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Full text of "Les Jésuites en Portugal de 1540 à 1834 : contribution à l'étude et à l'interprétation des lois du 8 octobre et 31 décembre 1910"

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ROBA 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lesjsuitesenpoOOgrai 


COUR   PERMANENTE   D'ARBITRAGE   DE    LA    HAYE 


Tribunal  consliliié  rn  roilu  da  compromis  d'arbilrnge  signé  à  Lisboiinf;  le  31  Julllcl  i9f3 


AFFAIRES  DITES  «DES  BIENS  CONTESTES  EN  PORTUGAL» 


m  JÉSUITES  EN  PORTUGIIL  DE  1540  S 1834 


PAR    LE 


Prof.   EMM.   BORGES   GRAÏNHA 


Contribution  à  l'étude 
et  à  l'interprétation  des  lois  du  8  Octobre  et  31  Décembre  1910 


Observations  générales  —  Annexe  n"  3 


LI,SBON]Nr: 

IMPRIMERIE    NATIONALE 


Il  serait  utile  de  faire  non  seulement  une  étude  générale  de  l'influence 
religieuse  et  congréganiste  en  Portugal  à  travers  toute  son  histoire,  mais 
aussi  et  avec  plus  de  détails,  de  l'influence  de  chaque  congrégation  dans  la 
vie  politique  et  sociale  de  cette  nation. 

Nous  verrions  par  cette  étude  combien  ces  diverses  congrégations  ont 
contribué  à  la  décadence  sociale,  moi'ale,  politique,  économique  et  financière 
de  ce  pays,  qui  lutte  encore  aujourd'hui  contre  les  terribles  tendances  ino- 
culées par  l'influence  congréganiste. 

Mais  cette  étude  nous  mènerait  trop  loin.  , 

Nous  avons  donc  décidé  de  la  borner  à  la  Compagnie  de  Jésus,  type 
et  guide  de  la  phalange  cléi'icale. 

Et  cette  étude,  quoique  très  succincte,  occupe  déjà  deux  volumes. 

Nous  n'osons  donc  pas  abuser  plus  longtemps  de  la  Haute  Cour. 


Le  iléléqué  du  Porlui^al 


PRÉFACE 


Le  Portugal  est  le  pays  où  les  jésuites  furent  d'abord  admis  et  celui  où  ils  furent 
reçus  et  favorisés  avec  le  plus  d'enthousiasme  et  de  générosité'.  Le  roi  Jean  III  qui 
les  avait  appelés  en  Portugal,  les  protégea  tellement,  dans  son  Royaume  et  au  dehors, 
qu'Ignace  de  Loyola  le  considérait  comme  un  père  et  le  second  fondateur  de  la  Com- 
pagnie-. Mais  en  compensation  le  Portugal  est  aussi  le  pays  d'où  ils  ont  été  chassés 
avec  le  plus  de  bruit  et  de  clameur  et  d'où  est  partie  la  campagne  qui  a  porté  d'autres 
Princes  de  l'Europe  à  exiger  de  Clément  XIV  l'extinction  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
comme  Ordre  religieux^.  Au  premier  abord  ces  faits  dans  le  même  pays  semblent  con- 
tradictoires, mais  leur  explication  est  facile.  C'est  que  chez  aucun  autre  ils  ne  se  rendi- 
rent à  tel  point  coupables  devant  les  accusations,  sur  lesquelles  le  Pape  Clément  XIV  a 
basé  le  décret  de  leur  extinction. 

Dans  le  fameux  l>ref  Dominus  ac  Redemptor  le  Pape  condamne  les  jésuites  pour 
trois  motifs  principaux:  1'"'  celui  de  s'immiscer  dans  la  politique  et  dans  les  questions 
civiles  d.es  peuples  ;  2"  d'entrer  dans  des  luttes  et  intrigues  contre  les  Univei:sités,  con- 
tre les  Prélats  ecclésiastiques,  contre  les  autres  Ordres  religieux  et  même  les  uns  contre 
les  autres  dans  la  même  Compagnie  ;  3"  de  penser  plutôt  à  entasser  des  richesses  qu'à 
s'occuper  des  biens  de  l'esprit'.  Or  ces  faits,~imputés  par  le  Pape  aux  jésuites,  se  sont 
produits  en  Portugal  avec  plus  de  publicité  et  d'impudence  que  dans  tout  autre  pays, 
comme  je  vais  le  prouver  dans  cette  histoire  résumée  des  jésuites  en  Portugal. 

Cette  histoire  peut  être  aujourd'hui  mieux  faite  et  mieux  documentée  qu'au  temps 
du  Marquis  de  Pombal,  ministre  du  roi  Joseph,  qui  les  bannit  du  Portugal. 

Nous  avons  aujourd'hui  à  notre-  disposition  les  procès  de  l'Inquisition,  catalogués 
aux  archives  de  la  Tôrre  do  Tomho;  beaucoup  de  lettres  oflScielles  des  diftérents  minis- 
tres étrangers  en  Portugal,  publiées  par  le  vicomte  de  Santarem;  un  très  grand  nombre 
de   lettres  et  autres  documents  jésuitiques,  publiés  par  la  Compagnie  elle-même;  enfin 


'  Balthazar  Tellez,  jésuite  portugais,  Chrônica  da  Companhia  de  Jeuut  em  Portagal  (Chronique 
do  la  Compagnie  de  Jésus  en  Portugal)  part,  i,  liv.  i:,  pp.  243  et  246. 

2  Balthazar  Tellez,  ibidem,  pp.  244  et  582. 

■•  Schaefer  Ileinrich,  Geschichte  von  Portuijnl  [Je  citerai  la  traduction  portugaise  par  SampaVo 
(Bruno)j  Histôria  de  Portugal,  vol.  v,  p.  27. 

'  Crétineau  Joly,  Hisloire  de  la  Compa'inie  de  Jésus  (Pan's,  1859),  tome  v,  chap.  v,  pp.  296à300. 


6 

beaucoup  de  livres  récents,  largement  documentés,  entre  lesquels  on  distingue,  comme 
aidant  grandement  à  cette  étude,  L'Histoire  de  la  Compagnie  de  Jésus  dans  l'Assistance 
d'Espagne  (Histôria  de  la  Compania  de  Jesûs  en  la  Asistencia  de  Espana)  écrite  par 
le  jésuite  espagnol  Antoine  Astraïu. 

On  déduit  de  tous  ces  documents  que  les  jésuites  ont  été  en  Portugal  les  confes- 
seurs des  rois  et  des  membres  des  familles  royales,  depuis  leur  entrée  jusqu'à  leur  ban- 
nissement; qu'ils  furent  non  seulement  les  confesseurs  des  rois,  mais  aussi  leurs  con- 
seillers dans  les  affaires  du  Royaume,  certains  d'entre  eux  ayant  eu  leur  entrée  officielle 
dans  les  conseils  d'État;  que  leur  intervention  dans  la  vie  politique  de  la  nation  fut 
très  pernicieuse  pour  celle-ci  et  ne  profita  qu'à  Eome  et  à  la  Compagnie  elle-même, 
qui  dominait  tout  par  son  influence  prodigieuse  à  la  cour;  et  qu'ils  agirent  enfin  de 
telle  manière  que  non  seulement  ils  ne  furent  pas  regrettés  lors  de  leur  bannissement, 
mais  encore  on  vit  naître  une  «aversion  traditionnelle  pour  le  jésuite»,  ainsi  que  l'avoue 
Mr.  Alvaro  Pinheiro  Chagas,  qui  fut  député  monarchiste  et  secrétaire  de  Mr.  Jean  Franco, 
dernier  président  du  conseil  du  roi  (  "harles  '. 

C'est  pourquoi  le  comte  Alexis  de  Saint-Priest,  lorsqu'il  écrivit  en  1844  sur  le 
bannissement  des  jésuites  du  Portugal,  au  temps  du  Marquis  de  Porabal,  a  conclu 
logiquement  : 

«A  tort  ou  à  raison,  la  responsabilité  des  événements  retourne  à  ceux  qui  exercent 
le  pouvoir,  et,  on  ne  peut  le  nier,  le  pouvoir  leur  (aux  jésuites)  a  appartenu  en  Portu- 
gal, sans  interruption  ni  lacune,  durant  toute  cette  période  de  deux  cents  ans  (1540  à 
1759)»  2. 

L'allemand  H.  Boehmer,  professeur  à  l'Université  de  Bonn,  ayant  fait,  dans  son 
livre  Les  Jésuites,  un  petit  aperçu  de  l'histoire  des  jésuites  en  Portugal,  arrive  à  la 
même  conclusion  : 

«Mais,  alors  même  que  les  Pères  ne  remplissaient  aucune  charge  publique  dans  le 
royaume,  ils  étaient  en  fait  plus  puissants  en  Portugal  que  dans  n'importe  quel  autre 
pays.  Ils  n'étaient  pas  seulement  les  directeurs  de  conscience  de  toute  la  famille  royale, 
ils  étaient  aussi  consultés  par  le  roi  et  ses  ministres  dans  toutes  les  circonstances  im- 
portantes. D'après  le  témoignage  d'un  des  leurs,  aucune  place  dans  l'administration  de 
l'Etat  ou  de  l'Église  ne  pouvait  être  obtenue  sans  leur  consentement,  si  bien  que  le 
clergé,  les  grands  et  le  peuple  se  disputaient  leurs  faveurs  et  leurs  bonnes  grâces.  Ajou- 
tons que  la  politique  étrangère  elle-même  était  sous  leur  influence.  Aucun  homme 
de  sens  ne  soutiendra  qu'un  pareil  état  de  choses  ait  été  profitable  au  bien  du 
royaume  »■*. 

C'est  ce  que  nous  allons  voir  dans  cette  petite  histoire  de  la  Compagnie  de  .Jésus  en 
Portugal,  basée  principalment  sur  des  livres  et  d'autres  documents  écrits  par  les  jésuites 
mêmes. 


1  0  Movimento  Monârquico  (Le  Mouvement  Monarchiste,  le  28  janvier  et  le  5  octobre),  Porto, 
1913,  p.  10. 

•'  Histoire  de  la  Chute  des  Jèsiiiles  au  XVI II'-  siècle,  1750-1782,  p.ar  le  C."'  Alexis  <le  Saint- 
Priest,  pair  de  France,  nouvelle  éilitioii,  Paris,  184('),  p.  t. 

^  H.  Boehmer,  professeur  à  l'Université  de  ISoiiii,  Lei  Jésuites,  ouvrag(!  traduit  do  l'alhsmand 
par  Gabriel  Monod,  membre  de  l'Institut,  Pari.5,  Armand  Colin,  1910,2'  M\t\ou,f>.  86. -—Voir  p.  29  de 
ce  livre. 


PREMIÈRE     ÉPOQUE 
1540-1759 

CHAPITRE  PREMIER 
Régne  de  Jean  III  (1530-1557) 

Jacques  Govea,  Principal  du  Collège  de  Sainte-Barbe,  à  Paris,  où  Ignace  de 
Loyola  et  quelques  uns  de  ses  compagnons  avaient  étudié,  sachant  que  ceux-ci  ne  pour- 
raient plus  aller  en  Palestine  convertir  les  Turcs,  comme  ils  l'avaient  pensé  d'abord, 
écrivit  au  Roi  Jean  III  qu'il  pourrait  les  utiliser  pour  la  conversion  des  indigènes  des 
Indes  Orientales,  dernièrement  conquises  par  les  Portugais '. 

Le  roi,  acceptant  le  conseil,  donna  l'ordre  à  Pierre  Mascarenhas  — son  ambassa- 
deur à  Rome,  qui  lui  avait  aussi  écrit  à  cet  égard —  de  s'adresser  à  Ignace  de  Loyola, 
afin  d'obtenir  de  lui  six  de  ses  compagnons,  pour  les  missions  des  Indes. 

Loyola  ne  voulant  pas  abandonner  la  lutte  avec  les  protestants,  qui  se  présentaient 
devant  lui  en  Europe,  n'envoya  au  roi  du  Portugal  que  deux  des  ses  compagnons  pri- 
mitifs, Simon  Kodrigues  et  François  Xavier,  qui  arrivèrent  à  Lisbonne  en  1540:  le 
premier  en  mars  et  le  second  en  juin"-. 

Mais  comme  alors  il  n'était  plus  facile  d'embarquer  pour  l'Orient,  ils  restèrent  jus- 
qu'à l'année  suivante,  ("ependant  le  roi  décida  que  seul,  François  Xavier,  espagnol, 
irait  en  Orient  ;  et  il  partit  le  7  avril  1541  -K. 

Jean  m  voulut  que  Simon  Rodrigues,  portugais,  restât  en  Portugal  pour  développer 
la  Compagnie  de  Jésus  dans  ce  Royaume  ''. 

Cette  résolution  royale  fut  motivée  par  la  manière  dont  Simon  Rodrigues  et  son 
compagnon  s'étaient  présentés  à  la  Cour.  A  son  arrivée  Simon  Rodrigues — -suivant  la 
coutume  déjà  adoptée  en  Italie  par  Ignace  et  ses  compagnons  —  ne  voulut  pas  accepter 
l'habitation  près  du  Palais  Royal,  que  le  Roi  lui  offrait  pour  sa  résidence,  mais  il  se  re- 
tira à  l'Hôpital  de  Tous  les  Saints,  où  il  exerçait  les  fonctions  les  plus  humbles,  servant 
les  malades  et  parcourant  les  rues  en  demandant  l'aumône  pour  les  prisonniers  et  les 
malheureux  ^. 

Sa  manière  d'agir  impressionna  vivement   la  Cour.   Il  s'y  présentait   vêtu  d'une 


'  Balthazar  Tcllcz,  part,  i,  pp.  14-15.  —  Antoine  Franco,  jésuite  portugais,  ima^era  do  Virtude 
ein  0  Noviciado  de  Lithoa  (Image  do  la  Vertu  au  noviciat  do  Lisbonne),  liv.  i,  cliap.  xii,  p.  59. 
-  Fr.'inco,  Imarjem  da  Virtude  eni  o  Noviciado  de  Lisboa,  liv.  i,  chap.  xii,  pp.  60-62. 
'  Franco,  ibidem,  chap.  xiu,  p.  66. 
'  Franco,  ibidem,  chap.  xm,  p.  65. 
■'  Ffîtrion,  iMdoni,  jt.  ^>1 . 


8 

vieille  soutane,   dont  le  col   était  attaché  par  une  lanière  en  cuir  blanc  et  on  le  voyait 
dans  la  rue  chargé  d'un  chaudron   où    il  transportait  la  nourriture  aux  prisonniers  '. 

Les  premiers  compagnons  suivirent  son  exemple.  Cette  manière  d'agir  d'une  humi- 
lité si  exagérée  à  cette  époque  de  la  Renaissance,  où  le  luxe  ecclésiastique  scandalisait 
les  peuples  et  s'était  attiré  les  récriminations  de  Luther,  trompa  facilement  le  Roi,  dont 
l'intelligence  était  assez  courte,  comme  le  reconnaissent  ses  biographes  -  :  quand  il  voyait 
à  la  Cour  ces  prêtres,  d'une  trop  grande  humilité,  il  s'écriait,  devant  ses  courtisans  : 
«Voici  de  vrais  apôtres!  ^n 

Et  pendant  liien  des  années,  ils  furent  connus  en  Portugal  sous  ce  nom  à'apôtres. 
Simon  Eodrigues  comprit  que  l'humilité  et  la  mortification,  bien  manifestées  en  public, 
étaient  de  précieux  éléments  pour  attirer  l'attention  et  la  bienveillance,  c'est  pourquoi 
il  les  exagérait  de  plus  en  plus,  et  après  lui  ses  subordonnés  '',  avec  une  adroite  hy- 
pocrisie, ainsi  que  nous  le  prouverons  et  le  démontrerons  en  nous  servant  des  paroles 
des  historiens  jésuites  eux-mêmes.  Il  ordonna  à  un  jeune  novice  noble,  nommé  Alphonse 
Barreto,  de  s'habiller  en  commissionnaire  et  de  vivre  avec  les  gens  de  maison  qui  trans- 
portaient les  fardeaux  et  faisaient  les  commissions,  atin  de  les  attirer  à  prendre  pour 
confesseurs  les.  pères  jésuites  du  Collège  de  Santo  Antâo,  o  Velho  (Saint  Antoine- Abbé, 
le  Vieux)  ^. 

Les  novices,  dont  quelques  uns  appartenaient  à  la  meilleure  noblesse,  se  présen- 
taient par  son  ordre  à  la  Cour,  portant  des  vêtements  de  drap  grossier  et  le  bâton  à  la 
main,  comme  de  pauvres  pèlerins,  ce  dont  les  dames  de  la  Cour  étaient  profondément 
touchées  ^. 

Simon  Rodrigues  avait  toujours  désiré  avoir  un  collège  à  Coimbre,  où  se  trouvait 
l'Université,  et  où  il  voulait  attirer  beaucoup  d'étudiants  au  noviciat;  mais  il  trouva  au 
début  une  grande  opposition  chez  les  professeurs  et  les  élèves. 

Pour  gagner  la  bienveillance  de  ceux-ci  il  envoya  à  Coïmbre  le  novice  Emmanuel 
Godinho  qu'il  avait  recruté  parmi  les  jeunes  nobles  de  la  Cour. 

Habillé  en  étudiant,  vivant  entre  eux,  il  suivait  le  cours  universitaire  et  entraînait 
des  jeunes  gens  à  faire  des  visites  aux  pères  de  son  Collège  et  à  se  confesser  à  eux  ''. 

Ce  déguisement  lui  réussit  ainsi  que  la  pratique  des  exercices  spirituels  d'Ignace 
de  Loyola,  si  terrible  pour  les  esprits  faibles,  et  aussi  les  scènes  singulières  d'humilité  et 
de  mortification  exagérée  auxquelles  ces  premiers  jésuites  se  livraient  à  Coïmbre.  Ils 
parcouraient  les  rues  pendant  la  nuit,  se  donnant  la  discipline  et  demandant  à  grands 
cris  aux  pécheurs  de  se  repentir  pour  éviter  les  peines  de  l'enfer  **. 

Un  jeune  noble  qui  avait  terminé  son  cours  universitaire  sollicita  de  Simon  Rodri- 
gues la  permission  d'être  admis  dans  la  Compagnie  avant  de  faire  son  doctorat,  liodri- 
gués  étudia  à  fond  l'esprit  du  jeune  homme  et  vit  le  profit  qu'il  pourrait  tirer  des  idées 
qu'il  lui  avait  inoculées.  Il  lui  ordonna  donc  de  faire  son  doctorat  et  de  recevoir  les  in- 
signes avec  tout  le  cérémonial. 

Il  le  fit  alors  venir  au  Collège  suivi  du  plus  brillant  cortège,  comme  c'était  l'usage 
en  ce  temps  là.  Il  ordonna  en  suite  au  nouveau  docteur  d'enlever  son  brillant  costume, 


•  Franco,  ibidem,  pp.  71  et  72. 

2  Pinheiro  Chagas,  Histoire  de    Porliujat,  vol.  ui,  rhap.  lu,  p.  407,  Lisbouue,  l'.)00. — ^fcJchaefcr, 
Hittoire  de  Portugal,  tome  m,  p.  -353. 

'  Franco,  ibidem,  p.  64.  —  Balthazar  'l'ellez,  part.  i,p.  43. 

•i  Baltliazar  Tidlez,  ibidimi,  cbap.  xxxviii,  p.  189. 

••  Baltbazar  Tellez  ibidem,  p.  215. 

6  Balthazar  Telloz,  ibidem,  p.  192. 

'  Balthazar  Tellez,  ibidem,  ehap.  xxi,  p.  106  et  eliap.  xviii,  p.  80. 

"  Franco,  Imarjfm  da  Virtnde  cm  i>  Xoi'iciado  de  IJutna,  liv.  i,  eha]).  xviii.  p.  >^1 


de   prendre  sur  son  dos  un  mouton  écorché  et,  après  avoir  parcouru  k  pied  les  rues  de 
la  ville,  de  le  porter  en  cadeau  au  professeur  qui  avait  présidé  à  son  doctorat  '. 

Il  fit  faire  plusieurs  autres  extravagances  ;i  d'autres  prétendants.  Il  exigea  que 
l'un  d'eux  apportât  une  tête  de  mort,  depuis  les  portes  de  la  ville  jusqu'au  Collège, 
en  s'arrêtiint  à  la  porte  de  chaque  église  qu'il  trouverait  sur  son  passage,  ce  qui,  natu- 
rellement et  comme  il  s'y  attendait,  excita  les  plaisanteries  des  gamins  et  servit  de  ré- 
clame au  noviciat  du  Collège  ^. 

Il  employait  dans  les  travaux  du  Collège  les  novices  et  les  pères,  dont  quelques 
uns  appartenaient  aux  meilleures  familles  du  royaume;  ils  transportaient  des  pierres  dans 
des  brouettes  et  allaient  chercher  de  l'eau  au  fleuve,  comme  de  simples  ouvriers  ^. 

Simon  Rodrigues  réussit  ainsi  ;'i  gagner  complètement  la  confiance  et  la  bienveil- 
lance du  Roi  et  de  beaucoup  de  courtisans,  de  ceux  qui  obéissent  toujours  aux  désirs 
du  Roi. 

Les  dons  et  les  témoignages  d'amitié  du  Roi  devinrent  très  fréquents.  D'abord  il  leur 
donna  le  couvent,  devenu  alors  vacant,  de  St.  Antoine- Abbé  à  Lisbonne,  où  Simon  alla  vivre 
avec  ses  compagnons  le  5  janvier  1542  '',  puis  des  maisons  à  Coïmbre  pour  la  fonda- 
tion d'un  Collège  dans  cette  Université  et  enfin  de  l'argent  et  encore  de  l'argent,  pour 
l'agrandissement  dé  ce  Collège,  contrairement  à  l'opinion  du  Conseil  Municipal  de 
(Joïmbre,  auquel  la  fondation  devait  nuire  et  qui  fit  sentir  au  Roi  qu'il  devait,  au  lieu 
de  dépenser  de  l'argent  pour  ces  faux  apôtres,  l'appliquer  à  la  guerre  d'Afrique,  où  il 
manquait  pour  subvenir  aux  frais  des  places  de  guerre  africaines,  ■'  qui  vinrent  ensuite 
k  tomber  entre  les  mains  des  maures  ''. 

Le  roi,  cependant  ne  voulut  écouter  les  conseillers  municipaux  de  Coïmbre;  au 
contraire  il  décréta  des  mesures  rigoureuses  contre  ceux  qui  s'opposeraient  à  la  cons- 
truction du  Collège  '  et  il  dit  à  Rodrigues  de  ne  craindre  aucun  ennemi  et  de  ne  pas 
chercher  de  protecteur  parmi  les  courtisans,  mais  de  s'adresser  directement  à  lui  ^. 

Sa  bienveillance  envers  le  nouvel  Ordre  était  si  grande  qu'il  signait  debout  les  no- 
minations, lettres  et  ordonnances,  en  faveur  de  la  Compagnie,  écrites  par  n'importe  quel 
jésuite  '■'. 

C'est  lui  qui  demanda  au  Pape  Paul  III  d'approuver  définitivement  la  Compagnie 
de  Jésus,  qui  n'avait  pas  encore  le  rescrit  apostolique  de  sa  confirmation,  mais  seule- 
ment l'approbation  de  vive  voix,  et  ce  fut  lui  qui  paya  les  traites  de  cette  confir- 
mation 1". 

Jean  III  prit  Simon  Rodrigues  pour  arbitre  de  sa  conscience  et  des  Conseils  de  la 
Cour  et  en  1543  il  le  chargea  d'enseigner  le  catéchisme  à  son  fils  Jean,  à  peine  âgé  de 
six  ans  ",  enseignement  qu'il  faisait  déjà  aux  enfants  nobles  de  la  Cour,  depuis  son  arri- 
vée en  Portugal  et  que  ses  successeurs  continuèrent  jusqu'au  temps  du  roi  Sébastien  '-. 


'  Baltliazar  Tellez,  part,  i,  chap.  xxii,  p.  110. 

'^  Franco,  Imar/eia  da  Virtude  em  o  Noviciado  de  Litlioa,  liv.  i,  chap.  xviii,  p.  81. 

'  Franco,  Imai/em  da  Virtude  em  n  Noviciado  de  Lishoa,  pp.  75,  82  et  84. 

'  Franco,  ibidi'm,  p.  (58. 

■'  Balthazar  Tellez,  Chronique  de  la  Compagnie  de  Jésus,  part,  i,  lir.  ii,  chap.  xxii,  p.  326. 

^  Schaefer,  Histoire  de  Portugal,  tome  m,  p.  375. 

'  Baitha/.ar  Tellez,  part,  i,  pag.  -126. 

"  Franco,  Im.  Virt.,  p.  72.  —  Balthaz.-ir  Tellez,  part,  i,  pp.  100  <■  IIS. 

••  BalthazMT  Ti'liez,  part,  i,  p.  130. 

1"  Balthazar  Tellez,  part,  t,  p.  44,  et  243. 

1"  Franco,  ibidem,  pp.  70  et  83.  — Balthazar  Telle/.,  pp.  1,34. 

12  Balthaznr  Tellez,  iliidem.  pp.  39  et  40. 


10 

L'estime  et  le  respect  que  Jean  III  avait  pour  Simon  Kodriguea  étaient  tels  et  il 
recherchait  avec  tant  d'assiduité  ses  conseils  que  lorsque  Ignace  de  Loyola  voulut  en 
1545  que  Simon  Rodrigues  allât  à  Rome,  le  roi  ne  voulut  pas  y  consentir  et  écrivit  à 
Loyola  que  Simon  Rodrigues  était  absolument  nécessaire  à  la  Cour,  car  il  avait  besoin 
de  lui  pour  guider  sa  conscience  et  les  affaires  du  royaume  '. 

Cependant  Rodrigues  craignait  que  son  pouvoir  à  la  Cour  ne  vînt  à  disparaître, 
lorsque  Ton  eût  découvert  ses  artifices.  [1  voulut  donc  empêcher  l'entrée  de  ceux  qui 
pourraient  le  démasquer. 

En  cette  année  154;')  le  Roi  fit  venir  à  sa  Cour  Damien  de  Goes,  un  portugais  très  illustre, 
qui  avait  été  le  Chef  des  Bureaux  portugais  à  Anvers  et  chargé  de  plusieurs  missions 
diplomatiques  dans  diffi'rentes  Cours  de  l'Europe,  avait  reçu  le  doctorat  à  Padoue,  s'était 
lié  avec  Luther  et  Mélanchton  et  avait  eu  pour  ami  Erasme,  qui  était  mort  dans  ses  bras. 
Il  avait  fréquenté  le  (Jardinai  Sadoleto,  plus  tard  secrétaire  du  Pape,  et  avait  été  chargé 
par  lui  de  tenter  d'amener  Luther  à  l'obéissance  de  Rome.  Sadoleto  écrivit  à  Luther  et 
envoya  la  lettre  par  Damien  de  Goes,  en  vue  des  relations  de  celui-ci  avec  l'hérésiarque. 

C'était  cet  homme  d'une  si  haute  culture  intellectuelle,  lié  avec  les  plus  grands 
esprits  de  l'époque  et  que  Erasme,  Sadoleto  et  le  Pape  tenaient  en  si  haute  estime  que 
Jean  III  avait  invité  à  être  l'instituteur  de  son  fils  Jean,  qui  alors  comptait  déjà 
8  ans.  Simon  Rodrigues  connaissait  bien  Damien  de  Goes,  dont  il  avait  été  l'hôte  à  Pa- 
doue. Il  savait  son  mérite  et  le  mal  qu'il  pourrait  faire  aux  idées  introduites  à  la  Cour, 
s'il  y  entrait. 

Se  trouvant  donc  alors  avec  la  Cour  à  Evora  il  accusa  immédiatement  devant  l'In- 
quisition Damien  de  Goes,  comme  suspect  d'hérésie. 

Cette  accusation,  pleine  de  ruse  et  d'intrigue,  où  il  se  sert  même  de  ce  qu'il  avait 
vu  manger  à  Damien  de  Goes  lorsque  celui-ci  l'avait  invité  ;'i  venir  chez  lui,  se  trouve 
dans  le  procès  de  l'Inquisition,  aujourd'hui  imprimé,  et  révolte  l'esprit  moderne  par  la 
bassesse  et  la  petitesse  du  caractère  de  ce  jésuite  -. 

L'Inquisition  ne  voulut  pas  se  préoccuper  alors  de  l'accusation  de  Rodrigues  et  ne 
fit  pas  suivre  le  proci's,  mais  le  jésuite  avait  obtenu  ce  qu'il  désirait.  Damien  de  Goes 
ne  fut  pas  nommé  professeur  du  Prince,  on  lui  donna  en  compensation  la  place  d'Ins- 
pecteur en  Chef  des  Archives  de  Torre  du  Tombe  et  il  fut  nommé  Grand  Chroniqueur 
du  Royaume.  L'enseignement  littéraire  du  Prince  fut  confié  au  P.  Antoine  Pinheiro, 
ami  de  Simon  Rodrigues  depuis  Paris  et  qui  fut  plus  tard  Evêque  de  Bragance  et  de 
Leiria. 

En  1544  la  princesse  Marie,  fille  de  Jean  III,  était  promise  en  mariage  au  prince 
Philippe,  fils  de  Charles  V,  qui  devint  le  célèbre  et  terrible  Philippe  II  d'Espagne. 
Ignace  de  Loyola,  voyant  l'influence  que  Simon  Rodrigues  et  ses  compagnons  avaient  sur 
l'esprit  du  père  de  la  fiancée,  eut  l'idée  de  faire  aller  dans  la  suite  de  la  future  reine 
quelques  jésuites  qui  deviendraient  les  introducteurs  de  l'Ordre  en  Espagne.  Dans  ce 
but  on  appela  en  Portugal  Pierre  Lefèvre,  l'un  des  premiers  compagnons  d'Ignace,  et  l'es- 
pagnol Araoz,  que  l'on  fit  entrer  dans  la  comitive  de  la  Reine.  Par  son  intervention  ils 
parvinrent  à  fonder  quelques  collèges  en  Espagne  •'. 

Cependant  Simon  Rodrigues  n'était  pas  assez  fin  pour  comprendre  que  l'on  ne  peut 
pas  abuser  des  faveurs  des  Rois,  et  il  abusait  hardiment  auprès  du  Roi  et  des  courti- 
sans de   l'influence   qu'il  avait  acquise  à  la  Cour.  Ainsi  en  1549  il  admit  dans  l'Ordre, 


'   Kranco,  ilnili-rii.  p.  83. 

■-'  fnéditot  Goeaianos  ooligidos  c  anolados  por  Guillierme  S.   C.  Ihnriquis.    ] 'ol.  [1-0  Procesno 
na  I/KfuiHiçào.  —  Documentos  mwlio»,  Notan.  Lisboa  1898,  pj).  5,12,  70,  85,  86,  87  cX  88. 
3  Raltli:iz;ii-  Triiez,  pari,  i,  pp.  160  ni  V.V,. 


11 

comme  novice,  Theotonio  de  Bragance,  jeune  homme  de  dix-huit  ans,  neveu  de 
Jean  III  et  frt're  du  Duc  de  Bragance,  s'abstenant  d'en  faire  part  et  n'ayant  môme 
pas  dit  au  jeune  prétendant  d'obtenir  le  consentement  de  ses  deux  parents.  Cette  ma- 
nière d'agir  les  mécontenta  tous  deux  et  ils  pensèrent  que  le  jeune  homme  avait  été 
suggestionné  par  les  paroles  captieuses  de  Rodrigues  et  par  les  excentricités  d'humiliation 
et  de  pénitence  auxquelles  les  jésuites,  comme  nous  l'avons  vu,  se  livraient  à  Coïmbre. 
Ils  voulaient  faire  sortir  le  jeune  homme  du  noviciat  des  jésuites  de  Coïmbre  et  l'envoyer 
auprès  de  personnes  de  confiance  chargées  de  savoir  ce  qu'il  y  avait  de  vrai  au  sujet  de 
cette  vocation,  qui,  comme  en  effet  on  l'a  vu  plus  tard,  n'était  pas  solide.  Simon  Rodri- 
gues refusa  formellement  d'accéder  au  désir  du  Roi,  en  lui  disant  que  lui,  Simon  Rodri- 
gues, ne  pouvait  en  conscience  permettre  que  l'on  éloignât  du  service  de  Dieu,  dans  la 
Compagnie,  un  jeune  homme  qui  l'avait  recherché,  sous  le  seul  prétexte  qu'il  appartenait 
à  la  première  famille  du  Royaume  et  parce  que  la  Compagnie  était  trop  jeune,  comme 
on  disait.  Il  ajoutait  que  si  le  Roi  voulait  retirer  de  force  le  novice  du  collège  de  Coïm- 
bre il  pourrait  le  faire,  mais  que  les  alguazils  chargés  de  l'en  arracher  recevraient  aussi 
les  clefs  du  collège  et  tout  ce  qu'il  contenait,  parce  que  c'étaient  des  dons  royaux;  que 
lui,  Simon  Rodrigues,  allait  donner  des  ordres  pour  que  les  jésuites  y  résidant  eussent  à 
se  rendre  tous  au  Collège  de  Salamanque,  récemment  fondé.  Et  de  fait  il  donna  ces 
ordres  et  prépara  les  choses  pour  qu'ils  fussent  exécutés  '. 

Le  Roi,  en  présence  de  l'énergie  de  Simon  Rodrigues  et  voyant  aussi  qu'il  ne  lui 
convenait  pas  de  défaire  le  Collège  qu'il  avait  fondé  avec  tant  de  plaisir,  consentit  à 
ce  que  le  novice  Theotonio  continuât  son  noviciat  librement,  et  il  ne  s'inquiéta  plus  au 
sujet  de  sa  vocation  jésuitique,  qui,  on  l'a  su  après,  avait  été  inventée  par  Simon  Ro- 
drigues, vu  que,  sept  ans  écoulés  et  après  bien  des  péripéties  auxquelles  se  rapporte 
Astrain,  -  il  sortit  de   l'Ordre  et  devint  plus  tard  Archevêque  d'Evora  '. 

Alors  Ignace  de  Loyola  avait  dtjk  reçu  à  Rome  beaucoup  de  lettres  de  différentes 
sources,  où  on  lui  faisait  voir  la  mauvaise  direction  que  Simon  Rodrigues  donnait  aux 
affaires  de  l'Ordre  en  Portugal.  Il  l'appela  à  Rome  en  1550  en  disant  que  les  Constitutions 
de  la  Compagnie  allaient  recevoir  leur  sanction.  Ignace  reconnut  que  Simon  Rodrigues 
s'enorgueillissait  extrêmement  de  son  influence  à  la  cour  Portugaise  '.  Il  le  laissa  cepen- 
dant retourner,  afin  de  mieux  préparer  son  éloignement  définitif  du  Portugal.  Ainsi  l'année 
suivante,  sous  prétexte  de  mettre  à  exécution  la  règle  des  nouvelles  Constitutions,  qui 
marquait  l'espace  de  trois  ans  pour  le  Provincialat,  il  établit  trois  provinces  dans  la  Pé- 
ninsule :  celle  de  Portugal,  celle  de  Castille  et  celle  d'Aragon  :  il  nomma  Simon  Rodrigues 
Provincial  de  celle-ci,  Araoz  pour  la  Castille  et  le  P.  Miron,  valencien,  pour  le  Portugal. 

Rodrigues  se  soumit  difficilement  à  cet  ordre  d'Ignace  ;  il  retarda  même  son  départ 
pour  l'Aragon  espérant  que  le  Roi  s'y  opposerait.  Mais  Jean  III  ne  s'y  opposa  pas,  parce 
qu'il  connaissait  déjà  l'orgueil  dominateur  de  Rodrigues  et  aussi  parce  que  deux  jésuites, 
dont  l'influence  fut  mauvaise  plus  tard,  les  pères  Léon  Henriques  et  IjOuIs  Gonçalves  da 
Câmara,  avaient  intrigué  à  la  Cour  pour  enlever  tout  appui  à  Simon  Rodrigues.  Celui- 
ci  alla  donc  en  Espagne,  sans  même  passer  par  la  Cour.  Mais  il  n'y  resta  pas  longtemps 
et  il  revint  en   Portugal,  ayant  envoyé  auparavant  un  de  ses  compagnons,  le  P.  Louis 


'  Balthazar  ïellez,  part,  i,  jjp.  399  à  407. —  Fianci),  ibidem,  pp.  85  à  90. 

-  Histoiia  de  la  Compania  rie  Jésus  en  la  Afistencia  de  Espaha,  por  el   P.   Antonio   Astrain. 
t.  I.  1541)- 1556,  Madrid  1902,  p.  636.  Note. 

5  L.   A.   Rnbîlo  (la  Si! va,  Histoire  de  Porliiyal  aux  XVII."  et  XVIIl.'  Sieclex,  Lisbonne,  18(>0, 
t.  I,  p.  387. 

'        '  Astrain,  ibidem,  p.  591.   «Estaba  el  P.  Simon  Rodrigues  miiy  trocado  en  su  modo  di;  vivir, 
engroido  con  ri  favor  (jif  ii-  dalian  los  Ueyes  de  l'ortnjral,  y  no  poco  at'rrrado  "i  su  propio  juirio)). 


12 

Gomes,  afin  de  discréditer  Ignace  de  Loyola  .'i  k  Cour.  Cependant  les  Supérieurs  jésui; 
tes  portugais,  dont  plusieurs  avaient  été  rcyus  par  lui  dans  l'Ordre,  refusèrent  de  le 
recevoir  chez  eux  contre  l'ordre  de  Loyola. 

Il  se  retira  donc  chez  le  Due  d'Aveiro,  un  des  rares  gentilshommes  qui  lui  étaient 
restés  tidèles.  Mais  se  voyant  sans  appui  à  la  Cour  il  dut  enfin  partir  pour  Home,  où 
Loyola  le  soumit  à  un  jugement,  dans  lequel  furent  accusateurs  les  jésuites  Melchior 
Carneiro  et  Gonçalves  da  Câraara,  et  juges  quatre  jésuites  étrangers,  qui  le  condamnèrent 
à  plusieurs  pénitences  et  surtout  à  ne  plus  revenir  en  Portugal. 

Il  fut  principalement  condamné  parce  qu'il  s'était  servi  de  son  influence  à  la  Cour 
pour  atteindre  son  but  particulier,  ne  se  soumettant  pas  aux  ordres  du  Général  et 
s'entourant  d'un  luxe  et  d'un  confort  contraires  à  l'Ordre  '. 

Il  fut  absout  par  Ignace  des  autres  peines,  mais  celle  de  ne  pas  revenir  en  Portu- 
gal fut  maintenue. 

Il  alla  vivre  d'abord  en  Italie,  puis  en  Espagne,  et  ce  n'est  que  vers  la  fin  de  sa 
vie,  en  157^),  après  tant  d'années  d'exil  et  lorsque  Everard  Mercurien  était  Général, 
qu'il  revint  dans  sa  patrie,  oii  il  mourut  en  1579  dans  la  Maison  Professe  de  S.  Roque. 
Cet  événement  de  la  vie  de  Simon  liodrigues  —  d'avoir  été  éloigné  du  Provincialat  de 
Portugal  et  remplacé  par  le  P.  ^[iron,  espagnol,  et  d'avoir  été  obligé  de  quitter  définiti- 
vement le  Portugal  et  condamné  à  Rome  —  mécontenta  beaucoup  de  jésuites  portugais, 
qui  sortirent  de  l'Ordre. 

Comme  l'avoue  Astra'ïn,  à  sa  manière,  les  premières  démonstrations  exagérées  d'hu- 
milité et  de  mortification  se  transformèrent  en  de  véritables  manifestations  de  jouissan- 
ce et  de  supériorité  -  et  le  principe  de  l'obéissance  aux  Supérieurs,  qu'Ignace  de  Loyola 
proclamait  comme  base  de  l'Ordre,  avait  été  mis  de  coté,  et  l'indiscipline  était  mani- 
feste. C'est  pourquoi  Loyola  écrivit,  le  26  mars  1553,  la  célèbre  Lettre  sur  la  vertu 
d'obéissance  pour  les  Pères  et  Frères  de  la  Compar/nie  de  Jésus  en  Portugal  ■''. 

Et  voilà  ce  qu'étaient  cette  humilité  et  cette  mortification,  par  lesquelles  les  pre- 
miers jésuites  voulaient  placer  leur  Ordre  au  dessus  des  autres  Ordres  religieux,  qui 
existaient  alors  en  Portugal.  (Test  aussi  par  elles  qu'ils  dominèrent  l'esprit  faible  et  in- 
culte de  Jean  III  et  de  ses  courtisans,  obtenant  ainsi  de  grands  profits  pécuniaires  et 
d'énormes  privilèges,  comme  nous  le  verrons. 

CHAPITRE  SECOND 

Régence  de  la  Reine  veuve  Catherine  (1557-1562)  —  Régence  du  Cardinal 
Henri  (1562-1568)  — Sébastien  Roi  (1568-1578) 

Le  roi  Jean  III  fut  très  malheureux  dans  sa  nombreuse  descendance,  car  à  sa 
mort,  le  11  juin  1557  '' ,  tous  ses  enfants,  garçons  et  filles,  avaient  péri. 

Il  n'y  avait  plus  comme  héritier  du  trône  que  son  petit-fils  Sébastien,  qui  était 
alors  âgé  de  trois  ans  à  peine.  Il  était  fils  du  Prince  Jean,  décédé,  et  de  la  princesse 
Jeanne,  fille  de  Charles  V.  Il  fut  déclaré  majeur  à  quatorze  ans,  en  1568.  Dans  l'in- 
tervalle   de    la   mort   de   .Tean  III  à  la  majorité  de  Sébastien,  période  de  onze  années, 


1  Astrain,  ibidem,  pp.  588,  601  et  627. 

-  .\strain,  ibidem,  p.  588:  «y  los  misnios  que  habiaii  emprendidu  cuii  t'ervor  la  vida  religiosa 
y  se  habian  talvez  excedido  en  penitencias  y  auiteridades,  se  pasaban  di-pm  s  al  oxtremo  opucstu 
de  buscar  su  rogalo  y  vivir  on  libcrtad». 

'  Caitat  dé  San  Ignacio  <1«  Loyola,  Madrid,  1877,  vdI.  ni,  p]i.  181  à  207. 

<  R.-l)él((  da  Silvn,  ibiili'i.i,  t.  i.  p.  :'.!. 


13 

il  y  eut  deux  régents  du  Royaume:  d'abord  Catherine,  grand'môre  de  Sébastien, 
(1557-1562),  et  ensuite  sou  grand-oncle,  lo  Cardinal  Henri,  (J 562-1568).  Pendant 
tout  ce  laps  de  temps,  il  apparait  dans  la  politique  portugaise,  intriguant  et  influant 
puissamment,  trois  jésuites,  confesseurs  de  la  famille  royale:  l'espagnol  Michel  Terres, 
confesseur  de  la  régente  Catherine,  qui  était  aussi  espagnole,  et  les  portugais,  déjà 
cités  au  chapitre  précédent,  le  P.  Léon  Henriques,  confesseur  et  conseiller  du  régent 
Cardinal  Henri  (ce  régent  Henri  devint  plus  tard  Roi)  et  le  P.  Louis  Gonçalves  da  Câ- 
mara,  ancien  confesseur  de  Jean  III  et  précepteur-conseiller  du  prince  Sébastien  '. 

Ce  P.  Louis  Gonçalves  da  Càmara  était  en  1559  (alors  que  le  prince  Sébastien 
atteignait  sa  cinquième  année)  Assistant  de  la  Province  de  Portugal  à  Rome,  auprès 
du  Général  des  Jésuites,  le  P.  Jacques  Laynez,  à  qui  l'on  demanda  que  le  susnommé 
Louis  Gonçalves  da  Càmara  fût  envoyé  en  Portugal  comme  précepteur  du  prince"-. 

La  régente  Catherine  avait  désiré  que  son  petit-fils  eût  pour  précepteur  le 
célèbre  dominicain  Frère  Louis  de  Grenade,  ou  l'augustin  Frère  Louis  de  Montoya,  tous 
denx  espagnols  ■*.  Mais  le  gouverneur  du  Roi,  le  vieux  et  remarquable  portugais 
Aleixo  de  Meneses,  proclamait  que  pour  cette  charge  de  précepteur  on  ne  devait  choisir 
aucun  prêtre  appartenant  aux  Ordres  Religieux  '*.  Cependant  le  Cardinal  Henri  et  les 
deux  jésuites  confesseurs  de  la  famille  royale  obtinrent  qu'on  décidât  de  confier  l'édu- 
cation du  Prince  au  jésuite  Louis  Gonçalves  da  Càmara,  qui  vint  effectivement  de 
Rome  afin  de  remplir  cette  charge  ''. 

Les  chagrins  dont  la  Reine  souffrait  dans  sa  mission  de  Régente  ne  faisaient  qu'aug- 
menter. Ils  étaient  causés  par  les  intrigues  du  Cardinal  et  de  ses  partisans,  et  ils  s'ac- 
crurent à  un  tel  point  qu'elle  décida  d'abandonner  la  Régence,  en  1560,  et  de  la  laisser 
au  Cardinal.  Elle  écrivit  dans  ce  but  à  quelques  évêques  et  autres  personnalités  impor- 
tantes du  Royaume.  L'influence  de  Frère  Barthélémy  des  Martyres,  Archevêque  de 
Braga,  et  les  conseils  d'autres  personnes  de  valeur,  ainsi  que  les  clameurs  du  peuple, 
la  dissuadèrent  pour  un  temps  et  lui  donnèrent  plus  de  force  pour  réagir  contre  les  des- 
seins ambitieux  du  Cardinal-Inquisiteur  Henri,  qui  n'était  pas  aimé  du  peuple  ". 

Les  intrigues  toutefois  continuèrent,  et  deux  ans  plus  tard,  en  1562,  Catherine 
abandonna  définitivement  la  Régence,  convoquant  à  cet  effet  les  Cortès  Générales  du 
Royaume'.  Celles-ci  élirent  pour  la  Régence  du  Royaume  le  Cardinal  Inquisiteur 
Henri,  non  sans  manifester  le  chagrin  que  causait  au  peuple  l'inhabilité  du  nou- 
veau Régent  et  l'agissement  détestable  des  jésuites.  Ainsi,  entre  autres  choses,  les  Cor- 
tès réclamèrent  «qu'on  forme  un  Conseil  de  douze  membres,  qui  gouvernerait  de  con- 
cert avec  le  Cardinal  Infant»  et  «que  ceux  de  la  Compagnie  de  Jésus,  qui  maintenant 
est  très  différente  de  ce  qu'elle  était  au  commencement,  car  elle  demande  trop,  doivent 
vivre  d'aumônes  comme  tous  les  autres  qui  sont  hors  du  Portugal,  et  ne  doivent  pas 
avoir  de  biens  propres,  et  qu'ils  s'en  défassent,  qu'on  leur  en  prenne  les  rentes;  qu'ils 
commencèrent  par  enseigner  lo  latin  gratuitement  et  qu'à  présent  ils  prennent  mille  cru- 
zades  et  ils  possèdent  seize  mille  cruzades;  qu'ils  ne  soient  pas  en  nombre  supérieur  à 
dix  dans  chaque  maison  **». 


'  Rebêlo  -la  Silva,  iliiili'm,  t.  i,  p.  9.  —  Scliacter, /f(«taVr  rfe  t'oitugal.t.  m,  pp.  .581  et  382. 

■i  Baltliazar  Ti'llj'z,  t.  n,  p.  708. 

■'  Rebêlo  dj,  Silva,  t.  i,  p.  .32. 

•'  Schaefei-,  Uitloire  de  Portugal,  t.  m,  p.  381. 

'"'  KebGlo  lia  Silva,  t.  i,  p.  33. — ^a.v\.o,  l'ortwjid  Cnidailo'O  e  Laflimado.  p.  SG. 

S  Rebêlo  fia  Silva,  t.  i,  pp.  34  et  35. 

'  Rubi'lo  da  Silva,  t.  i,  p.  36. 

'  Pinhf'iro  T'hafc'.is,  [lUloire  de  Portugal,  liisbonnc,  édition  de  1900,  t.  iv,  pp.  198  et  199. 


14 

Déjà  alors  les  jésuites  s'étaient  tellement  adonnés  à  l'acquisition  d'argent  que  le 
peuple  avait  changé  leur  nom  de  Pires  da  Companhia  (prononcer  :  (Jonipagnia)  en  celui 
de  Pires  da  Apanhia  (prononcer:  Apagnia)  '. 

Avec  le  gouvernement  du  Cardinal  Inquisiteur  la  domination  et  la  richesse  des 
jésuites,  ainsi  que  la  souveraineté  de  Rome,  devinrent  beaucoup  plus  grandes  en  Portu- 
gal. Le  Cardinal  augmenta  les  revenus  des  jésuites,  et  donna  à  Rome  une  force  énorme 
sur  le  pouvoir  civil  du  pays,  en  faisant  décréter  comme  lois  portugaises  les  décisions  du 
Concile  de  Trente,  qui  mettaient  le  pouvoir  civil  sous  la  dépendance  du  pouvoir  ecclésias- 
tique. Ces  deux  faits,  outre  quelques  autres,  le  Cardinal  les  présenta  comme  des  motifs 
de  grand  éloge  pour  sa  propre  Régence,  au  moment  où  il  remit  le  Royaume,  en  1568, 
entre  les  mains  de  Sébastien,  qui  était  alors  âgé  de  quatorze  ans  et  fut  déclaré  majeur  -. 

Par  l'avrnement  de  Sébastien,  le  jésuite  Louis  Gonçalves  da  C.âmara,  qui  avait 
été  son  précepteur,  devint  maître  absolu  du  Gouvernement.  Il  nomma  Secrétaire  d'Etat 
son  frère  Martim  Gonçalves  da  Câmara,  prêtre  séculier,  et  choisit  pour  Intendant  des 
Finances  le  vieux  céUbataire  Martin  Pereira  '';  et  il  fit  ces  nominations  en  dépit  des 
conseils  de  la  grand'mère  du  roi,  Catherine,  qui  lui  avait  recommande  d'autres  person- 
nalités pour  ces  charges-là  ''. 

Afin  que  le  Roi  se  trouvât  complètement  débarrassé  de  l'influence  de  l'ex-Régeute, 
qui  s'était  retirée  au  Palais  de  Xabregas,  aux  environs  de  Lisbonne,  on  conseilla 
Sébastien  d'aller  vivre  à  Almeirim.  Il  décida  en  efi'et  d'y  résider  pour  longtemps  et 
y  fit  transférer  plusieurs  fonctionnaires  chargés  des  affaires  officielles  '.  Le  Roi 
s'est  trouvé  de  la  sorte  sous  la  domination  et  l'influence  absolues  de  l'éducation  jé- 
suitique, au  grand  scandale  et  à  l'entière  désapprobation  de  tout  le  Royaume.  Le  gou- 
verneur Aleixo  de  Meneses,  presque  mourant  déjà  (il  s'est  éteint  en  1569)  proclama 
une  fois  de  plus  son  opinion  qu'il  trouvait  les  religieux  incompétents  pour  être  précep- 
teurs et  conseillers  des  Princes  '■'.  Catherine  reconnut  bien  vite  que  tout  le  mal  de 
l'action  gouvernementale  venait  du  triumvirat  des  trois  jésuites  confesseurs  de  la  famille 
royale,  Torres,  Henriques  et  Câmara,  et  proclama  que  ces  trois  confesseurs  s'entendaient  à 
merveille,  tandis  que  leurs  trois  pénitents  étaient  brouillés  entre  eux.  Elle  disait  que  ces 
confesseurs  conseillaient  en  dehors  de  la  confession  ce  qu'ils  ordonnaient  d'exécuter  pen- 
dant la  confession,  et  à  cause  de  cela  elle  cessa  d'avoir  pour  confesseur  le  jésuite  Michel 
Torres  et  choisit  pour  cette  charge  le  dominicain  Frère  François  de  Bobadilla  '.  Beau- 
coup de  gentilshommes  et  le  peuple  clamaient  aussi  contre  la  séquestration  de  Sébastien 
faite  par  les  deux  frères  consanguins,  les  prêtres  Câmara,  le  jésuite  et  le  séculier,  le 
précepteur-conseiller  et  le  secrétaire  d'État,  qui  évitaient  que  le  Roi  parlât  à  d'autres 
personnes  outre  celles,  très  peu  nombreuses,  que  bon  leur  semblait. 

Pour  se  faire  une  idée  de  ce  qu'était  l'opinion  publique  sur  ce  point,  rien  de  mieux 
que  la  lecture  d'une  lettre  que  le  célèbre  évoque  de  Silves,  Jérôme  Osôrio,  écrivit  en 
1577  au  P.  Louis  Gonçalves  da  Câmara,  et  dont  nous  faisons  ici  la  transcription  : 


'  oApanhi.1»  =  action  d'attraper,  de  s'emparer,  de  prendre;  récolte.  Voir  Tcophile  Braga,  His- 
toire de  V Universitt;  t.  ii,  p.  344. 

''  RebÊlo  (la  Silva,  t.  i,  p.  61.  —  Schaefor,  t.  m,  p.  384. 

5  Frère   Bernard   da  Cruz,  Chronique  du  roi  Sebastien,  Lisbonne,'édition  de  1903,  t.  i,  chap.  V, 
pp.  32  et33. —  Balthazar  Tollfz,  part,  ii,  p.  715. 

''  Schaef'er,  t.  m,  p.  387.    -  Pinlieiro  Chagas,  ouvr.  cit. 

••  Scbaefer,  t.  m,  p.  386. 

'  Schaefer,  t.  m.  p.  385. 
\  '  Rebêlo  da  Bilva,  t.  i,  pp.  47  et  48.  —Schaefer,  t.  «i,  p.  388:  «La  raeine  du  mal  — écrivait 
la  Reine  à  Philippe  II  —  est  dans  le  Maître,  qui  est  le  Confesseur  et  principal  T'unseiller  et  oblige, 
comme  Confesseur  à.  ce  qu'on  exécute  ce  qu'il  enseigne  et  conseille». 


15 


Lettre  '  au  père  Louis  Coiiçalvcs  da  Càmara,  couicsscur  ilii  Roi  Srbaslicn 

«Mr. —  Il  me  semblait  que  c'était  seulement  aux  Rois  que  s'étendait  cette  cala- 
mité que  personne  ne  puisse  leur  dire  la  vérité^  sinon  fes  chevaux  ;  car  ceux-ci  seule- 
ment les  détrompaient,  à  leur  dépens,  d'être  de  mauvais  cavaliers,  quand  ils  l'étaient. 
Mais  je  vois  déjà  que  c'est  là  un  mal  que  les  Princes  communiquent  à  tous  ceux  qui  les 
entourent  :  car  Votre  Révérence,  étant  membre  d'une  si  sainte  Compagnie,  a  si  peu  de 
gens  qui  lui  disent  la  vérité  .au  sujet  de  ce  qui  se  passe  et  comment  adviennent  les  cho- 
ses où  Votre  Révérence  et  Mr.  Martim  Gonçalves  sont  tout  ;  parce  que  même  les  Pè- 
res de  la  Compagnie  ne  sont  pas  si  séparés  du  monde  qu'ils  ne  sachent  les  choses  qui 
y  sont  très  publiques  ;  puisque  quelques  uns  d'entre  eux  se  mêlent  de  choses  même  très 
secrètes  et  particulières,  ils  ne  doivent  pas  être  intéressés  au  point  de,  comme  on  croit, 
laisser,  pour  leur  profit  temporel,  une  personne  si  importante  parmi  eux  agir  si  simple- 
ment et  avec  tant  de  confiance  ;  étant  dans  leur  pouvoir  de  la  détromper  et  de  lui  por- 
ter le  remède  nécessaire  sur  cette  Nation  tourmentée  et  inconsolée,  comme  il  est  à  espé- 
rer de  la  vertu  et  discrétion  de  Votre  Révérence. 

«Ceci  m'a  poussé  à  écrire  la  présente  à  Votre  Révérence  et  à  l'avertir  de  ce  qui  se 
passe  sur  le  Pays,  comme  quelqu'un  qui  sait  les  choses  de  la  manière  la  plus  véritable 
qu'on  puisse  les  savoir,  sans  prétendre  ni  vouloir  pour  le  Roi  Notre  Seigneur  et  pour 
ceux  qui  l'entourent  autre  chose  que  le  bien  commun,  et  désirant  voir  sa  Patrie  déli- 
vrée de  la  plus  triste  situation  où  elle  se  fut  jamais  trouvée.  Et  si  Votre  Révérence 
savait  l'amour  que  j'ai  toujours  eu  pour  la  Compagnie  et  pour  Votre  Révérence  en  par- 
ticulier (quoique  je  ne  lui  aie  jamais  parlé),  Votre  Révérence  devrait  me  croire  avec 
confiance;  mais  lors  même  qu'il  n'en  soit  pas  ainsi,  Dieu,  qui  voit  tout,  en  jugera. 

«Premièrement,  dans  l'opinion  de  tous  les  gens  de  ce  Pays  et  dans  celle  des  gens 
qui  flattent  Votre  Révérence  et  se  soumettent  le  plus  à  elle,  Votre  Révérence  apprécie 
le  monde  et  les  honneurs  plus  qu'il  ne  sied  à  l'habit  et  à  la  profession.  Car  on  dit  que, 
ayant  été  le  premier  de  la  Compagnie  à  accepter  pour  soi  des  charges  publiques  et  le 
gouvernement  du  Pays,  Votre  Révérence  a  disposé  les  choses  de  telle  sorte  que  Votre 
Frère  (jeune  homme  sans  expérience  des  affaires,  sans  autorité,  frais  émoulu  des  éco- 
les, médiocrement  lettré)  reçoit  entre  ses  mains  le  poids  d'un  Royaume  dépourvu  d'hom- 
mes, pauvre  de  conseils,  avec  un  enfant  pour  Roi;  il  aurait  fallu  un  Comte  Nuuo 
Alvares  Pereira  ou  quelques  autres  anciens  familiers  des  monarques  de  Portugal,  lors 
même  que  ce  ne  serait  que  pour  sauvegarder  la  décence  et  l'autorité  du  jeune  âge  du 
Roi.  De  ce  dernier  on  dit  que  Votre  Révérence  l'a  fait  homme  pour  qu'il  n'ait  besoin  de 
personne,  et  enfant  pour  que  le  Frère  de  Votre  Révérence  puisse  tout  faire  ;  et  pour 
cela  Votre  Révérence  consentit  que  le  Cardinal  conseillât  au  Roi,  ;'i  Leiria,  de  donner 
la  charge  de  Secrétaire  d'Etat  au  Frère  de  Votre  Révérence,  pour  une  seule  année,  afin 
de  remédier  aux  difficultés  présentes,  mais  plutôt  pour  le  caser  ainsi  plus  facilement  et 
avec  moins  de  scandale. 

«Bien  au  contraire,  le  scandale  fut  d'autant  plus  grand  dans  le  Pays  que  l'astuce 
qu'on  devinait  sous  l'affaire  était  grande  aussi.  Car,  alors  que  Votre  Révérence  avait  été 
d'opinion  qu'on  renvoie  le  secrétaire  Pierre  d'Alcâçova,  pour  faire  chercher  à  Trâsos- 
Montes  celui  qui  le  remplacerait;  ce  serait  juste,  si  cela  avait  été  pour  zéler  la  Répu- 
blique; mais  puisque  cela  a  eu  pour  effet  d'agrandir  tant  le  Frère  de  Votre  Révé- 
rence, au  profond  désagrément  de  tout  le  Pays,  tout  le  monde  a  pensé   que  cet  enchai- 


'  Lettre»  l'ortujitinc-^  de  .rérûmo  Osorici,  Kvûquc  de  Silv<'s,  avec  une  préface  par  Joseph  Ven's- 
simo  Alvares  da  Silva,  de  F.Vcadémie  Koyalo  dos  Sciences  de  Lisboune,  Paris  1819,  p.  26. 


16 

nement  fut  ourdi  dans  ce  but  et  que  pour  cela  on  déploya  toujours  une  activité  désireuse 
d'éloigner  du  Roi  toutes  personnalités  pour  lesquelles  il  témoignait  de  la  sympathie, 
comme  Pierre  Nunes,  premier  Cosmographe,  afin  que  le  Roi,  privé  de  tous,  mis  au  dé- 
pourvu, comme  on  dit  qu'il  est  maintenant,  ne  puisse  aimer  que  Votre  Révérence  ou  ce 
qui  est  à  elle  et  ne  trouver  bons  que  ceux  qui  viennent  de  cette  source. 

«De  plus,  on  dit  que  la  manière  comme  Monsieur  Martini  Gonçalves  gouverne  est  si 
indépendante  et  absolue  qu'on  n'en  a  jamais  vu  de  pareille  dans  ce  Pays,  ni  au  dehors, 
chez  des  hommes  de  valeur,  d'âges  très  diflférents,  doués  d'expérience,  de  prudence  et 
d'autorité,  et  encore  en  Castille,  au  temps  de  Dom  Alvaro.  Car  ce  que  monsieur  Martim  Gon- 
çalves fait  de  moins  grave  c'est  répoudre  aux  personnes  très  sérieuses,  qui  s'en  plaignent, 
qit'il  ne  consentira  pas  que  le  Roi  fasse  telle  ou  telle  chose;  et  quand  il  lui  plait  il  fait 
des  Arrêtés  ministériels,  sans  que  le  Roi  en  prenne  connaissance  ;  et  ces  choses,  même 
le  vulgaire  les  trouve  absurdes  ou  y  découvre  des  fondements  si  abominables  qu'il  est 
effrayant  d'y  penser  ;  le  langage  des  gens  plus  graves  est  celui-ci  :  qu'ils  ont  un  Roi  captif 
de  deux  frères  qui  petit  à  petit  vont  faire  un  autre  Roi  d'Ormuz;  de  telle  sorte  que 
presque  tout  le  monde  est  convaincu  de  ce  que  Votre  Révérence,  afin  d'avoir  le  Roi 
plus  sûr,  lui  fit  faire  un  vœu  d'obéissance,  comme  ceux  de  votre  Compagnie  font  à  leurs 
pénitents.  Quoique  ce  soit  une  bêtise  qu'on  ne  peut  pas  croire,  par  elle  Votre  Révérence 
jugera  la  disposition  des  esprits  et  les  concepts  des  gens.  Ce  départ  pour  Coïm- 
bre  vient  confirmer  de  si  tristes  bruits,  car  il  est  contraire  à  l'opinion  de  tous,  et  avec 
les  déboires  si  publics  du  Cardinal,  en  un  temps  si  incommode  pour  les  affaires  qui  sont 
à  venir.  On  dit  que  ce  départ  n'a  pu  être  ordonné  par  Votre  Révérence  et  votre  Frère, 
que  pour  aller  montrer  votre  pouvoir  à  Coïmbre,  où  vous  avez  été  élevés,  et  continuer  à 
triompher  du  Roi  à  travers  le  Royaume,  pour  vous  rendre  plus  redoutés  et  vénérés  dans 
le  Pays.  Je  jure  à  Votre  Révérence,  par  ce  dont  je  dois  rendre  compte  à  Dieu,  que  je 
n'eulève  ni  n'ajoute  un  seul  mot  à  ce  que  généralement  l'on  dit. 

«Des  desseins  de  Votre  Révéï-ence  je  n'en  parle  pas,  car  ceux-là  Notre  Seigneur 
seulement  peut  les  juger.  Il  m'est  témoin  que  je  n'ai  jamais  douté  de  la  pureté  et  de  la 
droiture  des  intentions  de  Votre  Révérence  en  toutes  choses,  et  que  sur  ce  départ  pour 
Coïmbre,  si  critiqué  de  tous,  j'ai  toujours  pensé  que  Votre  Révérence  le  consentait  dans 
la  conviction  qu'il  est  dangereux  de  briser  complètement  l'appétit  d'un  jeune  Roi;  et  je  ne 
m'occupe  pas  de  cette  raison,  bien  que  j'aie  beaucoup  de  réponses. —  Allez. ^ — Que  Notre 
Seigneur  vous  ramène  plein  de  santé  et  avec  moins  d'appétits  !  —  Seulement,  je  rappelle 
à  Votre  Révérence  et  à  monsieur  Martim  Gonçalves  votre  Frère,  que  vous  avez  à  maintenir 
cette  grandeur  oii  vous  a  placés  la  fortune,  comme  le  monde  croit,  ou  le  bien  commun, 
ainsi  que  vous  dites;  car  je  n'ai  jamais  vu  une  aussi  grande  négligence,  ni  traiter  les 
choses  comme  jamais  on  no  les  a  traitées,  ni  faire  à  soi  et  à  la  personne  d'un  Roi  de 
dix-sept  ans  (qui  est  naturellement  aimable)  les  choses  les  plus  ennuyeuses,  les  plus 
odieuses  que  jamais  on  ne  fit  en  Portugal,  avant  ou  après  Pierre  le  Cruel.  Les  gens 
de  tout  état  et  qualité  parlent  sans  peur,  et  les  Portugais  jurent  qu'ils  préféreraient  être 
gouvei-nés  par  deux  Turcs  les  traitant  avec  amour  et  prudence,  que  de  la  manière  qu'ils 
sunt  traités  à  présent;  que  tout  mal,  pour  plus  grand  qu'il  fût,  qui  adviendrait  à  ce 
Royaume  ou  même  à  la  personne  du  Roi  (que  Dieu  ait  en  sa  Sainte  garde  !)  serait  con- 
sidéré une  extrême  félicité  s'il  délivrait  les  Portugais  de  l'état  où  ils  se  trouvent. 

«Notre  Seigneur,  qui  est  aux  cicux,  est  témoin  que  je  n'ajoute  pas  la  moindre  chose 
à  l'opinion  commune  ni  aux  ilésii's  et  pratiques  des  autres  gens  de  plus  grande  quahté. 
Or  comment  Votre  Révérence  et  monsieur  votre  Frère  peuvent  croire  qu'tui  pouvoir  telle- 
ment forcé  puisse  durer  et  ,quo  des  cœurs  si  violentés  et  si  tyrannisés  le  puissent  être 
longtemps  sans  éclatei'  quelque  part?  Car,  si  votre  dessein  est  d'enlever  les  péchés, 
comme  vous  dites,  jamais  ici-bas  il  n'y  en  eut  tant  ni  d'aussi  préjudiciables;  lors  même 


17 

que  chez  ceux  de  la  chair  il  y  ait  moins  de  dissolution  (ce  dont  je  doute  beaucoup),  il 
y  en  a  de  secrets,  et  il  y  a  la  corruption  de  toujours  et  qui  suffit  pour  condamner  les 
âmes,  et  celle  des  péchés  de  l'esprit,  qui  sont  pires  et  dont  presque  personne  n'est 
exempt.  L'aversion  pour  le  Roi  est  générale:  la  haine  pour  ceux  qui  l'entourent  est 
publique.  Partout  on  se  réjouit  des  maux  dont  souftrent  les  affaires  publiques:  le 
murmure  est  infini.  Et  sinon,  que  Votre  Révérence  interroge  les  confesseurs,  con- 
sulte toutes  ces  gens  mêlées  aux  péchés  mortels  et  qui  ne  savent  pas,  ne  veulent 
pas  ou  ne  peuvent  pas  y  remédier.  Les  occasions  se  multiplient  chaque  fois  davantage 
et  l'infortune  ne  peut  pas  être  plus  grande,  car  elle  est  telle  que  les  langues,  les  esprits 
et  la  loyauté  des  Portugais  soupirent  vers  des  Maîtres  étrangers;  et  préfèrent  servir 
Castille  à  être  tyrannisés  par  les  naturels  :  ils  proclament  haut  qu'il  y  a  peu  de  diffé- 
rence entre  Beijo  as  mâos  a  Vossa  Mercû  '  et  Bejo  las  manos  a  Vuestra  Mercede  :  et 
on  envoie  des  écrits  comme  cela  à  Castille  ;  c'est  la  peur,  dit-on  !  Mais  que  peut  faire  un 
Royaume  si  petit  et  si  pauvre,  s'il  lui  manque  l'amour  et  l'appui  des  Naturels,  qui  ont 
toujours  été  ses  vrais  défenseurs? 

«Et  que  Votre  Révérence  ne  s'étonne  pas;  car  ayant  toujours  vécu  dans  l'affabilité 
de  notre  Roi,  comment  pouvons-nous  aimer  un  Roi  farouche,  qui  ne  nous  voit  pas  et  ne 
cause  pas  avec  les  gens  dont  il  devrait  le  plus  se  servir?  On  dit —  bien  qu'en  l'affirmant 
on  court  le  risque  d'être  chassé,  cependant  tout  le  monde  dit,  ou  du  moins  la  plupart 
des  gens  —  que  si  le  Roi  allait  causer  avec  beaucoup  de  gens  nobles.  Votre  Révérence 
et  monsieur  votre  Frère  craindraient  qu'il  ne  s'affectionnât  plus  profondément  à  d'autres 
qu'à  vous  :  cela  est  confirmé  par  le  témoignage  de  ceux  qui  ont  pu  quelquefois  causer  plus 
longuement  avec  le  Roi,  car  ils  trouvent  chez  lui  tant  d'affabilité  et  tant  de  goût  dans  la 
manière  de  traiter  les  hommes,  qu'il  ne  peut  y  en  avoir  davantage.  Si  on  le  délivrait  et 
si  la  conversation  avec  ses  vassaux  ne  lui  éiait  pas  permise  seulement  par  petites  doses, 
il  serait  le  plus  excellent  des  Rois  et  le  plus  aimé  du  monde.  Si  cela  est  vrai,  malheur 
au  Portugal  !  car  Dieu  permet  la  réunion,  en  un  même  Roi,  d'un  homme  qui  devrait 
être  tant  aimé  et  d'un  conseil  qui  est  tellement  détesté  d'une  nature  où  l'on  distin- 
guerait ce  que  sa  divine  bonté  a  voulu  nous  donner,  et  d'une  manière  d'agir  oîi  l'on 
verrait  ce  que  nos  péchés  ont  voulu  nous  enlever. 

«Je  crois  qu'il  y  a  des  raisons  secrètes  qui  déterminent  Votre  Révérence  et  monsieur 
votre  Frère  à  trouver  que  cela  doit  être  ainsi;  mais  d'une  part,  vous  ne  devriez  pas  être 
si  intéressés  par  le  fait  de  pouvoir  vous  y  fier  (comme  nous  croyons  en  être  sûrs);  et 
d'autre  part,  je  ne  sais  pas  trop  quel  mal  il  pourrait  advenir  du  fait  que  le  Roi  s'affe- 
ctionnât aux  grands  hommes,  pour  qu'on  craigne  une  si  grande  désolation  dans  le  Pays, 
une  si  grande  inquiétude  de  la  Noblesse,  une  si  grande  iiaine  des  particuliers  pour  le 
Gouvernement;  et  cette  haine  —  qui  est  beaucoup  plus  grande  que  je  ne  le  dis  dans  la 
présente  à  Votre  Révérence — il  suffit  d'un  peu  d'habileté  pour  la  deviner,  d'après  la 
marche  des  choses  jusqu'au  moment  actuel:  aussitôt  que,  à  la  grande  joie  de  tous,  le 
Roi  Notre  Maître  prit  le  sceptre,  quelqu'un  surgit  exprès,  semble-t-il,  pour  jeter  le  trouble 
sur  ce  bonheur  à  nous  et  au  Souverain.  Car,  outre  ces  mauvais  procédés  envers  les  gens, 
on  l'induisit  aussi  —  sous  le  seul  prétexte  de  zéler  la  justice  —  à  faire  des  choses  qui 
détruisent  la  Noblesse  portugaise  et  les  hommes  honorables  et  de  sang  illustre. 

«Je  laisse  de  côté  tout  ce  qu'on  a  fait  dans  les  commanderies,  car  l'expérience  a 
déjà  dû  vous  en  faire  repentir.  Par  une  Enquête  générale  et  par  les  édits  publiés,  on 
manifesta  un  bon  désir  de  montrer  entièrement  le  Roi  et  de  le  rendre  aimé  du  Peuple, 
car  on  voulut  de  la  sorte  remédier  aux  griefs  commis  par  ses  officiers;  mais,  comme  il 


'  Je  TOUS  baise  les  mains. 


18 

arrive  aux  choses  soumises  à  la  loi  divine  et  à  la  justice,  ce  fut  du  goudron  que  l'un 
jeta  dans  ce  feu  de  haine  commune  et  de  méfontentement  du  Pays,  surtout  contre  les 
inventeurs  et  les  Ministres  de  cette  démarche.  Car,  d'après  ce  qu'on  dit,  ce  qu'il  y  avait 
de  moins  dans  cette  démarche  c'était  de  l;i  justice  et  de  la  charité  chrétienne.  Et  de  là 
on  conclut  que  ceux  qui  entourent  le  Roi  veulent  introduire  dans  le  Pays  un  nouveau 
gouvernement  absolu  et  presque  tyrannique.  Plût  à  Dieu  que  cela  ne  coûte  pas  les  âmes 
de  beaucoup  de  monde!  Je  dis  ceci  car  on  sait  qu'il  y  a  dans  les  confessionnaux  de  faux 
témoins  accusant  certaines  personnes  et  cherchant  à  les  obliger  à  des  restitutions  qui 
ne  se  feront  jamais  ;  et  le  pire  c'est  qu'on  dit  que,  dans  l'esprit  du  Roi,  du  Cardinal  et 
de  mr.  Martim  Gonçalves,  sont  déjà  condamnés  les  officiers  d(jnt  ils  étaient  mécontents, 
et  que  cette  Enquête  se  fit  tout  simplement  pour  aboutir  à  ce  qu'ils  avaient  déjà  décidé. 
Cela  est  très  mal  reçu  de  tous,  principalement  des  lettrés  qui  voient  une  très  grande 
offense  à  Dieu  dans  cette  manière  d'agir,  que  par  un  pouvoir  absolu  les  hommes  soient 
privés  de  leurs  services.  Et  s'il  en  est  ainsi,  j'avertis  Votre  Révérence,  dans  ma  qualité 
de  grand  dévot  de  la  sainte  Compagnie,  de  s'assurer  très  bien  de  la  manière  comme  le 
Roi  agit  dans  ces  choses;  car  on  trouve  que  tout  se  fait  à  l'ordre  de  ceux  de  la  Com- 
pagnie, et  le  fruit  qu'on  en  retirera  ce  sera  de  la  rendre  beaucoup  plus  odieuse  qu'elle 
n'est,  pour  nos  grands  péchés. 

<i"Votre  Révérence  me  répondra  que  le  Pays  était  perdu,  qu'il  fallait  y  remédier  et 
avec  des  lois  et  avec  des  punitions,  que  cela  rend  le  Roi  odieux  ainsi  que  ceux  qui 
l'entourent.  Plût  à  Dieu  que  la  guerre  fût  gagnée  et  m'eût  coûté  la  vie  !  mais  à  travers  le 
Pays  on  dit  que  nous  pourrons  croire  que  cela  est  ainsi  quand  nous  verrons  les  chargea 
remplies  par  des  hommes  de  grande  expérience  et  de  beaucoup  de  savoir,  qui  ne  man- 
quent pas  dans  le  Pays  et  qui  voient  que  toute  la  réforme  a  consisté  à  favoriser  des 
hommes  du  caractère  et  de  la  partialité  de  ceux  qui  les  ont  inculqués,  non  seulement  pour 
qu'ils   se   soutiennent   mieux   avec  les  états,  mais  pour  justifier  ce  qu'ils  voudront  faire. 

«A  la  bonne  heure  !  —  comme  disent  au  Roi  Notre  Maître  ceux  qui  l'entourent,  et 
ceux  qui  veulent  s'embellir  avec  les  péchés  d'autrui  !  'Votre  Révérence,  pour  l'amour  de 
Dieu,  trouve-t-elle  que  la  prudence  consisterait  à  mettre  des  cautères  sur  tous  les  mem- 
bres à  la  fois?  Et  quelles  sont  les  forces  nécessaires  pour  pouvoir  obtenir  une  si  univer- 
selle et  rigoureuse  guérison"?  N'est-il  pas  à  craindre  que  par  chaque  plaie  il  s'en  ouvre  cent? 
N'aurait-il  pas  été  plus  raisonnable  de  ne  point  effrayer  le  Pays  par  des  rigueurs,  et  d'aller  de 
préférence  petit  à  petit,  afin  de  ne  pas  donner  l'impression  que  nous  n'avons  un  Roi  que 
pour  exécuter  la  fureur,  les  haines  ou  les  intentions  de  ceux  qui  l'entourent?  et  n'a  ton 
pas  eu  souvent  l'occasion  de  dire  que  cela  était  plutôt  une  conjuration  qu'une  réforme? 
D'après  l'état  où  se  trouvent  à  présent  le  Pays  et  les  Finances  du  Roi,  nous  voyons  qu'il 
est  encore  temps  d'y  remédier  doucement  en  deux  ou  trois  années,  évitant  les  déshon- 
neurs si  universels. 

«Il  y  a  quelques  jours  j'ai  entendu  un  prédicateur  sérieux  et  docte  dire,  en  citant 
Saint  Thomas,  qu'un  gouvernement  très  âpre  et  très  sévère  n'est  point  conforme  à  l'es- 
prit de  Dieu  ni  à  sa  loi  ;  et  Votre  Révérence  croit  que  c'est  montrer  du  courage  et  de 
la  droiture  que  de  se  servir  de  la  main  d'un  Roi  enfant  qui  ne  comprend  pas  ce  qu'il 
gagne  dans  l'amour,  ni  ce  qu'il  perd  dans  la  haine  de  ses  vassaux? 

«En  outre  de  ceci,  comment  Votre  Révérence  trouve-t-elle  que  le  Pays  recevra  le 
fait  que  le  Roi  fasse  canoniser  par  le  Pape  le  déshonneur  de  ces  officiers  et  la  perte  du 
Royaume?  On  croit  que  cela  a  été  un  artifice  de  la  Compagnie  afin  de  gagner  les  bonnes 
grâces  de  Sa  Sainteté  et  de  réaliser  ainsi  ses  desseins;  ce  que,  dit-on,  elle  a  obtenu 
comme  elle  le  désirait,  car  jusqu'à  présent  on  n'a  fait  que  perdre  des  Gentilshommes 
au  profit  de  la  Compagnie.  Quoique  toutes  ces  choses  que  j'ai  dites  n'aient  causé  d'autre 
mal  que  le  discrédit  de  la  Compagnie  dans  l'esprit  des  gens  qui  en  avaient  le  plus  be- 


19 

soin,  et  de  la  rendre  si  universellement  haïe  des  hommes,  comme  elle  l'est,  nous  le 
regrettons  tous  beaucoup,  car  nous  ne  pouvons  pas  nier  que  Dieu  a  accordé  beaucoup 
de  miséricorde,  aussi  bien  générale  que  particulière,  en  reconnaissance  des  bienfaits 
qu'elle  a  pratiqués  pendant  beaucoup  d'années:  elle  a  corrigé  bien  des  péchés,  réformé 
bien  des  gens,  répandu  la  dévotion  sur  la  Terre;  elle  a  enseigné  à  fréquenter  les  sacre- 
ments; enfin,  elle  nous  a  fait  comprendre  que  c'était  quelque  chose  que  d'être  Chrétien, 
et  ce  fut  la  cause  que  d'autres  Religions  l'imitèrent  avec  une  plus  grande  ferveur.  Et 
plût  à  Dieu  que  cela  eût  toujours  été  comme  cela,  lors  même  que  ce  serait  dans  des 
cabanes,  sans  s'occuper  d'autre  Royaume  que  de  celui  des  Cieux.  Mais  depuis  qu'on  la 
vit  s'occuper  d'acquérir  tant  de  rentes  et  de  maisons,  elle  commença  à  perdre  le  crédit  * 
des  Ecclésiastiques,  car  ceux-ci  voyaient  qu'on  enlevait  ce  qui  était  à  eux  pour  le  donner 
à  elle  ;  et  depuis  qu'elle  s'est  emparée  de  la  Personne  Royale  —  qui  est  tout  le  bien  et 
toute  la  consolation  de  la  nation  —  et  que  le  Royaume  a  vu  que  les  personnes  qui  orien- 
taient le  Roi  étaient  de  la  Compagnie  et  entretenus  par  elle  et  pour  elle,  pour  qu'elle 
soit  tout  par  tout;  et  le  résultat  de  tout  ceci  c'est  une  énorme  haine  pour  le  Prince  et 
une  désolation  générale;  le  bon  exemple  s'est  transformé  en  scandale,  tout  l'amour  en 
haine,  et  les  bienfaits  spirituels  qu'elle  faisait  ont  cessé  pour  la  plupart:  car  je  vous  jure 
devant  Dieu  que  les  prédications  des  Pères  n'ont  plus  de  crédit  pour  les  gens  et  beau- 
coup de  leurs  dévots  ne  sentent  plus  de  dévotion  pour  se  confesser  ù  eux. 

«Si  le  dessein  de  la  Compagnie  est  de  s'enrichir  et  de  commander,  elle  a  déjà  servi 
de  cible  à  beaucoup  de  tireurs  médisants;  mais  si,  comme  je  dois  le  croire,  son  but  consiste 
dans  le  bien  des  âmes,  qu'est-ce  que  peuvent  produire  des  gens  si  odieux  et  détestables,  et 
que  les  hommes  croient  être  la  cause  de  sa  destruction?  Que  Votre  Révérence  veuille  y 
réfléchir,  pour  l'amour  de  Dieu  et  pour  la  vénération  de  ses  plaies,  et  prendre  garde  de 
ne  devenir,  avec  monsieur  votre  Frère,  le  Paris  et  l'Hélène  de  cette  sainte  Compagnie. 
Considérez  quel  est  le  plus  avantageux:  si  c'est  le  fruit  spirituel  que  l'on  perd  dans  son 
propre  office,  ou  le  temporel  que  l'on  gagne  par  cette  voie?  Ne  cherchez  pas,  pour 
l'amour  de  Dieu,  à  vous  agrandir  par  vous-mêmes;  car  Dieu  vous  rendra  grands; 
occupez-vous  moins  des  Princes,  et  vous  pourrez  plus  librement  vous  occuper  de  Dieu. 
«Au  sujet  de  l'aversion  que  le  Roi  Notre  Maître  manifeste  pour  Lisbonne,  il  y  aurait 
beaucoup  à  dire.  Quoiqu'il  y  ait  bien  des  gens  qui  supposent  que  cela  a  été  une  inven- 
tion du  Cardinal,  quand  il  a  été  obligé  d'y  résider,  la  plupart  des  hommes  pensent  (d'après 
ce  qu'ils  entendent  dire  par  monsieur  Martim  Gonçalves,  qui  est  un  des  favoris  du  Roi 
et  de  V<rtre  Révérence)  que  c'est  parce  qu'on  trouve  qu'ainsi  l'on  peut  mieux  s'emparer 
de  la  personne  du  Roi,  le  menant  dans  les  champs,  où  Votre  Révérence  est  avec  lui 
.  toujours  ;  et  là  il  y  a  moins  de  seigneurs  à  craindre  qu'à  Lisbonne,  les  communications 
sont  moindres  et  il  y  a  beaucoup  plus  de  gens  d'autorité  que  le  Roi  devra  diriger. 

«Comme  Dieu  seul  peut  être  juge  des  intentions,  je  n'en  voudrai  pas  trop  à  ceux 
qui  ont  pensé  comme  cela;  car  la  raison  invoquée,  dit-on,  par  le  Roi  pour  fuir  telle- 
ment Lisbonne  a  été  si  mal  trouvée  par  qui  la  lui  donna.  On  dit  qu'il  ne  donne  d'autre 
raison  que  les  péchés  existant  à  Lisbonne  et  qu'il  ne  veut  pas  qu'à  cause  de  lui  les  jeu- 
nes nobles  s'y  corrompent;  et  le  motif  de  corruption  était  peut-être  de  les  avoir  reçus, 
quand  le  Roi  se  faisait  toujours  entourer  d'eux,  leur  accordant  des  faveurs  et  un  bon 
accueil,  car  ainsi  il  les  avait  obligés  à  le  suivre  à  travers  les  villages,  et  quand  la  Cour 
avait  été,  comme  elle  savait  l'être,  une  école  où  toute  la  Noblesse  tétait  avec  le  lait  les 
bonnes  moeurs.  Mais  puisque  les  autres  vivent  certainement  en  dehors  de  la  Cour  et 
qu'ils  ont  bien  peu  de  divertissements  qui  les  obligent  à  la  suivre,  que  peut-on  espérer 
sinon  qu'ils  vivent  à  Lisbonne  d'une  manière  beaucoup  plus  dissoluCj  sentant  le  manque 
de  la  conversation  et  de  l'occupation  de  la  Cour?  qu'ils  s'habituent  aux  basses  moeurs 
et  deviennent  la  perdition  de  la  Noblesse  Portugaise,  qui  savait  être  si  chérie  des  Rois? 


20 

Celui-là  même  qui  dit  que  le  Roi  agit  ainsi  pour  son  bien,  et  encore  ceux  qui  vivent 
avec  lui  en  dehors  de  Lisbonne,  font  de  chaque  village  une  autre  Lisbonne  :  et  combien 
de  fois  cela  cause  beaucoup  plus  de  sacandale  et  cela  fait  leur  perdition!  Que  l'expé- 
rience le  dise. 

«Or  cette  si  grande  instance  que  Louis  de  Terres  est  venu  maintenant  faire  de 
la  part  du  Pape,  pour  le  mariage  du  Roi,  a  fait  tant  parler  le  monde,  que  Votre  Révé- 
rence ne  pourra  le  croire.  Et  la  plupart  du  monde  se  persuade  que  seulement  Votre 
Révérence  et  votre  Frère  ont  gardé  le  Roi  avec  fermeté,  de  crainte  de  perdre  sa  faveur 
avec  le  changement  d'état  du  Roi. 

«Puisque  j'ai  commencé  à  dire  à  Votre  Révérence  ce  qui  se  passe,  je  lui  dirai  aussi 
que  le  fait  qu'on  ait  ces  pensées  a  pour  origine,  selon  mon  avis,  le  grand  désir  de  voir 
ce  mariage  réalisé,  dans  l'espérance  de  voir  ce  changement;  et  ce  qu'il  y  a  le  plus  à 
regretter  en  ceci  c'est  que  le  Pays  croit  que  Sa  Sainteté  tenait  beaucoup  à  ce  mariage 
comme  étant  nécessaire  pour  porter  remède  à  la  France  et  à  la  Chrétienté,  et  que  cela 
scandalise  étrangement  que  deux  personnes  religieuses  aient  à  cœur  de  se  perpétuer  en 
une  place,  causant  un  dommage  si  important  et  universel.  Il  ne  faut  pas  oublier  ici  la 
raison  qu'mvoqua  Frère  Pierre  do  Sotto  pour  cesser  de  confesser  l'Empereur  Charles  V, 
et  la  manière  comme  il  délaissa  l'Archevêché  de  Braga;  et  on  n'oublie  pas  d'autres  choses 
qui,  tout  en  étant  dissemblables,  ne  font  qu'augmenter  le  scandale,  comme  si  elles  ne 
l'étaieut  pas.  Que  Votre  Révérence  voie,  pour  l'amour  de  Dieu,  ce  que  l'on  pourra  espé- 
rer lorsque  les  lettres  contenant  ces  nouvelles  s'envoleront  vers  toute  la  Chrétienté,  lors- 
que les  habitants  de  Lisbonne  écriront  pour  la  France,  la  Castille,  les  Flandres,  l'Alle- 
magne, l'Italie  et  pour  toutes  les  régions  avec  lesquelles  ils  ont  des  rapports  :  que  le 
Père  Louis  Gonçalves,  personnalité  si  illustre  et  principale  dans  la  Compagnie,  et  son 
frère  (élevé  et  placé  par  luil  ont  trouvé  bon  de  perdre  complctenrient  la  France,  de 
mécontenter  le  Pape,  aventurer  l'amitié  de  Castille,  mettre  en  danger  les  naturels  à 
cause  des  mésalliances  des  Rois  voisins;  tout  cela  pour  ne  pas  avoir  à  risquer  un  peu  de 
leur  pouvoir;  principalement  si  l'on  ajoute  à  tout  ceci  que  le  Portugal  reste  tellement  à 
l'aventure,  de  par  le  fait  qu'il  n'y  ait  personne  dans  la  Chrétienté  avec  qui  le  Roi  Notre 
Maître  puisse  se  mairier  de  sitôt'?  Quel  sera  le  crédit  de  la  Compagnie  dans  les  autres 
Royaumes'?  Quelle  dévotion  auront  pour  elle  les  autres  Princes?  Comment  conlieront-ils 
en  elle,  lorsqu'ils  sauront  les  nouvelles  qui  partent  de  ce  Royaume,  où  tout  est  gouverné 
par  elle'? 

«On  me  répondra  que  la  vérité  qu'ils  possèdent  dans  leurs  consciences  les  rassure. 
J'avoue  que  c'est  là  une  très  grande  consolation,  et  que  j'aurai  peine  à  croire  que  ce 
que  l'on  dit  de  deux  Chrétiens  est  vrai,  car  lors  même  qu'il  s'agirait  de  deux  Turcs  je 
ne  le  croirais  pas.  Mais  il  y  a  une  chose  à  laquelle  je  ne  trouve  pas  de  raison,  ni  Votre 
Révérence  d'excuse.  Comment  avez-vous  osé  (monsieur  votre  frère,  jeune  homme,  et 
Votre  Révérence,  retirée  dajjs  son  Collège)  prendre  sur  vous  une  si  lourde  charge  ? 
Comment  avez-vous  consenti  que  le  Roi,  si  jSune  et  si  soumis  à  vous  (contre  l'avis  de 
ceux  de  son  conseil)  seul,  d'accord  avec  l'opinion  de  vous  deux,  ait  décidé  une  affaire  de 
tant  d'importance'?  Comment  n'aviv.-vous  pas  fait  votre  possible  pour  que  le  Roi  fasse 
venir  les  seigneurs  et  les  hommes  de  valeur  du  Royaume,  afin  qu'ils  récusent  avec  le  Roi, 
ou  qu'ils  soient  témoins  que  le  Roi  récusait  librement,  sans  la  persuasion  de  personne'? 
Etait  ce  là  une  matière  pour  qu'un  Roi  de  dix-sept  ans  la  décide  tout  seul,  ou  pour 
qu'un  particulier  puisse  en  être  considéré  l'auteur?  Car  si  le  Roi  s'est  décidé  avec  Vo- 
tre Révérence,  comme  en  croit,  cela  a  été  une  grande  hardiesse,  et  ne  vous  étonnez 
point  du  scandale  causé  dans  le  monde.  Si  Votre  Révérence  n'a  pas  été  de  cet  avis, 
comme  vous  voulez  nous  le  signifier  maintenant,  je  dois  dire  que  cela  a  été  une  grande 
négligence  de  ne  pas  avoir  vite  cherché  des  compagnons  pour  effectuer  ses  désirs  ou  en 


21 

témoigner.   Plût   à  Dieu  que  je  sois  un  mauvais  prophète,  et  qu'avant  peu  il  n'advienne 
quelque  mal  de  ceci!  Je  ne  parle  pas  sans  cause. 

fJe  crois  bien  que  je  m'allonge  uu  peu  trop;  mais  je  m'en  excuse  par  le  zèle  que 
j'ai  pour  ma  Patrie  affligée,  l'amour  pour  mon  Roi  et  ma  particulière  amitié  pour  Votre 
Révérence.  Et  que  dirai-je  de  Mr.  Martim  Gonçalves?  Quelle  confiance  que  la  sienne, 
pour  prendre  de  si  lourdes  charges  et  vouloir  soutenir  le  Ciel  sur  ses  épaules  ?  Quel 
homme  a  jamais  tant  osé  dans  ce  Royaume? 

«Lors  même  que  cela  n'aurait  été  que  seulement  pour  soi,  Votre  Révérence  aurait 
préféré  que  certaines  choses  fussent  plutôt  mal  faites  par  d'autres,  que  toutes  bien  fai- 
tes par  soi  :  d'autant  plus  que  la  Nation  n'est  pas  tellement  perdue  et  épuisée  qu'il  n'y 
ait  pas,  un  peu  partout,  assez  d'hommes  zélés,  prudents  et  de  bon  conseil  pour  servir 
le  Roi  et  se  rendre  utiles  au  Pays.  Votre  Révérence  trouve-t-elle  ou  craint-elle  qu'ils 
aient  des  opinions  différentes  des  siennes?  Mais  Votre  Révérence  devrait  tout  de  même 
désirer  que  ceux-là  fussent  auprès  du  Roi,  s'il  est  vrai  que  Votre  Révérence  ne  veut  pas 
avoir  la  privauté  d'un  favori  et  désire  à  peine  réussir;  car  lorsqu'il  y  a  différents  avis 
et  plusieurs  raisons,  on  réussit  mieux  ce  que  l'on  veut;  et  grâce  au  bien  que  l'on  atteint, 
on  évite  .  un  aussi  grand  scandale  du  public  que  celui  causé  par  le  fait  de  trouver  tous 
les  avis  erronés,  à  l'exception  du  sien.  Et  comment  Votre  Révérence  veut-elle  qu'on 
l'approuve  de  s'emparer  ainsi  de  tout?  Si  d'après  un  ancien  usage  du  Royaume,  don- 
nant tant  d'autorité  à  la  justice,  les  juges  des  suprêmes  tribunaux  allaient,  les  vendre 
dis,  converser  avec  le  Roi,  pour  quel  motif  les  en  empêche-t-on  à  présent?  Que  peut-on 
croire?  sinon  que  Votre  Révérence  et  votre  Frère  tâchent  d'isoler  le  Roi,  afin  qu'il  ne 
voie  que  par  vos  yeux,  qu'il  n'entende  que  votre  raison,  qu'il  ne  croie  que  ce  que  vous 
lui  dites  et  qu'il  pense  qu'en  fait  de  savoir  il  n'y  a  que  le  vôtre.  Pour  plus  vertueux, 
droit,  sérieux  et  zélé  que  Votre  Révérence  soit,  la  nature  ne  souffre  pas  que  Votre  Ré- 
vérence surpasse  tous  les  vieiflards  fort  expérimentés;  et  c'est  une  grande  injure  faite 
au  Roi  et  à  tout  le  Royaume,  car  tous  les  coins  sont  pleins  de  cheveux  blancs,  de  mé- 
rites, de  personnalités  dont  on  disait  qu'elles  entoureraient  le  Roi-,  d'autant  plus  que 
celui-ci  n'a  que  dix-sept  ans,  et  que  l'honneur  de  tous  les  hommes  est  mis  entre  les 
mains  de  trente  et  quelques;  surtout  Votre  Révérence  ne  voulant  pas  s'avouer  l'auteur 
de  ces  choses;  et  lors  même  que  Votre  Révérence  s'en  déclare  l'auteur,  ces  plaintes  des 
hommes  ne  cesseraient  pas  d'être  justes.  Que  Votre  Révérence,  pour  l'amour  de  Dieu 
(car  vous  devez  aussi  avoir  de  l'amour  pour  le  Roi,  comme  qui  l'a  élevé),  fasse  appeler  des 
hommes  qui  possèdent  notre  crédit  et  qui  satisfassent  par  leurs  vertus  et  leur  manière 
d'être.  Et  une  fois  les  fautes  rejetées  sur  plusieurs,  que  votre  Frère  s'aventure  à  valoir 
moins  et  à.  consentir  que  le  Roi  ait  recours  à  d'autres  personnalités  et  montre  qu'il  ne 
trouve  pas  bien  que  la  Nation  se  considère  perdue,  complètement  ruinée  et  dépourvue 
d'hommes  de  conseil;  car  pour  plus  grands  que  soient  les  mérites  de  Monsieur  votre 
Frère,  le  résultat  final  de  tout  ceci  sera  de  la  haine  pour  le  Roi,  l'inquiétude  du  Royaume 
et  beaucoup  plus  de  haine  pour  Votre  Révérence,  pour  votre  Frère  et  pour  votre  sainte 
Compagnie. 

«Je  prends  de  nouveau  Dieu  pour  témoin  comme  quoi  je  n'ajoute  rien  de  ma  tête, 
et  que  c'est  seulement  par  le  zèle  chrétien,  l'amour  de  la  Patrie  et  par  un  devoir  de 
charité  chrétienne  que  je  dis  ce  que  le  commun  des  gens  disent.  Que  Votre  Révérence 
ne  cherche  pas  à  savoir  qui  lui  écrit  ceci  ;  car  si  ceci  lui  semble  bien.  Votre  Révérence 
se  contentera  de  porter  remède  aux  choses  et  de  prier  Dieu  pour  lui;  et  si  ceci  lui  sem- 
ble mal,  le  zèle  de  son  auteur  doit  l'en  excuser. 

«Et  comme  Dieu  est  l'auteur  des  vérités,  que  Votre  Révérence  se  figure  qu'il  lui 
envoie  une  autre  ânesse  comme  celle  de  Balaam,  pour  dire  ces  vérités  que  je  dis  ici. 
Que  Votre  Révérence   enseigne  Son  Altesse  à  réussir  toujours  et  que  Dieu  l'éclairé» 


22 

Dans  l'influence  de  Louis  Gonçalves  da  Câmara  et  autres  jésuites  sur  l'éducation  de 
Sébastien,  les  historiens  voient  surtout  les  deux  ftiits  suivants:  qu'il  ne  s'est  pas 
marié  et  que,  célibataire  et  très  jeune  encore,  il  est  allé  mourir  en  Afrique  et,  du  même 
coup,  y  enterrer  Tindépendance  du  Portugal.  Il  est  certain  que  les  intrigues  diplomati- 
ques des  Cours  de  France,  d'Espagne  et  d'Autriche  ont  quelque  peu  difficulté  le  ma- 
riage de  Sébastien  ;  déjà  en  1562  les  Certes  Portugaises  voulaient  que  ce  mariage 
fût  réalisé  au  plus  tôt,  quoique  le  Roi  n'eût  alors  que  quatorze  ans.  II  n'y  a  cependant 
pas  de  doute  que  l'éducation  religieuse  donnée  par  les  jésuites  au  Roi  le  détournait  for- 
cément du  mariage.  On  déduit  facilement  cela  des  idées  et  des  désirs  qu'ils  introduisi- 
rent dans  l'esprit  du  jeune  souverain,  comme  l'avoue  l'historien  jésuite  Balthazar  Tellez 
lui-même,  quand  il  relate  que  Sébastien  faisait  à  Dieu  les  trois  pétitions  suivantes  : 
1°  de  le  conserver  toujours  chaste;  2"  de  le  faire  toujours  propager  la  foi  catholique; 
3°  de  le  faire  toujours  administrer  la  justice  *. 

Les  conséquences  de  cette  éducation  sont  décrites  par  l'Ambassadeur  d'Espagne,  en- 
voyé en  Portugal  par  Philippe  II  pour  vérifier  ce  qu'il  y  avait  de  vrai  dans  les  bruits  qui 
couraient  sur  l'impuissance  physique  de  Sébastien.  L'envoyé  d'Espagne  raconte  que 
le  Roi  avait  été  élevé  de  telle  manière  qu'il  ne  regardait  jamais  le  visage  des  dames  qui 
le  servaient;  et  qu'il  pouvait  passer  une  journée  entière  à  jouer  aux. cannes  sans  regarder 
les  fenêtres  où  étaient  les  dames  ^. 

"Voilà  l'éducation  donnée  par  les  jésuites  à  un  jeune  Prince  qui  était  le  seul  anneau 
pouvant  continuer  la  chaîne  de  sa  Dynastie.  Ils  le  tinrent  sous  leur  domination  spiri- 
tuelle à  partir  de  sa  cinquième  année  jusqu'à  sa  vingt-quatrième,  où  il  est  mort.  Il  n'est 
donc  pas  étonnant  que  tout  le  monde  ait  attribué  au  maître  et  confesseur  le  fait  que 
Sébastien  ne  se  fût  pas  marié.  Même  les  jésuites  d'alors  blâmaient  l'influence  du 
Père  Louis  Gonçalves  da  Câmara  sur  ce  point.  Le  Père  François  Sacchino,  dans  la 
3°  partie  de  son  Histoire  de  la  Compagnie  de  Jésus,  relate  qu'en  1571  le  Provincial 
d'Autriche,  ainsi  que  quelques  jésuites  portugais,  écrivirent  au  Général  de  l'Ordre, 
François  de  Borgia,  pour  protester  contre  l'influence  des  confesseurs  royaux,  Louis  da 
Câmara,  Michel  Terres  et  Léon  Henriques.  Le  Général  décida  que  dans  la  Congréga- 
tion Provinciale  l'on  s'occuperait  de  cette  affaire  et  l'on  discuterait  si  ces  Pères  de- 
vaient abandonner  la  Cour.  La  Congrégation  émit  cependant  l'opinion  qu'ils  devaient  y 
rester,  car  comme  cela  ils  travaillaient  pour  le  bien  de  l'Eglise  et  de  la  Compagnie  ;  et 
que  ceux  qui  parlaient  contre  cette  influence  étaient  des  gens  malveillants  et  ennemis 
des  bonnes  mœurs  •'. 

Les  jésuites  décident  ceci  en  1571,  et  le  Roi  meurt  en  Afrique  en  1578,  céliba- 
taire. Frère  Bernard  da  Cruz,  grand  aumônier  de  la  marine,  qui  alla  avec  le  Roi  Sé- 
bastien en  Afrique,  écrivit  au  chapitre  VII  de  sa  Chronique  du  même  Roi  que  celui-ci 
«d'après  les  conseils  de  son  Maître  et  de  Martim  Gonçalves,  ne  répondit  pas  au  message 
de  Castille,  ni  au  second,  ni  au  troisième  courriers,  jusqu'au  quatrième,  par  lesquels  on 
demandait  une  procuration  pour  réaliser  le  contrat   de  mariage  de  Sébastien  avec  la 


'  Balthazar  Tellez,  ouv.  cit.,  t.  ii,  p.  713. 

-  Schaefer,  Histôria  de  Portugal,  t.  m,  p.  392. 

3  François  Sacchino,  HUtoriae  SocielatU  Jesu  Pars  Tei-tia,  sive  Boryia.  liv.  vu,  p.  360. 
«Denique  neque  Generali  Pracposito,  nec  cuiquam  omnium  Societatis  Praesiduin  pi-obabatur  ca 
cunsuetudo,  atque  conjunctio,  scminarium  vulgi  rumorum,  seges  invidiae  apud  omnes,  mali  apud 
domesticos  cxcmpli.  Nec  pigebil  litterarum  capiit  inserero  qiias  hoc  anno  Laurcntius  M.ngius  Aus- 
triae  Provincialis  ad  Borgiam  mense  Martio  Praga  dédit  :  unde  constat  quanta  res  gravitate,  quan- 
taquo  libertate  tractàretur.  Hic,  iiiquit,  multus  est  aermo,  et  ex  Hispania  scribitur,  Lusitaniae 
Rewem  multa  facere  cura  regui  dolore  :  et  nostros  qui  cura  regunt,  auetores  esse  et  velle  euni 
Jcsuitam  efficero.  Nec  deest  qui  dicat,  eos  obstare,  ne  Régis  Galliae  sororem  ducat.  Nihil  dubito 


23 

sœur  du  Roi  de  France,  dout  la  date  était  déjà  fixée.  Il  n'y  eut  pas  de  l'éponae,  et  on 
reçut  une  lettre  pleine  de  complaintes». 

Quant  à  l'expédition  d'Afrique,  il  est  également  certain  que  les  jésuites  insinuèrent 
dans  l'esprit  de  Sébastien  la  préoccupation  constante  de  propager  la  foi  catholique  et 
la  domination  de  l'Église  dans  le  monde  et  que  ces  idées  influencèrent  profondément 
le  jeune  Souverain,  au  point  qu'il  partit  lui-même  pour  les  contrées  africaines  afin  de 
combattre  les  maures. 

Ce  fut  lorsque  Sébastien  partit  pour  la  première  fois  pour  l'Afrique  sans  le 
consulter,  que  Gonçalves  da  Câmara  compi'it  que  l'éducation  détestable  qu'il  avait 
donnée  au  Prince  commençait  à  produire  ses  naturels  et  sinistres  effets.  C'est  pro- 
bablement pour  ce  motif  que  la  maladie  dont  cet  homme  soufl:rait  depuis  quelque 
temps  s'aggrava  tout  à  coup  et  le  tua  rapidement.  Sébastien,  de  retour  de  sa  pre- 
mière excursion  en  Afrique,  porta  un  très  grand  deuil  pour  la  mort  de  son  ancien  pré- 
cepteur et  garda  quelques  jours  la  chambre,  évitant  tout  commerce,  car,  disait-il,  c'é- 
tait celle-là  sa  plus  grande  perte,  puisqu'il  n'avait  connu  d'autre  père  ni  d'autre  mère 
que  le  Père  Louis  '. 

A  la  mort  de  Louis  da  Câmara,  le  Roi  prit  pour  nouveau  confesseur  le  Père  jé- 
suite Gaspar  Maurice,  qui  avait  déjà  remplacé  le  P.  Câmara  pendant  son  absence  -. 
Finalement,  entouré  de  jésuites  et  de  moines,  le  triste  Roi  Sébastien  partit  pour  la 
folle  expédition  d'Afrique,  où  il  périt  entre  les  mains  des  maures,  le  4  août  1578  ; 
et  avec  lui  périt  aussi  la  fleur  de  la  jeunesse  portugaise  et  l'indépendance  de  la  Patrie  ^. 
Et  voilà  les  fruits  cueillis  par  les  éducateurs  jésuites.  Sébastien  avait  reçu  ses  dons 
de    la   nature;  ses  défauts  provenaient  de  son  éducation,   comme  le  dit  Conestaggio  '*. 


CHAPITRE  TROISIEME 
Règne  du  Cardinal  Henri  (D'àôut  1578  à  janvier  1580) 

Le  Cardinal  Henri  ne  régna  qu'une  année  et  demie.  Pendant  ce  règne  nous  voyons 
deux  jésuites  ayant  une  très  grande  influence  sur  la  politique  :  le  Provincial  George  Ser- 
rào  et  le  confesseur  du  Roi,  Léon  Henriques.  Quand  les  gouverneurs  que  Sébastien  avait 
laissés  à  la  tête  des  affaires  du  Royaume,  pendant  son  séjour  en  Afrique,  et  qui  étaient, 
pour  la  plupart,  amis  intimes  des  jésuites,  reçurent  la  triste  nouvelle  de  la  mort  du  Roi 
à  Alcacer-Kibir,   ils  la  cachèrent  au  peuple  et  envoyèrent  immédiatement  le  Provincial 


quin  Paternitas  tua  omuia  norit  et  quamoptime  prospiciat.  Nam  res  est  hiijusmodi,  quac,  ut  mato- 
riam  sermouum  et  invidiae  subdit,  ita  magnaiii  Societati  perniciem,  cum  publioi  boni  jactura  creare 
potest.  Neo  vero  crediderim  quicquaui  nostros  suscipere,  quod  non  et  ratione  consentaneuin  et 
jiraesenti  tempore  maxime  conveniens  sit.  CetiTum  summe  dolerem,  si  qua  per  oos  occasio  aut  justa 
causa  obtrectationi,  et  malevolentiae  praeberetur.  Habeo  enira  compertum,  nihil  esse  quod  odiosius 
acquirere  Societati  nomen  queat  quam  si  videamur  in  Principum  ae  Regnorum  adraini.strationem 
velle  nos  immitere,  et  negotia  eorura  tractaro.  Fer  Deum,  Pater,  etiam,  atque  etiam  haec  cura 
vigilet:  observeturque  decretum  di;  non  tradendis  nostris  in  aulas  Principum.  Nam  liberalitas  bac 
in  re  maxime  nobis  darano  crit.  Talia  non  Magius  modo,  sed  alii  gravissimi  Patrum  scribebant  et 
aliunde,  et  ex  Lusitania  ipsa». 

'  Franco,  Synopsis,  ^i.  107:  «Alium  patrem  ot  matrem  praeter  Liidovicuiu  non  novi». —  Baltba- 
zar  Tcllcz,  t.  u,  p.  728. 

-  Balthazar  Teiliz,  t.  ii,  p,  728, 

'  Schai-'fV'r,  t.  m,  p.  401.  — Catherine,  graml'mcrc  du  Roi,  était  morte  le  12  février  de  la  même 
année  (Schaefer,  t.  m,  p.  .394). 

'  Schaefer,  t.  m,  p.  404. 


24 

des  Jésuites,  George  Serrâo,  à  Alcobaça  où  demeurait  alors  le  Cardinal,  comme  prieur  du 
Monastère,  pour  lui  faire  part  du  malheur  et  l'amener  à  Lisbonne  *.  Le  Provincial 
s'acquitta  de  cette  commission,  et  les  courtisans,  qui  n'aimaient  pas  les  jésuites,  reconnu- 
rent l'influence  de  ceux-ci  sur  l'esprit  du  Cardinal,  car  Pierre  Alcaçova  et  George  da 
Silva  furent  destitués  de  leurs  fonctions  et  accusés  d'avoir  poussé  Sébastien  à  la 
guerre  d'Afrique  -,  comme  si  cette  faute  n'eût  pas  dû  retomber  complètement  sur  les 
jésuites,  ses  maîtres,  confesseurs,  éducateurs  et  conseillers.  Cependant  la  grande  ques- 
tion dont  il  s'agissait  en  ce  moment,  était  la  succession  au  trône.  Henri  avait  67  ans,  il 
était  cardinal  et  sa  santé  était  tellement  ébranlée  qu'il  ne  prenait  que  du  lait  de  femme  ^. 
Son  grand  conseiller  était  son  confesseur  Je  Père  Léon  Henriques  '*  que  nous  avons 
déjà  trouvé,  aux  chapitres  précédents,  se  mêlant  à  la  politique. 

Il  y  avait  plusieurs  prétendants  au  trône  dont  deux  seulement  étaient  portugais  : 
Antoine,  ueveu  du  Roi,  et  Catherine,  Duchesse  de  Bragance.  Des  étrangers,  le  plus  à 
craindre  était  Philippe  II,  Roi  d'Espagne;  mais  le  peuple  détestait  celui-ci,  tandis  qu'il 
chérissait  Antoine^.  On  eut  même  l'idée  de  le  marier  à  la  fille  de  la  Duchesse  de  Bragance, 
qui  avait  près  de  14  ans  ;  cette  solution  eût  été  la  meilleure  ''.  Le  peuple  voulait  que 
le  Roi  convoquât  les  Certes,  afin  que  Ton  y  nommât  comme  successeur  celui  que  le 
peuple  choisirait.  Il  était  à  supposer  que  le  choix  retomberait  sur  Antoine,  cepen- 
dant le  Cardinal  et  les  jésuites,  ses  mentors,  '  ne  permirent  pas  à  cette  prérogative 
populaire  de  s'exercer^,  et  pourtant  c'est  par  elle  qu'en  1385  Jean  I'''',  fils  naturel 
du  Roi  Ferdinand,  avait  été  fait  Roi  de  Portugal,  contre  une  tentative  de  Castille  ^. 
C'est  que  chez  Antoine  il  y  avait  des  circonstances  qui  le  rendaient  désagréable  au 
Cardinal  et  aux  jésuites.  Antoine  était  fils  naturel  de  Louis,  fils  du  roi  Emmanuel 
(les  prétendants  à  la  succession  s'appuyaient  tous  sur  la  descendance  du  roi  Emmanuel). 
Le  Cardinal  l'avait  fait  ordonner  diacre  et  l'avait  nommé,  encore  très  jeune,  prieur  du 
Crato,  afin  de  lui  ouvrir  une  carrière  dans  le  haut  clergé  '".  Cependant  Antoine, 
sentant  qu'il  n'avait  pas  la  vocation  du  sacerdoce,  il  demanda  au  Pape,  quelques 
années  auparavant,  de  le  relever  de  ses  vœux.  Il  obtint  ce  qu'il  désirait  en  faisant  voir 
la  pression  exercée  sur  lui  par  son  oncle,  qui  avait  abusé  de  son  jeune  âge.  Après 
avoir  été  sécularisé  Antoine  se  montra  toujours  brave  et  ami  du  peuple,  pas  du  tout 
fanatique  ni  attaché  aux  jésuites.  C'est  pourquoi  le  Cardinal  ne  voulait  pas  que  le 
peuple  pût  choisir  le  Roi  futur  ;  il  s'établit  donc  une  suite  d'intrigues  de  courtisans,  qui 
empêchèrent  toute  solution  définitive  avant  la  mort  du  Cardinal,  qui  eut  lieu  le  31  jan- 
vier 1580,  précisément  le  jour  de  sa  68'^  année  *'.  Le  Royaume  tomba  alors  entre  les 
mains  du  Roi  d'Espagne  et  le  Portugal  perdit  son  indépendance.  Antoine  et  un  grand 
nombre  d'hommes  du  peuple  combattirent  vaillamment,  mais  ils  ne  purent  résister  aux 
forces  que  Philippe  envoya  en  Portugal,  commandées  par  le  Duc  d'Alba.  L'influence 
des  jésuites  dans  ce  désastre  est  manifeste  ;  on  connaissait  leur  intimité  avec  le  Cardinal 
et  le  pouvoir  de  son  confesseur  Léon  Henriques,  car,  comme  le  dit  l'historien  Rebôlo  da 


1  Schaefer,  t.  m,  p.  407.  — Rebêlo  da  Silva,  t.  i,  p.  249. 

2  Schaefer,  t.  m,  p.  406.  —Rebêlo  da  Silva,  t.  i,  pp.  262-264. 

3  Rebêlo  da  Silva,  t.  i,  p.  532. 

*.  Rebêlo  da  Silva,  t.  i,  pp.  314,  356  et  357. 

i  Schaefer,  t.  m,  p.  423. 

6  Schaefer,  t.  in,  p.  423. 

'  Rebêlo  da  Silva,  t.  i,  pp.  327,  328,  356,  357  et  386. 

8  Schaefer,  t.  ui,  pp.  409,  422  et  426. 

9  Rebêlo  da  Silva,  t.  i,  pp.  293,  294. 

10  Schaefer,  t.  ni,  p.  418.  —Rebêlo  da  Silva,  t.  i,  p.  298. 

11  Schaefer,  t.  lu,  p.  427. 


25 

Silva,  c'était  dans  la  chcambre  de  ce  Père,  dans  la  maison  de  Saint  Antoine-Abbé,  que  l'on 
agitait  surtout  ces  questions  *.  Ce  Léon  Henriques  avait  toujours  été  un  grand  intrigant) 
non  seulement  parmi  les  courtisans,  mais  aussi  entre  les  gens  de  son  Ordre,  car  ainsi  que 
le  rapporte  le  Père  Astrain,  ce  fut  lui  qui  avec  son  Confrère  le  Père  Louis  Gonçalves 
da  Câmai-a,  confesseur  de  Sebastien,  accusa  Simon  llodrigues  devant  Ignace  de  Loyola, 
le  faisant  déchoir  dans  le  pouvoir  de  l'Ordre-.  Ce  fut  lui  aussi  qui,  à  la  S/  Congréga- 
tion Générale  de  son  Ordre,  en  avril  1573,  obtint  par  ses  jntrigues  que  le  Pape  Gré- 
goire XII  intervînt  dans  l'élection  du  Général,  afin  que  le  Père  Polanco  ne  fût  pas  élu, 
mais  Everard  Mercurien  qui,  en  effet,  fut  le  4/  Général  de  l'Ordre. 

L'influence  des  jésuites  dans  la  politique  était  alors   tellement   publique   et   si    mal 
vue  partout,  que  même  le  P.  jésuite  Astrain  l'avoue  dans  ces  termes  : 


aCon  este  defecto  de  la  vanitad  y  re- 
galo  se  dio  la  mano  otro  abuso  muy  peli- 
groso,  cual  fué  la  costumbre  de  meter-se 
en  pleitos  y  negôcios  seglares,  ajènos  de 
nuestro  Instituto,  convirtiéndo-se  tal  vez 
nuestros  Padres  en  agentes  y  procuradores 
de  virreyes,  dùques  y  condes^  y  tal  vez 
de  parientes  y  amigos,  aunque  fuesen  per- 
sonas  insigniticantes .  .  . 

«En  1573,  decia  un  oidor  que  «sola  la 
Compania  ténia  mâs  pleitos  en  consejo, 
que  todas  las  religiones  juntas».  Pues  si  a 
los  pleitos  propios  se  aîiadian  los  ajenos, 
fâcil  es'de  ver  la  distraccion  que  esto  cau- 
saria  en  los  de  dentro  y  la  desedification 
que  daria  â  los  de  fuera»  'K 


«A  ce  défaut  qui  décelait  tant  de  vanité 
il  faut  ajouter  l'abus  si  dangereux  pnr  le- 
quel ils  se  mêlaient  des  affaires  séculières, 
étrangères  à  notre  Institut.  Nos  Pères  de- 
venaient ainsi  les  agents  et  procureurs  des 
vice-rois,  ducs  et  comtes,  et  peut-être  des 
parents  et  des  amis,  même  lorsque  c'étaient 
des  personnes  insignifiantes. .  . 

«En  l.'i73  un  auditeur  disait  que  nia 
Compagnie  avait  à  elle  seule  plus  de  liti- 
ges que  toutes  les  religions  réunies.  Car 
si  aux  litiges  propres  on  ajoute  les  étran- 
gers, il  est  facile  de  voir  la  distraction  que 
cela  causerait  à  ceux  du  dedans  et  comme 
ce  serait  peu  édifiant  pour  ceux  du  dehors»  •*. 


C'est  pourquoi  les  jésuites  profès  qui  se  réunirent  à  Rome  à  la  5*  Congrégation  Gé- 
nérale, en  décembre  1593,  établirent  les  décrets  47,  48  et  49, 


tpara  impedir  à  los  Nuestros  el  meterse 
en  négocies  politicos  y  el  intrigar,  dentro 
de  la  Compafiia,  por  medio  de  las  inter- 
cessiones  de  seglares»  *. 


«pour  empêcher  les  Nôtres  de  se  mêler 
aux  affaires  politiques  ou  à  des  intrigues, 
dans  la  Compagnie,  au  moyen  des  inter- 
cessions séculières»  ^. 


CHAPITRE  QUATRIEME 

Domination  Castillane:   1580  à  1640  (Soixante  ansj  —  Philippe  II  (1580-1598)  18  ans 
Philippe  m  (1598-1621)  23  ans  — Philippe  IV  (1621-1640)  19  ans 

Pendant    les  soixante  années  de  la  domination  Castillane,  les  trois  Philippes  qui  se 
succédèrent  sur  le  trône  d'Espagne,  auquel  le  Portugal  était  réuni,  avaient  leur  résidence 


«  Rebêlo  da  Silva,  pp.  314  et  357. 

-  Astrain,  t.  i,  p.  595. 

'  Astrain,  t.  m,  p.  350. 

''  Astrain,  t.  m,  p.  58V).  —  Inslituhan  Suc.  Jes.,  t.  i,  pp.  254  et  255  (Edition  de  Rdiue  de  1869)  : 
Décret.  XLVii,  Tmclalio  rcrum  Status  et  j'i'l'ticiiruin  prohibcttir.  Décret  \iyin,  Nerjotioriim  secularùim 
interdiclio.  Décret,  xlix,  Interuessiones  prohihentiir. 


26 

à  Madrid,  ville  vers  laquelle  se  déplaça  toute  l'influence  politique  de  l'ancienne  Cour 
Portugaise.  A  Madrid  les  jésuites  portugais  n'influèrent  pas  sensiblement.  Même  les  jé- 
suites espagnols  n''eurent  pas  une  grande  prédominance  sous  Philippe  II,  qui  ne  se  mon- 
tra jamais  trop  aff'ectionné  '  à  la  Compagnie  de  Jésus.  En  outre,  dans  cette  période,  en 
Espagne  et  en  Portugal,  les  jésuites  eurent  à  se  préoccuper  plutôt  des  questions  théo- 
logiques et  internes  que  des  politiques,  car  quelques  membres  de  l'Ordre  s'étaient  publi- 
quement révoltés  contre  l'Institut,  et  l'Inquisition  s'éleva  contre  les  privilèges  dont  la 
Compagnie  jouissait;  iinalement  fut  initiée  et  débattue  l'ardente  et  célèbre  discussion 
entre  les  thomistes  et  les  molinistes,  c'est-à-dire  entre  dominicains  et  jésuites,  discus- 
sion qui  eut  un  si  grand  retentissement  dans  les  écoles  de  l'époque-. 

Et  à  propos  de  molinistes,  dénomination  dérivée  du  nom  de  l'initiateur  de  la  théorie, 
le  P.  Louis  Molina,  il  convient  de  savoir  que  ce  jésuite,  quoique  né  à  Cuenca,  en  Es- 
pagne, a  initié  et  suivi  son  noviciat  à  Coïmbre,  a  été  élevé  en  Portugal  et  a  enseigné  la 
Philosophie  à  Coïmbre  et  la  Théologie  à  l'Université  d'Evora  ;  il  imprima  à  Lisbonne, 
en  1588,  son  livre  célèbre  Concordiaî  base  de  la  question,  et  fut  appelé  à  Madrid  par 
ses  Supérieurs,  en  janvier  1591,  où  il  mourut  le  12  octobre  1600  ^. 

Au  temps  des  Philippes,  les  jésuites  portugais  ne  se  sentaient  pas  favorisées  ni  sa- 
tisfaits, car  d'une  part  les  Hollandais,  déjà  ennemis  de  l'Espagne  avant  que  celle-ci  ne 
dominât  le  Portugal,  irrités  des  nouvelles  impositions  commerciales  de  Philippe  II,  com- 
mencèrent à  tourner  leurs  navires  contre  les  anciennes  colonies  portugaises  de  l'Inde 
d'abord  et  ensuite  du  Brésil,  où  les  jésuites  avaient  des  maisons  et  de  l'influence,  qu'ils 
perdirent  ^. 

D'autre  part,  les  ministres  des  Rois  Catholiques  non  seulement  ne  prodiguèrent  pas 
l'argent  aux  jésuites,  mais  leur  enlevèrent  certaines  rentes  et  certains  privilèges  anté- 
rieurement accordés  par  les  Rois  Portugais. 

Em  1594  le  Chapitre  d'Evora  demanda  à  George  de  Ataïde,  Gouverneur  du  Royaume, 
par  ordre  de  Philippe  II,  ((qu''en  vue  des  nombreux  inconvénients  par  Nous  indiqués, 
il  veuille  bien  révoquer  les  privilèges  que  les  Pères  de  la  Compagnie  disent  avoir  reçus 
des  Rois  passés  pour  l'achat  de  biens-fonds».  Afin  d'éviter  l'exécution  de  cette  demande, 
les  jésuites  cherchèrent  à  réfuter  l'Ordonnance  du  Liv.  Il,  Tit.  xviii,  qui  défendait  que 
les  Églises  n'absorbassent  les  biens- fonds.  Ici  intervient  surtout  le  jésuite  P.  Nuuo  da 
Cunha,  qui  met  à  profit  le  Collecteur  Apostolique  Alexandre  Castracani,  Èvêque  de 
Kicastro,  muni  des  pouvoirs  de  Nonce  -'.  Mais  leurs  desseins  n'ont  pas  abouti,  car,  tout  en 
ayant  fait  retarder  beaucoup  l'exécution  de  cette  Ordonnance,  ils  furent  finalement 
forcés,  par  le  roi  espagnol,  à  l'observer.  Au  contraire  de  cette  opposition  et  de  cette 
défaveur  qu'ils  trouvaient  auprès  des  dominateurs  espagnols,  les  jésuites  sentaient  une 
grande  estime  de  la  Maison  du  Duc  de  Bragance  et  y  fondaient  leurs  espoirs.  Le 
Duc  résidait  à  Vila  Viçosa,  près  Evora,  où  les  jésuites  avaient  leur  Université,  qu'il 
visitait  quelquefois.  Il  n'y  a  donc  rien  de  surprenant  à  ce  que  les  jésuites  aient  pris 
part  à  la  conspiration  en  faveur  de  la  Maison  de  Bragance  contre  la  domination  espa- 
gnole ;  cette  conspiration  éclata  à  Evora  même,  en  1637.  Déjà  en  1635,  une  fois  que  le 
Duc  était  allé  à  Evora,  le  jésuite  Gaspar  Correa,  dans  un  sermon  qu'il  prononça  dans  la 
Cathédrale  en  présence  du  même  Duc,  termina  sa  prédication  par  ces  paroles  :  «Prince," 


»  Rebêio  da  Silva,  t.  i,  p.  327. 

2  Voir  Astrain,  vol.  m  et  iv. 

3  Franco,  Synopsis  Annalium  Societatis  Jcau  in  Lusitania,  p.  175. — Franco,  Inuujcm  da  Vii  Uuk 
i:m  o  Xoviciado  (le  Lisboa,  t.  i,  pp.  447  à  159. 

"  Schaefer,  iv,  pp.  302,  322  ft  323. 

'  Schaefer,  iv,  p.  327. —  Deduçâo  Chronolôyica,  part,  i,  pp.  157  à  1S2.. 


27 

je  verrai   encore  sur  ta  tête  la  couronne  (ici  il  fit  une  pause,  puis  continua)  de  la  gloire, 
vers  laquelle  Dieu  nous  conduira»  '. 

Cette  pause  fut  très  célébrée  et  très  vantée,  mais  cela  eut  comme  résultat  que  ce 
prédicateur  fut  dénoncé  au  roi  Philippe  et  sommé  de  se  présenter  ;'i  Madrid.  En  1637, 
ai-je  dit,  une  sédition  éclata  à  Evora,  prenant  comme  prétexte  les  nouveaux  impôts  que 
le  Gouvernement  espagnol  créa  pour  surcharger  le  Pays.  La  Ville  d'Evora,  secouant  le 
joug  espagnol,  se  gouverna  par  elle-même  durant  quelques  mois.  Le  jésuite  François 
Freire,  dans  un  sermon  qu'il  prêcha  le  troisième  dimanche  de  l'avent,  sembla  vanter  la 
sédition.  D'autres  jésuites  furent  accusés  d'être  partisans  de  la  révolte.  Pour  ce  motif 
le  roi  fit  appeler  à  Madrid  les  Pères  jésuites  Sébastien  Couto,  Alvaro  Pires,  Jacques  Arêda 
et  Gaspar  Correa.  Les  trois  premiers  purent,  sous  divers  prétextes,  éviter  le  voyage; 
le  dernier  cependant  alla,  et,  arrivé  à  Madrid,  on  l'envoya  à  S.  Fins  —  comme  en  exil — 
d'où  il  ne  put  se  retirer  qu'à  l'avènement  du  roi  portugais  Jean  IV  -. 

Un  des   procédés   dont  se  servaient  les  jésuites   pour  exciter   le  peuple  contre  les 
Rois    castillans,    était   la   propagande    de  prophéties   et   de   légendes  inventées  par  eux 
mêmes,  où   il    était  affirmé   que  Sébastien  n'avait  pas  péri  en  Afrique,  mais  était  caché  • 
dans   l'attente  de    l'occasion  opportune   où   Dieu,    après   avoir  châtié  ce  Pays,  le  ferait 
ressusciter  afin  qu'il  vînt  gouverner  ici  comme  roi  indépendant. 

Ces  prophéties  étaient  surtout  attribuées  au  P.  Joseph  de  Anchieta  et  à  Simon  Go- 
mes,  cordonnier,  qui  avait  été  pénitent  des  jésuites  et  même  leur  valet  à  Evora  et  à  Lis- 
bonne. On  écrivit  les  vies  de  ces  visionnaires  et  on  en  publia  beaucoup  d'éditions  où  lea 
légendes  et  les  espoirs  en  un  Encobtrto  (celui  qui  est  mystérieux,  caché)  ^  étaient  exal- 
tés comme  de  vraies  prophéties.  On  en  trouve  des  témoignages  dans  les  écrits  du  chroni- 
queur de  la  Compagnie  de  Jésus  en  Portugal,  le  P.  BalthazarTellez  *.  Et  le  Comte  de  Eri- 
ceira,  dans  son  Portugal  Restaurado  («Portugal  Restauré»),  écrit  que  «ces  mêmes  pro- 
phéties étaient  dites  en  chaire,  et  un  de  leurs  divulgateurs  les  plus  résolus  était  le  P. 
Louis  Alvares,  de  la  Compagnie  de  Jésus»  '■'. 

Ils  étaient  deux,  les  motifs  qui  poussèrent  les  jésuites  à  se  consacrer  à  cette  ex- 
ploitation de  fausses  et  trompeuses  légendes  :  le  premier,  d'après  l'opinion  de  Fran- 
çois Emmanuel  deMelo,  célèbre  historien  de  cette  époque  et  ancien  élève  et  ami  des  Pères 
de  la  Compagnie,  c'était  qu'ils  voyaient  l'opiniou  du  peuple  portugais  tout  à  fait  tournée 
contre  eux,  car  tout  le  monde  leur  attribuait  le  malheur  de  la  perte  du  Roi  en  Afrique 
et,  par  conséquent,  celle  aussi  de  l'indépendance  nationale,  puisque  dès  l'âge  de  cinq  ans 
jusqu'à  sa  mort  Sébastien  avait  toujours  été  entre  les  mains  des  jésuites,  qui  furent 
ses  maîtres,  ses  confesseurs  et  conseillers  ^.  L'autre  motif  était  qu'ils  voyaient  que  les 
Rois  ( 'astillans  n'usaient  pas  envers  eux  de  la  déférence  et  de  la  quasi  soumission  que 
les  anciens  Rois  Portugais  leur  avaient  toujours  manifesté  ;  ils  voyaient  que  parfois  les 
Rois  Castillans  les  contrariaient  plutôt,  comme  lorsqu'ils  leur  défendirent  la  circulation 
de  l'Index  Expurgatoire,  où  la  principale  collaboration  était  à  eux  '',  et  quand  ils  leur 
diminuèrent  les  recettes  et  d'anciens  privilèges  *.  Afin  de  se  réhabiliter  devant  le  peu- 


'  Franco,  Synopsis  Annalium  Societatis  Jesu  in  LUitania,    p.  266. 

-  Franco,  Synopsis,  pp.  271  et  272. 

'  «Encolierto»  c'est  le  nom  qu'on  donna  au  Roi  Sébastien,  dès  sa  mort  en  Airiqm'. 

■•  Balthazar  Tcllez,  Chroniqae  de  la  ('ompaynic  de  Jésus  an.  Portayal,  t.  ii,  liv.  5,  chap.  .\',  p.  297 
et  chap.  xLvi,  p.  472. 

•■  Comte  du  Ericcira,  Portugal  Restauré,  part,  i,  liv.  i,  p.  40.  — Rebûlo  da  Silva,  Histoire  de  Por- 
tugal, t.  IV,  pp.  114  et  115. 

s  François  Emmanuel  Je  Melo,  Epanâforci,  PoUtica,  t.  ii,  p.  30  (édit.  de  Lisbonne,  16G0). 

'  l)<idiii;à<i  Crniuiliii/irii  (Dédnction  Chronologique |,  part,  i,  p.llG. 

1  Rebêlo  da  Silva,  t.  iv,  pp.  111,  115,116  et  120. 


pie  portugais  et  de  se  venger  du  Gouvernement  espagnol,  ils  mirent  en  pratique  cette 
méthode  captieuse  de  prophéties  pour  leurrer  le  public  ! 

CHAPITRE  CINQUIÈME 
Règne  de  Jean  IV  (1640-1656) 

La  révolution  triompha  le  V  décembre  1640  et  mit  un  terme  à  la  domination  es- 
pagnole en  Portugal,  en  proclamant  roi  le  Duc  de  Bragance,  qui  prit  le  titre  de 
Jean  IV. 

D'après  ce  que  nous  venons  de  dire  au  chapitre  précédent,  il  était  facile  de  prévoir 
l'influence  que  les  jésuites  acquerraient  à  la  Cour  du  nouveau  monarque:  les  faits  vin- 
rent à  confirmer  les  prévisions. 

Jean  IV  choisit  le  jésuite  André  Fernandes  non  seulement  pour  son  confesseur, 
mais  comme  conseiller  qu'il  consultait  dans  les  affaires  les  plus  secrètes  de  la  Monar- 
chie, ainsi  que  l'atteste  l'historien  jésuite  Antoine  Franco  lui  même  *.  Pour  confesseur 
de  la  Reine  fut  également  choisi  un  jésuite,  le  P.  Jean  Nunes,  qui  devint  aussi  plus  tard 
confesseur  du  Prince  Théodose  -. 

Il  y  eut  aussi  à  la  Cour  un  autre  jésuite  d'une  influence  peut-être  plus  grande  que 
les  deux  précédents:  ce  fut  le  célèbre  P.  Antoine  Vieira  qui,  vivant  au  Brésil  dès  son 
enfance  et  y  étant  entré  dans  la  Compagnie,  fut  envoyé  en  Portugal  pour  féliciter,  au 
nom  de  cette  Colonie,  le  nouveau  Roi  Jean  IV,  dont  il  devint  bientôt  l'ami  intime 
et  le  conseiller  très  apprécié  3.  Eui-même,  Antoine  Vieira,  l'avoue  dans  sa  défense  qu'il 
présenta  au  Tribunal  du  Saint  Office,  lorsque  celui-ci  le  mit  en  procès  en  1667,  au  règne 
suivant,  et  le  condamna  i  être  banni  de  la  Cour  et  à  vivre  cloîtré  dans  une  des  maisons 
de  son  Ordre,  sans  pouvoir  confesser  ni  prêcher  ^.  Ces  pénalités  lui  ont  été  ensuite  par- 
données,  grâce  à  l'intervention  du  Général  de  la  Compagnie  et  à  celle  du  Pape  Clé- 
ment X,  qui  plus  tard  l'exempta  de  la  jurisdiction  de  l'Inquisition  Portugaise. 

Elle  est  tellement  intéressante  la  forme  comme  Vieira,  dans  sa  défense,  dépeint  le 
pouvoir  qu'il  avait  à  la  Cour  de  Jean  IV,  que  je  trouve  extrêmement  utile  de  trans- 
crire ici  ce  passage,  afin  que  le  lecteur  voie  l'importante  influence  des  jésuites  dans 
la  vie  politique  portugaise  et  les  intrigues  machinées  entre  les  divers  Ordres  religieux  du 
Pays  et  même  entre  les  membres  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Voici  ce  que  Vieira  dit 
en  parlant  de  ses  dénonciateurs  : 

«I. —  Sur  les  dénonciations. 

«En  discourant  sur  les  fondements  dont  on  pouvait  se  servir  pour  dénoncer  des 
choses  sans  fondement  comme  celle  de  la  préférence,  ou  des  préférences,  dont  j'ai  été 
accusé  dernièrement,  j'ai  fait  de  nouvelles  remarques  sur  les  anciennes,  à  cause  de  leur 
matière  sérieuse  ;  de  tout  ce  que  je  sais  des  unes,  et  de  ce  que  je  déduis  des  autres,  ou 
de  l'ignorance  ou  de  la  malice,  je  trouve  que  je  pourrais  facilement  le  prouver  s'il 
m'était  présentée  une  note  de  ce  qu'étaient  lesdits  rapporteurs. 


'  «AnJream  FcrnamUiun  cui  animam  suatu  rcgendam  crediilit  euindomque  ailmisit  ad  secrediria 
monarchiae»  (Franco,  Sijnoiixis,  p.  3It). —  «Nec  duiu  vixit,  aUerius  magis  est  usus  consilio  quani 
Audreae»  (Ibid.,  p.  298).  —  «Sib  volait  contVssariuin  et  omnium  coiisilioruni  partiriiiein»  (IbiJ..  \i.  2G7). 

-  Franco,  Synopsis,  p.  31-1. 

5  Scfiacfer,  t.  iv,  p.  638. 

♦  Le  |iroci".'s  inquisitorial  du  1*.  Antoine  Vieira  fst  très  volumineux.  On  le  conserve  dans  les  Ar- 
chives de  Torre  do  Tombo,  sous  la  ilésignation  de  ISeparados,  dans  le  iiortof'euille  n."  4. 


29 

«La  présomption  de  ce  que  ce  soit  par  malice  se  fonde  sur  les  nombreux  ennemis 
que  j'ai  eu  maintes  fois  l'occasion  de  me  faire  dans  les  circonstances  qui  chez  moi  con- 
courent pour  les  avoir,  aussi  bien  religieux  que  séculiers. 

«Quant  aux  séculiers,  la  grâce  si  connue  que  je  recevais  du  Roi  Jean,  du  Prince 
et  de  la  Keine  fut  la  cause  qui  fit  mes  plus  grands  ennemis  do  tous  ceux  qui  tenaient 
compagnie  aux  dits  Princes  et  cherchaient  la  faveur  et  la  place  qu'ils  croyaient  que  je 
leur  enlevait;  en  dehors  du  Palais  l'occasion  n'était  pas  moindre  pour  de  grandes  haines 
causées  par  le  méchant  dépit  de  maints  postulants  qui  me  priaient  de  les  aider  dans 
leurs  prétentions  comme  je  le  pourrais;  mais  voyant  que  je  ne  pouvais  pas  le  faire  au- 
tant qu'ils  l'auraient  voulu,  d'amis  ils  devinrent  ennemis  :  de  ce  nombre  étaient,  avec 
plus  de  raison  encore,  les  vVmbassadeurs  et  Ministres  des  Ambassades  dont  je  possédais 
les  chiffres  et  Sa  Majesté  ordonnait  qu'on  me  transmît  toutes  les  affaires  et  qu'on 
n'en  décidât  pas  sans  entendre  mon  avis,  auquel  se  conformait  ordinairement  Sa  Ma- 
jesté; lesdits  Ministres  me  voyaient  donc  comme  un  inspecteur  de  leurs  actions  et 
craignaient  la  droiture  de  mes  avis  et  informations,  à  cause  du  grand  crédit  que  ces  der- 
niers trouvaient  auprès  du  Roi.  Aux  ennemis  que  j'avais  pour  le  respect  dont  je  jouis- 
sais venaient  s'ajouter  aussi  ceux  de  mes  parents,  ceux  qui  maintes  fois  vengeaient  sur 
moi  ce  qu'ils  ne  pouvaient  pas  venger  sur  mes  parents,  ou  sur  ceux-ci  ce  qu'ils  ne  pou- 
vaient pas  sur  moi,  ce  dont  il  y  a  beaucoup  d'exemples  en  Portugal  et  au  Brésil,  car 
ils  comptent  parmi  les  plus  grands  Ministres  de  cet  Etat. 

«Au  Maragnon  —  par  mon  zèle  dans  la  conversion  et  la  liberté  des  Indiens — j'ai 
gagné  la  haine  générale  non  seulement  des  habitants  de  cette  région,  mais  des  Gouver- 
neurs et  des  Ministres  envoyés  du  Portugal,  et  d'autres  encore  plus  importants  qui,  sans 
y  aller,  ont  là  leurs  intérêts  par  des  voies  publiques  ou  occultes,  et  confiés,  dans  le  pou- 
voir de  ces  intéressés,  ils  osèrent  m'expulser,  moi  et  mes  compagnons  ;  voulant  donner 
quelque  importance  à  ce  vilain  excès,  ils  prouvèrent  avec  beaucoup  de  témoins  que  je 
voulais  livrer  le  Maragnon  aux  Hollandais:  s'ils  avaient  eu  le  Saint  Ofiice  dans  leur  pays 
ils  n'auraient  peut-être  pas  eu  besoin  d'aller  chercher  si  loin  leur  faux  témoignage. 

«Quant  aux  religieux,  ils  peuvent  être  ou  de  ma  religion  ou  d'autres,  particulière- 
ment ceux  qui  ont  une  plus  grande  émulation  avec  la  Compagnie  et  ses  sujets;  entre 
tous,  je  suis  très  ha'i  par  ceux  qui  ont  des  couvents  au  Maragnon,  car  ils  me  considè- 
rent leur  ennemi  déclaré,  tandis  que  je  vénère  tous  les  Religieux  autant  que  leur  troc 
le  mérite,  ne  pouvant  pas  toutefois  me  conformer  à  la  doctrine  pernicieuse  qu'ils  suivent 
en  chaire,  dans  les  confessionnaux  et  dans  les  testaments  concernant  l'injuste  captivité 
des  Indiens  et  constituant  le  plus  grand  empêchement  à  leur  salut. 

«Et  pour  ce  motif,  parce  que  le  Koi  Jean  avait  seulement  recommandé  à  la 
Compagnie  les  Missions  de  cette  gentilité,  à  la  mort  du  dit  Roi  ils  cherchèrent  à  tirer 
vengeance  de  cet  affront  et  de  ce  grief;  ils  furent  les  principaux  instigateurs  de  mon 
expulsion,  et  partout  j'étais  suivi  toujours  do  la  même  haine  qui,  dans  les  incertitudes 
de  la  fortune,  éloigne  plutôt  qu'elle  ne  compatit  ;  mais  lorsque  ces  accidents  ou  rencon- 
tres particulières  et  autres  sembiabes  manquaient,  il  suffisait  de  l'acceptation  générale 
qu'on  avait  en  me  consultant  à  la  Cour  et  en  lisant  dans  le  monde  mes  écrits,  pour  que 
les  gens  du  même  métier  (et  ce  sont  les  plus  grands  sujets  des  Religionsj  ne  regrettas- 
sent pas  de  voir  des  doctrines  abattues  et  mal  évaluées,  mais  il  se  peut  aussi  que  dans  ce 
chagrin  les  mêmes  estimateurs  aient  une  part  moindre. 

«Je  désiste  de  vous  remontrer  et  de  vous  prier  ce  que  justement  je  pourrais  sur  ce 
scrupule,  car  je  sais  que  la  justice  et  la  droiture  de  tous  ceux  qui  jugent  les 
causes  du  Saint  Office  les  porteront  à  bien  examiner  en  toute  qualification  la  vérité  des 
fondements  aussi  bien  que  la  pureté  d'âme,  et  il  est  facile  de  connaître  par  les  mouve- 
ments de  la  plume,  si  celle-ci  est  mue  par  la  charité  ou  par  l'affection. 


30 

«Chez  les  Religeux  de  ma  religion,  les  motifs  de  la  rivalité  sont  d'autant  plus  in- 
times et  sensibles  qu'ils  sentent  de  plus  près  la  différence  avec  laquelle  le  Roi  m'hono- 
rait et  les  grands  me  recherchaient  et  m'abordaient  ;  les  Prédicateurs  anciens  et  autori- 
sés regrettaient  également  qu'on  me  donnât,  encore  jeune,  le  titre  de  «Prédicateur  du 
Roi»,  que  leurs  cheveux  blancs  et  leurs  talents  méritaient  davantage,  surtout  parce  que 
j'étais  d'une  Province  étrangère,  et  encore  de  la  Province  du  Brésil,  et  qu'on  présumait 
que  j'avais  demandé  au  Roi  la  division  des  Provinces  et  que  je  conseillais  Sa  Majesté  à 
y  persister;  et  le  zèle  des  dits  religieux  arriva  à  un  tel  extrême  qu'ils  négocièrent  avec 
le  P.  Général  afin  qu'il  me  renvoyât  de  la  Compagnie,  comme  en  effet  on  l'aurait  fait  si 
le  Roi  ne  l'avait  pas  empêché». 

De  ces  passages  que  nous  venons  de  reproduire  on  déduit  clairement  combien  les 
jésuites  continuaient  à  influer  dans  les  affaires  de  la  Cour  et  dans  la  politique  du  Pays, 
quoique  les  susnommés  décrets  de  la  V®  Congrégation  le  leur  défendaient  formellement. 
Ces  décrets  furent  proclamés  en  janvier  1594  ';  et  cependant  Vieira  et  d'autres  jésuites 
les  ont  manifestement  enfreints,  d'après  l'avœu  même  de  Vieira,  dès  1640  jusqu'à  1657, 
époque  de  sa  condamnation. 

Un  des  motifs  où  se  fonda  l'Inquisition  por  condamner  Vieira  fut  un  papier  qu'il 
avait  écrit  sur  le  Cinquième  Empire  et  où  il  donnait  toute  la  valeur  de  prophétie  à  des 
rimes  attribuées  à  un  cordonnier  nommé  Bandarra. 

Sur  la  couverture  du  procès  de  l'Inquisition  on  lit: 

«Dossier  concernant  le  papier  qui,  dans  cette  ville  de  Lisbonne,  s'est  divulgué  en 
l'année   16G0,   sur  la  Résurrection  du  Roi  Jean  IV  et  écrit  par  le  P.  Antoine  Vieira». 

Et  dans  la  sentence  finale  on  lit  ce  qui  suit,  comme  premier  motif  de  la  condamna- 
tion de  Vieira: 

«Il  y  a  quelque  temps,'  au  grave  dommage,  préjudice  et  scandale  des  fidèles,  il  a 
composé  un  papier  intitulé — «Esperanças  de  Portugal,  Quinto  Império  do  Mundo»  (Es- 
poirs du  Portugal,  Cinquième  Empire  du  Monde) — dont  le  but  principal  est  de  mon- 
trer par  plusieurs  raisons  et  arguments,  que  Gonçalo  Anes  Bandarra,  cordonnier  de 
la  Ville  de  Trancoso,  avait  été  un  vrai  prophète  et  que,  d'après  ce  qu'il  disait  dans  cer- 
tains passages  et  prédictions  de  ses  rimes,  il  était  certain  et  indubitable  que  beaucoup 
d'années  ou  des  centaines  d'années  avant  la  Dernière  et  Universelle  Résurrection  des 
Morts,  devrait  ressusciter  un  certain  roi  de  Portugal,  pour  devenir  Empereur  du 
Monde  et  jouir  des  grands  bonheurs,  des  victoires  et  des  triomphes  que  ledit  Bandarra 
avait  prophétisés».  Ce  roi  était  Jean  IV,  car  il  est  ajouté  dans  le  procès  que  «Vieira 
avait  affirmé  publiquement  en  un  lieu  déterminé  et  y  avait  aussi  prêché  en  une  occa- 
sion où  ledit  roi,  atteint  d'une  maladie,  se  méfiait  des  médecins,  que,  ou  il  n'en  mourrait 
pas  ou,  s'il  devait  en  mourir,   qu'il  ressusciterait  pour  réaliser  lesdites  prophétiess. 

Il  s'agissait  évidemment  de  Jean  IV,  roi  devant  lequel  Vieira  prêchait  très  souvent. 

Or  cette  idée,  dont  Vieira  devint  le  grand  propagandiste,  d'un  Cinquième  Empire 
qui  comprendrait  le  monde  entier  et  aurait  pour  Empereur  un  roi  portugais,  n'était  au- 
tre chose  que  la  poursuite  du  même  système  fallacieux  adopté  par  les  jésuites,  ainsi 
que    nous    l'avons    vu    au  chapitre  précédent  :  ils  avaient  recours  aux  croyances  et  aux 


1  Inslilutum  Soc.  Jesu,  t.  i,  pp.  254  et  255  (édit.  de  Rome  de  1869).  Voir  p.  25  de  ce  livre. 


31 

fausses  prophéties  afin  de  mystifier  les  gens,  qui  à  cette  époque  se  laissaient  trop  facile- 
ment tromper. 

Mais  dans  ces  dernières  prophéties  le  nom  de  Sébastien,  qui  avait  figuré  dans 
celles  de  la  période  antérieure,  ne  paraissait  plus,  car  il  n'était  plus  nécessaire  puisque 
l'indépendance  nationale  se  trouvait  restaurée  et  qu'il  y  avait  déjà  un  nouveau  roi  por- 
tugais. Ce  qui  leur  convenait  à  présent,  aux  jésuites,  c'était  de  conserver  entre  leurs 
mains  les  nouveaux  rois  portugais  comme  ils  avaient  tenu  les  anciens.  Dans  ce  but  les 
projihéties  retombaient  sur  le  roi  qui  régnait  alors,  avec  l'avantage  de  pouvoir  être 
appliquées  au  roi  de  son  vivant  ou  à  ses  enfants.  Cette  cabale  n'avait  pas  été  ourdie 
uniquement  par  Vieira:   déjà  avant  lui  d'autres  jésuites  l'avaient  esquissée. 

Le  P.  Ferdinand  Queiroz,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  dans  la  biographie  qu'il  a  écrite 
de  Pierre  Bastos,  fn  re  coadjuteur  de  la  même  Compagnie,  décédé  à  Goa  en  1645,  cinq 
ans    après    l'acclamation   de  Jean  IV,  lui  attribue  entre  autres  aflirmations  la  suivante: 

«Le  Portugal  deviendra  un  Empire  en  un  jour  que  je  ne  verrai  point,  je  ne  dis 
pas  si  ce  sera  avec  le  père  ou  avec  le  fils,  mais  il  deviendra  un  Empire»  '. 

Or  le  motif  de  cette  propagande  il  est  facile  de  le  trouver  en  confrontant  d'autres  li- 
vres publiés  par  les  jésuites  à  cette  époque  et  en  les  mettant  en  corrélation. 

Le  P.  Emmanuel  da  Veiga,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  dans  sa  «Vie  de  Simon  Go- 
mes«  (le  Cordonnier-Saint),  employé  des  jésuites  au  (Jollège  d'Evora,  écrit  que  le  dit  Cor- 
donnier avait  prophétisé:  «Que  Dieu  avait  voulu  secourir  ce  Royaume  par  la  Compagnie 
en  la  faisant  accepter  par  ceux  qui  le  gouvernaient,  et  que  voulant  le  châtier  il  fit  éloi- 
gner la  Compagnie  et  situer  très  loin»  "-. 

Or  ce  cordonnier  mourut  le  18  octobre  1576,  donc  avant  la  domination  espagnole, 
mais  le  jésuite  lui  fait  déjà  dire  que  la  Compagnie  avait  été  éloignée  de  la  Cour  au  temps 
des  Piiilippes  parce  que  Dieu  voulut  châtier  ce  Koyaume,  et  qu'il  devenait  par  conséquent 
nécessaire  que  les  nouveaux  rois  portugais  eussent  pour  elle  de  l'estime  et  lui  offrissent 
du  soutien  afin  de  nouvellement  porter  remède  aux  maux  du  Royaume.  Et  ce  qui  est 
certain  c'est  que,  grâce  à  cc.-3  procédés  industrieux,  ils  ont  obtenu  ce  qu'ils  voulaient, 
car  Jean  IV  commença  à  les  traiter  comme  les  rois  qui  gouvernèrent  avant  lui,  il 
les  prit  pour  confesseurs  et  conseillers,  leur  donna  de  l'argent  et  des  privilèges  avec  li- 
béralité et  largesse,  ainsi  que  le  raconte  le  P.  Antoine  Franco  dans  sa  Si/nopsis,  où, 
après    avoir   relaté    les   maintes  faveurs    que   ce  roi  accorda  à  la  Compagnie,  il  ajoute  : 

«De  tous  ces  faits  on  conclura  qu'avec  l'avènement  de  Jean  IV  se  sont  renouvelés 
cet  amour  et  cette  munificence  avec  lesquels  Jean  III,  Sébastien  et  le  Cardinal  Henri 
embrassaient  comme  pères  extrêmement  suaves,  je  ne  dis  pas  notre,  mais  leur  Com- 
pagnie nouveau-née»  ■'. 

Voici  que  les  jésuites  eux-mêmes  nous  indiquent  à  quoi  tendait  cette  propagande 
stupide  de  légendes  et  croyances  sur  un  Cinquième  Empire  soumis  au  sceptre  d'un  roi 
portugais  :    elle    tendait   à  obtenir  des  nouveaux  rois  portugais  la  même  estime  et  aussi 


'  Ferdinand  Queiroz,  S.  J-,  IVe  de  Pierre  Daston,  édit.  ile  Lisbonne,  1689,  p.  415. 

2  Emmanuel  da  Vciga,  de  la  Compagnii;  do  Jésus,  Vie  de  Simon  Gomes,  4'  édit.,  Lisbonne 
1759,  p.  120,  chap.  xi,  du  liv.  ii.  —  OOn.  :  Le  numérotage  de  cette  page  est  erronné,  ou  doit  lire  220.  — 
Dans  la  préface  de  cette  4'  édit.  il  est  dit  que  les  trois  premières  ont  eu  une  grande  vente. 

'  Franco,  Synopsis  Annalium  Societatis  Jcsii  in  Lusitania,  p.  314. 


32 

peut-être  la  même  soumission  pour  les  jésuites,  que  ceux-ci  avaient  obtenu  au  temps  des 
anciens  rois  portugais.  Et  il  est  certain  qu'ils  ont  réussi  dans  leurs  desseins  durant  en- 
core un  siècle,  comme  nous  allons  voir. 

CHAPITRE  SIXIÈIVIE 

Règnes  d'Alphonse  VI  et  de  Pierre  II  —  Alphonse  VI  roi  (1656-1668)  —  Pierre  II 
gouverneur  du  Royaume  (1668-1683)  — Pierre  II  roi  (1683-1706) 

A  Jean  IV,  décédé  le  6  novembre  1656,  succéda  au  trône  son  deuxième  iils  Alphonse 
VI,  car  l'aîné  Théodose  était  mort  encore  du  vivant  du  père.  Cependant  Alphonse  était 
mineur'  et  le  Gouvernement  fut  confié  à  sa  mère  Ijouise  de  Gusman.  Ce  fut  seulement 
en  1662  que  Alphonse  se  mit  à  la  tête  du  Gouvernement-,  ayant  par  ministre  Louis  de 
Sousa  e  Vasconcelos,  Comte  de  Castelo-Melhor,  homme  habile  dans  l'administration  des 
affaires  de  l'État  et  qui  a  beaucoup  contribué  aux  victoires  gagnées  par  les  Portugais 
sur  les  Espagnols  qui  prétendaient  reconquérir  le  Portugal^. 

En  1666  le  Roi  épousa  ^Marie  Françoise  Elisabeth  de  Savoie  \  qui  amena  avec 
elle  son  confesseur  le  P.  jésuite  François  de  Villes  et  comme  secrétaire  Louis  de 
Verjus  ^. 

Ce  mariage  fut  un  désastre.  Alphonse,  dans  son  enfance,  avait  été  atteint  d'une 
grave  maladie  qui  le  frappa  phj'siquement  et  intellectuellement,  quoique  plus  tard  son 
état  se  fut  sensiblement  amélioré.  De  plus,  il  avait  toujours  évité  les  jésuites  et  ne 
voulut  jamais  les  prendre  pour  confesseurs.  Il  eut  por  confesseurs  d'abord  le  curé  de 
Sodofeita*',  et  plus  tard  Fr.  Pierre  de  Sousa,  moine  de  l'Ordre  de  Saint  Benoît'.  Les 
jésuites  et  les  nobles  n'aimaient  pas  ce  roi,  car  il  avait  trop  de  relations  avec  des  gens 
de  basse  condition  et  on  lui  reprochait  de  commettre  avec  eux  de  grandes  méprises. 
Au  commencement  Marie  Françoise  se  montrait  affectueuse  envers  son  mari  le  Roi,  et 
elle  disait  même  qu'elle  sentait  des  signes  de  grossesse^.  Mais  quelque  temps  après  elle 
fut  prise  d'une  affection  pour  le  frère  du  Roi,  son  beau-frère  Pierre^,  et  se  retira  au 
Couvent  de  Esperança,  après  avoir  déclaré  dans  une  lettre  adressée  au  Roi  qu'elle  ne 
devait  pas  continuer  à  vivre  matrimonialement  avec  lui  à  cause  de  son  incapacité  physi- 
que «pour  les  motifs  qu'il  savait  bien»  "^. 

Toute  cette  cabale  avait  été  ourdie  sourtout  par  trois  pères  jésuites  :  François  de 
Villes  '',  français,  confesseur  et  conseiller  de  la  Reine  française,  et  deux  Portugais,  Nuno 
da  Cunha  e  Antoine  Vieira  *-.  C'est  ce  Vieira  qui  écrivit  un  papier  que  les  gentils- 
hommes lurent  au  Roi  après  s'être  secrètement  introduits  au  Palais;  et  cet  écrit  conseillait 
hautainement  le  Roi  à  abdiquer  la  Couronne  en  son  frère  Pierre. 


I  11   avait  13  ans  et  quelques  mois,  car  il  était  né  le  21  août  1643.  Voir  Schaefer,  t.  iv,  jip.  440 
et  suiv. 

-  Schaefer,  t.  iv,  p.  453. 

3  Ibidem,  t.  IV,  p.  454. — Franco,  Synopsis,  p.  376,  N.°  11. 

*  Scharfer,  t.  iv,  p.  458. 

'■>  Franco,  Synopsis,  p.  370,  N.°  12. — Sehaefer,  t.  iv,  pp.  400,  401,  481  et  485. 
S  Dedaçào  Chronoloyica  (Déduction  Chronologique)  1'  partie,  p.  228. 
■>  Pùrluyal  Restauradu  (Portugal  Restauré;  2"  partie,  liv.  vi,  p.  493. 

*  Schaefer,  t.  iv,  p.  401. 

9  Idem,  idem,  pp.  464  et  473. 
i«  Idem,  idem,  pp.  480  et  481. 

II  Idem,  idem,  pp.  471  et  472. 

^  Idem,  idem,  pp.  538  et  530. — E.  Carel,  Vieira,  sa  vie  et  ses  oeuvres,  p.  262. 


33 

En  conséquence  de  cette  intrig-iie  au  Palais,  Alphonse  fut  déposé,  et  le  Gouver- 
nement fut  confié  en  1567  le  3  novembre  à  son  frère  Pierre*,  qui  prit  le  titre  de  Prince 
et  Gouverneur  du  Royaume.  Il  envoya  sous  prison  son  frère  destitué  au  Château  d'An- 
gra,  dans  l'Ile  Terceira,  d'où  l'on  le  fit  venir  plus  tard  pour  l'enfermer  au  Palais  de 
Cintra,  où  il  vécut  emprisonné  jusqu'à  sa  mort,  en  1683,  dans  sa  chambre,  qu'au- 
jourd'hui encore  l'on  conserve  intacte  comme  souvenir  historique. 

Le  mariage  d'Alphonse  avec  Marie  Françoise  de  Savoie  fut  annulé  ;  dans  cette 
annulation  son  confesseur  jésuite  Villes  intervint  puissamment  en  allant  à  Rome  traiter 
l'affaire-.  Une  fois  le  mariage  annulé,  la  reine  put  se  marier  avec  son  beau-frère  Pierre, 
comme  elle  l'avait  tant  désiré.  Dès  qu'il  eut  pris  possession  du  Gouvernement  du 
Royaume,  Pierre  nomma  des  Pères  jésuites  comme  confesseurs  royaux  et  accorda  à  la  Com-  ' 
pagnie  une  grande  prépondérance''.  Dans  ses  libéralités  pour  les  jésuites  il  dépensa,  en 
faveur  de  leurs  missions,  une  somme  supérieure  à  celle  qui  aurait  été  nécessaire  pour  la 
fondation  de  deux  Collèges'*;  et  avec  la  propagande  de  la  foi  catholique  et  le  soutien 
de  ses  ministres  il  dépensait  tout  ce  qu'il  recevait  des  colonies,  comme  l'avoue  le  jésuite 
Franco^.  Et  .cependant  le  désordre  dans  les  finances  était  énorme  et  les  recettes  étaient 
grevées  pour  de  grosses  sommes  qui  ne  pourraient  être  libérées  et  rétablies  qu'après  de 
nombreuses  années  de  bonne  administration  et  de  paix,  comme  l'écrivait  l'ambassadeur 
français  Saint-Romain  à  son  Gouvernement  ''. 

L'influence  des  jésuites  fut  extrêmement  grande  pendant  ce  règne.  A  cette  époque 
leur  chef  principal  était  le  P.  Emmanuel  Fernandes  que  le  Roi  nomma  même  membre  de 
la  Junte  des  Trois  Etats,  o\\  les  hautes  questions  militaires  et  coloniales  étaient  discu- 
tées. Le  P.  Emmanuel  Fernandes  prit  possession  de  cette  charge  et  l'exerça  aux  côtés  du 
Marquis  de  Fronteirà  pendant  quelque  temps.  Ce  fait  pourtant  devint  si  scandaleux  que 
le  Général  de  l'Ordre  lui-même,  Paul  Oliva,  le  somma  d'abandonner  cette  place  et 
envoya  dans  ce  but  une  lettre  ou  Provincial  du  Portugal,  lettre  que  le  P.  Franco  re- 
produit dans  sa  Synopsis  (p.  343),  où  il  est  rendu  compte  de  l'impression  produite  par 
cette  question. 

Le  P.  Emmanuel  Fernandes  cessadeprendrepart  aux  réunions  de  la  Jwn/e  c?es  Trois 
États,  mais  cela  n'empêcha  pas  qu'il  ait  continué  à  influer  sur  la  politique  et  surtout 
en  faveur  de  son  Ordre.  Sa  place  de  confesseur  du  Roi  lui  donnait  une  grande  puis- 
sance. C'était  lui  qui  avait  à  sa  charge  la  distribution,  comme  il  l'entendrait,  des  bé- 
néfices abbatiaux  et    autres    profits    sacerdotaux    apartenant  à  la  maison  de  Bragance^. 

A  l'avantage  de  la  Compagnie,  il  obtint  du  Roi  que  dans  les  Statuts  des  Missions 
il  fût  stipulé  que  les  Missions  d'Amérique  demeureraient  à  la  charge  des  jésuites  et  que 
personne  ne  pourrait  y  entrer  sans  leur  autorisation  expresse^. 


'  Schaefer,  t.  iv,  p.  483.  La  convocation  des  Cortôs  eut  lieu  l'année  suivante,  en  Janvier  1668. 
Ibid.,  p.  484. 

2  Schaefer,  t.  iv,  pp.  485  et  886. 

5  Franco,  Synposis,  p.  425,  n."  4.  «Nostram  Societatem  semper  magni  habuit  ;  ex  quo  suscepit 
regni  gubrrnacula  usus  confessariis  e  nostra  familia».  Et  p.  342. 

■*  Franco,  Synopsis,  p.  425,  N.°  6.  «Quia  Societatis  transmarinas  miasioncs  cis  subsidiis  fovit, 
quae  subductis  rationibus,  aequarent  doteni  pi-o  fundandis  iluobus  eollegiis,  idcirco  per  universam 
Societatem  ei  facta  sacra  et  preces  solita  fieri  pro  duplici  Collegii  Fundatore». 

5  Franco,  Synopuis,  p.  425,  N.°  5.  «Ad  Alexandruni  vni,  Pontificem  Max.  cum  veritate  seripsit 
quidquid  sibi  redderent  transmarinae  regiones,  id  a  se  impendi  alendisMinistris  Evangelicis,  et  fldei 
Catholicae  proiiagandae». 

6  Schaefer,    t.    iv,  p.  543. —  Santarêm,  Quadro  Elementar,  t.  v,  p.  2  et  p.  240  de  l'Introduction. 
^  Franco,  Synopsis,  p.  428,  N."  13. 

8  Deduçào  Chroiwlorjica  (Déduction  Chronologique),  part,  i,  pp.  440  e  445. 


34 

Le  confesseur  du  Roi  fit  avec  d'autres  jésuites,  dont  les  principaux  furent  le  P.  An- 
toine Vieira  et  Balthazar  da  Costa,  une  campagne  contre  l'Inquisition,  en  faveur  des 
juifs  *.  Il  serait  impossible,  dans  un  résumé,  de  détailler  longuement  cette  campagne  et 
ses  résultats.  Ce  qu'il  convient  de  remarquer  c'est  que  les  jésuites  avaient  dans  cette 
lutte  un  double  intérêt:  1*^''  porter  un  coup  à  l'Inquisition  qui  s'était  montrée  contraire  à 
la  Compagnie  et  2"  faiie  venir  l'argent  des  juifs  en  Portugal  et  dans  ses  colonies,  où 
les  maisons  et  le  crédit  des  jésuites  étaient  en  décadence,  à  cause  des  guerres  anté- 
rieures contre  les  hollandais,  au  temps  de  la  domination  des  Philippes  espagnols,  guerres 
qui  leur  avaient  prouvé  combien  on  s'était  trompé  en  bannissant  les  juifs,  car  ceux-ci 
portèrent  en  Hollande  leurs  richesses  et  leur  érudition. 

Le  fait  suivant  est  fort  curieux. 

Au  temps  de  Jean  III  ce  fut  le  fondateur  de  la  Compagnie,  Ignace  de  Loyola, 
qui  obtint  la  Bulle  du  16  août  1547  qui  vint  donner  plus  de  fixité  et  une  plus  grande 
amplitude  aux  pouvoirs  du  Saint  Office,  ainsi  que  le  rapporte  l'historien  jésuite  Baltha- 
zar Tellez  2,  et  au  temps  de  Pierre  II  ce  furent  les  jésuites  qui  attaquèrent  le  plus  vive- 
ment le  même  Saint  Office  et  qui  prétendirent  diminuer  et  presque  supprimer  les  pou- 
voirs, que  le  fondateur  de  leur  Ordre  avait  obtenus  pour  lui. 


CHAPITRE  SEPTIEME 
Régne  de  Jean  V  (1706-1750) 

Jean  V  monta  sur  le  trône  à  dix-sept  ans,  et  jusqu'alors  il  avait  été  élevé  par 
des  jésuites  qui  l'entouraient  et  qui  étaient  confesseurs  du  Roi  et  de  la  famille  royale. 
Son  premier  maître  et  confesseur  avait  été  le  P.  François  da  Cruz,  à  la  mort  du- 
quel, le  29  janvier  1706,  succéda  le  jésuite  François  Botelho  qui  vint  à  mourir  le  8 
août  1707  et  fut  remplacé  par  le  P.  Simon  dos  Santos  jusq'au  lo  décembre  1712, 
date  de  la  mort  de  ce  dernier^. 

La  Cour  de  Jean  V,  à  l'exemple  de  celle  de  Pierre  II,  était  pleine  de  jé- 
suites, qu'on  appelait  les  «Pères  du  Palais»,  parmi  les-quels  nous  nommerons  le  P. 
Louis  Gonzaga,  maître  de  Mathématiques  des  Princes  ;  le  P.  Emmanuel  Dias,  confesseur 
de  la  reine  Marie  Sophie,  seconde  épouse  de  Pierre  II;  le  P.  Emmanuel  Pires,  confes- 
seur de  Catherine,  lille  de  Jean  IV,  qui  devint  reine  d'Angleterre  et  retourna  en  Portugal 
lors  de  son  veuvage  ;  le  P.  Antoine  Stieff  qui  vint  en  Portugal  comme  confesseur  de  Marie 
Anne  d'Autriche,  femme  de  Jean  V:  le  P.  François  da  Fonseca,  confesseur  du  Marquis 
d'Alegrete  qui  alla  en  Autriche  avec  une  grande  suite  pour  amener  Marie  Anne;  le  P. 
Charles  Gonlenfels,  également  confesseur  de  la  reine  Marie  Anne  et  précepteur  de  l'Infant 
Pierre  ;  les  PP.  Grégoire  Barreto  et  Louis  Alvares,  confesseurs  de  l'Infant  Antoine  ;  le 
P.  Henri  de  Carvalho,  confesseur  et  précepteur  de  Joseph  pendant  qu'il  était  Prince  ; 
le  P.  Emmanuel  d'Oliveira,  confesseur  de  l'Infante  Marie  Barbe  qui  devint  reine  d'Es- 
pagne ;  les  PP.  Ignace  Vieira  et  Jacinte  da  Costa,  confesseurs  de  l'Infant  Pierre  ''.  Un  autre 
jésuite,  le  Napolitain  Jean  Baptiste  Carboni,  exerça  une  grande  influence  durant  ce  règne  ; 


1  Schaefcr,  t.  iv,  pp.  539-542. 

2  Jialthazar  Telles,  i"  partie,  liv.  2,  cliap.  VI,  pp.  247-249. 

'  Fraiico,  Sijnopsis,  pp.  425,  428  et  441.  —  Déduclion  Ch-onolnyique,  j).  4!)6. 
*  Déda<:li(ja  Chroiiotofjùpie,  p.  479. 


35 

il  se  connaissait  beaucoup  en  mathématiques  et  en  questions  astronomiques,  matières  que 
le  roi  goûtait  beaucoup  *. 

L'éducation  jésuitique  que  le  monarque  avait  reçue  dans  son  enfance  et  sa  jeunesse 
l'inclinait  à  consacrer  son  activité  sourtout  aux  choses  religieuses  et  à  toutes  sortes  de 
dépenses,  gaspillant  ainsi,  sans  aucun  profit  pour  l'Etat,  les  grandes  richesses  qui  lui 
venaient  du  Brésil.  11  voulut  et  obtint  que  Lisbonne,  qui  avait  déjà  un  Siège  archié- 
piscopal et  un  archevêque,  eût  aussi  un  patriarche  et  une  église  patriarcale  avec  bon 
nombre  de  chanoines,  des  chantres,  de  bénéficiers,  etc.  C'est  inouï  ce  que  cela  coûta! 
A  partir  de  l'établissement  du  patriarcat  les  dépenses  ordinaires  grossirent  d'une  ma- 
nière exorbitante  :  en  1747  les  dépenses  ordinaires  du  Siège  Patriarcal  étaient  de  337 
contos-    et   celles  du  Patriarche  représentaient  à  elles  seules  la  somme  de  cent  contos^. 

A  Mafra,  petit  village  situé  loin  de  Lisbonne  (à  plus  de  sept  lieues  de  distance), 
le  Roi  fit  construire  un  énorme  Couvent,  avec  une  Basilique  inaugurée  en  octobre  1730. 
La  construction  commença  en  1716;  la  dépense  annuelle  était  de  404  contos''  environ, 
et  en  17.30  il  y  avait  47.836  ouvriers  et  journaliers  qui  y  travaillaient^.  Toujours  pour 
être  agréable  aux  jésuites,  il  fit  bâtir  pour  eux,  dans  l'église  de  leur  maison  professe  de 
S.  Roque  (St.  Roch),  à  Lisbonne,  une  chapelle  vouée  à  St.  Jean-Baptiste;  elle  ne  me- 
sure pas  plus  de  17  pieds  de  long  sur  12  de  large,  mais  ne  coûta  pas  moins  de  235 
mille  livres  sterling.  Elle  est  façonnée  dans  les  espèces  les  plus  variées  de  marbres  et 
ornée  de  très  beaux  ouvrages  en  mosaïque.  L'ensemble  de  cette  chapelle  éblouit  litté- 
ralement le  regard  par  le  jeu  de  la  combinaison  des  couleurs  extrêmement  variés  et  fasci- 
natrices  du  lapis-lazuli,  du  porphyre,  de  l'améthyste,  de  la  cryolithe,  de  l'albritre,  de 
l'argent  et  de  l'or*"'. 

Avec  de  pareilles  dilapidations,  inutiles  pour  le  Pays,  dues  à  une  éducation  ex- 
trêmement bigote,  il  n'est  pas  surprenant  qu'à  sa  mort  en  1750  le  Roi  ait  laissé  le  Tré- 
sor vide,  en  dépit  des  grandes  richesses  en  diamants  et  en  pierres  précieuses  que  le 
Portugal  recevait  annuellement  du  Brésil. 

Cependant  Jean  V,  à  un  moment  donné  de  son  long  règne  de  quarente  quatre 
années,  avait  commencé  à  se  dégoûter  des  jésuites:  ainsi  en  1712,  à  la  mort  de  son 
confesseur  Simon  dos  Santos,  il  prit  des  confesseurs  appartenant  à  d'autres  Ordres  Re- 
ligieux (ce  que  depuis  Jean  III  les  rois  portugais  n'avaitent  jamais  fait),  dont  deux  étaient 
de  la  Congrégation  de  l'Oratoire  de  St.  Philippe  de  Néri  à  laquelle  le  Roi  accorda  plu- 
sieurs privilèges  dans  l'enseignement,  au  détriment  de  ceux  des  jésuites'.  A  cause  de  la 
question  des  annates  Jean  V  eut  un  sérieux  démêlé  avec  le  Provincial  et  le  Visitateur 
des  jésuites  en  Portugal,  car  ceux-ci  exécutèrent  des  instructions  du  Gériéral  de  l'Ordre 
que  le  monarque  trouvait  attentatoires  de  certains  privilèges  royaux,  et  en  conséquence 
furent  chassés  du  Pays  par  le  Roi.  Comme  le  père  jésuite  Ribeiro  avait  pris  la  défense  du 
Privilège  royal,  le  Général  le  renvoya  de  son  Ordre,  mais  en  compensation  le  Roi  lui 
accorda  une  place  importante  et  avantageuse  au  Tribunal  du  la  Conscience^. 

Un  autre  motif  de  chagrin  que  les  jésuites  donnèrent  à  Jean  V  dans  les  derniè- 
res années  de  son  règne  provenait  de  la  forme  intéressée  et  peu  respecteuse  des  lois  du 


1  Idem,    idem,  p.  iSb.  —  Colecçiîo   PomhaHna,  Lettres.  —  Nova  Carta  Coro(/râfi(;a  de  Portugal, 
par  le  Général  Avila  e  Bolauia,  t.  m,  Lisbonne  1914,  p.  246. 
^  Un  million  685  mille  francs. 
'  Cinq  cent  mille  francs.  —  Scliaefer,  t.  iv,  p.  708. 
'  Deux  millions  vingt  mille  francs. 
'••  Schacfer,  t.  iv,  pp.  709  e  710. 
«  Idem,  idrm,  p.  710. 

'  Théophile  Braga,  Histoire  de  l'Université  de  Coîmbre,  t.  m,  p.  281. 
8  P.  Franco,  Synoptia,  pp.  433,  439  et  440. 


3Ô 

Pays  comme  ils  agissaient  dans  leurs  Glissions  du  Brésil.  Mais  ce  point-ci  nous  le  trai- 
terons au  chapitre  suivant,  car  il  fut  l'origine  des  mésintelligences  qui  se  terminèrent 
par  leur  bannissement  du  Portugal  et  des  Colonies  et  précipitèrent  leur  extinction  comme 
Ordre  Religieux. 

CHAPITRE  HUITIÈME 
Règne  de  Joseph  I  (31  Juillet  1750  —  24  Février  1777) 

Les  jésaites  bannis  du  Portogal 

Ce  fut  le  ]\Iarquis  de  Pombal,  Sébastien  Joseph  de  Car valho  eMelo,  qui,  comme  Mi- 
nistre du  roi  Joseph,  bannit  les  jésuites  de  Portugal  et  de  ses  domaines,  en  1759.  C'est  lui 
aussi  qui,  par  soû  exemple  et  son  énergie  contre  l'opposition  de  Rome,  contribua  le 
plus  à  leur  bannissement  d'autres  pays  et  enfin  à  leur  élimination,  comme  Ordre  reli- 
gieux, de  l'église  catholique. 

11  convient  cependant  de  connaître  les  antécédents  qui  ont  porté  Pombal  à  exécuter 
cette  entreprise  difficile  et  lui  ont  permis  de  la  faire  sans  opposition,  plutôt  avec  l'appro- 
bation ou  l'indifférence  de  la  nation. 

Les  antécédents  du  bannissement 

I 

Dans  l'enseignement 

Les  jésuites  depuis  leur  entrée  en  Portugal  avaient  dominé  à  la  cour  et  par  consé- 
quent sur  la  politique  du  pays,  comme  nous  l'avons  vu  jusqu'à  présent.  Mais  leur  puis- 
sance avait  été  plus  intense  et  plus  profonde.  Ils  avaient  accaparé  l'enseignement  pu- 
blic, surtout  celui  que  l'on  appelait  alors  des  Arts  et  Humanités,  dont  ils  avaient  le  mo- 
nopole absolu. 

En  1542  Jean  III  leur  avait  accordé  à  Coimbre,  alors  seule  Université  portugaise, 
l'emplacement  pour  fonder  un  collège,  auquel  ils  donnèrent  le  nom  de  Jésus. 

Mais  le  même  roi  croyant  peu,  paraît-il,  à  la  science  des  membres  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus,  qui  venait  d'être  fondée,  fit  venir  à  Coïmbre,  en  1547,  des  professeurs 
remarquables,  portugais  et  étrangers,  du  Collège  de  Guyenne  de  Bordeaux  et  de  Sainte 
Barbe  de  Paris,  pour  y  fonder  le  C'oUlge  Ruyul  des  Arts  '.  Ce  collège  prospéra  rapide- 
ment, il  eut  de  la  renommée  et  de  nombreux  élèves,  tandis  que  celui  des  jésuites  avait 
une  vie  insignifiante  et  était  peu  considéré  à  l'Université.  Les  jésuites  devaient  donc  se 
défaire  de  leurs  rivaux.  Ils  le  firent  et  en  peu  de  temps. 

Les  professeurs  du  Collège  Royal  des  Arts  avaient  tous  été  élevés  hors  du  Portu- 
gal, dans  des  pays  où  l'esprit  critique  initié  par  Luther  dans  les  questions  théologiques 
avait  fait  une  large  propagande.  C'étaient  des  esprits  déjà  plus  libres  que  ceux  des 
vieux  sectaires  de  la  cour  portugaise. 

Leurs  leçons  le  montraient  bien  clairement.  Il  fut  donc  facile  aux  jésuites  de  faire 
en  sorte  que  ces  professeurs  fussent  accusés  d'hérésie.  Envers  ces  professeurs  élevés  à 
l'étranger,  les  jésuites  agirent  comme  Simon  Rodrigues  l'avait  fait  contre  Damien  de 
Goes,    élevé    aussi  à  l'étranger,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  au  chapiti-e  V  de  cette  his- 


'  Théophile  Braga,  Historié  de  l'Université  de  Co'imhre,  t.  i,  cliap.  vi,  p.  488. 


37 

toire.  Jean  da  Costa,  Jacques  île  Teive  et  George  Buchanan,  professeurs  du  Collège  des 
Arts,  furent  arrêtés  et  envoyés  à  l'Inquisition  de  Lisbonne  en  1550.  Dans  leurs  procès, 
aujourd'hui  archivés  à  la  Terre  do  Tombo,  on  voit  le  doigt  jésuitique  dans  les  accusa- 
tions et  on  voit  aussi  que  les  accusés  n'étaient  pas  des  esprits  fanatiques.  Mais  leur  hé- 
résie ne  fut  pas  prouvée  et  on  ne  put  les  condamner. 

Cependant  les  jésuites  obtinrent  ce  qu'ils  voulaient.  Les  professeurs  appelés  par 
Jean  III  durent  abandonner  le  Collège  des  Arts  et  celui-ci  fut  confié  aux  jésuites  en 
1555  •.  Ceci  fut  un  grand  malheur  pour  le  pays.  L'enseignement  portugais  qui,  avec  ces 
professeurs,  allait  entrer  dans  un  esprit  libre  de  critique,  vers  le  milieu  du  XVI  siècle, 
resta  confiné  dans  l'obéissance  aveugle  du  jésuitisme  où  la  philosophie  doit  être  l'esclave 
de  la  théologie.  Le  même  fait  se  produisit  à  la  cour  par  l'éloignement  de  Damien  de 
Goes.  La  cour  qui  avec  lui  aurait  ouvert  les  yeux  à  la  lumière  venant  du  Nord, 
avec  Simon  Rodrigues  et  ses  successeurs  entra  dans  une  obscurité  et  une  soumission, 
intellectuelles,  qui  sont  bien  évidentes  sous  les  règnes  suivants  de  Sébastien  et  du 
cardinal  Henri. 

Les  jésuites,  une  fois  maîtres  de  l'enseignement  des  Arts  à  Coïmbre,  élargirent  peu 
à  peu  le  cercle  de  leur  puissance,  dans  l'enseignement,  et  obtinrent  la  fondation  de  col- 
lèges dans  beaucoup  d'autres  localités  ;  de  manière  qu'en  1726  ils  avaient  vingts  collè- 
ges et  trois  séminaires  en  Portugal  et  ses  colonies,  comme  l'atteste  leur  historien  le 
Père  Antoine  Franco  -. 

Mais  le  nombre  de  ces  collèges  ne  fut  pas  à  lui  seul  la  principale  cause  de  leur 
ascendant  sur  l'instruction  du  pays;  ce  fut  surtout  le  monopole  qu'ils  obtinrent  dans 
l'enseignement,  car  au  moyen  de  successifs  décrets  royaux  ils  acquirent  des  privilèges, 
par  lesquels  personne  ne  pouvait  se  faire  inscrire  à  l'Université  sans  passer  un  examen 
devant  les  professeurs  jésuites  du  Collège  des  Arts  ^. 

Le  cardinal  Henri  leur  accorda  plus  encore,  étant  archevêque  d'Evora.  Leur 
ayant  fondé  dans  cette  ville,  d'abord  un  collège  en  1551,  puis  une  Université  en  1553, 
il  ordonna  aussi  que  personne  ne  pût  enseigner  le  latin  dans  cette  ville,  excepté  les 
Pères  du  collège.  Cet  enseignement  fut  même  défendu  à  l'érudit  et  célèbre  André 
de  Rezende,  dont  le  nom  était  si  illustre  dans  l'enseignement,  que  le  Roi  lui  même  était 
allé  entendre  ses  leçons,  comme  l'avoue  l'historien  jésuite  P.  Baltazar  Tellez  '*. 

Les  privilèges  que  leur  donnait  le  monopole  de  l'enseignement  furent  renouvelés 
en  plusieurs  époques  et  sous  différents  rois.  Mais  sous  le  règne  de  Jean  V  les  cho- 
ses, changèrent.  Ce  roi,  quelques  années  après  son  avènement  au  trône,  où  il  était 
monté,  très  jeune,  à  17  ans,  voulut  régner  par  lui-même  et  s'aff'ranchir  de  ses  anciens 
maîtres  spirituels,  les  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus. 

Il  cessa  donc  d'avoir  pour  confesseurs  des  jésuites,  les  prenant  dans  d'autres  ordres 
religieux. 

Il  punissait  même  les  supérieurs  portugais  de  la  Compagnie  quand  ils  se  permettaient 
de  ne  pas  respecter  ses  ordres,  obéissant  de  préférence  à  ceux  de  leur  général  de  Rome  ^. 

Dans  les  questions  d'instruction,  quoiqu'il  eût  beaucoup  d'estime  pour  le  jésuite 
italien  Carboni,  qu'il  avait  fait  venir  de  Naples,  et  pour  lequel  il  avait  beaucoup 
d'égards,  sa  préférence  pour  la  Congrégation  des  Oratoriens  devint  évidente.   11  choisit 


'  Théophile  Braga,  Histoire  de  l'Univerêité  d^^Hoïmbre,  t.  ii,  p.  293. 

'  Franco.  Synnptis,  Préface.  Voir  Majipa  de  Porturjal,  par  J.  Baptiste  de  Castro,  tom.  ii  p.  132. 

'  Antoine  Joseph  Teixeira,  Documents  pour  l'histoire  des  Jésuites,  pp.  399  et  404. 

'  Baltazar  Teliez,  Chronique  de  la  Compagnie  de  Jésus,  2"  partie,  p.  320. 

=  Franco,  Synopsis,  p.  433. 


38 

plusieurs  d'entre  eux  comme  membres  de  l'Académie  Royale  d'Histoire  qu'il  avait  fondée 
en  1720  et  il  leur  confia  plusieurs  occupations  littéraires,  comme  à  l'oratorien  Père 
Antoine  dos  Reîs,  qu'il  chargea  de  la  publication  des  poètes  portugais  '.  En  1745  il  fit 
plus  encore  en  faveur  de  cette  Congrégation,  car  il  lui  accorda  un  privilège  par  lequel 
les  examens  de  ses  Collèges  de  Saint  Esprit  et  Necessidades  étaient  valables  pour  l'ins- 
cription de  l'Université  de  Coïmbre,  sans  qu'ils  fussent  obligés,  comme  on  l'avait  été 
jusque  là,  de  passer  un  examen  devant  les  jésuites  du  Collège  de  Coïmbre  -. 

Ce  fut  le  premier  coup  terrible  porté  à  l'ascendant  de  l'enseignement  des  jésuites. 
Un  autre  le  suivit  de  près  et  celui-là,  encore  plus  terrible,  puisqu'il  détruisit  tout  le 
système  pédagogique,  jusqu'alors  suivi  par  eux  en  Portugal.  Cet  événement  fut  produit 
par  la  publication  des  fameuses  lettres  contre  l'enseignement  des  jésuites,  lettres  écrites 
par  un  Capucin,  comme  il  y  était  dit,  lequel  Capucin  n'était  autre  que  l'arcbidiacre 
d'Evora,  vivant  alors  à  Rome,  auprès  de  l'Ambassade  Portugaise  dans  cette  Cour,  Louis 
Antoine  Verney.  Ces  lettres  firent  beaucoup  de  bruit  à  cette  époque,  donnèrent  lieu  à 
des  répliques  et  contre-répliques  et  les  jésuites  sortirent  de  cette  lutte  assez  maltraités. 
Ces  lettres  furent  publiées  en  1746,  en  deux  volumes,  sous  le  titre  de  Verdadeiro  Mé- 
thodo  de  Estudar  ("Vraie  Méthode  pour  Étudier).  Cet  ouvrage  est  une  critique  profonde 
des  méthodes  suivies  par  les  jésuites  en  Portugal,  prouvant  qu'elles  étaient  très  arrié- 
rées et  les  comparant  à  celles  qui  dominaient  dans  les  écoles  étrangères. 

Cette  critique  fut  si  bien  reçue  par  les  intellectuels  portugais  que  le  célèbre  saty- 
rique  Denis  da  Cruz  e  Silva,  dans  son  poème  héroï-comique,  0  Hyssope  (Le  Goupillon), 
appelle  l'enseignement  latin  des  jésuites  : 

«La  longue  syntaxe  jésuitique». 

(Chant  vu) 

et  au  sujet  de  leur  philosophie  il  dit: 

«La  vaine  philosophie  scolastique 

Qui  inonda  les  cloîtres  et  qu'embrassèrent 

Jusqu'à  la  mort  les  perfides  solipsos»  ^ 

(Chant  i) 

Ce  fut  aussi  en  se  basant  sur  cette  critique,  que  plus  tard  le  Marquis  de  Pombal 
bannit  des  écoles  portugaises  les  livres  d'enseignement  composés  par  les  jésuites  portu- 
gais, en  les  faisant  remplacer  par  d'autres,  écrits  par  les  oratoriens  *  qui,  plus  modernes 
que  les  jésuites,  expliquaient  déjà  dans  leurs  écoles  les  idées  de  Descartes  et  de  Bacon. 
Les  jésuites,  pendant  les  200  ans  de  leur  influence  sur  l'enseignement  portugais,  empê- 
chèrent l'entrée  du  protestantisme  dans  les  esprits,  mais  d'un  autre  côté  ils  soumirent 
ces  esprits  à  la  plus  grande  bassesse  et  la  plus  grande  décadance  intellectuelles. 

Il 
Dans  les  Missions 

Jean  III  avait  appelé  les  jésuites  en  Portugal  pour  les  envoyer  prêcher  l'Evan- 
gile  dans    les    pays    que  les  portugais  avaient  découverts  et  conquis.  Mais  plus  tard  le 


'  Caetano  de  Sousa,  Histària  Geneaîojica,  t.  vin,  pp.  214  à  246. 

~  Ferreira  Brandào,  RecapHulaçâo  histârico-liioi/râfica  do  Padre  Bartolomeu  do  Qtiental,  pp.  73-75, 
Lisbonne,  1807. 

3  On  appelait  alors  les  jésuites  solipsos  pour  ridiculiser  leur  orfrueil  et  leur  an-ogance  :•  du 
latÏD  soli  ipsi,  leur  seuls. 

*  Pinheiro  Chagas,  Histoire  de  Portugal,  vol.  G,  p.  563,  Lisbonne,  cilition  do  l!i02. 


39 

même  Roi  décida  que  seulement  quelques-uns  d'entre  eux  iraient  et  que  les  autres  reste- 
raient dans  le  royaume  pour  y  créer  de  nouveaux  adeptes. 

En  effet  un  grand  nombre  de  jésuites  alla  sur  les  vaisseaux  portugais,  vers  l'Inde,. 
l'Afrique  et  le  Brésil.  Il  y  avait  parmi  eux  des  hommes  remplis  d'abnégation,  de  sacri- 
fice et  de  détachement  du  monde;  d'autres,  doués  d'un  esprit  audacieux  et  aventureux, 
se  mirent  à  parcourir  des  régions  jusqu'alors  inconnues  aux  européens,  affrontant  hardi- 
ment toutes  les  difficultés  et  tous  les  dangers.  D'autres  encore  étaient  des  hommes  très 
instruits  pour  leur  époque,  habiles  mathématiciens  et  connaissant  l'astronomie,  la  météo- 
rologie et  d'autres  sciences.  On  ne  peut  pas  nier  qu'entre  cette  quantité  inuombrale  de 
portugais  et  d'étrangers  que  les  vaisseaux,  sortis  de  Lisbonne,  allèrent  débarquer  dans 
les  ports  de  l'Asie,  de  l'Afrique  et  de  l'Amérique,  se  trouvaient  beaucoup  d'hommes 
qui  méritèrent  l'admiration  de  l'Europe,  par  leurs  vertus,  leurs  audacieuses  explorations 
dans  des  régions  inhospitalières,  ou  par  la  renommée  de  leur  savoir  qui  éblouit  les 
païens.  François  Xavier,  Gonsalve  da  Silveira,  Emmanuel  da  Nôbrega,  Joseph  de  An- 
chieta,  Robert  de  Nobili  e  Mathieu  Ricci,  entre  autres,  sont  des  noms  restés  célèbres. 
Mais  les  Missions  des  Jésuites  vues  dans  leur  ensemble  et  examinées  à  la  lumière  d'une 
critique  impartiale,  mais  sérieuse  et  élevée,  eurent  des  défauts  qui  leur  enlevèrent  une 
grande  partie  de  la  valeur  qu'elles  auraient  pu  avoir  pour  la  civilisation  des  pays  qu'ils 
traversèrent. 

L'erreur  commença  par  François  Xavier.  Cet  apôtre  en  dix  années  de  l'Inde, 
(1542—1552)  au  lieu  de  se  consacrer  à  un  territoire  borné,  où  son  activité  d'évangelisa- 
teur  pût  produire  des  effets  solides,  parcourut  l'Asie  jusqu'au  Japon  et  alla  mourir  en 
vue  de  la  Chine,  après  avoir  fait  des  conversions  et  des  baptêmes  en  masse,  de  beau- 
coup de  centaines  de  personnes.  De  fait  ce  n'étaient  ni  des  conversions  ni  des  christia- 
nisations. 

Les  successeiM-â  suivirent  son  exemple.  En  sorte  que,  sous  l'apparence  de  chrétiens, 
les  nouveaux  baptisés  continuèrent  à  être  païens  comme  avant,  ayant  des  mœurs  et  des 
superstitions  parfaitement  idolâtres*.  Dans  ce  genre  Nobili  et  Ricci  se  tirent  remarquer: 
ils  s'habillèrent  richement,  à  la  manière  des  mandarius  et  des  brahmanes,  adoptant  leurs 
mœurs,  ne  daignant  pas  regarder  les  pauvres  ni  leur  parler  et  feignant  même  de  ne 
pas  connaître  les  autres  religieux  du  même  Ordre  qui  portaient  l'humble  costume 
•de  cette  classe.  Cela  donna  lieu  à  la  fameuse  question  des  Rites  Malabares  et  Chinois 
qui  fut  tellement  discutée  entre  les  théologiens  du  XVIP  et  du  XVIII'^  siècles  qvie  les 
systèmes  jésuitiques  de  ces  Rites  furent  enfin  condamnés  par  Benoît  XIV,  le  11  juil- 
let  17422. 

Ceci  en  ce  qui  regarde  l'Asie  et  l'Afrique. 

Au  Brésil  l'œuvre  des  jésuites  fut  plus  intense,  mais  elle  eut  d'autres  défauts  et 
beaucoup  plus  graves.  Les  jésuites  portugais  suivirent  au  nord  du  Brésil  le  système  des 
Réductions  qui  fut  aussi  suivi  par  les  jésuites  espagnols  dans  l'Amérique  du  sud.  Les 
Réductions  ou  aldeamentos  étaient  des  locaux  où  les  jésuites  parvenaient  à  conduire 
(réduire)  et  aldear  (former  village),  les  indigènes  païens  ;  et  une  fois  là,  ils  les  faisaient 
vivre  dans  une  sorte  de  commune,  le  territoire  environnant  étant  considéré  Propriété 
de  Dieu.  Ils  travaillaient  tous  où  et  comme  les  jésuites  l'ordonnaient,  prenaient  leur 
repas  en  commun,  mais  n'avaient  rien  en  propre.  C'étaient  comme  des  mineurs  en 
tutelle,  constamment  sous  la  domination  spirituelle  et  temporelle  des  jésuites.  Il  n'était 
pas    permis    aux    colonisateurs   ni  aux  prêtres  des  autres  religions  d'y  entrer.  En  sorte 


'  H.  Boehmer,  Les  Jésuites,  chap.  iv,  p.  152. 

■'  H.  Boehmer,  Les  Jésuites,  introduction  par  Gabriel  Monod,  p.  xi.iii. 


40 

que  ces  indigènes  devinrent  des  êtres  en  enfance  perpétuelle  («perpétua  fanciuUezza» 
comme  le  dit  Bice  Romano)  sans  liberté  et  sans  initiative  '. 

Ajoutons  à  cela  que  les  indigènes  des  Réductions  travaillaient  pour  les  jésuites,  qui 
les  empêchaient  de  travailler  pour  les  colons  séculiers.  En  sorte  qu'ils  pouvaient  ainsi 
présenter  sur  le  marché  des  articles  en  plus  grande  abondance,  meilleurs,  et  à  un  prix 
plus  réduit  que  les  autres  négociants  ;  de  là  un  avantage  commercial  important  pour  les 
jésuites  et  une  infériorité  manifeste  dans  les  gains  des  colons  portugais,  ce  qui  évidem- 
ment discréditait  l'œuvre  spirituelle  des  missionnaires.  Aujourd'hui  même  les  jésuites  ne 
peuvent  s'affranchir  de  cette  mauvaise  réputation,  car  la  critique  historique,  sereine  et 
froide,  est  allée  chercher  les  documents  les  plus  cachés  pour  élucider  cette  question 
d'iine  manière  irréfutable.  Ce  sont  les  Généraux  mêmes  de  l'Ordre  qui,  dans  bien 
des  lettres  déjà  publiées,  ont  blâmé  sévèrement  la  manière  scandaleuse  dont  se  condui- 
saient leurs  sujets  envers  les  indigènes  des  Réductions,  pour  leur  commerce  illicite, 
en  face  des  lois  de  l'Eglise. 

«Nous  vous  avons  déjà  écrit  souvent  au  sujet  du  grand  scandale  que  les  nôtres 
causent  devant  les  étrangers  en  transportant  au  Collège  du  Para  de  grandes  quantités 
de  cacao  et  de  girofle,  et  pourtant  jusqu'à  présent  nous  n'avons  pas  vu  que  l'on  cher- 
chât à  se  corriger»  ^. 

Ainsi  écrivait  le  Général  Tamburini  au  P.  Ignace  Ferreira,  supérieur  du  Maragnon, 
le   22   octobre    1712. 

Les  scandales  de  ce  genre  chez  les  jésuites  du  Brésil  étaient  tellement  grands  qu'ils 
parvinrent  non  seulement  à  la  connaissance  des  Généraux  de  l'Ordre,  mais  aussi  à  celle 
du  Roi  et  du  Pape.  Jean  V  qui  était  déjà  mal  disposé  envers  les  jésuites,  se  servit 
du  Pape  pour  mettre  un  terme  aux  dérèglements  de  ces  religieux  et  Benoît  XIV,  en 
vertu  des  plaintes  réitérées,  publia  la  Bulle  du  25  février  1741,  Immmsa  Pastorum, 
contre  les  prêtres  négociants  et  le  Bref  du  20  décembre  de  la  même  année,  qui  visait 
la  Compagnie  de  Jésus  ^.  Mais  la  Bulle  ne  produisit  pas  les  effets  désirés;  les  jésuites 
n'en  firent  aucun  cas,  ils  disaient  que  sa  doctrine  était  illégitime  et  il  y  eut  même  des 
supérieurs  jésuites  au  Brésil  qui  refusèrent  de  la  faire  connaître  ^.  Mais  l'opposition  des 
jésuites  de  l'Amérique  du  sud  devint  plus  évidente  envers  les  gouvernements  de  la  métro- 
pole, lorsque  vers  la  fin  du  règne  de  Jean  V  on  célébra  un  traité  entre  le  Portugal 
et  l'Espagne,  le  13  janvier  1750,  par  lequel  sept  Réductions  du  Paraguay  devaient  passer 
sous  la  domination  portugaise,  en  compensation  de  la  colonie  du  Sacramento  qui  passait 
aux  espagnols. 

Les  jésuites  s'opposèrent  avec  ténacité,  faisant  en  sorte  que  les  indigènes  y  rési- 
dant, leurs  sujets  spirituels  et  gouvernés  par  eux  comme  des  enfants,  prissent  les  armes 
et  reçussent  les  gouverneurs  des  deux  nations  en  pied  de  guerre.  Celle-ci  fut  la  pre- 
mière difficulté  que  le  Marquis  de  Pombal  trouva  devant  lui,  lorsque,  peu  de  mois  après, 
mort  Jean  V,    son  fils  Joseph  monta  sur  le  trône  et  choisit  Pombal  pour  son  ministre. 


1  Bice  Romano,  L'expulsione  dei  Gesuiti  dal  Porloi/allo  con  documenti  dalU Arcldvio  Valicano, 
Cittâ  Ai  Castello,  1914,  p.  19. — H.  Boehmer,  Les  Jésuites,  p.  197, — Schaefer,  Mi.stâria  de  Portugal,  t. 
V,  p.  28. 

-  J.  Lûcio  de  Azevedo,  On  J&8wi(a«  «o  Grrào-Pa?â,  Lisboa  1901,  p.  207:  «Saepius  sciipsimus 
de  gravi  scamlalo,  quod,  nostri  dant  externis  in  conduoenda  ad  Collegium,  praesertlm  paraense,  raa- 
xima  quantitate  cacai  et  gariophylli  maragnoiiensis;  et  tameii  nondum  visa  est  emondatioo.  De  la  p. 
326  à  335  on  trouve  dans  cet  ouvrage  difïrreutes  lettres  des  Généraux,  Visconti,  Tamburini  et  Iletz,  sur 
le  scandale  du  commerce  jésuitique  au  Brésil, 

3  J.  Lûcio  de  Azevedo,  ouv.  cit.,  p,  212, 

♦  Bice  Romano,  pp,  24  e  29,— Schaefer,  t,  v,  p,  29, 


41 


Causes  prochaines  du  bannisseuirnt 

A  la  mort  de  Jean  V,  le  31  août  1750,  son  tils  Joseph  monta  sur  le  trône  et  aussi- 
tôt, le  2  août  suivant,  il  nomma  pour  la  place  alors  vacante  de  ministre  des  affaires  étran- 
gères et  de  la  guerre,  Sébastien  Joseph  de  Carvalho  e  Melo,  qui  avait  déjà  51  ans.  Ij 
avait  été  d,ésigné  pour  occuper  cette  place  par  Marianne  d'Autriche,  mère  de  Joseph^ 
Cette  princess3  était  l'amie  intime  d'Eléonore  Daun,  dame  de  la  noblesse  autrichienne, 
que  Carvalho  avait  épousée  lorsqu'il  était  ambassadeur  à  Vienne  d'Autriche  *. 

Sébastien  de  Carvalho  vit  aussitôt  que  les  affaires  qui  lui  étaient  confiées  se  trou- 
vaient en  grand  desordre  et  très  arriérées.  Il  s'en  occupa  avec  l'activité  et  l'énergie  que 
tout  le  monde  lui  reconnaissait,  et  mit  en  pratique  les  connaissances  commerciales  et 
politiques  qu'il  avait  acquises  dans  les  cours  de  Londres  et  de  Vienne,  où  il  avait  été 
ministre  de  Portugal.  A  Londres  il  avait  vu  le  profit  que  les  anglais  savaient  tirer  de  leurs 
Compagnies  de  Navigation  et  autres.  A  Vienne  il  avait  compris  comme  il  fallait  lutter 
avec  Rome  pour  que  le  pouvoir  spirituel  ne  dominât  pas  le  pouvoir  civil.  En  Portu- 
gal il  voyait  combien  était  grande  la  puissance  des  jésuites  à  la  Cour,  puisqu'ils  étaient 
les  confesseurs  de  toute  la  famille  royale  et  d'une  grande  partie  de  la  noblesse. 

Une  des  premières  questions  diplomatiques  qu'il  eut  à  résoudre  fut  l'exécution  du 
traité  de  frontières  du  3  janvier  1750,  dont  nous  avous  parlé  plus  haut,  se  rapportant  à 
la  colonie  du  Sacramento  et  aux  Réductions  du  Paraguay. 

En  1751  on  envoya  d'Europe  aux  Gouverneurs  des  deux  pays,  dans  les  dites  colo- 
nies de  l'Amérique  du  Sud,  les  instructions  nécesaires  pour  que  les  changements  prove- 
nant du  traité  eussent  lieu  immédiatement.  Mais  ces  gouverneurs  ne  purent  pas  les  exé- 
cuter, parce  qu'ils  trouvèrent  une  grande  résistance  chez  les  peuples  dirigés  par  les 
jésuites  et  ils  accusaient  ceux-ci  de  cette  résistance  -.  Quoique  les  gouverneurs  espagnol 
et  portugais  fissent  plusieurs  tentatives,  avec  des  gens  armés,  ils  n'obtinrent  aucun  succès 
jusqu'en  1754;  et  ce  n'est  qu'en  1756  que  le  gouverneur  Andrade  put  faire  exécuter  le 
traité  qui  avait  jusqu'alors  coûté  au  Portugal  trois  millions  de  libres  sterling  ^. 

Le  11  août  1753  Carvalho  fonda  la  Compagnie  de  Maragnon  et  Para:  pensant  aux 
Compagnies  Anglaises  et  Hollandaises  du  même  genre,  riches  et  productives,  il  trouva 
que  celle-là  pourrait  agrandir  le  commerce  colonial  portugais  '.  Les  jésuites  qui  voyaient 
dans  cette  Compagnie  un  obstacle  à  la  manière  irrégulière  et  scandaleuse  dont  ils  faisaient 
leur  commerce  au  Brésil,  s'y  opposèrent  de  toutes  leurs  forces  et  se  servirent  même  de  la 
chaire  et  du  confessionnal  pour  l'attaquer.  Le  jésuite  Ballester  alla  même  jusqu'à  dire 
dans  un  sermon  que  «ceux  qui  auraient  des  rapports  avec  une  pareille  Compagnie,  ne 
pourraient  pas  faire  partie  de  la  Compagnie  de  Notre  Seigneur  Jésus  Christ»  ^. 

Le  1"'  novembre  1755  Lisbonne  souffrit  le  grand  tremblement  de  terre,  si  connu 
dans  le  monde  entier  par  les  malheurs  qu'il  causa. 

Lisbonne  fut  presque  détruite,  non  seulement  par  le  tremblement  de  terre,  mais 
aussi  par  les  eaux  du  Tage  qui  inondèrent  la  partie  basse  de  la  ville  et  par  les 
incendies  qui  eurent  lieu  dans  plusieurs  maisons.  Tous  les  esprits  succombèrent,  Carva- 
lho, seul,  se  présenta  alors  avec  une  fermeté  hautaine  et  une  activité  énergique  qui  firent 
l'étonnement  de  tout  le  monde.  Et  lorsque  Joseph  atterré  lui  demanda:  «Que  faire  pour 
échapper  à  ce  châtiment  de  la  Justice  Divine?»  Carvalho,  droit  et  fort  au  milieu  du 


'  Pinheiro  Chagaa,  Historia  Port-,  t.  vi,  p.  460.  —  Schaefer,  t.  v,  p.  21. 
2  Bice  Romano,  21.  —  Schaefer,  t.  v,  p.  29. 
'  Schaefer,  t.  v,  p.  30, 

♦  Pinheiro  Chagaa,  t.  vi,  p.  468. 

*  Schaefer,  t.  r,  p.  32. 


découragement  gûncral,  répondit  aussitôt:  oSire,  enterrer  les  morts  et  s'occuper  des  vi- 
vants» '. 

Alors  le  Roi  étonné  de  la  grandeur  d'âme  et  du  courage  de  son  ministre,  lui  donna 
plein  pouvoir  pour  faire  ce  qu'il  jugerait  nécessaire.  Carvalho  fit  des  prodig^es  d'adminis- 
tration pour  maintenir  l'ordre,  assurer  la  propriété  lorsque  toutes  les  prisons  s'étaient 
ouvertes,  nourrir  le  peuple  et  rendre  à  la  ville  la  tranquillité  perdue.  Pendant  des  jour- 
nées entières  il  parcourut  la  ville  en  voiture.  On  le  voyait  partout  donnant  des  ordres  et 
écrivant  des  décrets  sur  son  genou.  Il  fit  venir  des  troupes  et  des  aliments  du  dehors  et 
chercha  partout  à  relever  le  courage  abattu  du  peuple,  en  faisant  voir  qtte  le  désastre 
n'avait  été  que  le  résultat  des  forces  de  la  nature  et  que  de  pareils  malheurs  s'étaient 
produits  dans  d'autres  régions,  pour  les  mêmes  causes. 

Il  est  certain,  ainsi  que  l'ont  avoué  les  ministres  étrangers  demeurant  à  I^is- 
bonne,  que  Carvalho  réussit  à  ramener  la  paix  et  la  tranquillité  au  peuple  de  Lis- 
bonne '^. 

Mais  au  milieu  de  son  travail  herculéen  pour  relever  l'esprit  public,  en  lui  faisant  voir 
que  les  tremblements  de  terre  n'étaient  que  des  phénomènes  naturels,  provenant  des  for- 
ces mêmes  de  la  nature,  il  trouva  devant  lui  quelques  jésuites,  qui  s'opposaient  à  ces 
idées.  Ceux  ci  après  le  tremblement  de  terre  vinrent  dans  la  rue  prêcher  au  peuple  que 
ces  calamités  n'étaient  qu'un  châtiment  divin  pour  les  péchés  du  peuple  et  pour  les 
fautes  du  Roi  et  de  ses  ministres  ^. 

Aujourd'hui  on  ne  peut  plus  nier  ce  fait,  puisque  nous  avons  devant  nos  yeux  des 
documents  irréfutables.  Le  jésuite  Malagrida,  très  chéri  à  la  Court  et  qui  fut  un  de  ceux 
qui  parcouraient  les  rues  en  prêchant,  écrivit  un  opuscule  où  on  lit  des  choses  très  stupi- 
des,  mais  aussi  d'une  inconvenance  insensée  dans  des  circonstances  comme  celle-là.  Voici 
quelques  passages  de  cet  opuscule,  reimprimé  par  Camille  Castelo  Branco,  dans  son  pro- 
logue de  la  vie  du  P.  Malagrida:  oSache,  donc,  Lisbonne  que  les  seuls  destructeurs 
de  tant  de  maisons  et  de  tant  de  palais. .  .  ne  sont  pas  les  contingences  ou  les  causes 
naturelles,  mais  seulement  nos  intolérables  péchés»  '\  «Que  ceux  qui  affirment  politique- 
ment que  ces  malheurs  proviennent  de  causes  naturelles,  ne  disent  pas  que  cet  orateur 
sacré  embrasé  du  zèle  de  l'amour  divin  ne  fait  qu'une  invective  contre  le  péché,  comme 
source  de  toutes  les  calamités  dont  souffrent  les  hommes. . .  car  il  est  certain,  —  si  on 
ne  me  blâmait  pas  de  dire  ce  que  je  pense  de  ces  politiciens  —  que  ce  sont  des  athées  ^». 

En  suivant  le  système,  déjà  très  connu,  des  jésuites,  d'inventer  des  prophéties  pour 
tout  ce  qui  leur  convient,  il  déclare  qu'il  savait  déjà  que  Dieu  voulait  punir  Lisbonne 
de  ses  péchés:  «Dieu  a  révélé  qu'il  était  très  irrité  des  péchés  de  tout  le  Royaume  et 
beaucoup  plus  de  Lisbonne  et  conséquemment  un  grand  châtiment  devait  la  foudroyer. 
Ce  coup  ne  pouvait  donc  être  attribué  à  des  causes  naturelles  ;  mais  uniquement  à  l'indi- 
gnation de  Dieu  pour  l'excès  de  vos  fautes.  Longtemps  avant  ce  tremblement  de  terre 
j'ai  eu  entre  les  mains  le  manuscrit  (de  cette  prophétie)  que  j'ai  trouvé  par  hasard  dans 
une  des  maisons  principales  de  Lisbonne  et  ce  que  j'y  ai  lu  avait  tant  de  poids  et  de 
substance  que  je  dis  à  son  propriétaire  que  je  ne  le  lui  rendrait  plus  ''». 

Voici  le  seul  moyen  que  Malagrida  trouvait  pour  porter  remède  aux  tristes  résul- 
tats de   cette   calamité:    «que   tous  fissent  à  Dieu  le  sacrifice  de  se  retirer  pendant,  au 


'  Scbaefer,  t.  v,  p.  21. 

2  Schaefer,  t.  v,  pp.  21  à  26. 

'  Sehaefer,  t.  v,  p.  2.S. 

■1  Camille  Castelo  Branco,  Hielôria  de  Gabriel  Malaijrida  da  Companhia  de  Jésus,  p.  i.\. 

5  Camille,  ouv.  cit.,  p.  xi. 

•>  Camille,  ouv.  cit.,  p.  xv. 


43 

moins,  six  jours  dans  la  maison  des  exercices,  pour  y  reflécliir  avec  plus  de  tranquillité 
et  de  lumière  sur  les  misères  infinies  que  peut  attirer  sur  nous  un  péché  mortel  contre 
un  si  grand  îlaître»  *. 

Tels  étaient  les  jésuites  qui  infestaient  Lisbonne,  à  l'époque  terrible  du  tremble- 
ment de  terre,  devant  l'esprit  avancé  et  progressif  du  Marquis  de  Pombal. 

Le  10  septembre  1756  Carvalho  publia  un  décret  par  lequel  il  établissait  la  Corn- 
2)agnie  des  Vins  du  Haut  Duuro  (qui  dure  encore  aujourd'hui  et  est  très  riche).  Le  23 
Janvier  de  l'année  suivante  (1757)  un  mouvement  populaire  éclata  à  Porto  contre  ce  dé- 
cret, provoqué  paraît-il  par  quelques  cabaretiers,  parce  que  ce  décret  nuisait  à  leurs 
affaires  illicites.  Il  paraît  aussi,  d'après  ce  que  disait  le  Marquis  lui-même,  que  les  jésui- 
tes ne  furent  pas  étrangers  à  ce  soulèvement  du  peuple  que  le  Marquis  punit  avec  sa 
sévérité  habituelle  -. 

Mais  les  jésuites  continuaient  avec  une  ardeur  indomptable  leur  lutte  contre  les  or- 
dres de  Carvalho,  à  Maragnon  et  Gran  Para,  où  ils  avaient  établi  leurs  Réductions  et  oii 
ils  ne  voulaient  pas  admettre  l'existence  de  la  Compagnie  du  Maragnon,  créée  par  Pom- 
bal, qui  contrariait  leur  commerce  illicite,  et  où  ils  ne  consentaient  pas  la  lecture  des 
placards  publiés  par  le  ministre  pour  faire  exécuter  la  Bulle  de  Benoît  XIV,  de  1741  ^. 
Quoique  Carvalho  eût  envoyé  en  1754  son  frère  François  Xavier  de  Mendonça  comme 
gouverneur  du  Para,  celui-ci  ne  se  sentit  pas  capable  de  dominer  le  pouvoir  des  jésui- 
tes au  Brésil,  à  cause  de  la  force  qu'ils  avaient  à  la  cour,  où  ils  étaient  confesseurs  de 
la  famille  royale,  comme  tout  le  monde  le  savait  au  Brésil.  Il  écrivit  donc  à  son  frère: 
«Le  premier  pas  doit  être  fait  en  Europe.  Il  faut  détruire  la  confiance  que  le  Roi  a 
accordée  aux  jésuites,  pour  établir  ensuite  celle  que  les  sauvages  doivent  avoir  en 
nous  ^ï. 

Le  ministre  trouva  le  conseil  de  son  frère  très  avisé  et,  combinant  avec  le  Roi  qui 
avait  déjà  compris  la  résistance  scandaleuse  que  les  jésuites  opposaient  aux  ordres  en- 
voyés au  Brésil,  ordonna  que  pendant  la  nuit  du  19  septembre  1757  un  Huissier  de  la 
Maison  Royale  se  présentât,  à,  l'improviste,  à  la  porte  des  appartements  occupés  au  Pa- 
lais Royal  par  les  Pères  Joseph  Moreira,  confesseur  du  Roi,  Thimothée  de  Oliveira,  con- 
fesseur de  l'Infant  Pierre,  son  frère,  et  Jacinthe  Costa,  confesseur  de  la  Princesse  du 
Brésil  et  des  trois  Infantes,  ses  soeurs.  Par  ordre  du  Roi  ils  durent  se  retirer  immé- 
diatement pour  se  rendre  à  la  maison  professe,  avec  la  sommation  de  ne  pas  revenir 
sans  être  appelés. 

A  la  porte  du  Palais  se  trouvaient  des  voitures  de  la  cour  pour  transporter,  vers 
minuit,  ces  Pères  chez  les  jésuites.  Le  lendemain  les  Pères  Emmanuel  de  Campos  et  Joseph 
de  Aranjués,  confesseurs  des  infants  Antoine  et  Emmanuel,  oncles  du  Roi,  rece- 
vaient également  l'ordre  de  ne  pas  revenir  au  Palais  ^.  Le  Roi  nomma  ensuite  pour  son 
confesseur  le  Provincial  des  franciscains  et  pour  confesseurs  des  autres  personnes  de  la 
famille  Royale  les  Provinciaux  d'autres  Ordres  religieux  ^.  Le  Nonce  ayant  su  qu'un 
vaisseau  avait  transporté  à  Lisbonne  quelques  jésuites,  comme  prisonniers,  et  que  le  Gou- 
verneur Mendonça  les  envoyait  du  Brésil  en  les  accusant  de  rébellion  envers  le  Gouver- 


'  Camille,  ouv.  cit.,  p.  xxi. 

2  Pinheiro  Chagas,  t.  vi,  pp.  508-517. 

'  Bice  Roraano,  p.  24.  «Ma  i  Gesuiti  si  opposero  alla  publicaziono  anche  con  la  forza  ed  il  Padre 
superiore  ebbe  l'ardire  di  ricevere  fra  due  caimoni  un  officialc  eraduato  ehe  gli  portava  tutte  carte 
relative  ai  nuovi  ordini  dol  re». 

•  Pinbeiro  Chagas,  t.  vi,  p.  ."iSS. 

•'  Bice-Roraano,  p.  2ï).  —  Schaefer,  t.  v,  p,  31.  —  Crètineau  Joly,  t.  v,  p.  125. 

«  Bice,  pp.  28-29.  —  Schaefer,  t.  v,  p.  31. 


44 

nemejit,  il  alla  trouver  le  ministre  pour  lui  rappeler  le  respect  que,  d'après  les  lois  de 
l'église,  on  devait  avoir  pour  les  personnes  qui  se  consacrent  au  service  divin.  Celui-ci 
lui  déclara  que  le  Roi  respectait  les  lois  ecclésiastiques,  mais  qu'il  ne  voulait  plus  de 
jésuites  au  Brésil,  et  qu'il  y  enverrait  à  leur  place  des  religieux  d'autres  Ordres  qui  tra- 
vailleraient mieux  et  auxquels  lés  jésuites  s'étaient  opposés  jusque  là  '.  Carvalho  voulut 
que  le  Pape  Benoît  XIV  fût  bien  reuseigné  sur  ce  que  les  jésuites  faisaient  au  Brésil 
et  à  cet  efFet  il  fit  venir  le  gouverneur  Mendonça  et  l'envoya  à  Rome  pour  renseigner 
le  Pontife  avec  pièces  à  l'appui.  Le  Pape  convaincu  par  ce  récit  qui  confirmait  les  plain- 
tes qui,  plus  d'une  fois,  lui  avaient  été  présentées,  nomma,  par  un  Bref  du  V  Avril 
1708,  le  Cardinal  Saldanha,  pour  visiter,  faire  une  enquête  et  reformer  les  jésuites 
du  Portugal  -.  Le  Cardinal  Saldanha  était  très  instruit  et  avait  un  caractère  plein 
de  droiture  et  de  probité,  à  tel  point  qu'ayant  été  nommé,  quelques  mois  après.  Pa- 
triarche de  Lisbonne,  le  Nonce  disait  qu'il  ne  connaissait  pas  de  prêtre  dans  ce  royau- 
me, oui  fût  plus  digne  de  cette  honneur^. 'Le  Cardinal  inspecteur  déclarait  le  15  mai  sui- 
vant que  les  jésuites  exerçaient  un  commerce  illicite  et  très  scandaleux  et  il  leur  défendit 
de  continuer  à  le  faire.  A  cet  effet  il  fît  confisquer  les  livres  de  comptes  de  ce  commerce 
et  les  articles  de  celui  ci  emmagasinés  dans  plusieurs  maisons  des  jésuites  ^.  Le  7  Juin 
le  Patriarche  de  Lisbonne  fit  défendre  aux  Jésuites  de  son  diocèse  la  prédication  et  la 
confession,  afin  qu'ils  ne  pussent  se  servir  de  la  chaire  et  du  confessionnal,  comme  ils 
le  faisaient  habituellement,  pour  s'opposer  aux  ordres  qui  ne  leur  plaisaient  pas.  Le  14 
Juillet  on  fit  sortir  de  Lisbonne  le  Provincial  Torres  et  on  l'envoya  au  Collège  de  Bra- 
gance,  à  l'extrémité  Nord  du  Royaume,  parce  que,  confesseur  du  Nonce,  il  était  l'âme 
des  jésuites  du  Paraguay  et  de  leurs  machinations  politiques  ". 

Sur  ces  entrefaites  le  Pape  Benoît  XIV  mourait  le  2  Mai  1758  et  en  Juillet  le  car- 
dinal Razzonico,  qui  prit  le  nom  de  Clément  XIII,  monta  sur  le  trône  pontifical.  Celui-ci 
aimait  beaucoup  les  jésuites  et  ne  le  cachait  à  personne.  Il  prit  pour  secrétaire  le  Car- 
dinal Torrigiani,  qui  dominait  le  Pontife,  mais  était  dominé  par  Laurent  Ricci,  Géné- 
ral des  Jésuites,  dont  il  était  l'intime  ami  et  le  confident.  C'est  pourquoi  celui-ci  le  31 
Juillet  alla  déposer  entre  les  mains  du  Pape  un  mémorial  où  il  lui  demandait  de  faire 
cesser  la  visite  d'enquête  et  de  réforme  aux  jésuites  portugais,  que  le  Pape  antérieur 
avait  confié  au  Cardinal  Saldanha,  alléguant  plusieurs  raisons,  entre  autres  que  cette 
visite  et  cette  réforme,  au  lieu  d'être  utiles  ne  pourraient  que  causer  des  troubles  ''. 

Ce  mémoire  de  Ricci,  qui,  d'après  son  désir,  devait  rester  caché  entre  les  murs  du 
Vatican,  fut  bientôt  connu  à  la  Cour  Portugaise,  où  il  produisit  une  très  mauvaise  im- 
pression. 

Pendant  la  nuit  du  .")  au  4  Septembre  1758  eut  lieu  un  attentat  contre  la  vie  du  Roi 
Joseph  qui,  sortant  en  voiture,  fut  attaqué  par  trois  hommes  déguisés  qui  tirèrent  sur 
lui  et  le  blessèrent  grièvement  à  l'épaule  '^.  Carvalho  renseigné  immédiatement  ordonna 
le  plus  grand  secret  sur  la  blessure  du  Roi  et  que  l'on  répandît  le  bruit  qu'elle  avait 
été  causée  par  une  cliute  que  le  Roi  avait  faite,  par  suite  d'une  syncope.  Il  ordonna 
aussi  que  le  Roi  ne  reçût,  dans  les  appartements  où  il  avait  été  transporté,  que  les  per- 


i  liice,  1).  28. 
2  Bice,  pp,  31  et  32. 

'  Bice,  p.  -36  «per  veritA  non  conosco  in  questo  règne  ecclesiastico  più  adatto  a  questa  dignitâ». 
■•  Bice,  p.  35.  —  Pinheiro  Cliagas,  t.  vi,  p.  568. 
'■•  Bice,  p.  38, 

'  Bice,  pp.  39  et  40. — Oétiiicau-Joly,  t.  v,  p.  li'J.  «De  plus,  un  craint  fort  que  cette  visite  et  ré- 
forme, au  liou  d'être  profitables,  n'occasionnent  _de8  troubles  sans  aucune  utilité». 
^  Bice  Bomaao,  p.  50. 


45 

sonues  strictemeut  nécessaires  pour  le  soigner.  Le  secret  fut  gardé  à  tel  point  que  le 
Nonce  lui-même  fit  dire  à  Rome  que  le  Roi  était  blessé  par  suite  d'une  chute,  causée 
par  une  syncope  '. 

Cependant  le  Ministre  cherchait  à  découvrir  les  chefs  et  les  complices  de  l'attentat 
et  il  le  faisait  si  secrètement  que  les  coupables  se  croyaient  à  couvert  de  tout  soupçon. 
Mais  subitement  sans  que  personne  ne  s'y  attendît,  pendant  la  nuit  du  13  décembre 
on  arrêta  le  Duc  d'Aveiro,  le  Marquis  de  Tâvora  (père)  et  le  Comte  d'Atouguia,  son 
gendre.  Ce  jour  même  on  fit  garder  par  des  troupes  les  maisons  des  jésuites,  leur  dé- 
fendant d'en  sortir  "-.  Ce  n'est  que  le  lendemain  que  la  cause  de  la  maladie  du  Roi  fut 
rendue  publique,  au  moyen  de  placards,  en  déclarant  que  l'on  allait  intenter  un  procès 
contre  ceux  qui  étaient  accusés  de  l'attentat  et  on  demandait  la  dénonciation  des  com- 
plices. Après  cela  le  Roi  put  recevoir  du  monde,  en  commençant  par  le  corps  diploma- 
tique. Le  Nonce  du  Pape  fut  reçu  le  15  décembre  et  il  écrivit  à  Rome  qu'il  avait  trouvé 
le  Roi  très  maigre  et  pâle  et  portant  le  bras  en  éeharpe,  sans  mouvement  ^.  Les  jours 
suivants  on  arrêta  encore  plusieurs  personnes  de  la  noblesse,  entre  autres  la  Marquise 
de  Tâvora,  dénoncées  comme  complices  ou  connlventes  dans  l'attentat,  ou  l'ayant  con- 
seillé. Par  les  déclarations  des  prisonniers  on  vit  que  le  Marquis  de  Pombal  aurait  aussi 
été  assassiné,  s'il  n'avait  pas  changé  de  voiture  *.  Certains  jésuites  furent  indiqués  par 
quelques  uns  des  prisonniers  comme  ayant  coopéré  à  la  conspiration,  après  l'avoir  con- 
seillée ■*.  Un  moia  après,  le  11  Janvier  1.759,  on  publia  la  sentence  contre  les  coupables 
de  l'attentat,  laquelle  fut  exécutée  de  la  manière  barbare  et  terrible  en  usage  k  cette 
époque  et  qui  encore  aujourd'hui  nous  remplit  d'horreur  ".  ' 

Pendant  la  même  nuit  du  11  au  12  Janvier  on  arrêta  dix  jésuites,  dénoncés  com- 
me conseilleurs  et  coopérateurs  de  l'attentat,  dont  les  principaux  étaient  Malagrida,  ita- 
lien, Jean  Alexandre,  irlandais,  et  Jean  de  ilatos,  portugais  '.  Il  est  certain  que  les 
accusés  qui  ont  dénoncé  les  jésuites  comme  conseilleurs  et  coopérateurs  dans  la  conspi- 
ration, l'ont  fait  au  milieu  des  tourments,  tn  usage  à  cette  époque  pendant  les  interro- 
gatoires des  prisonniers,  comme  le  fit  le  Tribunal  de  l'Inquisition  dune  manière  bien 
barbare  pendant  des  siècles.  Cependant  cet  usage  des  tourments  a  servi  aux  défenseurs 
des  Jésuites  pour  Gter  toute  valeur  à  ces  dépositions.  Mais  si  cela  est  un  fait,  il  est  cer- 
tain aussi  que  les  jésuites  arrêtés  étaient  confesseurs  et  conseilleurs  des  principaux  cou- 
pables de  l'attentat,  et  que  Malagrida,  adoré  de  la  noblesse,  donnait  les  exercices  spiri- 
tuels à  la  Marquise  de  Tâvora  ^,  et  que  selon  son  habitude  de  se  servir  de  prophéties, 
il  avait  écrit  à  une  dame  de  la  Cour,  la  prévenant  de  ce  qu'un  grand  malheur  menaçait 
le  Roi  ^.  Il  est  certain  aussi  que  les  paroles  à  peine  murmurées  dans  les  confessionnaux, 
laissent  difficilement  des  vestiges,  quoiqu'elles  aient  une  très  grande  force,  et  que  le 
confesseur  représente,  pour  celui  qui  se  confesse.  Dieu  lui-même,  qui  absout  ou  qui  con- 
damne. 

Voyons  maintenant  les  résultats  de  l'opposition  et  de  la  guerre  que  les  jésuites  fai- 
saient au  gouvernement  de  Joseph  I,  depuis  que  Pombal  était  monté  au  pouvoir. 

Le  19  Janvier  1759  Pombal  ordonnait  par  un  Édit  du  Roi  la  confiscation  de  tous  les 


'  Bico,  pp.  51  et  59. — Schaefer,  t.  v,  pp.  36  et  36. 
«  Bice,  p.  62.— Schaefer,  t.  v,  p.  38. 
3  Bice,  p.  60. 

*  Bice,  p.  71. 

'  Schael'ir,  t.  v,  p.  5(). 
«  Schaet'ur,  t.  v,  pp.  40  à  50. 
,  '  Bice,  p.  82. 

•  Crétineau  Joly,  t.  v,  p.  155. 
»  Schaefer,  t.  v,  p.  51. 


46 

biens  des  jésuites,  qui  vivaient  dans  le  Royaume,  faisait  saisir  tous  leurs  papiers  et 
défendait  à  ces  religieux  de  sortir  de  leurs  maisons  et  d'entretenir  des  relations  avec 
les  personnes  séculières  '. 

Il  prit  enfin  la  résolution  de  bannir  les  jésuites  du  Portugal  et  de  ses  colonies,  mais 
.  il  voulait  le  faire  avec  le  consentement  du  Souverain  Pontife  en  mettant  entre  ses  mains 
les  biens  confisqués  aux  jésuites,  afin  qu'il  en  disposât  comme  il  le  jugerait  pour  le  bien 
de  l'Eglise.  Le  20  avril  1759  il  écrivit  donc  à  Clément  XIII  un  long  manifeste  où  il 
exposait  tout  cela  et  oi'i  il  faisait  un  récit  détaillé  de  l'œuvre  politique  et  commerciale 
des  jésuites  au  Brésil,  en  opposition  avec  les  ordres  de  la  Métropole  et  il  demandait  son 
autorisation  pour  punir  les  jésuites  accusés  de  l'attentat  contre  le  Roi  -. 

Le  2  août  le  Pape  adressa  au  Roi  une  note  donnant  les  pouvoirs  pour  instaurer  ce 
procès,  disant  cependant  qu'il  ne  convenait  pas  de  verser  le  sang  de  ceux  qui  avaient 
été  consacrés  au  service  de  Dieu;  mais  quant  au  bannissement,  le  Pape  trouvait  qu'il 
ne  devait  pas  avoir  lieu  et  qu'il  suffisait  de  punir  les  coupables  ^. 

Là  dessus  beaucoup  de  jésuites  qui  n'avaient  que  les  vœux  simples  abandonnaient 
l'Ordre,  vu  que  le  Cardinal  Saldanha,  en  sa  qualité  d'inspecteur  et  de  réformateur,  dis- 
pensait de  ces  vœux  ceux  qui  le  lui  demandaient  ''. 

Enfin  le  3  Septembre  1759  on  signa  le  décret  qui  bannissait  les  jésuites  du  Portu- 
gal et  de  ses  domaines,  et  permettait  le  séjour  aux  i^articuUers^  c'est-à-dire  à  ceux  qui 
n'avaient  que  les  vœux  simples  et  qui  pouvaient  en  être  déliés  par  le  Cardinal  ■'. 

Le  décret  fut  publié  plus  tard,  lorsque  le  Marquis  eut  tout  préparé  pour  que  pen- 
dant une  seule  nuit  et  inopinément  on  fît  sortir  tous  les  jésuites  de  leurs  maisons  et  les 
transporter  à  bord  des  bateaux,  se  trouvant  dans  le  port,  qui  devaient  les  emmener  à 
Cività-Vecchia ;  mais  les  jésuites  qui  étaient  en  prison  y  restèrent''. 

Le  Pape  n'accepta  pas  de  bon  gré  ce  bannissemet  et  le  transport  des  bannis  dans 
ses  Etats.  Il  le  fit  savoir  à  la  Cour  portugaise  insistant  sur  la  réadmission  des  bannis  et 
n'acceptant  pas  la  concession  qui  lui  était  faite  de  disposer  des  biens  des  jésuites  au 
profit  de  l'Église.  Il  était  impossible  d'accéder  aux  désirs  du  Pape.  Les  deux  cours,  la 
pontificale  et  la  portugaise,  se  brouillèrent.  Le  Nonce  Acciajuoli,  n'ayant  pas  illuminé 
son  palais  le  6  Juillet  1760,  jour  du  mariage  de  la  princesse  Marie,  fille  du  Roi, 
avec  Pierre,  frère  de  celui-ci,  tandis  que.  tous  les  autres  ambassadeurs  demeurant  à 
Lisbonne  avaient  illuminé,  ainsi  que  le  peuple  de  la  capitale,  le  Nonce  reçut,  le  17  du 
même  mois,  l'ordre  de  sortir  du  Portugal,  dans  le  délai  de  quatre  jours.  Le  2  Juillet 
suivant,  le  Pape  ordonnait  que  tous  les  portugais  sortissent  de  ses  Etats.  Ainsi  eut  lieu 
la  rupture  diplomatique  et  complète  entre  le  Portugal  et  le  Saint-Siège.  Le  25  février 
1761  le  Roi  décréta  que  les  biens  confisqués  aux  jésuites,  et  que  le  Pape  n'avait  pas 
voulu  accepter,  retourneraient  à  la  Couronne  ^. 

Cependant  les  jésuites  à  Rome,  en  Espagne,  et  dans  d'autres  pays,  chercbaient  à 
discréditer  le  Roi  de  Portugal  et  son  Ministre  de  la  manière  la  plus  exagérée  et  la  plus 
calomniatrice  ^. 

En  Portugal  les  amis  de  jésuites  agissaient  de  même.  On  créa  la  secte  des  Jaco- 


1  Bice,  p.  98-— Schaefer,  t.  v,  p.  55. 

^  Schai'fVr,  t.  v,  p.  56. 

3  Bice,  pp.  95  et  103.— Schaefer,  t.  v,  p.  58. 

«  Bice,  p.  106. 

*  Schaefer,  t.  v,  pp.  58  à  06. 

6  Bice,  pp.  110  a  117. 

'  Sch.icfer,  t.  v,  p.  74. 

8  Schaefer,  t.  v,  pp.  73,  77  et  97. 


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heos  Reformados  (Jacobites  Réformés),  dent  le  chef,  l'Évêque  de  Coimbre,  Michel  de 
l'Annonciation,  disait  que  Pombal  était  anglais,  non  seulemente  en  politique,  mais  aussi 
en  religion,  et  que  son  âme  avait  été  attaquée  d'hérésie  *. 

L'Évêque  fut  déposé  et  arrêté  ^.  Pour  empêcher  la  propagande  constante  que  les 
jésuites  et  leurs  partisans  faisaient  en  se  servant  de  publications  pour  disposer  l'opinion 
publique  en  leur  faveur  et  contre  le  Portugal,  le  Roi  créa  le  Comité  Royal  de  Censure, 
(Real  Mesa  Censôria),  par  une  loi  du  5  Avril  1768,  lequel  devait  être  comme  un  tribu- 
nal sévère  contre  toutes  ces  publications  •*. 

Comme  nous  l'avons  vu  plus  haut,  quelques  jésuites  restèrent  en  prison  pour  être 
jugés  comme  accusés  politiques.  Le  plus  fameux  d'entre  eux  était  le  P.  Malagrida.  Mais 
celui-ci  le  reclama  l'Inquisition  afin  qu'il  fût  mis  en  procès  pour  crime  d'hérésie.  Le 
prêtre  fut  condamné  et  exécuté  le  20  octobre  1761  ''.  Ses  œuvres  sont  en  effet  remplies 
de  prophéties  et  de  contre-sens  théologiques. 

L'exemple  de  Pombal  fut  bientôt  suivi  par  d'autres  nations,  car  les  jésuites  avaient 
montré  partout  scandaleusement  leur  esprit  dominateur,  s'immisçant  dans  la  politique, 
s'introduisant  comme  confesseurs  et  précepteurs  dans  les  maisons  royales  et  se  mêlant 
effrontément  au  commerce  colonial. 

En  France  leur  intimité,  à  la  Cour,  avec  la  Pompadour  et  le  Roi  Louis  XV,  et  le 
cas  du  P.  Lavalette,  débiteur  de  quatre  taillions  de  livres  pour  des  affaires  à  la  Marti- 
nique, que  rOrdre  ne  voulait  pas  payer  se  disant  étranger  aux  affaires  de  ce  père 
jésuite,  tout  cela  fit  que  les  esprits  cultivés  se  sentissent  indignés  contre  eux.  Le 
parlement  français,  appelé  à  intervenir  dans  le  cas,  obligea  la  Compagnie  à  payer  aux 
créanciers  de  Lavalette  et  par  arrêt  du  2  juillet  1761  il  déclara  que  l'Qrdre  se  trouvait 
illégalement  en  France;  et  le  6  aOut  1762  il  fut  supprimé  surtout  le  territoire /rançais. 
Le  14  juin  1758  le  Roi  fît  confisquer  tous  les  biens  de  la  Compagnie  pour  la  Couronne, 
et  ainsi  elle  cessa  d'exister  en  France  après  200  ans  de  travaux-'. 

Malgré  cela,  le  Pape  Clément  XIII  ne  pouvant  se  convaincre  de  l'esprit  de  révolte 
justifiée  contre  l'Ordre,  augmentant  de  jour  en  jour  en  Europe,  publia  le  7  janvier  1765 
la  fameuse  Bulle  Apostolicum  pasctndi  munus  (composée  par  le  Général  des  jésuites  et 
ses  partisans)  par  laquelle  on  confirmait  de  nouveau  la  Compagnie,  la  louant  extraordi- 
uairemente  et  lui  accordant  de  nouveaux  privilèges  •*.  Cette  Bulle  déplut  partout  et  pro- 
duisit des  effets  contradictoires.  En  Portugal  elle  fut  défendue  par  la  loi  du  6  mai  1765 
et  on  fit  brûler  tous  les  exemplaires  qui  parurent".  Le  2  avril  1767  le  Roi  d'Espagne, 
Charles  III,  bannit  aussi  les  jésuites  de  tous  ses  domaines  et  confisqua  tous  leurs  biens 
pour  la  Couronne.  Il  accorda  pourtant  une  pension  à  chacun  d'eux  et  les  envoya  com- 
me cadeau  au  Pape,  à  Cività  Vecchia,  mais  celui-ci  ne  voulut  pas  les  recevoir.  Le  Roi 
de  Naples  et  de  Sicile  le  3  novembre  1767,  le  Duc  de  Parme  le  7  février  1768,  et  le 
Grand  Maître  de  Malte  le  23  avril  de  la  même  année,  les  bannirent  également  de 
leurs  États  ^. 

Pombal,  voyant  que  son  exemple  avait  été  imité  par  quelques  pays  catholiques, 
mais  que  les  jésuites,  se  voyant  appuyés  par  le  Pape  et  le  Cardinal  Torrigiani,  cher- 
chaient, par  les  anciens  affiliés  de  leurs  anciennes  Congrégations   de  Marie  et  d'autres 


•  Schacfer,  t.  v,  p.  79. 
2  Schaefer,  t.  v,  p.  82. 
'  Schaefur,  t.  v,  p.  98. 

*  Scliaefer,  t.  v,  p.  76. 

5  H.  Boehmer,  pp  271  à  273. 

6  Schacfer  pp.  83  et  8i.— H.  Boehmer,  p.  273. 
'  Schaefer,  t.  v,  p.  87. 

»  H.  Buelirner,  pp.  273  et  274. 


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saints,  à  diffamer  ceux  qui  les  bannissaient,  il  défendit  sévèrement  le  28  août  1767  toute 
confraternisation,  ligue  ou  association  avec  eux  '.  Mais  il  vit  bientôt  que  toutes  ces  me- 
sures étaient  insuffisantes  et  qu'il  fallait  absolument  expurger  l'Eglise  catholique  de  cet 
Ordre.  Dans  ce  but,  le  24  juillet  1767  il  communiqua  ces  idées  aux  ambassadeurs  de 
France  et  d'Espagne-.  Enfin  le  6  décembre  1767  il  annonça  au  Pape  lui-même,  cette 
idée,  comme  nécessaire  à  la  tranquillité  de  l'Église  et  au  rétablissement  des  rapports 
avec  le  Saint-Siège'*.  Les  Puissances  Catholiques  furent  d'accord  avec  Pombal  et, 
après  quelques  communications  diplomatiques,  en  janvier  1769  les  Ambassadeurs  de 
ces  Nations  présentèrent  au  Pape  les  Mémoires  de  leurs  gouvernements  dans  le  sens 
d'abolir  la  Compagnie^.  Mais  pendant  la  nuit  du  1'^'  au  2  février  1769  Clément  XIII 
mourut,  abreuvé  par  les  chagrins  que  son  ineptie  lui  avait  causés. 

Le  19  mai  suivant  fut  élu  Pape  le  Cardinal  franciscain  Laurent  Ganganelli  qui 
prit  le  nom  de  Clément  XIV.  L'idée  de  l'abolition  de  la  Compagnie  lui  fut  immédiate- 
ment présentée  par  les  Puissances  Catholiques,  comme  nécessaire  à  la  tranquillité  de 
l'Église  et  à  celle  des  peuples.  Clément  XIV  leur  fit  savoir  qu'il  approuvait  cette  idée, 
mais  qu-'il  était  prudent  d'f.n  retarder  l'exécution,  afin  d'étudier  bien  les  mesures  à 
prendre  ^.  En  attendant^  il  s'occupa  de  rétablir  les  rapports  entre  le  Portugal  et  le  Saint- 
Siège,  nommant,  comme  Nonce,  Innocence  Conti,  le  19  janvier  1770^.  Enfin  le  21 
juillet  1773  le  Pape  signa  le  fameux  bref  Dominus  ac  Eeiemptor  Nostei-  qui,  après 
avoir  rapporté  les  fautes  et  les  délits  où  la  Compagnie  était  tombée,  l'abolissait  et  ban- 
nissait de  l'Église  catholique.  Ce  ne  fut  cepandant  que  le  17  août  qu'il  fut  communiqué 
aux  ambassadeurs  des  Puissances  et  le  6  septembre  qu'il  fut  reçu  à  Lisbonne  et  pré- 
senté au  Eoi. 

Il  y  eut  pour  ce  motif  des  fêtes  dans  les  églises  de  Lisbonne  et  des  illuminations 
et  fogueiras  (bûchers)  par  lesquels  le  peuple  voulait  célébrer  cette  nouvelle  inatten- 
due '. 

On  peut  se  figurer  le  contentement  du  Marquis  de  Pombal  dont  Robert  'Walpole, 
ambassadeur  anglais,  écrivait:  oïl  faut  lui  reconnaître  le  mérite  d'avoir  été  le  premier  de 
ce  siècle  qui  ait  osé  attaquer  ouvertement  cette  Compagnie,  qui  jouissait  d'une  si  grande 
influence  auprès  d'un  grand  nombre  de  Cours»  '*. 

Il  convient  de  noter  ce  fait  intéressant  de  l'histoire  des  jésuites:  le  premier  roi  qui 
s'occupa  de  la  confirmation  de  cet  ordre  en  J540,  fut  un  roi  portugais,  Jean  III, 
qui  alla  même  jusqu'à  payer  les  Bulles  de  cette  confirmation;  et  le  premier  qui  les 
bannit  de  son  royaume  et  s'occupa  de  leur  abolition  fut  un  autre  roi  portugais,  Joseph, 
conseillé  et  dirigé  par  son  Ministre,  le  Marquis  de  Pombal. 

Je  finirai  ce  chapitre  en  citant  les  paroles  mêmes  de  Bice  Romano,  paroles  par 
lesquelles  il  termine  son  livre  si  souvent  cité  ici:  «La  volontà  di  un  solo  uomo,  inflessi 
bile,  assoluta  e  violenta  era  bastata  a  pronunciare  contra  di  essi  la  grave  condanna  alla 
quale  si  unirono  in  brève  tutti  gli  altri  popoli  cattolici  :  la  Francia  si  affretù  ad  imitare 
l'esempio,  la  Spagna.  le  due  Sicilie  e  tutta  l'Italia  si  misero  ben  presto  suUa  medesima 
via,  la  Germania  dimonstrô  la  sua  approvazione  condannando  giuridioamente  i  teologi 


'  Schaefer,  t.  V,  pp.  92  à  98. 
2  Schaefer,  t.  v,  p.  89. 
'  Scliaefer,  t.  v,  91. 
4  Scliaefer,  t.  v,  p.  110. 
'  H.  Boehiner,  p.  275. 
6  Schaefer,  t.  v,  pp.  114-123. 
'  Scliaef.T,  t.  V,  pp.  129-133. 
8  Scliaefer,  t.  v,  p.  133. 


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della  Compagnia  e  togliendo  loro  l'educazione  délia  Gioventù.  L'edificio  formidabile  era 
scosso  dalle  sue  fondamenta,  e  ben  si  puo  dire  che  il  colpo  venuto  dal  Portogallo  infranse 
il  passato  e  l'avvenire  della  Compagnia  di  Gesù. 


CHAPITRE  NEUVIEME 
Régnes  de  Marie  I  et  de  Jean  VI  (1777-1826) 

Le  roi  Joseph  étant  mort  le  24  Février  1777,  sa  fille  Marie  I,  mariée  à  son  oncle 
Pierre,  monta  sur  le  trône. 

Dans  son  testament  Joseph  recommandait  à  sa  fille,  entre  autres  choses,  ce  qui 
suit: 

«En  sixième  lieu  de  pardonner  la  peine  légale  aux  criminels  d'Etat  qui  seront  trou- 
vés dignes- de  pardon;  quant  à  la  faute  qu'ils  ont  commise  contre  ma  personne  ou  contre 
l'État,  je  la  leur  ai  déjà  pardonnée  à  tous,  pour   que  Dieu  me  pardonne  mes  péchés»  *. 

Eu  vertu  de  ce  testament  Marie  fit  aussitôt,  le  28  de  ce  même  mois,  mettre  en 
liberté  tous  les  prisonniers  politiques.  Parmi  eux  il  y  avait  beaucoup  de  jésuites  natio- 
naux et  étrangers,  dont  les  principaux  étaient  le  P.  Timothée  de  Oliveira,  ancien  con- 
fesseur de  la  Cour  et  le  P.  Joseph  Perdigào,  Procureur  Général  de  la  Province,  inculpés 
dans  le  procès  de  l'attentat  contre  le  roi  Joseph.  Quelques  uns  d'entre  eux  entrèrent  chez 
leurs  familles  ou  chez  des  amis,  mais  le  plus  grand  nombre  désirait  vivre  en  commun  et 
ils  demandèrent  même  à  la  Reine  de  leur  donner  une  maison  à  cet  effet.  Mais  la  Reine, 
quoique  très  dévote  et  pieuse  (surnom  qui  lui  est  resté  dans  l'histoire)  les  connaissait 
bien  du  temps  de  son  père,  et  non  seulement  elle  repoussa  cette  demande,  mais  la  con- 
traria en  prenant  la  résolution  de  les  distribuer  dans  les  différents  couvents  du  Royaume, 
qui  appartenaient  à  d'autres  Ordres.^. 

Cependant  elle  fit  donner  des  pensions  à  tous  ceux  qui  étaient  sortis  des  prisons, 
afin  qu'ils  pussent  se  nourrir  convenablement  ;  et  afin  d'indemniser  la  Chambre  Apostoli- 
que des  dépenses  qu'elle  avait  faites  pour  l'entretien  de  ceux  qui  étaient  allés  en  Italie, 
elle  lui  donna  la  somme  de  quarante  mille  cruzades  ^. 

Sur  ces  entrefaites  quelques  uns  des  jésuites  qui  avaient  été  bannis  et  envoyés  en 
Italie  par  le  Marquis  de  Pombal  revinrent  clandestinement  en  Portugal,  car,  malgré 
leur  demande  et  leur  désir,  le  Gouvernement  de  Marie  leur  fit  savoir  que  les  lois  de 
feu  Joseph  subsistaient  dans  toute  leur  vigueur  et  que  les  jésuites  étaient  les  seuls  in- 
dividus exilés  au  temps  du  Marquis  que  Marie  n'autorisait  pas  à  rentrer  dans  leur  pa- 
trie. Il  n'était  pas  permis  à  ceux  qui  étaient  rentrés  dans  leurs  familles,  en  sortant  du 
fort  de  Junqueira,  de  se  présenter  en  public  *. 

Vers  la  fin  d'Octobre  1781  se  produisit  un  fait  étrange  qui  impressionna  vivement 
toute  la  Cour.  «Un  ex-jcsuite,  le  père  Emmanuel  da  Rocha  Cardoso,  vulgairement  nommé 
le  cardinal,  qui,  d'après  l'ordre  de  la  reine,  avait  un  appartement  au  Palais,  eut  l'audace, 
vers  la  fin  d'Octobre  1781,  de  paraître  en  sa  présence,  armé  de  pistolets  qu'il  tenait 
cachés  sous  sa  soutane,  où  la  reine  les  aperçut.  Elle  le  fit  fouiller  par  un  de  ses  chambel- 


<  Luz  Soriano,  Hisl.oire  de  la  Guerre  Civile  de  1777  à  1834,  1"  époque,  t.  l'',  p.  214. 

'  Luz  Soriano,  ibidem,  p.  216. 

'  Luz  Soriano,  ibidem,  pp.  251  et  305. 

*  Luz  Soriano,  ibidem,  pp.  304  et  305. 


50 

lans  et  il  trouva  ces  armes.  Deux  jours  avant  cet  événement  ce  prêtre  avait  enlevé  de 
la  chambre  occupée  par  lui  au  Palais  tous  les  objets  qu'elle  contenait,  et  il  avait  fait 
répandre  le  bruit  de  son  départ  pour  Rome,  qui  était  alors  le  foyer  des  cabales  jésuiti- 
ques. L'Intendant  général  de  police,  le  célèbre  Pina  Manique,  disait  à  cet  égard  au 
Ministre  de  l'Intérieur,  le  Vicomte  de  Ville  Neuve  de  Cerveira,  que,  selon  lui,  le  dit  ex- 
jésuite était  l'espion  qui  envoyait  du  palais  des  nouvelles  aux  membres  de  la  Compagnie 
se  trouvant  dans  le  Royaume.  Il  faudrait  d'ailleurs  faire  des  recberches,  savoir  quel 
mobile  l'avait  poussé  à  se  présenter  devant  la  reine  comme  il  l'avait  fait,  afin  de  le  pu- 
nir s'il  était  criminel  ou  de  l'envoyer  dans  un  hospice  d'aliénés  si  on  voyait  qu'il  se 
trouvait  dans  ce  cas.  Cependant  il  ne  fut  pas  poursuivi  et  il  paraît  qu'il  lui  fut  permis 
de  partir  pour  Gênes.  Il  demanda  un  passeport  à  cet  effet  et  il  fit  le  voyage  à  bord 
du  navire  Orion  dont  Pierre  lordt  était  capitaine^». 

La  reine  Marie  I  dominée  par  les  moines  perdit  peu  à  peu  la  raison,  et  le  10  fé- 
vrier 1792  la  direction  du  royaume  passa  entre  les  mains  de  son  fils  Jean.  Mais, 
quoique  le  nom  de  Slarie  continuât  à  paraître  dans  les  diplômes,  ils  étaient  contresi- 
gnés par  le  prince. 

A  partir  du  15  juillet  1799  c'est  le  nom  de  celui-ci  qui  paraît  seul  dans  les  lettres 
ofiîcielles,  et  il  prenait  le  titre  de  Prince  Régent,  parce  que  la  maladie  mentale  de  sa  mère 
se  prolongeait  2. 

À  cause  de  l'invasion  des  français  en  Portugal,  le  Régent  Jean  partit  pour  le 
Brésil,  avec  sa  mère  et  les  autres  personnes  de  la  famille  royale  et  de  la  Cour,  le  29 
novembre  1807,  pour  aller  établir  son  gouvernement  à  Rio  de  Janeiro^. 

Les  jésuites  cependant  travaillaient  partout  pour  le  rétablissement  de  leur  Ordre 
dans  l'Église  Catholique;  ce  qu'ils  obtinrent  enfin  sous  le  Pontificat  de  Pie  VII.  qui 
publia  le  7  août  1814  la  Bulle  SoUcitii.do  omnium  ecclesiarum,  par  laquelle  il  rétablis- 
sait la  Compagnie  de  Jésus,  car,  ainsi  qu'il  y  est  dit,  cela  lui  avait  été  demandé  par 
plusieurs  princes  et  d'autres  personnes  de  haut  rang.  Mais  on  sait  que  la  Cour  Portugaise 
ne  contribua  en  rien  à  cet  acte  jiontifical.  Elle  montra  au  contraire  le  plus  grand  regret 
pour  le  rétablissement  de  cette  Compagnie,  puisque  le  Prince  Régent  n'accorda  pas 
le  Royal  Agrément  à  cette  Bulle,  et  fit  dire  à  son  Ministre  Plénipotentiaire  à  la  Cour  de 
Rome  qu'il  ne  devait  admettre  aucune  sorte  de  négociations  sur  un  tel  sujet,  par  l'arrêté 
ministériel  du  11  avril  1815,  qui  est  très  intéressant  pour  faire  comprendre  la  mauvaise 
impression  que  les  jésuites  avaient  laissée  en  Portugal,  tellement  mauvaise  que  56  ans 
après  on  écrit  dans  cet  arrêté  ministériel  ce  qui  suit  : 

dS.  A.  R.  s'étonne  de  cette  décision  de  Sa  Sainteté,  cette  Cour  n'en  ayant  pas  été 
informée  antérieurement,  quoiqu'elle  eût  le  plus  à  se  plaindre  des  jésuites,  contre  qui  le 
Portugal  procéda,  de  la  manière  la  plus  énergique,  par  l'Ordonnance  du  3  septembre  1759. 

oiLes  intentions  positives  de  S.  A.  R.  étant  de  maintenir  avec  la  plus  grande  rigueur 
les  dispositions  de  la  susdite  Ordonnance,  quelle  que  soit  la  décision  des  autres  Cou- 
ronnes, même  de  celles  qui  se  sont  associées  pour  l'extinction  de  la  dite  Compagnie, 
mon  Auguste  Maître  m'ordonne  de  communiquer  cette  résolution  à  V.  S.  afin  que  V.  S. 
présente  immédiatement  une  note  déclarant  les  principes  invariables  que  S.  A.  R.  a  l'in- 
tention de  maintenir  et  d'après  lesquels  il  vous  ordonne  de  n'admettre  aucune  négocia- 
tion sur  cette  matière,  soit  verbale,  soit  par  écrit». 


1  Luz  Soriano,  tom.  i,  p.  343  et  tom.  in,  pp.  62  à  64. 

2  Schaefer,  tom.  v,  pp.  343  et  344. 

3  Scliaefer,  tom.  v,  pp.  361  et  362. 


51 

Le  2  mars  1816  llarie  I  mourut  au  Brésil  et  son  fils  Jean  VI  lui  succéda. 

Cependant  les  français  avaient  été  repoussés  définitivement  du  Portugal  en  1810 
et  le  général  anglais  Beresford  le  gouvernait  presque  totalement,  ce  qui  donna  lieu  à  la 
conjuration  de  1817,  qui  ne  produisit  pas  l'efi"et  désiré,  et  à  la  révolution  libérale  de 
1820,  qui  triompha  momentanément  et  décréta  la  chute  du  pouvoir  absolu  du  Koi,  les 
députés  alors  réunis  en  Cortès  légiférant  la  très  libre  constitution  de  1822,  que  Jean  VI 
(obligé  à  revenir  du  Brésil)  jura  de  maintenir. 

En  ce  qui  regarde  les  Congrégations  Religieuses,  ce  parlement  leur  était  si  con- 
traire, qu'il  établit  que  l'on  n'admît  plus  de  novices  dans  les  couvents  masculins  et  fé- 
minins qu'il  y  avait  dans  le  Royaume. 

Mais  dans  la  société  portugaise  il  y  avait  alors  deux  partis  très  caractéristiques, 
celui  des  partisans  des  principes  libéraux,  du  régime  constitutionnel  et  de  l'indépen- 
dance du  pouvoir  civil  de  l'ecclésiastique,  et  le  parti  des  sectaires  des  vieilles  idées, 
de  l'absolutisme  royal  et  de  la  dépendance  de  l'Etat  Civil  à  l'Église  Romaine. 

Celui-ci  était  inspiré  par  les  conseils  de  l'épouse  de  Jean  VI,  Charlote  Joa- 
quine,  princesse  espagnole,  dont  la  conduite  comme  femme,  comme  épouse  et  comme 
reine  était  détestable.  Ce  parti  était  dirigé  par  son  fils  cadet  Michel,  esprit  rude  et 
querelleur,  fréquentant  les  gens  d'écurie  et  les  moines.  Le  lecteur  devra  dès  à  présent 
prendre  note  de  son  action,  car  c'est  de  lui  que  va  dépendre  la  rentrée  des  jésuites  en 
Portugal,  en  1829.  Charlote  Joaquine  avait  refusé  formellement  de  reconnaître  la  cons- 
titution et  d'y  prêter  serment  en  1822,  lorsque  le  roi,  son  mari,  l'avait  reconnue. 

Michel  en  mai  1823  prit  la  direction  d'une  contre  révolution  qui  proclama  de 
nouveau  le  gouvernement  absolu  de  son  père  et  en  Avril  1824  il  tenta  même  par  de 
nouveaux  tumultes  de  s'emparer  du  gouvernement,  en  déposant  son  père,  et  se  procla- 
mant roi.  Ce  coup  échoua  cependant,  car  Jean  VI  alla  se  réfugier  à  bord  d'un  navire 
anglais  qui  se  trouvait  dans  le  port  de  Lisbonne,  et  Michel,  obligé  par  la  force  à  s'y 
rendre,  fut  exilé  et  envoyé  à  Vienne  d'Autriche. 

En  examinant  l'esprit  de  ces  deux  règnes,  celui  de  Marie  I  et  celui  de  Jean  VI, 
nous  voyons  que  la  premièi-e,  fille  de  Joseph,  ainsi  que  le  deuxième,  petit-fils  du  même 
roi,  montrèrent  toujours  une  grande  antipathie  pour  les  jésuites;  et  tous  les  rescrits  qu'ils 
publièrent  furent  contraires  à  la  Compagnie.  Ils  montrèrent  toujours  un  grand  respect 
pour  les  lois  anti-jésuitiques  de  Pombal  qu'ils  voulurent  maintenir  intégralement  pen- 
dant leur  règne. 


DEUXIEME   ÉPOQUE 
1829-1834 

CHAPITRE  DIXIÈME 
Gouvernement  de  l'usurpateur  Michel  (Don  Miguel) 

Le  10  Mars  1826  Jean  VI  mourut,  après  avoir,  quelques  jours  auparavant, 
nommé  une  régence  présidée  par  sa  fille  Isabelle  Marie,  pour  gouverner  le  royaume 
pendant  sa  maladie  et  même  après  sa  mort,  jusqu'à  ce  que  l'héritier  légitime  de  la  cou- 
renne  pût  prendre  les  mesures  nécessaires. 

Pierre,  fils  aîné  du  roi  défunt,  ayant  accepté  le  titre  d'empereur  du  Brésil,  pays 
déjà  alors  indépendant,  il  passa  le  droit  au  trône  à  sa  fille  aînée  Marie,  qui  devint 
la  seconde  du  nom,  dans  le -gouvernement  de  la  nation. 

Afin  d'éviter  les  dangers  d'une  guerre  civile,  causée  par  l'esprit  rebelle  et  absolu  de 
son  frère  Michel,  fils  cadet  de  Jean  VI,  il  combina  oflKciellement  qu'il  se  marierait  avec 
la  reine  Marie  II,  sa  nièce;  ce  qu'il  accepta  d'autant  plus  facilement  qu'il  avait  l'exem- 
ple de  sou  grand-père,  Pierie  III,  qui  s'était  marié  avec  sa  nièce  Marie  I. 

Pierre  IV  avait  envoyé  du  Brésil  une  carte  conslituticnelle  datte  du  19  Avril  1826^ 
qui  détruisait  l'absolutisme  rétabli  en  Portugal  pendant  les  trois  dernières  années.  Cette 
carte  fut  proclamée,  le  31  Juillet  de  la  même  année,  par  la  régente  Isabelle  Marie. 

Michel  ayant  piété  seiment  sur  cette  carte  constitutionelle, à  Vienne  d'Autriche, 
où  il  était  exilé,  et  son  mariage  ayant  été  célébré  avec  la  jeune  reine,  sa  nièce*,  il  vint 
débarquer  à  Lisbonne,  en  Février  1828,  pour  prendre  possession  de  la  régence  du 
royaume,  en  remplacement  de  sa  sœur,  l'infante  Isabelle  Mari^. 

Arrivé  à  Lisbonne  il  montra  bientôt  l'esprit  vil,  traître  et  absolu,  dont  il  avait  déjà 
donné  tant  de  preuves,  à  la  fin  du  règne  précédent,  comme  nous  avons  vu. 

Aidé  par  Charlotte  Joaquine,  sa  détestable  mère,  il  donna  une  nouvelle  force  à 
son  ancien  parti  réactionnaire  et,  appuyé  sur  lui,  il  déclara  l'abolition  de  la  carte  consti- 
tutionelle, à  laquelle  il  avait  prêté  serment.  Il  se  fit  nommer  roi  absolu,  refusant  de  se 
marier  avec  sa  nièce  Marie,  qu'il  avait  acceptée  pour  épouse,  et  ne  voulut  plus  la 
reconnaître  comme  reine.  La  guerre  civile  commença  entre  les  libéraux  (partisans  de 
la  carte  constitutionnelle  et  de  la  reine  légitime)  et  les  miguelistas  (viichélistcs,  par- 
tisans de  l'absolutisme  et  de  l'usurpateur  Michel). 


i 


Luz  Soriano,  Histoire  de  la  guerre  civile,  3'  époque,  t.  ii,  part,  i,  pp.  10  ù  18. 


53 

Au  premier  choc,  les  michélistes  triomphèrent  et  les  libéraux  vaincis  durent  émi- 
grer  en  Angleterre,  en  France  et  au  Brésil.  Cependant  l'Ile  Terceira  était  restée  fidèle 
au  régime  Constitutionnel  et,  c'est  là  que  se  réunirent  ensuite  les  émigrés,  et  de  là  qu'ils 
vinrent,  commandés  par  Pierre  IV,  débarquer  le  8  juillet  1832  sur  la  plage  de  Mindelo, 
près  de  la  ville  de  Porto,  où  ils  entrèrent  le  lendemain. 

Eu  1833  le  Duc  de  Terceira  débarqua  en  Algarve  avec  des  troupes  et  marcha  sur 
la  capitale,  où  il  entra  le  24  juillet.  Pierre  arriva  quatre  jours  après.  Cependant  la 
lutte  continuait  à  l'intérieur  du  pays  et  ne  termina  qu'en  Mai  1834,  avec  la  Convention 
d'Evora-Monte,  par  laquelle  Michel  fut  obligé  de  sortir  du  Royaume  pour  ne  jamais 
y  revenir  :  en  effet  il  ne  revint  jamais  car  il  mourut  en  exil,  en  Novembre  186G. 

Voyons  maintenant  ce  qu'étaient  devenus  les  jésuites,  pendant  le  temps  qu'avait 
duré  le  Gouvernement  de  l'usurpateur  Michel,  de  1828  h  1834. 

Les  partisans  de  Michel  étaient  essentiellemente  réactionnaires  en  religion,  ser- 
viteurs dévoués  de  l'Eglise  catholique.  Ils  étaient  fanatiques  et  aimaient  béatement  les 
petites  dévotions  et  croyaient  aux  miracles  et  aux  prophéties.  Pendant  cette  courte  pé- 
riode même,  les  jésuites  profitèrent  d'une  vieille  petite  image  trouvée  dans  une  caverne, 
aux  environs  de  Carnide,  et  Michel  s'en  servit  comme  d'une  amulette,  croyant  que 
c'était  là  le  gage  de  sa  victoire  contre  les  libéraux.  Et  c'est  surtout  à  l'exploitation  de  cette 
image,  que  se  consacrèrent  les  jésuites  tant  qu'ils  restèrent  à  Lisbonne,  comme  l'avoue 
même  leur  supérieur,  le  Père  Delvaux  :  «le  bon  Dieu  semble  ayoir  destiné  notre  petite 
Compagnie  à  exploiter,  si  je  puis  parler  de  la  sorte,  de  plus  en  plus  cette  dévotion»  '. 

Les  jésuites  étaient  de  fuit  bannis  du  Portugal  depuis  1759;  Jean  VI  en  1815 
avait  formellement  refusé  de  donner  son  Royal  .agrément  à  la  Bulle  de  Pie  VII,  Soli- 
citudo  omnium  ecclesîarum,  qui  rétablissait  la  Compagnie  de  Jésus.  Mais  les  partis  réac- 
tionnaires considèrent  toujours  les  jésuites  comme  leur  meilleur  soutien,  c'est  porquoi 
dans  cet  interrègne  d'absolutisme  féroce  et  dévot,  les  jésuites  reparurent  dans  le  Portu- 
gal d'alors,  fanatique  et  soumis,  comme  de  noirs  oiseaux  de  proie  sur  un  cadavre. 

Ce  fut  Antoine  Ribeiro  Saraiva,  alors  attaché  à  l'ambassade  portugaise  à  Londres, 
qui  pensa  le  premier  à  appeler  les  jésuites  en  Portugal.  Ayant  passé  par  Paris  et  ayant 
vu  que  la  loi  de  Charles  X  de  1828  supprimait  les  Collèges  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
et  que  par  conséquent  beaucoup  de  jésuites  français  devraient  quitter  leur  pays,  il  pensa 
à  en  faire  venir  quelques  uns  en  Portugal  2.  Il  écrivit  à  cet  égard  au  Duc  de  Cadaval, 
alors  premier  ministre  de  Michel,  lequel  approuva  cette  idée  et  la  pré.senta  au  Roi 
usurpateur,  qui  l'accepta.  Ainsi  en  Mars  1829  trois  Pères  et  deux  frères  coadjuteurs 
de  la  Province  de  France  partirent  pour  le  Portugal,  ayant  pour  supérieur  le  P.  Jo- 
seph Delvaux.  Ils  vinrent  par  Passage  où  un  quatrième  Père  se  joignit  à  eux,  et  par 
Loyola,  où  le  supérieur,  revêtu  de  la  chasuble  de  S.'  François  de  Borja,  dit  la  messe 
dans  la  chapelle  où  s'était  opérée  la  conversion  de  S.'  Ignace.  Ils  arrivèrent  à  Madrid 
où  ils  entrèrent  au  Collège,  que  les  jésuites  y  avaient  déjà,  et  qui  portait  le  titre  d'Impé- 
rial. Ils  y  furent  très  bien  reçus  et  visités  par  la  famille  royale,  particulièrement  par 
les  deux  sœurs  de  Michel  qui  y  résidaient,  dont  Tune,  Charlote  était  mariée  au  Prince 
Royal  d'Espagne,  Charles.  Ils  durent  rester  quatre  mois  à  iladrid,  parce  que  leur 
entrée  en  Portugal  trouvait  une  grande  opposition  chez  plusieurs  personnages  de  la  cour 
de  Lisbonne,  où  ils  n'arrivèrent  que  le  13  août  1829.  D'abord  ils  entrèrent  au  couvent 


'  Lettres  Inédiles  du  R.  P.  Delvaux  sur  le  Rétablissement  des  Jésuites  en  Portugal,  p.  276. 

2  Dans  ce  chapiti-e  je  suis  le  récit  fait  par  lo  P.  Auguste  Carayon  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
dans  son  livre  Doeuments  Inédits,  Notes  Historiques  sur  le  Rétablissement  de  la  Com^)agnie  de  Jésus  en 
Portwjal,  Poitiers,  1863,  et  les  Lettres  du  P.  Delvaux,  Paris,  1866. 


54 

de  Rilhafoles  qui  appartenait  alors  aux  prêtres  de  S.  Vincent  de  Paul,  où  il  leur  fallut 
rester  deux  mois  et  demi,  dans  une  situation  très  difficile,  car,  comme  le  dit  le  jésuite 
Carayon  dont  nous  suivons  le  récit,  «la  législation  du  pays  et  les  actes  du  Marquis  de 
Pombal  ne  laissaient  pas  de  rendre  leur  position  extrêmement  délicate»  *.  Les  nouveaux 
arrivés  furent  bien  reçus  par  le  Roi  et  par  les  petits-fils  du  Marquis  de  Pombal.  Mais 
«dans  le  conseil  du  roi,  et  tout  autour  du  trône,  dans  le  clergé  même,  il  restait  des  élé- 
ments d'opposition.  Un  des  ministres  les  plus  influents  ne  cachait  à  personne  que  son  avis 
au  Conseil  était  qu'on  se  servît  de  la  Compagnie  de  Jésus  aux  Indes,  où  les  besoins 
de  la  Religion  étaient  extrêmes,  mais  qu'on  ajoui-nât  son  rétablissement  en  Portugal  jus- 
qu'à des  temps  plus  calmes»  -. 

Les  Pérès  n'ayant  pu  obtenir  une  demeure  qui  leur  fût  propre  à  Lisbonne,  le 
Duc  de  Lafoes,  frère  du  Duc  de  Cadaval,  leur  ofi'rit  pour  résidence  une  de  ses  mai- 
sons à  Marvila,  au  bord  du  Tage,  où,  ayant  appris  la  langue  portugaise,  ils  commencè- 
rent à  enseigner  le  catéchisme  aux  enfants  et  à  faire  de  petits  sermoni  dans  les  villa- 
ges voisins.  C'est  dans  un  de  ces  villages  —  à  Carnide — que  fut  trouvée  la  vieille  image 
de  la  Vierge,  appelée  Senhora  da  Eocha  (Notre  Dame  du  Rocher).  Le  Nonce,  Mgr.  Ale- 
xandre Justiniani  voulut,  à  la  fin  de  Novembre  1829,  que  l'un  de  ces  Pères  fît  à  l'église 
de  Loreto,  qui  appartenait  à  la  colonie  italienne,  une  petite  mission,  à  la  clôture  de 
laquelle  vinrent  assister  le  Roi  et  sa  cour. 

Marvila  se  trouvant  très  loin  du  centre  de  Lisbonne,  le  Duc  de  Lafoes  offrit  aux  Jésuites 
pour  leur  résidence  une  partie  de  son  palais  de  Largo  da  Anunciada,  où  ils  restèrent  de- 
puis le  18  jusqu'à  la  fin  de  décembre  1830.  A  cette  époque  le  Roi  leur  accorda  le  Colegi- 
«^0  (petit  collège),  ancienne  maison  des  jésuites,  qui  portait  le  nom  de  Saint-Antoine-Abbé, 
le  Vieux.  Pendant  le  carême  de  1831  ils  firent  une  autre  mission  dans  l'église  de  Loreto  des 
italiens.  Le  9  janvier  1832  le  Roi  remettait  aux  jésuites  le  Collège  des  Artes  de  Coïm- 
bre  et  le  14  février  de  la  même  année  quelques  Pèi'cs,  qui  étaient  venus  de  France  se 
joindre  aux  premiers,  s'y  rendirent^.  En  allant  à  Coimbre  ils  passèrent  par  Pombal  où 
le  Supérieur  voulut  dire  la  messe  des  morts  dans  la  chapelle  même  où  se  trouvait,  dans 
un  cercueil,  le  corps  embaumé  du  Marquis  de  Pombal.  Il  se  rappela  aloi's  cette  phrase, 
attribuée  au  Marquis,  et  à  laquelle  il  ne  sembla  pas  donner  une  grande  importance, 
<tLa  Compagnie  reviendra,  mais  il  lui  sera  difficile  de  refaire  son  nidn.  Ils  arrivèrent 
à  Coïmbre  le  18  février  au  milieu  des  ovations  que  leur  avait  préparés  le  réforma- 
teur de  l'Université,  le  Frère  Fortunat  de  St.  Bonaventure,  un  des  journalistes  les  plus 
satyriques  de  l'époque,  défenseur  des  jésuites  et  de  l'intrus  Michel,  ennemi  acharné  des 
libéraux  et  des  francs-maçons,  camarade  et  ami  de  cet  autre  ex-moine  et  mauvais  prêtre 
Joseph  Augustin  de  Macedo,  et  aussi  atroce  journaliste  que  l'autre  l'était. 

Les  jésuites  commencèrent  à  enseigner  d'après  leurs  méthodes  au  Collège  des  Arts. 
Le  réformateur  Frère  Fortunat,  sacré  le  27  mai  1832,  Archevêque  d'Evora,  demanda 
et  obtint  du  roi  pour  la  Compagnie  l'ancien  Collège  des  jésuites  du  Saint-Esprit  d'Evora. 
Mais,  comme  l'avoue  le  jésuite  Carayon,  «à  tous  ces  actes  de  la  bienveillance  du  prince 
et  de  la  sollicitude  de  son  ministre,  il  manquait  cependant  le  plus  important,  un  décret 
qui  rétablît  définitivement  la  Compagnie  en  Portugal.  Les  lois  de  proscription  de  Joseph  l" 
et  la  protestation  de  Jean  VI  contre  la  Bulle  de  Pie  VII,  SoUicitudo  omnium  ecclesiarum, 
rendaient  cet  acte  tout  à  fait  nécessaire.  Il  parut  enfin  le  8  septembre  dans  la  gazette 
de  Lisbonne»*. 


1  P.  Carayon,  pp.  3  et  4. 

'  Carayon,  pp.  6  et  7. 

'  Carayon,  pp.  lO^à  17. 

*  Carayon,  p.  29. — Lettres  inédiles  du  R.  P.  .loseph  Delvaux,  p.  358. 


55 

Ce  décret  avait  été  signé  le  30  août.  Après  avoir  analysé  «le  préambule  et  le  dis- 
positif de  la  Bulle  de  Pie  VII,  du  7  août  1814i),  il  termine  ainsi: 

«J'ai,  pour  le  bien,  accordé  mon  royal  Beneplacito  et  appui  à  la  susdite  Bulle  du 
Saint-Père  Pie  VII  et  j'ordonne  qu'elle  reçoive  son  accomplissement  et  exécution  dans 
mes  royaumes  et  domaines,  selon  sa  teneur  et  sans  tenir  compte  de  législation  quelcon- 
que à  ce  contraire,  que  je  révoque  à  cet  effet  seulement;  bien  entendu  que  par  cette 
mienne  résolution  souveraine,  ne  sont  pas  restitués  aux  dits  Pères  de  la  Compagnie  de 
Jésus  les  biens,  propriétés,  exemptions,  privilèges  et  prérogatives  qui  leur  ont  antérieu- 
rement appartenu,  ni  aucun  droit  ne  leur  est  donné  pour  çn  demander  la  restitution. 

Les  autorités,  à  qui  il  appartient,  l'aient  ainsi  pour  entendu  et  l'exécutent.  30  août 
1832  d1. 

Le  10  septembre  1832  on  montra  de  la  part  du  Eoi,  au  P.  Delvanx,  dans  le 
Coleginlio,  trois  nouveaux  décrets,  signés  par  Michel:  par  le  premier  il  accordait  à 
la  Compagnie  le  Collège  du  Saint-Esprit  d'Evora  et  pour  en  assurer  la  fréquentation 
il  établissait  que  les  étudiants  des  Départements  de  l'Alentejo  et  de  l'Algarve  ne  pour- 
raient pas  s'inscrire  à  l'Université  sans  avoir  fréquenté,  pendant  au  moins  une  année, 
le  Collège  d'Evora;  le  deuxième  appliquait  la  même  disposition  aux  étudiants  de  tout 
le  royaume,  par  rapport  au  Collège  des  Arts  de  Coïmbre;  et  le  troisième  annonçait  l'ouver- 
ture des  classes  dans  ce  collège  et  confiait  au  recteur  et  aux  professeurs  de  celui-ci  les 
examens  pour  l'inscription  à  l'Université.  Le  Roi  manifestait  en  même  temps  l'intention 
de  confier  aussi  aux  jésuites,  plus  tard,  le  Collège  des  Nobles  de  Lisbonne,  fondation 
du  Marquis  de  Pombal.  Il  fit  donc  y  cesser  provisoirement  l'entrée  des  élèves,  précisément  à 
l'expiration  des  grandes  vacances-.  À  la  mi-octobre  Michel  partit  pour  Coïmbre  pour  se 
mettre  à  la  tête  des  opérations  contre  l'armée  de  Pierre.  Le  Collège  des  Arts  qui  se 
trouvait  près  du  théâtre  de  la  guerre  dut  interrompre  les  classes  et  comme  la  guerre 
devenait  sanglante  il  fallut  transformer  quelques  couvents  en  hôpitaux. 

Les  jésuites  furent  appelés  pour  soigner  les  blessés  et  selon  leur  habitude,  avec  les 
soins  corporals,  ils  se  consacraient  très  spécialement  au  traitement  spirituel,  comme  le 
prescrivent  leurs  règles,  ce  qui,  d'après  le  récit  du  P.  Carayon,  consistait  en  ce  qui  suit  : 

«Chapelet  en  commun  dans  les  salles  des  malades,  catéchisme  des  convalescents 
dans  le  chœur  de  l'église,  exhortations  particulières,  confessions,  derniers  sacrements, 
visites  continuelles,  et  tous  les  soins  que  réclamaient  les  circonstances,  remplissaient 
le  temps  des  Pères,  et  répandaient  la  consolation  dans  l'âme  de  ces  infortunés;  ceux  qui 
moururent  manifestèrent  tous  de  grands  sentiments  de  piété ^d. 

Cependant  les  événements  de  la  guerre  se  précipitaient  rapidement  et  quoique  les 
troupes  libérales  de  Pierre  se  trouvassent  encore  assiégées  à  Porto,  le  Duc  de  Ter- 
ceira  (Vila  Flor),  un  de  ses  généraux,  vint  par  mer  et  débarqua  en  Algarve,  comme  nous 
l'avons  dit  plus  haut.  De  là  il  traversa  par  terre  avec  ses  troupes,  jusqu'à  Almada,  en 
face  de  Lisbonne,  où  il  arriva  le  23  juillet  1833.  Pendant  cette  nuit-là  les  Ministres 
de  Michel,  la  noblesse  et  les  troupes  s'enfuirent  de  Lisbonne  où  entrèrent  le  lende- 


1  Lettres  Inédites  du  P.  Delvaux,  pp.  359  à  361. 

2  Carayon,  pp.  30  et  31. 
'  Carayon,  p.  48. 


56 

main  les  troupes  libérales  et  où  on  établit  un  gouvernement  composé  des  Ducs  de  Pal- 
mela  et  de  Terceira.  Les  jésuites  de  Lisbonne  malgré  les  alarmes  du  moment,  restèrent 
sains  et  saufs  et  il  leur  fut  permis  de  se  retirer  au  couvent  des  Dominicains,  ce  qui  ne 
leur  plut  pas,  parce  qu'ils  croyaient  ces  religieux  leurs  ennemis.  Ils  obtinrent  donc  de 
se  retirer  dans  des  maisons  particulières,  après  avoir  signé  un  papier  où  leur  supérieur 
déclarait  que  les  jésuites  n'iraient  pas  dans  les  localités  qui  se  trouvaient  encore  sous 
la  domination  de  Michel  et  qu'ils  ne  se  mêleraient  pas  de  la  politique  du  pays^  Le 
28  juillet  1833  Pierre  entra  aussi  à  Lisbonne,  et  sachant  que  les  jésuites  étaient  très 
attachés  à  la  politique  de  son  frère  et  opposés  à  la  sienne,  comme  il  s'en  était  assuré 
par  des  recherches  particulières  qu'il  avait  fait  par  un  agent  secret,  il  signa  le  lende- 
main un  décret,  par  lequel  il  proscrivait  de  nouveau  les  jésuites-.  Il  envoya  des  magis- 
trats escortés  de  cavalerie  et  d'infanterie  au  Coleginho  pour  arrêter  les  jésuites  qui  s'y 
trouveraient,  dans  le  but  de  faire  exécuter  les  lois  de  Pombal.  Comme  on  n'y  trouva 
pas  un  seul,  on  fit  apposer  les  scellés.  Les  novices  cependant  étaient  rentrés  chez  leurs 
familles  et  les  jésuites  qui  avaient  prononcé  les  vœux,  s'étant  d'abord  cachés  chez  des 
amis,  partirent  sur  des  navires  étrangers  se  trouvant  dans  le  port  de  Lisbonne  et  quit- 
tèrent le  Royaume. 

Coïmbre,  comme  d'autres  villes  du  nord,  était  encore  au  pouvoir  de  Michel, 
c'est  pourquoi  les  jésuites  du  Collège  des  Arts  purent  continuer  l'enseignement  ainsi 
que  le  traitement  des  malades.  Trois  d'entre  eux  y  moururent. 

Cependant  les  libéraux  étaient  victorieux  et  la  guerre  civile  terminait  par  la  con- 
vention d'Evora-Monte,  signée  en  mai  1834,  et  Michel  dut  sortir  du  Royaume  où  il  ne 
revint  jamais.  Il  mourut  en  novembre  1866. 

Pac  suite  de  la  victoire  des  libéraux  Pierre  IV  fit  exécuter  à  Coïmbre  le  décret  de 
suppression  des  jésuites,  qu'il  avait  signé  le  29  juillet  1833  à  Lisbonne,  où  il  l'avait 
fait  aussitôt  exécuter.  C'est  pourquoi  le  corrégidor  de  Coïmbre  se  présenta  le  28  Mai 
au  Collège  des  Arts  et  fît  la  lecture  du  décret  qui  bannissait  toute  la  communauté. 

Voici  le  récit  fait  par  l'historien  jésuite  Carayon: 

a  Le  28  mai,  veille  de  la  Fête-Dieu,  le  Corrégidor  vint  le  matin  signifier  le  décret 
de  suppression,  et  en  fît  la  lecture  à  toute  la  communauté  assemblée.  Les  jésuites  y 
étaient  accusés  de  s'être  introduits  dans  le  royaume  à  la  faveur  de  l'usurpation  de  Don 
Miguel,  pour  propager,  comme  leurs  ancêtres,  le  fanatisme  et  l'ignorance,  et  il  portait 
condamnation  à  en  sortir  dans  le  plus  bref  délai,  sous  peine  d'être  traités  selon  la  rigueur 
des  lois.  Acte  fut  dressé  de  cette  intimation  et  tous  les  Pères  furent  invités  à  le  signer^». 

Le  30  mai  les  jésuites  sortirent  de  Coïmbre  escortés  par  des  soldats  qui  les  con- 
duisirent,  en   les  traitant  très  affectueusement,  jusqu'à  Vila  Franca,  où  ils  arrivèrent  le 

4  juin.  De  là  ils  vinrent  en  bateau  jusqu'à  Lisbonne. 

L'ambassadeur  de  France,  le  Baron  Mortier,  obtint  du  Gouvernement  que  les  étran- 
gers pussent  rester  à  la  To%ir  de  S.  Julien,  jusqu'au  moment  de  leur  embarquement,  afin 
de  ne  pas  être  exposés  aux  colères  populaires.  Ils  y  restèrent  jusqu'au  3  juillet,  où  ils  mon- 
tèrent  sur   un  navire  qui  le  7  leva  l'encre   et   vogua  vers  Gênes  où  ils  débarquèrent  le 

5  août  18.34. 

Ainsi  sortirent  de  Portugal  les  jésuites  du  temps  de  l'usurpateur  Michel.  Mais 
bientôt  quelques  uns  d'entre  eux  reparurent  de  nouveau  dans  le  pays. 


'  Carayon,  pp.  57  à  61. 

2  Lettres  Inédites  du  P.  Delvaux,  pp.  435  ù  441. 

^  Carayon,  p.  67. 


TAB1;E  DES  MATIÈRES 


Préface   5 

Première  Époque 

1540-1759 

Chapitre  Premier. —  Règne  de  Jean  III  (1530-1557) 7 

Chapitre  Deuxième.  —  Régence  Je  la  reine  veuve  CatluTine  (1557-1562).  —  Régence  du  Cardi- 
nal Henri  (1562-1568).  —  Sébastien  roi  (1568-1578) 12 

Chapitre  Troisième.  —  Règne  du  Cardinal  Henri  (d'aôut  1578  à  janvier  1580) 23 

Chapitre  Quatrième.  —  Dumination  Castillane  :  1580  à  1640  (60  ans).  —  Philippe  II  (1580-1598) 

18  ans. —  Philippe  III  (1598-1621)  23  ans.  — Philippe  IV  (1621-1610)  19  ans 25 

Chapitre  Cinquième.  — Règne  de  Jean  IV  (1640-1656) 28 

Chapitre  Sixième.  — Règnes  de  Alphonse  VI  et  de  Pierre  II.  —  Alphonse  VI  roi  (1656-1668).^ — 

Pii'rre  II  ^.'ouverneur  du  Royaume  (1668-1683).  — Pierre  II  roi  (1683-1706) .       32 

Chapitre  Septième.  —  Règne  de  Jean  V  (1706-1750) 34 

Chapitre  Huitième.  —  Règne  de  Joseph  1  (31  juillet  1750 — 24   février  1777) 36 

Chapitre  Neuvième.  —  Règnes  de  Marie  I  et  de  Jean  VI  (1777-1826) 49 

Deuxième  Époque 

1829-1834 
Chapitre  Dixième.  —  Gouvernement  de  l'usurpateur  Michel  (D.  Miguel)  (1828-1834) 52 


CORRECTIONS 


Page  25,  ligne  43:  Au  lieu  de  pubticarum,  lire  politU^arum. 

Page  25,  ligne  47:  Au  lieu  de  Noviciado  de  TAshoa,  lire  Noviciadn  de  Coiinbra. 

Page  33,  ligne  2:  Au  lieu  de  15G7,  lire  1667. 

Page  47,  ligne  25:  Au  lieu  de  1758,  lire  1763. 

Page  53,  ligne  17:  Au  lieu  de  Carnide,  lire  Carnaxide. 

Page  54,  ligne  15:  Au  lieu  de  Carnide.,  lire  Carnaxide. 


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