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ROBA
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COUR PERMANENTE D'ARBITRAGE DE LA HAYE
Tribunal consliliié rn roilu da compromis d'arbilrnge signé à Lisboiinf; le 31 Julllcl i9f3
AFFAIRES DITES «DES BIENS CONTESTES EN PORTUGAL»
m JÉSUITES EN PORTUGIIL DE 1540 S 1834
PAR LE
Prof. EMM. BORGES GRAÏNHA
Contribution à l'étude
et à l'interprétation des lois du 8 Octobre et 31 Décembre 1910
Observations générales — Annexe n" 3
LI,SBON]Nr:
IMPRIMERIE NATIONALE
Il serait utile de faire non seulement une étude générale de l'influence
religieuse et congréganiste en Portugal à travers toute son histoire, mais
aussi et avec plus de détails, de l'influence de chaque congrégation dans la
vie politique et sociale de cette nation.
Nous verrions par cette étude combien ces diverses congrégations ont
contribué à la décadence sociale, moi'ale, politique, économique et financière
de ce pays, qui lutte encore aujourd'hui contre les terribles tendances ino-
culées par l'influence congréganiste.
Mais cette étude nous mènerait trop loin. ,
Nous avons donc décidé de la borner à la Compagnie de Jésus, type
et guide de la phalange cléi'icale.
Et cette étude, quoique très succincte, occupe déjà deux volumes.
Nous n'osons donc pas abuser plus longtemps de la Haute Cour.
Le iléléqué du Porlui^al
PRÉFACE
Le Portugal est le pays où les jésuites furent d'abord admis et celui où ils furent
reçus et favorisés avec le plus d'enthousiasme et de générosité'. Le roi Jean III qui
les avait appelés en Portugal, les protégea tellement, dans son Royaume et au dehors,
qu'Ignace de Loyola le considérait comme un père et le second fondateur de la Com-
pagnie-. Mais en compensation le Portugal est aussi le pays d'où ils ont été chassés
avec le plus de bruit et de clameur et d'où est partie la campagne qui a porté d'autres
Princes de l'Europe à exiger de Clément XIV l'extinction de la Compagnie de Jésus,
comme Ordre religieux^. Au premier abord ces faits dans le même pays semblent con-
tradictoires, mais leur explication est facile. C'est que chez aucun autre ils ne se rendi-
rent à tel point coupables devant les accusations, sur lesquelles le Pape Clément XIV a
basé le décret de leur extinction.
Dans le fameux l>ref Dominus ac Redemptor le Pape condamne les jésuites pour
trois motifs principaux: 1'"' celui de s'immiscer dans la politique et dans les questions
civiles d.es peuples ; 2" d'entrer dans des luttes et intrigues contre les Univei:sités, con-
tre les Prélats ecclésiastiques, contre les autres Ordres religieux et même les uns contre
les autres dans la même Compagnie ; 3" de penser plutôt à entasser des richesses qu'à
s'occuper des biens de l'esprit'. Or ces faits,~imputés par le Pape aux jésuites, se sont
produits en Portugal avec plus de publicité et d'impudence que dans tout autre pays,
comme je vais le prouver dans cette histoire résumée des jésuites en Portugal.
Cette histoire peut être aujourd'hui mieux faite et mieux documentée qu'au temps
du Marquis de Pombal, ministre du roi Joseph, qui les bannit du Portugal.
Nous avons aujourd'hui à notre- disposition les procès de l'Inquisition, catalogués
aux archives de la Tôrre do Tomho; beaucoup de lettres oflScielles des diftérents minis-
tres étrangers en Portugal, publiées par le vicomte de Santarem; un très grand nombre
de lettres et autres documents jésuitiques, publiés par la Compagnie elle-même; enfin
' Balthazar Tellez, jésuite portugais, Chrônica da Companhia de Jeuut em Portagal (Chronique
do la Compagnie de Jésus en Portugal) part, i, liv. i:, pp. 243 et 246.
2 Balthazar Tellez, ibidem, pp. 244 et 582.
■• Schaefer Ileinrich, Geschichte von Portuijnl [Je citerai la traduction portugaise par SampaVo
(Bruno)j Histôria de Portugal, vol. v, p. 27.
' Crétineau Joly, Hisloire de la Compa'inie de Jésus (Pan's, 1859), tome v, chap. v, pp. 296à300.
6
beaucoup de livres récents, largement documentés, entre lesquels on distingue, comme
aidant grandement à cette étude, L'Histoire de la Compagnie de Jésus dans l'Assistance
d'Espagne (Histôria de la Compania de Jesûs en la Asistencia de Espana) écrite par
le jésuite espagnol Antoine Astraïu.
On déduit de tous ces documents que les jésuites ont été en Portugal les confes-
seurs des rois et des membres des familles royales, depuis leur entrée jusqu'à leur ban-
nissement; qu'ils furent non seulement les confesseurs des rois, mais aussi leurs con-
seillers dans les affaires du Royaume, certains d'entre eux ayant eu leur entrée officielle
dans les conseils d'État; que leur intervention dans la vie politique de la nation fut
très pernicieuse pour celle-ci et ne profita qu'à Eome et à la Compagnie elle-même,
qui dominait tout par son influence prodigieuse à la cour; et qu'ils agirent enfin de
telle manière que non seulement ils ne furent pas regrettés lors de leur bannissement,
mais encore on vit naître une «aversion traditionnelle pour le jésuite», ainsi que l'avoue
Mr. Alvaro Pinheiro Chagas, qui fut député monarchiste et secrétaire de Mr. Jean Franco,
dernier président du conseil du roi ( "harles '.
C'est pourquoi le comte Alexis de Saint-Priest, lorsqu'il écrivit en 1844 sur le
bannissement des jésuites du Portugal, au temps du Marquis de Porabal, a conclu
logiquement :
«A tort ou à raison, la responsabilité des événements retourne à ceux qui exercent
le pouvoir, et, on ne peut le nier, le pouvoir leur (aux jésuites) a appartenu en Portu-
gal, sans interruption ni lacune, durant toute cette période de deux cents ans (1540 à
1759)» 2.
L'allemand H. Boehmer, professeur à l'Université de Bonn, ayant fait, dans son
livre Les Jésuites, un petit aperçu de l'histoire des jésuites en Portugal, arrive à la
même conclusion :
«Mais, alors même que les Pères ne remplissaient aucune charge publique dans le
royaume, ils étaient en fait plus puissants en Portugal que dans n'importe quel autre
pays. Ils n'étaient pas seulement les directeurs de conscience de toute la famille royale,
ils étaient aussi consultés par le roi et ses ministres dans toutes les circonstances im-
portantes. D'après le témoignage d'un des leurs, aucune place dans l'administration de
l'Etat ou de l'Église ne pouvait être obtenue sans leur consentement, si bien que le
clergé, les grands et le peuple se disputaient leurs faveurs et leurs bonnes grâces. Ajou-
tons que la politique étrangère elle-même était sous leur influence. Aucun homme
de sens ne soutiendra qu'un pareil état de choses ait été profitable au bien du
royaume »■*.
C'est ce que nous allons voir dans cette petite histoire de la Compagnie de .Jésus en
Portugal, basée principalment sur des livres et d'autres documents écrits par les jésuites
mêmes.
1 0 Movimento Monârquico (Le Mouvement Monarchiste, le 28 janvier et le 5 octobre), Porto,
1913, p. 10.
•' Histoire de la Chute des Jèsiiiles au XVI II'- siècle, 1750-1782, p.ar le C."' Alexis <le Saint-
Priest, pair de France, nouvelle éilitioii, Paris, 184('), p. t.
^ H. Boehmer, professeur à l'Université de ISoiiii, Lei Jésuites, ouvrag(! traduit do l'alhsmand
par Gabriel Monod, membre de l'Institut, Pari.5, Armand Colin, 1910,2' M\t\ou,f>. 86. -—Voir p. 29 de
ce livre.
PREMIÈRE ÉPOQUE
1540-1759
CHAPITRE PREMIER
Régne de Jean III (1530-1557)
Jacques Govea, Principal du Collège de Sainte-Barbe, à Paris, où Ignace de
Loyola et quelques uns de ses compagnons avaient étudié, sachant que ceux-ci ne pour-
raient plus aller en Palestine convertir les Turcs, comme ils l'avaient pensé d'abord,
écrivit au Roi Jean III qu'il pourrait les utiliser pour la conversion des indigènes des
Indes Orientales, dernièrement conquises par les Portugais '.
Le roi, acceptant le conseil, donna l'ordre à Pierre Mascarenhas — son ambassa-
deur à Rome, qui lui avait aussi écrit à cet égard — de s'adresser à Ignace de Loyola,
afin d'obtenir de lui six de ses compagnons, pour les missions des Indes.
Loyola ne voulant pas abandonner la lutte avec les protestants, qui se présentaient
devant lui en Europe, n'envoya au roi du Portugal que deux des ses compagnons pri-
mitifs, Simon Kodrigues et François Xavier, qui arrivèrent à Lisbonne en 1540: le
premier en mars et le second en juin"-.
Mais comme alors il n'était plus facile d'embarquer pour l'Orient, ils restèrent jus-
qu'à l'année suivante, ("ependant le roi décida que seul, François Xavier, espagnol,
irait en Orient ; et il partit le 7 avril 1541 -K.
Jean m voulut que Simon Rodrigues, portugais, restât en Portugal pour développer
la Compagnie de Jésus dans ce Royaume ''.
Cette résolution royale fut motivée par la manière dont Simon Rodrigues et son
compagnon s'étaient présentés à la Cour. A son arrivée Simon Rodrigues — -suivant la
coutume déjà adoptée en Italie par Ignace et ses compagnons — ne voulut pas accepter
l'habitation près du Palais Royal, que le Roi lui offrait pour sa résidence, mais il se re-
tira à l'Hôpital de Tous les Saints, où il exerçait les fonctions les plus humbles, servant
les malades et parcourant les rues en demandant l'aumône pour les prisonniers et les
malheureux ^.
Sa manière d'agir impressionna vivement la Cour. Il s'y présentait vêtu d'une
' Balthazar Tcllcz, part, i, pp. 14-15. — Antoine Franco, jésuite portugais, ima^era do Virtude
ein 0 Noviciado de Lithoa (Image do la Vertu au noviciat do Lisbonne), liv. i, cliap. xii, p. 59.
- Fr.'inco, Imarjem da Virtude eni o Noviciado de Lisboa, liv. i, chap. xii, pp. 60-62.
' Franco, ibidem, chap. xiu, p. 66.
' Franco, ibidem, chap. xm, p. 65.
■' Ffîtrion, iMdoni, jt. ^>1 .
8
vieille soutane, dont le col était attaché par une lanière en cuir blanc et on le voyait
dans la rue chargé d'un chaudron où il transportait la nourriture aux prisonniers '.
Les premiers compagnons suivirent son exemple. Cette manière d'agir d'une humi-
lité si exagérée à cette époque de la Renaissance, où le luxe ecclésiastique scandalisait
les peuples et s'était attiré les récriminations de Luther, trompa facilement le Roi, dont
l'intelligence était assez courte, comme le reconnaissent ses biographes - : quand il voyait
à la Cour ces prêtres, d'une trop grande humilité, il s'écriait, devant ses courtisans :
«Voici de vrais apôtres! ^n
Et pendant liien des années, ils furent connus en Portugal sous ce nom à'apôtres.
Simon Eodrigues comprit que l'humilité et la mortification, bien manifestées en public,
étaient de précieux éléments pour attirer l'attention et la bienveillance, c'est pourquoi
il les exagérait de plus en plus, et après lui ses subordonnés '', avec une adroite hy-
pocrisie, ainsi que nous le prouverons et le démontrerons en nous servant des paroles
des historiens jésuites eux-mêmes. Il ordonna à un jeune novice noble, nommé Alphonse
Barreto, de s'habiller en commissionnaire et de vivre avec les gens de maison qui trans-
portaient les fardeaux et faisaient les commissions, atin de les attirer à prendre pour
confesseurs les. pères jésuites du Collège de Santo Antâo, o Velho (Saint Antoine- Abbé,
le Vieux) ^.
Les novices, dont quelques uns appartenaient à la meilleure noblesse, se présen-
taient par son ordre à la Cour, portant des vêtements de drap grossier et le bâton à la
main, comme de pauvres pèlerins, ce dont les dames de la Cour étaient profondément
touchées ^.
Simon Rodrigues avait toujours désiré avoir un collège à Coimbre, où se trouvait
l'Université, et où il voulait attirer beaucoup d'étudiants au noviciat; mais il trouva au
début une grande opposition chez les professeurs et les élèves.
Pour gagner la bienveillance de ceux-ci il envoya à Coïmbre le novice Emmanuel
Godinho qu'il avait recruté parmi les jeunes nobles de la Cour.
Habillé en étudiant, vivant entre eux, il suivait le cours universitaire et entraînait
des jeunes gens à faire des visites aux pères de son Collège et à se confesser à eux ''.
Ce déguisement lui réussit ainsi que la pratique des exercices spirituels d'Ignace
de Loyola, si terrible pour les esprits faibles, et aussi les scènes singulières d'humilité et
de mortification exagérée auxquelles ces premiers jésuites se livraient à Coïmbre. Ils
parcouraient les rues pendant la nuit, se donnant la discipline et demandant à grands
cris aux pécheurs de se repentir pour éviter les peines de l'enfer **.
Un jeune noble qui avait terminé son cours universitaire sollicita de Simon Rodri-
gues la permission d'être admis dans la Compagnie avant de faire son doctorat, liodri-
gués étudia à fond l'esprit du jeune homme et vit le profit qu'il pourrait tirer des idées
qu'il lui avait inoculées. Il lui ordonna donc de faire son doctorat et de recevoir les in-
signes avec tout le cérémonial.
Il le fit alors venir au Collège suivi du plus brillant cortège, comme c'était l'usage
en ce temps là. Il ordonna en suite au nouveau docteur d'enlever son brillant costume,
• Franco, ibidem, pp. 71 et 72.
2 Pinheiro Chagas, Histoire de Porliujat, vol. ui, rhap. lu, p. 407, Lisbouue, l'.)00. — ^fcJchaefcr,
Hittoire de Portugal, tome m, p. -353.
' Franco, ibidem, p. 64. — Balthazar 'l'ellez, part. i,p. 43.
•i Baltliazar Tidlez, ibidimi, cbap. xxxviii, p. 189.
•• Baltbazar Tellez ibidem, p. 215.
6 Balthazar Telloz, ibidem, p. 192.
' Balthazar Tellez, ibidem, ehap. xxi, p. 106 et eliap. xviii, p. 80.
" Franco, Imarjfm da Virtnde cm i> Xoi'iciado de IJutna, liv. i, eha]). xviii. p. >^1
de prendre sur son dos un mouton écorché et, après avoir parcouru k pied les rues de
la ville, de le porter en cadeau au professeur qui avait présidé à son doctorat '.
Il fit faire plusieurs autres extravagances ;i d'autres prétendants. Il exigea que
l'un d'eux apportât une tête de mort, depuis les portes de la ville jusqu'au Collège,
en s'arrêtiint à la porte de chaque église qu'il trouverait sur son passage, ce qui, natu-
rellement et comme il s'y attendait, excita les plaisanteries des gamins et servit de ré-
clame au noviciat du Collège ^.
Il employait dans les travaux du Collège les novices et les pères, dont quelques
uns appartenaient aux meilleures familles du royaume; ils transportaient des pierres dans
des brouettes et allaient chercher de l'eau au fleuve, comme de simples ouvriers ^.
Simon Rodrigues réussit ainsi ;'i gagner complètement la confiance et la bienveil-
lance du Roi et de beaucoup de courtisans, de ceux qui obéissent toujours aux désirs
du Roi.
Les dons et les témoignages d'amitié du Roi devinrent très fréquents. D'abord il leur
donna le couvent, devenu alors vacant, de St. Antoine- Abbé à Lisbonne, où Simon alla vivre
avec ses compagnons le 5 janvier 1542 '', puis des maisons à Coïmbre pour la fonda-
tion d'un Collège dans cette Université et enfin de l'argent et encore de l'argent, pour
l'agrandissement dé ce Collège, contrairement à l'opinion du Conseil Municipal de
(Joïmbre, auquel la fondation devait nuire et qui fit sentir au Roi qu'il devait, au lieu
de dépenser de l'argent pour ces faux apôtres, l'appliquer à la guerre d'Afrique, où il
manquait pour subvenir aux frais des places de guerre africaines, ■' qui vinrent ensuite
k tomber entre les mains des maures ''.
Le roi, cependant ne voulut écouter les conseillers municipaux de Coïmbre; au
contraire il décréta des mesures rigoureuses contre ceux qui s'opposeraient à la cons-
truction du Collège ' et il dit à Rodrigues de ne craindre aucun ennemi et de ne pas
chercher de protecteur parmi les courtisans, mais de s'adresser directement à lui ^.
Sa bienveillance envers le nouvel Ordre était si grande qu'il signait debout les no-
minations, lettres et ordonnances, en faveur de la Compagnie, écrites par n'importe quel
jésuite '■'.
C'est lui qui demanda au Pape Paul III d'approuver définitivement la Compagnie
de Jésus, qui n'avait pas encore le rescrit apostolique de sa confirmation, mais seule-
ment l'approbation de vive voix, et ce fut lui qui paya les traites de cette confir-
mation 1".
Jean III prit Simon Rodrigues pour arbitre de sa conscience et des Conseils de la
Cour et en 1543 il le chargea d'enseigner le catéchisme à son fils Jean, à peine âgé de
six ans ", enseignement qu'il faisait déjà aux enfants nobles de la Cour, depuis son arri-
vée en Portugal et que ses successeurs continuèrent jusqu'au temps du roi Sébastien '-.
' Baltliazar Tellez, part, i, chap. xxii, p. 110.
'^ Franco, Imar/eia da Virtude em o Noviciado de Litlioa, liv. i, chap. xviii, p. 81.
' Franco, Imai/em da Virtude em n Noviciado de Lishoa, pp. 75, 82 et 84.
' Franco, ibidi'm, p. (58.
■' Balthazar Tellez, Chronique de la Compagnie de Jésus, part, i, lir. ii, chap. xxii, p. 326.
^ Schaefer, Histoire de Portugal, tome m, p. 375.
' Baitha/.ar Tellez, part, i, pag. -126.
" Franco, Im. Virt., p. 72. — Balthaz.-ir Tellez, part, i, pp. 100 <■ IIS.
•• BalthazMT Ti'liez, part, i, p. 130.
1" Balthazar Tellez, part, t, p. 44, et 243.
1" Franco, ibidem, pp. 70 et 83. — Balthazar Telle/., pp. 1,34.
12 Balthaznr Tellez, iliidem. pp. 39 et 40.
10
L'estime et le respect que Jean III avait pour Simon Kodriguea étaient tels et il
recherchait avec tant d'assiduité ses conseils que lorsque Ignace de Loyola voulut en
1545 que Simon Rodrigues allât à Rome, le roi ne voulut pas y consentir et écrivit à
Loyola que Simon Rodrigues était absolument nécessaire à la Cour, car il avait besoin
de lui pour guider sa conscience et les affaires du royaume '.
Cependant Rodrigues craignait que son pouvoir à la Cour ne vînt à disparaître,
lorsque Ton eût découvert ses artifices. [1 voulut donc empêcher l'entrée de ceux qui
pourraient le démasquer.
En cette année 154;') le Roi fit venir à sa Cour Damien de Goes, un portugais très illustre,
qui avait été le Chef des Bureaux portugais à Anvers et chargé de plusieurs missions
diplomatiques dans diffi'rentes Cours de l'Europe, avait reçu le doctorat à Padoue, s'était
lié avec Luther et Mélanchton et avait eu pour ami Erasme, qui était mort dans ses bras.
Il avait fréquenté le (Jardinai Sadoleto, plus tard secrétaire du Pape, et avait été chargé
par lui de tenter d'amener Luther à l'obéissance de Rome. Sadoleto écrivit à Luther et
envoya la lettre par Damien de Goes, en vue des relations de celui-ci avec l'hérésiarque.
C'était cet homme d'une si haute culture intellectuelle, lié avec les plus grands
esprits de l'époque et que Erasme, Sadoleto et le Pape tenaient en si haute estime que
Jean III avait invité à être l'instituteur de son fils Jean, qui alors comptait déjà
8 ans. Simon Rodrigues connaissait bien Damien de Goes, dont il avait été l'hôte à Pa-
doue. Il savait son mérite et le mal qu'il pourrait faire aux idées introduites à la Cour,
s'il y entrait.
Se trouvant donc alors avec la Cour à Evora il accusa immédiatement devant l'In-
quisition Damien de Goes, comme suspect d'hérésie.
Cette accusation, pleine de ruse et d'intrigue, où il se sert même de ce qu'il avait
vu manger à Damien de Goes lorsque celui-ci l'avait invité ;'i venir chez lui, se trouve
dans le procès de l'Inquisition, aujourd'hui imprimé, et révolte l'esprit moderne par la
bassesse et la petitesse du caractère de ce jésuite -.
L'Inquisition ne voulut pas se préoccuper alors de l'accusation de Rodrigues et ne
fit pas suivre le proci's, mais le jésuite avait obtenu ce qu'il désirait. Damien de Goes
ne fut pas nommé professeur du Prince, on lui donna en compensation la place d'Ins-
pecteur en Chef des Archives de Torre du Tombe et il fut nommé Grand Chroniqueur
du Royaume. L'enseignement littéraire du Prince fut confié au P. Antoine Pinheiro,
ami de Simon Rodrigues depuis Paris et qui fut plus tard Evêque de Bragance et de
Leiria.
En 1544 la princesse Marie, fille de Jean III, était promise en mariage au prince
Philippe, fils de Charles V, qui devint le célèbre et terrible Philippe II d'Espagne.
Ignace de Loyola, voyant l'influence que Simon Rodrigues et ses compagnons avaient sur
l'esprit du père de la fiancée, eut l'idée de faire aller dans la suite de la future reine
quelques jésuites qui deviendraient les introducteurs de l'Ordre en Espagne. Dans ce
but on appela en Portugal Pierre Lefèvre, l'un des premiers compagnons d'Ignace, et l'es-
pagnol Araoz, que l'on fit entrer dans la comitive de la Reine. Par son intervention ils
parvinrent à fonder quelques collèges en Espagne •'.
Cependant Simon Rodrigues n'était pas assez fin pour comprendre que l'on ne peut
pas abuser des faveurs des Rois, et il abusait hardiment auprès du Roi et des courti-
sans de l'influence qu'il avait acquise à la Cour. Ainsi en 1549 il admit dans l'Ordre,
' Kranco, ilnili-rii. p. 83.
■-' fnéditot Goeaianos ooligidos c anolados por Guillierme S. C. Ihnriquis. ] 'ol. [1-0 Procesno
na I/KfuiHiçào. — Documentos mwlio», Notan. Lisboa 1898, pj). 5,12, 70, 85, 86, 87 cX 88.
3 Raltli:iz;ii- Triiez, pari, i, pp. 160 ni V.V,.
11
comme novice, Theotonio de Bragance, jeune homme de dix-huit ans, neveu de
Jean III et frt're du Duc de Bragance, s'abstenant d'en faire part et n'ayant môme
pas dit au jeune prétendant d'obtenir le consentement de ses deux parents. Cette ma-
nière d'agir les mécontenta tous deux et ils pensèrent que le jeune homme avait été
suggestionné par les paroles captieuses de Rodrigues et par les excentricités d'humiliation
et de pénitence auxquelles les jésuites, comme nous l'avons vu, se livraient à Coïmbre.
Ils voulaient faire sortir le jeune homme du noviciat des jésuites de Coïmbre et l'envoyer
auprès de personnes de confiance chargées de savoir ce qu'il y avait de vrai au sujet de
cette vocation, qui, comme en effet on l'a vu plus tard, n'était pas solide. Simon Rodri-
gues refusa formellement d'accéder au désir du Roi, en lui disant que lui, Simon Rodri-
gues, ne pouvait en conscience permettre que l'on éloignât du service de Dieu, dans la
Compagnie, un jeune homme qui l'avait recherché, sous le seul prétexte qu'il appartenait
à la première famille du Royaume et parce que la Compagnie était trop jeune, comme
on disait. Il ajoutait que si le Roi voulait retirer de force le novice du collège de Coïm-
bre il pourrait le faire, mais que les alguazils chargés de l'en arracher recevraient aussi
les clefs du collège et tout ce qu'il contenait, parce que c'étaient des dons royaux; que
lui, Simon Rodrigues, allait donner des ordres pour que les jésuites y résidant eussent à
se rendre tous au Collège de Salamanque, récemment fondé. Et de fait il donna ces
ordres et prépara les choses pour qu'ils fussent exécutés '.
Le Roi, en présence de l'énergie de Simon Rodrigues et voyant aussi qu'il ne lui
convenait pas de défaire le Collège qu'il avait fondé avec tant de plaisir, consentit à
ce que le novice Theotonio continuât son noviciat librement, et il ne s'inquiéta plus au
sujet de sa vocation jésuitique, qui, on l'a su après, avait été inventée par Simon Ro-
drigues, vu que, sept ans écoulés et après bien des péripéties auxquelles se rapporte
Astrain, - il sortit de l'Ordre et devint plus tard Archevêque d'Evora '.
Alors Ignace de Loyola avait dtjk reçu à Rome beaucoup de lettres de différentes
sources, où on lui faisait voir la mauvaise direction que Simon Rodrigues donnait aux
affaires de l'Ordre en Portugal. Il l'appela à Rome en 1550 en disant que les Constitutions
de la Compagnie allaient recevoir leur sanction. Ignace reconnut que Simon Rodrigues
s'enorgueillissait extrêmement de son influence à la cour Portugaise '. Il le laissa cepen-
dant retourner, afin de mieux préparer son éloignement définitif du Portugal. Ainsi l'année
suivante, sous prétexte de mettre à exécution la règle des nouvelles Constitutions, qui
marquait l'espace de trois ans pour le Provincialat, il établit trois provinces dans la Pé-
ninsule : celle de Portugal, celle de Castille et celle d'Aragon : il nomma Simon Rodrigues
Provincial de celle-ci, Araoz pour la Castille et le P. Miron, valencien, pour le Portugal.
Rodrigues se soumit difficilement à cet ordre d'Ignace ; il retarda même son départ
pour l'Aragon espérant que le Roi s'y opposerait. Mais Jean III ne s'y opposa pas, parce
qu'il connaissait déjà l'orgueil dominateur de Rodrigues et aussi parce que deux jésuites,
dont l'influence fut mauvaise plus tard, les pères Léon Henriques et IjOuIs Gonçalves da
Câmara, avaient intrigué à la Cour pour enlever tout appui à Simon Rodrigues. Celui-
ci alla donc en Espagne, sans même passer par la Cour. Mais il n'y resta pas longtemps
et il revint en Portugal, ayant envoyé auparavant un de ses compagnons, le P. Louis
' Balthazar ïellez, part, i, jjp. 399 à 407. — Fianci), ibidem, pp. 85 à 90.
- Histoiia de la Compania rie Jésus en la Afistencia de Espaha, por el P. Antonio Astrain.
t. I. 1541)- 1556, Madrid 1902, p. 636. Note.
5 L. A. Rnbîlo (la Si! va, Histoire de Porliiyal aux XVII." et XVIIl.' Sieclex, Lisbonne, 18(>0,
t. I, p. 387.
' ' Astrain, ibidem, p. 591. «Estaba el P. Simon Rodrigues miiy trocado en su modo di; vivir,
engroido con ri favor (jif ii- dalian los Ueyes de l'ortnjral, y no poco at'rrrado "i su propio juirio)).
12
Gomes, afin de discréditer Ignace de Loyola .'i k Cour. Cependant les Supérieurs jésui;
tes portugais, dont plusieurs avaient été rcyus par lui dans l'Ordre, refusèrent de le
recevoir chez eux contre l'ordre de Loyola.
Il se retira donc chez le Due d'Aveiro, un des rares gentilshommes qui lui étaient
restés tidèles. Mais se voyant sans appui à la Cour il dut enfin partir pour Home, où
Loyola le soumit à un jugement, dans lequel furent accusateurs les jésuites Melchior
Carneiro et Gonçalves da Câraara, et juges quatre jésuites étrangers, qui le condamnèrent
à plusieurs pénitences et surtout à ne plus revenir en Portugal.
Il fut principalement condamné parce qu'il s'était servi de son influence à la Cour
pour atteindre son but particulier, ne se soumettant pas aux ordres du Général et
s'entourant d'un luxe et d'un confort contraires à l'Ordre '.
Il fut absout par Ignace des autres peines, mais celle de ne pas revenir en Portu-
gal fut maintenue.
Il alla vivre d'abord en Italie, puis en Espagne, et ce n'est que vers la fin de sa
vie, en 157^), après tant d'années d'exil et lorsque Everard Mercurien était Général,
qu'il revint dans sa patrie, oii il mourut en 1579 dans la Maison Professe de S. Roque.
Cet événement de la vie de Simon liodrigues — d'avoir été éloigné du Provincialat de
Portugal et remplacé par le P. ^[iron, espagnol, et d'avoir été obligé de quitter définiti-
vement le Portugal et condamné à Rome — mécontenta beaucoup de jésuites portugais,
qui sortirent de l'Ordre.
Comme l'avoue Astra'ïn, à sa manière, les premières démonstrations exagérées d'hu-
milité et de mortification se transformèrent en de véritables manifestations de jouissan-
ce et de supériorité - et le principe de l'obéissance aux Supérieurs, qu'Ignace de Loyola
proclamait comme base de l'Ordre, avait été mis de coté, et l'indiscipline était mani-
feste. C'est pourquoi Loyola écrivit, le 26 mars 1553, la célèbre Lettre sur la vertu
d'obéissance pour les Pères et Frères de la Compar/nie de Jésus en Portugal ■''.
Et voilà ce qu'étaient cette humilité et cette mortification, par lesquelles les pre-
miers jésuites voulaient placer leur Ordre au dessus des autres Ordres religieux, qui
existaient alors en Portugal. (Test aussi par elles qu'ils dominèrent l'esprit faible et in-
culte de Jean III et de ses courtisans, obtenant ainsi de grands profits pécuniaires et
d'énormes privilèges, comme nous le verrons.
CHAPITRE SECOND
Régence de la Reine veuve Catherine (1557-1562) — Régence du Cardinal
Henri (1562-1568) — Sébastien Roi (1568-1578)
Le roi Jean III fut très malheureux dans sa nombreuse descendance, car à sa
mort, le 11 juin 1557 '' , tous ses enfants, garçons et filles, avaient péri.
Il n'y avait plus comme héritier du trône que son petit-fils Sébastien, qui était
alors âgé de trois ans à peine. Il était fils du Prince Jean, décédé, et de la princesse
Jeanne, fille de Charles V. Il fut déclaré majeur à quatorze ans, en 1568. Dans l'in-
tervalle de la mort de .Tean III à la majorité de Sébastien, période de onze années,
1 Astrain, ibidem, pp. 588, 601 et 627.
- .\strain, ibidem, p. 588: «y los misnios que habiaii emprendidu cuii t'ervor la vida religiosa
y se habian talvez excedido en penitencias y auiteridades, se pasaban di-pm s al oxtremo opucstu
de buscar su rogalo y vivir on libcrtad».
' Caitat dé San Ignacio <1« Loyola, Madrid, 1877, vdI. ni, p]i. 181 à 207.
< R.-l)él(( da Silvn, ibiili'i.i, t. i. p. :'.!.
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il y eut deux régents du Royaume: d'abord Catherine, grand'môre de Sébastien,
(1557-1562), et ensuite sou grand-oncle, lo Cardinal Henri, (J 562-1568). Pendant
tout ce laps de temps, il apparait dans la politique portugaise, intriguant et influant
puissamment, trois jésuites, confesseurs de la famille royale: l'espagnol Michel Terres,
confesseur de la régente Catherine, qui était aussi espagnole, et les portugais, déjà
cités au chapitre précédent, le P. Léon Henriques, confesseur et conseiller du régent
Cardinal Henri (ce régent Henri devint plus tard Roi) et le P. Louis Gonçalves da Câ-
mara, ancien confesseur de Jean III et précepteur-conseiller du prince Sébastien '.
Ce P. Louis Gonçalves da Càmara était en 1559 (alors que le prince Sébastien
atteignait sa cinquième année) Assistant de la Province de Portugal à Rome, auprès
du Général des Jésuites, le P. Jacques Laynez, à qui l'on demanda que le susnommé
Louis Gonçalves da Càmara fût envoyé en Portugal comme précepteur du prince"-.
La régente Catherine avait désiré que son petit-fils eût pour précepteur le
célèbre dominicain Frère Louis de Grenade, ou l'augustin Frère Louis de Montoya, tous
denx espagnols ■*. Mais le gouverneur du Roi, le vieux et remarquable portugais
Aleixo de Meneses, proclamait que pour cette charge de précepteur on ne devait choisir
aucun prêtre appartenant aux Ordres Religieux '*. Cependant le Cardinal Henri et les
deux jésuites confesseurs de la famille royale obtinrent qu'on décidât de confier l'édu-
cation du Prince au jésuite Louis Gonçalves da Càmara, qui vint effectivement de
Rome afin de remplir cette charge ''.
Les chagrins dont la Reine souffrait dans sa mission de Régente ne faisaient qu'aug-
menter. Ils étaient causés par les intrigues du Cardinal et de ses partisans, et ils s'ac-
crurent à un tel point qu'elle décida d'abandonner la Régence, en 1560, et de la laisser
au Cardinal. Elle écrivit dans ce but à quelques évêques et autres personnalités impor-
tantes du Royaume. L'influence de Frère Barthélémy des Martyres, Archevêque de
Braga, et les conseils d'autres personnes de valeur, ainsi que les clameurs du peuple,
la dissuadèrent pour un temps et lui donnèrent plus de force pour réagir contre les des-
seins ambitieux du Cardinal-Inquisiteur Henri, qui n'était pas aimé du peuple ".
Les intrigues toutefois continuèrent, et deux ans plus tard, en 1562, Catherine
abandonna définitivement la Régence, convoquant à cet effet les Cortès Générales du
Royaume'. Celles-ci élirent pour la Régence du Royaume le Cardinal Inquisiteur
Henri, non sans manifester le chagrin que causait au peuple l'inhabilité du nou-
veau Régent et l'agissement détestable des jésuites. Ainsi, entre autres choses, les Cor-
tès réclamèrent «qu'on forme un Conseil de douze membres, qui gouvernerait de con-
cert avec le Cardinal Infant» et «que ceux de la Compagnie de Jésus, qui maintenant
est très différente de ce qu'elle était au commencement, car elle demande trop, doivent
vivre d'aumônes comme tous les autres qui sont hors du Portugal, et ne doivent pas
avoir de biens propres, et qu'ils s'en défassent, qu'on leur en prenne les rentes; qu'ils
commencèrent par enseigner lo latin gratuitement et qu'à présent ils prennent mille cru-
zades et ils possèdent seize mille cruzades; qu'ils ne soient pas en nombre supérieur à
dix dans chaque maison **».
' Rebêlo -la Silva, iliiili'm, t. i, p. 9. — Scliacter, /f(«taVr rfe t'oitugal.t. m, pp. .581 et 382.
■i Baltliazar Ti'llj'z, t. n, p. 708.
■' Rebêlo dj, Silva, t. i, p. .32.
•' Schaefei-, Uitloire de Portugal, t. m, p. 381.
'"' KebGlo lia Silva, t. i, p. 33. — ^a.v\.o, l'ortwjid Cnidailo'O e Laflimado. p. SG.
S Rebêlo fia Silva, t. i, pp. 34 et 35.
' Rubi'lo da Silva, t. i, p. 36.
' Pinhf'iro T'hafc'.is, [lUloire de Portugal, liisbonnc, édition de 1900, t. iv, pp. 198 et 199.
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Déjà alors les jésuites s'étaient tellement adonnés à l'acquisition d'argent que le
peuple avait changé leur nom de Pires da Companhia (prononcer : (Jonipagnia) en celui
de Pires da Apanhia (prononcer: Apagnia) '.
Avec le gouvernement du Cardinal Inquisiteur la domination et la richesse des
jésuites, ainsi que la souveraineté de Rome, devinrent beaucoup plus grandes en Portu-
gal. Le Cardinal augmenta les revenus des jésuites, et donna à Rome une force énorme
sur le pouvoir civil du pays, en faisant décréter comme lois portugaises les décisions du
Concile de Trente, qui mettaient le pouvoir civil sous la dépendance du pouvoir ecclésias-
tique. Ces deux faits, outre quelques autres, le Cardinal les présenta comme des motifs
de grand éloge pour sa propre Régence, au moment où il remit le Royaume, en 1568,
entre les mains de Sébastien, qui était alors âgé de quatorze ans et fut déclaré majeur -.
Par l'avrnement de Sébastien, le jésuite Louis Gonçalves da C.âmara, qui avait
été son précepteur, devint maître absolu du Gouvernement. Il nomma Secrétaire d'Etat
son frère Martim Gonçalves da Câmara, prêtre séculier, et choisit pour Intendant des
Finances le vieux céUbataire Martin Pereira ''; et il fit ces nominations en dépit des
conseils de la grand'mère du roi, Catherine, qui lui avait recommande d'autres person-
nalités pour ces charges-là ''.
Afin que le Roi se trouvât complètement débarrassé de l'influence de l'ex-Régeute,
qui s'était retirée au Palais de Xabregas, aux environs de Lisbonne, on conseilla
Sébastien d'aller vivre à Almeirim. Il décida en efi'et d'y résider pour longtemps et
y fit transférer plusieurs fonctionnaires chargés des affaires officielles '. Le Roi
s'est trouvé de la sorte sous la domination et l'influence absolues de l'éducation jé-
suitique, au grand scandale et à l'entière désapprobation de tout le Royaume. Le gou-
verneur Aleixo de Meneses, presque mourant déjà (il s'est éteint en 1569) proclama
une fois de plus son opinion qu'il trouvait les religieux incompétents pour être précep-
teurs et conseillers des Princes '■'. Catherine reconnut bien vite que tout le mal de
l'action gouvernementale venait du triumvirat des trois jésuites confesseurs de la famille
royale, Torres, Henriques et Câmara, et proclama que ces trois confesseurs s'entendaient à
merveille, tandis que leurs trois pénitents étaient brouillés entre eux. Elle disait que ces
confesseurs conseillaient en dehors de la confession ce qu'ils ordonnaient d'exécuter pen-
dant la confession, et à cause de cela elle cessa d'avoir pour confesseur le jésuite Michel
Torres et choisit pour cette charge le dominicain Frère François de Bobadilla '. Beau-
coup de gentilshommes et le peuple clamaient aussi contre la séquestration de Sébastien
faite par les deux frères consanguins, les prêtres Câmara, le jésuite et le séculier, le
précepteur-conseiller et le secrétaire d'État, qui évitaient que le Roi parlât à d'autres
personnes outre celles, très peu nombreuses, que bon leur semblait.
Pour se faire une idée de ce qu'était l'opinion publique sur ce point, rien de mieux
que la lecture d'une lettre que le célèbre évoque de Silves, Jérôme Osôrio, écrivit en
1577 au P. Louis Gonçalves da Câmara, et dont nous faisons ici la transcription :
' oApanhi.1» = action d'attraper, de s'emparer, de prendre; récolte. Voir Tcophile Braga, His-
toire de V Universitt; t. ii, p. 344.
'' RebÊlo (la Silva, t. i, p. 61. — Schaefor, t. m, p. 384.
5 Frère Bernard da Cruz, Chronique du roi Sebastien, Lisbonne,'édition de 1903, t. i, chap. V,
pp. 32 et33. — Balthazar Tollfz, part, ii, p. 715.
'' Schaef'er, t. m, p. 387. - Pinlieiro Chagas, ouvr. cit.
•• Scbaefer, t. m, p. 386.
' Schaefer, t. m. p. 385.
\ ' Rebêlo da Bilva, t. i, pp. 47 et 48. —Schaefer, t. «i, p. 388: «La raeine du mal — écrivait
la Reine à Philippe II — est dans le Maître, qui est le Confesseur et principal T'unseiller et oblige,
comme Confesseur à. ce qu'on exécute ce qu'il enseigne et conseille».
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Lettre ' au père Louis Coiiçalvcs da Càmara, couicsscur ilii Roi Srbaslicn
«Mr. — Il me semblait que c'était seulement aux Rois que s'étendait cette cala-
mité que personne ne puisse leur dire la vérité^ sinon fes chevaux ; car ceux-ci seule-
ment les détrompaient, à leur dépens, d'être de mauvais cavaliers, quand ils l'étaient.
Mais je vois déjà que c'est là un mal que les Princes communiquent à tous ceux qui les
entourent : car Votre Révérence, étant membre d'une si sainte Compagnie, a si peu de
gens qui lui disent la vérité .au sujet de ce qui se passe et comment adviennent les cho-
ses où Votre Révérence et Mr. Martim Gonçalves sont tout ; parce que même les Pè-
res de la Compagnie ne sont pas si séparés du monde qu'ils ne sachent les choses qui
y sont très publiques ; puisque quelques uns d'entre eux se mêlent de choses même très
secrètes et particulières, ils ne doivent pas être intéressés au point de, comme on croit,
laisser, pour leur profit temporel, une personne si importante parmi eux agir si simple-
ment et avec tant de confiance ; étant dans leur pouvoir de la détromper et de lui por-
ter le remède nécessaire sur cette Nation tourmentée et inconsolée, comme il est à espé-
rer de la vertu et discrétion de Votre Révérence.
«Ceci m'a poussé à écrire la présente à Votre Révérence et à l'avertir de ce qui se
passe sur le Pays, comme quelqu'un qui sait les choses de la manière la plus véritable
qu'on puisse les savoir, sans prétendre ni vouloir pour le Roi Notre Seigneur et pour
ceux qui l'entourent autre chose que le bien commun, et désirant voir sa Patrie déli-
vrée de la plus triste situation où elle se fut jamais trouvée. Et si Votre Révérence
savait l'amour que j'ai toujours eu pour la Compagnie et pour Votre Révérence en par-
ticulier (quoique je ne lui aie jamais parlé), Votre Révérence devrait me croire avec
confiance; mais lors même qu'il n'en soit pas ainsi, Dieu, qui voit tout, en jugera.
«Premièrement, dans l'opinion de tous les gens de ce Pays et dans celle des gens
qui flattent Votre Révérence et se soumettent le plus à elle, Votre Révérence apprécie
le monde et les honneurs plus qu'il ne sied à l'habit et à la profession. Car on dit que,
ayant été le premier de la Compagnie à accepter pour soi des charges publiques et le
gouvernement du Pays, Votre Révérence a disposé les choses de telle sorte que Votre
Frère (jeune homme sans expérience des affaires, sans autorité, frais émoulu des éco-
les, médiocrement lettré) reçoit entre ses mains le poids d'un Royaume dépourvu d'hom-
mes, pauvre de conseils, avec un enfant pour Roi; il aurait fallu un Comte Nuuo
Alvares Pereira ou quelques autres anciens familiers des monarques de Portugal, lors
même que ce ne serait que pour sauvegarder la décence et l'autorité du jeune âge du
Roi. De ce dernier on dit que Votre Révérence l'a fait homme pour qu'il n'ait besoin de
personne, et enfant pour que le Frère de Votre Révérence puisse tout faire ; et pour
cela Votre Révérence consentit que le Cardinal conseillât au Roi, ;'i Leiria, de donner
la charge de Secrétaire d'Etat au Frère de Votre Révérence, pour une seule année, afin
de remédier aux difficultés présentes, mais plutôt pour le caser ainsi plus facilement et
avec moins de scandale.
«Bien au contraire, le scandale fut d'autant plus grand dans le Pays que l'astuce
qu'on devinait sous l'affaire était grande aussi. Car, alors que Votre Révérence avait été
d'opinion qu'on renvoie le secrétaire Pierre d'Alcâçova, pour faire chercher à Trâsos-
Montes celui qui le remplacerait; ce serait juste, si cela avait été pour zéler la Répu-
blique; mais puisque cela a eu pour effet d'agrandir tant le Frère de Votre Révé-
rence, au profond désagrément de tout le Pays, tout le monde a pensé que cet enchai-
' Lettre» l'ortujitinc-^ de .rérûmo Osorici, Kvûquc de Silv<'s, avec une préface par Joseph Ven's-
simo Alvares da Silva, de F.Vcadémie Koyalo dos Sciences de Lisboune, Paris 1819, p. 26.
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nement fut ourdi dans ce but et que pour cela on déploya toujours une activité désireuse
d'éloigner du Roi toutes personnalités pour lesquelles il témoignait de la sympathie,
comme Pierre Nunes, premier Cosmographe, afin que le Roi, privé de tous, mis au dé-
pourvu, comme on dit qu'il est maintenant, ne puisse aimer que Votre Révérence ou ce
qui est à elle et ne trouver bons que ceux qui viennent de cette source.
«De plus, on dit que la manière comme Monsieur Martini Gonçalves gouverne est si
indépendante et absolue qu'on n'en a jamais vu de pareille dans ce Pays, ni au dehors,
chez des hommes de valeur, d'âges très diflférents, doués d'expérience, de prudence et
d'autorité, et encore en Castille, au temps de Dom Alvaro. Car ce que monsieur Martim Gon-
çalves fait de moins grave c'est répoudre aux personnes très sérieuses, qui s'en plaignent,
qit'il ne consentira pas que le Roi fasse telle ou telle chose; et quand il lui plait il fait
des Arrêtés ministériels, sans que le Roi en prenne connaissance ; et ces choses, même
le vulgaire les trouve absurdes ou y découvre des fondements si abominables qu'il est
effrayant d'y penser ; le langage des gens plus graves est celui-ci : qu'ils ont un Roi captif
de deux frères qui petit à petit vont faire un autre Roi d'Ormuz; de telle sorte que
presque tout le monde est convaincu de ce que Votre Révérence, afin d'avoir le Roi
plus sûr, lui fit faire un vœu d'obéissance, comme ceux de votre Compagnie font à leurs
pénitents. Quoique ce soit une bêtise qu'on ne peut pas croire, par elle Votre Révérence
jugera la disposition des esprits et les concepts des gens. Ce départ pour Coïm-
bre vient confirmer de si tristes bruits, car il est contraire à l'opinion de tous, et avec
les déboires si publics du Cardinal, en un temps si incommode pour les affaires qui sont
à venir. On dit que ce départ n'a pu être ordonné par Votre Révérence et votre Frère,
que pour aller montrer votre pouvoir à Coïmbre, où vous avez été élevés, et continuer à
triompher du Roi à travers le Royaume, pour vous rendre plus redoutés et vénérés dans
le Pays. Je jure à Votre Révérence, par ce dont je dois rendre compte à Dieu, que je
n'eulève ni n'ajoute un seul mot à ce que généralement l'on dit.
«Des desseins de Votre Révéï-ence je n'en parle pas, car ceux-là Notre Seigneur
seulement peut les juger. Il m'est témoin que je n'ai jamais douté de la pureté et de la
droiture des intentions de Votre Révérence en toutes choses, et que sur ce départ pour
Coïmbre, si critiqué de tous, j'ai toujours pensé que Votre Révérence le consentait dans
la conviction qu'il est dangereux de briser complètement l'appétit d'un jeune Roi; et je ne
m'occupe pas de cette raison, bien que j'aie beaucoup de réponses. — Allez. ^ — Que Notre
Seigneur vous ramène plein de santé et avec moins d'appétits ! — Seulement, je rappelle
à Votre Révérence et à monsieur Martim Gonçalves votre Frère, que vous avez à maintenir
cette grandeur oii vous a placés la fortune, comme le monde croit, ou le bien commun,
ainsi que vous dites; car je n'ai jamais vu une aussi grande négligence, ni traiter les
choses comme jamais on no les a traitées, ni faire à soi et à la personne d'un Roi de
dix-sept ans (qui est naturellement aimable) les choses les plus ennuyeuses, les plus
odieuses que jamais on ne fit en Portugal, avant ou après Pierre le Cruel. Les gens
de tout état et qualité parlent sans peur, et les Portugais jurent qu'ils préféreraient être
gouvei-nés par deux Turcs les traitant avec amour et prudence, que de la manière qu'ils
sunt traités à présent; que tout mal, pour plus grand qu'il fût, qui adviendrait à ce
Royaume ou même à la personne du Roi (que Dieu ait en sa Sainte garde !) serait con-
sidéré une extrême félicité s'il délivrait les Portugais de l'état où ils se trouvent.
«Notre Seigneur, qui est aux cicux, est témoin que je n'ajoute pas la moindre chose
à l'opinion commune ni aux ilésii's et pratiques des autres gens de plus grande quahté.
Or comment Votre Révérence et monsieur votre Frère peuvent croire qu'tui pouvoir telle-
ment forcé puisse durer et ,quo des cœurs si violentés et si tyrannisés le puissent être
longtemps sans éclatei' quelque part? Car, si votre dessein est d'enlever les péchés,
comme vous dites, jamais ici-bas il n'y en eut tant ni d'aussi préjudiciables; lors même
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que chez ceux de la chair il y ait moins de dissolution (ce dont je doute beaucoup), il
y en a de secrets, et il y a la corruption de toujours et qui suffit pour condamner les
âmes, et celle des péchés de l'esprit, qui sont pires et dont presque personne n'est
exempt. L'aversion pour le Roi est générale: la haine pour ceux qui l'entourent est
publique. Partout on se réjouit des maux dont souftrent les affaires publiques: le
murmure est infini. Et sinon, que Votre Révérence interroge les confesseurs, con-
sulte toutes ces gens mêlées aux péchés mortels et qui ne savent pas, ne veulent
pas ou ne peuvent pas y remédier. Les occasions se multiplient chaque fois davantage
et l'infortune ne peut pas être plus grande, car elle est telle que les langues, les esprits
et la loyauté des Portugais soupirent vers des Maîtres étrangers; et préfèrent servir
Castille à être tyrannisés par les naturels : ils proclament haut qu'il y a peu de diffé-
rence entre Beijo as mâos a Vossa Mercû ' et Bejo las manos a Vuestra Mercede : et
on envoie des écrits comme cela à Castille ; c'est la peur, dit-on ! Mais que peut faire un
Royaume si petit et si pauvre, s'il lui manque l'amour et l'appui des Naturels, qui ont
toujours été ses vrais défenseurs?
«Et que Votre Révérence ne s'étonne pas; car ayant toujours vécu dans l'affabilité
de notre Roi, comment pouvons-nous aimer un Roi farouche, qui ne nous voit pas et ne
cause pas avec les gens dont il devrait le plus se servir? On dit — bien qu'en l'affirmant
on court le risque d'être chassé, cependant tout le monde dit, ou du moins la plupart
des gens — que si le Roi allait causer avec beaucoup de gens nobles. Votre Révérence
et monsieur votre Frère craindraient qu'il ne s'affectionnât plus profondément à d'autres
qu'à vous : cela est confirmé par le témoignage de ceux qui ont pu quelquefois causer plus
longuement avec le Roi, car ils trouvent chez lui tant d'affabilité et tant de goût dans la
manière de traiter les hommes, qu'il ne peut y en avoir davantage. Si on le délivrait et
si la conversation avec ses vassaux ne lui éiait pas permise seulement par petites doses,
il serait le plus excellent des Rois et le plus aimé du monde. Si cela est vrai, malheur
au Portugal ! car Dieu permet la réunion, en un même Roi, d'un homme qui devrait
être tant aimé et d'un conseil qui est tellement détesté d'une nature où l'on distin-
guerait ce que sa divine bonté a voulu nous donner, et d'une manière d'agir oîi l'on
verrait ce que nos péchés ont voulu nous enlever.
«Je crois qu'il y a des raisons secrètes qui déterminent Votre Révérence et monsieur
votre Frère à trouver que cela doit être ainsi; mais d'une part, vous ne devriez pas être
si intéressés par le fait de pouvoir vous y fier (comme nous croyons en être sûrs); et
d'autre part, je ne sais pas trop quel mal il pourrait advenir du fait que le Roi s'affe-
ctionnât aux grands hommes, pour qu'on craigne une si grande désolation dans le Pays,
une si grande inquiétude de la Noblesse, une si grande iiaine des particuliers pour le
Gouvernement; et cette haine — qui est beaucoup plus grande que je ne le dis dans la
présente à Votre Révérence — il suffit d'un peu d'habileté pour la deviner, d'après la
marche des choses jusqu'au moment actuel: aussitôt que, à la grande joie de tous, le
Roi Notre Maître prit le sceptre, quelqu'un surgit exprès, semble-t-il, pour jeter le trouble
sur ce bonheur à nous et au Souverain. Car, outre ces mauvais procédés envers les gens,
on l'induisit aussi — sous le seul prétexte de zéler la justice — à faire des choses qui
détruisent la Noblesse portugaise et les hommes honorables et de sang illustre.
«Je laisse de côté tout ce qu'on a fait dans les commanderies, car l'expérience a
déjà dû vous en faire repentir. Par une Enquête générale et par les édits publiés, on
manifesta un bon désir de montrer entièrement le Roi et de le rendre aimé du Peuple,
car on voulut de la sorte remédier aux griefs commis par ses officiers; mais, comme il
' Je TOUS baise les mains.
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arrive aux choses soumises à la loi divine et à la justice, ce fut du goudron que l'un
jeta dans ce feu de haine commune et de méfontentement du Pays, surtout contre les
inventeurs et les Ministres de cette démarche. Car, d'après ce qu'on dit, ce qu'il y avait
de moins dans cette démarche c'était de l;i justice et de la charité chrétienne. Et de là
on conclut que ceux qui entourent le Roi veulent introduire dans le Pays un nouveau
gouvernement absolu et presque tyrannique. Plût à Dieu que cela ne coûte pas les âmes
de beaucoup de monde! Je dis ceci car on sait qu'il y a dans les confessionnaux de faux
témoins accusant certaines personnes et cherchant à les obliger à des restitutions qui
ne se feront jamais ; et le pire c'est qu'on dit que, dans l'esprit du Roi, du Cardinal et
de mr. Martim Gonçalves, sont déjà condamnés les officiers d(jnt ils étaient mécontents,
et que cette Enquête se fit tout simplement pour aboutir à ce qu'ils avaient déjà décidé.
Cela est très mal reçu de tous, principalement des lettrés qui voient une très grande
offense à Dieu dans cette manière d'agir, que par un pouvoir absolu les hommes soient
privés de leurs services. Et s'il en est ainsi, j'avertis Votre Révérence, dans ma qualité
de grand dévot de la sainte Compagnie, de s'assurer très bien de la manière comme le
Roi agit dans ces choses; car on trouve que tout se fait à l'ordre de ceux de la Com-
pagnie, et le fruit qu'on en retirera ce sera de la rendre beaucoup plus odieuse qu'elle
n'est, pour nos grands péchés.
<i"Votre Révérence me répondra que le Pays était perdu, qu'il fallait y remédier et
avec des lois et avec des punitions, que cela rend le Roi odieux ainsi que ceux qui
l'entourent. Plût à Dieu que la guerre fût gagnée et m'eût coûté la vie ! mais à travers le
Pays on dit que nous pourrons croire que cela est ainsi quand nous verrons les chargea
remplies par des hommes de grande expérience et de beaucoup de savoir, qui ne man-
quent pas dans le Pays et qui voient que toute la réforme a consisté à favoriser des
hommes du caractère et de la partialité de ceux qui les ont inculqués, non seulement pour
qu'ils se soutiennent mieux avec les états, mais pour justifier ce qu'ils voudront faire.
«A la bonne heure ! — comme disent au Roi Notre Maître ceux qui l'entourent, et
ceux qui veulent s'embellir avec les péchés d'autrui ! 'Votre Révérence, pour l'amour de
Dieu, trouve-t-elle que la prudence consisterait à mettre des cautères sur tous les mem-
bres à la fois? Et quelles sont les forces nécessaires pour pouvoir obtenir une si univer-
selle et rigoureuse guérison"? N'est-il pas à craindre que par chaque plaie il s'en ouvre cent?
N'aurait-il pas été plus raisonnable de ne point effrayer le Pays par des rigueurs, et d'aller de
préférence petit à petit, afin de ne pas donner l'impression que nous n'avons un Roi que
pour exécuter la fureur, les haines ou les intentions de ceux qui l'entourent? et n'a ton
pas eu souvent l'occasion de dire que cela était plutôt une conjuration qu'une réforme?
D'après l'état où se trouvent à présent le Pays et les Finances du Roi, nous voyons qu'il
est encore temps d'y remédier doucement en deux ou trois années, évitant les déshon-
neurs si universels.
«Il y a quelques jours j'ai entendu un prédicateur sérieux et docte dire, en citant
Saint Thomas, qu'un gouvernement très âpre et très sévère n'est point conforme à l'es-
prit de Dieu ni à sa loi ; et Votre Révérence croit que c'est montrer du courage et de
la droiture que de se servir de la main d'un Roi enfant qui ne comprend pas ce qu'il
gagne dans l'amour, ni ce qu'il perd dans la haine de ses vassaux?
«En outre de ceci, comment Votre Révérence trouve-t-elle que le Pays recevra le
fait que le Roi fasse canoniser par le Pape le déshonneur de ces officiers et la perte du
Royaume? On croit que cela a été un artifice de la Compagnie afin de gagner les bonnes
grâces de Sa Sainteté et de réaliser ainsi ses desseins; ce que, dit-on, elle a obtenu
comme elle le désirait, car jusqu'à présent on n'a fait que perdre des Gentilshommes
au profit de la Compagnie. Quoique toutes ces choses que j'ai dites n'aient causé d'autre
mal que le discrédit de la Compagnie dans l'esprit des gens qui en avaient le plus be-
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soin, et de la rendre si universellement haïe des hommes, comme elle l'est, nous le
regrettons tous beaucoup, car nous ne pouvons pas nier que Dieu a accordé beaucoup
de miséricorde, aussi bien générale que particulière, en reconnaissance des bienfaits
qu'elle a pratiqués pendant beaucoup d'années: elle a corrigé bien des péchés, réformé
bien des gens, répandu la dévotion sur la Terre; elle a enseigné à fréquenter les sacre-
ments; enfin, elle nous a fait comprendre que c'était quelque chose que d'être Chrétien,
et ce fut la cause que d'autres Religions l'imitèrent avec une plus grande ferveur. Et
plût à Dieu que cela eût toujours été comme cela, lors même que ce serait dans des
cabanes, sans s'occuper d'autre Royaume que de celui des Cieux. Mais depuis qu'on la
vit s'occuper d'acquérir tant de rentes et de maisons, elle commença à perdre le crédit *
des Ecclésiastiques, car ceux-ci voyaient qu'on enlevait ce qui était à eux pour le donner
à elle ; et depuis qu'elle s'est emparée de la Personne Royale — qui est tout le bien et
toute la consolation de la nation — et que le Royaume a vu que les personnes qui orien-
taient le Roi étaient de la Compagnie et entretenus par elle et pour elle, pour qu'elle
soit tout par tout; et le résultat de tout ceci c'est une énorme haine pour le Prince et
une désolation générale; le bon exemple s'est transformé en scandale, tout l'amour en
haine, et les bienfaits spirituels qu'elle faisait ont cessé pour la plupart: car je vous jure
devant Dieu que les prédications des Pères n'ont plus de crédit pour les gens et beau-
coup de leurs dévots ne sentent plus de dévotion pour se confesser ù eux.
«Si le dessein de la Compagnie est de s'enrichir et de commander, elle a déjà servi
de cible à beaucoup de tireurs médisants; mais si, comme je dois le croire, son but consiste
dans le bien des âmes, qu'est-ce que peuvent produire des gens si odieux et détestables, et
que les hommes croient être la cause de sa destruction? Que Votre Révérence veuille y
réfléchir, pour l'amour de Dieu et pour la vénération de ses plaies, et prendre garde de
ne devenir, avec monsieur votre Frère, le Paris et l'Hélène de cette sainte Compagnie.
Considérez quel est le plus avantageux: si c'est le fruit spirituel que l'on perd dans son
propre office, ou le temporel que l'on gagne par cette voie? Ne cherchez pas, pour
l'amour de Dieu, à vous agrandir par vous-mêmes; car Dieu vous rendra grands;
occupez-vous moins des Princes, et vous pourrez plus librement vous occuper de Dieu.
«Au sujet de l'aversion que le Roi Notre Maître manifeste pour Lisbonne, il y aurait
beaucoup à dire. Quoiqu'il y ait bien des gens qui supposent que cela a été une inven-
tion du Cardinal, quand il a été obligé d'y résider, la plupart des hommes pensent (d'après
ce qu'ils entendent dire par monsieur Martim Gonçalves, qui est un des favoris du Roi
et de V<rtre Révérence) que c'est parce qu'on trouve qu'ainsi l'on peut mieux s'emparer
de la personne du Roi, le menant dans les champs, où Votre Révérence est avec lui
. toujours ; et là il y a moins de seigneurs à craindre qu'à Lisbonne, les communications
sont moindres et il y a beaucoup plus de gens d'autorité que le Roi devra diriger.
«Comme Dieu seul peut être juge des intentions, je n'en voudrai pas trop à ceux
qui ont pensé comme cela; car la raison invoquée, dit-on, par le Roi pour fuir telle-
ment Lisbonne a été si mal trouvée par qui la lui donna. On dit qu'il ne donne d'autre
raison que les péchés existant à Lisbonne et qu'il ne veut pas qu'à cause de lui les jeu-
nes nobles s'y corrompent; et le motif de corruption était peut-être de les avoir reçus,
quand le Roi se faisait toujours entourer d'eux, leur accordant des faveurs et un bon
accueil, car ainsi il les avait obligés à le suivre à travers les villages, et quand la Cour
avait été, comme elle savait l'être, une école où toute la Noblesse tétait avec le lait les
bonnes moeurs. Mais puisque les autres vivent certainement en dehors de la Cour et
qu'ils ont bien peu de divertissements qui les obligent à la suivre, que peut-on espérer
sinon qu'ils vivent à Lisbonne d'une manière beaucoup plus dissoluCj sentant le manque
de la conversation et de l'occupation de la Cour? qu'ils s'habituent aux basses moeurs
et deviennent la perdition de la Noblesse Portugaise, qui savait être si chérie des Rois?
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Celui-là même qui dit que le Roi agit ainsi pour son bien, et encore ceux qui vivent
avec lui en dehors de Lisbonne, font de chaque village une autre Lisbonne : et combien
de fois cela cause beaucoup plus de sacandale et cela fait leur perdition! Que l'expé-
rience le dise.
«Or cette si grande instance que Louis de Terres est venu maintenant faire de
la part du Pape, pour le mariage du Roi, a fait tant parler le monde, que Votre Révé-
rence ne pourra le croire. Et la plupart du monde se persuade que seulement Votre
Révérence et votre Frère ont gardé le Roi avec fermeté, de crainte de perdre sa faveur
avec le changement d'état du Roi.
«Puisque j'ai commencé à dire à Votre Révérence ce qui se passe, je lui dirai aussi
que le fait qu'on ait ces pensées a pour origine, selon mon avis, le grand désir de voir
ce mariage réalisé, dans l'espérance de voir ce changement; et ce qu'il y a le plus à
regretter en ceci c'est que le Pays croit que Sa Sainteté tenait beaucoup à ce mariage
comme étant nécessaire pour porter remède à la France et à la Chrétienté, et que cela
scandalise étrangement que deux personnes religieuses aient à cœur de se perpétuer en
une place, causant un dommage si important et universel. Il ne faut pas oublier ici la
raison qu'mvoqua Frère Pierre do Sotto pour cesser de confesser l'Empereur Charles V,
et la manière comme il délaissa l'Archevêché de Braga; et on n'oublie pas d'autres choses
qui, tout en étant dissemblables, ne font qu'augmenter le scandale, comme si elles ne
l'étaieut pas. Que Votre Révérence voie, pour l'amour de Dieu, ce que l'on pourra espé-
rer lorsque les lettres contenant ces nouvelles s'envoleront vers toute la Chrétienté, lors-
que les habitants de Lisbonne écriront pour la France, la Castille, les Flandres, l'Alle-
magne, l'Italie et pour toutes les régions avec lesquelles ils ont des rapports : que le
Père Louis Gonçalves, personnalité si illustre et principale dans la Compagnie, et son
frère (élevé et placé par luil ont trouvé bon de perdre complctenrient la France, de
mécontenter le Pape, aventurer l'amitié de Castille, mettre en danger les naturels à
cause des mésalliances des Rois voisins; tout cela pour ne pas avoir à risquer un peu de
leur pouvoir; principalement si l'on ajoute à tout ceci que le Portugal reste tellement à
l'aventure, de par le fait qu'il n'y ait personne dans la Chrétienté avec qui le Roi Notre
Maître puisse se mairier de sitôt'? Quel sera le crédit de la Compagnie dans les autres
Royaumes'? Quelle dévotion auront pour elle les autres Princes? Comment conlieront-ils
en elle, lorsqu'ils sauront les nouvelles qui partent de ce Royaume, où tout est gouverné
par elle'?
«On me répondra que la vérité qu'ils possèdent dans leurs consciences les rassure.
J'avoue que c'est là une très grande consolation, et que j'aurai peine à croire que ce
que l'on dit de deux Chrétiens est vrai, car lors même qu'il s'agirait de deux Turcs je
ne le croirais pas. Mais il y a une chose à laquelle je ne trouve pas de raison, ni Votre
Révérence d'excuse. Comment avez-vous osé (monsieur votre frère, jeune homme, et
Votre Révérence, retirée dajjs son Collège) prendre sur vous une si lourde charge ?
Comment avez-vous consenti que le Roi, si jSune et si soumis à vous (contre l'avis de
ceux de son conseil) seul, d'accord avec l'opinion de vous deux, ait décidé une affaire de
tant d'importance'? Comment n'aviv.-vous pas fait votre possible pour que le Roi fasse
venir les seigneurs et les hommes de valeur du Royaume, afin qu'ils récusent avec le Roi,
ou qu'ils soient témoins que le Roi récusait librement, sans la persuasion de personne'?
Etait ce là une matière pour qu'un Roi de dix-sept ans la décide tout seul, ou pour
qu'un particulier puisse en être considéré l'auteur? Car si le Roi s'est décidé avec Vo-
tre Révérence, comme en croit, cela a été une grande hardiesse, et ne vous étonnez
point du scandale causé dans le monde. Si Votre Révérence n'a pas été de cet avis,
comme vous voulez nous le signifier maintenant, je dois dire que cela a été une grande
négligence de ne pas avoir vite cherché des compagnons pour effectuer ses désirs ou en
21
témoigner. Plût à Dieu que je sois un mauvais prophète, et qu'avant peu il n'advienne
quelque mal de ceci! Je ne parle pas sans cause.
fJe crois bien que je m'allonge uu peu trop; mais je m'en excuse par le zèle que
j'ai pour ma Patrie affligée, l'amour pour mon Roi et ma particulière amitié pour Votre
Révérence. Et que dirai-je de Mr. Martim Gonçalves? Quelle confiance que la sienne,
pour prendre de si lourdes charges et vouloir soutenir le Ciel sur ses épaules ? Quel
homme a jamais tant osé dans ce Royaume?
«Lors même que cela n'aurait été que seulement pour soi, Votre Révérence aurait
préféré que certaines choses fussent plutôt mal faites par d'autres, que toutes bien fai-
tes par soi : d'autant plus que la Nation n'est pas tellement perdue et épuisée qu'il n'y
ait pas, un peu partout, assez d'hommes zélés, prudents et de bon conseil pour servir
le Roi et se rendre utiles au Pays. Votre Révérence trouve-t-elle ou craint-elle qu'ils
aient des opinions différentes des siennes? Mais Votre Révérence devrait tout de même
désirer que ceux-là fussent auprès du Roi, s'il est vrai que Votre Révérence ne veut pas
avoir la privauté d'un favori et désire à peine réussir; car lorsqu'il y a différents avis
et plusieurs raisons, on réussit mieux ce que l'on veut; et grâce au bien que l'on atteint,
on évite . un aussi grand scandale du public que celui causé par le fait de trouver tous
les avis erronés, à l'exception du sien. Et comment Votre Révérence veut-elle qu'on
l'approuve de s'emparer ainsi de tout? Si d'après un ancien usage du Royaume, don-
nant tant d'autorité à la justice, les juges des suprêmes tribunaux allaient, les vendre
dis, converser avec le Roi, pour quel motif les en empêche-t-on à présent? Que peut-on
croire? sinon que Votre Révérence et votre Frère tâchent d'isoler le Roi, afin qu'il ne
voie que par vos yeux, qu'il n'entende que votre raison, qu'il ne croie que ce que vous
lui dites et qu'il pense qu'en fait de savoir il n'y a que le vôtre. Pour plus vertueux,
droit, sérieux et zélé que Votre Révérence soit, la nature ne souffre pas que Votre Ré-
vérence surpasse tous les vieiflards fort expérimentés; et c'est une grande injure faite
au Roi et à tout le Royaume, car tous les coins sont pleins de cheveux blancs, de mé-
rites, de personnalités dont on disait qu'elles entoureraient le Roi-, d'autant plus que
celui-ci n'a que dix-sept ans, et que l'honneur de tous les hommes est mis entre les
mains de trente et quelques; surtout Votre Révérence ne voulant pas s'avouer l'auteur
de ces choses; et lors même que Votre Révérence s'en déclare l'auteur, ces plaintes des
hommes ne cesseraient pas d'être justes. Que Votre Révérence, pour l'amour de Dieu
(car vous devez aussi avoir de l'amour pour le Roi, comme qui l'a élevé), fasse appeler des
hommes qui possèdent notre crédit et qui satisfassent par leurs vertus et leur manière
d'être. Et une fois les fautes rejetées sur plusieurs, que votre Frère s'aventure à valoir
moins et à. consentir que le Roi ait recours à d'autres personnalités et montre qu'il ne
trouve pas bien que la Nation se considère perdue, complètement ruinée et dépourvue
d'hommes de conseil; car pour plus grands que soient les mérites de Monsieur votre
Frère, le résultat final de tout ceci sera de la haine pour le Roi, l'inquiétude du Royaume
et beaucoup plus de haine pour Votre Révérence, pour votre Frère et pour votre sainte
Compagnie.
«Je prends de nouveau Dieu pour témoin comme quoi je n'ajoute rien de ma tête,
et que c'est seulement par le zèle chrétien, l'amour de la Patrie et par un devoir de
charité chrétienne que je dis ce que le commun des gens disent. Que Votre Révérence
ne cherche pas à savoir qui lui écrit ceci ; car si ceci lui semble bien. Votre Révérence
se contentera de porter remède aux choses et de prier Dieu pour lui; et si ceci lui sem-
ble mal, le zèle de son auteur doit l'en excuser.
«Et comme Dieu est l'auteur des vérités, que Votre Révérence se figure qu'il lui
envoie une autre ânesse comme celle de Balaam, pour dire ces vérités que je dis ici.
Que Votre Révérence enseigne Son Altesse à réussir toujours et que Dieu l'éclairé»
22
Dans l'influence de Louis Gonçalves da Câmara et autres jésuites sur l'éducation de
Sébastien, les historiens voient surtout les deux ftiits suivants: qu'il ne s'est pas
marié et que, célibataire et très jeune encore, il est allé mourir en Afrique et, du même
coup, y enterrer Tindépendance du Portugal. Il est certain que les intrigues diplomati-
ques des Cours de France, d'Espagne et d'Autriche ont quelque peu difficulté le ma-
riage de Sébastien ; déjà en 1562 les Certes Portugaises voulaient que ce mariage
fût réalisé au plus tôt, quoique le Roi n'eût alors que quatorze ans. II n'y a cependant
pas de doute que l'éducation religieuse donnée par les jésuites au Roi le détournait for-
cément du mariage. On déduit facilement cela des idées et des désirs qu'ils introduisi-
rent dans l'esprit du jeune souverain, comme l'avoue l'historien jésuite Balthazar Tellez
lui-même, quand il relate que Sébastien faisait à Dieu les trois pétitions suivantes :
1° de le conserver toujours chaste; 2" de le faire toujours propager la foi catholique;
3° de le faire toujours administrer la justice *.
Les conséquences de cette éducation sont décrites par l'Ambassadeur d'Espagne, en-
voyé en Portugal par Philippe II pour vérifier ce qu'il y avait de vrai dans les bruits qui
couraient sur l'impuissance physique de Sébastien. L'envoyé d'Espagne raconte que
le Roi avait été élevé de telle manière qu'il ne regardait jamais le visage des dames qui
le servaient; et qu'il pouvait passer une journée entière à jouer aux. cannes sans regarder
les fenêtres où étaient les dames ^.
"Voilà l'éducation donnée par les jésuites à un jeune Prince qui était le seul anneau
pouvant continuer la chaîne de sa Dynastie. Ils le tinrent sous leur domination spiri-
tuelle à partir de sa cinquième année jusqu'à sa vingt-quatrième, où il est mort. Il n'est
donc pas étonnant que tout le monde ait attribué au maître et confesseur le fait que
Sébastien ne se fût pas marié. Même les jésuites d'alors blâmaient l'influence du
Père Louis Gonçalves da Câmara sur ce point. Le Père François Sacchino, dans la
3° partie de son Histoire de la Compagnie de Jésus, relate qu'en 1571 le Provincial
d'Autriche, ainsi que quelques jésuites portugais, écrivirent au Général de l'Ordre,
François de Borgia, pour protester contre l'influence des confesseurs royaux, Louis da
Câmara, Michel Terres et Léon Henriques. Le Général décida que dans la Congréga-
tion Provinciale l'on s'occuperait de cette affaire et l'on discuterait si ces Pères de-
vaient abandonner la Cour. La Congrégation émit cependant l'opinion qu'ils devaient y
rester, car comme cela ils travaillaient pour le bien de l'Eglise et de la Compagnie ; et
que ceux qui parlaient contre cette influence étaient des gens malveillants et ennemis
des bonnes mœurs •'.
Les jésuites décident ceci en 1571, et le Roi meurt en Afrique en 1578, céliba-
taire. Frère Bernard da Cruz, grand aumônier de la marine, qui alla avec le Roi Sé-
bastien en Afrique, écrivit au chapitre VII de sa Chronique du même Roi que celui-ci
«d'après les conseils de son Maître et de Martim Gonçalves, ne répondit pas au message
de Castille, ni au second, ni au troisième courriers, jusqu'au quatrième, par lesquels on
demandait une procuration pour réaliser le contrat de mariage de Sébastien avec la
' Balthazar Tellez, ouv. cit., t. ii, p. 713.
- Schaefer, Histôria de Portugal, t. m, p. 392.
3 François Sacchino, HUtoriae SocielatU Jesu Pars Tei-tia, sive Boryia. liv. vu, p. 360.
«Denique neque Generali Pracposito, nec cuiquam omnium Societatis Praesiduin pi-obabatur ca
cunsuetudo, atque conjunctio, scminarium vulgi rumorum, seges invidiae apud omnes, mali apud
domesticos cxcmpli. Nec pigebil litterarum capiit inserero qiias hoc anno Laurcntius M.ngius Aus-
triae Provincialis ad Borgiam mense Martio Praga dédit : unde constat quanta res gravitate, quan-
taquo libertate tractàretur. Hic, iiiquit, multus est aermo, et ex Hispania scribitur, Lusitaniae
Rewem multa facere cura regui dolore : et nostros qui cura regunt, auetores esse et velle euni
Jcsuitam efficero. Nec deest qui dicat, eos obstare, ne Régis Galliae sororem ducat. Nihil dubito
23
sœur du Roi de France, dout la date était déjà fixée. Il n'y eut pas de l'éponae, et on
reçut une lettre pleine de complaintes».
Quant à l'expédition d'Afrique, il est également certain que les jésuites insinuèrent
dans l'esprit de Sébastien la préoccupation constante de propager la foi catholique et
la domination de l'Église dans le monde et que ces idées influencèrent profondément
le jeune Souverain, au point qu'il partit lui-même pour les contrées africaines afin de
combattre les maures.
Ce fut lorsque Sébastien partit pour la première fois pour l'Afrique sans le
consulter, que Gonçalves da Câmara compi'it que l'éducation détestable qu'il avait
donnée au Prince commençait à produire ses naturels et sinistres effets. C'est pro-
bablement pour ce motif que la maladie dont cet homme soufl:rait depuis quelque
temps s'aggrava tout à coup et le tua rapidement. Sébastien, de retour de sa pre-
mière excursion en Afrique, porta un très grand deuil pour la mort de son ancien pré-
cepteur et garda quelques jours la chambre, évitant tout commerce, car, disait-il, c'é-
tait celle-là sa plus grande perte, puisqu'il n'avait connu d'autre père ni d'autre mère
que le Père Louis '.
A la mort de Louis da Câmara, le Roi prit pour nouveau confesseur le Père jé-
suite Gaspar Maurice, qui avait déjà remplacé le P. Câmara pendant son absence -.
Finalement, entouré de jésuites et de moines, le triste Roi Sébastien partit pour la
folle expédition d'Afrique, où il périt entre les mains des maures, le 4 août 1578 ;
et avec lui périt aussi la fleur de la jeunesse portugaise et l'indépendance de la Patrie ^.
Et voilà les fruits cueillis par les éducateurs jésuites. Sébastien avait reçu ses dons
de la nature; ses défauts provenaient de son éducation, comme le dit Conestaggio '*.
CHAPITRE TROISIEME
Règne du Cardinal Henri (D'àôut 1578 à janvier 1580)
Le Cardinal Henri ne régna qu'une année et demie. Pendant ce règne nous voyons
deux jésuites ayant une très grande influence sur la politique : le Provincial George Ser-
rào et le confesseur du Roi, Léon Henriques. Quand les gouverneurs que Sébastien avait
laissés à la tête des affaires du Royaume, pendant son séjour en Afrique, et qui étaient,
pour la plupart, amis intimes des jésuites, reçurent la triste nouvelle de la mort du Roi
à Alcacer-Kibir, ils la cachèrent au peuple et envoyèrent immédiatement le Provincial
quin Paternitas tua omuia norit et quamoptime prospiciat. Nam res est hiijusmodi, quac, ut mato-
riam sermouum et invidiae subdit, ita magnaiii Societati perniciem, cum publioi boni jactura creare
potest. Neo vero crediderim quicquaui nostros suscipere, quod non et ratione consentaneuin et
jiraesenti tempore maxime conveniens sit. CetiTum summe dolerem, si qua per oos occasio aut justa
causa obtrectationi, et malevolentiae praeberetur. Habeo enira compertum, nihil esse quod odiosius
acquirere Societati nomen queat quam si videamur in Principum ae Regnorum adraini.strationem
velle nos immitere, et negotia eorura tractaro. Fer Deum, Pater, etiam, atque etiam haec cura
vigilet: observeturque decretum di; non tradendis nostris in aulas Principum. Nam liberalitas bac
in re maxime nobis darano crit. Talia non Magius modo, sed alii gravissimi Patrum scribebant et
aliunde, et ex Lusitania ipsa».
' Franco, Synopsis, ^i. 107: «Alium patrem ot matrem praeter Liidovicuiu non novi». — Baltba-
zar Tcllcz, t. u, p. 728.
- Balthazar Teiliz, t. ii, p, 728,
' Schai-'fV'r, t. m, p. 401. — Catherine, graml'mcrc du Roi, était morte le 12 février de la même
année (Schaefer, t. m, p. .394).
' Schaefer, t. m, p. 404.
24
des Jésuites, George Serrâo, à Alcobaça où demeurait alors le Cardinal, comme prieur du
Monastère, pour lui faire part du malheur et l'amener à Lisbonne *. Le Provincial
s'acquitta de cette commission, et les courtisans, qui n'aimaient pas les jésuites, reconnu-
rent l'influence de ceux-ci sur l'esprit du Cardinal, car Pierre Alcaçova et George da
Silva furent destitués de leurs fonctions et accusés d'avoir poussé Sébastien à la
guerre d'Afrique -, comme si cette faute n'eût pas dû retomber complètement sur les
jésuites, ses maîtres, confesseurs, éducateurs et conseillers. Cependant la grande ques-
tion dont il s'agissait en ce moment, était la succession au trône. Henri avait 67 ans, il
était cardinal et sa santé était tellement ébranlée qu'il ne prenait que du lait de femme ^.
Son grand conseiller était son confesseur Je Père Léon Henriques '* que nous avons
déjà trouvé, aux chapitres précédents, se mêlant à la politique.
Il y avait plusieurs prétendants au trône dont deux seulement étaient portugais :
Antoine, ueveu du Roi, et Catherine, Duchesse de Bragance. Des étrangers, le plus à
craindre était Philippe II, Roi d'Espagne; mais le peuple détestait celui-ci, tandis qu'il
chérissait Antoine^. On eut même l'idée de le marier à la fille de la Duchesse de Bragance,
qui avait près de 14 ans ; cette solution eût été la meilleure ''. Le peuple voulait que
le Roi convoquât les Certes, afin que Ton y nommât comme successeur celui que le
peuple choisirait. Il était à supposer que le choix retomberait sur Antoine, cepen-
dant le Cardinal et les jésuites, ses mentors, ' ne permirent pas à cette prérogative
populaire de s'exercer^, et pourtant c'est par elle qu'en 1385 Jean I'''', fils naturel
du Roi Ferdinand, avait été fait Roi de Portugal, contre une tentative de Castille ^.
C'est que chez Antoine il y avait des circonstances qui le rendaient désagréable au
Cardinal et aux jésuites. Antoine était fils naturel de Louis, fils du roi Emmanuel
(les prétendants à la succession s'appuyaient tous sur la descendance du roi Emmanuel).
Le Cardinal l'avait fait ordonner diacre et l'avait nommé, encore très jeune, prieur du
Crato, afin de lui ouvrir une carrière dans le haut clergé '". Cependant Antoine,
sentant qu'il n'avait pas la vocation du sacerdoce, il demanda au Pape, quelques
années auparavant, de le relever de ses vœux. Il obtint ce qu'il désirait en faisant voir
la pression exercée sur lui par son oncle, qui avait abusé de son jeune âge. Après
avoir été sécularisé Antoine se montra toujours brave et ami du peuple, pas du tout
fanatique ni attaché aux jésuites. C'est pourquoi le Cardinal ne voulait pas que le
peuple pût choisir le Roi futur ; il s'établit donc une suite d'intrigues de courtisans, qui
empêchèrent toute solution définitive avant la mort du Cardinal, qui eut lieu le 31 jan-
vier 1580, précisément le jour de sa 68'^ année *'. Le Royaume tomba alors entre les
mains du Roi d'Espagne et le Portugal perdit son indépendance. Antoine et un grand
nombre d'hommes du peuple combattirent vaillamment, mais ils ne purent résister aux
forces que Philippe envoya en Portugal, commandées par le Duc d'Alba. L'influence
des jésuites dans ce désastre est manifeste ; on connaissait leur intimité avec le Cardinal
et le pouvoir de son confesseur Léon Henriques, car, comme le dit l'historien Rebôlo da
1 Schaefer, t. m, p. 407. — Rebêlo da Silva, t. i, p. 249.
2 Schaefer, t. m, p. 406. —Rebêlo da Silva, t. i, pp. 262-264.
3 Rebêlo da Silva, t. i, p. 532.
*. Rebêlo da Silva, t. i, pp. 314, 356 et 357.
i Schaefer, t. m, p. 423.
6 Schaefer, t. in, p. 423.
' Rebêlo da Silva, t. i, pp. 327, 328, 356, 357 et 386.
8 Schaefer, t. ui, pp. 409, 422 et 426.
9 Rebêlo da Silva, t. i, pp. 293, 294.
10 Schaefer, t. ni, p. 418. —Rebêlo da Silva, t. i, p. 298.
11 Schaefer, t. lu, p. 427.
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Silva, c'était dans la chcambre de ce Père, dans la maison de Saint Antoine-Abbé, que l'on
agitait surtout ces questions *. Ce Léon Henriques avait toujours été un grand intrigant)
non seulement parmi les courtisans, mais aussi entre les gens de son Ordre, car ainsi que
le rapporte le Père Astrain, ce fut lui qui avec son Confrère le Père Louis Gonçalves
da Câmai-a, confesseur de Sebastien, accusa Simon llodrigues devant Ignace de Loyola,
le faisant déchoir dans le pouvoir de l'Ordre-. Ce fut lui aussi qui, à la S/ Congréga-
tion Générale de son Ordre, en avril 1573, obtint par ses jntrigues que le Pape Gré-
goire XII intervînt dans l'élection du Général, afin que le Père Polanco ne fût pas élu,
mais Everard Mercurien qui, en effet, fut le 4/ Général de l'Ordre.
L'influence des jésuites dans la politique était alors tellement publique et si mal
vue partout, que même le P. jésuite Astrain l'avoue dans ces termes :
aCon este defecto de la vanitad y re-
galo se dio la mano otro abuso muy peli-
groso, cual fué la costumbre de meter-se
en pleitos y negôcios seglares, ajènos de
nuestro Instituto, convirtiéndo-se tal vez
nuestros Padres en agentes y procuradores
de virreyes, dùques y condes^ y tal vez
de parientes y amigos, aunque fuesen per-
sonas insigniticantes . . .
«En 1573, decia un oidor que «sola la
Compania ténia mâs pleitos en consejo,
que todas las religiones juntas». Pues si a
los pleitos propios se aîiadian los ajenos,
fâcil es'de ver la distraccion que esto cau-
saria en los de dentro y la desedification
que daria â los de fuera» 'K
«A ce défaut qui décelait tant de vanité
il faut ajouter l'abus si dangereux pnr le-
quel ils se mêlaient des affaires séculières,
étrangères à notre Institut. Nos Pères de-
venaient ainsi les agents et procureurs des
vice-rois, ducs et comtes, et peut-être des
parents et des amis, même lorsque c'étaient
des personnes insignifiantes. . .
«En l.'i73 un auditeur disait que nia
Compagnie avait à elle seule plus de liti-
ges que toutes les religions réunies. Car
si aux litiges propres on ajoute les étran-
gers, il est facile de voir la distraction que
cela causerait à ceux du dedans et comme
ce serait peu édifiant pour ceux du dehors» •*.
C'est pourquoi les jésuites profès qui se réunirent à Rome à la 5* Congrégation Gé-
nérale, en décembre 1593, établirent les décrets 47, 48 et 49,
tpara impedir à los Nuestros el meterse
en négocies politicos y el intrigar, dentro
de la Compafiia, por medio de las inter-
cessiones de seglares» *.
«pour empêcher les Nôtres de se mêler
aux affaires politiques ou à des intrigues,
dans la Compagnie, au moyen des inter-
cessions séculières» ^.
CHAPITRE QUATRIEME
Domination Castillane: 1580 à 1640 (Soixante ansj — Philippe II (1580-1598) 18 ans
Philippe m (1598-1621) 23 ans — Philippe IV (1621-1640) 19 ans
Pendant les soixante années de la domination Castillane, les trois Philippes qui se
succédèrent sur le trône d'Espagne, auquel le Portugal était réuni, avaient leur résidence
« Rebêlo da Silva, pp. 314 et 357.
- Astrain, t. i, p. 595.
' Astrain, t. m, p. 350.
'' Astrain, t. m, p. 58V). — Inslituhan Suc. Jes., t. i, pp. 254 et 255 (Edition de Rdiue de 1869) :
Décret. XLVii, Tmclalio rcrum Status et j'i'l'ticiiruin prohibcttir. Décret \iyin, Nerjotioriim secularùim
interdiclio. Décret, xlix, Interuessiones prohihentiir.
26
à Madrid, ville vers laquelle se déplaça toute l'influence politique de l'ancienne Cour
Portugaise. A Madrid les jésuites portugais n'influèrent pas sensiblement. Même les jé-
suites espagnols n''eurent pas une grande prédominance sous Philippe II, qui ne se mon-
tra jamais trop aff'ectionné ' à la Compagnie de Jésus. En outre, dans cette période, en
Espagne et en Portugal, les jésuites eurent à se préoccuper plutôt des questions théo-
logiques et internes que des politiques, car quelques membres de l'Ordre s'étaient publi-
quement révoltés contre l'Institut, et l'Inquisition s'éleva contre les privilèges dont la
Compagnie jouissait; iinalement fut initiée et débattue l'ardente et célèbre discussion
entre les thomistes et les molinistes, c'est-à-dire entre dominicains et jésuites, discus-
sion qui eut un si grand retentissement dans les écoles de l'époque-.
Et à propos de molinistes, dénomination dérivée du nom de l'initiateur de la théorie,
le P. Louis Molina, il convient de savoir que ce jésuite, quoique né à Cuenca, en Es-
pagne, a initié et suivi son noviciat à Coïmbre, a été élevé en Portugal et a enseigné la
Philosophie à Coïmbre et la Théologie à l'Université d'Evora ; il imprima à Lisbonne,
en 1588, son livre célèbre Concordiaî base de la question, et fut appelé à Madrid par
ses Supérieurs, en janvier 1591, où il mourut le 12 octobre 1600 ^.
Au temps des Philippes, les jésuites portugais ne se sentaient pas favorisées ni sa-
tisfaits, car d'une part les Hollandais, déjà ennemis de l'Espagne avant que celle-ci ne
dominât le Portugal, irrités des nouvelles impositions commerciales de Philippe II, com-
mencèrent à tourner leurs navires contre les anciennes colonies portugaises de l'Inde
d'abord et ensuite du Brésil, où les jésuites avaient des maisons et de l'influence, qu'ils
perdirent ^.
D'autre part, les ministres des Rois Catholiques non seulement ne prodiguèrent pas
l'argent aux jésuites, mais leur enlevèrent certaines rentes et certains privilèges anté-
rieurement accordés par les Rois Portugais.
Em 1594 le Chapitre d'Evora demanda à George de Ataïde, Gouverneur du Royaume,
par ordre de Philippe II, ((qu''en vue des nombreux inconvénients par Nous indiqués,
il veuille bien révoquer les privilèges que les Pères de la Compagnie disent avoir reçus
des Rois passés pour l'achat de biens-fonds». Afin d'éviter l'exécution de cette demande,
les jésuites cherchèrent à réfuter l'Ordonnance du Liv. Il, Tit. xviii, qui défendait que
les Églises n'absorbassent les biens- fonds. Ici intervient surtout le jésuite P. Nuuo da
Cunha, qui met à profit le Collecteur Apostolique Alexandre Castracani, Èvêque de
Kicastro, muni des pouvoirs de Nonce -'. Mais leurs desseins n'ont pas abouti, car, tout en
ayant fait retarder beaucoup l'exécution de cette Ordonnance, ils furent finalement
forcés, par le roi espagnol, à l'observer. Au contraire de cette opposition et de cette
défaveur qu'ils trouvaient auprès des dominateurs espagnols, les jésuites sentaient une
grande estime de la Maison du Duc de Bragance et y fondaient leurs espoirs. Le
Duc résidait à Vila Viçosa, près Evora, où les jésuites avaient leur Université, qu'il
visitait quelquefois. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que les jésuites aient pris
part à la conspiration en faveur de la Maison de Bragance contre la domination espa-
gnole ; cette conspiration éclata à Evora même, en 1637. Déjà en 1635, une fois que le
Duc était allé à Evora, le jésuite Gaspar Correa, dans un sermon qu'il prononça dans la
Cathédrale en présence du même Duc, termina sa prédication par ces paroles : «Prince,"
» Rebêio da Silva, t. i, p. 327.
2 Voir Astrain, vol. m et iv.
3 Franco, Synopsis Annalium Societatis Jcau in Lusitania, p. 175. — Franco, Inuujcm da Vii Uuk
i:m o Xoviciado (le Lisboa, t. i, pp. 447 à 159.
" Schaefer, iv, pp. 302, 322 ft 323.
' Schaefer, iv, p. 327. — Deduçâo Chronolôyica, part, i, pp. 157 à 1S2..
27
je verrai encore sur ta tête la couronne (ici il fit une pause, puis continua) de la gloire,
vers laquelle Dieu nous conduira» '.
Cette pause fut très célébrée et très vantée, mais cela eut comme résultat que ce
prédicateur fut dénoncé au roi Philippe et sommé de se présenter ;'i Madrid. En 1637,
ai-je dit, une sédition éclata à Evora, prenant comme prétexte les nouveaux impôts que
le Gouvernement espagnol créa pour surcharger le Pays. La Ville d'Evora, secouant le
joug espagnol, se gouverna par elle-même durant quelques mois. Le jésuite François
Freire, dans un sermon qu'il prêcha le troisième dimanche de l'avent, sembla vanter la
sédition. D'autres jésuites furent accusés d'être partisans de la révolte. Pour ce motif
le roi fit appeler à Madrid les Pères jésuites Sébastien Couto, Alvaro Pires, Jacques Arêda
et Gaspar Correa. Les trois premiers purent, sous divers prétextes, éviter le voyage;
le dernier cependant alla, et, arrivé à Madrid, on l'envoya à S. Fins — comme en exil —
d'où il ne put se retirer qu'à l'avènement du roi portugais Jean IV -.
Un des procédés dont se servaient les jésuites pour exciter le peuple contre les
Rois castillans, était la propagande de prophéties et de légendes inventées par eux
mêmes, où il était affirmé que Sébastien n'avait pas péri en Afrique, mais était caché •
dans l'attente de l'occasion opportune où Dieu, après avoir châtié ce Pays, le ferait
ressusciter afin qu'il vînt gouverner ici comme roi indépendant.
Ces prophéties étaient surtout attribuées au P. Joseph de Anchieta et à Simon Go-
mes, cordonnier, qui avait été pénitent des jésuites et même leur valet à Evora et à Lis-
bonne. On écrivit les vies de ces visionnaires et on en publia beaucoup d'éditions où lea
légendes et les espoirs en un Encobtrto (celui qui est mystérieux, caché) ^ étaient exal-
tés comme de vraies prophéties. On en trouve des témoignages dans les écrits du chroni-
queur de la Compagnie de Jésus en Portugal, le P. BalthazarTellez *. Et le Comte de Eri-
ceira, dans son Portugal Restaurado («Portugal Restauré»), écrit que «ces mêmes pro-
phéties étaient dites en chaire, et un de leurs divulgateurs les plus résolus était le P.
Louis Alvares, de la Compagnie de Jésus» '■'.
Ils étaient deux, les motifs qui poussèrent les jésuites à se consacrer à cette ex-
ploitation de fausses et trompeuses légendes : le premier, d'après l'opinion de Fran-
çois Emmanuel deMelo, célèbre historien de cette époque et ancien élève et ami des Pères
de la Compagnie, c'était qu'ils voyaient l'opiniou du peuple portugais tout à fait tournée
contre eux, car tout le monde leur attribuait le malheur de la perte du Roi en Afrique
et, par conséquent, celle aussi de l'indépendance nationale, puisque dès l'âge de cinq ans
jusqu'à sa mort Sébastien avait toujours été entre les mains des jésuites, qui furent
ses maîtres, ses confesseurs et conseillers ^. L'autre motif était qu'ils voyaient que les
Rois ( 'astillans n'usaient pas envers eux de la déférence et de la quasi soumission que
les anciens Rois Portugais leur avaient toujours manifesté ; ils voyaient que parfois les
Rois Castillans les contrariaient plutôt, comme lorsqu'ils leur défendirent la circulation
de l'Index Expurgatoire, où la principale collaboration était à eux '', et quand ils leur
diminuèrent les recettes et d'anciens privilèges *. Afin de se réhabiliter devant le peu-
' Franco, Synopsis Annalium Societatis Jesu in LUitania, p. 266.
- Franco, Synopsis, pp. 271 et 272.
' «Encolierto» c'est le nom qu'on donna au Roi Sébastien, dès sa mort en Airiqm'.
■• Balthazar Tcllez, Chroniqae de la ('ompaynic de Jésus an. Portayal, t. ii, liv. 5, chap. .\', p. 297
et chap. xLvi, p. 472.
•■ Comte du Ericcira, Portugal Restauré, part, i, liv. i, p. 40. — Rebûlo da Silva, Histoire de Por-
tugal, t. IV, pp. 114 et 115.
s François Emmanuel Je Melo, Epanâforci, PoUtica, t. ii, p. 30 (édit. de Lisbonne, 16G0).
' l)<idiii;à<i Crniuiliii/irii (Dédnction Chronologique |, part, i, p.llG.
1 Rebêlo da Silva, t. iv, pp. 111, 115,116 et 120.
pie portugais et de se venger du Gouvernement espagnol, ils mirent en pratique cette
méthode captieuse de prophéties pour leurrer le public !
CHAPITRE CINQUIÈME
Règne de Jean IV (1640-1656)
La révolution triompha le V décembre 1640 et mit un terme à la domination es-
pagnole en Portugal, en proclamant roi le Duc de Bragance, qui prit le titre de
Jean IV.
D'après ce que nous venons de dire au chapitre précédent, il était facile de prévoir
l'influence que les jésuites acquerraient à la Cour du nouveau monarque: les faits vin-
rent à confirmer les prévisions.
Jean IV choisit le jésuite André Fernandes non seulement pour son confesseur,
mais comme conseiller qu'il consultait dans les affaires les plus secrètes de la Monar-
chie, ainsi que l'atteste l'historien jésuite Antoine Franco lui même *. Pour confesseur
de la Reine fut également choisi un jésuite, le P. Jean Nunes, qui devint aussi plus tard
confesseur du Prince Théodose -.
Il y eut aussi à la Cour un autre jésuite d'une influence peut-être plus grande que
les deux précédents: ce fut le célèbre P. Antoine Vieira qui, vivant au Brésil dès son
enfance et y étant entré dans la Compagnie, fut envoyé en Portugal pour féliciter, au
nom de cette Colonie, le nouveau Roi Jean IV, dont il devint bientôt l'ami intime
et le conseiller très apprécié 3. Eui-même, Antoine Vieira, l'avoue dans sa défense qu'il
présenta au Tribunal du Saint Office, lorsque celui-ci le mit en procès en 1667, au règne
suivant, et le condamna i être banni de la Cour et à vivre cloîtré dans une des maisons
de son Ordre, sans pouvoir confesser ni prêcher ^. Ces pénalités lui ont été ensuite par-
données, grâce à l'intervention du Général de la Compagnie et à celle du Pape Clé-
ment X, qui plus tard l'exempta de la jurisdiction de l'Inquisition Portugaise.
Elle est tellement intéressante la forme comme Vieira, dans sa défense, dépeint le
pouvoir qu'il avait à la Cour de Jean IV, que je trouve extrêmement utile de trans-
crire ici ce passage, afin que le lecteur voie l'importante influence des jésuites dans
la vie politique portugaise et les intrigues machinées entre les divers Ordres religieux du
Pays et même entre les membres de la Compagnie de Jésus. Voici ce que Vieira dit
en parlant de ses dénonciateurs :
«I. — Sur les dénonciations.
«En discourant sur les fondements dont on pouvait se servir pour dénoncer des
choses sans fondement comme celle de la préférence, ou des préférences, dont j'ai été
accusé dernièrement, j'ai fait de nouvelles remarques sur les anciennes, à cause de leur
matière sérieuse ; de tout ce que je sais des unes, et de ce que je déduis des autres, ou
de l'ignorance ou de la malice, je trouve que je pourrais facilement le prouver s'il
m'était présentée une note de ce qu'étaient lesdits rapporteurs.
' «AnJream FcrnamUiun cui animam suatu rcgendam crediilit euindomque ailmisit ad secrediria
monarchiae» (Franco, Sijnoiixis, p. 3It). — «Nec duiu vixit, aUerius magis est usus consilio quani
Audreae» (Ibid., p. 298). — «Sib volait contVssariuin et omnium coiisilioruni partiriiiein» (IbiJ.. \i. 2G7).
- Franco, Synopsis, p. 31-1.
5 Scfiacfer, t. iv, p. 638.
♦ Le |iroci".'s inquisitorial du 1*. Antoine Vieira fst très volumineux. On le conserve dans les Ar-
chives de Torre do Tombo, sous la ilésignation de ISeparados, dans le iiortof'euille n." 4.
29
«La présomption de ce que ce soit par malice se fonde sur les nombreux ennemis
que j'ai eu maintes fois l'occasion de me faire dans les circonstances qui chez moi con-
courent pour les avoir, aussi bien religieux que séculiers.
«Quant aux séculiers, la grâce si connue que je recevais du Roi Jean, du Prince
et de la Keine fut la cause qui fit mes plus grands ennemis do tous ceux qui tenaient
compagnie aux dits Princes et cherchaient la faveur et la place qu'ils croyaient que je
leur enlevait; en dehors du Palais l'occasion n'était pas moindre pour de grandes haines
causées par le méchant dépit de maints postulants qui me priaient de les aider dans
leurs prétentions comme je le pourrais; mais voyant que je ne pouvais pas le faire au-
tant qu'ils l'auraient voulu, d'amis ils devinrent ennemis : de ce nombre étaient, avec
plus de raison encore, les vVmbassadeurs et Ministres des Ambassades dont je possédais
les chiffres et Sa Majesté ordonnait qu'on me transmît toutes les affaires et qu'on
n'en décidât pas sans entendre mon avis, auquel se conformait ordinairement Sa Ma-
jesté; lesdits Ministres me voyaient donc comme un inspecteur de leurs actions et
craignaient la droiture de mes avis et informations, à cause du grand crédit que ces der-
niers trouvaient auprès du Roi. Aux ennemis que j'avais pour le respect dont je jouis-
sais venaient s'ajouter aussi ceux de mes parents, ceux qui maintes fois vengeaient sur
moi ce qu'ils ne pouvaient pas venger sur mes parents, ou sur ceux-ci ce qu'ils ne pou-
vaient pas sur moi, ce dont il y a beaucoup d'exemples en Portugal et au Brésil, car
ils comptent parmi les plus grands Ministres de cet Etat.
«Au Maragnon — par mon zèle dans la conversion et la liberté des Indiens — j'ai
gagné la haine générale non seulement des habitants de cette région, mais des Gouver-
neurs et des Ministres envoyés du Portugal, et d'autres encore plus importants qui, sans
y aller, ont là leurs intérêts par des voies publiques ou occultes, et confiés, dans le pou-
voir de ces intéressés, ils osèrent m'expulser, moi et mes compagnons ; voulant donner
quelque importance à ce vilain excès, ils prouvèrent avec beaucoup de témoins que je
voulais livrer le Maragnon aux Hollandais: s'ils avaient eu le Saint Ofiice dans leur pays
ils n'auraient peut-être pas eu besoin d'aller chercher si loin leur faux témoignage.
«Quant aux religieux, ils peuvent être ou de ma religion ou d'autres, particulière-
ment ceux qui ont une plus grande émulation avec la Compagnie et ses sujets; entre
tous, je suis très ha'i par ceux qui ont des couvents au Maragnon, car ils me considè-
rent leur ennemi déclaré, tandis que je vénère tous les Religieux autant que leur troc
le mérite, ne pouvant pas toutefois me conformer à la doctrine pernicieuse qu'ils suivent
en chaire, dans les confessionnaux et dans les testaments concernant l'injuste captivité
des Indiens et constituant le plus grand empêchement à leur salut.
«Et pour ce motif, parce que le Koi Jean avait seulement recommandé à la
Compagnie les Missions de cette gentilité, à la mort du dit Roi ils cherchèrent à tirer
vengeance de cet affront et de ce grief; ils furent les principaux instigateurs de mon
expulsion, et partout j'étais suivi toujours do la même haine qui, dans les incertitudes
de la fortune, éloigne plutôt qu'elle ne compatit ; mais lorsque ces accidents ou rencon-
tres particulières et autres sembiabes manquaient, il suffisait de l'acceptation générale
qu'on avait en me consultant à la Cour et en lisant dans le monde mes écrits, pour que
les gens du même métier (et ce sont les plus grands sujets des Religionsj ne regrettas-
sent pas de voir des doctrines abattues et mal évaluées, mais il se peut aussi que dans ce
chagrin les mêmes estimateurs aient une part moindre.
«Je désiste de vous remontrer et de vous prier ce que justement je pourrais sur ce
scrupule, car je sais que la justice et la droiture de tous ceux qui jugent les
causes du Saint Office les porteront à bien examiner en toute qualification la vérité des
fondements aussi bien que la pureté d'âme, et il est facile de connaître par les mouve-
ments de la plume, si celle-ci est mue par la charité ou par l'affection.
30
«Chez les Religeux de ma religion, les motifs de la rivalité sont d'autant plus in-
times et sensibles qu'ils sentent de plus près la différence avec laquelle le Roi m'hono-
rait et les grands me recherchaient et m'abordaient ; les Prédicateurs anciens et autori-
sés regrettaient également qu'on me donnât, encore jeune, le titre de «Prédicateur du
Roi», que leurs cheveux blancs et leurs talents méritaient davantage, surtout parce que
j'étais d'une Province étrangère, et encore de la Province du Brésil, et qu'on présumait
que j'avais demandé au Roi la division des Provinces et que je conseillais Sa Majesté à
y persister; et le zèle des dits religieux arriva à un tel extrême qu'ils négocièrent avec
le P. Général afin qu'il me renvoyât de la Compagnie, comme en effet on l'aurait fait si
le Roi ne l'avait pas empêché».
De ces passages que nous venons de reproduire on déduit clairement combien les
jésuites continuaient à influer dans les affaires de la Cour et dans la politique du Pays,
quoique les susnommés décrets de la V® Congrégation le leur défendaient formellement.
Ces décrets furent proclamés en janvier 1594 '; et cependant Vieira et d'autres jésuites
les ont manifestement enfreints, d'après l'avœu même de Vieira, dès 1640 jusqu'à 1657,
époque de sa condamnation.
Un des motifs où se fonda l'Inquisition por condamner Vieira fut un papier qu'il
avait écrit sur le Cinquième Empire et où il donnait toute la valeur de prophétie à des
rimes attribuées à un cordonnier nommé Bandarra.
Sur la couverture du procès de l'Inquisition on lit:
«Dossier concernant le papier qui, dans cette ville de Lisbonne, s'est divulgué en
l'année 16G0, sur la Résurrection du Roi Jean IV et écrit par le P. Antoine Vieira».
Et dans la sentence finale on lit ce qui suit, comme premier motif de la condamna-
tion de Vieira:
«Il y a quelque temps,' au grave dommage, préjudice et scandale des fidèles, il a
composé un papier intitulé — «Esperanças de Portugal, Quinto Império do Mundo» (Es-
poirs du Portugal, Cinquième Empire du Monde) — dont le but principal est de mon-
trer par plusieurs raisons et arguments, que Gonçalo Anes Bandarra, cordonnier de
la Ville de Trancoso, avait été un vrai prophète et que, d'après ce qu'il disait dans cer-
tains passages et prédictions de ses rimes, il était certain et indubitable que beaucoup
d'années ou des centaines d'années avant la Dernière et Universelle Résurrection des
Morts, devrait ressusciter un certain roi de Portugal, pour devenir Empereur du
Monde et jouir des grands bonheurs, des victoires et des triomphes que ledit Bandarra
avait prophétisés». Ce roi était Jean IV, car il est ajouté dans le procès que «Vieira
avait affirmé publiquement en un lieu déterminé et y avait aussi prêché en une occa-
sion où ledit roi, atteint d'une maladie, se méfiait des médecins, que, ou il n'en mourrait
pas ou, s'il devait en mourir, qu'il ressusciterait pour réaliser lesdites prophétiess.
Il s'agissait évidemment de Jean IV, roi devant lequel Vieira prêchait très souvent.
Or cette idée, dont Vieira devint le grand propagandiste, d'un Cinquième Empire
qui comprendrait le monde entier et aurait pour Empereur un roi portugais, n'était au-
tre chose que la poursuite du même système fallacieux adopté par les jésuites, ainsi
que nous l'avons vu au chapitre précédent : ils avaient recours aux croyances et aux
1 Inslilutum Soc. Jesu, t. i, pp. 254 et 255 (édit. de Rome de 1869). Voir p. 25 de ce livre.
31
fausses prophéties afin de mystifier les gens, qui à cette époque se laissaient trop facile-
ment tromper.
Mais dans ces dernières prophéties le nom de Sébastien, qui avait figuré dans
celles de la période antérieure, ne paraissait plus, car il n'était plus nécessaire puisque
l'indépendance nationale se trouvait restaurée et qu'il y avait déjà un nouveau roi por-
tugais. Ce qui leur convenait à présent, aux jésuites, c'était de conserver entre leurs
mains les nouveaux rois portugais comme ils avaient tenu les anciens. Dans ce but les
projihéties retombaient sur le roi qui régnait alors, avec l'avantage de pouvoir être
appliquées au roi de son vivant ou à ses enfants. Cette cabale n'avait pas été ourdie
uniquement par Vieira: déjà avant lui d'autres jésuites l'avaient esquissée.
Le P. Ferdinand Queiroz, de la Compagnie de Jésus, dans la biographie qu'il a écrite
de Pierre Bastos, fn re coadjuteur de la même Compagnie, décédé à Goa en 1645, cinq
ans après l'acclamation de Jean IV, lui attribue entre autres aflirmations la suivante:
«Le Portugal deviendra un Empire en un jour que je ne verrai point, je ne dis
pas si ce sera avec le père ou avec le fils, mais il deviendra un Empire» '.
Or le motif de cette propagande il est facile de le trouver en confrontant d'autres li-
vres publiés par les jésuites à cette époque et en les mettant en corrélation.
Le P. Emmanuel da Veiga, de la Compagnie de Jésus, dans sa «Vie de Simon Go-
mes« (le Cordonnier-Saint), employé des jésuites au (Jollège d'Evora, écrit que le dit Cor-
donnier avait prophétisé: «Que Dieu avait voulu secourir ce Royaume par la Compagnie
en la faisant accepter par ceux qui le gouvernaient, et que voulant le châtier il fit éloi-
gner la Compagnie et situer très loin» "-.
Or ce cordonnier mourut le 18 octobre 1576, donc avant la domination espagnole,
mais le jésuite lui fait déjà dire que la Compagnie avait été éloignée de la Cour au temps
des Piiilippes parce que Dieu voulut châtier ce Koyaume, et qu'il devenait par conséquent
nécessaire que les nouveaux rois portugais eussent pour elle de l'estime et lui offrissent
du soutien afin de nouvellement porter remède aux maux du Royaume. Et ce qui est
certain c'est que, grâce à cc.-3 procédés industrieux, ils ont obtenu ce qu'ils voulaient,
car Jean IV commença à les traiter comme les rois qui gouvernèrent avant lui, il
les prit pour confesseurs et conseillers, leur donna de l'argent et des privilèges avec li-
béralité et largesse, ainsi que le raconte le P. Antoine Franco dans sa Si/nopsis, où,
après avoir relaté les maintes faveurs que ce roi accorda à la Compagnie, il ajoute :
«De tous ces faits on conclura qu'avec l'avènement de Jean IV se sont renouvelés
cet amour et cette munificence avec lesquels Jean III, Sébastien et le Cardinal Henri
embrassaient comme pères extrêmement suaves, je ne dis pas notre, mais leur Com-
pagnie nouveau-née» ■'.
Voici que les jésuites eux-mêmes nous indiquent à quoi tendait cette propagande
stupide de légendes et croyances sur un Cinquième Empire soumis au sceptre d'un roi
portugais : elle tendait à obtenir des nouveaux rois portugais la même estime et aussi
' Ferdinand Queiroz, S. J-, IVe de Pierre Daston, édit. ile Lisbonne, 1689, p. 415.
2 Emmanuel da Vciga, de la Compagnii; do Jésus, Vie de Simon Gomes, 4' édit., Lisbonne
1759, p. 120, chap. xi, du liv. ii. — OOn. : Le numérotage de cette page est erronné, ou doit lire 220. —
Dans la préface de cette 4' édit. il est dit que les trois premières ont eu une grande vente.
' Franco, Synopsis Annalium Societatis Jcsii in Lusitania, p. 314.
32
peut-être la même soumission pour les jésuites, que ceux-ci avaient obtenu au temps des
anciens rois portugais. Et il est certain qu'ils ont réussi dans leurs desseins durant en-
core un siècle, comme nous allons voir.
CHAPITRE SIXIÈIVIE
Règnes d'Alphonse VI et de Pierre II — Alphonse VI roi (1656-1668) — Pierre II
gouverneur du Royaume (1668-1683) — Pierre II roi (1683-1706)
A Jean IV, décédé le 6 novembre 1656, succéda au trône son deuxième iils Alphonse
VI, car l'aîné Théodose était mort encore du vivant du père. Cependant Alphonse était
mineur' et le Gouvernement fut confié à sa mère Ijouise de Gusman. Ce fut seulement
en 1662 que Alphonse se mit à la tête du Gouvernement-, ayant par ministre Louis de
Sousa e Vasconcelos, Comte de Castelo-Melhor, homme habile dans l'administration des
affaires de l'État et qui a beaucoup contribué aux victoires gagnées par les Portugais
sur les Espagnols qui prétendaient reconquérir le Portugal^.
En 1666 le Roi épousa ^Marie Françoise Elisabeth de Savoie \ qui amena avec
elle son confesseur le P. jésuite François de Villes et comme secrétaire Louis de
Verjus ^.
Ce mariage fut un désastre. Alphonse, dans son enfance, avait été atteint d'une
grave maladie qui le frappa phj'siquement et intellectuellement, quoique plus tard son
état se fut sensiblement amélioré. De plus, il avait toujours évité les jésuites et ne
voulut jamais les prendre pour confesseurs. Il eut por confesseurs d'abord le curé de
Sodofeita*', et plus tard Fr. Pierre de Sousa, moine de l'Ordre de Saint Benoît'. Les
jésuites et les nobles n'aimaient pas ce roi, car il avait trop de relations avec des gens
de basse condition et on lui reprochait de commettre avec eux de grandes méprises.
Au commencement Marie Françoise se montrait affectueuse envers son mari le Roi, et
elle disait même qu'elle sentait des signes de grossesse^. Mais quelque temps après elle
fut prise d'une affection pour le frère du Roi, son beau-frère Pierre^, et se retira au
Couvent de Esperança, après avoir déclaré dans une lettre adressée au Roi qu'elle ne
devait pas continuer à vivre matrimonialement avec lui à cause de son incapacité physi-
que «pour les motifs qu'il savait bien» "^.
Toute cette cabale avait été ourdie sourtout par trois pères jésuites : François de
Villes '', français, confesseur et conseiller de la Reine française, et deux Portugais, Nuno
da Cunha e Antoine Vieira *-. C'est ce Vieira qui écrivit un papier que les gentils-
hommes lurent au Roi après s'être secrètement introduits au Palais; et cet écrit conseillait
hautainement le Roi à abdiquer la Couronne en son frère Pierre.
I 11 avait 13 ans et quelques mois, car il était né le 21 août 1643. Voir Schaefer, t. iv, jip. 440
et suiv.
- Schaefer, t. iv, p. 453.
3 Ibidem, t. IV, p. 454. — Franco, Synopsis, p. 376, N.° 11.
* Scharfer, t. iv, p. 458.
'■> Franco, Synopsis, p. 370, N.° 12. — Sehaefer, t. iv, pp. 400, 401, 481 et 485.
S Dedaçào Chronoloyica (Déduction Chronologique) 1' partie, p. 228.
■> Pùrluyal Restauradu (Portugal Restauré; 2" partie, liv. vi, p. 493.
* Schaefer, t. iv, p. 401.
9 Idem, idem, pp. 464 et 473.
i« Idem, idem, pp. 480 et 481.
II Idem, idem, pp. 471 et 472.
^ Idem, idem, pp. 538 et 530. — E. Carel, Vieira, sa vie et ses oeuvres, p. 262.
33
En conséquence de cette intrig-iie au Palais, Alphonse fut déposé, et le Gouver-
nement fut confié en 1567 le 3 novembre à son frère Pierre*, qui prit le titre de Prince
et Gouverneur du Royaume. Il envoya sous prison son frère destitué au Château d'An-
gra, dans l'Ile Terceira, d'où l'on le fit venir plus tard pour l'enfermer au Palais de
Cintra, où il vécut emprisonné jusqu'à sa mort, en 1683, dans sa chambre, qu'au-
jourd'hui encore l'on conserve intacte comme souvenir historique.
Le mariage d'Alphonse avec Marie Françoise de Savoie fut annulé ; dans cette
annulation son confesseur jésuite Villes intervint puissamment en allant à Rome traiter
l'affaire-. Une fois le mariage annulé, la reine put se marier avec son beau-frère Pierre,
comme elle l'avait tant désiré. Dès qu'il eut pris possession du Gouvernement du
Royaume, Pierre nomma des Pères jésuites comme confesseurs royaux et accorda à la Com- '
pagnie une grande prépondérance''. Dans ses libéralités pour les jésuites il dépensa, en
faveur de leurs missions, une somme supérieure à celle qui aurait été nécessaire pour la
fondation de deux Collèges'*; et avec la propagande de la foi catholique et le soutien
de ses ministres il dépensait tout ce qu'il recevait des colonies, comme l'avoue le jésuite
Franco^. Et .cependant le désordre dans les finances était énorme et les recettes étaient
grevées pour de grosses sommes qui ne pourraient être libérées et rétablies qu'après de
nombreuses années de bonne administration et de paix, comme l'écrivait l'ambassadeur
français Saint-Romain à son Gouvernement ''.
L'influence des jésuites fut extrêmement grande pendant ce règne. A cette époque
leur chef principal était le P. Emmanuel Fernandes que le Roi nomma même membre de
la Junte des Trois Etats, o\\ les hautes questions militaires et coloniales étaient discu-
tées. Le P. Emmanuel Fernandes prit possession de cette charge et l'exerça aux côtés du
Marquis de Fronteirà pendant quelque temps. Ce fait pourtant devint si scandaleux que
le Général de l'Ordre lui-même, Paul Oliva, le somma d'abandonner cette place et
envoya dans ce but une lettre ou Provincial du Portugal, lettre que le P. Franco re-
produit dans sa Synopsis (p. 343), où il est rendu compte de l'impression produite par
cette question.
Le P. Emmanuel Fernandes cessadeprendrepart aux réunions de la Jwn/e c?es Trois
États, mais cela n'empêcha pas qu'il ait continué à influer sur la politique et surtout
en faveur de son Ordre. Sa place de confesseur du Roi lui donnait une grande puis-
sance. C'était lui qui avait à sa charge la distribution, comme il l'entendrait, des bé-
néfices abbatiaux et autres profits sacerdotaux apartenant à la maison de Bragance^.
A l'avantage de la Compagnie, il obtint du Roi que dans les Statuts des Missions
il fût stipulé que les Missions d'Amérique demeureraient à la charge des jésuites et que
personne ne pourrait y entrer sans leur autorisation expresse^.
' Schaefer, t. iv, p. 483. La convocation des Cortôs eut lieu l'année suivante, en Janvier 1668.
Ibid., p. 484.
2 Schaefer, t. iv, pp. 485 et 886.
5 Franco, Synposis, p. 425, n." 4. «Nostram Societatem semper magni habuit ; ex quo suscepit
regni gubrrnacula usus confessariis e nostra familia». Et p. 342.
■* Franco, Synopsis, p. 425, N.° 6. «Quia Societatis transmarinas miasioncs cis subsidiis fovit,
quae subductis rationibus, aequarent doteni pi-o fundandis iluobus eollegiis, idcirco per universam
Societatem ei facta sacra et preces solita fieri pro duplici Collegii Fundatore».
5 Franco, Synopuis, p. 425, N.° 5. «Ad Alexandruni vni, Pontificem Max. cum veritate seripsit
quidquid sibi redderent transmarinae regiones, id a se impendi alendisMinistris Evangelicis, et fldei
Catholicae proiiagandae».
6 Schaefer, t. iv, p. 543. — Santarêm, Quadro Elementar, t. v, p. 2 et p. 240 de l'Introduction.
^ Franco, Synopsis, p. 428, N." 13.
8 Deduçào Chroiwlorjica (Déduction Chronologique), part, i, pp. 440 e 445.
34
Le confesseur du Roi fit avec d'autres jésuites, dont les principaux furent le P. An-
toine Vieira et Balthazar da Costa, une campagne contre l'Inquisition, en faveur des
juifs *. Il serait impossible, dans un résumé, de détailler longuement cette campagne et
ses résultats. Ce qu'il convient de remarquer c'est que les jésuites avaient dans cette
lutte un double intérêt: 1*^'' porter un coup à l'Inquisition qui s'était montrée contraire à
la Compagnie et 2" faiie venir l'argent des juifs en Portugal et dans ses colonies, où
les maisons et le crédit des jésuites étaient en décadence, à cause des guerres anté-
rieures contre les hollandais, au temps de la domination des Philippes espagnols, guerres
qui leur avaient prouvé combien on s'était trompé en bannissant les juifs, car ceux-ci
portèrent en Hollande leurs richesses et leur érudition.
Le fait suivant est fort curieux.
Au temps de Jean III ce fut le fondateur de la Compagnie, Ignace de Loyola,
qui obtint la Bulle du 16 août 1547 qui vint donner plus de fixité et une plus grande
amplitude aux pouvoirs du Saint Office, ainsi que le rapporte l'historien jésuite Baltha-
zar Tellez 2, et au temps de Pierre II ce furent les jésuites qui attaquèrent le plus vive-
ment le même Saint Office et qui prétendirent diminuer et presque supprimer les pou-
voirs, que le fondateur de leur Ordre avait obtenus pour lui.
CHAPITRE SEPTIEME
Régne de Jean V (1706-1750)
Jean V monta sur le trône à dix-sept ans, et jusqu'alors il avait été élevé par
des jésuites qui l'entouraient et qui étaient confesseurs du Roi et de la famille royale.
Son premier maître et confesseur avait été le P. François da Cruz, à la mort du-
quel, le 29 janvier 1706, succéda le jésuite François Botelho qui vint à mourir le 8
août 1707 et fut remplacé par le P. Simon dos Santos jusq'au lo décembre 1712,
date de la mort de ce dernier^.
La Cour de Jean V, à l'exemple de celle de Pierre II, était pleine de jé-
suites, qu'on appelait les «Pères du Palais», parmi les-quels nous nommerons le P.
Louis Gonzaga, maître de Mathématiques des Princes ; le P. Emmanuel Dias, confesseur
de la reine Marie Sophie, seconde épouse de Pierre II; le P. Emmanuel Pires, confes-
seur de Catherine, lille de Jean IV, qui devint reine d'Angleterre et retourna en Portugal
lors de son veuvage ; le P. Antoine Stieff qui vint en Portugal comme confesseur de Marie
Anne d'Autriche, femme de Jean V: le P. François da Fonseca, confesseur du Marquis
d'Alegrete qui alla en Autriche avec une grande suite pour amener Marie Anne; le P.
Charles Gonlenfels, également confesseur de la reine Marie Anne et précepteur de l'Infant
Pierre ; les PP. Grégoire Barreto et Louis Alvares, confesseurs de l'Infant Antoine ; le
P. Henri de Carvalho, confesseur et précepteur de Joseph pendant qu'il était Prince ;
le P. Emmanuel d'Oliveira, confesseur de l'Infante Marie Barbe qui devint reine d'Es-
pagne ; les PP. Ignace Vieira et Jacinte da Costa, confesseurs de l'Infant Pierre ''. Un autre
jésuite, le Napolitain Jean Baptiste Carboni, exerça une grande influence durant ce règne ;
1 Schaefcr, t. iv, pp. 539-542.
2 Jialthazar Telles, i" partie, liv. 2, cliap. VI, pp. 247-249.
' Fraiico, Sijnopsis, pp. 425, 428 et 441. — Déduclion Ch-onolnyique, j). 4!)6.
* Déda<:li(ja Chroiiotofjùpie, p. 479.
35
il se connaissait beaucoup en mathématiques et en questions astronomiques, matières que
le roi goûtait beaucoup *.
L'éducation jésuitique que le monarque avait reçue dans son enfance et sa jeunesse
l'inclinait à consacrer son activité sourtout aux choses religieuses et à toutes sortes de
dépenses, gaspillant ainsi, sans aucun profit pour l'Etat, les grandes richesses qui lui
venaient du Brésil. 11 voulut et obtint que Lisbonne, qui avait déjà un Siège archié-
piscopal et un archevêque, eût aussi un patriarche et une église patriarcale avec bon
nombre de chanoines, des chantres, de bénéficiers, etc. C'est inouï ce que cela coûta!
A partir de l'établissement du patriarcat les dépenses ordinaires grossirent d'une ma-
nière exorbitante : en 1747 les dépenses ordinaires du Siège Patriarcal étaient de 337
contos- et celles du Patriarche représentaient à elles seules la somme de cent contos^.
A Mafra, petit village situé loin de Lisbonne (à plus de sept lieues de distance),
le Roi fit construire un énorme Couvent, avec une Basilique inaugurée en octobre 1730.
La construction commença en 1716; la dépense annuelle était de 404 contos'' environ,
et en 17.30 il y avait 47.836 ouvriers et journaliers qui y travaillaient^. Toujours pour
être agréable aux jésuites, il fit bâtir pour eux, dans l'église de leur maison professe de
S. Roque (St. Roch), à Lisbonne, une chapelle vouée à St. Jean-Baptiste; elle ne me-
sure pas plus de 17 pieds de long sur 12 de large, mais ne coûta pas moins de 235
mille livres sterling. Elle est façonnée dans les espèces les plus variées de marbres et
ornée de très beaux ouvrages en mosaïque. L'ensemble de cette chapelle éblouit litté-
ralement le regard par le jeu de la combinaison des couleurs extrêmement variés et fasci-
natrices du lapis-lazuli, du porphyre, de l'améthyste, de la cryolithe, de l'albritre, de
l'argent et de l'or*"'.
Avec de pareilles dilapidations, inutiles pour le Pays, dues à une éducation ex-
trêmement bigote, il n'est pas surprenant qu'à sa mort en 1750 le Roi ait laissé le Tré-
sor vide, en dépit des grandes richesses en diamants et en pierres précieuses que le
Portugal recevait annuellement du Brésil.
Cependant Jean V, à un moment donné de son long règne de quarente quatre
années, avait commencé à se dégoûter des jésuites: ainsi en 1712, à la mort de son
confesseur Simon dos Santos, il prit des confesseurs appartenant à d'autres Ordres Re-
ligieux (ce que depuis Jean III les rois portugais n'avaitent jamais fait), dont deux étaient
de la Congrégation de l'Oratoire de St. Philippe de Néri à laquelle le Roi accorda plu-
sieurs privilèges dans l'enseignement, au détriment de ceux des jésuites'. A cause de la
question des annates Jean V eut un sérieux démêlé avec le Provincial et le Visitateur
des jésuites en Portugal, car ceux-ci exécutèrent des instructions du Gériéral de l'Ordre
que le monarque trouvait attentatoires de certains privilèges royaux, et en conséquence
furent chassés du Pays par le Roi. Comme le père jésuite Ribeiro avait pris la défense du
Privilège royal, le Général le renvoya de son Ordre, mais en compensation le Roi lui
accorda une place importante et avantageuse au Tribunal du la Conscience^.
Un autre motif de chagrin que les jésuites donnèrent à Jean V dans les derniè-
res années de son règne provenait de la forme intéressée et peu respecteuse des lois du
1 Idem, idem, p. iSb. — Colecçiîo PomhaHna, Lettres. — Nova Carta Coro(/râfi(;a de Portugal,
par le Général Avila e Bolauia, t. m, Lisbonne 1914, p. 246.
^ Un million 685 mille francs.
' Cinq cent mille francs. — Scliaefer, t. iv, p. 708.
' Deux millions vingt mille francs.
'•• Schacfer, t. iv, pp. 709 e 710.
« Idem, idrm, p. 710.
' Théophile Braga, Histoire de l'Université de Coîmbre, t. m, p. 281.
8 P. Franco, Synoptia, pp. 433, 439 et 440.
3Ô
Pays comme ils agissaient dans leurs Glissions du Brésil. Mais ce point-ci nous le trai-
terons au chapitre suivant, car il fut l'origine des mésintelligences qui se terminèrent
par leur bannissement du Portugal et des Colonies et précipitèrent leur extinction comme
Ordre Religieux.
CHAPITRE HUITIÈME
Règne de Joseph I (31 Juillet 1750 — 24 Février 1777)
Les jésaites bannis du Portogal
Ce fut le ]\Iarquis de Pombal, Sébastien Joseph de Car valho eMelo, qui, comme Mi-
nistre du roi Joseph, bannit les jésuites de Portugal et de ses domaines, en 1759. C'est lui
aussi qui, par soû exemple et son énergie contre l'opposition de Rome, contribua le
plus à leur bannissement d'autres pays et enfin à leur élimination, comme Ordre reli-
gieux, de l'église catholique.
11 convient cependant de connaître les antécédents qui ont porté Pombal à exécuter
cette entreprise difficile et lui ont permis de la faire sans opposition, plutôt avec l'appro-
bation ou l'indifférence de la nation.
Les antécédents du bannissement
I
Dans l'enseignement
Les jésuites depuis leur entrée en Portugal avaient dominé à la cour et par consé-
quent sur la politique du pays, comme nous l'avons vu jusqu'à présent. Mais leur puis-
sance avait été plus intense et plus profonde. Ils avaient accaparé l'enseignement pu-
blic, surtout celui que l'on appelait alors des Arts et Humanités, dont ils avaient le mo-
nopole absolu.
En 1542 Jean III leur avait accordé à Coimbre, alors seule Université portugaise,
l'emplacement pour fonder un collège, auquel ils donnèrent le nom de Jésus.
Mais le même roi croyant peu, paraît-il, à la science des membres de la Com-
pagnie de Jésus, qui venait d'être fondée, fit venir à Coïmbre, en 1547, des professeurs
remarquables, portugais et étrangers, du Collège de Guyenne de Bordeaux et de Sainte
Barbe de Paris, pour y fonder le C'oUlge Ruyul des Arts '. Ce collège prospéra rapide-
ment, il eut de la renommée et de nombreux élèves, tandis que celui des jésuites avait
une vie insignifiante et était peu considéré à l'Université. Les jésuites devaient donc se
défaire de leurs rivaux. Ils le firent et en peu de temps.
Les professeurs du Collège Royal des Arts avaient tous été élevés hors du Portu-
gal, dans des pays où l'esprit critique initié par Luther dans les questions théologiques
avait fait une large propagande. C'étaient des esprits déjà plus libres que ceux des
vieux sectaires de la cour portugaise.
Leurs leçons le montraient bien clairement. Il fut donc facile aux jésuites de faire
en sorte que ces professeurs fussent accusés d'hérésie. Envers ces professeurs élevés à
l'étranger, les jésuites agirent comme Simon Rodrigues l'avait fait contre Damien de
Goes, élevé aussi à l'étranger, ainsi que nous l'avons vu au chapiti-e V de cette his-
' Théophile Braga, Historié de l'Université de Co'imhre, t. i, cliap. vi, p. 488.
37
toire. Jean da Costa, Jacques île Teive et George Buchanan, professeurs du Collège des
Arts, furent arrêtés et envoyés à l'Inquisition de Lisbonne en 1550. Dans leurs procès,
aujourd'hui archivés à la Terre do Tombo, on voit le doigt jésuitique dans les accusa-
tions et on voit aussi que les accusés n'étaient pas des esprits fanatiques. Mais leur hé-
résie ne fut pas prouvée et on ne put les condamner.
Cependant les jésuites obtinrent ce qu'ils voulaient. Les professeurs appelés par
Jean III durent abandonner le Collège des Arts et celui-ci fut confié aux jésuites en
1555 •. Ceci fut un grand malheur pour le pays. L'enseignement portugais qui, avec ces
professeurs, allait entrer dans un esprit libre de critique, vers le milieu du XVI siècle,
resta confiné dans l'obéissance aveugle du jésuitisme où la philosophie doit être l'esclave
de la théologie. Le même fait se produisit à la cour par l'éloignement de Damien de
Goes. La cour qui avec lui aurait ouvert les yeux à la lumière venant du Nord,
avec Simon Rodrigues et ses successeurs entra dans une obscurité et une soumission,
intellectuelles, qui sont bien évidentes sous les règnes suivants de Sébastien et du
cardinal Henri.
Les jésuites, une fois maîtres de l'enseignement des Arts à Coïmbre, élargirent peu
à peu le cercle de leur puissance, dans l'enseignement, et obtinrent la fondation de col-
lèges dans beaucoup d'autres localités ; de manière qu'en 1726 ils avaient vingts collè-
ges et trois séminaires en Portugal et ses colonies, comme l'atteste leur historien le
Père Antoine Franco -.
Mais le nombre de ces collèges ne fut pas à lui seul la principale cause de leur
ascendant sur l'instruction du pays; ce fut surtout le monopole qu'ils obtinrent dans
l'enseignement, car au moyen de successifs décrets royaux ils acquirent des privilèges,
par lesquels personne ne pouvait se faire inscrire à l'Université sans passer un examen
devant les professeurs jésuites du Collège des Arts ^.
Le cardinal Henri leur accorda plus encore, étant archevêque d'Evora. Leur
ayant fondé dans cette ville, d'abord un collège en 1551, puis une Université en 1553,
il ordonna aussi que personne ne pût enseigner le latin dans cette ville, excepté les
Pères du collège. Cet enseignement fut même défendu à l'érudit et célèbre André
de Rezende, dont le nom était si illustre dans l'enseignement, que le Roi lui même était
allé entendre ses leçons, comme l'avoue l'historien jésuite P. Baltazar Tellez '*.
Les privilèges que leur donnait le monopole de l'enseignement furent renouvelés
en plusieurs époques et sous différents rois. Mais sous le règne de Jean V les cho-
ses, changèrent. Ce roi, quelques années après son avènement au trône, où il était
monté, très jeune, à 17 ans, voulut régner par lui-même et s'aff'ranchir de ses anciens
maîtres spirituels, les Pères de la Compagnie de Jésus.
Il cessa donc d'avoir pour confesseurs des jésuites, les prenant dans d'autres ordres
religieux.
Il punissait même les supérieurs portugais de la Compagnie quand ils se permettaient
de ne pas respecter ses ordres, obéissant de préférence à ceux de leur général de Rome ^.
Dans les questions d'instruction, quoiqu'il eût beaucoup d'estime pour le jésuite
italien Carboni, qu'il avait fait venir de Naples, et pour lequel il avait beaucoup
d'égards, sa préférence pour la Congrégation des Oratoriens devint évidente. 11 choisit
' Théophile Braga, Histoire de l'Univerêité d^^Hoïmbre, t. ii, p. 293.
' Franco. Synnptis, Préface. Voir Majipa de Porturjal, par J. Baptiste de Castro, tom. ii p. 132.
' Antoine Joseph Teixeira, Documents pour l'histoire des Jésuites, pp. 399 et 404.
' Baltazar Teliez, Chronique de la Compagnie de Jésus, 2" partie, p. 320.
= Franco, Synopsis, p. 433.
38
plusieurs d'entre eux comme membres de l'Académie Royale d'Histoire qu'il avait fondée
en 1720 et il leur confia plusieurs occupations littéraires, comme à l'oratorien Père
Antoine dos Reîs, qu'il chargea de la publication des poètes portugais '. En 1745 il fit
plus encore en faveur de cette Congrégation, car il lui accorda un privilège par lequel
les examens de ses Collèges de Saint Esprit et Necessidades étaient valables pour l'ins-
cription de l'Université de Coïmbre, sans qu'ils fussent obligés, comme on l'avait été
jusque là, de passer un examen devant les jésuites du Collège de Coïmbre -.
Ce fut le premier coup terrible porté à l'ascendant de l'enseignement des jésuites.
Un autre le suivit de près et celui-là, encore plus terrible, puisqu'il détruisit tout le
système pédagogique, jusqu'alors suivi par eux en Portugal. Cet événement fut produit
par la publication des fameuses lettres contre l'enseignement des jésuites, lettres écrites
par un Capucin, comme il y était dit, lequel Capucin n'était autre que l'arcbidiacre
d'Evora, vivant alors à Rome, auprès de l'Ambassade Portugaise dans cette Cour, Louis
Antoine Verney. Ces lettres firent beaucoup de bruit à cette époque, donnèrent lieu à
des répliques et contre-répliques et les jésuites sortirent de cette lutte assez maltraités.
Ces lettres furent publiées en 1746, en deux volumes, sous le titre de Verdadeiro Mé-
thodo de Estudar ("Vraie Méthode pour Étudier). Cet ouvrage est une critique profonde
des méthodes suivies par les jésuites en Portugal, prouvant qu'elles étaient très arrié-
rées et les comparant à celles qui dominaient dans les écoles étrangères.
Cette critique fut si bien reçue par les intellectuels portugais que le célèbre saty-
rique Denis da Cruz e Silva, dans son poème héroï-comique, 0 Hyssope (Le Goupillon),
appelle l'enseignement latin des jésuites :
«La longue syntaxe jésuitique».
(Chant vu)
et au sujet de leur philosophie il dit:
«La vaine philosophie scolastique
Qui inonda les cloîtres et qu'embrassèrent
Jusqu'à la mort les perfides solipsos» ^
(Chant i)
Ce fut aussi en se basant sur cette critique, que plus tard le Marquis de Pombal
bannit des écoles portugaises les livres d'enseignement composés par les jésuites portu-
gais, en les faisant remplacer par d'autres, écrits par les oratoriens * qui, plus modernes
que les jésuites, expliquaient déjà dans leurs écoles les idées de Descartes et de Bacon.
Les jésuites, pendant les 200 ans de leur influence sur l'enseignement portugais, empê-
chèrent l'entrée du protestantisme dans les esprits, mais d'un autre côté ils soumirent
ces esprits à la plus grande bassesse et la plus grande décadance intellectuelles.
Il
Dans les Missions
Jean III avait appelé les jésuites en Portugal pour les envoyer prêcher l'Evan-
gile dans les pays que les portugais avaient découverts et conquis. Mais plus tard le
' Caetano de Sousa, Histària Geneaîojica, t. vin, pp. 214 à 246.
~ Ferreira Brandào, RecapHulaçâo histârico-liioi/râfica do Padre Bartolomeu do Qtiental, pp. 73-75,
Lisbonne, 1807.
3 On appelait alors les jésuites solipsos pour ridiculiser leur orfrueil et leur an-ogance :• du
latÏD soli ipsi, leur seuls.
* Pinheiro Chagas, Histoire de Portugal, vol. G, p. 563, Lisbonne, cilition do l!i02.
39
même Roi décida que seulement quelques-uns d'entre eux iraient et que les autres reste-
raient dans le royaume pour y créer de nouveaux adeptes.
En effet un grand nombre de jésuites alla sur les vaisseaux portugais, vers l'Inde,.
l'Afrique et le Brésil. Il y avait parmi eux des hommes remplis d'abnégation, de sacri-
fice et de détachement du monde; d'autres, doués d'un esprit audacieux et aventureux,
se mirent à parcourir des régions jusqu'alors inconnues aux européens, affrontant hardi-
ment toutes les difficultés et tous les dangers. D'autres encore étaient des hommes très
instruits pour leur époque, habiles mathématiciens et connaissant l'astronomie, la météo-
rologie et d'autres sciences. On ne peut pas nier qu'entre cette quantité inuombrale de
portugais et d'étrangers que les vaisseaux, sortis de Lisbonne, allèrent débarquer dans
les ports de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique, se trouvaient beaucoup d'hommes
qui méritèrent l'admiration de l'Europe, par leurs vertus, leurs audacieuses explorations
dans des régions inhospitalières, ou par la renommée de leur savoir qui éblouit les
païens. François Xavier, Gonsalve da Silveira, Emmanuel da Nôbrega, Joseph de An-
chieta, Robert de Nobili e Mathieu Ricci, entre autres, sont des noms restés célèbres.
Mais les Missions des Jésuites vues dans leur ensemble et examinées à la lumière d'une
critique impartiale, mais sérieuse et élevée, eurent des défauts qui leur enlevèrent une
grande partie de la valeur qu'elles auraient pu avoir pour la civilisation des pays qu'ils
traversèrent.
L'erreur commença par François Xavier. Cet apôtre en dix années de l'Inde,
(1542—1552) au lieu de se consacrer à un territoire borné, où son activité d'évangelisa-
teur pût produire des effets solides, parcourut l'Asie jusqu'au Japon et alla mourir en
vue de la Chine, après avoir fait des conversions et des baptêmes en masse, de beau-
coup de centaines de personnes. De fait ce n'étaient ni des conversions ni des christia-
nisations.
Les successeiM-â suivirent son exemple. En sorte que, sous l'apparence de chrétiens,
les nouveaux baptisés continuèrent à être païens comme avant, ayant des mœurs et des
superstitions parfaitement idolâtres*. Dans ce genre Nobili et Ricci se tirent remarquer:
ils s'habillèrent richement, à la manière des mandarius et des brahmanes, adoptant leurs
mœurs, ne daignant pas regarder les pauvres ni leur parler et feignant même de ne
pas connaître les autres religieux du même Ordre qui portaient l'humble costume
•de cette classe. Cela donna lieu à la fameuse question des Rites Malabares et Chinois
qui fut tellement discutée entre les théologiens du XVIP et du XVIII'^ siècles qvie les
systèmes jésuitiques de ces Rites furent enfin condamnés par Benoît XIV, le 11 juil-
let 17422.
Ceci en ce qui regarde l'Asie et l'Afrique.
Au Brésil l'œuvre des jésuites fut plus intense, mais elle eut d'autres défauts et
beaucoup plus graves. Les jésuites portugais suivirent au nord du Brésil le système des
Réductions qui fut aussi suivi par les jésuites espagnols dans l'Amérique du sud. Les
Réductions ou aldeamentos étaient des locaux où les jésuites parvenaient à conduire
(réduire) et aldear (former village), les indigènes païens ; et une fois là, ils les faisaient
vivre dans une sorte de commune, le territoire environnant étant considéré Propriété
de Dieu. Ils travaillaient tous où et comme les jésuites l'ordonnaient, prenaient leur
repas en commun, mais n'avaient rien en propre. C'étaient comme des mineurs en
tutelle, constamment sous la domination spirituelle et temporelle des jésuites. Il n'était
pas permis aux colonisateurs ni aux prêtres des autres religions d'y entrer. En sorte
' H. Boehmer, Les Jésuites, chap. iv, p. 152.
■' H. Boehmer, Les Jésuites, introduction par Gabriel Monod, p. xi.iii.
40
que ces indigènes devinrent des êtres en enfance perpétuelle («perpétua fanciuUezza»
comme le dit Bice Romano) sans liberté et sans initiative '.
Ajoutons à cela que les indigènes des Réductions travaillaient pour les jésuites, qui
les empêchaient de travailler pour les colons séculiers. En sorte qu'ils pouvaient ainsi
présenter sur le marché des articles en plus grande abondance, meilleurs, et à un prix
plus réduit que les autres négociants ; de là un avantage commercial important pour les
jésuites et une infériorité manifeste dans les gains des colons portugais, ce qui évidem-
ment discréditait l'œuvre spirituelle des missionnaires. Aujourd'hui même les jésuites ne
peuvent s'affranchir de cette mauvaise réputation, car la critique historique, sereine et
froide, est allée chercher les documents les plus cachés pour élucider cette question
d'iine manière irréfutable. Ce sont les Généraux mêmes de l'Ordre qui, dans bien
des lettres déjà publiées, ont blâmé sévèrement la manière scandaleuse dont se condui-
saient leurs sujets envers les indigènes des Réductions, pour leur commerce illicite,
en face des lois de l'Eglise.
«Nous vous avons déjà écrit souvent au sujet du grand scandale que les nôtres
causent devant les étrangers en transportant au Collège du Para de grandes quantités
de cacao et de girofle, et pourtant jusqu'à présent nous n'avons pas vu que l'on cher-
chât à se corriger» ^.
Ainsi écrivait le Général Tamburini au P. Ignace Ferreira, supérieur du Maragnon,
le 22 octobre 1712.
Les scandales de ce genre chez les jésuites du Brésil étaient tellement grands qu'ils
parvinrent non seulement à la connaissance des Généraux de l'Ordre, mais aussi à celle
du Roi et du Pape. Jean V qui était déjà mal disposé envers les jésuites, se servit
du Pape pour mettre un terme aux dérèglements de ces religieux et Benoît XIV, en
vertu des plaintes réitérées, publia la Bulle du 25 février 1741, Immmsa Pastorum,
contre les prêtres négociants et le Bref du 20 décembre de la même année, qui visait
la Compagnie de Jésus ^. Mais la Bulle ne produisit pas les effets désirés; les jésuites
n'en firent aucun cas, ils disaient que sa doctrine était illégitime et il y eut même des
supérieurs jésuites au Brésil qui refusèrent de la faire connaître ^. Mais l'opposition des
jésuites de l'Amérique du sud devint plus évidente envers les gouvernements de la métro-
pole, lorsque vers la fin du règne de Jean V on célébra un traité entre le Portugal
et l'Espagne, le 13 janvier 1750, par lequel sept Réductions du Paraguay devaient passer
sous la domination portugaise, en compensation de la colonie du Sacramento qui passait
aux espagnols.
Les jésuites s'opposèrent avec ténacité, faisant en sorte que les indigènes y rési-
dant, leurs sujets spirituels et gouvernés par eux comme des enfants, prissent les armes
et reçussent les gouverneurs des deux nations en pied de guerre. Celle-ci fut la pre-
mière difficulté que le Marquis de Pombal trouva devant lui, lorsque, peu de mois après,
mort Jean V, son fils Joseph monta sur le trône et choisit Pombal pour son ministre.
1 Bice Romano, L'expulsione dei Gesuiti dal Porloi/allo con documenti dalU Arcldvio Valicano,
Cittâ Ai Castello, 1914, p. 19. — H. Boehmer, Les Jésuites, p. 197, — Schaefer, Mi.stâria de Portugal, t.
V, p. 28.
- J. Lûcio de Azevedo, On J&8wi(a« «o Grrào-Pa?â, Lisboa 1901, p. 207: «Saepius sciipsimus
de gravi scamlalo, quod, nostri dant externis in conduoenda ad Collegium, praesertlm paraense, raa-
xima quantitate cacai et gariophylli maragnoiiensis; et tameii nondum visa est emondatioo. De la p.
326 à 335 on trouve dans cet ouvrage difïrreutes lettres des Généraux, Visconti, Tamburini et Iletz, sur
le scandale du commerce jésuitique au Brésil,
3 J. Lûcio de Azevedo, ouv. cit., p, 212,
♦ Bice Romano, pp, 24 e 29,— Schaefer, t, v, p, 29,
41
Causes prochaines du bannisseuirnt
A la mort de Jean V, le 31 août 1750, son tils Joseph monta sur le trône et aussi-
tôt, le 2 août suivant, il nomma pour la place alors vacante de ministre des affaires étran-
gères et de la guerre, Sébastien Joseph de Carvalho e Melo, qui avait déjà 51 ans. Ij
avait été d,ésigné pour occuper cette place par Marianne d'Autriche, mère de Joseph^
Cette princess3 était l'amie intime d'Eléonore Daun, dame de la noblesse autrichienne,
que Carvalho avait épousée lorsqu'il était ambassadeur à Vienne d'Autriche *.
Sébastien de Carvalho vit aussitôt que les affaires qui lui étaient confiées se trou-
vaient en grand desordre et très arriérées. Il s'en occupa avec l'activité et l'énergie que
tout le monde lui reconnaissait, et mit en pratique les connaissances commerciales et
politiques qu'il avait acquises dans les cours de Londres et de Vienne, où il avait été
ministre de Portugal. A Londres il avait vu le profit que les anglais savaient tirer de leurs
Compagnies de Navigation et autres. A Vienne il avait compris comme il fallait lutter
avec Rome pour que le pouvoir spirituel ne dominât pas le pouvoir civil. En Portu-
gal il voyait combien était grande la puissance des jésuites à la Cour, puisqu'ils étaient
les confesseurs de toute la famille royale et d'une grande partie de la noblesse.
Une des premières questions diplomatiques qu'il eut à résoudre fut l'exécution du
traité de frontières du 3 janvier 1750, dont nous avous parlé plus haut, se rapportant à
la colonie du Sacramento et aux Réductions du Paraguay.
En 1751 on envoya d'Europe aux Gouverneurs des deux pays, dans les dites colo-
nies de l'Amérique du Sud, les instructions nécesaires pour que les changements prove-
nant du traité eussent lieu immédiatement. Mais ces gouverneurs ne purent pas les exé-
cuter, parce qu'ils trouvèrent une grande résistance chez les peuples dirigés par les
jésuites et ils accusaient ceux-ci de cette résistance -. Quoique les gouverneurs espagnol
et portugais fissent plusieurs tentatives, avec des gens armés, ils n'obtinrent aucun succès
jusqu'en 1754; et ce n'est qu'en 1756 que le gouverneur Andrade put faire exécuter le
traité qui avait jusqu'alors coûté au Portugal trois millions de libres sterling ^.
Le 11 août 1753 Carvalho fonda la Compagnie de Maragnon et Para: pensant aux
Compagnies Anglaises et Hollandaises du même genre, riches et productives, il trouva
que celle-là pourrait agrandir le commerce colonial portugais '. Les jésuites qui voyaient
dans cette Compagnie un obstacle à la manière irrégulière et scandaleuse dont ils faisaient
leur commerce au Brésil, s'y opposèrent de toutes leurs forces et se servirent même de la
chaire et du confessionnal pour l'attaquer. Le jésuite Ballester alla même jusqu'à dire
dans un sermon que «ceux qui auraient des rapports avec une pareille Compagnie, ne
pourraient pas faire partie de la Compagnie de Notre Seigneur Jésus Christ» ^.
Le 1"' novembre 1755 Lisbonne souffrit le grand tremblement de terre, si connu
dans le monde entier par les malheurs qu'il causa.
Lisbonne fut presque détruite, non seulement par le tremblement de terre, mais
aussi par les eaux du Tage qui inondèrent la partie basse de la ville et par les
incendies qui eurent lieu dans plusieurs maisons. Tous les esprits succombèrent, Carva-
lho, seul, se présenta alors avec une fermeté hautaine et une activité énergique qui firent
l'étonnement de tout le monde. Et lorsque Joseph atterré lui demanda: «Que faire pour
échapper à ce châtiment de la Justice Divine?» Carvalho, droit et fort au milieu du
' Pinheiro Chagaa, Historia Port-, t. vi, p. 460. — Schaefer, t. v, p. 21.
2 Bice Romano, 21. — Schaefer, t. v, p. 29.
' Schaefer, t. v, p. 30,
♦ Pinheiro Chagaa, t. vi, p. 468.
* Schaefer, t. r, p. 32.
découragement gûncral, répondit aussitôt: oSire, enterrer les morts et s'occuper des vi-
vants» '.
Alors le Roi étonné de la grandeur d'âme et du courage de son ministre, lui donna
plein pouvoir pour faire ce qu'il jugerait nécessaire. Carvalho fit des prodig^es d'adminis-
tration pour maintenir l'ordre, assurer la propriété lorsque toutes les prisons s'étaient
ouvertes, nourrir le peuple et rendre à la ville la tranquillité perdue. Pendant des jour-
nées entières il parcourut la ville en voiture. On le voyait partout donnant des ordres et
écrivant des décrets sur son genou. Il fit venir des troupes et des aliments du dehors et
chercha partout à relever le courage abattu du peuple, en faisant voir qtte le désastre
n'avait été que le résultat des forces de la nature et que de pareils malheurs s'étaient
produits dans d'autres régions, pour les mêmes causes.
Il est certain, ainsi que l'ont avoué les ministres étrangers demeurant à I^is-
bonne, que Carvalho réussit à ramener la paix et la tranquillité au peuple de Lis-
bonne '^.
Mais au milieu de son travail herculéen pour relever l'esprit public, en lui faisant voir
que les tremblements de terre n'étaient que des phénomènes naturels, provenant des for-
ces mêmes de la nature, il trouva devant lui quelques jésuites, qui s'opposaient à ces
idées. Ceux ci après le tremblement de terre vinrent dans la rue prêcher au peuple que
ces calamités n'étaient qu'un châtiment divin pour les péchés du peuple et pour les
fautes du Roi et de ses ministres ^.
Aujourd'hui on ne peut plus nier ce fait, puisque nous avons devant nos yeux des
documents irréfutables. Le jésuite Malagrida, très chéri à la Court et qui fut un de ceux
qui parcouraient les rues en prêchant, écrivit un opuscule où on lit des choses très stupi-
des, mais aussi d'une inconvenance insensée dans des circonstances comme celle-là. Voici
quelques passages de cet opuscule, reimprimé par Camille Castelo Branco, dans son pro-
logue de la vie du P. Malagrida: oSache, donc, Lisbonne que les seuls destructeurs
de tant de maisons et de tant de palais. . . ne sont pas les contingences ou les causes
naturelles, mais seulement nos intolérables péchés» '\ «Que ceux qui affirment politique-
ment que ces malheurs proviennent de causes naturelles, ne disent pas que cet orateur
sacré embrasé du zèle de l'amour divin ne fait qu'une invective contre le péché, comme
source de toutes les calamités dont souffrent les hommes. . . car il est certain, — si on
ne me blâmait pas de dire ce que je pense de ces politiciens — que ce sont des athées ^».
En suivant le système, déjà très connu, des jésuites, d'inventer des prophéties pour
tout ce qui leur convient, il déclare qu'il savait déjà que Dieu voulait punir Lisbonne
de ses péchés: «Dieu a révélé qu'il était très irrité des péchés de tout le Royaume et
beaucoup plus de Lisbonne et conséquemment un grand châtiment devait la foudroyer.
Ce coup ne pouvait donc être attribué à des causes naturelles ; mais uniquement à l'indi-
gnation de Dieu pour l'excès de vos fautes. Longtemps avant ce tremblement de terre
j'ai eu entre les mains le manuscrit (de cette prophétie) que j'ai trouvé par hasard dans
une des maisons principales de Lisbonne et ce que j'y ai lu avait tant de poids et de
substance que je dis à son propriétaire que je ne le lui rendrait plus ''».
Voici le seul moyen que Malagrida trouvait pour porter remède aux tristes résul-
tats de cette calamité: «que tous fissent à Dieu le sacrifice de se retirer pendant, au
' Scbaefer, t. v, p. 21.
2 Schaefer, t. v, pp. 21 à 26.
' Sehaefer, t. v, p. 2.S.
■1 Camille Castelo Branco, Hielôria de Gabriel Malaijrida da Companhia de Jésus, p. i.\.
5 Camille, ouv. cit., p. xi.
•> Camille, ouv. cit., p. xv.
43
moins, six jours dans la maison des exercices, pour y reflécliir avec plus de tranquillité
et de lumière sur les misères infinies que peut attirer sur nous un péché mortel contre
un si grand îlaître» *.
Tels étaient les jésuites qui infestaient Lisbonne, à l'époque terrible du tremble-
ment de terre, devant l'esprit avancé et progressif du Marquis de Pombal.
Le 10 septembre 1756 Carvalho publia un décret par lequel il établissait la Corn-
2)agnie des Vins du Haut Duuro (qui dure encore aujourd'hui et est très riche). Le 23
Janvier de l'année suivante (1757) un mouvement populaire éclata à Porto contre ce dé-
cret, provoqué paraît-il par quelques cabaretiers, parce que ce décret nuisait à leurs
affaires illicites. Il paraît aussi, d'après ce que disait le Marquis lui-même, que les jésui-
tes ne furent pas étrangers à ce soulèvement du peuple que le Marquis punit avec sa
sévérité habituelle -.
Mais les jésuites continuaient avec une ardeur indomptable leur lutte contre les or-
dres de Carvalho, à Maragnon et Gran Para, où ils avaient établi leurs Réductions et oii
ils ne voulaient pas admettre l'existence de la Compagnie du Maragnon, créée par Pom-
bal, qui contrariait leur commerce illicite, et où ils ne consentaient pas la lecture des
placards publiés par le ministre pour faire exécuter la Bulle de Benoît XIV, de 1741 ^.
Quoique Carvalho eût envoyé en 1754 son frère François Xavier de Mendonça comme
gouverneur du Para, celui-ci ne se sentit pas capable de dominer le pouvoir des jésui-
tes au Brésil, à cause de la force qu'ils avaient à la cour, où ils étaient confesseurs de
la famille royale, comme tout le monde le savait au Brésil. Il écrivit donc à son frère:
«Le premier pas doit être fait en Europe. Il faut détruire la confiance que le Roi a
accordée aux jésuites, pour établir ensuite celle que les sauvages doivent avoir en
nous ^ï.
Le ministre trouva le conseil de son frère très avisé et, combinant avec le Roi qui
avait déjà compris la résistance scandaleuse que les jésuites opposaient aux ordres en-
voyés au Brésil, ordonna que pendant la nuit du 19 septembre 1757 un Huissier de la
Maison Royale se présentât, à, l'improviste, à la porte des appartements occupés au Pa-
lais Royal par les Pères Joseph Moreira, confesseur du Roi, Thimothée de Oliveira, con-
fesseur de l'Infant Pierre, son frère, et Jacinthe Costa, confesseur de la Princesse du
Brésil et des trois Infantes, ses soeurs. Par ordre du Roi ils durent se retirer immé-
diatement pour se rendre à la maison professe, avec la sommation de ne pas revenir
sans être appelés.
A la porte du Palais se trouvaient des voitures de la cour pour transporter, vers
minuit, ces Pères chez les jésuites. Le lendemain les Pères Emmanuel de Campos et Joseph
de Aranjués, confesseurs des infants Antoine et Emmanuel, oncles du Roi, rece-
vaient également l'ordre de ne pas revenir au Palais ^. Le Roi nomma ensuite pour son
confesseur le Provincial des franciscains et pour confesseurs des autres personnes de la
famille Royale les Provinciaux d'autres Ordres religieux ^. Le Nonce ayant su qu'un
vaisseau avait transporté à Lisbonne quelques jésuites, comme prisonniers, et que le Gou-
verneur Mendonça les envoyait du Brésil en les accusant de rébellion envers le Gouver-
' Camille, ouv. cit., p. xxi.
2 Pinheiro Chagas, t. vi, pp. 508-517.
' Bice Roraano, p. 24. «Ma i Gesuiti si opposero alla publicaziono anche con la forza ed il Padre
superiore ebbe l'ardire di ricevere fra due caimoni un officialc eraduato ehe gli portava tutte carte
relative ai nuovi ordini dol re».
• Pinbeiro Chagas, t. vi, p. ."iSS.
•' Bice-Roraano, p. 2ï). — Schaefer, t. v, p, 31. — Crètineau Joly, t. v, p. 125.
« Bice, pp. 28-29. — Schaefer, t. v, p. 31.
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nemejit, il alla trouver le ministre pour lui rappeler le respect que, d'après les lois de
l'église, on devait avoir pour les personnes qui se consacrent au service divin. Celui-ci
lui déclara que le Roi respectait les lois ecclésiastiques, mais qu'il ne voulait plus de
jésuites au Brésil, et qu'il y enverrait à leur place des religieux d'autres Ordres qui tra-
vailleraient mieux et auxquels lés jésuites s'étaient opposés jusque là '. Carvalho voulut
que le Pape Benoît XIV fût bien reuseigné sur ce que les jésuites faisaient au Brésil
et à cet efFet il fit venir le gouverneur Mendonça et l'envoya à Rome pour renseigner
le Pontife avec pièces à l'appui. Le Pape convaincu par ce récit qui confirmait les plain-
tes qui, plus d'une fois, lui avaient été présentées, nomma, par un Bref du V Avril
1708, le Cardinal Saldanha, pour visiter, faire une enquête et reformer les jésuites
du Portugal -. Le Cardinal Saldanha était très instruit et avait un caractère plein
de droiture et de probité, à tel point qu'ayant été nommé, quelques mois après. Pa-
triarche de Lisbonne, le Nonce disait qu'il ne connaissait pas de prêtre dans ce royau-
me, oui fût plus digne de cette honneur^. 'Le Cardinal inspecteur déclarait le 15 mai sui-
vant que les jésuites exerçaient un commerce illicite et très scandaleux et il leur défendit
de continuer à le faire. A cet effet il fît confisquer les livres de comptes de ce commerce
et les articles de celui ci emmagasinés dans plusieurs maisons des jésuites ^. Le 7 Juin
le Patriarche de Lisbonne fit défendre aux Jésuites de son diocèse la prédication et la
confession, afin qu'ils ne pussent se servir de la chaire et du confessionnal, comme ils
le faisaient habituellement, pour s'opposer aux ordres qui ne leur plaisaient pas. Le 14
Juillet on fit sortir de Lisbonne le Provincial Torres et on l'envoya au Collège de Bra-
gance, à l'extrémité Nord du Royaume, parce que, confesseur du Nonce, il était l'âme
des jésuites du Paraguay et de leurs machinations politiques ".
Sur ces entrefaites le Pape Benoît XIV mourait le 2 Mai 1758 et en Juillet le car-
dinal Razzonico, qui prit le nom de Clément XIII, monta sur le trône pontifical. Celui-ci
aimait beaucoup les jésuites et ne le cachait à personne. Il prit pour secrétaire le Car-
dinal Torrigiani, qui dominait le Pontife, mais était dominé par Laurent Ricci, Géné-
ral des Jésuites, dont il était l'intime ami et le confident. C'est pourquoi celui-ci le 31
Juillet alla déposer entre les mains du Pape un mémorial où il lui demandait de faire
cesser la visite d'enquête et de réforme aux jésuites portugais, que le Pape antérieur
avait confié au Cardinal Saldanha, alléguant plusieurs raisons, entre autres que cette
visite et cette réforme, au lieu d'être utiles ne pourraient que causer des troubles ''.
Ce mémoire de Ricci, qui, d'après son désir, devait rester caché entre les murs du
Vatican, fut bientôt connu à la Cour Portugaise, où il produisit une très mauvaise im-
pression.
Pendant la nuit du .") au 4 Septembre 1758 eut lieu un attentat contre la vie du Roi
Joseph qui, sortant en voiture, fut attaqué par trois hommes déguisés qui tirèrent sur
lui et le blessèrent grièvement à l'épaule '^. Carvalho renseigné immédiatement ordonna
le plus grand secret sur la blessure du Roi et que l'on répandît le bruit qu'elle avait
été causée par une cliute que le Roi avait faite, par suite d'une syncope. Il ordonna
aussi que le Roi ne reçût, dans les appartements où il avait été transporté, que les per-
i liice, 1). 28.
2 Bice, pp, 31 et 32.
' Bice, p. -36 «per veritA non conosco in questo règne ecclesiastico più adatto a questa dignitâ».
■• Bice, p. 35. — Pinheiro Cliagas, t. vi, p. 568.
'■• Bice, p. 38,
' Bice, pp. 39 et 40. — Oétiiicau-Joly, t. v, p. li'J. «De plus, un craint fort que cette visite et ré-
forme, au liou d'être profitables, n'occasionnent _de8 troubles sans aucune utilité».
^ Bice Bomaao, p. 50.
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sonues strictemeut nécessaires pour le soigner. Le secret fut gardé à tel point que le
Nonce lui-même fit dire à Rome que le Roi était blessé par suite d'une chute, causée
par une syncope '.
Cependant le Ministre cherchait à découvrir les chefs et les complices de l'attentat
et il le faisait si secrètement que les coupables se croyaient à couvert de tout soupçon.
Mais subitement sans que personne ne s'y attendît, pendant la nuit du 13 décembre
on arrêta le Duc d'Aveiro, le Marquis de Tâvora (père) et le Comte d'Atouguia, son
gendre. Ce jour même on fit garder par des troupes les maisons des jésuites, leur dé-
fendant d'en sortir "-. Ce n'est que le lendemain que la cause de la maladie du Roi fut
rendue publique, au moyen de placards, en déclarant que l'on allait intenter un procès
contre ceux qui étaient accusés de l'attentat et on demandait la dénonciation des com-
plices. Après cela le Roi put recevoir du monde, en commençant par le corps diploma-
tique. Le Nonce du Pape fut reçu le 15 décembre et il écrivit à Rome qu'il avait trouvé
le Roi très maigre et pâle et portant le bras en éeharpe, sans mouvement ^. Les jours
suivants on arrêta encore plusieurs personnes de la noblesse, entre autres la Marquise
de Tâvora, dénoncées comme complices ou connlventes dans l'attentat, ou l'ayant con-
seillé. Par les déclarations des prisonniers on vit que le Marquis de Pombal aurait aussi
été assassiné, s'il n'avait pas changé de voiture *. Certains jésuites furent indiqués par
quelques uns des prisonniers comme ayant coopéré à la conspiration, après l'avoir con-
seillée ■*. Un moia après, le 11 Janvier 1.759, on publia la sentence contre les coupables
de l'attentat, laquelle fut exécutée de la manière barbare et terrible en usage k cette
époque et qui encore aujourd'hui nous remplit d'horreur ". '
Pendant la même nuit du 11 au 12 Janvier on arrêta dix jésuites, dénoncés com-
me conseilleurs et coopérateurs de l'attentat, dont les principaux étaient Malagrida, ita-
lien, Jean Alexandre, irlandais, et Jean de ilatos, portugais '. Il est certain que les
accusés qui ont dénoncé les jésuites comme conseilleurs et coopérateurs dans la conspi-
ration, l'ont fait au milieu des tourments, tn usage à cette époque pendant les interro-
gatoires des prisonniers, comme le fit le Tribunal de l'Inquisition dune manière bien
barbare pendant des siècles. Cependant cet usage des tourments a servi aux défenseurs
des Jésuites pour Gter toute valeur à ces dépositions. Mais si cela est un fait, il est cer-
tain aussi que les jésuites arrêtés étaient confesseurs et conseilleurs des principaux cou-
pables de l'attentat, et que Malagrida, adoré de la noblesse, donnait les exercices spiri-
tuels à la Marquise de Tâvora ^, et que selon son habitude de se servir de prophéties,
il avait écrit à une dame de la Cour, la prévenant de ce qu'un grand malheur menaçait
le Roi ^. Il est certain aussi que les paroles à peine murmurées dans les confessionnaux,
laissent difficilement des vestiges, quoiqu'elles aient une très grande force, et que le
confesseur représente, pour celui qui se confesse. Dieu lui-même, qui absout ou qui con-
damne.
Voyons maintenant les résultats de l'opposition et de la guerre que les jésuites fai-
saient au gouvernement de Joseph I, depuis que Pombal était monté au pouvoir.
Le 19 Janvier 1759 Pombal ordonnait par un Édit du Roi la confiscation de tous les
' Bico, pp. 51 et 59. — Schaefer, t. v, pp. 36 et 36.
« Bice, p. 62.— Schaefer, t. v, p. 38.
3 Bice, p. 60.
* Bice, p. 71.
' Schael'ir, t. v, p. 5().
« Schaet'ur, t. v, pp. 40 à 50.
, ' Bice, p. 82.
• Crétineau Joly, t. v, p. 155.
» Schaefer, t. v, p. 51.
46
biens des jésuites, qui vivaient dans le Royaume, faisait saisir tous leurs papiers et
défendait à ces religieux de sortir de leurs maisons et d'entretenir des relations avec
les personnes séculières '.
Il prit enfin la résolution de bannir les jésuites du Portugal et de ses colonies, mais
. il voulait le faire avec le consentement du Souverain Pontife en mettant entre ses mains
les biens confisqués aux jésuites, afin qu'il en disposât comme il le jugerait pour le bien
de l'Eglise. Le 20 avril 1759 il écrivit donc à Clément XIII un long manifeste où il
exposait tout cela et oi'i il faisait un récit détaillé de l'œuvre politique et commerciale
des jésuites au Brésil, en opposition avec les ordres de la Métropole et il demandait son
autorisation pour punir les jésuites accusés de l'attentat contre le Roi -.
Le 2 août le Pape adressa au Roi une note donnant les pouvoirs pour instaurer ce
procès, disant cependant qu'il ne convenait pas de verser le sang de ceux qui avaient
été consacrés au service de Dieu; mais quant au bannissement, le Pape trouvait qu'il
ne devait pas avoir lieu et qu'il suffisait de punir les coupables ^.
Là dessus beaucoup de jésuites qui n'avaient que les vœux simples abandonnaient
l'Ordre, vu que le Cardinal Saldanha, en sa qualité d'inspecteur et de réformateur, dis-
pensait de ces vœux ceux qui le lui demandaient ''.
Enfin le 3 Septembre 1759 on signa le décret qui bannissait les jésuites du Portu-
gal et de ses domaines, et permettait le séjour aux i^articuUers^ c'est-à-dire à ceux qui
n'avaient que les vœux simples et qui pouvaient en être déliés par le Cardinal ■'.
Le décret fut publié plus tard, lorsque le Marquis eut tout préparé pour que pen-
dant une seule nuit et inopinément on fît sortir tous les jésuites de leurs maisons et les
transporter à bord des bateaux, se trouvant dans le port, qui devaient les emmener à
Cività-Vecchia ; mais les jésuites qui étaient en prison y restèrent''.
Le Pape n'accepta pas de bon gré ce bannissemet et le transport des bannis dans
ses Etats. Il le fit savoir à la Cour portugaise insistant sur la réadmission des bannis et
n'acceptant pas la concession qui lui était faite de disposer des biens des jésuites au
profit de l'Église. Il était impossible d'accéder aux désirs du Pape. Les deux cours, la
pontificale et la portugaise, se brouillèrent. Le Nonce Acciajuoli, n'ayant pas illuminé
son palais le 6 Juillet 1760, jour du mariage de la princesse Marie, fille du Roi,
avec Pierre, frère de celui-ci, tandis que. tous les autres ambassadeurs demeurant à
Lisbonne avaient illuminé, ainsi que le peuple de la capitale, le Nonce reçut, le 17 du
même mois, l'ordre de sortir du Portugal, dans le délai de quatre jours. Le 2 Juillet
suivant, le Pape ordonnait que tous les portugais sortissent de ses Etats. Ainsi eut lieu
la rupture diplomatique et complète entre le Portugal et le Saint-Siège. Le 25 février
1761 le Roi décréta que les biens confisqués aux jésuites, et que le Pape n'avait pas
voulu accepter, retourneraient à la Couronne ^.
Cependant les jésuites à Rome, en Espagne, et dans d'autres pays, chercbaient à
discréditer le Roi de Portugal et son Ministre de la manière la plus exagérée et la plus
calomniatrice ^.
En Portugal les amis de jésuites agissaient de même. On créa la secte des Jaco-
1 Bice, p. 98-— Schaefer, t. v, p. 55.
^ Schai'fVr, t. v, p. 56.
3 Bice, pp. 95 et 103.— Schaefer, t. v, p. 58.
« Bice, p. 106.
* Schaefer, t. v, pp. 58 à 06.
6 Bice, pp. 110 a 117.
' Sch.icfer, t. v, p. 74.
8 Schaefer, t. v, pp. 73, 77 et 97.
47
heos Reformados (Jacobites Réformés), dent le chef, l'Évêque de Coimbre, Michel de
l'Annonciation, disait que Pombal était anglais, non seulemente en politique, mais aussi
en religion, et que son âme avait été attaquée d'hérésie *.
L'Évêque fut déposé et arrêté ^. Pour empêcher la propagande constante que les
jésuites et leurs partisans faisaient en se servant de publications pour disposer l'opinion
publique en leur faveur et contre le Portugal, le Roi créa le Comité Royal de Censure,
(Real Mesa Censôria), par une loi du 5 Avril 1768, lequel devait être comme un tribu-
nal sévère contre toutes ces publications •*.
Comme nous l'avons vu plus haut, quelques jésuites restèrent en prison pour être
jugés comme accusés politiques. Le plus fameux d'entre eux était le P. Malagrida. Mais
celui-ci le reclama l'Inquisition afin qu'il fût mis en procès pour crime d'hérésie. Le
prêtre fut condamné et exécuté le 20 octobre 1761 ''. Ses œuvres sont en effet remplies
de prophéties et de contre-sens théologiques.
L'exemple de Pombal fut bientôt suivi par d'autres nations, car les jésuites avaient
montré partout scandaleusement leur esprit dominateur, s'immisçant dans la politique,
s'introduisant comme confesseurs et précepteurs dans les maisons royales et se mêlant
effrontément au commerce colonial.
En France leur intimité, à la Cour, avec la Pompadour et le Roi Louis XV, et le
cas du P. Lavalette, débiteur de quatre taillions de livres pour des affaires à la Marti-
nique, que rOrdre ne voulait pas payer se disant étranger aux affaires de ce père
jésuite, tout cela fit que les esprits cultivés se sentissent indignés contre eux. Le
parlement français, appelé à intervenir dans le cas, obligea la Compagnie à payer aux
créanciers de Lavalette et par arrêt du 2 juillet 1761 il déclara que l'Qrdre se trouvait
illégalement en France; et le 6 aOut 1762 il fut supprimé surtout le territoire /rançais.
Le 14 juin 1758 le Roi fît confisquer tous les biens de la Compagnie pour la Couronne,
et ainsi elle cessa d'exister en France après 200 ans de travaux-'.
Malgré cela, le Pape Clément XIII ne pouvant se convaincre de l'esprit de révolte
justifiée contre l'Ordre, augmentant de jour en jour en Europe, publia le 7 janvier 1765
la fameuse Bulle Apostolicum pasctndi munus (composée par le Général des jésuites et
ses partisans) par laquelle on confirmait de nouveau la Compagnie, la louant extraordi-
uairemente et lui accordant de nouveaux privilèges •*. Cette Bulle déplut partout et pro-
duisit des effets contradictoires. En Portugal elle fut défendue par la loi du 6 mai 1765
et on fit brûler tous les exemplaires qui parurent". Le 2 avril 1767 le Roi d'Espagne,
Charles III, bannit aussi les jésuites de tous ses domaines et confisqua tous leurs biens
pour la Couronne. Il accorda pourtant une pension à chacun d'eux et les envoya com-
me cadeau au Pape, à Cività Vecchia, mais celui-ci ne voulut pas les recevoir. Le Roi
de Naples et de Sicile le 3 novembre 1767, le Duc de Parme le 7 février 1768, et le
Grand Maître de Malte le 23 avril de la même année, les bannirent également de
leurs États ^.
Pombal, voyant que son exemple avait été imité par quelques pays catholiques,
mais que les jésuites, se voyant appuyés par le Pape et le Cardinal Torrigiani, cher-
chaient, par les anciens affiliés de leurs anciennes Congrégations de Marie et d'autres
• Schacfer, t. v, p. 79.
2 Schaefer, t. v, p. 82.
' Schaefur, t. v, p. 98.
* Scliaefer, t. v, p. 76.
5 H. Boehmer, pp 271 à 273.
6 Schacfer pp. 83 et 8i.— H. Boehmer, p. 273.
' Schaefer, t. v, p. 87.
» H. Buelirner, pp. 273 et 274.
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saints, à diffamer ceux qui les bannissaient, il défendit sévèrement le 28 août 1767 toute
confraternisation, ligue ou association avec eux '. Mais il vit bientôt que toutes ces me-
sures étaient insuffisantes et qu'il fallait absolument expurger l'Eglise catholique de cet
Ordre. Dans ce but, le 24 juillet 1767 il communiqua ces idées aux ambassadeurs de
France et d'Espagne-. Enfin le 6 décembre 1767 il annonça au Pape lui-même, cette
idée, comme nécessaire à la tranquillité de l'Église et au rétablissement des rapports
avec le Saint-Siège'*. Les Puissances Catholiques furent d'accord avec Pombal et,
après quelques communications diplomatiques, en janvier 1769 les Ambassadeurs de
ces Nations présentèrent au Pape les Mémoires de leurs gouvernements dans le sens
d'abolir la Compagnie^. Mais pendant la nuit du 1'^' au 2 février 1769 Clément XIII
mourut, abreuvé par les chagrins que son ineptie lui avait causés.
Le 19 mai suivant fut élu Pape le Cardinal franciscain Laurent Ganganelli qui
prit le nom de Clément XIV. L'idée de l'abolition de la Compagnie lui fut immédiate-
ment présentée par les Puissances Catholiques, comme nécessaire à la tranquillité de
l'Église et à celle des peuples. Clément XIV leur fit savoir qu'il approuvait cette idée,
mais qu-'il était prudent d'f.n retarder l'exécution, afin d'étudier bien les mesures à
prendre ^. En attendant^ il s'occupa de rétablir les rapports entre le Portugal et le Saint-
Siège, nommant, comme Nonce, Innocence Conti, le 19 janvier 1770^. Enfin le 21
juillet 1773 le Pape signa le fameux bref Dominus ac Eeiemptor Nostei- qui, après
avoir rapporté les fautes et les délits où la Compagnie était tombée, l'abolissait et ban-
nissait de l'Église catholique. Ce ne fut cepandant que le 17 août qu'il fut communiqué
aux ambassadeurs des Puissances et le 6 septembre qu'il fut reçu à Lisbonne et pré-
senté au Eoi.
Il y eut pour ce motif des fêtes dans les églises de Lisbonne et des illuminations
et fogueiras (bûchers) par lesquels le peuple voulait célébrer cette nouvelle inatten-
due '.
On peut se figurer le contentement du Marquis de Pombal dont Robert 'Walpole,
ambassadeur anglais, écrivait: oïl faut lui reconnaître le mérite d'avoir été le premier de
ce siècle qui ait osé attaquer ouvertement cette Compagnie, qui jouissait d'une si grande
influence auprès d'un grand nombre de Cours» '*.
Il convient de noter ce fait intéressant de l'histoire des jésuites: le premier roi qui
s'occupa de la confirmation de cet ordre en J540, fut un roi portugais, Jean III,
qui alla même jusqu'à payer les Bulles de cette confirmation; et le premier qui les
bannit de son royaume et s'occupa de leur abolition fut un autre roi portugais, Joseph,
conseillé et dirigé par son Ministre, le Marquis de Pombal.
Je finirai ce chapitre en citant les paroles mêmes de Bice Romano, paroles par
lesquelles il termine son livre si souvent cité ici: «La volontà di un solo uomo, inflessi
bile, assoluta e violenta era bastata a pronunciare contra di essi la grave condanna alla
quale si unirono in brève tutti gli altri popoli cattolici : la Francia si affretù ad imitare
l'esempio, la Spagna. le due Sicilie e tutta l'Italia si misero ben presto suUa medesima
via, la Germania dimonstrô la sua approvazione condannando giuridioamente i teologi
' Schaefer, t. V, pp. 92 à 98.
2 Schaefer, t. v, p. 89.
' Scliaefer, t. v, 91.
4 Scliaefer, t. v, p. 110.
' H. Boehiner, p. 275.
6 Schaefer, t. v, pp. 114-123.
' Scliaef.T, t. V, pp. 129-133.
8 Scliaefer, t. v, p. 133.
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della Compagnia e togliendo loro l'educazione délia Gioventù. L'edificio formidabile era
scosso dalle sue fondamenta, e ben si puo dire che il colpo venuto dal Portogallo infranse
il passato e l'avvenire della Compagnia di Gesù.
CHAPITRE NEUVIEME
Régnes de Marie I et de Jean VI (1777-1826)
Le roi Joseph étant mort le 24 Février 1777, sa fille Marie I, mariée à son oncle
Pierre, monta sur le trône.
Dans son testament Joseph recommandait à sa fille, entre autres choses, ce qui
suit:
«En sixième lieu de pardonner la peine légale aux criminels d'Etat qui seront trou-
vés dignes- de pardon; quant à la faute qu'ils ont commise contre ma personne ou contre
l'État, je la leur ai déjà pardonnée à tous, pour que Dieu me pardonne mes péchés» *.
Eu vertu de ce testament Marie fit aussitôt, le 28 de ce même mois, mettre en
liberté tous les prisonniers politiques. Parmi eux il y avait beaucoup de jésuites natio-
naux et étrangers, dont les principaux étaient le P. Timothée de Oliveira, ancien con-
fesseur de la Cour et le P. Joseph Perdigào, Procureur Général de la Province, inculpés
dans le procès de l'attentat contre le roi Joseph. Quelques uns d'entre eux entrèrent chez
leurs familles ou chez des amis, mais le plus grand nombre désirait vivre en commun et
ils demandèrent même à la Reine de leur donner une maison à cet effet. Mais la Reine,
quoique très dévote et pieuse (surnom qui lui est resté dans l'histoire) les connaissait
bien du temps de son père, et non seulement elle repoussa cette demande, mais la con-
traria en prenant la résolution de les distribuer dans les différents couvents du Royaume,
qui appartenaient à d'autres Ordres.^.
Cependant elle fit donner des pensions à tous ceux qui étaient sortis des prisons,
afin qu'ils pussent se nourrir convenablement ; et afin d'indemniser la Chambre Apostoli-
que des dépenses qu'elle avait faites pour l'entretien de ceux qui étaient allés en Italie,
elle lui donna la somme de quarante mille cruzades ^.
Sur ces entrefaites quelques uns des jésuites qui avaient été bannis et envoyés en
Italie par le Marquis de Pombal revinrent clandestinement en Portugal, car, malgré
leur demande et leur désir, le Gouvernement de Marie leur fit savoir que les lois de
feu Joseph subsistaient dans toute leur vigueur et que les jésuites étaient les seuls in-
dividus exilés au temps du Marquis que Marie n'autorisait pas à rentrer dans leur pa-
trie. Il n'était pas permis à ceux qui étaient rentrés dans leurs familles, en sortant du
fort de Junqueira, de se présenter en public *.
Vers la fin d'Octobre 1781 se produisit un fait étrange qui impressionna vivement
toute la Cour. «Un ex-jcsuite, le père Emmanuel da Rocha Cardoso, vulgairement nommé
le cardinal, qui, d'après l'ordre de la reine, avait un appartement au Palais, eut l'audace,
vers la fin d'Octobre 1781, de paraître en sa présence, armé de pistolets qu'il tenait
cachés sous sa soutane, où la reine les aperçut. Elle le fit fouiller par un de ses chambel-
< Luz Soriano, Hisl.oire de la Guerre Civile de 1777 à 1834, 1" époque, t. l'', p. 214.
' Luz Soriano, ibidem, p. 216.
' Luz Soriano, ibidem, pp. 251 et 305.
* Luz Soriano, ibidem, pp. 304 et 305.
50
lans et il trouva ces armes. Deux jours avant cet événement ce prêtre avait enlevé de
la chambre occupée par lui au Palais tous les objets qu'elle contenait, et il avait fait
répandre le bruit de son départ pour Rome, qui était alors le foyer des cabales jésuiti-
ques. L'Intendant général de police, le célèbre Pina Manique, disait à cet égard au
Ministre de l'Intérieur, le Vicomte de Ville Neuve de Cerveira, que, selon lui, le dit ex-
jésuite était l'espion qui envoyait du palais des nouvelles aux membres de la Compagnie
se trouvant dans le Royaume. Il faudrait d'ailleurs faire des recberches, savoir quel
mobile l'avait poussé à se présenter devant la reine comme il l'avait fait, afin de le pu-
nir s'il était criminel ou de l'envoyer dans un hospice d'aliénés si on voyait qu'il se
trouvait dans ce cas. Cependant il ne fut pas poursuivi et il paraît qu'il lui fut permis
de partir pour Gênes. Il demanda un passeport à cet effet et il fit le voyage à bord
du navire Orion dont Pierre lordt était capitaine^».
La reine Marie I dominée par les moines perdit peu à peu la raison, et le 10 fé-
vrier 1792 la direction du royaume passa entre les mains de son fils Jean. Mais,
quoique le nom de Slarie continuât à paraître dans les diplômes, ils étaient contresi-
gnés par le prince.
A partir du 15 juillet 1799 c'est le nom de celui-ci qui paraît seul dans les lettres
ofiîcielles, et il prenait le titre de Prince Régent, parce que la maladie mentale de sa mère
se prolongeait 2.
À cause de l'invasion des français en Portugal, le Régent Jean partit pour le
Brésil, avec sa mère et les autres personnes de la famille royale et de la Cour, le 29
novembre 1807, pour aller établir son gouvernement à Rio de Janeiro^.
Les jésuites cependant travaillaient partout pour le rétablissement de leur Ordre
dans l'Église Catholique; ce qu'ils obtinrent enfin sous le Pontificat de Pie VII. qui
publia le 7 août 1814 la Bulle SoUcitii.do omnium ecclesiarum, par laquelle il rétablis-
sait la Compagnie de Jésus, car, ainsi qu'il y est dit, cela lui avait été demandé par
plusieurs princes et d'autres personnes de haut rang. Mais on sait que la Cour Portugaise
ne contribua en rien à cet acte jiontifical. Elle montra au contraire le plus grand regret
pour le rétablissement de cette Compagnie, puisque le Prince Régent n'accorda pas
le Royal Agrément à cette Bulle, et fit dire à son Ministre Plénipotentiaire à la Cour de
Rome qu'il ne devait admettre aucune sorte de négociations sur un tel sujet, par l'arrêté
ministériel du 11 avril 1815, qui est très intéressant pour faire comprendre la mauvaise
impression que les jésuites avaient laissée en Portugal, tellement mauvaise que 56 ans
après on écrit dans cet arrêté ministériel ce qui suit :
dS. A. R. s'étonne de cette décision de Sa Sainteté, cette Cour n'en ayant pas été
informée antérieurement, quoiqu'elle eût le plus à se plaindre des jésuites, contre qui le
Portugal procéda, de la manière la plus énergique, par l'Ordonnance du 3 septembre 1759.
oiLes intentions positives de S. A. R. étant de maintenir avec la plus grande rigueur
les dispositions de la susdite Ordonnance, quelle que soit la décision des autres Cou-
ronnes, même de celles qui se sont associées pour l'extinction de la dite Compagnie,
mon Auguste Maître m'ordonne de communiquer cette résolution à V. S. afin que V. S.
présente immédiatement une note déclarant les principes invariables que S. A. R. a l'in-
tention de maintenir et d'après lesquels il vous ordonne de n'admettre aucune négocia-
tion sur cette matière, soit verbale, soit par écrit».
1 Luz Soriano, tom. i, p. 343 et tom. in, pp. 62 à 64.
2 Schaefer, tom. v, pp. 343 et 344.
3 Scliaefer, tom. v, pp. 361 et 362.
51
Le 2 mars 1816 llarie I mourut au Brésil et son fils Jean VI lui succéda.
Cependant les français avaient été repoussés définitivement du Portugal en 1810
et le général anglais Beresford le gouvernait presque totalement, ce qui donna lieu à la
conjuration de 1817, qui ne produisit pas l'efi"et désiré, et à la révolution libérale de
1820, qui triompha momentanément et décréta la chute du pouvoir absolu du Koi, les
députés alors réunis en Cortès légiférant la très libre constitution de 1822, que Jean VI
(obligé à revenir du Brésil) jura de maintenir.
En ce qui regarde les Congrégations Religieuses, ce parlement leur était si con-
traire, qu'il établit que l'on n'admît plus de novices dans les couvents masculins et fé-
minins qu'il y avait dans le Royaume.
Mais dans la société portugaise il y avait alors deux partis très caractéristiques,
celui des partisans des principes libéraux, du régime constitutionnel et de l'indépen-
dance du pouvoir civil de l'ecclésiastique, et le parti des sectaires des vieilles idées,
de l'absolutisme royal et de la dépendance de l'Etat Civil à l'Église Romaine.
Celui-ci était inspiré par les conseils de l'épouse de Jean VI, Charlote Joa-
quine, princesse espagnole, dont la conduite comme femme, comme épouse et comme
reine était détestable. Ce parti était dirigé par son fils cadet Michel, esprit rude et
querelleur, fréquentant les gens d'écurie et les moines. Le lecteur devra dès à présent
prendre note de son action, car c'est de lui que va dépendre la rentrée des jésuites en
Portugal, en 1829. Charlote Joaquine avait refusé formellement de reconnaître la cons-
titution et d'y prêter serment en 1822, lorsque le roi, son mari, l'avait reconnue.
Michel en mai 1823 prit la direction d'une contre révolution qui proclama de
nouveau le gouvernement absolu de son père et en Avril 1824 il tenta même par de
nouveaux tumultes de s'emparer du gouvernement, en déposant son père, et se procla-
mant roi. Ce coup échoua cependant, car Jean VI alla se réfugier à bord d'un navire
anglais qui se trouvait dans le port de Lisbonne, et Michel, obligé par la force à s'y
rendre, fut exilé et envoyé à Vienne d'Autriche.
En examinant l'esprit de ces deux règnes, celui de Marie I et celui de Jean VI,
nous voyons que la premièi-e, fille de Joseph, ainsi que le deuxième, petit-fils du même
roi, montrèrent toujours une grande antipathie pour les jésuites; et tous les rescrits qu'ils
publièrent furent contraires à la Compagnie. Ils montrèrent toujours un grand respect
pour les lois anti-jésuitiques de Pombal qu'ils voulurent maintenir intégralement pen-
dant leur règne.
DEUXIEME ÉPOQUE
1829-1834
CHAPITRE DIXIÈME
Gouvernement de l'usurpateur Michel (Don Miguel)
Le 10 Mars 1826 Jean VI mourut, après avoir, quelques jours auparavant,
nommé une régence présidée par sa fille Isabelle Marie, pour gouverner le royaume
pendant sa maladie et même après sa mort, jusqu'à ce que l'héritier légitime de la cou-
renne pût prendre les mesures nécessaires.
Pierre, fils aîné du roi défunt, ayant accepté le titre d'empereur du Brésil, pays
déjà alors indépendant, il passa le droit au trône à sa fille aînée Marie, qui devint
la seconde du nom, dans le -gouvernement de la nation.
Afin d'éviter les dangers d'une guerre civile, causée par l'esprit rebelle et absolu de
son frère Michel, fils cadet de Jean VI, il combina oflKciellement qu'il se marierait avec
la reine Marie II, sa nièce; ce qu'il accepta d'autant plus facilement qu'il avait l'exem-
ple de sou grand-père, Pierie III, qui s'était marié avec sa nièce Marie I.
Pierre IV avait envoyé du Brésil une carte conslituticnelle datte du 19 Avril 1826^
qui détruisait l'absolutisme rétabli en Portugal pendant les trois dernières années. Cette
carte fut proclamée, le 31 Juillet de la même année, par la régente Isabelle Marie.
Michel ayant piété seiment sur cette carte constitutionelle, à Vienne d'Autriche,
où il était exilé, et son mariage ayant été célébré avec la jeune reine, sa nièce*, il vint
débarquer à Lisbonne, en Février 1828, pour prendre possession de la régence du
royaume, en remplacement de sa sœur, l'infante Isabelle Mari^.
Arrivé à Lisbonne il montra bientôt l'esprit vil, traître et absolu, dont il avait déjà
donné tant de preuves, à la fin du règne précédent, comme nous avons vu.
Aidé par Charlotte Joaquine, sa détestable mère, il donna une nouvelle force à
son ancien parti réactionnaire et, appuyé sur lui, il déclara l'abolition de la carte consti-
tutionelle, à laquelle il avait prêté serment. Il se fit nommer roi absolu, refusant de se
marier avec sa nièce Marie, qu'il avait acceptée pour épouse, et ne voulut plus la
reconnaître comme reine. La guerre civile commença entre les libéraux (partisans de
la carte constitutionnelle et de la reine légitime) et les miguelistas (viichélistcs, par-
tisans de l'absolutisme et de l'usurpateur Michel).
i
Luz Soriano, Histoire de la guerre civile, 3' époque, t. ii, part, i, pp. 10 ù 18.
53
Au premier choc, les michélistes triomphèrent et les libéraux vaincis durent émi-
grer en Angleterre, en France et au Brésil. Cependant l'Ile Terceira était restée fidèle
au régime Constitutionnel et, c'est là que se réunirent ensuite les émigrés, et de là qu'ils
vinrent, commandés par Pierre IV, débarquer le 8 juillet 1832 sur la plage de Mindelo,
près de la ville de Porto, où ils entrèrent le lendemain.
Eu 1833 le Duc de Terceira débarqua en Algarve avec des troupes et marcha sur
la capitale, où il entra le 24 juillet. Pierre arriva quatre jours après. Cependant la
lutte continuait à l'intérieur du pays et ne termina qu'en Mai 1834, avec la Convention
d'Evora-Monte, par laquelle Michel fut obligé de sortir du Royaume pour ne jamais
y revenir : en effet il ne revint jamais car il mourut en exil, en Novembre 186G.
Voyons maintenant ce qu'étaient devenus les jésuites, pendant le temps qu'avait
duré le Gouvernement de l'usurpateur Michel, de 1828 h 1834.
Les partisans de Michel étaient essentiellemente réactionnaires en religion, ser-
viteurs dévoués de l'Eglise catholique. Ils étaient fanatiques et aimaient béatement les
petites dévotions et croyaient aux miracles et aux prophéties. Pendant cette courte pé-
riode même, les jésuites profitèrent d'une vieille petite image trouvée dans une caverne,
aux environs de Carnide, et Michel s'en servit comme d'une amulette, croyant que
c'était là le gage de sa victoire contre les libéraux. Et c'est surtout à l'exploitation de cette
image, que se consacrèrent les jésuites tant qu'ils restèrent à Lisbonne, comme l'avoue
même leur supérieur, le Père Delvaux : «le bon Dieu semble ayoir destiné notre petite
Compagnie à exploiter, si je puis parler de la sorte, de plus en plus cette dévotion» '.
Les jésuites étaient de fuit bannis du Portugal depuis 1759; Jean VI en 1815
avait formellement refusé de donner son Royal .agrément à la Bulle de Pie VII, Soli-
citudo omnium ecclesîarum, qui rétablissait la Compagnie de Jésus. Mais les partis réac-
tionnaires considèrent toujours les jésuites comme leur meilleur soutien, c'est porquoi
dans cet interrègne d'absolutisme féroce et dévot, les jésuites reparurent dans le Portu-
gal d'alors, fanatique et soumis, comme de noirs oiseaux de proie sur un cadavre.
Ce fut Antoine Ribeiro Saraiva, alors attaché à l'ambassade portugaise à Londres,
qui pensa le premier à appeler les jésuites en Portugal. Ayant passé par Paris et ayant
vu que la loi de Charles X de 1828 supprimait les Collèges de la Compagnie de Jésus,
et que par conséquent beaucoup de jésuites français devraient quitter leur pays, il pensa
à en faire venir quelques uns en Portugal 2. Il écrivit à cet égard au Duc de Cadaval,
alors premier ministre de Michel, lequel approuva cette idée et la pré.senta au Roi
usurpateur, qui l'accepta. Ainsi en Mars 1829 trois Pères et deux frères coadjuteurs
de la Province de France partirent pour le Portugal, ayant pour supérieur le P. Jo-
seph Delvaux. Ils vinrent par Passage où un quatrième Père se joignit à eux, et par
Loyola, où le supérieur, revêtu de la chasuble de S.' François de Borja, dit la messe
dans la chapelle où s'était opérée la conversion de S.' Ignace. Ils arrivèrent à Madrid
où ils entrèrent au Collège, que les jésuites y avaient déjà, et qui portait le titre d'Impé-
rial. Ils y furent très bien reçus et visités par la famille royale, particulièrement par
les deux sœurs de Michel qui y résidaient, dont Tune, Charlote était mariée au Prince
Royal d'Espagne, Charles. Ils durent rester quatre mois à iladrid, parce que leur
entrée en Portugal trouvait une grande opposition chez plusieurs personnages de la cour
de Lisbonne, où ils n'arrivèrent que le 13 août 1829. D'abord ils entrèrent au couvent
' Lettres Inédiles du R. P. Delvaux sur le Rétablissement des Jésuites en Portugal, p. 276.
2 Dans ce chapiti-e je suis le récit fait par lo P. Auguste Carayon de la Compagnie de Jésus,
dans son livre Doeuments Inédits, Notes Historiques sur le Rétablissement de la Com^)agnie de Jésus en
Portwjal, Poitiers, 1863, et les Lettres du P. Delvaux, Paris, 1866.
54
de Rilhafoles qui appartenait alors aux prêtres de S. Vincent de Paul, où il leur fallut
rester deux mois et demi, dans une situation très difficile, car, comme le dit le jésuite
Carayon dont nous suivons le récit, «la législation du pays et les actes du Marquis de
Pombal ne laissaient pas de rendre leur position extrêmement délicate» *. Les nouveaux
arrivés furent bien reçus par le Roi et par les petits-fils du Marquis de Pombal. Mais
«dans le conseil du roi, et tout autour du trône, dans le clergé même, il restait des élé-
ments d'opposition. Un des ministres les plus influents ne cachait à personne que son avis
au Conseil était qu'on se servît de la Compagnie de Jésus aux Indes, où les besoins
de la Religion étaient extrêmes, mais qu'on ajoui-nât son rétablissement en Portugal jus-
qu'à des temps plus calmes» -.
Les Pérès n'ayant pu obtenir une demeure qui leur fût propre à Lisbonne, le
Duc de Lafoes, frère du Duc de Cadaval, leur ofi'rit pour résidence une de ses mai-
sons à Marvila, au bord du Tage, où, ayant appris la langue portugaise, ils commencè-
rent à enseigner le catéchisme aux enfants et à faire de petits sermoni dans les villa-
ges voisins. C'est dans un de ces villages — à Carnide — que fut trouvée la vieille image
de la Vierge, appelée Senhora da Eocha (Notre Dame du Rocher). Le Nonce, Mgr. Ale-
xandre Justiniani voulut, à la fin de Novembre 1829, que l'un de ces Pères fît à l'église
de Loreto, qui appartenait à la colonie italienne, une petite mission, à la clôture de
laquelle vinrent assister le Roi et sa cour.
Marvila se trouvant très loin du centre de Lisbonne, le Duc de Lafoes offrit aux Jésuites
pour leur résidence une partie de son palais de Largo da Anunciada, où ils restèrent de-
puis le 18 jusqu'à la fin de décembre 1830. A cette époque le Roi leur accorda le Colegi-
«^0 (petit collège), ancienne maison des jésuites, qui portait le nom de Saint-Antoine-Abbé,
le Vieux. Pendant le carême de 1831 ils firent une autre mission dans l'église de Loreto des
italiens. Le 9 janvier 1832 le Roi remettait aux jésuites le Collège des Artes de Coïm-
bre et le 14 février de la même année quelques Pèi'cs, qui étaient venus de France se
joindre aux premiers, s'y rendirent^. En allant à Coimbre ils passèrent par Pombal où
le Supérieur voulut dire la messe des morts dans la chapelle même où se trouvait, dans
un cercueil, le corps embaumé du Marquis de Pombal. Il se rappela aloi's cette phrase,
attribuée au Marquis, et à laquelle il ne sembla pas donner une grande importance,
<tLa Compagnie reviendra, mais il lui sera difficile de refaire son nidn. Ils arrivèrent
à Coïmbre le 18 février au milieu des ovations que leur avait préparés le réforma-
teur de l'Université, le Frère Fortunat de St. Bonaventure, un des journalistes les plus
satyriques de l'époque, défenseur des jésuites et de l'intrus Michel, ennemi acharné des
libéraux et des francs-maçons, camarade et ami de cet autre ex-moine et mauvais prêtre
Joseph Augustin de Macedo, et aussi atroce journaliste que l'autre l'était.
Les jésuites commencèrent à enseigner d'après leurs méthodes au Collège des Arts.
Le réformateur Frère Fortunat, sacré le 27 mai 1832, Archevêque d'Evora, demanda
et obtint du roi pour la Compagnie l'ancien Collège des jésuites du Saint-Esprit d'Evora.
Mais, comme l'avoue le jésuite Carayon, «à tous ces actes de la bienveillance du prince
et de la sollicitude de son ministre, il manquait cependant le plus important, un décret
qui rétablît définitivement la Compagnie en Portugal. Les lois de proscription de Joseph l"
et la protestation de Jean VI contre la Bulle de Pie VII, SoUicitudo omnium ecclesiarum,
rendaient cet acte tout à fait nécessaire. Il parut enfin le 8 septembre dans la gazette
de Lisbonne»*.
1 P. Carayon, pp. 3 et 4.
' Carayon, pp. 6 et 7.
' Carayon, pp. lO^à 17.
* Carayon, p. 29. — Lettres inédiles du R. P. .loseph Delvaux, p. 358.
55
Ce décret avait été signé le 30 août. Après avoir analysé «le préambule et le dis-
positif de la Bulle de Pie VII, du 7 août 1814i), il termine ainsi:
«J'ai, pour le bien, accordé mon royal Beneplacito et appui à la susdite Bulle du
Saint-Père Pie VII et j'ordonne qu'elle reçoive son accomplissement et exécution dans
mes royaumes et domaines, selon sa teneur et sans tenir compte de législation quelcon-
que à ce contraire, que je révoque à cet effet seulement; bien entendu que par cette
mienne résolution souveraine, ne sont pas restitués aux dits Pères de la Compagnie de
Jésus les biens, propriétés, exemptions, privilèges et prérogatives qui leur ont antérieu-
rement appartenu, ni aucun droit ne leur est donné pour çn demander la restitution.
Les autorités, à qui il appartient, l'aient ainsi pour entendu et l'exécutent. 30 août
1832 d1.
Le 10 septembre 1832 on montra de la part du Eoi, au P. Delvanx, dans le
Coleginlio, trois nouveaux décrets, signés par Michel: par le premier il accordait à
la Compagnie le Collège du Saint-Esprit d'Evora et pour en assurer la fréquentation
il établissait que les étudiants des Départements de l'Alentejo et de l'Algarve ne pour-
raient pas s'inscrire à l'Université sans avoir fréquenté, pendant au moins une année,
le Collège d'Evora; le deuxième appliquait la même disposition aux étudiants de tout
le royaume, par rapport au Collège des Arts de Coïmbre; et le troisième annonçait l'ouver-
ture des classes dans ce collège et confiait au recteur et aux professeurs de celui-ci les
examens pour l'inscription à l'Université. Le Roi manifestait en même temps l'intention
de confier aussi aux jésuites, plus tard, le Collège des Nobles de Lisbonne, fondation
du Marquis de Pombal. Il fit donc y cesser provisoirement l'entrée des élèves, précisément à
l'expiration des grandes vacances-. À la mi-octobre Michel partit pour Coïmbre pour se
mettre à la tête des opérations contre l'armée de Pierre. Le Collège des Arts qui se
trouvait près du théâtre de la guerre dut interrompre les classes et comme la guerre
devenait sanglante il fallut transformer quelques couvents en hôpitaux.
Les jésuites furent appelés pour soigner les blessés et selon leur habitude, avec les
soins corporals, ils se consacraient très spécialement au traitement spirituel, comme le
prescrivent leurs règles, ce qui, d'après le récit du P. Carayon, consistait en ce qui suit :
«Chapelet en commun dans les salles des malades, catéchisme des convalescents
dans le chœur de l'église, exhortations particulières, confessions, derniers sacrements,
visites continuelles, et tous les soins que réclamaient les circonstances, remplissaient
le temps des Pères, et répandaient la consolation dans l'âme de ces infortunés; ceux qui
moururent manifestèrent tous de grands sentiments de piété ^d.
Cependant les événements de la guerre se précipitaient rapidement et quoique les
troupes libérales de Pierre se trouvassent encore assiégées à Porto, le Duc de Ter-
ceira (Vila Flor), un de ses généraux, vint par mer et débarqua en Algarve, comme nous
l'avons dit plus haut. De là il traversa par terre avec ses troupes, jusqu'à Almada, en
face de Lisbonne, où il arriva le 23 juillet 1833. Pendant cette nuit-là les Ministres
de Michel, la noblesse et les troupes s'enfuirent de Lisbonne où entrèrent le lende-
1 Lettres Inédites du P. Delvaux, pp. 359 à 361.
2 Carayon, pp. 30 et 31.
' Carayon, p. 48.
56
main les troupes libérales et où on établit un gouvernement composé des Ducs de Pal-
mela et de Terceira. Les jésuites de Lisbonne malgré les alarmes du moment, restèrent
sains et saufs et il leur fut permis de se retirer au couvent des Dominicains, ce qui ne
leur plut pas, parce qu'ils croyaient ces religieux leurs ennemis. Ils obtinrent donc de
se retirer dans des maisons particulières, après avoir signé un papier où leur supérieur
déclarait que les jésuites n'iraient pas dans les localités qui se trouvaient encore sous
la domination de Michel et qu'ils ne se mêleraient pas de la politique du pays^ Le
28 juillet 1833 Pierre entra aussi à Lisbonne, et sachant que les jésuites étaient très
attachés à la politique de son frère et opposés à la sienne, comme il s'en était assuré
par des recherches particulières qu'il avait fait par un agent secret, il signa le lende-
main un décret, par lequel il proscrivait de nouveau les jésuites-. Il envoya des magis-
trats escortés de cavalerie et d'infanterie au Coleginho pour arrêter les jésuites qui s'y
trouveraient, dans le but de faire exécuter les lois de Pombal. Comme on n'y trouva
pas un seul, on fit apposer les scellés. Les novices cependant étaient rentrés chez leurs
familles et les jésuites qui avaient prononcé les vœux, s'étant d'abord cachés chez des
amis, partirent sur des navires étrangers se trouvant dans le port de Lisbonne et quit-
tèrent le Royaume.
Coïmbre, comme d'autres villes du nord, était encore au pouvoir de Michel,
c'est pourquoi les jésuites du Collège des Arts purent continuer l'enseignement ainsi
que le traitement des malades. Trois d'entre eux y moururent.
Cependant les libéraux étaient victorieux et la guerre civile terminait par la con-
vention d'Evora-Monte, signée en mai 1834, et Michel dut sortir du Royaume où il ne
revint jamais. Il mourut en novembre 1866.
Pac suite de la victoire des libéraux Pierre IV fit exécuter à Coïmbre le décret de
suppression des jésuites, qu'il avait signé le 29 juillet 1833 à Lisbonne, où il l'avait
fait aussitôt exécuter. C'est pourquoi le corrégidor de Coïmbre se présenta le 28 Mai
au Collège des Arts et fît la lecture du décret qui bannissait toute la communauté.
Voici le récit fait par l'historien jésuite Carayon:
a Le 28 mai, veille de la Fête-Dieu, le Corrégidor vint le matin signifier le décret
de suppression, et en fît la lecture à toute la communauté assemblée. Les jésuites y
étaient accusés de s'être introduits dans le royaume à la faveur de l'usurpation de Don
Miguel, pour propager, comme leurs ancêtres, le fanatisme et l'ignorance, et il portait
condamnation à en sortir dans le plus bref délai, sous peine d'être traités selon la rigueur
des lois. Acte fut dressé de cette intimation et tous les Pères furent invités à le signer^».
Le 30 mai les jésuites sortirent de Coïmbre escortés par des soldats qui les con-
duisirent, en les traitant très affectueusement, jusqu'à Vila Franca, où ils arrivèrent le
4 juin. De là ils vinrent en bateau jusqu'à Lisbonne.
L'ambassadeur de France, le Baron Mortier, obtint du Gouvernement que les étran-
gers pussent rester à la To%ir de S. Julien, jusqu'au moment de leur embarquement, afin
de ne pas être exposés aux colères populaires. Ils y restèrent jusqu'au 3 juillet, où ils mon-
tèrent sur un navire qui le 7 leva l'encre et vogua vers Gênes où ils débarquèrent le
5 août 18.34.
Ainsi sortirent de Portugal les jésuites du temps de l'usurpateur Michel. Mais
bientôt quelques uns d'entre eux reparurent de nouveau dans le pays.
' Carayon, pp. 57 à 61.
2 Lettres Inédites du P. Delvaux, pp. 435 ù 441.
^ Carayon, p. 67.
TAB1;E DES MATIÈRES
Préface 5
Première Époque
1540-1759
Chapitre Premier. — Règne de Jean III (1530-1557) 7
Chapitre Deuxième. — Régence Je la reine veuve CatluTine (1557-1562). — Régence du Cardi-
nal Henri (1562-1568). — Sébastien roi (1568-1578) 12
Chapitre Troisième. — Règne du Cardinal Henri (d'aôut 1578 à janvier 1580) 23
Chapitre Quatrième. — Dumination Castillane : 1580 à 1640 (60 ans). — Philippe II (1580-1598)
18 ans. — Philippe III (1598-1621) 23 ans. — Philippe IV (1621-1610) 19 ans 25
Chapitre Cinquième. — Règne de Jean IV (1640-1656) 28
Chapitre Sixième. — Règnes de Alphonse VI et de Pierre II. — Alphonse VI roi (1656-1668).^ —
Pii'rre II ^.'ouverneur du Royaume (1668-1683). — Pierre II roi (1683-1706) . 32
Chapitre Septième. — Règne de Jean V (1706-1750) 34
Chapitre Huitième. — Règne de Joseph 1 (31 juillet 1750 — 24 février 1777) 36
Chapitre Neuvième. — Règnes de Marie I et de Jean VI (1777-1826) 49
Deuxième Époque
1829-1834
Chapitre Dixième. — Gouvernement de l'usurpateur Michel (D. Miguel) (1828-1834) 52
CORRECTIONS
Page 25, ligne 43: Au lieu de pubticarum, lire politU^arum.
Page 25, ligne 47: Au lieu de Noviciado de TAshoa, lire Noviciadn de Coiinbra.
Page 33, ligne 2: Au lieu de 15G7, lire 1667.
Page 47, ligne 25: Au lieu de 1758, lire 1763.
Page 53, ligne 17: Au lieu de Carnide, lire Carnaxide.
Page 54, ligne 15: Au lieu de Carnide., lire Carnaxide.
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