites à l'égard des
chrétiens ?
3. Si les maximes des Israélites, en matière de religion,
sont ou non nuisibles à la société au milieu de laquelle ils
vivent?
D'abord nous prendrons l'exemple de Job. On sait qu'il
n'était pas Juif, ni circoncis, ni de la génération de Ja-
cob, ni soumis aux lois de Moïse. Il vécut loin de la terre
des Israélites, selon les uns, en Mésapotamie, selon les
313
autres, en Arabie, et pourtant le prophète Eîéchiel (chap.
14 et 20) le compte parmi les hommes vertueux à côté de
Noak et de. Daniel, et même il est appelé, comme Moïse et
les patriarches : le vrai serviteur de Dieu (Job, 4, 7 et 20).
Delà il est facile de se convaincre que les Israélites, tout
en professant la religion de Moïse, ne doivent pas envisa-
ger les hommes qui ne sont pas de leur religion, comme
indignes du salut de leur âme.
« Les devoirs, dit un savant rabbin, des Israélites envers
leur prochain, ne sont en aucune façon limités par une
distinction quelconque de religion ou de nation. Il est
connu de tout talmudiste de bonne foi que les anciens rab-
bins s'efforcèrent de faire naître dans le cœur de tout Israé-
lite des sentiments d'amour et de fraternité envers tous les
peuples sans exception. Et, du moment qu'ils agissaient
ainsi envers des nations idolâtres et païennes, à plus forte
raison le feraient-ils aujourd'hui à l'égard des chrétiens,
qui, reconnaissant notre loi, sont plus évidemment nos
frères » i.
Rabbi Moïse Mikoulzy dit, dans son livre Semague, qu'on
Aoit rendre une chose perdue même à un païen (Nochrié).
Maïmonides, dans son écrit au Rabbi Hasdaï Halevy,
s'exprime ainsi : « En ce qui concerne les autres peuples,
sache, ami, que Dieu ne voit qu'au cœur de l'homme, et
juge les actions des hommes selon leur conscience; c'est
pour cela que nos sages nous apprennent que les vertueux
des autres nations participent à la félicité éternelle, selon
qu'ils s'appliquent à la connaissance de Dieu et a la pra-
tique delà vertu. »
Ménascliében Israël cite, dans son Traité Nischmath Chaïm^
i Beth- JéHoudah, ch. 71, page 147.
3U
divers endroits du Talmud, du Zoàr et des autres livres
qui confirment, en tout point, ce sage principe.
Le grand Sanhédrin de Paris a décidé :
« En vertu de la loi donnée par Moïse aux enfants d'Is-
raël, il leur est prescrit de regarder comme leurs frères
les individus des autres nations qui reconnaissent Dieu,
créateur du ciel et de la terre. Il est du devoir de tous
d'aider, de protéger, d'aimer leurs concitoyens, et de les
traiter sous tous les rapports, à l'égal de leurs coreligion-
naires , parce qu'ainsi le veulent la lettre et l'esprit de
notre sainte loi.
» Tout individu professant la religion de Moïse, qui ne
pratique point la justice et la charité envers tous les hom-
mes, pèche notoirement oontre sa loi. Cette doctrine est
enseignée par les docteurs de la loi et les prophètes qui
établissent qu' Israël n est pas C ennemi de ceux qui professent
une autre religion 1. »
Daniel dit à Darius qu'il n'a été sauvé de la fureur des
lions que pour avoir été également fidèle à son Dieu et à
son roi (qui n'était pas Israélite).
Maïmonides, dans l'ouvrage Jad-Chaxaka^ chap. 8, dit
dans le 12 e siècle aux Israélites :
«Les peuples, parmi lesquels vous vivez à présent, ont
une idée vraie des commandements de Dieu, car ils ren-
dent ou font rendre ce qui ne leur appartient point ; leur
religion leur défend de toucher aux biens d' autrui et con-
damne toute injustice; nous devons donc leur rendre la
pareille, car notre religion aussi nous défend d'être in-
justes. »
Le Talmud de Jérusalem Tract. Baba mexia, dans le chap. 2,
renferme cet exemple :
1 Voyez les Décisions doctrinales du grand Sanhédrin, 1807.
315 -
«Rabbi Simeon ben Schétach, ayant trouvé une pierre
précieuse dans le harnais d'un cheval qu'il venait d'ache-
ter à un homme d'une autre religion, lui rendit le diamant
en disant : qu'il avait acheté son cheval et non pas le bi-
jou dont le prix était inestimable. »
Jalkut Schymony (livre m, fol. 505), cite le fait suivant :
a Un individu , israélite, a déclaré devant un savant,
qu'ayant vendu à un homme d'une autre religion des fruits ,
il les avait mesurés dans un liçu obscur et par consé-
quent, il lui avait fait tort : après, lorsque pour le même
argent il venait d'acheter de l'huile, la mesure, en étant
remplie , se brisa : le savant alors lui répondit que c'est
Dieu qui Ten avait puni, car il ne faut jamais tromper son
semblable, et que tous tes hommes sont nosproches. »
On dit que les Israélites apportent dans la société la
mauvaise foi, autorisée même par leur religion, parce
qu'ils peuvent être dispensés de leur serment. Nous ré-
pondrons à cette supposition injuste par un exemple du
Talmud Tract Nadarim (fol. 65) qui s'exprime ainsi : « Le
roi Zédechie avait péché et s'était attiré la colère de Dieu,
parce qu'il s'était rendu parjure vis-à-vis de Nabuchodono-
zor.yt Si donc la religion permettait de rompre son serment,
le roi Zédechie, ne se serait pas attiré la colère divine et qui
plus est, les Irraélites avec Josuê n'auraient-ils pas employé
la dispense du serment qu'ils avaient prêté envers les Gibons
dont ils avaient tant à se plaindre? »
11 n'y aurait pas à s'étonner que les Juifs eussent été
les ennemis des païens, dans le temps des talmudistes et
des chrétiens dans les premiers siècles, car les haines et
les persécutions que les païens exercèrent alors contre
les chrétiens , et les milliers qu'ils mass acrèrent
dans d'horribles tortures, furent aussi employés par les
346
chrétiens contre les Juifs, et n'ayant point le pouvoir de
venger ces tyrannies, les Juifs ne trouvaient d'autres
moyens pour apaiser leur vengeance que de se borner a
confier à lerus livres, les sentiments dont ils étaient remplis
contre leurs ennemis jurés, qui suçaient leur sang et ne
méditaient que des projets contre leur vie.
11 est faux que la religion juive ordonne de regar-
der les chrétiens comme des ennemis; loin de là, il est de
rigueur de prononcer trois fois par jour, dans les synago-
gues, cette formule: «Répands ta bénédiction, ô Dieu de
nos pères! iur l'univen entier; il est ton ouvrage, et tout ce
qui respire, ta puissante main l'a formé. »
Les chrétiens donc doivent être pour les Juifs des frères,
car ils pratiquent, comme eux, les commandements écrits
dans le Pentateuque de Moïse, ils croient à l'amour du
Créateur, à lacréation du monde par la volonté de Dieu, à la
récompense et àla punition dans l'autre monde, et que la
loi a été donnée duciel dans les mains deMoïse. Selon les
paroles mêmes de leur législateur, ils ne doivent trangres-
ser en rien et observer à la lettre les lois de la Thorah.
L'apôtre Jacob dit 1 « que celui qui pratique la loi entière,
excepté un seul commandement, mérite le châtiment de
Dieu, comme s'il avait trangressé toute la loi. »
L'attente du Messie, s'il y a encore des Israélites, qui,
après dix-huit siècles, en conservent quelque espoir, ne
peut pas être nuisible à la société parmi laquelle ils vivent,
et, d'ailleurs, les législateurs juifs défendent rigoureuse-
ment de se laisser entraîner par les recherches sur le
temps dans lequel doit venir le Messie, et déplus, ils pro-
noncent la malédiction sur la tète de tous ceux qui veulent
Epist. Jacob) ch. £,▼. 10.
31?
interpréter cette croyance par des endroits obscurs de la
sainte Écriture.
Et ailleurs : que le temps du Messie ne se fera distin-
guer que par la délivrance du joug de l'oppression et de
l'esclavage, et que Dieu seul est le vrai Messie et le Sau-
veur l (voyez le Traité sanhédrin, pag. 19et 97. Berachoth,
pag. 34, et Maïmonides Halachath malachime, chap. 1 \ ,
§2).
Il est juste aussi de penser que, dans cette attente chi-
mérique peut-être de l'arrivée du Messie, les Israélites ne
furent que plus patients et plus dociles à supporter tous les
maux qui les accablaient incessamment, et que jamais ils
n'ont compté sur le bouleversement chez d'autres nations;
» mais ils tendaient leurs bras vers l'avenir plus heureux ,
annoncé par le prophète Isaïe qui dit dans le chap. 2 : «Tous
les instruments de guerre seront anéantis, les peuples ne
s'entrepersécuteront plus, » etc. Ainsi, au lieu d'accuser
on devrait plutôt admirer cette race de Jacob, qui n'a ja-
mais désespéré de la justice humaine : inébranlable dans
l'adversité, elle tourne ses regards vers ce Dieu tout-puis-
sant qui enfanta des prodiges, et dit : «Le temps viendra, le
jour s } accomplira. »
. Si les Juifs d'une éducation incomplète, sans morale bien
1 * Les institutions du peuple juif sont toutes fondées sur le principe
de son avenir, de sa conservation et sur ceux du Décalogue, le plus an-
cien monument de morale universelle ( Voyez ce que dit Moïse. Exod. cap.
23. Levit. 19, Deutcr. 22 ). Ils les observaient lorsque nos aïeux man-
geaient encore des glands dans les forêts de la Gaule. Presque toujours
sans territoire, errant incertain de conquérir un domicile, ce peuple a dû
s'isolei des autres nation*, et il Test encore; trop peut-être pour ses dé-
fauts, pas assez pour ses vertus, » ( Des Juifs au 19« siècle par M. Bail,
1816, pag. 21 ).
318
fondée , ont changé tout-à-coup leur croyance en une
incrédulité générale et formelle 1 , le mépris et la haine des
chrétiens n'en disparaîtraient pas moins.
Maisceuxqui, malgré leur usure, cherchent, par l'assis-
tance mutuelle, àdiminuer la dureté de leur sort, à pourvoir
leurs pauvres et à suivre la religion de leurs ancêtres ,
pourront-ils jamais observer une indifférence complète les
uns envers les autres. Chacun se considérera toujours
commeayant des devoirs personnels à remplir, et comment
admettre alors que tout crime lui rapportant des intérêts
lui semble chose permise?
La haine et le mépris qu'ils supportent à présent pa-
tiemment, dans l'espérance d'une récompense éternelle,
enflammeraient en lui le sentiment delà vengeance, qui par
la crainte une fois inoculée deviendrait d'autant plus mali-
cieuse et perverse. Telles auraient été les suites de l'incré-
dulité, et en vérité quels avantages pourraient-ils en résul-
ter pour le genre humain ?
Nous avons déjà démontré plus haut que les préjugés
et les abus principalement conservés par les Juifs Polo-
nais sontinhumains, insensés, nuisibles. Mais quel est l'ami
de la vérité qui puisse se vanter d'avoir trouvé sa religion
exempte d'altérations nuisibles apportées par les hommes?
On connaît suffisamment aujourd'hui le souffle infect de
l'hypocrisie et de la superstition dans toutes les doctrines
1 Ce sont les résultais des ordres du roi de Prusse et'de Tempereur 4*
Russie ; le premier donne à chaque Juif prosélyte lOOécus, et le second
150 roubles. Nicolas les exempte aussi de la conscription. Ainsi, est-ce que
ce n'est pas vrai : que le Juif renonce tout à-fait à sa croyance et que leg
deux puissances veulent s'acheter un honnête coreligionnaire pour 100
écus ou 150 roubles? Que le lecteur le justifie lui-même!
349
religieuses, 1 pour pouvoir démêler la vérité du mensonge.
Nous croyons avoir assez démontré ici qu'il est très
dangereux pour les deux partis , d'éloigner les Juifs de
leur croyance et surtout les Juifs polonais . Mais ce qui
aurait été le plus conforme au but, c'est d'épurer entière-
ment la religion juive des adjections rabbiniques, refor-
mer l'éducation pour qu'ils puissent devenir des citoyens
utiles, des fonctionnaires intègres. Ces grandes réformes ,
surtout cette purification , ne peut et ne doit arriver que
par les Israélites eux-mêmes, car aucune force, aucune
ordonnance, aucune compensation, aucune oppression ne
peut agir dans cette grande action : au contraire, plus les
chrétiens et principalement l'Etat voudra opprimer l'es-
prit de la religion juive, plus celui-ci se révoltera contre
lui. (( Heureux est l'Etat , dit Mendelsohn dans sa Jérusa-
lem, qui réussit à gouverner le peuple par l'éducation
seule, c'est-à-dire à inspirer en lui de telles mœurs et de
tels sentiments , qu'il soit obligé par lui-même , et non
par le frein des lois. »
Des lois ne peuvent changer aucun sentiment; des puni-
tions, des récompenses arbitraires ne produisent point de
principes et ne perfectionnent point les mœurs. Ni la
1 Nous trouvons dans le Constitutionnel, du 1 1 juillet 4845, dans la let-
tre de la communion chrétienne de Breslau; c Nous avons assisté de loin
au spectacle affreux de Trêves, nous avons vu l'Église romaine mener les
peuples a la superstition la plus dégoûtante, et la dernière épargne du
pauvre devenir la proie de l'avidité de ses prêtres, et nous avons dit dans
notre cœur : non, ce n'est pas la religion de Jésus-Christ, ce n'est pas la
religion catholique, ce n'est qu'une grimace abominable! — Et nous
avons cherché la vraie église catholique, partout sur la terre, entre cette
infinité de sectes différentes qui divisent les peuples civilisés, et nous
avons trouvé çà et là quelques débris de la vraie Église, mais l'Église catho.
lique tout entière, nous ne l'avons pas retrouvée. Si elle avait jamais
existé dans sa pureté depuis le temps des apôtres, elle s'était abîmée sous
la terre i.
3*0
crainte, ni l'espérance n'est point le juge delà vérité. Là
connaissance, le jugement et la persuasion sont les seules
choses qui produisent des principes , qui par l'estime et le
bon exemple peuvent passer en bonnes mœurs.
Nous parlons ici dans l'intérêt des sociétés de l'Europe,
surtout dans l'intérêt de la Pologne , comme dans celui
d'une nation intéressante à plus d'un titre, en respectant
tous les cultes et ne considérant la question que sous le
rapport de l'homme social : nous nous flattons d'y avoir
apporté toute l'impartialité qui est le cachet de la
bonne foi.
On croit généralement que le talmud constitue le plus
grand obstacle à la réforme et à la civilisation des Israé-
lites; tournons donc notre attention vers ce talmud, si
décrié.
Le talmud renferme :
i° Pirouschim, c'est-à-dire: explications et commentai-
res sur la Muchnah ; les interprétations des mots , et la
manière de discuter de la Mtsçhnah, ou de la Bible; éclair-
cissements sur la chronique et les temps des rois Israélites
et païens; sur les confins du monde, des pays, des villeset
des mers; explications sur des endroits et versets contra-
dictoires de la Bible; et explications de quelques sciences,
telles que le règne végétal, les mathématiques, l'astrono-
mie, Tanatomie, etc. Aussi y a-t-il l'indication des remèdes
et des conseils pour la santé.
21
j
32*
2° Possekim , c est-à-dire : définitions des opinions des
rabbins traitant de quelque loi, ou de l'explication de la
Mischnah.
3°Guéséroth, ou Thakonoth, c'est-à-dire : des amélio-
rations temporelles et occasionnelles que l'on a faites après
l'auteur de la Mischnah.
4° Hagadath , ce sont des discours sur la Bible, conte-
nant des dissertations sur les bonnes mœurs , les bons
exemples et beaucoup de mystères touchant la théologie
(cette science est rendue mystique, pour qu'elle soit cachée
au peuple.)
Un certain nombre de prosélytes Juifs ont écrit , pen-
dant l'Inquisition , contre le Talmud: cela provenait de ce
que les prêtres les accusaient (môme les chrétiens) d'incré-
dulité ou de tiédeur en fait de foi chrétienne; c'est pour
cela que les prosélytes Juifs s'empressèrent d'écrire
contre le Talmud, pour démontrer qu'ils ne tenaient pas à
la religion juive.
Si les savants et les sages chrétiens* qui aimant la vérité
et la justice, connaissaient ia valeur réelle du Talmud* ils
l'auraient sans doute apprécié comme l'ont fait de sages
chrétiens, p. ex., les savants Wolffet Lightfoot, etc.
Dans les derniers temps, beaucoup d'endroits du Talmud
ont été traduits dans d'autres langues, et l'a» peut se con-
vaincre de sa morale 1 . L'abbé Chiarini se vanta en 48*19
i Le traité Ahboih est traduit de nos jours en plusieurs langues de
l'Europe. Ce traité s'appelle Abboth ( pères ), à cause des plus grands sa-
vants de la nation ; car, un grand s'appelle dans la Bible et dans le Tal-
mud, Ab ( père ). De là s'appellent chez les chrétiens, les plus grands de
l'ancienne Église ( Pères de l'Église ), ou mieux patriarches.
Sont aussi traduits par des savants chrétiens, les six volumes de la
Mischnah, et plusieurs traités du Talmud en langue latine (publiés dans
323
et 4$80, dans les journaux, qu'il avait le projet de traduire
le Talraud en français, pour montrer aux yeux de tous ses
absurdités. Qui oserait entreprendre (car l'abbé Chiarini
est déjà mort) , de traduire tout le Talraud, tous ses nom-
breux volumes! Un seul homme, pourra-t-il entreprendre
un ouvrage aussi gigantesque ? Mais , il serait bien à
souhaiter qu'une assemblée instruite et savante dans tou-
tes les branches des sciences , traduisit le Talmud dans
une langue quelconque de l'Europe.
La vérité est que ce qui s'est passé de nos jours relati-
vement au Talmud, en ce qu'il s'est multiplié contre lui
beaucoup d'adversaires qui s'efforcent d'y trouver des
choses absurdes et ridicules, est arrivé, autrefois à la loi
mosaïque et aux prophètes, (c'était avant que le christia-
nisme se fût répandu dans le monde), ainsi que le lecteur
peut s'en persuader , dans les livres de FUvius Joseph ,
contre Apian et Li$mmachu9 9 qui ont écrit contre la loi
de Moïse.
Le philosophe Ctlttu a aussi écrit contre la religion chré-
tienne, et il s'est efforcé de détruire aussi la religion mo-
saïque sur laquelle est fondée la religion chrétienne. *
Beaucoup d'historiens Grecs et romains ont écrit contre la
loi mosaïque et contre les Juifs , et encore aujourd'hui les
savMts chrétiens cherchent à trouver des taches dans la
loi de Moïse *.
le XVH* siècle ). Quelques irai lés de la Miscknah se trouvent aussi tra-
duits en langue aHewftnde.
1 Voyez Alexandre contre Cehus, la chronique du prêtre J.B. Bos-
suet, l'autre volume qu'a ajouté J. A . Cramer, et l'histoire de l'Église du
père Schreck.
2 L'abbé Jfttfot, dans son histoire ( premier livre ), méprise les Juifs
et leur loi, et pourtant, il tenait beaucoup à la religion chrétienne, qui
dérive de la loi juive.
324
Maintenant , si ces écrivains étaient alors a«ssi empres-
sés d'écrire contre la loi de Moïse et contre les prophètes ,
il n'y a pas à s'étonner qu'on ait écrit, longtemps après ,
aussi contre le Talmud.
Voltaire , et encore beaucoup d'autres , ont écrit même
contre la religion chrétienne, en l'accusant de beaucoup
d'erreurs qui n'existent point. î
Les adversaires du Talmud , comme Eîsenmenger et
Chiarini se sont réjoui de trouver dans le Talmud quelques
blâmes exagérés, prononcés par quelques rabbins contre
les païens, qui vécurent alors sans mœurs , sans civilisa-
tion, comme des bêtes, et qui étaient soupçonnés de toutes
sortes d'impiétés, vois, meurtres, adultères, etc. M aïs m ai-
gre tout cela, les talmudistes n'en ont pas moins ordonné
de les saluer, de leur faire du bien, s'ils sont dans l'indi-
gence , de visiter leurs malades, d'enterrer leurs morts
Parmi ceux d'Israël et de pourvoir à leurs nécessités
comme à celles de tous les pauvres Israélites. 2 Maimonides
finit un passage par les paroles précieuses qui suivent :
« 11 est dit dans les Psaumes : Dieu est bon pour tout le
t On accusait les chrétiens d'être ennemis de tout le genre humain ;
que dans leurs assemblées ils tuaient un enfant pour le manger, après fa.
voir fait rôtir et couvert de farine, et avoir trempé leur pain dans son
sang. On disait, qu'après leur repas commun, où ils mangeaient et bu-
vaient avec excès, on jetait un morceau à un chien attaché au chandelier»
que ce chien en sautant renversait la seule lampe qui les 'éclairait, e*
qu'ensuite, à la faveur des ténèbres, tout ce qu'ils étaient d'hommes et de
femmes se mêlaient indistinctement comme des bétes, selon que le hasard
jes assemblait. (Just. Apol. p. 50, Hisl. Eccles; Eus., Alhcn. S. Justin,
f leury ï abbé Nonnotle ).
On disait commumément : « Un tel est un honnête homme, c'est dom-
mage qu'il est chrétien, i ( Terlull. Apol ).
* Tract. Guiline, ch.6l.
3*8
monde» etsa miséricorde est sur toutes ses créatures. Et
ailleurs : les chemins de la thora (loi) sont agréables, et
tous ses sentiers sont pacifiques. » Le talmud a ordonné
non-seulement d'avoir pitié de ceux qui sont faits à limage
de Dieu ; mais aussi de compatir aux bêtes des champs ,
comme dit le Pçntateuque : « Ne ferme point la bouche du
bœuf pendant son battage aux blés, » Aussi les talmudistes
ont- Us ordonné de faire manger les oiseaux et les animaux
de bon matin, avant les hommes. Le tourment des animaux
est défendu dans la tkorak, ainsi qu'il est dit : « Pourquoi
as-tu battu ton âne, » Et c'est par la même raison que les
Israélites tuent les bestiaux et les oiseaux avec un rou-
leau finement aiguisé. Les sages et les bons parmi les
païens étaient toujours autant estimés par les sages du Tal-
nuid que les savants Israélites. Ils ont mémo dit qui! faut
les saluer de cette bénédiction : a Que soit loué celui qui a
partagé sa sagesse à ceux qui le craignent. »
Quant aux Bagadoth et Medrachim, traditions ou légen-
des, et les applications du texte de l'Ecriture» voici l'opi-
nion des talmudistes mêmes : « Ces Hayadoths ne sont pas
dignesd' être lues. » i R. JéhoschouahbenLevi dit : « Celui
qui étudie les Hagadoths n'en tire aucun fruit ; celui qui les
éclaircit perd son temps, et celui qui les comprend n'en a
point d'utilité. » Et ailleurs : « Je neme suis jamais occupé
d'Hagadoths : en y lisant un jour , j'ai dit : il vaudrait
beaucoupmieux que ces livres n'existassent pas. » 2 R.Seïra
est aussi contre les livres des hagadoths * , R. Chiia disait ,
en voyant les livres d'Hagadoths : « Leur autour mérite
, Trac. Soplicrim.
2 Tract. Sabath.
S Tract. Masseroih.
326
qu on lai coupe la main. * Et les rabbins même qui vécu-
rent longtemps après le Talmud, en avaient des opinions
contradictoires. Les cabalistes seuls y tiennent et disent :
qu'il y est caché sous chaque légende , de profonds mys-
tères qui ne peavent être déchiffrés que par celui qui en
aurait obtenu la clef par le Saint-Esprit, ou moyennant la
tradition qu'il en sait de son maître.
Moïse Maïmonides dit : « Les opinions sont diverses à
l'égard des explications allégoriques de l'Ecriture (Dm~
ôhéths ou Agadoths), les uns y tiennent, en disant que ce
sont les vraies explications de l'Ecriture; les autres au con-
traire les trouvent absurdes , parce qu'elles n'ont point,
selon eux, le vrai sens du texte de l'Ecriture. Les premiers
cherchent absolument à affermir leur opinion dans la con-
viction où ils sont que ces explications doivent être reçues
aussi littéralement que les lois de l'Ecriture. Mais, aucun
de ces partis ne s'aperçoit que ces explications ne sont que
des fictions, qui étaient en usage dans ce temps-là, comme
encore aujourd'hui chez les poètes; comme le poète de
chaque siècle enveloppant la vérité dans des fables, pré-
sente les animaux parlants , ou môme les choses inani-
mées agissantes et parlantes : en quoi chacun peut aisé-
ment voir que l'auteur de ces fables n'a point cru ou n'a
pas voulu nous faire croire que l'histoire qu'il nousraoonte
se soit passée telle en réalité, mais que ce n'est que la re-
présentation delà morale qui en est la suite, et pourqu'ello
soit plus agréable et plus facile à concevoir. Ainsi faisaient
les talmudistes. Ils appliquaient souvent une morale, qui
n'est pas rendue bien intelligible, dans l'Ecriture, à un
texte de l'Ecriture môme , ou bien ils se servaient d'une
autre fiction. »
Voici encore ce qu'il dit; dans la préface de son commen-
327
taire sur la MUchnah : « 11 y a différentes opinions sur les
paroles de nos sages dans les Hayadoths. Beaucoup de
personnes que je connais, ou dont j'ai lu les écrits, y
croient littéralement, ils n'y veulent point reconnaître un
autre sens, et y prennent l'impossible pour le possible. ' »
Salomon Maïmon, qui certes n'était point partial à l'é-
gard des talmudistes, et qui a pensé et écrit sans aucun
intérêt, dit dans sa biographie :
« C'est singulier qu'à côté de toutes les extravagances
des rabbins, quant à la partie pratique, qui sont les lois
et les cérémonies, la partie théorique ou la théologie juive
se soit conservée si purement, encore jusqu'à présent.
Qu'Eisenmenger 2 dise ce qu'il veut, on peut pourtant dé-
montrer,par des raisons irréfutables, que toutes les images
et représentations de Dieu et de ses qualités, n'ont d'autre
1 Trailé Sanhédrin.
* Cet homme a ramassé ( dans ion Judaïsme découvert, Kœnisgberg,
1711. 2 t* in-4 ), tous les eniroits du Talmud 'et de tous les livres juifs
écrits longtemps après, sans distinction de leurs auteurs, ni du temps où
ils furent écrits, et les confondit dans sa haine fanatique. Il sépare des mor-
ceaux duTaluud de leur suite et les présente ainsi pour les montrer ri-
dicules. Les écrits des meilleurs auteurs peuvent paraîire absurdes, pré-
sentés d'uo? certaine façon (Voyez Peter Béer, Histoire des Juifs ). Les
prédécesseurs d'Eisenraenger, comme Radawski et l'abbé Chiarini firent
comme lui, et crurent faire beaucoup pour leur gloire, en s'efforoant de
rendre le Talmud ridicule.
Michaélis, chrétien de naissance et ennemi déclaré des Juifs ne put
s* empêcher, en lisant le livre d'Eisenmenger de s'exprimer ainsi : « Le ju-
daïsme dévoilé par Eisenmenger, dit-il, esl plein d'hostilité et d'injustices,
et si quelqu'un osait écrire de ces choses d'une des trois religions reçues
dans l'Etat romain, on nommerait un tel écrit un libelle, et nous, Luthé-
riens , n'aurions pas été plus acquittés par les Anabaptistes de Munster, •
Mirabeau, Dohm, et l'abbé Grégoire appellent l'écrit d'Eisenmenger:
Un recueil de contes calomnieux, un arsenal de mensonges, etc.
3*8
fondement que dans l'effort de rendre les idées de la théo-
logie conformes à l'esprit commun .
» Ils suivirent en cela la maxime qu'ils avaient fondée
dans la sainte Écriture. Cest que : CEcrUure se sert du fcm-
gage vulgaire, parce que les sentiments et les actions reli-
gieux et moraux ne sauraient être répandus que de celte
manière, qui est le but immédiat de la théologie. C'est
pour cela qu'ils présentent Dieu à l'esprit commun, comme
un roi terrestre qui délibère avec ses ministres, c'est à-
dire avec les anges, sur le gouvernement du monde. Mais
ils cherchèrent à dégager l'idée de Dieu de toute repré-
sentation physique vis-à-vis de l'esprit éclairé, en disant
que : Les prophètes ont beaucoup hasardé en présen-
tant le Créateur d'après notre propre effigie, comme H est
dit : « Il avait sur le trône une figure semblable à celle
d'un homme*.»
« J'ai mis à découvert, sans aucune partialité, totlfe les
abus des rabbins, à l'égard de la religion, maïs je ne dois
point cacher non plus leur bon côté et leur rendre impar-
tialement, à leur tour, la justice qu'ils méritent. Que1*on
compare la description des récompenses du Juste, de Jlfa-
homed, à celle des talmudistes, etc. Voici l'opinion des tal-
uiudistes à ce sujet : « Il n'y a en haut (dans le séjour des
bienheureux), ni à boire, nia manger, mai* les justes, des
couronnes sur leurs têtes, assis et se réjouissent de la vue de la
divinité 2 . » Eisenmenger cherche, dans son ouvrage, à
rendre ridicule la doctrine platonique que soutiennent les
rabbins, par une fausse explication. Mais, quelle chose ne
peut pas être rendue ridicule au moyen de son procédé?
» Eftéchiel. ch. 2, ▼. 46.
2 Tract. Sanhédrin.
3*9
11 se moque, en disant que les sages confondent les rois
avec les stoïciens; Dieu ne fait rien selon eux, sans con-
sulter les anges, c'est-à-dire que la toute-puissance n'agit
pas immédiatement sur la nature, mais elle agit moyen-
nant les forces mises dans la nature, aussi, dit-il de la
doctrine, que tout y est enseigné par la divinité, outre la
pratique de la vertu ; mais qu'un théologien raisonnable
dise, s'il y a dans cela quelque absurdité ou quelque im-
piété?»
» Celui qui a pénétré dans le vrai esprit du Talmud, qui
est familiarisé avec la manière des anciens en général et
en particulier des orientaux, qui connaît les rapports des
vérités de théologie, de morale et même de physique avec
la fable et l'allégorie ; qui a fait une étroite connaissance
avec les exagérations orientales à l'égard de tout ce qui
doit intéresser les hommes, et qui enfin veut agir avec les
talmudistes, de la même manière que ces derniers fai-
saient, à l'exemple du R. Mayer, qui avait pour maître un
hérétique et dont il a dit à ce propos : « Il trouva une
noix, en mangea le noyau et jeta 1 ecorce. » Celui-là, cer-
tes, ne trouverait point dans le Talmud les extravagances
que ces messieurs sont disposés à y trouver.
« En ce qui concerne la morale talmudique, je ne sais,
vraiment, ce que l'on y trouve à redire, excepté, peut-être,
dans quelque cas, où elle est, en effet, un peu exagérée.
Elle est le vrai stoïcisme, mais elle n'exclut point les autres
principes. Sa sainteté s'étend même jusqu'aux pensées.
Ils appuient cela, selon leur usage, sur l'endroit suivant :
«Que tu n'aies point de Dieu idolâtre en toi 1 . »
» Ils disent : quel Dieu idolâtre peut demeurer dans le
cœur humain , si ce ne sont pas les mauvaises passions.
1 P*aum,ch. 8. v. 10.
330
» Ils ne permettent pas de tremper un païen nrtac par
des paroles : comme, par exemple, de seservir à son égard
d'une formule d'honnêteté : « Je sais bien aise de vo*s
voir en bonne santé. > Cette expression est détendue» si
elle n'est pas prononcée par le vrai sentiment da cœur.
» Les exemples des Juifs qui trompent les chrétien* on
les païens, que Ion rapporte ordinairement contre ce
peuple méprisé et rejeté de tout le monde, ne démontrent
rien dn tout, car ceux qui trompent n'agissent point d'a-
près les principes de leur morale. Les talmodistes inter-
prètent la loi : « Tu ne dois rien désirer de ton* ee qui ap-
partient à ton prochain; qu'on doit même éloigner de soi
jusqu'au désir de le posséder. Bref, pour rapporter tous
les principes précieux de la morale talmudique, il faudrait
écrire des volumes 1 . »
Nous trouvons dans leTalmud 3 , le suivant :
cUn jeune homme, d'une beauté éblouissante, vint un
jour trouver leR Simon-le-Juste, pontife à Jérusalem; ee
jeune homme avait l'air noble, la physionomie ouverte;
il portait l'empreinte d une âme pure. Les cheveux extrê-
mement beaux de ce jeune homme, et qui descendaient
sur son cou en boucles naturelles, charmaient beaucoup
le pontife. « Rabbi, dit le jeune homme, je veux faire vœu
d'abstinence. — Comment, mon fils, es-tu privé de ton bon
sens, répondit Simon, qu'elle est la cause qui te force à
altérer ta santé et à immoler tes beaux cheveux?— Je veux
être vertueux, reprit le jeune homme, et la beauté de mes
cheveux m'en empêche, et c'est pourquoi je veux faire ce
vœu. » Le pontife fut étonné de ce langage, et le jeune
1 Voyei la Biographie de Salomoo Maïmon, Uv. 1. ch. 16. J. 8.
1 Traité Nasir.
331
homme continua : € Je gardais tranquillement les trou-*
peaux de mon père, j'aimais Dieu, mes parents et mes
semblables, je nourrissais bien mes troupeaux et je m'en
trouvais très bien. Mais, un matin, je menai mes trou-
peaux à la fontaine, pour les y abreuver, et pendant qu'ils
se rafraîchissaient et buvaient, je regardai autour de moi
et tout à coup j'aperçus mon image dans le miroir de
l'eau. Insensé 1 me cbuchotta doucement ma vanité,— ne
te connais-tu pas enfin toi-même? Mon regard resta fixé
sur mon image à la surface de l'eau , et quelque chose,
que je ne connaissais pas encore, remua dans mon cœur.
Plein d'admiration pour ma beauté, je contemplai les bou-
des de mes beaux cheveux ; je les laissai tantôt dans leur
position naturelle pendre sur mes épaules, et tantôt flot-
ter, an jeu du zéphir, autour de mon cou, Pendant que
j'étais dans cette attitude, une brebis se glissa vers cet
endroit peur arroser decette eau rafraîchissante son palais
altéré par \m soif. Elle huma un peu d'eau en troubla la
source, et mon image disparut. Je frappai la pauvre bre-
bis de mon béton de pâtre en la maudissant d'une malé-
diction Horrible, qui n'avait jamais profané mes lèvres, et
chassai oette brebis de mon troupeau. Elle s'en éloigna
patiemment et resta tremblante, dans une position qui
paraissait me reprocher mon injustice. Alors, mon âme
revint à elle et apostropha ma belle enveloppe, en disant:
« Indigne que tues! n'oublie donc point ton origine, ni ta
fin, et sache que le peu de ta beauté est passager, et que
tu ne laveras pas de sitôt la tache de l'action que tu viens
de faire. Alors, le repentir déchira mon âme , et je
jurai, en pleurant, de sacrifier ma beauté et de pratiquer
la vertu. Je veux ainsi faire vœu d'abstinence; que ces
cheveux, ornement de ma tète, tombent sous le rasoir, et
332
que les roses de mes joues palissent par l'abstinence du
vin. Je ne veux point être beau, mais bon.» A ces paroles,
le pontife, le baisa sur le front et s'écria : « Que beaucoup
de tes semblables fassent vœu d'abstinence en Israël. »
Quelle pure morale! Nous défions tous les Eisenmenger,
tous les Chiarini et leurs semblables de rapporter une mo-
rale plus pure. Nous pourîons citer des exemples innom-
brables du Talmud et des Medrachime, s'il était à propos
de le faire ici.
Nous convenons qu'il y a dans le Talmud beaucoup
d'endroits qui paraissent des paradoxes (dans quel livre
ancien n en trouve-t-on pas?) et dont les nouvelles expli-
cations forcées sont [encore plus absurdes que les ques-
tions mêmes qui ont besoin de ces explications. Il y a des
endroits qui sont très choquants à l'oreille, quant à la
morale ; il y a des choses qui ne méritent point d être dites
et conservées; il y a aussi des endroits qui ne sont d'ac-
cord ni avec l'histoire générale, ni avec l'histoire natu-
relle 1 . Mais il faut concevoir que le Talmud est une col-
lection de décisions , de discours, de dissertations, une
encyclopédie de toutes les sciences qui proviennent de
plus de 1 ,000 auteurs qui vécurent sous l'empire de cir-
constances diverses, dans un espace de temps de huit
cents ans (savoir, depuis Siraéon Justus, le premier Tha-
naïte, jusqu'au R. Simuna, le dernier des Saburaëns).
11 ■ —^—— ———y——
I Voyez Traité Sanhédrin, p. 02. Trac. Solha. p. 40. Trac. BabaMétzta
p. 84. Trac. Guitin, p. 5. Trac. Baba Balhra. p. 74. etc.
VI
Mais il existe un obstacle réel et unique, savoir : les
rabbins polonais. Nous connaissons suffisamment les Israé-
lites en Pologne et leur fanatisme religieux. Nous n'igno-
rons pas non plus quelle influence extraordinaire les rab-
bins exercent sur leur esprit, et nous pouvons affirmer
hardiment qu'un seul mot du rabbin serait plus efficace
que toutes les œuvres des plus savants reformateurs laï-
ques. Une simple déclaration de quelque rabbin polonais,
mais déclaration franche, spontanée, sans paraître arra-
chée par la contrainte, serait capable de renverser tout
Péchafaudage des préjugés et créer en quelque sorte une
nouvelle vie religieuse, selon la pureté des lois de Moïse,
et relève de la sorte un peuple de deux millions et demi
du mépris et de l'oppression.
334
Tout rabbin en Pologne possède un pouvoir illimité ; il
est le chef, la tête de la synagogue, le guide du peuple,
leur juge en matières criminelles et civiles; ses décisions
sont du dernier ressort et ne souffrent aucune opposition".
Lorsque le rabbin ordonne le jeûne, pendant trois jçrcirs,
tous les Juifs y obéissent scrupuleusement,et privent toême
de la nourriture des enfants en bas âge, pour mettre le
produit de cette sorte d'épargne à la disposition du rab-
bin. Et pourrait-il en être autrement chez les Juifs polo-
nais? Abandonneront-ils leur code Schoulchan Arouch,
adopté par les rabbins de l'Europe presque entière, et
observé de père en fils, sans altération? Or, les Juifs polo-
nais, en dehors de cette doctrine rabbinique, ne sachant
presque plus rien, ne sauraient qu'obéir aveuglément à
ce Code, dont l'autorité n'a jamais été contestée par eux.
Et, d'un autre côté, il était difficile et même impossible
jusqu'ici d'exiger que les rabbins en agissent autrement,
eux qui, en soutenant ce Code et par son autorité, se trou-
vaient tout puissants 1
Il s'agit donc avant tout de trouver ta moyen d'enga-
ger les rabbins d'abord à abandonner leur système, en
cessant de maintenir en vigueur le dit Code. Nous entre-
voyons deux moyens pour y parvenir :
h Un traitement convenable, payé aux rabbins par les
caisses municipales, pour qu'ils n'aient besoin de flatter
personne, ou de s'humilier pour de l'argent et surtout
pour ne pas être soumis au Code des préjugés, qui est
leur moyen d'existence !
3° L'influence intellectuelle des Israélites éclairés, quant
à la réforme dont pourrait être susceptible la religion
juive, nous ne l'abordons pas, l'abandonnant aux théo-
logiens éclairés, qui sauront modifier le Code de Sclwul-
385
chan Arouch, de manière à ce que les enfants d'Israël re-
viennent à leur foi purei*
Quant aux mesures à proposer eu gouvernement, nous
ne pouvons rien dire à cet égard, de plus sage , de plus
juste, de plus efficace que ne l'a dit et proposé l'illustre
Czacki. Cet historien érudit, cet homme d'état distingué
Butant que patriote éclairé, a étudié à fond la grande ques-
tion de l'émancipation des Israélites Son travail à cet
égard, et les réformes qu'il propose , méritent le plus sé-
rieux examen de la part de tous ceux qui par leur position
peuveut influer sur le sort des millions d'habitants dont
nous nous occupons , bien qu'un demi siècle se soit écoulé
depuis la publication de son travail , il y a très peu à y
changer, très peu à ajouter à ses idées, a ses conseils. Lee
travaux scientifiques et historiques de Cwcki , lui acqui-
rent une grande estime de la part de ses contemporains ;
son plan de réferme pour les Israélites, lui donne droit à )p
reconnaissance générale. 11 viendra un jour où les Polo-
nais et les Israélites élèveront un monument à la mémoire
de cet homme illustre. Nous ne pouvons que rappeler ici
ce que cous avons dit dans la première partie de notre
ouvrage ; et engager les hommes d'état et les gouverne-
ments à consulter le livre de Czacki.
Israélites de France, d'Angleterre, de Hollande, de
Belgique et dune partie de l'Allemagne! vous qui jouissez
d'une pleine liberté; vous qui possédez tous les moyens
matériels et intellectuels, pour influencer les gouverne-
ments et les peuples ; c'est vous que Dieu a destinésà opé-
rer une réforme salutaire parmi les Israélites de Pologne ;
4 Nous nous élonnous que les savants rabbins français et allemands ,
n'aient encore rien fait pour modifier ce code.
336
c'est de vous que PEurope doit attendre l'accomplissement
de cette grandeœuvre; c'est sur vous que pèse le sort de
deux millions et demi de vos frères l Vous êtes au comble
du bonheur et de lagloire; mais pouvez-vous vousréjouir
de votre félicité, en voyant vos frères plongés dans l'er-
reur, misérables et méprisés?
Vous n'avez plus à lutter que contre le très petit nom-
bre restant de vos ennemis; h peine en paraît-il un,
persifflant votre foi, la plume à la main, vous savez le ter-
rasser, et la vérité, méconnue à travers tant de siècles,
triomphe de leurs injustes attaques. Vous savez trouver le
moyen de réfuter et de flétrir les moindres agressions,
même personnelles , vous avez des défenseurs devant les
tribunaux, des théologiens parmi le clergé, des représen-
tants dans les parlements , des orateurs partout où il en
est besoin, des écrivains dans la presse, des officiers dans
les armées, des soldats sur les champs de batailles, des
artistes dans les beaux arts, des professeurs dans les uni-
versités, des conseillers auprès des gouvernements, des
banquiers dans les finances ; et vos frères en Pologne
n'ont que le mépris; ne doivent-ils donc pas attirer votre
attention?
Ainsi, il ne vous manque rien pour porter secours à vos
frères des bords de la Vistule et du Niémen ; vous pouvez
aisément élaborer des plans raisonnables et exécutables
afin d'en venir à une réforme parmi les Israélites de Po-
logne, les gouvernements même despotiques et les Polo-
nais ne refuseront point d'y coopérer; ces derniers sur-
tout, ayant éprouvé des malheurs se garderont de
maltraiter les enfants de la même patrie.
Israélites éclairés! ne voyez-vous pas des chrétiens
sacrifiant des millions pour envoyer des missionnaires
337
dans tous les coins de la terre, afin de convertir les incré-
dules, de les civiliser et de les rendre heureux; et vous, vous
ne pouviez pas envoyer des hommes de mérite de votre
religion en Pologne pour y civiliser et rendre heureux vos
frères?
Les missionnaires chrétiens sont obligés de parler à
chaque individu qu'ils veulent convertir, de lui inculquer
les mystères de leur religion, et de lui faire concevoir tou-
tes les doctrines théologiques , tandis que les savants
Israélites n'auraient qu'à éclairer les rabbins en Pologne
et de les engager à devenir missionnaires eux-mêmes parmi
les populations.
Les chrétiens ne se lassent pas de renouveler leurs mis-
sions dans l'intérêt de leur église, et souvent dépensent, à
cet effet, des sommes énormes ; et vous, vous n'auriez
qu'un seul sacrifice à faire, car il est plus facile de nettoyer
et conserver un vieux verger, produisant naturellement
de beaux fruits que d'en planter un tout nouveau 1
Et vous, prédicateurs Israélites, parlez aux enfants de
Jacob et à vos frères, ouvrez par votre doctrine éclairée
le cœur de ceux qui dédaignent l'humanité ; n'épargnez
pas vos conseils à ceux qui ont la bonne volonté d'être
utiles à leurs frères. C'est sur vous, comme sur les gardiens
de la sainte religion que pèse le devoir d'applanir les voies
pour la sainte mission en Pologne.
Et vous, philosophes pleins de lumières, et écrivains
distingués dû xix* siècle; vous qui montrez à l'univers le
chemin du progrès et du bonheur ; vous qui défendez de
tout votre pouvoir l'humanité, n'épargnez pas vos plumes
en faveur de deux millions et demi de vos semblables !
Il est peut être excessif, le droit que nous nous sommes
arrogé en faisant cet appel; mais nous pouvons assurer
338
nos lecteurs que tout homme consciencieux à notre place,
après avoir examiné, vu de près pendant bien des années,
et étudié l'état des Israélites en Pologne comme nous l'a-
vons fait , ne manquerait pas, à coup sûr, de penser et
d'écrire comme nous. Au surplus, nous sommes convaincu
qu'autantque les Israélites de Pologne ne seront paséman-
cipés leurs coreligionaires des pays civilisés, et particulière-
ment de l'Allemagne, ne pourront atteindre à une réforme
complète; car toute réforme religieuse doit débuter sur le
point capital , c'est-à-dire par la masse ; or, où est la plus
grande population Israélite, si ce n'est en Pologne. Dans
toute l'Europe il n'y en a pas autant que dans ce pays. C'est
donc là que la réforme religieuse doit être tentée d'abord.
Et dès que deux millions et demi d'Israélites, après avoir
rejeté tous les préjugés et commentaires créés par les
hommes, professeront la foi pure de Moïse, alors, sur toute
la terre, pourra se propager l'imposante vérité.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Voir la table des matières à la tête de l'ouvrage.
Pages
Charles XII,
Page*
227
A
Chacbam,
Chassid,
233
281
Aaron de Kazimicrz,
25
Chateaubriand,
310
Abd-el-Rahaman,
3
Celsus,
323
Abh,
477
Chiarini,
84, 322
Agrippa,
2
Chéri me,
173
Akiba, R.
161
Chiloukim,
163, 164
Alexandre (roi),
17
Chiia, R. ,
325
Idem , erop.
79, 83, 84, 85,
Chlopicki,
91
.9*.*i°
87,88 et 184
Ciccron,
104
Alphonse,
169
Clauzel,
294
Amolli,
3
Club démocratique,
435
Am Haaralz.
185
Constantin (gr .-duc),
8C
>-85, 92
Arbé Pesachim.
196
Comcndoni,
24, 25
Arbah Kanphoth,
173
Crémieux,
135, 138
Assuerus,
Set 491
Crouspédoï,
168
Aslarot ,
159
Czacki,
38
-54
, 72, 228
Auguste III,
34
Czartoryski ,
112,
113,
137, 138
B
Czynski, 82
93,
95,
134 — 138
Bartalacei,
231
D
Berkowicz f
115,
135
Dam,
167
Beniowski,
415,
135
David,
191
Bescht,
255,
283
Dellemba,
11
Berachia,
255
Dembrowcki,
280
Béné Hechalah Dichsipbine,
288
Deraschoth,
326
Berbsonowa,
288
, Dibilz,
77
C
Dziennik Naroc
ovy,
133
Casimir-le-Grand,
4,6,12,19,27,
£
5i, 125
,225
Eben-Haukel,
5
Casimir Jagellon,
233
Echo-Miast,
148
Cabbalistes,
31
, 32
Effendi,
250
Carthésianisme ,
32
Ehreb,
176
Carraoly,
3
Eisenmenger,
324,
327. 328
Gabbala,
165
, 167
Elobime,
260
Gahen,
156
Elohime Kcdos
chimc,
261
Chaldéens,
159
Ele,
26»
Chazanim,
177
Elaul,
177
340
Pages.
Eliias Gaon, 36 Job,
Esther et Mordechaï, 491 Johanan Zakaï,
Esterka '(Esther) 5, 6, 12, 43, 225 Joseph II,
Esséniens, 159 Isaak Lurie,
Ezdrasz, 159 Juda Saint,
Pages.
313
160
T34
288
162
Frank,
Flenry,
Gaôn,
Gastold,
Gabaïmes,
Gornicki,
Godard ,
Gorecki,
Grabowski,
Grégoire,
Guézéroth,
Guemara,
Bagadolh,
Hasdaï Halevy,
Haralsch,
Henri de Valois,
Henri-le-Barbu.
Herszel Joszelovilz,
Helkias,
Hernisch,
Hilel,
Horovitz,
Hourvitz,
Jagellon,
Jacob Polak,
Jacob Lévy,
Japha,
Jacob, apôtre,
34, 254
221,310
466
235
220
36
76
434
28
217, 327
322
162
322
313
252
21,73
152
78
459
105
160
105
76, *77
15, 20, 24
163
175
161
316
Jésuite, 22, 23, 26, 30, 33, 69,
72, 90, 448
Jean Casimir, 30
Jean III, 33
Jeschiba, 4 85
Jérémie, 196,198
Jehoschouha bon Lévy, 325
Kahal,
Kalmanson,
Katharine II,
Kabak,
Kaïsievicz,
Kantorowiez,
Karabelnik,
Karaïte, Karaïme,
Katégor,
Kbazar,
Kilinski,
Kladen,
Kmitta,
Kochawski,
Koscber ,
Kosciuszko ,
Kollontay ,
Krakowiecki ,
Kriegi Pielgrzyma,
74,200
76, 203
235, 144
89
147
209
212
226 à 242
283
3
75
151
47
87
175
82
311
94
133
Ladislas IV, 3q
Ladislas Jagellon , 14
Lafayette, 136
Lelewel, 29,147
114 — 116,131,134,147
Lenochri Thaschich 218
Léopoldl, 154
Leibzoll, 154
Lilienthal, 443,144
Lolehével , 29
Louis 13,73
Loevensohn , < 204
Luther , 23
Lubliner, 222
Maciejowski, 17
Malachowski, 29,211
Marc Saul, 3
Marc Joseph , 3
Massandi, 3
341
Machzor,
177
Mahomed IV,
247
Maïmonides,
195
Malczewski,
310
Maïmon Salomon,
327
Mendelsohn, 69, 178, 479
Medrasch ,
167, 325
Mésuze,
173
Menasché ben Israël,
216, 313
Meyer R.
329
Michel de Brzesc,
n
Mieczyslas,
1,4, 152
Mischnah,
162
Minhaguim ,
175
Michel, grand-duc,
109
Mikeva,
281
Miod,
388
Mirabeau,
310, 327
Millot,
323
Mordechaï,
16, 228
Mohabite,
191
Mordechaï et Eslher,
191
M or a w ski ,
94, 102
Moïse ben Raphaël,
249
Moïze Mikoutzy,
313
Muszjnski ,
25
X
Napoléon,
198
Nathan Benjamin,
245
Nachri,
313
Néophyth,
27,29
Némira,
5, 13
Néhémia,
16
Féschamah Jéthérah,
176
Nisan,
191
Nicolas, 86 à 89 ,
109, 141,
143
Niemccwiez ,
202
Nowa Polska,
133
O
01 am Hàlohou.
289
Olam Hatikon ,
289
Ostrowski, 9, 205,
95 à 101 ,
303 à 208
Oubéchouko Othéhém,
180
P
Pamassimo
220
Pages.
Parias ,
53
Paszkiewiez,
146, 233
Parzouphims,
259
Pamalie chel Mahlah,
283
Pelka,
5, 13
Peringer Gustave ,
227
Pesiel,
87
Pescbate,
289
Philistins,
159
Pharisiens,
159
Pharaon,
191
Pirouschims,
321
Pidion,
286, 295
Plato,
196
Plater,
205
Potocki (Guér Zedek)
35
Potocki Stanislas,
75, 76
Possekims ,
322
Przyluski,
17,19
Przechrsly, .
28
Przecias Majecki,
25
Puszet,
106,107
Rakiezana, 5
Raschy, 182
Rabbinistes, 226
Rabbins (les) de Pologne, 333, 334
Rey de Naglowicz, 19
Rozniecki, 80, 89
Rouach, 261
Rumin, 87
Ryléjew, 87
Rzewouski, 310
S
Sabbatian,
20
Salomon Dr.
161
Sabath,
176
Samuel Hachassid,
177
Sadducéens, 1 59,
, 228, 232
Sanhédrin ,
198
Salomon, fils d'Aron,
227
Sabanski ,
149
Salomon Posner,
107, 108
Sckamaï,
160
Schoulchan Arouch,
168,170
Schabbéthy Zévy,
244 à 253
Schor,
279
Schéchinah,
289
Schupport,
227
342
Pages.
Page».
Scphiroth,
16, 167
Tugendhold,
9,201,
204, 233
Se phi ré,
176
Tybeiiath,
162
Sécher Léchorban ,
189
.
Sclden,
227
U
SeïraR.,
325
Séhoudah Sehelischith,
287
Uwarow,
143
Seïr Anphiae,
288
Sephardims,
294
V
Siman ben Schctach,
315
Sigismond,
17,234
Vespasien,
160
Sirauna,
352
Victor Hugo,
301
Sigiemond Auguste,
19, 24, 27
Voltaire,
324
Simond-le-Juste,
330, 332
Simon Gintzberg,
25
w
Skarga,
117
Soar,
164, 165
Wilson,
105
Spinoza,
31
Witold-le-Grand,
233
Stanislas-Auguste,
38, 203
Wladimir,
4
Stem Abraham,
77
Walfius,
228
Surowiecki,
53—63
Wolff,
322
Szamowski,
33
Wolowski,
279
Szleszkowski,
26
Szod,
106, 107
Y
Szeptycki,
134
Szokalski,
149
Yom Kipour,
Yaîn Adom,
167
T
Taimud,
321
z
Takanath,
322
Zalkind Hourvitz,
76
Tephilin,
172,231
Zaîonczek,
81
Thamouse,
177
Zadik,
2S4
Thelath Chadinon ,
261
Zedeclii,
315
Tischri,
191,212
Zéphardéï,
167
Tomicki,
23
Zimomislas,
3
Torquemada,
300
Zizés,
173
Towianski,
296
Zoàrites,
255
Trigland Jacques ,
Trubecki,
228
Zuchowski,
10
8?
Zuchary,
140
FIN DE LA TABLE ALPHABETIQUE.
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CECIL H. GRÉEN LIBRARY
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